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Dtzscii/Googic
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40
L'ABBÉ
FERDINAND GALIANI
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■m ■■Mskai. — 1l7St'l
jbïGoogIc
ÉCRIVAINS DU XTIII" SIÈCLH
L'ABBÉ
F. GALIANI
CORRESPONDANCE
MADAME D'ÉPENAV — MADAME NECKER
MADAME GEOPFRIN, ETC.
DIDEROT — GRIUM — D'ALEMBERT — DE SARTINE
d'holbacm, etc.
nouvelle édition
: tTCDE StR LA VIE ET LES lEUVHES DE GAtlANI
LUCIEN PEREY ET GASTON MAUGRAS
i^iirz'^"''''
x^
CALMANN LÉVr, EDITEUR
AHCIENHE MAISON MICHEL LÉVY FRÈRES
3, BtE auher, 3
1881
Droits de reprwliicUoa et de Iniductlan reservAs
jbïGoogIc
?58
Gito
:i!,Googlc
LETTRES DE GALIANI
A IIADA.ME DE BKLSUNCE'
Naplu, k lanvler ii7i.
Madame,
Qu'importe que j'aie reçu trois lettres de madaiau
votre mère après lu vôtre. Vous avuz la primau'*; :
ainsi le peu de loisir que j'ai ce suir, c'est à vous
1 . Piltc de iDEdaine d'ËpJDay, madame de Belsunce Bviil l'|lOll^É
eu 1764 le vicome de BHsuiice. qui appuriensil à une ancirniie
(amille de la ^av■^^e; elte en eut truU eiifiiiU, deux ûls cl une
flile, ta petite Emilie, qui tul clevéu par sa yraiiit mère. Ptin-
dsnt les Iréqu'Utes mslaiti''s de ma lame d'Épinaf, la viconi'.,es->e
de BeUuace rempta;aitsa mèreauptèa di- GaiJani.— On trouve d ns
oae lettre de madame dËpiDa^àrirliiimuiieaiiecdoteiigréabl lui'uL
recoiiiëe, qui donne, bien la note du <:.<r.<clè'e de madame de llel-
(uDce : • II faut que vous sachiez re qu'a fdit Pauline (elle aiait
alors douze sn<); l'autre jour, elle A'était donné sei titi uicU-
[uires. la gouvernante et moi lui avinnt ri'présenté qu'rlle se
couvrait de ridicule. H y a quelques J.iurs, sans égaid jKiur tioi
* le mâoie ton. Le marquis de Cio
V-
jbïGooglc
LETTRES DE GàLlANI
que je le dois consacrer et vous direz impérieusement
à votre chëre mamaa, que son tour viendra et qu'elle
n'a qu'à attendre. EûBq je dois vous remercier d'une
lettre cliarmanle et délicieuse dont vous m'avez
honoré. Elle est d'autant plus belle à présent, que
madame votre mère est guérie, et qu'ainsi je n'ai
presque plus rien à répoudre : voilà le plus beau des
lettres de cluinge.
Je trouve une autre beauté à votre lettre, c'est
qu'elle est toute d'une haleine; elle coule comme une
eau de ruisseau ; elle s'enfile de lil en aiguille, et passe,
et va d'un propos à l'autre sans qu'on s'en aperçoive.
J'ai cru rêver, cl j'ai l'orgueil de penser que vous aviez
eu envie do m' écrire plusieurs fois, et que la matière,
longtemps arrêtée, a coulé précipitamment par la pre-
mière issue qu'elle a rencontrée. Venons aux nouvelles
que vous voultzbien me donner.
partit d'un éclat de rire et lui dit qu'apparemment elle le pre-
nait pour sa poiipciï et jouait à la madame avec lui. Elle ae
Hrba, il rit daiaiilnge. puis lui dit: n Mais voyons, madenioïselle,
j'ai peut-être lort. vous avez pi:ut-étre plus de ccin naissances
que je ne supposais, lirons l'aHaire au net. a II s'agissait d'una
lettre du roi de l'rusjc qui court el que Pauline avait déci lêe
mauvaise, parre quelle De l'entendait pas. Le marquis lui fit
nombre de qiie-tiuns auiquelles il lui Tut impossiblu du répondre.
De là, il fiK ui é de lui prouver sa sollise^ elle s'en tira très
bien. Elle (ut il'^iliurd Irés bumlliëe, puis, tes larmes aui yeui,
elle dÎL au uaïquis : i Monsieur, je vous remercie de la Ic;oq,
elle est un peu furie, mais je m'ca souviendrai ; jouons au
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIAM 3 "
Vous faîtes donc mousquclaire M. le Conseiller*;
mais de grâce pourquoi n'en faites-vous pas un jeune
M, d'Èpinay. Ou a la rage en France de faire quelque
chose de ses enfanU. Ici on n'en sait faire que des
hérilicrs de leurs pères; et je crois que c'est tout ce
qu'on en peut faire de mieux pour eux et pour leurs
grands parents : car il n'est jamais question ni de
s'asseoir sur des fleurs de lys, ni de se coucher sur
le lit d'honneur. On s'assied sur des chaises, et on
se couche sur des matelas .
L'impératrice peut dépenser tant qu'elle voudra ea
tableaux * ; le Turc s'est engagé h payer ses dettes,
t. LouLs-Josepli la Live d'Ëpiaoy, 111$ de m«dims d'ËpInay,
se déclina d'abord ï la magistralure, mais il était Tort paresseux,
très étourdi et il ne tarda pas ï se dégoûter de sa carrière.
Hadaïued'Ëpiasy, dans ses Mémoires, se plaint de la fuoeste
iuHuence de son mari sur l'éducation de leur Qls. Apres avoir
quitté la magistrature, le jeune d'Epinav entra dans le régiment
du comte de Scbomberg, puis il se maria par l'entreoiise de
H. d'AfIry, capitaine- gêné rai des Suisses et Pribourgeois d'origine;
il épousa mademoiselle Louiite-Élisabetb du Roccard, alliés des
d'AITry, et il alla habiter Fribourg avec sa femme.
3. L'Impératrice de Russie achetait beaucoup de livres et de
(ableaui en France. Lors de le Tente de la bibliothèque de
M. Gaignat, elle Qt offrir un prii énorme pour avoir eu entier
cette rare collection. Grimm et Diderot étaient ses agents litté-
raires et artistiques; c'est Diderot qui achala pour elle le cabinet
de tableaux du baron de Thiers; on raconte que Diderot se
trouvant en couférence avec les héritiers, le comte de Broglie
toulut le tourner en ridicule sur l'habit poir qu'il portait. Il lui
demanda s'il était en deuil des Kussea. s Si J'avais i porter le
deuil d'une nation, monsieur le comte, lui répandit Diderot, je
D'iraU pas la chercher sUoin. s
jbïGoogIc
4 LETTRES DE GALUN[
et il lui tiendra parole. Vous autres, messieurs, vous
u'en voulez rien croire ; mais il n'en sera ni plus ni
moiDS.
Vous ne voulez pas que je devienne bécasse. Puis-
que vous êtes au régime des légumes, je renonce à ce
projet, et je désirerai de me changer en concombre, ou
en potiron si vous l'aimez mieux ; mais je ne saurais
m'aecoutumer à l'absence de Paris. Vna seule chose
pourrait me consoler, et la voici : engagez M. le baron
de Bretcuil à avoir pour son secrétaire noble d'am-
bassade ici M. votre i'rère, comme M. d'Ossun * a
eu le baron de la Houze '. Je trouve mille conve-
nances à ce projet. M. votre frère sera initié au mi-
nistère politique; il a tout pour suivre cette carrière
plutôt que celle de mousquetaire. Or, si cela arrivait,
j'aurais d'abord une personne très chère à moî, puis-
qu'elle l'est à vous et à madame votre mère. Ensuite
il serait très naturel qu'une mère vînt voir son (ils.
Vous devinez le reste.
Gatti a inoculé hier les fils du prince de S.-Angelo
Imperiali. C'est la première inoculation qui se soit faite
ù Naples, et je me flatte que la pratique s'en introduira
petit à petit. Voilà toutes mes nouvelles.
I. Ambassadeur de France A tapies.
ï. H. Basquitt d« la Houie, d'abord secréUire de l'ambassade de
France i Naples, devint ministre pléaîpotenliaire près les princes
et Ëiati de la Bisse-Saie (1774).
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 5
le VOUS prie de dire S^ tnadame volrc mère que, pour
ce soir, elle ne s'attende à aucune lettre de moi; elle
n'aura que l'adresse de celle-ci. Je dc devrais pas
aclievcr cette lettre d'un Ion familier et brusquement
poli. Il faudrait tourner aulour des phrases pour vous
dire tout plein de choses; mais comment faire? je
n'ai pas le temps d'être poli. Il faut que je vous quitte,
en vous disant seulement que vos lettres me feraient
encore plus de plaisir, si vous vouliez m'en écrire
lorsque madame d'Epinay se porte à merveille.
Savez-vous bien que je suis voire etc.?
A MADAME d'ÉPIMAV
Ah ! la drôle de chanson que vous m'avez envoyée !
elle est charmante. Vous faites de la métaphysique
ensuite, mais je n'ai pas le temps ce soir d'en faire de
mon côté, et de vous prouver pourquoi il faut étoufTer
les mauvais sujets ; je vous dirai cela une autre fois,
et comme il se fait que les peines ont une force ré-
troactive, et agissent, et produisent des effets avant
jbïGoogIc
6 LETTRES DE GALIAM
qu'elles soient inHigées. Cela est curieux. Mais pour
ce soir j'ai besoin de deux grâces de vous.
l" Gatti m'a dit que vous aviez un médicament
(dans lequel il entre du corail) dont il avait éprouvé
les effets sûrs et merveilleux sur des femmes déréglées,
dont le dérèglement approche d'une ^Taic perte de
sang quelquefois. J'ai besoin de ce médicament, pas
pour moi, comme vous comprenez bien, mais pour '
uue dame aimable, et qui n'est point' Napolitaine, Il
me le faut tout de suite, et Gatti croit avoir égaré
parmi ses papiers la préparation; ainsi envoyez-moi
tout de suite le recipe et le moyen de s'en ser>ir, et
vous sauverez une femme aimable et obligerez un abbé
charmant, qui est moi'.
2° J'ai besoin, et c'est moi-même qui en ai besoin,
d'un vin antiscorbulique dont j'ai pris une fois à
Paris. M. Le Roy' de Versailles, le chasseur, his-
torien des bûtes, m'en donna la préparation. Il me fit
beaucoup de bien. Je voudrais en prendre encore et
1. Gatli était un médecin fort original. Au sujet de la ditU
sion des maladies un pluiici;rs classer, il assurait que pour lui,
11 ii*en recODDaiGsail que deux, celles dont on meurt ei celles
dont on ne meurt pas.
1. Cb. Georges Le Roy (1TÎ3-17B91, lleuienant dos chasses des
parcs de Versailles et de Marly, collaborateur de l'Encyclopédie.
Il a écrit des Lettres sur linleltigetce et ta perfectibilité des ani-
maux. Il Ëisit eicessiiement lié avec les d'Holbacb, et l'on dit
même que la baronoc ne le voyait pas d'un Œil icdilTérent.
(V. appendice I.)
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIASI 7
j'ai oublié les ingrédients. Faites-vous donner cela, el
mandez-le-moi. Vous sauverez la vie ù un abbé char-
mant qui est moi, et à une femme unique, incompa-
rable qui esl vous; car vous mourriez, n'esl-cc pas,
sijevenaisà mourir?
Mora me parle de vous. II a vu quelques-unes de
mes lettres, mais pourquoi n'en a-t-il pas vu des
vieilles? est-ce que vous les brûlei? Je garde soigneu-
sement les vôtres, et je ne trouverai pas à vendre ce
manuscrit, ni vous le mien, si ceu'estàqueiquecurieux
qui les achètera tous les deux.
J'ai reçu une lettre enfin de madame Necker, mais
puisqu'elle ne vous montre pas mes réponses, je lui
répondrai Tort tard et par ma chancellerie. Je serai
plat et poli comme une assiette de madame Geoffrin.
C'est ainsi que je punis le froid maintien de la dé-
cence ».
J*ai reçu une lettre de Diderot, qui m'a été rendue
avant-hier ; mais je n'ai pas le temps de lui répondre
ce fioir: je n'ai que celui de lui obéir.
Gatli inocule, et je travaille à le faire rester ici
jusqu'à tant que l'inoculation gagne un peu de terrain
et s'établisse ; cependant à quoi bon l'inoculation
kà, puisqu'il ne vaut pas la peine d'y vivre 1 Voilà
1. Madame d'Oberklreb disait de madame N«cker : c Dieu,
■Tant de la créer, la trempa en dedans et en dehors dans un
baquet d'empois, d
jbïGoogIc
B . LETTRES DE GALrANI
une dirfficulté à laquelle Je ae trouve point de
réponse.
Aimez-moi. Portez-vous bien. N'oubliez pas mes deux
commissions, qui, par un enchainemenl, intéressent
voire vie même.
Adieu ma belle dame, adieu.
Nlplcl, Il Janvier ini.
C'est votre tour à présent, ma clière madame. J'ai
répondu à l'abbé-prieur ', j'ai répondu à madame
voire fiile, et je dois répondre à deui numéros de vous,
si je ne me trampc, quoiqu'il me manque celui de
celle semaine, parce que le courrier de France n'est
pas arrivé. Mais que puis-je vous dire? Gleichen nous
a quittés; Gatti a inoculé deux, petits princes napo-
litains; et c'est la première inoculation faite à Naples.
<. L'abbè Hsjeul. (Voir la iellre du 14 dérembre 177t.]
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIAM 9
Je suis excédé d'ennuis et d'affaires ineplcs. Mon
esprit û'esl occupé qu'à disputer de compétences, de
juridictions et de tout ce que le palais a de plus
ennuyeux et de plus béte. Ah ! lua pauvre tëlc, occu-
pée jadis de cent quatre-vingt-douze ouvrages in-folio
sur un système qui devait avoir pour titre De rébus
omnibus et quibusdam aliis, de quoi es-tu Tarcie à
présent t Où sont mes dissertations Ihéo-philo-logi-
pliysi-male-politico-moralcs ? où sont-elles?
J'espère, ma belle dame, que nous aurons la peste
en Italie cette année. Cela me donnera quatre mois
au moins de relais. Je m'cnfcrmorai avec une grande
provision de papier, et je t'erai au moins mon livre
sur l'origine des montagnes, qui est celui qui me tient
plus à cœur; car enfin, l'histoire des montagnes est
plus grande et plus belle que celle des hommes.
Je n'ai ni le temps ni l'envie de vous en dire da-
vantage ce soir; rien ne m'éleclrise. Bon soir. Mille
compliments à M. Capperonnier ', qui a bien voulu se
ressouvenir de moi.
Madame Geoffrin m'a adressé un article d'une lettre
extrëoiemeDt toucbant. Si elle m'avait vu pleurer
]. M. Cipperonoier, de l'Académie des belles-leUrei, proresseur
de langue grecque au Collège royal, censeur el garde di' la
bibtioibèque du roi. Son traitement de bibllolbécaire lui râlait
deiii mille écas et le logement. < C'était un 'ofl bonnéle homme,
d'une littérature médiocre, mais qui »vaiL bien iegrec.» (Laharpe.)
jbïGoogIc
10 LETTRES DE GALIANI
d'allendrissement, elle m'aurait donné un certificat
comme quoi je n'étais pas aussi monslre qu'on le disait.
Faites-lui parvenir mes hommages.
Je voudrais bien savoir si le baron d'Holbach a reçu
une lettre que je lui ai écrite il y a deux mois. Encore
adieu.
A LA HLML
Ma belle dame, s'il était bon à quelque chose de
pleurer les morts, je viendrais pleurer avec vous la
perle de notre Helvétius '; mais la mort n'est autre
i. Helvétius mourul k 56 ans. Son père, qui était holltcdais,
vinl s'éUblir en France où il déviai médecin du Roi. Le jojnc
Helvétius oLlint une ferme générale et ai-niiil une farlune con-
sidérable, dont il Taisait l'usage le plus noble. Cétait un
éciivciin médiocre, mais il vivait beaucoup avec les gens de
lettres; il ût un sort i plusieurs d'eoire eux et leur dut sa ré-
putation littéraire. Se plaignant un jour k d'Ilulbacb d'avoir
conservé peu de liaison et d'Intimité avec ses anciens smis, uns
qu'il y eût de sa faute : « Vous en avez obligé plusieurs, lui
répondit le baron, et moi je n'ai jamais rien fait pour aucun des
miens, et je Tis toujours et constamment avec eui depuis vingt
tm. ■ Parallèle aswi singulier entre deui hommes de mérite.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANl 11
diose que le regret des vi^'ants. Si nous no le regret-
toDS pas, il n'est pas mort ; tout comme si nous ne
l'avions jamais ni connu ni aimé, il ne scfait pas né.
Tont ce qui eiiste, existe en nous par rapport à
nous. (Souvenez-vous que le petit prophète taisait de
la métaphysique lorsqu'il était lrif^(e;j'ea faisde même
è présent.) Mais enfin le ma) de la perte d'Helvétias
est le vide qu'il laisse dans la ligne du bataillon. Ser-
rons donc les lignes ; aimons-nous donc davantage,
nous qui restons, et rien n'y paraîtra. Moi, qui suis le
major de c« malheureux régiment, je vous crie à tous :
Serrez les lignes. — Avancez. — Feu. — Rienn'y pai-aîtra
de notre pert«.
Ses enfants n'ont perdu ai jeunesse ni beauté par la
mort de leur père. Elles ont gagné la qualité d'héri-
tières' ; que diable allez-vous pleurer sur leur sort.
Elles se marieront, n'en doutez pas. Cet oracle est plus
sûr que celui de Calchas'.
tous les deDi riches, et qui ont passé lous les deux leur vie
«»ec des gens de lellres. j (Grimm Cor. Lit.] Il avait épousé en
Wid mademoiaelle de Lignîville, apparLenaat à une des pins
grandes Timilles de lj>rrsrne.
I. L'aloée (les deux filles d'HelvéUus épousa M. le comte de Hun,
la cadette, M. le comte d'AudIau. Elles avaient suivi leur père
lorsqu'îl se rérugia en Angleterre après la publication du livre dû
tBtprit. Walpote écrivait «lors ; c Helvétius vient bsbiier ici avec
d«ui demoiselles Uelvéïius, qui ont 50,000 livres si«tlinR par
Mie; il les donnera en mariage i deux membres immaculés de
flotre auguste et incorruptible Sénat; nous pouvons être dupes
jbïGoogIc
12 LETTRES DE GALIASÏ
Sa femme est plus il plaindre', à moins qu'elle ne
renc<Hitre'ua beau-fîls aussi raisonnable que son mari ,
ce qui n'c^t pas bieu aisé, mais plus aisé à Paris
qu'ailleurs. Il y a encore bien des mœurs, des vertus,
de l'héroïsme dans votre Paris : ii y en a plus qu'ail-
leurs, crojez-moi. C'est ce qui me le fait regretter et
me le fera peut-être revoir un jour.
Je n'ai pas le temps de répondre au baron ce soir;
chargez-vous de lui dire que j'ai reçu sa charmante
lettre, et l'ouvrage de Montami', dont je le remercie
inliniment; mais comme en fait de commissions, il
faut écarter toute espèce de présent, faites~moi la
grâce de le lui payer, et je vous le rembourserai, à moins
que vous n'ayez quelque argent à moi dans vos mains,
chose que j'ignore absolument, n'ayant aucun intérêt à
le savoir.
Votre numéro 80 ne m'est pas encore arrivé. Aimez-
moi bien fort ; les raisons de m'aimcr augmentent
comme vous voyez. Le temps' me manque ce soir.
Chargez-vous de faire parvenir la lettre que je vous
des folies des Français, mais Ils sont dix Tois plus Tous d'être les
dupes de notre vertu. » [Walpole à U. Hann, 17 octobre 1763.)
1. Voir l'appendice II.
2. D'Arclais de Montamy. Traité de> couleurs pour la pein-
ture en émail et sur la porcelaitie, précédé de l'art de peindre
sur émail, ouvrage posUiume publié avec des augmentations par
Diderot. Paris. Cavalier, 1765, in-12.
jbïGoogIc
LETTRES DE CALIANI
enveloppe dans celle-ci : elle n'ira pas bien loin de
votre porte. Bonjour ou bonsoir, car je ne sais pas
quelle heure il est.
La débftcle des lettres est enliQ arrivée ce matin, ma
belle dame. Je viens de recevoir en même temps deux
numéros de vous, le 83 et le 84, une lettre de madame
de Bcisunce, une de NicolaT, une de H. de Hiliierui ',
une du comte de Fuenlès ; et, par le courrier d'Espagne,
je reçois eu même temps l'almanacb royal de l'année,
votre lettre, avec le rêve tragi-comique ', une lettre
de Magallon, et uu vieux almanach. Je consacre ce jour
au plaisir de lire, de relire, de savourer, de goùlcr,
de mâcher môme et de sucer tout ce papier. Ainsi,
par conséquent, je ne répondrai à personne, excepté
1. Napolitun, matÉehal de camp an service du roi de France.
3. C'est le rére où madaine d Épini; m croit mademolielle
jbïGoogIc
14 LETTRES DE GALIASI
M. Diderot, dont j'ai reçu une lettre aussi. Prenez
patience, je rougirais de ne répoudre que deux mots,
sans esprit et sans sel, à vos belles lettres.
Je ne vous dirai donc que ce qui concerne Gattî
dont vous me parlez dans votre lettre du 20 décembre.
Lorsqu'il arriva ici, je le trouvai tellement épouvanté
di! l'étal horrible dans lequel il disait avoir laissé la
France, qu'il me paraissait résolu à quitter toute sa for-
tune plutôt que do retourner en France ' . II J craignait
les jésuites, les dévots, les ennemis de Choiseul, les
médecins, tout enfin *.
U n'y a rien de plus injuste et de plus ridicule quede
laier Gatti d'ingratitude, s'il ne reparaît pas à Chan-
teloup. Personne n'ignore à Paris qu'il n'a envoyé à
Florenca que très peu de bien pour soulager sa famille.
Tout son bien, toute sa fortune est en France. Qu'on le
taxe donc de pusillanimité, d'étourderie, de prodigalité,
à la bonne heure ; mais comment diable ! peut-on ap-
1. Deux graTW quesiions agitabot en ce moroeol la France, la
question des parlements et ceUe des gmios.
3. BachaumoDl eipKque d'uae façoo Uea différeale les causes
qui amcnùrenlGaUîâquilLeria France, aprùs l'exil du duc de Choi-
seul. c Le rameux Gaui, que nos docieurs regardent comme na
charlatan, mais qui avalltié Tort en vogue pour l'inoculailon, parce
qu'il la Taisail avec beaucoup de grdce, de légèreté et de facilité
pour ses malades, craignant avec raison que plusieurs de ceux
inoculés par lui ne le discréditassent par des rcchules inéVl-
tables, A raisoi) do sa manière de faire l'insertion, est retourné
en Italie, et ue veut plus revenir en France. >
jbïGoogIc
LETTRES DE fiVLIAXI 15
peler ingraCitude la conduite d'un homme qui, saisi de
frayeur, abandonne tout ce qu'il a, tout le fruit de son
^vail de dix ans? Si l'on réussit à rassurer GatUde Ees
frayeurs, on lui rendra un grand service assurément ;
et soyez persuadé que c'est bien à son grand regret
qu'il s'est éloigné de Paris, comoie quelqu'un qui a
l'ingratitude d'abandonner aa maison et tous ses effets,
parce que le feu y a pris.
Je ne sais pas si les frayeurs de Gatti sont fondées ou
non : vous pouvez savoir cela mieux que moi ; mais
assurez-vous qu'il en est au point qu'il a trouvé
qu'ilelvétius a bien fait de mourir, et qu'il est mort
très à propos ; qu'il s'étonne fort que le reste de ses
amis ne prenne pas le parti ou de moqrir ou de
sortir de France. Tel est l'état de Gatti. Heureusement
pour lui, il inocule ici et gagne quelque argent. 11 a
reçu des lettres de M. de Nivemois ', qui' lui ont re-
1. Louls-Julea-HarboD-Maocini Maiarini, due de Nivernois,
nioUIre d'tlal, pair de Fraoce (ni6-lT98). Sa santé ne lui per~
mil pas de contiuucr la carriËre des aimes i laquelle on l'avall
deaiioé; il entra dans la diiilomalie et fut successiremctit am-
basudeur A Rome, i Beiiio, enOn à Londres, où il nigocia la
paii de I7G3' De retour à Paris, il se consacre uniquement à la
littérature. Madame GeoOtin disait de lui : ■ D est manqué par-
tout : guerrier manqué, amlMssadeur manqué, homme d'alTaireg
manqué et auieur manqué, n II eût été volontiers libre penseur
s*il n'avait songé ï devenir gouverneur du Dauphin, el puis il
avait grand' peur de sa Temme et de sa ûlle qui étalent des
■ fagots déE^ise s. Il avait épousé Hélène Phitlpeaui de Pont-
Chanrain, tieur du comte de Maarepaa,
jbïGoogIc
16 LETTRES DE GALIANI
mis le calmu dans l'esprit. De moii cûté, je serais en—
chaulé qu'il retournât en France, et que Ton conti-
nuât à lui payer ses ^ages et ses pensions; mais, à
vous dire Je vrai, je suis disposé à penser comn\e Galli,
qu'on n'en'Jera rien, et qu'il n'aura que des chagrins
et des persécutions à essuyer. Il est Italien, il est ami
de Choiseul ; en voilà assez et même trop pour lui
nuire.
Quel est le dupé que nous connai^ns tous et dont
TOUS riez au coin de votre l'eu î Je n'ai jamais pu le
deviner ; il y en a tant de toutes les espèces ! Est-ce
un mari dupé par sa femme? Est-ce un amant dupé
par sa maîtresse? Es(r-ce un ministre dupé par ses
commis, ou par son confrère ? Enfin je ne le devine
pas.
Le compliment de l'abbé Balleux à H. du Belloy est
vrai et poli. Il est poli d'offrir les services de l'aca-
démie à M. du Belloy, qui en a grand besoin. Il est
vrai, puisqu'il dit que le roi voyait H. de Clermont
dans l'acâdémie, et l'académie dans M. de Clermont.
Cola veut dire qu'il voyait combien M. de Clermont
était ridicule, inutile, pkt, etc., en le voyant dansl'a-
cadécuie, et combien l'académie était inutile en y
voyant M. de Clermont, et vngtte leonem '.
Rien n'est plus vrai. Bonsoir.
1. M. ie comW de Clermont, prince du saag, faisait partie de
l'Acadëuiie Traoçaise. Lorsquil moulut, ou lui nomiua comme
U Google
LETTRB5 DE GALUM
.V MADAML DK BliLSl'NCK
i'.'csl ù votre Euiir à {»ré5<-iil, ma belle danio, ma-
man attendra. AU ! la jolie lettre que vous m'avei
l'ente! Elle ne parlait que de morts, <lc massacres, rie
(lucls, et tout le monde se portait i'i merveille. Je
crois qu'il faudrait rétablir l'usage des duels, car ils
ne Tont plus aucun mat; au contraire, ils dégagent la
taille, donnent de ia souplesse aux muscles, et font un
exercice de gymnastique meilleur que le bal et le jeu
de paume.
i'aime à la folie la phrase de maman, que M. (jrimm
a remisé son prince ; c'est un métier de (iacrc que ce-
lui de gouverneur d'un prince. Nous avons ici le prince
Auguste de Saxd-Gotha, qui n'est point prince-, il est
successeur U. de Belloy, l'auteur iu Siège de Calait, etc. i I.e
nouveau promu k l'immorlalilc Gt koii eiilré^' ilaas le Conseil
audémique le 9 janvier el M. l'abbé Baticui le reçut. Il promit
i V. de Belloy de la part de l'Aeadéroic une suite de dUcuuions
liitérair^s qui serrinieut à perfectionner le style et à épurer le
goùl. . (Grimm.j
jbïGoogIc
18 LETTRES DE UALIANI
le meilleur enl'ant du monde. Au conlraire, uous avoiib
ie duc de Glocester, vrai prince ; il part après demain ;
je dine avec les deux ce matin, ou, si vous voulez, ce
soir, car on dioe ici à cinq heures, à l'anglaise '.
Je voudrais être gai avec vous el profond avec ma-
man, mais je ne ie puis plus, Naples m'a cmbétisé.
(jatti me charge de vous dire mille choses; il inocule
des êtres qui ne valent pas la peine ni les frais d'exis-
ter ; aussi il perd son temps, comme vous croyez.
Je n'ai point reçu de lettres de France cette semaine,
mais OR débite ici de terribles nouvelles sur votre
compte, c'est-a-dire sur le compte des Français; j'es-
père que rien n'en sera vrai. Je clierche dans ma
t(le si je ne trouverais rien à vous dire ; non, en vérité,
il n'y a rien.
Cependant, voilà encoredu papier blanc que je pour-
rai» salir; comment s'y prendre ?
Il y avait «ne fois un roi et une reine; ce roi était
l'ou, cette reine était reine. Cette reine voulait détrô-
I . Le duc du UUirester était arrivé il Naples à bunl de ta Trô-
f^ale l'AUarme, le 39 décembre 1771. Lu Cour le (raila cotunie un
Inrant d'Espa(;iie. le roi l'accueillit avec beaucoup de curdialîlé.
i J'espère, lui dii-jl, que voii) viendrc?, nous voir à Coserte;
vous 7 Irouverez un hôte qui n'entend rien A Taire ilos compli»
ments, mais qui toit» recevra avec plaisir, et qui tous offrira de
bien bon cœilr la soupe et te togement. > — Le duc de Saxe-
Qotha, Trère du prince hérMilaire de Gotha, arrivé h Naples
pre«qoe A la même époque, fui an contraire inflnimenl né-
gligé. (Dépêches du vicomle de Choiscul au doc d'Aiguillon. |
jbïGoogIc
LETTIIKS DE GALMMI 19
ncr le roi, le roi lit ciilermer lii reine. Oetlc reine
écrivit au rui son frère. Ce roi était* bC'le et ne répon-
dit rien à la reine. Cette reine en fut au désespoir.
Le roi son mnri se jeta dans les bras de la reine sa
mère. Cette reine^mère était plus méchante que la
gale; cette gale se communiqua à tous ses sujets ; ce
peuple de galeux détrôna te roi fou, comme étant in-
crédule. De là commença la pi^i-séculion contre tous
les inci'édules, qui devint générale dans tout l'empire
et qui l'abattit entièrement; et ma chère vicomtesse
alla se coucher et s'endormit. Voilà ma tâche remplie.
Bonjour.
AU PRIMCE H&RËDITAIRE UK SAXE-i
Monseigneur,
J'ai re^-u la lettre dont il a plu à V. A. S. de m'iiono-
rer, et que le prince votre frère a bien voulu me re-
mettre de sa propre main. Il faut ôtre vrai, surtoui
1, Le prince hérédlUlre ErUMl-Loui» voyagea longnewenl
■TOC wn rtëre en France et en iKlie. Les deui Jeimes JifinWa
jbïGoogIc
20 LETTRES DE GALIAM
uvec les souverains, quand cela ne surail que (tour la ra-
reté du rail. Je ne sais pas décider si le séjour de S. A.
ici m'a causé plus de plaisir que de peine. D'abord, il a
été le premier qui m'ait dit sentir tout le poids de la
charge (juc j'occupe maintenant, puisque les chaînes
i|ui nie liaient à mon devoir m'ont souvent enipécho de
le suivre et d'Être toujours auprès de lui, comme je
l'aurais souhaité. Les momeols où j'ai pu le suivre
n'ont pas été plus gais pour moi. Le regret de ne pas
vous voir ensemble ici se faisait sentir d'autant plus
vivement à mon cTeur, que le propos le plus fréquent,
et pour ainsi dire le refrain de S. A. à chaque chose
curieuse, belle ou remarquable qu'il voit, c'est celle
e.\ciamalion si favorite: « Ah! si mon frère voyait cela!»
Voilà les souffrances qu'il m'a causées. Le plaisir a été
grand, je l'avoue; et sans doute aussi grand que l'hon-
ueurd'cn être connu. Cette douce aisance dont j'ai pu
jouir auprès de lui, grâce îi son affabilité, cette liberté
A". Sjvc'Gotba avaient le goi'it des arts cL de l'étuJe, et ilaliani
|nilu il'cui nvec beaucoup d'éloges dans les leltros qu'il éiTit
]i:iidBni leur scjoiir à Naples. Il resta en corrcspoudancc avec
<;ui, mais c'est en vain que nous avons elierché ses lettres aux
arclilves de Saxc-Uollia. l.c prince Eriiest-t.ouîs succéda i sou
péH' en l'ïi. l'roH-iiiur éclairé des arts et des sciences ainsi
qiis sa fenimt', la |>rincesse Marie d?. Saio-Mciningen, il fonda
.lans son clidleau île Seiberg le plus b I obscrvaloire d.! l'Alle-
magne. — La cour de Saie-OoLlio était une des plus agrônbies ut
des plus aniniics. Voltaire appelait ces peliles cours d'Allemagne
■ de Tieui diàieaui uii l'on i'amuse *.
jbï Google
LETTRES DE GALIAM 31
que j'avais de toul dire, grftce k se;; luiniîiros et à ses
talents, ce souvenir tendre de V. A. que sa vue m'a
causé, voilà mes plaisirs. Je vous laisse, iiiouseigiicur,
à juger laquelle des deux seosationsauraildil l'emporter.
J'en puis d'autant moins juger à présent, avec impar-
tialité, qu'écrivant celte letti-e, après avoir pris congé
de lui, je ne sens que le chagrin très vil' de la voir
s'éloigner. Tout autre sentiment se tait à présent en
moi.
Il m'a promis qu'il vous assurerait de mon attache-
ment inviolahle, de ma profonde vénération, et j'ose
mî-nie dire de mon amour pour vos éminenles vertus.
C'est tout ce qu'il pouvait m'accoi-der de plus consolant
j so.'i départ. Il est donc superflu que je répt'le ici que
je suis avec le plus prolojid ruspocl,
De V. A. S., etc.
jbïGoogIc
«At)AME n EPINAY A fiALIANI '
BÉVE
Un soir, j'iitais seule au coin de mon feu, y; me mis
ît composer une pièce de clavecin. Je l'écrivis, je )a
crus superbe. Je la jouai, elle me parut détestable. Je
me dis : Voilà deux heures de temps perdu, il faut le
réparer. Je me remis dans mon fauteuil et je m'endor-
mis. Endormie, je rêvai. Je rêvai de la beauté, de la
profondeur, de la simplicité des arts, et quoique en ré-
vanl, la difficuité d'y exccSier ne m'échappa pas. Mais
peu à peu le délire se mêla à la vérité, il me sembla
que j'étais mademoiselle Clairon*; malgré cette meta-
1. Madame d'Ëpinay s'ëJail amusée à écrire un rêve où elle se
prcnail pour mademoiselle Clairon et où elle eiprimalt ses idées
sur l'art draroalique, le jeu des acteurs, les qualités nécessaires
pour obtenir du succès et surtout les études iudispentables pour
se rorraer. Nous donnons un eitrail du rêve de madame
d'Ëpinay.
i. Mademoiselle Clairon dont madame d'Ëpinay joue ici le
persanoage, eut la carrière Ihéélrale la plus brillante. Dès sa
naissance, elle sembla prédestinée au théâtre. Elle naquit dans
une petite ville pendant le carnaval. LA, tout le monde aimait le
(ilaisir; le curé et son vicaire étalent masqués, lun en Arlequin
jbïGoogIc
LETTRES nn GALIANI 23
morphose, j'étais pourtant aussi un peu moi, et nous
n'y perdions ni l'une ni l'autre. Je me promenais dans
ma chambre d'un pas majestueux, je me regardais avec
u^sfaotion dans toutes les glaces dont mon apparte-
ment était décoré. Me trouvant une démarche si im-
posante, je regrettais avec amertume d'avoir quitté le
thé&tre, et puis je m'avouais que je n'y avais réussi
qu'à force d'art, et il me semblait que si j'avais ù
recommencer cette carrière, je prendrais une autre
route, plus simple, plus sûre, qui demanderait peut-être
autant d'étude, mais plus de génie et moins d'efforts.
Tandis que j'étais livrée h uqe foule de réflesions
contradictoires, on annonça deux jeunes gens qui de-
mandaient k me parler, l'un de la part de H. de Vol-
taire, l'autre de la part de Honet, ancien directeur de
rOp^-Comique. Je les admis tous doux en ma pré-
sence, Le protégé de H. de Voltaire me remît une lettre
de sa part, par laquelle il me suppliait, moi Clairon ',
d'aider de mes conseils l'homme du monde qui avait
le plus de dispositions pour le théAtre, car jamais, se-
et l'autre en Gilles : l'on apporta l'enfant que l'on croyait
moannt; le curé l'ondoya sans changer d'habit. (Voir l'appen-
dice III.)
1. Ha demoiselle Clairon Tut en relation avec toutes les célËbrltës
de l'époqne. Dans une visite à Voltaire, elle se jeta à ses ge-
nonz, en «'écriant comme iménaîde : <■ Ah I mon Dieu tntélaire ! >
N. de Voltaire se mit autsii6l i genoux devant elle : u A présent
que nou4 votlè terro Sk terre, lui dît-il, comment vous portez-
vous? »
jbïGoogIc
U LETTRES DE GÂLIANI
Ion lui, OU n'avait débité de vers avec plus de grftce, el
peu d'acicurs savatenl faire autant valoir le mérite
d'un auteur. Il joignait à un bel organe l'avantage
d'une belle figure. Je le priai de déclamer quelque
scène; il en choisit une d'Atsire, et je crus entendre
Le Kain '. Son jeu en était une copie fidèle, maïs sou
beau visage restait toujours le mCrae, et toute son
expression résidait dans ses gestes et dans son attitude.
Je voulus lui faire quelques observations, mais sa ré-
ponse fut toujours : <t Mademoiselle, M. Le Kain l'ait
1. .Mademoiselle Clairon et Leknin araient l'uapour l'autre la
haine la plus franche cl h plus invétûrée et c'est ce qui explique
les sentiments que madame d'Ëpinay prête à fa célèbre aftricc.
l^ils d'iiii orfèvre de Paris, Lekain (tT38-l77H) em|iorlé par son
binour de la scène, jouait déjà sur les tbédtrcs de société, lors*
qu'il fut remarqué par Voltaire. Il débuta au Théâtre-Franfala
en ITEiO par le rùle de Titus, dans la tragédie de Brulus; mais
sa physionomie fort |>eu sympathique, sa voix sourde et peu
agréable lui nuisaient beaucoup.. Bientât. grdi;c ù la perreelion
de son jeu, 11 devint le favori du public el sa carrirrc ne fui
qu'une suite de triomphes. — Lekain ne manquait pus d'esprit
d'è-propDs, c Un jour, au cbaufibir, il racontait que la portion
des comédiens ne s'était élevée qu'à 8,000 livres; il s'eo alDigeait:'
« Cet histrion se plaint de n'avoir que 8,000 livres, dit un oQi-
cicr qui était présent, et moi qui verse mon sang [lOiir h pairie,
jen'ai que 40O livres. » — t Eicon)|itcj.vous pouriicnlu dioitdr'
nis parler ainsi? • répondit LekJiu. Il a remlu deiii grands ser-
vices à la scf-ne française ; scuunJê pjr le comli! de Lauraguais.
qui depuis s'iiuilula le marguillier de la Comédie -Française, il
débarrassa la scOnc de ces banquettes [iheécs aui deux ci>tés du
ihédire pour les Taloas Houges, m qui enlevait toute illusion.
Puis il commença la réiorme des ridicules costumes t^uis XtV
dont on alTublait les héros grecs et roniaiU'', et Talma m-Iievj di'
l'arcomplir.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI Î5
G« geste c'est son attitude ù cet endroit, v — « Cela
est vrai, monsieur, lui dJs-je, et vous avez sur lui
l'avanUge de la jeunesse et de la figure, vous êtes trop
[jarrait pour avoir besoin de leçons. Je vais vous donner
une lettre pour mes anciens camarades et Je ne doute
point que vous ne soyes admis au début, n
Lorsque je fus débarrassée de cette sublime merveille,
je m'occupai de l'autre jeune bomme. Il élait moins
grand et moins régulièrement fait que le premier; il
n'était point beau, mais il avait beaucoup de physio-
nomie : f En quoi, lui dis-je, monsieur, peut-on vous
être utile? — Madame, je me destine au Théâtre-Fran-
çais. — Monsieur, appelez-moi mademoiselle, on ne
m'appelle plus madame. Avez-vous déjà paru sur quel-
que tbéfttre? — Non, mademoiselle. Je comptais aller
jouer en province, mais M. Honel, (|ui m'a reconnu
des dispositions, m'a conseillé de chercher plutât au-
près de vous quelque recommandation assez puissante
pour vous engager, mademoiselle, à me donner des
avis; comme je n'en ai point trouvé, j'ai hasardé de me
présenter seul, et je me suis fait annoncer de la part
lie 31. Wonet. — iln n'est donc pas hii qrii vous en-
voie?— Non, ina(icmoisdl;'.Je\0U5 avoue que j'ai pris
^iii Hom sans su permission, U croyant plus ri;com-
nianilable que le mien, qui est tout k Tiit inconnu. —
Ab! le sien me l'est preM|u<' aulant, mais n'iinporlc,
votre physionomie m'intéresse. Asmhi'z-vous, nKinsiiun-
jbïGooglc
«6 LETTRE» DE IIALIANI
et causons,,. Mil allez mo clicrohor moii sao h o\x-
VTsge que voilà sur cetto console, au bout do oet np-
partement; que je vous voie marcher, s'il vousplatt...
Là, près de cd iiécessairo du Japon,,. Montieur, ju
voua r^nds gràc«. Cela est bien, vos mouvements lont
aisés, vous n'avez point d'apprêt, point de disgrAces,
mais vous n'avez point de noblesie. Avez-vou» Jamais
eu l'occasion de voir des gens de qualité dans la so-
ciété? «• Non, madomoiselle.
— Dites-moi qui vous a montré à déclamer? — Per-
sonne, mademoiselle, je suis né aveo la passion du
spectacle, j'y ai beaucoup été; mnis depuis un an que je
ma destine au théâtre, H. Monet m'a empêché d'y aller,
il m'a prêté des livres, et a voulu que je bornasse
mon étude à lire et à déclamer devant une glace
Ayant reconnu à mon écolier un esprit naturel mais
sans culture, de la chaleur, de la docilité, jo luis dis :
s Quels sont, monsieur, lii« rAles que voua croyei
posséder le mieux, et que vous vous proposez do me
faire entendra î — Mademoiselle, celui do Néron dans
Britannicm. — Seulement ! Mais, monsieur, avant de
vous entendre, failes-mol la grâce de me dire qui
était Néron. — Mademoiselle, c'était un empereur qui
vivait à Rome. -' Qui vivait à Rome est bon. Maî.s
était-il empereur romain, ou demeurail-il ù Rome
pour son plaisir ? Comment était-il parvenu à l'empire ?
jbïGoogIc
I.ETTRÏS DE QALIANI iT
Quels étaient ses droite, sa iiBissanoi!, sui parunts, sou
éducation, sod caractère, sos pencbanti, ses vertu»,
ies vices? — Mademoiselle, \c rôlo do Néron répond h
une partiâ de vos questioiia, mais pas à toutes. -—
-^ Monsieur, il faut non seulemunt répondre h ces
qucatioos, mais fk toutes celles que je voua ferai encore.
Et comment pourrcz-vous rt^ndre le rAle do Néron ou
l<.-l autre qu'il vous plaira, si vous ne connaissez pas
la vie du personnage quu vous voulei représcnktr,
comme la vàtra même? — J'ai cru, mademoiselle,
qu'il suffisait de bien connaître la piëc* pour saisir le
sens de son rôle. — Et vous avez mal cru, monsieur,
voua allez on convenir; écoutez-moi. AveK-voiis quoi-
que teinture de l'Iiîstoiro?
Cette cnonaîssance bien acquise donne h l'acleur qui
sait voir et sentir, toute la clef de son rAIe. Son effort
ensuite doit fitre de s'identifier avec le héros qu'il a à
représenter. S'il a bien vu, s'il a senti juste, le reste
i«t une affaire de mémoire et d'habitude qui v(i tout^'
seule.
Je conviens bien encore qu'une grande connaissance
de l'histoire et des mœurs des anciens vous abrégerait
beaucoup de temps et de peines, mais on peut y sup-
pléer. Ne désespérez de rien; je me charge de vous et
je vous dirai mon secret. Je commencerai par vous
jbïGoogIc
as LETTRES DE RALIANF
prêter quelques livres, où vous trouverez loul ce qui
fît>nci?i'ne la vie de Néron ; puisque vous en ^vez lu
rôle, appliquez- vous à Lien saisir son cariclère. I! fui
cruul, cbercUcz-en les causes; voyez si vous les trou-
verez dans la trempu de son 3nic, dans la corruption
de sa cour ou de son siècle, dans l'enchaînement des
circonstances, qui souvent nous forcent à être tout
antres que la nature nous lit: un grand acteur sait
Taire sentir toutes ces nuances
A présent, voyons ce que vous savez faire. Dites-moi
quelques scènes de la vie de Néron.... Par exemple,
.sa première scène avec Narcisse, et la scène du troi-
sième acte avec Burrhus. — Eli bien ! tout cela ne
^'aut rien. Vos traits m'annoncent un mouvement
violant dans votre ame, et votre corps est immobile,
cela n'est pas possible; vous jouez l'amour, la fureur,
mais vous n'êtes ni amoureux ni furieux. Vous avez
cependant plus de talent que le protégé de M. de
Voltaire; mais loi-squc vous aurez l'ait letude que je
vous prescris, vous sentirez que moi, ignorant specta-
teur du parterre, après vous avoir vu jouer comme
vous venez de faire, je m'en irai sans savoir ce que
c'était que Néron, sans entrevoir la différent qu'il
mettait entre Narcisse et Hurrbus.
Vous vous êtes, à la vérité, occupé du jeu de votre
visage, mais il faut que toute votre personne suit d'ac-
jbïGoogIc
LETTRES DE GALUMI 39
cord; il faut de l'cxprcs'^ion, vt non pas des (grimaces.
Voitii, monsieur, les leçons tju'oa peut donner ù un
acteur; celui que ia nature n'a pas destiné à eu prolitcr
ne sera jamais qu'un acteur médiocre. — Mademoi-
selle, oserais-je vous faire une objection? — Dites,
monsieur. — De cette manière il est impossible de
l'onner un acteur comique; car où trouve-t-o» écrite
la vie des personnages comiques? — Elle est, monsieur
écrite bien plus sûrement, pour qui sait la lire, dans
le (p-and livre àa iiioudo; mais le malheur de notre
profession est ([uc les pages les plus intéres^ntes de ce
livTe nous sont souvent fermées. C'est à nous, monsieur,
à obtenir, par notre mérite personnel, qu'on nous
)' laisse lire, et à achever de détruire un préjugé aussi
barbare que nuisible aux progrès de l'art; celte tâche,
au resto, vous est plus aisée qu'à nous. — Mais, comme
je me destine au tragique, croyez-vous, mademoiselle,
qu'au moyen de l'étude que vous voulez bien diriger,
je serai en état de rendre un rôle? — Non assurément,
monsieur, je vous ai déjà dit qu'il faudra ensuite ap-
prendre à être do la tète aux pieds le personnage que
vous voulez rendre: il faudra apprendre à être vrai-
monsieur. Vous avez ù Paris un modèle unique que
vous irez voir rarement s'il vous plait; car ce sont les
grands morlèles qui perdent les élèves. — El ce
grand modèle? — C'est M. Caillot: examincz-lc bien,
n« le copiez pas ; mais tâchez de deviner les ressorts
jbïGoogIc
M LETTRES DE (JALIANI
(|iii le font mouvoir; ils sonl tous dans sou âme.
Voyi-'z-lc dans Sylvain, dans le Déserteur, dans Lucile.
dans l'Amoureux db q^tinze ans ' .
Toul mon rogrcl, à pcésunt que je suis bien (iïcillôc,
*:st que inademoiseilc Clairon ne se souvicmlra jamais
d'avoir dit un mot de tout cela, et que ce sera autant
de perdu pour le premier écolier qui viendra la trouver.
Ce qui m'afllr^c encore, c'est de ne point revoir mon
élève. Depuis ce temps, je ne manque pas d'aller à
tous les débuts annoncés, dans I^spérancc de le re-
trouver; mais je ne vois jusqu'à présent que des pToté'
gés de M. de Vollairc.
I. Caillot aialt dÉbutë en proviens, mais una se douter de son
talent; > il se etoyail fait pour cbonler avec beaucoup d'agré*
ment, jouer avec beaucoup de galté, avec une belle mine bien
r^oui». mais il ne k crojait pas patbétlqoe. Garrick l'ajanl tu
jouer pesdanl son séjour en Praoce, Iji apprit qu'il serait acteur
quand 11 lui plairait. Mademoiselle Clairon rencontra Caillot à
Lyon oTBTit, qu'il vînt à Paris, et foUlut l'engager h débuter èla
Coniêdie-l''ranînisc dans lesrûlcs de 3" emploi, c'esi-i-diredans
les tyrans, les amoureui dédaignés, etc. Caillot lui dit; s Je
vous avonc. mademoiselle, que si je me deslinais au Tlii^itrc
Kninfais, j'aurais l'ambition d'essayer les premierj rùles. » Made-
moiselle Clairon le regarda d'un air majeslueui et lui dit : « Lo
projet en est b,-an ; mais, mon ami, tous svei le neï trop court, u
Caillot nous a prouié depuis qu'il savait s'allonger le nei et le
pro[.orilonner à l'importonce d'un râle. « (Orimm. Cor. LU., page
4Dd| 1. IX.) Les succès de Caillot furenl aussi élonnanti que
rapides; il se retira du Ihéiltre de très bonne heure et vécut
paisiblement i la campagne.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI
A MADAMli D LPINAY
Naplos, t» révrier inj.
Ma belle dame,
*L Apri'S la débâcle, vient la sécheresse. Voilà deux
semaines que je ne reçois rien de Raris. li faut pour-
nnl ijue je réponde à cett« lettre arrivée par deux
', oburriers et qui avait été à Madrid: elle contenait
161 rôve en forme de dialogue écrit très délicate-
Aient, Ir^ DaTvement, plein de bonnes choses, d'idées
■j vraies, et de souhaits impossibles.
Je n'ai qu'une difficulté à faire à vos raisonncmenls.
Je ojavleas que l'étude de l'histoire est néilcssaire à
l'acteuf, toutefois poutvu qUe l'auteut- de la pièco
t'ait étudiée lui-môme, en ait observé les mœurs, le
siècle, le costume; mais s'il n'en a rien fait lui-même,
comme cela arrire presque toujours, l'acteur serait mille
fois plus embarrassé s'il connaissait l'histoire. Si un
mallicurcux qui aurait lu Gnrzillas', voulait jouer
I. Garcilas de la Vega, hislorieD espagnol du ivi* siècle, aiileiir
de ['biHloirc des Incas et des guerres cirilcs des Espagnols daos
les Indes»
jbïGoogIc
31 LETTRES DE r,AL[ASI
Akirc, au diable s'il saurait prononcer un seul nioL
(lu rôle de Zamorc, qui est si savant, et do celui d'Aï-
zire, qui dispute sur la religion aussi joliment que
Voltaire. Alvarcï et Gusmon sont deux grands d'Ks-
pagnc aussi beau?^ que le prince d'Ornn|{o et le duc
d'Albe, au lieu d'être deux pirates, vrais forbans ffu
iner, tels qu claient (k>rtès et PiiarTO. En véril(', ma
belle dame, il me parait que l'ignorance des auteurs
a engeiidré l'ignorance des acteurs, et de ces deux
iguorances a procédé l'ignorance des spectateurs, qui
n'a été ni créée ni engendrée, mais qui procède des
deus. Voilà une Irinilé d'ignorances qui a créé te
uionde théâtral. Ce monde n'existe qu'au Ibéàtre;
les liommes, les vertus, les vices, le langage, les
événements, le dialogue du théâU'e, sont particu-
liers. Il s'est tait une convention parmi les hommes
que cela serait ainsi ; que le théâtre aurait ce monde,
et l'on est convenu de trouver cela beau. Les raison»
de cette convention seraient dititciles à retrouver.
L'acte en est fort ancien, et il n'a pas été inxinué au
grelTe. J'ai bien peur qu'on ne soit convenu de trou-
ver Le Kain bon et parfait '. On ne peut pas revenir
t. Grlmm (l'iMail pas du rd aiU ; t Mai^ que vous d>rai-jc
lie Lekaln, que Je n'nvaU pas vu liepuis qu'il avait reparu au
Ihéilre? Il semble qu'il n'ail employé le temps tic sa maladie el
de sa reirsile que pour [lorler soci talent A un degré de siibli-
luitë dont il est Impossible de se Former une IdËe, qiiaud ou ne
l'a pas vu. 11 esl de la ngiirc la plus laide el la plus iguoble el
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANE 33
coDtre une conveatioD, et une transactioa en forme.
Au reste, je crois que les causes qui ont produit cet
éloignemeat de la nature qu'on a fait dans le ihéftlre,
au point de créer un monde entier tout à fait nouveau,
a élé la difficulté de s'approcher de la vérité en gar-
dant son tangage vulgaire, et avec la loi de ne pas y
placer les événements modernes. On fait une bonne
comédie, vraie au dernier point, parce qu'il est
permis d'y représenter le cocuage arrivé dans la se-
maine même, la querelle entre mari et femme, arrivée
dans le mois, la ruine d'un joueur arrivée dans l'année;
mais, s'il ne vous est pas permis de rendre en tra-
gédie, ni la chute du duc de Choiseul, ni même celle
du cardinal de Demis ', comment peutron peindre
la vérilé? Si vous mettez sur le théâtre Thémistocle
et Alcibiade, à l'instant je m'aperçois qu'ils ont parlé
il dCTient aa théâlre beau, noble, touchant, paihétiqne, ei dispose
de Totre Atne A son grù. Il faut compter cet acteur parmi les
pbéDomënes rares que la Dalnre se plaît A Torner de temps en
temps, niais qu'elle n'est jamais sOre de produire deux Tots,
parce qu'il faut un concours de circonst&nces qu'elle na peut se
prometlre de rassembler plusieurs fois de suit^. > (Grimm, Corr.
m., p. ago, l. IX.)
t. Franfois Joachim de Pierres, comte de Ljon et cardinal do
Bernis, membre de l'Académie française. Il Tut ambassadeur à
Venise, puis minisire des alTalres ëtrangèrps, enfln disgracié et
eiilé après la baleilip de Hoibach. En 1764. il fut enroyé A
Rome comme ambassadeur et 11 y resta jusqu'à sa mort en ITilB.
Cétait un des protégésde madame de Pompadour. Ses Hémoires
OUI été publiés récenimenl par M. Hesïon.
jbïGoogIc
34 LETTRES DE GALUNl
grec, et qu'on les feit parler français ; qu'ils élaieut
citoyens d'une république, et qu'on est à Paris, qui
n'est pas une république, à ce que dit l'almanach
royal. Je renonce donc à l'espoir d'une tragédie vraie,
et je consulterais mon acteur pour avoir les postures
les plus pittoresques, la vois la plus terrible, la dé- .
marche la plus chargée, les passions les plus outrées.
Toutefois qu'en Taisant une grimace il est applaudi,
je lui conseillerais de faire le lendemain une véritable
contorsion, tâcher de se faire bien payer, coucher
avec toutes les dam^s qui le lui demanderont, et de-
mander à couclier avec toutes les actrices qui paraî-
traient vouloir le lui refuser. Voilà l'éducation de
mon Emile Le Kain le jeune. Voyez comme nous
sommes peu d'accord ; mais, si nous l'avions été mal-
heureusement, je n'aurais rien à vous mander, sinon
que je vous adore toujours.
Le prince de Saxe-tiotha est parti. Adieu, aimez-
!i!ïGooglc
lëkTtres de calia.ni
Combien de fois faut-il donc, ma belie dame, que je
vous mande qu'il ne faut pas que l'on m'envoie des lettres
dans le paquet du ministre, parce que je les reçois
plus tard, et que je les paie plus clier? Vous les don-
nez à Magallon ; ce cher Magallon qui veut absolument
voir ma banqueroute, au lieu de les envoyer k aon
ami Azaia, agent d'Ëspagoe à Rome, qui pourrait me
les envoyer ensuite, sans que cela me coûtât presque
rien, me joue le tour de les envoyer è Tanucci. Cela
me met de très mauvaise humeur, et cette lettre s'en
resseutira.
Je vous remercie de m'avoir mandé le titre de Juve-
nieur ' qu'avait le duc de la Vauguyon ; cela enrichit
mon érudition. Il répond à celui de prince héréditaire,
que nous avons à présent, comme celui de seigneur
sigoilie le prince régnant. Pour celui d'avoué, advocatus,
il est bien connu.' La terre, sur laquelle il prend ce
titre, appartiendra à quelque cgliae.
Il Voir lapiiendîca H .
jbïGoogIc
36 LETTRES DE GALIi.NI
Le mot du dindon est exceltenl; et l'histoire de
madame Cardinan est singulière. Elle prouve, du
moins, que toutes les tètes tournent à présent à Paria,
et qu'on ne s'y reconnaît plus.
Je vous prie de vous informer si le jeune vicomte
de Montboissier est revenu & Paris de son voyage ;
et s'il l'est, faites-le avertir que je lui écris ce soir,
par la poste, une lettre fort intéressante, au sujet d'une
botte de médailles antiques que je lui ai confiée ; et
que j'en attends la réponse.
Ije baron de Gleichen s'est arrêté quelque temps à
Rome, ensuite à Florence, il est à présent à Gênes.
L'emploi de commissaire plénipotentiaire auprès du
duc de Wurtemberg, que sa cour lui destinait, est fort
lucratif et fort ennuyeux. Il est plus facile de s'enri-
chir que de s'amuser, dit M. Freeport'. Ainsi je
ne sais ce qu'il fera*.
Gatti retournera à Paris, puisqu'on le veut absolu-
ment. Cela fera grand tort à notre inoculation, et cela
me ESche terriblement, car il se plaît à Naples, et je
me plais à l'y voir.
Puisque Grimm doit venir en Italie, je renonce aux
1. Fersonnige de VÉcoîtaise, comédie de Voltaire.
3. Le baron de Gleichen n'accepta pas le poste de ministre de
Danemark en Wurtemberg; il revint se fixer i Paria et y resta
jusqu'à la Révolution française,
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 37
■ouhelU d'une peste, mais c'est bien à regi-et et uni-
quement à son égard.
Je suis béte ce soir, car je le deviens de jour en jour
davantage. Âimei-moi; portez-vous bien. Mandez-moi
force nouvelles et b<ms mots. Adieu.
A LA MÊME
n«plM, U man t;iï.
Ha belle dame, voilà votre n" 86 qui arrive dans In
minute. Il m'enchante, il me console, il me rappt;llo
Paris, et vous, et mes amis : et vous vous étonnez que
je soupire après vos lettres!
Votie fils achève donc son éducation ; £k la Donne
heure. It ne faut désespérer de rien ; et dans ce monde,
le meilleur de tous les mondes impossibles, toui est
pour le mieux. Car (nota bette) le mieux est une
chose qui n'existe que dans notre tête, puisque c'est
l'idée d'un rapport, et on en a l'ait le pivot de toute la
physique d'un monde entier, qui est hors do nous.
Quels butors que les métaphysiciens 1 Mais qu'est-ce que
ma réOexion sur l'optimisme a de commun avec votre
jbïGoogIc
3S LETTBES DE G&LIANI
fiis? C'est que ma réflexion est belle, neuve, grande,
et je n'ai pas voulu la perdre ; je l'ai placée hors de
propos. Mais revenons à nos moutons.
Le prince de Gotha est charmant : j'en aï é\A infi-
niment épris, et lui de moi ; et à vous parler franclio-
ment et en .iecret, je l'aime encore plus que son frère.
Il a cœur, esprit, enjouement parfaits. Dans ma chère
patrie, il n'a pointréussi. Tantmieux pour lui, tant pis
pour elle. Il s'est rencontré avec le duc de Glocester,
qui joue parfaitement le souverain mal élevé; et lui
n'esl qu'un particulier bien élevé. Ainsi l'autre l'a
éclipsé, car il répondait mieux à l'idée qu'on a des -
souverains, et que ma nation, incapable de goûter, ne
fait que sentir. Il n'y a que sur l'article générosité que
le prince, dans sa médiocrité, a mieux fait les choses
que le duc dans sa gueuse dignité; car il était pauvre,
quoique Anglais et souverain.
Nous avons établi une correspondance, le prince Au-
guste et moi. J'ai écrit une lettre de réponse à son
frère ', et une au prince qui m'a écrit de Rome,
lesquelles méritaient (amour-propre fi part) toutes les
deux de n'être pas brûlées. Si Orimm peut en arra-
cher des copies, vous les verrez; pour moi. je n'en ai
conservé aucune. Je rougirais de vous envoyer les
copies de celles du prince Auguste, car elles sont trop
t. Celle que nous iTOns publiée.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 39
pour moi, mais tous verriez qu'elles sont
très bien écrites et tournées très agréablement. Enfin
c'est un garçon aussi aimable qu'estimable. Je lui ai
communiqué quelques lettres de vous. Il pensa crever
de rire sur votre expression, que M. Grimm avait remts^
son prince à Darmstadt ■ .
Gatti doit, ce carême, inoculer la moitié de notre
noblesse principale. De grâce, empêchez qu'il ne re-
çoive des lettres de Paris, qui le rappellent brusque-
ment. Ce serait un très grand mal pour notre nation,
qui se prête de très bonne gr&c« à l'inoculation, par la
confiance qu'on a en lui *. Les cboses tournent d'une
ta^n que je ne serais point étonné de voir que,
dans peu de mots, le souverain se déterminât à se
laisser inoculer. Les courtisans qui l'environnent, et
(|ui paraissaient les plus contraires, pour lui faire la
cour, sont les premiers à offrir leurs enfants à Gatti;
et le médecin du roi (contraire à l'inoculation) lui fera
I. Grimm veiHit d'accompagner le prince de H^sse-Darinstac)!
dans un Tojage.
i. n avait cependant une singulière manière de traiter vg
matndes : Appelé un jour auprès de madame Helrélius, alleinis dr<
lipetite Tèrole, il la soigna de façon si bÎDirre, que cela mérite
d'être rsconté. D'abord, il fit éteindre le feu «t ouvrir les fenê-
tres; on élaiC au mois de janvier. Il obligea ensuite la malade à
se tenir hors de son lit etàso promener dans sa chambre fraîche
pendant l'érnpHon. Chaque fois qu'il faisait une visite, il em-
ployait le temps A faire mille folleR dans [a <;hanibce4e la malade,
 danser avec sea filles, etc. Madame Hehétius guérit le plus
heureuyment du monde.
jbïGoogIc
U LETTRES DE GALUNI
inoculer sa fille unique, qui est déjà nubile. Voilà
toutes nos nouvelles.
'Je vous remercie de la méthode que vous m'avez
apprise pour opérer le miracle de l'hémorrlioïsse '.
Je suis prié ce soir à un concert de vieille musique,
celam'empëche d'allonger ma lettre. Remerciez le baron
de la traduction de Juvénal, qu'il m'envoie. Que sait'
on? cela pourra me faire faire des notes sur Juvénal ;
mais il n'est pas Horace, à beaucoup près. C'est Robe ■
à côté de Voltaire. Il a le feu de la criaiilerie; il
n'a pas la délicatesse du goût. Mais bonsoir. J'allais
m'enfoumer daos une dissertation entre Juvénal et
Horace.
Aimez-moi donc, portez-vous bien : point de dys-
senlerie, elle n'est pas du bon Ion ; des vapeurs plutût.
Quelques migraines par ci, par lu, et des nerfs bien
agacés, voilà tout ce que je vous permets d'avoir .
Les cardes ne sont jamais parvenues; je crains bien
qu'elles ne soient noyées, car il y a eu force nau-
1. Allusion an miracle de rbéraorroïsse de l'EvaDgile : U
femme malade qai fut guérie en touchant la robe de Motre-Sei-
gneur. (Voir la lettre du S janvier 1773.)
3. Pierre Honoré Robbé de Beauveset, poète erotique et licea-
cleuT BU deli de toutes limites. Il a éerit plusieurs ouvrages,
entre aiiirei, Ict PuctlUt d'Orléans; tous roulent «ur le même
sujet, a L'arebevéque de Paris, (DonseiRueur de Beaumoat, faisait A
Robbé une pension de I.ÎOOlivresà condition qu'il ne ferait pas
imprimer «es poèmes, i (Mélanges de Cravford).
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI il
frages. Tant mieux, puisque j'ai eDCore de l'argent à
paris; je n'en savais rien en vérité : tout ce que je sa-
vais, c'est que je n'eu ai point à Naples. Soyez atten-
tive, s'il parait de nouveaux voyages; c'est mon uni-
que lecture à présent. Je tâche de m'expatrier tant que
je puis. Croirïez-vous que j'ai lu Anquetil sans en lais-
ser un mot? Cela est incroyable I II a été chercher la
Bible de Zoroastre aux Indes, et en a rapporté le bré-
viaire ! Bonsoir.
Naples, Il mari 1771,
Je n'ai point de vos lettres cette semaine. Si vous
étiez une personne bien portante, cela ne m'inquiéterait
point; mais vos lettres parlent toujours de maladies,
et votre dernière vous peignait bien souffrante; qu'a-
vez-vous donc? vous portez-vous bien? l'apprentissage
de votre fils vous aurait-il coûté d'autres chagrins ? '
Parlez donc.
Pour moi ja n'ai rien ù vous dire; je suis triste et
maussade. Il vaque un emploi auquel je pourrais préten-
jbïGoogIc
42 LETTRES DE GALIANI
dre: i! donne plus d'argent et de coosidt^ration que celui
que j'ai; mais it donne bien plus de travail et d'ennui :
d'ailleurs, il est fort sollicité; etj notre usage est, lors-
qu'on prétend à une place, de l'aire tout le mal possi-
ble à ses compétiteurs, les calomnier, les dénigrer ; on
leur fait tout, à cela près qu'on ne les assomme pas.
Je ne sais à quoi me résoudre, je ne sais où tourner
mes pas. Si je demande cet emploi, je m'expose à
tous ces maux ; si je ne me mets pas sur les rangs, on
n'en croira pas moins que je manœuvre en secret, et
on mêlera tout autant de mal, et on me causera les
mêmes chagrins que si j'avais sollicité. D'ailleurs il
faut avancer une fois, il faut arriver au travail et ii
l'ennui ; autant vaut commencer dt-s î> présent. Arrive
une autre pensée, qui dit ; Il faut relnrder les maux
inévitables ; si je puis encore jouir du repos, de l'oisi-
veté, de l'oubli, pourquoi me presser d'en sortir?
VoilJi l'état actuel de mon esprit : vous voyez que j'ai
raison d'être triste et b6tc. Ahl la vilaine chose que
l'ambition! Mais le moyen de non pas avoir, lorsque
le monde croit que vous en avez ; ailtc opinion publi-
que suffit à causer autant de maux que l'ambition
même.
Pour me distraire, j'élève deux chats, et j'étudie leurs
mœurs : savez-vous que c'est une science et une étude
toute nouvelle. Il y a des siècles qu'on élève des chats,
et cependant je ne trouve personne qui les ait bien
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 43
étudiés; j'ai lo mâle et la femelle ; je leur ai empt'cW
toute commnnication avec les chats du dehors et j'ai
voulu suivre leur ménage avec attention; croiriei-vous
une chose? Dans les mois de leurs amours, ils n'ont
jamais miaulé; le miaulement n'est donc pas le langage
de l'amour des chats, il n'est que l'appel des absents.
Autre découverte sûre : le langage du mâle est tout à
fait différent de celui de la femelle, comme cela de-
vait Stre. Daus les oiseaux, cette différence est plus
marquée; le chant du mMe est tout à fait différent
de celui de ta femelle; mais dans les quadrupèdes,
je ne sais pas que personne se soit aperçu de cette
différence ; en outre je suis sûr qu'il y a plus de
vingt inflexions différentes dans le langage dos
chats, et leur langage est véritablement une langue ;
car ils emploient toujours le même son pour exprimer
la même chose. Je ne finirais point si je vous disais
toutes mes observations; mais par cet échantillon vous
voyez que je serai bientôt Thistoriogriphe de Naples ■.
I. Allusion h Moncrif, hratoriographe de France et qn'on
appelait historiogriphe parce qu'il iTail publié un ouvrage sur les
chats, dans lequel il Giiviit intervenir un grand nombre de per-
sonnes trèsconnuen de l'époque. Cet ouvrage, el auss) la protec-
tion de la maison d'Orléans, lui valut son entrée à l'Académie
rnD{aîse; Maurepas raconte dans ses mémoires que ie jour de
la rteepUon et au moment où le récipiendaire prononçait grave-
ment son discours, un mauvais plaisant laissa échapper un chat
qu'il avait cscbé dans sa poche; ia pauvre bêle atTolée se mil A
miauler avec déseapoir,'iin certain nombre d'asaiatanta s'amnaa
jbïGoogIc
U LETTRES DE GILIANI
Voilà mes peines et mes atnusemeats. Au surplus je
ne fais rien.
Gatti se porte bien, inocule, ga^e de l'argent et le
méprise, se tourmente de ce qu'on le chérit, et vou-
drait être un gueux cochon, mais il n'a pas la force
de l'être.
De grftce, dites de ma part à mon cher marquis de
Hora ' que je suis couvert de honte de n'avoir pas
répondu à sa lettre; mais il suffit que vous lui montriez
à lui répondre, et ce concert Inattendu accompagnant l'éloge du
poème des chats, ne tarda pua k avoir raison de la gravité dM
académiciens. CeUe réception resta célèbre i l'Académie.
1. Le marquis de Mora était le DU aloédu comte de Fueoiès,
ambassadeur d'Espagne i Paris.— Jeune, ardent, spirituel, porté
vers les idées philosophiques qui étalent alors un élément de succès,
il y mélall a&seï d'esprit chevaleresque pour ressembler ■ i un
descendant du Cid attardé dans le siècle de la poudre et des mou-
cher >. tl fut reçu i Paris et à Versailles avec ta plus grande faveur.
— Gendre du comle d'Aranda, premier ministre de Cbarles IQ,
qui venait d'eipulser les jésuites d'Espaiçne, le marquis de Hora
était d'aTanc«Bûr détre bien accueilli par le parti philosophique.
D'Alombert écrivait i Vollalre : • Il y a ici un jeune Espagnol de
gronde naissance tt de plus grand mérite.,. J'ai vu peu d'étrangers
de son Age qui aient l'esprit plus juste, plus npt, plus cultivé et
plus éclairé. Aoyei sur qu>> tout jeune, tout grand seigneur et
tout Espagnol qu'il est. je u'eiagère nullement... il est destiné i
occuper un jour de grandes places, etil y peut faire un grand
bien. > La brillante destinée que tous présageaient A Mora ne devait
pas s'accomplir. Atteint d'une maladie de poitrine, le jeune Espa-
gnol Tut enlevé i la Heur de l'Age. ■ Tout est destinée dans ce
monde, et l'Espagne n'était pas digne d'avoir un H. de Mort.
Pcnt-étre cela dérangerait l'ordre entier des chutes des monar-
chies. > (Gaiiani à madame d'Êpinay). LV liaison du marquis de
Mora avec mademoiselle de Lespinasse est restée célèbre.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALtAPJl 45
celle^i pour lui prouver à quel point la source do
mes idées est tarie. Que pouvais-je lui écrire? l'histoire
(les chats? Je ne retiens pas les platitudes que j'entends
dire, mais elles suffisent pour m'empécher de dire des
choses qui ne soient pas aussi plates que tout ce
qu'on me dît. Mille choses à tous mes amis.
Quelle belle journée d'avoir une honne lettre de mot
vous perdez! J'aurais la plus grande envie de vous
écrire, mais de quoi? De ce que je vous aime et vous
aimerai toujours.
' NaplM, as man llll.
Je tac. garderai bien de lire à M. Gatli le petit ar-
ticle qui le concerne dans votre n" 87. Ce serait un
meurtre. Aucun de ses amis ne lui pardonnerait d'a-
voir perdu de gaieté de cœur un millier de louis à
gagner dans trois mois. Si vous voyiez avec quelle ra-
pidité l'iaoculation gàgnn ici, vous seriez étonnée, et
vous vous récrieriez : Ah ! quel peuple b.irl)are ! comme
on voit que les connaissances n'oiil point gâté les iu-
jbïGooglc
46 LETTRES DE GALIANI
mièrfls de la raison naturelle ! Si vous voyiez comme les
mèi«s offrent leurs enfants à inoculer, par uoe ten-
dresse mêlée de stupidité, cela vous paraîtrait bien
curieux. De tous les raisonnemcats qu'on faisait à
Paris contre l'inoculation, il ne s'en faisait pas un seul
ici. Le seul qu'on entend quelquefois, c'est que cela
parait à plusieurs s'opposer à la destinée, et empëclier la
toute-poissance divine. Ah! qu'il est vrai que le fatalisme
est le seul système conveouble aux sauvages, et si l'oit
entendait bien le langage des animauXf on verrait qu'il
est le seul système de toutes les bëtes. Le fatalisme est
le père et le fils de la barbarie ; il en est entante, et il la
nourrit ensuite ; et savez-vous pourquoi ? C'est qu'il
est le système le plus paresseux, et par conséquent le
piusconvenable à l'homme. Aucun Napolitain nes'avisait
d'envoyer chercher M. Gatti ; mais puisqu'il y est, on
se l'ait inoculer. Voilà les nouvelles de ma ville, et des
réflexions à moi tout seul.
Je vous remercie de la recette du vin anliscorhu-
tique que vous m'avez envoyée. Mais je ne- suis pas
malade; je ne l'ai encore pris, et si je le prends,
c'est pour réveiller mon appétit ;car autrefois il me
lit cet effet-là. Si vous avez un vin anti ennuyeux,
envoycz-le-nioi vite ; c'est là le secret qui peut me
sauver la vie, car je m'ennuie à périr. Lorsque je
vous aimamié que la conservation de rna vie dépen-
dait du vin antiscorbutique, je badinais, et si vous
jbïGoogIc
LETTRES DE GÀLUNl 47
aviez vu mon visage, vous vous en seriez aperçu ; mais
voilà le mal des lettres. J'espère qu'un jour viendra
qu'oa enverra les lettres avec sou portrait à la t£te,
pour servir à l'intelligence de plusieurs mots obs-
J'enverrai au baron des estampes, et nous serons
quittes de tout. Je ne crois pas que la lettre sur le
voyage de H. Anquetii soit grand'ctiose '; Auqoelil
est ce que doit être un voyageur, exact, mipulleui:, in-
capable de former aucun système, incapable de s'a-
percevoir si une chose est utile ou inutile. Voilà comme
il l'aut amasser. Trier est une autre affaire. J'ai trié, moi,
son li^Te. Je me suis aperçu que riiistoiru a beaucoup
plus souffert en Asie, que chez nous. On ne peut plus
faire aucun cas de leurs antiquités. Tout est fable. Ils
n'ont aucun écrivain qui passe le onzième siècle. Ainsi
tout ce Zoroastre est un rêve. Le Zend-Avesta ne res-
semble pas plus à la Bible de Zoroastre, que notre bré-
viaire aux ouvrages de Moïse. Il est même rempli de
christianisme et de mahométisme, tant il est moderne.
i. L'd Anglais, H. Jones, jiublia.uEe lettre d» comciion (râler-
ntlle à M. AaqiMlil Daperron. daia taquelle ut compris l'exanten
de M traduction dei livres attribués à Zoroastre. a M. Jones s'est
pas leadre et il prouve que M. Auquetil avec loule sa morgue,
fondée sur ce qu'il se croii Is seul homme en Europe qui Mche
l'ancienne langue ili:^ Perses, peut être véhëuienli'UieiU soup-
(onaé de o'en avoir que des noLionii très auperlicielles el très
confusei. > ((irimm, Corr. litt.)
jbïGoogIc
48 LETTRES DE GALIANI
Je crois le Zend-Avcsta un ouvrage du douzième siècle,
et les autres encore plus modernes. Je commence à
croire que les antiquités indiennes et chinoises ne
vaudront guère davantage. Cependant j'aimerais bien
lire les Védasà présent '.
Gleichen était à Gènes ; Sase-Golha je ne sais pas
oà. Donnez-moi loujoursdes nouvelles de Paris. Aimez-
moi, portez-vous bien, et laissez-moi quitter" cette
lettre, car j'ai beaucoup à i'aire. Bonsoir.
Voici le produit d'une nuit veillée, et mal employée,
et l'effet de votre numéro 89 *. J'avais besoin de
m'occuper fortement pour me distraire du chagrin, de
la rage et du dépit que m'a causés une étourderie
1. Le* Védas sont les plus anciens et les plus révérés des
hrre» sacrés des Hindous, qui les atlribuent à Brabma ; Anqueiil
Duperron en a publié une traduction taiiuc abrégée sous le litre
d'Oupnékal.
2. Goliani envoyait à madame d'Epiiiaj avec sa lettre, le Dia-
logua lUT les femmei qu'il veuail d écrire.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIAM 49
affireuse de Hagallon, qui peut-être me- coûtera 300
livres, outre les chagrins, la dérision et l'insulte '.
De grâce, je vous prie, lorsque vous le verrez, de le
battre bien fort, de le souffleter même ; et il est
encore trop heureux que je choisisse une main si
belle pour me venger.
Je n'ai pas eu la force de copier mon dialogue, je
me suis fait aider par mon copiste, qui, n'ayant jamais
écrit le français et ne l'entendant point, a sauté dos
mots entiers.
Les cardes sont arrivées, et me coûtent un louis en
tout : les frais de transport sont horribles-
Ah çik! Jwn soir, je n'en puis plus d'écrire. A hui-
taine je répondrai à la chaise de paille. Votre numéro
90 arrive : j'y répondrai samedi prochain.
Ce n'est pas vous qui êtes la causo de l'étourderie
de Magallon, quoique les livres qu'il m'a envoyés vien-
nent de vous. C'est bien lui qui après trois ans ne veut
pas absolument enteadrc la situation où nous sommes.
Est-it possible qu'il ait la tétc si dure? Est-il imbécile
à ce point^là ? De grâce, battez-le, la rage me reprend.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI
Dialogue sur les Femmes.
PAK Galuni *.
Le Marquis. — Comment définissez-vous donc les
femmes 1
Le Chevalier. — Uq animal naturellement faible et
malade.
Le Marquis. — Je conviens qu'elles sont souvent
l'une efl'autre, mais je suis persuadé que c'est un
effet de l'éducation, du système de nos mœurs et point
du tout de ta nature.
Le Chevalier. — Marquis, il y a dans le monde plus
de nature et moins de violation que vous ne pensez :
on est ce qu'on doit être. 11 en est des hommes com-
me des bëtes; la nature fait les plis, l'éducation et
l'habitude y font le calus. Regardez les mains d'un
laboureur, vous y verrez le tableau de la nature.
Le Marquis. — Vilain tableau ! vous vouiez donc que
ce soit Ja nature qui ait fait les femmes faibles ! Et les
Le Chevalier. — Elles le sont aussi.
Le Marquis. — Pas toutes, à ce qu'il me parait.
Le Chevalier, — Je conviens qu'une sauvagesse avec
1 . Lei deux InierlocnUnn sont le Marquis (Harquit de CroU-
mare) et le Chevalier (GaliaDl|.
jbïGoogIc
, LETTRES DE GALI1.NI 51
son iAtoa rosserait qua^ de nos gendaxmeA, mais
prenez garde que Le sauvage avec sa massue en assom-
merait douze : ainsi la proportion est toujours la même.
11 est toujours vrai que la femme est oatureltement
Taible, on remarque la même inégalité dans plusieurs
dasses d'animaux. Comparez les coqs aux poules, les
taureaux aux vaches. La Eemme est d'un cinquièm*
plus petite que l'homme et presque d'un tiers moins
forte.
Le Marquis. — Que concluez-vous donc de cette
définition !
Le Chevalier. — Que ces deux caractères de faiblesse
et de maladie nous donnent le Ion général, ta couleur
essentielle du caractère du sexe. Détaillez et appliquez
cette théorie et vous développerez tout. D'abord leur
faiblesse empêchera les femmes de s'adonner à tous les
métiers qui exigent un certain degré de force et beau-
coup de sanlé, comme les forges, la maçonnerie, la
manœuvre des vaisseaux, la guerre
Le Marquis.' — Vous croyez que les femmes ne
pourraient pas faire la guerre ? Moi, je pense qu'elles
se battraient bien.
Le Chevalier. — Je le pense aussi ; mais elles necou-
cberaient point au bivouac. Elles ont le courage d'af-
frtHiter le péril, elles n'ont point la force de soutenir
les fatigues.
Le Marquis. — Cela pourrait être, c'est un métier
jbïGoogIc
U LETTRES DE GALIAM
fatiguant quo coluî d'assomineur d'hommes ; quand je
le faisais il m'a toujours paru qu'il en coûtait trop de
peines de tuer son ennemi, cependant, si vous accor-
dez le courage aux femmes, vous serez obligé de con-
venir qu'elles ont de la force.
Le Ctievalier. — Poial du tout : un mourant peut
avoir bien du courage sans avoir aucuue force; savez-
vous ce que c'est que le courage?
Le Marquis. — Voyons.
Le Chevalier. — L'effet d'une grandissime peur.
Ije Marquis. — Si ce n'est pas lu un paradoxe, je
veux mourir.
Le Chevalier. — Paradoxe tant qu'il vous plaira, il
n'en est pas moins vrai. On se laisse courageusement
couper une jambe parce que l'on a une très grande peur
de mourir en la gardant. Un malade avale sans répu-
gnance une médecine qu'un homme en santé ne pren-
drait jamais, on so jette dans les flammes pour sau-
ver son colfre-fort, parce qu'on a une très grande peur
de perdre son argent; si Ton y était indiflëront on
ne se risquerait pas.
Le Marquis. — Mais si ces eRets répondent à leurs
causes, le courage ne sera donc, tout comme la peur,
qu'une maladie de l'imagination ?
I^ Chevalier. — Rien n'est plus vrai, aussi les gens
sages n'ont jamais de courage, ils sont prudents et
modén^. ce qui veut dire poltrons : du plus au moins
jbïGoogIc
LETTRES DE OAlliM &3
il n'y a que )cs fous qui aieat du couragn. Ho per-
mettez-vous d'ajouter que les Français sont la nation la
plus courageuse qui existe ?
Le Marquis. — Après les Marattes des Indes, s'il vous
plaît : vous ne pouvez placer un éloge de ma nation
plus mal à propos ; mais on vous connaît, on sait ce
que vous valez.
Le Oievalier. — Grand merci ! ainsi je soutiens que
la témme est faible dans l'organisation de ses muscles,
de là sa vie retirée, son attachement au mâle de son
espèce, qui fait son soutien, ses occupations, ses mé-
tiers, sou habillement léger, etc.
Le Marquis. — Et pourquoi en laites-vous un 6tre
malade?
Le Chevalier. — Parce qu'il l'est naturellement.
D'abori elle est malade, comme tous lus animaux, jus-
qu'à parfaite croissance ; alors viennent ces symptôme!)
si connus à toute la classe des bimanes, elle en est
nudade six jours par mois, l'un portant l'autre, ce qui
&it au moinile cinquième de sa vie. Ensuite vien-
nent les grossesses et les nourritures des enfants, qui à
le bien considérer sont deux très gênantes maladies:
elles n'ont donc que des intervalles de santé à travers
une maladie continuelle. Leur caractère se ressent de
cet état presque habitue) ; elles sont caressantes et enga-
geantes, comme presque tous les malades ; cependant
brusques et fantasques parfois, comme les malades,
jbïGoogIc
5f LETTRES DE G&LIA.NI
promptes à se Kcher, promptes à s'apaiser. Elles
cbercbent la distraction, l'amusement, un rien les
amuse, comme les malades. Elles ont l'imaginatioo
constamment frappée-, la peur, ledésespoir,re3pérance,
le désir, le dégoût, se succèdent plus rapidement,
s'impriment plus fortement dans leur tête et s'effacent
aussi plus vite. Elles aiment une longue retraite et par
intervalle une joyeuse compagnie, comme les malades;
nous les soignons, nous nous attendrissons avec elles;
leurs larmes vraies ou fausses nous arrachent le cœur;
nous y prenons intérêt, nous cherchons à les distraire,
à les amuser; ensuite nous les laissons longtemps seules
dans leurs appartements; puis nous les recherchons,
les caressons, ot puis nous
Le Marquis. — Allons, tranchez le mot, ne vous
arrêtez pas en si beau chemin.
I^e Chevalier. — Oui, nous tâchons de les guérir en
leur causant peut-être une nouvelle maladie.
Le Marquis. — Ajoutez qu'elles ne s'en fâchent pss,
et qu'elles prennent cela en patience comme les
malades qu'on soigne ou à qui on applique des
caustiques.
Le Chevalier. — Et c'est par la même raistm qu'ont
les malades de croire que tout ce qu'on leur fait se
fait pour leur bien, et qu'ils s'en portent mieuic.
Le Marquis. — Mais lorsque le temps de tous ces
dangers et de tous ces risques est passé ?
jbïGoogIc
LETTRES DE GA.LUM Si
Le Chevalier. — Alors elles ne sont plas malades,
j'ea OHiTieiis; mais elles sont Duiles, tous eu conTÎeo-
drez aussi.
Le Blarquis. — Tenez, chevalier, vous avez beaa
vouloir me persuader que les femmes sont des étiea
malades par essence, cela ne s'arrange pas dans ma
télé ; s'il vous faut \o& Napolitaines malades, je le veux
bien pour vous (aire plaisir ; mais pour nos Parisiennes,
je n'y saurais consentir. Allez au Vauxhall, aux Boule-
vards, au Bal de l'Opéra, et voyez un peu ces malades
qui ont le diable au corps; elles btiguent dix danseurs
à danser des nuits entières, à veiller un carnaval com-
plet, sans gagner un petit rhume ; et vous appelez cela
des malades?
Le Chevalier. — Hon cher marquis, vous vous empa-
rez de mes raisons pour m'en faire des objections ; c'est
précisément tout ce que vous venez de dire qui prouve
que nous autres hommes ne saurions ni mieux com-
prendre ni mieux définir, à la portée de notre intelli-
gence, le naturel de femmes, qu'en les a^^lant des êtres
malades, parce qu'elles nous ressemblent parfaitement
quand nous sommes en état de maladie. N'avez-vous pas
pris garde que quatre hommes ont de la peine à retenir
un malade en cwivulsioDS, un frénétique, un enragé ?
L'h<»nme piqué de la tarentule a plus de force à
damer qu'aucun autre bien portant. Cette force iné-
gale, excessive, inconstante, est précisément un symp-
jbïGooglc
S6 LETTRES DE GÀLfÀNI
tdme de maladie et un effet de l'irritation prodigieuse
des nerfs, agacés par une imagination échauffée. La
tension des nerfs supplée à la faiblesse naturelle des
fibres et des muscles. Aussi démontez l'imagination cl
tout est par terre; chassez les violons, éteignez tes bou-
gies, dissipez la joie, et ces éternelles danseuses ne
pourront pas faire trente pas à pied pour rentrer chez
elles, sans être excédées de fatigue ; il leur faudra des voi-
tures et des chaises, ne fdt-ce que pour traverser la rue.
Le Marquis. — Vous me battez à votre ordinaire,
parce que Dieu le veut ainsi. Malgré cela, je ne me sens
pas persuadé de tout ce que vous venez de dire et je
n'en crois pas un mot. Je crois bien que vous avez
raison dans l'état actuel des choses; mais tout cela me
parait un effet de corruption et point du tout de l'état
de nature. Si on laissait faire la nature sans la contra-
rier sans cess:!, les femmes vaudi-aieut autant que nous,
à la différence près qu'elles seraient plus délicates et
plus gentilles.
Le Chevalier. — Hartiuis, badinage à part, croyez-
vous qu'il existe une éducation au monde?
Lé Marquis. — Oh ! pour ce paradoxe-lii, il est trop
fort; je vous conseille en ami de le mitiger, de l'adoucir
un peu, ou bien, si vous voulez, de l'expliquer ; bien
entendu que ce mot signifiera rélraclet; comme dans
les déclarations du roi, portant interpHlalion des édits
précédents.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 57
Le Clievalier. — Je respecte vos conseils; ils sont à
suivre et je mVn suis toujours bien trouvé : j« m'ex*
pliqacrai ; vous verrez si je me rétracte ou non. Ou a
beaucoup parlé dVducation, ou eu a écrit des volumes,
et comme de coutume, c'est encore une matière k
dérricher, un livre qui est k l'aire, tjes trois quarts des
effets de l'éducation sont la même choie que la
nature elle-même, une nécessité, une loi organique
de notre espèce, un effet de notre constitution machi-
nale. Il n'y a qu'une partie de l'éducation qui ne
soit pas de l'instinct, qui ne tienne pas à la nature ni
à ]a constitution, et qui soit particulière à la seule
espèce humaine, mais co n'est pas d'elle que dérive la
difTéreoce de l'homme et de la femme : ainsi j'ai
raison.
Le Marquis. — Comment, vous dites que l'éduca-
tion est un instinct ?
Le Chevalier. — Oui. sans doute. Toutes les classes
des bûtes ont leur éducation : les unes dressent leurs
petits à la chasse, les autres ft nager, d'autres à con-
naître les pièges, leurs ennemis, leurs proies. L'homm«
et la femme instruisent pareillement leurs enfanta par
instinct; ils les dressent & marcher, à manger, à
parler, ils les battent et gravent en eux l'idée do la
soumission ; ils jettent par ]à, les verges ^ la main,
les fondements du despotisme, la crainte ; ils les
pomponnent et élèvent l'édifies de la monarchie.
jbïGoogIc
58 LETTRES DE G4LIANI
l'honneur et la vanité; ils les embrassent, les cares-
seat, jouent avec eux, pardooneat leurs espië^eries,
leur parlent raisou et font naître eo eux les idées
républicaines de la vertu et de l'amour de la tamiUe,
qui se convertit ensuite en amour de la patrie.
Le Marquis. — Je vois que vous suivez scrupuleu-
sement les divisions et le système de Montesquieu.
Le Chevalier. — Toute la morale est un instinct,
mon cher ami, et ce n'est pas l'effet de l'éducation qui
change, altère ou contrarie la nature ; les sots se
l'imaginent : tout est au contraire l'efiet de la nature
même, qui nous indique et nous pousse à donner
cette éducation, qui n'en est que le développement.
Le Blarquis. — Hais quelle est donc cette partie de
notre éducation qui ne tient point à la nature, ni à
l'instinct, et qui nous appartient exclusivement?
Le Chevalier. — La religion.
Le Marquis. — Ah! j'entends: c'est pour cela
qu'on la dit suroaturelle, parce qu'elle est hors de la
nature.
Le Chevalier. — La nature ne nous en a donné
aucune trace, aucun instinct; elle n'est absolument
propre à aucune espèce d'animaux ; c'est un présent
que nous devons tout entier à l'éducation, et tout hom-
me qui n'aurait point été élevé, n'aurait & coup sûr
aucune sorte de religion ; je m'en rapporte aux hom-
mes sauvages trouvés dans les forêts de l'Europe.
jbïGoogIc
LETTRES DS GALIi.Ml 5»
C'est bien la religioD toute seule qui distin^e rhoaime
de la béte ; elle fait notre trait caractéristique. Au lieu
de définir l'homme un aoimal raisonnable, il fallait
l'appeler un animal religieux. Tous les animaux sont
raisonnables, l'homme seul est religieux. La morale,
la vertu, le sentiment sont un instinct en nous ; la
croyance d'an être invisible ne nous en vient point.
Le Marquis. — Vous me faites souvenir d'un auteur
qui, pour prouver que l'éléphant était un être raison-
nable, rapportait qu'on le voyait rendre une espèce
de culte à la lune, en allant religieusement faire ses
ablations à la rivière les jours de la nouvelle et de
la pleine lune.
, Le Oievalier. — Je ne crois pas que l'éléphant ait
on culte ; mais, si vous voyez un animal d'une figure
quelconque, soit rhinocéros ou tortue, ou sapajou, ou
(Hrang-outang, avoir l'idée des causes invisibles, pariez
que c'est un homme, ou qu'il le deviendra à ta troi-
sième génération.
le Marquis. — En quoi faites-vous donc consister
l'eaaence de cette idée de religion ?
Le Chevalier. — A croire à l'existence d'un ou de
plusieurs êtres qui ne soient aperçus par aucun de nos
sens, qui 9(Hent invisibles, impalpables et cependant
la cause de quelques phénomènes.
Le Marquis. — Et les bâtes ne croient-elles pas
cela ?
jbïGoogIc
6a LETTRES DE GALUNI
Le Chevalier. — Non ; du moins, eltes ne nous en
donnent aucune marque. La bëU: voit venir l'ouragan,
elle a peur, se cache et attend qu'il soit passé.
L'homme voit l'ouragan, imagine qu'il existe un être
invisible qui le cause, a peur de l'être qui le produit
plus que de l'ouragan, et il croit enfin qu'en apaisant
cet être, il a un remède rantre les ouragans. Telle
est la définition générale de (u religion, définition qui
embrasse la vraie et les Tausses ; mais je m'arrête sur
les développements de cette idée. Toutefois j'oserai
soutenir contre tout esprit fort que tout ce qui nous
distingue des bétes est un effet de la religion. So-
ciété politique, gouvernement, luse, inégalité des
conditions, sciences, idées abstraites, philosophie,
géométrie, beaus-aris, enfin tout doit son origine à
cette caractéristique de notre espèce.
Le Marquis. — J'allais vous demander si nous avions
perdu ou gagné à cette idée des causes invisibles, s'il
y a une religion vraie parmi les fausses, si les vraies
ou les fausses sont également bonnes ou également
mauvaises, d'où a pu nous venir, en première source,
cette idée de religion qui ne tient point à l'instinct,
qui ne s'élabtjt en nous que par une éducation donnée
exprès, qui est pour nous ce que le manège est pour
le cheval, car ce manège est pour lui une éducation
qui n'a rien de commua avec celle que la jument, sa
mère, lui a donnée. Hais je ne no vous demanderai
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANl SI
rieu, car dès que vous définissez l'homme ud animal
religieux, vous m'avez l'air de vouloir élro fort reli-
gieux.
I>e Chevalier. — Ou bien fort bête. II a fallu choisir:
j'ai mic'ix aimé ëlrc homme. C'est pure affaire de
goût; je le sais bien, Rousseau oût pensé autrement;
il préfère marcher à quatre pattes et en attendant
it marclie en grands caleçons, et c'est son goût. Hais
vous avez perdu do vue d'où nous sommes partis.
Vous conviendrez que l'éducalioo proprement dite,
c'est-à-dire l'idée de la religion et du culte, nous
étant commune à tous, hommes et femmes, elle ne
peut influer sur la différence de leur sexe au nôtre :
les femmes ont autant de religion que nous.
Le Marquis. — Autant ! Je crois qu'elles en ont
davantage.
Le Chevalier. — Pour moi, je crois qu'elles n'en ont
ni plus ui moins. Au total, si elles en retiennent une
plus grande dose, nous y donnons un plus grand
développement, les effets restent égaux.
Le Bfarquis. — Avez-vous vu l'ouvrage de Thomas
qui vient de paraître sur les femmes?
Le Chevolicr. — Non.
Le Marquis. — tl ne dit rien dp. ce que vous venez
dédire.
Le Chevalier. — Et savez- vous pourquoi ?
Le Marquis. — Non, en vérité.
jbïGoogIc
«3 LETTRES DE GA.LIANt
Le Chevalier. — C'est que je ne dis rien, moi, de
ce qu'il dit, lui.
Le Marquis. — Ceci me parait clair. Ah ! ça, il faut
que je vous quitte, c'est à regret, miùs j'ai tant de
choses à faire.
Le Chevalier. — Restez, elles se feront sans tous.
Le Marquis. — Oh I pour cela, non, il faut abso-
lument que j'aille sur les quais acheter des portraits
d'hommes illustres, à vingt-quatre sols pièce, et qui
ne sont pas, je vous jure, trop mauvais. Ils serviront
à compléter ma collection ; il est vrai que je ne sais
encore oii les placer, mais j'y penserai quand je les
aurai. Adieu.
Le Chevalier. — Je vous fais mon compliment sur
cette acquisition, mais il me semble que vous les
payez cette fois plus cher que de coutume. Vous vous
ruinez, marquis.
Le Marquis. — 0 faut s'amuser de quelque chose;
adieu, adieu encore.
Le Chevalier. — Adieu, joie de mon cœur.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALUNI
MADAME d'ÉPINAV
Niple», it (vril 1171.
L'histoire de l'abbé Camdon n'est pas, ma belle
dame, le seul espoir que vous m'ayez donné du retour
de mes dents. Avez-vous oublié la chanson où tout
revenait, jusqu'au pucelage? £h bien! c'est dès lors
que j'espère remettre mes dents, comme cette fille sage.
Cependant si l'histoire de l'abbé Camdon est vraie, il
faudrait bien éclaircir ce phénomène curieux : savoir,
si dans son enfance, il avait quitté les dents de lait, ou
si cette remise des dents n'est qu'un retard d'une vé-
gétation qui aurait dû se faire à six ans, et qui s'est
faite à soixante ; savoir si, à l'^ge de vingU;inq ans, il
avait mis les dernières dents de sagesse; savoir, si à
présent qu'elles sont revenues, il a remis ses dents de
sagesse, aussi pour la seconde fois. Tout cela mérite
vérification, et les académies ne feraient pas mal d'en
parler.
Je TOUS remercie de la feuille de Diderot. EUe est
digoe de lui, e* ne ressemble en rien à mon dia-
jbïGooglc
6i LETTRES DE OALlANI
logue *, mais il est écrit à cAto deb dames parisien-
nes, et moi j'écris à cùlé des femmes napolilaines. Il
trempe sa plume dans l'arc-en~cicl, et poi je la trempe
dans la ihériaquc. Son écrit ressemble à un paon; le
raiea à une chauve-souris. Tel est l'homme. Toujours
diaphane, il croit être quelque chose en soi-mùmc, il
n'est rien qu'une transparence.
Il est bon que je vous avertisse que la lettre qui
accompagne ce malheureux paquet de 200 francs,
contenant la précieuse histoire de Siam par l'archevêque
Turpin*, ne m'est point donnée njnpiusqucicpaquet.
Ainsi, si vous vous souvenez do m'nvoir écrit quelque
chose importante, il faut me la mander de nouveau.
Je n'ai point de lettre celte semaine de vous ; appa-
remment vous aurez pensé de ne pas me l'envoyer
par In poste : Dieu l'accompagne!
Gatti me quittera dans dix ou quinze jours ; je crois
qu'il retournera en France. Il fait la plus grande de ses
t. Di<l«ot avait écrit ud ariirle lur Ut femmes.
2. Bisloire civile et naturetlt du rogaume de Siam et des mw-
lutiotu qui ont bouteoerié ctl empire jusqu'en illO, publiée par
H. Turpia, sur des ntaniiscriU qui lui onl été communiquÉ) par
H. l'évéque de Tabraco, vicaire apostolique de Siam. et autres
missionnaires 'le ce royaume. Deux vol. in-13. • Le vicaire
apostolique de Siam trouva que son rédicleur Turpin s'Était
beaucoup trop écarté de l'esprit des mémoires qu'il lui arail
remis. Sur la demande du vicaire, il est Intervenu un arrât du
Conseil qui aupprlme l'ouvrage de M. Turpin comme erroné,
filsiQé, et même un peu impie, ce qui pourrait bien lui pro-
curer quelque débit. > [Grimm, Corr. LiH.)
jbïGoogIc
LETTRES DE GALUNI 6a
sottises, scion moi. Il parait y relourocr par intén)t,
et point par reconnaissaace. Il trouvera le monde
changé tout à tait ; aiosi il ne gagnera pas du côté de
l'inl«rét, et sera navré de chagrios.
ieu'ai point da verve ce soir. Aimez~moi, envoyi'^-
moi vite des gens de ma connaissance ; je m'ennuie
àpérir sans eux. Adieu. Envoyez-moi Mora; et pourquoi
ne mèuerail-il pas avec lui Magallou? H a besoin d'un
Mentor, et où trouver un Mentor plus complaisant et
plus corrompu do son Télémaque? Adieu encore.
A propos, j'oubliais le meilleur; j'ai un cor à un
pied, qui me fait enrager. J'ai été une fois guéri à Paii}
par un emplâtre, appliqué par un secréliste, que la
baronne et madame Helvétius m'avaient fait connaître,
et j'en ai été guéri pour quatre ans. Si vous pouviez
dénicher cet homme et cet emplâtre, ce serait un
trésor pour moi. Voyez ; je vous recommande mes cors
et mes ânaes. car j'en ai plusieurs : soyez ma rédemp-
trice.
jbïGoogIc
LETTRES PE GALUNI
A LA MÈHE
Nitplcs, g mal it7I.
Enfin il est arrivé le cas tant soupiré, qu'une lettre
de vous ne m'a coûté que trois sols. Je n'ai pas pu
reconnaître par le timbre le chemin qu'elle a fait;
mais c'est assurément la bonne route qu'elle a prise.
Il est vrai qu'elle arrive quelques jours plus tard, mais
cela importe bien peu. It suffit que vous le sachiez,
afin que dans un cas bien pressé, qui n'est guère vrai-
semblable, vous m'écriviez alors en droiture par la
poste. En attendant, réjouissons-nous d'avoir trouvé
le moyen de nous parler à trois sols le demi-dialogue.
Je vais obéir ans ordres de M. le baron Grimm *.
La mode introduite par l'empereur et le grand-duc,
et suivie à présent par tous les souverains dans leurs
voyages, c'est de paraître toujours en uniforme mili-
1. Grimm awaîl été Dommé ministre pléDipoIentiaire du duc
de Saie-GoUia, auprès de la Cour de France. Peu de temps
après cette nomination. Il refut de la Cour de Vienne le diplôme
de Baron du Saint-Empire.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 67
tajro. Voici la gard&robe da prince Auguste de Saxe-
Gotha et du duc de Glocester : les uuiformes de leur
légimeot, habit de deuil selon les saisons, de beaui
fracs pour marcher à pied, monter à cheval, courir
les postes, etc. Vous voyez que cela lient bien peu
de place dans les malles. Les Anglais, qui ne sont point
militaires, voyagent en deuil de la mort de Guillaume
le Normand, conquérant de l'Angleterre. Madame l'é-
lectrice de Saxe , qui vient de nous quitter , avait
toute sa cour en deuil de même * : mais cela est bleu
mesquin.
Voici donc ce que je conseille à M. le baron: il
faut qu'il ait un uniforme de cour, soit d'officier, soit
de chambellan, et, au pis aller, il prendra l'uuiforme
d'Arlequin baron suisse ; car je ne sais pas si les barons
du SainIrEmpire en ont. Avec cela, il aura des habits de
deuil à tout événement, et enfin il aura de belles che-
nilles * pour courir les rues le matin, mais surtout il
faut avoir l'esprit d'îftiaginer qu'on se fait faire à l'oc-
currence dans une ville quelconque d'Italie un très bel
habit magnifique en vingl-quatre heures, à meilleur
marché qu'à Paris, et aussi bien fait sans conteste.
1. Marie-An toJneUe de Baiifere, flile de l'empereur Charles VU,
Dée te 19 juillet 1734, veuve le il décembre 1763 de Frédéric-
CbrétieD-Lèopold, électeur de Saxe.
3. Au xviir siècle, ilrc en chenitlts signifiait tire en habit
négligé.
jbïGoogIc
68 LETTRES DE GALUNI
Vous ne sauriez imaginer combien le défaut de
cette courte réflexion couvrit de ridicule ici milord
Sbelburne, secrétaire d'Ëtat de la Grande-Bretagne, et
, homme à seize mille guinées de revenu. Il vint ici
avec son mesquin habit de deuïl à l'anglaise, et il n'en
avait point d'autre. Il arriva que, dans ce temps, on
déclara ici la grossesse de la reine, et il y eut gala
extraordinaire pendant trois jours. 11 eut la bassesse
d'esprit de ne pas se laisser présenlpr au roi, de n'aller
nulle part, et de s'enfermer cliez soi, prétextant une
maladie pour ne pas dépenser vingt louis à se galonner.
11 était mon ami ; j'en fus si honteux pour lui, que je
renonçai à son amitié.
Ainsi, il faut compter Je cas d'un habit magnifique
comme un événement extraordinaire, tel que celui
de se casser une jambe, qui peut arriver en voyage ,
et il faut y être préparé d'avance, mais n'en point
avoir avec soi ; car on ne saurait deviner la saison
dans laquelle ce malheur arrivera. Je crois avoir
pleinement satisfait à la demande de Grimm. J'ajou-
terai que s'il a de la place, il pourrait avoir dans sa
malle un liabit de velours noir avec une veste d'étolTe
en or ou en argent, qui lui servirait en carême, car
c'est une espèce d'uniforme des saints jours de deuil,
même pour les militaires. Au surplus, il sait que la
cour de Vienne a aboli les galas. Ainsi Milan et Flo-
rence n'eu ont point. Gènes, Venise, Rome n'en Qf^^
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI e»
jamais ; anus en avons, mais notre roi ne quitte
jamais l'uniforme cle sa brigade, et il déteste les
beaux habits. Si M. le baron me demande ce qu'on
Tait ensuite d'un bel habit, qu'on a eu le malbeur
d'être obligé de faire faire, répondez-lui qu'on en fait
ce que celte dame croyait qu'on faisait des vieilles
lunes, toutes les fois qu'on avait des nouvelles lunes.
On le jette, on le revend à perte, ou on l'emporte,
si on a de la place. Parlons d'autre chose.
Dites à vos savants, de ma part, qu'ils ont tort. Un
seul coup d'œil sur les médailles antiques leur aurait
appris que junior est le titre des princes associés à
l'empire par leurs pères. Ils trouveront Licinius junior,
Constantiaus junior, Valentinien junior, etc., '. Mais
ce n'est pas ma faute si on ne sait rien des vieilles
chosesdans une ville où l'on n'aime que les nouveautés.
Gatti est parti il y a trois jours, et sou départ
m'a sevré de Paris. J'attends M. do Breteuil avec
impatience '.
Pour ce soir vous n'en aurez pas davantage de moi,
Achevez vos rideaus, meublez bien votre maison de
campagne, et ayez un lit pour moi. Adieu.
1. Voir U lettre du 7 nuiri 1771.
3. Il allait I Naple» comme ambiuadeur.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIAM
A MONSIEtIR PELLER
Monsieur,
Votre silence m'inquiète beaucoup, j'ai eu l'honneur
de vous écrire dans le mois de décembre en vous
mandant l'acquisition de deux médailles d'or et trois
médailles d'argent que je venais de faire, et que je
comptais vous expédier pour que vous en fissiez
l'achat, en cas qu'elles vous fussent agréables. A la fin
du carnaval, je vous ai écrit une seconde lettre pour
vous marquer que le jeune vicomte de MonLboissier
avait bien voulu se charger de ce paquet, qu'il aurait
remis à son oncle, M. Boutin *, qui vous l'aurait
rendu. Je sais que, depuis quelque temps, le vicomte
1. Bibliothèque oationale.
â. Charles-Robert Boulin, reccreur général des finances, puis
conseiller d'Etat, fut condamna i mort par le tribunal révoluiion-
naire le 2i juillet 1791, le même jour que M. de la Borde. Il
recevait dans sa charmante maison de Tlroli, placée au r les hau-
leurs d'un magnifique jardin, sur l'emplacement actuel de la rue
de Clicby. Il avait été l'un des premiers à introduire la mode des
jardins anglais. Walpole admirait peu Tivoli, il disait qu'il res-
jbïGooglc
LETTRES DE GàLIANI 71
de Hontboissier est retourné à Paris, mais je n'ai
point de nouvelles m de réponse de tous. Je tremble
pour votre vue. Vos dernières lettres me marquaient
qu'elle était affaiblie et que vous aviez bien de la peine
k rencontrer des moments de lumière favorables pour
pouvoir lire et écrire, ie ne voudrais pas que ce fût la
cause de votre silence.
J'aimerais bien mieux apprendre que mes lettres
sont égarées. Quoiqu'il en soit, je vous supplie de me
tirer d'inquiétude en me donnant des nouvelles de votre
précieuse santé, à laquelle tous savez à quel point je
m'intéresse .
Pour ne pas laisser passer une lettre sans vous
donner quelques nouvelles sur votre chère nu-
mismatique, j'aurai l'honneur de tous dire que le
P. Magnan, 4 Rome, et M. l'abbé Xaupi * parcourent
l'Italie et enlèvent tout ce qui sort de sous terre en
fait de médailles provinciales. Le P. Magnan a com-
mencé m&me à publier son ouvrage sur cette partie,
qui sera accompagné d'un grand nombre de planches
KmblHÎt à )■ carte d'écbaDiilloDs d'un tailleur. H. Boulin élalt
petit, JMitaai, gai, spirituel, d'un caractère afiabte et bon, on
s'attachait térilablement i lui, dès qu'on le voyait iatimement.
1. Xaupi (l'ibbé Joseph), chinai ne et archidia^.re de l'église de
Perpignan, doyen de la faculté de théologie de Paris, auteur de
recherches historiques sur la noblesse, naquit k Perpignan en 168S.
Qoéranl le Tait mourir ï Paris le 1 décembre 1764; c'est une
erreur comme le prouve cette lettre. Ersch fiie la daie de sa
■tort en 11T8.
jbïGoogIc
n LETTRES DE GâLIâNI
très soigneusement gravées. Malgré ces enlèvomeots,
j'ai réussi à acquérir une médaille bien précieuse. Elle
n'est pas unique, puisque l'abbé \aupi en possédait
une autre, mais on ne connaît que ces deux. Elle
est d'argent. Dans le revers elle a le bœuf à t£te hu-
maine et on lit dessus KA.PP\NON avec cette forme
de caractères moitié Etrusques, moitié Grecs. Elle
est, je crois, de la ville de Capoue. Le nom de celle
ville se prononçait plutôt Cappa que Capua, et même
il faut que le son s'approchât de Campa, puisque
nous voyons son territoire appelé Campania et ses
peuples Cnmpaoi. Cette observation avait été faite
par le chanoine Mazzocchi avant qu'il connût celle
médaille, qui la confirme. La médaille a élé un
peu gfttée par les maudits paysans qui l'ont limée
quelque peu pour s'assurer si elle élaït formée
d'or ou d'argent massif. Cependant elle est bien
lisible. Si elle tous fait plaisir, comme elle vous
manque, je la troquerais volontiers contre quelques mé-
dailles impériales, qui manquent à ma suite.
J'en dis de même des médailles d'or et d'argent que
j'ai envoyées par le vicomte de Hontboissier. Vous
savez que je souhaiterais passionnément ce médaillon
latin de Cara2a)a, avec les vases |)on(ilicaux au revers,
que vous avez double. Vous savez aussi que je
souhaiterais quelques médailles de voire suite douUa
telles que te Vitcllîus Censor, le Pcrlinax, le Conglaire
jbïGoogIc
LETTHES DE GALIAMI T3
de Géta, le bouclier africain Virtus augg., etc.
Envoyez-moi ce qu'il vous plaira, lotit ou partie, ou
rion. L'argent comptant soldera nos comptes. Enfin,
s'il vous est venu quelque nouveau galion à médailles
du Levant, vous pouvez me céder le rebut, qui sera
encore précieux pour moi. L'argent, je le répète, éga-
lera les parties. J'en ai à Paris dans les mains d
madame d'Ëpinay et je n'ai qu'à lui écrire de vous payer.
Mais surtout, en grice, rompez le silence, mandez-
moi comment vous vous portez, et si par malheur vous
souffrez à écrire, je supplie M. de la Porte, l'aimable
H. de la Porte, à qui je présente mes très humbles
respects, de suppléer à cette fonction pour vous.
Je me porte bîcu ici, Dieu merci, et j'éprouve par
expérience que l'ennui qu'on dit mortel ne tue pas les
hommes. S'il était vraiment mortel, je serais mort il y
a beau temps.
Je suis toujours à vos ordres. Vous connaissez vos
droits sur moi, je les avoue et je vous prie de me
croire coostamment avec autant de reconnaissance que
de respect votre très humble.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALUNI
A MADAME D ÉPINAY
Ma belle dame, votre lettre du S a été pour moi uq
goufEre de méditations morales et philosophiques. Je
suis tout comme le petit prophète de fioehmisch-
broda ', je fais de la métaphysique quand je suis
triste. Je trouve que l'estime des autres est en nous
comme l'ipécacuanha, un sentiment qui nous révolte
naturellement; nous l'avalons par force, et noire
estomac est prêt à le rejeter le plus tôt possible.
Je trouve ensuite que l'admiration est une chose
très différente de l'estime; on admire sans estimer un
danseur de corde ; on estime sans admirer M. de Mai-
ran *. L'admiration est un sentiment pour lequel nous
1. Grimm.
S. Jean-Jacques Dortous de Hairao, pb^sicieD, maihÉmaticien
«t littérateur distioguë. Membre de l'Académie française, sécré-
biire perpétuel de l'Académie royale des sciences, il occapail
dans la société une place assez considérable. Il avait 83 ans et
pas la moindre inQriuilé, lorsqu'il gagna une lluiion de poitrine
CD allant dîner chez M. le Prince de Conti ; il mourut un mois
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 15
avoas du goût et du penchant, il ne nous révolte point,
il nous plaEt et même beaucoup trop. Ainsi les hom-
mes estiment moins qu'il ne faudrait, et admirent les
autres plus qu'il ne faudrait. Mais pourquoi cela?
cherchons-en la raison. C'est parce que nous nous
estimons toujours nous-mêmes, et nous ne nous admi-
rons jamais. Le danseur de corde fait ses tours avec
tant d'aisance et de dextérité naturelle que s'il a quel-
que étonnement, c'est de voir que les autres n'en
fassent pas autant. Ainsi intérieurement il ne saurait
s'admirer jamais ; mais il s'estime. L'admiration est
un effet de la comparaison de la force ; l'eslime vient
de la a»nparaison de la raison. Or, tout homme croit
constamment avoir plus de raison qu'aucun autre;
mais tant qu'il ne l'a pas essayé, il croit avoir moins
de force et de dextérité et de talent qu'aucun autre.
Cette crainte de faiblesse est ce qu'on appelle mau-
vaise honte, qui n'empêche pas la haute estime de
soi-même. Ainsi une demoiselle à quinze ans, qui, par
maaraise honte, ne sait pas faire la révérence, croit
après, CD réTrier 1771. On ne pouvait cependant Iiil reproclier de
ne pas Mroir se précautionoer contre le froid : son vient valet
de chambre Rendu avait établi une sorte de concordance entre
son thermomèlre et les différentes éloffes de la saison ; son
mettre loi demandait le matin : i quoi est le ihermomëlre ? cl
Bendn répondait, à ta ratine, ou, au Miourt, ou, à la fourran,
nirant le degré de froid. Il mourut avec tranquillité et sagesse
comme il avait vécu ; madame CeolTrin l'assista dans ses derniers
9 et il rinttitna sa légalaice universelle.
jbïGoogIc
TB LETTRES DE (lALUNt
avoir assez de raison pour juger dérinitiveDiGnt que
l'état de religieuse vaut mieux que celui de fenune
mariée; et vous ne lui persuaderiez jamais qu'elle a
tort.
Si vous, ma belle danie, m'estimiez autant que vous
m'admirez, vous n'auriez pas écrit le n° 90. Pourquoi
croire tout de suite que j'étais en colère contre Ma-
gallon ? Vous qui m'appelez profond, sublime, etc.,
trouvez-vous ([ue ce fût d'une sublimiti^^ au-dessus de
ma tête, de deviner que Magallon ne pouvait avoir
aucun tort? Ne m'aviez-vous pas mandé qu'il aïait trouvé
un moyen pour m'envoyer des voyageurs ? N'eÎKavais-je
pas fait l'essai sur l'almanach royal? n'avais-j» pas
dès lors prévu et prédit ce qu'il en arriverait ? j
vous lui avez écrit des sottises, me direz-vous. Eh ! olui-
£h bien ! n'ai-je pas reçu de lui précisément la répond
que je voulais avoir? J'ai donc bien fait, et je me suiis
bien conduit. Un peu plus d'estime de moi vous aurai^
persuadé que je ne pouvais pas écrire autrement, et \
cpic même à présent je ne puis pas m'expliquer plus 1
ouvertement sur la nature de celte étrange affaire . \
Estimez-moi, laissez-moi faire, et cependant jouez votre \
rdie, vous et le chevalier, de me gronder, de me menacer
même d'une rupture (mais n'en fuîtes rien) : c'est le
jeu etlereste de la tragédie. Or, n'en parlons plus pour
le présent. Jusqu'à celte heure, j'en suis quitte pour
ia peur, et pour le risque d'avoir été obligé d'imiter la
jbïGoqgIc
LETTRES DE GALlàNI 77
Condamine, qui fît en Angleterre un appel ù la na-
tion anglaise et & tout l'univers, pour une aventure
qu'il croyait étrange et qui ne lui coûta que 12 livres,
pendant que la mienne a pensé me couler 200 li-ancs '.
A propos de la Condamine, de quoi s'avisait-il Magal-
lon de l'aller trouver? Je trouve sa visite bien plus
extraordinaire que tout le reste de son aventure excré-
meotairc. Que de fous rires en aura faits le baron ;
j'entends le baron Grimm, auquel il faudra cbercher
un nom pour le distinguer du véritable baron ';
car le véritable Amphitryon est celui où l'on dîne , et
le baron Grimpi ne donne pas à diner, à ce que je
sache; atns il en demande.
Voire lettre est arrivée ensemble avec celle de nia7
danie votre fille. Heureusement j'ai ouvert la vfitre ia
première, ainsi j'ai appris la guérison avant que do
savoir un mot de la maladie. Vous voyez que le retard
1. La CondimiDe, comme l'on iiU, éuit sourd. S'éUnt rendu
m Anglelerrc, U detcendit dana un hâtel garni. Son domestique,
Dblîgé de crier pour lui parler, faisiit un tel bruit que les autres
tocalaires en Ëiaienl IncamiDodéj, Au bout de quelques jours, la
Maîtresse du l'Iiâtel ialervint et pria Lt Cuadamine de trouver
■n glle ailleurs. Sur son refus formel, elle envoya chercher les
aciers de police Et le Ht eipulser. Lu Jour luivanl, il publia
dans leioumal une adresse au peuple anglais, l'intormaDt qu'il
luit le peuple le plus sauvsge de l'Europe et de l'uoLvers. ■ Ceit
Kbien prëi de la rériié, dit Walpole, et cependant je n'aurais
^■ais injurié les IroquuU à leur face dans une de leurs propres
IKeltes. >
t I^ baron d'Holbach.
jbïGoogIc
78 LETTRES DE GALIANI
des postes est quelquefois boa à quelque chose. D'ail-
leurs vos lettres à préseot sont d'un bon marché éton-
nant : elles ne coûtent que trois sols ; ainsi il faut
supporter, en grâce du boa marché, quelque chose.
Mais je voudrais bien savoir le chemin qu'elles font.
En vérité Je l'ignore. Je crois qu'elles viennentde Rome
par le courrier d'Espagne.
Vous auriez pu me dire quelque chose sur mon
dialogue féminia. Vous devriez admirer la promptitude
de l'accouchement, et surtout la vivacité du souvenir
que je conserve de Paris, et des cercles où je vivais.
En vérité, ce dialogue n'a pas le ton d'une personne
qui ne vous a pas vue depuis trois ans complets. On
croirait que j'ai soupe ce soir avec vous, le marquis,
Grimm et consorts, et qu'en rentrant chez moi je l'ai
écrit. Telle est la force de la passion que j'ai pour
Paris, pour vous, pour mes amis, dont MagaUon est
du nombre. S'il ne m'entend point, s'il ne me plaint
pas, est-ce ma faute ?
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI
A MADAME DE BELSUNCE
Madame,
Point de lettres de maman cette semaine, ainsi c'est
Totpe tour à présent, et c'est à votre épilre que je dois
répondre (je dis épître plutôt que lettre, parce qu'elle
ressemble à celles de saint Paul, étant sans dat« de lieux
ni de temps). Voilà ce qui est commode ; on ue peut
pas me reprocher d'y avoir répondu trop tard. Autre
ressemblanceàcelles de saint Paul: elleest pleine de mé-
taphores terribles. J'y vois une fièvre boudée, reçueavec
une mine de chien, et toutcela estaussi hébraïque que
la vision du petit prophète, baron du Saint-Empire '
et, par la gr&ce de Dieu, sans baronne et sans baronnie.
Dernière ressemblance, elle m'attriste pour le présent
sur la sbnté de maman, et ne m'égaie que par des es-
pérances éloignées.
Pour répondre, j'aurais dû vous faire un petit conte
1.
jbïGoogIc
BO LETTRES DE GAllANI
bleu; mais en vérité, je suis abruti, vous a'on voulez
rien croire, eh bien ! vous l'éprouverez.
Cl; qui pourrait me rétablir dans la réputation du
public, c'est tHistoire des ckals, à laquelle je travaille Â
présent. D'après mesobservatioiis,jc trouve chez leschats
la polygamie autorisée de temps immémorial ; je trouve
aussi -que l'accouplement est défendu pendant la gros-
sesse; mais il ne l'est pas pendant l'allailcmeat des
petits; cela me prouve qu'on peut coucher avec une
nourrice, tuta comcientia, malgré l'opinion de Jam-
burin, d'Azorius, de Sanchcz, tous Jésuites qui sou-
tiennent le contraire. Je trouve enfm que les honneurs
de la galanterie des chats et l'hommage dû aux dames
sont de leur céder le pas et de les faire marcher de-
vant, de façon que la queue de la chatte doit, de
temps en temps, frapper légèrement le museau du
chat ; d'où je conclus qu'au lieu de donner le bras aux
dames nous devrions Elles devraient alors se
retourner et nous soufHer au visage. Dorénavant je ne
ferai ma cour aui dames que d'après ces principes.
Dressez-vous ù cette méthode pour le temps que je re-
paniilrai sur l'horizon de Paris ; ce temps viendra, et
dans peu d'années, si la mort suit sa règle, et qu'elle
ne me tue pas avant ceux qui sont plus âgés que moi.
Hais que dira-t-on de moi à Paris, en me voyant sans
dents tout à fait? Ne trouvera-l-on pas ma mine ridi-
cule ?J'eD laisserai juger au baron de Grimm, lorsqu'il
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI
Tiendra; et s'il me coDseille de reparaître avec ma mino
raccourcie de deux pouces, je reviendrai à Pari»'. Le
papier est fini. Bonsoir.
A MADAME o'ÉPINAï
NaplM, 1 Juin ITTi.
Votre lettre du 16 mai, ma belle dame, porte la
date de Naples au lieu de celle de l*arîs. Vous êtes
donc à Naples. Je preuds cela pour un très bon augure
et j'espère que cela se vérifiera.
Vous me ditesque jen'ai pas de bouoes raisons pour
ëtr<.> ici, honnis l'ambition. AU! que cela est loin du
vrai ! Vos propos me prouvent de plus en plus ce que
j'ai toujours cm : qu'un Français, quelque esprit qu'il
ait, ne saurait jamais se former l'idée d'un pays diffé-
rent du sien. Je vais pourtant tâcber de vous donner
1. Il eiUte t U BibliotbËque nitlonsle (Estampe») un petit
groupt gravé k l'ean-forle dsns lequel Bguro Galiani. On Tolt
en effet une diirér«nc« eilnordinajre entre sa physionomie «I
celle des portraits graTés quelque dii ans auparavant.
jbïGoogIc
n LETTRES DE GALlANI
une idée du mien. Sachez que, si je quittais Naples, je
demanderais l'aumdne- à Paris. D'abord il faudrait que
je quitte mes appointements en entier, qui font la moi-
tié de mon revenu. Mais il me reste, me direz-vous, six
mille francs au moins de mes abbayes. Point du tout.
Je perdrais celles-là aussi. On ne m'ôterait pas à la vé-
rité les abbayes, mais aucun de mes fermiers ne s'a-
viserait de me payer jamais. Tel est l'état d'anarchie
oîi l'on vit, que personne ne craint le» lois de la justice,
mais on craiut en revanche l'iujustice ; et conmie je suis
magistrat, je puis la faire. On me craint, on me paie. On
me payait aussi lorsque j'étais à Paris, parce quej'y ser^
vais le roi; et l'on voyait que je devais retourner employé ;
mais si je me retirais du service, je ne seraispayépar per-
sonne, car mes revenus sont en abbayes, c'est-à-dire en
fonds de terres reculées dans les provinces. Un Français,
et encore moins un Anglais, ne connaissent point ces
risques. Quelque pari qu'il soit, la justice de sa patrie
protège sa propriété foncière. Ici on n'est sûr qu'à force
d'égards. 11 faut être craint et beaucoup craint pour Ctre
quelque chose dans la société. Vous voyez donc que je
ne puis pas bouger d'ici, à moins de trouver six mille
francs à Paris. Trouvez-les, et appelez-moi un monstre,
si je ne viens pas.
Vous me grondez encore sur le compte de Hagalloo.
Autre preuve que vous n'avez aucune idée de mon pays
et de ma situation. Venez me voir, ou envoyez-moi le
jbïGoogIc
LETTRES DE GÀLUNI 83
baron, et je m'expliquerai avec lui, car ce sont des
dioses qu'on ne saurait écrire. St mes lettres ne sont
pas égarées, vous recevrez celle dans laquelle je rends
compte au baron du Saint-Empire de la fondation de
sa garde-robe itinéraire. Il faut qu'il prenne un
uniforme, et qu'il se iasse un carnaval éternel de
son voyage. De quoi me grondez-vous ? Puisque
Mora et Hagallon doivent partir de Paris, ne vautr-il pas
mieux qu'ik viennent chez moi, que d'aller s'ensevelir
en Espagne ?
Mes cors soupirent après vos lettres. Je joins mes
prières aux leurs. Quoiqu'ils aient ie cteur dur par
essence, ils vous aimeront à la folie, si vous trouvez
moyen de les amollir.
Notre reine est. accouchée bravement la nuit passée,
à une heure et demie après minuit, d'une fille : cela
vaut mieux que rien. Une sainte que nous avons ici,
et qu'on s'est avisé d'exiler ces jours passés, aux
prières de l'archevêque, à cause du bruit qu'elle faisait,
avait prédit que la reine accoucherait le six du mois de
mai, à une heure après minuit*. Elle a parfaitement
1. c 11 a para demiÈrement une femme h miracles, ifue l'on a
nommée la Salote; le peuple commençait ï se prosterner t ses
pieds, et plusieurs ecclésiastiques plus recommanda blés sans
doute par leur ptélâ que par leurs lumières, après s'être laissé
séduire par la conduite, le langage et toutes les afféteries mys-
tiques de celia Temme, Échauffaient le ranaliame par la vénération
quila profeasaieDl pour ses Tenus; elle annonçait qu'elle avait
jbïGoogIc
84 LETTRES DE GALIANI
deviné le jour et l'heure, elle ne s'est trompée que du
mois. Dites-moi, faut-il compter cell,e-là parmi les
bonnes prophéties? Pour moi, je la trouve bonne, car
elle a fait le plus difficile de la besogne, qui est de de-
viner le jour etl'heure. Vous en jugerez.
Vous me dites bien peu de mots sur mon dialogue
fémiaio. Dites-m'en bien ou mal, mais électrîsez-moi.
Le silence est une espèce de mépris que mes dialogues
ne méritent point. Adieu; embrassez tous mes amis.
Bonsoir.
utt eouTeol de Olles i Bélhléem, et que l'ange Gabriel avait ta
cotupJiiuDCe de leur porter pendant la nuit les aumûnes dont les
gêna de bien la gralîQaient pour leur bubsislance pendant le jour.
Le gouverneur de Saleme ajant proposé k son arcbevique de
la renrermer dans un conservatoire, ce prélat s'en e^t défenda
m disaat (|u'il dj était pas iutorisé. Il a bJlu prendre las ordres
de la police de Naples qui a relégué cette prétendue sainie à la
Rocei. >
(Dépêche de U. de Bérenger au duc de Choiseul, 13 juin I7TS.
— Archives Aff. Etr. Napleï, 1772.)
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANl
Naplei, tl Juin mi.
Ah ! que voire lettre est différente, nia belle dame,
de celle que mes cors attendaienl I Au liËu de leur
afiaire, ellecontieat des détails sur la coteriù des lan-
turlus ', qui ne vaut pas un empl&tre pour les cors.
Quoi I vos esprits ne savaient pas quelle est la classe
des bimanes ? La leur. Celle des singes etdes hommes. .
1. ■ L'ordre des Laniurelui, dont l'idéeÉUit due au marquis de
Croimure, availélé crÈé pour se moquer du Parlement Uaupeou.
SesloitprîDctpaletÊtalentdiinepBS avolrlesens rommun, de faire
des chansons el de dire des btllws spîrlliielles. Madame de la
Ferté-Imbaull a'étail déclarée reine de cet ordre et distribuait i .
Ks fBTÔrls ka chargea de la couronne ; beaucoup de grands sei-
gneors ont Élé admis i cet bonueur, Paul I". alors grand iluc de
RuBie. le prince Heuti de Pruase, \ei ducs de Weimar el de
Saie-Gotba. Les deux frères de Louis XVI demandërcol i être
reçus, mils l'étiquette de Versailles était trop sérieuse pour se
prêter 1 ces folles, que la gravité pincée du prince Henri n'avait
pas dédaignées Je le vU pourtant faire une grimace fort plaisante,
lonqu'on l'obligea à ae mettre k genoui pour baiser la main de
notre reine. ■ (Gleichen.) Les brevets étaient délivrés par la sou-
Termine de l'ordre incomparable des Lanturelus. protectrice de
lODS les Lamponi, Lampones, et Lamponets.
jbïGoogIc
86 LETTRES DE GAL1A.NI
M. de BuffoD a averti que les bipèdes ne sont propre-
ment que les oiseaui ; les quadrupèdes sont tous les
aoimaus. Les homines et les singes ont deux mains et
deux pieds -, il les appelle pour cela des bimanes. Leur
caractéristique est que les femelles sont réglées, et cette
incommodité fait une retenue de 1^ pouf 100 sur le
plaisir amoureux. Terrible impAt ! trois vingtièmes !
Qu'il m'a coûté à Paris !
Je vous ai dit mes difficultés sur mon retour à Paris.
Perdre tout ce qu'on a est un terrible embarras. Si
jamais la justice revient dans ce paj-s-ci de façon qu'on
puisse ee flatter d'être payé, quoique absent, comptez-
moi pour parti, à moins que vous ne trou>iez le moyeu
de me remplacer ce que je sacriâe. Ce soir je n'ai le
.temps que de vous dire que je vous aime tendrement,
et je vous aimerai davantage lorsque mes cors seront
guéris radicalement.
Vos letb«s sont redevenues chères. Voyez si vous pou-
vez rattraper la méthode économique de me les envoyer :
je h préférerais à toutes les découvertes économiques de
U. l'abbé Badot et de H. l'abbé Roubeau. Bonsoir.
jbïGoogIc
LETTBES DE GàLIAM
 M. LE CHEVALIER HACALLON ^
■^u, is JuiB tm.
HoD cher ami, voilà pour le coup une affaire Soie.
On m'a donné le fatal et mémorable paquet évalué
4â ducats et demi pour six carlins, qui tont SO sols
juste *. Telle est la vicissitude des choses de ce
bas monde. Je n'ai point cherché, comme vous pouvez
bien croire, à pénétrer les causes de cette grande révo-
lution. J'en laisse le soin à Uontesquieu, qui cherchait
celles de l'empire Romain. Je ne sais si les împerti-
1. Secréuîre d'kmbissade et clia^ d'ïfflires d'Espiigne, le
cheralier de HagatloD fiait Tort Uen irec Galiaai. Lorsque l'abbé
eat q^ië Paris, il y ent dont leur amitié un assez grand refroi-
dûsemeDt. — Madame d'Epinay el Magallon ne furent mis en rela-
tions qo'après le départ de fiallanl et l« cbeTaller devint un de*
hmbitnés de son »a]0D. Il est asseï sonrent question de lui dans
)ea ■tÉn^rei du tempe, m»is sans détails qui puissent nous fiicr
sur son ctractère. C'est dans la correspondance de Galiani qu'on
troon le pins de renseignements sur lui. 11 retonroa en Espagne,
oA il fut nommé conseiller du Roi.
% Cal le fameui paquet couteuant l'BUtoire de Siam. Galianl
■ d^ parlé plusieurs fois dans les lettres précédentes detennute
qoe lui causait cet envoi.
jbïGoogIc
88 LETTRES DE «ALUNI
nences que je vous ai faites et écrites y ont contribué.
Je sais que c'est une aSàire finie, et cela me suffit.
Prions Dieu qu'on n'en recommence pas d'autres.
Ainsi soit-il.
Vous restez donc à Paris pendant que la colonie
s'en va in Ur Chaldœorum, terram coffnatiùnU «me.
Je vous souhaitais k Naples.- puisque vous n'y venez
pas, je vous souhaite à Paris.
Nous avons accouché, comme vous savez bien. On
souhaitait un garçon: il viendra '. La mère a bien
ane mine accoucheuse, et je crois qu'elle nous
remplira de petits princes. Vous n'accouchez pas,
vous autres ; tant mieux pour H. le contrdleur-
général.
Le pape n'accouche pas non plus de ses jésuites :
je crois qu'il y a autant de politique que d'irrésolution
naturelle dans la conduite du grand pontife '.
Croyez-vous à la paix avec le Turc? Pour moi, je
n'en crois rien. La Russie, pour continuer ses con-
quêtes contre ce vieiL empire, avait besoin de se dé-
t. La reine Caroline de Naples venait d'accoucher d'une flllc.
a Le roi araiL peine à contenir k9 transports et aQn que per-
sonne u'icnaginAl que la naissance d'une priaeesse au lieu d'un
prince rendit sa saiisfacUon Imparfaite, h avait soin da dire que
les enfants miles viendraient t leur loar. > (Dépêche de H. de
Bérenger au duc de Cfaoiseul.)
1. Le pape GanganelU cherchait i gagner du temps et malgré
l«a preaiaDtea insUncea de la France, de l'Espagne et du Porto-
gai, il ne pouvait le résoudre i supprimer la Compagnie de Jésus.
jbïGoogIc
LETTRES DE GÂLIANI 89
barrasser du Prussien et de l'empereur. Elle en a
trouTé le moyen, en leur jetant la Pologne à ronger.
Ils se chamailleront. En attendant, elle fera ses af-
faires. Voilà lout ce que je sais en fait de politique.
Mille choses à Hora, au prince Louis * et aux autres.
A HAD&HE D ËPINAY
IR^DH aux emplitrcs.)
Naples, ojnlD 1171.
Ha belle dame, avant que de répondre à vos em-
pl&lres, je vais vous dire qu'enfin on m'a délivré
le fatal paqtiet de l'histoire de Siam pour SO sols au
lieu de 200 francs qu'on en demandait. J'aurais re-
gretté les 50 sols, s'il n'y eût eu que ce méchant ouvrage
dans le paquet. Mais il y avait une lettre de vous et
toute lettre de vous vaut bien ce prix-là. Je l'ai donc
reçue. Cest le n" 88.
1, Prince Louii Pigiulelli. Comme chargé d'affaires d'Espagne,
Ibgallon était en rapports Gontinuels aiec le comte de Faenlès
«t M bmille.
jbïGoogIc
» LETTRES DE GALIANI
Pour une lettre écrite par la voie d'un courrier
extraordinaire, elle est bieo pwi intéressante. H n'y a
rien qui concerne ni tous ni moi. Elle regarde en
entier H. Gatti. Ce Oatti est parti d'ici depuis quarante
jours au moins. U ne m'a fait parvenir aucune nou-
' Telle de lui jamais, non plus que sa milady avec qui
il voyage. J'en serais bien surpris, si je ne connaissais
pas mon homme. Le fait est que j'ignore s'il est
vivant ou mort. S'il est vivant, et qu'il arrive à
Paris, il vous donnera de mes nouvelles. U fera tout
ce que bon lui semblera à Paris. Ce qui me I%che
moi, c'est que, depuis son départ, on n'a plus ino-
culé personne ici, comme j'avais bien prévu qu'il
arriverait. J'aime ma patrie, je crains la laideur de
mes compatriotes; voilà les causes de mon chagrin
sur son départ.
Passons aux empl&tres. Ils arrivent dans le moment.
En vérité ils sont d'une efficacité miraculeuse, iacon-
cevable. Huit Jours avant qu'ils arrivassent, mon mal
aux cors était passé, je ne souffrais point. Malgré cetl«
guérison, je viens de me l'appliquer; il me fait un
mal de chien ; d'où je conclus que vos emplâtres
opèrent mieux à distance qu'appliqués. Ils sont des
mauvais topiques, et des excellents sympathiques. Quoi
qu'il en soit, je vous en donnerai des nouvelles plus
sûres la semaine prochaine.
Point de lettre de vous qui ait accompagné les
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIÀM Sf
eia[rffltres. Qae Jaitea-vous donc ? Toujours occupée
de rendre homicide votre fils ? A propos, o'est-il pas
reçu dans le régiment de Schombei^î Le vicomte de
MoDtboissier n'est-il pas dans ce même régiment? Il le
ctHinait dODC 7 Or, si cela est, il faut que vous me
rendiez un service bien important.
Sachee qu'il y a six mois que j'avais acheté quel-
qaes médailles d'argot ei d'or pour H. Pellerin.
Elles m'avaient coûté 138 livres. J'en écrivis au mois
de décemtH« à H. Pellrarin, qui ne me répondit pas.
Cepwdant je donnai le paquet de ces médailles à
M. Je vicomte de Hontboissier lorsqu'il partit d'ici,
et j'écrivis encore à H. Pellerin. Point de réponse.
Montboissier arriva à Paris. Au vingt d'avril, il m'é-
crivit qu'il avait trouvé un autre acheteur de mes
médailles, si je voulais les donner. Je crus devoir lui
répondre qu'il fallait les offrir avant tout à H. Pel-
lerÎD ; et que, s'il ue s'en souciait pas, j'aurais volon-
tiers cédé les médailles à son ami. J'écrivis, pour la
troisième fois, à M Pellerin ' : point de réponse
de lui, ni de M. de Montboissier, depuis un mois que
je l'attends. Je crains que M. Pellerin ne soit ou mort
ou bien malade, pour être resté six mois sans répondre
à trois de mes lettres. Je crains que Hontboissier ne
soit à sou régiment ; et surtout je crains d'avoir perdu
1. Voir la lettre du 16 mai 17T3.
jbïGoogIc
92 LETTRES DE GALUNI
les médailles et l'argent, tu me recommande à vous.
Il n'est question que de recouvrei' l'argent ; car je vou-
drais bien vendre les médailles, qui n'appaitiennent
pas à ma collection. Si vous réussissez à recouvrer
l'argent, remettez les 138 1 . à M. le marquis Carao-
cioli, ou à M. de Fuenlès, qui pourront m'en faire
payer le montant ici par leurs correspondants: et,
nota beite, je suis toujours un peu pressé en fait
d'argent.
Cette affaire me tient fort à cœur, comme vous
pouvez ci'oire, et ^e voudrais recouvrer mon argent.
Grimm a-t^il reçu ma réponse toucliant sa façon
d'être habillé en voyage ? Arlequin, baron suisse, doit
être son modèle. 11 doit avoir de grandes poches rem-
plies de bijoux, tels que des chandeliers, des bassins ù
barbe, des marmites d'argent, etc.
Aimez-moi ; portez-vous bien. Je vous recommaude
de m'aimer toujours, et de me recouvrer de l'argent.
Voilà la loi et les prophètes.
jbïGoogIc
LETTRES DE GÂLIANI
A LA MEME
Il plus beau des numéros.)
Niple*. 17 Juin IITJ.
Ah! madame, que vous avez d'esprit! Votre 30 mai
m'avait anéanti. Je maudissais l'iDSpiration qui vous
avait poussée à m'écrire une nouvelle pour me tenir
dans une mortelle inquiétude. D'un autre cdté je vous
eicusais. Vous aviez trop de chagrin pour ne pas le
partager avec vos amis. Je comptais donc parmi mes
bonheurs que vous, m'ayant écrit par la nouvelle route,
et moi, m'étant trouvé en campagne, je n'aie ouvert votre
af&euse lettre que trois jours plus tard, c'est-à-dire
mardi. Depuis ce moment je n'ai plus été bon à rien
qu'à dire que Grimm était malade à des gens qui ne
le conoaissent point du tout. Vous ne sauriez imagi-
ner le tourment d'un homme à trois cents lieues. Mon
unique espérance était que vous auriez assez d'esprit
pour m'écrire la lettre suivante par la poste, et qu'ainsi
je la recevrais le vendredi. Vous avez eu cet esprit-là.
i'ai payé 35 sols, et voilà ce qui s'appelle de l'argent
l:riend^>ensé.
jbïGoogIc
«4 LETTRES DE GALUNI
Je ne sais pas si je réussirais à vous peindre ma
situation, et ce qui m'est arrivé en recevant voire
lettre. Le domestique n'a trouvé que votre lettre seule
à la poste. 11 me l'apporte ; je la reconnais ; je me trou-
ble; je palis, et n'osais presque l'ouvrir. Dans le
trouble de mes idées, je m'imagine qu'elle aurait dû
être cachetée avec de la cire noire, s'il y eût eu quel-
que malheur. Je l'ouvre donc, et dans l'instant je me
remets, et trouve que l'indication du cachet rouge ne
devait pas me rassurer. Ha palpitation recommence, et
je jette les yeux sur votre lettre sans vouloir les appro-
cher. La lettre conmience : Grimm est hors j'ai lu
Grimm est mort, ef j'ai cm m'évanouir. Je veux relire,
mais en esquivant la lecture; et je relis: Grimm est mort
d'affaires. Cela m'a paru bizarre. J'ai approché coura-
geusement les regards ; et j'ai bien la alors, et galopé,
et dévoré votre lettre.
A le bien prendre, pourtant, je trouve une espèce de
prophétie dans ma lecture de travers. Grimm est hors
d'afTaire, mais >1 est mort ou il mourra d'affâires. Cest
cette chaise de paille qui le tue. Quand on a toute la
journée un grand carreau appliqué au derrière, com-
ment peut^n prétendre à évacuer grandement k tra-
vers de tout cela ? De gr&ce, ordonnez qu'on lui dé-
bouche tout et mSme qu'on l'envoie comme les enfants,
entotles fendues, courir dans tes rues. Il dira que c'est
l'babit de cérémonie des barons allemands qui n'ont
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIÀNI 9S
point de baronie, et dont les reyenus féodaux, sur les
terres du Saint-Empire, ne sufiSsent pas à payer des
fonds de culottes.
Je passe au marquis*. Sur votre lettre du 30, je
comptais beaucoup sur son rétablissement: la fiè\Te
est un grand remède à l'apoplesie. Vous ne me
parliez que de ces deux maux qu'il avait. Vous me
dites à présent qu'il a aussi le Thieri * ; pour celui-ci, je
le crois sans remède et je tremble tout de bon. Cepen-
dant, comme à 79 ans on ne demande pas des victoi-
res, mais des trêves, je compte, puisque la fièvre con-
lioue, que s'il a été jusqu'au quatorzième, il en est
réchappé. Il ne sera plus ni gai ni gaillard. Mais puis-
que j'ai perdu mes dents à 42 ans, un autre peut bien
perdre sa gaieté à 79.
Mettez bien dans la tête à mon cher Mora qu'il n'y
a point d'autre remède pour lui que de venir cicatriser
la plaie de ses poumons à l'air soufré de Pouzzol'. ie
dis cela sans aucun intérêt personnel de mon plaisir,
mais parce que j'en suis convaincu. Je lui proposerais
b même chose si j'étais à Paris et qu'il dût s'éloigner
de moi.
). Le mtrquis de Croismare.
2. TbieiTf était an niédeGin tort célèbre de l'époque, rival de
GatU et que Galiani n'aimait potDl.
3. Hora ressentait déji les atteintes de la maladie de poitrine
qai devait l'enlerer si rapidement i tous ses amis.
jbïGoogIc
gS LETTRES DE GALIANl
le continue à rester sans nouvelles d'aucune sorle de
mon vieux H. Pellerin, et du petit vicomle de Mont-
boissier. au sujet des médailles dont Je vous ai écrit
l'ordinaire passé. De grâce, donnez-y un peu d'atten-
tion, et faites-moi recouvrer ces malheureuses 138 livres
ou mes médailles, en cas qu'on ne les ait pas changées.
Dites à Grimm que Dieu l'a puni de m'avoir envoyé
un aussi méchant ouvrage que l'histoire de Siam qui
m'a tant coûté de chagrin avec ce chevalier que
vous aimez tant', que vous me devez, et qui me parait
i&ché tout de bon avec moi. J'ai découvert que l'oltre
généreuse qu'il lit de payer le paquet est la cause
qu'on me l'ait U\TépDur 80 sols, sans cela on m'aurait
peut-être assommé : ainsi ma conduite est justifiée par
l'événement. Bonsoir. Allez vous coucher^ vous serez
fatiguée.
1. Le dieralierde Hagalloa.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI
tfeplei, H Jtiillet nii.
Ma belle dame,
Voilà deux semaines passées après le rétablissement
de GrinuQ, sans avoir aucune lettre de vous. Cela
commence à m'inquiéter beaucoup. Il est vrai que
moyennant l'arrivée de M. l'ambassadeur Breteuil, j'ai
eu l'occasion de lire une gazette très circonstanciée de
Paris, dans laquelle toutes les minuties y sont, et je
n'ai rien lu à l'égard de mes amis qui ait dû. me
coutrister, mais quelquefois un gazelîer pourrait igno-
rer que je m'intéresse à la santé de H. de Croismare
et n'en rien dire. Ainsi parlez, de grftce, tirez-moi
d'embarras.
Pour moi je n'ai rien de nouveau à vous apprendre.
L'arrivée d'une colonie d'hommes et de femmes fran-
ça'ises ici ma fait beaucoup de plaisir ; je compte d'ores
en avant ne parler que de Paris. Aimei-moi et ne pré-
tendez pas de belles lettres de moi. Lorsque les vAtres
me manquent, je ne sais que vous dire. Bonsoir.
jbïGoogIc
98 LETTRES DE GALIAM
J'oubliais de vous dire que j'ai reçu des lettres de
Hontboissier, et que j'ai été payé du prix de mes mé-
dailles- J'en ai reçu aussi dcM. Pellerin.Usavaient pris
le parti de m'écrire par M. do Breteuil ; c'est ce qui fait
que j'ai reçu leurs lettres plus tard. J'ai reçu l'histoire de
vos établissements aux Indes, mais je n'ai pas commencé
à la lire. J'ai reçu la traduction de JuvénaH qui me
parait fort bonne, autant qu'une traduction peut l'être.
Ce que je trouve, c'est qu'il a manqué le ton de sa
traduction. Une satire est toujom-s dans un style
plaisant, et même polisson. On ne doit pas la tra-
duire avec décence et gravité ; mais la décence tue
les Français.
A tA MÈNE
J'ai reçu par la voie économique votre lettre et les
poésies de Voltaire, et la lettre de Grimm. Je n'ai que
le temps de vous en remercier, puisque je dois
répondre à M. le baron. Voici donc ma réponse à lui:
1. Par Dufaulx. Paris, Dehliio, 1711), in-Sv
jbïGoogIc
LETTRES DE GAlIàNI
Monsieur le Baron,
Quoi 1 TOUS me demandez eDcore des médailles >,
après le mauvais succès de ceJles que j'imaginai pour
le mariage du prince, et dont je n'ai jamais reçu
aucuue épreuve ! Vous me croyez donc meilleur pour
les morts que pour les mariages. J'obéis.
Les anciens n'out jamais pleuré les princes morts.
Cette grande vue politique avait été développée par
Tibère, lorsqu'il dérendit Tes deuils de Germanicus en
disant : Principes quidem mortales, rempubltcatn
œtemam esse. En effet, c'est toujours une satire du
gouvernement actuel que les regrets da passé. Or, s'il
y a un pays au monde, qui ne doit rien regretter,
c'est ceiui à qui le cher prince de Saxe-Ootha est
échu en partage pour son souverain.
Les anciens n'ont donc gravé sur les médailles que
les apothéoses de leurs princes et princesses. Ainsi,
toutes les inscriptions à ce sujet se réduisent à Conse-
cralio ou Memorim œtemœ, avec les symboles de l'apo-
théose, qui sont ou le Rogtts, ou le temple, ou le
Carpgtttum attelé à des éléphants, ou à des mulets pour
les augustes femelles. Lorsque la mode des déifica-
i, Grimm denwndait ï l'ïbbé un mod&le da médaille coramé-
monlire de la mort du {irince de Saie-GoLlia. Celte médaille Tut
eiéculée d'après le modËle fourni par Galianl.
jbïGoogIc
100 LETTRES DE GALIA.KI
tions passa, on trouva quelque chose de plus appro-
cliant à nos mœurs. La médaille de Claude le Gothi-
que et de Haximien a, dans le revers, ce prince assis
sur une selle cunile avec l'iascription : Requies opli-
mor : taerit : c'est cette médaille que je choisirai pour
modèle de la nôtre. Je mettrai d'un càté la t^le du
prince défunt, coiffé à l'antique, cependant avec le
bandeau, marque de sa souveraineté, comme il est sur
toutes les têtes de rois anciens. Ptolémées, Séleucides,
rois de Sicile, de MacédolDe, etc. L'inscription dirait
Divo Frederico Gothico, oplimo principt. Dans le
revers, la ligure entière du prince, Iiabillée et drapée
avec élégance, assise, ayant devant soi un palmier,
symbole de l'éfernîté, d'où pendent les écussons de
Gotba et d'Altembourg, avec un faisceau d*armes au
pied de l'arbre. Ces boucliers attachés aux palmiers
sont très fréquents sur les médailles. La t£te du prince
pourrait être rayonnéc du nimbus comme celle
d'Apollon, symbole de I immortalité. L'inscription
dirait : Reqtùes optimor : merit : en bas, meUez le jour
et l'année de la mort. Voilà ma médaille.
Hais si le prince veut la sienne, je n'ai qu'à lui
faire remarquer que ces génies, ayant leurs flamheaux
renversés sur les écussons, indiqueront que le feu duc
a mis le f^ à ses États. On trouve, en efiot, ce revers
sur les médailles d'Adrien, d'une figure qui, avec un
flambeau renversé, brûle quelque chose ; mais ce sont
jbïGoogIc
LETTRES DE GÂLUM IH
de vieilles dettes des provinces avec le fisc, et l'iDscrip-
tioa Reltqua xietera H. S. novies mil : abolita, le mar-
que. (Test bien différent de brûler des dettes et de brû-
ler des provinces. Ainsi, ce génie pleurant, le flambeau
renversé, devrait toujours être au pied d'un palmier,
d'où pendraient les aimes de Gotba et de Saxe.
L'inscription doit dire Lucttis publicus et pas mœror.
Le mot luctoi me parait consacré pour les deuils.
'Voici mon avis dit avec toute la t'rancbise possible.
Mettez UD seul génie, et pas deux, car il n'y a qu'un
mort ; et ce génie, c'est l'Ame même du défunt, et son
esprit représenté par ce flambeau qui s'éteint. Deux
flambeaux indiqueraient deux morts. En avez-vous
assez pour deux sols ? *
Le ckolera morbus est un eflet des souffrances que
vous avez occasionnées à votre bas ventre par des ré-
vérences multipliées et excessives : réformez-les donc
et venez à Naples apprendre l'impolitesse. Je suis d'une
humeur de chien aujourd'hui. Nous essuyons depuis un
mois des chaleurs incroyables, et j'essuie des mal-
heurs inconcevables.
Madame m'a fait l'histoire d'un mbacle d'un saint de
Paris: mais ce n'est rien en comparaison de ceux de
notre sainte. Ëa voilà un, par exemple, qui vous éton-
nera. Notre sainte fut appelée un soir par une dame
de qualité, qui lui avoua qu'elle était prête à se déses-
pérer ot à se tuer, parce qu'elle avait eu le malheur de
jbïGoogIc
IM LETTRES DE GiLIÀNI
devenir grosse en l'absence de son mari qui allait reve-
nir. La sainte la conforta, se mita genoux, et pria le
boa Dieu de faire passer sur elle la grossesse de la
dame. Dieu exauça ses prières. En effet, elle se trouva
grosse et accoucha à terme d'un garçon, quoique
vierge et n'ayant jamais connu d'homme, et il ne fut
plus question deh grossesse de la dame, qui sauva par
là sa vie et son honneur. Elle répéla le même miracle
à l'occasion d'une autre dame
Contez ces miracles au vrai baron. Adieu,' aimez-moi,
je vous adore.
Ha belle dame, -savez-vous bien qu'il y a trois
semaines déjà que je ne reçois plus aucune lettre de
vous î 11 est vrai que j*ai reçu force lettres de Paris,
et qu'on ne me mande rien de désagréable. Cependant
votre sUence m'inquiète. Il est vrai aussi que vos
lettres venant par un chemin détourné, pourraient
jbïGoogIc
LETTRES DE GiLIiI«I 103
8'étre arrêtées; mais si cela est, j'aime mieux ea payer
le part. Voilà tout ce que votre silence me fait dire, et
je ne suis pas capable de vous dire autre chose, sinon
que je suis sans lettre de vous et que cela me l'ait
beaucoup de peiae. Si je me laissais aller, je vous ré-
péterais cela plus de fois que M. de la Rivittrc n'a répété
dans ses omTages les mots orrfrc, évidence ', propriété
foncière, produit net, despotisme légal.
Les pièces de Voltaire que vous m'avez envoyées
m'ont fait beaucoup de plaisir * ; on voit clairement
qu'il est déiste par des égards politiques. Ainsi les
athées ne le compteront pas parmi leurs ennemis, quoi-
qu'il écrive contre eux. C'est bien plaisant qu'on soit
parvenu à un point que Voltaire paraisse modéré dans
ses opinions, et qu'il se Qalte d'être compté parmi les
prolecteurs de la religion, et qu'il faille, au lieu de le
1. Voici la spiritaelle déOnition que Galitni donne dans les
dialogua de ce mol évidence, si cher aui éconamisies.
•t Le Marquis. — Ils ont voulu rencontrer l'érldence parloat, et
et elle ne s'est tronvée nulle pari.
Le Chevalier. — C'est qu'elle se cachait i cau^e de ses dettes.
L'évidence est nue friponne qui doit à tout le mande; tlle a
promu, donné des billets t toutes les sciences et n'a payé jamais
que les seuls géomètrea qui n'en sont pas restés moins gueui I >
2. Il (luit prendre «n porli OU la Principe d'action , diatribe,
im. Condorcet dit que cet opuscule renferme peut-être les
preuves les plus fortes de l'existence d'un être suprême, qu'il
ail été possible jusqu'ici aux hommes de rassembler.
jbïGoogIc
IW LETTRES DE GALIANI
persécuter, le protéger et l'encourager. C'en est assez
pour quelqu'un qui est sans lettre de votre part. Ai-
NaplM, I» MAI ITTt
Ua belle dame, point de lettres de vous cette semaine,
non plus que les trois précédentes. Je ne crains pas
pour votre santé, car quand même vous seriez morte,
vous m'auriez écrit pour le plaisir de m'écrire. Je vois
donc clairement que vos lettres se sont égarées. Ainsi,
d'ores en avant écrivez-moi toujours par la poste, et
meure l'avarice! Plus d'économie, plus d'épargne. J'ai
un besoin physique de votre correspondance. Ainsi
tout doit céder à cet article de première nécessité.
Je n'ai rien à vous mander. Votre silence m'abrutit.
Aimez-moi, portez-vous bien, et tâchez de me faire
recouvrer les lettres qui se sont égarées. Encore bon-
soir.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI
A LA HtHE
RépoDM à rbécKlombe et au 1" n* de la 3* ceniurje.
Naples, » aeilt ITIi.
Je viens de recevoir, ma belle dame, le 18 et le 26
jaillet eo même temps-, le courant me manque et je
crains que le 11 juillet ne manque aussi ; mais je n'ai
pas le temps de le rechercher dans la foule de mes
paperasses. Ces deux lettres sont arrivées tout bonne-
ment par la poste, malgré le soin et les retards de
H. Hagallon. Celle qui avait été le chercher à Com-
piègne a coûté le double plus cher , peut-être parce
qu'elle avait eu le plaisir de voir la cour et les visages
radieux.
La conclusion de tout cela est et doit être, une fois
pour toutes, que d'ores en avant et à jamais, vous
m'écriviez en droiture par la poste toutes les semaines,
sans remercier personne, sans recevoir de services
faibles, languissants, mal arrangés, de personne.
Meure l'avarice! Toujours par la poste. Déjà j'ai établi
la dépense de vos lettres sur l'état fixe de mes comptes.
jbïGoogIc
106 LETTRES DE GALIANI
elle ne sera plus parmi les extraordinaires. C'est une
affaire de cent francs par an. Je me suis arrangé pour
les payer, en Atant la somme pareille de quelque chose
qui me fera moins de plaisir que vos lettres, et vous voyez
que cet objet est bien aisé à trouver. Ne me faites plus
redire cela jamais, et ne nous laissons plus induire en
erreur par des lueurs d'un espoir trompeur d'écono-
mie que nous donnera l'apocrisiairc Magallon.
Gatti est à Florence, où il doit rester jusqu'à octobre
ou novembre, pour assister à l'inoculation qu'lnghen-
hausea fera des archiducs. Je suis fermement persuadé
qu'il ne retournera pas en France, maigre sa résolution.
Son aversion pour la France m'a paru invincible, et
son attachement pour son village et pour la paresse est
quelque chose d'inconcevable. D'ailleurs l'aventure de
M. d'Arpajon ne contribuera pas peu à le dégoitter en-
core plus de reparaître à la cour. Où trouver ud peu-
ple assez philosophe pour sentir que cet événement ne
doit faire aucun tort oî à l'iaoculateur ni à l'inocula-
tion? Tant qu'on ne mourra pas de la petite vérole,
après avoir été assuré par l'inoculation, le problème est
toujours résolu ; car il n'était question que de ne pas
mourir.
Je suis au désespoir des chagrins que vous cause votre
fils. Mais puisqu'il est bien plus l'enfant de monsieur
que de madame d'Épiuay, c'est à lui, à ce que je crois,
à s'en occuper.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIARI 101
Vous m'avez envoyé, par H. le baroa de Breleuil,
l'Histoire du Commerce des deux Iodes. Je vous ai
demandé de me dire positivement l'auteur, après quoi
je vous en dirai mon avis >. Le coeur n'inQue pas
en moi sur les décisions de mon esprit; mais il influe
beaucoup sur les mouvements de ma langue et do ma
plqme .
J'ai reçu l'argent de mes médailles par M. de Montbois-
sier : il ne me reste qu'à lui en redoubler mes remer-
ciements; chargez-vous-en, S! vous voulez.
Le baron de Gleichen me mande de son château do
Tonderden-Trunck, qu'il allait partir pour Paris dans
un mois. Je lui écrirai mardi prochain, mais si ma
lettre le trouve parti, vous serezla première à lui don-
ner de mes nouvelles : dites-lui combien je l'aime, et
quel vide affreux son départ nous a laissé à Naples : on
De saurait l'imaginer.
Nous souffrons depuis huit jours des chaleurs ici,
que ni le Sénégal, ni la ligne, ni l'enfer n'égalent.
Je n'ai de froid que mon esprit, parce que rien ne
le réchauffe. J'ai lu dans une gazette que notre ami
Suard avait été rétabli dans les bonnes grâces du roi
et qu'il serait élu à la première place vacante à l'aca-
démie *. Si cela est, j'en suis véritablement enchanté,
1. L'antear Était l'tbbé Raynal, il en sera question plus kiin.
2. Suard aTtit été aotnmé à l'Acsdéniie française le mâme jour
D.q(.zedbïG00g[C
108 LETTRES DE GAUAMI
ravi et je vous prie de le lui dire. Aimez-moi. Celui qui
s'appelait jadis la chaise de paille, et qu*on appelle à
présent la culotte fendue, comment se porte-t-il ? Vous
ne m'avez plus rien dit de M. de Croismare. Est-il
vivant ou mort? Adieu, aimez-moi toujours.
A H. DIDEROT
Nuplos, s septembre nil.
Mon cher ami, me croirez-vous si je vous dis qu'il
y a plusieurs nuils que je rêve de vous et que j'étais
tenté de vous écrire cette semaine même, pendant
que je reçois quelques lignes de vous, qui ne me pa-
raissent précieuses que par l'écriture et la main qui les
a tracées. Au surplus, je vois que MH. les Russes vous
ont induit en erreur. Ce voyage dont j'avais été informé
depuis trois mois par les gazettes d'Angleterre et de
que l'ibbé Delille, mils le Roi, tuprèade qui on lei arait dcs-
mttIs, reluM d'approtiTer leur DominatiOR et on dut procéder t
de Douïelles élections. Louis XV revint ensuite à de meilleurs
seailnenla sur leur compte ; il les autorisa à se présenter de
nouveau l'année suivante et lis le firent avec succès.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI tOO
Hollande, n'est ni merreilleux ui )e premier. Ce che-
min de Kamchatkaaux terres d'Amérique aétéfaitparM.
de rislele premier: ce voyage du même KamchatXa au
Japon avait déjà été fait ; ce reste de la route du Japon
& la Chine est fort connu. Cette découverte n'en est
pas une, et c'est un voyage qui n'aboutit à rien. Il o'y
aura jamais de commerce entre la Chine et ce malheu-
reux pays. La Chine est trop riche, et le Kamchatka
est trop pauvre. L'un n'a rien à prendre, l'autre n'a
rien à donner. Ainsi la vraie raison pour laquelle cet
aventurier est le premier qui ait fait ce voyage, c'est
parce que voilà la première fois qu'il a été à propos de
le faire.
Cependantje suis bien aise que le goàt des voyages
reprenne dans notre, siècle ; c'est la seule chose qui
agrandisse l'homme et relève sa nature et son génie, que
la découverte des nouvelles terres. On ne saurait pour-
tant sVmpëcher d'admirer combien peu de peine il nous
coûte d'aller dans des pays inconnus, soit par mer ou
par terre, en proportion de celle qu'avaient nos an-
cêtres. Voyezde combien nous sommes énervés, amollis,
dégradés. Tous les progrès des sciences n'ont pas pu
balancer le recutement de la vigueur et de la vraie va-
leur. II faut fortement insister sur deux espèces de
voyages : par mer, aux terres australes ; par terre,
traverser l'Amérique depuis Québec jusqu'à la mer du
nord de la Califomin. Voilà les deux objets vraiment
jbïGoogIc
110 LETTRES DE GALIA.NI
utiles. 11 y aurait le troisième, de percer daas le milieu
de l'Afrique; mais nous n'en ferons rien. Il est trop
fort pour nous '.
Vous me demandez si j'ai lu l'abbé Rayoal*? Non.
Hais pourquoi ? Parce que je n'ai plus ni le temps ni
le goût de la lecture. Lire tout seul, sans avoir à qui
parler, avec qui disputer ou briller, ou écouter, ou se
bire écouter, c'est impossible. L'Europe est morte
pour moi. On m'a misa la Bastille. J'appartiens au
règne végétal à présent, et je me vois dans tm désert,
environné de souches, de poutres et de ces Iruncus
inutile Ugnum dont je vois faire de temps à autre des
Priapes. J'attends mon tour, et je prie Dieu qu'il arrive
assez à temps pour faire valoir tous les attributs de
ma divinité. Je vous embrasse, cber philosophe, de
tout mon coeur. Aimez celui qui vous adore. Adieu.
). GillaDi devinait déji ce qui devait élre le but de tous les
grands voyageur» du m* slËcle.
â. L'Biiioirt philoiophique et politigut du commerce dei deux
/ndM. (Amsterdam, 1770, 4 vol. Iii-S'.l
jbïGoogIc
LETTRES DE GILIANI
A MADAME d'ÉPINAY
(BépODse auï n" 2 et 3.)
Hap'eB. i saplenibre 1171.
Je les ai reçus en même temps. Ainsi j'ai tardé huit
jours à apprendre la fâcheuse nouvelle de notre pauvre
marquis '. Ne tous étonnez pas : je n'y ai pas été à
beaucoup près aussi sensible que j'aurais cru moi-
mAme. Ce phénomène m'a étonné, a pensé me faire
horreur, et j'ai voulu en- approfondir la cause.
Ce n'est pas l'absence, ce n'est pas que mon OBur
soit changé ni endurci ; c'est qu'on n'a d'attachement à
la vie d'autrui qu'à mesure de l'attachement qu'on
1, Le marquis de Croismare mourut le 3 naùt 1771, A l'dge
de soiunte-dii'huit ans. Il conserva Jusqu'au dernier moment
tonte 1* rralcheur do son esprit; il ne perdit ni sa gaité, ni sou
enjouement, ni aucune des grflces qui le rendaient si charmant.
En dépit de tes cbangements fréquentsd'opinîon, il mourut avec
beaucoup de calme et de philosophie pratique. oLt rie du mar-
quis de Crojsmare, dit Grimm, a été un tissu de procédés nobles
et généreux, d'actions Justeset déalnléressées, de serriceirendua
arec antaDl de zèle que de limplicilé et de modestie. On peut
écrire lur sa Ïambe qu'il n'a jamais rien Tait ni rien dit comme
un autre et qu'il a cependant toujours fait et dit au mieni. ■
jbïGoogIc
m LETTRES DE GâLUNI
a à la sienne ; et on n'est attaché à la vie qu'en pro-
portion des plaisirs qu'elle nous cause. J'entends h pré-
sent pourquoi les paysans meurent tranquillement et
voient mourir les autres stupidement. Un homme en-
voyé à Bicëlre pour toujours apprendrait toutes les
morts de l'univers sans regret. Voilà la cause de la va-
leur militaire : U vie dure d'une campagne. On se bat
bravement après une nuit d'hiver passée au bivouac ;
on méprise également sa vie et celle des autres, on en
est ennuyé. Ainsi, si vous avez pleuré plus que moi,
c'est une marque cerlaine que, malgré les chagrins et
les malheurs, votre vie à Paris est moins insipide que
la mieune à Naples, où rien ne m'attache, exceptédeux
chats que j'ai auprès de moi, dont l'un s'élant égaré
hier par la faute de mes geus.jeme suismis en fureur;
j'ai congédié tout mon monde. Heureusement, il a été
retrouvé ce matin, sans quoi . je me serais -pendu de
désespoir. Voilà mon état : et voyez vous-même ce qui
vaut mieuiL du chagrin ou de l'insipidité?
Je ne suis point étonné que la convalescence de
Grimm soit longue; mais je voudrais qu'il ne se pi-
quât point de la hâter, ni vous non plus, ni par des voya-
ges ni par des remèdes. On ne connaît point la force
végétative de la nature, ni le temps qu'il lui faut.
Attendre en patience est le meilleur parti. Faites atten-
tion à cela, et si le marquis est mort par sa faute, con-
cluons à ne pas faire d'autres fautes.
jbïGoogIc
LETTBES DE GALIANI 113
Je suis bien aise qu'il soit content de ma médaille.
Je voudrais avoir des nouvelles du prince Auguste dont
j'ignore la demeure actuelle.
A propos de nos comptes, une personuc, qui aurait
quelque argent à faire payer à Paris, voudrait me le
remettre. Ainsi je vous prie de me dire, si vous avez
quelque argent en caisse à moi, à combien se monte
la somme, si vous trouverez bon que je tire quelques
lettres de change d'ici contre vous, et jusqu'à quelle
somme; mandez-moi ce qu'il laut que je fasse, et ne
me failes rien faire qui puisse vous gêner ; enlendez-
Tous bien ?
Je réponds au philosophe dans le papier ci-joïnt ;
l'histoire philosophique est donc de l'abbé Raynal i?
1. ( L'sbbé Ra^'OBl, dit Morellel, avilt été jésuite i Pézenai.
Il qDÏlta U Compagnie et Péienai pour Tenir h Paris, où il
«ntreprit de préclier, métier qui ne s'accordait guëres ai avec
Ms goûts, ni RTec ses opinions, c Je ne préchau pas ma', nou)
di*aîl-ii, mail j'avais un asstnl da Uiu> Ut diables. > L'abbé Ra/nal
était l'un des plus aaaldus i nos réunions cliei te tiarou d'Hol-
bach, ciiez Helrétius et chez madame GeoO'riD: bon homme, aisé
à vivre, ne montrant rien de l'amour-propre dont les hommes
de lettRa tout trop souvent férus et ne blessant celui de per-
sonne, bisant continuellement ses livres dans la société, poussant
tont ce qui l'approebail de questions pour recueillir quelques
hita grands et petits, il ne parlait gaéres que de politique, de
eomroerce, ou ponr faire des contes, auxquels il ne donnait pas
une Imimure bien piquante et qu'il lui arrivait de répéter;
nais lorsqu'il avait prit ainsi la parole, il la gardait longiemps, >
— Il lui advint avec Walpole une aventure assez |j|sisante :
a L'abbâ Raynal, quoiqu'il ait écrit ce beau livre sur te Commère»
da deam indtt, est la créature la plus enuajeuse qu'il y ait au
Il »
jbïGoogIc
lU LETTRES DE GALIANI
Il y a peu d'hommes au monde que je vénèi-e et que
j'aime dat'antage. Ainsi je suia ravi du succès de son
livre : il est très bien écrit, d'un style fleuri ; c'est l9
livre d'un homme de bien, très instruit, très vertueux,
mais co n'est pas mon livre. £n politique je n'admet»
que le machiavélisme pur, sans mélange, cru, vert,
dans toute sa force, dans toute son àpreté. Il s'étonne
que nous fassions la traite des nègres en Afrique ; et
pourquoi ne s'étonne-t-il pas qu'on fasse la traite des
mulets de la Guienne en Espagne? Y a-t-il riea de si
horrible que de cliâtrer les taureaux, de couper la
queue aux chevaui, etc. II nous reproche d'être les bri*
gands des Indes ; mais Scipion put bien l'èlre descdies
deBarbarie, et César des Gaulas. U dit que cela tour'
nera mal ; mais tout le bien tourne en mal.
Le veau de Pontoise tourne en , n'eu mangez
donc pas ; la danse en lassitude, ne danses donc pas.
L'amour en peines, n'aimez donc pas. Ainsi mou avis
est qu'on achète des nègres tant qu'on noua en vendra^
sauf à s'en passer si nous réussissons à les faire vivre-
monde. La premiers fois que je me suis IrouTÉ av«e lui. c'ëltit
chez ce sot baron d*Holl)ach : nous étions douze k table. J'avtis
peur d'ouvrir la bouche en (ranfais devant tant de monde et
tant de domestiques; mais, comme il commeocait à me ques-
tionner A InfVers la table sur nos coloniei, que je connais aussi
bien que le cophie, je lui Gs signe que j'étais sourd. AprËs le
dîner il découvrit que je ne l'étais pas cl il ne me l'a janais
pardonné. * Walpole à Conway. Sirawberry Hill, 11 not-einbre
1774. (Voir lappcndlce V.j
jbïGoogIc
LETTRES DE G&LIANI II»
fla Amérique. Mon avis est de continuer nos ravages
aur Indes tant que cela nous réussira, sauf k «ous
retirer quand nous serons battus. Il n'y a pas de coia-
merce lucratif au inonde ; détrompez^vous. Le seul bon
est de Uoquer des coups de bJlton qu'on donne, contre
des roupies qu'on reçoit. C'est le commerce du plus
f<Hi. Toilà mou livre; bonsoir.
Ha belle dame.
Aucune lettre de tous n'a été attendue avec autant
d'impatience que celle que je viens de recevoir du
3S août Vous m'aviez noirci le cœur et l'imat^ination
sur l'état de la santé de notre ami *. Je vois que ses
entrailles sont restées meurtries. Elles ne peuvent pas
être ulcérées, on s'en apercevrait ; la suppuration y
swait établie. La durée des meurtrissures est bien
limgoe, par cela même qu'il n'y a pas de suppifratton.
jbïGoogIc
lia LETTRES DE GALUNI
Il me parait fou à lui d'entreprendre un voyage, puis-
qu'il gouffre en voiture. Cependant je voudrais le voir :
ainsi arrangez-vous.
Remerciez le philosophe delà description du monu-
ment ' qu'il a voulu m'envoyer. Elle est superbe à une
chose près, que je vous prie de lui faire observer. Les
anciens nous ont surpassés eu tout. C'est uq fait.
Jamais ils n'ont peint ni sculpté la mort, tigure hideuse,
dégoûtante, révoltante, et qui n'avance de rien nos
affaires, si ce n'est qu'elle nous empoisonne la vie.
Leurs sujets sépulcraux sont toujours gais et décents;
leur enfer est celui des gens de bien et de goût. Pour
conduire les âmes à l'Oi-cuit, constamment ils em-
ploient Mercure, jeune homme d'une figure très agréa-
ble. Le caducée, symbole de pais et d'éternité, ne lui
est donné que pour cela. Tous les monuments anciens
sont d'accord sur cela. Or je prendrais, au lieu de la
mort ou d'une figure symbolique, Mercure dans le
monument de Gotha : les attributs de celle divinité
sont si reconnaissubles, que rien n'est plus aisé que
de le deviner. Le chapeau avec des ailes, les ailes aux
lalons, le caducée. Il évitei-ait par là une figure hideuse,
ou la figure symbolique, difficile à démêler, et qui n'est
appuyée d'aucun exemple et d'aucune autorité. Mais il
gagnerait en cela que, sans se gêner, il se trouverait
I. Le tombeau du duc et de la ducheue de 5aie.<ïotht.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 117
avoir composé sod ^upe de qnatre figures, deux hom-
iiies et deux fenunes, chose excellente; et ces quatre
figures seraient Mercure garçon, le duc vieillard, la
duchesse femme âgée, la province jeune femme. Ainsi
il rassemblerait les quatre âges, chose encore plus
excellente. EnHn si les ignorants ne savaient pas que
Mercure est le conducteur des ombres, ils seront tou-
jours contents de voir que c'est le dieu de la paix, qui
conduit ces deux âmes vertueuses par la route du
tombeau à la paix étemelle; et cela Ote la tache de
paganisme qu'il paraîtrait y avoir dans le monument.
Le philosophe m'aime trop pour se fâcher que je lui
donne un avis ; au contraire, il me remerciera.
Je sais bien plus d*anecdotes de la vie d'flcivétius
qu'il n'y en aura daas son ouvrage posthume'. Je
n'aime pas trop que cet usage d'attribuer des ouvrages
nouveaux aux morts se répande ; cela intriguera furieu-
sement la postérité. Au moins il devrait y avoir un
archive du secret qui rendit les ouvrages aux véritables
auteurs lorsque ceux-ci seront morts à leur tour.
Je reviens au monument. Je voudrais que Uercure
poussât de la main la duchesse et touchât du bout de
«on caducée le duc. Cela varierait l'attitude et expri-
]. Helvétius laissa plusieurs ouvrages mannscrlLa : d'abord
le BotAvuT, dont il sera queslion plu^ loio, puis it IBonuM',
de te* facuitée iaUHeelueilts et àe ton iduanion.
jbïGoogIc
lig LETTRES DE GAlIANt
merait que la dadiesse' a précédé d'un certain temps
BOD époui. Dins la composition du philosophe, il sem-
ble qu'ils soient morts presque en même temps.
Aimez-moi; écrivez des longues lettres: engages
MagaUon k me tenir sa parole de m'écrire souvent ; car
il parait qu'il n'en fera rien, malgré sa promesse.
Adieu, embrassez mes amis ; faites des compliments à '
tout le monde. Rien ne me parait plus douteux que
le retour de Gatti en France. Adieu encore. Mille cho-
ses aux barons Allemands.
1. La dachesse Dorothée de Saxe-Gotha était une temme pleine
de charme et du plus rare mérite. Voltaire l'appifUe s un heu-
reui assemblage de griees et de rertuai. Il lui adressa cet
Fuis nsltre pour elle un ^lemel prinlenips,
Étends dsDi l'avenir £«& bolles destinées,
Et raccourcis les jours des sots et dei mêcbiuiU
Pour aioater ses années.
jbïGoogIc
LETTRE3 DB GALIANI
Ma belle dame,
J'avais roçu de vous le d" 6 du S septembre : c'était
une lettre fort courte et fort triste sur les alarmes
que vous causaient la santé chancelante et l'humeur
chagrine de U chaise do paille. Cette lettre m'attrista,
et m'ôta toute envie de répondre. Ensuite deux semai>
Des se sont passées sans recevoir aucune lettre de vous.
Le chagrin et la mauvaise humeur se sont augmentés
en moi, et il m'a été impossible de vous écrire ; j'avais
presque pris en horreur Paris, ne sachant pas même si
un tremblement de terre ne l'eût englouti. Je me voyais
abandonné, j'abandonnais à mon tour. .
A présent votre lettre du 26 septembre arrive cotée
n* 0. n y -a donc deux numéros de vous égarés; cela
me désole. Votre lettre ne contient que des discussions
profondes sur les causes des retards, des dépenses et
des égarements de nos lettres. C'est bien le comble du
malheur qu'une par^e de nos lettres s'égare et que l'au-
jbïGooglc
120 LETTRES DE GALIANI
tre se trouve employée à rechercher par faute de qui
elles se sont égarées. Des lettres qui ne sont remplies
que de cela mériteraient bien de s'égarer. Vous voulez
que je n'appelle plus Monsieur, le cheralier de Hagal-
Ion. Je l'appellerai même Sire, si vous l'ordonnez. Vous
voulez que je lui adresse mes lettres, en voilà l'exé-
cution. Vous voulez que je tombe à vos genoux ; il me
faudrait avoir trois cents lieues de cuisses pour faire
cela. Où trouver tant de cuisses, moi pauvre petit
malheureux, qui n'en peux pas rencontrer un pied et
demi qui soit potelé sans être bouffi. Vous voulez que
je sois persuadé que le Magallon m'aime tendrement,
et vivement, et chaudement. 11 faut que je vous aime
bien fort pour m'en rapporter plus à vous qu'à mes
propres yeux. Il sera toujours sOr qu'en trois ans,
malgré les événements heureux, on n'a rien fait à
Paris pour moi ; on ne m'a pas même peut-être nommé
là où il fallait me nommer.
Dieu seul a fait ma vengeance, et il l'a faite en
dépit de tous mes amis, qui étaient encore plus
amis de leur fortune et des gens en place, et qui
n'estimaient pas même en moi le talent de prévoir, et
ne se sont peut-être pas aperçus que ce que j'avais
prévu est entièrement arrivé *. Au reste il est bien
aisé de dire à un absent qu'il a tort, qu'il juge sans
1. Les disette! que Galiani mit prédites.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIARI 131
coDDaitre, sans voir, etc.; mais on serait bien embar-
rassé, par cela même qu'il est absent, de lui prouver
ce faiL Vous avez recours à l'autorité, et vous voulez
que je m'en rapporte au tact des femmes. Oui, si vous
étiez à la cour; mais vous files à la campagne, et vous
êtes aussi absente que moi. Vous auriez bien mieux
fait de me conseiller d'avoir recours au fatalisme ; je
ne connais rien de plus consolant et de plus désolant
en même temps. Il a cela même d'agréable (et qu'on .
n'a pas vu, ou du moins qui n'a été remarqué par
aucun philosophe encore, que je sache), qu'il est le
père de la curiosité. Ainsi la fatalité est la chose du
monde la plus curieuse; sans elle, point d'imprévu,
point d'intérêt : tout serait calculé ; et la chute d'un
minisire n'intéresserait pas plus que l'équinoxe et le
solstice : elle sérail imprimée d'avance sur les almanachs.
Si vous vous souvenez de ce qu'il y avait d'intéres-
sant dans les deux numéros égarés, il est nécessaire
de me le mander de nouveau. Je doute qu'il y eût ta
réponse à une question, touchant l'état de mes finances,
que je vous avais faite?
Le séjour de Glëiclien ' à Paris m'est infiniment
agréable; les oreilles me cornent de tout ce qu'il dit et
de toui ce qu'on dit de moi. Je le vois dans tous tes
dîners, dans toutes les maisons, embrassé, fêté, et
1. Il en ma question daai la letlre suirante.
jbïGoogIc
m LETTRES DE OALUNI
puis interrogé sur mon compte. Si la mode d'Orphée
se rétablissait de revenir des enfers, je crois qu'on
jouerait le rdie de Gleichen. Les premiers transports
seraient pour le revenant, les seconds pour les gens
restés là-bas.
Je suis f&cbé de tous quitter, mais il est tard et un
importun vient me parler. J'ai répondu à Grimm, je
crois qu'il sera content de l'inscription que je lui
. envue ; elle est au courant des affaires : si les événe-
ments changent, il faut changer l'inscription. Aimez-
moi. La fatalité, mère de la curiosité, m'empêche de
savoir si noiis nous reverrons, quand, et par quelle
voie. Adieu.
Kaple», n «clobrc 17;î.
Salut à la chaise de paille t
Chacun a son goât. Voici mon îuscription pour
Callierine II, faite en six minutes, après en avoir reçu
l'ordre de votre part et bon phiisir. Rien n'est si aisé
1. Cette lettre, tirée de la Correspondance Littéraire de Grimm,
n'eiùle ni dans l'édition Barbier qI dans létlitjoa Serves.
jbïGoogIc
BTTBES DE OAIIANI !Î3
que de meltre de gr&aà mots à ia place de grandes
is. n m'ani-ait fallu six ans peut-être pour trou-
r une inscription pour d'autres souverains.
C&THÀRINi. II ADGU3TÀ
■ATU BRNATDS, HATBR CASTHOBDX,
contins LUtaira, Bonis artibds suTtruris,
tDHoa TBHiiA HinrguE derbllatis,
TjIrtaris in potbstatem bbdactis.
TALACBIS, MDLDOTIS i:< rïOBH BECKPTIS,
Le philosophe a oublié que c'est Catherine elle-
même qui érige la statue do Pierre-le-Grand et que
personne ne doit se louer ni directement nî indirec-
tement'. Dans les inscriptions, il ne faut que des faits
et des faits vrais. Ce sont des monuments historiques
et rieu de plus. La postérité doit juger sur les faits.
Vous ne galoperez pas, à ce que je crois, de long-
temps. Les médecins ont bien fait de vous défendre
de voyager sitôt. J'aurais mille choses à vous dire,
mais je me suis purgé ce matin et je dois aller diner
1. Catherine Dt ériger L Siial-Pêtersbourg une sUtue équestre
de Pieire-le-Grand sur te modèle de Kalconet. Grimm s'adressa à
Galiani et te pria de composer une inscrlptioo que I'od graverait
snr le sodé de la statue. Diderot avait composé aussi une in-
■cripUon, mais elle n'avait point convenu à Grimm. (Voir l'appen*
dica VI.)
jbïGoogIc
it4 tETTRES DE GÀLIANI
chex des Espagnols aussi grands qu'aimables, que H. le
duc d'Arcos a amenés avec lui. Ils sont si différents
de l'idée. qu'on avait des Espagnols que le marquis
de Hora n'est plus pour moi un miracle ; il n'est plus
Il mes yeux que le plus grand des grands d'Espagne.
Adieu, dites mille choses de ma part à nos amis. Je
me reproche de ne pas leur écrire, mais le départ du
baron de Gleichen a cassé mon dernier ressort et je
suis devenu absolument immobile. Adieu.
A MADAME D LPINAY
Votre lettre du 1" octobre m'a beaucoup satisfait.
Vous y paraissez plus gaie et plus tranquille que dans
les précédentes. Dieu en soit béni.
Commençons par répondre à vos questions. Votre
recette de stagna sangue a eu le succès qu'ont tous les
remèdes qui ne sont pas ordonnés par les médecins
traitants, mais par des amis affectionnés. On l'a demandé
avec empressement, on en a importuné le malavisé pro-
jbïGooglc
LETTRES DE GALIAM 115
posant, on l'a reçu nonchalamment, on n'en a rien
fiiît, et l'on s'est cru guéri.
• Pour mon vin antiscorbutique, je suis bien aise
d'en posséder la recette, mais je ne l'ai point pris.
On prend des remèdes à proportion de rattachement
qu'on a à la vie. Voilà pourquoi les vieillards en pren-
nent toujours, les jeunes personnes point. Je' n'en
prendrai donc pas à Naples, j'en aurais pris à Paris.
Gleidien ne vous a pas bien peint ma situation ; je
vais le faire, moi, en deux traits. Figurez-vous Con-
fucius transporté en une seule nuit à Paris, où per-
sonne ne le connaîtrait, et lui ne sachant d'autre langue
que le chinois. Il ne parle qu'avec lui-même, et il a
soit la consolation, soit le regret, de savoir qu'il est
adoré en Chine.
J'ai été t'avant-demière semaine chez mon frère à
Sorrento, où j'ai trouvé mes trois nièces qui demandent
â cor et à cri d'être mariées au plus tôt, avec menace
de se marier ingénvement d'elles-mêmes, si on ne se
presse pas. C'est bien amusant.
J'ai été cette semaine à la Torre del Greco, chez un
ami de ma plus tendre jeunesse. Il aspire à être juge
de la vicairie. Précisément, le jour que j'y arrivai, il
«ut la nouvelle qu'un juge de vicaire était mort ; ainsi
il m'a parlé toujours de ses prétentions, et m'a forcé
de solliciter pour lui ; c'est bien amusant encore 1 Voilà
mes campagnes. Au contraire, j'ai eu hier soir chez
jbïGoogIc
US' LETTRES DE OALIAMI
moi le comte de Rzewuski * ; nous avons causé lète à
tête trois heures, et cela vaut bien mieux que nos
campagnes. Dans mes abbayes, je n'ai point de maiscas.
II y a le mauvais air six mois de l'année. On rencontre
4es voleurs sur les grands chemina ; à cela près, ce
sont des endroits délicieux, un vrai paradis kr-
restie.
Je vous supplie inslaomient d'arracher de Merlin pied
ou aile. Aussitôt que vous aurez quelque argent k moi,
daignczm'en avertir, et je vous tirerai des lettres jusqu'à
concurrence de la somme qui sera dans vos mains.
Vous ne sauriez deviner la cause de mon empressement;
il serait trop long de vous la mander. Je la dirai &
Grimm ; mais il suffit que vous sachiez que je suis pressé
de faire cette remise, et je me contente de finir avec
Merlin, même avec perte. Où diable Diderot dénicha-t-il
ce Merlin enchanteur I
Caraccioli a bien tort d'oublier mes lettres ; je suis
le seul à Naples qui ne l'ai point oublié.
Votre chanoine d'Ëtampes * a pris trop d'espace
1. Le comte Riewuakl flt on long séjoar k Nipl»; il eH.
question de lui, mais en toit peu de mots, duis le journal de
nuilame de Saïusiire.
2. Le dianoine d'Ëtaropet était l'abbé Desforges; H «rail iuia-
f^A un clitr volant el projetait de a'en sertir pour aller TistUr
les capitales de l'Europe. Pendant quelques jours sou nom fut
cUèbR. ( On De broiera Jamais le chanoine d'Étampes oomiM
sorcier, dil Grimm, tout ce qu'il sait de magie te réduit à an*
jbïGoogIc
LETTRES DE G1LIA.RI liT
dans votre lettre, et pas assez dans les airs. J'aurais
mieux aimé la trouver remplie de détails de Gleicbeo
ou de GrJmm. EafÎD il m'a fait rftver au pourquoi tous
les fanatiques aiment le mariage-concubinage, témoin
l'abbé de Saint-Pierre, Luther, Descartes, Rousseau
et votre chanoine. Pourquoi tous les grands caractères
aiment le libertinage, témoin César, Auguste, Lauruit
de Médicis, Henri IV, etc. Voici pourquoi : le fanatique
est heureux dans la fixation de ses idées ; il n'aime pas
à s'en détourner ; rien ne tranquillise tant qu'une gou-
vernante. Les grands hommes aiment le tumulte des
idées, et ils ne s'en délassent qu'en entrant dans un
autre tourbillon encore plus violent. La galanterie est
de toutes les tempêtes la plus orageuse ; elle fait leur
chose lrè« simple ; il s fabriqué une espèce de gondole d'osier,
il l'a enduite de plumes, il l'a surmontée d'un parasol de plumes ;
il l'y campe arec deux rames à longues plumes, et il espère, à
force de ramer, de se soutenir dans les lira et de les traTemer. s
Il se fit porter par quatre paysans tur une hauteur prH
dStampes; â peine leur avait-il dit de lâcher la gondole
qn'il tWDbt lourdement 1 terre au milieu des rires de
l'oasistaiice. L'abbé Desforges n'était pas k ses débuis en fait de
bizarreries; 11 avait publié, une quinzaine d'années auparavant,
■M brocfaure pour prouver l'obligalioD où était tout prdtre ca-
tholique d'épouser une mie chrétienuB; cela lui valut d'ét»
estiojé k la Bastille et de li au séminaire de Sens , où travaillé
par la maate d'écrire, il composa un vulune asseï léger sar l«a
amours des hirondelles. On le menaça de l'eutermer pour tou-
Joars, s'il le publiait. C'est alors qn'il se jeta dans la mécanique,
M • vu avec quel succès i
jbïGoogIc
128 LETTBES DE GALIA?II
Je crois qu'on pourra voler dans les airs, si on dé-
couvre un ressort d'une force presque infinie. Je crois
que les ailes d'un homme devraient être de quatre-
vingts pieds d'envergure. Uae machine pesant autant
qu'un homme, et un homme dessus demandent
cent soixante pieds. Il est difficile de faire une
plume raide et légère de la moitié de cette étendue ;
ainsi nous ne volerons pas de' longtemps.
Je n'ai pas le temps ce soir de vous en dire davan-
tage. Gleichen ne m'aimera jamais assez. Adieu.
Grand Dieu ! à quelle heure donc me ferez-vous cou-
cher cette nuit? Il est deux heures après minuit et Je
commence cette lettre. La vdtre m'est parvenue cet
après-diner. L'envie d'y répondre m'a pris ; il est venu
du monde, du monde ennuyeux, cela va sans dire ,
enfin des Napolitains. Je suis sorti, allé chez mon
ministre d'Ëlat, le seul endroit que je hante. Je suis
rentré, et le monument du prince de Saxe-Gotha
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 1Ï9
m'est revenu dans la tête. Adieu donc le sommeil ;
il a fallu le faire, et il a fallu vous répondre. Écrivons
donc; nous dormirons quand il plaira à Dieu.
Mercure pourrait très bien être dans un temple de
luthériens, à moins que ces mesnieurs ne soient bien
plus difliciles que nous. Je crois qu'il y en a un sur
un tombeau à Saint-Pierre; ce qui est sûr, c'est qu'il y
a un. Hercule, comme symbole de la jeunesse, au tom-
beau de Julien de Hédicis à Florence, dans )a sacristie.
Nous avons ici, derrière un maiire-autcl, lu fameux
tombeau de Sanoazar i, o£i il y a Apollon et Minerve.
Mais s'ils n'en veulent pas, il faut plier les épaules.
Sansilatterie, il est diflîcile, croyez-moi, après la pen-
sée du philosophe, d'eu trouver uneaussi belle, simple
noble, tendre, énergique. Vos urnes ne m'ont pas l'ait
rire ; mais ce sont des urnes, et il nous faut des ligures
de héros. Un pâté de Pciùgord ne ressemble pas plus à
un dindon qu'une urne à un prince mnrl.
La Paléocathédre ' a peut-être raison de dire qu'en
bas-relief on rendrait mieux le bûcher. En effet les
flammes sont difficiles à rendre en marbre, on relief.
En outre, je trouve que votre tombeau ressemblerait à
une halte de chasse. On prendrait les urnes pour des
I . Cëtèbri! écrivain et pointe napolitain. Kè k Naples le 38
jnillet 1458 el mort le tk avril 1530. Galhni, dans son livre sur
le dialecte napolilain, parle longuement de Sannatar.
î, Vieillf chaise. (Grimin.)
jbïGoogIc
130 LETTRKS DE GALIÂNI
marniites, le bâcher pour dii bots de chauffage, et le
phénix pour une poularde qu'on fait rôtir.
Vous me demandez mon sentiment et ma pensée.
Oo veut de l'antique et du simple. En ce cas, je suis en
état de leur donner du bien simple et du bien antique ;
mais il ne sera ni nouveau, puisqu'il est antique, ni
ingénieux, puisqu'il est simple, ni original, puisqu'on
veut des copies. II est constant que les anciens, -dans
les monuments de mari et femme, ont toujours mis
leurs figures à demi couchées sur les tombeaux, tantôt
accouplées, tantôt en face ; et c'est le plus fréquent,
d'autant plus qu'il fait un meilleur effet. D'après cela,
j'ai dessiné le tombeau, et pour vous faire rire à mou
tour, je vous envoie le premier croquis et puis l'ou-
vrage mis au net. Je ris moi-même en voyant ma
façon de dessiner. Mais vous savez que tous mes mem-
bres, excepté un, n'ont jamais voulu obéir à mon imagi-
nation. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il n'y a aucun
peintre au monde qui travaille aussi vite que moi.
Mais laissons mes louanges et mes talents. Je sens que
mon dessina grand besoin d'une description. Je couche
donc le duc et la duchesse ; ils se donnent la maîu
cela indique, en même temps, la constance de leur
amour conjugal, et le tour que la duchesse a joué, à
son mari, de l'entrainer après elle. La duchesse, sou-
levant une main, d'un doigt indique le ciel où il faut
monter, et l'unité d'un Dieu, en qui seul il faut avoir
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI I3i
confiance : elle regarde en haut en effet. Le duc, d'un
air attendri, la regarde, et, pour prendre congé de sa
province, lui donne sa main à baiser. La Province,
symbolisée par un génie en pJeurs, lui baise tendre-
ment la main, et parait vouloir le retenir. U tient de
l'autre main l'écusson des armes de Gotha, etc. ; de
l'autre côté, auprès de la duchesse, est un autre génie,
le visage couvert d'un drap, le flambeau renversé,
éteint dans la main ; de l'autre, il embrasse le tombeau
où sont les cendres chéries : c'est l'amour filial. Le
tombeau est simple, d'an ordre atUque, l'inscripUon
au milieu. Le tout porte sur deux socles, dont le pre-
mier est orné de crânes de boucs, avec des festons i
l'antique; l'inférieur n*a qu'un ornement à bâtons
rompus à l'antique. Si vous le faites dessiner joliment,
vous verrez que le tout a un bel elTet, et une grande
harmonie ; car les postures, quoique simples, sont en
contraste. Voilà mon ouvrage de deux heures. J'ai
ajouté l'inscription, et elle vaut mieux que mon dessin
à beaucoup près. Si le prince s'y connaît, il ne la chan-
gera poinldu tout. Lesannées et les jourade leurs morts
devraient s'écrire sur les côtés latéraux du monument,
pour ne pas allonger l'inscription, et ne lui rien ôter
de sa majesté laconique. Voilà assez parler des morts.
Vous me grondez de ce que j'ai quelquefois de l'hu-
meur contre Hagallon ou d'autres ; mais savez-vous
que c'est le plus grand des miracles que mes lettres ne
jbïGoogIc
132 LETTRES DE (iÂLIANE
soient pas remplies de mauraise humeur ? Piiis-je
écrire à Paris sans y penser ? Et puis-je y penser sans
avoir de l'humeur? Hagallon m'écrit cette semaine, et,
pour me consoler, il veut me faire accroire que Paris
est changé tout à fait; mais, taot que mes amis vivront,
il ne serait pas changé pour moi.
La cérémonie de mademoiselle Clairon, à la statue
de Voltaire, a je ne sais quoi de pantomime grotesque
qui me déplaît '. On en aurait pu faire tout autant.
1. J^ eérimonie qui s'était passée chez mademoiselle Clairon
et que Galiani qualifie si aévèrement, était due i l'initislive de
Mannonlel.t Mademoiselle Clairon donne ordinairement àtoupet
les mardis. Personne n'était prévfnu. La compagnie se rassemble
chpi elle. Elle n: partit polnl et se Tait eicuser, sous prétexte
qu'il lui eal survenu une attire indispensable, mais ne lardera
pas t paraître. Lorsque tout le monde est arrivé, on prie
l'assemblée de passer dans une autre plËce. Li, deut rideaux
s'ouvrent. On voit le buste de M. de Voltaire piané sur un autel.
X côté, mademoiselle Clairon, babillée en prétresse, commence
l'apothéose en posant une couronne de laurier sur sa létc el en
s'écrient, avec cette voii noble et harmonieuse que nous avons
tant de (bis applaudie au théâtre :
Tu db : Attendons qu'il succomtic
Kt (|ii'il vienne enfin d'expirer.
• M.iIg la Harpe, l'un des spectaieurade l'apollifoie.riilchargé
d'eu rendre compte à M. de Voltaire. Cet hommage fait un sen-
sible plaisir au patriarche, comme tous pourei penser. Il a
répondu A M. de la Harpe : c La maison de miidemoiselie CUIron
est donc devenue le temple de la gloire î C'est à elle A donner des
lauriers, puisqu'elle en est toute couverie. Je ne pourrai pas
la remercier dignement. Je suis un peu entouré de cyprès, i
(tirimni, Corr, Lilt.)
jbïGoogIc
LETTRES DE CAMAni 133
si ou avHit consacré, dans le loyer de la comédie, la
statue du dt<!u Priape. Ou a beau faire ; lanl que nous
ne ferons point du théâtre un acte de religion, et
des ûiles de joie des prêtresses, on ne Tera pas d'uu
poète U'agiquG un héros à statues.
Vous m'apprenez la chose du monde la plus neuve,
et kl plus étonnante pour moi; que dans mon Dialogue
sur les femmes, il y a un trait qni pourrait blesser
Thomas, dont je n'ai pas vu l'ouvrage ', et madami;
Necker '. in vous jure que je n'en aï pas eu l'intention .
Trois cents lieues et trois années sont de grands inter-
valles. N'aj-ant conservé aucune copie de mon Diato^e,
Je ne sais pas ce qu'il y avait. Vous Ot^>8 la maîtresse
d'en ôter tout, la moitié ou telle partie qu'il y aurait,
et vous ne pouvez me l'aire rien de plus agréable, que
d'en ûler ce qui blesserait mes véritables amis. Je me
souviens qu'il y avait ce trait, que dans mon Dialogue
il n'y avait rien de ce que dit M. Thomas. Hais ceci
roc tdesse bien plus qu'il ne le blesse. J'aiaierais bien
mieux dire les choses que dit Thomas, que lui de dire
les miennes. Ainsi, je ne crois pas que ee soit cela qui
). Ihotaaa venait d'écrire un ouvrage inUlulë ; Eiiai sur tf
caraelère, les moews et l'eiprit des /tmmes. Mais quand Galîani
avaii composé son Dialogue *ar lei femmes, il ne connalssiii
pas encore le travail de Thomas.
2. Thomas avait esquissé le panégyrique de madame Neclier
ifana son Btsai tur fn Jimtxfi-
jbïGoogIc
131 LETTRES UB GA.L1AIS1
VOUS parait offensant. Au reste, dtez tout, je tous en
prie. Au surplus vous savez que j'aimerais que mes
lettres fussent lues et vues de tous mes amis. Ce n'est
pas par vanité : c'est pour me conserver daos leur sou-
venir ;c'e3t parce que j'aimenis à leur parler, et je ne
le puis pas ; c'est parce que je mange i Naples, mais je
vis toujours k Paris et j'y vivrai tant que je pourrai.
Ainsi, de mon côté, nulle difficulté que ce que je vous
envoie soit vu, excepté ce qui blesserait les dévots,
gens à CTaindre, gens qu'un Italien doit encore plus
ménager qu'un Français.
Ha foi 1 il faut enfin aller se coucher. Bonsoir.
P. S. n me parait qu'on n'entendra rien à mon Dia-
logue, ou du moins qu'on ne le goûtera pas, si on ne
lit votre lettre dont il était la réponse-, si vousvoulet,
je vous en enverrai la copie.
Naplci, 1 noirmbn; tTH
M. Sersule est arrivé. Il m'a remis te Bonheur
d'Helvétius, de votre part; la jvose en vaut bien les
jbïGoogIc
LETTRES DE r.ALlAIVI 13S
vers. DîLes-moi si c'est d'Alembert qui )'a écrite, ou
l'abbé MorelJet ou quelque autre de ses amis '.
Il m'a remis en même temps une lettre de vous, et
j'ai Irauvé avec plaisir que c'était le d° 8, que je re-
grettais. U ne me manque à présent que le n" 7 ; mais
j'entrevois qu'il ne pouvait me parler que de vos
maux et de vos chagrins, ie ne le regrette donc pas.
Votre n" 8, qui a peutrétre bien eu raison de ne pas
venir par la poste, m'a attendri jusqu'aux larmes. Vous
m'ouvrez votre cœur, que je vois brûler aus fiammes
d'un élixir de sentiments, de vertus et d'héroïsme. Mais
pourquoi être héroïne au point de s'en trouver mal î
Si la vertu ne nous rend pas heureux, de quoi diable
sert-elle ? Je vous conseille donc d'avoir autant de
vertu qu'il en faut pour vous procurer vos aises, votre
commodité, et pas davantage. Si quelque chose va
arriver qui vous causerait un chagrin mortel, barrez-
la, empêchcz-la de toutes vos forces, et n'ayez pas
le regret de l'avoir pu taire et de ne l'avoir
pas fait; et point d'héroïsme, je vous prie, car
t. Le Bunhgar, poème en six cbanU, ouvrage posthuoie d'Hel-
vétiui. Il ne St sucnne sensation à Paris el fut bientôt oublié.
On ne peut en dire aulant de la préface : t C'est un morceau
plein de philosophie, Écrit dans le meilleur goût, hardi, aage ei
piquant. Cette prérace est de M. de Saint-Lambert, mais à caus^
des scribes et des tipulcres blanchis, il n'en convient pa», et l'on
a ilil qu'elle a été Irourée dans les papiers de Teii Pucloa, >
;Crimm, Corr. liU.)
jbïGoogIc
138 LETTRES DE GALfANI
il me tue el m'ennuie à périr. Depuis (]uc la gloir^'
n'est plAs le souverain bonheur, il ne sert plus de rien,
cap on n'en parle pas. Mais encore quel sol bonheur
que des sots (c'est-à-dire les hommes), au milieu de
cent sottises, mille mensonges, cent mille bavardages,
discnlqudquefois: Ah! la défunle sacrifia sa vie pour uji
sentiment héroïque! Vivent le sot et la défunte! Faites
donc une ferme résolution de tuer ce ver rongjeurque
j'entends à présent, cl que je ne comprenais pas dans
vos pi-écédeiitcs, ù cause de l'anachronisme. Si vous
le voulez, il me parait que vous le pouvez eu par-
lant, mais si vous étouffez, c'est votre l'aule. Au reste,
il me parait que vous ne courez pas autant de risques que
votre imagination montée vous en pi-ésente '. Je ne sau-
rais me persuader qu'un homme de bon sens calculât
toujours les avantages au poids de l'argent el au marc la
livre. Les agréments de la vie sont très souvent incom-
mensurables avec l'argent. Je n'irai pas vice-roi en
Irlande ; or donc, tranquillisez-vous.
Je ne trouve pas qu'un voyage engage à une expa-
1 . Il s'agissait des voj'ag«s répétés de Grimm. voyages qui
désolaient madame d'Épinay. Les fondions diploniatliiups de
(irimm nécessitaient d« fréqnsntfs eicursions dans les cours
d'AUeroagne. ^n titre de conseiller privé de l'impératrice dp
Russie, les missions dont elle le chargeait el par-dessui taut
l'attachement prorond qu'il avait pour elle, l'attlraieDl aussi à
PéierstMiirg. La pautre madame d'EpInay ne poiivall s'baUtuer
h cps abwnces, mal« par délicatesse elle n'osait pas s'en plaindre
jbïGoogIc
LETTRES DE GA.LIAN( 137
trialioli, ni qu'il donne des droils et des litres pour
l'exiger. Un voyage pour sa santé, pour son instruction,
[wur son plaisir : il n'y a que les courriers de cabinet
sur lesquels on a droit d'exiger qu'ils aillent.
La lettre k la mère des rois et des bâtards des rois
était déjà sur la gazette. Elle prouve ù quel point était
iiieple à seplacer à la tête d'un parti son autour, qui
p'iri dti tendresses, de belles plinses et de luamaiis.
a Iri^ mal fait d'aller dans l'ile de l'uniirauté, où il n'a-
vait que faire. Il fallait aller dans la ruelle de son lit
pour se concber ou dans sa garde-robe pour p sa
peur. Quel sijjcle ! quels héros de papier mâché ! Et
vous aimez l'héroïsme ! Bonsoir. Je suis en colèrecontrc
les héros présents et à venir. J'aime les trépassés, car
ils juraient comme des renégats et ne disaient pas ma-
man, mais r. Ainsi soil-il.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANt
Nnples. ^^ ntvembre ITTI-
Ma belle dame.
Il est vrai que j'ai laissé écouler quelques semaines
sans vous écrire, mats mon imagination démontée ne
oie fouraissait rien. La semaine passée aussi, j'ai laissé
de vous écrire ; je n'en avais point envie, et il ne faut,
conune vous savez. Taire jamais rien à contre-cœur.
Peulr-élre je n'écrirais pas ce soir non plus, si je ne
(levais vous féliciter sur votre heureux dégonQcment.
Eole, votre amoureux, vous avait rendu grosse d'un
Nothus. Changez d'amoureux, si vous m'en croyez,
sans quoi vos accouchements seront terribles, épouvan-
tables et vous n'en pourrez jamais garder le secret....
Dieu puisse ne pas vous Taire manquer desage-Temme
dans cette importante situation !
Gleichen ne m'a jamais écrit depuis Paris. Gatti
1. Cetl« lettre n'eiUie pas dans l'édition Barbier.
jbïGoogIc
LETTRES DE GA.LIANI 199
doit être proche de Chanteloup, s'il n'est pas mort de
regrets en chemiD. Je suis, oq ne saurait davantage,
anéanti par un mortel ennui qui ne m'empAche pas de
me bien porter. Aimez-moi, et croyei mon esprit mort,
et mon cwps plein de santé. Adieu.
A LA MÊME
Naplvs, ïi novembre i""î.
Apparemment, ma belle dame, votre n" It est celui
que vous avez écrit hier, et qui ne m'est pas arrivé au-
jourd'hui, parce qu'il doit attendre une occasion. Il est
vrai, je suis resté deux ou trois semaines sans vous
éet'ire : mais n'admirez-vous pas qu'après trois années
d'ennui et de séjour à Naples, j'écrive encore?
J'aurai aussi un Dialogue à vous envoyer ; mais il
ne vous sera envoyé que par Grimm, s'il vient le cher-
cher. Je ne vous dirai à présent que ies interlocuteurs:
Voltaire, le baron d'Holbach, le curé de'Deuil. Jugez par
les interiocuteurs du mérite de la chose.
Vous m'avez donné de très intéressantes nouvelles de
Paris. Si j'aimais ta vengeance, je vous dirais à mon
jbïGoogIc
m LETTRES DE r.ALIAM
tour que la princesse tl'Acquaviva est accouchée ; qui^
le duc de Calabritto est parti hier pour srt terre; que
sa mère l'a devancé de quelques jours : que sou pagu
a été, avaut-hier envoyé aux galères pour l'avoir volé ;
et qu'enfin il a plu cette nuit. Si nous continuons sur
ce ton, noire correspondance deviendra aussi intéres-
sante qu'amusante. 11 suffit que vous vous souveniez
que l'exemple m'a été donné par vous, en m'appre-
nant que mademoiselle Luci est morte, et que ma-
dame Nccker déménage.
Ix temps me manque ce soir, ayaalécrilun volunhi
fl Caraccioli. Pourquoi personne ne me parle-t-il di»
Gleichen ? Saluez-moi le baron, la baronne, etc.
Adieu, aimez-moi, amusez-vous avec le découpeur de
Voltaire'. Bonsoir; mille compliments à Hagallon qui
vous rendra celte lettre.
1. Le découpeur de Voltaire, doutoiadauietl'Épiaay avait parlé
à Gallanl, n'éiaii autre que le rameui Huber de Cienère- Nous
Irouvoni sur lui quelque» détails dans les Mémoira de nmlanio
ilOberifircb : iM. Huber, doué d'une TaciliLé eiiraordinaire. t
appriK la peinture tout geul. Il avait surtout le talent de décou-
per des portraits et faisait alosi des tableaux d'une exécution
étonnante. Sa réputation s'étendît daai toute l'Europe. Protégé
par Voltaire, il avait découpé son protrait si souvent, qu'il 1p
faisait avec les mains derrière le dos sans ciseaux et avec une
parte qu'il déchirait seulement. Les vingt dernières années de sa
vie se passèreDt chez M. de Voltaire t faire des tableaux à l'buile
assez mauvais, dit-on, •
jbïGoogIc
LETTRES DE UALIANI
A H. BAUUOL'IN
Maître des rrquêlcs.
\aplc«, s» noïeiiilire nii-
MoDsicurct cher ami,
M. Schulz ' m'a fait parvenir dea papiers concer-
naot l'administration actuelle des blés eo France, que
vous aviez souhaité mo communiquer.
Avant que de vous en parler, permettez que je vous
dise qu'il y a eu un an au mois de juillet que je vous
avais expédié deux quintaux de macaroni et de lasa-
gnes, dont H. Nicolaï avait été l'Iieuivux négociateur.
Le consul d'Espagne à Marseille m'avertit qu'ils étaient
en effet arrivés, et qu'il allait les expédier à Paris,
adressés, pour une plus grande sArclé, à notre aimable
Magallon. Depuis cetle époque je n'ai eu aucune nou-
velle de res caisses. J'ignore si elles vous ont été
exactement rendues selon mon intention. En vain j'en
ai parlé mille l'ois à NîcolaT. à Magallon, au prince
Pigoatelli, à la nature entière; tout a été sourd à ma
1. Secrétaire de l'ambassade de Danemark.
jbïGoogIc
143 LETTRES DE GALIANl
vois. Ce qu'il y a de plus incoDcevable, on répondait à
mes lettres, et l'on se taisait sur cet article. Le plus
court aurait été de vous en parler à voi]s-iiiéme,maisJQ
rougissais d'une démarche qui paraissait viser à exiger
un remerciement pour une bagatelle. Puisqu'il faut
que je vous écrive, permiittez que je. vous dcmaniie:
les avez-vous mangés, oui ou non? Étaient-ils bons?
Eu voulez-vous davantage, si vous avez reçu les pre-
miers ; ou qui a été assez téméraire pour vous les
escamoter t
Passons à présent à la lettre et aux réflexions sur la
lettre de H. le conlrdleur-géaéral. Ce que j'ai trouvé
de Doieux dans ces deux papiers (et qu'on n'y lisait
pas), c'est la preuve complète de votre souvenir. Vous
m'aimez donc encore, et rien n'est plus doux ni plus
flatteur pour moi. Au surplus, que voulez-vous que
je vous dise ? Ce qu'il y avait de mieux dans mes
méchants Dialogues, était assurément l'épigraphe tn
Vilt'utn ducit citlpœ fuga, si caret arle. M. le contrôleur-
général voyant la barque penchée d'un cdté, la ren-
verse de l'autre: il veut empêcher l'exportation, il
détruit la circulation intérieure. Il ramène les permis-
sions particulières, il ramène l'arbitraire, le vice radi-
cal des monarchies. Tout est l'effet pourtant de la
première faute de vouloir le commerce des blés, ou
tout à fait Ubre ou tout à fait défendu. Supposez mou
système adopté. Voici ce qui arriverait. On embarque-
jbïGooglc
LETTRES DE GALIANI 143
rail, par exemple, au Havre des blés, en déclarant qu'oa
veut les envoyer à Bordeaux. L'exportation paye une
traite, la circulation intérieure n'en paye aucune. Mais
comme on n'est pas sûr de la fidélité du négociant, on
commence par lui faire payer au Havre le droit de traite,
ou par exiger une caution splvable. Si, au bout de quel-
ques mois, il rapporte le certificat de la douane de
Bordeaux, d'avoir importé autant de blé qu'il en a
embarqué au Havre, on lui rend son argent ou l'on
casse sa caution. Sans cela il est censé l'avoir exporté.
Le négociant rencontrera toujours par devant lui
un droit d'exportation dans ses spéculations; droit
inévitable, et qui retardera son envie d'exporter, lui
rendant toujours préférable l'approvisionnement des
provinces de la France. On en usera de même avec
les colonies, sons avoir recours aux permissions par-
ticulières. Tout cela sera la chose du monde ia plus
aisée, aussitôt qu'on aura établi un- droit de traite;
droit salutaire, sans lequel le commerce des blés ne
sera jamais libre, ni tolérable. Je vois malheureuse-
ment que je ne me trompais pas en disant à MH. les
économistes, qui n'y entendaient goutte dans leurs
évidences, que le commerce d'exportation serait sou-
vent préféré & celui de l'approvisionnement d'une pro-
vince éloignée ; qu'on donnerait du pain aux ennemis
plutôt qu'aux gens de la maisou. M. l'abbé Ribaud
ou Koubaud,disait qu'il ne connaissait point d'ennemis;
jbïGoogIc
m LETTRES DE GALIANl
que tous les hommes claieQt frères. C'est bieii cliré-
tien, et bien peu politique. Enfiu celte afiairc me pa-
rait gftiée pour longtemps en France ; on n'y suivra
ni le systèm3 des économistes, ni le mien ; on y suivra
le système naturel des monarchies, les permissions
particulières, les faveurs de la cour, les entreprises
àes traitants, un coup de plume d'un intendant, une
irattc de giilTii d'un ministre d'État; cependant la
France existera, puisqu'elle a existé de la sorte pen-
dant huit siècles. On verra que le physique n'est pas
changé, et l'on croira que le moral ne l'est pas non
plus. On verra que les marronniers des Tuileries ont
bien repoussé leurs feuilles au printemps, et l'on ne
s'apercevra pas si les gens qui se promènent dessous
sont des membres de l'ancien ou du nouveau parle-
ment * ; c'est l'erreur naturelle des hommes de con-
fondre le physique avec le moral ; je ne m'en étonne
pas. L'effet physique suit de près la cause; l'effet
moral est très éloigné. Un orage arrive, et dans
l'instant il déracine les vignes; on fait une faute en
politique sur le commerce des vins, il faut attendre
deux ou trois générations pour voir que ce malheureux
I. I.'aticipn Parlement avait éié dissous en H'i; le nouveau,
surnommé pailemeni Maupeou, avaii été composé des membres
Jii (Irand Conseil el de quelques anciens membres de la Cour
des Aides. Le chancelier Maupeon avait supprimi^ tous les
anciens oHIces du l'arlemenl.
jbïGoogIc
LETTAES OE GÂLIAM 14.1
impôt, ce trop bu, imaginé il y a un siècle, a déiaciiié
plus de vignobles que tous les orages pris ensemble.
Vous existerez donc et même vous ne vous aperce-
vrez d'aucun diangement, quoique vous ayez perdu le
pivot de votre liberté, la vénatilé des charges dejudica'
ture. Elles n'en seront pas moins vénales à la faveur
dorénavant; elles ne seront plus liéréditaires et indé-
^ pendaules. Ce coup suffit pour diJnaturer la France et
les Français au bout d'un siècle. Si vous réussissez ù
rétablir la vénalité sur le système ancien, comptez que
tout ce qui est arrivé n'aura Tait aucun mal; il aura
au contraire servi îi ramener le bon sens en politique
et à détruire les systèmes creux, conune la querelle du
jansénisme, après quatre-vingt mille lettres de cachet,
a servi  ramener le bon sens en théologie. Mais si
vous restez avec peu de magistrats amovibles, tion hé-
réditaires, vous tombez sous l'esclavage de la robe,
comme ma patrie, l'Espagne, le Portugal. Il est moins
dur que celui du soldat, comme était celui de l'empire
romain, du Turc, des Orientaux: il ronviuut mieux à
un j>euple policé: c'est un esclavage lent et mou.
Il n'a pas l'attente et la ressource d'une ré\olulioi)
comme l'esclavage militaire. Il dessèche et maigrit la
raison d'une nation ; ù cela près il parait ne causer aucun
effet important. Mais est-ce un si grand mal de vivre et
de mourir bêle ? C'est à vous à résoudre ce problème '.
I. H. Bdudouin irrut cviilïinmcnl que ce vous était ù sun
■(IrCïfte, car madame il'ËpiDa), i|ui vit la letlri'. en lit rrproebe
jbïGoogIc
U6 LËTTfiBS DE UALIAM
Si vous avez des moyens de faire contresigner
quelques lellres', vous ne pourriez me faire u» plus
jjrand plaisir que de ni'écrire quelquefois. Mandez-moi
ce que font les économistes dans leur biver. Sont-ils
devenus des chrysalides f Leurs éphémérides, à quoi en
snnt-ellfis? Parlent-ils toujours du blé? Ont-ils entamé
d'autres questions importantes? J'ignore, dans ce coin
du inonde oli je me trouve relégué, ce qui se passe
dans la charmante ville de Paris. Vous taisez-vous
toujours ? et de quoi parlez-vous, si vous parlez ? Allons,
dites-en quelques mots à votre très humble et trè;^
obéissant serviteur.
A NADAHt: 1) i:v
Je ne suis resté que dcui semaines ou trois tout au
plus, dans le courant d'ocf/)bre, sans vous écrire. Je ue
It Galiani. L'abbé Ait trùs dé.iolë de celle méprise ei expliqua
que dans ta peoaée le voui malencontrciu Icnail lieu de vùui
aulra Français. (Voir la Icltre de GoUani à raidamc d'Ëpioay du
S avril 1773.)
t. Lm faire contresigner, c*eal-à*dire les Diirc pmenir sans
frais. C'est toujonn un dri grands pointa pour l'abbé!
ç)tzsci!,G00glc
I.ETTRE.S DE GAI.IANI i»
iii'atuusais pas, inaiit je m'ennuyais trop pour pouvoir
vous écrire. Depuis ce temps, je vous ai écrit r<igu-
lièrement sous l'enveloppe de iM, Magallon. i'ai cru en
cela vous faire plaisir, et répondre à vos intentions, cai'
vous vous plaigniez des relards dans la main de Curac-
cioii, et Hagallon m'avait encouragé à lui écrire en
droiture. Je crois qu'elles se sont égarées, parce qu'elles
étaient des plus longues et des plusintércssantt!S ([ueje
vous ai jamais écrites. Il y avait mon inscription pour
la statue du czar Pierre: mon projet pour le tombeau
de Saxe-Gotha; et mille autres choses dont je ne me
souviens pas.
Je suis en butte aux chagrins, aux malheurs, aux
petites disgr&ces, depuis quelque temps, d'une manière
incroyable. Elles affectent mon humeur bien plus que
ma saoté. Je n'ai la force de vous rien mander, puisque
je n'ai pas celle de vous faire tenir mes lettres. Si ou
inveuUut des bombes h lettres!
jbïGoogIc
LETTRES DE fiALlAHI
Nank's, n décemlirc t17x.
Vos deux lettres, du 15 et du 2â uovembri!, me sont
parvenues dans In même semaiac. Elles se coiitrediBent
puiscjue la première mu donne lu baron h" pour
guéri, la seconde mêle peint malade u faire peur. Celte
incertitude me tourmente plus que vous no sauriez
imaginer.
Votre lettre du 15 me donnerait occasion de taire
dis dissertations sur la ressemblance que vous tous
trouvez avec Ragot ' ; mais je ne suis pas en train do
disserter co soir. Lorsque j'imprimerai mon Trtiiti du
Oioit de Nature et des Gens, cela aura s;i place '. J'en-
treprends d'étudier le droit de nature dans les œuvres
île M, de ButTon et d'après les bêtes. Dans la collection
des Voyages de l'abbi' Prévi'tt*, je cberclierai te droit
1. Ragot ûuit le chien de tnedamc il'Éiiiiiiiy.
2. Galimi a laisii un manu-^cril a^ant pour tilro Du droit de
la nature el det gm$, lire d'Horaee.
3. Labbé Prévost dEiiles (1697-1763) tut un des écrivains les
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIAHI 149
ùas gens. La ressemblance de l'Iioiiime au chien itùt
mon Traité du Droit de la Paix et de la Guerre; )a
ressemblance de l'homme au (aureau établit mes prin-
cipes du Droit domestique de l'homme dans sa rainillc
Après mes deux Traités du droit de Nature et de celui
des Gens, vient mon Droit public, qui nura pour tilrc :
De l'Influence des Préjugés du Droit romain, sur le
Système politique actuel de l'Europe. Voilà ce que
je puis vous en dire ce soir. Je parle de composer des
ouvrages, cl je n'ai pas la force de dicter une adresse.
Ah ! mon Dieu que je suis abruti 1
Dans la semaine, j'ai eu douze chagrins au moins,
bien petits à la vérité, car le plus Tort a été que,
sur une abbaye dont je payais, pour le cadastre, en
tout dix livres par an, on veut m'obliger d'en payer
vingtrsix. Que mon cœur devient mesquin dans ce
pays sans vicissitudes, sans grandeur d'aucune espèce,
tvcepté des grands sots? Enfin je ne suis bon à rien
ce soir.
plus Kronds <lu xviir siècle et soti romiin de ManoD LesL\iut ttl
resté au pr«nier rang des produclions de œ genre. Il eut une
etUlenee très romanesque, terminée par la mort ta plus irs-
giqae : Trappe d'une attaque d'apopleiie eu traversant la for^t
de Chantill/, il Tut releré inanimé par des pï^aans, qui le trans-
portèrent à la cure volalne. l.'ofGcier public appelé ordonna
l'oiiTeriuredii corps et ao premier coup de scalpe!, l'abbé poussa
on grand cri; il succombatt quelque* minutes après h cette
horrible blessure. — Son Biiloir» itei Voyage* est un oavrngiï
MMttidérable, qui a été dans la salle retouché par t.aharpe.
jbïGoogIc
tSfl LETTRKS PE GALIANI
J'avais répoudu. dès hier, à lu chaise de paille. Il
tàul <)ue j'écrive ce soi>' ù Gleichen. Je vous remercie
de l'épitaphe de Piron ' dont il n'y a qne les deux
premiers vers qui soient bien beaux.
Si je n'élais trop malheureux en l'ait de tlnances,
j'accepterais l'offre eitrâmement polie, que vous me
faites do la meilleure grâce du monde, de tirer sur vous
jusqu'il la somme de dix louis ; mais je ne m'aviserai
pas do compter pour sûr rien de ce qui est dû par
Merlin l'enchanteur. Ainsi mandez-moi au plus vite
l'argent que vous aurez reçu de lui ; et alors ce sera fe
temps d'en disposer.
J'obéis en vous écrivant par ta posle; mais je suis
persuadé que Hagallon aura à présent ses lettres payées
par la cour : vous pourriez éctaircir ce fait.
J'ai dû répondre une lettre économico-politique à
M. Baudouin. J'imagine que Magallon pourrait vous en
procurer la lecture.
Je vous l'ai dit, ce soir il n'y a pas moyeu de tirer parti
de moi. Bonsoir. Porteï-vous bien, Saluez mes amis.
1. Piron avait hil une chute qu'il disait pUiumnieDt âtre la
plus grave qui ait été faile depuis celle d'Ailim. Il Écrivit pour
lui-m^e l'éplUphe suivante :
J'ielièvc ici-bai ma roule.
C'était un vrai caese-cou ;
J'y vis clair. Je o'f vis goullc
Je fut 5«ge, ja lus fou ;
A ie lia J'arrive a
jbïGoogIc
LETTRES DE r.ALIANI
Je u'iii pas plus île verve ni de gaieté, ma belle dame,
fie soir que d'ordinaire. Rien ne m'égaie, rien ne m'é -
lectrise. 11 faut pourtanL que je réponde à vous qui
m'avez érrit une lettre charmante, et à cette chaise
de paille, aussi aimable que cruelle, qui veut me
garder rigueur encore un an. Mon Dieu ! que cette
anaéc sera longuet Dites-lui que Caraccioli ne connaît
pas plus l'Italie d'à présent, qiie voua. 11 n'a pas vu
les nouvelles coursde Milan. Florence et Naples; il ne
sait pas que les chemins sont devenus impraticables
en hiver; il ignore qu'il y a des spectacles partout eti
été, et qu'il n'y en a pas dans l'Avent, dans le Cari*me
et quinze jours après Pâques. En vérité c'est une folie
de ne pas suivre mon projet de voyage tei que je le lui ai
envoyé ; et puis il faut se tirer des embarras le plu.s
tôt possible. Plus tôt ce voyage sera commencé, plus on
se dépéchera de le finir; et il faut compter l'antici-
pation du temps pour le tout parmi des êtres mortels,
jbïGoogIc
15Ï I.KTTKES DE «ALIAM
Vous l'erez de mon Dialogue ' tout ce que bon vous
semblei'a, pourvu qu'il ne coure risque d'ëlre impiimO.
Vous pouvez croire, que lorsque j'écrivais, je ne di-
sais rien de ce que dît M. Thomas • , je pensais ii
faire un acte de modestie. 1) faut donc que son livre
soit bien mauvais, s'il ne dit pas des choses qui vaillonl
les miennes. Hais, enfin, je voudrais voir son livre, et
le recevoir au plus vite, car on me demande des livivs
nouveaux pour faire lire à notre reine, et j'imagine
que ce livre pourrait lui plaire.
Vous avez eu raison d'aimer le chevalier Mocenigo;
j'ai vu le même penchani dans mademoiselle Clairon,
pour le duc de Villars, et j'observais que ces messieurs,
par leurs soins et leur politesse, font conlinuellemenl
des amendes honorables aux femmes du tort qu'ils
leur font dans leur imagination. Peut-être aussi regret-
tent-ils de n'être pas femmes autant qu'ils voudraient?
et ils vous admirent commes les textes dont ils sont
les très humbles commentateurs : vous étiez donc un
Tacite, un Suétone, dont Moccnigo était le Cazaubon ».
A propos, diles à la chaise de paille que, s'il parait
à Paris, en langue française, quelque chose du voya^
1. Hon Dialogue sur Irs l-'eiiimfs,
3. Voir l'appendiee VII.
2. Voir l'appenillce Vll|.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANE 153
des savants danois en Arabie ', il m'en informe tout
de suite ; je souhaiterais de l'acquérir.
Aimœ-moi, plaignez ma tristesse, ma situation
ennuyée, mes goûts point satisfaits, mon ambition
déplacée, mais sachez que je me porte bien malgré
A LA M^MK
Naplo, 1 juiiTler ^^^3.
Ma belle dame, le courrier de Franra de cette semaine
n'est point arrivé ; mais je vous dois une réponse au
n" 11, car pour le n" {6, je l'attends avec M. de Pigna-
telli. La semaine passée, j'avais trop de chagrins et
d'ennuis pour vous écrire; cette semaine j'en ai tout
autant, à cola près que j'ai recouvré mon chat qui
s'était égaré en courant les chattes des rues. Le reste
de mes chagrins est à peu près de la même force, et
l'easenible en est horrible. Ah 1 la vilaine chose que
le néant ! On s'est tant tourmenté pour savoir ce que
1. Vojage de Klebiibr en Arable.
jbïGoogIc
HK LETTRES DE GALIAN[
c'était que le diable, l'enter, etc.; c'eat le néant, le.
(>ontraire du tout, c'est-à-dire de Dieu. Ceux qui n'ont
pas savouré le néant, ne m'entendront pas ; je m'en-
tends bien moi. Qu'on voie Paris et Naplas, on verra
nne légère esquisse du fout et du néant, et qu'on vienne
iiprès me dire que non !
Vous m'avez envoyé un arrêt du conseil sur les
blés. Si cela renouvelait la querelle, le débit de mon
livre, une nouvelle édition, avec un dialogue en forme
d'apocalypse que j'y ajouterais, cela m'intéresserait
beaucoup ; mais j'ai grand peur d'avoir tué trop tùt les
économistes. Je devais m'en amuser longtemps aupa-
ravant, comme les chats Tont des souris, et enltn les
croquer. A quoi en sont^ils? Vous ne m'en avez jamais
rien dit depuis. Et y a-t-il une éphéméridc encore?
Au reste, ma belle dame, voilà mon plan d'apocalypse.
Le roi joue son jeu, les parlements jouent leur jeu:
tous les deux ont mison. La monarchie tient essentiel-
lement à l'inégalilé des conditions, l'inégalité des con-
ditions au bas prix des denrées, le bas prix aux con-
traintes. La liberté entière amène la cherté des vivres
et la richesse des paysans. Le paysan riche ne lire
plus à la milice, ne supporte plus la taille arbitrairo,
les saisies des contrebandes, etc.; il a la force de ne
plus se laisser fouler, soit en se révoltant, soit en plai-
dant en justice, et il a assez d'argent pour ^gner des
procès. Il amène donc là forme républicaine, et eiilin
jbïGoogIc
LETTRES DE GAI.IANI 1M
l'égalité des conditions, tfiii nous a coùU- six mille uns
à détruire.
Hais laquelle des deux formes aimez-vous mieux,
on me demandera ? J'aime la monarcbie, parce que
je me sens bien plus proche du gouvernement que de la
charme. J'ai quinze mille livres de revenu que je per-
drais en enrichissant des paysans. Que chacun en fasse
comme moi et parle selon ses intérêts, on ne se dis-
putera plus dans ce monde. Le galimatias et le tinta-
marre viennent de ce que tout le monde se mêle de
plaider la cause des autres et jamais la sienne. L'abbé
Morellet plaide eontre les prêtres, Helvétius contre les
financiers, Baudeau contre les fainéants, et tous pour
le plus grand bien du prochain. Peste soit du prochain
Il n'y a pas de prochain. Dites ce qu'il vous faut, ou
taisex-vons *. Adieu.
1, Galiani anit nr ee point des ibéorlet Lrfes arrêtées; Il ne
l'en cachait pa* ; nom en Ironvoni une nouvelle preuve dani
cette citation de [Hderot (Corresp. avec inadtmoiîelte VoUand) :
* Le iMran eat de teiour. Je dlnal liier landi avec lu[. L'abbé
Salianl y était. Il préclii contre la faTenr aocordée 1 l'agriculture
par une raison très bizarre : il disait que l'agriculture él«il U
plot importante des eonditiom et qu'il avait fallu plus de quilre
mille BUS pour l'avilir, et que cberchpr à la tirer de cet avilis-
sement, c'était travailler k réduire kg ducs et pairs à rien et 1
métier le roi dana Km Parlement accompagné de douie boii-
jbïGooglc
LETTRKS DE CALiAiM
Nnple), 9 Jnnvier IITS.
Ma belle dame.
Votre [lettre du âl décembre, sans numéro, ne vaut
pas grand'cbose ; la mienne ne vaudra rien. Vous êtes
nialade. Je suis dans le comble de l'afDiction. Je viens
de perdre mon ami Sersale, qui est mort ce matin. Je
l'avais fait venir exprès ici pour être mon ressouvenew
de Paris. Je comptais passer des jours beureun avec
lui ; un peu de goutte et beaucoup d'exécrables méde-
cins me l'ont enlevé. On l'a tué. Il faut donc que je
sois malheureux tout à fait à Naples, que tout me porte
gutgnon, que rien ne me soulage, que rien ne me rap-
pelle mon Paris. Ne faites pas venir Grimra ici ; s'il me
faisait plaisir, il en arriverait malbeur. La baronne
voudrait que je ne sois pas triste. Le moyen de ne pas
l'ôtre t M. de la Vaupalière ' est arrivé. Il ne me vaut
1. M. de 1b Vaupalière, dont parle Galiani, était anibai:-
sadeurdeFranceà Naples; sa Bile avait épousé M. de Matignon.
Madame de Saussure, dans son journal , parle I plnsleiirs reprises
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIÀHl Iâ7
pas Sersalc, que j'aî perdu. Je ne suis boo ù rêver
d'autre chose. Au moios portez-vous bien, vous, cl
leDezrfnoi lieu de tout ce que je perds. Vivez plus que
rooi, voilà tout ce que je vous demande. Quand je
serai mort, mourez à votre aise et sans vous presser,
je n'en saurai rien. Adieu.
A LA HEMt:
Votre santé me chagrine plus qu'elle ne m'inquiète ;
vous êtes dans un Age critique; vous soutirez depuis
de M. do II Vaupslièrc. a .Xoud fûmes illner cbez l'arnbas^adeur
do France. Un dloer de plus de IreiiLc persanne.i. des princes
russes, des princesses napolitaines; en&n, ud diner de très grande
imporlaoce. Cela me coûtail fort, mais it s'est irùs bien passé.
L'ambassadeur a été Tort poli, madame de la Vaupaliére fort
béguenle et madanede Matignon Ibrl criarde, x Et une «utrc foU:
• J'ai Tait UDe longue toilette et nous sommes allés chez l'aiobas-
udeur de (-'rauce. Madame de Hatignun , sa Ullc, a seUe ans ; elle
e«t gaie, elle est folle : c'est Hébé et ses grAces ; elle n'a point
l'air française ; ^e saute, elle danse ; sa belle-mëre. madame
de Ib Vtupatière, (l'ambassadeur était remarié) est 1res raison-
nable et tiès jolie; elle aime passionné méat son mari qui joue tout
son avoir, mais qui a une physionomie cbormante. Elle a aussi
une 611c de quatre ans qu'elle chérit.*
jbïGoogIc
15N LETTRES Mt GALIANI
loii^teniits ; vous n'en ëtot pas morte; ergo vous iiVii
mourrez pas; ergo voui parviendrez à P«i,tréme vieil-
lesse des gens qui pansent, qui est de dix mu plus
courte que celle des gens qui végètent.
Parlons donc de choses gaies. Nous avons ici depuis
hnil jours une troupe de comédiens français, événe-
ment bien singulier et bien neuf pour des Napolilnins '.
Ils ont été très applaudis, et du fond du cœur.
Autre événement bien éti'angc et bien incroyable. Ils
ont débuté par la pièce du Père de famille ', parce
que c'est de toutes les pièces du théâtre français, celle
dont le succès est le plus grand et )e plus assuré dans
toutes les villes d'italieet d'A]lemagn^, événement bien
naturel et (jui ne paraîtra étrange qu'à Fréron et à
Paris.
Dites ceci à Uîderot : dites-lui que mes Napcriitains
sont convaincus que sa pièce est la meilleure de tout
le théâtre l'rançais, et. par conséquent, la meilleure pro-
1.* IleUe troupj avait Joué pluiieurs uinéea de suite t Vienne.
Citait une tlea nieilleures qu'où pût voir sprëi celle de Paris.
■ La troupe de Vienne eit allie d'abord k Venise, où elle a Tait
uni de tort aui autres spectacles qu'ils ont Été dans le ra» de
Mllidier son cipuUlon de Veaiu. Elle est allée i Naples, oii elle
ne réussit pas moius dans ce momenL II ne Taul paa regarder
ceci comme uji petit évÉni-menl ni en lait de goûl de littérature,
ni m&ne eo politique. Il y a vingt ans qu'une troupe fraa(ai>e à
>'sple9 n'aurait pas aiiiré viuift specialeurs et serait morto de
laim. ï (Crimm, Cmr. litt.)
3. Drame eo cinq actes et en |>rose. île Diderot.
jbïGoogIc
Lettres dk ualu.m las
duclîoii dramatique de l'esprit humain jusqu'à C4:ttc
heure. Ils trouvent itourlant que le père a un pou trop
de faible pour ses eofants. Les pères italiens sool iiilt -
iiiment plus durs que les français ; et peut-ëlrc qtie M.
d'Orbessan est aussi un peu faible pour un Trançais.
Vous De devinerez pas i)uellc est la raison sourde du
plaisir inexprimable des Italiens dans cette pièce. C'est
le rôle du Commandeur. Ce personnage a un caractùiu
peu commun en France, et très fréquent eu Italie, où
il a même mérité d'avoir un nom qui manque à la lan-
gue française. C'est précisément le râle d'un seccalon:
Vous voyez qu'un seccatore n'est pas tout à fait un en-
nuyeux, ni un mécliaot homme, ni un imbécile. C'est
u'u homme qui a un système différent, un bon sens à
sa guise, révoltant pour les autres, c'est un homme
mal à propos, gauche, dur, déplacé. Ainsi pour cor-
riger la pauvreté de votre langue, lorsque vous ren-
contrerez un seccatore (il y en a), appele&-le im corn-
miindeur et cela ira à merveille.
La tragédie qu'ils ont voulu donner ensuite était
Mahotnet do Voltaire : la police les en a empêchés. Il
en arriva do mÈine ù Paris. Pour se venger, les comé-
diens ont donné Zaïre, qui a très bien réussi, à cela
près que les Napolitains l'ont trouvée trop dévote et
trop ressemblante, dans des endroits, à une mission.
Vous ne sauriez imaginer la justesse de goût et du
critique qu'un peuple qui entend trCîs mal le Iranfais^
jbïGoogIc
160 LETTRES DE GILIANI
et qui a encore des comédies barbares, a Tait paraître
dans cette occasion.
Le comte de Wilseck est ici. Il me charge de saluer
Grimm et Diderot. Il a été étonné que Grimm ne veuille
pas suivra mou avis sur le voyage d'Italie. Je vous parle
Trancbement. Je suis bien empressé de le voir ; cepen-
dant, je suis content de différer ce plaisir de six mois, et
qu'il ne fasse pas la folie df mener son prince et loi-
méme en Italie cet automne prochoin; il vaut mieux
qu'il y vienne le printemps de l'année prochaine. Por-
tez-vous bien. Aimez-moi. Jii vous donnerai régulière-
ment des nouvelles des comédiens.
J'ai écrit, en effet, à Caraccioli une lettre d'uu ambi-
tieux. S'il prend cela pour une résolution de me lixerà
Naples, il a bien (ort. Un homme qui a enfilé une ruelle
fort étroite, où il ne peut ni reculer ni tourner, n'a
d'autre partit! prendre que de galoper Jusqu'au bout
pour ensuite tourner au large. C'est là ma position. Je
voudrais galoper, parvenir, tourner, et me retirer à
Paris y mourir à mon aise. Si vous cunuaissci dp»
moyens de me faire tourner au milieu de la itiellc, je
ne m'y refuserai pas. Adieu.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANE
Les comédiens tramais ont douné pour troisième re-
présenlation le Bourru Bienfaisant •; elle a eu ua mé-
diocre succès, qui même n'a été dû qu'à l'excellence
du jeu d'Aufresne *, acleur incomparable ; pour petite
pièce, les Folies amoureuses ', médiocrement goûtées;
pour quatrième réprésentatioa Eugénie * qui a réussi
beaucoup. Cependant on a trouvé que l'assassinat, l'ar-
rivée de sir Charles, le temps qu'il reste dans la petite
1. Coiuédje en IroU acies, en prose, de (ioldoDi.
3. Fils d'nn horloger <fe Genève, nommÉ Rival, dont },-!. Bous-
seau parle dans ses Con/kssiotu. Il prit le nom d'Aufresne pour
ne pas mécontenter sa famille et entra au théâtre. Il débuta le
30 mai 1765 à la Comédie -Française. Il partait presque la tragédie
et rappelait par le naturel de son débit la manière de Baron.
Ce naturel lui lit une foule d'ennemis parmi ses camarades; il
fallait qu'il changeât de manière ou que la Comédie tout entière
changeât la sienne. Fatigué d'une lutte incessante avec ses con-
frères, il quitta la Franco et obtint le plus grand succès en
Prusae et en Russie où il mourut vers 18Qlj,
3. Comédie eu trois actes, en vers, de Regoard.
A, Drame eu cinq actes, en prose, de Beaumait'haiA.
Il 11
jbïGoogIc
161 LETTRES DE 6&LIANI
maison sans reconnaître sa famille, enfin lous les événe-
mentsdesquatrièmeel cinquième actes sont brusqués,
précipités, et pas assez développés. Pour petite pièce
le Temps passé qui a été infiniment goûté. A la cin-
quième représentation ils ont dooné l'Honnile Criminel ' ,
qui est tombé. Ils ont trouvé la pièce mal versifiée,
faiblement dialoguée, sans situations heureuseset avec
des héroïsmes déplacés. Pour petite pièce, l'Amant au-
teur et valet *, qui a été trouvé un cbef-d'œuvre du
vrai comique. C'est de toutes les petites pièces celle
qui a eu le plus de succès.
Ayez la confiance en moi ma belle dame, de croire
que ce n'est point là mon jugement : c'est celui de
plusieurs dames et seigneurs napolitains qui n'enten-
dent que très médiocrement le français, mais qui ont du
1- < L'BuHiiéie Criviiiiel, drame eu vers eu tinq actes, de
Feaouillot de Falbaire, est une des pièces de Ihéttre tes plus
vaiaclérîsliques du iviii- siècle. Sous ce titre paradoial, elle oITre
la taise ea scène d'un épisode fort ëmuuvant des dernières per-
sécutions eiercÉcs contre les Rérormés. Jean Pabre. proleslanl
de Mmes, obtint, en 1756, de prendre la place de son père.
condamné aux galères pour avoir pratiqué son culte. Il fut mis
en liberté aii ans plus lard par le oiinistre Cbolseul. Tel est le
sujet du drame. Imprimé eu 1767, il fut joué eu province, mais
l'auleur ne put obtenir de le faire représenter à Paris, Il fut
représenté cnOn sur le Théâtre -Français le i janvier 1790. Il
eut un succès de larmes et d'opinion. ■ (Gabriel Cbaravay,
l'Amaltur d'aolograpliei, n* 44, 16 octobre 1B63.)
t. L'Amant auleuT el valtt, comédie en un acte, en prose,
lie Cérou, reiircseniée pour la première fois te 8 février 1740 au
Ibéi Ire-Fraufais .
jbïGoogIc
LETTRES DE 6ÀLIANI 163
goût et du boD sens naturel. Vous pourrez Juger àe
là du degré de leur dtsceraemeiit.
Les comédieus frauçais ont joué une seule fois à la
cour devant le roi. Ils y ont débuté aussi par 'le Père
de fanùlle, c'est à présent pour eux une chose décidée.
Le roi a applaudi iufimiment cette pièce ; il eu a goûté
toutes les beautés, et il avait mis l'ambassadeur de
France * à son cAté pour lui en marquer son avis. Le
succès de cette pièce a été cause qu'il a souhaité de
les avoir encore trois ou quatre t'ois à la cour. Mais
ce qui vous paraîtra bien comique, et tout à l'ait
incroyable, quoique rien ne soit si vrai, c'est qu'avant
de les entendre, le roi s'était expliqué que ces Français
ne iui plairaient pas, ainsi ils l'ennuieraient : car il aimait
à rire et pas à pleurer : il en est arrivé que, lorsqu'on
jouait la pièce, tous les courtisans bâillaient, s'en-
nuyaient, prenaient du tabac, faisaient quelque bruit,
pendant que leur maître fondait en larmes.
Vous voyez, ma belle dame, que de ma profession
je suis gazetier. Je vous aurais toujours écrit des nou-
velles, s'il y en avait ici qui pussent vous intéresser.
Voilà la première occasion où je crois que ma gazette
puisse voua faire plaisir.
Je n'ai pas de lettres de vous celte semaine. Vous
m'avez mandé que vous étiez malade pour que je n'en
t.U. de la Vaupalière.
jbïGoogIc
ll>4 LETTRES BË GALIANI
sois point en peine ; et voilà précisément ce qui m'in-
quiète le plus. Employez de grâce votre prieur à me
mander, toutes les semaines que vous ne m'écrivez pas,
ceci: madame esi à /'ordinaire, quoiqu'el'enevous écrive
pas. En attendant, aimez-moi; embrassez, de la part
de tous les Napolitains Diderot, et portez-vous bien.
Adieu.
HAUAMK D SPlNAï A UALiANI
<l janvier <7T3
Vous dites, mon cher abbé, que vous n'avez plus
ni verve ni gaieté, et vous m'é^ivez la lettre la plus
gaie et la plus folle que j'ai jamais, je crois, reçue de
vous. Tout ce que vous me dites sur ma passion pour
le chevalier de Mocenigo est à mourir de rire, et nous
a Tait passer une soirée délicieuse; ma lettre d'aujour-
d'hui sera un peu plus sérieuse; je vais d'abord
répondre aux commissions que vous me donnez; vous
voudriez avoir le livre de M. Thomas au plus vite '. Le
plus vile est par la poste, et je n'ose prendre sur moi
\, Essais sur les ftaunt». PnrU, 177i.
JbïGoOgIc
LETTRES DE GALIANI 165
de vous faire coAter dd port aussi considérable, sans
un ordre précis de voire part. L'achat du livre n'est
rien, car je crois qu'il coûte cinquante sous ou un écu;
si je l'avais à moi, je vous en Terais présent de tout
mon cœur ; bien sûrement je ne le relirai jamais. S'il
se présente une occasion sûre, en attendant que j'aie
reçu vos intentions, j'en profiterai.
Mon voisin ' ne croit pas que le voyage des savants
danois en Arabie ait paru en langue française à Paris ;
je le demanderai au baron d'HolbacU, qui vient me voir
assez eiaclement depuisque je suis malade, et j'aurai
soin de vous instruire aussitôt qu'il paraîtra '.
Il faut que je vous parle d'un ouvrage nouveau,
imprimé en Hollande, intitulé Système social ou prin-
cipes naturels de la morale et de la politique, avec un
examen de l'influence du gouvernement sur les mœurs ".
C'est un prologue du Système de la nature et, si
vous voulez, un développement, de l'ouvrage qui a
paru l'été dernier, de la Félicité publique '. Celui-ci
tend à prouver qu'un gouvernement doit, nécessaire-
ment et inévitablement, devenir parfait, et rendre
1. Griram.
2. La Detcriplion de l'Arabie, par Nicbuhr, fui Iradullc en ■
français en 1773 à Copenhague. I.a traduction dti Voaage ea Arabie
ne parut qu'en 1776.
3. Par le baron d'Holbach.
i. Par le maniuis Je (^liasielhi*.
JbïGoOgIc
166 LETTBES DE GALÂINl
tous les individus heureux, si la nation est débarras-
sée de toute erreur et de tout préjugé. Il est bien
écrit ; tout y est clairement énoncé, mais il n'y a pas uae
idée neuve, et tout ce qui y est vrai, est si générale-
ment établi actuellement, que cela De \'alait pas trop
la peine d'en faire un livre. ]e trouve d'ailleurs que,
si les iàéei de l'auteur ne sont pas tout à fait fausses,
elles sont du moins une ligne en deçà de la justesse
et de l'exacte rectitude ; une idée vraie en elle-même,
quand on lui donne une extension forcée, devient fausse.
Par exemple il dit :
On fait de l'homme tout ce que l'on veut. Cela est
vrai d'une grande masse d'hommes pris en général ;
mais ensuite il dit :
Le plus grand scélérat aurait pu devenir un homme
de bien, Jii le sort l'eût fait naître xous des parents
vertueux, sous vn gouvernement sage et éclairé ; s'il
l'eût placé, dans sa jeunesse, parmi les gens de bien.
Le grand homme, dont nous admirons les vertus, n'eût
été qu'un brigand, qu'un voleur, un assassin, s'il n'eâl
jamais fréquenté que des hommes de cette trempe, etc.
Cela n'est plus vrai. L'homme se modifie, sans doute;
mais il reste toujours ce que la nature l'a fait; et, dans
le cours de la vie d'un homme, si les circonstances le
modifient à la vertu, il sera alternativement vertueux
et scélérat. Voilà la clef de toutes les inconséquences et
de toutes les contradictions qu'on remarque dans l'cs-
jbïGooglc
LETTRES DE GALIAN[ 167
pèce humaine, et dont aucun individu n'est exempt :
c'est que le naturel est dans une lutte perpétuelle avec
les modifications qu'il reçoit des circonstances.
Prenez dans wn village, dil-il dans un autre endroit.
«n rostre stupide et lâche, et. au bout de six mois,
vous en ferez un brave soldat; il aura pris l'esprit du
corps; il s'estimera lui-même, et, quand il le faudra, il
marchera très gaiement à la mort. Cela est encore vrai
généralement parlant; mais cela ne l'est plus, si vous
voulez appliquer cette proposition à un individu; car
si elle l'était, il n'y aurait pas de poltron.
L'auteur du Système social parait persuadé, ainsi que
celui de la Félicité publique, qu'il ne manque au\
hommes que d'être éclairés pour être parfaitement heu-
reux. Partout je retrouve dans l'un et l'autre auteur
l'inconvénient de généraliser les idées; mais celui-ci
prononce bien plus affirmativement que le chevalier.
Sans doute on fait très bien de prêcher aux hommes
de se défaire de leurs préjugés et de leurs erreurs, et
de perfectionner l'éducation ; mais de croire que les
hommes éclairés en deviendront meilleurs ou parfaits ,
que les passions de chaque individu se plieront aux
spéculations de la philosophie par le seul pouvoir des
lumières de la raison, c'est une belle chimère qui t'ai t
tomber les profonds raisonnements de ces messieurs
dans la classe des amplifications de rhétorique, et des
déclamations de nos jeunes garçons philosophes. Ils ne
jbïGoogIc
168 LETTRES DE GALIAKI
coDinienceront jamais par le commencement ! C'est
d'examiner l'homme dans sa nature, et de se bien dire
que tel il a été, tel il sera; et puis de distinguer là
nature d'une masse d'hommes de la nature de l'individu.
J'appelle la nature d'une masse d'hommes, le résultat
de tout ce qui constitue essentiellement le caractère
national, sur lequel influent le local, le climat, etc.;
ensuite dire, comme M. Gobe-Mouche: Messieurs, mes-
sieure, entendons-nous; c'est de telle nation que je
vais vous parler. Mais ils l'ont comme la procureuse de
Courbevoie, qui jugeait Paris sur son village. Ils régis-
sent l'univers sur les convenances et les tumièresd'une
société, d'une centaine de, personnes. Quand on parle
des avantages d'un gouvernement, il Tant avoir telle ou
telle nation en vue ; car prétendre forger le gouverne-
ment le plus parfait pour les hommes en général, c'est
parler en l'air, c'est n'avoir que des idées vagues, qui
ne peuvent s'appliquer à rien : mais je suppose, un
instant, que ces messieurs aient trouvé la chose impos-
sible, un gouvernement parfait ; il leur faudrait encore
pour le maintenir tel, le talent de Josué afin d'arrêter
le soleil et le cours des événements. L'état de perfec-
tibilité, en toute chose, n'est qu'un point. Arrivé à ce
point; illaut décroître.
IVolre conduite bonne ou mauvaise, dit encore l'au-
teur, dépend toujours des idées vraies ou fausses que
nous nous faisons ou que d'autres nous donnent.
jbïGoogIc
LETTRES DE liALIAM 169
Notre conduite bonne ou mauvaise, monsieur i'Auteur,
dépend toujours de notre tempérament et de l'impulsion
plus ou moins forte qui nous porte à telle ou telle
chose; et cen'estquelaconscience denotre couduile,^)'
dépend des idées vraies ou fausses que nous nous faisons
ou que d'autres nous donnent.
Malgré toute ma critique, cet ouvrage est celui d'un
grand penseur et d'un ami de l'humanité. Il se com-
plaît un peu trop à faire l'énumération des maux
qu'ont causés, que causent, et que causeront les pré-
jugés et les opinions théologiques; mais il faut ap-
plaudir à son zèle, et vous à ma critique. Buona sera,
cfo-fssimo.
MADAME nÉPINAY
Avant que de vous répondre, il faut continuer la
feuille des spectacles. Les comédiens français ont donné,
à leur sixième représentation, fps Menechmes t. Cette soi-
rée s'est rencontrée avec la première représentation du
1. Coméilie rie Rei;nard en cinq a
ç)tzsci!,Googlc
ITO LETTREES DE GALIANI
nouvel opéra; ainsi la chambrée était peu nombreuse,
et composée presque entièrement de Français ou d'é-
trangers. La pièce fut applaudie extrSmement, et c'est
de toutes les comédies celle qui, après ie Père de fa-
mille, a eu le plus de succès, quoique malheureuse-
ment les deux jumeaux ne se ressemblassent point du
tout. Pour petite pièce leProcureur arbitre '; mau-
vaise pièce, et jugée comme telle.
A la septième représentation, Alxire, pièce célèbre de
Voltaire, qui n'eut point de succès. Il est vrai que le
rAle d'Alzire était joué assez mal, mais assurément ce
n'était pas tout à Tait ce défaut qui la ât tomber. Je
quitte mes Napolitains, et je dirai sur Àlzire mon avis.
C'est la première fois que je me suis aperçu que c'est
une bien mauvaise pièce, quoique, sans contredit,
ce soit une des poésies de M. de Voltaire écrite avec
le plus d'esprit, d'élégance, -de brillant; mais, comme
pièce, elle ne vaut pas le diable. Gusman, qu'on de-
vrait détester, est un homme qui a l'ait tout plein de
bonnes oeuvres dans sa vie, et meurt comme un saiol.
Respectueux pour son père, daignant aimer Alzire, il
accorde autant de pardons au prisonnier qu'on lui en
demande, et de bonne grâce; d'ailleurs brave, cou-
1. Le Procureur arbitre, par Philippe Poisson, comédie en un
ict«. en vers, représentée pour U première fois au Théâlre-
Franfals, le 2S lévrier 1T2H.
'D.nt.zedbïG00g[c
LETTRES DE GALIANI 171
rageux et di^e de son père. Zamore, qu'on devrait
aimer, est un forcené assassin; mais d'ailleurs il dis-
serte fort bien sur le mépris des richesses et sur les
intérêts de VEurope mal entendus. Honteze, ni Amé-
ricain, ni Espagnol, ni sauvage, ni chrétien ; on ne
sait ce que c'est, si ce n'est un imbécile. Alvarez, faible
et pleureur, n'a rien, ni du courage, ni de la fierté
castillane, fonds de caractère qu'il aurait fallu lui
conserver. Après l'assassinat de son fils, il est dégoû-
tant : c'est un égoïsme impardonnable de voir en
Zamore, plus le sauveur de sa vie, que l'assassin de
son fils. Il valait bien mieux pardonner à son assassin,
qui aurait sauvé la vie à son fils. Pour Alzire, on ne
saurait lui contester d'être une des meilleures théolo-
giennes de son siècle: elle disserte sur la religion, le
suicide, le sacrement du mariage, mieux que Sanchez
et saint Thomas ; mais son rôle est si hors de nature
et de vraisemblance dans une Indienne de seize ans,
qu'il en est impossible à jouer hors de Paris, où l'idée de
la nature est souvent elfacée tout à fait dans le sexe
fémiain. Ceci est mon sentiment, et pas celui de mes
compatriotes, qui n'en savent pas si long que moi là-
dessus. Pour petite pièce Zéniide, qui tut sifilée,
A la huitième représentation le Misanthrope, qui eut
beaucoup d'applaudissements, quoique tout le monde n'y
trouvât rien de nouveau, parce que Molière a tant été
pillé, volé, imité par nos comédiens italiens, qu'il en
jbïGoogIc
172 I.ETTHES DE f.ALIAM
est devenu usé à nos oreilles. Pour petite pièce, FÊ-
preuve de Marivaux : succès médiocre.
A la neuvième représentation, le Dépit amoureux
de Molière, quiplutbeaucoup. Ënsuite/aPtirtie de c/iosk
d'Henri IV ^. Cette pièce a eu untr^s grand succès; mais
les deux derniers actes étant la même chose tout à fait
que le Roi et le Fermier, je trouve, moi, Sedaine bien
supérieur à Collé. De grùce, des deux pièces, faites-
en faire un distillé; et ce sera un des morceaux tes
plus jolis qu'ait le théâtre français.
Ce soir, pour dixième représentation, on a donné
Adélaïde du Guesdin ', dont le succès a surpassé
même celui de Zaïre; Je doute qu'ils en puissent
donner aucune qui l'ét^ale. Il faut avouer qu'elle a été
jouée supérieurement, et, sans contredit, mieux que
vous n'aveï pu la voir jouer à Paris. Il y a dans la
troupe un M. Busset.à mon gré, supcrieurà LeKainl
Aufresnc jouait le rôle du sire de Couci ; et nous avons
une actrice de seize ans, appelée mademoiselle Teissier
qui est tout à fait intéressante. Cependant cette pièce
1 . Comédie en Iroia ni'les, en (irose, de Collé, lecteur du due
d'Orléaus. I.'auLeur a pui»Ë Ih fond de cet ouvrage dans une
pièce anglehe, la uu^mc donl Sedaine » tiré le Hoi et le F&mtitr.
2. Tragédie de Voltaire, représentée pour la [ircmière fois en
1734; rlle n'eut pnii d? lïticcvA. Voltaire la ri'mania et la lit
jouer en 1753 sous le nom de Ditr de Fokr. Elle Tut reprise en
1765 avec grand succès; l'aiileur en avait rendu la marche plus
rapide et l'intérêt pins pre'snnt.
jbïGooglc
LETTRES DE OALfANI 173
est belle et très belle par elle-même; j'en ai élé ravi,
enchanté, enthousiasmé ; et je parierais qu'elle sera
une des pièces de Voltaire qui se soutieodra le plus
au théâtre. Pour petite pière, on a donné l'Oracle*,
qui a été sifflé comme Zénéide, ni plus ni moins:
et toutes les pièces sentimentales le seront de même.
J'en suis fâché pour M. de Sainte-Foix ; mais, c'est que
si le bon goût français peut passer aux autres nations,
le bon ton n'y passera jamais ; c'est une maladie tout
& fait parisienne, comme la Plica aux. Polonais.
Cependant, pour un philosophe, cet événement
d'une troupe de comédiens français à Naples offre
des réflexions bien singulières et bien profondes. Ils
ont eu un succès qui m'a étonné. Jamais je n'ai vu
moins de contradicteurs et de railleurs sur aucune
chose comme sur ce nouveau spectacle. Il n'y a qu'un
parti et une voix. Si vous voyiez notre théâtre, il vous
offrirait un speclacle très risible; vous verriez une
école d'enfanis. Tout lemoude a sou livre devant les
yeux, tfite baissée, sans détourner jamais les yeux pour
voir la scène ; ils paraissent contents d'apprendre à lire
le français. Cet événement a plus fait en politique que
tous les pactes de famille. En morale, il faut le regarder
comme une mission que le père général Voltaire a
t. L'OrocU, de Poullein de SaiDtC'Foix, comédie en un arle,
en prose, représeolée pour la ptcmiére foi» bu Théàire-
Praufais, le 31 mars 1740.
jbïGoogIc
174 LETTRES DE GALIANI
eavoyée de gens de son Ordre pour convertir une nation ,
et y planter l'étendard de sa croyance. Les vers de Vol-
taire amèneront à la prose, et c'est où il les attend. Je
répondrai à votre lettre un autre soir.
J'interromps la gazette de nos spectacles français,
pour répondre à voire triste et lamentable lettre du
^ janvier, qui m'a jeté dans la désolation. J'étais si
sûr de pouvoir disposer de l'argent de Merlin, dans le
mois prochain '. Si vous saviez la bonne œuvre que je
dois faire à Paris ! Devineriez-vous que c'est à une ma-
dame Calas, veuve d'un lils de l'infortuné Calas, que
je dois payer cet argent < î £q vérité le c<Bur me saigne
de ne pouvoir pas le faire. Hais, si vous voulez, je
compte que vous réussirez. Parlez à H. de Sartine, dt>
i. Caias, uégociuDt de TuuIuum;, élail morl sur la roue, accu»
d'avoir assussiDé sou ûlg pour l'empâcher de se faire catholique.
L'arrél du Vartemunt de Toulouse fut cmw et
Ualaa réhabilitée.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIÀNI 175
ma part ; je lui ferai écrire par Je baron de BreteuU ' ;
je lui écrirai aussi. Si H. de Sartiae parle, à Merlin,
pourra-t-OD le refuser? On a des sauf-conduits contre
les menaces, on n'en a pas contre les prières. Un lieu-
tenant de police peut tant faire de bien et de mal à
un libraire! II s'agit d'une bagatelle pour solde. J'ai &t-
teudu trots ans. Ëntin ce n'est pas assurément mon ou-
vrage qui a ruiné le libraire. Faut-it qu'un bon auteur
paye le dommage d'un économiste ennuyeux de grand
cbemin, désolateur des libraires? Si H. de Sartine veut
en dire un mot à Merlin, et l'assurer qu'il aurait grand
plaisir que je fusse soldé, je le serai sans faute. Je vois
que Merlin coutinue dans le commerce ; qu'il peut en-
core acheter des manuscrits ; it peut donc me payer ?
Il ne le doit pas, parce qu'il a un sauf-conduit, je l'en-
tends bien; mais si on l'eu priait? Enfin, donnez-moi
l'beureuse nouvellu que j'ai dix ou douze louis à moi,
dans Paris, dont je puis disposer. Assurez M. de Sar-
tine que je suis bien plus rigoureux ici à forcer mes
Napolitains ù payer ce qu'ils doivent à des Français;
M. l'ambassadeur me rendra ce témoignage.
Le prince Pignatelli est arrivé hier. Il ne m'a pas
encore remis voire lettre.
Ce n'est pas parla poste que je souhaite d'avoir l'ou-
. Il venait de nmiiUcer &t. de la Vaiipalière comme ambas-
leur k Kaples.
jbïGoogIc
176 • LETTRES DE GALIANI
vrage de H. Thomas; le jeu ne vaudrait pas la chan-
delle.
Je vais trouver le prince Pignatelli chez lui, pour
qu'il me parle de vous. Ainsi je vous quitte; adieu.
Merlin, Sartine, douze louis, prières, instances, souve-
nez-vous de tout cela; ne l'oubliez pas.
Pourquoi lit-on dans certaines gazettes que jnadarae
d'Htdbach est séparée de son mari?
NapJub, IT fevrier t17i.
Le prince Pignatelli est arrivé et m'a remis le nu-
méro que vous lui aviez donné. J'avais cru jusqu'à cette
Leure qu'une femme ne pouvait donner l'extrême mar-
que de tendresse et d'amitié à un homme qu'à bout
portant; mais vous avez trouvé le moyen de la donner
à deux cents lieues. C'est une découverte incroyable.
J'y ai trouvé pourtant cette difTérence qu'au lieu d'être
gaie et réjouissanle, elle m'a chagriné et affecté vive-
ment. Je ne crains rien pourtant de tout ce que vous
craignez; mais je r^rains ce que ni vous ni moi ne sa-
jbïGooglc
LETTRES DE 6ALUNI ITT
voDE pas, c'es^4-dtre tous les évtoemenls imprévus
de la vie. Il y en a mille; il parait que le sort s'amuse
à les ci'éer, à les faire sortir de sous terre, et on jure-
rait que le bon Dieu n'a d'autre amusement que ceci,
fort incommode à la vérité, et très mal à propos ; mais
c'est son goût, son plaisir, qu'y faire ? U est un
enfant gAlé qui touche à tout, et casse bi«i souvent
tout ce qu'il toDche. Or, un peu de préparation contre
le malheur de cet enTant Indocile, qui est dans ta maison
de ce bas-monde et qu'on appelle le sort, ne serait pas
mauvaise. Hais, si vous n'avez pas la force de l'avoir,
passez-TOUS^n ; car c'est bien fou de se tourmenter
d'avance pour s'accoutumer à ne pas souifrir des tour-
ments; c'est le secret de Jean Nivelle qui se cachait
dans l'eau, crainte de la pluie.
Le prince PignatelH me parie do vous; mais moins
que ne m'en aurait parlé son frère Hora. Voilà un des
principaux articles par lesquels il doit céder à son frère
dans ma tète et mon cceur. En revanche, j'ai ici M. de
Saussure ' avec sa femme, sa fille et un ami * à lui, qui
me parlent souvent de vous.
1. M. deStiiMure (IT40-n99], iialuralisle et physicien célèbre,
babitail Génère; Il parcoarail eu ce moment l'IUlic arec a.
remmeeiM&lle. H. etmadamedeSauMiireaviienlforlbien accueilli
madame d'SpInay à Genève. Dans un yojttga qu'ils firent i Paris,
ils la Tirent fréquemment et rencontrèrent l'abbé Galiani cliez
elle. C'est ainsi qu'iis a'étalent trouvés en relations.
È. H. Turretini, de Genève.
t( 11
jbïGoogIc
176 LETTRES DE GALUNI
J'alea un plaisir infiDi du triomphe de H. de Sartine
à la foire Sainl-Oermain ' ; j'ai la TOtre lettre h M. de Bre-
leuil qui ignorait l'aTenture, et en a été enchanté. Mais
H. de Sartine serait encore plus admirable et supérieur
h lui-même, s'il ffle faisait solder par Merlin. S'il le veut,
il le peut. Qui oserait le refuser? Heriin serait lapidé,
si on laissait transpirer dans le pnblîc son refus fait à
rhomme, oui, l'homme par excellence. Je vous continue
la fmiille des spectacles, puisqu'elle vous fait plaisir.
Aimez-moi, je suis toujours le Vôtre.
Gaaelte dct spectacles.
(Suite de la letlre ilu ¥i février IT73,)
A la onzième rcpréseniatiou, on donna leGlorieux '.
Je ne pus pas y aller le soir, mais je sais que la pièce
eut un succès très médiocre, ëq général les pièces
i.H. de Sartine l'étiit admirablement conduit Ion de l'in-
cendie de l'HAlel-Oieu et le peuple le regui avec acclamaiiong le
jour où il se rendit, après cM Arénenwt, i It foire Balul-
iiermalD.
2. Par Néricault Deatoaches. Cet auteur vivait dans sa terre
et ; faisait ses pièces. Il les apportait h Paris et s'en allait la
veille de la première représentation. La préface du Glorieux èlalt
d'un ton un peu avantageai. Voltaire écrivit i ce propos:
HttiCBUlt dans >a comMic
Uolt atotr pelnl J< (îlartHis;
Four moi, je crois, quoi <]u'it on dio.
One aa fTtfaat le paint luleux.
jbïGoogIc
LETTKES DC GàLIlM 179
qui ne sout que bieu écrites ont eu peu de succès à
Naples ; il n'y a eu que celles qui sont bien et vive-
meat dialoguées, et, encore plus, celles qui sont bien
conduites dans l'intrigue, qui aient eu un grand eilet.
Pouf petite pièce, on donna ce Pygmalion < avec sa
statue, moitié prose, moitié musique, monstre du gé-
nie de Roosseau. Cette nouveauté partagea les avis. Il
y en eut qui lurent extrêmement frappés de la statue,
parce que c'est, en vérité, une mademoiselle Tewier
qui, sans être belle, est fort intéressante par sa figure.
Le reste s'ennuya.
Douzième représentation : l'Enfant Prodigue *. Elle
tomba à [riat. Ah ! la mauvaise pièce, à mou avis I Les
trois premiers actes, beaux, amènent des dénouements
si forcés, ai bas, si invraisemblablee, hors do nature,
et tout à fait ignobles, par-dessus le marché. Pour
petite pièce, la Jeune Indienne ', pièce encore plus dé-
testable. C'est de l'esprit, du sublimé d'esprit corrosir.
Cest une pièce écwiomisUque, qui suppose un monde
1. Pygmaiioa, sefene lyrique de J.-J. Rousseau, mise en vers
libres par Benjuin, représentés pour It première fols k Lyon
sur UD Ihédtre de sociëté.
3. De Cbarorort. Le sujet est tlti du SpKtateur angtai». L'au-
lear ne s'est pas donné la peine de rien ctunger. Il n'; a pas
I( Boindr* inta'igue, pas la moindra pérîpétie< pas la moindre
ralanle du tlié&tre.
jbïGoogIc
1811 LETTRES DE (i.lLUM
idéal ; le pays de l'évidence où les hoiumes sont ver-
tueux et plats. On appelle cela uoe pièce bien écrite.
Dieu me préserve donc d'être obligé de lire des choses
aussi bien écrites.
Treizième représentation : Nanine '. Elle vengea l'En-
fant l^odigiieM répara l'honneur de Voltaire. La cham-
brée n*élaitpa3 belle ce soir-là. Une noce d'un grand
seigneur, arrivée mal à propos, détourna bien du
monde. Cependant elle fut applaudie à tout rompre.
Mais le public ne laissa pas do s'apercevoir, autant
dans cette pièce que dans l'Enfant Prodigue, que
Voltaire est trop poète pour pouvoir être bon auteur
comique. Sa verve, son génie l'emportent, et élèvent son
style toujours trop haut, malgré qu'il en ait de ramper.
Peut^tre sou langage ressemble-t-il à son style; mais
son langage (on le sait) ne ressemble à celui de per-
sonne.
Pour petite pièce on donna Dupais et Desronais *.
Cette pièce charmante l'ut jouée à ravir, et applaudie
beaucoup ; mais malheureusement le bruit était fort
grand de ceux qui étaient obligés de la quitter (quoi-
qu'à regret), pour aller à cette maudite noce.
1. NaaiM ou le Préjugé vaincu, comédie en troi« acl«9, en
vers, r^résealËe pour la première fol» «ur le Tbéitre-PranïJiia, le
16 juilUl lTt9.
i. Comédie eo irois actes, en vers, de Collé, repréwnlée
pour la première foiisur le Tbétlre-PnnfaU, le ITjioner 1163
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 181
Quatorzième représentation : le Philosophe marié ■.
Cest, de toutes les pièces comiques, la seule qui ait
égalé le succès du Père de Famille. Aufresne joue ce
râle d'une façon inconcevable : vous n'avex rien vu
d'^procbant à Paris. Il parvient i rendre, non seule-
ment vraisemblable, mais vraie tout 6 fait, cette mau-
vaise honte sur le mariage, qu'on suppose dani le
PhiloMphe, et qui est absolument hors de nature.
Pour petite pièce, les Trois Frèrei rivaux *, petite
comédie assez froide. Grâces à Dieti, elle n'eut aucun
succès.
Quinzième représentation : Mithridate *. Celte pièce
n'eut pas tout le succès que j'en attendais, quoique
Aurresne jou&t ce rAle admirablement; mais nos actrices
n'étaient pas supérieures, et le rfile de Xif^arèa était
faible. Au fond, on ne dépayse pas les chefs-d'œuvre
d'une langue; on peut dépayser les chefs-d'œuvre
du génie. Le génie est universel : le style est local.
Pour petite pièce, on donna le Marchand- d'tsclavex à
Smyme *, succès complet. C'est une charmante baga-
telle, tout à fait gaie, et du bon ton de gaieté.
1. Comédie en troii aciei, en ren, de Deitouehea, reprËwnlée
pour It première foii sur le Ttiéitre-Fraoçtla le 15 février 1737.
t. Comidie en dd «ele, en vers, de Lafont, reprëwotée pour la
pi«mlire M» aar le ThÉStre-Frantais, Ye 4 toùl 1713.
3. Da Racine, représentée pour la première fol* en 1673.
t. Petite eomédie en un acte, en proie, de ChamforI, repré-
sentée pour )a première fols en 17T0.
jbïGoogIc
m LETTRES DE Gjk.l,U!|I
Seinàinfi Fepréssnfatioq : i'$cottme^. Cette pièce fut
bien feiblpioent jouée, ^.e r'Me ctiarmant de Freeport
fut manqué' La publia iiapolitaîn n'eatendit rien à
celiii de V- Wasp, parce qu'on Q'a pa^ le bonheur ()p
conpsitreM' Fréron. On ne p'intére^sa qn'aiiY 4f}m
derniers actes. D'ailleurs cette pièce» pn «i grand t^e-r
SQin i)f) changements d^ scèpe, que si l'on ne p]^(%
quelques scènes dam la salle «]» café, et d'av^es dfins
les chambres retirées de Cécile, elle deyient d'une ip-
Yraisemhlance monstrueuse et dégoûtante, parce qpe
tout tient à cela. Pour petite pièce, on donna le fran-
çais à Londres ' qui fnt très applaudi) ^^ q*'' '^ '^^
rite à tous égards. C'est k mon ayis ^n ouvrage d'un
goût fin. un vrai rnodèle de l'écple de corpeptipn pu-
blique qu'on pent employer d&Qs le théâtre, sans (lé-
1. LtCafêou l'EcoMOÙe, comédie en cinqaclea, en prose, Induite
de ranglals, de H. Hume, par JérAme Carré (VolUire), 17641, in-t3.
\m nom de Fralon, sods lequel il avait voulu désiinier Fréron,
canlre qui la pièce élail dirigée. Voltaire substitua, lors do la
reptéwDtatJnn, le nom Wasp (guëjte, en anglais-) fiéroa fssittt
à la. première ■«(irésenmtiort; Use vengea parla Rtlation d'wf
grande Bataille, où il déploya plus d esprit et de verve que jamais.
VolUire écrivait à madame du DelTand en ta raillaut sur son
t^dt pour lei feuilles de Fréron : (On dit que l'Éeotsaite. en
automne, amène la eliute des feuilles.! Le mot était jpli, mai*
il n'Était paa d'un propbètB> JamiU 1rs feuilles <|e frérqq ne tprent
jAtt» lues.
'i. Le Fronçait à Londre$, comédie en un acte, en prOM, de
Louis de Soiuj', représentÉe poiir la pMmlère fojg nii le ThUlre-
FrancBts, le 3 juUlet 1717.
jbïGoogIc
LBTTItES D|I flAI-UVI 1B3
passer les bornes étroites de la triste pesanteur ou 4e
la procapi(é insultonte.
piv«eptième r^préseotatipii : le Miçhant '. Pièce
qu'on n'entendit point du tout, parce qu'elle fl'^t qH^
parlée : rien ne s'y fait. Pour petite pièce, FEpreuve
réciproque * qui ne fit pas beaucoup rire. Ainsi, au
fond, ce fut une aussi mauvaise soiréeque celle du 12,
mais plus nombreuse.
Dii-buitième représentation : les Deucc Amis *.
Charmante pièce, superfoe pièce, pour quiconque entend -
le commerce, son langage et les mceurs des Français.
Elle me fit un plaisir infini ; mais le public en général
souffrait de ne pas pouvoir entendre ce que c'est qu'un
fermier général dam sa tournée, et ce que signifiaient
le boa, les ordres, la intérêts, les affaires de la compagnie.
Cependant elle eut beaucoup de succès, et surtout
te râle très petit, mais charmant, d'un domestique ni-
gaud, servo sciorco. C'est le seul bon qui ait jamais été
1. Le Méchant, comédie en ciaq acles, eo ven, de Gresseï,
reprÉ«iitée pour la première fois tar le Théllre-Vrançais le t6
■«Til n«,
i. L'Épreuve réciproque, comédie en on acte, en prose, par
R. 4'*in, r^préteqtée poiir |a première foli sur le Thé^tre-Françatt
le 8 octobre 17tl. Beeuchninps dit qu'il a connu l'tuleur Robert
Alain, Mllier-carroailer, mort de la poitrine t trente-qualre ans.
MM. de Soleicne et Paul Lacroix établissent, au contraire, qu'elle
est d^ Lesage, qui s'appelait René Alain.
3. praniten cip<|aclee,eo proïp, de Çeaitinp^iliia ; représenté
pour la première roii sur le TbéAlre-FraBea)s en 177(1.
jbïGoogIc
184 LSTTRES DE QALIAM
fait dans toutes les pièces que j'ai vues et lues.
Petite pièce: la Pupille '. Elle plut à nos daines
qui commencent à entendre finesse aux déclarations
controuvées.
A MARAMT lï'ÉPINAY
Ha belle dame,
Point de lettre de vous celle semaine. Cela me fâche
et m'inquiète un petit peu. Je n'ai pas le temps de vous
continuer la gazette des spnctaclus : mais, n'en doutez
pas, je l'achèverai.
Je vous écris seulement pour vous dire qu'ayant l'oc-
casion des valets do chambre de feu M. deSersaie, qui
partent aujourd'hui d'ici, et qui, dans quarante jours,
seront rendus à Paris, je vous envoie deux morceaux
de musique. Vous m'aviez demandé des airs de notre
grand opéra fait dans l'année. Nous avons eu des piè-
1. La PupiUe, comédie «n un «cle, en pnwe , p«r Figan
de Lngnj, réprimée pour la première fois Mit le Théâtre-
FranciU, le 5 juia 1734.
jbïGoogIc
LETTRES DR CALUNI IBS
ces si détestables, qu'il n'y avait, à mon avis, rien à
vous envoyer. En revanche, nous avons eu tous les
opéras bouffons oxcellents ; c'est-à-dire deux de Pio-
dni et deux de Paisiello ■ . Ceux de ce second <mt
été même supérieurs à l'autre, qui conimence à vieil-
lir. Il n'y avait pas moyen de vous envoyer rien de
Paisiello : car c'est trop napolitain. Je vous envoie
donc un air de Piccini, qui aurait pu autant être
placé dans un opéra sérieux que dans un bouffon. C'est
à mon nvis un des plus agréables morceaux de musique
que j'iiic jamais ciitendus de ma vie; mais il faut
l'entendre avec tous les instruments comme l'auteur l'a
composé, sans en laisser aucun. Régalet-vous de ce
plaisir; et, si vous le pouvez, régalez-en le public au
concert spirituel *. le vous envoie ensuite un autre air
du même opéra de Piccini, et ce qui vous étonnera,
c'est un air en paroles françaises, un peu estropiées à
la vérité. L'intrigue porte que Scapin, pour tromper
un vieux jaloux, s'introduit dans la maison comme un
seigneur étranger qui voyage pour sa santé. 11 paye
fort cher le logement; mais il dit qu'il ne saurait
ouffrir ta vue d'une femme, encore moins l'odeur,
t. Célèbre compooJleur, né ï Tarenle le 9 mai 1711, mort à
Naples en IBIS.
3. C'étaient de* concert» qui se donnaient aui Tultertes pen-
dint les Ttcancea de* spectacles. On j nécutail des moleU avec
ehnnr et orcbestre et de» sjmphonlei. Ton» les btblles madciens
étrangers qui paisolent à Pari» se hiaiiententendredans ce concert.
jbïGoogIc
m LSTTItf s DB GALUNI
s^ns se troQTÇT mq). Ed présence du jaloux, sa maî-
tresse arriye, et il fait semblant (Je s'éyanonir, puis il
se relève, crjp a\i meurtro, à rassassjnat et tD^nace le
vieux jaloiis qui 6e sa^ve, et il a la temp^ d'ar^nger
sa fuite avep sa maîtresse. Cet air est très begif aussi;
mai$ Il faiit rqf,tioi) qui raccompagne.
Napleg. 17 murs ITII.
L'aopien ambfissadeur de Venise m'a fait parvenir
vofre n" a que vous lui aviez remis poi|r ip'épargner
]es frais de la poste- J'ai lu avec i^n b'ès grand plaisir
1^ dithyrambe des Eleulliéromaoes '. Afais une aulro
fois je vous en dirai mon avis. Je n'ai p^s le tefnps à
présent de vous écrire une longue lettre. J'ai sur mes
bras et sur mon sein le prince Pignatelli et le général
Sctipnvaloff * qui me prennent toi|t mon temps, et
je ne suis pas fâché de le consacrer à deux personnes
1. PJËce de vers de Diderot, très coDoue.
S. Le comle SchouvalolT était ambasMdeur de Russie i Paris,
aprËs avoir élé conseiller Intime et l'un des favoris de l'impérs-
Irice Elisabeth; on croit même que U Çisrine l'aval; secrètement
jbïGoogIc
L^TTItESDEOALUNI 187
qtli YQu; pc>qiiat9sei|(i (fui tous ^im^nd et a.\fc lei-
qil^Uea je cause souvent de vpus.
Tout ce que vous me mandez de Uerlin me désole.
I) Tpe p^t ijpppssitile que Bf. de Sartine ne puisse
pas obtenir peplaisjr d'un liÎTaipe. Pe gfâce, pariei-Iuj
epcore po^^ pe fsi^ plaisir et mand^-moi ce que
cet hqiqqap inoomparablQ tous aura répondu pour
être n^ndé au meilleur de ses amis, a|i plus ^rand de
s^ ^dmjr^ïeuss.
Je ^e sais paq si je vous ai mandé que les anciens
domestiques de H. de Sersale, qui se sont chai^ de
dem airs pour yoiis, jrQjït loger dans la ri(e Gaillon,
assez près de yous. Cependant i|s m'ont promis qu'ils
vpus le^ apporteraient @iti-n)6mes.
\j^ d^o Cais^ dPîlF je TOUS ai parlé, est la fempie
du fils ç^ttioliqife d^ cet inrortuné célèbre, qui n'a pas
paru dans le procès, et qui était alors à Calais, si je ne
me trompe, et qui n'eot aucune part à l'infortune, que
celle d'en acquérir de la célébrité.
épouié. Le plus bel éloge que l'on puisse Taire <lo lui est quf,
pendant doute aoi de faveur, Il ne ae Ol pas un ennomi- I) su
lroiiy«i( un jour i Paris dans une sociélé où on voulait savoir
quelques traits relalifs à ia Rusale. Le bailli de Chabrillant dit
alors : ' 41. de Sct^puyalolf, dites-uoua pel^ bislqire; vous ieyn
la MTOir, roua qui étiez la Pompadonr de ce pijs-là. » Walpole,
qui le reocoDira t Paris en 1765, écrivait au comlp d'Hertlbrd :
c Je «Dis conipl^te^eqt transport^ avpc Sc|io<1'Slp'T; je D'il
jamais vu un homme si aimable t Une si bonne tenue,' tant de
simplicité et de modestie, avec bon sens ei dignité I Un air
de qiélajiGoUe, sutn e|«d da bi>. >
jbïGoogIc
188 LETTRES DE GÂLIAH[
VouB saurez que nous avoas ici monsieur et madame
de Saussure, dont je m'occupe aussi, parce qu'ils
me parlent de vous.
J'ai vu dernièrement des expériences électritpies qui
m'ont Tait rêver ', et il m'a passé une idée par la Ute
sur laquelle je voudrais que tous consultiez Diderot et
le baron, de ma part. L'électricité est, à mon avis, l'in-
flammation que Von cause par le (h>ttement d'une ma-
tière qui est dans l'air, tout comme par le frottemeot^
on allume du bois, etc. : or, cette matière électrique
des physiciens ne scrail-ellc pas la môme chose que
l'acide vitriolique répandu dans toute l'atmosphère, et
même dans toute la nature, selon les chimistes?
Je voudrais savoir de M. Grimm ce qu'on lui a mandé
de Russie au sujet de mon inscription pour la statue
de Pierre-le-Grand ; j'ai la plus vive impatience d'en
apprendre quelque chose. '
Nous avons eu un spectacle français d'un autre
genre ici. Un carme déchaussé, appelé le père Césalre,
compagnon du père Elysée, arrivé depuis peu, a pro-
noncé hier, dans l'église de son ordre, un sermon
Trançais à la réquisition de l'ambassadeur de France.
L'auditoire était nombreux. Tout le monde en a été
ennuyé, et personne n'a osé le dire, tant la mode de
se [daîre à la langue française a gagné toutes les classes
1. Cei expériences «raient lien chez le efaeraliei Rimilton.
jbïGoogIc
LETTRES DE GÂLUNI tS»
depencHinfs. Sondiscoarsétaitau Tni fort besu; nuis il
leprononçaîtfortmal. Leplus comique était «pie l'audi-
tion ^ttcompooée moitié d'hérétiques, moitié de catho<
liques, car même les consuls d'Angleterre, de Suède, de
Danemark et des personnes qui sont (riïligées par leur
caractère d'avouer leur protestantisme, y étaient. Tout
ecci ne tous fait-il pas rêver beaucoup? Pour moi, je
ne fais qu'une réflexion ; c'est que si l'Europe n'avait
qu'une langue, il n'y aurait plus d'intolérance. Quand
les hommes se ressemblent, ib s'aiment, et rien ne nous
rend plus dissemblables que de ne nous entendre pas
en pariant. Cest la différence du langage qui vraiment
fait varier les espèces. Un est de la même famille,
lorsqu'on s'entend bien. Vous voyez do là que la tolé-
rance et l'amour des hommes ne sauraient parvenir à
être universels sur toute la terre, mais ils pourraient
s'étendre à toute l'Europe, qui n'est ni plus grande ni
plus peuplée que la Chine.
Si Merlin nous donnait des livres, même cbcrs, nous
les [vendrions, sauf à y perdre. J'aime mieux vous
devoir deux ou trois louis que douze ou quinze. Bon
soir. J'ai reçu une belle lettre de Gleichen, qui m'a fiait
un plaisir infini.
Je ne sais pas si j'aurai le temps de lui écrire ce
soir, mais Itsez-lui une vingtaine de mes vieilles lettres
à vous ; cela vaudra tout autant.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIAKI
Naples. a avril 17II.
Votre lettre me désole. Jamais je n'ai mieux senti
le tort que j'ai de vouloir écrire le soir fort tard, sans
me donner la peine de relire des lettres dans une lan-
gue sur laquelle je commence à me rouiller. La phrase
que TOUS avez remarquée dans celle à M. Baudouin *
fait une équivoque affreuse. Moi, je vous jure que ce
voxts était pluriel dans ma l£le, et tient lieu de vous
autres Français. Mon idée était que les Napolitains étant
de tout t«mp3 nés et morts bètes, n'étaient pas en élat
de faire la comparaison ; mais les Français s'étant de-
puis peu napolitanisés, peuvent bien sentir la différence.
Ainsi donc par ces présentes lettres de jusston, pre-
mières et dernières de notre très exprès commandement,
nous vous ordonnons de procéder à l'enregistrement
de ces mots dans notre susdite lettre au sieur Baudouin,
notre féal : C'est à vous autres Français à résovdre le
problème; biffant, rayant, bàtonnant tout ce qui aura
1, Voir la lettre t M. Baudouin du K novembre ÎTT3.
jbïGoogIc
LETTRES DE 61LIANI 191
été écrit k IX contraire. Ci n'y faites faute, car tel est
no^ bon plaisir.
Je vous envoie une lettre pour le baron de Gleichen,
et une de mon valet de chambre qui l'intéresse beau-
coup, et je vous prie de les Eaire parvenir à leur
adresse. SA le baron est parti, vous saures où il est.
Gardez le portrait de notre cher marquis : vous me
le ferez parvenir soit par le nonce ou d'autre façon
quelconque, sans qu'il coure risque de se chiffonner.
La levée du siège de Fribourg est charmante. C'est
une t(Aie de croire aux influences de l'air ou du lait
dans les enfants. Mais notre faute est de croire que les
enfants ne sachent rien ou presque rien avant l'&ge oîi
ils commencent à parler. Point du tout : l'enfant a reçu
le plus fort de l'éducation avant les deux ans ; mais
comme noua ne pouvons pas connaître ce qu'un autre
être à visage humain sait, à moins qu'il ne nous parie
par voii ou par signes, nous croyons que les enfants
ne savent rien. C'est une erreur grossière. Un homme
qui serait resté un an à Londres, sans apprendre un
seul mot de leur langue, saurait pourtant infiniment
de choses de ce pays ', les rues, les maisons, les
1. Ed 1767, tidiaDi fut invité à Londres chez le marquU Ca-
MCioIi, ambassadeur de Naples ; après uq séjour de trots semaines
il revint 1 pBt>i eu passant par la Hollande et li Belgique. Il
ne fat point raTÎ des Anglais, et Hune apprenant la fa^on dont
il s'exprimait sur le compte de ses compatriotes, écrit ; ■ L'abbé
& Naples; il fa,it bien de quitter Paris avant
jbïGoogIc
191 LETTRES DE GÀLIAM
moeurs, les lois, les hommes, les charges, le système
politique, etc. Ma réflexioD détruit, je le vois, tout le
système d'Emile et des autres pédagogues ; mais j'en
conclus qu'à deux aos la chose est faite ; les [^is des vices
et des vertus sont donnés. Nous n'aurons donc jamais
de grands hommes, si nous n'avons de grandes nour-
rices. Travaillons donc à toute force sur les nourrices;
je vais m'y employer de mon mieux.
Je n'ai pas le temps ce soir de vous en écrire davan-
Ia([e. Le prince Pignatelli me charge de mille choses.
Adieu. Quand j'en aurai le loisir, je vous achèverai la
gazette dramatique.
que l'y tille, car je l'auraU certainement mis t mort pour tout
le mal qu'il a dit de l'Auglelerre : m«H il eu est arrité comme
l'avait prédit son ami Caiiccioli ; il diuit que l'abbÉ resterait
deux mois dans ce pays, qu'il n'y aurait t parler que pour lui,
qu*lt ne permettrait pas ï un Anglais de placer une fyllabe et
qu'A son retour II donnerait )e caraclére île la nation, et pendant
tout le reste de sa vie, comme ail n'avait étudié que cela. ■>
jbïGoogIc
LETTRES DE GA.LUNI
A H. LE BARON DE GLEICHEM
Que voua êtes aimable d'avoir songé à m'écrire, et
surtout de Ghanteloup ; mais ne serait-ce pas le duc
1. Le btioD de Gleichen vint en Pnace eo 1169 comme entoyi
du mirgrare de Barellh, puis II partit poat Madrid comme am-
basiadeur de Danemark ; de Madrid il rlat à Paris occuper les
mêmes foncllona en lemplafant le comte de Wedel Prici. On
ÈBpérail que par ton crédit personael il réunirait t obUnir le
payement des sommes aiseï considérables que le Danemarli ré-
dsmatl h la France; grâce ï soa Intimité avec les Cboiaeul, il
Obtint le payement de .ilx millions. Hélé i toute la soctétÉ litté-
raire et philosophique de l'époque, Gieicheu y Tut diversement
apprécié : ■ Il est de toutes mea conuBlssances , écrit madame
du Deffand à Walpole, celle dont je fais le plus d'usage. Il mb
voit sonvent ; son esprit n'est pas i mon unisson, mais 11 eo a ; son
cœur est Imq. Il me marque du goût et de l'amitié. Eh bien I II
est rappelé; j'en suis fâchée, je le trouvais ï redire; je disputais
avec lui; euflu, il valait mieui pour moi qu'aucun des gens qui
ne restent; il est franc, il est sincère, il n'est ni Italien, ni
Gascon, ni Provençal. > Après le sé}onr de Christian VU i Paris,
Gleichen , qui avait déplu au comte de Hoilke, favori du roi, fut
disgracié. Ses amia, les ChofsenI, obtinrent pour lui TamtMssade
de Naples, mais il n'y resta que peu de temps, le poste fut
supprimé déa l'arrivée de H. d'Osten aai alhires. (Voir i
l'appendice XI, comment Galiaoi racontait i Gleichen le miracle
de saint Janrier.)
jbïGoogIc
1«4 LBTTRES DE GÂLIANI
liù-méme qui vous y aurait fait songer T Je gagerais
qu'il TOUS a dit : Aves-vous det nouvelles de votre petfl
abbé? On dit qu'il s'ennuie beaucoup à Naples. J'en
suis fâché; c'est sa faute: il avait beaucoup d'esprit,
mais pas de conduite; il n'était pas bon pour les af-
faires. Puis il aura pirouetté et changé de discours '
sans vous donner le temps de lui répondre, en vous
faisant d'autres questions. J'en demande pardon h
M. le duc : mais il a tort. La seule faute que j'ai com-
mise, c'efit celle que je n'ai pas Ëiite, de naître Napo-
litain; tout cooune )a meilleure chose qu'il ait feite,
c'est celle qu'il n'a pas faite, de naître Français, et
du nom de Choiseul. Quelque esprit que J'eusse
mis, Je u'aurais pu rester qu'un an de plus' à
Paris, jusqu'à la mtnl de Castromonte * ; ainsi il
1. Choiseul passait pour fort l^er, quoique très énergique. U
«vait débuté dans la carrière diplomatique par une singàlière
aTenture. C'était à Rone. A peine arrivé, Il apprend qu'on a
donné au cardinal gouverneur de Rome la loge que les anbaB*
sadeun de France avaieiit auparavant au thëdtre Alberli. A
la première représentatios, sachant que le gouverneur vou-
lait arriver avec une eecorie, l'ambassadeur arme ses gens,
s'installe dans la loge et fait dire h son rival que s'il ose entrer
il le fait jeter dans le parterre. Tout le monde fut pétriSê; le pape
cliarge le cardinal Valenti de faire une mercuriale i l'ambassa-
deur. Ce prélat lui adresse uneharangue très énergique. Choiseul
claque des doigts presque sous son nez, el lui dit : c Vous vous
moquée de moi, Monseigneur, Tolli trop de bruit pour un petit
prestolet, quand il s'agit d'un ambassadeur de France. > Enanîte
il St Dne pirouette sur le talon et sortit.
9, Le comte de Cantillana, marquis de Castrom<Mite.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 195
y aurait trois ans déjà que je m'ennuierais, au lieu qu'il
y en a quatre : cela ne valait pas la peine de manqua
à mon devoir.
Vous me foites un tableau vrai de Ghanteloup: U
prouve à quel point la soumission a pu s'établir parmi
les peuples pour éteindre toute jalousie dans le cœur
du souverain. Tant mieux pour les peuples et les sou-
verains : puisqu'il faut être sujet, il vaut mieux l'être
en entier *!
Mon état ici est toujours le même. Je vis avec des
connaissances étrangères que j'attrape au vol. Le ré-
sident a obtenu une prolongation de séjour ici d'une
année'. 11 a enfin le souverain bonheur d'avoir une
afiaire politique ; c'est au sujet de certaine recrue
albanaise qu'il réclame. H ne se changerait pas avec le
préaident Jeannin '.
Voua avez su la tfratto * de H. Giraldi pareil à celui
1. Le duc de Choiseul était toujours exilé ï Ghanteloup, mais,
de ménie qa'i son départ, une foule ëDorme rtrali enorté,
de même, pendant son eiil, il ne cessa de recevoir let vUites du
plus hauts personaages. ;Voir l'appendica X.) H conaerï»
Urajoan dm grande popularité . On avait même fait dei tabatIèrM
où il jr arait d'un câtë le husle de Sully et de l'autre celui du
duc de Choiaeul: < C'est bien, dît Sophie Arnould, en voyant
une de cet boltet, on « mia la reeelte et la dépense eiuemble.i
3. Le résident de VenUe avec lequel Galiani, Gleichen et le
général Koch avaient organisé un dîner bebdomadaire.
3. Pierre Jeannin (1M0-1S32), Bis d'un tannear d'Aatun; il
devint miniaire de Henri IV^ il est resté célèbre par ses habiles
négocialions.
4; ■ L'eiil. ■
jbïGoogIc
1»6 LETTRES DE GA.LIi.NI
de H. d'Ancarville, et pour Ja même cause, à ce qu'on dit.
Que dit-oQ à Chanteloup de l'irrésolution mortelle
qui a saisi notre pauvre ami Gatti? Je crains pour son
physique et son moral. S'il allait devenir fou tout à
fait.
Si TOUS vous occupez encore de mon bonhem",
pourquoi ne songez-vous pas tout de bon à m'envoyer
une couple d'angolas ? Est-ce qu'ils sont infectés du
venin des économistes pour avoir fréquenté le Luxem*
bourg, et qu'ils craignent de trouver en moi un inqui-
siteur du SaintrOffice? Détrompez-les: les inquisiteurs
et les cli&ts ont toujours fait alliance entre eus, et l'un
a servi de modèle à l'autre.
J'ai reçu de Sienne le détail des louanges qu'on vous
y piodigua sur ma personne, à votre passage, il y a
deux ans et demi. Une dame, qui m'aime beaucoup,
les écouta avec plaisir, et vient de me le mander. Vous
voyez que tout se sait à la fin, ou dans ce monde, ou,
au plus tard, dans la vallée de Josapliat ; ainsi prenez
bien garde à ce que vous faites vis-à-vis de moi ; car,
si vous me jouez encore un tour, si vous l'osez, si vous
en avez le cieur, je sens qu'enûn Oui, enfin, je
vous en aimerai davantage, et j'aurai gagné un paroli.
Adieu, cher baron,
Mille chose à mes amis. Je crois en avoir encore,
car je les aime sans refroidissement: cette madame
Necker et sa compagnie, cette demoiselle de Lespi-
jbïGooglc
LETTRES DE GAUi.NI m
aassG ; mais il aurait fallu débuter par madame Geol'-
l'rin, et madame de la Ferté-Imbaut. N'oubliez pas de
me mander si tous reçûtes la lettre que je vous écrivis
ù Montpellier. Les égarements inquiètent un peu.
Adieu.
A MADAME d'ËPINAY
Saplei, u nTril (ïlJ,
Vous avez beau, ma belle dame, me dire que vous
êtes bien mal dans les lettres écrites de votre maiu, et
vous avez beau m'assurer dans celles que votre scribe
m'écrit, que vous vous portez bien, le fait est que, par
un désordre d'imagination je ne vous crois bien por-
tante et je ne suis gai, que lorsque j'en reçws écrites
de votre main.
Ces désordres de notre imagination sont bien extra-
ordinaires et bien difficiles à guérir, à l'aide de la
philosophie toute seule. I) faudrait que le tempérament
s'en mfil&t. Par exempte, vous vous figurez mille ris-
ques, mille morts des absents, i'ai éprouvé ce mat
d'imagination. Au fond, c'est une folie. Bst-ce que nous
guérissons en couvant des yens, comme les tortues
jbïGoogIc
19B LETTRES DE GALIARI
leurs œufs? Et prend-on moins une colique, lorsqu'on
niange trop à cdté de son ami, que lorsqu'on dine tout
seul? La seule différence est que nous l'apprendrons
plutAt : cela ne guérit de rien. Ainsi, persuadez-vous
que, sous vos yeux ou loin de vous, il n'en sera ni
plus ni moins *. Pour ce qui est de la perte réelle
que nous cause une absence, je n'ai rien à dire : elle
existe, elle est irréparable ; mais l'idée des retours est un
calmant singulier. D'ailleurs le temps s'écouie si vile 1
Pour vous et votre sauté, je ne crains plus rien, je voua
l'ai dit. Lorsqu'elle sera consolidée, je vous attends de
pied ferme ici. Si vous savez m'enunener avec vous
en France, vous serez une maîtresse femme.
H. Barloli de Turin est mon ancien ami *. te l'ai
beaucoup connuà Tarin et ici, lorsqu'il y vinten 1737.
C'est un homme très savant dans l'antiquité et les
belles-lettres ; grand génie, qui paraissait fou à cause
du feu de sa t^te. Fort ressemblant à Gatti, mais beau-
coup moins bon. A propos de Gatti, il est retiré tout
à (ait dans sa bicoque. 1! y bêche la terre de ses mains.
Il est devenu fort triste, mais il est parfaitement con-
tent. Cela marche ensemble.
Pour revenir à Bartoli, sa tragédie m'est inconnue.
Le philosophe a raison s'il croit que les Italiens, s'ils
1. 0 eat toujoar» queatioii de Grimm.
2. Daniel Btrtoli, Mvsnt jésulie italien. Auteur de la tragédie
d'Bppmie, pobltie i ïurip en 1768.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI IM
se mtieat de composer des tragédies, surpaistront les
Français, Metastasio eo est une preuve. Mais il a tort
s'il croit que les Italiens puissent jamais avoir des tra-
gédies. Je ne m'étonne pas si le philosophe n'a pas
saisi cette vue si fine, n'ayant jamais parcouru l'Italie;
iU'aurait sentie d'abord. Dites-la-lui, et la voici : les
Italiens pourront composer des tragédies, mais ils ne
pourront jamais les jowrr. Ils manquent de beaui hom-
mes, et i}e femmes qui aient le maintien noble. Il n'y
a pas, dans tous les acteurs italiens, un Aufreane, un
Brizard ', un Clairval*. Si l'Italien veut être sérieux
et grand, il est gauche et maussade. S'il bouffonne,
alors il est pantomime et charmant tout à fait. Nous
ovus donnerons des arlequins et des coralines.
1. * Brlurd a la majesté des rois, le sublime des ponUfet, la
tendreue ou la Bévérilé des pères. C'est ud très grand acteur,
qui joint la force au palbélique, la cbalear au sentiment : toa
jeu n'a encore essufé aucnne critique (1763). ■
S, Clairval, acteur de la Comédie iUlienne (24 Juin 1776). cLe*
Mariag» lamailea restent loajours suspendus depuis la premiers
représentation. Dn jour oii la reine BTait décidé d'j- venir, la
pièce n'a pu aToIr lien, de même une seconde fds, et i rai-
son de l'indlsposiUon du sieur Clairnl, ce qui a donné de l'bu-
menr h Sa M^esté; elle a dit : "On a bien de la peine i avoir
ce monsieur U Cette eiclamalion martiflante a piqué l'blslrion,
qui menace de ne plus Jouer et de se retirer tout à lait. Un H.
Cnidianl, dont il a hit rejeter l'opéra comique, a éerll au bu
do portrait de cet acteur maniéré, autrefois perruquier :
Cet Bcteur mloindier at ce ducWoj sans voix
tcorcbs les aateara qu'il rassit aulrafois.
rBacbaummt, IHitmlrM sMreu.)
jbïGoogIc
3M LETTRES DE GALIANI
et nous TOUS surpasserons toujours en cela. Biais c'est à
TOUS à ckmner à l'Ënn^ les Etaroa, les Aufresne, les
GlairoD. Voilà pourquoi la tragédie est impraticable
chez nous. Nos castrati sont maussades; mais la mu-
sique Toile tout. Or, une tragédie, qui n'est pas jouée,
n'est rien. On la joue toujours dans sa tête, lorsqu'on
la lit. Nous devons doncrenonoer à la tragédie aussi
bien que les Espagnols et les Portugais. Français, An-
glais, Polonais, Suédois ont des hommes bien tournés,
bioL découplés, et auront des acteurs.
Le temps m« manque ce ^ir, k l'ordinaire. Aimez-
moi doDC. A huitaine !
A MADAME d'ÉPINAT
IUpl«9, U Avril (T1>.
Tout m'a f&ché dans votre n' 28. Premièrement,
votre iicrîbtt s'avise d'avoir une écriture si large, ma-
jestueuse, magnifique, qu'il emploie deux feuilles de
pa)>ier, pour ce qui tiendrait en une demie. Cela double
la dépense. Je veux avoir une lettre de l'état de votre
santé toutes les semaines, mais à moins que, pour
jbïGoogIc
LETTRES DE «ALUNI lOt
m'ea donner le détail, il ne fallût employer deux
feuilles (ce qui, Dieu m'en préserve, serait la descrip-
tion d'une maladie), le reste est un vrai péché mortel,
et je TOUS prie de vous en abstenir.
La seconde chose, qui me mot au désespoir, est la
malheureuse affaire de Merlin. Voici ma dernière ré-
solution : mettez le tout aux pieds de M. de Sartine,
ou dans ses mains ; il m'aime ; il est seasible aux mal-
heurs ; il sent que je pourrais me veniter sur! bien dea
Français ici. S'il compte me faire recouvrer quelque
chose tout de suite ou dans un temps discret, quand
même ce serait à moitié perte, faites ce qu'il faudra
faire pour cela; s'il en désespère, j'en désespérerai
aussi, mais je me vengerai.
Troisième désagrément. C'est l'ouvrage de Gébelin'.
dont TOUS me donnez un extrait. A quoi bon donner
l'extrait d'un radotage sur l'histoire ancienne? Les
vrais saTaatsontdéjàpris leur parti, et l'on n'en dispute
plus. On sait que c'est l'histoire que les Grecs sauvages
nous ont conservée des peuples plus avancés dans la
culture des arts et des sciences, qui les ont conquis,
peuplés, policés. Ainsi Saturne. Jupiter, Mercure, Hercule
sont la même chose que seraient dans deux mille ans.
l.AntdiM ConM de Gebelin (1735-17&i).Ce n'est qa'i Vtgo de
quiTaDle-hnit ini qui! compoM wq grand ouvrage inlitulé le
Monde prinUtif. Sien que proiestant, l'Acidémie française le
Bomnia ceiueur rojril .
jbïGoogIc
203 LETTRES DE GALIAHI
Charles V, Ferdinand le Catholique, la reine Isabelle,
Cortez, Colomb cbez les Américains, s'ils n'eussent pas
re«u de nous l'imprimerie et l'art de l'écriture perfec-
tionnée, et qu'ils eussent conservé leur histoire par tra-
dition et par cceur, aidant leur mémoire avec le rythme
et le mètre de ta poésie. On convient de cela. Les allé-
gories, soit chimiques ou physiques, trouvées par ha-
sard dans la fable, sont des rêves creux. On trouTent
de môme que les douze anciens ducs et pairs de France
sont les douze mois de l'année, que le roi et la reine
sont le soleil et la lune, et que les maîtresses des rois
sont des comètes. Bêtises!
La chose, qui reste à éclairer, se réduit aux détails
deces anciennes expéditions sur la Grèce. J'ai, lik-dessus,
un amas de faits et de réflexions qui fourniraient ma-
tière à un livre curieux, si j'avais eu le temps de
l'acheTer. J'en ai sur la langue aaturelle de l'homme,
qui me parait être celle des monosyllabes répétée :
marna, tata, papa, baba, caca, coco, tête, bibi ; voilà nos
premiers sons. L'enfant produit ces sons sans intelli-
gence. La noorrice y attache une idée, et la fait atta-
cher à l'enfant, voilà tout.
La fable ancienne est quelquefois triple, quelquefois
double, parce que les Grecs, ayant élé conquis par
différentes Dations , c'eBl>-à-dire par les Égyptiens,
Tyriens et peuples du Nord, qui y vinrent par terre,
et qui étaient des Celtes, ils ont mêlé tout cela ensem-
jbïGooglc
LETTRES DE f.ALlANI iOS
ble, comme si les Américains, conquis par les Espa-
gnols, les Anglais, les Français, mêlaient dans deui
mille ans tout ensemble, et confondaient Charles V, et
Henri VQI, et Henri IV, la reine Isabelle de fiastille
avec la reine Elisabeth d'Angleterre. Voilà la cause de
la omtradiction dans la mythologie et la multitude des
Hercules thébaîn, tyrien, etc. Développer cela avec
génie, avec goût, avec une finesse de conp-d'oeil heu-
reuse, est l'afhire d'un philosophe érudit, et pas d'un
savant sans génie, comme votre H. Gébelin, qui m'a
coûté déjà trente sob de plus par votre seconde feuille,
sans que j'aie rien souscrit.
Quatri&me désagrément. J'ai perdu à la loterie ;
mais vous n'y avez aucune faule, je sens cela.
Je vous enverrai une consultation sur l'administra-
tion des blés, relativement à Gênes, qu'on m'a
demandée. Adieu.
Vous avez bien raison ; entre la soufirance et l'a-
bandon, il n'y a pas à choisir. L'une est la vie mal-
jbïGooglc
304 LETTRES DE GALIAM
heureuse ; l'autre est la mort, et la mort est le pire
de tout. Hais Grimm revieadra. Pour le philosophe,
j'en doute 1. S'il allait imiter Descartes * ! Si les
caresses d'une souveraine philosophe allaient le rete-
nir! et puis c'est un homme à oublier qu'il doit
revenir ; le temps et l'espace sont devant lui comme
devant Dieu : il croit être partout et être étemel.
Si la matière électrique n'est pas l'acide yitriolique,
elle sera autre chose. Gela me parait clair. Reste à
examiner si de savoir qu'une chose n'est pas une
autre, est savoir quelque chose de la chose. Si vous
décidez que non, tout le savoir humain s'en va au
diable ; si vous dites que oui, alors les hommes sauront
une infinité de choses ; car ils sauront, par exemple,
que moi je ne suis pas vous, et que la prose n'est pas
des vers.
MH. de Saussure sont allés en Sicile. Le prince
Pignatelli me fait causer souvent de vous. Chastellux
s'amuse. Je n'ai pas encore lu son livre de la Félicité
publique *. Hais l'idée m'en parait très belle et très
1 , Dîderot partait pour la Russie en même temps que Grlmm,
quiBccompagDiUU princesse de Hesie-Darinstadl t Saint-Pélers-
2, Descartea, après avoir pisaé une partie de sa vie en Hol-
lande auprès de ta princesse palaUne Elisibelb, accepta, an plus
fort d«s persécntions que lui suscitaient les théologiens de Leyde,
la proposition de Cbrisliae de Suède, qui lui offrait sa cour
comme retraite; il mourut 1 Slockbolm en 1650.
3, Le pins «ODsidérable des ouvrages de M. de Cbastellux. ■ U
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIAM 3»
neuve. Si l'ouvrage ne répondait pas it l'idée, il aarait
encore un mérite infiai dans le courage d'avoir ouvert
le chemin à une recherche neuve, utile et sublime. Je
doit dîner aujourd'hui à la campagne avec lui et
Pignatelli ; ainsi, je vous quitte.
Est-il possible que H. de Sartlne ne veuille rien faire
pour moi ? Ah ! que les absents ont tort !
A MADAME DE BEtSUNCË.
Il ne suffit pas d'être roué, madame, il faut être
poli, vous savez cela'. Par conséquence directe, il ne
suffit pas do m'écrire des lettres, il faut qu'elles soient
y a de l'esprit et des coanaisHoces dans ce livre, plus répaudu
daiu l'Enrope qu'A Paris. ■ (Laharpe. Corr. litt.]
Voir! I epigramme qui parut alors :
A Cbulellux, l> place ucsdimiquo I
Qu'i-t-il donc fait? Un livro bien conçu.
Tant l'appelez t Féli»U publiqui l
Le pattlic est heuieoT, car II n'en a rien su,
1 . Geliani bit allusion au mot de M. de Sartine i Beaumarchais.
Beaumarchais sTail étâ candaniné au bllme, peine inUmanle,
jbïGoogIc
a»6 LETTRES DE GALIANI
agréables pour exciter de jolies réponses. Tout est dA-
solant dans votre lettre sans date. Hais ce qui l'est plus
pour moi, c'est l'état physique et moral de madame
votre mère, souffrante, abandonnée; rien n'est plus
aSireux ■. S'il y avait quelque chose à comparer à
cda, ce serait le chagrin que me cause ma malheureuse
affaire de Merlin. Vous avez eu beaucoup d'esprit de
ne m'en rien dire ; mais votre mère, dans son apos-
tille, me l'a gardée pour ma bonne boudte. Le moyen
d'être gai après cela I
Vous voudriez que je vous conte l'histoire du ton-
nerre ; mais je ne sais pas ce qu'il y a à conter sur
cela: il est tombé au milieu d'une grande conversation
napolitaine, pour faire voir que la maussaderie napo-
litaine était à l'épreuve du tonnerre. Personne n'a eu
de mal. H est constant qu'il a passé sous les Jupes d'une
dame galante qui était assise sur un sopha. Il a enlevé
l'or, et respecté le dessous des jupes de cette dame,
tant le ciel protège la galanterie lorsqu'elle est bien
effrontée. Elle est alors la même chose que la justice,
comme on le uit, miU il ne s'eo moDtnIt qne plus iluolent.
H. de Sartine, impalienlè de wn atliUtde, loi dit ud jour:
s M. de Beaumtrcbais, il ae sulGl pu d'être bllmi,il but encore
être modeste. >
1. Grimm, qui Tenait d'être nommé ministre plénipotealiaire
de Saie-Golba à Paris, voyageait en ce moment en Allemagne,
d'où il devait se rendre en Russie; madame d'Épina; souOYait
cnteUemenl de eeite •baeuce.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANl SOT
puisque la justice consiste à domier le sien & toat le
moude, mum unicwique tribuere '.
Le oheraliflr Hamillon *, avec aoe machine élec-
trique très belle, fait ici la parodie du tonnerre, mais
c'est pour ainsi dire avec les fantoccini qu'il donne
Tancréde. H croit au fil conducteur, il le démontre, il
désarme Jupiter. Tout cela serait bel et bon, si l'on ne
pouvait mourir autant blessé par le tonnerre, que par
les pierres qu'il délacbe, ou par l'étouffement de sa
puanteur. Pour moi, je respecte le tonnerre, je crains
les dieux qui nous l'envoient, et ne les trouve pas plus
aimables pour cela. Au reste, ce n'est pas ce que je
crains le plus au monde, et l'affaire de Merlin me
parait encore plus fâcheuse que le tonnerre.
Pour que votre écriture ne m'effraie pas, vous devriez
m'éçrire quelquefois, même lorsque votre mère sera
bien portante ; sans cela vos lettres me seront toujours
de mauvab augure.
Le chevalier de Cbastellux s'amuse ici assez pour
s'être laissé persuader d'y rester encore quinze jours.
Il admire, il loue, il est poli, il se conduit très bien;
mais il a beau. faire, il ne connaîtra, ni ne sera connu
d'aucun Napolitain. Le sommeil est bien profond.
1. Le récit de cette aventure cilsie dan» le Journal de ma-
dame de SaïuBure.
S. Chargâ d'aJIïireB d'Angleterre à Naples.
ç)tzsci!,GoOglc
SOS LETTRES DE GALIA!4[
Je VOUS priti de dire mille choses de ma part au
chevalier de Magalloa. Pourquoi ne se porte-t-il pas
bien? Est-ce le cabinet ou le boudoir qui lui a afiaibli
la sauté? Vous savez que je suis votre très humble
serviteur.
A HADAH£ d'ÉPINAY
Nsplet, u mai ms.
Au foud et au vrai, ce numéro ne vaut guère mieux,
que les précédents, quoique vous lâchiez de me le ren-
dre plus gai. Le chemin de la santé ne me parait guère
celui des souffrances. Je serais bien plus tranquille
si j'étais i cdté de votre lit, et que je visse votre état
par mes yeux.
Grimm &e portera toujours bien en voyageant; il
est trop jeune pour que cela ne lui arrive pas. Mais je
crains pour Diderot. Il va trop au nord. Un voj'age
est trop pénible au milieu des armées ; c'est bien fou, ce
qu'il fait '.
1. Avint d'aller en Bus$le, Diderot passait par la Hollande.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANt SW
Les gens de M. de Sersale ne me demandèreot au-
cune recommandation, quoique je leur eusse ofTert
tout ce qui dépendait de moi. Ce sont de très braves
gens, et l'on ne risque rien à les recommander. Je
TOUS en serais même très sensiblement obligé.
Je TOUS le répète : l'air de Piccïni, Splende ogni astro
piil sermo est son chef-d'œuvre. Je l'ai fait exécuter
pu- lui-même au chevalier de Ch&tellux, qui en tomba
en pâmoison. Ëxécutez-le avec les instruments et un
mouvement large, vous verrez si ce n'est pas là le
paradis.
Je ne sais que vous dire ce soir. Aimez-moi et don-
nez-moi de meilleures nouvelles de votre santé. 'Tout
est brûlé des papiers qu'il fallait brûler '. Adieu
encore.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI
k LA MÉHE
N^les. Siuio ITT3.
Vous savez bien, ma belle dame, que notre oorres-
poDdaoce, après notre mort commune, sera imprimée.
Qael plaisir pom* nous I Comme cela nous divertira I
Or, je travaille de toute ma force à faire en sorte que
mes lettres l'emportent sur les vAtres et je commence à
me flatter d'y réussir. On remarquera dans les vAtres un
peutrop de monolonied'amitié. Toujours tendre, toujours
affectueuse, toujours caressante, toujours applaudissante.
Au contraire, les miennes auront tme variété char-
mante : quelquefois je vous dis des injures, quelquefois
des Sarcasmes; j'ai de l'humeur de cliien, et même
quelquefois je commence sur un ton et je finis d'un
autre ; et toujours je me porte bien. Voilà surtout ma
grande supériorité. Car eniin vos quatre derniers nu-
méros, quelle figure pitoyable et lamentable ne feront-
ils pas dans le recueil ? Admirez donc mon adresse, si
je vous dis des injures parfois et portez-vous bien,
quand ce ne serait que pour le succès de notre recueil.
jbïGoogIc
LETTRES DE CALUNI ïll
T&ches de m'aimoDcer vite que tous êtes désobstruée ;
sans cela j'aurai, nui, une obstructtonà la tète, et
ne saurai plus que tous dire.
Je viens d'envoyer en présent au pape la carie
géographique du royaume de Naples, que je fis graver
è Paris ' ; il m'en a remercié par un bref latin, qui
est des plus pompeux et des plus flatteurs. J'aurais
pourtant mieux aimé une médaille d'or, elle figure
mieux dans l'inventaire d'un homme de lettres.
Gbàtclluz est parti il y a trois jours. Il s'est amusé à
Naples, en ne voyant jamaisaucuD Napolitain. On s'amuse
de mëipe à Péra, lorsqu'on dit qu'on a vu Coustauti-
nople. Au surplus, il a fait bien des réflexions qu'il
TOUS dira à son retour.
Piguatelli partira bienlAt ; il fera copier ici beau-
coup de musique, surtout dePiccini, qu'il pourra vous
communiquer ; nous sommes dans cette convention. Ne -
manquez pas de me donner toutes les nouvelles que
vous aurez du philosophe, dont vous savez que je suis
fort inquiet.
Avezr-vous fait parvenir un paquet de mon valet de
chambre à un certain H. Saint-Georges, au collège de
Reims, rue des Sept-Voîes, qui lui tenait fort àcceur?
Je vous l'ai envoyé dans ma lettre du 3 avril. Carac-
cîoli m'a mandé qu'il vous l'avait l'ait parvenir.
1. CeUa carte avait ËLé gniie par Riizi Zannoni.
jbïGoogIc
S13 LETTRES DE GA.LIÀNI
Adieu ; aimez^noi. Excusez mes injures : acceptez tes
expressions d'une amilié dont l'histoire parlerait, si
elle parlait d'autre chose c[ue des sottises et des mal-
heurs des hommes. Adieu encore.
HARAHE d'ÉPINAY A GALIANI
Vous êtes insupportable en me rappelant que notre
correspondance sera imprimée après nous. Je le savfds
bien, mais je l'avais oublié. Voilà à présent que je ne
sais plus que vous dire : l'immortalité me foit une
peur épouvantable. Au reste, mon cher abbé, vous
savez que les repos sont une règle du beau, et, comme
on intercalera mes lettres avec les vôtres, cela fera, à
tout prendre, une collection parfaite.
Je TOUS annonce que je commence un peu à me dés-
obstruer ; mais c'est bien peu de chose encore. Je ne
suis désenflée que d'un oreiller. Il m'en fallait cinq
pour dormir ; à présent je me contente de quatre. II n'y
a pas encore de quoi chanter victoire ; mais il faut es-
pérer, parce que l'espérance est une bonne chose. Je
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 313
ne vous ai point écrit la semaine deraière, parce que
j'avais le croupion écorché, et qne vous lie sauriez
croire combien, pour dicter une lettre, il faut l'avoir
en bon état ; je ne l'aurais jamais cru. Cela me Tait
voir qu'il y a encore dans ce monde plus d'une vé-
rité jk découvrir. H fallait, par exemple, une circon-
stance qui me flt rester trois mois dans la même atti-
tude sans remuer, pour découvrir ceile-lè.
Vous croyez que le chevalier de Chfttellux me fera
part de ses réflexions ; mais où le verrai-je? Car il ne
vient point chez moi, et je ne vais plus chez les
autres. Je voudrais croire au retour prochain de M. le
prince Pignatelli ; mais je crois que vous m'attrapez,
car il me semble que j'ai oui dire qu'il mandait à sa
femme qu'il passerait l'hiver à Naples '. Comme il
est possible qu'il veuille la surprendre agréablement, je
ne parlerai point de ce que vous me dites sur son re-
touc
1. I,e priDce Pignilelll était fort recherché dîna la société no-
pollUioe où il obtenait de grands ïuccès. Hadame de Saussure
parte fréquemment du prince dans son Journal: a Nous sommei
allés au cours qui est devenu très animé, puis à l'assemblée, chu
madame Hamilton ; elle était très brillante, tout le monde avait
quille le deuil et était ea habit de gala. 11 y avaitune dame russe,
logée à cûlé de chez moi, belle comme un ange; j'ai joué avec
elle, les princesses PÉroUte et de Belmonte, le prince Pignalelli;
le priuce russe qui voyage avec celle dame était de ootrepactie
et madame de Matignon enrageait de n'en pas être, Kous nous
divenissions, mon mari et moi, h remarquer combien elle (ait U
cour au prince Pignatelli et comme il répond froidement k ses
emprossements. ■
jbïGoogIc
314 LETTRES DE GÀLIANI
J'ai fait tenir très exacleroent le paquet de votre valet
de chambre à M. Saiot-Georges, au cdiège de Reims ;
je crois même vous l'avoir mandé dans le temps ; mais,
comme M, l'ambassadeur de Naples a l'usage de ne
m'envoyer les lettres qui lui sont adressées ponr moi
que huit ou dix jours après qu'il les a reçues, il est pos-
sible que vous n'ayez pas encore reçu celle où je vous
accuse la réception et l'envoi du paquet. Par exemple,
j'ai reçu la dernière dont il a été chargé mercredi
dernier; il y avait sept jours, à en juger par la date,
qu'il la promenait dans sa poche.
On n'a point encore de nouvelles directes da phi-
losophe. Par une lettre du prince de Gallitzin à ma-
dame GeoRirin, on sait seulement qu'il est arrivé à La
Haye en très bonne santé ; qu'il a été à Lcyde, où il a
fait connaissance avec tous les professeurs ; que le
prince ne peut le tirer d'auprès d'eux, et qu'il est
vraiment très douteux qu'il aille en Russie. 11 aim& tous
ces docteurs hollandais à la folie ; il passera peut^re
là le reste de sa vie : que sait-on < ?
1. Diderot écrivait de La Haye à uadeinoiseDe VolUod , mais
il ne lui parle pas prËcisément des dociciirs : e Plus je connaiï
ce pays-ci, mieux jem'ea sccomoiiMlc. Lessolcs, les bsreogs frais,
\ei (urbots, les perches et tout ce qu'ils appellent waterfish,
SMil les meilleurea gens du monde. Les promenades sont char'
mantes; Je ne sais si les Temmes sont bien sage», maisavecleurs
grands chapeauide paille, leurs yeux4iaissés et ces énormes Bdius
étalés sur leur gorge, eili's ont toutes l'air de revenir dn salut
ou d'aller à confesse.» (^^juillet 1773.)
jbïGoogIc
LETTRES DB C1.LIANI 315
J'aco^ite, mon cher abbé, vos tendresses, vos ïd-
.jores, vos excuses. Tout ca qui vieat de vous m'est
précieux, soyez-en bien sûr. Sans doute l'histoire par-
lera de not/e amitié; n'en doutez pas, puisqu'elle parle
des malheurs des hommes. Y en a-t-il un plus grand
que d'£tre séparé des gens qu'on aime ?
A MADAME D'ËPINAV
HapEes, (S Juin (Jjï.
Quoique vous exagériez votre courage, vous êtes, ma
belle dame, la plus timide des mortelles, car vouspré-
féreE la douleur à la mort . Vous croyez donc la mort
le plus grand des maux. Pour moi, je suis d'un avis
contraire, et j'en suis tellement persuadé, que je ne me
f^is pas à cette étonnante phrase de vos lettres : Mon
état n'est pas dangereuse, mais il est pénible. Vous
comptez donc pour rien te danger de souffrir. Ainsi ne
prises pas me tranquilliser tant que vous m'écrirez :
Je $ou(fre. Ce mot est tout pour moi. Il est vrai que
moi aussi de mon côté, je ne fais que vous répéter :
je m'ennuie; mais il y a une belle difTérence entre
jbïGoogIc
916 LETTRES DE GALIÀNI
l'ennui et les souffrances. On engraisse dans l'ennui;
on est un cheval de l'écurie d'un grand sei^eur :
celui qui souffre est un cheval de fiacre.
Hier, j'ai reçu le portrait de noire pauvre M. de
Croismare, que le marquis Spinola * a eu le soin de
me faire parvenir par son valet de chambre, qui est
venu ici revoir sonpère. H est parfaitement bien gravé;
mais il ne m'a point attendri en le voyant, car il ne
lui ressemble guère. L'incomparable Croismare avait
une laideur originale, charmante, caractéristique. Son
portrait est bien moins laid et bien moins beau.
On a l}eau faire le revècbe contre notre destinée et U
loi commune des êtres. Nous mourons, nouselnosphy-
sionomies, et nos saillies, et nos portraits, etnotresou—
venir, et tout doit s'en aller. Quel délire que celui des
Romains et des Grecs, que de faire tout pour l'immor-
talité. Cette prétendue immortalité n'est qu'un terrain
disputé à 2'ou6/i, mais bien faiblement disputé. Laissons
cela; c'est une rêverie sombre etdésespérante, à laquelle
j'allais me livrera présent. Restons dans le délire de la
gloire humaine.
A ce propos, je vous dirai que j'ai envoyé au pape
la carte géographique du royaume de Naples, que je
fis dessiner et graver à Paris, accompagnée d'une lettre
dans laquelle je lui disais que Benoit XIV, m'ayant
1. Ministre plénipotentiaire de la République de Gènes i Paris.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI SI
beaucoup aimé, ayant reçu l'hommage de quelques
productions de mon esprit, je me croyais autorisé
d'en &ire autant avec un pape qui ressemblait si fort
an pape Lambertici. Le pape a reçu ma lettre et mon
présent avec la plus grande joie, et m'en a remercié
par unbref très flatteur pour moi. H est en latin, car
les papes ontia rage d'écrire en latin, même & présent.
Je crois vous faire plaisir en vous en envoyant une
copie. Si vous ne l'entendez pas, Hagallon vous l'ex-
pliquera, car un Espagnol parle latin sans le savoir.
Vous voyez par ce bref, ma belle dame, qu'il y a grande
probabilité que je sois un des cardinaux réservés m
peclore de notre Saint-Père. Aussi je m'attends à en
sortir un jour ou l'autre par en haut ou par en bas.
Cela me constituera en frais.
Pourquoi donc H. de Sartine ne me fait-il pas
payer par Merlin ? Veut-il attendre que je sois cai'-
dinal pouc essuyer le poids de ma colère ?
J'attends en frémissant, l'envoi volumineux de Di-
derot, dont vous me menacez . Est-il possible que vous
ne trouviez pas un moyen d'envoyer au cardinal de
Berois ou à l'abbé Deshaies, ' quelques paquets pour
moi? Selon vous, la mort et la poste sont deux maux
inévitables aux mortels.
Le prince Pjgnatelli s'ennuie tellement ici qu'il n'a
1. Secrilaire et ami du cardinal de BemU.
jbïGoogIc
918 LETTRES DE GALIAHI
pliuta force de s'en aller. Il estcomniâles geaa étouffés
par l'odeor du chariwn, qui resteat parce que leur tète
«Bt attaquée.
MM. de Saussure sont revenus de Sicile. Madame est
inconsolable de la mort qu'elle a appris de M, de
Tronchin^ Elle ignore pourtant le genre de mort qu'il
a eu.
Aimez-moi-, jouissez de votre appartement sur le
Palais-Royal. Mes compliments Jt madame votre fille.
Elle me demande toujours des histoires et des contes.
Si elle (ai est si avide, je lui donne volontiers mon
compte avec M^lin, qui est bien une autre histoire.
Adieu. J'ai chargé Ch&tellux de renoua ma paii avec
l'abbé Bbrellet. Adieu.
BREF DU PAPE A L'ABBÉ GALIANI
tCkmens -papa XtV, etc. Clément XIV,- etc. Notre
Dileele fiti, tibi salulem et cher fils, salut et bénédiction
aposlolicam benedictionem. apostolique.
Prwdara sac. ment. Be- L'éclatanle affection qu'avait
nedkti XIV voluntas, qua Benoît XIV, de bienheureuse
Patruum (««ii erat com- mémoire , pour votre oncle,
plexus, lueulenler déclarât prouve très bien l'attachement
optimi et sapienlissimi poti- dccebonetsagepontifepourles
tificis in excellentes viros hommes démérite, et en même
1. Jean-Robert TroDchln, procureur gda^ral à Genève, père du
célèbre médecin.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI
M9
■tudium, et tjiudem patrui
tui eximiam nrtutts doo-
trinaque commendationem.
lisdem nos caum inducimw,
n( trque jrropoTtsi erga te,
dâeete fiti, timiu, (071» non
mtRore, quam qua prade-
MMorù matri in iltwn ae
te tpmm fwrit, benevohntia
jmtequamur, cum solù gint
nobis jierfpeckB singulares
ingenii tui Imitlu, quas
ptunmû monwmentis com-
jmhatai ette sciima. Prop-
terea litteras tuas fnetaHi
in not aljne obtervantùe
mdkiii refértat et geogra-
pltkam Regni Neapolitatii
tabiilam opéra tua egregie
delinealam, atqtie impresiam
eamque luo nomine ad riot
deferentem dilectum (Uium
Aiatem Zarillium ob eru-
dilkmem atque anliquitatis
scientiam vatde nobis ac-
ceptum, libentissinte euxe-
pimus, eidemque palam fe-
cimus quanlopere htxprws-
tanti luo offlcio ae munere
delfclati iimus Hune
nostrum atiimum kis eiiam
litteris tibi teslatum esse
tmtumtu, unaque te vehe-
menter kortamuTy «t ube-
lemps la réputation de yerta et
de science dont jouissait votre
oncle. Les mêmes motifs nous
détermioenl, dier fils, à tous
montrer lesmEmesdispositions
et à TOUS donner des preuvea de
bienveillance qui égalent celle
dont notre prédécesseur combla
votre oncle et vonnofti»
puisque nous connùssons suf-
fisamment la beauté de votre
génie, dont il existe plusieurs
monumeuts . C'est pourqooi
nous avons reçu, de votre part,
avec bien de la satisfaction
par les mains de notre
cher fils, l'abbé Zarillo, que
nous estimons grandement ft
cause de son érudition et de
sa connaissance de l'antiquité,
la lettre qui renferme les mar-
ques de votre respectueux
attachement pour nous, ac-
compagnée de la beUe carte
géographique du royaume de
Naptes, gravée et imprimée
par vos soins. Nous avons té-
moigné à ce cher fils, combien
votre important hommage
nous était agréable; et nous
avons voulu par cette lettre
vous ofi'rir à vous-même ce
témoignage denotre gratitude.
En même temps, nous vous
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIi.Nl
rityre m diea ingenii lui
fructu augere optimarum
arlium studia, aliorumqw
utilitatem promoverepergas,
nMique ditigendi lut ani-
pliores semper causas tri-
buas. Demum luppeditari
nobis opportwiitatet cupi-
mus, quibvs reipM libi pa-
temam hanc nostram in te
caritatem oonfirmemus, ca~
jus indicem intérim apos-
lolicam tibi benedictionem
peramanter imper limur, Da-
lum Bftmœ apiut sanctam
Mariam Majorem stib an-
nula piscatoris, die 23
mail 4T73 , Pontificatas
nostri anno quinto. —
Benedictds Stat
exhortons avec ardeur & con-
tinuer à enrichir de jour ea
jour du fruit de vos talents
le domaine des arts, i con-
tribuer par là à l'utilité pu-
blique et à noua fournir toujours
de nouveaux motifs de vous ai-
mer. Enfin nous devrons qu'il
se présen te des occasions de vous
prouver, par des effets notre ten-
dresse paternelle, don t.en atten-
dant, nous vous donnons, avec .
plaisir, pourgage la bénédiction
apostolique. Donné & Rome &
Sain te-Marie-Majeure,Gous l 'an-
neaudupécheur,leS3mail 773 ,
la S" année de notre pontificat.
Contresigné Benoit Stay.
A MADAME D ÉPINAY
Naples, H juin iTIt.
Le peu de mots de votre lettre du 7 juÎD, ajoutés
le votre tuaio, ma belle dame, est encore plus assom-
jbïGoogIc
LETTBES DE GALIAHI 2J1
maDt que tout ce que Toas m'avez éait jusqu'à cette
heure. Que me parlez-vous de pooction? Je n'entends
rien à ce mot horrible. Vous ne m'avez jamais parié
d'hydropisie. Tirez-moi d'obscurité, puisque vous m'avez
mis dans le soupçon. Il vaut mieux sans doute ignorer
tout, lorsqu'on est absent. Hais il ne vaut rien de savoir
les choses à moitié.
Le prince Pignatelli est ici ; il est tombé conmie moi
à la renverse en lisant votre lettre ; elle est affreuse en
effet. '
Elle m'a empédié de lire la lettre de Diderot. Hais
s'il est parti, comment m'y prendrai-je pour lui ré-
pondre. Ëclaircissez-moi sur cela. Au reste, le philo-
sophe a travaillé sur une épltre qui m'a donné autant
de peine qu'à lui. Je croîs que tous les deux nous
avons enfin trouvé le sens juste. Le secret était que les
Romains, auxquels Horace adresse son ode, sont les
Romains de la race future, la postérité en un mot, à
qui il amionce des malheurs en punition des crimes de
son temps.
Ma belle dame, en voilà assez pour ce soir. Si votre
santé ne devient pas meilleure, ne comptez ni sur de
belles ni sur de longues lettres de moi. Adieu.
jbïGoogIc
LBTTBES DB GALUNl
DIDEROT A LABBË GALIANl'
Vous croyee, mon&ieur et cher aM>é, que je vais vous
parler de moi et de tons tes lionnètes gens que vous
avez quittés avec tant de regret, et qui T0us*reverraieût
avec tant de plaisir ; du vide que vous aves laissé dans
la synagogue de la rue Royale, de nos affiiires pu-
Uiques et particulières, de l'état actuel de la science et
des arts parmi nous, de nos académies et de nos cou-
lisses, de nos actenrs et de nos auteurs. Cela serait
peut-^tre plus amusant qu'une querelle d'éruditioa.
Uais cette querelle s'est élevée entre H. Naigeon et moi
su^ la 6" ode du III* livre d'Horace.
Nous vous avons choisi pour juge et vous nous ju-
gerez, s'il vous plait.
Vérifiez cette conjecture, ensuite prononces pour
delicta majorvm oa itouT mmmtw inq/onm; il n'en
1. Celle lettre de plus de douze pages concerne presque entiè-
rement l'ode d'Horace ; elle n'existe ni dans l'édition Barbier Di
dans l'édition Serieys; nous ne citons qu'un eitraii et renvoyons
le lecteur à la correspondance de Diderot.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 3S3
restera pas iuchdb dans cette lettre qnelqaes vues
grammaticales dont j'aurai abusé, mais dont nn aotre
pODira faire, dans une meilleure drconstance, une ap-
plicatioD i^iis heureuse, et croyez surtout qu'il me
oonvieudrait bien davantage de tous dire ces choses de
Tire TOix que de tous les écrire, de vcir votre perruque
déposée sur le coin de la cheminée et TOtre tête fumante,
et de vous entendre entaniffl' un sujet, le suivre, l'ap-
profondir et, chemin faisant, jeter des tsjoas de la-
inière dans les recoins les plus obscurs de la littérature,
de l'antiquité, de la politique, de la philosophie et de
la monde.
Ce qu'Horace disait à Virgile de la ntort de Qaintt-
lius, je l'ai dit cent fois à Grimm, au baron de
Gieiclien, de votre absence it Paris et de votre séjour k
Vagin».
A MADAME D É P I ?I A T
Vous m'avez tiré d'incertitude plus tôt que je ne
n'y attendais II y a des choses qu'on cherche à savoir et
jbïGoogIc
VA LETTRES DE GALIANl
qu'OQ voudrait apprendre le plus tard possible. Tel est le
cocuage et le nom de votre maladie. Il est vilain dans
toutes les langues possibles. Si vous étiez un bonune,
j'en serais mort de frayeur ; mais vous êtes femme, et
les femmes vont bien loin et reviennent de bien loin
en fait de maladies. Sur cette considération, je reprends
courage, et j'attendrai.
La perte seule de Bbgallon, me parait aussi irré-
parable pour vous que la mienne ; les autres ne sont
que des absences, et vous auriez tort de vous en affliger.
Je voudrais vous écrire au long ce soir, mais voici
ce qui arrive. Un bomme de mes amis a reçu une
lettre ici du nonce du pape ', qui est à Varsovie, qui
lui mande que sa Majesté très polonaise, pour se dés-
ennuyer (et il en a grand besoin), passait son temps
à lire un recueil de mes lettres à mes amis en France,
qu'on lui avait envoyé depuis peu, et qu'il avait la
clémence et la discrétion de communiquer au nonce
de sa Sainteté.
Voilà le coup le plus étrange et le plus imprévu
qui me soit jamais arrivé. Mes lettres à Varsovie! Mes
lettres communiquées & un nonce, non pas de la diète,
mais du pape 1 Je n'ai guère écrit de lettres qui soient
1. Le nonce du ptpe en Pologne éiait Ugr Ganmpi , qui pu-
Mit pour un des rédaclean de la Gtuetu de Pologtte. L'impéra-
trice de Russie ne raimait pas, parce qu'il mettait souTeot en
doute ses succès contre les Turcs.
jbïGoogIc
I.ETÏKK» DE OALIAM ia
liiilos pourêU-c montrées ù des nonces. QuVsl-cc donc
que cola ? Quelles lettres lui a-t-on envoyées? Qui est
l'bcHume assez étourdi pouravoir compté sur la discré-
tion d'un souverain, et d'un souverain parvenu ? Il est
vrai qoe j'ai souhaité qu'on montr&t mes Icllres à
quelques-uns de mes amis, mais je n'ai jamais eu, au
iiCHDbre de mes amis, ni des Rois, ni des Nonces. Ja-
mais je n'ai consenti qu'on donnât copie de mes lettres.
De grâce, tirez moi de celle incertitude, encore plus
embarrassante pour moi que votre enquigtée ascite
no l'est pour vous.
Quelles lettres a<t-il reçues? Soat-elles de moi? Me
les a-t-oD attribuées? D'abord je les désavoue toutes. Si
vous aies coupable de l'indiscrétion, comment ne crai-
gnez-vous pas que j'envoie les v6treB pour me venger?
Vous me croyez incapable d'une lâcheté, jo le TOis, et
je vous crois incapabled'une indiscrétion. Le fait est
pourtant qu'il croit, ce monarque, avoir des copies de
lettres à moi, dont il s'amuse plus que des maniTestes
des trois puissances codividentes '. Encore une fois,
dites-moi ce que c'est que cette aventure, faite uni-
quement pour anéantir ma verve, ma liberté, ma fran-
chise, la gaieté de mes lettres, la confianr«avec laquelle
je vous ai toujours mandé ce que j'aurais osé dire au
coin de votre feu.
1. L(i Iroll pulMareei qui m iurlagcilect U t>j1o(me.
jbïGoOQlc
136 LETTRES DE GALIAM
Pour le moment, n'uttendei rien de moi siaou des
phrases dignes de ne scandaliser aucun nonca. Ainsi, je
ne voua dirai pas que je vons aime, car vous fttes
remme, je suis abbé, et l'hydropisia ne fait rien à la
àmêe. Il faut vous dire sèchement^ respeotueuaement
que j*ai l'honneur d'être avec respect, madame, votre
très humble et très obéissant serviteur.
LE MARQUIS PE GARACCIOLI A GALIANI
Pféoisémeiit à présent ou rappelle voa Dialogutu
dans toutPuria; les éranomistes orient et s'exclamont
GOotre vous à l'occasiou de la famine actuelle, parce,
que malgré toute« lee provisions et toutes les mesures
prises, voyant dans beaucoup d'endroits le pain à
cinq BOUS la livre et des Boulèvemonta dans diSérentoa
provinoeSi wi agite ks aociennes questions à l'avan-
ti^ des économistes.
I. Nous ne cilons qu'un eitrait de celte lourc, qui ii
daas l'édjlioo Barbier b1 Uaai l'édliign Seriejf,
jbïGoogIc
LETTBES DE O4.LIANI 337
Je ne sais pus si te chevalier de Cliastellux vous a
dit la haine des économistes contre vous. H. Turgot
et l'abbé Morellet soutiennent qu'aucun livre n'a
causé plus de préjudice à la France que vos Dialogues
contre la liberté d'exportation des grains, surtout étant
resté sans réplique par ordre du gouvernement.
Vous dites que votre système sur les grains n'a
pas été compris ici ou qu'on n'a pas voulu le GOm<
prendre ; je vous répète à vous ce qu'eux disent sur
celte assertion. Du reele je ne dois pas décider si
VUU8 avez tort ou raisoa ; pour cela il faudnùF esa-
mioer à tond votre livre, ce 'que je r^^tte de
ne pouvoir fftire njaintenaat; du fe«t£ mon suffrage
ne servirait à rjen.
jbïGoogIc
LETTRES DE UALIA.M
XV MA II IJ IIS UE CAKACC10J.I,
Anbo.sclcur rfc Naplei, à P»rls '.
Monsieur l'Ambassadeur,
La lettre que vous m'avez fait l'houneur de m'écrire
le 20 juin ne m'a point surpris. Les économistes
crient contre moi» et m'imputent la cherté des Ta-
fines, la rareté du pain, la famine. Malgré toutes les
précautions qu'a pu prendre le goUvemànent, en
([uelques endroits de la France le pain se vend cinq
sous la livre. Les soulèvements sont fréquents dans les
provinces, et tout le mal vient de mes Dialogvxs!
M. Turgot et l'abbé Horellet soutiennent que jamais
aucun line n'u été si pernicieux à la France, puisque
je m'y oppose fortement i l'exportation des grains et
que j'y prêche seulement la circulation intérieure de
ces mêmes grains. En vérité je ne sais si j'ai écrit
po'.ir les vivants ou pour les morts: personne n'entend
mon système, ou ne veut l'entendre.
t. CctL« luitre ne m trouva pii daoi l'tVIUlan BiHiltr.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI El»
Et vous aussi, Hoosieur l'AmbaBsodeur, vous semblei
révoquer en doute la pureté, la sagesse de mes vues ;
vous s'osez décider si j'ai tort ou raison; il faudrait,
dites-vous, esamioer à fond mon ouvrage, ce que
rous ne pouvez foire maintenant ; et vous ajoutei que
d'ailleurs votre suffrage ne servirait de rien. Je ne
partage point votre avis. On vous rend trop de jus-
tice pour douter un instant de votre impartialité. Les
absents ont toujours tort. Rien de plus naturel que de
voir un ambassadeur protéger, détendre un de ses
compatriotes qu'on opprime, et dont le silence invo-
lontaire, mais forcé par la distance des lieux, semble
justifier les persécutions de ses adversaires. Vous êtes
à Pari* le protecteur né de tous les Napolitains. A
qui pourrais avoir recou» il voui m'abandonnes?
Pendant quelque temps le gouvernemeat IVaoçali, ti
la tolUcitation de H. de Sartln«, a défendu mx
économistes de m'outrager par leurs rapsodies,
Leur système a produit une iamine que mon livre
aurait prévenue, et c'est moi qu'on accuse, qu'on vi-
lipende, qu'on voudrait voir brûler en place de Grève!
E^ vous êtes là! Encore si c'était un mauvais ouvrage!
Hais faut-il vous rappeler avec quel empressement il
fut accueilli dans toute la France, les éloges qu'il reçut
de l'étranger, du roi de Prusse <, qui, seul, ît coup
1. FrMérle ■▼■([ écrit i Gillnl une leUre de* plus éloftleuin
(I) sujet des DIaloguet tur lu Met.
jbïGoogIc
130 LBTTRKS DS GALIANI
Sûr, vaut au moins tous l«s économistes de France, à
l'exception peut-^tre de mon uni Morellel, dont les
intentions valent beaucoup mieux que la plume.
Vous répéterai-je, HooSeigneur, ce que Voltaire
écrivait au sujet de mes Dialogties à Diderot, le 10
janvier ITTO. « Il semble, dit le philosophe de Ferney,
que Platon et Molière se soient réunis pour composer
cet ouvrage ; ou n'a'jamais raisonné ni mieux ni plus
plaisamment, a Gomme vous n'avez guère le temps de
faire des rechercbes étrangères à vos fonctions, per-
mettee-moi de vous transcrire œ que ce même phi-
losophe b écrit dans les questions sur l 'Encyclopédie
à l'artir^lé « Blé » '. Après l'avoir lu, je ne dolite pas
que TOUS ne portiez hautement votre décision sur mes
Dialogues. Ce faisant, vous rendrez justice h celui qui
a l'honneur d'être
Votre très obéissant serviteur.
1, Voir le premier volume, leUre du 2 février 1771.
jbïGoOQlc
LETTRES DE OALIARt
A UADAMR D'i=:PlNAY
Kaplet. n Juillet m».
Mon croupion est à ravir, mais s'il est oécessaire de
l'avoir en bon état pour dicter des lettres, il est éga-
lement pécessaire d'avoir des lettres pour écrire des
réponses. Vo(14 lès raisons pour lesquelles je ne vous
ai pas écrit la semaine passée. Que pouvait-elle en-
l'anter, mon imagination, dans l'incertitude sur l'état de
votre santé? Cette semajae on peut répondre puisqu'il
y a une lettre, mais que vous dire? Je rabots de voua
un oreiller; atil qu'il me pèse de ne pouvoir pas en
rabattre beaucoup!
Le Pbilosopbe, à La Haye, électrisera toutes les tortues
hollandàiaea. Cependant il ira eu Rnssie, je n'en doute
pas, ou, pour mieui dire, Il se trouvera & Pétersboiirg
un beau matin, sans savoir comment il y est parvenu <.
Le prince Pignatelli est une espèce de Diderot. Il ne
1. Gillaol ne ae trompait pas : • Eii bien <. mes amies, le sort
est jel^ ; je faie le grintl voyage ; diaU rassurez- vous. 11 . de Nnris-
kin, cbanibellan de S. M. i.,,ine frend ici liins une bonne voi-
ture ei me conduit i I*étersbourg doucemeni, commoilÉiDcnt, i
petites journées, nom arriManl partout où le besoin de repos ou
JbïGoOgIc
Sn LETTRES DE GALIANI
sait ni rester ni partir. Cependant il ne passera pas ici
' l'hiver, à ce que je crois. Il se plaît à Naples, mais il
s'ennuie avec sa tante et son oncle à un point inconce-
vable, et c'est cet aiguillon qui le fera enfin partir.
Je le vois souvent; nous causons de vous ; nous nous
plaignons de ce que Naples ne ressemble point à Paris;
mois nous nous portons bien, parce qu'on meurt par
des raisons physiques, et jamais ou presque jamais
par des causes morales.
Nous avons cette unnéa le phénomène que je croyais
impossible, d'une récolta également prodigieuse dans
tous les genres de cullivations aux environs de Naples.
Comme elles sont très multipliées et 1res différentes,
je croyais impossible da combiner une saison qui don-
nlt en mfimfl Umpi le produit parfiiit de tout l«t lé-
gumes, orgo, blé, blé de Turquie, chanvre etllo, lole,
i'ruiiA, Tin, buil», etc. Cela s'est pourtant rencontré
cclto annés, et je suis très curieux de voir les efl^ls
politiques d'une richesse de terre universelle.
1^ France souffre la disette, et j'apprends qu'on
m'en accuse. Si vous vous portiez bien, je compose-
rais encore un dialogue, et on réimprin>erait mon ou-
vrage avec quelques lettres et ce dialc^e. Peut-être on
la Buriosilé noui le eons^illers... M molt de JiDfler procbtin,
une uutro bonne Tolture, où ifi m'tuién\ k rAté du frère du
prince GiUtiin e( do u femme, ne déposera eu coin de U ruo
Tarnnne. > Diderot i maiIrmoNHIe Vollmd. |I3 lodl 1*73.)
jbïGoogIc
LETTR8S DE GALIANI «33
m'entendrait mieux; ce qui est sur c'est qu'on
m'aobèterait encore une fois. Mais votre croupion me
désarçonne. Que faire d'une dame qui a le croupion
éoorché. Dit«s-moi donc au plus vite que vous vous
portez bien, et occupez-vous de m'apprendre toutes les
ttcousations des économistes contre mes Dialoguss qui
sont, à ce qu'ils disent, la seule cause des révoltes
en Guyenne et en Languedoc.
J'imagine que vous verrez (^slellux d'une manière
quelconque (comme disait M. de Hairan à son laquais,
qui aurait plus tôt fait avec une éponge) ', il vous
dcHuiera de mes nouvelles; il a été chargé de me l'ac-
commoder avec l'abbé Horellet, et je vous en charge
aussi ai voire croupion vous le permet. Pourquoi se-
rioDB-4Mxi« brouillés lorsque noui sommas du même
aviit II aimo la Uborté; J'aime lu liberlimtge : voilà un
premier rapprcobament. Il soutient qu'il faut Mer tous
lùs impôts. Mol, Jo ne les paie qu'à mon grand regret ;
voilik uo second rapprodiement. Il écrit dans un style
tout différent de celui des économistes ; il se Elit lire
avec plaisir; moi je tAcbe de me faire entendre, et de
m'eipliquer le mieux possible dans uue langue qui
n'est pas la mienne. Voilà la ressemblance. Mais tout
ceci est inutile, si vous ne désenflez pas bienttM. Da
grftce, accouchez de ces quatre oreillers. Adieu.
1. Voir U Iptire ttu 3! Kpkmbre ITTO.
jbïGoogIc
LETTRES DE OALIANl
LXX
Voilà, sans oontredit, la plus sublime lettre et la plus
iogénîeuse que tous m'ayes écrite dans votre vie. Vous
désenflez, vous vous désobstruex, vous êtes contente de
Tronchin *, et encore plus de la nature. Gomme cela est
prorond! peut-on être plus spirituelle? Voua ne sauriei
imagloer la ^ieté, la bonne humeur, l'électricité que
.1. TroacbiD, «prêt avale eiercé la médecine A G«iièT«, éttlt
venu k fixer t Parji, où II obtint une Togu« eitraordioalre.
a Tronchin, Étranger (<« qui a toujours été un titre de recom-
maudalloB en France) arait mis de l'adreise et presque de la
charhlinerie pour assurer te commencement de ses succès^ par
exemple, il Imagina de conseiller i une Jeune femme de frotter
«qn appartement, ce qoi réuuit Si bien que la moitié de la boniie
compagnie se mit à frotter. > (Duc da Lcvis, Mémoires.) Son arri-
Tée, ses succès, aTii«nl produit une véritable révolntlon dans les
habitudes: c Tronchin arrive de Geoëva, ditllorellet;i peine il a
parlé, toutes les femmes sorlentde leurs maisons, et ce n'e.<t plus pour
être promenées dans leurs Tolturei on dans un Hocre, comme la
l'bjlis de Vollaire, c'est pour marcher elles-mêmes; elles courent,
aTec canne ou sans canne, sur les bouletrards, sur les ponU, dans
les rues, dans les jardins. Ce qu'en obtient Tronchin les prépare
et les dispose à mieux obéir à Jean-Jacques. Leur santé est ré-
tablie, les enfants seront nourris par leurs mère». >
jbïGoogIc
LETTBBS DE GALIANI 331
eela me donne. Il fout vous l'avouer, je m'intéresse à
TOtre santé autant pour vos lettres que pour les miennes.
C'est un vrai plaisir que d'avoir un bersaglio < de
toutes mes folies, et je m'en vais d'ores en avant vous
écrire les plus folles lettres que vous ayez jamais reçues
de moi.
Bfais, par e&emple, pourquoi faut-il que madame
votre fille vous quitte si mal à propos? Faut-il courir
jusqu'à Plombières pour p....
Ne saurait-on désenfler des boyaux à Paris?
Vous avez une ressource dans votre solitude. N'èles-
TOus pas logée au Palais-Royal?
Raccrochez les passants de votre lenëtre.
Vous pourriez raccrocher messieurs do l'arbre de
Oracoïie '; et si cela est, je vous manderai des nou-
velles pour les amuser. Pour le coup, je n'en ai point.
Après avoir eu cet hiver des comédiens français,
nous avons à présent le célèbre danseur le Picque ',
t. Point de mire.
3. L'arbre de Cracorie se trouvait dans le jardin du Pataii-
Rojal ; B''élait toui son oi^brage que m rasKmbUleat les oMfs
pour ncoDter lu Doavellei. Il fut détruit en (TBI.
3. «Le sieur Pic est le premier danseur linthéfltre de Naples,
Tenu dans re pajs-cl par congé pour y acquérir le goAt fran-
çais; il ■ été inrilë par les coryphées, de la danse de se montrer
■Dr le théâtre de t'Opéra. On a fait une entrée pour lui dans
Akeilt et une autre dans l't'iiîo» lU l'Amour et dei Artt. II a en-,
levé tons les snin-agea : on le regarde pourtant comme plus fort
dans la danse noble et de terre à terre que dans la danse haute
jbïGoogIc
va LETTRES DE GALIANI
qui nous donne le ballet d'Armide avec ses ohceurs,
et tout oe qu'où pouvait donner à l'opéra de votre Pa-
lais-Royal. Il faut convenir qu'il est aussi excellent
danseur que Vestris et Dauberval *-, cependant il a
eu plus de peine que d'Aufresne à franciser les Napo-
litains. H B pensé être siillé au commencement. Les
Napolitains ne s'apercevaient pas qu'il dansât dans un
aussi énorme et moastrueaic Ihé&tre que le n6tre,
parce qu'il ne sautait point. Hais comme il est d'une
ti'ès jolie taille, il a commencé par apprivoiser les Na-
politaines, et la nation peu à peu s'est convertie.
Voyez les progrès des mwurs : nous tombons dans la
monotonie) grâce à vous autres, messieurs; el bienlt'tt
toute l'Europe sera Paris, et legoûtde voyager passera;
caril n'y aura rien il apprendre, rleaà voir: toutie ret-
semblera. Aux deux bouts du grand continent, il y aura
les Chinois d'un c6té, les Europdens de l'autre, deux
nations à peu prùs égales. Us auront de même une
caraclérisUque; ils auront un gouvernement absolu,
tempéré par les formes, la longueur des procédures, la
et de lallation. Il n'est pas «i grand que Veilris, mait inSnimenl
plu$ jeune, u'ayint pas trente ani et, par coii)équent, il a les
mouTemenU plut doux, plus souples, plus moellcui. C'est un
élËv« du sliut NoTerre, ce qui lui a valu plus de fuveur eucorc.
Hier, la Beine est ranue pour le voir et en a été eiirémemeni
satisfaite. On aurait roula le coaserrer lei, maii 11 n'y pas moynn
(l'y longer, puisqu'il gagne SO.OOO llrrei à Neples, ■
(llathaiimont.)
1. Danseur <le l'Opéra.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIA.M i37
douceur des mœurs; ils auront beaucoup de soldais ai
peu de bravouitt; beaucoup d'industrie et peu de génie;
beaucoup de peuple et peu de gens beureux. Les répu-
bliques disparaîtront en Europe : elles ne marchent
pas en ligne avec les monarchies, perdent du terrain
et sont enlbncées. La Pologne vous prouve cela : son
malheur précède d'un siècle tout au plus celui des ré-
publiques italiennes qu'on a méprisées à cause de leur
petitesse. Nous serons donc Chinois dans cent ans tout
au plus Je m'amuse déjà à m'aplatîr le nez et à
m'allonger les oreilles par en bas, et je n'y réussis pas
mal : travaillez, vous aussi, ù vous amincir les pieds
de votre côté.
Adieu, ma belle dame, le prince Pignatelli tous rend
ses compliments. Il est fort occupé de madame de
LIano ■ la plus i-agoiltante espagnole que j'aie jamais
vue. Adieu eucorc.
t. Madame <le iiiuuure, daiu s-m juiirniil, |iarle do uetlc Es-
(lagoole tomiuc élani duQn rare beauti-.
jbïGoogIc
LBTIRBS DE GALIANI
Vous ne voulez pas. le croire, nu belle dame, il n'y
a poipt de trauqiijlltté ni de repos que dans la yér'tié.
A présent que vous m'avez mis en méfiance, je ne suis
pas même sûr si votre lettre du 11 juillet est véridique.
Je veux la croire telle, au moins sur ce qui regarde
votre engraissement et votre embellissement. Ce $era
une belle surprise pour moi si je reviens à Paris, de
vous trouver grasse, comme je les aime.
Hagallon aura de la peine à vivre avec M. d'Aranda ' ;
1. Le comte d'Aranda venait d'être nommé ambiasadear en
France. C'était un liomme d'une hitute valeur «t d'un caractère
fortement trempé. Il avait cbasaé les jésuites d'Espagne. On lui
attribuait plus de jugement que d'esprit, plus de léte que d'hibi-
leté, mais 11 possédait une inébranlable fermeté, qui suppléait i
tout. «C'était, dit le duc de Lé«i«, une de ces Ames de fer que
son pays seul produit. > Caracdoli, qui avait beaucoup connu le
comte d'Aranda, le comparait ingénieusement i un puits profond
dont l'oriSce eslétroiL — D'Aranda résida en France jusqu'enlTSi;
il retourna ensuite en Espagne où it mourut en 1794. — On cite
de lui la mailme suivante ; iLe oui et le non viennent du mi-
nistre, le qnand et le comment du cenuDis, le cahier et le pupitre
jbïGoogIc-
LETTBBS DE GA.LUN1 339
maiB, si je ne me trompe, ce sera M. d'Aranda
qui quittera le premier un payt où il se déplaira à la
mort. Le prince * coatioua dans son incertitude et,
assurément , je ne le laisserai partir que quelqu'un
ne vienne le relever de sentinelle auprès de moi. il
fout enfin que je vive et que je cause.
Un portrait en profil ne ressemblera jamais à notre
boH H. de Croismare, dont le masque et la pantomime
du visage taisaient la caractéristique, je revois encore
son visage, et je vous dis qu'il ne lui ressemble pas.
Nous avons une reine accouchée et votre roi pour
parrain, si l'enfant ne meurt pas. Elle est venue au
monde un peu malingre, et aura de la peine à vivre*
h suis bote ce soir à mon ordinaire, et de très mau'
«aise luuneur par axtraivdinaire. C'est le derofet- jour
du mws. Je vois mes listes, et js me trouve volé, pillée
saccagé par nmn cuisinier, mas gsos, mon cocher. Ah t
la pénible chose pour un abbé que d'ètm volé par
d'autres que par •agouvei'oantel Je suis seul, isolé, sans
parents, sans amis, sans femme de ménage ; mon ar->
gents'flDva : toutest au pillage. Il faut me marier ab-
solameot. N'aurieft-voufl pas une riche ctéoie de ren^
ofHitre r il m'importe peu qu'elle lolt neuve ou usés.
Voyez.
lie la tutioD, le roi n'y met du sien que l« plume et l'eae>e>
(Voir l'appendice H).
I. Le priDM ViptÊtaUL
bïGoogIc
LKTTHES DE OALIAM
BiHi soir, je vous <|ui(lc; je ne Siiis que vous dire.
Vous saurez toutes les nouvelles du monde, plus t6t que
par la voie de mon cul-de-sac. Adieu douci Le prince
vous fait mille compliments.
A LA HËME
Niplw, ; aofit 1111.
Messieurs les quarante au beau partage sont convenus
que la tournure la plus agrtiable qu'on paisse donnera
la description d'une maladie, c'est de commencer par
le prétérit /ai été, comme la plus vilaine et la plus
grossière est d'entamer le discours par le présentée «u/s.
Votre lettre, ma belle dnme, est donc très joliment
tournée eu débutant par: j'ai été hydropique. J'y bals
les mains ; j'approuve mftme que vous sachiez ce ipio
c'est qu'une hydropisie grecque, pour savoir à quoi
vous en tenir là-dessus. Vous savez en outre ce que
c'est qu'une solitude parisienne . Elle se passera et bien
plus sûrement à l'approche de l'hiver, surtout si vous
restez au Palai»-Royal.
Aht quoje suii fftctié, pour vou» cl pour lui, de ce
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI S41
que TOUS me mandez de notre bon chevalier ' ! La
faveur du roi ne lui vaudra pas un sol ; elle lui fera
perdre Paris. Le comte d'Arauda an sera jaloux et dé-
pité au possible ; il voudra le faire rentrer dans le bas
rang des secrétaires d'ambassade; il ne le pourra pas,
jl le rendra malheureux. Il faudra que l'un des deux
saute en l'air. Ils sauteront par décence tous les deux.
Hais la carrière de Magallon n'est pas finie, je ne dé-
sespère pas de le voir à Naples. Pour Aranda, à moins
qu'il n'y ait des guerres d'Espagne, ses rAles sont finis.
Le prince Pignatelli est toujours résolu de partir, et
compte arriver à Paris à la fia de novembre. Naples
est comme la vapeur du chartion : on y meurt en y
restant, mais on n'a pas la force de s'en aller. Ainsi je
ne sais pas s'il partira.
Je n'ai pas de nouvelles à vous donner. Si elle vous
intéressait, je vous donnerais pour nouvelle, que j'ai
enfin réussi cette semaine, après deux ans de travail, à
faire quelque chose digne de moi et de ma charge pour
le bien do ma patrie. C'est une déclaration du roi por-
tant règlement sur les matières d'or et d'ai^ent qu'on
emploie filées ou tissées dans les galons, broderies, pas-
sements et dont se servent même les orfèvres. Que de
peine etde persévérance n'a-t-il pas fallu, avant que d'en
venir à bout I mais enfla, j'ai réussi à y établir une
1. Le cheTillfir de Uagillon.
jbïGoogIc
tiî LETTRES DE GALTANI
eotière liberté, et mon ahhé Morellet m'embrasserait
bien pour ce que je viens de faire et verrait que je
ne suis point un Machiavellitio, ennemi de la liberté. Je
l'aime lorsqu'il s'agira de galons. Le pain est autre
chose, it appartient à la l>olice et non pas au com-
merce.
Il serait trop long de vous détailler mon affaire ; en
peu de mots, je vous dirai que nous avions uue vieille
loi qui nous défendait de fondre et raffiner dos mon-
naies (toutes les nations ont la même) et celles de nos
souverains. Comme nous appartenions à l'Espagne, les
momiaies d'Espagne étaient défendues aussi ; par con-
séquent, nous n'avions pas de matières suffisantes à
fondre. On les fondait en contrebande, et on les raffi-
nait mal ; en outre, on avait recours aux vieux gal<ms
et broderies brûlées, qui noircissaient toujours, même
après avoir été réduites en verges. Enfin le monopole
s'y était établi. U y avait des prix fixés à la diable,
pour acheter et pour vendre, qui gênaient Jeoommerce
et g&taient tout. Les acheteurs des vieux galons
s'étaient ligués entre eux, avaient formé un coips de
métier, sollicitaient des privilèges, et nous étions à la
veille de voir tomber toute la manufacture des galons,
points d'Espagne, broderies, etc. J'ai fait sauter en l'air
toutes les entraves. Plus de prix iixes. Plus de privi-
lèges exclusifs. Tout le monde peut vendre et acheter
des vieux ors et argents : sauf certains règlements de
jbïGoogIc
LETTRES DE GA.LIANI M3
police pour empêcher les vols domestiques. Tout le
monde peut fondre les rnoonaies espagnoles, pièces
fortes, etc. Le raffinage est réglé et bjtpubliquement
dans un lieu de l'hôtel des moanaies, par des gens ha-
biles, sous l'inspection d'ua magistrat, fiieatât nous
nous passerons de vos galons et bi-oderics ; nous
vous égalerons en cela ; mais nous n'égalerons jamais
vos madames de Paris: Ainsi Paris restera avec la plus
grande de ses supérito'ités. Bonsoir. J'ai rempli la
feuille.
Kaples, u aoùl ittj.
Ha lettre sur l'aventure de Varsovie *, ma belle
dame, était écrite dans le premier saisissement de
l'étonnement et de la frayeur. Après cela j'ai fait mes
réflexions, et je ne vous en ai plus parlé, comme vous
aurez vu :
i" Parce que le roi de Pologne, quoi qu'il ne me soit
1. Les lettres de Galiaui qu'on svul commuaiquées lu nonce.
jbïGoogIc
su LETTBHS DE GAIIANI
pasGounu, doit être un homme prudent, puisque, tant
bien que mal, il a su devenir Roi';
^ Parce que monsîgnor Garampi est le plus savant, le
meilleur et le plus rare des préfats romains, et bien
de mes amis ;
S° Parce que quelque enthousiasme que je suppose
en Grimmouen d'autres pour moi, ils sontassez pru-
dents pour ne pas me compromettre. Ainsi, toute ré-
flexion faite, je suis tranquille, et le désir de savoir
quelles lettres a pu recevoir le roi de Pologne, comme
écrites par moi, n'est plus à présent qu'une curiosité;
et au lieu de calmer ma colère, qui n'existe plus, je
vous demande en grâce de tftcher de satisfaire cette
innocente curiosité de ma part, et je suppose quevous
le pourrez. N'aurait-on pas fait des lettres à plaisir,
qu'on m'aurait attribuées, comme les lettres de madame
de Pompadour, et tant d'ouvrages de Boulanger, de Mi-
rabaud et autres? En vérité j'en suis très curieux. Rien
n'est si vrai d'ailleurs que j'aimerais à la folie qu'on vit
et qu'on lût mes lettres» pourvu que celui qui les
montre se souvint que je suis à Naples, que je suis
abbé, et qu'il y a encore assez de Jésuites par le
monde, vivants assez pour se venger. A cela près,
rien ne m'importe du reste. Je ne serai plus dans ce
monde ni un grand personnage, ni un rien : je serai
1. Stanislas-Aagiute Poniatowski, Élu roi de Pologne le 7
septembre 1764.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 245
un conseiller de commerce dans un pays où il n'y
a pas de commerce, voilà tout. Nous nous sommes
enleudus, je crois. Ce qui me console le plus dans
votre lettre, c'est que vous ne me dites plus un mot de
TOtre santé : cela me persuade que sérieusement vous
guérissez.
Je voudrais vous écrire quelque chose de gai, car
j'en ai grand'euvie, mais je ne suis plus en train.
La semaine passée, je vous ai parlé de mon premier
coup d'essai en fait de politico-économie. A présent, je
vous dirai que personne de mes Napolitains ne sait le
bien que j'ai fait à nos manufactures ; personne n'en
parle, personne ne s'en soucie. Y a-l-i! rien de plus
agréable qu'un silence aussi mortel? qu'en dites-vous?
Vous me plaignez; eh bien, consolons-nous, i'ai bien
diné ce malin chez le grand-maiire du roi; je dinerai
bien demain chez noire généralissime ; apr<!:s-demain
chez l'ambassadeur de France. Les broderies iront
comme elles pourront. La cuisine va toujours bien ici.
A propos, un frère cuisinier des Célestins vient de
publier un ouvrage complet sur la cuisine. On en parle
beaucoup, car c'est le premier livre qui paraisse depuis
deux ans. Un religieux, homme d'esprit, l'a aidé à le
composer. Il dit, dans sa dédicace, qu'on a tort d'ap-
peler gens de bon goût, ceux qui se connaissent en
bonne musique ou en bons tableaux : que ces gens-là
, sont tout au plus des gens à bonnes oreilles ou à bons
jbïGoogIc
346 ■ LETTRES DE CALUSI
yeux ; mais qu'il n'y a de bon goût qu'à se connattre
en ragoûts. Il a raison, au moins grammaticalement.
Voilà nos nouvelles littéraires. Pour moi je suis fort
occupé de rechercher quelques notes concernant la
vie du duc de Valentinois, César Borgia, par une
raison fort bizarre. Je devrais en composer une bro-
chure pour la dédier au pape. Ceci n'est-îl pas bien
bizarre? Voyez si H. Capperonnier ou quelque autre
pourrait m'aider de ses lumières. Je ne trouve pas ici
l'ouvragede BrantAme, des Hommes illustres étrangers,
et j'aurais besoin de savoir à quel 3ge il mourut, ou,
ce qui revient au même, dans quelle année il mourut.
Le duc de Gaodia, son frère, en quelleannée se maria-t-il?
et à qui ? etc. Si vous parvenez à trouver cet ouvrage de
BrantAme, mandez-le-moi ; je vous ferai alors des
questions.
Aimez-moi toujours. Adieu.
Ne parlons plus, ma belle dame, de l'aventure de
Varsovie ; il en arrivera ce que Dieu voudra. PeutrCtre
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI M7
cette ville sera pillée et brûlée par les cosaques, et le
manuscrit de mes lettres sera détruit.
Je suis bien aise que votre flile soit saine et sauve,
mais je n'aurais pas su le malheur de Plombières depuis
que personne ne me fait plus cadeau de la gazette
de Paris.
L'ouvrage de H. Olof Torée ne m'est pas inconnu*. Je
crois en avoir vu quelque extrait. Il me souvient que
ce monsieur, en bon aumdnier, est fort scandalisé du
libertinage des Chinois, et très étonné qu'aucun voya-
geur n'ait remarqué qu'en Chine les pères abusent de
leurs filles, les irères des sœurs, et que la sodomie,
même de ses propres enfants, y est fort tolérée. Il croit
que c'est le problème le plus difficile à résoudre en po-
litique ; comment un empire pcuHl subsister après des
désordres pareils ! Cependant, si, à l'arrivée de cette
lettre, H. le marquis de Militerni (qui loge chez M. de
Courtanvaux) n'est pas encore parti, il se chargera vo-
lontiers de m'en apporter un exemplaire, qui me fera
plaisir, et je lui en écris ce soir même. Au défaut de
I. Voyage de M. Oluf Torée, aumôiiicr de la Compagnie sué-
doise des Indes orientales, fait à Surale, à la Chine , depuis le
1" aTTil 1750 jusqu'au 36 juiii lT5i, publié par Linnée e( traduit
du suédcTis par Dominique de Blackford, à MiUn 1771. s C'est
M. Torée qoi a découvert ta fameuse plante Torenla que
M. Linnaeus a appelée du nom de son Tondateur. Un homme qui
aurait eu la gloire de donner son nom à quelque coiffure nou-
velle, edi tait plus de sensation danscepifs-d. ■ (Grimm. Corr.tilt.]
jbïGoogIc
24S LETTRES DE GALIANI
cette occasion, il faudra attendre le départ de Carac-
cioji pour me l'envoyer.
La dissertation sur les noyés ne saurait m'intéresser.
La foule de notre peuple est telle, que, s'il ne s'en
noyait quelqu'un de temps à autre, il n'y aurait plus
moyen de percer dans les rues. VoilJt pourquoi ia mé-
thode de l'inoculation serait dangereuse chez nous ; car
enfin ce ne sont que des Napolitains et des hommes
qui sont noyés. S'il se noyait quelque demoiselle du
Palais-Royal, je ferais sans faute venir la brocliure,
et je crois qu'elle ressusciterait seulement à l'odeur
d'une brochure, chose si rare chez nous.
Jo vous ai mandé, il y a quelque temps, la fertilité
de cette année dans toutes nos récoltes, et la curiosité
où j'étais d'en voir les effets politiques, ils commen-
cent à se montrer, et il est arrivé en effet ce que je
calculais : que tout est cher, et les prix de toutes les
choses sont à peu de chose près ceux des années
stériles. Cet événement parait étrange, mais il est le
produit donné par le calcul et confirmé par l'expérience.
Lorsque tout le monde est riche, il y a moins de
besoins, et on a en vue plus de ressources. Ergo tous
les prix se soutiennent. Notre province a récolté cette
année lt^O,000 livres de soie. L'année passée elle n'en
eut que 110,000. On avait fixé le prix des soies de
quarante sols plus bas que celui de l'année passée.
Mais on a eu beau faire, les soies se sont vendues cette
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 24»
année plus cher, ou du luoios aussi cher que l'année
précédente. Voilà des os à ronger pour messieurs les
économistes.
Voilà ma lettre remplie. Le philosophe s'est donc
oublié à Utrecht, comme Pignatelli à Naples. En lui
écrivant, parlei-lui de moi. Personne ne m'a plus
mandé ce que devinrent mes inscriptions latines pour
Pétersbourg et pour Gotha. En savez-vous rien ?
Vous aurez appris déjà la débâcle des jésuites arrivée
à Rome le 16 *, Leur histoire n'est pas plus finie
que celle des Juifs après la destruction de Jérusalem
par Titus. Elle a seulement changé de ton et de cou-
leur, de l'actif au passif.
Aimez-moi. Des avocats m'appellent pour m' ennuyer.
Adieu.
I. Le pape venail de supprimer la Sociélê de Jésns.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIAM
Nnpies, ti loit 1779.
Je fais toujours, ma belle dame, lire vos lettres à
Pignatelli : peutK>n lui parler davantage de vous? J'ai
reconnu mon cher baron de Thun à sa phrase. Voilà
ce qui s'appelle entrer dans les détails des choses. Si
je voulais l'imiter, je vous demanderais aussi : est-ce
dans vos jambes ou sur vos jambes que vous êtes faible?
et cette demande m'expliquerait si vous êtes faible à
marcher ou même à donner des coups de pied an
c. des gens qui en mériteraient l'honneur.
Lo cours des saisons qui nous a donné ixUe année
une fertilité générale, le voici : l'hiver a été con-
stamment froid jusqu'au coismeocemeiit de mai, avec
des pluies rares et à des intervalles considérables. Ce
froid a enrichi la terre de sels, a retardé la végétation,
a empêché tout le dommage des gelées. Le mois de mai
a été frais, avec quelques pluies et sans gelées. Le
rei>te de l'été a été constamment frais et parsemé dn
pluies sans orages. Quelques jours assez chauds ont fait
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 251
q>érer le mûrissement des Bemailles et des fruits; ce
(rais a empêché les vers et les insectes ; il a été utile
aux vers à soie. Ainsi, en substaoce, nn frais arrosé
pendant huit mois, sans brouillards, sans les vents
chauds, a été la panacée universelle ; et même on ne
se souvient d'aucune année où il y ait en moins
de morts et de malades. Le résultat a été (comme je
vous l'ai mandé) que les prix dans tous les genres de
denrées se soutiennent, comme si la récolle eût été
médiocre. Ils, tomberont par la faute du pouvemement,
qui généra les exportations. Mais il n'y a pas de saison
qui amène le sens commun : donc la récolte est
toujours stérile ici. Il -me suffit que Panurge sache,
même par ricochet, que je souhaite me raccommoder
et rcntrerdans ses bonnes grflces. Pourquoi serions-nous
ennemis? A propos, son dictionnaire du Commerce, à
quoi en est-il * ?
Ce grand chêne des jésuites, après quinze ans de
coups, est enfin renversé'. Le roi d'Espagne en aura
1. Le Dictioanaire do Commerce n'a jamais paru. Morellet pu-
blia seulement ie prospeclus en 1769. Le Diclioniuiire universel
àe Géosraphie commercial*, de Feuchet, fut rédigé d'après les
taalÉriaui préparés par Horellet pour le sien.
3. Le ■ Grand Chêne des Jésuites s aTait en effet résisté près
de quinze ans. Expnltée du Portugal en 1759 par Carvalho,
marquis de Poœbal, ta Société Cat supprimée en Pracce par une
déclaration royale de itotembre 1764, nuis on permit à ses
membres de viTre en particuliers dans le rojaume, en se con-
formant aux lois. Charles III loulut bientôt imiter l'exemple de
jbïGoogIc
»1 LETTRES DE GALIANI
la gloire au jugement de la postérité. Cela me prouva
que l'héroïsDie consiste dans une opini&treté de notre
part, combinée avec les hasards heureux, qui ne dé-
pendent pas de nous. On gagne donc le surnom de
Grand, moitié par hasard, moitié par mérite. Si les
économistes avaient placé leur opiniâtreté dans la pros-
périté de la Pologne, Quesnay s'appellerait le grand Ques-
nay : il aurait fondé une secte. Les absurdités postérieures
ne seraient pas sur son compte ; malheureusement le port
de Dantzick est fermé au moment même où ils s'opinià-
ses voiiins, el, en avril 1767, une pragmatique royale supprima
la Sociûié Cl expulsa les jésuiles de toute la monarchie d'Es-
pagne, C'est le comle d'jVranila qui (ut chargé de l'eiéCutioD.
La chuie des jésuites devait réjouir Gsliatii; ils avaient empê-
ché son oncle d'élrc cnrdiual, et il ne le leur avait pas par-
donné. Voici comment fui accueiltio à Paris la nouvelle de leur
eipnltion d'Espagne : • M. le baron de Gleichen, envoyé eitraor-
diDSire du roi de Danemark, dit avec son air doui et sournois :
K 11 raut convenir que l'art de chasser les jésuites se perfeclionne
de plus CD plus. > M. le comte deCreutz, ministre plënipoteniiaire
de Suède, prélcndit que du train dont les choses allaient, le pape
serait 1res heureui dans quelque temps d'ici d'être le grand
aumûnier du roi de Sardaigne, et l'abbé de Galianl, secrétaire
d'ambassade de Naples, s'écria ;
Gens intmiea mihi Tyrrhenum navtgat œquor.t
D'Aranda, en effet, avait fait embarquer et diriger sur Cirita-
Veccbia tous les jésuites d'Espagne; les navires qni les transpor-
taient furent re^us i coups de canon sur l'ordre même du général
de la Compagnie, le père Bicci. Les infortunés, repoussés par-
tout, errèrent sur la Aléditerranée pendant plusieurs mois, jus-
qu'à ce que Choiseul leur permit de débarquer en Corse. Ce n'est
que la 20 juillet 1773 que Clément \1V, cédant aui pressantes
Instsuces de la France et de l'Espagne, lit paraître le bref d'abo-
lition qui supprimait la Société.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 153.
trent à crier : exportation ! liberté ! et vous mourez de
faim. Il ne suffit pas d'être fou, il faut l'Atrc à propos,
et cet à-propos est un vrai hasard. Dans mille combi-
naisons, s'obstiner à détruire les jésuites, aurait été une
folie malheureuse ; il s'est rencontré la seule combi-
naison qui la rendait heureuse; et voilà que l'abbé
Cbauvelin i, la Chalotais, Carvaltio *, etc., sont des
héros.
Peatron se soucier d'être héros après sa mort, d'a-
près ce que je viens de dire? A la bonne heure, je
trouve que d'être héros de son vivant est quelque
chose ; cela donne toujours de la «onsidération, souvent
des persécutions délicieuses, quelquefois des ressources ;
mais après la mort, courir à l'ombre d'un nom vain,
dont la moitié tient au hasard ; l'autre & la qualité la
t. Henri Philippe, abbé de Chaurelin (t716-lT70), coaseiUer au
Pariefuenl de Paris. Il acquit une grande célébrité par l'audace
aiec laquelle il attaqua le premier le» jésuites; car 11 prit l'ini-
tiative dans cette grande affaire. On frappa des médailles, on
grava des estampes pour célébrer son triomphe. L'abbé de Cbau
velia était petit, contrefait et d'une effroyable laideur.
I. Carvalho. marquis de Ponibal, premier ministre du roi de
Portugal. Il était d'une sévérité terrible et établit le despotisme
le plus absolu à la cour; les grands l'eiécraient; Il Qt donner k
ses parenta les emplois les plus importants. Il réronna les Jésuites
et imposa ^lence k leur* prédications. Son père présidait l'In-
qnbitlon et lui-même s'en servait pour ses vengeances, tout en
appelant le clergé et les moines « la vermine la plus dangereuse
qui puisse ronger un Ëlat >. II fut condamné i mort huit jouis
après l'assassinat de Joseph II, mais la Reine lui III grtce et
FeUla & Pombal où il mourut en 1783.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI
moins difficile à acquérir (l'opiniâtreté), c'est une
folie ; conclusion : 11 y aura plus de héros en Alle-
magne qu'en Italie 1. Dia^. Adieu.
Sur l'aventure de I^Iogue ', ma belle dame, j'étais
tranquille déjà, conune je vous ai mandé. Les savants
sont une race de fous assez difficiles à manier. Os as-
pirent à la célébrité, et ne voudraient pas en même
temps être compronUs ; mais l'un ne va pas sans l'autre.
11 n'y a que les choses piquantes qui deviennent célè-
bres, et tout piquant compromet. Je suis savant , je
suis donc fou. Je désire deux imcompatibles, et je suis
comme ce poète qui ne voulait pas être censé l'auteur
de certains vers, mais qui ne souffrait pas qu'on les
trouvât mauvais. Ainsi plaignez ma folie et .ne vous
affligez plus de ma célébrité en Pologne, car au fond
elle ne me fait pas beaucoup de peine.
1. GaliaDi eiprime cette idée duis un sonnel que nous doo>
aans à l'appendice III. '
3. Voir la lelire du 3 juUlet 17Ï3.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANl Î55
Rien c'est si plaisant que de voir une Parisienne se
plaindre des cbaleoi-s k un Napolitain, qui riposte eo
décrivant les biens et les avantages du frais de Naples.
Voilà comme les mortels se trompent dans leurs juge>
ments. Je m'attends que bientôt vous allez me mander
qu'on ne trouve plus avec qui raisonner k Paris, qu'il
ne parait plus de brochures, que les discours littéraires
ont c«ssé, et que moi, au contraire, je vous manderai
que ma perruque est toujours en l'air ici, et ma tële
toujours en feu. Ce cas est encore bien éloigné. Cepen-
dant, pour l'bonneur de ma patrie, je vous dirai qu'on
a parlé ici de l'arrivée d'une comète presque autant
qu'à Paris; que la dissertation de M. de Lalande a été
réimprimée ici en bancais, et très bien débitée par le
libraire. Nous avons donc égalé les Parisiens en curio-
sité astronomique, et nous les avons surpassés en ce
que nous n'avons pas eu peur. Moi, en renchérissant,
j'ai souhaité la c(miète, je soupire après elle, et j'en
mourrai de chagrin si elle ne vient pas cet octobre,
comme oa l'attend.
Cette catastrophe des jésuites, qui aurait dû nous
amuser beaucoup, a été si plate, si tranquille, qu'il
n'y a plus d'autre ressource qu'une comète pour en-
tendre un beau bruit et un charivari délectable, tel
qu'au combat du taureau, à la barrière de Sèves.
Je ne sais pas si vous savez qu'au moment que le
général des jésuites apprit l'abolition par la lecture de
jbïGoogIc
£53 LETTRES DE GALIANI
la Bulle, aa jésuite portugais lui fit les reproches les
plus amers de ce qu'il leur avait promis que le roi
d'Espagne et le pape seraient morts bientôt, et qu'il ne
leur avait pas tenu parole. Il l'appelait traître et perfide
envers la Compagnie. Y a-t-i) rien de plus niuf et de
plus original?
Comme votre longue maladie vous a empSctiée de
m'écrire sur autre chose que sur voire santé, je vous
prie instamment de revoir mes lettres depuis quatre ou
«inq mois, et d'y fouiller des articles auxquels vous
n'avez pas répondu. J'ai im souvenir de vous avoir
demandé ou questionnée sur maintes choses aux-
quelles vous n'avez pas répondu et qui m'intéressaient
assez. Voyez; ma mémoire ne me fournit que cette idée
confuse.
Grimm vjendra-t-il en Italie? Le philosophe ira-t-il
à Pétersbourg? Nous avons ici H. Delaborde * qui
galope l'Italie. H y a des gens de lettres qui étudient
les ouvrages, et d'autres qui ne font que les feuilleter,
et qui étudient des mains, comme disait U. de Foate-
1, H. de la Borde, premier valet de chambre du roi LouiiXV;
l) était J>aD masiciea et composa la musique d'Amphion, petit
opÉra en un acte, qui eut peu de succès. Les paroles étaient de
liomas. Il eut aussi iabizarre idée de metireenmuaîqualepoème
de PaiwJOTf, de Voltaire, et alla lui-mÈmei Femef le Taire exécu-
ter. H. de h Borde venait d'élre iMndoniié par mademoiselle
fiuimard etil voyageait pour perdre le souTeufr de l'inOdUe. C'est
le marécbal-princede Soubise qui arait eiigé l'expulsion de H. de
la Borde.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIAHI 457
nelle ; de même il y a des voyageurs qui étudient un
pays, et d'autres qui ne font que le feuilleter. Nous
avons été feuilletés par M. de La Borde, et étudiés par
Pignatelli. Je ne l'accuse pas; je plains un homme qui
voyage, étant premier valet de chambre d'un roi très
chrétien et très absorbant les chrétiens.
Aimez-moi. Portez-vous bien, et si vous voulez des
lettres de moi plus intéressantes que celle-ci, donnez-
moi le premier branle.
. Nsplei, Il Bepwmbre ma.
Ha belle dame,
11 n'y a pas moyen d'être heureux dans ce monde : à
peine je respirais sur l'état de votre sauté, que celle de
mon frère ici vient me replonger dans l'inquiétude. Il
a été attaqué, il y a quatre jours, d'une espèce de
paralysie, surtout à la moitié du visage. Ces maladies
de nerfs, très fréquentes dans ce pays volcanique,
nous causent moins de frayeur qu'à Paris, mais la
jbïGoogIc
SBfl LETTRES DE GALIANI
maladie est toujours grave '. Je ne cnlns pas seu-
lement la tnort de mon frère, je tremble de ce qu'il
pourrait rester perclus et imbécile; il pourrait aussi
devenir aveuglei U a une femme* la mère de sa femme
et trois allés, toutes nubiles, aucune mariée; voyez
donc quel spectacle effrayant se présente à mon imagi-
nation! Dans tous ces btiis cas, je reste condamné à
gouverner un affireux sérail de cinq l^mes, & m'en-
Duyer à périr le reste de ma vie, ou du moins pendant
plus d'une année, enchaîné à Naples, garde de cotil-
lons, et chaîné de la nourriture et des soins d'une fa-
mille. Vous qui connaissez ma télé et mon caractère,
vous me plaindrez de ce malheur, dont je suis menacé,
plus que de tout autre au monde. Ne vous étonnez
I. Galianl.qui affecUit toujours tant d'iosenaibiliU, aimailto)-
drement ton frère et n'anit jamais cessé de s'en occuper. Nous
en trouTODs U preuve dans sa correspondance Inédite arec Ta-
nuccl. ' y. E. sail que mon but en m'embarquant sur la mer
périlleuse et inconnue dei Cours a été de venir en aide A ma
anille et i mon pauvre frère. > — ■J'enteDds dire que le départ
d'un grand nombre d'Espagnols laissera quelques vides dans let
eibploU inférieurs de la Cour. 61 on pouvait trouver une place
à caser mon frère... je puis assurer à V. E. que je ressentirais
cette grice mille fais plus vivement qu'une beureuse fortune
personnelle; pour tnoi je ne demande rien, absolument rien. * —
a A propos de Président de chambre, je ne voudrais pas que la
bienveillance de V. E. eût Dubli6 moU pauvre frère,.. S'il est
réduit à deiuander l'aumAne, j'en i-harge la conscience de V. E.
Il ne mérite pas un si triste sort après avoir bit un aussi beau
travail et une aussi belle édition d'un boa livre. >
jbïGoogIc
LBTIHES DE OALIANl »B
donc pas «i ma lettre n'est point gaie aujourd'hui, je
VDUB «D dJB d'asseï bonnes raisons.
Puisque vous ne Touiet pas vous ctiarger de me trou-
ver une femme, il ne faudra plus y penser. Je vnus
demandais une créole, ptu-ce qu'elles sout riches d'or-
dinaire, et puis parce qu'en prenant une femme, je
suis d'avis qu'il faut qu'elle vienne de l'autre monde ;
car je ne suis pas content de celles de ce monde ici ;
mais vous ne voulez pas que j'ajoute une sultane à mon
afireux sérail. Laissons-la.
Voyons si vous me ferez une commission bien plus
aisée, bien plus pressante et beaucoup plus raisonna-
ble. J'ai besoin de chemises pour cet hiver. Paris m'a
habitué à en avoir de toile ^e coton; je ne saurais
à présent m'en passoTt sans crainte de rhumatismes.
On ne trouve pas ici de toile de coton à propos.
J'en achetais à Paris de médiocre, qui me coûtait à
peu près quatre francs l'aune, ou même quelque chose
de moins. J'en voudrais faire dntize chemises | vous
connaisse! l'étendue de mes chemises. Je U'oublterai
jamais l'attendrissement materne), tmi au Hfe le plus
fou, qui TOUS prit tl Totre maison de campagne, en
voyant étendue sur mon lit une df- mes chemiseBi II
vous paraissait impossible qu'il y etVt quelqu'un asses
présomptueux pour user s'appeler un homme, avec une
chemise ailBsi courte et aussi ridicule. Ainsi réglet la
quantité de la toile pour babiller cet enfUit, Sol-Klilftnt
jbïGoogIc
360 LETTRES DE GALUNI
hoaune. Tirez une lettre de change sur moi , et en-
voyez<moi cette toile par notre ambassadeur Caraccioli,
lorsqu'il viendra ici. Je lui en écrirai la semaine pro-
chaine, et j'imagine que son départ de Paris ne sera
pas assez prompt pour prévenir l'arrivée de ma lettre.
On m'appelle. Adieu.
Ni^Im, ss MpitrobTE <T7S.
Vous avez bien raison, ma belle dame ; le prix qu'on
attache k ce chiffon de papier qu'on appelle lettre, est
incroyable. Cette folie rapporte au roi de France six
millions par an. Hais savez-vous le pourquoi ? C'est
que la corres^pondance par lettre n'est que le débris
d'une riche fortune qu'on cherche à conserver soigneu-
sement et qui nous rend avares. Elle est mêlée du
repentir d'avoir été prodigue une fois.
Vos lettres sont pour moi les restes de ces conversa-
tions à la cheminée, perruque à bas, etc. Que de fois
je me âche de ne vous avoir pas dit des choses que je
jbïGoogIc
LETTRES DE GALUNI 261
vous écris ! En voulez-vous une autre preuve : observez
qu'il n'y a de lettres intéressantes qu'entre personnes
qui se soient beaucoup connues auparavant. Les lettres
des savants, qui s'écrivent parce qu'ils se connaissent de
réputation, orneront leurs esprits, mais ne toucheront
pas leurs cœurs.
Pour ce qui est des ouvrages, feites une remarque
curieuse, que peut--élre vous n'avez jamais faite. Ceux
qui nous rendent fous de plaisir, sont ceux précisément
qui ne nous apprennent rien de nouveau, mais qui
disent au public les mêmes choses précisément que
nous aurions pensé lui dire. Si l'auteur ies dit encore
mieux tournées que nous n'aurions cru pouvoir le faire,
c'est alors que nous sommes au comble de la joie, et
nous nous pâmons d'aise. Si l'ou\Tagc nous apprend
des choses neuves, tel que celui d'un voyageur, d'un
géomètre, etc., il nous fait plaisir et ne nous ravit pas.
Même dans un roman la partie qui nous eilasiera sera
toujours celle qui ne nous sera point neuve, telle que lu
caractère d'un personnage pareil au nôtre ou à celui
d'un ami fort connu ; une situation pareille k celle oix
nous nous serons trouvés, etc. Conclusion. Le ravis-
sement pour un ouvrage vient de co que l'auteur nous
a soulagés dé la peine de faire son ouvrage, et qu'il l'a
fait aussi bien que nous aurions cru ou du moins voulu
le faire.
Tel est le sentiment occulte en vous sur l'ouvrage de
jbïGoogIc
362 LETTRES DE GA^IAMI
H. Necker ■ ; tel sera le mien. T&chez doac de me
faire parvenir ce livre juxta cor meum, au plus tard
par la voie do CaraocioU, s'il fait, comme il le dit, une
course ici, lies économistes en parlent mal, dites-vous?
est-ce qu'ils sout encore en état de parler? Je les croyais
devenus muets. Ne voient-ils pas que toute l'Europe
met des entraves au commerce des blés f Ils ont donc
fait bien peu d'écoliers.
Cependant il faut que j'achève de vous donner mes
commission*, avant que la feuille aoil remplie. Je
vous ai priée, il y a deux semaines (car, la semaine
passée, je ne vous ai point écrit, n'ayant pas reçu do
vos lettres), de m'pnvoyer la valeur de douM petites
cbemises de toile de coton; mais n'oubliez pas de
m'envoyer une douzaine de poignets tout faits et jolis;
et même envoyez-m'en deux douzaines ou trois, car
ou ne sait pas en faire à Naples. Vous connaissez le
tour de mon bras terrible ; sinon réglez-vous sur les
dimensions de l'Hercule Famèse, Tout ce que je puis
vous dire, c'est que je ne suis point grandi depuis
mon départ) que je n'appellerai pas mon retour, puisque
ma patrie est Paris. Ajoutez à présent à cetle com-
1. L'Éloge de Coltert, couronné pir l'Âcidémie franfaise.
Necker s'y monlreit l'apologUte t^sbilo des doctrine* oppoiëei à
celle» des économistes, qu'avaient discrédités tant d'écrits obs-
turs et déclamatoires. Il voulut j foire pressentir le continuateur
du grtnd mluiitre dont il eipouiC les trariui, et il y râu»jl.
jbïGoogIc
LETTRES DE GUIi.Nl 3«3
mission une seconde, qui est de me pourvoir de douze
moucboirs de couleur, rouges, rayés, d'Angleterre ou
de Suisse, pour me moucher ; et songez que je vous
devrai de n'être point un morveux. C'est la plus
grande obligation qu'un homme puisse avoir. Je les
achelais, à Paris, depuis 60 sols jusqu'à 3 livres 40
sols. On en trouve à Naples, maïs ils sont bien plus
chera. Ainsi, si îc marquis Caraccioli veut bien.s'en
'charger, comme j« l'espère, j'épargnerai presque la
moitié.
Je sui» bien (Ucbé de h perte de votre procès qui
dérunge vos finances ; mais quelles financei m sont
pas dérangées? U n'y a qu'à obtenir des saur-«>nduil3
comme Merlin l'enchanteur ; et c'est U chose du
iQûode Ift plus aisée partout. Je vois que tous ]es
aouvârains du monde protègent les mauTaia payeurs
par sympathie. Vous gères donc protégée : et mettaz-
vous bien dans la tête que celui qui (le veut pas
payer ne doit rien, et ne sent aucune détrwse.
Puisque vous ne pouvei pas vous remuer, re&lfii
danc, c'ut ie plus lùr. Adiea*
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIAHI
'a D ALEHBERT.
Mon cher d'Alembert,
La meilleure chose, sans contredit, qu'ait faite M. de
La Borde ■ dans son voyage d'ilalie, c'est de s'être
avisé de vous demander une lettre pour moi. Il n'en
avait aucunement besoin. Je le connaissais, je l'estimais,
j'avais été comblé de bontés par son aimable sœur
et surtout par l'héroïque madame de Marchais, malgré
qu'elle était économiste à brûler, et moi un anliéco-
DOmisle à croquer par délices.
Cependant M. de La Borde a très bien fait de
m'apporter une lettre de voua. Elle m'est si chère !
me cause tant de plaisir, me rend si glorieux, que
c'est le meilleur présent que j'eusse pu recevoir de
Paris. Si vous voyiez comme je me rengorge en disant
nonchalamment dans nos compagnies : « Je viens de rece-
1. Communiquée par H. BQnerel.
3. Voir It lettre du 4 septembre 1713.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 2fi&
voir uoe lettre de d'Alembert a, que je tire à moitié de
ma pocbe et que je laisse retomber sans ea faire la
lecture, à cause d'uE certain petit briccone qu'il y a
dedans, qui n*e5t pas pour tout le monde. Sur cela,
grands discours sur d'Alembert, grands étonnements
lorsque )e dis qu'il est petit de taille, pantomime et
polisson au possible. On veut par force que tous soyez
grand comme saint Chrîstopbe, et sérieux et barbu
comme le Mdise de Hichel-Ange. On finit par me
demander tout à la fois ; l'avez-vous vu ? Comme ou
demandait du papa à Panurge dans l'tle des Pape*-
guirs et des PapeBgues t. Non, en vérité, un Messinoîs
n'est pas si vain de la lettre de la Hadoana, que
je le suis de la vôtre '. Mais pourquoi ne suis-jc plus
votre petit briccone? me croyez-vous devenu moins
petit, ou moins briccone? Je le suis tout autant et
. je serai toujours le vôtre.
II m'a élé impossible de rendre aucun service â
H. de Là Uorde, dont bien me lâcha; mais il a vu
l'Italie en courant, en galopant, comme les <?hteus
boivent l'eau du Nil. Aussi le quartier du service est
1. Rabelais. Pantagrutl, Urre IV, chap. 45.
1. On comerve d«D3 U cathédrale ds Jles^oo une lellre en
Urec, iradaiie de l'hébreu par saint Paul, et écrite par la Vierge
aux HssglDoia en réponsciune dépulatian qu'ilsavaieateDvoj'ëe
i JéniMJem. La fête de la Sainte Leltre esl célébrée le h juin :
elle eil ri>cca9ioa de processions et de réjoulssaaces.
jbïGoogIc
366 LETTRES DE GALIANI
un fler crocodile ', I| n'a jamais dormi! Quelle horreur
pour moi qui dort tout mon saoCkl. Un courtisan est
' un vrai Siméon Stylit« ; il parait plus heureux que
les autres parce qu'il est élevé sur une colonne, mais
il ne saurait y dormir jamais, M. de ta Borde s'est
amusé à Naples autant qu'il l'a pu et qu'il l'a voulu.
|*arlons à présent un peu des jésuites, s'il vous fait
plaisir, et soyez persuadé que de tant d'ouvrages, de
brochures, d'estampes, d'épjgrammes, de comptes
rendue édits, arrêts etc., qu'on a entassés pour abattre
le coloue, il n'est parvenu ici, il n'est resté dans le
souvenir des hommes, que les discours de la Chalolsis ;
et le vôtre ' (si vous n'avez fait que celui-là) est plus
connu, parce qu'il était plus à la portée de tout le
monde. Le reste a disparu avec eux. Us sont fmis. Ils
Uniront comme des Templiers, après avoir été insultés
iguinze ans comme des capucins. Il faut avoir l'imagi-
nation bien frappée de leurs cruautés pour ne pas
s'attendrir sur celles qu'ils éprouvent. J'attribuais au-
trefois les cruautés faites aux Templiers à la barbarie
du siècle. J'étais un sot, la crainte et l'avidité sont et
1. M. de la Borde, valet de chambre du rai, élall forcé de
rentrer tPPatU k date fixe i cause de son quartier de servite.—
On sait qu'en Egypte les chiens boivent l'eau du Oeure eu cou-
rant de peuTde*crocrodile«.
3. Siiloire d«t Jéiuiu*. La première édition parut en 176â,
soua le litre : Sur la dMlruolùt» dM jittUUs en t'Hini» por un
oulaur lUtiiitéreiu, ln-13; deux idi plus lard, l'auteur publia
deui leltrea servant de supplËment
jbïGoogIc
LETTRES DE GAilANl 367
seront toujours les causes de la cruauté. Il est impos-
sible d'attaquer des Êtres puissants et riches sans
crainte et sans cupidité. Les Espagnols du Pérou mé-
priseraient les Indiens, s'ils les trouvaient armés et
rangés en bataille; mais il fallait se déchausser, se
désarmer et dormir. Quelle frayeur pour 400 hommes,
que d'f Ire obligés de dormir environnés d'un million
d'ennemis! D'ailleurs, ces ennemis avaient des mines
d'or cachées. Il fallut Être cruel.
Consolez-vous, mon cher ami, l'Académie française,
quoique plus pernicieuse encore que les jésuites par
ses dogmes (à ce que dit M. de Pompignan), n'inspire
ni frajeur, ni avidité. On ne vous appliquera donc
pas à la question pour déterrer vos jetons i tout au
plus on vous fera enrager parfois, en retardant vos
pensioQi.
A propos d'Académie, pourquoi ne Irouve-t-oa pas
que j'ai la mine d'un associé étranger? Ce n'est pas
que oela me soit bien important, mais je crois qu'il
serait fort plaisant pour moi, si cela m'arfivail.
Mon séjour jci n'est point pénible, il est quelque-
fois ennuyeux. II me prend des besoins, des déman-
geaisons de parler insupportables, que je ne puis pas
satisfaire ici avec des gens à mon goût. Voilà tout mon
mal, voilà la cause d'une lettre aussi bavardeuse que
celle<i. Venez me trouver, je guérirai. Mademoiselle de
iiespinasse se souvient donc encore de moi ! je fais bien
jbïGoogIc
368 LETTRES DE GALIANl
plus, je me soaviens d'elle, de sa chienne et de son
perroquet, grand diseur de sottises '. Aimez-moi,
mon cher ami, je le mérite par mon attachement, qui
est une raison d'amour hîen plus forte que la ressem-
blance ou le mérite égal. En effet saint Antoine aimait
son cochon et Baronius soutient que ce cochon lui
était attaché, lut sautait au cou, et Taisait maintes
autres gentillesses par amour. Soyez mon saint Antoine.
Adieu, aimez-moi, raccommodez-moi avec mon cher
abbé Horellet. H a pris dans une de mes lettres une
franchise d'amitié pour une insulte, il a tort, adieu.
1. Hademoiselle de Lespiiiasse éprouvail pour d'Âlemberl une
très profonde amitié, ei après une maladie grave, qui mil les
jours du ptiilasopbc en danger, elle n'hésita pas et vint habiter
avec son ami pour pouvoir ie mieux soigner, r Sans fortune,
sans naissance, sans beauté, elle était parvenue i rassembler chei
ullc une société très nombreuse, très variée et très assidue. Son
cercle se renouvelait tous les jours depuis cinq heures jusqu'à
neuf heures du soir. On élatt sur d'y trouver des hommes cboisis
de tous les ordres de l'État, de l'Église cl de ta Cour, des mi-
litaires, les étrangers et les gens do lettres les plus distingués.
fout le monde convient que si le nom de H. d'AIembert les avait
d'abafd attirés, elle seule les avait retenus.:! [Grimm. Corr. litl.)
— c Personne ne savait mieux faire les honneurs de sa maison:
elle mettait tout son monde à aa place, et chacun était content
de la sienne. Elle avait un grand usage du monde et l'espèce
de potitesM la plus aimable, celle qui a le ton de l'intérêt.* ^l.a
Harpe, Corr. /ii(.)
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI
A MADAME d'ÉPIHAY
Mspieg, 1 octobre 1TTS.
puisque vous avez Brantôme, ma belle dame, voici
de quoi il s'agit : je possède une pièce fort curieuse,
c'est l'Ëpée de César Borgia, duc de Valentinois, fils
du pape Alexandre VI, qu'il ût travailler exprès avec
des emblèmes allusirs à sa future grandeur et à son
ambition. Il est superflu de vous conter comment, par
queb détou7s,cette épée est tombée dans mes mains. Je
voulais en faire un présent lucratif au pape', et, selon
mon u3age,l'accompagner d'une dissertation érudile pour
eu illustrer les emblèmes. Je pris la plume en main
et je commençai mon écrit : César Borgia tuiquit... et
j'en suis resté là, car jamais, au grand jamais, il ne
1. Galiani ne mit point son projel à eiéculion et n'enroya pas
au pape l'épée de Céiar Borgia. Il la légua par testament au
prélat Gaelsni à condiiian de la payer A ses héritiers cent onces
d'or, et dans le cas où il n'accepterait pas ce legs, il lui substi-
tuerait l'impératrice Catherine do Russie. Catherine attenditavec
impatience le legs de Galiani, maiselle ne le recul jamais, le car-
dinal Gaelanl l'avait accepté.
jbïGoogIc
«0 , LETTRES t)E GALIANl
m'a été possible, dans ma bibliotbèque et dans celles
de tous mes amis, de trouver en quelle année était né
ce gaillard-ià '. Je voulais poursuivre mon travail, et
je ne pus pas nommer le som de sa mère, au juste ;
car elle s'appelait Vannozza, par sobriquet, mais son
nom je l'ignore'. Je voulus nommer ses frères, et je
ne pus jamais démêler s'ils avaient été trois ou quatre.
J'en connais bien trois, le duc de Gandia, lui et le
prince de SquîUace ; mais des historiens en mettent
un quatrième appelé D. Jean, qui est pourtant un être
nul dans l'histoire. Bref, je n'at pu trouver non plus
avec qui était marié le duc de Gandia, s'il laissa des
enfants, et qui hérita de son titre après son assassinat.
Nos écrivains italiens ont tous été feuilletés, niais je
manque ici d'écrivains français et encore plus d'espa-
gnob. Voyez si vous pouvez, d'accord avec le chevalier
Hagallon, me tirer au clair cette affaire embrouillée.
II verra les Espagnols, vous verrez les Français. Bran-
tâme a fait une vie de ce gaillard dans ses Mémoires
des Capitaines illustres étrangers. Il décrit l'arrivée de
César Borgia en France, comment il s'allia avec la
maison d'Albret ' ; vous pourriez trouver quelque
3. Céaar Borgia fiit chargé par son pËre, te pape Â.leiaodre VI,
de porter au roi Louis XII la dispense nécesMire pour se sSpa-
jbïGooglc
LETThES DE CALIASI 371
chose dans les bistorreas de cette maison. Surtout, par-
courez les géoéalogistes, et laissez là les historiens ;
car les bistoriens anciens manquent des dates et des
détails. Ne vous occupez que des auteurs anciens, et
presque contemporains. Ne vous soucjeK des mo-
dernes aucunement, pas même de Bayle *, Mariana *,
etc.; car ils n'ont fait que se recopier leurs fautes.
Vous voyez l'importance de mon cas. Ainsi occupez-
vous-en de grâce. Il me faudrait un jeune Burigny
pour cela^
Je dois partir pour aller voir mon frère malade. Le
temps me manque. Je ne suis point gai. En revanche,
je suis ravi d'apprendre que M. Necker n'est pas plus
économiste que moi. En ce cas l'affaire est gagnée; car
nos deux avis seuls valent plus que ceux de tous les
économistes pris ensemble ou séparément.
Caraccioti me mande qu'à ce propos, M. le conti-iV-
leur général faisait faire un dénombrement plus exact
rer de sa lemine Jeanne de France et époiuer Aune de Bretï^e.
Le roi, en retoar, lui donna le duché de Vatenlinoia el lui lit
épouser la Olle de Jean d'Albrel, roi de Navarre.
1. Bayle (J.] [16t7-lIOB) auteur du fameui Diclioamife hlslo-
flqm «I critique^
t. Hariana (le P. Jeau), jésuite, célèbre hiatorien espagnol du
lïi* siècle,
3. Levesque de Burigny, né à Reims, membre de l'Académie
dM Inaeriplioiu, mort t Paris en 1785. Il a laissé de nombreux
ouvrages d'érudition dans lesquels il y a plus de savoir que d'esprit
et de talent.
jbïGoogIc
371 LETTBES DE GALIAHI
de la France. J'ai parié qu'il s'j trouvera, tout compris,
Avignonais et pays conquis, plus de vingt-trois mil-
lions d'habitants. Personne ne donne ce nombre de
sujets au roi de France. Ainsi vous trouverez bien du
monde à parier contre ; pariez à mes frais : je veux
tenter cette autre voie de rattraper mon argent perdu
avec Merlin. Bonsoir.
Naple». SI octobre |71].
Ha belle dame, depuis sis jours, mon frère a eu une
seconde attaque d'apopleiie, jointe à une fièvre mali-
gne. Il est depuis trois jours à l'agonie. Ce coup m'ac-
cable. Non, rien n'est plus accablant que de se voir
à la veille de devenir tout à coup mari, père, ayant
trois filles à marier, une maison dérangée par mon
frère à régir, et rien à espérer de plus dans ce monde,
car, ma famille finie, ma fortune n'aurait plus à qui
retomber. Cloué pour longtemps ici à faire le maqui-
gnon de mes nièces, pour leur chercher une honnête
alliance, voilà la perspective d'un homme de lettres
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 273
Ijit pour écrire des dialogues. Voilà aussi tout ce que
je puis vous mander.
Je serais fâché de recevoir la toile de coton par
d'autre voie que par celle de quelqu'un qui pourrait
l'exempter des droits de douanes, et il ne me serait
pas possible de savoir ici s'il y a & Paris une occasion
propice pour me l'envoyer. S'il j «n a, Hagallon pour-
rait voua l'indiquer.
J'avais reçu une autre lettre de vous, avec la réponse
de M. Capperonnier à ma question sur l'année de la
naissance de César Borgia, à laquelle je n'eus pas le
loisir de répondre, étant à Sorrento chez mon frère
malade. Je remercie H, Capperonnier, et j'aurai l'hon-
neur de lui écrire aussitôt que ma (Sto sera en état de
s'occuper de bagatelles littéraires.
Aimez-moi. Plaignez-moi. Saluez mes amis, et
portez-vous bien. Mille grâces des jolis contes que vous
ma mandez, mais je n'ai pas ce soir envie de rire.
Je prévois que Caraccioli finira par ne pas se soucier de
venir à Naples; il aura grande raison. On meurt ici :
et les survivants ne valent guère mieux que les morts.
Bonsoir. '
jbïGoogIc
LETTRKS DE GALIANi
La seoaaiiie passée, je D'éUis paa cm éw de voiu
écrire, moB frèi-e ébût à l'agonto. Il est un peu mieux
à préseat, et Ib longueur de la matadie donne dea
espérauoei.
HeureuBement voua nè^'avez pas écrit cet ordi-
naire, ainsi j'ai toujours votre^ 48 à rebattre, et il
n'est pai de paille. Vous me faites 2^ questions poli-
tiques et métaphysiques qui demandei^ent un volume
pour y satisfaire. Dieu sait donc si j'y répondrai. Jetais,
assurément, je vous dirai que vous avez rà^n quand
voua soutenez que la politique des anciens\ie peut
plus nous être bonne à rien. La u6tre doit être très
diOérente. A quelques théories géaéi'ak-sprès.'qutsont
restées les mêmes, tout a changé ; les détails sont dif-
férents. Or, les théories générales et rien sont à peu
près la même chose. Les économistes croyaient qu'avec
quatre gros mots vagues et une douzaine de raisonne-
ments généraux, ou savait tout, et je leur ai prouvé
jbïGoogIc
LBTTRRS DS CALUNI m
qu'Us ne savaient rieo. AUtsi, si votre collègue ne veut
paa oonvftnir que la Kience des ddtaili est la seule
utile, et s'il ne oonvïeDt pas que les détails de la ^Uttque
moderne ne ressemblent point aux aotlquec, ditesJul
qu'il est un éocmomiste et anéaatisaes-le. Lyourgue «t
Solan ne ressemblent qu'à saint François, à saint Ignaoe,
à saint Dominique; ils n'ont rien de oommun aveeKaïa-
riu, Colbert, Aiohelieu, le osar Pierre, Vlotor-Amédée,
Georges II, ï^^dâiio. Cest dans oes ordres religieui
et oea petites républiques que la politique est la science
de l'éducation un peu plus en grand. Dans les grandes
républiques, c'est autre chose. De même que la cul*
ture d'un petit vignoble de la Romanée est très diS&-
rente de la culture de la forêt de Rambouillet, les
moyens de tirer le produit de oes deux objets sont
très divers. Vous avei donc raison, à mon avis; mais
vous ne l'avea pas, lorsque vous dites que toute la
théorie politique se réduit à voir juste ; car ces sortes
de vérités (qu'on appelle en Espagne les sentences de
t*edn> GruUo) ', sont trop générales, trop eommu-
nes, trop plates pour être prononcées sérieusement.
Un homme qui dirait que te blanc n'est pas noir, ne
m'apprendra jamais la peiuture; et celui qui m'appren-
dra que le tout est plus grand qu'une partie, me don-
e Pedro Grullo correapondent exactemeol à
nos Vérilét de la PlUiae.
jbïGoogIc
276 LETTRES DE GÀLIANI
aéra ud fort petit cours de géométrie. Avançons donc
plus Qos pas, et disons que la politique est la science
de faire le plus de bien possible aux hommes avec le
moins de peine possible, selon les circonstances. C'est
donc un problème de maximù et mjmmt'j à résoudre.
La politique est une courbe (une parabole) à tirer.
Les abscisses seront les biens, les ordonnées seront les
maux. On trouvera le point où le moindre mal possible
se rencontre avec le plus grand bien. Ce point résout
r^e problème, et tels sont tous les problèmes humains :
car tout est mêlé de bien et de mal. Vous voyez donc
que tout problème politique n'est d'abord résolu que
par une équation indéfinie qui ne se trouve fixée que
lorsque vous l'appliquez aux cas particuliers.
Vous demandez s'il est bon d'accorder une liberté
entière à l'exportation des blés? Ce problème général
n'est résolu que par une équation indélinic. Vous de-
mandez ensuite s'il faut accorder la libre exportation
en France dans l'année 1773. Alors le problème estâxé,
parce que vous fixez le pays et le temps; et la même
équation, appliquée au cas fixé, pourra vous donner tan-
tôt l'affirmative (la positive), tantôt la négative. La
politique est donc la géométrie descourbes, la géométrie
sublime des gouvernements, comme la police en est la
géométrie plane, simple : les six premiers livres d'Ëu-
clide. Sans doute un géomètre doit voir juste, mais cela
va sans dire.
jbïGoogIc'
LETTRES DE GALIàNI 277
La politique n'est donc pas seulement une science
d'éducation, mais généralement une science d'amélio-
ration quelconque. Ou appelle également agriculteur
celui qui cultive des plantes annuelles, des oignons, des
laitues, qu'il plante et arrache lui-même au bout de
trois mois, et celui qui soigne-des chênes, des chutai'
gnicrs qu'il n'a pas plantés et qu'il ne verra pas mourir.
Ces cultures sont difTérentes, mais toutes les deux
appartiennent h la science de l'agriculture.
Rejetez loin de vous et de ta politique ces grands
mois vides de sens, de la force des empires, de leur
chute, de leur élévation, etc. N'aimez pas les monstres
de l'imagination et les êtres moraux. 11 ne doit être
question que du bonheur des êtres réels, des individus
existants ou prévus. Nous et nos enrants, voilà tout.
Le reste est rêverie.
Je crois que les bommes peuvent faire du bien et du
mal aux autres hommes. Les princes naîtront ou mour-
ront, cela ne me iàit rien et ne fait rien aux hommes.
Il faut les rendre heureux ; s'ils ne sont pas heureux en
France, il faut les faire déménager tous et les envoyer
en Laponie; s'ils sont mal là, envoyez-lesau Kamtschat&a.
Il est vrai que la grandeur, la force d'un empire fait
souvent le plus grand bonheur de son peuple, et que
sa mine entraine le malheur des individus : mais cela
n'est pas général. Les Florentins n'ont jamais été aussi
heureux au beau temps de leur république, qu'ils le
jbïGoogIc
m LETTRES DE OALUHI
sont h présenti etc. Je crois donc qu'un homme peut
hftter ou retarder, soit raccrDiBSéltteiit, soft la ruine
d'un eut, le sien ou celui de son voisin; mais il ne doit
que B'oCoUper du bonheur des hommes. Le moyen de
caUseï* ce bonheur, je l'ai déjà dil, est toujours celui de ■
calculei' les biens et les maux, et trouver le point du
milieu. En calculant soit les biens ou les maux, il faut
calculer le présent et l'avenir, sûr ou fort possible.
L'tncerlain est cet iD&tiiment petit qu'on méprise dans
le calcul. A présebt, donnez vos problèmes : je lâcherai
de les résoudre, ED avei-vous assez pour ce soir?
Adieu.
NsplBB, it Dovambra un.
Pour le coup, tna belle ddme, vous avei raisou. Je
ne me fïls point d'idée de votre état actuel, et vous,
qui bvei tant d'esprit, de pénétration, de lumières,
vous ne Bongei! pas que j'ai été oblj^ de faire teindre
et vertdr le balcon de mott cabinet, et que cette odeur
d'huile et de vernis depuis huit jours m'enpofionne,
me tué, me rend incapable de tmvfllUer, d'écrire, de
jbïGoogIc
LBTTRG3 DE OALUNI m
penser; c'est bien pis cela, que les cris des petits enfobts.
Mon frère se porte moins mal, I) vivra, mais il vivra
perolua de la moitié de ses membres. Cela ffiit pour
«a famille et pour moi uti malheur plus grand que s'il
était mort. Mon embarras est e&trëme { le mieux est
de De rien prévoir^ Ainsi ferai-je.
Voici la lettre que m'écrivit M. GapperomiJer, et ma
répoDSCi Vous b*ouVeret une différence énorme BQtre
ce qu'il dit de César Borgiaet ce que je dis, moi. BùiEs,
en vérité, aunis-je pria la peine de le consulter pour
apprendre de lui les cboses les plus communes et les
|riu8 triviales, qu'on trouve dans tous les mauvais livres
et les mauvais dictionnaires ; il m'a un peu piqué. Si
l'époque da la naissance de César Borgia était ube
chose aîsée h trouver du à combiner, je n'aurais pas
eu reooui^ à lui. Si le duc de Gandia, qu'il fit assas-
siner, eût été son aine, comme tout le monde le croît,
pendant qu'au fait il était son cadet,' si mille autres
circonstances, regardant sa fomiUet n'eussent pas été
confondues, embrouillées par les historiens même les
plus fameux, je n'aurais pas frappé à la porte de
H. Cappéronnier. Persuades-le donc que, lortuiue je
l'interroge, c'est pour cause; et que lorsqu'il me répond,
il faut qu'il prenne garde à ce qu'il dit, sans quoi je
reviendrai à la charge et l'interrogerai derechef.
Pignatelli partit le 1 de ce mois. Il sera à Paris, à ce
qu'il croit, avant ht fin de l'année.
jbïGoogIc
380 LETTRES DE GALUKl
J'ai entrevu un édit du roi de Sardaigue sur la
disette que son pays souffre, rapporté dans une gazeltc.
En général, tous les pays de l'Europe sur lesquels la
disette s'est fait sentir depuis neuf ans, (c'est-à-dire
depuis le conHnencement des troubles de la Pologne,
qui en sont l'unique cause), tous ont produit des édits,
et ces édits sont tels qu'on les aurait faits il y a trois
siècles, preuve que les ouvrages des économistes n'ont
éclairé ni persuadé aucun gouvernement. J'en suis
fâché pour eui et pour les {^ouvemements, car il y
aurait eu quelques progrès à faire dans l'administration
des blés, depuis trois siècles. Mais les économistes
n'ont su l'enseigner, ni les gouvernements n'ont pu
l'apprendre. Voici ce qu'il fallait enseigner et prêcher :
1" Que la connaissance exacte du produit des hiés
d'un royaume dans chaque année, quand même on
pourrait l'avoir, ne sert à rien, ne mène à rien et
n'avance de rien.
2* Que la défense absolue de l'exportation est im-
praticable, et moins avantageuse qu'une forte impo-
sition sur la sortie.
3' Qu'il ne faut jamais fixer le prix des blés.
Tous les édits que j'ai vus, et celui de Turin sur-
tout, tombent dans ces trois fautes grossières. On veut
savoir la récolte : bêtise. On fixe le prix : sottise. On
défend la sortie: pauvreté. Le remède préservatif des
famines a été dit dans mes J>Udogwi k ceux qui
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIAHI 281
les ont Ihs jusqu'au bout. Deux impôts. L'un sur la
sortie, l'autre sur l'entrée. Le remède & la famine
actuelle, il n'y en a qu'un. Il faut que le gouTeinement
se persuade que c'est un malheur aussi grand qu'une
guerre ; un malheur digne de ses soins : et comme
pour une guerre on prodigue des millions et des mil-
liards, il faut en prodiguer contre la famine. S'endet-
ter. Acheter partout à tout prix. Vendre à perte. Tuer
le monopole, terrasser les coûunerçants. Il faut que
l'exportation soit toujours abandonnée aux négociants
et qu'elle leur soit toujours lucrative. 11 ne faut pas
tolérer que l'importation leur soit profitable jamais;
et il faut toujours que l'Ëtat la fasse. Bon soir. A.
huitaine.
naples, IB décembre HTI.
Je vous ai fort négligée depuis quelque temps, mn
belle dame, et je crains que vous n'en soyez plus in-
quiète qu'il ne le faudrait, car je me porte bien.
Hon frère va beaucoup mieux, et vivra encore quel-
jbïGooglc
1B3 LETTRES DE OA.LIANI
que temps. L'idée de t'éloignement d'un maUieur égale
celle d'un malheur évité à jamais. Tout est optique daus
notre télsi nous ne sommes pas faits pour la vérité, et
la vérité ne nous fait rieu. L'illusion optique est la
seule qu'il faut chercher.
6i je voulais donc vous dire la véritable cause de mon
silence, j'aurais de la peine à la trouver ; pourtant je
croîs que la voici: d'abord vos lettres ne m'ont point
électrisé. La perruque de H. d'Argental et le mariage de
la duchesse de Chaulaes * sont deu^ espèces de poils
qui, & la différence de tous les auttçs poils, ne s'éleo-
triseot ni n'électrisent point.
Ensuite je suis tout occupé de réimprimer mon an-
cien ouvrage sur la Monnaie, écrit en italien, dont
l'édition est tout b fait épuisée. Je voulais y ajouter
quelque chose, mais plus je vieillis, plus je trouve qu'il
y a toujours à retrancher dans les ouvrages, jamais à
ajouter. Ce n'est pourtant pas là le compte des libraires.
t. La dacbesM de Cbanlnet, Teuve du gouverneur de Picardie,
antt épousé en secondes boces un H. Giac, maître des lequétes,
pour lequel elle s'était éprise d*un amour ridicule. Cette union
lui fli perdre son nom, sa dignité et le tabouret. Quand elle eut
ouTert les yeui sur la folle de sou mariage, elle se ùi appeler ' la
femme h Giac >. et un jour qu'on citait devant elle une femme
de qualité qui s'unissait i un bourgeois : ■ Je n'en crois rien,
dit-elle, on ae fait qu'une de ces folies en un siècle et je l'ai
dégulgnonné. > Péirie d'esprit, de Terre et d'irooiei la itucbesse
de Chaulnes osait tout et disait tout; jamais elle ne laissai! pas-
ser une sottise ou une bassesse, et c'est une des flgnr«s les plus
Tlvantes et les plut audacieuses du itiu* iltcls.
jbïGoogIc
LETTRES DB GALIANI wa
Os souhaitent des éditions plus comfdètea, et les sots
(car il n'y a que les sots qui achètent force 11 ttos) les sou-
haitent fiUBsi. Je dois dono faire une Mition plus
complète de mon ouvrage. On y demande des
notes', j'en ferai. Hais quoi y mettre ? Pourriez-rous
m'fUder ou me faire aider à trouver oe que je dots
ajouter, pour plaire, à un ouvrage que peut-être vous
connaissez, car j'en ai parsemé plusieurs exemplaires
dans Paris. Vous répondrez que vous n'entendet pas
l'italien, et encore moins la monnaie de mon pays ;
mais qu'est-ce que cela fait? ne fait-on pas des notes
sans entendre le teite? Horace, Aristote, etc., n'ont-ils
pas eu une infinité de commentateurs? Aidez-mo) donc,
car je me casse la tète à me commenter, et je trouve tou-
jours que j'ai dit dans le texte ce que je voudrais dire
dons mes notes.
A ce propos, je vous dirai qu'un oertain plaident
dont j'ai oublié le nom, mais que vous reconnaîtrez à
c« signalement: (sa femme passait pour une femme
d'esprit, car elle eut le bon esprit de s'attacher à M. Tru-
daine le père, homme très important), ce président
fit un livre de recherches sur la valeur des monnaies re-
lativement aux denrées dans les différents siècles '. Ce
1. H. Dupréde Saint-Maur, membre de l'Académie fransaUe,
auteur d'an traité des monnaies ; il a iaiftié en manuscrit une
douzaine de Tolumes In-folio mr les Variations dw prte dta
denrits tUpuis JfoïM jusqu'à not jours. It BTsil été longLempa
jbïGoogIc
184 LETTRES DE GALIAME
livre est rare, mais je voudrais l'avoir. Tftcliez de me
l'acquérir, et envoyez-je-moi avec les chemises. Voilà
donc mon occupatioa à présent, qui me distrait, saus
in'amuser. Elle m'occupera assez, car il faudra que je
fasse toutes les corrections; personne n'aide ici mes
études. Voilà un grand mal pour ceux qui voudraient
que i'enfante tous les jours quelque chose de nouveau.
Si j'avais des accouclieurs !
Vous serez à la veille de revoir les voyagem« : era-
bressez-les donc de ma part ', Pignatelli était à Parme
le S décembre; il vous aura vue avant la réception de
cette lettre. Embrassez-le aussi.
Portez-vous bien. Que puis-jevons dire de nouveau?
La mort de l'un de nos ministres d'Ëtat ne vous est
pas plus importante que la perruque de d'Argental.
Donnez-moi quelques nouvelles de nos amis. Le baron,
la baronne, Scbomberg, etc., que font-ils?
t. Grimm et Dlderol.
jbïGoogIc
LETTRES DE UALIANl
La iiDuiello umée 1771.
Je commençais, ma belle dame, à être fort inquiet
sur votre compte, ne recevant plus de lettres depuis
trois semaines. EoJin, il m'en est arrivé deux ensemble
et j'ai vu que votre santé va bien. Les postes vont mal.
Les malheurs que vous souffrez à présent sont vrai-
ment des malheurs domestiques ; car domus signifie la
maison, comme vous sauriez, si vous saviez le latin.
Vous êtes en outre kiragra (ceci est grec et cependant
n'est pas bien fin). Vous avez donc mal à une main, et
c'est la gauche. Pouves-vous vous gratter? Je trouve
que les mains ne nous ont été données que pour nous
gratter , car on avait oublié la queue, aussi
bien qu'aux singes. Si vous vous gratlei:, soyez tran-
quille, tout le reste s'arrangera, m€me en dépit d'Hel'
vétius qui, avec son humeur sombre et chagrine,
traînant son ennui à la campagne, se vengeait sur le
jbïGoogIc
386 LETTRES DE GA.LIANI
genre humaiD de ce qu'il n'y avait pas de demoiselles
' à Voré ».
Vous me faîtes l'analyse de son livre ; de quel livre
parlez-vous *î Croyez-voua que je sache qu'il ait paru
uu nouveau livre sous son nom ? Je n'en sais pas le
premier mot; ainsi je n'entends rien à tout votre article.
Vous y parlez des chutes des empires. Qu'est-ce que cela
veut dire? Les empires ne sont ni en haut ni en bas et
ne tombent pas. Ils changent de physionomie, mais on
parle chutes et ruines, et ces mots font tout le jeu de
l'illusion et des erreurs. Si on disait les phases des
empires, on dirait plus juste. La race humaine est per-
pétuelle comme la lune, mais elle nous présente tanldt
une face, tantdt une autre, parce que nous ne sommes
i. Leehlteau de Voré était uns terre migBiOqua «feo de fort
trelles chaaaes. Depuis son mariage, Uelvétius y pessail It plus
grande partie de l'aonée. La passion (tominaote du châtelain
était celle des femmes et les agréments de sa persoiite lui Taiimml
de nombreuses bonpes fortunes ; bien qu'il eût été l'amant de la
ducbesse de Oiaulaes et d'autres grandes dames, Il ne comprit
jamais Heu aux questions de sentiment, et il fut molni i|tta
déiicat dans ses cboii. Il vécut sans cesse arec des femmes saus
nranrs et sans principes, il lei croyait toutes de mime; une
femme sage était A ses yeux un monstre qui n'eiistAÏt nulle part.
Les excès qu'il commit dans sa jeunesse l'eDlevèrent prématu-
rément t sea amis.
3. 11 «'agit du livre : De l'hùtttme, d« m faiulUt inteUeo»
tuMi* si ds son iiuealion, 3 vol. in-8', 1771, ouvrage pos-
thume d'Helvétius; c'est un lourd et ennuyeux comnienlaire de
son livre de l'Esprit. Buffon devant lequel on ep parlait itprëi
la mort d'Helvétius (ancien fermier-général), dit que l'auteur
aurait bien dQ (aire un bail de plus et un Uvre de Burius;
jbïGoogIc
LBTTRBS DE GALIÀNI 38f
pas toujours bien placés pour la voir dans soo pleio. U y
a des empires qui ne sont jolis que dans leur dAoadenoe,
conuae l'empire firan<ais ; il y en a qui ne seront bons
que dans leur pourriture comme l'empire turc ; il y en a
qui ne brillent que dans leur premier quartier, comme
l'empire jésuitique; le seul qui n'a été beau que dans
sa plénitude, a été l'empire papal. Voilà tout ce que j'en
sais, et je n'en sais pas beaucoup.
Votre monstre de Bellérophon ', grondé de la
' belle manière, m'a fait rire aux larmes.
Nous avons d'aussi beaux monstres ici, mais nous ne
leur soufflons pas Voilà la différence. Cependant
votre histoire a été impayable pour égayer un peu ce
pauvre bftron de Breteuil. Vous savez l'horrible catas-
trophe de M. de Matignon, elle fait frémir. Les Napoli-
tains mëqie en ont pleuré *.
Vous aurai vu à celte heure PignatelU ; il vous aura
parlé de moi. et vous l'en aurez bien interrogé, je parie.
Ne vous étonnez pas si vous voyez passer quelques
sGiD&iQes sans lettres de moi i vous en savez la cause
d'avance, je veui me réimprimer. Aimea-mo) ; portev-
I. Bellérophm, joué à Veratille» le 37 navenbre 1773, opéra
de Fonteoelle. s Lai macbinea et habUlomeiKs eBoul coùli eeat
laille écus.s C'est Lulli qui ee arait fait la musique lanqu'au le
joua pour la première fois en 1679.
S. IH. de HaUgnon, gendre de M. de la Vaupallère, venait
jbïGoogIc
LETTRES DE GALEANI
VOHS bien, el si les philosophes du Nord ' sont arrivés
embrassez-les. Allez exprès souhaiter la bonne année
de ma part au baron et à la belle baronne *. Adieu.
Naples, 11 Janricm?!.
Tout de bon, ma belle dame, je commence ù être
inquiet sur votre compte ; il y a deux ou trois ordi-
naires que je ne reçois point de lettres de vous. Que
vous est-il donc arrivé ? Pour moi, vous savez que je
me porte toujours bien, et qu'il est impossible que je
sois malade, n'ayant jamais pris de médecines ni de
médecins. Je pourrais bien mourir, mais ma mort
retentirait eji Europe; ainsi mon silence ne doit jamais
vous inquiéter ; mais le vôtre est terrible autant que
pénible pour moi.
Vous saurez que Caraccioli a perdu sa belle-sœur.
Je crois doncque, sans faute, il fera le voyage de Naples.
I. Grimm et Diderot qui allaient reieair de Russie.
3. D'UolJMch.
jbïGoogIc
■LETTRES DE GALIANl Îft9
el VOUS poun-ez le prier de m'apporter la toile de colon
. et les mouchoirs. Mandcz-co-moi le prix ; et s'il veut
vous le payer, je le rembourserai.
J'attends toujours avec impatience les reclierches sur
la vie du duc de Valcntinois.
Aimez-moi. Êcrivcz-moi. Adieu.
Je crois n'avoir pas répondu à volro n" 53 du 20
décembre. L'article de Buffon prouve qu'il n'aime pas
les économistes'. Mais s'il avait lu et goûté mes Dialo'
gués, les objections à la liberté absolue n'auraient pas
dû lui paraître nouvelles tout k fait. Au fait, tout étic
qui fait une profonde révérence à quelqu'un, tourne le
dos à quelqu'autre. Cela est dans l'ordre. Je n'entends
rien au titre de l'ouvrage anglais, traduit par Suard :
Observations sur^lcs commencements de la société.
Toute socïéld a commencé et commence par l'accou-
plement du mâle avec la femelle. Est-ce que Suard a
fait des observations sur cela * ?
1. Void l'anicle de BulToii auquel tialtaai tait allution ; c Je
h'ovaii jamais rien cimpris à ce jargon d'hApilel de ces demon-
diSUr» d'aumdnes que nous a^i^oloas économisiez, non plus
qu't celte Intîncible opiniâtreté de nos ministres ou sous-mi-
nistres pour la liberté nbwliie du commerce do la* denrée dz
pnMnière nécessité. J'étais bien loin d'être de leur avi-i, mais
jetais encore plus loiu des raison; sans réplique et des démons-
iratîons, que tous donnez, de n'en pas être. J'ai lu votr3 ouvrage
dcui fuis, JQ compte le relire encore, c'est un griuil spectacle
d'Idées et tout nouveau pour moi. « {Extrait d'une tettre de
Buffbn à M. Neckrr.)
2. Suard a publié ; Observalions sur les 'commtacenKnls de la
jbïGoogIc
390 LETTRES DE GALIANI
Je ne me souviens point duloutdece que jo vous
ai dit à propos des blés, que vous avez cru digne des
létes couroDiiées ; mais je vais vous dire le secret de
l'Ëglise et de l'Èlat. Le voici :
Tout pays qui établira et soutiendra la liberté indé-
finie des blés sera bouleversé. Sa forme deviendra
entièrement républicaine, démocratique, et la classe
des paysans deviendra la première et la plus puis-
sante. Nous qui ne bêchons pas la terre, nous serioQs
donc bien fous de la laisser établir pour devenir les
derniers: Hcec est {ex et prophctœ. Adieu.
Naptos, 19 Jnnvier 17T<
Vous allez donc, ma belle dame, occuper l'apparlc-
meat de mon ami Sersalc, dont je suis toujours incon-
solable. Jouissez-y au moins d'uae plus longue vie ei
d'une meilleure santé.
Société, pur J. ïlillir, professeur ca droit t l'uhirersi té de Glas-
gow; Induit de l'anglais daprés la seconde édilioa. Aatslerdimt
et Paris. Pissot, 17T3.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANl »1
Les révoltes de Russie ne me paraissaient pas dignes
d'obliger notre ami le philosophe à s'en sauver à
toutes jambes'. S'il y était obligé, il s'en tirerait ^ès
maf; il y mettrait de la philosophie, qui est la chose
du monde la plus déplacée dans une bagarre. Témoin
Archimède. Mais notre ami Grimm, où est-ll t a-t-il
remisé sa princesse à Darmsladt * ?
Je serai fort laconique ce soir. Je vais au bal de
l'Opéra. Sachez qu'en 1748, Naples vit, pour la pre-
mière et dernière fois, le spectacle d'un bal public. Les
prèlres, les Ostrogoths, les soutiens de la barbarie na-
tionale, sentirent les elTets terribles d'uu bal lil»e,
payé, catholique, c'estA-dire universel. Ils s'y oppo-
sèrent avec une force incroyable et les firent défendre
à jamais. Il en a coûté des peines iromenaes pour les
rétablir. J'y ai eu plus de part qu'un ne s'imagine.
Enfin, le hasard heureux que le roi passe le carnaval
1. En 1773, «n cosaque Domraé Pougalcheff eut l'idée éiraage
de se faire passer pour l'empereur Pierre 1I[, mort assassina
depuis dii ans. Il parvint à entraîner un grand nombre de ses
compalriotcs, il prit des forteresses, iraTeraa plutjairs profinus,
signala son passage par d'ciIrojrBbles cruautés, cl fut au moment
de s'emparer de Moscou ; mais ayant hésité, une partie de ses
parllSBDS l'abandonnèrent et il fut livré par ses derniers compa-
gnons moyennaot une somme de cent mille roubles. Mis dans
une cage de fer et conduit à Moscou, il y fut eiéculé par les
ordres de Catherine en 1775. Cette insurrection avait duré près
de deui ans.
i. Grimm avait été chargé d'accompagner la princesse àa
Hesse-Darmstadt pendant son voyage k Saint-Pétersbourg.
jbïGoogIc
391 LETTRES DE GALIANI
ici, et d'autres circonstances favorables ont fait réussir
une chose qu'on croyait désespérée. J'en espère un
grand bien pour ma patrie. La galanterie est la pierre
ponce qui polit les nations , je vous écris donc mas-
qué; une bautte vénitienne est tout mon accoutrement.
11 y avait vingt-deux ans que mon visage passaitîi dé-
couvert, car à Paris je n'ai jamais été au bal. Je n'y
mène personne. Je n'ai pas besoin de pierre ponce;
je suis plus poli qu'un roué ne devraitèlre.
En attendant, ces bals nous ont aitiré cinquante-
deui Anglais, et une trentaine d'étrangers d'autres
nations. Nous avons débouqué le carnaval de Rome
et celui de Venise. Nous gagnerons sur l'Europe une
centaine de milliers d'écus en peu de jours. Milord
Clive seul pourrait les dépenser, en achetant de mau-
vaises copies de tableaus pour des originaux ' . Il est
ici; il en achète, et il est persuadé que les diamants
donnent le goût des arts. Cela est vrai jusqu'à un
certain point, car il est vrai aussi que stultiiiam pa~
tiuntur opss,
Militemî m'a donné la médaille de M. de Sartine,
ea plâtre; die s'est frottée en chemin. N'y en a-t-il
1. Clivo (Etoberl Lord) (1735-1774), gouverneur du Bengale; il
remporta aux Indes d'ëclutants succès, et revint en Europe
comblé d'honneurs et de riclicsscs. En 1773, on voulait faire
décider itar la Chambre des Communes que Clive avait abusé du
pânvolr pour acquérir sa fortune ; U Chambre reponsw la pro-
position.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI Î93
pas en écaille, l'aisant le couvercle d'une boite? S'il y
a des boites à la Sartine, achetez-en-moi une de peu
de pris, mais avec sod porlrail. C'est tout ce que je
désire avoir.
Aimez-moi ; portez-vous bien. Je u'écris pas à Chas-
tellux; j'écrirai à Pigoatelli. Hardi, vous baptiserez
notre princesse Louise '. Vous nous serez bien plus
parents qu'amis. Mais c'est toujours quelque cbose
que de vous escamoter de beaux présents. Adieu.
A LA MÊME
I<èi)onse caléf^rique au n* 87.
SaplBS, 15 fôïfUr 177*.
ie suis persuadé que Caraccioti viendra sans faute à
Naples ; et je crois aussi qu'il viendra par l'Allemagno
et par Vienne. Il eu avait le projet et c'est son plus
court, puisque c'est son plus agréable chemin. J'ai de
I. l.ouLSC-Marie-AmÉlic, priiici^sse de Naiiles eldesDi'ui Sii^ili's,
née le il juillet 1773, secondit TiIIb de Kcrdinanij IV et de Caro-
line-Louise d'Auttli'lic, lilleulc du dauphin et de ta daupliinc de
jbïGoogIc
194 LETTRES DE GALIANI
la peine & croire qu'il veuille embarquer dans sa malle,
et promeoer par lo monde, ma pacotille ; mais il est
probfible qu'il enverra quelques caisses ou quelques
malles par mer; et, dans ce cas-là, vous pourriez le
prier, et il ne me refuserait pas, car cela ne lui
causerait aucun embarras, et lui coûterait en raison de
treize livres le quintal, c'est-à-dire rien pour un ami.
Voyons donc si cela est faisable; après, nous prendrons
des partis en désespérés, comme celui de Gènes, que
vous me proposez. Je ne suis point pressé de recevoir
la toile de coton et les mouchoirs, avant l'automne pro-
cbain. Ils ne sont pas défendus à Naples, et la douane
n'en est pas considérable; mais elle est embarrassante
et tracassièrc, comme tout l'est ici.
Je connais votre maison de la rue Gaillon. N'en crai-
gnez rien, on vit plus longtemps lorsqu'on est à l'abri
de la ventilation . Le monde, les médecins croient le
contraire ; mais rex|)ériencc prouve qu'ils se trompent.
La rechute de Mora commence à me faire désespérer
sur son compte. L'air de Madrid est trop ventilé, et
ses poumons ne le soutiennent pas.
Ce voyage d'Italie ', après celui de Pétersbourg,
vous assomme, vous désole; cependant, je ne pour-
rais m'empëcbcr de m'en réjouir infiniment, s'il avait
lieu. C'est ce que je ne crois pas. Au reste jene trouve
1. Orimm voulût partir pour l'ilalla.
jbïGoogIc
pas fou d'avair résolu d'hiverner à Pétersbourg, plutôt
que de voyager dans une si rude saison. Ce voyage me
parait si terrible ! Et puis il est ridicule de faire des
longs voyages et des séjours très courts. Schomberg
m'adore, je le sais. Je l'aime et l'admire, et si c'était
à moi, je l'enlèverais ù la France, pour avoir enfin
quelque ctiose de vraiment militaire ici.
L'affliction de madame de Matignoa, en effet, a été
extrême; tout vient du défaut d'éducation. Si on lui
avait appris qu'un mari n'est qu'un homme, elle verrait
que l'espèce entière lui reste, en perdant un individu.
M. de Matignon a été infiniment pleuré, sans être
regretté, car on voyait qu'il n'aurait jamais été bon
à rien qu'à ôtre un bon vivant'.
1. ■ Madame de Matignon avait beaucoup de gaieté et l'arl de
conter des rieni arec un charme infini. Elli; conta une histoire
très plaisante k son n-tour de Kaples, mais il est CTtibarressaui
d'écrire le mot qi>l en f.^ll tout le sel, cepeiirlant à celle époque
ce mot était sans cesse répùtË dans la société, puisqu'il tenait à
une moite. Madame de Matignon arrivant de Naple^. o(i son père
était ambassadeur, fut obligée d'ailersur-ie.cliampkMarlï;elle ne
l'arrêta â Parisque pour y coucher, et ne Tut point mise au fait
d'une mode nouvelle, devenue universelle depuis quioze Jours.
Celle mode consislait à se mettre par derrière, au bas de la
taille et sur la croupe, un paqtieL plus ou moins gros, plus ou
moins parfait de ressemblance, auquel an donnait sans détour le
nom de c. Madame de Matignon arrive à Marly pour m cou-
cher et on la loge dans un appirtement séparé par une cloison
ttèi mince du celui de madame de Rully, plus lard duchesse
d'Aumont. Qu'on se ll;jiire la surprise de utadame de Matignon
lorsque le lendemain, à sou réveil, elle entend entrer chez ma*
dune de Rully la princesse d'H^ain, qu'elle reconnaît i la voix,
jbïGoogIc
396 LETTRES DE GALUNI
Bjanchi ' m'est inconnu ; il n'a rien donné au public
ici. Piccini viont de donner à notre grand théâtre un
opéra qui a surpassé tout ce qu'on avait entendu de
bonne musiiiue jusqu'ici. L'Orphée de Gluck, qu'un a
donné en mâme temps à la cour, en a été furieusement
éclipsé. Comme je »ais que lo prince Pignatelli aura
]a copie entière de l'opéra de Piccini, je suis persuadé
qu<! vous l'entendrez. Ëntcadcz-lc pourtant avec tous
les accompagnements.
Ce que vous me mandez de l'amitié ancienne de
Carlin avec le pape m'a fait rêver *, et il me vient une
idée sublime dans la t£te, qu'il faut absolument que
et qui, luMe-chsinp, dît : ■ Bonjour, mon cceur, moDtrez-iDoi
votK c ■ Madame de Matignon pélrifiée, écoute et reciieille
le dialogue suirant : i Maij, mon cœur, il est iffreui, iirali,
mesqulD, tombant! — £n voulei~vou$ voir un juii, tenez, re-
gardez le mien.... — Ah! c'est vrai, dit madame de Ruily
avec l'acceul de l'admiration, regardez donc, m s ri émoi se Ile Au-
bert (c'était la Temmc de clianibre), li est réellement charmant
le c. de madane dUiinin, comme il est reboDdn — Voili
reprend madame d'Iltain, comme il fdui l'avoir puur réussir dans
un salon. Il est bien beureui que je sois arrivée pour surveiUer
le vdtre I > (Idémoirts de madamt de Gentis.)
1. Maître de chapelle & Crémone. Il composa i Pariï, en 1775,
pour le thélire italien, la muiique de 'la Réduction de Paris >
et plus tard celle du a Mort marié >. — Son opéra de i Cas-
lor et Pollux i eut le plus grand succès en Italie.
3. Le pape Ganganelli était d'une trks bas^ exiraclion ; t on
assuri' quuson peru était vendeur J'urvii'ta.i .t, en celt qualité,
fun lié (ivcc le'pé]': de Cirlin, I arlrquin d'aujuurd'tiui de la co-
mtdie i^jlienno. Le S-iint-l'ére lu coiiualt etl'uinie particulière-
ment. 11 vient de lui en donner une preuve, va coufér^nl un
binéllce i sun Dis. ■ (Bachaumont.)
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 397
VOUS communiquiez ù Marmoatel de ma part, pour
ladier de l'éleclriser. On pourrait, ce me sembJe, y
bâtir dessus le plus beau de tous les romans par lettres,
et le plus sublime . On commencera par supposer que
ces deux compagnons d'école, Carlin et Gaaganelli,
s'élant liés de la plus étroite amitié dans leur jeu-
nesse se sont promis de s'écrire au moins une fois
tous les deux ans, et de se rendre compte de leur
état. Ils tiennent leur parole, et s'écrivent des lettres
pleines d'âme, de vérité, d'etfusion de cœur, sans sar-
casmes, sans mauvaises plaisanteries. Ces lettres pré^
senteraient donc le contraste singulierde deux bommes,
dont l'un a été toujours malheureux et qui, paroe
qu'il était malheureux, est devenu pape, tandis que
l'autre, toujours licureux, est resté toujours Arlequin,
Le plus plaisant serait qu'Arlequin offrirait toujours de
l'argent à Gaiiganelli, qui serait un pauvre moine,
ensuite un pauvre cardinal, enlîu pape, pas trop à son
aise. Arlequin lui offrirait son crédit à la cour pour la
restitution d'Avignon, et le pape l'en remercierait. Ma
télé est déjà ai enflammée de cet ouvrage, que je le
ferais ou le dicterais en quinze jours, si j'en avais la
force. Je m'attacherais à la plus étroite vérité ou
vraisemblance, sans aucun épisode romanesque, et je
convaincrais le monde qu'Arlequin a été le plus heu-
reux des hommes, et Ganganelli le plus malheureux.
Une trentaine de lettres et autant de réponses feraient
jbïGoogIc
298 LETTRES UE OALIAXI
fout l'ouvrage. Beaucoup de génie et point d'esprit
on feraient un chef-d'œuvre. Bonsoir. Adieu. Aimez-
moi.
MADAME I> lÎPINAY A GALIANl
Vous avez bien raison, cliarmant et sublime abbé,
les lettres entre Arlequin et Ganganclli feraient un
ouvrage unique ' ; mais où avez-vous eu la lôte en
1. Le projclde Galiani, de su;>poscr une correspondance entre
Ganganelli et Carlin, ne fut pas mis i eiécution, du moint tel
que l'abbé l'avait con[u. — Un Italien, nommé Caroi-tioli, sorie
(l'aventurier, qui n'avait rien de comniun avec l'ambassadeur do
Nsples, publia sous lo titre de Lettres intéresîantei du pape
Clément XIV, la corrcsponiancc Je Gatiganeiii avec un gi'and
nombre de personnages divers. Le livre eut le plus grand succès.
« Ces IcUres, dit Grjoim, nous di>Dnent l'idée la plus vraie de
la manière du penser d'un homme, dont la mémoire mérite sans
doute à plus d'un titre la reconnaissance et l'admiration de son
slËele. > Malheureusement ces lettres étaient aLaolument apo-
crjphes. Bientôt parut en réponse : Le TarlufB épistolaire
démaïqaé, ou èpUre tris pimilière à M. le ntoriiuis <h Caraecîoii,
colonH in parlihus, éditeur et comme qui dirait auteur desletires
attribuées aa pape Clànenl XIV, etc. On y prouve très bien
que ces lettres sont supposées et que toute l'entreprise est une
imposture de librairie qui a été poussée aussi loin qu'elle 1«
pouvait être. ■ (Laharpe, Cor. LHI.J
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 390
proposant Marmontel pour l'exécuter? Je me garderai
bien de lui dire un mot, car ce serait un ouvrage
manqué. Il n'y a que deux hommes sur la terre en
état de faire cette entreprise et de s'en tirer avec suc-
cès, vous d'abord avant tout, ou Griram, après qu'il
aura été eu Italie ; car pour domier à oette besogne le
degré de vérité et d'originalité qu'elle doit avoir, il
Tant avoir été sur le lieu, il faut avoir vu des moines
italiens, î] faut pouvoir rendre, non ce qu'on a vu ser-
vilement, mais que ce que l'on a vu fasse naître des
tours de tête tout pareils. Personne n'entend mieux que
lui ces tours d'imitation qui donnent un si grand air
de vérité à la chose. Je l'entends bien aussi, moi ; mais
je suis trop ignorante pour qu'il me vienne assez d'idées
Traies pour mettre l'esprit de côté, et, comme vous
dites, il n'en feut pas. Tout bien compté, l'abbé, pre-
nez votre courage à deux mains et faites le roman; je
vous y condamne. Il le faut absolument. Vous voyez
bien que vous seul pouvez remplir un plan si beau, si
sublime et si profond. C'est l'alTaire d'un mois; et
pourquoi attendre? Allons, csl-il commencé? Diclez-
moi, j'écrirai. Tenez, faites mieux ; à chaque ordinaire,
au lieu de m'écrire, envoyez-moi une lettre de Ganga-
nelli, et je vous répondrai une lettre d'Ar-le({uin ; elle
sera bonne ou mauvaise, vous la corrigerez, si elle est
à peu près bien, ou vous la refuserez si elle est à
peu près mal. Voua y ajouterez les termes sacrameo'
jbïGoogIc
300 LETTRES DE GAI.IANI
taux, les dictons du pays; c€la donnerait à notre
correspoiidance un ton fort comique, el qui attraperait
l)ien des curieux de ia poste.
MADAME D i;PINAV
Que voule^vous que je vous mande, ma belle dame?
Mon frère est à l'agonie, j'attends la nouvelle de sa
mort demain. N'ai-je pas tout dit? Qu'il est affreux
d'avoir une famille!
Un liorame ici déclamait l'autre jour contre le ma-
riage, et disait : « Voyei ce que c'est que le mariage :
songez que le bon Dieu a été obligé d'en ôter le péché
mortel. Il a donc mis en équilibre dans la balance
l'enfer et le mariage. Encore l'enfer a paru plus léger ! »
J'ai reçu vos deux numéros dans celle semaine,
le S8 et le â9. Le premier m'envoie la réponse
de M. de Foncemagnc '. Quoique sa Icuille me soit
1. ForKUmagoe (Etienne Lauréant de) (IGI4-17T9), membre de
l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Son ouvrage le
plus connu est sa réponse à Voltaire au sujet du lestaraent po-
jbïGooglc
LETTRES DE OALIANI 301
parraitement inutile, elle a servi pour me prouver l'état
actuel des savants de Paris et leur pitoyable imbécillité.
Ce monsieur n'a Tait que copier l'article de Morérî
(comme si l'on n'avait pas ici un dictionnaire aussi
commun), avec toutes les absurdités, les bêtises, les
fautes qui y sont ; et il en est pâmé de plaisir ! CepeU'
dant voilà ce qu'il y a aujourd'hui de mieux en France
en fait de littérature; je m'en doutais; je suis bien
aise de m'en être assuré. Je regrette les livres qui sont
à la biblîolbèquc du roi, mais pas les hommes qui sont
à Paris. Ah ! si j'y pouvais fouiller I
Mes chemises de coton, eu arrivant avant l'hiver
prochain, arriveront toujours à temps.
Je serais curieux de savoir-si d'Alembert a'reçu une
réponse de moi à la lettre qu'il m'écrivit en me recom-
mandant M. de La Borde '.
Je passe au numéro suivant. La maladie de notre
prince Pignatelli m'a effrayé beaucoup : elle a troublé
le plaisir que me causaient les délicieux détails des
facéties parisiennes. Celle du comte de Lauraguais
est charmante tout ù fait, et de très b3n ton à mon
avis '.
Iltiquc du aaréobal de Richelieu. VolIaJrc soulenait que
tamenl était supposé.
1. Voit la lettre du 35 septembre 1TT3.
2. Le comte de Lauraguais est reslù célébra par ses racélies.
Voici celle i laquelle Gallini fait allusion. La liaispD du comte
jbïGoogIc
30S LETTRES DE GAIIANI
Liaguet et Laharpe m'ont affligé au lieu de m'éj^yer ;
lorsqu'oD voit des geas d'esprit et même de géoie
daus leurs écrits, méprisables ou ridicules dans leur
conduite, on voit que l'esprit n'est pas le miroir de
l'âme, et que lessentimeulsque l'on couche par écrit
sont l'effet d'un écbo, et pas une productioD des pen-
sées; cela fâche beaucoup '. Nous sommes dans ua
avec Sophie Arooult Ql grand bruit. Lorsque celte aciriee IB
qutti) pour le prince d'Hénin, il envoya la question suivante à
la (iieuilé de médecine ; < Messieurs de ta Faculté sont priés de
donner eu boone forme leur avis sur toutes les hutles possibUs
de l'cDaui sur le corps bumain, et jusque quel poJDt la santé
peut en élre altérée. > La Faculté répondit ' que l'enoui pouvait
rendre les digestions difliciles, empêcher la libre circulation,
donner des vapeurs, etc., et qu'à la longue même, il pourrait
produire !e marasme et la mort, s Muni de cette pièce authen-
tique, Lauraguais se rendit cheï un commissaire de police, qu'il
coniraignil k recevoir sa plainte, comme quoi il se porlait
dénonciateur envers M. le prince d'Hénin homicide de Sophie
Arnoult, depuis cinq mois el plus qu'il no bougeait de chez
elle.
i. Presque tous les avocats s'étalent promis de ne plus plaider
contre Linguct, depuis les calomnies Injurieuses qu'il s'était
permises contre ses confrères. Il demanda à Gerbier de réunir
chez lui une assemblée d'avocats, se renicllanl à lui du soin de
le défendre. Au jour dit, Linguet arrive et parle pendant deui
heures; on le prie alois de se retirer pour qu'on puisse délibé*
rer. CerWer le conduit luj-mérne dans la troisième et dernière
piËce de l'appartement, puis il rentre, on dispute, on s'échaulTe.
GerbitT veut sortir un instant, il ouvre inopinément la porte de
son cabJDOl et trouve Linguet écoulant l'oreille collée contre la
porte I A la suite de ce délicat procédé, les avocats assemblés en
corps ont. d'une voix unanime, ra;é M. LingucI du tableau.
Quant à La Harpe, voici Ibisioire qui çaotive l'appréciation de
Oaliani : iM. de Laharpe et IL Bliii de Sainmore viennent de
ç)tzsci!,Googlc
LETTRES DE GALIANI 303
siècle OÙ i! y a bien plus de perroquets qu'on n'ima-
gine. 11 y a déjà tant de belles choses écrites, qu'un
horaœe qui n'aurait pas une lecture immense et une
mémoire prodigieuse, ne saurait s'apercevoir d'où
Tiennent les clioses qu'il entend. C'est ce qui nous
arrive avec Laharpe ' : c'est un perroquet, n'en dou-
renouveter la querelle de Triuotin cE de VadJus et la manlëre de
la terminer. H. de Laharpe ayant inséré au Mercure une ana-
Ijse amère cl blessante de t'Orphanis dt M. Blin, celui-ci a
guetté le jour où bien poudré et paré de sou babil de Vélours
noir, sa veste dorée et ses manclictles de Ulei brodé, il allait k
un dtoer de jolies Temmes et de beaiii espriis. Il l'aborde poli-
ment dans la rue, lui donne quelques coups de poing et le
sauce ua peu dans le ruisseau sans respect pour sa parure, et
pais s'en va. M. de Labarpe prétend qu'il a ordonné & son valet
de prendre ledit Blin par le collet et qu'il a eu le temps de
s'enfuir sans coup férir. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il ar-
riva â son dîner fort eu désordre el 3i crotlé, qu'il fallut grande
indulgence aux jolies femmes et aui beaux esprits pour le rece-
voir ainsi. B (Grimm. Coir.litt.)
1. Laharpe (1739-1803], débuta au tbédlre par la tragédie de
Warwick qui eut un grand succès. GriiDin, avec sa Snessebabi-
tticlle, l'appcUe u le coup d'fssai d'un jeune homme de soitanle
ans D. — Il composa beaucoup de pièces, entre aulces tes Bar-
iiucides, qu'il considérait comme un de ses iriooiplies. Va jour,
se promenant au buis de Uoniognc avec deux dames de la Cour,
il cnlendait crier des cauiics à la Bormécidc. Pour llatler La-
harpe, ces dames appelèrent le raarchaud qui leur présente des
bilons noueux avec une pomme d'ivoire : n Quoi ! voilà vos Bar-
mécides, reprirent ces dames; pourquoi leur donner un pareil
nom ? — Vous ailei voir, mesdames, i pouisuivit le marchand
d'un air fulé. — 11 démonia la pomme montée à vis, et montra
à la carrossée un iiros siHlet caché dans l'ivoire. M. de Laharpe
resta tout penaud, mais ces dames eurent la cruauté d'éclater de
rire. Que devint son visage t Comme le disait H, de B
jbïGoogIc
304 LETTRES DE GALIANl
tez pas, mais sa mémoire est si bonne, et la n6trc est si
mauvaise, qu'il nous est impossible de nous aperce-
voir d'où il tire ces sons qui nous paraissent des pro-
duclious de son esprit et même de son génie. D'ail-
leurs, il est absolument un morl^l, en tout sens très
ridicule ; je lui suis redevable de m'avoir fait passer le
plaisir d'avoir de l'esprit.
Aimez-moi toujours. Plaignez-moi à présent; soyez
sûre que je me donae du courage et que je me fais une
raison ; faites-vous-en une sur la Russie et les folies
des voyageurs. Adieu.
A LA MEMi;
Ha belle dame.
Hier au matin, avant midi, mon fièrcest mort. N'en
ai-je pris assez dit pour ce soir? Si vous trouvez que
c'est peu, j'ajouterai qu'il y a trois jours j'appris la
chais, ■ il aurait Tohtntien pleuré de la bile >. (Ilém
madame d'OberkîTeh.j
jbïGoogIc
LETTRES DE CiALUni 305
uouvelle d'avoir perdu moD oncle. Il était vieux, mais
comme il laisse une famille nombreuse et pauvre, sa
mort a été factieuse.
Cependant votre lettre est charmante; vous y parais-
sez contente de la journée passée chez le baron et chez
mademoiselle de Lespinasse. Votre bonheur a pensé
m*égayer -, je répondrai donc quelque chose. D'abord
je suis ravi du rétablissement du prince Pignatelli.
M. Capperonnter ne connaît pas mon livre sur les
monnaies T 11 est pourtant à la bibliothèque du roi;
serait-il comme le curé deSaint-Sulpice, qui connais-
sait mieux ses vaches que ses brebis? Pourquoi ne ré-
pond'il pas à ma question ? — Y a-l-il aucun écrivain
imprimé ou manuscrit gui marque l'année précise de la
naissance de César Borgia ? — Voilà la question.
M. de Pezay m'accorde donc de l'esprit; j'admire
sa clémence. Si je lui accordais le sens commun, je
aérais bien plus généreux que lui; mais je n'aime pas
à être taxé de prodigalité'.
Dieu me garde de songer à détruire votre chftteau
1. Hassan, plus urd Hasson de Peur, ^l^'t une sorle d'intri-
gant qui cherchait par tous les moj'eDs i se pousser dans le grand
monde. Il rinult assez mal; sa sœur, madame de Caisini, était
jolie, on le déclara poète. On représenla ses opéras-comiques, mis
en mosique par Grétry, et parmi eux la Ratière d» Salency. Les
succès de salon ne lui sufiisant plus, il acheta une compagnie;
sa fortune, gagnée dans l'épicerie par ses parents, subvenait
largement à toutes ses dépenses, il réussit assez bien à la Cour,
et c'est lui qui obtint qu'on écouldt U. Necker.
»
jbïGoogIc
306 LETTRES DE OALUNI
CDËspagne; au contraire, je vais yajouter un eatre-Bol,
ou, si voulez, un parapet. La mort de moD frère m'ap-
proche de Paris; voici comment: il laisse troia ÛUes;
je les marierai, et, pour les mieux marier, je vais faire
croire à leurs époui que je serai un jour ici un grand
pereomiage. Lorsque la chose sera faite, et les mariages
consommés, ils seront bien attrapés. Je quitterai tout,
et, comme rien ne m'attache plus ici, je m'en retour-
nerai à Paris. Ils se donneront à tous les diables; mais
il n'y aura plus de remède. A l'occasion de la vente
des livres de mon frère, je vendrai aussi les miens, et
ce sera autant de débarrassé. Attendez-moi donc
sous l'orme ou au Carrousel, et lâchez que let échoppe*
soient bien fournies de bonnes et belles marchandises.
Aimeï-moi, plaignez-moi, et croyea-moi votre très
humble et obéissant serviteur.
jbïGoogIc
LETTRES DB (iALIANI
Il n'est pas temps d'aricquiiis ni de papes '. Je vous
djrai, eo vous montrant le cercueil de ntoD frère, com-
me ce prédicateur eu montrant son crucifix : Voilà le
véritable arlequin '.
Parlons de la commission. Puisqu'il n'y a rien
compter sur Caraccioli, et que le chevalier de H^allon
m'ofii% de me la Taire parvenir jusqu'à Marseille sans
frais, j'accepte l'offre, car, au fond, j'aurais bien trouvé
ici des toiles de coton; mais une spéculatiou commer-
ciale me faisait voir qu'en achetant à' Paris, si j'eusse
1. Voir la letlce du 15 février 1774.
3. Voici l'aoecdote Inouïe que raconuit Gattl et à laquelle
GaliaDJ fait allusion : ■ A Venlte, le eanilTtl dure pendant ait
iDoi»; ki moine» Uime vaut ta matque et en domino, et, aur
une même place, on voit d'un câtë, »at des Eréteaui, des liia-
trions qui jouenl dea farces gales, mais d'une Ucenee eOl-inée,
et ^e l'antre ctité, aur d'autres tréleaui, dea prêtres qui jouent
de* brces d'une autre couleur et a'éeiient : i Heaslenn, laissez
Ik cei mliiraMea; ce Pollchlnetle, qui vona taaembte là, o'eil
qu'an «ot; ■ et en aaontrut le ciiietflt : ■ Le vrai PolieUnalla
le grand PoUchioèUe, le volli. > (flrimm, Corr. LM.)
jbïGoogIc
308 LETTRES DE GALIANI
pu, toutefois, épargner le ti-ansport et les droils, j'aurais
gagné. Ainsi, si l'on peut envoyer la toile de coton à
Marseille sans frais ni droits, à la booDC heure. Pour
les* mouchoirs, s'ils ne sont pas encore achetés, ou si
vous pouvez résilier le contrat, je vous conjure de ne
pas les envoyer. J'en trouverai ici, et ce sera autant
d'embarras de moins. Pour la toile donc, envoyez-la au
plus vite au consul d'Espagne à Marseille, en le char-
geant de la donner à quelque officier des frégates du
roi de Naples, qui y vont aller pour conduire le prince
de Roffadali, ministre enDanemark: il n'y a pas de temps
à perdre. Pour les livres, vous ferez ce que bon vous
semblera. Ceux-là ne m'embarrassent guère n'étant pas
sujets à la douane. Je ne me soucie pas des mémoires
de Beaumarchais, ignorant tout à fait la question '.
Je suis bien fAché de votre rhume.
Le duc de Saie-Gotlia m'a envoyé la médaille en or,
gravée d'après mon dessin, accompagnée d'une lettre
incroyable. II m'a pénétré de reconnaissance au point
que je ne saurais vous exprimer.
Songez que c'est Pâques demain, et qu'on la souhaite
ici tout comme la nouvelle année.
Je n'ai pas le temps de vous écrire un mot de plus)
il faut sortir. Adieu.
1. Hémoires panr le aiear BeanmarclMis par lui-même, illi-
in-4* ei in-13*, contre H. Gceiouii, jkige; medame GceimiD, le
sieur Beilrand, Mario, gaieller, d'Arnaud fiaculard, rjiDseiller
d'ambasMde et cofuorts.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANT
Naplei, t) avril <tt4.
Je suis toujours, ma belle dame, plus abruti que ja-
mais par mes ennuyeuses circonstances. Mon frère a
laisisé son bien abîmé de dettes et de désordre, et j'ai
trois nièâs à marier. Je ne m'occupe donc que de
procès, quittances, recettes, etc.; puis j'aurai des con-
trats de mariage, et me voilà bien amusé pour long-
temps. Cependant si je vis et si d'autres meurent, je
reparaîtrai à Paris, n'en doutez pas.
Je crois vous avoir mandé que le duc de Saxe-Gotha
m'envoya la médaille de feu son père, en or, accompa-
gnée d'une lettre charmante et incroyablement obli-
geante. [I a reçu une réponse de moi fort drAle. Si
j'avais un copiste français, je vous enverrais l'une et
l'autre-, peut^tre la montrera-t-il à Grimm, à son
retour.
Vous ne me parlez ni du départ de Caracdoli ni de
la santé de Pignatelli. Les frégates du roi, qui vont d'ici
à Marseille, partent aujourd'hui. Dieu fasse que nuitoïle
jbïGoogIc
310 LETTRES DE OALIANI
de colOD arrive avant leur retour de Marseille à Naples,
pour qu'elles puissent s'en charger.
Je connaissais l'épigramme du marquis de Pezay ';
M. de Breteuil me l'avait montrée.
Votre querelle avec milord Stormont ' me paraît
aisée à apaiser '. Du mérite d'un homme, il n'y a
que son siècle qui ait droit d'en juger; mais un siècle a
droit de juger d'un autre siècle. Si Voltaire a jugé
l'homme ComeiUe, il est absurdement envieux; s'il a
jugé le siècle de Corneille, et le degré de l'état de l'art
dramatique d'alors, il le peut, et notre siède a droit
d'eiamiuer le goût des uèclea précédents. Je n'ai ja-
mais lu lea notes de Voltaire sur Corneille, ni voulu
les lire, malgré qu'elles me crevassent lei yeux sur
toutes lea cheminées de Paris, lorsqu'elles parui-ent.
Mais il m'a fallu ouvrir le livre deux ou trois fois au
1. On anit fait sur H. de fenj l'épigramme nivanle :
Ve Jeune homme a beaucoup acquis,
Beaucoup acquis, Je vous le jure.
En deui ans, malgré li nalure,
S s'«l fait poble M marquli.
9. Lord Stormont était ambaisodeur eitraardlnatre et ptânt-
potentlsire du roi de la Grande-firaUgne k Parit. U habilail nie
Nenve-de!i-Pelit»<;himp9, ris-i-vis Is rue des Bons-Enfanti,
3. A. propos du commentaire de Voltaire sur Corneille, on
avait dbeulé dan* la »ociélA de madame d'fiplnay, dn t»aa ou do
mauTais eObt que ce genre d'ouvrage pouTsit taire. Comme on
n'était pas d'accord, on décida de prendre Gallaul pour Juge,
Orlinm se fut pu pemudé. Voir l'ippiadlM XUI.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 311
moins par distmctioo, et toutes les fois, je l'ai jeté
avec ÎDcUgnation, parce que je suis tombé sur des notes
grammaticales, qui m'apprenaient qu'un mot ou une
phrase de Corneille n'étaient pas en bon français : ceci
m'a paru aussi absmiie que si l'on m'apprenait que
Cicéron et Virgile, quoique Italiens, n'écrivirent pas en
aussi bon italien que Boccace et l'Arioste. Quelle im-
pertinence ! Tous les siècles et tous les pays ont leurs
langues vivantes et toutes sont également bonnes.
Chacun écrit la sienne : nous ne savons rien de ce qui
arrivera & la langue française, lorsqu'elle sera morte;
mais il se pouri-ait bien faire que la postérité s'avisât
d'écrire en français d'après le style de Montaigne et de
Corneille, et pas d'après celui de Voltaire. Il n'y au-
rait rien d'étrange en cela. On écrit le latin sur le
style de Plante, de Térence, de Lucrèce, et pas sur
celui de Prudentius, Sidonius ApoUinaris, etc., etc.;
quoique, sans contredit, les Romains fussent infini-
ment plus éclairés au iv* siècle sur les sciences, astro-
nomie, géométrie, médecine, littéraltu>e, etc., qu'ils
ne l'étaient du temps de Térenoe et de Lucrèce. Ceci
est une afi^ire de goût, et nous ne pouvons rien pré-
voir des goûts de la postérité, si pourtant nous devons
avoir une postérité, et qu'un déluge universel ne s'en
mêle.
Bonsoir; umcE-moi, détaillez-moi plus de nouvelles.
jbïGoogIc
LETTKES DB GALrANI
Niplet. u iDti tni.
CoiDitifl on voit bien, ma belle dame, que la nou-
velle maison, rue Saiot-Nicaise, vous égaie, vous ani-
me et vous doane des idées couleur de rose ! Vous
employez votre lettre (au lieu de me donner des nou-
velles de Caraccioli, de Pignatelli, du baron et de tous
mes amis), à m'inviter k des choses impossibles ou à
peu près. Vous ne concevez donc pas l'horreur de ma
situation ? Je suis en tout abruti ; je n'ai plus de frère,
plus d'amis, plus de patrie, plus de maîtresses, plus de
plaisirs. Je n'ai que de l'argent, asseï pour payer voire
lettre de change, lorsqu'elle arrivera. Quel arlequin,
quel pape attendez-vous de mol ' ? Cependant, si vous
voulez absolument ce roman «riginal et parfait, et tel
qu'il est dans ma léte, donnez-vous la peine de lier
connaissance avec Carlin, et prenez de lui les époques
justes et très exactes des événements de sa vie, la date
] . Voir U lettre du 25 septembre 1773.
jbïGoogIc
I.ETTKES DE OALUNI 313
de ta naissance, ses premtèreB études, son arrÏTée en
France, soa entrée k la comédie, son mariage, la
naissance de ses enranis, etc. (ceci doit Atre très exact
et dans le dernier détaiJ) ; ses disputes avec ses cama-
rades, avec les gentilshommes de la chambre, etc. Il
en faudrait savoir autant et avec' autant de précision
du père Ganganelli. Avec ces matériaux il faut bfttir;
sans cela, rien n'aura l'air original, point de vrai,
point de bonne plaisanterie, point de bon ton. Faites
cela vous donc de votre cAté, et puis laissez-moi faire;
et Dieu sait ce qu'il en arrivera.
Piccini nous quittera sans faute pour venir vous
trouver. Il est digne d'être connu personnellement de ,
vous. Sa femme chante très joliment. On me dit que
M. de La Borde, à son retour d'Italie, ayant beaucoup
parlé de lui à madame la comtesse Dubarri, c'est elle
qni l'a engagé à passer en France avec des conditions
fort lucratives pour lui, et il s'y est déterminé '. Tout
le monde est fort fâché ici de son départ; mais per-
sonne ne lui a offert dix sols pour rester. 'Ah! si j'en
pouvais faire autant ; mais mes nièces, mes chiennes de
1. C'est en eOet H, de Li Borde qui, dans soa voyage en Italie,
Ût connaiSMOce aiec PiccinI, et, à son retour à Paris, lai Qt faire
les oïïtea les plus. séduisantes s'il roulait venir en France. Pie*
cloi accepta et il allait partir, quand Louis XV mourut. Le mar-
quia Caracdoli obtint de la nourelle reine Marie-Antoinette de
renouer ta négociation et Piccini, dans ie désir d'être utile t sa
iKHnbrevse famille, quitta l'ilalie; U arriva à la fin de 17T6.
jbïGoogIc
3U LETTRKS DE fiALIANI
nièces, me lient à ce cruel poteau, et ma chambre,
me Saiotr^icalae, reste vide; quel donunage !
Je SUIS arrivé enfln à posséder ud ctiat aogola; il
m'est arrivé de Marseille avant-hier. S'il vit, s'il ne
m'est pas volé, j'aurai trois amis h Naples (car je pos-
sédais déjà deux chats), même après le départ en entier
de la oolonie Iran^ise qne H. de Breteuil amena id,
et qui s'est fondue et a dépéri presque aussi mal-
heureusement que celle de Cayenne.
Aimez-moi ; eagages Pignatelli ft m'écrire entln
quelquefois, donnez de mes nouvelles au haron, et
donnez-moi des leurs.
L'ouvrage l'Homme est-il véritablement de feu Hel-
vélîua >? cela peut se dire. S'il est d'un auteur vi-
vant, il en faut taire le nom par écrit. Je n'ai pas vu
cet ouvrage et je ne vois plus aucun Uvre; je vendra
m6me les miens pour être plus à la légère.
Bonsoir ; soyez plus longue dans vos lettres.
1. C'était une dei œuvre* poitbuinea d'Helrétlui.
jbïGoogIc
L8TTRES DR (lALIANl
A LA MËHE
(Lettre gratuite aux ingratn.)
Naples, it Diïi 1174.
Eh bien, ma belle dame, y pensez-vous ? Voilà denx
semaines que vous ne m'écrivez pas; \l dans qaels
moments, grand Dieu ! lorsque j'ai le plus de curiosité
des événements de la France. Qu'avez-vous donc? la
rue Saint-Nicaise vous occupe-t-elle si fort? A la
bonne lieure,3i j'y élais, les escloppes ou échoppes me
donneraient des distractions; mais vous? Enfin, ma
belle dame, ne soyez pas cruelle, ni politique avec moi
dans ces moments de curiosité importante. Tenez, je
ne voua engagerai pas à des indiscrétions. Laissez-moi
là tout'ce-qui arrivera ou n'arrivera pas aux ministres
en pUce, aui parlements, aux princes du sang*. Tout
cela ne m'intéresse guère. Laissez de même tes finan-
ces, la guerre, la politique. Dites-moi ce qui arrivera
1, Louis XT Tenait de rnoorir et tout le monde était daos
l'attenle de la ligne politique qa'alliit suivre le nouveau roi.
jbïGoogIc
St6 LETTRES DE OAIIANI
aux gens de lettres. Cela me touche de bien près. Le
règne de Louis XV sera le plus mémorable à la posté-
rité, qui ae Dommera le siècle de Louis XIV que pour
dire que B0U3 Louis XV, Voltaire eu parlait. Au reste,
c'est ce deroier qui a produit Montesquieu, Voltaire,
Diderot, d'Alembert, Boulanger, Rouelle, la Chalotais
et l'éclipsentent des jésuites. Lorsqu'on compare ]a
cruauté de la persécution de Port-Royal à la douceur
de la persécution des encyclopédistes, on voit la dilfé-
rence des règnes, des mœurs et du cœur des deux
rois. Celui-là était un chercheur de renom et prmait
le bruit pour*de la gloire; celui-ci était un booDèts
homme, qui faisait le plus vilain des métiers (celui
de roi) le plus k contre-cœur qu'il pouvait. On ne
rencontrera de longtemps un règne pareil nulle part.
Dites-moi donc si, au moins, le mouvement imprimé se
soutiendra. Allons, parlez; ne me faites pas sécher
sw pied d'impatience ; vous n'en serez pas moins vite
meublée, croyez-moi, si tous m'écrivez. Pour moi, je
n'ai jamais rien de nouveau à vous mander. On a tué '
I. U leUre s'arrête li, la pbrase n'ett pas terminée.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANl
A LA MÊME
Nsples, ( julQ tT74.
Votre letti-e, ma belle dame, arrive bien à propos
pour salisfaire mon appétit de nouvelles. Co n'est pas
que je ne suBse tout ce que vous m'avez mandé;
mais j'aime & l'entendre de vous, qui voyez bien, et
qui n'avez pas d'envie de me faire voir mal.
Je suis enchanté de tout ce qu'on dit du nouveau
roi'. Permettez-moi pourtant d'fttre fïché de l'en-
gouement des Français à son égard. Je vous connais,
je sais combien il vous est aisé de vous dégoûter par
un effet de l'excès des désirs et des espérances conçues.
D'ailleurs, plus j'y pense, plus je trouve que c'est la
chose du monde la plus diJIicile de gouverner bieti
la France, dans l'état où elle est' Vous êtes précisé-
ment dans l'état où tite-Live peint les Romains, qui
ne pouvaient plus souffrir ni leurs maux ni les remèdes.
Les vices ont pris racine, ont fait corps avec les moeurs.
1. l^uis tvi.
jbïGoogIc
3)8 LETTRES DE (lALIANI
Délmisez-vous les demoiselles t le luxe tombera; tombe-
beroat les arts voluptueux, et la primauté de la France en
cela, qui fait ie pivot de son commerce, de sa richesse,
de sa considération même, sera perdue. Vous avez des
vices énonues, il est vrai; mais ils sont tels que toute
l'Europe voudrait [es acquérir, et payer très cher les
leçons à ses maîtres. Les demoiselles bannies, on atta-
quera les philosopbes. Ils se tiennent ensemble ; c'est
UQ autre luxe; mais ils donneut à votre nation l'éclat
actuel. Vous ne serez plus rien, si vous n'êtes plus
les maîtres en fait de vices. Tel est l'état de l'Europe
et le vAtre. C'est bien étrange, mais c'est très vrai. Ne
prévoyons donc rien ; c'est le plus sûr et le moins
triste de tous les partis à prendre. Tenons-nous aux
Taits ; raandez^es-moi sans réflexions ; c'est la mCme
chose que de se taire, lorsqu'on mande les faits tout
simplet.
Le retour de H. de Maurepas est d'un tr&e bon au-»
gure *.
1. Maurepas (Jean~t->MéncPbilippcaui, coiutede) tlTUl-ltSl],
ministre de Louis XV, disgracié à la suîlc d'une cruelle plaisan-
terie sur madunedePoiiipAdour. Aprii ringt-clnq uud'extl, H. J«
Maurepas venait de reprendre place au conseil. Louis XVI, qui
arait d'abord hésité entre lui, Macbault et Cboiseul, cd Ot son
ËODQdeDt intime, son guide et lou ami. c Peut-4tre, dit Har-
inoutel, avaU-oa espéré que l'dge et le malheur avaient donné à
son caractère plus de solidité, de constance et d'énergie, mais,
tiatnrellement faible, indolent, personnel, aimant ses aises et son
repos, peu jaloux de donner de l'éclat i son ministère et Taisant
consister l'art du gouvernement à tout mener sans bruit, Msu-
jbïGooglc
LETTRES DE GALIANI 319
Je suis enchanté da ce que vous me mandez relati-
vement au philosophe, tracassé par les gazetiers. Il
fallait s'attendre à une médisance, car on a beau
mentir sur celui qui vient de loin. D'ailleurs les éco-
nomistes n'étaient pas des gens à se taire sur son
compte.
On me dit que Mora esta Paris : embrassez-le bien
tendrement poor mou compte ; pour le vôtre, faites
ce qui vous convient. Vous m'aviez mandé que Hagal-
loD envoyait ma pacotille de toile de coton au consul
d'Espagne & Marseille; je lui avais écrit enconséquence.
Le consul de Naples me mande que c'est à lui qu'on
l'adresse. Voilà ma prévoyance perdue, et votlà l'effet
des quiproquos. Ahl qu'on a de peine« dans ce
monde pour avoir des chemises, même petites I
Tous ne voulez pas croire à mon abrutissement?
eh bien , juge&4e par cette lettre. Si je ne suis pas
abruti, au^ moins vous conviendrez que je suis bien
triste ; cependant je n'ai point de mémoires de tapis-
siers devant moi. J'ai des nièces. Fi ! les vilains meu-
bles I on y est bien durement assis. Bonjour^ car il n'est
pas nuit. AimezHmoi ; payes le tapissier, si vous pou-
vez, et moquez-vous du reste. Adieu.
repu fut, Aaa» sa vleillesBe, ce qu'il ivirl été dans ses jeunet
annéei, ud hguuae ainuble, occupé de lui-méino el'uD ministre
jbïGoogIc
LETTRIiS DE GALIAKt
Ne VOUS f&chez pas, ma belle dame, si je vous dis
que votre a" 78 est sublime. It est très plat, me sou-
Uendrez-Yous, car il n'y a que de pelitds uouvelles de
départs et d'arrivées. £h bien, comptez-vous cela pour
rien ? Ce sont des faits, et les laits sont toujours su-
blimes pour moi. Hais il n'y a pas de réflexions,
ajoulerez-vous. On en lera, madame, sur les ^ts, n'en
doutez pas. Remplissez donc vos lelUes de faits, et
vous comblerez nies désirs. De mon côté, j'en ferais
autant, si nos faits pouvaient vous' èlrc connus.
En voilà un pourtant à propos : ce matin a appa-
reillé la frégate française qui vous rend, à notre grand
grand regret, M. de Breteuil et sa fille ; à midi nous
l'avons perdue de vue. Il pourra vous arriver ensemble
avec ma lettre. Il n'y a pas d'exemple d'aucun Fran-
çais qui ail été plus aimé, plus estimé, plus regretté
des Napolitdins. II n'y a qu'un avis, une voix sur
cela. Le roi, la reine et la nation entière le regrettent,
jbïGoogIc
LETTRES DE CALIANl 3îl
et se trouvent désolés de son départ. Un seul homme
n'en est pas f&ché ; mais il n'est pas Napolitain. Si vous
a'aviez pas sainte Irénée et saint Bcmi, je soutiendrais
que saint Breteuil a été le premier apAtre de la France,
du moins à Naples. Son époque sera remarquable par
le changement de nos mœurs et de nos goûts. Sous
son apostolat, nous avons acquis le goût des spectacles
français et des ballels décents et sérieux. Aul'resne
et M. le Picque seront remarquables dans l'histoire
de la l'évolution des mœurs. Ils ont influé plus qu'on
n'imagine sur te tout : ils ont plus fait connaître
Voltaire et Diderot, et ces messieurs feront connaître
le reste.
Haurepas et Sartîne sont les deux plus excellents
choix qu'il y avait à faire en France'. J'en suis si
content, que vous ne sauriez l'imaginer. Arrangez la
malheureuse afiaire des parlements, et vous aurez eu
le plus brillant début. Si vous voulez m'en croire,
conservez le nouveau système des parlements et faJtes-y
rentrer les anciennes personnes. Le système nouveau
est meilleur ; les personnes anciennes valaient mieux '.
Je n'ose vous parler de Hora t il y a longtemps quo
1. Ob pariiil de H. de Sartine pour le miaisière ; il avait été
remplacé i la police par M. Lenoir.
3. C'était là la s'^ode question politique qui se dresuit au
débat dn règne de Louis XVI ; il fallait le pronoDcer entre les
ancien» parlemmU et lea patltmmlt Mauptoit.
jbïGoogIc
311 LETTRES DE OALIANl
je l'ai pleuré. Tout est destinée dans ce monde, et
l'Espagne n'était pas digne d'avoir un H. de More;
peut-être cela dérangeait l'ordre entier des chutes des
monarcbies.
Embrasse^ de ma part le revenant de bien loin t.
S'il est rassasié dés froides grandem's hyperboréennes,
ce sera tout ce qu'il aura rapporté de mieux de son
voyage. A Paris, les philosophes viennent en plein
air ; à Stodcholm, à Pétersbourg, ils ne viennent que
dans des serres chaudes ; à Naples on les élève sous
le l'umier : c'est que le climat ne leur est pas favo-
rable. Adieu.
A LA MËHK
n y a des vies, ma belle dame, qui tiennent à \» desti-
née des empires. Annibal, lorsqu'il apprit la défaite et la
mort d'Asdrubal, son frère, qui valait plus que lui, ne
pleura point, mais il dit : Agtwsco fatum Carthaginù.
1. Grimm qui renuit de Ruhjo.
jbïGoogIc
LETTRES DE QALIANi SB
Je sais à présent quelle sera la destinée de Carthage.
J'en dis de même sur la mort de M. de Mora '. Je sais
à présent que l'Espagne doit rester barbare. Tel est
l'ordre des destinées. Ce q[ue nous voyons à présent
n'«9t qu'une fausse lueur de polissement ; mais l'Es-
pagne ne sera pas la France. S'il était dans l'ordre
étemel qu'elle le devint, Hora ne serait pas mort ; il
serait mùmeressuscil^, s'il l'eût fallu: telle est laforce du
destin. C'est peut-être cette même force qui empêchera
que M. de Sartine succède à H. de Saint-Florentin,
et que M. de Breteuil ait été dépassé par H. de Ver^
gennes *. Vous fUtf», Français, — et ne vous y trom-
pei pas. Vous verres (attendez), avec quelle adresse,
quel enchaînement admirable le destin (cet être qui
en sait bien long) au meilleur roi possible, au mieux
t. M. da Hors quitta Paris ie Tendredi T aoùl ITTS. Celle diie
lie a'eDhta jamiis du souTenlr da mademolieUe de l'EafiiiiMte,
car elle devait être celle de la séparalion derniâre. Les deai
amanU ne ae revirent plus, et H. de Mora qui, apiËs un séjour
de doux années en Espagne, avait enSo quitté Madrid le 6 mil
1774, tout brOlant d'impatience de revoir Paris et celle [|u'll
aioiait, moarot à Bordeaui, le vendredi 31 mai, élouK par un
crachement de aang.
2. Vergenoes (Oiarles Gravier, comie de) 11711-17671, «lait flb
d'nn président t mortier do Parlement de Dijon ; attaclié d'am-
tmMide i Francfort, puis eo Porlngal, il plut au due d'AigulIloo,
qui avait reaatqué la clarté el la précision de se« rapporta ; il
fut nommé ambaaMileiir tStocklioini. Peu aprts l'aYèneiBent de
Louis XVI, il parvint su ndaistère des aHUres étrangirea, oO il
rcHpIafa le duo d'AiguiUon que la reine ne pouvait touffrin
jbïGoogIc
dU LETTRES DE fiALIANl
iotentiooDé, escamotera tous les desseins, délournera
toutes les bonnes intentions, et fera tout c« qu'il vou-
dra et ce que nous ne voudrions pas. Arrêtez-vous de
grâce devant un rôtisseur ; regardez un tournebroche ;
voyez-vous ce magot, en haut, qui parait, avec une
force et une application étonnantes, s'employer à tour-
ner la roue; eh bien, c'est là l'homme : le contre-
poids caché est le destin, et ce monde est un tourne-
broche. Nous croyons le faire aller, et c'est lui qui
nous fait aller.
En attendant, le roi et les princes sont inoculés :
c'est par le même principe. Le destin (en cela favo-
rable à l'Europe), veut nous guérir de la petite vérole.
Il croit que nous en avons assez de la grosse, et ne se
trompe guère. Voyez par quels enchaînements il s'y
prend 1 La cour, qui le plus a résisté à la raison, n'a
pas pu résister à la peur ; et la Halterie va faire plus
d'inoculations que n'en aurait jamais fait te zèle de la
préservation d'un monarque '. 0 homme ! être bouffon,
1. Lt Cour de France se flt aussi inoculer et Immédiatement,
tout le monde s'empreua de lulfre cet exemple. L'inocuUtioD
Tut une mode, on portait dea coiO\ire« à l'inocutallon. t Le pro-
dige de l'IniiglnatiTe, dit Bachaumont, e»t la coiffure k l'inocu-
lation : elle est chargée d'un serpent, dune muiue, d'un soleil
levant et d'un olivier Rouvert de [ruits. Le aerpent représenta
la médecine. La mauue indique l'art dont elle s'est servie pour
terraaMf le monstre varioUque. Le soleil tenmt est l'emblème du
jeune roi vers lequel se tournent les espértnces. On trouve dans
l'olivier le symbole de la paix et de le doacenr que répand dans
jbïGoogIc
LETTRES DE GALUNr 335
misérable, ridicule ; tu croîs que la Condamine a prê-
ché l'inoculatioa ; c'est bien l'inoculation qui a [véché
la Coodamine, et lui a douné la célébrité qu'il ne
méritait peut-être pas.
Embrassez le revenant . Ah ! qu'il a beau mentir I Je
compte qu'à l'arrivée de cette lettre, il sera bieu approché
de Paris, à moins qu'il ne reste à essuyer des larmes à
Darmstadt *.
Caraccioli est arrivé et a été présenté. Eaxeptus brevi
oscalo nuUoque semume, servientium turbœ immixtia
est. (Tacite, daus la vie d'Agric.) Je l'ai vu ; il a ébauché
son rapport sur tout ce que je voulais savoir de Paris.
Je serais assez content, sans ce qu'il m'a dit de l'état
du prince Pignatelli, qui m'a percé le cœur. Quelle
autre espèce de disgrftce ! Je suis triste et rêveur,
comme vous voyez. Bien des désagréments valent au-
tant qu'un malheur, et c'est là mon état. Parmi mes
désagréments, j'ai cehii que mon domestique français
VutoiU vient de me quitter, après quinze ans. Une
nostalgie violente l'a rappelé dans sa patrie (la Savoie),
sans qu'on ait pu l'arrêter. Ce départ dérange mon
le* Imes l'beureui auccès de ropérttlon à laquelle nw prinees
M sont Humis. >
t. Grimai ariil accompagné en Russie, en aeptembre 1TT3, la
landgrave de Betse-DamuUdt el sa fille, qui épousa le grand-
duc héritier. Il revint à Darmstadt en 1774 et séjourna quelque
temps auprès de la land^rare qui éprourait un vif chagrin d'être
téparëe de sa GUe. [Voir madame d'Oberkirch.)
jbïGoogIc
8H LETTRES DE O.ALIÂNI
économie domes^que, et j« suis plus embarrassé de
décider à qui doimeraî-je 6 battre mon ohooolat, que
le roï de Pranoe ne Va été à donner le département
des affaires étrangères. Il viendra peut-être à Paris,
TOUS le TCrrei; ; il vous donnera de mes nouvelles. Je
vous le reoommBiide, ainsi qu'à M. de Magallon et il
tous mes amis.
Cette semaine, je n'ai point de vos lettres. Pourquoi
me délaiue&<T0UB dans des moments où vos lettres me
■enient plus chères et plus précieuses que jamais î
Je n'ai point épargné ni le port de Paris à Marseille,
ni celui de Marseille à Naples, sur ma toile de coton ;
je n'épargnerai pas non plus les droits; et peut-être elle
' sera saisie en contrebande. Qb ! le fruit de tant de
s 1 Oh 1 destinée, maltresse du monde 1
Ntples, fe juUleiiiu.
Ne vous ai'je pas mandé, ma belle dame, que de
tout ce que j'écris, je ne garde plus aucun souvenir
iibsolumeQt? Gomment voulez-vous que je puisse vous
jbïGoogIc
LETTRE» DE Q&LUNI 3»
expliquer les derniers mots d'nne lettre, écrite il y a
deux mois, où vous dites que je (înis par ces mata :
O» a M ' ? Le diable m'emporte si je me souviens
d'avoir jamais écrit une chose pareille. Voua auries dû
me transcrire le paragraphe entier, depuis le oommen-
oement. Au resta, sAremeol vous avex deviné mal, à
force d'y employer de l'esprit. Je gage que vous aurei
mal lu mon écriture ; car, assurément, je n'ai ni tué,
ni voulu tuer jamais personne. Mandez-moi le dévelop-
pement de tout cela. J'eu suis devenu bien curieux.
Relisez bien, et si vous ne m'entendez pas, transorivei-
raoi l'article en entier.
La pacotille de toile de coton vient d'arriver ; mais
je ne l'ai pas encore fait débarquer, crainte de la voir
saisie en contrebande. Jamais expédition ne fut plut
malheureuse et plus dispendieuse, à travers les soins
infinis qu'on y a mis.
Je paierai don Parez. Merlin est-il tout k fait mort
à jamais?
II sera de M. de Sartioe tout ca que la destinée vou-
dra ; je ne crains pour lui que le poison, s'il parvient
k la sublime place. Les moyens bas et Iftches, dont on
se sert pour lui barrer le cbeniia, me font avoir cette
peur.
Si le nouveau roi est économe, il aura les trois
I. Voir 11 lettre du S8 mil 1774.
jbïGoogIc
»8 LETTRES DE GALIAM
quarts des vertus à propos pour la guérison de la
France, et l'on verra la poule au pot. Hais je craim
qu'on ne lui ait montré la lésine, et fait ignorer l'éco-
nomie. J'apprends qu'il réforme des chiens courants,
et je vois qu'il garde la Corse ; il allait réformer la
Corse et garder les chiens. La Corse est la plus grosse
folie faite par M. de Choiseul, et la plus fatale à la
France '. Attendez, vous verrez,
Caraccioli est déjà saoul d'avoir été à Naples, et il
presse son retour. Qu'il sera content, s'il se revoit en
route ! [I ne so porte pas mieu^t de ses jambes, et je
crois qu'il est persuadé que ses jambes n'acquerront
rien à Naples.
La seule bonne chose qu'ait dite cet ennuyeux
M. Sterne, est lorsqu'il me dit : Il vaut mieux mourir
à Paris que vivre à Naples.
J'ignorais le voyage du baron. Grinun se portera à
merveille, dès qu'il sera à Leyde ou à Gotha.
Rien de nouveau ici, mais l'attente des nouveautés
devient plus forte de jour en jour.
Aimet-moi. POTtez-vous bien. Adieu.
1. En 1766, la Corse avait bdQd trouvé un gouvemement ré-
gulier loua la djrecUon de Pascal Paoll. Gènes, qui ne possédait
plus dans l'tle qoe quelques places maritimes, voyant la diâieullé
lie conserver ses territoires, céda la Corse à la France en paie-
ment d'une créance. Cboiaeul envoya en 1169 une armée pour
soumettre llle ; Paoli, écrasé avec les siens, dut s'enfuir, et la
Corse enliëre tomba sous la domination deJa France.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI
Volpe lettre, ma belle dame, finît par dire que j'ai
besoin de toute mon indulgence pour vous pardonner.
Vous êtes donc Pytiionisse, Sibylle (pas vieille pour-
tant), Bohémienne ou autre chose pareitle. Vous avez
deviné que la pacotille des toiles et des mouchoirs était
arrivée, que j'étais dans une colère épouvantable, dans
un chagrin mortel, dans un désespoir affreux. Grand
Dieu I Quelle commision ! J'appelle mon indulgence à
votre secours; mais, en vérité, avouez-moi, ave^-vous
vu la toile et les poignets avant de me les envoyer !
Soupçonnez-vous que le marchand, sur qui vous vous
seriez reposée, les eût troqués? 8i cela n'est pas, je ne
sais comment expliquer l'aventure, car il est impossible,
humainement impossible, que sachant que j'avais be-
soin de faire des chemises, vous ayez pris cette toile,
qui est au moins trois fois plus grossière qu'il ne fau-
drait pour employer en chemises ; assurément per-
sonne n'en a porté an monde de pareilles.
jbïGoogIc
390 LETTRES DE GALIANI
Le malheur, en fait d'argent, est sensible, car j'en
perds tout le prix. Aucun marchand, je ne vous exa-
gère point, n'a voulu me la reprendre ici, disant qu'on
ne la connaissait point, et que personne ne s'en était
jamais servi. Mais à cela il ; aurait remède ; j'en ferai
présent à mes nièces. Le diable est que je suis sans
chemises d'hiver, et qu'il est désolant de recommefwer
une commission qui a duré un an.
Béflexion morale. Les meilleurs de mes amis sont
à Paris, les plua vrais, les plus intéressés pour moi ;
cependant je n'ai pu, en mon absence, obtenir rien de
ce que je désirais k Paris. J'ai eu beau roe fftcber
contre Magaltoo, Fuentès, Pigoatelll , Carraccioli ,
Sartine, etc. Je ne me fliche pas & présent contre vous,
mais je vous tftche peutr^tJ«, et à quoi bon? Pour-
quoi donc cela? C'est que Dieu veut que je boive le
calice d'amertume de l'absence jusqu'à la lie et que je
dise toujours en moi-même : si j'eusse été à Paris, cela
n'aurait pas été. — Conelusùm. L'absence est un mal
irréparable.
Je ne sais pas être inquiet sur la santé du voyagent * ;
il me parait sauvé, puisqu'il a touché la Bohême sans
maladie chronique et attaquant les solides.
La Bastardella ', accoutumée h vendre son chant,
1. Grimm.
3. Lucrèce Agnjari, de Fernre, Mirnominto !■ Butardella, étcfl
célËbre par retendue prodlgteuN d« at voli gui s'41«Teit jaf-
jbïGooglc
LETTRES DE GALIiNl .<at
ne saurait s'habituer à le donner pour rien, comme
elle devrait à Paris. C'est une bêtise de sa part ; mais
pas une impertinence.
Ce rappel du parlemeat est bien différent de la ren-
trée. L'affaire est plus scabreuse qu'elle ne parait.
Mon domestique français m'a enlîn quitta, il m'a
prié de lui faire parvenir cette lettre ci-jointe à Paris,
à son adresse; comme cite sera la dernière, j'espère
que TOUS m'excuserez si je vous surcharge de ces
fraisde poste. Je n'aj pas eu encore de lettre de change
de Magallon tirée sur moi, mais je tiens l'argent tout
prêt pour la payer. Je reconnais avoir manqué à la poli-
tesse en me plaignant de l'exécution d'une coomiission
qui vous aura coûté beaucoup de peine et d'embarras.
Mais n'aurais-je pas manqué à la sincérité, si j'eusse
été poli? Soyez moins sincère, me direz-vous. Adieu.
qu'ani sona les plus algas ; elle résidait à Parme od elle épousa
Colla, compositeur eatlmé. Ella passa quelque temps t Paris
sans Tooloir ehanter dans aucun endroit public, laali alla chaii'
tatl assez Tolontiera A souper, sJe l'ai eoiendue, disait Laharpe,
ce n'est pas une voii très agréable, mais c'est peut-4tre l'organe
le plus extraordinaire qui eiisle. Elle a repi de la nature un
goder avec leqnei elle exécute des toun de force Incrojables. ■
jbïGoogIc
LETTRES DE C.ALIANI
Point de vos lettres cette semaine; et pourquoi?
N'eussiez-vous pu me mander quelque nouvelle, au
moins de la chaise de paille?
J'envoie la lettre de change à Hagallon ; et comme
vous m'avez fait craindre qu'il pourrait se trouver
parti de Paris, je crois bien faire d'envoyer la seconde
dans vos mains, en cas que la première s'égarftl.
J'ai donné, il y a quelques jours, deux lettres de
recommandation, l'une pour vous, l'autre pour le
comte d' Albaret à im Sicilien, joueur de cor de chasse ' .
j. Le comte d'AlUret, piémoDUis, éUlt le premier amiteur
de muiique de l'époqae. GlackUte passionDâ.il avail une troupe
de musicieDs ■Uachèt à m maùon, et il donnait des concerts
d'une m* perrecUon. H. d'Alt>aret avait beaucoup d'esprit et
11 ttiwll de* ven charmants. On demandait un jour, à souppr.
i Vabhé Sabatier ce que c'était qu'une femme, Il répondit :
a qui demudei-vaiu ce qua c'eil qu'une temine,
A moi qa'oD a réduit à i'igDorar ton^oun ;
De l'aTiugle aflligè vous diehlrerei l'Ame,
SI vous lui demiDdet ce que sont les beaux J«urs.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 333
Je n'ai pas pu les refuser à un ami qui me les a
demandées, mais je vous préviens que je ne connais,
ni de vue ni de nom, le sujet que jo vous ai recom-
mandé ; en conséquence je n'entends vous le recom-
mander qu'avec béjiéfice d^invenlaire, comme on reçoit
les successions suspectes. Ëcoutez-le, et jugez-en vous*
même.
Jo suis en train, comme je crois vous l'avoir mandé,
de marier deux de mes trois nièces ; cela m'occupe
étraugement; mais l'idée du repos qui pourrait s'en-
suivre dans mon esprit me soulage.
Aimez-moi; portez-vous bien, et priez Dieu que je
puisse me dégager des liens napolitains, au point de
redevenir voyageur. Adieu.
Le comte d'Albaret lai ripoala immédlalemeiil :
Vou» peignez mal llDdlDéisncc
Qne voua teigaez en ce moment.
Quand on parle aussi tendrement,
Od eal bien loin rie l'ignorance,
El je T0D9 crois, l'aveugle clairvoyeiil.
(Voir l'appendice iiv.)
jbïGoogIc
LETTRES DE (lALIANI
tnplss, u aoill ni*-
Ha belle dame, votre courte lettre du 23 passé me
renvoie à une belle et longue épltre qu'un quidam
voyageur doi t m'apporter, et qui n'est pas encore arrivée.
Dieu le conduise à bon port, lui et sa lettre ; en alteii-
tendant je vous dirai que vos souffrances m'affligent ; il
serait temps de les voir finir. Dëclarez-vous vieille une
bonne fois ; vous savez que les vieilles sont de toutes
les femmes les mieui portantes Ainsi installez-vous
dans cette classe, et faites'vous en accorder l'anciennelé
nécessaire par un brevet.
La nouvelle que vous m'ajoutez dans le poslscriplvm
est si grande, si agréable pour moi et pour mes amis,
que j'ai grande peine à la croire'. Un encyclopédiste
1. H. Tnrgotéull iDiendant à Limages et II ; avait couqui.t
l'estima de tous, lorsque Maurepas le Ht appeler au mldislËre ilc
la marine en Tcmpbcement de H. de Boines. Un tnois apréi, le
chancelier Haupeou el Terray étaient eiilés et Tnrgot quittait la
marine pour le contrAle général. La nomiDallondeTurgot eiclla
un enthoDsUsme unirersel dans le parti enc;clo|>édique, dont II
jbïGoogIc
LI^TTBES DE r.ALlÂM 3U
parvenu I Possible 1 Ncm, je n'en croie rien. Personne
n'en a rien mandé à Cartfccioli, «t puis la chose est par
soi-même incroyable. Il a trop d'esprit, trop de droi-
ture et une vertu trop roide, pour parvenir aux pre-
mières charges; enfin je suis impatient d'apprendre
si je me suis trompé, comme je le souhaite, ou si j'ai
deviné, ctHome je o^is. N'allez pas me dire qu'il n'e«t
plus mou ami depuis l'exportation; il l'est toujours, et
très fort (non ami, puisqu'il est honnête homrae.
homme d'eaprit, ami de mes amis.
Vous me demandée si je travaille encore à mon livre
de ta monnaie. J'arrange des mariages ; voilà tout ce
que je fais à présent. J'espère en conclure une paire
pour octobre prochain; cela fait, il ne me restera
qu'une bossue à placer. Elle a de l'esprit, quoique
laide et bossue ; ainsi elle s'aidera ellennéme km ma*
rier, et m'en soulagera le travail. Si une bonne fols je
me vois débarrassé de cette affreuse situation où je
suis, ahl que de livres, que d'ouvrages, que de jolies
choses vous verrez produites par ma vervel
était membre, s Je auia comme tout le monde, écrivait VoJUire
i d'Argeutal, le 33 décembre, j'alteod» beaucoup de M. Turgot.
Jamais homme n'est venu au ministère mieux annonça par la
voii publique. > Au conlrsire, les hommes religieux furent con-
sternés et virent avec effroi l'opposition philosophique entrer
rtana le ministère. Turgot avait de vastes projets qu'il essaya peu
il peu de réaliser. Son premier soin fut de rétablir ia libre cir-
culation des grains à l'intérieur. — > L'abbé Baudeau disait de lui
que c'était un instrument d'une trempe excellente . mais qui
u'arait pas de manche. >> (Chamfort.)
jbïGoogIc
33S LETTRES DE GALIANl
A présent je suis bêle et faiseur de mariages; et ces
deux qualités m'oDt acquis plus de réputation que
tous mes ouvrages ; car il est bon que vous sacbiez que
ma conduite, relativement à ma famille et le soin que
j'en prends, me font un honneur infini, et l'on ne
parle que de cela avec autant d'étonnement que d'en-
thousiasme. Au fond, on n'a pas tort; la moitié de l'es-
pèce humaine a bien plus besoin d'un bon mari que
d'un bon livre; et si cela est vrai, même à Paris, jugez
à Napies, où il n'y a que douze personnes au plus qui
sachent lire, combien cela doit être vrai.
Carraccioli se porte bien. De tous les revenants de
Paris, c'est celui qui m'en a donné le plus de détails
intéressants pour moi. Nous ne parlons donc que de
vous, et tous les vendredis nous parlons tête à léle,
après avoir diné, deux heures au moins de Paris.
Nouvelle pièce ce soir; j'y vais. Adieu.*
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIi.NI
k LÀ HëXE
HaptM, iT août iTTi.
La semaine passée, point de lettre de vous, ma belle
dame ; cette semaine, deux à la fois : faule de MM. les
directeurs des postes. Jo vaisy répondre laconiquement
et catégoriquement, tout comme si j'arrangeais une
capitulation de viile; car je suis d'une humeur de
chien, à mon ordinaire, je vous en préviens.
D'abord, l'énigme des mots on a tué ', dans une
de mes lettres, est bieatât résolue. Je n'achevai pas la
phrase. Apparemment on m'interrompit, on m'appela
pour entendre brailler des avocats dans ma pièce, ou,
si vous voulez, dans mon salon d'audience. Le soir, j'ai
cru avoir fini la lettre, et, sans la relire, je l'aï cachetée
et envoyée. La question serait, à présent, d'achever cette
phrase, mais voilà précisément le nœud de la difficulté ;
je vois clairement que c'était une nouvelle que j'allais
vous donner comme un échantillon, dont la platitude
^. Voir la lettre du 18 oiî 1TT4.
jbïGoogIc
338 LETTRES DS r.ÀLUNl
VOUS aurait prouvé la platitude du reste. Mais je ne
sais pas si j'allais vous parler d'une pauvre femme qu'uu
soldat tua d'un coup de poing à la tête, ou si je vous
parlais de deux chiens condamnés k mort par autorité
de justice, et exécutés par la main du bourreau, pour
avoir mordu un enfant. L'une est atroce, l'autre est
ridicule à l'excès. Peut-être aussi c'était quelque autre
idée dont je ne me souviens point du tout.
2". Caraccioli a été infiniment sensible à l'article
de votre lettre ; il se propose de vous en remercier de
vive voix, et de vous voir souvent à son retour. Il se
porte bien ; ses jambes un peu enflées sont une baga-
telle en effet. Il a pris des bains, des étuves, des eaux de
mer, etc. ; mais il ne les a pas fait serrer, et m'a bien
promis de ne pas le l'aire. Cet homme, philosophe en
tout, et résigné aux lois du destin, ne me le paraît pas
assez en fait de santé, et cela me fait trembler pour lui.
Il se tuera à force d'inquiétude et d'envio de guérir;
heureusement il osl encore plus impatient de retourner
àParis <tue de guérir; cela l'empêchera de multiplier les
remèdes. Je cherche la raison de ce manque de rési-
gnation en lui, et la voici h mon avis : on est sage et
résigné en proportion de ce qu'on a souffert. Or il avait
jusqu'à ce^te heure souffert en tout, hormis la sanl^j
dont il jouissait parfaitement. ïja philosophie n'est donc
pas un effet de la raison, mais de l'habitude, elle est tout
au plus une crainte, et quelquefois un désespoir raiwuiné.
jbïGoogIc
LETTRES DE GILIÂM 339
3*. Le voyageur et votre lettre ne paraisseat pas en-
core ; je les atteQds pour comprendre quelque chose à
l'état de votre société et de votre famille. J'ea entends
une portion en tâtonnant.
4°. Vous m'obliget à renouveler le souvenir de l'his-
toire de ma toile : Infandum, regtna, jubés renomre
dolorem. Le croirieï-vous ? Cette histoire me l'ait trem-
bler de colère et de rage, aussitôt que j'y pense. Voos me
rendes assez de justice pour croire que ce n'est pas l'in-
térêt et ie sacrifice de l'argent qui me dépitent ; c'est le
guignon atroce que je ne saurais souffrir. Pourraitr-on
croire qiie l'endroit du monde où j'ai les meilleurs amis
est séparé de moi par une barrière insurmontable? Le
desti n a la force de m'arracher Paris, comme il a eu celle
de m'arracher de Paris, en dépit des hommes et des
dieux. Il m'a vengé ensuite, chose que je ne lui ai point
demandée ; enfin ne parlons plus de l'emplette. Je me
suis défait desmouchoirs en les donnant; ils ne me seiv
valent à rien. Je les voulais en couleur, ils étaient
blancs ; et c'est une malpropreté insoutenable ici que
de se moucher avec des mouchoirs blancs lorsqu'on
prend du tabac. Pour la toile, j« l'ai offerte jusqu'à
trente sols l'aune, on n'en a pas voulu ; j'ai la douleur
de l'avoir encore. La police de chargement avait été
employée à boucher des bouteilles ; c'est pout vous en
constater le fait que je vous l'envoie ; vous verrez que
j'ai payé 18 livres 4 sols de Paris à Marseille. Mais de
jbïGoogIc
3W LETTRES DE GALIANI
grâce ne les poursuivez pas; car. sans faute, vous ver-
riez que nous avons tort, et qu'on devait les payer.
Le destin ne feit point de quartier; c'est à mon
guignon, madame, et n'en doutez pas, qu'il fout attri-
buer le malheur de Pignalelli ; je l'avais chargé de mille
commissions. Il m'aurait réuni k Paris; il aurait été
mon correspondant ; ensuite il aurait passé en Espagne,
et m'aurait été très utile. Mais le contraire était écrit
dans les livres des astres, comme disent bêtement les
astrologues, au lieu de dire dans le livre des combinai-
sons. Les étoiles fixes, puisqu'elles sont fixes, ne se
combinent point ; et point de desUn pour elles. Lès êtres
mouvants eux-mêmes sont les seuls sujets an destin,
qui n'est autre chose qu'une loi, impossible à calculer
pour nous, attendu la quantité immense de données
que nous n'avons pas.
Vous m'encouragez à écrire à Suard. Je le voudrais
de tout mon cœur, mais comment s'y prendre t Rece-
vraît-ilavec plaisir une lettre en italien? S'il la veut,
je lui en écrirm une assez belle, j'en réponds. Ce n'est
qu'en italien que j'écris des mots et des phrases; en
français, je n'écris que des choses. Or, il est un des
quarante aux mots, et je rougirais de lui présenter
une lettre sans phrases. J'oserais bien en écrire une à
H. Gresset', puisqu'il admire le langage de vos aïeux,
1. Gce»et (JeiD-Baptùte-Louis) (1709-1777), membre et direc-
teur de l'AcBdÉinio fraocaiie, auteur de la comédie du Méchmt,
du poème de Yerl-Verl, etc.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIAHI Ui
auquel mon style ressemble bien plus qu'aux lettres
de nos jours.
Je me suis arrangé avec Caraccioli pour aller diner
chez lui les vendredis, jour auquel arrivent les lettres de
France : nous noua communiquons aiusi nos trésors.
J'ai lu une lettre de mademoiselle de Lespinasse et une
autre du chevalier de ChételluiE. Toutes les deux font
mention de moi, et me prouvent que Paris ne m'a pas.
encore oublié. Si vous pouvez marquer ma sensibilité el
ma reconnaissance h la société de mademoiselle de
Lespinasse, vous me ferez grand plaisir. Je n'ignore
pas qu'à Paris le premier mérite est d'être sen-
sible. Assurez donc que je suis tellement sensible que
j'en deviens parfois ch&touilleux. Aimez-moi ; plaignez
mon guignon cruel. Adieu.
IMpIei, S Mptembro 11T4.
Puisqu'il i^ut, ma belle dame, vous parler encore de
na toile, voici, marqué n" 1, l'échantillon de la toile
jbïGoogIc
.343 LETTRES DE GÀLIANE
que TOUS m'avez envoyée ' . Vous n'aurez qu'à )a voir,
pour convenir avec moi que jamais homme n'en a fait
des chemises. On en ferait des voilures de bâtiments
assez honnêtes.
Voici ensuite, marqué n" 2, l'échantillon de celle dont
je me suis servi, tiré d'une de mes vieilles chemises.
La qualité est à peu près la même que celle que vous
m'avez annoncée pour 4 liv. IS s., et c'est précisément
le prix que je vous en avais marqué, si ma mémoire
n'est pas fautive ; car je me souviens de vous avoir
mandé qu'elle coûterait un peu moins de cent sols.
Voici, en troisième lieu, que je vous renvoie l'échan-
tillon marqué E 10, que vous m'avez indiqué élre au
prix de 3 liv. là s. Si j'avais eu une toile de cette
qualité, je n'aurais rien dit ; car, quoiqu'elle ne paraisse
pas pouvoir être d'une assez longue durée, du moins
j'aurais eu des chemises pour l'hiver. Pour expliquer à
présent l'événement incroyable, il n'y a qu'à dire que
par une infamie digne de la corruption de la bonne foi,
autrefois si vanlée, des marchands français, on a esca-
moté la pièce dans le moment même que vous la
cachetiez : car vos cachets et les livres y étaient; et si
je ne vous en aï pas parlé, c'est que cette aventure me
mettait, comme elle me met encore, en furie, toutes
les fois que j'y pense. Ainsi n'en parlons plus,
1. Les échanlilloDs de toile soDl encore atlacbëa à 1« letu«
uitograpbe de G*lliiil>
jbïGoogIc
LETTRES DE CALIAM M3
Je suis ravi des nouvelles de Carlsbad ; elles son):
conformes, non seulement à mes désirs, mais aussi à
mes conjectures et à mes pii^ictions. Or, voua savez
que l'orgueil de l'esprit est plus fort en nous que le con-
tentement du coeur: et que, par conséquence, l'homme
est plus flatté d'avoir deviné un malheur, qui arriverait
ensuite, que de s'être trompé et de l'avoir évité. Hor-
rible constitution de l'homme, qui fait qu'un médecin
est capable de tuer son ami pour n'en avoir pas le
démenti, qu'un général perd exprès une bataille don-
née contre son avis ! etc. Heureusement, pour le coup,
j'avais dit dans ma tête que le voyageur, en mettant
le pied sur son sol natal, guérirait '. Ainsi je suis
parfaitement content.
Caraccioli est à Sorrento. Je viens de marier deux de
mes trois nitces. La troisième, étant bossue, .sera bien
plus difficile à vendre. Si j'étais votre marchand de
toile, je pourrais l'escamoter contre la seconde que je
viens de marier, et qui est jolie. Vous voyez que je
fais comme l'Avocat Patelin : j'en reviens toujours à
mes moutons; laissons cela.
Vous pouvez imaginer & quel point le soin de deux
mariages m'accable, étant seul dans un pays oii on ne
finit rien, et où on doit s'attendre toujours à des sur-
prises et à traiter avec des marchands de toile. Me
voilà encore à mes moutons,
1. D «'agit da Grlmm.
jbïGoogIc
3W LETTRES DE GALIA.M
Ah çâ ? porlez-YOus bien. EmbrasBez-moi le voya-
geur, r&Iné des revenants. Ab I que son exemple
m'aiguillonne! Attendez fue j'ai balayé de femelles ma
maison. Adieu.
Mais voyez de grâce cette toile : n'estrelle pas détes~
table? Fil le vilain escamoteur! Adieu.
Naplo, II leplenibre Wi,
Votre lettre, ma belle dame, j'en conviens, m'an-
nonce les nouvelles les plus grandes et les plus inté-
ressantes; mais je vous en donnerai aussi, de mon
côté, qui ne sont pas de paille. Je viens de me défaire
de la toile de coton pour soiiaote Trancs, C'est pré-
cisément la moitié de ce qu'elle m'a coûté. Je vous
en instruis à telle lin que de raison, en cas que l'on
condamnât l'escamoteur.
Nous avons exilé la belle madame Goudar'; cet exil
. Halame Goudar (Sarsli), célèbre par &b beauié et par ttt
étsil la femoK.' d'Ange Goudar. lilléraieur, auteur de
jbïGoogIc
LETTRES DE GALUNI 3U
vaut bien celui d'un cbancclier '. Enfio, demain, od sigoe
le contrat de ma nièce la cadette. Voilà des nouvelles
aussi importantes que les v6tres, esceplé celle de votre
colique, qui m'intéresserait le plus, si vous ne m'aviez
prévenu que vous y êtes fort sujette depuis quelque
t£mps.
Enfin H. Turgot est contrAleur-générai. I) restera
trop peu de temps en place pour exécuter ses systèmes.
Son administration des finances ressemblera à la
Cayenne de son frère <. Il punira quelques coquins ; il
pestera, se fftchera, voudra faire le bien, rencontrera
des épines, des difficultés, des coquins partout. Son
crédit diminuera; on le détestera; on dira qu'il n'est
pas bon à la besogne; l'enthousiasme se refroidira; il se
retirera, ou on le renverra; et on reviendra une bonne
fois de l'erreur d'avoir voulu donner une place telle
fSipion chjnojf, j'£ipi<m /Vimpatt, etc. Pendant un séjour k
Naplss, il écrivit un ouvrage Intitulé : Napitt, ce qu'il ftiut faire
pour rendra et jtayt jlorùianf. (Venise, 1771, in-6°,| Cet ouvrage,
qui était une violente satire, ttl sensation à Naples, lor» de sa
publication ; mais au l>oul de quelque temps, le ministre Tanuflci
flt lirAler l'ouvrage de la maja dn bourreau et eiiler l'auteur.
Madame Goudor s'occupait aussi de littérature; elle publia aes
œuvres mêlées en 1777.
1. Le chancelier Haupeou avait été eiilc le 2t août.
3. Targot (Et.-Pr, dit le chevalier) [17Î1-1789], frère du ui-
ulsire. Il Fut gouverneur de la Gu^iane française, qu'il tenta de
coloniser, saiu y réussir. El eut avec l'iDienditiii Clianvallun des
démêlés qui le conduisirent en prison; il finit par se vouer
eiclusifemtnt aui sciences.
jbïGoogIc
346 LETTRES DE GlLIANl
que la aiemie, dans uqc monarchie tellu que la vAtre, à
un homme très vertueux et très philosophe. La lihre
exportation du blé sera celle qui lui cassera le cou ;
souvenez-vous-en.
Pour M. de Sarline', il tombe plus heureusement. II
ira, s'il succède à M. de la Vrillière ', renconti-er la
partie la plus saine et la mieux arrangée de la France,
et je dirai même de l'Europe; il y a eu grande part.
Je veux dire la police intérieure, les beaux-arts, etc.
Il y restera longtemps, il y sera béni, adoré, et s' il sait se
préserver du désir de passer outre à la chancellerie, il
sera le héros du règne actuel. Telles sont mes prophé-
ties. Adieu, je vous quitte. Portez-vous bien.
1. M. de Ssrtine remplaça Turgoi comme secrétaire général de
la marine.
i. yi. de la Vrillière (Pbelippcaux, comte de Saint- Florentin], tut
remplacé au ministère par M. de Maleshcrbes. On Qt sur lui
cette épigramme en farine d'épilapha :
Ayant poriû iroli noma aut9 en laisser aucun.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIAKt
K LA HÉME
HapUs. u seplcmbre <7)t.
Votre lettre du S oe vaut pas le diable, je vous en
avertis. Vous y 6tes tnalade, souffrante, eiirliuuiéc, etc.
Votre secrétaire s'est doimé une eotorac, et vous êtes
Gondamaée à écrire malgré vos souffrances. Cela œo
f&cbe sérieusemeat, et je n'ai pas besoin de ra'afiliger.
Je suis ennuyé, obsédé de soins désagréables, et l'en-
nui vaut presque autant que les souffrances.
Je n'ai pu m' empêcher de rire eu voyant la peine
que vous vous donniez pour une secoadc lettre de
change parvenue dans vos mains. Vous vouliez me la
renvoyer; vous m'assurez, sur votre conscience, l'avoir
brûlée. Tranquillisez-vous; on ne renvoie pas les se-
condes lettres de change; on ne les brAIe pas; mais
on s'en , car elles ne servent de rien
lorsque la première est acquittée. Je sens ma supériorité
d'intelligence sur vous, en faitde commerce, depuis que
je suis conseiller.
Je savais la haine de Turgot contre mes Dialogue* ;
jbïGoogIc
348 LETTRES DE GALIAHI
ils lui deviendront bien plus odieux lorsque cette
maudite exporlalion l'aura culbuté; attendez.
Dieu vous préserve de la lilicFté de la presse, établie
par édit. ttien ne contribue davantage à rendre une
uatioD grossière, détruire le goût, abâtardir l'élo-
quence et toute sorte d'esprit. Savez-vous ma définition
du niblime oratoire ? C'est l'art de tout dire, sans être
mis à la Bastille, dans un pays où il est défendu du
rien dire. Si vous ouvrez les portes à la liberté du
langage, au lieu de ces cbets-d'œuvre d'éloquence, les re-
montrances des parlements, voici les remontrances
qu'un parlement fera : Sire, vous êtes un t... j. f.
Au lieu de ces chefs-d'œuvre de polissonnerie du
jeune Crébiilon, on verra dans un roman un amant
dire à sa dame : Je voudrais, mademoiselle, vous.
Fi ! l'horreur !
La contrainte de la décence et la contrainte de la
presse ont été les causes de la perfection de l'esprit, du
goût, de la tournure chez les Français. Gardez l'une
et l'autre, sans quoi vous êtes perdus. Une liberté
telle quelle est bonne : on en jouit déjà. Elle doit
exister par le fait, et ne doit être fondée que sur les
vertus personnelles du ministre tolérant et magnanime.
Par là, là nation chérira davantage le ministre qui
pardonne, loi-squ'il pourrait sévir. Si vous accordez,
par un édit, la liberté, en n'en saurait plus aucun gré
BU ministère, et on l'insultera, comme on fait à Lon-
jbïGooglc
LETTRES DE GALUNi 318
dres. la natioa deviendra aussi grossière que l'anglaise,
et le point d'honneur (l'honneur, le pivot de votre
monarcbie) en souffrira. Vous serez aussi rudes que les
Anglais, sans être aussi robustes; vous serez aussi
fous, mais beaucoup moins profonds dans votre folie.
Bonsoir.
Je suis ravi de la destination du chevalier de Clermont
Ici ' : rien ne pouvait, qlu^ que cela, me dédommager
de la perte de M. de Breteuil. Sa femme ne me regarde
pas. Je n'ai plus de dent.'< pour des choses aussi cro-
quantes. Ella trouvera ici de quoi bouder à son aise;
maïs, pour lui, il est tellement mon ami, je l'aime si
tendrement, que je regarde comme un vrai bonheur
pour moi de le posséder ici : tâchez de le lui faire
savoir par M. de Sartine.
I. Le marquis de Clermont venait d'être désigné pour rem-
placer M. de Breteuil comme ambassadeur à Naples. Il éloit fort
aimable et irês ban musicien-
jbïGooglc
LEtTRES DE SALlAHl
DE BOMBELLES
Nuples, S oolobre mi.
Bonjour, iDoa cher ami.
A qui vous avisez-vous d'écrire el d'envoyer des
lettres? Ne savez-vous pas que l'abbé Galiani est mort,
ou, pour mieui dire, qu'il s'eat donné la ntorl par
1. Inédile. L'autographe de csHe lettre se trouve à la biblio-
thèque jiubliquc (le Rouen; nous en devons la communication à
l'obligeance de M. Bachelet, conservateur. — Le marquis de Rom-
belles avait élé secrétaire du duc de !a Vau|iallcrc à Naplc», et
c'est pendant son sÉjourdans celte ville qu'il se lia avec Galiani.
Il allait beaucoup dans la société napolitaine. La princesse de
RelmoDlc, la comtesse Orford et ladj HamïltOD le compinieal
parmi leurs plus lldéles ; il passait mÉme pour fort empressé
auprès de lady Hamiiton : u Nous sommes allés ce soir cbeï lady
Hamilton, dit madame de Saussure, le doui el alTecté Bombelles
lui en contait. . . s El quelques jours après : u Nous avons été chez
lody Hamilton, parée et languissante ; Rombelles, penché vers
elle d'un air petit maître, lui contait ses amours qu'il aiTectait
de cacher sous un air de rudesse, b Le marquis de Bombelles
fiit plus tard ambassadeur en Portugal. Il racontait nn singulier
souTeuir de son séjour i Lisbonne : n Le marquis de Bomtwlles
m'a tait la description de deux robes à panier qu'il * vues
porter i la reine. Sur l'une, on avait repriisenlé en hroderiei
une espèce de péristyle dont les deux colonnes Auivaieot la
direction des jambes, surmontées d'un fronton, duquel tombait
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 851
ennui, chagrin, désolalion, on se jetant le premier
(nouveau Curtius), dedans ce gouffre immense qui
s'entrouvrit à la porte de Chiaja après votre départ
irréparable.
La divine lettre de l'incomparable Harécbal a pen-
sé s'égarer*. Personne ne l'entendait ici. Enfin, on
s'est avisé de l'envoyer à Panurge comme venant de
la main de son protecteur Gargantua. Et l'a lue cou-
ramment, et à l'instant a fait sa réponse dans un style,
qui, à la vérité, n'est plus à la mode, à moins que
l'Académie française ne le rétablisse, comme elle
parait vouloir très sérieusement entreprendre, s'il faut
en croire à la réponse donnée à Suard. Telle qu'elle
est, je vous l'envoie, et quoique ce ne soit point une
réponse directe, puisque c'était bien à l'abbé Galiaui,
et pas à d'autres, qu'on avait écrit, si vous voulez la
présenter au Marécbal ou la déposer au greffe de
l'Académie, faites comme vous voudrez, je vous en
laisse le cboix.
Que fait madame de Matignon? Est-elle toujours
une camde de gize d'nrgcnt ; l'autre, reprÉsenUnl Adam et Ëvc
au milieu d'uD arbre de la science du bien vl du mal, et le ser-
pent qui y grimpait en tvimonlant len le sommet. » (Mémoires
du baron de Glelcben.)
1. Le marécbal de Briasac venait il'écriru à Gatlaoi une lettre
u> lieui rranE«is, comme il aiait coutume de le raire ; il. s'élait
servi de l'intermédiaire de H. de BombeUes pour Tain parvenir
M lelUe.
jbïGoogIc
35S LETTRES DE GALUNI
désolée ' ? Son enfant se porte-t-il bien? Irez-TOus à.
Vienne? Viendrez-vous pour condaviste k Rome'f
Répondez^moi raille choses. N'est-il pa5 indigne qu'on
donne la mort aux rats à un Pape? Qu'on empoi-
sonne un souverain pontife, c'est tout simple, tout
naturel, je n'y trouve rien à redire. Hais il y a des
poisons pour tous les rangs, et le père Ricci, qui en
avait un cabinet et une suite complète, pouvait choisir
quelque chose de plus dispendieux. Enfin, j'en suis
furieux contre- lui. Il a dégradé le Saint-Siège, et
insulté la grandeur souveraine. La mort aux raU n'au-
rait pu se donner tout au plus qu'à un gardien de
capucins. La donner à un Pape! fi la vilainie * I
1 . Madame de Haiigaon veniil de perdre son mari ; ks regrcU
De paralsKnt pas aToir été de longue durée. Il est souvent
question d'elle dans les mémoires du temps : ■ Elle est toute
gracieuse et toute charmanie. Mariée à quaione ans, elle futmère
i quinze. Elle est d'une élégance achevée. Elle a tait un marcbé
de Tingi-quatre mille livres avec BauUrJ, moyennant quoi il lui
rourait tons les jours une collTure nouvelle.! [V^motru de ma-
dame d'Oberkirch.) Elle aimait quelque peu la toileile, car on
raconte qu'elle alla jusqu'à payer une robe 600 livret de renies
viagères i sa couturière I
3. Le conclave se réunissait pour élire un pape en remplace-
ment de Clément XIV, qui venait de mourir.
3. Gallani dit IrËs nettement que le pipe a été empoisonné et il
ajoute fort plaisamment que le père Ricci, supérieur général de
l'ordre des Jésuites, aurait bien dû choisir un poison plus dis-
tingué. Notfe abbé détestait tes jésuites et son accusation perd
ainsi beaucoup de u valeur. Voici ce qui s'était passé: En 1769,
après l'expulsion des jésuites de France et d'Espagne, Louis XV et
jbïGoogIc
LETTHES DE GALIANl 353
Bonsoir, mon ami. Vous voyez que j'ai niis un jour
entier à vous écrire, car j'ai commencé par bonjour,
et je finis par tous souhaiter le bonsoir. Présentez
mes respecte à notre incomparable ambassadeur.
Aimez-moi etadieu.
L'ombre de l'abbé Galianï.
Chirles III demandèreat rormellement au pipe la suppression de
la SociélË de Jésus. Clément XIII mourut dans la nuit qai pré-
cédait le Consistoire où l'on devait traiter la question (1769). On
choisit pour le remplacer le cordelier Ganganelli ; c'était un
bomme instruit, tolérant, plein d'esprit, et qui eliercha immé-
diatement à gagner du temps. On prétend que les prédictions de
mort pleuvaleni autour de lui, et qu'il tut menacé du poison, al
sa décision était contraire aui jésuites. Pressé par les instances
de la France et de l'Espagne, le pontife dut enBn sa décider, et
le 30 juillet 1713 paraissait le bref d'abolition de la Société de
Jésus. Quelque temps après. Clément XIV mourait dans de
cruelles souOïances. Beaucoup prétendirent qu'on lui arail donné
de Vaqua toftina. Le cardinal de Bcrnis, notre ambassadeur à Rome,
écrivait : ' Le f^enre de maladie du pape, et surtout les circon-
stances de sa mort, font croire qu'elle n'a pas été naturelle...
Les médecins qui ont asaisléà l'ouïerturedu cedaïres'expliquenl
avec prudence et les chirurgiens avec moins de circonspect ion. >
(Dépêche de Bernis du 28 septembre.) Un grand nombre de
personnes, et parmi elles le ministre TanuccI, n'ont jamais cru
à un empoisonnement ; mais on a supposé que le pape, qui
craignait pour sa vie, arait abusé des contrepoisons, au point
d'en être victime.
jbïGoogIc
LETTRES DB Q4LIA.m
LR HARÉOHAL D£ BRISSAC <
Gouverneur de Paris, etc.
Niplea. octobre trii.
k très bault, très preulx et très vaillant chevaliw,
monseigneur le géant Gargantua, duc et pair, grand
1. feaU-Paul-Timoléon de Cossé-Brisiac (I698-17S4), devint
maréchal de France en 1T68. C'éUlt uoe des figures les plus ori-
ginales du iTiii* Biècle. Le baron de Gleichen, dans ses Souve-
niri, donne du maréchal un portrait bien vivinf. Nous le lui
empruntons : s Jamais ridicules n'ont été respectés en France
comme ceux du maréchal de Briasac. Ils étaient vraiment r^s-
(KCtables, car ils anieni les grâces de la naïveté, le charme du
romanesque et le mérite d'une réalité aussi estimable (Qu'extraor-
dinaire. Son s^le gaolois, ses phrases amphigouriques, ses bas
ponceao roulés, sDn juste-au-corps à grands parements, bou-
tonné ; \ei deux petites queues qui terminaient sa frisure
exhaussée, tout cela allait parrailement i l'air de son àme. De
loin, on croj'ail voir un vieux fou; mais de près, c'était un
homme du temps des Bayards, et ce qui rendait son héroïsme
complètement aimable, c'est que les (ormes de sa vertu étaient
assez grotesques, pour ne pas trop humilier l'amour-propre de
ses contemporains. On voulait un jour l'engager, par la crainte
de déplaire à la cour, i une condescendance équivoque; il ré-
pondit ; a J'ai tous les courages, hors celui de la honte. > Dans
sa jeunesse, ayant pria querelle avec le prince de Conli au sortir
de l'Opéra et proposé de se battre avec lui, il fut mené i la
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIi.NI S&5
fouaccier de Praace, portant baston fieurde isé, gou-
verneur de tous francs bedaults, saiges et fols, gsDs
d'esprits et sots, Bilans ou manans en la bonne ville
de Pftris, le très féal, très loyal serviteur Psnurge
envoyé salut, allégresse et joyeuU contentement.
Vos très honorés pères, ayeulx et encestree de toute
mémoire ont esté, monseigneur, de ce sens que des
batailles par eux consommées ont plus volontiers érigé
trophées ë« cœurs des vaincus qu'es terres par eux
Conquestées : car plus estimaient la souvenance
Bdcquise par libéralité, courtoisie, franchise, mansué-
tude, que par célébrité de fracas de harquebouies,
Ihulconneaulx, arbalestres, coulevrines et bombardes,
dont il advient maintes fois grande destruction et
doléance. Vous avez, monseigneur, ouUrepassë vos
encestres tiur ce poinct, et plus avez soubmis de coeurs
par incroyable débonnafreté et aifable gentillesse, en
pleine paix, que n'en avei déconfits et transper-
cés par coups et main revers de brand, estoc,
Bastille. Pour en sortir, il devait faire des excuses i ce prince
dtTBDt loute la cour. Ses parents «ureat bien de la peln à l'y
résoudre; enûn. il promit d'obérr au roi. Arriré dans la galerie
de Versailles, il s'auproeha du prince de ComI et It lui dit : i le
rtti m*a ordoiné de vous dHnutder paf4on : je le Ms ; SMis
vous pouviei ïous faire lionueur à meilleur marché, car. en
Térll£, je ne rous aurais pas lue. ■ On le ramena à la BasUUe ;
U guerre iutu survenue, il fat envoyé h aon régimeol et on
n'en parla plus. ■ [Souvenir* du baron de Glelchen.) Voir l'ap-
pCBdice XV.
jbïGoogIc
356 LETTRES DE RALIAHI
cimeterre el pertuisaiinc, et par proJisses de votre
espouvantable bracquemart en guerre liorrifîcque, dont
facilement je m'advise n'y avoir jamais eu es aages
dépassés ung plus chevalereux priuce, ny ung plus
guallant homme de vous, ny plus enclin et dispos à
toute honesteté gracieulse.
J'apprends par votre briefvc et joyeulse lettre à feu
l'abbé de Galiani, de piteuse res^ulvenance, que vos
soixante et seize ans vous pèsent. Certes ils sont
griefs et lourds en fait : mais j'espère, par grâce et
opération de la dive bouteille, dont je rafraîchis le
vœu touls les malins à jeun, qu'il vous sera licite
et loisible de passer franchement oultre jusqu'à cent,
et conserver votre vieillesse chenue, vivant quoy et
joyeulx sans engendrer oncques melancholie, voire
entre nopces, banquets et festins, blanches fraîches
joues pleines de salacité et lascivie, tétons mirifiques,
poussants et promouvants, convoitise impudique, comme
il convient à guallant et magnanime chevalier. Et s'il
vous advient, par rencontre avecq cettui train de vie là,
de rester sans sou ni maille, n'en soyez ja peiné ni
marri, car ung noble prince n'a jamais un sol.
Thésauriser est faict de vilain. AdoDcques l'estat au-
quel vous êtes en ce moment, s'il vous consent
encore de grimper soubdain ù vos entreprinses amou-
reulses, si n'y faites point de faulte d'icelles con-
sommer; car ce serait grand dommaige, même gros
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIAMI 357
vitupère et déshonneur pardevaut belles dames de
hault lignage, scabreuses et prudes, qui fout la
chattemitle.
Ce paovre diable d'abbé Galiani a défailli de vio
corporelle, comme bien miculx vous scavez par force
d'enauy, eu son terrouoir natal, où chacun vit dans
sa chacunière en mortelle et horrible fainéantise,
n'estant employé à chose aulcune faire louable et
vertueuse. Jeunes fillettes et mignonnes gualoises ont
regretté, par triste et lamentable complainte, soit trépas.
Que par l'épine de saint Fiacre, Dieu lui pardonne ses
péchiez ! Voire ît vous aimait bien de tout son cœur :
dont j'afQrrae qu'es temps prétérits, personne vivante
ne vous aima oncques davanlaige. Par quoy il nous
fault penser qu'il vous cogneust merveilleusement,
et vous prisait à bon escient comme le meilleur de
ses amis. Aulcunement ne fault adviser qu'il eust
défailli d'estre vostrc serviteur en toute loyaulté et
soubmission sempiternelle.
jbïGoogIc
LKTTBES DE flALUNI
A MADAME D'ÉPtNAY
Jamais les retards de la poste, ma belle dame,
)i 'avaient tourmenté mon Arae autant que cette fois ;
cdOi) deus de vos lettres sont arrivées, et Magallon,
qui m'a écrit aussi, me parle de votre santé. Je ne
Euis point tranquille ni gai sur ce point. Je ti'aime
pas plus les vents que la pluje. L'année passée c'était
do l'eau qui m'incommodait, maintenant ce sont des
vents. Tranquillisez-moi.
Je n'ai pas le temps de vous écrire ce soir, ni celui
de vous amuser d'une autre taçon, qu'en vous en-
voyant la copie d'une réponse qu'il m'a fallu donner à
une lettre du maréchal de Brissac, écrite dans son
style très original, que vous connaissez fort bien; il
me l'a fait parvenir par la voie de M. de Bombelles.
Comme ma réponse, apparemment, vous serait restée
inconnue, je vous en envoie la copie pour vous divertir.
Bonsoir,
jbïGoogIc
Ï.ETTRES DE 6i.LIÀNI
A H. DE BOMBELLES '
Naplas, n octobre ITT*.
Très cher ami, votre longue, amicale et très aî-
niable lettre du 3S septembre exigeait une réponse
également longue, affectueuse et gracieuse; mais je
suis, ce soir, eu colère de n'avoir point reçu par la
poste de France un paquet de 200 livres et de ne
pouvoir tirer un sol de mes abbayes ; enfin je viens
d'écrire des lettres foudroyantes à mes débiteurs.
Voyez à quel danger d'impolitesse involontaire vous
âtes exposé. Le temps me manque; ainsi ma lettre
ne sera ni longue, ni affectueuse, ni gracieuse; elle
sera ce que Dieu voudra : commençons.
Militemi est parti, il y a buit jours, pour aller
prendre le commandement de l'armée en Sicile, sous
les ordres du nouveau vice-roi. Tout y est do la plus
grande tranquillité, de sorte qu'il s'en tirera avec
t. Cette lettre ■ élé écrite en italien. Ceit U traduction que
jbïGoogIc
360 LETTRES DE GALIANI
honneur. Il ne se mariera pas, parce qu'il a des
neveux; et déjà il en a placé un petit dans les troupes.
A la première promotion, il sera lieutenaot-général.
A dire vrai, il mérite c«tte fortune par l'extrême
honnêteté de son caractère.
Caraccioli est parvenu à désenfler ses jambes en
faisant usage de vin ferré ; et, quand il mange peu,
il se porte très bien, et assez mal, quand il mange
beaucoup; mais il faut convenir que très souvent il
n'est pas bien : il a une grande impatience de partir.
Ici la présence des souverains et de la cour lui laisse
très peu de chose à faire.
On m'a dit hier que non seulement notre Fuenlès
se portait bien, mais qu'il s'occupait de ses affaires,
de sorte qu'il a arrangé celle qu'il avait avec la maison
de Monteleone. l'en suis charmé, et je lui écrirai
mardi.
J'ai toujours eu la plus haute estime pour Turgot;
s'il reste en place, il prouvera ce qui, jusqu'à ce
jour, était problématique, qu'un parfait honnête
honmie, tout vérité, tout raison, tout philosophie,
peut être coalrôleur^énéral. Je suis de ceux qui
doutent de cette possibilité, et j'ai conçu une haine
et un mépris si grand pour le genre humain, que
mon cœur, tout en faisant des vœux pour lui, ne
peut s'empêcher de trembler et de battre quelque
peu.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIÀNI 361
J'ai lu l'édit ' ; je D'y ai rien trouvé qui contrariât
en rien la moiudrs phrase de mes Dialogues tant com-
battus. Pourquoi donc dit-on du mal de ces bienheu-
reux Dialogues, si l'on en suit toutes les maximes et
tous les principes? J'ai été le plus ardent prédica-
teur de la liberté de la circulation intérieure. J'ai dît
aussi que l'exportation devait y être subordonnée.
Pourquoi donc dit-on chez Turgot que mon livre est
dangereux. Demandez>lui hardiment à lui-même, si
vous le pouvez, qu'il veuille bien m'édaircir cette
énigme qui me tient au cœur. Demandez-le lui de la
part de son meilleur ami cl de H. son très digne frère.
Mes nièces n'étaient pas le seul obstacle qui me
retiut loin de Paris. Je ne désespère cependant point
qu'il ne naisse quelque occasion de me le faire revoir,
tfais que verrai-je t Je verrai une Pouzzole, une
Herculaaum. Je verrai les lieux où étaient mes amis.
La mort ou les voyages les auront presque tous dis-
persés, et je pleurerai sur les ruines dâ Jérusalem,
comme un autre Jérémie. Vous aussi, vous vouiez le
quitter. Quitter Paris ou la vie, c'est tout un. Ce sont
toujours DOS plus chers amis qu'il taut quitter. Du
1. Un arrêt du Conseil du 13 septembre 1774 rétablissait l«
pleine lilwrté du commerce des grains à l'inlérieur cE révoquait
les rèBlerocnU restricliEi renouvelé» par l'erray en décembre 1770 ;
mais ie roi sjoumait la liberté de 1h vente hors du royaume
juaqu'k ce que les circonstances fussçnl devenues plus Tavorables.
JbïGoOgIc
36S LETTRES DE GALIANI
reste, c'esl un \ilain pays que Paris, comme c'est
aussi uDe chose bien dégoûtante que ce 1>od monde,
où l'on n'a que de la pluie, du v^t, du chaud du
froid, de la puanteur, des insectes et des fanges de
toutes les espèces.
Madame d'Ëpinay a calmé un peu cette semaine
l'inquiétude qu'elle-même et vous m'aviez donnée sur
l'élat de sa santé. Laissons faire à Dieu, et pourvu
que je ia retrouve à mon retour à Paris, je serai
comme oet antiquaire qui, voyant le Panthéon à Rome,
s'écria ; « Foj'ià un monument assez bien conservé*; o
et se consola des ruines du resl«.
Je voudrais vous dire cent autres choses, mais il
est tard, et je dois vous prier, avant tout, de pré-
senter mes respects à M. d'Aranda, et de ne pas oublier
nos amis, d'Holbach, Necker. les philosophes et même
les écoQomistes qui parlent Irançais. N'oubliez pas
l'aimable duchesse de Cossé et le grand maréchal de
Brissac. Si vous voyez le comte ou la comlessse de
Narbonne-Pelet ', qui demeure rue de la Planche,
assurez-la que je pense toujours à elle. Aimez-moi et
croyez-moi tout à vous.
1. Le comte Louis de Narbonne, chevalier d'honneur de ma-
dame Adélaïde, lanie du roi, homme irËs remnrqnable par sa
grâce et par son esprjl. Madame l'aimait beaucoup, et lorsqu'il
sollicita l'ambassade de Russie en 1784, elle appuya sa demande
avec chaleur; mais son concurreul, le jeune comte de Ségur.
l'emporta.
jbïGoogIc
LBTTRE3 DE GAITANI 3U
P. S. ATez-vouB fait quelque chose pour le pauvre
NicolaTt t'en ai causé ici trait Toia avec Cwaocioli,
et nous ne trouTons rien.
\ MADAME a ÉPINAY
C'est cela qui s'appelle de belles lettres, ma belle
dqipe, et bien sublimes ! Vous êtes debout, vous
n'étouffez plus, vous êtes donc soulagée, quoique
vous n'en disiez mot : celte réticence est sublime?
Les grands et petits philosophes vont arriver. Ils ar-
rivent précédés de squelettes, de domipos et de pan-
toufles. Quelle profondeur! quelle sublimité! J'en-
tends. Le philosophe dit par le domino, que le monde
n'est qu'une mascarade ; par le squelette, que la mort
démasque tout, et par la panloufle, qu'il n'y a de
vrai, de solide, de sérieux dans !e monde, qu'une jolie
pantoufle d'une jolie femme. Tous les anciens sages
ont parlé par rébas. Embrassez donc bien fort de ma
part tous ces revenants. Vous aurez eu par surcroit le
baron de Gleicben; embraisez-le de ma part aussi.
jbïGoogIc
36* LETTRES DE GALIANl
et dites-lui que j'ai reçu sa lettre, et que je lui ré-
pondrai samedi prochain.
Si vous Jic me dites pas le nom du voyageur, je ne
saurai jamais s'il a rempli sa commission ou non, 11
y a eu ici un abbé, ami de d'Alembert, qui m'a cher-
ché sans me trouver, et qui s'en est allé vite à Rome
voir mouler un pape. Serait-il le voyageur en ques-
tion? S'il l'est, il a oublié la lettre dans sa poche.
Pour ma toile de coton, j'ai enfin décidé de traiuer
cet hiver, le mieux que je pourrai, eu rapetassant
mes vieilles chemises. Au printemps, vous aurez
M. de Ciermont d'Amboise, qui partira pour venir ici
jouer le rAle d'ambassadeur. C'est à lui que vous don-
nerez )a pièce, et je l'aurai sans frais et sans escamo-
tage. N'ai-je pas bien pensé? Je suis sublime aussi
quand je m'en m6Io.
J'ai marié deux de mes nièces, c'est vrai ; mais je
De les ai pas encore dotées, voilà le diable; et voilà un
reste bien considérable d'ennuis et d'embarras qui me
retiennent ici, ut me retiendront tant, que j'arriverai à
Paris au moment précis qu'on brûlera, par la main
d'un boulanger ', les Ëpkémérides du citoyen, par
décret du parlement '.
1. Pertlsan de Boullaoger. .
2. Il élait difficile de mieui prévoir l'avenir; en 1776, après
la cloute de Turgot, non seulement on lupprima les Ephêmèriies
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 365
Relisez mes lettres; voyez si votre maladie vous a
laissé des arrérages qui me soient dus. J'entends en
être payé et soldé, et j'ai un souvenir confus de vous
avoir mandé bien des choses.
Nous avons ici le duc de Luxembourg ' et la nièce
du cardinal de Bernis ' : je suis toujours avec eux, et je
rappelle Paris à mon souvenir. Caraccioli a décidé son
départ dans un mois d'ici; il emportera des jambes à
vendre à Vestris. C'est une bonne manufacture de
jambes que celle de Naples; mais les têtes qu'on y
travaille ne valent en général rien: elles sont laides et
creuses. Adieu. Bonsoir.
du cilov«», mais encore les auleun de ce recaeil, les abbés Bau-
dean et Roubaud fureol tralaés en juitice et eiilés en provlnce-
1. 11 se St remarquer plus tard comme nicmbre des Emis gé-
nërsni. ■ Né avec de l'esprit, de la grflce, de l'aoubilité, un
penchant marqué pour la paresse, pour les choses eitraordinaires
qui ne gênent pas, il arail une hauteur difficile à allier avec la
connaissance des hommes et des choses. > [Galerie des Elats
générauT. Laxem.)
i. Marie-ChrisiiDe-.Tbérèse, Qlle de Claude de Marbanne-Felet
et d'Helène-Franfoise de Pierre de Bernis, épousa le loerquis
de Puy-Uontbnia, mestre de camp de cavalerie. Elle éialt nièce
par sa mère du cardinal de Bernis, ministre des aCTaires étran-
gères sous Louis XV. Elle a écrit sous la dictée dn cardinal le
manuscrit des mémoires de celui-ci.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIAME
naples, ig novembre ITTI.
Je De doÎB donc, ma belle dame, toos parler que de
lui '? A-Hl vu notre aim&ble prioce de Sase-Gotha?
A-t-il lu la lettre par laquelle je l'ai remercié de la
médaille d'or qu'il m'envoya? Qu'a-f-il fait dans ce
triste nord? A-t-ÎI assuré son état avec de bonnes pen-
sions et de légères correspondances ' ?
Caraccioli dit qu'on ne Tirera rien de ces deux voya-
geurs, car l'un dira ce qu'il n'a pas vu, l'autre ne dira
pas ce qu'il a vu ; et je crois, ma foi, qu'il a raison ' î
1. Grinm.
3. Grirom resU en correapnadance ivee llmpératriee Csibe-
riae pendant viagt-deui ans.
3. GriinmetDiderot revenaient de Russie, comblés des préscnl»
de limpéMlricB. L'un et l'autre étaient ravis de leur voyage.
I M. Grimm est de retour, écrit madcfflotselle de Lespi nasse,
Je l'ai accablé de questions. Il peint la czarine, noD pas comme
une souveraine, mais comme une femme aimable, pleine d'es-
prit, de saillies et de tout ce qui peut séduire et charmer. Dans
tout ce qu'il me disait, je reconnaissais plutôt cet art charmant
d'une coartbane grecque, que la dignité et l'éclat de l'impéra-
trice d'un grand empire. Hais il noua revient tineautremonière
jbïGoogIc
LETTRES DE CALIANI 367
Mes Dialogues sont en vente? Est-ce qu'ils étaient
défendus? Vous m'encouragez à les achever. Rien n'est
si vrai qu'un dixième dialogue manque : maïs le moyen
de l'achever 1 Ma verve, mon esprit, ma force, mon
loisir, tout a manqué. Je ne vois qu'un seul moyen
d'ajouter quelque chose & une seconde édition ; ce se-
rait d'y insérer tous les articles des lettres que j'ai
écrites, relatives au même objet, à Suard, à Morel-
let, à vous, à M. de Sailine, et k bien d'autres,
dont je ne me souviens plus à présent. Je pour-
rais vous envoyer aussi une consultation que je lis,
pour la république de Gênes, l'année passée, sur la
même question de liberté d'exportaliou. Eniin, si avec
de vieilles productions de ma tête, il y a de quoi ren-
dre plus intéressant l'ouvrage, à la bonne heure I sans
cela, je ne vois pas moyen d'y rien ajouter. Si Merlin
avait payé, j'aurais plus de courage ; mais ce premier
d'un plus grand peintre, c'est Dideroi: il m'a fait dire que Je le
verrais demain : j'en serai bien aise. Mats dans la disposition
oii je suis, c'est rhonune du monde que je voudrais le moina
voir habituellement : il force l'attention et c'est assurément
ce que je ne puis ni ne veux accorder de suite il personne
au monde. ■ — •: A propos de Diderot, dit La Harpe, je l'ai
Ti] depuis son retour de Russie. Il ne tarit poiot sur les merveil-
les de ce pays et de In cour de Pétersbourg. 11 en parle i tous
cent qu'il rencontre, avant de leur avoir dit bonjour. Il pré-
tend que la tête lui aurait tourné s'il était resté plus longtemps
à Pétersbourg, « Je crois que j'ai bien fait, me dit-il de mettre
l'espace de CIX> lieues entre cette sublime magicienne et moi. ■
(La Harpe, Cor.Litt.)
jbïGoogIc
368 LETTRES DE GALIANI
malheur m'a tellement abattu, que jo ne trouve pas
de forces en moi pour m'occuper, dans un pnys où
rien ne m'électrise, à des études qui ne serviront qu'à
me faire briller dans un pays où je ne suis plus.
On a traduit ici, en italien, t'édit de H. Turgot ',
et on l'a imprimé à cdté du teste, avec une dédicace
au nouveau vice-roi de. Sicile. Cela fait une pièce tout
à fait curieuse. .
Caraccioli partira dans quinze jours. Il emmène avec
lui des excellents chevaux napolitains; il les a préférés
aux hommes avec raison. Le duc de Luxembourg par-
tira de même, saoulé de nos dames ; il les préfère de
même aux hommes, et avec raison.
Moi. je reste tristement occupé de recouvrer le bien
de mon frère, de le partager à mes nièces, et de juger
des procès. Quelle vie! vous n'en avez point d'idée.
Aimez-moi, ma belle dame; je ne suis bon à rien ce
soir. Vous te voyez. Point de vos lettres cette semaine.
1. Voir la lettre du 99 ociobre 1774.
jbïGoogIc
LETTRES DE GàLUNI
A LA HÈHE
Niiples. 10 décembre lit*.
Peste soit de t'Allemaud M II est doac toujours
ivre? Toujours? Et ne voit-il pas qu'avec ses propos
bêtes, de retour et de Douveaux voyages, il vous em-
pêche de vous bien porter, selon mon ordomiancc.
Enfin, ma belle dame, prenez patience; attwdez qu'il
ait cuvé son Nord. Lorsqu'il sera rassis, je me llattc
qu'on se frottant les yeux, il dira : que j'étais ivre !
Vous prétendez de moi qu'après une lecture profonde
de Rabelais, je sois décent dans mon style. Y songez-vous?
N'avez-vous jamais lu Rabelais ■? Eli bien, lisez-le
donc, et covoyez-lc parcourir aux commis des postes.
A propos de Rabelais, je suis enchanté que la copie de
ma lettre à Gargantua-Brissac vous soit parvenue, car
je crois l'original égaré. Il est bon que vous sachiez
s. Voici ladèÛDiliuu nat un liste que Giliaol donnait de R
■ Il ressemble au c. d'un pauvre bonune, fral«, dodu,
sale et liieo porlanl. >
jbïGoogIc
alto LKTTftKS DK OALIAMI
que j'ai eavoyé ma lettre au diic de Briasac, incluse
dans celle que j'ai écrite & H. de Bombelles ',
qui était à Naples avec le baroQ de Sreteuil, et je n'ai
pas eu de réponse d'aucun des deui. La même chose
m'est arrivée avec M. le baron de Breteuil, à qui j'ai
écrit depuis trois mois, et point de réponse. T&clie£ de
connaître ce H. de Bombelles. C'est un très
aimtble garçon, d'un grand mérite, et digne tout à tait
d'être connu de vous. Madame Geoffrin vous en donnera
des tiouvelles. Tâchez donc de savoir s'il a reçu ma
lettre, et, en cas de désespoir, commuuiquez-Iui, de
gr&ce, ma lettre au maréchal de Brissac : tien ne dé-
sole autant qu'une lettre égarée.
Votre Erington, chargé du paquet pour moi, est
attendu d'un jour à l'autre. Ne soyez donc pas inquiète.
J'ai vu tout ce qui s'est passé au mémorable Ut de
justice ; Je ue sais pas ce qu'on en dira : pour moi,
j'y vois le retour des personnes, et je n'y vois pas le
retour de la chose '. On avait aboli un parlement, on
I. Voir lea lettres du 8 octobre 1TT4>
S. Feu de tein[M apiii son iiènement, Laait XVI dnt té-
Mudre la grave quesiion des pirlemeots. Kirdertil-il lei ptrle-
menls Haupeou on levleodrail-ll aui anciens parlements? Turgot
était pour le système Haupeon; Haurepas, au coo traire, qui vo/ait
que l'esprit pubilc y était opposé, persuada au roi le rappel des
anciens magistrats. Uais, comme le dit Galiani, c'était le retour
des personnes, non pas le r«tour de U chose, car on inpoaa
an parlement rappelé, à peu de cboses près, le régime de Hin-
peou. Le IS norenlm 11T4, Jour d« la rentrée unueUe des
jbïGoogIc
LETTRS9 DE GALIÂNl 31]
a rétabli un CSifttelet. S'ils sont justiciables d'une cour
de notables, ils ne sont plus une cour souveraine ; ergo,
etc. Biais je vois que dans ce monde, pour jouir de la
vie, il tàut s'occuper toujours des personnes, jamais
des choses. Les choses appartiennent à la durée des
temps, aux révolutions des empires, à l'histoire, et cela
ne nous fait rien du tout. Les personnes touchent à
la jouissance de l'individu dans le court espace de
notre vie; ainsi, puisque les personnes sont contentes
d'être rentrées d'une façon quelconque, soyons-en con-
tenir aussi.
Richard de Glaniëres a donc été morfondu par l'abbé
Badot ' . Ne craignez pas l'inondaliou des pamphlets :
nn s'en lasse. Le premier pas en avant que H, le
contrdleur-général voudra donner , on lui écorcbera
les oreilles à force de cria et d'un tintamarre horrible ;
et peut-être on l'épouvaDtera au point de le faire
reculer.
vacance*) le roi tint uo lit de justice et haraDgua les magiilrats
qui raTenalent. Les aucieDiiei magistralures furent rétablies.
Toute interruption de service de la pari du parlemeni datait
èlre considérée comme Torfoiture, et, dans ce cas, la grand
Conseil remplaçait de droit le parlement.
I. Richard des GlaDiËres arait publié uu plan d'imposition
économique et d'adminislralion des Finances, présenté à H. Tur-
got, 1774. Les Qnanclers, les fermiers géoéraui surtout, furent
exaspérés de ces plans. L'abbé Baudeau répondit par: QuettUm*
proposas à M. Richard d»* Glaitiérti tur tm plan soi-disant
éçoiumitiu.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIÀNI
Mon état ici est toujours le même ; très eoouyeux et
très occupé. Plaigaez-moi. Ce soir je ne vous en dirai
pas davaatage. Aimes-moi, et accoutumes>vous, comnoe
je fais, à n'aimer que les absents. Bonsoir.
A LA MÊME
Naple:, la vi
Votre lettre du 23 juillet, livrée à M. Ëringloo,
est enfin dane mes mains depuis trois jours. Soyez
donc tranquille sur un objet qui commençait à vous
tracasser l'imagination. Parlons d'autre cbose.
Si la cbaise de paille a le plaisir de voir descendre
à Paris le thermomètre autant qa'k Pétersbourg, il
peut donc y rester sans aller cliercher les frimas si
loin. Nous avons eu toutes les autres horreurs des
saisons, hormis le l'roid. Lorsque la paix est universelle
dans le monde (comme il arrive à présent par une
combinaison bien rare), c'estaux éléments à s'enireluer.
Il n'y a que Horellet qui guerroyé avec moi '. ie
1 . La réfulation de» ■ Diatogaei de Gaiiani lur h cotnmtrcv de«
(rJ« > veiMil de piralire. Oa »e rappelle que cette rituliUun,
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 313
serais bien curieux de voir son livre, si cela se pouvait
sans Irais de transport. Je gagerais qu'il me prële des
opinions que je n'ai jamais eues, pour les combattre
ensuite à toute force.
Savez-Tous que je reçois des compliments de toutes
parts, d'Italie, d'Allemagne, ete., sur ce qu'on croit que
M. Turgol a lire de mon livre tous les principes de son .
édit, et de ce qu'il en a adopté le système en entier,
d'encourager la circulation intérieure, et de ne s'occu-
per que de cela? Dites ce que jo vous mande, et qui
est très vrai, à Morellet, et voyez-le expirer de chagrin.
Je snis au désespoir d'oublier toujours ce que je
vous mande, et de n'avoir pas le t«mps de tirer une
copie de mes lettres. Parexemple.je n'ai rien entendu
à un reproche de polissonnerie, que vous me fîtes
l'avant-deniiëre lettre; et je n'entends rien à un com-
[diment, que vous me laites, sur ce. que j'ai écrit à
Hagallon ; je ue m'en souviens point du tout. .
J'attendrai le baron Bullo', et je lui rendrai les
soins qui dépendront de moi. Hais, de mon cAté, je
suis si occupé qu'il m'est impossible de S4^gner per-
sonne. Il liaut que je finisse. Adieu.
raaTTe de Horellet, avait été saisie en 17TD et déposée h la Bastille,
Le nonteau ministère aatorlia Morellel i mettre cet oairra^
en renie.
1. Probablement le baron de Buiow, publidste allemand dls-
liogué. Ses ouvrages d'histoire et de juriiprudence sont estimés.
(11*3-1810:)
jbïGoogIc
tETTRES DE GALIANt
A LA HËHE
lt«p!8S, 7 JsavJer MIS.
Parbleu, ma belle dame, quand tous tous en mêlez,
TOUS âtes sublime aussi dans Totre genre, qui est la
connaifisance de l'allure des hommes I Rien n'est si
rrai. Après avoir reçu votre erlngtonienne, la paresse
m'a pris : je n'ai point relu vos lettres et je me les
suis tenues pour entendues, quoique je n'y eusse rien
compris. A vous dire vrai, ce que vous mandez sur le
compte du Révérend Père, à qui tous faites jouer un
rô!e dans votre coterie, me parait sf peu assorti &
son ige, que je suis tenté de croire qu'il y a quelque
erreur dans la dénomination. A cela près, tout le reste
est comme je l'aTais préTu et mtoie prédit à vous-
même.
Ce que vous me mandez à propos de votre santé
est si réjouissant, si consolant pour moi, que tous ne
sauriez l'imaginer. Vous Toyez que tout mon Paris,
mon cher Paris, se trouTe réduit à tous lout« seule à
présent. Si je vous perdais, je perdrais Paris &a entier.
jbïGoogIc
LETTRES DE GAtlAifl 3»
Hais après tout c« qae vous avez souffert, et dans un
ftg« si critique, se bien pwter, m'assure eneore
quarante années de correspcnidanGe, et j'en ai assez
pour moi et presque assez pour tous.
Pour oe qui est de composer des dialogues, ne m'en
paries point à présent. II fout que Je sorte de mes
nièces et de leurs dots, au préalable. La chicane est
long;ue k Paris, étemelle h Naples. Cependant, comme
je suis d'une activité k morfondre l'éternité elle-mârae,
j'espère qu'an mois demai, je pourrai respirer ud peu.
A présent, je ne suis occupé que d'inventaires, ventes
de livres, tableaux, estampes, louages de maisons,
baux de petites terres, et de grands procès avec.
Plaignez-moi, je suis pitoyable.
Embrassez mon cher baron Kock, que je croyais
mort à Montpellier ; n'embrassez pas l'autre baron
Gleîchen, car vous vous y prendriez fort gauchement;
je ferai cela beaucoup mieux moi-même, l'année qui
vient. En attendant, dites-lui ■jncèrement que je ne
lui ai point écrit, de crainte que ma lettre ne s'égarât
k la poste, comme i| Ri'est arrivé avec celles au baron
de Breteuii, à M. de Bombelles et à bien d'autres.
Cela me jette toujours dans de telles rages, que je
perds le courage d'écrire à qui que ce soit. Au reste,
dites au baron que son vin de Lipari lui aurait été
envoyé, si son banquier de Venise avait remis ici
l'aident à D. Michel, ce que ledit banquier n'a point
jbïGoogIc
37fl LETTRES DE GAIIANI
l'ail ; pourquoi ledit D. Michel n'a point acheté Jcdil
vin, pour l'envoyer audit baron ; et n'ayant pas acheté
ledit vin, 11 aurait demandé audit abbé de Galiani la-
dite somme, que letlit abbé n'a pas pu lui prêter, et
pour cause. A ces fins, je suis d'avis que ledit baron
boive de l'eau de Spa en attendant, et achète son vin
de Lipari ù Napics, quand il y viendra.
Décrassez-moi bien ce russe ou rustre qu'il est.
Hemettez-le à la roue pour que tout le rouillé s'en
aille, et qu'il soit, comme il était ci-d<>vant, le plus
maniéré de tous les lamentins ',
Mille choses à mon excellent chevalier. Ce pauvre
prince laisse-t-il quelque espoir * ?
Aimez-moi, etporlez-vous bien. Caraccioli voudrait
trop guérir de ses jambes; mais à son itge, il Tant
songer à vivre, et pas à guérir. Adieu.
1. Il «'agil de Grimm. Pourquoi GalisDi le déwgne-l-il tinulf
Lanunttn ou Lameotin Mioatus, <le l'espa^ol lo manato, l'ani-
mal A maina, est atasi nommé de la ressemblance grossière de ses
membres aotérieurs avec des mains. On lui a donné rulgai-
rement le nom de siri'De ou remme marine.
3. PIgnalelli était dangereusement malade.
jbïGoogIc
LETTRES DE (iALUM
Hapl*!, u |nnvi«r tns.
Notre aventure est bien boone, notre bonheur est
sans égal. Votre n'OB, qui m'aurait effrayé, s'est égaré ;
le n'IOO, qui ine rassure sur l'état de volr«> santé,
est arrivé nain et sauf, et j'apprends que je ne dois
pas trembler, avant que d'avoir eu peur. Mais voiis,
auricz-vous peur, si je vous disais que j'ai un anthrax
très douloureux dans le bord des narines, qui m'a
causé trois fièvres, et qui me foit souffrir horriblement
ce soir?
l-c baron Bullo est ai'rivé, et m'a remis votre livn? ' :
I. Les Conv»nationt d'Émilit, pir madame d'Épinaj', publiées
pour ta première Toit en 1T74, Ce n'est qu'eo 17S3 que l'Aeadémle
rran{aise donna 1 cet onvra^ le prix d'utililë, fondé par H. de
Monthyon, alors chancelier de H. In corate d' Artois . L'impéralrlce
Catherine fui encliintée de ce livre, qu'elle nt traduire en ruise,
el elle permit qae, dans les éditions suivantes, il lui fût dédié.
Elle Toulat connaître, au moins par lettre, la iietite Emilie (plus
Urtt .madame de Buell], et cette correspondance devint l'origine
de la protection qu'elle accorda à la famille de Bueil pendant
l'émigration.
jbïGoogIc
ne tSTTBES DE GALIANI
VOUS ea Tondriez mon sentiment, je le vois d'id; mais
j'ai eu la fièvre, les feuillets n'étaient pas coupés, et
ils sont d'un papier très acariâtre. J'ai donc lu par
bouts et morceaux. Tout ce que je vous en dirai ce
soir, c'est qu'il m'a paru très original et très nouveau,
à cause du genre. |l y a une infinité de dialogues
didactiques, mais tous prennent l'écolier quelques tons
plus baut. Vous le prenez au bégaiement, pour ainsi
dire, ce qui n'avait été encore fait par personne ; mais
an fond, en touchant par le g, sol, ut, vous prenn la
base fondamentale de tout le savoir humain. Je vous
dirai aussi que vous avez élé furieusement aidée par
Emilie, qui a composé en entier son rdie, sans quoi
vous ne vous en seriez jamais tirée.
Je souffre ou nez comme un malheureux, ainsi je
vous quitte. Je ne souhaite qu'une douzaine de chemi-
ses de coton, par la voie de H. de Clermont. Nous
sommes entendus sur la qualité et sur le prix. Je
■ouifre. Bonsoir.
jbïGoogIc
L8TTRE3 DB GAtUNI
IfaplM, M juiTier nn.
Savez-Tous bieo, ma belle dame, que vous avez
pensé me.faira étouffer à force de rire. Si j'en étais
mort, Totre livre en aurait été la cause. Cette dixième
conversation est chose incroyable (car le mot ehef-
d^mtvre e»l trop avili). Emilie s'est surpassée ella-mAïQe
en contant ce conte des et puis. Mon Dieu, quel conte l
Ah ça, je rêve depuis quelques jours à décider à quoi
votre livre est bon, et je crois l'avoir trouvé. Je m'en
servirai comme d'une pierre de touche pour connaître
les hommes. Voici un échantillon de la table de ce
HPuveau baromètre.
Ceux qui diront que ce livre est bon, ntile. mats
i|U'on aurait pu le faire mieux, et le rendre plus
instructif, ce sont des têtes bornées, petits esprits
rétrécis.
Ceux, qui ne le goûteront point du tout,, ce sont dss
plate b , sans ftme ni coeur.
Ceux qui le UwiverODt parbit, ce sont des flatlMirs.
jbïGoogIc
380 LETTRES DE UALIANI
Ceax qui le trouveront d'une gaieté et d'uoe naïveté
originales, qui en étoufferont de rire, et qui ne le
trouveroul utile en rieo, parce que rien n'est utile à
l'éducation, attendu que l'éducation est en entier un
effet du hasard, autant que la conception, ce sont des
hommes sublimes, Diderot, Grimm, Gleiclien et votre
serviteur.
J'en étais là, lorsque votre n" i m'arrîvc. Il m'ap-
prend que votre état sera incurable. Tant mieux ! car
la mort est une espèce de guérison . Je ne demande
pas que vous guérissiez; je demande que vous
viviez.
Caraccioli se porte à merveille ; il s'est arrêté parce
que l'horreur du grand hiver lui a fait peur. Il par*
lira en carême ; en attendant, il verra si dans la pro*
motion il aura le cordon qu'il désire, quoique sans
impatience.
J'apprends le succès de votre livre, comme nou-
veauté. C'est une autre espèce de succès qui n'entre
pas dans mon tableau. Il prouve uniquement que
l'ouvrage est original, et, par conséquent, en sortant
du ton monotone des platitudes courantes, il plaît par
sa nouveauté.
L'opéra le Conclave n'a de beautés que pour ceux
qui savent Hétastasio par cœur ; je gagerais d'en faire
un qui tournerait les têtes à tout Paris, car il serait
cousu de morceaux de Voltaire, de Corneille, etc.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANl 3S1
Chaque nation, chaque langue a ses plaisanteries
qu'on ne saurait dépayser.
Le duc de Luxembourg part demain. H. de Cler-
DWnt fera mon bonheur ici. Si tous voulez le
charger d'un almanach royal, outre ta toile, cela me
fera plaisir. Enfin je prendrais avec plaisir des jarre-
tières de femmes, sans odeurs, mais élégantes : car on
ne se connaît point eu jarretières ici, et j'en voudrais
répandre la mode. Le retroussement étaut venu à la
mode, il est temps de perfectionner les jarretières.
J'en voudrais avec des agrafes d'argent à plusieurs
trous, pour les serrer plus ou moins, car nos cuisses
sont diablement épaisses. Bonsoir; 8imez.moî.
P. S. H. de Bombellcs, qui était ici, n'a pas reçu ma
lettre ' avec celle au maréchal de Brissac. De grâce,
faites-lui en par\'enir la copie; n'y manquez pas.
1. Voir let lettres du 8 octobre 1774.
jbïGoogIc
LKTTRK8 DK GALUNl
Hapleg, ig ttvricr 1711.
Votre lettre du 23 janvier, ma belle dame, a eu la
force de me remettre ea gaieté, par la iKume humeur
dont elle est assaisomiée. J'ea avais bien besoin dans
l'état où je suis. Au milieu des a&ires chagriaaate6,qui
m'accablent de tous les cAtés, voici ce qui vient de
m'arriver. On m'annonce qu'à la poste de France il y a
pour moi, et à mou adresse, un petit paquet estimé
21 ducats napolitains, ce qui fait cent francs de France
juste. On me somme de le retira et d'en payer la
taxe, sous peine d'être privé de toutes autres lettres.
Imaginez mes furies. Je n'attendais rien de France;
je n'avais rien demandé à personne. Je rêve à ce que
cela peut être ; et comme on m'assure que c'est un livre
in-8°, je ne puis soupçonner que ce soit autre chose
que le livre de Panurge, qu'il a la cruauté de m'en-
voyer de la façon la plus sanglante, ou que ce soit l'ai*
manach royal de l'année, dont H. le baron de fireteuil a
voulu me ^ire présent. Pour m'en éolaircir, je demande
jbïGoogIc
LKTTRBS llE GALlANl SM
& voir le paquet sans le retirer : oa me le refuse flet.
AiasI je reste dans l'obscurité, et toujours condamné &
oent Unes. Je prends le parti de requérir qu'on le reo*
voie à Rome au directeOr de la poste de France, en lui
faisant miendre (oar c'est lui qnî l'a taxé) l'injustice
qu'il y avait de taxer comme écriture ce qui est
imprimé, et qui doit Atre taxé comme marchandise.
Vous verrez dans le papier ci-joint la réponse du direc-
teur de Rome, qui me dit de m'adresser à M. de Mon-
r^ard * que je connaissais beaucoup. Hais y: ne
m'adresse qu'à vous. Je vous prie de savoir si c'est
i'nbbé Morellet qui m'a envoyé ce paquet; et comme
il est impossible qu'il ait commis une vengeance Idcbe,
et qu'il faut qu'il y ait eu quelque méprise, en ce que
le paquet qui aurait dû être contresigné Turgot ne l'a
pas été, il ne lui coûtera qu'un mot à H. Turgot,
mon ancien et véritable ami, pour remédier à ce
désastre affi%ux. Si ce n'est pas lui, alors adressez-
vous à M. de Uonregard, ou même à H. Turgot, pour
m'obtenlr, ce qui est juste, et qu'on ne saurait refuser
à personne, qu'il soit taxé comme marchandise. Je le
paierai trois ou quatre fois plus qu'il ne vaut, et mille
fois plus que je ne m'en soucie t mais du moins je ne le
paierai pas cent francs.
i . H. TliiTOUl de Uonregard éUit InUndant gèninl des poite*
dtFruwe.
jbïGoogIc
3B4 LETTRES DE GALIANl
Revenons à aos moutons. Gleichen n'est pas mort,
laut mieux. Mais c'est moi qui suis mort au monde, à
la gaieté, aux amis . L'argent, qu'il avait remis ici pour
l'achat de certain muscat, n'a été payé que cette
semaine, parce que le banquier d'ici, etc., etc
Don Hiquel lui doit écrire ce soir.
On Tient de refaire un pape Rezzonico '. Aolre-
fois le pape était le calire de l'Europe, et tous les sul-
tans des différentes provinces s'intéressaient à son
élection. Aujourd'hui qu'il n'est que le souverain de
Rome, ce sont les grandes familles de Rome qui le (ont
absolument. Albani, Corsini, Borghèse, Golonoa, s'ai^
rangent et choisissent, pour leur plus grande com-
modité, un laquais dans leurs maisons pour en jouer
le rdle. Caligula lit consul son cheval.
bonsoir. Il ne faut pas que je vous ruine en
gi-os paquets au moment même que je m'en plains.
Bonsoir.
I. Le prédécesneur du pape Gaaganelli aviil élë le pipa Rei-
lonico, sous le noin de Clément XIII. Pic VI «uccéda à Ganginelli.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANl
A LA MEME
Haples, 3t révrler 177$.
. Quoique je n'aie pas, ma belle dame, celle semaine,
de lettres de vous, j'ai assez de quoi remplir uoe demi-
i'euîlle ; ainsi je commence :
Votre baron de Bullo est parli cette semaine pour
aller voir le pétrissemenl qu'on fait à Rome d'un pape
nouvellement fait. Il a été, si je ne me trompe, assez
content de moi, lui ayant rendu les petits services qu'un
homme qui ne sort pas de chez soi, et qui ne voit per-
sonne (tel que moi), pouvait lui rendre. It a été assez
assidu, pour un étranger, à me venir voir. D'ailleurs
c'est UD bon diable, un grand drdle bien bflti, qui aurait
assez plu à nos grandes dames, s'il s'était donné la
grande patience de leur plaire. Enfin il ne m'a point
ennuyé, chose que vous craigniez.
Castrucci est aussi parti cette semaine. Comme il
retournera dans quelques mois â Paris, je l'ai chargé
d'un petit paquet pour son ancien maître M. Grimm,
qui, dans le fond, est destiné à toute la société de mes
jbïGoÔgIc
S8S LETTRES DE GALUNI
amis. Vous saurez que je fis, il y a viagt ans juste, une
dissertation sur les matières du Vésuve, que je dédiai
au pape LamberUui, sans l'imprimer ' . Il y a deux ans
qu'on l'a furtivement imprimée à Florence avec beau-
coup de fautes et à mon insu : c'est cette brocliure
précisément que j'envoie à M. Grimm. J'aurais, dans
cette année écoulée, fait réimprimer à Naples plus
correctement cette édition , mais les suites de la mort
de mon frère m'en ont empëcbé. J'espère qu'un
temps viendra que personne, en mom'ant, ne m'em-
barrassera plus, et- alors je ferai cette seconde édition.
Ce Gastrucci m'a paru aussi digoe de servir H. Grimm,
que Grimm de lui commander. Ainsi je le lui recom-
mande, n m'a promis de m'ameaer Grimm un beau
matin ici ; et moi, qui suis précisément dans l'éLit de
ce bourreau jeté eu bas de l'échelle par le pendu, qui
se justifiait en disant : « Tudieu, comme il y allait 1 »
je ne fais que crier : Qu'on me les amène ici, je les
étranglerai tous 1 car depuis qu'on m'a jeté eu bas de
Paris et que j'ai les jambes cassées, je ne saurais faire
autrement.
Je vous prie de dire à Gleichen que moi et don
Miquel nous sommes après à lui acheter ce muscat de
Lipari, qui n'est point du tout aisé à se laisser trouver.
Nous en goûtons à gauche et à droite, et rien de bon
!• Voir l'inU'oductioD.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALlANi 387
jusqu'à présent. Je lui promets lie ne lui pas l'aire jeler
son argent ; ainsi patience.
Nous avons un carnaval bien bruyant. Moi je m'y
ennuie, n'ayant point de maltresses, et comme j'.-ii
aussi un cœur de chair et d'os, cela m'est sensible,
ïkinsuir, aimable dame !
X UADAHË DE BELSUKCE
Madame,
Vous voulez donc absolument que je vous réponde*
Biais si maman ne se porte pas bien, que vouleE-vous
que je toub disef Puis-je former une seule pensée, û
vous m'effiniyeE par votre écriture ? Ne aavea-vous pas
qu'en Tait de maladies, l'éloignement grossit les objets,
que les règles de la perspective sont en défaut en cela?
Je vois bien que vous avee cherché à égayer la ton de
voe lettres ; je vois que maman y a mis des apostilles de
sa main, mais tout cela ne me tranquillise point. Elle
m'avait promis de n'être plus malade, il y a trois mois»
elle m'a manqué de parole et j'en suis furleui.
jbïGoogIc
386 LETTRES DE GALIANI
Cependant il faut vous remercier des soins que vous
vous 6tes donnés pour me distraire de l'objet principal de
vos lettres, en me cherchant querelle sur les dialc^es
d'Emilie. Vous voulez qu'il y ait quelque chose dans
l'éducation qui ne soit pas ce que nous appelons l'effet
du hasard ; j'en conviens en partie, et je dis que la vie
est un hasard, mais que l'éducation ne l'est pas tout à
fait. Il y a une inlluence décidée sur nous, qui est l'effet
de l'éducation. Cela est vrai. Mais savez-vous qui est
le précepteur qui nous élève ? Le siècle et la nation au
milieu de laquelle on vient au monde. Ainsi un honuoe
qui viendra au monde à Constantinople, aujourd'hui,
s'élèvera Turc; à Rome, chrétien apostolique romain ;
à Paris, bel-esprit, économisto-anglomano^'ural ; à Lon-
dres, goddem-colooiste , elc. Tout ce qui nous envi-
ronne nous élève, et le précepteur est un infiniment
petit, méprisé par les bons calculateurs.
Vous avez donc raison; il faut multiplier les hasards
heureux. Vous avez raison aussi de dire qu'on élève bien
plus une liDe qu'un garçon, parce que une fille est bien
moins environnée ; mais aussi elle a une crise naturelle à
quinze ans, qui est une espèce de régénération, et lors-
que la gorge lui pousse, l'éducation est effacée en entier.
Vous voyez que j'aimerais bien à disputer avec vous,
si TOUS me faisiez l'honneur de m'écrire lorsque mamaD
se porte bien. Enfin, je veux des lettres gratuites de
TOUS, j'en abhorre en forme de remplacement.
jbïGoogIc
LETTRES DE QALIANI 3S9
Pourquoi craigoez-vou3 de vous approcher de moi
pourm'embraBser? Je ne tous mordrai pas; j'ai perdu
toutes mes deols, et si vous êtes jeune, je nelesuisp)us.
Daignez remettre cette iociuse à la personne à qui
elle va, que vous reconnaîtrez aux qualifications. Faites
bien porter maman et puis écrivez-moi à outrance.
*' GRIHH A l'abbé GALIANI
Pari», M («vrt«r un.
Hon cher prototype de tous les charmants abbés,
passés, présents et à venir, madame d'Ëpinay n'a plus
de fièvre, mais elle est faible ; malgré cela, elle vous
aurait écrit elle-même, sans uue maudite migraine quia
dérangé ses projets de jour de poste. Si elle ne vous écrit
pas elle-même par la suite aussi souvent que vous le
désirez tous les deux, ci; ne sera que par des motifs
de ménagements, si nécessaires à son état. Ce qu'il y
a de mieus, c'est que son courage et sa tranquillité
se soutienneot, el ce sont les deux plus grands re-
mèdes que je comiaissc en médecine.
1. Collection de mademoiMlle Herpin.
jbïGoogIc
SW LETTRES DE GAtlANI
Oiarmaut abbé, je suis au désespoir de vous écrire
aujourd'hui, parce que je n'en suis pas digne, hébété,
assommé par l'arrivée du jeune duc de Saxe-Weimar
et du prince sod frère, Iraioant après eux une suite
de six maîtres. J'en suis rendu, mais rendu ou non,
il n'est point d'iuslant dans ma vie où je ne vous aime
à ]a passion. J'en parle souvent à cpux qui sont dif^nes
de l'entendre, mais ne crai(fnez pas que j'en parle à
ceui qui s'en sont rendus indignes. Le secrétaire or-
. dinaire, madame de Beisunce, est à Versailles à la fête
que Monsieur doune à l'archiduc Maximllien. L'abbé
J.-C. • fait son mardi^gras et moi ma pénitence au mi-
lieu des enfants d'Allemagne, nouvellement débarqués à
Paris. Tout ce que je puis vous dire, c'est que je vous
regretterai tant que mon boyau fêlé me permettra de
vivre. Vous ne savez pas peut-être que depuis l'été der-
nier, j'ai pour premier médecin, le roi de Prusse, qui
m'a tiré d'aflaires en m'envoyantà Carlsbad en Bohème?
Vous ne savez pas, peut^tre, que vous êtes connu
de l'impératrice de Russie comme le pain quotidien, et
qu'elle en parle aussi souvent que moi. Cette femme
a le malheur de se moquer des Musulmans et des Éco-
nomistes, mais, à cela près, c'est une charmante femme.
Hoi qui ai appris, dans la civilité puérile et honnête,
qu'il ne faut se moquer de personne, je vous dis
1. L'abbé Hayeul.
jbïGoogIc
LETTRES DE 6ALIAN1 3»1
qu'il y a grande apparence que j'irai vous embrasser
l'hiver prochain ; mais n'en disons encore mot à per-
sonne, de peur de nous tromper encore une seconde
fois dans nos calculs.
Adieu, charmant abbé, aimez-moi ; vous n'avez rien
de mieux ni de plus sensé à faire.
Nous renvoyez-vous monsieur l'Ambassadeur? Il
, est aussi de ceux qu'on ne peut aimer sans passion.
Nous sommes menacés de perdre le chevalier de Ha-
gallon sous un mois ; c'est une perte irréparable, et
combien n'en avons-nous pas fait depuis six ans?
AU BARON DE GRIMH'
Au liacre de tous les princes allemands, ancien la-
mentin, maître de cérémonie de la philosophie, salut!
Porte-voix de tant de princes qui vous arrivent,
quand est-ce donc que vous finirez de les remiser?
1. Cette letlfe n'eiiate pas daDa t'édilion Barbier.
jbïGoogIc
39S LETTRES DE GALIAHI
Je m'étais biea douté que l'impératrice de Russie
me comiaissait; car, comme elle envoie des présents à
une infinité de gens de lettres qu'elle ne connaît pas,
. voyant que je n'en recevais aucun, j'ai dit aussitAt :
c'est qu'elle me connaît.
Je ne connaissais pas le roi de Prusse pour médecin ;
sur ce pied, vous aurez le Grand-Turc pour apothicaire,
et il pourra vous fournir à vous, aussi bien qu'à mon '
cher Gleichen, d'excellents remèdes contre les vers qui
s'engendrent par la peur. H a fait de nouvelles recher-
ches là-dessus.
A propos de l'impératrice de Russie , se moquer des
économistes dans notre siècle, c'est être au-dessus do
son siècle, et c'est ce qu'il y a de plus difficile '. Le
penchant de tous les esprits médiocres est de briller par
le ton et le jargon du siècle. H faut avoir un grand
fond de caractère daos l'âme pour mépriser une gloire
et un applaudissement infaillibles, aussit6t qu'un prend
■ 19 juia 1716.
■ J'ai tié enchamée d'apprendre que l'admirable La Rivièra
élait le commli peinant de M. Turgot et l'abbé Baudeau le
commis écrivant. 0ht les bonnes têtes que Louis XVI possédait
li 1 Sa bonncur. Il ne pourait rien faire de mieux que de lea
renvoyer, »
jbïGoogIc
LETTRES DE G&LIANI 393
le ton à !a mode, et qu'on est Beccaria ', Genovesi *,
Badaud, Roubaud, etc.
Venez me Irouver et vous ne vous en repentirez pas;
il y a encore d'assez beaux restes de ce charmant
abbé; mais venez vite, sans quoi je ne vous réponds
de rien.
Nous vous renverrons Caraccioli, quoique l'état de
sa santé ne me paraisse pas sûr. 1) a l'extérieur de la
santé; mais je crois que son foie le mine sourdement
pour en faire un hydropique.
J'ai tâché, en vous ccrivant, de ne point songer à
madame d'Êpinay ; si j'y réfléchis un instant, je ne sais
pas former d'autre idée dans mon esprit, que de vous
demander de me la guérir. Si elle ne se porte pas bien,
je n'ai ni le cœur ni l'esprit capable d'écrire un mol à
quiconque en France. Adieu, homme charmant, digne
d'aller en Russie, et de ne plus y retourner. Adieu.
1. César Bonesana, marquis de Beccario (1135-1793), publia le
célèbre Traité des déhis et des peinet qui eut un immense reten-
UssemeDt. Il y pojalt.d'une fiifOD remarquable, l'origine, la base
et ies bornes du droit de punir.
3. Antoine Genovesi, un des pbilosophea iiailens les plus dis-
tingués (171Î-1T69]. Il enlrepril la réforme de l'instruction pu-
blique à Naples, et il ourrit une chaire de métaphysique à
Itlniversiié ; mais comme il substituait le doute philosophique k
la croyance lautomaliquei, il eût été sacrifié comme héréiique.
si l'archevêque CélesUn Galiani ne l'avait soutenu. 11 créa le
premier une chaire d'économie politique. Le pape Benoit XIV
lui avait accordé sa protection.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI
A MADAME d'IÏPINAY
Voilà ce qui s'appelle une belle lettre tout à fait. Une
lettre écrite de votre main en entier, où vous chantez
victoire contre les pels, qui ne sont pas en l'air, où
vous renaissez après le climatérique, où vous voulez
changer de titre et de sexe, et au lieu de belle dame
être Pierrot, où vous savourez le plaisir d'exister,
d'écrire, d'écrire à votre abbé. Tout ceci est ravissant.
Pour moi, quoique l'année de la mort de mon frère
soit révolue, que j'aie marié deux de mes trois nièces,
et, qui plus est, remarié en secret ma belle-sœur, je
ne suis pas au bout de mes ennuis. Les intérêts de
mon frère ne sont pas à beaucoup près déb/ouillés.
et il me reste une nièce à écorcber. En attendant, je
vis comme je puis, et puisque vous êtes guérie, voilà
un grand point de mou bonheur assuré. Vous ne vou-
lez plus être belle dame, et mon épilhèt© de charmant
abbè s'en ira au diable aussi, car je ne suis plus char-
jbïGooglc
LETTBE3 DE GALIANI 306
mant; je suis maussade, je suis Pierrot, et je ne voas
céderai ce titre pour rien au monde.
J'ai été ravi dé recevoir une lettre du prince Pigna-
telli dans son état naturel.
Caraccioli part dans la huitaine. Il prend le chemin
de Vienne pour son plaisir; et il fait fort bien d'allon-
ger son vo^ge, car plus il voyî^era, mieux il se portera.
Je suis étonné que Naples vous ait donné la mode
des coiffures ; car il y a quatre ans, ou trois au moins,
que nos dames k coiffent sur 22 pouces de hauteur et
15 de largeur, sauf panaches, brimborions, saucissons
et autre attirail. I.e visage, au milieu de toute cette at-
mosphère, a l'air d'un nombril; encore ce nombril est
joli chez vous; il est affreux chez nous.
Je vous renouvelle mes inslanc^s de vous occuper
d'uD certain paquet qui m'est venu de France, estimé
cent francs juste, et pour lequel il faut parler à H. de
Honregard. Je vous en ai écrit; mais, soit que ma
lettre se soit égarée, soit que votre maladie vous ait
empêchée de tous en occuper, vous ne m'avez rien
répondu lÀ-dessus. Il s'agit de faire comprendre l'in-
justice de me forcera recevoir un livre, qui est peut-
être celui de l'ahbé Morellet, à cet énorme prix de
port. Je veux l'avoir gratis, car, sûrement, par quelque
équivoque, il n'a pas été contresigné. Si cela est im-
possible, on ne peut me refuser de le taxer comme mar-
chandise. Bonsoir; il est bien tard..
jbïGoogIc
LETTRES DE GÀLIANI
NaplCB. ts BTril <TTS.
Puisqu'il y a une couTalescence.soufiroos qu'elle soit
longue. Vous m'avez promis de ne plus retomber ma-
lade, ainsi il est juste que vous vous éloigniez à regret
et lentement de quelque chose qui vous a été plus
attaché que vous n'auriez voulu.
Quelque pathétique que soit le tableau de votre im-
potence, vous ne me persuaderez jamais que vous n'a-
vez pas des moyens de parler à M. de Monregard.
L'abbé Horellet lui-même, dans sa toule-puissance au-
près du contrAIeur-général, serait excellent. Pour moi,
je suis très prêt à abandonner au rebut le paquet,
car, comme on sait que c'est un imprimé, c'est une
chose très aisée que d'avoir une brochure qui coule
moins de cent francs : mais je ne saurais consentir à
rester toute ma vie dans l'incertitude et la curiosité de
savoir ce que contenait ce paquet, et par qui il m'était
envoyé. Je ne demande autre chose sinon qu'on l'ouvre
à Rome, qu'on mo mande ce que c'est, et puis qu'on
jbïGoogIc
LETTRES DE CALUNl 397
le brûle. Allons, faites-moi ce plaisir, et épargnez-moi
le Irarail d'écrire à M. de Honregard : il est si gras !
Tourner de belles phrases, composer une épitre en
français 1 Dieu, quel ouvrage 1 Le cœur me manque,
si j'y songe.
Caraccioli est parti lundi. Il ne va plus en Alle-
magne, il arrivera à la fin de mai à Paris, car il doit
se trouver au sacre du roi et voir la Sainte-Ampoule. Il
vous dira tant de choses de moi, que je n'ai plus d'en-
vie presque de vous mander autre chose, sinon que je
me porte bien. Il m'a bien promis de vous voir très
souvent. Nous sommes restés plus amis que jamais.
Ainsi aimez-moi. Assurez l'abbé Horellet que rien de
ce qu'il aura dit dans son livre ne pourra me fâcher.
Lorsque j'aime, je suis bien indulgent.
Nipiss, n aTTa mi.
Avant que de répondre à votre lettre pleine d'amer-
tume pour le départ du chevalier, je dois vous dire
que je suis parvenu à savoir le contenu de ce fameux
jbïGoogIc
898 LETTRES DE GALUHI
paquet, et l'homme qui s'est avisé de me l'eavoyer.
C'est précisément le livre de Morellet qui est dedans;
mais ce n'est pas iul qui me l'envoie. Le criminel est
un abbé Leblond', sous-bibHoUiécaire du collège Ma-
zarin, aussi illustre imbécile qu'antiquaire obscur. Per-
sontie ne l'avait prié de cela ; il a cru faire un trait
d'amitié insigne, et m'obligor iufiniment par cette ex-
pédition. Tout se voit dans ce bas monde. Notez que je
ne connais pas cet abbé, sinon parce que M. Pellerhi,
ayant perdu la vue, l'a chargé de m'écrire quelquol'ols
au sujet des médailles. Je lui monte une garde comme
je sais en monter quelquefois. Je le charge de réparer
le mal qu'il a fait, car le paquet n'est pas encore retiré
de la poste ni jeté au rebut, et cette affaire n'est pas
encore unie : je ne vous l'ai mandée que pour vous
tranquilliser.
Venons à présent à vos plaintes sur les amitiés liées
avec des étrangers. Vous avez tort de vous en plaindre.
Tout est étranger dans ce monde, car tous s'en vont
par la mort. Les étrangers ont cela de commode, qu'ils
partagent en deux le regret. On en sent la moitié, lors-
qu'ils s'en vont, et, quoique absents, ils ne sont pas
entièrement perdus. On en a des lettres, des nou-
velles, et le cas de les revoir n'est jamais impossible.
i. LebloDd (l'abbé Gaspard-Hichel, dit) né A Caen en 1738, mon
t Laigle en 180B. Hembre de l'Aetdéinle des loscriptlons.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIAM 3W
S'ils Tiennent à mourir, la douleur tombe sur ce reste
d'esisteoce perdu, et qui est bien moindre que le to-
tal. Vous n'aimerez pas sûrement plu6 de tomber à
plomb, que de glisser sur des malheurs. Les malheurs
sont la sauce de cette vilaine viande qu'on appelle la
vie : on en est environné. Ne vaut-il pas mieux d^
tremper cette sauce par les absences, les éloignementg,
l'habitude aux détachements ? Voilà des raisons bien
fortes pour que vous continuiez à aimer les étrangers.
Ce soir le temps me manque absolument. Je tra-
vaille comme un forçat à donner de l'arrangement à
toutes mes affaires et à celles de ma famille; et si je-
réussis à m'en débarrasser, ne doutez pas que je fasse
encore un voyage à Paris. Je ne rêve qu'à cela à
présent, et je commence à y voir des possibilités, si
J<D vis, et si d'autres meurent. Adieu.
Jamais lettre de vous ne m'a fait plus de plaisii*.
Le rétablissement de votre santé, l'établissement de
jbïGoogIc
400 LETTRES DE GALIAM
votre fils, sont des objets solides de gaieté et de bon-
heur humain.
Pour moi, jamais je ne me suis trouvé en plus
grand besoio d'être égayé. Nous avons ici une saison
terrible qui tue tant de monde qu'on regarderait
notre épidémie comme une véritable peste, si elle était
contagieuse. J'ai perdu trois ou quatre bons amis;
j'ai perdu avant-hier la femme d'un ancien domestique
qui me servait, aussi bien que son mari, depuis trente-
deux ans. Celte perte est terrible pour un garçon
comme moi, qui n'a aucune femme à ' la maison.
Je ne vous en dirai pas davantage pour vous peindre
combien j'ai l'âme noircie d'idées sombres et tristes.
Jamais je n'ai eu tant de peur de mourir moi-même.
Comme les morts sont subites ou précédées d'une
maladie de deux jours tout au plus, et qu'elles consis-
tent en une fièvre maligne avec un abcès à la tête ou
à la poitrine, on n'est pas tranquille, malgré la sen-
sation de la meilleure santé. Je me porte bien et je me
plains pour mort.
Parlons de vous, cela vaudra mieux. Votre fils
séjournant à Fïîbourg pendant quelque temps est tout
ce que je trouve de mieux dans votre afiaîre. L'air
IVoid, flegmatique de la Suisse, la société avec des
êtres calmes, sensés, pesants même, fera grand bien
à la tournure de l'esprit de votre fils, et j'espère qu'à
Pribourg il deviendra le fils de sa mère, comme à
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 401
Pau il était bien le fils de.soa pèi-e. Ceci u'est pas
ostensible coninie vous voyez.
Je suis ravi des nouvelles du barou de Gleicheti,
J'en aurais souhaité du prince Pignatelli, et s'il est
encore à Paris? Urimm à Naples? j'en doute fort; et
s'il vient, il me causera bien plus de chagrin que de
plaisir. Il ne viendra que pour rester huit ou dix jours.
Vaut-il la peine d'attendre six ans ces huit jours, pen-
dant lesquels nous nous verrons à peine?
A propos, faites mes compliments à M. d'Affry ' ;
dites-lui très sérieusement qu'il travaille à toute force
pour avoir l'ambassade de Naples. Vous viendrez à cette
occasion me trouver, et voilà, par une suite d'évé-
nements les moins prévus, que nous nous reverrons
dans un an. Le chevalier de Clermont ira autre part ;
cela m'est égal, si je le dois troquer contre vous et
M. d'AfIry. Autrement je ne m'en déferai pas pour rien
au monde, car Je suis ravi de le posséder ici.
Vous êtes à la veille de voir Caraccioli en recevant
1. Louis-Augu s le- Augustin d'Affry. d'une des plua
familles de Prtbourg (1713-1793). Il embrassa la carrière dei
armes, où son père s'était illustré; Tait maréchal de camp en
1748, il fut choisi par le roi en 1755 pour son envofé eilraor-
dinaire auprès des Provin ces-Unies. Il fut revêtu du titre d'am-
bassadeur, plis nommé colonel-général des Suisses en 1780.
Arrêté le 10 août et conduit en prison, il fut misen liberté peu
de temps après et 11 mourut en 1793 dans son cbâteaude Saiot-
Barihélemy, dans le canton de Vaud, Inconsolable de la mort de
son Dis, tué le 16 août aux Tuileries. Le fils de madame d'Épinaj'
épousa une parente de M. d'Aff^,
jb'ïGoogIc
m LETTRES DE GALIANI
cette lettre. Il sera donc niuii ohan<!elier, et vous dim
le reste.
VoudrieK-vous embrasser tDadanic de Reisunce de ma
part? En voflit, incluse, la procuraUon pour cet
Rcte si Boleniiel. Adieu. VoyeE-vous comme je 1110 bats
les ilaocs pour être gai. Eii vérité je ne le puis pu
à celte heure.
A HADAMt: Oh iELUVtiCF.
Madame,
Quoi, est un ancien mot, ma belle dame, qui vieni
peut-être du latin quietus et de l'italien quem, trijs
énergique pour expliquer ce qui se fait à petit bruit,
on cachette. Mademoiselle Quojet était donc ce qu'elle
devait être, et ses trois jacobins l'étaient aussi. C'est
son père qui est très indigne de ce nom. Cependant je
pardonne à ce père ce qu'il a fait ; s'il n'est pBs un
homme d'espriti il est du moins un homme en règle; la
règle veut qu'une fille déréglée aille à Sainte-Pélagie; il
y envoie sa fille, c'est la règle, Groyei-moi, Madame, l'es-
jbïGooglc
LE'ITRKS DE UAI.IAM MS
prit tracassé tatigueet n'avance guère. La rôgle tninquil-
lise, lorsqu'on s'y tieat, on n bien moins de peine ; ainsi
laissez à Sainte-Pélagie mademoiselle Couet ou Ouoy
ou Quoyel, ou qu'on hait, puisque l'orthographe de ce
mot est très disputée parmi les savants.
Pour vous, vous n'irez pas à Sainte-Pélagie, ni pour
des jacobins, ni pour un capucin, ni pour personne.
Les jacobins ne puent guère, comme vous vous ima-
ginez, sans le savoir, puisque vous n'en avez jamais
flairé. Ils sentent le jacobin comme de raison; c'est
votre faute si cette odeur ne vous est pas agréable.
Laissons donc quoys, les capucins et les jacobins et
parlons de eu qui nous intéresse.
La beauté de maman, le rétablisseuieut de sa santé, les
adorations qu'elle mérite de préférence ii sa fille, voilà
de grandes nouvelles intéressantes, précieuses pour moi,
et arrivées très k propos pour m'égaycr. J'en avais
grand besoin, ix séjour do Naples, ennuyebx par
essence, est devenu encore pire depuis qu'on y raeurl
subitement. Ceci liasse la raillerie, car, du moins, il
élait bon d'être prévenu qu'on allait mourir. Mais
laissons celii. A'ous avez enfin consenti à m'embrasser;
que je suis content ! Venes donc que je vous embrasse,
approchez-vous. Vous vous retirez tout doucement;
tnadame! ne reculez pas tant. Diable! vous avez reculé
de trois cents mortelles lieues! Vous avez diablement
peur des dents que je n'ai plus.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANi
A MADÂUK D ËP[NAV
Naplcs. !T mai tm.
Ce n'est que par vous, madame, que j'ai appris les
bagarres de Paris, et romme je ne vois plus persounc
qui reçoive des lettres de France, depuis le départ de
MM. de Breteuil el Oaraccioli, tout ec que vous ne m'en
dites pas me reste inconnu, à mon grand re^t. Bfon
premier mouvement, à la lecture de votre lettre, a été
de remercier Dieu de n'être pas à Paris. J'y aurais
peut-être été mis en prison comme auteur de la ré-
volte '. On aurait eu raison de trouver dans mes Dia-
1. En 1175, la cherté du blésvRit augmenlé vers lepriDlempa,
et dins plusieurs endroits s'était produite aue véritable TamiDe,
qui occasJODna des (roubles graves. Ces émeutes, siolstres avant-
coureurs de la Révolution, De Turent pas prises au sérieui; le
sang n'avait pas encore cessé de couler que les femmes por-
iBieat déji des bonnets à la révolte et qu'on chantait au marË>
chai de fiiron ;
Biron, tes glorieux travaux
En dépit de» Cabales,
Te font passer pour un hèios
Sous les piliers des halle».
De rue en rue, su petit trol.
Ta chaSMi la Ismlne.
GAnéral, digne de Tnigol,
Od n'épargna pis davantage le ministre. ■ M. Turgol, après
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI W5
togaes que je l'avais prédite et annoncée, lors que j'ai
dit que rbomme d'Ëtat doit prévoir les cas imprévus.
Cette tadigne et occulte cabale, qui est sans dout«
le premier mobile de l'imbécillité populaire, aurait dû
être prévue. La moinaiUe et la prëtraille ont été les
moteurs des émeutes de Madrid en 176^. On se servit
du prétexte de la cherté, pour venger les impôts que
H. de Squillace ' mettait sur les eficlésiastiques. Ceux
qui n'entendent pas souvent la messe doivent s'attendre
donc qu'on vengera les mépris de la messe. Le premier
problème à résoudre pour un ministre est de garder
sa place ; et plus il se croit honnête bomme, plus il
doit s'acharner à rester en place, pour taire plus long-
temps du bien aux hommes. Si quelque bien qu'il
avoir permis la sortie des grains, dit Hëlra, fut surpris de la
révolte àet peuples à celte occasion: <■ C'est, disait-il, parce
> qu'on D'»f>tis donné encore assez de liberté. t> — i II nie rappeile,
disait M. Dubucq, h ce sujet, un médecin qui vit mourir son ma-
lade après l'avoir fait saigner vingt fois et qui s'écria : c Je
> l'avais bien dit qu'on ne l'avait pas assez saigné I ■ (\'oir l'ap-
pendice XVI.)
1. Le marquis de Squillace, Napolitain, minisire favori de
Charles III, roi d'Espagne. 1! fut éloigné 1 la suite du terrible
soulèvement de Madrid en 1T65; il était très impopulaire, el
comme étranger et comme novateur. Il prabiba les grands cha-
peaux rabattus et les grands manleaui [ehambtrgoi, eapas) avec
une rigueur telle, qu'elle proroqua l'émeute. On accusa les
Jésuites, qni le haïssaient, d'avoir contribué an soulèvement. —
Squillace était du reste odieux i la noblesse à cause de son
origine napolitaine. On dit aussi que la beauté de la marquise
désolait les grandes dames da Madrid; ce ne fut peut-être pas
étranger à,la t^tAce de son mari.
jbïGoogIc
406 LETTRES DR C.AI.EANI
voudrail Taire, l'expoae à la perdre, il doit lo sacrifier
net à son esjitence.
J'espère que cet événement aura appris à M. Tui^ol
et& M. l'abbé Morellet à coimaltre lei hommes et le
monde, qui n'est pas celui des ouvrages des écono'
mistes. Il aura mi que les révoltes occaaioimées par la
t^erté ne soûl pas impossibles, comme il croyait. 11 ■
calculait tout et n'oubliait que la mécbaucelé des
hommes, et l'envie qui persécute les hommes en charge.
On ne sait jamais au juste le nombre des ennemis.
Feu H. le maréchal d'Estrées ' ne gavait pas que le duc
de Cumberland ' avait pour allié M. de Maillebois*, et
M. Turgot ne sait pas peut^-étre que le jadis parlement,
aujourd'hui grand-twnseil, trouve le pain fort cher
t. La marËcbil Louù-César Letellîer, comle d'Estréu, iiommé
maNcht) en 1756, se disilngui à la bataille de PoDl«noï {1746).
commanda en chef en AElcmagne et battit le duc de Cumbw-
laad i Haitenbeck (1757). Le nom d'Eatrées a'ËteIgnIl avec lui.
i. Cumberlaud (Guillaume-Auguste, duc de), (1T1I*17GS), gêné-
rai anglais, Dis du roi Georges U.
3. Mallleboia (J.-B. François Detmareb, marquia de), {1681-
1763], marécbal de France, Qla du coolrôleur-général Deanu-
reU cl petii-Qls de Colbert. Le comte de Halllebois, que le
aiarÉchal d'EsIrée* avait choUi pour son marâchal deit logis, (ut
aoausé d'avoir cherché k faire perdre la bataille d'Haclenbek.
Il voulut H disculper dans un mémoire qu'il publia, maia il
(ul arrtié quelque temps apris, et recul l'ordre de se rendre eu
prison au ehdieau de Doullens oii il demeura quelque lempt.
On disait qu'il avait été fort jaloux du commandeutont au
obef donné au nuiichal d'Bstrtes. Beienvel. dans tes Mémoiroi.
défeoil MailleboU de celte iRiputallOD.
jbïGoogIc
LETTRES DE OÀLIANI m
aussi. Si son chagrin et celui de M. l'abbé servaienl k
leur faire rendre un peu plus de justice à mes Ùialogtien
ou du moins à mes intentions, qui résultent de In tota-
lité de mes maximes, j'aurais gagné beaucoup k cette
bagarre, puisqu'il n'y a pas d'hommes dont je chérisse
plus l'estime et l'amitié. Hs ont de grandes vertus et un
grand génie. Ils sont restés peut-Otre trop longtemps
au cabinet, et n'ont pas été, comme moi, jetés dès leui-s
premières années au beau milieu a'une cour, pour y
être le jouet de la fortune.
En attendant, je remercie l'abbé Morellet de vouloir
bien me soulager du paquet dont il est la première
cause.
Ha nièce me reste à écorcher : car (ce que vous ne
saviez pas) je mesuisdébarrassé aussi de ma belle-sœur,
que j'ai aidée à se remarier. Il est vrai que je me
débarrasse, maïs c'est toujours par des sacrifices et des
pertes; et me voilà débarrassé comme on se débarrasse
des habits et des haillons, en restant tout nu.
Vous avez force noces et festins *. Je vous laisse
donc, en vous priant de me continuer des nouvelles de
l^ris. Caraccioli sera arrivé : mais il sera ii Reims '.
A son retour embrassez-le de ma pari.
U y a un siècle que je n'ai pas de nouvelles du baron
d'Holbach.
1. Hulinie d'Bpiuy mariait wo Û\*.
S. Pour le sacre ie Louis XVI.
jbïGoogIc
LETTRES DE GAt.IAKI
M A RAME D f.PII4AV
Naples, 9 JuiD II».
Bien peu de fois, madame, il m'est arrivé d'être
aussi fâché que celte semaine, de me trouver sana
aucune lettre ni de vous ni de personne. Vraiment je
ne suis pas inquiet sur votre santé individuelle, vous
m'avez promis de vous bien porter. Mais je soupirais
après celles de la santé publique, qui auraient pu
intéresser un grand nombre de mes amis. Mille bruits
se répandent ici, qui me paraissent exagérés : et vous
ne dites mot. Qu'en penser donc?
Il faut pourtant que je vous mande la négociation
du [taquet, heureusement terminée bier, on me l'a
envoyé franco di porto. J'ai entr'ouvert l'ouvrage do
Horcllet ', à l'instant j'ai bftitlé et il m'est tombé des
mains. Quelque envie que j'aie de le lire, je sens que
cela est au-dessus de mes forces. Je sens de même
qu'il me serait impossible de le réfuter. II est si long !
1. La HéfùlaUon de* Dialogttti sur les blés. Voir l'appenilire
xvn.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 409
et il me paraît que c'est un ouvrage prestigieux, parce
que chaque morceau, chaque ligne, chaque syllo-
gisme du livre est bien écrit, est clair, est juste, et
cepeodaDt le tout ensemble est plat, obscur et faux.
Je n'entends pas par quel prestige cela arrive: maïs
c'est le second cas après les jésuites. Chaque jésuite
était aimable, morigéné, utile; et toute la Société,
qui n'était pourtant que la masse de tous les indi-
vidus, était odieuse, corrompue dans la morale, perni-
cieuse. Que d'autres expliquent cet étrange phéno-
mène : pour moi je m'y perds.
A présent je vous prie très instamment de médire,
tout au long et tout au juste, quel effet a fait le
livre de Horellet sur les différents esprits de Paris,
sans me parler de vous-même, et de celui de mes
intimes amis. Cela m'intéresse infiniment.
Pour ce qui est de la question traitée par moi et par
l'abbé Horellet, elle est jugée par tous les gouverne-
ments unanimement. Tous se sont détrompés des
enthousiasmes des économistes; tous ont renchéri sur
les anciennes entraves mises à la liberté des blés.
Les Anglais même, depuis dix ans, ont mis des en-
traves à leur liberté et à leur commerce, en dépit de
ta forme de leur gouvernement ' libre et commerçant
par essence. La France (foyer du mal) a été incertaine
et flottante: mais dix années consécutives de cherté,
de famine, de révoltes, auront dû la détromper aussi ;
jbïGoogIc
tlO LETTRES DE CAirAM
H M. Turgot, qui était persuadé que la liberté ieul«<
suffisait, sera très étonné de se voir obligé k donner
des récompenses pour l'importation, épuiser le trésor
royal, et flétrir aa gloire. Dieu veuille qu'il soit k
temps de la sauver ! C'est dommage s'il est renvoyé;
■nais c'est un peu sa fauta. Pourquoi se Taire écono-
miste? Que diable allait-il Taire dans cette galère 7 En
attendant, remerciez-le bien, lui et MorcUet de m'avoir
délivré du paquet. Cent livres de port étaient ce qu'il
y avait de plus dur dans cet ouvrage contre l'auteur
malbeureux des Dialogues. Dieu fasse qu'il n'arrive
rien de plus dur à l'auteur de la Héfutatton I
Aimez-moi toujours et beaucoup. Je ne parlerai plus
de blés dans ma vie. Je m'occupe à présent de retou-
cher mon Horace ' : cela du moins n'occasionnerit
aucun bruit ni à la halle, ni à l'hAtel de Soissons *.
Adieu , mille choses à madame de Belsunce.
I. Peoiiant ton séjour i Paris, Gaiianl, qui était un Ittiolsie
de premier ordre, avait eotr^irli un camiuCDUira sur Honco.
dont Diderot faisait le plus granil cas. o Horace pourrail-il éir*>
mieux entendu de tous les beaux esprits du règne d'ÀUKuaiB.
qu'il ne la été dii-huit centa ans après par notre abbé? Je ne
le pense pas et j'imagine que tous ceux qui liront les remar-
qaei qu'il a (allei lur ce poils diront comme moi. > (Grimm..
i. L'bOlal d« SoiftoRS éUit l'bAtel des Fennes ; le Dwtogw
sur Ut bUs iTRil naturellemenl causé beaucoup de bruit parmi
lis Vermien Généraux.
jbïGoogIc
LETTRES »K RALIAM
Je reçois à la t'ois, ma belle dame (jtt reprends mon
ancien formulaire, parce que le cœur me dit que les
émeutes, les bagarres, etc., vous auront rembelHe, ren-
graissée, rajeunie), deui lettres de vous, des Ift el il
mai, qui ue me disent rien. C'est bien étrange que
dans un pays où il est permis de tout imprimer, il ne
soit permis de rien écrii-e. Cependant j'ai reçu des
lettres de Spa, qui m'en disent davantage.
S' j'avais du loisir, je ferais un traité politique dus
émeutes, de leurs causes, de leurs effets, el des moyens
de Im prévenir et de les guérir. D'abord, je voudrais
bien établir et bien prêcher que rien ne fait autant
d'bonneur aux Bouverains que les émeutes. Le cur
Pierre en eut une vingtaine. Le roi Charles est le pre-
mier qui ait eu la gloire d'en avoir à Madrid après
eu avoir balayé les immondices, et avant que d'en
balayer les jésuites'. Mais c'est tout simple, on ne prend
I. c Charies 111 avait entrepris de purtBer Hadrtd, doDil'iDfec-
tioo élaii «i épouTanUble, qu'on la wnUlt à six litws ft lo
jbïGoogIc
4IÎ LETTRES DE GALIANI
pas des pui^tions, des éméliques,' sans avoir des
Uanchées d'estomac, des petites convulsions, des défaïN
lances, etc.; tous ces petits maui sont les compagnons
de la guérison.
Si votre jeune souverain ne sacrifie pas M. Tm^ot
aui caprices ou à la terreur panique de son peuple, il
mérite d'acquérir, par ce seul trait, le surnom de
Grand. Mais je crains qu'on ne surprenne sa jeunesse.
Voyons.
J'attends l'ouvrage de Necker ', que je lirai pare«
qu'il se laisse lire, et, ce qui plus est, entendre. Il
est même, en économie politique, le Bernouilli qui sur-
ronde, et qu'oD la mâchait pendaat six semaines avant de s'en
£tre blasé. Il n'y a sorte d'oppositions et de difficultés qu'il n'é-
prouva dans ce projet. Il fallut faire venir et emplo^r des Na-
politains, pour ébiblir de force des latrines dans les maisons, et
le corps des médecins composa un mémoire pour représenter
que l'air de Madrid ayant toujours été fort sain, il leur parais-
sait dsDgereui de vouloir le changer. Ceci me bit souvenir
. de l'blBtolre d'un Espagnol qui était tombé malade en Vnnce et
dont les médecins ne pouvaient pas deviner la maladie. Son
valet de chambre, Imaginant que l'air natal pourrait lui faire du
bien, et le malade ne pouvant plus être transporté, il fourra lOUs
son lit un bassin plein d'odeur de Madrid. L'Espagnol, après des
r^ves délicieux, s'éveilla en disant : ' Ho Madrid de mi aima t ■
et il guérit. > {mémoire du baron de Gleichen.) Mais ces Inno-
vaUons irritaient profondément la population espagnole, et lorsque
Charles m défendit les grands mantcaui et les grands cbspeaui.
Madrid se souleva, la garde du roi fui mise en déroute et il
fallut exiler Squillece, qui passait pour l'inspirateur de tous
ces changemente.
I , Sur la UgUlalion tt le Ctmtaeret dri graùu.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 413
passa Newton même, dans l'élégance, netteté, brièveté
des démonstrations. C'est ce que j'admire le plus
en Jui.
Pour ce qui est de mon ami Horejlet, aujourd'hui
mon réfutateur, puisque je n'ai pas payé son livre
cent francs, je lui pardonne toute sa rérutatJon. En
vérité, il m'a fait mourir de rire, en voyant que comme
bon théologien, il est persuadé intimement qu'il est
obligé, en conscience, de réfuterions mes mots, mes
syllabes, mes virgules. Vive le jansénisme ! toutes les
vertus des païens sont des vices. Il me réfute lorsque
jo m'oppose aux économistes, et il me réfute encore
plus, lorsque je suis d'accord avec eux. Tout lui dé^
plait dans ma bouche : c'est charmant en vérité. De là,
il en doit arriver qu'un homme qui lira son livre ne
saura pas quelle conséquence en tirer, ne devinera pas
quel est l'avis de l'abbé; il saura seulement qu'il n'est
pas de mes avis, autant de ceux que j'ai, que de ceux
que je n'ai pas. Que cela est instructif!
La chaise de paille me demande des inscriptions.
Dites-lui qu'il n'en aura pas, qu'au préalable il ne m'ait
informé du sort qu'ont eu, autant celle pour la st£>tue
du czar Pierre, que celle pour le tombeau des ducs de
Saxe-Gotha .
Bonsoir; il est trfâ lard. Adieu, aimez-moi.
jbïGoogIc
LETTRES DE (lAl.lAM
Ktplsg, U iDia IT1S.
Vous avez été bien aimable de m'avoir donné de vos
nouvelles à travers vos mariages ', vos émi^utes et vos
hourvaris récréatifs. Apparemment tout cela est arran-
gé, car vous ne m'en dites mot. Tant mieus, et j'en
suis vraiment ravi pour H. Turgot ; je regarde comme
un vrai bonlieur pour la France de le posséder
en place. Je m'en suis assez expliqué avec notre
Garaccioli.
J'aurai tout le temps d'attendre l'ouvrage de Nedier
sur les blés : rien ne presse, car, comme je ne veux
réfuter personne, ni ne dois administrer cette partie,
et comme mon système est pris, et que rien ne roc
détermine à le changer, puisque je suis exportiste
autant qu'aucun autre, et que l'impAt des traites sur
l'exportation ne saurait la gêner en aucune maniërei
pas plus que les impdls des aides ne gênent le com- '
roerce des vins, je n'ai plus rien à apprendrci et rien
l.Le mariage du BU d« nudime d'SpÎDij.
jbïGoogIc
LETTRES DE fiAl.tANl «S
à répondre sur la queslioD. Horellet me réfuie à ou-
trance; il ne saurait oie pardonner rien, pu même
d'aimer l' Almansch RoTal. Patience. Me pardonnera-t-il
de Vaimer toujours, et de le voir toujours assis i tabli;
à côté de moi, cher, le baron? S'il me te pardonne,
je suis content.
Sans doute, il me faut des chemises de toile de coton,
au moins douze. L'ambasaadeur qui viendra doit être
chargé de me les apporter.
Auron&-nous H. de Clermont, si sa l'otnme meurt?
On craint qu'il s'en soit lellement affecté, qu'il prenne
le parti, au lieu de Naplea, de s'en aller à la Trappe ;
et, en vérité, j'en donnerais le choix comme de detix
épingles. Pourquoi m'enviez^vous le bonheur de voir
la chaise de paille, changée en chaise (le poste, et
roulant l'Italie? Vous vous connaissez peu en l'ait de
réfrigérer des finies du purgatoire; tout leur est bon,
jusqu'aui plus cfaétib chapelets. Caraccioli vous a-t-il
dit combien je m'ennuie ici, et combien j'; suis mal-
lieureui 1
Sérieusement, si vous croyez qu'il faille donnei* une
seconde édition de mes Dialogues, songea à y ajoutet'
tous les morceaux de mes lettres relatifs à la questioui
Ajoute^-y aussi la parodie de VInlirit de l'État de
M. de la Rivière ', s'il vous parait amusant; et en un
1. La Bagarre, dont madiiUc d'Gpiuay possidtiit nuls le ms-
D.nt.z«dbïG00g[c
416 LETTRES DE GALUNI
mol compilez, compilez, compilez lout ce que vous
trouveiez de moi à Paris, mais n'attendez rieu de plus
d'ici. Puisque je n'ai pas réussi à persuader des tètes
exaltées, je perds courage.
Donnez-moi quelques nouvelles du baron et de la
belle baronne.
Aimez-moi; portez-vous bieu, et faites- vous une
raison sur la perte par éloignement, puisqu'il s'en
faut faire aussi sur les pertes par mort. Adieu.
Je ne sais pas si c'est une réponse ou non.
Voilà deus ordinaires que je n'ai point de lettres de
vous, et eu voilà tout autant au moins que je ne vous
écris pas. Mais, depuis que Caraccioli est à Paris, je
suis moins inquiet sur votre silence, et vous le serez
moins sur le mien : je compte lui écrire régulièrement.
11 vous estimait infiniment dès Naples; il vous aimera
à la folie à Paris. Ergo il vous verra souvent, it vous
lira quelques articles de mes lettres, comme par exem-
ple celle de ce soir; nous serons donc saus lacunes
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIAM 417
dans notre correspondance. Tâchez toujours de lui
donner de vos nouvelles dans les semaines que vous
ne comptez pas m'écrire.
Avez-vous lini vos mariages? Je vous les soubaile
plus heureux que les miens. Pour ce soir, je n'ai rieu
à vous dire ni de sublime ni de plat. J'ai dormi trop
cet après-dlner, et j'en ai un grand mal de tète ; je
m'en vais au spectacle. Adieu.
A LA MÉHË
Voici une lettre de vous tout à fait chariiiaute.
Vous y êtes gaie, bien portante, et bien contente pour
notre ami Sartine. Vous m'annoncez des choses très
agréables, et vous me dessinez des tableaux bien risibles.
Naigeon ' , s'arrachant les poils de sa tête de plaisir,
1. Littérateur eDcyclopédi) te ; ses premEers trsTaoi eurent pour
objet l'élude de raoïiquilé. Son pédaniisme et la raideur de
caractère qu'il alTectaU, la délicatesse de son tempérameat, sa
flrinre recherchée, rormaleiit un contraste, qui prétait useï au ridi-
u »
jbïGoogIc
4IR I.ETTRB.S DK (lALIAM
et criant : c'eut litfroyable ! Puut-on ne pas étouffer, à
se l'imagiDor?
Maurepas, Turgot, Sartine. ftlalesherites < , vnilà
quatre hommes <lont un seul suRità rétablir tin empire.
Dieu sait si tous les quatre le feront, comme il est sûr
qu'un seul d'entre eui l'aurait l'ait. Ahï que l'aritbmé-
lique politique et physique est différente de la numA-
rique! Il n'est pas vrai qu'en doublant les causes on
double les effets : si on met double charge, il ne
s'ensuit pas qu'on enverra le double plus loin la balle;
mais on fera péter ou <;rever le canon. Voilà ce que
je crains sérieusement, à présent que je le vois si
chargé : restons donc à voir cela. Il faudra bien que je
me presse d'arriver ù Pari», si je veux attraper le
moment agréable pour moi de voir quatre grands
amis à moi, quatre grands hommes, quatre anciens
intimes amis en place. Je crois voir là la conjonction
de toutes les planètes; ils s'cntr'éclipseront.
Au lieu àc diminuer ma famille, Je l'augmente
cule. Une liaison très étroite, à laquelle il dut toute u cousls-
laDM littéraire, s'établit ealre lui et Diderot. Niigeon eompouit
M conversation de celle de Diderot, qu'il copiait en tout. On a
trouTÉ parmi ses papiers des mémoires historiques et philoso-
phiques pour servir à l'histoire de Diderot.
1 . Le 6 mai 1TT5, la Cour des Aides, présidée par Halesherbes,
présenta su roi des remontrantet, reaiÉes célèbres, surle «ystènie
d'impAt qui pesait sur la France et sur les abus qui en résul-
taient; elle demandait des États généraui. — Turgot fll Doramer
Maleaherbea au ministère de la maison du roi.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 410
luus les jours. Hier m'est arrivée de Marseilk une chatte
angola destinée à iiiod chat angola : failes-en-moi
compliment, car je suis au comble de la joie. On
aura luie race angola à Naples, et au moins les gens
d'esprit auront avec qui passer la soirée, et trouver
(|u'on leur fait patte de velours. Au reste, nous
déclinons vers la barbarie stupide et grossière tous les
jours davantage, et l'on voit bien que c'est Dieu qui
Tait cela fi lui tout seul, et parce que cela l'amuse :
il nous enlàve, par la mort, tous les jours, quelqu'un
qui aimait les lettres et qui aurait pu les protéger ;
et il Cut cela avec un choix et une intelligence qui
ne laissent rien à soupçonner des effets du hasard.
Le duc de Bovino, grand veneur du roi, était le seul
de nos courlisaus qui avait lu Horace, et la mort nous
l'a enlevé avant-hier. D'après ce tableau, ne m'atten-
deopYOUE pas d'uu moment à l'autre?
Bonjour, ma belle dame ; mille choses à M. d'Affry,
à votre t'amillci à nos amis. Adieu!
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI
A LA MÈHi:
Madame, je n'ai pas i-époiidu à une très belle lettre
de vous, la semaine passée ; heureusement cette semaine
je n'en ai point reçu : ainsi je ne serai point en retard.
Vous me disiez qu'& la chaleur près, vous vous por-
tiez à merveille; et moi, je me croirais encore mieux
portant, si j'étais en
Vous m'avez conté l'histoire de l'abbé Bandeau, en
croyant me l'avoir déjà mandée ; mais, en vérité, vous
ne me l'avez écrite qu'une seule fois. Oroyes-moi, et
souvenez-vous-cu lorsqu'il en sera temps, les écono-
mistes casseront le cou à M. Turgot. Ils ne méritent
{>as d'avoir un ministre dans leur secte absurde et
ridicule.
Je commence ù être embarrassé pour ma toile de
cotOD : cependant je vois que te meilleur parti est
toi^ours d'attendre qu'un ambassadeur de France
vienne à Naptes, car enfin il en viendra un, et de
le prier de s'en chaîner.
!i!ïGooglc
LETTRES DE GALIANI 4«
J'ai repris ces jours passés la lecture de vos Dia-
logues, et je suis tombé sur ce petit catéchisme du
douzième dialogue : c'est un chef-d'œuvre ' ; il est au-
dessus de tous les éloges : très peu de personnes sont
en état d'en mesurer l'effet progressif.
Nous n'avoQS rien ici en fait de littérature. Je
m'occupe sérieusement à diriger un opéra comique:
s'il réussit, je vous en instruirai plus amplement.
Puisqu'il n'est pas temps de la liberté de la
presse à Paris, laissons là les blés, les dialogues
et les économistes. Je m'occupe d'Horace ' ; je suis
parvenu à me former une idée bien distincte de sa
vie : il a été malheureux, pauvre, très mal traité par
Mécène qui l'employa beaucoup et lui fit très peu de
bien. Les Mécènes anciens étaient tels que les Mécènes
modernes. Le monde s'est toujours ressemblé.
Pardoonez-moi si je ne remplis pas le papier. Vous
ne sauriez imaginer combien je suis obsédé et excédé
d'ennuyeux. Adieu !
t. ConMTtaiifmt dEmilit, tome I", page 3Î3, — l.aii
FriDCOls Locombe.
3. V(rir la lettre du 3 juin 1775.
jbïGoogIc
LETTRES DK IIAI.IAWI
Madame,
Vous avez bien niisoa, mais Je n'ai pai tout à fait
lort. Je vous avais mandé que, lorsque Caracci<di
sérail arrivé, j'écrirais taotAt à lui, tantôt à vous; ainai,
vous pourriez avoir toujours de mes nouvelles, sans en
l'aire jamais la dépense. La raison principale, d'écrire
plutôt à Caraccioli qu'à vous, est votre maudite tangue,
sur laquelle je commence à me rouiller, au point que
je me trouve bien plus à l'aise d'écrire en italien à Ca-
*raccioli. En même temps cela doit l'obliger à voua aller
trouver, el je travaille, d'ici, à nouer votre amitié avec
lui.
Plaignez-moi si je ne puis pas vous écrire plus au long
ce soir : je suis excédé d'affaires ennuyeuses, el je m'en
donne d'amusantes avec mon Horace et une pièce co-
mique, que je suis occupé à l'aire achever sous ma di-
jbïGoogIc
LETTRfiS DE GAMANI ^t3
recUon. Elle aura pour titre le Socrate imaginaire ':
il n'y a rien de plus fou. Je vous la ferai tenir lorsqu'elle
seraimprintée. Bonsoir '.
A LA MËHK
Ni|dei, le seplsmbre IT79.
Il est vrai, notre correipondance est allée depuis trois
ou quatre mois, fort dérangée chronologiquement, mais
je vous aime toujours très méthodiquement. Si je suis
absent, ce n'est pas ma faute, ni celle de mon cœur :
mais vous, qui avez besoin de fruits, pourquoi ne vous
rendez-vous pas à Naples, le pays des fruits? Je vous pro-
mets des excellentes figues et des melons à Noël . Venex^
je vous logerai : vous ne verrez que moi, si vous voulos,
et je ne verrai que vous durant votre séjour. Si le
baron * ne se laisse voir ni à dtner ni ù souper, et que
i . Paeslello o
3. Srlmin.
jbïGoogIc
434 LETTRES DE GALIAM
VOUS ne vouliez pas eutainer le coucher, on pourrait au
moins le forcer à accorder le lever. Les barons du St-
Empire sont une sorte de souverains : leur lever pour-
rait être majestueux !
Comme je n'ai rien à vous mander ce soir, je vous
parlerai de ma pièce comique : c'est une imitation de
Don Quichotte. On suppose un bon bourgeois de pro-
vince qui s'est mis en tAte de rétablir l'ancienne philo-
sophie, l'ancienne musique, la gymnastique, etc. H se
croit Socrate : il a pris son barbier, dont il a fait Platon
(c'est te Sancho Pança) ; sa femme est acariâtre et le
bat toujours: ainsi c'est une Xantippe. Il va dans son
jardin consulter son démon ; enfin on lui fait boire un
somnifère, en lui faisant croire que c'est la cigûe: et
grâce à l'opium, lorsqu'il se réveille, il se trouve guéri
de sa folie. Ce sujet serait digne d'un petit roman bien
gai, et c'est, à mon avis, le seul qui pourrait étreaussi
original que Don Quichotte, et du goût de notre siècle.
l/>rsque la pièce sera imprimée, je l'enverrai à Carac-
cioli ; et s'il veut se donner la peine de vous en expli-
quer les phrases et les plaisanteries napolitaines, vous
rirez.
Je me réjouis infiniment du succès de vos mariages ;
les miens ne l'ont pas été autant: l'aînée est tombée
dans les mains de certains dévots, d'ailleurs bonnes
gens; ils ne me sont d'aucune ressource, mais du moins
ils ne me tmcassentpas. Mais la cadette a développé un
jbïGoogIc
LETTRES DE CALIANl iii
caractère infâme *, et est tombée, dans le« tnaina d'un
homme encore plus inrâme; mais, lorsqu'elles auront
eu leurs dots, je serai tranquille.
Aimez-moi ; portez-vous bien. Adieu 1
naplas, an septembre ms.
Ma belle dame, vous eies bien bonne de songer à
m'écrire et h faire mes emplettes, au beau milieu de
vos noces; je n'en aurais pas fait autant. Au fond,
toutes mes commissions, que je vous prie de m'envoyer
par M. deClermont, se réduisent à la quantité de toile
de coton nécessaire pour douze chemises et trois dou-
zaines de paires de poignets ; si vous voulez y ajout^M'
douze mouchoirs rouges de toile de Suisse, à la bonne
heure !
Pour des livres, je ne souhaite, comme vous savez,
que des voyageurs. Si on a traduit en trançaîs les voya-
1. Après la moi't deGallant, cette aittce, la marquise de Sas-
sinon}. 36 trouTint mal iraitée dans le teslmneat. voulut l« taire
PMner; elle ne r^asail paa.
jbïGoogIc
4H LETTRES DK GAI.IANI
ges de MM. Solaadar et Bancks, en Islande, à l'Ile d'O-
taïti. etc., voiU tout '.
J'attends Grimm, puisque tout Ifl monde lue le pro-
met, mais avec des fils de conquérants de Turcs et des
Transdanubieus *, Grimm ne me vaudra pas grand'cbose
et il appartiendra à la classe des quantités Iranscen-
daiilales. Adieu, je suis horriblement pressé.
A MADAME DE BELSUNCE
Naples, («ociabre I71i.
Madame, il y a des mains maudites qu'il faut baiser.
La vôtre en est une. ie la baise, comme vous me l'or-
donnez; mais puis-je ne pas maudire cette maladie
inexorable que rien n'apaise, ni les mariages, ni les
ouvrages publiés ', ni les soins des médecins, ai ceux
1. Joseph Banks, prapriétiire de biens considérables dans le
comté de LIdcoId, s'embarqua à bord du vaisseau du capiltine
Cook. sans autre motif que sa passion pour le progrès des
•Mencet. tl «ngigu le docteur Solauder, éiève du célébra Linné.
1 l'accompogner dans ce voyage.
3. Grimm Toyagetit avec les comtes Romauioff.
8. Madame d'Aplnaf renail de publier !•) ConvtnaWmt
d-EmUUi.
jbïGoogIc
LETTRES DE Oil-IANi 4Î7
des enfants. Si vous ne m'aviez rien mandé, c'eût Mé
mieux, car j'aurais cru madame voira mère partie pour
1» Suisse. A présent, il me faut attendre impatiemment
six jours, six moiiols jours; et vous me demandez de
la philosophie I Belle demande I Tout au plus puis-je
vous donner ce soir les assurances du respect, de la
reconnaissance, de l'amitié avec lesquellesje suis, etc.
A MADAME DE BRI.SUNCE
Nïple», H novembre iT.i.
Madame, vous êtes la plus aimable des filles, puis-
que vous soignez votre mère, vous EOignei Jes amis de
votre mère absents, vous regrettez ceux qUl sont partis,
et vous finissez par avoir toutes les incommodités de
votre mère; vous êtes enrhumée, vous toussez, vous
crachez, voilà qui est admirable. Comme vous m'or-
donnez d'être gai, je tâche de l'être, mais je n'en ai
pas trop de sujet. Il est vrai que j'aurai le plaisir de
voir le petit prophète, mais ce sera pour un instant et
en fuyant. Voilà toute ma perspective de bonheur et de
jbïGoogIc
41N LETTRES DE fiALlANI
plaisir. Si je retournais le tableau, Dieu, quel spectacle
de chagrins !
Premièrement, je tremble pour la toi le de coton qui va
m'arriver. Vous m'annoncez qu'elle n'est pas égale à
l'échantillon; si elleallait être aussi vilaine que la pré-
cédente, je me serais ruiné en toile, sans avoir une che-
mise.
Secondement, vous aurezlu, dans ma lettre à maman,
que je m'étais amusé à faire composer une pièce inti-
tulée Socrate. Celte pièce a été donnée ; elle a fait
tant et puis tant de bruit, qu'ellea fini par être défendue
du très exprès commandement de Sa Majesté. Vous ne
sauriez imaginer combien, à cette occasion, j'ai eu le
plaisir de voir que j'étais aussi cordialement détesté par
nos beaux esprits que je le suis par les économistes.
Ainsi, j'ai pris la résolution de ne plus rien publier,
rien faire, rien écrire dorénavant.
Troisièmement, j'ai le chagrin de ne pouvoir con-
tinuer cette lettre; on m'appelle ; je dois sortir, et on
ne me permet que de vous assurer des sentiments de
respect, d'attachement, qui me lieront éternellement h
vous.
jbïGoogIc
LETTRES DE RALIAM
A. MADAME DEPINAY
Nsples, ti décembre ^^^i.
Madame,
Voire fille, qui a eu au uioiiis autant soin de
moi que de vous dans votre maladie, vient de m'avertir
que je pouvais recommeucer à vous écrire, parce qu'il
y avait tout à parier que ma lettre vous rencootrerait
bien portante : ai cela n'arrive pas, preiiez-vous^n à
elle. Au fait, je suis ravi de recommencer avec vous,
car ia parenthèse a élé un peu longue, et je commen-
çais à en avoir peur, mais n'y songeons plus.
Le fait est que je ne sais pas par où recommencer,
tous les fils de dos dialogues étant cassés ou ralentis
par le laps du temps. Commençons par le bon bout,
et c'est toujours l'argent. Je vous dois de l'argent et des
remercimeuts ; pour les remerclments, je vous les
compte sur le champ : recevez-en mille, dix mille, un
million. C'est bien beau à vous, au milieu de vos
souffrances, d'avoir songé à mes ciiemises. Pour de
l'argent, la chose n'ira pas si vite. Je voulais en écrire
jbïGoogIc
«0 I.ETTRKS DE fiAlIV.M
à (^raccioli ; mais il tire de l'argeul de Nuples, el ii'ea
remet guère. Je pourrais attendre l'arrivée de M, de
Clermonl, mais il tardera peut-être. Ainsi le plus court
et le plus sikr sera de vous les remettre, ces 437 liv.
8 sols, par une lettre de change, et c'est ce que je
compte l'aÎFc dans la semaine prochaine. Ayez donc ce
peu de patience.
Gleichen est à Milan. Ainsi il verra la chaise de
paillé avant moi. Je l'attends, cette chaise, avec la der-
nière impatience, pour lui montrer mon travail sur
Horace, qui, assurément, lui fera grand plaisir.
Je vous avais mandé que je m'élais occupé à faire
travailler à un opéra comique appelé Sacrale, et que
cela m'avait infiniment diverti. Ensuite vous êtes tom-
bée malade, et je ne vous en ai plus parlé. Il faut donc
vous apprendre que cette pièce a eu le plus sublime de
tous les succès. Elle a été défendue du très exprès
commandement de Sa Majesté, après avoir été donnée
' six fois au public, et mAme une fois à la cour. Cela
n'était pas encore aiTivé en Italie. En France, le seul
Tartufe mérita cet honneur. Ainsi, mettez Socratc au
niveau du Tartufe pour le bniit qu'elle a fait, pour les
cabales, les intrigues, les méchancetés qu'elle a enfan-
tées'. Telle est ma situation ici, la frayeur qu'excite
œon esprit dans les têtes dc'^ imbéciles ; enviez-moi et
1. On itréLcQdlt qne Galinni avait tournÉ en ridicule un des
priDCipBUx magistnude la ville, le conseiller Halle).
jbïGoogIc
LKTTRKS IIK IJAMAM *3I
ne m« plaif^iiex pas. car c«tle affaire ne m'a Tait hucuii
tort. Vous ne sauriez imaginer toul«s les explications
qu'on donnait à cette pièce, toutes les allusions qu'on
y trouvait. Après l'Apocalypse, rien n'a été aussi dnV
lemeot expliqué. Je veux mourir si je savais rien de ce
qu'où trouvait dans ce que j'avais t'ait. Cependant ou
u'a pas défendu les imprimés, mais si je vous en en-
vov'ais, vous ne les goûteriez pas. Adieu.
Saples, !3 di'cenilirc mi.
Madame, une lettre de madame votre lille est aussi
belle que peut l'être pour moi une lettre qui ne soit
pas de TOUS. Mais il y a des choses au monde qu'on
ne supplée pas par équivalents, telks que la maîtresse,
te duel et vos lettres. Il m'en faut donc; songez à m'en
écrire au plus vite ; en attendant, je joius ici une lettre
fur et non pas à messieurs Tourton et Baur, qui n'est
point béte, telle que toutes celles de la nouvelle année.
Elle a pour cent trente-sept livres huit sols d'esprit;
n'est-ce pas en avoir beaucoup? L'ordre de compter
jbïGoogIc
m LETTRES DE UALlANi
l'argeot au ftomaiizogogue ' m'est arrivé trop lard, el
ma lettre de chai^ vous fera (ourher l'argent plustdt.
Ainsi c'est le mieux.
Madame votre Jille m'a donné des nouvelles touchant
des séparations dont elle a bien senti la nullité d'înlé-
rét. Elle ne m'a pas appris la plus importante pour
moi, savoir si M. l'ambassadeur, et mes chemises avec,
étaient partis.
Nous avons ici le margrave de Bareith ' ; il me con-
naissait de réputation sur les rapports de Grtmm,
Gleichen et peut-être de mademoiselle Clairon ; il m'a
comblé, parconséquent, d'amitiés auxquelles j'ai répondu
par beaucoup de franchise et de vérité dans mes propos.
C'est un aimable prince, fort réservé ici, mais n'ayant
aucun des défauts de son rang. Gleichen sera ici en
carnaval et le petit Prophète y sera en même temps.
1. tii'imui.
3. c Le margrave de Bareith el d'Anspauh iUil un bomme
Irès original^ l'Europe entière retentit de ses folies et d«a im-
possibilités dont su vie fut plèbe. Il ne connaissait pas de freia
dans ses caprices et établit à sa cour mademoiselle Clairon, qui
y resta dii-sept ans comme amie, comme maîtresse, je ne sais,
mais assurément comme première puissance. > {Mémoirei de
madame d'Oberkircb.) On dit m£me que Clairoa, au grand scan-
dale de la noblesse, fut nommée gouvernante des eafanls du
margrave. Dès 1779, aux conrérences de Teschen, le margrave,
dominé par mademoiselle Clairon, et préférant sa liberté et ses
plslsiis aux deroirs de la souveraineté, fit t Frédéric II la
cession de ses deux margraviats en échange d'une pension, an-
nuelle de douze cent mille lifrM. (Voir l'appendice XVill.)
jbïGoogIc
LETTRES DE CALtANI 433
J'aurai des jours heureux, mais bien courts; il faut
s'cD contenter : la vie est si courte elle-même !
Peut-on avoir de l'esprit dans ses lettres, lorsqu'on a
passé toute la journée (comme je fais), à entendre des
platitudes? Plaignez-moi : je suis abruti. Adieu. Mille
remerciements à madame de Beisunce des soins qu'elle
a eus d'entretenir ma correspondauce. Allons, c'est
trop la fatiguer; déchargez-la une bonne fois de ce
travail.
Puisque la nouvelle année m'obligerait à écrire enCn
à quelqu'un de mes amis délaissés, chargez-vous du
baron d'Holbacb, de la baronne, de HH. Neck.er, Suard,
Marmontel, Raynal, etc. Caraccioli se chargera du reste.
Adieu encore.
Pour le coup, ma belle dame (car, quoique vous soyez
très faible et fort maigrie, vous êtes toujours ma belle
dame), sans Qatteric, votre lettre est la plus belle lettre
qu'on ait écrite, depuis qu'on a écrit des lettres. Je
jbïGoogIc
434 LETTRES DE GALIANI
VOUS en fais juge. La chaise de paille et moi embrassés,
voulant jouir de ce bonheur taut soupiré, et commençant
à le goûter en effet, si une lettre de vous était arrivée
avec de fâcheuses nouvelles de votre santé, quel coup
de massue I Quelle horrible Bitiiation pour nous deux,
de ne nous être revus que pour pleurer ensemble 1 En
revanche, j'ai reçu votre lettre dictée par vous : je ne
faisais que le quitter ; vite j'ai couru chez lui : nous
nous sommes embrassés comme des pauvres, et vite et
vite nous avons pris des arrangements pour le Vésuve,
la Cocagne, les presepios et mille autres niaiseries
napolitaines. Ah! la bénite lettre! la bienheureuse
lettre 1 elle nous a ressuscites !
Si je l'ai revu, pourquoi ne vous reverrais-je pas
aussi?
Il m'a apporté les poignets et la toile. Je fais préci-
sément comme celui qui, voulant avoir un équipage,
commença par acheter le foin. Adieu, je ne puis pas
être plus long, la poste part à minuit, et voilà onze
heures qui sonnent, adieu encore. Toujours de bonnes
nouvelles de votre santé, et puis laissez-nous faire.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI
Kiples, Il février tin.
Votre lettre du 14 au S!l a mis le comble aux plai-
sirs du séjour de Grimm à Naples et au mien de l'avoir
revu. Nous tremblions à chaque instant d'être troublés
dans nos doux transports parisiens, par quelque lettre
désagFéable de vous; au contraire, vous nous avez
régalés au commencement et à la fm de deux lettres
dictées par vous, dont la dernière respire la gaieté et
la force. Ce dialogue, grand Dieu? quel dialogue ! Grimm
l'a emporté pour en régaler Gleichen et quelque autre
à Rome; mais il me le renverra, pour que rien ne
manque à ma collection de vos œuvres.
Que puis-je vous dire d'ici? Grtmm a laissé un
grand vide dans mou existence et des regrets infinis
dans mon âme. Cependant, c'est beau de nous être revus.
Peut-être je vous reverrai à mon tour. Ainsi donnez-
vous la peine et songez sérieusement à m'attendre.
Les Romanzoff ont singulièrement réussi ici comme
jbïGoogIc
436 LETTRES DE RALIANI
partout, et avec justice. II y a bien de l'étoffe en eus,
surtout dans l'atné qui est déjà mûr, et ils ont un très
beau poli de vernis. De tous les étrangers, qui se sont
trouvés ce carnaval ici, ils étaient les plus aimables
sans comparaison '.
Ce soir je n'ai pas le temps de m'arrëter davantage
avec vous. Remerciez votre aimable fille des soins
qu'elle a eus dem'inl'ormer exactement de votre état, et
dispensez-la à jamais de ce soin-Iâ. Informcz-en-moi
vous-même. Adieu. Grimm, de Rome, vous en dira
davantage.
1. Nous trouvons dans madame de Genlls quelques détails
qui coalirroent l'oplDion de Galiani sur les Ramanzoff: s Ce
voyage de Spa (juillet 1787) fut très brillant; j'y reiroural M. le
comle de RonianzolT, que nous avions rencontré t Veniie, '
quelques années Bupsravanl, sous la conduite de M. de Grimm-
Quoiquil n'eût k cetle époque-IA que dii-liuit ans, il éleil
d^i fort aimable. H. de RomanioiT, qui n'avait jamais été en
France, pariait el écrivait le français comme s'il eût passé sa vie
i Paris. Je n'ai connu personne dont la conversation fût plus
agréable; son esprit s'était formé, il avait acquis beaucoup
d'instruction et sans avoir rien perdu de son amabilité sociale. ■
jbïGoogIc
LETTRES DE BALIANI
Naples, llïTrll UTt.
Je ne répondis pas la semaine passée à voire char-
mante lettre, parce que c'était samedi saint, jour
consacré aux visites de ce que nous appelons buona
pasqua, qu'il faut remplir aussi soigneusement que
celles de la nouvelle année de Paris. Cette semaine
j'attendais avec la dernière impatience vos nouvelles
sur le Lit de justice et sur les suites de la suppression
des corps et métiers, que j'imaginais terribles et
funestes; mais je me suis trompé peut-être, et l'abbé
Horellet aura raison.
Vous ne m'avez point écrit, et me voilà à l'obscur
de tout. Cependant, quelle que puisse être la réussite
de la chose, comme je ne vous ai jamais donné mon
avis sur ces opérations Turgotiennes, le voici simple et
naïJ'*. J'applaudis à la substance de l'affaire des COTvées
1 1 . Depuis peu, les mercbandi de nouTeautés en tabatières ont
imaginé des boites plates, qu'ils ont par cette raisoa appelées des
Platitudes; elles loot de cartou et i tiÈs bon compte. Madame
jbïGoogIc
43S LETTRES DE GALU»!
6tées et d'un iœpOt substitué, mais j'aurais souhaité
qu'on eût prisdes mesures bien plus fortes pour €'assurer
que jamais l'argent récolté par la taxe sur les terres
ne serait employé à autre chose qu'à faire des chemins.
Sans une grande précaution sur cela, à la première
guerre et peut-être même sans guerre, dans la main
d'un autre contrôleur, on prétextera des besoins de
l'Ëtat, on détournera ce fonds et vous resterez sans
chemins : car on ne pourra plus y forcer les paysans,
et l'on n'aura pas d'argent pour les soutenir.
Pour ce qui est de la suppression des jurandes ', je
It dnchesse de Bourbon est Bllée ces jours-ci ï l'hOlel labacb, et
quand on lui a demandé ce qu'elle désirallîi DeiTurgotitie«>, a-
l-elJe répondu. Le marchand aurpri», ignorait ce qu'elle *oii-
lait dire. (Oui, des Ubatiëres comme celles-là i, a-l-elle ajouté, en
montrant la forme moderne : < Madame, ce sont des Platitudes. ■
s Oui, oui, B riposlé la princesse, c'est la même cbose. > Le
nom leur en est resté et il n'est personne qui ne veuilie avoir
ta TurgoUne ou sa platitude. •
{BachaumoDt.)
t. Turgoi eoDlittualt ses réformes. En janvier 1TT6 il proposa
!■ L'abolition de la corvée pour les chemins et son remplace-
ment par un impât sur les propriétaires de bien fonds.
3* L'abolition des droits établis A Paris sur les blés et les
farines.
3' L'abolilion des offices créés sur les halles, quais et ports de
PaHs.
4' La suppression des Jurandes, maîtrises et corps de métiers,
et la pleine liberté pour tout citoyen d'entreprendre toute espèce
d'industrie, etc., etc.
Le y février 1776 les édils annoncés furent envoyés au parle-
eni pour l'enregiitremeni. Sur six édits envoyés, le parlement
jbïGoogIc
LETTRES DE GALUNI US
le dis & la barbe de tous les raisonneurs à la mode
et de tous les économistes, c'est une bêtise, une faute,
une absurdité. On ne connaît pas les hommes :
Conamw in vetitum. Plus une chose est difficile,
pénible, coûteuse, plus les hommes l'aiment, s'y atta«
chent, en raffolent. Les ordres religieux les plus
austères sont ceux qui ont produit le plus do grands
bommes. Rendez les règles des pères de Sainl-BIaur ou
des jésuites aisées, commodes, leur ordre est détruit ;
ainsi je suis persuadé que M. Turgot a porté le coup
fatal aux manufactures de la France. Les habiles
artistes, en partie sortiront; d'autres se négligeront;
et au lieu d'établir l'émulation, il aura cassé tous
les ressorts vrais du cœur de l'homme. Tel est mon
avis.
Je n'ai pas eu de nouvelles du voyageur depuis un
mois; mais il est si paresseux! Je suis enchanté des
progrès de votre santé. Pour moi je me porterais bien,
si je n'étais dans le chagrin d'avoir perdu mon chat.
Vous ne sauriez imaginer à quel point je suis fâché
d'avoir perdu i'ami le plus raisonnable que j'eusse ici,
Gleichen nous quittera bientât ; son imagination est
bien blessée, et peut-être sa santé est plus mauvaise
n'en enrepïtra qn'un seul et demanda au roi le reirait âea
autres. LonU XVI refusa, et comme le parlement penistait i
désobéir, un lit de justice Tut teoD le 11 mars et on passa outre
pour l'enregiatrement.
jbïGoogIc
«0 LETTRES 0E GALIANl
qu'elle ne parait. En tout il se dispose à devenir
très malheureux. Grondez Hagallon de ne m'avoir
jamais écrit. Adieu.
A MADAME DE BELSUNCE
Pour le coup, c'est bien k vous, madame, qu'il Tant
que je réponde. Savei-vous que vous devenez charmante
avec vos lettres? Elles n'annoncent plus la maladie de
maman ; elles en exposent les occupations, les distrac-
tions, les idées agréables de changer de maison, et
même d'en acheter (ce qui, soit dit entre nous, me
cause autant de plaisir que d'étounement). Continuez
donc & présent à m'écrire à sa place, je ne m'en plain-
drai pas, et même à peine pourrai-je m'aperceroir du
changement.
Je sens tout le chagrin et l'amertume dans lesquels
doit être plongée maman, par la mort de son chieo.
Jugez, vous, à présent, de la mienne, puisqu'on vient de
tuer mon chat. Abl quelle perle que celle des chiens
et des chats ! Tous les Vrilliëres du monde ne sont
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANl 4*1
rien en coiDparaisoa*. Ea vérité, je suis inconsolable
depuis trois semaines, il avait été mon maître de langue
chatoise ; et quoique je ne pusse pas la parler, parce que
la prononciation en est plus difficile que l'anglais, je
l'entendais passablement.
Mais parlons d'autre chose. Je ne suis point du tout
content du changement de maison que veut faire ma-
man. Je crois plus utile pour elle le bruit que la soli-
tude, on se fait au plus grand bruit, comme à celui des
vagues lorsqu'il est continuel, mais on ne se fait pas
à la solitude. Elle nous laisse le temps de sentir nos
incommodités, qui en deviennent plus fortes par là 1
Le baron de Gleîchen a été plus heureux que le
généi-al Koch ; il a trouvé ici une eau soufrée dont il
boit, et qui tue les vers; elle l'a remis dans un état de
santé meilleur qu'il n'aurait pu s'imaginer. Jamais il ne
s'est si bien porté; il est vrai qu'il s'ennuie à périr;
mais les eau^ n'ont jamais guéri l'ennui ; quelquefois le
Vin Va dissipé.
Pardonnez-moi, madame, la bêtise de cette lettre ; je
suis accablé constamment d'occupations ennuyeuses, 11
faut que je sorte : il est tard; la matière me manque, et
l'esprit est à sec. Embrassez maman de ma part.
Adieu.
1. M. le due de la Vrillière était minislre, secrétaire d'Ëlal;
il avait le déperCement de la maiHiQ du roi, le clergé, etc. Il fut
dettitoÈ en 1176 et remplicé par Amelal, secrétaire d'Étal.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANl
HADÀUE D'ÉPINAV
HapleE, i« mai ^^^t.
Que' blasphème ! Vous appelez un chiffon une lettre
écrite toute de votre main, qui me parle de votre
santé, mieuK que je ne l'osais attendre; qui m'annonce
des idées de changements de maison, d'achat, et
d'autres choses, toutes agréablement fastidieuses. Et
que pouviez-vous m'écrire de plus important?
H'auriez-vous parlé de vos édits, de vos réformes?
Sur les édils, je vous ai déjà mandé mon avis. J'ap~
plaudis à tout, excepté les maîtrises, dont l'abolition
est le coup mortel porlé aux manufactures de France;
et l'effet s'en apercevra dans trente ans et pas aupara-
vant. Pour vos réformes, je le» applaudis toutes, d'au-
tant plus qu'aucune ne retombe sur moi. Tite-Live
disait pourtant de son siècle (qui ressemblait si fort au
nAtre) : Ad hœe tempora ventum est, quibus nec vitia
nostra nec remédia pati ponsamus. « On est dons un
siècle où les remèdes nuisent au moins autant que les
vices. B Savez-vous ce que c'est? L'époque est venue de
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 443
la chute totale de l'Europe et de la transmigratiou en
Amérique. Touttombeen pourriture ici: religion, lois,
arts, sciences ; et tout va se rebâtir à neuf en Améri-
que. Ce n'est pas ua badinage ceci, ni une idée tirée
des querelles anglaises : je t'avais dit, annoncé, prè<
ché il y a plus de vingt ans : et j'ai ru toujours mes
prophéties s'accomplir. N'achetez donc pas votre mai-
son à la.Chaussée-d'Antin, vous l'achèterez à Philadel-
phie. Le malheur est pour moi, puisqu'il n'y a point
d'abbayes en Amérique.
Embrassez-moi Schomberg et les amis qui ne seront
pas absents. Le voyageur sera à Venise. Je n'en aï
point de nouvelles. Adieu. Voilà du chiffon, si vous en
voulez.
KifiM, f juin 1TT6-
Hîer au soir est arrivé votre ambassadeur. La pre-
mière chose dont il m'a parlé, c'est de votre paquet.
Je l'attends avec impatience pour voir si la deuiième
expédition de la toile aura été moins malheureuse que
jbïGoogIc
44* LETTRES DE GALIANl
la première; mais il faut lui donner le temps de
déballer son équipage. Dieu veuille donc que ce paquet
ne s'égare pas ! Car comme madame )a duchesse
de Chartres va lui tomber sur le corps', il y aura
pendant quinze jours dans sa maison un hourvari
récréatif.
Vous aurez appris la mort du bon comte de
Fuentès*. J'en suis pénétré, et j'avais bien besoin d'une
lettre aussi gaie que la vôtre. Ce qui a ajouté à mon
plaisir, c'est la feuille de notre incomparable philo-
sophe. Notre voyageur vous dira que, dans son séjour
ici, je ne lui ai parlé que du philosophe, lorsque je
pensais à m'égayer, et de vous, lorsqu'il fallait s'affli-
ger. Vous étiez alors dans un état bien chagrinant, et
je m'attendais bien plus à apprendre que vous eussiez
été loger dans la domus exilis Plutonia qu'à la Chaus-
séc-d'Antin. Enfin Dieu a eu pitié do moi.
Je répondrai sans faute au philosophe, mais donucz-
en-moi ic temps. Je compte l'amuser avec ma réponse.
Par l'arrivée du beau-frère de l'ambassadeur, qui l'a
1. La duïhosae de Charlrea visitait l'Italie.
1, Pendant tout soa séjour en France, (iailanl avait eu les
rapports les plua affectueux et les plus Intimes avec le conle de
Puentès, alors ambassadeur d'Espagne i Paris. Dans sa cor[«s<
pondante inétlita avec Tanucci, il parle h chaque instant délia
cota Fuentès, comme de la maison où il allait arec le plus de
plaisir. Le comte de Fueutès mourut k Madrid le 13 mai 1776,
igé de 53 aus.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIA.M 445
devancé d'un jour, j'avais appris le changement du
ministère, et je n'avais appris rien do plus que ce que je
savais, lorsqu'on créa contrôleur-général M. de Turgot ' .
De grâce, relisez cette lettre que je vous écrivis alors '.
Je vois que M. de Sarliae va devenir le pilote de
l'État*; beati mites, quoniam ipst posstdebunt teiram.
Vous-même, madame, à présent que vous achetez une
maison, vous aimerez bien plus l'architecte, qui
vous en réparera les trous, vous fera quelques légers
changements, que vous n'aimeriez l'illustre PerrauL,
qui vous la démolirait pour la rebâtir à neuf sur un
dessin magnifique. Car vous voulez loger, vous sentez
1. r.es réformes de Turgot aTaieni peu à peu ameuté eonire
lui tous ceuxqui l 's raieoi d'abord soutenu, Maurepas lepremier.qui
se voj'all complètement effacé, puis la famille royale, la Cour,
enOn tous ceux qui se trouTaient atteints parles ianovatloDS du
mlaislre. On poussa iUalesherbes k se retirer, et quand oo eut
fait le vide autour de Turgot, on obtint du roi qu'il le renvoj'tt.
I Âhl s'écria Voltaire, quelle funeale nouvelle j'apprends! La
FrsDCB aurait été trop heureuse ! que dévie mirons -nous î je suis
atterré 1.— Heure pas prit aussilét le litre de chef du Conseil des
Snances, et il appela au coo truie-général rintendanl de Bordeaux,
H. de Ctugny.Peu de temps après une déclaration royale rétabLit
Vancienutage pour Ut réparations des chemins, c'est-à-dire In
corvée. On rapporta également l'édit qui supprimait les maîtrises
etles jurandes. On interdit les Éphéméiides du Citoyen de l'abbé
Baudeaa, qui fut exilé ;en province aven l'abbé Roubaud. —
(laliani ne ponvait que se réjouir de voir la défaite de la secte
économique, qu'il détestait si cordialement.
3. Voir la lettre du 17 septembre 11T4, qui, en elTet. est une
véritable propbélie.
3. H. de Sartine était ministre de la marine.
jbïGoogIc
446 LETTRES DE GALIAMI
que la vie est courte, et qu'il est toujours vrai, ce trait
philosophique d'Horace : Quid brevi fortes jaculamur
œvo multa? EoTiu Sartiae est le seul qui n'a point
fait de grands édits, qui n'a pas demandé des lits de
justice, et je parie pourtant que son département est
en bien meilleur état qu'il n'élait auparavant. U est
donc le seul qui connaisse les hommes, et le vrai bon-
heur qu'on peut leur procurer. Turgot aura reculé le
bien d'un demi-siècle. U aura miné la secte économi-
que : et voilà tout ce qu'il aura fait de bon. Morellct
sera bicu élonué, élant honnête homme autant que son
chef, de se trouver encore plus détesté que les Terray,
etc. : mais il ignore que les fripons malheureux ont un
parti, et que les honnêtes gens n'en ont aucun, Ricci '
avait un parti ; Silhouette * n'en avait point. Aimez-
moi. Mille choses à madame de Belsunce. Adieu.
1. Supérieur général des Jésuites.
2. Contrôleur des fi nan ces, né en 1709, morlen 1767.— Il C<nii->
mença quelques réformes, mais aj'ant touIu diminuer le« dé-
pense'» personnelles du roi et élablir de noiiTeaui impôts, il per-
dit tout crédit et fut obligé de quitter son poste au bout de
huit mois. 11 occupa beaucoup le public pendant son ministère,
et, aprfes sa chute, tout ce qu'ocdoniiaU la mode était à la
sitlioueUe.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALtANI
Kaples, II juin me.
Je suis sans lettres de vous depuis deuic semaines.
Je craius que ce ne soit politique! Après m'avoîr
doDué sèchement la nouvelle du changement du
ministère, vous avez voulu me taire la glose,
n'est-ce pas? Moi, plus honnête homme que vous, je
vais vous écrire franchement tout ce que je sais de
madame la duchesse de Chartres, qui nous est arrivée
hier au soir, et qui a diné ce matin avec le roi et la
reine. Des gens qui sont venus de Rome nous ont
rapporté que là elle voulait être rentrée chei elle à
neuf heures, pendant que les sociétés à Rome, en été,
commencent à onze heures du soir. Lorsqu'on lui
montra Saint-Pierre, elle courait comme un lévrier,
sans s'arrêter à rien, disant toujours : C'est charmant,
entre ses dents, sans rien fixer ; enfin elle ûxa le tombeau
de la reine Christine, et, après l'avoir regardé long-
temps, elle dit : Comme elle est mal coiffée! et s'en alla.
Ce trait est si original et si neuf, que je n'ai pu vous le
jbïGoogIc
M8 LETTRES DE GALIAMl
laisser ignorer, Co matin elle a peasé mettre en émeute
les rues. Il a fallu 6ter les coussins à la plus haute
voiture de l'ambassadeur, pour que sa coiffure y
entrât. Le roi a fait des efforts iucroyables pour
s'empôcher de rire. Je suis très pressé d'aller ce soir
au théâtre, pour voir le succès de cette nouveauté > .
Ah! jusqu'aux maîtres d'hûtet des philosophes causent
des séditions dans les Ëlatsî
Je n'ai aucune nouvelle du voyageur depuis Pâques;
donnez-eu-moi, si vous en avez.
J'ai reçu le paquet de la toile de co[ou; il y en
avait trois coupons. Les deux sont excellente; mais
un troisième coupon ne vaut rien. Assurément, vous
y aurez apporté tous les soins. Il faut donc dire que
le commerce de la compagnie des Indes est si
florissant qu'il n'y a pas à Paris de quoi faire douze
chemises de toile de coton. Qu'en dît-il l'abbé Horellet?
1. Etirait d'une lettre de Gênes da 20 mai. « Madame la
duchesse de Cbartres a d'abord désolé Ici toutes lei femmes
qui se piquent de se parer à la Parisienne; cette princesse,
qui voj'age sous le nom de comtesse de Joinville, n'a paru
les premiers jours qu'en demi-grand bonnet : ce qui a Tait
irioraplier les maris, ennemis des coiSïires hautes et des pa-
nacbes; ils ont représenté i leurs moitiés qu'elles ne pouvaieDt
mieux faire que de se conformer k la fa;on de se coiffer de
' notre première princesse du sang. Mais celle-ci s'étant mise
in fiocchi et ayant arboré les plumes, l'allégresse a été univer-
selle chez ICB dames, et, dès le lendemain, lus banquiers ont eu
pour 50,000 livres de commission en plumes k faire venir de
France. > (Bachaumont.)
jEïGoogIc
LETTRES DE GALEASI «9
Est-il bien content de sa liberté? Trouve-t-il agréable
jusqu'à la liberté de renvoyer les ministres?
A propos, le margrave de Bareith m'a mandé de
sa résidence, qu'étant à Paris, il avait cliargé sou
banquier de m'expédier douze bouteilles d'encre par-
faite. Je n'en ai reçu aucun avis de Paris, si ce n'est
que M. l'ambassadeur Ctermont m'a dit qu'on voulait
ie charger de cette caisse, et qu'il ne voulut pas s'en
charger. J'aurais pourtant très besoin de celte encre
Voyez à engager ce banquier à me l'expédier au
plus vite.
Puisque la rencontre de la toile pour chemises
est si difficile, soyez à la vedette, s'il s'en présente,
et achetez-en-moi , à votre aise et lorsque vous la
rencontrerez, une autre douzaine. Vous avez bien du
temps pour cela, et au départ de quelque Nonce ou
autre, vous me l'expédierez.
Mille choses à madame votre fille- Adieu. Aimez-
moi en dépit de l'absence. C'est aujourd'hui le jour
précis qu'en 1769 je vous quittai. Ah! quel souvenir !
jbïGoogIc
LETTRES DE OiLIA.M[
De Saune, n Juin tiie.
Vous voyez, ma chère dame, par l'endroit d'où je vous
écris, que je suis hors de Naples; et, par conséquent,
bien peu à mon aise surtout pour épistoliser. Mais il faut
vous écrire 1° pour vous dire que la lettre du 37 mai,
dont TOUS faites mention, est précisément celle des
vôtres qui s'est égarée ; et je doute fort que ce soit dans
cette lettre égarée que vous m'ayez mandé la mort
de mademoiselle de Lespinasse, car Grimm me la
manda de Venise, et, dans votre lettre du 3 juin,
vous ne m'en disiez mot. Le plus agréable pour moi
serait d'apprendre que Grimm m'avait mandé une
fausse nouvelle.
Madame la duchesse de Chartres nous a quittés.
Si H. de Genlis ' , qui la dirigeait, eût été un peu
1. LecomU de Genlis, marquis de Siitery, mari de la célèbre
madame de Geniis, gouTernaale des enTaott du duc d'Orléaiu.
Il était capitaioe des gardes de H. le dac d'Orléans. C'éUit un
brlliant causeur, plein d'esprit. 11 ne tiit pas le modèle des
jbïGoogIc
LETTBE3 DE GALUNI <U(
mwns lésineux, il n'y aurait eu rien à désirer sur
le succès qu'elle a eu ici. Mais la dépense qu'elle a
faite a été si incroyablement mince, que, si je vous
la disais, vous seriez étonnée. Les daines de sa suite
marcbaieut eo habits rapetassés (c'est au pied de la
lettre) et leur attirail était quelque chose de gueux,
qu'on ne saurait aisément décrire ' . Voilà une grande
preuve d'amitié que je vous donne, en vous mandant de
telles nouvelles avec tant de candeur.
maris, mais madame da Genlis, s) I'od en croit les mémoires
du temps, sauf les siens, ne se piquait pas d'une constance
i toute épreavS'
1. Madame de Geails eipUquc de son mieui, dans ses Mèmoi-
Ttt, cet attirail mesquin ; reste à savoir si l'eipiication est vraie :
■ Nous.airlTAinesimidi et en passant dans la rue de Tolède, ruequl
est aussi peuplée que la rue Saint-Honoré, on nous vola deux
porte-manteaux, qui contenaient des babils de livrée de nos
gens , et tous nos paniers de robes parées. Comme nos courriers
étaient en avant, noua ue nous en aperçûmes pas, et les passants
de la me, irouvant apparemment cette action fort simple, ne
nous donnèrent pas le moindre avertissement. Nous fûmes fort
embarrassées parce que nous avions besoin de nos paniers pour
être présentées lo lendemain matin. L'ambassadeur eo emprunta
pour nous t des dames de sa connaissance, mais ces paniers
étaient beaucoup plus grands que les nOtre^, de sorte que nos
robes le trouvèrent liés raccourcies, et nous parûmes i la cour
fort ridiculement habillées. L'ambassadeur conta notre aventure ;
on en rit beaucoup, et le roi dit k l'ambassadeur qu'il nona
ferait reslituer nos paniers et qu'il fallait qu'il s'adressit pour
cela, de sa part, à un homme de justice qu'il lui nomma. Ou
Bt comparaître le chef de la bande qu'on connaissait fort bien
et il restitua gratuitement les paniers; mais il fallut pajer pour
les habits de livrée, car le roi n'avait pas donné d'ordre i leur
sujet. .
jbïGoogIc
4&3 LETTRES DE GALIAM
Votre lettre est charmante ea ce qu'elle me parle
beaucoup de vous et de votre famille, et bien peu
des afTaires politiques.
Gleichea, après avoir pris congé de tout le monde,
et s'être muni de passeports, est resté: et il est tort
content d'avoir une fois pu vaincre son irrésolution ;
aussi, à l'instant, il s'est mieux porté. Adieu; il faut
aussi que je vous quitte brusquement, comme vous
dans votre lettre.
Niplea, • Juillet tTK.
Cette semaine, je n'ai point de lettre de vous; je
suis assez tranquille sur votre santé, et cependant cette
privation me cbagrine. 11 n'y a pas d'ai^ut que je
dépense avec plus de plaisir que ces trente cinq sols
par semaine pour vos lelti'es, qui ne disent rien pour
la plupart. Mais une lettre qui ne dit rien, est toujours
une lettre qui dit qu'il n'y a rien k dire, et le silence
dit tout et rien en même temps : et voilà un propos
obscur qui ne vaut fien.
jbïGoogIc
lETTBES DE GAIIANI 453
Moi aussi je ne vous mande jamais rien; mais qu'im-
porle ; j'écris, et ce soir je suis dans ce cas. Que vous
dirai-je'Que les galères de Malte sont ici, qu'il yadessus
force chevaliers français, jeunes étourdis ; que SC. Bé-
reoger ' va partir, et que si vous le voyez à Paris, il
vous parlera beaucoup de moi; qu'hier au soir, chez
l'Ambassadeur de France, on exécuta un Te Deum
composé par un jeune matlre de musique français, qui
est ici, et que ce Te Deum est peut-être le premier
qu'on ait chanté sans avoir remporté victoire.
Vous dirai-je que Paesiello nous a donné un opéra
boufTon d'une musique tellement supérieure, qu'elle a
engagé les souverains à aller à son petit théâtre l'en-
tendre, événement nouveau depuis l'établissement de
la monarchie chez nous • ? Vous dirai-je qu'hier le
roi est allé en procession avec ia reine, les seigneurs
et les dames de sa cour, gagner le pardon du jubilé ".
t. M. de Bérenger était aUacbù & l'ambassade de France k
Naples. Madame de Saussure en parle souvent dam son voyage.
9. Le Utre de cet opéra est : ^1 flndo il v(ro.
3. ■ Dana cette fêle, écrit le prince Grégoire OrlofT, se déploie
en liberté le gaùt de la nation Dapolitaine pour tout ce qui est
faste. Il n'est pis un noble, pas un bourgeois qui ne vienne s'y
montrer, et dans sa plus belle voiture, et dans ses plus beaoi
habits. On ne voit qu'or, broderies et brillants. Le roi, les
princes et tous les grands ofBciers de la cour assistent A cette
fête dans des voitares de gala fort antiques, qui ne sortent guère
que ce jouMk. Le carrosse du roi est surmonté d'une immense
couronne d'or et d'un si grand amas de plumes blanches, qu'en
le voyant, on se croit transporté dans l'ancien Mexique, au
jbïGoogIc
4M LETTRES DE OALIANI
Voilà h\m des nouvelles et bien intéressantes. La plus
jQtéresaante est pourtant que je commeDce à respirer
sur mes afTaires domestiques, et que je me porte bien ;
du moins il me paraît aiosi. Bon soir; mille respecte
k madame de Belnunce et à mes amii . Vous avez réta-
bli H. Lenoir ' : j'en suis cbarmé.
N'oubliez pas les bout^itles d'encre que le margrave
de Bareith devait me faire envoyer par son banquier
de Paris.
Pérou, et ««Biiier «u irlompbe fle Monteiuau. ■ Madame de
Saussure décrit également cette procession, i Hod mari revint
me prendre, et il me plaça ilius ma belle chaise i porteur,
tonte d'or et de glace, comme le dit ma Qlle. J'afals deux
porteurs en livrée, mon mari marchait à colé de la chaise ;
nous en avons rencontré beaucoup, c'est étonnant la magnl-
llcence qn*on étale pour cette occasion, le nombre det coureun,
des laquais, des pages, des gentilshommes, qui suivent et pré-
cèdent tous dans des habits délivrées neuves et brillantes; la prin-
cesse de Ferolite, chei qui nous allions voir la procession, nous
a très bien reçus. Je ne pouvais m'dler du balcon ; cette place
de l'Arco du Caste), avec la foule qui la remplissait, la quantité
des chaises, et de leur suite, blsail nn eOït brillant et singu-
lier; enûn )a procession a passé, elle est en vérité superbe; le
roi, la reine, précédés de tous leurs gardes, suivis de toute la
cour, leur maison, les officiers de presque tous les régiments,
vont visiter à pied cette église, etc. »
1. 11 avait remplacé M, de Sartlne comme lieutenant de po-
lice; Turgolle fit destituer après les émeutes occasionnées par la
cherté des blés.
jbïGoogIc
LKTTRKS DE OALIANI
A LA MÊME
Vous avez raison, madame; une petite lettre de votre
main équivaut à une très bonne nouvelle; aussi je suis
content de ce courrier. Cependant vous parlez des cha-
grins que vous causent les absents. Ah.' si je commen-
çais à vous parler de ceux que causent les présents, il
me faudrait vous parler de cinq sœurs, trois nièces, un
neveu, la Temme et les enfants de ce neveu, une tante
maternelle et sa famille, les maris de mes deu\ nièces,
ma belle-soeur, son mari, sa mère, et puis à peu près
trente cousins et une centaine de parents plus éloignés.
Il est vrai, au pied de la lettre et sans exagération, que
tout ce monde est sur mes bras ; tous ont recours à
moi ; aucun n'est eu état ni en charge à m'appuyer, h
me faire quelque bien, à m'étayer : tous me pèsent;
tous, à mon neveu près, sont dévols à brûler; et
tous, y compris mon neveu, sout ennuyeux à périr.
Toujours quelqu'un de cet esuim de parents dîne avec
moi ou vient loger chez mol. Ils m'dtent la solitude
jbïGoogIc
4SS LETTRES DE GALIANI
sans me donner la compacte. Je ne me suis étendu
sur cela que pour vous consoler et vous prouver que,
à la santé près (qui est un grand article), mon état est
bien pire que le vAtre, et pour vous faire convenir
qu'il n'y a rien de bon dans le meilleur des mondes
possibles. Ab ! si le bon Dieu eût voulu créer un monde
impossible, comme nous y serions heureux !
Je vous remercie de m'avoir mandé un excellent mot
de Garaccioli que je n'ai communiqué à personne. li
paye la punition d'avoir voulu ménager et même cbérir
cette engeance économisUque, qui s'est avisée, pour
flatter leur feu Turgot, de publier sur les gazettes un bon
mot de lui, qui lui a fait, en Italie et ici, grand tort à
la réputation de discrétion qu'un ambassadeur doit sou-
tenir en parlant des afTaires des souverains. Je le plains,
mais en même temps je lui dirai : que diable allait-il
faire dans celle galère?
L'ambassadeur de France est tout à fait aimable. Il
réussit ici mieux qu'aucun autre, môme mieux que
Breteuil. Beati mites, qwoniam tpsi possidebunt terram.
L'Hôtel-Dieu, placé aux Invalides, est la meilleure
cbosc qu'on eût pu imaginer. Il fallait un bel incendie
pour opérer ce bien, tant il est %Tai que la lumière
fait des progrès (à ce que disent les économistes).
Quelle lumière que celle d'un incendie* I
1. L'HQtel-DIeu arait été dëlmit en partie par un incendie
terrible qui éclata dans la duU du 30 décembre 177! et dont on
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIAM 457
Vous ai-je mandé le service essentiel que m'a rendu
la chaise de paille ? Il a Tait acheter par l'impératrice
de Russie le cabinet de livres et d'estampes de mon
frère, au pris de l'estimation que j'en ai demandé '.
Le service consiste en ce que je me suis vengé par là
de mes aimables compatriotes qui le voulaient acheter
pour rien.
Adieu. On m'interrompt; et c'est le frère du mari
de ma nièce qui arrive, après avoir visité les églises du
jubilé : ne vous l'avais-je pas dit?
ne put M rendre enlièrement maître qu'en bout de plusieurs
joura. Depuis cette époque les ruiues de ce bétimcot étaient
(jemeurées «nus réparations et il était sans cesse qufstion de le
rebllir ailleurs, ce qui n'eut pas lieu; on le reconstruisit sur
son iDcfen emplacement.
* 1. Son frère, le marquis Bernard Galianl, s'était occupé toute
M lie d'une édition complète de Vitruve, avec planches ; 11 la
publia peu de temps avant de mourir. Sa bibliotbèque se com-
posait surtout de livres d'arcbilcclure, et l'Impératrice Catbe-
rine les aimait beaucoup. Elle écrivait A Grimm: > Î9 juin 1TT6-
n La lettre de l'abbé Galiuni est charmante ; son envoi de livres
me fera grand plaisir, car je raiïole des livres d'architecture;
toute ma chambre en est pleine et je n'en ai jamais assez. > Et
quand l'enrol fut arrivé : s La bibllolhèque de l'abbé Galianl
m'amuse souvent; une heure avant mon dtner, je vais lui
rendre visite, et li, comme les petits enranis, j'en eiamine les
feuilles gravées, aSn d'emporter le miel dans ma ruche; quant
aux reliures jo n'y regarde jamais, cela m'est fort indlITérenL
J'enverrai i l'abbé Galiani une médaille qui lui servira de por-
trait ■
jbïGoogIc
LETTRES DE GÀLtAKI
A LA MÊME
Htples, tr Juillet tTTI.
Je n'ai point de lettre de vous, madame, cette se-
maine, et je n'auraia rien à vous mander, ai ce n'ast
l'état de désespoir où me met la mauvaise encre qu'oa
trouve ici. En vérité c'est la plus grande des raisons que
j'ai de ma paresse à écrire. Ce bon Margrave de Barcith •
m'en voulait expédier de Paris ; il en a chargé son
agent, et il a eu la bonté de m'en informer. Moi je l'ai
remercié, et cependant l'encre n'est pas arrivée. Je
rougis d'écrire au Margrave et de lui porter mes
plaintes sur cette lésine de son agent, qui, pour ren-
contrer peut-être l'occasion d'envoyer les bouteilles
sans frais jusqu'à Marseille, me fait attendre désormais
six mois. De grftce, aidez-moi à recouvrer cetta encre.
Criez, pestez, écrivez, grondez, cherchez, faites en sorte
que j'aie de quoi écrire, si l'envie m'en prend. Vous y
gagnerez, vous la première, je vous en assure.
Paesiello, notre grand compositeur, est pris au service
jbïGoOQlc
LETTRES DE GALIANI 459
de la Russie ', et port d'ici après-demain. U sera d'une
grande ressource à Grimm cet hiver, car il raffole de
sa musique, et avec raison. Hoî et Gleicben nous éprou-
vons beaucoup de peine du départ de cet homme de
talent et de génie, qui, en outre, est fort aimable. Vous
le verrez à Paris, peut-être dans trois ans d'ici.
Aimez-moi ; et lorsque j'aurai une meilleure encre,
je vous promets de plus longues lettres. Adieu.
NADAHE DÉPIMAY A GALIANI
C'est certainement, mon charmant abbé, une cor-
respondance unique que la nôtre; nous nous écrivons
toutes les semaines des lettres de trois ou quatre
pages, dans lesquelles on ne trouve autre chose, sinon :
1. Paeslello avait débuté au ibéâlre de Bologne p*r la PaplUa,
qui eut un éclalaut succès. L'impératrice Catberine, qui voyait
dans II correspondance de Gallani loul le bien qu'il pensait de
ce compositeur, songea k te l'attacher et lui offrit un traitement
de neut mille roubles, arec maison de ville et de campagne. Pae-
siello accepta et passa neuf ans en Russie ; puis U vint en France
et retourna monrir k Naples.
jbïGoogIc
ie» LETTRES DE GALIANI
Je me porte bien, je suis gaie, je suis triste, il fait
chaud, il fail froid, un tel est parti, un autre arrive, etc.,
et nous sommes cootenls de nous comme des rois ;
nous nous trouvons de l'esprit comme quatre. Si par
hasard un courrier manque, voilà des plaintes,
des cris : il semble que tout soit perdu. Savez-
vous que je commence à penser que nous som-
mes bien plus heureux que nous ne le croyons. Puisque
vous l'êtes de ma meilleure santé, je vous dirai qu'elle
chemine vers la robusticité, et pour vous donner du
nouveau, j'ajouterai que je me remets, non à travailler,
mais k penser; et si ce bon état dure, je ne désespère
pas de pouvoir continuer mes dialogues sur l'éducation.
Il faut que je vous communique quelques-unes des
idées qui, tout en rêvant, m'ont passé par la tête.
le me suis demandé pourquoi les animaux, qui
jusqu'à présent sont bien nos très humbles serviteurs,
s'avisent de naître avec le degré de perrectibilité qui
leur est propre, tandis que l'espèce humaine travaille,
depuis la naissance jusqu'à la morr, pour n'atteindre
qu'au degré qui lui est propre; et puis je me suis
demandé si l'avantage était pour eux ou pour nous * .
Avant de vous dire ma réponse, il faut que vous
sachiez que j'ai fait mes deux questions à un homme
d'esprit, à un savant, qui, au lieu de résoudre le
1. Voir la lettre du 11 octotire 1776.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 461
problème, m'a dit : « Lisez un livre de Bordeu ' qui
vient de paraître... » Lire! moi, lire! ai-je dit; jamais.
Des laits, tant qu'oa voudra ; mais en fait de raisonne-
ment, je ne lis que dans ma tète. J'ai deviné tout ce
que je sais, et je devinerai tout ce que je ne sais pas.
En vérité, l'abbé, il y a des moments où je suis assez
folle et assez vaine pour croire que j'ai deviné le monde.
Je n'ai pourtant pas tout à tait deviné, à moi toute
seule, la réponse à ma première question. J'ai bien dit :
c'est que chaque espèce d'animaux n'est occupée que
de ce qui lui est propre ; mais cela ne me satisfait pas.
J'en ai parlé au philosophe (à qui vous devez toujours
une réponse, par parentlièse) ; il m'a dit : a J'y ai rêvé
pins d'un jour; c'est que chaque espèce d'animaux a
son organe prédominant, qui le subjugue, et que
l'homme a tous les siens dans un degré de faculté
combinée, dont le centre est la tète et la pensée. »
U m'apporta un exemple; mais je ne peux pas vous
le dire, vous le devinerez. Il naquit trois enfants ju-
meaux, il y a vingt ans, à Amsterdam, je crois ; ils
étaient imbéciles, féroces, sauvages; un seul de leurs
organes, dès l'âge de dix ans, était à son point de
perfection, et d'une perfection monstrueuse. Et quel
organefdevinez, car c'est précisément ce que je ne dirai
pas. Eh bien, ces trois eofonts n'étaient absolument
1. Tbéoph. de Bordeu, docteur en mËdedoe (IT^IT^G)'
jbïGoogIc
*m LBTTRE3 DE QA.LIÀN1
propres qu'à une diose; et il n'y eut point dfi puis-
sance bunuiae qui pût les empécber de remplir leur
vocation. Ils moururent épuisés avant l'âge, etc. Vrai-
meati lui ai-ja dit, cela me fait résoudre un autre pro-
blème, c'est de trouver pourquoi les g&i& de génie sont
si botes. . . .
Quimt k savoir de quel cdté est VaTsntage, je décide
pour les animaus; ils n'ont ni la peur de mourir, ni
l'amoar des richesses; ils n'en ont pas même le
besoin *.
£hl mon Dieul je laisse trotter mon imagination,
et je ne vous dis pas que notre excellent gros curé,
que vous n'avex sûrement pas oublié, vous demande
si vous ne pourriez pas lui procurer une lettre de
recommandation pour le prélat Philomarini, qui vient
comme vice-légat à Avignon, où réside notre bon
pastauf. C'est simplement dans la vue d'en être dis-
tingué ; car il est heureux, à son aise, et n'a rien
à lui demander, et vous savez qu'il s'appelle l'abbé
Martin * .
J'ai déjà sommé tous les banquiers de Paris d'avoir
à me déclarer lequel d'entre eux est celui par excel-
lence du Uargruve de Bareitli. 11 n'y en a plus que
1. Voit l'ui^Miidice XX.
i. L'abbé Hitriln eat l'ancien curé de Deuil, doDt il est sou-
vent question dans les lellres de Galiani et de Diderot. C'était un
homma eiaalteni at d'uua grande lolérauca.
jbïGoogIc
LEITRES OS GÀLUNI 463
deux à interroger sur faits et articles : car jusqu'à
présent mes recherches ont été vaines; mais de ces
deux banquiers, l'un est en campagne, l'autre a perdu
stt femme, et est pius triste et plus noir que l'encre
que nous réclamons. I) ne serait pas poli d'aller faire
cette recherche subitement, II budra donc laisser passer
encore cet ordinaire sans tous donner satisfaction.
Adieu, adieu, mon cher aibbé, voilà une des plus
longues lettres que j'aie écrite depuis deux aps. Je
vous embrasse.
A MADAME d'éPINAY
Votre lettre, madame, c«tta fois est tout k feit dans
le style récréatif. Vous vous portez bien au point que
vous craignez de vous porter guignon, en vous en
vantapt trop. Ne vous l'avais-je pas ait? L'ennui eu-
graisse. Depuis que tous vos omis sont morts ou ab-
sents, que vous êtes dans une solitude parfaite, vous
crevés de sant4 : jugez donc oombieu je dois 6tre plus
gras que vous.
jbïGoogIc
46t LETTRES DE GALIA.M
Je me suis amusé des nouvelles d'alarmes de guerre
que vous me mandez; nous qui devrions être aussi
alarmés que vous, nous rouûons du plus profond
sommeil : et soyez bien sûre, mais très sûre, qu'il n'y
aura pas de guerre entre l'Espagne et le Portugal '.
Profitez donc du jeu des actions et des effets royaux
sur cette certitude. U est vrai que le roi actuel ' de
Portugal étant très malade, on ne saurait prédire au
juste les idées et le système de son successeur ; mais
toujours il y a à parier qu'il sera aussi pacifique que
son frère, et qu'il sera plus embarrassé des afiaires
intérieures qu'on ne l'imagine'.
Vous ne m'aWez pas mandé la mort du pauvre doc-
leur Roux ', ni celle de mademoiselle de Lespinasse.
Je crains pour la vie de d'AIembert; il faudrait l'enga-
ger à un voyage d'Italie *.
1. La guerre eut lieu et le Portugal opposa la plus énergique
rcsiiUDce à toute l'armée espagnole, appuyée d'un corps auii-
liaire français. Détail Incrojable, s'il faut en croire Gleicbeo,
l'armée espagnole était arrivée aui trontières du Portugal et on
avait oublié... la poadre! On en envoya chercher à Bajannel
i. Joseph de Bragance.
3. Le frère du roi était dom Pedro.
4. H. Roux, docteur régent de la Faculté, rédacteur do Joumai
dt MMecîne. Il s'empoisoDua lui-même en faisant des expériences
sur l'arseitic.
&. D'AIembert était l'ami intime de mademoiselle de Lespinasse
et il ressentait pour elle une passion qui ne s'éleigoil qu'avec
la vie. On sait qu'ils demeuraieol ensemble depuis la maladie
qui avait failli enlever d'AIembert.
jbïGoogIc
LETTRES DE GiLlANI 4A5
Je TOUS ai mandé le bienEait de Griaim, de m'aroir
fait vendre le cabiaet de livres de mon frère. A présent
il ne me reste que les tableaux et les instruments
mathématiques. Parmi ces tableaux, il y en a une
douzaine de jolis, qui ne sont pas fort grands; pour-
rais-je me tUitter de les débiter à Paris, ou faut^il que
je me retourne aussi du cAlé de la Russie? Ëcrivez-
moi quelque chose sur cette question que je vous fais,
et qui m'intéresse infiniment.
Aimez-moi. On m'appelle. Adieu. J'embrasse Emilie,
que je ne connais que par ses dialogues. Adieu.
A LA MÊME
HapiGS, Il aoat nie.
On le voit bien que vous faites de grands progrès
vers la robustictté : mais vous diriez que j'en fais à
grands pas vers la rusliàté, si je ne répondais pas à
votre charmante lettre. Je n'en ai pourtant ni le temps
ni l'envie. Cependant il faut répondre.
Pour l'affaire de mon encre, vous avez pris le che-
min le plus long ; voici quel aurait été le plus court.
jbïGoogIc
m LETTRES DE G.VLIANI
n aurait par exemple fallu trouver quelqu'un qui Tùl
en florrespondance avec mademoiselle Clairon (soit
Marmontel ou autre), et lui faire écrire que Galiani se
plaint à Naplea, qu'aprM avoir reçu une très gracieuse
lettre du margrave, qui lui mandait avoir chargé son
banquier à Paris de lui envoyer douie bouteilles d'en-
cre, et après l'eu avoir remercié 1res faumblemeut, il
n'avait rien reçu, mademoiselle Clairoa aurait tout
arrangé d'abord. Pour moi, je n'ose pas importuner le
margrave pour uue pareille bagatelle avec une seconde
lettre, et je crois que vous en feriez autant à ma place.
Voilà donc le chemin qu'il faut prendre pour terminer
cette affaire.
le vous ferai très bien l'affaire de notre gros curé ;
mais il aurait fallu me donner plus de détails sur lui,
sur le lieu de sa cure, sur ce qu'il pourrait obtenir, etc.
Si je ne fais autre chose que de dire qu'il s'appelle
Martin, on le prendra pour l'ennemi de Pangloss dans
Candide.
Sur votre question, des animaux, et des hommes et
de leur perfectibilité, je vous écrirai une autre fois :
Car poiu à présent je suis interrompu^ Adieu.
jbïGoogIc
LETTRES DE CALIANI
A I.A HËMK
hépome à une infinité de numéros.
Naplea. K Kplewbre )ii(,
J'ai été malade, ma chère dame; j'ai été aRairé; j'ai
été plongé dans l'ennui, le chagi'in, le dégoût: voilà
les causes de mon silence depuis trois ou quatre
semaines. Vos lettres m'ont réjoui, vivifié même, mais
pas au point de pouvoir vous le dire. Je vous répon-
dais le vendredi en vous lisant, et quelles réponses !
Mais je retombais dans ta paresse ic samedi, qui se
passait sans vous répondre. Aujourd'hui, j'ai fait dé-
fendre ma porte, et j'en avais le droit, car c'est un
jour de fête, et je me suis acharné à vous couler ù fond
une réponse. D'abord, je vous remercie d'une recette
d'encre que vous oubliâtes d'inclure dans la lettre qui
m'en parlait,- et qui vint dans la suivante. Hais grand
Dieu ! si je savais faire de l'encre, si l'on en savait
faire ici, je n'eu aurais pas demandé à un prince sou-
verain. Ces recettes sont aussi vieilles que l'encre;
r«pendant on en fait de bonne et de mauvaise, selon
jbïGoogIc
us LETTRES DE GALIANI
les pays, sans que la recette de la bonne ait jamais été
un secret. Or, persuadez-vous bien que la cause la
plus forte et la plus vraie, que j'aie k présent de ne
pas écrire volontiers, est la mauvaise encre. Si vous
prenez intérêt à cela, tAchez d'y remédier, et je vous
ai dit le comment s'y prendre avec le margrave.
La lettre où vous me mandiez le malheur de la perte
de mademoiselle de Lespinasse s'est égarée, et je m'en
étais douté comme je vous l'ai mandé.
Votre dernière me parle du malheur de madame
Geoffrin; elle succombe aux lois de la nature et
du l«mps, comme les édifices les plus solides, en se
détruisant par parties. J'espère qu'elle vivra encore
quelque temps en languissant, mais je n'espère plus
la revoir à mon retour à Paris.
H. de Oermont, hier au soir, m'étonna et me surprit
d'abord en me soutenant que ces maladies et ces
rechutes de madame GeotTrin, avaient été causées par
des excès de dévotion, qu'elle avait commis pendant le
jubilé*. En rentrant chez moi, j'ai rêvé sur cette
1. Madime CeoffriD, qui toute sa vie mil fréquenlë les pbi-
loMpbes athées, ne m piquait pas de aentimenta religieux très
prononcés. Il en fut autrenieni dans les dernières innées de sa
Tie. (Voir l'appendice X.) Ella poussait l'ittenlion pour ses
amisiusqu't pourvoir à leurs derniers moments, ne voulant pu
qu'on puisse dire qu'ils étaient morts sans- confession; elle avait
dans ce but un capucin [orl accommodani. cQuand ses amis tout
les mutins, dit Labarpe, elle se diirgc de les réduire et en ssl
toujours venue i bout.>
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI W
étroDge métamorphose, et j'ai trouvé que c'était la
chose du monde la plus naturelle. L'incrédulité est le
plus grand effort que l'esprit de l'homme puisse faire
contre son propre instinct et son goût. H s'agit de se
priver à jamais de tous les plaisirs de rîmagînation,
de tout le goût du merveilleux ; il s'agit de vider tout
le sac du savoir; et l'homme voudrait savoir; de nier
ou de douter toujours et de tout, et rester dans l'ap-
pau^Tissement de toutes les idées, des connaissances,
des sciences sublimes, etc. Quel vide affireux ! quel
rien ! quel eiTort I il est donc démontré que la très, très
grande partie des hommes (et surtout des femmes dont
l'imagination est double, attendu qu'elles ont l'imagi-
nation de la tête et l'imagination de la matrice), ne
saurait être incrédule, et celle qui peut l'être, n'en
saurait soutenir l'effort que dans la plus grande force
et jeunesse de son âme. Si l'Ame vieillit, quelque
croyance reparaît. Voilà aussi pourquoi il ne faudrait
jamais persécuter les vrais incrédules : et je vous ajou-
terais qu'en effet ils n'ont jamais été persécutés. On ne
persécute que les fanatiques, fondateurs de sectes, qui
pourraient être suivis. Le fanatique est un homme qui
se met k courir au milieu d'une foule, et d'abord tout
le monde le suit. L'incrédule feit bien plus. Cest un
danseur de corde qui fait les tours les plus incroyables
en l'air, voltigeant autour de sa corde. Il remplit de
frayeur et d'étonnement tous les spectateurs, et per-
jbïGooglc
470 LETTRES DE GALUNI
sonne n'est tenté de le suivre ou de l'imiter. Ergo
madame Geoffrin devait finir par un bon jubilé, Q. G. B.
ie TOUS souhaite de finir de môme : ce n'est pas un
mauvais souhait pour votre saaté. Vous me direz que
c'est vrai ; maii que ce n'est pas non plus un joli com-
pliment à votre esprit; j'en conviens. Mais qu'est-ce
que vaut l'esprit, vis-à-vis de l'estomac?
Je vous ai tenu parole. Voilà une longue lettre, je
pourrais l'allonger par les compliments de Gleichen,
qui m'en charge toujours.
Pourquoi ne pas m'envoyer vos couplets? Quelqu'un
arrivera qui me .les expliquera. Adieu. Lorsque vous
le pourrez, envoyeî-raoi des nouvelles publiques : c'est
ma passion à présent que la Gazette.
Ntplee, 9 oclobre itlt.
Madame, deui semaines sans lettres de vous! cela
serait tourmentant; mais je suis si persuadé que vous
ne le faites que pour me punir de mon silence, que je
suis tout à fait tranquille sur l'état de votre santé. Mon
silence est criminel, car plus je suis navré de chagrin et
jbïGoogIc
LETTRES DE GALUNI 471
d'amertume, plus je devrais vous écrire pour me sou-
lager. Cependant je ne le fais pas, parce que le temps
me manque autant que le cœur.
Je vous écris ce soir pour vous donner un embarras
auquel je n'ai pu me refuser. Un homme de mes plus
chers amis d'ici (c'est beaucoup dire d'un pays où je
n'en ai guëres) me demande de lui faire venir de Paris
deux exemplaires de l'ouvrage de M. d'Egly ', Histoire
des Bois des Deusc-Siciles de la Maison d'Anjou.
Voudriez-vous vous donner la peine de les faire
acheter, reliés passablement au moins, et de les envoyer
à Marseille, soit à quelque négociant, ou à H. de la
Rosa, consul d'Espagne, pour me les faire tenir par la
voie de mer? Je payerai votre dépense comme vous
juger» le mieui, et le mieux serait que je la payasse
ici à M. l'ambassadeur.
Aimez-moi; excusez-moi. Je dois mener au spectacle
ma nièce non mariée et sa mère : ceci n'est-il pas bien
amusant? Une autre est accouchée hier d'une lille.
Quels vrais plaisirs que la naissance d'uue foule de
sots et de sottes futurs, qu'il me faudra marier aussi.
Ah ! quel plaisir au sein de sa famille 1
1. Cbarles-Philippe de Monlbenault d'Egly (1696-174S), membre
de l'Acidémle des Inscriptionj. c Son HUtuirt dei TOii dti Deux-
Siciki, de la ifaiM» de France (Psfia, 171*, 4 vol., in-lî*), ren-
fenae tout ce que cette montrchie oITre d'intéregianl depuis aa
fondalloQ jusqu'à aoa jours. Le slyte eu est pur, la narration
Claire, suivie et naturelle. > [Éhge d'Égly, par Bougainville.)
jbïGoogIc
LETTRES DE RALIAXI
NnpleE, II octolir* I7ie.
Vous en parlez bien à votre aise, ma chère dame,
vous me grondez de ce que je ne vous ai point répondu
sur la perfectibilité des bAles, cl sur In perfectibilité
des arts et métiers dans tes mains des économistes. Si
vous saviez dans quel anéantissement d'esprit, de goût,
d*existence morale je suis tombé, au lieu de me gron-
der, vous me plaindriez :
1° Les affaires de mes nièces ne sont pas réglées; et,
par une ingratitude dont il y a peu d'exemples, le mari
d'une de mes nièces plaide contre moi.
2" Le pauvre Militerni, qui servait en France et qui
m'aidait à me ressouvenir de Paris, est à l'agonie, et
sans espoir do rétablissement de son hydropisie.
4> n'est pas tout : j'ai perdu un cheval, et ma chatte
angola se meurt. Peut-on vous verbaliser politique et
métaphysique dans cet accablement de disgrâces?
Au reste, puisque vous le voulez, je vous dirai que
sur l'article des b^tes, je vois qu'on commenct; par
jbïGoogIc
LETTRES DE O.ALIANI 4ï3
tenir pour sûr ce qui est très douteux. Nous croyons
que tout c« que les bêles savent vient par instinct, et
n'est pas passé par tradition. A-t-on des naturalistes
bien exacts qui nous disent que les chats, il y a. trois
mille ans, prenaient les souris, préservaient leurs petits,
connaissaient la vertu médicinale de quelques herbes,
ou pour mieux dire de l'herbe, comme ils font à
présent ? Si on n'en sait rien, pourquoi prend-on pour
sûr ce qui est en question, et tait-on des raisonnements
h perte de vue sur un Tait faux ou douteux? Mes
recherches sur les mœurs des chattes m'ont donné des
soupçons très forts qu'elles sont perfectibles; mais au
bout d'une lon^e traînée de siècles. Je crois que tout
ce que les chats savent est l'ouvrage de quarante îi
cinquante mille ans. Nous n'avons que quelques siècles
d'histoire naturelle ; ainsi le changement qu'ils auront .
subi dansce temps est imperceptible. Les hommes aussi
ont mis un temps immense à leur perfectibilité : car
les peuples de la Californie et de la Nouvelle-Hollande,
qui sont anciens de trois ou quatre mille ans, sont
encore de vraies brutes. La perfectibilité a commencé à
faire de grande progrès en Asie, à ce qu'on dit, il y a
plus de douze mille ans, et Dieu sait combien de temps
avant, on n'avait fait que de vains efforts. Si une race
asiatique n'avait pas passé en Europe et en Afrique,
et si d'Europe elle n'eût passé en Amérique, d'oti elle
a fait le tour du globe, l'homme ne serait encore que
jbïGoogIc
4M LETTRES DE OALIANl
le plus espiègle, le plus malin et le plus adroit des
singes : ainsi, la perfectibilité n'est pas un don de
l'homniâ en entier; mais de la seule race blanche et
barbue. Par alliance, la race basanée et barbue, la raco
basanée non barbue, et la race noire ont gagné queU
que chose. Tout ce qu'on dit des climats est une
bêtise, un non causa pro caiîsd, erreur la plus com-
mune de la logique. Tout tient aux races; la première,
la plus noble des races, vient naturellement au nord
de l'Asie. Les Russes y tiennent de plus près, et c'est
pour cela qu'ils ont fait plus de progrès en cinquante
ans qu'on n'en fera faire aux Portugais en cinq cents.
En avez-vous assez pour ce soir?
Aimez-moi; plaignez-moi bien fort, et croyez-moi
encore plus fort tout à vous.
Naple», 1* octobre «ttS.
Puisque la galanterie du margrave se réduit (à ce
que vous me mandez) à m'avoir fait acheter dans Paris
douze bouteilles d'encre pour y rester, peudant que je
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 476
suis ik Naples, et que ce digne banquier du margrave,
M. Rieder, entend que l'ordre de ne pas causer des
trais soit relatif au mai^rave, et non pas à moi (comme
tout le monde l'auraïl entendu), je vous prie de voir
d'abord s'il ra*a acheté de cette encre fameuse qu'on
vend à l'enseigne de la petite vertu. Si c'est de
celle-là, Je vous prie de m'en envoyer la caisse h
Marseille, adressée au consul d'Espagne, et je vous
rembourserai des frais de transport. J'ai le plus grand
besoin du monde d'avoir de bonne encre. Votre recette
est inexécutable ù Naples; ainsi, lorsqu'une chose est
nécessaire, il faut passer par-dessus toutes les difficul-
tés. Si la caisse était trop grande et trop dispendieuse
avec douze bouteilles, envoyez-en-molla moitié, et j'en
aurai encore assez pour le reste de ma vie. Au reste,
je ne saurais me persuader que le margrave ait entendu
que je dusse payer tes frais du transport jusqu'à Na~
pies. Le présent ne consiste qu'en cela : car ces
bouteilles sont k un très bas prix, à ce qu'il me
paraît.
Autre commission. Lorsque je partis de Paris, j'em-
portai avec moi seize volumes du recueil général des
Voyages de M. l'abbé PrévAt, traduit de ' l'anglais : il
en a paru ensuite jusqu'à vingt-deux, si je ne me
trompe'. On me demande ici de chaque volume à
i . I) n'en exiilaii que 19 volumes à l'époque où écrivait l'abbé
r.alianl; le 30* et dernier volume a parue» 1789.
jbïGoogIc
476 LETTRES DE GALIAHI
peu près dix-huit ou vingt livres, non relié. Faites-
moi le plaisir de calculer si, en achetant à Paris, bro-
chés, ces sii volumes, et comptant les frais de transport,
je pourrais épargner quelque chose de dix-huit ou
vingt livres par volume qu'on me demande ici; et si
cela est, et que le libraire ne fasse pas difficulté à
vous les vendre, je vous prie de me les envoyer dans
la même caisse où vous mettrez les deux exemplaires
de l'histoire du royaume de Naples par M. d'Egly, dont
je vous ai parlé il y a deux semaines. Trêve aux
commissions *.
Je suis fôché de la mort de madame Trudaine ; cepen-
dant, depuis que j'ai appris qu'on a calculé qu'il meurt
les trois pour cent, année commune, des vivants, il me
parait que chaque personne qui meurt, contribuant de
son côté à remplir cette fatale dette des trois pour cent,
elle en décharge les vivants, et par conséquent chaque
mort donne un degré de probabilité de vie de plus à
ceux qui restent. D'après ce joli calcul, j'ai trouvé qu'il
y avait des personnes à Paris dont la vie m'intéressait
plus que celle de madame Trudaine, et je suis bien aise
du degré de probabilité de plus à la vie qu'elles vien-
nent de gagner : co qui me ficherait, ce serait la
naissance de votre petit-Qls ; car chaque personne nais-
1. Il ne faut pu s'élonner de la parcimonie qu'apporte Ga-
liani dans lex moindres détails; il avait dea charges nombrenset,
UD grand état de maison, auiqueb sa fortune suffisait i peine.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIA»! «7
saote dte ce degré de probabilité : mais, comme il est
né à Fribourg, je le mets dans ta rubrique des vies
t'ribourgeoises, et ne m'en iaquiëte pas.
Je suis ravi de l'état où vous avez vu le prince Pigna-
tcUi : il Taut que les chagrins lui aieat ôlé le souvenir,
car il m'avait promis de m'envoyer d'Espagne du
tabac et du malaga, et n'en a rien fait : faites-l'en res-
'. Gleichen vous rend mille compliments.
A LA HÈHE
Naples, I novembre )7t».
Point de lettres de vous, ma chère dame, cet ordi-
naire; et, d'une certaine façon, je dis tant mieux, car
je suis honteux de ma paresse, et je suis enchanté de
trouver des complices.
Je vous annonce avec plaisir qu'un banquier de Lyon
m'a écrit qu'il avait déjà expédié le 16 octobre à Mar-
seille la bolle avee douze bouteilles d'encre, par ordre
du margrave, qui me parviendrait franco, du moins du
port de terre. C'est à voua, en grande partie, que jo
dois l'acquisition de cette précieuse liqueur, dont vous
jbïGoogIc
478 LETTKES DE (iALlA.M
profiterai bieu plus que si c'était du vin ou du Kosolio.
Les premières gouttes vous eu seront dédiées, n'en
doutez pas.
Après quarante-deux ans, nous avons eu ici une
espèce de chaugement dans le ministère. Le marquis
Tanncci a été déchargé de ses départements ', qu'on a
donnés au marquis de la Sambucca, Sicilien ; et il est
resté ministre d'Ëtat sans diiparlement. Il ressemblerait
à M. de Maurepas, si le successeur était sa créature,
niais it a été choisi par 'le roi à son insu, et cela fait
une différence. Un événement pareil dans te pays de
la léthargie et du sommeil (tel que le nôtre), en est
un : cela ne fait rien à Paris. Cependant pour nous
c'L-st beaucoup, et moi qui aime infiniment le fracas,
le bruit, les changements, je suis enchanté du spec-
tacle : cola m'a réveillé un peu de rabattement où
m'avait plongé la maladie déclarée incurable de ma
chatte angola ; et je vois que ce monde n'est qu'une
chaîne perpétuelle de plaisirs et de chagrins.
Embrassez-moi bien tendrement le prince de Pi-
gnatclli, et engagez-le à m'écrire; mais surtout à
m'envoyer du moins le tabac d'Espagne qu'il m'avait
promis, et dont j'ai le plus pressant besoin.
Nous vous enverrons dans quinze jours Pîccini avec
t. TaauGci, ministre d«s affaires étrangères i Ntples, fuL ren-
versé par rinflueDce de la ntiie Marie-CiroUae, qui topait arec
linpatlence ei jalousie l'empire quHl atali sur r«eprit du roi.
jbïGoogIc
LETTRES DE T.ALIAM 41»
sa femme, qui est une bonne personne, aimable, douce,
chantant parfaitement bien, et qui vous plaira '. Pour
lui, c'est une espèce de M. Duni : sa conversation ne
vaut pas ses pièces, mais c'est un très honnête homme,
et je vous le recommande très fort, en vous priant de
le recommander aussi au baron d'Holbach, à d'Albarel,
à la Briche, à votre mari, et omni generi muticorum.
Aimez-moi ; demandez à Caraccioli pourquoi il ne
m'écrit plus depuis six mois : esl-il fâohé contre moi ?
et de quoi ? Adieu.
A I.A MEME
Votre numéro 21 serait admirable, puisqu'il est long,
et que vous m'y annoncez un parrait état de santé.
Il n'y a qu'un certain article sur la santé d'Emilie,
qui ne vaut pas le diable. Vous voudriez des nou-
velles de ma santé. Elle est à souhait à présent et par
1 . PiocÎDi iTiit épauaé en 1756 Viacen» SibUla, son élève dus
l'trt du chui ; elte jolgaait aui agrëmenb de m personne la
Toii La plus b«Ue «t U plut buichadte.
jbïGoogIc
480 LETTRES DE GALIANI
raison. J'aime lus grands événements, et nous en avons
eu un ces jours passés, dont vous serez instruite. Il
ne me fait rien à la vérité, ni en bien ni en mal, puis-
que je n'ai que fort peu à craindre et encore moins à
espérer ; mais le plus grand bonlieur de ma vie, étant
la vue des grands spectacles, je suis heureux d'abord
qu'il y en a, et je me porte à merveille.
L'encre du margrave est, à ce que je crois, déjà
dans le port de Naples. Si elle est bonne, comme je
l'espère, je ne ferai qu'écrire; et quelles lettres vous
aurez!
J'ai aussi des lettres de Pétersbourg, du 1<" octobre,
qui m'annoncent le bonheur physique et moral du
voj'ageur '. Il va posséder Paesiello, et se rassasier d'ex-
cellente musique.
Vous avez perdu un conlrdlenr-général *, dont on nu
dira dans l'histoire ni bien ni maJ. Le successeur
m'intéresse fort peu. En tout, je ne vois pas que vous
puissiez avoir un grand homme ; car le grand homme
de notre siècle doit être quelque chose d'indéfinis-
1. Grimm.
2. Après la cbute de Turgot, on avait appela au conlrftle gé-
néral M. de Clugny, inleadantde Bord«aui. Il mourut en oclobre
1776. On a défiai son miniiiëre : * Quatre mois de pilla^ dont le
roi seul ne savait rien. > [Mémoirei de Harmontel, t. Il, p. 904.)
Sud successeur Tut Tabuureau des Réaui, ci-devant Intendant
de province el depuis conseiller d'État. Le roi lui adjoignit pour
la partie des fonds H. Necker, le Tameui ttanquier geDevois.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 481
sable. Il faut qu'il n'ait nj les vertus ni les vices dont
on parla dans tous les livres de morale. Comme nous
sommes parvenus à un siècle qui nous rend insuppor-
tables autant les maux quc'les remèdes, vous voyez
de quelle difficulté est de résoudre ce problème. Je
crois, après y avoir longtemps rêvé, que le plus plat
bomme serait le plus grand homme de notre âge,
puisqu'il laisserait subsister tous les maux (ce qu'il
faut), en se donnant toujours l'air de vouloir les gué-
rir (ce qu'il l'aut aussi). Turgot qui, sérieusement vou-
lait guérir, a été culbuté ; Tcrray, qui disait franche-
ment qu'il ne voulait rien guérir, a été exécré; un plat
homme dirait tout ce que disait Turgot, et ferait
tout ce que faisait Terray, et cela irait à merveille.
Ah çà ! bonsoir 1 11 est deux heures après minuit ;
je vais me coucher.
Naples, is noiembre ins.
Votre lettre du 29 octobre, malgré votre à-propos de
cohque arrivée fort mal à pi-opos, est \m baume à mon
jbïGoogIc
483 LETTRES DE OÀLIAMI
âme. C'est donc moi, tout de boa, me suis-je écrié,
qu'on a fait cootrAleur-général ! A l'inslant je me suis
souvenu des deux Amphitryons, et des dtners de
M. Necker ', et je me suis corrigé en disant: le véri-
(aUe Amphitrjron est celui où l'on diac.
Vous avez vu que je me suis retenu d'écrire 6 Sar-
tine, à Malesherbes, et à d'autres amis à moi dans leur
élévation ; mais à M. Necker, je n'ai pu me retenir
d'écrire. Je vous envoie la lettre, et je vous prie d'y
mettre une enveloppe. Voyez s'il serait bon pour con-
tinuer notre correspondance, sans frais, sous son
Piccini est parti ce matin. Vous l'aurez it Paris h la
fin de l'année : je l'ai chargé d'aller vous voir. Je suis
fatigué d'écrire. Aimez-moi. Adieu !
1. H. Necker n'avait pas été Dommë contrAlenr-génèral.
On «Tait créé pour lui la fonctioD nouvelle de directeur du
Trésor ro^al. Haurepas avait lu le Mémoire où le célèbre ban-
quier indiquait les moyen<i de combler le déllcit et d'inspirer
canflance aux capitalisles; il Tut séduit, mais n'osant porter au
contrûle-général un élranger, surtout un protestant, il créa pour
lui un litre nouveau. Comme on l'a tu, M. Necker et Galianl
partageaient à peu près les mêmes idées économiques. Une
bausse considérable sur les effets publics accueillit la Domina-
tlon de M. Necker qui, dès son entrée en fonctions, commenga
des réformes. Le contra leur-général, Tabureau, voulut faire de
l'opposition, il fut immédiatement sscriHé et on ne le remplaça
pas. H. Necker fut alors nommé direcleur général des lÎDaDces,
mais, s'il avait raotorilé, il n'avait pas l'entrée au Conseil.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIàNI
NBples, SU novi-mbre 1770.
Votre a" 23 ne parle que d'encre et de livres, ce
qui ferait en tout une bien [>latc lettre, si heureuse-
ment il n'y avait aussi que vous vous portez bien.
L'encre du mar^ave est à flot, comme vous saurez,
depuis le 20 d'octobre; mais elle ne m'est pas encore
arrivée, et, jusqu'à ce qu'elle arrive, je n'ai pa» déplai-
sir à écrire. Pour les livres partis le 2 du mois de '
novembre, je vous remercie, et prie Dieu qu'il les fasse
arriver au plustftt; car celui qui me les a demandés a
été frappé d'apoplexie, et il serait bon qu'ils arrivas-
sent avant sa mort. Mon Recueil do voyages est in-ip,
comme vous auriez pu vous en apercevoir par ma lettre,
où je vous disais que je n'en manquais que de six pour
avoir les vingt-deux qui font l'édition complète. Assu-
rément, les volumes in-12 seront bien plus nombreux.
Je ne vous demande pas de me les expédier, mais de
me dire si je pourrais épargner sur les prix qu'on en
demande ici.
jbïGoogIc
4S4 LETTRES DE GALIANI
Dites-moi, en mfime temps, s'il a paru à Paris quel-
que nouvelle carie de Pologne, en une ou deux feuilles,
ou, tout au plus, en quatre feuilles, car j'en ferais
bien volontiers l'acquisition.
Vous saurez le chaDgement de Grimaldi * à Madrid
en même temps que celui de Tanucci ici. Oa m'a as-
suré que les deux courriers se rencootrèrent à Sara-
gosse. Celui de Madrid parla le premier, et dit au Napo-
litain :
— Compère, j'ai uuc bien grande nouvelle dans
ma valise.
Le Napolitain. — Quelle donc?
L'Espagnol. — C'est la démission de Grimaldi.
Sur cela le Napolitain froidement lui riposte :
— Vous me prenez, compère, pour im courrier boi-
teux ; j'ai la démission de M. Tanucci dans la mienne.
Jugez de l'étonnement et de la surprise des deux ! Ils
finirent par s'embrasser, et remercier Dieu d'ëlre nés
courriers; et ils se quittèrent bien persuadés qu'ils
trouveraient sans faute ù qui remettre leurs paquets à
leur arrivée.
Caraccioli ne m'écrit plus depuis un temps immé-
morial. TAchez de découvrir un peu les causes de son
silencô envers moi. Malgré l'opinion que j'ai de sa
jbïGoogIc
LETTRES DE 6ALIANI 485
paresse, de son dégoût pour sa patrie, et d'autres
raisons, je ne laisse pas d'être inquiet sur ce silence.
Bientôt vous verrez Picciai, mais nous avons eu une
musique de Guglielmi ', qui ne nous laisse pas de re-
grets pour Piccini. Adieu ! Tâchez de persuader Magal-
lon qu'il vienne avec Griinaldi à Rome. Puisque vous
ne le voyez pas, ce cher chevalier, laissez-le-moi revoir
du moins. Quelle joie j'en aurais !
A LA MEME
Haples, » diccmbrs ms.
Vous ne sauriez imaginer, ma chère et aimable dame,
à quel poiut l'encre du margrave, qu'enfin je possède,
m'a rendu heureux. C'est, sans exagération, une résur-
recti<m de mon bras qu'elle vient de causer. H m'était
]. Gaglielffii, né à TAtssa dj Carrara', élève du célèbre Daraatc,
émule de amarosa et de Paesiello. Il voyagea en Aoglelerte, eu
Eipagne et â Vienne, puis revint se Hier à Naples, en 1TT6, vers
rige de cinquanle ans. Ses opéi'as curent le plu« grand auccèi.
ZïDgarelli regarde l'opéra de Deborah comme le chef-d'œuvre de
GagHelmi. Il mourul le 19 novembre 1801 dans sa soiiante-dii-
tcpUème année.
jbïGoogIc
4W LETTRES DE GALIANI
devenu absolument impossible d'écrire. La plume me
faisait plus d'horreurà preodre eu main qu'une bêche,
el je croyais avoir perdu eolièrement la force physique
d'écrire. Je ne ferai, à présent, autre chose qu'écrire;
et vous jugez hien qu'à l'instant l'envie d'achever mon
ouvrage sur Horace, ma dissertation sur la vie du duc
de Valentinois, mes pensées sur l'origine des montagnes
est revenue. Il est bien vrai que je n'en ferai rien;
mais, du moins, ce ne sera plus la faute de mon bras
ni de mon encre '.
Point de lettres de vous cette semaine; mais je sais,
à n'en point douter, que vous vous portez bien, car
mon cœur ne palpite pas.
Excusez, en attendant, uoe demande ennuyeuse que
je vais vous faire. Pourriez-vous soulager le désir d'un
évéque, ennuyeux janséniste, que nous avons, qui vou-
drait compléter son précieux recueil des gazettes ec-
clésiastiques; il a le bonheur d'en posséder la collection
jusqu'au 13 juin 1770. Quel trésor! Il voudrait avoir le
reste jusqu'à la fm de l'année courante. Il payera tout
au monde ponr avoir cela et posséder un ouvrage
immortel de génie et de goût. Aidee-moi à le conlen-
t. L'avocat Aziarriti, un des exAcutetlrs testBmecUiras da
Galiani, a trouvé les docaments préparés par l'abbé pour cetis
via du duc de Valentloois, mais ils n'étaient pas rédigés. Ces
papiers sont entre les mains de la Famille Gaetani, i Home;
[Voir le récent article de M. Ademollo dans ïAntotogia nuova.)
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANl 481
1er, je voue en prie, et répondez-moi catégoriquement
sur cela. Si tous ne pouvez pas tous en mêler, voyez
si Caraccioli pourrait faire cela ensemble avec vous.
Ea attendant, aimez-moi bien tort, et comptez sur
de longues lettre de ma part, depuis que l'encre et la
plnme favorisent mon bras. Adieu encore! Piccini est-
il arrivé?
A LA MÊME
Réponse au n" 25, écrite avec la plus mauvaise encre
de l'Europe, pour faire triompher la Petite Vertu
du margrave*.
NtplM, igdéc«Bibr*4T1l'
Avant que de vous répondre, ma chère et aimablo
dame, je vous dirai qu'il y a déjà dix jours qu'un bâ-
timent français, arrivé au grand galop de Marseille, m'a
rendu une petite caisse dans laquelle il y avait les deux
exemplaires de l'histoire des rois de Naples, que je vous
avais demandés, l'en ai payé le port, et comme sur la
. 1> L'encra de la Petite Vertu que le ma^me de Bireitli unir
envoyée à GaliaDi.
jbïGoogIc
4B8 LETTRES DE GALUN'l
police il y avait vingt livres ea outre, j'ai deviné tout
seul, par la force de mon génie, que cette somme était
aille de la valeur de l'ouvrage, et je l'ai payée aussi, sans
quoi on ne m'aurait pas livré la boiter Ergo, nous
devrions être quittes de ia valeur de cet achat, à moins
qu'il n'y ait quelque équivoque. Je dois vous dire eu
outre que vous ne m'aviez rieu écrit sur cela, et que
votre mémoire est en défaut, lorsqu'elle vous dit m'en
avoir écrit le pris de dix livres. Mais vous avez grand
tort d'accuser votre pauvre santé des fautes de votre
mémoire; accusez-en, et croyez-moi, l'absence de plu-
sieurs de vos plus tendres amis. Vous songez à eux
souvent, vous vous proposez à tout instant de leur
écrire telle ou telle chose, vous dictez même les lettres
dans votre tête, et voilà ce qui vous confond les idées.
Examinez-vous d'après ce que je viens de vous faire
remarquer, et vous verrez que j'ai raison.
J'ai lu dans une gazette d'Italie, qu'on imprime à
présent à Paris, l'histoire complète ou les annales de
la Chiue, traduites d'une grande histoire chinoise qui
est à la bibliothèque du roi, en cent volumes chinois,
et que cet ouvrage sera de douze vol. in-4'>, enrichis de
planches. Dites-m'en quelque chose, si cela est bon ;
combien coûtera-t-il *. Est-il imprimé déjà? etc. Je
serais curieux de faire cette empiète.
1. Biliaire générale de la Chine, publiée par l'aUté Groaier U
Le Rom des Usniera^es. 13 vol. In 4* (1777-1784].
jbïGoogIc
LETTRES DE OALUNI 489
Madame de Bclsunce, votre aimable fille, m'a fait
parvenir une lettre par H. le comte de Bressac, et
dans cette lettre elle me recommandait beaucoup
M. de Gallard. Je cherchais donc ce comte de Gallard
par terre et par mer, et c'était M. de Bressac lui-même.
Nous nous sommes beaucoup amusés de ce quiproquo.
Elle me donne aussi, dans cette lettre, de vieilles nou-
velles; mais je la remercie beaucoup de m'avoir fait
connaître un homme aussi aimable que M. de Bressac ;
il n'aura pas ici le temps d'avoir besoin de moi. Un
prince de Suède, beaucoup d'Anglais, pas mal de
Français, deux Russes, Gleichen, etc., voilà une assez
nombreuse compagnie d'étrangers qui leur fera oublier
qu'ils n'ont point vu de Napolitains à Naples. Carac-
cioli vient de perdre sa sœur ici ; il en sera affligé &
ce que j'imagine ; lâchez de le consoler.
Aimez-moi 1
A propos, vous m'avez demandé à quel point m'a
affecté le changement de ministère? le voici: comme
tout le monde savait que Tanucci ne m'aimait guère
et m'employait encore moins, je ne puis pas être
enveloppé dans la disgrftce de ses créatiycs. Sambucca
est mon ancien et véritable ami, aussi bien que sa
famille entière ; mais il ne fera rien de moi ; et cela,
par la même raison que Tanucci. Un ministre ne
s'attache qu'aux gens qui se dévouent, et moi
je ne puis point me dévouer ; je ne saurais pas même
jbïGoogIc
4» LETTRES DE OALIAMI
me donner au diable. Je suis à moi. Je n'aurai ni
grande fortune, ni grandes persécutions. Pourvu que
j'obtienne une année de congé pour revoir Paris, je
serai content.
BnpUs, H JïDïler 1T71.
Lsi semaine passée, je n'eus point, ma chère dame,
de lettres de vous, parce qu'apparemment voua ne
m'aviez point écrit. Cette semaine je n'en ai pas, et
c'est peut-être parce que le courrier n'est point arrivé.
Je n'ai donc rien à vous dire, sinon que, heureusement)
je ne suis pas mort du froid, comme le bruit en avait
couru.
Lo baron de Gleichen, qui compte sur vos bontés,
puisque vous avez tantde souvenirs de lui, est la cause
principale pour laquelle un homme comme moi, qui
aurait dû mourir de froid, vous écrit cependant ce
soir; il met le plus vif intérêt à faire parvenir la ci-
jointe au général Kock. Il le croit à Paris. Il aurait pu
envoyer cette lettre à MH. Caccia banquiers, rue
jbïGoogIc
LETTRES DE GiLIANI 491
Saint-Hartin ; mais il aime mieux l'adresser à voua,
pour être plus sûr qu'elle parviendra au générai, mort
ou vif qu'il soit.
Aimez-moi donc, et attendez le dégel. Adieu !
MADAME d'ÉPIMAV A GALIANI
Fari», 10 téiriep )77T-
Ah ! je vous entends d'ici, mais en vérité, mon cher
abbé, ce n'est pas ma foute, et, si je n'ai point écrit,
c'est que je n'ai pu écrire. Mal aux entrailles, mal aux
dents ; des comptes à retirer des mains d'une veuve
désolée, qui n'avait le temps que de pleurer et ne
trouvait pas celui de me rendre mon argent ; des dia-
logues à faire ; un catéchisme moral que j'ai entre-
pris, une pièce de mes amis qui est tombée et qu'il a
fallu relever; que sais-je? et tout cela du fond de mon
fauteuil, car je n'en bouge pas ; et puis, le len^s qui
coule sans en avertir ; un dimaucbe n'attend pas l'autre ;
ou ne sait comment faire. Enfin me voilà, je vais vous
couler une histoire, et puis nous verrons.
M. le lieutenant de police était prié d'uu grand dîner
jbïGoogIc
49i LETTRES DE GALIAM
de cérémoDie, d'uD repas de communauté. C'était le
cas d'avoir une perruque neuve, il la commanda. Le
jour arriva, et la perruque n'arrivait pas. Un valet de
chambre va la chercher. Le perruquier fait mille
excuses, mais sa Temme était accouchée deus jours
avaut, l'euraiit était mort la veille, la femme étaitencore
très mal ; il n'oit pas étonnant que, dans ces moments
de trouble et d'embarras, on ait oublié de porter la
perruque ù monseigneur. Mais la voilîi dans c«tte boite:
a Vous verrez, dit-il, que j'y ai apporté tous mes soins : »
on ouvre la botte avec précaution pour ne pas gâter
la perruque,-on y trouve l'enrant mort de la veille,
c Ab dieu ! s'écrie le fierruquicr, les prêtres se sont
trompésj ils ont enterré la perruque !.... » Il a fallu un
ordre de l'arcbevéque, uu procès-verbal, un arrêt du
conseil, et je ne sais quoi encore pour enterrer l'enfant
et déterrer la perruque.
n y a aussi un procès fort plaisant entre la marquise
de Saint-Vincent et un tailleur, à qui elle a com-
mandé une paire de culottes pour l'abbé un te), et qu'elle
refuse aujourd'hui de payer; mais le détail de cette
affaire assez plate en elle-même serait trop long.
Que vous dirai-je encore pour vous tenir au cou-
rant? On avait décidé de taire de l'Ëcolc militaire un
séminaire pour les aumôniers des régiments et on des~
tinait ces aumttneries aux e\-jésuites. Le parlement et
un ministre étranger ont lait des remontrances; elles
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIÀNI 493
ODt été écoutées el l'établissement n'aura pas lieu,
au grand regret de M. de Saint-Germain qui espérait
voir à l'avenir toutes les troupes, conduites par de
tels aumdniers, mener une vie exemplaire.
Comment vont vos dents, l'abbé? Les miennes ne
veulent ni tomber ni rester, elles se bornent à me
faire des maux enragés. Est-ce qu'on ne peut pas les
mettre à la raison 7 chaque partie de nous-mêmes a
donc une volonté, une puissance ? ¥ entendez-vous
quelque chose ? Ah ! dites-le moi, je vous prie !
Bonjour, mon abbé. Soyez-on sûr, je vous aime tou-
jours, toujours; mais le temps de le dire ou le trouve-
t-on?
A MADAME d'ÉPINAY
Naples, i février mT.
J'ai été ravi, ma chère dame, d'apprendre par vous
les premières nouvelles du malheureux Piccinî et de
sa charmante femme. Garaccioii est toujours Carac-
cioli : inutile à la société, agréable en société *. Je
1. Caraccioli détendait el soutenait Plccinl i
comme le disait Laharpe : « La foule est pour Gluck
jbïGoogIc
494 LETTRES DE GALIANl
voudrais que Piccini mandât à ses amis et surtout à
la princesse de Belmonte, les services que, par égard
pour moi, vous lui avez rendus; cela est plus intéres-
sant pour moi que vous n'imaginez, 11 faut savoir
que cette vieille princesse, qui est une sorte de ma-
dame GeoflHn, à la manière napolitaine, était brouillée
& mort avec moi, précisément parce qu'elle protégeait
Piccini, et qu'elle me croyait partisan outré de Paesîetlo.
Lorsqu'elle vit que je m'intéressais en honnête homme
à hicn recommander Piccini à Paris, elle y fut très
sensible; et à présent, si vous faites en aorte qu'elle
sache que mes recommandations ont été utiles à Piccini,
elle va être enthousiasmée et folle de moi, ce qui ferait
grand plaisir à mon cœur, un grand tiiomphe à mon
caractère, et même cela aurait des rapports de cour
qu'il serait trop long de vous expliquer. Aio^ occupez-
vous-en.
En revanche, ne vous donnez plus la peine de me faire
transcrire des morceaui imprimés; ils m'arriveront
taire, noire Dation a la télé dramatlqne et n'n pas l'oreille mu-
sicale; les amateurs ne sont pas le grand nombre et la loule
n'aime que le bnilt. » — ull y a quelque temps que l'ambassadeur
de Naples, grand prAneur de Piccini, comme de raison, médisait
arec son accent italien : n Lea oreilles des Italiens ne sont qu'un
s simple cartilage ; mais celles des Français sont doublées de maro-
quin.* — s A propos 4'Ipkigénieen Tauride, ïobbè Arnaud dit que
la douleur aatigtM était relrottvée par Gliick. — Sur quoi l'ambassa-
deur de Naples répondit asseï plaisamment qn'tl afinoil t»««ux
le plaitir modene. ■ [Labarpe, Corr. Utt.)
jbïGoogIc
LETTRBS DE GALIANI «»
toujours plas tard. Il y avait déjà quinze jours que
j'avais lu le préambule de Necker. Son idée aQtiéco<-
nonUstique de commencer par des idées plates de fout
Une, de création de rentes, d'emprunts, etc., me Êtit
croire, plus que tout, qu'il restera longtemps en place,
qu'il y fera d'aussi bonne besogne qu'il est possible
d'en faire en fait. En propos, on en fera toujours de
bien plus merveilleuse. Il faut vivre avec ses maux. Le
problème est de vivre et pas de guérir.
M. le comte de Bressac est parti avant-hier avec ses
deux compagnons; il nous a laissé des regrets par ses -
aimables qualités. Je crois qu'il ne sera pas parti mé-'
content de Naples, puisque dans le furieux jeu qu'il a
joué avec le prince de Suède, le roi et des Anglais, il
n'a pas été bien malheureux ; mais il jouait trop gros
jeu pour un voyageur.- H m'a promis de vous parler de
moi.
Le landgrave invisible est ici depuis hier. Il a rendu
ses devoirs au Vésuve d'abord. On dit qu'il ne verra pas
le roi ; ainsi le roi ne le verra pas, cela est elair. Moi,
sans £tre roi, je ne le verrai pas, cela est sûr.
Il faut que je vous quitte pour aller entendre Sémi-
ramis; car noiis avons encore une troupe française qui
est fort mauvaise ; et cependant nos Napolitains y vont ;
le roi surtout s'y plaît beaucoup, et y donne plus d'at-
tention qu'il n'en a donné encore à aucun spectacle.
Qu'en dites-vous ?
jbïGoogIc
408 LETTRES DE GALtA»!
J'espère que vous m'aurez acheté les gazettes ecclésias-
tiques? 11 faut me les expédier dans une caisse à
Marseille, pour y être embarquées, et c'est dans cette
caisse que vous mettrez la carte de Pologne. Je vous
rembourserai par une remise.
. MADAME I)'ÉP[NAT
Si le margrave, avec ses bouteilles d'encre, m'avait
envoyé des bouteilles d'eau de Jouvence et de gaieté,
je vous écrirais des lettres interminables, et vous les
mériteriez, attendu la gaieté des vôtres. Mais, liélas 1 je
suis à Naples. Cela veut dire dans le pays de l'ennui, de
la pesanteur, de la tristesse. Je ne répondrai donc
qu'aux articles tristes et fâcheux de vos deux lettres, te
premier et le plus sensible est celui de vingt livres que
je vous dois sur ce maudit H. d'Ëgli. J'avais absous de
toute dette mon ami qui m'en avait donné la commis-
sion, croyant que les vingt livres que j'avais trouvées
sur la police étaient le prix de l'acquisition. Je cours
donc risque de le payer, moi, et voilà ce qui arrive aux
jbïGoogIc
LETTRES DE fiALIAM M7
commissions. Mais, enfin, ce qu i m'intéresse'le plus à pré-
seut c'est de vous solder. Tirez donc sur moi une lettre
decbangoou un ordre de payer à qui vous voudrez, soit
k l'ambassadeur ou à d'autri^s . et vous verrez que je
payerai.
Vous ne m'avez plus parlé de Piccini. Cela me fùclie,
car les premières nouvelles que vous m'en donnâtes
n'étaient pas tout à Tait agréables.
Laissons Caraccioli dans sa tristesse : il est Napoli-
tain aussi.
La chaise de paille m'écrit de charmantes épitreS
de Pétei-sbourg, et en reçoit de moi qui ne sont pas de
paille.
Gleichen va nous quitter sous huit jours, et compte
être à Paris en octobre.
Je ne sais que vous mander de plus, (jui vaille la
peine d'élre écrit. Il ne m'arrive à moi aucune aven-
ture agréable de volcans. Je suis amoureux : voilà ce
que je puis vous apprendre de plus gai, mais je suis
malheureux, voilà ce que je puis vous apprendre de ■
plus triste, \dieu, aimez-moi. je le mérite, même dans
la tristesse et l'insipidité. Adieu.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI
Nuples, s mars llii.
Madame, je viens de recevoir vos deux n°' 32 et 33
h la lois. Je vois donc que ce n'est pas vous qui avez le
lort ; ce sont les neiges, tes pluies, les diables et leurs
suppùls .
Je voudrais répondre à tout ce «juc vous me mandez,
mais en vérité je ne le puis pas. J'ai une petite fièvre
insensible presque, qui m'incommode depuis douze
jours. Le plus (;nind de ses symptômes est ua ennui
mortel qui m'abat. Je ne fais que dormir on m'enrager.
Pardonnez-moi donc et plaigneï-moi.
Je souhaite de plus grands détails sur Picclni. Qu'est-
ce qu'il compose^ du sérieux ou du bouffon? de qui
est la pièce î quand la donnei-a-t-oii? sur quel liiéâtre?*
exécutée par qui'?
1. Piccini iravaillail à cette époque à son opéra de Rulaad.
poème de QaiimulL, .iiTangi:|iar)Iai'monIcJ. PicciDi oesavail pas ua
mol de rronfais. Marmonicl a: chargea de le lui apprendre:
il moDlaii Lous les malJos cbei eon collaborateur avec Uquel il
s'enfermait pendant deux ou Iroit beurej;'il commençail par lui
jbïGoogIc
LETTRKS DE T.ALIAM 499
Tout ce que vous me mandez de Pacsiello, je te savais
en droiture par la chaise de paille qui me lait l'hon-
neur de m'écrire aussi, et ne m'oublie pas au milieu de
ses grandeurs. Il aura de la peine à pouvoir relournei'
à Paris, mais je suis sur et très sur qu'il en a grande
envie.
Je vous ferai tenir le plus tût possible les quatre-
vingt-dix livres Ituilsols que Je vous dois. Je l'aurais Tait
ce soir même, si j'eusse pu sortir de ma chambre.
Pardoimez si je ne suis pas plus lonj,', eu vérité je
n'en ai pas la Torce Adieu ; embrassez-moi la dan-
seuse vicomtesse', et croyez-moi toujours voti'e, etc.
eiplii)u«L' une scène, qu'il lui (uisuit unsuile répéter; puis il
marquait sur soa manuscrit la (guïnlilé de tous les mois en
longues et en brèves ; cela fait, il lu laissait travailler seal. Le: len-
demain la musicien chaclait au (loèle ce qu'il avail fait; s'il lui
était écliappé quelque ineiattitule quant à lu prosodie, ils lu
corrigeaient sur-le-cbauip. Culu dura une année!
1. Madame de Bel^unee.
jbïÇoogIc
LETTRES I>E GALUN
A LA HEHi;
Nuiilcs, 11 murs im.
Voici en vérité la première de vos lettres depuis liuil
ans qui, sans m'alHiger, m'a déplu. Elle est en vérité
gaie, folâtre, plaisante, ce qui prouve uu assez bon
l'ouds de sauté à la lin d'un hiver fort rude, et cela
m'enipôche de m'affliger. mais elle me prouve aussi
que vous commencez à me négliger, et que vous ne
m'écrivez que par maaière d'acquit ; et cela me déplaît
fort. Vous savez que je m'intéresse à Piccini. Il est à
Paris, vous uc m'en dites rien. Vous ne me dites rien
non plus de M. Necker, rien de Caraccioli, rien de
Bretcuil, de madame GeolTrin, du baron d'Holbach, etc.,
rien enfin de tout ce qui pourrait m'inléresser, rien de
Pétersbourg (j'allais l'oublier), et vousemployez le temps
à m'écrire une longue histoire fabuleuse qu'on fai-
sait de mon temps sur la perruque de M. de Sarline, et
qui n'appartient, en première époque, qu'à la feue
perruqui! noire de feu M. d Argeuson. Ceci n'est-il pas
cruel? Vous mo parlez aussi des ex-jésuiles ; qu'est-ce
jbïGoogIc
LETTRES DE OALUNI 601
que cela me fait? Mais de mes amis, de nos affaires,
TOUS oe dites rien. ,
Je vous conterai, moi, que ce monsieur à qui vous
donnâtes une lettre pour moi, étant un homme d'es-
prit, trouva bon de placer votre lettre dans son portc-
feuille; ensuite il eut l'esprit de se laisser voler son
portefeuille à Rome ; enlin il eut l'esprit de s'épouvan-
ter de se présenter chez moi sans wtre lettre. Ergo,
il serait parti sans me voir ; mais il arriva une aventura
de bal qui me le lit déterrer. Votre recommandé s'élait
introduit chez madame André ', femme du consul de
Suède, jeune l*rovençale assez jolie. Son mari est de
ma taille (Nota bene). Ils étaient au bal masque public
que nous avons eu ce carnaval passé, Pour être à leur
aise, ils s'étaient retirés dans un coin obscur d'une ps-
pÈce de portique. Madame élait démasquée ; moi, j'étais
masqué jusqu'aux dents, et me voulais approcher
leoteme[it d'elle, puisque je la connais beaucoup, i'cn-
lends qu'ils se disaient : C'est lui, oui, c'est lui, et l'iti-
connu pour moi me paraissait alarmé. Je m'a^'ance, et,
par signes, je commence îi tourmenter madame, qui ne
me reconnut pas, quoiqu'elle s'aperçût bien, k l'odeur,
que je n'étais pas son mari. Enlin, las de la lourmcnl^T.
1 . Il eil loti SDUient question dii ma damo AnJri; dans le jour-
nal de maijanie de Saussure t Au dîner de l'ambassaUi', dil-elle.
madame Aodré élait parée et glorieuse. Elle csi turi jalouse di's
succès des oulres et il'une humeur peu aimable, i
jbïGoogIc
50i LETTRES DE 6ALIANI
je me retounifi à son homme, et je lui dis avec ma
voix naturelle : e Oui, monsieur, c'est moi précisément,
celui que vous croyez, n
Au sonde ma voix, madame me reconnaît, et jette
un cri de joie en disant :
« Ah! c'est M, de Galiani. »
Sur cela votre monsieur se démasque, et se trouve
forcé de me dire : ,
« Oui, vraiment, monsieur, c'est vous que je désirais
connaître avant de partir. J'avais une lettre etc.; jo
l'ai perdue, etc. ; je suis un sot, etc.; jo pars demain,
etc.; je conterai à madame d'Épinay cette histoire, etc. »
Nous avons causé un quart d'heure, et tout a été
dit, après qu'il m'a rendu compte tic votre santé. Si
vous voulez des nouvelles de la mienne, demandez-en
au chevalier du Moustier, qui part cette nuit pour
aller enlever une Tcmme à Paris et nous l'amener. Si
j'avais plus de papier, je serais plus long. Adieu.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALUNI
Je suis très honteux, madame, de n'avoir pas, plas
tf)t, pu vous faire rembourser les quatre-vingt-dix livres
que je vous dois; mais sachez que M. l'Ambassadeur
a été si incommodé pendant quinze jours par une lifvre
acharnée à le poursuivre, qu'il a rei'iisé la porte h
tout le monde sans exri?ption. Enfin, hier au soir, je
l'ai Torcée, et je lui ai parlé. Il m'a promis qu'il écrirait
àson hommed'affdircs de vous faire tenir cette somme,
que je lui rembourserai. II ne me nomma pas sou
homme; et comme il était souiTi-ant, je n'osai pas
l'importuner. Cependant je ne crois pas qu'il l'oublie,
lui en ayant laissé un mot d'écrit.
Piccini a écrit à sa protectrice, la princesse de Bel-
monte, toutes les bontés que vous aviez eues pour lui
par égard pour moi, et j'en ai reçu des remerciements
à foison. Je vous en suis vraiment obligé.
Voire catéchisme pique autant ma curiosité que celle
de l'Impératrice. Le sujet est admirable, neuf, j'ose
jbïGoogIc
504 LETTRES DE GALUNI
dire original. Hais permettez-moi ; je crois cetle entre»
prise extrèmemeDt pernicieuse. Il est coastast que les
caléchismes ont altéré infiaiment les do^es de toutes
les religions qui se sont avisées d'en avoir. Si une Fois
on en a un morale, ils estropieront ia morale, n'en
doutez pas. La morale s'est conservée parmi les hommes,
parce qu'on en avait peu parlé, et jamais didactique-
ment ; toujours éloquemment ou poétiquement. D'abord
que tes jésuites s'avisèrent de la réduire en système, ils
la défigurèrent horriblement. Eu effet la vertu est uu
enthousiasme. Si on eu fait une géométrie calculée, on
trouvera le bien = x, le mal =; y, et l'équation
sera3x==o_?,=^o Voilâmes craiulcs: dissipez-Ire.
Parlez-moi toujours de Piccini, lorsque vous wudrez
me donner des nouvelles.
A propos, on m'écrit de Marseille qu'on y avait déjà
embarqué la caisse du livres que vous y aviez adressée.
Portez-vous bien. Aimez-moi. Adieu.
jbïGoogIc
t,ITTRE3 DE QALUHI
Nniiles, <« mil IT71.
Voua avez donc cru bonnement que je me fâcherais
bien de mVutendre appoU-r monstie, ingrat, loul eu
qu'on peut être, etc. : vous voua trompez. Toutes les
passions me sont égales. La seule indifférence me tue.
Je me réjouis des colères, des rages, des transports :
tout cela est amour. Fâchez-vous et aimez-moi. Voilà la
loi et les prophètes .
Parmi les nouvelles agréables, vous me donnez celle
que M, Necker vous enverra bientôt à l'hâpitat ' : c'est
en vérité bien réjouissant. Vous saurez que les Vénitiens,
par une véritable banqueroute de leurs hôpitaux, tu
ont presque fait autant au bon baron de GIcicben.
1. Madame d'Ëpinaj êUit dans une aituallon de fortune très
précaire; Grlmm en parla à l'irapéralriceCatheriDe, qui interiiut
directemeni auprès de M. Necker; puis, .te ramant, elle écri-
vit de nouveau à Grimm : ■ Ëcuutei, plutôt que de vous mettre
en faux Trais arec <]i;s gens, qui ne peuvent ou oe veulent pas
accorder une cbose qui est juste, et qui, outre cette Justice, est
encorejgraiide bagatelle pour trésor de roi, vous qui me dèpen-
jbïGoogIc
506 LETTRES DE GALIANI
Pour moi, cb n'est que mes nièces qui auront cet
honneur-là de m'envoycr i l'hôpital. Ce qui n'est pas
encore décidé, c'est de savoir si elles m'enveruînl h
l'hôpital des fous, ou à celui des mendiants, ou à tous
les deux. A ce propos, je vous dirai que je suis accablé
d'afTaires au non plus nllra dans ce moment, puisque je
suis à régler les contrats de mariage de ma troisième
et dernière nièce. Elle a été bien coriace à écorcher
parce qu'elle est laide et bossue'. Cependant je la marie
enfin, et m'en débarrasse; convenez que je suis un
terrible épousciir. Voulez-vous que je déniche un ma-
riage pour madame GeotTrin, ou pour madame de la
Ferlé-Imbautt ? vous n'avez qu'à parler, j'en assortirai
un très convenable, et j'aurai la Toree de li' stipuler. Je
suis devenu formidable et ïllusln' sur eut article-là; et
cela me donne un relief et une oonsiJération que vous
ne sauriez imaftincr. Mes pauvres Napolitains ignorent
absolument que j'ai publié des ouvrages, et s'ils le
savaient, cola ne leur ferait rien du tout. Mais ils savent
MX de l'argent tous les jours de l'année pour des inutilités, pre-
nez de cet argent jiisqu'i deat fois huit mille tifres, donnez-les
i l'auteur des Coni>enaiio>u d'Emilie. En cas qu'elle ne voulùr
pas les accepter, prâtez-li*s-lui pour cinquante ans, et surtout
ne' m'en parlez plus, ni i personne, mais diic-mol loul simple-
ment, Jai dunné no preië les dcuK fois 8.000 lirres. * (Corres-
pondance de Catherine avec Grimm. publiée par la Sauiélé
d'Hisioire russe.)
. tard, attaqua te
jbïGoogIc
LKTTRES DR (iAI,IAM 507
que j'ai marié deux nièces et que je m'en vais dépêcher
la troisième, après avoir remarié la veuve de mon frère,
et CCS quatre mariages leur paraissent la.ctiose du monde
la plus incroyable et Ja plus merveilleuse. Si cela dure,
on me claquera, au moment que je paraîtrai dans les
loges de spectacles.
Autre à-propos. Kéjouissez-vous avec moi de ce que
le roi (cela veut diro le ministre) vient d'ajouter âmes
charges celle de ministre dans le bureau desdomaines;
nous appelons c<;1a la chambre des nllodiaiix. C'est une
magistrature de plus qui me donne plus d'autorité, un
peu plus d'occupation et point de profit, mais cela
m'achemine à en avoir et roilîi pourquoi cela me fait
plaisir. Je suis devenu avide sans ^(re plus avare; au
contraire, je dépense plus que jamais.
Voilà mes nouvelles. .4dieu. Parlez-moi loujours de
Piccini et jamais des perruques de M. le lieutenant de
police.
jbïGoogIc
tlTTRES DE OALIàMI
A LA MÉHF
Niples,
Sans doute, ma chère dame, il faut vous répoiidiv.
Vous m'écrives de jolies lettres, amoureuses même,
charmâmes tout à l'ail, telles que celle que je viens de
recevoir. Mais le moyen de vous écrire ? Savez-vous que,
dans le moment, je viensde régler le contrat de mariage
de ma troisième et dernière nièceî Savez-vous qu'on
le signera demain et qu'on célébrera les fiançailles?
Savez-vous qu'il m'a fiallu emprunter de l'argent pour
cela, signer d'autres contrats etc.? Savez-vous eu outre
que j'ai travaillé avec le ministre Sambucca, ce matin,
sur les affaires du roi, c'esl^à-dire de ma nouvelle com-
missioa, que je suis excédé d'affaires, d'ennuis, de
diableries?
Mais ce que vous ne savez pas, c'est que j'ai él^
foire une petite course à Salerne, et que dans la
voiture, ne sachant que faire de mieux, j'ai fait un
livre; il est fait et parfait, puisque j'en ai fuit les
litres des chapitres. Vous n'avei qu'à les remplir, ce
jbïGoogIc ■
I.EtTRES DE GALlAM 509
qui est très aisé, puisqu'ils se remplisseot d'eux-mêmes.
L'idée de faire cet ouvrage m'est venue d'après une
lecture de Grotius (ah quel déraisonueur ! ), qu'il a
fallu que je fisse. Voilà donc mon livre que je ne
communique qu'à vous, sauf à le raonlrer à la seule
chaise de paille, qui pourra le communiquer à la
seule Impératrice ' .
I)e l'Instinct et des Habitudes de l'homme, ou Prin-
cipei du droit de Nature et des Gens.
Bine omne piindp'am, hiii: rtfer ej:iliim.
AVAST-PBOPOS
De l'iustiuclde la faim.
De l'instinct de l'amour.
l)e l'instinct de la jalousie, un des principes des
guerres.
De l'instinct de la vengeance, autre principe des
guen-es.
De l'instinct de l'exercice, de l'adresse et de la force,
troisième principe des gneri-es et des jeui guerriers.
De l'instinct de la pudeur, principe de la décence
et de la politesse.
1. r^lbcrlDe II.
jbïGoogIc
510 LETTRES UE GALUNI
De l'iDstincl de crédulité, principe de U faussé
médecine et de la fausse religiou.
De rinstiDct de frayeur, autre principe de la fausse
religion.
De l'insUncl de l'amour paternel.
De l'instiact de l'amour filial. Rechercher s'il existe
uaturellement dans l'homme.
De l'instinct du ctiaugement et de la liberté, prin-
cipe des expatriations et de la population de la terre.
Du droit des yais.
De l'habitude du local, principe du droit de pro-
priété.
De l'habitude pour la même feuimt;, principe des
devoirs conjugaux.
De l'habitude à la subordination, principe de l'au-
torité piiternelle et de toutes les formes do gouver-
nement.
De l'habitude à la conliance, principe des devoirs
sociaux et des traités.
De l'habitude à la méfiance, principe de l'inlï-actiou
des traités et des guerres.
De l'habitude au dol et à la fraude, principe dus
mœurs des nations barbares.
De l'habitude à resclavage>
jbïGoogIc
LETTRES UE UALiANl 5tl
LlvnE III.
Dex loû civiles primitives et générales.
J'oubliais que vous pouviez montrer aussi ceJa au
philosophe : veut-il se cliarger de remplir le blaac de
mes ch:ipili'es? Vous m'avez afflijjé par les nouvelles
du haron d'Holbach. Un goutteux qui s'avise d'être
néphrétique fait tremblei- ; faites-le voyager dans les
pays cliauds. Adieu.
Ne me grondez plus, de grài^e, ma chère dame, sur
mon silence : je vous en ai donne de si bonnes rai-
sons que vous devez être tranquille, et, quand même
je n'eusse pas eu de bonnes raisons, je vous ai envoyé,
la semaine passée, une table de chapitres d'un ou-
vrage tel que, si vous le faites, il vous immortalisera.
Mais (je ne suis qu'une bête) vous ne courez pas
après là gloire, l'immortalité, et vous venez de me
l'appreadro. Faites-lo donc pour votre amusomout;
jbïGoogIc
512 LETTRES DE GALIANI
car, si vous atteudez que je l'écrive, puisqu'il est tout
l^itdans ma tôte, vous attendrez longtemps.
Le cosmopolite ' m'a écrit pour m'apprendrc son
aiurt voyage en Allemagne, et puis son retour en
Russie. Si les cours n'étaient pas des mers orageuses.
vous auriez grande raison de le pleurer pour perdu à
jamais; mais il est philosophe, el point ambitieux;
aussilût qu'il verra l'orage, il viiei-a au port, et vous
le reverrez. En attendant, il m'a sérieusement invité
k aller à Pétersbourg, et me donne le rendez-vous
chez vous, à Paris, pour nous mettre' ensemble on
voiture. Rien n'est si plaisant que de voir ces arran-
gements de voyage, faits eutrc uae hirondelle et une
tortue. Que voulez-vous? cela amuse au moins l'inia-
ginalion. Il faudra cependant que Je lui l'époiide
sérieusement à Francfort; mais, si ma letlrc ne l'y
attrape pas, daignez lui dire qu'un counnercocpistoiairc,
mieux Hé qu'il n'a été, pourrait autant amuser l'impé-
ralrice, que ma conversation devant elle; et je lui
asEureque je lui donnerai ce commerce pour le quart au
moins de ce que lui coùtei-ait mon voyage et mon séjour
eu Russie. Vous voyez que je fais bon poids et bonne
mesure, et que je ménage les finances de l'impératriec '.
I. L'Impératrice désirait beiucoup canaaltre perioatiellemeiK
Galitai et ellu avait chargé Grlmin lin l'invi'er à venir à Pélers-
jbïGooglc
LETTRES DE GALIANI S13
Laissons partir l'empereur ■ . Je ne sais pas quel
démon de notre siècle inspire aux souverains de se
montrer chez les autres nations : si on (es trouve
meilleurs que le propre souverain, ils laissent le plus
indigne de tous les regrets ; si on les trouve égaux
ou même inférieurs, ils laissent un abattement et
une désolation dans le cœur humain. Il y a des
choses qui ne sont belles qu'à élre souhaitées : l'amour
a de ces beautés-là, et je trouve que la vertu des
souverains est comme le plaisir d'une virginité.
U vaut mieux se le figurer que d'en jouir. Adieu.
Avant tout, ma chère dame, sachez que ma pro-
vision d'encre à la Petite Vertu, louche à sa fin.
J'en tus très prodigue» parce que tout le monde,
enchanté des bouteilles de cuir, inconnues jusqu'alors
1. L'empereur d'Âulricbe, Joseph U, qui vintiParis iaeognilo
BOUS le nota de comie de Falkeiuteln.
jbïGoogIc
au LETTRES DE GALI&Nl
à Naples, m'en demandait. Je n'ai plu3 besoin de
bouteilles, mais si pouviez faire parvenir à Marseille
une bonne provision de cette eucre en une Imuteille
de terre cuite, ou, que sais-je moi? en quelque autre
récipient point coûteux, vous me rendriez un très
graud service. Voyez. Voknti nil dif/iciie.
Vous êtes donc déménagée? Savez-vous que c'est
aujourd'hui l'anoiversaire du jour de mon départ de
Paris? Puis'je être gai avec un tel souvenir? Mille
grâces des nouvelles de Piccini : il faut toujours atten-
dre que la toile soit baissée pour savoir ce qu'il eo
sera de son succès avec le public.
Je suis aussi fort aise du retard du Russe < . Il se
trouvera à l'arrivée de ma bibliothèque à Pétersbourg,
et cela me fait plaisir*. Je voudrais ensuite qu'il s'achc-
min&t avecle comte Rasomousky ' à Naples, et que, d'ici,
il allât vous chercher à Paris, en carême. Cet homme
parcourt l'Europe comme si elle n'était qu'une carte
géographique ; il est heureux de ne pas se fatiguer
dans les chaises de poste et tes mauvaises auberges.
1. Grinun.
3. On se rappelle que Galtani avait vendu la bibliothèque de
Un frère à l'impératrice Catherine.
3. Le comte de Bazomewsky, farori du grand-duc de RoMie,
fut eiilé lors du mariage du grand-duc avec la princesse de
Wurtemberg [juillet 1776) ; il était i la lâte de la facUon qui
poniaaît le prince héritier à s'emparer de la couromie de sa
mère.
:iz..i!, Google
LETTRES DE CALIANI Stt
Vous ai-je dit quo j'ai reçu la gazette ecclésiastique
et la carte de Pologne, où je n'ai trouvé qu'une très
vieille et très mauvaise carte de Pologne, avec du jaune,
du vert et du bleu, mis eu hasard? Ce n'es: pas ce
que je cherchais; mais, si vous vous engagez à faire
parvenir cette lettre ci-jointe à son adresse, et à m'en
envoyer la réponse, j'en saurai davantage.
Je suis béte à manger du foin ce soir. C'est que je
suis excédé des informations des avocats, des afEures
de mes nièces, de celles du roi, des procès, des
diables, et qu'en attendant, mon excellent ouvrage sur
le Droit de Nature et des Gens f languit. Adieu.^
Aimez-moi autant que les Parisiens aiment l'empereur,
à ce que vous me mandez ' . Adieu encore.
De grAce donnez^vous quelque peine pour dénicher
1. Joseph II. ■ C'est, dit madame d'Oberkircli, an prince
élrsDge, et peu fait peui-élre pour occuper une pareille place
dans un siècle comme celui-ci. Il e>t de l'abord le plus hcile,
recherche la Trancbise et U Térlté, souffre qu'on la lui dise sais
voile et sans préterte. 11 est <ta reste très Qd et d'une itéuëtca-
tion merveiUeuse. 11 eicita parmi la population parisienne un
véritable entbousiumb ; sa potiteMe, m simplicité et son instrw
tlonlui attiraient les plus grands succès. Il portait un simple
habit de drap, ce qui lui Talut ce compliment d'uai poissarde
qui lui ofTrait un bouquet: ■ Le peuple qui pa;e le^ galons de
vos babils est blenheureui,monsieurleeoa)le.9 II visita lout Parts,
toutes ses curiosités, tous ses monuments comme un simple
particulier et à un seigneur qui lui reprochait de trop se OOD'
fondre avec le peuple, il répondit : c Si je ne voulais voir qœ
mes égaux, je devrais me renfermer arec mes ancêtres au coûtent
des capucini, ott lll reposent. ■
jbïGoogIc
M6 LETTRES DE GALIAKI
ce H. Zannoni i à qui j'adresse ma leltre : s'il esl
vivant, vous en aurez des nouvelles par d'autres géo-
graphes, et surtout par H. Messier, astronome aux
comètes, et autres. Il était l'ami de Diderot; mais
Diderot ne sait rien de ce qui se passe dans la nature,
malgré qu'il en ait interprété les secrels. Adieu.
Haples, 31 juin 1777.
La semaine passée, je n'avais pas votre leltre sous les
yeux lorsque je vous écrivis : je venais de l'envoyer
au ministre de Vienne pour lui faire lire l'élc^ im-
partial de l'empereur, que vous y faites, et qui lui
a fait grand plaisir à lire. Il me renvoie à cette heure
votre lettre et comme je n'en ai point de vous cette
semaine, j'épuiserai la réponse.
Je m'aperçois que vous songez à faire réimprimer
mes Dialogttes *. Savez-vous bien que ceci est une
2. Il D'y a pas eu de seconde édliion t celte époque,
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 517
nouvelle très importante pour tnoi, une affaire ti^
grave, et qu'il ne fallait pas glisser dessus comme
vous faites? D'abord il y a trois ou quatre fautes
d'impression si graves, qu'il faut absolument les cor-
riger. Je ne puis pas vous mander & quelles pages elles
sont, puisque je n'ai pas même un seul pauvre petit
exemplaire des Dialogues chez moi, et ayant envoyé
chez trois ou quatre de mes amis pour en trouver,
ils n'en ont pas : il faut donc me donner le temps
de déterrer un exemplaire à Naples, où mon livre est
presque inconnu, et, la semaine prochaine, je vous
manderai ces corrections.
Deuxièmement, ne croyez-vous pas qu'il 'pourrait
être agréable au public, et surtout au libraire, d'ajou-
ter dans cette nouvelle édition trois ou quatre lettres
dogmatiques sur la question, ensemble avec les lettres
qu'on m'écrivit, telles, par exemple, que ma lettre à
Suard, ma lettre à Morellet, à Sartine et & d'autres.
Je les conserve, si vous n'en avez pas de copies-, et
je puis vous fournir aussi les lettres de ces messieurs,
auxquelles les miennes servent de réponse. Je pourrais
vous envoyer enfin une consultation que j'envoyai à
Gènes, au doge Pallavicino, sur la meilleure manière
d'administration des blés, convenable à la république de
Gènes. Il me l'avait demandée. Cet appendix ne serait-il
pas piquant? Le libraire ne le payerait-il pas cinq ou
six cents livreA? C'est là te substantiel. S'il le payait.
jbïGoogIc
M8 LETTRES DE GALIAM
je trouvenis par là le moyen de me rembooner de
la malheureuse banqueroute de Merlin. Ceci m'iolé-
rene iariniment. Répondez-moi donc cetégoriquemant
sur cela, et l&chez de me rendre utile cette secuide
édition ; j'en ai vraiment besoin. Je pourrais tous hiro
parvenir les copies de toutes c«s lettres et de met répon*
ses sans frais. U est vrai qu'il faudraituQ peu en retou-
cher le style, mais ceci est votre affaire. Notre arran-
gement est ancien sur cela : je mets tes choses, vous
y mettez les paroles. Adieu. Étes-vous délassée de
votre déménagementî
Naplei, s jDDiBt tITT.
Vous êtes bien aimable, ma chère dame, de songer
à m'écrira au milieu de vos déménagements, de vos
BouOi-ances et de vos affaires, et surtout de vos béné*
fices. Je vais déménager aussi, et rentrer dans ma
maison à moi; car je possède une vaste maison, ne
vous en déplaise. Cela m'occupe. Le mariage de ma
nièce me tracasse, ma nouvelle charge m'obsède, et
jbïGoogIc
tETTRES DE GALIANI 519
surtout la paresse me gagne. Si je mangeais moins,
je dormirais rootiiB, et j'aurais plus de lemps à m'oc-
cuper; mais j'ai tant déplaisir à mangw et si peu k
écrire, qu'en vérité je crains fort que les chapitres
de mon ounage ne soient pas remplis de sitôt; cepen-
dant, il faudra voir dans la nouvelle maison le loisir
que j'aurai.
Si vous avez occasion de voir Piccini, encouragez-le
à trouver le moyen de faire parvenir ici les dispu-
tes et les brochures entro les gluckistes et les picci-
nistes : elles nous intéresseront beaucoup ■.
Je ne sais vraiment où me tourner pour vous don-
ner des nouvelles d'ici qui vous intéressent. Vous
diraî-je que notre roi a pris beaucoup de go&t au
spectacle français, en sorte qu'on peut bien dire qu'il
est le seul qui y soit assidu?
Vous dirai-je que ^'est moi qu'on a chargé d'exa-
miner les pièces qu'on pourrait donner? Je n'en ai
défendu que trois en tout, c'est-à-dire Olympte, le
Galérien et le Tartufe. Toute la ville crie contre moi,
t. < Cette grande querelle eut pour origine un mot de l'abbÊ
Arnaud; il imprima qup Glucli faisnit un Orlando et Piccini un
Orlandino. H. de Harmonlel, qui avait Écrit le poème de Holand
pour Picciul, ae mit en furie, déclama, tempéla ; et de lA la
bataille. Les femme» s'en mêlèrent comme les bommes. Ce furent
des rages et des cris tels qu'on était souvent i^ligé de séparer
les gens, et qu'il y eut nombre d'amis, d'amants brouillés pour
cette cause. Elle troubla même des ménages, et je cannais une
très jolie terame que je ne nommerai pas, laquelle donnait pour
jbïGoogIc
SO LETTRES DE GAtlANl
do oe qae j'ai été un censeur trop sévère, et veut abso-
lument qu'on donne ces trois pièces. Auriez-vous cru
à tant de progrès chez nous? N'allez pas croire pour-
tant que ce soit un progrès de lumières; c'est uu
progrès de stupidité. On ne trouve rien de mauvais
dans ces trois pièces, parce qu'on n'y entend goutte.
Cela n'est-il pas fort plaisant?
Embrassez-moi l'aimable Schomberg. Mes amis de
Paris se partagent furieusement. J'ai perdu les éco-
nomistes, je perdrai les gluckistee, et si je retournais
k Paris je n'aurais plus ni les économistes, ni les
gluckistcs, ni les jansénistes, ni les molinisles, et il
ne, me resterait peut^tre que les ébénistes. Adieu. A
huitaine, car je suis pressé.
raison de k» torte enTers son mari : « Comment rotilei-vout
endorer c«t bomine>tà et lui être Adèle? D est plccInlstA et
n'écorche le* oreilles da matin au soir. — Alan tous le lui
rendez du soir au matin, lui répliqua-ton. > (JfAtMJfBi de ma-
dame d'Oberkirch.) Ces querelles des pfcclnlstej et dea glnc-
klstes séparèrent en deux toute h société parisienne et flrent
beaucoup de peine k Plccini. La reine était à la (éle des glnc-
klstes et son parti finit pat l'emporter.
bïGoogIc
LETTRES DE GALIAM
A MADAME DE
Madame,
Que vous êtes aimable et judicieuse d'avoir com-
mencé votre lettre par m'amioncer l'état de la santé de
maman ! Savez-vons bien que ce trait est fort énidit,
et que tes anciens Romains en usaient ainsi f Si voua
n'aviez pas fait cela, assurément je serais tombé mort
k la renverse. J'avais le cœur chargé de chagrin et
d'amertume ; la lirayeur que votre lettre m'aurait in-
spirée, ajoutant à la charge un nouveau poids, j'aurais
succombé. Le plus grand des malheurs qui pouvaient
m'arriver, le plus sensible à mon cœur, venait de
m'étre annoncé, lorsque j'ouvrais votre lettre. Ha chatte
angola était tombée d'une terrasse dans la cour et
restée morte sur le carreau. Ce coup est un coup de
foudre pour moi. Sans plaisanterie et sans exagération,
tous les objets ici, après cette perte, sont devenus
indifférents pour moi ; rien ne m'attache plus à ma
chère patrie, où rien de bon n'est resté depuis
jbïGoogIc
6M LETTRES DE OALIANI
que ma chatte marseillaise (car on me l'avait envoyée
de Marseille) est trépassée. Malgré mon deuil et mou
accablement, j'ai bien goûté ce joli couplet qui com-
mence Chef son libraire. Je ne le croîs pas neuf, mais
il est fort bien appliqué, et il est incomparable en lui-
m^me.
Piccini est bien à plaindre, puisque ses amis lui font
encore plus de mal que ses ennemis; mais pourvu
qu'il soit payé ! Enfin, il n'est pas allé jusqu'à Paris
chercber la gloire; il en avait assez; il y est allé cfaer"
oher l'argent dont il a amassé fort peu dans sa vie '.
N'exigée pas de moi une longue lettre; peuWtn écrire
lorsqu'on a perdu sa chatte 1
t> Le nMlbanraui Piceinl n'eut qua dea dieeptlons et 6et cha-
griiM en Fronce; en 1TB9, il perdit ses pensions, retourna b
Naples où il vécut misëreblement, puis II revint encore h Paria
eu 11 mourut en IBOO.
jbïGoogIc
LETTRES DE QALIARI
A MADAME d'ÉPINAT
Kaples. ts
He voioî oouvart de bonto et de repentir. Oui, je
l'avoue, je ne vous ai point écrit ; j'Ai été mort, enso-
Teli, malgré que vous, au milieu de vos aouf^nws et
de vos déménagements, vous aves toujours songé à
moi, et vous m'avez écrit ou fait écrire par votre fille
et par le pripce pignatelli, t'ii avait voulu s'en «(s
quitter.
Que vous dirai-je pour mon excuuf Voloi le plus
vrai. Votre aimable 611e m'a grondé de oe que, dans
mes lettres, je ne parlais que de mes quadrupèdes t
mais ce serait bien pis si je vous parlais des bipèdes de
ce pays-<i. De quoi dois-je dooo voua parler? Voilik
pourquoi je me tais. Mes ocoupations, mes embarras
domestiques, mon déménagement, m'ont Aie le temps
et l'envia de rêver h des idées philosophiques ou sa<
vantes ; je suis h sec. Ce plaisant ouvrage sur l'origine
du Droit tiré des bétes (toujours j'étudie les bétes, tant
je suis rassasié des hommes), est resté à la table des
jbïGoogIc
su LETTRES DE RALIANI
matières. Pourtant, si une bonne fois ma troisième
nièce est mariée, et le partage des biens de mon frère
achevé, je me flatte de ressusciter. Vous aurez en
octobre Grimm et Gleichen, et vous guérirez de tout,
hormis d'être impotente.
ie me tourmente pour trouver de quoi vous écrire.
Vous dirai-je que le duc d'Ayen est parU d'ici il y a
trois jours, que M. et Bfadame de Tessé * sont restés?
Qu'est-ce que cela vous fera, puisque cela ne nous a
rien fait? Ils n'ont pas voulu ici se lier avec personne;
ils nons ont négligés, nous en avons fait de même,
et on ignorerait qu'ils y sont, s'ils n'avaient des cbe-
•vaxa k courte queue qui les rendent très remarquables.
Vous dirai-je que ce prince imbécile, que nous avons
ici, a depuis trois ou quatre jours une maladie ? Nos
savants médecins n'ont pas pu décider si c'élait la
petite vérole ou une fièvre maligne avec des éruptions
à la peau? Pour moi je dis que c'est la gale. En at-
tendant, le roi, la reine s'en sont enfuis h Caserte, en
déroute. Rien n'a ressemblé à une ville prise d'assaut,
comme Naples ce matin.
Pourriez-vous me dire les bonnes raisoas qui ont
porté H. Necker à mettre les postes en régie? Je suis
pour les fermes, en tout ce que font les souverains.
1. Le comte de Tessé, grand d'Espagne, élait premier ëcuyer .
de madame la Dauphine; madame de Tessé élali la aile du
maréchal duc de Hoallles.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIAM 515
Vous ne m'avez pas mandé s'il était possible d'avoir
encore un grand pot d'encre de Paris; j'en aurais pour-
tant bien besoin, car, du présent du margrave, il ne
m'est resté que les excellentes bouteilles en cuir :
l'encre, je l'ai toute donnée.
Grimm eut la cruauté de ne pas m'écrire avant sou
départ de Russie ; persuadez-lui de solder son compte
avec moi, de Paiîs; on lui aura renvoyé une lettre que
je lui avais adressée à Pétersbourg.
Faites de ma part mille escuses à madame de Bel-
suDCe, sur ce que je n'ai point répondu à deux de ses
lettres. Je suis un monstre; voilà mon excuse. Je suis
Azor, elle est Zémire ' ; mais je l'aime.
À propos, les comédiens français ont joué ici la
Chasse d'Henri IV supérieurement. Le roi l'a tellement
goûtée qu'il l'a redemandée jusqu'à (rois fois. Ah ! si
noua avions un Sully, nous aurions un Henri.
I. AUuaion ta cont« de la fi«Me el la Bile, de madimedAuloo^;
'on a Uré de ce conle l'opéi'a de Zémire et Àsore.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANl
A HADAHE DE BELSUNCE
riBptu, Il SBpiembre itt7.
Madame,
Vous ne vouiez pas que je parle de quadrupèdes,
vous BimeE les bipèdes; et bien, je vous dirai que
Galti doit arriver ici, peut-être dem&ta, pour inoculer
la famille royale. Une mort causée par la petite vérole
vaut ptu9 que les dissertations de la Condamine. Voilà
toutes nos nouvelles politiques. Je ne puis pas vous
envoyer des vers et des coaplels sur nos ministres,
nous les maudissons en prose.
Le comte de Wilseck est parti. Son départ a été un
mystère; il est parti boudant, et boudé de tout le
monde politique ; mais les amis de sa personne
l'aiment toujours, ot le regretteront à jamais. Je suis
du nombre ; et comme je n'entre pas dans les coulisses
de la politique, de mon parterre vulgaire je n'ai point
entendu son dépai^, je n'ai fait que le sentir.
On vient de tirer les numéros de la loterie ; je
complais cette fois y gagner ; j'ai perdu. Je suis dans
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANl 631
l'abattement et la désolation, car (cela soit dit entre
nous, et gardez-moi le secret) je n'ai plus un sol. Un
changement de maison, des embellissenieats, des ten-
tures, de nouveaux meubles, m'ont ruiné, abîmé,
réduit à l'indigence. Madame votre mère en a-t-eile
fait de même? Notre proverbe dit: Pabbricare è u«
dolce impoverire '; et j'en fais l'expérience.
Vous ne m'avez plus parlé de Piccini, et au lieu de
cela, TOUS me parlez de M. Necker; mais si Necker la.it
le bonheur de l'État, Piccini fait le bonheur de la vie,
ce qui vaut bien plus.
L'honmie du Nord ■ étouffera de chaud cet hiver.
U reviendra chevalier de Vasa, peut^tre de Saint»-
.\nue, comblé de boites, couvert de diamants, et
endetté de réponses à tous ses amis; embrassez-le
de ma part, et faites-le ressouvenir de cette dette.
Comme je n'ai plus de chatte, cet article manquant,
je ne sais plus comment prolonger ma lettre, aimez-
moi, réclameï-moi l'amour de madame votre mère, et
croyra-moi au vrai votre. . .
1. Bâtir, e'est k ruiner daucemeoi.
2, GrimiD.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI
A. LA HÉME
Hapleg, t oclobre iitt.
Madame,
Je suis bien affligé des nouvelles de la sant^ de
madame votre mère, mais je n'en suis pas désolii. La
mère de ma belle-sœur crache du sang depuis trois
ou quatre ans; elle a soixante et seize ans; elle vit
toujours.etmème, depuis quelques mois, cela va mieux.
La mère du mari d'une de mes nièces a craché de
temps à autre du sang depuis une vingtaine d'années;
je viens de la voir ; elle approche des soixante et dix
ans ; elle m'a dit qu'elle se portait fort bien. La mère
d'un autre mari d'une autre de mes nièces est au lit
pour avoir, non pas craché, mais vomi du sang, et
ensuite craché plusieurs fois depuis huit jours. De ce
pas il faut que j'aille la voir ; elle m'a dit qu'elle avait
BoufTert de cette incommodité depuis dix ans ; elle ne
me parait pas bien épouvantée du symptAme. Je conclus
donc que les femmes sont de vrais boudins, et que de
quelque cûlé que le sang leur sorte, il n'en saurait
jamais sortir assez. Ce n'est donc pas le sang, ce sont
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 53»
les douleurs aiguës, coutiuuelles, iaexpugnables, de
madame voire mère qui me fout souffrir et trembler.
Je voudrais apprendre qu'elles sont calmées, et puis
je me moquerais du reste.
Votre correspondance, à laquelle vous me meoacei
d'être réduit, n'est pas si mauvaise que vous pensez.
n est vrai qu'à votre âge votre conversation vaut mieux
que votre correspondance, maïs vous direz que c'est ma
faute si je ne jouis pas de la première. Que ne vene^
v(Hi5 à Paris, me direz-vous?
Patience, j'y viendrai, mais laissez-moi auparavant
meubler ma maison.
Ali ça, parlons d'affaires. J'avais prié madame votre
mère de deux affaires très importantes pour moi ; elle
ne s'en est pas acquittée, et peut-être pas ressouvenue
dans l'état de santé où elle est.
Vojez donc si vous y pouvez quelque chose. La pre-
mière était de tirer au clair si H. Rizzi Zannonî était
vivant ou mort; et dans quel endroit du monde on
croyait gu'il était. Ce monsieur est le premier géo-,
graphe de l'Europe. 11 est connu de Diderot, Danville',
Messier', Buache*, etc. On lui avait donné la garde du
I. D'AnrlIle (J.-B. Bourguignon d') (169T-lTSi), géognpbe
célÈbre, membre de l'Académie de« liucriptloni et bellM-lettre*.
3. Hessier {1730-1817} , sstronome de la marine, membre de
l'Académie des sciences, etc., etc.
jbïGoogIc
SM LETTRES DE OALIANI
dépAt de la mariDe; ainsi M. le comte de NarboDne-
Pellet doit le eonnattre; il a fait la carte superbe du
royaume de Naples, sous ma dictés; il a fait, ou chi
moins commencé, la carte de Pologne ; il a fait des
dettes ; il a fait banqueroute ; il a fait peut-être encore
pis. Qu'cst-il donc devenu après avoir tant fait?
Seconde affaire: il s'agissait de l'expédition d'une
grosse bouteille, tenant à peu près douze pintes d'encre
de Paris de la Petite Vertu, envoyée jusqu'à Marseille;
je -me charge de la faire venir de Marseille ici. Cela
est-il possible?
Gatti arriva il y a huit jours. Il a inoculé les princes
et deux {vincesses mercredi passé ; tout le monde
tremble du succès, excepté lui. On a fait des prières
publiques. La reine même, qui a voulu l'inoculation,
s'en repent. A force de voir trembler, je commence k
trembler aussi. A huitaine, nous serons hors de doute.
Ce monstre du Nord ', Dieu sait s'il m'écrira! Il
devrait au moins m'apprendra quelque chose relative-
ment aux livres de mon frère. Vous ne m'avez [dus
rien mandé sur Piccini. Gleichen arrivera en même
temps que Grimm. M. Necfcer réussira à faire de gran-
des réformes; mais je doute fort qu'il réussisse à faire
de grandes économies. Adieu.
1. Grimm.
jbïGoogIc
I.ETTBB8 DE GALIANI
KaplM, l" lOVeMbn <nt-
Avant que je l'oublie, taiUe-moi la grâce de t'ajre
savoir au baron de Gleîcbea qua je vieiu de lui écrjre
ce soir même, et qu'il f^ise cbercher ma lettre à la
po3le.
ReyeaoDs à présealà nos moutonB. Ne vous l'ayais-je
pu dit, 'que le aymplAme du eracbement de atng a'^
lait pas Bî fatal que vous imagioez? h crains bien plus
cette maudite faiblesse; mais espérons toujours, la vie
D'est qu'un espoir.
Mon diable, ma troisième nièce n'est pab encofe para^
chevée dans le mariage. Il y a contrat, promeiMi dat.
[tféseat ; mai» la eomomption ne •'»( pa« eneora bien
établie ; cela m'etmuie jusqu'à rabattement,
C'est vrai, j'ai gaspillé mon enerc; mais j'ignorais
que la cbaleur du climat de Napieg produisit »m COU'
Sommatitm d'encre, par le dessèchement qu'il s'en fait,
sis fois plus forte man oins que celle de Paris, Vous
jbïGoogIc
5W LETTRES DE GALIANE
m'accusez d'être un enfant prodigue ; vous avez tort :
je ne suis (comme dit l'abbé Morellet) qu'un mauvais
calculateur économique.
Qu'est-ce que c'est qu'une Olympiade de Sacchini que
vous avez entendue? Eu quelle langueî Exécutée par
qui ? Expliquez-moi ce phénomène '.
Piccini, que fait-il? Vous ne m'en parlez plua ?
Jamais je n'ai eu tant envie de vous écrire ; mais de
quoi remplir ma lettre? J'avais deux des vûtres à ré-
pondre; je les ai épuisées, à cela près que je ne vous ai
rien dit de VArmide de Gluck.
Eh bien! elle est tombée; j'en étais sûr d'avance, et
je crains le même sort pour Roland*. Ou peut dire de
1. L'Olympiadt, (ie MÉUslase, poème fort conou en Italie, avail
Été traduit et arraugÉ pour la scène par Pramery et mis en mu-
sique par S«ccbini. L'Académie royale de musique ayant refusé
cet ouvraye, les auteurs le proposèrent è la Comédie Italienne oA
il fut représenté pour la première fois le 3 octobre 1777, sous le
titre de: l'Oiyn^id» ou le Triomphe de rAmitU, drame héroïque,
en trois actes, en Ters. La pièce eut du succès, quoique jonée
par des acteurs peu faits au Iod et aux costumes de leur râle;
madame Trial et mademoiselle Colombe fuirent, entre autres, fort
applaudies.
2. Lorsqne les répétitions de Roland commencèrent, ses par-
tisans et ses ennemis préparèrent leurs armes, Ceui-ci parai»-
salent les plus forts parce qu'ils étaieni les plus bruyants.
Piccioi crut sa chute inévitable. Le jour de la représentation
(lévrier 1T78), lorsqu'il partit pour le IhËJilre, sa famille ne tou-
lut point l'y accompagner et Ht tous te» efforts pour le retenir
lui-même, il sortit au milieu des larmes et des gênilssements.
Le succès fui des plus heureui et on ramena l'artiste en
triomphe.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI B33
l'opéra français, comme de la République romalae au
temps de Tîte-Live' nec mtia nostra nec remédia pâli
possumus.
Pour le coup, il m'est impossible de m'allonger
davaatage. Adieu.
Madame,
Deux semaioes sans lettres de tous commençaiect
à m'inquiéter. Cette semaine, j'en ai reçu trois à la
fois, du 19, du 28 octobre et du 3 novembre, et je vais
y répondre.
Commençons par le plus important. Vous compre-
nez que c'est de la santé de maman dont je veux
vous parler? Pourquoi vous inquiétez-vous si fortqu'elle
fasse toujours usage de l'opium? Qu'en craignez-vous?
Ignorez-vous {non vous ne l'ignorez pas) que l'Orient
tout entier, c'est-à-dire la moitié du genre humain,
vit avec l'opium, ou pour mieux dire dans l'opium
jusqu'à la décr^îtude? L'Occident se sert de vin au
lieu d'opium et en tire le même parti. Ne connaissez^
jbïGoogIc
M4 LETTRES OB QALIANl
VOUS pal de vieilles Ivrognesses T Eh bien 1 maimn Kra
une vieille Ivrognesse d'opium. JTal connu la corataïae
Borroraée, qui, par une santé frêle, à l'âge de cin.
quonte ans, eut besoin pour ses nerfs de l'opium et du
nnisc. On ne saurait imaginer le dégât qu'elle en a fait
dans sa vie ; elle vient de mourir h l'âge de cent deux
ans.
Mettez-vous bien dans la tête que la vie n'étant qu'un
amas de maux, de souffrances et de chagrins,
Dieu fit de s'enivrer la vertu des mortela.
L'opium, le vin, le tabac, les trois drogues les plus
enivrantes, sont le contrepoison de la vie des Asiati-
ques, des Européens, des Américains. Is napeulke des
anciens Grecs n'a été autre chose que l'opium. L'am-
broisie et le nectar n'ont été autre ohose que l'hydro-
mel, boisson tirée du miel, et capable d'enivrer, Le
vin n'était pas encore connu des Grecs, du temps de
leur plus ancienne mythologie. Les conquêtes du roi
Ég]rpUen, figuré sous le nom de Baccbus, transplan^
tèrent les vignes, plantes originaires de l'Arménie, dans
l'Asie-Hineure. Voilà une terrible et bien neuve disser-
tation à propos de l'opium de maman. Laissez-lui en
prendre à foisont et puisque Fréron et son Année lU-
térairesoai morte*, que les économistes se taisent, vous
1 . Les enaernis de Fréron avalent ablean de M , de Hiroménll,
gtrde des icesni, li lospemloa du [irtvil^ de VAimte tAlu-
jbïGooglc
LETTRES DE GALIANI B»
voyet qu'elle ne saurait trouver d'tutre somnifère. J'es-
père enfin que, si elle ne s'impaliente pas de guérir,
elle vivra, et flaira par guérir tous ses maui, excepté
la vieillesse.
Gatti a été dans le ravisBement des articles qui le
regardent. Nous lui avons très bien payé l'inoculatioD
des princes. H a eu une pension de 3,500 livres, et
pour plus de 1,KOO livres de présents enboltesetbagUei.
Ce qui pis est pour lui, c'est que les princes at prin-
cesses se sont amourachés de lui. Il me charge de vous
dire mille choses, tcnez*les pour dites.
J'avais appelé mentor du Nord, celui que vous appe-
lés mouton du Nord. La différence n'eat pas bien grande,
c'est la même qu'entre précéder et suivre. Les princes
allemands et russes qui élaient avec lui, étaient bien
ses moutons ) mais la toison n'en a pas été bien rlohe.
Enfin ce Mentor moutou est arrivé; il m'écrira, Je
l'espère ; mais il ne me dira pas la œntlème partie de
oe qu'il devrait me dire.
Les vers de Marmohtel sont déliciens; c'eitbien dom-
mage qu'ils aient été faits pour sa propre femme'. D
faut espérer qu'il en reviendra. L'inconstance est UDe
faire. Frëroa avail nne atUque de goutte au mameDt où on
lui annonts cette nouvelle; l» goutte KtaonU et l'élouffa le
10 nara 1776.
1. CbansoD pour madame Mtrmoalel, le jour de sainte Adélaïde,
sa fête. [Œiwrei con^flètes de Uarmontel, I. X, p. 634, ht\s. —
Verditee, 1810.)
jbïGoogIc
5BS LETTRES DE GALIANI
loi physique de toutes les espèces d'animaux. Sans elle,
point de fertilité, point de variété, point de perfectibi-
lité. L'immense variété des nations qui ont peuplé ou
se sont alliées en Europe, a fait la perfection de notre
race. Les Chinois ne se sont abrutis que par la non-
mixtion ; et depuis l'arrivée des Tarlares, ils ont gagné
beaucoup. Voici une autre dissertation bien étrange. Je
vois que, ce soir, je suis en train de disserter; c'est peut-
être ma nouveUe maison qui amène cela ; car c'est
la première lettre que je tous en écris.
Mes dissertations et ma gaieté vont linir à présent
que je relis votre dernière lettre du 3, que je n'avais
lue qu'eu courant, et que je m'en trouve frappé comme
d'un coup de massue. Vous m'annoncez l'expédition de
l'encre, et vous m'anponcez en même temps l'aclut et
l'expédition des bouteilles à six francs pièce. Grands
dieux ! J'avais pourtant bien dit, bien écrit, bien dé-
claré, que je voulais avoir de l'encre et point de bou-
teilles; que ie margrave m'avait pourvu de bouteilles en
si grande quantité, que j'en avais distribué à tous mes
amis. Pourquoi ne m'avez vous pas envoyé cette encre
dans des bouteilles de verre, comme si c'était du vin ?
Mais le ma) est fait, il est irréparable. Dieu sait quel
mémoire va me tomber sur le cou ! Dieu sait comment
je ferai pour le payer? Ce qu'il y a de sûr, c'est que je
n'ai plus la force de rien dire :
CurcB levet loquuntia-, ingénies stupoil.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI
HONSIEDR & ALEMBERT*
HoQsieur,
Les économistes me poursuivent partout; ce sont
donc de nouvelles furies qui me pendent, pour me
servir des expressions du Tasse, indivisibilmente a
lergo. Ceux de Napies, pour venger ceux de Paris,
viennent de me jouer un tour diabolique ; ils m'ont
tait donner une place. Vue place! devines 7 je vous le
donne en mille, et puis en mille encore. Jamais pro-
blème ne fut pour vous si difficile à résoudre. On m'a
fait censeur; Galiani, censeur! J'ai droit de vie et de
mort sur tous vos auteurs dramatiques. Vous avez ap-
pris, sans doute, par les papiers publics, que nous
avons une troupe de comédiens français à Napies. Les
nouveaux missionnaires de votre patriarche voulaient
jouer indistinctement toutes sortes de pièces, et, comme
de raison, particulièrement celles dont la représenta-
tion pouvait leur assurer un bénéfice plus considérable.
i. Nous BTona tout lieu de croire que U plus grande partie
de cette lettre est l'œuvre de Seriejs.
jbïGoogIc
38 LETTRES DE GALIÀNI
On a cru devoir arrêter leur zèle, et c'est moi qu'on a
chargé de cette tâche, si importante au salut de la Répu-
blique. Caveant consoles, a-t-on dit, etc.
J'ai bieu trompé ces messieurs, à peine suis-je nommé
que
Ma colÈre retient, et je n
et qu'es parodiant votre poète tragique par excellence,
sans avoir plus d'égards que lui à la rime, j'ajoute :
Immolons, ea venseur. trois pièces i la foii.
Je défends apjssitôt OJifinpie, le Galérien; le croiriez-
vous, le Tartufe? — Le Tartufe! Oui, monsieur l'anti-
cagot, le Tartufe. Pourquoi un conseiller d'aujourd'hui
ne ferait-il pas ce qu'un président d'autrefois fit avec
tant de succès ?
Vous me demanderez, peut^tre, d'où venait de ma
part ce transport de colère ? Tantœ ne ammis cœlestibut
trie? De ce qu'on avait laisié jouer plusieurs fois mon
Socrate imaginaire, parce qu'on l'attribuait à un autre,
et qu'aussit6t qu'on apprit que j'en avais fait le Plan,
on en défendit la représentation.
Convenez, mon cher philosophe, que c'est une belle
chose que la censure ; admirons la finesse de son art,
l'excellence de son goût; voyez-vous comme elle s'at-
tache de préférence à tous les cheb-d'œuvre du génie;
c'est du Voltaire qu'il lui faut, c'est du Raynal, c'est du
Jean-Jacques ; en vérité ce siècle sera remarquable par
ses prouesses. D'un calé la raison, de l'autre unbâchw,
jbïGoogIc
LETTRES DE OALIAX! M9
et tout cela pour le mieux. Si j'étais moins versé daiis
les antiquités, et aurlout dans l'histoire des événements
mémorables, qui précédèrent le déluge, j'attribuerais
cette belle institution à des économistes de Borne ou do
la Grèce, mais, si je ne me trompe, l'origine de la
censure a quelque choie de plus qu'humain; elle date
du moment où notre premier père ayant commis un
acte reprébensible, en mangeant d'un fruit prohibé,
encourut la première censure dont les plus anciennes
wmalea du monde fassent mention. Par exemple, je
croirait asseï volontiers que nos sublimes panégyristes
de la liberté Illimitée, font remonter leur système à peu
près à la même époque, c'est-à-dire lorsque le fils aine
de ce premier père usa des droits de cette liberté pour
se débarrasser de son cadet, dont l'innocence et la cou"
sidération dont il jouissait auprès de l'Etemel lui por-
taient ombrage. Mais laissons là ces vieilleries '.
A propos de censure, il court ici un bruit assez
singulier : vous avez voulu, dit-on, vous et consorts,
vous aller établir à Clèves, pour fuir la place de
Grève, qui menaçait vos écrits et vos personnes;
à cet effet, vous en avez demandé la permission au roi
de Prusse, qui, ajoute-t-on, vous a permis de venir
habiter ses Etats ) mais à condition de ne rien écrire
BUT la philosophie ni sur la religion. Y a-t-il dans tout
1. Ce patagrapbe nous parait être le seul de toute U lettre
•VfD» |WJss« ittlUiar t Oalluil.
jbïGoogIc
MO LETTRES DE GALIANI
cela quelque chose de vnû? Le grand Frédéric ne
serait-il philosophe que pour lui seulî quant à vous, je
ne crois pas un mot de cette prétendue expatriation :
celui qui a préféré sa tanière du Louvre aux palais et
aux largesses de la Sémiramis du Nord, ne s'exposera
point, à coup sûr, au danger d'aller mêler sa cendre à
ceUe de Jean Huss. Veuillez bien, cependant, me donner
à cet égard quelques éclaircissements. Le voyage de
Diderot a paru si propre à justifier ce conte 1
Que font tous nos amis? nos Roubaud, nos Panurge,
nos damesî Aimez-moi comme je vous aime. Bonsoir.
P.-S. — On parle de l'établissement d'une académie
des sciences à Naples, vous en serez, mon maître.
A MADAME d'ËPINAY
Modicœ fidei, quare dubitasti? Ne vous l'avais-je pas
dit , qu'on vit avec l'opium , qu'on se rétablit avec
l'opium et qu'on vieillit jusqu'à la décrépitude avec
l'opium. Vous serez une maréchale de Hirepoix ; vous
tremblerez : qu'importe. Vous jouerez au cavagnole
jbïGoogIc
LETTRES DE GALiAM Ml
jusqu'à trois heures du matin : n'estrce pas Atre biea
heureux et bien employer sa vie'î
Vous ne m'avez jamais fait dire à qui je dois payer
ici le prix de cette malheureuse encre, dont je ne puis
me ressouvenir sans frissonner. Cherchez les Piccini,
Caraccioli, Ferez, comte de Fuentès, marquis de Cler-
mont, ou que sais-jemoi, qui veuillent vbus rembour-
ser la dépense faite et m'ordonner de payer ici à leur
correspondant ; car, pour une lettre de change, l'em-
barras serait plus, grand que la chose ne vaut.
Nous avons vu remettre ici et tomber à plat un
superbe opéra comique de Piccini. Les acteurs n'étaient
pas les mêmes que lorsqu'il le donna il y a sept ans.
Le comte de VoronzofT, qui m'apporta une lettre du
plénipotentiaire coureur *, est un bien aimable sujet '.
i. U maréchale de MIrepoix, princesse de Lorraine et dame
du palais de la reine; ses soupers étalent célèbres. ■ Nulle
Temme n'était plus aimée, plus aimable que celte amusante
duchesse de Hirepoii, toujours désordonnée, noyée d'embarras
d'argent, minée par le jeu, perdue ds contrariété et de gène au
milieu de cent mille livres de rente et cependant quand elle
s'échappait de Versailles et tombait A Paris, toujours gale, sans
humeur, douce, complaisante, gracieuse à tous, empressée A
plaire, ne demandant que des services à rendre, si bonne qu'elle
réussissait i faire oublier ses léchetés k la cour et à remplacer .
autour d'elle l'estime par t'amiiié. > (De Concourt, ta Femme au
dtoi'htiitième tiède.)
3. Orimm.
3. Lecemto de Woronioff devint ambassadeur de Russie i
Londres, où il jouit de la plua haute considération.
jbïGoogIc
Ml t.ETTRES DE OALfANI
Nous nous sommes déjà pris de belle amitié, et, ce ma-
tin, je dîne avec lui chez le prince Auguste de Sate-
Gotha. Nous boirons à votre sant^, et à celle du grand
coureur, chaise de paille et de poste. Mais il est indigne
à lui de n'avoir pas encore écrit de Paris, ni achevé
l'histoire de nos affaires À Pétcrsbourg.
Le roi voulant ici représenter en mascarade la sortie
publique du Grand-Turc, M. l'ambassadeur de France,
qui a souhaité être du nombre des acteurs, avait été dé-
signé pour y représenter l'aga des eunuques blancs ;
mais comme il a trouvé cctl« place trop coûteuse
pour lui, eu ^gard à l'état de ees revenus, il l'a
changée et l'a fait accorder au prince de Migliano,
qui l'a acceptée sans frayeur, attendu que c'est l'homme
de Naples qui a le nez le mieux conditionné. Cette
cabale, pour cctle place, nous a autant divertis que
la mascarade elle-même nous divertira, lorsqu'elle
aura lieu. Nous croyions avoir un carnaval bien gai,
mais nous avons des spectacles indignes, des bals en-
nuyeux et déplacés des vrais lieux, et nous prenons un
deuil de deux mois. Force Anglais et Anglaise*, qui
viennent s'abriter à Naples des tempêtes américaines ',
nous ont persuadés qu'ils venaient chercher le meilleur
1. Le) possessions anglaises eu Amérique élaicnt bouleïer5ée<;
par la guerre de l'indépendance. La Fraoce signait, ce même
mois de février, un (rallé <t'alliaDce a*ee les ËUU-Uai* d'Amt-
rique, dont elle reconoalisait l'Iadépendinde.
jbïGoogIc
LETTRES DIS GALIANI S*3
des camavaux ou carnavals possibles. En attendant, les
Washington et les Hanckocke ■ leur seront fatals on
fatavœ.
On me dit que M. Necker songe à quitter le minis-
tère ; les Français sont donc ingouvernables.
J'aurais dû répondre à cinq ou six lettres de votre
aimable fîUe ; mais, si elle était procureur-général des
domaines du roi de Naples, elle excuserait tous ceux
qui ne répondent jamais.
Aimez-moi, et croyez-moi, soit que j'écrive ou non.
toujours le meilleur de vos amiç.
Lm chagrins cuisants, ina clière dame, que me cau-
sent mes embarras domestiques, sont la véritable
cause de mon silence. Ha santé en est affectée au point
que j'ai pris la résolution subite d'aller faire un voyage
jusque dans la Pouille. Je pars demain, et je resterai
I. Hankocke fat an des fondsteors du répuMiqnei amërl-
caineg; il ÉUtt né 1 Boston.
jbïGoogIc
Hi LETTRES DE GALIANI
un mois ou quarante jours. Ne vous alteadez pas à
des lettres de moi, durant cet intervalle; j'ai besoin
d'une forte dose d'opium aussi.
Vos deux lettres du 1^' et du 2î! mars, m'ont fait
un plaisir infini, et ont diminué mon regret de n'être
pas à Paris, pour y voir le phénomène de Voltaire ',
Vous me le peignez avec des couleurs si vives, que je
le vois, que je l'entends, et je ris de bon cceur.
Il m'était impossible de vous faire payer par le moyen
de M. de Clermont ; il me fait l'hoaneur d'être brouillé
à mort avec moi, parce que, dans un ]>etit procès, je
n'ai pas donné un avis favorable à son recommandé.
Voilà pourquoi il ne me salue plus.
Gatti a bien voulu donc se cliarger de vous faire
payer celte somme, mais, comme je ne me souviens
plus du montant, vous la retirerez de son banquier
Brussoni, et je rembourserai Gatti.
Ce Gatti a gagné ici le cœur des souverains. Ils ont
exigé de lui qu'il se fixât à Naples, et il y a consenti,
mais sans charges, sans titres, sans appointements ;
telles ont été ses conditions. En attendant, pour l'ino-
culation du roi, il a obtenu une pension de quatre
mille deux cents livres.
I. Voltaire avait quitté Paris depuis vlngl-buit ans lorsqu'il y
rentra le 10 février 1778. L'accueil qu'il y refut fui indescriptible,
une foule enthoiuiaate De cessait d'entourer ton bôiel; parlant
ii était suiri d'un cortège triomphal.
jbïGoogIc
LETTAG3 DE GALIANI 6U>
et à peu prèsdis mille francs en présentset en comptant.
U me chai^ de vous dire mille choses de sa part. Le
prince Pignatelli m'en écrit autant de Palerme ; vous
aperccvez-TOus que cette lettre est bète à manger du
foin ! Ëh bien ! mon ftme et ma l£te ne sont pas en état
de produire rien de mieux dans mon état actuel. Si
vous êtes sensible aux amours des bétes, sachez que
vous êtes la mâme dans mon cœur abruti.
La Chaise de paille, que fait-il? Aimez-moi et plai-
gnez-moi. Adieu.
MADAME d'ÉPINAY A GALIAM
J'espère que ma lettre vous trouvera de retour à
Naptes, mon charmant abbé. J'ai reçu votre lettre de
change, et je fais courir après le banquier; aussitôt
que j'aurai touché les soixante francs, je vous le
manderai.
Je trouve M. de Clermont sublime de vous refuser !e
salut parce que vous avez opiné contre son protégé ;
je connaissais bien tout son esprit, mois je ne le croyais
pas si profond politique. Cela ne se trouve peut-être
jbïGoogIc
M LETTRES DE GALUNI
pas dans votre excelleot traité d'Amico-Politico, dont
TOUS nous fltes un jour na si charmant précis; mais
TOUS aT« tort. Er^, M. de Clennont est plus profond
que TOUS, cela me parait clair.
Ce qui me le paraît encore davantage, c'est qu'il
n'est pas donné à l'espèce huanùne d'être heureuse et
tranquille, puisque vous-même, l'abbé, tous avez des
chagrins domestiques qui dérangent votre sanlé, qui
vous font courir les champs, qui troublent votre repos,
votre gaieté. Et qu'esl>-ce donc qui peut vous tour-
menter à ce point? La mortalité est-elle parmi vos
chatsf l'amour ou l'envie parmi vos servantes et vos
valets? Et qu'importe la cause grave ou frivole? c'est
l'efTel sur votre âme qu'il faut calculer. Celui qui n'est
malheureuiL que parce qu'il n'est enTiranné que de
désirs trop promptement f^tisfaits, n'en souffre pas
moins. Tirez-moi de peine, et diles-moi que tout va à
peu près bien; c'est en vérité tout ce qu'il faut pour
rendre contents les gens raisonnables.
Que vous m'avez fait de plaisir en me donnant de si
bonnes nouvelles de notre cher Gattil Je l'aime toujours
et je m'intéresse vivement à son bonheur. J'ai des pe-
tits-cntants qui le rendraient bien heureux. Ma petite
Emilie, qui est une charmante enfant, lui tournerait
la tête. Dites-lui encore que, s'il vient dans ce pays-ci,
et que je lui fasse le récit détaillé de tout ce qui m'est
arrivé depuis cinq ans, il croira plus que jamais aui
jbïGoogIc
LETTRES DE GALUNI HT
miractes de la nature ; car Tronchin ne m'a rien fait
que de petites choses pour l'aider, lorsqu'elle avait bien
clairement annoncé son intention.
Voltaire a aclieté une maison assez près de moi. Il
riiabitera au mois de septembre. Sa nièce est assez
sérieusement malade. Cette circonstance lui a fait renon-
cer au projet d'aller passer deui mois & Fem'ey. Il parle
d'un voyage de cent vingt lieues conmie d'une course
à Chaillot. Il partage toujours avec Franklin les applau*
dissements et les acclamations dn public. Dès qu'ils
paraissent soit au spectacle, aux promenades, aux aca*
démies, les cris, les battements de mains ne finissent
plus. Les princes paraissent, point de nouvelles. Voltaire
éternue, Franklin dit: «Dieu vous bénisse», et le train
reconunence. Voici un vers latin qu'on a fait pour
mettre au bas du portrait de ce dernier.
Bripuit coeld fulTntn, iceptrumque (yrannû.
En voulez-vous la traduction en vers, que d'Alembert
a faite l'autre jour en s'éveillant?
Tu tdIi le uge courageui
Dont l'heureux et mftle génie,
k nvi ie tonnerre )idi eieui
Et le sceptre à U tjnitaie.
Puisque je donne dans la poésie, voici d'autres vers
sur la petite politesse qu'a faite l'emperour à l'électeur
de Bavière, en lui envoyant la toison :
jbïGoogIc
548 LETTRES DE GALIANI
Prenei, p»uyre électeur, el prenez arec joie,
La toisoD que fort à propos
L'empereur enOn vous envole,
Qoind il tous a muge la laine suc le dos.
En voici d'autres sur le même sujet :
Eu tous temps, en tous lieui, la toison des brebii
Jusqu'ici du tondeur avait fait les profits;
Haia aujourd'hui, par un ttaJt tout nouveau.
Au tondu le tondeur en a fait le cadeau.
J'arrête ici ma veine poétique; sans quoi vous pour-
riez prendre ma lettre pour un extrait du Mercure de
France. Parlons de l'opium. Je commence à m'en
passer d'un jour l'un pour ne pas tn'user sur ce char-
mant remède. Le général Koch arrive; il ne m'inter-
rompt pas, mais il me dit de vous embrasser pour lui.
Gleichen part mercredi ; nous parlerons encore uoe
fois de votis, et je vous dirai cela ou autre chose à
la première occasion.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI
MADAME D ÊFINAT
Madame, il faut vous écrire pour De pas vous laisser
ignorer mon état. Haïs que vous dirai-je? Mes regrets
deviennent plus cuisants tous les jours. Aussitôt que je
suis seul, je retombe dans les rêveries et les tristesses.
Ce n'est plus la mort qui fait mon chagrin, je me suis
fait une raison sur cela. Je comprends que c'est une
chose toute naturelle, que moi et tous nous en devons
faire autant; mais c'est le genre de mort, c'est la ma-
nière brusque et imprévue avec laquelle j'ai été quitté,
qui me désole. En un mot, si je pouvais la faire revivre
pour deux heures, lui parler, savoir la cause de sou
désespoir, ses pensées, ses dernières volontés, et qu'elle
se rendormit ensuite, je croîs que je serais content et
consolé, tout comme d'un départ. Pour la première fois,
j'ai compris l'utilité, la sagesse, la raison universelle
des testaments. Ils sont la vraie consolation des survi-
vants k une personne qui nous est chère. HaJs j'ai été
si brusquement quitté, qu'en vérité je ne sais pas si
jbïGoogIc
su LETTRES DE 6ALIANI
elle s'est jetée, ou si on l'a perfidemeot jetée, et ce dernier
trouble, et cette incertitude est la plus affreuse de
toutes.
Uais jevous noircis l'&me. Je vous dirai donc que,
pour me distraire, je n'ai trouvé d'autre moyen que
celui de m'occuper très profondément sur Horace, et
que j'ai enfin commencé à écrire la vie et l'occasion dea
pièces de cet auteur , ce qui est, comme vous savez,
l'OQvn^ que Grimm souhaitait si fwt. Assurément
j'en achèverai l'ébauche, mais il est bien difficile que
je le mette en état de parailre. Si je meurs, je léguerai
cet écrit à Grimm, qui le fera achever et publier. Pour
le coup, dans peu de jours, toutes mes découvertes et
mes idées seront sauvées de l'oubli, cela suffît pour une
ébauche. Le public est si difficile qu'il faut polir les
ouvrages pour qu'ils puissent lui plaire, et je ne sais pas
si, dans l'état où je suis, j'aurai la force de me donner
la peine de plaire à H, le public.
Voulez-vous m'aider dans mon bavail sur Horace?
Voici ce dont j'ai besoin. Je voudrais que vous fissiez ou
fissiez faire une recherche exacte de tous les endroits
des ouvrages de Voltaire dans lesquels il a critiqué
Horace, et que vous me les marquiez sur une feuille.
Ce djable de vieillard a le nez si fin, le goût si délicat,
qu'il Ta critiqué toujours avec raison; mais il se trouve
que sa critique tombe toujours sur le dégât que les
éditeurs et les interprètes ont fait à mon pauvre auteur.
jbïGoogIc
LETTRES DE OALUNI Ul
et jamais sur Horace lui-même. Par exemple, Voltaire
critique une ode comme bible, sans objet, sans suite, et
il a raison. Mais il se trouve que cette ode ne sera que
la moitié d'une pièce de vers, qu'il faut coudre avec
une autre moitié, et alors la critique disparaît. Gomme
je n'ai pas la collection entière des ouvrages de Vol-
taire, et que je ne sais pas si à Naples (pays très savant),
il y a personne qui la possède, j'ai recours à vous.
Adieu ! Aimez-moi. Plaignez-moi.
P. S. Qu'est-ce que coûterait un morceau de vélin
préparé pour faire une miniature? Pourraî>je en avoir
une boite avec huit ou dix morceaux de médiocre gran-
deur? Mandez-moi le prix avant tout.
Ksplw, « Juillet <T1B.
Les marques do la plus tendre amitié, madame, que
vous continuez à me donner en m'écrivant, et de votre
main, au milieu de vos souffrances, peuvent seules
réveiller ma léthargie, et, pour ainsi dire, me tirer du
tombeau. Au reste je suis mort, comme vous savez. Mes
jbïGoogIc
5U LETTRES DE GALIAM
évâaements sont incroyablos. Vous en savez une partie,
et assurément vous avez cru qu'il ne pouvait plus
m'arriver rien qui secouât davantage mon Ame. Eh
bien ! vous vous êtes trompée : it m'est arrivé d'autres
choses bien plus uniques, étranges, pas horribles, mais
extraordinaires, au point qu'enfin j'ai succombé. J'ai
laissé là mon Horace. Je n'écris plus, je ne pense plus,
je ne vis plus, je végète '.
La Chaise de paille autrefois, aujourd'hui Chaise de
poste, m'a écrit une longue lettre. Il voudrait que
je lui réponde. Pourquoi dois-je lui répondre? Je n'ai
pas reçu le portrait de l'impératrice. U se plaint très
fort qu'on n'ait pas voulu enterrer un homme immortel * ;
mais parbleu ! on n'enterre que les morts. Sinite mor-
luos sepelire mortuos suos. Jésus-Christ n'est enterré
nulle part. Pourquoi faut-il que l'antechrist le soit? Il
se plaint de la maladresse des prêtres. Je ne conviens
1. L'impératrice de RuMie écrit i Grimm è celte époque ;
t Hais qu'ett-ce donc que les chagrins qui •ccableDt l'abbé Ga-
liani? Je croyais mol qui Naples, dans le plus beau climat de
l'Europe, an les ressentait moini. pnrce que l'air m'a toujours
réjouie; mais lis y sont trop accoutumés pour y prendre autant de
paît que ooua. » —Nous n'avons point pu découvrir la cause des
Tloleuts chagrins qu'éprouvait Galiani.
3. Lorsque Voltah-e mourut, le clergé était décidé k lui refuser
les honneurs tiinèbres , que l'opinion publii|ue demandait im-
périeusement. Tout s'arrangea, grdce k un neveu de Voliaire,
l'abbé Mignot, qui enleva le corps de son oncle el le fit ense-
relir dans l'abbaye de ScelUéres, en Champagne.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 553
pas de cela. Je trouve pourtant que ce serait peiit^tre
adroit d'enterrer Jean-Jacques à Saint-Denis '.
Ah! qucj'avais bon nez de m'étreconslamment refusé
à placer ma tète dans la collection de feu madame
Geoffrin. Dieu sait comment madame de la Ferté-
Imbault m'aurait étiqueté '. Je gage qu'elle y aurait
mis : Galiani, célèbre par sa perruque taujourt de tra-
vers. Votre amitié aurait ajouté à celte épigraphe : et sa
têle jamais de travers ; mais les économistes auraient
elTacé cette addition.
Vous aurez, à l'heure qu'il est, décidé la plus grande
révolution du globe : savoir, si c'est l'Amérique qui
régnera sur l'Europe, ou l'Kurope qui continuera à
. régner sur l'Amérique '. Je gagerais en faveur de
l'Amérique, par la raison toute matérielle que le génie
tourne à rebours du mouvement diurne, et va du levant
au couchant depuis cinq mille ans, sans aberration.
Gatti me dit que son banquier Brussoni ne lui mande
pas de vous avoir payé les soixante livres, prix de
l'encre. De grâce Itnissez-moi cette affaire. Faites-vous
payer, et faites-moi payer à Gatti.
1. Jean-Jacqnes Rouïsetu était mort le 3 juillet.
3. Hadame de la PRrié-Imbault détestait les philosophes, amis
de s» mère.
3. En reconoaissant ritidépcndanee des Ëuts-Unls et en si-
gaiat arec eux un trajiéd'alliaace, la France venait, en clTet, de
décider une des grandes révoluUoDs politiques et de créer
une des pin* imporlanles puissances du monde.
jbïGoogIc
LKTTRES DE GALIARI
Adieu ! Comptez que c'est le plus grand elfort que
j'aie pu faire que do vous écrire ces quatre mots de
griffonoage.
A LA MÊME
Votre lettre, madame, du 13 du mois passé, m'a fait
pâlir de Ërayeur. Malgré la précaution que tous comptez
prendre, d'envoyer un gros paquet au cardinal de
Bernis, je tremble, et ce n'est pas sans fondement,
d'être obligé d'en payer le port en entier, et d'être
ruiné par cet événement fâcheux et tout à fait inat-
tendu. Enfin, voyons et ne prévoyons pas. Je commence
à sentir que les malheurs des hommes viennent de
leur prévoyance, malgré qu'on en dise le contraire. La
prévoyance est la cause des guerres actuelles de l'Eu-
rope. Parce qu'on prévoit que la Maison d'Autriche
s'agrandira; que les Américains, dans quelques siècles
d'ici, que les Anglais, les Français, les Espagnols, dans
cent ans, feront ou ne feront pas certaines choses, on
commence par s'égorger à l'instant. Si Vao voulait se
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 55S
donner la peine de ne rien prévoir, tout le monde serait
tranquille, et je ne crois pas qu'on serait plus mal-
beureus parce qu'on ne ferait pas la guerre.
En attendant, voici la perspective de mon pays : La
guerre au couchant, la peste au levant, la famine dans
l'intérieur. Le prophète Nathan a de quoi choisir à son
aise. Nous avons eu une très mauvaise récolte. On a fait
des règlements à l'antique (car nous sommes arriérés
de plusieurs siècles), et à l'instant la cherté a paru.
Vous imaginez bien que je ne suis ni consulté, ni em-
ployé ici, ni estimé pour entendre rien sur la matière.
La raison est que tout le monde ignore ici parfaitement
que j'ai composé un livre sur cette question. On sait
que j'ai écrit un ouvrage en français, mais les uns
croient que c'est un joli roman de fées, les autres que
c'est de la poésie. Ne croyez pas que je badine ou que
j'exagère comme le chevalier Lorenzi '.
1, Lorenzi, disait Griram, Était naturellement réfeor, distrait,
nair, simple, toujours vrai, sérieui et grave. Le plaisant de sea
traits consiste en ce que les opérations de sa léle le font lente-
ment el diflicilement, qu'il a de la peine à asaortir l'expression
a aoD idée, qu'il supprime ordinairement tous les inlernié-
diaires entre deux propositions, qu'il répond souvent à sa tète,
au lieu de répondra A ce qu'on lui dit. Un jour, chez madarae
GeolTrin, li s'embrouille dans une généalogie: — «Mais, chevalier,
dit ta maîtresse de la maison, vous radattz, c'est pire que jamais.
— Madame, lui répond le chevalier, la vie est si courte ! i — Un
autre jour, dans la même maison, d'Alembcrt, GrimiD, Lorenil
étaient réunis dans le salon ; Lorentl sommeillait etaiait peine
A soutenir sa tète. — « Il me semble, chevalier, dit Griram, que
notre conversation tous amuse beaucoup, puisqu'elle tous endort
jbïGoogIc
556 LETTRES DE GALIÀNI
Autre chose qui vous paraîtra plus étonnante, car
mon pays même en a été étonné. Un a fondé une aca<
demie de sciences et de belles-lettres, et je n'en suis pas.
Vous souvenez-vous de cet homme de lettres inconnu
à Diderot, qui lui disait tranquillement : a Monsieur,
je travaille pour les colonies ! n J'en dis de môme ; je
suis à Napics et je travaille pour Pétcrsbourg '.
Gatti vous salue. Le comte dç Wilseck est arrivé ; et
d'abord m'a parlé de vous et de Grimm. II souh&îte
des nouvelles de ce terrible voyageur.
Aimez-moi; priez Dieu que je ne paye pas le paquet.
Si je le paye en vérité en vérité je vous
expédierai l'encyclopédie parla poste. Adieu!
tout debout? — Ob I non, diNI, nu liochant la léte et avec
son ton Innocent et naiT. je dora quand je veui. > — It devait
partir pour Londrfc arec b duc de Mirepoii, «t il élail con-
venu qu'il enverrait sa malle h l'hâlet du duc; pondant qui)
la préparait, il requit un message qui le presse de l'eipédler.
Il se dépécbe en conséquence, et, de peur d'oublier quelque
cbose, il emltalle tous ses babils. Lorsque la malle est partie,
it s'aperçoit qu'il est resté en chemise, que son liibit de voyage
est dans sa malle et qu'il n'a conservé, pour sortir, qn'une mau*
vaise robe de chambre. »
) . I J'ai ordonné une médaille pour l'abbé Galiani ; II a bean
dire, mademolwlle Csrdcl l'aurait appelé léte de travers tout
comme elle m'appelait ospnt gauche. Quel dommage que la léte
de cethorame-li reste sans utilité ù Naples, qu'on y ignore jusqu'à
ses ouvrages, et qu'on y (asse des édita à l'antique, sans se ser-
vir de lui et de se^ idfcs sages. C'est de l'abbé qu'on peut dire
que sa patrie le méconnaît. ■ [Correspoodance de l'impératrice
Catherine.)
jbïGoogIc
LETTBES DE GALIANI
A LA HËHE
La semaine passée, madame, je vous ai envoyé par le
baron Yandertentroock Grimin, mes remerciements
sur les papiers que vous m'avez adressés. Mon coeur a
été loucbé eu voyant l'empressement du vôtre à saisir
nne occasion de me soulager dans le travail sur Horace.
Je ne vous demandais que la recherche des endroits
des ouvrages de Voltaire, dans lesquels il critique les
pièces d'Horace. Vous avez fait transcrire tous les en-
droits où le nom même, d'Horace se rencontre, soit en
louange, soit en blâme. Cependant il me parait que la
recherche n'a pas été exacte, relativement aux ou\Tages
de Voltaire parus depuis longtemps. Je me souviens
que dans Candide le sénateur Poco-curanle parle
SHorac». Quoi qu'il en soit, ne vous donnez plus de
peine : ne m'envoyez que vos lettres à l'ordinaire;
point de paquets, et laissez-moi faire. Si je vis, Horace
paraîtra. 11 faut dire : si je vis, puisque nous sommes
dans des frayeurs mortelles relativement fi la peste qui
jbïGoogIc
558 LETTRES DE CALIANt
s'approche très vilainement de nous. En temps de peste,
un gentilhomme n'est pas s&r de sa vie.
Le prince PignaleUi d'Egmont est arrivé, il y a trois
jours, de Palerme, et, à son grand regret, il se trouve
obligé & faire une courte quarantaine dans le port : il
en est au désespoir.
Le comte de Wilseck veut que je vous parle toujours
de lui. Je vous en parle donc, et je lui parle de vous.
Que ne puis-je lui dire que vous vous portez à ravir I
Donnez-moi l'ordre de lui dire cela. Je n'ose pas le
faire de mon propre mouvement : il feul m'y autoriser.
Le temps, la tête, le cœur me manquent pour remplir
ce reste de papier.
Gattl attend toujours que vous me fassiez savoir si je
dois lui payer les soixante livtes. 11 est ici; il travaille
à ne rien faire absolument, et il trouve que celte
occupation est bien forte et surtout bien politique, et
il a raison*.
Adieu! Aimez-moi, et portez-vous bien.
1. Gatti comparait la vie d'un Européen riche et savant, coarant
les bibliotlièques, les cercles, le» académies, les spectacles i celle
il'uii Turc, Étendu sur des coussins, en face de la mer Noire,
éLincelante au soleil, buvant le moka le plus etqais, entouré de
parTums délicieux, d'esclaves cbarmanies, qu'il aime juste assez
pour qu'elles lui donnent du plaisir et pas de tourment, et
détouroaDt les yeux de ce riant tableau pour les élever au ciel
en prononjant le seul mot Atlab, qui renrerme toutes les prières.
Gatli prËtendall que le second avait mieux choisi I
jbïGoogIc
LETTRES DE GALUHI
A MADAME DE BEL5DKCE
Naplea, il septembre <1}g.
Uadame,
Vous êtes bien digne d'Ure la fille d'une mère incom*
parable. Accablée de chagrins, de fatigues, de lassitude,
vous songez à m'écrire pour me tirer de l'incertitude,
relativement à l'état de santé de votre mère. Vous êtes
cbariDaDte, adorable, divine. Mais maman souf&e tou-
jours et sou&e beaucoup. Voilà qui est horrible, détes-
table, abominable, mais ce n'est pas votre faute. Vous
viendrez me voir à Naples. J'en suis ravi. Noua atten-
dons d'un moment à l'autre, ici, et avec la dernière
impatience, la peste. Ou compte, comme chose sûre.
Cet hiver, sur la famine ; attendez donc que tout cela
soit passé, et ensuite venez ; et si vous me retrouvez,
comptez me trouver tel que vous me connaissez.
Le prince PJgnatelli est de retour de Sicile, et comme
il est heureux 1 à l'instant le Vésuve vient de (aire une
jbïGoogIc
560 LETTBES DE GALIANI
éruption assez gentille et point malfaisante ni dange-
reuse, pour l'amuser '.
Voilà nos nouvelles. Pour les miennes, je vous as-
sure qu'il ne peut y avoir que la peste qui puisse me
fendre la gaieté et la belle humeur : car je suis dans un
accablement, un vide de sentiment mortel.
Je voulais travailler sur Horace ; j'avais commencé,
et puis j'ai laissé là mon ouvn^e, partie par accable-
ment, partie par effet de l'excès de chaleur que nous
avons enduré cette année.
Gatti me demande toujours de vos nouvelles. Noua
allons reperdre et pour toujours, le comte de Wilseck,
qui a pris ses audiences de congé avaat-hier.
Mille choses de ma part au baron de Vanderten*
tronk, et Je suis pour la vie votre très humble et très
obéissant serviteur.
1. ■ Que dit l'abbé Galiani de U conduite de ton petit eousl--
Det le Vésuve? Où était-il peodant ce temps Uî • [Correspon-
dance de Catberine.j — L'impératrice disait en recevant ies
lettres de Galiani : c Je suis au pied du Vésuve, c'est-i-dlre en
face d'une lettre de l'abbé Gallui. >
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI
Naples, )ft oclobre tn».
Madame,
Le prince Pigoatclli d'Egmont est parti d'ici avant-
hier ; je l'ui rendu dépositaire de mes sentiments pour
vous et votre incomparable mère. Comme il tie compte
pas rester beaucoup de temps en clieœin, j'espère que
btentùt il pourra s'acquitter de ma commission, et vous
peindre le terriblement ennuyeux état démon existence
déplacée.
Votre charmante lettre que j'ai reçue il y a quinze
jours, et qui n'a élé suivie d'aucune autre depuis, était
consolante par deux promesses, l'une que maman se
porterait bien avec le temps, l'autre que vous vien-
driez me voir avec le temps. Quand est-ce que ces
temps arriveront?
Jamais vous ne m'avez mandé si les soixantcs livres
vous avaient été payées par le banquier de M. Gatti, et
si je dois l'en rembourser ici. On ne finit rien avec les
malades, cela est très vrai.
jbïGoogIc
ses . LETTRES DE GALIANl
La chaise de paille autrefois, aujourd'hui chaise du
poste, passera-t-elle l'hiver à Paris, ou à Saint-Péters-
bourg, ou en Laponie? Pourquoi ne m'écril-il plus?
U sait bien le besoin qu'il a de mes réponses. Dites-lui,
je vous prie, que je travaille à force sur Horace, et que,
si je mourais aujourd'hui, on trouverait assez de quoi
attraper mes principales idées et découvertes sur cet
auteur.
Gatti me charge de vous préseuter toujours ses res-
pects, il s'ennuie ici presque autant que moi, lui à ne
rien faire, moiù faire dus riens; mais mes riens sont
des riens dégoûtants, et son rien est délicieux. AtDsi
il a presque tort de s'entmyer.
Vous TOyez comme je me tourmente pour remplir
ma lettre sans pouvoir en venir à bout. Mon esprit
appauvri ne me fournit plus d'idées. Celles du senti-
ment de reconnaissance de votre amitié pour moi vous
sont si connues, que vous bâilleriez en lisant cette
lettre, si je voulais m'y appesantir. Aimez-moi donc,
donnes-moi de bonnes nouvelles de maman, et adieu.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALUNI
Madame,
)t le supprime, disait Soliman , dans la pièce des
Trois Sultanes ', à son écuyer tranchant, et je vous eu
dis autant k vous, en qualité de gaieti^e, voob ne
v^ei rien.
Grimm, l'adorable Grimm m'avait écrit quinze jours
auparavant que maman se portait oiieai, sans qu'on
y eût rien fait, et cette noiivelle m'avait coDSolé. Vous
changez ma joie en tristesse. Laissez donc écrire des
nouvelles de sa santé au baron, pendule oscillatoire de
Paris à SainIrPétersbourg. Pour vous, continuei-moi
les nouvelles politiques et littéraires. Vous êtes char-
1. Let Trois Stittana, remédie en trois sctea, en fera de Faiart,
représentée pour la première fois à Paris sur le Tbéfttre'Italien
le 9 avril 1761 et sur le Thédlre-Francais le 38 avril tS03. Le
succès des Tfdis SuUaite4 Tut des plus brillanif. On crut voir une
allusion aux mœurs de la cour. Louis XV paralssail Soit bien
CBraclérUé daos le râle de Soliman et madame de Pomptdour
dans celui de Roielane.
jbïGoogIc
564 LETTRES DE GALIANI
mante dans votre style, souvent on n'y entend rien, taot
mieux. Cest le vrai style pour écrire les riens amusants.
En attendant, je vous remercie de m'avoir enfin assuré
' que les soixante francs vous étaient remboursés ; s'il
est bien vrai que maman me l'avait mandé, il faut
dire que quelqu'une de ses lettres s'est égarée.
Le prince PigDatelli est en chemin depuis quinze
Jours, ainsi je ne puis rien lui dire de votre part ; vous
le lui direz de vive voix, puisqu'avant Noël il compte
£tre à Paris.
LecomtedeWilseckest fixé ù Milan, et perdu à jamais
pour Maples^ Gatti est fixé à Naples, mais c'est comme
s'il n'y était pas. 11 végète et ne s'occupe qu'à élouBer
les germes du raisonnement qui voudraient éclore en lui
Horace me prend, comme la goutte, par des accès
qui s'évanouissent ensuite. A présent je n'y songe pas
Ah! que mon état est cnièl! J'ai un vide dans l'&me,
dans la tète, dans le présent, dans l'avenir; mais ne par-
lons pas de cela. — Il y a un siècle que vous ne m'avez
rien mandé de Piccini et de sa musique. Voudriez-vous
bien m'en dire quelque cltose? Aimez-moi, soignez
maman, et dites à vos grands enfante, de se presser de
me Venir voir à Naples, sans quoi ils ne me retrouveront
pas. Adieu.
P. S. — Nous sommes à la veille de supprimer les
cliartreuK ; tout le monde les regnttc et avec raison ;
ils faisaient de si grandes omelettes !
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIAMI
NaptRi, 1 Dovembro ma.
Ah ! que vous avez bou nez, ma douce vicomtesse,
vous avez senti d'abord que j'allais vous supprimCT, et
mSme vous rembourser la cliarge de gazetière de ma-
man, si vous aviez continué sur le même ton. J'admets
voira rétraclatiûD, pourvu que vous persistiez à donner
un temps froid, beaucoup de sommeil, force opium,
de l'embonpoint el de la musique italienne ô maman.
C'est assurément Caribaldi I et ia Frascalana* qui l'ont
guérie. Or, sachez que dans le même temps qu'on
donnait la Frascatana à votre Opéra, on l'a donnée
ici, et moi qui ne savais rien de ce qui se passait &
Paris, je brûlais du désir qu'on y jou&t le premier finale
1. Carlbaldj, premier cbanieurde l'Académie royale de musique
en 1778.11 arait, dit (irimm, une voix eDchantereSBe, uoe
ai-ance et ua naturel remarquables dans eon chant.
t. Opéra bouffe de Paesiello, on le joue encore en Itaile. Les
situations en sont vives et gaies, le chant plein de grice et de
taciliië.
tbïGoogIc
5« LETTRES DE GALIANI
et surtout le morceau Momenlo pOt futtesto ; et je disais
en moi-même : si les ParisieDS entendent ce prodige
des effets de la musique, ils en deviendront fous ; je
disais vrai, Paesielto est ialiniment plus fort que Piccini,
dans le contrapunto, ainsi il est plus sûr de réussir,
aidant sa nature avec l'art. Au reste, il y a des mor-
ceaux produits par la nature toute pure, par les mains
de Piecini, que ni Paesiello, ni aucun être mortel n'é-
galeront jamais. Le duo de la bwma Figliuola, et le duo
de la pièce A'Alessandro, et ud certain quintetto dans
une pièce napolitaine appelée / Viaggiatori, sont trois
morceaux de Piccini qu'on n'égalera jamais; mais ces
morceaux sont rares, comme vous dites; Piccini n'est
pas sûr de réussir toujours; Paesiello est si fort en
musique qu'il peut tirer parti de tout.
Vous attribuez la perte de la gaieté à la corruptioo
des moeurs; j'aimerais mieux l'attribuer à l'augmenta-
tion prodigieuse de nos connaissances ; à force de nous
éclairer, nous avons trouvé plus de vide que de plein,
et, au fond, nous savons qu'une infinité de choses,
regardées comme vraies par nos pères, sont fausses,
et nous en savons très peu de vraies qu'ils igno-
rassent. Ce vide, resté dans notre âme etdansnotre ima-
gination, est, à mon avis, la véritable cause de notre
tristesse :
Le raisoDDer trUlement s'accrédite;
Ab ! cro;ei-mai, I*erreur a son mérite.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 567
(]e sont les plus beaux vers et la pensée la plus su-
blime enfantée par l'iramorlel Voltaire.
De grâce, remerciez le grand baron de sa lettre ; dites-
lui qu'il a tort, à son ordinaire. Il me fait des reproches
injustes. Le prince Pignatelli emporte avec lui une
copie exacte de la musique de Sacrale, et si on veut la
donner à Paris, on le pourra très aisément. Adieu.
A HADAHE d'ÉPINAT
N" 1, après Pâques, jour de la Résurrection.
Nuples. la novembre <7Ta.
AJa belle dame.
Je vous rends les titres qui sont dus à votre embon-
point actuel.
Voilà enân une lettre satisfaisante : vous n'y avez
oublié qu'une seule ehose, c'est de me remercier,
comme le Sénat de Rome à ce général qui perdit la
bataille de Cannes, quod de RepubUea non desperaverit.
Vous savez que j'ai été le seul à m'opinifttrer sur
l'opium et sur la force de votre sexe, autant que sur
jbïGoogIc
568 LETTRES DE GALIANI
celle de votre âme. Galti vous rend ses compliments.
11 croit que vous étiez ensorcelée, et qu'enfin le diable
est sorti à force d'exorcisations. Qu'il s'en aille donc
chez soi, et nous laisse en paix.
Vous possédez encore une fois le baron de Gleicben.
Dites-lui qu'à Naples le whist a pris vogue et qu'il trou-
vera à le jouer partout ; dites-lui aussi que le nommé
Simon, qui était à son service, a eu le malheur d'élre
condamné aux galères pour trois ans, sans avoir com-
mis aucun crime, et sans avoir rien fail d'extraordinaire.
Ce pauvre diable ne fait autre chose que dédire que
si le baron eût été ici, cela ne lui serait point ar-
rivé, et il dit vrai.
Je vous prie de dire à la chaise de paille et de poste
que notre ministre destiné pour la Russie est enfin parti
avant-hier : ainsi nous sommes à ta veille de voir arri-
ver le ministre russe.
Continue»-moi les bonnes nouvelles de votre santé.
Ne vous flattez point d'en avoir de moi de pareilles sur
l'état de ma santé spirituelle. Ma santé corporelle est
passable.
Adieu; mes compliments à la douce vicomtesse. Elle
a eu soin de m'écrire bien exactement, mais pas bien
fidèlement l'état de votre santé.
Gatli et moi nous désirons des détails sur l'état
actuel du baron et de la baronne d'Iiotbach et de leur
famille.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI
A LA HËUE
NLiples, 13 janvier I77t.
Madame,
Gatti et moi nous vous remercions des détails que
vous nous avez donnés sur la famille d'Holbach, pour
laquelle nous conservons loutc la reconnaissance et
l'attachement possible. Je me fais une ffite de revoir
le jeune d'Holbach, et assurément cetlfl vue m'atteudrira
jusqu'aux larmes.
Pourvu que vous vous portiez bien, qu'importe que
votre machine soit incompréhensible. L'homme est fait
pour jouir des effets sans pouvoii* deviner les causes.
Je dine ce mat!» avec madame de Chabot. J'y plai-
derai la cause de Grlmm, si on lui donne tort, mais
apparenmient il aura raison. N'est-il pas un libre baron ?
Il est donc libre de faire ce qu'il veut. On mo mande
de Florence que Grimm revient à Naplcs ce prin-
temps. Serail-il bien vrai?
Madame de Chabot a rencontré l'hiver le plus riant,
le plus beau, le plus serein qu'on ait eu depuis long-
jbïGooglc
570 LETTRES DE GALIANI
tcmpsàNapIes. Elle en est tellementextasiéeque je crains
qu'elle c'en devienne folle. Le ciel, i'air, les vues lui
tiennent lieu de spectacle, de bals, de sociétés et, quoi-
que le carnaval doive être très triste, elle en passera
une partie ici croyant jouir de tout.
Mon Horace avancerait, si j'avais des bibliothèques
ici ; mais le défaut de livres, les peines qu'il &ut se
donner pour s'en procurer, entrecoupeot, retardent, et
me dégoûtent de mon ouvrage.
Nous venons de perdre notre madame Geofii*in, la
princesse de Belmonte la douairière, la grande amie
de Metastasio ' . Quelle différence entre l'état de
l'esprit humatù à Paris et à Naples ! Vous avez publié
jusques à quatre éloges de madame Geolîrin, vous en
avez parlé en rimes et en prose, vous en avez fait re-
lentir l'univers. Nous n'avons pas dit un pater et un
ave à madame de Belmonte. Elle est rentrée dans l'ou-
bli. C'est dans ce pays qu'il faut que je vive, et vous
me demandez des lettres spirituelles, et Grimm des
ouvrages par-dessus le marché 1
Je vous prie de mes tendres compliments à ladouce -
vicomtesse. Je vous prie d'embrasser Gletchen de ma
part, et de lui dire que le malheur de Simon ne le dé-
1. La princesse de Belmonte, doaairière, était la belle-mère de
la charmante piincesse de DeliuoDle, dont parle si soutenl ma-
dame de Saussure dans son journal ; sa maison était le rendei-
vous delà soclélé la plus disltoguée de Naples.
jbïGoogIc
LETTRES DE GAI.IANI 5T1
courage pas de venirà Naples; que nous ae sommes
devenus Di plus rigoureux, ni plus injustes, ni plus
perséculeurs; qu'en toui nous traitons, comme de cou-
tume, assez mal les misérables, et respectons tes riches.
Adieu.
Maplel, il lévrier iV3.
Voilà bien du temps écoulé, ma chère dame, sans
aucune nouvelle de vous. Cela commence à m'inquicter,
malgré les assurances positives que j'ai eues de votre
parfaite guérison. Mais il a lait ime saison si extraor-
dinaire, tout le monde est mort de froid le mois passé ;
tout le monde meurt de chaud dans ce mois. La séche-
resse a tout brûlé. Les aurores boréales, les comètes,
jusqu'aux solstices et aux équinoxes, tout a paru dans
le ciel et sur la terre. Êles-vous donc morte, ou guérie,
ou malade encore? Enfin parlez-donc, et mandez-moi
positivement la cause de votre silence.
Pour moi, je manque toujours de matière écrivable.
Nous venons de promulguer une sage loi par laquelle
jbïGoogIc
57Î LETTRES DE OALIAN'T
le crime de viol, de séduction (xiuprum), est aboli h
jamais. Quatorze cents personnes dans le royaume de
Naples sont sorties de prison par l'effet de cette loi
salutaire. Voyez quelle rage de stuprer nous avions,
ou, pour mieux dire, quelle rage avaient les parents et
les prêtres consulleurs de forcer les hommes au ma-
riage en Jaissant prostituer les filles. Enlin je suis
vTaiment content de cette loi, qui rétablira les mœurs
avec le temps, et, pour le coup, ramène la tranquillité
publique.
Je vous l'avais prédit. Je ne verrai qu'une seule fois
ou deux le jeune d'Holbach, qui a paru et disparu sur
notre horizon comme un météore. A peine cus-je un
moment pour causer avec lui et lui demander des
nouvoiles de votre famille et de la sienne. Gattî en a
un peu plus joui, ayant plus de loisir que moi. Le
chevalier Mozi, k qui il avait été recommandé par
Gleichen, lui a rendu les petits services qu'il a pu. £n
tout il m'a paru assez aimable, plus raisonnable que
je ne croyais, mais pas encore mûr. Il s'est bien com-
porté ici, et mieux que les Français se le font d'ordi-
naire. Enfin il m'a laissé des regrets et point de cha-
grins dans l'âme.
La chaise posle et paille, que fait-elle? Et le cher
baron de Gleichen qui trouvera à Naples, en revenant,
une superbe Tuilerie, qui sera par sa position la plus
belle de l'Europe, que dit-il ? Reviendra-t-il nous voir ?
jbïGoogIc
LETTRES DE UALIANI 573
Nous attendons cette année la peste. Si elle no vient
pas, je l'attends, et je ne serai pas fâclié du troc de lui
contre la peste.
Je présente mes respects à la douce vicomtesse.
Aimeï-moi, et croyez-moi toujours votre très humble
et obéissant serviteur.
A. LA MÊME
Nuplea, imari ma.
Voilà, ma chère dame, la plus belle lettre que vous
ayez écrite depuis quatre ans. Elle est pleine de sauté,
de gaieté, de force. Vive l'opium, et vive la vieillesse,
dirai-jo aussi 1 car, quoique vous n'y soyez pas encore
arrivée, vous allez y entrer; et, une l'ois que vous serez
dedans, vous vous enjambonnerez, impresciultirete, et
resterez salée jusqu'à quatre-vingt-dix ans.
J'avais besoin de votre lettre. Je passe de chagrin en
chagrin, d'amertume en amertume. Je m'étais donné
une furieuse entorse au genou, qui m'a obligé de res-
ter-chez moi, une quinzaine de jours, à m'eunuyer.
L'envie m'a pris, pour inc désennuyer, de faire un
jbïGoogIc
57* LETTRES DE GALiANI
petit vocabulaire étymologique des ■ mots du jargon
napolilaîn '. II s'imprimera sous le nom de quelqu'un,
et ne laissera pas que d'être intéressant et bouffiin.
Si l'on soupçoone qu'il est de moi, on le persécutera,
on le dércadra, j'en suis bien sur; ainsi gardez-moi
le secret.
Je suppose que la chaise de paille aura reçu ma let-
tre avec l'inscription latine qu'il m'avait demandée;
je suis bien impatient de l'apprendre.
Faites-vous dire par le baron de Gleichen, ce que
c'est que milady Orford ', et combien je dois aimer,
après vous, celte respectable femme. Eh bien, elle est
malade, el ce n'est pas sans danger, voilà une autre
cause de mes tristesses ; mais le fond vient de l'ennui,
du manque de société convenable et raisonnable, et
<lu tableau effrayant de l'avenir.
Est-il vrai que Rousseau laissât les mémoires de
sa vie en manuscrit T Existe-t-il, ce manuscrit? L'im-
primera-t-on 'î
Gattiest à Caserte : rassurez-vous, il n'est menacé
1. Voir la lettre du 11 avril 1779.
2.: Milady Orford, bru de Robert Walpole, s'était d'abord
retirée à Florence, puis elle st Qia i riaples dont le climai lui
CODTenait benueoup. Son bâtel éliiit i PUzo Falcone, le lieu de
Naples le plus ûlevÉ. Elle menait grand train et avait deui
maisons de campagne, l'une h Pouzioles, l'autre il Santo-Sorio
au pied du Vésuve, tout près de celle que possëdail taliani.
3. 11 s'agit des ConfisiioM.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 575
d'aucune fortune ici, non plus que moi. Vous connais-
sez bien peu noire pays, pour avoir ces sortes de
frayeur.
Piccini, que fait-il?
Aimez-EDoi, et tâchez de perfectionner votre santé.
Le cas de passer nos vieillesses ensemble n'est pas des
plus impossibles, mais il le deviendrait si nous n'en-
treprenons pas de vieillir. Adieu. Je vous prie d'em-
brasser l'aimable Zurkmantel ', si vous pouvez, attendu
la circouférence de son ventre. Il mérite pourtant qu'on
fasse UQ effort des bras pour cela, car il est aimable
au possible. Adieu.
t. Le baron de Zuckmanlel avait été ambassadeur de Praoce
à Venise. Le roi lui demande un jour de combien de membres le
Congeil des Dit était composé : « De quarante, sire, répondit-il
sans hésiter, n Le baroD avait parlé sans réfléchir, partant
de ce principe qu'on duit toujours répondre immédiatement k
roi du reste n'y Ht pas attention et eut
r la plirase du baron toute naturelle.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANl
Oui, ma chère dame, vous avez bien pénétré les recoîDS
de mon cœur, pour vous être aperçue du ton de tristesse
qui s'y trouve dans le foud et qui obscurcit mes lettres.
Depuis ce désastre qui vous est connu, le temps a dis>
sipé les douleurs, mais il m'est resté une espèce
d'apathie et d'ennui. L'état actuel des lettres, des es-
prits, des événements de ma patrie, l'a augmentée. Je
deviens tous les jours plus déplacé dans ce pays. Je
déplais aux gens en charge, et aux gens de lettres. La
mort m'enlève des amis ; les révolutions de la cour me
substituent des ennemis cachés, des envieux, des espèces
méchantes et ennuyeuses.
Je ne sais pas si je vous ai mandé que je m'étais
donné une entorse au genou, qui m'obligea à garder
la maison quinze jours; ne sachant que faire pour me
désennuyer, et ne pouvant pas continuer mon travail
sur Horace, faute de livres et de secours, j'ai entrepris
un ouvrage dont Diderot me donna l'idée. J'y ai tra^
jbïGoogIc
LETTRES UE (lAIJANI 577
vaille un mois et il u*est pas loin de paraître imprime.
Je suis obligé de garder le plus grand secret, sans
quoi on ic dérendrait, comme il arriva de la pièce de
Socrate : c'est à vous seule que je m'ouvre. J'ai entre-
pris un dictionnaire du dialecte napolitain, avec des
recherches étymologiques et historiques, sur les mots
particuliers à notre jargon '.Ce livre sera curieux, et
utile à mon pnys, au reste, plaisant au dernier gré
pour ceux qui entendent notre dialecte. Il m'a coûté
peu de peine, mais beaucoup de temps, et voilà une
raison pour laquelle je ne vous ai point écrit depuis
quelques semaines; et si vous me voyez rester dans le
silence, pendant quelques autres semaines, vous en
savez la raison, que je vous prie pourtant de cacher
jusqu'à tant que l'ouvrage paraisse.
Je suis fâché de votre chagrin sur le veuvage de ma-
dame de la Live '; pour lui, je crois qu'il a bien fait
de mourir.
Continuez vos ouvrages. C'est une preuve d'attache-
ment à la vie que de composer des livres.
1. Le livre de Galiaai fui publié en 1779 soiis le titre : Det
DMetto Napotelaito; puis Tabbé composa aussiiât après un se-
cond ouvrage, desUn6 i compléter le premier, intitulé: Vocabola-
rio dette parole det Dialetto Napolatano; cette seconde partie ne
Tut publiée qu'après m mort.
3. H. de la Llve de Jully, frère de 51. d'Épinay, était mon.
Il avait une des plus belles collections de tableiui et d'objets
d'nrt du dii-huilième siècle. On a de lut un excellent portrait
qui appartient k madame la comtesse de Goyon el qui a Hguré
à l'exposition en Taveur des Alsaciens-Lorrains en 1874.
jbïGoogIc
578 LETTRES DE GALIASl
Je dois uoe réponse au t>aron du Saint-Empire*;
mais il m'a tant fait attendre les siennes quelquefois,
qu'il n'y a pas grand mal qu'il m'attende à son tour.
Ces maudits Américains vous ont engagés dans une
guerre ruineuse *.
Tantœ moîis erat Americanam condere geniem !
Adieu.
A LA HÈMK
Mpl». («juin W1S.
Madame,
Lorsque je vous ai mandé que, m' étant mis à impri-
mer un ouvrage, je serais moins exact à vous écrire,
je ne m'attendais pas que, de votre cAté aussi, les
lettres auraient cessé tout à coup. Est-ce que vous im-
1. Brlmm.
± La prise de PonilicliÉry et la malheureuse .eipédiUon de
SBinte-Lucie ÉUienl alors le sujei de grare* préoccupatians i
Pari». Cependant on ne put s'empéchet d'en plaisanter en dt-
unt que si jamais od dannalt le bAton de maréctiat t H. d'Eï-
taing, qui commandait la flotte, il ne serait pas de bois de Saiate-
jbïGooglc
LETTRES UE UALIAM 57»
primez RUBsi? Vous auriez du moins dû m'en avertir,
pour me tirer d'inquiétude. Et la chaise de paille im-
prime aussi T Et votre aimable fille? Tout le monde
imprime donc 1 Enfin, mandes-moi la raison de votre
silence absolu ; je ne le compreuds pas, en vérité.
Mon ouvrage va très lentement dans les mains d'un
imprimeur boiteux. Vous n'avez pas idée de ce que
c'est qu'un imprimeur napolitain. La typographie a
sùremenl fait plus de progrès cbes les Hotleatots. Dieu,
quelle' peine ! quel travail 1 Au bout d'un mois j'en suis
à la seconde feuille tirée. L'ouvrage sera au moins de
vingt feuilles; ainsi juges que eela va durer tout le
reste de ma vie.
Je ne sais plus que vous mander, si vous ne soute-
nez pas l« dialogue de votre côté. Aimez-moi ; portez^
vous bien et ne m'oubliez pas entièrement, comme
votre silence parait l'annoncer. Adieu.
Vous ne sauriez, madame, vous imaginer le contraste
des sensations qu'a causées dans mon flme votre
jbïGoogIc
Ô80 LETTRES DE (iALlAM
demière lettre du 3. Lorsque mon domestique me
l'apporta de la poste, je descendais un escalier, et je
n'avais pas le temps de l'ouvrir. En voyant l'envelt^pe
toute écrite de votre main, )a joie paraissait sur mon
visage, et, ce qui est bien plus dr61e, sans l'avoir lue,
j'arrangeais dans ma létc la réponse, et je vous Télici-
lats, je me l'élicitais, je plaisantais. Enfin le temps de la
lire arriva. Qu'avais-je affaire de la lire ? Quelle sottise
ai-je faite î Ne pouvais-je pas m'en tenir k ce que
disait l'adresse de l'enveloppe?
Cet opium vomi m'assomme ; essayez donc le musc :
voilà mon dernier mot. Médicamentez-vous à reboor:»
de toutes les autres médecines, puisque vous êtes une
femme si différente de toutes les autres.
Kien n'est plus jusle que vous vous dispensiez d'en-
trer en détail de nouvelles politiques avec moi. Cepen-
dant, comme nous sommes dans une année qui sera la
plus mémorable pour les siècles à venir, s'il arri-
vait quelque grand événement, tel qu'une bataille,
un débarquement, etc., annoncez-le-moi en trois
mots, pour que je puisse, sur votre indication, cher-
cher it le savoir en détail *.
Grimm ne m'écrit plus ; dites-lui qu'enfin le comte
I. L'appui que la France préUitautËtats-Utiu d'Amérique arail
amené «ne rupture entre l'Angleierre et la France (1778). On
se bnllait sur mer députa un an déjà et on s'attendait i de
graveii éTénemeots.
jbïGoogIc
LETTRES DE fiALfANI TM
de Borck, Polonais, part de Florence pour aller h
Paris, et me demande encore une fois, avec instance,
de le lui recommander. Je le recommande donc, et
j'espère qu'ils seront bien contents de s'être connus.
Mon ouvrage napolitain n'est qu'à la cinquième
leuille tirée: Dieu sait s'il vous amusera; je le fais
parce qu'il ne me coûte aucun travail ; je ne souffre
que des impatiences que me donnent ces maudits im-
primeurs .
Gatti vous dit raille choses. Aimez-moi, et croyez*
moi, pour la vie, voire très humble, etc.
Madame,
Ëli bien ! qu'est-ce que cela veut dire ? Je ne revois
plus de nouvelles de vous, ni de personne de mes
amis de Paris. Gatti n'en sait rien non plus. Il est
bien vrai que je vous avais annoncé une occupa-
lion qui m'aurait empêché de répondre régulière-
ment. Grâce à ,Dieu, ma petite brochure est im- .
jbïGoogIc
582 LETTRES DE G.VLIANI
primée et paraîtra après-demain. J'«o attendrai le
succès pour me déterminer si je dois publier la
seconde partie, contenant le dictionnaire de mon
dialecte; ainsi pendant deux ou trois mois, je serai
désoeuvré. Reprenons donc notre correspondanco, si
votre santé vous le permet ; votre aimable fille ne peut-
elle plus TOUS aider en cela t
J'enverrai, ou pour mieux dire, je ferai envoyer
sous l'enveloppe de M. de Sartine, un exemplaire de
ma brocburo à la chaise de paille ; daignes donc l'en
prévenir, il me parait impossible qu'il puisse ta goûter.
Cependant c'est à voir. En tout, je suis d'avis qu'un
ouvrage, qui contient des fkits, et des Taits peu
connus, et prêts à tomber dans l'oubli, est tou-
jours un ouvrage utile, et c'est ce qui me console dans
mon travail.
Je vous avais suppliée de m'indiquer, en fait de
nouvelles, tes grands événements publics. Nous som-
mes arrivés à une époque dont on ne trouvera pas la
pareille dans l'histoire des temps passés. La seconde
guerre Punique, même, n'est qu'une vraie pétarade
vis-à-vis de l'année 177t). Ainsi il faudrait être stupide
pour n'i^trc pas curieux. 11 est vrai que je ne puis pas
encore vous reprocher do n'avoir pas satisfait ma
prière, car rien de grand n'est encore arrivé; mais
nous l'attendons à tout instant, et ce n'est plus
l'empire de l'Italie et de la Méditeimnée qu'on va
jbïGoogIc
LETTRES UE f.ALlAMl 583
décider, c'est l'empire du globe entier. J'espère
donc que vous daignerez m'indiquer, eu peu de mots,
ce que je dois ensuite chercher à mieux savoir.
Aimez-moi, même si vous m'écrivez peu. Mille choses
à la chaise de paille. Adieu.
' ' DIDEROT A UALIANI
Monsieur et très aimable abbé,
M. do Jtteuiiier, qui vous présentera ce billet, est le,
debout, à côté de ma table, en bottes, le fouet à la
main, tout prêt à partir, et bien résolu de ne partir
qu'avec un mot de moi qui vous le recommande.
M. de Meunier est homm^ de lettres, homme d'esprit,
honnête hommç, c'est l'ami de vos amis. Il voyage
par curiosité. Je vous supplie de lui rendre tous les
bons offices qu'un de vos protégés obtiendrait de moi.
Je vous salue, je vous embrasse. Si vous ne pt^nsez pas
I. |n«diL«. ColJection de mademoiselle Herpin.
jbïGoogIc
&84 LETTRES DE GALIAM
quelquefois à des hommes qui ne vous oublieront
jamais, parce que personne ne remplira jamais le vide
que vous avez laissé dans leur société, vous êtes le
plus ingrat de la race humaine.
A MADAME d'ÉPINAY
Nsplei, -IS man 17R0.
Ikfadaine, vous ne sauriez imaginer le plaisir que
m'a causé une lettre de vous, qui me parle de toute
autre chose que de votre santé. Il est vrai que le sujet
de votre lettre ne m'intéresse guère, et m'embarrasse
un peu ; mais enfin puisque vous regrettez si fort une
défunte, c'est une preuve que vous sentez en vous-
même que vous n'allez pas la suivre. Ainsi soit-il. Je
tâcherai de vous servir de mon mieux, mais donnez-moi
un peu de temps, une quinzaine de jours.
Faites-moi l'amitié de dire à la chaise de paille que
j'ai reçu de Rome la carte de Sicile où mon inscrip-
tion se trouve gravée. M. le conseiller Reiffenstein
s'est donné tous les soins pour me l'envoyer montée.
jbïGoogIc
LETTRES DE r.VLUNI 585
coloriée, embellie nu psssibte : malgré cela, elle est
très faiblement gravée *.
Que TOUS dîrai-je de moi t Je ne fais rien ou pres-
que rien. Je fais réimprimer mon ouvrage sur la
.Vonnaie , j'ai promis, dans la préface, d'y ajouter des
not«s, mais peut-être n'en ferai-je rien '.
Gatti végète ici tout comme moi. Quel climat
paresseux! On ne fait qu'imprimer des satires san-
glantes contre moi. Heureusement le public est de mon
côté, et les auteurs de ces satires sont dans le dernier
mépris. Toute cette colère est venue d'une certaine
académie des sciences, qu'on croit avoir établie ici,
dont j'ai dédaigné d'être membre, aussi bien que
quelques autres hommes qui l'ont également dédaignée.
Cette académie a débuté par vouloir faire une thériaque
excellente et supérieure à celle de Venise, et par vouloir
obliger par force les apothicaires de l'acheter. Vous
jugerez par là du ton de cette académie, qui est établie
t. Le baroD de ReilTeDslein, né dans la LithusDie prussienue,
flt ses études à Kœnigsberg ,- il vnjragea de. 1761 k 1762 avec
le comte Linar, se lin à Bume avec Winckelmann et l]iill par
s'établir dans cette ville. Il a publiË en allemand plusienrs
ourrages relatifi aux arts et b la littérature. Il est mort le
13 oclabra 1783. L'impératrice Catberïnc, qui tenait Reiffenstein
ca grande estime, l'avait nommé conseiller et le chargeait de
toutes ses acquisitions d'objets d'arien Italie. [Coirespondancede
Catherine II avec nrimm.)
3. Gallani ■ ^onté quatone DOt«s fort Intéressantes ; cette se-
conde édition a donc beaucoup plus de prii aui yeui des biblio-
philes.
jbïGoogIc
586 LETTRES DE C.ALIANI
bien plus pour un objet de finance que pour le progrès
du savoir humaiu. Je sais que l'année passée, lors-
qu'on voulut fonder cette académie ici, ou écrivit à
d'Alembert et ù d'âuLres en France, pour leur aononcer
qu'on les avait créée membres hoDoraires. Faites-moi
l'amitié de me mander si d'Alembert et les autres
acceptèrent cet honneur et qu'esU-ce qu'ils ont répoadu ?
On a gardé ici le plus profond silcoce sur leurs ré-
ponses; ainsi tâchez de me faire savoir ce qui eu est.
Embrassez-moi Diderot et les autres amis. Remer-
ciez de ma part Caraccioli du bieo qu'il a dit de
ma petite brochure sur le dialecle napolitain. Tâchez
de me donner quelque nouvelle intéressante. Je ne vous
eu demande plus de politiques. La guerre me parait
finie. On traînera encore une campagne; cependant
les Américains s'ari'aogeront le mieux qu'ils pourront,
et lorsqu'ils se seront arrangés, la médiation russe
arrangera l'Europe.
Je souhaiterais savoir si le vieux M. Pellerin, l'anti-
quaire, est encore vivant'.
Si vous pouvez faire parvenir des nouvelles de moi
1. H. PelleHn ne mourut qu'es ITBl, dgé de 99 ans. ■ Il «fait
travaillé l'art numismatique avec beaucoup de succëi et èlBft une
merveille d'érudllloa en ce genre. Les savants étrangers allaient
le voir autant pour son cabinet que pour lui-même, i iBaelwu-
tnont.) — Galiaui, qui i, Péris Était fort lié avec lui, aiail cooti-
nué une correspondance asseï suivie, et il a iaiisé une petite
liollce restée înÉdite sur les mÉdailles de Pellerin,
jbïGoogIc
LETTRES DB RALUNl MT
à midemoiaelle Clairon, et m'en donner d'allé, vous me
ferez plaisir. Le temps effaoo les petits «iltonB, mais les
profondes gravures restent. Je sais à présent par-
faitement quelles sont les personnes qui m'ont le plus
intéressé à Paris ; dans les premières années, je ne les
distinguais pas.
Adieu,
Naples, S Juin itso.
Madame, votre dernière lettre est du SI février : cela
fait trois mois juste que vous ne m'avez donné aucune
nouvelle de votre santé. Grimm non plus. Personne
ne m'écrit plus de Paris. A la fin, le temps a opéré et
gagné la bataille. Mais pourquoi désespérez-vous de
me revoir ? Vous allez revoir Magallon, car je ne doute
pas que, dans son voyage à Parme, il ne prenne le
détour de Paris. le vais revoir Caraccioli et j'en suis
comblé de joie. Je ne le crois pas aussi joyeux qui:
moi. Grand Dieu ! qu'est-ce qu'il y a donc dans ce
jbïGoogIc
58K LETTRES DE GALIAM
Paris enchanteur, qu'on soit au désespoir de )e quitter
pour la vice-royauté de Sicile ' !
Je vous avais priée de n>e mander si d'Alembert
avait accepté d'être membre d'une certaine académie
qu'on vient de fonder ici, ou ce qu'il avait répondu.
Urimm aurait dû me mander la réussite d'une
certaine médaille. Moi, de mon cAté, j'aurais dû vous
envoyer une inscription pourjmadame de Pernon'.
Vous croyez que je l'ai oubliée : point du tout. Depuis
trois mois votre lettre est sur ma table et j'ai réré
souvent à vous satisfaire. Il m'a été impossible. Vous
n'avAZ pas idée de l'état de ma pauvre tête et de
mon pauvre cœur. Des ouvrages à réimprimer aug-
mentés, des procès, des remontrances éternelles à
faire, des plaideurs à écouter, des persécutions à la
cour, la canaille des gens de lettres révoltée contre
trois ou quatre vrais savants, à la tète desquels on me
mol; une infinité de chagrins domestiques, ma
maîtresse malade pendant deux mois, un cheval mort,
I. Louis XVI rélicilail Caraccioli de » oomliiitjon de vice-mi
de Sicile et lui disail : ■ Vous allez occuper, Monsieur, une des
pins belles places de l'Europe. » Caraccioli rùpoudit Irislement:
<t Hélas , sire, la plus belle place de l'Europe est celle que je
quille, c'est la place Vendôme. »
1. Madame de Peruou âtait aile de M. Savaletle de Uagnaa-
ville, garde du Trésor rojsl; il habitait l'ëtâ le cbileau de la
Chevrette où il avait uu thëitre de sociÉlë devenu célèbre. M. de
Magnanville Étail voisin de campagne de madame d'Ëpînay
el ces daines élaienl fort liées.
jbïGoogIc
LETTRES DE UALIAM 589
un voyage fait pour voir uoe sœur abbessc de la Visi-
lation de Saiat-Geoi^s : voilà une esquisse de mou
JQcroyable situation.
Ue voyant bors d'état de vous satisfaire, j'avais
char^ Tabbé Ignarra, l'élève de Hazzocchi, le grand
faiseur d'inscriptions chez nous, de la faire à ma
plac^. Il y a plus de deux mois qu'il s'en est acquitté.
Elle est sur ma table, elle ne ma satisfait guère : elle
u'est ni tendre ni touchante, elle n'est que latiiu.
J'aurais voulu la retoucher : même impossibilité. Enfin
je vous l'envoie telle quelle en son original, et ce n'est
que pour vous prouver que je ne tous avais point
oubliée*.
Vous pouvez me répondre, je me (latte d'avoir d'oras
on avant un peu plus de loisir. La réimpression de
l'ouvrage de la Monnaie est à sa fïu, et celle du Dia-
lecte Napolitain ira plus lentement.
Embrassez de ma part votre chère lille, mes amis,
les d'Holbach surtout; et, pour ce soir, adieu.
1. Voir l'appendice XX.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIAH!
Maples, 11 juillel nSD.
8i vous considérez, ma chère dame, combien l'amOur
est craintif de sa nalure, et que la peur nous fait tou-
jours songer k ce qu'il ; a de plus triste, vous conce-
vrez aisément que votre lettre désolante du 3 m'a rem*
pli de consolation. Vous n'avez pas la force de dicter,
mais vous dictez avec force. Eh bien ! espérons donc
sur cette force d'esprit. Il est bien vrai que l'Ame est
quelque chose de différent du corps: mais c'est
comme la crème diffère du lait, la mousse du chocolat,
l'eaunie-vie du vin ; l'essence du corps devient esprit,
et puisque votre corps donne encore un si puissant
esprit, j'en conclus qu'il u'esl pas g&té tout & fait.
Peste soit des Américains, des guerres, des tlotLes
et des arrangements de linances qui m'ont enlevé un
aussi bon et aimable secrétaire !
Je plains M. Necker sans le maudire. Obligé d'être un
joueur de gobelets, il faut qu'il fasfc croire qu'il n'a
pas mis des impôts. Mais poiut 'd'argent sans impôts.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIAM 591
Tout ce qui nous pèse est un impAt, et tout poids qui
tombe sur une ceatième partie des sujets, au bout d'un
an, est uq impAl général. Au bout de ce temps l'illu-
sion disparait, le Jeu des gobelets est découvert, et un
homme qui paraissait ua auge ou un alchimiste, etc.,
redevient homme sans pierre phîlosophale, sans ad-
mirateurs; et, ce qui pis est, sans rencontrer souvent'
des hommes justes et raisonnables, qui ne lui fassent
pas un crime de n'avoir pas fait l'impossible. L'hon-
neur de M. Necker exige une paix au plus tôt. Ceftx qui
ont cru qu'on pouvait avaler l'Angleterre auront du
moins avoué que l'os était trop dur '. Heureux les
Français, si cette expérience leur a prouvé qu'il
suffit que leur roi soit le Jupiter de l'Europe ; que cela
n'empËche pas qu'un autre eu soit le Neptune, un troi-
sième le Pluton, un quatrième le Mars, une cinquième
Cybèie; et qu'il y ait dans l'Olympe une foule de
petits dieux et de demi-déesses. Rétablissons le poly-
théisme pour le bien de la paix.
Vous avez raison; le temps n'a rîea opéré sur vous,
et si j'avais dit ce blasphème exécrable, je mériterais
le l'ouet; mais c'est à Grimm, d'Holbach et tant d'au-
tres que ma télé rêvait lorsque j'ai fait cette triste
médilation. Vous prétendez justifier la chaise de paille
en me disant qu'il a beaucoup d'affaires. Mais moi,
1. Lei Qottes frinçaiieii avaient estu/ë de nombreux échecs.
jbïGoogIc
59f LETTRES DE CALI.VM
JL' suis aussi une aHaîre pour lui. Pourquoi ne se
t'ail-il pas une affairo aussi de m' écrire? Est-ce que
toutes les affaires qu'il a valent mieux que de m'é-
crire quelquefois? Avouez, il est impardonnable. Si
vous ne voyez pas Hagallon aussitôt, puisqu'il est en
mouvement sur ta surface de l'Europe, ni vous ni
moi nous ne devons pas désespérer du le revoir.
Caraccioli vous quittera dans quelques mois. Il a
reçu la seule marque de distinction qui lui manquait,
la clef de chambellan d'exercice.
Je crois vous avoir mandé que j'ai fait réimprimer
mon ancien ouvrage italien Sulla Moneta ; j'y ai ajouté
des notes, et dans une de ces notes, j'ai répondu
avec le langage de l'amitié à l'abbé Morellet. Si je
savais quelque moyen de vous en faire parvenir un
exemplaire, je ne manquerais pas de vous expédier
l'ouvrage; en attendant, je vous envoie la demi-page
oh il est question de l'abbé Morellet. Aimez-moi;
ordonnez à Grimm de m'écrire. Adieu.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIAN!
' A H. GillHM
Que de mauvaises défaites, mon cher silencieux,
vous itie donaez pour des raisons de votre silence !
Vous dîtes que les éeriturcs vous assomment, et vous
ne savez la plupart du temps par où commencer. Je
vous l'apprendrai. Commencez par l'impératrice, en-
suite par moi. Vous vous en trouverez bien et moi
aussi.
A qui pourrait-on persuader jamais qu'à Mohilof les
deux plus grands êtres du monde ont parlé d'un petit
habitant de Naples, que tous les deux n'ont jamais
vu ' ! Y a-t-il rien de plus étrange et de plus incroya-
ble? C'est pourtant vrai, mais si l'on venait à le
divulguer, cela ne pourrait servir qu'à m'attirer une
persécution de plus, d'uue meute de catiaillo littéraire,
et, en vérité, je n'eu ai pas besoin. Celtes que je
souffre me suffisent.
t. Communiquée par M, Groie.
2. C'ml à Mohilof qu'eut lieu la première entrevue entre, l'im-
pératrice Celberine c-Cl'empereur Joscpb II.
jbïGoogIc
SM LETTRES DE GALIAM
Mohilof sera le secood temple de la parfaite tolé-
rance, après l'île de Lampedusa S qui en a été de tout
temps le modèle. Oti y voit le même homme être
marabout turc et ermite chrétien, selon que la galiole
corsaire qui arrive est Lai'baresque ou napolitaine.
Il allume tour à tour les cierges d'une chapelle el
ferme l'autre sanctuaire. Il a d'excellent vin à
vendre aux Turcs, et des poulets pour les jours
maigres à vendre aux chrétiens. Il est par là chéri
des deux religions, puisqu'il fournit aux besoins de
l'homme.
Vous vous êtes trompé en croyant que c'est l'ar-
chiduchesse Béatrice dont j'ai fait la conquête *.
Point du tout, c'est de son mari '. Je suis en corres-
pondance de lettres avec lui. Il a avidement parcouru
les feuilles de mon ouvrage de la Monnaie, que je
viens de faire imprimer. Il m'aime autant que Je le
mérite, mais il m'estime bien plus que je ne
mérite.
Le père Sauadoii mit eu capilotade les odes d'Horace
pour en tirer un cmtnen sœculare. Ensuite, il lui
vint dans la télé que les garçons et les allés l'avaient
1. Petite lie de la Méditerranée, ïoisine de la Tunisie; elle est
roitée lotigicmps JDbabiiée à cause des incui^ioDS des corsaires
barbaresques.
I. Marie Béatrii d'Esle, fille du {>riiice héréditaire de HodÈue.
S. Itin Slanisisii de Lorrsiae, fnre de l'eiopereur d'Autrîche-
jbïGooglc
LETTRES DE GALIANI b^
chanté par couplets, et, de là, il ea tira uo amas
d'absurdités. Cependant, Pbilidor l'a mis en musique
et vous m'assurez qu'il est beau, là sauce fait tout
manger. Vous m'encouragez à travailler pour satisraire
r Impératrice, dont les idées toujours sublimes wt tou-
jours originales voudraient une exécution complète du
Carmen à l'antique. Je n'ai pas besoin d'être encouragé
à travailler pour une souveraine unique, mais le
puis-je? Ignorez-vous que je suis hébété? Surtout, je
suis tellement rouillé dans la langue française qu'il
me devient impossible de me bien exprimer dans cette
langue. Ajoutez que ne pourrai pas dicter, persoime
autour de moi ne sachant l'écrire. Mon écriture est
devenue diabolique. Enfm, je ne sais pas trop ce qu(
vous entendez par un programme. Mais pour vous prou-
ver mou empressement et mou abrutissement, l'ordi-
naire prochain, je vous enverrai ce que j'aurais dit à
Paesiello, pour lui faire composer en musique à ma
guise mon carmen saculare, qui n'est pas tout à fait
celui du père Sanadon, ni ct;lui de M. Dacier. Pour les
décorations d'une cérémonie antique, il n'y a pas de
compositeur de ballets français qui n'en sache plus
que moi.
Vous m'avez consolé un me disant que madame
d'Épinay avait passé cet été mieux que le précédent.
JI n'en est pas des femmes comme des hommes, aux-
quels chaque année do plus donne plus îi craindre.
jbïGoogIc
596 LETTRES DE RALlANl
Les fenimes en gagnant du terrain dans certaines
années assurent leur décrépitude.
Adieu, il fait si chaud qu'il m'est impossible de
continuer .
A MADAME d'ÉPINÀY
Naples, s Mptembre 17M-
Je dois une réponse, madame, à votre chère lettre
du 6 aoùl. Elle commença par me réjouir d'un été
meilleur que les précédents. Si cela continue d'été en
été, cela ira le mieux du monde. Ensuite je vous
remercierai d'avoir songea moi à l'occasion de ce livre
sur la valeur des monnaies que vous voulez me faire pa]^
veuir, et je trouve aussi que la voie de Caraccioli sera la
meilleure. Ces notes que je viens d'ajouter à mcm
ouvrage sur la Monnaie contiennent aussi certains
détails sur la valeur des denrées dans les vieux temps
chez nous, qui sont assez curieux. Je perds la tète
à penser par quelle voie je vous ferai, de mon côté,
parvenir mon ouvrage.
Diderot a raison. Les blés en Hollande ne sont pas
jbïGoogIc
LETTRES DE (iALIAN( 597
à UD prix fixe, Don pins qu'aucune chose au monde;
maïs ils varient moius que dans les pays agricoles :
TOilà tout ce que je voulais dire, et ils varieraient
moins, si les marchands n'étaient pas des sangsues
par essence ; voilà ce qu'il veut dire. Au reste, cette
question est indifférente, comme tout au monde. Rien
ne se fera d'après l'avis des sages dans ce monde,
mais un sage fera un bon livre qui plaira, qu'on lira
avidement : on l'applaudira; il en retirera quelque
avantage, soil du côté des fînances, soit du calé de
la considération; et voilà qui est bien tant qu'il
vivra; puis il mourra, et tout lui deviendra égal.
Et celui qui a fait le monde rira de tout ' son coeur
de voir les hommes occupés à arranger le monde
pour leurs besoins, pendant que c'est lui, et lui tout
seul, sans émule, qui se l'arrange à son caprice, el
pour son bon plaisir.
Mille grâces de l'incroyable nouvelle, que vous
m'avez donnée touchant la non-académicité de d'Alem-
bert ' . Pourriez-vous découvrir s'il en est arrivé de
même à lU. de la Lande, que nous vantons aussi
comme notre académicien?
Faites-moi l'amitié de dire à la chaise de paille
qu'aussiti*it que je reçus sa lettre, je commençai ii
1. D'Alemberl avait élé nommé membre de lAcadéraie des
scienees de Naples, il avait refjsé, â la grande joie de Gaiiani,
qui Étail furieni de ne pas faire partie de celle Académie.
jbïGoogIc
598 LETTRES DE GALIANI
travailler sur le carmen soecwlore. et à coucher sur
le papier mes idées ' ; mats j'ai laissé là mon travail:
les bras me sont tombés. Cette médaille n'arrive pas;
lui et moi nous jouons un triste rôle dans cette aven-
ture. Elle serait inconcevable pour moi, si je ne
connaissais mon guignon en fait de présents. Ce qui
m'arriva avec le duc de Choiseul me suffit pour m'en
convaincre.
Gatti vous fait mille compliments; il ne fait rieo.
et remplit par là le vœu de la nature qui créa l'homme
pour le néant.
Pourquoi désespérez-vous de revoir Magallon ? Il f st
vrai que je compte le voir avant vous, et peut-être
ce printemps prochain, mais aussi il y a bien plus
detcmpsqueje nel'ai pas vu. Vos méditations sur les
1. Catherine avait en erTet ùcril à Grimm : ^ Pâlies faire le
programme de cette Tète par l'ebbé Gallani, et <]Uand il sera Tail,
nous trouverons où plarer la musique de Phiiidor. n Philidor
avait composé une partition en dniii volumes que Timpé-
ratrjce avait achetée pour ciiiq mille livres, s J'attends dp
l'abbé rialtan), écrit Grimm à Catlierinc, le programme pour ce
spectacle que je réserve toujours pour l'aniiÉe sécuiairedo17M.
Philidor, aussi s;urprls que confus, d'une grrice ai peu a(tendn<>,
est resté chez moi anéanti comme ud fondeur de cloches
[| a depuis reçu les compliments en forme du café de la Ré-
)t<'iii^R sur la place du Palais-Ro.val, lieu unique en Europe, oit
tous les plus fameux profe.'scurs et joueurs d'échecs sont assem-
blés toute l'annùc, sans inlcrruption. pour ne s'occuper que de
cet important objet, et ofi Philidor est révéré comme loraclp
d'Apollon à Delphes.i (10 aqU( nSQ.) (Correspondance de Grimm
auee Callierme 1 1 , publiée par la So..>iËté(t'KistoirdTusse. SaiDt-
PÉtersbourg 1880. — p. 29-1
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 599
regrets des morts et des absences sont vraies, el
tristes comme tout ce qui est vrai. Ergo, faisons des
romans, et ne vivons que de romans et dans les ro-
mans. La seule chose vraie, qui n'est pas triste pour
moi, c'est que je sais que vous m'aimez, que je vous
aime aussi, <^t que je serai toujours à vous.
Nlples, 13 aepidmbra 17M.
Madame, il est déjà à Paris, et peut-être vous l'avez
di'ijà vu, un de mes plus grands amis, M. le marquis
Celesia, Génois. Je vous prie de l'aimer, si vous m'ai-
me/; j(^ vous prie en mCme temps, avec le plus grand
secret, de bien examiner mademoiselle sa âtle, et de
me mander ce que vous en pensez, soiLpour la figure,
soit pour l'esprit, le cœur, les talents. Ce que tous
m'en direz sera d'un grand poids pour moi, et a rap-
port à une afiaire intéressante, mais il faut que personne
ne se doute de rien.
Ce monstre (vous entendez déjà que c'est de M. de
Grimm que je vous parle) que fait-il î Pourquoi n'élec-
jbïGooglc
600 LETTRES DE GALIANI
trise-t-ii pas mon esprit en m'écrivant ? Et vous, coio-
ment vous portez-vous? Ce mieux ou ce moins mal se
soutient-il f
Je ne sais point de quoi vous remplir cette lettre.
Depuis qu'où parle de la législation des blés, il
semble que le bon Dieu, pour morfoadre les politiques,
a envoyé la disette sur la terre. Nous sommes celte
année dans de véritables embarras, el, par surcroit de
malbeur, l'Espagne nous pompe encore des blés. Ah t
que l'économistilicalioa est une belle chose en théorie '.
Donnez-nous la paix ; car du moins nous mangerons
des harengs, de la morue, et du blé d'Amérique.
Aimez-moi toujours : je vous aime à l'adoration ; et,
si je ne remplis pas cette lettre de sentiments, c'est que
mon style n'est pas tout à fait tourné à cela. Adieu.
Cetesia vous dira le reste.
jbïGoogIc
LETTRES DE GAKANI
' K M. CRIMM
Naples, « décambreftiM.
Monstre d'oblivion 1
Que voulez-Vous de moi avec vos agaceries et vos
flatteuses espérances ? Ne voyez-vous pas que mon gui-
gDon est tel qu'il change l'ordre et la nature de l'uni-
vers ? Trouvez-vous naturel qu'une souveraine qui a
versé des millions en présents, qui les répand, comme
le soleil sa lamière, sur les justes et sur les indignes,
soit restée trois ou quatre ans sans savoir se déterminer
à vous expédier pour moi une médaille de bronze? N'en
parlons plus*. J'enrage contre mon incroyable destin et
cela me met de mauvaise humeur. Ne croyez pas que
j'eusse manqué d'envie de vous satisfaire au sujet de
la fête des jeux séculaires. Aussitôt après avoir reçu
1. Communiquée pir H. Grote.
3. L'impérstrice Écrit : « Je vous prie de m'envoyer la livre
de 1d lionela de l'abbé Galianl traduit eu tranjais, dès qu'il y
aura une traduction passable. Je vais lui expédier deux médailles
d'or pour son programme. ■ [Correipondanee tte CalheriHe.l
JbïGoOgIc
602 LETTRES D[E GALIANÏ '
votre lettre, je me mis à écrire et à dicter. Je c
çai un morceau de commentaire sur les trois odes
qui formeat l'hymne séculaire. Je me dégoûtai à l'in-
slant de ce travail. J'entrepris de dicter un plan pour
la fête en question. Pour preuve, voici l'ébauche, qui
est restée longlempssur ma table. Enfin, ne comprenant
pas trop ce que vous vouliei de moi, ce que vous en-
tendiez par le mot programme, ne recevant plus de
lettres de vous, ne sachant pas ce que je devais faire,
et à quoi bon tout cela, j'ai laissé là cette triste occu-
paliou, et je me suis mis à faire autre chose pour ga-
gner mon pauvre pain. J'ai entrepris un ouvrage de
droit public que je publierai en italien, la seule langue
que je sache à présent. Son titre est : Des devoirs des
Princes neutres «is-n-t'is des Princes belligérants. Ce
livre sera pesant au point qu'on jurera que c'est Vcifius
nu Puffendoriius, qui en est l'auteur. Je crains bien de
ne pas achever cet ouvrage, tant j'ai l'âme abattue.
Vous entendez bien qu'on dira quelques mots dans cet
ouvrage de Catherine, mais ce ne sera que peu de mots :
on n'aime pas beaucoup, lorsqu'on ne connaît pas.
même en bronze, les physionomies des dames.
Je fais cet ouvrage uniquement pour de l'argent.
Calcul fait, s'il réussit à Naples, je puis y gagner, en
vendant toute l'édition, quatre cents francs. C'est horri-
blement peu, comme vous voyez. Ainsi j'aurai un projet
à vous communiquer. (Je serait de vous l'envoyer
jbïGoogIc
LETTRES DE 6ALIANI 603
feuille par Teuille, à mesure que je les imprime ici.
Vous trouveriez quelque pauvre diable, homme de lel-
Ires, qui en entreprendrait la traduction eo français.
C'est uoe besogne aisée puisqu'il s'agit d'un ouvrage
tiidactique. Je voudrais partager la moitié du profit
avec le traducteur : et si vous me concluez cette affaire,
ji; serai par là engagé à achever mon ouvrage. Voyez
si vous pouvez me rendre ce service. Je calcule que
cela pourrait me rapporter six cents autres francs, et
j'en bénirai le ciel et tous, et je me moquerai des
bienfaits des autres toutes les fois que je puis me
donner de l'argent par mon propre taleiit.
Je n'ai pas le loisir de répondre ce sotr ù une très
belle et tr(>s longue lettre de madame d'Épinay que
j'ai reçue cette semaine, mais je le ferai samedi pro-
chain. C'est par l'arrivée de M. Célesia, Génois, à Paris,
que j'ai eu des détails plus affligeants que sa lettre sur
sa santé. Il m'a aussi parlé de vous.. Êtes-vous toujours
ami de M. de Castries ?
.\dieu. je n'ai plus de temps h vous donner.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALUNl
A MADAME I) ËPINAV
Madame, j'aurais dû vous répondre la semaine passée;
mais ce samedi était la veille de Noël, très grand jour
de compliments chez nous, et, en outre, c'était le Jour
des funérailles de l'Impératrice. Le temps de vous
écrire me manque absolument. Savez-vous à quoi je
compare cette mort de Marie-Thérèse ? A un encrier
qu'on a renversé sur la carte géographique de l'Europe.
J'espère que la chaise de paille est rétablie de sa
maudite fièvre. Dites-lui que l'abbé de Bajanne, se
trouvant ici et partant pour Rome après-demain, a
bien voulu se chaîner de la pacotille de mon livre, pour
la remettre au cardinal deBemis. J'ai écrit à ce cardinal,
ce soir même, pour le prier de l'adresser à M, de Ver-
gennes; ainsi j'espère que, huit jours après l'arrivée de
celle-ci, Grimm recevra mon livre. Dites-lui, en outre,
que je tiens deux exemplaires de cet ouvr^^e, relii^s
déjà, et destinés l'un pour le duc de Saxe-Gotha, et
l'autre pour le prince Auguste, son frère ; mais faul-'
jbïGoogIc
LETTRES DE r.ALIANI 603
de savoir comment m'y prendre pour les leur faire
parvenir, ils restent sur ma table, et je n'ai pas même
su décider comment les en avertir. Ont-ils quelque agent
à Rome, ou en d'autres lieux plus chrétiens que la
GothJe, où il me soit plus aisé de les expédier ? Je vou-
drais en envoyer un aussi à l'aimable margrave de
Bareith ; comment m'y prendre ? Faites-moi aider par
lui.
Bonne nouvelle, en vérité, que la médaille soit en
bronze. Vous ne devinerez pas, assurément, la cause de
ma frayeur de la recevoir en or ; je vais vous le dire :
j'aurais dû écrire une lettre à i'iin[)^;ralrice de Russie ;
or, j'aurais donné, moi, le pesant d'une médaille d'or,
pour sortir de cet embarras. En italien, langue qu'elle
n'entend pas, il était indécent à moi de lui écrire ; en
irançais, vous savez bien que je ne sais pas tourner de
belles phrases; en un mot, je serais un homme perdu,
si j'étais obligé à cette cruelle opération. Envoyez-moi
donc la médaille, quand et par qui bon vous semblera ;
je n'en suis pas pressé : mais obligez la chaise de
paille ù se charger de mes remerciemenls, et, s'il
croyait inévitable à moi d'écrire et de remercier, je
l'autorise à dire que je suis mort ; et l'Impératrice le
croira; car comment saura-t-elle que je suis vivant 'ï
1. L'Impératrice envoya d'atrard un« médaille de bronze h a-
Uaai:(Avez-vai» reçu la médaillede bronze pour l'abbé Galiani?
jbïGoogIc
606 LETTRES DE GALIANI
Oa tait mourir de rn^me ici notre aimable Caraccioli,
uvant qu'il nous arrive, mats ce n'est pas du chagrin
d'avoir quitté Paris qu'on lu tue. On le condamne
comme hydropique confirmé, et ca n'est pas notn»
faute si on le croit, puisqu'il s'est plu à l'écrire lui*
même. Dites-moi comment vont ses jambes; car le
cœur n'a jamais tué personne. Mille choses de ma part
à l'aimable Celesia et à sa famille entière. J'ai fait et
je ferai tout mon possible pour me rapprocher d'eus ;
mais ces événements sont toujours des coups du sort et
du hasard, et plus on combine pour les faire réussir,
moins ils réussissent.
Gatti se rencontra k Ure votiti lettre au nioraunl ou
elle arriva. 11 vous dit mille choses tendres; il avoue
qu'il ne saurait vous prescrire rien pour raffermir vos
dents ; et, pour les faire tomber, il ne connaît rien de
mieux que les grands soufflets que les jansénistes
appelaient des secours, mot abusif qu'on devTait réser-
ver à ceux que les grands princes donnent à leurs
petits alliés et qu'on a donnés aux Polonais. Je suis
bien eu peim^ du tourment que vous donnent vos
dents ; mais, si elles tombent, soyez-en bien contente :
il n'y a pas de plus grande commodité que de n'en pus
avoir, et je l'éprouve.
Écrit-elle k Crimm
,; el qu'esl-ce qu'il y anni
l de si exUraordi-
naire s'il étoFl au
r.-ïers d'.m«, médaiUe» N'y
a-t on jamais vii
de génies? >
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 607
En voUii a^ez pour ce soir. Aimez-moi toujours; et
sollicitez ce paresseux de Grimm de me répondre.
Adieu. Je vous souhaite une année meilleure.
Naplet, } fâvrier <7S4.
Si mon bonheur, madame, ne m'eût secouru, vos
maux etl'ingratilude de ce monstre (chaise de paille)
m'auraient conduit cet hiver au désespoir. Trois ^nds
mois se sont passés sans que ni vous ni lui m'ayez
écrit un pauvre petit mot. La chaise aurait pourtant dû
me répondre à un projet assez intéressant pour moi,
que je lui avais communiqué; mais le ciel, qui protège
l'amitié et ta vertu, a fait trouver cet hiver à Paris uu
des \i\as vertueux liommes et l'uu de mes meillcur>
amis, M. Gelcsia. 11 s'est pris de belle passion pour
vous, comme je vois par ses lettres. Sa l'amille entière
vous adùre; vous, en revanche, vous êtes devenue
amoureuse folle de sa fille ainée, comme j'ai vu par
votre lettre. C'est par lui que j'ai eu des nouvelles de
vouB, et pas tout à fait mauvaises. Il me dit que
jbïGoogIc
606 LETTRES DE GALIANI
l'hiver vous est favorable. Eh bien, que Paris reste
toujours dans le plus rigide hiver! Sans lui j'aurais
cru mort M. Grimm, car vous me le laissites malade
dans votre dernière lettre, et puis .vous ne m'écrivîtes
plus rien de rien. Mais mon bonheur va finir ; je n'ose
plus répondre ce soir à Celesia, craignant qu'il ne soit
déjà parti pour Gènes, vous laissant sa famille en gage ;
s'il ne l'est pas encore, dites-lui ma crainte. Grimm u
dû recevoir mon livre par la voie du cardinal de Bemis.
S'il ne veut pas m'écrire, je le laisse, je le donne
à tous les souverains (j'ai pensé dire à tous les
diables)du nord. Un ouvrage sérieux, dont je m'occupe
maintenant, avance lentement. Je serais bien pressé
de vous montrer ce que j'en ai fait jusqu'à présent. Ah !
si je pouvais le travailler à Paris, et en communiquer
des morceaux au coin de votre cheminée, ou à des
dîners du baron d'Holbach ! mais cela ne se peut pas.
Pressez Caraccioli départir. Puisqu'il doit franchir
le pas une fois, faites-le résoudre à s'y déterminer au
plus vite. Gîtai e maccheront si mangiano caldi ' est
le proverbe napolitain. Les Siciliens se trouvent oS'ensés
et humiliés de voir un homme marcher à reculons
pour aller éti'e leur souverain.
Je ne sais que vous dire de plus ce soir. Continuez à
). Tmt pit pour le macaropi si oD ne lu mange pas chabd.
jbïGoogIc
LETTRES DE fiALI.VHI 609
aiiiiei' les Celesia, et Temerciez-moi de vous les avoir
fait connaître. Adieu. Port«i-vous bien en prolon^nt
les droits de l'hiver,
Vous m'avez demandé, madame, dans votre lettre
du 12 du mois passé, des renseignements relatifs à la
famille de Valori. Voici ma réponse sur cet article.
Le manuscrit du père Borelli existe effectivement à
la bibliothèque du roi à Capo di Monte; mais il est '
emballé à présent depuis plusieurs mois, parce que
l'on compte transporter, de Capo di Monte à Naples,
cette bibliothèque,' et la placer convenablement dans
un salon magnilîque, que l'on construit à présent. Le
salon, les armoires, la peinture, l'arrangunent des
livres consumeront quelques années, après lesquelles
on aura tout le loisir d'observer le manuscrit. En atten-
dant, je chercherai s'il existe d'autre copie de ce ma-
nuscrit, ce qui ne serait pas impossible, et si, dans
l'état d'abrutissement général de ma nation, cela peut
jbïGoogIc
MO LETTRES DE CALUM
réussir, je vous en informerai. Au reste le goût et
l'étude des généalogies est tombé dans le dernier
mépris ici, depuis que la prérogative de la n<d)Ie8se est
comptée pour rieu: nous sommes à présent au niveau
de Constantlnople. .
Je change de discours . Assurément il faut que
.M. Grimm n'ait pas reçu quelqu'une de mes lettres ; il
n'aurait pas poussé la dureté, et je dirai presque l'im-
politesse, jusqu'au point de me refuser toute espèce de
réponse, surtout s'agissant de choses de son service.
Je lui avais envoyé une feuille relative à ce qu'il vou-
lait de moi, pour le service de, l'impératrice, dans l'exé-
cution du fameux Carmm sœculare. J'ignore s'il l'a
reçue, puisque ni lui ui vous ne m'en mandez rien
depuis deux mois. J'ai envoyé mon livre sur la Mon-
naie par la voie du cardinal de Bernis, et point dp
nouvelles non plus; enfia je lui avais écrit dilTérentes
choses assez importantes, auxquelles il ne répond pas.
Si c'est un courrier russe qui tient les cordons de ce
malheureux sac, dans lequel on l'a fourré, dites à
cet infâme courrier qu'il est un coquin, un faquin,
un Tarquin, un requin, etc., d'empêcher de la sorte
le plus aimable des monstres de vivre avec ses amis.
Mille choses à madame votre lïUe, et aux aimables
Celesia. Adieu ; portez-vous bien.
jbïGoogIc
LETTRES hE RALIANf
MAD&HE NErKKR A L ABBË GALIANi'
Votre lettre, Mousieur l'abbé, est venue lier dans
moQ souveuir deux époques qui me sont l'on agréa-
bles. Celle où j'iù connu un homme d'un esprit aussi
charmant que supérieur, et celle où, loin de moi, il
me conserve un peu d'iotérèt et d'amitié. Aussi Je
voudrais de tout mon cœur taire quelque chose qui
pût vous plaire, non parce que vous nous estimez (ce
qui me flatte pourtant intinimeot) mais parce que vous
nous aimez un peu et que nous vous aimons beaucoup.
Je dois vous dire cependant que, depuis que vous
avez quitté Paris, personne ne s'est encore dégoûté
des places lucralives ou honorifiques; la demande de
votre ami se trouve donc croisée par mille autres anté-
rieures, et par toute la véhémence des intérêts parti-
culier&. J'ai fait honneur à votre recommandatioui
1. Cette lettre n'a pa» été publiée dua les éditions de 1818.
Bien que non datée, ^e doit être clusia deiu l'aiiBée mi qui
M etUe du i^our de> Celeiia t Puis.
jbïGoogIc
«12 LETTRES DE GAl.IAM
monsieur; si cependant l'effet avait suivi ma prière,
M. Celesia l'aurait moins dû à nos sollicitations qu'à
celles de l'ambassadeur, que j'appelle toujours ainsi, ne
pouvant me résoudre à le voir sous une relation qui
nous est étrangère.
Nous trouvons en effet beaucoup d'esprit à H. Cele-
sia ; et cependant je ne voudrais pas qu'un juge com-
me vous, si bien fait pour distribuer les couronnes,
plaçât à cdté l'un de l'autre deux hotiunes qui ne
se ressemblent point. Vous avez fait à U. Necker une
part très noble et très magoifiquc, en le comparant à
l'astre dont le disque est plus grand à son couchant
qu'à son méridien : cette part est celle de sa conduite;
l'aites-lui en une autre pour ses talents, qui soit abso-
lument solitaire. En effet, le génie de H. Necker me parait
tantôt dans les ténèbres, et tantôt sur nos tètes; tout
ou rien, selon les places ou les circonstances ; jugez
combien il est loin d'avoir des rapports avec ce qu'on
appelle dans la société un liomme très spirituel et très
instruit. Il me semble, monsieur, que vous n'êtes pas
trop content du genre humain et de sa morale,
quand elle est en action ; mais, en revanche, vous devez
être bien satisfait de la sévérité et de la pureté do nos
livres, du moins si vous les lisez; car il me semble que
vos yeux doivent être toujours tournés en dedans,
couune les bonzes qui passaient leur vie à contempler
le bout de leur nez. Je ne crois pas que vous gagniez
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI 613
le ciel à cette contemplation ; omis je suis persuadée
que vous y trouvez un inonde d'idées, et des idées de
l'autre monde, c'est-à-dire aussi neuves que piquantes,
qu'on ne rencontre pas ioi-bas. Vous ne seriez pas
surpris de celte critique, si vous reveniez à Paris;
tous nos beaux esprits sont dispersés; ils ress^nblent
un peu aux architectes de Babel, et ils ont été dissipés
par le même moyen, car la diversité de musique est
aussi une diversité de langage'. Mais, malgré celte divi-
sion, tous, je puis vous l'assurer, se réunissent à
M. Necker et à moi, pour vous regretter, pour vous
désirer, et pour vous offrir un hommage continuel
d'admiration et d'attachement.
Le cardinal de Beriiis m'a fait parvenir le Compte
ftmdu par M. Necker ', et, par l'enveloppe, je me' suis
1. Altudon aux querelles des GluckiïtHet des Piccinistes.
3. Celte lettre o'eiiite pas dans les édilions de ISIB.
3. La siluatjon de M. Mecker était deTeoue difficile, il ne trou-
jbïGoogIc
014 LETTRES DE (lAl.tAM
aperça t]ue u'élait vous qui m'en disiez l'expédition.
Au reste, ioutenant toujours votre cruauté, je n'y ai
pas trouvé une ligne de vous. Faut-il que je vous r-
mercîe? Faut-il que je vous maudisse? L'un et l'autre,
c'est le plus sûr.
Cet ouvrage m'a fait un plaisir inlini. Il y a des
traits d'éloquence noble, qui m'ont attendri jusqu'aux
larmes, tels que l'éloge de madame Necker et la con-
clusion. Si les académies de France n'adjugent pas le
prix d'éloquence à ce Compte Rendu, dites-leur de ma
part qu'elles sont composées de gens imbéciles et stu-
pides ou de gens ingrats.
Au surplus, si voulez entendre mon «vis sur l'ou-
vrage, je vous dirai que je l'appelle le Tocsin de la
Paix. Le nouveau Démosthène prêche la pais comme
l'autre précbait la guerre; heureux les Français s'ils
viit plus d'enprunts à réaliser, en ud mot le crédit étiit épuisé ei
on allait être obligé de recourir aux pires expédients. Neckw
résolut de reconquérir U conBance du public par un coup
d'éclat et de jeter la lumière dans l<ts secrets des Bniaces de
l'Ëtat, En janvier 1TH1,'I1 publia son fameui CompU H»odu où il
bitalt l'exposé des recettes et des dépenses du royaume, i Rien
n'a fait plus de bruit, dit Labarpe, que le Compte Rendu au roi
ptT H. Necker, de l'eut des flnuces de la Frtnoe. On en a
débité jusqu i 3,000 eiempUIres par jour et l'ou en est au qua-
ranllAmB mille. > Cet ouvrage était un S7*t6ine général d'a^l-
nistratjoD Bscale; M. Necker y eiposait les moyens de réforme
et d'économie qu'il «Tait trouTés et ceux qu'il se propMvt d'«s-
sajer encore. Le succès le plus éclaiaoi suItII la publlcalion du
ComfleRmdu: en peu de temps Neckar nbtial pour 3311 mllliOM
d'emprunt.
jbïGoogIc
LETTRES DE IUL1AN1 Itl5
r^uteat plus que le* Athéuiens n' écoutèrent celui-là.
Si la paix ne se fait pas, je prévois que H. Neoker
quittera. Peut-être ae voudra-l-^n pas laire la paix
préoisément pour le plaisir de le voir qi^itter sa place,
et c'est ce qui iug parait le plus vraiKOmblablr. Kii
tout cai si on n'adore pas un contrAteur tel que lui,
lus Français sont ingouvernables et je renonoe au
goût de lus aimer in globo, et je n'aimerai que les
adorateurs de M, Necker.
MADAME d'ÉPINAT
Madame ,
Enfla. j« Hiii parvenu à voir et «uininer le ma-
uuwrit de li bibllotbèque de notre roi, où l'on devait
rencoQtnr des notices ralativei h la t'amilte Valori.
Je n'ai pu ni dû me fier à personne. Je l'ai étudié
moi-mAme ; voici ce que c'est, son titre est le suivant :
Àpparatus hUtorkw ad antiqvot chronologos iUui-
trandot opéra P. CaroU BoretU, olerioi Reg. Uin. , quatre
grands volumes iu-folio. L'ouvrage n'a rien d« ooiS'
jbïGoogIc
Bfgr LETTRES DE GALIAM
muD avec ce titre ridicule C'est ua index, assez dé-
taillé et 1res exact de tout ce qui se trouve dans les
registres de la chanceilerip de nos rois de la race des
Suëves, d'Anjou et d'Aragon. Il y a la table de tous
les noms des personnes indiquées dans les registres,
el il n'y a pas un seul Valori. li y a ensuite la table
des noms des personnes nommées dans les registres de U
chambre des comptes, et voici ce que j'y vois : Fran-
cesco Valori, ambasciator di Fireoze, a. 1487. Cette
notice n'est point précieuse, puisque tous les historiens
nomment cet ambassadeur de la république de Flo-
rence envoyé à notre roi Ferdinand I". Ce qu'on peut
déduire de plus sûr, de la reclierche que J'ai faite
dans cet ouvrage du père Borelli, et dans d'autres
manuscrits de la même bibliothèque, que j'ai voulu
feuilleter scrupuleusement, c'est que la famille Valori.
de Florence, n'a jamais envoyé aucun de son nom, ni
s'établir à Naples, ni même servir les rois de Naples,
puisque tous les noms de leurs courtisans sont dans
ce registre. Dites donc à H. le jeune marquis de Valori,
qu'il ne s'écarte pas de la Toscane dans les rediercbes
qu'il va faire sur les anciens titres de sa famille.
J'ai reçu une lettre de Grimra, après un temps
infini d'attente. Pour le chfttier, je ne lui répondrai pas
ce soir. Horace même en serait scandalisé, si j'écri^'ais :
Hodie sanctissima sabatha, vin tu curtia Judceig op-
peiere? Il me mande que le 37 mars vous étiez malade
jbïGoogIc
LETTRES DE GAI.IANI 017
d'uDe fièvre' fluxionale. Noua sommes au 14 avril :
vous vous portez doue bien.
Mille choses à mes Celesîa. Aimez-moi plus que
Grimro, car ce monslre ioeioroble ne m'aime plus, et
il n'aime plus rien. Aussi on le punit comme Damiens,
en le tirant à quatre chevaux. Voilà comme on doit
punir les cruels. Adieu.
Nnplei. s juin itsi.
Votre lettre ravissante me parvint au moment où
j'allais monter en voiture à Rome. Elle servit admi-
rablement pour réjouir ma course au travers des
marais Pontins. Je la relus quatre ou cinq fois, et
toujours avec extase. Arrivé ici samedi passé, je n.'eus
pas le loisir d'y répondre le même jour; je le fais à
présent.
Caracciolî arriva avant-hier jeudi. Il se porte très
bien de tout, hormis une certaine jambe gauche
qui est d'une architecture fort gauche , et très
diftérenle de k jambe droite. Avec tout ce dé-
jbïGooglc
ms r.ETTRKS DE UALUNI
faut en architecture, l'édifice pourrait durer encore
quelques années, autant qu'il en taut pour faire du
bien ù ]a Sicile. U parle toujours de Paris; maii il
vivra loin de Paris, et si l'on continue k faire des
sottises en France contre ses meilleurs amis, il lui
arrivera, tout comme il m'est arrivé, qu'il ne regret-
tera pas la France; il regrultera ses amis de Paris.
Kjen n'est déballé de son équipage ; ainsi je ne pos-
sède pas encore votre ouvrage. Je brdle d'impatienve
de le lire, et je vous fais mille remerciements aussi
de l'ouvrage sur la valeur des monDaîes.
J'ai reçu deux lettres de Grimm, l'une à Rome,
ensemble avec la vôtre; l'autre, celle semaine. La
nouvelle qu'il m*a donnée de la démission de M. Neo-
ker ' me met de si mauvaise humeur, que je ne
veus pas lui répondre. Est-il possible qu'on ne trouve
ni siècle éclairé, ni nation docile, .ni souverain cou-
rageux, ni temps, ni moment, où le grand homme
puisse rester «n plaoe ! Qu'ost^œ donc que cela? Faut>il
qu'il y ait une loi âtemelle, depuis la pomme du nolt«
cber père Adam, qui ait livré les hommes aux ni<^
1. Le clergé et les économistes BTaieni été les premiers adver-
saires de H. Necker; à mesure que celui-ci accompliiMit des
rilormes, le nomt>re de ses enaemls augmentait ; la ligue qui avait
renversé Turgot se reforma. Kecker voulnl obtenir une marque
da la oonflanee du roi et demanda l'enlria au Conseil, afln de
poureir j défendre lui-même ses projeU. On ne refusa pas,
nuls DD lui demanda d'abjurer sa religion. Il oHVIi sa démli-
sioo qu'on «eaepia (19 mai tTSt).
jbïGoogIc
I.ETTREl^ DE CALFA^jl 619
cliaDts el aux imbéciles, el exclu à Jamais les héros.
Si c«tte loi existe, il faut courber le dos et plier la
tâle; si elle n'existe pas, je maudirai les parlements,
les intendanis, les intrigants, les cabalants et les rifii
entâDdanls d'avoir fait ce massacre.
A propos. Oaraccioli ue sait rien de la brochure .
qui a paru, ^iis son nom, contre M. Necker*. II serait
très curieux de la voir. Grimni lui fera grand plaisir
de la lui expédier.
Je me réjouis très fort de votre vertu réiurreetive.
Si elle TOUS dure, voua flniret par accomplir ma pro-
phétie, qui est, comme vous savei, qu'à la longue
vous vous enjambonoerei, et resterez sftche et biea
portante jusqu'à la décrépitude.
Voilà du monde qui ra'arrive al m'interrompt.
A nous revoir; k samedi. Adieu.
1. Ed voici le Uu« : Leilr» 4e M. le nurjuti d* Caraeotoli à
Jf. ir4Jnii«-(, 17Si. — (ictle pièce satirique ett de feu M. leegnte
de Grimoird : elle a été publiée, avec quelques •ddltloos, par
XH. Dgud«l «1 loaun
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANl
ntples, <s Juin nu.
Madame, ce n'est que ce matin à midi que Carac-
cioli m'a envoyé les deux ouvrages dont vous m'avez
fait présent. Je vous remercie de ce précieui don.
Je n'ai fait que les feuilleter. L'ouvrage des mesures,
etc., m'a paru fort savant, fort exact et d'un travail
épouvantable. Qui est ce H. Paucton, qui en est l'au-
leur ' T II me parait qu'il est nommé daos un Dialogue
d Emilie. Pourquoi une si belle reliureî Est-ce que
l'auteur vous en avait ftût présent?
Ces Dialogues sont charmants tout à fait. Ce rtAe
d'Emilie est si vrai ! Jamais on n'a dit de plus grandes
vérités avec plus d'enfantillage. Cest un grand ou-
vrage en un mot, et qui pèse autant par ce qu'on y
dit que parce qu'on n'y dit pas.
Vous savez les grandes querelles qu'il y eut en
1. Alexls-Iean-Pierre Pauclon, emploj'é au bureau du cadaitre.
Son grand oUTrage ■ pour titre : Métrologie ou Traité dtt om-
sures, poiii et ntonnaies dat anciem peuple) et de» modamfi.
jbïGoogIc
LETTRES DE tiiLIAM 621
France contre les jaosénistes, à propos d'un silence
respectueuœ. Ne pourrait-on pas persécuter de même
les incrédules sur Xear silence respecltteux? Ce serait
au moins une chose â proposer pour le bleu de
l'église.
Ce pauvre abbé Raynal a enfin succombé au plaisir
de se casser le cou comme auteur célèbre ' . Quelle
terrible démangeaison ! Je prie Dieu tous les instants
de m'en préserver.
Je vous prie de dire à M, Grimm que j'ai été à .
Home, mais je n'ai jamais i-encontré le conseiller
Reiffenstein. J'avais apporté deux exemplaires de mon
ouvrage pour les expédier aux Saxe-Ootha, et je
les ai dooués ù d'autres. Voilà une conduite digne
de Diderot.
Cai'accioli su porU; très bien. II parle toujours de
Paris; mais il ne s'est pas encore aperçu combien il
le regrettera, lorsqu'il sera dans la monotonie de
l'eonui et la sécheresse du travail de la viee-royaulé.
C'est alors qu'il sentira sa perte. A présent les ca-
i-esses des souverains, les compliments de tout le monde
le tieDDent distrait cl presque content.
1. L'abbé Kayaal venait de (aire paraître la seconde Édition
de ['Histoire philoi(^igue et politique des HaUmementi et du
tonmerce des Europiûn* dans les Inde*. Cette (ots il avait signé
son livre, mais comme la nonvelle édition était encore plus har-
die que 1b précédente, l'ouvrage Tut condamné par le Parlement
el Baynal obligé de quitter la France.
jbïGoogIc
r-t: LF.TTRFS [IK (1 VLUr(l
Gatti TOUS salue bien tendrement. Nous causons '
loujours de vous avec Caracciolî. Pour ce soir, je ne
f)uis TOUS un dfn> davantage. Aimez-moi, soulena
votre santé et rroycï-moi ponr la vie, etc.
Madame,
N'allez pas croire au moius que Je vous aie oubliée
ou négligée, parce que depuis longtemps je ne tous ai
pas écrit. Sachet <iue je me suis toujours eolretemi
avec vous : je vous ai entendue causer avec un plaisir
Inlini. Je fais ma lectUK favorite de vos Convergatmts
avec Emilie, que je n'ai pas l'honneur de connaître ' .
1. lorsque la dueheiuie de Graoïmoat ipprii qu« lActdttnie
■VBJt accordé le prii aux Convtrsationt d'Emilie, elle dit arec sa
rraDchtse accoutumée < qu'elle éiail ravie que madame d'Épi-
nif afi en le prix, d'abord parce qu'elle «spérait qo* madasie
de Oenlis en mourrail de dépil, ce qui aérait uoa eictUeaM
Blhlre, ou qu'elle se Teogerait par une buane aaUt« «Min let
pbiloHphea, ce qal aereit encore »sKt gai, eauiite puce qu'elle
était bien aise que toat le monde tII, ce qu'elle MDpfonnail d*-
puis longtemps, que l'Académie tombait en enfance. >
jbïGoogIc
i;rttres de cai.iam ««
Mais vous. j« vous connais el je vous vois, je vous
entends, je suis de toir* les eotrctiens. Donnez-moi
done qaelqoe éclaircissement sur ce charmautouvrage.
Qui a pu composer cette originale de lettre du sieur
Èloi Godard't Est-ce vous-même? Étiei-vous si gaie
que cela au milieu des souffrances T À-t-elle un fond
de vérité? Est-e!le en entier d'imagination T H faut
savoir tous les détails sur ce morceau unique. Et ce
conte de fées! Si j'en avais fait un pareil à N&pies, on
m'aurait fourré depuis longtempsaucbfUeauSaint-Elme.
Ne vous a-t-on rien dit sur le compte de ce conte ?
Votre lettre du il août ne vaut pas lu précédente, où '
vous mu mandiez que votre santé était bonne. Cepen-
dant, dans celle-ci, vous parlez de crise; ce mot signi-
fiant dfei«(on, j'en conclus que votre procès avec la
maladie, celte année, est jugi' ô votre av.nnlage, et que
vous avez gain de caasK.
Vous me parlez des Celesia obscurément; mais ils
ne m'ont rien mandé, ni à Caraccioti non plus. Est-ce
qu'il a marié son aitiée? J'en suis fAché pour ellg et
pour moi.
Carnccioli se porLe à merveille ; mais il a tant d'aver-
sion pour son Palernie, que je crains qu'il ne se fasse
une affaire sur ce relard excessif. Son vaisseau est prêt
1. Lettre d'Ëloi Godard. Conv«naliont d'Emilie, t. i.
tl* conversa ttoD, p. 337. LiuHniie, FraD{oi8 Lacombe. 1T84
jbïGoogIc
6ii LETTRES DE GAI.IANl
depuis plusieurs jours. Le ministre de la marine crie
contre la dépense inutile de l' armement ; je ne sais pas
comment cela se terminera. Ne dites mol de ce que
je vous mande.
Mon ouvrage de droit public avança lentement. Je
sens que je suis vieilli et que je ne suis i>lus en âge
d'être auteur, sans aide ni sccouis d'autrui. et ici, où
le trouver ¥
Embrassez de ma part la cliaise de paille, qui sera
de retour, à ce que j'imagine, de ses eaux de Spa.
Faites, mon Dieu, la paix; car sans cela je resterai sans
chocolat, et j'en mourrai. Adieu. Mille choses au baron
d'Holbach et à mes vieux amis.
Je suis très occupé à présent de l'aire taire une su-
perbe carte géographique du royaume de Nnples. Vous
savez combien j'ai été fou de ce désir ; H. Zannoni est
avec moi , et nous avons déjà un bon commencement.
La Terra di Lavore est en bon état. Adieu encore. Mes
respects à madame de Beisunce, que je crois l'écrivaiii
de votre dernière.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI
A D ALEHBERT '
Hsples, 10 janvier ITSI.
MoD cher ami,
Voici une excelleote occasion de vous écrire, enfin ;
M. Poli', qui a déjà eu l'honneur de vous être pré-
senté dans son premier voyage à Londres, vous
remelira celle-ci : il est bien digne de cultiver votre
connaissance et celle de vos amis. M, le duc de Gravina,
avec lequel il est, n'en serait pas moins digne, si
vous éliez plus disposé à mêler la philosophie avec
la cour.
Quoi qu'il en soit, M. Poli vous donnera de mes
nouvelles; il vous dira combien je suis engraissé,
marque certaine de mon ennui : les chartreux sont
tous dodus. II vous dira que je me suis rapproché
des mathématiques, en m'occupant à faire exécuter
1. Celte lettre n'a pas élé (lubllée dans les édiUuas de 1818.
ï. Les Failli Éiaietit des banquiers de Liibeck ; ils posgédaient
des matsnns de banque dans loules les capitales de l'Europe.
jbïGoogIc
6M LETTRES DE (ilLIAM
une belle carte géographique du royaume de Naples,
par le même M. ZaaDonî qui y travaille à Paris.
Notre Caraccîoli fera bien plus le bonheur des au-
tres, à Palerme, que le eien. !l s'y conduit avec la
satisracliOD des souveraios, avec surprise de la part
du peuple, avec rancune des grands: inais il n'est
pas heureux. Il a engagé la noMesse à faire passer
dans rtle une troupe de comédiens français, et il en
sera apparennnenl le seul spectateur avec plaisir.
Aimez-moi, homme incomparable : mm^fM. un peu
à une course en Italie. Enfin, que faites-vous toujours
à Paris? Tous devez ce voyage, sinon à vos amis,
au moins h votre célébrité. Il est plaisant de courir
le monde comme un éléphant ou un rhinocéros, et
de voir la foule qui s'empresee de nous voir -et ne
comprend pas trop pourquoi elle est curieuse.
Enfin je vous recommande le porteur, dont le
caractère doux et poli vaut autant que ses connais-
sances. Adieu ; aimez votre admirateur.
jbïGoogIc
LETTRES DE «ALIAM
' 'a son excellence
monsieur de schoiivaloff
r.bambeUan de S. M. Impériale
Mon iacomparable ami'.
On voil bieD qiie la géographie et la obronologie
empioleot en vain leur marobandise ordinaire avec
vous contre moi. Ni l'immense distance des Jieux, ni
t. Cammualquée par M. le marquis île Fiers.
B. Oaliaai et SobouvaloO' s'éUlent liés à Paris; la séparation
n'interrompit pas leurs relations d'amitiù. Scbouvaloff avait
rempli les ronctions d'ambassadeur de Russie en France; il tat
jAppalé en 1776 par Calberine II et cqmblé d'fionneun. ■ J'ai
reçu il y a quelques jours, dit madame Du DelTand, une lettre
de Pétersbourg du bon SdiouvalolTi il est dans la plus haute
faveur, :rimpérBicice )'b Tail grand obatqb^llao. Le ^K(Dier jour
qu'elle lui Ut prendre du thé avec elle, elle luidit : Je veui que
vous sojei A TOtre aisearec moi comme tous l'étiez avec madame
DuDelÇiiid.i—iicbDuvBtoffétaitdu reste un adroit courtisan comme
on vale voir :<SaTez-vousque jesuis toute aère,écritCalherine, de-
puis que M. Schouvaloff, revenu des pays étrangers, m'a dit que les
artistes d'Italie n'étaient point du tout embarrassés de faire mon
proQI, qu'ils prenaient bonnement buïte, médaillon ou médaille
d'Alexandre et qu'ils en taisaient des choses qui me ressemblaient
toul comme d'autres. Il a un camée lait comme cela que tous
jbïGoogIc
618 LEiTTHES DE GA.LIAM
le laps du temps ne refroidissent voire amilié pour
moi. Toujours des souvenirs tendros, des compliments
sincères, et, qui plus est, des présents de voire pari.
Je vous rends bien la pai-eille sur les deux premiers
articles, mais quant au troisième, on pourrait bien en
dire autant qu'on en dit ù Louis SIV : des trois choses
que César lit, il ne fit que la troisième.
Le prince Joussoupof m'a remis le manchou, dont
vous l'aviez chargé, .\dniirez ma simplicîlé et ma
crasse ignorance en Toit do pcauK d'animaux morts,
car sur celle des vivants je ne suis pas autant ii
l'obscur. Je ne connaissais cfue les peauK d'agneaux
morts-nés, ratiuccs ou Irisées, el je n'avais jamais
encore vu les dainasquées (et c'est ainsi qu'on les
nomme). Il m'a donc paru que le manclion a^-ait été
furieusement endommagé par la pluie et le voyage, et
me voilft au désespoir. J'envoie ensuite chez les mar-
chands pour lâcher de réparer le désastre, et quel
est mon étonuement d'apprendre que ce vice est une
beauté, que tout est naturel rt qu'il n'y a rien de
si précieux. .\gréez donc mes remerciements en
proportion du présent en lui-même, et de la marque
de votre souvenir, qni m'est encore plus chère.
les amateurs de ma pti.vsiuDomie veuleul eopiet comme tris
reBsitmlilaoL. Celte aveDlurc a fait que je me suis arnt.'*
(CorresponilMice de Calherine.) C'est au comte Schouviloffqu'ett
adreuËe la correspondaDce littéraire de Laharpe.
jbïGoogIc
LETTRES DE GÀI.UM U9
Le suadil prince m'a appris on même temps deux
nouvelles de vous, l'une très désaftréahie, l'autre ravis-
sante ; il m'a dit que vous aviez soulTuit une terribl^
maladie l'été dernier, et voilà le mauvais, mais que
vous en étiez réchappé, et que la santé, les médecins,
et mes vœux peul^tre aussi, vous engageaient h re-
tourner en Italie, et voilà le bon . Faites donc cela.
Revenez. On ne meurt jamais ici que de plaisir, et
nous tâcherons de ne pas vous en rassasier. Ne croyez
pas qu'il y ait loin de Pétersbourg à Naples. Il y a au
vrai une Pologne :i traverser, mais tout le reste est
Le prince de Francavilla mourut hier. Il aurait dû
j^tre le plus heureux, puisqu'il était le meilleur des
hommes. Hais pour être Heureux, il faut mieux être
avisé que bon.
Nous possédons les comtes du Nord ' depuis ven-
dredi au soir. Nos souverains allèrent à leur rencontre
et les recurent autant dans leurs bras que dans leur
cœur. Ce que je vous dis là est vrai au pied de la
lettre, et si je ne persuade pas de cette vérité tout le
monde, vous le croirez sûrement, puisque vous con-
naissez te caractère du roi et de la reine. J'eus Ihon-
I. Le grand-duc «L ti grande -duchesse de Russie qui voya-
geaient en Europe. Catherine, par l'intermidlalra de Grimin,
aiaii préTBDU Galiani de leur pasaage en lui recommanda ni
d'aller )e* voir dès leur arrivée î Naples.
jbïGoogIc
630 LETTRES DE GALUNI
neur de leur ëlre présenté samedi par la reine même,
et j'en ai reçu un accueil si gracieux que la tète m'en
tourne. Hais comme il n'y a pas de roses sans épines,
je m'attends à ce que certains beauii-esprits de ma
chère patrie ne me pardonneront jamais cet honneur,
comme ils ne m'ont jamais pardonné celui que me
firent l'archiduc et l'archiduchesse de Milan.
Je suis pour le moment occupé d'un ouvrage sur
les droits des souverains neutres, mais il ne sera pas
achevé d'imprimer au dépari des grands-ducs. Ainsi,
je ne puis vous faire d'autre présent que de mon
ancien ouvrage délia Moneta, que je viens de réim-
primer avec des notes. J'espère que quelque seigneur
de la suite des grands.ducs voudra bien s'en charger.
Puisse-t-il se présenter d'autres occasions pour celui
qu'on imprime à présent, mais ne vaudrait-il pas mieux
que vous vinssiez vous-même le recevoir du ma main.
Vous me trouverez toujours rempli de reconnaissance.
Votre très obéissant serviteur.
jbïGoogIc
LETTRES DE <:Ar.IA^r
A MADAME DU BOCCAGE '
Napl«?, iB (éirlar iiu.
Ma belle dame,
Rieu de plus aimable que la lettre que vous m'avez
fait l'hoaueur de m'écrire; elle m'a fait d'autant plus
de plaisir, que je me croyais oublié de tout Paris.
Madame d'Éplnay ne m'écrit plus ; elle est malade, et
c'est au milieu de ses souffrances qu'elle travaille,
qu'elle reçoit use palme académique ' . Je ne
1, Marie-Aaoe Lepage, née & Rouen d'une bonordble ramllle
bourgeoise, épousa un Snaocier normaDd, H. Joseph du Boc-
cage> ■ Nous loupioniquelqueroii ichei madame du EÎoecage, dit
MarmoDtel. Elle avait, comme madame Geoffria, une société
littéraire, mais inflnlment moins agréable et analogue à son
humeuf douce, froide, polie et (Hâte. J'en avais été quelque temps,
mais le sérieui m'en ëloulTuit, et j'en fus chassé par l'ennui, v
C'est dans cette maison que te docteur Johnson vit un soir ie
valet de pied prendre le sucre eaire tet doigta et le meUre dans
le café : e J'étais sur le point de refuser la tasse qu'on m'olfraii,
dit philotOF^iquemeol le docteur, miia apprenant que le café
était fait pour moi, je me décidai à goûter les doigts de Tom. >
3. Madame d'Eplnay avait obtenu le prix Montyaa pour ses
Coaverialiont SÉinilie.
jbïGoogIc
632 LETTRES DE GAl.IAM
suis poiot étonné du prix, mais de l'ouvrage, que je
connaissais, et qui, à mon avis, eût remporté le prix
dans toutes les aoidémies du monde ; c'est une véri-
table production du coeur; et voilà sans doute ce qui
lui aura fait donner la préférence sur la pièce de ma-
dame de Genlis; elle n'avait, dites-vous, que ce seul
concurrent; mais c'était bien assez. Ne parlons ni de
la plume ni du cceurde l'auteur d'Adèle et Théodore;
c'est là peutrétre son moindre mérite, mais son crédit,
mais des amfs si puissants parmi les quarante. Qu'aura
dit le perroquet La Harpe? Ce qu'il y a de plus admi-
rable en tout cela, c'est que deux femmes seulement se
soient disputé le plus noble de tous les prix. J'en
connais une troisième, dont la muse eilt à coup sûr
partagé les juges, si elle eût daigné concourir; mais
elle se contente d'une couronne '.
Vous me demandez des nouvelles de Rome; que vous
dirais-je qui ne vous soit connu? Mon dernier séjour
dans celte capitale fut de courte durée, et toujours je n'y
vis le lendemain que ce que j'avais remarqué la veille,
des hommes métamorphosés en femmes, des nuées de
pauvres gras comme des chanoines, des religieux sans
religion, un désert à midi, un palais à minuit ; telle
est l'idée que j'ai conservée de cette ancienne maîtresse
du monde; c'est donc beaucoup moins dans mes
1. Allusion à la Couronne que madame du Boccage avait reçue
des mains de Voluire. (Seriejs.l
jbïGoogIc
LETTRES 1)E CALIANI S3
récils qu'il faut chercher Rome, que dans certaiaes
lettres sur l'Italie, d'une dame pour qui, dit-on, un
grand cardinal se fit homme '.
J'accepte avec une vive reconnaissance l'offre que
vous me faîtes d'être, au défaut de madame d'Ëpioay,
ma correspondunte à Paris ; en cela votre amitié vous
eût imposé, il y a quelques années, une tAche pénible;
maintenant je ne sais plus lire, ni écrire, ni penser;
jevis commeélrangeraumonde. C'est à vous, madame,
c'est &VOUS de me rendre à la vie, en continuant de
me donner de vos nouvelles; à ma résurrection ne
fait pas autant de bruit que celle de Lazare, si non
scribentw hœc m generatiorte altéra, ce prodige n'en
fera pas moins époque dans les annales de l'amitié, et
soD souvenir n'en restera pas moin» dans le cœur de
celui qui est très respectueusement, etc.
P. S. — Veuillez bien me donner des nouvelles de
madame d'Épinay, de la vicomtesse, de Marmonlel. et
autres anciens amis'.
1. Allusion au bon mot du pape Benott JIV, en vajint le
rardiniIPusioneiaeproiDPDeravec mtdamedu Boccage. (Sertejs.|
2. Nous n'arons pas TOulu Buppriner cette lettrequln'eiiiiteque
dins rédlllon Sériera, mais nous jommea persuadé* qu'ellf n'eji
pas en entier de Gali«ai.
jbïGoogIc
r.ETTtIKfl DE GAI.IA'II
Madame,
» d'Ëpinajr n'est plusl j'ai donc aum cesa#
d'dtrel Voua m'aviet proposé, dans votre daroière, de
continuer avec voui la cori^apondance que j'eus l'hon-
neur d'entretenir si longtemps avec elle ; je uns tout le
prix du saorifloe que tous daignez vous Imposer; mois
comment pourrais-je y répondret Mon oœur n'est
plus paTTQJ les vivants, il est tout entier dans un tom-
beau. PardoRDe»-moi, madame, si je vous écris avec
tant de franchise, si je vous montre tant d'ingratitude.
Madame la vicomtesse qui me donna si souvent
des nouvelles de sa pauvre mère, n'a pu se résoudre à
m'apprendrc Une Si grande perte; c'est vous qu'elle a
priée de remplir cette triste mission : elle ne pouvait
mieux choisir; qui mieux que vous soulagerait ma
douleur, si elle était susceptible de soulagement? Nais
jbïGoogIc
LETTRES DE GALrANF (iK
il n'y en a plus pour moi ; j'ai vécu, j'ai donné de sages
conseils, j'ai servi l'ËUt et mon maître, j'ai tenu lieu
de père à une famille nombreuse, j'ai écrit pour le
bonheur de mes semblables, et dans cet âge où l'amitié
devieut plus nécessaire, j'ai perdu tous mes amis! J'àl
tout perdu! on ne survit point à ses amis.
Encore une fois, madame, daignez me pardonner è(
croire que si je n'ai plus la force de vous écrire, je
n'en conserve pas moins le souvenir de vos bontés et
le désir de vous prouver, tant que je serai condamné fi
traîner encore une misérable existence, avec quels seii-
linientsj'ai l'houneur d'f'tre, etc.
•'la reine CAROLINE DE MAtiLES AO COt^SEILLBB
rERDI-tAIttl GALIANf
Monsieur le conseiller,
ie vous éaii pour veus eiprimer le cha^n qve
j'éprouve de perdre en vous un homme aussi utile au
i. Cette lettre nous a été communiquée par M. ûettïdj,
directeur de rKceic, ffaD;alK d'archéologie à Rome. Elit ie
jbïGoogIc
C» LETTRES DE r.ALIl?EI
service do roi et de la patrie. Je tieos eu raCme temps
à voiu assorer qne j'aoni grand soin de TOtre nitee ai
faveur de laquelle tous m'arei parlé antrefois. ie
m'efforeeraj de montrer aiosi ma ^titnde pour tos
Hais après aTOir essaye de \'oas traaqDtlIiser sur ceox
t|ai TOUS sont cbers. je ne pais m'empficber de voua
parler de Tous-même, et je crois en ceb tous être
utilr et TOUS donner la plus grande preuve de ma
reconnaissance.
Vou.1 êtes sur le point de frani^iir ce passage suprême
qui conduit à b vie élemclle, et de rendre compte de
l'emploi de votre existence terrestre, ausH bien que des
remarquables facultés que la Providence vous avait
départies. Quel» que soient la gravité et le nombre de vos
erreurs. Dieu fst infiniment miséricordieux, et cette
maladie, pendant laquelle il vous laisse toute votre intel-
ligence et l'entière possession de vous-même, est uo effet
de sa bonté sans limites. Hais craignez d'en abusa- :
abandonnez, je vous en conjure, cette fausse idé« de
vouloir montrer nn esprit fort, qui n'est qu'un entête-
ment irréfléchi. Fruit d'une vie licencieuse. Ne vous
souciez point des flatteries de ces faux amis qui vous
entraînent à la perdition étemelle. Croyet-moi, jeiez-
jbïGooglc
LETTRES DE GALIAM 637
VOUS daas les bras du Dieu de miséricorde, renODcez à
vos erreurs, éditiez par uae ha exemplaire ceux que
votre conduite a scandalisés ; réparez ainsi le mal accom-
pli! Vous recueillerez de cette façon l'estime, leséloges
et l'admiration de tous.
La reconnaissance même que j'ai pour vos fidèles
services et l'admiration que m'ont toujours inspirée
votre esprit et votre génie, me jettent dans une vive
inquiétudedepuisqueje vous saisdacs ce péril imminent.
Je voulais vous parier ; j'ai appris que vous n'étiez plus
en état de sortir ; je me reproche amèrement de n'avoir
pas mis à profit les derniers jours oîi je vous ai vu.
Ënlin, écoutez ma voix, jetez-vous dans les bras du
Dieu de miséricorde, du père qui pardonne; offrez-
lui votre mort pi-ématurée, vos souffrances, vos peines,
et réparez par une fîo édifiante le scandale que vous
avez donné. Refusez voire porte aux fbux amis (jui
vous flattent. Quant à moi je méprise leur conduite.
L'espérance de vous faire rentrer en vous-même et
de vous rendre ainsi le plus grand des services m'au-
rait engagée à venir en personne, si mon rang ne me
le défendait. Remerciez l'Être Suprême de vous avoir
doué de si grands talents ; repenlez-vous de l'abus que
voas en avez fait, et profitezde vos derniers instants pour
expier vos fautes, réparer le scandale que vous avez
donné, et rentrer en grâce auprès de ce Dieu de misé-
ricorde (jut vous ouvre les bras pour \'ous presser sur
jbïGoogIc
63e LETTBES D£ fiiLIANl
scw .tiwur, pour vous panloimer et voue macbce sa
:^ce.. Vous fwe^ Uop li'ûiteUigeuqe, i'«o suis sàe, pour
-dwtor .4e i'esisUkace de tx ItûMi. Autour de vous, tout
J« ^iCiMUte ; MiMt «e ^^ vous «rriy« e&l dirigé par b»
main puissante ; je ne cbercherai pas À vous démcratrer
«iiue ichosedwt voi^ êtes déjà coavaincu, j'en suis.cer-
taiae:; iletcwraDt des passions, uxie société dangereuse,
ttittUi du j)jftn auront été la cause de tos enei|tf6 accu-
BHiléee, utaie il «stlemps encore : la Iwteur de votre
«44^1 vaw jn^uiélude, la lettre ^ue je vous éciis
«ont autant de .preuves de la miséi;icoEde divine, qui
vous tead les bras pour vous presser sur son sein. Pio-
titee^W, je vous eu conjure. £di&ez-aous par voire
&a ; qti'^Ue soit celle d'UQ liéroB chcélien, converti,
capeataitt et résigné, estimé plu6«ncore après sa mort
,^ue pédant sa vie. Recevez mes avertissements, ils
partent d'un Kxeur Irataruel, abandonnez toute pensée
terrestre. Je m'oocupecai de vos pai-uats. Si Dieu, qui
est ,tout-puiefiant veut vous guérir et .voue sauver, j'en
aurai une grande joie, mais remettez <tout entee ses
.mains paternelles et miséricordieuses, fiez-vous à lui ;
.édifiez.ceuK ,qui vous entourent, réparez les scandales,
jrepentez-vous de vos erreurs, supportez vos souffrances
avec résignation .et comptez avec c^titude sur la misé-
ricorde inliqie. >Celle qui est ipénétrée ,de .votre perte,
Caroline.
jbïGoogIc
teïTJlSS BE «4t,IÀSI
'*^6A.L1ANI A LA REINE CAROLINE DE NAPLES
Neplps, I» oMobrB f
Parmi Jes miséricordes iotUiias ,Que te .Cwl m'*
accordées, je regarde cQDame une de ses J«.vcDrs Jas plus
rares, d'avoir ému l'âpe ^pieuse de Voiae Jt|»>«até, i
ce pQiat que la Aeine eUe-m^e méat «ne jtBea^ar de
rentrer dans le geôlier de la vertu, du .de.v!cur «t ,dv
aalut éternel. Je recoDoaitrai toujours .daiis .une toUe
.action une «ouveraine aussi litndcc .yue ,1a iseillQnoe
des mère^ et j'en rendrai étecneUemeat .giftce au Très-
Haut.
Cependant, pour 4tre vrai, je dois dire .gue Aion
ei^t n'e^t poiot aussi éloigné .du droit .ohemùi (|ue
pourraient Je faire .croire les doutes let lee inquiétudes
gu'ei^prime Votre U^eslédans sa très. clémente .letlte.;
je ,De veux point nier que je iCaie été .qt que je pe
jbïGoogIc
640 LETTRES DE GALIANI
sois isncon.' un pécheur, et jo prie continuellement
le Ciel d'user envers moi de miséricorde.
Mais je puis affirmer que les maximes de l'éter-
nelle morale et de la viritabb religion chrétienne sont
toujours restées gravées dans mon esprit. Je prie Dieu
de me les conserver telles jusqu'à la fin. J'en donnerai
de constantes preuves en toute occasion, et cela ne me
coûtera nul effort.
Je me sens encore assez de force pour conserver
l'espoir de baiser de nouveau les mains de Votre Majesté
et aussi de la servir jusqu'au terme de ma vie ; mais
ce tenno est prescrit par Dieu et n'est connu que de
lui seul. Toutefois, si les médecins en jugent mieui
que moi et que leur sentence soit sans appel, ce sera
une bonté infinie de. la part de Voire Majesté de ne
point abandonner (et elle me le fait espérer) ma belle-
sœur, la marquise Galiani, et son mari D. Tolomeo
Rorsi, et de faire obtenir à ce dernier l'avancement
qu'il a mérité depuis longtemps par sa bonne conduite
et ses loyaux services.
Puisque la bienfaisance de Votre Majesté est iné-
puisable, j'ose la prier encore de vouloir bien présenter
l'avocat D. Francisco Azzarriti, mon jeune parent, pour
l'emploi de secrétaire du Tribunal de Commerce; j'ai
en partie élevé ce jeuue homme ; jo l'ai guidé dans sa
carrière; les magistrats ne pourront que me remercier
de l'avoir proposé.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALlANt 641
Je ne voudrais pas lasser la patience de Votre Ma-
jesté, surtout par un mouvemcot qu'on pourrait taxer
d'orgueil, mais il m'esl impossible de ne pas dire quu
si j'ai de nombreux péchés k me reprocher comme
homme et comme chrétien, je ne puis m'en repro-
cher un seul ni comme magistrat ni comme sujet.
Je suis aux pieds de Votre Majesté.
Les trois lettres suivantes, qui sunL incdilcs, mtus sont
parvenues trop lard pour pouvoir Hn placées à leur date.
Sur ce que Votre Excellence me fit l'honneur de
me communiquer vendredi au soir, en présence de
M. l'ambassadeur d'Espagne», au sujet de ce que M. de
Basquiat* lui aurait écrit de Napics, touchant l'af-
(aire delà prise de la Partenope*, mon devoir ne me
1. CommuDiquée par M. Piertntoni.
2. Le mirquis Grimaldi,
3. Premier secrélaire de l'ambassade de France t Nsples.
4. La Parlenopt était un narire napolilam chargé de tabac et
Btilres marchandises de coDlrebande- Il fut saisi per des cor-
II <tl
jbïGoogIc
us LETTRES DE Q&LUMI
penDût pas de négliger d'assurer à Votre Eicellence;
que je n'u reçu d'autre ordre de nu oour, que de pré-
seater una rinasenta et amtca tuwuria, pour cl>leair
de Sa Uajesté Très Catholique la révocaUoa de l'irré-
gulLère sentencd émanée du Conseil des Prises. Et*
comme rien, assurément, ne doit être plus éloigné des
intentions de la cour de Naples. que de vouloir avoir
recours à d'autres moyens qu'à ceux auxquels elle est
accoutumée, et qui sont conformes à la parfaite har-
mooie qui règne entre les deux cours, je ne nnrais
me persuader qu'il n'y ait eu quelque mit enUmdu
dans cette affaire qui, par sa petitesse et sa nature, est
incapable de douner aucun nujet de plainte. Sur cela,
j'ose supplier Votre Excellence de vouloir bien m'ac-
corder la grftce de suspendre toute explication de
ressentiment à ce sujet, comptant que j'aurai l'hon-
neur, mardi prochain, de parler à Votre Excellence, et
de lui faire voir, par des preuves incontestables, la
vérité de Ce que je viens de représenter.
Je suis. Monseigneur, avec le plus profond respect,
le tréa humble et très obéissant serviteur de Votre
' Excellence.
Mires français, quoique sous (Mvilldn uipaliMin et, malgré ions
les elTorta de Calîtni, déclaré de banne prise pir le Cooteil des
Prises. Il s'si;ijsait de faire révoquer cet arrêt. Taoucei anit
cette affaire à cœur, noo pour h chose en elle-m£me, mais
couinie principe à l'égard du respect dd au parlllon nspolitaio.
Galiani parrinl, mu faire rtroqner la déeition, k obtenir une
iDdemnllé.
jbïGoogIc
LETTRES DE 6ÀLIAII1
Rue Neuve- Sud l-Roch,
au bureau des Gazettes.
McuK^er ami,
Vous avez ea un manuscrit qui ne poovsît s'appeler
qu'un embryon informe. 11 y avait dix mille béttses
dedans. L'ouvrage (f un homme qoi n'a ni livres, ni
temps, ni eude de se faire imprimer ne saurait jamais
ètreautrcmeuE.
Je ne puis arouer ni permettre qoe tods imprimiez
autre chose que la feuille que je tous ai envoyée, et
dont la continuation jusqu'à l'ode 31 fous sera parvenue
à cette heure. Vous ne m'avez rien dit| rien averti)
rien communiqué, ainsi vous ne pouvez vous plaindre
en rien de moi. i'aurais bien à me plaindre de vous si
vous m'imprimiei malgré moi. Mais je n'ai pas la
t. Communiquée par HM. Futtick et SlmpMo, iTec l'antorisa-
tioa du possesseur actuel. H, tumea Alitou, libraire à Barrow
in Furneu (Angleterre)-
jbïGooglc
eu LETTRES DE GÀLlàHI.
Ibrco de vous empêcher de commettre un mme de
lèse-amitié et de trahison liltératre. Au reste, il y va
autant de votre honneur à applaudir à des bfitises,
qu'i moi de les avoir dites. Je crois qu'une misérable
brûlure d'une demi'feuille, dans un siècle où on brûle
tant de papier, ne saurait pas tenir contre des consi-
dérations aussi graves et aussi puissantes.
Qui est-ce qui vous a dit que mon livre ne sera pas
imprimé? Quoique tout le monde m'ait abandonné,
est-ce que je ne pourrais pas, moi tout seul, le lécher
tant et tant qu'enfin j'en fisse un ours?
Souvenez-vous que l'honneur, la foi, l'amitié, l'ob-
servance (tes paroles données, sont la mesure des sen-
timents que je vous ai voués, et avec lesquels j'ai
l'honneur d'être votre très humble et obéissant ser-
viteur '.
t. C'eit par lea soin) de M. Edmond CotUnet que nous avons
eu rommunication de celle lellre. Nous smimes benreoi de sai-
sir cette occasion de témaigaer t l'ami et au letb^ loule notre
raeannalsMnce pour le concoors si dévoué et si utile qu'il a bim
voulu nous fréter.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIANI
■ A DALEHBERT
Je VOUS lais, moo cher d'Alembert, mes adieux; je
n'u pas eu le courage de prendre congé de vous; ce
soat des moments terribles pour un coeur sensible de
se séparer pour toujours de ses amis et des personnes
qu'on aime et qu'on estime et bonore, et qui ont Doit
le bonheur de ma vie pendant moq séjour dans ce
pays^l. Adieu, mon cher ami, je vous écrirai, et
j'espère que vous me donnerez quelquefois des nou-
velles de votre santé, et mo direz quelque cbose du
courant des sciences, au moyen de quoi je pourrai
encore croire n*étre pas sorti de ce monde. Adieu,
mon cher ami ; souvenez-vous de moi dans vos char-
mantes sociétés; j'aurai toujours dans mon cœur le
doui et tendre souvenir d'un ami si digne et res-
pectable. Vale.
i. Communiquée par M. Dubranbult. Celte lettre, icrlte m
moment où GtllanI paruil dé^eapéré de Paris, porte l'eraprelnie
du plus grand trouble, et d'une as»ex grande confusion d'idées
et de itjrle.
riH DU TOHK SKCOND
jbïGoogIc
bïGoogIc
APPENDICE
Voici ce que Diderot (Corre^randance «vec inadamolulla
Voland.) dit de H. Leroy :
■ Comme nous élions occupés un de ces apiès-midi, le
père Hoop, te baron et moi, k faire une partie de billard,
on entend le bruit d'une voiture lâgère sur ts chaussée;
la porte du billard s'ouvre aubilement. C'est madame d'Hol-
bach qui entre et qui nous demande» avec une Joie qui
rayonnait autour de son visage comme une auréole :
■ Devinez la visite qui nous vient* 7 Comme nous ne
devinions personne qui nous aimflt assez pour venir s'en-
fermer avec nous par le temps qu'il Taisait : * C'est H. Le
Roy *, nous dit-elle. Nous allSmes tous l'embrasser. Si
TOUS saviez combien je l'aimo, vous sauriez aussi combien
it m'a été doux de le voir. ■
jbïGoogIc
LETTRES DE GAIIAM
Madame Helvélius élait une demoiselle de Ligniville:
■ C'est une femme très aimable, qui s'est fait un caractère,
qui l'a aSranchie au milieu de ses semblables toutes es-
claves. > (Diderot à mademoiselle Voland. 1760.) — Fon-
tenelle, flgé de 97 an^ lui adressa un jour ud mot charmant:
> Venaut de dire a madame Helvètius, jeune, belle et nou-
vellement mariée, mille choses aimablea et galantes, il
passa devant elle pour se mettre à table, ne l'ayant pas
aperçue : • Voyez, lui dit madame Helvètius, le cas que je
dois faire de vos galanteries : Vous passez devant moi sans
me regarder. — Madame, dit le vieillard, si je vous eusse
regardée, je n'aurais pas passé. i> (Chamfort).
lU
La sévère madame Necker ne craignait pas d'écrire à
M. Mejster :
< J'ai lu plus d'une fois, avec un grand plaisir, le pK'-
cieux manuscrit de mademoiselle Clairon; témoignez lui,
je vous prie, combien je suis sensible à la flveur qu'elle
m'accorde. Sa manière d'écrire et de converser a pour moi
un attrait particulier ; c'est im je ne sais quoi d'une per-
fection idéale et cependant réelle. >
IV
Voici comment Grimm, dans sa correspondance littérair
explique le terme de juveigneur.
jbïGoogIc
APPENDICE 849
• On appelle ainsi un cadet apanage; M. le duc d'Orléans
csl juitigneur de la miiâon de Franco. Ce mot est peut-
Atre uno corruption du mot junior, dont les C^rs du
BoS'Empira appelaient ceux qu'ils associaient à l'Empire.
LBTIRE DU 5 SEPTBVBBR 1772.
Son Hisloîre pitilosojih-'que et politique des itabliiaetneiit; cl
du commerce des Européens dam les deux Indes lit un bruit
i>norme. L'ouvrage parut sans nom d'auieur.
tirimm reprocha à l'abbé d'avoir manqué de méthode,
de simplicité, de justesse, mais > nous n'en admirons pas
moins, ajuute-t-il, le^ sublimes beautés dont cet ouvrage
est rempli. Depuis l'Iîxprrt des Loin, notre liiléralure n'a
peut-être produit aucun monument plus digne de passer à
la postérité la plus reculée i.
Diderot avait imaginé l'inscription suivante :
PB0VL1CATIS BOBTIUH ARMIS
WONUHB.tTCH POSUIT
CATHABINA
nOHIH* SBCUXDA
ANNO 1772.
jbïGoogIc
«» LETTRES DE GALIA>'t
■ Je n'aime pas trop cette inscription, dit Grimm
En conséquence de ces considérations, je me suis adressé,
pour ma propre satîsfaaion, à l'abbé Galiioi, et je lai ai
demandé une iûscription selon mon goût pour la statue
de Pierre-le-Grand. »
LETTRR nu 19 DiCEMBBlîlTia.
Voici comment Grimm appréciait l'ouvrage de Thomas ;
■ Sophie Arnould, plus Justement célèbre par les saillies
de son esprit que par son chant asthmatique, ayant Je ne
sais quelle affaire de cheminée & discuter avec lemiaislrs
qui a le déparlement de Paris, H. Thomas, de l'Acadéniia
française, lui dit : « Mademoiselle, j'ai eu occasion de voir
■ H. le duc de laVrilliëre et de lui parler de votre cheminée;
1 je lui en ai parlé d'abord en citoyen, ensuite en {diilo-
■ sophe — Eh! monsieur, iuien-ompii mademoiselle Arnould
1 c; n'était ni on citoyen ni en philosophe, mais en
> ramoneur qu'il fallait parler. ■ Je crains qu'il n'en soit
des femmes comme des cheminées : quand on veut en
parler et surtout écrire, ce n'est ni en citoyen ni en philo-
sophe compassé et didactique qu'il faut traiter ce chapitre,
mais en homme sensible, avec un style plein de gr&ces,
de magie et de charmes. ■
VIII
LBTTKB DU 19 DiCIHBRB ITTl.
Pour expliquer ce passage nous ne pouvons que dier cet
entrait de Bacbaumont:
jbïGoogIc
APPENDICE 651
c Des lellres partîculiëres de Venise porter t qua HoDcenigo,
un des grands de cette République, ayant été atteint et
convaincu du crime de sod...., a été condamné h être
mis dans tin sac et jeté h la mer, au moment où il se
disposait à remplir une place importante dans une Cour
étrangère, à laquelle il avait él^ nommé. Au surplus, ou
dit que ce supplice est celui adopté par l'ancienne légis-
lation romaine. * (Bachaumont.)
Le duc de Villarg, que Galiani met sur le même pied
que Honœnigo, éUit le fils du célèbre maréchal de Villars.
Gouverneur de Provence, membre de l'Académie française,
il cultiva les lettres jusqu'à la fin de sa vie et fut intime-
ment lié avec Voltaire.
IX
LBTTSE DO 3 AVBIL 1TI3.
Miraelt dt minCjofieùr.
Nous trouvons dans les Mémoires de Gleichen quelques
détails fournis par l'abbé lui-même sur cette fameuse
relique. — On sait qu'elle se compose du sang de saint
Janvier, conservé dans de petites fioles.
■ Ou voit dans le fond de ces fioles, à la hauteur d'un
d(Mgt, une matière qui ressemble à de la poix-résine fort
brune et dure, laquelle, quand le miracle sa fait, s'élève
subitement en bouillonnant et remplit tout a fait les petits
vases.
* L'abbé Galiani, qui a observé tout ceci plus souvent
et encore mieux que moi, et qui, de plus, se fondait sur
l'autorité de son oncle, archi-chapelain du roi, et qui, par
ses relations avec tout le clei^é, pouvait être encore plus
instruit que mol , prétendait que cette relique était si
jbïGoogIc
6il LETTRES DE GÂLIÀNI
aocienoe qu'on en avait absulument perdu la véritable
liutoire, que le clergé de Naples agissait de boane fd,
qu'il ignorait parfaitement le secret de ce tour de passe-
passe, et qu'il s'opérait Traiseniblableœent par la cbaleur
extérieure, et peut-être par un certain coup de main pres-
crit ou accidentel .
t L'abbé Galiauj, dans la tête duquel chaque explication à
donner prenait une tournure ingénieuse et instructive,
employait le mystère de ce miracle pour commenter un
passage d'Horace qui, parUot dans son épître du voyage
à Brindisi des fourberies religieuses de ce pays-U, dît :
( Thura aine igné liqueraciunt, credal Judoeus Apella >.
• Ils liquéfient de l'encens sans employer du feu. Il fau-
9 drait être un Jttif comme Apella pour le croire. ■
a 11 y a apparence que les premiers prêtres chrétiens
auront trouvé ce secret chimique, et croyant que celte
gomme brunêtre ne ressemblait pas mal à du sang caillé,
ils se seront dit: > Voîli une escellenle chose qui peut nous
être aussi utile qu'aux prêtres païens, » ils l'auront employée
comme fraude pieuse, très utile par le grand succès qu'elle
a eu. 0
{.Vémoirfs du baron de Gleichen.)
X
.BTTRB BD 3 AVRIL 1173.
Walpole, dans ses souvenirs, parle aussi de la dtuation
toute nouvelle qu'avait créée l'exil de Choiseul :
1 Le duc de Choiseul avait reçu l'ordre de se retirer
dans les propriétés de sa femme en Toùraine, où il avait
bflli un château magnifique. Bien qu'il fût criblé de dettes,
il y vécut avec nn surcroît de profusion, en conservant
jbïGoogIc
APPENDICE U3
uu en Bflèclaut de conserver eod eatrain et sa légèreté
naturels. C'était un speclacle tout nouveau pour la France
de voir un miuîstrc disgracié rester l'objet de la vénération
et de l'amour ; il était aussi nouveau de voir le roi devenir
impopulaire, ou, ce qui est synonyme dans ce pays,
démodé.
(Waîpole- Mémoires du régne île Georgra lll.
Année 1771.)
Le comte d'Aranda, que nous avons vu longtemps ambas-
sadeur en France, avait été premier mir.istre en Espagne
et son administration avait été remarquable par son énergie
et par son intégrité. 11 avait plus de jugement que d'esprit,
plus de télé que d'habileté, mais son inébranlable fermeté
suppléait à tout. —Il terminait toutes ses phrases par» com-
prenez-vous >, et celte mauvaise habitude était quelquefois
plaisante. Un jour, qu'il jouait au pharaon, chez la princesse
de Lamballe, le banquier, voyant qu'il se trompait, refu-
sait de lui payer un roup qu'il avait gagné, l'ambassa-
deur soutenait sa prétention avec toute la fierté castillane;
enfin voyant que le banquier ne se rendait pas, il siùsit
le grand chandelier qui était au milieu de la table, en lui
disant: > Corn prenez- vous , que voilà un chandelier et
qu'il est pour vous jeter à la tête, comprenez- vous ? > Le
banquier le comprit si bien qu'il se sauva de la chambre
et qu'on eut beaucoup de peine à le ramener. Ce n'est pas
une des moindres preuves de la force de caractère du comte
d'Aranla que de s'fire rorrigr tu H h coup sur une seule
jbïGoogIc
fit LETTRES DE GALIA.Ni
plaisaDleriQ de madame de BeauTSu de soa élerael • eora-
preoe^vouB >.
Duc de Lévis (Mémoire*).
LBTTBB DU 28 AOUT 1773.
Galianî exprime encore cette même idée, que les héros
DBÎsseat maintenant dans le Nord, dans un sonnet dédié
au duc de Brunswick.
{Correspondance littéraire de Crimm.)
LBTTBB DU 83 AVHIL 177*.
Quelque respect que nous ayons pour les lumières du
sublime iibbé, nous sommes fort tentés de n'être pas tout
h fait de son avis. Les grands hommes ont presque tou>
jours été mieux appréciés par la posléritéque parleur propre
siècle, témoin Homère, Millon, Galilée, Descaries et luit
d'autres. La raison en est .simple : Un grand homme ne
l'est qu'autant qu'il est vraiment supérieur à son âiècte,
et L'on ne peut être bien jugé que par ses pairs.
(Correspondante litUraire de Grimm.)
Madame d'Oberkirch dit du comte d'Albaret :
'" J'avais «lé invitée à un concert de jour chex le comté
jbïGoogIc
APPENDICE S5S
d'Albaret. C'était un Piémorttais fort riche qni avait des
musideos "à lui, demeurant chez lui, ne sortant Janiais
uns aa permission.^ Il eut fou de musique, il a un salon
exprfe), où l'on en lait toute la journée, ausii ses concerts
riiaient-ili excellents. Ils passaient pour les meiltears de
Paris. •
LBTTBB d'octobke 1774.
Le maréchal ayait l'habitude d'user* du viens style et il
y avait son franc parler. Le jour de la prise de voile de
mademoiselle de Lenoncourt que sa tante la comtesse de
Rupelmonde forçait à éire religieuse, et qoi ne fut sauvée
du cloître que par le marMial de Beauvau et l'archevêque
de Paris, le maréchal de Brissac ne pul contenir sa colère;
il se récria toul hautsur •■ la mani^ancieuse perrucliooneriË
de la laniAIre à l'endroit de sa tourierelle el cobmbine de
nièce qu'elle avait entrepris d'encager inhumainement et
déloyaument ».
Lorsqu'il élail major des gardes du corps, il voyait avec
impatience toutes les tribunes bordées de dames au salut
des jeudis et des dimanches, où le roi ne manquait guère
d'assister; el presque aucune ne s'y trouvait quand on
savait de bonne heure qu'il n'y viendrait pas. Sous prétexte
de lire dans leurs heures, elles avaient toutes de petitea.
bougies devant elles pour les faire remarquer. Un soir que
le rot devait aller au salut et qu'on faisait la prière qui le
précédait, tons les gardes étant postés et toutes les dames
pincées, arrive le major, qui, paraissant à la tribune du
roi, lève son b&ton, et dit très tiaui: « Gardes du roi, ren-
trez dans vos salles, le roi ne viendra pas. • AussilOt les
jbïGoogIc
6» LETTRES DE GALiÂM
gardes obéisseni, les petites bougies s'éteignent, et toutes
les femmes se retirent, excepté la duchesse de Guicbe,
madame de Daugeau, et une ou dea-L autres qui demeurè-
rent. Brissac avait posté des grenadiers aux déboacliés de
la chapelle, pour arrêter les gardes, qui reprirent leurs
postes dès que les dames furent aasez loin pour ne s'en
pas douter. Là-dessus arrive le roi qui, bien étonné de ne
point voir de dames remplir les tribunes, demanda par
quelle aventure il n'y avait per3onne. Au sortir du salut,
Brissac lui conta ce qu'il avait fait, non sans plaisanter sur
la piété des dames de la Cour. L^ roi en rit beaucoup,
ainsi que tous ceux qui l'accompagnaieat. L'bisloire s'en
répandit im médiate i&ent après, et toutes ces femmes au-
raient de bon cœur étranglé M. de Brissac.
{L'Ancienne Cour, tome 111, page 143.)
XVI
LBTTKB DU 37 MAI 1712.
Le 18 avril une émeute grave eut lieu à Dijon ; les
paysans saccagèrent plusieurs maisons. Le gouvernement
prit les mesures les plus louables pour faire diminuer le
prix des grains. Hais le mouvement n'en continua pas
moins; des bandes armées parcoururent le Soissonnais, la
Haute-Normandie, le Vexin, saccagèrent tout sur leur passage
et pénétrèrent à Versailles jusque dans lu conr du château.
Le lendemain elles étaient à Paris où elles pillèrent toutes
les boutiques de boulangers. Le lieutenant de police Lenoir
élait hostile à Turgot et avait montré beaucoup de mol-
lesse; Turgot le lit desiiluer,
jbïGoogIc
APPENDICE 657
Heureusement lo miil n'Alla pas plus loiu, Turbot prit
les mesares lee plus rigoureuses; une armée, sous lecom-
inaiideDient de Biron, Tut mise à la disposition du conirA-
leur général; ou institua une cour prévotale, et le H mai,
le roi tint à Versailles un lit de justice où il donna les
niutiis qui exigeaient d'aussi graves mesures.
Morellet n'était pas de Torce à répondre à Galiani ; voici
comment Diderot appricie sa rérutation :
g Vous désirez savoir mon sentiment sur l'ouvrage que
vous avez bien voulu me confier et que je vous renvoie:
Le voici : Je le trouve dur, sec, plein d'humeur et pauvre
d'idées. L'auteur ne me paraît ni assez pourvu d'expérience,
ni assez fort' de raisons pour briser son adversaire comme
il se l'est promis. 11 le calomnie en plusieurs endroits; il
affecte de ne pas l'entendre, ou il ne l'entend pas en quel-
ques autres >
XVIll
LETTRI DU 23DtciMBltE ITTâ.
La vie de mademoiselle Qairon chez son ami ne res-
semblait il aucune autre. Ni l'impératrice de Russie, ni
celle d'Allemagne n'avaient autant de caprices. C'était sans
cesse à recommencer; à peine un d'eux était -il salislïit
qu'il s'en présentait six autres, et toujours tragiquement,
toujours avec un étalage et des gestes à remplir un théâtre.
jbïGoogIc
ew i.ETTRIS DE SALIA.M
« Je crois que le bonnet de nuit de nmdemoisdle CUimn
••A une couronne d« papier doré, • disait Udy Craven. •
{ifémoiifs de madame d'Oberkirch'i.
Clairon nignaii à la cour du margr<iv<^ quand iaiij Craven
y parut; elk' oe [arda pas k supplanter la comédienne.
Après troU ans de lutte, Clairon qùlU la place. 1.^ mar-
grave fl lady Craven durent atieadre pour s'épauser, l'un
la mort de sa femme, qui était toujours muurante, l'autre
celle de son mari,qui ne valait guère mieux. Libres enfin
tous lus deux en septembre 1791, ils liniit tout de suite cé-
lébrer leur union. Le margrave mourut en 1806. — Kn
1S£(, la margrave publia ses Mémoires el mourut h Naples
en 1828. On trouve son portrait dans la nouvelle édition
anglaise des lettres d'Horace Walpole, avec lequel elle était
en ourrespondance. (T. VI, p. 371.)
Cirimm (Correspondance Hltéraire, avril 1776), cite une
partie de la lettre précédente en la développant et en
l'approuvant. Il déplore la suppreesion des jurandes et
des corps de métiers. « Les rangs, les titres, dit-il, les
prix établis dans toutes noa penaioni et dans tous nos
collèges sont les premiers motifs qui invitent potre enfknoe
Et s'instruire. Ne sommes-nous pas déterminés h Imvailler
dans un Age plus avancé par des motÉfs de même oatursT
Les bonneurs du l.auvre, les cordons, les titres, ont-ils un
autre objet? •
jbïGoogIc
Voici l'inscription [loiir madame de Pernou :
RAHULINS iSNILI^ OLTHPU S
tOMÊS ILSGAItTIA, OHNIDH
PBXTES QtlAH Bl
SEU ANIMI DOTirUS LONOe
IL 11 XtTURITATB, rACILLIMO
PUT ATS, BIUGIOTIE,
S[NOULAIll IK FATRBH REVEREHTIA.
TANTOQUe EBIiA VIE U II OBSBQUIO,
UT eu» LO MUTUIS OBaBHÏABTI* OITICllS
ANOFITI SEHPEH CERTAHINE COTITENDBRIT.
HDIC IH HSDIO «TA11S VLOBE IKTERCKPTf
>. n. PATIK T[£ TANT£
:. ANT. CABOLOS DUPLRI3
HOC EST AD PEBPETUAH BOLITDDINSH
ATQUB SORITODINBM BB8KBTATUS.
POSUBBDHT.
JbïGOOgIC
jbïGoogIc
II, A mtdama d'Éplnsy.— Naplu, 5 janvier 17T2. S
Lu reccLM de (ialli.— Le vin antiicorbDtiqae de
K. Le Hoï. — Dora. — Hadame Hecber el la d£-
cenc«. — L'inoculalloD.
ni. A la même. — Naplei, 11 janvier illi. ... 8
IV. A la même. — Naples, 35 janrier 1T13.
V. A U même.— Naples, 15 rirrler lT7i.
L'éul de GalU. — Se> frajeunl. — Le di
VI. k madame de Belmnee.— Naplea, fi (êrrier
jbïGoogIc
LETTRES DE CA!,r.\N[
Vil. Au prince hérédiUire île Sate-tiolha. — Xa-
ples, 26 févrlpf mi 19
VIII. Mailime d'Ëpiniy à Galiani tS
«6ve: madnnip d'Épinay se troil madcniDfielle
IX. .V madame d'£pinaj.-~i<Japles. St lévrier tTTi.
Béporue su révs de madame d'Épinay, ^ De la
\. A la m«n>e. — Naples, 7 mars lT7i. . .
Explicallon du tlire de JuBeiunrur, — Le vico
de HoDiboissier. — Cleîchen.
XI. A la même. - Naples, 14 mars 17». .
prince de Golba ai le duc de Glocester. — GalU ai
' ' lliiDculatloli.'- T.o miracle 'de l'hêmor relue. -
Juveoal el RabM,
U\. A la raéme. — Naples, il mars 1773
caliAUi ambllieai. —L'éducation des chats. — Mora.
Xill. A la iD#me. — Naples, 38 mars 1771. . . .
GatUel i'iDOGUlatlon. — Le T<n anliSCOrhalfque. —
Vnyage d'Anquelil aux Indes.
XIV. A la raêma. - Naple», H «Tril 1712. . . .
L'éiourdcria de HagaUen.
XV. A mail a me d'Épi naj. — Naptes, 25 «Tril 1772.
Histoire de l'tbbé candon. >- La reuile de Diderot
9ur l<>4 temmas. — L'histoire deSlam. — RMti re-
loutnc en France, — Recade pour !*• core.
XVI. A la ««me. — Naplu, 9 mai 1773. . . .
costumes de cour et de illle 'pour le baron Griami.
— L'uarice de lord Sbalbam*. —
jbïGoogIc
IVll. A raonsienr PelleriD. — .Nspin, 16 mal 17T2.
Le vicomta de Monlboliilsr. ~ Le pèr? Maznun,
l'abbé Xanpl, — Lps inédallle!i.
XVIII. A madame d'Ëpinaf. -Napltui, ï3 mai 1712.
DiiTéreare entra ladmlrAiton et lestime. — Mâ-
gallon. - U CondaiDine.
XIX. A madame de Beliunce.—Neplea, 30 mai 1773.
HtsWIre des chats.
XX. A madame d'Ëpinay. — ^sples. 6 juin 1713.
\XI. A la même. — ^apiea, 13 jain 1713 H5
imi Laninrelus. — Les bimanes.
IXII. A moDslFur le chevalier île Magailou. — Na-
ples, 19 juin 1773 »7
Le Fatal paquet. — Le!' loiiclieH île la reine, — La
Fologne et la Russie.
. XXIII. A madame d'Ëplnay. — Naplea, 19 juin 1773 89
GBlti. — EHicacilé des einpWlrei, — Lpb m(--
XXIV. A la m^me. - Niplea. S7 juin 1773 93
tmotiOD de Gallani en recevant une Jeiin' de
inailgme d'Kpioay. — Crimra mourrn d'aHliirPi -
^lai il<> crol^ninre. ~ Centrils t Hora.
XXV , A la mâme. - Naplea, 1 1 juillet 1773 V7
M. de Monlbolssier. - La IradiiclJaii de Juvénal.
XXVI. A u m#me. - Naples, IH juillet 1773 m
prlnci's morts; inscriptions sur leurs médailles: le
cliDléra iDorbaii : miracles d'une »ainie de Nnpies.
jbïGoogIc
LETTRES DE tiALIANl
XXVII. A Hodamc d'Ëpina;. - Napkes, 8 aoAl 1772.. lOi
XXVIII. A It même. — Napl». 13 •o<t' "?' 'M
Il fout écrire par la poste.
XXÏX. A la même.- Napln, 32 «oùt 1772. 105
HGurel'avaricei il fani écrire par lapMie. — catli,
son averfion pour U France. — Biiloin du eomnitret
dît deiUB Jada. — Suard el l'Académie.
XXX. A Diderot. — Naples, 5 sept^nbre 1772. 108
Voyages au Ksmtcbalka, eu Cbine et an Japon, — Bots
que devraient se proposer Les gramis Toyageurs.
XXXI. A madame d'Épinay. — Xaplet, 5 septembre
1772 111
non du marquis de Croi»mare. — Le dégoût de In
vie vous rend insenilbles.~Li convalescence de Grimm.
~ L'abbé Baynai et YHisUiirt phihiaphiqu:
XXXII. A la même. — Naples, 19 septembre 1771... lia
u sanlé de Grîmm. — Sulels sépuicraui des an-
cien». ToDibeau du duc stdoiaducliessede Sa^ie-lioUia.
— Ouvrage poBlbume d'Belvélius.
XXXIII. A la mèrae. - Naples, IT octobre 1771 ' 119
Magallon. — Les disettes. -- Le fatalisme,
' XXXIV. A Grimm. — Naples, 17 octobre 1772 112
ID-Jcriplion pour la statue élevée i pierre-la-Grand,
XXXV. A 0iadB(nedÉpinay.-Naples,24Mi(»brel77ï m.
La receilo do »(aîna iBnffiie. — Levlnaniiscorbuil-
que. — Situation de Gallini k Napte!. — Le comte
Hiewuski. ~ Le chanoine d'Etampei; les lanaliques.
XXXVI. A U même. — Naples, 30 octobre 1772 lîB
Projet de monument pour le prince de Sbii>.goi1u.
a Voltaire. — Le Dialogur ixr lt$ Fm
jbïGoogIc
TABLR 6B,->
led'Épinsjr.— Naplei. 7 nutembre 1773 134
XXXVIII. A la même. — Naples, U nov«nbre 1771.... 138
XXXIX. k la même. — Naples, 31 novembre 1773.... 139
Ptc^Mdcdialague. — Buber, dècoupeur de Voluire.
XL. A M. Baudouin. — Naples, 3g novembre 1773 141
La qussiioo de> gTnins. — La Tèaaiilé des chBriKS
ie Judicaliirc.
XLI. Àmadamed'Epiaay. — Naplea, 5 décembre 1773 1*6
XL1I. A la même. — Naples, 11 décembre 177!.... US
1^ TtoîU dti dmit ilt nature et tiei Qtni.
XLIU. A la même. — Nspleo, 19 décembre 1773.... 151
Caroccioli ne connaît pLo» l'Italie. — Le Diatogi» '«r
len femmt*. — Le cbcvilisr Mouceoiga.
XLIV. A la même. — Naple», 3 janvier 1773 153
Ce quo c'est que
— Ce qui prodall
préfèrp la monarcblc.
XLV. A la même. — Naplea, 9 janvier 1773 ... 156
Mon de Saraale.
SLVI. A la même.— Naples, 16 janvier 1773. ... 157
- Gazelle des
XLVII. A ia même. - Naplea, 33 janvier 1773 ... 161
Gaietle dea spectaclea.
XLVlll. Madame d'ËpIna; i Galiaiii. — 12 janvier 1T73 164
Enai tur Ui ftmnut, de Thamai. — Lt tyilinu
JbïGoOgIc
LETTRES DE RALIANF
\UX. A midame d'Éplnaj'. — Naples,t9J>iDvler1T73 lliU
«iiiette àei spect«c1e-i.
[.. A la m«me. — Naplei,13 février 1773 .... 114
Qoe H. io Sartine force Merlin i payer.
LI. A la même. - Naple*, Ï7 fé»rier 1773 . . .176
Les événemeals Imprétusde la vie.— M. etNKdmns
de EMtaure. — Gazelle de* ipecuel»,
L[t. k madame d'Ëplony. — Naplei,i3 ma» 1173. <Bt
Pa«tiello, Piccini.
LUI. A la même. - Naples, il mars 1773 186
Pignalelli, — Schauvalofl. -~ L'électriclli, — Le
père Cpsaire et son sennon.
L[V. A la même. — Na,)les, 3 avril 1773 190
L'éduralion chez les «ntaais.
LV. A .M. le baroD de Gleicheii. — Naples,
3 avril 1773 193
Le dur de Cholseul * ChsDleloup.
LVI. A madame d'Ëpinay. — Naples, 17 avril 1773. 197
L'abaeDce. — BarUtK -- Un llalians ne ppiivenc
Jouer la iragèdfo.
LVII. A la même. •- Naple.', 14 avril 1773. . . . . iM
HerliD, — L'biitoire aoclenoe.
LVIII. A la même. — Naplei, 15 mal in3 iU3
L'absence. — Diderol es Iiiieile, ' L'élei-irtcll^. —
La Féliciti fubtiqxa.
LIX. l Madame de Bd«unce.—NBples,lSmal1113. Kt-ï
L'biitolredo tonnerri.'. — Le chevalier Eamlllon i>l
f\i machine électrique. — CliaEteUiix â Raples.
LX. A madame d'Ëpiua;. — Naplea, %i mai 1773 DM
Plri'inl el rj»4[pllui.
jbïGoogIc
TABLE
LXr. A midiine d'fipliuy. ~ Naples, 5 juin 1773.
FaralJèlc SDtre les lettres de mldsine d'âpinuy et
celles de r-Bliani. - U Carte géographiquu de
LXU. Madame d'Épiony â Ualiani. — Paris, 36 juin
ma . 11%
U santé. ' ChBitellux. — Diderot ù la Haye.
LXril, .V rnsdanx- d'Ëpinny. — J^apl^a, 19 juin 1773. îlS
L'ennui et la souffrance. — Craismare. son poiirnJl.
L'oubli. - Le pape et la caria de Haple£, ~ Bret du
LÎIV. A madame d'Ëpiaay. — Naples, il Juin 1773. nO
Sauté de madame d Ëpinay. — L'ode d'Rorac*.
LKY. Diderot t Raliani m
La a* ode du ili* livre d'Horace.
LXVl. A. madanip dtpmay. — Naples, 3 jaillet1773, ii3
Le nonce du pape il Varsovie et Isa Itltrea de
l'abbé.
LXVII. t,e iDarqui.4 de Caraccloll A Gatiani. — PdrJs,
îî juin 1773 ife
La Diakguwinr Iti UUi,
LXVII). Au marquis de Caraccioli. — Naplea, 15 juil-
let \1n. ..'.'.' M8
/.M Biahgun ntr Ist bléi.
I.XIX. A madame d'Ëpinay. - N'aplna, 1T juillet t173. £)l
Diderot. — PiRnatdll. ~ I4e< DintoguC'. - r.aliaiii
et Horellet.
L.X.X, A. la même. — Naplas, Ï4 juillet 17T3. . . . i3i
La nulle. — Le Plaqua. — Proph^tiM,
LXXI. A la même. > Napl<>s. 31 juillet 1773. . . . iSM
Hacaiion el d'Ar.iiidi. — L'ennui d'i^tre volt.
jbïGoogIc
LETTRES DE GAI.IANI
I.XÏII. A mailame d'Ëpioi;'. — Ntples, 7 août 1173. S40
HagalloD at d'Anuda. — PiRDateLll. - L«t malièrea
. d'or et d'M-gonl.
LXXITt, A )■ même. — Niples, 14 aoùl 1773 243
L'ivMiiare dt Varsovie. — LecaUioltrdei CéleiUDi.
— Césnr Borgia,
LXKIV. A la même. — Na pies, 31 aoat 1773 24G
L'ouvra;c d^M. Olaf Torée. — Les noyés.
LXXV. A la même. — Naples, 38 eoùt 1773 S&l
Le UroD de Thue. — Cwues de la Isnilitd i lU-
ples.~— Lea Jèioliei.
LXXVI. A b même. — Naplei, i septembre 1773. . . 2ât
L'avealure de Varsovie. — l.e» JtSDtlei, — M. de
l> Borde.
LXXVII. A la même. — Naples, M teptembre 1773 . . SS7
LXXVIU. A la raème. — Naples,15 septembre t773 . .
Ce que c'esl que U correEpondence, — Le mérile
d*UD oovrege, — Les chemlsei.
IL de U Borde. — Les JAiultes. — Mademoiwlle de
LXXX. A madame d'Êpiaay.— Neples, 1 octob. 1773 369
César Borgia, — H. Necker.
LXXXl. A la même. — Nsples, 33 octobre 1773 ... 271
BDDDit de la tunllle. — IL CapperoiiDler.
LXXXII. A la même. — Ntples, 6 norembre 1773. . . 3Ï4
Tbéurie de U politique.
jbïGoogIc
LXXXlii. A niidanied'Ëpm«jF~Niplus,13Dovciiibrct773 278
M. Cipp«roiiiuer, Ctetr BorgU. — U diseUe.
LïXXIV. A la même. — Naplea, 18 décembre 1W3 . , 281
LÏXXV. A la même. — La nouTelle année 177* . . . iSô
HelTéUus. — Bt rhommt. — Lea empires. — M. de
MalignoD.
LXXXVI. A la même. — Naples, M janïler 177* , . . ï88
toBOD at lea Dialaguti. '
LXXXVIl. A la même. — Naples, 39 janvier m*. ... 390
a bal da l'opéra da
- Naples, 16 ttrriei 1774. ... 293
voyugeE. — Madama da HaiigaMi. —
:k. '- Carlin et nanganelli.
LXXXJX. Madame d'Épinay k Galiodi. — Niples, 27 fé-
ïrier 1774 , 393
Carlin ai GiDgaulli.
XC. A madame d'Épina;. — Naples, 5 mars 177* , 300
La mariage. — H. de Faocemagoe. — Pigaaielll,
— Fudlis de M. de Lauragusls. — Lingael el La-
XCI. A la même. — Naples. 13 mars 177* . . . . >304
Caliaal perd son frère. — César Borgta. - H. do
XCII. A la même. — Naples, 3 avril 177* 307
Le vérilabLc arlequin. — La toile de coton.
XCIII. A la même. — Naples, K avril 177*. .... 3U9
Dç)tzsci!/Googlc
) LETTRES DE GALIANI
XCIV. i madame dtpiwy. - Nipki^ 1* ™"' !"*■ -«i
OrilD 0t «;aDtiiMl)l. ' MpÊM da PùciBi.
\CV, A. 1» aitme. — Naple». i8 mal 177* 3i
Le régna ile Louis w-
VCVr. A la même. — SapLe*. 4 juio 1774 5"
ProphéllB» »ur k France. - "ow,
SIVU. A la même. - Kaples, U juin 1774 3W
Mpwt de ■. de BreUull- - Meufepei fl SïHii».
- ïora.
XilVIll. A U même. - Naplfi'. H juillM ITJ4 . . - . 3iJ
Le mon de H. de Mora. - Prêdldion (iir ^•■ •éfmi
dr Louia XVl. - L'invCuletloD-
XCIX. A la même. — Naple.s. 16 joillw IT74. ... M»
M, de Serllni;. - Louis \ÏL
i:. A U même. — Naple», i3 juillet 177*. . . . 3il"
La loile de oolon. — L'abeeoce. — U BmliiiiiellH.
Cl. ila nifeme..-r Napl£s, 7 «odt 117* 3M
MaguiLoa. - Coinle d'IlbvM.
Cil. .V la même. — Naplw, 19 aoAl 117* 334
Targut «u ContîOlB général. - L«i alèeei et leuri
CIV. i la mAïai-. — Naples i7 août 1774 3ÎÎ
i^occloll 01 B« «*Blé. - liiisMr» de» rhemtw^.
— Le Gulgnon, — Suard.
CV .V la même. — Naples, 3 septembre 1774 . . 341
. Lpi chenlsei. — l'orguoil de feaprit. — Lei ma-
CVI. A la même. — Naplea, 17 septembre 1774 . . 3*4
BiU de midamo Goodar. — Turgoi. conirileur go-
néraU - M. de Smtiot.
jbïGoogIc
':vn, A MidiDiea'Ëiniiay.— Naple!>,itiieplembr«lTTt 34ti
L« liHire dfl change, — IUia« ■)« lurgot coaire ]«>.
niaiiigim, — Ln libtrtâ de U |>rpsse. — Le chevnliet
de ClermoDl.
CVUI. A M. de Bombelles [Inédite]. — Naptes, 8 oc-
tobre m* :fi(i
Gallaiii osi morl. — rj'liro du iLiartEli»! de Brissae.
— MBilame de «aliRnon. — La iniirl aux rais a un
<:X. A madame d'ÉpillIO- — ^'aplB»,15oclob. 1774. 3^
t:Xl. À U. de Bombelles. — Naplea, 19 oetoU. 1714. 35»
Hilitcrni. - r^racdoli. - Fiienlvi. ~ Turgol. -
<',XU. A madame d'ËpiDa}. — ^Hplell, iU octob. 17T4. -tb^i
lirtam at Uiderui. — La lolle de votoB. — l.e duc
lie I.uxemboDrg, — La nièce du cardlnnl de Bemis.
t:\lU. A u même. — A'aples, 19 novembn; 1774 . . Jm
CXIY. A la même. - Naples, 10 décembre 1774 . . m>
, la veille de Moël ,
Iji rérulabon àe l'abbé HorellH(.
i:\Vl. A l« uiùmu. — Naples, 7 jaDvier 1775 ....
La santr d" madame d'Éplnay. — Le baron Kock,
CXVll. A U uiéme. - Naples, 14 janvier 1775 . . .
Lti Convtriatimi ittmiUt,
CXVHI. A la même, — Nai^ea. 3B janvier 177E. . . .
Ui CmetrtalioHi itBmilie, — It ConcUtvf.
jbïGoogIc
LETTRES DE GALIAM
CXIX. k madame d'Ëplnay. - tVaples, 18 février 1775 38i
CXX. A la même. — Niples, 35 février 1775. ... 385
Le baron de Bullow. — DisselaiEoD sur le Vésuve.
d et le husurd.
Grimm â Galieml ilnédtU). — Paris, ÏS février
1776
Le duc de Saxe-Weimar. — Le rai de PniMe. —
CXXUI. Au baron de Grimm. - Saples, 20 ours 1775. 391
CalheriDS coDDHlisatl GallaDi. — Le roi de Prusse
midacin. — CitjieriDe se moque des ècooDiPlsiea.
CXXIV. A madame d'Ëpinay. — Naples, 8 avril 1775 . 394
Le« coilFurcs A Haples. — Le paquet.
CXXV. A la même. — Naples, 15 atril 1775 396
Le paquet. — Caraccioli part pour Paris.
CXXVl. A la mime. — .Naptes, 29 avril 1775 .... 397
Le paquot de l'abbé Leblond. — Amitiés avec tes
étrangers.
CXXVII. A la même. - ISaples, 6 mai 1775 399
L'épidémie à Noples. — Le (ils d'fipinay à Pribourg.
M. d'AITr?.
C.YXVIll. A madame de Belsunce. — Naples, 6 mal
1775 m
Hademoltoile Quoîsi.
CXXIX. A madame d'Épinaj. - Maples, i^ mai 1775. M»
Les Bagarres de Paris.
C.YXX. A la même. — Napks, 3 juia 1775 408
La réfalalion de MoreUet.
ç)tzsci!,Googlc
CIXXI. A madame d'Ëpinay. — Naples, 10 juin 1775 411
Lei émeutes. — L'ouTrage da H. tfecltar. — Celui
de Morellal.
CXXXU. A la même. — Kn^es, U juin 177!» 4U
L'ouvrage de H. Hecker. — H. de CkriDonii ta
mort ds sa Temnie. — Ltt Dialoguu.
CXXXin. A U même. — Napira, 13 jaillet 1775. ... 416
CXXXIV. A U même. — Naples, 1» juiUet 1TT5. ... 417
CXXXV. A la même. — Naples, 19 août 1775. . . .
Lee Eccnomiiles cisseronl le con à H. Turgol.
L'ouvrage >ur Borace.
CXXXVI. A Ja même. — Naples, 9 sepUmbre 1775. .
L4 Socrati imaçinairt.
CXXXVII. A la même. — Naples, 16 septembre 1775 .
CXXXVin. A la même. — Naplea, 30 leptembre 1775.
Vajage de SoUader et Banks.
CXL. A la même. — Naplea, U novembre 1775 . .
La toile de colon. — Le Sacrale est défendu.
CXLI. A madame d'Ëplnay. — Naplai, 9 décembre 1775 09
L'argent et les remercJoionti. — Le Sveratt el ton
InlerdlcUon.
CXLn. A u même. - Naples, 23 décembre 1715 . . 431
te uurgravfl de Bueltb.
jbïGoogIc
14 LETTRES DE GiLIANI
CXLm. A madimed'Épiiutr.— Naplea, 30 jinvier 1776 433
GriaUD i niplea.
CXLIV. A U même. -Maplea, 17 février m«. . . . *3i
Départ de GrImB. — Lm BauMiolT.
CXLV. A Is même. — Stplee, 13 avril 1776 ... . 437
Lit de Justice. — Suppregiion des juraiides, m«I-
trises et corpa de métiers.
CXLVI. A m«lama de Belsunce. — Naples, 11 mal 1776 440
Perte d'ua cliaL — Baron da Glelcheo.
CXLTtl. A madame d'Épinay. — Naplea, 18 mai 1776. 441
SoppTMtkiB det laraDdea, etc. — L'Baropa eat près
de su cbute ; elle sera remplacée par l'Ainërlqae.
CXLVIII. A le même. — Naplea, l" juin 1776 443
CXUX. A la même. — Raplea, 15 jnio 1776 447
La duclwaaa de Ctuctrei à Kaples. — L'Hcra da
CL. A la même. — De Somme, 19 juin 1776. . . 450
La ducbes^e de Chartres â Maples.
CLl. A la même. '- Naples, 6 juiUel 1776 46!
. . . . H- péraqger..— , Paesiello. — Le JabDé.
CLU. A la même. — If aptes, M juillet 1776 .... 456
laiMLii de la lamiUe. — CaraicioU. — Acbal par
Calherlae It de> livres de Bernard Galiaal.
CLHI. A la metne. - Naplea, 27 juillet 1776. ... 458
L'encre du Margrave. — l'aeskllo en Rusiie.
CLIV. Madame dtpiDaT à Galiani. - 19 jrrillet 1776 459
Leoc cArraspoodasm. -^ La perlaoUUlile des aaiBaui.
- L-^bé Hartin.
jbïGoogIc
TiBLE m
CLV. A madiine d'Épinay. — Niples, 10 août 1776 463
L'ennui «igraisse. — La guerre enue l'Espagne et le
Foriugid. — Mon de madeiuoiselle de Leapinasse. du
docteur Roux.
CLVI. A la mëtue. — Naples, t8 «oAt 117S 465
L'encre du Margrave. — Hademoiselle Clairon.
CLVIl. A la mëtue. — Haples, 31 teplembre ITTS. . «7
Recette pour l'(
sa causes. — L'
CLVIJI. A la même. — NapleH, 5 octobre 1776. .
Histoire dsf r«l* de* D««n-SicHM it la a
d'Anjou.
eux. A la même. -- Naples, 11 octobre 1TT6 .
L» petleclibiUtê du bStes.
CLX. A la même. — Naples, 19 octobre 1776 .
CLXI. A la même. — Naples, t novembre 177{l. . , 4
La Sambuccu remplace taauccj. -^ Fiçfini part pour
CLXII. A la mène. — Naples, 9 Dorembre 177fi, . , 4
TurgDt et son succfiteui.
CLXUI. A U même, - JSaples, 16 soTeubu t;7# . . 4
M. Seoktt, àiSWUvr du Uévr T0]l9l
CLXIV. A U m^oe. - Impies, .30 wvemlire tm . t *
r-''*ffeW"°f" de OfîaaUi. — lesj^wmiers.
CLXV. A la même. — Naples, 24 décembre 1776 . . 4
L'encre da Hargreve. — Les Gazettes occléslas-
jbïGooglc
6 LETTRES DE GlLllM
CLtVL InudimeiTËpiatT.— Naptei.SdkcmbrelTTC Wt
AutMn et la Cliimr. -m.it CtU*nL - Le cfcu-
CLX\1I. Â I* même. — îïapleî. 11 j?Btier i:r. . . . *«
Le b^jo de Gl-i^bea.
CLXrUL Madame d'ÉpiniT i G^limi. — Puis. 30 r«-
trier 17:7 m
La psirsî-Tt di \.e^:ea.-A Je p.I.r?.
CLIIX. A nudam? d'ËpiDay. — >aplM.8 reirierl777 193
Picciiii i Pa.-i!'. — tt pri^mb^lE i^^ M. Xrcktf. —
cm À \» même. — tiapïa. i± léjtict ITT? . . . 496
Pi;:i!ii. — Crimm à Pélwsboorg.
CLXXl. À. !• nitinc. - Nsples, 5 mirs 17n UB
La Oèrre. — Piconi. Paeiidio.
CLUIL A la même. — Niplcs. 2î nan ITTI . . . . JâO
Pbinles de Galûoi. ~ ÂveolDic de tul nusq-jé.
aXHn. a ta même. — Xaples, « ifril 1777 503
Picdni et U prlocesMi da Belmonle. ^ Le cMt-
CLIXIV. A la mente. — Napla.lO mai 1777 W
Calûni ira à l'bApilal.
CLUV. a la même. - Naples,24mai ITT SOB
Oe ràulinct tl du habiladtt à* liatmmt.
CLXIVl. A la mime. — Kaplei, 31 mai 1777 «Il
Grîmm el sei Yojagei. — Les Tor»gei des ïouto-
CLIXVU. A la mime. — Naples, 14 Jdîd 1777 313
GrlmiB. — La carte de Pologne. — Zaïmoal.
JbïGoOgIc
TABLE «77
CLXÏVIU. A nudame d'Épioaj. - Nsples, 21 juin 1777. 516
KeÎDipressiDn dci lHalogaa.
CLXXIX. A la même. — Naples. 5 juillet 1777 51B
Gluckislcs el PicciiiElee. — Cnlfanl censeur.
CLXXX. A madame de Behunce. — Naples, 18 juil-
let 1777 5îi
Muri d'une chalta. — Piccini à Paris.
CLXXXI. A madame d'Épinay. — Naples, 13 wplem-
bre 1777 523
Ennui» de GslianL ~- Le duc d'AyeD. — H. et nu-
doDiedo TessË. — Lci camédieiia franfaïs.
CLXXXII. A madame de Beisunœ. — Naples, 37 sep-
tembre 1777 saa
Gaiti. -■ Le comie de Wilieck. — Misère de Ga-
CLXXXIIT. A la même. - Naples, 4 octobre 1777. ... 528
La saoïe de mudame d'Épinaî. — aittl zannoni.—
L'iaoculslion ANaplus.
CLXXXir. A la m£me. — Naples, 1» novembre 1777 . . 531
L'Olyoïpiadc, do Sacchlol. — VÀTmiâe, da Giuclt.
CLXXIV. A la mûme. — Naplea, 33 norembre 1777 . . 633
L'opium. — L'inoculaiian. — Giinim. — l'Idcoos.
CLXXXVI. A d'Alembert. — Naples, 38 ooTembre 1777. 537
Gaiianl censeoi. — La ceosuce.
CLXXXVII. A madame d'Ëpinay. — .tapies, 7 Kvrier 1778 540
Le comte de Voronzaff. — Le CaroBval à Naples.
CLXXXVIU. A U même. — Naples, 11 avril 1778 543
La phénomène de Vollalra. — GfttU se Dxe H
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STÉ lettres de GALIANI
CLXXtn. Madame dltplDs; tCaOani. — 3 mal ITTS. . 515
M. de ClenDODl. — t'Mpéee bamaine ae peul eire
beorsose. — Gsiu. — Voltaire et FriakUa.
CXC. A madame d'Ëpinaj. — Naplea, 13 jain 1778 519
TriateaiB de calianl. — Éiode inr Honte.
CXCL X la mâme. — Naples.SS juillet 1717 .... 551
La Chalia e« pallia, - Nadime de )1 Pertt-Im-
banU. — L'Amérique régner* <ur l'Europe,
CXCII. A la même. — Naples, 1» aotlt 1778 551
U prliaraota Mt la Muroa des tnalbmn, -^ Lo-
CXCnr. A !■ mine. — Naplw, 29 aitAt 1778 K7
HtriM. — Plgnttellt, -^ WlUeck. - Gulli.
CXCIV. A madame de Belsunco. — Itaples, 11 sep-
tembre 1778 559
■SlU de mailiiae d'ApInay. — pifOalelU.
CXCV. A la même. — Ifdples, lOMtobK 1778 ... 561
Fignatelli. — Grimm. — CaUl.
CXCn. A la même. — Kaples, 31 octobre 17T8. . . 5ft3
Style de madame de fielsoace. — dorace.
CXCVII. A la mémej — Haplêi, 1 norêubre 1778. . . 565
flatiié de madame d'Iplaa;. — u rraieai<uu.
CXCnil. A madame d'ÉpInay. — Naples , 38 noTem-
bra 1778 SS7
Madame d'EpInay va mlauij •- La btroD de Gtei-
CXCflC. A la «ème. — Naplea, 23 janvier J779. ... 569
Itadame de Chabot, — Hort da madame de Bel-
CC. A la même. —Naples, 37 féniar 1779.
Lai Mr le viol. — Lejeaae d'Holbaota.
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TABLB 679
CCI. A madame d'Ëptnsj.— Niples, 3 mars 1TT9 . 573
M Vocabnlair» napolitain. -~ Hilad; Orfold.
COU. A In même. — Ntples, 17 avril 1779 .... 576
Iritwiae da saliani. — La Foealmiair»,
CCUI. A la néme. — Naplw, 1» joio 1179 579
L«s [mprlmcurs napollUIns,
CUV. A. la même. - Haples, 31 jniltet 1T79 . . . . M9
L'année est mâmorable.
CCV. A Is même. — Naples, 18 septembre 1T79 . . 581
Le Vocabulairt ni Imprime. — Orandi eTéaa-
msDls en France.
CCVI. Diderot à Galiani, — (Inédite.) — Patis ,
21 septembre 1779 583
- H. de Meunier.
CCVII, A madame d'Éptnay. — Naplei, IS mars 1780. 684
Relffenstein. — Satires contra Galiani. -~ L'acadénla
de Ksples.
CCvni. A la même. — Naples, 3 juin 1780 587
D'iJembert. — taserlpUon paur madame de Per-
CCEt. A la même. — Naple*, Sajuillet 1780 ....
K. Hecter. — Oallani est onbllé da lei amis.
CCI. A M. Grimm. — (Inédile.) — Niplei, 5 août
1780
HohUat. — Le Carmen taealare.
CCXI. A madame d'Ëpinay. — Naples, 9 septembre
1780
Les blés en HolUiide. ^ le f^armart tœculart.
CCXn. A la même. — Naples, 28 septembre 1780. .
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LETTRES DE GA.L1AI<II
CCÏV. A la même. — Kaples, 3 téTrier 1781 .
CCXVI. A U même. — Naples, 10 mars 1781 .
Lb famille Valori. — Giimm.
CCXVir, Madame Keeker à (iaiiani 611
H. Celesia, U. Keckcr.
CCXVIII. A M. Grimn-.. - Kaples, 31 mare 1781. ; . . 613
Complt rendu de H. Hccker.
ceux. A madame d'Épinay. — Naples, 14 avril 1781. 613
La tainille Yalorl.
CCXX. A la mâme. — Maplea, 9 juin 1761 617
La Jambe de Cucaccloli. — Démlssiau da H. Necker.
CCXXI. A la même- — Naples, 16 juin 1781 610
ConcarialùRU d'Emilie. — Raynal.
CCXXfl. A la même. — Naples, Ï2 septembre 1781 . . 6»
Converiationi (TEiniUi.
CCXXIIl. A d'Alemberl. — Naples, 10 janvier 1781. . . 6ia
U. Poli. ^ CoracciolL
- Le comte du Kord.
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TABLE 681
CCXIV. A madame du Boccage. — Manies, 20 fé-
vrier 1783 631
CCXXVI. A la même. — Naples. 10 juin 1783 G3i
tlorl de madsniG d'ËplDU}'.
CCXXVII. La reine CarolîDe à Galiani. — {Inidite.j —
Naples, 17 octobre 1787 635
CoDseila pour le salut de Csliaai.
CCXXVni. GalioDi à la reine Caroline. — (Inédite.) —
Haples, 18 octobre 1787 639
CCXXIS. Au duc de Choîseul. — (Inédite.) — Paris,
1" mars 1760 6il
La Purteaopo ,
CCXXX. A Suard. - (Inédite.)—! airil 1765 ... . 643
CCXÏXI. A d'Alembert. — (Inédite.) 6*5
Appendice ■ 647
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