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Full text of "Histoire de la papautë pendant le XIV" sic̀cle: avee des notes et des pièces ..."

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HISTOIRE 



DE 



LA PAPAUTE 



PARIS. — TTP. SIMON RAfON ET C", 1, RDE d'ERFDRTH. 



HISTOIRE 



DE 



LA PAPAUTE 



PENDANT LE \\V SlllGLB 



AVEC DES NOTES ET DES PIECES JUSTIFICATIVES 



PA 



«.,- a 



• ^ ir< 



L'ABBE J.-B. eHRISTOPHE 1?'^( 

Cart do dioc^ 4e L7M M tteakre dn Gercie Uttfraire de Ltoh. 
0UVRA6E 0(DI( A SON CMINENCE LE CARDINAL DE DONALD ET APPROUVE PAR ELLE. 



kv -Yap ep-yov icTTopiat? xai reXo;, to 'ji^ortai^O'/ ^ 
otrep ix, t&u aXY)6oO; (xovcu ouva')^8Tai. 

Unum enini historiae opos, unusque flnis est atilitas, 
quae ex veriute coUigltar. 

LCCUN. QUOM. GONSCRIB. SIT HIST. 




TOME PREMIER |- ^f fci 

* " I ^ i 



PARIS 

LIBRAIRIE DE L. MAISON 

KdltCNr d«« ETVDBS SVR I^A RifcFOIIMB, par N. AUDIIV. 

5, — RUE CHRISTIIfEf — 5 

1853 



/ 



(0 



Monseigneur, 

VHisloire de la Papaule a obtenu vos sympathies, 
alors qu'elle n'^tait qu'au simple 6tat de projet, ii est 
juste, aujourd'hui qu'elle a acquis sa forme definitive, 
que j'en depose Thommage aux pieds de Voire Emi- 
nence. La faveur dont vous Tavez honor^e me permet 
d'esp^rer qu'elle ne sera pas inutile a la grande cause 
calholique. Get espoir el voire bienveillance sont toute 
la remuneration que j'ambitionne de mes laborieuses 
recherches. 

Je suis, Monseigneur, avec le plus profond respect, 

de Voire Eminence, 
le tr^s- humble el trfes-ob^issant serviteur, 

CHRHSTOPHE. 



393811 



APPROBATION. 



Nous avons fait examiner le livre manuscrit intitule : Histoire 
de la Papautd pendant le quatorziime sidcle, par M. TabW 
Christophe, cur^ de Notre-Dame de Fontaine ; d'aprfes le compte 
qui nous a ^t^ rendu, nous ne pouvons qu'autoriser Timpression 
dudit ouvrage. 



Lyon, le 17 f^yrier 1852. 



t L.-J.-M. GAitomAL DE BONALD. 
ArchevSque de Lyon. 



PREFACE. 



Lorsque je commenfai mes recherches sur Phis- 
toire que je publie aujourd'hui, j'etais loin de songer 
a faire un livre. Le but unique de mon travail etait 
de m'edifier sur un fait qui m'avait loujours paru 
singulier : la presence des souverains pontifes en 
France pendant soixante-douze ans. Sans savoir pre- 
cisement en quoi les historiens se trompaient sur ce 
fait, je soup§onnais les uns de Tavoir mal compris, 
les autres de n'avoir pas cherche a le comprendre, de 
le juger du point de vue de leurs preventions plutot 
que du point de vue de Tepoque ou il fut accompli, Je 
ne pouvais nae persuader qu'un fait si considerable, 
si fertile en consequences graves, n'eut d'autre cause 
d'existence que I'election de Clement V corame la ra- 
conte Giovanni Villani, 6crivain haineux et de mau- 
vaise foi ; que la raison d'etre de ce fait ne se trouvat 
pas plutot dans les ^v^nements politiques donl Rome, 
dont ritalie ^taient alors le theatre. Mon dessein pri- 
milif 6tait done de faire sur la translation du Saint- 



lY PREFACE. 

Si^ge k Avignon une dissertation ou j'aurais discute, 
plus longuemenl que ne Ta fait le P6re Berlhier, les 
motifs s^rieux de cette revolution memorable, dis- 
sertation que j'aurais ensuite publi^e dans quelque 
Revue. 

Mais, k mesure que je pen^trai dans Tinterieur de 
monsujet, je le vis s'elargir devant moi, et je ne tar- 
dai pas a m'apercevoir que le d^placement d'une 
puissance comme celle de la Papaute pendant pres 
d'un siecle avait du i^tre prepare par des ev^nements 
qu'il importait d'interroger, qu'un fait de cette na- 
ture plongeait ses racines dans tout un ordre de cho- 
ses qu'il etait necessaire de debrouiller si Ton voulait 
arriver a la virile. 

L'origine du fait une fois mise en lumiere, Tou- 
vrage etait a peine commence. Ne fallait-il pas de- 
crire ce fait, en exposer les details, en montrer les 
rapports, la connexite avec Tbistoire contemporaine? 
Les memos prejuges qui egaraient les historiens sur 
les causes de la venue des papes en France faussaient 
encore leurs appreciations sur le sejour que les papes 
firent dans ce pays. Chacun le considerait ou a travers 
ses antipathies nationales ou a travers ses preoccupa- 
tions personnelles. Les ^crivains italiens Tappelaient 
la captivity de Babylone ; les ecrivains incroyants et 
r^formes, un honteux esclavage impost a la Papaute 
par la royaut6 frangaise. On refusait a ce sejour toute 
grandeur, toute ind^pendance. Certes, nous sommes 
loin de nier que la Papaute, transplant^e loin de son 
siege naturel, se Irouvat dans une position aussi favo- 



PREFACE. V 

rable araction de son autorite que si elle eut regne a 
Rome ; mais il faut etre juste : elle n'a manque ni de 
grandeur ni d'independance, cette papaute qui com- 
pleta le corps du droit canon, donna a TEglise un 
concile oecum^nique, reconquit le domaine ecclesias- 
tique, terrassa le parti gibelin, deposa Louis de Ba- 
viere et crea deux empereurs. Eh bien! il fallait faire 
ressortir ce cote si glorieux pour la Papaute frangaise, 
et toutefois si meconnu, et montrer que les hommes 
qui accomplirent ces grandes choses a etaient point 
indignes de leurs plus illustres pr^d^esseurs. 

Yenait apres cela le grand schisme d'Occident, cetle 
epreuve si douloureuse pourl'Eglise: nouvelle car- 
riere pu je ne pouvais eviter d'entrer. Si Ton veut que 
le fait du schisme ait eu des causes proportionnees a 
la generalite, a la duree, a Tinfluence de ce fait, il 
faut bien en reconnaitre d'autres que les violences 
exercees sur les electeurs d'Urbain VI et la rigueur 
intempestive de ce pontife. L'on ne persuadera jamais 
a personne que les grandes perturbations qui ebran- 
lent la societe religieuse, comme la societe civile , ar- 
rivent par accident. Les 6v6nements par lesquels elles 
se manifestent n'en sont que Texplosion. Elles fermen- 
taient bien avant cela dans les profondeurs du corps 
social, Nul doute que la reformation n'eut eu lieu 
ind^pendamment de la predication des indulgences, 
De meme nous verrons que le schisme aurait ete dif- 
ficilementprevenu, quand meme le conclave de 1378 
n'aurait pas donn^ a I'Eglise un pape douteux ; tons 
' les elements en avaient ete prepares du vivant meme 



VI PREFACE. 

de Gregoire XI, et ce pontife en emporta dans latombe 
le trisle pressentiment. Le schisme ^tait tout entier 
dans ce voeu exprime hautement par les Remains : 
(( Nous le voulons Romain , ou au moins Italien , » 
et dans ce voeu contraire qui etait dans le coeur de tons 
les hommes d'outre-monts : « Nous le voulons Fran- 
« gais et non Italien. » Des haines et des affections 
profondes s'etaient formees pendant la longue absence 
des papes hors de Rome; les esprits etaient divises 
avant que les masses le devinssent. Le schisme fut 
presque autant le fait des antipathies et des sympa- 
thies nationales que le fait de Timpossibilite ou Ton 
se Irouva de distinguer le vrai pontife du faux pontife ; 
et ceia est si vrai, que, lorsque les differentes nations 
de la chretiente se reunirent dans une meme volont^, 
le schisme cessa. II n'y avait qu'un concile general 
qui put en venir a bout, parce qu'un concile general 
seul pouvait dteindre les rivalites et concilier les inte- 
rets divers. Ainsi, le grand fait du schisme s'enchaine 
naturellement au sejour des papes k Avignon ; il en est 
une consequence immediate et logique. 

L'^poque du grand schisme n'avait ^te qu'incom- 
pletement trait^e par les ecrivains eccl^siastiques du 
dix-septieme siecle, priv^s qu'ils Etaient des docu- 
ments qui ont ^te publics depuis, surtout par les Be- 
nedictins et par Muratori. Les quatre volumes in-^*" 
de Lenfant sur le concile de Pise et le concile de Con- 
stance n'^taient point de nature a y supplier : pou- 
vait-on attendre d'un protestant r^fugi^ une oeuvre 
Equitable pour Tfiglise catholique?On rencontre, il est 



PREFACE. vii 

vrai, dans son travail^ comme recit des faits, la verite 
mal^rielle; mais la verite morale, cette verite qui re- 
sulte d'une juste appreciation deschoses, ne s'y trouve 
point. Les etudes de Tauteur, quoique vastes, n'ont 
point ete dirigees par une impartiality assez eclairee 
pour lui faire surmonter ses preventions de secte et 
lui permettre de juger les evenements de leur vrai point 
de vue; il n'apergoit, dans les d^sordres du schisme, 
qu'une preuve de la necessite de la reformation de 
Luther, qui n'a rien reforme. Mais la lutte de TEglise 
contre ces desordres, il ne la signale que pour Taccu- 
ser d'impuissance; mais les sublimes vertus qui il- 
luminerent si prodigieusement cette epoque, il en de- 
tourne ses regards ; mais le principe de Tunite se 
maintenant intact au milieu des dechirements ; mais 
la constitution chretienne s'affermissant sous les coups 
qui devaient Tebranler; mais la Papaute toujours 
grande, toujours venerable aux yeux des peuples, 
malgre le profond abaissement de ceux qui s'intitu- 
laient ses representants ; la Papaute se tirant a la fois 
brillante et pure du milieu des scandales qui devaient 
Tetouffer, ne sont pas la des faits qui aient frappe Len- 
fant, et, faule de les avoir signales , son histoire res- 
tera comme une longue el injuste diatribe contre TE- 
glise romaine. 

II devenait done indispensable d'aborder Tepoque 
du grand schisme, soit pour combler les lacunes de 
nos vieux historiens, soit pour opposer un antidote a 
des ouvrages Merits dans un esprit de denigrement. 

En face d'une telle perspective, il est evident que 



VIII PREFACE. 

ce n'^tait plus d'une simple dissertation qu'il s'agis- 
sait^ mais d'une histoire complete de la Papaut^ pen- 
dant le quatorzieme si6cle. Je confesserai ici avec 
sincerite que je n'eus point assez de modestie pour 
m'effrayer de I'enormite de cetle t^che, et que je Tac- 
ceptai resolument. Le sujel etait neuf^ et, indepen- 
damment des sympathies nationales qu'il ^veillait en 
moi, il presentait ga et la un certain nombre de ces 
situations dramatiques, de ces peripeties saisissantes 
qui sourient a Timagination d'un jeune ^crivain, qui 
voit tout d'abord dans les evenenrents ce qu'ils out de 
poetiqueet d'interessant plutdt que ce qu'ils renferment 
de serieux et de grave. J'osai croire au succes ; je m'en 
suis bien repenti plus tard, lorsque les difficultes de 
mon entreprise se dresserent devant moi comme d'a- 
bruptes sommites. Mais ce n'etait plus le temps de 
reculer; s'il y a de la temerity a s'engager dans une 
carriere perilleuse, il y a aussi de la honte a revenir 
sur ses pas : on ne se r^signe point aisement a un tel 
sacrifice. 

II ne fut pas possible d'abord de me tracer un plan 
de Touvrage : tout etait nouveau pour moi. Le pre- 
mier soin qui dut m'occuper fut de me mettre en quete 
des sources ou je devais puiser mes documents ; j'etu- 
diai ensuite ition sujet d'un bout a Taulre sur ces do- 
cuments. Ce ne fut que lorsque, mes mat^riaux ayant 
^te rassembles, je pus me rendre compte de la liaison 
des faits entre eux, que je songeai a les classer, a les 
mettre en ordre, a donner la forme a mon travail. En 
cela, j'avouerai franchement a mes lecteurs gue je 



PREFACE. IX 

n'ai cherch^ k suivre aucun des systemes en faveur k 
noire ^poque. Debrouiller le chaos des contradictions, 
debarrasserles fails des circonstances accessoires, en 
exposer la suite avec netlete, chaleuFj rapidity, meltre 
en sc^ne les personnages, en leur consenanl le carac- 
tere, la physionomie qui leurapparliennent, me sem- 
ble remplir suffisamment le but de I'histoire ; c'est 
celui que je me suis efforc6 d'atteindre. 

De distance en distance se sent pr^senl^es les ques- 
tions les plus d^licates, les plus considerables, les plus 
difficiles a resoudre qui puissent s'offrir a un hislorien. 
Je dis les plus dfilicates, par les susceptibilit^s qu'elles 
reveillent, les passions qu'elles ^meuvenl, les contro- 
verses qu'elles soulevent. Je dis les plus considerables, 
par le rfile qu'elles jouent dans rhistoire, les ev^ne- 
ments qui s'y raltachent, les consequences qui en sent 
sorties. Je dis les plus difficiles a resoudre, parce 
qu'elles sent complexes, qu'elles tiennent forlcmenl 
k des sympathies ou k des repugnances que le temps 
n'a point effaces et que des opinions ardentes en font 
leur aliment. 

11 fallait quelque courage pour affronter de sembla- 
bles questions, entreprendre de les trailer. J'ignore 
de quelle mani^re le public verrale parti quej'ai pris 
dans ces questions, mais j'ose esp^rer qu'on ne me 
refusera pas la justice de convenir que je les ai abor- 
d^es franchement, sans detour, sans passion, 
pris mes conclusions qu'a\ec pleine connaissj 
cause. Du reste, ces conclusions, ainsi que I 
de I'ouvrage, je les soumets k rautoriie de c 



X PREFACE. 

apostolique, dont les jugexnents onl ete et seront tou- 
jours ma regie invariable. 

Convaincu comme je le suis que letriomphe de TE- 
glise est dans la verite des fails de son histoire au§si 
bien que dans la verite de son enseignement, le but su- 
preme de mes efforts a ete de trouver cette verity au mi- 
lieu du dedale des evenements et des temoignages con- 
fus des chroniques. J'y ai consacre dixans d'un travail 
assidu. Si je ne puis me flatter d'avoir toujours ete 
heureux, il m'est permis de dire que j'ai signale plus 
d'une injustice et rectifie plus d'une erreur. J'aurais 
sans doute repandu plus de jour sur une epoque assu- 
r^ment peu connue, s'il m'eut et^ possible de d^- 
pouiller les manuscrits du Vatican ; dans Textreme 
difficultede le faire, j'ai du me contenter des docu- 
ments edites soit en France, soit en Italic, soit en Al- 
lemagne. Ce n'etait pas deja une faible tache que de 
les connaitre et de me les procurer* A force de recher- 
ches je suis parvenu a en consulter le plus grand nom- 
bre. Je ne m'en suis pas tenu la, j'ai interroge les 
monuments qui rappellent encore le souvenir de la 
memorable 6poque ou notre pays posseda la Papaut^; 
j'ai visite en outre dans les bibliotheques d'Avignon 
et de Carpentras ce qu'elles renferment de manuscrits 
visibles. Gr&ce a tons ces documents subsidiaires, je 
crois avoir donn^ de la Papaute pendant le quatorzieme 
si^cle les details les plus complets qui aient et6 pu- 
blics jusqu'^ ce jour. 

Je vais ici au-devant d'une objection. On pourra 
m'accuser de me bonier a narrer les faits religieux 



PREFACE. XI 

el politiques relalifs a la Papaute, de ne point assez 
initier le lecteur au mouvement des arts, de la litte- 
rature^ dans cette periode si rapprochee de la renais- 
sance, de le tenir a Tecart de ces debats orageux de 
r^cole ou les systemes philosophiques lutterent pour 
la preponderance; de ne parler des ecrivains et 
des poetes qu'incidemment, lorsque leur nom se rat- 
tache aux ^venements ; en un mot de montrer beau- 
coup plus la vie physique et morale que la vie intel- 
lectuelledu siecle. Eh bien! si c'est la le defaut de 
mon (Buvre, j'avouerai que ce defaut est completement 
volontaire. Malgr6 les exigences deTopinion, que jene 
me suis point dissimulees, je n'ai pu resister a cette 
consideration qui m'a toujours paru decisive, savoir : 
quej'ecrivaisrhistoire de la Papaute, non Thistoire 
de la litterature, de la philosophic et des arts; conse- 
quemment, que mon devoir etait de me renfermer 
dans mon sujet; quetoute exposition de faits quine 
se lienl pas au sujet par quelque endroit sensible n'est 
qu'une digression qui briseTunite et, par suite, detruit 
rinteretdeThistoire, en partageant Fatten tion du lec- 
teur. D'ailleurs, ou ces sortes d'expositions sont eten- 
dues, et alors elles deviennent un livre dans un livre; 
ou elles se bornent aun coup d'oeil general et rapide, 
et alors elles sont incompletes : double inconvenient 
qu'elles entrainent toujours apres elles, quand elles 
n'y joignent pas celui d'emaner d'une plume incom- 
petente. 

Qu'il me soil maintenant permis d'offrir publique- 
ment les temoignages de ma gratitude aux hommes 



xii PREFACE. 

qui m'onl aide de leur obligeance dans mon travail. 
Je dois surtout ces temoignages a M. CoUombet , a 
M. Monfalcon , biblipthecaire de la ville de Lyon, 
ainsi qu'a M. Mulsant, son digne collegue; ces mes- 
sieurs entendent a merveille la confraternile de la 
science. Je dois beaucoup aussi au R. P. Prat, au- 
quel la cause catholique est redevable de plusieurs 
savants ouvrages. La complaisance de ce religieux si 
distingue a toujours 6t6 sans bornes, et il a mis plus 
d'une fois a ma disposition toutes les richesses de la 
bibliotheque de son couvent. 

J'ai puise bien des lumieres dans les conseils de 
deux hommes dont le monde savant deplore si ame- 
rement la perte recente : Tun est M. Audin ; Tautre, 
M. Gregori, conseiller a la Cour d'appel de Lyon. 
Pas n'est besoin de faire T^loge du premier : il s'est 
plac^j par ses quatre monographies, de Luther, de 
Calvin, de Leon X et d'Henri VIII, au premier rang 
des ^crivains de notre epoque. Le second est moins 
connu, quoiqu'il meritat tous les honneurs de la re- 
nommee. Mais la mort I'a frappe au moment ou il 
allait mettre au jour le fruit de ses laborieuses re- 
cherches et fixer a son nom Taur^ole de la gloire. Ces 
deux hommes si eminents m*honorerent de leur ami- 
tie, je devais a la mienne pour eux de d^poser sur 
leurs tombes Texpression de mon estime et de mes 
regrets. 



INTRODUCTION. 



Le pouvoir spirituel de la Papaute est solennellement 
proclam^ dans les paroles du Sauveur du monde; il est 
exerce sans conteste par les.successeurs de saint Pierre. 
Des le berceau du christianisme, il se developpe avee lui, 
et tous le reconnaissent pour le centre de Tunite ecclesias- 
tique. Le pouvoir temporel de la Papaute ne sort point, 
eomme le premier, aussi clairement des paroles evange- 
liques ; il jaillit plutot des circonstances, apr^s etre rest^ 
assez longtemps obscur. Nous aliens essayer d'en tracer 
Vhistoire. 

Le cinquieme siecle vit naitre pour Rome d'etranges 
moments. Cette ville, qui avait si longtemps regne sur le 
monde, devint tout a coup la proie de ceux que son scep- 
tre avait hum ilies. Un jour qu'un de ses conqu^rants bar- 
bares marchait centre elle pour Teffacer de la terre, il ar- 
riva que, dans sa detresse, ses legions ne pouvant plus la 
defendre, elle eut recours a son eveque. Saint Leon marcha a 
la rencontre d'Attila, arme simplement de la majeste de la 
religion, et Ton dit que le monarque superbe, cedant a 

1 



2 INTRODUCTION. 

Tascendant victorieux du pontife, se rcplia devant lui (1). 
Que cette retraite ait ete Teffet d'un prodige ou simplemenl 
de la persuasion, il est certain qu'on doil Tattribuer k 
saint Leon. Or, elle annon^ait que le r^gne de la puissance 
materielle avait cesse, et qu'une nouvelle puissance, toute 
morale, toute d'intelligence, allait prendre sa place. Dans 
ce fait, se revele tout Tavenir temporel de la Papaute. 

C'est la premiere fois, effectivement, que la Papaute se 
pr^sente dans Thistoire environnee d'une grande influence 
sur les pouYoirs de la terre, mais, a coup sflr, ce n'est 
pas la premiere fois qu'elle Texerce. Bien qu'il soit diffi- 
cile, avant le cinquifeme siecle, de preciser les fails qui 
indiquentle progres de la puissance temporelle des papes, 
plusieurs conjectures fondees nous autorisent a penser qu'a 
Tepoque dont il s'agit, lorsque Tempire d'Occident reclama 
son appui tutelaire centre le roi des Huns, le d6veloppe- 
ment de cette puissance n'en etait pas a son debut. Elle 
s'^levait d'une maniere lente, insensible, comme toutes les 
choses que leur propre energie et non la violence des pas- 
sions fait mouvoir, mais elle s'elevait. Si le fait des perse- 
cutions a ete, comme tout porte a le croire, un fait pour 
le moins autant politique que religieux, il prouve jusqu'a 
un certain point que les premiers developpements de cette 
puissance n'^chappaient pas aux empereurs. Pourquoi, en 
effet, cet acharnement de leur part k poursuivrc les eve- 
ques de Rome plut6t que les autres pasteurs de Tfiglise? 
Un contemporain nous en donne un motif digne de remar- 
que : C'est, dit-il, qu'il etait plus supportable aux maitres 
du monde d'entendre dire qu'un competiteur s'elevait 
pour leur disputer Tempire, que de voir un ev^que con- 



(1) Cassiodori Ghronicon. — Jornandes, de Gothor. orig. et gestis, 

C. XLII. 



INTRODUCTION. 5 

stitue k Rome (1). Si cctte parole de saint Gyprien a quel- 
que valeur historique, et pourquoi n'en aurait-elle pas? 
elle montre quelle influence puissante les pontifes romains 
exergaient deja sur les sujets de TEmpire au troisieme 
siecle, et au milieu des hostilites sanglantes du Paganisme 
centre TEglise, puisque les empereurs apercevaient en 
eux de dangereux rivaux de leur pouvoir. 

Ammien Marcellin, au quatrieme siecle, decrivait ainsi 
la pompe qui environnait les pontifes romains : « Geux qui 
<i ont ete choisis, dit-il, pour cette dignite, sent enrichis 
c( par les presents des dames romaines ; ils sont portes sur 
c< des chars, v6tus d'habits magnifiques. La somptuosite 
« de leur table surpasse celle des tables imperiales (2). » 
a Faites-moi eveque de Rome, disait alors le prefet Pre- 
c< textat au pape Damase, et je me fais aussitot chretien (3) . » 
II faut Tavouer, ces temoignages, emanes de sources 
paiennes, sont avant tout une satire de ce qui semblait un 
abus a des yeux disposes k ne voir dans le Christianisme 
qu'une austere simplicite ; ils prennent evidemment, par 
ignorance ou a dessein, la splendour du pontificat pour le 
luxe personnel de Thomme, les offrandes deposees entre 
les mains de Teconome des pauvres pour des presents 
destines a satisfaire une ambition mondaine, les somptuo- 
sites occasionnees par les necessites de position pour 
une maniere habituelle de vivre. Mais, quel que soit Tes- 
prit de ces temoignages, ils n'en signalent pas moins dans 
Thistoire de la Papaut^ d'alors Texistence d'une veritable 
grandeur temporelle. Ne devait-elle pas etre deja conside- 
rable, puisqu'elle frappait les regards des pa'iens? 

Cette grandeur temporelle tenait a deux causes dont 

(1) S. Gypriani Epist. li, ad ADtonianum. 

(2) Ammian. Marcell., 1. XXVII, c. iv. 

(5) S. Hieron., t. II, p. 529, edit. Irad. de F.-Z. Collombet. 



4 INTRODUCTION. 

Taction etait deja puissante a cette epoque. La premiere 
etait le pouvoir arbitral qu'avaient les pasteurs de Tfi- 
glise de prononcer dans les diffi^rends qui s'elevaient 
parmi les fideles ; pouvoir dont les ev6ques furent mis en 
possession des Torigine mfime du Christianisme ; pouvoir 
qui n' etait pas, tant s'en faut, une consequence de leur 
minist^re spirituel, dont aucune loi n'avait pu les inves- 
tir, qu'ils tenaient uniquement de la confiance publique ; 
pouvoir qui etait pour eux bien plus une charge qu'un 
honneur, dont beaucoup auraient souhaite d'etre dega- 
ges, mais pouvoir qui, en les m^lant aux interets mate- 
riels de leurs ouailles, donnait a leur administration un 
air de souverainete (1). 

La seconde cause etait la richesse progressive des egli- 
ses. De bonne heure, la necessite de pourvoir aux besoins 
des pasteurs, d'entretenir la splendeur du culte divin, de 
soulager les pauvres, altira a chaque eglise, d'abord des 
offrandes volontaires, puis des contributions obligees, quo 
venaient augmenter encore les dons faits par testament en 
biens-fonds ou en numeraire. Toutes ces ressources etaient 
naturellement confiees aux mains des eveques, qui les ad- 
ministraient pour le plus grand bien de la communaulo 
chretienne, et devenaient par ce moyen comme les chefs, 
ou plutdt les peres temporels de peuples enliers. De la 
pour les pasteurs une influence d'autant plus vaste, quo 
Tabondance du tresor ecclesiastique leur permettait d'e- 
tendre plus loin le bras de la charity (2). 

Ces deux causes agissaient en favour de tons les eve- 
ques; mais les resultats en etaient bien plus considerables 
relativement aux pontifes romains, vu Timportance de leur 



(1) Pouvoir du Pape au moyen age. ln-8°, Paris, 1845, introduction. 

(2) Le meme ouvrago, introd. 



INTRODUCTION. 5 

ville episcopale, centre immense ou tout afflluait, ou les 
grandes fortunes etaient concentrees. Nul doute que Te- 
veque dont la juridiction s'exer§ait sur une plus vaste 
echelle, qui etait en rapport direct avec les personnages 
les plus opulents ct les plus illustres de TEmpire, ne dftt 
acquerir une grandeur personnelle superieure a celle dc 
ses freres dans Tepiscopat. La conversion de Constantin dut 
etre et fut, en effet, le signal d'un notable accroissement 
de cette grandeur. De meme que les empereurs n'avaient 
point connu de bornes dans leur haine pour le Ghristia- 
nisme, de meme ils n'en eurent point dans leur amour, 
lis comblerent TEglise et ses pasteurs de liberalites et de 
privileges {^), et, dans la distribution de ces liberalites, 
de ces privileges, ils distinguerent constamment Tfiglise 
romaine et son chef, auxquels ils se plurent a prodiguer 
des honneurs speciaux. Quand les peuplog voyaient ces su- 
perbes Cesars, que les hommages etles respects du monde 
entier egalaient aux dieux, se courber corame les derniers 
de leurs sujets devant la majeste du successeur de Pierre, 
quelle immense idee ne devaient-ils pas concevoir de 
la puissance de Thomme qui humiliait ainsi la puissance 
m6me ! 

Toutefois, jusque vers la fin du quatri^me si^cle, au- 
cun temoignage historique n'attribue aux pontifes romains 
un pouvoir temporel proprement dit superieur a celui des 
autres eveques. Mais, au cinquieme, un ecrivain eccle- 
siastique nous apprend qu'avant meme le pontificat de 
Zozime, qui succeda, en 418, a Innocent V\ Tepiscopat 
romain avait joint k Texercice du pouvoir spirituel une 
sorle de domination temporelle (2). Quelle etait la nature, 

(i) Pouvoir duPape au moyen Age. In-8^, Paris, 1845, introd. 

(2) T-^; ^wixaiwv iniay^oizrii rrspa ta; UjcoauvTi? e7;t ^'jva<TT8ia.v TrpoiXOouom;. (So- 

crate. Hist, eccles.,1. VII, c. xi.) 



6 INTRODUCTION. 

quels dtaient les atiributs, les limilcs de cette domination? 
U serait malaisd de le dire. Le sdnateur Cassiodore (1), 
qui en parle dans une Ictlre dcrite au papc Jean II, vers 
I'annde 554, la suppose, mais ne la ddiinit pas, et aucun 
des dcrivains d'alors ne la precise mieux. H'oii venail- 
elle? Question non moins obscure, fitait-elle le rdsultat 
d'une concession quelconque de souverainetd octroyec aux 
papes? Plus d'un savant Ta cru; ct, si les titres ecrits pou- 
vaient toujours justifier de Texistence des droits qu'ils 
expriment, la difficulte serait rdsolue, puisquc nous possd- 
dons le texte m6me d'une donation de Rome et de son 
territoire faite par le grand Constantin k Sylvestre V\ ainsi 
qu'i ses successeurs, k perpdtuitd. Mais, bien que le texte 
de cette donation se retrouve en tete de toutes les collec- 
tions de conciles, bien que, durant plusieurs si^cles, 
Tauthenticitd de celte donation ait 6l6 regue sans.conteste, 
la supposition en est aujourd'hui trop clairement ddmon- 
trde pour qu'on puisse cxpliqucr par \k Torigine du pou- 
voir temporel en question (2). Nous sommes done obliges, 
encore une fois, de recourir aux conjectures. 

Un fait singulier, un fait qui occupe une large place 
dans rhistoire de TEmpire au quatri^me sifecle, et qui 
exerga une influence ddcisite sur scs destinies, c'est le 
fait de la translation du sidge impi^rial de Rome k Con- 
stantinople. Accomplie dans les circonstances oii elle le 
fut, et par un homme aussi considerable que Constantin, 



(1) Nolite in me tantum rejicere civitalis illius curam, quae polius ves- 
tra laude secura est... Securitas ergo plebis ad vcstraxn respicit famam, cui 
divinittts est commissa custodia. (L. XI; epist. ii.) 

(2) Sur la faussetc de celte piece, voir Morin, Hist, de Torigine et des 
progres de la puissance temporclle des papes, in-fol.— De Marca, de Con- 
cordia sacerdotii et imperii, in-fol. 1. lU, c. xii. — Baronii Annates eccles., 
ad annum 524. — Pouvoir du Pape au moyen Age, pieces justificatives. 



INTRODUCTION. 7 

cette translation a ete et sera longtemps encore le probleme 
de Thistoire. Mais, quels qu'aient ete, pour le genie qui la 
consomma, les motifs de cette translation, il me parait 
evident qu'une des premieres consequences qui en resul- 
terent dut etre de favoriser chez les papes le developpe- 
ment d'une tres-grande importance politique. On le con- 
goit aisement : a partir de Constantin, aucun empereur ne 
siegea plus a Rome, et cette capitale se trouva, pour ainsi 
dire, abandonnec a elle-meme. Laisses seuls au milieu des 
circonstances facheuses qui survinrent , avec les moyens 
puissants d'influence que nous avons vus entre leurs 
mains, les pontifes de Rome n'eurent pas de peine a de- 
venir les personnages les plus considerables de la ville et 
de la province, h reunir tons les suffrages de Topinion 
publique, et a exercer de fait, et souvent par necessite, 
dans les affaires politiques, une autorite centre laquelle 
les empereurs de Ryzance.ne reclamaient point, soit qu'ils 
ne fussent pas libres de la retirer, de la circonscrire mSme, 
soit plutot qu'ils Tapprouvassent' dans Tinteret de leur 
gouvernement , redoutant peu Tambition des papes et se 
confiant en leur sagesse. . 

II ne serait pas vrai de dire pourtant que, dans le cin- 
quieme siecle et dans le siecle suivant, la position ex- 
ceptionnelle des papes en Italic et les concessions libres 
ou forcees du gouvernement imperial fussent pour eux 
Tunique source de la puissance temporelle qu'ils acquirent 
successivement. Cette puissance vint aussi d'autres causes 
que les circonstances firent naitre. Avec Tagonie de Tem 
pire romain avait commence pour Tespece humaine une 
serie de calamites qui remplissent Tespace de deux siecles. 
Les historiens temoins de ccs calamites ont peine a trou- 
ver des expressions qui en rctracent Thorreur. A compter 
de la mort de Theodose le Grand jusqu'a Tetablissement 



8 INTRODUCTION. 

des Lombards en Italie, c'esl-a-dire durant une periode 
de cent soixante et seize ans, les hordes des barbares les 
plus sauvages ne cessferent de passer et de repasser sur 
les plus belles provinces de TEurope, et d'en couvrir le 
sol de sang et de ruines. Tout disparut sous le tranchant 
de leur glaive d^structeur : arts, sciences, agriculture, 
lois, cites, moeurs, civilisation, habitants, tout fut cmporte 
par les flots de ce torrent deborde. La face de la terre 
changea, et une pr5fonde nuit s'epaissit sur elle. Pour- 
quoi, alors, tout ne perit-il pas sans retour? pourquoi, au 
milieu de cet effroyable cataclysme , Tancienne societe ne 
disparut-elle pas entierement? On le reconnait aujour- 
d'hui : c'est parce que Tfiglise chretienne en recueillit les 
debris, car TEglise se trouva a Tepreuve de la destruction. 
En effet, au privilege qu'elle possedait de s'appuyer 
sur des idees superieures a ce monde visible, d'inspirer a 
rhomme des esperances independantes du temps, et d'e- 
chapper ainsi par sa nature memA a Taction dissolvante 
des vicissitudes humaines , elle joignait Tavantage d'etre 
alors fortement constituee. Ses institutions etaient a peu 
prfes developpees, son gouvernement concentre, son unite 
rigoureusement etablie ; son clerge, deja si venerable par 
ses vertus, etait devenu le d^posilaire presque unique des 
lumiferes en tout genre. II ne faut done pas s'etonner si 
elle r^sista k Tinvasion des elements destructeurs qui ab- 
sorbaient tout le reste ; si, de plus, elle disciplina ces Ele- 
ments m^mes, etfinit par reconstruire avec eux, k ses frais 
et par la force de son esprit, une nouvelle societe, dont les 
destinees se trouv^rent d^s lors naturellement entre ses 
mains. L'figlise chretienne fut la providence de ThumanitE 
au cinqui^me et au sixieme sifecles. Si sauvages que soient 
les hommes, comme ils sont hommes, le spectacle de 
Tordre et de Tharmonie finit par obtenir sur eux un as- 



INTRODUCTION. 9 

cendant qui les subjugue d'autant plus victorieusement 
qu'ils y sont plus etrangers et que leur esprit est moins 
accoutume aux impressions qu'il produit. Les Barbares 
qui renvers^rent TEmpire nous en fournissent une preuve. 
Ges horames feroces qui avaient tout detruit, chez qui le 
desordre semblait 6tre, pour ainsi dire, Telement naturel ; 
ces hommes qui n'avaient eu jusque-la sous les yeux que 
1 'image du chaos , quand ils rencontrerent devant eux la 
majeste de TEglise chrelienne, s'arreterent etonnes de 
Tempire qu'elle cxergait sur leur nature sauvage , et se 
prirent a Thonorer. Les marques de respect qu'ils lui don- 
nerent alors sont nombreuses, interessantes. Nous avons 
vu quel effet opera sur le roi des Huns la vue de saint 
Leon; on sait la veneration de Clovis pour saint Remy, 
celle de Theodoric pour saint Cesaire d' Aries. Les conque- 
rants de TEmpire furent a leur tour conquis a Thumanite 
par rfiglise, et la civilisation fut saiivee. Mais une si 
grande victoire ne put etre remportee sans qu'il en revint 
aux chefs de TEglise un notable accroissement de puis- 
sance temporelle. 

D'un autre cote , les peuples soumis par les Barbares 
et que tant de calamites avaient ecrases, s'apercevant 
qu'au milieu du desordre general la voix des pasteurs de 
rfiglise etait ecoutee, qu ils exergaient sur les nouveaux 
maitres du monde une influence salutaire et se trouvaient 
seuls capables d'arreter les exces de la force brutale, les 
peuples done s'empresserent de se ranger sous Tautorite 
de leurs eveques, de leur confier la supreme direction des 
affaires temporelles. 

Ce dernier fait se manifesta surtout en Italic. Plus 
qu'aucune autre partie de TEurope , cette peninsule avait 
ei6 malheureuse. Tour a tour ravagee par les Goths, les 
Huns, les Erules, les Lombards; spoliee par ses propres 



10 INTRODUCnO!?. 

souverains, qui, au lieu de la proteger, veuaient lui arra- 
cher cc que les Barbares avaientrespecte, elle n'eut, pen- 
dant trois siecles consecutifs, d'aulre ressource que Tine- 
puisable charite des pontifes romains, d'autre defense que 
Icur habilete et leur courage. Dans Tabandon ou se trou- 
v&rent les choses, ces heroiques pasteurs se virent forces, 
sous peine de laisser tout perir, de saisir le timon des af- 
faires et de gouverner. a Lc malheur des temps, dit 
c< Edward Gibbon , augmenta pen h pen lc pouvoir tem- 
c< porel des papes ; les evSques de Rome claient alors re- 
a duits h excrcer le pouvoir en qualite de ministres de 
a chariUi et de paix (1). » Les choses en vinrent au point 
que non-seulement les grandes affaires, mais encore tons 
les details de Tadminislration civile, tomberent entre leurs 
mains. L'un d'eux , saint Gregoire le Grand , s'en plaint 
am^rement; il se plaint que c< son elevation au pontificat 
« Tait rejet^ dans le sifecle , bien loin de Fen eloigner, et 
« que le repos de sa contemplation soit trouble par plus 
« de soins temporels qu'il n'en avait abandonnes en quit- 
c< tant la vie laique (2). Et ailleurs : c< Je ne puis 6tre a 
« moi, dit-il, car, dans le postc que j'occupe, unpasteur 
c< est surcharge de tant de soins exterieurs , qu'il ne sait, 
« le plus souvent, s'il est pasteur ou prince terrestre (3). » 
Le pontificat de saint Gregoire le Grand resume tout ce 
que la puissance temporelle des papes avait acquis d'ex- 
tcnsion vers la fin du sixi^me si^cle. Pendant une admi- 
nistration de treize ans, cet homme extraordinaire fut, en 
effet, aussi prince que pontife. II fit la paix et la guerre, 

(1) Ilist. de la dteadence de Tempire romain, c. xlv, edit, du Pantheon. 

(2) S. Gregor. Registr. epist., 1. 1, epist. v, t. Vll, edit, de Venise. 

(5) Hoc in loco quisquis pastor dicitur, curis exterioribus graviter occu- 
patur; ita ulsoepc incertum fiatutrum pastoris officium an terreni proceris 
agal. (Id,, Epist., 1. I, epist, xxv.) 



INTRODUCTION. 11 

nomma au gouvernement des villes, au commandement 
des armees , pourvut aux approvisionnements et a la de- 
fense des places fortes (1), sans qu'au milieu de fonctions 
si delicates sa prudence se dementit un seul instant. U 
sut faire respecter son autorite a la fois par Tempereur, 
les Romains et , les Barbares ; il sauva Tltalie et s'attira 
Tamour et la reconnaissance des peuples, c< la plus douce 
« recompense, dit Gibbon, quepuisse trouver un bon ci- 
« toyen, et le meilleur titre de Tautorite souveraine (2). » 
Mais, tandis que la confiance des peuples, emue par les 
bienfaits de la Papaute, edifiait sa puissance en Italic, la 
conversion des Barbares Tetendait au dehors. Cefut encore 
saint Gregoire le Grand qui eut la gloire d'entreprendre 
cette conversion. II n'etait que simple moine lorsqu'un 
jour, parcourant les marches de Rome, il vit exposes en 
vente de jeunes esclaves dont la beaute le frappa. a Ges es- 
« claves sont-ils paiens ? demanda-t-il au marchand qui les 
c( avait amenes. — lis le sont en effet, repondit celui-ci. — 
« Quel dommage , s'ecria Gregoire en poussant un profond 
c< soupir, que de si interessantes creatures soient plongees 
c< dans les tenebres de Tidolatrie et privees de la gr^ce de 
« Dieu ! Et de quelle nation sont-ils? — lis sont Anglais, re- 
« pliquale maitre. — Bien; ils ont, en effet, dit le saint, 
c< jouant sur le mot, une physionomie angelique et digne de 
c( figurer dans la societe des anges (3). » Des ce moment, le 
projet de convertir les Anglo-Saxons au Christianisme pe- 
netra profondement dans Tame de Gregoire. S'il n'executa 
pas ce projet personnellement, c'est que le peuple romain, 

(1) Les lettres de saint Gregoire font foi de ces divers actes administra- 
tifs. — Voir Sigonio, Hist, de regno Italiac, 1. 1. 

(2) Ch. XLV. 

(3) Vita S. Gregor., per Paulum et Johannem diaconos, t. XV, p. 256 
et276. 



42 INTRODUCTION. 

dont il ^tait Tidole et Tespdrancc, s'y opposa dc toutes ses 
forces. Mais, une fois assis sur le si^ge de Pierre, il songea 
a accomplir son projet par d'autres personnes, el envoya, 
en 596 , cm Angleterre , le c(Sl^bre moine Augustin avec 
quarante ouvriers ^vang^liques. Le succes de ces premiers 
apdlres fut tel que Gr6goire pouvait le souhaiter ; car un 
an s'dtait k peine ^coule depuis qu' Augustin avait p^n(5tre 
dans les royaumes anglo-saxons , que le pape ^crivait k 
saint Euloge, patriarche d'Alexandrie, que, le jour m6mc 
de la f6te de Noel, plus de dix mille Anglais, d'une seule 
Ibis, avaient regu le bapt^me (1). 

La conversion de T Angleterre fut une grande fortune 
pour rfiglise d'Occident. Ce fut de cette ile que sortirent, 
dans les sifecles suivants, tons les apdlres qui dvang^lise- 
rent la Germanic : saint Wilbrod, saint Switberd, saint Si- 
gefrid, saint Boniface surtout, qui, plus qu'aucun autre, 
dtait destind k dtendre Tempire du Christ dans le centre 
de TEurope. Cette importante conqufite avait &ie prdcedde 
(Kune autre non moins prdcieuse, la conversion des Goths 
on Espagne, ramends de Tarianisme k la foi catholique par 
Texemple de leur roi Rcccared et le zfele de saint Ldandre, 
archeveque de Seville, ami ct compagnon de saint Grd- 
goire (2). 

II n'en dtait pas de ces succes comme de ceux qui 
avaient signal^ les premiers developpements du Christia- 
nisme; ils n'enfantaient pas seulement des disciples au 
Christ, ils avaient encore pour resultat de creer au sidge 
de Rome des sujets ddvouds. C'dtait au nom de ce siige 
que les ouvriers dvangcliques se presentaient aux peuples; 
c'dtait imm(5diatement de ce sidge qu'ils tcnaient leurs in- 

(1) S. Gregor. Epist., 1. VIII, epist. xxx, ad Eulogium. 

(2) Pour tous ces fails, voir lUist. du pontifical dc saint Grdgoire le 
Grand, par le P. Moimbourg, in-4o, passim. 



INTRODUCTION. 15 

structions, leurs pouvoirs; c'etait a ce siege qu'ils recou- 
raient sans cesse. La foi qu'ils communiquaient, les lumi^- 
res, la civilisation qui en etaient la suite, emanaient done 
de Rome; des lors, Texistence des Barbares convertis, 
comme citoyens et comme fideles, se liait etroitement avec 
Rome. D'ailleurs, le nom de Rome, si abaissee que flit 
cette ville celebre, portait avec lui Tidee de la domination. 
Les peuples n'avaient pu renoncer a Thabitude de la ven6- 
rer, et la supremalie de la religion ayant succede chez elle 
a^la suzerainete de la force, ils se laissaient aller naturel- 
lement a la reconnaitre une seconde fois pour leur reinc. 

Et il fallait bien que quelque chose de semblable eiit 
grandi la Papaute dans Tesprit des nations barbares qui 
peuplaient V Occident , pour que Gregoire II , ecrivant a 
Terapereur Leon Tlsaurien, dans les premieres annees du 
huitieme siecle, put menacer ce prince de Tirresistiblc 
influence qu'il exergait sur elles : « Les pontifes romains, 
a dit-il, sont les arbitres et les moderateurs de la paix 
c( entre TOccident et TOrient. . . Les yeux des nations se sont 
c< fixes sur notre humilite, et elles nous regardent comme 
c< un dieu terrestre (1). » 

Ainsi, d'un cdt6, les elements speciaux d'influence que 
les papes possederent des le berceau meme de Tfiglise, la 
translation de Tempire de Rome a Constantinople et les 
concessions des empereurs ; de Tautre, le respect des peu- 
ples, les services que les papes leur rendirent, joints aux 
heureux eflfets de la conversion des Barbares, avaient in- 
sensiblement jete les bases de la puissance pontificale. 
Deux evenements vont maintenant en avancer avec rapiditd 
la construction. 



(I) Epist. Gregorii II ad Leonem Isaur., ap. Labbe Concilia, t. Vlll, 
col. 19 et 22. 



14 INTRODUCTION. 

Bien que negligee par les maitres de TEmpire , Rome 
ne s'^tait pas neanmoins sdparee de leur fortune. Conquisc 
d'abord par les firules, elle avait 6ie depuis momentane- 
ment occupee par les Goths. Reprise sur ces derniers avec 
ritalie par Belisaire et Nars^s, g^neraux de Justinien, elle 
continuait d'obeir aux souverains de Byzance. Pendant les 
deux cents ans que les erapereurs grecs dominerent en- 
core sur elle, les papes firent tons leurs efforts pour leur 
conserver cette importante possession. C'est un fait notoire 
qu'ils employerent a cela non-seulement Tautorit^ de la 
religion et leur influence personnelle, niais encore les res- 
sources de TEglise romaine. Or, on a peine a croire de 
quelle ingratitude les souverains de Byzance payferent tant 
de services. Non contents d'abandonner les papes a eux- 
memes, on aurait dit que le but unique des instructions don- 
nees aux exarques et aux patrices, charges de repr^senter 
en Italic Tautorite imperiale, etait de traverser leur admi- 
nistration, de leur susciter mille querelles, mille persecu- 
tions, de conspirer centre leur vie. En 650, Tempereur 
Constant fit enlever Martin P% et, apres Tavoir abreuve 
d'outrages, Tenvoya mourir en exil (\). En 692, Sergius, 
et, en 701, Jean VI, n'eviterent un sort semblable que par 
le ddvouement du peuple remain, qui les protegea (2). 
Si, poussee a bout par ces vexations repetees, Rome ne se- 
coua pas alors le joug de TEmpire, ce fut grace encore a 
rinvincible patience des pontifes. Mais il y a un certain 
exces que la tyrannic mfime la plus puissante ne d^passe ja- 
mais impunement et qui enamfene infailliblement la mine. 
Une tentative impie de la cour de Byzance devint le signal 
d'une reaction qui finit par lui enlever sans retour Rome 
et ritalie. 

(1) Baronii Annales, ad ann. 650. 

(2) Id., ad ann. 692 el 701. 



INTRODUCTION. 15 

Enl'annee 727, Tempereur Leon Tlsaurien commen^a 
a s'elever contre le culte des images. C'est une chose ^ton- 
nante que Fobstinalion avec laquelle ce prince, qui ne 
manquait pas d'ailleurs d'habilete, se passionna pour cette 
miserable erreur. II semblaii attacher a son triomphe sa 
gloire et le salut de TEmpire. Apres en avoir infeste TO- 
rient, il crut qu'il pourrait Tintroniser a Rome, et il en- 
voya Tordre d'y detruire partout les images des saints et 
des martyrs. II osa promettre ses bonnes grftces au pape 
s'il obeissait k cet ordre, et le mena§a de la deposition s'il 
essayait d'y resister. Gregoirell occupait alors le siege apos- 
tolique; ce pontife, comparable par sa sagesse, sa fermete 
et ses verlus aux plus illustres de ses predecesseurs, nerd- 
pondit aux promesses de Fempereur que par Tindignation, 
et brava ses menaces avec mepris. Les choses n'en reste- 
rent pas la : une conspiration ourdie contre la vie de Gre- 
goire par les agents de Constantinople ayant porte Tirri- 
tation des peuples a son comble, il se fit en faveur du pon- 
tife un soulevement des Romains, des habitants de la Pen- 
tapole et de la V^netie. Tons, apr^s s'^tre choisi des dues 
independants, voulurent proclamer leur affranchissement 
avec celui du pape, et il ne tint pas a eux qu'ils ne mar- 
chassent sur Constantinople pour y introniser un empe- 
reur de leur choix. Les Lombards prirent part a ce mou- 
vement, et, partageant Tindignation generale, servirent en 
cette occasion la cause du saint-siege (1). 

Si nous en croyons Theophane, suivi en ce point par 
Zonaras et Cedrenus, ce ne furent point les peuples qui 
prirent Tinitiative de Temancipation, ce fut Gregoire II 
lui-m^me qui detacha de TEmpire Tltalie et Rome, et leur 
d^fendit de payer Timpdt (2). Anastase le Biblioth^caire, 

(1) Anast. Bibliolh., in Vita Gregorii papae II. 

(2) Theoph. Chronogr., p. 545. — Zonar. Annales, 1. XV, t. II, p. 104.— 



16 INTRODUCTION. 

rhistorien lombard Paul Warnefried, tous deux nes sur 
le thegitre de T^venement, disent le contraire ; ils assurent 
que Topposition du pontife a Tautorite de L^on dans cette 
circonstance se borna a rejeter sonWrfeie, et a premunir 
les fideles contre son impi^te. lis ajoutent que, bien loin 
de favoriser la rtivolie, il s'efforga de la comprimer; que, 
sans son intervention pacitique, une guerre civile aurait 
sflrement eclate (1), et les lettres de Gr^goire s'accordent 
avee ces t^moignages historiques. Ainsi, Thcophane se 
trompe sur le veritable moteur, mais non pas sur les con- 
sequences de cette reaction ; car il est certain que, dfes ce 
moment, I'llalie cessa de payer le tribut accoutume k By- 
zance, qu'il y eut une republique romaine dont le pape fut 
proclame chef, que tout cela changea prodigieusement la 
situation de la Papaute, que son administration devint plus 
ind^pendante. 

Cependant tout lien avec Constantinople ne fut pas alors 
brise, car nous voyons longtemps encore la suzerainete 
politique des empereurs grecs indiquee dans les actes pu- 
blics. Les papes semblaient user de la domination moins 
h titre de propriete que de depdt (2) ; ils savaient que la 
republique romaine ^tait trop faible pour suffire a sa pro- 
prc defense ; ils espcraient que les chefs de TEmpire, re- 
venus un jour a Torthodoxie et a la justice, auraient h 
coeur de la proteger, tout comme si ces monarques, ^ner- 
v^s par la mollesse de TOrient, avaient dA 6tre capables 
de proteger qui que ce fiit. Tel est le premier evenement. 

Gedreni Hist. ad. anti. 15 Leonis Isauri, p. 575. Byzant. collect , ed. 
parisiensis. 

(1) Anast. Biblioth., in Vita Gregorii papajll. — Paulus Warnefriert, de 
Geslis Langob. 1. VI, xlix. 

(2) Pouvoir du Pape au raoyen llge, proniipre parlie, article 1, parag. iii, 
p. 271 . 



INTRODUCTION. IT 

Un danger ne cessait que pour faire place k un autre. Ce 
furent les Lombards qui devinrent, a leur tour, les enne- 
mis du saint-siege. Maitres de Fexarchat de Ravenne, et 
se montrant de plus en plus agressifs k mesure que la for- 
tune secondait leur ambition, ils porterent leurs vues jus- 
que sur Rome. Cette malheurcuse cite, k peine echapp^e 
a une tyrannic, se vit menacee de passer sous une autre, 
plus violente parce qu'elle ^tait plus barbare. Jamais peut- 
6tre Tautorite pontificale ne se trouva plus prfes d'etre as- 
servie sans retour; et, toutefois, c'est de cette proximity 
de la servitude que nous aliens voir sortir son enti^re in- 
d^pendance . 

Rome n avait point de ressource pour lutter contre la 
puissance lombarde ; rien ne s offrait autour d'elle, et le 
temps n' avait pas tarde k montrer que tout esppir du cdte 
de Constantinople n'etait qu' une illusion (A). Mais, au mi- 
lieu dc cette detresse, la Papaute ne perdit pas courage ; 
le coup d'oeil eclaire de Gr^goire III sut dem^ler le point 
capital. II comprit que Rome et la Papaute ne pouvant 
plus desormais compter sur FEmpire, il fallait chercher 
ailleurs, pour Rome et la Papaute, une alliee forte et de- 
vouec, assez proche pour les defendre a temps contre leurs 
ennemis, assez eloignee pour ne pas les froisser par le con- 
tact de sa puissance. La situation politique de FEurope ne 
permettait point d'h&itation sur le choix dc cette alliee. 
Depuis trois siecles se formait par la victoire, de Fautre 
cdte des Alpes, la monarchic des Franks. Ceux-ci etaient 
dans cette premiere vigueur de la jeunesse qui opere les 
grandes choses, et, a Fepoque dont il s'agit, ils etaient par- 
venus, sous le fils de Pepin d'H^ristal, au comble de la gloire. 

{i) Gernens prsesertim ab imperiali potentia nullum ess^e subveniendi 
auiilium. (Auast. Biblioth., in Vita St^phani papae II.) 

2 



18 INTRODUCTION. 

Llslamisme fuyait devant eux. Les yastes regions qui s' ^ten- 
dent desPyr^n^esli T Oder reconnaissaientleurslois.C^tait 
done k la nation franke que devait s'adresser la Papaut^ ; 
cette nation etait d'ailleurs catholique z^l^^ et tout dans soa 
caract^re garantissaitundevouementgen^reux : au$siest*ce 
sur la nation franke que Gregoire III jeta les yeux. 

Ce fut Tannee 744 que le legat charge de soUiciter I'al- 
liance des Franks avec Rome arriva aupres de Charles 
Martel ; il manifesta au h^ros austrasien les intentions du 
souverain pontife, lui dit que le peuple remain, abandofi- 
nant le parti de Tempereur, avait recours a la g^n^reuse 
puissance du prince frank pour le delivrer de la tyrannie 
des Lombards, et lui offrit le consulat, dignity a laquelle 
semblait attach^ Thonneur du protectorat de Rome. Gettq 
offre etait accompagnee des clefs de la Confession de saint 
Pierre, des liens decetapdtre, etde presents magnifiques (4). 

Si attrayante que dut parailre aux yeux de Charles Rlar- 
tel unc proposition de cette importance, nous ne voyons 
point qu elle ait eu des suites immediates. Une ambassade 
honorifique et un retour de presents repondirent sealiv 
pour lors, aux avances de Gregoire III (2). Probablement 
la lulte terrible que le prince austrasien soutenait contra 
les Arabes, et sa mort, arriv^e peu aprfes, Fempgch^rent 
de rien faire de plus. Mais, neuf ans plus lard, en 750, un 
incident fameux montra que la proposition du pontife n'a- 
vait pas ^te oubliee. Pdpin le Bref, fils et successeur de 
Charles Martel, s'ennuyantden 6tre que le premier minis- 
tre d'un roi faineant, voulut definitivement Hre roi. Mais, 
retenu par les religieuses sympathies des Franks pour ta 

(i) Fredegarii Scholast. cont., ad ann. 741.— Annales Metenses.— Voir 
Genni, MormmenU dominationis pontificiae, in-4'', Rome, 2 vol., t. I, 
p. 2 et seq., et la lettre de Gregoire III, dans le m^me auteur, p. 19. 

(2) Fredegarii Scholast. cootin., loe. cit. 



INTRODUCTION. 49 

race mdrovingieime, il ne crut pas deyoir s'attribuer ce 
litre auguste sans s'Stre muni d'avance d'une approbation 
qui fit disparaitre tousles sorupules, et, de concert ayec les 
seigneurs franks, il adressa au pape Zacharie la question 
celfebre, savoir : Auquel des deux devait appartenir le nom 
de roi, h celui qui en exer^it les pouvoirs, ou a cdui qui 
en avait simplement le titre? La reponse du pape fut telle 
que Pepin la desirait : elle portait que le titre devait accom- 
pagner la realite du pouvoir (1). 

Aussitdt cette reponse regue, Childeric III fut rase, en- 
Cerme dans un monast^re, et Pepin proclame et sacre roi 
a sa place. On a beaucoup discute sur cette reponse de Za- 
charie. Les uns y ont yu Facte d'une haute juridiction tcm- 
porelle; les aulres, sculement un avis doctrinal sur un cas 
de conscience. Au milieu de la diversite des sentiments, il 
est malaise de bien caracteriser la nature de Facte accom- 
pli ici par le pape. Si Fon entend par cette haute juridic- 
tion temporelle que Zacharie deposa Childeric III, et eleva 
P^pin a sa place de sa propre autorite, on se trompe evi- 
demment, vu que Zacharie aurait accompli un fait sans 
module et sans imitation. D'un autre cote, peut^n suppo- 
ser que la reponse du pape n'ait ete qu'un simple avis sur 
un cas de conscience, quand on lit dans les historiens 
contemporains que Pepin fut eleve a la royaute par Fordre, 
le commandement du pape Zacharie (2) ? On approcherait, 
je crois, de la verite, en disant que Zacharie, repondant 
aux leudes de Pepin, exerga tout a la fois cette autorite 



(i) Eginhard, Annalcs, edit, in-12, Cologne, 1561, p. 47.--Fredegarii 
Scholast, coDtin.. ad ann. 752.— Annales Meten., ap. Duchesne, p. 275. 
— -Mabillon, de Re diplom., edit, de Naples, 1. 1, p. 200. 

(2) On pent lire les temoignages des anciens historiens sur ce fait dans 
Tabbe Rohrbacher, des Rapports naturels entre les deux puissances, 
in -8**, 1. 1, c. xvii. 



20 IINTRODUCTIOIV. 

doctrinale que le succcsseur de Pierre a regue de Dieu 
pour eclairer les peuples comme les particuliers sur la 
moralite de leurs actes, et cette autorit^ arbitrale que, plus 
tard, le droit public attribuera si solennellement k la Pa- 
paute, de prononcer dans la cause des souverains, et de 
les declarer, en certains cas, dechus du trone. Mais, quel 
que soit le sens qu on donne aux paroles de Zacharic, elles 
d^notent un progrfes immense de la puissance pontificale 
dans r opinion des peuples. 

Cependant, quoiqu'il y eut entre la Papaute et la mo- 
narchic franke des rapports d'un si haut interet pour 
toutes deux, les conditions d'une alliance definitive n'a- 
vaient point ete encore arretees ; soit que P^pin craignit 
les engagements d'un tel acte, soit que les Lombards, de- 
venus moins agressifs, n'en fissent pas autant sentir la ne- 
cessite aux papes. Mais en 752, Astolphe, leur chef, se jeta 
sur le territoire remain et en assiegea la capitale, qu il 
menaga d'emporter de force et de livrer au pillage. Dans 
cette extremity, fitienne II, successeur de Zacharie, se re- 
tourna du c6t6 de Pepin ; et, prenant une de ces resolutions 
hardies qui influent toujours d'unc mani^re decisive dans 
les affaires, il quitta Rome, et, prot^g^ dans sa retraite 
paries envoyes memes de Pepin, passa les Alpes, et vinten 
personne solliciter pr^s du monarque frank une interven- 
tion prompte et vigoureuse dans la querelle du saint-siege 
avec ses ennemis. G'etait la precisement le moyen d'abre- 
ger les ncgociations. En effet, la presence inattendue du 
vicaire de J^sus-Christ au milieu des terres frankes, qui 
ne Tavaient jamais vu, ses malheurs, dont le r^cit prfitail 
a sa personne une majeste de plus, ses supplications tou- 
chantes, firent sur Tesprit de P^pin et de ses leudes Fim- 
pression qu'il fallait. L' alliance avec Rome fut r^solue ; les 
conditions en furent arrfitees : le couronnement de P^pin 



INTRODUCTION. 21 

par les mains d'ftienne dut en etre la consecration (1). 
C'est ainsi que se preparaient les evenements qui allaient 
changer la direction du monde. 

Pepin franchit deux fois les Alpes. Tout lui reussit; il 
battit les Lombards, contraignit leur roi a respecter le ter- 
ritoire de Rome et a relacber Texarchat dc Bayenne. Le 
monarque frank montra alors combien religieuses et sin- 
ceres avaient ete ses intentions quand il s'etait charge du 
protectorat de Rome. Jean, silentiaire de Tempereur Gon- 
stantin Copronyme, etant venu redemander, au nom de 
son maitre, la restitution de I'exarchat, Pepin lui fit re- 
pondre qu'aucune consideration humaine ne lui ayant fait 
prendre les armes, qu'ayant ete uniquement guide dans 
son entreprise par V amour de saint Pierre, il ne soufErirait 
jamais que Fexarchat fidt enleve a VJ^glise romainc (2;. En 
effet, selon qu'il s'y etait engage avant de quitter la France, 
il ne voulut retenir pour lui de ses succes que la gloire ; 
quant a ses conquetes, il les ceda a r£glise romaine (3). 
Par cette cession importante, les noeuds qui . unissaient 
Rome aux souverains de Byzance furent definitiTement 
brises; et, quoique Ton continuat encore de dater les 
actes publics des annees de leur regne, ils n'exerce- 
rent plus, dans Tancienne capitale du monde, aucune au- 
torite. L'independance de la Papaute se trouTa ainsi con- 
sommee. 

Charlemagne acheva Touyrage de son pere. En detrui- 
sant le royaume lombard, il debarrassa enfin le saint-siege 
d'un voisin incommode et turbulent qui, tot ou tard, Tau- 

(1) Anast. Biblioth., in Vita Stephani paps II. — Sigonio, Hist, de regno 
italiSy lib. Ill, anno 754. 

(2) Anast. Biblioth., in Vita Stephani. 

(3) Eginhard, Annales, ann. 755 et 756. — Anast. Biblioth., loc. cit. — 
Genni, Mohnm. domin. pontif., 1. 1, p. 62. 



22 INTRODUCTION. 

rait domine. II resserra les noeuds de ralliance des Franks 
avec Rome, confirma les donations precedentes, et en fit 
de nouvelles. G'est peut-etre ici le lieu de dire un mot sur 
la nature de ces donations celibres. Comment doit-on les 
considerer ? Ont-elles ete une pure liberalite des princes 
franks? Les papes leur doivent-ils la souverainete qu'ils 
exercent encore aujourd'hui sur une portion de Tltalie? 
Questions difficiles, complexes, dont les bornes de cettc 
introduction ne nous permettent que d'indiquer la so- 
lution . 

Si glorieuse que puisse ^tre pour nos rois la creation 
d'une souverainete qui, en rendant les papes indepen- 
dants, a exerce une influence si salutaire sur Ffiglise ro- 
maine, quand on scrute les monuments historiques de Fe- 
poque, on est force d'avouer que cette creation n'est pas 
entierement le fait de nos rois. II est certain a n'en pou- 
Yoir douter que, depuis le pontificat de Gregoire II, c'est- 
a-dire depuis plus de vingt-cinq ans avant la donation de 
Pepin, les papes ^taient en possession de la souverainete k 
Rome, qu ils la tenaient des voeux du peuple, Tavaient ac- 
ceptee, et en exerijaient des fonctions. Et cela est si vrai, 
que Zacharie, s'etant adresse au roi Rachis pour en obte- 
nir la reddition de quatre villes du duche de Rome et de 
plusieurs autres de Texarchat, il les demanda, non point 
au nom de Tempereur et de F Empire, mais en son nom 
propreet au nom de la Republique romaine, et que Rachis, 
en les rendant, eut Fintention de les rendre, non pas a 
Fempereur, mais au bienheureux Pierre, chef des apptres, 
et k la Republique romaine (1). Les termes de cette red- 
dition sont remarquables. II y est dit que le monarque 
lombard c< redonna, conceda de nouveau » les places en 

(1) Anast. Biblioth., in Vita Zachariae papae I. 



INTRODUCTION. 25 

question (1). llonc, avant la conqu^te lombarde, elles 
apparteaaient a la Republique romaine et au pape. 

P^pin fit deux actes de donation a £tienne II : le pre- 
mier par lui-meme, a Quercy, en 754; le second k Borne, 
en 755, par Tentremise de Fulrade, son representant. 
Nous n avons plus le texte de ces actes, quoiqu'ils eussent 
ete deposes dans les archives de Ffiglise romaine : le temps 
les a detruits (2). Mais Anastase le Bibliothecaire avail sous 
les yeux ces pieces importantes lorsqu il ecrivait ses bio- 
graphies des papes. Or, le sens que cet ecrivain prete au 
lerme de donation dans cette circonstance, est visible- 
ment celui de restitution. AstolphCy dit-il, s'engagea par 
ierit A rendre la ville de Ravenne avec plusieurs autres (5). 
Pepin s'etait exprime de la meme maniere lorsque, cedant 
aux instances d'£tienne II, il avait fait demander par ses 
ambassadeurs, au meme Astolphe, \di restitution des droits 
de I'^glise et de la Rdpublique romaine. Les paroles d'figin- 
hard s'accordent avec celles d'Anastase (4). £tienne II, 
ecrivant a Pepin apres la donation, lui dit, sans roffenser, 
que r£glise romaine n'avait acquis aucune augmentation 
de territoire (5). Quand Adrien P' se trouve dans le cas, 
a son tour, de solliciter Charlemagne de proteger, k 
Texcmple de son pere, r£glise romaine affligee, il ne lui 
parle que de reparation a exiger (6). Partout c'est de resti- 
tution et non pas de cession qu'il s'agit. Voii il suit que, 

(1) Redona?it, reconcessit. 

(2) Epist. Hadriani 1. Garolo regi, ap. Genni, 1. 1, p. 555. 

(5) Aistulphus per scriptam paginam affirmavit se illico redditurum ci- 
Yitatem Ravennalium cum aliis diversis civitatibus. (In Vita Stephani II.) 

(4) De Vita etGestis Garoli Magni, collect. Reuberi, p. 4. 

(5) Nullum augmentum nobis factum est. (Epist. vi Stephani Pippino 
regi, ap. Genni, p. 91 .) 

(6) Ut plenarias B. Petri justitias exigeret. (Voir les lettres d*Adrien i 
Charlemagne, dans Genni, 1. 1.) 



24 INTRODUCTION. 

anterieurement k toute donation de la part de nos rois, il 
existait une souverainete des papes sur le territoire de 
Rome et de Texarchat. Que firent done les rois franks ? Ds 
restituerent a la souverainete des papes les domaines que 
Tusurpation des Lombards lui avait enleves. C'etait la tout 
ce qu'avaient demande les chefs de Tfiglise romaine, et 
Teternelle gloire des princes franks est de Tavoir accompli 
avec generosite. 

Rome vit Charlemagne quatre fois, et quatre fois elle 
admira en lui le monarque religieux, pacifiquc et liberal. 
Le dernier voyage qu'il fit dans cette capitale sera a jamais 
celebre par Tevenement qui en fut Toccasion. Quand il 
Tentreprit, ce prince avait accompli la plus grande partie 
des belles actions qui lui ont m^rite le surnom de grand 
aux yeux de la posterite. Trente ans de victoires lui avaient 
fait retrouver en Europe les bornes de Vancien empire 
d'Occident. Maitre de tant de nations, il les gouvernait 
avec une sagesse egale a la valeur qui les lui avait con- 
quises. 

A la vue d'une si vaste domination, Leon III crut, a 
Texemple de son predecesseur Zacharie, que le titre ne 
devait pas 6tre separe du pouvoir, et, desirant assurer pour 
toujours a Tfiglise romaine Tappui d'une telle puissance, 
en les liant Tune a Tautre par une etroite dependance, il 
couronna Charlemagne empereur, Tan 800, la veille de 
Noel, en presence du peuple remain assemble, figinhard 
a dit naivement que le pontife voulut, dans cette circon- 
stance, menager une surprise agreable au monarque 
frank (1). Si Ton regarde aux apparences, il y eut quel- 
que chose, en effet, comme une surprise; mais si Ton pd- 



(i) In Vita Caroli Magni, 1. 11. — Monachus S. Galli in Vita Carolij 1. 1, 

C. XXVIII. 



INTRODDCTION. 25 

n^rc dans le fait, si Ton pese les interets reciproques des 
personnages qui raccomplirent, on en juge autrement. U 
est difficile de croire que des hommes, aussi sages que 
Leon III et Charlemagne, se soient portes d'une maniere 
presque instinctive, Tun a faire un empereur, Tautre a 
le devenir, improvisant de la sorte un empire. II est diffi- 
cile de croire que de tels hommes n'aient point calcule et 
accepte, dans le secret d'une negociation prealable, toutes 
les consequences inouies qui allaient decouler de cet evd- 
nement(l). 

En effet, F imposition spontanee du titre d' empereur 
faite a un roi par un pape, et Tacceptation spontanee de ce 
titre par ce roi, sont, sans contredit, la chose la plus har- 
die, la plus considerable, la plus f^conde en resultats so- 
ciaux, qui eut ete faite en favour de la Papaute, et par la 
Papaute, depuis Torigine de Tfiglise. -De la sorte, le pou- 
voir spirituel ne se faisait pas seulement du plus grand des 
pouvoirs temporels un protecteur devoue, il rangeait, de 
plus, ce pouvoir sous sa suprematie, et Tobligeait a re- 
connaitre en lui un droit divin dont il relcvait. Ce principe 
une fois pose, la logique des'peuples tira aisement les con- 
sequences. Aussi Fopinion que le pape seul faisait les em- 
percurs, qu il avait le droit de les juger, de les deposer 
mSme, passa-t-elle dans le droit public des nations euro- 
pdennes (2). 

Cependant, bien que le pouvoir temporel fAt subjugue, 
Tautorite, qui etait devenue suzeraine, devait lutter beau- 
coup encore avant de lui faire accepter les conditions de 
sa vassalite. Le plus difficile etait fait, la base etait pos^e, 

{i) Voir SigODio, Hist, de regno Italise, lib. IV. 

(2) Voir la-dessus les chap, xxiv et xxvii du tome I des Rapports entre 
les deux puissances, et le Pouvoir des papes au moyen ige, deuxieme 
partie. 



26 INTRODDCTION. 

nuiis him des evenoments devaient s'accomplir avant que 
l'^4ifice fOt coQstruit. Tout devint faYorable a la Papaut^ : 
d'abord le progres immense de la preponderance dn clorgi 
sous le regne de Louis-le-Debonnaire, ensuite les flr4- 
quentes circonstances qui appelerent Tintervention pon- 
tificale dans les affaires de TEmpirc, enfin la faiblesse des 
princes qui occuperent successiyement le trdnc de Charl^ 
magne. Et il fallait bien qu'elle eti acquis en pen d'ann^es 
un supreme ascendant, pour que, moins d'un d^mi^i^cle 
apres la mort du grand empereur, Nicolas I" se soit trouv^ 
en etat de menacer un roi de Lorraine de le mettre, lui 
et son royaume, en peril s'il osait se rendre coupable de 
certains crimes qu*il designait (1); pour que le m^me 
Nicolas V\ ecrivant a Adventius de Metz, en 863, pAt lui 
dire : « Voyez un pen si ces rois et ces princes, auxquels 
« vous vous dites soumis, sont vraiment rois et princes ; 
« voyez d'abord s'ils se conduisent bien, et ensuite s'ils 
« regissent de mfime les peuples qui leur out ^t^ confi^s ; 
c< voyez s'ils gouvernent d'apres les maximes du droit; 
<i sinon, ce sont des tyrans, non des rois ; nous devons 
c< leur resister, nous dresser centre eux , et non leur 
« obeir (2).» Quand un homme seul et desarme ose parler 
ce langage a ceux auxquels toutes les forces materielles 
de la societe obeissent, il faut qu'il ait entre les mains 
une puissance superieure a celle des armees. 

Mais, au commencement du dixieme si^cle, nous voyons 
les progris de la Papaute se ralentir tout k coup, par Tef- 
fet m^me d'une des causes qui les avaient favoris^s. La 
faiblesse toujours croissahte des empereurs franks am^tia 
a cette epoque une desorganisation sociale comme les an- 



(4) Nicolai I Epist, xltiu ad Teutliergam, ap. Labbe, i. VIII. 

(2) Nicolai I Epist. iv ad Adventium Metensem, ap. Labbe^ t. VIII. 



INTRODUCTION. 27 

nales de I'bumanite n'en signalent pas. II s'ensumt, en 
Italie surtout, une anarchie dont les ravages des Sarrasins 
vinrent completer les desastres. Le saint*si^ge perdit la 
plus grande partie des possessions territoriales que la li* 
beralite des premiers empereurs avait ajoutees a son pre- 
mier domaine. Les seigneurs auxquels les papes avaient 
infeode ces possessions pour en tirer parti s'etaient, peu 
a peu, rendus independants, et quelques^uns, comme les 
marquis d'lvree, etaient deyenus, par leur turbulente am- 
bition, de Teritables fleaux pourTItalie et Rome. Dans 
cette situation deplorable, la Papaute, n'etant plus prote- 
gee par une main ferme, tomba dans une honteuse servi- 
tude que lui imposerent, pendant pr^s de soixante ans, 
deux femmes celfebres par leur beaute et leurs exces, Theo- 
dora et Marozia, sa fille. La liberte fut bannie des Elec- 
tions, et remplacee par la tyrannie; on n'y garda plus au- 
cune forme canonique; les interets mondains et non ceux 
de r£glise decid^rent des choix. La chaine majestueuse 
des saints pasteurs qui avaient fait si longtemps ]a gloire 
de Rome fut brisee. Alors commenga, pour durer un si^ 
cle, cette suite d'indignes pontifes qui d^shonor^rent la 
chaire de saint Pierre et mirent TEglise en peril (1). 

Dans cet etat de choses, la Papaute risquait de succom- 
ber, non pas sous les coups de Theresie et du schisme, mais 
sous son propre abaissement. L'un de ses representants, 
Jean XII, le sentit ; il comprit que F^glise romaine, pour 
recouvrer son autoriteet son lustre antique, avait besoin de 
rintcrvention d'une puissance vigoureuse et tutelaire. 
Heureusement, cette puissance existait de Tautre cdte de 
TAdriatique. La, Othon P' avait ramasse dans la pous- 



. (i) Baronii Annales ad ann. 912. •— Muratori, Annali d'ltalia, in-CT, 
t. Yin, ad ann. 960.— Sigonio, Hist, de regno Italise, lib. VI. 



28 INTRODUCTION. 

si^re Ic sceptre de Charlemagne, et le portait, depuis vingl- 
quatre ans, avec talent et gloire. Jean XU s'adressa done 
k ce prince, et lui di^puta, en 960, Ic cardinal Jean et le 
scriniaire Azon, charges d'une lettre dans laquelle le pape 
suppliait le pieux et s^r^nissime monarque de venir, pour 
Tamour dc Dieu ct des saints apdtres Pierre et Paul, d^- 
livrer T^glise romaine des mains des tyrans et lui rendre 
la liberte (1). La politique d'Othon I" lui fit comprendre 
sur-le-champ ce qu'il y avait k gagner, dans Tint^rSt de 
sa gloire et dc son pouvoir, a la proposition qui lui etait 
faite. II accourut en Italic, suivi de ses braves AUemands, 
extermina les tyrans, r^tablit Tordre et la paix , delivra 
Rome, ct y regut des mains du pape, pour prix de ses 
exploits, la couronne imp^riale. L' empire d'Occident 
passa ainsi des Franks aux Germains. 

Si indispensable que fAt cette seconde intervention de 
la puissance s^culi^re dans les affaires de la Papaut^, ellc 
ne devait pas 6tre aussi favorable que la premiere k ses 
int^r^ts et k sa situation. Nous avons vu P^pin et Charle- 
magne, satisfaits de la gloire d*avoir affranchi le succes- 
seur de Pierre de Toppression de ses ennemis, ne point 
chercher k exploiter sa reconnaissance aux d^pens de sa 
liberty. Trop magnanimes pour n'dtre pas d^sint^resses, 
ils n'essay^rent jamais de pousser leurs pretentions au 
delk d'une protection tut^laire. Othon I"^ ne fit pas de 
m^me. Ce n'est pas que ce prince ne fAt digne d'etre 
plac^ k c6t6 de P^pin et de Charlemagne. Mais, soil qu'il 
e6t d'autres vues politiques, soit qu'il se cr6t appel^ k la 
mission, non-seulement d'affranchir la Papaut^, mais en- 
core de la restaurer, Othon I" n'imita pas ses deux illustres 



(i) Lmtprandi Hist., lib. VI, c. vi. — AnnalisU Saxo, ad ann. 960, ap. 
Eccard, Corpus historicom, 1. 1. 



INTRODUCTION. 29 

pr^d^cesseurs. Un de ses premiers soins, aprfes la victoire, 
fut de placer la Papaut^ sous sa dependance, en se rendant 
^ maitre des elections. Alin de bicn apprecier la port^e 
d'une pretention qui devint plus tard la source des plus 
graves querelles entre les deux puissances, il est n^ces- 
saire d'entrer dans quelques details historiques. 

En reclamant Tintervention de son autorite dans T^lec- 
tion des papes, le monarque allemand n'introduisit point, 
k vrai dire, une nouveaut^, D^s Tinstant que le Sacerdoce 
et TEmpire s'dtaient unis ensemble, le besoin de prot^ger 
Tordre et de faire respecter les regies canoniques dans les 
elections episcopales avait appele le pouvoir civil a y 
prendre une part active. De la un usage qui ne tarda pas 
a devenir un droit, par suite de la deference que TEglise 
crut devoir accorder k I'fitat sur ce point. Ce droit ^tait 
revendique surtout dans les elections aux sieges patriar- 
caux. Toutefois, quant k celles qui concemaient le si^ge 
de Rome, nous ne voyons point que les princes s'en soient 
mSles avant le r^gne du grand Tfaeodoric. Ce monarque 
est le premier qui ait reclame, dans Telection des pontifes 
remains, une place au consentement royal. Depuis, Tau- 
torit^ des empereurs ayant ete retablie en Italic par la va- 
lour de Teunuque NarsSs, Justinienl" retint ce droit, avec 
Fagr^ment du pape Vigile. Les lettres des papes, ainsi 
que les faits de Thistoire, prouvent que les successeurs de 
Justinien en jouirent sans conteste, soit par eux-m6mes, 
soitpar Tentremise des exarques (>l). L'election de Gr^- 
goire III est la derni^re que Ton voit soumise a la ratifi- 
cation imp^riale de Byzance (2). A dater de Telection de 

(i) Sigonio, Hist, de regno Italiae, lib. I. --De Marca, de Concordia 
sacerd. et imperii, lib. VIII, c. ix. — Papebrocb. Conatus chronico-hislo- 
ricus, dissert, xyi, p. 116. 

(2) Ibid., p. 116. 



30 INTRODUCTION. 

C6 pape jusqu'au milieu du r^gne dc Louis-le-D^bonnaire, 
Ton ne d^couvre plus aucune trace de rintervention du 
pouvoir civil dans Telection des pontifes romains. II est 
vrai qu'on all^gue sur ce point une large concession d'A- 
drien P' en faveur de Charlemagne, Mais Tauthenticite de 
cet acte, quoiqu'on en trouve le texte dans le decret de 
Gratiane (^), est fortement attaquee par Baronius, et les 
t^moignages historiques d'autre part sont loin de lui Stre 
favorables. 11 est certain que Charlemagne retablit, par un 
capitulaire special, la liberie des elections episcopales (2), 
et que Louis-le-Debonnaire, a la (in de son acte de dona* 
tion, defend, a Timitation de son p^re, de troubler les Ro- 
mains dans Telection du pape. D'un autre cote, Floras Ma- 
gieter dit formellement que, pendant tout le regne de 
Charlemagne, la consecration des pontifes dans TEglise se 
fit sans aucun recours au prince : Absque interrogatione 
prmcipis (5). Mais plusieurs faits sembleraient prouver 
que les successeurs de Charlemagne n'avaient pas renonce 
k I'ancien droit des empereurs grecs, car nous voyons des 
tentatives d'intervention tres-nettes dans trois elections de 
papes, celle de Gregoire IV en 828, celle de Sergius U 
en 844, et celle de Benoitlll en 855 (4). De tons ces f^its, 
il est permis de conclure que le droit du pouvoir civil 
dans les Elections pontificales avait ^t^ neglig^, mais nou 
enti^rement aboli depuis la restauration de I'empire d*Oc- 
cident. Ainsi, Othon P' n'^mettait point une pretention 
nouvelle en s'immis^ant dans les elections d6s papes. 

(i) Decretum Gratiani, distinc. 65 prim« partis, c. xxii. 

(2) Gapitularia reg. francor., edit. Baluz., 1. 1, p. 779. 

(5) De Marca, de Concord., lib. VIII, c. xii. — Baronii Annales ad anu. 
774, n" 15 et seq. — Morin , Hist, de I'Drigine et des progres, p. 640 et 
suiv. 

(4) Papebroch. Gonat. hist, p. 129, 150 et 156. 



INTRODUCTION. M 

Mais ce qui ^tait traiment inom, c'est la part ^orbi-* 
tante qu'il osa s'y adjuger. Tout le privilege qn'ataient 
iuYoque les ^sapereurs grecs sur ce point se r^uisait k 
conGrmer Ic decret de Telection faite par le ciergi6 et le 
peuple romain : Qu*il ne soit point frocMi h Vordirux^km 
de Vdu avarU que le dScret g^nSral de son ilechon n*ait itA 
envoyi d la ciU inipSriale, selon r antique usage, porte la d^ 
cretale du pape Agathon (1). II est a pr^sumer que les 
princes fraiiks n'avaient pretendu a rie& de plus; maift 
Otlmn I" ne se eontenta pas d'un privilege si simple. Apr^ 
a^oir exige du p^j;pLe romain le serment solennci qu'it 
n'elirait ni n ordonnerait a Tayenir aucun pontife sans 
son consentement imperial, il fit r^iger par Leon Yill, sa 
creature, us decret Cameux qui lui acxordait, ainsi qn'k 
S6& successeurs, le droit d'elire les papes, de regler ce qui 
eaocemait le sidge apostolique, et de donner Tinv^estiture 
des archevfiches et eveches, par tout Tempire, aux sujets 
qn'il choisirail pour occupy ces sieges (2). G'elait la r^el- 
loBent mettre la Papaute entre les mains des emperenrs^ 
et seculariser VEglise. Evidemment le saint-si^, dans 
eette ooeasion, ne fbisait que changer de servitude. Toiite 
la diiTi^ence qu'il y avait^ c est que la pr^mere As^i anar* 
chiqiiie et violente, tandis que la seeonde paraissait li^ale 
ei consentie. 

Rendons pourtMt quelque justice a Othon. La situatiaa 
qu'il fit a la Papaute etait de besuieoup preferable k celle 
d'OJLelle sortait. Bien quambitieuse et mondaine, la do- 
mination des premiers empepeurs d'AlkmaguB sur Borne 
fut jusqu'a un certain paint salutaire. Si ellerefusa ViMt- 

(i) Decret. Grat., dist. 65 prim, part., c. xxi. 

(2) Decret. Grat., dist. 65 prim, part., c. xxiii.— De Marca, de Concordia, 
lib. VIII, c. xu.-*BaroDiu9, ad ann. 774, n" 45 et seq., accuse Sigebert 
de Gemblours d*avoir fabrique lui-m4me ce decret. 



92 INTRODUCTION. 

d^pendance k la Papaut^, elle lui restitua une partie de sa 
dignity. Ainsi, elle ne permit plus que des pontifes sans 
mceurs et sans foi monlassent les degr^s du si^ge de Pierre; 
elle en d^posa un certain nombre, et, que de pareils actes 
fussent canoniques ou non, il est certain qu'ils avaient 
leur utility dans les circonstances, et servaient les interdts 
de la religion. Plusieurs des pontifes cre^s par TEmpire, 
comme Sylvestre II, honor^rent Tfiglise romaine par leur 
caract6re, leur science ct leurs vertus (1). D'ailleurs, Rome 
n'dtait point capitale de TEmpire. La puissance qui r^gnait 
sur elle ^tait done ^loign^e, cons^quemment moins op- 
pressive, moins tracassi^re, qu'on pourrait d'abord se 
rimaginer; elle laissait aux papes, pourvu qu'ils lui fus- 
sent soumis, une certaine latitude dans laquelle il leur 
^tait permis de se mouvoir assez librement. Les papes 
^taient humilids ; la Papaut6 conservait sa grandeur et sa 
majestd. 

Mais cette situation de la Papautd ne pouyait dtre que 
transitoire ; durable, elle T aura it tdt ou tard amende k se 
fondre dans la prdponddrance impdriale. En effet, il n'6- 
tait pas impossible que Rome ne devint, avec le temps, la 
capitale de TEmpire; il Tdtait encore moins que des prin- 
ces mondains nc se rendissent maitres absolus du souve- 
rain pontificat, qu'ils n y nommassent k leur gre, qu'ils 
ne le laissassent vaquer selon les vues de leur ambition, 
qu'ils n'en investissent que leurs creatures, devenues par 
\k les ministres de leur volontd, et qu'^ la fin le pouvoir 
des clefs ne se confondit avec la puissance du sceptre. 
Gontre de tels dangers, la situation des papes n'offrait au- 
cune garantie. Et ils dtaient si possibles, ces dangers, que 



(1) Voir la vie que Hock a donnee de Sylvestre II, dans la traduction de 
I'abW Axinger. Pnris, ln-8*. 



INTRODUCTION. 35 

les empereurs les realiserent a peu pres tous. On sail 
qu'un des projcts favoris d'Othon III etait de reporter a 
Rome le siege de TEmpire (1). Ce menae Othon III pla^a 
veritablement sur la chaire de Pierre qui il voulut, 
Henri III se gena encore moins ; il forga Gregoire VI a 
d^poser la tiare ; puis, seul et sans consulter ni les cardi- 
naux, ni le clerge, ni le peuple romain, il nomma pour le 
remplacer Clement II. Les elections deDamase II, de LeonIX, 
n'eurent pas lieu avec d'autres formalites (2;. II ne restait 
plus k Fempereur qu'a se nommer lui-m6me. Evidem- 
ment, la Papaute aurait lini par aller a sa ruine. 

II lui fallait promptement sortir de cette situation, ou 
par r intervention d'une troisieme puissance, ou par ses 
propres forces. La premiere de ces deux voies ^tait de 
tous points impossible. A. qui en aurait-on appel^? A la 
France? Mais ses monarques, reduits a quelques arpents 
de terre, etaient obliges de conquerir un royaume sur 
leurs grands barons. ATempire d' Orient? Mais, outre que 
ce malheureux empire, suivant sa fatale destinee, s'isolait 
de plus en plus de F Occident en se precipitant dans le 
schisme, il etait encore a demi devore par les Turcs Sel- 
jiott^ides, dont les avant-postes approchaient de Nicee. 
La seule puissance vraiment forte etait la puissance alle- 
mande, et c etait elle qui opprimait. La seconde voie sem- 
blait plus impossible encore. Quelle apparence, en effet, 
que la Papaute, affaiblie, comprimee, sans ressources ma- 
terielles pour Taider dans ses entreprises, put lutter centre 
cet Empire qui la tenait comme ecrasee ? Eh bien ! si peu 

(1) Mascovii Gomment. de rebus imperii, in«4^ Lipsiae, 1757, p. 172. 
— Baldrici Chronic. Cameracens., ap. eumd. Mascov. — MabillOD, Vetera 
Analecta, fol., p. 694. 

(2) Hermanui conlract. Ghronicon, ad ann. 1047 et 1048. — Lamberli 
Schafnaburg, ad ann. 1048. — Otto Frising., lib. YI, c. xxjciii. 

5 



54 INTRODUCTION. 

praticable que parAt cette voie, ce fut par elle que la Pa- 
paute se sauva. Ce qui devait sembler impossible k tous 
parut possible a un seul homme : cet homme etait Hil- 
debrand. 

Les commencements de ce genie prodigieux ne nous 
sont point connus. Tout ce que Ton sail, c'est que Hilde- 
brand naquit a Soanne, en Toscane, *et que ses parents 
etaient pauvres; quil eut pour maitre, dans ses jeunes 
ann^es, rarchiprStrc Gratien, qui devint plus tard le pape 
Gregoire YI ; le reste est incertain. L'histoire commence 
k fixer les yeux sur lui a T^poque de I'abdication de ce 
meme Gregoire VI ; elle nous le montre alors accompa- 
gnant en AUemagne son bienfaiteur, et, peu apres, allant 
s'enfermer dans le monastere de Cluny, ou ses progres 
dans la vie spirituelle et sa profonde capacite le firent 
bientdt elire prieur. Le monastere de Cluny etait, a cette 
epoque, sous la direction du saint abbe Odilon, le module 
de la discipline et de la ferveur monastiques. C'est la que 
cette ftme ardente et forte acquit, par la severite et la pre- 
cision de la rfegle, Tetonnant empire sur elle-mfime qu on 
lui vit deployer dans les circonstances difficiles, et que 
rhabitude de la contemplation Taccoutuma a concentrer 
ses pensees sur un but. C'est la encore que, favorise par 
les longucs heures que la solitude Igissait a la meditation, 
il commenga a concevoir la premiere idee de ce plan gi- 
gantesque qui devait changer la face du monde. 

Pendant son sejour a la cour imperiale, le jeune moine 
avait vu de pres Fabaissement de Fautorite spirituelle de- 
vant Forgueilleuse tyrannic de la puissance temporelle, 
les abus desastreux qui resultaient des investitures lai- 
ques ; et cette vue avait produit sur lui une de ces impres- 
sions profondes qui, dans les Ames superieures, sont le 
germe de projets grands et genereux. II avait sond6 la 



INTRODUCTION. 55 

plaie, il s'occupa d'y chercher un remede. La nature mSme 
du mal le lui revela. Ce remede etait d'abord de separer 
rfiglise d'avec Ffitat, de rendre ensuite a Tfiglise sur r£- 
tat cetle suprematie a laquelle elle avait acquis un droit 
incontestable par la restauration deTEmpire; puis, aprfes 
avoir fondu les deux elements sociaux dans une unite ri-^ 
goureuse, de faire de la Papaute le centre de cette unite. 
La reforme de Tfiglise devait 6tre la premiere consequence 
de r execution de ce plan {\). , 

Quand on considere le projet de Hildebrand, soil en 
lui-meme, soit dans les circoristances oii il le forma, on 
est oblige de convenir qu il fallait un genie transcendant 
comme le sien pour le concevoir. Au milieu de la plus 
grande faiblesse de la Papaute, au milieu du plus grand 
deploiement de la puissance imperiale, tout a coup un 
simple moine, sans appui, sans influence, en un mot, sans 
moyen visible, forme le projet d'arracher de force la Pa- 
paute a r Empire qui la domine, bien plus, de soumettre 
TEmpire a la Papaute. Quel reve ! Et pourtant ce n'est 
point un reve, une de ces conceptions fantastiques qui 
naissent et meurent dans le cerveau qui les a creees. Hil- 
debrand est trop positif pour s' ^prendre d'une vaine chi- 
m^re. S'il a forme un tel projet, c est qu il a Fesperance 
de le realiser; c'est que, non-seulement la possibilite, 
mais encore la probabilite de cette realisation, a frappe 
son esprit. 

En effet, en se repliant sur lui-meme, il a vu Tsime 

commander au corps; en interrogeant Thistoire, il en a 

appris que c'est Tesprit qui commando au glaive. Pour- 

\ quoi done la puissance spirituelle, qui represente Tsime 

dans la society humaine, ne commanderait-elle point ^ la 

(1 ) Toutes ces idees sont clairement developpdes dans lo rccueil des 
leUres de Gregoire VH, au t. X de la collection de Labbe. 



36 INTRODUCTION. 

puissance temporelle, qui en reprdsente le corps, qui en 
est le glaive? Et npn-seulevawt i) a reconnu Texistence 
theorique de cctte vdrite, mais dans ses voyages, en ]lta-« 
lie, en Allemagne, oq France, son oeil observateur en a su 
dem^ler Texistence vivante dans Vesprit social de Tepoque. 
La tyrannic I'y comprime, il eat vrai, mais oHe ne T^touffe 
pas ; un elan vigoureux Ten fera jaiHir et la mettra en ac- 
tivity ; il ne s'agi^ que de lui imprimer cet elan. Ce n*est 
pas tout. Ccs memos voyages Tout mis u pof tee d' enten- 
dre les plaintes de la partie saine du clerge sur leadesor- 
dres enfantes par les investitures laiques^ de voir les popu- 
lations, toujours de plus en plus opprimees par la main de 
fer des barons et de leurs hommes d'armes^ touraer leurs 
regards vers r£glise et attendre lour ai&anchisaeinent de 
sa bienfa^sante protection. Dans une reaclion conajoie cellc 
qu'il medite, il aura done pour lui le clerge et les peuples. 
Sansdoute, les opinions sur lesquellesil s'appuiesontiso- 
lees, flottantes, timides ; mais il sau^ a bien, en les tra- 
vaillant, en leur presentant un but, les unir, leur preter 
de Taudace, les rendro entreprenantea. On salt aujourd'kiii 
s*il se trompa dans ses esperances. 

Toutefois, jamais Hildebrand n'eut realise ee pbn gi- 
gantesque, s*il n*avait eu, avec tout son genie, qu'un ca- 
ractere oixlinaire. Mais son caractere etait plus etonnant 
encore que son genie. Jamais on ne voulut avec plus d'&- 
nergie que lui, jamais avec plus de Constance. Une fok 
qu'il eut fixe le but qu'il se proposail d'aiteindre, son re- 
gard ne Tabandomia plus. Nul obstacle ne le deconcerta, 
parce qu^il avait prevu oi calculo le nombre et la grandear 
des difticulte^ qu il aur^ a vaina:^^ Iwnobile dans h^ 
bonne comme dans la mauvaise fortiine, toujours seoK 
blable a luiHOi^me, on ne le vit point se dementir un seul 
jour. 



z' 



INTRODUCTION. 57 

Ce fut en Tannee 1049 que la Providence fournit a Hil- 
debrand la premiere occasion de mettre la main i Texe- 
cution de ses projets. Cette annee vit arriver a Cluny 
r^Vfiqiie de Toyl, Bruno, nouvellement elu pape par 
H^^ri III, ddns un synode tenu h Worms. On etait a la 
veilte d^ NoSL, et le nottveau ponlife, qui avail d6ja pris le 
ftom de Leon IX^ se pnSparait a d^ployer dans cette solen- 
nit^ les magnificences d6 la Papaut^. Hildebrahd saisit 
I'occasion ; il ose se pn^senlef a BrUno, il lui parle dA 
I'iiT^gularite de son election avec unc telle force A'il&- 
quence, que celui-ci, subjugu^, depose les ornemettts poh- 
tificaux, revifet Thabit des p^lerin^, el \t se faire ^lire de 
nouveati par le clerge el le peuple (1). 

Apires ufte telle influence ^Xet^c^e sUr tin pape, Hilde- 
bt^M ne pouvait pluii rester dans uh rang secondaire. 
AU9^t, dh ce irtoment, le voyons-tious, non plus a Cluny, 
fflHis k Ronie, d(^.core du litre d'archidiacre, et investi de 
\h supfifenae dit*ection dans les affdires. Des lors, ses moin- 
dres d-marches deviennent importantcs^ Sous Leon IX, 
Victor n, Etiennc IX, Nicolas II, Alexandre II, sous cinq 
potilificats, c'est4-dire durant vingt-trois ans qui s'ecou- 
l^rent avant sa propre Elevation, le gouvernail de TEglise 
edt dails ses tnains. Rien ne se ftiil sans lui ; ses idees de- 
vidilnenl le mobile de toutes les determinations ; tons ceux 
qui rapprochent en sent bientot p^netres, et, leur z^lc 
s'enJQamm^nt du sien, ils ne s'occupenl plus que de les 
communiquer k d'autres. Par eux, Hildebrand se trouve 
partoul k la fois, en France, en Angleterre, en Allemagne; 
le monde entier est ttgile par le g^nie d'un seul homme. 
S'agit-il de tenir des conciles, c'est Hildebrand qui en re- 



(1) Ott6 Frisin^., lib. VI, c. xxxiii.— Lorain, Hist, de I'Abbaye de Cluny, 
p. 55, 1" edition. 



58 INTRODUCTION. 

gle les deliberations et en dicte les decrets. S'agit-il d'^lire 
de nouveaux pontifes, c est Hiidebrand qui les designs et 
decide du choix. Tel fut Teffet de son activite, qu a la 
mort d' Alexandre II, tout se trouva miir pour Taccomplis- 
sement de ses plans. On dit neanmoins qu a cet instant 
decisif, quand il fallut payer de sa personne, quand les 
acclamations reunies du clerge et du peuple lui defererent 
le souverain pontifical, on dit que ce fier genie se rejeta 
en arriere (>l), soit que son humilite, qui etait grande, le 
portat a d(5cliner une dignite qu il jugeait trop haute pour 
lui, soit que la provision de Favenir effrayat son courage. 
Mais on vainquit ses resistances, et il devint Gr^goire Yll. 
Aussitot Ton vit commencer un ordre de choses inconnu. 
Alors regnait en AUemagne Henri IV, monarque que la 
Providence avait orne de toutes les qualites qui font les 
grands princes, mais qui, grace a une mauvaise education, 
n' avait developpe que les vices qui font les tyrans. La de- 
pravation de ses moeurs et de son caract^re en etait au 
point, qu'on a peine a croire les exces auxquels il se li- 
vrait (2). Un pareil monarque devait naturellement crain- 
dre Tavenement a la tiarc d'un homme tel que Hiidebrand. 
Deja, sous le dernier pontifical, n etant qu archidiacre, 
Hiidebrand avait donne a Tempereur un echantillon du 
sort qu il lui reservait s'il devenait jamais pape. £lu a 
cette dignite, bien loin de rassurer Henri sur ses inten- 
tions, il lui ecrivit que, si son election etait ratifiee, il ne 
laisserait pas impunis les crimes du prince (3). Mais en 
vain les conseillers de Henri insisterent sur les menaces 
et rappel^rcnt la vehemence de Tarchidiacre pour lui faire 

(1) Voigt, Hist, de Gregoire Vll, 1. 1, p. 244. — Berthold. Constantiensis, 
ad ann. i074. 

(2) Struvius Burkard, Corpus hist. German., period., vi, p. 565. 

(3) Voigt, t. I, p. 247. 



INTRODDCTION. 39 

annuler son election ; une sorte de fatalite cntrainait cet 
empereur, et il envoya son consentement (!)• 

II ne tarda pas a s'en repentir. Ses vexations arbitraires 
venaient de soulever la Saxe et la Thuringe; ces deux 
grands fiefs de sa couronne etaient en armes contre lui. 
Gregoire, dont les avis paternels etaient demeures sans 
resultat, saisit la conjoncture, et envoya, en 1075, a Gos- 
lar, des legats, pour sommer T empereur de se rendre a 
Rome, sous peine d' excommunication, afin d'y justifier 
sa conduite sur la vente des eveches, les investitures anli- 
canoniques, les spoliations qu il se permettait (2). L' indi- 
gnation causee par les injustices de Henri lY etait au 
comble; le coup vigoureux du pape produisit un effet im- 
naense dans toute TAllemagne. 

Dans le premier moment, Henri IV essaye de repondre 
aux sommations du souverain pontife par des violences. 
Sur ses ordres, un conciliabule tumultueusement assemble 
a Worms depose Gregoire. Mais ce dernier, sans se sou- 
cier de cette deposition, excommunie Tempereur, le prive 
de TEmpire, et delie ses sujets du serment de fidelite (3). 
UAUemagne entiere prend fait et cause pour le pontife, et 
Henri n'a bientot plus d'autre moyen de salut que d'aller, 
en 1076, presque seul, a travers mille dangers, trouver le 
pape, retire au chateau de Canossa, afin d'implorer son 
pardon. La, on ne lui donna audience qu'apres Tavoir re- 
tenu durant trois jours dans les cours du chateau, par la 
saison la plus rigoureuse, et dans Tetat le plus humi- 
liant (4). La sentence d' excommunication fut levee, il est 
vrai, et le titre d' empereur rendu a Henri IV ; mais la 

(1) Struv., p. 569. 

(2) Lamberti SchafnaburgChroD., ad ann. 1076. — Struv., p. 376. 

(3) Berthold, Constant., ad ann. 1076.— Annalista Saxo, ad ann. 1076. 
(4)Struv., p. 381. 



40 INTRODUCTION. 

clAnence m6me de Gregoire etait une victoire pour la 
Papaute et unc d^faite pour Tautorite imperiale. Des ce 
moment, le triomphe de Ffiglise sur Tfitat fut consomme. 
En se decidant a attaquer de la sorte la puissance des 
empereurs, Gregoire avait senti la n^cessite de se mena- 
ger un point d'appui en Italic, d'oA il piit frapper avec 
force ets^curite. Apres les pertes successives qu'elle avail 
^prouvees, il ne restait gu^rc a la Papaute, de ses ancien- 
nes et nombreuses possessions, que Rome et son duche. 
Encore son autorite y etait-elle faible et dependante depuis 
que les monarques germains y avaient mis le pied. Le reste 
avait passe en des mains etrangeres. Gregoire en etait re- 
duiti chercher des allies. II en trouva d'abord un puis- 
sant dans le victorieux Robert Guiscard, le successeur de 
ces aventuriers normands qui avaient conquis le royaume 
de Naples. Plus tard, la Providence lui en offritun autre 
non moins puissant, mais plus sflr et plus desinteresse, 
dans la cel^bre comtesse Mathilde, cette heroine dont la 
gloire a laiss^ une trace si brillante dans Thistoire du 
onzifeme siecle. Fillede Roniface, marquis deToscane, elle 
avait h^rite des fitats de son pere. Cesfitats renfermaient 
la Toscane, Mantoue, Reggio, Parme, Plaisance, Ferrare, 
Modfene, Verone, unepartie de FOmbrie, le duche de Spo- 
Ifete, le Patrimoine de saint Pierre, depuis Yiterbe jusqu'a 
Orvieto, avec une portion de la marche d'Ancone. A cette 
puissance, Mathilde joignait une capacite guerriere et ad- 
ministrative, une suite de desseins, une hauteur de carac- 
tfere rares chez les personnes de son sexe, et une pi^te su- 
p^rieure a tous ces talents. Gregoire sut s'emparer de cette 
princesse, la fit entrer dans ses vues, la penetra de son 
esprit et lui inspira un tel devouement pour Tfiglise ro- 
maine, qu il Tamena a ceder, en 1077, a cette figlise, la 
Ligurie et la Toscane, cession qui devait etre suivie, plus 



INTRODUCTION. 41 

tard, d'une donation pleine et entiere de tons ses Etats (1). 

Le regne de Gregoire VII depassa a peine douze annees, 
et pourtant il occupe une place immense dans Thistoire 
de la Papaute, a cause de ses resultats. Non-seulement 
Gregoire forga TEmpire a reconnaitre la suzerainete du 
saint-siege, mais encore il rangea seul, sous Tautorite de 
saint Pierre, autant de dues, de princes, de rois, que 
tons ses predecesseurs ensemble ; il realisa ce que des 
utopistes n'auraient pas ose rever : la monarchic univer- 
selle, par la seule force de la religion et de la justice. Ce 
fut en vain qu'Henri IV, brAlant de se venger, s'avanga 
jusqu'a Rome, a la tete d'une armee, et obligea Gregoire 
a chercber un refuge dans Tcxil ; il ne lui arracha pas une 
seule concession. Ges succes de la force brulale n'eurent 
d'autre effet que de procurer a Theroique vicillard un 
glorieux tombeau , et de montrer a Tunivers qu'une 
grande ame est au-dessus de la mauvaise comme de la 
bonne fortune. Henri lui-m6me n echappa point au sort 
qu'il avait voulu faire au pape, et le persecuteur de Gre- 
goire VII mourut detrone par son propre fils (2) . 

Des trois hommes que Gregoire avait designes pour lui 
succeder, le premier, Victor III, ne fit que passer sur le 
trone pontifical ; mais le second, Urbain II, reprit Toeuvre 
de son maitre, et la continua avec vigueur. Un evenc- 
ment singulier vint tout a coup en favoriser les progres. 
Ce fut sous lepontificat d'Urbain II qu'eclata en Europe le 
mouvement celebre qui precipita TOccident sur TOricnt 
pour lui arracher un tombeau. Les croisades doivent beau- 
coup sans douLe a Urbain II, car c est lui qui sut en reu- 
nir les elements, et les mettre en activite ; mais la glo- 

(1) Voir le texte de cette donation dans Cenni. t. II, p. 238. 

(2) Anonymus, in Vita Henrici IV, ap. Urtizium, t. I , p. 592. — Otto 
Frising., lib. VII, c. ix et xi. 



4^ INTRODUCTION. 

rieuse conception des croisades ne lui appartient points 
Deja cent ans avant, un pontife, compatriote d'Urbain, et 
non moins illustre que lui, Sylvestre II, avait eu Tidee' 
d'exciter TEurope k la conqu^te des lieux saints (i). Les 
tentatives qu'il fit alors pour la realiser n'eurent aucune 
suite. Ricn n'etait encore assez miir pour un si grand des- 
sein. Depuis, Gregoire VII avait remue cette idee avec* 
plus de succes, et tout porte a croire que si ce grand pon- 
tife eAt vecu, il Taurait lui-m6me ex^cutee. Gregoire con- 
siderait cette idee au point de vue de ses desseins, et la 
rattachait au plan qu'il s'etait forme relativement a la mo- 
narchic chretienne. Si Ton entend bien les confidences 
qu'il fait a ce sujetdans ses lettres, raflfranchissement des 
lieux saints etait moins le but qui Texcitait a armer TEu- 
ropc contrc TAsie, que Textension du royaume de Jesus- 
Christ, C*est une chose remarquable, dit Tauteur de VIHs- 
toire des Croisades (1), que ces mots magiques, qai de- 
vaient plus tard enflammer Tenthousiasme des peuples, ces 
mots : JSrusalem, tombeau du Fils deDieu, ne soient pas 
meme prononces dans ses lettres. Gregoire se serait servi 
du zele des soldats de la croix pour la delivrance de la ville 
sainte ; puis, Timpulsion etant une fois donnee a leur 
courage, il aurait regagne, avec leur secours, sur le Ma- 
hometisme, tout ce que son fanatisme conquerant avait 
envahi, et la monarchic chretienne se serait accrue d'au- 
tant. . . 

La-dessus, il y a plus que des conjectures ; le temoi- 
gnage de Gregoire lui-meme nous apprend que telles 
^taient ses vues. Le plan qui les renfermait etait merveil- 
leusement congu. On commengait d'abord par arracher 

(1) Lettre de Sylvestre U, dans Michaud, Bibliotheque des croisades, 
partie H, p. 467. 

(2) Bibliotheque des croisades, t. II, p. 490. 



INTRODUCTION. 45 

aux Seljoucides les provinces qu'ils avaient conquises 
sur TEmpiregrec, et on les restituait a Tempereur, pour 
prix de la reunion de Ffiglise grecque a Tfiglise ro- 
maine. Michel Ducas s'etait engage, par ses ambassadeurs, 
a remplir cette condition (i). La Syrie rccouvree, on pous- 
saitjusqu en Armenie, on donnaitla main a ce royaume 
Chretien, apres T avoir rattache a la suprematie de Rome ; 
puis, avec son secours, on refoulait les Turcs avec Tlsla- 
misme dans les deserts de la Tartaric. Le pontife ajoutait 
que, pour commencer,.il pouvait compter sur plus de cin- 
quante mille Chretiens qui se preparaient a la guerre, et k 
la tete desquels il pretendait marcher en personne (2). 

La s'arretent les revelations de Gregoire. Mais il est 
permis de croire que la ne s'arrStaient pas ses projets, 
qu'ils s'etendaient encore sur FAfrique. De cette maniere, 
les bornes de Tempire qu'avait possede Rome pa'ienne au- 
raient ete depassees par Rome devenue chretienne; Ve- 
tendard de la croix aurait flotte depuis les Orcades jusqu'au 
golfe Persique, et depuis Tembouchure du Volga jus- 
qu'^aux lies Fortunees, et la foi n'aurait fait qu un seul 
empire de tant de royaumes, comme elle n'aurait fait qu'un 
seul peuple de tant de pQuples, et Tunite eut ete com- 
plete. 

Un tel projet semble fabuleux, tant il est gigantesque. 
Mais, tout gigantesque qu'il est, quand on pense qu'il a 
failli elre accompli, que TEurope, pendant deux siecles, y 
a employe plus de moyens qu'il n'en aurait fallu s'il y eAt 
eu des chefs plus generaux que soldats, plus de concert 
dans les expeditions, plus ^e discipline dans les armees, 
moins de trahison de la part des Grecs, on admire avec 

(1) Bibliotheque des croisades, t. II, p. 488. 

(2) Epist. Gregorii VII, lib. II, ep. xxxvii, ap. Labbe, t. X. 



n INTBODUCTION. 

quelle justesse de vues le genie de Gregoii'e Vll formftit 
les plans les plus extraordinaires. Tant de gloire i^c noils 
etait pas r^serv^e. 

Mais si h but du grand pmtite ne fut p^i^ ^Atierem^ftl 
atteint par les expMitions saintes, il 1^ fut en paftie, Ml& 
puissance pontilicaie y puisa un rapide moyen de di^ve* 
loppement^ <xRien, dit VLeetm, tt'etait plus pmpiKi A ^ttb* 
« ordonner la puissance civile a celle de TEglisfe, '4(6i^ 
c( des entreprises du genre des croisades. D6S gueWfe* 
<( saintes, ot Ton combattait poUr rhdufteur de la fbi, 
c( donnaient aux ministfes de TEglise une sup^ridriW fta* 
« turelle. G'^taita la voix du souverSkin poMitife qu'6ii l6* 
<i entreprenait ; €*etait lui qui semblail les cdn^mander, 
a qui sembkit faire mouvoir tons les priftces H totiiea 
c< les nations* Ne sembkit-il pas alors et^e en eflfet le M 
« des rois, et le dominateut de tout le monde tjhr^tiefif 
« Du fond de leurs palais> k Rome» les pofltifes goiiVir- 
c< naient Tarm^e croisee pefr leurs l^gats. AlCUIc ^tait edn-* 
<( fiee, d'un assentiment general, la conduite des plu8 
(:< hauts intet^ls et de la plus gfande operation politiquo 
a du temps, 1q direction supreme des forces d'une partie 
c( de la terre, qui s'armait tout entifere pour en combattre 
(( une autre. L'enthousiasme religieux et chevaleresque 
« qui exaltait les esprits se toUi^nait natu^ellement dans 
cc une telle conjoncture Vers le chef de la religion att 
a nom de laquellc allaient se porter ces grands eoilps. 
a C'est ainsi que les papes devinrent) -par Teffet d^ la na- * 
c( ture m6me des croisades, et siSiis qli'il fAt besoin de f 
a faire jouer de nouveaux ressorts, ie centre d'autoritd 
cc dans le tnonde chretien ( i ) . » 

(1) Heeren, Influence politique dds cfoisades^trsld* dt GbftH«ft Villiers, « 
in-fol., p. 141 et suiv. 



INTftODUCTION, 43 

Drbain II ne vecut point as$ez pour voir lui-meme, 
dans la querelle des investitures, le resultat de eette nou- 
velle influence, mais ses successeurs y gagnerent bientot 
wne superiorite decisive. L'empereur Henri V, qui conti- 
nuait la lutte de soi^ p^re, finit par comprendre que la par- 
tie n'etait pas ^gale entre le pape et lui, que les forces de 
son adversaire allaient toujours croissant, tandis que les 
siennes diminuaient d'une maniere sensible, et il ne son- 
gea plus qn'a faire la paix. Cetle. paix celebreeut lieu sous 
le pontificat deCalixtelL Ce pape en dicta les coinditions. 
L^ principale fat que Tempereur renoncerait pour tou- 
jours aux investitures (1). 

Personne ne doute que Heari V, en reconnaissant par 
cetle paix rin,dependance de TEglise, n ait consacre en 
meme temps la suzerainete de TEglise sur Tfitat, but su- 
preme d^ Gregoire VII ; car les papes avaient soutenu leur 
cause avec des moyens qui supposaient evidemment cette 
suzerainete. M^is tous ne confessent pas egalement la le- 
gitijnite 4^ cette suprematie. II en est un certain nombre 
qui la regardent comme une usurpation. II est aise, sans 
doute, de taxer rautorite pontificale au moyen age d'u- 
surpation, il ne Vest pas autant de faire voir comment 
elj[e etait une usurpation. Leibnitz, ce protestant si eclaire 
ef si grave, ne la juge pas de cette maniere, quand il dit : 
c<Les argunients de Bellarmin, qui, de la supposition que 
« les papes oni k juridiction sur le spirituel, infere quits 
c^CHit une juridiction au moins indirecte sur le temporel, 
c< n*ont pas. pajru meprisables a Hobbes lui-meme. Effecti- 
« vement, il est certain que celui qui a re§u une pleine 
« puissance de Dieu pour pix>curer h salut des ames a le 



(t) Otto Prising., 1. Vll, c. xvi. — Sigonio, Hist, de regno Italiae, I. X, ad. 
ann. 1122.— Struv , period, vi, p. 410. 



46 INTRODUCTION. 

« pouvoir de r^primer la tyrannie et T ambition des grands 
c( qui font p^rir un si grand nombre d'ames (1). » Du reste, 
ce grand ecrivain n'eiivisage pas seulement la suzerainete 
du pape sur les rois au point de vue philosophique, il 
Tenvisage en.core au point de \ue historique, ct montre 
ainsi qu elle n'etait pas moins fondee sur la necessite du 
temps que sur la raison, Des la premiere epoque du 
moyen age, Tintervention de TEglise dans les affaires de 
rfitat etait generale ; on ne pouvait rien faire sans elle, 
parce que ses ministres etaient les seuls depositaires des 
lumieres en tons genres, et que son autorite ^tait la seule 
aimee et respectee des souverains et des peuples. D'un 
cdte, les souverains recouraient a son arbitrage dans leurs 
differends ; de F autre, les peuples invoquaient sa protec- 
tion. Est-il done etonnant que les papes aient regarde la 
la puissance civile comme subordonnee a leur puissance ? 
a D est facile, dit M. Gosselin, aujourd'hui a des ecrivains 
c< superficiels ou passionnes d'attribuer a T ambition des 
« papes le pouvoir vraiment prodigieux que leur attira ce 
« concours de circonstances ; mais, outre que cet etat de 
c( choses etait tout a fait independant de leur volonte, n'est- 
« ce pas une injustice manifeste d'attribuer a leur ambition 
c< un pouvoir qui leur etait librement defere par les souve- 
« rains, autant par des motifs d'interet que par des motife 
« de religion? et les papes, bien loin de meriter les repro- 
« ches qu'on leur a faits depuis sur ce sujet, n'eussent-ils 
« pas ete bien plus reprehensibles de refuser une autorite 
ct alors si necessaire au bien de la societe et a la tranquil- 
« lite des fitats (2)? » Mais les detracteurs de la Papaute ne 
sc donnent pas la peine de scruter les annales des epoques 

(1) Pensees de Tieibnitz, par Tabbe Emery. Paris, 1805, iu-S", t. II, 
p. 407. 

(2) Pouvoir des papes au moyon ^ge, p. 588. 



INTRODUCTION. 47 

pass^es, ils trouvent plus commode de les juger avec les 
Tnesquines preventions de la lour. Si, au lieu pourtant de 
s'en rapporter aux fri voles declamations des sophistes qui 
les ont devances, ils etudiaient I'histoire dans sa source, 
ils ne se convaincraient pas seulement de la legitimite des 
pouvoirs exerces par les papes, ils en admireraient encore 
I'immense bienfait ; ils verraient que, si quelque ombre 
de justice s'est conservee au milieu des desordres du 
moyen age, si les peuples n'ont point succombe sous le 
joug brutal de la force, si quelques debris de liberte, de 
civilisation, ont survecu a Toppression et a la barbaric que 
le regime feodal faisait peser sur le monde, c'est a la su- 
periority du Sacerdoce sur TEmpire, a la suzerainete des 
papes sur les rois, que nous le devons. 

Les empereurs d'AUemagne n'accept^rent jamais paci- 
fiquement cette suzerainete ; Fhistoire de la resistance 
qu'ils lui oppos^rent est devenue cel^bre. La luttc qui fut 
la suite de cette resistance dura cent cinquante ans, et a 
repandu un lustre immortel sur les pontificats de Celes- 
tin II, dlnnocent II, d' Alexandre III, dlnnocent III, de 
Gr^goire IX, dlnnocent IV. Ce n'est pas que les empereurs 
contestassent cette suzerainete ; ils partageaient au con- 
traire, avec tout le monde, la conviction que TEmpire de- 
puis Charlemagne relevait du saint-siege, que le pape fai- 
saitles empereurs, et pouvait en certains cas les d^poser (1) . 
Mais la soumission au joug sacerdotal repugnait a la fierte 
et k Fiimbition de ces potentats. Ils voulurent a tout prix 
le secouer ; ce fut la leur tort. En Tacceptant franchement, 
ils auraient tourne leur soumission au profit de leur auto- 
rit6. Consacree et soutenue par la majeste sainte de YE- 

(1) Ce point est solidement etabli par Tauleur du Pouvair lemporel des 
papes au moyen Age, p. 4B4 et suiv. 



48 INTRODUCTION. 

glise, cette autorit^ en serait devenue plus venerable et 
plus v^n^ree ; elle n'aurait point ete, comme elle le fut, 
attaqu^e, mutilee, paries revokes des grands barons. Leur 
r^gne aurait ete plus tranquille et plus glorieux. En repu- 
diant cette soumission, que gagnerent-ils? Rien : ils bou- 
levers^rent TEurope, Tinonderent de sang, se tirent tyrans 
et persecuteurs. Bien loin de relever la majeste irape- 
rialo, ils Tabaiss^rent, et fmirent par succomber eux-m6- 
mes. On s* expose a d' inevitables mecomptes lorsqu'on se 
roidit contre les idees de son siecle. De m6me que rien 
n'arr^te un torrent qui se precipite par ses pentes natu- 
relles, ni digue, ni barriere; de meme rien n'arrete les 
idees qui ont fait une fois irruption dans Tespritdes peu- 
ples : ni les distances, elles se jouent des espaces ; ni les 
persecutions, elles ^chappent au tranchant du glaive. II 
faut qu'elles passent. 

Les souverains pontifes du onzifeme, du douzicme el du 
treizifeme siecle, en proclamant la superiority de Ffiglise sur 
rfitat, du Sacerdoce sur F Empire, repondaient aux idees 
des peuples, a Topinion publique de leur epoque. Done, 
en voulant faire prevaloir le contraire, les empereurs alle- 
mands declaraient la guerre a Topinion publique. £vi- 
demment, ils s'opposaient au voeu general, au besoin du 
temps ; car un voeu general suppose toujours un besoin 
de mfime nature; ils voulaient faire retrograder la so- 
ciety. 

Cette difference dans la situation des papes et des empe- 
reurs explique naturellement la difference qui eclate aussi 
dans la fortune des uns et des autres. Les papes triomph^- 
rent constamment, parce que les moyens d'attaque et de 
defense ne leur manquerent jamais; ils les trouvaient 
dans les sympathies des peuples divers. Les empereurs 
succomberent toujours, parce que, n ayant point t^ leur 



INTRODUCTION. 49 

service les moyens moraux, ils ^taient forces de recourir 
a Temploi de la force, qui achevait de les deconsiderer. 

Cette difference de situations explique encore la diffe- 
rence du car^actere signale par Fhistoire dans la politi- 
que des papes et des empereurs. En general, la politique 
des empereurs est etroite, odieuse, inconsequente ; on n'y 
distingue rien de liberal, de genereux ; Tegoisme s'y trahit 
partout. Pour embarrasser leurs adversaires, ils ne crai- 
gnent pas de susciter ou de favoriser des schismes, d'en- 
tretenir des mannequins decores du nom de papes, tou jours 
pr6ts k les abandonner ou a les patroner, selon que la n^- 
cessite les force a la paix, ou que Tinteret leur conseille 
la guerre. Tantot ils menacent avec hauteur, tantdt ils sup- 
plient ayec bassesse ; tantot ils en appellent a la perfidie, 
tantot ils se portent a tons les exces de la violence. 

La politique des papes, au contraire, est constamment 
genereuse, morale, uniforme.Genereuse: ce n'est pas pour 
eux qu'ils combattent, c'est pour la gloire et Texaltationde 
cette figlise dont ils sont charges, par la Providence, de rea- 
liser les destinees. Morale : les armes qu'ils emploient contre 
leurs adversaires sont celles qu'avouent la conscience et 
rhonneur; tons les coups quils frappent sont conduits 
par la justice. Dans les instants de repentir, ceux qui ont 
6te frappes le confessent hautement. Uniforme : ils ne flot- 
tent point, ils ne sont pas aujourd'hui differents de ce 
qu'ils etaient bier, parce qu ils savent ce quils veulent, 
qu'ils le veulent pour des motifs toujours subsistants, et 
qu'ils sont decides d'avance a epuiser tons les sacrifices 
pour Tobtenir. 

Ici se deploie devant nous le spectacle le plus etonnant 
qui ait jamais frappe Foeil humain. Une puissance, qui 
avait iii k peine soupgonn^e d'abord, se tire peu a peu de 
r obscurity. Longtemps faible, elle se montre successive- 

4 



52 INTRODUCTION. 

communiant Fr^d^ric au milieu du premier concile general 
tenu a Lyon. Jamais victoire remportee par le Saint-Siege 
n'avait et^ plus decisive pour son autorite et plus funeste 
a ses ennemis. Le jour oA, apr^s avoir entendu la sen- 
tence du pontife, tous les p^res sembl^rent la confirmer 
en renversant leurs flambeaux, parut si terrible aux te- 
moins de cctte lugubre sc^ne, qu'un d'eux lui appliqua a 
haute voix les expressions dont les saintes ficritures se ser- 
vent pour designer le jour du dernier jugement (1). En 
vain Fr^d^ric voulut r^sister, son g^nic Tabandonna avec 
la puissance ; la malediction du ciel semblait Stre des- 
cendue sur lui avec la sentence du pape, et il expira 
bientdt aprfes de honte et de chagrin. 

Le pontificat de Gregoire X, qui commenga en 1268, 
pour durer huit ans, est un des plus remarquables du 
treizi^me sifecle, en ce qu'il marqua la p^riode la plus glo- 
rieuse peut-6tre pour la Papaut^. Rome chr^tienne se 
trouva alors dans une situation analogue a celle oA Rome 
pa'ienne avait dt^ douze si^cles plus tot, elle n'eut plus d'en- 
nemis k combattre. Le r^gne de Gregoire X, arrivant apres 
tant de pontificats orageux, represente assez bien le r^gne 
pacifique d'Auguste remplagant les longues querelles des 
triumvirs. Ce pontife comprit admirablement sa mission, 
il r^solut de tout pacifier, d'^teindre toutes les haines, 
d'imposer silence ii toutes les discordes. Son caractere se 
trouvait au niveau de ces intentions g^nereuses. S'il n'a- 
vait pas au mfime degr^ que ses illustres pr^decesseurs 
cettc ^nergique vigueur qui terrasse, il possedait en re- 
vanche cette mod(5ration sage qui r^concilie. Grftce a ses 
efforts, on vit Tunit^retablie entre TEglise d' Occident el 
r£glise d'Orient, les dissensions politiques ^toufil^es. 11 

(1) Mattheus Paris, ad ann. 1245. 



INTRODUCTION. 55 

Alt un instant oiji la paix regna partout. Mais la Papaute 
ne devait point revoir de si beaux jours. 

Nous allons montrer comment cette merveilleusc puis- 
sance des papes, d'abord ebranlee par larapide succession 
des souverains pontifes apres Gregoire X, attaquee ensuite 
par Taudace de Philippe le Bel, puis afTaiblie par la trans- 
lation du Saint-Siege a Avignon, vint se renverser tout a 
fait dans les calamites du grand schisme d'Occident. Au 
commencement du quinzieme siecle, quand, restauree 
par.le concile de Constance, la Papaute chercha cette an- 
tique et glorieuse puissance, elle la trjKlva confinee dans 
les limites du domaine ecclesiastiquij, d'ou elle etait partie 
six siecles auparavant pour dojjiiher le monde. A la ve- 
rite, le pape resta environne longtemps encore d'une 
grande consideration temporeile. Les empereurs tenaient 
toujours les renes de sa haquenee, les souverains s'ef- 
forgaient k Tenvi de Thonorer de leurs hommages, mais 
les uns et les autres avaient ressaisi leur independance, 
et Ton ne vit plus partir de Rome^ees actes d'une dicta- 
ture seuveraine que les successeurs de Gregoire VII 
avaient exercee, meme au milieu du quatorzieme siecle. 

Dans cet etat de choses, vint le concile de Bale avec ses 
decrets revolutionnaires, biendignes de scrvir de base a la 
Pragmatique-sanction, puisleProtestantisme. Alavoix du 
moine de Wittenberg, une partie de la chretiente se de- 
tacha de Tautre. Luther attaqua non-seulement le pou- 
voir temporel de la Papaute, mais encore son pouvoir spi- 
rituel. II allait repetant que le pape etait TAntechrist, 
que TEurope avait dans sa personne un bien plus grand 
fleau que dans le Turc; et, fletri par ces denigrements mo- 
queurs, Veveque de Rome devint un objet de mepris et 
dehaine pour tons ceux que les autres mensonges du 
novateur avaient seduits. On doit dire qu'il s'ensuivit 



\ 



\ 



U INTRODUCTION. 

aussi cbez les catholiques, k regard du Saint-Si^g^, nn n6- 
table affaiblissemerit de respect et de confiance. La Pa- 
paute perdit alors peu k peu ce qui lui restait de sa puis- 
sance. Ici Ton se d^barrassa d'une redevance, \k d'un 
privilege; ailleurs, on obtint des concessions par des con- 
cordats. Chacun profita de Taffaiblissement du colosse. 
« Dans toute la chretient^, dit Ranke, au sud conime au 
« nord, partout on chercha k restreindre les droits des 
« papes (1). » Ceux-ci ne s'efforcerent point de retenir im- 
prudemment ce qu'ils voyaient leur echapper ; ils ced^rent 
beaucoup, parce ^u'ils avaient Tfiglise k sauver, car le 
Protestantisme s'attaehait a gagner les souverains par Tat- 
trait de cette double autorite que les papes avaient si long- 
temps exercee. En effet, d6s son debut, le Protestantisme 
s'annonga comme la rehabilitation de la preponderance 
du pouYoir temporel dans la society. Ici les souverains 
pontifes montrerent autant de sagesse qu'ils avaient de- 
ploy^ de justice et de magnanimite au temps de leur do- 
mination. Sans les concessions qu'ils firent alors a propos, 
d'irr^parables maux s'en seraient peut-etre suivis.' 

On en resle convaincu quand on voit le Protestantisme 
susciter centre Rome Tesprit d'opposition la m^me oil il 
n avait pu r^ussir a faire prevaloir ses nouveautes. II y 
eut des hommes de talent et de vertu dans Tfiglise catho- 
lique qui, de bonne foi ou par flatterie, imaginerent qu'il 
y avait une dangereuse erreur dans cette vieille croyance, 
que les papes avaient le droit d'obliger les princes a fitre 
justes, k ne point abuser de leur pouvoir, a faire fleurir 
la religion. Cette Strange opposition eclata principalement 
en France, oil les principes de la nouvelle heresie avaient 
il6 pourtant si vigoureusement refoules. II devint a la 

(1J Histoire de la Papaute, 1. 1, p. 68. 



INTRODUCTION. 55 

mode d'toe gallican, c'es^a-dire oppose au pape. Le« 
rapports du gouverncment du roi tres-chr^tien avec hmie. 
fiirent r6gl4s sur les bases de cette opposition ; et, en 
1682, Louis XIV fit r^iger par toiite une assemble d'^ 
vdques, dans le but d'en faire la loi de TEtat, des d4- 
crets offensants pour Tautorit^ pontificale. Par une con- 
tradiction vraiment derisoire, on donna a ces decrets, qui 
ne proclamaient ni plus ni moins que le despotisme du 
pouvoir civil, le nom de LiberUs, tout comme on avait 
donne autrefois le nom de RSforme au renversement de 
tons les principes du Chris tianisme. Que Rome recueillit 
bien alors le fruit de ses sacrifices ! il n'y avait plus chez 
elle, depuis longtemps, la moindre tendance a une juri- 
diction temporelle quelconque pour justifier les inquali- 
fiables precautions du grand roi, et Innocent XI put, a 
son ftise, foudroyer un d^cret sans portee parce qu'il etait 
sans but. 

Mais le Gallicanisme lui a survecu et s'inspire encore 
de ses articles. Le Gallicanisme, malgr^ les grands noms 
qui le patronent, n'est qu'une pure emanation du Protes- 
tantisme et une insigne deception pour les peuples ; c'est, 
de toutes les opinions qui ne sont pas a Tetat d'erreur con- 
statee, la plus blessante pour TEglise ; c est une protesta- 
tion centre son autorite ; c'est la courtisanerie erig^e en 
dogme theologique. Du reste, ses vues sont aussi etroites 
que son histoire est honteuse. Quel est le but du Galli- 
canisme, et que se propose-t-il ? persuader au monde que 
la suprematie pontificale serait nuisible aux societes ? Mais 
ses ecrivains les plus renommes confessent que cette su- 
prematie, a Tepoque ou les papes en userent, fut neces- 
saire et bienfaisante. Quelle contradiction! Pense-t-il, en 
affranchissant les potentats du contrdle ecclesiastique, les 
rendre plus venerables? Eh quoi! depuis que la majeste 



"1 



56 INTRODUCTION. 

de.la tiare ne domine plus la majesty des couroi&ies, celle- 
ci en est-eile devenue plus imposante? Depuis que les rois 
ne reinvent plus du vicaire de J^sus-Ghrist, ils reinvent du 
peuple, qui les renverse ou les 6\he au gr^ de son ca* 
price. Ge n'est point k notre ^poque qu'il faut chercher 
les bienfaits du Gallicanisme, quand nous avons vutant de 
constitutions naitre et mourir, quand Tautorit^ est mena- 
c^e presque partout de succomber dans les exc^s de Ta- 
narchie. 

Ge furent les malheurs de la soci^t^ qui d^velopp^rent 
au moyen dge la preponderance du pouvoir spirituel sur 
le pouvoir temporel. Esp^rons que les calamit^s toujours 
croissanles de notre 'society moderne ram^neront tdt ou 
tard cette preponderance salutaire.Deji les grands esprits, 
en Allemagne comme en France, traitent avec plus de res- 
pect les souvenirs historiques qui se rattachent k cette ce- 
16bre dictaturc. Des aveux precieux k recueillir sont deji 
tombes de plus d'une bouche. Esperons encore une fois 
que la verite se fera jour, et que les gouvernements de 
TEurope, revenus, par la force des choses, k Tunite ca- 
tholique et k Tamour de la religion, comprendront enfin 
qu'il importe essentiellement a la tranquillite publique de 
Conner k Tautorite une autre consecration que celle d'une 
volonte capable de tousles exc6s, et aussi mobile que les 
vagues de TOcean* 



LIVRE PREMIER. 



SOMMAIRE. 

Constitution deRome au moyeu age. — Arnaud de Brescia, — TcntatiTe pour rame- 
ner Vancienne forme rdpubllcaine. — Betablisscment du s^nat sous Ic pape Inno- 
cent II. — Organisation de celte asserablee. — Embarras qu'elle donnc aux sou- 
verains pontiles. --^ Les Romains lui substiluent un senateur unique. — Bran- 
caleone d'Andolo. — Les Guelfes et les Gibelins. — Les Coionna et les Orsini. — 
Anarchie de Rome. — Pierre Morona, pape, sons le nom de C61eslin V; son ad- 
ministration, son abdication. — Election, a Naples, de Benedetto Gaetani, Bo^ 
niface VIII. — Son caractere. -— Etat du monde cbretien. -^ Aflaire de Sicile. 

— FrM(5ric d'Aragon est d^clar^ roi. — »• Opposition des Coionna au pape. — 
lis sont cites en cour de Rome. — Lcur lutte avec Boniface VIII, et leur ruine. 

— Philippe le Bel. — Origine des dem^les du pape avec ce monarque. — Bulle : 
Clericis laicos. — Injustice de Philippe envers le comte de Flandre. — Ses or- 
donnances en r^ponse a la bulle du pape. — Bulle : Noveritis nos. — Accommo- 
dement des deux parties. — Ambassade de Guillaume de Nogaret touchant un 
projet de croisade. — Renouvellemeiit des ddmeles. — Bernard de Saisset, eve- 
que de Pamiers, nomme legat a la cour de France. — Arrestation de ce prelat, 
et procedure centre lui. — Ambassade de Pierre Flolle. — Arrogance de ce nii- 
nistre. — Bulle : Ausculta fili. — Falsilication de cette bulle par Pierre Flotte. 

— Reponse outrageante du roi. — II fait bruler la bulle du pape. 

A quelque epoque du moyen age que Ton prenne la 
Papaute, son histoire serait inintelligible si on la conside- 
rait ind^pendamment de celle de Rome. Nous avons vu 
comment celte capitale, des T instant ou les empereurs 
Fabandonnerent, se trouva liec a ses eveques, d'abord 
par les bienfaits qu elle en regut, puis par Tautorile sou- 
veraine qn elle leur confera. Ainsi, pour eclairer Tordre 



58 flISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. I. 

de faits que nous allons d^crire, il imporle de savoir dans 
quelles conditions politiques dut se trouver la ville des 
C^sars lorsqu'elle ne fut plus sous leur domination. 

On comprend sans peine que Tintroduction d*une auto- 
rite comme celle des papes dans la constitution ancienne 
de Rome dut faire subir k cette derniere des alterations 
qui, avec le temps, donn^rent a Texistence politique de la 
cite une face nouvelle. Toutefois il est difficile k Thistorien 
de suivre, a travers les tenebres des siecles barbares, les 
revolutions constitutionnelles qui en furentla consequence. 
Le mouvement do ces revolutions echappe aux recherchcs ; 
les donneesa cetegard ne sont pas arrivees jusqu'a nous. 
Le pen que nous en avons existe disperse dans les biogra- 
phies des papes, les chroniques etrangeres, et dans quel- 
qucs dipldmes que le temps a ^pargnes. Encore les faits 
qu on parvient a tirer de ces sources sont-ils incomplets, 
contradictoires, confus. De \k une extreme difficulte do 
recueillir quelque chose de clair et de precis sur la na- 
ture du gouvernement roipain au moyen age. 

Cette difficulteest d'autant plus grande qu'il y a, d'autre 
part, dans la vie politique de Rome une mobilite qu'on ne 
retrouve point dans Florence, Pise, Genes, Venise ct les 
autres villes qui jetaient alors les fondements de leur 
puissance. Cette mobilite tenait indubitablement a la for- 
tune exceptionnelle de cette cite. Romo, en effet, ancienne 
et moderne k lafois; ancienne, par les souvenirs d'une 
domination comme auctine autre n'en exerga jamais; mo- 
derne, par sa position nouvelle dans le monde, depuis 
qu'elle etait devenue la m^tropole de T^glise, Home, dis* 
je, recelait dans son sein des Elements politiques divers. 
Mi les siecles, ni les abaissements de cette capitale n'aTaient 
pu aneantir dans Tesprit do ses habitants la memoire 
de cette liberty souveraine qui avait fait de leurs anedtres 



CONSTITUTION DE ROME. 59 

Id peuple roi ; et, aux yeux d'un certain nombre, Rome 
devait etre toujours ce qu'elle avail ^t^ a Tepoqire h plus 
brillante de ses annales. Et pourtant, le souvenir de la li- 
berie n'exercjait point chez elle une influence si absolue que 
les id^es et les moeurs des conquerants qui renversftrent 
son empire ne s'y fussent introduitas. Ces traditions, a la 
fois romaines et barbares, jointes a Fautorite des papes, 
formaient k Rome trois ^l^ments politiques bien distincts : 
r^l^ment republicain, repr^sent^ par le peuple; r^lement 
feodal, repr^sente par la, noblesse; V^l^ment ecclfeiai^ti- 
que, represent^ par la Papaute. Sans I'admission de ce 
triple element, il serait, je crois, impossible d'expliquer 
comment il pouvait y avoir simultanement a Rome une 
r^publique romaine, un 'prefet de la ville, des consuls, 
des patrices, un senat, toutes les formes de Tantique con- 
stitution (4) ; puis des nobles ayant des chateaux, des 
fiefs, des vassaux, les moeurs feodales en un mot; enfin 
un pape souverain* Ces elements elaient trop opposes pour 
ne point se heurter. Chacun d'eux aspirait a la domina- 
tion, et, selon que Tun Temportait sur Tautre, la consti- 
tution r(Mnaine prenait une face ou rdpublicaine, ou fdo- 
dale, ou ecclesiastique. 

Tant que les empereurs franks se soutinrent avec quel- 
que gloire, Telement ecclesiastique, represente par la Pa- 
paute, domina k Rome. Mais au dixieme si^cle, quand 
ces princes fl^chirent sous le poids de leur couronue, Te- 
l^ment feodal, represent^ par la noblesse, prit le dessus, 
annihila presque rautorite pontificale en absorbant son in- 
dependance, et Rome tomba alors sous Tempire d'une oli- 
garchic d'une turbulence extreme. Dans cette situation, la 

(i) Voir les recherches faites a cet egard par Michel-Conrad GurtiusdaBS 
ses Commentarii de senatu romano, in -4°, Geneva;, 1769. 



60 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. I. 

liberie du peuple etait aussi bien opprimee que rautorit^ 

papale, et toutes deux etaient menacees d'une ruine en- 

tifere, pour peu que le despotisme de la noblesse se fut 

prolonge. Vers la fin du dixieme siecle, la restauration de 

TEmpire par les Othon, et leur intervention dans les afifaires 

de laRepublique romaine, changerent la face des choses. 

La noblesse fut comprimee, et la P^paiite se releva, sans 

retrouver, toutefois, son ancienne puissance. Sous Othon III, 

il tint a rien que Rome ne devint une seconde fois la capi- 

tale de Tempire d'Occident. Heureusement, ce projet, qui 

aurait ete aussi funeste a Tindependance de Rome qu'a celle 

de la Papaute, echoua; Othon III, qui Favait congu, vit 

sans doute a son execution des obstacles qu'il n'osa entre- 

prendrede surmonler. La constitution romaine regut d'as- 

sez notables changemenls a la suite de Tintervention des 

empereurs. L'efBgie de ces derniers parutsur les monnaies 

avec celle du pape (1), et ih se reserverent le droit de ren- 

dre la justice criminelle, droit qu'ils exergaient par Tin- 

termediaire du prefet, auquel ils donnaient Tinvestiture de 

sadignite par le glaive, et qui leur jurait fidelite (2). Nean- 

moins, lors de la ceremonie de leur couronnement, qui 

devait avoir lieu a Rome, ils etaient obliges de confirmer 

aux Romains tons leurs usages par trois serments : Tun 

prononce vers le Petit-Font {ad Ponticellum); Tautre a la 

porte Golline {adportam Collinam) ; le troisieme sur les de- 

gres m^mes de Y eglise de Saint-Pierre (3) . Cette obligation, a 

laquelle ils avaient ete forces de se soumettre, jointe a 

leur ^loignement de la ville, tcmperait ce que leur au- 

(1) Muratori, Antiquitates italics medii asvi, t. II; dissert, xxvii , 
p. 555 et 554. 

(2) Praepositi Rischpergensis Expositio, ap. Baluz. Miscell., t. II, p. 197, 
edit, de Mansi, in-fol. 

(3) Schmidt, Hist, des AUemands, t. Ill, p. 266. 



co:«s^Tmo:¥ ds rqhe. m 

torit^ avait de dangereux poor la liberie des citoyens. 
Get ordre de choses dura jasqo*au miliea du doonmie 
siecle, et ne fiit trouble d'lme maniere notable que par la 
tentative de Crescentius, qui entreprit de restanro' la di- 
goite consulaire, et qui succomba sous les effcnrts reunis 
du pape Gregoire V et de rempereurOthonlll (I). L'oo ne 
Yoit pas que le deploiement extraordinaire de la puissance 
papale sous Gregoire Yll et ses successeurs y ait rien 
change. Mais, en 1141, sous le pontifical d'innoceni Of, 
]' Element republicain opera tout a coup une rerolntion 
qui lui donna la preponderante. G'elait Tepoque on pres- 
que toutes les villes d'ltalie recevaient leur constitution des 
mains de la liberte, et Rome avait dans son passe des 
souvenirs trop attrayants pour demeurer en arriere an mi- 
lieu de ce mouvement democratique. 

Gette revolution fut provoquee par un personnage fa- 
meux, nomme Arnaud de Brescia, disciple d'Abailard, et 
forme a cette ecole de libres pen$eurs dont Tamant d'He- 
loise etait le chef. Homme singulier, savant pour son sie- 
cle, mais d'un genie inquiet; cachant sous le froc du 
moine un orgueil profond, et, sous je ne sais quel masque 
de desinteressement, une ambition demesuree du pouvoir 
et de la celebrite. Novateur et tribun a la fois, il voulait 
reformer Ffiglise, qui s'etait, disait-il, ecartee de la pu- 
rete des temps primitifs, en meme temps qu'il s'eflbn^it 
de persuader au peuple romain de secouer le gouveme- 
ment des pretres, pour lui substituer la constitution de 
TancienneRepubUque (2). 

Ses declamations remuaient fortementlesRomains. Une 



(1) Gurtius, 1. VI, c. VI et vn. 

(2) Otto Frising, de Gestis Frederici I, 1. 1, c. xxrn, ap. Urtiziimi.— 
Gontherus in lignrino, 1. m, p. Zi% ap. Reuberum. 



03 HISTOIBE DE LA PAPAUTE, UV. I. 

juste opposition qu'Innocent II fit k un de lears projets^ fut 
le pr^texte qu ils saisirent pour ^clater. En un moment, 
ils s'assemblent au Capitole, et, sur le theatre de Tantique 
gloire r^publicaine, ils proclament la liberte, abolissent la 
dignite de prefet et retablissent le senat (1). Ce n est pas 
que cette institution edt jamais ete aneantie : on retrouve 
le$ traces de son existence a Fepoque de la domination la 
plus absolue des papes, comme a celle de la tyrannie la 
plus arbitraire de la noblesse (2) . Mais elle dtait tombfe 
dans un ^tat d'impuissance voisin de la nuUite, et Ton 
peul dire qu'elle puisa dans -cette revolution une nouvelle 
vie. Arnaud de Brescia essaya de joindre a cette restau- 
ration du s^nat celle de Tordre ^questre, des consuls, des 
tribuns, et de renverser le reste de Tautorite pontilicale (3). 
Toutefois, si ces derniers faits furent accomplis, ils ne le 
fiirent qu'un instant, car ils n'ont laisse aucune trace dans 
rhistoire. 

Si, malgr^ les efforts du reformateur, le senat ne rius- 
sit point k attirer a lui Tadministration entiere de la Repu- 
blique, il en usurpa la plus grande part. Excepte Texer- 
cice de la justice criminelle et les relations politiques de 
la ville avec lesfitats Strangers, il envahit tout le reste (4), 

(1) Otto Prising, Ghronicon, 1. VU, c. xxvii, ap. Urtizium. — Gotfridus 
Viterbiensis, Ghronicon, ap: Pistorium, pars XVH, p. 549, edit. Ratisb., 
t. II. 

(2) Curtius, 1. VII, c. ix. 

(5) Otto Prising, de Gestis Preder., 1. 1, c. xxvii. 

Quin etiam titulos urbis renovare yetustos, 
Patricios recreare yiros, priscosque Quirites, 
Nomine plebeio, secernere nomeii equestre, 
Jura tribunorum, sanctum reparare senatum, 
Et senio feasas mutasque reponere leges. 

(Guntherus in Ugurino, 1. Ill, p. 223.) 

(4) Quoniam et hi qui nunc in ea se faciunt senatores, etsi habeant potes- 
tatem sine sanguinis vindicta tractandi et judicandi causas civiles et lites 



CONSTITUTION DE ROME. 

se r^sesrva, avec le droit de battre monnaie, tous les autres 
droits r^galiens, et data pompeiisement ses actes du jour 
de son r^tablissement, les faisant preceder de Fanoieniie 
formule S. P. Q. R. Le nouveau corps legislatifse compo- 
sait de cinquante-six membres ; leur dignity n'etait point 
k vie, de peur que rinamovibilit^ n'engendrM le despo- 
tisme avec le temps* Le senat devait se renouvel^ chaque 
annee (1). Quelle ^tait la forme de ce renouvellement? 
nul ne pent le dire d'une maniere siire. J'ignore oil Sis- 
mondi a lu (2) que les citoyens, assembles dans chaque 
quartier de Rome, nommaient annuellement dix ^lecteurs, 
au;$:quels ils remettaient le pouvoir de choisir les cin* 
quante-six membres dont se composait le s^nat. Tout ce 
que j'ai pu recueilUr des monuments qui nous restent, 
e'est que Telection des senateurs avait lieu an Gapitole 
dans une assemblee generale du peuple (3). D'abord, ce 
choix n admit aucune autre formality que T expression de 
la volonte populaire. Mais, lorsque le nouveau corps se fut 
mis en rapport avec les empereurs, sa constitution ne diit 
etre d^finitivement consideree comme legale qu'apres la 
confirmation du prince (4) ; et, plus tard encore, quand 
les Romains eurent fait leur soumission au souverain pon- 
life, le choix des senateurs appartint au pape, qui les ^li- 
sait par des interm^diaires {medianos) (5). Alors les ^lus 

forenses... attamen ^andiora urbis et orbis negotia longe luperexcedont 
eorum judicia spectantque ad romanum pontiftcem. (Prsepositi Rischper- 
gensis Exposition nbi supra.) 

(1) Un diplome, dans Vitale, 1. 1, p. 40, porte : Senatores a papuh to- 
flumo pro regimiiMurlm awmatim in CapUolio ccmtituti. 

(2) Histoire des repui)liques ilaliennes, t. II, p. 55, edit. in-8^. 
(5) Voyez ci-dessus le dipl6me cite par Yitak. 

(4) Gurtius, Gommentarii de senatu romano, 1. VII, c. ni, p. 200.-— 
Voyez dans Vitale, t. I, p. 53, le pacte du senat avec Prederie I**. 

(5) Baluze, Vita Innocentii III, 1. 1, epist. papse Innocentii. 



64 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. I. 

juraient fid^lite au pontife, qui leur donnait des presents 
et un traitement convenus (1). Les premiers, ou peut-etre 
un certain nombre d'entre eux, a tour de role, prenaient 
le nom de senateurs-conseillers [seimtores consiliarii). Le 
nombre n en etait point determine. Dans un diplome de 
Tannee 1148, nous trouvons huit senateurs-conseillers; 
un autre de Tannee 1151 en porte douze; un troisieme, 
de Tannee 1194 , quatorze (2). On ne sait point ce qu'il y 
avait de reel dans leur titre. 

Innocent II etses successeurs lutterent en vain contre 
une institution qui attaquait si directement leur autorite. 
Le peuple remain, sous le pontificat de Lucius II, acheva 
la^nouvelle constitution en mettant a la place du prefet un 
magistral qui , sous le nom antique de patrice , presidait 
au senat et resumait en sa personne toute Tautorite du 
gouvernement, dont il exergaitles fonctions taut au dedans 
qu'au dehors de la republique. L'histoire ajoute que Jor- 
dan©, fils de Pier Leone, frere de Tantipape Anaclet, fut 
vetu de cette dignite, et que la noblesse lui jura fidelite et 
ob^issance (3) . Lucius II mourut en cherchant a renverser 
le s^nat (4). Eugene III, qui vint apres lui, se vit oblig^ 
de fuir avant mfime d*avoir re§u la consecration ponti- 

(1) Vos autem dabitis senatoribus qui erunt per tempera beneficia et 
presbyteria conventa. (Traile de paix entre le senat et le pape Clement III, 
ap. Vitale, 1. 1, p. 65.) — Muratori, Antiquitates italicae medii aevi, t. II; 
dissert, xui, p. 785. 

(2) Vitale, 1. 1, p. 42, 44 et 71 . — Storia diplom. dei senat., in-4°, 2 torn. 
(5) Populus romanus... patricium adjiciunt, atque ad banc dignitatem 

Jordanum Petri Leonis filium eligentes, omnes ei tanquam principi subji- 
ciuntur... ac omnia regalia tam in urbe quam extra posita ad jus patricii 
sui reposcunt. (Otto Prising, Chronic, 1. VII, c. xxxi>) — Romuald,Salarit., 
ap. Murat., Script, rer. ital., I. VII, p. 192. — Sigonio, de Regno Italiae, 
1. XI, ad ann. 1145. 

(4) Gotfrid. Viterb., ap. Pislor., t. II, part. XVII, p. 249.— Vita Lucii, 
ap. Murat. Script, rerum italic, t. Ill, part. I, p. 477. 



CONSTITDTION DE ROME. ^ 

ficale, et se retira au c^Ifebre monastere de Farfa, dans la 
Sabine. II revint pourtant, et, a force de courage, il reus- 
sit a faire abolir la dignite de patrice, a retablir celle de 
prefet, et a recevoir le serment de fidelite des peuples (I); 
mais il dut reconnaitre Texistence legale du senat. Des 
successeurs dlnnocent II, Alexandre III fut le seul qui 
commenQa a regagner, d'une maniere effective, quelque 
chose du terrain perdu; car, apres deux aus d'exil, il ne 
eonsentit k rentrer dans Rome que sur Tassurance que le 
peuple remain et le senat lui jureraient a Tavenir fidelite, 
lui rendraient hommage comme a leur seigneur, et lui res- 
titueraient les droits regaliens (2). 

Ce qu' Alexandre HI n'ayait arrache que d'une mani^ne 
encore incomplete et precaire, Clement HI, vers la fin du 
douzieme siecle, Tobtint d'une maniere a pen pres com- 
plete et definitive. Nous avous, a la date de Tannee 1488, 
un contrat passe entre ce pontife et le s^nat , par lequel 
celui-ci rend au premier, avec quelques restrictions touter 
fois, la souverainete de la ville, le pouvoir de battre mon- 
naie, le serment de fidelite, etplusieurs autres droits re- 
galiens (3). RJais ce traite, qui.fixait et r^gularisait les rap- 
ports du souverain pontife avec le senat, 6tait a peine si- 
gne, que les Remains renversaient de leurs propres mains 
cette institution si formidable au Saint-Siege, pour lui sub- 
stituer un magistrat unique, qui, n ayant point a lutlei' 

(\) OUo Prising., loc. citat. 

(2) Populi romani deliberatione statutum est , ut senatores , qui fieri 
Solent, fidelitatem et hominium domino papsB jurarent, et beati Petri 
regalia, quae ab eis fuerant occupata, libere in manibus et potestate sua 
restituerent. (Vita Alexand., ap. Murat., Script, rer. ital., t. Ill, part. I, 
p. 475.)— Romuald, Salarit., ap. eumdem, t. VII, p. 210. 

(5) Ad praesens reddimus vobis senatum et urbem ac raonetam...Reddi- 
mus omnia regalia tarn intra quam extra urbem. (Ap. Vitale, 1. 1, p. 64, et 
ap. Murat.. Antiquit. ital. medii aevi, t. II ; dissert, xlii, p. 78d.) 






66 HISTOIRE DE LA PAPAUT^, LIV. L 

coDtre les deliberations orageuses d'une assembl^e, deirait 
contenir d'une main plus ferme les passions turbulentes 
des nobles et du peuple. Ce magistral recjut le nom de se- 
nateur. II devait resider au Capitole, el fut investi de tous 
les pouvoirs nagu^re altribues au senal. On donna d'abord 
la dignite de s^nateur pour deux ans; la dur^e en devinl 
ensuite assez irreguliftre.Tout porte k croire qu'elle fut sub- 
ordonn^e au credit de ceux auxquels on I'accordait, ou h 
la confiance qu'on avail en eux. Le premier sdnateur de ce 
genre fut un certain Benedetto, surnommd Carosomo, ou 
Carissimus, personnage obscur mais aim^ du peuple, ainsi 
que I'indique son nom (1) . Quelques anndes apres, le grand 
Innocent III abolit le serment que le prdfet avail coutume 
de prfiter k Tempereur, et se r^serva a lui seul le droit do 
rinveslir de sa charge (2). De ce moment, la dignity de 
pr^fet lomba dans une nullity dont il lui fut impossible de 
se relever. EUe n'exprima plus qu'un litre sans pouvoir, 
litre qui, vers 1^ milieu du treizi6me sifecle, devinl her^di- 
taire dans la maison deVico. 

Innocent III fit plus : le lendemain m^me de sa conse- 
cration, il cassa les justiciers du s^nateur, leur subslitua 
les siens, nomma un autre s^nateur, et ressaisil Tautorite 
sur la ville et le Patrimoine de saint Pierre (3) . Ce coup 
d'Elat rendit k la Papaut^ la preponderance, mais il ne ler- 
mina pas les luttes ; elles continu^renl sous le ponlificat 
d'lnnocenl III. Malgre la vigueur qu'il deployait dans son 
administration, ce pape fut force, comme ses predeces- 



(1)2Curlius, 1. VH, c. iv. — Vitale, 1. 1, p. 71 et seq. 

(2) Vita Innocentii III, ap. Baluze, t. I, p. 2. — Epist. xxin ejusdem 
papae. 

(5) Exclusis jusliciariis senatoris, suos jusiiciarios ordinavit, lectoque 
per medianum suum alio senatore , tarn infra iirbem quam extra , patri- 
monium recuperavil nuper amissum. (Vita Innocentii III, loc. rit.) 



CONSTITUTION DE ROME. 67 

seurs, de quitter Roine un instant devant le tumulte des 
factions, et de retablir, sur son ancien pied, le senat avec 
ses cinquante-six membres. Mais cette restauration dura 
peu, les exces qui la suivirent fournirent a Innocent III le 
moyen de relever le senatoriat unique (l).Toutefois, le 
grand pontife ne put leguer a ses successeurs une situa- 
tion completement tranquille. On serait tente de croire 
qu'apres sa mort la dignite du senatoriat unique inspira 
au peuple des craintes serieuses de despotisme, car on eut 
alorslapensee de la partager en elisant deux senateur». 
Mais ce partage du pouvoir fit bientdt naitre de graves in- 
convdnients, et il dura peu. Bientot, a cause des factions 
qui divisaient la noblesse et jetaient de plus en plus le des- 
ordre dans la ville, le peuple, ne trouvant dans ses ci- 
toyens ni assez d'independance ni assez de force, jeta les 
yeux au dehors. Le premier senateur etranger appele pour 
gouverner Rome fut le celebre Bolonais Brancaleone d' An- 
dalo dei Gonti di Casalecchio (2). A cette ^poque les papes, 
absorbes par leur querelle avecTEmpire, presque toujours 
absents de la ville, ne s'occupaient qu'a demi de son gou- 
vernement. D'ailleurs, leur autorite y etait de nouveau re- 
tombee dans la nullite. La Papaute se trouve ici placee. 
dans une situation singuliere. Si elle regarde au loin, elle 
voit Tunivers a ses pieds ; si elle abaisse les yeux autour 
d'elle, elle se voit bravee par d'obscurs seditieux. C'est un 
spectacle unique de contempler la puissance qui detrone 
les rois, dispense les empires, arrete les guerres, dicte les 
traites de paix et commande a Topinion publique, faible, 
contredite dans sa capitale, reduite a errer loin d'elle. Le 
plus redou table des pontifes, celui qui avait abattu Fr4de- 



(1) Vita Innocentli III, ap. Baluze. 

(2) Curtiiis. 1. VII, c. vii.— Vitale, t. L p. 411. 



68 HISTOIRE DE LA PAPAUT^ LIV. I. 

ric II el port^ si haut la tiare, Innocent IV, ne rentra h 
Rome qu'en tremblant (<). Apr^s lui, Alexandre FV trans- 
porta sa cour k Viterbe. Son successeur, Urbain IV, put i 
peine, avec le secours de Robert de Flandre, trouver un 
asile dans Orvieto et P^rouse, 
II fautle dire toutefois, au treizi^me si^cle, cette situa- 

> 

lion deplorable de la Papaut^ n'dtait pas uniquement le fail 
de Tesprit turbulent du peuple romain, elle ^tait encore 
celui de Tantagonisme de deux factions connues sous lo 
nom de guelfe et de gibeline, et qui agitaient alors toutc 
ritalie. Sorties de TAUemagne, ces factions ne parurent 
pas d'abord devoir s'dlever au role c^lfebre qu'elles jou6- 
rent dans la suite; elles tenaient plutdt a.ux personnes 
qu'aux id^es, et semblaient destinies k s'^teindre avec 
les rivalites qui les provoqu^rent. Mais la lutte du Sacerdoce 
et de TEmpire dans la question des investitures leur donna 
tout a coup une importance impr^vue ; elles devinrent ra- 
pidement F expression des deux principes bellig^rants. La 
faction guelfe se rangea du cot^ du Saint-Sidge , la gibe- 
line fut ddvouee a Tautorit^ impdriale (2). Les intdr^ts 
que d^fendaient ces factions ^tant g^neraux, elles devin- 
rent g^n^rales elles-mfimes, et, du fond de la Calabre jus- 
qu'aux extr^mit^s de la Cisalpine, tout fut Guelfe ou Gibe- 
lin. Ce n'est pas que ces deux factions eussent acquis par- 
tout une somme ^gale de puissance. U y avait des villes 
presque tout enti^res guelfes, comme Florence; d'autres 



(1) Licet tristitiam sereno vultu palliaret, urbcm sollicilns et pavidus 
intravit. (Matthscus Paris^ ad ann. 1255.) 

(2) Les Guelfes soutenaient la preponderance du principe spirituel sur 
le principe lemporel, de TAme sur le corps, de I'Eglise sur TEtat; les 
Gibelins voulaientque la matiere fut independante de Tesprit, que TEm- 
pire ne relevdt pas de T^glise, que Tempereur ne fillt pas le vicaire du 
papc. 



LES GUELFES ET LES GIBELmS. 69 

presque tout entieres gibelines, comme Pise; mais dans 
toutes, les deux partis etaient representes. Ce qu'il y a de 
particulier, et ce qui ne s'explique que par la nature ita- 
lienne, nature si impressionnable, et sur laquelle Tamour 
et la haine exercent un pouvoir si absolu, c est que ces 
factions , d'abord exclusivement politiques , etaient deve- 
nues nationales et domestiques . On aurait dit qu elles se 
rattachaient a Texistence des peuples, et formaient une 
partie essentielle de leur condition sociale. On naissait 
Guelfe ou Gibelin, comme on naissait Italien. Aussi This- 
toire de la longue periode durant laquelle ces factions se- 
virent est-elle celle de ces factions. Tons les evenements 
qui la remplissent sont lies avec elle , s'ils n'y prennent 
naissance. 

Rome n'avait point echappe a Tempire de ces factions. 
Au contraire, bien plus que les autres villes, elle les avait 
vues des le principe se developper dans son sein, et me- 
ler'leur vivacite a Tesprit deja si revolutionnaire de ses 
habitants. Au commencement de la derniere moitie du 
treizieme siecle, ces factions avaient atteint leur plus 
grand developpement. Alors une circonstance speciale 
vint preter a leur antagonisme un nouveau degre d'exci- 
tation. Parmi les families illustres de Rome, il y en avait 
deux qui Temportaient de beaucoup sur les autres : c'e- 
taient la famille della Colonna, et la famille degli Orsini. 
De bonne foi, ou par flatterie, on faisait remonter Torigine 
de ces deux maisons au temps de TEmpire remain (4 ) . Rien 
de probable nejustifiait une semblable tradition. La cele- 
brite et la puissance de ces deux families dataient du dou- 

(\) Yoir Pietro Crescenzi, Corona della nobilita d'ltalia, 2® partie, in-4<», 
Bologna, 1659. — Annali di Ludovico Monaldeseo, ap. Murat., Script, rer. 
ital., t. XII, p. 555.— Hist, des Families de Rome, a la suite de I'Hist. des 
conclaves, t. II, Cologne, in-i2, 1705. 



70 niSTOIRE DE LA PAPAUTjfe, LIV. I. 

zi&me si&cle, ^poque oil ellcs commenc^rent h se montrer 
avec ^clat. Les Colonna occupaient les villes de Palestrina, 
de Capranica, de Pogliano, de Zagarolo, de Santo-Cesareo, 
de Colonna, et plusieurs autres places de moindre impor- 
tance. Les Orsini occupaient les forteresses de Santo-An- 
gelo, de Monte-Rotondo, de Castel-Marino. k la v^rit^, leur 
puissance domaniale le c^dait k celle de leurs adversaires; 
mais la superiority du credit compensait chez eux rinKrio- 
rite des possessions. Les factions guelfe et gibeline ^taient 
reprc^sent^es par ces deux families. Les Orsini tenaient pour 
la premiere, les Colonna, pour la seconde. A leur suite 
venaient les Savelli, les Stefaneschi, les Annibaldeschi, les 
Conti, les Gaetani, les Papareschi, et tous les seigneurs 
remains. Comme la noblesse, le peuple (Stait partag^ entre 
ces deux maisons. Le ddvouement des Colonna et des Or- 
sini au parti dont ils avaient dpousd les principes ^tail 
grand ; mais les inimitids qu'engendraient chaque jour 
entre eux les rivalitds d'ambition, les jalousies de credit,* 
la soif du pouvoir, dtaient plus grandes encore. L'on aura 
la mesure de leur vivacity, si Ton compte parmi leurs 
sources le besoin si impdrieux de venger des injures per- 
sonnelles. 

L'un des buts les plus importants de la politique des 
papes dtait d'humilier les Gibelins et de faire triompher 
les Guelfes ; elle dtait done opposde aux Colonna. Ce fut un 
coup de maitre de la part d'Urbain IV d'appcler au trdne 
de Naples Charles d'Anjou. Parccmoyen, il ne renversait 
pas seulement dans le plus beau fief du Saint-Sidge la do- 
mination hostile des Hohenstaufen, il se mdnageait encore 
un dnergique appui contre les Gibelins de Rome. Toute- 
fois, il ne ratifia qu'avec peine TofTre du sdnatoriat que le 
parti guelfe avait faite au conqudrant des Deux-Siciles. II 
craignait que la pr<isence d'un prince dtranger h Rome 






LES GUELFES ET LES GIBELINS. 71 

ne rabaissfiit la majeste de la tiare, et que la puissance 
d'un tel s^nateur n'affaiblit Tautorite papale. Aussi exi- 
gea-t-il secretement de lui la triple promesse qu*il n'accep- 
terait la dignite de senateur que pour cinq ans au plus ; 
qu'il la resignerait aussitot apres la conquete de son 
royaume, et qu*apres Tavoir deposee il ferait ses efforts 
pour la ramener au pouvoir du souveraiu pontife (1). Char- 
les promit tout, et tint loyalement tout ce qu'il avait pro- 
mis. Neanmoins, redevenu senateur pour dix ans sous 
Clement IV, a Tepoque de son expedition contre Conra- 
din, il inspira plus tard a Nicolas III des craintes assez 
serieuses pour que ce pontife lui demandal encore le sacrifice 
de sa dignite. Charles d'Anjou ne pouvait rien refuser au 
Saint-Siege, auquel il devait sa fortune. Nicolas III en pro- 
fita, dressa une constitution qui interdisait a Tavenir, a 
perpetuite, de choisir le senateur parmi les tetes couron- 
nees, et se fit elire lui-meme senateur pour sa vie (2). 

Nicolas III appartenait a la maison des Orsini ; son ad- 
ministration fut courte, mais vigoureuse. Les Orsini pri- 
rent, sous son pontificat, une grande preponderance. Mar- 
tin IV, qui lui succeda, marcha sur les traces de Nico- 
las III. II se remit en possession du senatoriat a vie, qu'il 
fit exercer d'abord par Pietro dei Conti et Gentile Orso, 
puis par Charles d'Anjou (3). Sous Martin IV et sous Hono- 
rius IV, quoique ce dernier appartint a la maison Savelli, 
devou^e aux Colonna, les Orsini et les Guelfes conserve- 
rent leur ascendant. Mais Nicolas IV, qui vint apres Hono- 
rius IV, abandonna les traditions de ses predecesseurs, et 
favorisa les Gibelins. Les Colonna prirent alors le dessus ; 



(i) Vitele, 1. 1, p. 152 et seq. 

(2) Raynald, ad ann. 1277, n°^ 75 et 76.— Vitale, 1. 1, p. 178. 

(3) Id., p, 186 el 187. 



72 HISTOIBE DE LA PAPAUT^, LIV. I. 

lis eurent deux membres de leur famille dans le sacr^ col- 
lege, Pietro et Jacopo Colonna, ct lult^rcnt dc puissance 
avee les Orsini. lis parvinrent m6me, en Tannde 1290, k 
faire proclamer par le peuple, seigneur de Rome, Jacopo 
Colonna. Co fanldmc de prince fut un instant promend en 
triomphe par Ics rues de la ville, aux acclamations de ia 
foule, qui Tappelait Cdsar (1). 

Alors commenga entre les deux maisons rivales une 
lutle sanglante et acharnde. Pendant les deux anndes d'in- 
terrftgne qui suivirent la morl de Nicolas IV et Tadminis- 
Iration flottanlc de Cdlestin V, Rome fut un thddtre d'd- 
meules, d'incendie et de carnage (2). En 1292, k la suite 
d'un combat terrible, les deux partis so ddcidferent k tran- 
siger. Stefano Colonna et Orso de' Figli d'Orso furent dlus 
conjointement sdnateurs, Mais cctte paix dura peu; 
Orso dtant mort au bout d'un mois, ct Stefano Colonna 
ayantrenoncd h sa dignitd, les seditions rccommenc6rent. 
La ville rcsta six mois privdc de sdnateur, c'est-i-dire sans 
gouvcrncment. A la fin, on dlut Pietro di Stefano GaStano 
etOttone di Santo-Eustachio (5) ; mais Tadministration de 
ces deux hommes, quoique pris dans le parti de la neu- 
trality, ne ramena point Ic calmc. Le ddsordre dtait h son 
comble, etiaPapautd, d'ailleufs si faiblemcnt reprdsentdc 
alors par Cdlestin V, dtait menacde de perdrc toute aulo- 
ri Id dans Rome (4), 

Cependanl, vers la fin de Tannde 129^, celte honteuse 

(1) RoiDAni fecerunt dominum Jacobum do Columna eorum domiuum, 
et per Romam duxerunt eum super currum, more imperatorum, et voca- 
bant eum Gcesarem. (Gronaca di Parma, ap. Murat., Script, rer. italic, 
t. IX, p. 819.) 

(2) Boninconlrius, ap. Gurtium, 1. VII, c. viii, p. !(58. 
(5) Vitale, 1. 1, d. 202.— Gurtiui, p. 559. 

(4) Luigi Tosti, Storia di Bonifazio VUI, in-S^, 2 lorn., Monle-Gas^iiio, 
1846, 1. 1, 1. I, p. 57 et seq. 



CELESTIN V. 75 

anarchic parut toucher a son terme. Benedetto Gafitani fut 
porte, sous le nom de Boniface VIII, au si^ge que Celes- 
tin Y, redevenu Thumble ermite Pierre Morone, avait laisse 
vacant par une heroique abdication. Ici nous devons com- 
mencer a raconter les faits avec plus de details. Tout le 
monde sait comment, apres la mort de Nicolas IV, le con- 
clave, pour mettre fin a un interr^gne qui durait depuis 
dix-huit mois, avait port^ ses vues sur le pauvre cenobite 
que nous venons de nommer. Mais cette Election extraor- 
dinaire etait a peine acceptee, que deja le sacre college re- 
connaissait son erreur. C etait Tautorite du cardinal Latino 
Mallabranca qui avait, dans cette affaire, entraine ses col- 
logues (I) ; mais lui-meme, naguere si profondement con- 
vaincu que la saintete de Morone suffisait a tout, ne tarda 
pas a parlager leur sentiment sur le choix qu'il avait con- 
seille. L'incapacite de Gelestin V eclatait dans ses moindres 
actes. Arrachd tout a coup aux extases de la contemplation, 
etranger au monde, a son mouvement, a ses passions, 
Fexperience des hommes et des choses lui manquait. A 
Taspect de ce corps extenue par les macerations, de cette 
nature abimee dans les profondeurs de la prifere, de cette 
' nature palpitante de Tamour divin et deja celeste par Tha- 
bitudede ses communications avec Dieu, on aurait dit un 
ange ; mais, pour occuper la place eminente du vicaire de 
Dieu sur la terre, c'etait un homme qu'il fallait, et un homme 
initie a tons les my stores, a tons les besoins, k tons les res- 
sorts de la vie humaine. Pendant qu'enferme dans une cel- 
lule qu'il s'^tait fait construire dans Tinterieur m6me de 
son palais, il vaquait a Toraison, comme s'il edt habite sa 
chere solitude de Sulmone (2), tout etait en confusion 

{i) Ptolomeei Lucensis Hist, eccles., c. xxx. — Opus raetricum card, 
S. Georgii, 1. II, c. i. 
(2) Fabricata intra palatium lignea camerula, concludebat removebatque 



74 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. 1. 

dans le gouvernement de Tfiglise. Les curiaux abusaienl 
de son autorite pour sanctionner des actes iniques, simo- 
niaques. Les memes graces etaient accordees a deux, trois, 
quatre personnes a la fois, et Ton employait a ce trafic 
scandaleux des parchemins marques en blanc du sceau 
pontifical (4). Lui-m^me ne savait refuser aucune de- 
mande, et dispensait sans le moindre discernement les di- 
gnites ainsi que le tresor ecclesiastiques (2) . 

Charles II, dit le Boiteux, roi de Naples, apergut bientot 
ce qu'il y avait a gagner pour la maison d'Anjou avec un 
tel pontife, incapable, vu sa simplicite, de calculer la por- 
teede ses actes. II reussit d'abord aTaltirer a Naples (3). La, 
entourant le faible vieillard de conseils interesses auxquels 
il savait habilement preter la couleur du bien general de 
rfiglise, il lui fit faire une promotion de douze cardinaux, 
choisis parmi ses creatures les plus devouees (4). Puis, 
sous le pretexte specieux de prevenir le retour d'un inter 
regne comme celui qui venait d'affliger I'Eglise, il Tenga- 
gea a renouveler la constitution de Gregoire X sur la ri- 
gueur du conclave. Ce decret fut immediatement suivi 
d'un autre, par lequel le pape deliait Charles du serment 
quil avait fait, sur la demande des cardinaux, de ne point 

se a turbis hominum, vacans Deo solum instansque orationibus. (Maphaeus 
Vegius, in Vita Celestini V.) 

(i) Hinc factum est ut Celestinus deciperetur... propter inexperientiam 
regiminis, circa fraudes et versutias, quibus curiales multum valent. Unde 
inveniebantur gratise factae tribus, quatuor vel pluribus personis; mem- 
brana etiam vacua ^ sed bullata. (Ptolomsei Luc, Hist, eccles., 1. XXIY, 

C. XXXI.) 

(2) Bzoyius, ad annum 1294. 

(5) Rex Carolus ordinavit cum Ga^lestino... quod curia transferretur 
Neapolim. (Ptolom. Luc, 1. XXIV, c xxxi.)— Subductus Carolo... Parlhe- 
nopen dellexil iter. (Card. S. Gcorgii Op. metr., I. HI, c ix.) 

(4) Ptolom. Luc , lib. XXI, c xix. 



CELESTIN V. 75 

retenir la cour romaine dans son royaume (1). Sans s'en 
apercevoir, Celestin livrait le pouvoir pontifical aux mains 
de rartificieux monarque. Tout ce qu'il y avait autour de 
lui d'hommes senses g^missait de cet abaissement de la 
Papaute. On y parlait m6me librement d'une abdication 
comme du seul moyen capable de remedier au mal (2). 
Ces discours arriverent jusqu aux oreilles de Celestin, 
et iirent sur son esprit une impression profonde, que vint 
augmenter encore un avis emane d'un religieux mineur, 
auquel ses talents, ses vertus, ses fautes, les excentricites 
de sa vie, ont acquis une singuliere celebrite. Ce religieux, 
connu sous le nom de Jacopone da Todi, etait ne dans 
cette ville. Sa famille, celle des Benedetti, y tenait un rang 
distingue. Son vrai nom etait Jacopo, mais on le changea 
plus tard, par derision, en celui de Jacopone, c'est-a-dire 
grand Jacques, a la suite de certaines foliesqu'il se permit 
publiquement, dans un moment de ferveur, pour se faire 
croire insense. 11 exerga d'abordla profession de juriscon- 
sulte avec eclat, et se laissa aller aux ecarts d'une vie mon- 
daine. Mais, ayant perdu, par un affreux accident, une 
epouse qu'il aimait avec passion, il se convertit, et em- 
brassa le tiers-ordre de Saint-Frangois. 11 eut beaucoup a 
souffrir de la part des religieux, qui le croyaient reellement 
insense. II nese plaignit jamais de leur mepris, et s'en ser- 
vit merveilleusement pour se former a Thumilite. De tons 
les souvenirs du si^cle, Jacopone n'emporta dans le cloitre 
que I'amour des lettres . L* heroisme de son abnegation n' avait 
pas ete jusqu'a le depouiller de ce bien. Au milieu des tra- 
vaux de la penitence et des fonctions les plus basses de la 
vie religieuse, il trouvait du temps pour ecrire des vers, 

(l)LuigiTosti, t. I, p. 65. 

(2) Multum stimulabant eum ut papatui cederet. (Ptolom. Luc, 1. XXIV, 

C. XXXII.) 



76 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. I. 

cl'une pofeie rude k la v^rite, et d^pourvue d'harmohie, 
comme la po^sie de cette epoque, mais pleiris del verve, 
d'onction, et de ces sentiments sublimes de piet^ dont son 
kme d^bordait. On peut en juger par cette tnelop^e si 
touchante du Stabat Mater y qui lui est attribue (1). 

Cependant Jacopone ne faisait pas toujmirs des cantiques; 
il se permettait quelquefois des satires, et nous en avons 
un livre entier de lui. Parmi le notnbre de ces pieces, il 
s*en trouvc une adressee a Celestin V, dans laquelle le 
poSte avertissait hardiment le pape de prendre garde; que 
la Papaute etait une redoutable epreuve pour k vertu ; qu'il 
etait en spectacle a tons les regards; que la cour romaine lui 
paraissait une fournaise destiriee a discerner Tor pur de Tal- 
liage ; qu'il y avait un danger imminent d'y perdre Dieu. Le 
canzone signalait les intrigues des curiaux et des flatteurs (2) . 

Celestin V n'avait accepte le souverain pontificat que 
pour ne pas se montrer rebelle k la volonte de Dieu; il crut 
entendre, dans les paroles du frere Jacopone, Texpression 
de cette volonte qui T avertissait de deposer un fardeau trop 
lourd pour ses epaules. Mais ici se pr^sentait k sa con- 
science timoree une difficulte : un pape pouvait-il abdi- 
quer ? Dans Fincertitude ou elle le jeta, il voulut s'eclairer, 
et appela pres de sa personne celui de ses cardinaux qui 
avait la plus grande reputation de talent et de doctrine. Ce 
cardinal etait Benedetto Gaetani. La question du pape em- 
barrassa d'abord ce prelat; il y entrevit des dangers pour 
lui, et chercha a en d^cliner la solution (3). Uri temoin va 

(1) LuigiTosti, p. 190 et 191.--Tiraboschi , Storia della litteratura 
ital., t. V, part. II, 1. Ill, n*' 5. 

(2) L. I, sat. xv. 

(3) Gur^ pater, his opus est? quoenam canctatio caram 
Ingerit? tantis absiste gravare quietem. 

(Card. S. Georgii Op. metr., 1. Ill, c. xxn.) 



CELESTIN V. 77 

mSme jusqu'a dire que Benedetto conseilla au samt-p^r^ 
de ne point donner suite a son projet d'abdication, parpe 
que le sacre poll^ge pouvait suppleer a son insuffi$ance et 
n'avait besoin que de son nom (1). Mais, commeC^lestin, 
peu satisfait de ces paroles vagues, soUicitait une r^ponse 
positive k sa question, Benedetto, pouss^ a bout, dit enfin 
qu'un pape pouvait r^signer la tiare, s'il avait des raisons 
suffisantes pour le faire (2). Le pape ne s'en tint pas la; il 
consulta encore, a plusieurs reprises, d'autres membres 
du sacre college, qui lui firent la m^me r^ponse (3). Alors, 
sa resolution fut d^finitivement arrStee. En vain la tourbe 
des courtisans, dont Tinexp^rience de C^lestin V favori- 
sait Tambition, en vain le roi de Naples, mirent-ils en oeu- 
vre, pour Ten detourner, toutes les ressources de Tartifice, 
il y resta in^branlable (4) . 

Le 15 decembre 1294, le saint pontife convoqua les 
cardinaux a un consistoire, parut devant eux revetu de la 
ohape rouge et de tons les ornements pontificaux, et lut 
en cet ^tat Facte de sa renonciation. Apres quoi, se d^ 
pouillant lui-meme des insignes de la Papaute, et repre- 
nant Thabit grossier de Termite Morone, il prit cong^ de 

(i) Gomprobari potuisset ex pluribus tunc viventibus dominoin Bonife- 
cium papam octavum... persuasisse domino Gselestino quod ppn renun- 
ciaret , quia sufficiebat collegio, quod nomen suae sanctitatis invocaretur 
super eos. (^gidius Golumna cardinalis.) 

(2) Gard. S. Georgii Op. metr., 1. Ill, c. xn. — M. S. Vatic, ap. Tosti, 
pieces justificatiTCs, note E. 

(3) Vocat iiide alium quo certius esset 
Gonsilium. 

Et peu apres : 

Attamen absconsi pan4it secrcta cubilis 
Nonnullis procerum, quorum consulta reposcit. 

(Op. metr., loc. cit.) 

(4) Ptolom. Lucens., 1. XXIV, c. xxxi.— Luigi Tosti, p. 67. 



n 



78 eiSTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. I. 

Tassemblee, qui Taccompagnait en fondant en larmes et 
en recommandant a ses pri^res le veuvage de Ffiglise (1). 
On raconte qu'au moment ou il descendit du trone il 
gu^ritun boiteux (2). 

Le Saint-Siege etait vacant, il fallait leremplir. Dix jours 
apr^s Tabdication de Celestin V, la veille de Noel, les vingt- 
deux cardinaux qui composaient la cour romaine entre- 
rent au conclave, et, avant la fin du premier jour, tons 
les suffrages etaient reunis sur la t6te du cardinal de Saint- 
Sylvestre et de Saint-Martin-aux-Monts, Benedetto Gae- 
tani (5). Celui-ci ^tait ne a Anagni, dans la campagne de 
Rome, vers Tannee 1247 (4). Cette ville avait deja fourni 
a rfiglise trois illustres pontife^, Innocent III, Gregoire IX 
et Alexandre IV, et elle etait le berceau de cinq grandes 
families romaines, celles de Ceccano, de Toscanella, de 
Frajapane, de Collemedio et d'Anibaldesca, auxquelles 
etaient venues se joindre celles des comtes de Segni et de 
Gaetani. Cette derniere tirait son origine de Gaete, comme 
son nom Tindique, et Ton ignore comment elle se trouvait 
^tablie k Anagni. Tout ce qu'on sait de son histoire, c'est 
qu'au commencement du treizi^me siecle Loffredo Gaetani, 
fils de Matthia Gaetani, epousa une femme dei Conti, niece 
du pape Alexandre IV, dont il eut plusieurs enfants, entre 
autres Benedetto (5). 

De bonne heure Gaetani se fit remarquer par la pene- 
tration de son esprit et la vivacite de son caractere. II reQut 
a Velletri, dans le convent des freres mineurs, les premie- 

(i) Card. S. Georgii Op. metr., I. Ill, c. iyi. 

(2) Rubeo, Vita Bonifacii VIII, p. 17. 

(3) Card. S. Georgii , in prsefatione Operis metrici. 

(4) Nous suivons ici Topinion de Rubeo, in Vita Bonifacii VIII, in-4'*, 
Romse, 1651, p. 221. 

(3) Luigfi Tosti, Storin di Bonifacio Vlli, I. I, p. 30. — Uubeo, p. 1 et 2. 



ELECTION DE BONIFACE. 79 

res teintures de la religion et des lettres. On Ty avait confie' 
a la sollicitude d'un frfere nomm6 Patrasso, qui veillait 
sur lui comme un pere. Benedetto se souvint toute sa vie 
des soins que lui avait donnes ce bon frere, et le promut 
plus tard au cardinalat (1). Ses progres dans le droit civil 
et le droit canonique lui acquirent une grande reputation, 
et cette reputation lui ouvrit la porte des dignit^s eccl^- 
siastiques. Les chapitres canoniauxd'Anagni, de Todi, de 
Lyon, de Saint-Pierre-du-Vatican, le compt^rent au nom- 
bre de leurs membres. II fut successivement notaire apos- 
tolique et avocat consistorial. Plus d'une fois les papes 
Temployerent dans des legations importantes, en France, 
en Portugal, dans le royaume de Naples, oA il acheva de 
se rompre aux affaires. Enfin Martin IV le crea cardinal- 
diacre du titre de Saint-Nicolas in career e Tulliano. II etait, 
a Tepoque de sa promotion au souverainpontiticat, cardi- 
nal-prfitredu titre de Saint-Sylvestre et de Saint-Martin-aux- 
Monts (2) . Quoique d'un &ge deja avance, son ame n' avait rien 
perdu de Tardeur et de Tenergie de la jeunesse. Petrarque 
nous a peint Boniface VIII comme un homme puissant et 
inexorable, difficile a vaincre par les armes, et incapable 
de flechir devant la soumission et les caresses (3) . Inexo- 
rable, il ne r^tait pas ; incapable de flechir devant la sou- 
mission, il flechit plus, d'une foii?, car les grandes ames 
sont genereuses. Mais c' etait un de ces hommes d'elite, en 
qui la hauteur du caractere est au niveau du talent, un 
de ces hommes vigoureux qui sentent leur mission et vont 
a leur but avec Tinflexibilitc d'une conscience mue par 
la volenti divine. (Voir Pikes justificatives, ti" 1.) 

(1) LuiglTosti, p. 51. 

(2) Rubeo, p. 5. — Voir Tosli, passim., t. L 

(3) Potentem ita inexorabilem, quern armis frangere difficillimum, hu- 
militate seu blanditiis ilectere impossibiie. (Famil., 1. II, ep. in.) 



80 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. I. 

Aussitdt ^prfes son ^leclion, Bpffifece VIII partit 4« Na- 
ples pour revenir k Rome, passa par Capoue, et visita sur 
sa route le moutCas3in, ainsi qu'Anagni, sa ville natale. 
II trouya dans cette cit^ une deputation de nobles citoyens 
romains, charges de lui remettre le pouvoir d'elire le se- 
nateur. Les plus grands honneurs raccueillirent partout. 
Rome, k cet ^gard, surpassa ce qu'elle avait jamais fait 
pour ses pontifes les plus aimes (1). Les factions sem- 
blaient s'fitre enfuies k sa presence pour ne point troubler 
le concert unanime d*enth,ousiasme que manifestaient tons 
les ofdres de Tfitat. Boniface profita du repos qu'eiles lui 
permirent pour saisir les r^nes du gouvernement, que la 
faiblesse ou la rapide succession de ses pr^d^cesseurs avait 
laissees Hotter. La situation de la R^publique chr^tienne 
demandait alors qu'une tete habile dirigeat une main vi- 
goureuse. Au nord, les rivalites d'Adolphe de Nassaw et 
d'Albertd' Autriche pour FEmpire divisaientF AUemagne. Le 
roi de France Philippe leBel et Edward I", roi d*Angleterre, 
commeuQaient cette lutte qui, suspendue pendant quel- 
ques ann^es, devait, plus tard, conduire la France sur le 
penchant de sa ruine. A Torient, les colonies chr^tiennes, 
tomb^es sous le joug musulmau depuis la prise de Ptol^ 
mais, tendaient des mains suppliantes k loccident, lap- 
pelant a un grapd et g^n^reux effort. Au midi, la Sicile, 
toute d^gouttante encore du sang frangais r^pandu dans 
les V6pres siciliennes et rang^e sous le patronage de 
la maison d'Aragon, d^iiait egalement les censures de 

(i) Hie nobilium procerum pars magna vetuslsB 
Urbis, in adventum pap» defcrre senatuni 

Yenerat 

Roma velut sponsum remeantem carcere ab ho»ti9, 
Exceptura foret, frontem vestita coronis, 
Vadit in occursum. 

(Card., S. Georgii, I. II, c. y.) 



AFFAIRES DE SICILE. 81 

rfiglise et les armes de Naples, tandis que le contre-coup 
de cetterevolte se faisait ressentir en Espagne. En Italie, 
Venise, Genes ei Pise etaient en guerre. La Toscane s'agi- 
tait, emue par les Noirs et les Blancs, factions nouvelles 
sorties de Pistoie, et qui envahissaient les villes avee la 
rapidite d'un torrent. 

Boniface VIII se mit a Toeuvre. Son but etait de retablir 
la paix partout, afin de lancer ensuite centre les infideles les 
forces des princes Chretiens, unis desormais dans une meme 
pensee et un meme zele. II s*ou\re de ce projet a Edward, 
dans une lettre datee de Velletri, le 5 des kalendes de 
juin (1). Mais les haines reciproques etaient trop vives 
pour ceder aux exhortations pacifiques du pere commun 
des fideles. Les efforts du pape echouerent partout d'a- 
bord,. excepte en Aragon. Par la mediation de Boniface, 
un traite de paix fut conclu entre Jacques, roi d'Aragon, 
et Charles II, roi de Naples, a la condition que Jacques re- 
connaitrait le tribut annuel de trente onces d'or que son 
aieul avait consenti envers TEglise romaine; qu'il pren- 
drait part a T expedition sainte, preteraitson concours pour 
faire rentrer la Sicile sous Tobeissance de son legitime 
seigneur, et commencerait d'abord par en retirer les corps 
auxiliaires aragonais. En d^dommagement, Boniface pro- 
mit secretement a Jacques la souverainete de la Sardaigne 
et de la Corse, deux anciens fiefs du SaintrSiege, souve- 
rainete qu il confera solennellement a ce monarque Tan- 
n^e suivante, 1 297 (2) . 

Une allegresse gen^rale eclata a la nouvelle de cette 
paix ; mais elle dura peu. Les Siciliens n'avaient point ^te 
appeles aux negociations. Quand ils en apprirent le resul- 

(1) Raynald, t. XIV, ann. 129a, n° i3. 

(2) Raynald, ann. 1297, n** 2. — Mariana, de Rebus Hispanise, 1. XIV, 
c. XIV et xvn. 

6 



82 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. I. 

tat, les grands du royaume, indign^s de. retomber sans 
leur aveu sous une domination qu'ils detestaient, deputy- 
rent au roi d'Aragon pour le supplier de ne pas abandon- 
ner ses fideles sujets, et, sur le refus constant du mo- 
narque de manquer a la foi des trait^s, ils se pr^parferent 
a proclamer roi de Sicile Frederic, son fr^re (1). 

Pour prevenir ce coup, qui brisait ses plus cheres espe- 
rances de pacification, Boniface avait deja essaye de gagner 
le jeune prince par de brillantes promesses (2). II lui ecrivit 
alors des lettres pleines des exhortations les plus sages 
pour Tinviter a ne point accepter un titre qui ne serail 
qu'une odieuse usurpation. Deux legats furent charges 
de porter cette lettre a Fr^d^ric, et de recueillir sa re- 
ponse (3). Le pape avait un tel desir de la paix, que les 
deux legats devaient offrir aux Siciliens de tracer eux- 
mfimes, sur un parchemin blanc revetu du sceau pontifi- 
cal, les conditions auxquelles ils mettaient leur soumis- 
sion. Mais les grands de Tfitat rendirent ces nouvelles 
avances inutiles. L'un d'eux, Pietro d'Ansalone, declara 
aux representants du Saint-Siege que les Siciliens avaient 
definitivement resolu de proclamer Frederic roi, et, ti- 
rant son glaive : a Ce n'est point, ajouta-t-il, avec du parche- 
min, mais avec le fer que les Siciliens cherchent la paix. » 
Puis il leur intima, sous peine demo.rt, de quitter Tile (4) . 
Quelques mois apres, Frederic etait couronne a Palerme. 

G'est ainsi que la Sicile retomba dans les horreurs de la 
guerre. Mais Boniface lui-meme ne devait pas tarder a 
renoncer, pour ce qui le concernait, aux projets paciti- 

(i) Mariana, 1. XIV, c. xvii. — Nicola! Specialis rerum siculanim, 

1. II, C. XXII. 

(2) Mariana, 1. II, c. xii. 

(5) Raynald, ann. 1296, n**» 8 et 9. 

(4) Wicolai Specialis, 1. II, c. xxiv. 



LUTTE DE BONIFACE VIII CONTRE LES GIBELINS. 85 

ques. Les factions, un moment endormies, se reveillaient 
a Rome. Une querelle du pape avee les Colonna etait la 
cause ou le pretexte de ce mouvement, qui menaga bientdt 
le Saint-Siege de toutes les fureurs d'une reaction gibe- 
line. Quoique les Gaetani appartinssent de longue date au 
parti des empereurs (1), Boniface etait Guelfe plus encore 
par principe que par sa position. En effet, Tidee de la do- 
mination de Tesprit sur le corps, de ce qui est divin sur 
cequi esthumain, deTfiglise, en un mot, sur les pouvoirs 
terrestres, devait naturellement sourire a cette ame, dans 
laquelle respirait une intelligence si haute et si fiere. 
D'ailleurs, les vues du parti gibelin etaient tellement op- 
posees aux interets de TEglise, tout recemment le Saint- 
Siege s'etait si mal trouve de Talliance qu'il avait faite avec 
lui, qu'un pontife du caractere de Boniface devait, moins 
qu'aucun autre, lui etre favorable. Les chefs de ce parti 
s'apergurent bien vite qu'ils n'avaient jamais eu de plus 
grand adversaire. Aussi, jamais pontife n en fut-il plus 
deteste. Les ecrivains paiens n'attaquerent pas les Chre- 
tiens avec plus de haine que les historiens gibelins n'ont 
attaque Boniface VIU. Pour cela, les calomnies les plus 
atroces ne leur coutent rien. Nous verrons en effet que, 
pour nuire a celui qu'ils regardaient comme le plus grand 
fleau du parti, toutmoyen leur paraissait legitime. 

Toutefois, quelque prononce que fut Boniface contre les 
Gibelins, son intention n' etait pas de rompre ouvertement 
avec eux. II savait que, dans la pratique du gouverne- 
ment, il faut faire quelquefois, pour eviter des embarras, 
le sacrifice de ses repugnances aussi bien que de ses sym- 
pathies, et Ton ne doit nuUement lui imputer la guerre 



(1) La famille des Gaetani avait suivi le parti de Manfred. (Luigi Tosti, 
t. 1, p. 30.) 



84 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. I. 

qui eclata tout a coup entre lui et les Golonna. L'origine 
de cette guerre est obscure ; pourtant il n'est pas impossi- 
ble de la d^brouiller. Deja, du temps de son cardinalat, un 
demfile grave, sans que Ton disc pour quelle cause, s'^ait 
e\e\e entre lui, Benedetto Gaetani, et les deux cardinaux 
Jacopo et Pietro Golonna. Trop faible pour lutter avec 
avantage contre la puissante maison des Golonna, il avait 
6te assez sage pour dissimuler son ressentiment et ^toufr 
fer une affaire qui aurait pu amener la ruine des Gaetani. 
Les griefs s'etaient meme si bien accommodes dans cette 
circonstance, qu'une amitie reciproque en etait sortie, 
etque, pour la cimenter, les Golonna et les Gaetani s*e- 
taient unis par des alliances. Les choses en etaient Li 
quand les suffrages reunis des Golonna et des Orsini por* 
terent Benedetto a la Papaute (1). Or, tout permet dfe croire 
que, dans les premiers temps qui suivirent, les bons rap- 
ports continuerent ; car Boniface t^moigne lui-m6me, 
dans une de ses buUes (2), qu'il avait accepte une invita- 
tion des Golonna au chateau de Zagarolo, ou ceux-ci le trai- 
t^rent avec une royale magnificence. Mais ils eurent peu 
de part a la distribution des graces ; aucun s^nateur ne 
fut choisi parmi eux. Ils comprirent qu'ils n'avaient point 
la confiance du pape, et leur fiert^ s'en indigna (3). 

Dans cette disposition des esprits, il ne fi^Uait qu'un 
pr^texte pour raviver les ressentiments anciens. Les Go- 
lonna fournirent ce pretexte. Plus de quarante annees 
avant, Giordano Golonna etait mort, laissant pour heri- 
tiers de ses liombreuses possessions: cinq fils, savoir : 
le cardinal Jacopo, Giovanni, Gddone, Mattheo et Landolfa. 

(1) Francisci Pipini Chronic, ap. Murat., t. IX, 1. IV, c. xlv, 

(2) Bulla : Lapis abscissus, ap. Raynald, 1297, n^ 57. 

(5) Francisci Pipini Ghron., loc. cit. : Ntillis eos honoribus sen gratiis 
promovebat 



LUTTE DE BONIFACE VIIl CONTRE LES GIBELINS. 85 

Ghacun de ces heritiers avait une part determinee dans 
la succession. Mais, d'un accord unanime et par un acte 
passe entre eux le 28 avril 1252, ils laisserent Tadminis- 
tralion de leur patrimoine communa Jacopo, Taine (1). Ge- 
lui-ci le regissait encore en 1296, bien que Giovanni fut 
mort depuis quatre ans, ei qu'il exit laisse pour recueillir 
sa portion six fils, savoir : Pietro, deja cardinal, Stefano, 
Giovanni, Jacopo, Oddone et Agapito. Or, Jacopo, au lieu 
d'user en bon pere de famille du bien dont il avait la 
garde, le detournait a son profit, ainsi qu'a celui de ses 
neveux, au detriment de Mattheo, d'Oddone et de Lan- 
dolfo, reduits a la pauvrete. Ges faits parvinrent au pjipe, 
qui ne put tolerer une pareille injustice, et inlerposa ses 
bons offices pour mettre un terme a la tyrannic du cardi- 
nal, et faire restituer aux parties lesees ce qui revenait a 
chacune d'elles des biens paternels. Pour faciliter un arran- 
gement, il imagina d'offrir de grands avantages aux six ne- 
veux, Mais ces hommes rapaces, incapables de compren- 
dre le procede genereux du pontife, refuserent d'y consen- 
tir, etlesdeuxcardinaux, fremissants de colere, sortirent 
de sa presence et n'y reparurent plus (2) . 

Parmi les freres du cardinal Pietro, il en etait un du 
caract^re le plus odieux : c'etait Jacopo. On Tavait sur- 
nomm^ Sciarra, c'est-a-dire dispute, a cause de son hu- 
meur intraitable et querelleuse. Malheur a qui Tavait of- 
fense ! il eprouvait tdt ou tard les effets de sa haine ; cet 
homme violent ne menagerait rien quand il s'agirait de se 
venger. Profondement irrite du jugement porte par Boni- 
face, et briilant de le lui faire expier, il saisit le moment 
ou douze chevaux transportaient a Anagni le tresor de ce 

^i) On peut voir cet acte dans Luigi Tosti, docum. N. 
(2) Bulle : Praeteritorum, ap. Raynald, 1297, n° 29. 



85 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. I. 

pontife, et, de concert avec Stefano, son frere, il altaqua le 
convoi sur la route et le devalisa (1). 

Get acte etait celui d'un brigand. Toutefois, telle etait 
la magnanimite de Boniface, qu'il ne s'en plaint meme 
pas dans la bulle (2) ou il recapitule les injures des Co- 
lonna envers le Saint-Siege. Mais ceux-ci ne s'en tinrent 
pas la : ils lierent des intelligences avec le tyran de la Si- 
cile, Frederic, et regurent les emissaires secrets que ce 
prince envoyait a Rome dans le but de s'y former un parti (3) . 

Instruit de ces connivences perfides, Boniface employa 
tantot la douceur, tantot la menace, pour engager les Colonna 
a les cesser, mais toujours en vain. Alors il crut devoir 
leur oter les moyens de nuire a Tfitat ; et, usant de son 
droit de seigneur suzerain, il envoya aux deux cardinaux 
Jacopo et Pietro Tordre d'ouvrir aux garnisons pontificales 
les portes de Palestrina, de Colonna et de Zagarolo, de 
peur, disait-il, que ces places ne devinssent Tasile des en- 
nemis de I'Eglise (4). Mais les deux cardinaux opposerent 
un refus formel a cette sommation. Ils allerent encore 
plus loin, et, non contents de braver Tautorite du papa, 
ils chercherent a soulever dans le public des doutes sur la 
legitimite de son election. On ne pouvait blesser plus sen- 
siblement Boniface. Aussi, a ce dernier trait, ne songea- 
t-il plus qu a punir. Le 4 mai 1297, un clerc de la mai- 
son pontificale se rend aupres des deux cardinaux Jacopo 
et Pietro Colonna, et les cite a comparaitre le lendemain 
en presence du pape et du sacre college, pour s'expliquer 
sur leur conduite, et declarer neltement s'ils reconnais- 



(i) Mag. Chronic, belgicuni, ap. Uislor. rer. Germ, script., edit, Batisb., 
t. Ill, p. 297. — Francisci Pipini Chron.^ 1. IV, c. xlv. 

(2) Bulle : PraBteritorum. 

(3) Bulle : Praeteritorum, n'' 28. • 
(4). Bulle : Praeteritorum, n° 29. 



LUTTE DE BONIFACE VIII CONTRE LES GIBELINS. 87 

sent dans Boniface le legitime vicaire de Jesus-Christ (1). 

Les deux cardinaux n^obeirent point a la citation. Bo- 
niface s'y attendait sans doute, carle6mai, c'est-a-dire le 
lendemain, parut contre les coutumaces une bulle fulmi- 
nante, dans laquelle, apres avoir resume les griefs passes 
et presents du Saint-Siege contre la famille Colonna, et lui 
avoir reproche de ne s'6tre monlree sensible aux bienfaits 
non plus qu aux menaces, le pape declare le temps des 
avertissements passe et Theure du chaliment arrivee, et, en 
consequence, depose les deux cardinaux de leur dignite, 
les prive des emoluments qui y sont attaches, lance sur 
eux une sentence d' excommunication, qu'il etend a leurs 
partisans, rend inhabiles a recevoir les saints ordres Od- 
done et Giovanni, neveux du cardinal Jacopo, ainsi que 
leurs enfants jusqu'a la quatrieme generation, ajoutant 
une nouvelle citation, pour les deux cardinaux, a compa- 
raitre devant le Saint-Siege apostolique, dans Tespace de 
dix jours, sous peine, ce delai expire, de voir tons leurs 
biens meubles et immeubles confisques (2). 

Les Colonna, au lieu de se rendre a cette seconde cita- 
tion, se reunirent a Longhezza, dans la maison de Pietro 
dei Comti, et la firent rediger, par le notaire Domenico 
Leonardi, un Memoire dont ils affich^rent des copies aux 
portes de la ville, a celles des eglises, et jusque sur I'au- 
tel de Saint-Pierre (3). Les auteurs de ce Memoire y soute- 
naient que Celestin V n'avait pu abdiquer, que Boniface 
n'etait point pape, et, consequemment, ils en appelaient a 
Tautorit^ d'un concile general (4). Au nombre des temoins 

(1) Preuves du differend de Boniface VIII et de Philippe le Bel. par Si- 
mon Vigor, in-fol., p. 35. 

(2) Bulle : Praeteritorum, ap. Raynald. 

* (5) Bulle : Lapis abscissus, ap. Raynald, ann. 1297 
(4) Voir cettc piece, Preuves du differend, 54. p . 



88 HISTOIRE DE LA PAPAUTEl, LIV. I. 

de cet acte, on voit avec etonnement figurer ce m^me Ja- 
copo da Todi, que nous avons trouve parmi les instiga- 
teurs les plus ardents de Tabdication de Celestin V, et qui 
ecrivait alors contre son successeur des satires pleines de 
calomnies et d'injures (1 ) . Comment cet homme, d'une piete 
si touchante , etait-il devenu un des ennemis les plus 
acharnes de Boniface? L'histoire ne le dit point. Peut-etre 
Texaltation de sa tete, dout il avait donne des preuves par 
la bizarrerie de sa devotion, etait-elle pour quelque chose 
dans ce changement. Mais quelle que soit la cause d'un fait 
si etrange, on se demande, en le lisant, s'il n est pas 
quelquefois dans les jugements impenetrables de Dieu 
d'humilier ses saints, lorsqu'il permet de si honteuses 
chutes. 

Le but du Memoire calomnieux n etait point deguise : 
c'etait d' exciter un schisme, dans lequel Boniface, occupe 
de defendre sa dignite, cesserait d'etre un adversaire re- 
doutable. Mais ce Memoire n'emut point Topinion publi- 
que, comme les Colonna s'en etaient flattes. On le lut avec 
indifference, tout en admirant I'audace de ceux qui Ta- 
vaient ecrit. Pendant ce temps-la, Boniface preparait la 
bulle qui devait les abattre. Cette buUe parut le jour meme 
de r Ascension, 23 mai. Le pape y confirmait toutes les 
sentences deja portees contre les deux cardinaux, confis- 
quait leurs biens, les rendait incapables de tester ; puis 
lan§ait T excommunication sur les autres membres de la 
famille, savoir : Stefano, Jacopo Sciarra, Agapito, San- 
vito et Oddone; les declarait tons inhabiles a exercer 
aucune charge, tant ecclesiastique que seculiere; de- 
fendait de leur preter aide ou faveur, sous peine de piir- 
tager la sentence dont ils etaient frappes, et jetait Tin- 

(i) Liiigi Tosti, t. I. Voyez document 0. 



LUTTE DE BONIFACE Vlll CONTRE LES GIBELINS. 89 

terdit sur les lieux ou ils chercheraient un asile (I). 

Le coup etait sensible : il enveloppait dans une meme 
proscription les Colonna et leurs amis. Les biens leur 
elaient enieves, la terre et la mer fermes, Tesperance elle- 
meme ne leur semblait plus permise. Toutefois, dans cette 
^xtremite , les Colonna ne s'abandonnerent point ; ils ne 
presumerent pas au-dessus de leurs forces une lutte avec 
rhomme puissant qui les proscrivait. Leur audace ^tait 
plus grande que leur fortune. Chasses de Rome, ils se re- 
tirerent dans leurs chateaux, en ouvrirent les portes aux 
ambassadeurs de Frederic , y appelerent Francesco Cres- 
cenzi etNiccolo Pazzi, deux ennemis declares du pape, et 
attendirent derriere leurs remparts qu on commengat cen- 
tre eux des hostilites qui ne devaient pas tarder (2) . 

En effet, il n etait ni dans le caractere ni dans le but 
de Boniface de s'en tenir a des peines canoniques et ci- 
viles. Ce pontife envoya d'abord centre les rebelles, sous 
la conduite de Landolfo Colonna , quelques milices sou^ 
doyees, auxquelles il joignit bientot un corps auxiliaire 
de troupes floren tines commandees par Inghiramo, comte 
de Bisenzo (3). Mais ces forces etant insuffisantes pour ob- 
tenir un resultat decisif et prompt, le pape eut recours a 
une croisade. EUe devait jouir des memes avantages spiri- 
tuels que les guerres saintes, et le cardinal de Porto, Mat- 
theo d'Aquasparta, fut designe, avecle titre de legat, pour 
la publier dans les diverses provinces de Tltalie (4). 

Le bruit d'une croisade fit accourir un grand nombred'a- 
venturiers et de soldats sous les drapeaux du Saint-Siege. 

(1) Bulle : Lapis abscissas. 

(2) Plalina in Bonifacium. — Giovanni Villani, 1. Vlll, c. 20. — Thomas 
Walsingara, in Edwardum, p. 59. — Raynald, ann. 129T, n° 41. 

(5) Luigi Tosti, 1. 1, p. 212, et aux Pieces juslificatives, docum. S. 
(4) Raynald, ann. 1297, nMI . 



k , - 



90 MISTOIRE DE LA PAPAUTE, UV. I. 

Landolfo Colonna, en ayant compose une armee, en prit 
le supreme commandement , et s'avanga avec elle contre 
les forteresses des Colonna (1). Quoique defendues avec 
courage, Nepi, Zagarolo et Colonna furent obligees de se 
rcndre. Les rebelles se refugierent alors dans Palestrina, 06 
Tarmee papale les investit bientdt. Cette place ^tait situee 
dans une position formidable. Agapi to, Sciarra et les deux 
ex-cardinaux etaient dans ses murs. Elle pouvait defier les 
premiers efforts des assiegeanls; et, comme les Colonna 
avaient cherche a interesser les rois et les princes Chre- 
tiens a leur querelle, ils comptaient y tenir assez longtemps 
pour attendre ou un secours energique, ou une me- 
diation puissante (2). Mais, aprfes s'etre flattcs en vain, 
voyant qu'on les laissait a leur fortune, que Palestrina, 
leur dernier asile, leur ressource supreme, serait a la fin 
emportee, ils prirent le parti de la soumission. Au mois 
de septembrede Tannee 1298, accompagnes de leurs pro- 
ches et de leurs amis, la tete decouverte, les pieds nus, la 
corde au cou, en habits de deuil, sans sauf-conduit, el se 
confiant en la generosile de leur vainqueur, ils vinrent a 
Rieti se prosterner aux pieds de Boniface , qui les rcQut 
sur son trone, la tiare en tete et au milieu de toutes les 
magnificences de la Papaut(5. lis demandaient gvhce sans 
aucune condition; elle leur fut accord^e. Les censures 
qu'ils avaient encourues furent levees, et, pendant les 
jours qu'ils passerent a Rieti , le pontife les traita avec 
bienveillance (3). Mais il mit des restrictions a sa reconci- 
liation avec eux. Les deux cardinaux rcsterent prives de 
la pourpre, et la malheureuse ville qui avait servi de 

(l)Giov.Villani, l.VULc. XXI. 

(2) Giaccouius, t. \\, in Boniiacium VIU, p. 298. 

(3) Francisci Pipini Chron., 1. IV, c. xli.— Ferretus Vicenlinus, Ilisl., 
1. Vm, p. 970, Murat., t. IX.— Thomas Walsingham, in Edward., p. 39. 



LUTTE DE BONIFACE VIII CONTRE LES GIBELINS. 91 

foyer a la revoke dut etre detruite. Palestrina, que tant de 
soins avaient rendue inexpugnable, fut done renversee de 
fond en comble ; il ne resta debout que Teglise de Saint- 
Agapit. On fit passer sur ses mines le tranchant de la 
charrue, on y sema du sel, comme a Carthage. Boniface 
voulut que tout, jusqu'a son nom, fut aneanti ; car, ayani 
ordonne de construire a sa place une autre ville, il lui im- 
posa le nom de cite Papale (1). Pikes justif.y n° 2. 

Cette justice terrible, que les Colonna appel^rent une 
trahison, les irrita de nouveau; ils se remirent en revolte. 
Ne pouvant plus, dans leur situation presente, lutter avec 
le pontife, puisque toutes leurs places etaient entre ses 
mains ou detruites, ils prirent la fuite, et rappelerent ainsi 
sur leurs t6tes toutes les sentences que leur soumission en 
avait eloignees. Ils furent de nouveau proclames coupables 
de lese-majeste, rebelles a Tfiglise; leurs palais furent 
abattus, et leurs biens confisques. 

Contraints a Texil , les Colonna se disperserent dans le 
monde, ety eurent des fortunes diverses. San-Vito se mit a 
voyager. Les deux ex-cardinaux, Jacopo etPietro, se retire- 
rent a Padoue. Jacopo Sciarra, apres avoir erre dans la 
foret d'Ardee, et vecu quelque temps des fruits de la foret, 
fut pris par des pirates et jete dans les fers, d'ou le roi de 
France, Philippe le Bel, le tira au bout de quatre ans, en 
payant sa rangbn. Stefano alia d'abord a Castel-Marino, sur 
les confins de la Campanie. Mais, ne s'y croyant point en 
surete, il fut assez heureux pour gagner la France. Les 
autres s'enfuirent en Sicile, en Allemagne, se cachant par- 
tout, et changeant souvent de demeure. 

La chute des Colonna atterra les Gibelins, car on ne voit 
nutte part qu'ils aient cherche a troubler la victoire de Bo- 

(i) Raynald, ann. 1299, n" 6. 



92 fflSTOlRE DE LA PAPAUTE, 11 V. I. 

niface. II est vrai qu'en 1297, au commencement de la 
lutte, ceux de ce parti, le senateur Pandotfo SaveHi a fear 
t^te, s'^taient interposes pour l*emp6eher, sofit en coriseil- 
lant la soumission aux rebelles, soit en irnplcfrant pour 
eux la clemence pontificale (1). Mais, la partie une fois 
decidee, ils n'eleverent aucune reclamation sur la severite 
du pape. Leurs adversaires devinrerit, sans ^eonteste, tiiai- 
tres absolus du pouvoir. En effet, les annees suivantes 
lious montrent la dignite de senateut exclusivemeiit rem- 
plie 'par des Orsini. L'aneantissement du parti gibelin 
auraitdonc ete le fruit du triomphe de laPapautesur les 
Colonna, si les circonstances lui avaient percfiis d'en pro- 
fiteer. Mds deja se succedaient des evenements qui, d'^- 
hbri ^^trangers a Tafftrire des Colonna, ne tardereiit pas 
a se Ket avec elle, et qui, rendant tout a coup I'au- 
dace au paWi abattu, finirent par decider la fortune 
en sa favour. Ce qu il y a de remarquable, c'est qtie 
ces evenements, ^i ftinestes a la Papante, furent provo- 
ques par une puissance habitude de longue main a la 
proteger. 

Lorsque Boniface VIII monta sur le siege apostolique, 
neuf ans s'etaient ^coules depuis que la toor*t Aii fils de 
saint Louis avait appele au trone de Fi*«^nce >Philippe IT, 
dit le Bel. Investi de Fautorite supreme a un Sgeou Ton ne 
connait encdt'e que Tobeissance, ce jeune pririfce gouver- 
nait n^anmoihsson royaume aveciifife superiority que ses 
adversaires n'ont jamais song^ a lui contestfer. Magna- 
nime et Taillant, ^guerrier habile, il aVait encore cette p«*o- 
fondeur de vues et cette force de vouloir qui font les grands 
hommes d'fitat. Personne n'eut a un plus haut degre que 
lui la fierte du pouvoir ; personne ne s'en montrii plus ja- 

(1) Luigi Tosti. 1. 1, p. 215, el docum. T, ad calc€m. 



■pi«» 



DEM&LE DU PAPE AVEC PHILIPPE LE BEL. 95 

loux ; p^*8onne n'iaipoea ses volontes d'un ton plus ienne 
et plus resolu. Mais de grands d^fauts d^paraient cesbril'- 
lantes qualities. Sa magnanimite d^generait en hauteur, 
son courage en t^merit^. La force de sa volonte, qui ^tait 
grande, se changeait en une obstination d'autant plus in- 
flexible, qu'il croyait son honneur interesse a faire preva- 
loir jusqu'a ses erreurs. Du reste, irritable k Texc^s, im- 
placable dans ses coleres, n'oubliant jamais une injure, 
et n'estimant les services qu'a Tegal du devoir. Ses entre- 
prises, dont il ne calcula pas toujours la port^e, le jet^- 
rent plus d'une fois dans des embarras p^uniaires qui le 
rendirent injuste envers ses peuples, dont il ^puisa les 
ressources et altera la monnaie. Sous les regnes pr^c^ 
dents Tabaissement des grands vassaux de la couro»ne 
avait d^nne au pouvoir royal une preponderance d^cid^e. 
Vainaie, mutilee, Taristocratie n'opposait plus de resis- 
tance. En voyant done agenouilles sur les marches du 
ferdne ces tiers barons, nagu^re si hautains, Philippe c&n- 
Qut une idee exag^ree de soii autorit^, et cette exagei^atioA 
\e poussa jusqu a la tyrannic. Ajoutons que la moralite ne 
dirigeait pas toujours ses actions. Lorsqu'il avait fix^ soip 
regard sur un but, il demandait moins aux moyeni^ qu'il 
employait pour Tatteindre cette justice qui satisfait la coor 
science et Thonneur que le succ6s qui rejoui* rambition. 
Ses contemporains Tappel^rent le Bel, a cause, des gr^cesi 
de sa personne. L'histoire aurait dtt lui donner le nom de 
Politique, car il fut le premier qui mit an joi^ir cet art fa- 
neste d'^re habile dans le mal. 

Tel etait Philippe le Bel, tel ^tait YhemmB ifue Booir. 
face VIII, dans le cours de ses projets centre les Gibelins, 
rencontra inopin^ment sur son passage. Je dis inopiii^- 
ment, parce que le demele qui ^clata entre ce pape et le 
roi ne fut point T explosion pr^vue d'un secret antafo^ 



94 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. I. 

nisme : elle naquit des circonstances. II importe de re- 
monter a son origine. 

Nous avons deja vu qu'au moment oii Boniface com- 
menga son pontificat, Philippe le Bel et Edward, roi d'An- 
gleterre, se faisaient une rude guerre. La cause de celle 
lutte etait complexe ; elle lenait presque autant au ca- 
ractere altier des deux monarques qu au froissement reci- 
proque de leurs inter^ts materiels. Edward, cite a plu- 
sieurs reprises, en qualite de vassal, a comparaitre devant 
la cour des pairs de France, pour y rendre compte de sa 
conduite, avait refuse avec hauteur la citation (>l). De la 
la necessite de vider la querelle par les armes. Les hosti- 
lites duraient depuis plusieurs annees, cruelles, ruineuses 
pour les peuples, sans que rien de decisif eut fait pencher 
notablement la balance de Fun ou de Tautre cote, quoique 
Favantage parut rester a la France. Nous avons vu que Bo- 
niface VIII s'etait de bonne heure interpose pour y met- 
tre un terme, mais sans succes, car il n' avait pas pu ob- 
tenir une treve. II y a plus : son autorite, en cette occasion, 
avait ete meconnue des deux souverains, sous pretexte 
qu'uhe puissance toute spirituelle, comme celle du pape, 
n'avait aucun droit de s'immiscer dans les interets politi- 
ques des fitats. Toutefois, Boniface VIII ayant promis d'ap- 
porter a Toeuvre de la pacification, non Tautorite de la 
puissance qui ordonne, mais seulement les bons offices 
de la mediation qui concilie, on finit par accepter son 
arbitrage (2). Celui-ci travaillait done a rapprocher les 
deux monarques, quand un incident vint traverser cette 
importante affaire. 

(1) Voir du Tillet, Recueil de traites entre la France el I'Angleterre, 
p. 186 et suiv. 

(2) Id., p. 189.— Voir les paroles du compromis. ap. Raynald, ann. 1298, 

n* 2. 



DEMELE DU PAPE AYEG PHILIPPE LE BEL. 95 

D6s le d^but de sa querelle avec la France, Edward 
avail gagne a sa cause Guy, comte de Flandre, vassal de 
Philippe, en convenant que la fille du comte ^pouserait 
le prince de Galles, Th^ritier du Irdne. Instruit de ce 
traile, Philippe trouva le moyen d'en empecher Teffet. II 
attira adroitement le comte a Corbeil; puis, avec une perfi- 
die d'autant plus honteuse que le comte montrait plus de 
confiance, il le retint prisonnier avec la comtesse sa 
femme. Guy ne recouvra sa liberie qu'en laissant entre 
les mains du roi sa fille, Tepouse mfime promise au fils 
d'Edward. Rendu a lui-m6me, Guy reclame sa fille; Phi- 
lippe la refuse : le comte en appelle alors au Saint- 
Siege (1). Le hasard voulut qu'en meme temps que cet 
appel arrivait a Rome il y parvint, de la part de quelques 
prelats frangais, contre les exactions que se permettait 
I'autorite royale a Tegard du clerg^, une supplique secrete 
dans laquelle Philippe etait repr^sente comme un prince 
plus impie que Pharaon (2). Pihces justif., n^ 3. 

Depuis plusieurs sifecles, Tautorite pontificale etait Ta- 
sile oil la faiblesse pers^cutee vena it chercher un abri 
contre les abus de la force. Ce n'^tait point Roniface qui 
aurait manque a cette mission tut^laire, au debut de son 
pontifical surtout, et dans un temps ou la chr^tiente, les 
regards fixes sur lui, attendait de si grandes choses de sa 
justice et de sa fermete. A peine eut-il regu Tappel du 
comte de Flandre, qu'il d^puta a Philippe le Rel T^veque 
de Meaux, son legat, pour sommer ce monarque de ren- 
dre la princesse a son pere, et, en cas de refus, le citer lui- 



(1) Daniel, Hist, de France, t. V, p. 39. — Hist, du differend, etc., par 
Simon Vigor, p. 2. — Baillet, Hist, du dem^le, p. 22 et 25. 

(2) Rubeo, p. 145. — Baillet, p. 25. — Voir aux Pieces justiftcaiives, 
n« 5. 



96 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. I. 

meme h Rome pour y etre juge s^r sa conduite (1). Puis, 
afin de mettre un termeaux abusdont s'etait plaint le clerge, 
illanga, le 18 aoftt 4296, la buUe Clericis laicos, par la- 
quelle il interdisait, sous peine des censures, a tout mem- 
bre du clerge de payer quelque subside que ce fut, decime, 
vingtieme, centieme, ou autre portion des biens ecclesiasti- 
ques, sans la permission expresse du Saint-Siege, mena- 
gant des memes censures les princes, dues, barons et mi- 
nistres qui ks exigeraient, et jetait Tinterdit sur les villes 
et lescommunautes qui consentiraient a cette exaction (2). 
Pikes jmlif.y vl Zhis. 

Si la fortune, au lieu de faire Philippe le Bel roi, Ta- 
vait porte sur le siege pontifical, a coup sur il aurait parle 
comme parlait Boniface VIII dans cette buUe, qui, apr^s 
tout, ne differait ni pour la forme ni pour le fond des 
anciennes decretales des papes. Mais, chef d'une puissante 
mojiarchie, il n'entendait que le langage de la soumission 
et de Fobsequiosite. Celui de Boniface le surprit et lui de- 
plut. Cette jalouse susceptibilite qu'inspire Tamour du 
pouvoir, echauffee par les insinuations de la flatterie, lui 
persuada que le pontife voulait empieter sur Tindepen- 
dance de sa couronne, et il crut devoir prendre a son 
^gard cette attitude fiere et hautaine qu'il prenait avec ses 
ennemis. La mission du l^gat fut mal accueillie a sa cour. 
II repondit aux sommations qu'«n ce qui concernait le tem- 
porel de son royaume, il n'etait comptable de ses actes qu'a 
Dieu seul ; qu'il trouvait bien etrange que le pape usurplit 
ce ton d'autorit^ en des choses ^trangeres a sa juridiction. 
N'avait-il pas, lui le roi, sa cour pour faire justice a ses 
sujets et a ses vassaux (3) ? 

(\) Vigor, Hist, du differend, p. 5.— Baillet, Hist, da demele, etc., p. 24. 

(2) Preuves du differend, p. 14. 

(5) Vigor, Hist, du differend, p. 2.— Baillet, Hist, du dem^le, p. 24. 



DEMELE DE BOiNlFACE VIII AVEC PHILIPPE LE BEL. 97 

Cette reponse ^tait significative ; celie qu il fit a la buUe 
Clericis laicos ne le fut pas moins. Quoique cette constitu- 
tion, dans la generalite de ses termes, de Taveu meme 
des adversaires de Boniface, s'adressat plus sp6cialement 
a TAngleterre, oti Edward exergait sur le clerge un degre 
d'oppression que n'avait pas encore atteint le roi de 
France, ce dernier la regarda comme une offense person- 
nelle et une faveur odieuse accordee a ses ennemis. En con- 
sequence, il lui opposa deux ordonnances, ou il defendait 
d'abord a tout etranger de venir en France pour y exercer 
le n^goce, vu que ce royaume ne manquait de rien ; ensuite 
a toute personne, de quelque condition ou dignity qu'elle 
flit, de transporter hors de son territoire de Tor, des pier- 
reries, des provisions de bouche, des armes, des chevaux 
et autres choses, sans sa permission notifiee par ecrit (1). 

La portee de ces ordonnances etait grande. EUes bri- 
saient les rapports du clerge frangais avec le chef de Tfi- 
glise, le derobaient a son influence; elles fermaientla porte 
du royaume aux traitants de la chambre apostolique, et le 
caractere energique du pape donnait a penser qu'il allait 
employer des moyens rigoureux pour soumettre le monar- 
que recalcitrant. II n'en fut rien cependant. Soit qu'ayant 
compt^ emporter la soumission de Philippe du premier 
coup, il eut ete interdit d'une resistance que les rois ne 
faisaient plus depuis des siecles ; soit qu'il ne voulut pas 
s' engager dans un conflit qu'il n etait pas prepare a sou- 
tenir ; soit que, sur le point de realiser ses projets contre 
les Gibelins, il apprehendat de leur menager un appui par 
dela les Alpes ; soit plutdt moderation, on vit tout a coup le 
ferme pontife prendre un ton de douceur auquel personne 
ne s'attendait. La buUe Ineffabilis, qu'il expedia au roi im- 

{i) Preuves du differend, p. 15.— Baillel, Uist. du dem^le, p. 26. 

7 



98 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. I. 

m^diatement aprfes la publication de ses deux ^dits, est re- 
marquable sous ce rapport {\). Boniface y descend jusqu'i 
la justification de lui-m^me. S'il adresse au roi des repro- 
ches, ce sontbien plutot des exhortations que des reproches. 
On voit qu il veut gagner le coeur de Philippe le Bel, non 
^tonner son audace. « Le temps estbien mal choisi, dit-il, 
pour susciter une querelle au vicaire de Jesus-Christ, lors- 
que celui-ci veille avec tant de sollicitude a vos interets. Et 
n'est-ce point pour procurer le salut de votre personne, la 
conservation de votre royaume et en ecarter les malheurs, 
que, depuis le commencement de notre pontificat, nous 
avons passe les nuits sans dormir et essuye d'insupporta- 
bles travaux?Nous n' avons pas, ajoute-t-il,nousn'avons 
pas statue que les eccl^siastiques ne dussent point contri- 
buer a la defense et aux necessites du royaume, mais nous 
avons dit qu'il y avait besoin en cela de notre permission 
expresse, pour mettre un terme a Tintolerable oppression 
dont vos officiers accablent le clerge. Dans un cas urgent, 
nous ordonnerions nous-meme aux ecclesiastiques les con- 
tributions necessaires, et, s'il le fallait, nous laisserions 
plutdt vendre les vases sacres et les croix des eglises que 
d'exposer au moindre danger un royaume comme le v6- 
tre, de tout temps si cher et si devoue au Saint-Siege. » 
Ce n'etait point a tort que Boniface rappelait a Philippe 
ses sollicitudes pour la France. En effet, si F alliance of- 
fensive conclue par Edward avec Adolphe de Nassaw avait 
^t^ si pen funeste au monarque frangais, c'etait grUce aux 
exhortations pressantes et repetees que le pape avait adres- 
sees au roi des Bomains (2). Du reste, tout dans la bulle 
Ineffabilis t^moignait du d^sir du pontife que le d^Dtt^l^ 

(1) Preuves du differend, p. 15. Cette bulle fut apportee en France par 
Tev^que de Viviers. 

(2) RubeO; p. 47 et seq. 



DEMELE DE BONIFACE VIII AVEC PHILIPPE LE BEL. 99 

commence rie prit point une tournure ftcheuse. Son iii- 
qnietude a cet egard delate principalement dans sa bulle (4) 
Ewcitat noSr qui n'est qu'une preface de la precedents 
cc Conime les choses qu'elle contient, dit-il, interessent vi- 
« vement votre personne et votre royaume, nous avertis- 
a sons, prions et exhortons Yotre Altesse royale de la lire, 
c< de la relire elle-meme, de la mediter attentivement, et 
c< de la mettre sous les yeux des hommes qu'elle appellera k 
« son conseil. » Puis il ajoute que Fevfique de Viviers, 
charge de la lui presenter, est muni des instructions les 
plus amples pour lui en expliquer le sens de vive voix (2). 
Cependant, malgre les protestations reiterees du pape, 
malgr^ T activity de ses l^gats, malgre les mouvements 
qu^il se donnait pour mettre un terme a la guerre ruineuse 
qui pesait sur la France, Ton ne reussissait point a s' en- 
tendre. Philippe, d'autant plus obstin^ qu il ^tait mal con- 
seill^, ne pouvait plier sa fiert^ k aucune concession. II 
ne repondait aux exhortations qu'en pressant Texecution 
de ses 6dits, quand tout a coup, le 51 juillet 1297, k la sur- 
prise gen^rale, arriva de Rome a la cour de France la bulle 
Noveritis nos (3), adressee au roi, au clerge, et aux grands 
du royaume. Cette bulle, avec les 61oges les plus pompeux 
donnes au royaume de France pour rattachemcnt a la foi 
et le prompt acquiescement qu on y avait toujours montres 
aux ordreseman^s du Saint-Siege, contenaitdes explications 
si larges de la bulle Clerkis laicos, qu'elle reduisait k rien 
ses decrets, principe de toute la querelle. Le pape commen- 
gait alors T execution de ses projets contre les Golonna* II 

{\) Preuvtls du diiferend, p. 25. 

(2) Ecce per Yivariensem episcopum in praefatis litteris contenta , viva! 
vocis oraculo volumus Gelsitudini Tuse plenius exprimi^ ac mentem nos- 
tram cirea ilia seriosius aperiri, etc... (Bulle : Excitat nos.) : -: 

(3) Preuves du differend, p. 59, 



leO HISTOIRE DE LA PAPA13TE, LIV. I. 

est permis de croire que cette circonstance ne fut pas indif- 
ferente au parti qu'il prit si inopin^ment de satisfaire le roi. 
Et, comme s'il etA craint que sa bulle Noveritis nos ne fAt 
point assez explicite pour fl^chir le caract^re indomptable du 
monarque, il Taccompagna de la canonisation de Louis IX, 
son aieul, dont le proces durait depuis vingt-cinq ans. La 
g^n^ration qui avait ete temoin des vertus du saint roi 
n'etait point encore descendue dans la tombe. A la nou- 
velle que Tobjet d'une si recente admiration allait devenir 
celui du culte de Tfiglise, une inexprimable all^gresse 
eclata de toutes parts. Entrain^ enfin par T^lan g^n^ral, 
Philippe ceda. L' execution des ordonnances royales fut 
arrfitee. On delia les mains aux traitants pontificaux pour 
envoy er k Rome les revenus que la chambre apostolique 
percevait sur les biens du clerg^. Boniface fut rendu plus 
que jamais arbitre souverain de la paix entre la France et 
TAngleterre, et la bonne harmonic parut r^tablie entre les 
deux puissances (1). 

Les guerres entre les personnes se pacifient, parce que 
les haines s'effacent ; les guerres entre les principes ne se 
pacifient point, parce que T opposition des principes de- 
meure. Le pape et le roi, bien que rapproches en appa- 
rence, ^taient plus eloignes Tun de Tautre qu'ils ne le 
pensaient. Le premier voulait maintenir ce que le vicaire 
de Dieu possedait k tant de titres, son droit de juger les 
actes m6me temporels des princes dans T administration 
de leurs fitats ; le second voulait au contraire une com- 
plete independance du pouvoir temporel vis-^-vis de la 
puissance spirituelle. L'antagonisme de cesdeux principes, 
n avait pas ^te termine par la paix, et plus d'une cause 
allait en r^veiller la vivacity. 

:.. • {i) Baillet, Hist, du demMe, p. 56 et sui v.— Daniel, Hist, de France, 
• * : t.T, p. 56. 



DEMELE DE BONIFACE VIII AVEC PHILIPPE LE BEL. 101 

Nous venons de voir que Philippe le Bel avait enfln re- 
mis entre les mains du pape le soin de terminer son diffe- 
rend avec Edward V\ Boniface, done, ayant regu le com- 
promis des deux monarques, rendit la sentence arbi- 
trale qui de^ait retablir la paix entre eux, et la fit porter a 
Paris par Tev^que de Durham, representant de TAngle- 
terre a Rome. Peut-etre le choix de ce legat, pris parmi 
les sujets de son ennemi, blessa-t-il la fierte nationale du 
roi de France. II y eut autre chose : cetle sentence n'etait 
conforme qu a la plus rigoureuse equite. Le pape s'y effor- 
gait de retablir Tetat des choses tel qu'il etait avant la 
la guerre. Philippe, au contraire, victorieux en Flandre, 
s' etait flatte d'autres esperances, et, dans le premier mo- 
ment de deception que produisit cette sentence, il souffrit 
que le comte d'Artois, son frere, Tarrachsit des mains de 
Teveque de Durham et lajetatau feu en sa presence, tan- 
dis que lui-m6me declarait qu'il n'accomplirait aucun de 
ses articles (1). 

Ce n etait la sans doute qu'un mouvement de vivacite 
sans consequence, car Taccord dicte par le pape fut ob- 
serve (2) ; mais il ne laissa pas que de produire son im- 
pression, que d'autres actes, accofeiplis sur ces entrefai- 
tes, ne contribuerent point k effacer. Les archeveques de 
Narbonne comptaient, au nombre de leurs droits, celui 
de recevoir Thommage des vicomtes de cette ville. Soit 
honte de s'abaisser devant un pretre, soit orgueil de ne 
vouloir relever que de la couronne, Amalric, en succedant 
au vicomte Aimery, son pere, mort en >I298, rendit hom- 
mage au roi, qui Taccepta. Le pr^lat, alors Gilles Aycelin, 

(i) Atrebas raptas ex manibus episcopi litteras papse ausu temerario ign 
dedit; quinimo rex ipse nihil eorum quae pontifex pronuntiarat se serva- 
turum affirmayit. — (Meyer, Annal. Flandriae, 1. X. p. 87.) Rubeo, p. 155. 

(2) Thom. Walsing., in Edward., ann. 1300, p. 43. 



402 mSTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. I. 

se plaignit a Philippe le Bel de cette usurpation, mais sans 
succ^s. Le concile de la province de Narbonne se reunit 
alors a Beziers, et cette assemblee envoya a Paris une de- 
putation pour demander une reparation du prejudice que 
la demarche du vicomte causait aux droits de Tfiglise de 
Narbonne. Le concile ne fut pas ecoute, et Boniface lui- 
m6me menaga vainement d'interposer son autorite dans 
cette affaire (1), Ce n'est pas tout : le pape ayant fulmin^ un 
interdit contre les eveques de Poitiers et de Laon, Philippe^ 
toujours avide d' argent, parce qu'il etait assiegede besoins, 
saisit cette occasion pour mettre la main sur les revenus 
de ces eglises, comme si elles eussent ete vacantes. II rete- 
nait encore a Robert de Courtenai, nouvellement elu arche- 
v6que de Reims, ceux qui avaient couru durant la vacance 
de son siege. L'injustice etait notoire ; neanmoins, ce ne 
fiit qu'avec la plus grande peine que Boniface put faire W 
cher prise au roi (2). Au reste, cesderniers faits n'etaient 
que les plus saillants parmi ceux que se permettait Philippe 
envers le clerge frangais ; car, au mois de Janvier 1299, 
le pape se crut oblige de lui ecrire pour se plaindre que, 
sous le pretexte d'une decime qu il avail accordee a Sa 
Majesty pour les besoins de son royaume, ses officiers 
exergaient de toutes parts d'intolerables exactions (3). 

II y eut plus encore. La guerre ayant recommence avec 
la Flandre, Charles de Valois entra dans ce pays a la t^te 
de Tarmee royale, et y fit de rapides progres, car la vic- 
toire suivit constamment ses drapeaux. Guy, abandonne de 

(i) Dom Valsselte, Hist, generale du Languedoc , t. IV, p. 98 et suiv. — 
Raynald, ann. 1500, n° 17. 

(2) BaiUet, Hist, du demele, p. 64 et 65. 

(5) Diversas et luctuosas Ecclesiae gallicanae querelas accepiraus, quod 
multa et grandia, quinimo intplerabilia gravamina, praeteitu concessionis 
hujusmodi, ecclesiis... irrogari (Bulla : Dudum Gelsitudini, ap. Raynald, 
ann. 1299, n"" 25. 



DiSMfeLE DE BONIFACE VIII AVEC PHUJPPE LE BEL. -103 

ses aUi^s, battu de toutes parts, et reduit a se defendre 
dans Gand, sa derniere place, veut prevenir une ruine en- 
tiere. Dans ce dessein, il entre en negociations avec le 
prince frangais. Les conditions de la paix sont acceptees, 
le traite sign^. Le comte ouvre alors les portes de sa capi- 
tale a Valois comme a un ami. Mais ce dernier n'y est pas 
plutot entre, que la ville est livree au pillage, que le comte 
et ses enfants sont saisis et envoyes a Philippe le Bel, qui 
les punit par la captivite de s'etre confies a la loyaute de 
son frere. LajusticeetThonneur criaient vengeance. Plus 
tard, les Flamands vengerent cette perfidie par la destruc- 
tion presque entiere d'une armee frangaise, a Courlray. 
Mais, poUr le moment, enveloppes par les legions victo- 
rieuses de Valois, et trop faibles pour remuer, ils se con- 
tentaient d'en appeler au pape, et celui-ci redemandait en 
vain ses illustres captifs (1). 

A tous ces griefs vint s'en ajouter un dernier, plus 
compliqu4 encore que les autres. Quelques historiens an- 
ciens ont ecrit que Boniface, voyant les grands vassaux de 
TEmpire se declarer contre Adolphe de Nassaw, roi des Ro- 
mains, avait, dans la ferveur d'une reconciliation recente, 
et pour la cimenter, promis a Philippe le Bel, au cas d'une 
revolution favorable, d'elever a Tempire ce m6me Charles 
de Valois, vainqueur de la Flandre. Sur ces entrefaites, 
Adolphe ay ant ete depose et tue, un de ces historiens 
£^oute m6me qu'apres Felection d'Albert, due d'Autriehe, 
concurrent d' Adolphe et son meur trier, Boniface avait pris 
Tavis de son conseil pour executer sesprojets k Tegard de 
Valois, mais que de hautes representations, des difficultes 
impr^vues et la repugnance constatee des Allemands pour 
un empereur qui n'apparliendrait point a leur nation, Ta- 

{\) Chronic, germ., ap. Pistorium, t. Ill.—Chronic. GuUiel. de Nangiac. 



104 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. I. 

vaient emp^ch^ de les r^aliser (1). L' absence de t^moigna- 
ges positifs sur ce dessein pretendu, le peu d'avantages 
qu'il offrait au pape, porteraient a croire que les historiens 
n'ont ecrit que sur de simples ou'i-dire, et non sur des 
renseignements sflrs. Ce qui est vrai pourtant, c'est que 
Boniface refusa constamment de confirmer T election dc 
FAutrichien, etTon raconteque, quand ses ambassadeurs 
se pr^sent^rent k lui pour solliciter la confirmation de 
son Election, le pape refusa de les recevoir, et leur fit r6- 
pondre qu'il n'etait pas digne de Tempire, celui qui avail 
dte la vie k son seigneur (2). Ce qui est vrai encore, c'esl 
que Boniface affectait une predilection sp^ciale pour Char- 
les de Valois ; qu'il demanda au roi, son frere, de Fenvoyer 
en Italic, pour y comprimer les factions, de jour en jour 
plus turbulentes; que ce prince y accourut en Tannee 1301 ; 
qu'il fut re§u par le pape et les cardinaux avec toutes sortes 
d'honneurs ; que F empire de Constantinople lui fut donne, 
le vicariat imperial de laToscane et de la Romagne conO^, 
et que Boniface meditait a son 6gard les plus vastes pro- 
jets (3). Toutefois, pendant que le chef de Ffiglise s'occu- 
pait ainsi d'elever un prince fran^ais, fr^re du roi, Phi- 
lippe, par une conduite inexplicable, s'abouchait le 8 d^ 
cembre 1299, a Vaucouleurs, avec Albert d'Autriche, et, 
dans cette entrevue, concertee d'avance, concluait avec lui 
une alliance offensive et defensive, qu il fortifiait encore par 
le mariage de sa soeur Isabelle avec lefils deFAutrichien(4). 

(1) Giovanni Villani, 1. VUI, c. xlii.— S. Antoninus, t. UI, c. vni, p. 21. 
— Chronic, germ., ap. Pistor., t. HI. 

(2) Thrithem. Chronic. Hirsaug., adann. 1299. — Chronic, germ., t. HI. 
— Francisci Pipini Chronic, 1. IV, c. xii. 

(5) Continual. Gulliel. deNang., in SpicilegioDach.,t. HI. — Diariodella 
citta di Roma da Stephano Infessura, ap. Murat., t. HI, part. H, p. 4. 

(4) Hist. Australis, ap. Freher,, t. I.— Struvius, Corpus historiae ger- 
manicse, 1. 1, p. 657. — Chronic. Guillelmi de Nang. 



DEMELfi DE BONIFACE VIII AVEC PHILIPPE LE BEL. 105 

Or, une pareille alliance, faite dans le temps que le 
pape refusait de reconnaitre Albert et fletrissait si juste- 
ment son avenement a la couronne imperiale du nom 
d' usurpation, n'etait-elle pas une injure? D'ailleurs, Phi- 
lippe le Bel protegeait ouvertement les Colonna et leur 
ouvrait T entree de sa cour (1). C'est ainsi que s'amas- 
saient les tempetes. Rien n'eclatait encore, il est vrai, mais 
il etait aise de prevoir qu'une explosion n'etait pas eloi- 
gnee. 

Les derniers jours de Tannee 1300 virent arriver i\ 
Rome un ambassadeur frangais, Guillaume de Nogarel, 
baron de Cauvisson, alors un des conseillers les plus in- 
timesduroi, et qui devint plus tard chancelier de France. 
Ce seigneur etait charge de communiquer a Sa Saintete la 
nouvelle officielle du traite conclu entre son maitre et le 
nouveau roi des Romains, et de Tinformer que toutes les 
precautions pour le maintien de la paix en Occident etant 
prises, les deux monarques allaient s'occuper desormais 
activement de la guerre sainte ; nouvelle que les ambassa- 
deursd' Albert, presents a Rome, devaient aussi confirmer. 
Le traite, deja connu par la voix de la renommee, avait 
produit son effet. Boniface avait facilement entrevu dans 
r alliance des deux souverains uneligue centre lui-meme (2) . 
Ce fut d'abord le mepris qu elle lui inspira, mais T indi- 
gnation succeda bientot au mepris, et Ton dit (car les te- 
moignages positifs manquent a cet egard) que, dans ses 
entrevues avec les representants des deux cours, il exhala 
des plaintes am^res centre Philippe le Bel, s'efforga de 
rompre Talliance formee, improuva hautement Telection 
du due d'Autriche, et le menaga meme des vengeances 

(1) Amalric, Aug. in Bonifac, ap. Murat., I. Ill, part. II, p. 435. — 
Giovanni Villani, 1. VIII, c. lxii. — Ferretus Vicenlinus, 1. VIII. 

(2) C'est la remarque de Struve, 1. 1, p. 657. 



106 HISTOIRB DE LA PAPAUTlfe, LIV. I. 

du Saint-Si^ge, s'il ne rendait la Toscane a r%lise(<), 
L'indignation du pontife etait juste au fond. Blesse a Ten- 
droit sensible, il avait bien le droit de s'en plaindre. Mais 
Guillaume de Nogaret, au lieu de chercher a I'adoucir, 
afiecta, pour ce qui concernait la France, de ne voir dans 
les recriminations de Boniface que Tintention de nuire an 
roi. Nogaret etait un de ces vils courtisans qui placent 
leur honneur a servir les passions de leurs maitres. II ou- 
blia dans cette occasion le respect qu il devait au chef de 
rfiglise, porta T insolence jusqu'a censurer sa conduite 
privee, et a lui donner des avis. A la fois surpris et irrite, 
Boniface demanda a Fambassadeur s'il avait ordre de lui 
tenir un pareil langage : c< Non, saint pere, repartit Noga- 
c< ret, le zele seul de la religion, du culte divin, et la previ- 
« sion de malheurs futurs, me Font inspire (2). » Uhistoire 
ne nous a point transmis la reponse du pape a tant d'au- 
dace et d'hypocrisie. On pent toutefois la conjecturer a la 
haine violente que nous verrons Nogaret deployer plus tard 
contre le pontife. 

Cependant une chose tenait au coBur de Boniface, c'e- 
tait la guerre sainte. En consequence des ouvertures que 
Nogaret avait ete charge de faire, il crut devoir enta- 
mer des negociations avec le roi de France, et il lui d^ 
p^cha, au commencement de Tannee 4301, Teveque de 
Pamiers, Bernard de Saisset (3). Malheureusement la croi- 
sade n'etait pas le seul point doiif le nonce avait ordre 
d'entretenir le roi, il devait encore presser la mise en li- 
berte du comte de Flandre et de ses enfants, interdire, 
pour tout autre but que celui de la guerre sainte, Tepiploi 
des decimes levees sur les biens du clerg^, d^fendre la sai- 

(1) Hist, du differend, p. 8. 

(2) Id., loc. cit. 
(5) Id., p. 9. 



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DEMELE DE BONIFACE VIII AVEC PHILIPPE LE BEL. 407 

sie des revenus des sieges vacants au profit du tresor royal, 
et la violation des libertes ecclesiastiques, abus dont la re- 
Bommee ne cessait d'accuser Philippe le Bel (\). L'impar- 
tialke oblige de dire que, pour accomplir une mission aussi 
delicate, Boniface aurait pu faire choix d'un negociateur 
plus capable que Feveque de Pamiers. Ce prelat avail eu avec 
le comte de Foix et avec Philippe le Bel lui-meme, sur 
rindependance de sa ville episcopale, des querelles dofit le 
souvenir netait point efface (2), etqui enfaisaient un per- 
sonnage peu agreable a la cour de France. Mais, quel que 
fAt le caractere personnel de Bernard de Saisset, quels 
qu'aient ete ses precedents, rien ne prouve, si ce n'est le te- 
moignage infiniment suspect des ministres du roi, qu'il se 
soit comporte a la cour avec une insolence qui ait oblige de 
Fen expulser. II fallait a Philippe le Bel un scandale pour 
jdier Fodieux sur le pape, et il en saisit merveilleusement 
F occasion. Gependant, comme cette conduite extraordinaire 
envers un legat du Saint-Siege avait besoin d'etre motivee, 
on chargea Richard Neveu, archidiacre d'Auge, et Jean, 
seigneur de P^quigni, vidame d' Amiens, d'aller, enqualite 
d'inquisiteurs, dans la senechaussee de Toulouse, faire de se- 
cretes informations sur les actions de Bernard de Saisset (3) . 
Les deux commissaires passerent une partie de Fannee 
-I30>l ^ recueillir les depositions de vingt-quatre temoins, 
dont le principal etait le comte de Foix, ennemi personnel 
de Feveque de Pamiers, qui attesterent, dit-on, que ce der- 
nier avait declare souvent que le roi ne valait rien ; qu'il 
venaitd^ bsltards ; qu'il n' etait ni homme ni bete, mais un 
fantome; quil etait faux monnayeur ; quil n'y avait dans 
la cour de France que fourberie et corruption; de plus,' 

(1) Sponde Anna!., ann. 1301, n** 5. 

(2) Hist, da LaDguedoc, t. IV, p. 88. 

(3) Preuves du differend, p. 628. 



108 HISTOIRE DE LA PAPAUTIi, LIV. I. 

que ledit ^veque de Pamiers avait fait tout son possible 
pour fomenter la guerre avec TAngleterre, et pousser a la 
revolte plusieurs grands du royaume, nolamiiient le comte 
de Foix, le comte de Comminges (1). Bernard, en homme 
froisse dans ses interets par la cour de France, avait bien 
pu commetlre des indiscretions, mais aucune deposition ne 
prouve qu'il fut vraiment coupable de ce dont on Taccu- 
sait. Plusieurs temoins ne comparurent que pour le justi- 
fier sur les principaux chefs, et le temoignage du comte 
de Foix etait recusable. D'ailleurs, la plupart des articles 
incrimines etaient simplement ridicules et ne meritaienl 
pas Thonneur d*une procedure. 

Bernard de Saisset, averti qu on faisait une enquete 
contre lui, se preparait a aller a Rome chercher une pro- 
tection aupres du pape, quand, le 12 juillet, au milieu de 
la nuit, le vidame d' Amiens vint le citer a comparaitre 
devant le roi dans le delai d'un mois, plaga sesbiens sous 
le sequestre, et emmena avec lui a Toulouse quelques-uns 
de ses gens, pour arracher d'eux, par le moyen de la tor- 
ture, quelque charge contre leur maitre (2). Deux mois 
apres, Jean de Burlas, maitre des arbaletriers, le sene- 
chal de Toulouse et deux sergents royaux accompagnaient 
Feveque a la cour, sous pretexte de lui faire honneur, mais, 
dans le fait, pour s' assurer de sa personne (3). II com pa- 
rut, le 24octobre 1301, devant le conseil du roi assemble 
a Senlis, et compose des archeveques de Narbonne, d' Auch, 
des ^v^ques deBeziers, de Maguelonne, d' Auxerre, de Beau- 
vais, du Puy, deTroyes, et de plusieurs comtes, barons et 



(1) Martenne, Thesaurus anecd., t. I, p. 1530 et seq. -- Preuves du dif- 
ferend, p. 651 et seq. 

(2) Marten., Thesaurus anecd., p. 1520 et seq. 

(5) Potius, ut dicebalur, causa custodiae, quam honoris. (Marten., The- 
saurus anecd., p. 1522.) 



DEMELE DE BONIFACE Vlll AVEC PHIUPPE LE BEL. 109 

chevaliers. Ce fut Pierre Flotte, seigneur de Revel, alors 
chancelier, qui proposa les chefs d' accusation. L'ev6que, 
les ayant entendus, les nia tous; ce qui souleva parmi les 
membres de ce tribunal de courLisans une telle colere, que 
plusieurs s'ecrierent en s'adressant a T accuse : Nous nesor 
vons hquoi il tient que nous ne vous massacrions sur rheure{i ) ! 

Apres cette etrange scene, Bernard de Saisset, declare 
coupable, fut, sur la requisition de Pierre Flotte, remis en- 
tre les mains de Farchev^que de Narbonne, son m^tropo- 
litain, pour etre gard^ (2). Mais ici, Gilles Aycelin, qui 
s'^tait montre faible lorsqu il s'etait agi des inter6ts de 
son Eglise, d^ploya une energique fermete pour defendre 
rimmunite ecclesiastique, si odieusement violee dans la 
personne de Teveque de Pamiers. II refusa hautement de 
voir en lui un prisonnier, defendit qu'aucun sergent d'ar- 
mes couchat dans sa chambre, et declara devant le roi que 
le pape seul etait son juge, et qu on devait lui donner un 
sauf-conduit pour se rendre a Rome. Cependant, sur une 
deliberation des prelats qui se trouvaient a la cour, Gilles 
Aycelin consentit k le garder jusqu'a la notification de la 
volonte du pape (3). 

Elle ne se fit pas longtemps attendre. Boniface, instruit 
de ce qui s' etait passe en France, ecrivit le 5 decembre 
au roi : que la detention de Teveque de Pamiers, meme 
sous la garde de Tarcheveque de Narbonne, etait intolera- 
ble ; qu'en consequence il suppliait Sa Majeste de mettre 
le prelat en liberte, et de lui permettre de se rendre en 
cour de Rome (4) . Philippe nomma une ambassade pour 

(1) Quid tenet nos quod non interlicimus te statim? (Marten., p. 1525.) 

(2) Preuves du differend, p. 656. 

(5) Marten., Thesaurus anecd., t. I, p. 1524 et seq. — Preuves dudiffe 
rend, p. 650. 

(4) Preuves du differend, p. 661 . — BuUe : Secundum divina. 



no HISTOIRE DE LA PAPAUT^, LIV. L. 

porter h Rome sa r^ponse a cette lettre du pape : c'^tait le 
rapport des procedures faites a la cour de France contre 
Tevfique de Pamiers (1). Le chef de cette ambassade fiit ce 
mfime Pierre Flotte, qui venait de rempHr la fonction d'ac- 
cusateur devant le tribunal de Senlis. Philippe le Bel ne 
pouvait en choisir un plus devoue h sa politique, plus en- 
nemi du prelat accuse, et plus oppos6 aux vues g^nereu- 
ses de Boniface. Pierre Flotte rendit compte de sa mission 
en plein consistoire. II representa d'abord au saint-p^re 
que, si le roi, son maitre, consentait k lui communiquer 
F accusation intentee a Teveque de Pamiers, ce n^^taitpas 
qu il n'eut le droit de proceder contre ce prelat, mais 
parce qu il voulait imiter la deference de ses predeces- 
seurs envers Tfiglise romaine, et leur respect pour les li- 
bertes et les privileges ecclesiastiques ; puis il demanda au 
pape de punir lui-m^me son legat, en degradant de la di- 
gnite episcopale cet homme de mort (2), dont la vie pas- 
see ne faisait concevoir aucune esp^rance pour Tave- 

nir (3). 

Boniface comprit aisement aux paroles de Pierre Flotte 
qu'on voulait le rendre complice lui-m^me de sa propre 
humiliation, et il n'eut garde d'ajouter foi a un rapport 
que la haine seule avait dicte. Quelle fut, toutefois, sa re- 
ponse au message de Tambassadeur? Aucun monument 
ne nous Ta transmise ; mais il est facile de la deviner. Phi- 
lippe le Bel r avait prevue dans les instructions donnees k 
Pierre Flotte (4) , et Boniface Y avait d^ja ecrite dans sa buUe, 
en exigeant la mise en liberte de TevSque, et revocation de 
son afiaire au tribunal apostolique. II est permis de croire 

(i) Preuves du differend, p. 625. 

(2) Vir mortis. 

(3) Preuves du differend, p. 630. 

(4) Id., loc. cit. 



dMlB DE BONIFACE YlII AYEG PHILIPPE LE BEL. 1 1 1 

que, suT ce point, devenu si d^licat, on serait parvenu a 
s' entendre avec un negociateur habile. Mais Pierre Flotle, 
form^ a T^cole de Nogaret, s'imaginait qu il ^tait de la di- 
gnity d'un ministre frangais de ne parler qu avec hauteur 
et d6 brusquer toutes les convenances. Un historien assure 
qtfi la suite d'une explication, le pape, impatient^ du 
ton imp^rieux de Tambassadeur, lui fit entendre qu'il avait 
en main la double puissance du temporel et du spirituel ; 
k quoi Fl6tte r^pondit : « Fort bien, saint pere ; maisr celle 
c< de Voire Saintetd est seulement nominale, tandis que celle 
« de mon maitre est reelle (^ ) . » Imprudente bravade que 
Philippe le Bel n' avait pas dictee, et qui n'^tait propre 
qu'a soul6ver de funestes coleres. 

Cependant Taffaire de Tev^que de Pamiers avait reveille 
dans Tesprit de Boniface tons les griefs tant de fois et si 
inutilement reproches a Philippe leBel. Fatigue de la ty- 
rannie que ce monarque exergait sur le clerge de ses 
fitats, il avait enfin resolu d'y metlre un terme (2). Le jour 
nfidme oii il ecrivit la bulle qui protestait centre la deten- 
tion de Bernard de Saisset, quatre autres avaient et^ ega- 
lement expediees. Dans la premiere de ces bulles (3), il 
r^voquait toutes les graces et tons les privileges conc^d^s 
au roi pour la defense de son royaume, et suspendait tons 
les privileges accord^s personnellement au roi et k ses 
successeurs, ainsi qu aux ecclesiastiques et lai'ques compo- 
sant son conseil, attendu que ces privileges et ces graces 

{i) Thomas Walsingham, Upodigma Neustrije, p. 88.— Sponde Ann., 
ann. 1501,n°7. 

(2) Rex, ubi intellexit pontificis animum a se alienatum, jus ecclesiasti- 
cum qaod papae eral, sibi vindicabat, sacerdotia et episcopatus conferebat 
qnhus placuit , quod prselatos cognoverat pontifici patrocinari, deposuit^ 
eorum praelaturas aliis conferens; diripuit etiam opulentiores episcopatus. 
(Germanicum Ghronicon Mutii, ap. Pistor, t. III.) 

(5) BuUe : Salvator mundi. — Preuves du differend, p. 42. 



112 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. I. 

avaient ete la source de beaucoup d'abus. (Voir aux Pieces 
justificatives, n* 4.) 

La seconde et la plus considerable de ces buUes 4tait la 
fameuse constitution, qui commence par ces mots : Am- 
culta fili. Le pape y pose en principe que le Seigneur Fa 
plac6 au-dessus des rois et des empires, pour arracher, 
d^truire, dissiper, edifier et planter, lui, quoique faible 
en m^rites, le jour oil il regut sur ses ^paules le joug de la 
servitude apostolique. Puis il ajoute : « Que le roi ne se 
« persuade pas qu il n'ait de superieur sur la terre que 
« Dieu, et qu il ne soit point sujet du pape. Celui qui pense 
c< ainsi est un infidele. » Apr^s ce preambule, viennent les 
griefs de Boniface contre le roi. II Taccuse de pourvoir 
aux benefices, canonicats, Vacants en cour de Rome, sans 
la permission du Saint-Siege, auquel de telles provisions 
appartiennent ; de ne vouloir, soitau dedans, soit au de- 
hors de son royaume, d' autre juge que lui-m^me des in- 
justices qu'il commet, ainsi que ses ministres ; de saisir 
arbitrairement les biens ecclesiastiques, de s'approprier 
les revenus des eglises cathedrales durant la vacance des 
sieges, abus qui n'en est pas moins odieux, quoiqu'il Tait 
decor^ du nom de regale ; d'alterer les monnaies, d*acca- 
bler ses sujets d'impots intolerables. « Nous avons sou- 
c( vent, poursuit le pape, averti le roi pour le ramener au de- 
« voir, et cela sans succes. C'est pourquoi nous ordonnons 
« aujourd'hui aux ^veques, archeveques, abbes, chapitres 
« des Eglises, docteurs en th^ologie, de se rendre aupres de 
« notre personne au mois de novembre de la prochaine an- 
« nee, afin de pouvoir, aid^ de leur concours, aviser a la 
« reforme du royaume et au retablissement du bon ordre. 
c( Nous prions le roi d'envoyer a cette assembl^e, s'il le juge 
c< k propos, des hommes fiddles et consciencieux.» Les deux 
aulres buUes ^taient adress^es aux pr^lats, abbes, doc- 



DEMEL4 DE BONIFACE VIII AVEC PHILIPPE LE BEL. 115 

teurs en theologie, et autres ecclesiastiques de France, et 
contenaient seulement pour eux 1' invitation de se rendre 
au concile indique dans la constitution Ausculta fill (1). 

Toutes les coleres du Gallicanisme se sont dechain^es 

sur cette constitution. On Ta accusee d'etre injurieuse a 

la majeste des rois, irritante pour Philippe le Bel, et de 

conlenir cette maxime inouie avant Boniface VIII : que le 

pape, en sa qualite de vicaire de Dieu sur la terre, est le 

maitre de tons les royaumes du monde (2) . Nous avons lu 

et relu cette buUe dans toutes les editions qui en ont 6t& 

faites, et nous n'y avons trouv^ ni hauteur, ni injures, ni 

menaces. Le ton en est vigoureux, a la verite, mais mo- 

dere jusque dans les reproches. Boniface n'y dit point que 

le pape est le maitre des royaumes, mais que le pape est 

eleve au-dessus de ceux qui gouvernent les royaumes 

pour les forcer a suivre les voies de la justice. Et, certes, 

quand des ecrivains modernes, ennemis de Ffiglise catho- 

lique, n'ont pas craint de dire hautement : c< qu'il serait 

c< plus heureux pour les peuples que les souverains recon- 

c< nussent au-dessus d'eux un pouvoir venu du ciel, qui les 

c< arretat dans la route du crime (3); qu il serait a desirer 

c< que les ecclesiastiques reprissent leur ancienne auto- 

c< rit^ , et qu un interdit et une excommunication fissent 

c< trembler les rois et les royaumes comme au temps de 

a Gregoire VII (4),» la doctrine de la buUe Ausculta fili 

pouvait-elle surprendre Philippe le Bel ? Mais ce monarque 

avait autour de lui des hommes pervers, qui s'efforjaient 



(1) Balles : Ante promotionem etVos universos.— Preuves du differend, 
p. 55 et 54. 

(2) Hist, du differend, p. 40. — Baillet, Hist, du demMe, p. 96 et suiv. 
(5) Sismondi, Hist, des republiques italiennes, t. lY, p. 159. 

(4) Leibnitz, Sf lettre a M. Grimaret. 

8 



114 urSTOlRE DE LA PAPAUTB, LIV. I. 

de travestir la v^rit^ pour la rendre odieuse, et le pire de 
tous, Pierre Flotte, y r^ussit dans cette occasion. 

Boniface avait confi^ ses bulies aux mains de Jacques 
des Normands, archidiacre de Narbonne et notaire aposto- 
lique, pour les porter a Paris. Mais avant que ce nonce prtt 
a route de France, oil il arriva au commencement de Fau- 
nae 1502 (1), tout etait deja prepare pour r^adre sa mis- 
sion inutile. Pierre Flotte, de retour de Rome, avait su exci- 
ter les plus funestes passions. Grace a son infernale ruse, 
le public et la cour lisaient avec indignation une petite buUe 
que nous retrouvons dans les actes du temps, et dont voici 
la teneur : « Boniface, eveque, serviteur des serviteurs de 
« Dieu, a Philippe, roi de France ; craignez Dieu et gardez 
ec ses commandements : nous voulons que vous sachiez 
c< que Yous nous etes soumis dans les choses temporelles 
c( et spirituelles; que la collation des b^^fices et prebendes 
c< ne vous appartient en aucune maniere; que, si vous avez 
« la garde de quelques-uns de ces benefices pendant les va- 
c< cances, vous etes obliged' en reserver les fruits auxsuo- 
c< cesseurs; et, si vous avez confere quelques-uns de ces b^ 
<x n^fices, nous declarons nuUe une telle collation, et cas- 
« sons tous les actes qui en auront etela consequence. Nous 
« r^putons heretique quiconque croira autrement (2) . » 

Quoique cette piece soit dans tous les historiens qui ont 
4crit sur ce triste demel6, quoiqu'elle soit dans la Glose du 
droit canon, il u y a que les hommes qui ne reculent de- 
vant aucune calomnie qui osent la regarder eomme une 
production de Boniface (3) . Sa brievet^ affect^e, le ton im- 



(1) Rubeo, p. 182. 

(2) Preuves du differend; p. 44. 

i^) Notamment Sponde, ann. 1501, dM4, et Pierre de Miarca, de Con- 
cordia sacerdotii et imperii, 1. IV, c<. XYi,n'*4,quilaconsld«rcBtcefiUDe 
apocryphe. 



DEM^li DE BONIFAG£ VIII AYEC PHILIPPE IE BEL. 11$ 

fdfimj, duf et o&ms^ni, qui y regne, ne fe^Reinbl^ ^n 
%nc\ine mmu^ve au style usite dans la epu^ rpmajis^^ iau 
ta» i^ fwbJesse et de dignite qui distingue en gen^rgj 1^ 
€i^rr«spQ»d«npe de Boniface VIII. D'ailleuFs^ Jacques des 
]^()rqaaJQ4s uia copstammenlt avoir annonce ^n roi de 
France, soit de vive voix, soit par ecrit, rien de seinbla- 
felf^ jjii|X premiers niots de cette petite buUe (i). JQe plus, 
les cardinaux, en corps, protest^rent et dans le consistoire 
et dans une note officielle oantre cette indigBj© pi^ce (2) ; 
Qt Boniface lui-weme acejjsa nomm^qaent Pierre Flotte 
d*m 6tre Tauteur (3). 

lie mol que produisit cette piece apocrypbe, dajas le pu- 
bli(5 mmme a la cour, deviiit irreparable. Apres une'deli- 
beration oA furent appeles Pierre Dubois, avocat du roi a 
Cautanoes, ^ le proQureur de Y Universite (4) , Philippe le Bel 
^^pondit par une lettre que le temps a malheureusement 
j^CM3gu4e, et qui n'e$t q,u une triste parodie de Tocrit pr^ 
.c^^. Elte wwnameiace par ces mots : .((Philippe^ par jja gr^e 
c< de Dimiy roi des Fraisigais, a Boniface, se donnant ppu^ 
« ^uvprjain pontife, peu ou point de salut. » La suite repond 
|i jQ^ Mb^ ; « Que yolre grande faituit^ sache que nous ne 
« ^mmes ^umis a personne dans les choses temporelle^. 
<( La coUatioii des benefices et prebendes vacantes, ainsi 

(1) Volumus vos pro certo lenere , quod noster S. Ponlifex nunquam 
scripsit regi, quod de regno suo sibi subesse temporaliter, iUudque ab 
ep lenere deberet; et magister Jacobus archidiaconus Narbo., notarius-et 
nuncius, sicut constanter aflirmat, ipsi D. regi, hoc ipsum yel simile 
nunquam verbaliter nunciavit, aut scripto. (Lettre des cardinaux k la po- 
blesse de France, Preuves du differend, p.f63.} 

(2) Dicitur.quod una alia littera fuit missa domino regi; nescio unde 
venerit ilia littera, sed scio quod per fratres sacri coUegii non fuit i^isisa. 
(Qpuiion da cardinal de Porto, Preuves du diiSerend, p. 7S;) 

(5)ilflAe Fetcus Jilteram no&tram... falsavit, seu^£alsad««a confixit. (9pj- 
.mon da p«pe, Preuves du differend, p. 77.) 
(4) Preuves du dlflerend, p. 45 



146 UISTOIBE DE Ik PAPAUTE, LIV. L 

a que le droit d'en percevoir les fruits, nous appartien- 
« nent en vertu de notre prerogative royale ; les provisions 
« que nous avons denudes et donnerons sont valides pour 
c< le pass^ et pour Tavenir, et nous en maintiendrons les 
« possesseurs envers et contre tons. Nous r^putons in- 
c< sense quiconque pense autrement (^). » 

On ^prouve un sentiment douloureux a la vue de cette 
OBUvre deplorable d'un grand roi qui s'abaisse aux inju- 
res envers un pape ; et, pour excuser Philippe le Bel d'un 
tel oubli de sa dignity, nous voudrions qu'il fut possible 
de dire que la m^me main qui supposa la buUe de Boni- 
face a suppose la lettre du roi. Mais, malheureusement, 
toutes les preuves se r^unissent pour faire de celle-ci une 
piSce authentique (2), 

Jacques des Normands parut k la cour au moment oA Ton 
y etait sous la premiere impression de Tecrit de Pierre 
Flotte. n y fut mal regu. On interpreta la buUe Aiismlta 
filiy qu'il apportait, dans le sens de la fausse buUe (3), et, 
pour lui montrer le m^pris qtf on en faisait, le dimanche 
aprfer octave dela Purification, c'est-^-dire le 11 fevrier, 
en presence de toute la noblesse qui se trouvait pour lors k 
Paris, on livra cette buUe aux flammes. Ce fut, dit-on, le 
comte d'Artois lui-mertie qui la jeta dans le feu, et mdrita 
ainsi le titre de digne satellite de de Flotte, que lui donne le 
pape (4) . La nouvelle de cet attentat inoui fut ensuite pro- 
clamee a son de trompe par toutes les rues de la ville (5). 

(1) Preuves du differend, p. 44. 

(2) Baillet, Hist, du demele, p. 115. 

(5) Letlre des prelats fran^ais au pape, Preuves du differend, p. 68. 

(4) Preuves du dififerend, p. 77. 

(5) Ex ms., Preuves du differend, p. 59. — Giovanni Villani, 1. VIII, 
c. Lxii. — Appendix ms. Annal. H. Steronis, ann. 1301. — Continual. 
Martini Poloni, ms. — Amalric, de Bonifacio, ap. Murat., t. Ill, part. II, 
p. 438. 



D^MEL6 DE BONIFACE VIII AVEG PHILIPPE LE BEL. 117 

Puis, opposant decret a decret, assemblee k assembl^e, le 
roi lanja une ordonnance par laquelle il convoquait les ^tats 
de son royaume pour prendre leur avis sur ce qu'il avait 
a faire dans les cir Constances presentes (1). Quant a Te- 
v^que de Pamiers, soit que T affaire de ce pr^lat ne fAt 
plus que secondaire, soit qu on vouMt a la cour de France 
se d^charger a son egard du poids d'une grande iniquite, 
on le remit entre les mains de Jacques des Normands. Ce 
fut le seul article sur lequel Philippe le Bel satisfit auxjus- 
tes reclamations du pape. Mais, comme s'il eut voulu faire 
de cette condescendance mfime une injure de plus, il in- 
tima k Tarchidiacre de Narbonne, ainsi qu'i Feveque 
de Pamiers, Tordre de quitter sur Theure les terres de 
France (2). 



(i) Leltre des prelats fran^ais au pape, ubi supra. — Thomas Walsingh., 
in Edward., p. 48. — Gontinuat. GuUiel. de Nang^iaco, ann. 1301. 

(2) Philippus reddens papae nuncio Appamensem episcop., ut de regno 
sue festinanter recederet, imperavit. (Ex Gontinuat. Gulliel. de Nang., 
ann. 1301.) — Ghronique de S. Denis, ann. 1301. — Thomas Walsingh., in 
Edward., p. 48. 



LIVRE DEUXlfiME. 



SOMMAIRE. 

AssemblSe des ^tats g^n^raux a Paris. — Faiblesse du clerg^. — Lettres des trois 
ordres au pape. — Consistoire k Borne. — Boniface r^pond dux deputes fran- 
(ais. — Bataille de Gourtrai. — Goncile de Rome. — BuUe Unam lotiMdfh. -^ 
Legation, en France, du cardinal Jean Lemoine. — Bdponse de Philippe le Bel 
aux articles pr^sentds par le l^gat. — Bulle Per processuf nostras. — Arresta- 
tion par les ordres du roi du nonce Benefrato. — Boniraoe VIII se r^dficilie avec 
Frdddric de Sicile. — li confirme T^lection d'Albert k I'Empire. — Nouvelle as- 
8embl6e des dtats g6n£raux a Paris. — Rdquisitoire de Guillaume Plasian contre le 
pape. -* On conclut a la convocation d'un concile gdnlral. — Adhesion des 
iSglises et communes de France aux projets schismatiques du roi. — Boniface VIII 
se retire k Anagni. — Bulle : Nuper ad aiAdientiam. — Gomplot de Guillaum^ de 
Nogaret. — Invasion subite de la ville d' Anagni, par ce seigneur et Sciarra Go- 
lonna. — Leur attentat sur la personne du pape. — Expulsion des Frangais. — 
Boniface VIII retourne a Rome. — Sa mort. — Election de Benoit XI. — His- 
toire et caractere du nouveau pontife. — Sa triste situation dans Rome. — Le car- 
dinal Maltieo Rosso des Orsini. — Benoit XI quitte Rome et se rend k Pdrouse. 
— Les Noirs et les Blancs k Florence. — Dante Alighieri. — Vieri des Gerchi et 
Gorso Donati, chefs des factions blanche ct noire. — Efforts du Saint-Sidge pour 
rSconcilier ces factions. — Gharles de Valois a Florence. — Le cardinal Albertioi 
de Prato y est envoyd par Benoit XI. — Resistance des Blancs et des Noirs a la 
mddiation du cardinal. — Proscription des Blancs. — Exil de Dante Alighieri.— 
Sa mort. — La Divina Commedia. ^ Suite du ddmSld de Philippe le Bel avec Ic 
feu pape Boniface VIII. — Moderation de Benoit XI. — II se prepare a procdder 
contre les auteurs de I'attentat d'Anagni. — Bulle Flagitiosum scelus. — Mort de 
Benoit XI. 

Les etats duroyaume s'ouvrirent le 10 avril dansTd- 
glise de Notre-Dame. Autant qu'on en peut juger par les 
actes, Tassemblee fut nombreuse, car les circonstances 



drnthi DE BONIFACE VIII AVEG PHJLIPPB LE BEL. 110 

^talent graves, et les ordres du roi pour sa convocation 
pressants et imp^rieux. Philippe le Bel y pr^sida. Pierre 
Flotte, devenu, depuis son retour de Rome, garde des 
sceaux, y debuta par un grand discours, dans lequel le 
ministre artificieux d^veloppa, avec une certaine Elo- 
quence, les plaintes du gouvernement centre la cour ro- 
maine. c<Cette cour, dil>il, fait un tort immense k Tfiglise 
« gallicane par les reserves, les provisions des evfechfe, 
« archev^ch^s, et des autres benefices qu'elle se permet en 
c< favour d'etrangers qui ne resident point. Gr&ce k mille 
« trompeuses inventions, le pape a trouvE le moyen de 
a disposer de tons les benefices, au point que les prElats 
« n'ont plus la faculty de recompenser le merite. Un nom- 
c< bre effrayant d'imp6ts, inouis jusqu'ft ce jour, epuise les 
« Eglises. Toute autorite est enlevEe aux archevdques; il 
« n'y a plus de suffragants ; la cour de Rome attire k elle 
c< toutes les affaires pour qu'on y vienne les mains pleines 
c< de presents. Elle pretend meme assujettir le roi ; mais 
a ce monarque proteste ici, devant vous, que, k Texemple 
« de ses illustres anc^tres, il ne reconnait d' autre sup^ 
« rieur que Dieu seul, et il vous supplie, comme ami et 
« comme seigneur, de lui prater une assistance Energique 
« pour le maintien des antiques libertes de la nation (1).» 
Ainsi parla le garde des sceaux.La premiere partie des 
griefs qu'il exprimait 6tait fausse ou exager^e ; la seconde 
renfermait prEcisEment ceux dont le pape accusait le 
roi, et dont le clergE fran^is s'^tait plaint amerement k 
Rome. C est ainsi que Philippe le Bel appelait T imposture k 
I'aidede Tinjustice. On en vint aux avis. Les barons, les 
syndics etles procureurs des communes, apr&s une secrete 

(i) Gediscours est analyse dans la Lett*e du clerge au pape. (Preu^es du 
differend, p. 68.) 



120 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. II. 

et courte deliberation, repondirent unanimement qu'ils 
^taient prfits a faire le bon plaisir du roi et a lui sacrifier 
pour cela non-seulement leurs fortunes, mais encore leurs 
personnes et leurs vies . line pareille adhesion ne surpren- 
dra pas quand on saura que la noblesse, coupable des me- 
mes exactions que le prince, avait le meme interet que lui 
a les defendre, et que le tiers, faible et domine, a une 
epoque d'ailleurs ou aucun v^hicule de la pensee n' avait 
cree d' opinion publique, ne pouvait avoir que celle du 
gouvernement. 

II n'en fut pas de meme du clerge. Plus eclaire que le 
tiers et plus desinteresse que la noblesse, il ne se dissi- 
mula pas que la pensee du gouvernement etait de lui faire 
partager^la solidarite d'une grande iniquite et d'exiger le 
sacrifice de son independance tout en T appelant a defendre 
rhonneur deTfitat. Disons, pour son excuse, qu il voulut 
prevenir les conclusions fatalesdeTassembl^e en cherchant 
a adoucir T esprit du roi et des barons par des paroles con- 
ciliantes, en s'efforcjant de leur persuader que le pape, 
dans ses lettres apostoliques, n^avait nuUement eu Vin- 
tention de toucher aux franchises du royaume et de porter 
atteinte a la prerogative royale ; ajoutons que, voyant ces 
moyens pacifiques repousses, et sommd de s'expliquer 
comme les deux autres ordres, il chercha a gagner du 
temps en demandant un delai pour se resoudre. Mais ce 
timide essai de resistance ne servit qu a devoiler Tesprit 
qui presidait a cette assemblee. Non-seulement tout delai 
fut refuse. Ton declara encore que, si le clerge ne donnait 
sur-le-champ une reponse telle qu'on la desirait, on allait 
le proclamer traitre au roi et k Tfitat. C'etait le moment ou 
jamais d'annoncer une heroique opposition, de demander 
de quel droit, dans une assemblee d^lib^rante, on pre- 
tendait dieter les suffrages par la menace. Un pcju de cou- 



DtiSklk DE BONIFACE VIII AVEG PHILIPPE LE BEL. I2i 

rage, deploy 6 k propos, aurait arr^t^ Philippe le Bel, qui 
n 6tait fort que parce qu'on se montrait faible. Mais la 
crainte de voir leurs benefices retires et d'etre exposds a 
la vengeance du prince imposa silence aux prelats, et, 
centre la voix de la conscience et de Thonneur, ils se ran- 
g^rent a T avis de la noblesse et du tiers. Ce sont eux- 
mSmes qui avouent cette inqualifiable lachete, dans une 
lettre que le temps a epargnee pour Teternelle honte de 
cette assemblee de courtisans (1). {Pihces justifi., n^ 5.) 

La derniere tentative que hasarda le clerge fut de sup- 
plier le roi de lui permettre au moins de se rendre au 
concile convoque par Sa Saintete. Mais on avait suffisam- 
mentfaitTessai de sa faiblesse. Un refus unanime fut la 
reponse a cette requite (2). Sur-le-champ, une nouvelle 
ordonnance royale defendit a tons les sujets du royaume 
de France, prelats, pairs, barons, sous les peines les plus 
graves, de sortir de France sans permission du roi, ou 
d'en exporter de Tor, de Targent, des chevaux. Et, pour 
que ladite ordonnance regut son execution, des gardes 
furent placees a toutes les issues des frontieres (3). 

Tel fut le resultat de cette celebre assemblee, ouTon vit 
la nation frangaise prendre le parti d'un monarque qui 
Fopprimait centre un pape qui lui effrait la sauvegarde 
de sa puissance centre la tyrannic; ou Ton vit le clerge 
frangais, apres avoir invoque Tautorite du pape centre 
les empietements du roi, servir les passions de ce meme 
roi centre T intervention protectrice du pape. Certes, si 
c'est dans cette assemblee, cemme en Fa ecrit, que les 

(i) Lettre des prelats au pape. 

(2) M^me lettre. 

(5) Gontinnat. Gulliel. de Nang. ann. 1302.— Henric. Steronis Altha, 
p. 404. — Thorn. Walsingh., in Edward., p. 48. — Amalric, de Bonif., 
ap. Murat.» t. Ill, part. II, p. 458. 



in msTomE de la papaute, liv. ii. 

liberty de I'Eglise gallicane ont 6X& d^fendues pour la 
premiere fois, il faut avouer que ceux qui la composaient 
se faisaient une etrange idee du mot de liberty. Jamais la 
servitude fut-elle consacree d'unemani^re plus solennelle? 

Gependant, malgre les conclusions que T assemble 
avait prises centre le pape, ni elle ni son chef ne parur 
rent vouloir encore rompre avec lui. On d^cida que 
les trois ordres enverraient, chacun de son cdt^, des 
lettres a Rome, et qu'une deputation honorable serait 
chargee de porter ces lettres. Dans cette ambassade, 
Pierre de Mornay, 6v6que d'Auxerre, representa le roi ; 
Pierre de Ferrifere, ^v^que de Noyon, Robert d'Harcourt, 
^v^que de Goutances et Berenger de Fredol, ev^que de B6- 
ziers, repr^enterent le clerge {^).Les deputes du tiers etat 
ne sent pas connus. Gette ambassade avait de plus com- 
mission de demander au pape rajoumement du concile a 
une ^poque plus favorable. Les lettres de la noblesse et du 
tiers etat Airent adressees au college des cardinaux. Ellas 
n'^taient qu une repetition des griefs all^gu^s par Pierre 
Flotte, auxquels on ajoutait T insolence de contester au 
pape le droit de reformer les excfts du roi et de ses offi- 
ciers k regard de Tfiglise (2). Gelle duclerg^ s'adressait 
au pape. G'etait un compte rendu fidele de ce qu' avait 
fait Tassemblee du 10 avril (3). 

Les cardinaux en corps r^pondirent aux lettres de la 
noblesse et du tiers* Ges reponses sent pleines de dignity, 
de justice et de moderation, et celle qui s'adresse a la 
noblesse est un traite clair et concis dans lequel les oa- 
lomnies de Pierre Flotte sont devoilees, et ses accusa- 



(i) Baillat, Hist, du demdle, p. 124 et suiv. 
(8) Preuves du difiereud^ p. 60. 
(5) Id., p. 67. 



DEMELE DE BONIFACE Yllt AVEC PHILIPPE LE BEL. 433 

tidnft f^fut^^ Tuiiedpres rdutre(l)4 M^is Boniface^ person- 
Mlieinedt offense par tout ce ({ui s'^tait pass^ k Pariis, ne 
put ^ontenir son indignation ; elle delate dam la buUe qu'il 
ddredse au clerg^ (2). U y appelle Tfiglise gallicane une 
fiUe insensee (3); il y ridiculise avec une am fere ironie 
Pierre Flotte (4), cetorgane des perfides conseils qui ^ga- 
raient le roi ; il y flagelle jusqu'au sang la l&chet4 de ces 
pr^lats qui ont abandonne la cause du ciel pour les sor^ 
didei^ int(^r6ts de la terre ; il leur demande comment ils 
d6t pu entendre tant de discours schismatiques et impies 
safls ies rdfuter ou du moins sans protester centre eux (5) ; 
ei finit en les mena^ant des censures canoniques, si, ce- 
dent encore 4 la crainte du pouvoir temper el, ils refusent 
d'obeir aUx ordres eman^s du Saint-Si^ge apostolique. 

L' expedition de ces lettres fut suivie d'un grand con- 
siSt(^re, dont il faul placer la date k la fin du mois d'aoftt 
1302, et aUquel assist^rent les deputes du roi et du clerg^. 
Le cardinal de Porto, Mattaeo d'Aquasporta, y pronon^a, 
6ur ces pAroles de Tficriture : c< Je f ai constitu^ au-dessus 
A de* nations et des royaumes pour arracher, detruire, 
« disperser, blitir et planter » une noble allocution. II pro- 
le*ta qu'entfe le pape et le sacr^ college il n'y avait qu une 
*fettle matti^re de voir, qu'une meflfie pensee; qu'ainsi, 
dan* ce qui concerfiait le d^mfile du chef de Tfigliseatec 
le rt)i de Frante, totit s'etait fait d'un commun accord* 
Eftiuite ii r^^^a la bulle Au^mlta f;li, en loua T esprit el 
ta ferine, ^eij^iqua le^^s, s'eleva conlre lesindigftes 



{]) Preuves du differend, p. 6S. 

(2) M., p. *S. 

^3) Terba delirantis fiiiae. 

(4) Semividens corpore, menteque totaliter excaecatus. 

(5) Malta superba et schismatica in concione profata fuerunt... quae 
per vos debebantur rejici, vel certe potius non aitdiri. 



124 flISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. II. 

falsifications qu'on en avait faites, fletrit du nom d'Achir 
tophel les conseillers qui abusaient de la facilite et des 
bonnes intentions de Philippe le Bel, et montra que le pape 
ne faisait aucun tort a Sa Majeste en appelant aupres de 
lui les prelats de France (1). 

Boniface parla aprfes le cardinal. II prit pour texte ce 
verset de Tfivangile : « Ce que Dieu a joint ensemble, 
« rhomme ne le separe pas. » Appliquant ces paroles k 
FEglise romaine et au royaume de France, le pape dit que 
de tout temps ces deux puissances avaient ete unies par 
les noeuds de Tamitie; montra que cette union avait fait 
jusque-la la prosperite du royaume de France, cita un 
fait de cette prosperite : T augmentation des revenus du 
roi, qui, seulement de dix-huit mille livres sous Pbilippe- 
Auguste, atteignaient, sous Philippe le Bel, gr^ce aux fa- 
vours et aux dispenses de Tfiglise, la soinme de quarante 
mille livres. II exprima ensuite la douleur qu'il ressen- 
tait de la funeste discorde qui brisait cette union ; accusa 
de ce malheur Pierre Flotte, le comte d'Artois et le comte 
de Saint-Pol; repoussa ayec force la folle pretention qu'on 
lui avait malignement attribuee de vouloir empieter sur le 
pouvoir du roi; demanda que, s'il avait failli en quelque 
chose, Philippe le Bel lui envoyHt des hommes de bien 
comme le due deBourgogne et le due de Bretagne; qu'il 
etait pret a reparer ses torts. aCertes, ajouta-t-il, nous ai- 
c( mons le roi, et Dieu sait si nous nous sommes interesse 
c( a sa conservation et a sa gloire ! Mais qu il ne nous 
« pousse point a bout, car nous connaissons le secret de 
« sa faiblesse ; trois rois de France ont ddja ete deposes 
« par nos predecesseurs, et qu'il sache que nous avons en 
a main le pouvoir de le ramener a la raison. » L'indigna- 

(i) Prcuves du differend, p. 7T. 



DEMELE DE BONIFACE VIII AVEC PHILIPPE LE BEL. 425 

tion semblait montfer au coeur du pontife a mesure qu'il 
parlait. U finit en disant : « Loin de suspendre la convo- 
« cation des prelats frangais au concile, nous la renou- 
« velons, au contraire, et la confirmons ; que ceux qui ne 
« pourront venir a Rome k cheval s'y rendent a pied (1). » 

Telles furent les reponses que Boniface donna aux d^pu- 
t^s, et que ceux-ci rapport^rent a la cour de Philippe le 
Bel. EUes ne laissaient k ce monarque que le choix entre 
une sage soumission etun juste chatiment. Leton du pape 
y ^tait haut et ferme, et il ne paraissait d^cid^ a se relK- 
cher sur aucun point. La mediation m^me du due de 
Bourgogne, qu'il avait paru vouloir accueillir dans le 
consistoire, il ne tarda pas, quelques jours apres, a la re- 
pousser, en faisant ecrire a ce prince, par les cardinaux de 
Porto et de Sainte-Potentiane, qu' apres avoir ^t^ si in- 
dignement traits par le roi, un repentir manifeste et une 
reparation solennelle etaient seuls capables de r^tablir la 
paix (2). 

Quand on a vu Tarrogance de Philippe le Bel et de ses 
barons dans Fassemblee du 10 avril, on s'explique pour- 
quoi Boniface repoussait ainsi toute composition. Mais 
peut-6tre Finflexibilite du souverain pontife avait-elle une 
autre cause. Tout porte a croire que la nouvelle de la r4- 
volte des Flamands et d'une ^clatante victoire remport^e 
par ces derniers sur Farmee frangaise s'^tait deja divul- 
gu^e k Rome. En effet, le 11 juillet, pr^s de Courtrai, et 
sur les bords de la Lys, le comte d'Artois, a la tSte de cin- 
quante mille hommes, avait tente, dans une attaque brusque 
et mal concert^e, de forcer les lignes des Flamands. Mais 
ceux-ci, exalt^s par la soif de la vengeance, favoris^s par 



{i) Preuves du differend, p. 77. 
(2) Id., p. 80 et 82. 



i^ HlSTOiRfi DB LA PAPAUTE, U¥. U. 

leur position, et profitaot de la t6m^ritj& et du d^Bordra 4e 
leurs ennemis, les avaient horribl^ment battus. l^e triom- 
phe des Flamands avait 4t^ pomplet, la d$uil4a$ Fraa^is 
inexprimable. Le comte de S^int-Pol, la sire de Taacarville, 
le oonu^table de Nesle, Pierre Flotte, le comte d'Artois 
Itti^Bfime, Telite de la noblesse, vingt mille hommes, pr^s 
de la moitie de Tarin^e en&n, 4taient re^t^s sur U i^b^mp 
de bataille (4); et, sous le coup de eet immense d^^sastriei 
la pape pensait que le roi, abattn^ s^att plus pri^ 4a la 
soumissk)!!, Mais ici ses esperances fureot trorup^e^. Pbir 
lippe le Bel, m^con^aissaut la terrible l^gOE que lui don- 
nait la Provid4efice, ne s'occupa qu'a reparer rhoaoeur de 
s^armes, sans songer a donner satisfaction h T^gliaa. 

Le coBXjile de Rome g'ouvrit le premier jour de nov^m- 
bre 1502. Malgre les defenses reiterees du gouveroem^it 
^t ses precautions rigoureuses, il s'y trouva quatre archer 
vSques frangais, trente<5inq ^veques et six abb^, qui ai- 
merent mieux braver les menaces du prince qu'eo^jowrir 
les censures du pape (2) . On me sait gu^re ce qui sa |)iassa 
dans ce synode. Ge qui est certain, c'est que Philippe le 
Bel n'y fut pas excommuni^^ Les cboses y furent mfime isi 
peu |>ortees h Textr^mit^, qu'une histoire contenaporaine 
4itassez Cacetieusement qu'api^s tant d'^dairs qui.aydieni 
mfOEiace le roi d'un orage, il ne tomba ^uciuue pluie (3). 
On s'accorde gen^ralemeni; li dife que les conclusio»5 pri- 
ses dans cette aesemblee sont coatesues daofts Ja Imlle 
Ufwm eanctem, qui parut immediatemeiH apit^s. Yoici la 
jsiftbfitanGe de cette fameuse constitution .: a La M novfi 



(1) Meyer, AnnMesiPlandri^, t. X.-^E^ondo, ann. i5a2,>P^ 5. 

(2) Preaves du differend, p. 86. — Raynald, ann. 1302, n*" 12. 

(5) Mullis tandem coruscationibus contra regem praeviis, pluvia nulla 
apparuit. (Anonymus, ap. Raynald, loco citato. )'-^Franoi»2iFipiiiit€hvon., 

I. IV, C. XLI.) 



DEM^li m BONIFACE VllI AVEG PHIUPPS LE BEL. 4S7 

« oblige a confesser et k croire une Eglise sainte et apofito- 
« lique, dans laquelle il n'y a qu un Seigneur, qu'une foi, 
« qu'un bapteme. Done, si eette Eglise ne foit qu'ua seul 
« corps, elle ne doit point avoir plusieurs tdtes, a la ma- 
H mere des monstres, mais nne seule, aavoir : J^sus«€hrist 
a et son vicaire, ie successeur du bienheureux Pierre, k 
a qniil a 6i& dit : Paissez mes brebts, non point celle$^i 
« on celles-la, mais toutes en' general. La parole ^van* 
« gi^lique nous apprend qu'il y a deux glaives au ser^ 
a Tice de Ffglise : le glaive spirituel et le glaive tem- 
c< poi^el. Le premier doit etre employ^ par TlSglise, h 
<K second pour r£glise. Le premier est entreles mains des 
a prfitres, le second dans celles des rois et des guerriers, 
<x toujours sous la direction des pretres. D faut que Tun 
« de ces glaives soit soumis k T autre, et que la puissance 
a temporelle ob^isse a la puissance spirituelle. Done, si 
a la poissance temporelle tombe dans Ferreur, c'est a la 
c< puissance spirituelle k la juger. Mais celle-ci n'est jugi^e 
« que par Dieu seul. Telle est la puissance que le bienheu- 
a reui Pierre a regue de Jesus-Christ, et dont ses suoces- 
c( sears sent investis. Celui qui resiste a cette puissance, 
cc r^igte k Tofdre deDieu, k moins qu'on n'admette deux 
a prineipes, ce qui est faux eth^r^que. En consequence, 
« nous declarons, pronongons , d^finissons, que toute 
(c cr^ure humaine est soumise au pontife remain, et 
« oela de necessity de salut. » {Pihces ju$tif. , n*" 6.) 

Le dessein du pape, dans cette constitution^ est d'eta- 
Uir qu'il n y a dans TEglise ckretienne qu'un seul pou- 
voir directement institu^ de Dieu ; puis, comme dans la so- 
oi^ des fidi&les il y a aussi la society des citoyens, que oe 
pouvoir se bifurque, pour ainsi dire, en pouvoir i^qpiritoel 
et en pouvoir temporel, le premier repr^sente par le pape, 
le second par le prince, Ce principe ^tabli, la liaison des 



128 flISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. II. 

id^es le conduit naturellement a en deduire cette conse- 
quence, que le pouvoir spirituel etant sup^rieur, en raison 
de son excellence, au pouvoir temporel, celui-ci est de- 
pendant de r autre, doit subir sa direction et pent 6tre re- 
dresse par lui. Et ici il n'est pas question d'un ordre de 
choses special a la France, mais d'une maxime g^nerale, 
applicable a tons les fitats chretiens. Boniface n'ysoutient 
point qu'il aitsurles royaumes Tautorited^un suzerain sur 
un fief, il y revendique simplement le pouvoir supreme de 
juger les princes touchant T administration de leurs fitats, 
et de corriger leurs fautes par ses decrets apostoliques {\). 
Et, certes, nous avons vu anterieurement si une sembla- 
ble pretention n'avait pas sa racine dans le droit public. 
Philippe leBel, qui la repoussait avec tant de force comme 
inou'ie, aurait dA se souvenir que le grand Innocent III, 
dans sa querelle avec Philippe-Auguste, Tavait reclamee 
comme un privilege incontestable du successeur de 
Pierre. Quant k la conclusion qui termine cette buUe, 
savoir, que toute creature humaine est soumise au pape^ il 
est certain qu'elle n'est pas plus forte que tout ce qui pr6- 
c^de. Des gallicans, comme Bossuet et Pierre de Marca, 
s'^tonnent meme de sa moderation. N'est-ce pas, en effet, 
mn article irr^formable de la foi catholique que tout 
Chretien est soumis au vicaire de Jesus-Christ ? Et, si les 
particuliers reinvent de sa juridiction supreme, pourquoi 
les princes n'en seraient-ils pas justiciables ? Si une telle 
doctrine etait aussi reconnue quelle est logique, elle se- 
rait centre la tyrannic la sauvegarde des nations, bien 
mieux que les constitutions ephemeres que les peuples 
enfantent avec de si longues douleurs, et que les revolu- 
tions brisent en un jour. 

{i) De Marca, Concord, sacerd. et imp., 1. IV, c. xvi, n° H. 



DEMELE DE BONIFACE VIII AVEG PHILIPPE LE BEL. 129 

La publication de la buUe Unam sanctam produisit en 
France une vive sensation. Le gouvernement s'en inqui^ta, 
et, pour en neutraliser Teffet, il eut recours a un de ces 
moyens immoraux qui n'ont que trop souvent d^shonore 
la politique humaine. Le 12 mars 1503, dans une assem- 
blee solennelle de prelats et de seigneurs convoqu^s au 
Louvre, Guillaume de Nogaret presenta au roi une longue 
requete, ou, apres avoir appel^ Boniface un docteur de 
raensonges, un intrus qui s'^tait introduit dans la bergerie 
a la maniere des voleurs, et qui usurpait le nom de Boni- 
face; apr^s avoir avance, 1*" que ledit Boniface n'etait 
point pape ; 2° qu'il ^tait un heretique manifeste ; 3° un 
horrible simoniaque, il suppliait instamment le roi d' em- 
ployer son autorite a la convocation d'un concile general 
qui condamnat Finfame pontife dont la personne occupait 
si indignement le Saint-Siege apostolique, et pourvtit TlE- 
glise d'un pasteur legitime (4). Ainsi on prenait & Paris 
la meme route que les Colonna avaient suivie a Rome 
dans leur querelle avec Boniface : on cherchait a attaquer 
le pape dans F opinion, k repandre des semences de 
schisme. Au reste, les Colonna etaient a la cour, et Fin- 
spiraient sans doute de leurs conseils. 

Cependant, malgre le scandale du Louvre et les menaces 
de Rome, le pape et le roi n etaient point encore si eloi- 
gnes Fun de F autre que Fesperance d'un rapprochement 
fat tout a fait perdue. EUe se montra meme a F instant oti 
Fon devait la croire tout a fait aneantie. Boniface avait 
nomme pour son l^gat en France, au commencement de 
Fannee A 303, Jean Lemoine, cardinal de Saint-Marcellin. Le 
choix seul d'un tel homme ^tait d'un heureux presage. Le 
cardinal, a Favantage d'etre Frangais, joignait les qualites 

(i) Requite de Nogaret, Preuves du difjferend, p. 56. 



iW UISTOIRE DE LA PAPAUT^, LIV. II. 

morales propres k le faire r^ussir aupres de Philippe le Bel . 
II etait modere, insinuant, et surtout il possedait Testime 
Qt r affection du monarque (1). Le but principal de sa mis- 
sion etait de presenter a la cour de France une serie de 
onze articles. La conclusion de la paix devait 6tre au prix 
d'une acceptation simple et franche de ces articles, Mais, 
en meme temps, le pape ne dissimulait pas que le reiiis 
d'y faire droit serait le signal de procedures rigoureuses. 
Voici la substance de ces articles : 1° La defense que le poi 
avait faite aux ecclesiastiques de se rendre a Rome devait 
Hre revoquee ; 2® le pape ayant le souverain pouvoir de nom- 
mer aux benefices vacants en cour de Rome, aucunlaiquene 
pouvait les conferer sans sa permission ; 3° le pape ppuvait 
envoyer, sans licence de qui que ce fut, des legats vers les 
souverains auxquels il le jugerait a propos; 4"" T administra- 
tion de tons les biens ecclesiastiques appartenant de droit 
au pape, il pouvait seul en disposer; 5** aucun prince n' avait 
le pouvoir de faire saisir les biens du clerg6, ni d'en citer 
les membres a son tribunal pour des actions personnelles 
on pour des immeubles qu'ils ne tiendraient point en fief; 
6** le roi avait souffert qu'une buUe fut brulee en sa pre- 
sence, c' etait la un fait inou'i dont il devait on se disculper ou 
subir la peine par la revocation des privileges que le Saint- 
Siege apostolique lui avait accordes ; T le roi ne devait 
plus abuser de ce que, par abus, il appelait regale, en rui- 
nant les eglises confiees a sa garde pendant la vacance des 
sieges ; 8° il devait restituer aux prelats le glaive spiri- 
tuel, nonobstant les privileges obtenus pour en p^met- 
tre F usage auxseculiers en certaines circonstances ; Q*" Tal- 
t^ation des monnaies, les violences et les exactions des 
officiers de la couronne ayant cause de grands dommages 

(i) Rubeo, p. 195. — Baillet, Hist, du demMe, p. 172. 



DEMELE DE BONIFACE VIII AVEC PHILIPPE LE BEL. -KM 

au clerg^ et au peupte de France, le roi 6tait tefiu a i*epa- 
rer convenablement ces dominages ; >l 0** le legat Jac({iies 
des Normands ayant ete mal ac(5u€illi a la eour, ee .fait 
demandait une explication ; 1^ onzieme article concernait 
rind^pendance de la ville de lyon et de son eglise (1). 

Le legat presenta ces articles an roi au commencement 
de mars 1303. A en juger par deux lettres de Boniface en 
date du 13 avril, adressees, Tune a Charles de Valois, Tautrc 
k Pierre de Mornay , ^v6que d' Auxerre, ces articles auraient 
et^ communiques au prince eta Teveque; tons deux les au- 
raient approuves, et se seraient de plus engages a les faire 
accepter du roi (2). Mais, soit que le prince et TevSque 
aient agi moUement aupr^s de Philippe le Bel, soit qu'a- 
vec plus de vraisemblance ils eussent trop pr^sum4 des 
intentions pacifiques du monarque, et que leurs coilseils 
aient ete meprises, cette tentative de conciliation echoua 
e<mime les prec^dentes. 

Philippe le Bel r^pondit sur-le-champ et dans le m^me 
ardre aux articles proposes. II disait, sur le premier, qu'au- 
cune intention de m^pris ou de vengeance centre TEglise 
pomaine ne Tavait excite k interdire aux eccl^siastiques 
la sortie de son royaume, mais le malheur des temps seul ; 
qu'il etait toujours pret a leur permettre de so rendre en 
eour deRome, lorsqu'ils allegueraient des raisons legitimes. 
Au second, au quatri^me, au cinquieme, au septiemie, 
qui regardaient la collation des benefices, la disposition 
des biens, des revenus eccl^siastiques et la jp^gale, il re- 
pondait ^i justifiant sa conduite d'apr&s les us et coutu- 
mes de ses pred^cesseurs, promettait de remedier k Tave- 
nir aux abus, et assurait qu'il s' etait d^ja occup4 der^pa- 



(4) Preuves du differend, p. 90. 
(2) Id., p, 97. 



152 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. II. 

rerlesd^sordres passfe. Surletroisi^me, il disaitqu'iletait 
loin de sa pensee de blSmer T envoi de tel ou tel 14gat, et 
que, pour lui, il n'en refuserait jamais aucun, a moins que 
ce ne futunpersonnage suspect d'ailleurs. Sur le sixieme, 
ou il etait question de la lettre pontificale briilee, il disait 
que ce fait etait arrive k Toccasion d'un procfes entre Te- 
veque de Laon, son chapitre et les ^chevins de la ville. 
Ceux-ci ayant demontre la nullite d'une bulle invoqude 
par Feveque, cette bulle avait ete abandonnee, du con- 
sentement de T^vfique meme, et brAlee sans offense de 
Dieu, du pape et de Tfiglise. II passait le huiti^me sous 
silence (1) . Au neuvi^me et au dixieme, il r^pondait que les 
besoins de Tfitat Favaient engage, il est vrai, a alterer la 
monnaie, mais qu en cela Fexemple de quelques-uns de ses 
predecesseurs etait pour lui; qu au demeurant une partie 
des torts subis par ses sujets avait deja ^te reparee, et 
qu'a Tavenir il ferait en sorte d'ecarter sur ce point tout 
motif de plainte. II ajoutait que des ordres avaient d^ja et^ 
donnes pour remedier aux violences et aux exactions dont 
le pape accusaitles officiers royaux (2). Au onzifeme, enfin, 
qui concernait Tindependance de la ville de Lyon, il r4- 
pondait que, r^solu de n'exercer aucun droit qui ne lui ap- 
partint, il etait pret a traiter et a entrer en accommode- 
ment sur ce sujet. II terminait en exprimant son desir sin- 
cere demaintenir, a Fexemple de ses predecesseurs, Funion 
entre le Saint-Siege et le royaume de France ; suppliait le 
pape de vouloir de son cdt^ la meme chose, de ne point le 
troubler dans Fexercice de ses libert^s, franchises et pri- 

(1) Je ne sais pas oii Baillet (p. 178) a pris la reponse qu*il pr^te au roi 
sur le huitieme article : il u'y en a aucune dans Toriginal, et cet article 
est litteralement saute. * 

(2) Philippe le Bel elude egalement, dans cette reponse au dixieme ar- 
ticle, le point qui concernait le nonce Jacques des Normands. 



DEMELE DE BONIFACE VIII AVEG PHILIPPE LE BEL. 153 

vil^ges ; offrait enfin, si ces reponses ne paraissaient pas 
suffisantes, de s'en tenir a Tavis des dues de Bourgogne 
et de Bretagne, qu'il savait jouir d'une consideration spe- 
ciale aupres de Sa Saintete (1). 

Si Ton ne regarde qii'au ton modere de ces reponses, 
on pourra supposer a Philippe le Bel Tintention reelle de 
satisfaire le pape; mais, si Ton en pese les termes, si on 
les rapproche surtout des articles proposes, on y verra bien 
vite le dessein calculi de deguiser une odieuse conduite 
sous le voile d'une hypocrite humilite. En general, ces re- 
ponses meritaient lereproche queleur fit le pape, d'etre va- 
gues, equivoques, obscures, evasives (2). Deux eludaient 
la question, et la sixi^me etait une inqualifiable imposture. 
Aussi excit^rent-elles T indignation de Boniface. II Texhala 
d'abord dans les deux lettres qu'il adressa. Tune au prince 
Charles de Valois, sousle nom de due d'Alen^on; T autre, 
a Teveque d'Auxerre. Puis, sans delai, il exp^dia au car- 
dinal de Saint-Marcellin, par Tentremise de Nicolas Bene- 
frato, archidiacre de Goutanees, trois buUes. Dans la pre- 
miere, il se plaignait amerement a son legat d* avoir ete 
degu dans ses esperances de conciliation, caract^risait les 
reponses du roi, en signalait Tinsuffisance, le priait d'en 
obtenir d'autres de Sa Majeste, et, pour preuve du desir 
qu'il avait de la paix, il acceptait la mediation des dues 
de Bretagne et de Bourgogne, que le roi avait offerte (3). 
Dans la seconde, il renouvelait aux ecclesiastiques qui 
n'avaient pas paru a Rome Tannee precedente la citation 
de s'y rendre dans le delai de trois mois, donnait a cet egard 
une assignation sp^ciale aux archeveques de Narbonne, de 

(i) Preuves du differend, p. d2. 

(2) Aliquas vero sub yerborum foliis involutas, dubiae, incerUe. (Preuves 
da differend, p. 95.) 

(3) Preuves du differend, p, 95 



iM HISTOIBE DE LA PAPAUTI; LIV. II. 

Sens, aux ev^ques de Saissons, de Beauvais, de Meaux, a 
I'abbe de Saint-Denis, et, en cas de des(d>eissance de lear 
part, les mena§ait des plus graves peines (1). La troisieme 
etait la bulle qui commence par ces mots : Per processus 
nostroSy dans laquelle, apres avoir rappele les diverses 
sentences d* excommunication generale portees dans le 
cours du demele, il declarait qu il n' etait point doiiteux 
que Philippe le Bel n'eAt encouru lesdites cen&ig:e3, noB- 
(^stant son rang supreme et les privileges, s'il enavait, 
de ne point etre frappe des peines canoniques, et excom- 
muniait les prelats et ecclesiastiques qui seraient assez 
hardis pour lui administrer les saerements et c^l^^rer le 
service divin en sa presence pendant le temps qu il serait 
lie par les censures (2) . 

Pour r intelligence des faits, il faut remarquer que 
la constitution qui frappe le coup extreme est du 
45 avril 4505, c est-a-dire de la meme date que cdle ou 
le pape, en priant Philippe de changer ses reponses, et 
en acceptant la mediation qu il lui avait offerte, ouvrait a 
ce prince un dernier moyen d'eviter Tanatheme. La si- 
multaneite de ces deux buUes, si differentes d' esprit et de 
ton, les rendrait iniiitelligibles, si leur publication avait 
d6 suivre immediatement leur expedition au cardinal 1^* 
gat. Mais il est evident, k moins de supposer Boniface 
prive de sens, qu il n en devait pas etre ajnsi, que la bulle 
Per processus nostros n' etait donnee que par provision, et 
ne devait ^tre fulminee qu au cas oii le roi, refusant tout 
moyen de conciliation, forcerait enfin le pape a recourir 
aux foudres de FEglise (5). 

Mais Taveugle precipitation de Philippe le Bel rendit 

(1) Prcuves du differend, p. 88. 

(2) Id., p. 98. 

(5) Ge simple raisonnement aurait du avertir Baillet que ee fi'4tait ni 



DEMEL^'DE BONIFACE VIII AVEC PHILIPPE LE BEL. 155 

inutiles tons les calculs de la prudence humaine, et amena 
Ub derniers malheurs. Avert! sans doute par ses emissai- 
r«B du contenu des bulles, il donna ordre d'arr^ter Bene- 
frato a Troyes, de saisir ses depeches, et de le jeter lui- 
meme dans une etroite prison (1). G'etait la seconde vio- 
lence que le roi se permettait sur les legats du pape. En 
vain le cardinal de Saint-Marcellin se presente a la cour 
pour protester contre cet inqualifiable attentat, et sollici- 
ter, au nom du droit des gens et des immunites ecdesias- 
tiques, I'elargissement de Benefrato, ainsi que la main- 
levee de ses depeches ; sa voix, naguere ecoutee, est me- 
conHue (2), On ne repond a ses justes reclamations que 
par la convocation d'une seconde assemblee des etats ge- 
n^raux, et par une ordonnance s^v^re qui place sous 
le sequestre les biens des ecclesiastiques absents du 
royaume (3). Neglige d^s ce moment meme, g^ne et epie 
dans toutes ses demarches, le cardinal comprit que sa 
mission «tait finie, et, plein des plus tristes pressenti- 
metits, il se hsita de quitter la France pour retourner a 
Rome (4)« 

Apr^s un tel eclat, toute negociation devenait inutile ; 
ks glaives etaient tires. Mais, dans cet etat de choses, la 
partie n'etait point ^gale. D'un cote se presentait un mo- 
narque, maitre de toutes les forces d'un royaume puis- 
s^iat, soutenu de plus par un clerge servile qui lui avait 
appris le secret de tout obtenir de lui; de T autre. Ton 
voyait un vieillard, seul et n' ay ant pour defense que les 



Vimpatience ni le chagrin qui porta Boniface a expedier le m^me jour ces 
den bulles. 

(4) Sponde, 1. 1, aun. 1305, n*" 7. 

(2) Preuves du difFerend (buUe : Petri solio excelso Ihrono), p. 184. 

(5) Id., p. 99. 

(4) Bulle : Petri solio, loc. cit. 



136 HISTOIBE DE LA PAPAUTE, LIV. II. 

principes ^ternels de la justice et ropinion, alliee capri- 
cieuse et volage toutefois, qu'un faux bruit, una calom- 
nie repandue a propos, suffit pour rendre infidele. Depuis 
longtemps Boniface avait la conscience de cette situation. 
II ne se dissimulait pas que les adversaires du Saint- 
Siege etaient nombreux et redoutables : en AUemagne, le 
nouveau roi des Romains, Albert, dont on refusait de re- 
connaitre le titre; en Espagne, le roi de Castillo, frappe 
d' excommunication a cause de ses iniquites envers Ffi- 
glise ; en Sicile, Frederic, dont la querelle avec la maison 
d' Anjou devenait de jour en jour plus facheuse ; autour de 
lui, tout le parti gibelin comprime par la force, mais qui 
n'attendait qu'un signal pour reprendre son audace. Quel 
grave sujet de pensee, quand Forage grondait du cote de 
la France ! Mais, si Boniface voyait le danger, il travaillait 
activement a F eloigner. Le point important etait d'aug- 
menter le nombre de ses amis en diminuant celui de ses 
ennemis, et il se tourna d'abord du cote de Fr6d6ric. 

Nous avons laisse ce prince au moment oA il venait de 
s'asseoir sur un trone menace a la fois par les foudres de 
Rome et les prdparatifs de guerre du royaume de Naples. 
Le nouveau roi brava les anathemes, et se disposa a entre- 
prendre centre Naples une lutte que tout semblait contri- 
buer a rendre inegale. Mais il etait soutenu par son cou- 
rage, par les talents de deux personnages de la plus haute 
distinction, Giovanni de Procida, et le grand amiral Roger 
de Loria, par le devouement enthousiaste des Siciliens. 
pour la cause de Findependance, et enfin par une foule 
d'aventuriers gibelins dont la Sicile etait devenue le ren- 
dez-vous. La fortune des armes lui fut d'abord favorable. 
Roger de Loria, a la t^te de Farmee sicilienne, conquit 
Squillace, Catauzaro, Policoro, San-Severino, Rossano, en- 
leva Lecce et Otrante, et fit lever le siege de Rocca Imp4- 



DEMfiLE DE BONIFACE VlII AVEG PHI]JPPE LE BEL. 157 

riale, par lequel Charles avait commence les hostilites (1). 
Mais une querelle survenue entre le nouveau roi et le 
grand amiral ayant force ce dernier a passer dans le camp 
ennemi (2), Giovanni deProcida ayant dans ces entrefaites 
abandonne son service, et le roi d'Aragon, pour tenir la 
promesse qu il en avait faite, etant venu Fattaquer avec des 
forces superieures, la victoire deserta ses drapeaux (3). 
Jaijques fournit deux campagnes heureuses contre son 
frere. Apres s'6tre ouvert, par la seule terreur de ses ar- 
mes, les portes de Melazzo, de Patti, de Monforte, de San- 
Pietro, et d'autres places du Val di Demona (4), il fit voile 
vers le Val di Noto, s'y rendit maitre de Buscini, de Palaz- 
zolo, de Sciortino, de Ferula, de Bucheri, assi^gea Syra- 
cuse, et gagna la bataille navale du Capo d' Orlando (5). 
Frederic, oblige de combattre avec des forces dispropor- 
tionnees, etail aux abois. Un coup de plus, et il succom- 
bait. Mais, au moment ou Ton attendait que le roi d'Ara- 
gon allait frapper ce coup, il abandonna le theatre de la 
guerre, et fit voile vers ses Etats, croyant avoir assez fait 
pour la cause de ses allies, et ne voulant etre ni Tauteur 
ni le temoin de la chute de son frere (6). 

Cet evenement imprevu rendit la superiorite a Frederic. 
Pendant les deux ann^es qui suivirent, ce monarque re- 
couvra ses places perdues, battit dans un combat et fit 
prisonnier Philippe, prince de Tarente (7). Sa fortune 
etait plus prospere que jamais, quand, appele par le pape 

(1) Nicola! Specialis, 1. Ill, c. v, vi, vii, ix, x, xi et xv. 

(2) Id., 1. Ill, c. XIX. 
(5) Id., 1. IV, c. IV. 

(4) Id., 1. IV, c. IV. 

(5) Id., 1. IV, c. v, VII, XI et xiii. 

(6) Id., I. IV, c. XV. 

(7) Id., 1. V. 



138 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. II. 

Bonifece, le vainqueur de la Oascogne et de la Flaadre, 
Charles de Valois, suivi du prince Robert et de quinEe 
cents homines d'armes, vint, en 1302, debarquer dans le 
Val di Mazzara. La Sicile entiere fut frappee de terre«r a 
la vue de cette formidable expedition. Frederic seul ne 
s'effraya pas. Fait a la guerre, il renferma ses troupes 
dans les places fortes et laissa ses ennemis se consumer 
par des attaques meurtrieres et sans resultat. Ceux-ci, en 
effet, apres s'etre rendus maitres de Termini par trahison, 
eehouerent devant Corl6one et vinrent s'epuiser sous les 
murs de Siacca (1). Dans cet etat de choses, Charles de Va- 
lois eut avec Frederic, a Catabellota, ou celui-ci etait 
campe, une conference dans laquelle il prit le titre de 
mediateur et proposa la paix aux conditions suivantes : 
V que Frederic serai t roi de Sicile etdes iles adjacentes, 
saviedurant; 2°qu'ilepouserait£leonore, filledeCharlesII, 
roi de Naples ; 3*" que Charles II et son fils Robert ena- 
ploieraient leur mediation aupres du roi d'Aragon et du 
comte de Bienne pour que la Sardaigne et le royaume dc 
Cbypre devinssent F apanage de Frederic ; 4** que les pri- 
sonniers faits pendant la guerre, de part et d' autre, se- 
raient echang^s (2). 

Charme d'arriver, sans combat, au but de ses desirs, 
Frederic accepta ces conditions. Mais, pour qu'elles eussent 
quelque valeur, il leur fallait la sanction de I'Eglise, et 
des ambassadeurs les porterent a Rome vers la fin de 
1302. Boniface vit avec repugnance les articles d'un traite, 
ou, disait-il, les droits legitimes du roi de Naples etaient 
visiblement sacrifies; il ne les considera d'abord que 
comme des preliminaires, et se contenta provisoirement 
de lever les censures qui pesaient sur la Sicile et sur son 

(4) Nicolai Specialis, 1. VI, c. vii, vin et ix. 

(2) Id., 1. VI, c. X. — Raynald, ann. 4502, n° 2. 



DEM^LE DE BONIFACE VIII AVEC PHILIPPE LE BEL. 139 

chef (4). Alors, Philippe le Bel ne s'etait pas encore port^ 
aux demiers exces. Mais, a la vue des faits qui signa- 
lereni les premiers mois de Tannee 1503, Boniface n'he- 
sita plus a reconnaitre dans la convention de Catabellola 
un traile definitif, et, par une buUe datee d'Anagni le 12 
juin, il la confirma, avec la clause pourtant que Frederic 
recevrait la Sicile comme fief du Saint-Si^ge, et, pour 
eviter la confusion des titrcs, prendrait seulement le nom 
de roi de Trinacrie (2). 

Si cette pacification ne donna pas un allie a Boniface, 
elle ^ignit au moins, ce qui etait beaucoup dans les cir- 
constances, elle ^teignit le foyer le plus actif du parti gi- 
belin. En revanche, le pontife gagna un ami puissant par 
la reconciliation d'Albert d'Autriche. Depuis pres de cinq 
ans ce monarque soUicitait a Rome, sans Tobtenir, Tap- 
probation de son election comme roi des Remains. Boni- 
face r^pugnait a donner pour successeur k Adolphe de Nas- 
saw son propre meurtrier. Mais, au point oik en etaient les 
choses avec la France a T^poque de Tattentat de Philippe 
le Bd sur Benefrato, Albert s'annon§ait comme le souve- 
rain qu il avait le plus d'espoir d'interesser a la cause de 
rfiglise ; la n^cessite, cet arbitre imperieux des resolu- 
tions, etait la, et il s'y soumit sans balancer. Done, le 
30 avril >I303, Boniface adressa a TAutrichien une longue 
et piagnifique bulle, oA, apres avoir rendu hommage a 
Ffaumble soumission , au devouement manifestes par lui 
envers le Saint-Siege apostolique, il le reconnaissait pour 
son tils, le confirmait dans sa dignity de roi des Remains 
et d'empereur, suppleant, en vertu de sa haute suprema- 
tie, a tons les d^fauts quiavaient pu se glisser dans son 
election, et le conjurait de se montrer un fils reconnais- 

(1) Bapald, ann. 1502, n"" 5. ^ 

(2) Nicolai Specialis, 1. VI, c. xviii. — Raynald, ann. 1505, n*25. 



140 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. U. 

sant et devoue de Ffiglise (1). Un document authentique (2) 
ne laisse aucun doute sur le sens de ces dernieres paroles. 
Boniface demandait au roi des Remains, pour prix de la 
faveur qu'il lui accordait, Tappui de ses armes dans sa 
querelle avec Philippe leBel. 

Si le pape avail besoin d'Albert, celui-ci ne pouvait 
se passer du pape, car sa dignite n'etait qu'incomplete- 
ment acquise tant qu'elle manquait de la sanction pontifi- 
cale. II fut done aussi charme que surpris en recevant la 
buUe de Boniface. II y repondit sur-le-champ, de Nurem- 
berg, par une lettre gracieuse, ou il reconnaissait que c e- 
tait Tautorite du Saint-Siege apostolique qui avait transfere 
Tempire remain des Grecs aux Francs, puis des Francs 
aux Germains ; que c'etait Tautorite du meme Siege qui 
avait accorde a un nombre determine de personnes eccle- 
siastiques et seculieres le droit d'elire les chefs de cet em- 
pire ; que ces chefs etaient eleves a la dignite d'empereurs 
pour etre les soutiens du Saint-Siege et les defenseurs de 
la foi catholique. II confirmait ensuite tons les droits de Tfi- 
glise romaine, jurait obeissance et devouement a son eve- 
que, et promettait de defendre ses libertes, ses privileges 
et sa primaute centre quiconque oseraitles attaquer(3). 
Ces importantes reconciliations furent corapletees par celle 
de Ferdinand, roi de Castille, que T arch eveque de Tol^de 
regut ordre de delier des censures qu il avait encourues (4). 

Pendant que ces faits s'accomplissaient, la seconde as- 
semblee des etats de France se reunissait au Louvre. La, 
le ^3 juin, en presence du roi et des trois ordres, Guil- 
laume Plasian, seigneur de Vezenobre, assiste de Louis 

[\) Raynald, ann. i505, n° 2. 
(2)Id., ann. 1505, n°55. 
(5) Id., ann. 1505, n^" 9. 
(4) Id., ann. 1505, n''50. 



DEMfeLEl DE BONIFACE VIII AVEC PHILIPPE LE BEL. 141 

d'fivreux, fils du roi, de Guy, comte de Saint-Pol, de Jean, 
comte de Dreux, donna lecture d'un ample r^quisitoire, 
dans lequel il imputait a Boniface des impietes semblables 
a celles-ci : de ne croire ni a Timmortalite deTame, ni a la 
vie future, ni a la presence reelle dans la sainte eucharistie; 
de favoriser Tidolatrie, de consulter un demon prive, de 
SB livrer k la sodomie, a la simonie; de forcer les prfitres a 
reveler le secret des confessions, de professer Theresie. 

Pour couronner dignement cette nomenclature de crimes 
inouis, Plasian protesta, a la face des assistants, que ce 
n'^tait ni par haine, ni par aucune autre mauvaise pas- 
sion, qu il se portait ainsi Taccusateur de Boniface, mais 
par zele pour le bien de Ffiglise, et jura sur les saints 
Evangiles qu'il se faisait fort de prouver, d'une mani^re 
irrefragable, en presence d'un concile general, tout ce 
qu'il venait d'avancer, et termina en suppliant Sa Majeste 
de vouloir bien faire convoquer ce concile. 

Apres que Guillaume Plasian eut cesse de parler, le roi 
se leva et declara qu'il adherait a tout ce qui venait d'etre 
dit. Puis, se tournant du cote des representants du clerge, 
il conjura les archevqques et eveques de se joindre a lui 
pour la convocation d'un concile general; et, comme il 
etait evident que Boniface s'opposerait de tout son pouvoir 
a cette convocation, il en appela d'avance et par provision, 
a Tautorite du concile futur, de tout ce que ferait le 
pape ('I). Uhistoire dit que Tabbe de Citeaux se signala 
dans cette rencontre par une genereuse protestation (2). 



(1) Preuves du differend, p. 101 et seq. 

(2) Solo abbale Cisterciensi duntaxat excepto. (Conlin. GuUiel. de Nang.) 
— L'abbate di Cistelle non voile consentire. (Giovanni Villani , 1. VIII, 
c. Lxii.) 11 est vrai qu'on trouve le nom de Vabbe de Citeaux dans les sous- 
criplions; mais ceux qui imposaient les suffrages etaient capables de fal- 
sifier une signature. 



142 HISTOIRK DE LA PAPAUTE. LIV. 11. 

Mais il fut malheureusement leseul. Tous les representants 
des trois ordres consentirent a lia convocation du concile, 
aifnsi qu a Tappel de Philippe le Bel, Telle fut la disposition 
des esprits dans cette lAche assemblee, que le plus odieux 
des attentats ne rencontra point d'obstacle. Quelques-uns 
oserent le proposer, un plus grand nombre le voulut peut- 
6tre, tous le souffrirent. Seulement, les memferes du 
clerge declarerent, a la suite de leur souscription, qu'ils 
avaient ete forces par la necessite a adherer {\), et qu'ils 
n avaient nuUement T intention de se rendre parlies dans 
cette affaire, ni de se joindre a ceux qui y etaient par- 
ties (2). Precaution banale, qui ne faisait que trahir uae 
SGconde fois leur faiblesse sans les decharger de la res- 
ponsabilite du crime. 

Mais ce n'etait pas assez pour Philippe le Bel d' avoir ar- 
rache a la servile complaisance d'une grande assemblee Tap* 
probation de ses scbisroatiques desseins,ilvoulut encore ob^ 
tenir celledes villes, des ^glises, des communautes de son 
royaurae. Uassemblee dissoute, il envoya, a cet effet, dans 
les diverses provinces, le seignein* de Vezcnobre, messire 
Amaulry, vicomte et seigneur de Narbonne, et Denys de 
Sens, son clerc, avec d'amples pouvoirs. Ces commissaires 
royaux mirent une telle celerite dans leur mission, qu'au 
bout de pen de jours ils revinrent deposer entre les mains 
du roi plus de sept cents actes d' adhesion u la convocation 
du concile et a Tappel (3). Un tel acquiescement de la 
France a une iniquite si monstrueuse serait le probleme 
de rhistoire si des temoignages contemporains n' etaient Ik 

t. ■ • 

(1) Quadam quasi necessitate compulsi. (Prcuves du differend, p. 108.) 

(2) Non intendentes quoquo modo partem iii hoc negotio facere , seu 
quibuscumque partem facientibus adhaerere. (Preuves du differend, loco 
citato.) 

(5) Hist, du differend, p. 19 et 20 



DEM6lE DE BONIFACE VIIl AVEC PHILIPPE LE BEL. 145 

pour en reveler Todieux myafceire. L^emprisonnement des 
religieux italiens qur ae trouvaient alors dans le royaume, 
celui des abbes de Giteaux, deCluny, de Premontre (1), 
nous apprennentli quoi s'exposaient ceux qui osaient faire 
aux ordres du roi la genereuse reponse des apdtres : Non 
poisumus. La violence achevait ce que la calomnie avait 
eommence. 

A la nouvelle de ce qui s'etait passe a Paris etdes accusa- 
tions monstrueuses dontil avait eteFobjet, Boniface, inquiet 
des progres que faisait Taudace du roi, se retira a Anagni, 
csperant, en cas de danger, trouver au ijailieu de ses com- 
patriote$ des partisans plus devoues qu'a Rome. Lli, apr^ 
avoir proteste en plein consistoire centre les crimes atroces 
qu'on lui imputait en France, il. expedia cinq buUes datees 
du memo jour, 18 aout. La premiere excommuniait ceux 
qui empSchaient ses citations de parvenir a la connaissance 
du public, quelle que fut leur dignite (2). La seconde 
frappait de suspense T arch ev^que de Nicosie, pour le punir 
d' avoir favorise la desobeissance du roi (3). La troisieme 
sus^pendait du droit de donner des licences tons les doe- 
teurs de TUniversite qui avaient conseille le roi, et leur d^- 
fendait d'en user jusqu'a ce que Sa Majeste eAt accompli 
les ordres du Saint-Siege (4). La quatrieme suspendait tous 
Less corps ecclesiastiques de la faculte d'elire, et reservait 
au pape la provision des benefices qui viendraient a va- 
quer (5). Enfin la cinquieme concemait uniquement le roi. 

(1) Tres abbates Cluniacensis, Cisterciensis et Prajmontratiensis a rege 
Franciae capiuntur, quod noluerunt ei contra papam obedire.(Annal. Colraar, 
ann. 1302.) — Pour I'incarceration de Tabbe de Giteaux etdes religieux ita- 
liea$, Toirla buUe : Super j^elri solio excelso throno, Pr. du differend; p. 184 . 

(2) Preuves du differend, p. 161. 

(3) Id., p. 162. 

(4) Id., p. 165. 

(5) Id., p. 163. 



144 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. 11. 

EUe commengait par ces mots : Nuper ad audientiam. Bo- 
niface y rappelait les fails de Tassembl^e du 15 juin, s'y 
justifiait des accusations injustes portees contre lui, de 
1' accusation d'heresie surtout; reprochait a Philippe la re- 
ception de Stefano Colonna, ses violences envers ses l^gats, 
joignait a ces reproches quelques menaces, et montrait 
tout le ridicule d'un concile general qui serait convoque 
sans le concours de Tautorite apostolique. II est a remarquer 
que, dans cette bulle meme, le pape, loin d'excommunier 
le roi, rinvite au contraire a ne pas s'attirer ce dernier 
coup (1). Preuve nouvelleque la constitution Per proces- 
sus nostros, ou cette excommunication est prononcee, 
n'avait ete ecrite que par provision, et qu'aux yeux de Bo- 
niface elle n'etait pas censee fulmin^e. 

La bulle Nuper ad audientiam ne parvint pas a temps 
au roi. Mais, quand elle lui serait parvenue, tout porte a 
croire qu'elle aurait ete inutile. Plus que jamais anime 
par les Colonna et ses conseillers pervers, il avait abjure 
toute moderation. D^ja Guillaume de Nogaret s'etait rendu 
clandestinement en Italic pour Texecution d'un plan con- 
certedansle secret de la cour. La, il fut rejointpar Sciarra 
Colonna, que Philippe le Bel avait fait prior de s'associer 
k Toeuvre dont son ministre etait charge (2). Sciarra ame- 
nait trois cents chevaux avec quelques fantassins. Ces deux 
^missaires, dignes Fun de Tautre, agissant de concert, 
grossirent ces forces de deux cents cavaliers , reste de 
Tarmee que Charles de Valois avait commandee dans son 
expedition de Sicile. Un emprunt, negoci^ avec la maison 
Petrucci de Florence, servit a les soudoyer. A cette troupe 
vinrent se joindre encore les enfants de Giovanni Ceccano, 



(i) Preuves du differend, p. im. 

(2) Ferretus Yicentinus, in Bonif., 1. Ill, p. i002. 



DEMELE DE BONIFACE VIII AVEG PHILIPPE LE BEL. 145 

que Boijiface retenait en prison ; ceux de Maffeo d'Ana- 
gni, et Raynaldi de Suppino, gouverneur de la ville de 
Ferrentino, tons Gibelins, et personnellement animes 
contre le pape. Ces dispositions s'organisaient , dans le 
plus profond silence, au chateau de Staggia, appartenant 
a un citoyen de Florence nomme Musciatto de Francezzi, 
qui etait initie au complot (1). 

Ouoique fait a Taudace de Philippe le Bel, Boniface 
etait loin de prevoir cependant que ce monarque piil con- 
cevoir le dessein d'attenter a sa liberte ou k sa vie ; et, s'il 
n'^lait pas sans inquietude, il 6tait au moins sans crainte. 
Retire a Anagni , il travaillait a rediger sa buUe Super 
Petri solio^ destinee a frapper le dernier coup sur le roi. 
D devait la publier le 8 septembre (2), quand, la veille de 
ce jour, au matin, on vint Tavertir que la ville d'Anagni se 
remplissait de soldats marchant sous Tetendard deploy^ 
de Philippe le Bel, et bientdt il put juger par lui-meme 
de ce qu'il avait a redouter de cette brusque invasion, 
quand il entendit ces soldats crier en italien : c< Mort au 
« pape Boniface, et vive le roi de France (3)! » C'etaient 
Guillaume de Nogaret et Sciarra Colonna, qui, apres s'fitre 
ouvert Tentree de la ville par la trahison des magistrats, la 
felonie du marechal de la cour pontificale et celle de deux 
cardinaux, Riccardo de Sienne et Napoleon desOrsini, ve- 
naient pour le deposer, ou mfime pour attenter a sa vie (4). 
En effet, le caractere des hommes qui commandaient 
cette tumultueuse irruption , les cris feroces qui Taccom- 



(4) Giovanni Villani, 1. VUI, c. lxiii. 

(2) Processus, Preuves du differend, p. 585. 

(5) Muoja papa Bonifazio, e viva il re di Francia ! (Giovanni Villani , 
1. VIII, c. Lxui.) — Thomas Walsingham, Hist. AngL, in Edward., I. 

(4) Th. Walsingh., loc. cit.— Istorie Pistolesi, ap. Murat., t. XI, p. 529 
^ — Giovanni Villani, loc. cil. 

10 



146 mSTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. II. 

pagnaient, la brutality des soldats, n'annongaient rien de 
moins. En un clin d'oeil, le palais oik r^sidait le pape est 
invest! et attaqu^. Cependant le d^but des agressmrs ne 
fut pas heureux. Quoique surpris et depourvu de troupes, 
le marquis Gaetani , neveu de Boniface , k la t6te des ser- 
viteurs restes fiddles, soutint vigoureusement le premier 
assaut. Les assaillants allaient peut-^tre se d^courager, 
Mais alors m^me la populace d'Anagni, ameutee par un 
certain Arnulfo, ennemi du pape, qu'au premier signal de 
rinv^sion la ville s'etait donne pour chef, etant accourue 
renforcer les soldats deNogaret et de Sciarra, cesderniers 
revinrent a la charge. Le marquis Gaetani, sur le point d'dtre 
forc^, se rendit, et le palais fut ouvert a Tennemi {<). 

De tons les cardinaux, il n'^tait rest^ aupr^s de Boni- 
face que Nicolas Boccassini, ^yeque d'Ostie, et Pierre d'Es- 
pagne, evequc de Sabine; tons les autres s'etaient enfuis. 
Mais le courage et la grandeur d'Sme du pontife ne se d^- 
mentirent pas un instant (2). A la vue des portes de son 
palais forcees, des flots de soldats qui s'y preoipitaient le 
fer et le feu k la main , il ne douta pas que sa derni^re 
heure ne fiit venue^ et il ne songea qu'^ rendre sa mori 
digne d^ sa vie : c< Ouvrez les portes de mes appartements, 
« s'ecria-t-il au pen de serviteurs qui etaient autour de 
« lui , car je veux souffrir le martyre pour Tfiglise de 
a Dieu, » Et aussitdt, s'etant fait revetir des ornements 
pontificaux , la tiare de Constantin en tete , tenant d'une 
main les clefs de saint Pierre, de Tautre Finstrtoaent de la 
passion du Sauveur, il s'assit sur le tr6ne papal, la face 
toumee centre Tautel, ayant a ses cdtes ses deux intrepi- 

(i) Th. WalsiDgh., loc. cit. — Francisci Pipini Chron., 1. IV, c. xli. — 
Chron. Parmense, ann. 4305, p. 848. 

(2) Magnanimitatem et constantiam semper ostendit. (Francisei Pipini 
Chron., 1. IV, c. xli.) 



D^MfeLE DEBONIPACE VIII AVEC PEIUPPE LE Bfel. 447 

dee cardinaux, et attendit ses meurtriers. Us ne tand^ent 
pas d'arrlver. Mais, a la ¥ue de ce vieillard, aussi respee^ 
table par son grand ^ge que par sa dignite , ils s'arr4tfe- 
itaat, frappes d'un soudain respect, et n'os^rent pas mettre 
lamainsur lui(l). 

Sciarra et Nogaret s'approcherent alors du pontife, Le 
pi^emier, se livrant a toule la brutality de son caractere, 
vomit a sa face un torrent d'injures (2). Qu'il Tait frapp^ 
tout^ois, quelques-uns raffirment, un plus grand nombre 
le nient. Ce qui est certain du moins, c'est que Tinterven- 
tion de Nogaret Tempecha de se porter k d'autres extr^- 
mit^s (3). On rapporte que ce dernier, voulant a 1' instant 
meme se faire un nierite aux yeux de Boniface de n'aToir 
pas pennis le plus grand des crimes, lui dit alors : a Gh^* 
a ttf pape que tu es, regarde et considere la bont^ de maa* 
a seigneur le roi de France, qui , bien que son royaum^ 
c( Boit fort eloigne de toi, te garde par moi et te defend de 
« tee ennemis (4), » A ces insultantes paroles, le pontife, 
imitant la patience de celui dont il etait le vicaire, se roHr 
ferma dans un noble silence. Seulement, lorsque Nogaret, 
apres lui avoir expose les procedures faites a Paris, le me- 
na^a de le eonduire a Lyon, enchaine comme un criminel, 
pour y subir le jugement du pretendu concile general et y 
dtre depose, il repondit avec Taccent de Tiudignation : 
«c ym\k ma tete, voila mon cou ; pour la liberty de I'Eglise, 

(1) Gioyanni ViUani, loc. oit. — S. Antoninus, t. Ill, tit. XX » c. yui, 
par. XXI. — Francisci Pipini Chron., 1. IV, c. xu.— Th. VYalsingh., loc. 
cit. — Ferretus Vicenlinus, 1. Ill, p. 1002. — Istorie Pistolesi, loc. cit. — 
Ghron. Parmense, ann. 1305, p. 848. — Processus, ap. Rubeum, p. 214. 

(2) Giovanni Yillani, loc. cit. — S. Ant., loc. cit.— Ferretus Yicentinus, 
loc. cit. 

(3) Sciarra voluit libenter interfecisse papam , sed per quosdam fuii 
prohibitus. (Th. Walsingh., loc. cit.) 

W (4) Ghronique de S. Denys, c. xlui. •— Nicole Gille, Annales de France. 



148 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, UV. 11. 

c( jesouffrirai, moi catholique, moi l(^gitime pontife, moi 
c< vicaire de J^sus-Christ, je soufTrirai d'etre condamne et 
c( d^pos^ par des patarins, car je desire le martyre pour la 
a foi de J^sus-Christ ct de son figlise ! » Ces mots furent 
comme un coup de foudre pour Nogaret. II se souvint aus- 
sildt du supplice de son grand-p^re, condamn^ nagu^re et 
brCkle comme patarin. Interdit, il rougit, et se retira (1). 

Pendant trois jours que Boniface resta au pouvoir de 
ses ennemis, il fut etroitement gard6; on Taccabla d*ou- 
trages et de privations, son tr^sor fut pille, son palais de- 
vast^, les reliques des saints profandes et dispers^es, les 
archives viol^es, T^vdque de Strigonie mis a mort (2). On 
pout, au reste, se faire une idee, par la licence des soldats 
qu'on avait dechain^s, des horreurs qui furent commises. 
Mais, enfin, un termearriva a tant d'humiliations. L'indi- 
gnalion parla au coeur des habitants d'Anagni, qui s'e- 
taient montres si Ijiches temoins des souffrances du pon- 
life. Reveilles par les excitations du cardinal Fieschi, ils 
se soul^vent, surprennent les bandes dc Sciarra et de No- 
garet dans le d^sordre de leur honteuse victoire, et les 
chassent de la ville avec leurs chefs (3). 

Rendu a la liberty, Boniface convoqua le peuple d'Ana- 
gni. 11 avait retrouve sa force; quatre cents hommes d'ar- 
mes, conduits par Mattheo et Jacopo Orsini, accouraient 
de Rome a son secours. On put craindre un instant pour 
les coupables un chStiment d'autant plus severe que leur 
crime avait ^te plus odieux. Toute crainte fut bientdt dis- 
sipde. Le pontife parut, mais ce fut pour pardonner k tous, 

(i) Rubeus, p. 215.— Giovanni Villani, 1. VIII, c. lxiii. — S. Anton., 
loc. cit. 

(2) Processus, ap. Rub., p. 215. 

(3) Th. Walsingh., loc. cil. — Francisci Pippini Cbron., loc. cil.— 
Chron. Parmense, p. 848. — Islorie Pistolesi, loc. cit. 



k 



mt 



► 



MORT DE BONIFACE VQI. U9 

rel^cher les prisonniers, parmi lesquels se trouvaient Ray- 
naldi de Suppino et ses enfants, etrendre ses bonnes gra- 
ces a ses deux cardinaux felons. Les spoliateurs du tresor 
pontifical furent seuls exceptes de cette amnistie (1). Je ne 
sache point qu'il y ait, dans Thistoire, un trait plus tou- 
chant, plus magnanime, plus heroique, que celui de cet 
auguste vieillard, ne repondant a dcs outrages inouis, et 
qu'il pent venger, que par ces mots : « Je pardonne ! » Et 
qu'on se souvienne bien que ce vieillard est le violent, 
V implacable y le d4cri6 Boniface!... 

D ne tarda pas a reprendre le chemin de Rome. On Ty 
re^ut avec des temoignages de sympathie, dont les der- 
niers evenements redoublaient la vivacite. Mais il s'aper- 
5ut bientot que ses humiliations avaient altere son auto- 
rit6 naguere si absolue. Les Orsini , a la garde desquels 
il s'etait confie, lui faisaient sentir une domination a la- 
quelle il n'etait point accoutume. II la reconnut a la sur- 
veillance dont ses moindres demarches etaient devenues 
Tobjet. IF voulut secouer cette odieuse inquisition, et es- 
saya de passer du quartier du Vatican a celui de Latran, ou 
regnaient les Anibaldeschi , ennemis des Orsini aussi bien 
que des Colonna. Mais les Orsini lui interdirent le pas- 
sage (2). Alors il ecrivit au roi de Naples de venir a son 
secours ; mais le cardinal Napoleon des Orsini intercepta 
la lettre (3). II ne resista pas a ce dernier affront. Saisi 
d'une lifevre ardente, il vit approcher sa derniere heure 
avec ce courage intrepide qu il avait deploy e devant ses en- 
nemis, r^cita a haute voix, selon la coutume des souve- 
rains pontifes, et en presence d'un nombreux auditoire, 

(1) Walsingh., loc. cil. — Rubeo, p. 216. 

(2) Perretus Vicentinus, p. 1008.— ;Chron. Parmense, p. 848.— Ciacco- 
nius, in Bonifacium, t. U, p. 501. 

(5) Rubeo, p. 218. 



h 



iSO HISTOIRE DE LA PAPAOTE, LIV. II. 

I^ symbols de la doctrine chr^tiennc, d^elari qu'it rnono 
rftit dans la foi catholique , et j muni des aacrements de 
r£glis0j il rendit son ^me ^ Dieu le 11 octobre, aprts 
avoir tenu le Saint-Siege huit ans neuf mois et vingt-quaUe ' 
jdufs (1)4 

Ainsimoufut Boniface VIII, et non, comme Ta ecritPer- 
reto de Vicence, dans des acc^s de fr^n&ie, se ffappant la 
t6te contre les murs, vomissant Tecume par la boucbe, ot 
rongeantses mains (2). Mensonges complaisamment r6pr6- 
duits paries modernes ennemis de I'figlise (5). lis avaidnt 
<5te victorieusement confondus pourtant en Tan 1605, tfois 
cent deux ans aprfes la mort de Boniface , quand on fit 
Touverture du tombeau de ce pontife. Toute la ville de 
Rome (4) put contempler son corps , que la corruption 
avait ^pargne, parfaitement intact dans toutes ses parties, 
et n'offrant aucune trace des lesions rapport^es par Fer- 
reto de Vicence (5) . Les ^crivains k qui ce dernier a seni 
de guide n'ont pas pu ignorer le procfes-verbal notarie de 
cette exhumation; que penser alors de leur bonne foi t L'er- 
reur, m6me involontaire, est toujours un malheur; mais 
Terrcur volontaire est un crime ; et, quand cette erreur est 
invOquee pour souiller la memoire des personnages his- 
toriques les plus respectables, c'est le plus Iftcbe et le plus 
odieux des crimes (6) .- 



(1) Processus, Preuves du Sifferend, p. 402. —Jacobus card. S. Georgii, 
Op. metr. 

(2) FerretugViccntinus, p. 1006. 

(3) Sigmondi, entre autres, flist. des republiques itaUennes, t. lY, 
p. 146. 

(4) Tola urbe ad spectaculum concurrente. (Ce sont les paroles de 
Spoude, temoin oculaire lui-m^me, ann. 4305, n° 16.) 

(5) Voir le proces-verbal de cette exhumation, ap. Rubeum, ad calcem. 

(6) La memoire du pape Boniface vient d*^tre rehabilitee dans la vie 
que le savant moine benedictin Luigi Tosti a publiee de ce pontife, 2 vol. 



I 



ELECTION DE BENOIT XI m 

Bonifaee avait une taille haute, un front developp^, des 
joues pleines , tout ce qui , au dehors , exprime la ma- 
jeste. Ses ennemis n'ont pu lui refuser la grandeur d'^me, 
la fermete de courage, les vastes connaissances, Thabilete 
dans les affaires (^ ) . II est peu de pontificats au-dessus du 
sien. La religion lui doit Finstitution si consolante du ju- 
bile; la jurisprudence eccl^siastique , le sixieme livre des 
Decretales ; la science en general, la fondation de Tuniver- 
site des etudes a Rome, connue sous le nom de Sa- 
pienza (2). A<5tif, infatigable au travail, zelateur ardent de 
la justice, il fut le protecteur invincible des droits de Tfi- 
glise romaine, il le fut aussi de Thumanite. Quand les his- 
toriens se seront affranchis des passions qui les aveuglent, 
ils le reconnaitront sans doute. 

Dix jours apr^s la mort de Boniface VIII, les cardinaux 
cfitrerent au conclave, dans le palais du Vatican, pour lui 
donner un successeur, et, sur-le-champ, tons les suffrages 
se r^unirent sur le cardinal d'Ostie, Nicolas Boccassini, 
qui prit le nom de Benoit XL L'elevation de ce person- 
nage est une de ces fortunes singuli^res dont la Papaute 
offre plus d'un exemple. N^ pres de Trdvise, en 1240, de 
parents obscurs et pauvres , il eut k subir, dans ses pre- 
mieres annees, les dures epreuves de la mis^re. Done d'un 
CGBur noble et fier, il s'adressa d'abord k ses talents pour 
subvenir aux premiers besoins de la vie, Une ecole qu'il 

in-^; Monte-Gassino, 1846. L'illustre biographe, avec son beau talent, 
aurait encore mieux confondu les caloninies dejpuis si longtemps accredi- 
tees contre Tun des plus grands pontifes de TEglise^ s*il avait eu sous les 
yeux le recueil des actes publics par Pierre Dupuy. Oblige de s'en rappor- 
ter 4 des extraits, il n*a pu voir toujours de ses propres yeux Todieux des 

&it8. 

(1) Giovanni Villani, 1. VllI, c. liv.— Francisci Pipini Chron., L IV, 

C. XLI. 

r (2) Renazzi, Storia dell* Universita degli studi di Roma, 4 vol. in-4°. 



152 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. II. 

ouvrit h Venise , pour reducation de la jcunesse patri- 
cienne, lui procura pendant quclque temps une existence 
mediocre, mais honorable. Plus tard, en 1257, dans la 
vue d'echapper a la gfine qui le poursuivait toujours, il 
embrassa Tordre de Saint-Dominique. La, il passa qua- 
torze ans a s'instruire des sciences divines et humaines, et 
autant k les enseigner aux autres. Or, comme a Fetendue 
du savoir Nicolas Boccassini alliait Teminence de la piet«, 
les dignites de Tordre s'ouvrirent devant lui. II dcvint suo- 
cessivement lecteur, prieur conventuel, provincial de la 
Lombardie, enfin general. II le fut pendant quatre ans. 
Les vertus, la capacite qu'il deploya dans Texercice de 
cette charge supreme, attirerent sur lui Tattention de Bo- 
niface VIIL Ce pontife le fit, en 1299, cardinal de Sainte- 
Sabine, titre qu'il echangea bientot contreFeveche d'Ostie, 
et le nqmma, en i 302, legat en Hongrie. Sa mission dans 
ce pays, travaille alors par les revolutions, n'obtint pas 
tout le succes qu'on s'en etait promis, mais elle reussit 
jusqu'a un certain point a faire respecter Tautorite ponti- 
ficale(i). 

Tant de distinctions qu'il avait revues de Boniface VIII 
Tattacherent forlement a ce pontife. Aussi , dans les dan- 
gers qu'il courut a Anagni, fut-il, comme nous Tavons vu, 
un de ceux qui resterent constamment pres de sa personne. 
Nicolas Boccassini etait, sans contredit, un des prelats 
les plus vertueux et les plus savants du sacre college. Per- 
sonne ne s'etonna de son elevation, si ce n'est peut-^tre 
lui-meme. Les historiens, unanimes a faire son eloge, re- 
marquent qu'il fut elu pape comme par Tinspiration de 
Dieu. Et, k tout prendre, le merite personnel de Felu, la 
gravite des circonstances, justifieraient cette opinion (2). 

(1) Giacconius, in Benedictum. 

(2) Ravnald, ad ann. 1505, n*" 45. 



BENOIT XI. 1S5 

La vertu de Benoit XI etait simple et franche, car elle 
n'avait jamais ete chez lui subordonn^e aux calculs de 
Tambition. Seulement, Thabitude d'une vie rigide Tavait 
rendue austere. Elle se ressentait de son education toute 
monastique; mais, gr^ice a la douceur et a Famenite natu- 
relle de son caractere, cette austerite n'avait rien de cette 
rudesse qui eloigne et de cette intolerance qui deconcerte; 
elle n'existait que pour lui (1). Pendant son generalat, il 
s'etait acquis Taffection de tons les religieux de Fordre (2). 
La modestie etait le caractere le plus saillant de sa piete. 
L*histoire nous en a conserve un trait aussi original qu e- 
difiant. Aussitot apres son election, sa mere, qui vivait en- 
core, vint a Rome pour le visiter. Mais, craignant de faire 
rougir son fils en s'offrant a lui sous les vetements gros- 
siers de sa condition, elle emprunta des habits de soie, et 
parut ainsi a la cour. Le pape, indigne, refusa tout d'abord 
de la reconnaitre; et ce ne fut qu' apres Tavoir vue, le len- 
dcmain, depouillee de cet accoutrement inusite et rendue 
au costume simple de son veritable etat, qu il consentit a 
la saluer comme sa mere. Alors, Tembrassant avec ten- 
dresse devant toute sa cour : a Yoici ma mere, s'ecria-t-il, 
c< et non point cette dame qui se presenta bier (5) ! » 

Quelle que fut sa modestie, pourtant , comme elle etait 
eclairee, elle ne nuisait point a la fermete de son carac- 
tere. Jamais il ne se decidait legerement; mais, quand 
une fois il avait pris son parti sur quelque chose, il ne re- 
venait plus sur sa resolution (4) . A cet egard , il laissait 

(1) GiaccoDius, loc. cit. 

(2) Omnium in se amorem arctavit. (Ciacconms, loc. cit.) 

(3) Ciacconius, loc. cit. 

(4) In eo notatum est quod videlicet fuerit adeo pertinacissimus con- 
ceptionis, ut quod semelde aliquo in se concepisset, sive in bonum, sive 
in malum, ab inde non posset avelli. (Francisci Pipini Ghron., 1. IV, 

C. XL VIII.) 



iH fflSTOIRE DB LA PAPAUTE, LIV. II. 

peu d'espoir k ceux qui voulaient rinfluencer ; car, inac- 
cessible aux considerations etrangferes a son deYoir, tdutes 
celles qui ne s'y rattachaient point ^taient sans force »ur 
son esprit (1). Au reste, form6 k Tecole de Boniface VIH, 
Benoit XI en avait les id^es^ II 4tait profond^ment con- 
vaincu qu'un pape n'^tait pas moins le chef temporel que 
le chef spirituel de la ehretiente, et il etait bien decide k 
ne se rel^cher sur aucune des pretentions poursuivies par 
son illustre pr^decesseur. 

Avec ces vertus et ces idees, Benoit XI promettait un 
pontificat digne d'effacer Thumiliation que la Papaute ve- 
nait d'essuyer. Mais , des le debut, il cut k lutter contre 
des obstacles que sa volenti seule ne pouvait surmonter. 
Les factions que la main vigoureuse de Boniface avait comr 
prim^es s'etaient redressees depuis la catastrophe de ce 
grand pape. Les Gibelins triomphaient, et la tentative im- 
pie de Nogaret avait ^te comme le signal d'une terrible 
reaction contre Tautorit^ pontificale. fichapp^s de Texil, 
et ne tenant plus aucun compte des sentences qui pesaient 
sur leurs t^tes, les Golonna avaient reparu dans Rome, et 
avec eux toutes les passions compagnes de la discorde. La 
face de la ville etait chang^e ; la force brutale y faisait la 
loi. Les chefs des partis opposes, dans la crainte les uns 
des autres, ne marchaient qu'environnes de satellites ar- 
m^s. Pleins de confiance en leur puissance, ils mepri- 
saient hautement les anathemes de I'Sglise. (2), et, pour 
eux, Tautorit^ des senateurs Gentile dei Figli d'Orso et 
Luca Savelli etait sans consideration. Ce qui rendait les 
partis rivaux si audacieux, c'est qu'ils trouvaient parmi - 
les cardinaux eux-mSmes, sinon des chefs ^ du moins 

(1) Nee odio vel timore correptus in quemquam nisi juste ferebatur. 
(Perretus Vicenlinus.) 

(2) Ferretus Vicentinus, 1. lU, p. 1012. 



BENOIT XI. 155 

dM faateurs. La politique de Philippe le Bel ^tait parve- 
ttue k ipinilrer dans le sacr4 college. Envoyes de Paris k 
Rome, Guillaume du Chastenay ct Hugues de Celled a?aient 
niussi k y faire valoir la cause du roi, et six cardinaux s'^ 
taient fait un honneur de donner leur adhesion k la con- 
vocation du concile general (1). Une semblable defec- 
tion pretait au d^sordre toute la force qu'elle enlevait k la 
Papaute. 

Au milieu de cette anarchic, Benoit XI, seul, livre a lui- 
m6me, n'ayant, en raison de Tobscuritd de sa naissance, 
ni parents, ni allies, dont il pilt opposer le credit ou la 
puissance a la tyrannic des nobles (2); mal servi, d'ail- 
leurs, par la moderation de son caract^re, lorsqu'il aurait 
^te n^cessaire de deployer une soudaine energie, Benoit XI, 
dis»-je, etait r^duit k g^mir au fond du coiur sur des exces 
qu'il se voyait inhabile a reprimer. 

Cependant, malgre la faiblesse oii le reduisait le d^s- 
ordre des factions, ce pontife fut assez heureux pour ra- 
mener Frederic de Sicile au respect du Saint-Siege. L' am- 
bition de ce prince n'avait pu longtemps s'accommoder des 
reserves que Boniface VIII avait mises au traite qui lui ga- 
rantissait la royaute de la Sicile. A la faveur des ev^ne- 
ments qui etaient survenus , il avait cru pouvoir y faire 
des breches notables. Au lieu de compter les annees de 
son r^gne de la conclusion de la paix, il se mit k les dater 
du principe de Tusurpalion. C'etait la consacrer le droit 
de conquSte, et m^priser les conventions pass^es avec 
r^glise et Naples. Qui sait ou se serai t arrfite Frederic, 
une fois engage dans cette voie? Benoit XI ne lui permit 

(2) Preuves du differend, p. 219 et 251 . 

(5) Non enim ag^atos cognatosve ex humili natus progenia, ad se accer- 
sendos habebat, non nepotes illos, quorum flducia fretus, auderet securus^ : 
(Ferretus Vicentinus, loc. cit.) • : 



* 
•* 



156 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. II. 

pas d y avancer davantage. Moins de deux mois apr^s son 
election, il lui envoya une lettre remplie de vifs reproches 
sur sa conduite, et ou les droits du Saint-Siege etaient im- 
perieusement reclames (1). Frederic n'etait probablement 
pas en mesure de braver Fautorite pontificale. II se hdta 
de repondre au pape dans le langage le plus humble, con- 
fessa de nouveau qu'il tenait son royaume non de la force, 
mais de la liberalite de TEglise; renouvela la promesse 
de payer un tribut de 3,000 onces d'or, assura qu'en cas 
de guerre il enverrait un secours de cent cavaliers, et re- 
connaissait pour ses amis et ses ennemis les amis et les 
ennemis du Saint-Siege (2).. 

Mais cette soumission ne compensait que bien faible- 
ment pour Benoit XI les mortifications qu'il essuyait a 
Rome. Sa situation dans cette capitale devenait de jour 
en jour plus critique, et Tavenir ne lui laissait entrevoir 
aucune esperance de la rendre meilleure. II la supporta 
cependant jusqu'a la fin de Thiver. Mais, lorsque le prin- 
temps eut ramene Tepoque ou Ton quitte d' ordinaire le 
sejour de la ville pour celui de la campagnc, il songea se- 
rieusement a abandonner Rome pour n'y plus revenir. Si 
Ton en croit Thistorien auquel nous empruntons ces details, 
le dessein du pape etait d'arracher le siege pontifical a 
une cite si turbulente, et d'aller le fixer en Lombardie, 
ou il esp^rait trouver plus de tranquillite et d'indepen- 
dance (5). Plus tard, peut-6tre, aurait-il franchi les monts. 
Le besoin de respirer un air plus pur devait lui servir de 
pretexte pour sortir de Rome. Devenu ensuite maitre de 

(i) Raynald, ann. 150i, n° 49. 

(2) Id., ann. 1504, n* 50 et 51 . 

(3) Tacita mente conciperet citra magnam Italiam apud Longobardos 
3 ^edem apostolicam sibi statuere, ut et in posterum ibidem esset forte 
• inansura. (Ferretus Vicenlinus, I. HI,, p. 1012. 



BENOIT XI. 157 

ses actions, il aurait realist son dessein. Que cetle pens^e 
flit vraiment la pensee du pape, nul ne le pent dire. Ce 
qui est certain, c'est queles circonstances etaient de nature 
a rinspirer. Les cardinaux semblerent la pressentir, car, 
lorsque Benoit XI leur designa la ville d' Assise pour le 
lieu oik il souhaitait passer la belle saison, il rencontra 
d'abord parmi eux une vive opposition. Tons manifestaient 
hautement leurs repugnances pour un s^jour si etranger a 
leurs habitudes. Malgre sa tenacite, Benoit XI aurait peut- 
^tre a la fin etc oblige de ceder a leurs reclamations, s'il 
n'eut tout a coup trouve un appui imprevu. Le bonheur 
i^oulut que les vues du cardinal Mattheo Rosso des Orsini 
s'accordassent avec le projet du pape. 

Mattheo Rosso appartenait a la branche de la famille 
Orsini dans laquelle s'etaient conservees plus pures les 
opinions guelfes; tandis que les deux autres branches 
avaient, plus ou moins, fait alliance avec le parti gibelin. 
Cree cardinal par Urbain IV, Mattheo Rosso portait la 
pourpre depuis plus de quarante ans. II avait assiste a 
douze conclaves, et vu, comme prince de I'figlise romaine, 
treize pontificats. L' experience de la cour, Thabitude des 
grandes affaires, le talent de se rendre necessaire dans 
certaines occasions, Tillustration de sa naissance, une for- 
tune considerable, en avaient fait un des personnages les 
plus importants de Tepoque. II semblait ne pour la tiare. 
Plus d'une fois il s'etait vu sur le point de Tobtenir, 
mais toujours il avait echoue pres du but, precisement a 
cause de sa trop grande puissance, et il etait force de se 
contenter de la premiere place dans le sacre college, 
dont il 6tait doyen, et ou il exergait, du reste, une in- 
fluence incontestable. Tel etait Mattheo Rosso. Ce cardi- 
nal, contre Tattente generale, appuya dans le consistoire la 
proposition de Benoit XI, en montra la justice et Fopportu- 






■ « 



158 flISTOIRE DE LA PAPADTE, LIV. 11. 

nit^ (1). Ilserait difiicile de dire le motif qui pou3sa eet es- 
prit ^minemment politique k seconder ainsi le dess^n du 
pape. Voulait-il reellement le serTir, oubien esperaitril ob- 
tenir plus de credit aupres du pontife en Tisolant? On ne 
sait. Qooi qu'il en soit de ses intentions, il ram^ia a son 
opinion tous les opposants, et le depart fut r^solu* Les pre* 
paratifs du voyage furent promptement acheves, et, sans 
pordre de temps, Benoit XI sortit de Rome avec toute sa 
cour. Une multitude considerable Taccompagna ju&qu aux 
portes. On aurait dit que les Remains, en le vopnt s'e- 
loigner des murs de la ville efcernelle, prevoyaient que de 
longtemps ils ne reverraient leur pasteur. C'est de ce de" 
part de Benoit XI que Ton doit dater la translation du 
Saint-Siege. Ce papeTavait medit^e, il etait reserve a son 
successeur de Faccomplir, 

De Rome, Benoit prit le chemin de Viterbe, se reposa 
sculement a Orvieto, et arriva en pen de jours i Perouse. 
La population de cette ville le regut avec des transports de 
joie et Taccompagna jusqu au palais pontifical.. Ges horn- 
mages, qui contrastaient si etrangement avec la tyrannic 
qu'il avait subie a Rome, releverent le courage de Benoit, 
il respira comme delivre d'un poids incommode, et, auli^u 
de pousser tout d'un trait jusqu'li Assise, comme il en 
avait eu d'abord le projet, ilrfeolut de fixer quelque temps 
sa cour a Perouse (2) . 

Si Mattheo Rosso s'etait flatte de r^gner plus facilement 
sur le pape, apr^s Tavoir 61oigne do Rome, il dut promp* 
tement revenir de son erreur. Rendu a Tind^pendance, 
Benoit XI ne tarda pas a montrer qu'iln' avait riatentko 

(i) Matthaeus^qui semper dolis pectus armaTerat, sumendi cansAxn iti- 
neris corde prsemeditans , inter fratres suos coDceptum laudavit papis 
. * : propositum. (Ferretus Vicenlinus, loc. cit.) 
' '. .* (2) Ferretus Vicentinus, loc. dt 



BENOIT XL 159 

de commettr^ h personne le gouvernail de I'^glise, et 
qa'il Yonlait le faire mouvoir lui seul avec tigueur et selon 
ses propres vues. Le premier sain qui Toccupa dans sa 
nouvelle position fut la reconciliation des partis qui divi- 
sdent la Toscane* 

Depuis que Pistoie avait introduit a Florence, comme 
une contagion, ses Noin et ses Blancs (1), les noms de 
Guelfe et de Oibelin avaient en quelque sorte disparu pour 
faire place a ces nouvelles denominations. Les Noirs de^ 
fendaient les principes guelfes, les Blancs ceux des Gibe* 
litis. Tous, au reste, avaient herit^ des mdmes passions. 
G'^it Fusage que chaque parti se personnifi&t dans Tune 
de ses families les plus influentes, et y prit ses chefs. 
La famille des Donati chez les Noirs, celle des Gerchi chez 
les Blancs, etant, sans contredit, les plus puissantes, les plus 
is^^es aux afTaires publiques, furent naturellement inves- 
ties de cet bonneur (2). Les Donati, issus d'une noblesse 
aBcienne, babitues k la magnificence, et ne paraissant ja- 
mais en public qu'environnes des pompes de la grandeur, 
ralliaient a eux cette haute aristocratic qui met dans une 
r^pqblique les honneurs au-dessus de la fortune. Les Ger- 
chi, au contraire, -sortis avec le secours de Tindustrie des 
rangs pl^b^iens, avaient sur le peuple cet ascendant que 
donnent des richesses qu'on lui fait partager, et, par la 
m^me, comptaient un plus grand nombre de partisans (3). 
Us comptaient aussi les hommes les plus distingues par 
leurs talents : Dino Gompagni, qui nous a laisse une assez 
bonne bistoire de son ^poque (4); les deux poetes Guide 

(1) Voir comment ces deux factions avaient ete transportees a Florence, 
dans la Vie du Dante, par le comte Cesar Balbo, 1. 1, c. x. 

(2) Giovanni Villani, 1. VIII, c. xxxvni. 

(3) Benvenuto da Imola, Comment, in Dantis Commediam , ap. Murat. , 
Antiquitates italicae, 1. 1, p. lOiO. 

(4) Voir Murat., Script, rerum ital., t. XX. 



160 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. II. 

Cavalcanti et Dante Alighieri, se faisaient gloire de mar- 
cher sous leur banniere. Guido Cavalcanti appartenait a 
Tune des plus puissantes maisons de Florence. Ne ardent 
Gibelin, il s'etait, pour ainsi dire, identifie avec ce parti 
en epousant la fille de Farinata degli Uberti, son chef le 
plus renomme. Corso Donali avait en lui un ennemi per- 
sonnel (i). Au milieu des agitations de la politique, Guido 
faisait des vers qui avaient pour sujet unique I'amour et 
la galanterie, comme tons ceux de ce temps-la. L'objet de 
ces vers etait une femrae de Toulouse, nommee MandetUXj 
dont Guido semblait avoir fait la dame de ses pensees. lis 
jouissaient alors d'une grande reputation, la m^ritaient a 
quelques egards et preludaient aux canzoni bien autre- 
ment belles de Petrarque (2). 

Dante Alighieri etait un personnage plus cel^bre en- 
core. N6 en 4265, il avait etudie sous le fameux gram- 
mairien Brunetto Latini , qui avait rempli de sa repu- 
tation la derniere moitie du treizieme siecle, et auquel 
Florence etait redevable de parler un langage plus cor- 
rect et plus elegant (3). Par les soins d'un maitre aussi 
habile, Dante fit de grands progr^s dans toutes les scien- 
ces du temps (4). La conformite d'opinion politique, et, 
bien plus encore, les m^mes godts litteraires, le li^rent 
d'amitie avec Guido Cavalcanti , dont il fait T^loge 
dans sa Divina Commedia. Dante porta les armes avec 
gloire, et ses services militaires, si Ton en croit Mario 
Filelfo, lui valurent plusieurs ambassades honorables k 
Rome, a Naples, en Hongrie, en France m^me, dans 



(1) Dino Gompagni, 1. 1, p. 481. 

(2) Ginguene, Hist, litteraire ditalie, 1. 1, p. 422. 
(5) Giovanni Villani, l.VII, c. clxii. 

(4) Tiraboschi, t. V, part. II, p. 4T6 el 477. 



LES NOIRS ET LlSS BLANCS. 461 

lesquelles il representa dignement le peuple florentin (1)* 
L'adjonction dc tels hommes 6tait un renfort qui aurait 
da assurer la preponderance aux Blancs. Mais Vieri dei 
Cerchi, leur chef, comme tons ceux que le hasard de leur 
position, et non la superiorite du talent, a pousses k la t4te 
d'un parti, etait au-dessous du role qu'on lui faisait jouer. 
II n'avait ni assez de caractere, ni assez d'activite, pour 
profiler des avantages que les circonstances mettaient 
entre ses mains. Le chef des Noirs, au contraire, Corso 
Donati, actif, entreprenant, plein d'energie, suppleait par 
les qualites k T inferiority de son parti. De cette manifere, la 
puissance des deux factions etait a peu pres egale. Leur 
animosite Tetait aussi. Dans la disposition des esprits, 
les griefs des deux families preponderantes so trouvaient 
partages par toutes les autres, et leurs moindres querelles 
se changeaient en guerres civiles. Une rixe dans laquelle 
Ricovero dei Cerchi perdit le nez devint le principe des plufi 
grands desordres (2). Boniface VUI, dont Tactivit^ s'^ten- 
dait a tout, desirant mettre fin a ces scandales, manda k 
Rome Vieri dei Cerchi, et le pria de faire la paix avec 
Corso Donati, ajoutant a ses prieres les promesses les plus 
brillantes. Mais Vieri repondit qu*il n'etait en guerre avec 
personne, et il revint a Florence sans avoir donne aucune 
satisfaction au pape (5) . Alors Boniface envoya a Florence 
le cardinal Matthaeo d'Aquasparta avec une mission paci- 
fique. Rien n'est plus difficile que de traiter avec les pas- 
sions politiques, quand elles sontarriveesjusqu'a la haine. 
Les Blancs, qui jouissaient dans ce moment de la prepon- 
derance, d^clinerent la mediation du legat, et le cardinal 



(1) Tiraboschi, p. 480et4S1. 

(2) Benvenuto da Imola, p. 1040. — Cesar Balbo, 1. 1, c. x. 
(5) Benvenuto da Imola, p. 1040. 

11 



103 fflSTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. II. 

se vit forc^ de partir, laissant toutefois, en se retirant, 
Florence sous le poids d'un interdit (1). 

A celte occasion, la Seigneurie, irrit^e que les querelles 
de quelques citoyens trqublassent la tranquillite de tons, 
fit un actc de vigueur et condamna a Vex\\ les chefs des 
Noirs et des Blancs, qui durent se rendre, les premiers 
dans le territoire dePerouse, les seconds a Sarzana. Dante, 
alors prieur, fut un de ceux qui prononcerent cette saa- 
tence, que Thistorien Dino Corapagni assure avoir cqh- 
seill^e (2). Mais cet expedient, que les hommes mod^rea 
des deux partis ayaient imagine pour imposer silence aux 
dissensions, ne fit que les animer davantage. ie lieu 
d'exil des Donati n'^tait pas eloigne de Rome, Corso y 
court. La, par le credit des amis qu il s'etait faits a la cour 
pontificale, du cardinal d'Aquasparta entre autres, il reus- 
sit a persuader a Boniface VIII d'appeler a Florence qi^el- 
que prince etranger, puissant, qui s'y presenterait avec 
des forces imposantes, et d'essayer d'une mediation arm^ 
oi\ toute meditation pacifique echouait. C'^tait preparer 
la destruction des Blancs, car Tinlention de Thabile Do- 
nati dtait bien de tourner cette mediation, ainsi eouQue, 
au profit de lui-meme et des siens (3), 

Boniface Vlllentra d'autantplus volontiers dans ce des- 
sein, qu'il servait sa politique d'un autre c6le, et jeta les 
yeux sur Charles de Valois. Ce qui avait 6t& r&olu fut 
ex^cutiS, malgr^ Topposition des Blancs, de Dante surtout, 
qui voyait dans un semblable projet la mine de la pa- 
trie (4). Le prince fran§ais, mand4 par le pape, parut qn 

(1) Benvenuto da Imola, p. 1041.— Giovanni Viilani, i. VIH, c. xixix. 
— Machiavelli, Storie iiorentine, I. U. 

(2) Cronaca, 1. 1, p. 482. — Giovanni Viilani, 1. VIII, c. xi. 

(3) Benvenuto da Imola, p. 1040. 

(4) Tiraboschi, t. V, part. II, 1. UI, n"* 5.— Cesar Balbo, 1. 1, c. xi. 



LES NOIRS ET LES BLANCS. 165 

Italie eJ;4 Florence en 1302, suivi de cinq cents dbevaux; 
faiWe armee, il estvrai, mais qu'on esperait rendreimpo* 
sante en lui adjoignant des corps de troupes merce* 
naires. 

Son entree dans la ville ne differa gu6re d'un triomphe ( J), 
Jamais homme n'avait apporte avec lui plus d'esperance?, 
jamais homme n'en dementi t da vantage. Valois, habile 
comme guerrier, etait faible comme politique, l^ nature 
ne Tavait dou^ ni de cette intelligence vaste qui embrass^ 
a la fois toug les Elements organiques d'un Etat, ni 4e cette 
puissance de caracterc qui les maitrise, fileve d'ailleur^ 
ail milieu d'une nation ou la volonte d'un seul etait tout, 
celle du peuple rien, il se trouvait, par son education, 
complctement etranger aux gouvernements popujaires et 
k leurs turbulentes factions. Incapable d'apprecier \q$ 
principes divers qui se partageaient Topinion publique, il 
ne voyait que des passions ou il y avait aussi des int^rSt^ 
et des idees. Toute sa conduite ne fut qu une deplorable 
consequence de cette erreur. Au lieu de reconcilier les 
partis, il redonna toute puissance aux Noirs. Le pillage, 
le meurtre, Fexil des Blancs, accompagnferent cette res- 
tauration de leurs ennemis. Dante en fut une des victime$ 
les plus malheureuses. II etait alors en ambassade aupres 
du pape Boniface YIII. Tout k coup on excite centre lui la 
populace de Florence; sa maison est investie, pill^e, rasee, 
la devastation est portee dans ses proprietes. On Taccus^ 
eneuiie d'avoir njial verse dans Texercice de sa charg^ de 
prieur, et yne sent^ce de bannissement, accompagn^e 
d'une amende de huit cents livres, couronne ces violences. 
Les Noirs ne sont point encore satisfaits de cette vengeance, 
il leur faut du sang, et ils font condamner le banni k ^tre 

(1) Dino Gompagui, 1. U, p. 492. 



164 flISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. II. 

htdU vif avecses partisans (1). Heureusement, Dante, eloi- 
gne de Florence, n'avait personnellement rien a craindre 
de tant de fureurs. Ainsi, Charles de Valois, bien loin de 
r^tablir le calme, ne fit que soulever de nouveaux orages 
et partit de la ville charg^ de plus de haines qu'a son ar- 
riv^e il n'avait trouve de sympathies (2) . Le cardinal d'A- 
quasparta reparut alors, pour cssayer de nouveau la voic 
des negociations (3). Ses efforts semblerent d'abord obte- 
nir quelque succes. II reunit les Donati et les Cerchi par 
des manages et de nouvelles alliances. Mais, lorsqu'il t6- 
moigna le d^sir que les Blancs eussent part aux emplois 
publics, les Noirs, qui etaient maitres de I'Etat, s'y op- 
pos^rent, et il quitta Florence aussi pen satisfait et non 
moins irrite que la premiere fois, la laissant dans Tanar- 
chie et sous Tintcrdit (4). 

Les choses en etaient la lorsque Benoit XI, arriv^ a Pe- 
rousc, resolut d'employer de nouveau Tautorit^ pontificale 
a la reconciliation des partis. Dans cette vue, il jeta les 
yeux sur Nicolas Albertini de Prato, tout recemment cree 
cardinal d'Ostie, gibelin d'origine, h la verite, mais mo- 
deriS, grand politique surtout, et done de cette haute mo- 
ralite qui captive Testime publique et inspire la confiance 
a tons les parlis. Ce legat, arrive a Florence au mois de 
mars 1304, annonga au peuple la mission dont le p^re 
commun des fideles Tavait charge. II fut accueilli avec des 
branches d'olivier, on lui accorda un plein pouvoir de 
regler Tfitat a son gre. Par ses bons offices, plusieurs fa- 
milies puissantes se rapprocherent, il retablit les gonfalo- 



(1) Tiraboschi, p. 481. — Ginguene , Hist, iitteraire d'ltalie, t. I, 

C. VII. 

(2) Dino Conipagni, I. II. — Giovanni Villani, 1. VIII, c. xlyiii et xlix. 

(3) Raynald, ann. 1501, n^" 14. 

(4) Machiavelli, Storie iior., 1. II. 



LES NOIRS ET LES BLANCS. 465 

niers des compagnies, ce qui augmenta Tautorite du 
peuple et diminua rinfluence des grands. Jusque-la tout 
prosperait ; mais il y avait dans TcBuvre du cardinal des 
points d'une delicatesse extreme. Celui qui concernait le 
rappel des exiles blancs en etait un. Des qu'il essaya de 
le toucher, il rencontra, de la part des Noirs, des difScul- 
tes insurmontables. Toutes ses tentatives a cet egard de- 
meurerent sans effet. Peu a peu son credit diminua, m^me 
parmi le peuple. Insulte au milieu d'une emeute, il s'e- 
cria, en s'adressant a ceux qui Tenvironnaient : « Puisque 
vous voulez etre en guerre et en malediction, et que vous 
ne pouvez souffrir ni paix ni repos entre yous, restez done 
dans la malediction de Dieu et de son Eglise. » Et il revint 
a Perouse (1). BenoitXI confirma cctte excommunication. 
En meme temps, et sur Favis de son legat, il cita a sa cour 
douze des principaux citoyens, parmi lesquels se trouvait 
Corso Donati. Ceux-ci obeirent a la citation et se rendirent 
a Perouse. Saisissant F occasion, le cardinal de Prato ecri- 
vit secretement aux exiles des Blancs de tenter un retour 
a Florence, pendant qu'elle etait privee de ses chefs. Ges 
derniers, en effet, firent leurs efforts pour s'y rendre 
promptement, mais, dans cette tentative imprbvisee, il y 
eut hesitation, tatonnement, defaut d' ensemble; elle man- 
qua, et les divisions continuerent (2). 

Au milieu de ces vicissitudes des partis, il importe de 
faire connaitre le sort de Dante. A la nouvelle de la sen- 
tence capitale qui le frappait, il etait parti de Rome tr^s- 
irrite contre le pape Boniface VIII, qui n'etait pour rien 
dans son malheur. II se rendit d'abord a Sienne, pour 

(i) Giovanni Villani , 1. VIII, c. lxviii et lxxi.— Dino Compagni, I. lU, 
— Machiavelli, 1. II. — Cesar Balbo, t. II, c. ra. 

(2) Giovanni Villani, 1. VIU, c. xcn. — Dino Compagni, 1. m.— Machia- 
Telli, Storie fior., 1. U. 



lee msTOiRE de la PAPAtJt^, liv.ii. 

pi*eil(lr6 une connaissslnce plus ^xacte des faits, puis i\ alh 
i^ejbindre, k Ar6zzo, ceux de son parti qui etaient edl^s 
conlmelui. Apres la tentative infructueuse dontnous v&- 
ttotls de parler, tout espoir semblant perdu, il S6 refira a 
Padou6, ptiis dans la Lunigiane, chez le marquis de Ma- 
tte^pina; ensuite aGubbio,chez Bozon, avec lequel 11 avait 
<36ntracte amitie; eiifin a Verone, aupr^s des seigileurs 
della Soak. Parlout il regut Faccueil le plus honorable. 
Mais, soit que le malheur eiit aigri son caractere, soitque 
la nature ne Itii e6t pas donn6 une humeur aussi belle que 
son genie, Dant^ slvait un commerce pen agreable. II de- 
plut surtout a la cour des Scala, par une fierte deplacee. 
S*en etant apergti a la froideur qu'on avait pour lui, il se 
rctira, se mit h voyager, vint k Paris, out il frequenta ITt- 
iliv^rsite, 6t y soutint publiquement une these sur divers 
points de thedlogie. De retour en Italic, il resta quelque 
temps !§ans se fixer. Enfin il vint a Ravenne, chez Guido 
NdVello da Polenta. H gofttait un pen de fepos aupres de 
(5€f prince 6claire, qui protegeait les lettres et l^s cultivait 
Ini-ni^me avec succes, lorsqu'il entreprit de le recondlidr 
avec les Veiiitiens, qui lui faisaient une cruelle giierr^. 
Ccttc ambai^sade, qui n'aboutit a rien, accabla Dante. II 
reviht k Ravenne, od il tomba malade et mourut, le 44 i^ep- 
tembre 1321, age seulement de. cinquante-six ans (1). 
Novdlo da Polenta lui fit faire des obseques dignes dB sa 
renomni^e. On Tenterra en habit de poete, les principaux 
dtoyelttiS de Ravennei portferent son corps, et Novello pfo- 
lion§a Itii-ffleme son ^loge. II comptait lui elever un su- 
perbe mauSolee; tnais, la mort Fayant surpris au niili^ 
de son projet, ses intentions ne furent remplies que plus 



(i) Tiraboschi, p. 485 et 486. — Ginguene , p. 451, 452 et 455.— 
Cesar Balbo, t. II, c. xvi et xvii. 



DANTE. m 

At c^nt soixaAte ans plustard, par Bernardo Bembo, pro- 
tecteur de Ravenne et pfere de Tillustre cardinal de ce 
notn (1). 

Dante etait profondement vers^ dans presque toutes les 
sciences de son temps. Chose rare! il fut a la fois grand 
poete, grand philosophe et grand orateur. 11 discourait aussi 
bieh qu'il ecrivait; et quant a la poesie, Tltalie, depuis 
qu'elle parlait une langue nouvelle, n avail pas produit un 
genie qui Feut cultivee avec autant de perfection. C'est un 
deses contemporains qui luirend cethommage(2); etiln'a 
rien d'exagere. Dante est en effet un de ces esprits rares 
que la nature se plait a orner des dons les plus precieux* 
et qui seuls suffiraient a illustrer un siecle et une nation. 
11 est parvenu jusqu a nous un asscz grand n5mbre d'ou- 
vrages de ce poete ; mais celui qui Ta immortalise est sa 
Divina Commedia, ou le recit en cent chants d'un voyage 
accompli au travers de Tenfer, du purgatoire et du paradis. 
11 parcourt les deux premieres regions sous la conduite 
du poete Virgile, et la troisieme sous celle de Beatrix de 
Portinari, jeune femme nagufere Tobjet d'un premier 
amour, que la mort lui avait enlevee en 1290, et qu'il 
n'avait jamais oubliee. 

Comme Ylliade d'Homfere, le poeme de Dante est tout k 
la fois une oeuvre poetique, theologique et philosophique. 
Les dogmes du Christianisme et les d^couvertes de la 
science sur le syst^me du monde y paraissent revfitus des 
magnificences d'une poesie egale k celle du chantre de 



(i) Tiraboschi, p. 487. 

(2) Quest! fu grande litterato quasi in ogui scienza, fu ^ommo poeta e 
fllo^fo e rettdrico, perfetto tanto m dittare e versiGcare, come in arin- 
ghiera parlare , nobilissimo dicitore , e in rima sommo con piu polito e 
bello stile, che mai fosse in nostra lingua al suo tempo e piu inanzi. 
(Gioyanni Villani, L. IX, c. cxxxiv.) 



168 HISTOIRE DE LA PAPAUTlfe, LIV. II. 

Smyrnc. On a pr^tendu que la premiere idee de ce poeme 
n appartenait point a Dante, qu'il Tavait puisee dans un 
ouvrage peu connu de Brunette Latini, son maitre, ou- 
vrage intitule Tesoretto (•). Hy a, en effet, dans le Teso- 
retto^ qui a pour objet un voyage de Fauteur, une vision 
mysterieuse, une description de lieux et d*objets fantasti- 
ques, la rencontre d'un poete latin, Ovide, qui sert de 
guide au poete moderne, et celle d'un astronome ancien, 
Ptolemee, qui lui explique les phenom^nes du ciel. Rien 
d'improbable que ces trois idees du maitre n'aient inspire 
au disciple ses trois idees de TEnfer, du Purgatoire et du 
Paradis. Mais, s'il y a quelques traits de ressemblance en- 
tre les plans des deux poemes, il n'y en a- sArement au- 
cune dans leur execution. Autant le Tesoretto est pauvre, 
vulgaire, autant la Divina Commedia est riche ct majes- 
tueuse. II faudrait ecrire un volume en tier pour passer en 
revue tons les sujets magiques que le poete a su rasscm- 
bier dans cette galerie enchantee. Quel tableau imposant 
et terrible que la description de I'eufer ! quelle scene tou- 
ohante que celle ou Francesca da Rimini raconte comment 
un amour coupable et malheureux la conduisit a la mort 
avec son amant! Quel sombre episode que celui du comte 
Ugolino, affame de vengeance, rongeant avec ses dents le 
crane de Tarcheveque Ruggiero, et interrompant son hor- 
rible festin pour retracer Tepouvantable agonie de lui- 
meme et de ses enfants, condamnes a mourir de faim dans 
une tour muree! Mais il faudrait tout citer. L'imagination 
de Dante est inepuisable, elle ne laisse pas reposer I'ad- 
miration. Ici elle la berce par les images les plus riantes, 
la elle la ravit sur les hauteurs du sublime ; et, quand 
celle-ci veut s'arreter haletante sous le poids d'indicibles 

(1) Ginguene, t. li, p. 9 et 10. 



DANTE. ie9 

emotions, yoila qu elle la ressaisit, et, la transportant avee 
une irresistible puissance, Toblige a frissonner ou a re- 
pandre des larmes en face de quelque nouveau spectacle 
lugubre ou attendrissant. Au reste, les chants qui decri- 
yent Tenfer sont la portion incontestablement la plus sail- 
lante de ce voyage mysterieux. On reproche a Dante de 
grands defauts, des images etranges et centre* nature, un 
langage parfois trivial, des chants languissants et d'une 
lecture difficile, une versification souvent dure, irregu-- 
Here. Mais ces defauts, fruits, pour la plupart, de Timper- 
fection ou etait alors la langue italienne, ne sont que de 
faibles taches qui disparaissent dans les splendeurs de 
Tensemble. Une machine poetique nouvelle, et, partant, 
une poesie nouvelle, un style tantot sublime, tantot path^- 
tique, toujours riche ; des traits passionnes qui vont jus- 
qu'au coeur, des images pittoresques qui frappent tout a 
coup, sans qu'on s'y attende, comme les grands accidents 
de la nature, et subjuguent Fame, tellcs sont les beautes 
qu on rencontre a chaque instant dans la DivinaCominedia. 
A Fepoque ou elle parut, elle provoqua un concert uni- 
versel d'cnthousiasme. Florence, qui avait proscrit son 
auteur, fonda, en 1373, une chaire speciale pour com- 
menter son poeme. Cinq siecles ecoules sur sa renommee 
n'ontservi qu a lafaire grandir, ct, longtemps encore, les 
artistes et les poetes viendront y chercher les plus nobles 
inspirations deleur genie. 

Toutefois, en faisant Telogede la Divina Commedia, nous 
ne pretendons point approuver les satires et les odieuses 
calomnies qu'elle renferme centre les papes et les princes 
de rEglise. Ce n'est point d'apres les fictions capricieuses 
et malignes du chantre gibelin que Ton doit former son 
jugement sur les personnages celebres de son iepoque ; et 
nous ne comprenons pas que des ecrivains modernes aient 



i^6 flISTOIRE DE LA PAPAUTE, UV. IL 

ds^ pilisef ded t^moignagei^ k tine pareille source. Si, daSd 
Tttuvre immortelle de la Ditina Commedia, le talent que 
d^ploie le poete a un incontestable droit d tiolr6 admira* 
tion, les injustices que s'y permet trop souvent rhomme 
doivent exciter Tindignalion de tout coeur hontl6te. 

Pendant ^ue Bendit XI travaillait k pacifiei* Florence, il 
lie perdait pas de Tue la grande affaire qui avait catis^ 
les malheurs de Boniface, savoir : le ddm616 de ce pOn- 
tife avec Philippe le Bel. Ce prince li'avait pas ^te plutdt 
instruit de F elevation de Benoit XI a la Papaute, qu'il s'^ 
tait empress^ de lui envoyer ses felicitations par une aln- 
bassade solennelle, composee des seigneurs de Mercueil, 
d6 Vezenobre, et de Pierre deBelleperche, ch^noine de F^- 
glise de Chartres (1). Mais, avant que cette athbft^sade sc 
fdt mise en mouTcment pour Rome, Pierre Pdr^do, prifeur 
de Cheza, que Philippe leBel avait expedi6 du vivant de 
Boniface, et qui n'dtait arrive que pOiir 6tre t^moin de ses 
fun^railles, Pierre P^redo, dis-je, e:Jcdte par Nogafet, se 
presenta a Benoit XI avec le Memoire qui renfermait les 
plaintes de son maitre contre le pontife d^funt, les proce- 
dures da conciliabule de Paris, et le dessein d'en poursui- 
vfe r execution devant un concile general. La situation du 
pape se trouva d'autant plus difQcile qu'il etait plac^ ^- 
tre sa conscience, qui reculait devant une satisfaction in- 
juste, et le danger d'irriter par un refus le terrible 
monarque qui venait si recemmeiftt de lui apprendre k 
craindre sa vengeance. Sa prudence le lira d' affaire; 
il fit r^pondre k Nogaret, par Tarchevfique de Toulouse, 
que, dans les instructions denudes k P^^do, un chan- 
gement de pontificat n' avait point ^t^ pr^vu ; que T^tat 
des choses n'^tait plus le mdme depuis la mort de 

(1) Preuves du differcDd, p. ^tOB. 



6EN0IT XI ET PHILIPPE LE BEL. ' m 

Boniface; qu*en consequence les intentions du rdi de 
France poilvaient avoir subi des modifications sut* leS- 
quelles il etait bon d'etre instruit; qu'il d^sirait ar- 
demment terminer a la satisfaction de tons un d^m^l^ 
fatal a Tfiglise, mais qu'il le suppliait, avant de com- 
mencer aucune poUrsuite, d'attendre de nouveaux ordre* 
de sa cour (I). 

Les plus simplesi convenances exigeaient que les reprd- 
seiitants frangais cedassent a d'aussi justes considerations, 
lis y cederent, en effet, et Guillaume de Nogaret revint en 
France rendre compte k Philippe le Bel des bonnes dispo- 
sitions dti nouveau pape. L'ambassade dont nous avoilfi 
parle n'etait point encore sortie du royaume; le r6i 
lui adjoignit Nogaret. Mais Benoit XI , sans attendre 
son arrivee et pour montrer a la cour de France le de- 
sir qu il avait de la paix, commen§a par delier Philippe 
l6 Bel de toutes les censures que son pred^cessenr 
avait fulminees centre lui. La buUe qui contenait cette 
absolution etait datee de Rome, et du 2 avril (2). Quel- 
ques semaines apres, le pape data de Viterbe une se^- 
conde bulle qui revoquait la reserve que Boniface Vltl 
avait faile des provisions de toutes les ^glises cath6^ 
drales et regulifer-es de France (5). Enfin, le 13 mai, 
etant a Perouse , il expedia une troisifeme bulle , dans 
laqudle il declarait absous tons les prelats, eccl^siasti- 
ques, baroils et nobles qui se trouveraient excommu- 
fli^s, k Texception pourtant de Guillaume de Nogaret, dont 
il reservait Tabsolution d'une maniere speciale au Saint- 
Si^ge apostolique (4) . 

(\) Hist, du differend, p. 25, et Baillet, p. 258. 

(2) Bulle : Quanto dos, fili, Preuves du differend, p. 207. 

(5) Bulle : Ut eo magis, Preuves du differend, p. 209. 

(4) Bulle : Sanete matiis l^clesiee, Preuves du differend, p. 209. 



in * fllSTOlRE DE LA PAPADTE, LIV. 11. 

On aurait dit que Benoit XI avait voue le 1 3 mai a la 
olemence, car ce memo jour vit paraitre encore deux au- 
tres billies , dans lesquelles le pape amnistiait la contu- 
mace des pr^lats frangais qui s'elaient abstenus de com- 
paraitre a Rome sur la citation do son predecesseur, revo- 
quait la suspension des graces, annulait Tactc qui avait 
delie les sujets du roi de France du serment de tidelite, 
et retablissait toutes choses en Tetat oA elles se trouvaient 
avant Texplosion du demele (1). II n'y mettait qu une seule 
exception, et cettc exception etait encore pour Guillaume 
de Nogaret. Dans le pardon general, les Golonna ne furent 
pas oublies. On se rappclle quelle masse d'anathemes avait 
^te lancee sur cette famille coupable. EUe faillit y succom- 
ber; mais les circonstances la sauverent, et il ne restait 
plus au nouveau chef de Tfiglise qu'a la gagner par ses 
bienfaits. 11 revoqua done tout ce qu'avait fait Boni- 
face Vin, soit contre les deux cardinaux, soit contre les 
autres membres de la famille, ses partisans et allies, et 
leur rendit tons les droits et privileges dont ils avaient an- 
ciennement joui. Toutefois, respectant j usque dans le par- 
don les motifs que Boniface VIII avait eus de punir, il ne crut 
pas devoir pousser ses faveurs jusqu'a rendre la dignite de 
cardinal k Jacopo et k Pietro Golonna; leurs biens confisques 
resterent egalement sous le sequestre, et la defense fut re- 
nouvelee de rebaitir et de fortifier la cite de Palestrina, de 
lui restituer le nom de ville et d'evfiche sans la permission 
exprcsse du Saint-Siege (2) . Ici les Golonna se montr^rent 
moderes. Ils acceptferent, avec reconnaissance, les graces 
qu'on leur accordait ; et, persuades que le pape avait des 
mesures a garder, ils se resign^rent a attendre, pour celles 

(i) Bulle : Dudum Bonifacius, Preuyes du diCTerend, p. 229, et buUe : 
Ad statum tuum, p. 230. 
(2) Bulle : Dudum boDse memorise, Preuves du differend/p. 227. 



BENOIT XI ET PHILIPPE LE BEL. 175 

qu'oii leur refusait, des circonstances plus favorables (4). 

Par toutes ces concessions gracieuses, Benoit XI sem- 

blait preparer le monarque frangais a supporter patiem- 

ment le coup vigoureux qu'il se disposait a frapper sur les 

auteurs de Tattentat d'Anagni. II se crut assez en sArete a 

Perouse pour ne pas le differer plus longtemps, et, le 

7 juin, il publia sa buUe Flagitiosum scelus (2). Le langage 

du pape y exprimait tout d'abord la menace, a Si, pour de 

c( justes causes, disait-il , nous avons retarde jusqu'a ce 

« jour de punir T execrable forfait commis par des scele- 

c( rats sur la personne sacree de notre pred^cesseur, nous 

cc ne pouvons differer plus longtemps de nous lever, ou 

« plutot Dieu lui-meme doit se lever avec nous pour dissi- 

« per ses ennemis et les chasser de devant sa face. » Apr^s 

ce debut, le pape racontait, avec le style de Tindignation la 

plus vive, les principaux details de T attentat commis par 

GuillaumedeNogaret, Sciarra Colonna,Reynaldi de Supino 

etleurs autres complices, qu'il nommait; le pillagedutr^sor 

de rfiglise romaine, et les horreurs commises dans le sac 

du palais pontifical; horreurs qu il avait vues de ses pro- 

pres yeuXi Puis, il s'6criait : c< Oii est le cruel qui ne ver- 

c< serait pas de larmes? oil est Tennemi qui n'eprouverait 

« pas de la compassion? oii est le juge, si faible qu'il soit, 

c< qui ne se leverait pour punir, quand la securite a etc 

c< violee, quand Timmunit^ a ete offensee, quand le 

« souverain pontificat a ete deshonore, quand Ffiglise 

« elle-meme a ete reduite en servitude avec son epoux ! 

« crime inexpiable ! 6 attentat inoui ! 6 malheureuse 

« ville d'Anagni, qui Tas souffert sans Tempecher, que 

c( la rosee du ciel ne tombe plus sur toi ! » Ces lamen* 



(1) Baillet, p. 248. 

(2) Preuves du difTerend, p. 252. 



174 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV, 11. 

tatioqs termiijeas, Benoit XI d^clarait que tous ceux 
qu'il ayait nomm^s, tous ceux qui avaicnt pariicipe a 
leur crime, tous ceux qui les avaient aides de leyrs 
conseils ou de leur approbation, avaient encouru la 
sentence d'excommunication promulguee dans les saints 
canons; puis il les citait peremptoirement a se presenter 
en personne devant le Saint-Siege apostolique avant la 
fi^te des bienheureux ap6tres Pierre et Paul, les aver- 
tissant que leur absence n empecherait pas qu'on ne 
procedat centre eux. Si le nom de Philippe le Bel ne 
paraissait pas dans cette buUe, ce n etait que par me- 
nagement. Mais le silence du souverain pontife a <^et 
^gard ne faisait illusion a personne, tout le monde $a- 
vait que Tinstigateur de Tattentat d'Anagni iStait le roi 
de France. 

Apres ce foudroyant manifeste, il ne devait plus 6tre 
question d'assembler un ridicule concile gen&al, pour y 
condamner Boniface YIIL II s'agissait de commencer de& 
procedures oii de tristes revelations allaient sOrement se 
faire. Cette nouvelle, jointe a d'autres qui ne laissaient 
aucun doute sur Tintention du souverain pontife, porta le 
trouble dans la cour de France. Et Ton ne sait trop ce qui 
serait arrive, si le regne de Benoit XI se fut prolong^. M$ii§ 
ce digne vengeur de Boniface manqua tout d'un coup aux 
esp^rances de TEglise et a ses projets. Un'jour, apres avoir 
mange avec appetit des figues nouvelles qu'on lui avait 
servies, il fut saisi brusquement de douleurs violentes dans 
les entrailles. Le mal fit de rapides progre^, et il y suc^ 
comba le 7 juillet, un mois apr^s la publication de la t»ille 
Flagitiosum scelvs (1). 

(i) Papyre Masson. Ciacconius, in Benedictum. — Ferret. Vicent., t. IX, 
p. 1015. — Francisci Pipini Chron., 1. IV, c. xiviii. -— t^ov. Vill., 1. VIII, 
c. Lxxx. — Dino Gompagni, 1. III. 



MORT DE BENOIT XF. 175 

Une mort si prompte, dans les circonstances ou elle ar- 
riva surtout, ne semblait pas naturelle. On Tattribua ge- 
n^ralement au poison. Mais quels furent les auteurs de ce 
nouveau crime? On est reduit, sur ce point, a des conjec- 
tures. Les uns en accusent les hommes que Benoit XI avait 
nommes dans sa bulle ; les autres Fattribuent aux cardi- 
naux. Aucun ne prouve ce qu'il avance. Un chroniqueur, 
Ferreto de Vicence, va jusqu'a nommer Philippe le Bel. II 
faut avouer que la mort de Benoit XI fut utile a ce prince; 
il faut avouer encore que ce prince, dont Faudace avait 
outrage Boniface, etait bi^n capable d'ordonner le meurtre 
de son successeur, et qu'il ne manquait pas de ministres 
pour Texdcuter. Mais Ferreto de Vicence est le seul qui le 
dise, et la valeur historique de cet ecrivain^ bien que con- 
temporain, ne me parait point assez considerable pour 
faire poser un tel crime sur la memoire du petit-fils de 
saint Louis. La saintet^ de Benoit XI eclata apres sa mort 
par des prodiges, et Tfiglisc Ta rang^ au nombre des 
saints. 



LIVRE TROISlfiME. 



SOMMAIRE. 

Conclave de P^rouse. — [Election de Bertrand de Got. — Son histoire. — U revolt' 
k Lusignan, en Poitou, la nouvelle de son ^l^Tation. — Son retour k Bordeaax. 

— U prend le nom de Clement V. — Mande en France la cour romaine. — Sod 
couronnement a Lyon. — Origine de la Cavalcata. — Affreux malheur arrive k 
celle de Clement V. — Fayeura de ce pape envers Philippe le Bel. — II forme le 
projet d'une croisade. — Tourne son attention sur I'ltalie. — Legation, en Tos- 
cane, du cardinal Napoleon des Orsini. —Voyages et maladie du papc. — Gonfe" 
rences de Poitiers. — Revolutions en Hongrie, et legation da cardinal Gentilis 
dans ce royaume. — Affaire de la croisade. — Jean de Montecorvino et ses succds 
apostoliques en Orient. — LesTartares. — Haiton rArmdnien. — Poursuites de 
Philippe le Bel centre la m^moire de Boniface VIII. ~ Le cardinal de Prato con- 
seille au pape de convoquer un concile general k Vienne. — Assassinatde Tem- 
pereur Albert. — Clement V reussit a faireelire a sa place Henri de Luxembourg. 

— Clement V part de Poitiers et se rend a Avignon. — Notice historique sur 
cette cit6. — Mauvaise humcur de P^lrarque centre elle. — S^jour de Clement V 
dans le Comtat-Venaissin. — Reprise des poursuites de Philippe le Bel contre 
Boniface VIII. — Clement V permet les procedures. — Affaire touchant Ferrare. 

— Ambition de Venise. — Moderation de Gi6ment V. — Injustice de la repa- 
blique. — Bulle du pape contre elle. — Legation du cardinal de P^lagrue. — D^ 
faite des V^nitiens a Francolino. — Procedures k Avignon contre Boniface VIII. 

— Clement V decide eniin le roi k s'en rapporter a sa decision dans raffaire de 
son dSmeie. 

Les divisions qui avaient entrav^ T administration de 
Benoit XI se manifesterent d'une mani^re bien plus funeste 
dans le conclave qui suivit la mort de ce pontife. Deux partis 
rivaux netard^rent pas h s'y dessiner; Tun guelfe, et de- 
vout k la m^moire du pape Boniface YIII; Tautre gibelin, et 



ilLECTION DE CLEMENT V. 177 

partisan de Philippe le Bel. A la t^te du premier se fai- 
saient remarquer les cardinaux Matthaeo Rosso des Orsini 
et Francesco Gaetani, ncveu de Boniface. A la tete du se- 
cond figuraient les cardinaux Napoleon des Orsini et Ni- 
colas Albertini de Prato (1). Chaque parti cherchait, dans 
I'eleclion future du chef de TEglise, le triomphe de ses 
idees ou de ses interdts. Les Guelfes demandaient un pape 
qui soutint la politique de Boniface VIII ; les Gibelins en 
voulaient un qui favorisat Philippe le Bel et les Colonna. 
Cette opposition de vues, qui partageait presque egalement 
le conclave, le fit trainer en longueur. Le roi de France 
sut en profiter. Menace, dans les derniers jours de Be- 
noit XI, d' avoir a rendre compte de sa conduite sacrilege, 
il lui importait qu'une de ses creatures fAt plac^e sur la 
chaire de saint Pierre, et il mit tout en jeu pour arriver k 
ce but. Jacopo et Pietro Colonna, ces deux cardinaux de- 
grades par Boniface VIII, et que le conclave avait attires a 
Perouse, le tenaient au courant de ce qui s'y passait (2). 
lis regurent ordre de n'epargner aucun moyen pour faire 
tomber les suffrages sur un membre de la faction gibeline. 
Fideles aux injonctions de leur protectcur, ils employaient 
tantdtleur credit, tantdtles soUicitations, mais surtout Tap- 
pet de For, pour gagner les cardinaux du parti guelfe (3). 
Peut-Mre auraient-ils reussi, s'il se fut agi de toute 
autre chose que de la Papaute. Mais il est une passion qui 
ne cMc ni au credit, ni aux soUicitations, ni a Fargent : 

(1) Giovanni Villani , 1. VHI, c. lxxx. Je ne sais ou Sismondi, t. IV, 
p. 229, a vu que le cardinal de Prato s'appelait Aquasparta. 

(2) Ferretus Vicentinus, t. IX, p. 1014. 

(3) Inde Philippus ilium auro poUicitisque magnis apud omnes laboran- 
tem precibus oneravit, quatenus voii sui desiderio potiatur, nee desistere, 
priusquam ardua gesta peregerit. Petrus itaque, opulentissimi regis spe 
duclus, omnes quos aurum silientes noverat, pollicitis, donis, corrumpere 
ausus est. (Ferr. Vicent., loc. oil.) * 

12 



i78 fflSTOIRE DE U PAPAUT^, LIV. III. 

c*est r ambition. Elle dominait les chefs du conclave. Mat- 
thseo Rosso, dont Finfluence entrainait les Guelfes, r65olu 
de placer sur la chairc de saint Pierre un de ses neveux, 
ou d'y arriver lui-meme, n'entendait a rien. D'un autre 
cdte, Napoleon des Orsini, chef des Gibelins, ne voulait 
point que les suffrages tombassent sur une autre tete que 
la sienne, et refusait tons les candidats qu'on lui propo- 
sait (1). Les manoeuvres des Colonna trouvaient encore un 
autre obstacle dans les cabales des seigneurs de Rome 
et des princes de la chretient^; qui, tons, voulaient un 
pontife devout a leurs interets (2) . 

Ballott6 par tant de passions, le conclave, apr^s dix mois, 
^tait moins avance que le premier jour, et la barque de 
Pierre, que tant d'orages avaient battue, que tant d'orages 
inenaQaient encore, etait exposee a flotter long temps sans 
pilote et sans gouvernail, lorsqu'un incident Vint tout 
d'un coup changer la face des choses. Les Perusiens, au 
milieu desquels siB passait cette lutte scandaleuse d'ambi- 
tion et d' intrigues mondaines, irapatient^s de voir les 
hommes que Famour seul de Tfipouse de Jesus -Christ 
aurait At faire mouvoir, immoler ses interets les plus sa- 
cres aux profanes vues de la cupidite, les Perusiens, dis-je, 
s'indignent et se soulevent. lis accourent au palais ou se 
tenait le conclave, Tassiegent, en enlevent la toiture, etre- 
fusent aux cardinaux les objets les plus necessaires a la 
vie jasqu'^ ce qu'ils aient elu un pape (5). Peut-etre cette 
violence fut-elle un coup de la politique de Philippe le 
Bel, habilement prepare par les Colonna et les autres emis- 
saires frangais qui etaient avec eux. Nous sommes d'au- 

(1) Matthaeus etiam et Napoleo^ de se fisi, magnis conatibus nitebantnr^.ut 
eorum alter slatuatur in sede. (Ferr. Vicent.^ loc. cit.) 

(2) Id. 

(3) Id. 



ELECTION DE CLEMENT V. .ITD 

tdnt plus autoris^s k le supposer, qu'un acle du 4 4 avril 
1305 atteste que trois envoyes du roi, fr^re Ithier de 
Nanteuil, pricur de Saint -Jean -de -Jerusalem, mattre 
GanSrdi de Plessis, chancelier de Tours, et Jean Mouchet, 
arrivferent a Perouse et y exciterent les soup$ons de la Sei- 
gneurie, qui ne leur permit de sejourner dans la ville 
qu'apres les avoir obliges de declarer par-devant uotaire 
qu'ils n'etaient venus dans aucun mauvais dessein, mais 
uniquement pour acc^l^rer F^lection du chef de Tfiglise (1). 
Quels que fussent les auteurs de cette violence, elle obtint 
son effet. Les cardinaux, r^duits^ Textremit^, furent for- 
ces de se decider. Mais, toujours aussi eloign^s de s* en- 
tendre sur Tun d'entre eux, ils resolurent de fixer leur 
choix sur un sujet plac6 hors du sacre ^college {2\. C'etait 
1^ sans doute ce que les Golonna attendaient. lis avaient 
leur candidat tout pr6t, c'^tait Tarchevfique de Bor- 
deaux (3). Le recit du chroniqueur qui nous a servi d^ 
guide induirMt a croire que ceux-ci le firent proposer par 
les cardinaux devoues k la France. Par un concours de 
circonstances dont il serait malaise de saisir Fenchaine- 
motft, le prelat gascon plut aux deux partis : aux Gibelins, 
parce qu'ils le savaient secretement ami de la France, 
aux Guelfes, parce qu'il etait une creature de Boniface VIII. 
Les presents de Philippe le Bel impos^rent silence aux 
opposants (4), et le 5 juin \ 305, la veille de la f)itc de la 

(1) PreuteB du differend, p. 277. 

(2) Ferrelus Vicentinus, loc. cit. — Giovanni Villani, L VUI, loc. cit. 

(3) I cardinali per volonta del re di Francia e per induslria de' Colonnesi, 
elessono messer Ramondo del Gollo. (Gronaca di Dino Compagni, t. VIII, 
p. 517.) II ajoute que le cardinal de Prato favorisa beaucoup relection de 
ce candidat. 

(4) Clemens... id auro regio donisque maximis adhortantibus, et Petri 
studio incessabili , prae csBteris in apostolorum sede papa decemitur. 
(Ferr. Vicent,, loc. cit.) 



IgO HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. III. 

Pentecdte, I'archevfique de Bordeaux fut ^lu pape (1). 
{Pikes justif. , n*" 7.) 

Le nouveau pontife s'appelait Bertrand de Got ou d' Agout; 
il etait ne en Gascogne, au village de Villandrau. II fallait 
bien que sa famille compt^it au nombre des plus nobles dc 
la province, puisque nous voyons cette famille etendre scs 
alliances jusqu*aux celebres maisons de Perigord et d'Ar- 
magnac (2). II nous est parvenu peu de details sur les pre- 
mieres ann^es de Bertrand de Got. Nous savons seulement 
qu'il ^tudia les belles-lettres k Toulouse, qu'il apprit le 
droit a Orleans, puis a Bologne (5), et, si nous en jugeons 
par la capacite qu'il deploya plus tard, il dut etre partout un 
^colier distingue. II devint ensuite chanoinc et sacriste de 
Teglise de Bordeaux, vicaire general de son frere, Beraud 
de Got, archeveque de Lyon (4), enfin chapelain du pape. 
II etait revetu de cette derniere dignite lorsque Boniface VIII 
le promut a Feveche de Comminges (5), d'ou il ne tarda 
pas a Telever sur le siege metropolitain de Bordeaux. 
Bertrand ne paya pas ces faveurs d'ingratitude. II prit le 
parti de son bienfaiteur dans son d^mele avec Philippe le 
Bel, et s'attira le ressentiment de ce monarque, impatient 
de toute resistance. C'est sans doute a ce ressentiment 
qu'il faut attribuer les ravages que Charles de Valois 
exerga sur les domaines de la maison de Got pendant la 
guerre de Gascogne (6). Ces injustices ne servirent qu'a 
Tattacher plus fortement a la cause de Boniface. Nous trou- 
vons le nom de T archeveque de Bordeaux parmi ceux des 

(1) Voir les Vies de ce pape, ap. Baluz., Vitae paparum, 1. 1. 

(2) Baluz., 1. 1, ad notas, p. 615 et seq. 
(5) Id., ad notas, p. 622. 

(4) liolonia, Hist, litteraire de la ville de Lyon, t. II, p. M4. 

*h) Baluz., ad notas, p. 622. 

6) Baillet. Hist, du dem^le, p. 262. 



ELECTION DE CLEMENT V. iSi 

prelats qui oserent, en 4502, braver les defenses du roi, 
en se rendant au concile que le papc avail convoque k 
Rome (1). Lorsque Philippe le Bel, ne mettant plus de 
bornes a son audace, exigea de son clerge qu'il Tassistat 
dans ses poursuites sacrileges contre le chef de Tfiglise, 
Tarcheveque de Bordeaux fut encore un de ceux qui refu- 
serent leur souscription. Un chroniqueur italien de cette 
epoque raconte, k cet egard, une particularite qui a echappe 
a tous les historicns, et qui merite d'etre citee. c< L'arche- 
« veque, ecrit-il, se vit oblige, par la crainte du roi, defuir 
« hors du royaume, deguise en soldat, dirigeant sa fuite 
« vers la cour romaine. En traversant la Lombardie, il vint 
c< a Asti, ou Isnard de Pavie, prieur du convent des Domi- 
c< nicains de cette ville, lui offrit une genereuse hospitalite. 
c< Quand Bertrand eut decouvert qui il etait, Isnard ne s'en 
« tint pas la : comme Tarcheveque ne se croyait point 
« encore en surete contre le roi et craignait d'etre enleve 
« sur la route par ses emissaires, Isnard voulut Faccom- 
ci pagner lui-meme jusqu a ce qu il se trouvat a Tabri de 
« toutes poursuites. Plus tard Bertrand, devenu Clement V, 
« recompensa ces bons offices du prieur en le nommant pa- 
ce triarche d'Antioche, avec Tadministration de Teveche de 
a Pavie pendant toute sa vie . Arrive a Rome, Tarchev^que 
c< vecut quelque temps au milieu de la cour, comble des 
c( favours du pape, de ses parents et des cardinaux. 11 s'y 
« fit des conuaissances et des amities qui lui servirent 
« beaucoup, aprfes la mort de Boniface YIII, a le reintegrer 
« dans les bonnes graces du roi de France. Ces amities, 
« la bienveillance des cardinaux et des autres dignitaires 
c( de la cour romaine, Televerent ensuite a la Papaute (2). » 



(i) Preuves du differend, p. 86. 

(2) Francisci Pipini Chronicon, t. IX, p. 759 et 740. 



Ids UISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. III. 

Gette precieuse anecdote ne montre pas seulement avee 
quel courage Tarcheveque de Bordeaux lutta contre la ty- 
rannie de Philippe le Bel, elle prouve encore que le prelat 
et le monarque etaient reconcilies avant le conclave de 
Perouse, et que toute la cour romaine avait les plus 
grandes sympathies pour rarchevequc. 

On demande ici comment le roi de France, qui avait 
aulour de sa personne tant d'autres prelats si complai- 
samnient devoues k ses interets, cabala toutefois de prefe- 
rence en faveur du prelat gascon. La reponse n'est point 
difficile : Philippe le Bel avait eu, dans sa jeunesse, pour 
Bertrand de Grot, une affection poussee jusqu a la familia- 
rite (1). On oiiblie rarement les liaisons formees a cet age 
de la vie. II est done permis de croire qu'une reconcilia- 
tion sincere en ayant fait revivrela vivacite, Philippe dut 
preferer Bertrand de Got a tout autre. Si on ajoute que 
Tarchevfique de Bordeaux, par les amities qu'il possedait 
dans la cour romaine, etait peut-6tre le seul d'entre les 
prelats frangais qui eAt de veritables chances pour la Pa- 
paute, on concevra comment le roi s'attacha a pousiscr un 
tel candidat. II avait tout lieu de craindre que, s'il etA 
propose un prelat moins connu, le choix des cardinaux 
ne se fAt porte sur un sujet etranger a la France. 

La nouvelle d'une elevation si peu attendue rencontra 
Bertrand de Got a Lusignan, en Poitou, occupe a faire la 
visite de sa province. 11 reprit sur-le-champ la route dc 
Bordeaux. Le bruit de son election s'etait deja repahdu 
dans cette ville, et, a son arrivee, il fut regu procession^ 
ncUement par le okrge et le peuple, au milieu d'un im- 
mense concours de prelats et de barons qui s'y ^ient 



(i) Licet in anglia regione praesul esset, tamen Philippo gratissimus, eo 
quod a juyentute familiaris extitisset. (Ferr. Vicent., loe. cit.) 



ELECTION DE CLEMENT V. 185 

rendus de toules parts, Cependant, comme le d^cret d'e-^ 
lection ne lui avait point encore ete apporte, il agissait 
seulement en archev^que (1). Mais les cnvoyes du conclave 
de Perouse, Gui, abbe de Beaulieu, Pierre, sacristain de 
Teglise de Narbonne, et Andre, chanoine de ChUlons, por- 
teurs de ce decret, ne tarderent pas d'arriver. Le decret 
fut remis solennellement a Bertrand le 22 juillet, et, le len- 
demain, dans son eglise cathedrale, prenant place sur son 
siege archiepiscopal, en presence de son clerge, de son 
peuple, et d'unefouledeprelats, de comtes, de barons, il 
prit le nom de Clement V, declara qu'il voulait 6tre ainsi 
appele, et commenga des ce moment a se conduire en 
chef supreme de TEglise (2). 

Les envoyes du conclave avaient ete charges de remettrfe 
an prelat elu, outre le decret d' election, unelettre sp^^ 
ciale, dans laquelle les cardinaux, comme s'ils eussent 
pressenti le dessein de leur nouveau maitre, le soUici- 
taient vivement de venir les rejoindre a Perouse. c< Nous 
c< vous supplions, disaient-ils, tr^s -saint Pere, de vou6 
c< rendre dans le lieu de voire siege, k Fexemple de Gle- 
« ment IV d'heureux souvenir, et de Gregoire X de sainte 
a m^moire, vos predecesseur s , car la barque de Pierre est 
« agitee par les flots, le filet du peeheur se rompt, la sere- 
a nite de la paix a disparu sous les linages de la temp^te, 
c< les domaines deFfiglise romaine et les provinces adja- 
c< centes sont desoles par la guerre ; de graves perils me- 
« nacentles choses, les personnes et les ftmes* Veneznous 
cc secourir par votre presence, Pere saint. Sur le siege de 
c< Pierre, votre force deviendra plus puissante, votre gloire 
.« jettcra des rayons plus eclatants, votre tranquillite sera 



(i) Baluze, Vitae paparum, 1. 1, p^ 62«— Sponde, Annalesv ann. 1505, n^ 5. 
(2) Baluze, Vitas paparum, 1. 1, loc. cit. 



184 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. III. 

c< plus profonde, vous paraitrez plus venerable aux rois et 
« aux peuples, et vous obtiendrez plus efBcacement leur 
« soumission et leur devouement (1). » 

Clement V ne fit aucune attention aux motifs exprimes 
paries cardinaux. II avait vu, de ses yeux, les discordes 
poliliques qui troublaient Rome et Tllalie; il savait que le 
Sacre College etait partage entre deux factions rivales, qui 
tiraientleur origine des querelles dela Peninsule. L'exemple 
recent de Benoit XI lui fit craindre d'etre le jouet de ces 
factions, dans un pays oii il arriverait etranger et depourvu 
de soutiens. Au lieu done d'annoncer son depart pour TI- 
talie, il expedia aux cardinaux residant a Perouse Tordre de 
se rendre a Lyon dans le plus bref delai, et d'y faire trans- 
porter les omements pontificaux, parce qu'il avait choisi 
cette ville pour le lieu de son couronnement (2). II serait dif- 
ficile de preciser la raison qui determina Clement V a prefe- 
rer, pour cette brillante ceremonie^ Lyon a sa ville archi- 
.episcopale. Peut-etre Timportance de cette cite, Teminence 
de son siege primatial, sa proximite de Tltalic, la commo- 
dite pour les cardinaux de s'y rendre, eurent-elles quelque 
influence sur ce choix ; peut-etre aussi son sejour a Lyon 
pendant son grand vicariat lui avait-il fait aimer notre> 
ville, et fut-il bien aise, apres avoir donne a Bordeaux le 
spectacle de sa prise de possession, d'etaler aux regards 
de la cite des martyrs celui de son couronnement. 

Les cardinaux avaient compte sans doute que leurs sup- 
plications decideraient le pape a se rendre dans la capitale 
du monde Chretien. Leur surprise fut grande lorjsqu'ils 
regurent Vordre de venir eux-m^mes ea France. Ce fut 
alors que le vieux Matths&o Rosso des Orsini adressa au 



(1) Raynald, ann. 1305, n° 7. 

(2) Giovanni Villani, 1. Vm, c. Lixa, 



ELECTION DE CLEMENT V. 185 

cardinal de Prato ce reproche celebre : c< Vous en ^tes 
« venu k vos fins, de nous transporter au dela des monts. 
c< Mais, ou je connais mal les Gascons, ou le Saint-Siege ne 
« retournera de longtemps en Italie (1) . » Peut-etre que le 
cardinal de Prato lui-meme, tout devoue qu*il etait a la 
France, n'eprouvait pas moins d'etonnenient que son vieux 
collegue de Tetrange decision de leur nouveau maitre. 
Les cardinaux murmurerent tons bcaucoup, temoignerent 
vivement leur repugnance et leur chagrin de quitter la 
belle Italie pour aller dans une terre barbare; le pape avait 
parl^, il fallut obeir, et, a Texception de deux d'entre 
eux, que les infirmites de Tage retinrent forcement, tons 
se dirigerent vers la metropole des Gaules (2) . 

De son cdte, Clenient V quitta Bordeaux vers la fin 
d'aoi^t ^ 505, et partit pour le lieu designe. II ne s'y rendit 
pas directement. Son voyage fut comme une magnifique 
promenade, dans laquelle il se plut a Staler les pompes 
de sa dignite supreme, aux villes d'Agen, de Toulouse, de 
Beziers. II arriva le 7 d'octobre a Montpellier, suivi de 
quatre cardinaux. Son sejour dans cette derniere cite fut 
marque par un incident qui dut rendre plus piquant 
pour lui le sentiment encore neuf de sa grandeur. Les 
rois d'Aragon et de Majorque vinrent lui faire leur cour, 
et le premier rendit Thommage lige pour les iles de Sar- 
daigne et de Corse, qu il tenait de la liberalite pontificale 
de Boniface VIII (3). Plusieurs seigneurs etaientaussi ac- 
courus a Montpellier, et, pendant les quatre jours que le 
pape y demeura, on y celebra des fdtes et de grandes re- 
jouissances. Parti de Montpellier, Clement V sejourna a 

(1) Venuto se' alia tua di conducerne oltremonti, ma tardi ritornera la 
chiesa in Italia, si cognosco fatti i Guasconi. (Villani, 1. VIII, c. lxxxi.) 

(2) Raynald, ann. 1505, n" 13.— Annales CesenMes, I. XIV, p. 1126.^ 

(3) Id., ann. 1303, n"* 8, 9 et 10. 



486 HISTOHIB DE LA PAPAUTlfe, LIY. III. 

Saussan, dans le diocese de Magueldne, ou il se trouTait 
le 13 oclobre. II ecrivit de lai au roi de France qu'ii avail 
accepte le souvcrain pontificat. Le 20 octobre, Hugues, 
abbe de Saint-Gilles, le recjut a Vauvert, dans le diocese 
de Nimes. Le lendemain 21, il arriva dans cette demiere 
ville, n'y fit qiie passer, se rendit a Bagnols, d'ou il con- 
tinua, sans s'arreter, sa route pour Lyon (>l). (Voir Pieces 
justificatives, n° 8.) 

A son arrivee dans cette ville, Clement V y trouva le 
college des cardinaux deja reuni. II y fiit re^u avec la plus 
grande pompe. La munificence royale s'etait plu a meubler 
et a enrichir les appartements qu il devait occuper. Le roi 
d'Angleterre seul lui avait envoy e, par les eveques de 
Lichtfield, de Wigan, et le comte de Lincoln, ses ambas- 
sadeurs,tous les ustensiles destines a son usage, et un ser- 
vice complet de table en or massif (2). II avait temoigne le 
d^sir qu un grand nombre de princes honorassent de leur 
presence la ceremonie de son couronnement. Ce desir dut 
etre satisfait. Sans compter les rois d'Aragon et de Ma- 
jorque, qui Tavaient suivi depuis Montpellier, le roi de 
France, avec T elite de sa noblesse, Ic prince Charles de 
Valois, son frere, son fils le comte d'Evreux, les dues de 
Bretagne, de Bourgogne, de Lorraine, une foule d'autres 
seigneurs, etaient accourus. La France n avait pas encore 
ete temoin d'un si auguste spectacle, et Ton pent dire, k la 
multitude presque incroyable qui remplissait la ville de 
Lyon, qu'elle s'etait deplacee pour le contempler (3)* 



(1) Baluze, 1. 1, p. 96. — Hist, du Languedoc, t. IV, p. 151 et 152. 

(2) Rex Anglise misit domino papae omnia ustensilia quibus ministraba- 
tur in camera et in mensa ex auro puro. (Walsingham, Upodigma I^eustri®, 
p. 96.) 

(5) Baluze, 1. 1, p. 25 et 96. — Sponde, ann. 1505, n*' 5. —Wading, 
Annales Minorum, t. Ill, p. 41 . 



GOUROMEMENT DE CLEMENT V. i8T 

Cefut le 14 novembre 1505 qu'eut lieu, dansTeglise 
de Saint-Just, cette cer^monie c^lebre. Clement V y re^ut 
la tiare des inain$ du cardinal Matthseo Rosso des Orsini» 
doyen du sacre college. Mais un horrible accident vint 
tout a coup faire succeder le deuil a Tallegresse d'un si 
beau jour. C'est un usage ancien qu'a la suite du couron- 
nement le nouveau pape se rende solennellement, avec 
toute sa cour, du lieu ou il a regu les insignes de la Pa^ 
paute, a un autre lieu designe, ou s'ach^ve la ceremonie 
duposses$o, ou de la prise de possession. Quand le cou- 
ronnement a lieu a Rome, c'est de Teglise de Saint-Pierre 
du Vatican a Teglise de Saint-Jean-de-Latran que se rend 
le cortege pontifical. Cette promenade triomphale s'appelle 
il processo (1); on la connait aussi sous le nom de caval- 
cata (2), parce qu'elle s'effectue a cheval. Depuis le sei- 
zidn^e siecle, les souverains pontifes y assistent indifferem- 
meat a cheval, ou portes dans une litiere, ou conduits en 
carrosse. Mais, au moyen age, ils montaient toujours une 
haquenee, comme les cardinaux et les autres ofBciers de 
la cour romaine. Une telle ceremonie n'a point ete intro- 
duite dans le couronnemeut des papes par une vaine os- 
tentation de leur dignite supreme, mais pour manifester 
la gloire de Jesus-Christ, dont ils sont les vicaires, et celle 
de son figlise (3). Le premier processo dont il soit fait 
mention dans Fhistoire est celui qui eut lieu a Tintroni^ 
sation de Leon HI, en 795 (4); le second se rapporte a Tan- 
nee 887 et a Tintronisation de Valentin (5). 

Dansle principe, le processo etait fort simple et n avait 

(i) Gancellieri, Storia di solenni possess!, in-4^, ^. i, Roma, 1802. 

(2) Id., p. 218. 

{3)Id.,p.1. 

(4) Id., p. 1 . 

(5) Id., p. 5. 



188 fllSTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. III. 

d'autres ornements que ceux improvises par Tenthou- 
siasme populaire. Mais, peu a peu, comme toutes les 
chosesfaites pour frapper les regards, il s'environna d*une 
solennile et d'une magnificence comparables aux triomphes 
antiques (1). C'etait dans le processo que le vicaire de Je- 
sus-Christ paraissait dans toutes les splendeurs de sa 
gloire, que les rois de la terre venaient reconnaitre sa su- 
zerainete en lui servant de laquais. Lorsque rintronisation 
s'accomplissait dans une ville autre que Rome, les papes 
ne supprimaient point \e processo; on designait une eglise 
ou le cortege pontifical se rendait dans Tordre usite du 
lieu ou s'etait fait le couronnement. 

Done, Clement V executait cette brillante parade, et 
semblable, dit un contemporain (2), a Salomon pare de 
son diademe, il descendait avec sa suite la rue du Gour- 
guillon, qui mene a Teglise primatiale. Le roi de France 
et son frere Charles de Valois, a pied, entoures de nom- 
breux seigneurs, conduisaient la haquenee du pape, lors- 
que tout a coup une vieille muraille, cedant au poids des 
spectateurs dont elle etait chargee, s'ecroula au moment 
ou le pontife passait. Le due de Bretagne, Gaillard de Got, 
frere de Clement V, le cardinal Mattha^o des Orsini, fqrent 
accables sous les mines et mbururent. Charles de Valois 
fut douloureusement atteint. Tons les barons et les soldats 
qui entouraient le pape furent tues ou grievement bles- 
ses (5). Le pape lui-meme, renverse de cheval, courut les 
plus grands dangers, et, dans la violence de sa chute, une 



(1) Cancellieri, Couronnement de Boniface VIII, p. 22. 

(2) Tanquam regem Salomonem suo diaderoate coronatum. (Quarta 
Vita dementis V, ap. Baluze, 1. 1, p. 65.) 

(5) Une Vie de Clement V, ap. Duchesne , Hist, des cardinaux fran9ais, 
1. 1, p. 591, porte a douze le nombre des victimes qui eipirerent sur-Ie- 
champ. 



COURONNEMENT DE CLiSmENT V. 189 

escarboucle du prix de six mille florins se d^tacha de la 
tiare et disparut (1). Cette catastrophe fut suivie presque 
immediatement d'une autre ; car le lendemain, a la suite 
du repas, Ics gens du pape s'etant pris de querelle avcc les 
gens des cardinaux italiens, un second frere de Clement V 
perdit la vie. Les esprits superstitieux de Tepoque ne man- 
querent pas de voir dans ces malheurs le chatiment d'une 
election faite contre Tordre de Dieu, disaient-ils, et le sinistre 
presage de la translation du Saint-Siege en France (2). 

A la joie des fetes succeda le serieux des affaires. Cle- 
ment V eut bientot a en traiter une capable de lui faire 
regrelter le temps ou il etait paisible archevfique de Bor- 
deaux. L'implacable Philippe le Bel vint lui demander avec 
instance la condamnation de Boniface VIII. Ce monarque 
esperait sans doute que Clement, dans le premier enthou- 
siasme d'une elevation qui etait son ouvrage, aurait k coeur 
de lui en temoigner sa reconnaissance, en le dechargeant 
de la responsabilite de Tattentat commis envers un souve- 
rain pontife. Jusque-la, Clement V n'avait eprouve que le 
charme de sa supreme dignite, il dut en ressentir cruelle- 
ment les epines quand il entendit une semblable demande, 
a laquelle il n'avait aucun moyen de se soustraire (3). Elle 
n'eut pourtant point d'effet alors. Selon toute apparence, 
Thabilete du pape sut, par des promesses evasives, d^tour- 
ncr Forage. Au reste, il satisfit le roi de France dans tons 
ses autres desirs. Non-seulement il confirma Tabsolution 
que lui avait deja accordee Benoit XI, il abrogea encore la 



(1) La seconde Vie de Clement V, dans Baluze, t. I, p. 24, dit qu'elle 
fut retrouvee; mais la sixieme, p. d7, affirme le contraire. — Voir Colo- 
nia. Hist, litteraire de Lyon, t. H, p. 544 et 545. — Continuatio GuUielmi 
de Nangiaco, ann. 1505.— Wading, Annales Minorum, t. Ill, p. 41. 

(2) Raynald, ann. 1505, n. 15. 

(3) Preuves du differeud, p. 368. 



190 fflSTOHlE DE LA PAPAUTE, LIV. HI. 

buUe Clericis hicoSj principe de toute sa querelle avec Bo- 
niface VIII ; r^voqua loutes les procedures dont il avail ^t^ 
Tobjet, et ordonna, pour imposer sileuce k toute reclama- 
tion, que les reglements dresses dans le concile de Latran, 
touchant les subventions du clerge envers le pouvoir secu- 
lier, fussent rigoureusement observes (1). Quant a la buUe 
Unam sanctam, dans laquelle Boniface VIII avait d^fini que 
la puissance temporelle est soumise a celle du pontife 
romain, et que les princes sont justiciables de son tribu- 
nal pour le cote de leur gouvernement qui touche a la con- 
science, buUe qui avait imis le comble a F irritation de 
Philippe le Bel, Clement V ne pouvait la revoquer comma 
la precedente, attendu qu elle renfermait une definition 
doctrinale. Mais, jaloux de ne laisser aucun sujet de 
plainte, il donna du sens de cette decretale une explication 
tellement large, que, vis-arvis de la France, cette explica- 
tion equivalait a une veritable revocation. c< Nous n'enten- 
« dons pas, dit le pape, que cette bulle porte le moindre 
« prejudice a la France, ni que ce royaume et ceux qui 
c( I'habitent soient plus soumis a TEglise romaine qu'ils 
« ne Tetaient auparavant. Notre volonteest que les choses 
c< restent dans Tetat ou elles se trouvaient avant la publi- 
« cation de cette decretale (2). » 

Le pape ne s'en tint pas la : Pietro et Jacopo Colonna, 
ces deux cardinaux que Boniface VIII avait degrades, ct 
qui, attaches depuisala fortune du roi, lui avaient rendu 
les plus importants services, surtout dans te conclave 
de Perouse, etaient encore sous le coup de la degradation. 
Clement V leur restilua le chapeau et les retablit dans tons 
leurs titres et dignites. La promotion oA ces deux cardi- 



(1) Preiives du differend, p. 287. 

(2) Id., p. 288. 



PROJET BE GROISADE. 194 

naux furent reintegres dut singulierement iaiter Forgueil 
du monarque frangais, car ies douze pr^latis qui regurent 
la pourpre etaient pris parmi ses creatures (1). Ainsi, aprSs 
deux mois passes, a Lyon avec le pape, Philippe le Bel re- 
tourna a Paris, comble de griices, mais non gagne. Oblige 
de c^er aux considerations du present, il ajourna sa ven- 
geance. 

Clement V chercha a profiter de la presence du grand 
nombre de seigneurs que la ceremonie de son couronne- 
ment avait reunis a Lyon pour organiser une grande eroi- 
sadedestinee a recouvrer la Terre Sainte. Le projet du pape 
etait de commencer par conquerir Tempire de Constanti- 
nople, et Charles de Valois, heritier de cet empire par sa 
femme, devait guider cette expedition. Pour subvenir aux 
d^penses d'un armement qui donnait Tespoir de reporter 
bicntotles bornes de lachretientejusqu'aFEuphrate, une 
decime sur tons Ies bi.ens du clerge frangais fut accordee. 
au roi pendant deux ans (2). Nous avons Ies lettres que 
Clement Y ecrivit, en cette occasion, a Philippe, prince de 
Tarente, a Frederic de Sicile, aux r^puWiques de Gdnes 
et de Venise, pour Ies interesser k la guerre sacree. II 
rappelait a ces dernieres leurs anciennes conventions avec 
Baudouin, dernier empereur d'Orient, et promettait a 
tous, pour prix de leur zfele, d'amples avantages spirituels 
et temporels (3) • Les Venitiens repondirent avec empres- 
sement aux exhortations dti souverain pontife, et, le 19 d4- 
cembre 1306, conclurent, avec Charles de Valois, un traits 
par lequel ils s'engageaient a equiper une flotte qui devait 

(i) Baluze^t. I, p. 56 et 98. ' 

(2) Voila la seule decime que Clement V ait accordee au roi. Ce n'est 
que dans Villani, et pour satisfaire a sa pretendue promesse^ que le pon- 
tife en fit une pour cinq ans. 

(3) Raynald, ann. 1306, n""* 2, 3 et 4. 



192 mSTOlRE DE LA PAPAUTE, LIV. III. 

6tre prfite au mois de mai 1 308 et faire voile de Brindes 
pour Constantinople. Mais les Genois , rivaux des Veni- 
tiens, bien loin d'imiter ce noble exemple, s'allierent plus 
^troitement que jamais avec Tempereur grec, et Taverti- 
rent de Forage qui se formait en Occident contre lui (I). 
D'un autre cote, Philippe le Bel, qu une expedition en 
Orient tentait pen et que les soins de son gouvernemenl 
rappelaient d'ailleurs a Paris, renvoya la conclusion de 
cette grande affaire, ainsi que de plusieurs autres, a une 
seconde entrevue, dont le lieu devait etre fixe plus tard. 
Le pape lui-meme ne pouvait s'en occuper assez serieuse- 
ment. Presse qu'il etait par la multitude des affaires que 
la longue vacance du Saint-Siege avait laissees s'accumu- 
ler, il lui fallait du temps pour se reconnaitre. Rien ne 
put done 6tre alors termine. 

Tout d'abord, la situation politique de Tltalie r^cla- 
mait Tattention de Clement ¥• Le desordre, en Toscane, 
etait a son comble. Nous avons dit que Benoit XI, apres 
r inutile mission du cardinal de Prato, avait cite a compa- 
raitre devant le Saint-Siege apostolique les principaux 
chefs du parti des Noirs de Florence, pour les forcer a con- 
sentir aurappel des exiles blancs. Peut-etre ce pontife, si 
conciliant, aurait-il reussi dans ce projet, mais il mourut 
sur ces entrefaites. D^livres, par cette mort et par la lon- 
gueur du conclave qui suivit, de la crainte de voir re- 
paraitre quelque negociateur importun, les Noirs, pour 
assurer leur triomphe, non-seulement refuserent la paix 
au parti vaincu, mais voulurent encore I'^craser. Une por- 
tion des exiles blancs s'^tait refugi^e k Pistoie; ils prirent 
la resolution de les forcer dans cette retraite, et demande- 
rent a Charles II, roi de Naples, un general pour comman- 

(1) Sismondi, Hist, des republiques italienneS; t. IV, p. 245. 



LEGATION DU CARDINAL NAPOLEON DES ORSINI. 195 

der leur armee. Le monarque envoya aux Noirs son propre 
tils, Robert, due de Calabre. Celui-ci arriva k Florence 
avec trois cents chevaux aragonais et un gros corps d'in- 
fanterie almogavare. Reunis sous ce chef aux milices luc- 
quoises, les Florentins entreprirent le siege de Pistoie (1). 
De leur cdte, les exiles, qui s'etaient prepares a cette ap*es- 
sion, la regurent avec un courage determine a tons les 
sacrifices, et la guerre se faisait de part et d' autre avec 
acharnement. 

C'^tait le moment de T^levation de Clement V. Le car- 
dinal de Prato, arrive aupr^s du nouveau chef de Tfiglise, 
lui peignit la triste situation des Rlancs. Clement V expe- 
dia aussitot de France, a ceux qui assiegeaient Pistoie, 
Tordre de lever le si^ge. Le due de Calabre obeit a Fin- 
jonction pontificale et se retira; mais les Florentins et leurs 
allies resterent, et, sous un nouveau chef, Cante dei Ga- 
brielli d'Aggobbio, continu^rent la guerre. La nouvelle de 
cette desobeissance fut sur-le-champ apportde au pape, 
avec les supplications des Pistoiois reduits k Textr^mite. 
Clement V crutalors que la presence d'un legat reussirait 
mieux k faire respecter Tautorite pontificale, et il revStit 
de ce titre le cardinal Napoleon des Orsini. Ce pr^lat partit 
incontinent de Lyon, car les affaires des assi^ges ne souf- 
fraient aucun retard, et fit savoir aux Florentins qu'il ve- 
nait au milieu d'eux pour retablir la concorde. Mais les 
Noirs, que la mission du cardinal mena§ait depriver d'une 
victoire assur^e, lui firent honn^tement refuser Tentr^e 
de la ville. Repouss^ de Florence, Napoleon des Orsini vou- 
lut essayer s'il reussirait mieux k Bologne. Mais les Noirs 
Fy previnrent. II avait a peine mis le pied dans cette 
cite, qu'insulte par la populace , soulevee par des 4mis- 



(1) Istorie Pistolesi, ap. Murat.. t. XI, p. 592. 

15 



194 HISTOIRE DE U PAPAUTE, LIV. III. 

saires florentins, il sc vit oblig^ de fuir avec precipitation 
k Imola. 

Ge debut du cardinal etait d'autant plus malheureui, 
qu'il lui iit manquer la fin principale de sa mission, la 
d^livrance dePistoie. Pendant qu'il s'occupait, dans Imola, 
a r^diger le decret qui devait excommunier Bologne et la 
priver de son university, les Pistoiois, trompes par leurs 
ennemis, capitulaicnt, et, au m^pris de la capitulation, 
essuyaient toutes les humiliations des vaincus (1). Outre 
de colore, le cardinal des Orsini voulut au moins venger 
ceux qu'il n'avait pu ddlivrer. II rassembla Tannde sui- 
vante, k Arrezzo, des forces considerables, suffisantes pour 
detruire Tarm^e combinee des Florentins et des Lucquois, 
qui commettait les plus grands ravages. Mais, soit manque 
de resolution, soit defaut d'activite, il ne fit rien de ce 
qu'il aurait fallu faire pour mener a bout son projet ; et, 
apr&s avoir perdu sa consideration, il ne lui resta d' autre 
ressource centre les recalcitrants que de les frapper d' ex- 
communication et de remettre Florence sous Tinterdit (2). 

Pendant queces evenements s'accomplissaient en Italic, 
Clement V, apr^s avoir passe Thiver, par tie h Lyon, partie 
k Saint-Genys-Laval, dans le beau chateau de Marion, oik 
le due de Calabre, Robert, etait venu lui rendre Fhom- 
mage lige au nom de son p^re Charles II (3), Clement Y 
prit conge de la metropole des Gaules au mois de fe- 
vrier 1306. II se rendit d'abord au monastere de Cluny, 
oik il demeura pendant cinq jours avec neuf cardinaux. 
Puis, passant par Nevers, Bourges et Limoges, il arriva k 

(4) Istorie Pistolesi, t. XI, p. 592. — Giovanni Yillani, 1. YIII, c. Lxxxm. 
— - Ghirardacci, Istoria di Bologna, 1. XV. — • Dino Gompagni, 1. Uh 
p. 519. 

(2) Leonardus Aretinus, Hist, florent., I. IV. 

(5) Raynald, ann. 1306, n*" 6. 



VOYAGE ET MALADIE DU PAPE. 195 

Bordeaux (1). 11 sejourna dans sa ville archiepisoopale 
pendant Tespace d'une annee entiere, Ce fut une ann^e 
d' inaction pour lui (2), soit parce qu'il avait remis la dis- 
cussion des grandes affaires a Tepoque de son entrevue 
projetee avec le roi de France, soit parce qu'il fut attaqu^ 
alors d'une grave maladie. En effet, la revolution iQatten- 
^ue aJi'rivee tout a coup dans la vie de Clement V par sa 
promotion a la plus haute dignite de la terre, les Amotions 
qui Tavaient accompagnee, les chagrins causes par les 
accidents survenus a son intronisation , se$ voyages re- 
petes, tant de soins , tant d'inquietudes qu'enfantaient 
chaque jour des rapports si nombreux, si difficiles, avaient 
altere sa coustitution, naturellement delicate et faible. 
En pen de jours il fut conduit aux portes du tombeau (3). 
11 ne succomba pas toutefois; mais, ebranle par la se- 
cousse, il resta longtemps dans un etat de souffrance et de 
langueur. Si nous Ten croyons lui-meme, dans une con- 
stitution qu'il publia a Tepoque de sa convalescence, cette 
^reuve, que Dieu envoie aux grands comme aux petits, 
ppur les rappeler au souvenir de leur mortalite, ne fut pas 
inutile au pape. De son lit de douleur, il s'^tait transport^ 
a ce tribunal redoutable devant lequel toute grandeur 
^'efface. La, sa h^^ule dignite, depouillee de ses enivrantes 
illusions, ne li^i avait laisse voir que Teffrayante responsa- 
bilite qu'elle inapose, et il avait resolu d'en accomplir se- 
vferement les obligations s'il etait rendu a la vie. Les com- 
mendes pesaient lourdem^t sur sa conscience. L'usage 
s'^tait introduit d'accorder a des eccl^siastiques ou a des 
ceUgieux des ^lises patriarpales, archiepiscopales ou ^pis- 

(1) Baluze, 1. 1, p. 5et580. 

(2) Curia, ratione infirmitatis papae, per unum annum quasi sopitastetit. 
(Baluze, secunda Vita dementis V, p. 26.) 

(5) Epist. papee ad regem Francorum, ap. Baluze, t. II, p. 76, 



1 



196 flISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. HI. 

copales, durant la vacance des sieges, a titre de garde ou 
d' administration, pour un temps limits ou m^me pour 
toute leur \ie. Les plus graves abus etaient la consequence 
de ces sortes de commissions mercenaires. C'est pourquoi 
Clement V declara que, si de hautes recommandations 
avaient pu jusque-1^ Tengager a conferer ces graces ei- 
traordinaires, sa determination ^tait prise de ne plus le 
faire a Tavenir (1). II est probable que les remords du 
pape port^rent aussi sur d'autres points, car d^s ce mo- 
ment son administration devint plus 'Severe. 

La maladie de Clement V se prolongea durant une par- 
tie de Tannee 1307, et il etait encore faible et souffranl 
lorsqu'il se rendit au lieu convenu pour son entrevue avee 
le roi de France. La designation de ce lieu avait souleve 
quelques difficult^s. Philippe le Bel, on ne sait pourquoi, 
se montra un instant difficile sur ce point. Le pape avait 
d'abord propose Toulouse comme plus commode, vu Feta^ 
de sa sante. Des motifs, que le roi ne jugea pas k propos 
de donner, lui firent rejeter cette ville. II proposa lui- 
m^me Tours, et ce ne fut qu'avec une certaine repugnance 
que, cedant aux justes reclamations du pontife, il se de- 
cida pour Poitiers (2). L'epoque de T entrevue avait et^ 
fixee au milieu ou k la fm d'avril ; mais, quoique Cle- 
ment V, avec toute sa cour, se fiit rendu a Poitiers avanl 
cette epoque, Philippe le Bel n'y arriva qu'au mois de 
juin. II etait accompagne de ses trois fils, de Charles de 
Valois, son frfere, et d'une multitude de barons. Le roi de 
Navarre, Robert, due de Calabre, le comte de Flandre, 
avec ses tils, y vinrent aussi (3). Alors commenc^rent des 

(i) Raynald, ann. 1307, n*» 28. 

(2) Voir les Lettres de Philippe et de Clement V, publiees par Baluze, 
t. II, p. 88, 90, 91 , 95 cl 96. 

(3) Giovanni Villani, 1. VIII, c. xci. — Baluze, 1. 1, p. 6. 



CONFERENCES DE POITIERS. 197 

conferences importantes. On s'y occupa d'abord de n^go- 
cier une paix solide entre la France et TAngleteiTe. Le 
dernier traite ^tait mal observe ; on ne s'entendait pas sur 
les principales conditions. Des deux cotes partaient des 
plaintes, et les deux royaumes etaient sur le point de se 
replonger dans toutes les calamites de la guerre. Cepen- 
dant les partis avaient besoin de repos et le desiraient; 
aussi se montrerent-ils faciles et sinceres. La mort merae 
d'Edward I*', qui survint, n'interrompit point les n^gocia- 
tions; elles continuerent avec Edward II, son fils et son 
successeur, et, grSce k la mediation du pape, la bonne har- 
monic fut consolidee entre les deux puissances. Edward 11 
epousa Isabelle, fille de Philippe le Bel, ratifia lui-m6me 
a Boulogne, Tannee suivante, le traite qu'avait fait son 
p^re, et rendit au roi de France rhommage lige pour le 
duche de Bourgogne et le comte de Ponthieu (i). 

Le pape ne fut pas moins heureux dans ce qui concern 
nait le dififerend de la France avec la Flandre. Ici, il 6r- 
donna bien plus quil ne negociala paix; il pr^cha aux 
deux partis Foubli reciproque de leurs injures, recom- 
manda au comte de Flandre la soumission envers son suze- 
rain, et dressa comme monument de la paix une buUe 
solennelle ou il frappait d'avance les infractcurs des censu- 
res ecclesiastiques. Cette paix fut en effet durable (2). 

Clement V deployait, k Poitiers, une grande activite. 
Ayant appris que Gaston, 6omte de Foix, et Bernard, 
comte d'Armagnac, depuis longtemps divis^s par une que- 
relle d'interet, Etaient en presence et disposes a tirer le 
glaive, il songea ales pacifier, ct leur envoya Gonzalve, 
evfique de Zamora, et H^lie, abbe de Noailli, avec ordre 



(4) Raynald, ann. 1507, ii*»9.— DuTiUet, Recueil des traites, p. 195. 
(2) Raynald, ann. 1307, n"" 8. 



19S HISTOIBE DE LA PAPAUlfi, LIV. III. 

dfe leur faire poser les armcs. Ces deux prelats, arrivals sur 
les lieux, annoncftrent le but de leur mission; et, comme 
le comte de Foix etait Tagresseur, ils lui intim^rent de 
ne rien entreprendre contre son adversaire, sous peine 
d' excommunication pour sa personne et d'interdit pour 
ses fitats. Dans Fardeur de son ressentiment, le comte re- 
sista d'abord et fut frappe de la sentence canonique. Mais 
bientdt, reconnaissant sa faute, il accourut k Poitiers, oft 
le pape le regut en grftce et tormina le d^m^l^ des deux 
barons {\). C'est ainsi quel'autorite pontificale s'employait 
au repos des peuples. 

La Hongrie, dans la m^me occasion, eprouva I'effet de 
ses bons ofiBces. Ici, nous devons reprendre les choses de 
plus haut. Aprfes la mort de Ladislas III, arrivee en 1290, 
ce prince, n'ayant laisse aucun heritier direct, Charles le 
Boiteux, roi de Naples, reclama Ic trone de Hongrie pour 
son fils aine, Charles Martel, ne de sa femme Marie, soeur 
de Ladislas, et le fit couronner par un legat du Saint- 
Si^ge. Mais, avant d'atoir pris possession, ce jeune mo- 
narque trouva un puissant comp^titeur dans Andre, sur- 
nomm^ le V^nitien, issu, dit-on, du sang royal de Hongrie, 
et qu'a ce litre les grands de la nation avaient appele, du 
vivant mfime de Ladislas HI, pour Topposer k ce prince, 
dont les vices leur etaient devenus insupportables (2). On 
dit m^me que Tempereur Rodolphe de Hapsbourg, ou- 
bliant en cetle rencontre la gen^rosite de son caractfere, 
chercha a proflter de ces dissensions pour accroitre sa 
puissance d'un inagnifiquc domaine. Mais Nicolas IV, qui 
occupait alors le trdne pontifical, envoya aussitdt enHongrie 
deux legats, pour signifler k Tempereur que la Hon^e 



(4) Hist, du Languedoc, t. IV, p. 14S. 

(2) Thwrocz, Chronica Hungarorum, pars 11, c. lxxxii. 



AFFAIRES DE HONGRIE. 199 

etant sous le patronage du Saint-Siege, il n'apparteitiait 
point au chef de T Empire de lui donner un roi, encore 
moins de d^pouiller de ce titre le prince que son droit na- 
ture! et la favour du Saint-Si^ge en avaient investi (1). 
Rodolphe de Hapsbourg retira ses pretentions, mais Andr^ 
continua k regner, malgrd Topposition du pape, jiisqu'^ 
sa mort, qui eut lieu en 1301. Celle de Charles Martel, 
son rival, la suivit de pres; mais son fils Carobert fit revi- 
vre ies droits de son pere, et fut proclame roi de Hongrie 
par Boniface VIII. Une partie des seigneurs hongrois re- 
connut le monarque d^signe par le pape ; Tautre partie, k 
la t^te de laquelle figurait Tarchevfique de Kolotza, s'iiidi- 
gna que Tautorite pontificale voulftt s'arroger un droit qui 
appartenait, disaient-ils, Ji la nation hongroise; et, daiis 
une assemblee convoquee a cette occasion, le pr^lat proposa 
d'bffrir la couronne a Wenceslas, roi de Bohfime, uii deS 
grands princes de son sifecle, et qui, par Ies alliances 
de ses anc^tres, tenait a la maison royale de Hongrie. 
Cette proposition fut accueillie par des applaudissemeiits 
unanimes; tons s'^cri^rent : c< Que Wenceslas soit notre roi 
c( comme il Test des Boh^miens et des Polonais !» Et, sur-le- 
champ, une ambassade solennelle partit pour aller saluei* 
roi de Hongrie le monarque bohemien, et Tinviter a 
venir prendre possession de sonroyaume. Wenceslas re- 
fusa nettement pour lui-m6me le dangereux honneur que 
lui offrait un parti mecontent et rcbelle, et ce ne fut que 
sur Ies importunes instances des ambassadeurs qu'il con- 
sentit k leur donner son jeune fils Ladislas , qui fut em- 
men6 en triomphe, sacre et couronne roi k Albe royale (2). 
La joie causae par cette intronisation dura peu. Boni- 



(i) RaynaM, ann. 1^1, ii<» 48 et 49. 

(2) Dubrawius, Historia bobemica, 1. XVIII. 



aOO HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. III. 

face VIII n'en fut pas plutot instruit, qu'il frappa ses au- 
tcurs des anathemes de Tfiglise et se hata d'envoya^ en 
Hongrie le cardinal d'Ostie, Thomas Boccassini, pour y 
faire disparaitre ce fantome de souverain et soulenir Fau- 
torite du Saint-Siege. Ce cardinal, qui devint bientot Be- 
noit XI, etait digne, par sa prudence et sa fermete, de la 
mission difficile qui lui avail ete conflee ; mais tous ses 
efforts vinrent se briser contre les passions du parti bohe- 
mien, et il revint en Italic, apres avoir jete toutefois Tin- 
lerdit sur la ville de Bude (1). Les chefs des deux partis 
furent alors cites devant le tribunal du pape. La , com- 
men^a un proces dans les regies, a la suite duquel la cou- 
ronne de Hongrie fut de nouveau confirmee a Carobert, et 
ladislas declare usurpateur. Cette sentence affaiblit con- 
siderablement le parti bohemien. De son cote, Wenceslas, 
qui ne s' etait prete qu'a regret a Televation de son fils, 
voyant que celui-ci perdait Testime de la nation par les 
der^glements de sa conduite, le rappela en ^303 (2). Cette 
abdication ne rendit pas la tranquillile au pays. Les restes 
du parti bohemien appelerent k la place de Ladislas un 
autre concurrent, Othon de Baviere, prince riche et puis- 
sant, qui accepta et fut couronne, en 4 305, a Albe royale, 
par les eveques de Wesperin et de Canadie (3). Clement V, 
voulant enfin terminer ces divisions, expedia de Poitiers, a 
Tarcheveque de Strigonie, avec injonction de la promul- 
guer oil besoin serait, une buUe par laquelle il confirmait 
les droits de Carobert au trone de Hongrie, frappait d'a- 
vance des censures ecclesiastiques tous ceux qui refuse- 
raient de le reconnaitre pour le monarque legitime, et 
citait a comparaitre devant le Saint-Siege apostolique Te- 

(i) Raynald, ann. 1302, n<» 25 et seq., et ann. 1303, n° 17. 

(2) Diibrawius, Hist, bohem., loc. cit. — Thwrocz, pars U, c. lxxxv. 

(5) Raynald, ann. 1307, n° 15. 



PROJET DE CROISADE. 201 

v^que de Canadie, qui, de son chef, avait ose couronner 
I'usurpateur Othon. En m^me temps, pour faire ex^cuter 
ce decret, achever la pacification de Tfitat, soumettre les 
rebellcs et retablirThonneur deVEmpire, il nomma legat 
en Hongrie le cardinal Gentilis, qui s'y rendit aussitot de 
Poitiers. Tout ceda a Tautorite de ce representant de la 
puissance pontificale. La Hongrie, lasse de dissensions, 
reconnut son legitime souverain; les partis rentr^rent 
dans le silence, et, pour comble de bonheur, comme 
Othon de Bavi^re se rendait en Transylvanie dans le but 
d'en faire la conquete, il tomba entre les mains du wayvode 
Ladislas, quileretint prisonnier jusqu'a ce qu'il eiit abdi- 
que ses pretentions au trone de Hongrie (1). 

Jusque-la, tout avait reussi au gre des desirs de Cle- 
ment V ; mais les grandes questions n'avaient point en- 
core ete abordees. Une des affaires quelepape avait sur- 
tout k coeur de mener a bout, celle qui, dans son esprit, 
dominait toutes les autres, celle a laquelle il attachait 
Thonneur de son pontificat, ^tait la croisade. Nous avons 
vu qu'il s'en etait ddja agi h Lyon. Depuis, il ne Tavait 
pas perdue de vue un seul instant, et il s'en occupa alors 
avec activite. La question d'une guerre sainte etait encore, 
au conamencement du quatorzieme siecle, une question 
palpitante d'inter^t. Par son commandement, les grands 
maitres des deux ordres militaires avaient ete mandes a 
Poitiers. Le grand maifcre du Temple y accourut, celui de 
THdpital ne le put faire. Mais Tobstacle qui le retint etait 
lui-meme un triomphe pour la religion et un presage heu- 
reux du succfes de Texpedition projetee : Tordre de THd- 
pital achevait la conquete de Tile de Rhodes, que ses che- 



(i) Thwrocz, Chronica Hungarorum, pars n, c. lxxxvi el Lxxivn. 
Raynald, ann. 1507, n« 15, 16, 17, 18, 19, 20 et 21. 



aOS HISTOmE DE la PAPAUTE, LIV. III. 

valiers devaient posseder et defendre pendant di^ux sf^cles 
av^ tant de valeur et de gloirc (1). 

Tout d'abord parut sourire aux efforts dn pape pour 
Tentr^rise sainle. II y avait m6me lon^emps qne des 
circonstances aussi faTorables ne s'^taient ofteftes de r^ 
porter la guerre en ftpiwit. Les Tartares, ces eternels enne- 
mis de la religion du prophete, ces allies de Fancien 
royaume de l^rusalem, les Tartares se convertissaient au 
Christianisme. Depuis que le Venitien Marco Pdo et rio- 
tre illustre compatriote Rubruquis avaient, a la suite d'au- 
dacieuses peregrinations dans Tinterieur de TAsre^ revile 
a r Europe ses nations et leur puissance, une sainte am- 
bition de les conquerir k la lumifere de Tfivangile s'etait 
emparee des chefs de Tfiglise. Envoye en 1288 par le 
pape Nicolas IV, le religieux Jean de Montecorvino se diri- 
gea vers leur contree. II se rendit d'abord en Perse, pour 
remettre au roi Argoun une lettre du souverain pontife, 
puis partit de Tauris en 1291, et passa dans Tlnde, d'oti, 
suivi seulement d'un compagnon qui lui restait, il pen^ra 
dans le Katai, c'est-^-dire dans la Chine septentrionale, a 
Textremite de Timmense empire que Geanghiz-Khan avait 
fonde. De merveilleux progrfes seconderent ses efforts. 
Aprfes avoir vaincu de grandes difBcultes, il r^ussit k b4- 
tir une eglise dans la ville de Khan-Balikh (2), oik six 
mille habitants le reconnurent pour pasteur (3) . 

Les fi'eres mineurs avaient entrepris cette croisad* 
toute spirituelle, les freres mineurs en recueillaient la 
gloire. Dej^ leurs succ^s n'etaient plus un inyst^re pear 



(1) Baluze, 1. 1, p. 6. 

(2) Khan-Balikh, ou Gambalu, signifie en mongol residence royale. 
G*est la m^me ville que Peking. (Abel Remusat, nouveaux Melanges asia- 
tiques, t. II, p. 198.) 

(5>Raynald, ann. 1305, n° 19. 



LES TARTARES. 205 

rOccident. Envoy^ par Jean de Montecorvino, frfere Tho- 
mas Tolentin venait de les lui apprendre. La cour pontifi- 
cale si^geait pour lors a Bordeaux. Tolentin s'y transporta, 
etj s'adressant d'abord au cardinal Jean de Mur, ancien 
general de Tordre des franciscains, il lui commuhiqua 
une lettre de Jean de Montecorvino, datee de Khan-Balikh, 
dans laquelle ce missionnaire disait avoir regu une am- 
bassade solennelle venue d'fithiopie pour le supplier d'en- 
voyer dans cette contree des ouvriers evangeliques, parce 
que, depuis Tapdlre saint Matthieu et ses disciples,, per- 
Sonne n'y avait plus annonc^ la foi chretienne. II ajoutait 
que, depuis la fete de Tons les Saints, il avait baptise qua- 
tre cents infideles, et que ses compagnons poussaieiit leurs 
missions jusqu'au Gazarie et en Perse (1). 

Le cardinal Jean de Mur tit part de cette lettre merveil- 
leuse au pape. Mais Clement V n'en eut pas plutot pris 
connaissance qu'il voulut voir Tenvoye lui-meme et Teii- 
lendre. Fr^re Thomas Tolentin parut au milieu du consis- 
toire assemble, fit de vive voix le r^cit des prodiges que 
la grkce divine op^rait parmi les nations infideles, et pria 
le pape et les cardinaux de vouloir bien s'lnteresser aTex- 
tension de Toeuvre de Dieu. La vue de cet apdtre, qui re- 
venait des extremites de TOrient, ses recits animes, les 
esp^rances qu'il donnait, remplirent la cour pontificale de 
joie et de zele. Clement V, desirant cooperer d'une ma- 
niere active a la conversion des idol^tres, ordonna sur-le- 
champ k fr^re Gonzalve, general des freres mineurs, de 
choisir au plus t6t, sur les renseignements des hommes 
sages de son ordre, sept religieux a la fois pieux, savants 
et d'une prudence consommee, pour les envoyer en Tar- 
taric. II voulut que ces nouveaux ouvriers dvang^liques 

(i) Wading. Annales minorum, t. Ul, p. 60. 



204 fflSTOIRE DE LA PAPADTE, LIV. 111. 

re^ussent, avant de partir, la consecration episcopale, el 
fussent munis des privileges du Saint-Siege apostolique 
pour ordonner a leur tour frere Jean de Montecorvino, 
archeveque de Khan-Balikh et legat pour lout rOrient, 
avec le pouvoir d'eriger des sieges suffragants dans les 
principales villes de la Tartaric (1). Andre de Perouse fut 
le chef de ce renfort d'ouvriers apostoliques, destines a 
seconder les travaux de Jean de Montecorvino. On n'en 
pouvait douter, TOrient marchait au Christianisme. Or, 
si les peuples belliqueux qu'il renfermait avaient jus- 
quici, quoique idolatres, favorise avec tant de Constance 
les operations des armees de la foi centre les musulmans, 
que n allaient-ils pas faire maintenant que le meme zele 
religieux animerait leurs redoutables legions! 

A ces conjectures si probables venaient s'ajouter des 
assurances positives. Haiton TArmenien se trouvait dans 
les murs de Poitiers. Get homme singulier, qui, de prince 
et de guerrier, etait devenu religieux premontre (2), con- 
naissait parfaitement les Tartares ; il avait ete temoin ocu- 
laire d'une partie des revolutions politiques et religieuses 
deces peuples sauvages ; il avait servi dans leurs armies, 
habite leurs camps, partage leurs succes centre les musul- 
mans, et il en apportait Thistoire. Cette histoire, ecrite 
d'apr^s Tordre du pape, d'abord en frangais, sous la dictee 
d'Haiton lui-meme, puis traduite en latin par les soins de 
Nicolas Salcon (3), prod uisait un effet extraordinaire parmi 
les chevaliers, dontelle enflammait les imaginations. Tout 
y etait merveilleusement propre a cet effet. Le narrateur 
armenien, apres avoir mis sous les yeux des guerriers 

(i) Wading, t. HI, p. 60. 

(2) Histoire orientale, c. xlyi. — Recueil des voyages du douzieme, 
du treizieme et du quatorzieme siecle, par Bergeron, 2 vol. in-4^. 
(5) Prologue de THistoire orientale. 



LES TARTARES. 205 

de rOccident le tableau des mcBurs de la nation tartare, 
retract le courage indomptable de ses armees, exalte la 
renommee de sa puissance, leur representait ses legions 
impatientes de voir arriver les soldats de la Croix et de se 
joindre a eux. Et, soit que pour le transport de Texp^di- 
lion sainte on choisit la voie de terre, soit qu on pr^ferftt 
celle de mer, il montrait ces legions, rapides et aguerries, 
accueillant les croises, eclairaut leur marche, nettoyant 
les passages, assurant partout les subsistances, et procu- 
rant, pour la remonte de la cavalerie, a la place des che- 
vaux d'Europe, lourds et pen accoutumes aux privations 
des climats brfllants, les chevaux d'Asie, agiles, neiTCux 
et faits a la rude vie du desert (1). II n'en allait done pas 
6tre de cette expedition comme de celles qui Tavaient 
precedee, expeditions mal congues, tumultueusement ac- 
complies. A la valeur tem^raire et emportee, on allait 
substituer enfin les conseils et la discipline ; a Tenthou- 
siasme inconsider^, le calcul et la prevoyance ; a des en- 
treprises confuses, des operations sagement concertees, 
car Haiton, en homme qui savait les lieux et les choses, 
signalait les mesures a prendre, les inconvenients a ^viter, 
II ne s'agissait plus que d'organiser Texpedition, et, 
sous ce rapport, peu de chose restait a faire. Les rois don- 
naient tons les promesses les plus brillantes. Au point 
d'enthousiasme chevaleresque ou en ^taient les guerriers 
qui venaient faire leur cour au pontife, on pouvait esp^rer 
que les hommes d'armes les plus renommes de la chre- 
tiente se feraient honneur de s'enrdler sous les banni^res 
de la Croix. Et Charles de Valois s'offrait a les conduire, 
Charles de Valois, bien decide cette fois a poursuivre d'une 
manifere effective ses pretentions au trdne imperial de 

(i) Histoire orientale, c. lix et lx. 



206 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. lU. 

Constantinople. La reputation militaire d'un tel chef, son 
experience, son coui^age persoqnel , inspiraient k tons la 
confiance et repondaient du succes de Tentreprise. 
fut un moment oi^ I'on dut croire la croisade definitiYe- 
ment resolue ; mais toutes ces esperances s'evanouirent. 
Deux incidents repousserent encore bien loin Texpeditioii 
sainte. Le premier de ces incidents fut Taffaire des Tem- 
pliers, dont nous nous occuperons plus tard ; le second, 
les poursuites que Philippe le Bel renouvela contre la me- 
moire de Boniface VIII. 

Nous avons vu que Clement V, a Lyon, etait parvenu, 
par ses concessions gracieuses, a imposer silence an res- 
sentiment du roi ; il en vint encore a bout dans les pre- 
miers jours de Tentrevue de Poitiers (1), en lui represen- 
tant qu'ayant d'importantes affaires a traiter, ce serait m 
compromeltre le succes que de soulever des procedures 
contre un pape. Dans cette occasion, les cardinaux ayant 
joint leurs instances aux exhortations du pape, Philippe 
consentit a abandonner Texamen et enfm le jugement de 
ce demele a la prudence du Saint-Si^ge. La chose parut 
alors si pres d'etre terminee, que Clement V en temoigna 
sa reconnaissance au monarque par une buUe datee des 
calendes de. juin 1307, dans laquelle il revoquait et an- 
nulait de nouveau toutes les censures canoniques pronon- 
cees depuis Torigine de la querelle contre lui aussi bien 
que contre les autres accusateurs, de quelque dignite qu ik 
fqssent, et les d^chargeait tons de la fl^trissure que Tat* 
tental d'Anagni leur avait imprimee (2). En ajournant tou- 

(1) n y eut a Poitiers deux demandes de poursuites contre ^nifaee; od 
n'en peut douter, d*apres ces paroles d'une lettre du roi : Bis Ptctavit 
cum magnis temporum intervallis requUivimus, (Preuves du differend, 
p. 298.) 

(2) Rayuald, ann. 1303, n° 10. 



F" 



RESSENTIMEHT DE PHILIPPE CONTRE BONIFACE VIII. SOT 

jours la vengeance du roi, Clement V comptait sans doute 
que le temps, qui use tout, affaiblirait sa passion et la 
rendrait moins exigeante. U jugeait mal ce prince. Dans ce 
coeur haineux, qui se repliait sur ses col^res, le temps, 
loin d'en affaiblir Timpression, semblait en retremper la 
force, II ne vit pas plutot le pape libre de ses premiers 
soins, qu'il revint a la charge, et lui demanda de proceder 
sans delai centre Boniface. II voulait que ce pontife flit 
condamne comme her^tique, que son nom fut ray6 du ca- 
talogue des ev6ques de Roine, enfin que son corps, Qxhum^ 
du sepulcre, flit briil^, et sa cendre jetee au vent (^)- 

Acette deipande, qu on n'avait plus de motif de repous- 
ser, le trouble s'empara de la cour pontificale. Gibelins et 
Guelfes, Frangais et Italiens, tons s'^murent. Jamais une 
pretention si impudente n'avait ^t^ manifestee, mSme par 
les ennemis les plus declares du Saint-Siege. Oii s'arrfite- 
raient les exigences du roi? Voulait-il opprimer la puis- 
sance apostolique et en faire un vil instrument de sa tyran- 
nie? Quel scandale inoui pour Tfiglise! Boniface avait 
gouvern^ Tfiglise pendant Huit ans ; il avait institue des 
6v6ques, cre^ des cardinaux. Mais proceder centre lui 
comme intrus et her^tique, n'etait-ce pas metlre en ques- 
tion la validite de tons ces actes? Quelle horrible confu- 
sion dans r£glise ! et le pape et les cardinaux s'arretaient 
consternfe (2). 

Cependant il fallait prendre un parti ; les instances du 
roi devenaient pressantes, importunes (3). L'on etait au 

(i) Giovanni Villani, 1. VIII, c. xci. -^ Nicolai Triveli Chronic, ap, Spi- 
cilegium Adierlanum , ann. 1306. — Conrad Yicerius, de Henrico VII, 
ap.Rerum germ. Script. Urstizii, t. II, p. 65. — Dino Compagni, Cronaca. 
-Murat, t. IX, p. 524, 

(2) Giovanni Villani, loc. cit. — S. Antoninus, t. Ill, lit. 21, c. i. 

(S) Instantia importuna, dit INicolas Trivet. 




208 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. IH. 

milieu de son royaume, pour ainsi dire en sa puissance; 
que devait faiire la cour romaine? Acquiescer etait un 
crime; r^sister, c etait s'exposer a la violence d'un homme 
qui ne m^.nageait rien. Dans cette terrible alternative de 
se rendre coupable d'une honteuse faiblesse ou de 
voir se renouveler Tattentat d'Anagni, la position de 
Clement V etait une des plus critiques ou se soit ja- 
mais trouv^ un pape. S'il faut en croire un de ses bio- 
graphes, la pensee lui vint de fuir. Mais, apr^s avoir exa- 
mine les moyens de realiser un semblable projet, il dut 
bientdt y renoncer k la vue de Tactive surveillance dent 
toutes ses demarches ^taient environn^es (1); et, dans 

(\) Baluze, t. I, p. 6. — L'auteur cite va jusqu'a dire que Clement V 
tenta une evasion sous un nom suppose (suhalterius fictiane personally et 
que le malheur voulut qu'il fut reconnu par les gens du roi, et ramene 
dans la ville (sed a quibusdamj qui pro rege erant, agnitus... compuUw 
est Pictavim remeare). L'auteur n'affirme pas ce fait : il le met sur le 
compte de la rumeur publique [ut dicitur)^ el je crois bien qu'il n'a ja- 
mais eu lieu, car on n*en voit aucune trace dans les autres chroniques du 
temps. Mais une anecdote fausse ne court jamais le monde sans supposer 
quelque realite. Or, cette realite est que Clement V subit a Poitiers la ty- 
rannic de Philippe le Bel, qui voulait, bon gre , mal gre, Tamener a ses 
vues. Pourquoi , s'il n'en avait pas ete ainsi, ce pontife serait-il resle seize 
mois a Poitiers, lorsqu'il ne devait, de prime abord, y faire qu'un sejour 
de quelqucs semaines? Baluze (notse, p. 585) a cru resoudre cette difficulte 
en disant que Clement V y fut malade ; et , a cet egard , il cite le temoi- 
gnage de Ptolemee de Lucques. Mais Ptolemee de Lucques rapporte eri- 
demment au pape, a Poitiers, ce qui ne s^applique qu*au pape a Bordeaux. 
Curia, dit-il, rationeinfirmitaiis papa, per unum annum qua^i sopita 
stetit. La cour romaine fut en effet inactive a Bordeaux; mais elle ne le 
fut point A Poitiers, oii nous voyons qu'elle traita les affaires les plus se- 
rieuses. D*ailleurs, toutes les lettres de Clement V anterieures a son arri- 
vee a Poitiers parlent de sa maladie ; aucune de celles qui Font suivie ue 
touche ce point. II y a done erreur de date dans Ptolemee de Lucques, 
ce qui n*est pas rare dans les chroniqueurs du moyen Age. l\ est vrai 
que Clement V etait faible et souiTrant quand il se mit en route pour 
la capitale du Poitou ; mais tout prouve qu'il se remit et ne rechuta point. 
Rapprochant done les fails, je n*hesite point a croire que Clement V n*ait 



RESSENTIMENT DE PHILIPPE LE BEL CONTRE BONIPACE VIII. 209 

son embarras, il cherchait autour de lui un conseil (1). 
Enfin le cardinal de Prato ouvrit cet avis : « Saint Pere, 
dit-il, je voisun remede au ma] present; c'estde persua- 
der, s'il est po i'b-e, auroi que sr: dem. ade renferme une 
question diPzci.e, ^rdue, et Mir Irquc' c ^o.-; c.rdinaux 
sont parl'ge:7; qu'une tet'e que'tion re peul efre trait^e 
que dans un conciie genori!; que d : «!!eurs, au milieu 
d'une si grave : ; :embiee, I'examen des inculpations sou- 
levees contre Honif:^ce YIII .^era plus solennel, et la satis- 
faction ('u roi plus comp'ote. Si Ion vou3 objecte la 
crainte que ies preiuges des Peres n influent sur leur ju- 
gement, dites que vous ne ferez nul!e mention de cette 
affaire dans la hiiAe de c3nvocaiion, qui ne devra all^guer 
dautres motifs que I:, reformation ces moBurs et Ies inte- 
rets generaux de 1 Eglise. L'urgencedu concile etant de- 
montree et reconnue, vous en fixerez la reunion a Vienne, 
en Dauphine ; car, outre que la position centrale de cette 
ville la rend d'un acces facile a tons, son independance 
du royaume de France vous y raettra a Tabri de toute 
contrainte de la part du roi (2). » 
Get expedient ainsi developpe par le cardinal de Prato 
plut au pape, et le tira de peine. Bien que mecontent d*a- 
journer encore sa vengeance, Philippe le Bel ne put se re- 
fuser a la convocation dun concile general. Lui-meme 
Tavait demande autrefois, en avait appele a son autorite 
supreme: on etait cen3e entrer t^ans ses vues. D'ailleurs, 
il ^tait juste que le pape voulut partager la responsabilit^ 
d'un acte aussi considerable que celui de proceder contre 

eu la ptnsee de fuir, ct qu'il ne put rixecutrr, parco que le roi le tenait 
comme captif a Poitiers. 

(1) Hie vero ha3rere aestuareque Clemens , quidnam consilil in re tam 
inexplicabili caperet. (Conrad Vicerius, loc. cit.) 

(2) Giovanni Yillnni, 1. VIII, c. xci. — S. Antoninus, t. Ill, tit, 21, c. i. 

14 



210 flISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. lU. 

un souverain pontife. Ainsi, ce prince consentit a laisser 
Taffaire au jugement d'un concile general, a la condi- 
tion toutefois que le pape commencerait lui-mSme les in- 
formations dans le plus bref d^lai (4); ce que promit Cle- 
ment V, en indiquant pour terme du commencement des 
d^bats le 2 fevrier de Fannee 1309 (2). 

Ouoiqu'il fut sous la griffe de Taigle, ce pontife sut en- 
core trouver le moyen de dejouer un plan du roi qui au- 
rait ete des plus funestes a la Papaute s'il eut r^ussi. 
Voici lefaitauquel se rattachait ce plan. Uempereur Al- 
bert avait un neveu dont il retenait Theritage pour le 
souslraire, dit-on, a sa prodigalite. Celui-ci, ayant atteint 
sa dix-neuvieme annee, reclamait son bien avec instance; 
mais, n'obtenant que des refus, il conspira contre la vie 
de son oncle avec Rodolphe de Wart, Walther de Eschem- 
bach et Ulric de Balm. Un jour du mois de mai 4308, 
Tempereur se rendait a Rhinfeld, ou se trouvait Timp^ra- 
trice Elisabeth. Les conspirateurs faisaient partie de la 
suite qui accompagnait le monarque. On arrive sur les 
bords de la Reuss, vis-a-vis Tantique cite de Windisch; 
Jean et ses complices travers^rent les premiers la riviere, 
Albert les suivit avec un seul officier, le reste du cortege 
et Leopold son fils attendant sur Tautre rive. Comme il 
traversait lentement les campagnes situees au pied des 
monts que couronne le chateau de Hapsbourg, les con- 
jures se rapprocherent de lui : c< Jusqu'a quand laisse- 
cc rons-nous chevaucher ce cadavre? » s'ecria Rodolphe de 
Wart (3). Ce fut comme un signal. Rulassingen, dome^ 

(1) De quibus Templariorum etBonifacii negociis potent Yestra Sancti- 
tas, interim examinata plenius veritate in concilio... feiiciter ordinare. 

(Ep. Philippi, Preuves du diflerend, p. 299.) 

(2) Bulle : Dudum postquam, ap. Raynald, ann. 1309, n^4. 
(S) Quamdiu istud cadaver equitare perraittemus? 



MORT DE L'EMPEREUR ALBERT. 2H 

lique de Rodolphe de Wart, saisit le cheval de Tempereur 
paries renes. « Rends-moi mon heritage! » lui dit son neveu 
en le frappant a la gorge ; Rodolphe de Wart lui ehfonga 
son epee dans le corps, et Ulric de Ralm lui fendit] la tete 
d'un coup de sabre. Les assassins s'enfuirent, et Tem- 
pereur, tombe de cheval, expira baigne dans son sang (>!)• 
Le meurtre d'Adolphe de Nassaw dtait venge. 

Cette mort tragique rendait TEmpire vacant; les ambi- 
tions s'y precipiterent aussitot. Gelle de Philippe le Rel ne 
resta pas en retard. Ge prince mit sur les rangs des can- 
didats son frere Charles de Valois. Deja presque maitre du 
Saint-Siege, il esperaitobtenir la pourpre des empereurs, 
et r^unir ainsi dans sa maison tons les genres de puis- 
sance. C'etait la un beau reve ! pour le realiser, il fit re- 
commander son frere aux electeurs d'Empire par ceux 
des cardinaux qui voulaient Texaltation de la France, 
n'importe a quel prix. Nous avons une lettre du cardinal 
Raymond, dat^e de Poitiers, dans laquelle le corate de 
Valois est represente a Tarcheveque de Golognife comme le 
candidat le plus capable d'occuper la place du defunt em- 
pereur (2) . Tout semblait favoriser les voeux de Philippe 
le Bel; les electeurs ne s'accordaient point, T election trai- 
nait en longueur, et le roi, au courant de toutes les in- 
trigues, se preparait avec ses barons, dans le secret de 
son conseil, k les tourner k son profit, en forgant le sou- 
verain pontife lui-meme a appuyer le comte de Valois. 

Heureusement les projets du Louvre transpirerent, et 
Clement Y en fut instruit ; il en mesura sur-le-champ les 
enormes consequences. Qu'allaient devenir la Papaute, 
ritalie elle-m6me, s'ils s'accomplissaient? N'avait-on pas 

(1) Albertus Augustinensis, ap. Urstizium, t. I, p. 114. — Struvii Bur* 
card! Corpus Historiae germaDicse, 1. 1, p. 645. 

(2) Baluze, t. U, p. 119. 



I 



212 HISTOIRE DE L\ PAPAUTE, LIV. III. 

deja fail Tessai des pretentions de Philippe? Que no- 
serait-il pas iorsque sa puissance n'aurait plus de homes. 
11 s'en ouvrit au cardinal dc Prato. Celui-ci repondit que 
le seul moyen de prevenir les desseins du roi etait de si- 
gnifier aux c^ecle ir:; de hater lelection d im empereur, 
s'ils ne voulaierJ voir TEg^^ e et TEmpire tomber aux 
mains des Frangpis; puis il conseilla de leur proposer 
pour candidal Henri de Luxembourg, noble coeur, vaillant 
chevalier, calholinue sincere, auquei surement nul d'enire 
eux ne songeait. 

Clement V entra vivement dans !es idee;^' du cardinal. Le 
point difficile etait de les mettre a execution, car le temps 
pressait, et outre cehi il fa!!.jt dcrober aux yeux des 
amis que le roi de France avait dans le Sacre College les 
demarches qu'on allait faire. D'ailleurs, ou trouver un mes- 
sager assez sur pour lui confier une commission si deli- 
cate? Mais le cardinal de Prato avait le secret de Texe- 
cution comme la science du conseil. II enveloppa ses de- 
marches d*un mystere si impenetrable, il choisit si bien 
son messager, que tout arriva ainsi que Clement V le 
souhaitait (1). Les archeveques de Mayence et de Treves, 
auxquels probablement les recommandations du pape 
avaient ete adressees, gagnerent deux autres electeurs, et 
le comte de Luxembourg fut elu roi des Romains le 27 no- 
vembre 1 308 (2). II y avait deja longtemps que Clement V 
n' etait plus a Poitiers. {Pieces just if., n"" 9.) 

En effet, la convocation d'un concile general ayant ete 
resolue et annoncee, toutes les grandes affeires devaient 
y etre renvoyees. Les conferences furent done rompues, et 
Clement V, vers la fin d'aout de I'annee 1308, put s echap- 

(1) Giovanni Villani, 1. VUI, c. ci. — S. Antoninus, t. Ill, tit. 21. c. i. 
— Dino Compagni, p. 524. 

(2) Albertinus iMussatus, 1. 1, rubr. iv. 



VOYAGE DE CLEMENT V. 215 

per de Poitiers (1). Jusqu'alors la cour pontificale avait ete 
errante de Lyon a Bordeaux, et cle Bordeaux a Poitiers. 
La tyrannie qii'on venait d eprouver dans cGtte derniere 
ville fit enfm sentir au pape le besoin d'avoir une resi- 
dence fixe, ou le pouYoir apostolique put jouir de sa li- 
berte d action. Clement V aunat alors volontiers pris le 
chemin de Rome. Mais moins que jamais cette capitale 
du monde chretien offrait au chef de Tfiglise un asile in- 
dependant et tranquille. Les factions de la noblesse y per- 
petuaient le desordre. Les choses en etaient au point 
que, en 1306, les Remains s'adresserent a Milan pour ob- 
tenir un senateur qui retablit Tordre dans la ville (2). On 
leur envoya Paganino della Torre. Mais tout porte a croire 
que ce magistrat, desesperant du succes de sa mission, 
se retira avantla fin de son temps, puisque nous trouvons 
pour senateurs, pendant la derniere moitie de 1306, 
Gentile deTigli d'Orso et Stefano Colonna (3). D'un autre 
cote, depuis la mort dc Benoit XI, la guerre avait de nou- 
veau eclate entre les Orsini et les Colonna, et, dans le 
moment meme, ces deux families puissantes se prepa- 
raient a une bataille d'ou les Orsini devaient sortir vain- 
cus et presque detruits (4). Le sejour a Rome etait done 
impossible. Le souverain pontife se decida enfin pour 
Avignon (5). A la verite, cette ville etait placee sous la 
domination de la maison d'Anjou; mais, grace a Tesprit 
d'independance qui Tanimait, elle avait depuis longtemps 
oblige ses maitres a se contenter d'un pouvoir nominal. 

(1) Baluze, 1. 1, p. 15. 

(2) Gorio, Storia di Milano, pars II, p. 558. 
(5) Vitale, t. I, p. 210. 

(4) Giovanni Villani, 1. VIII, c. cxvii. 

(5) Judicatum fuit per papam cum coUegio quod curia transferretur Ave- 
nionem; ethoc pronunciatum fuit ex ore summi ponlificis. (Baluze, 1. 1, 
p. 51.) 



214 EISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. 111. 

Etpuis, elle etait enclavee dans le Comtat-Venaissin, quele 
Saint-Siege possedait depuis letraile conclu a Paris, le 12 
avril.1228, entre Louis IX, Raymond VII, comte de Tou- 
louse, et le' cardinal de Saint-Ange. La cour romaine s'y 
trouverait done a la fois chez elle, et dans une position 
rapprochee de Tltalie, avee laquelle il serait facile de cor- 
respondre, soit par terre, soit par mer. 

Cette determination une fois arrelee, Clement V licencia 
sa cour (1), car les depenses excessives occasionnees dans 
les voyages precedents par le nombre et la qualile des per- 
sonnages qui composaient cette cour avaient provoque 
des plaintes (2). Chacun prit la route qui lui convint. 
Quant a lui, ne conservant qu'une faible suite, il se di- 
rigea vers Bordeaux. II sejourna dans cette ville jusqu'au 
milieu de decembre, epoque a laquelle il se mit en che- . 
inin pour Toulouse, en passant par Agen. II celebra la 
fiSte de Noel dans la capitale du Languedoc, et y de- 
meura jusqu a Tfipiphanie (3). Ce jour-la meme, il partit 
pour se rendre a Saint-Bertrand de Comminges, son pre- 
mier eveche, Le 1 6 Janvier, il y fit la translation du corps de 
saint Bertrand, un deses predecesseurs et son patron, le de- 
posa dans une riche et precieuse chasse qu'il avait fait 
faire a ses depens, et dont il lit present a son ancienne 
cathedrale. Quatre cardinaux, deux archeveques, les eve- 
ques de Toulouse, 'd'Albi et de Maguelonne, trois autres 

(1) Guriaque soluta est et cardinalium pluribus licentialis. (Baluze, 1. 1, 
p. iSetSi.) 

(2) Dorainus venit Gluniacum, ubi multa damna fecit. Similiter apud Bi- 
turicas et Nivernum fecit expensas immoderatas. Unde Ecclesise Franciae 
plurimum sunt gravatae. (Baluze, t. I, p. 4, et ad notas, p. 584.) 

(5) n y a dans Guillaume Bardin des details curieux sur la reception du 
pape dans la capitale du Languedoc; mais Tautorite de ce chroniqueur est 
vivement altaquee par les auteurs de THistoire du Languedoc. (Voyei 
t. IV, note 15.) 



AVIGNON. 215 

eveques et cinq abbes, Tassisterent dans cette touchante 
ceremonie. De Comminges, le pape vint a Saint-Gaudies, 
puis au xnonastere de la Prouille. II y arriva le 29 Jan- 
vier (i). De la il continua sa route par Carcassonne. L'ar- 
cheveque de Narbonne, Gilles Aycelin, le regut et le de- 
fraya magnifiquement avec sa suite, le premier dimanche 
de car^me, dans son chateau de Montels, oii il Tavait in- 
vite. Le 26 fevrier, il etait a Montpellier, d'ou il alia a 
Narbonne; il s'y trouvait le 5 avril. II revint ensuite a 
Montpellier par Beziers; puis il passa a Nimes, et ar- 
riva enfin a Avignon vers la fin d' avril 1309 (2). 

En quittant les rives du Tibre pour celles du Rhone, la 
Papaut^, on pent le dire, echangeait la splendour contre 
Tobscurite. Qu etait-ce, en effet, qu Avignon aupres de 
Rome? qu' etait-ce que la cite la plus renommee du pays de 
France aupres de cette ville eternelle, a qui chaque siecle 
avait paye le tribut d'une grandeur? de cette ville, deux 
fois la reine du monde, d'abord par la puissance de la vic- 
toire, ensuite par la suprematie de son* siege episcopal; 
de cette ville ou venaient se reunir tons les souvenirs de 
la gloire et de la religion? Ici, Rome imperiale presentait 
k Tadmiration des peuples ses monuments encore debout 
et empreints de toute la magnificence des anciens maitres 
des nations ; la, Rome chretienne montrait a la piete des 
fidc^les les tombeaux de ses deux grands apotres, Pierre et 
Paul, ceux de ses innombrables martyrs, ses catacombes, 
encore teintes de leur sang, et cette majestueuse suite de 
pontifes, au? pieds desquels s'inclinaient, depuis des si6- 
cles> les royautes de la terre. 

Mais, si Ayignon n' avait pas Timmortelle gloire de Rome, 



(1) Martenne et Durand, Collectio amplissuua veterum Script., t. II, p. 455. 

(2) Hist, du LaDi^edoc, t. IV, p% 144 et 145. 



216 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. II!. 

elle possedait, a son lour, des avantages dont Rome ne 
jouissait plus depuis que ] art, en y abandonnant a elle- 
meme la nature plus cubame que belle, avait permis a la 
steriiite de s'y inlroduire. Elle pouvail offrir aux chefs de 
TEglise son ciel presque italique, son air pur, ses sites pit- 
toresques el accidentes, ses campagnes verdoyantes et 
semblables a une suite de delicieux jardins, son beau 
fleuve, et, plus que tout cela, le calme et la paix qu ils 
chercbaient depuis si longtemps sans la trouver. 

Toutefois, Avignon n etait pas completement privee d'il- 
lustrations, et il ne sera pas inutile a noire sujet de dire 
quel(jue chose des evenements qui composent son histoire 
jusqu'au moment ou elle devint a jamais celebre par la 
possession du siege apostolique. Si nul bistorien n*a pu 
dire avec certitude d'ou vient a cette ville le nom d'Avi- 
gnon, s'il est simplement grec, ou bien forme de deux 
mots celliques, signidcatifs de la physionomie des lieux oxi 
elle est balie ; si une egale obscurite enveloppe son origine, 
il est certain qu*elle apparait, a une antiquite reculee, 
comme le chef-lieu principal du pays des Cavares. Plus 
tard, elle le fut d'une colonic romaine (1), et obtint, sous 
ce litre, une importance politique et commerciale remar- 
quable. Strabon (2), en effet, Pline (3) et Pomponius 
Mela (4) la citent comme la premiere et la plus opuleute 
du pays des Cavares, bien qu'aucun de ces geographes 
ne nous ait laisse des details propres a nous faire connai- 
tre sa grandeur et sa richesse. II est probable qu elle sut 
maintenir sa prosperite pendant tout le temps que T Em- 
pire se soutint avec gloire. Mais, a Tepoque de sa chute, 

(i) Ptolomei Geograph., 1. U, c. x. 

(2) Strabonis Gcograph., 1. IV. 

(5) Plinii Hist, nat., 1. HI, c. iv. 

(4) Pomponii Mela de Situ orbis, 1. II, c. v. 



AVIGNON. 217 

et au milieu des desastres qui signalerent cette periode 
sanglante, elle cut nece ssairement decroitre comme toutes 
les autres viiies placees sar io theatre des invasions bar- 
bares. Alors e!le passa sous ia domin.ition des Visigoths; 
puis, sucfcessivement, sous celle des Burgondes, des Ostro- 
goths, des Franks austrasiens. Elle resta a ces derniers. 
Enfin, apres avoir souffert les devastations des musulmans, 
Avignon fut heureuse et tranquille sous le regno brillant 
des heros de la seconde race de nos rois. Lorsque, dans 
le milieu du neuvieme siecle, le gigantesque empire 
fonde par leur genie tomba en lambeaux entre les faibles 
mains qui le regissaient, Avignon fut enclavee dans les 
domaines de Boson, beau-frere de Charles le Chauve, fon- 
dateur de la monarchie raeridionale, qui porta le nom de 
royaume d' Aries (i). 

En 1123, a la suite de longs et violents debats, cette 
ville devint la propriete des comtes de Provence et de Tou- 
louse, qui s'accorderent a la posseder par indivis. Mais, 
avant cette epoque memo, Avignon professait une inde- 
pendance qui lui donnait les allures d'une ville libre. Elle 
avait des podestats, des consuls, un senat, la faculte de 
battre monnaie, une milice, en un mot, des institutions 
qui la rendaient semblable aux republiques delltalie (2). 
• Et cette independance jouissait d'une consecration legale 
qu' Avignon tenait de Tempereur Conrad le Salique, heri- 
tier de Tautorite des anciens rois d' Aries (5), et que Fre- 
deric!" reconnut et approuva en H57 (4). Ce droit de 



(1) Lettres historiques sur le Comtat-Venaissin , dans le t. LVllI des 
Melanges de la bibliolheque de Lyon, p. 25 et 24. 

(2)Joudou, Avignon, son histoire, ses papes, etc., in-t2, Avignon, 
1842, p. 38. 

(3) Lfcttrv:s historiques, p. 44 et 45. 

(4) Joudou, p. 34. 



218 fflSTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. HI. 

se gouverner piar ses propres lois fut peut-6tre un des mo- 
tifs qui porterent les seigneurs de Provence et de Tou- 
louse, Alphonse et Raymond, a tenir Avignon en commun. 
Mais il arriva de la qu'appartenant a deux maitres elle 
ne fut reellement a personne. A part la suzerainete, d'ail- 
leurs purement nominale, des deux seigneurs, Avignon 
etait une veritable republique : aussi lui en a-t-on donne 
le nom. 

Get ordre de choses dura jusqu'au commencement du 
treizieme siecle. G'est la periode la plus glorieuse et la 
plus florissante d' Avignon. Mais alors cette ville, em- 
portee par le fanatisme religieux qui agitait les provinces 
meridionales de la France, se mela aux discordes que 
suscitaient les Albigeois, et se declara pour ces derniers. 
Louis VIII vint fondre sur elle avec toutes les forces de son 
royaume. Trop faible pour resister, elle fut prise apres 
trois mois de siege et demantelee (1). La finit sa prospe- 
rite. Elle passa ensuite sous la domination de Charles 
d'Anjou et des comtes de Poitiers. Ces priaces firent 
revivre sur ce fief les anciens droits des comtes de Pro- 
vence et de Toulouse. Mais en Tan 1290, moyennant cer- 
taines conventions, Philippe le Bel, mariant son frere 
Charles, comte de Valois, avec Marguerite, fiUe de Char- 
les II, roi des Deux-Siciles et comte de Provence, ceda tous 
les droits qu'il avait sur la ville d'Avignon, comme succe- 
dant aux anciens comtes de Toulouse ; et ainsi la cite en- 
tiere fut possedee par les comtes de Provence (2). 

Mais Avignon n etait plus que Tombre d'elle-meme. 
Ruinee comme elle Tavait ete par la guerre, Tesperance 
de recouvrer son ancien lustre ne lui semblait plus per- 

(1) Voir les details dans Fantoni, Istoria della citla d'Avignone, in4*, 
2 vol., 1. 1, 1. 11. 

(2) Joudou, p. 65. 



AVIGNON. 219 

raise, lorsqu'au milieu de son abaissement se leva tout 
a coup pour elle une ere de gloire qui allait la placer au 
rang des cites les plus celebres. Par Tarrivee de Cle- 
ment V dans ses murs, Avignon va devenir la seconde ca- 
pitale du monde chretien, le centre de tout le mouve- 
ment politique et religieux, le siege de la cour la plus 
magnifique de TEurope. Get ^venement, qui devait ope- 
rer une revolution inouie dans Tfiglise, commenga par 
changer fbtalement T existence d' Avignon. 

Si Ton en croit Petrarque, il s'en faut bien qu Avignon 
meritSt Thonneur que lui fit le pape en venant y etaler 
les pom pes de la cour romaine. II nous represente cette 
ville perchee sur le sommet d'une roche escarpee, limi- 
tee dans son enceinte, percee de rues etroites, sales, in- 
fectes et bordees de maisons basses et mal construites {i ) . 
c< C'est une cite, dit-il, petite et degodtante ; je n enconnais 
c< point de plus puante. Elle ne devrait tenir que le der- 
cc nier rang. Quelle honte de la voir devenir la capitale du 
« monde (2) ! » II y a un pen de mauvaise humeur dans cette 
peinture. G^te par le spectacle des cites italiennes, qu'or- 
naient encore les restes de la grandeur romaine, et que le 
go6t du luxe moderne avait deja decorees, le poete ne 
voyait qu'avec dedain les rustiques constructions de notre 
cite gauloise, d'ailleurs dans un etat de ruine. Mais, si 
Avignon merita d'abord quelques-uns de ces reproches, 
elle ne tarda pas a les dementir. Son enceinte s'agrandit 
rapidement par le sejour des papes; le concours prodigieux 
d'etrangers qui affluaient dans ses murs grossit sa po- 
pulation. Elle descendit de la hauteur dans la plaine; des 
edifices nouveaux s'^leverent, embellis par le luxe et le 



{i) Petrarchse Opera, edit. Basil., in-fol., p. 852. 
(2)Id., p. 1081. 



220 lilSTOIRE DE LA PzVPAUTE, LIV. III. 

gout du lemps; des quartisrs splenc'ides pour Tepoque 
fureni consfruits en queiques annees ; les Italiens y appor- 
terent les vrls; h coiir et les grands qu'elie attirait, la 
magnificence, les affcdres, ie mouvement. Ce fut bientot 
une des villes les plus riches, les plus grandes et les plus 
belles de 1' Europe. 

Toutefois, cet accroissement si rapide de grandeurs et 
de richesses ne s'effectua point, pour Avignon, sans quel- 
que detriment de son etat moral. C'^tait chose inevitable, 
avec les flots d'etrangers qui y debordaient de tons les 
pays (I). Petrarque se plaint encore avec amertume de 
la demoralisation dont la nouvelle residence papale etait 
le theatre, II s'etonne que Ton ne trouvat ni foi, ni charite, 
ni religion, ni pudeur, dans un lieu dont la presence du 
souverain pontife aurait du faire un sanctuaire (2). Mais 
ce n etait point la faute de la cour romaine. 

Cette cour, en arrivant a Avignon, s'y trouva d'abord a 
Tetroit; toutmanquait pour une reception convenable.LeSa- 
cre College fut oblige de se partager. Plusieurs cardinaux 
allerents'etablir a Orange. Les armes qui paraissent encore 
sur queiques maisons de cette ville attestent le sejour qu'ils 
y lirent (5). Plus tard, ces princes de Tfiglise se creerent 
une demeure plus rapprochee de la nouvelle capitale, en 
construisant de I'autre cote du Rhone, sur la terre de 
France, la cite a Taspect si feodal de Villeneuve, qui leur 
doit peut-etre son origine, et surement I'importance dont 
elle a joui depuis cette epoque (4). Pour Clement V, il alia 
prendre, au convent des Fr^res Precheurs, le modesteloge- 

(1) Petrarchae Opera. Incolarum colluvie exundans. (Senil., 1. X, ep. u.j 

(2) Id., p. 1069. 

(3) Barjavel , Dictionnaire hislorique , biographiqiie et bibliographique 
du departement de Vaucluse, in-8**, article Clement V 

(4) Joudou, p. 472 et suiv. 



AVIGNON. 221 

ment qu'on lui avail prepare; il ne le quitta point tout le 
temps qu'il sejourna a Avignon (1). Rien n'indique que 
ce pontife ait jamais eu Tidee d'y elever le polais qu'on y 
voit auiourd*hui. L^ conce^.tion comme l*execution de ce 
projet apr';.r[ie:;L ;\ .-.s n"cci • ours. T;">ut porte meme a 
croire que le^^ vre:. :o Cieific -I Y n el ieut pcijiL driiniti- 
vemeat arretee; .\ A iqnon. I-orscTje, en '!rjo^ visitant 
leComlat-Venais^in, ce domrj'ne que les pontifcs romains 
possedaient depii^* i»iu: de quatre-vingts :m^ s.ns le con- 
naitre, la be ii'e uc^ sites, la richesre dcs campagnes, 
Teurenl enclianie, u v(/] ui. .'y cr^^er uiie relruile. A peu de 
distance (e M'-.'auce"e-3, i. y :vci»t un monaslere rvec une 
eglise, rppe^eelictre D;i::e<-u Grozeru, i j p.. Icnr.nta I'ab- 
baye de Siint-Vicior JeivLrsei'^e. Cemonastere etait alors 
dans le meilleur ctat, et sa r.ituation sur le haut d'une 
colline dominant une fraiche vallee, arrosee par la Fon- 
taine du Grozeau, qui a sa source a queiques pas du cloitre, 
offrait, durr.nt huit mois de Fannee, un delicieux sejour. 
Le pape y lit construire a la hate un chateau dont il reste 
a peine queiques mines, ii aima depuis a s ensevelir dans 
cette villa, y vivant quelquefois solitaire et eloigne de la 
cour. C est dans ce chateau qu il recut Thommage des 
contacbns. Plui-ieurr bulle- , cesnominriions a c'es emplois 
et des reglement.; r 'miriitritifo, sont c^atfc de ce lieu (2). 
Le3 Avignonai ] ne l:.r''erent pas a s'apercevoir de T^clat 
que repandait : ur leur cite I'arrivee dun bote tel que Cle- 
ment V. Des ipecticles nouveaux frapperent bientot leurs 
regards. Ghaque jour dei princes, des barons, accouraient 
faire leur cour au souverain pontife et deployaient la pompe 

(1) Baluze, I. I, }. 15. 

(2) Hist, du Conitul-Venaissin et de la vilie d'Avignon, ms. de Fornery, 
Bibliotheque Carpentras , 1. V, p. 565 et 564. — Barjavel , article Cle- 
ment V 



222 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. III. 

de leurs corteges. Robert, fils de Charles If, dit le Boi- 
teux, roi de Naples et comte de Provence, devenu, par la 
mort de son pere, heritier de sa dignite et de sa puis- 
sance, vint a Avignon recevoir, en qualite de vassal du 
Saint-Siege, Tinvestiture de ses fitats. Clement V le cou- 
ronna roi le premier dimanche d'aoiit i509, et Robert 
etala, dans cette auguste ceremonie, toutes les splendeurs 
de la royaute {\). Quelques jours auparavant, le 26 juillet, 
il avait solennellement confirme au nouveau roi des Ro 
mains, Henri de Luxembourg, son election, dontunebril 
lante ambassade etait venue lui apporter le decret (2) 
Clement n'avait point eu de peine a reconnaitre un empe 
reur qui etait sa creature ; n^anmoins il mit a cette faveu 
la condition expresse, pour Henri, de ne point retarder au 
dela de deux ans d'aller recevoir a Rome la couronne im- 
periale. Peut-etre esperait-il qu'un voyage de Fempereur 
au travers de Tltalie mettrait fin aux troubles qui agitaient 
cette peninsule (3). II avait alors en vue de reprimer ceux 
de Rome, car, au mois de fevrier de Tannee 1310, il en- 
voya dans cette capitale Guillaume de Saint-Marcel, son 
penitencier, avec la mission de ramener, par de pate^ 
nelles exhortations, les nobles a la concorde (4) ; et, cette 
mission n'ayant point obtenu son effet, il nomma avant la 
fin de Tannee, pour senateur, Louis de Savoie a la place 
de Fortebraccio, deTigli d'Orso, et de Riccardo degli 
Annibaldi, qui occup^ient cette charge (5), et dont Fau- 
torite ^tait a pen pres nulle, 

Clement V semblait avoir retrouve dans Avignon, avec 

(4 ) Baluze Vitae, 1. 1, p. 70 et 104. 

(2) Struvii Burcardi, Corpus Hist. germaniccB, t. I, p. 648. 

(5) Ad motus Italiae compescendos. (Conrad Vicerius, p. 67.) 

(4) Wading, Annales Minoriim, t. VI, ann. 1510, n^*^ 10 et 11, 

(5) Vitale, 1. 1, p. 215. 



IMPORTUNIT^S DE PHILIPPE LE BEL. t23 

le repos, quelque chose de ce charme qui s'etait repandu 
avec tant d'enchantement sur les premiers jours de son 
elevation au trdne pontifical. II ne jouit pas longtemps de 
ce bienfait de sa nouvelle position. Philippe le Bel sem- 
blait avoir jur^ de ne pas laisser au pontife un seul instant 
de paix. Toujours implacable et impatient de se venger de 
Boniface VIII, il vint rappeler au pontife la promesse qu'il 
lui avait faite a Poitiers; se plaignit que les informations 
s'operaient avec lenteur; que Touverture des d^bats, 
fix^eau 2 fevrierde Tannee 1309, n'avait point eu lieu, 
et exigea qu'un nouveau terme fftt assigne aux proc^ 
dures {i ) . 

Ici, cet acharnementa poursuivre entoute occasion un 
pape depuis longtemps descendu dans la tombe serait inex- 
plicable si Ton supposait k Philippe le Bel, pour motif uni-" 
quede cet acharnement, la haine personnelle. II y avait au- 
tre chose. Dans la lutte memorable de ce monarque contre 
Boniface VIII, les principes avaient plus combattu que les 
personnes. C'etait le pouvoir spirituel et le pouvoir tempo- 
rel qui etaient descendus dans Tarene : le premier, pour 
maintenir sa suzerainet^; le second, pour s'en affranchir. 
La mort du sou verain pontife n' avait done point termini 
la querelle, et les pouvoirs etaient toujours debout et en 
presence. A la verite, Philippe le Bel avait remporte, k 
Anagni, une victoire qui, dans un conflit politique, aurait 
decide en sa faveur. Mais ce n'etait point d'un conflit po- 
Htique, c'etait d'une guerre de droit qu il s'agissait, et le 
roi savait que, dans une lutte semblable, le triomphe bru- 
tal de la force est moins un succes qu'une d^faite. Voili 
pourquoi il exigeait que la m^moire de Boniface fAt fletrie. 



(1) Bulles Excellenliae taae et Redemptor noster, Preuves du differend, 
p. 292 et 568. — Baluze, 1. 1, p. 71 






224 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. III. 

par la sentence de I'Eglise elle-meme, comma heretique. 
II voulait un triomphe legal, certain qu en Tobtenant il 
depouillerait la Papraxte de ve prestige qui etait un des 
appuis de so puprem lie temporelle. D'oilleiirs, la con- 
damnpiion le i;c lif^ ce YIII et it limique moyen qui lui 
resiat de legili'" cr ] Ucr^it dont limportun .^ouyenir agi- 
tait sa conscience, e' quo i-a ju'^tice du temps devait venger 
tot ou t?rd sur sa menioire. 

Clement V sa^ait tout ceh. sins doute, mais il n*etail 
pas en t^on pouvoir d eyiter les procedurer^ demand (5es par 
le roi. Ce fut au mois de septembre 1 ?va9 quit se decida a 
pubizer la bulle qui de"-:^: t^nt couter a son ccEur. xipres 
y avoir rappele toules les sollicit tions que Philippe le Bel 
lui av:it adre:ree3 r. diverges epoques, soil a Lyon, soita 
Poitiers, de proceder contre Boniface VIII, prevenu du 
crime d'heresie, il declarait qu il etait enfin resolu de 
fixer au premier jour juridique, second dimanche de ca- 
reme de Tannee 13!0, I'audience solennelle ou les accu- 
sateurs devraiert s'explique'^; non qu'il crut Boniface Vlfl 
entache du crime precite, lui issu de parents orthodoxes, 
ne dans un pays catholique, elcve au milieu de la cour 
romaine et a Tombre du Saint-Siege apostolique, mais 
parce que, le crime d'heresie etnntde tons le plus grave, 
le plus odieux qui puicse souiller I'homme, il devenait 
urgent d'en decharger la memoire d'un pape (1). Ainsi, 
Clement V deguireit sous la nece :ite de repousser une 
odieuse caiomnie la conlrainte reelle a laquelle il cedait. 
Le tour etait habile, mais il ne lai :^ait pas que de trahir 
les repugnances et les anxietus pontificales. 

La destinee de Clement V avait cela de singulier, que 
quelque chose d'heureux se melait toujours a ses epreuves. 

(i) Bulle : Redemptor noster, Preuves du diflferend, p. 368 



ACQUISITION DE FERRARE. 225 

Dans le temps que la tyrannie de Philippe le Bel mortifiait 
en France son autprite, en Italie, au contraire, des ev^ne- 
ments, qui d'abordTavaient compromise, finissaient, pour 
elle, de la maniere la plua glorieuse. L'intelligence des 
faits exige que nous reprenions les choses de plus haut. 
Le marquis de Ferrare, Azzo VIII, etait mort pendant 
Tannee 1507, laissant heritier de ses Etats un fils na- 
turel nomme Frisco, au prejudice des membres legitimes 
de sa famille, et notamment de Francesco, son fr^re, sei- 
gneur de Reggio. Avec Taide des Bolonais, Frisco semit 
d'abord en possession de Ferrare, malgre Topposition des 
habitants, humilies de devenir les sujets d'un prince adul- 
terin. Mais, en meme temps, le marquis Francesco s'em- 
parait d'Este, de Rovigo et d'autres villes. C'etait une 
guerre de succession qui commengait, et Ton ne saittrop 
quelle en aurait ete Tissue, car les forces des deux pr^- 
tendants etaient a pen pres egales. Tons deux le sentaient 
et cherchaient des appuis etrangers. En cela, Francesco 
fut le plus heureux. II se ressouvint que le Saint-Siege 
avait des droits anciens de suzerainete sur la ville et le 
marquisat de Ferrare, et il pensa que tout serait gagn^ 
pour sa cause s'il parvenait a y interesser le pape. Dans 
cette intention, Francesco passa les monts. Clement V resi- 
dait a Poitiers ; il y courut. La, apres avoir rappele au sou- 
verain pontife ses droits incontestables sur la ville et le 
marquisat de Ferrare, il le supplia de joindre ses efforts 
aux siens pour arracher ces fiefs des mains de Frisco. 
Clement V accueillit avec joie la proposition de Francesco, 
et envoya sur-le-champ des commissaires avec un corps de 
troupes pour revendiquer sa propriete. Les Ferrarais n'en 
eurent pas plutot re^u la nouvelle qu'ils se souleverent 
contre Frisco etFexpulsferent de leurs murs. Celui-ci, oblig^ 
de ceder a Forage, et trop faible pour lutter contre le pape 

15 



226 HISTOIRE DE LA PAPAUTB, LIV. III. 

et Franeesoo reunis, traverse les Lagunes et ^a offrir k 
Yenke k souverainete de ses £tats, mogrennant uae rede- 
vanoe. L'aiTre est aco^tee par le S^nai et ratifi^ par im 
traite. Peut^fitre une par^lle transaction avait-elle ^te sol- 
licit^ sous main; car Yenise, depuis que san pavilion 
r^gnait dans TAdriatique, jetait d'ambitieux regards shf 
la Peninsule, k laquelle sa politique etait encore ^trangere 
et ou elle brulait de poser le pied {\ ) • 

Eyideminent, les droits de TEglise romaine ^taient vio- 
les. Clement Y crut devoir les soutenir avec energie, 
et il expedia d'abord aux Ferrarais une buUe ou il leur 
pepreseiitait vivement le danger de recouspir a une pro- 
tection etrangere, et la neoessite pour eux de remettre au 
plus tdt leurs interSts entre les mains de r£glise, seule 
capable de garantir leur liberty et de ram^ier au mili«ii 
d'eux la paix et la prosperite (2). Deux internonces apo^ 
toliques suivirent de pr^s T expedition de cette bulle. C'e- 
taient Arnaud, abbe de Tulle, et Onupbre, doyen de Fe- 
glise de Meaux. Leur mission etait de recevoir Tobeissanee 
des Ferrarais a FEglise romaine, de dissoudre toute asso 
ciation contraire au bien public, de repousser tout joug 
etranger, et de briser toute tyrannic qui aurail pris la 
place de Tautorite legitime de f Eglise. 

Les habitants de Ferrare accueillireut avec joie les ea- 
voy4s pontificaux, pet^rent, entre leurs mains, sermwil 
de fi<t^ite au Saint-Siege apostolique, leur remirent les 
clefs de la ville, vouhirent qu'ils nommassent eux-memes 
les magistrats, que la justice fiftt rendue au nom de r£- 
glis^, eafiii que ses gamisons occupassent leurs forteresses. 

(i) Di^oCompiagDi^ Gronaqa, t. IX, 1. Ill, p. 530.— -Etbtoria Gortasifyraa^ 
t. XI , 1. 1, c. IX et X. — Glironicon Esteuse , t. XV, p* 365. — C|roD«<vi di 
Bologna, t. XVIIl, p. 515, 516 et 518. 

(2) Raynald, ann. 1307, n"" 14. 



r. 



t 



ACQUISITION DE FERRARE. 227 

Les Venitiens contemplaient avec surprise cette revolu- 
tion, qui leur enievait un si beau domaine. Places alors 
entre le sacrifice de leurs ambitieuses pretentions et une 
guerre avec Ffiglise, ils opt^rent pour la guerre, et en 
firent les preparatifs. Le bruit en arriva aux oreilles des 
internonces, qui ecrivirent au doge et au Senat une lettre 
pleine de moderation, dans laquelle ils priaient la Repu- 
blique de ne point troubler I'Eglise romaine dans sa legi- 
time possession. Cette lettre n ayant produit aucun effet, 
Tabbe de Tulle passa lui-meme a Venise pour essayer si 
des representations, faites de vive voix, auraient plus de 
succes; mais^les chefs de la Republique avaient souleve 
centre le Saint-Siege les passions de la multitude. L'en- 
voye pontifical est accueilli par une violente emeute : sa per- 
sonne, on Toutrage; sa vie mfime est menacee, et, bien loin 
detenir compte de ses reclamations, le Senat ordonne aux 
milices de la Republique, sous les ordres de Superanzio, 
if' de marcher sur Ferrare, muni d'un Equipage de siege. 
jji On n'etait niiUement prepare, dans cette ville, a une atta- 
ijf que si brusque. Aussi les Venitiens se rendirent-ils mai- 
ir. Ires, presque sans coup ferir, de la forteresse de Thebaldo, 
du faubourg de la ville, du pont qui unit les deux rives 
du Pd et du chateau qui les commando (1). 

Cette agression completait les insolences de la Republi- 
que. Toutefois le pape, auquel la rumeur publique Tapprit 
bientot, ne desespera point de ramener le Senat au senti- 
ment de requite. 11 ^crivit k ses nonces de tenter encore 
jfi la voie des avertissements, declarant que, si on restituait 
^ Ferrare, il etait pret a oublier le passe. Mais il leur ordoD- 
I Bait en meme temps de fulminer les censures ecclesiasti- 
loiii ques si, le terme de dix jours expire, la Republique n'a- 

(1) Raynald, ann. 1308, n° 15. 

I 



I 



p 



228 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, UV. HI. 

vait point fait droit aux justes reclamations du Saint- 
Siege (1). Les Venitiens ne laiss^rent pas k ee dernier 
monitoire le temps d'arriver jusqu a eux. Poursuivant ra- 
pidement ce qu'ils avaient commence , ils s'empar^rent 
du reste de Ferrare, Toccuperent militairement, Torgani- 
s^rent comme une de leurs possessions. Pousses a bout, 
les internonces s'armerent alors du glaive apostolique 
remis entre leurs mains, frapperent d'anath^me a la fois 
le doge, le Senat, les executeurs de leurs ordres, et jete- 
rent Tinterdit sur les terres de la Republique (2). 

C'^tait le moment ou Clement V arrivait a Avignon. U 
y trouva cette nouvelle, qui Tirrita au dernier point. Non 
content de confirmer les censures fulminees par ses non- 
ces, il voulut y ajouter la menace de chdtiments plus 
grands encore, si les Venitiens persistaient dans leur in- 
justice. On lit, dans les registres pontificaux, la buUe 
qu il publia dans cette occasion; elle est dat^e du Jeudi 
Saint 1509. Clement V, apres avoir montre dans une sorte 
de preambule que les Venitiens, en s'emparant de Far- 
rare, avaient viole les droits sacres du Saint-Siege aposto- 
lique ^tablis de temps immemorial sur cette ville, et fait 
un outrage sanglant a Ffiglise romaine, declare que, si k 
un temps fix6 les Venitiens ne se sont pas mis en devoir 
de m^riter leur pardon, il d^posera leur doge de sa di- 
gnity, livrera leurs biens a la confiscation, et armera cen- 
tre eux la vengeance de tons les princes chretiens (3). 

La publication de cette buUe fulminante produisit ce- 
pendant quelque impression sur les chefs de la Republi- 
que, et des deputes eurent ordre de se rendre a Avignon 
pour justitier, devant le pontife, la conduite de leur gou- 

(1) Raynald, ann. 1308, n° 16. 

(2) Id., ibid. 
(3)Id.,ann. 1509, n'6. 



ACQUISITION DE FERRARE. 229 

vernement. Mais, comme ils n'avaient aucun pouvoir de 
trailer, Clement V les chassa de sa presence sans vouloir 
les entendre, et declara les chefs de la Republique contu- 
maces (1). En consequence, mettant a execution les me- 
naces contenues dans sa derniere bulle, il ecrivit aux 
princes chretiens que les Venitiens s'etant faits les enne- 
mis de Tfiglise, ils devaient les regarder comme leurs 
propres ennemis, leur courir sus, les emprisonner et con- 
fisquer leurs biens. Le resultat, pour la Republique, de 
cette mise au ban des nations fut, en plusieurs endroits, 
la ruine de son commerce (2). 

Cependant, avant tout, il s'agissait de reprendre Fer- 
rare. Clement V, jugeant a cet effet Tautorite d'un legat 
necessaire, en revetit Arnaud de Pelagrue , cardinal de 
Sainte-Marie in Porticu, son neveu, homme de tete et de 
coeur. Ce prelat partit aussitot d' Avignon, et arriva, dans 
le mois de juin, a Bologne. II n'amenait avec lui aucune 
troupe, mais il avait Tordre de publier une croisade qui 
devait offrir a ceux qui y prendraient part les m^mes 
avantages spiriluels que les croisades contre les infidMes. 
Ce moyen lui procura, en peu de temps, une foule de 
hardis aventuriers qui accoururent de la Lombardie, de 
la Marche, de Verone, de la Romagne et de la Toscane, 
Florence, Bologne, le marquis Francesco, y joignirent 
leurs contingents (5), et le l^gat se trouva en etat d'attaquer 
ses ennemis. Uarmee pontificale vint se poster a Franco- 
lino, oik Francesco fit construire un pont destine a le ren- 
dre maitre des deux rives du P6. Les Venitiens, qui avaient 
sur ce fleuve un grand nombre de galeres armees, et au- 
lour deFerrare des forces de terre imposantes, assaillirent 

(1) Baluze, 1. 1, p. 32. 

(2) Raynald, ann. 1309, n° 7. 

(3) Muratori, Anna). dMtalia, anD. 1309. 



230 fflSTOIBE DE L\ PAPAUTE, UV. lU. 

le pont a la fois par eau et par terre. Gette double attaque 
edioua. L'armee de la Bepublique, vigoureusemeut ac- 
cueillie, ftit battue : une partie fut culbutee dans le Po, 
I'autre partie taitlee en pieces : le reste chercha son salut 
dans une fuite precipitee. Cette grande victoire fut rem- 
portee le 28 aoftt 1309 (1). La prise de Ferrare, du chli- 
teau de Thebaldo el Toccupation de tout le territoire ferra- 
rais en furent la consequence (2). 

L'ltalie entiere applaudit a ce succes des armes pontifi- 
cales. Elle vit avec joie Tambitieuse Venise refoulee dans 
ses lagunes, et, lorsque le cardinal de Pelagrue se pre- 
senta a Florence, il y fut re§u en triomphe. Le peuple se 
porta a sa rencontre , toutes les pompes religieuses et mi- 
litaires furent deployees, et la Republique lui fit un present 
de 2,000 florins d'or. Les Florentins s'etaient particuli^ 
rement distingues a la bataille de Francolino ; cette cir- 
constance ajoutant plus de prix encore a leurs hommages, 
le legat les releva solennellement des censures dont les 
avait frappes le cardinal Napoleon des Orsini (3). II ao- 
corda la meme faveur aux Bolonais. Ainsi se termina cette 
longue et funeste querelle du Saint-Siege avec les deux 
republiques de Florence et de Bologne. Nee de T explosion 
des factions blanche et noire, longtemps malheureuse 
pour Tautorite pontificale, elle finit a son avantage. Ces 
succes releverent un pen le courage de Clement V. 

II en avait besoin, car les procedures touchant la me- 
moire de Boniface VIII allaient commencer. En effet, pour 
obeir a la citation publico le 23 septembre a Avignon, 
dans laquelle les accusateurs de Boniface YIII etaient som- 

(1) Gronaca di Bologna, p. 519 et 520. 

(2) Baluze, 1. 1, p. 69. 

(5) Cronaca di Dino Compagni, 1. Ill, p. 550. — Giovanni Villani, I.TIII, 
c, cv. 



PROCEDURES CONTRE BONIFACE VIII. 231 

m^s de coiiiparaitre devant Sa Saintete, pour y eine 6CoU* 
tes dans leurs dij'es et requisitions, Guillaume de Nogaret, 
G«illa«ime Plasian> Pierre Gakrd > Pierre de Blanase et 
Alain dfe Lambale, ambassadeurs du roi, arriverent a Avi- 
gnon, D'un autre cote, Jacopode Mutina, Francesco, fils 
d^ Pietro Gaetani, Theobaldo, seigneur de Venozoni, che- 
valier d'Anagni, Crescenzio de Pagliano, Blaise de Pi- 
perno, Conrad de Spoleto, Jacopo de Sermineto, Thomasio 
de Murro, Gozio di Arimini, Baldred Bizeth, chanoine de 
Glascow, Nicolas de Verulis, et Fernand, chapelain du car- 
dinal de Sainte-Sabine, charges de souteriir la defense^ s'y 
trouv^rent aussi. Un accident grave survMu a Binaldo de 
Supine Fempecha d'y etre present. 

Les debats s'ouvrirent le 16 mars 1510, au milieu d'un 
grand consistoire que le pape avait convoque pour donner 
plus de solennite a T audience qu'il accordait aux deux 
partis. On y fit lecture de la citation; apresquoi Guillaume 
de Nogaret prononga un long discours justificatif des in- 
tentions du roi dans cette affaire. Les defenseurs, par Tor- 
gane de Jacopo de Mutina et de Baldred Bizeth, se conten- 
teretit de protester qu'ils n'entreprendraient la defense 
de Boniface VIII qu'autant que les accusateurs auraient le 
droit de poursuivre, et le tribunal celui de juger la me- 
moire de ce pontife. Clement V, prevoyant a ce debut que 
les debats seraient longs et compliques, nomma Berenger, 
ev^que de Tuslulum, et fitienne, cardinal du titre de Saint- 
Cyriaque in Termis, pour recueillir les actes qui contien- 
draient les raisonsdes parties, et les ajourna au 20 mars(l). 

Ce jour-la, les accufeat6«rs comiriuniquerent aux deux 
cardinaux commissaires la requete que Nogaret avait pre- 
sentee au roi le 12 mars 4302, pour demander la convo- 

(1) Preuves du differend, p. 368, 370 et 371 . 



252 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. III. 

cation d'un concile general (^), les actes d'appel a ce con- 
cile et les diverses procedures faites a Paris contre Boniface, 
du vivant meme de ce pontife (2). lis se plaignirent en- 
suite de la teneur aussi bien que de la notification de 
Tacte qui les citait a comparaitre, comme pen cohforme 
au droit; declarerent qu'ils le rejetaient (3), recuserent de 
plus huit cardinaux soupgonnes, par eux, d'etre trop fa- 
vorables a Boniface , et demanderent leur exclusion du 
consistoire (4). Dans la seance suivante, le 27 mars, ils 
requirent une pareille exclusion pour Baldred Bizeth et 
quelques autres des defenseurs, sous pretexte que ces per- 
sonnages leur etaient inconnus et avaient peu d'interet 
dans Taffaire (5). Mais Baldred Bizeth, prenant la parole 
au nom de ses collegues, r^cusa a son tour Guillaume de 
Nogaret et ceux qui se portaient pour accusateurs avec 

l"i (6). 

Ces questions prejudicielles furent le sujet presque uni- 
que des debats jusqu au 13 mai. Ce jour-la, le pape Tes 
resolut en disant que ceux-la seuls devaient etre admis au 
nombre des accusateurs et des defenseurs de Boniface YHI 
qui auraient donne, par ecrit, des motifs raisonnables, 

(1 ) Voir a la page 56 des Preuves du difiFerend. 

(2) Id., p. 572. 

(5) Baillet ( p. 286 ] , relatant cette plainte des accusateurs contre 
I'acle de citation, attribue cet acte a Boniface VIII. Pour prouver Ter- 
rcur de Baillet, il suffirait de dire que Boniface VIH n*a jamais public 
d'acte pareil; mais les accusateurs, dans leurs recriminations, desi- 
gnent, a n*en pouvoir douter, Facte comme roeuvre de Clement V, quand 
ils disent : Nee Sanctitas Vestra, salva vestri reverentia, eligere dehuit 
tarn injuriosum tamque periculosum modum citandi in tanta causa 
fidei *. Evidemment Baillet n'a pas lu les procedures. 

(4) Id., p. 575etseq. 

(5) Id., p. 588. 

(6) Id., p. 589. 

* Id., p. 376 



PROCEDURES CONTRE BONIFACE VIIL ^ 255 

legitimes et canpniques, de se porter pour tels, et qu'on 
ne devait en exclure que ceiix contre lesquels on aurait 
donne, par ecrit, des motifs raisonnables, legitimes et ca- 
noniques d' exclusion (1); cequi etaitmettre les deux par- 
tis d' accord, en leur refusant egalement ce qu'ils deman- 
daient. Comme il n'est plus fait mention des plaintes des 
accusateurs sur Facte de citation, ainsi que de la recusa- 
tion des huit cardinaux, il est permis de croire que ceux-ci 
s'etaient desistes sur ces deux points. 

Les seances ne furerit reprises que le 3 aoiit ; alors on 
en vint a la discussion. Les accusateurs s'efforcerent d*e- 
tablir la verite des nombreux griefs dont ils chargeaient 
la memoire de Boniface VIII. Plusieurs ^taient inouis, in- 
croyables, et se refutaient d'eux-me.mes (2). De leur cote, 
les defenseurs ne laisserent aucune inculpation sans re- 
ponse, et developperent ^niplement leurs moyens. Selon 
eux, le tribunal et les accusateurs, dans cette affaire, 
etaient egalement incompetents : le tribunal d'abord , 
parce que le pape ne pouvait etre juge par aucun de ses 
freres lorsquil etait accus^ d'heresie; Tfiglise univer- 
selle seule, representee par le concile general, avait le 
droit de connaitre d'une pareille charge; les accusateurs 
ensuite, parce qu ils etaient les ennemis les plus acharnes 
de Boniface VIII, et ceux meme que Ton avait vus figurer 
dans le sacrilege attentat d'Anagni. Ces raisons etaient 
pleines de force. Mais, quand les defenseurs aborderent 
la catastrophe d'Anagni, quand ils peignirent, avec le ton 
de I'indignation et de la douleur, les outrages, les yiolen- 
ces auxquels Boniface s' etait trouve en butte pendant trois 
jours, les scenes d'horreur dont le palais pontifical avait 



(i) Preuves du differend, p. 410. 
(2) Id., passim. 



^ 



224 mSTOlRE DE LA PAPAUTE, LIV. Ilf. 

par la sentence de VEglise elle-meme, comme heretique. 
II voulait un triomplie legal, certain qu'en Tobtenant il 
depouillerait la Papaute do re prestige qui etait un des 
appui> de sn : uprdm lie tenipo^^eiie. D. illeiirs, la con- 
darpn;^:ion r!e ]):/iir ce YUI ei'il 1 nniqne moyen qui lui 
resiat de len-i— -r ] tic: I'^t ^l-ni 1 iinporiuu 'ouvenir agi- 
tait sa cor/ cic :ce, e.i qi'o ii justice du temn^ devnit venger 
tot ou irru sur sr. n.enioire. 

Clemerii V sa^aJr toiu cc'z ?ins doute, mais il n'etait 
pas en : en pou^oir d eviter les procedure demandees par 
le roi. Ce fut au mois de seplembre 1 i'^''0 quil re decida a 
pubi^.e? h bu'le qui de r^: L ::t couter a son ccEiir. Apres 
y avoir roppele toules les rcllic't tion^ que Philippe le Bel 
lui av::t core: eej r diverce- epr quel, soiJ a Lyon, soita 
Poitiern, de proceder conlre Bonif^ice VIII, prevenu du 
crime d'heresie, il declarait qu il etait enfin resolu de 
fixer au premier jour juridique, second dimanche de ca- 
rfimedeUannee 1310, I'audience solennelle ou les accu- 
sateurs devraient s'explique^; vcn qu'il crut Boniface VIII 
entache du crime precite, lui issu de parents orthodoxes, 
ne dans un pays catholique, eleve au milieu de la cour 
romaine et a I'ombre du Saint-Siege apostolique, mais 
parce que, le crime d heresie elmtde tous le plus grave, 
le plus odieux qui pui::e rouiller Thomme, il devenait 
urgent d'en decharger la memcire d'un pape (1). Ainsi, 
Clement V dequi 9it sous la nece ite de repousser une 
odieuse caiomnie la C9j:iu\iUite reelle a laquelle il cedait. 
Le tour eiiiit hnbile, imk il ne h'^ - rat pas que de trahir 
les repugnances et les anxietus pontificales. 

La destinee de Clement V avait cela de singulier, que 
quelque chose d'heureux se melait toujours a ses epreuves. 

(4) Bulle : Redemplor nosier, Preuves du differend. p. 368. 



ACQUISITION DE FERRARE. 225 

Dans le temps que la tyrannic de Philippe le Bel mortifiait 
en France son autorite, en Italie, au contraire, des ev^ne- 
ments, quid'abordTavaient compromise, finissaient, pour 
elle, de la manifere la plus glorieuse. ^intelligence des 
faits exige que nous reprenions les choses de plus haut. 
Le marquis de Ferrare, Azzo VIII, etait mort pendant 
Fannee 1307, laissant heritier de ses Etats un fils na- 
turel nomme Frisco, au prejudice des membres legitimes 
de sa famille, et notamment de Francesco, son fr^re, sei- 
gneur de Reggio. Avec Taide des Bolonais, Frisco se mit 
d'abord en possession de Ferrare, malgre Topposition des 
habitants, humilies de devenir les sujets d'un prince adul- 
terin. Mais, en meme temps, le marquis Francesco s'em- 
parait d'Este, de Rovigo et d'autres villes. C'^tait une 
guerre de succession qui commengait, et Ton ne sait trop 
quelle en aurait ete Tissue, car les forces des deux pre- 
tendants etaient a pen pres ^gales. Tons deux le sentaient 
et cherchaient des appuis etrangers. En cela, Francesco 
fut le plus heureux. II se ressouvint que le Saint-Siege 
avait des droits anciens de suzerainet^ sur la ville et le 
marquisat de Ferrare, et il pensa que tout serait gagn^ 
pour sa cause s'il parvenait a y interesser le pape. Dans 
cette intention, Francesco passa les monts. Clement V resi- 
dait a Poitiers ; il y courut. La, apres avoir rappele au sou- 
verain pontife ses droits incontestables sur la ville et le 
marquisat de Ferrare, il le supplia de joindre ses efforts 
aux siens pour arracher ces fiefs des mains de Frisco. 
Clement V accueillit avec joie la proposition de Francesco, 
et envoya sur-le-champ des commissaires avec un corps de 
troupes pour revendiquer sa propriete. Les Ferrarais n'en 
eurent pas plutot re§u la nouvelle qu'ils se souleverent 
centre Frisco et Texpuls^rent de leurs murs. Celui-ci, oblig^ 
de ceder a Forage, et trop faible pour lutter centre le pape 

15 



2i0 HISTQIRE DE LA PAPAUTB, LIV. III. 

el Fraoeesoa reunis, traverse les Lagunes et yfa offrir ji 
yemse la souverainete de ses fitats, movennant une redc- 
vanoe. L'offre est acoeptee par le S^nai et ratifi^ parun 
traite. Peui^tre une par^lle traQsaction avait-elle ^te sol- 
licit^ sous main; ear Yenise, depuis que son paviHon 
r^gnait dans FAdriatique, jetait d'ambitieux regards shf 
la Peninsule, a laquelle sa politique etait encore ^trang^re 
et 01^ elle bril^Iait de poser le pied (4 ) • 

Evidemment, les droits de TEglise romaine ^laient vio^ 
16s. Clement V crut devoir les soutenir avec energie, 
et il exp^dia d'abord aux Ferrarais une buUe ou il leur 
pepreseatait vivement le danger de recourir a une pro- 
tection etrangere, et la necessite pour eux de remettre au 
plus tdt leurs int^rSts ratre tes mains de r£glise, seule 
capable de garantir leur liberte et de ram^ier au milieu 
d'eux la paix et la prosperite {'2). Deux internonces apocf- 
toliques suivirent de pr^s Fexpedition de cette buUe. C'^ 
teient Arnaud, abbe de Tulle, et Onupbre, doyen de Te- 
glise de Meaux. Leur mission 6tait de recevoir Tob^issanee 
des Ferrarais a FEglise romaine, de dissoudre toute asso 
ciation contraire au bien public, de repousser lout joug 
etranger, et de briser toute tyrannic qui aurail pris la 
place de Tautorite legitime de FEglise. 

Les habitants de Ferrare accueillirei^t avec joie les en- 
voyes pontificaux, pet^rent, entre leurs mains, sermeiil 
de fid^ite au Sainfe-Siege apostolique, leur remirent les 
clefs de la vilie, vouhirent qu'ils nomraassent eux-memes 
les magislrats, que ta justice fdt rendue au nom de Ytr 
glisQ, eafift que sesgarnisons occupassent leurs forteresses. 

(i) DiQoCompiagiii^ Gronaca, t. IX, 1. Ill, p. 550.— Etbtoria Gortusioroifty 
t. %[, 1. 1, c. IX et X. — Ghronicon Esteose, t. XV, p* 365.. — CroMCa di 
Bologna, t. XVIII, p. 515, 516 et 518. 

(2) Raynald, ann. 1307, n"" 14. 



ACQUISITION DE FERRAnE. 227 

Les Venitiens contemplaient avec surprise cette revolu- 
tion, qui leur enievait un si beau domaine. Places alors 
entre le sacrifice de leurs ambitieuses pretentions et une 
guerre avec TlSglise, ils opterent pour la guerre, et en 
firent les preparatifs. Le bruit en arriva aux oreilles des 
internonces, qui ecrivirent au doge et au Senat une lettre 
pleine de moderation, dans laquelle ils priaient la Repu- 
blique de ne point troubler I'Eglise romaine dans sa legi- 
time possession. Cette lettre n'ayant produit aucun effet, 
I'abbe de Tulle passa lui-m^me a Venise pour essayer si 
des representations, faites de vive voix, auraient plus de 
succes; mais les chefs de la Republique avaient soulev^ 
centre le Saint-Siege les passions de la multitude. L'en- 
voye pontifical est accueilli par une violente emeute : sa per- 
sonne, on Toutrage; sa vie meme est menacee, et, bien loin 
de tenir compte de ses reclamations, le Senat ordonne aux 
milices de la Republique, sous les ordres de Superanzio, 
de marcher sur Ferrare, muni d'un equipage de siege. 
On n'etait niiUement prepare, dans cette ville, a une atta- 
que si brusque. Aussi les Venitiens se rendirent-ils mai- 
tres, presque sans coup ferir, de la forteresse de Thebaldo, 
du faubourg de la ville, du pont qui unit les deux rives 
du Pd et du chateau qui les commando (1). 

Cette agression compietait les insolences de la Republi- 
que. Toutefois le pape, auquel la rumour publique Tapprit 
bientot, ne desespera point de ramener le Senat au senti- 
ment de requite. II ecrivit a ses nonces de tenter encore 
la voie des avertissements, declarant que, si on restituait 
Ferrare, il etait pr^t a oublier le passe. Mais il leur ordoi^ 
nait en mSme temps de fulminer les censures ecciesiasti- 
ques si, le terme de dix jours expire, la Republique n'a- 

(1) Raynald, ann. 1308, n° 15. 



228 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, UV. III. 

vait point fait droit aux justes reclamations du Saint- 
Siege (1). Les Venitiens ne laiss^rent pas k ce dernier 
monitoire le temps d'arriver jusqu'a eux. Poursuivant ra- 
pidement ce qu'ils avaient commence, ils s'emparferent 
du reste de Ferrare, Toccuperent militairement, Torgani- 
serent comme une de leurs possessions. Pousses a bout, 
les internonces s'armferent alors du glaive apostolique 
remis entre leurs mains, frapperent d'anathfeme a la fois 
le doge, le Senat, les executeurs de leurs ordres, et jele- 
rent Finterdit sur les terres de la R^publique (2). 

C'^tait le moment ou Clement V arrivait a Avignon. 11 
y trouva cette nouvelle, qui Tirrita au dernier point. Non 
content de confirmer les censures fulminees par ses non- 
ces, il voulut y ajouter la menace de chdtiments plus 
grands encore, si les Venitiens persistaient dans leur in- 
justice. On lit, dans les registres pontificaux, la buUe 
qu'il publia dans cette occasion; elle est datee du Jeudi 
Saint 1509. Clement V, apres avoir montr^ dans une sorte 
de preambule que les Venitiens, en s'emparant de Fer- 
rare, avaient viole les droits sacr^s du Saint-Siege aposto- 
lique ^tablis de temps immemorial sur cette ville, et fait 
un outrage sanglant a I'Eglise romaine, declare que, si a 
un temps fixe les Venitiens ne se sont pas mis en devoir 
de m^riter leur pardon, il deposera leur doge de sa di- 
gnity, livrera leurs biens a la confiscation, et armera cen- 
tre eux la vengeance de tons les princes chr^tiens (3). 

La publication de cette buUe fulminante produisit De- 
pendant quelque impression sur les chefs de la Republi- 
que, et des deputes eurent ordre de se rendre a Avignon 
pour justifier, devant le pontife, la conduite de leur gou- 

(1) Raynald, ann. 1308, n"* 16. 

(2) Id., ibid. 
(5)Id.,ann. 1509, n°6. 



ACQUISITION DE FERBARE. 229 

vernement. Mais, comme ils n'avaient aucun pouvoir de 
trailer, Clement V les chassa de sa presence sans vouloir 
les entendre, et declara les chefs de la Republique contu- 
maces (1). En consequence, mettant a execution les me- 
naces contenues dans sa derniere buUe, il ecrivit aux 
princes chretiens que les Venitiens s'etant faits les enne- 
mis de Tfiglise, ils devaient les regarder comme leurs 
propres ennemis, leur courir sus, les emprisonner et con- 
fisquer leurs biens. Le resultat, pour la Republique, de 
cette mise au ban des nations fut, en plusieurs endroits, 
la ruine de son commerce (2). 

Cependant, avant tout, il s'agissait de reprendre Fer- 
rare. Clement V, jugeant a cet effet Tautorite d'un legat 
necessaire, en revetit Arnaud de Pelagrue , cardinal de 
Sainte-Marie in Porticu, son neveu, homme de tete et de 
coeur. Ce prelat partit aussitot d'Avignon, et arriva, dans 
le mois de juin, a Bologne. II n'amenait ayec lui aucune 
troupe, mais il avait Tordre de publier une croisade qui 
devait offrir a ceux qui y prendraient part les m^mes 
avantages spirituels que les croisades contre les infideles. 
Ce moyen lui procura, en peii de temps, une foule de 
hardis aventuriers qui accoururent de la Lombardie, de 
la Marche, de Verone, de la Romagne et de la Toscane. 
Florence, Bologne, le marquis Francesco, y joignirent 
leurs contingents (5), et le legat se trouva en etat d'attaquer 
ses ennemis. L'armee pontificale vint se poster a Franco- 
lino, ou Francesco fit construire un pont destine a le ren- 
dre maitre des deux rives du P6. Les Venitiens, qui avaient 
sur ce fleuve un grand nombre de galeres armees, et au- 
lour deFerrare des forces de terreimposantes, assaillirent 

(1) Baluze, 1. 1, p. 52. 

(2) Raynald, ann. 1509, n<>7. 

(5) Muratori, Aunal. d*Ilalia, ann. 1509. 



224 flISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. IIF. 

par la sentence de I'Eglise elle-meme, comme heretique. 
II voulait un triomphe legal, certain qu en Tobtenant il 
depouillerait la Papaute de ce prestige qui etait un des 
appui^ de sa puprem tie tempo^^elle. D'cilleurs, la con- 
damnoiion de ik/]'f'ce YIII elll 1 unique moyen qui lui 
restat de legili^^er ] Itert'^t dont limportun leouyenir agi- 
tait sa conrcience, el que i'. jurtice du temps devait venger 
tot ou tard sur sa niemoire. 

Clemenl V sa^aii tout ceh. sins doute, mais il n'etait 
pas en r>on pou>'oir d eyiter les procedures demandees par 
le roi. Ce fut au mois de septembre 1 7\09 qu'il se decide a 
pubiier la buile qui de" rii t:::! couter a son coeur. Apres 
y avoir rappele toules les sollicit lions que Philippe le Bel 
lui avcit adre^ceei a diverscs epoques, soil a Lyon, soita 
Poitiers, de proceder contre Boniface VIII, prevenu du 
crime d'heresie, il declarait qu'il etait enfm resolu de 
fixer au premier jour juridique, second dimanche de ca- 
remedeTannee 1310, Taudience solennelle ou les accu- 
sateurs devraient s'expliquej'; non qu'il crut Boniface VIII 
entache du crime precite, lui issu de parents orthodoxes, 
ne dans un pays catholique, eleve au milieu de la cour 
romaine' et a I'ombre du Saint-Siege apostolique, mais 
parce que, le crime d'heresie et:^ntde tons le plus grave, 
le plus odieux qui puisse souiller Fhomme, il devenait 
urgent d'en decharger la memoire d'un pape (1). Ainsi, 
Clement V degui-ait sous la necer ite de repousser une 
odieuse calomnie la consrainte reelle a laquelle il cedait. 
Le tour etait habile, mais il ne lai- ait pas que de trahir 
les repugnances et les anxietos pontificales. 

La destinee de Clement V avait cda de singulier, que 
quelque chose d'heureux se melait toujours a ses epreuves. 

(i) BuUe : Redemptor noster, Prouves du differend, p. 568. 



ACQUISITION DE FERRARE. 225 

Dans le temps que la tyrannie de Philippe le Bel mortifiait 
en France son autorite, en Italie, au contraire, des ev^ne- 
ments, qui d'abordTavaient compromise, fmissaient, pour 
elle, de la maniere la plus, glorieuse. ^intelligence des 
faits exige que nous reprenions les choses de plus haut. 
Le marquis de Ferrare, Azzo VIII, etait mort pendant 
Tannee 1307, laissant heritier de ses fitats un fils na- 
turel nomme Frisco, au prejudice des membres legitimes 
de sa famille, et notamment de Francesco, son fr^re, sei- 
gneur de Reggio. Avec Taide des Bolonais, Frisco semit 
d'abord en possession de Ferrare, malgre Fopposition des 
habitants, humilies de devenir les sujets d'un prince adul- 
terin. Mais, en meme temps, le marquis Francesco s'em- 
parait d'Este, de Rovigo et d'autres villes. G'etait une 
guerre de succession qui commengait, et Ton ne sait trop 
quelle en aurait ete Tissue, car les forces des deux pre- 
tendants etaient a pen pres ^gales. Tons deux le sentaient 
et cherchaient des appuis etrangers. En cela, Francesco 
fut le plus heureux. II se ressouvint que le Saint-Si^ge 
avait des droits anciens de suzerainet6 sur la ville et le 
marquisat de Ferrare, et il pensa que tout serait gagn^ 
pour sa cause s'il parvenait a y interesser le pape. Dans 
cette intention, Francesco passa les monts. Clement V resi- 
dait a Poitiers ; il y courut. La, apres avoir rappele au sou- 
verain pontife ses droits incontestables sur la ville et le 
marquisat de Ferrare, il le supplia de joindre ses efforts 
aux siens pour arracher ces fiefs des mains de Frisco. 
Clement V accueillit avec joie la proposition de Francesco, 
et envoya sur-le-champ des commissaires avec un corps de 
troupes pour revendiquer sa propriete. Les Ferrarais n'en 
eurent pas plutot re§u la nouvelle qu'ils se souleverent 
centre Frisco et Texpulsferent de leurs murs. Celui-ci, oblig^ 
de ceder a Forage, et trop faible pour lutter centre le pape 

15 



i20 HISTOIRE DE LA PAPAUTB, LIV. III. 

el Franeesoa reunis, traver&e les Lagunes rt ^a offrir h 
Yen^ise la souverainete de ses fitats, moofennant une red^ 
vanoe. L'ofTre est acceptee par le Senai et ratifi^ par uo 
traite. Peut-Mre une pareille iFansaction avait-elle ^te sol- 
licitee sous main; car Veoise, depuis que son pavilion 
r^gnait dans rAdriatique, jetait d'ambitieux regards snr 
la Peninsule, a laquelle sa politique etait encore etrangere 
el ou elle brulait de poser le pied (4 ) . 

Evidemment, les droits de TEglise romaine ^taient vio- 
las, Clement V crut devoir les soutenir avec energie, 
et il expedia d'abord aux Ferrarais une buUe ou il leur 
nepresentait vivement le danger de recourir a une pro- 
tection Etrangere, et la necessite pour eux de remettre au 
plus tdt leurs interets ^tre les mains de T^glise, seule 
capable de garantir leur liberte et de ramener au milieu 
d'eux la paix et la prosperite ('2). Deux internonces sqpos- 
toliques suivirent de pres T expedition de cette bulle. C'^ 
taieftt Arnaud, abbe de Tulle, et Onuphre, doyen de Te- 
glise de Meaux. Leur mission ^tait de recevoir Tobeissanee 
des Ferrarais a FEglise romaine, de dissoudre toute asso 
ciation contraire au bien public, de repousser tout joug 
etranger, et de briser toute tyrannie qui aurail pris la 
place de Tautorit^ legitime de f Eglise. 

Les habitants de Ferrare accweillireut avec joie les en- 
voyes pontificaux, peterent, entre leurs mains, sermwii 
de fid^ite au Sainl-Siege apostolique, leur remirent les 
clefs de la viBe, v^uhirent qu'ils nommassent eux-memes 
les n»agistrats, que la justice (tA rendue au nom de r£- 
glisQ, eafin que sesgarnisons occupassent leurs forteresses. 

(1) Dii¥)Comp9gixi> Gronaqa, t. IX, 1. Ill, p. 530.— QUtoria Gortusiorusii 
t. X[ , 1. 1, c. IX et X. — Chronicon Esteuse , t. XV, p- SOi?. — CronaoA di 
Bologna, t. XVIII, p. 315, 316 et 318. 

(2) Raynald, ann. 1307, n** 14. 






ACQUISITION DE FERRARE. 227 

Les Venitiens contemplaient avec surprise cette revolu- 
tion, qui leur eiUevait un si beau domaine. Places alors 
entre le sacrifice de leurs ambitieuses pretentions et une 
guerre avec Tfiglise, ils opterent pour la guerre, et en 
firent les preparatifs. Le bruit en arriva aux oreilles des 
internonces, qui ecrivirent au doge et au Senat une lettre 
pleine de moderation, dans laquelle ils priaient la Repu- 
blique de ne point troubler I'Eglise romaine dans sa legi- 
time possession. Cette lettre n'ayant produit aucun effet, 
Tahbe de Tulle passa lui-meme a Venise pour essayer si 
des representations, faites de vive voix, auraient plus de 
succes; maisjes chefs de la Republique avaient souleve 
contre le Saint-Siege les passions de la multitude* L'en- 
voy^ pontifical est accueilli par une violente emeute : sa per- 
sonne, on Toutrage; sa vie meme est menacee, et, bien loin 
de tenir compte de ses reclamations, le Senat ordonne aux 
milices de la Republique, sous les ordres de Superanzio, 
de marcher sur Ferrare, muni d'un Equipage de siege. 
On n'etait niillement prepare, dans cette ville, a une atta- 
que si brusque. Aussi les Venitiens se rendirent-ils mai- 
tres, presque sans coup ferir, de la forteresse de Thebaldo, 
du faubourg de la ville, du pont qui unit les deux rives 
du P6 et du chateau qui les commande (1). 

Cette agression completait les insolences de la Republi- 
que. Toutefois le pape, auquel la rumeur publique Tapprit 
bientot, ne desespera point de ramener le Senat au senti- 
ment de Tequite. II ^crivit a ses nonces de tenter encore 
la voie des avertissements, declarant que, si on restituait 
Ferrare, il etait pr6t a oublier le passe. Mais il leur ordoB^ 
nait en meme temps de fulminer les censures ecclesiasti- 
ques si, le terme de dix jours expire, la Republique n'a- 

(1) Raynald, ann. 1508, n^'IS. 



228 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, UV. III. 

vait point fait droit aux justes reclamations du Saint- 
Siege (1). Les Venitiens ne laisserent pas a ce dernier 
monitoire le temps d'arriver jusqu a eux. Poursuivant ra- 
pidement ce qu'ils avaient commence, ils s'emparferent 
du reste de Ferrare, Toccuperent militairement, Torgani- 
sferent comme une de leurs possessions. Pousses a bout, 
les internonces s'armerent alors du glaive apostolique 
remis entre leurs mains, frapperent d'anatheme a la fois 
le doge, le S^nat, les ex^cuteurs de leurs ordres, et jete- 
rent I'interdit sur les terres de la R^publique (2). 

C'^tait le moment ou Clement V arrivait a Avignon. 11 
y trouva cette nouvelle, qui Tirrita au dernier point. Non 
content de confirmer les censures fulminees par ses non- 
ces, il voulut y ajouter la menace de chatiments plus 
grands encore, si les Venitiens persistaient dans leur in- 
justice. On lit, dans les registres pontificaux, la buUe 
qu'il publia dans cette occasion; elle est datee du Jeudi 
Saint 1509. Clement V, apres avoir montre dans une sorte 
de preambule que les Venitiens, en s'emparant de Fer- 
rare, avaient viole les droits sacres du Saint-Siege aposto- 
lique etablis de temps immemorial sur cette ville, et fait 
un outrage sanglant a Tfiglise romaine, declare que, si a 
un temps fixe les Venitiens ne se sont pas mis en devoir 
de meriter leur pardon, il deposera leur doge de sa di- 
gnity, livrera leurs biens a la confiscation, et armera cen- 
tre eux la vengeance de tons les princes Chretiens (3). 

La publication de cette buUe fulminante produisit ce- 
pendant quelque impression sur les chefs de la Republi- 
que, et des deputes eurent ordre de se rendre a Avignon 
pour justitier, devant le pontife, la conduite de leur gou- 

(1) Raynald, ann. 1308, nM 6. 

(2) Id., ibid. 
(3)Id.,ann. 1309, n'^e. 



ACQUISITION DE FERRARE. 220 

vernement. Mais, comme ils n'avaient aucun pouvoir de 
trailer, Clement V les chassa de sa presence sans vouloir 
les entendre, et declara les chefs de la Republique contu- 
maces (1). En consequence, mettant a execution les me- 
naces contenues dans sa derniere buUe, il ecrivit aux 
princes chretiens que les Venitiens s'etant faits les enne- 
mis de TEglise, ils devaient les regarder comme leurs 
propres ennemis, leur courir sus, les emprisonner et con- 
fisquer leurs biens. Le resultat, pour la Republique, de 
cette mise au ban des nations fut, en plusieurs endroits, 
la mine de son commerce (2) . 

Cependant, avant tout, il s'agissait de reprendre Fer- 
rare. Clement V, jugeant a cet effet Tautorite d'un legat 
necessaire, en revetit Arnaud de Pelagrue , cardinal de 
Sainte-Marie in Porticu, son neveu, homme de tete et de 
ccEur. Ce prelat partit aussitot d'Avignon, et arriva, dans 
le mois de juin, a Bologne. II n'amenait avec lui aucune 
troupe, mais il avait I'ordre de publier une croisade qui 
devait offrir a ceux qui y prendraient part les m^mes 
avantages spirituels que les croisades contre les infideles. 
Ce moyen lui procura, en peii de temps, une foule de 
hardis aventuriers qui accoururent de la Lombardie, de 
la Marche, de Yerone, de la Romagne et de la Toscane. 
Florence, Bologne, le marquis Francesco, y joignirent 
leurs contingents (5), et le legat se trouva en etat d'attaquer 
ses ennemis. L'armee pontificale vint se poster a Franco- 
lino, oil Francesco fit construire un pont destin^ a le ren- 
dre maitre des deux rives du Po. Les Venitiens, qui avaient 
sur ce fleuve un grand nombre de galeres armee^, et au- 
lour de Ferrare des forces de terre imposantes, assaillirent 

(i) Baluze, 1. 1, p. 52. 

(2) Raynald, ann. 1509, n<»7. 

(5) Muratori, Annal. dMtalia, ann. 1509. 



246 HISTOIBE DE LA PAPAUT^, UV. IV. 

Gornouailles, faisant le triste recit de la bataille de Gaza, 
si d^sastreuse pour les Chretiens, imputait a la mauvaise 
conduite des Templiers la funeste issue de cette journee. 
Bien plus, il les accusait d'une moUesse orientale, leur 
reprochait de recevoir, dans le secret de leurs maisons, 
les princes musulnians, et la, de permettre qu'ils exergas- 
sent leur culte superstitieux, invoquassent le nom odieux 
du prophete , et se livrassent k toutes les voluptes du 
siecle (1). On sait, d'ailleurs, quils n avaient pas craint 
plusieurs fois de manifester une honteuse avarice lorsque 
la religion leur demandait quelques sacrifices pecu- 
niaires (2) . 

Ces faits et beaucoup d'autres avaient nui a la consi- 
deration de Fordre des les temps les plus florissants de sa 
carriere. Cependant, tant que dura, en Palestine, la grande 
lutte des chretiens avec les musulmans, les nombreux ex- 
ploits des chevaliers du Temple, les services ^clatants qu'ils 
rendaient a la cause de la religion, empechaient qu on ne 
s'arretat trop sur les accusations auxquelles leur conduite 
privee pouvait donner lieu. Mais, lorsque la chute de Pto- 
lemais, en fermant le th^litre de leur gloire, les eut ren- 



(i) Templariorum superba religio et Aborigenarum terrae baronum deli- 
ciis educata... nobis... constitit evidenter^ infra claustra domorum TempU 
soldanos et suos alacritate pomposa receptos, superstitiones suas cum in- 
vocatione Mahometi et luxus seculares facere Templarii paterentur. (Ep. 
Fredericii II, Dupuy, p. 152.) 

(2) On pent voir les temoignages des historlens contemporains cites dans 
Gurtler, passim. 

Comment M. Raynouard, p. 15, a-t-il pu dire que les ecrivains modernes 
qui ont hasarde I'opinion que I'ordre des Templiers avait alors degenere 
ne se sont autorises d'aucun temoignage contemporain? 

M. Fr. Hurler, dans le Tableau des instilu lions chretiennes au moyen 
^ge, traduction fran^aise, t. Ill, p. 145 et suiv., tout en cherchant a atle- 
nuer les griefs d6 Topinion publique conlre les Templiers, ne uie pas que 
leur degeneration ne datdt de loin. 



■ 



PB0CE8 DBS TEMPLIERS. 247 

dQS a i'existence paisible du couvent, Topimon publique, 
que n'entretenait plus le recit de leurs faits d'armes, se 
replia sur les bruits desavantageui que la renommee de- 
bitait sur leur compte, et qu'alors la vie superbe et mon- 
daine des premiers de I'ordre ne justifiait que trop. Ges 
bruits, il faut le presumer, circulerent d'abord timide- 
ment, on ne les accueillait qu'avec scrupule, on n'osait les 
approfondir. La reputation des Templiers, le rang qu'ils 
occupaient dans la chretiente, I'estime dont TEglise les 
honorait publiquement, la puissance de ces chevaliers, 
qui se recrutaient de la noblesse la plus haute de I'Eu- 
rope, devaient rendre Topinion publique circonspecte k 
leur egard. Mais ces bruits allaient toujours se fortijSant 
de plus en plus, et, au commencement du quatorzi&me 
siecle, personne ne doutait plus que I'ordre du Temple 
n'eAt perdu sa ferveur premiere, et une bonne pailie de 
sa dignite morale. Toutefois on etait loin de connaitre, de 
soupQonner m^me qu'il se rendit coupable d'erreurs plus 
grandes que cette mondanite dont la conduite de ses 
membres les plus eminents se montrait entachee. II est 
probable qu'il aurait subsiste longtemps encore dans ce 
relacbement, s'il netA arm^ centre lui le plus terrible des 
adversaires, Philippe le BeL 

Au plus fort du dem^le de ce souverain avec Boni- 
face Vin, lorsque le clerg^, les grands, le peuple de 
France, secondaient si honteusement les passions de leur 
chef, lorsque les princes de FEuropc se taisaient en face 
de ce grand duel du pouvoir spirituel et du pouvoir tem- 
porel, les Templiers s'etaient crus assez forts et assez in* 
dependants pour se declarer ouvertement en favour du 
pape centre le monarque superbe. On ajoute qu'ils lui 
avaient meme fourni de Targent; que Tun d'eux, qui etait 
Iresorier de Fepargne, avait avance au pontifci de sa 



248 HISTOIRE BE LA PAPAUTE, LIV. IV. 

caisse, une $omme assez considerable. Dans les circan- 
stances presentes, c'etait blesservivement le roi; et pour- 
tant les Terapliers ne s'en etaient pas tenus la* Benoit XI 
ayant accorde au roi une decime sur les biens de Fordre, 
ils avaient refuse de payer malgre la buUe du pape, et 
le monarque s'etait vu dans la necessite de les y conn 
traindre (1). 

Cependant, il est probable que Philippe le Bel n avait 
pas rintention de donner suite au ressentiment que la 
conduite des chevaliers lui avait inspire, qu il tenait meme 
a faire oublier ses recentes rigueurs, car nous trouvons 
dans le Tresor des chartes, a la date de I'annee A 304, une 
lettre remplie de pompeux eloges sur Tordre du Temple, 
et de nombreux privileges que la munificence royale lui 
accordait (2) . Philippe le Bel avait sans doute alors besoin 
des Templiers. Mais, Fannee suivante, un ev^nement im- 
prevu vint tout a coup rechauffer les premiers griefs et 
leur donner une nouvelle vie. En 1305, une emeute, ex- 
citee a Foccasion de Falteration des monnaies, forga le 
roi de chercher un asile dans le palais du Temple. Or, 
il put alors se convaincre, par F attestation de deux Tem- 
pliers, et ensuite par Fheureux et prompt succfes des che- 
valiers a calmer F effervescence populaire, que Fordre 
n'etait point etranger a cette insurrection. Profondement 
irrite par cette ddcouverte, Philippe le Bel con^ut le projet 
d'humilier les Templiers (3). Le hasard lui fournit tout k 
coup Foccasion de les aneantir, et voici comment. 

Un certain Squin de Florian, bourgeois de Beziers, 
fut renferme, par les officiers du roi de France, dans une 

(4) Hist, de Tabolition de Tordre des Templiers » Paris, 1779, in*12, 
p. 9 et iO. 
(2) Raynouard, p. 14. 
\5) Hist, de l*abolition, p. 14 et 15. 



PROGES DES TEMPLIERS. 249 

prison d'fitat du diocese de Toulouse. II y renconlra un 
Templier que ses crimes y avaient conduit. Ces deux mi* 
serables, ne comptant plus vivre longtemps, se firent re- 
ciproquement leur confession. Or, le Templier revela a 
son compagnon d'infortune que, lors de son entree en re^ 
ligion, il s'etait souille d'un grand nombre d'erreurs 
concernant Dieu, le salut de son ame et la foi catholique ; 
erreurs qu'il avait renouvelees a plusieurs reprises depuis 
sa profession. Puis il raconta ces erreurs dans leur ordre 
et detail. Ces aveux, qui chargeaient une congregation 
pour laquelle Faversion du roi s'etait fait connaitre, pa^ 
rurent comme une bonne fortune a Squin, et il resolut 
d'en profiler pour obtenir sa mise en liberte. 

Le lendemain, il fit avertir le commandant d'un autre 
fort royal de se rendre dans la prison, et lui declara que, 
si on voulait le mener au roi de France, il ferait des 
revelations d'une importance telle, qu elles equivaudraient 
pour ce monarque a Tacquisition d'un royaume. Toute 
tentative pour obligor le prisonnier a mettre une autre 
personne que le roi dans la confidence du secret qu'il an- 
nongait fut inutile. L'officier en ecrivit done a Philippe 
le Bel, qui donna sur-le-charap Tordre de lui envoyer 
Squin sous bonne garde. La vie et la liberte devaient 
etre la recompense de ses revelations, si elles etaient 
conformes a la verite Squin arriva devant le roi, et lui 
raconta toutes les abominations qu'il avait recueillies de 
la bouche de son compagnon (i). 

Si prevenu qu'il fut centre Tordre du Temple, Pbilippe 
le Bel eut d'abord peine a croire k la deposition de Squin ; 
mais elle servait trop bien son ressentiment pour qu il 
ne resoliit pas de Tapprofondir. II fit aussitot saisir quel- 

• 

(1) Baluze, 1. 1, p. 99 et 100. 



tSO HISTOIRB DE LA PAPAUTE, LIV. IV. 

ques chevaliers suspects, et donna ordre de les confronter 
avecSquin (1). A la grande surprise du roi, les deposi- 
tions de ces prisonniers offrirent une affreuse conformite 
avec les revelations de Squin. II ne douta plus alors que 
Tordre entier du Temple ne Mt livre a une corruption 
secrete et inouie, et il resolut de travailler activement a 
son abolition. 

Tout porte a croire que ces faits ^taient accomplis avani 
la fin de Tannee 1305. Des ce moment, les Templiers du- 
rent trembler pour Tavenir. Cependant, pour arriver a 
leur destruction, il y avait plus d*un obstacle a surmon- 
ter. La condition merae des Templiers en etait un grand. 
Ces chevaliers, par leurs voeux, leur constitution, appar* 
tenaient a la religion, etaient affranchis de la juridiction 
laique, et ne relevaient quede Tfiglise. Pour les attaquer, 
le concours du souverain pontife devenait necessaire, et 
la difficulte etait de Tobtenir. Les premieres ouvertures 
que Philippe le Bel en fit h Clement V, par ses ofBciers, 
avant son couronnement, et par lui-m6me, a Lyon, lors 
de ce couronnement, ne lui donnerent pas de grandes es- 
perances. Ce pape ne put ajouter foi aux accusations 
inouies dont on chargeait les Templiers. 11 les rejeta dV 

(1) Villani donne aux personnages qui revelerent au roi les crimes des 
Templiers les noms de Prieur de Montfaucon , dans le Toulousain , et de 
Noffodei. Mais, d*un cote, on prouve que ce Prieur de Montfaucon n'est 
qu*un personnage suppose, vu qu*il n*y a dans le Toulousain aucun endroit 
ni commanderie du nom de Montfaucon ; d'un autre cdte , il n'est pas slur 
que Noffodei ait ete Templier : en sorte que le recit de Villani n'est que 
d'une faible valeur historique. Je n'y vois qu'une corruption de celui qu*on 
lit dans Baluze. Mais on dit que la revelation de Squin n'eut lieu qu'apres 
Tentrevue de Poitiers, et qu'ainsi elle ne put ^tre la cause des poursuites 
centre les Templiers. Je repondrai a cette difficulte par le texte meme de 
Tauteur, qui dit, sans fixer aucune date : Tempore hujus ClementU papm 
contigit Je ne vois done aucun inconvenient a placer le fait de Squin au 
commencement du pontificat de Clement V. 



PROCi;S DES TEHPUEBS. 22M 

bord comme d'atroces calomnies, et ne songea point a y 
donner suite. En 1307, k Poitiers, les ambassadeurs du 
roi remirent cette affaire sur le tapis ; menie incredulity 
de la part du pape, et meme indifference pour s'en oc- 
cuper (1). Seulement, il ecrivit au roi quun certain 
nombre de chevaliers ayant manifeste le desir de purger 
les odieuses accusations qu'on imputait k leur ordre, il 
allait ordonner une enqu^te juridique, et le priait mSme 
de lui envoy er les preuves qu'il avait d^ja recueillies. En 
effet, des le mois d'avril 1307, le grand maitre Jacques 
Molay, et, aveclui, Rimbaud deCaron, precepteur d' outre- 
mer, Geoffrey de Gonneville, precepteur de Poitou et d'A- 
quitaine,HuguesPeyraud, precepteur de France, s'etaient 
rendus a Poitiers pour se justifier et solliciter une enqufite 
solennelle (2). Puis, comme si les explications deces che- 
valiers Teussent pleinement satisfait, Clement V en etait 
reste la. 

L'horreur et Finvraisemblance des inculpations soule- 
vees centre les Templiers expliquent Tincredulite de Cle- 



(1) Duduni; circa nostrae promotionis ad apicem siimmi pontificatus ini- 
tiuin, etiam antequam Lugdunum, ubi recepimus nostrae coroDationis Id- 
signia, Tenissemus ; et post tarn ibi quam alibi, secreta quorumdam nobis 
insinuatio intimavit quod... sed quia non erat verisimile, nee credibile 
videbalur... aurem noluimus incliuare. (Bulle : Regnans in coelis, Dupuy, 
p. 244.) 

(2) A memoria (ua non credimus excidisse quod Lugdunis et Pictavis de 
facto Teroplariorum tarn per te quam per tuos pluries locutns fuisti. Et li- 
cet ad credendum quae turn dicebantur cum quasi incredibilia et impossi- 
bilia viderentur, nostrum aniraum vix potuerimus applicare... quia vero 
magister militifle Templi ac raulli praeceptores a nobis , nedum semel sed 
pluries cum magna instantia petierunt quod nos super illis vellemns in- 
qiiirere veritatem , ad roagistri et Templariorum instanliam diligenUs in* 
quisitionis indagium infra paueos dies proposuimus incboare. (Epist. Gle- 
mentis ad Philippum Pulcbrum. (Ap. Baluze, 1. 11, p. 75.)— Raynouard, 
p. 18. — Dupuy, Hist, de la condamnation des Templiers, p. 8. 



252 HISTOIRE DE LA PAPADTE, LIV. IV. 

mentV. Bien d'autres la partageaient avec lui (1). Mais 
sa repugnance h soumettre ces inculpations a une enquete 
juridique avait un autre motif. Peut-6tre ce pontife, qui 
avait appris a connaitre Philippe le Bel, soup^onnait-il 
deja que, dans une tete comme celle de ce prince, le des- 
sein de poursuivre les Templiers, d'arriver a les trouver 
coupables, pouvait fort bien cacber un autre but que celui 
de servir la cause de la religion et de la morale, le but 
de s'emparer de leurs riches domaines. L'etat deplorable 
de ses finances, les accusations qui peserent sur lui plus 
tard, induisent a croire que ce soupgon etait fonde. 

Mais, Philippe le Bel n'etait pas homme a se decou- 
rager par les resistances qu'il rencontrait. Prevoyant bien 
que le pape voulait temporiser, et que de simples solli- 
citations le determineraient difficilement a commencer 
une enquete s^rieuse, il imagina un moyen de Ty con- 
traindre. Ce moyen etait de prendre lui-m^me Tinitiative, 
de faire un grand eclat en arretant de sa propre auto- 
rite, et sous le pretexte du bien public, tons les Templiers 
de son royaume. Ce coup d*£tat fut concerte avec un se- 
cret et execute avec une precision remarquable. Le 13 
octobre 1507, sur un mandement cachete que les ofB- 
ciers royaux devaient ouvrir par toute la France le 
memo jour et a la m6me heure, tons les Templiers, sans 
en exceptor le grand maitre, furent arretes, enfermes en 
divers chateaux sous bonne garde, et leurs biens places 
sous le sequestre (2). A T instant, Philippe le Bel se saisit 
de la maison du Temple k Paris, y transporta le tresor 

(1) Le roi d*Angleterre Edward, ecrivant au roi de France, lui disait : 
« Et quia tarn abominabilibus et execrabilibus dictis , hactenns inauditis 
nobis et praefatis prselatis, comitibus et baronibus, ab initio fides (acilis 
adhibenda minime videbatur.)) (Rymeri Acta el FoBdera, 1. 1, pars lY, p. 94.) 

(2) Baluze, 1. 1^ p. 100.— Gontinuat. Nangiac, d'Achery, t. Ill, p. 61. 



PROCES DES TEMPLIERS. 253 

royal, les archives du royaume, et y prit son logement (1). 
A la nouvelle de cet attentat commis sur la juridiction 
ecclesiastique, la cour de Poitiers s'emut, le pape ecrivit 
au roi pour lui en exprimer sa surprise et son indigna- 
tion. II lui reprocha d'oublier les traditions de ses anc'6- 
tres, dont Fobeissance au Saint-Si^ge apostolique avait 
toujours et6 si exemplaire, d'outre-passer les bornes de 
son pouvoir en se declarant Tarbitre des sujets immediats 
de rfiglise, et en portant la main sur leurs biens ; et, pour 
montrer qu'il n'etait pas dans ses intentions de s'en tenir 
seulement aux reproches, il suspendit les pouvoirs des 
archeveques, ev^ques, prelats et inquisiteurs de France, 
evoqua toute Taffaire des Templiers en cour de Rome, et 
envoya sur-le-champ, a Paris, Berenger de Fredol, cardi- 
nal de SS. Neree et Achill^e, et Etiennc de Suisy, cardinal 
de Saint-Cyriaque, avec mission expresse de r^clamer les 
biens ainsi que les personnes des Templiers, et de reta- 
blir toutes choses dans Tordre legal (2). Le fait du roi 
avait tellement indispose Clement Y, que, plus de huit 
mois apres Farrestation des Templiers, lorsque Philippe le 
Bel vint pour la seconde fois a Poitiers, ce pontife s'en 
etait encore plaint vivement a Guillaume Plasian, dans 
une audience ou ce ministre lui exposait les raisons de 
cette mesure, et lui avait dit qu'aucune raison n'excu- 
sait rillegalile qu on s' etait permise en commengant une 
affaire si grave sans le consentement du Saint-Si^ge apos- 
tolique (5) . 

Le roi s'attendait bien que le mecontentement du pape 
s'exhalerait en plaintes; mais ce coup d'autorite Tetonna, 

(i) Dupuy, Hist, de la condamnalion des Templiers, p. 8. —Voir Tor- 
donnance de Philippe le Bel, p. 218 des Pieces justificatiyes. 
(2) Dupuy, p. 9 et 10. 
(5)Baluzc, t. I, p. 29. 



251 HISTOIRE DE LA PAPAUli LIV. IV. 

et, quoicpi'il s'efforgftt de repondre sur le ton fier aux 
buUes de Clement V, en Taccusant d'une indifference cou- 
pable, ses paroles hautaines deguisaient mal son embar- 
ras {\). II fl^chit, remit aux mains des cardinaux com- 
missaires les personnes et les biens des Templiers, et, 
pour justifier aux yeux du souverain pontife Topportu- 
nite de son coup d'fitat, il fit conduire a Poitiers soixante- 
douze chevaliers d^jk interroges a Paris, afin qu'il les 
examinlit lui-mSme (2). Dans le fond, la soumission du 
roi ne contait qu'a son amour-propre, son but r^el ^tait 
atteint : il avait obtenUj'pour F execution de son projet, la 
cooperation du pape. Les choses allaient prendre d^sor- 
mais une tout autre face. 

Jusque-la, Clement V ou avait cru a Tinnocence des 
Templiers, ou avait dout^ de Tenormite des charges qu on 
leur imputait. Mais, quand il eut entendu lui-meme, en 
plein consistoire, le proces-verbal renfermant les deposi- 
tions de ces soixante-douze chevaliers, qui s'^taient ac- 
cuses sans y avoir ei6 forces par aucune contrainte ; 
quand il eut entendu, de ses propres oreilles, un membre 
de Fordre, homme de grande autorit^ et g^nerosite (3), 
lui faire ingenument Faveu d'exces abominables (4), il 
fut frapp^ d'horreur, et ne vit plus, dans les Templiers, 
qu'une plaie affreuse dont Tfiglise 6tait affligee, et qu il 
fallait se hater d'extirper. Sur-le-champ, il exp^dia des 
lettres pressantes dans lesquelles, non-seulement il levait 
la suspense port^e contre les evfiques de France, mais 
leur ordonnait encore de proc^der avec diligence contre 

(1) Dupuy, p. 40, 11 et 12. 

(2) Id.; Lellre de Philippe le Bel, p. 225. — Bulle : Regnans in 
coelis. 

(5) MagDffi generositatis et auctoritatis viruifi. 

(4) Lellre de Clement V a Edward, roi d'Anglelerre. (Dupuy, p. 221) 



PROGES DES TEMPLIERS. 255 

les chevaliers qui se trouveraient dans leurs dioceses (1). 
Alors commenQa cette enqu6te fameuse, qui changea FEu- 
rope en un vaste tribunal d' instruction. 

Cette enqu^te dura quatre ans cons^cutifs. Elle rev^la 
des choses incroyables. On eprouve, en effet, de T hesita- 
tion a croire que les membres d'un corps religieux, insti- 
tue pour defendre la religion, et qui Tavaient jusque-1^ 
d^fendue avec une h^roique intrepidite, se soient porlfe, 
non pas isolement, mais par une coutume generalement 
eonsacr^e, a Fhorrible impiete de renier Jesus-Christ, de 
cracher sur le signe auguste de la redemption, de le fou- 
ler aux pieds, de rendre un culte a des idoles obsc^nes, 
de se livrer aux plus honteuses sodomies, et que c'^tait 
par la pratique de telles infamies que ces membres ^laient 
agr^g^s a Tordre (2). Cependant, quand on relit les pieces 
authentiques qui nous restent de ce grand proces, quand on 
entend encore les nombreux temoins qui, en divers lieux, 
a diverses epoques, ontafQrme cesimpietes, force est bien 
d'y ajouter foi. Car ce ne sont pas seulement quelques 
membres obscurs de Tordre qui confessent son ignomi- 
nie, ce sont ses premiers dignitaires, le grand maitre 
luirmeme, qui, a Paris d'abord, en presence des inquisi- 
teurs et des ofliciers du roi, puis a Chinon, devant les 
cardinaux commissaires, avouent les turpitudes dont on 



(1) Voir, dans Dupuy, plusieurs bulles de commissions adrcssees aux 
ev^ues, et surtout la bulle : Subit assiduc, p. 268. 

(2) Ces accusations sont en partic indiquces dans la bulle : Regnans in 
coelis et dans celle : Facicns misericordiam , qu'on lit en iSte du proces 
des Templiers ; mais elles sont bien plus detaill^es dans la piece, compo- 
see de deux cent vingt-trois articles, envoyee par le pape a tous les arche- 
Toques, ey^ques et commissaires apostoliques. (Dupuy, p. 262.) On pent 
voir, sur Tidole nommce Raffomelus, les recherches bistoriques de Nicolai 
(sixieme accusation) et Topuscule de M. Mignard. (Voir aux Pieces justifi- 
cativcS; n" 11.) 



256 UISTOIRE DE LA PAPADTE, LIV. IV. 

les accuse (1). Et, de plus, ce n'est pas seulement en 
France que se rencontrent de pareils t^moins ; les bulles 
du pape, adressees aux princes et prelats de la chretiente, 
ont etendu les investigations juridiques sur presque toute 
la surface du monde. En Angleterre, en Irlande, en Es- 
pagne, en Toscane, en Lombardie, en Allemagne, les 
Templiers sont saisis et interrog^s, et, dans la plupart des 
lieux, un certain nombre de chevaliers corroborent, par 
leurs aveux, les depositions des chevaliers frangais. La 
justice pourtant oblige de dire qu'en Allemagne, en Es- 
pagne, et dans une partie de Tltalie, les enqufites se 
montrerent favorables a Tordre (2). 

II est vrai aussi que bien des aveux ont ^t^ arracbfe 
par les tourments de la question, et que plusieurs Tem- 



(1) M. Michelet, dans la Collection de documents inedits sur Thistoire 
de France, imprimee par ordre du roi (premiere serie, Histoire politique), 
a public le proces des Templiers, dont Dupuy ne nous avail donne que 
quelques extraits. G*est le manuscrit de la Bibliotheque royale. Cette piece 
renferme Tinterrogatoire que le grand maitre et deux cent trente ct un 
chevaliers ou freres servants subirent a Paris par-devant les commissaires 
ponlificaux. L'editeur y avoue que cet interrogatoire hit conduit lentemenl 
ct avec beaucoup de menagement et de douceur. 11 reste deux manuscrits 
authentiques du grand interrogatoire. L'un, copie sur velin, fut envoye au 
pape, et il est enferme sous la triple clef du Vatican ; I'aulre, sur simple 
papier, fnt depose au tresor de Notre-Dame de Paris. II porte a la derniere 
page les mots suivants : « Pour surcroit de precautions, nous avons de- 
pose ladite procedure , redigee par Tun des notaires en acte authentique, 
dans le tresor de Notre-Dame de Paris. » (Preface.) 

(2) On peut voir les differents proces faits aux Templiers dans les pays 
aulres que la France. lis sont imprimes dans le recueil de Dupuy, aux 
Pieces justificalives. En general, il regne beaucoup de confusion dans les 
diverses depositions des chevaliers. Les uns nient tout, les autres affirment 
tout ; celui-ci avoue un point, celui-la un autre ; peu s'accordent a dire les 
mdmes choses. Nicolai, dans son savant Essai sur les accusations intentees 
aux Templiers, cherche a expliquer ces contradictions en remarquant qu'il 
y avait dans Tordre plusieurs receptions, et que tons les freres n*etaient 
pas inities aux m^mes secrets. Geci conste des depositions de frere Stt- 



PROCES DES TEMPLIERS. 257 

pliers en firent plus tard des retractations. Sans doute, 
les tortures de la question etaient un moyen aussi equi- 
voque que barbare de connaitre la v^rite, et il faut ap- 
plaudir a notre civilisation de les avoir bannies des pro- 
cedures criminelles. Mais, si Ton ne pent afiSrmer que 
tous les aveux arraches par les tourments soient vrais, 
on ne pent conclure qu ils soient tous faux. Done, dans le 
proces des Templiers, le grand nombre d' aveux obtenus, 
quoique par ce moyen, seront toujours une preuve tr^s- 
forte de la culpability de Tordre. Quant aux retractations 
allegu6es, en leur attribuant la -plus grande valeur qu'elles 
puissent avoir, elles prouveraient simplement T innocence 
personnelle des chevaliers qui les firent, tandis que la per- 
sistance des autres a maintenir leurs premieres deposi- 
tions charge le corps entier. D'ailleurs, toutes les depo- 
sitions n'ont point ete arrachees par la torture. Les 
soixante-douze chevaliers qui s'accuserent k Chinon, en 
presence des cardinaux, le firent apres la simple forma- 
lite du serment, avec toute liberte et spontaneite, sans 
aucune coaction ni menace de coaction (1). Nous avons 
encore les deux cent trente et un chevaliers frangais inter- 
roges a Paris, depuis Fannee 1309 jusqu a Tannee 1311, 
par les commissaires poritificaux, et qui n'eurent point a 
souffrir de violence. II suffit de parcourir les nombreux 
procds-verbaux de leurs interrogatoires pour se con- 



pelbrugge, qui dit formellement : Quod dttm sunt professiones in ordine 
Templi, la licita et lona, 2a contra fidem (Dupuy, p. 592); de frere 
Thomas de Tocci de Thoroldeby (p. 596), et de frere Jean de Stok (p. 599), 
et du rapport de Tinquisileur Guillaume de Paris, qui dit : Mais ce ne sa- 
vent pas tous li freres, fors li grand maistre e li ancien (p. 202). 

(1) Prestilo juramento... libere ac sponte^ absque coactione qualibet et 
terrore, coram ipsis tribus cardinalibus... deposuerunt. (Bulle : Ad om- 
nium fere notitiam, Dupuy, p. 278.) 

47 



258 flISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. lY. 

vaincre qu'ils furent traitds avec beaucoup de manage- 
ment et de douceur. On n' employ a pas davantage les me- 
naces et les tourments contre les chevaliers anglais, ^cos- 
sais, irlandais, dont les proems furent instruits en Angle- 
terre. Or, tant de t^moignages libres ne confirment-ils 
pas suffisamment la verity des temoignages obtenus par 
la question (^) 7 {Pikes jmtificatives, n° H .) 

Les procfes-verbaux des interrogatoires faits dans les 
diverses provinces de la chr^tient^ furent apport& au 
concile de Vienne. Clement V Tavait recommand^ aux 
pr^lats, aiin que la justice, dclair^e par tant de lumi^res, 
ne fut point expos^e a s'^garer. Tons ces actes furent 
examines, confront^s et soumis a une critique d'autant 
plus rigoureuse, que le jugement qui en devait r&uller 
importait davantage (2). 

Quand on en fut 1^, toutefois, Tassemblee se partagea 
en deux opinions. Les uns soutenaient qu'il ^tait de Te- 
quit^ d'accorder aux Templiers la faculte deproduire, de- 
vant le concile, leurs moyens de defense ; qu'un membre 
aussi illustre ne devait pas etre retranch^ du corps de 
rfiglise, sans qu'on eiit suivi a son egard les regies sa- 
cr^es de la justice. Les autres r^pliquaient qu'il fallait 
abolir promptement un ordre dont plus de deux mille 
t^moins avaient constate la corruption; que la l^giti- 
mit6 d'une pareille mesure ^tait suffisamment justifi^e 
par r^vidence des preuves (3). On proceda a Tappel no- 
minal, et Fon d^couvrit que la grande majorite des pires 
tenait pour le premier parti. Une chronique digne de 
foi nous apprend qu'un ^veque italien, les archeveques 
de Reims, de Sens et de Rouen, se ddclar^rent seuls 

(1) Nicolai, p. 56 et suiv. | 

(2) Bulle : Regnans in coelis. | 
(5) Raynald, ann. 1511, n** 55, ex ms. vatic. ' 



PROCES DES TEMPLIERS. 259 

pour le second, qui etait celui du pape et des cardi- 
naux (< ) . " 

Le premier parti etait incontestablement le plus juste 
et le plus legal; mais de graves inconv^nients s'oppo- 
saient a ce qu'on Tadoptat : d'abord, la difficult^ d'obtenir 
des d^fenseurs legaux, puisque d^j^ les chevaliers, en 
presence des commissaires pontificaux, avaient declare 
nettement que, ^tant prisonniers, ils ne pouvaient ni ne 
voulaient constituer de mandataires (2) ; ensuite la diffi- 
cult6 plus grande encore de citer Tordre tout entier au 
concile, attendu que, dans plusieurs provinces, il avait 
6i6 absous des accusations port^es centre lui. D'ailleurs 
(et j'inclinerais a croire que c'^tait la le motif principal), 
cette citation n'aurait point ete sans danger pour Tind^- 
p^idance de Tassemblee. Deja, en 4310, k Mayence, dans 
un concile assemble par Tarchevfique Aychpalter, sur les 
injonctions du pape, pour y examiner les accusations in- 
tentees a Fordre, une scene scandaleuse et violente avait 
eu lieu. Vingt Templiers s'etaient tout a coup precipites 
en armes dans la salle des deliberations ; FarchevSque 
president n'6tait parvenu a les calmer qu'en leur pro- 
mettant de porter leur protestation aux pieds de Sa Sain- 
tet^, puis il s'^tait d^termin^ k les absoudre (3). Un in- 
cident arrive au concile de Yienne ferait presumer que 
la r^p^tition d'une semblable violence n' etait point un 
danger imaginaire. Le roi de France n' avait pas encore 



(1) Baluze, 1. 1, p. 45. — Walsingham, in Edwardo. 

(2) Quod quia caput habebant, hoc sine licentia facere non poterant, 
nee debebant, dicentes quod procuratores ad hoc constituere non intende- 
bant, nee volebant; offerentes se paratos coram dictis commissariis compa* 
rere, et quod personaliter possint esse in concilio general!. (Processus; 
Templariorum.) 

(5) Dupuy, p. 556. 



960 HISTOIRE DE LA PAPAUTlE, LIV. IV. 

paru a Vienne ; sept chevaliers, dans une seance, el deux 
dans une autre, se presenterent aux peres du concile, en 
r absence du pape, offrant de prendre la defense de Tor- 
dre ; ils assuraient que quinze cents a deux mille cheva- 
liers, qui demeuraient a Lyon ou dans les environs, se 
joignaient a eux pour cette defense. Les intentions de ces 
chevaliers pouvaient 6tre fort droites, mais leur declara- 
tion avait un caractere plus belliqueux que pacifique. Le 
pape s'en alarma. Les neuf chevaliers furent arrfites par 
ses ordres, retenus en prison, et il se hata d'ecrire au roi 
pour rinformer de cet evenemenl, le pria de veiller a la 
garde de sapersonne, Tavertissant qu'il avait cru lui-m6me 
devoir employer des precautions speciales pour sa sfi- 
rete(l). {Pihes justificative^, n° 12.) 

Malgre ces inconvenients reels, la majority des peres 
reciila toujours devant la responsabilite de porter une 
sentence definitive de condamnation sur un ordre dont 
on n'avait pas entendu la defense, II fallait prendre un 
parti pourtant. A la fin, et apres des conferences qui du- 
rerent tout Thiver (2), un prelat distingue par sa piete et 
par sa science (on croit que ce fut Guillaume Duranti, 
evfique de Mende) proposa un moyen terme qui fut adopte. 
Ce moyen consistait a prier le pape de se charger lui^- 
meme de prononcer, en vertu de la plenitude de son pou- 
voir apostolique, la sentence en question (3). 

Consequemment, le 22 mars 1312, Clement V, ayant 

(i) Lettre de Clement V au roi de France. 

(2) Post conventus multos variosque tractatus, miiltds deliberationes 
habitae fuerunt in prsemissis. (Conlinuat. Nangiac.,d'Achery, t. HI.) — Cle- 
mens papa cum suis cardinalibus et prcelatis per totam hyemem sequentem 
continue in pluribus tractatibus diversis permansit. (Baluze, 1. 1, p. 107.) 

(3) Ecclesiae Dei mirabiliter expediret quod Dominus noster, sive de 
rigore juris, sive de plenitudine potestatis, istum ordinem ex officio suo 
omnino tolleret. (Raynald, ex ms. vatic. : Jam laudato.) 



PROCilS DES TEMPLIERS. 261 

assemble un grand nombre de prelats en consistoire se- 
cret, abolit Tordre de sa seule autorite. Puis, le 3 avril 
suivant, au milieu d'un consistoire public auquel assis- 
taient Philippe le Bel, ses trois fils, le prince Charles de 
Valais, son frere, environnes d'un cortege imposant de 
barons, et en presence d'une foule immense que la cu- 
riosite avait rassemblee, il publiala bulle d'abolition(i). 
Soigneux de ne point violer les formes juridiques, Cle- 
ment V declarait dans cette bulle qu'avec Tapprobation du 
saint concile il supprimait Tordre du Temple, par voie de 
provision, cest-A-dire, par precaution, par voie de regle- 
ment apostolique, et non par voie de condamnation, de 
justice, de sentence deflnitive, attendu que le proces n'a- 
vait point ete fait k Tordre selon les regies du droit. Mais 
il ajoutait que cette suppression etait irrefragable, et que 
personne, a Tavenir, ne devait etre assez ose pour em- 
brasser cet ordre, en porter Thabit, et se qualifier du 
nora de Templier (2). 

Ce decret amenait deux questions importantes : quel 
usage allait-on faire des biens des Templiers? que devait- 
on decider relativement a leurs personnes? Sur Tusage 
auquel on allait destiner les immenses possessions de 
Tordre dechu, les historiens rapportent qu une discussion 
longue et animee s'engagea dans le concile. Quelques 
prelats voulaient que ce riche heritage servit a doter un 
nouvel ordre religieux dont le but, comme celui de Tan- 
cien, serait de faire la guerre aux infideles. La majority 

(1) Baluze, 1. 1, p. 59, 75 et I07. — Continu. Nangiac, d*Achery,t. Ill, 

(2) Ejus ordinis statum , habitum atque nomen , non sine cordis amari- 
tudine et dolore, sacro approbante concilio, non per modum definitivae 
sententise, cum earn super secundum inquisitiones et processus super his 
habitos, non possumus ferre de jure; sed per yiam provisionis, seu ordi- 
nationis apostolicse, irrefragabili et perpetuo valitura, sustuHmus sanc- 
tione. (Bulle : Ad providam Ghristi, Dupuy, p. 422.) 



202 flISTOIRE DE LA PAPAUTIB, LIV. IV. 

des peres, a la t^te desquels se trouvait Clement V lui- 
memey combattirent cet avis. Les raisons qu'ils lui oppo- 
saient ^talent fortes. L' experience, disaient-ils, avaitassez 
prouve que T existence simultanee de deux ordres religieux 
militaires difierents faisait naitre de dangereuses rivalites ; 
que la cause sainte n'avait que trop soufTert de celles qui 
animaient les Hospitaliers et les Templiers. Gombien de fois 
de mis^rables points d'honneur n'avaient-ils pas fait cou- 
ler un sang qui n'aurait dil 6tre verse que pour la de- 
fense de la religion ! Gombien de fois les expeditions les 
mieux concertees n avaient-elles pas ^chou^, parce que 
les hommes qui en etaient Tame difTi^raient entre eux 
d' esprit et de volonte ! Et n'etait-ce pas une pareille dis- 
corde qui avait entraine la riiine de Ptoleipais? Deji, le 
pape Nicolas IV, pour en linir avec les querelles qu'en- 
fantaient ces falales rivalites, avait eu la pens^e de fondre 
ensemble les Hospitaliers et les Templiers, et de n'en faire 
qu'un seul corps. Pourquoi maintenir les inconvenients 
de la division, lorsqu'une circonstance favorable s'offrait 
de ramener les choses k I'unite? Et ils proposaient de 
transporter aux Hospitaliers eux-m6mes les biens en ques- 
tion. Get ordre n'avait rien perdu de sa ferveur premiere ; 
on savait que tout r^cemment ses chevaliers venaient de 
se couvrir de gloire en faisant la conquete de File de 
Rhodes (1), qui assurait aux Chretiens T empire des mers 
du Levant, et devait servir de point d'appui aux expedi- 
tions futures. On avait done tout lieu de croire que ces 
biens ne seraient point employes dans un but etranger a 
leur destination (2). 

Get avis, le plus sage sans contredit, fut adopte, et le 

(1) Gelte lie avait ete prise ie 15 aout 1510. 
(2)Raynald, ann. 1312, n°5. 



PROGES DES TEBfPUERS. 265 

papc, dans sa bulle mfime d' abolition, investit, k perpetuite 
Fordre de I'Hdpital de toutes les possessions des Templiers» 
avec tons leurs privileges, immunites, indulgences et li- 
beries (1). On excepta toutefois de cette donation les biens 
qui se trouvaient dans les royaumes de Castille, d'Aragon, 
de Portugal, de Majorque et de Minorque. Comme la si- 
tuation de ces provinces les obligeait a repousser fre- 
quemment les attaques des Maures d'Afrique, Clement V, 
par une bulle speciale, adjugea ces biens aux chefs res- 
pectifs de cesfitats, pour leur servir de dedommagementet 
de subside (2). Plus tard, sous le pontificat de Jean XXII, 
et malgre les raisons qui avaient port6 Clement V a ne 
point instituer une nouvelle congregation militaire, deux 
nouveaux ordres, celui de Notre-Dame de Montesa, en 
Aragon, et celui du Christ, en Portugal, s elevferent sur 
les ruines des Templiers; ils h^rit^rent des biens de leurs 
prdd^cesseurs, et Jean XXII leur accorda son approba- 
tion (3). 

Quant aux personnes des Templiers, les dispositions du 
concile furent melees de douceur et de sev^rite. Le pape 
se reserva la decision qui concernait les personnages les 
plus ^minents de Tordre; le sort des autres fut laiss6 a 
Fautorite et a la sagesse des conciles provinciaux. Et, k 
cet egard, les peres trac6rent quelques regies pour pr^ve- 
nir Farbitraire. La cl^mence fut recommandee en faveur 
des chevaliers qui, apr^s Faveu de leurs crimes, en ma- 
nifesteraient le repentir ; on devait les distribuer dans les 

(1) Bulle : Ad providam Ghristi. 

(2) Gette exemption, dejd exprimee dans la bulle : Ad providam Ghristi, 
le pape la renouvelle dans une constitution speciale datee de Liveron , au 
diocese de Valence. (Raynald, ann. 1512, n** 6.) 

(3) Histoire critique des Templiers, t. II , I. XV, p. 325 et 524. — Gon- 
zalo de Illescas, Hist, pontif., 11^ parte, p. 19. 



264 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. IV. 

monast^res oh on leur accorderait, sur les biens de Fordre 
dechu, une honorable subvention destinee a soutenir et a 
consoler leur existence desormais brisee et fletrie. Mais, 
pour ceux qui n'opposeraient aux charitables exhortations 
qu une impenitence obstinee, ou que la rechute plonge- 
rait de nouveau dans le desordre, on statua que les peines 
des deux droits leur seraient rigoureusement appli- 
quees (1). Ici nous ne ferons point au concile de Vienne 
rinepte reproche d' avoir autorise T erection des echafauds 
pour chatier des crimes centre la foi, G'etait la legislation 
du temps. II ne pouvait que s'y conformer. D'ailleurs, on 
n'avait pas attendu la decision de cette assemblee pour 
sevir centre les Templiers ; le pouvoir seculier avait deja 
pris rinitiative. C'est a Tannee 15^0 et a I'annee 1311 
que Ton doit rapporter les grandes executions, et surtout 
celle des cinquante-neuf chevaliers briiles a Paris, en de- 
hors de la porte Saint-Antoine, execution qui frappa le 
peuple d'elonnement et de consternation (2). Or, soit que 
ces terribles exemples eussent amene un grand nombre 
de prisonniers a retractor leurs erreurs, soit plutdt que 
la douceur qui presidait aux conseils des eveques se com- 
muniquat aux tribunaux civils, les executions, apres le 
concile de Vienne, furent moins nombreuses et moins 
eclatantes. Parmi celles qui eurent lieu a cette epoque, 
Texecution du grand m aitre Jacques Molay, et de Guy, dau- 
phin d'Auvergne, futsans contredit la plus malheureuse; 
mais TEglise n y eut aucune part. 

Comme nous Favons dit, le pape s'etait reserve a lui- 
meme de decider du sort de ces illustres prisonniers, 
ainsi que de celui des principaux de Tordre. Ces derniers 

(i) Circa iropoenitentes vero et relapsos... justitia et censura ecclesias- 
tica observelur. (Baluze, 1. 1, p. 76. Voir aussi la p. 108.) 
(2) Baluze, 1. 1, p. 72 et 104. — Dupuy, p. 45. 



J 



PROGES DES TEMPLIERS. 265 

etaient Hugues Peyraud, visiteur de France, et Geoffroy 
de Gonneville, visiteur d'Aquitaine. En effet, dans le but 
de statuer sur ce cpii les concernait, les cardinaux Pierre 
de la Chapelle Taillefer, Landolphe Brancaccio, et Pietro 
Colonna, assistes de Farcheveque de Sens, Philippe de 
Marigny, et de quelques autres prelats, s' etaient rendus a 
Paris. Les quatre grands dignitaires parurent d'abord 
devant ces representants du Saint-Siege apostolique, et y 
reconnurent de nouveau comme vrai tout ce qu'ils avaient 
declare dans leurs precedents interrogatoires (1). Mais, 
lorsqu il s'agit de leur notifier la sentence qui les condam- 
nait a une prison perp^tuelle, alors, au grand etonnement 
des juges et des spectateurs (2) de cette lugubre scene, le 
grand maitre, et le visiteur de Normandie, Guy, dauphin 
d'Auvergne, se levferent et prononcerent, a haute voix, 
une retractation complete de tons les aveux qu'ils avaient 
faits. Sur-le-champ, sans passer outre, les cardinaux com- 
missaires remirent les prisonniers entre les mains du 
prevot de Paris, et renvoyerent au lendemain la decision 
de cette etrange affaire (3). Mais, pendant que les juges 
deliberaient, le roi, qui venait d'apprendre ce qui s'etait 
passe, sans s'inquieter du pape ni de ses representants, 
ordonna le supplice des deux Templiers. En vertu d'un 
arr^t emane de la cour, les deux victimes furent trainees 
et livrees aux flammes dans une petite ile de la Seine 
situee entre le jardin du roi et Teglise des Augustins, et 



(1) Gum prsedicti quatuor nullo excepto crimiDa sibi imposita palam et 
pubiice confess! fuissent, et in hujus confessione persisterent. (Gontinuat. 
Nangiac, t. Ill Spicilegii.) 

(2) Ex imperato... non absque multorum admiratione. (Id.) 

(5) In manu prdepositi parisiensis ad custodiendum duntaxat traduntur, 
quousque die sequenti deliberaticfnem super iis haberent pleniorem. 

(Id.) 



266 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, UV. IV. 

qui est aujourd'hui le terre-plein du Pont-Neuf. Les as- 
sistants les entendirent, avec stupeur, protester jusqu'au 
dernier soupir et de leur innocence et de celle de Tordre 
entier (!)• {Pi^s jmtificative$ ^ n^ 13.) 

Les Templiers avaient dure cent quatre-yingt-quatorze 
ans. Jamais I'Eglise n avail vu dans son sein un ordre 
plus riche, plus noble, plus puissant. Sa chute a retenti 
et retentira encore longtemps dans Thistoire. L'illustra- 
tion des membres qui le composaient, leur gloire, leurs 
souffrances, leur catastrophe, nous inleressent mdme, bien 
que le temps ait mis cinq siecles entre eux et nous, et 
que le souvenir des chevaliers ne se rattache a aucun 
monument de leur grandeur passee. Leur infortune seule 
en est la cause. Tel est le pouvoir du malheur, qu'il com- 
mande la sympathie, lors mfime qu'il est m^rit^. Aussi les 
Templiers ont-ils trouve de nombreux d^fenseurs. La piti^ 
porte avec elle je ne sais quelle gloire dont on est jaloux. 
Sans doute, ce serait une oeuvre digne d'^loge que celle 
qui laverait Thumanite d'une tache honteuse, en montrant 
que les accusations intentees aux Templiers ne furent que 
des calomnies. Mais il faut se defier de ces justifications 
tardives oik le principal triomphe qu'on semble ambi- 
tionner est de pouvoir accuser un pape. De telles justifi- 
cations ne sont ni assez moderees, ni assez desinteress^es, 
pour ne mettre que la verity en lumi^re. On y d^clame 
beaucoup, on y raisonne peu ; on y incidente vivement 
sur des fails accessoires, sur ce que les passions de 
rhomme ont pu jeter de misftres dans ce long et triste 
proems ; mais on n y Iraile que faiblement le point essen- 
tiel ; savoir : Les Templiers etaient-ils innocents? Or, tant 
que la logique humaine n aura pas r^solu ce point, les 

(4) Continual. Nangiac, t. Ill Spicilegii.— Baluze, 1. 1, p. 79 et 110. 



RilGLEMENTS DU GONGILE. 267 

T^npliers resteront fletris et dechus, et la sentence qui les 
abolit p^sera sur leur memoire de tout le poids de Tau- 
torite irrefragable de Tfiglise. 

Un grand acte de reforme etait accompli par la suppres- 
sion de Fordre du Temple, Clement V et le concile travaill^- 
rent a coftipleter leur oeuvre en portant leur attention sur 
d'autres points envahisparlesabus. Guillaume Duranti les 
avait signales dans son excellent memoire. II fut immedia- 
tement question des exemptions. Depuis longtemps les pre- 
lats reclamaient contre leurs inconvenients, et le fait des 
Templiers ^tait de nature a completer leur d^consideration. 
II etait Evident, disaitTarchev^que de Bourges,que les Tem- 
pliers ne se seraient point livres a F impiety et a la corrup- 
tion s'ils eussent ete sous la surveillance immediate des eve- 
ques (1). Les d^fenseurs du privilege avaient pen de choses a 
r^pondre k une objection aussi puissante. On crut un in- 
stant que le terme des exemptions etait arrive, car elles 
avaient dans Fassembl^e une forte majorite contre elles. 
Toutefois, quand la discussion eut fait jaillir la lumiere, 
le concile se decida pour un moyen terme, celui d'inter- 
dire aux pr^lats certaines vexations qui provoquaient de 
justes plaintes, et aux exempts Texercice de certaines 
fonctions qui semblaient exclusivement devolues au mi- 
nistere sdculier (2). Le concile dut se montrer plus expli- 
cite a regard des abus qui d^shonoraient le corp^ eccl6- 
siastique. II s'en faut pourtant que ses decrets embrassent 
tons les articles enumerfe par Guillaume Duranti, car 
ceux que nous lisons dans les actes renferment simple- 
ment pour les clercs la defense de vaquer a des com- 
merces pen convenables, et de porter des vetements inde- 

(i) Baynald, ann. 1512, n"" 24. 

(2) Voir aux Glementines, 1. V, les tit. VI et VU, de Excessibus praelato- 
rum et de Excessibus privilegiatorum. 



268 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. IV. 

cents (1). Mais on sait que plusieurs des actes du concile 
de Vienne ne sont point arrives jusqu'a nous (2). 

Parmi les rfeglenients de cette celebre assemblee, nous 
devons en remarquer deux ; celui qui concerne les hopi- 
taux, et qui remet la direction de ces etablissemenls entre 
les mains de personnes sages, intelligentes, sensibles aux 
miseres des pauvres, capables d'en etre les tuteurs (S) ; 
et celui qui present d'administrer les sacrements de Pe- 
nitence et d'Eucharistie aux criminels condamnes k mort, 
contre Fusage cruel des juges laiques, qui, par haine du 
crime, refusaient a ces malheureux une consolation que 
la justice divine ne leur interdisait point (4). Ainsi, quand 
rhumanite manquait a la legislation de nos peres, Tauto- 
Tii6 de Tfiglise etait la pour Ty rappeler. 

II y a un decret du concile de Vienne qui doit, a tout 
jamais, assurer a cette assemblee et a son chef la recon- 
naissance de la science (il faut le dire, aujourd'hui sur- 
lout que de stupides phraseologues accusent TEglise ca- 
tholique d'entretenir Tignorance), c'est le decret qui a 
introduit en Occident F etude des langues orientales. Ce 
decret ordonnait que Thebreu, Tarabe et le chaldeen se- 
raient, a Tavenir, publiquement enseignes partout oA se 
trouverait la cour romaine, et dans les universites de 
Paris, d'Oxford, de Salamanqueet de Bologne; que deux 
professeurs, pour chacune de ces langues, seraient entre- 

(i) Clementines, 1. UI, tit. I et H, de Vita et Honestate clericorum. 

(2) II y a une ancienne tradition a Vienne , que plusieurs fragments de 
roriginal des actes de ce concile, s*etant trouves dans une boutique, y 
avaient ete dechires par des gens qui ne s'y connnissaient pas. (Mauper- 
tuis, Hist, de TEglise de Vienne, p. 215.) 

(5) Eorum gubernatio viris providis, idoneis, et boni testimonii commit- 
tatur, qui sciant, velint et valeant loca ipsa et eorum bona utiliter gerere. 
(Clementines, 1. UI, t. Xi, de religiosis Domibus.) 

(4) Id., 1. V, t. IX, de Poenitentiis et Remissionibus. 



HENRI VII EN ITALIE. 269 

tenus k Paris par le roi de France, et ailleurs par le pape 
et les prelats (1). 

Pendant que Tattention de la cour romaine ^tait ab- 
sorbee par les travaux du concile de Vienne, il se passail, 
de r autre c6te des Alpes, des faits importants pour la Pa- 
paute. Henri de Luxembourg parcourait Tltalie, et boule- 
versait les constitutions de ses petits fitats, en s'efforgant 
d'y retablir Tautorite imperiale. On se rappelle que Cle- 
ment V, en approuvant, en 1309, 1'election du nouveau roi 
des Remains, avait exige qu il ne retardat pas au dela de 
deux ans son couronnement a Rome. Henri s'etait montr^ 
docile a la volonte du souverain pontife. Depuis plus de 
soixante ans, Tltalie n'avait vu d'empereur; la grande 
querelle du Sacerdoce et de I'Empire paraissait oubliee; le 
pape fondait les plus belles esperances sur une expedition 
ou les bannieres de TEmpire se montreraient unies a 
celles de TEglise, et Louis de Savoie n' avait et6 investi 
du senatoriat que pour preparer les voies a cette expedi- 
tion (2). Du fond de sa solitude de Malauc^ne, Clement V 
prescrivit tons les honneurs qui devaient 6tre rendus a 
Tempereur a son entree dans la cite des apotres, et jus- 
qu'au moindre rite a observer dans son couronnement. 
Comme a cette epoque les affaires de Tfiglise ne pou- 
vaient lui permettre d*accomplir personnellement cette 
ceremonie, il designa cinq cardinaux pour le remplacer, 
savoir : Nicolas de Prato, Arnaud de Pelagrue, Leonard 
de Garcin, Francesco Gaetani et Luca di Fieschi (3). 

La nouvelle d'un voyage de Fempereur a Rome emut 
vivement les esprits dans toutes les villes ou dominaient 
les factions guelfe et gibeline. Aussi, lorsque Henri, vers 

(1) Clementines, 1. V, 1. 1, de Magislris. 

(2) Joannes de Germenate, ap. Murat., rer. ital. Script., t. IX^ p. i^62. 
(5) Raynald, ann. 1511, n"^ 6, 7 et seq. 



270 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. IV. 

la fin de 1310, se mit en marche pour executer les vo- 
lont^s du pape, trouva-t-il, a Lausanne, des deputes de 
presque tous les fitats de Tltalie (1). II n'y eut que les 
principaux fitals guelfes, savoir : Florence, Sienne, Luo- 
ques, Bologne et Naples, qui s'abstinrent. Peut-6tre ces 
fitats regardaient-ils comme une marque de faiblesse de 
prevenir le chef de TEmpire. Fiers de leur union et de 
leur force, ils voulaient en montrer Torgueil ; croyant ne 
rien avoir a craindre, ils dedaignaient une demarche qui 
avait Fair d'une soumission. L'empereur rassura tout le 
monde en annongant ses intentions pacifiques, et la plus 
stricte impartialite entre les divers partis. Au reste, le 
noble caractere de Henri de Luxembourg, sa loyaute re- 
connue, le petit nombre de soldats qui raccompagnaient, 
^taient une garantie suffisante de ses promesses. 

De Lausanne, Tempereur se dirigea vers Turin, en pas- 
sant par le mont Cenis, et y arriva au commencemeni 
d'octobre 1310. II trouva dans cette ville des d^putfe ro- 
mains qui se rendaient aupr^s du pape pour le prior de 
venir lui-meme accomplir la ceremonie du couronnement. 
Les instructions de ces d^put^s leur donnaient le pouvoir 
illimite de faire tout ce qu ils jugeraient utile au bien 
public. Ils manifest^rent les meilleures dispositions a 
regard du prince (2). 

De Turin a Milan, la marche de Tempereur ressembla 
a untriomphe. Guido della Torre, seigneur de Milan, avait 
prom is de lui faire traverser la Lombardie, le faucon sur le 
poing. Cette promesse sembla d'abord se r^liser. Tous 
les seigneurs cisalpins se mirent en mouvement pour ve- 

(1) Giovanni Villani , 1. IX, c. vii* — Conrad Vicerius, de Henrico VII, 
p. 68. 

(2) Nicolaus episc. botrontinensis, Henrici VII Iter italicum j ap. Baluze, 
t, II, p. 1147 et 1201. 



HENRI VII EN ITALIE. 271 

nir se ranger sous sa banni^re. Richard de Tiscio, le 
comte Philippone de Pavie, Simon Avocato de Verceil, 
Antonio de Fisiraga de Lodi, Guillaume Brusato de No- 
vare, les marquis de Saluce et de Montferrat, suivis cha- 
cun de son contingent de troupes, lui form^rent une bril- 
lanle escorte, que Guide della Torre, avec ses fils, et mille 
hommes d'armes, devaient bientot rendre imposante (1). 
Mais il devait apprendre plus tard a se d^fier de ces de- 
monstrations, 

Henri traita ces seigneurs en prince, les combla d'hon- 
neurs, leur distribua des titres, des fiefs, les admit k son 
conseil ; mais, en mSme temps, fidele a son plan, il sub- 
stituait, dans chaque ville, son autorite a la leur, et nom- 
mait u leur place des vicaires imperiaux charges d'y 
commander en son nom. Partout les exiles furent rappeles 
etr^int^gres dans leurs droits de citoyens (2). Le but du 
monarque allemand ^tait d'arri^er k la soumission par la 
Concorde. Du cote de Henri, Thomme ^tait digne de faire 
une semblable conquete, mais, du cdte des Italiens, il n'y 
avait point assez de vertus pour F accepter. Guide della 
Torre,malgr6 ses promesses, fut le premier ^donnerTexem- 
ple de la defection. Craignant que la clemence de Fem- 
pereur envers les Gibelins ne devint fatale a son autorite, 
il medita un instant de resister dans sa capitale. Mais 
Henri, informe de ses projets, lui envoya dire qu'il eflt a 
venir, sans armes, le recevoir hors de la ^ille. Cette som- 
mation suflfit. Les sympathies de la population etaient 
pour le monarque allemand, et Guide della Torre ne vit 
rien de mieux a faire que de licencier ses troupes, et 

(1) Henrici Vil Iter italicum, ap. Baluzc, p. 1148 et seq. — Ibi qiioque 
magno apparatu acceptus. (Conrad Vicerius, p. 68.) 

(2) Iter italicum^ p. 1161 et 1162, et passim. 



272 fllSTOlRE DE LA PAPAUTE, LIV. IV. 

d'ob^ir a Tempereur (1). La soumission de Milan d^cida 
de celle de la Lombardie, et, depuis les Alpes jusqu'aux 
frontieres de la Toscane et de la Romagne, Tautorite 
imperiale fut reconnue. Henri regut la couronne de fer, 
dans Feglise de Saint-Ambroise, avec une pompe extraor- 
dinaire (2). 

Une soumission si generate et si prompte etait le fruit 
de Tenthousiasme qu avaient inspire les grandcs qualit^s 
de Henri. Mais Tenthousiasme passe, et les interfits poli- 
tiques demeurent. Gibelins aussi bien que Guelfes s'eton- 
nferent vite d' avoir renonce a leur independance, et cher- 
cherent Toccasion de la ressaisir. Elle s'offrit a eux dans 
une demande d'un don gratuit que Tempereur adressa 
aux villes, a T occasion de son couronnement, pour sub- 
venir aux plus pressants besoins. La reaction ^clata d'a- 
bord k Milan par une emeute, et bientdt toute la Lombardie 
fut en feu. Mais heureusement cette reaction improvisde 
manquait d'entente; elle fut promptement reprimee, et les 
villes, a I'exception de Brescia, rentrerent, pour un instant 
au moins, dans Tobeissance. Cette derni^re, apr^s avoir 
coilte a Tempereur les travaux d'un siege, se rendit enfin, 
et ce prince se dirigea vers G6nes au mois d'octobre 
13 M (3). U fut accueilli avec toutes sortes d'honneurs par 
cette ville, de tout temps devouee au parti gibelin ; on lui 
accorda une autorit^ absolue pour vingt ans, avec un sub- 
side. Henri devait rencontrer k Pise un semblable d^voue- 
ment (4) . 

(1) Uenrici Yll Iter italicum, p. 1156 et 1157. 

(2) Id., p. 1159. — Conrad Vicerius, p. 68. 

(5) Henrici VII Iter italicum, p. 1159, 1164 et seq. — Giov. Villani, 
1. IX, c. xxm. — Conrad Vicerius, p. 70. 

(4) Henrici VH Iter italicum, p. 1180. — Albertinus Mussatns, Hist. 
Augusta, t. X. Murat., rub. v. 



HENRI VII EN ITALIE. 273 

Jusque-la tout avait souri a Tempereur; ses succes 
avaient depass^ ses esperances. Mais ici devaient commen- 
cer les re vers. Dans le moment que la soumission absolue 
des deux plus puissantes republiques maritimes de Tltalie 
portail sa joie au comble, une seconde revolte chassait ses 
vicaires des villes dc la Lombardie, une resistance formi- 
dable s'organisait a Rome, tandis que Florence devenait le 
centre d'une ligue guelfc. Cette republique, deja la plus 
riche et la plus influente de la Peninsule, avait compris 
que, siTempereur y prenaft pied, e'en 6tait fait de la liberty 
italienne, et, se devouant h la cause nationale, sans s'em- 
barrasser des dangers, elle appelait a une coalition arm^e 
Sienne, Lucques, Bologne, Asti, Verceil, les seigneurs de 
Milan, de Pavie, Le. roi de Naples, comme le plus puis- 
sant de tons, devait Stre le chef de cette coalition(l). 

Henri apprit k Gfines presque en mSme temps ces 
tristes nouvelles. Ce furent le senateur Louis de Savoie et 
Sciarra Colonna qui vinrent F informer de ce qui se passait 
a Rome. Us lui dirent que le peuple, d'abord bien dispose 
en sa faveur, n'avait pas tarde a se partager ; qu'une por- 
tion considerable s'etait rangee du cdtedes Orsini, deter- 
minee k empecher le couronnement de Tempereur ; que 
le roi de Naples, dont la preponderance imperiale effrayait 
r ambition, patronait ce parti; que son frere, le prince 
Jean, etait deja dans la cit^ avec des forces dont le nom- 
bre grossissait chaque jour. lis ajoutaient que Rizzardo 
Orsini et Giovanni Annibaldi, auxquels le Gapitole avait 
ete confie en T absence du senateur et qui avaient jure de 
le rendre a son retour, refusaient maintenant d'accomplir 
leur promesse, a moins qu'on ne leur comptAt 4,000 flo- 
rins, pretendant que cette somme leur ^tait due pour la 

(1) Conrad Vicerius, p. 68. 



274 . HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. IV. 

garde de la forteresse (^). En mSme temps ils pressaieni 
le monarque de hater sa marche afin d'attaquer scs adver- 
saires avant que leurs preparatifs de defense fussenl 
achev^s. 

Les ambassadeurs du roi de Naples se trouvaient alors 
a Genes dans le but de moyenner, par un manage, une 
alliance entre la maison de Luxembourg et celle de Na- 
ples, On leur demanda des explications sur les faits qui 
. se passaient a la fois a Florence et a Rome. Mais ils re- 
pondirent en montrant une lettre de leur maitre, dans 
laquelle celui-ci s'epuisait en protestations de sympathie 
et de boiine volont^ envers Tempereur, et n'avait, disait-il, 
:4'auti?e. desir que celui d'honorer par sa presence la cer^ 
• mojiie du. cOUronnement (2) . 

Mdgre cesprotestations, Henri crut devoir precipiter 
son depart, Ce ne fut pas sans peine que, d'abord par 
mer de Genes a Pise, et de Pise en prenant sa route 
par les Maremmes,. il parvint jusqu'a Rome (S) . Toutefois, 
aiix portes m^me de cette capitale, le roi Robert lui fai- 
sait declarer que les Napolitains qui remplissaient Rome • 
n'ayaient ete envoyes que pour honor er son couronne- 
nient. Mais, lorsqu'il se pr^senta au Powte-illfoWe pour en- . 
trer dans la ville, le prince Jean lui signifia qu'il avait 
ordre de s'opposer a son passage. II lui falliit livrer un 
sanglant combat pour robteriir. Encore ne reussit-il, avec 
7 .Taide des Colonna, qu'a s'emparer du palais de Latran, 
du Gapitole, de SainterMarie-Majeure, duiColisee, de Sainte- 
Marie-de-la-Rotonde e\ de SaihterSabine, Les Napolitains 
et la faction des Orsini restererit constamment les ihaitres 

• ■'*,-- 

'» * • * . 

(i) Henrici VII Iter italicum, p. i202. — ;.Ferrelus Vicentinus, t^ IX. 
MuraL, p. 1091 et seq. — Albertinus Miissatus, Hist. Aug., 1. V, rub.'vir. 
(2) Henrici Til Iter itaUcum, p. 4180 et 1181 . 
(5) Giovanni Viffeni, i. IX, e. xxxix. , 



HENRI Vn EN ITALIE. OT& 

du Vatican aussi bien que du reste de la ville (1). Henri • 
perdant Tespoir de les y forcer et impatient en meme 
temps de se faire couronner, pria les cardinaux l^gats 
d'accomplir cette ceremonie dans Teglise de Saint-Jean-de- 
Latran, vu que Tentree de Saint-Pierre leur 6tait inter- 
dite.Les legatss'y refuser ent longtemps, alleguantF antique 
usage et la teneur de leur commission. Enfin, dans Tim- 
possibility ou ils etaient de commander aux circonstances, 
ilscederent, et Tempereur regutla couronne dans T^glise 
de Saiht-Jean-de-Latran, le 21) juin 1312 (2). 

Ainsi, cette ceremonie brillante, quidevait terminer une 
expedition que tout avait annonc6e pacifique, fut accom- 
plie au milieu des combats, dans une cite oA Ton n'^tait 
maitre qu'a demi, par des cardinaux mecontents et au 
bruit d'une coalition qui mettait dej^ ses armees en mou- 
vement. Elle etait a peine finie qu'Henri partait pour 
entrer en campagne contre Florence, laissant toutefois 
dans Rome un gentilbomme de sa .suite, Jean de Savigny, 
que le peuple avait elu senateur(3). Celui-ci n'y com- 
manda pas longtemps. Les nobles romains n'eurent pas 
plutot perdu de vue les bannieres allemandes, qu'ils s'e- 
murent, chasserent Jean de Savigny, puis les diverses 
factions, et, se reunissant de concert, elurent, pour le rem- 
placer, Giovanni Sciarra Colonna et Francesco di Matteo 
de' Figli d'Orso (4). Mais le peuple, qui se voyait sacrifie, 
soit que ses maitres fussent le roi de Naples, Tempereur 
ou les chefs des factions, s'indigna de ces choix op^res 
sans son concours. Dans sa fureur il court au Capitole, 

(i) Henrici VII Iter italicam, p. 4195 et seq. — Ferr. Vicent., p. 1404. 
— GioY. Vill., 1. IX, c. xxxviii. 
(2) Henrici VII Iter italicum, p. 4200 et 4205. 
(5) Id., p. 4204. 
(4) Id., p. 1204. — FetT. Vicent., p. 4442. 



2t6 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. IV. 

expulse les nouveaux magistrals, declare qu'il veut undic- 
tateur, et revet de cette dignite supreme, sous le nom de 
capitaine du peuple, Jacopo dei Stefaneschi. Gelui-ci, nou- 
veau Brancaleone, moins Tautorite du caractere pourtant, 
se met a Toeuvre, et, jaloux de montrer a la fois Tenergie el 
rimpartialit^desa justice, il jette dans les fers, pfile-mele, 
Orsini, Colonna, Savelli, Annibaldeschi . La terreur regne 
dans la ville. Mais une administration si violente ne pou- 
vait etre de longue duree ; les nobles trouverent bientdtle 
moyen de la renverser et recommencerent leurs luttes* 
C'est ainsi que Rome, apres avoir force ses pontifes a Texil, 
passait tour a tour de Tanarchie au despotisme (I). 

Pendant ce temps-la, Henri guerroyait contre la ligue 
guelfe. Suivi de deux mille chevaux et de quinze cents 
fantassins, il porta le fer et le feu jusque sous les murs 
de Florence, ou il campa pendant plus d'un mois. Mais 
tout le succes que ce monarque retira de cette campagne, 
glorieuse d'ailleurs pour ses armes, fut d' avoir eflray^ ses 
ennemis. Les troupes liguees, quoiquedeux fois aussi nom- 
breuses que les siennes, n'oserent jamais se mesureravec 
les AUemands. Elles craignaient le choc de ces hommes 
rudes, accoutumes a prendre la guerre au serieux. Au 
reste, la pusillanimite les servit mieux que n'aurait fait le 
courage. Leur inaction, qui devait tout perdre, sauvatout. 
La famine, la maladie, causerent a Henri plus de mal que 
leurs glaives n auraient pu lui en faire. Affaibli par ce 
double fleau, ce prince opera sa retraite sur Pise, oii il 
arriva dans le mois d'octobre 43i 2 (2). 

Si la fortune avait pu trahir Henri, son courage ne Fa- 
bandonna pas. A I'abri derri^re les remparts de Pise, il 

(i) Albertinus Mussatus, 1. XI, rub. xii. 
(2) Giov. Vill., 1. IX. c. xlv, xlvi et xlvii. 



HENRI VII EN ITALIE. 277 

employa Thiver a recruter de nouvelles forces en AUema- 
gne, mit au ban de TEmpire les villes qui avaient ose s'ar- 
mer centre lui, conclut une alliance avec Frederic de Si- 
cile, et, de concert avec ce prince, il se prepara a faire 
repentir le roi de Naples de Tappui quil prfitait au parti 
guelfe(I). Le printemps venu, il se remit en campagne, 
plus redoutable que jamais. Deja Robert tremblait pour son 
royaume. Mais, au moment oil les operations de la guerre 
allaient devenir decisives, Henri mourut tout a coup, le 
24 aoiit, a Bonconvento, au milieu de son armee (2). Prince 
magnanime et vaillant, ses ennemis memes ont fait son 
eloge. II etait digne de relever la majeste de TEmpire ; il 
ne parut que pour provoquer son deuil et ses regrets. 
Toutefois sa mort, qui etait une calamite pour TAllema- 
gne, fut un bonheur pour lui ; elle sauva sa vertu et sa 
gloire d'un ecueil ou elles se seraient peut-etre brisees, en 
Tarrachant au danger imminent de faire la guerre a TE- 
glise; car, au moment ou elle arrivait, Clement V, dontle 
voyage de Henri n'avait point realise les esperances et qui 
s'alarmait a bon droit des prpjets de ce prince centre les 
Guelfes, Clement V publiait T excommunication centre qui- 
conque entrerait a main armee dans les domaines duroi 
de Naples (3). Le pape nommait en meme temps Robert 
vicaire du Saint-Siege en Italic et senateur de Rome, le 
jugeant seul capable d'en maitriser les factions (4). 

Mais Clement V, a son tour, ne devait pas survivre long- 
temps a Henri. Depuis sa maladie de Tannee 1306, sa 
sante avait ete constamment chancelante ; les travaux du 
concile de Yienne venaient d'en user les restes. De vio- 

(4) Giov. Vill., 1. IX, c. xlyui et l. — Conrad Vicerius, p. 52. 
(2) Giov. Vill., 1. IX, c. li.— Baluze, 1. 1, p. 94. 

(5) Id., p. 94. 

(4) Raynald, ann. 1514, n" 2. — Baluze, 1. 1, p. 55. 




278 HISTOIRE DE LA PAPAUTlfe, LIV. IV. 

tentes douleurs d'intestins lui enlev^rent d'abord I'app^tit; 
bientdt son estomac, devenant de plus en plus debile, se 
mit k rejeter le peu de nourriture qu'il prenait. Dans cet ^tat 
de souffrance, le sejour d' Avignon cessa de lui plaire. D 
transporta sa cour a Carpentras; puis il alia se renfermer 
dans le chateau de Monteux, dont il acquit alors la sei- 
^neurie pour le vicomte de Lomagne, son neveu (1). Par- 
tageant les illusions si naturelles a ceux qu'une maladie 
lente conduit au tombeau, il esperait que le changement 
d'air, le calme de la solitude auraient le pouvoir de retenir 
cette vie qui lui echappait, pour ainsi dire, goutte S 
goutte (2). La, neanmoins, toujours applique aux soinsde 
r administration, il ne retranchait rien de son activity. 11 
faisait une troisieme promotion de cardinaux, achevait la 
Canonisation de Gelestin V, redigeait le septi^me livredes 
decretales, qui devait contenir les acles principaux du 
concile de Vicnne (3), et s'occupait d'embellir la ville de 
Carpentras, en y faisant construire des fontaines(^<).Cepen- 
dant, vers le mois d'avril < 2^ 4, le mal redoubla, et tons les 
remedes devinrent impuissants a en calmer les douleurs. 
Le pontife s'imagina alors que le climat de la Gascogne, cc 
climat ou il avait pris naissance, aurait plus de vertu, et 
il quitta le chateau de Monteux pour retourner k Bor- 
deaux. On le transporta d'abord i Ch^teauneuf-€alcernier, 
puis a Roquemaure sur le Rhdne. Mais, arriv^ 1^, sa fai- 
blesse ne lui permit pas d'aller plus loin, ses forces ^taient 

(i) De Sade, Memoires pour la vie de P^trarque, in-4^ 5 vol., 1. 1 
p. 52. 

(2) Baluze, 1. 1, p. S6. 

(5) Id., 1. 1, p. 80 et 409. 

(4) Pour cela, le pape achela de Barral des Baux, seigneur de Barrouxet 
de Garomb, les eaux de la montagne des Alps, qui est du territoire dc 
Garomb, avec le droit d*exemption, pour une somme de trois cents florins 
d'or. (Ms. Fornery, 1. V, p. 570.) 



MORT DE CLEMENT V. 279 

epuisees, et il expira le 20 avril. Son corps fut aussitdt 
rapporte k Carpentras, ou se trouvait la plus grande par- 
tie des cardinaux. II y resta jusqu'au mois d'aodt, epoque 
a laquelle on Temmena en Gascogne pour Tinhumer dans 
Teglise de Sainte-Marie-d'Uzez, ou il avait choisi sa sepul- 
ture et institu^ un chapitre de chanoines(l). Si Ton en 
croit un historien, il arriva, dans les premiers instants 
de confusion qui suivirent la mort de Clement V, un inci- 
dent bien propre a montrer la vanity des grandeurs hu- 
maines. Ce pontife que tant de pompes avaient entour^ 
pendant sa vie , qui avait vu des monarques et tant de 
princes composer sa cour, ce pontife passa presque nu la 
premiere nuit de sa mort, et il fut tellement abandonn^ 
par les religieux qui devaient le garder, qu*un cierge de 
la chapelle ardente put se renverser et mettre le feu aux 
objets d'alentour, sans que personne songeSt a arr^ter les 
progres de Tincendie. Quand on s'en apergut, le corps du 
pape etait a demi consume (2). 

Le pontificat de Clement V avait dure huit ans dix 
mois et quinze jours. S'il n occupe qu'un faible espace 
dans le temps, les evenements qui Tout rempli lui assi- 
gncnt en revanche une large place dans Thistoire, et Ton 
peut dire que Thomme ne s'est point montre indigne du 
rdle que la Providence Tappela a y jouer. Avec quelques 
preventions que Ton juge Clement V, on sera toujours 
force de reconnaitre en lui une rare sagacite, la science des 
hommes et des choses, beaucoup de moderation et de pru- 
dence. Les nombreuses affaires qu'il traita personnelle- 
ment temoignent de son activite aussi bien que de la force 
et de Fetendue de son esprit. Clement V, toutefois, n avait 



(1) Baluze, p. 54, 56, 80, 110 cl ill. 

(2) Francisci Pipini Ghronicon, t. IX. Murat., p. 750. 



280 HISTOIRE DE U PAPAUTE, LIV. IV. 

qu'une sante ebranlee par des souffrances qui affaiblis- 
sent prodigieusement le moral de Thomme. II aimait les 
lettres, les cultivait, et des monuments attestent qu'il cher- 
chait a les faire fleurir. Son caractere manquait, il est vrai, 
de cette inflexibilite vigoureuse qui brise les obstacles; 
mais il avait cette tenacite patiente qui les use. De sem- 
blables caracteres luttent avec moins d'eclat; ils parvien- 
nent egalement a leur but. Dans les circonstances ou vecut 
Clement V, peut-etre un caractere plus fort aurait-il 
^choue. 

On a accuse ce pontife de s'6tre constamment tenu aux 
genoux de Philippe le Bel et d' avoir epuise, vis-a-vis de ce 
monarque, la servilite des complaisances. Le principal 
fondement de cette accusation est dans le recit, accredite 
par Villani, sur la promotion de Clement a la tiare. Nous 
croyons avoir demontre la faussete de ce recit (Pihes 
justif., n** 7), et, des lors, cette accusation tombe d'elle- 
mfime. Malgre la faiblesse que sa situation gfinee en 
France pretait a la Papaute, quand on suit la carri^re de 
Clement V, on le voit plus d'une fois en lulte ouverte 
avec Philippe le Bel sur les points mfimes ou Ton a ecrit 
qu'il avait jure a ce prince une docilite aveugle a ses vo- 
lontes. On a ete jusqu'a attaquer ses moeurs, en Taccu- 
sant d'avoir cede a Tamour des femmes. Mais, quoique 
Villani suppose que personne n'ignorait un fait si scan- 
daleux(l), ce chroniqueur est le seul contemporain qui 
le dise, et nous aureus encore plus d'une fois I'occasion 
d'apprecier la veracite de Villani et son indigne partialite 
en vers les souverains pontifes qui ont siege a Avignon. 

S'il nous etait permis d'adresser quelques reproches a 
Clement V, nous dirions que, sous prelexte des besoins 

'{i) Giov. Vill., 1. IX, c. Lviii. 



CONCLAVE DE CARPENTRAS. 284 

reels de la Papaute, il appauvrissail les eglises. Lies plain- 
tes du clerge de France attestent les contributions exor- 
bitantes qu'il exigeait des ben^ficiers, en traversant Ic 
royaume suivi de sa nombreuse cour (1). Nous repren- 
drions encore, dans ce pontife, un goiit pour le faste, la 
magnificence et la representation, dont Taustere simplicite 
de ses predecesseurs ne lui ayail pas donne Fexcmple. 
Mais peut-6tre la Papaute, loin du theatre de sa grandeur, 
avait-elle besoin de Teclat dont Tentoura Clement V, Mais 
peut-etre y a-t-il un puritanisme cxagere h trouver mau- 
vais que les chefs de Tfiglise ne dedaignent pas les splen- 
deurs au milieu desquelles nous avons coutume de con- 
templer les grandes dignites de la teri^e. 

La mort de Clement V, arrivee loin du si^ge naturel do 
la Papaute et au milieu de circonstanccs qui avaient pro- 
digieusement modifie le college des cardinaux, devait faire 
presager un conclave orageux.Celui qui s'assenibla alprs a 
Carpentras le fut en effet, et plus qu'on ne Tavait d'abord 
redoute. Ilyavait vingt-trois cardinaux, dont quinze Fran- 
gais ou Gascons et huit Italiens. Ces princes de Tfiglisc 
s'enfermerent d'abord assez paisiblement dans le palais 
episcopal; mais une funeste division ne tarda pas a ecla- 
ter parmi eux. Ce n'etait plus, comme autrefois a Perouse, 
le voeu d'une Election guelfe ou gibelirie qui partageait 
les suffrages : c'etait, chez les uns, \e desir d'un pape qui 
reportUt k Rome le Saint-Siiege; chez les autres, la crainte 
d'un pontife qui abandonn&t le pays ultramontain. Les 
huit cardinaux italiens, jaloux de revoir leur patrie, de- 
clarerent ne vouloir accorder leurs voix qu'au seul candi- 
dal qui proraettrait de ramener la Papaute dans la cile des 
apdtres, et, nonobstant leur minorite, grace a leur union 

(1).Aauze, Vits, 1. 1, p. ^4. 



282 IIISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. IV. 

et aux rivalit^s des cardinaux fran^ais et gascons, ils tin- 
rent le conclave en suspens jusqu ^ la fin de juillet (1). 
Mais alors arriverent a Carpentras Bertrand de Got, vi- 
comte de Lomagne, et Raymond Guillaume de Budos, ne- 
veux du pape defunt, suivis d'un grand corps de troupes 
gasconnes. Le butavoiie de ces deux seigneurs etait d' em- 
porter le corps de leur oncle et de le conduire avec hon- 
neur a sa destination. Mais leur but secret et reel ^tait de 
peser par rintimidation sur les suffrages du conclave et de 
les faire p^cher vers quelque membre de leur famille(2). 
Toutefois, pour Thonneur de ces barons, il faut supposer 
qu'ils n'avaient pas Tintention d'employer la violence. 
Mais ils commandaient des soldats brutaux, indiscipline 
et faits au desordre. Ces derniers se prirent de querelle 
avec les gens de la suite des cardinaux italiens. Les suscep- 
tibilites nationales s'en m^lerent; on en vint aux mains. Les 
Italiens eurent le dessous et laiss^rent plusieurs de leurs 
hommes sur la place. Les choses n'en resterent pas la. 
Cette bande farouche, echauffee tout a coup par le meurtre 
et la vengeance, se jette sur les marchands remains eta- 
blis a Carpentras, pille leurs magasins, met le feu aux 
maisons des cardinaux italiens; puis, dans sa fureur tou- 
jours croissante, elle se porte au conclave, en assiege 
la porte, proferant des cris de mort et demandant un 
pape (5). 

A ces clameurs furibondes, les cardinaux setroublent, 
Frangais et Italiens sont frappes d'une egale terreur. Re- 
doutant une irruption tumultueuse s'ils reslent dans le 
palais, et n'osant en sortir de peur de tomber aux mains 

(\) Baluze, 1. 1, p. Ui et i13.— Giov. Vill., 1. IX, c. txxix.— S. Antoo., 
t. ni, til. XXI.— Chronique de S. Denys, t. XX de dom Bouquet, p. 69i . 
(2) Baluze, t. II, Ep. encyclica card, italorum, p. 287. 
(5) Id., t. II, p. 288. 



JACQUES D'OSA. 283 

de ces forcenes , ils pratiquent une breche dans un des 
murs inlerieurs, el echappent de la sorte au danger. A la 
suite de cette sc6ne deplorable ils se dispersferent pour 
s'enfuir, les uns a Avignon, les autres h Orange. II ne fut 
plus possible de les reunir (1). Le malheur voulut que 
le seul homme qui aurait eu assez de volonle et de 
puissance pour cela, Philippe le Bel, mourftt sur ces 
entrefailes. 

Genie m^le de brillantes qualites et de graves defauts ; 
digne d'etre mis au nombre des plus grands rois, si Ton 
ne voit en lui que Teclat des actions, le courage guerrier, 
I'habilete administrative ; digne d'etre range parmi les ty- 
rans, si Ton consid^re sa durete en vers ses peuples, ses 
injustices envers ses vassaux, son despotisme a Tegard du 
clerge. 11 exalta la royaut^ et humilia Tfiglise; et nean- 
moins, par je ne sais quelle fatalite des choses humaines, 
en descendant dans la tombe il emporta les esperances do 
cette meme Eglise, qui, privee tout a coup de Tappui de 
son bras de fer, demeura pendant plus de deux ans veuve 
de son chef. 

II y avait parmi les cardinaux un homme celfebre par la 
singularite de sa fortune; il s'appelait Jacques d'Osa ou 
d'Euse. Cahors Favait vu naitre ; mais la condition deceux 
qui lui donnerent le jour est encore un probleme. Les uns 
disent que Jacques d'Osa etait fils d'un cordonnier, les 
autres d'un aubergiste (2); quelques-uns veulent que la 



(i) Baluze, loc. cit. — De Sade, Memoires pour la vie de Petrarqiie, 
1. 1, p. 35. 

(?) Patre plebeio ortum trahens. (Ferr. Vicenl., p. 4166.) —Giov. Vill., 
1. IX, c. Lzxix. Fu uno povero cherico, e per nazione del padre ciabat- 
liere. — S. Anton., t. Ill, tit. xxi. Filius sutoris. — flistorisB Cortus., t. XII, 
Marat., 1. V, c. y, disent : Eum obscurissime uatum esse. Papyre Masson 
leditftussi. 



284 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. IV. 

noblesse ait honore son berceau (>l). La solution d'une pa- 
reille question importepcu.L'dclatd'une naissance illustre 
n'ajoute rien a Thprnme mediocre ; Tobscurite d'une on- 
gine vulgaire ne rabaisse point le grand homme. La valeur 
reelle de T homme est en lui-m6me, dans ces rares quali- 
tes que la Providence departit h qui il lui plait, et tout le 
monde s'accorde a reconnaitre que celles de Jacques d'Osa 
elaient de nature a le tirer de pair, quelque carri^re qu'il 
eftt embrass^e. Dans un corps petit, grele et d'une laideur 
repoussante, il renfermait un genie superieur, dc vastes 
pensees, des connaissances profondes et varices. Ses talents 
seuls avaient faitsa fortune (2). 

Jeune encore, et lorsqu*a peine les premiers principes 
de la grammaire et de la dialectique avaient eclaire son 
esprit, il s'etait pris d'un violent degout pour la condition 
que semblait lui avoir imposee la Providence, et, tourmente 
de cette vague ambition qui agite les ames appelees aux 
grandes choses avant meme qu elles aient compris leur des- 
tinee, il avait cherche a se frayer un chemin vers un etat 
plus ^leve. Sa patrie lui offrant peu de ressources, il dirigea 
ses pas vers Naples, esperant, sur le brillant thesitre de 

(i) Albertus Argent., p. 125; de Militari progenie. — Baluze, ad nolas, 
p. 689 et seq., s'efTorce de prouver que Jean XXII etait noble. 

(2) Elegerunt... virum non rouUum magoum in statura, sed in scienlia 
magnum. (Baluze, 1. 1, p. 116.) Joannes Andrese, dans la preface des Cle- 
mentines, dit : Scieutia magnus, statura pusillus, conceptu magnanimus. 
— S. Anton., t. Ill, tit. xxn : Dives iugenio et scienlia, parvus corpore, sed 
magnus animo. — Petrarca , 1. Ill Rerum memorandarum : Homo perstu- 
diosus et vehementioris animi. — Giovanni Villani , 1. II, c. xx : Piccolo 
fu di persona. — Ferretus Vicentinus : Licet venustate deformis, non 
minus prudens quam ingeniosus. line page avant, il le depeint : Aspectu 
deformem Zachsei instar, litteris tamen divinis et huraanis imbutum.*— 
Era Juan hombre baxo de linage. Fue assimismo muy baxo de cuerpo, 
pero de animo muy grande, y persona de mucho valor, gra jurista, y muy 
amigo de hombres doctos. (Gonzalo de lUescas, Hist, pont., Ila parte, p. 11 .) 



JACQUES D'OSA. 285 

ritalie, dans une ville populeuse, au milieu d'une civili- 
sation qui devangail le siecle, trouver des nioyens faciles 
et prompts de faire fortune. C'etait quelques anndes apres 
rinauguration de la dynastie angevine au trdne des Deux- 
Siciles. Arrive dans la capitale de Charles d'Anjou, le 
jeune Gascon n'y rencontra d'abord que Tabandon et la 
detresse; mais il avait du coeur et du savoir-faire. Son 
premier soin fut de s'enquerir ou un ecolier pauvre pour- 
rait trouver un logement. Dans ce but, il s'adressa a un 
religieux mineur, don tTexterieur venerable r avait frappe, 
et auquel il dit qu il etait Gascon, et desirait etudier la 
theologie. La misere de Jacques d'Osa, sa passion pour 
r etude, et je ne sais quoi au-dessus de Tofdinaire, qui 
pergait a travers la vulgarite de ses traits, interesserent le 
moine ; il loua le dessein du jeune homme, Texhorta a 
placer en Dieu sa confiance, et le pria de revenir, promet- 
tant de lui donner un bon conseil. 

Notre dcolier se retira plein de joie et d'esperance, et 
revint, au bout de deux jours, trouver le religieux. Celui- 
ci, juste appreciateur du merite, et qui en avait dem^le 
beaucoup dans Jacques d'Osa, lui conseillad^embrasser la 
regie de Saint-Fran§ois. C'etait la plus qu un conseil, et 
tout autre que Jacques d'Osa y aurait vu une bonne for- 
tune. Mais la suggestion k une regie ne souriait point a 
Tesprit independant de notre ecolier, elle gfinait d'ailleurs 
ses projets d'avenir : il refusa honn^tement ce que lui 
proposait son bienveillanl conseiller. Celui-ci n'insisla 
pas, et, quelques jours apres, il trouva le moyen de faire 
entrer son protege ehez le precepteur m6me des enfants 
du roi, en qualite de serviteur des augustes eleves. Gar, 
tandis que les autres princes de la chretiente ne profes- 
saient encore qu'un d^dain superbe pour Tinstruction et 
lui pr6f(6raient T ignorance, Charles d'Anjou, s'affranchis- 



286 IIISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. IV. 

sant du honteux prejuge de son siecle, voulait que ses en- 
fants fussent Aleves dans les sciences et les leltres ; et une 
chose fera eternellement honneur aux enfants de ce mo- 
narque ; ils virent, sans la moindre repugnance, un homme 
du peuple, leur propre serviteur, partager leurs legons {i). 

Jacques d'Osa fit de rapides progres dans Tetude du 
droit canonique, puis dans celle du droit civil, et se trouva 
en pen de temps digne de recevoir le grade eminent de 
docteur. Des lors, sa fortune commenga a prendre une 
facenouvelle. Admisdans les rangs du clerge, on lui donna 
plusieurs benefices ecclesiastiques qui le placerent au- 
dessus de la mediocrite, et le mirent en etat de s'^lever 
plus haut, II devint lui-meme le precepteur des enfants de 
Charles II, dit leBoiteux, et Jacques d'Osa eut la gloirede 
former le plus grand roi de son siecle, Robert, et un 
grand saint, Louis, eveque de Toulouse, qu il canonisa 
plus tard, apres avoir admire, dans Tage le plus tendre, 
ses precoces vertus (2) . 

Parmi les talents de Jacques d'Osa se trouvait surtout 
le talent pratique des affaires, cette perspicacite qui en 
demele le point capital, cette prudence qui en prevoit et 
en ^carte les obstacles, et ce genie des expedients par lo- 
quel on les mene a bout. II ne tarda pas a entrer dans les 
conseils les plus secrets du gouvernement. Envoye a plu- 
sieurs reprises pres du Saint-Siege et de la cour de France* 
il s'y fit admirer par son eloquence insinuante et son ha- 
bilete. Charles II, desirant le recompenser des services 
quil avait rendus auroyaume, lefit nomnaer, en 4300, 
par Boniface VIII, a Teveche de Fr^jus en Provence, et 

(1) Ncc puduit regis natos ab hoc auditas bis aut ter repetere lectiones. 
(Ferr. Vicent.) — Giovanni Villani dit : Essendo in gratia del re Carlo a sua 
spenuria il fece studiare. (L. IX, c. lxxtx.) 

(2) Baluze, t. I, p. 471 et 174. 



JACQUES D'OSA. 287 

lui conceda, ainsi qu*a ses successeurs, les droits qu*il 
avail surles chateaux de Revut et de Villepaix (I). Mais 
ce siege obscur, insalubre et pauvre n'elait pas un prix 
digne des merites de Jacques d*Osa. Accoutume au s^jour 
d*une grande capitale, il ne put se faire au sejour de sa 
ville episcopale. II y parut d'abord paur prendre posses- 
sion de son eglise, en regler F administration; puis il re- 
touma a Naples (2). Charles 11 le recompensa mieux en 
lui donnant la place de chancelier, vacante par la mort de 
Piarre de Ferri^re, archev^que d' Aries (3). 

Cependant Jacques d'Osa touchait a la vieillesse, et il 
n'avait gravi que les premiers echelons des dignit^s eccl^ 
siastiques, lorsque Tev^che d' Avignon vint a vaquer par 
la translation de Guillaume de Mandagot k rarchevdche 
d'Embrun (4). Notre prelat brigua aussltdt ce poste de- 
venu eminent par la presence de la cour romaine. Comme 
ii etait aid^ par les recommandations (5) de Robert, qui 
avait succede a Charles II, il Temporta sur ses rivaux, et 
devint, en 1510, eveque d' Avignon (6). II ne tarda pas k 
justifier le choix qu on avait fait de lui. La superiorite de 
ses talents ^clata sur ce grand theatre. Infatigable au tra- 
vail, mele a toutes les controverses, tantot comme avocat, 
tantot comme juge, tanldt comme definiteur, il deploya, 

(1) Duchesne, Preuves de I'Histoire des cardinaux fraD9ais, p. 284. 

{^) J*ai puise ces details sur les annees qui precederenl le pontifical de 
Jean XXU dans Ferrelo de Vicence, t. IX de Muratori, p. 1166, H67 
et 1168. 

(3) Giov. Vill., 1, IX, c. lxxix. — Baluze, ad notas, p. 690, a prouve ir- 
refragablement que Pierre de Ferriere n*avait pu ^tre le mailre de 

Jean XXII. 

(4) Nouguier, Hist, de TEglise et des eveques d' Avignon, p. 95. 

(5) Qui... ad instantiam (regis Roberli) fuit episcopus forojuliensls, et 
deinde ad episcopatum avenionensem extitit translatus. (Baluze, t. I, 
p. 185.) —Ciacconius, Vit8B et Gcsla pontif., t. II, p. 591. 

(6) T^ouguier, loc. cil. — Gallia Christiana, 1. 1, p. 820. 



288 IIISTOIRE DE LA PAPAUTB, LIV. IV. 

dans Texercice de ces diverses fonclions, une connaissance 
si approfondie du droit, une telle sagacite d' esprit, une si 
rare facility d'elocution, que Topinion de tousleplaga bien 
vite au premier rang parmi les prelats de la cour. Les 
frequentes occasions qu'il avait de voir le pape, soit pour 
les graces, soit pour les consultations, Tetablirent dans 
Tintimite de Clement V. Son habilete brilla surtout au 
concile de Vienne, oil il fut du plus grand secours au pape 
par ses conseils lumineux. Au retour de cette assembl^e, 
le chapeau de cardinal et Teveche de Porto le recompen- 
s^rent de ses services {\). Devenu membre du Sacre Col- 
lege, il semblait que Jacques d'Osa diit 6tre parvenu a 
Tapogee de cette grandeur qu il avait r^vee. Mais une di- 
gnite plus haute encore lui etait reservee, et la favour de 
la cour de Naples allait le porter a la tiare. 

Dans la situation que les derniers ^venemenls de la Pe- 
ninsule et sa propre politique avaient faite a la cour de 
Naples, elle sentait qu'un pontife devout a ses inter^ts lui 
etait devenu necessaire. Comment aurait-elle pu autrement 
conserver la preponderance en Italic, recouvrer la Sicile 
et dominer a Rome, sans une etroite alliance avec la Pa- 
paut6? C'eikt done ete un malheur pour cette cour si, avant 
d'avoir connu le trepas de Clement V, une election preci- 
pilee avait place sur la chaire de Pierre un pontife que 
des inter^ts speciaux ou des vues personnelles auraient 
eloigne d'elle. L'emeute de Carpentras, en forgant le con- 
clave a se dissoudre, servit sa cause. Pendant le long in- 
terregne qui suivil, Robert eut le temps de faire jouer les 
ressorts de sa politique pour diriger les suffrages des elec- 
teurs. La plus grande partie des cardinaux s'^tait re- 
fugiee a Avignon, le roi y envoya un emissaire aflSde 

ii) Ferr. Vicent., p. 1468 et 1169. 



JACQUES D'OSA. 289 

charg^ de proposer pour souverain pontife le cardinal de 
Porto. C'^tait, en effet, Thomme qu il fallait k la cour de 
Naples, nul autre ne pouvait lui offrir des garanties plus 
sftres de devouenient. II ne s'agissait que de faire agreer 
lin tel candidal aux trois partis qui divisaient le conclave. 
Le parti frangais ne semblait point devoir soulever de se- 
rieuses difficultes. Mais le parti italien et le parti gascon fai- 
saient craindre une forte opposition. Le point capital etait 
d'en gagner un, et le roi s'adressa au parti ilalien, comnie 
le plus facile. On fit des avancos a Napoleon des Orsini et 
a Pietro Colonna, les presents ne furent pas ^pargn^s, et ces 
deux pr^lats se laiss^rent mettre dans les int^rSts de la 
cour de Naples (1). 

Cependant, quoique les cardinaux se preoccupassent 
beaucoup de Telection du pape futur, rien ne pouvait les 
determiner a reprendre le conclave, tant le funeste evene- 
ment de Carpentras les avait effray^s. Deux ann^es s'e- 
taient ^coul^es depuis cet evenement, et ils ne songeaient 
point encore k donner un chef k Ffiglise. Enfin, Philippe, 
comte de Poitiers, frfere de Louis le Hutin, reussit, en fai- 
sant valoir divers pr^textes, k les reunir dans la ville de 
Lyon pour une conference, apres leur avoir jur6 de ne 
point les forcer k tenir un conclave, et de leur laisser 
pleine et entiftre liberty de se retirer quand ils le jugeraient 
bon. Mais ils ne furent pas sitdt assembles, que le comte, 
jugeant qu'un serment contraire aux int^r^ts de Tfiglise 
ne pouvait lier la conscience, les obligea, malgr^ leurs 
vives reclamations, k se renfermer dans le convent des 
Frferes PrScheurs, avec injonction de ne point sortir de 
ce lieu qu'ils n'eussent donn^ un pasteur a Tfiglise. Phi- 
lippe se chargea lui-m6me de la garde du conclave. Mais, 

(4) Ferr. Vicent., p. 1166. 

19 



290 niSTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. IV. 

ay ant ^t^ presque aussitdt rappel6 k Paris par la mort du 
roi son frere, il confia pe soin au eomte de Forez {\). 

lies trois partis frangais, italien et gascon, se retrou- 
vferent de nouveau en presence, ei leurs d^bats prolong^ 
rent le conclave pendant quarapte Jours. Malgr^ tous les 
efforts que la cour de Naples avait faits pour assurer U 
triomphe de 1^ candidature du cardinal d'Osa, la oabale 
des Gascpns fit longtemps balancer la fortune entre ce pre- 
lat et les cardinaux de P^lagrue et de Fredol (2), Elle se 
rendit enfln, et Jacques d'Osa ftit proclame pape le 7 aofll 
4316; 11 prit le nom de Jean XXII. {Pikes justificative, 
n** 14.) Un mois aprfts, le 7 septembre, il re§ut h cou- 
ronne, dans Fegliseprimatiale de Saint-Jeaji, des mains du 
cardinal Napoleon des Orsini, doyeq du Sacrd College, 
en presence du comte de la Marche, frftre de Philippe 
leLong, etdu comte d'fivreux, leur oncle, qui voulurent, 
pour honorer le nouvpau pontife, tenir les rfines de sa ha- 
quenee dans la cavalcata qui suivit la c^remonie du ecu- 
ronnement (3). 

Apres quelque sdjour k Lyon, le pape s'embarqua sur 
le Rhdne, vers la fin de septembre, pour se rendre a Avi- 
gnon, oA il futregu, le 2 octobre, au milieu des transports 
d'all^gresse de toute la population (4). A Texemple de 
son pr^d^cesseur, Jean XXlI r^solut de fixer sa residence 
dans cette ville; et, comme la cour romaine avait ete jus* 
que^l^ dispers^e, il voulut que tous les membres qui 14 
composaient regussent, dans la cit^ papale, dos livr^ 
convenables. Nous avons I'acte authentique de la distribu- 
tion de ces livrees ; elle Ait faite par les soins de Hugues 

(1) Continuat. Nang., ann. 4516. — Baluze, 1. 1^ p. HA et s^q. 

(2) Baluze, 1. 1, p. 647. — Giov. Vill., 1. IX, c. lxxix. 
(5) Continuat. Gulliel. deNang. 

14) Baluze, 1. 1, p. 116, 134 et 152. 



JEAN XXII. 291 

de Mirabelle, chanoine d'Embrun, et de Louis-Pierre 
Grosse, d^put^s du pape, conjointement avec Jacques Bern 
mond et Bertrand de Mairoze, bourgeois et deputes de la 
commune d' Avignon (1). Les eardinaux furent loges chez 
les principaux citoyens. Le pape choisit pour lui le palais 
Episcopal, et s'y enferma si s(5verement, que, pendant un 
pontificat de plus de dix-huit ans, il n'en sortit que pour 
se rendre reguli6rement & Teglise cathddrale, qui lui ^tait 
contigug (2). 

Jean XXII ^tait k peine fixe k Avignon, qu'il se trouva 
en butte a une cabale domestique. L'auteur de ces ma- 
noeuvres fut decouvert, c'etait un chapelain du pape, 
nomm^ Bernard d'Artige. Le hut du conspirateur etait de 
diviser le Sacrd College, d*y soulever une opposition centre 
son chef, afln d'entraver son administration. En cela, quel 
but se proposait Bernard d'Artige? L'histoire ne le dit 
point. Jean XXII lui fit faire son procfes par Galhard, 
^v6que de Reggio, et Pierre de Prato. On ignore ce qu'il 
devint (3). 

(i) Fantoni, Istoria della citta d'Avignone, 1. 11^ c. m. 

(2) L'anonyme v^nitieB, auteur de la dnqui^me Vie de Jean XXH, danq 
Balufo, expllquo ceUe rigQureuse cloture tn lupposant qm oe poQtifQ avail 
jure dai)$ ie ccmdav^ de ne mooter ni eheyal ni mule, a moins que o^ dq fut 
pour se reudre a Rome : Papa in sua eleQtion^.,. juravit se t^wnquavfi 
ascensumm equum vel muhim nisi iret Romam; ajoulant que, ne voulant 
ni reiourner a Rome ni violer son gefment, il descendit par eau de Lyoo a 
Avignon , et gagna ensuite a pied le palais episcopal , d'oii il ne sortit 
plus : Quod et s^wvavit quyi^ navi^io ivit mque ad Avenionem% et pedes 
ascendit palatium; de quo postea.,, non ejpivit^, Ges deux auecdotes 
ii*on( pas le moindre fondcment, et la circonstance de la cavakata dans 
laqaelle Jean XXII se promena d Qheval dans les rues de Lyon suffit pour 
les renverser **. 

(3) Raynald, ann, 4517, n° 54. 

* Baluze, t. I, p. 178. 

*• Continuat. Guill. de Nang., loc. cit.— Voir la note de Baluze, p. 795. 



292 HISTOIBE DE LA PAHUTE, LIV. IV. 

Mais cette miserable intrigue n'etait que le prelude de 
plus criminels complots. On ne tarda pas k decouvrir que 
des hommes de la cour avaient jur6 la mort du pontife el 
de quelques-uns des cardinaux. C'^tait par des proc^es 
magiques que les conjures esp^raient yenir a bout de leur 
affreux projet. {Pieces jmtificatives, n" A 5.) Jean XXII de- 
crit quelques-uns de ces precedes dans ses lettres. Le 
principal consistait a former des images de cire repre- 
sentantles personnes quonavait envue. Apres avoir con- 
sacr^ ces images par des c^r^monies religieuses aux- 
quelles se mfilait T invocation du demon, on y gravait 
certains caracteres mystiques qui avaient la vertu de faire 
passer, dans les personnes qu'elles repr^sentaient, les ope- 
rations exercees sur elles (1). Jean XXII accuse trois person- 
nages, parmi lesquels se trouvait son propre m^decin, Jean 
d'Amant, d'avoir fabriqu^ de ces sortes damages (2). On 
pent penser ce qu'on voudra de ces sortileges. La virile 
est qu'on y ajoutait foi alors, et que bien des gens les em- 
ployaient aux plus d^testables fins. Hugues G^raud, eveque 
de Gahors, fut accuse d' avoir, par ces moyens, procure la 
mort au cardinal Jacques de Vi^, neveu du pape, et pr^ 
pare pour le pape lui-m6me des breuvages empoisonn^s. 
Convaincu de ce double crime, il fut livr^ au bras s^cu- 
lier, degrade, ^corche vif, train^ en cet etat par les rues 
de la ville, et enfin livre aux flammes (3) . Cette justice ri- 
goureuse fit cesser les complots. 

(1) De Sade, Memoires pour la vie de Petrarque, 1. 1, p. 61. 

(2) Raynald, ann. 1517, n<> 55. 

(5) Baluze, 1. 1, p. 18T, et ap. Notas, p. 75T, Verba chronici, ms. Grandi- 
montensis. — Le manuscrit de Teyssier, t. U (bibliotheque d'Avignon), ajoute 
(p. 4) que le glaive dont le bourreau s*etait servi pour cette execution fut 
mis au faite de la tour du palais du malheureux prelat. EUe fut appelee la 
tour du Glaive jusqu'a sa demolition. — Gonzalo de Illescas, Hist, pontif.. 
Ila parte, p. 11. 






ETAT DE L'EUROPE. 295 

On a fait a Jean XXII, plus qu'a tout autre de nos pon- 
tifes fran^ais, le reproche d'avoir depays6 la Papaut^. 
Comment Jacques d'Osa, dont T education, les habitudes, 
les amities etaient italiennes, qui avait pass6 une grande 
partie de sa vie dans la Peninsule, et qui nourrissait les 
plus vastes projets qu'un pape piit concevoir; comment 
Jacques d'Osa, dis-je, ne dirigea-t-il point ses pas vers la 
capitale du monde cbr^tien, et prefera-t-il Thumble se- 
jour de la roche des Dons aux splendeurs de la ville eter- 
nelle? Mais c'est la precisement ce qui prouve qu'une 
malheureuse necessity, et non une aveugle fantaisie, com- 
mandait k la Papaut^ cette absence que les Remains ont 
tant deploree. Mieux que personne, le vieillard deCabors 
appreciait la veritable situation des cboses ; il jugeait que 
la restauration de la puissance pontificale dans son siege 
naturel n'etait point encore opportune, et qu un autre 
point d'appui que celui de Rome etait necessaire pour 
faire mouvoir les ressorts de Fautorite apostolique. 

En effet, jamais les factions qui divisaient Tltalie n'a- 
vaient ete plus acharnees les unes centre les autres. La 
liguc guelfe, formee a Florence lors du voyage de Tem- 
pereur Henri VII, avait survecu a ce prince. Pour s'oppo- 
ser a ses entreprises, les Gibelins en avaient organise, a 
leur tour, en Lombardie, une autre sous la direction de 
Mattbaeo Viscomti, qui avait remplace, dans la seigneurie de 
Milan, la famille des della Torre, et s'^tait etablie sur ses 
ruines. La ligue guelfe, ayant a sa tete le roi de Naples, 
etait de beaucoup la plus puissante, il est vrai ; mais la 
gibeline racbetait son inferiorite numerique par le talent 
de ses cbefs. Mattbaeo Viscomti, a Milan ; Cane della Scala, 
a Verone; Passerine Ronacossi, a Mantoue; Frederic de 
Montefeltro, a Urbino, et surtout Castruccio Castracani 
degli Interminelli, aLucques, etaient les hommes les plus 



294 mSTOIRE DE LA PAPAUTE, UV. IV. 

habiles dans la politique et dans la guerre que Tltalie eiit 
vus depuis longiemps, Deja la Lomhardie etait le theatre 
des luttes sanglahtes des deux partis; les revoiutiom 
qui boulevereaient la ville de G^nes ailaient bientot les 
amener Tun et Tautre ati pied de ses remparts, et pre- 
ter un nouvel aliment a leur ambition ainsi qu j leur 
fureur. 

Le nouveau pontife ne devait pas tafder a etre compro- 
mis dans ces luttes. Le besoin de relever Tautorite papale 
en Italie, celui de reparer les echecs essuyes par les Guelfes 
pendant la vacance du Saint-Si^g6j tout le portait a y 
prendre une part active, tin de ses premiers soins fut de 
confirmer au roi de Naples les titres dont Clement V 
Tavait revelu (1), et de depouiller Ses ennemis des titres 
de vicaires imperiaux qu lis tenaient d'Henri Vll. far une 
bulledu moisd'avril 1S17, il declafa solennellement que 
la mort de cet empereul* les en avait prives. Le langage 
du pape, en cette occasion^ etait decide. 11 disait que les 
droits de Tempire terrestre aussi bien que ccux de Tem- 
pire celeste ayant ete retnis aux mains du bienheureux 
Pierre, la juridiction imperiale, pendant la Vacance de 
rEmpire, appartient au pontife remain, qui Texerce par 
lui-m^me ou par ses vicaires, et que quiconque, sans 
Taveu du Saint-Si^ge, continuait les fonctions qui lui 
avaient etd confiees par le defunt empereur, offensait la 
religion et attaquait la majeste divine (2). 

L'Empire etait vacant, en effet, car deux concurrents 
s^en disputaient le trone. Aprfes la mort de Henri de Luxem- 
bourg, les electeurs se diviserent en deux factions, dont 
Tune voulait pour empereur Frederic, due d'Autriche; 



(1) Raynald, ann. 1516, n^ 25. 

(2) Id., ann. 1517, n'^ST. 



DOUBLE ELECTION A L'EMPIHE. 295 

Tautre, Louis, due dcBavi^re. De prime abord, le parti de 
Frederic se trouva le plus puissant. Mais Louis, par des lar- 
gesses habilement distribuees, reussita en detacher un cer- 
tain nombre de grands barons qui passferent dans le sien, et 
rendirent les forces moins inegales. Dans cet ^tat de choses, 
leselecteurs se rassemblerent, ceux qui tenaient pourl^Au- 
triche^ ayant a leur t^te Tarcheveque de Cologne, a Saxen- 
hausen ; ceux qui tenaient pour la Baviere, ayant pour chef 
Tarcheveque de Mayence, dans un des faubourgs de Franc- 
fort, sur Tancienne place des Elections. Chaque parti de- 
clara son candidat empereur. Ces deux elections illegales 
furent suivies de deux couronnements qui, dans les tradi- 
tions de I'Empire, ne Tetaient pas moins. Louis de Ba- 
viere re?ut la couronne Ji Aix-la-Ghapelle des mains de Tar- 
cheveque de Mayence, auquel n'appartenait point cethon- 
neur; et Frederic d'Autriche, bien que couronne par I'ar- 
cheveque de Cologne, ministre legitime de cette ceremonie, 
le fut a Bonn, dans un lieu ou il ne dcvait pas Tetre (1). 

Mais, quand les droits des deux concurrents auraient et6 
moins contestables en principe, ils manquaient, Tun et 
Tautre, de la condition la plus essentielle k leur existence 
legale, je veux dire de Tapprobation du Saint-Siege. Le 
chef de Ffiglise, inconnu alors, n'avait pu ^voquer les 
pretentions des deux rivaux k son tribunal supreme, et 
decider auquel revenait Theritage d'Henri VIL 

Si cette anarchic de TEmpire simplifiait la situation de 
Jean XXII vis-a-vis de Tltalie, en revanche elle compli- 
quait etrangement ses rapports avec TAUemagne. Louis 
de Baviere et Frederic d'Autriche, chacun de son cote, en 
avaient appele au pape (2), et Jean XXII devait bientdt 

(1) Struvii Burcardi Corpus Historiae germanicae, 1. 1, per. ix, p. 6T4 
et seq. 
(2)Id., p. 6T5et677. 



296 HISTOIRE DB LA PAPAUTE , LIV. IV. 

entrer comme arbitre dans ce grave demel^. Or, quel que 
diit 6tre son jugcment, on nc pouvait esperer qu'il serait 
accepte de tous. Trop de passions et d'interets etaienten 
jeu. Un conflit entre le Saint-Siege et la moitie de TAlle- 
magne etait done imminent, et il ne tarda pas a eclatcr. 
Mais, avant d'aborder cette dernifere lutte de la Papaute 
avec TEmpire, aussi bien que les evenements dont Tltalie 
fut le theatre, nous devons raconter un ordre de faits qui, 
par leur nature exclusivement theologique, sembleraient 
avoir dAleur 6tre etrangers, et qui poiirtant, par un enchai- 
nement de circonstances particuliferes a cette epoque, y 
occupent une large place. 



LIVRE CINQUIEME. 



SOMMAIRE. 

Les Franciscains. — Bulle : Exiitqui seminat. — Pierre-Jean d'Olive. — Ses idees 
cxag6r£es sur la pauvrete. — Une partie des Franciscains obtient de Celes- 
tin Y la permission de former un nouvel ordre sous le nom dUErmitet du pape 
CeUstin, — lis se retirent dans une ile de la M6diterran6e. — Effort des sup6- 
rieurs franciscains pour les ramener au giron de Tordre. < — lis prennenl le nom 
de Spirituels. — Decision du concile de Vienne et de Clement Y a regard des 
Spirituels. — Leurs erreurs. — Jean XXII entreprend de les r^duire. — Decr6- 
lale : Quorumdam emigit. — Resistance des Spirituels. — On procede contre eux. 
— Bulle : Gloriosam accUsiam. — Apostasie dequelques Spirituels. — Quatredes 
plus fanatiques sont brCkl^s a Marseille. — Ge qu'on doit penser de Terreur des 
Spirituels. — La s^vSritS du pape r^tablit le calmo dans I'ordre de Saint-Fran- 
yois. — Question de la pauvret6 de Jesus-Christ. — Les disputes recommen- 
cent. — Bulle : Quia 'nannunqwim. — Michel de C6s6ne. — Chapitrc de P6rouse, 
son audace. — Guillaume Occam. — Bulle : Ad cohditorem carumwn. — Bulle : Cum 
inter nonnuUos. — Condamnation des oeuvres de Pierre-Jean d'Olive. — Cita- 
tion de Michel de G^s^ne. — Fuite de ce religieux, d'Occam et de Bonagratia de 
Bergame. — Ilsse rendent aupr^s de Louis de Bavi^re. — Principe des d^mdl^s 
de ce prince avec Jean XXII. — Bataille de Muldorff. — Lettre du pape au vain- 
queur de Fr6d6ric. — Affaire dltalie. — Matthaeo Yiscomti. — Si6ge de G^nes 
par les Gibelins. — Legation du cardinal Bertrand du Poyet. — Ses efl'orts pour 
reduire Matthseo a la soumission. — Philippe deYalois en Lombardie. — Defec- 
tion de ce prince. — Jean XXII demande a Fr^d^ric d'Autriche du secours contre 
les Gibelins. — Mort de Matthaeo Yiscomti. — Succfes du legat. — Intervention de 
Louis de Baviere en faveur des Gibelins. — Premier monitoire de Jean XXII a 
Louis. — Protestation de ce prince. — Ses libelles. — Deuxi^me monitoire de 
Jean XXII. — Sentence definitive du pape. — Difete de Saxenhausen. — Bulle : 
Quia quorumdam. — Situation critique de Louis de Baviere. — Projet du pape 
d'offrir la couronne imp^riale a Charles le Bel, roi de France. — Refus de ce 
monarque. — Accommodement entre Louis et Fr6d6ric. — Opinilitrel6 de Louis 
a meconnaitre les droits du Saint-Si6ge. — Marsile de Padoue et Jean Jandun. — 



298 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. V. 

Livre du premier, intitule : Defenseur de la paix. — Les Gibelins d'ltalie appel- 
lent de nouveau Louis de Bavi^re a leur secours. — Gongres schismatique de 
Trente. — Louis de Bavifere en Italie. — Sa trahison envers Galeazzo. — II pour- 
suil sa marcbe en Toscane. — Deuxi^me sentence de Jean XXII contre ce prince. 

— Revolutions produites k Rome par la presence de Louis en Italie. — Jean XXII 
refuse a plusieurs reprises de se rendre a Rome. — Les Gibelins en ouvrent les 
portes a Louis. — Gouronncment de ce monarque par Sciarra Golonna. — Sen- 
tence de Louis contre Jean XXII. — Hero'isme de Jacopo Golonna. — Deposi- 
tion de Jean XXII. — Rainalluccio de Gorbiere antipape sous lenom de Nicolas V. 

— Dcgout du peuple romain pour le schisme. — D4part de Louis deBaviere. — 
Gongres de Pise. — Gondamnation de Jean XXII par Tantipape. — Relraite de 
Louis de Bavi^re. — Fuite de Rainalluccio. — II est remis entre les mains de 
Jean XXII. — Soumission edifiante de cet antipape. — Soumissiou des villes qui 
ayaient consenli au scbisme. — Apparition en Lombardie de Jean de Luxem- 
bourg. — Traii6 de ce prince avec le l^gat Bertrand du Poyet. — Projct de 
Jean XXII pour reporter le Soint-Si6ge en Italie. — Ge projet n'a pas de suite. 

11 y avait un si^cle que Tordrc des Fr^res Mineurs, fonde 
par saint Frangois d' Assise, florissait dans la chretiente, 
sans qti^ Tesprit de fervetir qui avait preside k sa haissance 
se fut affaibli. L^Eglise pouvait s^applaudir des services et 
de la gloire qu'elle en avait-regus. De grands saints, d'il- 
lustres docteurs, en etaient sortis. II avait iheme porteplus 
loin que Tordre de Saint-Dominique, son emule, Tactivite 
du zfeld; cdr rOrient r^tentissait des pr^dicatioiis de ses 
apdtres. Mais, depuis trente ans, il etait en proie k una de 
ces crises qui ^braiilent quelquefois les sociist^s les plus 
saintement constituees, CellcKji etait d'autant plus dange- 
reuse qu'elle avait pour cause k perfection. Nous devons 
remonter k son origine. 

Pendant la derniere moitie du treizifeme siecle,^ Tesprit 
de rivalite avait souleve contre la rfegle des enfants de saint 
Frangois la critique des autres ordres religieux. EUe etait, 
disait-on, illicite, impossible. Ces bruits calomnieux au- 
raient fini par nuire aux Fr^res Mineurs, et le pape Nico- 
las III se crtit oblig^ de leur imposer sileiice eii expliquant 
lui-m6me, par une constitution celebre inseree dans le 
Corps du droit, le teite de la rfegle donn^e par saint Fran- 



LES FRANCISCAINS. 209 

gois. On connait cette constitution, qui commence par ces 
mots : Exiit qui seminat (1). Or, le senfe de la regie fran- 
ciscaine, d*apres Tinterpretation du Souverain pontife, 
etait : « Que les FreresMineurs observassent Tfivangileen 
c( vivant dims 1 obeissanc^, la chastete et une desappro- 
« priation telle, quails ne possedassent ni maison, ni do- 
« maine, ni quelque chose que ce fut.» Lti d^cretale eta- 
blissait ensuite que « TabdicatiOn volontaire de toute pro- 
« priete, tant en particulier qu'en commun, en vue de 
« Dieu, etait mefitoire, sainte; que Jesus-Chnst Tavait 
« enseignee par ses paroles, confirmee par ses exemples, 
« et que les apfitres, suivant les traces de lent maitre, Ta- 
« vaientmise en pratique.)>£lleajotitait que, « en vivant de 
« la sort^, les disciples de saint Francois n etaieni ni homi- 
c< cides d'eux-memes, ni ientaleurs de Dieu, puisqu'ils se 
« confiaient en la Providence, sanfe rejeter toutefois les 
« moyens employes par la prudence humaine. » 

Cette constitution, claire, precise, absolue, fit bien taire 
les contempteurs de la regie des Freres Mineu^s ; mais elle 
reveilla parml ces derniers Torgueil de certains fesprits 
fanatiques de mysticite. Ceux-ci tir^rent des paroles de 
Nicolas III deux conclusions etrdnges : la premiere, que la 
rfeglc de Saint-Frangois etait precisement la loi evange- 
lique (2); la seconde, que la desappropriation, telle que la 
voulait cette rSgle,n^tait pas moins que Tabdication, dans 
le sens le plus absolu, de toute propriete ; d'ou il s'ensui- 
vait que les Freres Mineurs ne devaicnt avoir que le simple 
usage des choses les plus necessaires a la vie (3) . Le chef 

(i) In Sexto becretalium, tit. Xll, de verb. Signif., c. iii. 

(2) Voir la vingt-deuxieme proposition de Pierre-Jean d'Olive. (Baluze, 
Miscellanea, edit, in-fol., t. H, p. 261.) 

(5) Voir la bulle de Jean XXlI : Quia quorttthdam, vp. fiitfat., tit. XIII, 
de terb. 3lgtilf. 



i 



500 fllSTOlRE DE LA PAPAUTE, LIV. V. 

de ces singuliers pauvres, qu'on appela plus tard fratri- 
celles, fut un religieux franyais nomme Pierre-Jean d'O- 
live. 

II etait n& k Serignan, en Languedoc, et avait pris Thabit 
de Saint-Fransois dans le couvent de B^ziers en 1259 (^). 
U se distingua par ses talents, Fausterit^ de sa vie, son 
exacte observance de la r^gle. L'eclat de sa piete, que Ton 
doit croire sincere, lui acquit Tadmiration des peuples, 
qui, longtemps encore aprfes sa mort, le regarderent comme 
un saint. Mais il avait une imagination rfiveuse, un cer- 
veau exalte, qui lui inspiraient un goAt dangereux pour les 
idees comme pour les pratiques extraordinaires. II le ma- 
nifesta surtout dans un commentaire de T Apocalypse, ouil 
exprimait les opinions les plus t^meraires sur Tetat pre- 
sent et futur de Tfiglise ; appelait Tfiglisc romaine la 
prostituee de Babylone, designait saint Francois et son 
ordre comme Fange destine a renouveler la purcte de la 
vie evangelique, et annongait un avenement de FEsprit 
saint pour etablir sur la terre le regne de F amour 
divin (2). 

Le commentaire sur FApocalypse fit beaucoup de bruit 
et souleva de vivos disputes. Une commission de sept theo- 
logiens de Fordre fut nommee pour Fexaminer, et y nota 
plus de soixante propositions heretiques, dangereuses ou 
malsonuantes (3). Pierre-Jean d' Olive r^pondit avec feu a 
ses adversaires et soutint Forthodoxie de sa doctrine. Ce- 
pendant a sa mort, qui arriva en 1297, il parut y renon- 
cer et fit une profession de foi catholique. Mais ses decla- 
mations sur la stricte observance de la regie de Saint-Fran- 

(1 ) Baluze, Vitae, 1. 1, p. 467. 

(2) Baluze, Miscell., t. U, depuis la p. 258 jusqu*a la p. 270. 

(5) Baluze, Vil«, 1. 1, p. 118. — Wading., Annales minorum, I. II, 
ann. 1285, n"" 1. 



LES FRANCISCAINS. 5(M 

cois, ses opinions exagerees sur la pauvrete, jet^rent une 
funeste semence de division dans Tordre des Freres Mi- 
neurs. Elles seduisirent surtout ces esprits ardents, im- 
pressionnables, qui voientla perfection partout oil Ton en 
prononce le nom, et prennent pour r^fonnateur quiconque 
parte de reform e. 

Ceux-ci, s'imaginant que la rfegle de Saint-Francois n'e- 
tait point observee dans Tordre avec la perfection voulue 
par leur maitre, resolurent de se separer de leurs freres 
et de former h part une societe oii ils realiseraient cette 
parfaite observance. Pendant quelque temps la vigilance et 
la fermete des sup^rieurs empecherent Tex^cution de ce 
dessein. Mais arriva T elevation de Pierre Morone au trdne 
pontifical; les reformateurs, profitant du penchant de ce 
pape pour les ermites, eurent recours a soti autorite, et lui 
deput^rent fr^re Liberat et fr^re Mac^rata, tons deux fort 
connus de Celestin V et zelateurs ardents de la pauvrete 
evang^lique, afin d'en obtenir la permission de suivre Tat- 
trait de leur pi^te. Simple et nc soupgonnant point les 
mobiles secrets qui font agir les hommes, Celestin V ne vit 
dans la demande de ces religieux que le ddsir "d'une per- 
fection plus haute, et, craignant d'entraver par un refus 
Toeuvre du Saint-Esprit, il leur permit de se separer de 
Tordre de Saint-Fran§ois, et, sous la conduite de frire 
Liberat, d'eriger oil bon leur semblerait une nouvelle so- 
ciete, qui prit le nom de Congr^ation des ermites du pape 
Cilestin. 

Le pape avait parte, toute opposition de la part des chefs 
de Fordre de Saint-Fran§ois dut cesser. Les reformateurs 
se s^parerent done, non sans essuyer des tracasseries et 
des persecutions qui les forc^rent k se retirer dans la 
Grfece et enfin dans une des iles de TArchipel, oA, se 
croyant tranquilles, ils se livr5rent a toute Fexagerationde 



502 HISTOIRE DE LA PAPAUTB, LIV. V. 

leur pi^te (1). Aprfes avoir permis leur separation deTor- 
dre, on n'aurait pas du commettre la faute de les troubler 
dans leur retraile ; ils n'etaient qu'une poign^e d'enthou- 
siastes; ignores sur un rocher battu par les vagues de la 
mer, ils s'y seraient eteints faute d'imitateurs, et le schisme 
aurait fini de lui-mfime. On les poursuivit dans cet asile, 
et ils devinrent interessants. Munis de Tautorisation pa- 
pale, les ermites r^sistferent viclorieusement k toutes les 
attaques. Malheureusement on employa contre eux la car 
lomnie; elle touma a la honte des d^tracteurs, et la nou- 
velle congregation ne cessa dfes lors de se grossir d'une 
foule de religleux, transfuges de Tordre de Saint-Fran- 
cois (2). 

Ddsesperant de ramener par la persecution les ermites 
a Tunite, leurs adversaires s'adress^rent h Boniface VIII, 
Ce pontife ne vit d'abord rien de sdrieux dans les plaintes 
de ces derniers ; comme il avail alors sur les bras des 
affaires d'une tout autre gravity, il regut mal leg deputes 
mineurs, et, pour se debarrasser d'un seul coup de leurs 
importuhites : c< Je ne vois, leur dit-il, aueun inconvenient 
c( k laisser ces bons religieux suivre Tatlrait d'une vie 
c< plus parfaite, et je sais fort bien qu'ils pratiquent beau- 
c< coup micux la r^gle que ceux qui les inquifetent(3).»Les 
deputes, aussi rudement repousses, appelferent k leur aide 
un stratagfeme qui leur reussit. lis repondirent au Saint- 
Pere que les ermites etaient des partisans secrets de C^ 
lestin V; qu ils n'attendaient qu'une occasion de faire 
revivre sa cause, et n'avaient jamais reconnu pQur oano- 

(i) \YadiDg., t. Ill, ann. 1294, n* 9. 

(2)ld., ann. 1304,n°1. 

(5) R^spondisse pontificem fertur debere m su$ strictiori^ vitae propo- 
sitQ permitti, sibique cer^o rejatum perfectiores esse regulae obscrvatores, 
iis quos molestos sentiebant persecutores. (Wading., ann. 1302, n** 7.) 









If: 









LES FRANCISCAmS. 505 

nique r^leclion de son successeur. A cgs mots, la physio- 
nomie du pape deviijt severe, et, quelques jours aprfes, des 
lettrps etaient expediees au patriarche de Constantinople, 
ainsi qu'aux archevfiques de Patras et d'Ath^nes, pour en- 
gager ces prelats k forcer les ermites, partout oA ils les 
trouveraient, de retourn^r k Tob^issance de leurs anciens 
sup^rieurs (1). 

l)^s ce moment les ermites n'eurent plus de repos. Agi- 
t^s de toutes parts, ils ne virent d'autre moyen que de re- 
Tenir en Italie, de se rcndre auprfes du souverain pontife, 
de montrer que les accusations dont on les avait charges 
n'^taient que d'odieuses calomnies, et de prouver qu'ils 
Etaient tons de vrais enfants de TEglise, d^vou^s de coeur 
et d'ime k Sa Saintet^. Peut-^tre scraient-ils parvenus k 
trouver quelque faveur pris de Boniface VIII s'ils avaient 
eu le temps de lui montrer qu'ils Etaient victimes d'une 
machination. Mais c'^tait le moment oA ce pontife succomr 
bait sous les coups de Philippe le Bel et des Golonna , et il 
leur fallut ou se resoudre k Tanatheme ou se resigner k 
Tobeissance (2). Pen ob^irent toutefois; le plus grand 
nombre se retirerent, les uns en Sicile, les autres dans le 
royaume de Naples, line fraction aborda dans le midi de 
la France, ou, quittant le nom d' ermites du pape C^les- 
tin V, ils prirent celui de spirituek ou de frhes de la plus 
Uricte observance, par opposition a leurs adversaires, qui 
s'appelaient convenluels ou frbres de la communaut^. Lk, 
flialgr^ le discredit que les sup^rieurs franciscains s'effor- 
Caient d'attirer sur eux, leur genre de vie retiree, leur 
entier d^tachement de toutes choses, leurs vfitemens dif- 
ferents de ceux des conventuels, et singuliers Jusqu'Si la 



(1) Wading., ann. 1502, ii« 7. 

(2) Id., n** 8. 



304 BISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. V. 

diflformit^, leur perfection apparente, gagnerent a leur 
cause de nombreux partisans, qui ne pouvaient s'imaginer 
pourquoi Ton persecutait des gens si saints. Ainsi, pour 
avoir imprudemment aigri dans le principe un mal qu on 
aurait pu aisement etouffer par une sage indifference, Tor- 
dre de Saint-Frangois se trouva partage en deux divisions 
qui obeissaient chacune a un general different : les freres 
de la communaute a Michel de C^sene, les freres spiri- 
tuels a Ubertin de Casal, mystique fortement prononce, 
d'un esprit tenace, opiniatre, mais done de grands ta- 
lents. 

Alors plus que jamais il s'engagea entre les deux 
partis une guerre de plume, dans laquelle les spiri- 
tuels feprochaient aux conventuels de violer la regie de 
Saint-Frarigoisen portant des habits d'une longueur, d'une 
ampleur et d'une finesse somptueuses, en mettantdu su- 
perflu dans la forme de leurs capuces, en gardant dans 
leurs colliers et dans leurs greniers des reserves de vin et 
de bl6, quoique ces reserves fussent le produit des au- 
mdnes. L'effet de ces discussions etait d'eterniser une di- 
vision qui devenait de jour en jour plus deplorable. En 
4512, le concile de Vienne s'occupa d'y mettre un terme. 
Les principaux spirituels, ayant a leur tMe Ubertin de Ca- 
sal, vinrent a cette assemblee pour y plaider leur cause, 
lis ne reussirent point a Ty faire prevaloir. Clement Y, 
dans un consistoire secret oA toutes les questions debat- 
tues entre les deux partis furent mflrement examinees, 
decida que la maniere de vivre des conventuels suflSsait a 
accomplir la r^gle de Saint -Francois; puis, dans une c^ 
Ifebre constitution qui commengait par ces mots : Exivi de 
Paradiso{\)y il discuta tous les points de cette regie, el 

(1) Clementinarum, 1. V, til. XI, de verb. Signif, c. i. 



LES FRANCISCAINS. 3(15 

donna sur chacun d'eux une reponse speciale. Cette con- 
stitution, quoique evidemment dirigee contre les spiri- 
tuels, ne condamnait neanmoins personne. C'etait simple- 
ment une nouvelle explication des volontes de saint Fran- 
gois, explication qui devait, a Favenir, servir de base de 
conduite a tons les religieux mineurs. Clement V voulait, 
par la douceur et la moderation, reconcilier les partis. II 
les exhorta a la paix, engagea les spirituels k retourner 
promptement a Fob^issance des superieurs de Fordre, les 
conventuels a traiter avec charite leurs anciens frSres, 
tous a oublier le passe. On ne pouvait mieux s'y prendre. 
En vain Ubertin de Casal se jeta aux pieds du souverain 
pontife, en vain il demanda avec instance la permission 
d' observer la regie de Saint-Frangois ailleurs que dans son 
ordre, alleguant les rancunes des superieurs contre lui, 
et les persecutions dont il allait infailliblement devenir 
Fobjet; Clement V ne vit en celaqu'un subterfuge, et tint 
ferme pour, que tous les dissidents, sans exception, revins- 
sent au giron de Fordre, et qu'il n'y ett plus qu'un seul 
troupeau et un seul pasteur. Beaucoup se soumirent, mais 
il en resta encore une fraction assez considerable qui per- 
sista dans la scissioa, et que le pape poursuivit inutilement 
de ses anath^mes (1). 

D y avaiti chez les spirituels, un mal plus grand que 
cette manie de stricte observance k laquelle ils sacrifiaient 
tant d'autres vertus : il y avait des erreurs contre la foi. 
Ces fanatiques n'etaient pas seulement les admirateurs de 
leur patriarchc Pierre-Jean d' Olive, ils etaient encore in- 
fatues de sa doctrine sur la corruption de Ffiglise ro- 
maine, la mission extraordinaire reservee aux spirituek de 
regenerer le monde, Favenement du Saint-EspVit, et at- 



(i) Wading., ann. iZ\% n*» 6. 

20 



506 fllSTOlRE DE LA PAPABTfi, LIV. V. 

tribuaient ces rdveries k Tinspiration divine (A). L'un 
d*eux mdme, Ubertiq de Canal, avait piibli4 plusieurs 
opuscules oil I'ex^g^se (lu voyant sur T Apocalypse ^tait 
hardiment d^fendue (9). Ge n'est pas tout, les disciples, 
ajoutant aux hardiesses du mattre, soutenaient que le pape 
n'avait auoun pouvoir de dispenser oeux qui avaient fait 
le YOBU de pauvret4 comme ils Tentendaient, d'abroger 
la rftgle de Saint^Fran^ois, de permettre aux religieui 
mineuFS de conserver des provisions de bl^ et de vin, et 
d'autres niaiseries impies (S). G'est ainsi que oes reli- 
gieux, aprfes avoir d^but4 par Torgueil, s'etre pr^cipitis 
dans la revoke coiitre leur$ superieurs legitimes, arri- 
vaient enfiu, de chute en chute, jusqu'au schisme et k 
Ther^sie. 

Le long interrftgtie qui suivit la mort de Clement? 
donna aux spirituels le moyen de se relever du coup que 
le concile de Vienne lour avait port4. Ce qui reslait de 
ces factieux se grossit rapldement, tant de ceux que s^ 
duisait Faust^rite de leur genre de vie, que de oeux que 
la crainte en avait d^taoh^s. lis exci tyrant des mouvementfl 
s^ditieux en Sicile, en Toscane, et surtout dans la pro- 
vince de Narbonne. Lft, plus qu'ailleurs, la faveur popu- 
laire 6tait pour eux, grace a la devotion qu'on y avait pour 
frAre Pierre4ean d'OHve, auquel on attribuait des mi- 
racles. Forts de Tappui que leur prfitait Fopinion, ils se 
ligu^rent, vers Tan 1345, au nombre de cent vingt, et, 
conduits par Bernard D^lieieux, un des disciples d^ Pierre- 
Jean d'Olive, ils ameut&rent la populace de Carcassonne 
centre les inquisiteurs et Tordre des Fr^res Prficheurs 
auquel ils appartenaient, assaillirent a main armde le 

(i) Baluze, Miscellanea, t. II, p. 275. 
(2) Id., p. 276 et seq. 
(5) Id., p. 272 et 275. 



LES FRANCISCAINS. 507 

couvdnt et F^glise da ces religieux, se ru^rent sur lea mai- 
sons et lea propridtes de leqrs partisans connus, les de- 
vasterent, ouvrirent les prisons de Tinquisitioni mirent 
en liberte les spirituels qui s'y trouvaient renferwes (1), 
et, tournant leur fureur aur lea conventuals, les expuls^ 
rent violemment des monasteres de Narbonna et de B^ 
ziers, s'etablirent a leur place sous Fautorita d@ cu^todes 
et de gardiens de leur choix, et remirent en bonneur les 
habits difformes et les autres singularitea que T^glise 
avait tant de fois proscrites (2). 

C'est encet ^tat que Jean XXII, a son avenem^nt, trouva 
les choses* Le d^sordre etait au comble, et il davenait uf* 
gent d' employer h le faire cesser des mesures promptes 
et ^nergiques. Le general des Freres Mineurs, Michel de 
C^s^ne, sollicita d'abord par ses lettres ces mesures aupras 
du nouveau pontife; puis, accompagn^ das principaux 
dignitaires da Tordre, il se rendit lui-m6ma k Avignoui 
afln de les b&ter par sa presence et sas exaitations (S). 
Jean XXII comprit que Theure etait venue de ramanar, k 
tout prix, les dissidents obstinas, et, dds la mois da mars 
de Tannic 1317, il eorlvit a Frederic de Sicile de pour- 
suivre k outrance et de chassar impitoyablament de son 
lie tous les moines franciscains qui se faiiiaient ramar- 
quer k leurs habits courts at a laurs capuces d^pri- 
m^s (4). Puis, le 12 avril suivant, il publia sad^ar^tale 
Qtiorumdam exigit, ou, apres une discussion lumineusa 
des points contest^s par les spirituels, il ordonnait, rela^ 
tivement a ces points, de s'en tenir au jugement des sup^* 
rieurs, et recommandait aux dissidents la soumission par 

(\) Baluze, Yitae, t. U, p. 542. 
(2) Wading., ann. 1514, n* 8. 
(5) Id., ann. 1517, n«»9et11. 
Id., ann. 1517, n° 10. 



508 HISTOIRE DE LA PAPAUt6, LIV. V. 

ces paroles remarquables : c< La pauvrete est grande, la 
c< chastet^ Test encore davantage, mais I'obeissance estsu- 
« p^rieure a ces deux vertus (!)• » 

Quant aux spirituels qui s'^taient si violemment etablis 

dans la province de Narbonne, Bertrand de la Tour, mi- 

nistre d'Aquitaine, regut Tordre de les ramener par la 

voie de la douceur et de la persuasion. Ce religieux s'ac- 

quitta aussi bien qu'il put de cette mission conciliatrice. 

Mais, rencontrant partout des hommes opini&tres, il se yit 

oblig^ de prendre le ton de Tautorite, leur enjoignit , de 

la part du souverain pontife, de deposer leur costume 

ridicule, inusite, et de prendre celui que Tordre avail 

adopte, costume dont Tetoffe aussi bien que la forme, aux 

termes de la decretale Exivi de ParadisOy devait etre de- 

terminee par les usages des lieux et la sagesse des supe- 

ricurs. Ceux-ci repondirent fierement qu'en cela ils ne 

devaient nuUe obeissance aux superieurs, que leur habit 

etait plus conforme qu'aucun autre a Tesprit de saint 

Francois, et qu'en le retenant ils ne croyaient point s'e- 

loigner de la constitution de Clement V. Gomme Bertrand 

de la Tour insistait, all^guant Tordre formel du souverain 

pontife, ils r^pliquferent avec audace qu ils en appelaient 

du pape mal inform^ au pape mieux informe, et quarante- 

six fr^res sign^renl Tacte de cette appellation. Jean XXII 

ne I'eut pas plutdt entre les mains, qu'il exp^dia aux of- 

ficiaux de Narbonne et de Bdziers Fordre de citer, en son 

nom, ces religieux refractaires k comparaitre devant lui 

sous peine d' excommunication (2). 

Cette fois il fallut obeir. Les quarante-six signataires de 
Facte d'appel, qui tous appartenaient au convent de Nar- 



(i) Ap. Extrav., de Verb, signif. 

(2) Wading., ann. 1517, n^* H et 42. 



LES FRAKCISCAINS. 309 

bonne, dix-sept au convent de B^ziers, se mirent en mar- 
che pour Avignon. Quelques autres les rejoignirent sur la 
route, et ils se trouverent en tout soixante-quatorze (1). 
Bans le nombre, cinq avaient ete designes plus speciale- 
ment au pape comme factieux : c'^taient Bernard B^li- 
cieux, Ubertin de Casal, Francois Sanche, Guillaume de 
Saint- Amand , et Ange Claren, qui nous a laiss^ une rela- 
tion assez impartiale de cette affaire. A leur arrivee dans 
la cite papale, les soixante-quatorze prefererent passer la 
nuit sur les degr^s du palais pontifical que d'aller pren- 
dre leur logement a la maison des Mres conventuels. 
Le lendemain, Jean XXII les admit a son audience. II les 
traita avec beaucoup de douceur, entendit patiemment 
leurs reclamations, et, les trouvant frivoles, il leur or- 
donna de rentrer dans les convents d'ou ils ^taient sortis. 
Mais il interrogea k part, sur les crimes objectes aux spi- 
rituels, Ubertin de Casal, Ange Claren et quelques autres. 
Ici la seance devint tr^s-vive : le pape etait fortement pre- 
venu centre les accuses, et plusieurs reporidirent avec 
insolence. Bernard Belicieux et Frangois Sanche voulurent 
prendre la defense de leurs freres, les conventuels les as- 
saillirent d'un torrent d' accusations. II etait evident, pour 
les spirituels, que leur cause etait deja jugee, ils se pri- 
rent a crier : « Justice, Saint-P^re, justice! » Jean XXII, 
impatiente, termina Faudience. On emprisonna Bernard 
Delicieux, Guillaume de Saint-Amand et Sanche; les autres 
furent menes au couvent des Freres Mineurs pour y fitre 
gardes jusqu'a ce que le proces fftt juge (2). Michel le 
Moine, inquisileur de Tordre, regut la commission de 



(1) Wading., ann. 1517, n° 14. 

(2) Id., ann, 1517, n*** 14, 21, 22, 25, 24 et 25. — Baluze, Vilae, t, I, 
p. 116. 



■ ■ • 



510 HISTOIRE DE LA PAPAUTB, UV. V. 

rinstruir^ immddiatement, 6t d'agir contre les prevenus 
^\&6 touts la rigueur des canons (1). 

pang rintervalle, la pape publia sa bulla Gloriotam 
Eeehsiatn (2), dans laquelleles arreurs des spirituels ^taient 
signalled at condamnees. Las frdres cites en cour de 
Rome avaient ^t^ accuses de professed ces erreurs. L'en- 
qu^ta du tribunal ecclesiastique roula principalement sur 
ca point. La plus grand nombre se reudit* Mais il en resta 
vingt^cinq qui r^sist^rent aux ordres du papa comme aui 
prieres des superieurs (5). Geux des dissidents qui parent 
ftiir alors coururent s6 refugier eti^ Sicile, ou, malgre la 
lettre du pape, Frederic, toujoursrennemi secret duSaint- 
Si^ga> mit pen de soin a les inquieter« La, ces rebelles 
consomm^rentle schisme en ^lisant pour general un d'etre 
eux nommd Henri de Ceva (4)» II y en eut mSma qui passe- 
rent aux infideles, apres avoir laisse u& ecrit ainsi congu: 
a Nous abandonnons, non Tordre* mais ses murailles; non 
<x son habit, mais des haillons ; non la foi, m£iis son ecorce; 
R non TEglise^ mais une ayeugle synagogue; non un pas- 
it( teur^ mais un loup devorant* Mais, demSmequ'apr^sla 
« mort de f Antechrist, les vrais ministres et fidMes de Je- 
R sus-Christ extermineront ses partisans, de mSme Uoos 
a et nos fr^res, vrais fidi^les de Jesus-Christ qu on pers^ 
a cute k catte heure^ reparaitrons apr^S la mortde JeanXXU, 
a et remporterons la victoire sur nos adversaires (5)i » 
Get ecrit blasph^matoire fut envoy^ de Marseille au pape 
par rinquisiteur Michel le Moine^ G'est ainsi que ^o^ 
gueil de ces malheureux les poussait jusqu'au delire* 

(i) Wading., ut supra, n* 14. 

(2) Bullarium. 

(5) Wading., ubi supra, n® 14. 

(4) Id., ann. 1518, n'^S. 

(5) Baluze, Miscell., t. U, p. 272. 



LES FRANCISCAINS. 511 

Qudat aljx vingt-cinq, ils ne tinfeiit pas contre les me- 
naces reiterees des inquisiteurs et les sollicitations pres- 
santes des superieurs; vingt et un se soumirent enfin k Tor- 
thodoxie et k I'obeissance* Quatre seuletnent se montr^- 
rent insensibles k tous les moyens qu'on employa pour 
les flecfair, et continu^rent a soutenir que le pape peohaiL. 
en exigeant d'eux le sacriBce de leur stricte observance ; 
que ses declarations touchant les habits et les provisions 
de vin et de ble etaient illicites ; que les prescriptions ren- 
fermees dans la regie dd Saint^FrangoiS) ^tant les mdmes 
que les prescriptions ^vangdliques^ ne souffraient aucune 
dispense; qu'ils ne devaient cons^quemment aucune sou- 
mission a la d^cretale Quorumdam exigit (1)* Ces quatre 
inseUflds dtaient Jean Bcirrau, Dieudonn^ MichaSlis, Guil- 
laume Santon et Ponce Rocfaa. Jean XXII ordonna de sevir 
contre eux, et le general les remit entre les mains de Tin- 
quisiteur. Leur proems fut instruit a Marseille. On esperait 
que cet dcte solennel et terrible changerait leurs disposi- 
tions, lis deploy^rent une Constance digne d'une meilleure 
cause^ et rdpondirent k chacune des questions qu'on leur 
adressait qu'ils n'avaient aucune retractation k faire* Le 
tribunal les declara her^tiques* Le 7 mai >I518^ on lut 
devant les quatre accuses la sentence qui les coudamnait. 
Gette sentence fut immediatement notifiee aU clerg4 et an 
peuple de Marseille* Suivant les lois canoniqueSj Tinqui- 
siteur exigea que la degradation des condamnes precedat 
leur supplice. Ce fut Teyfique de Marseille qui accomplit 
ce tristeofflce. Revetu des ornements pontificaUx, comme 
s'il se fAt agi de confefer Ids saints ordres, et accompagne 
d'un nombreux cortege d' abbes, de pr^lats et de clercs, 
il fit amener devant lui les quatre religieux, revdlus de 

(1) Wading., ann. 1518, n°26. 



L 



312 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. V. 

lous les insignes de leurs ordres, comma s'il se fAt agi 
pour eux de les exercer. Puis, aprfes avoir fait une der- 
niere et inutile tentative pour les amener a une retracta- 
tion, il leur enleva successivement chaque pi^ce de leurs 
habits, les declara dechus de tons leurs privileges et be- 
nefices, leur fit raser la tete, et, ainsi depouilles de toutes 
les marques de la clericature, il les remit au bras seedier, 
qui leur appliqua la peine usitee alors pour Ic crime d'he- 
resie, savoir, d'etre brules vifs (1). 

Quoique Bernard Delicieux fut au nombre des vingt et 
un qui s'^taient soumis, Jean XXII ordonna de proceder 
contre lui, tant pour les desordres de Carcassonne, dont il 
avait ete le principal auteur, que pour des faits de haute 
trahison que les gens du roi de France lui imputaient. Le 
jugement de cette affaire fut remis a Tarcheveque de Tou- 
louse etaux ^veques de Pamiers et de Saint-Papoul. Apr^s 
des procedures qui durferent pres de six mois, ces juges 
rendirent une sentence qui condamnait Bernard Delicieux a 
la degradation et a une detention perpetuelle. II mourut 
quelque temps apres dans les prisons de Tinquisition de 
Carcassonne (2). 

Des hommes graves comme Nicole (3), et des faommes 
passionnes comme Sismondi(4), se sontmoques de cette 
querelle des fratricelles, n ont vu qu'une risible folic dans 
Tobstination de ces religieux k vouloir realiser une pau- 
vrcte impossible, et ont accus^ Jean XXII de cruaute. On 
oublie trop souvent, en parcourant Fhistoire de Thuma- 
nite, que Ferreur pent etre ridicule, qu elle n'est jamais 
innocente; que, si ellc est quelquefois un monstre bizarre, 

(1) Baluze, Miscell., t. II, p. 248 et seq. 

(2) Id., Vitae, t. I, p. 116 et 117, et t. H, p. 542 et seq. 

(5) Lettres siir les heresies imaginaires, in-12, 2 vol., 1. 1, p. 7. 
(4) Hist, des republiqiies italiennes, t. V, p. 156. 



LES FRANCISCAINS. 515 

elle est toujours un monstre farouche, et que celle des 
franciscains spirituels jeta dans la societe d'alors des prin- 
cipes de bouleversement qu'une sage rigueur sut etouf- 
fer (1). Et nous aussi, il y a quelques annees, nous nous 
surprenions a rire a la vue du saint-simonisme, du fou- 
rierisme et du phalanstere s'escrimant sur leurs tre- 
teaux, et nous ne tarddmes pas a trembler lorsque ces 
theories insensees, s'unissant tout d'un coup au signal des 
revolutions, se dress^rent mena§antes centre notre societe, 
sous la denomination de Socialisrae. Qu'est-ce, apres tout, 
que le Socialisme, sinon un fils du communisme fratri- 
celle, une proscription, au nom d'un bien-etre immoral, 
de la propriete, que repoussait le spiritualisme francis- 
cain au nom d'une perfection exag^ree? Ainsi, les noms 
et les formes changent, mais les principes restent immo- 
biles, et, apres des siecles de mouvement pour arriver 
au progres, Fhumanite se trouve etonnee d' avoir tourne 
sur elle-m^me. 

La severite de Jean XXII imposa bien silence a Taudace 
des spirituels ; mais, lorsque les esprits ont ete une fois 
emus, il est rare qu ils se resignent tout d'un coup au 
repos. Le calme, qui etait rentre dans Tordre de Saint- 
Frangois, fut bientdt trouble par une nouvelle discorde 
d'autant plus fatale, qu'elle n'attaqua pas seulement cette 
fois Tunit^ de Tordre, mais mit en peril Tunite deVfiglise 
elle-m6me. En ^321, Tarcheveque de Narbonne et Tin- 
quisiteur Jean de Belna, ayant fait arrfiter uri fratricelle, 
s'occupaient de lui faire subir un interrogatoire sur les 
erreurs qu on I'accusait de propager. Or, il arriva qu au 
nombre des propositions suspectes affirmees par le pre- 
vemi, setrouvait celle-ci : Que Jesus-Christ et sesapdtres, 

(1) Voir Alvares Pelage, de Planclu Ecclesiae. 



SI 4 mSTOIRE DE LA PAPAUTfi, LIV. V. 

ces modeles de la perfection evangelique^ n'ataient ja- 
mais rien possisde) ni en particulier, ni en comii)un»Une 
telld proposition etait nouyelle, car^ tout le temps qu'atait 
dur6 la controverse sui* la pauvret^, aucun de lies parti- 
sans n'avait songe h lui supposer un pareil fondement. 
Dotic^ avant de formuler une sentence definitive contre 
raccusO) Jean de Belna assembla le^ prieurs^ gardiens, 
lecteurs de Tordre, et aiitres personnages savants, afin de 
prendre leur avis. On lut devant eut Facte d'accttsation. 
Mais, quand on en fut arrive h Tarticle qui toiiohait la 
pauvret^ de Jesus-Christy tin lecteur, nomme Berengw 
Talon, observa que cet article devait dtre except^ de ceux 
qu'on avait notes d'herfeie, attendu qu'il exprimait fidele- 
ment la doctrine catholique renfermee dans la decretale 
du pape Nicolas III Exiit qui seminnU Ouoique B^renger 
Talon etit une grande reputation de science dans Fordre, 
aucune voix dans Fassemblee n'appuya son assertion. 
L'inquisileur s'en prevalut, et demanda sur'le»-chaalp une 
retractation. Le lecteur la refusa, ajoutant qil'il en appe- 
lait au Saint^Si^ge. L'espiSrance dont il s'^tait flatt^ en 
portant sa querelle aux pieds du pape dura pen* Les 
instructions de Finquisiteur le precederent k Avignon; il 
fut mal accueilli k la cour pontificale, et on lui assigna 
simplement pour prison le convent des Freres Mineurs. 
Mais son opinion n'en etait pas restee l&i A peine produite 
a la lumiere, elle s'^taifc r^pandue, avec la rapidite d'une 
etiticelle ^leclriquci parmi les confreres de B^renger. On 
ne connaissait pas encore son origine que deja les deux 
ordres de Saint-Dotninique et de Saint^Fradgois se livraient 
a son sujet aux controvcrses les plus animeesi Elle trouva 
des partisans m^me dans le Sacr^ College (1)< 

(i) Wading., ann. 1521, n*>* 18 et IT.— Joannes Mittorita> Ghronlcon de 



LES FRANGISGAINS. SH5 

Gette dispute inattendue effraya Jean XXII; il craignit 
avec raison que ce nouveau debat theologique ne ravivat 
des dissensions k peine eteintes, etchercba a Tarreter des 
le debut. Les premiers mouvements de la lutte semblaient 
accuser^ dans les partis opposes, plus de tendance a afiirmer 
ou h nier systdmatiquement qu'a scruter le fond do la ques- 
tion pour en tirer la solution vdritable; il pensa done que, 
si Ton parvenait k d^couvrir une distinction, un moyen 
terme, on viendrait peut-6tre k bout de contenter les es- 
prits sans avoir besoin de recourir a la solennite d'une 
definition doctrinale* Dans cette vue^ il s'adressa aux 
theologiens qui paraissaient neutres dans la querello^ et 
notamment ^UbcrtindeCasali qui jouissait d'une reputa- 
tion nierit^e dans la science des Ecritures. Celui-ci, apres 
quelques jours d^examen, dit que la question, etant com- 
plexes devait dtre resolue par une reponse complexe ; qu'il 
iallait distinguer, dans Jesus-Christ et ses apdtres) deux 
etats. Et Yoici comment il proc^dait t Jesus-Christ et les 
apotres doivent dtre consideres comme prelats de TEglise, 
et, k ce titre, eif tant qu il leur appartenait de nourrir les 
pauvres ainsi que les ministres inferieurs, ils eurent des 
biens en commun ; il serait h^r^tique d'afiirmer le con- 
traire« Mais \k ti'est pas la question^ Jesus-Christ et les 
apdtres doivent 6tre consideres comme particuliers et mo- 
deles de la perfection religieusCj et, sous ce rapport, on 
blesse T^vangile en soutenant qu ils out possede quel- 
ques biens dans Id sens de la legislation humaine, et ne 
se sent point contentds du droit necessaire et commtin de 
la charite fraternelle« . 

Gettd reponse fut lue en consistoire, elle convint a tons. 
Le pape applaudit a une maniere aussi ingenieuse d'ac- 

Gestis contra fratricellos, ap. Balitse, Miscellanea, t. UI, p. 207. 



516 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. V. 

commoder les dissidents, ajouta que la controverse deyait 
se terminer la ; que, pour son compte, il ne voulait plus 
en entendre parler (1). La reponse etait ingenieuse, ilfaut 
Tavouer, mais elle n'etait qu'ingenieuse; dans le fait, elle 
ne touchait nuUement ^u fond de la diflficulte, qui subsis- 
tait toujours sous le voile de la subtile distinction. Aussi 
les theologiens, a qui elle ne put faire illusion qu'un 
instant, recommencerent-ils bientot la controverse. Du 
reste, la question en litige avait plus d'importance reelle 
qu'on nese Timagine d'abord. Si Jesus-Christ et les apotres 
n'avaient rien possede, les Freres Mineurs, qui se flattaient 
d'observer TEvangile dans sa perfection, ne devaient done 
rien avoir en propre. Des lors, il fallait reprendre la que- 
relle des fratricelles, non plus avec quelques membres 
recalcitrants, mais avec Fordre des Franciscains tout entier, 
se levant comme un seul homme pour d^fendre ce qu il 
croyait le plus eminent de ses privileges. Lepapene tarda 
pas a voir qu'ime definition doctrinale etait Tunique moyen 
do prevenir d'orageuses discussions^ et, pour proceder sui- 
vant les regies de la sagesse, et ne formuler sa decision 
qu'apres s'etre entoure de toutes les lumieres propres a Te- 
clairer, il soumit aux prelats, aux theologiens de sa cour, 
ainsi qu^aTUniversite de Paris, Texamen de cette question, 
savoir : Est-il heretique de dire que Jesus-Christ etses apo- 
tres n'ont rien possede ni en particulier ni en commun ? 
La decretale de Nicolas III, Exiit qui seminat, semblait fa- 
voriserF affirmative, et, comme cette decretale interdisait, 
sous les plus graves censures, d'agiter a Tavenir les ques- 
tions renfermees dans sa teneur, Jean XXII, par sa bulle 
Quia nonnunqttam^ leva ces censures, afin que les doc- 



(1) Wading., ann. 1521, n°* 17, 18 et 19. 






LES FRANCISCAINS. 517 

teurs eussent pleine et entiere liberte d'examiner la pro- 
position (1). 

Les Franciscains avaient pour general Michel de Ces^ne. 
C'^tait, sans contredit, un des membres les plus distingues 
de Fordre par ses talents, sa science, Taust^rite de sos 
vertus. Appele h gouverner ses freres dans des circon- 
stances diflQciles oft les liens de la discipline, trop forle- 
ment tendus, s'etaient brises, il avail reussi a faire trioni- 
pher Tautorit^ ; mais il ^tait dur, cntier dans ses senti- 
ments^ et, commc tous les caract^rcs en qui la fermet6 est 
plutdt Forgueil du pouvoir que le d^vouement a Fordre, iJ 
savait commander la soumission, et ne savait point s'y plier 
lui-mdme. Michel de Cesfene n'imaginait pas qu'on piit 
mettre seulement en question Farticle de la pauvrete de 
Jesus-Christ. Selon lui, la bulle Exiit qui seminal avait irre- 
vocablement fixesa valeur doctrinale, et la simple proposi- 
tion faite par Jean XXII d'appeler sur cet article un nouvel 
examen Findigna. Malheureusement F indignation du ge- 
neral trouva, dans le Sacr6 College, des echos qui la re- 
produisirent. C'etait Fepoque oft devait se tenir le chapitre 
de Fordre, il avait ^te convoque a Perouse. Les cardinaux 
Vital du Four et Bertrand de la Tour, qui sortaient des 
rangs des Freres Mineurs, ecrivirent au general, ainsi 
qu'aux theologiens qui devaient composer le chapitre, 
d' examiner dans Fassemblee la question en litige, et de 
publier solennellement ce qu'ils pensaient la-dessus. Plu- 
sieurs seigneurs laiques, que preoccupait vivement le 
maintien de Fordre dans une discipline severe, joignirent 
leurs excitations k celles des cardinaux (2). 

Pour un homme aussi profondement convaincu que Fe- 

(i) Wading., ann. 4522, n** 49.— Joannes Minorita,ap. Baluze, Miscell., 
p. 207. 
(2) Wading., ubi supra, n** bi. 



518 BISTOIRE DE U PAPAUTE, LIV. V. 

tait le general qu'on portait atteinte a la perfeelioii r^li- 
gieuse, c etait la une bien dangereuse tentatipn ; il y suo^ 
comba. La question de la pauvrat6 de Jesu8*Ghrii(t et des 
apotres fut agitee dana Kasiisemblae de P4rousa, at, apr&s 
une longue discussion, car il se trouva sans douta das ei^ 
prits sages qui s'eiTorcdrent da ramener leg autres a des 
idees moderees, on y redigea la declaration suivante •• 
cc Nous disons unanimement qu'aillirmar que Jesus-Cbmt, 
c( le modele de la perfection, et les ap6tras, sea imitateurs, 
a voulant enseignar aux autres la perfection, u ont rian 
c< poss6d4 par droit de propriety et da domaina, ni en 
« particulier, ni en coramun, n'ast point arrar, roais ax* 
a primer fidelement la aaine dootrine cathoUque* » Cette 
declaration audacieuse fut sousorite par le general at 9apt 
provinciaux(l).Le fameux Guillaume Occam figurait danfi 
ce nombre, 

II naquit en Angleterre, aana qu'on sache pracia^mant 
en quelle ann^e ; son nom ^tait William ou Guillauma, on 
y ajouta probablement celui de la grille oi!i il aYait vu la 
jour, Occam, au diocese de Peterborough. Da bonna haura 
il passa sur le continent, fut disciple de Jean Scot, at prit 
ses grades dans rUnivorsite de Paris, oi^ il s'acquit, par aas 
talents superieurs dans la dialectique, le titra de Jioth 
teur invincible. La pbilosophie ^tait le domaine d'Oa» 
cam, et la reputation qu'il s'y fit ddpassa bientdt calla 
de son maitre lui-m6me, dont il devint du reate la plui ' 
grand adversaire. Deux ^coles so trouvaient alora en pr4* 
sence, toutes deux se patronant de Tautoritd encore sou^ 
yeraine d'Aristote, et drap4es de la forme scolaatiqua ; X& 
coledu realisme et r^cole du nominalisme. La premiere 
enseignait F unite de substance, admettait les formalit^s et 

(1) Joannes Minorita, ap. Baluze, Miscell., p, 2I0S* 



LES FRANGISGAINS. 319 

les univcrsaux, et rejetait dans le rang des pures abstrac* 
tions les noms de genre, d'espece, d'individus. La se« 
conde, au contraire, proclamait la pluralite de substance, 
r^habilitait rindlviduation, le genre^ Fesp^ce^ se riait de 
Funiversel, pivot dur^alisme, et nelui attribuait d'autre 
valeur que celle du mot, du signe, Leibnitz a glorifle le 
nominalisme en Tappelant la plus profonde des sectes de 
Tecole (1). Nous respeotons sa competence, mais nous n'a-* 
vonft trouv^ dans le nominalismequ'une profonde obscurite, 
Occam ^tait nominaliste. On Tappelle encore aujour^ 
d'bui le chef de cette ecolei il n'en ^tait pourlant pas 
Tauteur. Le nominalisme datait de la iln du on^ieme 
si^cle, et son inventeur ayait et^ un certain chanoine bre* 
ton nomm^ Hoscelin. Mai aocueilli a son origine^ il etait 
tomb^ ^cras^ nous les anatb&mea de TEglise. II so releva 
pourtant, marchaparall^lementaurealisme, subissantdes 
fortunes dlverses, et jetant par intervalles quelque efilat, 
mais toujours inferieur a son emule, qui rallia qonatam- 
ment sous sa banniere les plus illustres intelligences. 
Pendant la derniere moitie du treizi^me siecle, sa deca** 
denoe avait ^t^ si rapide^ qu'au commancement du qua- 
torzi^me si^ole il ^tait menace de succomber sans retouri 
Occam le ramassa languissant et presque moribond, et 
le fit revivre sous Tinspiration de son geniq (3), Soulev^ 
par les ressorts de cette puissante intelligence, ce syst^mei 
nagu&re delaisse et presque oublie, etait devenu en peu 
d'annees le systftme preponderant, Oocham n ^tait done 
pas seulement un des hommes distingues de Tordre fran- 

(1) Pissertatio de stylo philos. Nizolli, t. lY, p. 58. 

(2) Seclam recentiorum Peripatelicorum , ab omnibus Academiig fere 
eiplosam, Ingtauravit. (Aventinus, Annales Boiorum, 1. Vn« c. xvi, n° 10.) 
— Occhanus pene sepultam Nominalium sectam ressuscitavit, dit Brucker 
dans son Histoire critique de la philosophie, in^**, t. IU> p. 847, 



320 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. V. 

ciscain, c etait encore une des plus brillantes illustrations 
de la chretiente. Mais il y avait dans le chef du nomina- 
lisme un esprit idolatre de lui-meme, hardi jusqu'k la 
tem^rit^, et ne doutant jamais de ses forces. Lui aussi 
croyait que le talent a une mission independante, et s'ir- 
ritait des barri^res que Fautorite opposait a ses ambi- 
tieuses pensees. On Tavait vu, lors de la querelle de Bo- 
niface VIII avec Philippe le Bel, prendre parti pour ce 
prince centre le pontife, c'est-^-dire centre Tautorite, et 
publier des ecrits ou les pretentions si legitimes du chef 
de rfiglise etaient combattues comme d'odieuses usurpa- 
tions (1). Peut-6tre ne s'etait-il epris du nominalisme que 
parce que ce systeme de philosophic avait constamment etc 
le domaine des libres penseurs, de ces genies a qui il faut 
de franches coud^es, mSme dans la foi, qui regardent la 
soumission comme une servitude, et Taveu d'une sage 
incompetence comme une abdication honteuse de la raison 
humaine (2) . 

Les auteurs de la decision du chapiti'e de P^rouse, forte, 
disaient-ils, des autorites sur lesquelles elle s'appuyait, y 
ajoutferent la resdution de la d^fendre envers et contra 
tons ceux qui Tattaqueraient, et, pour remplir d'abord 
cet office a la cour du pape, ils envoy^rent k Avignon, 
avec le titre de procureur de Tordre, frere Bonagrlltia, de 
Bergame (2). Ce moine ardent, audacieux, rompu aux 
discussions scolastiques, fort connu a la cour, ou il avait 
ete naguere le plus grand adversaire des spirituels , ce 



(i) L'opuscule d'Occam est inliUile : de Potestate ecclesiastica et secu- 
lari. On peut Ic voir dans Goldast, Monarchia, 1. 1.— Voir Brucker, p. 847 
ei848. 

(2) Voir Rousselot, lEtudes sur la philosophic du moyen Age, in-8", 
t. Ill, article Occam. 

(3) Wading., ann. 1322, n° 55. 



LES FRANCISCAINS. 521 

moine, dis-je, ^tait bien I'homme qui convenait k une 
semblable commission. 

La nouvelle dece quis'eiait passe h Perouse indisposa 
vivement Jean XXII. II vit, non sans raison, un acte fac- 
tieux dans cette decision qu'il n avail pas demand^e, et 
qui ressemblait autant a un manifeste qu'a une decision. 
Ildissimula pourtant; mais, voulant montrer qu'il ne se 
laissait point imposer par les autorites invoqu^es dans le 
chapitre franciscain, il publia aussitot sa d^cretale Ad con- 
ditorem canoniim , ou, apr^s avoir rappel^ le r^glementde 
la bulle Exiit qui seminaty qui adjugeait la propridt^ des 
biens meubles et immeubles des Freres Mineurs a r%lise 
romaine, ne leur en laissant que le simple usage, le pape 
revoquait un tel reglement, 1** parce qu'il n'avait point 
obtenu le but qu'on s'y ^tait propose d'inspirer aux reli- 
gieux une pauvrete plus parfaite ; 2° parce qu'il etait une 
source intarissable de prejudices pour Tfiglise romaine, 
la plagant dans Fodieuse necessite de soutcnir une foule 
de proces ; 5"* parce que, dans les choses qui se consom- 
ment par Tusage, la separation de la propriety de Tusage 
lui-meme est inconcevable, que Fusage presuppose essen- 
tiellement un droit sans lequel il deviendrait illicite, et 
qu'il n'y avait pas la moindre apparence que le pape Ni- 
colas III eut voulu, sur une distinction aussi vaine, se r^- 
server le domaine de ces sortes de choses (1). 

Cette decrdtale parut le 8 d^cembre 1322. Le 4 Jan- 
vier, le procureur de Fordre k Avignon, Bonagr&tia de 
Bergame, se presenta hardiment en plein cohsistoire, sans 
y 6tre attendu, et remit aux mains du pape un ecrit ren- 
fermant une insolente protestation centre F admission d'un 
droit autre que le droit d' usage dans les choses qui se con- 

(\) Exlrav., tit. De verb. Signif. 

21 



542 BISTOIRE DE LA PAWUTfi, LIV. V. 

sommont par Ttisage, et contre rabrogation de la commis- 
siofn syndicale chargee de recevoir, an noffi de TEglise, les 
aumdnes offertes pour les religieux mineurs (1). La lec- 
ture de eet acte impertinent douleva rindignalion de 
Jean XXII; il ordonna de jeter Bonagratia en prison; 
puis, envoyant detacher sa constitution, qu*il avail fail 
aflBcher aux ported de la cathedrale d' Avignon, il y con- 
firma ce qu'il avail dit, le fortifia de nouvelles preuves 
tirfes de la raison et du droit, et la fit afflcher de nott- 
veau (8). 

Quoique la* decr^tale Ad eonditoretn camnum fit pres- 
senttr le jugement que le pape se proposait de porter sur 
la question en litige, il le fit attendre pres d'une ann^e, 
profltant de tons les avis, s^eclairantjle toutes les lumi^res, 
procddant avec cette lenteur majestueuse qui fut toujour* 
le caractere de Tfiglise romaine, el qui contrastail si 
^trangement avec la precipitation du chapitre deP^rouse. 
Tout le monde ^tait dans rattente. Enfin, le 19 novembre 
1323 vit paraitre la d^cretale Cum inter nonnullos, qui 
renfermait ce jugement d^flnitif, et dans laquelle le souve- 
rain pontife fl^trissait de la note d'h^r^sie la proposition 
que J^sus-Christ et ses apdtres n'avaient rien poss6d^ on 
particulier ni en commun, et qu'ils n'avaient pas eu le 
droit d'ali^ner les choses qu'ils poss^daient (3)^ 

Jean XXII ne s'en tint pas \k ; pour en finir une bonne 
fois aVec cette question de pauvret^ si orageuse depuis 
trente anaiSes, il r^solut de frapper d'une sentence solen- 
nelle]|Me eondamnation celui qui Tavait soulevee le pre- 
mier* D^j^ le concile de Vienne avail reprouv6 quelques- 
unes des erreurs contenues dans les ceuvres de Pierre- 

(1) Joannes Minorita, ap. Baluze, Miscellanea, p. 215. 

(2) Id., p. 221.— Wading., ann. 1325, n° 11. 
(5) Extrav., tit. de verb. Signif. 



LES PRANCISCA1^^S. 54?^ 

Jean d'Oliv^, mais feaiis \6 tiomtfter, et paree que ties 
erreurs ^taient fcell^s des Beguins. Jean XXII fit examinei* 
de nouveau, pat une commi^sioti de huil th^ologiens, le 
commentaire suf TApocalypse. Ceut-ci tiriei^ent de ce Hvre 
soixanle propositions qu'ih consignSrent dan^ tin long 
rapport avec le!§ qualifications qu'ell6s m^ritaleilt (1). Ce 
rapport ftit lu en consistoire public, le premier samedi de 
cariSme* 8 fi^vrier de l^annee 1326, en presence des cardi- 
naut, des pr^lats, des maltres en theologie et des ddcteurs 
en droit de la cour romaine, et, sur les conclusions de ce 
rapport, le pape dMara le comttientaire herelique, infectii 
de doctrines empoisonn^es contre Tunit^ de I'figHse ea^ 
tholique, le poutoir du pontife romain et du Saint-^Si^ge 
apostolique (2)i Ce n'est pas tout : comme le tombeau du 
reformateur kkit Tobjet d'un culte religieux, Jean XXII 
ordonna d' exhumer les restes mortels qu'il retifermalt, et 
les fit brfiler publiquement k Narbonne, avec les images 
de dire et les voiles dont la devotion des simples hdndralt 
la sepulture de cet homme si peu digne de t^ri^ratioft. Toa- 
tefois, r^criyain qui rapporle ees faitai cite des t^moigiiages 
^ui alBrment qne to os de Pierre-Jean d'Olite tid ftireflt 
point jet^s au feu avec les objets de la pi6te superstitieuse 
qu'ils provoquaient, mais qu'on les transporta a Avignon, 
od on les pr^eipita de nuit dans le Rhdne, ajdntant qtie 
ce fut la un adoucissement dfl ft la retractation que le r^ 
formateur semblait avoir faite de ses erreurs a Fheure de 
la mort, en soumettant ses Merits au jugetnent de f %lise 
romaine (3). 

La definition renferm^e dans la decretale Cum int&r hoft- 
nullos ramena tons ceux qui ne mettai.ent point leur opi^ 

(\) Baluze, Miscell., t. II, p. 258 el seq. 
(2)Baliize,Vitae, 1. 1, p. 167. 
(5) Raynald, ami. 1325, n** 20. 



524 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. V. 

nion personnelle au-dessus de la sagesse de T^glise. liCS 
cardinaux Vital Dufour, Bertrand de la Tour et Beranger 
de Fredol, qui avaient ei6 jusque-1^ partisans declares de 
la pauvret^ de Jesus-Christ, se rendirent. Mais, loin des 
regards de Tautorite, on continua k ddbattre la question. 
Michel de C^s^ne, Guillaume Occam, Bonagratia de Ber- 
game, ainsi que leurs adherents, ne cesserent de profes- 
ser le plus grand respect pour la decision du chapitre de 
Perouse. Michel de Cesene manifesta meme assez publi- 
quement le peu de cas qu'il faisait de la derni^re decre- 
tale pour que son d^dain arrivat jusqu'aux oreilles du 
pape {\). Jean XXII patienta quelque temps. Mais enfin, le 
8 juin i 327, il envoya au general, a Rome, ou celui-ci r6- 
sidait, Tordre de se rendre a Avignon pour conferer avec 
lui d'affaires graves concernant sa congregation. Cette ci- 
tation trouva Michel de C^sfene malade a Tivoli. Dans 
r impossibility de r^pondre h Tappel du souverain pontife, 
il s'excusa, et ne se rendit k Avignon qu'au mois de de- 
cembre. Jean XXII le regut avec bont^, Tadmit au baise* 
ment des pieds, et, sans lui donner le moindre signe de 
m^contentement, Tinvita a revenir le lendemain. Le gi- 
n^ral r^pondit avec empressement k cette nouvelle invi- 
tation, et ici encore, sans aborder aucune question ft- 
cheuse, le pape se contenta de signaler la mauvaise admi- 
nistration de certains dignitaires de Tordre, qui ne veil- 
laient point suffisamment au maintien de la discipline, et 
de confi^rer au general des pouvoirs particuliers et absolus 
pour rem^dier aux abus. Seulement, en le cong^diant, il 
lui enjoignit de ne point s'^loigner de la cour sans une 
permission speciale (2). 

(1) Wading., ann. 1527, n°6. 

(2) Id., ann. 4527, n<* 8. — Joannes Minorita, p. 257 et 2S8< 



LES FRANCISCAINS. 525 

Michel de Ces^ne pressentit aisement ce que signifiait 
une pareille defense; mais il dissimula ses craintes.Trois 
mois se passerent sans qu'il regiit aucune invitation de 
se rcndre a la cour, et son esprit se perdait en conjec- 
tures sur les desseins que couvrait ce silence menagant, 
quand, le 10 avril, il fut tout a coup mande au palais. 
II y trouva le cardinal Bertrand de la Tour, frere Ray- 
mond de Lados, procureur general de Tordre, frere 
Pierre de Prato, ministre de la province de San-Francisco, 
et Laurent de Malchono, bachelier. Li, en presence de 
ces quatre personnages, le pape adressa au general les 
plus violents reproches, le traita d'entete, de temeraire, 
d'insense, de fauteur d'heresie, de serpent nourri dans le 
sein de Tfiglise, de rebelle a Tautorite de Ffiglise touchant 
la question de la pauvret^ de Jesus-Christ, question qu'il 
avait ose, lui et le chapitre dePerouse, definir, tandis que 
le chef de Tfiglise et le Sacre College travaillaient encore 
a rexaminer. Puis il lui reitera avec menace la defense 
de ne point s' eloigner de la cour, k moins d'en avoir ob- 
tenu une permission formelle, 

Au lieu de flechir devant Tautorit^ ^minente du chef de 
rfiglise, Michel de Cesene repondit aux reproches qu'on 
lui adressait en homme decide a les braver. II soutintque 
la decision du chapitre de Perouse etait tr^s-catholique, 
trfes-conforme a la sainte Ecriture, et n'exprimait que la 
doctrine renfermee dans la decretale Exiit qui seminut; 
d'ou il suivait qu'en la defendant il ne pouvait 6tre her^- 
tique. Jean XXII, persuade des lors que tant d'opiniatrete 
ne pouvait 6tre vaincue par les moyens de douceur, or- 
donna de garder plus etroitement Michel de Cesene dans 
Avignon, lui interdit de se rendre au chapitre general de 
I'ordre, ou il fut represente par le cardinal d'Ostie, et s'ap- 
preta a lui faire son proems comme a un heretique obs- 



526 mSTOlRE DE LA PAPAUTE, LIV. V. 

tine (i). Le general n'en attendit pas Tissue, Aprea avoir 
appele de la sentence future du pape, il sortit seeretement 
d'Avignon le 25 mai 4338, accompagne de Guillaume 
OQcam et de Banagratia de Bejgame. Les premieres om- 
bres de la nuit couvrirent cette evasion, dont on ne s'aper- 
§ut point d'abordt Les fugitifs se dirigerent ver§ Aigues- 
Mortes, ou une galore les attendait. Tout avait ete calcula 
d'avance^ et les tentatives que Ton fit pour les arrdter 
furent vaines, Ne pouvant faire plus, le pape les poursui- 
yit de ses censures, deposa Michel de Oesene de la dignite 
de general, et nomma le cardinal Bertrand de la Tour 
a^inistrateur provisoire de Tordre., La galere qui avait 
re?u les moines rebelles alia les debarquer a Pise, aupres 
de Louis de Baviere, qui les accueillit avec des transports 
de joie (2)t0n assure que Guillaume Occam, en abordant 
rempereur, lui dit : « Prince, pr^tez-moi Tappui de votre 
«; epec, je vous prfiterai celui de ma plume (3),»L'un et 
r autre se tinrcnt parole. 

Les trois moines rebelles rencontrerent a la cour de 
Louis Ubertin de Gasal, qui les y avait precedes. Get ancien 
fratricelle, malgre une soumission apparente, n'avait ja- 
mais renonce aux maximes de la secte, PierreJean d'Olive 
n' avait pas cesse d'etre, a ses yeux, un maitre venerable^ 
et sa doctrine un symbole sacre. Accuse, en A 325, de pro- 
fesser, sur la pauvrete de Jesus-Christ, les opinions con- 
damnees par le Saint-Siege, Joan XXII ordonna de s'assu- 
rer de sa personne. Mais celui-ci, trompant la severitedu 
pape, parvint a s' evader et chercha un refuge aupres du 

(i) Wading., aim. 1527, n** 8, et 4328, n^ 12, 15 et 44. — Joannes Mi- 
norita, t. H, p. 237 et 238. 

(2) Wading., ann. 1528, n* 17. — Joannes Minorita, p. 243 el 244. 

(5) Trithem., de Script, ecclesiast., p. 315 : imperatorl defende me 
gladio, et defendam te verbo. 



) 



LOUIS DE BAVIERE. 5i)f 

raonarque bavarois (i), Rien n'^gale la vivacite avec la- 
quelle Michel do Ges^ne, Occam et Bonagratia avaient 
poursuivi Ubertin de Casal lors de la querelle de la stricte 
observance > et pourtant (6 Strange inconsequence de la 
nature bumaino!) ces ennemis si acharnes naguere^ 
arrives en presence, ne trouverent plus de passion pour 
sehair! L'erreur avait separe ces horaraes, Terreur sut 
les rapprocher, et, reunis desormais dans une meme pen- 
see, parce qu'ils Tetaient dans une aversion commune, 
ils ne songerent plus qu'a se venger ensemble du pape. 
Quand Michel de Cesene apprit les sentences dont Jean XXII 
Tavait frappe^ il en appela solennellement, tant en son 
nom qu'au nom de ses adherents, des anathemas du papa 
a Tautorite du concile general, ^ternel refuga des sec- 
tairos obstines; et cet appel, redige par la main d'un no- 
laire, il le fit scandaleusament afiicher, la 18 juin^ aux 
partes de la cathedrale de Pisa et en envoya un examplaire 
a Jean XXII, ce qui lui altira la terrible decr^tala qui com- 
mence par ces mots : Quia vir reprobm, dans laquella la 
souverain pontife frappait les coups extremes sur I'auda- 
cieux revolte (2)» Mais celui^ci, fier de la puissance qui la 
protegeait, mit son orgueil a les braver. 

Depuis quelques annees, la cour de Louis de Baviere 
etait I'asile de lous ceux qui se plaignaient du Saint-Siege. 
Mais, al'epoque ou Michel de Cesene et ses compagnons y 
arriverent^ le prince allemand ne gardait plus da mcsura 
ek poursuivait d'une manifere ouverta la reuversament du 
pape. L'origine da cetta guerre impia se rattachait a la 
double election que nous avons vue, en 1344, porter en- 
semlile a FEmpire Louis de Baviere et Frederic d'Au- 



(1) Rayaald, ann. 1525, n*^ 20. 

(2) Wading., ann. 1528, n* 18. — Joannes Minorita, p. 246. 



328 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. V. 

triche. Sitot que Jean XXII se vit en possession de la tiare, 
il se mil en devoir de terminer cette funeste division, el, 
panni les moyens qui s'oflfraient a lui, il choisit I'arbi- 
trage. Ce fut en vain que les deux pretendants envoyerent 
k la cour d* Avignon soUiciter la confirmation de leur di- 
gnite; ils n'y trouverent qu'un refus (4). Le pape voulait 
qu'ils vinssent debattre devant son tribunal supreme leurs 
titres respectifs a FEmpire et y entendre de sa bouche la 
sentence qu'il lui plairait de prononcer. Jusque^la, aucun 
d'eux ne devait se regarder comme empereur (2). Ce droit 
d' arbitrage souverain, invoque ici par Jean XXII, quelque 
exorbitant qu'il paraisse aux regards de notre siecle, n'e- 
tait que la consequence naturelle et logique de la suze- 
rainet^ du papesur TEmpire. En 1316, ce droit etait si 
pen conteste, que les pretendants eux-memes en avaient 
reclame Tapplication a leur cause, et une grande partie 
de TAUemagne attendait, dans une religieuse neutralite, 
la prononciation du jugement apostolique (3). Mais rare- 
ment, dans la pratique des choses qui touchent par tant 
de cdtfe aux passions humaines, on suit les principes con- 
sacr^ par le droit. Louis de Baviere et Frederic, revenus 
de leur premiere resolution, refuserent de confier la deci- 
sion de leur grand proces aux chances paisibles de Tarbi- 
trage pontifical. Tons deux puissants, tons deux pleins de 
confiance dans le devouement de leurs vassaux, tons deux 
animus d'une meme ardeur guerri^re et chevaleresque, 
ils aimerent mieux tenter la fortune des armes, et com- 
mencferent Tun centre Tautre une guerre dont les avanta- 

(1) Mutii Ghronicon germanicum, I. XXIV, p. 864.-— Gerard de Roo^ 1. II, 
p. 87. 

(2) Bzovius, ann. 1516, n® 4. — Sponde, ann. 1517, n*^ 1. 

(5) Mutii GhroQ. germ. : Plurimi expectabant conOrmationem , iuterea 
neutri adhaerere volebant. (Log. cit., p. 866*) 



BATAILLE DE MDLDORFF. 329 

ges, sans 6tre decisifs, furent d'abord pour rAutricbien. De 
son cote, Jean XXII les laissa faire, sans paraitre s'inqui^ter 
d'eux, soit que le schisme des Freres Mineurs et les ques- 
tions tbeologiques qu'il soulevait Tabsorbassent tout en- 
tier, soit plutot que, satisfait de voir les deux partis s'affai- 
blir reciproquement, il attendit qu'ils le fussent assez pour 
intervenir au milieu de leurs pretentions. 

Mais, en 1522, les choses changerent tout a coup de face 
d'une maniere inesperee. Les deux rivaux se rencontre- 
rent, le 28 septembre, dans les plaines de Muldorff. On 
combattit toute la journ^e, et, malgre la valeur opiniatre 
de Frederic, la victoire se declara pour le prince bavarois. 
La defaite des Autrichiens fut affreuse. Presque la moitie 
de leur armee demeura sur le champ de bataille, et Frede- 
ric tomba entre les mains du vainqueur (1). 

Louis crut devoir alors s'adresser au pape, et lui ecrivit 
presque de son champ de victoire pour lui annoncer le 
glorieux succes dont le Tr^s-Haut avail couronn^ ses armes. 
Jean XXII parut flatte de cette provenance, et y repondit par 
une lettre gracieuse datee du 18 Janvier >I323; elle etait 
ainsi congue : « Nous avons regu les lettres de Voire Excel- 
c< lence, et nous avons vu, tant par le contenu de ces let- 
(( Ires que par le rapport de voire messager, que vous avez 
« remporte un grand triomphe sur voire competiteur, de- 
ft venu voire prisonnier. Nous avons appris de plus que, 
« dans ce triomphe, vous reconnaissiez , avec une sou- 
« mission toute chrelienne, la main de Dieu, qui dispense 
« la victoire a qui il lui plait, et que le traitement dont vous 
« usiez envers voire illuslre captif etait plein d'humanitO. 
c( Une telle conduite nierite nos eloges. Nous prions Voire 



(i) Rebdorff, p. 422. — Albert. Argent., p. 122.— Gerard de Roo, 1. II, 
p. 91 . 



I 



850 HISTOIRE DE U PAPAUTlfe, UV. Y. 

a Magnificence de vouloir la continuer, de vaus montrer 
a toujours reconnaissant envers le Dieu de qui taut bien 
« precede^ et d'usera ravenirdesmfimesegards genereux 
« enters celui que la yolont^ divine a renais entre vos 
« mains. Quant a nous, nous sommes pr6ts a travailler au 
« retablisseroent de la concorde et de la paix entre vous, 
c( Votre prudence n a qu a nous faire connaitre sa volonte 
<x sur ce point, et nous procederons sans retard a F execution 
c« dece que nous jugerons convenable pour y arriver (!)• a 
L'autorita de la victoire est toujours souveraine; elle s'e- 
tait expliquee, h Muldorff^ en faveur de Louis, et Thabile 
pontife, dont elle simplifiait si admirablement la position, 
n etait pas homine a la meconnaitre. Leton modere de sa 
reponse, les felicitations qu il y prodiguait au vainqueur de 
Frederic, indiquaient assez ses dispositions ; seulement il 
reclamail les droits du Saint-Siege. Mais tout faisait 
croire qu'un simple acte de soumission contenterait, sur 
ce point, le chef de TfiglisCc Si le prince bavarois avait ete 
maitre de lui-menue, nul doute qu'il n'eut accepte un ar- 
bitrage qui se reduisait desonnais a une pure formalite ; 
mais il etait livre a cet esprit fatal qui habite les cours» 
De mis^rables courtisans, exagerant sa puissance pour 
flatter sa vanite, yefforgaient de lui persuader qu'une 
grande victoire legitimait tout, qu il pouvait se passer du 
pape, et, facile a seduire^, Louis ne fit aucune reponse aux 
reclamations de Jean XXILLe moment toutefois n etait pas 
venu, pour un emjpereur elu, de dire au pape : Je n ai pas 
besoin de yous, je puis regner sans vous. II y avait encore 
un parti nombreux de gens pour qui Fintervention de Tau- 
torite apostolique dans Telection du prince etait une con- 
dition sacree, et qui ne pouvaient consentir a voir un em- 

(4) Raynald, ann. 1525, u** 15. 



LOUIS D£ BAYIERE. 331 

pereur dans celui que le Saint-Siege n'avait point reconnu 
et couronne (1), En acceptant une yassalite que lui irapo- 
salt Topinion des peuples, Louis aurait pu regner avec tran-. 
quillit^et gloire; rambition d'une independance preraa- 
tur^e le precipita dans une longue suite d'erreurs et 
d'infortunes, 

A son premier tort envers le Saint-Siege, le monarque 
bavarois en ajouta un second ; celui de soutenir les Gibe- 
lins de la Lombardia. Ici, nous devons developper les faits 
politiques qui s'etaient succede dans la Peninsule depuis 
Tannee 1317,Deprimeabord, Jean XXIIayait cru, enen- 
voyant en Italie des nonces charges d'une mission pacifi- 
que, ramener k la Concorde les divers Etats agites par les 
factions j mais les exhortations du pere commun des fide- 
les ne trouv^rent d'^chos qu a Plaisance* Parme et Mo- 
dene, et le pontife ne dut pas tarder a se convaincre que 
des moyens plus vigoureux etaient necessaires pour sou- 
mettre des esprits si profondement divises par la haine (2). 
Se rangeaut aussitot du cote du parti guelfe, il s'appreta 
a en faire triompher la cause, Les deux ligues n etaient 
point encore aux prises, il est vrai, mais clles etaient en 
pr&ence, se mesurant du regard^ et tout faisaitpressentir 
une collision prochaine. G'etait surtout Mattbaeo Viscomti 
qui la provoquait. En 1316, quand Jean XXII cassa les 
vicaires imperiaux etablis par le dernier empereur, Mat- 
thaeo, docile en apparence aux volontes pontifioales> deposa 
un titre qui n avait plus de valeur legale^ mais il profita de 



(i) £a pontiiicis tuctoriUs^ ea apud plerosque rev«r«Btia eral, nti ab 
ejus coafirmatione imperatoria dignitas penderet. (Gerard de Roo^ L U, 
p. 88.) — Tantae romanae sedis auctoritas et religio erat apud plerosque, 
utnon judicarent nee appellandum censerentimperatorem, nisi prius unc- 
tus, coronatus et confirmatus esset. (HutiiChron. germ., I. XXIY, p. 866.) 

(2) Ghronicon Astense, Murat., t. II, c. xciv. 



532 mSTOlRE DE LA PAPAUTE, LIV. V. 

cette occasion pour se rendre ind^pendant a la fois et de 
TEmpire et de TiSglise, en demandant au peuple milanais 
de confirmer son autorite (1). Irritee de cette usurpation, 
la cour d' Avignon envoya pres de Matthaeo les eveques 
d'Asti et de Come pour lui rappeler les droits imprescrip- 
tibles du Saint-Siege et reclamer la mise en liberte des 
Torriani, qu il retenait dans les fers ; mais celui-ci ne tint 
aucun compte de cette mission, et souffrit, sans s'emou- 
voir, que F excommunication fftt lancee sur lui et Tinterdit 
sur Milan (2) . 

Cependant, malgre les anathemes de Tfiglise, Matthaeo, 
profondement politique, hesitait encore a se declarer ou- 
vertement centre elle, lorsqu'une revolution, survenue a 
Genes, vint Ty determiner. Depuis quelques annees, cette 
ville etait le theatre des discordes les plus sanglantes entre 
les Doria et les Spinola d'une part, les Fieschi et les Gri- 
maldi de Tautre, pour Texercicedu pouvoir. Les premiers 
etaient Gibelins, les seconds Guelfes. A la fin, les Guelfes 
Temport^rent, grace aux divisions de leurs adversaires. Les 
Doria et les Spinola, forces a Texil, implorent le secours de 
la ligue lombarde. Matthaeo aurait perdu toute la confiance 
de ceux qui le regardaient comme leur chef s'il eut refuse 
de soutenir leurs partisans, et son fils Marco, THector des 
Gibelins, accourut, avec une armee formidable, mettre le 
siege devantGfines. Les Guelfes, assaillis par tant d'enne- 
mis, reclamerent Tappui de la ligue toscane, et, a son tour, 
le roi de Naples vint, avec une flotte de vingt-sept ga- 
lores, quarante gros vaisseaux, debarquer dans la ville 
assi^gee douze cents hommes d'armes et six mille fantas- 
sins (3). Aplusieurs reprises, Jean XXII envoya a Matthaeo 

(1) Bonincontrius, Ghron. Modoetiense, 1. II, c. xxii. 

(2) Annalcs Mediolanenses, ann. iSIT, ap. Murat., t. XVI, p. 696. 

(5) Annales Genuenses, t. XVII, Mural., p. 1053. — Chronicon Astense. 
t. IX, c. xcix. 



MATTiiiEO VISCOMTI. 535 

et a son fils Tordre de lever le siege d'une ville dont le 
domaine appartenait a FEglise ainsi qu'au roi Robert. Mais 
autanl de fois ceux-ci refus^rent d'obeir, all^guant pour 
raison que Genes etait a TEmpire et non k TEglise (1). 

Cependant G^nes, vaillamment d^fendue, contraignit 
enfin elle-meme ses ennemis a effectuer ce que les som- 
mations de Tfiglise avaient inutilement ordonn^. Apr^s 
dix mois de siege, Marco se vit oblige de se retirer. Get 
^chec n'engagea point Viscomti k satisfaire aux justes 
exigences du pape. Le roi de Naples se rendit, en 1319, a 
Avignon, pour s' entendre avec le chef de Tfiglise sur les 
moyens de forcer leur opini&tre ennemi a la soumission ou 
de Tecraser, etil conseilla d'envoyer en Lombardie un 1^- 
gat a latere dans Fespoir que la vue d'un representant de 
la majeste pontificale rallierait plus efficacement les parti- 
sans du Saint-Siege et provoquerait un plus vif enthou- 
siasme pour sa cause (2). Jean XXIIjeta les yeux sur Ber- 
trand du Poyet, cardinal de Saint-Marcel (3), Fun des prelats 
les plus distingufe du Sacre College, et qui joignait a une 
prudence consomm^e un grand courage (4). Le legat de- 
vait, avant tout, sommer Matthaeo de se rendre, dans un 
delai indique, aupr^s du Saint-Siege pour y rendre compte 
de sa conduite et se justifier de certaines accusations d'he- 
r&ie portees centre lui, de renoncer k la seigneurie de 
Milan, de rappeler les exiles, de mettre en liberte les Tor- 
riani et de reconnaitre le roi Robert comme vicaire impe- 
rial (5). 

(i) S. Antoninus, t. Ill, til. XXI, c. vi. — Naucleri Chronicon, t. Ill, 
p. 577. 

(2) Annates Mediolanenses, ann. 1519, p. 697. 

(3) Viliani, I. II, c. vi. — Papyre Masson, in Joannem xxii. 

(4) Ghron. Gesenat. : Homo sapientissimus et magnanimus. 

(5) Baynald, ann. 1 520, n*" 10.— Annales Mediolanenses, ann. 1 520, p. 698. 



354 HISTOIRE DE LA PAPAUTfi, LIV. V. 

D6s qu'il ful parvenu A Asli, lo cardinal He mit en devoir 
d*accomplir sa mission, et envoya a M^tthsBO un de %^ 
chapelains pour lui signiiier les volont4s du Saini-Sidge. 
Pour toute reponse, Matthseo fit jeter Tenvoyd dans les 
fers. A la nouvelle de cette indigne violation du plus sacre 
des droits^ le UgsX ne se crut plus oblige a aucun m^nag^ 
ment, et langa conlrc Yiscomti une sentence de diposi* 
tion (1)« II somma ensuite Passeri^no Bonacossi de Mantoue 
et Cane della Scala de Y^rone de d^poser leur tltre dg \U 
caires imperiaux. Mais oeUx-^i, formes I F^oole de Vis> 
cotnti, refusSrent d'obiSir (2)< Heureusement le legat avait 
entre les mains, pour effrayer les rebelled, des moyens 
plus ^nergiques que les sommations i il amenait aveo lui 
des forces imposantes, qu'il accrul encore par la prMico^ 
tion d*une croisade (5) $ et ces forces n*6tai^nt que Tavant- 
garde d'une expedition plus formidable qui m preparait h 
franchir les mouts ; car Jean XXII avait obtenu du roi de 
Frahce que Philippe de Valois, son cousin, dedcetidtt eti 
Italie avec le titre de vicairedu Saint-Si^ge (4)i 

Ce jeune prince se mit effectivement en route* vers le 
mois de juillet 1520^ pour la Lombardie, acoompagnd d^ 
sept comtes, de cent vingt chevaliers bannerets et de six 
cents hommes d'armes a la soldo du Saint-Si%e et du roi 
Robert. Gette armee, dans sa marche, devait rallier les 
troupes du l^gat^ et, en attendant que de nouveaux corps, 
rassembles k la hiite en Provence, vinssent la rejoindre^ 
elle allait etre renforcee par mille chevaux florentins el 
bolonais. Matthaeo etait perdu si ces masses reunies fussent 

• 

(i) Raynald, ann. 1520, n° 10. — Annales Mediolanenses , c. xcii, 
p. 698. 
(2) Id., anil; 1520, n"" 15. 
(5) Annales Mediolanenses, c* xcq, p. 698 
(4) Ubi supra^ ioc. cit. 



PHILIPPE DE VAL«S EN !TALIE. 555 

tomMes sur lui h h fois. MaiK Valois, qui rfivaitde gloire> 
s'lmagina qu'il n'avait pas bedoin de lant de bras pour 
vaincre, et pouvait seul, sans attendre la cooperation de ses 
alli^^ frapperun coup deoisif. Suivi seulementdo quinze 
cenu chovaux, il vint camper ft Mortara, enlre Verceil et 
Novarre. Mais 1ft, il ne fut pas longtemps ft s'apercevoir 
qu'il s'^tait compromis, et ne sut pas rdparer sa tdmeritd 
par cette impiStueuse bravoure qu'il deploya plus tard sur 
d'autres champs de bataille. Envelopp^ tout ft coup par 
Tarm^e de Yiscomti, sup^rieure ft la sienne, il se laissa 
persuader qu'il n'y avait plus pour lui de salut que dans 
une capitulation, ft la suite de laquelle il remit entre les 
mains des Gibelins les forteresses des Guelfes, et revini 
pr^cipitamment en France, sans avoir tire T^p^e, laissant 
ses allies dans la situation la plus critique (1)* 

Jean XXII n'apprit pas sans ^tonnement la honteuse de- 
fection de Philippe de Valois ; mais, fecond en ressources, 
il ne perdit point courage* D^gu du cdt^ de la France, il 
se retouma du cAte de TAutriche; Des deux comp^titeurs 
k I'Empire, Frederic lui avait paru d'un caract^re plus 
souple, plus genereux, plus accessible ft la seduction des 
promesses, et surtout moins ennemi des principes guelfes 
que son rival. II fit done proposer ft Frdddric de venir au 
secours de la ligue guelfc en Italic, lui promettant en rC- 
tour Tarchevfiche de Mayence pour son fr^re Albert et Tap- 
pui de FEglise contre les pretentions de Louis de Bavifere (2) . 
Peut-etre le desir de proflter contre les Gibelins des es- 
p^rances ou des craintes qu'il pouvait inspirer aux deux 
pr^tendants etait-il Tunique motif qui avail engage jus- 
qu'alors le pape ft suspendre ses procedures contre euK* 

(1) Giov. Vill., 1. IX, c. cvn et cvni.— Annales Mediolan., tibi supfa.— 
Naucleri Chron., t. Hi, p. 57T. 

(2) Gerard de Roo, 1. H, p. 87. — Naucleri Chron., p. 578. 



556 inSTOIRE DE LA PAPADTE, LIV. V. 

Quoi qu'il en soit, Frederic fut charme de la demande de 
Jean XXII, et envoya en Lombardie, sous la conduite de 
son frere Henri, treize cents chevaux, qui firent leur en- 
tree a Brescia le 1 1 avril 1524 . De son cote, le legat Ber- 
trand du Poyet, dont la croisade avait augmente la puis- 
sance, se mit a le seconder avec vigueur (1). Matthaeo 
ne semblait s'etre deban'asse d'un peril que pour tomber 
dans un autre plus grand. Mais Matthaeo savait negocicr, 
quand il ne pouvait combattre. Au lieu de se porter a la 
rencontre de Henri, il T envoya prier de suspendre sa mar- 
che jusqu'a Tissue des negociations qu'il venait d'enta- 
mer. En effet, des ambassadeurs etaient partis pour se 
rendre, soit aupr^s de Frederic, soit aupres du legat. Or, 
pendant que ceux-ci amusaient Bertrand du Poyet par Tes- 
perance d'une reconciliation avec Tfiglise, ceux-la repre- 
sentaient a Frederic que Texpedition de Henri n etait pas 
moins opposee a ses propres interfits qu a ceux de T Em- 
pire; que c' etait servir uniquement la cause du Saint- 
Siege et du roi de Naples, qui, maitres une fois de Milan, 
le seraient bientot de toute la Lombardie, et fermeraient 
ainsi, a tout jamais, Fentree de Tltalie aux empereurs. 

Subjugue par ces astucieuses considerations , Frederic 
ecrivit a son frere de saisir la premiere occasion favorable 
et de quitter Tltalie (2). Frederic put aisement justifier ce 
rappel par le besoin qu'il avait de Henri dans la grande et 
decisive lutte qu'il s'appretait a soutenir contre Louis de Ba- 
viere. Bientot la desastreuse bataille de Muldorff aneantit a la 
fois et les forces de T Autriche et les esperances de Jean XXQ. 

C'en ^tait fait des Guelfes, et les Gibelins allaient triom- 
pher, quand Tame de tant d'importants succes, Thomme 

(i) Nauclerus, ubi supra. 

(2) Naucleri Chron., p. 578. — Tristani Calchi, Hist, patria;, 1. XXII, 
p. 488. 



LOTTE DE LiGLISE AVEC L'EMPIRE. 557 

dont le gejiie politique les avait operes, Matthao Viscomti, 
mourut tout a coup vers la fin de juin 1322 (4). Cette 
mort inattendue, les troubles qui la suivirent, changerent 
aussitdt la face des choses, et firent promptement passer la 
fortune du cote ou jusque-la s'etaient trouv^s les revers. 
Le legatprofita habilement des circonstances. Au commen- 
cement deTannee ^323, il reunit tons les contingents des 
villes guelfes, et, entrant en campagne, il battit coup sur 
coup, d'abord sur FAdda, ensuite a Garazzuolo, le belli- 
queux Marco Viscomti, occupa Verceil, Tortone, Alexan- 
drie, Parme, Plaisance, et menaga Milan (2). Ce fut autour 
des Gibelins de chercher des secours pour eviter une ruine 
enti^re, et ils s'adresserent a Louis de Baviere. Ce prince, 
dont la victoire de Muldorff venait de consolider la puis- 
sance, fut ravi de trouver Toccasion d'en faire sentir les 
effets sur le thelitre de Tltalie. D'abord, il y envoya trois 
ambassadeurs, qui se presenterent a Plaisance au cardi- 
nal Bertrand et le prierent, au nom de leur maitre, de 
cesser ses hostilites contre des seigneurs et des Etats qui 
relevaient de TEmpire. Le legat repondit que le pape sa- 
vait respecter les droits de TEmpire, mais qu'il s'etonnait 
que le prince bavarois osat prendre sous sa protection des 
heretiques, et n'en fit pas moins commencer le siege de 
Milan, que dirigea Raymond de Cardonne, general de Tar- 
mee pontificale (3). Les ambassadeurs se joignirent aux 
assieges, introduisirent dans la ville un corps de quatre 
cents chevaux allemands, et, secondes au dehors par les 
Gibelins de Verone, de Mantoue et de Ferrare, ils for- 
cerent Raymond de Cardonne a lever le siege {4), 

(1) Bonincontrii Ghron., 1. Ill, c. ii. Murat.^ t. XII. 

(2) Id., 1. Ill, c. XIX. — GioY. Vill., 1. IX, c. glxxxix. 
(5) Id., 1. IX, c. cxciv. 

(4) Ghron. Astense, c. cm. — Bonincontrius, 1. Ill, c. xxi. 

22 



3S6 HISTMRE DB LA PAPAUTE, UV. V. 

Rien ne pouyait blesser plus viyement Jean XXII. Aassi, 
quand la nouyelle de ce qui s'^tait pass^ en Lombardie eut 
ke portee k Avignon, r&olut-il de poursuivre ^nergique- 
ment les droits de la Papaut^ sur TEmpire. Le general de 
Tarmfe pontificale avait leve le si^ge de Milan vers la fin 
de juillet 1323; le 19 ootobre suivant parut un moni- 
toire terrible. Le pape y accusait le prince bavarois d'a- 
voir usurp6 le titre de roi des Romains avant Tappro- 
bation du Saint-Siege, quoiqu'il sAt bien que Texamen de 
ses droits, Tapprobation, Tadmission ou le rejet de sa per- 
sonne, appartenaient au Saint-Si^ge ; d'avoir exerce, sans 
etre empereur, les fonctions imp^riales, au grand mepris 
de Dieu et de son £glise, en recevant, soit en Allemagne, 
soiten Italie, des serments de fid^lit^; d'avoir prete aide 
et favour aux Viscomti, et cela lorsqu'il ne pouvait ignorer 
que ces seigneurs 6taient des ennemis de r£glise romaine 
et des h^retiques condamnes. Puis, il lui donnait un delai 
de trois mois pour renoncer a Texercice de la souverainet^ 
imperiale jusqu'Si ce que son Election e6t ^te appron- 
v^eO). 

La publication de ce monitoire produisit quelque efTet 
sur Louis de Bavifere, et son premier soin fut d'envoyer 1^ 
Avignon une ambassade compos^e de trois de ses confi- 
dents les plusintimes. C'etaient frere Albert de Strasbourg, 
precepteur de Tordre de Saint-Jean, pour rAllemagne, 
maitre Grostorp de Sebech, archidiacre de Wurzbourg, et 
maitre Henri de Thorn, chanoine de Prague. Ces trois 



(1) J. Georgias Herwart, Ludovicus defensus, in-4^, p. 195 et seq. — 
L*ouvrage de cet auteur est une mauvaise refutation de la narration de 
Bzovius. Entreprendre de justifier Louis de Baviere ^tait une tAche difficile : 
Herwart s*en est acquitte avec plus d'emportement que de raison. Son 
travail est pourtant utile par quelques rectifications, et surtout par les 
pieces qu'il renferme. 



LUTTE BE L'l^GLISE AVEG L'EHFIRE. 559 

personnages firent leur entree dans la cit^ papale au com- 
mencement de Fannie 1324. Jean XXII les regut le 7 Jan- 
vier, assis 9ur son trdne et environn^ de tout le Sacr^ 
College. 

Ces deputes s'acquitt^rent de leur mission avec une rare 
adresse* Aprfes avoir montr^ leurs lettres de cr^ance, ils 
remirent au pape cette supplique ecrite : c< Depuis quelque 
« temps, la rumeur publique porte aux oreilles de notre 
c( maitre que des procedures ont ^t^ faites contre lui par 
c< Votre Saintet^. Quoiqu'il refuse de croire k cette nou- 
« velle et la regarde comme une invention de ses enne- 
c< mis, ne pouvant se persuader que TEglise romaine, si 
« sage, ait oublie tout a coup les formes sacrees de la jus- 
« tice au point de proceder sans avertissement ni citation 
c< pr^alables, il nous envoie cependant pour connailre les 
<c faits, afin que, s'il est vrai que des procedures aient ete 
a commencees, nous suppliions Votre Saintete de lui ac- 
c< corder un terme proportionn^ a la gravite de T affaire et 
a k la distance des lieux, qui lui permette de preparer et 
a de faire valoir ses moyens de defense. » Et ils demande- 
rent que ce terme &A au moins de six mois (i). 

lean XXII d^lib^ra, avec les cardinaux, sur cette de- 
mande des deputes, et leur donna, au bout de trois jours, 
sa r^ponse dans une buUe oA, apres s'fitre plaint amerement 
des torts de Louis et avoir declare qu'il ne m^ritait aucune 
indulgence, il lui accordait pourtant, k compter de la pu- 
blication de ladite bulle, un delai de deux mois, non pour 
se justifier, mais pour implorer la misericorde du Saint- 
Siege apostolique (2). 

Si limit4 qtie iU ce terme, il suffisait a Louis pour con- 

{i) J. Georgius Herwart, p. 255 et seq. 
^) Raynald, ann. 1524, n"" 5. 



540 flISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. V. 

jurer I'orage qui se formait contre lui a la cour d' Avignon; 
mais dejli ce prince 6tait dispose a le braver. Comme s'il 
se flit repenti d'un premier mouvement de deference envers 
le Saint-Siege, le 18 decembre, quelques jours apres le 
depart deses ambassadeurs, ^t pendant qu'ils cheminaient 
encore vers la Provence, il assembla a Nuremberg, dans 
la maison d' Albert Ebner, un certain nombre de ses 
partisans. La, s'inspirant de leurs conseils, il fit redi- 
ger, par le notaire imperial Herdegn, la protestation 
suivante, destinee a 6tre mise sous les yeux du pape : 
c< Nous Louis, roi des Romains et toujours Auguste, com- 
c< paraissons devanl vos personnes et vous presentons cette 
c( protestation, comme si nous etions en presence de notre 
c( seigneur le souverain pontife, que la brievete du terme 
c( par lui accorde nous empeche d'aller trouver, protesta- 
c( tion que nous promettons de lui faire parvenir sitot que 
<x la facilite nous en sera donnee. Nous protestons : 1° que 
« notre intention a toujours ete de favoriser de bonne foi 
c< la sainte figlise romaine, notre mere, de defendre ses 
« droits et d'affermir son ]£tat; 2° que nous voulons, selon 
c< notre pouvoir, en fervent chretien et en sincere zelateur 
c< de la foi, poursuivre et exterminer les ennemis de cette 
« figlise et ceux qui se revoltent contre elle ; 3° que nous 
c( ne croyons avoir jamais manque a Tfiglise romaine, et 
« que, si cela nous est arrive, nous sommes pret a accep- 
a ter la penitence qu il lui plaira de nous imposer, k 
a suivre docilement les regies de sa discipline et a nous 
« gouverner d'apr^s ses conseils ; A° que nous voulons lui 
« rendre la reverence et Thonneur qui lui sent dus ; S° que 
a nous voulons sincerement accorder au souverain pon- 
ce tife Tobeissance, le respect et le devouement que tous 
« les princes, nos pr^decesseurs, ont professes envers lui; 
a 6** que nous pretendons bien conserver les droits, les 



LUTTE DE L'EGLISE AVEC L*EMPIRE. 541 

c< int^rets et Thonneur de TEmpire, selon le serment que 
c( nous en avons fait (^ ) . » 

II n'y avail de vrai que ce dernier article. Tout le reste 
n etait qu'un tissu des plus impudents mensonges. Louis 
parlait de defendre les droits du Saint-Siege, et, depuis 
dix ans, il lui refusait celui de confirmer Telection des em- 
pereurs. II parlait d'affermir Tfitat de Tfiglise romaine, et 
il se liguait contre elle avec ses ennemis. II protestait de 
sa soumission au pape, et, sous main, il travaillait a semer 
Fespritde revoke parmi les cardinaux (2). 

Louis ne s'en tint pas la : profitant de la faveur que 
lui accordait sa servile assemblee, il fit rediger, tou- 
jours par la main du notaire Herdegn, un second acte 
en forme de memoire destine a refuter le monitoire ponti- 
fical. Dans cette pi^ce, le prince s'efforgait d'etablir, soit 
la legitimite de son election, soit la validity des actes de 
son gouvernement, repoussait le fait de la vacance de 
TEmpire, le droit revendique par le pape d'en etre T uni- 
que administrateur, ainsi que le droit de reviser son elec- 
tion, de Tapprouver., d'admettre ou de rejeter sa personne; 
s'excusait d'etre fauteur d'heretiques parce qu il avait 
pr^te son secours aux Viscomti, attendu qu'il ignorait com- 
pletement leur. heresie et ne voyait pas meme en quoi elle 
pouvait consister. Ici, Fauteur du memoire, pour donner 
plus d'energie k la defense, retournait contre le pape lui- 
mSme cette derniere accusation. c< Le fauteur de la per- 
« versite heretique, disait-il, on sait bien quel il est : c'est 
« celui qui porte le trouble dans la sainte figlise, celui 
« qui rend la confession odieuse aux penitents et detoume 
« les ames des sources de la regeneration. Le fauteur de 



(1) J. Georg. Herwart, p^ 248 et seq. 

(2) Raynald, ann. 1525, V 56. 



542 raSTOIRE DE LA PAPAUTE, UV. V. 

« rh^resie, c'est celui qui, par une intolerable negligence, 
« n'a fait aucune procedure centre les Fr^res Mineurs 
c( accuses d'ayoir trahi le secret de la confession. s> 

Aucun monument de Tepoque ne pent nous ^dairer sur 
le fait qui donnait occasion a Louis de recriminer ainsi 
centre Fincurie du pape. Nul doute qu'il ne s'agisse ici 
d'une de ces miserables calomnies qui se detruisent d'elles- 
mfimes faute de vraisemblance. Quoi qu'il en soit, par un 
effet de cette inconsequence oil tombent presque toujours 
les hommes que la passion dirige, Louis, qui reprochait si 
am^rementa Jean XXII de n'avoirpaspuni, dans les Fr^res 
Mineurs, un crime dont ils ne s'etaient jamais rendus cou- 
pables, Louis devait bientot ouvrir sa cour k ces memes 
Fr^res Mineurs pour proteger leur revolle r^elle contre 
r£glise. Le m^moire se terminait par un appel a Tautorite 
d'un concile g^n^ral (1). Ainsi, pendant que ses ambassa- 
deurs negociaient la paix a Avignon, Louis proclamait la 
guerre k Nuremberg. 

Ge qui s'etait passe en AUemagne ne dut pas tarder a 
parvenir aux oreilles du souverain pontife. Gelui-ci pour- 
tant ne changea rien aux concessions qu'il avait faites a 
Louis, il attendit patiemment que le terme des deux mois 
fAt expire, et alors encore il se rontenta, par un second 
monitoire date du 22 avril 1324, d'avertir le prince qu'il 
avait effectivement encouru la sentence de rexcommuni- 
cation ; mais que lui, pontife remain, voulant user de mi- 
sericorde, il ne donnerait suite k cette sentence qu'autant 
qu'apr^s un delai nouveau de trois mois k partir de la 
publication du present monitoire, Louis n'aurait point de- 
pose le titre usurpe de roi des Romains, retire sa protecr 
tion aux ennemis du Saint-Siege, et n'aurait point com- 



(i) J. Georg. Herwart, p. 251 et seq. 



LUTTE DE L*£GUSE AV£G L*£MPIR£. 545 

paru en personne ou par procureuF devant le tribunal 
apostolique (1). 

Louis resta sourd a ce second monitoire comme au pre- 
mier, et se contenta de repandre parmi le peuple, en r4- 
ponse aux buUes du pape^ divers libelles, ouvrages des 
Hioines apostats qui remplissaient i^k sa cour, et dans 
lesquels il repetait que son election a TEmpire reunissait 
la double sanction de la legality et de la yictoire ; que son 
couronnement avait ete accompli dans le lieu consacre par 
1- usage, et que F administration de FEmpire, en cas de 
vaoance, appartenait non au pape, mais au comte palatin 
du Rhin. A travers ces banalit^s, en grande partie ex- 
traites du miSmoire de Nuremberg, Louis et ses partisans 
melaient quelques calomnies, dont la principale et la plus 
capable de rendre le pape odieux etait que ce dernier ne 
visait a rien moins qu'^ enlever aux electeurs de TEmpire 
le droit d'elire les empercurs. Jean XXII crut qu'iletoit 
urgent de refuter cette perfide insinuation, et il ecrivit au 
roi de Boh^me, ainsi qu'aux archeveques de Mayence, de 
Cologne et de Treves, que les bruits r^pandus en AUe- 
magne, bruits qui Taccusaient de vouloir attenter a leur 
privilege electoral, n'etaient que d'indignes impostures 
inventees par ses ennemis; qu'il n' etait jamais entre dans 
^s intentions, en proc6dant contre Louis deBaviere, dede- 
roger a leurs droits ainsi qu'a ceux de leurs coelecteurs (2) . 

D ^tait evident que le prince bavarois voulait pousser k 
bout sa revolte contre le Saint-Siege apostolique. Aussi ne 
gardait-il plus de mesure. Pendant qu'il outrageait la 
personne du pape par ses libelles calomnieux et se jouait 
de ses citations , il contjnuait a soutenir en Italic ses 



(i) Raynald, ann. 4524, n"" 15. 
(2) W., n« 17. 



54 i HISTOIBE DE LA PAPAUTE, LtV. V. 

ennemis, qui, griice aux renforts arrives d'Allemagne, 
avaient battu Raymond de Cardonne et repris la superio- 
rite {i). Bien plus, il disposait a son gre des ^veches, y in- 
troduisait des intrus, et persecutail, pour les forcer a se 
declarer contre le pape, les prelats legitimes, notamment 
les evdques de Salzbourg et de Strasbourg (2). Le dernier 
terme de trois mois expira sans que Louis eflt fait aucune 
demarche pour repondre aux injonctions pontificales. II pa- 
raissait impossible d'amener, par la longanimite, le prince 
a des idees raisonnables, Jean XXII se d^cida a frapper. 
Cefut le 13 juillet 1324 que parut la sentence definitive 
dont le monarque bavarois avait ete si souvent menace. 
Le pape y rappelait tons les griefs du Saint-Siege centre 
Louis, tons les efforts tentes a diverses epoques pour le 
ramener a la voie de la verity et de la justice, ses resis- 
tances toujours de plus en plus obstinees, les procedures 
qu il avait meprisees, et la longue patience du Saint-Siege ; 
apres quoi il le d^clarait contumace, dechu de la souve- 
rainete et de tous les droits que son election avait pu lui 
conferer ; le mena§ait, s'il ne deposait au plus tot le titre 
d'empereur, de rexcommunier et de le depouiller de tous 
les fiefs qu'il tenait soit de Tfiglise, soit de TEmpire ; puis 
il le citait une derniere fois a comparaitre devant le tri- 
bunal apostolique au mois d'octobre; Cette sentence fut 
notifiee a tous les princes chretiens, et sa teneur promul- 
guee en France, en AUemagne et en Angleterre(3), 



(1) Muratori, Annali. dltalia, t. XI, ann. 1524. 

(2) Uterque (Joannes et Ludovicus) ipsorum episcopatns in Alemannia 
confert (FrancisciGhroniconPragense, apud Rerum bohemicarum scriptores, 
in-8**, 2 t., Pragae, 1784, t. II, p. 156. — Uterque eorum episcopatus con- 
ferebat in Alemannia primus de jure, alter contra jus. (Benessii de Weitmil 
Ghron., t. II, ubi supra, p. 250.)— Raynald, anu. 1324, n"" 21. 

(5) Raynald, ann. 1324, n° 21 et seq. 



LUTTE DE L'EGLISE AVEC L'EMPIRE. ^ 545 

Ce coup de foudre, loin d'abattre Louis de Baviere, ne 
fit que rirriter davantage. Sur-le-champ il convoqua a 
Sachsenhausen la diete de TEmpire, et voulut queTepoque 
de la tenue de cette assemblee coinciddt precisement avec 
le terme fixe pour sa comparution devant le tribunal apos- 
tolique. La, entoure de ses partisans, il fit lire un long 
memoire contre la sentence qui venait de le frapper. Dans 
cemanifeste, il accusait Jean XXII d'etre Tennemi de la 
paix, d'entretenir la division parmi les princes Chretiens, 
afin de regner sur eux sans opposition, de suivre un odieux 
systeme de partialite dans Tadministration de I'figlise, de 
poursuivre de procedures iniques celui qu'une legitime 
election avait investi de la dignite des C^sars, de ne tendre 
qu'a Tabolition des usages de TEmpire et des droits du 
prince; d'avoirsoutenu, dans la question de la pauvrete de 
Jesus-Christ et de ses apdtres, une doctrine heretique, em- 
poisonnee, contraireau textesacredesEcritures, etd'avoir 
public, a celte occasion, deux buUes scandaleuses et blas- 
phematoires ; enfin, de profaner les sacrements du Christ, 
de violer les saints canons, et de bouleverser Tfitat de 
rfiglise. Au style de ce requisitoire , au ton d'orgueil 
froisse qui y regnait, a la nature des reproches qu'on y 
adressait au pape, il 6tait facile de reconnaitre la plume 
de ces franciscains refractaires que poursuivaient les cen- 
sures pontificales. Esprits malheureux ! qui, apres avoir na- 
guere invoque les rigueurs de Tautorite contre leurs freres 
egares, se dressaient contre elle, alors que cette autorite 
les rappelait a leur tour au devoir ! La lecture de cette 
pifece achev^e, Louis fit lire une protestation dans laquelle 
il en appelait au concile general et au pape legitime, et 
cette insolente protestation, il osa Tenvoyer a Avignon (1). 

(1) Baluze, Vit®, t. II, p. 478 et seq.— Villani, 1. IX, c. cglxxy. 



546 HISTOIRE BE LA PAPAUTE, LIV. V. 

Jean XXII fit peu de cas des protestations et des calom- 
oies dont Louis avait entretenu la diete de Saobsenhausen, 
mais il s'^ut viTement des attaques dirig^ contre s^ 
deux bulles Ad conditorem et Cum inter nmnullo$, dans 
lesquelles la question de la pauvrete de Jesus^hrist avait 
efce definie, et il y repondit par une nouvelle et celebre 
constitution qui commengait par ces mots : Quia qttorumr 
diam, ou il d^veloppe plus amplement les motifs de sa 
definition; refute une a une les objections par lesquelles 
on avait cbercbe k Tinfirmer, et defend de dire ou ecrire 
a Tavenir quoi que ce soit centre cette definition (1). 

Dans le fait, Jean XXII avait raison de mepriser les ca- 
lomnies de son ennemi , elles n'avaient produit qu'une 
faible impression, tandis que la sentence papale obtenait 
partout un effet immense (2). Alarm^s de se trouver ex- 
poses aux anatbemes de I'Eglise, un grand nombre des 
partisans de Louis I'abandonnerent, et il ne lui resta bien- 
tdt plus que le roi de Boheme, dont il venait d'acheter 
Tamitie par I'investiture de la Lusace, Telecteur de Treves 
et quelques autres princes, pour lutter centre son com- 
petiteur, dont la puissance allait croissant de jour en 
jour. 

A la verite, il assi^gea et prit la ville de Metz ; mais ce 
n'etait 1^ qu'un faible succes. Pendant ce temps, Leo- 
pold, frere de Frederic, levait une grande armee a la tete 
de laquelle il vint ravager la Bavi^re et insulter les viUes 
imperiales de la Souabe. Louis accourut pour le repousser, 
et mit le 3iege devant Burgaw; mais, assailli brusquement 
par son belliqueux adversaire, il fut battu, et ne reussit 



(1) Ap. Extravag., de verb. Signif., tit. XIV. 

(2) Processus roman® sedis erant tunc eflQcacissimi. (Mutius, Germ. 
ChroD., 1. XXIV, p. 868.) 



LUTTE DE L'EGLISE AVEC L'EMPIRE. 547 

quavec peine a sauver sa personne(l), Au milieu des^ 
detresse, ii se vit menace d' avoir sur les bras un rival bien 
aiitrement redoutable que le due d'Autriche, le roi de 
France lui-meme, que Jean XXII eut un moment la pensee 
de faire empereur, II est certain, en effet, que ce pontife 
offrit a Charles leBel la couronne imperiale; que, de plus, 
il eng^gea Leopold a proposer a Frederic d'abdiquer ses 
droits en favour du raonarque frangais, et de favoriser son 
election ; que ce dernier acquies§a, et que, pour prix de 
cet acquiescement, une decime sur tons les biens eccle- 
siastiques de TAutriche lui fut accordee pendant deux ans; 
il est certain encore qu'une entrevue ayant ete arretee a 
Bar-sur-Aube, Charles le Bel et Leopold s'y virent au mois 
de juillet 1325, et qu'ensuite le m6me Leopold, les am- 
bassadeurs du roi, les legats du pape, les electeurs de 
Mayence et de Cologne, se virent a Reuss pour concerter 
ensemble la deposition de Louis^et T election de Charles (2). 
Dans Tetat ou se trouvaient les affaires du monarque 
bavarois, si unesemblablecombinaisonavaitreussi, ilest 
evident que sa ruine aurait ete inevitable. Mais, d'un c6te 
sa bonne fortune, de Tautre son habilete, la firent echouer. 
Charles le Bel, qui s'etait d'abord laisse seduire par Tidee 
de placer la couronne imperiale sur sa tete, ne tarda pas 
h en reconnaitre Tinanite, Sa perspicacite lui fit aperce- 
voir qu'une alliance avec rAutriche ne pouvait repo^er 
que sur un interfit passager et de circonstance ; que Louis 
n'etait pas tellement abattu qu'il ne fut encore redou- 
table; qu'il lui faudrait faire d'immenses sacrifices pour 
ohvmiv des rfeultats ijiqertains ; et, que reussit-il a vaincre, 

(i)>lbert. Argent., p. 123.— William Coxe, Hist, de la maison d*Au- 
triche, 1. 1, p. 181. 

(2) Giov. Yill., I. IX, c. ccuvm.— Albert. Argent., p. 125.-^RaynaId, 
ann. 1524, n* 26.— Mut., Chron. Germ., 1. XXIV, p. 869. 



54S mSTOIRE DE L.\ PAPAUTE, LIV. V. 

il trouverait encore, dans la repugnance des Mlemands 
pour la domination fran^aise, une source intarissable de 
difficult^s. La conference de Bar-sur-Aube ne lui avait-elle 
pas suffisamment revele cette repugnance? Plusieurs 
princes de TEmpire avaient promis de s'y rendre, et il n'y 
avait rencontre que le seul Leopold. Ces considerations le 
degouterent, et toutes les plus pressantes soUicitations du 
pape et de Leopold lui-meme ne furent pas capables de 
Tengager a poursuivre son dessein (1). 

Louis acheva de le rendre impossible en profiiant de sa 
position vis-a-vis de Frederic pour trailer avec lui. II y 
avait pres de trois ans que cet infortune prince languissail 
dans les fers de son vainqueur, et une si longue reclu- 
sion commengait a lasser sa patience, Louis vint le trou- 
ver a Traunitz, et lui offrit la liberte s'il voulait renoncer 
a la couronne imperial e, restituer a TEmpire les posses- 
sions qu il lui avait enlevees, donner sa jBlle filisabeth en 
mariage a fitienne, un des fils de son rival, et regarder 
ses ennemis commeles siens propres. La captivite avait af- 
faibli le caractere de Frederic : il accepta ces dures condi- 
tions. Le traite d'accommodement fut dresse sur ces bases, 
le 15 mars 1325, les deux princes en jurerent recipro- 
quemenl Tobservation sur la sainte Eucharistie, etsedon- 
nerent le baiser de paix. La prison de Frederic s'ouvrit 
aussitot (2) . 

D'abord cet accommodement ne satisfit que Frederic, 
auquel il restituait une liberte devenue necessaire; il de- 
plut a ses partisans, et surtout a Leopold, dont il traversait 
les projets, rendait les victoires inutiles, et qui n'en con- 



(i) Mut., Chron. G^rm., ubi supra. 

(2) J. Georg. Herwart, p. 528. — Gerard de Roo, Hist. Auslr., 1. Ill, 
p. 95. 



LUTTE DE L'EGUSE AYEG L'EMPIRE. 549 

tinua pas moins la guerre k son avantage (4). De son cdte^ 
Jean XXII ne vit dans ce traite que le triomphe de rartifice; 
il en proclama la nullity, et adressa a Frederic de vivos re- 
primandes de ce qu'il n'avait pas craint de former une 
alliance avec Fennemi de Dieu et le persecuteur de son 
figlise. Puis il exhorta Leopold a tenir ferme centre les 
soUicitations de cet homme odieux, et surtout a se defier 
de ses prom esses fallacieuses (2). Mais Frederic montra 
dans cette occasion une loyaute d'autant plus admirable 
que les exemples en sont plus rares. Apres avoir vaineraent 
demande a son frere d'accomplir les conditions du traite 
de Traunitz, il vint, dit-on, se remettre en la puissance de 
Louis, qui le traita avec generosite. Les deux princes se 
donn^rent reciproquement les temoignages de la plus 
grande estime, mangerent a la meme table, partagferent le 
meme lit, et Louis, ayant ete oblige de se rendre dans le 
Brandebourg pour aider son fils a y etouffer une rdvolte, 
ne craignit pas de cohtier, en son absence, le gouverne- 
ment de la Baviere a Frederic, qui repondit par une admi- 
nistration fidele et sage a la haute confiance de son rival. 
Cependant, Louis, fatigue de lutter centre les attaques 
repetees de Leopold, et desesperant de faire accepter les 
conditions de son premier traits, en conclut, vers la fin 
de decembre 4525, un second a Munich, dans lequel il 
fut convenu que les deux pretendants, cessant de Tetre, 
regneraient conjointement, queleurs droits seraient egaux, 
leur dignite identique; quils useraient du memesceau, 
et auraient alternativement la pres^ance (3). Cet accord 
contenta enfin Leopold, mais il futaccueilli avec defaveur 
par les electeurs de T Empire, qui y virent une violation de 

(\) Albert. Argent., p. 124.— Mut., Chron. Germ., p. 869. 

(2) Raynald, ann. 1525, n<» 2 et 5. 

(5) Ap. Herwart, p. 521 et seq. — Gerard de Roo, 1. Ill, p. 95 et 96. 



SSO HISTOIBE DE LA PAPAUTE, LIV. V. 

leurs privileges, et par Jean XXII, qui le regarda eomikie 
nn nouvel attentat aux droits de I'Eglise (1). 

Quoi qn'il en soit, cet accord retablissait Funit^ dans 
TEmpire, et debarrassait Louis de Baviere de ses plus 
grands ennemis. Le belliqueux Leopold rassemblait sur le 
Rhin une armee destin^e a forcer le consentement dcs 
eiecteurs opposants, et il n'^tait pas impossible de faire 
accepter d^Qnitivement cet accord par le pape. C'etait la 
seconde fois, depuis le principe de sa querelle avec I'E- 
glise, qu'un heureui concours de circonstances offrait h 
Louis le moyen de la terminer hon'orablement. Si, retirant 
alors sa protection aux Gibelins de la Lombardie, sa fa- 
veur aux franciscains schismatiques, il eut envoyi a Avi- 
gnon une ambassade charg^e de porter des paroles fran- 
chement pacifiques, et eftt plie sa fierte k solliciter pour 
son Election Tapprobation du Saint-Siege, nul doute que 
Jean XXII n'eftt pret^ Toreille h un accommodement ; mais 
Louis rejeta une politique si simple. Ce prince, si habile 
h se debarrasser de ses ennemis, ne sut point ou ne vou- 
lut point, quand il le pouvait, mettre le pape de son cdt^. 

Toutefois, une faute si grave ne doit pas lui etre enti^ 
rement attribute. Dans cette circonstance, plus encore 
qu'aprfis la bataille de Muldorff, Louis ^tait en proie aux 
influences les plus perverses. Une foule de moines re- 
belles r^p^taient si souvent autour de sa personne que 
Jean XXII 4it8iitYAntechrist, un h6risiarque, la bSte h$ept tStes 

(1) Raynald, ann. 152S, n"* 6. — William Goxc, Hist, de la maison d'AiH 
triche, t. I, p. 185 et 184. — On a doute de TautheDticite de ce dernier 
traite. Les historiens autrichiens Tadmettent; ceux de Baviere le repous- 
sent comme suppose. De savantes dissertations ont ete ecrites de part et 
d*autre sur ce sujet. II n*entre point assez dans le plan de notre ouvrage 
pour que nous lui consacrions un examen plus serieux; seulement, nous 
dirons qu*il est bien difficile de nier le traite de Munich, altendit que son 
existence est confirmee par les lettres du pape. 



LUTTE DE L'fcUSE AVEC L'EMHRE. 551 

de rApoealypBy un pontife perfide et cruel (1) , qu'nn monar- 
que, mieux intentionn^ que Louis, eiit peut-dtre ^te s^duit. 
D'ailleurs, on s'efiforgait de lui persuader qu'il etait supe- 
rieur au pape, bien loin d'en 6tre dependant, etqu'il pou- 
vait au besoin lui faire sentir sa puissance. Cette doctrine 
^tait celle de deux hommes fameux alors, Marsile de Pa- 
doue et Jean Jandun. Ds se trouvaient parmi les refugi^s 
franciscains, et, quoique Strangers a leur ordre, ils parta- 
geaient leurs erreurs et leur aversion pour Jean XXII. Les 
chroniques qui parlent de ces deux personnages donnent 
pen de details sur leur existence anterieure. On sait seu- 
lement qu'ils avaient re§u le bonnet de docteur dans 
rUniversit^ de Paris, qu'ils s'y etaicnt acquis une grande 
reputation en qualite de dialecticiens, qu'on citait leur elo- 
quence comme remarquable (2), et tout porte k croire 
qu'ils meritaient cette double celebrite. Inspirfe par la 
modestie, leurs talents eussent i^te precieux k Tfiglise ; 
dirigfe par Torgueil, ils en devinrent le fleau, et un an- 
naliste du temps les appelle une race de vipbres (3). Par 
quel ^venement leur retraite en Germanie avait-elle ^t6 de- 
termin^e? L'histoire ne le note point; mais il est permis 
de conjecturer que la tem^rite de leurs opinions n'y etait 
pas etrangfere. 

D'abord, a leur arrivee k la cour, et quoiqu'ils eussent 
ii& pr^sentes par de hauts personnages, Louis les accueil- 
lit froidement, et leur dit d'un ton assez brusque : « Par 
« Dieu I qui vous a fait abandonner un pays 06 rSgnent 
« la paix et la gloire, pour venir dans une region d^so- 
c< lee par la guerre, et oik habitent la mis^re et la tribula- 

(\) Aventinus, Annales Boiorura, 1. VII, c. xvi. 
(2) Albertin Mussat dit de Marsile de Padoiie : Philosophic gnarus et 
ore disertus. (Ludovicus Bavarus, ad filium, p. 775.) 
(5) Genimina viperarum., continu. Gulli^l. Nang. ubi infra. 



552 HISTOIRE DE LA PAPAUTE. LIV. V. 

« tion? — Ce qui nous a forcfe a Fexil, repartirent les 
cc docteurs sans se deconcerter, c'est Terreur que nous 
« voyons dans Tfiglise* Notre conscience ne pouvant plus 
« tolerer tant de scandales, nous nous refugions pres de 
a vous, serenissime empereur, a qui, par votre dignite, il 
c< appartient de corriger les abus et dc r^tablir le bon 
« etat. » Sans doute que, des cette premiere entrevue, 
la superiorite des deux docteurs leur acquit un irresistible 
ascendant sur T esprit de Louis; car, quelque temps apres, 
ils etaient combles de ses graces et admis dans son con- 
seil, ou, avecUbertin de Casal, ils partageaient la confiance 
intime du monarquc (1). 

Marsile de Padoue etait Tauteur d'un livre sur la juri- 
diction imperiale et pontificale, intitule le D6fenseur de la 
paix (2). Les maximes les plus extraordinaires sur les 
rapports du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel, 
etaient enseignees dans ce livre. Le docteur, entre autres 
choses, disait que J^sus-Christ, en montant au cicl, n'a- 
vait laisse a la tete de son figlise aucun chef visible ; que 
Pierre n'avait pas regu plus d'autorite que les autres mem- 
bres du College apostolique; que la preeminence qui lui est 
attribuee avait pour unique motif son age et la superiorite 
de sa foi (3) ; qu au legislateur humain, suppose fidele, 
appartenait le droit d'instituer les ev6ques, d'elire le pape 
lui-m6me, de juger les eveques comme Pilate avait juge 
Jesus-Christ, de les deposer (4) ; qu'au legislateur humain 
fiddle appartenait encore le droit de convoquer les conciles 



(i) Gontinuat. Gulliel. de Nang., ad ann. 1318 et 1526. 

(2) Defensor pacis, ad imperatoreni Gaesarem Ludovicum IV, en trois 
parlies. J*ai entre les mains la premiere edition de ce livre , faite 
en 1522. 

(3) Defensor pacis, pars H, c. xvi. 

(4) Id., pars II, c. iv, xvn, jxi et xxv. 



LCTTE DE LiGLlSE AVEG L'EMPIBE. 353 

g^n^raux, d'y presider, d'en regler les deliberations (1); 
que, tous les ev^ques etant ^gaux, Tempereur seul pou- 
vait en elever un au-dessus des autres, et que cette pre- 
seance etait revocable a son gr^ (2); que les d^crets des 
souverains pontifes ne peuvent lier les consciences, a 
moins qu'ils ne puisent cette force dans I'autorite du le- 
gislateur humain (3); eniin, que la plenitude de pouvoir 
invoquee par les papes etait un titre execrable (4). Ainsi, 
comme on le voit, ce n'est point d'aujourd'hui que date 
rheresie constitutionnelle qui livre la religion, li^e et gar- 
rott^c, entre les mains du prince et du magistrat. A une 
dpoque oA TEglise n'avait encore rien perdu de sa supre- 
matie temporelle , Marsile de Padoue avait deja congu et 
enfant6 cette heresie, et son impitoyable logique la poussait 
jusqu'ises deriiiferes consequences. Cette errcur, du reste, 
n'^tait point particuliere k Marsile de Padoue; Jean Jan- 
dim s'en montrait egalement le patron, et elle fut bientdt 
embrass^e comme une bonne fortune par la tourbe des re- 
fugi^s. 

De prime abord, la hideuse nudite de cette doctrine 
surprit Louis de Baviere. Tout dispose qu'il ^tait aux par- 
tis extremes, il en con^ut do la defiance, et, rassemblant 
les savants de TAUemagne, il voulut connaitre leur avis 
sur son orthodoxie. Les voix furentunanimes pour la stig- 
matiser. Mais Taudace de Marsile de Padoue k la soutenir, 
tes protestations qu'il faisait d'endurer les supplices les 
plus cruels, la mort mSme, pour la defendre, impos^rent 
d' abord (5). Bientdt Louis, dont les affaires se compli- 

(1) Defensor pads, pars H, c. xxi et xxn. 

(2) Id., pars II, c. xxn. 
(5) Id., pars II, c. xxyiii. 

(4) Id., pars U, c. xxv. 

(5) Gontmuat. GuUiel. de Nang., ano. 1526. 

25 



954 HISTOIRE DE LA PAPAUTI^, LIV. V. 

quaient si ^trangement a^ec Avignon, vit dans cette doc- 
trine un excellent moyen pour attaquer son redoutable 
adversaire ; elle lui parut alors moins effrayante, et il finit 
par Tadopter. Cette doctrine exer^a une influence d^isive 
sur la derniere moiti^ de son r^gne, et les dvenements qui 
Yont se succeder n'en seront que la consequence. 

Depuis les succes obtenus par rarmee ppntificale pen- 
dant Fannee 1322, le legat Bertrand du Poyet ^tait rest^lc 
plus considerable des chefs guelfes en Italic, et, par son 
habilete autant que par les ressources p^cuniaires qu'il 
tirait d'Avignon, il avait su maintenir la preponderance 
de son parti, malgre les defaites qu'il venait d'essuyer. 
Ces defaites m^nfes eurent un bon -effet ; dies firent s&th 
tir le besoin de niettre plus d' unite dans les operations; 
et Florence et Bologne venaient dc se placer, la premiere 
sous le patronage du roi de Naples, la seconde sous Tau- 
torite du legat. Dans le fait, les Guelfes etaient aussi re- 
doutables que jamais. D'un autre cote, les Gibelins se trou- 
v^rent tout k coup menaces d'une defection considerable. 
Le chef le plus puissant du parti, Gaieazzo Yiscomti, soit 
qu'il fi!it mecontent de ses collegues, soit qu'il desirdt s'af- 
francbir de la tutellc de I'Empire, se retournait vers 
le pape, et poursuivait secretement, k la cour d'Avignon, 
des negociations qui avaient pour but sa reconciliation 
avec I'Eglise et Tabandon de la cause imperiale. 

Le myst^re seul de ces negociations pouvait en assurer 
le succes ; la jalousie de Marco, fr^re de Gaieazzo, et de 
Lodrizio, son cousin, le reveia. Aussitdt I'alarme se repan- 
dit parmi les Gibelins. Qu'allait devenir ce parti s'il per- 
daitd'appui de Thomme qui jusque-la s'etait montre son 
plus energique defenseur? Quelle n'allait pasdtre I'audace 
des Guelfes si Ton ne se hdtait de leur opposer une digtie? 
Et une seconde fois les Gibelins coururent en Allemagne 



LOmS DE BAVIE^RG EN ITALIE. 555 

implorer le secoursde Louis de Baviere (1). Onetait dans la 
derniirenioiti^derannee 1326; la pacification derEmpire; 
i la suite du traite de Munich, permettait alors k cc prince 
de disposer de toutes ses forces pour satisfaire son ressen- 
timent contre le pape. II 4couta les soUicitations que lui 
adressaient les d^put^s gibelins, ct un congres fut &x6 k 
Trente pour le commencement de Tannee 1327. Louis s'y 
rendit au mois. de f(6vrier. II y trouva F^unis les princi- 
paux chefs du parti, Passer ino Bonacossi, de Mantou^; 
Obizzo dTste, Guido Tarlati, evfique d'Arezzo; Cane della 
Scala, de Yerone. Marco Yiscomti etait avec eux, et ceux 
qui n'avaient pu venir en personne, comme Fr^^ric de 
Sicile, Castruccio Castracani de Lucques, et les r^publi- 
cains de Pise, y ^taient represent^s par des ambassadeurs. 
Tons ^semble ils suppU^rent le prince de ne point confier 
^d'autrcs mains que les siennes le secours qu'il se proposait 
de leur accorder ; mais de se presenter lui-meme en Italie, 
k la t6te de son armee, et d'aller a Rome prendre la eou- 
roni^c imperiale, s'engageant k lul fournir un subside 
de 150,000 florins (2) pour les frais de son expedi- 
tion (3). 

Louis ceda aux soUicitations et aux promesses des sei- 
gneurs gibelins; mais en retour il leur fit 6pouser sa que- 
relle avec Jean XXII. Ce pontife fut traits comme h^r^tique 
par lecongres, et on Fy appela, par derision, le prSire 
Jmn (4). R^solu de poursuivre sa fortune, Louis quitta 
Trente le 13 mars 1527, prit sa route k droite par les 
tnontagnes, vint k Brescia, puis k Como, d'oA il se rendit 
en ligne directe a Milan. La, le 30 mai, dans T^glise de 

(1) Bonincontrius, Marat., t. Xli, c. tin et ixxvi, 1. HI. 

(2) YiUani dit 50,000 seulement, 1. X, c. xvi. 
(5) Marat., AnnaU d'ltalia, ann. 45*27. 

(4) Giov. VilL, 1. X, c. XYi. 



388 HISTOIRE DE LA PAPAUTl^* LIV. V. 

Saint-Ambroise et au milieu d'un immense concours de 
peuple, il regut la couronne de fer. EUe lui fut impost 
par les mains dc Guide Tarlati, ^v^que d'Arezzo, assiste de 
Frederigo di Maggi, ^vSque de Brescia, tons deux excom- 
munies etd^pos^s deleurs sieges par le pape. Louis n'avait 
aupr^s de sa personne que six cents cavaliers allemands; 
mais Cane della Scala, Obizzo d'Este et Passerine Bona- 
cossi lui faisaient a eux seuls un cortege . de treize cents 
chevaux, sans compter ce que les autres seigneurs avaient 
amene avec eux {\ ) . 

Apr^s ce debut, si Louis, profilant des sympathies qu'il 
inspirait et du besoin qu'on avait de lui, etA tenu una 
conduite g^n^reuse, plus heureux que Henri YII, avec 
moins de vertu, il aurait ete Tarbitre de Tltalie. Mais son 
caract^re ne se trouva pas k la hauteur de sa fortune, et il 
commit surtout une de ces fautes qu en politique on nc re- 
pare point. La c^r^monie de son couronnement ^tait a peine 
termin^e, qu'il songea imprudemment k punirGal^azzo de 
ses relations avec le Saint-Si^ge. Sans avoir egard a la re- 
ception honorable que ce seigneur lui avait faite dans sa 
capitale, et sous pr^texte'qu'il n' avait point encore paye 
sa part du subside promis, il le fit arreter, lui, Lucchino 
et Giovanni ses fr^res, Azzo son fils, et les renferma dans 
une ^troite prison, apr^s s'Stre assurd de toutes leurs for- 
teresses (2) . 

Si coupable que Galeazzo parut aux yeux des Gibelins, 
dont il avait trahi la cause , le traitement cruel et pe^ 
fide excrce sur ce seigneur r^veilla en sa favour les sympa- 
thies de tons. Chacun craignit pour soi, parce que chacun 

(i) Bonincontrius, ubi supra.— Giov. ViU., 1. X, c. xvin. — Leon. Aretin., 
Hist, florent., 1. V. 

(2) Gioy. ViU., L X, c. xxx.— Bonincontrius, 1. HI, c. xxxvn. — Albert 
Mussat., LudoY. Bavar., t. X, p. 770.— Leon. Aretin., 1. Y. 



LOUIS DE BAVlilRE EN ITALIE. 557 

se scntait dispose k imiter Gal^zzo des qu'il trouverait son 
intdrSt k le faire ; et, malgre toutes les justifications que 
Louis put donner de sa conduite, dans une assemblee con- 
voqu^e pour cet effet k Orci (!)» il perdit sans retour la con- 
fiance de ses allies, et, avec elle, ces ressources spontanees 
d'hommes et d'argent sur lesquelles il avait compte. Gette 
premiere faute fut suivie d'une autre, celle de trop se con- 
fier, sans les connaitre suffisamment, aux personnages nou- 
veaux qui Tentouraient. Accoutume k traiter avec les Alle- 
mands, gens rudes, un pen sauvages, mais d'un caractere 
franc, loyal et chevaleresque, il ne soup^onnait pas tout ce 
que la politesse des Italiens, fruit d'une civilisation plus 
avanc^e, cachait d' artifice et d'^goisme. II pensait encore 
moins qu'en venant defendre leur cause, un empereur etit 
a se d^fier de leurs conseils, et il s'abandonnait sans rd^ 
serve k ceux de Gastruccio Gastracani des IntermineUi, sei-^ 
gneurde Lucques. G'etait, sans contredit, rhomme le plus 
distingue deT Italic^ cette epoque.Non moins experiment^ 
que Louis dans l» guerre, mais bien plus profond^ment 
politique, il poss^dait surtout Fart deparaitre devoue aux 
int^rSts d'autrui alors mfime qu'il n'^tait occupe que des 
siens. En s'offrant a giiider le monarque allemand au 
travers de la Peninsule, il avait habilement calculi ce 
que son ambition pouvait trouver de profit a ce ser- 
vice, et il montra bientot, au detriment de ce prince, 
que ses empressements obsequieux n'avaient d'autres mo- 
tifs que cette speculation int^ress^e. 

Louis de Bavifere quitta la Lombardie vers la fin 
d'aotlt 1327, non sans Tavoir rancjonnee (2), passa par 

{\) Giov. VilL, K X, c. xxxi.— Multi enim ob banc causam ab eo alie- 
nati sunt. (Mutius, Germ. Ghron., 1. XXIV.) 

(2) Mora longior fecit pecuniis comparandis, quarum non ayidlssimns 
tEBtum, sed etiam indigentissimns. (Leon. Aretin., L Y.) 



S(B HISTOIBE DB U PAPADTE, UV. V. 

QrdEiOnd, le oomte de Panne, et se dirigea vers la Tosoaae 
par la route de PontremoU. Son desseln ^tait de visitor 
Pise. Cettte ville s'dtait d'abord vivement r^jouie de I'arri- 
vie du prince bavarois dans la Peninsnle, et loi avait en- 
voy^ des ambassadeurs a Trente. Le peuple surtout tenail 
pour lui ; lorsqu*on avait appris la nouvelle de son 
cauronnement a Milan, des sympathies bruyantes s'^taient 
manifestees en sa faveur parmi la multitude, et Von avail 
publiqu^ment crie : a Mort au pape, au roi Robert, aui 
« Florentins, et vive Tempereur 1 » Mais la catastrophe de 
Galeazzo reveilla depuis la deiiance de ceux qui gouver* 
iiaient FEtat. Graignant a juste titrc la perfidie du mo- 
narque allemand, sa cupidite, dont il n' avait deja donn^ 
que trop de preuves, et peut-Stre le courroux de FEglise 
que Louis bravait indignement, ils resolurent, a quelque 
prix que ce fAt, de ne point le recevoir dans la ville, de* 
cides, si on youlait les y contraindre par la force, k appe* 
ler a leur secours le due de Galabre, qui commandait k 
Flor^ice pour le roi de Naples (1). Mais Louis repugnait a 
combattre, et voulait entrer pacifiquement dans PisQ. D y 
envoya des ambassadeurs charges de gagner le peuple par 
des promesses. La seigneurie refusa de les admettre dans 
Tenceinte des murs, de peur qu'ils n'^er^assent quelque 
influence dangereuse sur la multitude. Get incident pla<* 
$ait la republique et le monarque vis4-vis Tun de 1' autre 
dans une situation fslcheuse* On eut alors recours a Guido 
des Tarlati d'Arezzo. Ge prelat ^tait bien vu des Pisans, 
car un traits d' alliance les unissait ensemble. II en fiit 
hiea accueilli, en effet, et il fit tant par ses paroles, qu il 
persuada a la seigneurie d'envoyer de nouveaux ambas- 
sadeurs k Louis, repondant sur sa foi de leur sAref^. 

(4) Giov. Vill., 1. X> c. xxxni. — Leon. Aretin., 1. V. 



LOUIS DE BAVIBRE EN ITALIE. 39* 

Guii^dcelli de Sismondi, Albizzo de Yico et Jacopode Galoi 
regurent cette mission. lis eurent une conference avec le mo- 
narque a Ripafratta, et, apres quelques debats, ils lui of- 
frirent une somme de 60,000 florins a condition qu'il re- 
noncerait a entrer dans la ville, Cetle offre aurait ^te pro- 
bablement acceptee de Louis, qui cberchait avant tout de 
Targent; mais elle ne faisait pas Faffaire de Castruccio 
Gastracani, qui convoitait la souverainete de Pise, et qui 
voulait profiter du secours de Louis pour Tobtenir. Cas- 
truccio persuada a ce dernier de ne point accepter la pro- 
position des ambassadeurs pisans ; puis, comme ceux-ci 
s'en retournaient emportant le refus de Louis, Castruccio, 
qui avait pris ses mesures, les arrfita au passage du Ser- 
chio, et les retint prisonniers pour servir d'otages. Au 
lieu de ses ambassadeurs, Pise vit arriver k ses portes 
Tarm^e de Louis et de Castruccio, qui la menacferenl d'un 
siege (1). 

Outre d'indignation et de douleur qu'on eAt ainsi abus4 
de son nom et de sa foi pour commettre une pareille vio- 
lation du droit des gens, Guide des Tarlati, apres avoir 
vainement reclame la mise en liberte des envoy es pisans, 
et reproch^ au seigneur de Lucques sa perfidie, Guido des 
Tariati abandonna le camp et le parti de Louis de Baviere, 
revint a Arezzo, le coeur bris6 de chagrin, et bourrel6 par le 
remordsdes'^tre arm^ centre Tfiglise pour n'aboutir qu'a 
unsi cruel affront. A quelques jours de la, il fut atteint 
d'une maladie dont il mourut a Montenero. A la v^rit^, 
Louif et Castruccio reussirent a entrer dans Pise par com- 
position, el a rangonner cette ville k leur gr^ ; mais cet avan- 
tage ne compensa point la perte d'un allie tel que Guido 
des Tarlati, et Tentier refroidissement pour leur cause de 

(i) Giov. Vill., 1. X, c. xxxiii. — Leon. Aretin., 1. V. 



360 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. V. 

presque tous les Gibelins, dont cc- dernier trait completait 
r^pouvante(l). 

Pendant que ces evenements s'accomplissaient en Italie, 
la cour d' Avignon etait en proie aux plus vives inquie- 
tudes. Jean XXII ne pouvait se dissimuler que le prin- 
cipal motif de Louis de BaviSre, en entreprenant une ex- 
pedition dans la Peninsule, ne Mt de se venger du pape, 
car ce monarque n'avait pas pris la peine de le cacher a 
Trente. Son esprit etait frapp^ des plus sinistres provi- 
sions, que la renommee, qui exag^retoujours, venait en* 
core assombrir. Gependant, quand tout semblait le mena- 
cer, Jean XXII ne perdit pas un instant courage; jamais il 
ne deploya avec plus d'eclat I'energie de. son caract^re. 
On remarqua que rien dans sa physionomie ne trahit ja* 
mais les apprehensions de son lime. II s'efforgait par f^es 
discours de communiquer la confiance a ceux qui Tenvi- 
ronnaient, leur disant qu une semblable epreuve toume- 
rait a la gloire de T^glise, et que Timpiete de ses ennemis 
serait Tinstrument de leur perte. Depourvu de moyens 
humains, car le parti guelfe etait abattu, et les forces du 
legat Bertrand du Poyet incapables de se mesurer avec 
Tarmee allcmande, il en appela au ciel et ordonna, par 
une encyclique envoyee a toute la chr6tient4, des pri^res 
spOciales pour demander le triomphe de Tfiglise a celui 
dont la providence dirige les evenements (2). En mSme 
temps, s'armantde cette autorite que les princes ne dOdai- 
gnaient pas encore impunement, il langa, le 20 novembre 
1327, centre son terrible adversaire, Tanatheme qu'il 
avaitj usque-la retenu comme suspendu sur sa tSte, dans 
Tespoir que sa menace suflirait k TefTrayer. Apres lui 

(1) Leon. Aretin., L V. — Giov. YilL, 1. X, c. xxxiv. 

(2) Albert. Mussat., Ludov. Bavar., t. X, p. 778. 



LOUIS DE BAVIERE EN ITALIB. 361 

avoir reproch^ la protection qu'il accordait aux franciscains 
rebelles, aussi bien qu'a leurs erreurs sur la pauvrete de 
J^sus-Gfarist, la faveur qu'il prodiguait encore k Marsile 
de Padoue et a Jean Jandun, sa complaisance pour les 
pernicieuses doctrines de ees tils de perdition, le soin qu'il 
prenait de les divulguer » enfin les diverses citations par 
lui mepris^es, il le declarait hdretique, le depouillait de 
tons ses biens, meubtes et immeubles, notamment du 
comte palatin du Rhin , deliait ses vassaux du serment de 
fidelite, et d^fendait a tout fidMe, quelle que fAt sa dignite, 
de communiquer avec lui (1). 

Gette sentence supreme produisit sur les peuples Teffet 
ordinaire des censures de I'Eglise k cette epoque. Tons 
ceux que la necessite ou la pa^l^i^ n'attachait point aii 
monarque bavarois con^urent de plus en plus de T^loi- 
gnement pour un prince condamn^ et reprouv^. Quant a 
Louis, trop aveugl^ par la haine et les discours de ses con- 
seillers pervers, cette sentence ne fit que Tirriter davantage. 
II s'arreta deux mois a Pise pour faire de Targent, car sans 
cela il lui aurait 6te impossible d'aller jusqu'^ Rome, line 
contribution frappee sur le clerge de la ville lui fournit. 
20,000 florins , divers expedients lui en procurSrent 
200,000 autres. Muni de ce subside, il quitta enfin line 
cite qu'il avait presque ruinee, serenditd'aborda Lucques, 
oi Tappelait Castruccio, puis de la a Pistoie pour voir 
Florence de plus prfes ; enfin, prenant sa route par les 
Maremmes, suivi de trois mille chevaux et d'un materiel 
de guerre considerable, il parvint le 2 Janvier 1328 k 
Viterbe(2). 

Depuis que le roi Robert ^tait devenu senateur perpd- 



(1) Raynald, ann. 1527, n^ 20 et seq. 

(2) GioT. VilL, 1. X, c. XLvn. — Leon. Aret., Hist. Ilorent., 1. V. 



ae^ HISTOIRE Dfi LA PAPADTE, UV. V. 

tuel de Rome» il avait reussi a y faire respecter son auto- 
rib&» et, pendant assez longtemps, T administration deses ti- 
caires n' avait pas ^ serieusement troubles. L'annee 1320 
seulement nous presente deux magistrals, Giordano di 
Poncello d'Orso et Stefano Golonna, fonctionnant au nom 
du people romain (i), ce qui indiquerait qu'une reaction 
s'etait accompfie contre Tautorite du roi. Toutefois, il est 
a croire que cet eTehement n'eut pas de suites Ulcheuses, 
puisque nous voyons, Tann^e suivante, Annibaldo de'Ri&- 
cardo degli Annibaldi et Riccardo di Fortebraccio exer- 
^ant paisiblement les fonctions senatoriales en qualite de 
vicaires royaux (2). 

Mais, en 1326, Tinstinct turbulent des Romains reprit 
le dessus. Comme les senateurs etrangers ignoraient les 
lois et les coutumes de Rome, Tusage s'etait etabli de leur 
adjoindre trois citoyens, qu'on appela d'abord syndics 
( syndices ) , et plus tard conservateurs ( conservatores ) . La 
mission de ces magistrats etait de proteger les droits et 
la liberie de la r^publique et de contre-balancer le pouvoir 
du senateur (3). Les syndics de Tannee 1326 ^aient Ste- 
fano Golonna, Poncello et Napoleone de F^i d'Orso. Ja- 
copo Savelli faisait leS fonctions de senateur. Tout a coup 
les trois syndics, pouss^ sans doute par le peuple, le ras- 
sembleni au son de la cloche d'Ara Gceli et se portttit a 
sa tete au Gapitole, d'od ils enlevent Savelli, qui futheu- 
reux de sauver sa vie au prix de sa dignite (4). 

Gependant cet acte violent ne renversa pas rautorite de 
Robert. Le people ne parait ici avoir et^ meoontent que 

(4) Yitele, Storia dif^m., t. I, p. 226. 
(2) Id., p. 226. 

(5) Gurtius, Gommentarii de Senatu romano, p. 576. 

(4) Murat., Fragmenta Hist. rom. , ap. Antlquit. medti ttvi, t. ID, 
p. 260. 



LOUIS D& BAVIERE EH ITAUB. 58S 

de Sftvelli, et Romano d'Orso et Riccardo Fraagipane 
qui le remplaoerent, agirent comme masdatairee du roi 
de Naples ; mais son pouvoir ne laissa pas que d*eii Stre 
ebranle; et le peuple» sitdt apr^s, en envoyant prier 
Jean XXU de revenir prendre possession de sa capitale (1)» 
monira qu'il echangerait volontiers la domination du roi 
contre Tautorite immediate du pape. Jean XXII se plaigmt 
amerement des discordes intestines qui troublaient le re- 
po$ de la cite, exhorta les Romains a defendre leurliberte 
et les droits du souverain pontificate et promit, mais va* 
guement, de les visiter (2). 

Dans toute autre circonstance, cette reponse eftt suffi 
pour calmer le peuple ; mais alors le congres de Treate et 
Tarriv^e de Louis de Baviere enrLombardie exaltaient les 
Gibelins. Geux de Rome ne cachaient point les sympathies 
que leur inspirait le monarque allemand. Annibaldo iegti 
Annibaldi et Pendolfo, comte d'Anguillara , vieaires de 
Robert, ecrivirent eux-m6mes a Jean XXII pour soUiciter 
une promesse plus positive. lis donnaient a entendre au 
pontife qu'ils etaient debordes par les Gibelins, et que la 
portion du peuple qui tenait pour TEglise romaine avait 
besoin que Sa Saintete vint soutenir de sa presence 
son devouement. Le pape loua le zele du peuple pour 
le Saint-Siege apostolique, Texhorta a s'opposer coura* 
geusement aux entreprises de Louis de Baviere; mais, 
quant a sa visite, il en ajourna plus que jamais Tepo^ 
que (3). En effet, le parti guelfe s'affaiblissait de jour en 
jour : chaque pas de Louis de Baviere en Italic fortifiait 
celui des Gibelins. Ge n'l&ait done point le moment favo* 
rable, pour le pape, de se rendre k Rome. Quand le plus 

(i) Raynald, ann. 1527, h"" 4. 

^) YiUle, p. WL^I^jnM, mn. 4327, n*" 4. 

(5) Raynald, ann. 13^7, n*" 5. 



ZM HISTOIREDS LA PAPAUT£, LIV. V. 

puissant de ses ennemis approchait de ses murs, quand la 
fid^lit^ deses amis y 6tait si peu sAre, n'aurait-ce pas ete 
compromettre la Papaute que de s'y transporter? 

Au reste, dans le temps m^me que Jean XXII ecriyait 
cette r^ponse, les ^venements en justitiaient la sagesse. 
Une revolution ^clatait a Rome, renversaitradminislration 
du roi Robert, expulsait tons les nobles, forgait les deux 
principaux chefs des Guelfes, Stefano Golonna et Napo- 
leone des Orsini, ^chercher un refuge a Avignon, et inau- 
gurait, a la place du regime dechu, un gouvemement de 
vingt-six del^gues , deux par chaque region de la ville, 
pris dans la classe des agriculteurs et des marchands (1). 

U fallait bien que, malgre I'esprit r^volutionnaire qui 
r^gnait a Rome, Fattachement au souverain pontife fdt en- 
core populaire, puisque le premier soin de ce gouveme- 
ment fut d'engager Jean XXII a revenir dans sa capitale. 
U confia m&me ce message, pour le rendre plus agr^able, 
k un membre de la noble maison des Orsini, Matlbaeo ; 
mais il portait le caractere d'une soumission moins abso< 
lue que les precedents. On y disait au souverain pontife, 
assez clairement, qu'avec lui on ^tait pret a d^fendre ener- 
giquement Tautorite pontificale, mais que, s'il restait a 
Avignon, on pourrait bien se jeter entre les bras de Louis 
de Baviere. G'etait la presque une menace. Jean XXII la 
repoussa vivement, s'eleva contre les nouveautes politi- 
ques, auxquelles il attribuait les dissensions qui regnaient 
dans la ville, s'etonna que des fils aiissi devoues que les 
Remains a la foi catbolique et h TEglise eussent la pensee 
de soutenir les pretentions de Tennemi de la foi et du per- 
s^cuteur de I'Eglise, les exhorta h faire leur devoir, et ne 



(1) GioY. Vill.) I. X, c. XIX.— Epist. Joannis XXII, ap. Raynald« 
ann. 4527, n"" 7. 



LOUIS DE BAYIEBE EN ITALIE. 365 

leur donna aucune esperance d'un retour prochain en 
Italie (!)• 

Cette reponse ne trouva plus a Rome le gouvernement 
des vingt-six. N4 d'une ^meute, une emeute I'avait ren- 
verse a son tour. Sciarra Colonna et Jacopo Savelli, deux 
Gibelins exaltes, gouvernaient sous le nom de capitaines du 
peuple, avec un conseil de cinquante-deux deputes, quatre 
par chaque region de la ville. Que ce flit de leur part un 
acte volontaire ou une demarche exig^e par le peuple, ces 
nouveaux magistrats firent une quatrieme tentative pour 
ramener lepape a Rome. Trois depute, PietroVajani, Pie- 
tro de Magistris et Gozio Gentil, partirent pour Avignon au 
commencement de juin. Us dtaient charges de remettre k 
Jean XXII une lettre qui exprimait les voeux de tons les 
Remains pour son retour (2), le supplier d'y acceder, lui 
promettre, a cette condition, une fidelity in^branlable ; 
mais ils devaient ajouter que, s'il refusait leur invitation, 
ils se verraient forces, pour que la capitale du monde ne 
perdit pas entierement sa gloire, a recevoir Louis de Ba- 
vi^re en qualite de seigneur (3). 

II est evident que le but de Sciarra, de Savelli et des 
cinquante-deux etait de forcer le pape h exprimer un refus 
formel, pour pouvoir montrer au peuple qu'il en ^tait 
abandonne, et Tentrainer ainsi dans le parti de Louis de 
Bavifere. Jean XXII le comprit aisdment : aussi sa reponse 
fut-elle une justification de sa conduite. « Si vous avez un 
« ardent d^sir de revoir votre p^re, dit-il, le notre n'est 
« pas moins vif de nous retrouver au milieu d'enfants 
« ch^ris. Mais, pour realiser ce desir, ni les circonstances 
« ne sont assez favorables, ni les routes de tierre et demer 

(1) Raynald, ann. 1527, n"^ 6 et 7. 

(2) Raynald, ubi supra, n° 9. 

(5) Albert. Mussat., Ludov. Bavar., p. 771.— Giov. Vill., 1. X, c. xn. 



866 HISTOIRE DE LA PAPAUT^, LIV. V. 

a assez si!ires» ni votre cit^ assez pacifique. » Puis il leur 
peint Tetat politique de Rome, rappelle les dernieres se- 
ditions k la suite desquelles Stefano Golonna, Napoleone 
des Orsini et tous les nobles avaient 6i& obliges k la fuite, 
Toccupation de leurs forteresses par le peuple, la dUeose 
qui fermait au roi Robert et a son vicaire Yenirie dd la 
yille, y interdisait la r^eption de ses lettres, de ses massa- 
ges, la popularity dont y jouissait Louis de Bavi^re, les 
complots qui s'y tramaient en faveur de ce prince. c< Re- 
<( mettez, ajoute-t-il, remettez toutes choses dans Tordre, 
a et je me hSterai de retourner pr6s de vous (!)• » 

Les Gibelins n'attendaient que cette r^ponse. lis enToyd- 
rent sttr-4e-ehamp des depute a Louis (2). Les Guelfes, de 
leur c^, trait^rent avec le roi Robert. Ce monarque fit par- 
tir son fr^e, le due de Calabre, avec mille chevaux, pour 
tenter de p^netrer dans Rom€, tandis qu'un legat, Napo- 
leon des Orsini, venu de Florence , essayerait de negocier; 
mais les Romains refuserent k la fois et de^recevoir le due 
de Calabre et d'ecouter le l^gat. L'emploi de la force ne 
r^ussit pas davantage, et ces deux personnages durent re- 
noncer-a devenir maitres de la situation (o). Tel^tait T^tat 
des cboses lorsque Louis arriva a Viterbe. 

Gependant, bien que victorieux, les Gibelins ne domi- 
naient pas tellement Topinion publique que les cinquante- 
deux notables ( biumi v^mini ) n'eussent a combattre, dans 
le peuple, une forte opposition k ce que Louis Ae Baviire 
filt re$u dans la yille en qualite de s^gneur. Et, bien que 
ce prince camp4t aux portes, que Ton n'eOt aucun moyen 
de lui resister, on disputait encore si on Taccepterait 
simplement comme seigneur, ou bien si Ton traiterait avee 

(1) Raynald, ann. 1527, n""* 10, M, 12 et 15. 

(2) Albert. Mussat., Ludov. Bavar., p. 772. 

(3) Giov. VilL, 1. X^ c. xlvii. 



LOUIS DE BAVIERE A ROiK. 86T 

lui. Ge derfiier parti ^tait mdme si fort, qu'ilprevalut, et 
qii'on envoya a Yiterbe une ambassade solenndle pour 
traiter avec le pnnce. Mais un stratag^me de Sciarra Go- 
lonna et de Jaa)po Savelli r^dit cette ambassade inutile. 
Ces deux capitaines du peuple envoy^rent a Louis des let- 
Ires secretes par lesquelles ils le priaient de ne point pren- 
dre au serieux la mission des ambassadeurs et de se rendre 
en toute hate k Rome. Ge dernier n eut pas plutdt lu ces 
lettres qu'il fit sonner les trompettes, leva son camp, et se 
fflit en marche vers Rome ( I ) . 

Parti de Viterbele mardi 5 Janvier 1328, Louis arriva 
le surlend^fnain en vue de la capitale du monde chretien, 
k la tSte de quatre mille cavaliers, trainant a sa suite une 
foule d'ecclesiastiques, de pr^lats, de religieux en revoke 
ccmtrele Saint<*Siege; impur ramas, dit un contemporain, 
de tout ce qu'il y avait alors d'h^r^liques, de schismati- 
ques, dans la chr^tientd. II aurait ete inutile de songer k 
la resistance. Toute opposition de la part des Guelfes se 
tut done en presence de la force, et liOuis fut re^u dans la 
ville pacifiquement et avec honneur. II alia d'abord se lo- 
ger au Vatican , y resta quatre jours ; il vint ensuite se 
ixer k Sainte-Marie-Majeure. Le lundi suivant, 1 1 Janvier, 
il eo&voqua le peuple au Gapitole. Ses partisans s'y rendi- 
renl seuls. Rien ne fut plus d^risoire qu'une pareille as^ 
sembl^e. L'^veque d*Ellora, pr^lat excommuni^, y prit la 
parole, et, comme s'il eAt eu devant lui le peuple romain 
tout entier, il le remercia, au nom de son maitre, de Thon- 
neur qu'il lui faisait; puis il protesta que son intention 
^t de maintenir le i)'on etat. De bmyantes acclamations 
couvrirentlediscours du pr^lat. De tons cdt^ partirent les 
erifi de : a Vive notice seigneur I vive le roi des Romains ! n 

(i) Giov. Vill., 1. X, c. LIU. 



368 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, UV. V. 

On proclama Louis s^nateur et capitaine du pcuple pour 
une ann^e^ et la c^r^monie de son couronnement fut fixee 
au dimanche suivant. Mais, au milieu de cet enthousiasme 
apprSt^y Tattitude morne des gens de bien produisait un 
contraste bien fait pour en montrer la vanite. Un grand 
nombre de catholiques, de clercs, de religieux, d^r- 
taient la ville et son territoire. L'interdit y r^gnait, le son 
des cloches n'appelait plus les fiddles a la priere. Partout 
Toflice divin avait cesse, excepte autour du prince, ou les 
schismatiques se faisaient gloire de braver le pape en ce- 
lebrant malgre ses defenses. Louis s'indigna de ce silence 
du culte, et donna Tordre a Sciarra Golonna de contraindre 
les prfitres catholiques a celebrer; mais tons refus^rent 
d'ob^ir. Bien plus, le chanoine qui avait la garde du Saint- 
Suaire le cacha, de peur que cette relique sacr^ ne fAt 
profanee par les regards impurs des schismatiques (i). 

La ceremonie du couronnement eut lieu le 16. Les 
chefs gibelins avaient tout prepare pour la rendre bril- 
lahte. On y surpassa meme la pompe accoutumee ; les 
partisans de TEmpire y firent entendre de longs applau- 
dissements. Mais toutes ces demonstrations ne purent en 
deguiser la pauvrete. On n'y remarqua point ce concours 
spontane qui signale les sympathies populaires ou niSme 
la curiosite; on n'y vit ni legat, ni aucun representant de 
Tautorite pontificale. Tout s'executa en presence et par les 
ordres de quatre syndics nomm^s par le peuple. La coo- 
ronne fut impos^e k Louis, par Sciarra, au nom des Re- 
mains. Castruccio Castracani lui ceignit le glaive de I'Em- 
pire. II regut ensuite Fonction imp^riale des mains pro- 
fanes deJacopo Albertini, evSque d'EUora, pr^lat excom- 
munie. La ceremonie achev^e, Louis publia trois d^crets 

(1) Giov. Vill., 1. X, c. un. 



LOUIS DE BAYIERE A ROME. 369 

dans lesquels il s'engageait, premi^rement, a conserver 
inlactela foi eatholique; secondement, a maintenir Thon- 
neur et la liberie du clerge ; troisiemement, k defendre les 
veuves et les orphelins. Parcette hypocrite ostentation de 
z^le pour la religion et la justice, Louis reussit un mo- 
ment a en imposer k la multitude. Mais Tillusion fut 
courte, et les besoins pecuniaires du prince la dissip^rent 
bientdt. Pour subvenir aux necessit^s les plus pressantes, 
il se vit oblige de lever une contribution de 30,000 flo- 
rins; et, quoique les deux tiers de cette somme dussenl 
6tre payes par le clerge et les juifs, et un tiers seulement par 
les bourgeois, il s'^leva un m^contentement g^n^ral (4). 

Les spectacles que Louis avait jusque-la donnes aux 
Remains avaient ^te ou insignifiants ou ridicules. Mais le4 4 
avril ^claira une scene qui devint le signal d'autres scenes 
plus deplorables. Le peuple avait 6t^ convoqu^ pour ce 
jour-la sur la place Saint-Pierre. Louis s'y montra revfitu 
des ornements imperiaux, au milieu d'un nombreux cor- 
tege de prelats, d'ecclesiastiques, de religieux, de juges 
et d'avocats, s'assit sur une estrade elevde, et fit lire un 
d^cret portant que tout chretien convaincu d'h^r^sie cen- 
tre Dieu et la majeste imperiale devait dtre puni de mert ; 
que, pour la validite de la sentence, il sufiirait d'avoir 6l6 
juge et cendamne par un juge quelcenque ; eniin que ce 
decret, par un cffet de retroactivite inou'ie, atteignait les 
delits deja cemmis aussi bien que ceux qui le seraient 
dans la suite. Ensuite il ordonna a tous les notaires, sous 
peine de nuUite, d'inserer dans leurs actes ces paroles : 
« Fait pendant le regne de Texcellent et magniiique sei- 
a gneurLouiSy empereurdes Remains (2). » 

(i) Giov. VilL, 1. X, c. uv et urn. 
(2) Id., I. X, c. Lxvn. 

24 



570 mSTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. V. 

On ne tarda pas a comprendre ou h nouveau Cesar 
voulait en venir, et quelle etait la portee de cet dtrange 
decret. Le ^8 avril, une convocation plus solennelle r^unit 
les. clercs et les laiques de Rome sur la grande place de 
Saint-Pierre. L'appareil aveclequel Louis se produisit dans 
cette assemblee fut aussi plus imposant qu'il n'avait en- 
core 6te. La pourpre imperiale eclatait sur ses ^paules, la 
couronne brillait sur sa tete, sa main droite tenait le 
sceptre du monde. Dans ce costume, il monta sur un ma- 
gnitique trone, assez eleve pour etre apergu de tons. Au- 
tour du trone se pressait une foule de prelats, d'ecclesias- 
tiques, de barons et de soldats en armes. Quand le prince 
se fut assis, il imposa silence k la multitude, et un reli- 
gieux augustin, Nicolas Fabriano, cria de toute la force 
de sa voix : « Y a-t-il ici quelque charge de pouvoir qui 
« veuille prendre la defense du pretre Jacques de Gabors, 
c< qui se fait appeler le pape Jean XXII? » On r^p^ta cet 
appel trois fois, et, personne n'y ayant repondu, un abbe 
allemand, dont T eloquence jouissait de quelque reputa- 
tion, prononga un discours prepare sur ce texte : ^HcBcest 
dies boni nuntii'{yo\d le jour de la bonne nouyelle). 
Ce discours fut immediatement suivi de la lecture d'une 
sentence dirigee centre le pape. Dans le pr^ambule de cette 
sentence, Louis protestait que Tamour dela gloire du peu- 
ple remain et le desir de rendre a ce peuple son antique 
splendour, en lui restituant ses chefs spirituels et tempo- 
rels, Tavaient engage a sortir de TAUemagne, a laisser son 
royaume et sa famille pour venir a Rome, dans la capitale 
du monde, dans le centre de la foi catholique. Ce pr^ten- 
tieux. debut aboutissait a dire qu'etant a Rome, Louis 
avait appris que Jacques de Cahors, faussement nommd 
Jean XXII, cet homme de sang, cet hypocrite, ce suppdt 
de Satan, qu'on pquvait a bon droit appeler rAntechrist 



LOUIS DE BAVIERE A ROME. 574 

mystique, ou au moins son precurseur, que Jacques de 
Cahors avait voulu transporter de Rome a Avignon les 
tifres du cardinalat, et que l*invincible opposition des 
cardinaux Favait seule emp^ch^ de r^aliser ce coupable 
dessein; que le meme Jacques de Cahors avait ordonne 
une croisade contre le peuple remain, chose qu'il avait 
fait savoir aux cinquante-deux recteurs du peuple. 

A la suite de ces deux accusations, aussi ridicules que 
fausses, venait se placer celle d'her^sie, dont Icdit Jac- 
ques de Cahors s'^tait manifestement rendu coupable en 
publiant deux bulles contre la pauvrete de J^sus-Christ. 
Ces chefs developpes, le ton du r^quisitoire s'^levait pour 
dire qu'il appartenait a celui que la Providence avait re- 
v^tu d8 la dignite imperiale d'imposer le joug de la disci- 
pline aux t6tes superbes, et dene pas souffrir que Ther^sie, 
le blaspheme et leschisme, prevalussent dans Tfiglise. Ve- 
nait apr^s cela la conclusion en consequence : c< Nous 
prince, sur les requisitions des syndics du peuple re- 
main, et du consentemenf du clerge et du m^me peuple 
ronnain, ainsi que des prelats d'Allemagne et d'ltalie, 
declarons, pronongons et publions que Jacques de Cahors 
est heretique notoire, manifesto, et, partant, dechu de 
toute puissance, dignite, autorit^ ecclesiastique, et pas- 
sible de toutes les peines portees par les lois canoniques 
et civiles. C'est pourquoi nous le deposons et declarons 
depose du souverain pontificat (4 ) . » 

Si Tonpouvait faire abstraction de Timpi^te d'une telle 
procedure, il faut avouer que rien n'etait plus risible que 
de voir une poignee de factieux disposer ainsi de la tiare 
et de la personne d'un pape. Cette com^die honteuse ne 



(1) Joannes Minorita, ap. Baluze, Niscell., t. Ill, p. 515.— Giov. Vill., 
1. X, c. Lxvm. 



572 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, liV. V. 

trouva heureusement dans le peuple qu'une froide indif- 
ference (<), etun trait d*hdroisme de Jacopo Colonna, fils 
de Stefano, apprit bientdt a Louis avec quelle indignation 
les gens senses Tavaient contemplee. 

En effet, quatre jours apres, ce jeune seigneur, alors 
chanoine de Saint-Jean-de-Latran, parut tout a coup sur 
la place Saint-Marcel, suivi de quatre hommes masques. 
La, il deploya la derniere sentence de Jean XXII contra 
Louis de Baviere, la lut tout entiere en presence de plus 
de mille personnes que la curiosite avail rassemblees. 
Puis, cette lecture achevee, il eleva la voix et dit : « Le 
clerge de Rome a appris qu'un certain syndic a com- 
paru en son nom devant Louis de Baviere, soi-disant 
empereur, et qu il a propose divers chefs d' accusation 
centre le pape Jean XXII. Or, le pretendu syndic n'etait 
revetu d'aucun pouvoir, attendu que les chanoines de 
Saint-Jean-de-Latran, de Sainte-Marie-Majeure, et les 
ordres. religieux etaient sortis de Rome, a cause de la 
presence des excommunies, c*t que, s'ils y fussent Tes- 
tes, ils auraient ^te excommunies eux-m6mes, C'est 
pourquoi je proteste centre tout ce qu'a fait Louis de 
Baviere ; je soutiens que le pape Jean XXII est catho- 
lique et legitime; que celui qui se dit empereur ne Test 
point, mais est excommunie avec tons ses partisans, et 
je m'offre de prouver ce que j'avance, soitpar la raison, 
soit par les armes, en lieu neutre. » Apres cette coura- 
geuse protestation, il alia afficher de sa propre main la 
sentence du pape a la porte de Teglise de Saint-Marcel, 
sans eprouver la moindre opposition de la part de la foule, 
immobile d'etonnement ; puis il disparut. Louis ^tait a 



(1) Dalla delta sentenzia )e simplice 'popolo ne fecegrande festa. (Giov. 
Vill., loc. cit.) 



LOUIS DE BAVlfeBE A ROME. 375 

Saint-Pierre; on courut lui annoncer ce qui se passait sur la 
place Saint-Marcel. Furieux, il envoya aussitdtdes cavaliers 
poursesaisir de la personne de JacopoColonna; maiscelui- 
ci, aussi prudent que magnanime, etait deja en sflrete dans 
Palestrina avec ses compagnons (1). Bientot il se rendit a 
Avignon, ou le pape lui fit Taccueil le plus honorable, et 
recompensa son heroique temerite par Teveche de Lom- 
bes (2). Dejk grand par Tillustration de sa famille, plus 
grand encore par ses qualites personnelles, Jacopo, en- 
toure des faveurs pontificales, semblait promis aux desti- 
nees les plus brillantes; mais une mort prematuree ense- 
velit dans la tombe tant d'esperances (5). 

Le lendemain de Taction du jeune' Colonna, Louis de 
Baviere manda prfes de lui les senateurs et les chefs du 
peuple, et, de concert avec eux, il rendit un decret por- 
tant que, desormais, le pape ferait sa residence a Rome; 
qu'il ne pourrait jamais s'absenter dela ville plus de trois 
mois; qu'alors meme il ne s*en eloignerait pas plus dc 
deux journees de chemin sans la permission du peuple, 
et que, prie tf y revenir, s'il n'obeissait point aprfes trois 
sommations legales, il serait incontinent depose de la di- 
gnity papale et remplace (4). On pretend que ce fut dans 
cette occasion que Louis osa pronpncer la peine de mort 
contre Jean XXII et le roi Robert, comme coupables de 
lese-majest^, et les condamna a etre brAles (5). L'histoire 
nousapprend eneffetqu'on brftla un mannequin depaille, 
representant le pape, sous le nom de Jacques de Cahors. 
Mais cette scene burlesque et impie ne fut accomplie qu'a- 

(1) Giov. Vill.^. X, c. Lxix. 

(2) De Sade, Memoires pour la vie de Petrarque, 1. 1, p. 148. 
(5) Le m6me, t. H, p. 28. x 

(4) Giov. Vill., 1. X, c. ixx. 

(5) Albert. Mussat., Ludov. Bavar. — S. Anton., t. HI, til. XXI. 



574 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. V. 

pr^s I'election de Tantipape, par I'antlpape lui-m^me, et 
dans la ville de Pise (1). 

En effet, roeuvre de Louis de Baviere n'etait point com- 
plete. Le pape legitime depose, il lui restait a le rempla- 
cer. Parrni les religieux qui suivaient ce prince, il s'en 
trouva un assez hardi pour pretendre au siege apostolique 
declare vacant, et se poser en rival de Jean XXII. Ce fut un 
Frere Mineur, nomm6 Pierre Rainalluccio de Corbiere. 
Quelques historiens ont fait de Rainalluccio un religieux 
sage, savant et de bonne vie (2). Mais les plus accredites ne 
le peignent point avec des couleurs si brillantes. Selon 
eux, c'etait unhomme hypocrite, avare et de moBurs dou- 
teuses (5). Ces traits conviennent mieux au personnage 
qui, dans cette occurrence, sacriiia la paix de TEglise a la 
stupide ambition de ceindre la tiare. Le 12 mai, une con- 
vocation extraordinaire du peuple remain le rasscmbla 
dans la grande place de Saint-Pierre. Louis s'y rend re- 
v^tu de tons les insignes de la majeste imperiale, la cou- 
ronne en tete, le sceptre a la main, et suivi de son cortege 
accoutume de prelats, de clercs, de religienx excommu- 
nies et de barons. II prend place sur un trone erige ce 
jour-la sur les degres memes de Saint-Pierre. La pompe du 
spectacle avail ete augnicntee en raison de Timportance 
de la ceremonie qui devait s'accomplir. Au milieu de cet 
appareil imposant, on voit tout a coup s'avancer frere Rai- 
nalluccio de Corbiere. A son aspect, Louis se leve et invite 

(1) Gioy. VilL, L X, c. cxxi. — Imaginem ejus (Joannis XXU) ligneam 
combnssit. (Aventiniis, Annales Boiorum, l.VII, c. xvii.) 

(2) GioY. VilL, 1. X, c. lxxiii. — Thrith., Chron. Hirsaug, ann. 1527. 

(5) Grande hypoc|^a. (Murat., Annal. dltalia, ann. #528.) — Alvares 
Pelage, de Planctu Eccles., 1. 1, c. xxxvii, dit : Petrum de Gorbaria, quern 
in urbe cognovi verum hypocritam... decimanlem meotam et anethum... 
inter mulierculas romanas quasi continue residentem. — Gonzalo de lUes- 
cas, Hist, pontif.; Ha parte, p. 15. 



1 



RAINALLUCCIO DE CORBIERE, ANTIPAPE. STS 

le religieux h venir partager son trone. Ensuite le moine 
augustin Nicolas Fabriano debite un sermon surcetexte: 
Reverms Petrus ad se dixit : Venit angelus Domini et libe- 
ravit me de manu Herodis et de omnibus factionibus Ju- 
dcBorum (Pierre, revenu a lui, dit : L'ange du Seigneur 
est venu, et il nous a delivre de la main d'Herode et de 
toutes les factions des Juifs). Dans la bouche de Tora- 
teur, range liberateur etait Louis de Bavi^re, et I'impie 
H^rode, Jean XXII. Son eloquence s'escrima d'un bout a 
Tautre sur celte double analogie. Le sermon acheve, Tev^- 
quedeCastello cria par trois fois au peuple: a Voulez-vous 
« pour pape frere Pierre de Corbiere ? » A chacune de ces 
demandes, un certain nombre de voix repondirent : «Nous 
c< le voulons. » Alors Louis se leva, fit lire par Tev^que de 
Castello le decret de confirmation selon F antique usage, 
imposa au nouveau poptife le nom de Nicolas V, lui mit au 
doigt Fanneau du pecheur, et le plaga un instant k sa droite; 
apres quoi tout le cortege entra triomphalement dans Te- 
glise de Saint-Pierre, ou Ton c61ebra une messe solennelle 
qui fut suiyie d'un banquet splendide. Cette c^r^monie 
schismatique n' etait pas encore achevee que Topinion pu- 
blique Tavait deja fletrie, et qu une reprobation generale 
enveloppait a la fois Louis et son fantdmedepape(l). 

Rainalluccio fit ensuite sept cardinaux, savoir : Jacopo 
AJbertini, qu'il nomma ev6qued'0stieetdeVelletri;rabbe 
deSaint-AmbroisedeMilan, qu'il nomma ev^que d'Albano; 
r augustin Nicolas Fabriano, Torateur des scenes prece- 
dentes, auquel il donna le titre de Saint-Eusebe ; Pierre 
Oringhi, qui regut celui de Saint-Pierre-es-liens ; Boniface, 
dominicain; Paul de Viterbe, mineur, et Jean d'Arlotlo, 
<9ianoine de Saint-Pierre. Aucun autre ne voulut accepter 

(i) Giov. Vill., 1. X, c. Lxxi. 



576 flISTOIRE DE LA PAPAUTE. LIV. V. 

les honteux honneurs de Tantipape; tous rougissaient en 
secret de leur attentat centre Dieu et la foi cathoHque. 
Gomme ccux qui accepterent avaient ete prives de leurs 
benefices par Jean XXII, a cause de leur revolte centre le 
Saint-Siege, Louis leur vint en aide, et acheva de se rui- 
ner pour leur fournir, ainsi qu a Tantipape, des Equipages 
en rapport avec leur dignite (1). Strange contradiction de 
rhomme avec lui-m^me ! Quoique ces nouvcaux prelats 
fussent tous partisans declares de la pauvrete, qu ils sou- 
tinssent jusqu'au fanatisme que Jesus-Christ et ses apotres 
n' avaient rien possede, ni en particulier, ni en commun, 
ils voulurent neanmoins avoir de beaux chevaux, des ser- 
viteurs en livree, et une table somptueusement servie. De 
son cdte, Rainalluccio distribua un grand nombre de be- 
nefices, declara nuUes les collations faites par Jean XXII, 
ct, comme son tresor etaitvide, il ne craignitpas, pour le 
remplir, de vendre, au poids de Tor, les privileges et les 
benefices ecclesiastiques (2) . 

Cependant, Louis de Baviere avait fait une promenade 
de quelques jours a Tivoli. 11 reparut dans Rome le 22 mai ; 
I'antipape et ses cardinaux vinrent le recevoir en grande 
pompe a Saint-Jean-de-Latran, d'oii ils se rendirent en- 
semble k Feglise de Saint-Pierre. La, Louis posa de ses 
propres mains la barrette d*ecarlate sur la tfite de Rainal- 
luccio^ qvi fut immediatement sacre par Jacopo Albertini. 
L'antipape, a son tour, pouronna Louis, qui crut ainsi se 
debarrasser du reproche qu'on lui faisait de n' avoir ete 
ni confirme ni sacre par le pape. Cette ceremonie, non 
moins ridicule que les precedentes, fut heureusement la 
derni^re dont les schismatiques offrirent le spectacle au 



(i) Giov. VilK, 1. X, c. lxxii. 
(2) Id., loc. cit. 



RAINALLDCCIO DE CORBIERE, ANTIPAPB. 577 

peuple romain. Louis partit pour Yelletri, laissant ^Rome, 
avec le litre de senateur, Rainerio della Faggiuola (1). Ce 
dernier, fatigue sans doute deToppositionqu'eprouvaitrau- 
torite du pontife imperial, et ne voyant rien de mieux pour 
la comprimer que la terreur, fit bruler deux hommes con- 
vaincus d' avoir appele Jean XXII pape legitime, et Rainal- 
luccio intrus (2). Cette circonstance donna lieu a la pu- 
blication de deux buUes, dans lesquelles Tantipape con- 
firmait la deposition de Jean XXII, priyait de leurs bene- 
fices tons les ecclesiastiques qui tenaient pour lui, et 
mena^ait du chAtiment des h^retiques les seculiers qui 
n'abandonneraient point son parti (3). 

Louis de Raviere ^tait revenu a Rome ; ses affaires de- 
clinaient scnsiblement. L'armee du roi de Naples campait 
a Ostie; ses hommes d'armes avaient eprouve un echec 
entre Todi etNarni; Frederic de Sicile et les Gibelins, 
qui lui avaient promis du secours, manquaient a leur pa- 
role ; il etait sans argent ; les contributions dont il frap- 
pait la ville de Rome pour en obtenir achevaient de Ty 
d^populariser ; les Remains ne deguisaient plus leur 
aversion pour les etrangers, qui semblaient n'^tre venus 
au milieu d'eux que pour boire leur sang. Deja les AUe- 
mands etaient insuUes et attaques dans les rues. Succom- 
bant a la fois a la disette, au mepris et a la haine, Louis 
colnprit qu il etait temps de quitter une ville oik il n'avait 
plus aucune consideration. l\ envoya done? au commence- 
ment d'aoftt a Viterbe son marechal avec treize cents 
cavaliers, et le suivit bicntot apres, trainant apr^s lui son 
fantome de pape et sa cour. 11 arriva le 6 aoAt a Viterbe. 
Ce fut un moment de rejouissance pour toute la ville que 

(i) ViUle, 1. 1, p. 237. 

(2) Giov. Vill., 1. X, c. lxxiv. 

(5) Raynald, ann. 1528, n<^ 44 et 45. 



^TS flISTOIRE DE Ik PAPAUTE, liV. V. 

le depart de cette tourbe de schismatiques. La papulace 
les poursuivit en tumulte au dela des portes; elle leur je- 
tait des pierres^ criant a Rainalluccio et a ses cardinaux 
qu ils etaient des intrus, des heretiques, des excommu- 
nies, ajoutant : « Mort a Fanlipape ! vive le Saint-Si^ge! » 
On assure que piusieurs de ses gens payerent de leur vie 
Fall^gresse populaire. Louis etait saisi de frayeur et de 
honte(l). 

La nuit suivan^e, Bertoldo Orsini, neveu du cardinal 
Napoleon des Orsini, entra dans la ville avec ses troupes; 
Stefano Colonna y vint aussi le lendemain. Tons deux fu* 
rent proclames senateurs (2) . Le 8 aoAt, le cardinal Na- 
poleon des Orsini lui-m^me, k la t^te des Guelfes, y ful 
re^u avec les plus grands honneurs ; le peuple criait siir 
leur passage : c<* Vive la sainte figlise ! vivent notre saint- 
a pere le pape et le cardinal legat ! mort a Pierre de Gor- 
c( biere, aux hdr^tiques et aux patarins ! » La ville etant 
de la sorte rentr^e sous f ob^issance du Saint-Siege, on 
proceda centre Louis de Baviere et son pape. Pour effacer 
jusqu'aux vestiges de leur domination, on brftla sur la 
place du Capitole tons les acles qu'ils avaient faits, tons 
les privileges qu'ils avaient accordes. II y en eut qui cou- 
rurent au cimetiere oA avaient ete inhumes les corps des 
partisans de Louis et de son schisme, et les deterr^rent. 
La populace, toujours effrenee dans ses vengeances, in- 
sulta ces corps, et, apres les avoir indecemment traines 
par les rues, les precipita dans le Tibre. Sciarra Colonna 
et Jacopo Savelli n'^viterent un pareil traitcment que par 
une prompte fuite (5) . 

Louis de Baviere, ^chappe de Rome, erra quelque temps 

(1) Gioy. VilL, 1. X, c. xcyi. — Leon. Aretin., I. V. 

(2) Yitale, p. 238. 

(5) Giov. Vill., 1. X, c. xcyi. ^ 



CONGRES DE PKE. 379 

dans le Patrimoine, incertain de ses projets, et achevanl 
de se rendre odieux par sa cupidite et sa mauvaise foi. 
Enfin, le 10 septembre, il se dirigea de Corneto vers la 
cite de Pise, ou il avait convoque, pour le43 decembre, 
un congres de Gibelins. Ce fut dans le trajet de Corneto 
a Pise, par les Maremmes, que Louis pcrdit un de ses 
plus grands appuis par la mort de Marsile de Padoue, Tau- 
teur <Ju Difenseur de lapaix, ce livre qui avait si fatalement 
egare Louis. Deja, quelques jours auparavant, "fa mort 
avait emporte Castruccio Castracani. Le ciel semblait se 
declarer ouvertement centre les schismatiques (4). 

Le congres indique s'ouvrit a Pise le 43 decembre. Les 
grands de la ville tant laiques qu'ecclesiastiques y assistfe- 
rent. On s'attendait sans doute k y voir agiter les ques- 
tions politiques qui interessaient Tltalie ; on ne s'y occupa 
que du schisme et des raoyens de le soutenir. Michel de 
C&ene, qui venait tout recemment d'arriver k la cour, y 
d^bita centre Jean XXII une longue diatribe, laquelle n ^- 
tait qu'un ramassis de faits calomnieux et de faux rai- 
sonnements pour etablir que ce pontife etait decidement 
herelique et indigne de la Papaute. A la suite de ce dis- 
cours, Louis fulmina centre le pape une seconde sentence 
de deposition, accompagnee de la defense de lui obdir, 
et de le reconnaitre pour legitime successeur de saint 
Pierre (2). Tons les prelats, seigneurs et ofBciers de FEm- 
pire eurent ordre de publier cette sentence dans les lieux 
soumis k leur juridiction. Mais en meme temps, et avec 
bien plus de succfes, Jean XXII, a Avignon, renouvelait 
ses procedures centre Louis, le signalait en plein consis- 
toire comme heretique, persecuteur de Tfiglise, le de- 
li) Giov. Vill., 1. X, c. cii. 
(2) Joann. Minor., ap. Baluze, MscelL, I. lU, p. 514. 



S80 HISTOIRE DE LA PAPADTE, LIV. V. 

pouillait de toutes ses dignites, £tats, seigneuries, et or- 
donnait k tout inquisiteur d'informer centre sa per- 
sonne (1). 

L'antipape Bainalluccio n'assistait point a ce congres, 
il n'arriva a Pise que le 3 Janvier 1329. Pour conjplaire 
a Louis, le clerge, les religieux et le peuple vinrent le 
recevoir en procession. Au dehors, on lui rendit de ma- 
gnifiques honneurs, mais dans le fond on n'avait po.ursa 
personfte que de Thorreur ; la crainte seule empechait de 
la manifester. On vit bientot se renouveler a Pise les scenes 
indecentes qui avaient souille la ville de Rome. L'anti- 
pape ne Voulut pas rester en arrifere de procedure centre 
Jean XXII, il le condamna de nouveau, et accorda una in- 
dulgence pleniere a quiconque renierait ce pOntife et le 
declarerait indigne de la Papaute. Puis, sur la requetede 
Louis, Rainalluccio donna le chapeau de cardinal a Gio- 
vanni Viscomti, un des fils du celebre Matthaeo; Louis a son 
tour confirma la seigneurie de Milan a Azzo Viscomti, 
moyennant une promesse de >l 25,000 florins, somnoie qui 
ne fut jamais comptee (2). L'antipape fit aussi plusieurs 
evdques et envoya des legats en Corse et en Grece. Le 18 
du mois de fevrier, au milieu d'une assemblee solennel- 
lement annoncee, il pronon^a une derniere sentence 
d' excommunication centre sou rival, et comjnrit dans cette 
sentence le roi de Naples, les Florentins et leurs partisans. 
On rapper te qu'au moment oil la seance allait s'ouvrir 
il survint tout a coup un furieux orage ; Touragan mugis- 
sait avec violence, et la pluie tombait par torrents. Gemme 
cet accident retenait les membres du congres dans leurs 
maisons, le mar^chal de Tempereur re$ut I'ordre de 

(1) Giov. Vill., 1. X, c. cxui. 

(2) Id., 1. X; c. cxiY et cxYn 



FIN DU SGHISME. 381 

parcourir les rues avec une nombreuse patrouille, et de 
contraindre les gens k repondre k la convocation. Toute- 
fois, malgr^ cet emploi brutal de la force, le lieu de Tassem- 
blee fut presque desert (1). 

Une comedie si honteuse touchait enfin a son denoA- 
ment. Louis de Baviere, rappel^ en Lombardie par le be- 
soin d'y affermir son autorite, ou peut-etre presse de 
partir pour se soustraire aux embarras de sa position, 
quitta Pise le l\ avril, charge de la haine des habitants; 
il laissa pour I'y representer Tarlati d'Arezzo. Ce dernier, 
dont la seigneurie de Pise aiguillonnait Tambition, ne vit 
pas plutdt le prince bavarois eloign^, que, profitant de sa 
position, il chercha k se rapprocher de Ffiglise romaine 
et de Florence. Les Pisans eux-m6mes, dont Taversionpour 
Louis etaitau comble, preterent les mains Ji ce rapproche- 
ment. L'antipape, prived'appui, fut alors congedie. Oblige 
de sortir de la ville, il sollicita de Tarlati un sauf-conduit 
pourserendre en Lombardie aupr^s de Louis : Tarlati re- 
fusa ce sauf-conduit. La situation du faux pontife devenait 
critique. Bientot il ne vit d'autres ressources, pour se dero- 
ber a Tindignation g^nerale, que de se remettre secretement 
entreles mains du comte Fazio Donoratico, qui le fit conduire 
pendant la nuit avec un de ses cardinaux, Paul deViterbe, 
au chSteau de Burgaro, situe dans les Maremmes, et ^loigne 
de Pise de trente-cinq milles. Les deux fugitifs y resterent 
caches durant prfes de trois mois. On n entendait plus 
parler de Tantipape, et sa disparition subite excitait vai- 
nement lacuriosite publique, quand tout a coup une arm^e 
florentine se montra aux environs de Burgaro. Le comte, 
inquiet pour son prisonnier et craignantqu'onn'eftt events 
sa retraite, le ramena clandestinement a Pise, et le logea 

(i) Giov. Vill., 1. X, c. cxxi. 



582 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. V. 

dans sa propre maison, oA il demeura encore ignore jns- 
qu'au mois d'aout de Tann^e 1330. Mais alors, soil que 
des paroles indiscretes eussent et^ proferees, soit que les 
precautions mfimes qu'on prenait pour entretenir le my»- 
t^re de sa retraite ^veillassent les soup§ons, le bruit se 
repandit que Tantipape etait cache dans la maison du 
cotnte Fazio. SoUicite par Tarchev^ue de Pise de rendre 
Rainalluccio, le comte nia d'abord qu'il Teut chez lui ; mais 
a la fin, cedant aux importunites de ses amis, a la crainte 
qu'une plus longue resistance n'attirat sur sa personrie et 
sur sa maison les censures de I'Eglise, il se d^cida a 
le rendre, et ^crivit a Jean XXII qu'il etait pr6t k le lui 
envoyer au premier ordre qu il recevrait de Sa Saintete(l). 
Pendant la longue duree de sa r^clusion, Rainalluccio 
avait reflechi sur lui-meme, les illusions de sa fausse di- 
gnite s'etaient evanouies, et le repentir avait parle k son 
ccEur. II ^crivit au pape une lettre dans laquelle il confes- 
sait son erreur, le crime de ses schismatiques pretentions, 
reclamait Tindulgence du Pere des fiddles, et s'offrait a 
faire une renonciation publique partout oA on le jug^ 
rait a propos. Jean XXII repondit avec bonl6 a cette 
lettre suppliante, donna quelque consolation au penitent, 
r^xhorta k ne point s'arreter dans la carriere du repentir, 
a en apporter lui-meme F expression aux pieds du Saint- 
Si^ge apostolique (2). II exp^dia en meme temps a Far- 
cheveque de Pise et a Teveque de Lucques la commission 
d'absoudre Rainalluccio des censures qu'il avait encourues; 
s'il voulait s'expliquer d'une maniere satisfaisante sur cer- 
tains articles et revenir de bonne foi a F unite de Fl^ 
glise (3) . Rainalluccio fit non-seulement en presence des 

(4) Baluze, Vitae, 1. 1, p. 143 et seq. 

(2) Raynald, ann. 1530, n°» 5 et 4. 

(3) Baluze^ loc. cit. 



FIN DU SCUISME. 385 

commissaiFes de Sa Saintet^, mais encore a la vue de toute 
la ville de Pise, qu'il voulut rendre t^moins de la sinc^rit^ 
de sa penitence, Tabjuration de ses erreurs, et regut im- 
in^iatemcnt Tabsolution des censures (1). Avant de don- 
ner son consentement a T extradition de son prisonnier, le 
comte Fazio avait stipule qu'il aurait la vie sauve, et qu'on 
pourvoirait honorablement k sa subsistance par une pen- 
sion annuelle de 3,000 florins. Jean XXII ne refusa rien (2). 
En consequence, le 4 aoClit 1530, Fantipape fut remis 
entre les mains d'un clerc de la maison du pape, et em- 
barque sur une galore provengale, sous la garde des sol- 
dats pontiiicaux. Deux jours apres, il abordait k Nice. De 
1^, on le conduisit par terre k Marseille. Dans toules les 
villes qu'il traversait, on Tentendait confesser publique- 
ment ses erreurs ; et toutefois, malgr^ ses humbles aveux, 
les peuples le chargeaient de maledictions (5), tant ^tait , 
grande Thorreur que son schisme avait inspir^e ! II arriva 
le 24 aoi^t k Avignon. Le lendemain, il parut au milieu du 
consistoire assemble, en habit de Fr^re Mineur, la corde 
au cou, et, fondant en larmes, se pr^cipita aux genoux 
du pape. II voulut parler pour confesser de nouveau son 
crime et en implorer le pardon, mais, suffoqu^ par la dou-* 
leur au bout de quelques phrases, la voix lui manqua et 
Ton nentendit plus que ses sanglots. Le pape le releva 
avec bonte, d^tacha lui-mSme la corde qu'il avait au cou, 
Tadmit au baiser des pieds, des mains et de la bouche, au 
grand ^tonnement des t^moins de cette sc^ne attendris- 
sante* Puis il entonaa le Te Deum^ qui fut suivi d'une 
messe solennelle d' actions de graces. Dans un second con- 

(1) Baynald, ann. 1330, n'' 10. 

(2) Id., n^ 7. 

(5) Ubique in toto itinere ab omnibus popnlis in yillis et in eiriUtibus 
maledicebatur antipapa. (Baluze, Vitas, p. 144.) 



584 HISTOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. V. 

sistoire, Rainalluccio prononga le reste de sa confession, 
et regut denouveauT absolution des censures. Onlui donna 
ensuite pour prison un appartement dans le palais meme 
du pape. L^, eloigne du public, auquel il ne cessait pas 
d'etre odieux, il selivraauxtravauxde la penitence etdeFe- 
tude, et y trouva des consolations qu'il avait en vaincher- 
chees dans les illusions de sa dignite usurpee. Jean XXII 
lui envoyait des mets de sa table, et le traitait avec la plus 
grande douceur. II vecut de la sorte un pen plus de trois 
ans. Apr^s sa mort, il reyut une sepulture honorable dans 
r^glise des Freres Mineurs d' Avignon (1). 

Pendant que Louis de BaviSre voyait les efforts qu'il 
avait faits pour troubler Funite de Tfiglise se briser si 
honteusement pour lui, il ^prouvait d'un autre cdt^ com- 
bien sont fragiles les confederations qui n'ont d'autre 
lien que les passions d'un parti. Rappele en Allema- 
gne par la mort de Frederic, il s'^tait retire de la Lom- 
bardie au commencement de Tannee 1350; mais deja, 
avant que son armee eAt franchi les Alpes, Azzo Vis- 
comti, recemment confirme par lui dans la seigneurie 
de Milan, avait deserte sa cause, et, guide par de sages 
conseils, avait envoye k Avignon des ambassadeurs charges 
d'exprimer au pape le repentir des Milanais de s'6tre r^ 
voltes centre Tfiglise, d' avoir adhere a un empereur con- 
damne, souffert qu'il fut couronne dans leur ville, et fa- 
vorise le schisme abominable de Pierre de Corbiere ; de 
luijurer ob^issance, respect et fid^lit^, et, a ce prix, d'ob- 
tenir la paix et Tabsolution des censures, sous le poids 
desquelles ils gemissaient depuis quinze ans. Les mdmes 
ambassadeurs devaient demander Y&Y&che de Novarre 



(i) Balttze, Vitae, 1. 1, p. 144 et seq., et p. 712, ad notas.-— Gioy. Vill., 
1. X, c. ciixn. — Raynald, ann. 1330, n<» 25 et 26. 



FIN DU SCEISME. 585 

pour Giovanni Viscomti, qui venait de deposer le cardi- 
nalat des schismatiques. Jean XXII accueillit avec joie, le 
26 septembre, les envoy^s porleurs de cette mission paci- 
fique, et, considerant de quelle importance etait pour TE- 
glise romaine un fitat qui, bien plus que tout autre, pou- 
vait devenir le boulevard de Tltalie centre les entreprises 
futures de Louis ,de Baviere, il se hata de retirer ses ana- 
themes. Le peuple milanais fit eclaler une vive allegresse a 
la nouvelle de cet heureux preliminaire (I). Toutefois la 
paix definitive ne fut ratifiee qu au bout de deux ans. 

De son cote, Pise, en meme temps qu'elle s'etait de- 
barrassee de Rainalluccio, avait egalement sollicite et ob- 
tenu sa reconciliation avec Ffiglise (2). A leur tour Rinaldo 
et Obizzo d'Este, marquis de Ferrare, porlaient aux pieds 
du Saint-Siege leurs plus humbles soumissions (3). Au 
milieu de ce mouvement de conversion, Rome ne voulut 
pas resler en arriere; non contente d'avoir ignominieuse- 
inent expulse les schismatiques de ses murs et d'y avoir 
re§!J, avec les plus grands honneurs, le representant de 
Fautorite pontificale, cette ville envoya une solennelle am- 
bassade a Avignon pour temoigner au vicaire de Jesus- 
Christ Taffliction qu'elle ressentait d' avoir adhere un 
instant a Louis, ainsi qu a son faux pontife. Cet exemple 
fut imite par Viterbe et Pistoie. Toutes ces villes obtinrent 
leur pardon (4), Ainsi Tordre renaissait par tout comme de 
lui-meme, et de ce terrible orage qui avait eclate sur TI- 
talie, il ne restait plus qu'un douloureux souvenir. 

Bientot parut en Lombardie un prince qui y deploya 

(1) Gualv. Flamma, Gest. Azzon., Murat., Rer. ital., t. XII.— -Giov. VilL, 
1. X, c. cxLiv. — Raynald, ann. 1329, n°15. 

(2) Raynald, ann. 1330, R° 27. 
(5) Chron. Estense, Murat., t. XV. 
(4) Raynald, ann. 1330, n* 40. 

25 



386 HISrOIRE DE LA PAPAUTE, LIV. V. 

autant de desinteresseraent que Louis de Baviere y avail 
montre de cupidite. Ge prince ^tait Jean de Luxembourg, 
fils de Fempereur Henri YIL Son pere, en 1 34 0, avait mis 
sur sa tfite la couronne de Boheme, apres lui avoir fail 
epouser Elisabeth, fille de Wenceslas II, dernier souverain 
de ce royaume (1). II n'y resiJait point. Stranger a ses 
sujets par les moeurs autant que par le sang, il n'en etail 
pas aime et leur preferait les Luxembourgeois. Du reste, 
TEurope entiere ^tait sa residence, il la parcourait sans 
cesse d'un bout a Fautre, soit pour secourir ses arais, soil 
pour reconcilier des ennemis. Jean n' avait point ces ta- 
lents et ces vertus qui rendent un souverain precieux k 
ses peuples, mais il possedait au plus haul degre les qua- 
lites qui font les brillants chevaliers. Beau, galant, aussi 
noble de coeur que de physionomie , actif, infatigable, se 
jouant des dangers et des obstacles, il lui fallait des tour- 
nois et des champs de bataille. C'etait la qu'il regnait ve- 
ritablement et qu'il s'etait acquis une consideration qui le 
rendait le monarque le plus influent de FEurope. 

Jean se rendit a Trente vers la fin de 1330, pour y faire 
epouser a Fun de ses fils la fille de Henri, due de Carinthie 
et de Tyrol, Marguerite Maultach, sa cousine et Fheritiere 
de ce riche domaine (2). Comme il sejournait a Trente, il 
regut des deputes de Brescia qui lui offrirent la seigneurie 
de leur ville sa vie durant, a la condition qu'il la prot^ge- 
rait centre les entreprises de Mastino della Scala, qui, se- 
conde par les Gibelins, lareduisaita Fextremite. Jeanac- 
cepta Foffre que lui faisaient les ambassadeurs, detacha 
avec eux trois cents chevaux, et envoya dire a Mastino 
della Scala que, Brescia appartenant au roi de Boheme, il 

(1) Dubrawii Hisl. Bohemica, 1. XVUI. 

(2) BonincoDtriuS; Ghron. Moed., Murat., t. XH. 



JEAN DE LUXEMBOURG. 38T 

etkt k se retirer. Mastino ceda, incapable de resister k la 
puissance de ce nouvel adversaire, et Jean, accompagne 
de quatre cents chevaux, se rendit le dernier jour de d^ 
cembre k Brescia, oil il fut accueilli avec les plus grands 
bonneurs, et oil il retablit comme par enchantement la 
paix et la prosperite (1 ) . 

La presence du roi de Boheme enivra bientot les popu- 
lations lombardes. Presque toutes les villes voulurent imi- 
ter Brescia. Bergame la premiere donna Texemple, et re- 
?ut Jean pour son seigneur (2). Creme, Cremone, Pavie, 
Verceil, Novarre, vinrent ensuite se donner a lui (5) . Parme, 
Modene, Mantoue, Reggio, Verone, lui ouvrirent leurs 
portes (4). Partout il rappelait les exiles, reconciliait les 
partis, et effagait jusqu'aux traces de la discorde (5). Azzo 
lui-meme s'empressa d'aller lui rendre bommage, de re- 
nouveler les anciennes liaisons de la maison Viscomti avec 
celle de Luxembourg ; et, craignant, s'il n'imitait ses voi- 
sins, de s'aliener son peuple, il offrit au roi de Boheme 
la seigneurie de Milan, et se resigna a exercer le pouvoir 
sous son nom (6). Le triomphe de Jean etait complet. 

On fit dans le monde politique mille commentaires sur 
Tapparition du roi de Bobeme en Italic. Geux-ci voulaienl 
qu'il fut venu pour Louis de Baviere, ceux-la pour le pape. 
Les uns et les autres se trorapaient, et les evenements prou- 
vferent que Jean, dans cette expedition, n'avait ^te guide 
que par la generosite de son caractere. Cependant, comme 

(1) Murat., Annal. dltalia, anii.1530.— Dubrawii Hist. Bohemica, l.XX, 
ad calcem. 

(2) Giov. Vill., 1. X, c. clxviii. 

(5) Gazata, Chron. Begiens^., Murat., t. XVIH, p. 45. 

(4) GhroD. Mulinense, Murat., t. XV, p. 592.— Dubrawius, 1. XXL 

(5) Ghron. Benesii de Weilmil, ap. Ber. bohem. script., Pelzei, 1. 11, 
p. 260. 

(6) GuaW. Flamma, Gest. Azod., t. XH. 



588 HISTOIRE DE LA PAPAUTIBI, LIV. V. 

les Florentins en prirent de Tombrage, Jean XXII se crut 
obiigi de leur ecrire une lettre par laquelle i\ affirmait que 
le roi de BohSme n' avail point sollicitd son consentemeiit 
pour entrer en Lombardie(l). Mais Jean XXII etait trop 
sage pour ne pas tourner au profit de I'Eglise la populsh 
rite dont jouissait Luxembourg. Pendant qu'on lisait ses 
protestations en presence du peuple a Florence, il s'dn- 
tendait secretement avec le monarque, et^ le 16 avril 4531, 
le legat Bertrand du Poyet et Luxembourg avaient ensem- 
ble, a Castel-Franco, une entrevue qui se r^pcta le l^lde- 
main a Piumazzo. Bien ne transpira, il est vrai, de leur 
entretien, mais on remarqua qu'ils s'etaient s^par^s sa- 
tisfaits Tun de T autre (2). 

C'etait peut-6tre le moment pour le pape, retir^ depuis 
si longtemps au dela des Alpes, de revenir dans la cite des 
ap6tres. Les Guelfes victorieux, les Gibelins ruines et d^o^ 
t^s de TEmpire, Tinfluence de Louis de Bavi^re perdue, la 
presence en Italie du roi de Bohfime, dont Tobeissance 
au Saint-Siege ne pouvait 6tre douteuse, tout semblait in- 
viter Jean XXII a restituer son siege naturel a la Papaut^. 
Jean XXII en eut effectivement plus que la pensee. Ses 
lettres nous apprennent qu'il ^tait resolu, en 1 352, de trans- 
porter sa residence k Bologne, et que le Idgat Bertrand 
du Poyet, instruit de celte resolution, faisait bStir en toute 
bate et a grands frais une forteresse destin^e k servir de 
palais au souyerain pontife. L'attente d'une ambassade de 
la part du roi de France, et le d^sir d'arrfiter avec ce 
prince le plan d*une expedition sainte, lui firent dif- 
ferer son depart (3) . Cependant, il ne Toublia point, et 
en 1333 il etait plus dispose que jamais k raccoii]))lir. 

(i) Giov. Vill., 1. X, c. CMxm. 

(2) Id., 1. X, c. CLXivni. — Hist. Gortus., Hurat., t. XII. 

(5) Raynald; ann. 1552, n"^ 1 et 8. 



PROJET DE RETOUR A ROME. 389 

Alors meme il voulait pousser jusqu'a Rome, et un com- 
missaire special, Philippe de Camberlhac, regut Tordre 
de restaurer le palais et les jardins pontificaux. Dans 
rivresse de leur joie, les Remains defererent, d'une com- 
mune voix, a Jean XXII la souverainete de la ville (1). 
Mais ce pontife ne donna point suite a ce projet. Arrive 
aux extremites de T^ge, en trouva-t-il Texecution trop con- 
siderable pour un vieillard nonagenaire, ou bien jugea- 
t-il que la situation presente des choses ne lui r^pondait 
pas suffisamment de Tavenir? Nul ne pent le dire. Quoi 
qu'il en soit, Jean XXII ne partit point. L'occasion favo- 
rable passa; les factions, assoupies un instant, se reveil- 
lerent de nouveau, les Guelfes eprouverent des tehees, les 
Gibelins se releverent, la popularite du roi de Boh^me 
baissa; le legat lui-meme, devenu suspect aux Bolonais, 
se vit oblige d'abandonner.honteusement leur ville et de 
repasser les Alpes (2). II n y eut plus de retour possible. 
-Du reste, Jean XXII ne tarda pas a quitter la vie. Mais, 
apres lui, trois papes devaient encore mourirsur le sol 
etranger avant que la ville eternelle revit ses pontifes. 

(\) Raynald, ann. 1553, n*" 24. 
(2) Hist. Corlus,, 1. V, c. x. 



NOTES ET PifiCES JUSTIFICATIVES. 



NUMfiRO 1. 



Sur relection de Boniface VlII. 



A.pr6s le r^cit que nous avons fait de Tabdication de C^lestio V, 
r^cit puise k des sources irrecusables, nous croyons inutile de rtfu- 
terla fable duporte-voix i Taide duquel, dit Ferreto de Vicence(i), 
Benedetto Gaetani, simulant une voix celeste, interrompait les noc- 
turnes meditations du saint vieillard pour lui dire qu*il y allait du sa- 
lut de son ^me s'il s'obstinait ^ rester sur le tr6ne pontifical ; fable 
si souvent r6p6t6e, au m6pris de toute critique. Mais ce n'est pas 
seulement sur Tabdication de C6lestin V, c*est encore sur relection 
de Boniface que des suppositions mensongferes ont et6 publiees. Or, 
celles-ci ont besoin d'etre discutees. Selon le chroniqueur florentin 
Villani (2), Benedetto Gaetani se serait rendu, pendant la nuit, aa- 
pr^s du roi de Naples, ^ qui les circonstances donnaient une si 
grande influence sur Teleclion du successeur de Morone. La, d^ 
ployant avec un art s^duisant les plus brillantes promesses, il aa- 
rait obtenu de ce monarque les suffrages des douze cardinaux qui 
6taient ses creatures. Gaetani, on le sait, n'6tait point Tami de 
Charles le Boiteux, dont il avait repouss6 avec hauteur, dans le der- 
nier conclave, les reproches,que ce prince adressait au Sacr6 Col- 
lege (3) ; et cette histoire expliquerait merveilleusement commeflt J^ 

• 

(1) Ferretus VicentJnus, t. IX, p. 966. « 

(2) Giovanni Villani, I. VIM, c. vi. 

(3) Ex ms. Vatic, ap. Rayiiald, ann. 1297, n* 3. 



NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 391 

cardinal et le roi se trouv^rent r6conciIi§s dans cette occasion : 11 ne 
lui manque que d'etre vraie. D'abord on ne la trouve que dans Yil- 
lani. Or, Yillani n'etait point a Naples lors de Telection de Benedetto 
Gaetani, et il n'en a 6crit la relation que beaucoup plus tard, et lors- 
que les enneinis de Boniface VIU remplissaient le roonde de leurs 
calomnies sur ce pontife (i). Les t^moins de cette election, comme 
le cardinal Stefaneschi et Ptolemee de Lucques surtout, qu'on n'accu- 
sera point stltreoient de faire Tapologie de ce pape, ne disent pas.un 
mot du fait en question. En second lieu, qui ne voit, au premier coup 
d'oeil, les invraisemblances du r^cit de Yillani? D'une part, comment 
se fait-il que Gaetani, qui venait de faire une blessure si r^cente et 
si profonde 4 Tamour-propre du roi, ait os6, lout k coup, lui demander 
une faveur que celui-ci devait avoir inter^tden'accorderqu'au plus 
d6vou6 de ses amis? D'autre part^ comment se fait-il que Charles le 
Boiteux, dont Thistoire relive le caract^re fin et rus6, ait pr6fer6 
pour pape Gaetani, avec ses promesses vagues et probl6maliques, k 
Celestin Y, de qui il obtenait sans peine tout ce qu'il d^sirait? N*au- 
rait-il pas dtl plut6t emp^cher T^bdication de Celestin que traiter de 
rel6valion de Gaetani (2)? II esit vrai que Yillani va au-devant de 
cette difficult^, en pla^tant Tentrevue nocturne de Gaetani et de Char- 
les apr^s la renonciation de Celestin ; mais cette supposition chro- 
nologique emporte avec elle une improbability, que Sismondi lui-m^me 
a cru devoir relever, et qui suffit pour la faire rejeter. « Car, outre, 
(( dit-il, quUl n'est pas probable que le cardinal Cajetan ait provoque 
« celte renonciation avant d'etre sAr de son election, comme les car- 
« dinaux furent severement enfermes dans le conclave, elle ne put 
« plus avoir lieu apres (3). )) 

Mais, si Ton rejette le recit de Yillani, comment expliquer Tamiti^ 
de Charles le Boiteux et de Gaetani ? Ptolemee de Lucques, qui voyait 
tout de ses yeux, fournii, par son texte meme, le moyen de s'en ren- 
dre compte sans qu'on ait besoin de recourir aux inventions du 
chroniqueur fiorentin. D'abord, il assure que cette amiti6 se fit a 
Aquila (4), avant Tarrivee de Celestin k Naples, et avant qu'il (ti 



(i) LuigiTosti, p. 74. — Rubeo, c. vi, p. 264 et seq. 
(2) Ce sont les judicieuses reflexions de Luigi Tosti, p. 74. 
(5) Sismondi, Hist, des rSpubliques italiennes, t. lY, ^dit. de 18:26, p. 79. 
(4) Turn venit Aquilam®. Beuedictus Gajetani... de quo credebatur quod non 
gratiose yideretur ibidem, eo quod regem Carolum Perusiis plurimum exasperasset. 



392 NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 

question s^ri^usement de renonciation de la part de ce pontife. En- 
suite il ajoute que cette amiti^ fut le fruit des bons offices et de 
rhabilet6 du cardinal (1). Nous dirons, nous, qu'elle fut aussir^fTet 
du bon sens de Charles ; car Benedetto 6tait alors rhomme le 
plus puissant de la cour romaine par la confiance qu'il inspirait h C^ 
lestin Y. Charles, qui prenait tant de soin de maintenir son credit 
aupr^s du pape, aurait-il pu commettre la faute d'etre mal avec son 
premier ministre? Le r^cit de Villani n*est done qu'une miserable et 
maladroite calomnie. 



N. 2. 

Guido de Hontefeltro. 

C'est un fait que les »historiens ennemis de TEglise sont en pos- 
session de donner comme incontestable, que Boniface VIII, embar- 
rass6 pour reduire Palestrine, fit prier le c6l6bre g^n^ral Guide de 
Montefeltro, qui s'etait fait religieux dans le convent desFri&res Mi- 
neurs d'Anc5ne (2) en 1296, de venir prendre le commandement de 
I'arm^e pontificate, et, sur son refus, lui demanda les moyens de 
faire tomber en son pouvoir la ville rebelle, promettant Tabsolution 
de tout ce qu'il y aurait en cela de contraire k la conscience ; que 
Guido de Montefeltro, cMant aux soUicitations du souverain pon- 
tife, se trausporta dans le camp de Tarm^e assi^geante, et Id, apr^s 
avoir inspects la force de la place, conseilla de promettre beaacoup 
et de tenir peu. 

Avouons que, si Ton suppose Boniface Capable d* avoir pu suivre un 
tel conscil, on pent tout aussi bien le supposer capable de Tavoir 
concn. Ce conseil est, en effet, d'une perfidie si simple, disons mieux, 
si commune, qu'il ne valait pas la peine d'arracher S son clottre un 
vi^ux militaire penitent pour Ten faire auteur. La soiennit^ ridicule 
dont on entoure cette d^loyaute triviale en rend d^\k le fait sus- 



Qui statim facias est dominus curiae et amicus regis. (Ptol. Lucens., I. JOIM, 

C. XXX.] 

(1) Suis ministeriis et astutiis. (Ibidem.) • 

(2) Francisci Pipini Ghronicon, 1. lY, c. xuv. 



NOTES ET PifeCES JUSTIPICATIVES. ^ 

pact. Mais il le deviendra hiefn davantage si nous eonsid^rons la 
source oii on Ta puis6. Cette source est celle de Dante Alighieri, 
qui, au XXVH» chant de son Enfer, le met dans la houche de Guido 
de Montefeltro lui-m^me, lequel altribue 4 ce fait sa damnation 
6ternelle. C'est de la que Font tire les deux seuls bisloriens con- 
temporains qui en parlent, Ferreto de Vicence, et Francesco Pi- 
pino (1). Sansdoute le chantre de la Divtna Commeclia est un grand 
poete, mais il est un faible historien. On sait qu'il a jet6 dans son 
Enfer tous les personnages de son temps qu'il n'aimait pas ou dont 
il avait eu A se plaindre, h peu pres comme Raphael a donn6 dans 
ses tableaux des places ou des figures ridicules aux cardinaux aux- 
quels il voulait jouer un mauvais tour. Serait-on assez simple pour 
voir une reality dans le d6lit, quand on ne voit qu'une fiction dans 
le cfa&timent? Est-il juste d^accuser qui que ce soil sur la foi d'une 
vengeance d'artiste? Quant ^ Pipino et k Ferreto, Gibelins comme 
Dante, et ennemis de Boniface, sont-ils plus dignes de croyance? 
Ces trois temoins sont done, k bon droit, r6cusables. C*est la remar- 
que de Muratori : Probrost hujm facinoris narrationi fidem adjun- 
gere nemo probus velit, quod confixerunt Bonifacii wmuli, qui sane 
non pauci fuere, aliaque de eo commenta sparsere (2). 

Mais il y a bien autre chose, c'est que le fait en question n*a pu 
avoir lieu. II est certain que Palestrine fut rendue dans le mois de 
septembre 1298, bien que Von ne sache pas la date precise de cette 
reddition (5). Or, a cette epoque, le biographe des saints et des 
bienheureux de TOmbrie va nous dire ce que faisjiit Guido de Monte- 
feltro : Questo prese I'abitosagro dei Minori per mano del ministro 
provinciale'della Marca in delta citta di Ancona a di il d*agosto 
i296. Visse in continua orazione, umilta et esempio : dopo si tras- 
feri nella citta di Assisij a prendere tindulgenza della poriiun- 
aula... fermatosi net convento di S. Francisco dentro Assist, et ne 
passo al Suo signore santamente a i^settembre 1298 (4). Ainsi« lors- 
que Guido de Montefeltro aurait di!l se rendre sous les murs de Pa- 
lestrine, appel6 par Boniface, il allait k Anc6ne pour y gagner 1 in- 

(1) Ferreti Vicentini Hist., 1. II, p. 970. — Francisci Pipini Ghronicon, i. IV, 

C. XLI. 

(2) Muratori, Rerum ital. Script., t. IX, p. 969, ad calcem paginse nota. 

(5) Franciscus Pipinus et Ferretus Vicentinus , ubi supra. — Peirini ,, Meraorie 
Prenestine, ann. 1298. 
(4) Ap. Luigi Tosti, t. II, p. 273. 



394 NOTES £T Pl£G£S JUSTIHGATIVES. 

dulgence'de la portioncule ; et, quaod il aurait it donner son pre- 
tendu conseil d^Ioyal, il ^tait mort ou bien pr^s de mourir. Comment 
concilief de pareilles circonstances avec Texistence du fait en ques- 
tion? 

II est vrai que les Golonna ni^rent plus tard, au concile de Vienne, 
qu*ils se fussent rendus k discretion ; mais, d'apr^s un monument 
tir6 des archives du Vatican, et ^dit^ par H. Petrini (1), le cardinal 
Gaetani, neveu de Boniface, reduisit au n^ant cette assertion; il sou- 
tint que les Golonna s'^taient pr^sent^s ^ Rieti, devant le pape, en 
presence des cardinaux reunis en consistoire public, d*une multitude 
de prdats et du prince de Tarente, au temoignage duquel il en appe- 
lait encore, puisque ce prince ^tait au concile, et h : humtlatimis 
spirilum pnetendaites, rum insidendo equisy sed pedes (sic) a porlis 
civitatis Reatince usque ad conspectum prwfati summi ponttfids, 
tunc in throno sedenlis, et coronam gestantisin capite... personaiu 
ter accesserunt ; et tandem ad pedes ejus humiliter provolutiy ip- 
sum dominum B. per devota pedum oscula^ ac per verborum ex- 
pressionem... verum cathoUcum ac legitimum papam publice re- 
cognoverunt et professi sunt; et deniquesuosexcessus... tunc spobte 
recognoscentes, el confitentes expresse se dignos p(ena, noik gratia. 
Altera quidem ipsorum Dominorum Columpn. illud verbum evan- 
gelicum proponente : pecgavi, pater, in coslum et corah te, jam koh 
sDM DiGKUs YOGARi FiuusTUus. Les Colonua ne trouverent point de re* 
plique k une citation si precise, et qui 6tait confirmee par des t6- 
moins irr^cusables. II u'est done rien arrive de semblable au fait at- 
tribue k Guido de Montefeltro. 



^ N. 3. 

Lettre du elerge fraocaLs aa papc Booifsice VIII, a Toccasion des exactions dn roi Philippe le 
Bel, lir^ du Manuscrit des Dunes, an t. XXV des Hemoires de TAcad^inie royale des 
sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique. 

(( Les chroniques contemporaines et les chartes reproduites par 
« Dupuy n'avaient point fait connaitre que la c^l^bre bulle Clericis 
« laicos avait ete provoquee par les plaiutes du clerg6 de France. Je 
« ne doule point que les lecteurs n*appr6cient combicn est importante 

(1) Pclrini, p. 150. 



NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 395 

« rexhumation de Facte d*appel adress^ ^ Baniface VIII contre les 
(( envahissements du pouvoir royal , represents par un prince plus 
<( impie que Pharaon , et par des conseillers qui craindraient de 
(ir perdre sa faveur en lui disant la veril6. » 

Sanctissimo patri ac domino Bonifacio, Dei gratia, summo ponti- 
fici, abbates, abbatissse, conventus, canonici, presbyteri ac totus 
clerus regni Frsmciae pedum oscula beatorum, et feliciter sancti Petri 
naviculam in maris j9uctibus gubernare [sic] (i). 

Gum secundum apostolum omnes stabimus ante tribunal superni 
Judicis qui latentia producet in lucem et illuminabit abscondita te- 
nebrarum, vitae aeternae aut dampnationis perpetuae praemium recep- 
turi, in cujus praesentia non solum homines, sed etiam angeli trepi- 
dabunt, quod memoriae cujuslibet debet occurrere christiani, multi 
tamen principes, hujus mundi dilectores, praedicti judicii memores 
non existunt, rebus mundanis nimium infaaereutes; quod patenter 
apparet, cum ipsi, non solum personis secularibus quibus praesunt, 
sed etiam ecclesiis et ecclesiasticis personis quas defendere totis vi- 
ribus et non regere interest laycorum , cum eis super hiis nulla sit 
attributa facultas nee auctoritas imperandi, tot gravamina et onera 
iraponunt, quod deterioris conditionis factum sub eis sacerdotium 
videatur quam sub Pharaone fuit, qui legis divinae notitiam non ha- 
bebat : ille quidem , omnibus aliis servituti subactis, sacerdotes et 
possessiones eorum in pristina libertate dimisit ac eis de publico 
alimoniam ministravit; modern! vero principes onera sua fere im- 
ponunt ecclesiis universa, et tot angariis clericos afiligunt, ut eis 
quod Jheremias deplorat competere videatur : princeps provinciarum 
facta est sub tributo ; sive quidem decimas seu alia quaelibet sibi 
attrahentes de bonis ecclesiarum , clericorum et pauperum , Christi 
usibus deputatis, jurisdictionem etiam et auctoritatem eorum taliter 
evacuantes ut eis videatur nihil potestatis super ecclesiis vel per- 
sonis ecclesiasticis remansisse, quod de jure facere non deberent, 
vero laycorum etiam non suppetunt facultates, cum ipsi humiliter et 
devote recipere debeant cum gratiarum actione quae eis pro com- 
muni utilitate de bonis Ecclesiae conferuntur, prius tamen interve- 
niente romani pontificis consilio, cujus interest communibus utilita- 
tibus providere ; quod minime faciunt, sed quod eis per potestatem 
concessum est,, in cleri injuriam ac in pauperum penuriam faciunt 

(1) II manque ici sdrement un membre de phrase saut6 par le copisle. 



sm NOTES £T PIECES JUSltFIGATIYES. 

redundare, et cum malti coBsuIes priacipam, tarn clerici quam alii, 
propriae prudentiae ianitentes et humanam amittere gratiam formi- 
dantes eis recta loqui libere, pertimescunt, qui quogue similitadkieii 
quondam potius quam verttatem discernunt, magis utilia reiioeirtes 
cum similitudinarium sit expressum veritatis, et quasi sicera inebriati 
et uvam acerbam comedentes, minus cauta discretione exponunt 
illud quod dantur omnia servitio principi et ei omnes ob^diant sub- 
diti et clerici, et qui principi non obedierit morte moriatur, sensum 
alienum extrinsecus et extraneum requireutes, non considerando 
tjuod tanta inter reges et pontifices quanta inter solem et lunam 
distantia cognescatur, et constitutiones principum constitodonibus 
ecclesiasticis non praeeminent, et imperiali judicio non possuat jura 
eoclesiastica dissolvi, cum ipsi non solum personas ecclesiaslieas 
seculares sed eliam Domino Deo dedicatas in \inea Domini Sabaoth 
laborantes, decimis ac aliis diversis exactionibus nunc aUSignnt, 
bona crucifixi pauperibus et Domino servientibus deputata suis usi- 
bus applicantes, ita ut bona Ecclesiae victui Domino servientium non 
valeant exinde, cum denario fraudari non debeant in vinea Domini 
operantes, postpositis etiam eleemosynis pauperibus erogandis.Cum 
non debeant officere qui bujus iniquitatis participes non existnnt et 
quia praedicti consules pseudoprophetse dici possunt, cum Scnpty- 
rarum verba aliter accipiunt et exponunt quam sacra Seriptura so- 
nat, quod conjectura mentis suae cuncta futurorum quasi vera pro- 
nuntiant absque diyinorum verborum auctoritate, ilia consideratione 
non servata ut in hiis qui (1) dubia fuerint aut obscora, id noverint 
exequendum quod nee evangelicis praeceptis contrarium, nee decre- 
tis sanctorum patrum inveniatur adversum; et cum tales qui pra&e«nt 
propter iavorem principum excaecati fuerint et aliis ducatum prsestare 
coeperint , ambo in foveam dilabuntur. YII psalmus : obscurenUir 
oculi eorum ne videant, etc... Dorsum eorum semper incurva, etc... 
Pater sanctissime , nullus pro justicia hodie martirizari desideratur, 
sed potius labore postposito triumphari , et tutius sit in tempore 
oceurrere quam post carnem vulneratam remedium quaerere : hinc 
est quod Sanetitati Vestrae de qua id quod sumus et erimus eognos- 
cere volumus, supplicamus cum omni affectione qua' possumus et ' 
desiderio puri cordis, ut buic morbo peslifero vestrae gratiae ac potes- 
tatis subsidia porrigatis, sine quibus status diu stare non potefrit de- 
ll) Qu«. 



NOTES £T PiECBS JUSTIFICilTiyE&. z&^ 

ricalis qm ftBne per fifmaduni titnbando graditur unmrsum, cum 
imUa» audeat pro defeimione Ecclesise wae libera bttj9& muivdi po- 
testatibus coivtraire, licet pastoribuA rect» tnOBinisse diceve, luhilad 
eas qoam terga tacite praebui^se ac ptignaim pro domo Israel in preeiio 
Domim eviiasse; quos Domitius increpat per Isaiam : Canresinati mn 
valentes latrare. Vivat ac yaleat Vestra Sanctitas revevenda, nobis et 
Ghrisli pauperibus in praediciis a1i4{uod remedium salubre , confe- 
rendo cum libet Domino prospera, qui ab afflietis pellit adversa, ut 
sub ala protfttionis possimus, ut citpimus, respirare ac umbram 
sentiamus gratitodinis et quietis; utiftpace viventes pacis aadorem 
laademusy om voce dicentes : Gloria in eiceelsis, etc., 'qui per soam 
gratiam manum porrigit lapsis^ indigentes fovet et afOietos moestitia 
consolatar. 



N. S bis. 

BuUe d^cr6tale du pape Bouiface VIII. (G. in, de Inimunitate clerieorum in seito.) 

Bonifaciii9» eptscopus, servas servorum Dei^ ad perpet«iam rei me- 
moriam. Ckrids laicos infestos oppido tradii antiquitas : quod et 
prsescntium experimenta temporum manifesto declarant, dum suis 
iinibus^non contesti, nituntur in vetiumi, ad ilHcita froena relaxant, 
nee pradenter attendunt quam sit eis in clericos ecclesiasticasve 
persimas et bona interdicta potestas : ecclesiarum praektis,, eccle- 
siist, ecclesiasticisque personis regillaribus et secutaribus irapon^int 
onera gravia>, ipsosque talliant, et eis coUectas imponunt, ab ipsiB 
suarum proventBum, vel bonorum dimidiam, decimam seu vieesittam, 
vel quamvis aliam portionea aut quotara exigunt et extorquent> 
eosque molttwtur multifarie subjicere servituti, suaeque submiltere 
ditioni : et (quod dolentes^ referimus) nonnulli ecelesia^um praelati, 
ecclesiaslicaBque persona , Irepidantes ubi trepidandum non est, 
transitomm pacem quaerentes, plus timentes majestatem temporalem 
offendere quam aelernam, talium abusibus noo lam temefrarie quam 
improvide acqaiescunt, sedis apostolicae auctoritate seu licenlia non 
obtenta'; nos %itur talibus iniquis actibtis obviare voteftlea, de fra- 
truffi noslrofuni consilio, apostoKca aiictoritate staluimua quod qui- 
cunqMe pnelati, ecclesiastieieque personae, religios», vd saeulaee^, 



n 



598 NOTES ET PIECES JUSTIPIGATIYES. 

quorumcunque ordinum, conditionis seu status, collectas yel tallias, 
decimam, vicesimam, seu centesimam suorum et ecclesiarum proven- 
tuum, vel bonorum, laicis solverint, vel promiserint, vel se soluturos 
consenserint, aut quamvis aliam quantitatem, portionem aut quotam 
ipsorum proventuum, vel bonorum, aestimationis vel valoris ipsorom 
sub adjutorii, mutui, subventionis, subsidii, vel doni nomine, seu 
quovis alio titulo, modo, vel quaesito colore, absque auctoritate sedis 
ejusdem : nee non imperatores, reges, seu principes, duces, comites, 
vel barones, potestates, capitani , vel officiales, vel rectores quo- 
cunque nomine censeantur, civitatum, castrorum, seu quorumcunque 
locorum, constitutorum ubilibet, et quivis alii, cujuscumque prse- 
eminentise, conditionis et status, qui talia imposuerint, exegerint, 
vel receperint, aut apud aedes sacras deposita ecclesiarum, vel eccle. 
siasticarum personarum, ubilibet arrestaverint, saisiverint, seu occu- 
pare praesumpserint; vel arrestari, saisiri, aut occupari mandaverint; 
aut occupata, saisita seu arrestata receperint; nee non omnes, qui 
scienter dederint in praedictis auxilium , consilium vel favorem, pu. 
blice vel occulte, eo ipso sententiam excommunicationis incurrant. 
Universitates quoque, quae in his culpabiles fuerint, ecclesiastico 
supponimus interdicto, praelatis et personis ecclesiasticis supradictis, 
in virtute obedientiae, et sub depositionis poena, districte mandantes 
ut talibus absque expressa licentia dictae sedis nuUatenus acquies- 
cant : quodque praetextu cujuscunque obligationis, promissionis et 
confessionis, factarum bactenus, vel faciendarumin antea, priusquam 
hujus modi constitutio, prohibitio, seu praeceptum ad notitiam ipso- 
rum pervenerit, nihil solvant, nee supradicti saeculares quoquo modo 
recipiant. Et si solverint, vel praedicti receperint, in excommunicatio- 
nis sententiam incidant ipso facto. A supradictis autem excommuni- 
cationum et interdict! sententiis nullus absolvi valeat, praeterquam 
in mortis articulo , absque sedis apostolicae auctoritate et licentia 
speciali : cum nostrae intentionis existat, tam horrendum saecularium 
potestatum abusum nuUatenus sub dissimulatione transire. Non ob- 
stantibus quibuscunque privilegiis, sub quibuscunque terroribus, for- 
mis, seu modis, aut verborum conceptione, concessis imperatoribus, 
regibus et aliis supradictis : quae contra praemissa in nullo volumus 
alicui, vel aliquibus suffragari. NuUi ergo omnino hominum liceat 
banc paginam nostrae constitutionis, prohibitionis seu praecepti in- 
fringere, seu ausu temerario contraire : si quis autem hoc attentare 
praesumpserit, indignationem omnipotentis Dei, et 66. Petri et Pauli 



NOTES ET PIECES JUSTIFIGATIYES. S99 

apostolorum ejus se noverit incursurum. Datum Romae, ap. S. Pe- 
trum» ponUficatus nostri anno secundo. 



N. 4. 

BuUe du pape Boniface VIII au roi Philippe le Bel. 

Bonifacius, episcopus, servus servorum Dei, etc, AuscultUf fili 
carissime, praecepta patris, et ad doctrinam magistri qui gerit illius 
vices in terris, qui solus est magister et dominus, aurem tui cordis in- 
clina, viscerosae sanctae matris Ecclesiae ammonitionem libenler ex- 
cipe, et cura efficaciter adimplere, ut in corde contrito ad Deum re- 
vercnter redeas, a quo per desidiam, vel depravatus consilio nosce- 
ris recessisse, ac ejus et nostris beneplacitis te devote conformes. 
Ad te igitur sermo nosier dirigitur, tibi paternus amor exprimitur, 
et dulcia matris ubera exponuntur. Campum si quidem militiae hu- 
manae mortalitatis ingressus, renatus sacri fonte baptismatis, renun- 
cians diabolo et pompis ejus, non quasi hospes et advena^'sed jam 
domesticus fidei, et civis sanctorum effectus, ovile dominicum in- 
trasti, colluctaturus non solum contra carnem et sanguinem, sed 
eliam contra aerias potestates mundique rectores praesentium tene- 
brarum, sic veri Noe es arcam ingressus, extra quam nemo salvatur, 
catholicam scilicet Ecclesiam , veram columbam , immaculatam unici 
Ghristi sponsam , in qua Christi vicarius , Pelrique successor 
primalum noscitur obtinere, qui si coUatis clavibus regoi ccbIo- 
rum judex a Deo vivorum et mortuorum constitutus agnoscitUr, ad 
quem sedentem in solio judicii dissipare pertinet suo intuitu omne 
malum. Hujus profecto sponsse quae de coelo descendit, a Deo parata 
sicut sponsa ornata viro suo, romanus pontifex caput existit. Nee 
habet plura capita monstruosa, cum sit sine macula, sine ruga, nee 
habens aliquod inhonestum. 

Sane, fili, cur ista dixerimus imminente necessitate, ac urgente 
conscientia expressius aperimus. Constituit enim nos Deus, licet in- 
sufBcientibus meritis, super- reges et regna , imposito nobis jugo 
apostolicae servitutis, ad evellendum, destruendum, disperdendum, 
dissipandum, aedificandum atque plantandum sub ejus nomine et 
doctrina, et ut gregem pascentes dominicum, consolidemus infirma, 
sanemus aegrota, alligcmus fracta, et reducamus abjecta, vinumque 



40a NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 

infundamus et oleum vulneribus sauciatis. Quare, fili carissime, 
nemo tibi suadeat quod superiorem non babes, et non subsis summo 
bierarchae ecclesiasticse hierarchiae. Nam desipit qui sic sapit, et 
pertinaciter haec affirmans convincitur infidelis, nee est intra boni 
pastoris ovile; et licet de singulis regibus et pripcipibus sub fide mi- 
litantibus Christiana pro eorum salute soUicite cogitemus, erga te 
tamen officii nostri debitum eo amplius eoque carius et attentius diri- 
gere debemus et exequi, quo majori personam tuam paterna et materna 
caritate amplectimur, et non solum te, sed et progenitores, domum 
et regnum tuum, in diversis nostris statibus plena et pura sumus be- 
nevolentia prosecuti. Nee possumus cum non debeamus praeterire si- 
lentio quin ea per quae oculos divinae majestaiis offendis, nos per- 
turbas , gravas subditos , ecclesias et ecclesiasticas saecularesTe 
personas opprimis et affligis, nee non pares, comites et barones, 
aliosque nobiles, et universitates, ac populum dicti regni, multosqae 
diversis angustiis scandalisas, tibi apertius exprimamus. Profecto 
erga te hactenus servasse nos novimus ordinem caritatis , interdum 
prsesentialiter per nos ipsos, dum nos minor status habere!, ac post- 
quam nos Dominus provexit ad apicem apostolicae dignitatis per multi- 
plicatas nostras litteras, solemnes nostros et tuos nuncios, praelatos et 
comites, alios domesticos nostros, et tuos te opportunis studiis, et tem- 
poribus inducendo, ut errata corrigeres, emendares excessus, regnum 
tuum in pacis dulcedine ac tranquillitate disponeres, ac cleri et po- 
puli gravaminibus abstineres, tuoque jure contentus, in aliorum in- 
juriam occupatrices non extenderes maous tuas. Sed quod te correxe- 
ris, et in te salutis semina sata ut vellcmus fructificaverint, non 
\idemus, quinimo delinquendi licentiam, et multiplicanda peccata vi- 
deris, proh dolor I in consuetudinem deduxisse : et ut aliqua expli- 
cabiliter inseramus; ecce quod licet pateat manifeste, ac explorati 
juris existat, quod in ecclesiasticis dignitatibus , personatibus et 
beneficiis, canonicatibus, et praebendis vacantibus in curia vel extra 
curiam romanus pontifex summam et potiorem obtinet potestatem : 
ad te tamen hujusmodi ecclesiarum, dignitatum, personatuum et he- 
neficiorum, canonicatuum coUatio non potest quomodo libet perti- 
nere, uec pertinet, nee per tuam coUationem in ipsis, vel eorum 
aliquo potest alicui jus adquiri, sine auctoritate vel consensu apos- . 
tolicae sedis, tacitis vel expressis, quos qui acceperit, et se denegat 
accepisse, eis per ingratitudinem est privandus, et etiam ille qui 
pennissa vel concessa abutitur potestate; et qui contrarium tibi sua- 



NOTES ET PIECES JUSTIFIGATIYES. 401 

det est contrarius veritati. Nihilominus metas et terminos tibi po- 
sitos irreverenter excedens, acfaclus impatiens super hoc injuriose, 
obvias ipsi sedi, ejusque collationes canonice factas execution! man- 
dari non sentiens, sed impugnas quatenus tuas qualitercunque fac- 
tas praecedere dignoscontur; et cum in judicio esse debeat distinctio 
personarum, tu tamen in propriis causis jus tibi dicere, et non in 
communi, sed in proprio judicio partes actoris et judicis sortiaris ; 
et si quemquam injuriari tibi reputas, conlemnis de ipso conquer! 
coram competent! judice, seu etiam coram nobis, quantumcunque 
injurians sit perso.na ecclesiastica , vel mundana de regno tuo, vel 
extra, et de illatis per te v^I tuos injuriis atque damnis, ac de tuis 
et tnorum excessibus recusas per aliquem judicari , et ad saisienda 
et occupanda ecclesiastica bona et jura pro libito voluntatis occupa- 
trices manus extendis in casibus tibi non concessis ab homine vel 
a jure . Praelatos insuper, et alias personas ecclesiasticas, tam re- 
ligiosos quam saeculares regni tu! etiam super personalibus actio- 
nibns, juribus, et immobilibus bonis, quae a te non tenentur in 
feudum, ad tuum judicium pertrahis et coarctas, et inquestas fieri 
facis, et decimas tales, licet in clericos, et personas ecclesiasticas 
nulla sit laicis attributa potestas : prseterea contra injuriatores et 
molestatores praelatorum, et personarum ecclesiasticarum cos uti 
spiritali gladio qui eis competit libere non permittis, nee jurisdic- 
tionem eis competentem in monasteriis, seu locis ecclesiasticis quo- 
rum recipis guardiam, vel custodiam, vel a praedecessoribus tuis 
receptam proponis, pateris exercere; quin potius sententias, seu 
processus per dictos praelatos, ac personas ecclesiasticas licitos, pro- 
mulgatos et latos, si tibi non placeant, directe vel indirecte revocare 
compellis. Et quod tacere nolumus, Lugdunensem Ecclesiam, tam 
nobilem, tam famosam, tam charam in prsedictae sedis pectore con- 
stitutam , quae in spiritualibus et temporalibus hactenus reflorebat, 
tu et tui, injuriosis gravaminibus el excessibus, ad fantam inopiam 
et oppressionis angustiam deduxistis, quod vix adjicere poterit , ut 
resurgat, quam constat non esse infra limites regni tui, nosque qui 
quandoque canonicus fuimus in eadem Ecclesia, ejusque libertatum, 
privilegiorum et jurium notitiam plenam habemus, non revocamus 
in dubium quod injuriose nimis tractas eamdem. Vacantium regni 
tui ecclesiarum cathedralium redditus, et proventus, quos tui et tu 
appellas regalia per abusum, tu et ipsi tui non moderate percipitis, 
sed immoderate consumitis; sic fit ut, quorum custodik fuit ab ini- 

26 



402 NOTES £T PIECES JUSTIFIGATIV&S. 

tio regibus pro consenratione commissa , nunc ad consuiiq[>tioni« 
noxam discriminose deveniant, et discriminosis abusibus exponantur. 
Quod enim custodiendum est rapitur, ei quod coDservandam iUicite 
devoratur, et custodes sunt lupi rapaces effecti, et sub praeteitu 
custodise status ecclesiarum, et personarum ecclesiasticarum dis^ 
pendia perfert, damna sustinet, et miserabilis sortitur eveatus, prim- 
aevse conservationis spe utique defraudatur. Et quidem prselati, 
et ecclesiasticse personse, nedum lis quos regni tui continet incola^ 
tus, sed per illud alienigense etiam transeuntes bona propria mobi- 
lia de regno ipso nequaquam extrahere permittun^ur, ex quo diversa 
patiuntur incommoda, et qui super hoc iibero uti debent arbitrio, 
servitutis quasi jugo premuntur. Sicut de mutatione moneUe, aliisque 
gravaroinibus, et injuriosis processibus per te ac tuos magnis ac par- 
vis regni ejusdem incolis irrogatis , et habitis contra eos, qui pro- 
cessu temporis explicari poterunt, taceamus ad prsesens, qualiter in 
praemissis, et aliis libertas ecclesiastica, et immunitas tuis sunt 
enervatae temporibus, qualiter tu a sacris et piis, providis et matu- 
ris progenitorum tuorum vestigiis, quae per universa mundi climata 
enitebant illustrissimos radios claritatum, degenerare. noscaris. 
Nempe multorum ad nos insinuatio clamosa perducit, ac nedam in 
regno ipso, sed in diversis mundi partibus innotescit, et Ecclesiae 
dicti regni, quae solebant hactenus libertatibus et quiete vigere, 
nunc factae sunt sub tributo, sicut luctuosus clamor earum sub into- 
lerabili persecutione teslatur. Nee ignoras quod super iis et consi- 
milibus de te ad Deum, nee non ad te saepius, nedum saepe clamavi- 
mus, et exaltavimus^ocem nostram , annunciavimus scelera, delicta 
deteximus, sperantes te ad poenitentiam salubriter revocare, et adeo 
desudavimus inclamando, quod raucae factaB sunt fauces nostras; sed 
tu velut aspis surda obturasti aures tuas, et nostra salubria monita 
non audisti, ncc recepisti ea velut medicamenta curautis. Yerum licet 
expraemissis contra te sumere arma, pharetram atque arcum non in- 
dignenecinjuste possemus, ut te a tanto revocaremus invio ad semi- 
tarn reducendo salutis; adhuc nihilominus, dum filialiter metuas, faaec 
tibi praesignificare decrevimus, ut saniori ductus consilio, a facie 
arcus inflexibilis sententiae potius, imo prorsus effugias quam expec- 
tes debitae judicium ultionis, cum tutius dignoscatur ante casum ck;- 
currere, quam remedium quaerere post ruinam. Cum autem nos debi- 
turn pastoralis officii urgeat, et publicae utilitatis intersit ut qui nee 
Digum timenty nee deferuntEcclesiae, neque censuram canonum reve« 



ISOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 403 

rentur, el quasi descendentes in profundum malorum contendunt, 
quamvis eis displiceat, ad salutem etiam trahamus invitos. Nos no- 
lentes nee ex dissimulatione lam longa nos tua culpa reddat innoxios, 
ne si nos, ?el te , quod absit . incorreptum Deus de hac vita subtra- 
heret, anima tua de nostris manibos requiratur, neve tui custodia 
quam suscepimus in commisso nobis officio apostolicae servitutis, in 
nostrum cedat periculum , et dtscrimen ac perditionem multorum, 
dissimulando talia^ et diutius tolerando ea : amore paterno commoti, 
qui omnem vincit affectum, ex affluentia maternae solliciludinis exci- 
tali ad providendum ne perdat Deus cum impiis animam tuam , neve 
tua, et tarn amati cegni claritas malibus actibus, et detestandis iuso- 
lentiis denigretur : deliberatione cum fratribus nostris super boc 
habita pleniori, venerabiles fratres nostros archiepiscos, episcopos^ 
ac dilectosfilioselectos, etCisterciens., Gluniacens., Premonstratens. 
nee non S. Dionisii in Francia Parisiens. diocesis, et majoris monas- 
terii Turonens. ordinis S. Benedicti monasteriorum abbates, et ca- 
pitula ecclesiarum cathedralium regni tui, ac magistros in theologia, 
et in jure canonico et civili, et nonnuUas alias personas ecclesiasti- 
cas oriundas de regno prasdicto , per alias nostras patentes litteras 
certo modo ad nostram praesentiam evocamus; mandantes eisdem, 
quod in kal. novembris futuris proxime, quas eis pro peremptorio 
termino assignamus, nostro se conspectui repraesentent, ut apud te 
ac alios sublata repentina exceptione consilii, quinimo cautela matu- 
riori servata, et frustratoriis objectibus amputatis, super praemissis, 
et aliis deliberate consulamus eosdem, cum quibus sicut cum perso- 
nis apud te suspicione carentibus, quin potius acceplis, et gratis, ac 
diligentibus nomen tuum, et affectantibus statum prosperum regni 
tui, tractare consultius et ordinare salubrius valeamus, quae ad prae- 
missorum emendationem, quam directionem, quietem, atque salutem, 
ac bonum et prosperum regimen ipsius regni, videbimus expedire. 
Situamitaque rem agi putaveris, eodem tempore per te vel per 
fideles viros, et providos tuae conscios voluntatis, ac diligenter in- 
structos, de quibus plene valeas babere fiduciam, iis poteris inter- 
esse, alioquin tuam vel ipsorum absentiam divina replente praesen- 
tia in praemissis, et ea contingentibus, ac aliis, prout nobis superna 
ministraverit gratia, et expedire videbitur, procedemus. Tu autem 
audies quid loquetur in nobis Dominus Deus noster, in quibus tamen 
sine offensa Dei, scandalo, et periculo Ecclesiae, offensione justitiae« 
ac utilitatis publicae laesione, et honoris tui poterimus minorationis 



404 NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 

vitare dispendia, deferre tibi disponimus, et tui etiam culminis salu- 
bria commoda promovere, si te correxeris, et habilitaveris ad gra- 
tiam promerendam. CsBteruni licet super praemissis, et similibus ad 
excusandas excusationes in peccatis, te aliqui excusare nitantur, non 
tantum ea tibi quantum et tuis pravis consiiiariis imputandO) in hoc 
tamen tu inexcusabilis comprobaris, quod tales consiliarios, honoris 
tui utique destructores, tuaeque salutis et famae faisos et impios 
contemptores, assumis et retines, eisque regium praebes assensum, 
qui ad tarn enormia et detestabilia te inducunt : hi sunt quasi falsi 
prophetae suadentes tibi falsa et stiilta, quia non viderunt a Domino 
visionem. Ego fraudulentis detractionibus et subversionibus talium, 
subadulationis. et falsi consilii utique velamento confictis, ininime 
quaesumus acquiescas, quia in vastitate quadam hostili devorant in- 
colas regni tui, et non tibi, sed eis mellifiearunt apes, isti sunt se- 
cretiora ilia hostilia, per quae ministri Bel sacrificia quae superpone- 
bantur a rege clanculo asportabant, ii sunt qui sub umbra tui longa 
manu, tua et aliorum bona diripiunt, et sub obtentu justitiae palliati 
subditos opprimunt, ecclesias gravant, et redditus alienos violenter 
Invadunt, pupillo et viduae non intendunt, sed impinguantur lacry- 
mis pauperum, et divitum oppressione discordias suscitant ac fo- 
vent, guerras nutriunt, ac pacem de regno toUere pravis operationi- 
bus non verentur. Verumtamen cadit in haec ilia prava dissimulatio 
Judeorum, qui dum Unguis crucifigentes Dominum, dicentes tamen eis 
non licere interficere quemquam, tradebant eum occidendum militi- 
bus, ut ab eis culpa in alios transferretur. Tantam namque pruden- 
tiam Deus tibi ministrat ex alto, tantam vides et audis in aliis, quo- 
rum potes exemplo doceri, totque tibi meminimus salubria consilia 
destinasse, quod si tua studia convertere solerter ad bonum, talium 
te curares consiliorum juvamine communire, qui te in stultum finem 
nequaquam impingerent, sed ad incrementa salutis, et utilitatis 
publicae prudentius animarent : sed timemus ne apud te (cujus in- 
teriores oculi putantur illicitis excaecaii) vilescat sermo dominicus, et 
verba aedificativa vitae,productiva salutis, amoris defectui ascribantur. 
Adhaec, ne terraesanctae negotium, quod nostris, et tuis ac alioram 
fidelium debet arctius insidere praecordiis, nos putes oblivioni de- 
disse : memorare, fili, et discute quod primogenitores tui christianis- 
simi principes, quorum debes laudanda vestigia solerti studio et Cla- 
ris operibusimitari, exposuerunt olim personas et bona in subsidium 
dictae terrae : sed Saracenorum invalescente perfidia, et christianorum 



NOTES ET PitlCES JUSTIFICATIVES. 405 

(ac maxime tua), et aliorum regum, et principum devotione solita te« 
pescente, terra eadem tuis utique temporibus hue perdita noscitur 
et prostrata. Quis itaque canticum Domini cantat in ea7quis assurgit 
in ejus subsidium, et recuperationis opportune juvamen adversus im- 
pios Saracenos magnificantes et operantes iniquitatem, debacchan- 
les in ilia? Ad ejus quippe succursum arma bellica periisse videntur, 
et abjecti sunt clypei fortium qui contra hostes fidei dimicare sole- 
bant. Enses et gladii evaginantur in domesticos fidei, et saeviunt in 
effusionem sanguinis cbristiani, et nisi a populo Dei domestics^ inso- 
lentiae succidantur, et pax ei perveniat salutaris, terra ilia foedata ac- 
tibus malignorum, a periculo desolationis et miseriae per ejusdero 
populiministerium non resurget. Si haec et similiaiis benevola mente 
revolvas, invenies quod obscuratum est aurum, et color optimus est 
mutatus. An non ignominia et confusio magna tibi, et aliis regibus, 
et principibus christianis adesse dignoscitur, quod versa est ad alie- 
nos baereditas Jesu Christi, etsepulcrum ipsius ad extraneos devolu- 
turn? Qualem ergo retributionis gratiam merebuntur apud Deum re- 
ges et principes, et caeteri christiani, in quibus terra quaerit respi- 
rare praedicta, si non est qui sustentet earn ex omnibus filiis quos 
Deus ipse genuit, nee est qui supponat manum, ex omnibus quos nu- . 
trivit? Clamat enim ad Dei filios civitas Hierusalem, et suas exponitan- 
gustias, et in remedium doloris ejus filiorum Dei implorat affectus 
Si ergo filius Dei es, dolores ejus excipias; trislare et dole cum ipsa, 
si diligis bonum ejus. Tartari quidem, pagani et alii infideles eidem 
terrse suceurrunt, et ei non subveniunt in ea Christi sanguine pretioso 
redempti, nee est qui consoletur earn ex omnibus charis ejus. . .Tu vero, 
fili, communiens in tribus temporibus vitam tuam, ordinando prae- 
sentia, rememorando praeterita, et praevidendo futura, sic te praepa- 
res in praemissis (et aliis sic reformes, quod ad judicium Dei, et nos- 
trum ab illo descendens, non damnandus accedas), sed in praesenti 
divinam gratiam, et in future salvationis ae retributionis aeternae glo- 
riam merearis. Datum Laterani. non. decembris, pontificatus nostri 
anno septimo. 

Cette bulle se trouve mutil6e dans les registres du Vatican. Par 
complaisance pour Philippe le Bel, et paramour de la paix, Clement V 
ordonna d*en effacer toute la partie qui commence par ces mots : 
Sane, fili, cur ista dixenmus, jusqu'a ces mots : Ad hcec ne teme 
sanctve negocium. Mais elle est restee intacte dans Texemplaire qui 
avait it6 d6pos6 aux archives du royaume, d'oii Dupuy Pa tir^e. 



408 NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 



N. 5. 



LeUres des pr^Uts et aatres eccl^siastiques, tant r^guUcrs que s^caliers, daroynme de 
France, assemble ii Paris, au pape Boniface. (Preures du diffgrend.) 



Sanctissimo patri ac domino suo carissimo domino Bonifacio, divina 
providentia sacrosanctae Romans ac universalis Ecclesiae summo 
pontifici, sui humiles ac devoti archiepiscopi , episcopi, abbates, 
priores conventuales, decani, priepositi, capitula, conventus, atque 
collegia ecclesiarum cathedralium, collegiatarum, regularium et sae- 
cularium totius regni Franciae Parisius congregati, devota pedum os- 
culabeatorum. Non absque cordium dolore et amaritudine lacryma- 
rum, Beatitudini vestrae significare compellimur, quia serenissimus 
princeps dominus noster christiauissimus Philippus, Dei gratia Frau* 
corum rex illustris, auditis quae per venerabilem virum archidiaconum 
narbonensem notarium et nuncium vestrum, nuper sibi ex parte ves- 
tra relata fuerunt, ac inspectis apostolicis litteris clausis, ei per 
eumdem archidiaconum pr^esentatis, et quibusdaro, licet paucis, ba- 
ronibus suis, tunc sibi adsistentibus, earum communicato tenore ; 
ex his, tarn dominus rex, quam barones ipsi, ingenti admiratione, et 
vehementi turbatione commoti, statim idem dominus rex de baronum 
ipsorum consilio barones caeteros tunc absentes, ac nos. Videlicet 
archiepiscopos, et episcopos, abbates, priores conventuales, deca- 
nos, praepositos, capitula, conventus, atque collegia ecclesiarum, 
tam cathedralium quam collegiatarum, regularium ac ssecularium, 
nee non universitates et communitates villarum regni, ad suam man- 
davit praesentiam evocari, ut praelati, barones, decani, praepositi, ac 
duo de peritioribus uniuscujusque cathedralis, vel coUegiatae eccle- 
siae personaliter, caeteri vero per oeconomos, syndicos, et procurato- 
res idoneos, cum plenis et sufficientibus mandatis comparere statute 
loco et termino curaremus. Porro nobis caeterisque personis eccle- 
sia&ticis supra dictis, nee non et baronibus, oBConomis, syndicis et 
procuratoribus communitatum, et villarum, et aliis sic vocatis ex 
praemissae vocationis forma, id mandatum regium hac die martis iO 
praesentis mensis aprilis, in ecclesia B. Marias Parisius in praefati re- 
gis praesentia constitutis, idem dominus rex proponere fecit cunctie 
audientibus palam et publice, sibi ex parte vestra fuisse inter alia per 



NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES, 407 

praedictos archidiaconum et litteras intimatum, quod de regno sue, 
quod a Deo solo ipse et praedecessores sui tenere hacteaus recogniti 
sunt, temporaliter vobis subesse, illudque avobis tenere deberet ; 
nee contenti verbi hujus modi, sic mirabilibus, sicque novis, et in- 
auditis a saeculo apud incolas dicti regni, scd ea producere satagen- 
ies executionis in actum, prselatos omnes sui regni, ac magistros in 
theologia, et professores utriusque juris, oriundos de regno prse- 
dicto, pro corrigendis excessibus, necnon et pro culpis, insolentiis, 
injuriis, atque damnis, quas praelatis, ecclesiis et personis ecclesias* 
ticis, regularibus, et saecularibus, in regno constitutis, eodem et 
alibi, per ipsum dominum regem, et officiarios, seu baillivos suos, 
ac etiam paribus, comitibus, baronibus, aliisque nobilibus, universi- 
talibus, et populo sui regni, inferri praetenditis, emendandum, ad 
vestram praesentiam evocastis, ut sic regnum praefatum preiiosis, vo- 
calibus, incomparabilibusque thesauris, clypeis fortium praeferen- 
dis, sapientia videlicet praelatorum, et sapientium etiam aliorum quo- 
rum fidelis maturitate consilii, et providentia circumspecta, regi ha- 
bet et dirigi regnum ipsum, iirmari fides, sacramenta ecclesiastica 
exhiberi, et ministrari justitia, et per eos facultatibus et divitiis va- 
cuatum penitus et exhaustum dubii casus eventibus, miserabilis 
roinae periculis, et desolationis extremae dispendiis exponatur : in 
qiiibus et aliis diversis gravaminibus, quae per vos, et romanam Ec- 
clesiam, sibi, regno, et Ecclesise gallicauae, tam in reservationibus, 
quam ordinationibus voiuntariis archiepiscopatuum, episcopatuum, 
et collationibus beneficiorum insignium dicti regni, personis extra- 
Deis, et ignotis, et nonnumquam suspectis, nullo tempore residenti- 
bus in ecclesiasticis beneficiis supradictis, ex quibus divini cultus di- 
minutio sequitur, pie fundantium, seu donantium, voluntates, pro- 
pulso pietatis officio, defraudantur, pauperibus dicti regni elee^io- 
synarum largitio consueta subtrahitur, regni depauperatio provenit, 
et Ecclesiae jacturam deformationis incurrunt, dum stipendiorum 
pereeptione subtracta, obsequiis destitutae remanent servitorum, ea- 
rum proventibus extranejfrum commoditatibus deputatis : et praelati, 
dum non babent quid pro mentis tribuant, imo retribuant, nobili- 
bus, quorum progenitores ecclesias fundaverunt, et aliis litteratis 
personis, non inveniunt servitores, ac hujusmodi ex causis devolione 
tepeseente fidelium, qon est hodie qui ad ecclesias manum liberali- 
iatis dxtendat, ut alias ex praenaissis edictis praebetur exemplum : nee 
non pensionibus novis et censibus ecclesiis de novo impo^itis, im- 



408 NOTES ET PIECES JCSTIFICATIVES. 

moderatis servitiis, aliisque exactionibus et extorsionibus variis, 
prsejudicialibus signis, et damnosis novitatibus, ex quibus generalis 
status Ecclesiae immutatur,^ prselatis superioribus dandi coadjutores 
suffraganeis episcopis, et alias tarn ipsis quam suffragancis, ea quae 
ad suum spectant officium exequendi facultas adimitur, utpro his ad 
apostolicam sedem cum luuneribus recurratur, aHisque divei:i5is casi- 
bus, et nonnullis articulis, a longe retrolapsis, et vestris praesertim 
temporibus, illata fuisse, et continue inferri conqueritur, suam et 
successorum suorum, et regni exheredationem tarn enormem et gra- 
ven), tamque manifestum sui et regni honoris dispendium, et evi- 
dens detrimentum non intendens, sicut nou poterat;, diutius tolerare : 
et se certum asserens, quod superiorem in temporalibus, sicut nee 
sui progenitores habuerunt, prout est toti mundo notorium, non 
habebat ; ac saniorum in praesenti negotio, sicut doctorum in theo- 
logia et magistrorum in utroque jure de regno suo oriundorum, et 
alii, qui inter doctores alias et peritos orbis peritiores et famosio- 
res habentur, relatione concordi, habuerat justam causam ; nps uni- 
versos et singulos tam praelatos, quam barones et alios requisivit ins- 
tantius, praecepit ut dominus. Et rogavit ac precibus institit ut ami- 
cus, ut cum ad conservationem libertatis antiquae, honorum, et sta- 
tus regni prsedicti, ac incolarum ipsius, et relevationem gravami- 
num praedictorum, reformationem regni, et Ecclesiae gallicanae, de 
nostro et baronum ipsorum consilio, ad laudem divini nominis, 
exaltationem catholicae fidei honorum universalis Ecclesiae, et divini 
cultus augmentum, salutaria disponat inire consilia, et efficacem 
operam adhibere, praesertim circa gravamina per officiales suos> et 
alios de regno praedicto, si quae sunt ecclesiis et ecclesiasticis per- 
sonis illata, super quibus debitae correctionis remedium, ante ad- 
ventum praefati arcbidiaconi, ordinaverat adhibere, quod jam duxis- 
set in executionis effectum, nisi quod id ex metu, vel ad mandatum 
vestrum fecisse forsam aliquibns videretur; id quod vobis adscribere 
non posselis : ad haec non solum omnia, quae in bonis forent ipsius, 
sed et etiam personam, et liberos, si casus exigeret, exponendo, 
sibi in his, in quibus singulariter omnium, et generaliter singulorum, 
res agi dignoscitur, causa provehitur, et proprium uniuscujiisque 
tangitur interesse, prout ex debito fidelitatis adstringimur, curare- 
mos adesse consiliis, et auxiliis opportunJs, petens sibi statim su- 
per his ab universis, et singulis, praecise et finaliter responderi. Ba- 
rones simul cum syndicis et procuratoribus supradictis, secedentes 



NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. i09 

in partem, ac demum deliberato consilio redeuntes, praefato domino 
regi, de hujusmodi suo laudabili proposito et beneplacita voluntate, 
ad multa ]audum praeconia, et gratiarum actiones exuberes, assur- 
gentes, unanimiter responderuDt, se ad ea paratos, nedum exponere 
res et bona quae exstant, sed ad haec totaliter offerebant, se et suas 
personas, usqiie ad mortis supplicium, tormentorum quorumlibet 
gravamina non vitando : adjicientes expressius viva voce, quod si 
praefatus dominus rex praemissa, quod absit, eligeret tolerare, vel 
sub dissimulatione transire, ea ipsi nullatenus sustinerent. « Itaque 
(( a nobis subsequenter responsione petita, licet longiores delibera- 
« tionis inducias postulantes, ipsum dominum regem, et majores ex 
« baronibus memoratis (quod non ea intentione ad eumdem domi' 
(( num regem apostolical litterae processissent, ut vestrae voluntatis 
a existeret in regni praedicti libertatem impingere, vel quidquam 
(( honori regio contrarium in hac parte quomodoiibet innovare, 
(( muIta lenitate verborum, persuasionibus studiosis, et multiplicatis 
a excusationum praesidiis) nisi fecimus informare, ac ipsum ad ser- 
(( vandum vinculum unionis, quod inter sanctam romanam Eccle- 
(( siam, et praedecessores suos, et ipsum usque ad haec tempora 
(( viguisse dignoscilur, multiplici inductione; ulteriori tamen dila- 
(( tione negata, ac praedicto patenter et publice universis, quod si 
(( quis voluntatis contrariae appareret, ex tum pro inimico regis et 
« regni notorie habebatur, consultius attendentes, et conspicientes 
a apei'tius, quod nisi dominus rex, el barones praedicti, ex nostra 
€ forent responsione contenti, praeter alia pericula^ et gravia scan- 
«t dala, quorum non esset numerus neque finis, tam romanae quam 
(( gallicanae Ecclcsiae devotio, et obedientia omni modo laicorum, et 
« totius populi, quae ex tum irrecuperabiliter tollebatur, non sine 
« multae perplexitatis augustia, sic duximus respondendum quod si 
a domino nostro ipsi regi in conservatione personae suae, suorum- 
« que, et honorum ac libertatis, et jurium dicti regni, prout quidam 
« nostrum, qui ducatus, comitalus, baronias, feoda, et alia membra 
« nobilia dicti regni tenemus ex forma juramenti, et caeteri, qui om- 
(i nis debito sibi sumus fidelitatis astiicti, adissemus eidem debitis 
« consiliis, et auxiliis opportunis : eidem domino nostro regi humi- 
« liter supplicantes, ut cum apostolicae sanctitati ad obedientiam te- 
^ neamur, ad Beatitudinis Vestrae pedes, juxta praemissae vocatio- 
« nis vestrae tenorem, permitteret nos transferr6. Ex parte cujus et 
(( baronum, est secuta responsio : quod nos nullo modo abire per- 



410 NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 

« mittereDt : regnum sic periculose, sic deformiter, sic irreparabili* 
ff ter vacuari, quia potius exhauriri totaliter, nullateotts sustine- 
9 rent. Considerantes igitur tarn vehementem commotionem, et tur- 
« bationem tam periculosam... regis, baronam, et aliorum laicomm 
a regni pnedicti... » hinc in promptu ad Sanctitatis Vestrae providen- 
tiam circumspectam in hoc summae necessitatis articulo duximus re- 
currendum, flebilibus vocibus; et lacrymosis singultibus, paternam 
clementiam implorantes, ao supplicantes humiliter, quod salubre re^ 
medium in pnemissis, per quod firmata tam longe decursu temporis 
inter Ecclesiam, regem, etxegnum, fructuosae unionis, et mutu^ di- 
lectionis integritas, in antiquae caritatis dulcedine conservetur, sta- 
tus Ecclesiae gallicanae in pulchritudine pacis, et quielis optat» re- 
maneat, prospiciatur nobis, nostrisque statibus, revocando vestrse 
vocationis edictum, ac pra&dictis periculis et scandalis obvietur, 
.apostolics providentijB studio, ac paternae officio pietatis, digne- 
mini providere. Conservet altissimus B. V. Ecclesiae suae sanctie per 
tempora longiora. Datum Parisius, die martis prasdicta. 



N. 6. 

BaUe d^cr^Uile du pape Booiface VIU. 

Bonifacius episcopus, servus servorum Dei, etc. Vnam sanciam 
Ecclesiam catholicam, et ipsam apostolicam, urgente fide credere 
cogimur et tenere. Nosque banc firmiter credimus , et simpliciter 
confitemur, extra quam nee salus est, nee remissio peccatoruin» 
sponso in canticis proclamante. Una est columba mea, p^rfecta 
mea, una est matri suae, electa genitrici suae : quae unum corpus 
mysticum repraesentat^ cujus caput Christus : Christi yero Deus, in 
qua unus Dominus. una fides, unum baptisma. Una nempe fuit dilu- 
vii t^npore area Noe unam Ecclesiam praefigurans, quae in uno cubito 
consummata, unum (Noe videlicet) gubernatorem habuit et rectorem, 
extra quam omnia subsistentia super terram legimus fuisse delata. 
Hanc autem teneramur, et unicam : dicente Domino in propheta : 
Ema a framea, Deus, animam meam, et de manu canis unicam meam : 
pro anima enim, id est, pro seipso capita simul oravit et corpore : 
quod corpus unicam scilicet Ecclesiam nominaYit, propter spon^i fi- 



NOTES ET PifeCES JUSTIFICATIVES. 4i1 

dei sacramentoruna, et caritatis Ecclesiae unitatem. H(ec est tunica 
ilia DooDini iocoBsulilis quse scissa non fuit, sed sorte provenit. Igi- 
tar Ecclesiae unius et unicaa unum corpus^ unum caput, non duo ca- 
pita, quasi monstrum, Christus videlicet et Ghristi vicarius Petrus, 
Petrique successor : dicente Domino ipsi Petro : Pasce oves meas : 
measy inquit, et generaliter, non singulariter has vel illas : per quod 
commisisse sibi intelligitur universas. Sive ergo GraBci, sive alii, se 
dicant Petro, ejusque successoribus non esse commissos, fateantur 
necesse se de ovibus Ghristi non esse : dicente Domino in Joannoi 
unum ovile, et unicum esse pastorem. In hac ejusque potestate duoa 
esse gladios, spiritualem videlicet, et temporalem, evangelicis diciis 
instruimur. Nam dicentibus apostolis, ecce gladii duo hie, in Eccle- 
sia scilicet, cum apostoli loquerentur, non respondit Dominus nimis 
esse, sed satis. Gerte qui in potestate Petri temporalem gladium esse 
negat, male verbum attendit Domini proferentis : Gonverte gladium 
tuum in vaginam. Uterque ergo est in potestate Ecclesiae : spiritualis 
scilicet gladius, et materialis. Sed is quidem pro Ecclesia, ille vero 
ab Ecclesia exercendus. Ille sacerdotis, is manu regum et militum, 
sed ad metum et patientiam sacerdotis. Oportet autem gladium esse 
sub gladio, et temporalem autoritatem spirituali subjici potestati : 
nam cum dicat apostolus : Non est potestas nisi a Deo : quae autem 
sunt, a Deo ordinata sunt : non autem ordinata essent, nisi gladius 
esset sub gladio, et tanquam inferior reduceretur per alium in su- 
prema. Nam, secundum beatum Dionysium, lex divinitatis est, infima 
per media in suprema reduci. Non ei^o secundum ordinem universi 
omnia aeque ac immediate, sed infima per media, et inferiors per su- 
periora ad ordinem reducuntur : Spiritualem autem, et dignitate, et 
Dobilitate, terrenam quamlibet prsecellere potestatem, oportet tanto 
clarius nos fateri, quanto spiritualia temporalia antecellunt. Quod 
etiam ex decimarum datione, et benedictione, et sanctificatione, ex 
ipsius potestatis acceptione, ex ipsarum rerum gubernatione claris 
oculis intuemur. Nam veritate lestante, spiritualis potestas terrenam 
potestatem instituere habet, et judicare, si bona non fuerit : sic de 
Ecclesia et ecclesiastica potestate verificatur vaticinium Hieremite : 
Ecce constitui te hodie super gentes et regna, et caetera quae sequun* 
tur. Ergosi deviat terrena potestas, judicabitur a potestate spiri* 
tuali : sed si deviat spiritualis, minor a suo superiori : si vero su- 
prema, a solo Deo, non ab bomine potent judicari : teatante apos* 
tolo, spiritualis homo judicat omnia, ipse autem a nemine jodieatur. 



412 NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 

Est autem baec auctoritas (etsi data sit homiDi, et exerceatur per ho- 
minem) non bumana, sed potius divina, ore divino Petro data, sibi- 
que, suisque successoribus, in ipso, quern confessus fuit, Petro fir- 
mata : dicente Domino ipsi Petro : Quodcumque ligaveris, etc. Qui- 
cumque igitur Jiuic potestati k Deo sic ordinatae resistit, Del ordina- 
tioni resistit, nisi duo (sicut Hanicbeus) fingat esse principia : quod 
falsum et haereticum judicamus : quia testante Hoyse, non in princi- 
piis, sed in principio ccelum Deus creavit et terram. Porro subesse 
romano pontifici omnem bumanam creaturam declaramus, dicimus, 
diffinimus , et pronunciamus omnino esse de necessitate salutis. 
Datum Laterani, pontificatus nostri anno octavo, XIV Kal. decem- 
bris. 



N. 7. 

Sur Telection de Bertrand de Got, Clement V. 

Ceux qui ne connaissent T^lection de Bertrand de Got k la Papaute 
que par les recits des grands bistoriens, trouveront sans doute une 
Strange difference entre ce qu'ils lisent ici et ce qu'ils ont lu ail- 
leurs. En effet, tous les bistoriens ecclesiastiques semblent s'etre ac- 
cord^s k prendre pour base de leur narration celle que nous a lais- 
s6e Giovanni Yillani, adoptant comme autant de faits incontestables 
les bonteuses circonstances dont le cbroniqueur florentin cbarge la 
promotion de Clement V. Tous veulent que le conclave de Perouse, 
sur la proposition du cardinal de Prato, ait consenti a laisser le parti 
guelfe designer trois candidats ultramontains, ^la condition, pourle 
parti gibelin, de cboisir entre ces trois candidats le cbef de TEglise; 
que le parti guelfe d^signa alors trois arcbeveques franoais, enne- 
mis de Pbilippe le Bel, parmi lesquels se trouvait Tarcbeveque de 
Bordeaux ; que le cardinal de Prato dep^cba sur-le-cbamp un cour- 
rier au roi de France, pour Tavertir qu'il ne tenait qu'S lui d* avoir un 
pape tout d6vou6 k ses inter^ts, en se reconciliant avec Tarcbeveque 
de Bordeaux ; ajoutant que Pbilippe le Bel se menagea une entrevue 
avec Bertrand dans une cbapelle situ^e au milieu de la for^t de Saint- 
Jean-d*Ang61y ; que \k le pr^lat ambitieux, s'^puisant en bassesses 
et en serviles complaisances, promit au roi tout ce qu'il voulut, c'est- 
^•dire six graces : la premiere, de le reconcilier sans restriction 



NOTES ET PIECES JUSTIPIGATIVES. 415 

avec TEglise; la deuxieme, de lever loutes les censures que lui et les 
siens auraient pu encourir pendant son d^m^I^ avec Boniface VIII ; 
la troisi^ine, de lui accorder pour cinq ans les d^cimes sur tous les 
biens eccUsiastiques de son royaume ; la quatri^me, de fietrir et d'a- 
bolir la memoire de Boniface YIII ; la cinqui^me, de r^tablir les Co- 
lonna et d' clever au cardinalat les amis qu'il lui d^signerait; la 
sixieme etant secrete, etle roi se r^servant de la manifester en temps 
et lieu. lis ajoutent de plus, et toujourssur la foi de Villani, que 
Tarcheveque sanctionna ces promesses par un serment solennel, 
prononc6 sur le corps de Jesus-Christ; enfin, que toute cette n6go- 
ciation dura trente-cinq jours, qu'elle fut conduite avec un tel mys- 
t^re, que le parti guelfe, qu'on y jouait visiblement, n'en eut pas le 
moindre soup^on, et que le cardinal de Prato proclama seul, au mi- 
lieu du conclave, Telection de Tarchev^quc de Bordeaux (1). 

Ce quMl y a de certain, c'est que toutes ces circonslances, quel que 
soit d'ailleurs le m^rite personnel des ecrivains qui les rapportent, 
nese recommandent que par Tautorit^ du seul Giovanni Yillani, au- 
quel on doit n^cessairemeut remonter. Or, je trouve qu'il faut un 
courage robuste pour se resoudre, sur la foi d*un seul homme, ^ pro- 
noncer que Clement Y a obtenu la tiare aux indignes conditions ci- 
dessus ^noncees, et a fietrir ainsi la memoire d'un pape aux yeux 
de la post^rite. Je n'ai pu m'y decider, 1° parce que Yillani, con- 
stammenl Tennemi des pontifes qui si^gerent en France, n'a ici 
qu'une faible valeur bistorique ; 2** parce qu'il n'y a pas un seul au- 
tre temoignage contemporain, je ne dirai pas qui appuie la relation 
de Yillani, mais encore qui fasse conjecturer que les choses se sont 
passees comme il le raconte ; 5° parce que sa narration est formelle- 
ment d^mentie par le d^cret d' election, od il est dit : que Tarchev^- 
que de Bordeaux fut nomme par la voie du « scrutin » et de « Tac- 
cesso, i> et que ce fut le cardinal Gaetani et non le cardinal de Prato 
qui proclama cette election ; 4° parce que la narration de Yillani ren- 
ferme des choses incroyables. 11 est incroyable que Yillani seul ait 
e(e instruit d'un fait que les hommes les plus initios aux affaires ec- 
cl^siastiques et politiques de TEurope alors ont profond^ment 
ignore ; il est incroyable que les cardinaux de la faction guelfe, dont 
la deception dut etre poignante, surtout lorsque le nouveau pontife 
les eut obliges k venirau deU des monts, n'aient 6lev6 aucune plainte 

(1) Giovanni Yillani, 1. VIII, c. lxxx. 



414 NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 

sur un fait pareil ; il est incroyable que les cardinaux de la m^me 
faction, qui sont supposes avoir d^sign^ leurs trois candidats avant le 
depart dtt courrier exp^di^ par le cardinal gtbelin de Prato, aieDt 
patiemment attendu durant trente-cinq jours !a tr^ponse de leurs ad* 
irersaires, sans s^up^onner timcone fratide dans «n $i i«Bg d^lai el 
sans 6Iever sur ce point des reclamations. 

Mais on me demandera ici pourquoi je me suis attache & la narra- 
tion de Ferreto de Yicence, qui souffre biai aussi quelque difBcalt^. 
Je r^ndrai que cette narration m'a paru plus exacte : i* parce 
qu^elle est plus conforme aux autres monuments de i'^poque; 
2* parce que Ferreto de Yicence, qu'on doit supposer aussi instruit 
que Yillani des faits qu'il rapporte, puisqu*il 6tait conleBiporaiii, 
n'aarait pas manque d*en rendre conpte dans le sens du premer, 
s*il eOt era qu'iis s'^taient accomplis de la m^me nani^re. II est 
vrai qn'il est question, dans la relation de Ferreto de Yicence, 
de oertaines particularit^s qui oot trait d celles de Yillani, par 
exemple d*intrif^es et de largesses du roi de France, de lettres 
de ceiui-ci ft Tarchev^ue de Bordeaux, pour le prier d'accepter le 
sowerain pontificat (1). Mais, comme le remarque judicieusenent le 
p^re Berthier, Clement Y n'a point de part ft ces intrigues ; il n'esl 
point mention d'entrevues dans la foret de Saint-Jean-d^Asg^, 
point de conventions, point de six articles, point de seraient sur 
rEttcbarislie, point de reconciliation avec le roi et le comte de Va- 
lois ; en un mot, rien ne cadre avec le r^cit de Yillani (2). 

II est vrai encore que nous voyons dans une lettre de Clement V 
adressee ft Philippe le Bel, et dat^e de Saussan le 13 octol^e 1505 
(voir ci-apr68 la Piece justificative n® 8), il est vrai que nous 
voyons qu*il s'etait agi entre le poiitife et les ambassadeurs du r»i 
de cerlaines ehoses auxquelles Tbonneur de tons deux etait aUadi^, 
dioses que le pape avait ordonn^es ft Philippe de tenir secretes, et 
qu'il ue lui permettait de d^voiler qu'ft un tr^s-petit nombre de ses 
confidents les plus intimes. (Verum super quibusdam quce potfmo- 
itum cum Uiis solempnibui nundis tractavimns, fuo? mmuUaimui 
fertt «t 60$ icerela teneri, ,..de qnibus placet quod ea tribui vel ifuu- 



(1) Idem (Bertrandus) rcgi rem tanti ponderis sibi commissam ^propere nun- 
tiavit. t}uod Philippus prtesciens reddidit, ilium non metuere onus tantum aggredi. 
(Forr. Vicent.) 

(2) Discours sur le pontiiicat dc Clement V, Histoire de I'Eglise gAUicane^ t. XIII 



NOTES Er PIECES JUSTIFICATIVES. «5 

iuor $eu pluribus aliis ultra cmnmumcare vtUms.,, scimus qnod 
tlla personis non revelalns aliis nisi quas credis honorem nostrum 
et tuum diligere et zelari (1). Mais h encore il s'agit de choses pos* 
Urieures k I'^lection, postmodum, et de choses trail6es par I'mter- 
m^diaire d'ambassadeurs, tuis nunciis. Rien qui rappelle I'entrevue 
de Saint-Jean-d'Angtiy et les articles jures. 

Gette lettre, d'ailleurs, renferme un t^moignage qui depose direc- 
tement contre la narration de Villani. Clement Y y annonce au roi 
qu'il a donn^, le 9 des calendes d^aoCit, son consentement au cfaoii 
des cardinaux, et cela, vaincu par les instances rep^tees qui lui ont 
et6 faites. Consensum electioni prcefalce soleniniter et pubticCy licet 
invili ac mullis devicti inslanciis, proestitimus IX kaL augusti. 
Si Clement V avait donn6 son consentement k son Election en pre- 
sence du roi, pourquoi Ten avertir par ecrit? et, s'il Tavait donn6 
avec les circonstances honteuses rapporlees par Yillani, comment 
avait-il le front de dire qu'il ne Tavait fait que vaincu par des in- 
stances r^p^tees, mullis divicti instanciis ? 

II y a plus : parmi les six articles que Clement V est suppose avoir 
jur^s, quelques-uns n'ont jamais 6t6 executes, d'autres ne Tout ^t^ 
qu'avec peine. II nous reste plusieurs lettres de Philippe le Bel oti 
il est question du contenu de quelques-uns de ces articles. Hais, si 
c'avait 6te des points jures, ce prince n'en aurait-il pas fait men- 
tion? n'aurait-il pas rappel6 Clement Y k son serment? et pourtant 
il n'en dit jamais un mot. Etait ce Philippe le Bel qui aurait eu une 
pdreille discretion? C est du roman et non de Thistoire que fait 
Baillet quand il dit (2) : Cefrince {Philippe le Bel)^ voyant qm le 
pape ne faisait aucunes avances pour acquitter la quatrihme condi- 
tion, qui lui tenait plus au coeur que toutes les autres,.,, se lassa 
enfin de ces delais ; et , ne s'etant pas contente de le sommer de sa 
promesse par ses ambassadeurs, il alia lui-meme le trouver h Pot- 
tiers; et plus loin : // le pria surtout de ne pas otdflier le sei^ment 
solennel qu'il avait fait h Saint- Jean d'Angelif, II n*y a de tout cela 
aucune trace ni dans les lettres du roi ni dans les chroniques. Di- 
sons qu'il a ete facile k Yillani d'imaginer les prdtendus six articles, 
parce que, en effet, Clement Y accorda k Philippe le Bel une bonne 
pattie des graces qu'ils contiennent, et ajoutons que lout son 

(1) Voir la pifece justificative n® 8. 

(2) P. 171 et 172. 



416 NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 

r^cit a ^t^ constamment adopts sans examen par les historiens. 
Au reste, dit le p^re Berthier, il ne serait pas n^cessaire d'ad- 
mettre quMl ne se glissa dans 1' Election de Clement Y aucun trait 
d'industrie de la part du cardinal de Prato, aucunes promesses ni 
lib^ralil^s de la part de Philippe le Bel. II suffit que Clement V, alors 
Bertrand de Got, arcbev^que de Bordeaux, n'y soit point entr6 ; et 
il semble qu'il n*avait pas m^oie pressenti sa future elevation, puis- 
que quand on la lui annon^a il faisait tranquillement la visite de sa 
province , circonstance qui marquerait peut-etre trop de sang-froid 
dans un homme qui, actuellement, aurait H^ en u^gociation pour se 
procurer la premiere dignite de TEglise. 



N. 8. 

• ■ 

Lettre de Cl^iuent V au roi Philippe le Bel, sur le eonscntemeut quMl venait de donner k son 

Election aa souverain pontlficat. (Balaze, ViUr, t. II.) 

Clemens, episcopus, servus servorum Dei, carissimo in Gbristo filio 
Pbilippo regi Francorum illustri, salutem et apostolicam benedictio- 
neni.Qualiter etquomodosupereminentiaDeitatis, quaemerita cuncto- 
rumexceditetvota, humilitatemnostram tuncBurdigalensis Ecclesiae 
regimini praesidentem in praeeminentia apostolicae dignitatis assump- 
sit plene recolimus regiae celsitudini nostris litteris intimtsse, quod 
de solemnitate consensus a nobis postmodum praestiti et aliorum 
dependentium ab eodem factum fuisse summo desiderio, prout re- 
latu quorumdam intellexiraus, affectasses. Super quo majestatem re- 
giam Yolumus non latere quod ilia, non alia, consideratione omisi- 
mus Tuae Magnitudini scribere nisi ex eo quod narbonensis arcbie- 
piscopusetmagisterPetrus de Laliliaco, familiares tui, praesentialiter 
ea viderant, per qiios regalem magniiicentiam de praemissis reputa- 
vimus esse certam, et ex eo etiam quod diem et locum quibus coro- 
nationis nostras solempnia auctore Deo proponimus recipere inten- 
debamus sublimitati regiae indicare. Ea propter quod in bac parte 
omissum exstitit molestum non geratregia celsitudo. Gonsensum au- 
tem electioni praefatae solempniter et publice, licet inviti, ac multis 
devicti instanciis, praestitimus IX kal. augusti. Yerum super quibus- 
dam quae postmodum cum tuis solempnibusnunciis tractavimus, quae 
mandavimus perte et eos secreta teneri, de quibus nobis postmodum 



NOTES ET PliCES JUSTIFICATIVES. 417 

tuis supplicasti litteris quod ea posses tribus vel quatuor personis 
aliis de nostra licentia revelare ultra numerum ex parte nostra tibi 
per eos intimatum, placet quod ea tribus vel quatuor seu pluribus 
aliis ultra praefatum numerum communicare valeas, de quibus circum- 
spection! regise videbitur expedire. Scimus enim quod ilia personis 
non revelabis aliis nisi quas credis honorem nostrum et tuum dili- 
gere et zelari. Datum apud Salsanum (Saussan), III idus octobris, 
pontificatus nostri anno primo. 



N. 9. 

Election de Henri YU, Henri de Luxembourg. 

U nous a paru curieux de mettre sous les yeux de nos lecteurs la 
mani^re dont Sismondi raconte T^lection de Henri de Luxembourg, 
dans le tome IV de son Histoire des Republiques italiennes, p. 286 
et 287. 

« Philippe le Bel, dit-il, averti de la mort d'Albert d'Autriche, 
« avait demande au pape qu'en accomplissement de la grftce incon- 
« nue quMl s'6tait reserv6e en lui procurant la tiare, Cl6ment V Fai- 
« d^it a faire obtenir la couronne imperiale k Charles de Valois, son 
« fr^re. Cl6ment, qui n'avait ni le courage ni la force de refuser 
« rien, promit son appui au roi de France ; mais, en m^me temps, 
« il ecrivit aux 6lecteurs allemands pour les engager k presser leur 
« election... Dans sa lettre il leur indiqua, comme I'homme le plus 
« digne d'arr^ter leur choix, le comte Henri de Luxembourg, prince 
« peu riche et pen puissant... mais prince en qui tout le monde 
« s*accordait k reconnaitre I'^me noble et loyale d'un franc cheva- 
« Her. L'6lection fut publi6e le 25 ou le 27 novembre 1508, au 
« grand 6tonnement de toule la chr6tient6, et le pape s'etant hai6 de 
(( la confirmer le jour de TElpiphanie de I'ann^e suivante, Henri, le 
« sepli^me du nom enlre les rois d'AUemagne, le sixieme entre les 
« empereurs, fut couronn6 k Aix-la-Chapelle. » 

II y a presque autant d'erreurs que de phrases dans ce r6cit. 
1® Sismondi met sur le comple de la grace incQunue que Philippe 
le Bel s'etait riservie en procurant la tiare h CUment V, la de- 
mande qu'il fit h ce pontife de I' aider h faire obtenir la couronne 
impiriale h son frere, Le m6me Sismondi dit plus bas que d^a en 

27 



448 NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 

accomplissement de cette mhne gracCy Philippe avail demande au 
pape de fixer la cour de Rome en France, et de detruire I'ordre dei 
Templiers. U y joint m^me celle de poursuivre la memotre de Bam- 
face, quoique celle-ci soil formellement exprim^e dans la qaatri^me 
promesse du r^cit de Yillani. Que de graces dans une seule ! Que ce 
pauvre Clement V avait k faire pour contenter les in^puisables con- 
voitises qu'on suppose a Philippe le Bel! La v^rit^ est pourtant que 
Philippe le Bel ne fit jamais une telle demande au pape ; qu'aucan 
historien, pas m6me Yillani, ne le dit. Ce dernier raconte seulement 
que le roi, pour forcer le pape k travailler k T^levation de son frere, 
avait resolu dans un conseil secret que Charles de Yalois se rendrait 
k Avignon avec un cortege qui ne devait guere diff6rer d'une arm^e, 
sous le pr^texte de visiter le souverain pontife et de lui demander 
I'ouverture des poursuites contre Boniface VIII, mais reellementpour 
soUiciter TEmpire (1). Or, parses voyages en Gascogne et dans le 
Languedoc, Clement Y d^joua cette ambassade, qui n*eut jamais lieu. 
Ainsi il est faux de dire que Clement V promit son appui au roi de 
France, 

2» Sismondi 6crit : Lileciion fut publiie le 25 ou le 27 novenibre 
1508. Le decret d'^lection porte qu'elle fut accomplie le 27 du 
mois de novembre, et qu'elle fut imm6diatement publiie dans 1*6- 
glise des Dominicains de Francfort (2). Pourquoi ce 25 ou ce 27 ? 

5* L'auteur ajoute : au grand etonnement de toute la chritienti. 
L'6tonnement n'existe que dans le livre de Sismondi. Personne alors 
ne fut surpris de T^l^vation d'un prince que, selon Sismondi lui- 
m6me, lout le monde s'accordait k reconnaltre digne du lr6ne. 

4' Le pape s'etant hate de la confirmer lejour de I'Epiphanie de 
I'annee suivante, Oti Sismondi a>t-il vu que cette confirmation eut 
lieu lejour de TEpiphanie 1309? La lettre que Tambassade de Henri 
devait remettre au pape est 6crite de Constance et porte la date de 
juin (5). L'ambassade ne put tout au plus arriver k Avignon que vers 
la fin de ce mois; les actes portent qu'elle n'obtint audience que 
le jour des calendes de juillet, et la bulle de confirmation est dat^e 
du 4 des calendes d'aotit (4). Quelle exactitude pour un 6crivain de It 



(1) Giovanni Villani, 1. VIII, c. ci. 

(2) Voir ce d6cret dans le t. II de Baluze, p. 266. 

(3) Raynald, ann. 1309, n© 10. 

(4) Baluie, t. II, p. 205 el 275. 



NOTES ET PIECES JGSTIFICATIVES. 419 

reputation de Sismondi! Voik pourlant comme nos grands hommes 
^crivent I'histoire ! Pauvre histoire ! 

Sismondi 6crit k la page 294 : Clement F, faibtey vain et menteur, 
fut toujours en contradiction aveciuimime. Faible, en quelle cir- 
constance? vairif sous quels rapports? nienteur, sans doute parce 
qu'il n*a pas accompli quelques-unes des promesses fabuleuses de 
Villani? On jetle au public des mots dont il ne pent verifier la valeur, 
et c'est ainsi qu'on s'acquiert ais^ment la renomm^e d'un habile 
^crivain aux depens des morts illustres qu'on calomnie l&chementi 



N. 10. 

Bolle par laqnelle Clement V convoque le concile de Vienna, adressfe au roi Philippe ie Bel. 

Clemens episcopus, servus servorum Dei, etc... Regnans incoe- 
^ triumphans Ecclesia, cujus pastor est Pater seternus, cui sanc- 
torum ministrant agmina, et laudis gloriam angelorum chori decan- 
tant, in terris ad sui similitudinem et reprsesentationem constituit 
Ecclesiam militantem, unigenito Filio Dei \ivi Domino Jesu Ghristo 
ineffabili commercio copulatam, in qua idem unigenitus Dei Filius a 
Patre progrediens per illustrationem Paracleti' procedentis pariter 
ab utroque, staluit fidei fundamentum. Sane romana Ecclesia, mater 
alma fidelium, caput est, disponente Domino, ecclesiiarum aliarum 
omnium, et magistra; a qua, veluti a primitivo fonte, ad singulas 
alias ejusdem fidei rivuli derivantnr, ad cujus regimen yoluit Christi 
dementia romanum pontificem vice sui deputare ministrum, ut in- 
structionem et doctrinam ipsius eloquio veritatis evangelicae tradi- 
tam cuncti renati fonte baptismatis teneant et conservent : ut qui sub 
hac doctrina cursum vitae rect« peregerint, salvi fiant; quivero ab ea 
deviaverint, condemnentur. Ipsanempe romana mater Ecclesia juxta 
exigentiam possibilitatis ipsius, ad cunctas orbis provincias, in qui- 
bus divini nominis cultus viget, fideique catholicae observantia ru- 
tilat, intuilum sedulx considerationis extendens, ac subjiciens ab 
olim suae considerationis examini diuturnae calamitatis angustias, 
illius s'pecialis haereditatis dominicae, videlicet Terrse Sanetae, ab infi* 
delibus miserabilitcr conculcatae, in qua idem Patris aeterni Filius 
nostrae carnis indumento contectus, salutem humani generis pietate 
ineffabili exstitit operatus, quamque sua ipse voluit corporal! insig- 



420 NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 

nire praesentia, et proprii aspersione sanguinis cotisecrare, multa 
solliciludine studuit eidem terras retroactis temporibus, quibus po- 
tuit remediis, ut eriperet ab ipsis impiis, subvenire. Et quia inter 
caeleros quos professio christianse religionis includit, milites et fra- 
tres domus militiae Templi hierosolymitani, sicut est toti orbi noto- 
rium, tanquam specialis ejusdem iidei pugiles, et jam dictae terras 
praecipue defensores, ipsius terras negotium principaliter gerere 
videbantur : ipsos et eorum ordinera praefata Ecclesia specialis fa- 
voris plenitudine prosequens, eos adversus Christi hostes crucis ar- 
mavit signaculo, multis exaltavit bonoribus, ditavit facultatibus, ac 
diversis libertatibus et privilegiis communivit. li nimirum cum cre- 
derentur in Domini servitio sub regulari habitu fideliter militare, 
sibi quasi cunctorum manus fidelium, cum multiplici erogatione bo- 
norum, sentiebant multifarie multisque modis propterea adjutrices.. 
Sed, proh dolor ! nova et calamitosa vox de malignitatis fratrum ip- 
sorum enormitate progrediens, nostrum replevit, imo perlurbavit 
auditum. Haec enim vox nuncia lamentationis et gemitus, audienti- 
bus horrorem ingerit, commovet animos, mentes turbat, et cunctjs 
fidei Christianas cultoribus novas et ineffabilis amaritudinis calicem 
subministrat : et, dum facti seriem, ejus necessitate poscente, depro- 
mimus, nosier attenuatur prae angustia spirilus, et, valetudinis fatL 
gata confractibus, membra singula pro nimio dolore tabescunt. Du- 
dum siquidem circa nostras promotionis ad apicem summi pontifica- 
tus initium, etiam antequam Lugdunum, ubi recepimus nostras coro- 
nationis insignia, veniremus, et post, tarn ibi quam alibi, secrela 
quorundam nobis insinuatio iotimavit quod magister, prasceptores 
et alii fratres dictas militias Templi, et etiam ipse ordo, qui ad de- 
fensionem patrimonii ipsius Domini nostri Jesu Christi fuerant ia 
transmarinis partibus deputati, contra ipsum Dominum in scelus 
apostasias nefandum, detestabile idolatrias vitium,*execrabile facinus 
Sodomorum, et hasreses varias erant lapsi. Sed quia non eratveri- 
simile, nee credibile videbatur, quod viri tam religiosi, qui prascipue 
pro Christi nomine suum saspe sanguinem effundere, ac personas 
suas mortis periculis frequenter exponere credebantur, quique multa 
et magna tam in divinis officiis, quam in jejuniis, et aliis observan- 
tiis, devotioni's signa frequentius prastendebant, suas sic assent sa- 
lutis immemores, quod talia perpetrarent : hujusmodi insinuationi 
ac delationi ipsorum, ejusdem Domini nostri exemplis et canonicae 
scripturas doctrinis edocti, aurem noluimus inclinare. Deinde vero 



NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. m 

tu, cui eadem fuerant facinora nunciata, non typo avaritiae, cum de 
bonis Templariorum nihil tibi vindicare vel appropriare intendas, 
imrno ea nobis et Ecclesiae pei* deputandos super hoc a nobis admi- 
nistranda, gubernanda, conservanda, et custodienda liberaliter et 
devote in regno tua dimisisti, manum tuam exinde totaliter amo- 
vendo, sed fidei orthodoxae fervore, tuorum progenitorum vestigia 
clara sequens, accensus, de praemissis, quantum iicite potuisti, te 
informans, ad instruendum et informandum nos super iis, multas et 
magnas nobis informationes per tuos nuncios et litteras destinasti. 
Infamia vero contra Templarios ipsos increbrescente validius super 
sceleribus antedictis : et quia etiam miles ejusdem ordinis magnse 
nobilitatis, et qui non levis opinionis in dicto ordine habebatur, 
coram nobis secreto juratus deposuit, quod in receptione fratrum 
praefati ordinis, haec consuetudo, vel verius corruptela, servatur, 
quod ad recipientis vel ab eo deputati suggestionem qui recipitur, 
Christum Jesum negat, et super crucem sibi ostensam spuit in.vitu- 
perationem crucifix! ; et quaedam alia faciunt recipiens et receptus, 
quae non sunt licita, nee humanae conveniunt honestati, prout ipse 
tum confessus exstitit coram nobis : urgente nos ad id officii nostri 
debito, vitare nequivimus quin tot et tantis clamoribus accommoda- 
remus auditum. Sed cum demum fama publica deferente, ac clamosa 
insinuatione tui, nee non et ducum, comitum, et baronura, ac alio- 
rum nobilium, clcri quoque ac populi dicti regni tui, ad nostram 
propter hoc, tam perse quam per procuratores et syndicos, praesen- 
tiam venientium, quod dolenter referimus, ad nostram audientiam 
pervenisset, quod magister, praeceptores et alii fratres dicti ordinis, 
et ipse ordo, praefatis et pluribus aliis erant criminibus irreliti ; et 
praemissa, per multas confessiones , attestationes et depositiones 
praefati magistri, et plurium praeceptorum, et fratrum ordinis prae- 
libali, coram multis praelalis, et haereticae pravitatis inquisitore in 
regno Franciae factas, habitas et receptas, et in publicam scripturam 
redactas, nobisque et fratribus nostris ostensas, probari quodam- 
modo viderentur, ac nihilomimus fama et clamores praedicti instanter 
inraluissent, et etiam ascendissent, tam contra ipsum ordinem, quam 
contra personas singulares ejusdem, quod sine gravi scandalo praete - 
riri non poterat, nee absque eminent! periculo tolerari; nos illius, cujus 
vices, licet immeriti, in terris gerimus, vestigiis inhaBrentes, ad in 
quirendum de praedictis ratione praevia duximus procedendum, mul- 
tosque de praeceptoribus, presbyteris, militibus, et aliis fratribus 



422 NOTES ET PIECES JUSTIFICATWES. 

dicti ordinis reputationis non modicae, in nostra praesentia consti- 
tutes, praBstito ab eis juramento, quod super prsemi^sis meram et 
plenam nobis dicerent yeritatem, super prsedictis interrogavimus, et 
axaminavimus usque ad numerum septuaginta duorum, multis ex fra- 
tribus nostris nobis assistentibus diligenter : eorumque confessiones 
per publicas manus in authenticam scripturam redaclas, illico in 
nostra et dictorum fratrusn nostrorum praesentia, ac deinde inter- 
posito aliquorum dierum spatio in consistorio legi fecimus coram 
ipsis, et illas in suo vulgari cuilibet eorum exponi. Qui perseveran- 
tes in illis, eas expresse et sponte, prout recitatae fuerant, approba- 
runt. Postque cum magistro et praecipuis praeceptoribus praefati or- 
dinis intendentes super praemissis inquirere per nos ipsos, ipsuos 
magistrum, et Franciae, terrae ultramariuae, Normanniae, Aquitaniae, 
ac Pictaviae praeceptores majores^ nobis tunc Pictavis existentibus 
mandavimus praesentari. Sed quoniam quidam ex eis sic infirmaban- 
tur tunc temporis, quod equitare non poterant, nee ad nostram prae- 
sentiam quoquo modo adduci : nos cum eis scire volentes de prae- 
missis omnibus veritatem, et dn vera essent quae continebantur in 
corum confessionibus et depositionibus, quas coram inquisitore 
pravitatis haereticae in regno luo praefato, praesentibus quibusdam 
notarii$ publicis, et multis aliis bonis viris dicebantur fuisse, nobis 
et fratribus nostris per ipsum inquisitorem sub manibus publicis ex- 
hibitis, et ostensis : dilectis filiis nostris Berengario, tituli sancto- 
rum Nerei et Achillei, et Stephano, tituli sancti Gyriaci in Thermis, 
presbyteris, ac Landulpho, sancti Angeli diacono, cardinalibus, de 
quorum prudentia, experientia, et fidelitate indubitatam fiduciam 
obtinemus, commisimus et mandavimus, ut ipsi cum praefatis ma- 
gistro et praeceptoribus inquirerent, tam contra ipsos et alias sin- 
plares personas dicti ordinis singulariter, quam contra ipsum ordi- 
nem, super praemissis cum diligentia veritatem, et quidquid super 
bis invenirent nobis referrc, ac eorum confessiones et depositiones 
per manum publicam in scriptis redactas nostro apostolatui deferre 
ac praesentare curarent; eisdem magistro et praeceptoribus absolu- 
tionis beneiicium a sententia excommunicationis, quam pro praemis- 
sis, si vera essent, incurrerant, si absolutionem humiliter ac devote 
p<jterent, ut deberent, juxta formam Ecclesiae impensuri. Qui car- 
dinales ad ipsos magistrum et praeceptores personaliter accedentes^ 
eis sui adventus causam exposuerunt. Et quoniam tam personae, 
quam res ipsorum, et aliorum Templariorum in dicto regno tuo coq- 



NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 425 

sistentium, in manibus nostris erant : quod libere absque metu cujus 
quam plene ac pure super praemissis omnibus ipsis cardinalibus di- 
cerent veritatem, eis autoritate apostolica injunxerunt. Qui roagister 
et praceptores Franciae, terrae ullramarinae, Norraanniae, Aquitaniae, 
ac Pictaviae, coram ipsis tribus cardinalibus praesentibus , quatuor 
tabellionibus publicis, et multis aliis bonis viris^ ad sanctaDei Evan- 
gelia ab eis corporaliter tacta praeslito juramento, quod super prae- 
missis omnibus meram et plenam dicerent veritatem, coram ipsis 
singulariter libere ac sponte absque coactione qualibet et timore 
deposuerunl, etconfessi fuerunt inter caetera Christ! abnegationem, 
et spuitionem super crucem, cum in ordine Teropli recepti fuerunt ; 
et quidam ex eis, se sub eadem forma, scilicet cum abnegatione 
Christi et spuitione super crucem, fratres multos recepisse. Sunt 
etiam quidam ex eis quaedam alia horribilia et inhonesta confessi, 
quae, ut eorum ad praesens parcamus verecundiae , subticemus. 
Dixerunt praeterea, et confessi fuerunt esse vera quae in eorum con- 
fessionibus et depositionibus continentur, quas dudum fecerant coram 
inquisitore haereticae pravitatis; quae confessiones et depositiones 
dictorum magistri et praeceptoium, in scripturam publicam per qua- 
tuor publicos tabelliones redactae, in ipsorum magistri et praecep- 
torum et quorumdam aliorum bonorum virorum praesentia, ac deinde 
interposilo aliquorum dierum spatio coram ipsis, eisdein lectae fue- 
runt de mandato et in praesentia cardinalium praedictorum, et in suo 
vulgari expositae cuilibet eorumdem. Qui perseverantes in illis, eas 
expresse et sponte, proutrecitatae fiierant, approbarunt. fit post con- 
fessiones et depositiones hujus modi, ab ipsis cardinalibus, ab ex- 
communicatione , quam pro praemissis incurrerant, absolutionem 
flexis genibus, manibusque complicatis humiliter et devote, ac cum 
lacrymarum effusione non modica, petierunt : ipsi vero cardinales, 
quia Ecclesia non claudit gremium redeunti, ab eisdem magistro et 
praeceptoribus haeresi abjurata, expresse ipsis secundum formam 
Ecclesiae auctoritate nostra absolutionis beneficium impenderunt, 
ac deinde ad nostram praesentiam redeuntes, confessiones et depo- 
sitiones praelibatorum magistri, et praeceptorum in scripturam pu- 
blicam per manus publicas, ut est dictum, redactas nobis praesen- 
taverunt, et quae cum dictis magistro et praeceptoribus fecerant, re- 
tulerunt : ex quibus confessionibys, et depositionibus, ac relatione., 
invenimus saepe fatos magistrum et fratres, in praemissis et circa 
praemissa, licet quosdam ex eis in pluribus et alios in paucioribus. 



424 NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 

graviter deliquisse. Attendentes antem, quod scelera tain horrenda 
transire incorrecta, absque Dei omnipotentis, et omnium catholico- 
rum injuria, non poterant nee debebant, deerevimus de fratrum 
nostrorum consilio per ordioarios locorum, ac per alios fideles et 
sapientes viros, ad hoc deputandos a nobis, contra singulares per- 
sonas ipsius ordinis, nee non contra dictum ordinem, per certas 
discretas personas, quas ad hoc duximus deputandas, super prae- 
missis criminibus et excessibus inquirendum, lis nempe, quae magis 
fler« cogimur quam narrare, cor nostrum passione nimia cruciatur : 
et cum tanla proinde nobis immineat gemendi materia, fletum non 
possumus declinare. Quisnam catholicus haec audiens nimis non do- 
leat, et prorumpat in luctum ? Quis fidelis hujusmodi sinistrum even- 
tum intelligens , amara non emittat suspiria , verbaque lamenta- 
tionis et moestitudinis non eructet, cum tota christianitas hujus- 
modi doloris sit particeps, et hie casus fideles percutiat universos? 
Ex his etiam, dum ministerio debitae considerationis nostrae mentis 
praesentantur obtutibus, ignis in nostris meditationibus exardescit ; 
et ad tanta discrimina revelanda suspirat affectus, zelus accenditur, 
et spiritus anxiatur. Ad quod cum nos sufficere commode non posse 
sciamus, levamus oculos nostros ad montem, montem quidem Dei, 
montem uberem, monte'm pinguem, unde opportunum nobis prove- 
nire auxilium, et humiliter petimus, et devote speramus. Et quia 
salubre in his adhiberi remedium interest generaliter omnium : nos 
cum eisdem fratribus nostris, aliisque viris prudentibus, exacto ac 
frequenti tractatu praehabito, prout tantae necessitatis instantia exi- 
gebat, de ipso rum fratrum consilio , universale consilium, sicut 
imitaiione digna sanctorum patrum consuetudo laudabilis longaevae 
observationis exemplo nos instruit, a proximis kalendis octobris ad 
duos annos immediate sequentes, deerevimus congregandum : ut 
in eo, tam circa dictum ordinem, et personas singulares, et bona 
ejusdem, et alia quae statum tangunt fidei catholicae, quam circa re- 
cuperationem et subsidium Terrae Sanctae, ac reparationem, ordina- 
tionem, et stabilitatem ecclesiarum, et ecclesiasticarum personarum, 
et libertatum eorum, iile, Deo auspice, communi consilio inveniatur 
provisio, et ejusdem approbatione concilii roboretur, per cujus sa- 
lutiferam executionem virtus allissimi, eliminatis erroribus, robo- 
rata fide, ad tramitem veritatis, reductis errantibus, redintegrata 
ejusdem fidei unitate, extirpatis viliis, virtutibus plantatis, correctis 
excessibus, moribus reformalis, repressis oppressionibus, libertateso- 



NOTES ET PIECES JUSTTFICATIYES. 425 

lida stabiliUte munRa, recnpentis deperditis, et ejnsdem teme sUtu 

prospero reparato, occupata restitoat, vastata restauret, et restaiH 

rata conservet ; nobisqae Yiam aperiat idem ipse qui no^t, et fa- 

cultatem tribnat ipse qui potest : at sic in pnemissis juxta intensum 

animi nostri desideriam sibi ministrare possimas salubriter, quod 

idem Terns ejusdem universalis sponsus Ecclesiae ipsam dilectam 

snam pnrgatam maculis, munitam Tirtnte ac monilibus ornatam, 

unam semper babeat et formosam, ad sui nominis landem et gloriam., 

ad animamm profectum, robur fidei, pacem et exaltationem populi 

christiani. Quia yero prosecutio tanti propositi tempore indiget, ut 

deductnm maturins, facilius auctore Domino effectum debitum sor- 

tiatur : prsedictum tempos ad id dnximus deputandum. Unde vene- 

rabilibus fratribus nostris archiepiscopis, episcopis, ac dilectis filiis 

electis, abbatibus, prioribus, decanis, praepositis, archidiaconis, 

archipresbyteris, et aliis ecclesiarum praelatis, exemptis et non 

exemptis, eorumque capitulis, et conventibus, per alias nostras litte- 

ras praecfpiendo mandamus, ut iidem arcbiepiscopi, nee non etcseteri 

episcopi per ipsorum archiepiscoporum provincias constituti, in eis- 

dem litteris nominati, reliquis ipsorum episcoporum in dictis provin- 

ciis reroanentibus ad ea quae pontificale officium exigunt, tam in suis, 

quam illarum dictarum provinciarum, qui adhujusmodi concilium 

universale accesserint, civitatibus et dicecesibus exercenda, omni ne- 

gligentia relegata, cunctis, prout talis et tanti negocii qualitas exi- 

git, dispositis et paratis, sic medio tempore se accingant ad iter, 

quod in hujusmodi decreto termino, quem eis et aliis peremptorie 

assignamus, in Viennensi civitate, iidem archiepiscopi et episcopi 

taliter nominati personaliter, alii vero remanentes episcopi, electi, 

abbates, priores, decani, praepositi, archidiaconi, presbyteri et prae- 

lati, capitula et conventus, per eosdem archiepiscopos et episcopos 

ad praedictum concilium accessuros (quibus, ad omnia quae in eodem 

concilio staluentur, fient et ordinabuntur, et fuerint opportuna, 

concedant plenariam potestatem, de qua sufficienter constet per pu- 

blica documenta) nostro se cohspectui repraesentent. Quod si forsan 

ipsis archiepiscopis et episcopis accessuris hujusmodi noluerint con- 

cedere potestatem, eo casu venire, vel alios procuratores idoneos cum 

potestate simili ad idem teneantur concilium destinare. Non obstan- 

tibus quibuslibet privilegiis, sen indulgentiis, quibuscumque per* 

sonis, ordini, dignitati , seu collegio, sub quacumque verborum 

forma, vel expressione a praedfcta sede concessis : per quae possit 



426 NOTES ET PIECES JUSTIPKATIVES. 

effectus hujusmodi mandati nostri quomodolibet impediri, aut ei- 
dmn in aliqao derogari. Handavimus iosuper ut iidem archiepis* 
eopi et praelati, per se vel alios viros prudentes, Deum timentes, et 
habentes prae oculis omnia, quae correctionis, et reformationis limam 
exposcunt, inquirentes subtiliter, et conscribentes iideliter, eadem 
ad ipsius concilii notitiam deferant. Et nos nihilominus variis modis 
et viis solers studium et efficacem operam dare proponimus, ut omnia 
talia in examen hujusmodi deducta concilii, correctionem et direc- 
tio^nem recipiant opportilnam. Hoc etiam in eisdem nostris litteris 
adj«cto, ut nuUiis inobedieniise notam, et canonical ultionis acri- 
moniam vitare desiderans , fallacium excusationum velamento se 
muniat, vel ex impedimentis itinerum, quse, Domino prava in di- 
recta, et in vias planas aspera, sua omnipotentia convertente, ces- 
sabunt, frivolae allegationis munimenta confingat, ut a tarn sancti 
prosecutione operis se subducat : sed occurrant singuli voluntarii 
ad id quod et divinae congruit voluntati, et salutem animarum, ac 
utilitatem respicit singulorum. Cseterum, quia multipliciter expedit 
ut tarn celebre concilium tua et aliorum catholicorum principum de- 
coretur praesentia, ut salubri consilio et auxilio fulciatur : serenila- 
tem regiam rogamus, et hortamur atlenlius, in remissionem tibi pec- 
caminum suadentes, quod praescriptis loco et terraino, in eodem con- 
cilio, captata interim ad hoc opportunitate, studeas personaliter 
interesse ; meditatione provida prudeliter attendens, quod in hoc non 
solum labor, quern ad tarn sancti et utilis negotii promotionem as- 
sumes, tibi cedet ad meritum, verum etiam aliorum qui ad yenien- 
dum ad idem concilium, efficacius tuo inducentur exemplo. Et nihil- 
ominus YOta tua nobis poteris familiarius aperire, quae in omni be- 
nevolentia libenter ad exauditionis gratiam, quantum cum Deo ac 
Ecclesiae honore poterimus, admittemus. 

Datum Pictayis, secundo idus augusti (12), pontiiicatus nostri anno 
tertio. 

In eodem modo scribitur Eduardo regi Angliae illustri. 

In eodem modo Carolo regi Siciliae illustri. 

In eodem modo Carolo regi Hungariae illustri, et aliis regibus et 
principibus orbis christiani, nee non et venerabilibus archiepiscopis, 
episcopis, abbatibus et praelatis. 



KOTES ET PIECES JUSTIFIGATIVES. 4<T 



N. a. 

Snr les accnsalions intentdes anx TempUers. 

D^j^, vers la fin du si^cle dernier, Fr^d^ric Nicola! de Berlin avait 
donn^ des details cnrieux et int^ressants sur Tidol^trie des Templiers, 
nonobstant les ris6es de nos grands esprits, qui voulaient, bon gr^, 
mal gre, que les Teropliers fussent innocents, pr^cisement parce 
qu ils avaient ^t6 condamn^s par un pape et un concile. Tout r^cem- 
ment M> Hignard a confirm^ les accusations de Nicolai, et cela d'une 
mani^re irrefragable, dans un opuscule imprim^ ^ Dijon en 18S1, et 
qui a pour titre : Eclaircissements sur les pratiques occultes des 
Templiers. L'objet de ce travail est un coffret retrouv^ k Essarois 
en 1789. 

(( En 1789, dit Tauteur, des ouvriers que M. le marquis de Cbas- 
(( tenay employait a d^m^ler de la pierre dans un terrain qui appar- 
« tient encore aujourd'hui k sa famille, prds des sources de la Cave, 
(( trouY^rent ce coffret. II est en pierre calcaire, est un peu renfl^ 
tf dans son pourtour, et a vingt-cinq centimetres dans sa plus grande 
« longueur, sur laquelle une image en relief, avec des accessoires 
(( et les caracteres, occupent environ dix-huit centimetres. 11 a vingt 
e( centimetres de large et un peu plus de douze de baut sans le cou- 
« vercle, dont Tepaisseur est de six centimetres. 

(f Les memes ouvriers relirerent de cet amas de pierres, ayant dej^ 
(f vraisemblablement servi a d'anciennes constructions, divers objets 
« qui parurent alors sans aucun prix : on fit neanmoins un peu plus 
ff d'attention au precieux coffret, colporte de main en main jusque 
« cbez un marchand de curiosites de Dijon, oil il fut acbete par un 
(( amateur parisien, qui le vendit enfin ^ M. le due de Blacas. » 

L'auteur a donne un dessin lithographie de Timage. Elle a peu de 
rapport avec celles qu avait dejSi faitconnaitre Frederic Nicolai, si 
ce n'est dans quelques signes cabalistiques. Le dessin de Nicola! 
represente un buste d'homme, barbu, couronne, les mains croisees 
sur la poitrine, et monte sur un piedestal. Celui de H. Hignard re- 
trace une sorte d'etre masculo-feminin, nu, en pied, portant une cou- 
ronne crenelee, et tenant dans cbacune deses mains etendues une 
cbaine terminee en croissant et surmontee, celle de droite d*une fi- 



488 NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 

gure de la lune, celle de gauche d'une figure du soleil. Sous les 
pieds de cette representation obscene, on voit une t^te de mort, ac- 
col^e d'une ^toile et d'un pentagone. Entre la t^te demort etles 
pieds, au-dessus de la tSte et le long des cdt^s sont graves des ca- 
ract^res arabes. Viennent ensuite trois antres figures hideuses, avec 
des couronnes cr^neUes, portant le caract^fe masculo-f^minin, dont 
deux barbues, entour^es des enibl^mes ^nonc^s ci-dessus. 

a Les renseignements, poursuitTauteur, quejedois ^robligeance 
(< de madame la comtesse Victorine de Chastenay, ne me laissent 
« aucun doute sur Torigine de ce coffret, et m'expliquent sa pre- 
(( sence aux sources de la Cave. Madame de Chastenay trouve dans 
« ses papiers de famille plusieurs traces de ventes et d'ecbanges 
(( avec les Templiers, aux lieuxm^mes od a et6 rencontr^ ce cofTret; 
(( et de plus Voulaine-lez-Temple, prieur6 important de I'ordre, d'oii 
« ressortissaient les commanderies de Bure, Epailly et Mormant, est 
« tout ^ fait dans levoisinage d'Essarois... Ce coffret precieux est 
(( Tanalogue de ce genre de monuments du moyen Age qui ont 6te 
(( publics par le savant orientaliste H. de Hammer, de Yienne, au 
« sixi^me volume de son ouvrage des Mines de I'Orienty dans un cba- 
(( pitre intitule Mysterium Baffometls revelatum, II est question, 
(( dans cette partie du livre, des chevaliers du Temple qui s*etaieni 
(( adonn^s au gnosticisme, et que leurs propres monuments avaient 
(( servi a convaincre d*idol^trie et de pratiques impures. » 

Effectivement, H. de Hammer a cru retrouver, dans les t^nebreux 
systemes du gnosticisme ancien, Texplication des symboles myste- 
rieux attribues aux Templiers par leurs depositions et leurs monu- 
ments. Nicola! y avait eu recours avec succ^s pour Tinterpretation 
des figures qui sont ^ la t^te de son livre. H. Hignard a suivi ces 
deux guides dans son travail sur le coffret d'Essarois. Or, il resuUe 
'A peu pr^s 6videmment de son examen que le sens de Timage qu'oo 
remarque sur le coffret se relie au syst^me gnostique. La clef de 
cette analogic est dans T inscription arabe dont voici la traduction : 

Ghantez Dieu, noire Seigneur ! 
Que lui TEsprit [ou ia Sagesse), qui fait germer la terre et fleurir, soit giorifi^! 
Je suis la souchc de sept autres. 
Si ta reniea, le plaisir t'environne. 

Selon M. Mignard, cette inscription exprime tout ce quensci- 
gnaient les gnostiques. On y retrouve : I'ogdoade ou le Cr^ateur da 



NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 429 

monde et ses sept eons ou Emanations : effectivement, le coffret d'Es> 
saroisporte sept embl^mes ; — la fusion des deux sexes dans chaque 
personnage mystique, car les eons gnostiques Etaient regard6s comme 
androgynes: — le reniement : Basilide consid^rait la negation du 
Christ crucifix comme un sigoe de liberie veritable ; — enfin les 
jouissances sodomiques : on sait que les sectateurs de Valentin et de 
Basilide se livraient secr^tement k d'abominables promiscuitEs. 
L'auteur remarque que le mot arabe qui d^signe le dernier point est 
inf&me. 

Mais n'est-ce pas Ik tout Tacte d'accusation intente aux Tern- 
pliers et confirme par leurs aveux? 

Que reproche-l-on, en effet, aux chevaliers dans les cent vingt- 
trois articles EnoncEs par le pape Clement V dans sa buUe Faciens 
misericordiam? 1^ Qu'ils adoraient une idole, quod idolum adora- 
bant (i), qui fait fleurir les arbres, quod facU arbores florere (2) ; 
qui fait germer la terre, quod terram germinare (3) ; qu'ils re- 
niaient le Christ crucifix, quod quilibet abnegabat Christum alt- 
quando crucifixum (4) ; qu'ils se livraient entre eux k des actes 
sodomiques, quod de invicem poterant unus cum alto commiscui 
camaliler (5). Nous omettons les details. 

Qu'avouent les chevaliers? Gaucher de Lenticuria dit qu'il a vu 
ridole ou la t^te en question adorari bis in capitulo generali. Guil- 
laume de Herbley dit qu'il a adore cette idole comme les autres, 
deux fois; qu'elle est de bois dor6 et argents, et a une grande 
barbe. Jean Ducis de Taverniac dit la meme chose. Hugues de Pe- 
raud etRodolphe de Gysi parlent Egalement de cette idole (6). Jean 
de Cassanhas de Pamiez confesse qu^au moment de sa reception le 
pr^cepteur tira d*une boUe une idole de aurichalco, en figure 
d'homme, la mit sur un coffre, et dit ces mots : Dominiy ecce unum 
amicum Dei, qui loquitur cum Deo quando vult. Cui referatis gra- 
lias,, quod vos ad statum istum duxerit, quern multo desideravistis, 
et vestrum desiderium complevit. Gaucerand de Montpesat dit que, 
quand il fut re^u, le sup6rieur lui monlra une idole barbuetaite in 

(1) Art. 43. 
p) Art. 52. 

(3) Art. 53. 

(4) Art. !«'. 

(5) Art. 26. 

(6) Dupuy, p. 208 et 210. 



430 NOTES ET PIECES JCSTIFICATIVES. 

figuram Baffomeli. Raimond Rubei dit la m^me chose pour Tadora- 
tion de Tidole, ubi erat depicia figura Baffomcti (1). Que signiiie 
ce mot de Baffomet P II y a sur ce point trop de mani^res de voir 
diff^rentes parmi ies savants pour que je puisse prendre un senti- 
ment. Mais il suffit, ce semble, que ce Baffomet ((ki incontestable- 
ment une idole, le nom ne fait rien k la chose. 

Quant k la ren6gation du Christ et aux sodomies, elles ont eti 
avou^s par le plus grand nombre des accuses. 

(( Ainsi, conclut M. Mignard, Timage qu'on voit en relief sur le 
a coffret d'Essarois est un t6moin posthume et muet, mais acca- 
<( blant, centre Tordre du Temple I... » 

« Ce coffret donne la clef de toute la cabale reproch^e aux che- 
(( valiers du Temple, et proclame d'inf4mes myst^res... Nier la cul- 
(( pabilit6 des Templiers, k cause de la violence du ch^liment, pro- 
(( clamer leur innocence en s'^tayant sur Ies faits insignes deleur 
(( gloire militaire, c'est \k toute la valeur du raisonnement de quel- 
(( ques-uns... L'ordre 6tait-il coupable? Yoilll^^oute la question... 
(( Jamais Philippe le Bel, malgr6 son Anergic, n'aurait os6 s*attaquer 
« k un ordre aussi puissant que celui des Templiers, qui avait con- 
(( tribu6 a soutenir pendant pr^s de deux si^cles, en Asie, Tautorite 
« de nos armes, et qui avait en sa faveur le prestige de la gloire ; 
(( jamais, dis-je, Philippe le Bel n'aurait fait de tentative centre Ies 
« chevaliers du Temple, si leur ordre n'eiii pas eu centre lui tout a 
<( coup r^clat d'un vice profond, capable de renverser toutesles idees 
« des si^cles, et de tourner en mepris et en detestation Topinion 
a trompee dans son estime et dans ses sympathies. }) 

Nous sommes parfaitement de Tavis de Tautenr. 

N. ^2. 

Lettre de Clement V au roi Philippe le Bel, extraite du volume 765 de la Coilectioii deDopoy. 
(Bibliotheque nationale). Ce volume est intitule : BuUes des Papes, depnis Honors UI jus- 
qu*ii Gregolre XI. 

Clemens episcopus, servus servorum Dei, carissimo in Christo iilio 
Philippe, regi Francorum illustri, salutem et apostolicam benedictio- 
nem. Quoniam prsecordia tua persons nostras incolumitas grata cer- 
tificat, scire te volumus quod, illo faciente qui potest, Viennae plena 

(1) Dupuy, p. 215 ct 216. 



NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 431 

corporis so^pitate vigemus ac laetanter audivimus incolmnitate con- 
simili te vigere. Ad hdec, ut eorum qu£ in negotio Templariorum 
emergunt tuae notitia^ Veritas innotescat, magnitudinem regiaro vo- 
lumus non latere quod cum inquisitiones factae contra ordinem Tem- 
plariorum coram praelatis et aliis personis ecclesiasticis, qui ad prse- 
seos sacrum concilium venerunt, et quos ad hoc congregari, certa 
die, nostra deliberatio fecerat, legerentur, septem de ordine Templa- 
riorum ipsorum et in quadam alia subsequenti congregatione consi- 
mili, duo de ordine ipso, se coram eisdem praelatis et personis, no- 
bis tamen absentibus, prsesentarunt, qui se deffensioni ejusdem ordi- 
nis offerentes, asseruerunt mille quingentos vel duo millia fratrcs 
ejusdem ordinis qui Lugduni et in circumvicinis partibus moraban- 
tur, eis circa deffensionem ipsius ordinis adbserere; nos tamen ipsos, 
se spontanea offerentes, detineri mandavimus et facimus detineri. 
Et ex tunc, circa nostras personse custodiam, solertiorem diligentiam 
solito duximus adhibendam ; base autem celsitudini tuaB duximus 
iBtimanda, ut tui providi cautela consilii quid ducat et quid expediat 
circa personam tuae custodiam diligenti consideratione valeat provi- 
dere. Datum Viennae II mens, novembris, pontiiicatus nostri anno VI. 



N. 13. 

G« qtt*on doit penser du grand maltrc Jacques de Molay. 

En g^n^ral, ceux qui ont d^fendu les Templiers se sont appesantis 
sar le grand roaltre Jacques de Molay. Ce personnage, dans Ray* 
noiiard, joue le r61e d'un veritable martyr. Nous sommes loin, sans 
doate , d'approuver la rigueur arbitraire dont Philippe le Bel usa 
envers lui; ma!s nous ne saurions aussi laisser sans r^ponse les 
niai.ses apologies qu*on a Sorites de ce grand maitre. Nous donnons 
done ici les r6flexions judicieuses que Nicolai, un 6crivain protes- 
tant, a faites sur la conduite de Jacques de Molay, soit pendant la 
procedure, soit au moment de sa mort : 

« J'avoue que plus je consid^re la conduite du grand maitre, moins 
« j'y trouve le caract^re de la grandeur d'^rae ; je n'y vols pas mfime 
tt eelui de la prudence : tout y est marqu6 au coin de la faibl^sse, 
« de r inconsequence et de la crainte. 



432 NOTES ET PIECES JOSTIFICATIVES. 

(( En 1508, il fit devant trois cardinaux d6put6s par le pape one 
« confession libre ofi Ton n'avait employ^ ni menaces ni promesses, 
a apr^s avoir dej^ fait la m6me chose, en 1507^ par-devant le frere 
<( Guillaume de Paris. On a, de nos jours, accuse les cardinaux 
« d'avoir preyariqu6 dans le protocole, parce que, dans la suite, le 
« grand maltre ne voulut plus reconuattre ses aveux. L'equite permet- 
« elle qu'on mette une pareille infamie sur le compte des cardinaux, 
(( d'apr^S'la seule autorite du discours du roalheureux grand maitre? 
« Y trouve-t-on m^me une ombre de vraisemblance? Le pape etait 
« m^content de ce que le roi de France avait pris sur lui de faire 
(( emprisonner et juger tout le corps des Templiers; il d^putait les 
(( cardinaux pour evoquer cette affaire k son tribunal. Si ceux-cj 
(( avaient 6t6 capables de partialite, c'edt ^t6 en faveur des Tem- 
(i pliers, pour qui, en efifet, ils demand^rent grftce. II est vrai que 
(( i'infortun6 Jacques de Holay, traduit devant les commissaires da 
(( pape le 26 novembre 1309, r^voqua sa deposition; niais sa simple 
(( retractation pouvait-elle m^riter quelque credit dans un temps oti 
(( elle etait contre-balancee par tant d'autres temoignages? Peut-on 
« y ajouter foi aujourd'hui, quand il est constate par les depositions 
(( des chevaliers etrangers que Tordre avait des coutumes secretes, 
(( qui devaient etre necessairemeut connues du grand maStre? Que 
(( repondre, d'ailleurs, a la deposition du chevalier anglais que nous 
(( avons rapportee ci-dessus, et dans laquelle il decrit fort au long 
a les details de la profession secrete qu'il dit avoir faite entre les 
(( mains du grand maitre? Bien plus, ce dernier en convint lui- 
(( meme devant les cardinaux de Chinon en 1308, et son aveu ne 
(( fut qu'une confirmation de celui qu*il avait fait, Tannee precedente, 
(( dans un interrogatoire qu'il subit k Paris, avec cent quarante che- 
« valiers du Temple, en presence du frere Guillaume de Paris. Ces 
a deux depositions uniformes pouvaient-elles etre entierement an- 
(( nulees par un simple desaveu? 

(( II suffit de parcourir avec attention les interrogatoires de Fan- 
« nee 1309, dans lesquels le grand maltre entreprit la defense de 
(( son ordre. Rien de plus embrouilie et de plus faible que ses ar- 
« guments; il se perd en propos inutiles, qui n*ont rien de solide 
a et qui ne font rien k Taffaire. Le lecteur en jugera d'apres Fexirait 
« que je vais faire de ces deux enquetes. 

« Dans la premiere, Taccuse dit qu*il paraissait itannatU que 
a rfiglise montr&t tant d'empressement k hkiev la destruction d'un 



NOTES ET PIECES JDSTIFICATIVES. 455 

« ordre religieux confirm^ par le Saint-Si^ge, tandis qu*on avait 
(( differe la deposition de Tempereur Fr^d^ric trente-deux ans apr^s 
« la sentence; qu'il ne se sentait ni assez prudent ni assez avis6 
« {sapiens nee tanti consilii) pour «ntreprendre la defense de son 
« ordre, mais qu'il s*en chargeait cependant, crainte de passer pour 
« un homme m^prisable (nam alias se vilem et miserabilem repu- 
« taret et posset ab aliis reputari), quelque difficile qu'en soit la 
« t^che pour un prisonnier qui n'a d'autre argent en sa main que 
« ce qu'il lui faut pour sa subsistance. II s'en rapporte ensuite au 
« t^moignage de tons les rois, princes, pr^lats, ducS; comtes et ba- 
« rons de toutes les parties de la terre : declamation d'autant plus 
(( singuliere, qu'il s'agissait de choses qui s'etaient pass^es dans 
« Tinterieur de Tordre, qui etaient un myst^re mSme pour una 
(( partie des Templiers, et que les rois et princes ignoraient, k bien 
« plus forte raison. Les juges lui conseilldrent de peser mOrement 
(( les moyens quMl pr^tendait employer pour defendre un ordre qui 
a se trouvait si grievement charge par les depositions precedentes. 
(( lis consentirent pourtant d'ecouter sa justification , et ils lui of- 
« frirent meme un deiai pour s*y preparer. L^-dessus, on lui fit lec- 
(( ture des brefs du pape, ainsi que de la lettre des trois cardinaux, 
(( et il finit par se retracter. Un chevalier seculier de ses amis 
(( (quern, sicut asserebat, dilxgebat et dilexerat, quia uterque miles 
« erat), nomme Guillaume de Plasiano, qui se trouvait 1^ par hasard, 
(( le prit en particulier, el Tavertit d'etre sur ses gardes pour ne 
(( pas se couvrir d'opprobre et se perdre sans necessite (habeai 
(( providere, ne se vituperaret vel perderet sine catisa). On voit bien 
« que cet etranger lui rappela ses depositions precedentes. Sans 
« cette consideration, une simple apologie de Tordre, entreprise 
a par celui qui en etait le chef, aurait-elle jamais pu tourner k sa 
« honte, suppose meme qu'elle n'edt point paru suffisante aux 
a juges? Aussi le grand maitre commen^a des lors k vaciller. II 
« avoua qu'^ moins de prendre les pluis grandes precautions il ris- 
« quait de g^ter sa cause ; que, par cette raison, il priait les com- 
(( missaires de remetlre Taffaire jusqu'au vendredi suivant, afin qu'il 
(( eM le temps de reflechir. Ce c'elai fut agree, et on consentit 
(t meme d'avance k le prolonger en cas de besoin. 

a Dans le second interrogatoire, il debute par remercier les com- 
(( missaires et du delai qu'ils lui avaient effectivement accorde, et 
« de celui qu*ils lui avaient propose ulterieurement. Quant k la jus- 

28 



454 NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 

(( tification de Tordre , il dit qu'il n*6tait qu'un pauvre chevalier 
« ignorant (miles illiteratus et pauper) ; qu*ayant appris par run 
(( des brefs dont on lui avait fait lecture que le pape s'^tait r^sene 
« de rinterroger, lui et les principaux de Tordre, il n'entrerait, 
(( pour le moment, dans aucun detail; mais qu'il etait pr^s decom- 
(( paraitre devant le Saint-P^re d^s qu'on le lui ordonnerait, et 
« qu'alors il t4cherait d*all6guer ce qui pourrait tendre k la gloife 
« de Dieu et de I'Eglise. Ceci n*6tait qu'une pure d6faite. La buUe 
(( Faciens misericordiam j dont il s'agit, est dat^e. du 2 des ides 
« d'aoftt, c'est-2i-dire du 12 aoftt 1308. Le pape y dit, k la v6rit6, 
(( que son intention avait ^te d'abord dinterroger lui-m6me le 
(( grand mattre et quelques-uns des autres chevaliers; mais il ajouta 
(( aussi que, leurs maladies les ayant emp^,ch6s de faire le voyage, 
(( il avait d6put6 trois cardinaux pour les examiner. Cest devant ces 
« commissaires que le grand mattre avait fait k Chinon, en 1308, la 
(( deposition qu'il r6voquait k present. Ceux qui composaient le 
(( nouveau tribunal avaient et^ 6galement nomm6s par le pape poor 
«r instruction du proems. Pourquoi done en appelait-il au pape? 
« Interrog6 par les commissaires s'il avail quelque exception k faire 
« contre la I6galite de leurs enqu^tes, il r^pondit que non, et qu'ils 
(( n*avaient qu'a continuer. 11 ne recusait done pas ses juges, et, 
« suppos6 qu'il eAt suspects leur impartiality, ce reproche serait 
« tomb6 aussi sur le pape, qui les avait nomm6&. ft'ailleurs, qu'au- 
« rait-il dit au Saint-P6re qu'il n'eut pu dire tout aussi bien 4 ses 
« deputes? La d-marche du grand maitre n'^tait done qu one suite 
(( de ses reflexions : il avait eu ie temps de se persuader, par ses 
« depositions precedentes, qu'il ne pouvait jamais se charger hono- 
<( rablement de la defense de Fordre, et qu'ainsi il ne lui restait 
« d' autre expedient que den appeler au pape. 

« En attendant, et quoique le grand mattre ne voulClt point se 
a charger de la defense de Tordre devant les commissaires, il lear 
« dedara les trois points suivants, pour Cacquit de sa conscience 
(( (ad exonerationem conscientice suce) : 1^ qu'il ne connaissait 
« aucun ordre dont les eglises et chapelles fussent mieux entrete- 
« nues, plus enrichies d'ornements et de reliques, et oil le service 
(( divin se fit avec plus d'exaciitude ; 2^ qu'aucun ordre ne faisait 
(( des aum6nes aussi abondantes que celui des Templiers, qui eo 
(( distribuaient trois fois par semaine ; 5^ qu'aucun ordre n'avait 
((-combattu avec autant de zele contre les infideies. 



NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 455 

« Ces faibles arguments ne valaidnt pas la peine d^^tre all^gu^s, 
(( et le hon grand maltre ne risquait rien de les garder sur sa con- 
<( science, puisqu'ils n^appartenaient en rien k Tinstraction du 
« procds , et n'excluaient pas d*ailleurs les autres accusations , 
a comme les juges Font aussi tr^s-bien observe II survint encore 
(( une l^g^re contestation entre le chancelier Guillaume de Nogaret 
« et le grand maitre : apr^s quoi celui-ci d^sira d'entendre la messe, 
(( en demandant qu'elle tHi c^l^bree dans sa propre chapelle et par 
« ses propres chapelains, ce qu'on lui accorda. 

(( Telle est la substance des deux enqu^tes. Maintenant, je de- 
« mande si Ton n'y aper^oit pas k chaque mot Tembarras d'un 
« homme qui cbercbe des d^faites, et si une simple retractation faite 
(( apr^s coup pouvait detruire deux aveux precedents, parfaitement 
(( volontaires et conformes, auxquel» se joignaient d'ailleurs les te- 
(( moignages de nombre d' autres chevaliers, et surtout ceux de plu- 
(( sieurs chevaliers strangers? Suppose que les inter rogatoires de 
« Paris et de Chinon aient ete faux, la decouverte d*une imposture 
({ aussi scandaleuse aurait dd vivement affecter un homme d'bon- 
(( neur. Le grand maitre aurait necessairement songe aux moyens de 
(( la refuter, et il en aurait st^rement fait mention dans le second 
(( interrogatoire , au lieu de s'arreter aux futilites que nous avons 
(( rapportees ; il se serait empresse k sauver son honneur outrage, 
(( au lieu de faire ceiebrer une messe par ses chapelains; il aurait 
(( insiste sur la faussete de Tenquete precedente; il aurait nie Tin- 
« terrogatoire de Chinon, ou, suppose qu'ii Teilit subi, il aurait re« 
a pete sa veritable deposition. Les cardinaux vivaient encore; quel- 
(( ques-uns se trouvaient memo en France : il pouvait les prendre k 
« partie, demanderleur confrontation. G'est ainsi qu'aurait agi un 
« homme d'honneur injustement accuse s'il avait ete stir de son 
« fait ; mais le grand maitre garde un silence absolu sur toutes ces 
(( circoustances, et son silence prouve assez ce que nous savons 
ff aujourd'hui par d'autres temoignages , c'est-^-dire qu'il etait 
(( coupable. 

« Son desaveu , apres la publication de la sentence , ne saurait 
« non plus infirmer les faits dont Thistoire a demontre Tevidence. 
(( D'ailleurs, la plupart des auteurs modernes racontent fort inexac- 
« tement sa derniere confrontation avec trois autres superieurs de 
« Tordre. Par exemple, Tauteur de YHistoirc de I'abolition de 
« I'ordre des Templiers la rapporte en style fleuri, et, pour y jeter 



436 NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 

a du merveilleux, il donne k entendre qn'avant la publication de la 
a sentence le grand maitre et le dauphin d'Auvergne , saim dunt 
a sainte imotiony avaient r^tract^ leurs depositions comme par une 
« inspiration soudaine. II avance qu*on leur avait promis la liberie 
<( h condition qu'ils se dhistassent de cette ritractation; il met dans 
« la bouche du grand maitre une longue et belle harangue. Yoili un 
(( r^cit bien charg6 d'ornementsi Mais, de tons ces details, il ne se 
(( trouve rien dans le continuateur de la Chronique de Guillaume de 
uNangis, auteur contemporain , qu'on doit enyisager comme la 
« seule source authentique de ce r^cit. II y est dit seulement qu'on 
« avait lu aux deux accuses la sentence qui les condamnait h une 
« prison perpituelle ; que ce n*est qu'apr6s cette lecture qu'ils 
« ni^rent tout hcoup et fort inopiniment leurs depositions (inopi- 
« n6ment! II faut done que le grand maitre n'ait point persiste 
« dans sa retractation precedente : sans quoi on aurait dd s'attendre 
iK k celle-ci); qu'en attendant ils fiirent conduits en prison (point de 
« liberti offerte); qu'ils furent brfties vifs le m^me jour par ordre du 
« roi; qu'ils approcherent du bdcher avec beaucoup de courage 
« (point de harangue)^ et que leur fermete, autant que leur retracta- 
« tion, exciterent Tetonnement des assistants. Get expose est sim- 
(( pie et yrai; il presente le fait tout autrement, si je ne me trompe, 
\ que le premier recit, dont les ornements affectes ne font qu'obs- 
« curcir la verite. 

« Nous plaignons volontiers le sort de cet infortune et de ses con- 
(( freres; mais nous n'en serons pas moins severe dans nos recher- 
« ches historiques. II est tres-probable que le grand maitre, voyant 
(( qu'il ne pouvait plus recouvrer sa liberie, prefera la mort k nnc 
a prison perpetuelle, et qu'il se flatta peut-etre que son desaven 
« tournerait encore k I'avantage de Tordre." Et, en effet, la compas- 
« sion qu'il a £xcitee jusqu'ici est cause que les historiens n'ont 
(( pas examine avec assez de soin les pieces du proces. Ils auraieot 
(( id se rappeler que le premier devoir de Phistorien est la recherche 
(( de la verite, devoir auquel toute autre consideration doit ceder. 9 
{Essai sur les accusations intenties aux Templiers, ouvrage tradoit 
en francais de Tallemand. In-12, Amsterdam, 1785, depuis la page 38 
jusqu'& la page 55 inclusivement.) 






NOTES ET PIECES JDSTIFICATIVES. 457 



N. 14. 

Sur r^lection de Jacques d'Osa, Jean XIII. 

La plupart des historiens font F^loge de la morality de Jacques 
d*Osa. Et, pour en citer quelques-uns, Jean, chanoine de Saint-Vic- 
tor de Paris, dans Baluze (1), dit qu*il avait la reputation d'une 
bonne vie {habens testimonium bonce vitce); le continuateur de 
Guillaume de Nangis (2) affirme que sa vie 6tait louable (vita tatida^ 
bilem)^ ce qui signifie qu'il 6tait au moins honnete homme reconnu. 
Mais aucun ne lui prodigue plus de louanges que Yillani. D'apr^s ce 
chroniqueur, Jacques d'Osa 6tait modeste, magnanime et d'une 
piete exemplaire (5). Gependant, quand on lit Thistoire de son Sec- 
tion telle que la raconte le meme Yillani, on est tent^ de rabattre 
considerablement de ces louanges. £coutons : 

(( Les vingt-trois cardinaux, dit-il, ne pouvant s*accorder sur le 
(( choix d'un pontife, s'en ref6r^rent k la sagesse et aux lumi^res du 
((cardinal d'Osa, s'engageant d'avance, et parvoie de compromis 
(( {con consentimenlo de'Italiani e Provenzidli e per Irattato), k re- 
(( connaltre pour legitime successeur de Pierre celui que ce pr^lat 
« designerait. Geux-ci croyaient sans doute qu'il donnerait sa voix 
(( ou au cardinal B6ranger de Fredol ou au cardinal Arnaud de Pila- 
ff grue, qui avaient le plus de chances. Mais, au grand ^tonnement de 
<< tons, Jacques d*Osa se la donna k lui-mtoe (la diede hse medesimo), 
« et prononca cet Ego sum papa devenu si cd^bre (4).)) Ce qu*ily a 
de singulier, c'est qu'en fait de supercherie Jacques d*Osa n*en 
etait pas k son d^but. Dej^, selon le m^me Yillani, lorsqu'il s'^tait 
agi de passer de T^veche de Fr^jus k celui d' Avignon, Thabile pr^lat 
avait trouv6 le moyen de supposer des lettres de recommandation de 
la part de Robert de Naples, lettres qui avaient d^termin6 son avan- 
cement (5) . . 

Avant tout, on se demande ici comment leis cardinaux, qui n'igno- 

(1) P. 116. 

(2) Anno 1316. 

(3) L. 11, c. XX. 

(4) L. IX, c. Lxxix. 

(5) Ibidem. 



438 NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 

raient pas sans doute ce tour d'adresse de T^v^que de Fr^jus, ont eu 
la bonhomie de s*en rappbrter i la bonne foi du cardinal de Porto 
pour le choix d'un pontife. Puis on se demande encore comment les 
historiens qui ont fait I'eloge de Jacques d'Osa, comment Villani 
lui-m^me, peuvent Tappeler un honn^te homme, un prelat modeste, 
magnanime et pieux, apr^s deux traits d*une impudence et d*une 
immorality aussi inqualifiabl^. Si le chanoine de Saint-Yictor et le 
continuateurdeGuillaume de Nangis, qui^taient, pourainsi dire, sur 
les lieux, ont ignore ces traits, comment Villani les a-t-il sus? Et si 
Villani, apr^s les avoir racont^s, conserve encore quelque estime 
pour leur auteur, quelle strange id^e se faisait-il des principes 
d'honn6tet6, de grandeur d'ame, de pi^t^? Mais le fait est qu'ils 
sont faux de tons points. 

Commen^ons par VEgo sum papa, Ce fait, quoiqu'adopt6 par 
des historiens de grand nom (1), ne soutient pas une critique s^- 
rieuse. Convenons d'abord qu'aucun autre contemporain que Villani 
ne le rapporte, et que tons ceux qui Font r6p6t6 depuis ne Tont 
puis^qu*^ la source unique du chroniqueur florentin. Geci pos6, il ne 
sera pas inutile d' examiner quelle pent ^tre, k regard de Tdection 
de Jean XII, la valeur historique de Villani. Dans le chapitre oix cet 
ev^nement est racont6, Villani dit V : que Jacques d'Osa fut ^lev^ 
par Pieiie de Ferriere, archevfique d' Aries, chancelier du roi Char- 
les n, e col vescovQ d'ArIi, cancelliere del re Carbsecundo, sallevo, 
Mais Baluze, dans une savante note (2), a montr^, jusqu^^ Pevidence, 
que Pierre de Ferriere ^tait k peu pr^s de V^ge de Jacques d'Osa ; 
qu'en 1299 il n'etait encore que doyen de T^glise du Puy ; qu'il ne 
parvint ^ la dignite d'archev^que d*Arles et k celle de chancelier que 
post^rieurement k cette date ; or, nous avons vu qu*alors Jacques d'Osa 
6tait 6v6que de Fr^jus, et n'avait quefaire des leoons ou des lib^ralit^s 
de Pierre de Ferriere; d'od il suit que Jacques d'Osa n'a pu£tre6lev6 
par Parchevique d'Arles. Villani dit 2^ : que Jacques d'Osa fut fait 
chancelier par le roi Robert, il re Roberto ilfece cancelliere. Mais un 
monument original, savoir Tacte de cession du chateau 9e Reveut et 
deVillepaix(3), atteste que Jacques d'Osa ^tait chancelier bien avant 
Favtoement du roi Robert, puisque cet acte est de Charles 11, et que 



(1) S. Anton., t. Ill, til. XXI. — Papyre Masson, in Joannem* 

(2) T. I, p. 690. 

(3) Duchesne, Preuves de I'Histoire des cardinaux fran^ais, p. 284. 



NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 439 

ce monarque y appelle F^vfique de Fr^jus son chancelier; done Ro- 
bert ne confera point cette dignity i Jacques d'Osa. Villani dit 3° : que 
Jean XXII reout la couronne k Avignon, fu coronato in Vignone; mais 
tons les biographes de ce pape, et le continuateur de Guillaume de 
Nangis avec eux, auxquels il faut joindre un manuscrit contemporain 
cil6 par Duchesne (1), attestent que cette c6remonie eut lieu ^ Lyon 
dans r^glise cathedrale. Done Jean XXII ne rcQUt point la couronne k 
Avignon. Ainsi voil^ trois erreurs notoires commises par Villani dans 
un seul chapitre. Je laisse aux lecteurs & juger du cas qu'il faut faire 
du reste de la narration. 

II est vrai que Bernard Guidon, dans Baluze (2), parle d'un traite 
ipT^zhhle,tractatu prcehMto, eile moineRebdorff{3), d'un compro- 
mis, per cmnpromissionem ; mais ni Tun ni Tautre n'expliquent ce 
que c*6tait que ce traits ouce compromis. II y en avait eu un entre les 
cardinaux et le comte de Poitiers. Ne s'agirait-il point de celui-1^? 
Et puis rhistoire des conclaves nous apprend qu'il y a tant de ma- 
ti^res difT^rentes k trait^s ou a compromis dans Telection d'un pape, 
que les temoignages de Bernard Guidon et de Rebdorff ne prouvent 
rien en faveur du fait de Villani. 

Mais, k supposer que ce fait pdt trouver un appui dans les temoi- 
gnages tr^s-obscurs de Bernard Guidon et de Rebdorff, ne tomberait- 
il pas n^cessairement en face de temoignages authentiques et clairs 
comme ceux que ijous allons citer? L'anonyme v^nitien, auteur de la 
quatri^me Vie 6ditee dans Baluze, Ptol^m^e de Lucques, auteur de la 
cinquitoe, el Pierre de H6rental, auteur dela sixi^me (4), auxquels 
il faut joindre un manuscrit du Vatican (5), disent, sans aucun de- 
tour, que tous les cardinaux s'accorderent k donner leurs suffrages k 
Jacques d'Osa, omnes in dontinum Joannem consenserunt. Or, ces 
biographes, tous contemporains, se seraient-ils exprimes de la sorte 
si Jacques d'Osa se fClt nomme lui-meme? Mais voici Alvares Pelage 
qui commence son cM^brelivrede Planctu Ecclesice tj^ht ces mots : il 
est certain et connu de tout le monde que le seigneur pape Jean XXII 
a et6 tin par le concours de tous les cardinaux, Certum et notorium 
toti mundo est: qtiod Joannes XXII dominus papa electus fuit con- 

• 

(1) P. 285. 

(2) Ilia ViU, p. 151. 

(3) Collect, de Freher,Rer. germ., t.^I, p. 419. 

(4) P. 169, 173 et 179. 

(5) Raynald, ann. 1316, n* 2. 



440 NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 

corditer a cardinalibus omnibus (1) II n'est aucun 6rudit qui ne sa- 
che qu*Alvar6s Pelage a pass6 une bonne partie du pontifical de 
Jean XXII k la cour d' Avignon, oii il exergait la charge de p6niten- 
cier ; qu ainsi il n'a pu rien ignorer de ce qui s'6tait pass6 k I'^lec- 
tion de Jacques d*Osa. Comment done aurait-il pu en appeler au t^ 
moignage de Funivers entier, si le fait rapports par Villani eHi ete 
celui de Felevation de Jean XXII ^ la tiare? 

Dans sa lettre encyclique aux patriarches, archeveques, eveques et 
princes de la chretient^ (2), Jean XXII raconte lui-meme son election, 
et, non-seulement il affirme qu*il a ete elu par les suffrages unani- 
mes des cardinaux, concorditer nemine discrepante in summum pan- 
tificem elegerunty mais encore qu*il a longtemps hifesit^ i se charger 
dupesant fardeaude TEglise, timoreac tremore concussiy vehemen- 
ter hcesitavimus, Mais un pareil langage n'aurait-il pas ete le comLIe 
de riiQpudence, n'aurait-il pas soulev6 Tindignation universelle, s^il 
eilt 6t6 de notoriety publique que Jean XXII s*6tait nomme lui- 
m^me? 

Quant k la supposition des lettres qui valurent a Jacques d'Osa 
r6vech6 d* Avignon, Villani n'est pas le seul k la raconter, et nous la 
trouvons dans Ferreto de Vicence (3) ; mais ce dernier, plus sincere 
que Villani, n'en prend point la responsabilite ; il avoue que ce n'e- 
tait qu'un bruit qui courait le monde, ut aiunt, Gette expression saf- 
fit pour nous donner la mesure de la supposition des lettres. Quel esi 
rhomme public qui n*a assez d'ennemispour accr^ditermomenlaa^- 
ment sur son compte les plus ridicules calomnies ? II est k croire 
que YEgo sum papa n'^tait autre chose qu'un bruit public. Ainsi ce 
sont des contes populaires que Villani a insures dans sa narration. 
Qu'on vante apr^s cela la bonne foi du chroniqueur florentin I 

Jean XXII a eu des ennemis acharnes et nombreux : Louis de Ba- 
yi^re et tons les franciscains r^volt^s. Ges ennemis ont ^crit des vo- 
lumes entiers de diatribes centre lui. Gependant nous ne trouvons 
nulle part qu'ilslui aient reproch^ Teffronterie de la supposition des 
lettres et celle de son Election. On ne peut dire avec quelque probabi- 
lity qu*ils aient ignore la mani^re dont notre pontife etait arrive a la 
premiere de toutes les dignit^s, d'oii il faut conclure qu'ils n*ont vu 



(1) C. I. 

(2) Raynald, ann. 1316, n^ 7, 8 et 9. 
(5) Ferr. Vicent., loc. cit. 



NOTES ET PIECES JUSTIPICATIVES. 441 

dans les faits de Villani que de m6prisables inventions incapables de 
ternir la reputation de leur auguste adversaire. De nos jours, un 
homme dont le temoignage ne paraitra suspect k personne, parce 
qu'ilasaisi toutes les occasions d'attaquer la Papaut6, Sismondi, n'a 
pas os6 ajouter foi k ces faits, tant ils sont invraisemblables. Voici 
comment 11 s'exprime, tout en manifestant sa haine pour notre pon- 
tife : (( La partialite de Jean XXII pour les ultramontains, sa l4che de- 
V pendance des deux cours, de Paris et de Naples, la d^termina- 
« tion qu'il prit de fixer le si^ge de TEglise en Provence... ont tel- 
« lement aigri les Italiens contre lui, que nous devons peut-etrc re- 
( voquer en doute les bruits scandaleux que ses contemporains ont 
<( accr^dil^s sur sa promotion (1). » 



N. 15. 

Lettre da Pape Jean XXII d Toccasion de certaines pratiques de nagie. (Raynaldi, 

anno 1517, n° 53. 

Joannes episcopus, servus servorum Dei, etc., venerabili fratri 
Bartholomxo episcopo forojuliensi et dilecto magistro Petro Textori 
doctori decretorum. Ad nostrum assertio fide digna, et sonorum 
quoddam vulgaris famae proloquium noviter perduxit auditum, quod 
Joannes de Lemovicis Jacobus dictus Brabantinus, Joannes de 
Amanto medicus... et nonnuUi allii in nostra curia residentes, no- 
lentes juxta doctrinam apostoli sobrie sapere, sed nimise vanitatis 
ebrietate desipere reprobis ausibus appetentes, se necromantiaB, 
geomantise, et aliarum magicarum artium moliminibus implicarunt et 
implicant, scripta et libros habentes hujusmodi artium : quse quidem 
cum sint artes daemonum, ex quadam pestifera societate hominum et 
angelorum malorum exorlae vltandae forent cuilibet christiano, et 
omni penitus execratione damnandse. Speculis et imaginibus secun- 
dum ritum suum execrabilem consecratis, usi fuere frequenter ; ac 
in circulis se ponentes, malignos spiritus saepius invocarunt, ut per 
eos contra salutem hominum molirentur, aut eos interimendo vio- 
lentia carminis, aut eorum abbreviando vitam violentia immissa Ian- 
guoris. Daemones in speculis, circulis, seu annulis interdum incluse- 

(I) Hist, des rdpubliques italiennes, i. V, p. 30. 



442 NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 

runt, ut 60s nedum it praeteritis, sed et de fbtnris inqnirerent, fn- 
tura ipsa, quae prescire solius Dei est, ex illorum consultationibus 
preedictufi. Di'dnationibus et sortilegiis se immiscuerunt perperam. 
Dianis nonnumqdam utentes. S^d etiam experimenta qoampluriffla 
quandoque fecerunt circa baec et alia, per eos daemoDibus invoca- 
tis.. . nee verentur asserere, quod nedum potus vel cibi propinatiooe, 
quin etiam solius verbiprolatione hominum abbreviare sea prolongare 
vitam, aut prorsus perimere, et ab omni possent infirmitate curare; 
talibus se usos fuisse firmiter affirmantes. 

Relicto praeterea Creatore suo, in bujusmodi daemonum suffragiis 
confidentes, eosque dignos arbitrantes,' qnibus serviant, et quibus 
bonores divinos impendant, illos, idololatrarum more adorare cum 
exbibitione cultus et reverentiae praesumpserunt. His et aliis super- 
titionibus detestandis, et adversantibus catbolicae fidei praefali cle- 
rici et barberius et eorum quilibet, nee non aliqui alii residentes in 
curia non semel , sed pluries institisse feruntur, nedum in suarum 
«ed et in quam plurium aliarum periculum animanim, tie... Dalom 
Avinione, III kal. martii, ponlificatus nostri anno prime. 



FIM DU PBEMIER VOLUME. 



TABLE DES MATlfiRES 



CONTBNUES 



DANS LE PREMIER VOLUME. 



USTROWJCTION f 

LIVRE PR£MI£R. — Gonslitutien de Ro«ne«u moyea &ge. -» Arnaud de Bres- 
cia. — TcntatiTe pour ramener rancienne forme r^publicame. — R^tahtissc- 
ment du adnat sous le pape Innocent II. » Organisation d« cette aM^nfai^e. 
•^ fimbarras qu'elle donnc aax souverains poniifes. — Les Romains lui sabsti-^ 
luent un senateur unique. — Brancaleone d'Andolo. ^- Les Guelfes et les Gi- 
bdins. — Les Golonna et les Ors»m. — Anarchie de Rome. — Pierre Morotie, 
pape, sous le nom de G61estin Y; son administration', son abdication, ^•^lectieo, 
a Naples, de Benedetto Gaetani, Boaifiicc VIU. — Son caract&re. — £tat du 
jnonde cbr^tien. — > Affaire de Sicile. — Frddi^ric d'Aragon est declare roi. «— 
Opposition des Golonna au pape. — - Us sont citds en cour de Rome. -^ Leur lutte 
ayec Boniface VIII, et leur ruine. — Philippe le Bel. — Origine des d^mSl^s du 
pape arec ce monarque. — Bulle : Clericis laicos. — Injustice de Philippe tm- 
vers le comte de Flandre. *- Ses ordonnances en reponse a la bulle du pape. 
— Bulle: NovtrUii nos, — Accommodement des deux parties. ^ Ambassade 
de Guillaume de Nogaret touchant un projet de croisade. -^ RenouveltenMDt 
des d^m^s. — Bernard de Saisset, ^veque de Pamiers, noikim4 legat a la cour 
de France. — Arrestation de ce pr61at, et procedure centre lui. — Ambassade 
de Pierre Flotle. — Arrogance de ce ministre. — Bulle : Auaculta fili* — Falsifi- 
cation de cette bulle par Pierre Flotte. — Reponse outrageante du roi. — II fait 

briiler la bulle du pape • * . < . . 57 

LIVRB DEUXigME. — Assemblee des 4tats g^n^rauz k Paris. — Faiblesse du 
clerg^ — Lettres des trois ordres au pape. -*- Gonsistoire k Rome. — Boni&ce 
rdpond aux depute fra'ngais. ^ Bataille de Gourtrai. — Goncile de Rome. — 
Bulle Unam sanctam. -^ Legation, en France^ du cardinal Jeau Lemoine. — 
Reponse de Philippe le Bel aux articles prcsent^s par le 14gat. — Bulle Per pro- 
cestut nottrot. — Arrestation par les ordres du roi du nonce Benefrato. — Bo- 
niface YIII se r^oncilie avec Frederic de Sicile. — U confirme I'dlection d'Alber^ 



444 TABLE DES MATIERES. 

k TEmpire. — Nouvelle assemblee des 6tal8 g^^raux a Paris. — R^isitoirc 
de Guillaume Plasian contre le pape. — On conclut a la convocation d'un con- 
cile g^n^ral. — Adhesion des eglises et communes de France aux projets schis- 
matiques du roi. — Boniface YIII se retire k Anagni. — BuUe : Nuper ad ou- 
dientiam. — Gomplot de Guillaume de Nogaret. — Invasion subite de la ville 
d' Anagni par ce seigneur et Sciarra Goionna. — Leur attentat sur la personne 
du pape. — Expulsion des Frangais. — Boniface VIII retourne a Rome. — Sa 
mort. — ISlection de Benoit XI. — Histoire et caract&re du nouveau pontife. — 
Sa triste situation dans Rome. « — Le cardinal Matteo Rosso des Orsini. — Be- 
noit XI quitte Rome et se rend a Pdrouse. — Les Noirs et les Blancs a Florence. 

— Dante Alighieri. — Yieri des Gerchi et Gorso Donati, chefs des factions blan- 
che et noire. — Efforts du Saint-Si^ge pour reconcilier ces factions. — Gharles de 
Valois a Florence. — Le cardinal Albertini de Prato y est envoyS par Benoit XI. 

— Resistance des Blancs et des Noirs a la m6diation du cardinal. — Proscription 
des Blancs. — Exil de Dante Alighieri. Sa mort. — La Divina Commedia. — 
Suite du d^dle de Philippe le Bel avec le feu pape Boniface YIII. — Modera- 
tion de Benoit XI. — II se prepare a proceder contre les auteurs de i'attentat 
d' Anagni. — BuUe Flagitiosum scelw. — Mort de Benoit XI 118 

LIYRE TROISIEME. — Gonclave de P^rouse. Election de Bertrand de Got. — Sod 
histoire. — II regoit & Lusignan, en Poitou, la nouvelle de son Elevation. — Son 
retour a Bordeaux. — II prend le nom de Glemttnt Y. — Mande en France la 
cour romaine. -* Son couronnement a Lyon. — Origine de la Cavalcata. — 
Afireux malheur arriv^ k celle de G16ment Y. — Faveurs de ce pape envers 
Philippe le Bel. — U forme le projet d'une croisade. — Toume son attention sur 

• ritalie. — Legation , en Toscane, du cardinal Napoleon des Orsini. — Voyage 
et maladie du pape. — Gonf6rences de Poitiers. — Revolutions en Hongrie, 
et legation du cardinal Gentilis dans ce royaume. — Affaire de la croisade. — 
Jean de Montecorvino et ses succes apostolique^ en Orient. — Les Tar tares. — 
Haiton TArm^nien. — Poursuites de Philippe le Bel contre la m^moire de 
Boniface Ylll. — Le cardinal Pralo conseille au pape de convoquer un concile 
gdn^ral k Yienne. '— Assassinat de Tempereur Albert. — GlSment Y r^ussit a faire 
ehre a sa place Henri de Luxembourg..— Gl^ment Y pari de Poitiers et se rend a 
Avignon. — Notice historique sur cetle cite. — Mauvaise humeur de Petrarque 
contre elle. — Sejour de G16ment Y dans le Gomtat-Yenaissin. — Reprise des 
poursuites de Philippe le Bel contre Boniface VIII. — Glement Y permet les pro- 
cedures. -* Affaire touchant Ferrarc. — Ambition de Venise. — Moderation de 
Giement Y. — Injustice de la repubUquc. — BuUe du pape contre elle. — 
Legation du cardinal de Peiagrue. Defaite des Venitiens k Francolino. -«- Proce- 
dures a Avignon contre Boniface YIII. — Giement Y decide eniin le roi k s'en 
rapporter k sa decision dans Taffaire de son demdie 176 

LIVRE QUATRI£ME. — Ouverture du concile de Yienne. — On y termine I'affaire 
concernant Boniface YIII. — On y decr^le en vain la croisade. — Proc^ des 
Templiers. — Part qu'y prend Philippe le Bel. ~ Enquete contre les chevaliers. — 
Discussion dans le concile k leur egard. — Giement Y abolit I'ordre. — Dispo- 
sition du concile touchant ses membres. •— Supplice de Jacques Molay. ^ Juge- 
ment sur le proems des TempUers. — lieglements du concile de Yienne. — Voyage 
de Tempereur Henri VII en Italic. — Difficultes que rencontre ce prince pour se 



TABLE DES MATIERES. 445 

fiiire coaromier a Rome. — H fait la guerre a Florence, et se prepare a marcher 
centre le royanme de Naples. — Sa mort. — Derniers travanx de Clement V, 
sa maladie, sa mort. — Jugement snr ce pontile. — Conclave orajeux de Car- 
pentras; dispersion des cardinaux. — Mort de Philippe le Bel. — Commence- 
ments de Jacques d'Osa. — Conclave de Lyon. — Jacqaes d'Osa y est £lu pape 
sous le nom de Jean XXII. — Le nouvean pontife se fixe a Avignon^ — Complol 
conire lui. — Situation de I'Jtalie, de I'AUemagne. — Double Election de Louis 

de Baviere et de Frederic d'Autriche a I'Empire 236 

LIYRE CINQUIEIHE. — Les Franciscains. — Bulle : Bxiit qui smincU. — Pierre- 
Jean d'Olive. — Ses idees exagdr^es siir la pauvret^. — Une partie des Francis- 
cains obtient de C^lestin Y la permission de former un nouvel ordre sous le 
nom d'Emiitet du pape Celettin. — lis se retirent dans une tie de la Bl^iterra- 
n6e. — Effort des sup^rieurs franciscains pour les ramener au giron dc I'ordre. 

— lis prennent le nom de Spirituels. — Decision du concile de Vienne et de 
Clement Y a r6gard des Spirituels. — Leurs erreurs. — Jean XXII entreprend 
de ]es r^dnire. — D^cretale : Quorumdam exigit. — R^istance des Spirituels* 

— On procMe contre eux. — Bulle 'CGlorxosam eccUsiam. — Apostasie de quel- 
ques Spirituels. — Quatre des plus fanatiques sont brQl^s k Marseille. — Ge 
qu'on doit penser de I'erreur des Spirituels. -* La s£v6rit6 du pape r^tablit le 
calmc dans Tordre de Saint-Frangois. — Question de la pauyretd de J^sus- 
Ghrist. — Les disputes recommencent. — Bulle : Quia nonnunquam, — Michel 
de G^s^ne. — Ghapitre de P^rouse, son audace. — Guillaume Occam. — Bulle: ild 
conditorem canonum. — Bulle : Cum inter nonnuUos. -^ Gondamnation des 
oeuvres de Pierre-Jean d'Olive. — Citation de Michel de G^s^ne. — Fuite de ce 
religieux, d'Occam et de Bonagratia de Bergame. — lis se rcndent aupr6s de 
Louis de Baviere. — Principe des d^m^l^s de ce prince avec Jean XXII. — 
Bataille de Muldorff. — Lettre du pape au vainqueur de Fr^d^ric. — Affaire d'lta- 
lie. — Matteo Yisconti. — ^ Siege de GSnes par les Gibelins. ~~ Legation flu 
cardinal Bertrand du Poyet. —'Ses efforts pour r^duire Malteo k la soumissioii. 

— Philippe de Yalois en Lombardie. — Defection de ce prince. — Jean XXII 
demande k Frederic d'Autriche du secours contre les Gibelins. — Mort dc 

m 

Matteo Yisconti. — Succ^s du legat. — Intervention de Louis de Baviere en 
faveur des Gibelins. — Premier monitoire de Jean XXII k Louis. — Protes- 
tation de ce prince. — Ses libelles. — Deaxi^me monitoire de Jean XXII. — 
Sentence definitive du pape. — Dicte de Saxenhausen. — Bulle : Quia quorum^ 
dam, — Situation critique de Louis de Baviere. ^ Projet du papo d'offrir la 
couronne imp^riale a Charles le Bel, roi de France. — Bcfus do ce monarque. 

— Accommodement entre Louis et Fr^dSric. -^ Opinifttrel^ do Louis k m6- 
connaitre les droits du Saint-Si^ge. — Marsile de Padoue et Jean Jandun. ^ 
Livre du premier, intitule : Defenseur de la paix. — Les Gibelins d'ltalie appoU 
lent de nouveau Louis de Bavi6re k leur secours. — Gongr6s achismatiquo 
de Trente. — Louis de Baviere en Italic. — Sa trahison envcrs Galoauo. -> II 
poursuit sa marche en Toscane. ~ Deuxi^me sentence do Jean XXII contre ce 
prince. — Revolutions produites k Rome par la presence de Louia en Italic. — • 
Jean XXII refuse k plusieurs reprises de se rcndre k Rome. — > Les Gibelins en 
ouvrent les portes k Louis. — Couronncment do co monarque par Sciarra 
Colonna. — Sentence de Louis contre Jean XXII, — H^rolsmo do Jacopo 



44« TABLE DES MATIERES. 

. Golonna. — Deposition de Jean XXU. — Rainallaccio de GoEbieeaaiitipApasoiis 
la nom dc Nicolas V. — Dcg^oClt du peuple romain pour le SGhisme. — Depart 
d« Louis d/e Bavicre. -* Gongr^s de Pise. -— Gondamnation de Jean XXU par 
Tantip^PQ* '— Reiraite de Louis de Baviere. •» Fuite de Rainaliiiceio. — Q est 
remis enlre ies mains de Jean XXII. — Soumission cdifiante de oet aulipaf>e> — 
Soumissiou des villes. cpii avaient consenli au schisme. — Apparition en Lorn- 
bardie de Jean de Luxembourg. — TraitS d^ ce prince avec le UgiA Ber- 
trand du Poyet. — Projct de Jean XXII pour reporter le Saint-Si^ en Itaiie. 
— Ge projet n'a pas.de suite S97 

NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. j 

i 

NO i. - Sur I'^lection de Boniface VIII 590 , 

N0 2. — Guido de Montefeltro..: ... 392 j 

N® 3. — Lettre du clerg6 frangais au pape Boniface VIII 394 

N® 3 bis. — Bulle Clericis laicot, ... 397 

N** 4. — Bulle AuscuUa fiU 699 

N® 5. — Lettre des prSlats frangais etc 406 

N° 6. — Bulle nam sanctam 410 | 

N* 7. — Sur reiection de Berlrand de Got, Glement V . . 412 ' 

N« 8. — Lettre de Gldment V au roi Philippe le Bel 416 ^ 

N<» 9. — Election de Henri VII, Henri de Luxembourg 447 

N<* 10. — Bulle Regnans in calls 419 

N** 1 1 . — Sur Ies accusations intent^es aux Templiers 427 , 

N* 12. — Lettre de Glement V a Philippe le Bel 430 I 

N® 13. ■— Ge qu'on doit penser de Jacques Molay 431 j 

N« 14. — Sur I'election de Jacques d'Osa, Jean XXII 436 

N^ 13. -^ Lettre du pape Jean XXII relatireivent* I certaines operations 

magiques 441 



ERRATA, 



Page 64, ligne 19 : v4tu, lisez revitu. 
Page 101, lig. 27 : Amalric, IheiAmaulri, 
Page 138, ligne 19: Bienne, lisez Brienne. 
Page 170, ligne 4 : Vhommey lisez I'/iommede parti. 
Page 222, derniere ligne : tichevait, lisez pr^arail. 
Page 211, note: Augustinensis, lisez itr^mtin^nstx. 
Page 277, ligne 24 : sinateur de RomCf lisez s^nateurperpetuelde Rome, 
Page 547, ligne 16 : Reuss lisez A^tMf . 

Les mots Mattheo et Fticomti sont mal imprimes ainsi, 11 faut lire 
Matteo et VUcanti.