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Full text of "Correspondance avec madame d'Ėpinay--madame Necker--madame Geoffrin, etc.-- Diderot--Grimm--d'Alembert--de Sartine--d'Holbach, etc"

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Dtzscii/Googic 


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40 


L'ABBÉ 

FERDINAND   GALIANI 


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■m  ■■Mskai.  —  1l7St'l 


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ÉCRIVAINS  DU  XTIII"  SIÈCLH 


L'ABBÉ 

F.  GALIANI 


CORRESPONDANCE 


MADAME  D'ÉPENAV  —  MADAME  NECKER 

MADAME    GEOPFRIN,  ETC. 

DIDEROT    —  GRIUM    —    D'ALEMBERT   —    DE    SARTINE 

d'holbacm,  etc. 
nouvelle  édition 


:    tTCDE  StR  LA  VIE  ET  LES  lEUVHES   DE  GAtlANI 


LUCIEN  PEREY  ET  GASTON  MAUGRAS 


i^iirz'^"'''' 


x^ 


CALMANN    LÉVr,    EDITEUR 

AHCIENHE  MAISON  MICHEL   LÉVY  FRÈRES 

3,  BtE  auher,  3 

1881 

Droits  de  reprwliicUoa  et  de  Iniductlan  reservAs 


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?58 
Gito 


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LETTRES  DE  GALIANI 


A     IIADA.ME     DE     BKLSUNCE' 

Naplu,  k  lanvler  ii7i. 

Madame, 
Qu'importe  que  j'aie  reçu  trois  lettres  de  madaiau 
votre  mère  après  lu  vôtre.   Vous  avuz   la  primau'*;  : 
ainsi   le   peu  de  loisir  que  j'ai  ce   suir,  c'est  à  vous 

1 .  Piltc  de  iDEdaine  d'ËpJDay,  madame  de  Belsunce  Bviil  l'|lOll^É 
eu  1764  le  vicome  de  BHsuiice.  qui  appuriensil  à  une  ancirniie 
(amille  de  la  ^av■^^e;  elte  en  eut  truU  eiifiiiU,  deux  ûls  cl  une 
flile,  ta  petite  Emilie,  qui  tul  clevéu  par  sa  yraiiit  mère.  Ptin- 
dsnt  les  Iréqu'Utes  mslaiti''s  de  ma  lame  d'Épinaf,  la  viconi'.,es->e 
de  BeUuace  rempta;aitsa  mèreauptèa  di-  GaiJani.— On  trouve  d  ns 
oae  lettre  de  madame  dËpiDa^àrirliiimuiieaiiecdoteiigréabl  lui'uL 
recoiiiëe,  qui  donne,  bien  la  note  du  <:.<r.<clè'e  de  madame  de  llel- 
(uDce  :  •  II  faut  que  vous  sachiez  re  qu'a  fdit  Pauline  (elle  aiait 
alors  douze  sn<);  l'autre  jour,  elle  A'était  donné  sei  titi  uicU- 
[uires.  la  gouvernante  et  moi  lui  avinnt  ri'présenté  qu'rlle  se 
couvrait  de  ridicule.  H  y  a  quelques  J.iurs,  sans  égaid  jKiur  tioi 
*   le  mâoie  ton.    Le  marquis  de  Cio 


V- 


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LETTRES  DE  GàLlANI 
que  je  le  dois  consacrer  et  vous  direz  impérieusement 
à  votre  chëre  mamaa,  que  son  tour  viendra  et  qu'elle 
n'a  qu'à  attendre.  EûBq  je  dois  vous  remercier  d'une 
lettre  cliarmanle  et  délicieuse  dont  vous  m'avez 
honoré.  Elle  est  d'autant  plus  belle  à  présent,  que 
madame  votre  mère  est  guérie,  et  qu'ainsi  je  n'ai 
presque  plus  rien  à  répoudre  :  voilà  le  plus  beau  des 
lettres  de  cluinge. 

Je  trouve  une  autre  beauté  à  votre  lettre,  c'est 
qu'elle  est  toute  d'une  haleine;  elle  coule  comme  une 
eau  de  ruisseau  ;  elle  s'enfile  de  lil  en  aiguille,  et  passe, 
et  va  d'un  propos  à  l'autre  sans  qu'on  s'en  aperçoive. 
J'ai  cru  rêver,  cl  j'ai  l'orgueil  de  penser  que  vous  aviez 
eu  envie  do  m' écrire  plusieurs  fois,  et  que  la  matière, 
longtemps  arrêtée,  a  coulé  précipitamment  par  la  pre- 
mière issue  qu'elle  a  rencontrée.  Venons  aux  nouvelles 
que  vous  voultzbien  me  donner. 


partit  d'un  éclat  de  rire  et  lui  dit  qu'apparemment  elle  le  pre- 
nait pour  sa  poiipciï  et  jouait  à  la  madame  avec  lui.  Elle  ae 
Hrba,  il  rit  daiaiilnge.  puis  lui  dit:  n  Mais  voyons,  madenioïselle, 
j'ai  peut-être  lort.  vous  avez  pi:ut-étre  plus  de  ccin naissances 
que  je  ne  supposais,  lirons  l'aHaire  au  net.  a  II  s'agissait  d'una 
lettre  du  roi  de  l'rusjc  qui  court  el  que  Pauline  avait  déci  lêe 
mauvaise,  parre  quelle  De  l'entendait  pas.  Le  marquis  lui  fit 
nombre  de  qiie-tiuns  auiquelles  il  lui  Tut  impossiblu  du  répondre. 
De  là,  il  fiK  ui  é  de  lui  prouver  sa  sollise^  elle  s'en  tira  très 
bien.  Elle  (ut  il'^iliurd  Irés  bumlliëe,  puis,  tes  larmes  aui  yeui, 
elle  dÎL  au  uaïquis  :  i  Monsieur,  je  vous  remercie  de  la  Ic;oq, 
elle  est   un   peu  furie,  mais  je  m'ca  souviendrai  ;  jouons  au 


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LETTRES  DE  GALIAM  3     " 

Vous  faîtes  donc  mousquclaire  M.  le  Conseiller*; 
mais  de  grâce  pourquoi  n'en  faites-vous  pas  un  jeune 
M,  d'Èpinay.  Ou  a  la  rage  en  France  de  faire  quelque 
chose  de  ses  enfanU.  Ici  on  n'en  sait  faire  que  des 
hérilicrs  de  leurs  pères;  et  je  crois  que  c'est  tout  ce 
qu'on  en  peut  faire  de  mieux  pour  eux  et  pour  leurs 
grands  parents  :  car  il  n'est  jamais  question  ni  de 
s'asseoir  sur  des  fleurs  de  lys,  ni  de  se  coucher  sur 
le  lit  d'honneur.  On  s'assied  sur  des  chaises,  et  on 
se  couche  sur  des  matelas . 

L'impératrice  peut  dépenser  tant  qu'elle  voudra  ea 
tableaux  *  ;    le   Turc  s'est  engagé  h  payer  ses   dettes, 

t.  LouLs-Josepli  la  Live  d'Ëpiaoy,  111$  de  m«dims  d'ËpInay, 
se  déclina  d'abord  ï  la  magistralure,  mais  il  était  Tort  paresseux, 
très  étourdi  et  il  ne  tarda  pas  ï  se  dégoûter  de  sa  carrière. 
Hadaïued'Ëpiasy,  dans  ses  Mémoires,  se  plaint  de  la  fuoeste 
iuHuence  de  son  mari  sur  l'éducation  de  leur  Qls.  Apres  avoir 
quitté  la  magistrature,  le  jeune  d'Epinav  entra  dans  le  régiment 
du  comte  de  Scbomberg,  puis  il  se  maria  par  l'entreoiise  de 
H.  d'AfIry,  capitaine- gêné  rai  des  Suisses  et  Pribourgeois  d'origine; 
il  épousa  mademoiselle  Louiite-Élisabetb  du  Roccard,  alliés  des 
d'AITry,  et  il  alla  habiter  Fribourg  avec  sa  femme. 

3.  L'Impératrice  de  Russie  achetait  beaucoup  de  livres  et  de 
(ableaui  en  France.  Lors  de  le  Tente  de  la  bibliothèque  de 
M.  Gaignat,  elle  Qt  offrir  un  prii  énorme  pour  avoir  eu  entier 
cette  rare  collection.  Grimm  et  Diderot  étaient  ses  agents  litté- 
raires et  artistiques;  c'est  Diderot  qui  achala  pour  elle  le  cabinet 
de  tableaux  du  baron  de  Thiers;  on  raconte  que  Diderot  se 
trouvant  en  couférence  avec  les  héritiers,  le  comte  de  Broglie 
toulut  le  tourner  en  ridicule  sur  l'habit  poir  qu'il  portait.  Il  lui 
demanda  s'il  était  en  deuil  des  Kussea.  s  Si  J'avais  i  porter  le 
deuil  d'une  nation,  monsieur  le  comte,  lui  répandit  Diderot,  je 
D'iraU  pas  la  chercher  sUoin.  s 


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4  LETTRES  DE  GALUN[ 

et  il  lui  tiendra  parole.  Vous  autres,  messieurs,  vous 

u'en  voulez  rien  croire  ;  mais  il  n'en  sera  ni  plus  ni 

moiDS. 

Vous  ne  voulez  pas  que  je  devienne  bécasse.  Puis- 
que vous  êtes  au  régime  des  légumes,  je  renonce  à  ce 
projet,  et  je  désirerai  de  me  changer  en  concombre,  ou 
en  potiron  si  vous  l'aimez  mieux  ;  mais  je  ne  saurais 
m'aecoutumer  à  l'absence  de  Paris.  Vna  seule  chose 
pourrait  me  consoler,  et  la  voici  :  engagez  M.  le  baron 
de  Bretcuil  à  avoir  pour  son  secrétaire  noble  d'am- 
bassade ici  M.  votre  i'rère,  comme  M.  d'Ossun  *  a 
eu  le  baron  de  la  Houze  '.  Je  trouve  mille  conve- 
nances à  ce  projet.  M.  votre  frère  sera  initié  au  mi- 
nistère politique;  il  a  tout  pour  suivre  cette  carrière 
plutôt  que  celle  de  mousquetaire.  Or,  si  cela  arrivait, 
j'aurais  d'abord  une  personne  très  chère  à  moî,  puis- 
qu'elle l'est  à  vous  et  à  madame  votre  mère.  Ensuite 
il  serait  très  naturel  qu'une  mère  vînt  voir  son  (ils. 
Vous  devinez  le  reste. 

Gatti  a  inoculé  hier  les  fils  du  prince  de  S.-Angelo 
Imperiali.  C'est  la  première  inoculation  qui  se  soit  faite 
ù  Naples,  et  je  me  flatte  que  la  pratique  s'en  introduira 
petit  à  petit.  Voilà  toutes  mes  nouvelles. 

I.  Ambassadeur  de  France  A  tapies. 

ï.  H.  Basquitt  d«  la  Houie,  d'abord  secréUire  de  l'ambassade  de 
France  i  Naples,  devint  ministre  pléaîpotenliaire  près  les  princes 
et  Ëiati  de  la  Bisse-Saie  (1774). 


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LETTRES   DE   GALIANI  5 

le  VOUS  prie  de  dire  S^  tnadame  volrc  mère  que,  pour 
ce  soir,  elle  ne  s'attende  à  aucune  lettre  de  moi;  elle 
n'aura  que  l'adresse  de  celle-ci.  Je  dc  devrais  pas 
aclievcr  cette  lettre  d'un  Ion  familier  et  brusquement 
poli.  Il  faudrait  tourner  aulour  des  phrases  pour  vous 
dire  tout  plein  de  choses;  mais  comment  faire?  je 
n'ai  pas  le  temps  d'être  poli.  Il  faut  que  je  vous  quitte, 
en  vous  disant  seulement  que  vos  lettres  me  feraient 
encore  plus  de  plaisir,  si  vous  vouliez  m'en  écrire 
lorsque  madame  d'Epinay  se  porte  à  merveille. 
Savez-vous  bien  que  je  suis  voire  etc.? 


A     MADAME      d'ÉPIMAV 


Ah  !  la  drôle  de  chanson  que  vous  m'avez  envoyée  ! 
elle  est  charmante.  Vous  faites  de  la  métaphysique 
ensuite,  mais  je  n'ai  pas  le  temps  ce  soir  d'en  faire  de 
mon  côté,  et  de  vous  prouver  pourquoi  il  faut  étoufTer 
les  mauvais  sujets  ;  je  vous  dirai  cela  une  autre  fois, 
et  comme  il  se  fait  que  les  peines  ont  une  force  ré- 
troactive, et  agissent,   et  produisent  des   effets    avant 


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6  LETTRES  DE  GALIAM 

qu'elles  soient  inHigées.  Cela   est  curieux.  Mais  pour 

ce  soir  j'ai  besoin  de  deux  grâces  de  vous. 

l"  Gatti  m'a  dit  que  vous  aviez  un  médicament 
(dans  lequel  il  entre  du  corail)  dont  il  avait  éprouvé 
les  effets  sûrs  et  merveilleux  sur  des  femmes  déréglées, 
dont  le  dérèglement  approche  d'une  ^Taic  perte  de 
sang  quelquefois.  J'ai  besoin  de  ce  médicament,  pas 
pour  moi,  comme  vous  comprenez  bien,  mais  pour  ' 
uue  dame  aimable,  et  qui  n'est  point'  Napolitaine,  Il 
me  le  faut  tout  de  suite,  et  Gatti  croit  avoir  égaré 
parmi  ses  papiers  la  préparation;  ainsi  envoyez-moi 
tout  de  suite  le  recipe  et  le  moyen  de  s'en  ser>ir,  et 
vous  sauverez  une  femme  aimable  et  obligerez  un  abbé 
charmant,  qui  est  moi'. 

2°  J'ai  besoin,  et  c'est  moi-même  qui  en  ai  besoin, 
d'un  vin  antiscorbulique  dont  j'ai  pris  une  fois  à 
Paris.  M.  Le  Roy'  de  Versailles,  le  chasseur,  his- 
torien des  bûtes,  m'en  donna  la  préparation.  Il  me  fit 
beaucoup  de  bien.   Je  voudrais  en  prendre  encore  et 


1.  Gatli  était  un  médecin  fort  original.  Au  sujet  de  la  ditU 
sion  des  maladies  un  pluiici;rs  classer,  il  assurait  que  pour  lui, 
11  ii*en  recODDaiGsail  que  deux,  celles  dont  on  meurt  ei  celles 
dont  on  ne  meurt  pas. 

1.  Cb.  Georges  Le  Roy  (1TÎ3-17B91,  lleuienant  dos  chasses  des 
parcs  de  Versailles  et  de  Marly,  collaborateur  de  l'Encyclopédie. 
Il  a  écrit  des  Lettres  sur  linleltigetce  et  ta  perfectibilité  des  ani- 
maux. Il  Ëisit  eicessiiement  lié  avec  les  d'Holbacb,  et  l'on  dit 
même  que  la  baronoc  ne  le  voyait  pas  d'un  Œil  icdilTérent. 
(V.  appendice  I.) 


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LETTRES  DE  GALIASI  7 

j'ai  oublié  les  ingrédients.  Faites-vous  donner  cela,  el 
mandez-le-moi.  Vous  sauverez  la  vie  ù  un  abbé  char- 
mant qui  est  moi,  et  à  une  femme  unique,  incompa- 
rable qui  esl  vous;  car  vous  mourriez,  n'esl-cc  pas, 
sijevenaisà  mourir? 

Mora  me  parle  de  vous.  II  a  vu  quelques-unes  de 
mes  lettres,  mais  pourquoi  n'en  a-t-il  pas  vu  des 
vieilles?  est-ce  que  vous  les  brûlei?  Je  garde  soigneu- 
sement les  vôtres,  et  je  ne  trouverai  pas  à  vendre  ce 
manuscrit, ni  vous  le  mien,  si  ceu'estàqueiquecurieux 
qui  les  achètera  tous  les  deux. 

J'ai  reçu  une  lettre  enfin  de  madame  Necker,  mais 
puisqu'elle  ne  vous  montre  pas  mes  réponses,  je  lui 
répondrai  Tort  tard  et  par  ma  chancellerie.  Je  serai 
plat  et  poli  comme  une  assiette  de  madame  Geoffrin. 
C'est  ainsi  que  je  punis  le  froid  maintien  de  la  dé- 
cence ». 

J*ai  reçu  une  lettre  de  Diderot,  qui  m'a  été  rendue 
avant-hier  ;  mais  je  n'ai  pas  le  temps  de  lui  répondre 
ce  fioir:  je  n'ai  que  celui  de  lui  obéir. 

Gatli  inocule,  et  je  travaille  à  le  faire  rester  ici 
jusqu'à  tant  que  l'inoculation  gagne  un  peu  de  terrain 
et  s'établisse  ;  cependant  à  quoi  bon  l'inoculation 
kà,  puisqu'il  ne  vaut  pas  la  peine  d'y  vivre  1  Voilà 

1.  Madame  d'Oberklreb  disait  de  madame  N«cker  :  c  Dieu, 
■Tant  de  la  créer,  la  trempa  en  dedans  et  en  dehors  dans  un 
baquet  d'empois,  d 


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B  .       LETTRES  DE  GALrANI 

une   dirfficulté    à    laquelle    Je   ae    trouve    point    de 

réponse. 

Aimez-moi.  Portez-vous  bien.  N'oubliez  pas  mes  deux 
commissions,  qui,  par  un  enchainemenl,  intéressent 
voire  vie  même. 

Adieu  ma  belle  dame,  adieu. 


Nlplcl,  Il  Janvier  ini. 

C'est  votre  tour  à  présent,  ma  clière  madame.  J'ai 
répondu  à  l'abbé-prieur ',  j'ai  répondu  à  madame 
voire  fiile,  et  je  dois  répondre  à  deui  numéros  de  vous, 
si  je  ne  me  trampc,  quoiqu'il  me  manque  celui  de 
celle  semaine,  parce  que  le  courrier  de  France  n'est 
pas  arrivé.  Mais  que  puis-je  vous  dire?  Gleichen  nous 
a  quittés;  Gatti  a  inoculé  deux,  petits  princes  napo- 
litains; et  c'est  la  première  inoculation  faite  à  Naples. 

<.  L'abbè  Hsjeul.  (Voir  la  iellre  du  14  dérembre  177t.] 


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LETTRES  DE  GALIAM  9 

Je  suis  excédé  d'ennuis  et  d'affaires  ineplcs.  Mon 
esprit  û'esl  occupé  qu'à  disputer  de  compétences,  de 
juridictions  et  de  tout  ce  que  le  palais  a  de  plus 
ennuyeux  et  de  plus  béte.  Ah  !  lua  pauvre  tëlc,  occu- 
pée jadis  de  cent  quatre-vingt-douze  ouvrages  in-folio 
sur  un  système  qui  devait  avoir  pour  titre  De  rébus 
omnibus  et  quibusdam  aliis,  de  quoi  es-tu  Tarcie  à 
présent  t  Où  sont  mes  dissertations  Ihéo-philo-logi- 
pliysi-male-politico-moralcs ?  où  sont-elles? 

J'espère,  ma  belle  dame,  que  nous  aurons  la  peste 
en  Italie  cette  année.  Cela  me  donnera  quatre  mois 
au  moins  de  relais.  Je  m'cnfcrmorai  avec  une  grande 
provision  de  papier,  et  je  t'erai  au  moins  mon  livre 
sur  l'origine  des  montagnes,  qui  est  celui  qui  me  tient 
plus  à  cœur;  car  enfin,  l'histoire  des  montagnes  est 
plus  grande  et  plus  belle  que  celle  des  hommes. 

Je  n'ai  ni  le  temps  ni  l'envie  de  vous  en  dire  da- 
vantage ce  soir;  rien  ne  m'éleclrise.  Bon  soir.  Mille 
compliments  à  M.  Capperonnier  ',  qui  a  bien  voulu  se 
ressouvenir  de  moi. 

Madame  Geoffrin  m'a  adressé  un  article  d'une  lettre 
extrëoiemeDt  toucbant.    Si    elle  m'avait   vu    pleurer 


].  M.  Cipperonoier,  de  l'Académie  des  belles-leUrei,  proresseur 
de  langue  grecque  au  Collège  royal,  censeur  el  garde  di'  la 
bibtioibèque  du  roi.  Son  traitement  de  bibllolbécaire  lui  râlait 
deiii  mille  écas  et  le  logement.  <  C'était  un  'ofl  bonnéle  homme, 
d'une  littérature  médiocre,  mais  qui  »vaiL  bien  iegrec.»  (Laharpe.) 


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10  LETTRES    DE   GALIANI 

d'allendrissement,  elle  m'aurait  donné  un  certificat 
comme  quoi  je  n'étais  pas  aussi  monslre  qu'on  le  disait. 
Faites-lui  parvenir  mes  hommages. 

Je  voudrais  bien  savoir  si  le  baron  d'Holbach  a  reçu 
une  lettre  que  je  lui  ai  écrite  il  y  a  deux  mois.  Encore 
adieu. 


A    LA    HLML 


Ma  belle  dame,  s'il  était  bon  à  quelque  chose  de 
pleurer  les  morts,  je  viendrais  pleurer  avec  vous  la 
perle  de  notre  Helvétius  ';  mais  la  mort  n'est  autre 


i.  Helvétius  mourul  k  56  ans.  Son  père,  qui  était  holltcdais, 
vinl  s'éUblir  en  France  où  il  déviai  médecin  du  Roi.  Le  jojnc 
Helvétius  oLlint  une  ferme  générale  et  ai-niiil  une  farlune  con- 
sidérable, dont  il  Taisait  l'usage  le  plus  noble.  Cétait  un 
éciivciin  médiocre,  mais  il  vivait  beaucoup  avec  les  gens  de 
lettres;  il  ût  un  sort  i  plusieurs  d'eoire  eux  et  leur  dut  sa  ré- 
putation littéraire.  Se  plaignant  un  jour  k  d'Ilulbacb  d'avoir 
conservé  peu  de  liaison  et  d'Intimité  avec  ses  anciens  smis,  uns 
qu'il  y  eût  de  sa  faute  :  «  Vous  en  avez  obligé  plusieurs,  lui 
répondit  le  baron,  et  moi  je  n'ai  jamais  rien  fait  pour  aucun  des 
miens,  et  je  Tis  toujours  et  constamment  avec  eui  depuis  vingt 
tm.  ■  Parallèle  aswi  singulier  entre  deui  hommes  de  mérite. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANl  11 

diose  que  le  regret  des  vi^'ants.  Si  nous  no  le  regret- 
toDS  pas,  il  n'est  pas  mort  ;  tout  comme  si  nous  ne 
l'avions  jamais  ni  connu  ni  aimé,  il  ne  scfait  pas  né. 

Tont  ce  qui  eiiste,  existe  en  nous  par  rapport  à 
nous.  (Souvenez-vous  que  le  petit  prophète  taisait  de 
la  métaphysique  lorsqu'il  était lrif^(e;j'ea  faisde  même 
è  présent.)  Mais  enfin  le  ma)  de  la  perte  d'Helvétias 
est  le  vide  qu'il  laisse  dans  la  ligne  du  bataillon.  Ser- 
rons donc  les  lignes  ;  aimons-nous  donc  davantage, 
nous  qui  restons,  et  rien  n'y  paraîtra.  Moi,  qui  suis  le 
major  de  c«  malheureux  régiment,  je  vous  crie  à  tous  : 
Serrez  les  lignes. — Avancez. — Feu. —  Rienn'y  pai-aîtra 
de  notre  pert«. 

Ses  enfants  n'ont  perdu  ai  jeunesse  ni  beauté  par  la 
mort  de  leur  père.  Elles  ont  gagné  la  qualité  d'héri- 
tières' ;  que  diable  allez-vous  pleurer  sur  leur  sort. 
Elles  se  marieront,  n'en  doutez  pas.  Cet  oracle  est  plus 
sûr  que  celui  de  Calchas'. 


tous  les  deDi  riches,  et  qui  ont  passé  lous  les  deux  leur  vie 
«»ec  des  gens  de  lellres.  j  (Grimm  Cor.  Lit.]  Il  avait  épousé  en 
Wid  mademoiaelle  de  Lignîville,  apparLenaat  à  une  des  pins 
grandes  Timilles  de  lj>rrsrne. 

I.  L'aloée  (les  deux  filles  d'HelvéUus  épousa  M.  le  comte  de  Hun, 
la  cadette,  M.  le  comte  d'AudIau.  Elles  avaient  suivi  leur  père 
lorsqu'îl  se  rérugia  en  Angleterre  après  la  publication  du  livre  dû 
tBtprit.  Walpote  écrivait  «lors  ;  c  Helvétius  vient  bsbiier  ici  avec 
d«ui  demoiselles  Uelvéïius,  qui  ont  50,000  livres  si«tlinR  par 
Mie;  il  les  donnera  en  mariage  i  deux  membres  immaculés  de 
flotre  auguste  et  incorruptible  Sénat;  nous  pouvons  être  dupes 


jbïGoogIc 


12  LETTRES  DE  GALIASÏ 

Sa  femme  est  plus  il  plaindre',  à  moins  qu'elle  ne 
renc<Hitre'ua  beau-fîls  aussi  raisonnable  que  son  mari , 
ce  qui  n'c^t  pas  bieu  aisé,  mais  plus  aisé  à  Paris 
qu'ailleurs.  Il  y  a  encore  bien  des  mœurs,  des  vertus, 
de  l'héroïsme  dans  votre  Paris  :  ii  y  en  a  plus  qu'ail- 
leurs, crojez-moi.  C'est  ce  qui  me  le  fait  regretter  et 
me  le  fera  peut-être  revoir  un  jour. 

Je  n'ai  pas  le  temps  de  répondre  au  baron  ce  soir; 
chargez-vous  de  lui  dire  que  j'ai  reçu  sa  charmante 
lettre,  et  l'ouvrage  de  Montami',  dont  je  le  remercie 
inliniment;  mais  comme  en  fait  de  commissions,  il 
faut  écarter  toute  espèce  de  présent,  faites~moi  la 
grâce  de  le  lui  payer,  et  je  vous  le  rembourserai,  à  moins 
que  vous  n'ayez  quelque  argent  à  moi  dans  vos  mains, 
chose  que  j'ignore  absolument,  n'ayant  aucun  intérêt  à 
le  savoir. 

Votre  numéro  80  ne  m'est  pas  encore  arrivé.  Aimez- 
moi  bien  fort  ;  les  raisons  de  m'aimcr  augmentent 
comme  vous  voyez.  Le  temps'  me  manque  ce  soir. 
Chargez-vous  de  faire  parvenir  la  lettre  que  je  vous 


des  folies  des  Français,  mais  Ils  sont  dix  Tois  plus  Tous  d'être  les 
dupes  de  notre  vertu.  »  [Walpole  à  U.  Hann,  17  octobre  1763.) 

1.  Voir  l'appendice  II. 

2.  D'Arclais  de  Montamy.  Traité  de>  couleurs  pour  la  pein- 
ture en  émail  et  sur  la  porcelaitie,  précédé  de  l'art  de  peindre 
sur  émail,  ouvrage  posUiume  publié  avec  des  augmentations  par 
Diderot.  Paris.  Cavalier,  1765,  in-12. 


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LETTRES  DE  CALIANI 


enveloppe  dans  celle-ci  :  elle  n'ira  pas  bien  loin  de 
votre  porte.  Bonjour  ou  bonsoir,  car  je  ne  sais  pas 
quelle  heure  il  est. 


La  débftcle  des  lettres  est  enliQ  arrivée  ce  matin,  ma 
belle  dame.  Je  viens  de  recevoir  en  même  temps  deux 
numéros  de  vous,  le  83  et  le  84,  une  lettre  de  madame 
de  Bcisunce,  une  de  NicolaT,  une  de  H.  de  Hiliierui  ', 
une  du  comte  de  Fuenlès  ;  et,  par  le  courrier  d'Espagne, 
je  reçois  eu  même  temps  l'almanacb  royal  de  l'année, 
votre  lettre,  avec  le  rêve  tragi-comique  ',  une  lettre 
de  Magallon,  et  uu  vieux  almanach.  Je  consacre  ce  jour 
au  plaisir  de  lire,  de  relire,  de  savourer,  de  goùlcr, 
de  mâcher  môme  et  de  sucer  tout  ce  papier.  Ainsi, 
par  conséquent,  je  ne  répondrai  à  personne,  excepté 


1.  Napolitun,  matÉehal  de  camp  an  service  du  roi  de  France. 
3.  C'est  le  rére  où  madaine  d  Épini;  m  croit  mademolielle 


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14  LETTRES  DE  GALIASI 

M.  Diderot,  dont  j'ai  reçu  une  lettre  aussi.  Prenez 
patience,  je  rougirais  de  ne  répoudre  que  deux  mots, 
sans  esprit  et  sans  sel,   à  vos  belles  lettres. 

Je  ne  vous  dirai  donc  que  ce  qui  concerne  Gattî 
dont  vous  me  parlez  dans  votre  lettre  du  20  décembre. 
Lorsqu'il  arriva  ici,  je  le  trouvai  tellement  épouvanté 
di!  l'étal  horrible  dans  lequel  il  disait  avoir  laissé  la 
France,  qu'il  me  paraissait  résolu  à  quitter  toute  sa  for- 
tune plutôt  que  do  retourner  en  France  ' .  II  J  craignait 
les  jésuites,  les  dévots,  les  ennemis  de  Choiseul,  les 
médecins,  tout  enfin  *. 

U  n'y  a  rien  de  plus  injuste  et  de  plus  ridicule  quede 
laier  Gatti  d'ingratitude,  s'il  ne  reparaît  pas  à  Chan- 
teloup.  Personne  n'ignore  à  Paris  qu'il  n'a  envoyé  à 
Florenca  que  très  peu  de  bien  pour  soulager  sa  famille. 
Tout  son  bien,  toute  sa  fortune  est  en  France.  Qu'on  le 
taxe  donc  de  pusillanimité,  d'étourderie,  de  prodigalité, 
à  la  bonne  heure  ;  mais  comment  diable  !  peut-on  ap- 


1.  Deux  graTW  quesiions  agitabot  en  ce  moroeol  la  France,  la 
question  des  parlements  et  ceUe  des  gmios. 

3.  BachaumoDl  eipKque  d'uae  façoo  Uea  différeale  les  causes 
qui  amcnùrenlGaUîâquilLeria  France, aprùs  l'exil  du  duc  de  Choi- 
seul. c  Le  rameux  Gaui,  que  nos  docieurs  regardent  comme  na 
charlatan,  mais  qui  avalltié  Tort  en  vogue  pour  l'inoculailon,  parce 
qu'il  la  Taisail  avec  beaucoup  de  grdce,  de  légèreté  et  de  facilité 
pour  ses  malades,  craignant  avec  raison  que  plusieurs  de  ceux 
inoculés  par  lui  ne  le  discréditassent  par  des  rcchules  inéVl- 
tables,  A  raisoi)  do  sa  manière  de  faire  l'insertion,  est  retourné 
en  Italie,  et  ue  veut  plus  revenir  en  France.  > 


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LETTRES  DE  fiVLIAXI  15 

peler  ingraCitude  la  conduite  d'un  homme  qui,  saisi  de 
frayeur,  abandonne  tout  ce  qu'il  a,  tout  le  fruit  de  son 
^vail  de  dix  ans?  Si  l'on  réussit  à  rassurer  GatUde  Ees 
frayeurs,  on  lui  rendra  un  grand  service  assurément  ; 
et  soyez  persuadé  que  c'est  bien  à  son  grand  regret 
qu'il  s'est  éloigné  de  Paris,  comoie  quelqu'un  qui  a 
l'ingratitude  d'abandonner  aa  maison  et  tous  ses  effets, 
parce  que  le  feu  y  a  pris. 

Je  ne  sais  pas  si  les  frayeurs  de  Gatti  sont  fondées  ou 
non  :  vous  pouvez  savoir  cela  mieux  que  moi  ;  mais 
assurez-vous  qu'il  en  est  au  point  qu'il  a  trouvé 
qu'ilelvétius  a  bien  fait  de  mourir,  et  qu'il  est  mort 
très  à  propos  ;  qu'il  s'étonne  fort  que  le  reste  de  ses 
amis  ne  prenne  pas  le  parti  ou  de  moqrir  ou  de 
sortir  de  France.  Tel  est  l'état  de  Gatti.  Heureusement 
pour  lui,  il  inocule  ici  et  gagne  quelque  argent.  11  a 
reçu  des  lettres  de  M.  de  Nivemois  ',  qui' lui  ont  re- 


1.  Louls-Julea-HarboD-Maocini  Maiarini,  due  de  Nivernois, 
nioUIre  d'tlal,  pair  de  Fraoce  (ni6-lT98).  Sa  santé  ne  lui  per~ 
mil  pas  de  contiuucr  la  carriËre  des  aimes  i  laquelle  on  l'avall 
deaiioé;  il  entra  dans  la  diiilomalie  et  fut  successiremctit  am- 
basudeur  A  Rome,  i  Beiiio,  enOn  à  Londres,  où  il  nigocia  la 
paii  de  I7G3'  De  retour  à  Paris,  il  se  consacre  uniquement  à  la 
littérature.  Madame  GeoOtin  disait  de  lui  :  ■  D  est  manqué  par- 
tout :  guerrier  manqué,  amlMssadeur  manqué,  homme  d'alTaireg 
manqué  et  auieur  manqué,  n  II  eût  été  volontiers  libre  penseur 
s*il  n'avait  songé  ï  devenir  gouverneur  du  Dauphin,  el  puis  il 
avait  grand'  peur  de  sa  Temme  et  de  sa  ûlle  qui  étalent  des 
■  fagots  déE^ise  s.  Il  avait  épousé  Hélène  Phitlpeaui  de  Pont- 
Chanrain,  tieur  du  comte  de  Maarepaa, 


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16  LETTRES  DE  GALIANI 

mis  le  calmu  dans  l'esprit.  De  moii  cûté,  je  serais  en— 
chaulé  qu'il  retournât  en  France,  et  que  Ton  conti- 
nuât à  lui  payer  ses  ^ages  et  ses  pensions;  mais,  à 
vous  dire  Je  vrai,  je  suis  disposé  à  penser  comn\e  Galli, 
qu'on  n'en'Jera  rien,  et  qu'il  n'aura  que  des  chagrins 
et  des  persécutions  à  essuyer.  Il  est  Italien,  il  est  ami 
de  Choiseul  ;  en  voilà  assez  et  même  trop  pour  lui 
nuire. 

Quel  est  le  dupé  que  nous  connai^ns  tous  et  dont 
TOUS  riez  au  coin  de  votre  l'eu  î  Je  n'ai  jamais  pu  le 
deviner  ;  il  y  en  a  tant  de  toutes  les  espèces  !  Est-ce 
un  mari  dupé  par  sa  femme?  Est-ce  un  amant  dupé 
par  sa  maîtresse?  Es(r-ce  un  ministre  dupé  par  ses 
commis,  ou  par  son  confrère  ?  Enfin  je  ne  le  devine 
pas. 

Le  compliment  de  l'abbé  Balleux  à  H.  du  Belloy  est 
vrai  et  poli.  Il  est  poli  d'offrir  les  services  de  l'aca- 
démie à  M.  du  Belloy,  qui  en  a  grand  besoin.  Il  est 
vrai,  puisqu'il  dit  que  le  roi  voyait  H.  de  Clermont 
dans  l'acâdémie,  et  l'académie  dans  M.  de  Clermont. 
Cola  veut  dire  qu'il  voyait  combien  M.  de  Clermont 
était  ridicule,  inutile,  pkt,  etc.,  en  le  voyant  dansl'a- 
cadécuie,  et  combien  l'académie  était  inutile  en  y 
voyant  M.  de  Clermont,  et  vngtte  leonem  '. 

Rien  n'est  plus  vrai.  Bonsoir. 

1.  M.  ie  comW  de  Clermont,  prince  du  saag,  faisait  partie  de 
l'Acadëuiie   Traoçaise.   Lorsquil   moulut,   ou  lui  nomiua  comme 


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LETTRB5  DE  GALUM 


.V   MADAML  DK   BliLSl'NCK 

i'.'csl  ù  votre  Euiir  à  {»ré5<-iil,  ma  belle  danio,  ma- 
man  attendra.  AU  !  la  jolie  lettre  que  vous  m'avei 
l'ente!  Elle  ne  parlait  que  de  morts,  <lc  massacres,  rie 
(lucls,  et  tout  le  monde  se  portait  i'i  merveille.  Je 
crois  qu'il  faudrait  rétablir  l'usage  des  duels,  car  ils 
ne  Tont  plus  aucun  mat;  au  contraire,  ils  dégagent  la 
taille,  donnent  de  ia  souplesse  aux  muscles,  et  font  un 
exercice  de  gymnastique  meilleur  que  le  bal  et  le  jeu 
de  paume. 

i'aime  à  la  folie  la  phrase  de  maman,  que  M.  (jrimm 
a  remisé  son  prince  ;  c'est  un  métier  de  (iacrc  que  ce- 
lui de  gouverneur  d'un  prince.  Nous  avons  ici  le  prince 
Auguste  de  Saxd-Gotha,  qui  n'est  point  prince-,  il  est 


successeur  U.  de  Belloy,  l'auteur  iu  Siège  de  Calait,  etc.  i  I.e 
nouveau  promu  k  l'immorlalilc  Gt  koii  eiilré^'  ilaas  le  Conseil 
audémique  le  9  janvier  el  M.  l'abbé  Baticui  le  reçut.  Il  promit 
i  V.  de  Belloy  de  la  part  de  l'Aeadéroic  une  suite  de  dUcuuions 
liitérair^s  qui  serrinieut  à  perfectionner  le  style  et  à  épurer  le 
goùl.  .  (Grimm.j 


jbïGoogIc 


18  LETTRES  DE  UALIANI 

le  meilleur  enl'ant  du  monde.  Au  conlraire,  uous  avoiib 
ie  duc  de  Glocester,  vrai  prince  ;  il  part  après  demain  ; 
je  dine  avec  les  deux  ce  matin,  ou,  si  vous  voulez,  ce 
soir,  car  on  dioe  ici  à  cinq  heures,  à  l'anglaise  '. 

Je  voudrais  être  gai  avec  vous  el  profond  avec  ma- 
man, mais  je  ne  ie  puis  plus,  Naples  m'a  cmbétisé. 
(jatti  me  charge  de  vous  dire  mille  choses;  il  inocule 
des  êtres  qui  ne  valent  pas  la  peine  ni  les  frais  d'exis- 
ter ;  aussi  il  perd  son  temps,  comme  vous  croyez. 

Je  n'ai  point  reçu  de  lettres  de  France  cette  semaine, 
mais  OR  débite  ici  de  terribles  nouvelles  sur  votre 
compte,  c'est-a-dire  sur  le  compte  des  Français;  j'es- 
père que  rien  n'en  sera  vrai.  Je  clierche  dans  ma 
t(le  si  je  ne  trouverais  rien  à  vous  dire  ;  non,  en  vérité, 
il  n'y  a  rien. 

Cependant,  voilà  encoredu  papier  blanc  que  je  pour- 
rai» salir;  comment  s'y  prendre  ? 

Il  y  avait  «ne  fois  un  roi  et  une  reine;  ce  roi  était 
l'ou,  cette  reine  était  reine.  Cette  reine  voulait  détrô- 


I .  Le  duc  du  UUirester  était  arrivé  il  Naples  à  bunl  de  ta  Trô- 
f^ale  l'AUarme,  le  39  décembre  1771.  Lu  Cour  le  (raila  cotunie  un 
Inrant  d'Espa(;iie.  le  roi  l'accueillit  avec  beaucoup  de  curdialîlé. 
i  J'espère,  lui  dii-jl,  que  voii)  viendrc?,  nous  voir  à  Coserte; 
vous  7  Irouverez  un  hôte  qui  n'entend  rien  A  Taire  ilos  compli» 
ments,  mais  qui  toit»  recevra  avec  plaisir,  et  qui  tous  offrira  de 
bien  bon  cœilr  la  soupe  et  te  togement.  >  —  Le  duc  de  Saxe- 
Qotha,  Trère  du  prince  hérMilaire  de  Gotha,  arrivé  h  Naples 
pre«qoe  A  la  même  époque,  fui  an  contraire  inflnimenl  né- 
gligé. (Dépêches  du  vicomle  de  Choiscul  au  doc  d'Aiguillon. | 


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LETTIIKS   DE   GALMMI  19 

ncr  le  roi,  le  roi  lit  ciilermer  lii  reine.  Oetlc  reine 
écrivit  au  rui  son  frère.  Ce  roi  était*  bC'le  et  ne  répon- 
dit rien  à  la  reine.  Cette  reine  en  fut  au  désespoir. 
Le  roi  son  mnri  se  jeta  dans  les  bras  de  la  reine  sa 
mère.  Cette  reine^mère  était  plus  méchante  que  la 
gale;  cette  gale  se  communiqua  à  tous  ses  sujets  ;  ce 
peuple  de  galeux  détrôna  te  roi  fou,  comme  étant  in- 
crédule. De  là  commença  la  pi^i-séculion  contre  tous 
les  inci'édules,  qui  devint  générale  dans  tout  l'empire 
et  qui  l'abattit  entièrement;  et  ma  chère  vicomtesse 
alla  se  coucher  et  s'endormit.  Voilà  ma  tâche  remplie. 
Bonjour. 


AU    PRIMCE   H&RËDITAIRE    UK    SAXE-i 


Monseigneur, 

J'ai  re^-u  la  lettre  dont  il  a  plu  à  V.  A.  S.  de  m'iiono- 
rer,  et  que  le  prince  votre  frère  a  bien  voulu  me  re- 
mettre de  sa  propre  main.    Il  faut  ôtre  vrai,  surtoui 

1,  Le  prince  hérédlUlre  ErUMl-Loui»  voyagea  longnewenl 
■TOC  wn  rtëre  en  France  et  en  iKlie.  Les  deui  Jeimes  JifinWa 


jbïGoogIc 


20  LETTRES  DE  GALIAM 

uvec  les  souverains,  quand  cela  ne  surail  que  (tour  la  ra- 
reté du  rail.  Je  ne  sais  pas  décider  si  le  séjour  de  S.  A. 
ici  m'a  causé  plus  de  plaisir  que  de  peine.  D'abord,  il  a 
été  le  premier  qui  m'ait  dit  sentir  tout  le  poids  de  la 
charge  (juc  j'occupe  maintenant,  puisque  les  chaînes 
i|ui  nie  liaient  à  mon  devoir  m'ont  souvent  enipécho  de 
le  suivre  et  d'Être  toujours  auprès  de  lui,  comme  je 
l'aurais  souhaité.  Les  momeols  où  j'ai  pu  le  suivre 
n'ont  pas  été  plus  gais  pour  moi.  Le  regret  de  ne  pas 
vous  voir  ensemble  ici  se  faisait  sentir  d'autant  plus 
vivement  à  mon  cTeur,  que  le  propos  le  plus  fréquent, 
et  pour  ainsi  dire  le  refrain  de  S.  A.  à  chaque  chose 
curieuse,  belle  ou  remarquable  qu'il  voit,  c'est  celle 
e.\ciamalion  si  favorite:  «  Ah!  si  mon  frère  voyait  cela!» 
Voilà  les  souffrances  qu'il  m'a  causées.  Le  plaisir  a  été 
grand,  je  l'avoue;  et  sans  doute  aussi  grand  que  l'hon- 
ueurd'cn  être  connu.  Cette  douce  aisance  dont  j'ai  pu 
jouir  auprès  de  lui,  grâce  îi  son  affabilité,  cette  liberté 


A".  Sjvc'Gotba  avaient  le  goi'it  des  arts  cL  de  l'étuJe,  et  ilaliani 
|nilu  il'cui  nvec  beaucoup  d'éloges  dans  les  leltros  qu'il  éiTit 
]i:iidBni  leur  scjoiir  à  Naples.  Il  resta  en  corrcspoudancc  avec 
<;ui,  mais  c'est  en  vain  que  nous  avons  elierché  ses  lettres  aux 
arclilves  de  Saxc-Uollia.  l.c  prince  Eriiest-t.ouîs  succéda  i  sou 
péH'  en  l'ïi.  l'roH-iiiur  éclairé  des  arts  et  des  sciences  ainsi 
qiis  sa  fenimt',  la  |>rincesse  Marie  d?.  Saio-Mciningen,  il  fonda 
.lans  son  clidleau  île  Seiberg  le  plus  b  I  obscrvaloire  d.!  l'Alle- 
magne. —  La  cour  de  Saie-OoLlio  était  une  des  plus  agrônbies  ut 
des  plus  aniniics.  Voltaire  appelait  ces  peliles  cours  d'Allemagne 
■  de  Tieui  diàieaui  uii  l'on  i'amuse  *. 


jbï  Google 


LETTRES  DE  GALIAM  31 

que  j'avais  de  toul  dire,  grftce  k  se;;  luiniîiros  et  à  ses 
talents,  ce  souvenir  tendre  de  V.  A.  que  sa  vue  m'a 
causé,  voilà  mes  plaisirs.  Je  vous  laisse,  iiiouseigiicur, 
à  juger  laquelle  des  deux  seosationsauraildil  l'emporter. 
J'en  puis  d'autant  moins  juger  à  présent,  avec  impar- 
tialité, qu'écrivant  celte  letti-e,  après  avoir  pris  congé 
de  lui,  je  ne  sens  que  le  chagrin  très  vil'  de  la  voir 
s'éloigner.  Tout  autre  sentiment  se  tait  à  présent  en 
moi. 

Il  m'a  promis  qu'il  vous  assurerait  de  mon  attache- 
ment inviolahle,  de  ma  profonde  vénération,  et  j'ose 
mî-nie  dire  de  mon  amour  pour  vos  éminenles  vertus. 
C'est  tout  ce  qu'il  pouvait  m'accoi-der  de  plus  consolant 
j  so.'i  départ.  Il  est  donc  superflu  que  je  répt'le  ici  que 
je  suis  avec  le  plus  prolojid  ruspocl, 
De  V.  A.  S.,  etc. 


jbïGoogIc 


«At)AME    n   EPINAY   A   fiALIANI   ' 
BÉVE 

Un  soir,  j'iitais  seule  au  coin  de  mon  feu,  y;  me  mis 
ît  composer  une  pièce  de  clavecin.  Je  l'écrivis,  je  )a 
crus  superbe.  Je  la  jouai,  elle  me  parut  détestable.  Je 
me  dis  :  Voilà  deux  heures  de  temps  perdu,  il  faut  le 
réparer.  Je  me  remis  dans  mon  fauteuil  et  je  m'endor- 
mis. Endormie,  je  rêvai.  Je  rêvai  de  la  beauté,  de  la 
profondeur,  de  la  simplicité  des  arts,  et  quoique  en  ré- 
vanl,  la  difficuité  d'y  exccSier  ne  m'échappa  pas.  Mais 
peu  à  peu  le  délire  se  mêla  à  la  vérité,  il  me  sembla 
que  j'étais  mademoiselle  Clairon*;  malgré  cette  meta- 


1.  Madame  d'Ëpinay  s'ëJail  amusée  à  écrire  un  rêve  où  elle  se 
prcnail  pour  mademoiselle  Clairon  et  où  elle  eiprimalt  ses  idées 
sur  l'art  draroalique,  le  jeu  des  acteurs,  les  qualités  nécessaires 
pour  obtenir  du  succès  et  surtout  les  études  iudispentables  pour 
se  rorraer.  Nous  donnons  un  eitrail  du  rêve  de  madame 
d'Ëpinay. 

i.  Mademoiselle  Clairon  dont  madame  d'Ëpinay  joue  ici  le 
persanoage,  eut  la  carrière  Ihéélrale  la  plus  brillante.  Dès  sa 
naissance,  elle  sembla  prédestinée  au  théâtre.  Elle  naquit  dans 
une  petite  ville  pendant  le  carnaval.  LA,  tout  le  monde  aimait  le 
(ilaisir;  le  curé  et  son  vicaire  étalent  masqués,  lun  en  Arlequin 


jbïGoogIc 


LETTRES   nn    GALIANI  23 

morphose,  j'étais  pourtant  aussi  un  peu  moi,  et  nous 
n'y  perdions  ni  l'une  ni  l'autre.  Je  me  promenais  dans 
ma  chambre  d'un  pas  majestueux,  je  me  regardais  avec 
u^sfaotion  dans  toutes  les  glaces  dont  mon  apparte- 
ment était  décoré.  Me  trouvant  une  démarche  si  im- 
posante, je  regrettais  avec  amertume  d'avoir  quitté  le 
thé&tre,  et  puis  je  m'avouais  que  je  n'y  avais  réussi 
qu'à  force  d'art,  et  il  me  semblait  que  si  j'avais  ù 
recommencer  cette  carrière,  je  prendrais  une  autre 
route,  plus  simple,  plus  sûre,  qui  demanderait  peut-être 
autant  d'étude,  mais  plus  de  génie  et  moins  d'efforts. 
Tandis  que  j'étais  livrée  h  uqe  foule  de  réflesions 
contradictoires,  on  annonça  deux  jeunes  gens  qui  de- 
mandaient k  me  parler,  l'un  de  la  part  de  H.  de  Vol- 
taire, l'autre  de  la  part  de  Honet,  ancien  directeur  de 
rOp^-Comique.  Je  les  admis  tous  doux  en  ma  pré- 
sence, Le  protégé  de  H.  de  Voltaire  me  remît  une  lettre 
de  sa  part,  par  laquelle  il  me  suppliait,  moi  Clairon  ', 
d'aider  de  mes  conseils  l'homme  du  monde  qui  avait 
le  plus  de  dispositions  pour  le  théAtre,  car  jamais,  se- 

et  l'autre  en  Gilles  :  l'on  apporta  l'enfant  que  l'on  croyait 
moannt;  le  curé  l'ondoya  sans  changer  d'habit.  (Voir  l'appen- 
dice III.) 

1.  Ha  demoiselle  Clairon  Tut  en  relation  avec  toutes  les  célËbrltës 
de  l'époqne.  Dans  une  visite  à  Voltaire,  elle  se  jeta  à  ses  ge- 
nonz,  en  «'écriant  comme  iménaîde  :  <■  Ah  I  mon  Dieu  tntélaire  !  > 
N.  de  Voltaire  se  mit  autsii6l  i  genoux  devant  elle  :  u  A  présent 
que  nou4  votlè  terro  Sk  terre,  lui  dît-il,  comment  vous  portez- 
vous?  » 


jbïGoogIc 


U  LETTRES   DE   GÂLIANI 

Ion  lui,  OU  n'avait  débité  de  vers  avec  plus  de  grftce,  el 
peu  d'acicurs  savatenl  faire  autant  valoir  le  mérite 
d'un  auteur.  Il  joignait  à  un  bel  organe  l'avantage 
d'une  belle  figure.  Je  le  priai  de  déclamer  quelque 
scène;  il  en  choisit  une  d'Atsire,  et  je  crus  entendre 
Le  Kain  '.  Son  jeu  en  était  une  copie  fidèle,  maïs  sou 
beau  visage  restait  toujours  le  mCrae,  et  toute  son 
expression  résidait  dans  ses  gestes  et  dans  son  attitude. 
Je  voulus  lui  faire  quelques  observations,  mais  sa  ré- 
ponse fut  toujours  :    <t  Mademoiselle,  M.   Le  Kain  l'ait 


1.  .Mademoiselle  Clairon  et  Leknin  araient  l'uapour  l'autre  la 
haine  la  plus  franche  cl  h  plus  invétûrée  et  c'est  ce  qui  explique 
les  sentiments  que  madame  d'Ëpinay  prête  à  fa  célèbre  aftricc. 
l^ils  d'iiii  orfèvre  de  Paris,  Lekain  (tT38-l77H)  em|iorlé  par  son 
binour  de  la  scène,  jouait  déjà  sur  les  tbédtrcs  de  société,  lors* 
qu'il  fut  remarqué  par  Voltaire.  Il  débuta  au  Théâtre-Franfala 
en  ITEiO  par  le  rùle  de  Titus,  dans  la  tragédie  de  Brulus;  mais 
sa  physionomie  fort  |>eu  sympathique,  sa  voix  sourde  et  peu 
agréable  lui  nuisaient  beaucoup..  Bientât.  grdi;c  ù  la  perreelion 
de  son  jeu,  11  devint  le  favori  du  public  el  sa  carrirrc  ne  fui 
qu'une  suite  de  triomphes.  —  Lekain  ne  manquait  pus  d'esprit 
d'è-propDs,  c  Un  jour,  au  cbaufibir,  il  racontait  que  la  portion 
des  comédiens  ne  s'était  élevée  qu'à 8,000  livres;  il  s'eo  alDigeait:' 
«  Cet  histrion  se  plaint  de  n'avoir  que  8,000  livres,  dit  un  oQi- 
cicr  qui  était  présent,  et  moi  qui  verse  mon  sang  [lOiir  h  pairie, 
jen'ai  que  40O  livres.  »  — t  Eicon)|itcj.vous  pouriicnlu  dioitdr' 
nis  parler  ainsi?  •  répondit  LekJiu.  Il  a  remlu  deiii  grands  ser- 
vices à  la  scf-ne  française  ;  scuunJê  pjr  le  comli!  de  Lauraguais. 
qui  depuis  s'iiuilula  le  marguillier  de  la  Comédie -Française,  il 
débarrassa  la  scOnc  de  ces  banquettes  [iheécs  aui  deux  ci>tés  du 
ihédire  pour  les  Taloas  Houges,  m  qui  enlevait  toute  illusion. 
Puis  il  commença  la  réiorme  des  ridicules  costumes  t^uis  XtV 
dont  on  alTublait  les  héros  grecs  et  roniaiU'',  et  Talma  m-Iievj  di' 
l'arcomplir. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI  Î5 

G«  geste c'est  son  attitude  ù  cet  endroit,  v  — «  Cela 

est  vrai,  monsieur,  lui  dJs-je,  et  vous  avez  sur  lui 
l'avanUge  de  la  jeunesse  et  de  la  figure,  vous  êtes  trop 
[jarrait  pour  avoir  besoin  de  leçons.  Je  vais  vous  donner 
une  lettre  pour  mes  anciens  camarades  et  Je  ne  doute 
point  que  vous  ne  soyes  admis  au  début,  n 

Lorsque  je  fus  débarrassée  de  cette  sublime  merveille, 
je  m'occupai  de  l'autre  jeune  bomme.  Il  élait  moins 
grand  et  moins  régulièrement  fait  que  le  premier;  il 
n'était  point  beau,  mais  il  avait  beaucoup  de  physio- 
nomie :  f  En  quoi,  lui  dis-je,  monsieur,  peut-on  vous 
être  utile?  —  Madame,  je  me  destine  au  Théâtre-Fran- 
çais. —  Monsieur,  appelez-moi  mademoiselle,  on  ne 
m'appelle  plus  madame.  Avez-vous  déjà  paru  sur  quel- 
que tbéfttre?  —  Non,  mademoiselle.  Je  comptais  aller 
jouer  en  province,  mais  M.  Honel,  (|ui  m'a  reconnu 
des  dispositions,  m'a  conseillé  de  chercher  plutât  au- 
près de  vous  quelque  recommandation  assez  puissante 
pour  vous  engager,  mademoiselle,  à  me  donner  des 
avis;  comme  je  n'en  ai  point  trouvé,  j'ai  hasardé  de  me 
présenter  seul,  et  je  me  suis  fait  annoncer  de  la  part 
lie  31.  Wonet.  —  iln  n'est  donc  pas  hii  qrii  vous  en- 
voie?— Non,  ina(icmoisdl;'.Je\0U5 avoue  que  j'ai  pris 
^iii  Hom  sans  su  permission,  U  croyant  plus  ri;com- 
nianilable  que  le  mien,  qui  est  tout  k  Tiit  inconnu.  — 
Ab!  le  sien  me  l'est  preM|u<' aulant,  mais  n'iinporlc, 
votre  physionomie  m'intéresse.  Asmhi'z-vous,  nKinsiiun- 


jbïGooglc 


«6  LETTRE»  DE  IIALIANI 

et  causons,,.  Mil  allez  mo  clicrohor  moii  sao  h  o\x- 
VTsge  que  voilà  sur  cetto  console,  au  bout  do  oet  np- 
partement;  que  je  vous  voie  marcher,  s'il  vousplatt... 
Là,  près  de  cd  iiécessairo  du  Japon,,.  Montieur,  ju 
voua  r^nds  gràc«.  Cela  est  bien,  vos  mouvements  lont 
aisés,  vous  n'avez  point  d'apprêt,  point  de  disgrAces, 
mais  vous  n'avez  point  de  noblesie.  Avez-vou»  Jamais 
eu  l'occasion  de  voir  des  gens  de  qualité  dans  la  so- 
ciété? «•  Non,  madomoiselle. 

—  Dites-moi  qui  vous  a  montré  à  déclamer?  —  Per- 
sonne, mademoiselle,  je  suis  né  aveo  la  passion  du 
spectacle,  j'y  ai  beaucoup  été;  mnis  depuis  un  an  que  je 
ma  destine  au  théâtre,  H.  Monet  m'a  empêché  d'y  aller, 
il  m'a  prêté  des  livres,  et  a  voulu  que  je  bornasse 
mon  étude  à  lire  et  à  déclamer  devant  une  glace 

Ayant  reconnu  à  mon  écolier  un  esprit  naturel  mais 
sans  culture,  de  la  chaleur,  de  la  docilité,  jo  luis  dis  : 
s  Quels  sont,  monsieur,  lii«  rAles  que  voua  croyei 
posséder  le  mieux,  et  que  vous  vous  proposez  do  me 
faire  entendra  î  —  Mademoiselle,  celui  do  Néron  dans 
Britannicm.  —  Seulement  !  Mais,  monsieur,  avant  de 
vous  entendre,  failes-mol  la  grâce  de  me  dire  qui 
était  Néron.  —  Mademoiselle,  c'était  un  empereur  qui 
vivait  à  Rome.  -'  Qui  vivait  à  Rome  est  bon.  Maî.s 
était-il  empereur  romain,  ou  demeurail-il  ù  Rome 
pour  son  plaisir  ?  Comment  était-il  parvenu  à  l'empire  ? 


jbïGoogIc 


I.ETTRÏS  DE  QALIANI  iT 

Quels  étaient  ses  droite,  sa  iiBissanoi!,  sui  parunts,  sou 
éducation,  sod  caractère,  sos  pencbanti,  ses  vertu», 
ies  vices?  —  Mademoiselle,  \c  rôlo  do  Néron  répond  h 
une  partiâ  de  vos  questioiia,  mais  pas  à  toutes.  -— 
-^  Monsieur,  il  faut  non  seulemunt  répondre  h  ces 
qucatioos,  mais  fk  toutes  celles  que  je  voua  ferai  encore. 
Et  comment  pourrcz-vous  rt^ndre  le  rAle  do  Néron  ou 
l<.-l  autre  qu'il  vous  plaira,  si  vous  ne  connaissez  pas 
la  vie  du  personnage  quu  vous  voulei  représcnktr, 
comme  la  vàtra  même?  —  J'ai  cru,  mademoiselle, 
qu'il  suffisait  de  bien  connaître  la  piëc*  pour  saisir  le 
sens  de  son  rôle.  —  Et  vous  avez  mal  cru,  monsieur, 
voua  allez  on  convenir;  écoutez-moi.  AveK-voiis  quoi- 
que teinture  de  l'Iiîstoiro? 

Cette  cnonaîssance  bien  acquise  donne  h  l'acleur  qui 
sait  voir  et  sentir,  toute  la  clef  de  son  rAIe.  Son  effort 
ensuite  doit  fitre  de  s'identifier  avec  le  héros  qu'il  a  à 
représenter.  S'il  a  bien  vu,  s'il  a  senti  juste,  le  reste 
i«t  une  affaire  de  mémoire  et  d'habitude  qui  v(i  tout^' 
seule. 

Je  conviens  bien  encore  qu'une  grande  connaissance 
de  l'histoire  et  des  mœurs  des  anciens  vous  abrégerait 
beaucoup  de  temps  et  de  peines,  mais  on  peut  y  sup- 
pléer. Ne  désespérez  de  rien;  je  me  charge  de  vous  et 
je  vous  dirai  mon  secret.  Je  commencerai  par  vous 


jbïGoogIc 


as  LETTRES  DE  RALIANF 

prêter  quelques  livres,  où  vous  trouverez  loul  ce  qui 
fît>nci?i'ne  la  vie  de  Néron  ;  puisque  vous  en  ^vez  lu 
rôle,  appliquez- vous  à  Lien  saisir  son  cariclère.  I!  fui 
cruul,  cbercUcz-en  les  causes;  voyez  si  vous  les  trou- 
verez dans  la  trempu  de  son  3nic,  dans  la  corruption 
de  sa  cour  ou  de  son  siècle,  dans  l'enchaînement  des 
circonstances,  qui  souvent  nous  forcent  à  être  tout 
antres  que  la  nature  nous    lit:  un  grand  acteur  sait 

Taire  sentir  toutes  ces  nuances 

A  présent,  voyons  ce  que  vous  savez  faire.  Dites-moi 
quelques  scènes  de  la  vie  de  Néron....  Par  exemple, 
.sa  première  scène  avec  Narcisse,  et  la  scène  du  troi- 
sième acte  avec  Burrhus.  —  Eli  bien  !  tout  cela  ne 
^'aut  rien.  Vos  traits  m'annoncent  un  mouvement 
violant  dans  votre  ame,  et  votre  corps  est  immobile, 
cela  n'est  pas  possible;  vous  jouez  l'amour,  la  fureur, 
mais  vous  n'êtes  ni  amoureux  ni  furieux.  Vous  avez 
cependant  plus  de  talent  que  le  protégé  de  M.  de 
Voltaire;  mais  loi-squc  vous  aurez  l'ait  letude  que  je 
vous  prescris,  vous  sentirez  que  moi,  ignorant  specta- 
teur du  parterre,  après  vous  avoir  vu  jouer  comme 
vous  venez  de  faire,  je  m'en  irai  sans  savoir  ce  que 
c'était  que  Néron,  sans  entrevoir  la  différent  qu'il 
mettait  entre  Narcisse  et  Hurrbus. 

Vous  vous  êtes,  à  la  vérité,  occupé  du  jeu  de  votre 
visage,  mais  il  faut  que  toute  votre  personne  suit  d'ac- 


jbïGoogIc 


LETTRES   DE  GALUMI  39 

cord;  il  faut  de  l'cxprcs'^ion,  vt  non  pas  des  (grimaces. 
Voitii,  monsieur,  les  leçons  tju'oa  peut  donner  ù  un 
acteur;  celui  que  ia  nature  n'a  pas  destiné  à  eu  prolitcr 
ne  sera  jamais  qu'un  acteur  médiocre.  —  Mademoi- 
selle, oserais-je  vous  faire  une  objection?  —  Dites, 
monsieur.  —  De  cette  manière  il  est  impossible  de 
l'onner  un  acteur  comique;  car  où  trouve-t-o»  écrite 
la  vie  des  personnages  comiques?  —  Elle  est,  monsieur 
écrite  bien  plus  sûrement,  pour  qui  sait  la  lire,  dans 
le  (p-and  livre  àa  iiioudo;  mais  le  malheur  de  notre 
profession  est  ([uc  les  pages  les  plus  intéres^ntes  de  ce 
livTe  nous  sont  souvent  fermées.  C'est  à  nous,  monsieur, 
à  obtenir,  par  notre  mérite  personnel,  qu'on  nous 
)'  laisse  lire,  et  à  achever  de  détruire  un  préjugé  aussi 
barbare  que  nuisible  aux  progrès  de  l'art;  celte  tâche, 
au  resto,  vous  est  plus  aisée  qu'à  nous.  —  Mais,  comme 
je  me  destine  au  tragique,  croyez-vous,  mademoiselle, 
qu'au  moyen  de  l'étude  que  vous  voulez  bien  diriger, 
je  serai  en  état  de  rendre  un  rôle?  —  Non  assurément, 
monsieur,  je  vous  ai  déjà  dit  qu'il  faudra  ensuite  ap- 
prendre à  être  do  la  tète  aux  pieds  le  personnage  que 
vous  voulez  rendre:  il  faudra  apprendre  à  être  vrai- 
monsieur.  Vous  avez  ù  Paris  un  modèle  unique  que 
vous  irez  voir  rarement  s'il  vous  plait;  car  ce  sont  les 
grands  morlèles  qui  perdent  les  élèves.  —  El  ce 
grand  modèle?  —  C'est  M.  Caillot:  examincz-lc  bien, 
n«  le  copiez  pas  ;  mais   tâchez  de  deviner  les  ressorts 


jbïGoogIc 


M  LETTRES  DE   (JALIANI 

(|iii  le  font  mouvoir;  ils  sonl  tous  dans  sou  âme. 
Voyi-'z-lc  dans  Sylvain,  dans  le  Déserteur,  dans  Lucile. 
dans  l'Amoureux  db  q^tinze  ans  ' . 


Toul  mon  rogrcl,  à  pcésunt  que  je  suis  bien  (iïcillôc, 
*:st  que  inademoiseilc  Clairon  ne  se  souvicmlra  jamais 
d'avoir  dit  un  mot  de  tout  cela,  et  que  ce  sera  autant 
de  perdu  pour  le  premier  écolier  qui  viendra  la  trouver. 
Ce  qui  m'afllr^c  encore,  c'est  de  ne  point  revoir  mon 
élève.  Depuis  ce  temps,  je  ne  manque  pas  d'aller  à 
tous  les  débuts  annoncés,  dans  I^spérancc  de  le  re- 
trouver; mais  je  ne  vois  jusqu'à  présent  que  des  pToté' 
gés  de  M.  de  Vollairc. 


I.  Caillot  aialt  dÉbutë  en  proviens,  mais  una  se  douter  de  son 
talent;  >  il  se  etoyail  fait  pour  cbonler  avec  beaucoup  d'agré* 
ment,  jouer  avec  beaucoup  de  galté,  avec  une  belle  mine  bien 
r^oui».  mais  il  ne  k  crojait  pas  patbétlqoe.  Garrick  l'ajanl  tu 
jouer  pesdanl  son  séjour  en  Praoce,  Iji  apprit  qu'il  serait  acteur 
quand  11  lui  plairait.  Mademoiselle  Clairon  rencontra  Caillot  à 
Lyon  oTBTit,  qu'il  vînt  à  Paris,  et  foUlut  l'engager  h  débuter  èla 
Coniêdie-l''ranînisc  dans  lesrûlcs  de  3"  emploi,  c'esi-i-diredans 
les  tyrans,  les  amoureui  dédaignés,  etc.  Caillot  lui  dit;  s  Je 
vous  avonc.  mademoiselle,  que  si  je  me  deslinais  au  Tlii^itrc 
Kninfais,  j'aurais  l'ambition  d'essayer  les  premierj  rùles.  »  Made- 
moiselle Clairon  le  regarda  d'un  air  majeslueui  et  lui  dit  :  «  Lo 
projet  en  est  b,-an  ;  mais,  mon  ami,  tous  svei  le  neï  trop  court,  u 
Caillot  nous  a  prouié  depuis  qu'il  savait  s'allonger  le  nei  et  le 
pro[.orilonner  à  l'importonce  d'un  râle.  «  (Orimm.  Cor.  LU.,  page 
4Dd|  1.  IX.)  Les  succès  de  Caillot  furenl  aussi  élonnanti  que 
rapides;  il  se  retira  du  Ihéiltre  de  très  bonne  heure  et  vécut 
paisiblement  i  la  campagne. 


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LETTRES  DE  GALIANI 


A     MADAMli     D   LPINAY 

Naplos,  t»  révrier  inj. 

Ma  belle  dame, 

*L  Apri'S  la  débâcle,  vient  la  sécheresse.  Voilà  deux 
semaines  que  je  ne  reçois  rien  de  Raris.  li  faut  pour- 
nnl  ijue  je  réponde  à  cett«  lettre  arrivée  par  deux 

',  oburriers  et  qui  avait  été  à  Madrid:  elle  contenait 
161  rôve  en  forme  de  dialogue  écrit  très  délicate- 
Aient,  Ir^  DaTvement,  plein  de  bonnes  choses,  d'idées 

■j  vraies,  et  de  souhaits  impossibles. 

Je  n'ai  qu'une  difficulté  à  faire  à  vos  raisonncmenls. 
Je  ojavleas  que  l'étude  de  l'histoire  est  néilcssaire  à 
l'acteuf,  toutefois  poutvu  qUe  l'auteut-  de  la  pièco 
t'ait  étudiée  lui-môme,  en  ait  observé  les  mœurs,  le 
siècle,  le  costume;  mais  s'il  n'en  a  rien  fait  lui-même, 
comme  cela  arrire  presque  toujours,  l'acteur  serait  mille 
fois  plus  embarrassé  s'il  connaissait  l'histoire.  Si  un 
mallicurcux    qui    aurait  lu    Gnrzillas',  voulait  jouer 

I.  Garcilas  de  la  Vega,  hislorieD  espagnol  du  ivi*  siècle,  aiileiir 
de  ['biHloirc  des  Incas  et  des  guerres  cirilcs  des  Espagnols  daos 
les  Indes» 


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31  LETTRES  DE  r,AL[ASI 

Akirc,  au  diable  s'il  saurait  prononcer  un  seul  nioL 
(lu  rôle  de  Zamorc,  qui  est  si  savant,  et  do  celui  d'Aï- 
zire,  qui  dispute  sur  la  religion  aussi  joliment  que 
Voltaire.  Alvarcï  et  Gusmon  sont  deux  grands  d'Ks- 
pagnc  aussi  beau?^  que  le  prince  d'Ornn|{o  et  le  duc 
d'Albe,  au  lieu  d'être  deux  pirates,  vrais  forbans  ffu 
iner,  tels  qu  claient  (k>rtès  et  PiiarTO.  En  véril(',  ma 
belle  dame,  il  me  parait  que  l'ignorance  des  auteurs 
a  engeiidré  l'ignorance  des  acteurs,  et  de  ces  deux 
iguorances  a  procédé  l'ignorance  des  spectateurs,  qui 
n'a  été  ni  créée  ni  engendrée,  mais  qui  procède  des 
deus.  Voilà  une  Irinilé  d'ignorances  qui  a  créé  te 
uionde  théâtral.  Ce  monde  n'existe  qu'au  Ibéàtre; 
les  liommes,  les  vertus,  les  vices,  le  langage,  les 
événements,  le  dialogue  du  théâU'e,  sont  particu- 
liers. Il  s'est  tait  une  convention  parmi  les  hommes 
que  cela  serait  ainsi  ;  que  le  théâtre  aurait  ce  monde, 
et  l'on  est  convenu  de  trouver  cela  beau.  Les  raison» 
de  cette  convention  seraient  dititciles  à  retrouver. 
L'acte  en  est  fort  ancien,  et  il  n'a  pas  été  inxinué  au 
grelTe.  J'ai  bien  peur  qu'on  ne  soit  convenu  de  trou- 
ver Le  Kain  bon  et  parfait  '.  On  ne  peut  pas  revenir 

t.  Grlmm  (l'iMail  pas  du  rd  aiU  ;  t  Mai^  que  vous  d>rai-jc 
lie  Lekaln,  que  Je  n'nvaU  pas  vu  liepuis  qu'il  avait  reparu  au 
Ihéilre?  Il  semble  qu'il  n'ail  employé  le  temps  tic  sa  maladie  el 
de  sa  reirsile  que  pour  [lorler  soci  talent  A  un  degré  de  siibli- 
luitë  dont  il  est  Impossible  de  se  Former  une  IdËe,  qiiaud  ou  ne 
l'a  pas  vu.  11  esl  de  la  ngiirc  la  plus  laide  el  la  plus   iguoble  el 


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LETTRES   DE   GALIANE  33 

coDtre  une  conveatioD,  et  une  transactioa  en  forme. 
Au  reste,  je  crois  que  les  causes  qui  ont  produit  cet 
éloignemeat  de  la  nature  qu'on  a  fait  dans  le  ihéftlre, 
au  point  de  créer  un  monde  entier  tout  à  fait  nouveau, 
a  élé  la  difficulté  de  s'approcher  de  la  vérité  en  gar- 
dant son  tangage  vulgaire,  et  avec  la  loi  de  ne  pas  y 
placer  les  événements  modernes.  On  fait  une  bonne 
comédie,  vraie  au  dernier  point,  parce  qu'il  est 
permis  d'y  représenter  le  cocuage  arrivé  dans  la  se- 
maine même,  la  querelle  entre  mari  et  femme,  arrivée 
dans  le  mois,  la  ruine  d'un  joueur  arrivée  dans  l'année; 
mais,  s'il  ne  vous  est  pas  permis  de  rendre  en  tra- 
gédie, ni  la  chute  du  duc  de  Choiseul,  ni  même  celle 
du  cardinal  de  Demis  ',  comment  peutron  peindre 
la  vérilé?  Si  vous  mettez  sur  le  théâtre  Thémistocle 
et  Alcibiade,  à  l'instant  je  m'aperçois  qu'ils  ont  parlé 


il  dCTient  aa  théâlre  beau,  noble,  touchant,  paihétiqne,  ei  dispose 
de  Totre  Atne  A  son  grù.  Il  faut  compter  cet  acteur  parmi  les 
pbéDomënes  rares  que  la  Dalnre  se  plaît  A  Torner  de  temps  en 
temps,  niais  qu'elle  n'est  jamais  sOre  de  produire  deux  Tots, 
parce  qu'il  faut  un  concours  de  circonst&nces  qu'elle  na  peut  se 
prometlre  de  rassembler  plusieurs  fois  de  suit^.  >  (Grimm,  Corr. 
m.,  p.  ago,  l.  IX.) 

t.  Franfois  Joachim  de  Pierres,  comte  de  Ljon  et  cardinal  do 
Bernis,  membre  de  l'Académie  française.  Il  Tut  ambassadeur  à 
Venise,  puis  minisire  des  alTalres  ëtrangèrps,  enfln  disgracié  et 
eiilé  après  la  baleilip  de  Hoibach.  En  1764.  il  fut  enroyé  A 
Rome  comme  ambassadeur  et  11  y  resta  jusqu'à  sa  mort  en  ITilB. 
Cétait  un  des  protégésde  madame  de  Pompadour.  Ses  Hémoires 
OUI  été  publiés  récenimenl  par  M.  Hesïon. 


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34  LETTRES   DE  GALUNl 

grec,  et  qu'on  les  feit  parler  français  ;  qu'ils  élaieut 
citoyens  d'une  république,  et  qu'on  est  à  Paris,  qui 
n'est  pas  une  république,  à  ce  que  dit  l'almanach 
royal.  Je  renonce  donc  à  l'espoir  d'une  tragédie  vraie, 
et  je  consulterais  mon  acteur  pour  avoir  les  postures 
les  plus  pittoresques,  la  vois  la  plus  terrible,  la  dé- . 
marche  la  plus  chargée,  les  passions  les  plus  outrées. 
Toutefois  qu'en  Taisant  une  grimace  il  est  applaudi, 
je  lui  conseillerais  de  faire  le  lendemain  une  véritable 
contorsion,  tâcher  de  se  faire  bien  payer,  coucher 
avec  toutes  les  dam^s  qui  le  lui  demanderont,  et  de- 
mander à  couclier  avec  toutes  les  actrices  qui  paraî- 
traient vouloir  le  lui  refuser.  Voilà  l'éducation  de 
mon  Emile  Le  Kain  le  jeune.  Voyez  comme  nous 
sommes  peu  d'accord  ;  mais,  si  nous  l'avions  été  mal- 
heureusement,  je  n'aurais  rien  à  vous  mander,  sinon 
que  je  vous  adore  toujours. 
Le  prince  de  Saxe-tiotha  est  parti.  Adieu,  aimez- 


!i!ïGooglc 


lëkTtres  de  calia.ni 


Combien  de  fois  faut-il  donc,  ma  belie  dame,  que  je 
vous  mande  qu'il  ne  faut  pas  que  l'on  m'envoie  des  lettres 
dans  le  paquet  du  ministre,  parce  que  je  les  reçois 
plus  tard,  et  que  je  les  paie  plus  clier?  Vous  les  don- 
nez à  Magallon  ;  ce  cher  Magallon  qui  veut  absolument 
voir  ma  banqueroute,  au  lieu  de  les  envoyer  k  aon 
ami  Azaia,  agent  d'Ëspagoe  à  Rome,  qui  pourrait  me 
les  envoyer  ensuite,  sans  que  cela  me  coûtât  presque 
rien,  me  joue  le  tour  de  les  envoyer  è  Tanucci.  Cela 
me  met  de  très  mauvaise  humeur,  et  cette  lettre  s'en 
resseutira. 

Je  vous  remercie  de  m'avoir  mandé  le  titre  de  Juve- 
nieur  '  qu'avait  le  duc  de  la  Vauguyon  ;  cela  enrichit 
mon  érudition.  Il  répond  à  celui  de  prince  héréditaire, 
que  nous  avons  à  présent,  comme  celui  de  seigneur 
sigoilie  le  prince  régnant.  Pour  celui  d'avoué,  advocatus, 
il  est  bien  connu.'  La  terre,  sur  laquelle  il  prend  ce 
titre,  appartiendra  à  quelque  cgliae. 

Il  Voir  lapiiendîca  H . 


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36  LETTRES   DE  GALIi.NI 

Le  mot  du  dindon  est  exceltenl;  et  l'histoire  de 
madame  Cardinan  est  singulière.  Elle  prouve,  du 
moins,  que  toutes  les  tètes  tournent  à  présent  à  Paria, 
et  qu'on  ne  s'y  reconnaît  plus. 

Je  vous  prie  de  vous  informer  si  le  jeune  vicomte 
de  Montboissier  est  revenu  &  Paris  de  son  voyage  ; 
et  s'il  l'est,  faites-le  avertir  que  je  lui  écris  ce  soir, 
par  la  poste,  une  lettre  fort  intéressante,  au  sujet  d'une 
botte  de  médailles  antiques  que  je  lui  ai  confiée  ;  et 
que  j'en  attends  la  réponse. 

Ije  baron  de  Gleichen  s'est  arrêté  quelque  temps  à 
Rome,  ensuite  à  Florence,  il  est  à  présent  à  Gênes. 
L'emploi  de  commissaire  plénipotentiaire  auprès  du 
duc  de  Wurtemberg,  que  sa  cour  lui  destinait,  est  fort 
lucratif  et  fort  ennuyeux.  Il  est  plus  facile  de  s'enri- 
chir que  de  s'amuser,  dit  M.  Freeport'.  Ainsi  je 
ne  sais  ce  qu'il  fera*. 

Gatti  retournera  à  Paris,  puisqu'on  le  veut  absolu- 
ment. Cela  fera  grand  tort  à  notre  inoculation,  et  cela 
me  ESche  terriblement,  car  il  se  plaît  à  Naples,  et  je 
me  plais  à  l'y  voir. 

Puisque  Grimm  doit  venir  en  Italie,  je  renonce  aux 

1.  Fersonnige  de  VÉcoîtaise,  comédie  de  Voltaire. 

3.  Le  baron  de  Gleichen  n'accepta  pas  le  poste  de  ministre  de 
Danemark  en  Wurtemberg;  il  revint  se  fixer  i  Paria  et  y  resta 
jusqu'à  la  Révolution  française, 


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LETTRES  DE   GALIANI  37 

■ouhelU  d'une  peste,  mais  c'est  bien  à  regi-et  et  uni- 
quement à  son  égard. 

Je  suis  béte  ce  soir,  car  je  le  deviens  de  jour  en  jour 
davantage.  Âimei-moi;  portez-vous  bien.  Mandez-moi 
force  nouvelles  et  b<ms  mots.  Adieu. 


A     LA     MÊME 

n«plM,  U  man  t;iï. 

Ha  belle  dame,  voilà  votre  n"  86  qui  arrive  dans  In 
minute.  Il  m'enchante,  il  me  console,  il  me  rappt;llo 
Paris,  et  vous,  et  mes  amis  :  et  vous  vous  étonnez  que 
je  soupire  après  vos  lettres! 

Votie  fils  achève  donc  son  éducation  ;  £k  la  Donne 
heure.  It  ne  faut  désespérer  de  rien  ;  et  dans  ce  monde, 
le  meilleur  de  tous  les  mondes  impossibles,  toui  est 
pour  le  mieux.  Car  (nota  bette)  le  mieux  est  une 
chose  qui  n'existe  que  dans  notre  tête,  puisque  c'est 
l'idée  d'un  rapport,  et  on  en  a  l'ait  le  pivot  de  toute  la 
physique  d'un  monde  entier,  qui  est  hors  do  nous. 
Quels  butors  que  les  métaphysiciens  1  Mais  qu'est-ce  que 
ma  réOexion  sur  l'optimisme  a  de  commun  avec  votre 


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3S  LETTBES  DE   G&LIANI 

fiis?  C'est  que  ma  réflexion  est  belle,  neuve,  grande, 
et  je  n'ai  pas  voulu  la  perdre  ;  je  l'ai  placée  hors  de 
propos.  Mais  revenons  à  nos  moutons. 

Le  prince  de  Gotha  est  charmant  :  j'en  aï  é\A  infi- 
niment épris,  et  lui  de  moi  ;  et  à  vous  parler  franclio- 
ment  et  en  .iecret,  je  l'aime  encore  plus  que  son  frère. 
Il  a  cœur,  esprit,  enjouement  parfaits.  Dans  ma  chère 
patrie,  il  n'a  pointréussi.  Tantmieux  pour  lui,  tant  pis 
pour  elle.  Il  s'est  rencontré  avec  le  duc  de  Glocester, 
qui  joue  parfaitement  le  souverain  mal  élevé;  et  lui 
n'esl  qu'un  particulier  bien  élevé.  Ainsi  l'autre  l'a 
éclipsé,  car  il  répondait  mieux  à  l'idée  qu'on  a  des  - 
souverains,  et  que  ma  nation,  incapable  de  goûter,  ne 
fait  que  sentir.  Il  n'y  a  que  sur  l'article  générosité  que 
le  prince,  dans  sa  médiocrité,  a  mieux  fait  les  choses 
que  le  duc  dans  sa  gueuse  dignité;  car  il  était  pauvre, 
quoique  Anglais  et  souverain. 

Nous  avons  établi  une  correspondance,  le  prince  Au- 
guste et  moi.  J'ai  écrit  une  lettre  de  réponse  à  son 
frère  ',  et  une  au  prince  qui  m'a  écrit  de  Rome, 
lesquelles  méritaient  (amour-propre  fi  part)  toutes  les 
deux  de  n'être  pas  brûlées.  Si  Orimm  peut  en  arra- 
cher des  copies,  vous  les  verrez;  pour  moi.  je  n'en  ai 
conservé  aucune.  Je  rougirais  de  vous  envoyer  les 
copies  de  celles  du  prince  Auguste,  car  elles  sont  trop 

t.  Celle  que  nous  iTOns  publiée. 


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LETTRES  DE   GALIANI  39 

pour  moi,  mais  tous  verriez  qu'elles  sont 
très  bien  écrites  et  tournées  très  agréablement.  Enfin 
c'est  un  garçon  aussi  aimable  qu'estimable.  Je  lui  ai 
communiqué  quelques  lettres  de  vous.  Il  pensa  crever 
de  rire  sur  votre  expression,  que  M.  Grimm  avait  remts^ 
son  prince  à  Darmstadt  ■ . 

Gatti  doit,  ce  carême,  inoculer  la  moitié  de  notre 
noblesse  principale.  De  grâce,  empêchez  qu'il  ne  re- 
çoive des  lettres  de  Paris,  qui  le  rappellent  brusque- 
ment. Ce  serait  un  très  grand  mal  pour  notre  nation, 
qui  se  prête  de  très  bonne  gr&c«  à  l'inoculation,  par  la 
confiance  qu'on  a  en  lui  *.  Les  cboses  tournent  d'une 
ta^n  que  je  ne  serais  point  étonné  de  voir  que, 
dans  peu  de  mots,  le  souverain  se  déterminât  à  se 
laisser  inoculer.  Les  courtisans  qui  l'environnent,  et 
(|ui  paraissaient  les  plus  contraires,  pour  lui  faire  la 
cour,  sont  les  premiers  à  offrir  leurs  enfants  à  Gatti; 
et  le  médecin  du  roi  (contraire  à  l'inoculation)  lui  fera 

I.  Grimm  veiHit  d'accompagner  le  prince  de  H^sse-Darinstac)! 
dans  un  Tojage. 

i.  n  avait  cependant  une  singulière  manière  de  traiter  vg 
matndes  :  Appelé  un  jour  auprès  de  madame  Helrélius,  alleinis  dr< 
lipetite  Tèrole,  il  la  soigna  de  façon  si  bÎDirre,  que  cela  mérite 
d'être  rsconté.  D'abord,  il  fit  éteindre  le  feu  «t  ouvrir  les  fenê- 
tres; on  élaiC  au  mois  de  janvier.  Il  obligea  ensuite  la  malade  à 
se  tenir  hors  de  son  lit  etàso  promener  dans  sa  chambre  fraîche 
pendant  l'érnpHon.  Chaque  fois  qu'il  faisait  une  visite,  il  em- 
ployait le  temps  A  faire  mille  folleR  dans  [a  <;hanibce4e  la  malade, 
  danser  avec  sea  filles,  etc.  Madame  Hehétius  guérit  le  plus 
heureuyment  du  monde. 


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U  LETTRES   DE   GALUNI 

inoculer  sa  fille  unique,  qui  est  déjà  nubile.   Voilà 

toutes  nos  nouvelles. 

'Je  vous  remercie  de  la  méthode  que  vous  m'avez 
apprise  pour  opérer  le  miracle  de  l'hémorrlioïsse  '. 

Je  suis  prié  ce  soir  à  un  concert  de  vieille  musique, 
celam'empëche  d'allonger  ma  lettre.  Remerciez  le  baron 
de  la  traduction  de  Juvénal,  qu'il  m'envoie.  Que  sait' 
on?  cela  pourra  me  faire  faire  des  notes  sur  Juvénal  ; 
mais  il  n'est  pas  Horace,  à  beaucoup  près.  C'est  Robe  ■ 
à  côté  de  Voltaire.  Il  a  le  feu  de  la  criaiilerie;  il 
n'a  pas  la  délicatesse  du  goût.  Mais  bonsoir.  J'allais 
m'enfoumer  daos  une  dissertation  entre  Juvénal  et 
Horace. 

Aimez-moi  donc,  portez-vous  bien  :  point  de  dys- 
senlerie,  elle  n'est  pas  du  bon  Ion  ;  des  vapeurs  plutût. 
Quelques  migraines  par  ci,  par  lu,  et  des  nerfs  bien 
agacés,  voilà  tout  ce  que  je  vous  permets  d'avoir . 

Les  cardes  ne  sont  jamais  parvenues;  je  crains  bien 
qu'elles  ne  soient  noyées,  car  il  y  a  eu  force  nau- 


1.  Allusion  an  miracle  de  rbéraorroïsse  de  l'EvaDgile  :  U 
femme  malade  qai  fut  guérie  en  touchant  la  robe  de  Motre-Sei- 
gneur.  (Voir  la  lettre  du  S  janvier  1773.) 

3.  Pierre  Honoré  Robbé  de  Beauveset,  poète  erotique  et  licea- 
cleuT  BU  deli  de  toutes  limites.  Il  a  éerit  plusieurs  ouvrages, 
entre  aiiirei,  Ict  PuctlUt  d'Orléans;  tous  roulent  «ur  le  même 
sujet,  a  L'arebevéque  de  Paris,  (DonseiRueur  de  Beaumoat,  faisait  A 
Robbé  une  pension  de  I.ÎOOlivresà  condition  qu'il  ne  ferait  pas 
imprimer  «es  poèmes,  i  (Mélanges  de  Cravford). 


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LETTRES   DE  GALIANI  il 

frages.  Tant  mieux,  puisque  j'ai  eDCore  de  l'argent  à 
paris;  je  n'en  savais  rien  en  vérité  :  tout  ce  que  je  sa- 
vais, c'est  que  je  n'eu  ai  point  à  Naples.  Soyez  atten- 
tive, s'il  parait  de  nouveaux  voyages;  c'est  mon  uni- 
que lecture  à  présent.  Je  tâche  de  m'expatrier  tant  que 
je  puis.  Croirïez-vous  que  j'ai  lu  Anquetil  sans  en  lais- 
ser un  mot?  Cela  est  incroyable  I  II  a  été  chercher  la 
Bible  de  Zoroastre  aux  Indes,  et  en  a  rapporté  le  bré- 
viaire !  Bonsoir. 


Naples,  Il  mari  1771, 

Je  n'ai  point  de  vos  lettres  cette  semaine.  Si  vous 
étiez  une  personne  bien  portante,  cela  ne  m'inquiéterait 
point;  mais  vos  lettres  parlent  toujours  de  maladies, 
et  votre  dernière  vous  peignait  bien  souffrante;  qu'a- 
vez-vous  donc?  vous  portez-vous  bien?  l'apprentissage 
de  votre  fils  vous  aurait-il  coûté  d'autres  chagrins  ?  ' 
Parlez  donc. 

Pour  moi  ja  n'ai  rien  ù  vous  dire;  je  suis  triste  et 
maussade.  Il  vaque  un  emploi  auquel  je  pourrais  préten- 


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42  LETTRES  DE  GALIANI 

dre:  i!  donne  plus  d'argent  et  de  coosidt^ration  que  celui 
que  j'ai;  mais  it  donne  bien  plus  de  travail  et  d'ennui  : 
d'ailleurs,  il  est  fort  sollicité;  etj notre  usage  est,  lors- 
qu'on prétend  à  une  place,  de  l'aire  tout  le  mal  possi- 
ble à  ses  compétiteurs,  les  calomnier,  les  dénigrer  ;  on 
leur  fait  tout,  à  cela  près  qu'on  ne  les  assomme  pas. 
Je  ne  sais  à  quoi  me  résoudre,  je  ne  sais  où  tourner 
mes  pas.  Si  je  demande  cet  emploi,  je  m'expose  à 
tous  ces  maux  ;  si  je  ne  me  mets  pas  sur  les  rangs,  on 
n'en  croira  pas  moins  que  je  manœuvre  en  secret,  et 
on  mêlera  tout  autant  de  mal,  et  on  me  causera  les 
mêmes  chagrins  que  si  j'avais  sollicité.  D'ailleurs  il 
faut  avancer  une  fois,  il  faut  arriver  au  travail  et  ii 
l'ennui  ;  autant  vaut  commencer  dt-s  î>  présent.  Arrive 
une  autre  pensée,  qui  dit  ;  Il  faut  relnrder  les  maux 
inévitables  ;  si  je  puis  encore  jouir  du  repos,  de  l'oisi- 
veté, de  l'oubli,  pourquoi  me  presser  d'en  sortir? 
VoilJi  l'état  actuel  de  mon  esprit  :  vous  voyez  que  j'ai 
raison  d'être  triste  et  b6tc.  Ahl  la  vilaine  chose  que 
l'ambition!  Mais  le  moyen  de  non  pas  avoir,  lorsque 
le  monde  croit  que  vous  en  avez  ;  ailtc  opinion  publi- 
que suffit  à  causer  autant  de  maux  que  l'ambition 
même. 

Pour  me  distraire,  j'élève  deux  chats,  et  j'étudie  leurs 
mœurs  :  savez-vous  que  c'est  une  science  et  une  étude 
toute  nouvelle.  Il  y  a  des  siècles  qu'on  élève  des  chats, 
et  cependant  je  ne  trouve  personne  qui  les  ait  bien 


jbïGoogIc 


LETTRES   DE  GALIANI  43 

étudiés;  j'ai  lo  mâle  et  la  femelle  ;  je  leur  ai  empt'cW 
toute  commnnication  avec  les  chats  du  dehors  et  j'ai 
voulu  suivre  leur  ménage  avec  attention;  croiriei-vous 
une  chose?  Dans  les  mois  de  leurs  amours,  ils  n'ont 
jamais  miaulé;  le  miaulement  n'est  donc  pas  le  langage 
de  l'amour  des  chats,  il  n'est  que  l'appel  des  absents. 
Autre  découverte  sûre  :  le  langage  du  mâle  est  tout  à 
fait  différent  de  celui  de  la  femelle,  comme  cela  de- 
vait Stre.  Daus  les  oiseaux,  cette  différence  est  plus 
marquée;  le  chant  du  mMe  est  tout  à  fait  différent 
de  celui  de  ta  femelle;  mais  dans  les  quadrupèdes, 
je  ne  sais  pas  que  personne  se  soit  aperçu  de  cette 
différence  ;  en  outre  je  suis  sûr  qu'il  y  a  plus  de 
vingt  inflexions  différentes  dans  le  langage  dos 
chats,  et  leur  langage  est  véritablement  une  langue  ; 
car  ils  emploient  toujours  le  même  son  pour  exprimer 
la  même  chose.  Je  ne  finirais  point  si  je  vous  disais 
toutes  mes  observations;  mais  par  cet  échantillon  vous 
voyez  que  je  serai  bientôt  Thistoriogriphe  de  Naples  ■. 


I.  Allusion  h  Moncrif,  hratoriographe  de  France  et  qn'on 
appelait  historiogriphe  parce  qu'il  iTail  publié  un  ouvrage  sur  les 
chats,  dans  lequel  il  Giiviit  intervenir  un  grand  nombre  de  per- 
sonnes trèsconnuen  de  l'époque.  Cet  ouvrage,  el  auss)  la  protec- 
tion de  la  maison  d'Orléans,  lui  valut  son  entrée  à  l'Académie 
rnD{aîse;  Maurepas  raconte  dans  ses  mémoires  que  ie  jour  de 
la  rteepUon  et  au  moment  où  le  récipiendaire  prononçait  grave- 
ment son  discours,  un  mauvais  plaisant  laissa  échapper  un  chat 
qu'il  avait  cscbé  dans  sa  poche;  ia  pauvre  bêle  atTolée  se  mil  A 
miauler  avec  déseapoir,'iin  certain  nombre  d'asaiatanta  s'amnaa 


jbïGoogIc 


U  LETTRES  DE  GILIANI 

Voilà  mes  peines  et  mes  atnusemeats.  Au  surplus  je 
ne  fais  rien. 

Gatti  se  porte  bien,  inocule,  ga^e  de  l'argent  et  le 
méprise,  se  tourmente  de  ce  qu'on  le  chérit,  et  vou- 
drait être  un  gueux  cochon,  mais  il  n'a  pas  la  force 
de  l'être. 

De  grftce,  dites  de  ma  part  à  mon  cher  marquis  de 
Hora  '  que  je  suis  couvert  de  honte  de  n'avoir  pas 
répondu  à  sa  lettre;  mais  il  suffit  que  vous  lui  montriez 


à  lui  répondre,  et  ce  concert  Inattendu  accompagnant  l'éloge  du 
poème  des  chats,  ne  tarda  pua  k  avoir  raison  de  la  gravité  dM 
académiciens.  CeUe  réception  resta  célèbre  i  l'Académie. 

1.  Le  marquis  de  Mora  était  le  DU  aloédu  comte  de  Fueoiès, 
ambassadeur  d'Espagne i  Paris.—  Jeune,  ardent,  spirituel,  porté 
vers  les  idées  philosophiques  qui  étalent  alors  un  élément  de  succès, 
il  y  mélall  a&seï  d'esprit  chevaleresque  pour  ressembler  ■  i  un 
descendant  du  Cid  attardé  dans  le  siècle  de  la  poudre  et  des  mou- 
cher >.  tl  fut  reçu  i  Paris  et  à  Versailles  avec  ta  plus  grande  faveur. 
—  Gendre  du  comle  d'Aranda,  premier  ministre  de  Cbarles  IQ, 
qui  venait  d'eipulser  les  jésuites  d'Espaiçne,  le  marquis  de  Hora 
était  d'aTanc«Bûr  détre  bien  accueilli  par  le  parti  philosophique. 

D'Alombert  écrivait  i  Vollalre  :  •  Il  y  a  ici  un  jeune  Espagnol  de 
gronde  naissance  tt  de  plus  grand  mérite.,.  J'ai  vu  peu  d'étrangers 
de  son  Age  qui  aient  l'esprit  plus  juste,  plus  npt,  plus  cultivé  et 
plus  éclairé.  Aoyei  sur  qu>>  tout  jeune,  tout  grand  seigneur  et 
tout  Espagnol  qu'il  est.  je  u'eiagère  nullement...  il  est  destiné  i 
occuper  un  jour  de  grandes  places,  etil  y  peut  faire  un  grand 
bien.  >  La  brillante  destinée  que  tous  présageaient  A  Mora  ne  devait 
pas  s'accomplir.  Atteint  d'une  maladie  de  poitrine,  le  jeune  Espa- 
gnol Tut  enlevé  i  la  Heur  de  l'Age.  ■  Tout  est  destinée  dans  ce 
monde,  et  l'Espagne  n'était  pas  digne  d'avoir  un  H.  de  Mort. 
Pcnt-étre  cela  dérangerait  l'ordre  entier  des  chutes  des  monar- 
chies. >  (Gaiiani  à  madame  d'Êpinay).  LV  liaison  du  marquis  de 
Mora  avec   mademoiselle  de  Lespinasse  est  restée  célèbre. 


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LETTRES  DE  GALtAPJl  45 

celle^i  pour  lui  prouver  à  quel  point  la  source  do 
mes  idées  est  tarie.  Que  pouvais-je  lui  écrire?  l'histoire 
(les  chats?  Je  ne  retiens  pas  les  platitudes  que  j'entends 
dire,  mais  elles  suffisent  pour  m'empécher  de  dire  des 
choses  qui  ne  soient  pas  aussi  plates  que  tout  ce 
qu'on  me  dît.  Mille  choses  à  tous  mes  amis. 

Quelle  belle  journée  d'avoir  une  honne  lettre  de  mot 
vous  perdez!  J'aurais  la  plus  grande  envie  de  vous 
écrire,  mais  de  quoi?  De  ce  que  je  vous  aime  et  vous 
aimerai  toujours. 


'  NaplM,  as  man  llll. 

Je  tac.  garderai  bien  de  lire  à  M.  Gatli  le  petit  ar- 
ticle qui  le  concerne  dans  votre  n"  87.  Ce  serait  un 
meurtre.  Aucun  de  ses  amis  ne  lui  pardonnerait  d'a- 
voir perdu  de  gaieté  de  cœur  un  millier  de  louis  à 
gagner  dans  trois  mois.  Si  vous  voyiez  avec  quelle  ra- 
pidité l'iaoculation  gàgnn  ici,  vous  seriez  étonnée,  et 
vous  vous  récrieriez  :  Ah  !  quel  peuple  b.irl)are  !  comme 
on  voit  que  les  connaissances  n'oiil  point  gâté  les  iu- 


jbïGooglc 


46  LETTRES   DE   GALIANI 

mièrfls  de  la  raison  naturelle  !  Si  vous  voyiez  comme  les 
mèi«s  offrent  leurs  enfants  à  inoculer,  par  uoe  ten- 
dresse mêlée  de  stupidité,  cela  vous  paraîtrait  bien 
curieux.  De  tous  les  raisonnemcats  qu'on  faisait  à 
Paris  contre  l'inoculation,  il  ne  s'en  faisait  pas  un  seul 
ici.  Le  seul  qu'on  entend  quelquefois,  c'est  que  cela 
parait  à  plusieurs  s'opposer  à  la  destinée,  et  empëclier  la 
toute-poissance  divine.  Ah!  qu'il  est  vrai  que  le  fatalisme 
est  le  seul  système  conveouble  aux  sauvages,  et  si  l'oit 
entendait  bien  le  langage  des  animauXf  on  verrait  qu'il 
est  le  seul  système  de  toutes  les  bëtes.  Le  fatalisme  est 
le  père  et  le  fils  de  la  barbarie  ;  il  en  est  entante,  et  il  la 
nourrit  ensuite  ;  et  savez-vous  pourquoi  ?  C'est  qu'il 
est  le  système  le  plus  paresseux,  et  par  conséquent  le 
piusconvenable  à  l'homme.  Aucun  Napolitain  nes'avisait 
d'envoyer  chercher  M.  Gatti  ;  mais  puisqu'il  y  est,  on 
se  l'ait  inoculer.  Voilà  les  nouvelles  de  ma  ville,  et  des 
réflexions  à  moi  tout  seul. 

Je  vous  remercie  de  la  recette  du  vin  anliscorhu- 
tique  que  vous  m'avez  envoyée.  Mais  je  ne-  suis  pas 
malade;  je  ne  l'ai  encore  pris,  et  si  je  le  prends, 
c'est  pour  réveiller  mon  appétit  ;car  autrefois  il  me 
lit  cet  effet-là.  Si  vous  avez  un  vin  anti  ennuyeux, 
envoycz-le-nioi  vite  ;  c'est  là  le  secret  qui  peut  me 
sauver  la  vie,  car  je  m'ennuie  à  périr.  Lorsque  je 
vous  aimamié  que  la  conservation  de  rna  vie  dépen- 
dait  du  vin  antiscorbutique,  je  badinais,  et  si  vous 


jbïGoogIc 


LETTRES   DE   GÀLUNl  47 

aviez  vu  mon  visage,  vous  vous  en  seriez  aperçu  ;  mais 
voilà  le  mal  des  lettres.  J'espère  qu'un  jour  viendra 
qu'oa  enverra  les  lettres  avec  sou  portrait  à  la  t£te, 
pour  servir  à  l'intelligence  de  plusieurs  mots  obs- 

J'enverrai  au  baron  des  estampes,  et  nous  serons 
quittes  de  tout.  Je  ne  crois  pas  que  la  lettre  sur  le 
voyage  de  H.  Anquetii  soit  grand'ctiose ';  Auqoelil 
est  ce  que  doit  être  un  voyageur,  exact,  mipulleui:,  in- 
capable de  former  aucun  système,  incapable  de  s'a- 
percevoir si  une  chose  est  utile  ou  inutile.  Voilà  comme 
il  l'aut  amasser.  Trier  est  une  autre  affaire.  J'ai  trié,  moi, 
son  li^Te.  Je  me  suis  aperçu  que  riiistoiru  a  beaucoup 
plus  souffert  en  Asie,  que  chez  nous.  On  ne  peut  plus 
faire  aucun  cas  de  leurs  antiquités.  Tout  est  fable.  Ils 
n'ont  aucun  écrivain  qui  passe  le  onzième  siècle.  Ainsi 
tout  ce  Zoroastre  est  un  rêve.  Le  Zend-Avesta  ne  res- 
semble pas  plus  à  la  Bible  de  Zoroastre,  que  notre  bré- 
viaire aux  ouvrages  de  Moïse.  Il  est  même  rempli  de 
christianisme  et  de  mahométisme,  tant  il  est  moderne. 


i.  L'd  Anglais,  H.  Jones,  jiublia.uEe  lettre  d»  comciion  (râler- 
ntlle  à  M.  AaqiMlil  Daperron.  daia  taquelle  ut  compris  l'exanten 
de  M  traduction  dei  livres  attribués  à  Zoroastre.  a  M.  Jones  s'est 
pas  leadre  et  il  prouve  que  M.  Auquetil  avec  loule  sa  morgue, 
fondée  sur  ce  qu'il  se  croii  Is  seul  homme  en  Europe  qui  Mche 
l'ancienne  langue  ili:^  Perses,  peut  être  véhëuienli'UieiU  soup- 
(onaé  de  o'en  avoir  que  des  noLionii  très  auperlicielles  el  très 
confusei.  >  ((irimm,  Corr.  litt.) 


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48  LETTRES  DE   GALIANI 

Je  crois  le  Zend-Avcsta  un  ouvrage  du  douzième  siècle, 
et  les  autres  encore  plus  modernes.  Je  commence  à 
croire  que  les  antiquités  indiennes  et  chinoises  ne 
vaudront  guère  davantage.  Cependant  j'aimerais  bien 
lire  les  Védasà  présent  '. 

Gleichen  était  à  Gènes  ;  Sase-Golha  je  ne  sais  pas 
oà.  Donnez-moi  loujoursdes  nouvelles  de  Paris.  Aimez- 
moi,  portez-vous  bien,  et  laissez-moi  quitter"  cette 
lettre,  car  j'ai  beaucoup  à  i'aire.  Bonsoir. 


Voici  le  produit  d'une  nuit  veillée,  et  mal  employée, 
et  l'effet  de  votre  numéro  89  *.  J'avais  besoin  de 
m'occuper  fortement  pour  me  distraire  du  chagrin,  de 
la  rage  et  du  dépit  que  m'a  causés  une  étourderie 

1.  Le*  Védas  sont  les  plus  anciens  et  les  plus  révérés  des 
hrre»  sacrés  des  Hindous,  qui  les  atlribuent  à  Brabma  ;  Anqueiil 
Duperron  en  a  publié  une  traduction  taiiuc  abrégée  sous  le  litre 
d'Oupnékal. 

2.  Goliani  envoyait  à  madame  d'Epiiiaj  avec  sa  lettre,  le  Dia- 
logua lUT  les  femmei  qu'il  veuail  d  écrire. 


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LETTRES  DE   GALIAM  49 

affireuse  de  Hagallon,  qui  peut-être  me- coûtera  300 
livres,  outre  les  chagrins,  la  dérision  et  l'insulte  '. 
De  grâce,  je  vous  prie,  lorsque  vous  le  verrez,  de  le 
battre  bien  fort,  de  le  souffleter  même  ;  et  il  est 
encore  trop  heureux  que  je  choisisse  une  main  si 
belle  pour  me  venger. 

Je  n'ai  pas  eu  la  force  de  copier  mon  dialogue,  je 
me  suis  fait  aider  par  mon  copiste,  qui,  n'ayant  jamais 
écrit  le  français  et  ne  l'entendant  point,  a  sauté  dos 
mots  entiers. 

Les  cardes  sont  arrivées,  et  me  coûtent  un  louis  en 
tout  :  les  frais  de  transport  sont  horribles- 

Ah  çik!  Jwn  soir,  je  n'en  puis  plus  d'écrire.  A  hui- 
taine je  répondrai  à  la  chaise  de  paille.  Votre  numéro 
90  arrive  :  j'y  répondrai  samedi  prochain. 

Ce  n'est  pas  vous  qui  êtes  la  causo  de  l'étourderie 
de  Magallon,  quoique  les  livres  qu'il  m'a  envoyés  vien- 
nent de  vous.  C'est  bien  lui  qui  après  trois  ans  ne  veut 
pas  absolument  enteadrc  la  situation  où  nous  sommes. 
Est-it  possible  qu'il  ait  la  tétc  si  dure?  Est-il  imbécile 
à  ce  point^là  ?  De  grâce,  battez-le,  la  rage  me  reprend. 


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LETTRES  DE  GALIANI 


Dialogue  sur  les  Femmes. 
PAK  Galuni  *. 

Le  Marquis.  —  Comment  définissez-vous  donc  les 
femmes  1 

Le  Chevalier.  —  Uq  animal  naturellement  faible  et 
malade. 

Le  Marquis.  —  Je  conviens  qu'elles  sont  souvent 
l'une  efl'autre,  mais  je  suis  persuadé  que  c'est  un 
effet  de  l'éducation,  du  système  de  nos  mœurs  et  point 
du  tout  de  ta  nature. 

Le  Chevalier.  —  Marquis,  il  y  a  dans  le  monde  plus 
de  nature  et  moins  de  violation  que  vous  ne  pensez  : 
on  est  ce  qu'on  doit  être.  11  en  est  des  hommes  com- 
me des  bëtes;  la  nature  fait  les  plis,  l'éducation  et 
l'habitude  y  font  le  calus.  Regardez  les  mains  d'un 
laboureur,  vous  y  verrez  le  tableau  de  la  nature. 

Le  Marquis.  —  Vilain  tableau  !  vous  vouiez  donc  que 
ce  soit  Ja  nature  qui  ait  fait  les  femmes  faibles  !  Et  les 


Le  Chevalier.  —  Elles  le  sont  aussi. 

Le  Marquis.  —  Pas  toutes,  à  ce  qu'il  me  parait. 

Le  Chevalier,  —  Je  conviens  qu'une  sauvagesse  avec 

1 .  Lei  deux  InierlocnUnn  sont  le  Marquis  (Harquit  de  CroU- 
mare)  et  le  Chevalier  (GaliaDl|. 


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,       LETTRES  DE  GALI1.NI  51 

son  iAtoa  rosserait  qua^  de  nos  gendaxmeA,  mais 
prenez  garde  que  Le  sauvage  avec  sa  massue  en  assom- 
merait douze  :  ainsi  la  proportion  est  toujours  la  même. 
11  est  toujours  vrai  que  la  femme  est  oatureltement 
Taible,  on  remarque  la  même  inégalité  dans  plusieurs 
dasses  d'animaux.  Comparez  les  coqs  aux  poules,  les 
taureaux  aux  vaches.  La  Eemme  est  d'un  cinquièm* 
plus  petite  que  l'homme  et  presque  d'un  tiers  moins 
forte. 

Le  Marquis.  —  Que  concluez-vous  donc  de  cette 
définition  ! 

Le  Chevalier.  —  Que  ces  deux  caractères  de  faiblesse 
et  de  maladie  nous  donnent  le  Ion  général,  ta  couleur 
essentielle  du  caractère  du  sexe.  Détaillez  et  appliquez 
cette  théorie  et  vous  développerez  tout.  D'abord  leur 
faiblesse  empêchera  les  femmes  de  s'adonner  à  tous  les 
métiers  qui  exigent  un  certain  degré  de  force  et  beau- 
coup de  sanlé,  comme  les  forges,  la  maçonnerie,  la 
manœuvre  des  vaisseaux,  la  guerre 

Le  Marquis.' —  Vous  croyez  que  les  femmes  ne 
pourraient  pas  faire  la  guerre  ?  Moi,  je  pense  qu'elles 
se  battraient  bien. 

Le  Chevalier.  —  Je  le  pense  aussi  ;  mais  elles  necou- 
cberaient  point  au  bivouac.  Elles  ont  le  courage  d'af- 
frtHiter  le  péril,  elles  n'ont  point  la  force  de  soutenir 
les  fatigues. 

Le  Marquis.  —  Cela  pourrait  être,  c'est  un  métier 


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U  LETTRES  DE  GALIAM 

fatiguant  quo  coluî  d'assomineur  d'hommes  ;  quand  je 
le  faisais  il  m'a  toujours  paru  qu'il  en  coûtait  trop  de 
peines  de  tuer  son  ennemi,  cependant,  si  vous  accor- 
dez le  courage  aux  femmes,  vous  serez  obligé  de  con- 
venir qu'elles  ont  de  la  force. 

Le  Ctievalier.  —  Poial  du  tout  :  un  mourant  peut 
avoir  bien  du  courage  sans  avoir  aucuue  force;  savez- 
vous  ce  que  c'est  que  le  courage? 

Le  Marquis.  —  Voyons. 

Le  Chevalier.  —  L'effet  d'une  grandissime  peur. 

Ije  Marquis.  —  Si  ce  n'est  pas  lu  un  paradoxe,  je 
veux  mourir. 

Le  Chevalier.  —  Paradoxe  tant  qu'il  vous  plaira,  il 
n'en  est  pas  moins  vrai.  On  se  laisse  courageusement 
couper  une  jambe  parce  que  l'on  a  une  très  grande  peur 
de  mourir  en  la  gardant.  Un  malade  avale  sans  répu- 
gnance une  médecine  qu'un  homme  en  santé  ne  pren- 
drait jamais,  on  so  jette  dans  les  flammes  pour  sau- 
ver son  colfre-fort,  parce  qu'on  a  une  très  grande  peur 
de  perdre  son  argent;  si  Ton  y  était  indiflëront  on 
ne  se  risquerait  pas. 

Le  Marquis.  —  Mais  si  ces  eRets  répondent  à  leurs 
causes,  le  courage  ne  sera  donc,  tout  comme  la  peur, 
qu'une  maladie  de  l'imagination  ? 

I^  Chevalier.  —  Rien  n'est  plus  vrai,  aussi  les  gens 
sages  n'ont  jamais  de  courage,  ils  sont  prudents  et 
modén^.  ce  qui  veut  dire  poltrons  :  du  plus  au  moins 


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LETTRES  DE  OAlliM  &3 

il  n'y  a  que  )cs  fous  qui  aieat  du  couragn.  Ho  per- 
mettez-vous d'ajouter  que  les  Français  sont  la  nation  la 
plus  courageuse  qui  existe  ? 

Le  Marquis.  —  Après  les  Marattes  des  Indes,  s'il  vous 
plaît  :  vous  ne  pouvez  placer  un  éloge  de  ma  nation 
plus  mal  à  propos  ;  mais  on  vous  connaît,  on  sait  ce 
que  vous  valez. 

Le  Oievalier.  —  Grand  merci  !  ainsi  je  soutiens  que 
la  témme  est  faible  dans  l'organisation  de  ses  muscles, 
de  là  sa  vie  retirée,  son  attachement  au  mâle  de  son 
espèce,  qui  fait  son  soutien,  ses  occupations,  ses  mé- 
tiers,  sou  habillement  léger,  etc. 

Le  Marquis.  —  Et  pourquoi  en  laites-vous  un  6tre 
malade? 

Le  Chevalier.  —  Parce  qu'il  l'est  naturellement. 
D'abori  elle  est  malade,  comme  tous  lus  animaux,  jus- 
qu'à parfaite  croissance  ;  alors  viennent  ces  symptôme!) 
si  connus  à  toute  la  classe  des  bimanes,  elle  en  est 
nudade  six  jours  par  mois,  l'un  portant  l'autre,  ce  qui 
&it  au  moinile  cinquième  de  sa  vie.  Ensuite  vien- 
nent les  grossesses  et  les  nourritures  des  enfants,  qui  à 
le  bien  considérer  sont  deux  très  gênantes  maladies: 
elles  n'ont  donc  que  des  intervalles  de  santé  à  travers 
une  maladie  continuelle.  Leur  caractère  se  ressent  de 
cet  état  presque  habitue)  ;  elles  sont  caressantes  et  enga- 
geantes, comme  presque  tous  les  malades  ;  cependant 
brusques  et  fantasques  parfois,   comme   les  malades, 


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5f  LETTRES  DE  G&LIA.NI 
promptes  à  se  Kcher,  promptes  à  s'apaiser.  Elles 
cbercbent  la  distraction,  l'amusement,  un  rien  les 
amuse,  comme  les  malades.  Elles  ont  l'imaginatioo 
constamment  frappée-, la  peur,  ledésespoir,re3pérance, 
le  désir,  le  dégoût,  se  succèdent  plus  rapidement, 
s'impriment  plus  fortement  dans  leur  tête  et  s'effacent 
aussi  plus  vite.  Elles  aiment  une  longue  retraite  et  par 
intervalle  une  joyeuse  compagnie,  comme  les  malades; 
nous  les  soignons,  nous  nous  attendrissons  avec  elles; 
leurs  larmes  vraies  ou  fausses  nous  arrachent  le  cœur; 
nous  y  prenons  intérêt,  nous  cherchons  à  les  distraire, 
à  les  amuser;  ensuite  nous  les  laissons  longtemps  seules 
dans  leurs  appartements;  puis  nous  les  recherchons, 
les  caressons,  ot  puis  nous 

Le  Marquis.  —  Allons,  tranchez  le  mot,  ne  vous 
arrêtez  pas  en  si  beau  chemin. 

I^e  Chevalier.  —  Oui,  nous  tâchons  de  les  guérir  en 
leur  causant  peut-être  une  nouvelle  maladie. 

Le  Marquis.  —  Ajoutez  qu'elles  ne  s'en  fâchent  pss, 
et  qu'elles  prennent  cela  en  patience  comme  les 
malades  qu'on  soigne  ou  à  qui  on  applique  des 
caustiques. 

Le  Chevalier.  —  Et  c'est  par  la  même  raistm  qu'ont 
les  malades  de  croire  que  tout  ce  qu'on  leur  fait  se 
fait  pour  leur  bien,  et  qu'ils  s'en  portent  mieuic. 

Le  Marquis.  —  Mais  lorsque  le  temps  de  tous  ces 
dangers  et  de  tous  ces  risques  est  passé  ? 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GA.LUM  Si 

Le  Chevalier.  —  Alors  elles  ne  sont  plas  malades, 
j'ea  OHiTieiis;  mais  elles  sont  Duiles,  tous  eu  conTÎeo- 
drez  aussi. 

Le  Blarquis.  —  Tenez,  chevalier,  vous  avez  beaa 
vouloir  me  persuader  que  les  femmes  sont  des  étiea 
malades  par  essence,  cela  ne  s'arrange  pas  dans  ma 
télé  ;  s'il  vous  faut  \o&  Napolitaines  malades,  je  le  veux 
bien  pour  vous  (aire  plaisir  ;  mais  pour  nos  Parisiennes, 
je  n'y  saurais  consentir.  Allez  au  Vauxhall,  aux  Boule- 
vards, au  Bal  de  l'Opéra,  et  voyez  un  peu  ces  malades 
qui  ont  le  diable  au  corps;  elles  btiguent  dix  danseurs 
à  danser  des  nuits  entières,  à  veiller  un  carnaval  com- 
plet, sans  gagner  un  petit  rhume  ;  et  vous  appelez  cela 
des  malades? 

Le  Chevalier.  —  Hon  cher  marquis,  vous  vous  empa- 
rez de  mes  raisons  pour  m'en  faire  des  objections  ;  c'est 
précisément  tout  ce  que  vous  venez  de  dire  qui  prouve 
que  nous  autres  hommes  ne  saurions  ni  mieux  com- 
prendre ni  mieux  définir,  à  la  portée  de  notre  intelli- 
gence, le  naturel  de  femmes,  qu'en  les  a^^lant  des  êtres 
malades,  parce  qu'elles  nous  ressemblent  parfaitement 
quand  nous  sommes  en  état  de  maladie.  N'avez-vous  pas 
pris  garde  que  quatre  hommes  ont  de  la  peine  à  retenir 
un  malade  en  cwivulsioDS,  un  frénétique,  un  enragé  ? 
L'h<»nme  piqué  de  la  tarentule  a  plus  de  force  à 
damer  qu'aucun  autre  bien  portant.  Cette  force  iné- 
gale, excessive,  inconstante,  est  précisément  un  symp- 


jbïGooglc 


S6  LETTRES  DE  GÀLfÀNI 

tdme  de  maladie  et  un  effet  de  l'irritation  prodigieuse 
des  nerfs,  agacés  par  une  imagination  échauffée.  La 
tension  des  nerfs  supplée  à  la  faiblesse  naturelle  des 
fibres  et  des  muscles.  Aussi  démontez  l'imagination  cl 
tout  est  par  terre;  chassez  les  violons,  éteignez  tes  bou- 
gies, dissipez  la  joie,  et  ces  éternelles  danseuses  ne 
pourront  pas  faire  trente  pas  à  pied  pour  rentrer  chez 
elles,  sans  être  excédées  de  fatigue  ;  il  leur  faudra  des  voi- 
tures et  des  chaises,  ne  fdt-ce  que  pour  traverser  la  rue. 

Le  Marquis.  —  Vous  me  battez  à  votre  ordinaire, 
parce  que  Dieu  le  veut  ainsi.  Malgré  cela,  je  ne  me  sens 
pas  persuadé  de  tout  ce  que  vous  venez  de  dire  et  je 
n'en  crois  pas  un  mot.  Je  crois  bien  que  vous  avez 
raison  dans  l'état  actuel  des  choses;  mais  tout  cela  me 
parait  un  effet  de  corruption  et  point  du  tout  de  l'état 
de  nature.  Si  on  laissait  faire  la  nature  sans  la  contra- 
rier sans  cess:!,  les  femmes  vaudi-aieut  autant  que  nous, 
à  la  différence  près  qu'elles  seraient  plus  délicates  et 
plus  gentilles. 

Le  Chevalier.  —  Hartiuis,  badinage  à  part,  croyez- 
vous  qu'il  existe  une  éducation  au  monde? 

Lé  Marquis.  —  Oh  !  pour  ce  paradoxe-lii,  il  est  trop 
fort;  je  vous  conseille  en  ami  de  le  mitiger,  de  l'adoucir 
un  peu,  ou  bien,  si  vous  voulez,  de  l'expliquer  ;  bien 
entendu  que  ce  mot  signifiera  rélraclet;  comme  dans 
les  déclarations  du  roi,  portant  interpHlalion  des  édits 
précédents. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI  57 

Le  Clievalier.  —  Je  respecte  vos  conseils;  ils  sont  à 
suivre  et  je  mVn  suis  toujours  bien  trouvé  :  j«  m'ex* 
pliqacrai  ;  vous  verrez  si  je  me  rétracte  ou  non.  Ou  a 
beaucoup  parlé  dVducation,  ou  eu  a  écrit  des  volumes, 
et  comme  de  coutume,  c'est  encore  une  matière  k 
dérricher,  un  livre  qui  est  k  l'aire,  tjes  trois  quarts  des 
effets  de  l'éducation  sont  la  même  choie  que  la 
nature  elle-même,  une  nécessité,  une  loi  organique 
de  notre  espèce,  un  effet  de  notre  constitution  machi- 
nale. Il  n'y  a  qu'une  partie  de  l'éducation  qui  ne 
soit  pas  de  l'instinct,  qui  ne  tienne  pas  à  la  nature  ni 
à  ]a  constitution,  et  qui  soit  particulière  à  la  seule 
espèce  humaine,  mais  co  n'est  pas  d'elle  que  dérive  la 
difTéreoce  de  l'homme  et  de  la  femme  :  ainsi  j'ai 
raison. 

Le  Marquis.  —  Comment,  vous  dites  que  l'éduca- 
tion est  un  instinct  ? 

Le  Chevalier.  —  Oui.  sans  doute.  Toutes  les  classes 
des  bûtes  ont  leur  éducation  :  les  unes  dressent  leurs 
petits  à  la  chasse,  les  autres  ft  nager,  d'autres  à  con- 
naître les  pièges,  leurs  ennemis,  leurs  proies.  L'homm« 
et  la  femme  instruisent  pareillement  leurs  enfanta  par 
instinct;  ils  les  dressent  &  marcher,  à  manger,  à 
parler,  ils  les  battent  et  gravent  en  eux  l'idée  do  la 
soumission  ;  ils  jettent  par  ]à,  les  verges  ^  la  main, 
les  fondements  du  despotisme,  la  crainte  ;  ils  les 
pomponnent    et    élèvent   l'édifies   de  la  monarchie. 


jbïGoogIc 


58  LETTRES  DE  G4LIANI 

l'honneur  et  la  vanité;  ils  les  embrassent,  les  cares- 
seat,  jouent  avec  eux,  pardooneat  leurs  espië^eries, 
leur  parlent  raisou  et  font  naître  eo  eux  les  idées 
républicaines  de  la  vertu  et  de  l'amour  de  la  tamiUe, 
qui  se  convertit  ensuite  en  amour  de  la  patrie. 

Le  Marquis.  —  Je  vois  que  vous  suivez  scrupuleu- 
sement les  divisions  et  le  système  de  Montesquieu. 

Le  Chevalier.  —  Toute  la  morale  est  un  instinct, 
mon  cher  ami,  et  ce  n'est  pas  l'effet  de  l'éducation  qui 
change,  altère  ou  contrarie  la  nature  ;  les  sots  se 
l'imaginent  :  tout  est  au  contraire  l'efiet  de  la  nature 
même,  qui  nous  indique  et  nous  pousse  à  donner 
cette  éducation,  qui  n'en  est  que  le  développement. 

Le  Blarquis.  —  Hais  quelle  est  donc  cette  partie  de 
notre  éducation  qui  ne  tient  point  à  la  nature,  ni  à 
l'instinct,  et  qui  nous  appartient  exclusivement? 

Le  Chevalier.  —  La  religion. 

Le  Marquis.  —  Ah!  j'entends:  c'est  pour  cela 
qu'on  la  dit  suroaturelle,  parce  qu'elle  est  hors  de  la 
nature. 

Le  Chevalier.  —  La  nature  ne  nous  en  a  donné 
aucune  trace,  aucun  instinct;  elle  n'est  absolument 
propre  à  aucune  espèce  d'animaux  ;  c'est  un  présent 
que  nous  devons  tout  entier  à  l'éducation,  et  tout  hom- 
me qui  n'aurait  point  été  élevé,  n'aurait  &  coup  sûr 
aucune  sorte  de  religion  ;  je  m'en  rapporte  aux  hom- 
mes sauvages   trouvés  dans    les  forêts  de  l'Europe. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DS  GALIi.Ml  5» 

C'est  bien  la  religioD  toute  seule  qui  distin^e  rhoaime 
de  la  béte  ;  elle  fait  notre  trait  caractéristique.  Au  lieu 
de  définir  l'homme  un  aoimal  raisonnable,  il  fallait 
l'appeler  un  animal  religieux.  Tous  les  animaux  sont 
raisonnables,  l'homme  seul  est  religieux.  La  morale, 
la  vertu,  le  sentiment  sont  un  instinct  en  nous  ;  la 
croyance  d'an  être  invisible  ne  nous  en  vient  point. 

Le  Marquis.  —  Vous  me  faites  souvenir  d'un  auteur 
qui,  pour  prouver  que  l'éléphant  était  un  être  raison- 
nable, rapportait  qu'on  le  voyait  rendre  une  espèce 
de  culte  à  la  lune,  en  allant  religieusement  faire  ses 
ablations  à  la  rivière  les  jours  de  la  nouvelle  et  de 
la  pleine  lune. 

,  Le  Oievalier.  —  Je  ne  crois  pas  que  l'éléphant  ait 
on  culte  ;  mais,  si  vous  voyez  un  animal  d'une  figure 
quelconque,  soit  rhinocéros  ou  tortue,  ou  sapajou,  ou 
(Hrang-outang,  avoir  l'idée  des  causes  invisibles,  pariez 
que  c'est  un  homme,  ou  qu'il  le  deviendra  à  ta  troi- 
sième génération. 

le  Marquis.  —  En  quoi  faites-vous  donc  consister 
l'eaaence  de  cette  idée  de  religion  ? 

Le  Chevalier.  —  A  croire  à  l'existence  d'un  ou  de 
plusieurs  êtres  qui  ne  soient  aperçus  par  aucun  de  nos 
sens,  qui  9(Hent  invisibles,  impalpables  et  cependant 
la  cause  de  quelques  phénomènes. 

Le  Marquis.  —  Et  les  bâtes  ne  croient-elles  pas 
cela  ? 


jbïGoogIc 


6a  LETTRES  DE  GALUNI 

Le  Chevalier.  —  Non  ;  du  moins,  eltes  ne  nous  en 
donnent  aucune  marque.  La  bëU:  voit  venir  l'ouragan, 
elle  a  peur,  se  cache  et  attend  qu'il  soit  passé. 

L'homme  voit  l'ouragan,  imagine  qu'il  existe  un  être 
invisible  qui  le  cause,  a  peur  de  l'être  qui  le  produit 
plus  que  de  l'ouragan,  et  il  croit  enfin  qu'en  apaisant 
cet  être,  il  a  un  remède  rantre  les  ouragans.  Telle 
est  la  définition  générale  de  (u  religion,  définition  qui 
embrasse  la  vraie  et  les  Tausses  ;  mais  je  m'arrête  sur 
les  développements  de  cette  idée.  Toutefois  j'oserai 
soutenir  contre  tout  esprit  fort  que  tout  ce  qui  nous 
distingue  des  bétes  est  un  effet  de  la  religion.  So- 
ciété politique,  gouvernement,  luse,  inégalité  des 
conditions,  sciences,  idées  abstraites,  philosophie, 
géométrie,  beaus-aris,  enfin  tout  doit  son  origine  à 
cette  caractéristique  de  notre  espèce. 

Le  Marquis.  —  J'allais  vous  demander  si  nous  avions 
perdu  ou  gagné  à  cette  idée  des  causes  invisibles,  s'il 
y  a  une  religion  vraie  parmi  les  fausses,  si  les  vraies 
ou  les  fausses  sont  également  bonnes  ou  également 
mauvaises,  d'où  a  pu  nous  venir,  en  première  source, 
cette  idée  de  religion  qui  ne  tient  point  à  l'instinct, 
qui  ne  s'élabtjt  en  nous  que  par  une  éducation  donnée 
exprès,  qui  est  pour  nous  ce  que  le  manège  est  pour 
le  cheval,  car  ce  manège  est  pour  lui  une  éducation 
qui  n'a  rien  de  commua  avec  celle  que  la  jument,  sa 
mère,  lui  a  donnée.  Hais  je  ne  no  vous  demanderai 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANl  SI 

rieu,  car  dès  que  vous  définissez  l'homme  ud  animal 
religieux,  vous  m'avez  l'air  de  vouloir  élro  fort  reli- 
gieux. 

I>e  Chevalier.  —  Ou  bien  fort  bête.  II  a  fallu  choisir: 
j'ai  mic'ix  aimé  ëlrc  homme.  C'est  pure  affaire  de 
goût;  je  le  sais  bien,  Rousseau  oût  pensé  autrement; 
il  préfère  marcher  à  quatre  pattes  et  en  attendant 
it  marclie  en  grands  caleçons,  et  c'est  son  goût.  Hais 
vous  avez  perdu  do  vue  d'où  nous  sommes  partis. 
Vous  conviendrez  que  l'éducalioo  proprement  dite, 
c'est-à-dire  l'idée  de  la  religion  et  du  culte,  nous 
étant  commune  à  tous,  hommes  et  femmes,  elle  ne 
peut  influer  sur  la  différence  de  leur  sexe  au  nôtre  : 
les  femmes  ont  autant  de  religion  que  nous. 

Le  Marquis.  —  Autant  !  Je  crois  qu'elles  en  ont 
davantage. 

Le  Chevalier.  —  Pour  moi,  je  crois  qu'elles  n'en  ont 
ni  plus  ui  moins.  Au  total,  si  elles  en  retiennent  une 
plus  grande  dose,  nous  y  donnons  un  plus  grand 
développement,  les  effets  restent  égaux. 

Le  Bfarquis.  —  Avez-vous  vu  l'ouvrage  de  Thomas 
qui  vient  de  paraître  sur  les  femmes? 

Le  Chevolicr.  —  Non. 

Le  Marquis.  —  tl  ne  dit  rien  dp.  ce  que  vous  venez 
dédire. 

Le  Chevalier.  —  Et  savez- vous  pourquoi  ? 

Le  Marquis.  —  Non,  en  vérité. 


jbïGoogIc 


«3  LETTRES  DE  GA.LIANt 

Le  Chevalier.  —  C'est  que  je  ne  dis  rien,  moi,  de 
ce  qu'il  dit,  lui. 

Le  Marquis.  —  Ceci  me  parait  clair.  Ah  !  ça,  il  faut 
que  je  vous  quitte,  c'est  à  regret,  miùs  j'ai  tant  de 
choses  à  faire. 

Le  Chevalier.  —  Restez,  elles  se  feront  sans  tous. 

Le  Marquis.  —  Oh  I  pour  cela,  non,  il  faut  abso- 
lument que  j'aille  sur  les  quais  acheter  des  portraits 
d'hommes  illustres,  à  vingt-quatre  sols  pièce,  et  qui 
ne  sont  pas,  je  vous  jure,  trop  mauvais.  Ils  serviront 
à  compléter  ma  collection  ;  il  est  vrai  que  je  ne  sais 
encore  oii  les  placer,  mais  j'y  penserai  quand  je  les 
aurai.  Adieu. 

Le  Chevalier.  —  Je  vous  fais  mon  compliment  sur 
cette  acquisition,  mais  il  me  semble  que  vous  les 
payez  cette  fois  plus  cher  que  de  coutume.  Vous  vous 
ruinez,  marquis. 

Le  Marquis.  —  0  faut  s'amuser  de  quelque  chose; 
adieu,  adieu  encore. 

Le  Chevalier.  —  Adieu,  joie  de  mon  cœur. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALUNI 


MADAME     d'ÉPINAV 


Niple»,    it  (vril  1171. 

L'histoire  de  l'abbé  Camdon  n'est  pas,  ma  belle 
dame,  le  seul  espoir  que  vous  m'ayez  donné  du  retour 
de  mes  dents.  Avez-vous  oublié  la  chanson  où  tout 
revenait,  jusqu'au  pucelage?  £h  bien!  c'est  dès  lors 
que  j'espère  remettre  mes  dents,  comme  cette  fille  sage. 
Cependant  si  l'histoire  de  l'abbé  Camdon  est  vraie,  il 
faudrait  bien  éclaircir  ce  phénomène  curieux  :  savoir, 
si  dans  son  enfance,  il  avait  quitté  les  dents  de  lait,  ou 
si  cette  remise  des  dents  n'est  qu'un  retard  d'une  vé- 
gétation qui  aurait  dû  se  faire  à  six  ans,  et  qui  s'est 
faite  à  soixante  ;  savoir  si,  à  l'^ge  de  vingU;inq  ans,  il 
avait  mis  les  dernières  dents  de  sagesse;  savoir,  si  à 
présent  qu'elles  sont  revenues,  il  a  remis  ses  dents  de 
sagesse,  aussi  pour  la  seconde  fois.  Tout  cela  mérite 
vérification,  et  les  académies  ne  feraient  pas  mal  d'en 
parler. 

Je  TOUS  remercie  de  la  feuille  de  Diderot.  EUe  est 
digoe    de  lui,  e*  ne  ressemble  en  rien  à  mon  dia- 


jbïGooglc 


6i  LETTRES  DE  OALlANI 

logue  *,  mais  il  est  écrit  à  cAto  deb  dames  parisien- 
nes, et  moi  j'écris  à  cùlé  des  femmes  napolilaines.  Il 
trempe  sa  plume  dans  l'arc-en~cicl,  et  poi  je  la  trempe 
dans  la  ihériaquc.  Son  écrit  ressemble  à  un  paon;  le 
raiea  à  une  chauve-souris.  Tel  est  l'homme.  Toujours 
diaphane,  il  croit  être  quelque  chose  en  soi-mùmc,  il 
n'est  rien  qu'une  transparence. 

Il  est  bon  que  je  vous  avertisse  que  la  lettre  qui 
accompagne  ce  malheureux  paquet  de  200  francs, 
contenant  la  précieuse  histoire  de  Siam  par  l'archevêque 
Turpin*,  ne  m'est  point  donnée  njnpiusqucicpaquet. 
Ainsi,  si  vous  vous  souvenez  do  m'nvoir  écrit  quelque 
chose  importante,  il  faut  me  la  mander  de  nouveau. 

Je  n'ai  point  de  lettre  celte  semaine  de  vous  ;  appa- 
remment vous  aurez  pensé  de  ne  pas  me  l'envoyer 
par  In  poste  :  Dieu  l'accompagne! 

Gatti  me  quittera  dans  dix  ou  quinze  jours  ;  je  crois 
qu'il  retournera  en  France.  Il  fait  la  plus  grande  de  ses 

t.  Di<l«ot  avait  écrit  ud  ariirle  lur  Ut  femmes. 

2.  Bisloire  civile  et  naturetlt  du  rogaume  de  Siam  et  des  mw- 
lutiotu  qui  ont  bouteoerié  ctl  empire  jusqu'en  illO,  publiée  par 
H.  Turpia,  sur  des  ntaniiscriU  qui  lui  onl  été  communiquÉ)  par 
H.  l'évéque  de  Tabraco,  vicaire  apostolique  de  Siam.  et  autres 
missionnaires  'le  ce  royaume.  Deux  vol.  in-13.  •  Le  vicaire 
apostolique  de  Siam  trouva  que  son  rédicleur  Turpin  s'Était 
beaucoup  trop  écarté  de  l'esprit  des  mémoires  qu'il  lui  arail 
remis.  Sur  la  demande  du  vicaire,  il  est  Intervenu  un  arrât  du 
Conseil  qui  aupprlme  l'ouvrage  de  M.  Turpin  comme  erroné, 
filsiQé,  et  même  un  peu  impie,  ce  qui  pourrait  bien  lui  pro- 
curer quelque  débit.  >  [Grimm,  Corr.  LiH.) 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALUNI  6a 

sottises,  scion  moi.  Il  parait  y  relourocr  par  intén)t, 
et  point  par  reconnaissaace.  Il  trouvera  le  monde 
changé  tout  à  tait  ;  aiosi  il  ne  gagnera  pas  du  côté  de 
l'inl«rét,  et  sera  navré  de  chagrios. 

ieu'ai  point  da  verve  ce  soir.  Aimez~moi,  envoyi'^- 
moi  vite  des  gens  de  ma  connaissance  ;  je  m'ennuie 
àpérir  sans  eux.  Adieu.  Envoyez-moi  Mora;  et  pourquoi 
ne  mèuerail-il  pas  avec  lui  Magallou?  H  a  besoin  d'un 
Mentor,  et  où  trouver  un  Mentor  plus  complaisant  et 
plus  corrompu  do  son  Télémaque?  Adieu  encore. 

A  propos,  j'oubliais  le  meilleur;  j'ai  un  cor  à  un 
pied,  qui  me  fait  enrager.  J'ai  été  une  fois  guéri  à  Paii} 
par  un  emplâtre,  appliqué  par  un  secréliste,  que  la 
baronne  et  madame  Helvétius  m'avaient  fait  connaître, 
et  j'en  ai  été  guéri  pour  quatre  ans.  Si  vous  pouviez 
dénicher  cet  homme  et  cet  emplâtre,  ce  serait  un 
trésor  pour  moi.  Voyez  ;  je  vous  recommande  mes  cors 
et  mes  ânaes.  car  j'en  ai  plusieurs  :  soyez  ma  rédemp- 
trice. 


jbïGoogIc 


LETTRES  PE   GALUNI 


A    LA    MÈHE 


Nitplcs,  g  mal  it7I. 

Enfin  il  est  arrivé  le  cas  tant  soupiré,  qu'une  lettre 
de  vous  ne  m'a  coûté  que  trois  sols.  Je  n'ai  pas  pu 
reconnaître  par  le  timbre  le  chemin  qu'elle  a  fait; 
mais  c'est  assurément  la  bonne  route  qu'elle  a  prise. 
Il  est  vrai  qu'elle  arrive  quelques  jours  plus  tard,  mais 
cela  importe  bien  peu.  It  suffit  que  vous  le  sachiez, 
afin  que  dans  un  cas  bien  pressé,  qui  n'est  guère  vrai- 
semblable, vous  m'écriviez  alors  en  droiture  par  la 
poste.  En  attendant,  réjouissons-nous  d'avoir  trouvé 
le  moyen  de  nous  parler  à  trois  sols  le  demi-dialogue. 

Je  vais  obéir  ans  ordres  de  M.  le  baron  Grimm  *. 
La  mode  introduite  par  l'empereur  et  le  grand-duc, 
et  suivie  à  présent  par  tous  les  souverains  dans  leurs 
voyages,  c'est  de  paraître  toujours  en  uniforme  mili- 


1.  Grimm  awaîl  été  Dommé  ministre  pléDipoIentiaire  du  duc 
de  Saie-GoUia,  auprès  de  la  Cour  de  France.  Peu  de  temps 
après  cette  nomination.  Il  refut  de  la  Cour  de  Vienne  le  diplôme 
de  Baron  du  Saint-Empire. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI  67 

tajro.  Voici  la  gard&robe  da  prince  Auguste  de  Saxe- 
Gotha  et  du  duc  de  Glocester  :  les  uuiformes  de  leur 
légimeot,  habit  de  deuil  selon  les  saisons,  de  beaui 
fracs  pour  marcher  à  pied,  monter  à  cheval,  courir 
les  postes,  etc.  Vous  voyez  que  cela  lient  bien  peu 
de  place  dans  les  malles.  Les  Anglais,  qui  ne  sont  point 
militaires,  voyagent  en  deuil  de  la  mort  de  Guillaume 
le  Normand,  conquérant  de  l'Angleterre.  Madame  l'é- 
lectrice  de  Saxe ,  qui  vient  de  nous  quitter ,  avait 
toute  sa  cour  en  deuil  de  même  *  :  mais  cela  est  bleu 
mesquin. 

Voici  donc  ce  que  je  conseille  à  M.  le  baron:  il 
faut  qu'il  ait  un  uniforme  de  cour,  soit  d'officier,  soit 
de  chambellan,  et,  au  pis  aller,  il  prendra  l'uuiforme 
d'Arlequin  baron  suisse  ;  car  je  ne  sais  pas  si  les  barons 
du  SainIrEmpire  en  ont.  Avec  cela,  il  aura  des  habits  de 
deuil  à  tout  événement,  et  enfin  il  aura  de  belles  che- 
nilles *  pour  courir  les  rues  le  matin,  mais  surtout  il 
faut  avoir  l'esprit  d'îftiaginer  qu'on  se  fait  faire  à  l'oc- 
currence dans  une  ville  quelconque  d'Italie  un  très  bel 
habit  magnifique  en  vingl-quatre  heures,  à  meilleur 
marché  qu'à  Paris,  et  aussi  bien  fait  sans  conteste. 


1.  Marie-An toJneUe  de  Baiifere,  flile  de  l'empereur  Charles  VU, 
Dée  te  19  juillet  1734,  veuve  le  il  décembre  1763  de  Frédéric- 
CbrétieD-Lèopold,  électeur  de  Saxe. 

3.  Au  xviir  siècle,  ilrc  en  chenitlts  signifiait  tire  en  habit 
négligé. 


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68  LETTRES   DE  GALUNI 

Vous  ne  sauriez  imaginer  combien  le  défaut  de 
cette  courte  réflexion  couvrit  de  ridicule  ici  milord 
Sbelburne,  secrétaire  d'Ëtat  de  la  Grande-Bretagne,  et 
,  homme  à  seize  mille  guinées  de  revenu.  Il  vint  ici 
avec  son  mesquin  habit  de  deuïl  à  l'anglaise,  et  il  n'en 
avait  point  d'autre.  Il  arriva  que,  dans  ce  temps,  on 
déclara  ici  la  grossesse  de  la  reine,  et  il  y  eut  gala 
extraordinaire  pendant  trois  jours.  11  eut  la  bassesse 
d'esprit  de  ne  pas  se  laisser  présenlpr  au  roi,  de  n'aller 
nulle  part,  et  de  s'enfermer  cliez  soi,  prétextant  une 
maladie  pour  ne  pas  dépenser  vingt  louis  à  se  galonner. 
11  était  mon  ami  ;  j'en  fus  si  honteux  pour  lui,  que  je 
renonçai  à  son  amitié. 

Ainsi,  il  faut  compter  Je  cas  d'un  habit  magnifique 
comme  un  événement  extraordinaire,  tel  que  celui 
de  se  casser  une  jambe,  qui  peut  arriver  en  voyage , 
et  il  faut  y  être  préparé  d'avance,  mais  n'en  point 
avoir  avec  soi  ;  car  on  ne  saurait  deviner  la  saison 
dans  laquelle  ce  malheur  arrivera.  Je  crois  avoir 
pleinement  satisfait  à  la  demande  de  Grimm.  J'ajou- 
terai que  s'il  a  de  la  place,  il  pourrait  avoir  dans  sa 
malle  un  liabit  de  velours  noir  avec  une  veste  d'étolTe 
en  or  ou  en  argent,  qui  lui  servirait  en  carême,  car 
c'est  une  espèce  d'uniforme  des  saints  jours  de  deuil, 
même  pour  les  militaires.  Au  surplus,  il  sait  que  la 
cour  de  Vienne  a  aboli  les  galas.  Ainsi  Milan  et  Flo- 
rence n'eu  ont  point.  Gènes,  Venise,  Rome  n'en  Qf^^ 


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LETTRES  DE  GALIANI  e» 

jamais  ;  anus  en  avons,  mais  notre  roi  ne  quitte 
jamais  l'uniforme  cle  sa  brigade,  et  il  déteste  les 
beaux  habits.  Si  M.  le  baron  me  demande  ce  qu'on 
Tait  ensuite  d'un  bel  habit,  qu'on  a  eu  le  malbeur 
d'être  obligé  de  faire  faire,  répondez-lui  qu'on  en  fait 
ce  que  celte  dame  croyait  qu'on  faisait  des  vieilles 
lunes,  toutes  les  fois  qu'on  avait  des  nouvelles  lunes. 
On  le  jette,  on  le  revend  à  perte,  ou  on  l'emporte, 
si  on  a  de  la  place.  Parlons  d'autre  chose. 

Dites  à  vos  savants,  de  ma  part,  qu'ils  ont  tort.  Un 
seul  coup  d'œil  sur  les  médailles  antiques  leur  aurait 
appris  que  junior  est  le  titre  des  princes  associés  à 
l'empire  par  leurs  pères.  Ils  trouveront  Licinius  junior, 
Constantiaus  junior,  Valentinien  junior,  etc.,  '.  Mais 
ce  n'est  pas  ma  faute  si  on  ne  sait  rien  des  vieilles 
chosesdans  une  ville  où  l'on  n'aime  que  les  nouveautés. 

Gatti  est  parti  il  y  a  trois  jours,  et  sou  départ 
m'a  sevré  de  Paris.  J'attends  M.  do  Breteuil  avec 
impatience  '. 

Pour  ce  soir  vous  n'en  aurez  pas  davantage  de  moi, 
Achevez  vos  rideaus,  meublez  bien  votre  maison  de 
campagne,  et  ayez  un  lit  pour  moi.  Adieu. 

1.  Voir  U  lettre  du  7  nuiri  1771. 

3.  Il  allait  I  Naple»  comme  ambiuadeur. 


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LETTRES  DE  GALIAM 


A   MONSIEtIR  PELLER 


Monsieur, 

Votre  silence  m'inquiète  beaucoup,  j'ai  eu  l'honneur 
de  vous  écrire  dans  le  mois  de  décembre  en  vous 
mandant  l'acquisition  de  deux  médailles  d'or  et  trois 
médailles  d'argent  que  je  venais  de  faire,  et  que  je 
comptais  vous  expédier  pour  que  vous  en  fissiez 
l'achat,  en  cas  qu'elles  vous  fussent  agréables.  A  la  fin 
du  carnaval,  je  vous  ai  écrit  une  seconde  lettre  pour 
vous  marquer  que  le  jeune  vicomte  de  MonLboissier 
avait  bien  voulu  se  charger  de  ce  paquet,  qu'il  aurait 
remis  à  son  oncle,  M.  Boutin  *,  qui  vous  l'aurait 
rendu.  Je  sais  que,  depuis  quelque  temps,  le  vicomte 


1.  Bibliothèque  oationale. 

â.  Charles-Robert  Boulin,  reccreur  général  des  finances,  puis 
conseiller  d'Etat,  fut  condamna  i  mort  par  le  tribunal  révoluiion- 
naire  le  2i  juillet  1791,  le  même  jour  que  M.  de  la  Borde.  Il 
recevait  dans  sa  charmante  maison  de  Tlroli,  placée  au r  les  hau- 
leurs  d'un  magnifique  jardin,  sur  l'emplacement  actuel  de  la  rue 
de  Clicby.  Il  avait  été  l'un  des  premiers  à  introduire  la  mode  des 
jardins  anglais.  Walpole  admirait  peu  Tivoli,  il  disait  qu'il  res- 


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LETTRES   DE    GàLIANI  71 

de  Hontboissier  est  retourné  à  Paris,  mais  je  n'ai 
point  de  nouvelles  m  de  réponse  de  tous.  Je  tremble 
pour  votre  vue.  Vos  dernières  lettres  me  marquaient 
qu'elle  était  affaiblie  et  que  vous  aviez  bien  de  la  peine 
k  rencontrer  des  moments  de  lumière  favorables  pour 
pouvoir  lire  et  écrire,  ie  ne  voudrais  pas  que  ce  fût  la 
cause  de  votre  silence. 

J'aimerais  bien  mieux  apprendre  que  mes  lettres 
sont  égarées.  Quoiqu'il  en  soit,  je  vous  supplie  de  me 
tirer  d'inquiétude  en  me  donnant  des  nouvelles  de  votre 
précieuse  santé,  à  laquelle  tous  savez  à  quel  point  je 
m'intéresse . 

Pour  ne  pas  laisser  passer  une  lettre  sans  vous 
donner  quelques  nouvelles  sur  votre  chère  nu- 
mismatique, j'aurai  l'honneur  de  tous  dire  que  le 
P.  Magnan,  4  Rome,  et  M.  l'abbé  Xaupi  *  parcourent 
l'Italie  et  enlèvent  tout  ce  qui  sort  de  sous  terre  en 
fait  de  médailles  provinciales.  Le  P.  Magnan  a  com- 
mencé m&me  à  publier  son  ouvrage  sur  cette  partie, 
qui  sera  accompagné  d'un  grand  nombre  de  planches 

KmblHÎt  à  )■  carte  d'écbaDiilloDs  d'un  tailleur.  H.  Boulin  élalt 
petit,  JMitaai,  gai,  spirituel,  d'un  caractère  afiabte  et  bon,  on 
s'attachait  térilablement  i  lui,  dès  qu'on  le  voyait  iatimement. 

1.  Xaupi  (l'ibbé  Joseph),  chinai  ne  et  archidia^.re  de  l'église  de 
Perpignan,  doyen  de  la  faculté  de  théologie  de  Paris,  auteur  de 
recherches  historiques  sur  la  noblesse,  naquit  k  Perpignan  en  168S. 
Qoéranl  le  Tait  mourir  ï  Paris  le  1  décembre  1764;  c'est  une 
erreur  comme  le  prouve  cette  lettre.  Ersch  fiie  la  daie  de  sa 
■tort  en  11T8. 


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n  LETTRES  DE  GâLIâNI 

très  soigneusement  gravées.  Malgré  ces  enlèvomeots, 
j'ai  réussi  à  acquérir  une  médaille  bien  précieuse.  Elle 
n'est  pas  unique,  puisque  l'abbé  \aupi  en  possédait 
une  autre,  mais  on  ne  connaît  que  ces  deux.  Elle 
est  d'argent.  Dans  le  revers  elle  a  le  bœuf  à  t£te  hu- 
maine et  on  lit  dessus  KA.PP\NON  avec  cette  forme 
de  caractères  moitié  Etrusques,  moitié  Grecs.  Elle 
est,  je  crois,  de  la  ville  de  Capoue.  Le  nom  de  celle 
ville  se  prononçait  plutôt  Cappa  que  Capua,  et  même 
il  faut  que  le  son  s'approchât  de  Campa,  puisque 
nous  voyons  son  territoire  appelé  Campania  et  ses 
peuples  Cnmpaoi.  Cette  observation  avait  été  faite 
par  le  chanoine  Mazzocchi  avant  qu'il  connût  celle 
médaille,  qui  la  confirme.  La  médaille  a  élé  un 
peu  gfttée  par  les  maudits  paysans  qui  l'ont  limée 
quelque  peu  pour  s'assurer  si  elle  élaït  formée 
d'or  ou  d'argent  massif.  Cependant  elle  est  bien 
lisible.  Si  elle  tous  fait  plaisir,  comme  elle  vous 
manque,  je  la  troquerais  volontiers  contre  quelques  mé- 
dailles impériales,  qui  manquent  à  ma  suite. 

J'en  dis  de  même  des  médailles  d'or  et  d'argent  que 
j'ai  envoyées  par  le  vicomte  de  Hontboissier.  Vous 
savez  que  je  souhaiterais  passionnément  ce  médaillon 
latin  de  Cara2a)a,  avec  les  vases  |)on(ilicaux  au  revers, 
que  vous  avez  double.  Vous  savez  aussi  que  je 
souhaiterais  quelques  médailles  de  voire  suite  douUa 
telles  que  te  Vitcllîus  Censor,   le  Pcrlinax,  le  Conglaire 


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LETTHES   DE   GALIAMI  T3 

de  Géta,    le    bouclier    africain    Virtus    augg.,   etc. 

Envoyez-moi  ce  qu'il  vous  plaira,  lotit  ou  partie,  ou 
rion.  L'argent  comptant  soldera  nos  comptes.  Enfin, 
s'il  vous  est  venu  quelque  nouveau  galion  à  médailles 
du  Levant,  vous  pouvez  me  céder  le  rebut,  qui  sera 
encore  précieux  pour  moi.  L'argent,  je  le  répète,  éga- 
lera les  parties.  J'en  ai  à  Paris  dans  les  mains  d 
madame  d'Ëpinay  et  je  n'ai  qu'à  lui  écrire  de  vous  payer. 
Mais  surtout,  en  grice,  rompez  le  silence,  mandez- 
moi  comment  vous  vous  portez,  et  si  par  malheur  vous 
souffrez  à  écrire,  je  supplie  M.  de  la  Porte,  l'aimable 
H.  de  la  Porte,  à  qui  je  présente  mes  très  humbles 
respects,  de  suppléer  à  cette  fonction  pour  vous. 

Je  me  porte  bîcu  ici,  Dieu  merci,  et  j'éprouve  par 
expérience  que  l'ennui  qu'on  dit  mortel  ne  tue  pas  les 
hommes.  S'il  était  vraiment  mortel,  je  serais  mort  il  y 
a  beau  temps. 

Je  suis  toujours  à  vos  ordres.  Vous  connaissez  vos 
droits  sur  moi,  je  les  avoue  et  je  vous  prie  de  me 
croire  coostamment  avec  autant  de  reconnaissance  que 
de  respect  votre  très  humble. 


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LETTRES  DE  GALUNI 


A     MADAME     D   ÉPINAY 


Ma  belle  dame,  votre  lettre  du  S  a  été  pour  moi  uq 
goufEre  de  méditations  morales  et  philosophiques.  Je 
suis  tout  comme  le  petit  prophète  de  fioehmisch- 
broda  ',  je  fais  de  la  métaphysique  quand  je  suis 
triste.  Je  trouve  que  l'estime  des  autres  est  en  nous 
comme  l'ipécacuanha,  un  sentiment  qui  nous  révolte 
naturellement;  nous  l'avalons  par  force,  et  noire 
estomac  est  prêt  à  le  rejeter  le  plus  tôt  possible. 

Je  trouve  ensuite  que  l'admiration  est  une  chose 
très  différente  de  l'estime;  on  admire  sans  estimer  un 
danseur  de  corde  ;  on  estime  sans  admirer  M.  de  Mai- 
ran  *.  L'admiration  est  un  sentiment  pour  lequel  nous 

1.  Grimm. 

S.  Jean-Jacques  Dortous  de  Hairao,  pb^sicieD,  maihÉmaticien 
«t  littérateur  distioguë.  Membre  de  l'Académie  française,  sécré- 
biire  perpétuel  de  l'Académie  royale  des  sciences,  il  occapail 
dans  la  société  une  place  assez  considérable.  Il  avait  83  ans  et 
pas  la  moindre  inQriuilé,  lorsqu'il  gagna  une  lluiion  de  poitrine 
CD  allant  dîner  chez  M.  le  Prince  de  Conti  ;  il  mourut  un  mois 


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LETTRES  DE   GALIANI  15 

avoas  du  goût  et  du  penchant,  il  ne  nous  révolte  point, 
il  nous  plaEt  et  même  beaucoup  trop.  Ainsi  les  hom- 
mes estiment  moins  qu'il  ne  faudrait,  et  admirent  les 
autres  plus  qu'il  ne  faudrait.  Mais  pourquoi  cela? 
cherchons-en  la  raison.  C'est  parce  que  nous  nous 
estimons  toujours  nous-mêmes,  et  nous  ne  nous  admi- 
rons jamais.  Le  danseur  de  corde  fait  ses  tours  avec 
tant  d'aisance  et  de  dextérité  naturelle  que  s'il  a  quel- 
que étonnement,  c'est  de  voir  que  les  autres  n'en 
fassent  pas  autant.  Ainsi  intérieurement  il  ne  saurait 
s'admirer  jamais  ;  mais  il  s'estime.  L'admiration  est 
un  effet  de  la  comparaison  de  la  force  ;  l'eslime  vient 
de  la  a»nparaison  de  la  raison.  Or,  tout  homme  croit 
constamment  avoir  plus  de  raison  qu'aucun  autre; 
mais  tant  qu'il  ne  l'a  pas  essayé,  il  croit  avoir  moins 
de  force  et  de  dextérité  et  de  talent  qu'aucun  autre. 
Cette  crainte  de  faiblesse  est  ce  qu'on  appelle  mau- 
vaise honte,  qui  n'empêche  pas  la  haute  estime  de 
soi-même.  Ainsi  une  demoiselle  à  quinze  ans,  qui,  par 
maaraise  honte,  ne  sait  pas  faire  la  révérence,  croit 

après,  CD  réTrier  1771.  On  ne  pouvait  cependant  Iiil  reproclier  de 
ne  pas  Mroir  se  précautionoer  contre  le  froid  :  son  vient  valet 
de  chambre  Rendu  avait  établi  une  sorte  de  concordance  entre 
son  thermomèlre  et  les  différentes  éloffes  de  la  saison  ;  son 
mettre  loi  demandait  le  matin  :  i  quoi  est  le  ihermomëlre  ?  cl 
Bendn  répondait,  à  ta  ratine,  ou,  au  Miourt,  ou,  à  la  fourran, 
nirant  le  degré  de  froid.  Il  mourut  avec  tranquillité  et  sagesse 
comme  il  avait  vécu  ;  madame  CeolTrin  l'assista  dans  ses  derniers 
9  et  il  rinttitna  sa  légalaice  universelle. 


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TB  LETTRES    DE  (lALUNt 

avoir  assez  de  raison  pour  juger  dérinitiveDiGnt  que 

l'état  de  religieuse  vaut  mieux  que  celui  de  fenune 

mariée;  et  vous  ne  lui  persuaderiez  jamais  qu'elle  a 

tort. 

Si  vous,  ma  belle  danie,  m'estimiez  autant  que  vous 
m'admirez,  vous  n'auriez  pas  écrit  le  n°  90.  Pourquoi 
croire  tout  de  suite  que  j'étais  en  colère  contre  Ma- 
gallon  ?  Vous  qui  m'appelez  profond,  sublime,  etc., 
trouvez-vous  ([ue  ce  fût  d'une  sublimiti^^  au-dessus  de 
ma  tête,  de  deviner  que  Magallon  ne  pouvait  avoir 
aucun  tort?  Ne  m'aviez-vous  pas  mandé  qu'il  aïait  trouvé 
un  moyen  pour  m'envoyer  des  voyageurs  ?  N'eÎKavais-je 


pas  fait  l'essai  sur  l'almanach  royal?  n'avais-j»  pas 
dès  lors  prévu  et  prédit  ce  qu'il  en  arriverait  ?  j 
vous  lui  avez  écrit  des  sottises,  me  direz-vous.  Eh  !  olui- 
£h  bien  !  n'ai-je  pas  reçu  de  lui  précisément  la  répond 
que  je  voulais  avoir?  J'ai  donc  bien  fait,  et  je  me  suiis 
bien  conduit.  Un  peu  plus  d'estime  de  moi  vous  aurai^ 
persuadé  que  je  ne  pouvais  pas  écrire  autrement,  et  \ 
cpic  même  à  présent  je  ne  puis  pas  m'expliquer  plus   1 
ouvertement   sur  la  nature  de  celte  étrange   affaire .     \ 
Estimez-moi,  laissez-moi  faire,  et  cependant  jouez  votre       \ 
rdie,  vous  et  le  chevalier,  de  me  gronder,  de  me  menacer 
même  d'une  rupture  (mais  n'en  fuîtes  rien)  :  c'est  le 
jeu  etlereste  de  la  tragédie.  Or,  n'en  parlons  plus  pour 
le  présent.  Jusqu'à  celte  heure,  j'en  suis  quitte  pour 
ia  peur,  et  pour  le  risque  d'avoir  été  obligé  d'imiter  la 


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LETTRES  DE   GALlàNI  77 

Condamine,  qui  fît  en  Angleterre  un  appel  ù  la  na- 
tion anglaise  et  &  tout  l'univers,  pour  une  aventure 
qu'il  croyait  étrange  et  qui  ne  lui  coûta  que  12  livres, 
pendant  que  la  mienne  a  pensé  me  couler  200  li-ancs  '. 

A  propos  de  la  Condamine,  de  quoi  s'avisait-il  Magal- 
lon  de  l'aller  trouver?  Je  trouve  sa  visite  bien  plus 
extraordinaire  que  tout  le  reste  de  son  aventure  excré- 
meotairc.  Que  de  fous  rires  en  aura  faits  le  baron  ; 
j'entends  le  baron  Grimm,  auquel  il  faudra  cbercher 
un  nom  pour  le  distinguer  du  véritable  baron  '; 
car  le  véritable  Amphitryon  est  celui  où  l'on  dîne ,  et 
le  baron  Grimpi  ne  donne  pas  à  diner,  à  ce  que  je 
sache;  atns  il  en  demande. 

Voire  lettre  est  arrivée  ensemble  avec  celle  de  nia7 
danie  votre  fille.  Heureusement  j'ai  ouvert  la  vfitre  ia 
première,  ainsi  j'ai  appris  la  guérison  avant  que  do 
savoir  un  mot  de  la  maladie.  Vous  voyez  que  le  retard 


1.  La  CondimiDe,  comme  l'on  iiU,  éuit  sourd.  S'éUnt  rendu 
m  Anglelerrc,  U  detcendit  dana  un  hâtel  garni.  Son  domestique, 
Dblîgé  de  crier  pour  lui  parler,  faisiit  un  tel  bruit  que  les  autres 
tocalaires  en  Ëiaienl  IncamiDodéj,  Au  bout  de  quelques  jours,  la 
Maîtresse  du  l'Iiâtel  ialervint  et  pria  Lt  Cuadamine  de  trouver 
■n  glle  ailleurs.  Sur  son  refus  formel,  elle  envoya  chercher  les 
aciers  de  police  Et  le  Ht  eipulser.  Lu  Jour  luivanl,  il  publia 
dans  leioumal  une  adresse  au  peuple  anglais,  l'intormaDt  qu'il 
luit  le  peuple  le  plus  sauvsge  de  l'Europe  et  de  l'uoLvers.  ■  Ceit 

Kbien  prëi  de  la  rériié,  dit  Walpole,  et  cependant  je  n'aurais 
^■ais  injurié  les  IroquuU  à  leur  face  dans  une  de  leurs  propres 
IKeltes.  > 

t  I^  baron  d'Holbach. 


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78  LETTRES   DE   GALIANI 

des  postes  est  quelquefois  boa  à  quelque  chose.  D'ail- 
leurs vos  lettres  à  préseot  sont  d'un  bon  marché  éton- 
nant :  elles  ne  coûtent  que  trois  sols  ;  ainsi  il  faut 
supporter,  en  grâce  du  boa  marché,  quelque  chose. 
Mais  je  voudrais  bien  savoir  le  chemin  qu'elles  font. 
En  vérité  Je  l'ignore.  Je  crois  qu'elles  viennentde  Rome 
par  le  courrier  d'Espagne. 

Vous  auriez  pu  me  dire  quelque  chose  sur  mon 
dialogue  féminia.  Vous  devriez  admirer  la  promptitude 
de  l'accouchement,  et  surtout  la  vivacité  du  souvenir 
que  je  conserve  de  Paris,  et  des  cercles  où  je  vivais. 
En  vérité,  ce  dialogue  n'a  pas  le  ton  d'une  personne 
qui  ne  vous  a  pas  vue  depuis  trois  ans  complets.  On 
croirait  que  j'ai  soupe  ce  soir  avec  vous,  le  marquis, 
Grimm  et  consorts,  et  qu'en  rentrant  chez  moi  je  l'ai 
écrit.  Telle  est  la  force  de  la  passion  que  j'ai  pour 
Paris,  pour  vous,  pour  mes  amis,  dont  MagaUon  est 
du  nombre.  S'il  ne  m'entend  point,  s'il  ne  me  plaint 
pas,  est-ce  ma  faute  ? 


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LETTRES  DE  GALIANI 


A    MADAME    DE    BELSUNCE 


Madame, 

Point  de  lettres  de  maman  cette  semaine,  ainsi  c'est 
Totpe  tour  à  présent,  et  c'est  à  votre  épilre  que  je  dois 
répondre  (je  dis  épître  plutôt  que  lettre,  parce  qu'elle 
ressemble  à  celles  de  saint  Paul,  étant  sans  dat«  de  lieux 
ni  de  temps).  Voilà  ce  qui  est  commode  ;  on  ue  peut 
pas  me  reprocher  d'y  avoir  répondu  trop  tard.  Autre 
ressemblanceàcelles  de  saint  Paul:  elleest pleine  de  mé- 
taphores terribles.  J'y  vois  une  fièvre  boudée,  reçueavec 
une  mine  de  chien,  et  toutcela  estaussi  hébraïque  que 
la  vision  du  petit  prophète,  baron  du  Saint-Empire  ' 
et,  par  la  gr&ce  de  Dieu,  sans  baronne  et  sans  baronnie. 
Dernière  ressemblance,  elle  m'attriste  pour  le  présent 
sur  la  sbnté  de  maman,  et  ne  m'égaie  que  par  des  es- 
pérances éloignées. 
Pour  répondre,  j'aurais  dû  vous  faire  un  petit  conte 


1. 


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BO  LETTRES  DE  GAllANI 

bleu;  mais  en  vérité,  je  suis  abruti,  vous  a'on  voulez 

rien  croire,  eh  bien  !  vous  l'éprouverez. 

Cl;  qui  pourrait  me  rétablir  dans  la  réputation  du 
public,  c'est  tHistoire  des  ckals,  à  laquelle  je  travaille  Â 
présent.  D'après mesobservatioiis,jc  trouve  chez  leschats 
la  polygamie  autorisée  de  temps  immémorial  ;  je  trouve 
aussi  -que  l'accouplement  est  défendu  pendant  la  gros- 
sesse; mais  il  ne  l'est  pas  pendant  l'allailcmeat  des 
petits;  cela  me  prouve  qu'on  peut  coucher  avec  une 
nourrice,  tuta  comcientia,  malgré  l'opinion  de  Jam- 
burin,  d'Azorius,  de  Sanchcz,  tous  Jésuites  qui  sou- 
tiennent le  contraire.  Je  trouve  enfm  que  les  honneurs 
de  la  galanterie  des  chats  et  l'hommage  dû  aux  dames 
sont  de  leur  céder  le  pas  et  de  les  faire  marcher  de- 
vant, de  façon  que  la  queue  de  la  chatte  doit,  de 
temps  en  temps,  frapper  légèrement  le  museau  du 
chat  ;  d'où  je  conclus  qu'au  lieu  de  donner  le  bras  aux 

dames  nous  devrions Elles  devraient  alors  se 

retourner  et  nous  soufHer  au  visage.  Dorénavant  je  ne 
ferai  ma  cour  aui  dames  que  d'après  ces  principes. 
Dressez-vous  ù  cette  méthode  pour  le  temps  que  je  re- 
paniilrai  sur  l'horizon  de  Paris  ;  ce  temps  viendra,  et 
dans  peu  d'années,  si  la  mort  suit  sa  règle,  et  qu'elle 
ne  me  tue  pas  avant  ceux  qui  sont  plus  âgés  que  moi. 
Hais  que  dira-t-on  de  moi  à  Paris,  en  me  voyant  sans 
dents  tout  à  fait?  Ne  trouvera-l-on  pas  ma  mine  ridi- 
cule ?J'eD  laisserai  juger  au  baron  de  Grimm,  lorsqu'il 


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LETTRES  DE  GALIANI 


Tiendra;  et  s'il  me  coDseille  de  reparaître  avec  ma  mino 
raccourcie  de  deux  pouces,  je  reviendrai  à  Pari»'.  Le 
papier  est  fini.  Bonsoir. 


A     MADAME    o'ÉPINAï 

NaplM,  1  Juin  ITTi. 

Votre  lettre  du  16  mai,  ma  belle  dame,  porte  la 
date  de  Naples  au  lieu  de  celle  de  l*arîs.  Vous  êtes 
donc  à  Naples.  Je  preuds  cela  pour  un  très  bon  augure 
et  j'espère  que  cela  se  vérifiera. 

Vous  me  ditesque  jen'ai  pas  de  bouoes  raisons  pour 
ëtr<.>  ici,  honnis  l'ambition.  AU!  que  cela  est  loin  du 
vrai  !  Vos  propos  me  prouvent  de  plus  en  plus  ce  que 
j'ai  toujours  cm  :  qu'un  Français,  quelque  esprit  qu'il 
ait,  ne  saurait  jamais  se  former  l'idée  d'un  pays  diffé- 
rent du  sien.  Je  vais  pourtant  tâcber  de  vous  donner 


1.  Il  eiUte  t  U  BibliotbËque  nitlonsle  (Estampe»)  un  petit 
groupt  gravé  k  l'ean-forle  dsns  lequel  Bguro  Galiani.  On  Tolt 
en  effet  une  diirér«nc«  eilnordinajre  entre  sa  physionomie  «I 
celle  des  portraits  graTés  quelque  dii  ans  auparavant. 


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n  LETTRES  DE  GALlANI 

une  idée  du  mien.  Sachez  que,  si  je  quittais  Naples,  je 
demanderais  l'aumdne-  à  Paris.  D'abord  il  faudrait  que 
je  quitte  mes  appointements  en  entier,  qui  font  la  moi- 
tié de  mon  revenu.  Mais  il  me  reste,  me  direz-vous,  six 
mille  francs  au  moins  de  mes  abbayes.  Point  du  tout. 
Je  perdrais  celles-là  aussi.  On  ne  m'ôterait  pas  à  la  vé- 
rité les  abbayes,  mais  aucun  de  mes  fermiers  ne  s'a- 
viserait de  me  payer  jamais.  Tel  est  l'état  d'anarchie 
oîi  l'on  vit,  que  personne  ne  craint  le»  lois  de  la  justice, 
mais  on  craiut  en  revanche  l'iujustice  ;  et  conmie  je  suis 
magistrat,  je  puis  la  faire.  On  me  craint,  on  me  paie.  On 
me  payait  aussi  lorsque  j'étais  à  Paris,  parce  quej'y  ser^ 
vais  le  roi;  et  l'on  voyait  que  je  devais  retourner  employé  ; 
mais  si  je  me  retirais  du  service,  je  ne  seraispayépar  per- 
sonne, car  mes  revenus  sont  en  abbayes,  c'est-à-dire  en 
fonds  de  terres  reculées  dans  les  provinces.  Un  Français, 
et  encore  moins  un  Anglais,  ne  connaissent  point  ces 
risques.  Quelque  pari  qu'il  soit,  la  justice  de  sa  patrie 
protège  sa  propriété  foncière.  Ici  on  n'est  sûr  qu'à  force 
d'égards.  11  faut  être  craint  et  beaucoup  craint  pour  Ctre 
quelque  chose  dans  la  société.  Vous  voyez  donc  que  je 
ne  puis  pas  bouger  d'ici,  à  moins  de  trouver  six  mille 
francs  à  Paris.  Trouvez-les,  et  appelez-moi  un  monstre, 
si  je  ne  viens  pas. 

Vous  me  grondez  encore  sur  le  compte  de  Hagalloo. 
Autre  preuve  que  vous  n'avez  aucune  idée  de  mon  pays 
et  de  ma  situation.  Venez  me  voir,  ou  envoyez-moi  le 


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LETTRES  DE  GÀLUNI  83 

baron,  et  je  m'expliquerai  avec  lui,  car  ce  sont  des 
dioses  qu'on  ne  saurait  écrire.  St  mes  lettres  ne  sont 
pas  égarées,  vous  recevrez  celle  dans  laquelle  je  rends 
compte  au  baron  du  Saint-Empire  de  la  fondation  de 
sa  garde-robe  itinéraire.  Il  faut  qu'il  prenne  un 
uniforme,  et  qu'il  se  iasse  un  carnaval  éternel  de 
son  voyage.  De  quoi  me  grondez-vous  ?  Puisque 
Mora  et  Hagallon  doivent  partir  de  Paris,  ne  vautr-il  pas 
mieux  qu'ik  viennent  chez  moi,  que  d'aller  s'ensevelir 
en  Espagne  ? 

Mes  cors  soupirent  après  vos  lettres.  Je  joins  mes 
prières  aux  leurs.  Quoiqu'ils  aient  ie  cteur  dur  par 
essence,  ils  vous  aimeront  à  la  folie,  si  vous  trouvez 
moyen  de  les  amollir. 

Notre  reine  est.  accouchée  bravement  la  nuit  passée, 
à  une  heure  et  demie  après  minuit,  d'une  fille  :  cela 
vaut  mieux  que  rien.  Une  sainte  que  nous  avons  ici, 
et  qu'on  s'est  avisé  d'exiler  ces  jours  passés,  aux 
prières  de  l'archevêque,  à  cause  du  bruit  qu'elle  faisait, 
avait  prédit  que  la  reine  accoucherait  le  six  du  mois  de 
mai,  à  une  heure  après  minuit*.  Elle  a  parfaitement 


1.  c  11  a  para  demiÈrement  une  femme  h  miracles,  ifue  l'on  a 
nommée  la  Salote;  le  peuple  commençait  ï  se  prosterner  t  ses 
pieds,  et  plusieurs  ecclésiastiques  plus  recommanda  blés  sans 
doute  par  leur  ptélâ  que  par  leurs  lumières,  après  s'être  laissé 
séduire  par  la  conduite,  le  langage  et  toutes  les  afféteries  mys- 
tiques de  celia  Temme,  Échauffaient  le  ranaliame  par  la  vénération 
quila  profeasaieDl  pour  ses  Tenus;  elle  annonçait  qu'elle  avait 


jbïGoogIc 


84  LETTRES  DE  GALIANI 

deviné  le  jour  et  l'heure,  elle  ne  s'est  trompée  que  du 
mois.  Dites-moi,  faut-il  compter  cell,e-là  parmi  les 
bonnes  prophéties?  Pour  moi,  je  la  trouve  bonne,  car 
elle  a  fait  le  plus  difficile  de  la  besogne,  qui  est  de  de- 
viner le  jour  etl'heure.  Vous  en  jugerez. 

Vous  me  dites  bien  peu  de  mots  sur  mon  dialogue 
fémiaio.  Dites-m'en  bien  ou  mal,  mais  électrîsez-moi. 
Le  silence  est  une  espèce  de  mépris  que  mes  dialogues 
ne  méritent  point.  Adieu;  embrassez  tous  mes  amis. 
Bonsoir. 


utt  eouTeol  de  Olles  i  Bélhléem,  et  que  l'ange  Gabriel  avait  ta 
cotupJiiuDCe  de  leur  porter  pendant  la  nuit  les  aumûnes  dont  les 
gêna  de  bien  la  gralîQaient  pour  leur  bubsislance  pendant  le  jour. 
Le  gouverneur  de  Saleme  ajant  proposé  k  son  arcbevique  de 
la  renrermer  dans  un  conservatoire,  ce  prélat  s'en  e^t  défenda 
m  disaat  (|u'il  dj  était  pas  iutorisé.  Il  a  bJlu  prendre  las  ordres 
de  la  police  de  Naples  qui  a  relégué  cette  prétendue  sainie  à  la 
Rocei.  > 

(Dépêche  de  U.  de  Bérenger  au  duc  de  Choiseul,  13  juin  I7TS. 
—  Archives  Aff.  Etr.  Napleï,  1772.) 


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LETTRES  DE   GALIANl 


Naplei,  tl  Juin  mi. 

Ah  !  que  voire  lettre  est  différente,  nia  belle  dame, 
de  celle  que  mes  cors  attendaienl  I  Au  liËu  de  leur 
afiaire,  ellecontieat  des  détails  sur  la  coteriù  des  lan- 
turlus  ',  qui  ne  vaut  pas  un  empl&tre  pour  les  cors. 

Quoi  I  vos  esprits  ne  savaient  pas  quelle  est  la  classe 
des  bimanes  ?  La  leur.  Celle  des  singes  etdes  hommes.  . 


1.  ■  L'ordre  des  Laniurelui,  dont  l'idéeÉUit  due  au  marquis  de 
Croimure,  availélé  crÈé  pour  se  moquer  du  Parlement  Uaupeou. 
SesloitprîDctpaletÊtalentdiinepBS  avolrlesens  rommun,  de  faire 
des  chansons  el  de  dire  des  btllws  spîrlliielles.  Madame  de  la 
Ferté-Imbaull  a'étail  déclarée  reine  de  cet  ordre  et  distribuait  i . 
Ks  fBTÔrls  ka  chargea  de  la  couronne  ;  beaucoup  de  grands  sei- 
gneors  ont  Élé  admis  i  cet  bonueur,  Paul  I".  alors  grand  iluc  de 
RuBie.  le  prince  Heuti  de  Pruase,  \ei  ducs  de  Weimar  el  de 
Saie-Gotba.  Les  deux  frères  de  Louis  XVI  demandërcol  i  être 
reçus,  mils  l'étiquette  de  Versailles  était  trop  sérieuse  pour  se 
prêter  1  ces  folles,  que  la  gravité  pincée  du  prince  Henri  n'avait 
pas  dédaignées  Je  le  vU  pourtant  faire  une  grimace  fort  plaisante, 
lonqu'on  l'obligea  à  ae  mettre  k  genoui  pour  baiser  la  main  de 
notre  reine.  ■  (Gleichen.)  Les  brevets  étaient  délivrés  par  la  sou- 
Termine  de  l'ordre  incomparable  des  Lanturelus.  protectrice  de 
lODS  les  Lamponi,  Lampones,  et  Lamponets. 


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86  LETTRES  DE  GAL1A.NI 

M.  de  BuffoD  a  averti  que  les  bipèdes  ne  sont  propre- 
ment que  les  oiseaui  ;  les  quadrupèdes  sont  tous  les 
aoimaus.  Les  homines  et  les  singes  ont  deux  mains  et 
deux  pieds  -,  il  les  appelle  pour  cela  des  bimanes.  Leur 
caractéristique  est  que  les  femelles  sont  réglées,  et  cette 
incommodité  fait  une  retenue  de  1^  pouf  100  sur  le 
plaisir  amoureux.  Terrible  impAt  !  trois  vingtièmes  ! 
Qu'il  m'a  coûté  à  Paris  ! 

Je  vous  ai  dit  mes  difficultés  sur  mon  retour  à  Paris. 
Perdre  tout  ce  qu'on  a  est  un  terrible  embarras.  Si 
jamais  la  justice  revient  dans  ce  paj-s-ci  de  façon  qu'on 
puisse  ee  flatter  d'être  payé,  quoique  absent,  comptez- 
moi  pour  parti,  à  moins  que  vous  ne  trou>iez  le  moyeu 
de  me  remplacer  ce  que  je  sacriâe.  Ce  soir  je  n'ai  le 
.temps  que  de  vous  dire  que  je  vous  aime  tendrement, 
et  je  vous  aimerai  davantage  lorsque  mes  cors  seront 
guéris  radicalement. 

Vos  letb«s  sont  redevenues  chères.  Voyez  si  vous  pou- 
vez rattraper  la  méthode  économique  de  me  les  envoyer  : 
je  h  préférerais  à  toutes  les  découvertes  économiques  de 
U.  l'abbé  Badot  et  de  H.  l'abbé  Roubeau.  Bonsoir. 


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LETTBES  DE  GàLIAM 


    M.   LE    CHEVALIER  HACALLON    ^ 

■^u,  is  JuiB  tm. 

HoD  cher  ami,  voilà  pour  le  coup  une  affaire  Soie. 
On  m'a  donné  le  fatal  et  mémorable  paquet  évalué 
4â  ducats  et  demi  pour  six  carlins,  qui  tont  SO  sols 
juste  *.  Telle  est  la  vicissitude  des  choses  de  ce 
bas  monde.  Je  n'ai  point  cherché,  comme  vous  pouvez 
bien  croire,  à  pénétrer  les  causes  de  cette  grande  révo- 
lution. J'en  laisse  le  soin  à  Uontesquieu,  qui  cherchait 
celles  de  l'empire  Romain.  Je  ne  sais  si  les  împerti- 


1.  Secréuîre  d'kmbissade  et  clia^  d'ïfflires  d'Espiigne,  le 
cheralier  de  HagatloD  fiait  Tort  Uen  irec  Galiaai.  Lorsque  l'abbé 
eat  q^ië  Paris,  il  y  ent  dont  leur  amitié  un  assez  grand  refroi- 
dûsemeDt.  —  Madame  d'Epinay  el  Magallon  ne  furent  mis  en  rela- 
tions qo'après  le  départ  de  fiallanl  et  l«  cbeTaller  devint  un  de* 
hmbitnés  de  son  »a]0D.  Il  est  asseï  sonrent  question  de  lui  dans 
)ea  ■tÉn^rei  du  tempe,  m»is  sans  détails  qui  puissent  nous  fiicr 
sur  son  ctractère.  C'est  dans  la  correspondance  de  Galiani  qu'on 
troon  le  pins  de  renseignements  sur  lui.  11  retonroa  en  Espagne, 
oA  il  fut  nommé  conseiller  du  Roi. 

%  Cal  le  fameui  paquet  couteuant  l'BUtoire  de  Siam.  Galianl 
■  d^  parlé  plusieurs  fois  dans  les  lettres  précédentes  detennute 
qoe  lui  causait  cet  envoi. 


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88  LETTRES  DE  «ALUNI 

nences  que  je  vous  ai  faites  et  écrites  y  ont  contribué. 
Je  sais  que  c'est  une  aSàire  finie,  et  cela  me  suffit. 
Prions  Dieu  qu'on  n'en  recommence  pas  d'autres. 
Ainsi  soit-il. 

Vous  restez  donc  à  Paris  pendant  que  la  colonie 
s'en  va  in  Ur  Chaldœorum,  terram  coffnatiùnU  «me. 
Je  vous  souhaitais  k  Naples.-  puisque  vous  n'y  venez 
pas,  je  vous  souhaite  à  Paris. 

Nous  avons  accouché,  comme  vous  savez  bien.  On 
souhaitait  un  garçon:  il  viendra  '.  La  mère  a  bien 
ane  mine  accoucheuse,  et  je  crois  qu'elle  nous 
remplira  de  petits  princes.  Vous  n'accouchez  pas, 
vous  autres  ;  tant  mieux  pour  H.  le  contrdleur- 
général. 

Le  pape  n'accouche  pas  non  plus  de  ses  jésuites  : 
je  crois  qu'il  y  a  autant  de  politique  que  d'irrésolution 
naturelle  dans  la  conduite  du  grand  pontife  '. 

Croyez-vous  à  la  paix  avec  le  Turc?  Pour  moi,  je 
n'en  crois  rien.  La  Russie,  pour  continuer  ses  con- 
quêtes contre  ce  vieiL  empire,  avait  besoin  de  se  dé- 

t.  La  reine  Caroline  de  Naples  venait  d'accoucher  d'une  flllc. 
a  Le  roi  araiL  peine  à  contenir  k9  transports  et  aQn  que  per- 
sonne u'icnaginAl  que  la  naissance  d'une  priaeesse  au  lieu  d'un 
prince  rendit  sa  saiisfacUon  Imparfaite,  h  avait  soin  da  dire  que 
les  enfants  miles  viendraient  t  leur  loar.  >  (Dépêche  de  H.  de 
Bérenger  au  duc  de  Cfaoiseul.) 

1.  Le  pape  GanganelU  cherchait  i  gagner  du  temps  et  malgré 
l«a  preaiaDtea  insUncea  de  la  France,  de  l'Espagne  et  du  Porto- 
gai,  il  ne  pouvait  le  résoudre  i  supprimer  la  Compagnie  de  Jésus. 


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LETTRES  DE  GÂLIANI  89 

barrasser  du  Prussien  et  de  l'empereur.  Elle  en  a 
trouTé  le  moyen,  en  leur  jetant  la  Pologne  à  ronger. 
Ils  se  chamailleront.  En  attendant,  elle  fera  ses  af- 
faires. Voilà  lout  ce  que  je  sais  en  fait  de  politique. 
Mille  choses  à  Hora,  au  prince  Louis  *  et  aux  autres. 


A     HAD&HE     D   ËPINAY 
IR^DH  aux  emplitrcs.) 

Naples,  ojnlD  1171. 

Ha  belle  dame,  avant  que  de  répondre  à  vos  em- 
pl&lres,  je  vais  vous  dire  qu'enfin  on  m'a  délivré 
le  fatal  paqtiet  de  l'histoire  de  Siam  pour  SO  sols  au 
lieu  de  200  francs  qu'on  en  demandait.  J'aurais  re- 
gretté les  50  sols,  s'il  n'y  eût  eu  que  ce  méchant  ouvrage 
dans  le  paquet.  Mais  il  y  avait  une  lettre  de  vous  et 
toute  lettre  de  vous  vaut  bien  ce  prix-là.  Je  l'ai  donc 
reçue.  Cest  le  n"  88. 


1,  Prince  Louii  Pigiulelli.  Comme  chargé  d'affaires  d'Espagne, 
Ibgallon  était  en  rapports  Gontinuels  aiec  le  comte  de  Faenlès 
«t  M  bmille. 


jbïGoogIc 


»  LETTRES  DE  GALIANI 

Pour  une  lettre  écrite  par  la  voie  d'un  courrier 
extraordinaire,  elle  est  bieo  pwi  intéressante.  H  n'y  a 
rien  qui  concerne  ni  tous  ni  moi.  Elle  regarde  en 
entier  H.  Gatti.  Ce  Oatti  est  parti  d'ici  depuis  quarante 
jours  au  moins.  U  ne  m'a  fait  parvenir  aucune  nou- 
'  Telle  de  lui  jamais,  non  plus  que  sa  milady  avec  qui 
il  voyage.  J'en  serais  bien  surpris,  si  je  ne  connaissais 
pas  mon  homme.  Le  fait  est  que  j'ignore  s'il  est 
vivant  ou  mort.  S'il  est  vivant,  et  qu'il  arrive  à 
Paris,  il  vous  donnera  de  mes  nouvelles.  U  fera  tout 
ce  que  bon  lui  semblera  à  Paris.  Ce  qui  me  I%che 
moi,  c'est  que,  depuis  son  départ,  on  n'a  plus  ino- 
culé personne  ici,  comme  j'avais  bien  prévu  qu'il 
arriverait.  J'aime  ma  patrie,  je  crains  la  laideur  de 
mes  compatriotes;  voilà  les  causes  de  mon  chagrin 
sur  son  départ. 

Passons  aux  empl&tres.  Ils  arrivent  dans  le  moment. 
En  vérité  ils  sont  d'une  efficacité  miraculeuse,  iacon- 
cevable.  Huit  Jours  avant  qu'ils  arrivassent,  mon  mal 
aux  cors  était  passé,  je  ne  souffrais  point.  Malgré  cetl« 
guérison,  je  viens  de  me  l'appliquer;  il  me  fait  un 
mal  de  chien  ;  d'où  je  conclus  que  vos  emplâtres 
opèrent  mieux  à  distance  qu'appliqués.  Ils  sont  des 
mauvais  topiques,  et  des  excellents  sympathiques.  Quoi 
qu'il  en  soit,  je  vous  en  donnerai  des  nouvelles  plus 
sûres  la  semaine  prochaine. 

Point  de  lettre  de  vous  qui  ait   accompagné  les 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIÀM  Sf 

eia[rffltres.  Qae  Jaitea-vous  donc  ?  Toujours  occupée 
de  rendre  homicide  votre  fils  ?  A  propos,  o'est-il  pas 
reçu  dans  le  régiment  de  Schombei^î  Le  vicomte  de 
MoDtboissier  n'est-il  pas  dans  ce  même  régiment?  Il  le 
ctHinait  dODC  7  Or,  si  cela  est,  il  faut  que  vous  me 
rendiez  un  service  bien  important. 

Sachee  qu'il  y  a  six  mois  que  j'avais  acheté  quel- 
qaes  médailles  d'argot  ei  d'or  pour  H.  Pellerin. 
Elles  m'avaient  coûté  138  livres.  J'en  écrivis  au  mois 
de  décemtH«  à  H.  Pellrarin,  qui  ne  me  répondit  pas. 
Cepwdant  je  donnai  le  paquet  de  ces  médailles  à 
M.  Je  vicomte  de  Hontboissier  lorsqu'il  partit  d'ici, 
et  j'écrivis  encore  à  H.  Pellerin.  Point  de  réponse. 
Montboissier  arriva  à  Paris.  Au  vingt  d'avril,  il  m'é- 
crivit qu'il  avait  trouvé  un  autre  acheteur  de  mes 
médailles,  si  je  voulais  les  donner.  Je  crus  devoir  lui 
répondre  qu'il  fallait  les  offrir  avant  tout  à  H.  Pel- 
lerÎD  ;  et  que,  s'il  ue  s'en  souciait  pas,  j'aurais  volon- 
tiers cédé  les  médailles  à  son  ami.  J'écrivis,  pour  la 
troisième  fois,  à  M  Pellerin  '  :  point  de  réponse 
de  lui,  ni  de  M.  de  Montboissier,  depuis  un  mois  que 
je  l'attends.  Je  crains  que  M.  Pellerin  ne  soit  ou  mort 
ou  bien  malade,  pour  être  resté  six  mois  sans  répondre 
à  trois  de  mes  lettres.  Je  crains  que  Hontboissier  ne 
soit  à  sou  régiment  ;  et  surtout  je  crains  d'avoir  perdu 

1.  Voir  la  lettre  du  16  mai  17T3. 


jbïGoogIc 


92  LETTRES  DE   GALUNI 

les  médailles  et  l'argent,  tu  me  recommande  à  vous. 
Il  n'est  question  que  de  recouvrei'  l'argent  ;  car  je  vou- 
drais bien  vendre  les  médailles,  qui  n'appaitiennent 
pas  à  ma  collection.  Si  vous  réussissez  à  recouvrer 
l'argent,  remettez  les  138  1 .  à  M.  le  marquis  Carao- 
cioli,  ou  à  M.  de  Fuenlès,  qui  pourront  m'en  faire 
payer  le  montant  ici  par  leurs  correspondants:  et, 
nota  beite,  je  suis  toujours  un  peu  pressé  en  fait 
d'argent. 

Cette  affaire  me  tient  fort  à  cœur,  comme  vous 
pouvez  ci'oire,  et  ^e   voudrais  recouvrer  mon  argent. 

Grimm  a-t^il  reçu  ma  réponse  toucliant  sa  façon 
d'être  habillé  en  voyage  ?  Arlequin,  baron  suisse,  doit 
être  son  modèle.  11  doit  avoir  de  grandes  poches  rem- 
plies de  bijoux,  tels  que  des  chandeliers,  des  bassins  ù 
barbe,  des  marmites  d'argent,  etc. 

Aimez-moi  ;  portez-vous  bien.  Je  vous  recommaude 
de  m'aimer  toujours,  et  de  me  recouvrer  de  l'argent. 
Voilà  la  loi  et  les  prophètes. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GÂLIANI 


A    LA    MEME 
Il  plus  beau  des  numéros.) 


Niple*.  17  Juin  IITJ. 

Ah!  madame,  que  vous  avez  d'esprit!  Votre  30  mai 
m'avait  anéanti.  Je  maudissais  l'iDSpiration  qui  vous 
avait  poussée  à  m'écrire  une  nouvelle  pour  me  tenir 
dans  une  mortelle  inquiétude.  D'un  autre  cdté  je  vous 
eicusais.  Vous  aviez  trop  de  chagrin  pour  ne  pas  le 
partager  avec  vos  amis.  Je  comptais  donc  parmi  mes 
bonheurs  que  vous,  m'ayant  écrit  par  la  nouvelle  route, 
et  moi,  m'étant  trouvé  en  campagne,  je  n'aie  ouvert  votre 
af&euse  lettre  que  trois  jours  plus  tard,  c'est-à-dire 
mardi.  Depuis  ce  moment  je  n'ai  plus  été  bon  à  rien 
qu'à  dire  que  Grimm  était  malade  à  des  gens  qui  ne 
le  conoaissent  point  du  tout.  Vous  ne  sauriez  imagi- 
ner le  tourment  d'un  homme  à  trois  cents  lieues.  Mon 
unique  espérance  était  que  vous  auriez  assez  d'esprit 
pour  m'écrire  la  lettre  suivante  par  la  poste,  et  qu'ainsi 
je  la  recevrais  le  vendredi.  Vous  avez  eu  cet  esprit-là. 
i'ai  payé  35  sols,  et  voilà  ce  qui  s'appelle  de  l'argent 
l:riend^>ensé. 


jbïGoogIc 


«4  LETTRES  DE  GALUNI 

Je  ne  sais  pas  si  je  réussirais  à  vous  peindre  ma 
situation,  et  ce  qui  m'est  arrivé  en  recevant  voire 
lettre.  Le  domestique  n'a  trouvé  que  votre  lettre  seule 
à  la  poste.  11  me  l'apporte  ;  je  la  reconnais  ;  je  me  trou- 
ble; je  palis,  et  n'osais  presque  l'ouvrir.  Dans  le 
trouble  de  mes  idées,  je  m'imagine  qu'elle  aurait  dû 
être  cachetée  avec  de  la  cire  noire,  s'il  y  eût  eu  quel- 
que malheur.  Je  l'ouvre  donc,  et  dans  l'instant  je  me 
remets,  et  trouve  que  l'indication  du  cachet  rouge  ne 
devait  pas  me  rassurer.  Ha  palpitation  recommence,  et 
je  jette  les  yeux  sur  votre  lettre  sans  vouloir  les  appro- 
cher. La  lettre  conmience  :  Grimm  est  hors j'ai  lu 

Grimm  est  mort,  ef  j'ai  cm  m'évanouir.  Je  veux  relire, 
mais  en  esquivant  la  lecture;  et  je  relis:  Grimm  est  mort 
d'affaires.  Cela  m'a  paru  bizarre.  J'ai  approché  coura- 
geusement les  regards  ;  et  j'ai  bien  la  alors,  et  galopé, 
et  dévoré  votre  lettre. 

A  le  bien  prendre,  pourtant,  je  trouve  une  espèce  de 
prophétie  dans  ma  lecture  de  travers.  Grimm  est  hors 
d'afTaire,  mais  >1  est  mort  ou  il  mourra  d'affâires.  Cest 
cette  chaise  de  paille  qui  le  tue.  Quand  on  a  toute  la 
journée  un  grand  carreau  appliqué  au  derrière,  com- 
ment peut^n  prétendre  à  évacuer  grandement  k  tra- 
vers de  tout  cela  ?  De  gr&ce,  ordonnez  qu'on  lui  dé- 
bouche tout  et  mSme  qu'on  l'envoie  comme  les  enfants, 
entotles  fendues,  courir  dans  tes  rues.  Il  dira  que  c'est 
l'babit  de  cérémonie  des  barons  allemands  qui  n'ont 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIÀNI  9S 

point  de  baronie,  et  dont  les  reyenus  féodaux,  sur  les 
terres  du  Saint-Empire,  ne  sufiSsent  pas  à  payer  des 
fonds  de  culottes. 

Je  passe  au  marquis*.  Sur  votre  lettre  du  30,  je 
comptais  beaucoup  sur  son  rétablissement:  la  fiè\Te 
est  un  grand  remède  à  l'apoplesie.  Vous  ne  me 
parliez  que  de  ces  deux  maux  qu'il  avait.  Vous  me 
dites  à  présent  qu'il  a  aussi  le  Thieri  *  ;  pour  celui-ci,  je 
le  crois  sans  remède  et  je  tremble  tout  de  bon.  Cepen- 
dant, comme  à  79  ans  on  ne  demande  pas  des  victoi- 
res, mais  des  trêves,  je  compte,  puisque  la  fièvre  con- 
lioue,  que  s'il  a  été  jusqu'au  quatorzième,  il  en  est 
réchappé.  Il  ne  sera  plus  ni  gai  ni  gaillard.  Mais  puis- 
que j'ai  perdu  mes  dents  à  42  ans,  un  autre  peut  bien 
perdre  sa  gaieté  à  79. 

Mettez  bien  dans  la  tête  à  mon  cher  Mora  qu'il  n'y 
a  point  d'autre  remède  pour  lui  que  de  venir  cicatriser 
la  plaie  de  ses  poumons  à  l'air  soufré  de  Pouzzol'.  ie 
dis  cela  sans  aucun  intérêt  personnel  de  mon  plaisir, 
mais  parce  que  j'en  suis  convaincu.  Je  lui  proposerais 
b  même  chose  si  j'étais  à  Paris  et  qu'il  dût  s'éloigner 
de  moi. 

).  Le  mtrquis  de  Croismare. 

2.  TbieiTf  était  an  niédeGin  tort  célèbre  de  l'époque,  rival  de 
GatU  et  que  Galiani  n'aimait  potDl. 

3.  Hora  ressentait  déji  les  atteintes  de  la  maladie  de  poitrine 
qai  devait  l'enlerer  si  rapidement  i  tous  ses  amis. 


jbïGoogIc 


gS  LETTRES  DE  GALIANl 

le  continue  à  rester  sans  nouvelles  d'aucune  sorle  de 
mon  vieux  H.  Pellerin,  et  du  petit  vicomle  de  Mont- 
boissier.  au  sujet  des  médailles  dont  Je  vous  ai  écrit 
l'ordinaire  passé.  De  grâce,  donnez-y  un  peu  d'atten- 
tion, et  faites-moi  recouvrer  ces  malheureuses  138  livres 
ou  mes  médailles,  en  cas  qu'on  ne  les  ait  pas  changées. 

Dites  à  Grimm  que  Dieu  l'a  puni  de  m'avoir  envoyé 
un  aussi  méchant  ouvrage  que  l'histoire  de  Siam  qui 
m'a  tant  coûté  de  chagrin  avec  ce  chevalier  que 
vous  aimez  tant',  que  vous  me  devez,  et  qui  me  parait 
i&ché  tout  de  bon  avec  moi.  J'ai  découvert  que  l'oltre 
généreuse  qu'il  lit  de  payer  le  paquet  est  la  cause 
qu'on  me  l'ait  U\TépDur  80  sols,  sans  cela  on  m'aurait 
peut-être  assommé  :  ainsi  ma  conduite  est  justifiée  par 
l'événement.  Bonsoir.  Allez  vous  coucher^  vous  serez 
fatiguée. 

1.  Le  dieralierde  Hagalloa. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI 


tfeplei,  H   Jtiillet  nii. 

Ma  belle  dame, 

Voilà  deux  semaines  passées  après  le  rétablissement 
de  GrinuQ,  sans  avoir  aucune  lettre  de  vous.  Cela 
commence  à  m'inquiéter  beaucoup.  Il  est  vrai  que 
moyennant  l'arrivée  de  M.  l'ambassadeur  Breteuil,  j'ai 
eu  l'occasion  de  lire  une  gazette  très  circonstanciée  de 
Paris,  dans  laquelle  toutes  les  minuties  y  sont,  et  je 
n'ai  rien  lu  à  l'égard  de  mes  amis  qui  ait  dû.  me 
coutrister,  mais  quelquefois  un  gazelîer  pourrait  igno- 
rer que  je  m'intéresse  à  la  santé  de  H.  de  Croismare 
et  n'en  rien  dire.  Ainsi  parlez,  de  grftce,  tirez-moi 
d'embarras. 

Pour  moi  je  n'ai  rien  de  nouveau  à  vous  apprendre. 
L'arrivée  d'une  colonie  d'hommes  et  de  femmes  fran- 
ça'ises  ici  ma  fait  beaucoup  de  plaisir  ;  je  compte  d'ores 
en  avant  ne  parler  que  de  Paris.  Aimei-moi  et  ne  pré- 
tendez pas  de  belles  lettres  de  moi.  Lorsque  les  vAtres 
me  manquent,  je  ne  sais  que  vous  dire.  Bonsoir. 


jbïGoogIc 


98  LETTRES  DE  GALIAM 

J'oubliais  de  vous  dire  que  j'ai  reçu  des  lettres  de 
Hontboissier,  et  que  j'ai  été  payé  du  prix  de  mes  mé- 
dailles- J'en  ai  reçu  aussi  dcM.  Pellerin.Usavaient  pris 
le  parti  de  m'écrire  par  M.  do  Breteuil  ;  c'est  ce  qui  fait 
que  j'ai  reçu  leurs  lettres  plus  tard.  J'ai  reçu  l'histoire  de 
vos  établissements  aux  Indes,  mais  je  n'ai  pas  commencé 
à  la  lire.  J'ai  reçu  la  traduction  de  JuvénaH  qui  me 
parait  fort  bonne,  autant  qu'une  traduction  peut  l'être. 
Ce  que  je  trouve,  c'est  qu'il  a  manqué  le  ton  de  sa 
traduction.  Une  satire  est  toujom-s  dans  un  style 
plaisant,  et  même  polisson.  On  ne  doit  pas  la  tra- 
duire avec  décence  et  gravité  ;  mais  la  décence  tue 
les  Français. 


A   tA    MÈNE 


J'ai  reçu  par  la  voie  économique  votre  lettre  et  les 
poésies  de  Voltaire,  et  la  lettre  de  Grimm.  Je  n'ai  que 
le  temps  de  vous  en  remercier,  puisque  je  dois 
répondre  à  M.  le  baron.  Voici  donc  ma  réponse  à  lui: 

1.  Par  Dufaulx.  Paris,  Dehliio,  1711),  in-Sv 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GAlIàNI 


Monsieur  le  Baron, 


Quoi  1  TOUS  me  demandez  eDcore  des  médailles  >, 
après  le  mauvais  succès  de  ceJles  que  j'imaginai  pour 
le  mariage  du  prince,  et  dont  je  n'ai  jamais  reçu 
aucuue  épreuve  !  Vous  me  croyez  donc  meilleur  pour 
les  morts  que  pour  les  mariages.  J'obéis. 

Les  anciens  n'out  jamais  pleuré  les  princes  morts. 
Cette  grande  vue  politique  avait  été  développée  par 
Tibère,  lorsqu'il  dérendit  Tes  deuils  de  Germanicus  en 
disant  :  Principes  quidem  mortales,  rempubltcatn 
œtemam  esse.  En  effet,  c'est  toujours  une  satire  du 
gouvernement  actuel  que  les  regrets  da  passé.  Or,  s'il 
y  a  un  pays  au  monde,  qui  ne  doit  rien  regretter, 
c'est  ceiui  à  qui  le  cher  prince  de  Saxe-Ootha  est 
échu  en  partage  pour  son  souverain. 

Les  anciens  n'ont  donc  gravé  sur  les  médailles  que 
les  apothéoses  de  leurs  princes  et  princesses.  Ainsi, 
toutes  les  inscriptions  à  ce  sujet  se  réduisent  à  Conse- 
cralio  ou  Memorim  œtemœ,  avec  les  symboles  de  l'apo- 
théose, qui  sont  ou  le  Rogtts,  ou  le  temple,  ou  le 
Carpgtttum  attelé  à  des  éléphants,  ou  à  des  mulets  pour 
les  augustes  femelles.   Lorsque  la   mode  des  déifica- 

i,  Grimm  denwndait  ï  l'ïbbé  un  mod&le  da  médaille  coramé- 
monlire  de  la  mort  du  {irince  de  Saie-GoLlia.  Celte  médaille  Tut 
eiéculée  d'après  le  modËle  fourni  par  Galianl. 


jbïGoogIc 


100  LETTRES  DE  GALIA.KI 

tions  passa,  on  trouva  quelque  chose  de  plus  appro- 
cliant  à  nos  mœurs.  La  médaille  de  Claude  le  Gothi- 
que et  de  Haximien  a,  dans  le  revers,  ce  prince  assis 
sur  une  selle  cunile  avec  l'iascription  :  Requies  opli- 
mor  :  taerit  :  c'est  cette  médaille  que  je  choisirai  pour 
modèle  de  la  nôtre.  Je  mettrai  d'un  càté  la  t^le  du 
prince  défunt,  coiffé  à  l'antique,  cependant  avec  le 
bandeau,  marque  de  sa  souveraineté,  comme  il  est  sur 
toutes  les  têtes  de  rois  anciens.  Ptolémées,  Séleucides, 
rois  de  Sicile,  de  MacédolDe,  etc.  L'inscription  dirait 
Divo  Frederico  Gothico,  oplimo  principt.  Dans  le 
revers,  la  ligure  entière  du  prince,  Iiabillée  et  drapée 
avec  élégance,  assise,  ayant  devant  soi  un  palmier, 
symbole  de  l'éfernîté,  d'où  pendent  les  écussons  de 
Gotba  et  d'Altembourg,  avec  un  faisceau  d*armes  au 
pied  de  l'arbre.  Ces  boucliers  attachés  aux  palmiers 
sont  très  fréquents  sur  les  médailles.  La  t£te  du  prince 
pourrait  être  rayonnéc  du  nimbus  comme  celle 
d'Apollon,  symbole  de  I  immortalité.  L'inscription 
dirait  :  Reqtùes  optimor  :  merit  :  en  bas,  meUez  le  jour 
et  l'année  de  la  mort.  Voilà  ma  médaille. 

Hais  si  le  prince  veut  la  sienne,  je  n'ai  qu'à  lui 
faire  remarquer  que  ces  génies,  ayant  leurs  flamheaux 
renversés  sur  les  écussons,  indiqueront  que  le  feu  duc 
a  mis  le  f^  à  ses  États.  On  trouve,  en  efiot,  ce  revers 
sur  les  médailles  d'Adrien,  d'une  figure  qui,  avec  un 
flambeau  renversé,  brûle  quelque  chose  ;  mais  ce  sont 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GÂLUM  IH 

de  vieilles  dettes  des  provinces  avec  le  fisc,  et  l'iDscrip- 
tioa  Reltqua  xietera  H.  S.  novies  mil  :  abolita,  le  mar- 
que. (Test  bien  différent  de  brûler  des  dettes  et  de  brû- 
ler des  provinces.  Ainsi,  ce  génie  pleurant,  le  flambeau 
renversé,  devrait  toujours  être  au  pied  d'un  palmier, 
d'où  pendraient  les  aimes  de  Gotba  et  de  Saxe. 

L'inscription  doit  dire  Lucttis  publicus  et  pas  mœror. 
Le  mot  luctoi  me  parait  consacré  pour  les  deuils. 
'Voici  mon  avis  dit  avec  toute  la  t'rancbise  possible. 
Mettez  UD  seul  génie,  et  pas  deux,  car  il  n'y  a  qu'un 
mort  ;  et  ce  génie,  c'est  l'Ame  même  du  défunt,  et  son 
esprit  représenté  par  ce  flambeau  qui  s'éteint.  Deux 
flambeaux  indiqueraient  deux  morts.  En  avez-vous 
assez  pour  deux  sols  ?  * 

Le  ckolera  morbus  est  un  eflet  des  souffrances  que 
vous  avez  occasionnées  à  votre  bas  ventre  par  des  ré- 
vérences multipliées  et  excessives  :  réformez-les  donc 
et  venez  à  Naples  apprendre  l'impolitesse.  Je  suis  d'une 
humeur  de  chien  aujourd'hui.  Nous  essuyons  depuis  un 
mois  des  chaleurs  incroyables,  et  j'essuie  des  mal- 
heurs inconcevables. 

Madame  m'a  fait  l'histoire  d'un  mbacle  d'un  saint  de 
Paris:  mais  ce  n'est  rien  en  comparaison  de  ceux  de 
notre  sainte.  Ëa  voilà  un,  par  exemple,  qui  vous  éton- 
nera. Notre  sainte  fut  appelée  un  soir  par  une  dame 
de  qualité,  qui  lui  avoua  qu'elle  était  prête  à  se  déses- 
pérer ot  à  se  tuer,  parce  qu'elle  avait  eu  le  malheur  de 


jbïGoogIc 


IM  LETTRES  DE  GiLIÀNI 
devenir  grosse  en  l'absence  de  son  mari  qui  allait  reve- 
nir. La  sainte  la  conforta,  se  mita  genoux,  et  pria  le 
boa  Dieu  de  faire  passer  sur  elle  la  grossesse  de  la 
dame.  Dieu  exauça  ses  prières.  En  effet,  elle  se  trouva 
grosse  et  accoucha  à  terme  d'un  garçon,  quoique 
vierge  et  n'ayant  jamais  connu  d'homme,  et  il  ne  fut 
plus  question  deh  grossesse  de  la  dame,  qui  sauva  par 
là  sa  vie  et  son  honneur.  Elle  répéla  le  même  miracle 
à  l'occasion  d'une  autre  dame 

Contez  ces  miracles  au  vrai  baron.  Adieu,' aimez-moi, 
je  vous  adore. 


Ha  belle  dame,  -savez-vous  bien  qu'il  y  a  trois 
semaines  déjà  que  je  ne  reçois  plus  aucune  lettre  de 
vous  î  11  est  vrai  que  j*ai  reçu  force  lettres  de  Paris, 
et  qu'on  ne  me  mande  rien  de  désagréable.  Cependant 
votre  sUence  m'inquiète.  Il  est  vrai  aussi  que  vos 
lettres  venant  par   un  chemin  détourné,  pourraient 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GiLIiI«I  103 

8'étre  arrêtées;  mais  si  cela  est,  j'aime  mieux  ea  payer 
le  part.  Voilà  tout  ce  que  votre  silence  me  fait  dire,  et 
je  ne  suis  pas  capable  de  vous  dire  autre  chose,  sinon 
que  je  suis  sans  lettre  de  vous  et  que  cela  me  l'ait 
beaucoup  de  peiae.  Si  je  me  laissais  aller,  je  vous  ré- 
péterais cela  plus  de  fois  que  M.  de  la  Rivittrc  n'a  répété 
dans  ses  omTages  les  mots  orrfrc,  évidence  ',  propriété 
foncière,  produit  net,  despotisme  légal. 

Les  pièces  de  Voltaire  que  vous  m'avez  envoyées 
m'ont  fait  beaucoup  de  plaisir  *  ;  on  voit  clairement 
qu'il  est  déiste  par  des  égards  politiques.  Ainsi  les 
athées  ne  le  compteront  pas  parmi  leurs  ennemis,  quoi- 
qu'il écrive  contre  eux.  C'est  bien  plaisant  qu'on  soit 
parvenu  à  un  point  que  Voltaire  paraisse  modéré  dans 
ses  opinions,  et  qu'il  se  Qalte  d'être  compté  parmi  les 
prolecteurs  de  la  religion,  et  qu'il  faille,  au  lieu  de  le 


1.  Voici  la  spiritaelle  déOnition  que  Galitni  donne  dans  les 
dialogua  de  ce  mol  évidence,  si  cher  aui  éconamisies. 

•t  Le  Marquis.  —  Ils  ont  voulu  rencontrer  l'érldence parloat, et 
et  elle  ne  s'est  tronvée  nulle  pari. 

Le  Chevalier.  —  C'est  qu'elle  se  cachait  i  cau^e  de  ses  dettes. 
L'évidence  est  nue  friponne  qui  doit  à  tout  le  mande;  tlle  a 
promu,  donné  des  billets  t  toutes  les  sciences  et  n'a  payé  jamais 
que  les  seuls  géomètrea  qui  n'en  sont  pas  restés  moins  gueui  I  > 

2.  Il  (luit  prendre  «n  porli  OU  la  Principe  d'action ,  diatribe, 
im.  Condorcet  dit  que  cet  opuscule  renferme  peut-être  les 
preuves  les  plus  fortes  de  l'existence  d'un  être  suprême,  qu'il 
ail  été  possible  jusqu'ici  aux  hommes  de  rassembler. 


jbïGoogIc 


IW  LETTRES  DE  GALIANI 

persécuter,  le  protéger  et  l'encourager.  C'en  est  assez 

pour  quelqu'un  qui  est  sans  lettre  de  votre  part.  Ai- 


NaplM,  I»  MAI  ITTt 

Ua  belle  dame,  point  de  lettres  de  vous  cette  semaine, 
non  plus  que  les  trois  précédentes.  Je  ne  crains  pas 
pour  votre  santé,  car  quand  même  vous  seriez  morte, 
vous  m'auriez  écrit  pour  le  plaisir  de  m'écrire.  Je  vois 
donc  clairement  que  vos  lettres  se  sont  égarées.  Ainsi, 
d'ores  en  avant  écrivez-moi  toujours  par  la  poste,  et 
meure  l'avarice!  Plus  d'économie,  plus  d'épargne.  J'ai 
un  besoin  physique  de  votre  correspondance.  Ainsi 
tout  doit  céder  à  cet  article  de  première  nécessité. 

Je  n'ai  rien  à  vous  mander.  Votre  silence  m'abrutit. 
Aimez-moi,  portez-vous  bien,  et  tâchez  de  me  faire 
recouvrer  les  lettres  qui  se  sont  égarées.  Encore  bon- 
soir. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI 


A    LA    HtHE 
RépoDM  à  rbécKlombe  et  au  1"  n*  de  la  3*  ceniurje. 

Naples,  »  aeilt  ITIi. 

Je  viens  de  recevoir,  ma  belle  dame,  le  18  et  le  26 
jaillet  eo  même  temps-,  le  courant  me  manque  et  je 
crains  que  le  11  juillet  ne  manque  aussi  ;  mais  je  n'ai 
pas  le  temps  de  le  rechercher  dans  la  foule  de  mes 
paperasses.  Ces  deux  lettres  sont  arrivées  tout  bonne- 
ment par  la  poste,  malgré  le  soin  et  les  retards  de 
H.  Hagallon.  Celle  qui  avait  été  le  chercher  à  Com- 
piègne  a  coûté  le  double  plus  cher ,  peut-être  parce 
qu'elle  avait  eu  le  plaisir  de  voir  la  cour  et  les  visages 
radieux. 

La  conclusion  de  tout  cela  est  et  doit  être,  une  fois 
pour  toutes,  que  d'ores  en  avant  et  à  jamais,  vous 
m'écriviez  en  droiture  par  la  poste  toutes  les  semaines, 
sans  remercier  personne,  sans  recevoir  de  services 
faibles,  languissants,  mal  arrangés,  de  personne. 
Meure  l'avarice!  Toujours  par  la  poste.  Déjà  j'ai  établi 
la  dépense  de  vos  lettres  sur  l'état  fixe  de  mes  comptes. 


jbïGoogIc 


106  LETTRES  DE   GALIANI 

elle  ne  sera  plus  parmi  les  extraordinaires.  C'est  une 
affaire  de  cent  francs  par  an.  Je  me  suis  arrangé  pour 
les  payer,  en  Atant  la  somme  pareille  de  quelque  chose 
qui  me  fera  moins  de  plaisir  que  vos  lettres,  et  vous  voyez 
que  cet  objet  est  bien  aisé  à  trouver.  Ne  me  faites  plus 
redire  cela  jamais,  et  ne  nous  laissons  plus  induire  en 
erreur  par  des  lueurs  d'un  espoir  trompeur  d'écono- 
mie que  nous  donnera  l'apocrisiairc  Magallon. 

Gatti  est  à  Florence,  où  il  doit  rester  jusqu'à  octobre 
ou  novembre,  pour  assister  à  l'inoculation  qu'lnghen- 
hausea  fera  des  archiducs.  Je  suis  fermement  persuadé 
qu'il  ne  retournera  pas  en  France,  maigre  sa  résolution. 
Son  aversion  pour  la  France  m'a  paru  invincible,  et 
son  attachement  pour  son  village  et  pour  la  paresse  est 
quelque  chose  d'inconcevable.  D'ailleurs  l'aventure  de 
M.  d'Arpajon  ne  contribuera  pas  peu  à  le  dégoitter  en- 
core plus  de  reparaître  à  la  cour.  Où  trouver  ud  peu- 
ple assez  philosophe  pour  sentir  que  cet  événement  ne 
doit  faire  aucun  tort  oî  à  l'iaoculateur  ni  à  l'inocula- 
tion? Tant  qu'on  ne  mourra  pas  de  la  petite  vérole, 
après  avoir  été  assuré  par  l'inoculation,  le  problème  est 
toujours  résolu  ;  car  il  n'était  question  que  de  ne  pas 
mourir. 

Je  suis  au  désespoir  des  chagrins  que  vous  cause  votre 
fils.  Mais  puisqu'il  est  bien  plus  l'enfant  de  monsieur 
que  de  madame  d'Épiuay,  c'est  à  lui,  à  ce  que  je  crois, 
à  s'en  occuper. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIARI  101 

Vous  m'avez  envoyé,  par  H.  le  baroa  de  Breleuil, 
l'Histoire  du  Commerce  des  deux  Iodes.  Je  vous  ai 
demandé  de  me  dire  positivement  l'auteur,  après  quoi 
je  vous  en  dirai  mon  avis  >.  Le  coeur  n'inQue  pas 
en  moi  sur  les  décisions  de  mon  esprit;  mais  il  influe 
beaucoup  sur  les  mouvements  de  ma  langue  et  do  ma 
plqme . 

J'ai  reçu  l'argent  de  mes  médailles  par  M.  de  Montbois- 
sier  :  il  ne  me  reste  qu'à  lui  en  redoubler  mes  remer- 
ciements; chargez-vous-en,  S!  vous  voulez. 

Le  baron  de  Gleichen  me  mande  de  son  château  do 
Tonderden-Trunck,  qu'il  allait  partir  pour  Paris  dans 
un  mois.  Je  lui  écrirai  mardi  prochain,  mais  si  ma 
lettre  le  trouve  parti,  vous  serezla  première  à  lui  don- 
ner de  mes  nouvelles  :  dites-lui  combien  je  l'aime,  et 
quel  vide  affreux  son  départ  nous  a  laissé  à  Naples  :  on 
De  saurait  l'imaginer. 

Nous  souffrons  depuis  huit  jours  des  chaleurs  ici, 
que  ni  le  Sénégal,  ni  la  ligne,  ni  l'enfer  n'égalent. 

Je  n'ai  de  froid  que  mon  esprit,  parce  que  rien  ne 
le  réchauffe.  J'ai  lu  dans  une  gazette  que  notre  ami 
Suard  avait  été  rétabli  dans  les  bonnes  grâces  du  roi 
et  qu'il  serait  élu  à  la  première  place  vacante  à  l'aca- 
démie *.  Si  cela  est,  j'en  suis  véritablement  enchanté, 

1.  L'antear  Était  l'tbbé  Raynal,  il  en  sera  question  plus  kiin. 

2.  Suard  aTtit  été  aotnmé  à  l'Acsdéniie  française  le  mâme  jour 


D.q(.zedbïG00g[C 


108  LETTRES  DE  GAUAMI 

ravi  et  je  vous  prie  de  le  lui  dire.  Aimez-moi.  Celui  qui 
s'appelait  jadis  la  chaise  de  paille,  et  qu*on  appelle  à 
présent  la  culotte  fendue,  comment  se  porte-t-il  ?  Vous 
ne  m'avez  plus  rien  dit  de  M.  de  Croismare.  Est-il 
vivant  ou  mort?  Adieu,  aimez-moi  toujours. 


A    H.    DIDEROT 

Nuplos,  s  septembre  nil. 

Mon  cher  ami,  me  croirez-vous  si  je  vous  dis  qu'il 
y  a  plusieurs  nuils  que  je  rêve  de  vous  et  que  j'étais 
tenté  de  vous  écrire  cette  semaine  même,  pendant 
que  je  reçois  quelques  lignes  de  vous,  qui  ne  me  pa- 
raissent précieuses  que  par  l'écriture  et  la  main  qui  les 
a  tracées.  Au  surplus,  je  vois  que  MH.  les  Russes  vous 
ont  induit  en  erreur.  Ce  voyage  dont  j'avais  été  informé 
depuis  trois  mois  par  les  gazettes  d'Angleterre  et  de 


que  l'ibbé  Delille,  mils  le  Roi,  tuprèade  qui  on  lei  arait  dcs- 
mttIs,  reluM  d'approtiTer  leur  DominatiOR  et  on  dut  procéder  t 
de  Douïelles  élections.  Louis  XV  revint  ensuite  à  de  meilleurs 
seailnenla  sur  leur  compte  ;  il  les  autorisa  à  se  présenter  de 
nouveau  l'année  suivante  et  lis  le  firent  avec  succès. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI  tOO 

Hollande,  n'est  ni  merreilleux  ui  )e  premier.  Ce  che- 
min de  Kamchatkaaux  terres  d'Amérique  aétéfaitparM. 
de  rislele  premier:  ce  voyage  du  même  KamchatXa  au 
Japon  avait  déjà  été  fait  ;  ce  reste  de  la  route  du  Japon 
&  la  Chine  est  fort  connu.  Cette  découverte  n'en  est 
pas  une,  et  c'est  un  voyage  qui  n'aboutit  à  rien.  Il  o'y 
aura  jamais  de  commerce  entre  la  Chine  et  ce  malheu- 
reux pays.  La  Chine  est  trop  riche,  et  le  Kamchatka 
est  trop  pauvre.  L'un  n'a  rien  à  prendre,  l'autre  n'a 
rien  à  donner.  Ainsi  la  vraie  raison  pour  laquelle  cet 
aventurier  est  le  premier  qui  ait  fait  ce  voyage,  c'est 
parce  que  voilà  la  première  fois  qu'il  a  été  à  propos  de 
le  faire. 

Cependantje  suis  bien  aise  que  le  goàt  des  voyages 
reprenne  dans  notre,  siècle  ;  c'est  la  seule  chose  qui 
agrandisse  l'homme  et  relève  sa  nature  et  son  génie,  que 
la  découverte  des  nouvelles  terres.  On  ne  saurait  pour- 
tant sVmpëcher  d'admirer  combien  peu  de  peine  il  nous 
coûte  d'aller  dans  des  pays  inconnus,  soit  par  mer  ou 
par  terre,  en  proportion  de  celle  qu'avaient  nos  an- 
cêtres. Voyezde  combien  nous  sommes  énervés,  amollis, 
dégradés.  Tous  les  progrès  des  sciences  n'ont  pas  pu 
balancer  le  recutement  de  la  vigueur  et  de  la  vraie  va- 
leur. II  faut  fortement  insister  sur  deux  espèces  de 
voyages  :  par  mer,  aux  terres  australes  ;  par  terre, 
traverser  l'Amérique  depuis  Québec  jusqu'à  la  mer  du 
nord  de  la  Califomin.  Voilà  les  deux  objets   vraiment 


jbïGoogIc 


110  LETTRES  DE  GALIA.NI 

utiles.  11  y  aurait  le  troisième,  de  percer  daas  le  milieu 
de  l'Afrique;  mais  nous  n'en  ferons  rien.  Il  est  trop 
fort  pour  nous  '. 

Vous  me  demandez  si  j'ai  lu  l'abbé  Rayoal*?  Non. 
Hais  pourquoi  ?  Parce  que  je  n'ai  plus  ni  le  temps  ni 
le  goût  de  la  lecture.  Lire  tout  seul,  sans  avoir  à  qui 
parler,  avec  qui  disputer  ou  briller,  ou  écouter,  ou  se 
bire  écouter,  c'est  impossible.  L'Europe  est  morte 
pour  moi.  On  m'a  misa  la  Bastille.  J'appartiens  au 
règne  végétal  à  présent,  et  je  me  vois  dans  tm  désert, 
environné  de  souches,  de  poutres  et  de  ces  Iruncus 
inutile  Ugnum  dont  je  vois  faire  de  temps  à  autre  des 
Priapes.  J'attends  mon  tour,  et  je  prie  Dieu  qu'il  arrive 
assez  à  temps  pour  faire  valoir  tous  les  attributs  de 
ma  divinité.  Je  vous  embrasse,  cber  philosophe,  de 
tout  mon  coeur.   Aimez  celui  qui  vous  adore.  Adieu. 


).  GillaDi  devinait  déji  ce  qui  devait  élre  le  but  de  tous  les 
grands  voyageur»  du  m*  slËcle. 

â.  L'Biiioirt  philoiophique  et  politigut  du  commerce  dei  deux 
/ndM.  (Amsterdam,  1770,  4  vol.  Iii-S'.l 


jbïGoogIc 


LETTRES   DE   GILIANI 


A    MADAME     d'ÉPINAY 
(BépODse  auï  n"  2  et  3.) 

Hap'eB.  i  saplenibre  1171. 

Je  les  ai  reçus  en  même  temps.  Ainsi  j'ai  tardé  huit 
jours  à  apprendre  la  fâcheuse  nouvelle  de  notre  pauvre 
marquis  '.  Ne  tous  étonnez  pas  :  je  n'y  ai  pas  été  à 
beaucoup  près  aussi  sensible  que  j'aurais  cru  moi- 
mAme.  Ce  phénomène  m'a  étonné,  a  pensé  me  faire 
horreur,  et  j'ai  voulu  en- approfondir  la  cause. 

Ce  n'est  pas  l'absence,  ce  n'est  pas  que  mon  OBur 
soit  changé  ni  endurci  ;  c'est  qu'on  n'a  d'attachement  à 
la  vie  d'autrui  qu'à  mesure    de   l'attachement  qu'on 

1,  Le  marquis  de  Croismare  mourut  le  3  naùt  1771,  A  l'dge 
de  soiunte-dii'huit  ans.  Il  conserva  Jusqu'au  dernier  moment 
tonte  1*  rralcheur  do  son  esprit;  il  ne  perdit  ni  sa  gaité,  ni  sou 
enjouement,  ni  aucune  des  grflces  qui  le  rendaient  si  charmant. 
En  dépit  de  tes  cbangements  fréquentsd'opinîon,  il  mourut  avec 
beaucoup  de  calme  et  de  philosophie  pratique.  oLt  rie  du  mar- 
quis de  Crojsmare,  dit  Grimm,  a  été  un  tissu  de  procédés  nobles 
et  généreux,  d'actions  Justeset  déalnléressées,  de  serriceirendua 
arec  antaDl  de  zèle  que  de  limplicilé  et  de  modestie.  On  peut 
écrire  lur  sa  Ïambe  qu'il  n'a  jamais  rien  Tait  ni  rien  dit  comme 
un  autre  et  qu'il  a  cependant  toujours  fait  et  dit  au  mieni.  ■ 


jbïGoogIc 


m  LETTRES  DE  GâLUNI 

a  à  la  sienne  ;  et  on  n'est  attaché  à  la  vie  qu'en  pro- 
portion des  plaisirs  qu'elle  nous  cause.  J'entends  h  pré- 
sent pourquoi  les  paysans  meurent  tranquillement  et 
voient  mourir  les  autres  stupidement.  Un  homme  en- 
voyé à  Bicëlre  pour  toujours  apprendrait  toutes  les 
morts  de  l'univers  sans  regret.  Voilà  la  cause  de  la  va- 
leur militaire  :  U  vie  dure  d'une  campagne.  On  se  bat 
bravement  après  une  nuit  d'hiver  passée  au  bivouac  ; 
on  méprise  également  sa  vie  et  celle  des  autres,  on  en 
est  ennuyé.  Ainsi,  si  vous  avez  pleuré  plus  que  moi, 
c'est  une  marque  cerlaine  que,  malgré  les  chagrins  et 
les  malheurs,  votre  vie  à  Paris  est  moins  insipide  que 
la  mieune  à  Naples,  où  rien  ne  m'attache,  exceptédeux 
chats  que  j'ai  auprès  de  moi,  dont  l'un  s'élant  égaré 
hier  par  la  faute  de  mes  geus.jeme  suismis  en  fureur; 
j'ai  congédié  tout  mon  monde.  Heureusement,  il  a  été 
retrouvé  ce  matin,  sans  quoi .  je  me  serais  -pendu  de 
désespoir.  Voilà  mon  état  :  et  voyez  vous-même  ce  qui 
vaut  mieuiL  du  chagrin  ou  de  l'insipidité? 

Je  ne  suis  point  étonné  que  la  convalescence  de 
Grimm  soit  longue;  mais  je  voudrais  qu'il  ne  se  pi- 
quât point  de  la  hâter,  ni  vous  non  plus,  ni  par  des  voya- 
ges ni  par  des  remèdes.  On  ne  connaît  point  la  force 
végétative  de  la  nature,  ni  le  temps  qu'il  lui  faut. 
Attendre  en  patience  est  le  meilleur  parti.  Faites  atten- 
tion à  cela,  et  si  le  marquis  est  mort  par  sa  faute,  con- 
cluons à  ne  pas  faire  d'autres  fautes. 


jbïGoogIc 


LETTBES  DE  GALIANI  113 

Je  suis  bien  aise  qu'il  soit  content  de  ma  médaille. 
Je  voudrais  avoir  des  nouvelles  du  prince  Auguste  dont 
j'ignore  la  demeure  actuelle. 

A  propos  de  nos  comptes,  une  personuc,  qui  aurait 
quelque  argent  à  faire  payer  à  Paris,  voudrait  me  le 
remettre.  Ainsi  je  vous  prie  de  me  dire,  si  vous  avez 
quelque  argent  en  caisse  à  moi,  à  combien  se  monte 
la  somme,  si  vous  trouverez  bon  que  je  tire  quelques 
lettres  de  change  d'ici  contre  vous,  et  jusqu'à  quelle 
somme;  mandez-moi  ce  qu'il  laut  que  je  fasse,  et  ne 
me  failes  rien  faire  qui  puisse  vous  gêner  ;  enlendez- 
Tous  bien  ? 

Je  réponds  au  philosophe  dans  le  papier  ci-joïnt  ; 
l'histoire  philosophique  est   donc  de  l'abbé  Raynal  i? 


1.  (  L'sbbé  Ra^'OBl,  dit  Morellel,  avilt  été  jésuite  i  Pézenai. 
Il  qDÏlta  U  Compagnie  et  Péienai  pour  Tenir  h  Paris,  où  il 
«ntreprit  de  préclier,  métier  qui  ne  s'accordait  guëres  ai  avec 
Ms  goûts,  ni  RTec  ses  opinions,  c  Je  ne  préchau  pas  ma',  nou) 
di*aîl-ii,  mail  j'avais  un  asstnl  da  Uiu>  Ut  diables.  >  L'abbé  Ra/nal 
était  l'un  des  plus  aaaldus  i  nos  réunions  cliei  te  tiarou  d'Hol- 
bach, ciiez  Helrétius  et  chez  madame  GeoO'riD:  bon  homme,  aisé 
à  vivre,  ne  montrant  rien  de  l'amour-propre  dont  les  hommes 
de  lettRa  tout  trop  souvent  férus  et  ne  blessant  celui  de  per- 
sonne, bisant  continuellement  ses  livres  dans  la  société,  poussant 
tont  ce  qui  l'approebail  de  questions  pour  recueillir  quelques 
hita  grands  et  petits,  il  ne  parlait  gaéres  que  de  politique,  de 
eomroerce,  ou  ponr  faire  des  contes,  auxquels  il  ne  donnait  pas 
une  Imimure  bien  piquante  et  qu'il  lui  arrivait  de  répéter; 
nais  lorsqu'il  avait  prit  ainsi  la  parole,  il  la  gardait  longiemps,  > 
—  Il  lui  advint  avec  Walpole  une  aventure  assez  |j|sisante  : 
a  L'abbâ  Raynal,  quoiqu'il  ait  écrit  ce  beau  livre  sur  te  Commère» 
da  deam  indtt,  est  la  créature  la  plus  enuajeuse  qu'il  y  ait  au 
Il  » 


jbïGoogIc 


lU  LETTRES  DE  GALIANI 

Il  y  a  peu  d'hommes  au  monde  que  je  vénèi-e  et  que 
j'aime  dat'antage.  Ainsi  je  suia  ravi  du  succès  de  son 
livre  :  il  est  très  bien  écrit,  d'un  style  fleuri  ;  c'est  l9 
livre  d'un  homme  de  bien,  très  instruit,  très  vertueux, 
mais  co  n'est  pas  mon  livre.  £n  politique  je  n'admet» 
que  le  machiavélisme  pur,  sans  mélange,  cru,  vert, 
dans  toute  sa  force,  dans  toute  son  àpreté.  Il  s'étonne 
que  nous  fassions  la  traite  des  nègres  en  Afrique  ;  et 
pourquoi  ne  s'étonne-t-il  pas  qu'on  fasse  la  traite  des 
mulets  de  la  Guienne  en  Espagne?  Y  a-t-il  riea  de  si 
horrible  que  de  cliâtrer  les  taureaux,  de  couper  la 
queue  aux  chevaui,  etc.  II  nous  reproche  d'être  les  bri* 
gands  des  Indes  ;  mais  Scipion  put  bien  l'èlre  descdies 
deBarbarie,  et  César  des  Gaulas.  U  dit  que  cela  tour' 
nera  mal  ;  mais  tout  le  bien  tourne  en  mal. 

Le  veau  de  Pontoise    tourne    en ,   n'eu    mangez 

donc  pas  ;  la  danse  en  lassitude,  ne  danses  donc  pas. 
L'amour  en  peines,  n'aimez  donc  pas.  Ainsi  mou  avis 
est  qu'on  achète  des  nègres  tant  qu'on  noua  en  vendra^ 
sauf  à  s'en  passer  si  nous  réussissons  à  les  faire  vivre- 
monde.  La  premiers  fois  que  je  me  suis  IrouTÉ  av«e  lui.  c'ëltit 
chez  ce  sot  baron  d*Holl)ach  :  nous  étions  douze  k  table.  J'avtis 
peur  d'ouvrir  la  bouche  en  (ranfais  devant  tant  de  monde  et 
tant  de  domestiques;  mais,  comme  il  commeocait  à  me  ques- 
tionner A  InfVers  la  table  sur  nos  coloniei,  que  je  connais  aussi 
bien  que  le  cophie,  je  lui  Gs  signe  que  j'étais  sourd.  AprËs  le 
dîner  il  découvrit  que  je  ne  l'étais  pas  cl  il  ne  me  l'a  janais 
pardonné.  *  Walpole  à  Conway.  Sirawberry  Hill,  11  not-einbre 
1774.  (Voir  lappcndlce  V.j 


jbïGoogIc 


LETTRES   DE  G&LIANI  II» 

fla  Amérique.  Mon  avis  est  de  continuer  nos  ravages 
aur  Indes  tant  que  cela  nous  réussira,  sauf  k  «ous 
retirer  quand  nous  serons  battus.  Il  n'y  a  pas  de  coia- 
merce  lucratif  au  inonde  ;  détrompez^vous.  Le  seul  bon 
est  de  Uoquer  des  coups  de  bJlton  qu'on  donne,  contre 
des  roupies  qu'on  reçoit.  C'est  le  commerce  du  plus 
f<Hi.  Toilà  mou  livre;  bonsoir. 


Ha  belle  dame. 

Aucune  lettre  de  tous  n'a  été  attendue  avec  autant 
d'impatience  que  celle  que  je  viens  de  recevoir  du 
3S  août  Vous  m'aviez  noirci  le  cœur  et  l'imat^ination 
sur  l'état  de  la  santé  de  notre  ami  *.  Je  vois  que  ses 
entrailles  sont  restées  meurtries.  Elles  ne  peuvent  pas 
être  ulcérées,  on  s'en  apercevrait  ;  la  suppuration  y 
swait  établie.  La  durée  des  meurtrissures  est  bien 
limgoe,  par  cela  même  qu'il  n'y  a  pas  de  suppifratton. 


jbïGoogIc 


lia  LETTRES  DE   GALUNI 

Il  me  parait  fou  à  lui  d'entreprendre  un  voyage,  puis- 
qu'il gouffre  en  voiture.  Cependant  je  voudrais  le  voir  : 
ainsi  arrangez-vous. 

Remerciez  le  philosophe  delà  description  du  monu- 
ment '  qu'il  a  voulu  m'envoyer.  Elle  est  superbe  à  une 
chose  près,  que  je  vous  prie  de  lui  faire  observer.  Les 
anciens  nous  ont  surpassés  eu  tout.  C'est  uq  fait. 
Jamais  ils  n'ont  peint  ni  sculpté  la  mort,  tigure  hideuse, 
dégoûtante,  révoltante,  et  qui  n'avance  de  rien  nos 
affaires,  si  ce  n'est  qu'elle  nous  empoisonne  la  vie. 
Leurs  sujets  sépulcraux  sont  toujours  gais  et  décents; 
leur  enfer  est  celui  des  gens  de  bien  et  de  goût.  Pour 
conduire  les  âmes  à  l'Oi-cuit,  constamment  ils  em- 
ploient Mercure,  jeune  homme  d'une  figure  très  agréa- 
ble. Le  caducée,  symbole  de  pais  et  d'éternité,  ne  lui 
est  donné  que  pour  cela.  Tous  les  monuments  anciens 
sont  d'accord  sur  cela.  Or  je  prendrais,  au  lieu  de  la 
mort  ou  d'une  figure  symbolique,  Mercure  dans  le 
monument  de  Gotha  :  les  attributs  de  celle  divinité 
sont  si  reconnaissubles,  que  rien  n'est  plus  aisé  que 
de  le  deviner.  Le  chapeau  avec  des  ailes,  les  ailes  aux 
lalons,  le  caducée.  Il  évitei-ait  par  là  une  figure  hideuse, 
ou  la  figure  symbolique,  difficile  à  démêler,  et  qui  n'est 
appuyée  d'aucun  exemple  et  d'aucune  autorité.  Mais  il 
gagnerait  en  cela  que,  sans  se  gêner,  il  se  trouverait 

I.  Le  tombeau  du  duc  et  de  la  ducheue  de  5aie.<ïotht. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI  117 

avoir  composé  sod  ^upe  de  qnatre  figures,  deux  hom- 
iiies  et  deux  fenunes,  chose  excellente;  et  ces  quatre 
figures  seraient  Mercure  garçon,  le  duc  vieillard,  la 
duchesse  femme  âgée,  la  province  jeune  femme.  Ainsi 
il  rassemblerait  les  quatre  âges,  chose  encore  plus 
excellente.  EnHn  si  les  ignorants  ne  savaient  pas  que 
Mercure  est  le  conducteur  des  ombres,  ils  seront  tou- 
jours contents  de  voir  que  c'est  le  dieu  de  la  paix,  qui 
conduit  ces  deux  âmes  vertueuses  par  la  route  du 
tombeau  à  la  paix  étemelle;  et  cela  Ote  la  tache  de 
paganisme  qu'il  paraîtrait  y  avoir  dans  le  monument. 
Le  philosophe  m'aime  trop  pour  se  fâcher  que  je  lui 
donne  un  avis  ;  au  contraire,  il  me  remerciera. 

Je  sais  bien  plus  d*anecdotes  de  la  vie  d'flcivétius 
qu'il  n'y  en  aura  daas  son  ouvrage  posthume'.  Je 
n'aime  pas  trop  que  cet  usage  d'attribuer  des  ouvrages 
nouveaux  aux  morts  se  répande  ;  cela  intriguera  furieu- 
sement la  postérité.  Au  moins  il  devrait  y  avoir  un 
archive  du  secret  qui  rendit  les  ouvrages  aux  véritables 
auteurs  lorsque  ceux-ci  seront  morts  à  leur  tour. 

Je  reviens  au  monument.  Je  voudrais  que  Uercure 
poussât  de  la  main  la  duchesse  et  touchât  du  bout  de 
«on  caducée  le  duc.  Cela  varierait  l'attitude  et  expri- 


].  Helvétius  laissa  plusieurs  ouvrages  mannscrlLa  :  d'abord 
le  BotAvuT,  dont  il  sera  queslion  plu^  loio,  puis  it  IBonuM', 
de  te*  facuitée  iaUHeelueilts  et  àe  ton  iduanion. 


jbïGoogIc 


lig  LETTRES  DE  GAlIANt 

merait  que  la  dadiesse'  a  précédé  d'un  certain  temps 
BOD  époui.  Dins  la  composition  du  philosophe,  il  sem- 
ble qu'ils  soient  morts  presque  en  même  temps. 

Aimez-moi;  écrivez  des  longues  lettres:  engages 
MagaUon  k  me  tenir  sa  parole  de  m'écrire  souvent  ;  car 
il  parait  qu'il  n'en  fera  rien,  malgré  sa  promesse. 
Adieu,  embrassez  mes  amis  ;  faites  des  compliments  à  ' 
tout  le  monde.  Rien  ne  me  parait  plus  douteux  que 
le  retour  de  Gatti  en  France.  Adieu  encore.  Mille  cho- 
ses aux  barons  Allemands. 


1.  La  dachesse  Dorothée  de  Saxe-Gotha  était  une  temme  pleine 
de  charme  et  du  plus  rare  mérite.  Voltaire  l'appifUe  s  un  heu- 
reui  assemblage  de  griees  et  de  rertuai.  Il  lui  adressa  cet 

Fuis  nsltre  pour  elle  un  ^lemel  prinlenips, 
Étends  dsDi  l'avenir  £«&  bolles  destinées, 
Et  raccourcis  les  jours  des  sots  et  dei  mêcbiuiU 
Pour  aioater     ses  années. 


jbïGoogIc 


LETTRE3  DB  GALIANI 


Ma  belle  dame, 

J'avais  roçu  de  vous  le  d"  6  du  S  septembre  :  c'était 
une  lettre  fort  courte  et  fort  triste  sur  les  alarmes 
que  vous  causaient  la  santé  chancelante  et  l'humeur 
chagrine  de  U  chaise  do  paille.  Cette  lettre  m'attrista, 
et  m'ôta  toute  envie  de  répondre.  Ensuite  deux  semai> 
Des  se  sont  passées  sans  recevoir  aucune  lettre  de  vous. 
Le  chagrin  et  la  mauvaise  humeur  se  sont  augmentés 
en  moi,  et  il  m'a  été  impossible  de  vous  écrire  ;  j'avais 
presque  pris  en  horreur  Paris,  ne  sachant  pas  même  si 
un  tremblement  de  terre  ne  l'eût  englouti.  Je  me  voyais 
abandonné,  j'abandonnais  à  mon  tour.   . 

A  présent  votre  lettre  du  26  septembre  arrive  cotée 
n*  0.  n  y -a  donc  deux  numéros  de  vous  égarés;  cela 
me  désole.  Votre  lettre  ne  contient  que  des  discussions 
profondes  sur  les  causes  des  retards,  des  dépenses  et 
des  égarements  de  nos  lettres.  C'est  bien  le  comble  du 
malheur  qu'une  par^e  de  nos  lettres  s'égare  et  que  l'au- 


jbïGooglc 


120  LETTRES  DE  GALIANI 

tre  se  trouve  employée  à  rechercher  par  faute  de  qui 
elles  se  sont  égarées.  Des  lettres  qui  ne  sont  remplies 
que  de  cela  mériteraient  bien  de  s'égarer.  Vous  voulez 
que  je  n'appelle  plus  Monsieur,  le  cheralier  de  Hagal- 
Ion.  Je  l'appellerai  même  Sire,  si  vous  l'ordonnez.  Vous 
voulez  que  je  lui  adresse  mes  lettres,  en  voilà  l'exé- 
cution. Vous  voulez  que  je  tombe  à  vos  genoux  ;  il  me 
faudrait  avoir  trois  cents  lieues  de  cuisses  pour  faire 
cela.  Où  trouver  tant  de  cuisses,  moi  pauvre  petit 
malheureux,  qui  n'en  peux  pas  rencontrer  un  pied  et 
demi  qui  soit  potelé  sans  être  bouffi.  Vous  voulez  que 
je  sois  persuadé  que  le  Magallon  m'aime  tendrement, 
et  vivement,  et  chaudement.  11  faut  que  je  vous  aime 
bien  fort  pour  m'en  rapporter  plus  à  vous  qu'à  mes 
propres  yeux.  Il  sera  toujours  sOr  qu'en  trois  ans, 
malgré  les  événements  heureux,  on  n'a  rien  fait  à 
Paris  pour  moi  ;  on  ne  m'a  pas  même  peut-être  nommé 
là  où  il  fallait  me  nommer. 

Dieu  seul  a  fait  ma  vengeance,  et  il  l'a  faite  en 
dépit  de  tous  mes  amis,  qui  étaient  encore  plus 
amis  de  leur  fortune  et  des  gens  en  place,  et  qui 
n'estimaient  pas  même  en  moi  le  talent  de  prévoir,  et 
ne  se  sont  peut-être  pas  aperçus  que  ce  que  j'avais 
prévu  est  entièrement  arrivé  *.  Au  reste  il  est  bien 
aisé  de  dire  à  un  absent  qu'il  a  tort,  qu'il  juge  sans 

1.  Les  disette!  que  Galiani  mit  prédites. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIARI  131 

coDDaitre,  sans  voir,  etc.;  mais  on  serait  bien  embar- 
rassé, par  cela  même  qu'il  est  absent,  de  lui  prouver 
ce  faiL  Vous  avez  recours  à  l'autorité,  et  vous  voulez 
que  je  m'en  rapporte  au  tact  des  femmes.  Oui,  si  vous 
étiez  à  la  cour;  mais  vous  files  à  la  campagne,  et  vous 
êtes  aussi  absente  que  moi.  Vous  auriez  bien  mieux 
fait  de  me  conseiller  d'avoir  recours  au  fatalisme  ;  je 
ne  connais  rien  de  plus  consolant  et  de  plus  désolant 
en  même  temps.  Il  a  cela  même  d'agréable  (et  qu'on  . 
n'a  pas  vu,  ou  du  moins  qui  n'a  été  remarqué  par 
aucun  philosophe  encore,  que  je  sache),  qu'il  est  le 
père  de  la  curiosité.  Ainsi  la  fatalité  est  la  chose  du 
monde  la  plus  curieuse;  sans  elle,  point  d'imprévu, 
point  d'intérêt  :  tout  serait  calculé  ;  et  la  chute  d'un 
minisire  n'intéresserait  pas  plus  que  l'équinoxe  et  le 
solstice  :  elle  sérail  imprimée  d'avance  sur  les  almanachs. 

Si  vous  vous  souvenez  de  ce  qu'il  y  avait  d'intéres- 
sant dans  les  deux  numéros  égarés,  il  est  nécessaire 
de  me  le  mander  de  nouveau.  Je  doute  qu'il  y  eût  ta 
réponse  à  une  question,  touchant  l'état  de  mes  finances, 
que  je  vous  avais  faite? 

Le  séjour  de  Glëiclien  '  à  Paris  m'est  infiniment 
agréable;  les  oreilles  me  cornent  de  tout  ce  qu'il  dit  et 
de  toui  ce  qu'on  dit  de  moi.  Je  le  vois  dans  tous  tes 
dîners,  dans    toutes  les  maisons,  embrassé,  fêté,  et 

1.  Il  en  ma  question  daai  la  letlre  suirante. 


jbïGoogIc 


m  LETTRES  DE  OALUNI 

puis  interrogé  sur  mon  compte.  Si  la  mode  d'Orphée 
se  rétablissait  de  revenir  des  enfers,  je  crois  qu'on 
jouerait  le  rdie  de  Gleichen.  Les  premiers  transports 
seraient  pour  le  revenant,  les  seconds  pour  les  gens 
restés  là-bas. 

Je  suis  f&cbé  de  tous  quitter,  mais  il  est  tard  et  un 
importun  vient  me  parler.  J'ai  répondu  à  Grimm,  je 
crois  qu'il  sera  content  de  l'inscription  que  je  lui 
.  envue  ;  elle  est  au  courant  des  affaires  :  si  les  événe- 
ments changent,  il  faut  changer  l'inscription.  Aimez- 
moi.  La  fatalité,  mère  de  la  curiosité,  m'empêche  de 
savoir  si  noiis  nous  reverrons,  quand,  et  par  quelle 
voie.  Adieu. 


Kaple»,  n  «clobrc  17;î. 

Salut  à  la  chaise  de  paille  t 

Chacun  a  son  goât.  Voici  mon  îuscription  pour 
Callierine  II,  faite  en  six  minutes,  après  en  avoir  reçu 
l'ordre  de  votre  part  et  bon  phiisir.  Rien  n'est  si  aisé 

1.  Cette  lettre,  tirée  de  la  Correspondance  Littéraire  de  Grimm, 
n'eiùle  ni  dans  l'édition  Barbier  qI  dans  létlitjoa  Serves. 


jbïGoogIc 


BTTBES  DE  OAIIANI  !Î3 

que  de  meltre  de  gr&aà  mots  à  ia  place  de  grandes 
is.  n  m'ani-ait  fallu  six  ans  peut-être  pour  trou- 
r  une  inscription  pour  d'autres  souverains. 

C&THÀRINi.    II    ADGU3TÀ 

■ATU  BRNATDS,  HATBR  CASTHOBDX, 

contins  LUtaira,  Bonis  artibds  suTtruris, 

tDHoa    TBHiiA    HinrguE    derbllatis, 
TjIrtaris  in  potbstatem  bbdactis. 

TALACBIS,  MDLDOTIS  i:<  rïOBH  BECKPTIS, 


Le  philosophe  a  oublié  que  c'est  Catherine  elle- 
même  qui  érige  la  statue  do  Pierre-le-Grand  et  que 
personne  ne  doit  se  louer  ni  directement  nî  indirec- 
tement'. Dans  les  inscriptions,  il  ne  faut  que  des  faits 
et  des  faits  vrais.  Ce  sont  des  monuments  historiques 
et  rieu  de  plus.  La  postérité  doit  juger  sur  les  faits. 

Vous  ne  galoperez  pas,  à  ce  que  je  crois,  de  long- 
temps. Les  médecins  ont  bien  fait  de  vous  défendre 
de  voyager  sitôt.  J'aurais  mille  choses  à  vous  dire, 
mais  je  me  suis  purgé  ce  matin  et  je  dois  aller  diner 


1.  Catherine  Dt  ériger  L  Siial-Pêtersbourg  une  sUtue  équestre 
de  Pieire-le-Grand  sur  te  modèle  de  Kalconet.  Grimm  s'adressa  à 
Galiani  et  te  pria  de  composer  une  inscrlptioo  que  I'od  graverait 
snr  le  sodé  de  la  statue.  Diderot  avait  composé  aussi  une  in- 
■cripUon,  mais  elle  n'avait  point  convenu  à  Grimm.  (Voir  l'appen* 
dica  VI.) 


jbïGoogIc 


it4  tETTRES  DE  GÀLIANI 

chex  des  Espagnols  aussi  grands  qu'aimables,  que  H.  le 
duc  d'Arcos  a  amenés  avec  lui.  Ils  sont  si  différents 
de  l'idée. qu'on  avait  des  Espagnols  que  le  marquis 
de  Hora  n'est  plus  pour  moi  un  miracle  ;  il  n'est  plus 
Il  mes  yeux  que  le  plus  grand  des  grands  d'Espagne. 
Adieu,  dites  mille  choses  de  ma  part  à  nos  amis.  Je 
me  reproche  de  ne  pas  leur  écrire,  mais  le  départ  du 
baron  de  Gleichen  a  cassé  mon  dernier  ressort  et  je 
suis  devenu  absolument  immobile.  Adieu. 


A     MADAME    D    LPINAY 


Votre  lettre  du  1"  octobre  m'a  beaucoup  satisfait. 
Vous  y  paraissez  plus  gaie  et  plus  tranquille  que  dans 
les  précédentes.  Dieu  en  soit  béni. 

Commençons  par  répondre  à  vos  questions.  Votre 
recette  de  stagna  sangue  a  eu  le  succès  qu'ont  tous  les 
remèdes  qui  ne  sont  pas  ordonnés  par  les  médecins 
traitants,  mais  par  des  amis  affectionnés.  On  l'a  demandé 
avec  empressement,  on  en  a  importuné  le  malavisé  pro- 


jbïGooglc 


LETTRES  DE   GALIAM  115 

posant,  on  l'a  reçu  nonchalamment,  on  n'en  a  rien 
fiiît,  et  l'on  s'est  cru  guéri. 

•  Pour  mon  vin  antiscorbutique,  je  suis  bien  aise 
d'en  posséder  la  recette,  mais  je  ne  l'ai  point  pris. 
On  prend  des  remèdes  à  proportion  de  rattachement 
qu'on  a  à  la  vie.  Voilà  pourquoi  les  vieillards  en  pren- 
nent toujours,  les  jeunes  personnes  point.  Je'  n'en 
prendrai  donc  pas  à  Naples,  j'en  aurais  pris  à  Paris. 

Gleidien  ne  vous  a  pas  bien  peint  ma  situation  ;  je 
vais  le  faire,  moi,  en  deux  traits.  Figurez-vous  Con- 
fucius  transporté  en  une  seule  nuit  à  Paris,  où  per- 
sonne ne  le  connaîtrait,  et  lui  ne  sachant  d'autre  langue 
que  le  chinois.  Il  ne  parle  qu'avec  lui-même,  et  il  a 
soit  la  consolation,  soit  le  regret,  de  savoir  qu'il  est 
adoré  en  Chine. 

J'ai  été  t'avant-demière  semaine  chez  mon  frère  à 
Sorrento,  où  j'ai  trouvé  mes  trois  nièces  qui  demandent 
â  cor  et  à  cri  d'être  mariées  au  plus  tôt,  avec  menace 
de  se  marier  ingénvement  d'elles-mêmes,  si  on  ne  se 
presse  pas.  C'est  bien  amusant. 

J'ai  été  cette  semaine  à  la  Torre  del  Greco,  chez  un 
ami  de  ma  plus  tendre  jeunesse.  Il  aspire  à  être  juge 
de  la  vicairie.  Précisément,  le  jour  que  j'y  arrivai,  il 
«ut  la  nouvelle  qu'un  juge  de  vicaire  était  mort  ;  ainsi 
il  m'a  parlé  toujours  de  ses  prétentions,  et  m'a  forcé 
de  solliciter  pour  lui  ;  c'est  bien  amusant  encore  1  Voilà 
mes  campagnes.  Au  contraire,  j'ai  eu  hier  soir  chez 


jbïGoogIc 


US'  LETTRES  DE  OALIAMI 

moi  le  comte  de  Rzewuski  *  ;  nous  avons  causé  lète  à 
tête  trois  heures,  et  cela  vaut  bien  mieux  que  nos 
campagnes.  Dans  mes  abbayes,  je  n'ai  point  de  maiscas. 
II  y  a  le  mauvais  air  six  mois  de  l'année.  On  rencontre 
4es  voleurs  sur  les  grands  chemina  ;  à  cela  près,  ce 
sont  des  endroits  délicieux,  un  vrai  paradis  kr- 
restie. 

Je  vous  supplie  inslaomient  d'arracher  de  Merlin  pied 
ou  aile.  Aussitôt  que  vous  aurez  quelque  argent  k  moi, 
daignczm'en  avertir,  et  je  vous  tirerai  des  lettres  jusqu'à 
concurrence  de  la  somme  qui  sera  dans  vos  mains. 
Vous  ne  sauriez  deviner  la  cause  de  mon  empressement; 
il  serait  trop  long  de  vous  la  mander.  Je  la  dirai  & 
Grimm  ;  mais  il  suffit  que  vous  sachiez  que  je  suis  pressé 
de  faire  cette  remise,  et  je  me  contente  de  finir  avec 
Merlin,  même  avec  perte.  Où  diable  Diderot  dénicha-t-il 
ce  Merlin  enchanteur  I 

Caraccioli  a  bien  tort  d'oublier  mes  lettres  ;  je  suis 
le  seul  à  Naples  qui  ne  l'ai  point  oublié. 

Votre  chanoine  d'Ëtampes  *   a  pris  trop  d'espace 


1.  Le  comte  Riewuakl  flt  on  long  séjoar  k  Nipl»;  il  eH. 
question  de  lui,  mais  en  toit  peu  de  mots,  duis  le  journal  de 
nuilame  de  Saïusiire. 

2.  Le  dianoine  d'Ëtaropet  était  l'abbé  Desforges;  H  «rail  iuia- 
f^A  un  clitr  volant  el  projetait  de  a'en  sertir  pour  aller  TistUr 
les  capitales  de  l'Europe.  Pendant  quelques  jours  sou  nom  fut 
cUèbR.  (  On  De  broiera  Jamais  le  chanoine  d'Étampes  oomiM 
sorcier,  dil  Grimm,  tout  ce  qu'il  sait  de  magie  te  réduit  à  an* 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  G1LIA.RI  liT 

dans  votre  lettre,  et  pas  assez  dans  les  airs.  J'aurais 
mieux  aimé  la  trouver  remplie  de  détails  de  Gleicbeo 
ou  de  GrJmm.  EafÎD  il  m'a  fait  rftver  au  pourquoi  tous 
les  fanatiques  aiment  le  mariage-concubinage,  témoin 
l'abbé  de  Saint-Pierre,  Luther,  Descartes,  Rousseau 
et  votre  chanoine.  Pourquoi  tous  les  grands  caractères 
aiment  le  libertinage,  témoin  César,  Auguste,  Lauruit 
de  Médicis,  Henri  IV,  etc.  Voici  pourquoi  :  le  fanatique 
est  heureux  dans  la  fixation  de  ses  idées  ;  il  n'aime  pas 
à  s'en  détourner  ;  rien  ne  tranquillise  tant  qu'une  gou- 
vernante. Les  grands  hommes  aiment  le  tumulte  des 
idées,  et  ils  ne  s'en  délassent  qu'en  entrant  dans  un 
autre  tourbillon  encore  plus  violent.  La  galanterie  est 
de  toutes  les  tempêtes  la  plus  orageuse  ;  elle  fait  leur 


chose  lrè«  simple  ;  il  s  fabriqué  une  espèce  de  gondole  d'osier, 
il  l'a  enduite  de  plumes,  il  l'a  surmontée  d'un  parasol  de  plumes  ; 
il  l'y  campe  arec  deux  rames  à  longues  plumes,  et  il  espère,  à 
force  de  ramer,  de  se  soutenir  dans  les  lira  et  de  les  traTemer.  s 
Il  se  fit  porter  par  quatre  paysans  tur  une  hauteur  prH 
dStampes;  â  peine  leur  avait-il  dit  de  lâcher  la  gondole 
qn'il  tWDbt  lourdement  1  terre  au  milieu  des  rires  de 
l'oasistaiice.  L'abbé  Desforges  n'était  pas  k  ses  débuis  en  fait  de 
bizarreries;  11  avait  publié,  une  quinzaine  d'années  auparavant, 
■M  brocfaure  pour  prouver  l'obligalioD  où  était  tout  prdtre  ca- 
tholique d'épouser  une  mie  chrétienuB;  cela  lui  valut  d'ét» 
estiojé  k  la  Bastille  et  de  li  au  séminaire  de  Sens ,  où  travaillé 
par  la  maate  d'écrire,  il  composa  un  vulune  asseï  léger  sar  l«a 
amours  des  hirondelles.  On  le  menaça  de  l'eutermer  pour  tou- 
Joars,  s'il  le  publiait.  C'est  alors  qn'il  se  jeta  dans  la  mécanique, 
M  •  vu  avec  quel  succès  i 


jbïGoogIc 


128  LETTBES  DE  GALIA?II 

Je  crois  qu'on  pourra  voler  dans  les  airs,  si  on  dé- 
couvre un  ressort  d'une  force  presque  infinie.  Je  crois 
que  les  ailes  d'un  homme  devraient  être  de  quatre- 
vingts  pieds  d'envergure.  Uae  machine  pesant  autant 
qu'un  homme,  et  un  homme  dessus  demandent 
cent  soixante  pieds.  Il  est  difficile  de  faire  une 
plume  raide  et  légère  de  la  moitié  de  cette  étendue  ; 
ainsi  nous  ne  volerons  pas  de'  longtemps. 

Je  n'ai  pas  le  temps  ce  soir  de  vous  en  dire  davan- 
tage. Gleichen  ne  m'aimera  jamais  assez.  Adieu. 


Grand  Dieu  !  à  quelle  heure  donc  me  ferez-vous  cou- 
cher cette  nuit?  Il  est  deux  heures  après  minuit  et  Je 
commence  cette  lettre.  La  vdtre  m'est  parvenue  cet 
après-diner.  L'envie  d'y  répondre  m'a  pris  ;  il  est  venu 
du  monde,  du  monde  ennuyeux,  cela  va  sans  dire , 
enfin  des  Napolitains.  Je  suis  sorti,  allé  chez  mon 
ministre  d'Ëlat,  le  seul  endroit  que  je  hante.  Je  suis 
rentré,  et  le  monument  du   prince   de  Saxe-Gotha 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI  1Ï9 

m'est  revenu  dans  la  tête.  Adieu  donc  le  sommeil  ; 
il  a  fallu  le  faire,  et  il  a  fallu  vous  répondre.  Écrivons 
donc;  nous  dormirons  quand  il  plaira  à  Dieu. 

Mercure  pourrait  très  bien  être  dans  un  temple  de 
luthériens,  à  moins  que  ces  mesnieurs  ne  soient  bien 
plus  difliciles  que  nous.  Je  crois  qu'il  y  en  a  un  sur 
un  tombeau  à  Saint-Pierre;  ce  qui  est  sûr,  c'est  qu'il  y 
a  un.  Hercule,  comme  symbole  de  la  jeunesse,  au  tom- 
beau de  Julien  de  Hédicis  à  Florence,  dans  )a  sacristie. 
Nous  avons  ici,  derrière  un  maiire-autcl,  lu  fameux 
tombeau  de  Sanoazar  i,  o£i  il  y  a  Apollon  et  Minerve. 
Mais  s'ils  n'en  veulent  pas,  il  faut  plier  les  épaules. 
Sansilatterie,  il  est  diflîcile,  croyez-moi,  après  la  pen- 
sée du  philosophe,  d'eu  trouver  uneaussi  belle,  simple 
noble,  tendre,  énergique.  Vos  urnes  ne  m'ont  pas  l'ait 
rire  ;  mais  ce  sont  des  urnes,  et  il  nous  faut  des  ligures 
de  héros.  Un  pâté  de  Pciùgord  ne  ressemble  pas  plus  à 
un  dindon  qu'une  urne  à  un  prince  mnrl. 

La  Paléocathédre  '  a  peut-être  raison  de  dire  qu'en 
bas-relief  on  rendrait  mieux  le  bûcher.  En  effet  les 
flammes  sont  difficiles  à  rendre  en  marbre,  on  relief. 
En  outre,  je  trouve  que  votre  tombeau  ressemblerait  à 
une  halte  de  chasse.  On  prendrait  les  urnes  pour  des 

I .  Cëtèbri!  écrivain  et  pointe  napolitain.  Kè  k  Naples  le  38 
jnillet  1458  el  mort  le  tk  avril  1530.  Galhni,  dans  son  livre  sur 
le  dialecte  napolilain,  parle  longuement  de  Sannatar. 

î,  Vieillf  chaise.  (Grimin.) 


jbïGoogIc 


130  LETTRKS  DE  GALIÂNI 

marniites,  le  bâcher  pour  dii  bots  de  chauffage,  et  le 

phénix  pour  une  poularde  qu'on  fait  rôtir. 

Vous  me  demandez  mon  sentiment  et  ma  pensée. 
Oo  veut  de  l'antique  et  du  simple.  En  ce  cas,  je  suis  en 
état  de  leur  donner  du  bien  simple  et  du  bien  antique  ; 
mais  il  ne  sera  ni  nouveau,  puisqu'il  est  antique,  ni 
ingénieux,  puisqu'il  est  simple,  ni  original,  puisqu'on 
veut  des  copies.  II  est  constant  que  les  anciens, -dans 
les  monuments  de  mari  et  femme,  ont  toujours  mis 
leurs  figures  à  demi  couchées  sur  les  tombeaux,  tantôt 
accouplées,  tantôt  en  face  ;  et  c'est  le  plus  fréquent, 
d'autant  plus  qu'il  fait  un  meilleur  effet.  D'après  cela, 
j'ai  dessiné  le  tombeau,  et  pour  vous  faire  rire  à  mou 
tour,  je  vous  envoie  le  premier  croquis  et  puis  l'ou- 
vrage mis  au  net.  Je  ris  moi-même  en  voyant  ma 
façon  de  dessiner.  Mais  vous  savez  que  tous  mes  mem- 
bres, excepté  un,  n'ont  jamais  voulu  obéir  à  mon  imagi- 
nation. Ce  qu'il  y  a  de  sûr,  c'est  qu'il  n'y  a  aucun 
peintre  au  monde  qui  travaille  aussi  vite  que  moi. 
Mais  laissons  mes  louanges  et  mes  talents.  Je  sens  que 
mon  dessina  grand  besoin  d'une  description.  Je  couche 
donc  le  duc  et  la  duchesse  ;  ils  se  donnent  la  maîu 
cela  indique,  en  même  temps,  la  constance  de  leur 
amour  conjugal,  et  le  tour  que  la  duchesse  a  joué, à 
son  mari,  de  l'entrainer  après  elle.  La  duchesse,  sou- 
levant une  main,  d'un  doigt  indique  le  ciel  où  il  faut 
monter,  et  l'unité  d'un  Dieu,  en  qui  seul  il  faut  avoir 


jbïGoogIc 


LETTRES   DE   GALIANI  I3i 

confiance  :  elle  regarde  en  haut  en  effet.  Le  duc,  d'un 
air  attendri,  la  regarde,  et,  pour  prendre  congé  de  sa 
province,  lui  donne  sa  main  à  baiser.  La  Province, 
symbolisée  par  un  génie  en  pJeurs,  lui  baise  tendre- 
ment la  main,  et  parait  vouloir  le  retenir.  U  tient  de 
l'autre  main  l'écusson  des  armes  de  Gotha,  etc.  ;  de 
l'autre  côté,  auprès  de  la  duchesse,  est  un  autre  génie, 
le  visage  couvert  d'un  drap,  le  flambeau  renversé, 
éteint  dans  la  main  ;  de  l'autre,  il  embrasse  le  tombeau 
où  sont  les  cendres  chéries  :  c'est  l'amour  filial.  Le 
tombeau  est  simple,  d'an  ordre  atUque,  l'inscripUon 
au  milieu.  Le  tout  porte  sur  deux  socles,  dont  le  pre- 
mier est  orné  de  crânes  de  boucs,  avec  des  festons  i 
l'antique;  l'inférieur  n*a  qu'un  ornement  à  bâtons 
rompus  à  l'antique.  Si  vous  le  faites  dessiner  joliment, 
vous  verrez  que  le  tout  a  un  bel  elTet,  et  une  grande 
harmonie  ;  car  les  postures,  quoique  simples,  sont  en 
contraste.  Voilà  mon  ouvrage  de  deux  heures.  J'ai 
ajouté  l'inscription,  et  elle  vaut  mieux  que  mon  dessin 
à  beaucoup  près.  Si  le  prince  s'y  connaît,  il  ne  la  chan- 
gera poinldu  tout.  Lesannées  et  les  jourade  leurs  morts 
devraient  s'écrire  sur  les  côtés  latéraux  du  monument, 
pour  ne  pas  allonger  l'inscription,  et  ne  lui  rien  ôter 
de  sa  majesté  laconique.  Voilà  assez  parler  des  morts. 
Vous  me  grondez  de  ce  que  j'ai  quelquefois  de  l'hu- 
meur contre  Hagallon  ou  d'autres  ;  mais  savez-vous 
que  c'est  le  plus  grand  des  miracles  que  mes  lettres  ne 


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132  LETTRES  DE  (iÂLIANE 

soient  pas  remplies  de  mauraise  humeur  ?  Piiis-je 
écrire  à  Paris  sans  y  penser  ?  Et  puis-je  y  penser  sans 
avoir  de  l'humeur?  Hagallon  m'écrit  cette  semaine,  et, 
pour  me  consoler,  il  veut  me  faire  accroire  que  Paris 
est  changé  tout  à  fait;  mais,  taot  que  mes  amis  vivront, 
il  ne  serait  pas  changé  pour  moi. 

La  cérémonie  de  mademoiselle  Clairon,  à  la  statue 
de  Voltaire,  a  je  ne  sais  quoi  de  pantomime  grotesque 
qui  me  déplaît  '.    On  en  aurait  pu  faire  tout  autant. 


1.  J^  eérimonie  qui  s'était  passée  chez  mademoiselle  Clairon 
et  que  Galiani  qualifie  si  aévèrement,  était  due  i  l'initislive  de 
Mannonlel.t  Mademoiselle  Clairon  donne  ordinairement  àtoupet 
les  mardis.  Personne  n'était  prévfnu.  La  compagnie  se  rassemble 
chpi  elle.  Elle  n:  partit  polnl  et  se  Tait  eicuser,  sous  prétexte 
qu'il  lui  eal  survenu  une  attire  indispensable,  mais  ne  lardera 
pas  t  paraître.  Lorsque  tout  le  monde  est  arrivé,  on  prie 
l'assemblée  de  passer  dans  une  autre  plËce.  Li,  deut  rideaux 
s'ouvrent.  On  voit  le  buste  de  M.  de  Voltaire  piané  sur  un  autel. 
X  côté,  mademoiselle  Clairon,  babillée  en  prétresse,  commence 
l'apothéose  en  posant  une  couronne  de  laurier  sur  sa  létc  el  en 
s'écrient,  avec  cette  voii  noble  et  harmonieuse  que  nous  avons 
tant  de  (bis  applaudie  au  théâtre  : 


Tu  db  :  Attendons  qu'il  succomtic 
Kt  (|ii'il  vienne  enfin  d'expirer. 

•  M.iIg  la  Harpe,  l'un  des  spectaieurade  l'apollifoie.riilchargé 
d'eu  rendre  compte  à  M.  de  Voltaire.  Cet  hommage  fait  un  sen- 
sible plaisir  au  patriarche,  comme  tous  pourei  penser.  Il  a 
répondu  A  M.  de  la  Harpe  :  c  La  maison  de  miidemoiselie  CUIron 
est  donc  devenue  le  temple  de  la  gloire  î  C'est  à  elle  A  donner  des 
lauriers,  puisqu'elle  en  est  toute  couverie.  Je  ne  pourrai  pas 
la  remercier  dignement.  Je  suis  un  peu  entouré  de  cyprès,  i 
(tirimni, Corr,  Lilt.) 


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LETTRES  DE  CAMAni  133 

si  ou  avHit  consacré,  dans  le  loyer  de  la  comédie,  la 
statue  du  dt<!u  Priape.  Ou  a  beau  faire  ;  lanl  que  nous 
ne  ferons  point  du  théâtre  un  acte  de  religion,  et 
des  ûiles  de  joie  des  prêtresses,  on  ne  Tera  pas  d'uu 
poète  U'agiquG  un  héros  à  statues. 

Vous  m'apprenez  la  chose  du  monde  la  plus  neuve, 
et  kl  plus  étonnante  pour  moi;  que  dans  mon  Dialogue 
sur  les  femmes,  il  y  a  un  trait  qni  pourrait  blesser 
Thomas,  dont  je  n'ai  pas  vu  l'ouvrage  ',  et  madami; 
Necker  '.  in  vous  jure  que  je  n'en  aï  pas  eu  l'intention . 
Trois  cents  lieues  et  trois  années  sont  de  grands  inter- 
valles. N'aj-ant  conservé  aucune  copie  de  mon  Diato^e, 
Je  ne  sais  pas  ce  qu'il  y  avait.  Vous  Ot^>8  la  maîtresse 
d'en  ôter  tout,  la  moitié  ou  telle  partie  qu'il  y  aurait, 
et  vous  ne  pouvez  me  l'aire  rien  de  plus  agréable,  que 
d'en  ûler  ce  qui  blesserait  mes  véritables  amis.  Je  me 
souviens  qu'il  y  avait  ce  trait,  que  dans  mon  Dialogue 
il  n'y  avait  rien  de  ce  que  dit  M.  Thomas.  Hais  ceci 
roc  tdesse  bien  plus  qu'il  ne  le  blesse.  J'aiaierais  bien 
mieux  dire  les  choses  que  dit  Thomas,  que  lui  de  dire 
les  miennes.  Ainsi,  je  ne  crois  pas  que  ee  soit  cela  qui 


).  Ihotaaa  venait  d'écrire  un  ouvrage  inUlulë  ;  Eiiai  sur  tf 
caraelère,  les  moews  et  l'eiprit  des  /tmmes.  Mais  quand  Galîani 
avaii  composé  son  Dialogue  *ar  lei  femmes,  il  ne  connalssiii 
pas  encore  le  travail  de  Thomas. 

2.  Thomas  avait  esquissé  le  panégyrique  de  madame  Neclier 
ifana  son  Btsai  tur  fn  Jimtxfi- 


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131  LETTRES  UB  GA.L1AIS1 

VOUS  parait  offensant.  Au  reste,  dtez  tout,  je  tous  en 
prie.  Au  surplus  vous  savez  que  j'aimerais  que  mes 
lettres  fussent  lues  et  vues  de  tous  mes  amis.  Ce  n'est 
pas  par  vanité  :  c'est  pour  me  conserver  daos  leur  sou- 
venir ;c'e3t  parce  que  j'aimenis  à  leur  parler,  et  je  ne 
le  puis  pas  ;  c'est  parce  que  je  mange  i  Naples,  mais  je 
vis  toujours  k  Paris  et  j'y  vivrai  tant  que  je  pourrai. 
Ainsi,  de  mon  côté,  nulle  difficulté  que  ce  que  je  vous 
envoie  soit  vu,  excepté  ce  qui  blesserait  les  dévots, 
gens  à  CTaindre,  gens  qu'un  Italien  doit  encore  plus 
ménager  qu'un  Français. 

Ha  foi  1  il  faut  enfin  aller  se  coucher.  Bonsoir. 

P.  S.  n  me  parait  qu'on  n'entendra  rien  à  mon  Dia- 
logue, ou  du  moins  qu'on  ne  le  goûtera  pas,  si  on  ne 
lit  votre  lettre  dont  il  était  la  réponse-,  si  vousvoulet, 
je  vous  en  enverrai  la  copie. 


Naplci,  1  noirmbn;  tTH 

M.    Sersule  est   arrivé.   Il    m'a   remis    te   Bonheur 
d'Helvétius,  de  votre  part;  la  jvose  en  vaut  bien  les 


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LETTRES  DE  r.ALlAIVI  13S 

vers.  DîLes-moi  si  c'est  d'Alembert  qui  )'a  écrite,  ou 
l'abbé  MorelJet  ou  quelque  autre  de  ses  amis  '. 

Il  m'a  remis  en  même  temps  une  lettre  de  vous,  et 
j'ai  Irauvé  avec  plaisir  que  c'était  le  d°  8,  que  je  re- 
grettais. U  ne  me  manque  à  présent  que  le  n"  7  ;  mais 
j'entrevois  qu'il  ne  pouvait  me  parler  que  de  vos 
maux  et  de  vos  chagrins,  ie  ne  le  regrette  donc  pas. 
Votre  n"  8,  qui  a  peutrétre  bien  eu  raison  de  ne  pas 
venir  par  la  poste,  m'a  attendri  jusqu'aux  larmes.  Vous 
m'ouvrez  votre  cœur,  que  je  vois  brûler  aus  fiammes 
d'un  élixir  de  sentiments,  de  vertus  et  d'héroïsme.  Mais 
pourquoi  être  héroïne  au  point  de  s'en  trouver  mal  î 
Si  la  vertu  ne  nous  rend  pas  heureux,  de  quoi  diable 
sert-elle  ?  Je  vous  conseille  donc  d'avoir  autant  de 
vertu  qu'il  en  faut  pour  vous  procurer  vos  aises,  votre 
commodité,  et  pas  davantage.  Si  quelque  chose  va 
arriver  qui  vous  causerait  un  chagrin  mortel,  barrez- 
la,  empêchcz-la  de  toutes  vos  forces,  et  n'ayez  pas 
le  regret  de  l'avoir  pu  taire  et  de  ne  l'avoir 
pas    fait;    et    point    d'héroïsme,   je  vous  prie,    car 


t.  Le  Bunhgar,  poème  en  six  cbanU,  ouvrage  posthuoie  d'Hel- 
vétiui.  Il  ne  St  sucnne  sensation  à  Paris  el  fut  bientôt  oublié. 
On  ne  peut  en  dire  aulant  de  la  préface  :  t  C'est  un  morceau 
plein  de  philosophie,  Écrit  dans  le  meilleur  goût,  hardi,  aage  ei 
piquant.  Cette  prérace  est  de  M.  de  Saint-Lambert,  mais  à  caus^ 
des  scribes  et  des  tipulcres  blanchis,  il  n'en  convient  pa»,  et  l'on 
a  ilil  qu'elle  a  été  Irourée  dans  les  papiers  de  Teii  Pucloa,  > 
;Crimm,  Corr.  liU.) 


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138  LETTRES  DE  GALfANI 

il  me  tue  el  m'ennuie  à  périr.  Depuis  (]uc  la  gloir^' 
n'est  plAs  le  souverain  bonheur,  il  ne  sert  plus  de  rien, 
cap  on  n'en  parle  pas.  Mais  encore  quel  sol  bonheur 
que  des  sots  (c'est-à-dire  les  hommes),  au  milieu  de 
cent  sottises,  mille  mensonges,  cent  mille  bavardages, 
discnlqudquefois:  Ah!  la  défunle  sacrifia  sa  vie  pour  uji 
sentiment  héroïque!  Vivent  le  sot  et  la  défunte!  Faites 
donc  une  ferme  résolution  de  tuer  ce  ver  rongjeurque 
j'entends  à  présent,  cl  que  je  ne  comprenais  pas  dans 
vos  pi-écédeiitcs,  ù  cause  de  l'anachronisme.  Si  vous 
le  voulez,  il  me  parait  que  vous  le  pouvez  eu  par- 
lant, mais  si  vous  étouffez,  c'est  votre  l'aule.  Au  reste, 
il  me  parait  que  vous  ne  courez  pas  autant  de  risques  que 
votre  imagination  montée  vous  en  pi-ésente  '.  Je  ne  sau- 
rais me  persuader  qu'un  homme  de  bon  sens  calculât 
toujours  les  avantages  au  poids  de  l'argent  el  au  marc  la 
livre.  Les  agréments  de  la  vie  sont  très  souvent  incom- 
mensurables avec  l'argent.  Je  n'irai  pas  vice-roi  en 
Irlande  ;  or  donc,  tranquillisez-vous. 
Je  ne  trouve  pas  qu'un  voyage  engage  à  une  expa- 


1 .  Il  s'agissait  des  voj'ag«s  répétés  de  Grimm.  voyages  qui 
désolaient  madame  d'Épinay.  Les  fondions  diploniatliiups  de 
(irimm  nécessitaient  d«  fréqnsntfs  eicursions  dans  les  cours 
d'AUeroagne.  ^n  titre  de  conseiller  privé  de  l'impératrice  dp 
Russie,  les  missions  dont  elle  le  chargeait  el  par-dessui  taut 
l'attachement  prorond  qu'il  avait  pour  elle,  l'attlraieDl  aussi  à 
PéierstMiirg.  La  pautre  madame  d'EpInay  ne  poiivall  s'baUtuer 
h  cps  abwnces,  mal«  par  délicatesse  elle  n'osait  pas  s'en  plaindre 


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LETTRES  DE  GA.LIAN(  137 

trialioli,  ni  qu'il  donne  des  droils  et  des  litres  pour 
l'exiger.  Un  voyage  pour  sa  santé,  pour  son  instruction, 
[wur  son  plaisir  :  il  n'y  a  que  les  courriers  de  cabinet 
sur  lesquels  on  a  droit  d'exiger  qu'ils  aillent. 

La  lettre  k  la  mère  des  rois  et  des  bâtards  des  rois 
était  déjà  sur  la  gazette.  Elle  prouve  ù  quel  point  était 
iiieple  à  seplacer  à  la  tête  d'un  parti  son  autour,  qui 
p'iri  dti  tendresses,  de  belles  plinses  et  de  luamaiis. 
a  Iri^  mal  fait  d'aller  dans  l'ile  de  l'uniirauté,  où  il  n'a- 
vait que  faire.  Il  fallait  aller  dans  la  ruelle  de  son  lit 

pour  se  concber  ou  dans  sa  garde-robe  pour  p sa 

peur.  Quel  sijjcle  !  quels  héros  de  papier  mâché  !  Et 
vous  aimez  l'héroïsme  !  Bonsoir.  Je  suis  en  colèrecontrc 
les  héros  présents  et  à  venir.  J'aime  les  trépassés,  car 
ils  juraient  comme  des  renégats  et  ne  disaient  pas  ma- 
man, mais  r. Ainsi  soil-il. 


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LETTRES  DE  GALIANt 


Nnples.  ^^  ntvembre  ITTI- 

Ma  belle  dame. 

Il  est  vrai  que  j'ai  laissé  écouler  quelques  semaines 
sans  vous  écrire,  mats  mon  imagination  démontée  ne 
oie  fouraissait  rien.  La  semaine  passée  aussi,  j'ai  laissé 
de  vous  écrire  ;  je  n'en  avais  point  envie,  et  il  ne  faut, 
conune  vous  savez.  Taire  jamais  rien  à  contre-cœur. 
Peulr-élre  je  n'écrirais  pas  ce  soir  non  plus,  si  je  ne 
(levais  vous  féliciter  sur  votre  heureux  dégonQcment. 
Eole,  votre  amoureux,  vous  avait  rendu  grosse  d'un 
Nothus.  Changez  d'amoureux,  si  vous  m'en  croyez, 
sans  quoi  vos  accouchements  seront  terribles,  épouvan- 
tables et  vous  n'en  pourrez  jamais  garder  le  secret.... 
Dieu  puisse  ne  pas  vous  Taire  manquer  desage-Temme 
dans  cette  importante  situation  ! 

Gleichen  ne  m'a  jamais  écrit  depuis  Paris.  Gatti 

1.  Cetl«  lettre  n'eiUie  pas  dans  l'édition  Barbier. 


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LETTRES  DE  GA.LIANI  199 

doit  être  proche  de  Chanteloup,  s'il  n'est  pas  mort  de 
regrets  en  chemiD.  Je  suis,  oq  ne  saurait  davantage, 
anéanti  par  un  mortel  ennui  qui  ne  m'empAche  pas  de 
me  bien  porter.  Aimez-moi,  et  croyei  mon  esprit  mort, 
et  mon  cwps  plein  de  santé.  Adieu. 


A    LA    MÊME 

Naplvs,  ïi  novembre  i""î. 

Apparemment,  ma  belle  dame,  votre  n"  It  est  celui 
que  vous  avez  écrit  hier,  et  qui  ne  m'est  pas  arrivé  au- 
jourd'hui, parce  qu'il  doit  attendre  une  occasion.  Il  est 
vrai,  je  suis  resté  deux  ou  trois  semaines  sans  vous 
éet'ire  :  mais  n'admirez-vous  pas  qu'après  trois  années 
d'ennui  et  de  séjour  à  Naples,  j'écrive  encore? 

J'aurai  aussi  un  Dialogue  à  vous  envoyer  ;  mais  il 
ne  vous  sera  envoyé  que  par  Grimm,  s'il  vient  le  cher- 
cher. Je  ne  vous  dirai  à  présent  que  ies  interlocuteurs: 
Voltaire,  le  baron  d'Holbach,  le  curé  de'Deuil.  Jugez  par 
les  interiocuteurs  du  mérite  de  la  chose. 

Vous  m'avez  donné  de  très  intéressantes  nouvelles  de 
Paris.  Si  j'aimais  ta  vengeance,  je  vous  dirais  à  mon 


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m  LETTRES  DE  r.ALIAM 

tour  que  la  princesse  tl'Acquaviva  est  accouchée  ;  qui^ 
le  duc  de  Calabritto  est  parti  hier  pour  srt  terre;  que 
sa  mère  l'a  devancé  de  quelques  jours  :  que  sou  pagu 
a  été,  avaut-hier  envoyé  aux  galères  pour  l'avoir  volé  ; 
et  qu'enfin  il  a  plu  cette  nuit.  Si  nous  continuons  sur 
ce  ton,  noire  correspondance  deviendra  aussi  intéres- 
sante qu'amusante.  11  suffit  que  vous  vous  souveniez 
que  l'exemple  m'a  été  donné  par  vous,  en  m'appre- 
nant  que  mademoiselle  Luci  est  morte,  et  que  ma- 
dame Nccker  déménage. 

Ix  temps  me  manque  ce  soir,  ayaalécrilun  volunhi 
fl  Caraccioli.  Pourquoi  personne  ne  me  parle-t-il  di» 
Gleichen  ?  Saluez-moi  le  baron,  la  baronne,  etc. 

Adieu,  aimez-moi,  amusez-vous  avec  le  découpeur  de 
Voltaire'.  Bonsoir;  mille  compliments  à  Hagallon  qui 
vous  rendra  celte  lettre. 


1.  Le  découpeur  de  Voltaire,  doutoiadauietl'Épiaay  avait  parlé 
à  Gallanl,  n'éiaii  autre  que  le  rameui  Huber  de  Cienère-  Nous 
Irouvoni  sur  lui  quelque»  détails  dans  les  Mémoira  de  nmlanio 
ilOberifircb  :  iM.  Huber,  doué  d'une  TaciliLé  eiiraordinaire.  t 
appriK  la  peinture  tout  geul.  Il  avait  surtout  le  talent  de  décou- 
per des  portraits  et  faisait  alosi  des  tableaux  d'une  exécution 
étonnante.  Sa  réputation  s'étendît  daai  toute  l'Europe.  Protégé 
par  Voltaire,  il  avait  découpé  son  protrait  si  souvent,  qu'il  1p 
faisait  avec  les  mains  derrière  le  dos  sans  ciseaux  et  avec  une 
parte  qu'il  déchirait  seulement.  Les  vingt  dernières  années  de  sa 
vie  se  passèreDt  chez  M.  de  Voltaire  t  faire  des  tableaux  à  l'buile 
assez  mauvais,  dit-on,  • 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  UALIANI 


A   H.    BAUUOL'IN 
Maître  des  rrquêlcs. 


\aplc«,  s»  noïeiiilire  nii- 

MoDsicurct  cher  ami, 

M.  Schulz  '  m'a  fait  parvenir  dea  papiers  concer- 
naot  l'administration  actuelle  des  blés  eo  France,  que 
vous  aviez  souhaité  mo  communiquer. 

Avant  que  de  vous  en  parler,  permettez  que  je  vous 
dise  qu'il  y  a  eu  un  an  au  mois  de  juillet  que  je  vous 
avais  expédié  deux  quintaux  de  macaroni  et  de  lasa- 
gnes, dont  H.  Nicolaï  avait  été  l'Iieuivux  négociateur. 
Le  consul  d'Espagne  à  Marseille  m'avertit  qu'ils  étaient 
en  effet  arrivés,  et  qu'il  allait  les  expédier  à  Paris, 
adressés,  pour  une  plus  grande  sArclé,  à  notre  aimable 
Magallon.  Depuis  cetle  époque  je  n'ai  eu  aucune  nou- 
velle de  res  caisses.  J'ignore  si  elles  vous  ont  été 
exactement  rendues  selon  mon  intention.  En  vain  j'en 
ai  parlé  mille  l'ois  à  NîcolaT.  à  Magallon,  au  prince 
Pigoatelli,  à  la  nature  entière;  tout  a  été  sourd  à  ma 

1.  Secrétaire  de  l'ambassade  de  Danemark. 


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143  LETTRES  DE  GALIANl 

vois.  Ce  qu'il  y  a  de  plus  incoDcevable,  on  répondait  à 
mes  lettres,  et  l'on  se  taisait  sur  cet  article.  Le  plus 
court  aurait  été  de  vous  en  parler  à  voi]s-iiiéme,maisJQ 
rougissais  d'une  démarche  qui  paraissait  viser  à  exiger 
un  remerciement  pour  une  bagatelle.  Puisqu'il  faut 
que  je  vous  écrive,  permiittez  que  je.  vous  dcmaniie: 
les  avez-vous  mangés,  oui  ou  non?  Étaient-ils  bons? 
Eu  voulez-vous  davantage,  si  vous  avez  reçu  les  pre- 
miers ;  ou  qui  a  été  assez  téméraire  pour  vous  les 
escamoter  t 

Passons  à  présent  à  la  lettre  et  aux  réflexions  sur  la 
lettre  de  H.  le  conlrdleur-géaéral.  Ce  que  j'ai  trouvé 
de  Doieux  dans  ces  deux  papiers  (et  qu'on  n'y  lisait 
pas),  c'est  la  preuve  complète  de  votre  souvenir.  Vous 
m'aimez  donc  encore,  et  rien  n'est  plus  doux  ni  plus 
flatteur  pour  moi.  Au  surplus,  que  voulez-vous  que 
je  vous  dise  ?  Ce  qu'il  y  avait  de  mieux  dans  mes 
méchants  Dialogues,  était  assurément  l'épigraphe  tn 
Vilt'utn  ducit  citlpœ  fuga,  si  caret  arle.  M.  le  contrôleur- 
général  voyant  la  barque  penchée  d'un  cdté,  la  ren- 
verse de  l'autre:  il  veut  empêcher  l'exportation,  il 
détruit  la  circulation  intérieure.  Il  ramène  les  permis- 
sions particulières,  il  ramène  l'arbitraire,  le  vice  radi- 
cal des  monarchies.  Tout  est  l'effet  pourtant  de  la 
première  faute  de  vouloir  le  commerce  des  blés,  ou 
tout  à  fait  Ubre  ou  tout  à  fait  défendu.  Supposez  mou 
système  adopté.  Voici  ce  qui  arriverait.  On  embarque- 


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LETTRES   DE   GALIANI  143 

rail,  par  exemple,  au  Havre  des  blés,  en  déclarant  qu'oa 
veut  les  envoyer  à  Bordeaux.  L'exportation  paye  une 
traite,  la  circulation  intérieure  n'en  paye  aucune.  Mais 
comme  on  n'est  pas  sûr  de  la  fidélité  du  négociant,  on 
commence  par  lui  faire  payer  au  Havre  le  droit  de  traite, 
ou  par  exiger  une  caution  splvable.  Si,  au  bout  de  quel- 
ques mois,  il  rapporte  le  certificat  de  la  douane  de 
Bordeaux,  d'avoir  importé  autant  de  blé  qu'il  en  a 
embarqué  au  Havre,  on  lui  rend  son  argent  ou  l'on 
casse  sa  caution.  Sans  cela  il  est  censé  l'avoir  exporté. 
Le  négociant  rencontrera  toujours  par  devant  lui 
un  droit  d'exportation  dans  ses  spéculations;  droit 
inévitable,  et  qui  retardera  son  envie  d'exporter,  lui 
rendant  toujours  préférable  l'approvisionnement  des 
provinces  de  la  France.  On  en  usera  de  même  avec 
les  colonies,  sons  avoir  recours  aux  permissions  par- 
ticulières. Tout  cela  sera  la  chose  du  monde  ia  plus 
aisée,  aussitôt  qu'on  aura  établi  un-  droit  de  traite; 
droit  salutaire,  sans  lequel  le  commerce  des  blés  ne 
sera  jamais  libre,  ni  tolérable.  Je  vois  malheureuse- 
ment que  je  ne  me  trompais  pas  en  disant  à  MH.  les 
économistes,  qui  n'y  entendaient  goutte  dans  leurs 
évidences,  que  le  commerce  d'exportation  serait  sou- 
vent préféré  &  celui  de  l'approvisionnement  d'une  pro- 
vince éloignée  ;  qu'on  donnerait  du  pain  aux  ennemis 
plutôt  qu'aux  gens  de  la  maisou.  M.  l'abbé  Ribaud 
ou  Koubaud,disait  qu'il  ne  connaissait  point  d'ennemis; 


jbïGoogIc 


m  LETTRES  DE  GALIANl 

que  tous  les  hommes  claieQt  frères.  C'est  bieii  cliré- 
tien,  et  bien  peu  politique.  Enfiu  celte  afiairc  me  pa- 
rait gftiée  pour  longtemps  en  France  ;  on  n'y  suivra 
ni  le  systèm3  des  économistes,  ni  le  mien  ;  on  y  suivra 
le  système  naturel  des  monarchies,  les  permissions 
particulières,  les  faveurs  de  la  cour,  les  entreprises 
àes  traitants,  un  coup  de  plume  d'un  intendant,  une 
irattc  de  giilTii  d'un  ministre  d'État;  cependant  la 
France  existera,  puisqu'elle  a  existé  de  la  sorte  pen- 
dant huit  siècles.  On  verra  que  le  physique  n'est  pas 
changé,  et  l'on  croira  que  le  moral  ne  l'est  pas  non 
plus.  On  verra  que  les  marronniers  des  Tuileries  ont 
bien  repoussé  leurs  feuilles  au  printemps,  et  l'on  ne 
s'apercevra  pas  si  les  gens  qui  se  promènent  dessous 
sont  des  membres  de  l'ancien  ou  du  nouveau  parle- 
ment *  ;  c'est  l'erreur  naturelle  des  hommes  de  con- 
fondre le  physique  avec  le  moral  ;  je  ne  m'en  étonne 
pas.  L'effet  physique  suit  de  près  la  cause;  l'effet 
moral  est  très  éloigné.  Un  orage  arrive,  et  dans 
l'instant  il  déracine  les  vignes;  on  fait  une  faute  en 
politique  sur  le  commerce  des  vins,  il  faut  attendre 
deux  ou  trois  générations  pour  voir  que  ce  malheureux 


I.  I.'aticipn  Parlement  avait  éié  dissous  en  H'i;  le  nouveau, 
surnommé  pailemeni  Maupeou,  avaii  été  composé  des  membres 
Jii  (Irand  Conseil  el  de  quelques  anciens  membres  de  la  Cour 
des  Aides.  Le  chancelier  Maupeon  avait  supprimi^  tous  les 
anciens  oHIces  du  l'arlemenl. 


jbïGoogIc 


LETTAES  OE  GÂLIAM  14.1 

impôt,  ce  trop  bu,  imaginé  il  y  a  un  siècle,  a  déiaciiié 
plus  de  vignobles  que  tous  les  orages  pris  ensemble. 

Vous  existerez  donc  et  même  vous  ne  vous  aperce- 
vrez d'aucun  diangement,  quoique  vous  ayez  perdu  le 
pivot  de  votre  liberté,  la  vénatilé  des  charges  dejudica' 
ture.  Elles  n'en  seront  pas  moins  vénales  à  la  faveur 
dorénavant;  elles  ne  seront  plus  liéréditaires  et  indé- 
^  pendaules.  Ce  coup  suffit  pour  diJnaturer  la  France  et 
les  Français  au  bout  d'un  siècle.  Si  vous  réussissez  ù 
rétablir  la  vénalité  sur  le  système  ancien,  comptez  que 
tout  ce  qui  est  arrivé  n'aura  Tait  aucun  mal;  il  aura 
au  contraire  servi  îi  ramener  le  bon  sens  en  politique 
et  à  détruire  les  systèmes  creux,  conune  la  querelle  du 
jansénisme,  après  quatre-vingt  mille  lettres  de  cachet, 
a  servi  Â  ramener  le  bon  sens  en  théologie.  Mais  si 
vous  restez  avec  peu  de  magistrats  amovibles,  tion  hé- 
réditaires, vous  tombez  sous  l'esclavage  de  la  robe, 
comme  ma  patrie,  l'Espagne,  le  Portugal.  Il  est  moins 
dur  que  celui  du  soldat,  comme  était  celui  de  l'empire 
romain,  du  Turc,  des  Orientaux:  il  ronviuut  mieux  à 
un  j>euple  policé:  c'est  un  esclavage  lent  et  mou. 
Il  n'a  pas  l'attente  et  la  ressource  d'une  ré\olulioi) 
comme  l'esclavage  militaire.  Il  dessèche  et  maigrit  la 
raison  d'une  nation  ;  ù  cela  près  il  parait  ne  causer  aucun 
effet  important.  Mais  est-ce  un  si  grand  mal  de  vivre  et 
de  mourir  bêle  ?  C'est  à  vous  à  résoudre  ce  problème  '. 

I.  H.  Bdudouin   irrut   cviilïinmcnl   que   ce   vous   était   ù   sun 
■(IrCïfte,  car  madame  il'ËpiDa),  i|ui  vit  la  letlri'.  en  lit  rrproebe 


jbïGoogIc 


U6  LËTTfiBS  DE  UALIAM 

Si  vous  avez  des  moyens  de  faire  contresigner 
quelques  lellres',  vous  ne  pourriez  me  faire  u»  plus 
jjrand  plaisir  que  de  ni'écrire  quelquefois.  Mandez-moi 
ce  que  font  les  économistes  dans  leur  biver.  Sont-ils 
devenus  des  chrysalides  f  Leurs  éphémérides,  à  quoi  en 
snnt-ellfis?  Parlent-ils  toujours  du  blé?  Ont-ils  entamé 
d'autres  questions  importantes?  J'ignore,  dans  ce  coin 
du  inonde  oli  je  me  trouve  relégué,  ce  qui  se  passe 
dans  la  charmante  ville  de  Paris.  Vous  taisez-vous 
toujours  ?  et  de  quoi  parlez-vous,  si  vous  parlez  ?  Allons, 
dites-en  quelques  mots  à  votre  très  humble  et  trè;^ 
obéissant  serviteur. 


A  NADAHt:  1)  i:v 


Je  ne  suis  resté  que  dcui  semaines  ou  trois  tout  au 
plus,  dans  le  courant  d'ocf/)bre,  sans  vous  écrire.  Je  ue 

It  Galiani.  L'abbé  Ait  trùs  dé.iolë  de  celle  méprise  ei  expliqua 
que  dans  ta  peoaée  le  voui  malencontrciu  Icnail  lieu  de  vùui 
aulra  Français.  (Voir  la  Icltre  de  GoUani  à  raidamc  d'Ëpioay  du 
S  avril  1773.) 

t.  Lm  faire  contresigner,  c*eal-à*dire  les  Diirc  pmenir  sans 
frais. C'est  toujonn  un  dri  grands  pointa  pour  l'abbé! 


ç)tzsci!,G00glc 


I.ETTRE.S  DE  GAI.IANI  i» 

iii'atuusais  pas,  inaiit  je  m'ennuyais  trop  pour  pouvoir 
vous  écrire.  Depuis  ce  temps,  je  vous  ai  écrit  r<igu- 
lièrement  sous  l'enveloppe  de  iM,  Magallon.  i'ai  cru  en 
cela  vous  faire  plaisir,  et  répondre  à  vos  intentions,  cai' 
vous  vous  plaigniez  des  relards  dans  la  main  de  Curac- 
cioii,  et  Hagallon  m'avait  encouragé  à  lui  écrire  en 
droiture.  Je  crois  qu'elles  se  sont  égarées,  parce  qu'elles 
étaient  des  plus  longues  et  des  plusintércssantt!S  ([ueje 
vous  ai  jamais  écrites.  Il  y  avait  mon  inscription  pour 
la  statue  du  czar  Pierre:  mon  projet  pour  le  tombeau 
de  Saxe-Gotha;  et  mille  autres  choses  dont  je  ne  me 
souviens  pas. 

Je  suis  en  butte  aux  chagrins,  aux  malheurs,  aux 
petites  disgr&ces,  depuis  quelque  temps,  d'une  manière 
incroyable.  Elles  affectent  mon  humeur  bien  plus  que 
ma  saoté.  Je  n'ai  la  force  de  vous  rien  mander,  puisque 
je  n'ai  pas  celle  de  vous  faire  tenir  mes  lettres.  Si  ou 
inveuUut  des  bombes  h  lettres! 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  fiALlAHI 


Nank's,  n  décemlirc  t17x. 

Vos  deux  lettres,  du  15  et  du  2â  uovembri!,  me  sont 
parvenues  dans  In  même  semaiac.  Elles  se  coiitrediBent 
puiscjue  la  première  mu  donne  lu  baron  h"  pour 
guéri,  la  seconde  mêle  peint  malade  u  faire  peur.  Celte 
incertitude  me  tourmente  plus  que  vous  no  sauriez 
imaginer. 

Votre  lettre  du  15  me  donnerait  occasion  de  taire 
dis  dissertations  sur  la  ressemblance  que  vous  tous 
trouvez  avec  Ragot  '  ;  mais  je  ne  suis  pas  en  train  do 
disserter  co  soir.  Lorsque  j'imprimerai  mon  Trtiiti  du 
Oioit  de  Nature  et  des  Gens,  cela  aura  s;i  place  '.  J'en- 
treprends d'étudier  le  droit  de  nature  dans  les  œuvres 
île  M,  de  ButTon  et  d'après  les  bêtes.  Dans  la  collection 
des  Voyages  de  l'abbi'  Prévi'tt*,  je  cberclierai  te  droit 

1.  Ragot  ûuit  le  chien  de  tnedamc  il'Éiiiiiiiy. 

2.  Galimi  a  laisii  un  manu-^cril  a^ant  pour  tilro  Du  droit  de 
la  nature  el  det  gm$,  lire  d'Horaee. 

3.  Labbé  Prévost  dEiiles  (1697-1763)  tut  un  des  écrivains  les 


jbïGoogIc 


LETTRES   DE  GALIAHI  149 

ùas  gens.  La  ressemblance  de  l'Iioiiime  au  chien  itùt 
mon  Traité  du  Droit  de  la  Paix  et  de  la  Guerre;  )a 
ressemblance  de  l'homme  au  (aureau  établit  mes  prin- 
cipes du  Droit  domestique  de  l'homme  dans  sa  rainillc 
Après  mes  deux  Traités  du  droit  de  Nature  et  de  celui 
des  Gens,  vient  mon  Droit  public,  qui  nura  pour  tilrc  : 
De  l'Influence  des  Préjugés  du  Droit  romain,  sur  le 
Système  politique  actuel  de  l'Europe.  Voilà  ce  que 
je  puis  vous  en  dire  ce  soir.  Je  parle  de  composer  des 
ouvrages,  cl  je  n'ai  pas  la  force  de  dicter  une  adresse. 
Ah  !  mon  Dieu  que  je  suis  abruti  1 

Dans  la  semaine,  j'ai  eu  douze  chagrins  au  moins, 
bien  petits  à  la  vérité,  car  le  plus  Tort  a  été  que, 
sur  une  abbaye  dont  je  payais,  pour  le  cadastre,  en 
tout  dix  livres  par  an,  on  veut  m'obliger  d'en  payer 
vingtrsix.  Que  mon  cœur  devient  mesquin  dans  ce 
pays  sans  vicissitudes,  sans  grandeur  d'aucune  espèce, 
tvcepté  des  grands  sots?  Enfin  je  ne  suis  bon  à  rien 
ce  soir. 


plus  Kronds  <lu  xviir  siècle  et  soti  romiin  de  ManoD  LesL\iut  ttl 
resté  au  pr«nier  rang  des  produclions  de  œ  genre.  Il  eut  une 
etUlenee  très  romanesque,  terminée  par  la  mort  ta  plus  irs- 
giqae  :  Trappe  d'une  attaque  d'apopleiie  eu  traversant  la  for^t 
de  Chantill/,  il  Tut  releré  inanimé  par  des  pï^aans,  qui  le  trans- 
portèrent à  la  cure  volalne.  l.'ofGcier  public  appelé  ordonna 
l'oiiTeriuredii  corps  et  ao  premier  coup  de  scalpe!,  l'abbé  poussa 
on  grand  cri;  il  succombatt  quelque*  minutes  après  h  cette 
horrible  blessure.  —  Son  Biiloir»  itei  Voyage*  est  un  oavrngiï 
MMttidérable,  qui  a  été  dans  la  salle  retouché  par  t.aharpe. 


jbïGoogIc 


tSfl  LETTRKS   PE   GALIANI 

J'avais  répoudu.  dès  hier,  à  lu  chaise  de  paille.  Il 
tàul  <)ue  j'écrive  ce  soi>'  ù  Gleichen.  Je  vous  remercie 
de  l'épitaphe  de  Piron  '  dont  il  n'y  a  qne  les  deux 
premiers  vers  qui  soient  bien  beaux. 

Si  je  n'élais  trop  malheureux  en  l'ait  de  tlnances, 
j'accepterais  l'offre  eitrâmement  polie,  que  vous  me 
faites  do  la  meilleure  grâce  du  monde,  de  tirer  sur  vous 
jusqu'il  la  somme  de  dix  louis  ;  mais  je  ne  m'aviserai 
pas  do  compter  pour  sûr  rien  de  ce  qui  est  dû  par 
Merlin  l'enchanteur.  Ainsi  mandez-moi  au  plus  vite 
l'argent  que  vous  aurez  reçu  de  lui  ;  et  alors  ce  sera  fe 
temps  d'en  disposer. 

J'obéis  en  vous  écrivant  par  ta  posle;  mais  je  suis 
persuadé  que  Hagallon  aura  à  présent  ses  lettres  payées 
par  la  cour  :  vous  pourriez  éctaircir  ce  fait. 

J'ai  dû  répondre  une  lettre  économico-politique  à 
M.  Baudouin.  J'imagine  que  Magallon  pourrait  vous  en 
procurer  la  lecture. 

Je  vous  l'ai  dit,  ce  soir  il  n'y  a  pas  moyeu  de  tirer  parti 
de  moi.  Bonsoir.  Porteï-vous  bien,  Saluez  mes  amis. 

1.  Piron  avait  hil  une  chute  qu'il  disait  pUiumnieDt  âtre  la 
plus  grave  qui  ait  été  faile  depuis  celle  d'Ailim.  Il  Écrivit  pour 
lui-m^e  l'éplUphe  suivante  : 

J'ielièvc  ici-bai  ma  roule. 

C'était  un  vrai  caese-cou  ; 

J'y  vis  clair.  Je  o'f  vis  goullc 

Je  fut  5«ge,  ja  lus  fou  ; 

A  ie  lia  J'arrive  a 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  r.ALIANI 


Je  u'iii  pas  plus  île  verve  ni  de  gaieté,  ma  belle  dame, 
fie  soir  que  d'ordinaire.  Rien  ne  m'égaie,  rien  ne  m'é  - 
lectrise.  11  faut  pourtanL  que  je  réponde  à  vous  qui 
m'avez  érrit  une  lettre  charmante,  et  à  cette  chaise 
de  paille,  aussi  aimable  que  cruelle,  qui  veut  me 
garder  rigueur  encore  un  an.  Mon  Dieu  !  que  cette 
anaéc  sera  longuet  Dites-lui  que  Caraccioli  ne  connaît 
pas  plus  l'Italie  d'à  présent,  qiie  voua.  11  n'a  pas  vu 
les  nouvelles  coursde  Milan.  Florence  et  Naples;  il  ne 
sait  pas  que  les  chemins  sont  devenus  impraticables 
en  hiver;  il  ignore  qu'il  y  a  des  spectacles  partout  eti 
été,  et  qu'il  n'y  en  a  pas  dans  l'Avent,  dans  le  Cari*me 
et  quinze  jours  après  Pâques.  En  vérité  c'est  une  folie 
de  ne  pas  suivre  mon  projet  de  voyage  tei  que  je  le  lui  ai 
envoyé  ;  et  puis  il  faut  se  tirer  des  embarras  le  plu.s 
tôt  possible.  Plus  tôt  ce  voyage  sera  commencé,  plus  on 
se  dépéchera  de  le  finir;  et  il  faut  compter  l'antici- 
pation du  temps  pour  le  tout  parmi  des  êtres  mortels, 


jbïGoogIc 


15Ï  I.KTTKES   DE  «ALIAM 

Vous  l'erez  de  mon  Dialogue  '  tout  ce  que  bon  vous 
semblei'a,  pourvu  qu'il  ne  coure  risque  d'ëlre  impiimO. 
Vous  pouvez  croire,  que  lorsque  j'écrivais,  je  ne  di- 
sais rien  de  ce  que  dît  M.  Thomas  • ,  je  pensais  ii 
faire  un  acte  de  modestie.  1)  faut  donc  que  son  livre 
soit  bien  mauvais,  s'il  ne  dit  pas  des  choses  qui  vaillonl 
les  miennes.  Hais,  enfin,  je  voudrais  voir  son  livre,  et 
le  recevoir  au  plus  vite,  car  on  me  demande  des  livivs 
nouveaux  pour  faire  lire  à  notre  reine,  et  j'imagine 
que  ce  livre  pourrait  lui  plaire. 

Vous  avez  eu  raison  d'aimer  le  chevalier  Mocenigo; 
j'ai  vu  le  même  penchani  dans  mademoiselle  Clairon, 
pour  le  duc  de  Villars,  et  j'observais  que  ces  messieurs, 
par  leurs  soins  et  leur  politesse,  font  conlinuellemenl 
des  amendes  honorables  aux  femmes  du  tort  qu'ils 
leur  font  dans  leur  imagination.  Peut-être  aussi  regret- 
tent-ils de  n'être  pas  femmes  autant  qu'ils  voudraient? 
et  ils  vous  admirent  commes  les  textes  dont  ils  sont 
les  très  humbles  commentateurs  :  vous  étiez  donc  un 
Tacite,  un  Suétone,  dont  Moccnigo  était  le  Cazaubon  ». 

A  propos,  diles  à  la  chaise  de  paille  que,  s'il  parait 
à  Paris,  en  langue  française,  quelque  chose  du  voya^ 


1.  Hon  Dialogue  sur  Irs  l-'eiiimfs, 
3.  Voir  l'appendiee  VII. 

2.  Voir  l'appenillce  Vll|. 


jbïGoogIc 


LETTRES   DE  GALIANE  153 

des  savants  danois  en  Arabie ',  il  m'en  informe  tout 
de  suite  ;  je  souhaiterais  de  l'acquérir. 

Aimœ-moi,  plaignez  ma  tristesse,  ma  situation 
ennuyée,  mes  goûts  point  satisfaits,  mon  ambition 
déplacée,  mais  sachez  que  je  me  porte  bien  malgré 


A    LA     M^MK 

Naplo,  1  juiiTler  ^^^3. 

Ma  belle  dame,  le  courrier  de  Franra  de  cette  semaine 
n'est  point  arrivé  ;  mais  je  vous  dois  une  réponse  au 
n"  11,  car  pour  le  n"  {6,  je  l'attends  avec  M.  de  Pigna- 
telli.  La  semaine  passée,  j'avais  trop  de  chagrins  et 
d'ennuis  pour  vous  écrire;  cette  semaine  j'en  ai  tout 
autant,  à  cola  près  que  j'ai  recouvré  mon  chat  qui 
s'était  égaré  en  courant  les  chattes  des  rues.  Le  reste 
de  mes  chagrins  est  à  peu  près  de  la  même  force,  et 
l'easenible  en  est  horrible.  Ah  1  la  vilaine  chose  que 
le  néant  !  On  s'est  tant  tourmenté  pour  savoir  ce  que 

1.  Vojage  de  Klebiibr  en  Arable. 


jbïGoogIc 


HK  LETTRES  DE  GALIAN[ 

c'était  que  le  diable,  l'enter,  etc.;  c'eat  le  néant,  le. 
(>ontraire  du  tout,  c'est-à-dire  de  Dieu.  Ceux  qui  n'ont 
pas  savouré  le  néant,  ne  m'entendront  pas  ;  je  m'en- 
tends bien  moi.  Qu'on  voie  Paris  et  Naplas,  on  verra 
nne  légère  esquisse  du  fout  et  du  néant,  et  qu'on  vienne 
iiprès  me  dire  que  non  ! 

Vous  m'avez  envoyé  un  arrêt  du  conseil  sur  les 
blés.  Si  cela  renouvelait  la  querelle,  le  débit  de  mon 
livre,  une  nouvelle  édition,  avec  un  dialogue  en  forme 
d'apocalypse  que  j'y  ajouterais,  cela  m'intéresserait 
beaucoup  ;  mais  j'ai  grand  peur  d'avoir  tué  trop  tùt  les 
économistes.  Je  devais  m'en  amuser  longtemps  aupa- 
ravant, comme  les  chats  Tont  des  souris,  et  enltn  les 
croquer.  A  quoi  en  sont^ils?  Vous  ne  m'en  avez  jamais 
rien  dit  depuis.  Et  y  a-t-il  une  éphéméridc  encore? 
Au  reste,  ma  belle  dame,  voilà  mon  plan  d'apocalypse. 
Le  roi  joue  son  jeu,  les  parlements  jouent  leur  jeu: 
tous  les  deux  ont  mison.  La  monarchie  tient  essentiel- 
lement à  l'inégalilé  des  conditions,  l'inégalité  des  con- 
ditions au  bas  prix  des  denrées,  le  bas  prix  aux  con- 
traintes. La  liberté  entière  amène  la  cherté  des  vivres 
et  la  richesse  des  paysans.  Le  paysan  riche  ne  lire 
plus  à  la  milice,  ne  supporte  plus  la  taille  arbitrairo, 
les  saisies  des  contrebandes,  etc.;  il  a  la  force  de  ne 
plus  se  laisser  fouler,  soit  en  se  révoltant,  soit  en  plai- 
dant en  justice,  et  il  a  assez  d'argent  pour  ^gner  des 
procès.  Il  amène  donc  là  forme  républicaine,  et  eiilin 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GAI.IANI  1M 

l'égalité  des  conditions,  tfiii  nous  a  coùU-  six  mille  uns 
à  détruire. 

Hais  laquelle  des  deux  formes  aimez-vous  mieux, 
on  me  demandera  ?  J'aime  la  monarcbie,  parce  que 
je  me  sens  bien  plus  proche  du  gouvernement  que  de  la 
charme.  J'ai  quinze  mille  livres  de  revenu  que  je  per- 
drais en  enrichissant  des  paysans.  Que  chacun  en  fasse 
comme  moi  et  parle  selon  ses  intérêts,  on  ne  se  dis- 
putera plus  dans  ce  monde.  Le  galimatias  et  le  tinta- 
marre viennent  de  ce  que  tout  le  monde  se  mêle  de 
plaider  la  cause  des  autres  et  jamais  la  sienne.  L'abbé 
Morellet  plaide  eontre  les  prêtres,  Helvétius  contre  les 
financiers,  Baudeau  contre  les  fainéants,  et  tous  pour 
le  plus  grand  bien  du  prochain.  Peste  soit  du  prochain 
Il  n'y  a  pas  de  prochain.  Dites  ce  qu'il  vous  faut,  ou 
taisex-vons  *.  Adieu. 


1,  Galiani  anit  nr  ee  point  des  ibéorlet  Lrfes  arrêtées;  Il  ne 
l'en  cachait  pa*  ;  nom  en  Ironvoni  une  nouvelle  preuve  dani 
cette  citation  de  [Hderot  (Corresp.  avec  inadtmoiîelte  VoUand)  : 

*  Le  iMran  eat  de  teiour.  Je  dlnal  liier  landi  avec  lu[.  L'abbé 
Salianl  y  était.  Il  préclii  contre  la  faTenr  aocordée  1  l'agriculture 
par  une  raison  très  bizarre  :  il  disait  que  l'agriculture  él«il  U 
plot  importante  des  eonditiom  et  qu'il  avait  fallu  plus  de  quilre 
mille  BUS  pour  l'avilir,  et  que  cberchpr  à  la  tirer  de  cet  avilis- 
sement, c'était  travailler  k  réduire  kg  ducs  et  pairs  à  rien  et  1 
métier  le  roi  dana  Km   Parlement  accompagné  de  douie  boii- 


jbïGooglc 


LETTRKS  DE  CALiAiM 


Nnple),  9  Jnnvier  IITS. 

Ma  belle  dame. 

Votre  [lettre  du  âl  décembre,  sans  numéro,  ne  vaut 
pas  grand'cbose  ;  la  mienne  ne  vaudra  rien.  Vous  êtes 
nialade.  Je  suis  dans  le  comble  de  l'afDiction.  Je  viens 
de  perdre  mon  ami  Sersale,  qui  est  mort  ce  matin.  Je 
l'avais  fait  venir  exprès  ici  pour  être  mon  ressouvenew 
de  Paris.  Je  comptais  passer  des  jours  beureun  avec 
lui  ;  un  peu  de  goutte  et  beaucoup  d'exécrables  méde- 
cins me  l'ont  enlevé.  On  l'a  tué.  Il  faut  donc  que  je 
sois  malheureux  tout  à  fait  à  Naples,  que  tout  me  porte 
gutgnon,  que  rien  ne  me  soulage,  que  rien  ne  me  rap- 
pelle mon  Paris.  Ne  faites  pas  venir  Grimra  ici  ;  s'il  me 
faisait  plaisir,  il  en  arriverait  malbeur.  La  baronne 
voudrait  que  je  ne  sois  pas  triste.  Le  moyen  de  ne  pas 
l'ôtre  t  M.  de  la  Vaupalière  '  est  arrivé.  Il  ne  me  vaut 


1.  M.  de  1b  Vaupalière,  dont  parle  Galiani,  était  anibai:- 
sadeurdeFranceà  Naples;  sa  Bile  avait  épousé  M.  de  Matignon. 
Madame  de  Saussure,  dans  son  journal ,  parle  I  plnsleiirs  reprises 


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LETTRES  DE  GALIÀHl  Iâ7 

pas  Sersalc,  que  j'aî  perdu.  Je  ne  suis  boo  ù  rêver 
d'autre  chose.  Au  moios  portez-vous  bien,  vous,  cl 
leDezrfnoi  lieu  de  tout  ce  que  je  perds.  Vivez  plus  que 
rooi,  voilà  tout  ce  que  je  vous  demande.  Quand  je 
serai  mort,  mourez  à  votre  aise  et  sans  vous  presser, 
je  n'en  saurai  rien.  Adieu. 


A    LA    HEMt: 


Votre  santé  me  chagrine  plus  qu'elle  ne  m'inquiète  ; 
vous  êtes  dans  un  Age  critique;  vous  soutirez  depuis 

de  M.  do  II  Vaupslièrc.  a  .Xoud  fûmes  illner  cbez  l'arnbas^adeur 
do  France.  Un  dloer  de  plus  de  IreiiLc  persanne.i.  des  princes 
russes,  des  princesses  napolitaines;  en&n,  ud  diner  de  très  grande 
imporlaoce.  Cela  me  coûtail  fort,  mais  it  s'est  irùs  bien  passé. 
L'ambassadeur  a  été  Tort  poli,  madame  de  la  Vaupaliére  fort 
béguenle  et  madanede  Matignon  Ibrl  criarde,  x  Et  une  «utrc  foU: 
•  J'ai  Tait  UDe  longue  toilette  et  nous  sommes  allés  chez  l'aiobas- 
udeur  de  (-'rauce.  Madame  de  Hatignun ,  sa  Ullc,  a  seUe  ans  ;  elle 
e«t  gaie,  elle  est  folle  :  c'est  Hébé  et  ses  grAces  ;  elle  n'a  point 
l'air  française  ;  ^e  saute,  elle  danse  ;  sa  belle-mëre.  madame 
de  Ib  Vtupatière,  (l'ambassadeur  était  remarié)  est  1res  raison- 
nable et  tiès  jolie;  elle  aime  passionné  méat  son  mari  qui  joue  tout 
son  avoir,  mais  qui  a  une  physionomie  cbormante.  Elle  a  aussi 
une  611c  de  quatre  ans  qu'elle  chérit.* 


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15N  LETTRES  Mt  GALIANI 

loii^teniits ;  vous  n'en  ëtot  pas  morte;  ergo  vous  iiVii 
mourrez  pas;  ergo  voui  parviendrez  à  P«i,tréme  vieil- 
lesse des  gens  qui  pansent,  qui  est  de  dix  mu  plus 
courte  que  celle  des  gens  qui  végètent. 

Parlons  donc  de  choses  gaies.  Nous  avons  ici  depuis 
hnil  jours  une  troupe  de  comédiens  français,  événe- 
ment bien  singulier  et  bien  neuf  pour  des  Napolilnins  '. 
Ils  ont  été  très  applaudis,  et  du  fond  du  cœur. 

Autre  événement  bien  éti'angc  et  bien  incroyable.  Ils 
ont  débuté  par  la  pièce  du  Père  de  famille  ',  parce 
que  c'est  de  toutes  les  pièces  du  théâtre  français,  celle 
dont  le  succès  est  le  plus  grand  et  )e  plus  assuré  dans 
toutes  les  villes  d'italieet  d'A]lemagn^,  événement  bien 
naturel  et  (jui  ne  paraîtra  étrange  qu'à  Fréron  et  à 
Paris. 

Dites  ceci  à  Uîderot  :  dites-lui  que  mes  Napcriitains 
sont  convaincus  que  sa  pièce  est  la  meilleure  de  tout 
le  théâtre  l'rançais,  et.  par  conséquent,  la  meilleure  pro- 


1.*  IleUe  troupj  avait  Joué  pluiieurs  uinéea  de  suite  t  Vienne. 
Citait  une  tlea  nieilleures  qu'où  pût  voir  sprëi  celle  de  Paris. 
■  La  troupe  de  Vienne  eit  allie  d'abord  k  Venise,  où  elle  a  Tait 
uni  de  tort  aui  autres  spectacles  qu'ils  ont  Été  dans  le  ra»  de 
Mllidier  son  cipuUlon  de  Veaiu.  Elle  est  allée  i  Naples,  oii  elle 
ne  réussit  pas  moius  dans  ce  momenL  II  ne  Taul  paa  regarder 
ceci  comme  uji  petit  évÉni-menl  ni  en  lait  de  goûl  de  littérature, 
ni  m&ne  eo  politique.  Il  y  a  vingt  ans  qu'une  troupe  fraa(ai>e  à 
>'sple9  n'aurait  pas  aiiiré  viuift  specialeurs  et  serait  morto  de 
laim.  ï  (Crimm,  Cmr.  litt.) 

3.  Drame  eo  cinq  actes  et  en  |>rose.  île  Diderot. 


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Lettres  dk  ualu.m  las 

duclîoii  dramatique  de  l'esprit  humain  jusqu'à  C4:ttc 
heure.  Ils  trouvent  itourlant  que  le  père  a  un  pou  trop 
de  faible  pour  ses  eofants.  Les  pères  italiens  sool  iiilt  - 
iiiment  plus  durs  que  les  français  ;  et  peut-ëlrc  qtie  M. 
d'Orbessan  est  aussi  un  peu  faible  pour  un  Trançais. 
Vous  De  devinerez  pas  i)uellc  est  la  raison  sourde  du 
plaisir  inexprimable  des  Italiens  dans  cette  pièce.  C'est 
le  rôle  du  Commandeur.  Ce  personnage  a  un  caractùiu 
peu  commun  en  France,  et  très  fréquent  eu  Italie,  où 
il  a  même  mérité  d'avoir  un  nom  qui  manque  à  la  lan- 
gue française.  C'est  précisément  le  râle  d'un  seccalon: 
Vous  voyez  qu'un  seccatore  n'est  pas  tout  à  fait  un  en- 
nuyeux, ni  un  mécliaot  homme,  ni  un  imbécile.  C'est 
u'u  homme  qui  a  un  système  différent,  un  bon  sens  à 
sa  guise,  révoltant  pour  les  autres,  c'est  un  homme 
mal  à  propos,  gauche,  dur,  déplacé.  Ainsi  pour  cor- 
riger la  pauvreté  de  votre  langue,  lorsque  vous  ren- 
contrerez un  seccatore  (il  y  en  a),  appele&-le  im  corn- 
miindeur  et  cela  ira  à  merveille. 

La  tragédie  qu'ils  ont  voulu  donner  ensuite  était 
Mahotnet  do  Voltaire  :  la  police  les  en  a  empêchés.  Il 
en  arriva  do  mÈine  ù  Paris.  Pour  se  venger,  les  comé- 
diens ont  donné  Zaïre,  qui  a  très  bien  réussi,  à  cela 
près  que  les  Napolitains  l'ont  trouvée  trop  dévote  et 
trop  ressemblante,  dans  des  endroits,  à  une  mission. 
Vous  ne  sauriez  imaginer  la  justesse  de  goût  et  du 
critique  qu'un  peuple  qui  entend  trCîs  mal  le  Iranfais^ 


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160  LETTRES   DE  GILIANI 

et  qui  a  encore  des  comédies  barbares,  a  Tait  paraître 

dans  cette  occasion. 

Le  comte  de  Wilseck  est  ici.  Il  me  charge  de  saluer 
Grimm  et  Diderot.  Il  a  été  étonné  que  Grimm  ne  veuille 
pas  suivra  mou  avis  sur  le  voyage  d'Italie.  Je  vous  parle 
Trancbement.  Je  suis  bien  empressé  de  le  voir  ;  cepen- 
dant, je  suis  content  de  différer  ce  plaisir  de  six  mois,  et 
qu'il  ne  fasse  pas  la  folie  df  mener  son  prince  et  loi- 
méme  en  Italie  cet  automne  prochoin;  il  vaut  mieux 
qu'il  y  vienne  le  printemps  de  l'année  prochaine.  Por- 
tez-vous bien.  Aimez-moi.  Jii  vous  donnerai  régulière- 
ment des  nouvelles  des  comédiens. 

J'ai  écrit,  en  effet,  à  Caraccioli  une  lettre  d'uu  ambi- 
tieux. S'il  prend  cela  pour  une  résolution  de  me  lixerà 
Naples,  il  a  bien  (ort.  Un  homme  qui  a  enfilé  une  ruelle 
fort  étroite,  où  il  ne  peut  ni  reculer  ni  tourner,  n'a 
d'autre  partit!  prendre  que  de  galoper  Jusqu'au  bout 
pour  ensuite  tourner  au  large.  C'est  là  ma  position.  Je 
voudrais  galoper,  parvenir,  tourner,  et  me  retirer  à 
Paris  y  mourir  à  mon  aise.  Si  vous  cunuaissci  dp» 
moyens  de  me  faire  tourner  au  milieu  de  la  itiellc,  je 
ne  m'y  refuserai  pas.  Adieu. 


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LETTRES  DE  GALIANE 


Les  comédiens  tramais  ont  douné  pour  troisième  re- 
présenlation  le  Bourru  Bienfaisant  •;  elle  a  eu  ua  mé- 
diocre succès,  qui  même  n'a  été  dû  qu'à  l'excellence 
du  jeu  d'Aufresne  *,  acleur  incomparable  ;  pour  petite 
pièce,  les  Folies  amoureuses  ',  médiocrement  goûtées; 
pour  quatrième  réprésentatioa  Eugénie  *  qui  a  réussi 
beaucoup.  Cependant  on  a  trouvé  que  l'assassinat,  l'ar- 
rivée de  sir  Charles,  le  temps  qu'il  reste  dans  la  petite 

1.  Coiuédje  en  IroU  acies,  en  prose,  de  (ioldoDi. 

3.  Fils  d'nn horloger  <fe  Genève,  nommÉ  Rival, dont  },-!.  Bous- 
seau  parle  dans  ses  Con/kssiotu.  Il  prit  le  nom  d'Aufresne  pour 
ne  pas  mécontenter  sa  famille  et  entra  au  théâtre.  Il  débuta  le 
30  mai  1765  à  la  Comédie -Française.  Il  partait  presque  la  tragédie 
et  rappelait  par  le  naturel  de  son  débit  la  manière  de  Baron. 
Ce  naturel  lui  lit  une  foule  d'ennemis  parmi  ses  camarades;  il 
fallait  qu'il  changeât  de  manière  ou  que  la  Comédie  tout  entière 
changeât  la  sienne.  Fatigué  d'une  lutte  incessante  avec  ses  con- 
frères, il  quitta  la  Franco  et  obtint  le  plus  grand  succès  en 
Prusae  et  en  Russie  où  il  mourut  vers  18Qlj, 

3.  Comédie  eu  trois  actes,  en  vers,  de  Regoard. 

A,  Drame  eu  cinq  actes,  en  prose,  de  Beaumait'haiA. 
Il  11 


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161  LETTRES  DE  6&LIANI 

maison  sans  reconnaître  sa  famille,  enfin  lous  les  événe- 
mentsdesquatrièmeel  cinquième  actes  sont  brusqués, 
précipités,  et  pas  assez  développés.  Pour  petite  pièce 
le  Temps  passé  qui  a  été  infiniment  goûté.  A  la  cin- 
quième représentation  ils  ont  dooné  l'Honnile  Criminel  ' , 
qui  est  tombé.  Ils  ont  trouvé  la  pièce  mal  versifiée, 
faiblement  dialoguée,  sans  situations  heureuseset  avec 
des  héroïsmes  déplacés.  Pour  petite  pièce,  l'Amant  au- 
teur et  valet  *,  qui  a  été  trouvé  un  cbef-d'œuvre  du 
vrai  comique.  C'est  de  toutes  les  petites  pièces  celle 
qui  a  eu  le  plus  de  succès. 

Ayez  la  confiance  en  moi  ma  belle  dame,  de  croire 
que  ce  n'est  point  là  mon  jugement  :  c'est  celui  de 
plusieurs  dames  et  seigneurs  napolitains  qui  n'enten- 
dent que  très  médiocrement  le  français,  mais  qui  ont  du 


1-  <  L'BuHiiéie  Criviiiiel,  drame  eu  vers  eu  tinq  actes,  de 
Feaouillot  de  Falbaire,  est  une  des  pièces  de  Ihéttre  tes  plus 
vaiaclérîsliques  du  iviii-  siècle.  Sous  ce  titre  paradoial,  elle  oITre 
la  taise  ea  scène  d'un  épisode  fort  ëmuuvant  des  dernières  per- 
sécutions eiercÉcs  contre  les  Rérormés.  Jean  Pabre.  proleslanl 
de  Mmes,  obtint,  en  1756,  de  prendre  la  place  de  son  père. 
condamné  aux  galères  pour  avoir  pratiqué  son  culte.  Il  fut  mis 
en  liberté  aii  ans  plus  lard  par  le  oiinistre  Cbolseul.  Tel  est  le 
sujet  du  drame.  Imprimé  eu  1767,  il  fut  joué  eu  province,  mais 
l'auleur  ne  put  obtenir  de  le  faire  représenter  à  Paris,  Il  fut 
représenté  cnOn  sur  le  Théâtre -Français  le  i  janvier  1790.  Il 
eut  un  succès  de  larmes  et  d'opinion.  ■  (Gabriel  Cbaravay, 
l'Amaltur  d'aolograpliei,  n*  44,  16  octobre  1B63.) 

t.  L'Amant  auleuT  el  valtt,  comédie  en  un  acte,  en  prose, 
lie  Cérou,  reiircseniée  pour  la  première  fois  te  8  février  1740  au 
Ibéi  Ire-Fraufais . 


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LETTRES  DE  6ÀLIANI  163 

goût  et  du  boD  sens  naturel.  Vous  pourrez  Juger  àe 
là  du  degré  de  leur  dtsceraemeiit. 

Les  comédieus  frauçais  ont  joué  une  seule  fois  à  la 
cour  devant  le  roi.  Ils  y  ont  débuté  aussi  par  'le  Père 
de  fanùlle,  c'est  à  présent  pour  eux  une  chose  décidée. 
Le  roi  a  applaudi  iufimiment  cette  pièce  ;  il  eu  a  goûté 
toutes  les  beautés,  et  il  avait  mis  l'ambassadeur  de 
France  *  à  son  cAté  pour  lui  en  marquer  son  avis.  Le 
succès  de  cette  pièce  a  été  cause  qu'il  a  souhaité  de 
les  avoir  encore  trois  ou  quatre  t'ois  à  la  cour.  Mais 
ce  qui  vous  paraîtra  bien  comique,  et  tout  à  l'ait 
incroyable,  quoique  rien  ne  soit  si  vrai,  c'est  qu'avant 
de  les  entendre,  le  roi  s'était  expliqué  que  ces  Français 
ne  iui  plairaient  pas,  ainsi  ils  l'ennuieraient  :  car  il  aimait 
à  rire  et  pas  à  pleurer  :  il  en  est  arrivé  que,  lorsqu'on 
jouait  la  pièce,  tous  les  courtisans  bâillaient,  s'en- 
nuyaient, prenaient  du  tabac,  faisaient  quelque  bruit, 
pendant  que  leur  maître  fondait  en  larmes. 

Vous  voyez,  ma  belle  dame,  que  de  ma  profession 
je  suis  gazetier.  Je  vous  aurais  toujours  écrit  des  nou- 
velles, s'il  y  en  avait  ici  qui  pussent  vous  intéresser. 
Voilà  la  première  occasion  où  je  crois  que  ma  gazette 
puisse  voua  faire  plaisir. 

Je  n'ai  pas  de  lettres  de  vous  celte  semaine.  Vous 
m'avez  mandé  que  vous  étiez  malade  pour  que  je  n'en 

t.U.  de  la  Vaupalière. 


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ll>4  LETTRES  BË  GALIANI 

sois  point  en  peine  ;  et  voilà  précisément  ce  qui  m'in- 
quiète le  plus.  Employez  de  grâce  votre  prieur  à  me 
mander,  toutes  les  semaines  que  vous  ne  m'écrivez  pas, 
ceci:  madame  esi à /'ordinaire,  quoiqu'el'enevous  écrive 
pas.  En  attendant,  aimez-moi;  embrassez,  de  la  part 
de  tous  les  Napolitains  Diderot,  et  portez-vous  bien. 
Adieu. 


HAUAMK    D    SPlNAï    A   UALiANI 

<l  janvier  <7T3 

Vous  dites,  mon  cher  abbé,  que  vous  n'avez  plus 
ni  verve  ni  gaieté,  et  vous  m'é^ivez  la  lettre  la  plus 
gaie  et  la  plus  folle  que  j'ai  jamais,  je  crois,  reçue  de 
vous.  Tout  ce  que  vous  me  dites  sur  ma  passion  pour 
le  chevalier  de  Mocenigo  est  à  mourir  de  rire,  et  nous 
a  Tait  passer  une  soirée  délicieuse;  ma  lettre  d'aujour- 
d'hui sera  un  peu  plus  sérieuse;  je  vais  d'abord 
répondre  aux  commissions  que  vous  me  donnez;  vous 
voudriez  avoir  le  livre  de  M.  Thomas  au  plus  vite  '.  Le 
plus  vile  est  par  la  poste,  et  je  n'ose  prendre  sur  moi 

\, Essais  sur  les  ftaunt».  PnrU,  177i. 


JbïGoOgIc 


LETTRES  DE  GALIANI  165 

de  vous  faire  coAter  dd  port  aussi  considérable,  sans 
un  ordre  précis  de  voire  part.  L'achat  du  livre  n'est 
rien,  car  je  crois  qu'il  coûte  cinquante  sous  ou  un  écu; 
si  je  l'avais  à  moi,  je  vous  en  Terais  présent  de  tout 
mon  cœur  ;  bien  sûrement  je  ne  le  relirai  jamais.  S'il 
se  présente  une  occasion  sûre,  en  attendant  que  j'aie 
reçu  vos  intentions,  j'en  profiterai. 

Mon  voisin  '  ne  croit  pas  que  le  voyage  des  savants 
danois  en  Arabie  ait  paru  en  langue  française  à  Paris  ; 
je  le  demanderai  au  baron  d'HolbacU,  qui  vient  me  voir 
assez eiaclement  depuisque  je  suis  malade,  et  j'aurai 
soin  de  vous  instruire  aussitôt  qu'il  paraîtra  '. 

Il  faut  que  je  vous  parle  d'un  ouvrage  nouveau, 
imprimé  en  Hollande,  intitulé  Système  social  ou  prin- 
cipes naturels  de  la  morale  et  de  la  politique,  avec  un 
examen  de  l'influence  du  gouvernement  sur  les  mœurs  ". 
C'est  un  prologue  du  Système  de  la  nature  et,  si 
vous  voulez,  un  développement,  de  l'ouvrage  qui  a 
paru  l'été  dernier,  de  la  Félicité  publique  '.  Celui-ci 
tend  à  prouver  qu'un  gouvernement  doit,  nécessaire- 
ment et    inévitablement,   devenir   parfait,    et  rendre 

1.  Griram. 

2.  La  Detcriplion  de  l'Arabie,  par  Nicbuhr,  fui  Iradullc  en  ■ 
français  en  1773  à  Copenhague.  I.a  traduction  dti  Voaage  ea  Arabie 
ne  parut  qu'en  1776. 

3.  Par  le  baron  d'Holbach. 

i.  Par  le  maniuis  Je  (^liasielhi*. 


JbïGoOgIc 


166  LETTBES  DE  GALÂINl 

tous  les  individus  heureux,  si  la  nation  est  débarras- 
sée de  toute  erreur  et  de  tout  préjugé.  Il  est  bien 
écrit  ;  tout  y  est  clairement  énoncé,  mais  il  n'y  a  pas  uae 
idée  neuve,  et  tout  ce  qui  y  est  vrai,  est  si  générale- 
ment établi  actuellement,  que  cela  De  \'alait  pas  trop 
la  peine  d'en  faire  un  livre.  ]e  trouve  d'ailleurs  que, 
si  les  iàéei  de  l'auteur  ne  sont  pas  tout  à  fait  fausses, 
elles  sont  du  moins  une  ligne  en  deçà  de  la  justesse 
et  de  l'exacte  rectitude  ;  une  idée  vraie  en  elle-même, 
quand  on  lui  donne  une  extension  forcée,  devient  fausse. 
Par  exemple  il  dit  : 

On  fait  de  l'homme  tout  ce  que  l'on  veut.  Cela  est 
vrai  d'une  grande  masse  d'hommes  pris  en  général  ; 
mais  ensuite  il  dit  : 

Le  plus  grand  scélérat  aurait  pu  devenir  un  homme 
de  bien,  Jii  le  sort  l'eût  fait  naître  xous  des  parents 
vertueux,  sous  vn  gouvernement  sage  et  éclairé  ;  s'il 
l'eût  placé,  dans  sa  jeunesse,  parmi  les  gens  de  bien. 
Le  grand  homme,  dont  nous  admirons  les  vertus,  n'eût 
été  qu'un  brigand,  qu'un  voleur,  un  assassin,  s'il  n'eâl 
jamais  fréquenté  que  des  hommes  de  cette  trempe,  etc. 
Cela  n'est  plus  vrai.  L'homme  se  modifie,  sans  doute; 
mais  il  reste  toujours  ce  que  la  nature  l'a  fait;  et,  dans 
le  cours  de  la  vie  d'un  homme,  si  les  circonstances  le 
modifient  à  la  vertu,  il  sera  alternativement  vertueux 
et  scélérat.  Voilà  la  clef  de  toutes  les  inconséquences  et 
de  toutes  les  contradictions  qu'on  remarque  dans  l'cs- 


jbïGooglc 


LETTRES  DE  GALIAN[  167 

pèce  humaine,  et  dont  aucun  individu  n'est  exempt  : 
c'est  que  le  naturel  est  dans  une  lutte  perpétuelle  avec 
les  modifications  qu'il  reçoit  des  circonstances. 

Prenez  dans  wn  village,  dil-il  dans  un  autre  endroit. 
«n  rostre  stupide  et  lâche,  et.  au  bout  de  six  mois, 
vous  en  ferez  un  brave  soldat;  il  aura  pris  l'esprit  du 
corps;  il  s'estimera  lui-même,  et, quand  il  le  faudra,  il 
marchera  très  gaiement  à  la  mort.  Cela  est  encore  vrai 
généralement  parlant;  mais  cela  ne  l'est  plus,  si  vous 
voulez  appliquer  cette  proposition  à  un  individu;  car 
si  elle  l'était,  il  n'y  aurait  pas  de  poltron. 

L'auteur  du  Système  social  parait  persuadé,  ainsi  que 
celui  de  la  Félicité  publique,  qu'il  ne  manque  au\ 
hommes  que  d'être  éclairés  pour  être  parfaitement  heu- 
reux. Partout  je  retrouve  dans  l'un  et  l'autre  auteur 
l'inconvénient  de  généraliser  les  idées;  mais  celui-ci 
prononce  bien  plus  affirmativement  que  le  chevalier. 
Sans  doute  on  fait  très  bien  de  prêcher  aux  hommes 
de  se  défaire  de  leurs  préjugés  et  de  leurs  erreurs,  et 
de  perfectionner  l'éducation  ;  mais  de  croire  que  les 
hommes  éclairés  en  deviendront  meilleurs  ou  parfaits , 
que  les  passions  de  chaque  individu  se  plieront  aux 
spéculations  de  la  philosophie  par  le  seul  pouvoir  des 
lumières  de  la  raison,  c'est  une  belle  chimère  qui  t'ai  t 
tomber  les  profonds  raisonnements  de  ces  messieurs 
dans  la  classe  des  amplifications  de  rhétorique,  et  des 
déclamations  de  nos  jeunes  garçons  philosophes.  Ils  ne 


jbïGoogIc 


168  LETTRES  DE  GALIAKI 

coDinienceront  jamais  par  le  commencement  !  C'est 
d'examiner  l'homme  dans  sa  nature,  et  de  se  bien  dire 
que  tel  il  a  été,  tel  il  sera;  et  puis  de  distinguer  là 
nature  d'une  masse  d'hommes  de  la  nature  de  l'individu. 
J'appelle  la  nature  d'une  masse  d'hommes,  le  résultat 
de  tout  ce  qui  constitue  essentiellement  le  caractère 
national,  sur  lequel  influent  le  local,  le  climat,  etc.; 
ensuite  dire,  comme  M.  Gobe-Mouche:  Messieurs,  mes- 
sieure,  entendons-nous;  c'est  de  telle  nation  que  je 
vais  vous  parler.  Mais  ils  l'ont  comme  la  procureuse  de 
Courbevoie,  qui  jugeait  Paris  sur  son  village.  Ils  régis- 
sent l'univers  sur  les  convenances  et  les  tumièresd'une 
société,  d'une  centaine  de,  personnes.  Quand  on  parle 
des  avantages  d'un  gouvernement,  il  Tant  avoir  telle  ou 
telle  nation  en  vue  ;  car  prétendre  forger  le  gouverne- 
ment le  plus  parfait  pour  les  hommes  en  général,  c'est 
parler  en  l'air,  c'est  n'avoir  que  des  idées  vagues,  qui 
ne  peuvent  s'appliquer  à  rien  :  mais  je  suppose,  un 
instant,  que  ces  messieurs  aient  trouvé  la  chose  impos- 
sible, un  gouvernement  parfait  ;  il  leur  faudrait  encore 
pour  le  maintenir  tel,  le  talent  de  Josué  afin  d'arrêter 
le  soleil  et  le  cours  des  événements.  L'état  de  perfec- 
tibilité, en  toute  chose,  n'est  qu'un  point.  Arrivé  à  ce 
point;  illaut  décroître. 

IVolre  conduite  bonne  ou  mauvaise,  dit  encore  l'au- 
teur, dépend  toujours  des  idées  vraies  ou  fausses  que 
nous  nous  faisons  ou  que  d'autres  nous  donnent. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  liALIAM  169 

Notre  conduite  bonne  ou  mauvaise,  monsieur  i'Auteur, 
dépend  toujours  de  notre  tempérament  et  de  l'impulsion 
plus  ou  moins  forte  qui  nous  porte  à  telle  ou  telle 
chose;  et  cen'estquelaconscience  denotre  couduile,^)' 
dépend  des  idées  vraies  ou  fausses  que  nous  nous  faisons 
ou  que  d'autres  nous  donnent. 

Malgré  toute  ma  critique,  cet  ouvrage  est  celui  d'un 
grand  penseur  et  d'un  ami  de  l'humanité.  Il  se  com- 
plaît un  peu  trop  à  faire  l'énumération  des  maux 
qu'ont  causés,  que  causent,  et  que  causeront  les  pré- 
jugés et  les  opinions  théologiques;  mais  il  faut  ap- 
plaudir à  son  zèle,  et  vous  à  ma  critique.  Buona  sera, 
cfo-fssimo. 


MADAME     nÉPINAY 


Avant  que  de  vous  répondre,  il  faut  continuer  la 
feuille  des  spectacles.  Les  comédiens  français  ont  donné, 
à  leur  sixième  représentation, fps  Menechmes  t.  Cette  soi- 
rée s'est  rencontrée  avec  la  première  représentation  du 


1.  Coméilie  rie  Rei;nard  en  cinq  a 


ç)tzsci!,Googlc 


ITO  LETTREES  DE  GALIANI 

nouvel  opéra;  ainsi  la  chambrée  était  peu  nombreuse, 
et  composée  presque  entièrement  de  Français  ou  d'é- 
trangers. La  pièce  fut  applaudie  extrSmement,  et  c'est 
de  toutes  les  comédies  celle  qui,  après  ie  Père  de  fa- 
mille, a  eu  le  plus  de  succès,  quoique  malheureuse- 
ment les  deux  jumeaux  ne  se  ressemblassent  point  du 
tout.  Pour  petite  pièce  leProcureur  arbitre  ';  mau- 
vaise pièce,  et  jugée  comme  telle. 

A  la  septième  représentation,  Alxire,  pièce  célèbre  de 
Voltaire,  qui  n'eut  point  de  succès.  Il  est  vrai  que  le 
rAle  d'Alzire  était  joué  assez  mal,  mais  assurément  ce 
n'était  pas  tout  à  Tait  ce  défaut  qui  la  ât  tomber.  Je 
quitte  mes  Napolitains,  et  je  dirai  sur  Àlzire  mon  avis. 
C'est  la  première  fois  que  je  me  suis  aperçu  que  c'est 
une  bien  mauvaise  pièce,  quoique,  sans  contredit, 
ce  soit  une  des  poésies  de  M.  de  Voltaire  écrite  avec 
le  plus  d'esprit,  d'élégance, -de  brillant;  mais,  comme 
pièce,  elle  ne  vaut  pas  le  diable.  Gusman,  qu'on  de- 
vrait détester,  est  un  homme  qui  a  l'ait  tout  plein  de 
bonnes  oeuvres  dans  sa  vie,  et  meurt  comme  un  saiol. 
Respectueux  pour  son  père,  daignant  aimer  Alzire,  il 
accorde  autant  de  pardons  au  prisonnier  qu'on  lui  en 
demande,  et  de  bonne  grâce;  d'ailleurs  brave,  cou- 


1.  Le  Procureur  arbitre,  par  Philippe  Poisson,  comédie  en  un 
ict«.  en  vers,  représentée  pour  U  première  fois  au  Théâlre- 
Franfals,  le  2S  lévrier  1T2H. 


'D.nt.zedbïG00g[c 


LETTRES  DE  GALIANI  171 

rageux  et  di^e  de  son  père.  Zamore,  qu'on  devrait 
aimer,  est  un  forcené  assassin;  mais  d'ailleurs  il  dis- 
serte fort  bien  sur  le  mépris  des  richesses  et  sur  les 
intérêts  de  VEurope  mal  entendus.  Honteze,  ni  Amé- 
ricain, ni  Espagnol,  ni  sauvage,  ni  chrétien  ;  on  ne 
sait  ce  que  c'est,  si  ce  n'est  un  imbécile.  Alvarez,  faible 
et  pleureur,  n'a  rien,  ni  du  courage,  ni  de  la  fierté 
castillane,  fonds  de  caractère  qu'il  aurait  fallu  lui 
conserver.  Après  l'assassinat  de  son  fils,  il  est  dégoû- 
tant :  c'est  un  égoïsme  impardonnable  de  voir  en 
Zamore,  plus  le  sauveur  de  sa  vie,  que  l'assassin  de 
son  fils.  Il  valait  bien  mieux  pardonner  à  son  assassin, 
qui  aurait  sauvé  la  vie  à  son  fils.  Pour  Alzire,  on  ne 
saurait  lui  contester  d'être  une  des  meilleures  théolo- 
giennes de  son  siècle:  elle  disserte  sur  la  religion,  le 
suicide,  le  sacrement  du  mariage,  mieux  que  Sanchez 
et  saint  Thomas  ;  mais  son  rôle  est  si  hors  de  nature 
et  de  vraisemblance  dans  une  Indienne  de  seize  ans, 
qu'il  en  est  impossible  à  jouer  hors  de  Paris,  où  l'idée  de 
la  nature  est  souvent  elfacée  tout  à  fait  dans  le  sexe 
fémiain.  Ceci  est  mon  sentiment,  et  pas  celui  de  mes 
compatriotes,  qui  n'en  savent  pas  si  long  que  moi  là- 
dessus.  Pour  petite  pièce  Zéniide,  qui  tut  sifilée, 

A  la  huitième  représentation  le  Misanthrope,  qui  eut 
beaucoup  d'applaudissements,  quoique  tout  le  monde  n'y 
trouvât  rien  de  nouveau,  parce  que  Molière  a  tant  été 
pillé,  volé,  imité  par  nos  comédiens  italiens,  qu'il  en 


jbïGoogIc 


172  I.ETTHES   DE   f.ALIAM 

est  devenu  usé  à  nos  oreilles.  Pour  petite  pièce,  FÊ- 

preuve  de  Marivaux  :  succès  médiocre. 

A  la  neuvième  représentation,  le  Dépit  amoureux 
de  Molière, quiplutbeaucoup.  Ënsuite/aPtirtie  de  c/iosk 
d'Henri  IV  ^.  Cette  pièce  a  eu  untr^s  grand  succès;  mais 
les  deux  derniers  actes  étant  la  même  chose  tout  à  fait 
que  le  Roi  et  le  Fermier,  je  trouve,  moi,  Sedaine  bien 
supérieur  à  Collé.  De  grùce,  des  deux  pièces,  faites- 
en  faire  un  distillé;  et  ce  sera  un  des  morceaux  tes 
plus  jolis  qu'ait  le  théâtre  français. 

Ce  soir,  pour  dixième  représentation,  on  a  donné 
Adélaïde  du  Guesdin  ',  dont  le  succès  a  surpassé 
même  celui  de  Zaïre;  Je  doute  qu'ils  en  puissent 
donner  aucune  qui  l'ét^ale.  Il  faut  avouer  qu'elle  a  été 
jouée  supérieurement,  et,  sans  contredit,  mieux  que 
vous  n'aveï  pu  la  voir  jouer  à  Paris.  Il  y  a  dans  la 
troupe  un  M.  Busset.à  mon  gré,  supcrieurà  LeKainl 
Aufresnc  jouait  le  rôle  du  sire  de  Couci  ;  et  nous  avons 
une  actrice  de  seize  ans,  appelée  mademoiselle  Teissier 
qui  est  tout  à  fait  intéressante.  Cependant  cette  pièce 


1 .  Comédie  en  Iroia  ni'les,  en  (irose,  de  Collé,  lecteur  du  due 
d'Orléaus.  I.'auLeur  a  pui»Ë  Ih  fond  de  cet  ouvrage  dans  une 
pièce  anglehe,  la  uu^mc  donl  Sedaine  »  tiré  le  Hoi  et  le  F&mtitr. 

2.  Tragédie  de  Voltaire,  représentée  pour  la  [ircmière  fois  en 
1734;  rlle  n'eut  pnii  d?  lïticcvA.  Voltaire  la  ri'mania  et  la  lit 
jouer  en  1753  sous  le  nom  de  Ditr  de  Fokr.  Elle  Tut  reprise  en 
1765  avec  grand  succès;  l'aiileur  en  avait  rendu  la  marche  plus 
rapide  et  l'intérêt  pins  pre'snnt. 


jbïGooglc 


LETTRES  DE  OALfANI  173 

est  belle  et  très  belle  par  elle-même;  j'en  ai  élé  ravi, 
enchanté,  enthousiasmé  ;  et  je  parierais  qu'elle  sera 
une  des  pièces  de  Voltaire  qui  se  soutieodra  le  plus 
au  théâtre.  Pour  petite  pière,  on  a  donné  l'Oracle*, 
qui  a  été  sifflé  comme  Zénéide,  ni  plus  ni  moins: 
et  toutes  les  pièces  sentimentales  le  seront  de  même. 
J'en  suis  fâché  pour  M.  de  Sainte-Foix  ;  mais,  c'est  que 
si  le  bon  goût  français  peut  passer  aux  autres  nations, 
le  bon  ton  n'y  passera  jamais  ;  c'est  une  maladie  tout 
&  fait  parisienne,  comme  la  Plica  aux.  Polonais. 

Cependant,  pour  un  philosophe,  cet  événement 
d'une  troupe  de  comédiens  français  à  Naples  offre 
des  réflexions  bien  singulières  et  bien  profondes.  Ils 
ont  eu  un  succès  qui  m'a  étonné.  Jamais  je  n'ai  vu 
moins  de  contradicteurs  et  de  railleurs  sur  aucune 
chose  comme  sur  ce  nouveau  spectacle.  Il  n'y  a  qu'un 
parti  et  une  voix.  Si  vous  voyiez  notre  théâtre,  il  vous 
offrirait  un  speclacle  très  risible;  vous  verriez  une 
école  d'enfanis.  Tout  lemoude  a  sou  livre  devant  les 
yeux,  tfite  baissée,  sans  détourner  jamais  les  yeux  pour 
voir  la  scène  ;  ils  paraissent  contents  d'apprendre  à  lire 
le  français.  Cet  événement  a  plus  fait  en  politique  que 
tous  les  pactes  de  famille.  En  morale,  il  faut  le  regarder 
comme  une  mission   que  le  père  général   Voltaire  a 

t.  L'OrocU,  de  Poullein  de  SaiDtC'Foix,  comédie  en  un  arle, 
en  prose,  représeolée  pour  la  ptcmiére  foi»  bu  Théàire- 
Praufais,  le  31  mars  1740. 


jbïGoogIc 


174  LETTRES  DE  GALIANI 

eavoyée  de  gens  de  son  Ordre  pour  convertir  une  nation , 
et  y  planter  l'étendard  de  sa  croyance.  Les  vers  de  Vol- 
taire amèneront  à  la  prose,  et  c'est  où  il  les  attend.  Je 
répondrai  à  votre  lettre  un  autre  soir. 


J'interromps  la  gazette  de  nos  spectacles  français, 
pour  répondre  à  voire  triste  et  lamentable  lettre  du 
^  janvier,  qui  m'a  jeté  dans  la  désolation.  J'étais  si 
sûr  de  pouvoir  disposer  de  l'argent  de  Merlin,  dans  le 
mois  prochain  '.  Si  vous  saviez  la  bonne  œuvre  que  je 
dois  faire  à  Paris  !  Devineriez-vous  que  c'est  à  une  ma- 
dame Calas,  veuve  d'un  lils  de  l'infortuné  Calas,  que 
je  dois  payer  cet  argent  <  î  £q  vérité  le  c<Bur  me  saigne 
de  ne  pouvoir  pas  le  faire.  Hais,  si  vous  voulez,  je 
compte  que  vous  réussirez.  Parlez  à  H.  de  Sartine,  dt> 


i.  Caias,  uégociuDt  de  TuuIuum;,  élail  morl  sur  la  roue,  accu» 
d'avoir  assussiDé  sou  ûlg  pour  l'empâcher  de  se  faire  catholique. 
L'arrél  du  Vartemunt  de  Toulouse  fut  cmw  et 
Ualaa  réhabilitée. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIÀNI  175 

ma  part  ;  je  lui  ferai  écrire  par  Je  baron  de  BreteuU  '  ; 
je  lui  écrirai  aussi.  Si  H.  de  Sartiae  parle,  à  Merlin, 
pourra-t-OD  le  refuser?  On  a  des  sauf-conduits  contre 
les  menaces,  on  n'en  a  pas  contre  les  prières.  Un  lieu- 
tenant de  police  peut  tant  faire  de  bien  et  de  mal  à 
un  libraire!  II  s'agit  d'une  bagatelle  pour  solde.  J'ai  &t- 
teudu  trots  ans.  Ëntin  ce  n'est  pas  assurément  mon  ou- 
vrage qui  a  ruiné  le  libraire.  Faut-it  qu'un  bon  auteur 
paye  le  dommage  d'un  économiste  ennuyeux  de  grand 
cbemin,  désolateur des  libraires?  Si  H.  de  Sartine  veut 
en  dire  un  mot  à  Merlin,  et  l'assurer  qu'il  aurait  grand 
plaisir  que  je  fusse  soldé,  je  le  serai  sans  faute.  Je  vois 
que  Merlin  coutinue  dans  le  commerce  ;  qu'il  peut  en- 
core acheter  des  manuscrits  ;  it  peut  donc  me  payer  ? 
Il  ne  le  doit  pas,  parce  qu'il  a  un  sauf-conduit,  je  l'en- 
tends bien;  mais  si  on  l'eu  priait?  Enfin,  donnez-moi 
l'beureuse  nouvellu  que  j'ai  dix  ou  douze  louis  à  moi, 
dans  Paris,  dont  je  puis  disposer.  Assurez  M.  de  Sar- 
tine que  je  suis  bien  plus  rigoureux  ici  à  forcer  mes 
Napolitains  ù  payer  ce  qu'ils  doivent  à  des  Français; 
M.  l'ambassadeur  me  rendra  ce  témoignage. 

Le  prince  Pignatelli  est  arrivé  hier.  Il  ne  m'a  pas 
encore  remis  voire  lettre. 

Ce  n'est  pas  parla  poste  que  je  souhaite  d'avoir  l'ou- 


.  Il  venait  de  nmiiUcer  &t.  de  la  Vaiipalière  comme  ambas- 
leur  k  Kaples. 


jbïGoogIc 


176  •       LETTRES   DE   GALIANI 

vrage  de  H.  Thomas;  le  jeu  ne  vaudrait  pas  la  chan- 
delle. 

Je  vais  trouver  le  prince  Pignatelli  chez  lui,  pour 
qu'il  me  parle  de  vous.  Ainsi  je  vous  quitte;  adieu. 
Merlin,  Sartine,  douze  louis,  prières,  instances,  souve- 
nez-vous de  tout  cela;  ne  l'oubliez  pas. 

Pourquoi  lit-on  dans  certaines  gazettes  que  jnadarae 
d'Htdbach  est  séparée  de  son  mari? 


NapJub,  IT  fevrier  t17i. 

Le  prince  Pignatelli  est  arrivé  et  m'a  remis  le  nu- 
méro que  vous  lui  aviez  donné.  J'avais  cru  jusqu'à  cette 
Leure  qu'une  femme  ne  pouvait  donner  l'extrême  mar- 
que de  tendresse  et  d'amitié  à  un  homme  qu'à  bout 
portant;  mais  vous  avez  trouvé  le  moyen  de  la  donner 
à  deux  cents  lieues.  C'est  une  découverte  incroyable. 
J'y  ai  trouvé  pourtant  cette  difTérence qu'au  lieu  d'être 
gaie  et  réjouissanle,  elle  m'a  chagriné  et  affecté  vive- 
ment. Je  ne  crains  rien  pourtant  de  tout  ce  que  vous 
craignez;  mais  je  r^rains  ce  que  ni  vous  ni  moi  ne  sa- 


jbïGooglc 


LETTRES  DE  6ALUNI  ITT 

voDE  pas,  c'es^4-dtre  tous  les  évtoemenls  imprévus 
de  la  vie.  Il  y  en  a  mille;  il  parait  que  le  sort  s'amuse 
à  les  ci'éer,  à  les  faire  sortir  de  sous  terre,  et  on  jure- 
rait que  le  bon  Dieu  n'a  d'autre  amusement  que  ceci, 
fort  incommode  à  la  vérité,  et  très  mal  à  propos  ;  mais 
c'est  son  goût,  son  plaisir,  qu'y  faire  ?  U  est  un 
enfant  gAlé  qui  touche  à  tout,  et  casse  bi«i  souvent 
tout  ce  qu'il  toDche.  Or,  un  peu  de  préparation  contre 
le  malheur  de  cet  enTant  Indocile,  qui  est  dans  ta  maison 
de  ce  bas-monde  et  qu'on  appelle  le  sort,  ne  serait  pas 
mauvaise.  Hais,  si  vous  n'avez  pas  la  force  de  l'avoir, 
passez-TOUS^n  ;  car  c'est  bien  fou  de  se  tourmenter 
d'avance  pour  s'accoutumer  à  ne  pas  souifrir  des  tour- 
ments; c'est  le  secret  de  Jean  Nivelle  qui  se  cachait 
dans  l'eau,  crainte  de  la  pluie. 

Le  prince  PignatelH  me  parie  do  vous;  mais  moins 
que  ne  m'en  aurait  parlé  son  frère  Hora.  Voilà  un  des 
principaux  articles  par  lesquels  il  doit  céder  à  son  frère 
dans  ma  tète  et  mon  cceur.  En  revanche,  j'ai  ici  M.  de 
Saussure  '  avec  sa  femme,  sa  fille  et  un  ami  *  à  lui,  qui 
me  parlent  souvent  de  vous. 


1.  M.  deStiiMure  (IT40-n99],  iialuralisle  et  physicien  célèbre, 
babitail  Génère;  Il  parcoarail  eu  ce  moment  l'IUlic  arec  a. 
remmeeiM&lle.  H.  etmadamedeSauMiireaviienlforlbien accueilli 
madame  d'SpInay  à  Genève.  Dans  un  yojttga  qu'ils  firent  i  Paris, 
ils  la  Tirent  fréquemment  et  rencontrèrent  l'abbé  Galiani  cliez 
elle.  C'est  ainsi  qu'iis  a'étalent  trouvés  en  relations. 

È.  H.  Turretini,  de  Genève. 

t(  11 


jbïGoogIc 


176  LETTRES  DE  GALUNI 

J'alea  un  plaisir  infiDi  du  triomphe  de  H.  de  Sartine 
à  la  foire  Sainl-Oermain  '  ;  j'ai  la  TOtre  lettre  h  M.  de  Bre- 
leuil  qui  ignorait  l'aTenture,  et  en  a  été  enchanté.  Mais 
H.  de  Sartine  serait  encore  plus  admirable  et  supérieur 
h  lui-même,  s'il  ffle  faisait  solder  par  Merlin.  S'il  le  veut, 
il  le  peut.  Qui  oserait  le  refuser?  Heriin  serait  lapidé, 
si  on  laissait  transpirer  dans  le  pnblîc  son  refus  fait  à 
rhomme,  oui,  l'homme  par  excellence.  Je  vous  continue 
la  fmiille  des  spectacles,  puisqu'elle  vous  fait  plaisir. 
Aimez-moi,  je  suis  toujours  le  Vôtre. 


Gaaelte  dct  spectacles. 
(Suite  de  la  letlre  ilu  ¥i  février  IT73,) 

A  la  onzième  rcpréseniatiou,  on  donna  leGlorieux  '. 
Je  ne  pus  pas  y  aller  le  soir,  mais  je  sais  que  la  pièce 
eut  un  succès  très    médiocre,    ëq  général   les  pièces 


i.H.  de  Sartine  l'étiit  admirablement  conduit  Ion  de  l'in- 
cendie de  l'HAlel-Oieu  et  le  peuple  le  regui  avec  acclamaiiong  le 
jour  où  il  se  rendit,  après  cM  Arénenwt,  i  It  foire  Balul- 
iiermalD. 

2.  Par  Néricault  Deatoaches.  Cet  auteur  vivait  dans  sa  terre 
et  ;  faisait  ses  pièces.  Il  les  apportait  h  Paris  et  s'en  allait  la 
veille  de  la  première  représentation.  La  préface  du  Glorieux  èlalt 
d'un  ton  un  peu  avantageai.  Voltaire  écrivit i  ce  propos: 

HttiCBUlt  dans  >a  comMic 
Uolt  atotr  pelnl  J<  (îlartHis; 
Four  moi,  je  crois,  quoi  <]u'it  on  dio. 
One  aa  fTtfaat  le  paint  luleux. 


jbïGoogIc 


LETTKES  DC  GàLIlM  179 

qui  ne  sout  que  bieu  écrites  ont  eu  peu  de  succès  à 
Naples  ;  il  n'y  a  eu  que  celles  qui  sont  bien  et  vive- 
meat  dialoguées,  et,  encore  plus,  celles  qui  sont  bien 
conduites  dans  l'intrigue,  qui  aient  eu  un  grand  eilet. 
Pouf  petite  pièce,  on  donna  ce  Pygmalion  <  avec  sa 
statue,  moitié  prose,  moitié  musique,  monstre  du  gé- 
nie de  Roosseau.  Cette  nouveauté  partagea  les  avis.  Il 
y  en  eut  qui  lurent  extrêmement  frappés  de  la  statue, 
parce  que  c'est,  en  vérité,  une  mademoiselle  Tewier 
qui,  sans  être  belle,  est  fort  intéressante  par  sa  figure. 
Le  reste  s'ennuya. 

Douzième  représentation  :  l'Enfant  Prodigue  *.  Elle 
tomba  à  [riat.  Ah  !  la  mauvaise  pièce,  à  mou  avis  I  Les 
trois  premiers  actes,  beaux,  amènent  des  dénouements 
si  forcés,  ai  bas,  si  invraisemblablee,  hors  do  nature, 
et  tout  à  fait  ignobles,  par-dessus  le  marché.  Pour 
petite  pièce,  la  Jeune  Indienne  ',  pièce  encore  plus  dé- 
testable. C'est  de  l'esprit,  du  sublimé  d'esprit  corrosir. 
Cest  une  pièce  écwiomisUque,  qui  suppose  un  monde 


1.  Pygmaiioa,  sefene  lyrique  de  J.-J.  Rousseau,  mise  en  vers 
libres  par  Benjuin,  représentés  pour  It  première  fols   k  Lyon 

sur  UD  Ihédtre  de  sociëté. 


3.  De  Cbarorort.  Le  sujet  est  tlti  du  SpKtateur  angtai».  L'au- 
lear  ne  s'est  pas  donné  la  peine  de  rien  ctunger.  Il  n';  a  pas 
I(  Boindr*  inta'igue,  pas  la  moindra  pérîpétie<  pas  la  moindre 
ralanle  du  tlié&tre. 


jbïGoogIc 


1811  LETTRES  DE  (i.lLUM 

idéal  ;  le  pays  de  l'évidence  où  les  hoiumes  sont  ver- 
tueux et  plats.  On  appelle  cela  uoe  pièce  bien  écrite. 
Dieu  me  préserve  donc  d'être  obligé  de  lire  des  choses 
aussi  bien  écrites. 

Treizième  représentation  :  Nanine  '.  Elle  vengea  l'En- 
fant l^odigiieM  répara  l'honneur  de  Voltaire.  La  cham- 
brée n*élaitpa3  belle  ce  soir-là.  Une  noce  d'un  grand 
seigneur,  arrivée  mal  à  propos,  détourna  bien  du 
monde.  Cependant  elle  fut  applaudie  à  tout  rompre. 
Mais  le  public  ne  laissa  pas  do  s'apercevoir,  autant 
dans  cette  pièce  que  dans  l'Enfant  Prodigue,  que 
Voltaire  est  trop  poète  pour  pouvoir  être  bon  auteur 
comique.  Sa  verve,  son  génie  l'emportent,  et  élèvent  son 
style  toujours  trop  haut,  malgré  qu'il  en  ait  de  ramper. 
Peut^tre  sou  langage  ressemble-t-il  à  son  style;  mais 
son  langage  (on  le  sait)  ne  ressemble  à  celui  de  per- 
sonne. 

Pour  petite  pièce  on  donna  Dupais  et  Desronais  *. 
Cette  pièce  charmante  l'ut  jouée  à  ravir,  et  applaudie 
beaucoup  ;  mais  malheureusement  le  bruit  était  fort 
grand  de  ceux  qui  étaient  obligés  de  la  quitter  (quoi- 
qu'à  regret),  pour  aller  à  cette  maudite  noce. 


1.  NaaiM  ou  le  Préjugé  vaincu,  comédie  en  troi«  acl«9,  en 
vers,  r^résealËe  pour  la  première  fol»  «ur  le  Tbéitre-PranïJiia,  le 
16  juilUl  lTt9. 

i.  Comédie  eo  irois  actes,  en  vers,  de  Collé,  repréwnlée 
pour  la  première  foiisur  le  Tbétlre-PnnfaU,  le  ITjioner  1163 


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LETTRES  DE  GALIANI  181 

Quatorzième  représentation  :  le  Philosophe  marié  ■. 
Cest,  de  toutes  les  pièces  comiques,  la  seule  qui  ait 
égalé  le  succès  du  Père  de  Famille.  Aufresne  joue  ce 
râle  d'une  façon  inconcevable  :  vous  n'avex  rien  vu 
d'^procbant  à  Paris.  Il  parvient  i  rendre,  non  seule- 
ment  vraisemblable,  mais  vraie  tout  6  fait,  cette  mau- 
vaise honte  sur  le  mariage,  qu'on  suppose  dani  le 
PhiloMphe,  et  qui  est  absolument  hors  de  nature. 

Pour  petite  pièce,  les  Trois  Frèrei  rivaux  *,  petite 
comédie  assez  froide.  Grâces  à  Dieti,  elle  n'eut  aucun 
succès. 

Quinzième  représentation  :  Mithridate  *.  Celte  pièce 
n'eut  pas  tout  le  succès  que  j'en  attendais,  quoique 
Aurresne  jou&t  ce  rAle  admirablement;  mais  nos  actrices 
n'étaient  pas  supérieures,  et  le  rfile  de  Xif^arèa  était 
faible.  Au  fond,  on  ne  dépayse  pas  les  chefs-d'œuvre 
d'une  langue;  on  peut  dépayser  les  chefs-d'œuvre 
du  génie.  Le  génie  est  universel  :  le  style  est  local. 
Pour  petite  pièce,  on  donna  le  Marchand-  d'tsclavex  à 
Smyme  *,  succès  complet.  C'est  une  charmante  baga- 
telle, tout  à  fait  gaie,  et  du  bon  ton  de  gaieté. 

1.  Comédie  en  troii  aciei,  en  ren,  de  Deitouehea,  reprËwnlée 
pour  It  première  foii  sur  le  Ttiéitre-Fraoçtla  le  15  février  1737. 

t.  Comidie  en  dd  «ele,  en  vers,  de  Lafont,  reprëwotée  pour  la 
pi«mlire  M»  aar  le  ThÉStre-Frantais,  Ye  4  toùl  1713. 

3.  Da  Racine,  représentée  pour  la  première  fol*  en  1673. 

t.  Petite  eomédie  en  un  acte,  en  proie,  de  ChamforI,  repré- 
sentée pour  )a  première  fols  en  17T0. 


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m  LETTRES  DE  Gjk.l,U!|I 

Seinàinfi  Fepréssnfatioq :  i'$cottme^.  Cette  pièce  fut 
bien  feiblpioent  jouée,  ^.e  r'Me  ctiarmant  de  Freeport 
fut  manqué'  La  publia  iiapolitaîn  n'eatendit  rien  à 
celiii  de  V-  Wasp,  parce  qu'on  Q'a  pa^  le  bonheur  ()p 
conpsitreM'  Fréron.  On  ne  p'intére^sa  qn'aiiY  4f}m 
derniers  actes.  D'ailleurs  cette  pièce»  pn  «i  grand  t^e-r 
SQin  i)f)  changements  d^  scèpe,  que  si  l'on  ne  p]^(% 
quelques  scènes  dam  la  salle  «]»  café,  et  d'av^es  dfins 
les  chambres  retirées  de  Cécile,  elle  deyient  d'une  ip- 
Yraisemhlance  monstrueuse  et  dégoûtante,  parce  qpe 
tout  tient  à  cela.  Pour  petite  pièce,  on  donna  le  fran- 
çais à  Londres  '  qui  fnt  très  applaudi)  ^^  q*''  '^  '^^ 
rite  à  tous  égards.  C'est  k  mon  ayis  ^n  ouvrage  d'un 
goût  fin.  un  vrai  rnodèle  de  l'écple  de  corpeptipn  pu- 
blique qu'on  pent  employer  d&Qs  le  théâtre,  sans  (lé- 


1.  LtCafêou  l'EcoMOÙe, comédie  en  cinqaclea,  en  prose, Induite 
de  ranglals,  de  H.  Hume,  par  JérAme  Carré  (VolUire),  17641, in-t3. 
\m  nom  de  Fralon,  sods  lequel  il  avait  voulu  désiinier  Fréron, 
canlre  qui  la  pièce  élail  dirigée.  Voltaire  substitua,  lors  do  la 
reptéwDtatJnn,  le  nom  Wasp  (guëjte,  en  anglais-)  fiéroa  fssittt 
à  la. première  ■«(irésenmtiort;  Use  vengea  parla  Rtlation  d'wf 
grande  Bataille,  où  il  déploya  plus  d  esprit  et  de  verve  que  jamais. 
VolUire  écrivait  à  madame  du  DelTand  en  ta  raillaut  sur  son 
t^dt  pour  lei  feuilles  de  Fréron  :  (On  dit  que  l'Éeotsaite.  en 
automne,  amène  la  eliute  des  feuilles.!  Le  mot  était  jpli,  mai* 
il  n'Était  paa  d'un  propbètB>  JamiU  1rs  feuilles  <|e  frérqq  ne  tprent 
jAtt»  lues. 

'i.  Le  Fronçait  à  Londre$,  comédie  en  un  acte,  en  prOM,  de 
Louis  de  Soiuj',  représentÉe  poiir  la  pMmlère  fojg  nii  le  ThUlre- 
FrancBts,  le  3  juUlet  1717. 


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LBTTItES  D|I  flAI-UVI  1B3 

passer  les  bornes  étroites  de  la  triste  pesanteur  ou  4e 
la  procapi(é  insultonte. 

piv«eptième  r^préseotatipii  :  le  Miçhant  '.  Pièce 
qu'on  n'entendit  point  du  tout,  parce  qu'elle  fl'^t  qH^ 
parlée  :  rien  ne  s'y  fait.  Pour  petite  pièce,  FEpreuve 
réciproque  *  qui  ne  fit  pas  beaucoup  rire.  Ainsi,  au 
fond,  ce  fut  une  aussi  mauvaise  soiréeque  celle  du  12, 
mais  plus  nombreuse. 

Dii-buitième  représentation  :  les  Deucc  Amis  *. 
Charmante  pièce,  superfoe  pièce,  pour  quiconque  entend  - 
le  commerce,  son  langage  et  les  mceurs  des  Français. 
Elle  me  fit  un  plaisir  infini  ;  mais  le  public  en  général 
souffrait  de  ne  pas  pouvoir  entendre  ce  que  c'est  qu'un 
fermier  général  dam  sa  tournée,  et  ce  que  signifiaient 
le  boa,  les  ordres,  la  intérêts,  les  affaires  de  la  compagnie. 
Cependant  elle  eut  beaucoup  de  succès,  et  surtout 
te  râle  très  petit,  mais  charmant,  d'un  domestique  ni- 
gaud, servo  sciorco.  C'est  le  seul  bon  qui  ait  jamais  été 


1.  Le  Méchant,  comédie  en  ciaq  acles,  eo  ven,  de  Gresseï, 
reprÉ«iitée  pour  la  première  fois  tar  le  Théllre-Vrançais  le  t6 
■«Til  n«, 

i.  L'Épreuve  réciproque,  comédie  en  on  acte,  en  prose,  par 
R.  4'*in,  r^préteqtée  poiir  |a  première  foli  sur  le  Thé^tre-Françatt 
le  8  octobre  17tl.  Beeuchninps  dit  qu'il  a  connu  l'tuleur  Robert 
Alain,  Mllier-carroailer,  mort  de  la  poitrine  t  trente-qualre  ans. 
MM.  de  Soleicne  et  Paul  Lacroix  établissent,  au  contraire,  qu'elle 
est  d^  Lesage,  qui  s'appelait  René  Alain. 

3.  praniten  cip<|aclee,eo  proïp,  de  Çeaitinp^iliia  ;  représenté 
pour  la  première  roii  sur  le  TbéAlre-FraBea)s  en  177(1. 


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184  LSTTRES  DE  QALIAM 

fait  dans  toutes  les   pièces   que  j'ai  vues  et    lues. 
Petite  pièce:  la  Pupille  '.  Elle   plut  à  nos  daines 
qui  commencent  à  entendre  finesse  aux  déclarations 
controuvées. 


A     MARAMT     lï'ÉPINAY 


Ha  belle  dame, 

Point  de  lettre  de  vous  celle  semaine.  Cela  me  fâche 
et  m'inquiète  un  petit  peu.  Je  n'ai  pas  le  temps  de  vous 
continuer  la  gazette  des  spnctaclus  :  mais,  n'en  doutez 
pas,  je  l'achèverai. 

Je  vous  écris  seulement  pour  vous  dire  qu'ayant  l'oc- 
casion des  valets  do  chambre  de  feu  M.  deSersaie,  qui 
partent  aujourd'hui  d'ici,  et  qui,  dans  quarante  jours, 
seront  rendus  à  Paris,  je  vous  envoie  deux  morceaux 
de  musique.  Vous  m'aviez  demandé  des  airs  de  notre 
grand  opéra  fait  dans  l'année.  Nous  avons  eu  des  piè- 

1.  La  PupiUe,  comédie  «n  un  «cle,  en  pnwe ,  p«r  Figan 
de  Lngnj,  réprimée  pour  la  première  fois  Mit  le  Théâtre- 
FranciU,  le  5  juia  1734. 


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LETTRES  DR  CALUNI  IBS 

ces  si  détestables,  qu'il  n'y  avait,  à  mon  avis,  rien  à 
vous  envoyer.  En  revanche,  nous  avons  eu  tous  les 
opéras  bouffons  oxcellents  ;  c'est-à-dire  deux  de  Pio- 
dni  et  deux  de  Paisiello  ■ .  Ceux  de  ce  second  <mt 
été  même  supérieurs  à  l'autre,  qui  conimence  à  vieil- 
lir. Il  n'y  avait  pas  moyen  de  vous  envoyer  rien  de 
Paisiello  :  car  c'est  trop  napolitain.  Je  vous  envoie 
donc  un  air  de  Piccini,  qui  aurait  pu  autant  être 
placé  dans  un  opéra  sérieux  que  dans  un  bouffon.  C'est 
à  mon  nvis  un  des  plus  agréables  morceaux  de  musique 
que  j'iiic  jamais  ciitendus  de  ma  vie;  mais  il  faut 
l'entendre  avec  tous  les  instruments  comme  l'auteur  l'a 
composé,  sans  en  laisser  aucun.  Régalet-vous  de  ce 
plaisir;  et,  si  vous  le  pouvez,  régalez-en  le  public  au 
concert  spirituel  *.  le  vous  envoie  ensuite  un  autre  air 
du  même  opéra  de  Piccini,  et  ce  qui  vous  étonnera, 
c'est  un  air  en  paroles  françaises,  un  peu  estropiées  à 
la  vérité.  L'intrigue  porte  que  Scapin,  pour  tromper 
un  vieux  jaloux,  s'introduit  dans  la  maison  comme  un 
seigneur  étranger  qui  voyage  pour  sa  santé.  11  paye 
fort  cher  le  logement;  mais  il  dit  qu'il  ne  saurait 
ouffrir  ta  vue  d'une  femme,  encore  moins  l'odeur, 

t.  Célèbre  compooJleur,  né  ï  Tarenle  le  9  mai  1711,  mort  à 
Naples  en  IBIS. 

3.  C'étaient  de*  concert»  qui  se  donnaient  aui  Tultertes  pen- 
dint  les  Ttcancea  de*  spectacles.  On  j  nécutail  des  moleU  avec 
ehnnr  et  orcbestre  et  de»  sjmphonlei.  Ton»  les  btblles  madciens 
étrangers  qui  paisolent  à  Pari»  se  hiaiiententendredans  ce  concert. 


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m  LSTTItf  s  DB  GALUNI 

s^ns  se  troQTÇT  mq).  Ed  présence  du  jaloux,  sa  maî- 
tresse arriye,  et  il  fait  semblant  (Je  s'éyanonir,  puis  il 
se  relève,  crjp  a\i  meurtro,  à  rassassjnat  et  tD^nace  le 
vieux  jaloiis  qui  6e  sa^ve,  et  il  a  la  temp^  d'ar^nger 
sa  fuite  avep  sa  maîtresse.  Cet  air  est  très  begif  aussi; 
mai$  Il  faiit  rqf,tioi)  qui  raccompagne. 


Napleg.  17  murs  ITII. 

L'aopien  ambfissadeur  de  Venise  m'a  fait  parvenir 
vofre  n"  a  que  vous  lui  aviez  remis  poi|r  ip'épargner 
]es  frais  de  la  poste-  J'ai  lu  avec  i^n  b'ès  grand  plaisir 
1^  dithyrambe  des  Eleulliéromaoes  '.  Afais  une  aulro 
fois  je  vous  en  dirai  mon  avis.  Je  n'ai  p^s  le  tefnps  à 
présent  de  vous  écrire  une  longue  lettre.  J'ai  sur  mes 
bras  et  sur  mon  sein  le  prince  Pignatelli  et  le  général 
Sctipnvaloff  *  qui  me  prennent  toi|t  mon  temps,  et 
je  ne  suis  pas  fâché  de  le  consacrer  à  deux  personnes 

1.  PJËce  de  vers  de  Diderot,  très  coDoue. 

S.  Le  comle  SchouvalolT  était  ambasMdeur  de  Russie  i  Paris, 
aprËs  avoir  élé  conseiller  Intime  et  l'un  des  favoris  de  l'impérs- 
Irice  Elisabeth;  on  croit  même  que  U  Çisrine  l'aval;  secrètement 


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L^TTItESDEOALUNI  187 

qtli  YQu;  pc>qiiat9sei|(i  (fui  tous  ^im^nd  et  a.\fc  lei- 
qil^Uea  je  cause  souvent  de  vpus. 

Tout  ce  que  vous  me  mandez  de  Uerlin  me  désole. 
I)  Tpe  p^t  ijpppssitile  que  Bf.  de  Sartine  ne  puisse 
pas  obtenir  peplaisjr  d'un  liÎTaipe.  Pe  gfâce,  pariei-Iuj 
epcore  po^^  pe  fsi^  plaisir  et  mand^-moi  ce  que 
cet  hqiqqap  inoomparablQ  tous  aura  répondu  pour 
être  n^ndé  au  meilleur  de  ses  amis,  a|i  plus  ^rand  de 
s^  ^dmjr^ïeuss. 

Je  ^e  sais  paq  si  je  vous  ai  mandé  que  les  anciens 
domestiques  de  H.  de  Sersale,  qui  se  sont  chai^  de 
dem  airs  pour  yoiis,  jrQjït  loger  dans  la  ri(e  Gaillon, 
assez  près  de  yous.  Cependant  i|s  m'ont  promis  qu'ils 
vpus  le^  apporteraient  @iti-n)6mes. 

\j^  d^o  Cais^  dPîlF  je  TOUS  ai  parlé,  est  la  fempie 
du  fils  ç^ttioliqife  d^  cet  inrortuné  célèbre,  qui  n'a  pas 
paru  dans  le  procès,  et  qui  était  alors  à  Calais,  si  je  ne 
me  trompe,  et  qui  n'eot  aucune  part  à  l'infortune,  que 
celle  d'en  acquérir  de  la  célébrité. 

épouié.  Le  plus  bel  éloge  que  l'on  puisse  Taire  <lo  lui  est  quf, 
pendant  doute  aoi  de  faveur,  Il  ne  ae  Ol  pas  un  ennomi-  I)  su 
lroiiy«i(  un  jour  i  Paris  dans  une  sociélé  où  on  voulait  savoir 
quelques  traits  relalifs  à  ia  Rusale.  Le  bailli  de  Chabrillant  dit 
alors  :  '  41.  de  Sct^puyalolf,  dites-uoua  pel^  bislqire;  vous  ieyn 
la  MTOir,  roua  qui  étiez  la  Pompadonr  de  ce  pijs-là.  »  Walpole, 
qui  le  reocoDira  t  Paris  en  1765,  écrivait  au  comlp  d'Hertlbrd  : 
c  Je  «Dis  conipl^te^eqt  transport^  avpc  Sc|io<1'Slp'T;  je  D'il 
jamais  vu  un  homme  si  aimable t  Une  si  bonne  tenue,'  tant  de 
simplicité  et  de  modestie,  avec  bon  sens  ei  dignité I  Un  air 
de  qiélajiGoUe,  sutn  e|«d  da  bi>.  > 


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188  LETTRES  DE  GÂLIAH[ 

VouB  saurez  que  nous  avoas  ici  monsieur  et  madame 
de  Saussure,  dont  je  m'occupe  aussi,  parce  qu'ils 
me  parlent  de  vous. 

J'ai  vu  dernièrement  des  expériences  électritpies  qui 
m'ont  Tait  rêver  ',  et  il  m'a  passé  une  idée  par  la  Ute 
sur  laquelle  je  voudrais  que  tous  consultiez  Diderot  et 
le  baron,  de  ma  part.  L'électricité  est,  à  mon  avis,  l'in- 
flammation que  Von  cause  par  le  (h>ttement  d'une  ma- 
tière qui  est  dans  l'air,  tout  comme  par  le  frottemeot^ 
on  allume  du  bois,  etc.  :  or,  cette  matière  électrique 
des  physiciens  ne  scrail-ellc  pas  la  môme  chose  que 
l'acide  vitriolique  répandu  dans  toute  l'atmosphère,  et 
même  dans  toute  la  nature,  selon  les  chimistes? 

Je  voudrais  savoir  de  M.  Grimm  ce  qu'on  lui  a  mandé 
de  Russie  au  sujet  de  mon  inscription  pour  la  statue 
de  Pierre-le-Grand  ;  j'ai  la  plus  vive  impatience  d'en 
apprendre  quelque  chose.  ' 

Nous  avons  eu  un  spectacle  français  d'un  autre 
genre  ici.  Un  carme  déchaussé,  appelé  le  père  Césalre, 
compagnon  du  père  Elysée,  arrivé  depuis  peu,  a  pro- 
noncé hier,  dans  l'église  de  son  ordre,  un  sermon 
Trançais  à  la  réquisition  de  l'ambassadeur  de  France. 
L'auditoire  était  nombreux.  Tout  le  monde  en  a  été 
ennuyé,  et  personne  n'a  osé  le  dire,  tant  la  mode  de 
se  [daîre  à  la  langue  française  a  gagné  toutes  les  classes 

1.  Cei  expériences  «raient  lien  chez  le  efaeraliei  Rimilton. 


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LETTRES  DE  GÂLUNI  tS» 

depencHinfs.  Sondiscoarsétaitau  Tni  fort  besu;  nuis  il 
leprononçaîtfortmal.  Leplus  comique  était  «pie  l'audi- 
tion ^ttcompooée  moitié  d'hérétiques,  moitié  de  catho< 
liques,  car  même  les  consuls  d'Angleterre,  de  Suède,  de 
Danemark  et  des  personnes  qui  sont  (riïligées  par  leur 
caractère  d'avouer  leur  protestantisme,  y  étaient.  Tout 
ecci  ne  tous  fait-il  pas  rêver  beaucoup?  Pour  moi,  je 
ne  fais  qu'une  réflexion  ;  c'est  que  si  l'Europe  n'avait 
qu'une  langue,  il  n'y  aurait  plus  d'intolérance.  Quand 
les  hommes  se  ressemblent,  ib  s'aiment,  et  rien  ne  nous 
rend  plus  dissemblables  que  de  ne  nous  entendre  pas 
en  pariant.  Cest  la  différence  du  langage  qui  vraiment 
fait  varier  les  espèces.  Un  est  de  la  même  famille, 
lorsqu'on  s'entend  bien.  Vous  voyez  do  là  que  la  tolé- 
rance et  l'amour  des  hommes  ne  sauraient  parvenir  à 
être  universels  sur  toute  la  terre,  mais  ils  pourraient 
s'étendre  à  toute  l'Europe,  qui  n'est  ni  plus  grande  ni 
plus  peuplée  que  la  Chine. 

Si  Merlin  nous  donnait  des  livres,  même  cbcrs,  nous 
les  [vendrions,  sauf  à  y  perdre.  J'aime  mieux  vous 
devoir  deux  ou  trois  louis  que  douze  ou  quinze.  Bon 
soir.  J'ai  reçu  une  belle  lettre  de  Gleichen,  qui  m'a  fiait 
un  plaisir  infini. 

Je  ne  sais  pas  si  j'aurai  le  temps  de  lui  écrire  ce 
soir,  mais  Itsez-lui  une  vingtaine  de  mes  vieilles  lettres 
à  vous  ;  cela  vaudra  tout  autant. 


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LETTRES  DE  GALIAKI 


Naples.  a  avril  17II. 

Votre  lettre  me  désole.  Jamais  je  n'ai  mieux  senti 
le  tort  que  j'ai  de  vouloir  écrire  le  soir  fort  tard,  sans 
me  donner  la  peine  de  relire  des  lettres  dans  une  lan- 
gue sur  laquelle  je  commence  à  me  rouiller.  La  phrase 
que  TOUS  avez  remarquée  dans  celle  à  M.  Baudouin  * 
fait  une  équivoque  affreuse.  Moi,  je  vous  jure  que  ce 
voxts  était  pluriel  dans  ma  l£le,  et  tient  lieu  de  vous 
autres  Français.  Mon  idée  était  que  les  Napolitains  étant 
de  tout  t«mp3  nés  et  morts  bètes,  n'étaient  pas  en  élat 
de  faire  la  comparaison  ;  mais  les  Français  s'étant  de- 
puis peu  napolitanisés,  peuvent  bien  sentir  la  différence. 
Ainsi  donc  par  ces  présentes  lettres  de  jusston,  pre- 
mières et  dernières  de  notre  très  exprès  commandement, 
nous  vous  ordonnons  de  procéder  à  l'enregistrement 
de  ces  mots  dans  notre  susdite  lettre  au  sieur  Baudouin, 
notre  féal  :  C'est  à  vous  autres  Français  à  résovdre  le 
problème;  biffant,  rayant,  bàtonnant  tout  ce  qui  aura 

1,  Voir  la  lettre  t  M.  Baudouin  du  K  novembre  ÎTT3. 


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LETTRES  DE  61LIANI  191 

été  écrit  k  IX  contraire.  Ci  n'y  faites  faute,  car  tel  est 
no^  bon  plaisir. 

Je  vous  envoie  une  lettre  pour  le  baron  de  Gleichen, 
et  une  de  mon  valet  de  chambre  qui  l'intéresse  beau- 
coup, et  je  vous  prie  de  les  Eaire  parvenir  à  leur 
adresse.  SA  le  baron  est  parti,  vous  saures  où  il  est. 

Gardez  le  portrait  de  notre  cher  marquis  :  vous  me 
le  ferez  parvenir  soit  par  le  nonce  ou  d'autre  façon 
quelconque,  sans  qu'il  coure  risque  de  se  chiffonner. 

La  levée  du  siège  de  Fribourg  est  charmante.  C'est 
une  t(Aie  de  croire  aux  influences  de  l'air  ou  du  lait 
dans  les  enfants.  Mais  notre  faute  est  de  croire  que  les 
enfants  ne  sachent  rien  ou  presque  rien  avant  l'&ge  oîi 
ils  commencent  à  parler.  Point  du  tout  :  l'enfant  a  reçu 
le  plus  fort  de  l'éducation  avant  les  deux  ans  ;  mais 
comme  noua  ne  pouvons  pas  connaître  ce  qu'un  autre 
être  à  visage  humain  sait,  à  moins  qu'il  ne  nous  parie 
par  voii  ou  par  signes,  nous  croyons  que  les  enfants 
ne  savent  rien.  C'est  une  erreur  grossière.  Un  homme 
qui  serait  resté  un  an  à  Londres,  sans  apprendre  un 
seul  mot  de  leur  langue,  saurait  pourtant  infiniment 
de  choses  de  ce  pays  ',  les  rues,  les  maisons,   les 


1.  Ed  1767,  tidiaDi  fut  invité  à  Londres  chez  le  marquU  Ca- 
MCioIi,  ambassadeur  de  Naples  ;  après  uq  séjour  de  trots  semaines 
il  revint  1  pBt>i  eu  passant  par  la  Hollande  et  li  Belgique.  Il 
ne  fat  point  raTÎ  des  Anglais,  et  Hune  apprenant  la  fa^on  dont 
il  s'exprimait  sur  le  compte  de  ses  compatriotes,  écrit  ;  ■  L'abbé 
&  Naples;  il  fa,it  bien  de  quitter  Paris  avant 


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191  LETTRES  DE  GÀLIAM 

moeurs,  les  lois,  les  hommes,  les  charges,  le  système 
politique,  etc.  Ma  réflexioD  détruit,  je  le  vois,  tout  le 
système  d'Emile  et  des  autres  pédagogues  ;  mais  j'en 
conclus  qu'à  deux  aos  la  chose  est  faite  ;  les  [^is  des  vices 
et  des  vertus  sont  donnés.  Nous  n'aurons  donc  jamais 
de  grands  hommes,  si  nous  n'avons  de  grandes  nour- 
rices. Travaillons  donc  à  toute  force  sur  les  nourrices; 
je  vais  m'y  employer  de  mon  mieux. 

Je  n'ai  pas  le  temps  ce  soir  de  vous  en  écrire  davan- 
Ia([e.  Le  prince  Pignatelli  me  charge  de  mille  choses. 
Adieu.  Quand  j'en  aurai  le  loisir,  je  vous  achèverai  la 
gazette  dramatique. 


que  l'y  tille,  car  je  l'auraU  certainement  mis  t  mort  pour  tout 
le  mal  qu'il  a  dit  de  l'Auglelerre  :  m«H  il  eu  est  arrité  comme 
l'avait  prédit  son  ami  Caiiccioli  ;  il  diuit  que  l'abbÉ  resterait 
deux  mois  dans  ce  pays,  qu'il  n'y  aurait  t  parler  que  pour  lui, 
qu*lt  ne  permettrait  pas  ï  un  Anglais  de  placer  une  fyllabe  et 
qu'A  son  retour  II  donnerait  )e  caraclére  île  la  nation,  et  pendant 
tout  le  reste  de  sa  vie,  comme  ail  n'avait  étudié  que  cela.  ■> 


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LETTRES  DE  GA.LUNI 


A    H.     LE     BARON     DE     GLEICHEM 


Que  voua  êtes  aimable  d'avoir  songé  à  m'écrire,  et 
surtout  de  Ghanteloup  ;  mais  ne  serait-ce  pas  le  duc 

1.  Le  btioD  de  Gleichen  vint  en  Pnace  eo  1169  comme  entoyi 
du  mirgrare  de  Barellh,  puis  II  partit  poat  Madrid  comme  am- 
basiadeur  de  Danemark  ;  de  Madrid  il  rlat  à  Paris  occuper  les 
mêmes  foncllona  en  lemplafant  le  comte  de  Wedel  Prici.  On 
ÈBpérail  que  par  ton  crédit  personael  il  réunirait  t  obUnir  le 
payement  des  sommes  aiseï  considérables  que  le  Danemarli  ré- 
dsmatl  h  la  France;  grâce  ï  soa  Intimité  avec  les  Cboiaeul,  il 
Obtint  le  payement  de  .ilx  millions.  Hélé  i  toute  la  soctétÉ  litté- 
raire et  philosophique  de  l'époque,  Gieicheu  y  Tut  diversement 
apprécié  :  ■  Il  est  de  toutes  mea  conuBlssances ,  écrit  madame 
du  Deffand  à  Walpole,  celle  dont  je  fais  le  plus  d'usage.  Il  mb 
voit  sonvent  ;  son  esprit  n'est  pas  i  mon  unisson,  mais  11  eo  a  ;  son 
cœur  est  Imq.  Il  me  marque  du  goût  et  de  l'amitié.  Eh  bien  I  II 
est  rappelé;  j'en  suis  fâchée,  je  le  trouvais  ï  redire;  je  disputais 
avec  lui;  euflu,  il  valait  mieui  pour  moi  qu'aucun  des  gens  qui 
ne  restent;  il  est  franc,  il  est  sincère,  il  n'est  ni  Italien,  ni 
Gascon,  ni  Provençal.  >  Après  le  sé}onr  de  Christian  VU  i  Paris, 
Gleichen ,  qui  avait  déplu  au  comte  de  Hoilke,  favori  du  roi,  fut 
disgracié.  Ses  amia,  les  ChofsenI,  obtinrent  pour  lui  TamtMssade 
de  Naples,  mais  il  n'y  resta  que  peu  de  temps,  le  poste  fut 
supprimé  déa  l'arrivée  de  H.  d'Osten  aai  alhires.  (Voir  i 
l'appendice  XI,  comment  Galiaoi  racontait  i  Gleichen  le  miracle 
de  saint  Janrier.) 


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1«4  LBTTRES  DE  GÂLIANI 

liù-méme  qui  vous  y  aurait  fait  songer  T  Je  gagerais 
qu'il  TOUS  a  dit  :  Aves-vous  det  nouvelles  de  votre  petfl 
abbé?  On  dit  qu'il  s'ennuie  beaucoup  à  Naples.  J'en 
suis  fâché;  c'est  sa  faute:  il  avait  beaucoup  d'esprit, 
mais  pas  de  conduite;  il  n'était  pas  bon  pour  les  af- 
faires. Puis  il  aura  pirouetté  et  changé  de  discours  ' 
sans  vous  donner  le  temps  de  lui  répondre,  en  vous 
faisant  d'autres  questions.  J'en  demande  pardon  h 
M.  le  duc  :  mais  il  a  tort.  La  seule  faute  que  j'ai  com- 
mise, c'efit  celle  que  je  n'ai  pas  Ëiite,  de  naître  Napo- 
litain; tout  cooune  )a  meilleure  chose  qu'il  ait  feite, 
c'est  celle  qu'il  n'a  pas  faite,  de  naître  Français,  et 
du  nom  de  Choiseul.  Quelque  esprit  que  J'eusse 
mis,  Je  u'aurais  pu  rester  qu'un  an  de  plus' à 
Paris,  jusqu'à  la  mtnl  de   Castromonte  *  ;    ainsi  il 


1.  Choiseul  passait  pour  fort  l^er,  quoique  très  énergique.  U 
«vait  débuté  dans  la  carrière  diplomatique  par  une  singàlière 
aTenture.  C'était  à  Rone.  A  peine  arrivé,  Il  apprend  qu'on  a 
donné  au  cardinal  gouverneur  de  Rome  la  loge  que  les  anbaB* 
sadeun  de  France  avaieiit  auparavant  au  thëdtre  Alberli.  A 
la  première  représentatios,  sachant  que  le  gouverneur  vou- 
lait arriver  avec  une  eecorie,  l'ambassadeur  arme  ses  gens, 
s'installe  dans  la  loge  et  fait  dire  h  son  rival  que  s'il  ose  entrer 
il  le  fait  jeter  dans  le  parterre.  Tout  le  monde  fut  pétriSê;  le  pape 
cliarge  le  cardinal  Valenti  de  faire  une  mercuriale  i  l'ambassa- 
deur. Ce  prélat  lui  adresse  uneharangue  très  énergique.  Choiseul 
claque  des  doigts  presque  sous  son  nez,  el  lui  dit  :  c  Vous  vous 
moquée  de  moi,  Monseigneur,  Tolli  trop  de  bruit  pour  un  petit 
prestolet,  quand  il  s'agit  d'un  ambassadeur  de  France.  >  Enanîte 
il  St  Dne  pirouette  sur  le  talon  et  sortit. 

9,  Le  comte  de  Cantillana,  marquis  de  Castrom<Mite. 


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LETTRES  DE  GALIANI  195 

y  aurait  trois  ans  déjà  que  je  m'ennuierais,  au  lieu  qu'il 
y  en  a  quatre  :  cela  ne  valait  pas  la  peine  de  manqua 
à  mon  devoir. 

Vous  me  foites  un  tableau  vrai  de  Ghanteloup:  U 
prouve  à  quel  point  la  soumission  a  pu  s'établir  parmi 
les  peuples  pour  éteindre  toute  jalousie  dans  le  cœur 
du  souverain.  Tant  mieux  pour  les  peuples  et  les  sou- 
verains :  puisqu'il  faut  être  sujet,  il  vaut  mieux  l'être 
en  entier  *! 

Mon  état  ici  est  toujours  le  même.  Je  vis  avec  des 
connaissances  étrangères  que  j'attrape  au  vol.  Le  ré- 
sident a  obtenu  une  prolongation  de  séjour  ici  d'une 
année'.  11  a  enfin  le  souverain  bonheur  d'avoir  une 
afiaire  politique  ;  c'est  au  sujet  de  certaine  recrue 
albanaise  qu'il  réclame.  H  ne  se  changerait  pas  avec  le 
préaident  Jeannin  '. 

Voua  avez  su  la  tfratto  *  de  H.  Giraldi  pareil  à  celui 

1.  Le  duc  de  Choiseul  était  toujours  exilé  ï  Ghanteloup,  mais, 
de  ménie  qa'i  son  départ,  une  foule  ëDorme  rtrali  enorté, 
de  même,  pendant  son  eiil,  il  ne  cessa  de  recevoir  let  vUites  du 
plus  hauts  personaages.  ;Voir  l'appendica  X.)  H  conaerï» 
Urajoan  dm  grande  popularité .  On  avait  même  fait  dei  tabatIèrM 
où  il  jr  arait  d'un  câtë  le  husle  de  Sully  et  de  l'autre  celui  du 
duc  de  Choiaeul:  <  C'est  bien,  dît  Sophie  Arnould,  en  voyant 
une  de  cet  boltet,  on  «  mia  la  reeelte  et  la  dépense  eiuemble.i 

3.  Le  résident  de  VenUe  avec  lequel  Galiani,  Gleichen  et  le 
général  Koch  avaient  organisé  un  dîner  bebdomadaire. 

3.  Pierre  Jeannin  (1M0-1S32),  Bis  d'un  tannear  d'Aatun;  il 
devint  miniaire  de  Henri  IV^  il  est  resté  célèbre  par  ses  habiles 
négocialions. 

4;  ■  L'eiil.  ■ 


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1»6  LETTRES  DE  GA.LIi.NI 

de  H.  d'Ancarville,  et  pour  Ja  même  cause,  à  ce  qu'on  dit. 

Que  dit-oQ  à  Chanteloup  de  l'irrésolution  mortelle 
qui  a  saisi  notre  pauvre  ami  Gatti?  Je  crains  pour  son 
physique  et  son  moral.  S'il  allait  devenir  fou  tout  à 
fait. 

Si  TOUS  vous  occupez  encore  de  mon  bonhem", 
pourquoi  ne  songez-vous  pas  tout  de  bon  à  m'envoyer 
une  couple  d'angolas  ?  Est-ce  qu'ils  sont  infectés  du 
venin  des  économistes  pour  avoir  fréquenté  le  Luxem* 
bourg,  et  qu'ils  craignent  de  trouver  en  moi  un  inqui- 
siteur du  SaintrOffice?  Détrompez-les:  les  inquisiteurs 
et  les  cli&ts  ont  toujours  fait  alliance  entre  eus,  et  l'un 
a  servi  de  modèle  à  l'autre. 

J'ai  reçu  de  Sienne  le  détail  des  louanges  qu'on  vous 
y  piodigua  sur  ma  personne,  à  votre  passage,  il  y  a 
deux  ans  et  demi.  Une  dame,  qui  m'aime  beaucoup, 
les  écouta  avec  plaisir,  et  vient  de  me  le  mander.  Vous 
voyez  que  tout  se  sait  à  la  fin,  ou  dans  ce  monde,  ou, 
au  plus  tard,  dans  la  vallée  de  Josapliat  ;  ainsi  prenez 
bien  garde  à  ce  que  vous  faites  vis-à-vis  de  moi  ;  car, 
si  vous  me  jouez  encore  un  tour,  si  vous  l'osez,  si  vous 

en  avez  le  cieur,  je  sens  qu'enûn Oui,  enfin,  je 

vous  en  aimerai  davantage,  et  j'aurai  gagné  un  paroli. 
Adieu,  cher  baron, 

Mille  chose  à  mes  amis.  Je  crois  en  avoir  encore, 
car  je  les  aime  sans  refroidissement:  cette  madame 
Necker  et  sa  compagnie,  cette   demoiselle  de  Lespi- 


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LETTRES  DE  GAUi.NI  m 

aassG  ;  mais  il  aurait  fallu  débuter  par  madame  Geol'- 
l'rin,  et  madame  de  la  Ferté-Imbaut.  N'oubliez  pas  de 
me  mander  si  tous  reçûtes  la  lettre  que  je  vous  écrivis 
ù  Montpellier.  Les  égarements  inquiètent  un  peu. 
Adieu. 


A     MADAME      d'ËPINAY 

Saplei,    u  nTril  (ïlJ, 

Vous  avez  beau,  ma  belle  dame,  me  dire  que  vous 
êtes  bien  mal  dans  les  lettres  écrites  de  votre  maiu,  et 
vous  avez  beau  m'assurer  dans  celles  que  votre  scribe 
m'écrit,  que  vous  vous  portez  bien,  le  fait  est  que,  par 
un  désordre  d'imagination  je  ne  vous  crois  bien  por- 
tante et  je  ne  suis  gai,  que  lorsque  j'en  reçws  écrites 
de  votre  main. 

Ces  désordres  de  notre  imagination  sont  bien  extra- 
ordinaires et  bien  difficiles  à  guérir,  à  l'aide  de  la 
philosophie  toute  seule.  I)  faudrait  que  le  tempérament 
s'en  mfil&t.  Par  exempte,  vous  vous  figurez  mille  ris- 
ques, mille  morts  des  absents,  i'ai  éprouvé  ce  mat 
d'imagination.  Au  fond,  c'est  une  folie.  Bst-ce  que  nous 
guérissons   en  couvant  des  yens,    comme  les  tortues 


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19B  LETTRES  DE  GALIARI 

leurs  œufs?  Et  prend-on  moins  une  colique,  lorsqu'on 
niange  trop  à  cdté  de  son  ami,  que  lorsqu'on  dine  tout 
seul?  La  seule  différence  est  que  nous  l'apprendrons 
plutAt  :  cela  ne  guérit  de  rien.  Ainsi,  persuadez-vous 
que,  sous  vos  yeux  ou  loin  de  vous,  il  n'en  sera  ni 
plus  ni  moins  *.  Pour  ce  qui  est  de  la  perte  réelle 
que  nous  cause  une  absence,  je  n'ai  rien  à  dire  :  elle 
existe,  elle  est  irréparable  ;  mais  l'idée  des  retours  est  un 
calmant  singulier.  D'ailleurs  le  temps  s'écouie  si  vile  1 
Pour  vous  et  votre  sauté,  je  ne  crains  plus  rien,  je  voua 
l'ai  dit.  Lorsqu'elle  sera  consolidée,  je  vous  attends  de 
pied  ferme  ici.  Si  vous  savez  m'enunener  avec  vous 
en  France,  vous  serez  une  maîtresse  femme. 

H.  Barloli  de  Turin  est  mon  ancien  ami  *.  te  l'ai 
beaucoup  connuà  Tarin  et  ici,  lorsqu'il  y  vinten  1737. 
C'est  un  homme  très  savant  dans  l'antiquité  et  les 
belles-lettres  ;  grand  génie,  qui  paraissait  fou  à  cause 
du  feu  de  sa  t^te.  Fort  ressemblant  à  Gatti,  mais  beau- 
coup moins  bon.  A  propos  de  Gatti,  il  est  retiré  tout 
à  (ait  dans  sa  bicoque.  1!  y  bêche  la  terre  de  ses  mains. 
Il  est  devenu  fort  triste,  mais  il  est  parfaitement  con- 
tent. Cela  marche  ensemble. 

Pour  revenir  à  Bartoli,  sa  tragédie  m'est  inconnue. 
Le  philosophe  a  raison  s'il  croit  que  les  Italiens,  s'ils 

1.  0  eat  toujoar»  queatioii  de  Grimm. 

2.  Daniel  Btrtoli,  Mvsnt  jésulie  italien.  Auteur  de  la  tragédie 
d'Bppmie,  pobltie  i  ïurip  en  1768. 


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LETTRES  DE  GALIANI  IM 

se  mtieat  de  composer  des  tragédies,  surpaistront  les 
Français,  Metastasio  eo  est  une  preuve.  Mais  il  a  tort 
s'il  croit  que  les  Italiens  puissent  jamais  avoir  des  tra- 
gédies. Je  ne  m'étonne  pas  si  le  philosophe  n'a  pas 
saisi  cette  vue  si  fine,  n'ayant  jamais  parcouru  l'Italie; 
iU'aurait  sentie  d'abord.  Dites-la-lui,  et  la  voici  :  les 
Italiens  pourront  composer  des  tragédies,  mais  ils  ne 
pourront  jamais  les  jowrr.  Ils  manquent  de  beaui  hom- 
mes, et  i}e  femmes  qui  aient  le  maintien  noble.  Il  n'y 
a  pas,  dans  tous  les  acteurs  italiens,  un  Aufreane,  un 
Brizard ',  un  Clairval*.  Si  l'Italien  veut  être  sérieux 
et  grand,  il  est  gauche  et  maussade.  S'il  bouffonne, 
alors  il  est  pantomime  et  charmant  tout  à  fait.  Nous 
ovus    donnerons    des    arlequins    et    des    coralines. 


1.  *  Brlurd  a  la  majesté  des  rois,  le  sublime  des  ponUfet,  la 
tendreue  ou  la  Bévérilé  des  pères.  C'est  ud  très  grand  acteur, 
qui  joint  la  force  au  palbélique,  la  cbalear  au  sentiment  :  toa 
jeu  n'a  encore  essufé  aucnne  critique  (1763).  ■ 

S, Clairval,  acteur  de  la  Comédie  iUlienne  (24 Juin  1776).  cLe* 
Mariag»  lamailea  restent  loajours  suspendus  depuis  la  premiers 
représentation.  Dn  jour  oii  la  reine  BTait  décidé  d'j-  venir,  la 
pièce  n'a  pu  aToIr  lien,  de  même  une  seconde  fds,  et  i  rai- 
son de  l'indlsposiUon  du  sieur  Clairnl,  ce  qui  a  donné  de  l'bu- 
menr  h  Sa  M^esté;  elle  a  dit  :  "On  a  bien  de  la  peine  i  avoir 
ce  monsieur  U  Cette  eiclamalion  martiflante  a  piqué  l'blslrion, 
qui  menace  de  ne  plus  Jouer  et  de  se  retirer  tout  à  lait.  Un  H. 
Cnidianl,  dont  il  a  hit  rejeter  l'opéra  comique,  a  éerll  au  bu 
do  portrait  de  cet  acteur  maniéré,  autrefois  perruquier  : 

Cet  Bcteur  mloindier  at  ce  ducWoj  sans  voix 
tcorcbs  les  aateara  qu'il  rassit  aulrafois. 


rBacbaummt,  IHitmlrM  sMreu.) 


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3M  LETTRES   DE   GALIANI 

et  nous  TOUS  surpasserons  toujours  en  cela.  Biais  c'est  à 
TOUS  à  ckmner  à  l'Ënn^  les  Etaroa,  les  Aufresne,  les 
GlairoD.  Voilà  pourquoi  la  tragédie  est  impraticable 
chez  nous.  Nos  castrati  sont  maussades;  mais  la  mu- 
sique Toile  tout.  Or,  une  tragédie,  qui  n'est  pas  jouée, 
n'est  rien.  On  la  joue  toujours  dans  sa  tête,  lorsqu'on 
la  lit.  Nous  devons  doncrenonoer  à  la  tragédie  aussi 
bien  que  les  Espagnols  et  les  Portugais.  Français,  An- 
glais, Polonais,  Suédois  ont  des  hommes  bien  tournés, 
bioL  découplés,  et  auront  des  acteurs. 

Le  temps  m«  manque  ce  ^ir,  k  l'ordinaire.  Aimez- 
moi  doDC.  A  huitaine  ! 


A    MADAME     d'ÉPINAT 

IUpl«9,  U  Avril  (T1>. 

Tout  m'a  f&ché  dans  votre  n'  28.  Premièrement, 
votre  iicrîbtt  s'avise  d'avoir  une  écriture  si  large,  ma- 
jestueuse, magnifique,  qu'il  emploie  deux  feuilles  de 
pa)>ier,  pour  ce  qui  tiendrait  en  une  demie.  Cela  double 
la  dépense.  Je  veux  avoir  une  lettre  de  l'état  de  votre 
santé   toutes  les  semaines,    mais  à  moins  que,  pour 


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LETTRES  DE  «ALUNI  lOt 

m'ea  donner  le  détail,  il  ne  fallût  employer  deux 
feuilles  (ce  qui,  Dieu  m'en  préserve,  serait  la  descrip- 
tion d'une  maladie),  le  reste  est  un  vrai  péché  mortel, 
et  je  TOUS  prie  de  vous  en  abstenir. 

La  seconde  chose,  qui  me  mot  au  désespoir,  est  la 
malheureuse  affaire  de  Merlin.  Voici  ma  dernière  ré- 
solution :  mettez  le  tout  aux  pieds  de  M.  de  Sartine, 
ou  dans  ses  mains  ;  il  m'aime  ;  il  est  seasible  aux  mal- 
heurs ;  il  sent  que  je  pourrais  me  veniter  sur!  bien  dea 
Français  ici.  S'il  compte  me  faire  recouvrer  quelque 
chose  tout  de  suite  ou  dans  un  temps  discret,  quand 
même  ce  serait  à  moitié  perte,  faites  ce  qu'il  faudra 
faire  pour  cela;  s'il  en  désespère,  j'en  désespérerai 
aussi,  mais  je  me  vengerai. 

Troisième  désagrément.  C'est  l'ouvrage  de  Gébelin'. 
dont  TOUS  me  donnez  un  extrait.  A  quoi  bon  donner 
l'extrait  d'un  radotage  sur  l'histoire  ancienne?  Les 
vrais  saTaatsontdéjàpris  leur  parti,  et  l'on  n'en  dispute 
plus.  On  sait  que  c'est  l'histoire  que  les  Grecs  sauvages 
nous  ont  conservée  des  peuples  plus  avancés  dans  la 
culture  des  arts  et  des  sciences,  qui  les  ont  conquis, 
peuplés,  policés.  Ainsi  Saturne.  Jupiter,  Mercure,  Hercule 
sont  la  même  chose  que  seraient  dans  deux  mille  ans. 


l.AntdiM  ConM  de  Gebelin  (1735-17&i).Ce  n'est  qa'i  Vtgo  de 
quiTaDle-hnit  ini  qui!  compoM  wq  grand  ouvrage  inlitulé  le 
Monde  prinUtif.  Sien  que  proiestant,  l'Acidémie  française  le 
Bomnia  ceiueur  rojril . 


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203  LETTRES  DE  GALIAHI 

Charles  V,  Ferdinand  le  Catholique,  la  reine  Isabelle, 
Cortez,  Colomb  cbez  les  Américains,  s'ils  n'eussent  pas 
re«u  de  nous  l'imprimerie  et  l'art  de  l'écriture  perfec- 
tionnée, et  qu'ils  eussent  conservé  leur  histoire  par  tra- 
dition et  par  cceur,  aidant  leur  mémoire  avec  le  rythme 
et  le  mètre  de  ta  poésie.  On  convient  de  cela.  Les  allé- 
gories,  soit  chimiques  ou  physiques,  trouvées  par  ha- 
sard dans  la  fable,  sont  des  rêves  creux.  On  trouTent 
de  môme  que  les  douze  anciens  ducs  et  pairs  de  France 
sont  les  douze  mois  de  l'année,  que  le  roi  et  la  reine 
sont  le  soleil  et  la  lune,  et  que  les  maîtresses  des  rois 
sont  des  comètes.  Bêtises! 

La  chose,  qui  reste  à  éclairer,  se  réduit  aux  détails 
deces  anciennes  expéditions  sur  la  Grèce.  J'ai, lik-dessus, 
un  amas  de  faits  et  de  réflexions  qui  fourniraient  ma- 
tière à  un  livre  curieux,  si  j'avais  eu  le  temps  de 
l'acheTer.  J'en  ai  sur  la  langue  aaturelle  de  l'homme, 
qui  me  parait  être  celle  des  monosyllabes  répétée  : 
marna,  tata,  papa,  baba,  caca,  coco,  tête,  bibi  ;  voilà  nos 
premiers  sons.  L'enfant  produit  ces  sons  sans  intelli- 
gence. La  noorrice  y  attache  une  idée,  et  la  fait  atta- 
cher à  l'enfant,  voilà  tout. 

La  fable  ancienne  est  quelquefois  triple,  quelquefois 
double,  parce  que  les  Grecs,  ayant  élé  conquis  par 
différentes  Dations ,  c'eBl>-à-dire  par  les  Égyptiens, 
Tyriens  et  peuples  du  Nord,  qui  y  vinrent  par  terre, 
et  qui  étaient  des  Celtes,  ils  ont  mêlé  tout  cela  ensem- 


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LETTRES  DE  f.ALlANI  iOS 

ble,  comme  si  les  Américains,  conquis  par  les  Espa- 
gnols, les  Anglais,  les  Français,  mêlaient  dans  deui 
mille  ans  tout  ensemble,  et  confondaient  Charles  V,  et 
Henri  VQI,  et  Henri  IV,  la  reine  Isabelle  de  fiastille 
avec  la  reine  Elisabeth  d'Angleterre.  Voilà  la  cause  de 
la  omtradiction  dans  la  mythologie  et  la  multitude  des 
Hercules  thébaîn,  tyrien,  etc.  Développer  cela  avec 
génie,  avec  goût,  avec  une  finesse  de  conp-d'oeil  heu- 
reuse, est  l'afhire  d'un  philosophe  érudit,  et  pas  d'un 
savant  sans  génie,  comme  votre  H.  Gébelin,  qui  m'a 
coûté  déjà  trente  sob  de  plus  par  votre  seconde  feuille, 
sans  que  j'aie  rien  souscrit. 

Quatri&me  désagrément.  J'ai  perdu  à  la  loterie  ; 
mais  vous  n'y  avez  aucune  faule,  je  sens  cela. 

Je  vous  enverrai  une  consultation  sur  l'administra- 
tion des  blés,  relativement  à  Gênes,  qu'on  m'a 
demandée.  Adieu. 


Vous  avez  bien  raison  ;  entre  la  soufirance  et  l'a- 
bandon, il  n'y  a  pas  à  choisir.  L'une  est  la  vie  mal- 


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304  LETTRES  DE  GALIAM 

heureuse  ;  l'autre  est  la  mort,  et  la  mort  est  le  pire 
de  tout.  Hais  Grimm  revieadra.  Pour  le  philosophe, 
j'en  doute  1.  S'il  allait  imiter  Descartes  *  !  Si  les 
caresses  d'une  souveraine  philosophe  allaient  le  rete- 
nir! et  puis  c'est  un  homme  à  oublier  qu'il  doit 
revenir  ;  le  temps  et  l'espace  sont  devant  lui  comme 
devant  Dieu  :  il  croit  être  partout  et  être  étemel. 

Si  la  matière  électrique  n'est  pas  l'acide  yitriolique, 
elle  sera  autre  chose.  Gela  me  parait  clair.  Reste  à 
examiner  si  de  savoir  qu'une  chose  n'est  pas  une 
autre,  est  savoir  quelque  chose  de  la  chose.  Si  vous 
décidez  que  non,  tout  le  savoir  humain  s'en  va  au 
diable  ;  si  vous  dites  que  oui,  alors  les  hommes  sauront 
une  infinité  de  choses  ;  car  ils  sauront,  par  exemple, 
que  moi  je  ne  suis  pas  vous,  et  que  la  prose  n'est  pas 
des  vers. 

MH.  de  Saussure  sont  allés  en  Sicile.  Le  prince 
Pignatelli  me  fait  causer  souvent  de  vous.  Chastellux 
s'amuse.  Je  n'ai  pas  encore  lu  son  livre  de  la  Félicité 
publique  *.  Hais  l'idée  m'en  parait  très  belle  et  très 

1 ,  Dîderot  partait  pour  la  Russie  en  même  temps  que  Grlmm, 
quiBccompagDiUU  princesse  de  Hesie-Darinstadl  t  Saint-Pélers- 

2,  Descartea,  après  avoir  pisaé  une  partie  de  sa  vie  en  Hol- 
lande auprès  de  ta  princesse  palaUne  Elisibelb,  accepta,  an  plus 
fort  d«s  persécntions  que  lui  suscitaient  les  théologiens  de  Leyde, 
la  proposition  de  Cbrisliae  de  Suède,  qui  lui  offrait  sa  cour 
comme  retraite;  il  mourut  1  Slockbolm  en  1650. 

3,  Le  pins  «ODsidérable  des  ouvrages  de  M.  de  Cbastellux.  ■  U 


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LETTRES  DE  GALIAM  3» 

neuve.  Si  l'ouvrage  ne  répondait  pas  it  l'idée,  il  aarait 
encore  un  mérite  infiai  dans  le  courage  d'avoir  ouvert 
le  chemin  à  une  recherche  neuve,  utile  et  sublime.  Je 
doit  dîner  aujourd'hui  à  la  campagne  avec  lui  et 
Pignatelli  ;  ainsi,  je  vous  quitte. 

Est-il  possible  que  H.  de  Sartlne  ne  veuille  rien  faire 
pour  moi  ?  Ah  !  que  les  absents  ont  tort  ! 


A     MADAME     DE     BEtSUNCË. 


Il  ne  suffit  pas  d'être  roué,  madame,  il  faut  être 
poli,  vous  savez  cela'.  Par  conséquence  directe,  il  ne 
suffit  pas  do  m'écrire  des  lettres,  il  faut  qu'elles  soient 


y  a  de  l'esprit  et  des  coanaisHoces  dans  ce  livre,   plus  répaudu 
daiu  l'Enrope  qu'A  Paris.  ■  (Laharpe.  Corr.  litt.] 
Voir!  I  epigramme  qui  parut  alors  : 

A  Cbulellux,  l>  place  ucsdimiquo  I 
Qu'i-t-il  donc  fait?  Un  livro  bien  conçu. 
Tant  l'appelez  t  Féli»U  publiqui  l 
Le  pattlic  est  heuieoT,  car  II  n'en  a  rien  su, 

1 .  Geliani  bit  allusion  au  mot  de  M.  de  Sartine  i  Beaumarchais. 
Beaumarchais  sTail  étâ  candaniné  au  bllme,  peine  inUmanle, 


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a»6  LETTRES  DE  GALIANI 

agréables  pour  exciter  de  jolies  réponses.  Tout  est  dA- 
solant  dans  votre  lettre  sans  date.  Hais  ce  qui  l'est  plus 
pour  moi,  c'est  l'état  physique  et  moral  de  madame 
votre  mère,  souffrante,  abandonnée;  rien  n'est  plus 
aSireux  ■.  S'il  y  avait  quelque  chose  à  comparer  à 
cda,  ce  serait  le  chagrin  que  me  cause  ma  malheureuse 
affaire  de  Merlin.  Vous  avez  eu  beaucoup  d'esprit  de 
ne  m'en  rien  dire  ;  mais  votre  mère,  dans  son  apos- 
tille, me  l'a  gardée  pour  ma  bonne  boudte.  Le  moyen 
d'être  gai  après  cela  I 

Vous  voudriez  que  je  vous  conte  l'histoire  du  ton- 
nerre ;  mais  je  ne  sais  pas  ce  qu'il  y  a  à  conter  sur 
cela:  il  est  tombé  au  milieu  d'une  grande  conversation 
napolitaine,  pour  faire  voir  que  la  maussaderie  napo- 
litaine était  à  l'épreuve  du  tonnerre.  Personne  n'a  eu 
de  mal.  H  est  constant  qu'il  a  passé  sous  les  Jupes  d'une 
dame  galante  qui  était  assise  sur  un  sopha.  Il  a  enlevé 
l'or,  et  respecté  le  dessous  des  jupes  de  cette  dame, 
tant  le  ciel  protège  la  galanterie  lorsqu'elle  est  bien 
effrontée.  Elle  est  alors  la  même  chose  que  la  justice, 


comme  on  le  uit,  miU  il  ne  s'eo  moDtnIt  qne  plus  iluolent. 
H.  de  Sartine,  impalienlè  de  wn  atliUtde,  loi  dit  ud  jour: 
s  M.  de  Beaumtrcbais,  il  ae  sulGl  pu  d'être  bllmi,il  but  encore 
être  modeste.  > 

1.  Grimm,  qui  Tenait  d'être  nommé  ministre  plénipotealiaire 
de  Saie-Golba  à  Paris,  voyageait  en  ce  moment  en  Allemagne, 
d'où  il  devait  se  rendre  en  Russie;  madame  d'Épina;  souOYait 
cnteUemenl  de  eeite  •baeuce. 


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LETTRES  DE  GALIANl  SOT 

puisque  la  justice  consiste  à  domier  le  sien  &  toat  le 
moude,  mum  unicwique  tribuere  '. 

Le  oheraliflr  Hamillon  *,  avec  aoe  machine  élec- 
trique très  belle,  fait  ici  la  parodie  du  tonnerre,  mais 
c'est  pour  ainsi  dire  avec  les  fantoccini  qu'il  donne 
Tancréde.  H  croit  au  fil  conducteur,  il  le  démontre,  il 
désarme  Jupiter.  Tout  cela  serait  bel  et  bon,  si  l'on  ne 
pouvait  mourir  autant  blessé  par  le  tonnerre,  que  par 
les  pierres  qu'il  délacbe,  ou  par  l'étouffement  de  sa 
puanteur.  Pour  moi,  je  respecte  le  tonnerre,  je  crains 
les  dieux  qui  nous  l'envoient,  et  ne  les  trouve  pas  plus 
aimables  pour  cela.  Au  reste,  ce  n'est  pas  ce  que  je 
crains  le  plus  au  monde,  et  l'affaire  de  Merlin  me 
parait  encore  plus  fâcheuse  que  le  tonnerre. 

Pour  que  votre  écriture  ne  m'effraie  pas,  vous  devriez 
m'éçrire  quelquefois,  même  lorsque  votre  mère  sera 
bien  portante  ;  sans  cela  vos  lettres  me  seront  toujours 
de  mauvab  augure. 

Le  chevalier  de  Cbastellux  s'amuse  ici  assez  pour 
s'être  laissé  persuader  d'y  rester  encore  quinze  jours. 
Il  admire,  il  loue,  il  est  poli,  il  se  conduit  très  bien; 
mais  il  a  beau. faire,  il  ne  connaîtra,  ni  ne  sera  connu 
d'aucun  Napolitain.  Le  sommeil  est  bien  profond. 

1.  Le  récit  de  cette  aventure  cilsie  dan»  le  Journal  de  ma- 
dame de  SaïuBure. 

S.  Chargâ  d'aJIïireB  d'Angleterre  à  Naples. 


ç)tzsci!,GoOglc 


SOS  LETTRES  DE  GALIA!4[ 

Je  VOUS  priti  de  dire  mille  choses  de  ma  part  au 
chevalier  de  Magalloa.  Pourquoi  ne  se  porte-t-il  pas 
bien?  Est-ce  le  cabinet  ou  le  boudoir  qui  lui  a  afiaibli 
la  sauté?  Vous  savez  que  je  suis  votre  très  humble 
serviteur. 


A     HADAH£     d'ÉPINAY 

Nsplet,  u  mai  ms. 

Au  foud  et  au  vrai,  ce  numéro  ne  vaut  guère  mieux, 
que  les  précédents,  quoique  vous  lâchiez  de  me  le  ren- 
dre plus  gai.  Le  chemin  de  la  santé  ne  me  parait  guère 
celui  des  souffrances.  Je  serais  bien  plus  tranquille 
si  j'étais  i  cdté  de  votre  lit,  et  que  je  visse  votre  état 
par  mes  yeux. 

Grimm  &e  portera  toujours  bien  en  voyageant;  il 
est  trop  jeune  pour  que  cela  ne  lui  arrive  pas.  Mais  je 
crains  pour  Diderot.  Il  va  trop  au  nord.  Un  voj'age 
est  trop  pénible  au  milieu  des  armées  ;  c'est  bien  fou,  ce 
qu'il  fait  '. 

1.  Avint  d'aller  en  Bus$le,  Diderot  passait  par  la  Hollande. 


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LETTRES  DE  GALIANt  SW 

Les  gens  de  M.  de  Sersale  ne  me  demandèreot  au- 
cune recommandation,  quoique  je  leur  eusse  ofTert 
tout  ce  qui  dépendait  de  moi.  Ce  sont  de  très  braves 
gens,  et  l'on  ne  risque  rien  à  les  recommander.  Je 
TOUS  en  serais  même  très  sensiblement  obligé. 

Je  TOUS  le  répète  :  l'air  de  Piccïni,  Splende  ogni  astro 
piil  sermo  est  son  chef-d'œuvre.  Je  l'ai  fait  exécuter 
pu-  lui-même  au  chevalier  de  Ch&tellux,  qui  en  tomba 
en  pâmoison.  Ëxécutez-le  avec  les  instruments  et  un 
mouvement  large,  vous  verrez  si  ce  n'est  pas  là  le 
paradis. 

Je  ne  sais  que  vous  dire  ce  soir.  Aimez-moi  et  don- 
nez-moi de  meilleures  nouvelles  de  votre  santé.  'Tout 
est  brûlé  des  papiers  qu'il  fallait  brûler  '.  Adieu 
encore. 


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LETTRES  DE  GALIANI 


k    LA    MÉHE 


N^les.  Siuio  ITT3. 

Vous  savez  bien,  ma  belle  dame,  que  notre  oorres- 
poDdaoce,  après  notre  mort  commune,  sera  imprimée. 
Qael  plaisir  pom*  nous  I  Comme  cela  nous  divertira  I 
Or,  je  travaille  de  toute  ma  force  à  faire  en  sorte  que 
mes  lettres  l'emportent  sur  les  vAtres  et  je  commence  à 
me  flatter  d'y  réussir.  On  remarquera  dans  les  vAtres  un 
peutrop  de  monolonied'amitié.  Toujours  tendre,  toujours 
affectueuse,  toujours  caressante,  toujours  applaudissante. 
Au  contraire,  les  miennes  auront  tme  variété  char- 
mante :  quelquefois  je  vous  dis  des  injures,  quelquefois 
des  Sarcasmes;  j'ai  de  l'humeur  de  cliien,  et  même 
quelquefois  je  commence  sur  un  ton  et  je  finis  d'un 
autre  ;  et  toujours  je  me  porte  bien.  Voilà  surtout  ma 
grande  supériorité.  Car  eniin  vos  quatre  derniers  nu- 
méros, quelle  figure  pitoyable  et  lamentable  ne  feront- 
ils  pas  dans  le  recueil  ?  Admirez  donc  mon  adresse,  si 
je  vous  dis  des  injures  parfois  et  portez-vous  bien, 
quand  ce  ne  serait  que  pour  le  succès  de  notre  recueil. 


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LETTRES  DE  CALUNI  ïll 

T&ches  de  m'aimoDcer  vite  que  tous  êtes  désobstruée  ; 
sans  cela  j'aurai,  nui,  une  obstructtonà  la  tète,  et 
ne  saurai  plus  que  tous  dire. 

Je  viens  d'envoyer  en  présent  au  pape  la  carie 
géographique  du  royaume  de  Naples,  que  je  fis  graver 
è  Paris  '  ;  il  m'en  a  remercié  par  un  bref  latin,  qui 
est  des  plus  pompeux  et  des  plus  flatteurs.  J'aurais 
pourtant  mieux  aimé  une  médaille  d'or,  elle  figure 
mieux  dans  l'inventaire  d'un  homme  de  lettres. 

Gbàtclluz  est  parti  il  y  a  trois  jours.  Il  s'est  amusé  à 
Naples,  en  ne  voyant  jamaisaucuD  Napolitain.  On  s'amuse 
de  mëipe  à  Péra,  lorsqu'on  dit  qu'on  a  vu  Coustauti- 
nople.  Au  surplus,  il  a  fait  bien  des  réflexions  qu'il 
TOUS  dira  à  son  retour. 

Piguatelli  partira  bienlAt  ;  il  fera  copier  ici  beau- 
coup de  musique,  surtout  dePiccini,  qu'il  pourra  vous 
communiquer  ;  nous  sommes  dans  cette  convention.  Ne  - 
manquez  pas  de  me  donner  toutes  les  nouvelles  que 
vous  aurez  du  philosophe,  dont  vous  savez  que  je  suis 
fort  inquiet. 

Avezr-vous  fait  parvenir  un  paquet  de  mon  valet  de 
chambre  à  un  certain  H.  Saint-Georges,  au  collège  de 
Reims,  rue  des  Sept-Voîes,  qui  lui  tenait  fort  àcceur? 
Je  vous  l'ai  envoyé  dans  ma  lettre  du  3  avril.  Carac- 
cîoli  m'a  mandé  qu'il  vous  l'avait  l'ait  parvenir. 

1.  CeUa  carte  avait  ËLé  gniie  par  Riizi  Zannoni. 


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S13  LETTRES  DE  GA.LIÀNI 

Adieu  ;  aimez^noi.  Excusez  mes  injures  :  acceptez  tes 
expressions  d'une  amilié  dont  l'histoire  parlerait,  si 
elle  parlait  d'autre  chose  c[ue  des  sottises  et  des  mal- 
heurs des  hommes.  Adieu  encore. 


HARAHE    d'ÉPINAY    A    GALIANI 


Vous  êtes  insupportable  en  me  rappelant  que  notre 
correspondance  sera  imprimée  après  nous.  Je  le  savfds 
bien,  mais  je  l'avais  oublié.  Voilà  à  présent  que  je  ne 
sais  plus  que  vous  dire  :  l'immortalité  me  foit  une 
peur  épouvantable.  Au  reste,  mon  cher  abbé,  vous 
savez  que  les  repos  sont  une  règle  du  beau,  et,  comme 
on  intercalera  mes  lettres  avec  les  vôtres,  cela  fera,  à 
tout  prendre,  une  collection  parfaite. 

Je  TOUS  annonce  que  je  commence  un  peu  à  me  dés- 
obstruer ;  mais  c'est  bien  peu  de  chose  encore.  Je  ne 
suis  désenflée  que  d'un  oreiller.  Il  m'en  fallait  cinq 
pour  dormir  ;  à  présent  je  me  contente  de  quatre.  II  n'y 
a  pas  encore  de  quoi  chanter  victoire  ;  mais  il  faut  es- 
pérer, parce  que  l'espérance  est  une  bonne  chose.  Je 


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LETTRES  DE  GALIANI  313 

ne  vous  ai  point  écrit  la  semaine  deraière,  parce  que 
j'avais  le  croupion  écorché,  et  qne  vous  lie  sauriez 
croire  combien,  pour  dicter  une  lettre,  il  faut  l'avoir 
en  bon  état  ;  je  ne  l'aurais  jamais  cru.  Cela  me  Tait 
voir  qu'il  y  a  encore  dans  ce  monde  plus  d'une  vé- 
rité jk  découvrir.  H  fallait,  par  exemple,  une  circon- 
stance qui  me  flt  rester  trois  mois  dans  la  même  atti- 
tude sans  remuer,  pour  découvrir  ceile-lè. 

Vous  croyez  que  le  chevalier  de  Chfttellux  me  fera 
part  de  ses  réflexions  ;  mais  où  le  verrai-je?  Car  il  ne 
vient  point  chez  moi,  et  je  ne  vais  plus  chez  les 
autres.  Je  voudrais  croire  au  retour  prochain  de  M.  le 
prince  Pignatelli  ;  mais  je  crois  que  vous  m'attrapez, 
car  il  me  semble  que  j'ai  oui  dire  qu'il  mandait  à  sa 
femme  qu'il  passerait  l'hiver  à  Naples  '.  Comme  il 
est  possible  qu'il  veuille  la  surprendre  agréablement,  je 
ne  parlerai  point  de  ce  que  vous  me  dites  sur  son  re- 
touc 

1.  I,e  priDce  Pignilelll  était  fort  recherché  dîna  la  société  no- 
pollUioe  où  il  obtenait  de  grands  ïuccès.  Hadame  de  Saussure 
parte  fréquemment  du  prince  dans  son  Journal:  a  Nous  sommei 
allés  au  cours  qui  est  devenu  très  animé,  puis  à  l'assemblée,  chu 
madame  Hamilton  ;  elle  était  très  brillante,  tout  le  monde  avait 
quille  le  deuil  et  était  ea  habit  de  gala.  11  y  avaitune  dame  russe, 
logée  à  cûlé  de  chez  moi,  belle  comme  un  ange;  j'ai  joué  avec 
elle,  les  princesses  PÉroUte  et  de  Belmonte,  le  prince  Pignalelli; 
le  priuce  russe  qui  voyage  avec  celle  dame  était  de  ootrepactie 
et  madame  de  Matignon  enrageait  de  n'en  pas  être,  Kous  nous 
divenissions,  mon  mari  et  moi,  h  remarquer  combien  elle  (ait  U 
cour  au  prince  Pignatelli  et  comme  il  répond  froidement  k  ses 
emprossements.  ■ 


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314  LETTRES  DE  GÀLIANI 

J'ai  fait  tenir  très  exacleroent  le  paquet  de  votre  valet 
de  chambre  à  M.  Saiot-Georges,  au  cdiège  de  Reims  ; 
je  crois  même  vous  l'avoir  mandé  dans  le  temps  ;  mais, 
comme  M,  l'ambassadeur  de  Naples  a  l'usage  de  ne 
m'envoyer  les  lettres  qui  lui  sont  adressées  ponr  moi 
que  huit  ou  dix  jours  après  qu'il  les  a  reçues,  il  est  pos- 
sible que  vous  n'ayez  pas  encore  reçu  celle  où  je  vous 
accuse  la  réception  et  l'envoi  du  paquet.  Par  exemple, 
j'ai  reçu  la  dernière  dont  il  a  été  chargé  mercredi 
dernier;  il  y  avait  sept  jours,  à  en  juger  par  la  date, 
qu'il  la  promenait  dans  sa  poche. 

On  n'a  point  encore  de  nouvelles  directes  da  phi- 
losophe. Par  une  lettre  du  prince  de  Gallitzin  à  ma- 
dame GeoRirin,  on  sait  seulement  qu'il  est  arrivé  à  La 
Haye  en  très  bonne  santé  ;  qu'il  a  été  à  Lcyde,  où  il  a 
fait  connaissance  avec  tous  les  professeurs  ;  que  le 
prince  ne  peut  le  tirer  d'auprès  d'eux,  et  qu'il  est 
vraiment  très  douteux  qu'il  aille  en  Russie.  11  aim&  tous 
ces  docteurs  hollandais  à  la  folie  ;  il  passera  peut^re 
là  le  reste  de  sa  vie  :  que  sait-on  <  ? 


1.  Diderot  écrivait  de  La  Haye  à  uadeinoiseDe  VolUod ,  mais 
il  ne  lui  parle  pas  prËcisément  des  dociciirs  :  e  Plus  je  connaiï 
ce  pays-ci,  mieux  jem'ea  sccomoiiMlc.  Lessolcs,  les  bsreogs frais, 
\ei  (urbots,  les  perches  et  tout  ce  qu'ils  appellent  waterfish, 
SMil  les  meilleurea  gens  du  monde.  Les  promenades  sont  char' 
mantes;  Je  ne  sais  si  les  Temmes  sont  bien  sage»,  maisavecleurs 
grands  chapeauide  paille,  leurs  yeux4iaissés  et  ces  énormes  Bdius 
étalés  sur  leur  gorge,  eili's  ont  toutes  l'air  de  revenir  dn  salut 
ou  d'aller  à  confesse.»  (^^juillet  1773.) 


jbïGoogIc 


LETTRES  DB  C1.LIANI  315 

J'aco^ite,  mon  cher  abbé,  vos  tendresses,  vos  ïd- 
.jores,  vos  excuses.  Tout  ca  qui  vieat  de  vous  m'est 
précieux,  soyez-en  bien  sûr.  Sans  doute  l'histoire  par- 
lera de  not/e  amitié;  n'en  doutez  pas,  puisqu'elle  parle 
des  malheurs  des  hommes.  Y  en  a-t-il  un  plus  grand 
que  d'£tre  séparé  des  gens  qu'on  aime  ? 


A    MADAME    D'ËPINAV 

HapEes,  (S  Juin  (Jjï. 

Quoique  vous  exagériez  votre  courage,  vous  êtes,  ma 
belle  dame,  la  plus  timide  des  mortelles,  car  vouspré- 
féreE  la  douleur  à  la  mort .  Vous  croyez  donc  la  mort 
le  plus  grand  des  maux.  Pour  moi,  je  suis  d'un  avis 
contraire,  et  j'en  suis  tellement  persuadé,  que  je  ne  me 
f^is  pas  à  cette  étonnante  phrase  de  vos  lettres  :  Mon 
état  n'est  pas  dangereuse,  mais  il  est  pénible.  Vous 
comptez  donc  pour  rien  te  danger  de  souffrir.  Ainsi  ne 
prises  pas  me  tranquilliser  tant  que  vous  m'écrirez  : 
Je  $ou(fre.  Ce  mot  est  tout  pour  moi.  Il  est  vrai  que 
moi  aussi  de  mon  côté,  je  ne  fais  que  vous  répéter  : 
je  m'ennuie;  mais  il  y  a  une  belle  difTérence  entre 


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916  LETTRES  DE  GALIÀNI 

l'ennui  et  les  souffrances.  On  engraisse  dans  l'ennui; 
on  est  un  cheval  de  l'écurie  d'un  grand  sei^eur  : 
celui  qui  souffre  est  un  cheval  de  fiacre. 

Hier,  j'ai  reçu  le  portrait  de  noire  pauvre  M.  de 
Croismare,  que  le  marquis  Spinola  *  a  eu  le  soin  de 
me  faire  parvenir  par  son  valet  de  chambre,  qui  est 
venu  ici  revoir  sonpère.  H  est  parfaitement  bien  gravé; 
mais  il  ne  m'a  point  attendri  en  le  voyant,  car  il  ne 
lui  ressemble  guère.  L'incomparable  Croismare  avait 
une  laideur  originale,  charmante,  caractéristique.  Son 
portrait  est  bien  moins  laid  et  bien  moins  beau. 

On  a  l}eau  faire  le  revècbe  contre  notre  destinée  et  U 
loi  commune  des  êtres.  Nous  mourons,  nouselnosphy- 
sionomies,  et  nos  saillies,  et  nos  portraits,  etnotresou— 
venir,  et  tout  doit  s'en  aller.  Quel  délire  que  celui  des 
Romains  et  des  Grecs,  que  de  faire  tout  pour  l'immor- 
talité. Cette  prétendue  immortalité  n'est  qu'un  terrain 
disputé  à  2'ou6/i,  mais  bien  faiblement  disputé.  Laissons 
cela;  c'est  une  rêverie  sombre  etdésespérante,  à  laquelle 
j'allais  me  livrera  présent.  Restons  dans  le  délire  de  la 
gloire  humaine. 

A  ce  propos,  je  vous  dirai  que  j'ai  envoyé  au  pape 
la  carte  géographique  du  royaume  de  Naples,  que  je 
fis  dessiner  et  graver  à  Paris,  accompagnée  d'une  lettre 
dans  laquelle  je  lui  disais  que    Benoit  XIV,    m'ayant 

1.  Ministre  plénipotentiaire  de  la  République  de  Gènes  i  Paris. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI  SI 

beaucoup  aimé,  ayant  reçu  l'hommage  de  quelques 
productions  de  mon  esprit,  je  me  croyais  autorisé 
d'en  &ire  autant  avec  un  pape  qui  ressemblait  si  fort 
an  pape  Lambertici.  Le  pape  a  reçu  ma  lettre  et  mon 
présent  avec  la  plus  grande  joie,  et  m'en  a  remercié 
par  unbref  très  flatteur  pour  moi.  H  est  en  latin,  car 
les  papes  ontia  rage  d'écrire  en  latin,  même  &  présent. 
Je  crois  vous  faire  plaisir  en  vous  en  envoyant  une 
copie.  Si  vous  ne  l'entendez  pas,  Hagallon  vous  l'ex- 
pliquera, car  un  Espagnol  parle  latin  sans  le  savoir. 
Vous  voyez  par  ce  bref,  ma  belle  dame,  qu'il  y  a  grande 
probabilité  que  je  sois  un  des  cardinaux  réservés  m 
peclore  de  notre  Saint-Père.  Aussi  je  m'attends  à  en 
sortir  un  jour  ou  l'autre  par  en  haut  ou  par  en  bas. 
Cela  me  constituera  en  frais. 

Pourquoi  donc  H.  de  Sartine  ne  me  fait-il  pas 
payer  par  Merlin  ?  Veut-il  attendre  que  je  sois  cai'- 
dinal  pouc  essuyer  le  poids  de  ma  colère  ? 

J'attends  en  frémissant,  l'envoi  volumineux  de  Di- 
derot, dont  vous  me  menacez .  Est-il  possible  que  vous 
ne  trouviez  pas  un  moyen  d'envoyer  au  cardinal  de 
Berois  ou  à  l'abbé  Deshaies,  '  quelques  paquets  pour 
moi?  Selon  vous,  la  mort  et  la  poste  sont  deux  maux 
inévitables  aux  mortels. 

Le  prince  Pjgnatelli  s'ennuie  tellement  ici  qu'il  n'a 

1.  Secrilaire  et  ami  du  cardinal  de  BemU. 


jbïGoogIc 


918  LETTRES  DE  GALIAHI 

pliuta  force  de  s'en  aller.  Il  estcomniâles  geaa  étouffés 
par  l'odeor  du  chariwn,  qui  resteat  parce  que  leur  tète 
«Bt  attaquée. 

MM.  de  Saussure  sont  revenus  de  Sicile.  Madame  est 
inconsolable  de  la  mort  qu'elle  a  appris  de  M,  de 
Tronchin^  Elle  ignore  pourtant  le  genre  de  mort  qu'il 
a  eu. 

Aimez-moi-,  jouissez  de  votre  appartement  sur  le 
Palais-Royal.  Mes  compliments  Jt  madame  votre  fille. 
Elle  me  demande  toujours  des  histoires  et  des  contes. 
Si  elle  (ai  est  si  avide,  je  lui  donne  volontiers  mon 
compte  avec  M^lin,  qui  est  bien  une  autre  histoire. 
Adieu.  J'ai  chargé  Ch&tellux  de  renoua  ma  paii  avec 
l'abbé  Bbrellet.  Adieu. 

BREF  DU  PAPE  A  L'ABBÉ  GALIANI 

tCkmens -papa  XtV, etc.  Clément    XIV,- etc.    Notre 

Dileele  fiti,  tibi  salulem  et  cher  fils,  salut  et  bénédiction 

aposlolicam    benedictionem.  apostolique. 

Prwdara  sac.   ment.  Be-  L'éclatanle  affection  qu'avait 

nedkti  XIV  voluntas,  qua  Benoît  XIV,  de  bienheureuse 

Patruum   (««ii    erat  com-  mémoire ,  pour  votre   oncle, 

plexus,  lueulenler  déclarât  prouve  très  bien  l'attachement 

optimi  et  sapienlissimi  poti-  dccebonetsagepontifepourles 

tificis    in  excellentes    viros  hommes  démérite,  et  en  même 

1.  Jean-Robert  TroDchln,  procureur  gda^ral  à  Genève,  père  du 

célèbre  médecin. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI 


M9 


■tudium,  et  tjiudem  patrui 
tui  eximiam  nrtutts  doo- 
trinaque  commendationem. 
lisdem  nos  caum  inducimw, 
n(  trque  jrropoTtsi  erga  te, 
dâeete  fiti,  timiu,  (071»  non 
mtRore,  quam  qua  prade- 
MMorù  matri  in  iltwn  ae 
te  tpmm  fwrit,  benevohntia 
jmtequamur,  cum  solù  gint 
nobis  jierfpeckB  singulares 
ingenii  tui  Imitlu,  quas 
ptunmû  monwmentis  com- 
jmhatai  ette  sciima.  Prop- 
terea  litteras  tuas  fnetaHi 
in  not  aljne  obtervantùe 
mdkiii  refértat  et  geogra- 
pltkam  Regni  Neapolitatii 
tabiilam  opéra  tua  egregie 
delinealam,  atqtie  impresiam 
eamque  luo  nomine  ad  riot 
deferentem  dilectum  (Uium 
Aiatem  Zarillium  ob  eru- 
dilkmem  atque  anliquitatis 
scientiam  vatde  nobis  ac- 
ceptum,  libentissinte  euxe- 
pimus,  eidemque  palam  fe- 
cimus  quanlopere  htxprws- 
tanti  luo  offlcio  ae  munere 

delfclati  iimus Hune 

nostrum  atiimum  kis  eiiam 
litteris  tibi  teslatum  esse 
tmtumtu,  unaque  te  vehe- 
menter  kortamuTy  «t  ube- 


lemps  la  réputation  de  yerta  et 
de  science  dont  jouissait  votre 
oncle.  Les  mêmes  motifs  nous 
détermioenl,  dier  fils,  à  tous 
montrer  lesmEmesdispositions 
et  à  TOUS  donner  des  preuvea  de 
bienveillance  qui  égalent  celle 
dont  notre  prédécesseur  combla 
votre  oncle  et  vonnofti» 
puisque  nous  connùssons  suf- 
fisamment la  beauté  de  votre 
génie,  dont  il  existe  plusieurs 
monumeuts .  C'est  pourqooi 
nous  avons  reçu,  de  votre  part, 
avec  bien  de  la  satisfaction 
par  les  mains  de  notre 
cher  fils,  l'abbé  Zarillo,  que 
nous  estimons  grandement  ft 
cause  de  son  érudition  et  de 
sa  connaissance  de  l'antiquité, 
la  lettre  qui  renferme  les  mar- 
ques de  votre  respectueux 
attachement  pour  nous,  ac- 
compagnée de  la  beUe  carte 
géographique  du  royaume  de 
Naptes,  gravée  et  imprimée 
par  vos  soins.  Nous  avons  té- 
moigné à  ce  cher  fils,  combien 
votre  important  hommage 
nous  était  agréable;  et  nous 
avons  voulu  par  cette  lettre 
vous  ofi'rir  à  vous-même  ce 
témoignage  denotre  gratitude. 
En  même  temps,  nous   vous 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIi.Nl 


rityre  m  diea  ingenii  lui 
fructu  augere  optimarum 
arlium  studia,  aliorumqw 
utilitatem  promoverepergas, 
nMique  ditigendi  lut  ani- 
pliores  semper  causas  tri- 
buas.  Demum  luppeditari 
nobis  opportwiitatet  cupi- 
mus,  quibvs  reipM  libi  pa- 
temam  hanc  nostram  in  te 
caritatem  oonfirmemus,  ca~ 
jus  indicem  intérim  apos- 
lolicam  tibi  benedictionem 
peramanter  imper  limur,  Da- 
lum  Bftmœ  apiut  sanctam 
Mariam  Majorem  stib  an- 
nula piscatoris,  die  23 
mail  4T73 ,  Pontificatas 
nostri  anno  quinto.  — 
Benedictds  Stat 


exhortons  avec  ardeur  &  con- 
tinuer à  enrichir  de  jour  ea 
jour  du  fruit  de  vos  talents 
le  domaine  des  arts,  i  con- 
tribuer par  là  à  l'utilité  pu- 
blique et  à  noua  fournir  toujours 
de  nouveaux  motifs  de  vous  ai- 
mer. Enfin  nous  devrons  qu'il 
se  présen  te  des  occasions  de  vous 
prouver,  par  des  effets  notre  ten- 
dresse paternelle,  don  t.en  atten- 
dant, nous  vous  donnons,  avec . 
plaisir,  pourgage  la  bénédiction 
apostolique.  Donné  &  Rome  & 
Sain  te-Marie-Majeure,Gous  l 'an- 
neaudupécheur,leS3mail  773 , 
la  S" année  de  notre  pontificat. 
Contresigné  Benoit  Stay. 


A   MADAME    D  ÉPINAY 


Naples,  H  juin  iTIt. 


Le  peu  de  mots  de  votre  lettre  du  7  juÎD,   ajoutés 
le  votre  tuaio,  ma  belle  dame,  est  encore  plus  assom- 


jbïGoogIc 


LETTBES  DE  GALIAHI  2J1 

maDt  que  tout  ce  que  Toas  m'avez  éait  jusqu'à  cette 
heure.  Que  me  parlez-vous  de  pooction?  Je  n'entends 
rien  à  ce  mot  horrible.  Vous  ne  m'avez  jamais  parié 
d'hydropisie.  Tirez-moi  d'obscurité,  puisque  vous  m'avez 
mis  dans  le  soupçon.  Il  vaut  mieux  sans  doute  ignorer 
tout,  lorsqu'on  est  absent.  Hais  il  ne  vaut  rien  de  savoir 
les  choses  à  moitié. 

Le  prince  Pignatelli  est  ici  ;  il  est  tombé  conmie  moi 
à  la  renverse  en  lisant  votre  lettre  ;  elle  est  affreuse  en 
effet.  ' 

Elle  m'a  empédié  de  lire  la  lettre  de  Diderot.  Hais 
s'il  est  parti,  comment  m'y  prendrai-je  pour  lui  ré- 
pondre. Ëclaircissez-moi  sur  cela.  Au  reste,  le  philo- 
sophe a  travaillé  sur  une  épltre  qui  m'a  donné  autant 
de  peine  qu'à  lui.  Je  croîs  que  tous  les  deux  nous 
avons  enfin  trouvé  le  sens  juste.  Le  secret  était  que  les 
Romains,  auxquels  Horace  adresse  son  ode,  sont  les 
Romains  de  la  race  future,  la  postérité  en  un  mot,  à 
qui  il  amionce  des  malheurs  en  punition  des  crimes  de 
son  temps. 

Ma  belle  dame,  en  voilà  assez  pour  ce  soir.  Si  votre 
santé  ne  devient  pas  meilleure,  ne  comptez  ni  sur  de 
belles  ni  sur  de  longues  lettres  de  moi.  Adieu. 


jbïGoogIc 


LBTTBES  DB  GALUNl 


DIDEROT  A  LABBË  GALIANl' 

Vous  croyee,  mon&ieur  et  cher  aM>é,  que  je  vais  vous 
parler  de  moi  et  de  tons  tes  lionnètes  gens  que  vous 
avez  quittés  avec  tant  de  regret,  et  qui  T0us*reverraieût 
avec  tant  de  plaisir  ;  du  vide  que  vous  aves  laissé  dans 
la  synagogue  de  la  rue  Royale,  de  nos  affiiires  pu- 
Uiques  et  particulières,  de  l'état  actuel  de  la  science  et 
des  arts  parmi  nous,  de  nos  académies  et  de  nos  cou- 
lisses, de  nos  actenrs  et  de  nos  auteurs.  Cela  serait 
peut-^tre  plus  amusant  qu'une  querelle  d'éruditioa. 
Uais  cette  querelle  s'est  élevée  entre  H.  Naigeon  et  moi 
su^  la  6"  ode  du  III*  livre  d'Horace. 

Nous  vous  avons  choisi  pour  juge  et  vous  nous  ju- 
gerez, s'il  vous  plait. 

Vérifiez  cette  conjecture,  ensuite  prononces  pour 
delicta  majorvm  oa  itouT  mmmtw  inq/onm;  il  n'en 


1.  Celle  lettre  de  plus  de  douze  pages  concerne  presque  entiè- 
rement l'ode  d'Horace  ;  elle  n'existe  ni  dans  l'édition  Barbier  Di 
dans  l'édition  Serieys;  nous  ne  citons  qu'un  eitraii  et  renvoyons 
le  lecteur  à  la  correspondance  de  Diderot. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI  3S3 

restera  pas  iuchdb  dans  cette  lettre  qnelqaes  vues 
grammaticales  dont  j'aurai  abusé,  mais  dont  nn  aotre 
pODira  faire,  dans  une  meilleure  drconstance,  une  ap- 
plicatioD  i^iis  heureuse,  et  croyez  surtout  qu'il  me 
oonvieudrait  bien  davantage  de  tous  dire  ces  choses  de 
Tire  TOix  que  de  tous  les  écrire,  de  vcir  votre  perruque 
déposée  sur  le  coin  de  la  cheminée  et  TOtre  tête  fumante, 
et  de  vous  entendre  entaniffl' un  sujet,  le  suivre,  l'ap- 
profondir et,  chemin  faisant,  jeter  des  tsjoas  de  la- 
inière dans  les  recoins  les  plus  obscurs  de  la  littérature, 
de  l'antiquité,  de  la  politique,  de  la  philosophie  et  de 
la  monde. 

Ce  qu'Horace  disait  à  Virgile  de  la  ntort  de  Qaintt- 
lius,  je  l'ai  dit  cent  fois  à  Grimm,  au  baron  de 
Gieiclien,  de  votre  absence  it  Paris  et  de  votre  séjour  k 
Vagin». 


A     MADAME     D  É  P  I  ?I  A  T 


Vous  m'avez  tiré  d'incertitude  plus  tôt  que   je  ne 
n'y  attendais  II  y  a  des  choses  qu'on  cherche  à  savoir  et 


jbïGoogIc 


VA  LETTRES  DE  GALIANl 

qu'OQ  voudrait  apprendre  le  plus  tard  possible.  Tel  est  le 
cocuage  et  le  nom  de  votre  maladie.  Il  est  vilain  dans 
toutes  les  langues  possibles.  Si  vous  étiez  un  bonune, 
j'en  serais  mort  de  frayeur  ;  mais  vous  êtes  femme,  et 
les  femmes  vont  bien  loin  et  reviennent  de  bien  loin 
en  fait  de  maladies.  Sur  cette  considération,  je  reprends 
courage,  et  j'attendrai. 

La  perte  seule  de  Bbgallon,  me  parait  aussi  irré- 
parable pour  vous  que  la  mienne  ;  les  autres  ne  sont 
que  des  absences,  et  vous  auriez  tort  de  vous  en  affliger. 

Je  voudrais  vous  écrire  au  long  ce  soir,  mais  voici 
ce  qui  arrive.  Un  bomme  de  mes  amis  a  reçu  une 
lettre  ici  du  nonce  du  pape  ',  qui  est  à  Varsovie,  qui 
lui  mande  que  sa  Majesté  très  polonaise,  pour  se  dés- 
ennuyer (et  il  en  a  grand  besoin),  passait  son  temps 
à  lire  un  recueil  de  mes  lettres  à  mes  amis  en  France, 
qu'on  lui  avait  envoyé  depuis  peu,  et  qu'il  avait  la 
clémence  et  la  discrétion  de  communiquer  au  nonce 
de  sa  Sainteté. 

Voilà  le  coup  le  plus  étrange  et  le  plus  imprévu 
qui  me  soit  jamais  arrivé.  Mes  lettres  à  Varsovie!  Mes 
lettres  communiquées  &  un  nonce,  non  pas  de  la  diète, 
mais  du  pape  1  Je  n'ai  guère  écrit  de  lettres  qui  soient 


1.  Le  nonce  du  ptpe  en  Pologne  éiait  Ugr  Ganmpi ,  qui  pu- 
Mit  pour  un  des  rédaclean  de  la  Gtuetu  de  Pologtte.  L'impéra- 
trice de  Russie  ne  raimait  pas,  parce  qu'il  mettait  souTeot  en 
doute  ses  succès  contre  les  Turcs. 


jbïGoogIc 


I.ETÏKK»  DE  OALIAM  ia 

liiilos  pourêU-c  montrées  ù  des  nonces.  QuVsl-cc  donc 
que  cola  ?  Quelles  lettres  lui  a-t-on  envoyées?  Qui  est 
l'bcHume  assez  étourdi  pouravoir  compté  sur  la  discré- 
tion d'un  souverain,  et  d'un  souverain  parvenu  ?  Il  est 
vrai  qoe  j'ai  souhaité  qu'on  montr&t  mes  Icllres  à 
quelques-uns  de  mes  amis,  mais  je  n'ai  jamais  eu,  au 
iiCHDbre  de  mes  amis,  ni  des  Rois,  ni  des  Nonces.  Ja- 
mais je  n'ai  consenti  qu'on  donnât  copie  de  mes  lettres. 
De  grâce,  tirez  moi  de  celle  incertitude,  encore  plus 
embarrassante  pour  moi  que  votre  enquigtée  ascite 
no  l'est  pour  vous. 

Quelles  lettres a<t-il  reçues?  Soat-elles  de  moi?  Me 
les  a-t-oD  attribuées?  D'abord  je  les  désavoue  toutes.  Si 
vous  aies  coupable  de  l'indiscrétion,  comment  ne  crai- 
gnez-vous pas  que  j'envoie  les  v6treB  pour  me  venger? 
Vous  me  croyez  incapable  d'une  lâcheté,  jo  le  TOis,  et 
je  vous  crois  incapabled'une  indiscrétion.  Le  fait  est 
pourtant  qu'il  croit,  ce  monarque,  avoir  des  copies  de 
lettres  à  moi,  dont  il  s'amuse  plus  que  des  maniTestes 
des  trois  puissances  codividentes '.  Encore  une  fois, 
dites-moi  ce  que  c'est  que  cette  aventure,  faite  uni- 
quement pour  anéantir  ma  verve,  ma  liberté,  ma  fran- 
chise, la  gaieté  de  mes  lettres,  la  confianr«avec  laquelle 
je  vous  ai  toujours  mandé  ce  que  j'aurais  osé  dire  au 
coin  de  votre  feu. 

1.  L(i  Iroll  pulMareei  qui  m  iurlagcilect  U  t>j1o(me. 


jbïGoOQlc 


136  LETTRES  DE  GALIAM 

Pour  le  moment,  n'uttendei  rien  de  moi  siaou  des 
phrases  dignes  de  ne  scandaliser  aucun  nonca.  Ainsi,  je 
ne  voua  dirai  pas  que  je  vons  aime,  car  vous  fttes 
remme,  je  suis  abbé,  et  l'hydropisia  ne  fait  rien  à  la 
àmêe.  Il  faut  vous  dire  sèchement^  respeotueuaement 
que  j*ai  l'honneur  d'être  avec  respect,  madame,  votre 
très  humble  et  très  obéissant  serviteur. 


LE   MARQUIS    PE    GARACCIOLI    A   GALIANI 


Pféoisémeiit  à  présent  ou  rappelle  voa  Dialogutu 
dans  toutPuria;  les  éranomistes  orient  et  s'exclamont 
GOotre  vous  à  l'occasiou  de  la  famine  actuelle,  parce, 
que  malgré  toute«  lee  provisions  et  toutes  les  mesures 
prises,  voyant  dans  beaucoup  d'endroits  le  pain  à 
cinq  BOUS  la  livre  et  des  Boulèvemonta  dans  diSérentoa 
provinoeSi  wi  agite  ks  aociennes  questions  à  l'avan- 
ti^  des  économistes. 


I.  Nous  ne  cilons  qu'un  eitrait  de  celte  lourc,  qui  ii 
daas  l'édjlioo  Barbier  b1  Uaai  l'édliign  Seriejf, 


jbïGoogIc 


LETTBES  DE  O4.LIANI  337 

Je  ne  sais  pus  si  te  chevalier  de  Cliastellux  vous  a 
dit  la  haine  des  économistes  contre  vous.  H.  Turgot 
et  l'abbé  Morellet  soutiennent  qu'aucun  livre  n'a 
causé  plus  de  préjudice  à  la  France  que  vos  Dialogues 
contre  la  liberté  d'exportation  des  grains,  surtout  étant 
resté   sans   réplique   par  ordre  du  gouvernement. 

Vous  dites  que  votre  système  sur  les  grains  n'a 
pas  été  compris  ici  ou  qu'on  n'a  pas  voulu  le  GOm< 
prendre  ;  je  vous  répète  à  vous  ce  qu'eux  disent  sur 
celte  assertion.  Du  reele  je  ne  dois  pas  décider  si 
VUU8  avez  tort  ou  raisoa  ;  pour  cela  il  faudnùF  esa- 
mioer  à  tond  votre  livre,  ce  'que  je  r^^tte  de 
ne  pouvoir  fftire  njaintenaat;  du  fe«t£  mon  suffrage 
ne  servirait  à  rjen. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  UALIA.M 


XV     MA  II  IJ  IIS    UE    CAKACC10J.I, 
Anbo.sclcur  rfc  Naplei,  à  P»rls  '. 


Monsieur  l'Ambassadeur, 
La  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'houneur  de  m'écrire 
le  20  juin  ne  m'a  point  surpris.  Les  économistes 
crient  contre  moi»  et  m'imputent  la  cherté  des  Ta- 
fines,  la  rareté  du  pain,  la  famine.  Malgré  toutes  les 
précautions  qu'a  pu  prendre  le  goUvemànent,  en 
([uelques  endroits  de  la  France  le  pain  se  vend  cinq 
sous  la  livre.  Les  soulèvements  sont  fréquents  dans  les 
provinces,  et  tout  le  mal  vient  de  mes  Dialogvxs! 
M.  Turgot  et  l'abbé  Horellet  soutiennent  que  jamais 
aucun  line  n'u  été  si  pernicieux  à  la  France,  puisque 
je  m'y  oppose  fortement  i  l'exportation  des  grains  et 
que  j'y  prêche  seulement  la  circulation  intérieure  de 
ces  mêmes  grains.  En  vérité  je  ne  sais  si  j'ai  écrit 
po'.ir  les  vivants  ou  pour  les  morts:  personne  n'entend 
mon  système,  ou  ne  veut  l'entendre. 

t.  CctL«  luitre  ne  m  trouva  pii  daoi  l'tVIUlan  BiHiltr. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI  El» 

Et  vous  aussi,  Hoosieur  l'AmbaBsodeur,  vous  semblei 
révoquer  en  doute  la  pureté,  la  sagesse  de  mes  vues  ; 
vous  s'osez  décider  si  j'ai  tort  ou  raison;  il  faudrait, 
dites-vous,  esamioer  à  fond  mon  ouvrage,  ce  que 
rous  ne  pouvez  foire  maintenant  ;  et  vous  ajoutei  que 
d'ailleurs  votre  suffrage  ne  servirait  de  rien.  Je  ne 
partage  point  votre  avis.  On  vous  rend  trop  de  jus- 
tice pour  douter  un  instant  de  votre  impartialité.  Les 
absents  ont  toujours  tort.  Rien  de  plus  naturel  que  de 
voir  un  ambassadeur  protéger,  détendre  un  de  ses 
compatriotes  qu'on  opprime,  et  dont  le  silence  invo- 
lontaire, mais  forcé  par  la  distance  des  lieux,  semble 
justifier  les  persécutions  de  ses  adversaires.  Vous  êtes 
à  Pari*  le  protecteur  né  de  tous  les  Napolitains.  A 
qui  pourrais  avoir  recou»  il  voui  m'abandonnes? 
Pendant  quelque  temps  le  gouvernemeat  IVaoçali,  ti 
la  tolUcitation  de  H.  de  Sartln«,  a  défendu  mx 
économistes  de  m'outrager  par  leurs  rapsodies, 
Leur  système  a  produit  une  iamine  que  mon  livre 
aurait  prévenue,  et  c'est  moi  qu'on  accuse,  qu'on  vi- 
lipende, qu'on  voudrait  voir  brûler  en  place  de  Grève! 
E^  vous  êtes  là!  Encore  si  c'était  un  mauvais  ouvrage! 
Hais  faut-il  vous  rappeler  avec  quel  empressement  il 
fut  accueilli  dans  toute  la  France,  les  éloges  qu'il  reçut 
de  l'étranger,  du  roi  de  Prusse  <,   qui,  seul,  ît  coup 

1.  FrMérle  ■▼■([  écrit  i  Gillnl  une  leUre  de*  plus  éloftleuin 
(I)  sujet  des  DIaloguet  tur  lu  Met. 


jbïGoogIc 


130  LBTTRKS  DS  GALIANI 

Sûr,  vaut  au  moins  tous  l«s  économistes  de  France,  à 
l'exception  peut-^tre  de  mon  uni  Morellel,  dont  les 
intentions  valent  beaucoup  mieux  que  la  plume. 

Vous  répéterai-je,  HooSeigneur,  ce  que  Voltaire 
écrivait  au  sujet  de  mes  Dialogties  à  Diderot,  le  10 
janvier  ITTO.  «  Il  semble,  dit  le  philosophe  de  Ferney, 
que  Platon  et  Molière  se  soient  réunis  pour  composer 
cet  ouvrage  ;  ou  n'a'jamais  raisonné  ni  mieux  ni  plus 
plaisamment,  a  Gomme  vous  n'avez  guère  le  temps  de 
faire  des  rechercbes  étrangères  à  vos  fonctions,  per- 
mettee-moi  de  vous  transcrire  œ  que  ce  même  phi- 
losophe b  écrit  dans  les  questions  sur  l 'Encyclopédie 
à  l'artir^lé  «  Blé  »  '.  Après  l'avoir  lu,  je  ne  dolite  pas 
que  TOUS  ne  portiez  hautement  votre  décision  sur  mes 
Dialogues.  Ce  faisant,  vous  rendrez  justice  h  celui  qui 
a  l'honneur  d'être 

Votre  très  obéissant  serviteur. 

1,  Voir  le  premier  volume,  leUre  du  2  février  1771. 


jbïGoOQlc 


LETTRES  DE  OALIARt 


A     UADAMR     D'i=:PlNAY 


Kaplet.  n  Juillet  m». 

Mon  croupion  est  à  ravir,  mais  s'il  est  oécessaire  de 
l'avoir  en  bon  état  pour  dicter  des  lettres,  il  est  éga- 
lement pécessaire  d'avoir  des  lettres  pour  écrire  des 
réponses.  Vo(14  lès  raisons  pour  lesquelles  je  ne  vous 
ai  pas  écrit  la  semaine  passée.  Que  pouvait-elle  en- 
l'anter,  mon  imagination,  dans  l'incertitude  sur  l'état  de 
votre  santé?  Cette  semajae  on  peut  répondre  puisqu'il 
y  a  une  lettre,  mais  que  vous  dire?  Je  rabots  de  voua 
un  oreiller;  atil  qu'il  me  pèse  de  ne  pouvoir  pas  en 
rabattre  beaucoup! 

Le  Pbilosopbe,  à  La  Haye,  électrisera  toutes  les  tortues 
hollandàiaea.  Cependant  il  ira  eu  Rnssie,  je  n'en  doute 
pas,  ou,  pour  mieui  dire,  Il  se  trouvera  &  Pétersboiirg 
un  beau  matin,  sans  savoir  comment  il  y  est  parvenu  <. 

Le  prince  Pignatelli  est  une  espèce  de  Diderot.  Il  ne 


1.  Gillaol  ne  ae  trompait  pas  :  •  Eii  bien  <.  mes  amies,  le  sort 
est  jel^  ;  je  faie  le  grintl  voyage  ;  diaU  rassurez- vous.  11 .  de  Nnris- 
kin,  cbanibellan  de  S.  M.  i.,,ine  frend  ici  liins  une  bonne  voi- 
ture ei  me  conduit  i  I*étersbourg  doucemeni,  commoilÉiDcnt,  i 
petites  journées,  nom  arriManl  partout  où  le  besoin  de  repos  ou 


JbïGoOgIc 


Sn  LETTRES  DE  GALIANI 

sait  ni  rester  ni  partir.  Cependant  il  ne  passera  pas  ici 
'  l'hiver,  à  ce  que  je  crois.  Il  se  plaît  à  Naples,  mais  il 
s'ennuie  avec  sa  tante  et  son  oncle  à  un  point  inconce- 
vable, et  c'est  cet  aiguillon  qui  le  fera  enfin  partir. 
Je  le  vois  souvent;  nous  causons  de  vous  ;  nous  nous 
plaignons  de  ce  que  Naples  ne  ressemble  point  à  Paris; 
mois  nous  nous  portons  bien,  parce  qu'on  meurt  par 
des  raisons  physiques,  et  jamais  ou  presque  jamais 
par  des  causes  morales. 

Nous  avons  cette  unnéa  le  phénomène  que  je  croyais 
impossible,  d'une  récolta  également  prodigieuse  dans 
tous  les  genres  de  cullivations  aux  environs  de  Naples. 
Comme  elles  sont  très  multipliées  et  1res  différentes, 
je  croyais  impossible  da  combiner  une  saison  qui  don- 
nlt  en  mfimfl  Umpi  le  produit  parfiiit  de  tout  l«t  lé- 
gumes, orgo,  blé,  blé  de  Turquie,  chanvre  etllo,  lole, 
i'ruiiA,  Tin,  buil»,  etc.  Cela  s'est  pourtant  rencontré 
cclto  annés,  et  je  suis  très  curieux  de  voir  les  efl^ls 
politiques  d'une  richesse  de  terre  universelle. 

1^  France  souffre  la  disette,  et  j'apprends  qu'on 
m'en  accuse.  Si  vous  vous  portiez  bien,  je  compose- 
rais  encore  un  dialogue,  et  on  réimprin>erait  mon  ou- 
vrage avec  quelques  lettres  et  ce  dialc^e.  Peut-être  on 


la  Buriosilé  noui  le  eons^illers...  M  molt  de  JiDfler  procbtin, 
une  uutro  bonne  Tolture,  où  ifi  m'tuién\  k  rAté  du  frère  du 
prince  GiUtiin  e(  do  u  femme,  ne  déposera  eu  coin  de  U  ruo 
Tarnnne.  >  Diderot  i  maiIrmoNHIe  Vollmd.  |I3  lodl  1*73.) 


jbïGoogIc 


LETTR8S  DE  GALIANI  «33 

m'entendrait  mieux;  ce  qui  est  sur  c'est  qu'on 
m'aobèterait  encore  une  fois.  Mais  votre  croupion  me 
désarçonne.  Que  faire  d'une  dame  qui  a  le  croupion 
éoorché.  Dit«s-moi  donc  au  plus  vite  que  vous  vous 
portez  bien,  et  occupez-vous  de  m'apprendre  toutes  les 
ttcousations  des  économistes  contre  mes  Dialoguss  qui 
sont,  à  ce  qu'ils  disent,  la  seule  cause  des  révoltes 
en  Guyenne  et  en  Languedoc. 

J'imagine  que  vous  verrez  (^slellux  d'une  manière 
quelconque  (comme  disait  M.  de  Hairan  à  son  laquais, 
qui  aurait  plus  tôt  fait  avec  une  éponge)  ',  il  vous 
dcHuiera  de  mes  nouvelles;  il  a  été  chargé  de  me  l'ac- 
commoder avec  l'abbé  Horellet,  et  je  vous  en  charge 
aussi  ai  voire  croupion  vous  le  permet.  Pourquoi  se- 
rioDB-4Mxi«  brouillés  lorsque  noui  sommas  du  même 
aviit  II  aimo  la  Uborté;  J'aime  lu  liberlimtge  :  voilà  un 
premier  rapprcobament.  Il  soutient  qu'il  faut  Mer  tous 
lùs  impôts.  Mol,  Jo  ne  les  paie  qu'à  mon  grand  regret  ; 
voilik  uo  second  rapprodiement.  Il  écrit  dans  un  style 
tout  différent  de  celui  des  économistes  ;  il  se  Elit  lire 
avec  plaisir;  moi  je  tAcbe  de  me  faire  entendre,  et  de 
m'eipliquer  le  mieux  possible  dans  uue  langue  qui 
n'est  pas  la  mienne.  Voilà  la  ressemblance.  Mais  tout 
ceci  est  inutile,  si  vous  ne  désenflez  pas  bienttM.  Da 
grftce,  accouchez  de  ces  quatre  oreillers.  Adieu. 

1.  Voir  U  Iptire  ttu  3!  Kpkmbre  ITTO. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  OALIANl 


LXX 


Voilà,  sans  oontredit,  la  plus  sublime  lettre  et  la  plus 
iogénîeuse  que  tous  m'ayes  écrite  dans  votre  vie.  Vous 
désenflez,  vous  vous  désobstruex,  vous  êtes  contente  de 
Tronchin  *,  et  encore  plus  de  la  nature.  Gomme  cela  est 
prorond!  peut-on  être  plus  spirituelle?  Voua  ne  sauriei 
imagloer  la  ^ieté,  la  bonne  humeur,  l'électricité  que 

.1.  TroacbiD,  «prêt  avale  eiercé  la  médecine  A  G«iièT«,  éttlt 
venu  k  fixer  t  Parji,  où  II  obtint  une  Togu«  eitraordioalre. 
a  Tronchin,  Étranger  (<«  qui  a  toujours  été  un  titre  de  recom- 
maudalloB  en  France)  arait  mis  de  l'adreise  et  presque  de  la 
charhlinerie  pour  assurer  te  commencement  de  ses  succès^  par 
exemple,  il  Imagina  de  conseiller  i  une  Jeune  femme  de  frotter 
«qn  appartement,  ce  qoi  réuuit  Si  bien  que  la  moitié  de  la  boniie 
compagnie  se  mit  à  frotter.  >  (Duc  da  Lcvis,  Mémoires.)  Son  arri- 
Tée,  ses  succès,  aTii«nl  produit  une  véritable  révolntlon  dans  les 
habitudes:  c  Tronchin  arrive  de  Geoëva,  ditllorellet;i  peine  il  a 
parlé,  toutes  les  femmes  sorlentde  leurs  maisons,  et  ce  n'e.<t  plus  pour 
être  promenées  dans  leurs  Tolturei  on  dans  un  Hocre,  comme  la 
l'bjlis  de  Vollaire,  c'est  pour  marcher  elles-mêmes;  elles  courent, 
aTec  canne  ou  sans  canne,  sur  les  bouletrards,  sur  les  ponU,  dans 
les  rues,  dans  les  jardins.  Ce  qu'en  obtient  Tronchin  les  prépare 
et  les  dispose  à  mieux  obéir  à  Jean-Jacques.  Leur  santé  est  ré- 
tablie, les  enfants  seront  nourris  par  leurs  mère».  > 


jbïGoogIc 


LETTBBS  DE  GALIANI  331 

eela  me  donne.  Il  fout  vous  l'avouer,  je  m'intéresse  à 
TOtre  santé  autant  pour  vos  lettres  que  pour  les  miennes. 
C'est  un  vrai  plaisir  que  d'avoir  un  bersaglio  <  de 
toutes  mes  folies,  et  je  m'en  vais  d'ores  en  avant  vous 
écrire  les  plus  folles  lettres  que  vous  ayez  jamais  reçues 
de  moi. 

Bfais,  par  e&emple,  pourquoi  faut-il  que  madame 
votre  fille  vous  quitte  si  mal  à  propos?  Faut-il  courir 
jusqu'à  Plombières  pour  p.... 

Ne  saurait-on  désenfler  des  boyaux  à  Paris? 

Vous  avez  une  ressource  dans  votre  solitude.  N'èles- 
TOus  pas  logée  au  Palais-Royal? 

Raccrochez  les  passants  de  votre  lenëtre. 

Vous  pourriez  raccrocher  messieurs  do  l'arbre  de 
Oracoïie  ';  et  si  cela  est,  je  vous  manderai  des  nou- 
velles pour  les  amuser.  Pour  le  coup,  je  n'en  ai  point. 

Après  avoir  eu  cet  hiver  des  comédiens  français, 
nous  avons  à  présent  le  célèbre  danseur  le  Picque  ', 


t.  Point  de  mire. 

3.  L'arbre  de  Cracorie  se  trouvait  dans  le  jardin  du  Pataii- 
Rojal  ;  B''élait  toui  son  oi^brage  que  m  rasKmbUleat  les  oMfs 
pour  ncoDter  lu  Doavellei.  Il  fut  détruit  en  (TBI. 

3.  «Le  sieur  Pic  est  le  premier  danseur  linthéfltre  de  Naples, 
Tenu  dans  re  pajs-cl  par  congé  pour  y  acquérir  le  goAt  fran- 
çais; il  ■  été  inrilë  par  les  coryphées,  de  la  danse  de  se  montrer 
■Dr  le  théâtre  de  t'Opéra.  On  a  fait  une  entrée  pour  lui  dans 
Akeilt  et  une  autre  dans  l't'iiîo»  lU  l'Amour  et  dei  Artt.  II  a  en-, 
levé  tons  les  snin-agea  :  on  le  regarde  pourtant  comme  plus  fort 
dans  la  danse  noble  et  de  terre  à  terre  que  dans  la  danse  haute 


jbïGoogIc 


va  LETTRES  DE  GALIANI 

qui  nous  donne  le  ballet  d'Armide  avec  ses  ohceurs, 
et  tout  oe  qu'où  pouvait  donner  à  l'opéra  de  votre  Pa- 
lais-Royal. Il  faut  convenir  qu'il  est  aussi  excellent 
danseur  que  Vestris  et  Dauberval  *-,  cependant  il  a 
eu  plus  de  peine  que  d'Aufresne  à  franciser  les  Napo- 
litains. H  B  pensé  être  siillé  au  commencement.  Les 
Napolitains  ne  s'apercevaient  pas  qu'il  dansât  dans  un 
aussi  énorme  et  moastrueaic  Ihé&tre  que  le  n6tre, 
parce  qu'il  ne  sautait  point.  Hais  comme  il  est  d'une 
ti'ès  jolie  taille,  il  a  commencé  par  apprivoiser  les  Na- 
politaines, et  la  nation  peu  à  peu  s'est  convertie. 

Voyez  les  progrès  des  mwurs  :  nous  tombons  dans  la 
monotonie)  grâce  à  vous  autres,  messieurs;  el  bienlt'tt 
toute  l'Europe  sera  Paris,  et  legoûtde  voyager  passera; 
caril  n'y  aura  rien  il  apprendre,  rleaà  voir:  toutie  ret- 
semblera.  Aux  deux  bouts  du  grand  continent,  il  y  aura 
les  Chinois  d'un  c6té,  les  Europdens  de  l'autre,  deux 
nations  à  peu  prùs  égales.  Us  auront  de  même  une 
caraclérisUque;  ils  auront  un  gouvernement  absolu, 
tempéré  par  les  formes,  la  longueur  des  procédures,  la 


et  de  lallation.  Il  n'est  pas  «i  grand  que  Veilris,  mait  inSnimenl 
plu$  jeune,  u'ayint  pas  trente  ani  et,  par  coii)équent,  il  a  les 
mouTemenU  plut  doux,  plus  souples,  plus  moellcui.  C'est  un 
élËv«  du  sliut  NoTerre,  ce  qui  lui  a  valu  plus  de  fuveur  eucorc. 
Hier,  la  Beine  est  ranue  pour  le  voir  et  en  a  été  eiirémemeni 
satisfaite.  On  aurait  roula  le  coaserrer  lei,  maii  11  n'y  pas  moynn 
(l'y  longer,  puisqu'il  gagne  SO.OOO  llrrei  à  Neples,  ■ 

(llathaiimont.) 
1.  Danseur  <le  l'Opéra. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIA.M  i37 

douceur  des  mœurs;  ils  auront  beaucoup  de  soldais  ai 
peu  de  bravouitt;  beaucoup  d'industrie  et  peu  de  génie; 
beaucoup  de  peuple  et  peu  de  gens  beureux.  Les  répu- 
bliques disparaîtront  en  Europe  :  elles  ne  marchent 
pas  en  ligne  avec  les  monarchies,  perdent  du  terrain 
et  sont  enlbncées.  La  Pologne  vous  prouve  cela  :  son 
malheur  précède  d'un  siècle  tout  au  plus  celui  des  ré- 
publiques  italiennes  qu'on  a  méprisées  à  cause  de  leur 
petitesse.  Nous  serons  donc  Chinois  dans  cent  ans  tout 

au  plus Je  m'amuse  déjà  à  m'aplatîr  le  nez  et  à 

m'allonger  les  oreilles  par  en  bas,  et  je  n'y  réussis  pas 
mal  :  travaillez,  vous  aussi,  ù  vous  amincir  les  pieds 
de  votre  côté. 

Adieu,  ma  belle  dame,  le  prince  Pignatelli  tous  rend 
ses  compliments.  Il  est  fort  occupé  de  madame  de 
LIano  ■  la  plus  i-agoiltante  espagnole  que  j'aie  jamais 
vue.  Adieu  eucorc. 


t.  Madame  <le  iiiuuure,  daiu  s-m  juiirniil,  |iarle  do  uetlc  Es- 
(lagoole  tomiuc  élani  duQn  rare  beauti-. 


jbïGoogIc 


LBTIRBS  DE  GALIANI 


Vous  ne  voulez  pas.  le  croire,  nu  belle  dame,  il  n'y 
a  poipt  de  trauqiijlltté  ni  de  repos  que  dans  la  yér'tié. 
A  présent  que  vous  m'avez  mis  en  méfiance,  je  ne  suis 
pas  même  sûr  si  votre  lettre  du  11  juillet  est  véridique. 
Je  veux  la  croire  telle,  au  moins  sur  ce  qui  regarde 
votre  engraissement  et  votre  embellissement.  Ce  $era 
une  belle  surprise  pour  moi  si  je  reviens  à  Paris,  de 
vous  trouver  grasse,  comme  je  les  aime. 

Hagallon  aura  de  la  peine  à  vivre  avec  M.  d'Aranda  '  ; 


1.  Le  comte  d'Aranda  venait  d'être  nommé  ambiasadear  en 
France.  C'était  un  liomme  d'une  hitute  valeur  «t  d'un  caractère 
fortement  trempé.  Il  avait  cbasaé  les  jésuites  d'Espagne.  On  lui 
attribuait  plus  de  jugement  que  d'esprit,  plus  de  léte  que  d'hibi- 
leté,  mais  11  possédait  une  inébranlable  fermeté,  qui  suppléait  i 
tout.  «C'était,  dit  le  duc  de  Lé«i«,  une  de  ces  Ames  de  fer  que 
son  pays  seul  produit.  >  Caracdoli,  qui  avait  beaucoup  connu  le 
comte  d'Aranda,  le  comparait  ingénieusement  i  un  puits  profond 
dont  l'oriSce  eslétroiL — D'Aranda  résida  en  France  jusqu'enlTSi; 
il  retourna  ensuite  en  Espagne  où  it  mourut  en  1794.  —  On  cite 
de  lui  la  mailme  suivante  ;  iLe  oui  et  le  non  viennent  du  mi- 
nistre, le  qnand  et  le  comment  du  cenuDis,  le  cahier  et  le  pupitre 


jbïGoogIc- 


LETTBBS  DE  GA.LUN1  339 

maiB,  si  je  ne  me  trompe,  ce  sera  M.  d'Aranda 
qui  quittera  le  premier  un  payt  où  il  se  déplaira  à  la 
mort.  Le  prince  *  coatioua  dans  son  incertitude  et, 
assurément ,  je  ne  le  laisserai  partir  que  quelqu'un 
ne  vienne  le  relever  de  sentinelle  auprès  de  moi.  il 
fout  enfin  que  je  vive  et  que  je  cause. 

Un  portrait  en  profil  ne  ressemblera  jamais  à  notre 
boH  H.  de  Croismare,  dont  le  masque  et  la  pantomime 
du  visage  taisaient  la  caractéristique,  je  revois  encore 
son  visage,  et  je  vous  dis  qu'il  ne  lui  ressemble  pas. 

Nous  avons  une  reine  accouchée  et  votre  roi  pour 
parrain,  si  l'enfant  ne  meurt  pas.  Elle  est  venue  au 
monde  un  peu  malingre,  et  aura  de  la  peine  à  vivre* 

h  suis  bote  ce  soir  à  mon  ordinaire,  et  de  très  mau' 
«aise  luuneur  par  axtraivdinaire.  C'est  le  derofet-  jour 
du  mws.  Je  vois  mes  listes,  et  js  me  trouve  volé,  pillée 
saccagé  par  nmn  cuisinier,  mas  gsos,  mon  cocher.  Ah  t 
la  pénible  chose  pour  un  abbé  que  d'ètm  volé  par 
d'autres  que  par  •agouvei'oantel  Je  suis  seul,  isolé,  sans 
parents,  sans  amis,  sans  femme  de  ménage  ;  mon  ar-> 
gents'flDva  :  toutest  au  pillage.  Il  faut  me  marier  ab- 
solameot.  N'aurieft-voufl  pas  une  riche  ctéoie  de  ren^ 
ofHitre  r  il  m'importe  peu  qu'elle  lolt  neuve  ou  usés. 
Voyez. 

lie  la  tutioD,  le  roi  n'y  met  du  sien  que  l«  plume  et  l'eae>e> 
(Voir  l'appendice  H). 
I.  Le  priDM  ViptÊtaUL 


bïGoogIc 


LKTTHES  DE  OALIAM 


BiHi  soir,  je  vous  <|ui(lc;  je  ne  Siiis  que  vous  dire. 
Vous  saurez  toutes  les  nouvelles  du  monde,  plus  t6t  que 
par  la  voie  de  mon  cul-de-sac.  Adieu  douci  Le  prince 
vous  fait  mille  compliments. 


A    LA    HËME 

Niplw,  ;  aofit  1111. 

Messieurs  les  quarante  au  beau  partage  sont  convenus 
que  la  tournure  la  plus  agrtiable  qu'on  paisse  donnera 
la  description  d'une  maladie,  c'est  de  commencer  par 
le  prétérit /ai  été,  comme  la  plus  vilaine  et  la  plus 
grossière  est  d'entamer  le  discours  par  le  présentée  «u/s. 
Votre  lettre,  ma  belle  dnme,  est  donc  très  joliment 
tournée  eu  débutant  par:  j'ai  été  hydropique.  J'y  bals 
les  mains  ;  j'approuve  mftme  que  vous  sachiez  ce  ipio 
c'est  qu'une  hydropisie  grecque,  pour  savoir  à  quoi 
vous  en  tenir  là-dessus.  Vous  savez  en  outre  ce  que 
c'est  qu'une  solitude  parisienne .  Elle  se  passera  et  bien 
plus  sûrement  à  l'approche  de  l'hiver,  surtout  si  vous 
restez  au  Palai»-Royal. 
Aht  quoje  suii  fftctié,  pour  vou»  cl  pour  lui,  de  ce 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI  S41 

que  TOUS  me  mandez  de  notre  bon  chevalier  '  !  La 
faveur  du  roi  ne  lui  vaudra  pas  un  sol  ;  elle  lui  fera 
perdre  Paris.  Le  comte  d'Arauda  an  sera  jaloux  et  dé- 
pité au  possible  ;  il  voudra  le  faire  rentrer  dans  le  bas 
rang  des  secrétaires  d'ambassade;  il  ne  le  pourra  pas, 
jl  le  rendra  malheureux.  Il  faudra  que  l'un  des  deux 
saute  en  l'air.  Ils  sauteront  par  décence  tous  les  deux. 
Hais  la  carrière  de  Magallon  n'est  pas  finie,  je  ne  dé- 
sespère pas  de  le  voir  à  Naples.  Pour  Aranda,  à  moins 
qu'il  n'y  ait  des  guerres  d'Espagne,  ses  rAles  sont  finis. 

Le  prince  Pignatelli  est  toujours  résolu  de  partir,  et 
compte  arriver  à  Paris  à  la  fia  de  novembre.  Naples 
est  comme  la  vapeur  du  chartion  :  on  y  meurt  en  y 
restant,  mais  on  n'a  pas  la  force  de  s'en  aller.  Ainsi  je 
ne  sais  pas  s'il  partira. 

Je  n'ai  pas  de  nouvelles  à  vous  donner.  Si  elle  vous 
intéressait,  je  vous  donnerais  pour  nouvelle,  que  j'ai 
enfin  réussi  cette  semaine,  après  deux  ans  de  travail,  à 
faire  quelque  chose  digne  de  moi  et  de  ma  charge  pour 
le  bien  do  ma  patrie.  C'est  une  déclaration  du  roi  por- 
tant règlement  sur  les  matières  d'or  et  d'ai^ent  qu'on 
emploie  filées  ou  tissées  dans  les  galons,  broderies,  pas- 
sements et  dont  se  servent  même  les  orfèvres.  Que  de 
peine  etde  persévérance  n'a-t-il  pas  fallu,  avant  que  d'en 
venir  à  bout  I  mais  enfla,  j'ai  réussi  à  y  établir  une 

1.  Le  cheTillfir  de  Uagillon. 


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tiî  LETTRES  DE  GALTANI 

eotière  liberté,  et  mon  ahhé  Morellet  m'embrasserait 
bien  pour  ce  que  je  viens  de  faire  et  verrait  que  je 
ne  suis  point  un  Machiavellitio,  ennemi  de  la  liberté.  Je 
l'aime  lorsqu'il  s'agira  de  galons.  Le  pain  est  autre 
chose,  it  appartient  à  la  l>olice  et  non  pas  au  com- 
merce. 

Il  serait  trop  long  de  vous  détailler  mon  affaire  ;  en 
peu  de  mots,  je  vous  dirai  que  nous  avions  uue  vieille 
loi  qui  nous  défendait  de  fondre  et  raffiner  dos  mon- 
naies (toutes  les  nations  ont  la  même)  et  celles  de  nos 
souverains.  Comme  nous  appartenions  à  l'Espagne,  les 
momiaies  d'Espagne  étaient  défendues  aussi  ;  par  con- 
séquent, nous  n'avions  pas  de  matières  suffisantes  à 
fondre.  On  les  fondait  en  contrebande,  et  on  les  raffi- 
nait mal  ;  en  outre,  on  avait  recours  aux  vieux  gal<ms 
et  broderies  brûlées,  qui  noircissaient  toujours,  même 
après  avoir  été  réduites  en  verges.  Enfin  le  monopole 
s'y  était  établi.  U  y  avait  des  prix  fixés  à  la  diable, 
pour  acheter  et  pour  vendre,  qui  gênaient  Jeoommerce 
et  g&taient  tout.  Les  acheteurs  des  vieux  galons 
s'étaient  ligués  entre  eux,  avaient  formé  un  coips  de 
métier,  sollicitaient  des  privilèges,  et  nous  étions  à  la 
veille  de  voir  tomber  toute  la  manufacture  des  galons, 
points  d'Espagne,  broderies,  etc.  J'ai  fait  sauter  en  l'air 
toutes  les  entraves.  Plus  de  prix  iixes.  Plus  de  privi- 
lèges exclusifs.  Tout  le  monde  peut  vendre  et  acheter 
des  vieux  ors  et  argents  :  sauf  certains  règlements  de 


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LETTRES  DE  GA.LIANI  M3 

police  pour  empêcher  les  vols  domestiques.  Tout  le 
monde  peut  fondre  les  rnoonaies  espagnoles,  pièces 
fortes,  etc.  Le  raffinage  est  réglé  et  bjtpubliquement 
dans  un  lieu  de  l'hôtel  des  moanaies,  par  des  gens  ha- 
biles, sous  l'inspection  d'ua  magistrat,  fiieatât  nous 
nous  passerons  de  vos  galons  et  bi-oderics  ;  nous 
vous  égalerons  en  cela  ;  mais  nous  n'égalerons  jamais 
vos  madames  de  Paris:  Ainsi  Paris  restera  avec  la  plus 
grande  de  ses  supérito'ités.  Bonsoir.  J'ai  rempli  la 
feuille. 


Kaples,  u  aoùl  ittj. 

Ha  lettre  sur  l'aventure  de  Varsovie  *,  ma  belle 
dame,  était  écrite  dans  le  premier  saisissement  de 
l'étonnement  et  de  la  frayeur.  Après  cela  j'ai  fait  mes 
réflexions,  et  je  ne  vous  en  ai  plus  parlé,  comme  vous 
aurez  vu  : 

i"  Parce  que  le  roi  de  Pologne,  quoi  qu'il  ne  me  soit 

1.  Les  lettres  de  Galiaui  qu'on  svul  commuaiquées  lu  nonce. 


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su  LETTBHS  DE  GAIIANI 

pasGounu,  doit  être  un  homme  prudent,  puisque,  tant 

bien  que  mal,  il  a  su  devenir  Roi'; 

^  Parce  que  monsîgnor  Garampi  est  le  plus  savant,  le 
meilleur  et  le  plus  rare  des  préfats  romains,  et  bien 
de  mes  amis  ; 

S°  Parce  que  quelque  enthousiasme  que  je  suppose 
en  Grimmouen  d'autres  pour  moi,  ils  sontassez  pru- 
dents pour  ne  pas  me  compromettre.  Ainsi,  toute  ré- 
flexion faite,  je  suis  tranquille,  et  le  désir  de  savoir 
quelles  lettres  a  pu  recevoir  le  roi  de  Pologne,  comme 
écrites  par  moi,  n'est  plus  à  présent  qu'une  curiosité; 
et  au  lieu  de  calmer  ma  colère,  qui  n'existe  plus,  je 
vous  demande  en  grâce  de  tftcher  de  satisfaire  cette 
innocente  curiosité  de  ma  part,  et  je  suppose  quevous 
le  pourrez.  N'aurait-on  pas  fait  des  lettres  à  plaisir, 
qu'on  m'aurait  attribuées,  comme  les  lettres  de  madame 
de  Pompadour,  et  tant  d'ouvrages  de  Boulanger,  de  Mi- 
rabaud  et  autres?  En  vérité  j'en  suis  très  curieux.  Rien 
n'est  si  vrai  d'ailleurs  que  j'aimerais  à  la  folie  qu'on  vit 
et  qu'on  lût  mes  lettres»  pourvu  que  celui  qui  les 
montre  se  souvint  que  je  suis  à  Naples,  que  je  suis 
abbé,  et  qu'il  y  a  encore  assez  de  Jésuites  par  le 
monde,  vivants  assez  pour  se  venger.  A  cela  près, 
rien  ne  m'importe  du  reste.  Je  ne  serai  plus  dans  ce 
monde  ni  un  grand  personnage,  ni  un  rien  :  je  serai 

1.  Stanislas-Aagiute  Poniatowski,  Élu  roi  de  Pologne  le  7 
septembre  1764. 


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LETTRES  DE  GALIANI  245 

un  conseiller  de  commerce  dans  un  pays  où  il  n'y 
a  pas  de  commerce,  voilà  tout.  Nous  nous  sommes 
enleudus,  je  crois.  Ce  qui  me  console  le  plus  dans 
votre  lettre,  c'est  que  vous  ne  me  dites  plus  un  mot  de 
TOtre  santé  :  cela  me  persuade  que  sérieusement  vous 
guérissez. 

Je  voudrais  vous  écrire  quelque  chose  de  gai,  car 
j'en  ai  grand'euvie,  mais  je  ne  suis  plus  en  train. 
La  semaine  passée,  je  vous  ai  parlé  de  mon  premier 
coup  d'essai  en  fait  de  politico-économie.  A  présent,  je 
vous  dirai  que  personne  de  mes  Napolitains  ne  sait  le 
bien  que  j'ai  fait  à  nos  manufactures  ;  personne  n'en 
parle,  personne  ne  s'en  soucie.  Y  a-l-i!  rien  de  plus 
agréable  qu'un  silence  aussi  mortel?  qu'en  dites-vous? 
Vous  me  plaignez;  eh  bien,  consolons-nous,  i'ai  bien 
diné  ce  malin  chez  le  grand-maiire  du  roi;  je  dinerai 
bien  demain  chez  noire  généralissime  ;  apr<!:s-demain 
chez  l'ambassadeur  de  France.  Les  broderies  iront 
comme  elles  pourront.  La  cuisine  va  toujours  bien  ici. 
A  propos,  un  frère  cuisinier  des  Célestins  vient  de 
publier  un  ouvrage  complet  sur  la  cuisine.  On  en  parle 
beaucoup,  car  c'est  le  premier  livre  qui  paraisse  depuis 
deux  ans.  Un  religieux,  homme  d'esprit,  l'a  aidé  à  le 
composer.  Il  dit,  dans  sa  dédicace,  qu'on  a  tort  d'ap- 
peler gens  de  bon  goût,  ceux  qui  se  connaissent  en 
bonne  musique  ou  en  bons  tableaux  :  que  ces  gens-là 
,  sont  tout  au  plus  des  gens  à  bonnes  oreilles  ou  à  bons 


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346  ■  LETTRES  DE  CALUSI 

yeux  ;  mais  qu'il  n'y  a  de  bon  goût  qu'à  se  connattre 

en  ragoûts.  Il  a  raison,  au  moins  grammaticalement. 

Voilà  nos  nouvelles  littéraires.  Pour  moi  je  suis  fort 
occupé  de  rechercher  quelques  notes  concernant  la 
vie  du  duc  de  Valentinois,  César  Borgia,  par  une 
raison  fort  bizarre.  Je  devrais  en  composer  une  bro- 
chure pour  la  dédier  au  pape.  Ceci  n'est-îl  pas  bien 
bizarre?  Voyez  si  H.  Capperonnier  ou  quelque  autre 
pourrait  m'aider  de  ses  lumières.  Je  ne  trouve  pas  ici 
l'ouvragede  BrantAme,  des  Hommes  illustres  étrangers, 
et  j'aurais  besoin  de  savoir  à  quel  3ge  il  mourut,  ou, 
ce  qui  revient  au  même,  dans  quelle  année  il  mourut. 
Le  duc  de  Gaodia,  son  frère,  en  quelleannée  se  maria-t-il? 
et  à  qui  ?  etc.  Si  vous  parvenez  à  trouver  cet  ouvrage  de 
BrantAme,  mandez-le-moi  ;  je  vous  ferai  alors  des 
questions. 

Aimez-moi  toujours.  Adieu. 


Ne  parlons  plus,  ma  belle  dame,  de  l'aventure  de 
Varsovie  ;  il  en  arrivera  ce  que  Dieu  voudra.  PeutrCtre 


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LETTRES  DE  GALIANI  M7 

cette  ville  sera  pillée  et  brûlée  par  les  cosaques,  et  le 
manuscrit  de  mes  lettres  sera  détruit. 

Je  suis  bien  aise  que  votre  flile  soit  saine  et  sauve, 
mais  je  n'aurais  pas  su  le  malheur  de  Plombières  depuis 
que  personne  ne  me  fait  plus  cadeau  de  la  gazette 
de  Paris. 

L'ouvrage  de  H.  Olof  Torée  ne  m'est  pas  inconnu*.  Je 
crois  en  avoir  vu  quelque  extrait.  Il  me  souvient  que 
ce  monsieur,  en  bon  aumdnier,  est  fort  scandalisé  du 
libertinage  des  Chinois,  et  très  étonné  qu'aucun  voya- 
geur n'ait  remarqué  qu'en  Chine  les  pères  abusent  de 
leurs  filles,  les  irères  des  sœurs,  et  que  la  sodomie, 
même  de  ses  propres  enfants,  y  est  fort  tolérée.  Il  croit 
que  c'est  le  problème  le  plus  difficile  à  résoudre  en  po- 
litique ;  comment  un  empire  pcuHl  subsister  après  des 
désordres  pareils  !  Cependant,  si,  à  l'arrivée  de  cette 
lettre,  H.  le  marquis  de  Militerni  (qui  loge  chez  M.  de 
Courtanvaux)  n'est  pas  encore  parti,  il  se  chargera  vo- 
lontiers de  m'en  apporter  un  exemplaire,  qui  me  fera 
plaisir,  et  je  lui  en  écris  ce  soir  même.  Au  défaut  de 


I.  Voyage  de  M.  Oluf  Torée,  aumôiiicr  de  la  Compagnie  sué- 
doise des  Indes  orientales,  fait  à  Surale,  à  la  Chine  ,  depuis  le 
1"  aTTil  1750  jusqu'au  36  juiii  lT5i,  publié  par  Linnée  e(  traduit 
du  suédcTis  par  Dominique  de  Blackford,  à  MiUn  1771.  s  C'est 
M.  Torée  qoi  a  découvert  ta  fameuse  plante  Torenla  que 
M.  Linnaeus  a  appelée  du  nom  de  son  Tondateur.  Un  homme  qui 
aurait  eu  la  gloire  de  donner  son  nom  à  quelque  coiffure  nou- 
velle, edi  tait  plus  de  sensation  danscepifs-d.  ■  (Grimm.  Corr.tilt.] 


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24S  LETTRES  DE  GALIANI 

cette  occasion,  il  faudra  attendre  le  départ  de  Carac- 

cioji  pour  me  l'envoyer. 

La  dissertation  sur  les  noyés  ne  saurait  m'intéresser. 
La  foule  de  notre  peuple  est  telle,  que,  s'il  ne  s'en 
noyait  quelqu'un  de  temps  à  autre,  il  n'y  aurait  plus 
moyen  de  percer  dans  les  rues.  VoilJt  pourquoi  ia  mé- 
thode de  l'inoculation  serait  dangereuse  chez  nous  ;  car 
enfin  ce  ne  sont  que  des  Napolitains  et  des  hommes 
qui  sont  noyés.  S'il  se  noyait  quelque  demoiselle  du 
Palais-Royal,  je  ferais  sans  faute  venir  la  brocliure, 
et  je  crois  qu'elle  ressusciterait  seulement  à  l'odeur 
d'une  brochure,  chose  si  rare  chez  nous. 

Jo  vous  ai  mandé,  il  y  a  quelque  temps,  la  fertilité 
de  cette  année  dans  toutes  nos  récoltes,  et  la  curiosité 
où  j'étais  d'en  voir  les  effets  politiques,  ils  commen- 
cent à  se  montrer,  et  il  est  arrivé  en  effet  ce  que  je 
calculais  :  que  tout  est  cher,  et  les  prix  de  toutes  les 
choses  sont  à  peu  de  chose  près  ceux  des  années 
stériles.  Cet  événement  parait  étrange,  mais  il  est  le 
produit  donné  par  le  calcul  et  confirmé  par  l'expérience. 
Lorsque  tout  le  monde  est  riche,  il  y  a  moins  de 
besoins,  et  on  a  en  vue  plus  de  ressources.  Ergo  tous 
les  prix  se  soutiennent.  Notre  province  a  récolté  cette 
année  lt^O,000  livres  de  soie.  L'année  passée  elle  n'en 
eut  que  110,000.  On  avait  fixé  le  prix  des  soies  de 
quarante  sols  plus  bas  que  celui  de  l'année  passée. 
Mais  on  a  eu  beau  faire,  les  soies  se  sont  vendues  cette 


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LETTRES  DE  GALIANI  24» 

année  plus  cher,  ou  du  luoios  aussi  cher  que  l'année 
précédente.  Voilà  des  os  à  ronger  pour  messieurs  les 
économistes. 

Voilà  ma  lettre  remplie.  Le  philosophe  s'est  donc 
oublié  à  Utrecht,  comme  Pignatelli  à  Naples.  En  lui 
écrivant,  parlei-lui  de  moi.  Personne  ne  m'a  plus 
mandé  ce  que  devinrent  mes  inscriptions  latines  pour 
Pétersbourg  et  pour  Gotha.  En  savez-vous  rien  ? 

Vous  aurez  appris  déjà  la  débâcle  des  jésuites  arrivée 
à  Rome  le  16  *,  Leur  histoire  n'est  pas  plus  finie 
que  celle  des  Juifs  après  la  destruction  de  Jérusalem 
par  Titus.  Elle  a  seulement  changé  de  ton  et  de  cou- 
leur, de  l'actif  au  passif. 

Aimez-moi.  Des  avocats  m'appellent  pour  m' ennuyer. 
Adieu. 

I.  Le  pape  venail  de  supprimer  la  Sociélê  de  Jésns. 


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LETTRES  DE  GALIAM 


Nnpies,  ti  loit  1779. 

Je  fais  toujours,  ma  belle  dame,  lire  vos  lettres  à 
Pignatelli  :  peutK>n  lui  parler  davantage  de  vous?  J'ai 
reconnu  mon  cher  baron  de  Thun  à  sa  phrase.  Voilà 
ce  qui  s'appelle  entrer  dans  les  détails  des  choses.  Si 
je  voulais  l'imiter,  je  vous  demanderais  aussi  :  est-ce 
dans  vos  jambes  ou  sur  vos  jambes  que  vous  êtes  faible? 
et  cette  demande  m'expliquerait  si  vous  êtes  faible  à 
marcher  ou  même  à  donner  des  coups  de  pied  an 
c.  des  gens  qui  en  mériteraient  l'honneur. 

Lo  cours  des  saisons  qui  nous  a  donné  ixUe  année 
une  fertilité  générale,  le  voici  :  l'hiver  a  été  con- 
stamment froid  jusqu'au  coismeocemeiit  de  mai,  avec 
des  pluies  rares  et  à  des  intervalles  considérables.  Ce 
froid  a  enrichi  la  terre  de  sels,  a  retardé  la  végétation, 
a  empêché  tout  le  dommage  des  gelées.  Le  mois  de  mai 
a  été  frais,  avec  quelques  pluies  et  sans  gelées.  Le 
rei>te  de  l'été  a  été  constamment  frais  et  parsemé  dn 
pluies  sans  orages.  Quelques  jours  assez  chauds  ont  fait 


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LETTRES  DE  GALIANI  251 

q>érer  le  mûrissement  des  Bemailles  et  des  fruits;  ce 
(rais  a  empêché  les  vers  et  les  insectes  ;  il  a  été  utile 
aux  vers  à  soie.  Ainsi,  en  substaoce,  nn  frais  arrosé 
pendant  huit  mois,  sans  brouillards,  sans  les  vents 
chauds,  a  été  la  panacée  universelle  ;  et  même  on  ne 
se  souvient  d'aucune  année  où  il  y  ait  en  moins 
de  morts  et  de  malades.  Le  résultat  a  été  (comme  je 
vous  l'ai  mandé)  que  les  prix  dans  tous  les  genres  de 
denrées  se  soutiennent,  comme  si  la  récolle  eût  été 
médiocre.  Ils,  tomberont  par  la  faute  du  pouvemement, 
qui  généra  les  exportations.  Mais  il  n'y  a  pas  de  saison 
qui  amène  le  sens  commun  :  donc  la  récolte  est 
toujours  stérile  ici.  Il -me  suffit  que  Panurge  sache, 
même  par  ricochet,  que  je  souhaite  me  raccommoder 
et  rcntrerdans  ses  bonnes  grflces.  Pourquoi  serions-nous 
ennemis?  A  propos,  son  dictionnaire  du  Commerce,  à 
quoi  en  est-il  *  ? 

Ce  grand  chêne  des  jésuites,  après  quinze  ans  de 
coups,   est  enfin  renversé'.  Le  roi   d'Espagne  en  aura 

1.  Le  Dictioanaire  do  Commerce  n'a  jamais  paru.  Morellet  pu- 
blia seulement  ie  prospeclus  en  1769.  Le  Diclioniuiire  universel 
àe  Géosraphie  commercial*,  de  Feuchet,  fut  rédigé  d'après  les 
taalÉriaui  préparés  par  Horellet  pour  le  sien. 

3.  Le  ■  Grand  Chêne  des  Jésuites  s  aTait  en  effet  résisté  près 
de  quinze  ans.  Expnltée  du  Portugal  en  1759  par  Carvalho, 
marquis  de  Poœbal,  ta  Société  Cat  supprimée  en  Pracce  par  une 
déclaration  royale  de  itotembre  1764,  nuis  on  permit  à  ses 
membres  de  viTre  en  particuliers  dans  le  rojaume,  en  se  con- 
formant aux  lois.  Charles  III  loulut  bientôt  imiter  l'exemple  de 


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»1  LETTRES  DE  GALIANI 

la  gloire  au  jugement  de  la  postérité.  Cela  me  prouva 
que  l'héroïsDie  consiste  dans  une  opini&treté  de  notre 
part,  combinée  avec  les  hasards  heureux,  qui  ne  dé- 
pendent pas  de  nous.  On  gagne  donc  le  surnom  de 
Grand,  moitié  par  hasard,  moitié  par  mérite.  Si  les 
économistes  avaient  placé  leur  opiniâtreté  dans  la  pros- 
périté de  la  Pologne,  Quesnay  s'appellerait  le  grand  Ques- 
nay  :  il  aurait  fondé  une  secte.  Les  absurdités  postérieures 
ne  seraient  pas  sur  son  compte  ;  malheureusement  le  port 
de  Dantzick  est  fermé  au  moment  même  où  ils  s'opinià- 

ses  voiiins,  el,  en  avril  1767,  une  pragmatique  royale  supprima 
la  Sociûié  Cl  expulsa  les  jésuiles  de  toute  la  monarchie  d'Es- 
pagne, C'est  le  comle  d'jVranila  qui  (ut  chargé  de  l'eiéCutioD. 
La  chuie  des  jésuites  devait  réjouir  Gsliatii;  ils  avaient  empê- 
ché son  oncle  d'élrc  cnrdiual,  et  il  ne  le  leur  avait  pas  par- 
donné. Voici  comment  fui  accueiltio  à  Paris  la  nouvelle  de  leur 
eipnltion  d'Espagne  :  •  M.  le  baron  de  Gleichen,  envoyé  eitraor- 
diDSire  du  roi  de  Danemark,  dit  avec  son  air  doui  et  sournois  : 
K  11  raut  convenir  que  l'art  de  chasser  les  jésuites  se  perfeclionne 
de  plus  CD  plus.  >  M.  le  comte  deCreutz,  ministre  plënipoteniiaire 
de  Suède,  prélcndit  que  du  train  dont  les  choses  allaient,  le  pape 
serait  1res  heureui  dans  quelque  temps  d'ici  d'être  le  grand 
aumûnier  du  roi  de  Sardaigne,  et  l'abbé  de  Galianl,  secrétaire 
d'ambassade  de  Naples,  s'écria  ; 

Gens  intmiea  mihi  Tyrrhenum  navtgat  œquor.t 

D'Aranda,  en  effet,  avait  fait  embarquer  et  diriger  sur  Cirita- 
Veccbia  tous  les  jésuites  d'Espagne;  les  navires  qni  les  transpor- 
taient furent  re^us  i  coups  de  canon  sur  l'ordre  même  du  général 
de  la  Compagnie,  le  père  Bicci.  Les  infortunés,  repoussés  par- 
tout, errèrent  sur  la  Aléditerranée  pendant  plusieurs  mois,  jus- 
qu'à ce  que  Choiseul  leur  permit  de  débarquer  en  Corse.  Ce  n'est 
que  la  20  juillet  1773  que  Clément  \1V,  cédant  aui  pressantes 
Instsuces  de  la  France  et  de  l'Espagne,  lit  paraître  le  bref  d'abo- 
lition qui  supprimait  la  Société. 


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LETTRES  DE  GALIANI  153. 

trent  à  crier  :  exportation  !  liberté  !  et  vous  mourez  de 
faim.  Il  ne  suffit  pas  d'être  fou,  il  faut  l'Atrc  à  propos, 
et  cet  à-propos  est  un  vrai  hasard.  Dans  mille  combi- 
naisons, s'obstiner  à  détruire  les  jésuites,  aurait  été  une 
folie  malheureuse  ;  il  s'est  rencontré  la  seule  combi- 
naison qui  la  rendait  heureuse;  et  voilà  que  l'abbé 
Cbauvelin  i,  la  Chalotais,  Carvaltio  *,  etc.,  sont  des 
héros. 

Peatron  se  soucier  d'être  héros  après  sa  mort,  d'a- 
près ce  que  je  viens  de  dire?  A  la  bonne  heure,  je 
trouve  que  d'être  héros  de  son  vivant  est  quelque 
chose  ;  cela  donne  toujours  de  la  «onsidération,  souvent 
des  persécutions  délicieuses,  quelquefois  des  ressources  ; 
mais  après  la  mort,  courir  à  l'ombre  d'un  nom  vain, 
dont  la  moitié  tient  au  hasard  ;  l'autre  &  la  qualité  la 


t.  Henri  Philippe,  abbé  de  Chaurelin  (t716-lT70),  coaseiUer  au 
Pariefuenl  de  Paris.  Il  acquit  une  grande  célébrité  par  l'audace 
aiec  laquelle  il  attaqua  le  premier  le»  jésuites;  car  11  prit  l'ini- 
tiative dans  cette  grande  affaire.  On  frappa  des  médailles,  on 
grava  des  estampes  pour  célébrer  son  triomphe.  L'abbé  de  Cbau 
velia  était  petit,  contrefait  et  d'une  effroyable  laideur. 

I.  Carvalho.  marquis  de  Ponibal,  premier  ministre  du  roi  de 
Portugal.  Il  était  d'une  sévérité  terrible  et  établit  le  despotisme 
le  plus  absolu  à  la  cour;  les  grands  l'eiécraient;  Il  Qt  donner  k 
ses  parenta  les  emplois  les  plus  importants.  Il  réronna  les  Jésuites 
et  imposa  ^lence  k  leur*  prédications.  Son  père  présidait  l'In- 
qnbitlon  et  lui-même  s'en  servait  pour  ses  vengeances,  tout  en 
appelant  le  clergé  et  les  moines  «  la  vermine  la  plus  dangereuse 
qui  puisse  ronger  un  Ëlat  >.  II  fut  condamné  i  mort  huit  jouis 
après  l'assassinat  de  Joseph  II,  mais  la  Reine  lui  III  grtce  et 
FeUla  &  Pombal  où  il  mourut  en  1783. 


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LETTRES  DE  GALIANI 


moins  difficile  à  acquérir  (l'opiniâtreté),  c'est  une 
folie  ;  conclusion  :  11  y  aura  plus  de  héros  en  Alle- 
magne qu'en  Italie  1.  Dia^.  Adieu. 


Sur  l'aventure  de  I^Iogue  ',  ma  belle  dame,  j'étais 
tranquille  déjà,  conune  je  vous  ai  mandé.  Les  savants 
sont  une  race  de  fous  assez  difficiles  à  manier.  Os  as- 
pirent à  la  célébrité,  et  ne  voudraient  pas  en  même 
temps  être  compronUs  ;  mais  l'un  ne  va  pas  sans  l'autre. 
11  n'y  a  que  les  choses  piquantes  qui  deviennent  célè- 
bres, et  tout  piquant  compromet.  Je  suis  savant ,  je 
suis  donc  fou.  Je  désire  deux  imcompatibles,  et  je  suis 
comme  ce  poète  qui  ne  voulait  pas  être  censé  l'auteur 
de  certains  vers,  mais  qui  ne  souffrait  pas  qu'on  les 
trouvât  mauvais.  Ainsi  plaignez  ma  folie  et  .ne  vous 
affligez  plus  de  ma  célébrité  en  Pologne,  car  au  fond 
elle  ne  me  fait  pas  beaucoup  de  peine. 

1.  GaliaDi  eiprime  cette  idée  duis  un  sonnel  que  nous  doo> 
aans  à  l'appendice  III.  ' 

3.  Voir  la  lelire  du  3  juUlet  17Ï3. 


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LETTRES  DE  GALIANl  Î55 

Rien  c'est  si  plaisant  que  de  voir  une  Parisienne  se 
plaindre  des  cbaleoi-s  k  un  Napolitain,  qui  riposte  eo 
décrivant  les  biens  et  les  avantages  du  frais  de  Naples. 
Voilà  comme  les  mortels  se  trompent  dans  leurs  juge> 
ments.  Je  m'attends  que  bientôt  vous  allez  me  mander 
qu'on  ne  trouve  plus  avec  qui  raisonner  k  Paris,  qu'il 
ne  parait  plus  de  brochures,  que  les  discours  littéraires 
ont  c«ssé,  et  que  moi,  au  contraire,  je  vous  manderai 
que  ma  perruque  est  toujours  en  l'air  ici,  et  ma  tële 
toujours  en  feu.  Ce  cas  est  encore  bien  éloigné.  Cepen- 
dant, pour  l'bonneur  de  ma  patrie,  je  vous  dirai  qu'on 
a  parlé  ici  de  l'arrivée  d'une  comète  presque  autant 
qu'à  Paris;  que  la  dissertation  de  M.  de  Lalande  a  été 
réimprimée  ici  en  bancais,  et  très  bien  débitée  par  le 
libraire.  Nous  avons  donc  égalé  les  Parisiens  en  curio- 
sité astronomique,  et  nous  les  avons  surpassés  en  ce 
que  nous  n'avons  pas  eu  peur.  Moi,  en  renchérissant, 
j'ai  souhaité  la  c(miète,  je  soupire  après  elle,  et  j'en 
mourrai  de  chagrin  si  elle  ne  vient  pas  cet  octobre, 
comme  oa  l'attend. 

Cette  catastrophe  des  jésuites,  qui  aurait  dû  nous 
amuser  beaucoup,  a  été  si  plate,  si  tranquille,  qu'il 
n'y  a  plus  d'autre  ressource  qu'une  comète  pour  en- 
tendre un  beau  bruit  et  un  charivari  délectable,  tel 
qu'au  combat  du  taureau,  à  la  barrière  de  Sèves. 

Je  ne  sais  pas  si  vous  savez  qu'au  moment  que  le 
général  des  jésuites  apprit  l'abolition  par  la  lecture  de 


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£53  LETTRES  DE  GALIANI 

la  Bulle,  aa  jésuite  portugais  lui  fit  les  reproches  les 
plus  amers  de  ce  qu'il  leur  avait  promis  que  le  roi 
d'Espagne  et  le  pape  seraient  morts  bientôt,  et  qu'il  ne 
leur  avait  pas  tenu  parole.  Il  l'appelait  traître  et  perfide 
envers  la  Compagnie.  Y  a-t-i)  rien  de  plus  niuf  et  de 
plus  original? 

Comme  votre  longue  maladie  vous  a  empSctiée  de 
m'écrire  sur  autre  chose  que  sur  voire  santé,  je  vous 
prie  instamment  de  revoir  mes  lettres  depuis  quatre  ou 
«inq  mois,  et  d'y  fouiller  des  articles  auxquels  vous 
n'avez  pas  répondu.  J'ai  im  souvenir  de  vous  avoir 
demandé  ou  questionnée  sur  maintes  choses  aux- 
quelles vous  n'avez  pas  répondu  et  qui  m'intéressaient 
assez.  Voyez;  ma  mémoire  ne  me  fournit  que  cette  idée 
confuse. 

Grimm  vjendra-t-il  en  Italie?  Le  philosophe  ira-t-il 
à  Pétersbourg?  Nous  avons  ici  H.  Delaborde  *  qui 
galope  l'Italie.  H  y  a  des  gens  de  lettres  qui  étudient 
les  ouvrages,  et  d'autres  qui  ne  font  que  les  feuilleter, 
et  qui  étudient  des  mains,  comme  disait  U.  de  Foate- 


1,  H.  de  la  Borde,  premier  valet  de  chambre  du  roi  LouiiXV; 
l)  était  J>aD  masiciea  et  composa  la  musique  d'Amphion,  petit 
opÉra  en  un  acte,  qui  eut  peu  de  succès.  Les  paroles  étaient  de 
liomas.  Il  eut  aussi  iabizarre  idée  de  metireenmuaîqualepoème 
de  PaiwJOTf,  de  Voltaire,  et  alla  lui-mÈmei  Femef  le  Taire  exécu- 
ter. H.  de  h  Borde  venait  d'élre  iMndoniié  par  mademoiselle 
fiuimard  etil voyageait  pour  perdre  le  souTeufr  de  l'inOdUe.  C'est 
le  marécbal-princede  Soubise  qui  arait  eiigé  l'expulsion  de  H.  de 
la  Borde. 


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LETTRES  DE  GALIAHI  457 

nelle  ;  de  même  il  y  a  des  voyageurs  qui  étudient  un 
pays,  et  d'autres  qui  ne  font  que  le  feuilleter.  Nous 
avons  été  feuilletés  par  M.  de  La  Borde,  et  étudiés  par 
Pignatelli.  Je  ne  l'accuse  pas;  je  plains  un  homme  qui 
voyage,  étant  premier  valet  de  chambre  d'un  roi  très 
chrétien  et  très  absorbant  les  chrétiens. 

Aimez-moi.  Portez-vous  bien,  et  si  vous  voulez  des 
lettres  de  moi  plus  intéressantes  que  celle-ci,  donnez- 
moi  le  premier  branle. 


.  Nsplei,  Il  Bepwmbre  ma. 

Ha  belle  dame, 

11  n'y  a  pas  moyen  d'être  heureux  dans  ce  monde  :  à 
peine  je  respirais  sur  l'état  de  votre  sauté,  que  celle  de 
mon  frère  ici  vient  me  replonger  dans  l'inquiétude.  Il 
a  été  attaqué,  il  y  a  quatre  jours,  d'une  espèce  de 
paralysie,  surtout  à  la  moitié  du  visage.  Ces  maladies 
de  nerfs,  très  fréquentes  dans  ce  pays  volcanique, 
nous  causent  moins    de  frayeur    qu'à  Paris,  mais  la 


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SBfl  LETTRES  DE  GALIANI 

maladie  est  toujours  grave  '.  Je  ne  cnlns  pas  seu- 
lement la  tnort  de  mon  frère,  je  tremble  de  ce  qu'il 
pourrait  rester  perclus  et  imbécile;  il  pourrait  aussi 
devenir  aveuglei  U  a  une  femme*  la  mère  de  sa  femme 
et  trois  allés,  toutes  nubiles,  aucune  mariée;  voyez 
donc  quel  spectacle  effrayant  se  présente  à  mon  imagi- 
nation! Dans  tous  ces  btiis  cas,  je  reste  condamné  à 
gouverner  un  affireux  sérail  de  cinq  l^mes,  &  m'en- 
Duyer  à  périr  le  reste  de  ma  vie,  ou  du  moins  pendant 
plus  d'une  année,  enchaîné  à  Naples,  garde  de  cotil- 
lons, et  chaîné  de  la  nourriture  et  des  soins  d'une  fa- 
mille. Vous  qui  connaissez  ma  télé  et  mon  caractère, 
vous  me  plaindrez  de  ce  malheur,  dont  je  suis  menacé, 
plus  que  de  tout  autre  au  monde.  Ne  vous  étonnez 


I.  Galianl.qui  affecUit  toujours  tant  d'iosenaibiliU,  aimailto)- 
drement  ton  frère  et  n'anit  jamais  cessé  de  s'en  occuper.  Nous 
en  trouTODs  U  preuve  dans  sa  correspondance  Inédite  arec  Ta- 
nuccl.  '  y.  E.  sail  que  mon  but  en  m'embarquant  sur  la  mer 
périlleuse  et  inconnue  dei  Cours  a  été  de  venir  en  aide  A  ma 
anille  et  i  mon  pauvre  frère.  >  —  ■J'enteDds  dire  que  le  départ 
d'un  grand  nombre  d'Espagnols  laissera  quelques  vides  dans  let 
eibploU  inférieurs  de  la  Cour.  61  on  pouvait  trouver  une  place 
à  caser  mon  frère...  je  puis  assurer  à  V.  E.  que  je  ressentirais 
cette  grice  mille  fais  plus  vivement  qu'une  beureuse  fortune 
personnelle;  pour  tnoi  je  ne  demande  rien,  absolument  rien.  *  — 
a  A  propos  de  Président  de  chambre,  je  ne  voudrais  pas  que  la 
bienveillance  de  V.  E.  eût  Dubli6  moU  pauvre  frère,..  S'il  est 
réduit  à  deiuander  l'aumAne,  j'en  i-harge  la  conscience  de  V.  E. 
Il  ne  mérite  pas  un  si  triste  sort  après  avoir  bit  un  aussi  beau 
travail  et  une  aussi  belle  édition  d'un  boa  livre.  > 


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LBTIHES  DE  OALIANl  »B 

donc  pas  «i  ma  lettre  n'est  point  gaie  aujourd'hui,  je 
VDUB  «D  dJB  d'asseï  bonnes  raisons. 

Puisque  vous  ne  Touiet  pas  vous  ctiarger  de  me  trou- 
ver une  femme,  il  ne  faudra  plus  y  penser.  Je  vnus 
demandais  une  créole,  ptu-ce  qu'elles  sout  riches  d'or- 
dinaire, et  puis  parce  qu'en  prenant  une  femme,  je 
suis  d'avis  qu'il  faut  qu'elle  vienne  de  l'autre  monde  ; 
car  je  ne  suis  pas  content  de  celles  de  ce  monde  ici  ; 
mais  vous  ne  voulez  pas  que  j'ajoute  une  sultane  à  mon 
afireux  sérail.  Laissons-la. 

Voyons  si  vous  me  ferez  une  commission  bien  plus 
aisée,  bien  plus  pressante  et  beaucoup  plus  raisonna- 
ble. J'ai  besoin  de  chemises  pour  cet  hiver.  Paris  m'a 
habitué  à  en  avoir  de  toile  ^e  coton;  je  ne  saurais 
à  présent  m'en  passoTt  sans  crainte  de  rhumatismes. 
On  ne  trouve  pas  ici  de  toile  de  coton  à  propos. 
J'en  achetais  à  Paris  de  médiocre,  qui  me  coûtait  à 
peu  près  quatre  francs  l'aune,  ou  même  quelque  chose 
de  moins.  J'en  voudrais  faire  dntize  chemises  |  vous 
connaisse!  l'étendue  de  mes  chemises.  Je  U'oublterai 
jamais  l'attendrissement  materne),  tmi  au  Hfe  le  plus 
fou,  qui  TOUS  prit  tl  Totre  maison  de  campagne,  en 
voyant  étendue  sur  mon  lit  une  df-  mes  chemiseBi  II 
vous  paraissait  impossible  qu'il  y  etVt  quelqu'un  asses 
présomptueux  pour  user  s'appeler  un  homme,  avec  une 
chemise  ailBsi  courte  et  aussi  ridicule.  Ainsi  réglet  la 
quantité  de  la  toile  pour  babiller  cet  enfUit,  Sol-Klilftnt 


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360  LETTRES  DE  GALUNI 

hoaune.  Tirez  une  lettre  de  change  sur  moi ,  et  en- 
voyez<moi  cette  toile  par  notre  ambassadeur  Caraccioli, 
lorsqu'il  viendra  ici.  Je  lui  en  écrirai  la  semaine  pro- 
chaine, et  j'imagine  que  son  départ  de  Paris  ne  sera 
pas  assez  prompt  pour  prévenir  l'arrivée  de  ma  lettre. 
On  m'appelle.  Adieu. 


Ni^Im,  ss  MpitrobTE  <T7S. 

Vous  avez  bien  raison,  ma  belle  dame  ;  le  prix  qu'on 
attache  k  ce  chiffon  de  papier  qu'on  appelle  lettre,  est 
incroyable.  Cette  folie  rapporte  au  roi  de  France  six 
millions  par  an.  Hais  savez-vous  le  pourquoi  ?  C'est 
que  la  corres^pondance  par  lettre  n'est  que  le  débris 
d'une  riche  fortune  qu'on  cherche  à  conserver  soigneu- 
sement et  qui  nous  rend  avares.  Elle  est  mêlée  du 
repentir  d'avoir  été  prodigue  une  fois. 

Vos  lettres  sont  pour  moi  les  restes  de  ces  conversa- 
tions à  la  cheminée,  perruque  à  bas,  etc.  Que  de  fois 
je  me  âche  de  ne  vous  avoir  pas  dit  des  choses  que  je 


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LETTRES  DE  GALUNI  261 

vous  écris  !  En  voulez-vous  une  autre  preuve  :  observez 
qu'il  n'y  a  de  lettres  intéressantes  qu'entre  personnes 
qui  se  soient  beaucoup  connues  auparavant.  Les  lettres 
des  savants,  qui  s'écrivent  parce  qu'ils  se  connaissent  de 
réputation,  orneront  leurs  esprits,  mais  ne  toucheront 
pas  leurs  cœurs. 

Pour  ce  qui  est  des  ouvrages,  feites  une  remarque 
curieuse,  que  peut--élre  vous  n'avez  jamais  faite.  Ceux 
qui  nous  rendent  fous  de  plaisir,  sont  ceux  précisément 
qui  ne  nous  apprennent  rien  de  nouveau,  mais  qui 
disent  au  public  les  mêmes  choses  précisément  que 
nous  aurions  pensé  lui  dire.  Si  l'auteur  ies  dit  encore 
mieux  tournées  que  nous  n'aurions  cru  pouvoir  le  faire, 
c'est  alors  que  nous  sommes  au  comble  de  la  joie,  et 
nous  nous  pâmons  d'aise.  Si  l'ou\Tagc  nous  apprend 
des  choses  neuves,  tel  que  celui  d'un  voyageur,  d'un 
géomètre,  etc.,  il  nous  fait  plaisir  et  ne  nous  ravit  pas. 
Même  dans  un  roman  la  partie  qui  nous  eilasiera  sera 
toujours  celle  qui  ne  nous  sera  point  neuve,  telle  que  lu 
caractère  d'un  personnage  pareil  au  nôtre  ou  à  celui 
d'un  ami  fort  connu  ;  une  situation  pareille  k  celle  oix 
nous  nous  serons  trouvés,  etc.  Conclusion.  Le  ravis- 
sement pour  un  ouvrage  vient  de  co  que  l'auteur  nous 
a  soulagés  dé  la  peine  de  faire  son  ouvrage,  et  qu'il  l'a 
fait  aussi  bien  que  nous  aurions  cru  ou  du  moins  voulu 
le  faire. 

Tel  est  le  sentiment  occulte  en  vous  sur  l'ouvrage  de 


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362  LETTRES  DE  GA^IAMI 

H.  Necker  ■  ;  tel  sera  le  mien.  T&chez  doac  de  me 
faire  parvenir  ce  livre  juxta  cor  meum,  au  plus  tard 
par  la  voie  do  CaraocioU,  s'il  fait,  comme  il  le  dit,  une 
course  ici,  lies  économistes  en  parlent  mal,  dites-vous? 
est-ce  qu'ils  sout  encore  en  état  de  parler?  Je  les  croyais 
devenus  muets.  Ne  voient-ils  pas  que  toute  l'Europe 
met  des  entraves  au  commerce  des  blés  f  Ils  ont  donc 
fait  bien  peu  d'écoliers. 

Cependant  il  faut  que  j'achève  de  vous  donner  mes 
commission*,  avant  que  la  feuille  aoil  remplie.  Je 
vous  ai  priée,  il  y  a  deux  semaines  (car,  la  semaine 
passée,  je  ne  vous  ai  point  écrit,  n'ayant  pas  reçu  do 
vos  lettres),  de  m'pnvoyer  la  valeur  de  douM  petites 
cbemises  de  toile  de  coton;  mais  n'oubliez  pas  de 
m'envoyer  une  douzaine  de  poignets  tout  faits  et  jolis; 
et  même  envoyez-m'en  deux  douzaines  ou  trois,  car 
ou  ne  sait  pas  en  faire  à  Naples.  Vous  connaissez  le 
tour  de  mon  bras  terrible  ;  sinon  réglez-vous  sur  les 
dimensions  de  l'Hercule  Famèse,  Tout  ce  que  je  puis 
vous  dire,  c'est  que  je  ne  suis  point  grandi  depuis 
mon  départ)  que  je  n'appellerai  pas  mon  retour,  puisque 
ma  patrie  est  Paris.  Ajoutez  à  présent  à  cetle   com- 


1.  L'Éloge  de  Coltert,  couronné  pir  l'Âcidémie  franfaise. 
Necker  s'y  monlreit  l'apologUte  t^sbilo  des  doctrine*  oppoiëei  à 
celle»  des  économistes,  qu'avaient  discrédités  tant  d'écrits  obs- 
turs  et  déclamatoires.  Il  voulut  j  foire  pressentir  le  continuateur 
du  grtnd  mluiitre  dont  il  eipouiC  les  trariui,  et  il  y  râu»jl. 


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LETTRES  DE  GUIi.Nl  3«3 

mission  une  seconde,  qui  est  de  me  pourvoir  de  douze 
moucboirs  de  couleur,  rouges,  rayés,  d'Angleterre  ou 
de  Suisse,  pour  me  moucher  ;  et  songez  que  je  vous 
devrai  de  n'être  point  un  morveux.  C'est  la  plus 
grande  obligation  qu'un  homme  puisse  avoir.  Je  les 
achelais,  à  Paris,  depuis  60  sols  jusqu'à  3  livres  40 
sols.  On  en  trouve  à  Naples,  maïs  ils  sont  bien  plus 
chera.  Ainsi,  si  îc  marquis  Caraccioli  veut  bien.s'en 
'charger,  comme  j«  l'espère,  j'épargnerai  presque  la 
moitié. 

Je  sui»  bien  (Ucbé  de  h  perte  de  votre  procès  qui 
dérunge  vos  finances  ;  mais  quelles  financei  m  sont 
pas  dérangées?  U  n'y  a  qu'à  obtenir  des  saur-«>nduil3 
comme  Merlin  l'enchanteur  ;  et  c'est  U  chose  du 
iQûode  Ift  plus  aisée  partout.  Je  vois  que  tous  ]es 
aouvârains  du  monde  protègent  les  mauTaia  payeurs 
par  sympathie.  Vous  gères  donc  protégée  :  et  mettaz- 
vous  bien  dans  la  tête  que  celui  qui  (le  veut  pas 
payer  ne  doit  rien,  et  ne  sent  aucune  détrwse. 
Puisque  vous  ne  pouvei  pas  vous  remuer,  re&lfii 
danc,  c'ut  ie  plus  lùr.  Adiea* 


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LETTRES  DE  GALIAHI 


'a    D  ALEHBERT. 


Mon  cher  d'Alembert, 

La  meilleure  chose,  sans  contredit,  qu'ait  faite  M.  de 
La  Borde  ■  dans  son  voyage  d'ilalie,  c'est  de  s'être 
avisé  de  vous  demander  une  lettre  pour  moi.  Il  n'en 
avait  aucunement  besoin.  Je  le  connaissais,  je  l'estimais, 
j'avais  été  comblé  de  bontés  par  son  aimable  sœur 
et  surtout  par  l'héroïque  madame  de  Marchais,  malgré 
qu'elle  était  économiste  à  brûler,  et  moi  un  anliéco- 
DOmisle  à  croquer  par  délices. 

Cependant  M.  de  La  Borde  a  très  bien  fait  de 
m'apporter  une  lettre  de  voua.  Elle  m'est  si  chère  ! 
me  cause  tant  de  plaisir,  me  rend  si  glorieux,  que 
c'est  le  meilleur  présent  que  j'eusse  pu  recevoir  de 
Paris.  Si  vous  voyiez  comme  je  me  rengorge  en  disant 
nonchalamment  dans  nos  compagnies  :  «  Je  viens  de  rece- 

1.  Communiquée  par  H.  BQnerel. 
3.  Voir  It  lettre  du  4  septembre  1713. 


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LETTRES  DE  GALIANI  2fi& 

voir  uoe  lettre  de  d'Alembert  a,  que  je  tire  à  moitié  de 
ma  pocbe  et  que  je  laisse  retomber  sans  ea  faire  la 
lecture,  à  cause  d'uE  certain  petit  briccone  qu'il  y  a 
dedans,  qui  n*e5t  pas  pour  tout  le  monde.  Sur  cela, 
grands  discours  sur  d'Alembert,  grands  étonnements 
lorsque  )e  dis  qu'il  est  petit  de  taille,  pantomime  et 
polisson  au  possible.  On  veut  par  force  que  tous  soyez 
grand  comme  saint  Chrîstopbe,  et  sérieux  et  barbu 
comme  le  Mdise  de  Hichel-Ange.  On  finit  par  me 
demander  tout  à  la  fois  ;  l'avez-vous  vu  ?  Comme  ou 
demandait  du  papa  à  Panurge  dans  l'tle  des  Pape*- 
guirs  et  des  PapeBgues  t.  Non,  en  vérité,  un  Messinoîs 
n'est  pas  si  vain  de  la  lettre  de  la  Hadoana,  que 
je  le  suis  de  la  vôtre  '.  Mais  pourquoi  ne  suis-jc  plus 
votre  petit  briccone?  me  croyez-vous  devenu  moins 
petit,  ou  moins  briccone?  Je  le  suis  tout  autant  et 
.  je  serai  toujours  le  vôtre. 

II  m'a  élé  impossible  de  rendre  aucun  service  â 
H.  de  Là  Uorde,  dont  bien  me  lâcha;  mais  il  a  vu 
l'Italie  en  courant,  en  galopant,  comme  les  <?hteus 
boivent  l'eau  du  Nil.  Aussi  le  quartier  du  service  est 


1.  Rabelais.  Pantagrutl,  Urre  IV,  chap.  45. 
1.  On  comerve  d«D3  U  cathédrale  ds  Jles^oo  une  lellre  en 
Urec,  iradaiie  de  l'hébreu  par  saint  Paul,  et  écrite  par  la  Vierge 

aux  HssglDoia  en  réponsciune  dépulatian  qu'ilsavaieateDvoj'ëe 
i  JéniMJem.  La  fête  de  la  Sainte  Leltre  esl  célébrée  le  h  juin  : 
elle  eil  ri>cca9ioa  de  processions  et  de  réjoulssaaces. 


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366  LETTRES  DE  GALIANI 

un  fler  crocodile  ',  I|  n'a  jamais  dormi!  Quelle  horreur 
pour  moi  qui  dort  tout  mon  saoCkl.  Un  courtisan  est 
'  un  vrai  Siméon  Stylit«  ;  il  parait  plus  heureux  que 
les  autres  parce  qu'il  est  élevé  sur  une  colonne,  mais 
il  ne  saurait  y  dormir  jamais,  M.  de  ta  Borde  s'est 
amusé  à  Naples  autant  qu'il  l'a  pu  et  qu'il  l'a  voulu. 
|*arlons  à  présent  un  peu  des  jésuites,  s'il  vous  fait 
plaisir,  et  soyez  persuadé  que  de  tant  d'ouvrages,  de 
brochures,  d'estampes,  d'épjgrammes,  de  comptes 
rendue  édits,  arrêts  etc.,  qu'on  a  entassés  pour  abattre 
le  coloue,  il  n'est  parvenu  ici,  il  n'est  resté  dans  le 
souvenir  des  hommes,  que  les  discours  de  la  Chalolsis  ; 
et  le  vôtre  '  (si  vous  n'avez  fait  que  celui-là)  est  plus 
connu,  parce  qu'il  était  plus  à  la  portée  de  tout  le 
monde.  Le  reste  a  disparu  avec  eux.  Us  sont  fmis.  Ils 
Uniront  comme  des  Templiers,  après  avoir  été  insultés 
iguinze  ans  comme  des  capucins.  Il  faut  avoir  l'imagi- 
nation bien  frappée  de  leurs  cruautés  pour  ne  pas 
s'attendrir  sur  celles  qu'ils  éprouvent.  J'attribuais  au- 
trefois les  cruautés  faites  aux  Templiers  à  la  barbarie 
du  siècle.  J'étais  un  sot,  la  crainte  et  l'avidité  sont  et 


1.  M.  de  la  Borde,  valet  de  chambre  du  rai,  élall  forcé  de 
rentrer  tPPatU  k  date  fixe  i  cause  de  son  quartier  de  servite.— 
On  sait  qu'en  Egypte  les  chiens  boivent  l'eau  du  Oeure  eu  cou- 
rant de  peuTde*crocrodile«. 

3.  Siiloire  d«t  Jéiuiu*.  La  première  édition  parut  en  176â, 
soua  le  litre  :  Sur  la  dMlruolùt»  dM  jittUUs  en  t'Hini»  por  un 
oulaur  lUtiiitéreiu,  ln-13;  deux  idi  plus  lard,  l'auteur  publia 
deui  leltrea  servant  de  supplËment 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GAilANl  367 

seront  toujours  les  causes  de  la  cruauté.  Il  est  impos- 
sible d'attaquer  des  Êtres  puissants  et  riches  sans 
crainte  et  sans  cupidité.  Les  Espagnols  du  Pérou  mé- 
priseraient les  Indiens,  s'ils  les  trouvaient  armés  et 
rangés  en  bataille;  mais  il  fallait  se  déchausser,  se 
désarmer  et  dormir.  Quelle  frayeur  pour  400  hommes, 
que  d'f  Ire  obligés  de  dormir  environnés  d'un  million 
d'ennemis!  D'ailleurs,  ces  ennemis  avaient  des  mines 
d'or  cachées.  Il  fallut  Être  cruel. 

Consolez-vous,  mon  cher  ami,  l'Académie  française, 
quoique  plus  pernicieuse  encore  que  les  jésuites  par 
ses  dogmes  (à  ce  que  dit  M.  de  Pompignan),  n'inspire 
ni  frajeur,  ni  avidité.  On  ne  vous  appliquera  donc 
pas  à  la  question  pour  déterrer  vos  jetons  i  tout  au 
plus  on  vous  fera  enrager  parfois,  en  retardant  vos 
pensioQi. 

A  propos  d'Académie,  pourquoi  ne  Irouve-t-oa  pas 
que  j'ai  la  mine  d'un  associé  étranger?  Ce  n'est  pas 
que  oela  me  soit  bien  important,  mais  je  crois  qu'il 
serait  fort  plaisant  pour  moi,  si  cela  m'arfivail. 

Mon  séjour  jci  n'est  point  pénible,  il  est  quelque- 
fois ennuyeux.  II  me  prend  des  besoins,  des  déman- 
geaisons de  parler  insupportables,  que  je  ne  puis  pas 
satisfaire  ici  avec  des  gens  à  mon  goût.  Voilà  tout  mon 
mal,  voilà  la  cause  d'une  lettre  aussi  bavardeuse  que 
celle<i.  Venez  me  trouver,  je  guérirai.  Mademoiselle  de 
iiespinasse  se  souvient  donc  encore  de  moi  !  je  fais  bien 


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368  LETTRES  DE  GALIANl 

plus,  je  me  soaviens  d'elle,  de  sa  chienne  et  de  son 
perroquet,  grand  diseur  de  sottises  '.  Aimez-moi, 
mon  cher  ami,  je  le  mérite  par  mon  attachement,  qui 
est  une  raison  d'amour  hîen  plus  forte  que  la  ressem- 
blance ou  le  mérite  égal.  En  effet  saint  Antoine  aimait 
son  cochon  et  Baronius  soutient  que  ce  cochon  lui 
était  attaché,  lut  sautait  au  cou,  et  Taisait  maintes 
autres  gentillesses  par  amour.  Soyez  mon  saint  Antoine. 
Adieu,  aimez-moi,  raccommodez-moi  avec  mon  cher 
abbé  Horellet.  H  a  pris  dans  une  de  mes  lettres  une 
franchise  d'amitié  pour  une  insulte,  il  a  tort,  adieu. 


1.  Hademoiselle  de  Lespiiiasse  éprouvail  pour  d'Âlemberl  une 
très  profonde  amitié,  ei  après  une  maladie  grave,  qui  mil  les 
jours  du  ptiilasopbc  en  danger,  elle  n'hésita  pas  et  vint  habiter 
avec  son  ami  pour  pouvoir  ie  mieux  soigner,  r  Sans  fortune, 
sans  naissance,  sans  beauté,  elle  était  parvenue  i  rassembler  chei 
ullc  une  société  très  nombreuse,  très  variée  et  très  assidue.  Son 
cercle  se  renouvelait  tous  les  jours  depuis  cinq  heures  jusqu'à 
neuf  heures  du  soir.  On  élatt  sur  d'y  trouver  des  hommes  cboisis 
de  tous  les  ordres  de  l'État,  de  l'Église  cl  de  ta  Cour,  des  mi- 
litaires, les  étrangers  et  les  gens  do  lettres  les  plus  distingués. 
fout  le  monde  convient  que  si  le  nom  de  H.  d'AIembert  les  avait 
d'abafd  attirés,  elle  seule  les  avait  retenus.:!  [Grimm.  Corr.  litl.) 
—  c  Personne  ne  savait  mieux  faire  les  honneurs  de  sa  maison: 
elle  mettait  tout  son  monde  à  aa  place,  et  chacun  était  content 
de  la  sienne.  Elle  avait  un  grand  usage  du  monde  et  l'espèce 
de  potitesM  la  plus  aimable,  celle  qui  a  le  ton  de  l'intérêt.*  ^l.a 
Harpe,  Corr.  /ii(.) 


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LETTRES  DE  GALIANI 


A   MADAME    d'ÉPIHAY 


Mspieg,  1  octobre  1TTS. 

puisque  vous  avez  Brantôme,  ma  belle  dame,  voici 
de  quoi  il  s'agit  :  je  possède  une  pièce  fort  curieuse, 
c'est  l'Ëpée  de  César  Borgia,  duc  de  Valentinois,  fils 
du  pape  Alexandre  VI,  qu'il  ût  travailler  exprès  avec 
des  emblèmes  allusirs  à  sa  future  grandeur  et  à  son 
ambition.  Il  est  superflu  de  vous  conter  comment,  par 
queb  détou7s,cette  épée  est  tombée  dans  mes  mains.  Je 
voulais  en  faire  un  présent  lucratif  au  pape',  et,  selon 
mon  u3age,l'accompagner  d'une  dissertation  érudile  pour 
eu  illustrer  les  emblèmes.  Je  pris  la  plume  en  main 
et  je  commençai  mon  écrit  :  César  Borgia  tuiquit...  et 
j'en  suis  resté  là,  car  jamais,  au  grand  jamais,  il  ne 


1.  Galiani  ne  mit  point  son  projel  à  eiéculion  et  n'enroya  pas 
au  pape  l'épée  de  Céiar  Borgia.  Il  la  légua  par  testament  au 
prélat  Gaelsni  à  condiiian  de  la  payer  A  ses  héritiers  cent  onces 
d'or,  et  dans  le  cas  où  il  n'accepterait  pas  ce  legs,  il  lui  substi- 
tuerait l'impératrice  Catherine  do  Russie.  Catherine  attenditavec 
impatience  le  legs  de  Galiani,  maiselle  ne  le  recul  jamais,  le  car- 
dinal Gaelanl  l'avait  accepté. 


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«0         ,  LETTRES  t)E  GALIANl 

m'a  été  possible,  dans  ma  bibliotbèque  et  dans  celles 
de  tous  mes  amis,  de  trouver  en  quelle  année  était  né 
ce  gaillard-ià  '.  Je  voulais  poursuivre  mon  travail,  et 
je  ne  pus  pas  nommer  le  som  de  sa  mère,  au  juste  ; 
car  elle  s'appelait  Vannozza,  par  sobriquet,  mais  son 
nom  je  l'ignore'.  Je  voulus  nommer  ses  frères,  et  je 
ne  pus  jamais  démêler  s'ils  avaient  été  trois  ou  quatre. 
J'en  connais  bien  trois,  le  duc  de  Gandia,  lui  et  le 
prince  de  SquîUace  ;  mais  des  historiens  en  mettent 
un  quatrième  appelé  D.  Jean,  qui  est  pourtant  un  être 
nul  dans  l'histoire.  Bref,  je  n'at  pu  trouver  non  plus 
avec  qui  était  marié  le  duc  de  Gandia,  s'il  laissa  des 
enfants,  et  qui  hérita  de  son  titre  après  son  assassinat. 
Nos  écrivains  italiens  ont  tous  été  feuilletés,  niais  je 
manque  ici  d'écrivains  français  et  encore  plus  d'espa- 
gnob.  Voyez  si  vous  pouvez,  d'accord  avec  le  chevalier 
Hagallon,  me  tirer  au  clair  cette  affaire  embrouillée. 
II  verra  les  Espagnols,  vous  verrez  les  Français.  Bran- 
tâme  a  fait  une  vie  de  ce  gaillard  dans  ses  Mémoires 
des  Capitaines  illustres  étrangers.  Il  décrit  l'arrivée  de 
César  Borgia  en  France,  comment  il  s'allia  avec  la 
maison  d'Albret  '  ;    vous  pourriez    trouver  quelque 


3.  Céaar  Borgia  fiit  chargé  par  son  pËre,  te  pape  Â.leiaodre  VI, 
de  porter  au  roi  Louis  XII  la  dispense  nécesMire  pour  se  sSpa- 


jbïGooglc 


LETThES  DE  CALIASI  371 

chose  dans  les  bistorreas  de  cette  maison.  Surtout,  par- 
courez les  géoéalogistes,  et  laissez  là  les  historiens  ; 
car  les  bistoriens  anciens  manquent  des  dates  et  des 
détails.  Ne  vous  occupez  que  des  auteurs  anciens,  et 
presque  contemporains.  Ne  vous  soucjeK  des  mo- 
dernes aucunement,  pas  même  de  Bayle  *,  Mariana  *, 
etc.;  car  ils  n'ont  fait  que  se  recopier  leurs  fautes. 
Vous  voyez  l'importance  de  mon  cas.  Ainsi  occupez- 
vous-en  de  grâce.  Il  me  faudrait  un  jeune  Burigny 
pour  cela^ 

Je  dois  partir  pour  aller  voir  mon  frère  malade.  Le 
temps  me  manque.  Je  ne  suis  point  gai.  En  revanche, 
je  suis  ravi  d'apprendre  que  M.  Necker  n'est  pas  plus 
économiste  que  moi.  En  ce  cas  l'affaire  est  gagnée;  car 
nos  deux  avis  seuls  valent  plus  que  ceux  de  tous  les 
économistes  pris  ensemble  ou  séparément. 

Caraccioti  me  mande  qu'à  ce  propos,  M.  le  conti-iV- 
leur  général  faisait  faire  un  dénombrement  plus  exact 

rer  de  sa  lemine  Jeanne  de  France  et  époiuer  Aune  de  Bretï^e. 
Le  roi,  en  retoar,  lui  donna  le  duché  de  Vatenlinoia  el  lui  lit 
épouser  la  Olle  de  Jean  d'Albrel,  roi  de  Navarre. 

1.  Bayle  (J.]  [16t7-lIOB)  auteur  du  fameui  Diclioamife  hlslo- 
flqm  «I  critique^ 

t.  Hariana  (le  P.  Jeau),  jésuite,  célèbre  hiatorien  espagnol  du 
lïi*  siècle, 

3.  Levesque  de  Burigny,  né  à  Reims,  membre  de  l'Académie 
dM  Inaeriplioiu,  mort  t  Paris  en  1785.  Il  a  laissé  de  nombreux 
ouvrages  d'érudition  dans  lesquels  il  y  a  plus  de  savoir  que  d'esprit 
et  de  talent. 


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371  LETTBES  DE  GALIAHI 

de  la  France.  J'ai  parié  qu'il  s'j  trouvera,  tout  compris, 
Avignonais  et  pays  conquis,  plus  de  vingt-trois  mil- 
lions d'habitants.  Personne  ne  donne  ce  nombre  de 
sujets  au  roi  de  France.  Ainsi  vous  trouverez  bien  du 
monde  à  parier  contre  ;  pariez  à  mes  frais  :  je  veux 
tenter  cette  autre  voie  de  rattraper  mon  argent  perdu 
avec  Merlin.  Bonsoir. 


Naple».  SI  octobre  |71]. 

Ha  belle  dame,  depuis  sis  jours,  mon  frère  a  eu  une 
seconde  attaque  d'apopleiie,  jointe  à  une  fièvre  mali- 
gne. Il  est  depuis  trois  jours  à  l'agonie.  Ce  coup  m'ac- 
cable. Non,  rien  n'est  plus  accablant  que  de  se  voir 
à  la  veille  de  devenir  tout  à  coup  mari,  père,  ayant 
trois  filles  à  marier,  une  maison  dérangée  par  mon 
frère  à  régir,  et  rien  à  espérer  de  plus  dans  ce  monde, 
car,  ma  famille  finie,  ma  fortune  n'aurait  plus  à  qui 
retomber.  Cloué  pour  longtemps  ici  à  faire  le  maqui- 
gnon de  mes  nièces,  pour  leur  chercher  une  honnête 
alliance,  voilà  la  perspective  d'un  homme  de  lettres 


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LETTRES  DE  GALIANI  273 

Ijit  pour  écrire  des  dialogues.  Voilà  aussi  tout  ce  que 
je  puis  vous  mander. 

Je  serais  fâché  de  recevoir  la  toile  de  coton  par 
d'autre  voie  que  par  celle  de  quelqu'un  qui  pourrait 
l'exempter  des  droits  de  douanes,  et  il  ne  me  serait 
pas  possible  de  savoir  ici  s'il  y  a  &  Paris  une  occasion 
propice  pour  me  l'envoyer.  S'il  j  «n  a,  Hagallon  pour- 
rait voua  l'indiquer. 

J'avais  reçu  une  autre  lettre  de  vous,  avec  la  réponse 
de  M.  Capperonnier  à  ma  question  sur  l'année  de  la 
naissance  de  César  Borgia,  à  laquelle  je  n'eus  pas  le 
loisir  de  répondre,  étant  à  Sorrento  chez  mon  frère 
malade.  Je  remercie  H,  Capperonnier,  et  j'aurai  l'hon- 
neur de  lui  écrire  aussitôt  que  ma  (Sto  sera  en  état  de 
s'occuper  de  bagatelles  littéraires. 

Aimez-moi.  Plaignez-moi.  Saluez  mes  amis,  et 
portez-vous  bien.  Mille  grâces  des  jolis  contes  que  vous 
ma  mandez,  mais  je  n'ai  pas  ce  soir  envie  de  rire. 
Je  prévois  que  Caraccioli  finira  par  ne  pas  se  soucier  de 
venir  à  Naples;  il  aura  grande  raison.  On  meurt  ici  : 
et  les  survivants  ne  valent  guère  mieux  que  les  morts. 
Bonsoir.  ' 


jbïGoogIc 


LETTRKS  DE  GALIANi 


La  seoaaiiie  passée,  je  D'éUis  paa  cm  éw  de  voiu 
écrire,  moB  frèi-e  ébût  à  l'agonto.  Il  est  un  peu  mieux 
à  préseat,  et  Ib  longueur  de  la  matadie  donne  dea 
espérauoei. 

HeureuBement  voua  nè^'avez  pas  écrit  cet  ordi- 
naire, ainsi  j'ai  toujours  votre^  48  à  rebattre,  et  il 
n'est  pai  de  paille.  Vous  me  faites  2^  questions  poli- 
tiques et  métaphysiques  qui  demandei^ent  un  volume 
pour  y  satisfaire.  Dieu  sait  donc  si  j'y  répondrai.  Jetais, 
assurément,  je  vous  dirai  que  vous  avez  rà^n  quand 
voua  soutenez  que  la  politique  des  anciens\ie  peut 
plus  nous  être  bonne  à  rien.  La  u6tre  doit  être  très 
diOérente.  A  quelques  théories  géaéi'ak-sprès.'qutsont 
restées  les  mêmes,  tout  a  changé  ;  les  détails  sont  dif- 
férents. Or,  les  théories  générales  et  rien  sont  à  peu 
près  la  même  chose.  Les  économistes  croyaient  qu'avec 
quatre  gros  mots  vagues  et  une  douzaine  de  raisonne- 
ments généraux,  ou  savait  tout,  et  je  leur  ai  prouvé 


jbïGoogIc 


LBTTRRS  DS  CALUNI  m 

qu'Us  ne  savaient  rieo.  AUtsi,  si  votre  collègue  ne  veut 
paa  oonvftnir  que  la  Kience  des  ddtaili  est  la  seule 
utile,  et  s'il  ne  oonvïeDt  pas  que  les  détails  de  la  ^Uttque 
moderne  ne  ressemblent  point  aux  aotlquec,  ditesJul 
qu'il  est  un  éocmomiste  et  anéaatisaes-le.  Lyourgue  «t 
Solan  ne  ressemblent  qu'à  saint  François,  à  saint  Ignaoe, 
à  saint  Dominique;  ils  n'ont  rien  de  oommun  aveeKaïa- 
riu,  Colbert,  Aiohelieu,  le  osar  Pierre,  Vlotor-Amédée, 
Georges  II,  ï^^dâiio.  Cest  dans  oes  ordres  religieui 
et  oea  petites  républiques  que  la  politique  est  la  science 
de  l'éducation  un  peu  plus  en  grand.  Dans  les  grandes 
républiques,  c'est  autre  chose.  De  même  que  la  cul* 
ture  d'un  petit  vignoble  de  la  Romanée  est  très  diS&- 
rente  de  la  culture  de  la  forêt  de  Rambouillet,  les 
moyens  de  tirer  le  produit  de  oes  deux  objets  sont 
très  divers.  Vous  avei  donc  raison,  à  mon  avis;  mais 
vous  ne  l'avea  pas,  lorsque  vous  dites  que  toute  la 
théorie  politique  se  réduit  à  voir  juste  ;  car  ces  sortes 
de  vérités  (qu'on  appelle  en  Espagne  les  sentences  de 
t*edn>  GruUo)  ',  sont  trop  générales,  trop  eommu- 
nes,  trop  plates  pour  être  prononcées  sérieusement. 
Un  homme  qui  dirait  que  te  blanc  n'est  pas  noir,  ne 
m'apprendra  jamais  la  peiuture;  et  celui  qui  m'appren- 
dra que  le  tout  est  plus  grand  qu'une  partie,  me  don- 


e  Pedro  Grullo  correapondent  exactemeol  à 
nos  Vérilét  de  la  PlUiae. 


jbïGoogIc 


276  LETTRES  DE  GÀLIANI 

aéra  ud  fort  petit  cours  de  géométrie.  Avançons  donc 
plus  Qos  pas,  et  disons  que  la  politique  est  la  science 
de  faire  le  plus  de  bien  possible  aux  hommes  avec  le 
moins  de  peine  possible,  selon  les  circonstances.  C'est 
donc  un  problème  de  maximù  et  mjmmt'j  à  résoudre. 
La  politique  est  une  courbe  (une  parabole)  à  tirer. 
Les  abscisses  seront  les  biens,  les  ordonnées  seront  les 
maux.  On  trouvera  le  point  où  le  moindre  mal  possible 
se  rencontre  avec  le  plus  grand  bien.  Ce  point  résout 
r^e  problème,  et  tels  sont  tous  les  problèmes  humains  : 
car  tout  est  mêlé  de  bien  et  de  mal.  Vous  voyez  donc 
que  tout  problème  politique  n'est  d'abord  résolu  que 
par  une  équation  indéfinie  qui  ne  se  trouve  fixée  que 
lorsque  vous  l'appliquez  aux  cas  particuliers. 

Vous  demandez  s'il  est  bon  d'accorder  une  liberté 
entière  à  l'exportation  des  blés?  Ce  problème  général 
n'est  résolu  que  par  une  équation  indélinic.  Vous  de- 
mandez ensuite  s'il  faut  accorder  la  libre  exportation 
en  France  dans  l'année  1773.  Alors  le  problème  estâxé, 
parce  que  vous  fixez  le  pays  et  le  temps;  et  la  même 
équation,  appliquée  au  cas  fixé,  pourra  vous  donner  tan- 
tôt l'affirmative  (la  positive),  tantôt  la  négative.  La 
politique  est  donc  la  géométrie  descourbes,  la  géométrie 
sublime  des  gouvernements,  comme  la  police  en  est  la 
géométrie  plane,  simple  :  les  six  premiers  livres  d'Ëu- 
clide.  Sans  doute  un  géomètre  doit  voir  juste,  mais  cela 
va  sans  dire. 


jbïGoogIc' 


LETTRES   DE   GALIàNI  277 

La  politique  n'est  donc  pas  seulement  une  science 
d'éducation,  mais  généralement  une  science  d'amélio- 
ration quelconque.  Ou  appelle  également  agriculteur 
celui  qui  cultive  des  plantes  annuelles,  des  oignons,  des 
laitues,  qu'il  plante  et  arrache  lui-même  au  bout  de 
trois  mois,  et  celui  qui  soigne-des  chênes,  des  chutai' 
gnicrs  qu'il  n'a  pas  plantés  et  qu'il  ne  verra  pas  mourir. 
Ces  cultures  sont  difTérentes,  mais  toutes  les  deux 
appartiennent  h  la  science  de  l'agriculture. 

Rejetez  loin  de  vous  et  de  ta  politique  ces  grands 
mois  vides  de  sens,  de  la  force  des  empires,  de  leur 
chute,  de  leur  élévation,  etc.  N'aimez  pas  les  monstres 
de  l'imagination  et  les  êtres  moraux.  11  ne  doit  être 
question  que  du  bonheur  des  êtres  réels,  des  individus 
existants  ou  prévus.  Nous  et  nos  enrants,  voilà  tout. 
Le  reste  est  rêverie. 

Je  crois  que  les  bommes  peuvent  faire  du  bien  et  du 
mal  aux  autres  hommes.  Les  princes  naîtront  ou  mour- 
ront, cela  ne  me  iàit  rien  et  ne  fait  rien  aux  hommes. 
Il  faut  les  rendre  heureux  ;  s'ils  ne  sont  pas  heureux  en 
France,  il  faut  les  faire  déménager  tous  et  les  envoyer 
en  Laponie;  s'ils  sont  mal  là,  envoyez-lesau  Kamtschat&a. 
Il  est  vrai  que  la  grandeur,  la  force  d'un  empire  fait 
souvent  le  plus  grand  bonheur  de  son  peuple,  et  que 
sa  mine  entraine  le  malheur  des  individus  :  mais  cela 
n'est  pas  général.  Les  Florentins  n'ont  jamais  été  aussi 
heureux  au  beau  temps  de  leur  république,  qu'ils  le 


jbïGoogIc 


m  LETTRES  DE  OALUHI 

sont  h  présenti  etc.  Je  crois  donc  qu'un  homme  peut 
hftter  ou  retarder,  soit  raccrDiBSéltteiit,  soft  la  ruine 
d'un  eut,  le  sien  ou  celui  de  son  voisin;  mais  il  ne  doit 
que  B'oCoUper  du  bonheur  des  hommes.  Le  moyen  de 
caUseï*  ce  bonheur,  je  l'ai  déjà  dil,  est  toujours  celui  de  ■ 
calculei'  les  biens  et  les  maux,  et  trouver  le  point  du 
milieu.  En  calculant  soit  les  biens  ou  les  maux,  il  faut 
calculer  le  présent  et  l'avenir,  sûr  ou  fort  possible. 
L'tncerlain  est  cet  iD&tiiment  petit  qu'on  méprise  dans 
le  calcul.  A  présebt,  donnez  vos  problèmes  :  je  lâcherai 
de  les  résoudre,  ED  avei-vous  assez  pour  ce  soir? 
Adieu. 


NsplBB,  it  Dovambra  un. 

Pour  le  coup,  tna  belle  ddme,  vous  avei  raisou.  Je 
ne  me  fïls  point  d'idée  de  votre  état  actuel,  et  vous, 
qui  bvei  tant  d'esprit,  de  pénétration,  de  lumières, 
vous  ne  Bongei!  pas  que  j'ai  été  oblj^  de  faire  teindre 
et  vertdr  le  balcon  de  mott  cabinet,  et  que  cette  odeur 
d'huile  et  de  vernis  depuis  huit  jours  m'enpofionne, 
me  tué,  me  rend  incapable  de  tmvfllUer,  d'écrire,  de 


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LBTTRG3  DE  OALUNI  m 

penser;  c'est  bien  pis  cela,  que  les  cris  des  petits  enfobts. 

Mon  frère  se  porte  moins  mal,  I)  vivra,  mais  il  vivra 
perolua  de  la  moitié  de  ses  membres.  Cela  ffiit  pour 
«a  famille  et  pour  moi  uti  malheur  plus  grand  que  s'il 
était  mort.  Mon  embarras  est  e&trëme  {  le  mieux  est 
de  De  rien  prévoir^  Ainsi  ferai-je. 

Voici  la  lettre  que  m'écrivit  M.  GapperomiJer,  et  ma 
répoDSCi  Vous  b*ouVeret  une  différence  énorme  BQtre 
ce  qu'il  dit  de  César  Borgiaet  ce  que  je  dis,  moi.  BùiEs, 
en  vérité,  aunis-je  pria  la  peine  de  le  consulter  pour 
apprendre  de  lui  les  cboses  les  plus  communes  et  les 
|riu8  triviales,  qu'on  trouve  dans  tous  les  mauvais  livres 
et  les  mauvais  dictionnaires  ;  il  m'a  un  peu  piqué.  Si 
l'époque  da  la  naissance  de  César  Borgia  était  ube 
chose  aîsée  h  trouver  du  à  combiner,  je  n'aurais  pas 
eu  reooui^  à  lui.  Si  le  duc  de  Gandia,  qu'il  fit  assas- 
siner, eût  été  son  aine,  comme  tout  le  monde  le  croît, 
pendant  qu'au  fait  il  était  son  cadet,'  si  mille  autres 
circonstances,  regardant  sa  fomiUet  n'eussent  pas  été 
confondues,  embrouillées  par  les  historiens  même  les 
plus  fameux,  je  n'aurais  pas  frappé  à  la  porte  de 
H.  Cappéronnier.  Persuades-le  donc  que,  lortuiue  je 
l'interroge,  c'est  pour  cause;  et  que  lorsqu'il  me  répond, 
il  faut  qu'il  prenne  garde  à  ce  qu'il  dit,  sans  quoi  je 
reviendrai  à  la  charge  et  l'interrogerai  derechef. 

Pignatelli  partit  le  1  de  ce  mois.  Il  sera  à  Paris,  à  ce 
qu'il  croit,  avant  ht  fin  de  l'année. 


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380  LETTRES  DE  GALUKl 

J'ai  entrevu  un  édit  du  roi  de  Sardaigue  sur  la 
disette  que  son  pays  souffre,  rapporté  dans  une  gazeltc. 
En  général,  tous  les  pays  de  l'Europe  sur  lesquels  la 
disette  s'est  fait  sentir  depuis  neuf  ans,  (c'est-à-dire 
depuis  le  conHnencement  des  troubles  de  la  Pologne, 
qui  en  sont  l'unique  cause),  tous  ont  produit  des  édits, 
et  ces  édits  sont  tels  qu'on  les  aurait  faits  il  y  a  trois 
siècles,  preuve  que  les  ouvrages  des  économistes  n'ont 
éclairé  ni  persuadé  aucun  gouvernement.  J'en  suis 
fâché  pour  eui  et  pour  les  {^ouvemements,  car  il  y 
aurait  eu  quelques  progrès  à  faire  dans  l'administration 
des  blés,  depuis  trois  siècles.  Mais  les  économistes 
n'ont  su  l'enseigner,  ni  les  gouvernements  n'ont  pu 
l'apprendre.  Voici  ce  qu'il  fallait  enseigner  et  prêcher  : 

1"  Que  la  connaissance  exacte  du  produit  des  hiés 
d'un  royaume  dans  chaque  année,  quand  même  on 
pourrait  l'avoir,  ne  sert  à  rien,  ne  mène  à  rien  et 
n'avance  de  rien. 

2*  Que  la  défense  absolue  de  l'exportation  est  im- 
praticable, et  moins  avantageuse  qu'une  forte  impo- 
sition sur  la  sortie. 

3'  Qu'il  ne  faut  jamais  fixer  le  prix  des  blés. 

Tous  les  édits  que  j'ai  vus,  et  celui  de  Turin  sur- 
tout, tombent  dans  ces  trois  fautes  grossières.  On  veut 
savoir  la  récolte  :  bêtise.  On  fixe  le  prix  :  sottise.  On 
défend  la  sortie:  pauvreté.  Le  remède  préservatif  des 
famines  a  été   dit  dans  mes  J>Udogwi  k  ceux  qui 


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LETTRES  DE  GALIAHI  281 

les  ont  Ihs  jusqu'au  bout.  Deux  impôts.  L'un  sur  la 
sortie,  l'autre  sur  l'entrée.  Le  remède  &  la  famine 
actuelle,  il  n'y  en  a  qu'un.  Il  faut  que  le  gouTeinement 
se  persuade  que  c'est  un  malheur  aussi  grand  qu'une 
guerre  ;  un  malheur  digne  de  ses  soins  :  et  comme 
pour  une  guerre  on  prodigue  des  millions  et  des  mil- 
liards, il  faut  en  prodiguer  contre  la  famine.  S'endet- 
ter. Acheter  partout  à  tout  prix.  Vendre  à  perte.  Tuer 
le  monopole,  terrasser  les  coûunerçants.  Il  faut  que 
l'exportation  soit  toujours  abandonnée  aux  négociants 
et  qu'elle  leur  soit  toujours  lucrative.  11  ne  faut  pas 
tolérer  que  l'importation  leur  soit  profitable  jamais; 
et  il  faut  toujours  que  l'Ëtat  la  fasse.  Bon  soir.  A. 
huitaine. 


naples,  IB  décembre  HTI. 


Je  vous  ai  fort  négligée  depuis  quelque  temps,  mn 
belle  dame,  et  je  crains  que  vous  n'en  soyez  plus  in- 
quiète qu'il  ne  le  faudrait,  car  je  me  porte  bien. 

Hon  frère  va  beaucoup  mieux,  et  vivra  encore  quel- 


jbïGooglc 


1B3  LETTRES  DE  OA.LIANI 

que  temps.  L'idée  de  t'éloignement  d'un  maUieur  égale 
celle  d'un  malheur  évité  à  jamais.  Tout  est  optique  daus 
notre  télsi  nous  ne  sommes  pas  faits  pour  la  vérité,  et 
la  vérité  ne  nous  fait  rieu.  L'illusion  optique  est  la 
seule  qu'il  faut  chercher. 

6i  je  voulais  donc  vous  dire  la  véritable  cause  de  mon 
silence,  j'aurais  de  la  peine  à  la  trouver  ;  pourtant  je 
croîs  que  la  voici:  d'abord  vos  lettres  ne  m'ont  point 
électrisé.  La  perruque  de  H.  d'Argental  et  le  mariage  de 
la  duchesse  de  Chaulaes  *  sont  deu^  espèces  de  poils 
qui,  &  la  différence  de  tous  les  auttçs  poils,  ne  s'éleo- 
triseot  ni  n'électrisent  point. 

Ensuite  je  suis  tout  occupé  de  réimprimer  mon  an- 
cien ouvrage  sur  la  Monnaie,  écrit  en  italien,  dont 
l'édition  est  tout  b  fait  épuisée.  Je  voulais  y  ajouter 
quelque  chose,  mais  plus  je  vieillis,  plus  je  trouve  qu'il 
y  a  toujours  à  retrancher  dans  les  ouvrages,  jamais  à 
ajouter.  Ce  n'est  pourtant  pas  là  le  compte  des  libraires. 


t.  La  dacbesM  de  Cbanlnet,  Teuve  du  gouverneur  de  Picardie, 
antt  épousé  en  secondes  boces  un  H.  Giac,  maître  des  lequétes, 
pour  lequel  elle  s'était  éprise  d*un  amour  ridicule.  Cette  union 
lui  fli  perdre  son  nom,  sa  dignité  et  le  tabouret.  Quand  elle  eut 
ouTert  les  yeui  sur  la  folle  de  sou  mariage,  elle  se  ùi  appeler  '  la 
femme  h  Giac  >.  et  un  jour  qu'on  citait  devant  elle  une  femme 
de  qualité  qui  s'unissait  i  un  bourgeois  :  ■  Je  n'en  crois  rien, 
dit-elle,  on  ae  fait  qu'une  de  ces  folies  en  un  siècle  et  je  l'ai 
dégulgnonné.  >  Péirie  d'esprit,  de  Terre  et  d'irooiei  la  itucbesse 
de  Chaulnes  osait  tout  et  disait  tout;  jamais  elle  ne  laissai!  pas- 
ser une  sottise  ou  une  bassesse,  et  c'est  une  des  flgnr«s  les  plus 
Tlvantes  et  les  plut  audacieuses  du  itiu*  iltcls. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DB  GALIANI  wa 

Os  souhaitent  des  éditions  plus  comfdètea,  et  les  sots 
(car  il  n'y  a  que  les  sots  qui  achètent  force  11  ttos)  les  sou- 
haitent fiUBsi.  Je  dois  dono  faire  une  Mition  plus 
complète  de  mon  ouvrage.  On  y  demande  des 
notes',  j'en  ferai.  Hais  quoi  y  mettre  ?  Pourriez-rous 
m'fUder  ou  me  faire  aider  à  trouver  oe  que  je  dots 
ajouter,  pour  plaire,  à  un  ouvrage  que  peut-être  vous 
connaissez,  car  j'en  ai  parsemé  plusieurs  exemplaires 
dans  Paris.  Vous  répondrez  que  vous  n'entendet  pas 
l'italien,  et  encore  moins  la  monnaie  de  mon  pays  ; 
mais  qu'est-ce  que  cela  fait?  ne  fait-on  pas  des  notes 
sans  entendre  le  teite?  Horace,  Aristote,  etc.,  n'ont-ils 
pas  eu  une  infinité  de  commentateurs?  Aidez-mo) donc, 
car  je  me  casse  la  tète  à  me  commenter,  et  je  trouve  tou- 
jours que  j'ai  dit  dans  le  texte  ce  que  je  voudrais  dire 
dons  mes  notes. 

A  ce  propos,  je  vous  dirai  qu'un  oertain  plaident 
dont  j'ai  oublié  le  nom,  mais  que  vous  reconnaîtrez  à 
c« signalement:  (sa  femme  passait  pour  une  femme 
d'esprit,  car  elle  eut  le  bon  esprit  de  s'attacher  à  M.  Tru- 
daine  le  père,  homme  très  important),  ce  président 
fit  un  livre  de  recherches  sur  la  valeur  des  monnaies  re- 
lativement aux  denrées  dans  les  différents  siècles '.  Ce 


1.  H.  Dupréde  Saint-Maur,  membre  de  l'Académie  fransaUe, 
auteur  d'an  traité  des  monnaies  ;  il  a  iaiftié  en  manuscrit  une 
douzaine  de  Tolumes  In-folio  mr  les  Variations  dw  prte  dta 
denrits  tUpuis    JfoïM  jusqu'à  not  jours.   It  BTsil  été  longLempa 


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184  LETTRES  DE  GALIAME 

livre  est  rare,  mais  je  voudrais  l'avoir.  Tftcliez  de  me 
l'acquérir,  et  envoyez-je-moi  avec  les  chemises.  Voilà 
donc  mon  occupatioa  à  présent,  qui  me  distrait,  saus 
in'amuser.  Elle  m'occupera  assez,  car  il  faudra  que  je 
fasse  toutes  les  corrections;  personne  n'aide  ici  mes 
études.  Voilà  un  grand  mal  pour  ceux  qui  voudraient 
que  i'enfante  tous  les  jours  quelque  chose  de  nouveau. 
Si  j'avais  des  accouclieurs  ! 

Vous  serez  à  la  veille  de  revoir  les  voyagem«  :  era- 
bressez-les  donc  de  ma  part  ',  Pignatelli  était  à  Parme 
le  S  décembre;  il  vous  aura  vue  avant  la  réception  de 
cette  lettre.  Embrassez-le  aussi. 

Portez-vous  bien.  Que  puis-jevons  dire  de  nouveau? 
La  mort  de  l'un  de  nos  ministres  d'Ëtat  ne  vous  est 
pas  plus  importante  que  la  perruque  de  d'Argental. 
Donnez-moi  quelques  nouvelles  de  nos  amis.  Le  baron, 
la  baronne,  Scbomberg,  etc.,  que  font-ils? 


t.  Grimm  et  Dlderol. 


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LETTRES  DE  UALIANl 


La  iiDuiello  umée  1771. 

Je  commençais,  ma  belle  dame,  à  être  fort  inquiet 
sur  votre  compte,  ne  recevant  plus  de  lettres  depuis 
trois  semaines.  EoJin,  il  m'en  est  arrivé  deux  ensemble 
et  j'ai  vu  que  votre  santé  va  bien.  Les  postes  vont  mal. 
Les  malheurs  que  vous  souffrez  à  présent  sont  vrai- 
ment des  malheurs  domestiques  ;  car  domus  signifie  la 
maison,  comme  vous  sauriez,  si  vous  saviez  le  latin. 
Vous  êtes  en  outre  kiragra  (ceci  est  grec  et  cependant 
n'est  pas  bien  fin).  Vous  avez  donc  mal  à  une  main,  et 
c'est  la  gauche.  Pouves-vous  vous  gratter?  Je  trouve 
que  les  mains  ne  nous  ont  été  données  que  pour  nous 

gratter ,  car  on  avait  oublié  la  queue,  aussi 

bien  qu'aux  singes.  Si  vous  vous  gratlei:,  soyez  tran- 
quille, tout  le  reste  s'arrangera,  m€me  en  dépit  d'Hel' 
vétius  qui,  avec  son  humeur  sombre  et  chagrine, 
traînant  son  ennui  à  la  campagne,  se  vengeait  sur  le 


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386  LETTRES  DE  GA.LIANI 

genre  humaiD  de  ce  qu'il  n'y  avait  pas  de  demoiselles 
'   à  Voré  ». 

Vous  me  faîtes  l'analyse  de  son  livre  ;  de  quel  livre 
parlez-vous  *î  Croyez-voua  que  je  sache  qu'il  ait  paru 
uu  nouveau  livre  sous  son  nom  ?  Je  n'en  sais  pas  le 
premier  mot;  ainsi  je  n'entends  rien  à  tout  votre  article. 
Vous  y  parlez  des  chutes  des  empires.  Qu'est-ce  que  cela 
veut  dire?  Les  empires  ne  sont  ni  en  haut  ni  en  bas  et 
ne  tombent  pas.  Ils  changent  de  physionomie,  mais  on 
parle  chutes  et  ruines,  et  ces  mots  font  tout  le  jeu  de 
l'illusion  et  des  erreurs.  Si  on  disait  les  phases  des 
empires,  on  dirait  plus  juste.  La  race  humaine  est  per- 
pétuelle comme  la  lune,  mais  elle  nous  présente  tanldt 
une  face,  tantdt  une  autre,  parce  que  nous  ne  sommes 

i.  Leehlteau  de  Voré  était  uns  terre  migBiOqua  «feo  de  fort 
trelles  chaaaes.  Depuis  son  mariage,  Uelvétius  y  pessail  It  plus 
grande  partie  de  l'aonée.  La  passion  (tominaote  du  châtelain 
était  celle  des  femmes  et  les  agréments  de  sa  persoiite  lui  Taiimml 
de  nombreuses  bonpes  fortunes  ;  bien  qu'il  eût  été  l'amant  de  la 
ducbesse  de  Oiaulaes  et  d'autres  grandes  dames,  Il  ne  comprit 
jamais  Heu  aux  questions  de  sentiment,  et  il  fut  molni  i|tta 
déiicat  dans  ses  cboii.  Il  vécut  sans  cesse  arec  des  femmes  saus 
nranrs  et  sans  principes,  il  lei  croyait  toutes  de  mime;  une 
femme  sage  était  A  ses  yeux  un  monstre  qui  n'eiistAÏt  nulle  part. 
Les  excès  qu'il  commit  dans  sa  jeunesse  l'eDlevèrent  prématu- 
rément t  sea  amis. 

3.  11  «'agit  du  livre  :  De  l'hùtttme,  d«  m  faiulUt  inteUeo» 
tuMi*  si  ds  son  iiuealion,  3  vol.  in-8',  1771,  ouvrage  pos- 
thume d'Helvétius;  c'est  un  lourd  et  ennuyeux  comnienlaire  de 
son  livre  de  l'Esprit.  Buffon  devant  lequel  on  ep  parlait  itprëi 
la  mort  d'Helvétius  (ancien  fermier-général),  dit  que  l'auteur 
aurait  bien  dQ  (aire  un  bail  de  plus  et  un  Uvre  de  Burius; 


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LBTTRBS  DE  GALIÀNI  38f 

pas  toujours  bien  placés  pour  la  voir  dans  soo  pleio.  U  y 
a  des  empires  qui  ne  sont  jolis  que  dans  leur  dAoadenoe, 
conuae  l'empire  firan<ais  ;  il  y  en  a  qui  ne  seront  bons 
que  dans  leur  pourriture  comme  l'empire  turc  ;  il  y  en  a 
qui  ne  brillent  que  dans  leur  premier  quartier,  comme 
l'empire  jésuitique;  le  seul  qui  n'a  été  beau  que  dans 
sa  plénitude,  a  été  l'empire  papal.  Voilà  tout  ce  que  j'en 
sais,  et  je  n'en  sais  pas  beaucoup. 

Votre  monstre  de  Bellérophon  ',  grondé  de  la 
'  belle  manière,  m'a  fait  rire  aux  larmes. 

Nous  avons  d'aussi  beaux  monstres  ici,  mais  nous  ne 

leur  soufflons  pas Voilà  la  différence.   Cependant 

votre  histoire  a  été  impayable  pour  égayer  un  peu  ce 
pauvre  bftron  de  Breteuil.  Vous  savez  l'horrible  catas- 
trophe de  M.  de  Matignon,  elle  fait  frémir.  Les  Napoli- 
tains mëqie  en  ont  pleuré  *. 

Vous  aurai  vu  à  celte  heure  PignatelU  ;  il  vous  aura 
parlé  de  moi.  et  vous  l'en  aurez  bien  interrogé,  je  parie. 

Ne  vous  étonnez  pas  si  vous  voyez  passer  quelques 
sGiD&iQes  sans  lettres  de  moi  i  vous  en  savez  la  cause 
d'avance,  je  veui  me  réimprimer.  Aimea-mo)  ;  portev- 


I.  Bellérophm,  joué  à  Veratille»  le  37  navenbre  1773,  opéra 
de  Fonteoelle.  s  Lai  macbinea  et  habUlomeiKs  eBoul  coùli  eeat 
laille  écus.s  C'est  Lulli  qui  ee  arait  fait  la  musique  lanqu'au  le 
joua  pour  la  première  fois  en  1679. 

S.  IH.  de  HaUgnon,  gendre  de  M.  de  la  Vaupallère,  venait 


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LETTRES  DE  GALEANI 


VOHS  bien,  el  si  les  philosophes  du  Nord  '  sont  arrivés 
embrassez-les.  Allez  exprès  souhaiter  la  bonne  année 
de  ma  part  au  baron  et  à  la  belle  baronne  *.  Adieu. 


Naples,  11  Janricm?!. 

Tout  de  bon,  ma  belle  dame,  je  commence  ù  être 
inquiet  sur  votre  compte  ;  il  y  a  deux  ou  trois  ordi- 
naires que  je  ne  reçois  point  de  lettres  de  vous.  Que 
vous  est-il  donc  arrivé  ?  Pour  moi,  vous  savez  que  je 
me  porte  toujours  bien,  et  qu'il  est  impossible  que  je 
sois  malade,  n'ayant  jamais  pris  de  médecines  ni  de 
médecins.  Je  pourrais  bien  mourir,  mais  ma  mort 
retentirait  eji  Europe;  ainsi  mon  silence  ne  doit  jamais 
vous  inquiéter  ;  mais  le  vôtre  est  terrible  autant  que 
pénible  pour  moi. 

Vous  saurez  que  Caraccioli  a  perdu  sa  belle-sœur. 
Je  crois  doncque,  sans  faute,  il  fera  le  voyage  de  Naples. 

I.  Grimm  et  Diderot  qui  allaient  reieair  de  Russie. 
3.  D'UolJMch. 


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■LETTRES  DE  GALIANl  Îft9 

el  VOUS  poun-ez  le  prier  de  m'apporter  la  toile  de  colon 
.  et  les  mouchoirs.  Mandcz-co-moi  le  prix  ;  et  s'il  veut 
vous  le  payer,  je  le  rembourserai. 

J'attends  toujours  avec  impatience  les  reclierches  sur 
la  vie  du  duc  de  Valcntinois. 

Aimez-moi.  Êcrivcz-moi.  Adieu. 

Je  crois  n'avoir  pas  répondu  à  volro  n"  53  du  20 
décembre.  L'article  de  Buffon  prouve  qu'il  n'aime  pas 
les  économistes'.  Mais  s'il  avait  lu  et  goûté  mes  Dialo' 
gués,  les  objections  à  la  liberté  absolue  n'auraient  pas 
dû  lui  paraître  nouvelles  tout  k  fait.  Au  fait,  tout  étic 
qui  fait  une  profonde  révérence  à  quelqu'un,  tourne  le 
dos  à  quelqu'autre.  Cela  est  dans  l'ordre.  Je  n'entends 
rien  au  titre  de  l'ouvrage  anglais,  traduit  par  Suard  : 
Observations  sur^lcs  commencements  de  la  société. 
Toute  socïéld  a  commencé  et  commence  par  l'accou- 
plement du  mâle  avec  la  femelle.  Est-ce  que  Suard  a 
fait  des  observations  sur  cela  *  ? 


1.  Void  l'anicle  de  BulToii  auquel  tialtaai  tait  allution  ;  c  Je 
h'ovaii  jamais  rien  cimpris  à  ce  jargon  d'hApilel  de  ces  demon- 
diSUr»  d'aumdnes  que  nous  a^i^oloas  économisiez,  non  plus 
qu't  celte  Intîncible  opiniâtreté  de  nos  ministres  ou  sous-mi- 
nistres pour  la  liberté  nbwliie  du  commerce  do  la*  denrée  dz 
pnMnière  nécessité.  J'étais  bien  loin  d'être  de  leur  avi-i,  mais 
jetais  encore  plus  loiu  des  raison;  sans  réplique  et  des  démons- 
iratîons,  que  tous  donnez,  de  n'en  pas  être.  J'ai  lu  votr3  ouvrage 
dcui  fuis,  JQ  compte  le  relire  encore,  c'est  un  griuil  spectacle 
d'Idées  et  tout  nouveau  pour  moi.  «  {Extrait  d'une  tettre  de 
Buffbn  à  M.  Neckrr.) 

2.  Suard  a  publié  ;   Observalions  sur  les  'commtacenKnls  de  la 


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390  LETTRES  DE  GALIANI 

Je  ne  me  souviens  point  duloutdece  que  jo  vous 
ai  dit  à  propos  des  blés,  que  vous  avez  cru  digne  des 
létes  couroDiiées  ;  mais  je  vais  vous  dire  le  secret  de 
l'Ëglise  et  de  l'Èlat.  Le  voici  : 

Tout  pays  qui  établira  et  soutiendra  la  liberté  indé- 
finie des  blés  sera  bouleversé.  Sa  forme  deviendra 
entièrement  républicaine,  démocratique,  et  la  classe 
des  paysans  deviendra  la  première  et  la  plus  puis- 
sante. Nous  qui  ne  bêchons  pas  la  terre,  nous  serioQs 
donc  bien  fous  de  la  laisser  établir  pour  devenir  les 
derniers:  Hcec  est  {ex  et  prophctœ.  Adieu. 


Naptos,  19  Jnnvier  17T< 

Vous  allez  donc,  ma  belle  dame,  occuper  l'apparlc- 
meat  de  mon  ami  Sersalc,  dont  je  suis  toujours  incon- 
solable. Jouissez-y  au  moins  d'uae  plus  longue  vie  ei 
d'une  meilleure  santé. 

Société,  pur  J.  ïlillir,  professeur  ca  droit  t  l'uhirersi té  de  Glas- 
gow; Induit  de  l'anglais  daprés  la  seconde  édilioa.  Aatslerdimt 
et  Paris.  Pissot,  17T3. 


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LETTRES  DE  GALIANl  »1 

Les  révoltes  de  Russie  ne  me  paraissaient  pas  dignes 
d'obliger  notre  ami  le  philosophe  à  s'en  sauver  à 
toutes  jambes'.  S'il  y  était  obligé,  il  s'en  tirerait  ^ès 
maf;  il  y  mettrait  de  la  philosophie,  qui  est  la  chose 
du  monde  la  plus  déplacée  dans  une  bagarre.  Témoin 
Archimède.  Mais  notre  ami  Grimm,  où  est-ll  t  a-t-il 
remisé  sa  princesse  à  Darmsladt  *  ? 

Je  serai  fort  laconique  ce  soir.  Je  vais  au  bal  de 
l'Opéra.  Sachez  qu'en  1748,  Naples  vit,  pour  la  pre- 
mière et  dernière  fois,  le  spectacle  d'un  bal  public.  Les 
prèlres,  les  Ostrogoths,  les  soutiens  de  la  barbarie  na- 
tionale, sentirent  les  elTets  terribles  d'uu  bal  lil»e, 
payé,  catholique,  c'estA-dire  universel.  Ils  s'y  oppo- 
sèrent avec  une  force  incroyable  et  les  firent  défendre 
à  jamais.  Il  en  a  coûté  des  peines  iromenaes  pour  les 
rétablir.  J'y  ai  eu  plus  de  part  qu'un  ne  s'imagine. 
Enfin,  le  hasard  heureux  que  le  roi  passe  le  carnaval 


1.  En  1773,  «n  cosaque  Domraé  Pougalcheff  eut  l'idée  éiraage 

de  se  faire  passer  pour  l'empereur  Pierre  1I[,  mort  assassina 
depuis  dii  ans.  Il  parvint  à  entraîner  un  grand  nombre  de  ses 
compalriotcs,  il  prit  des  forteresses,  iraTeraa  plutjairs  profinus, 
signala  son  passage  par  d'ciIrojrBbles  cruautés,  cl  fut  au  moment 
de  s'emparer  de  Moscou  ;  mais  ayant  hésité,  une  partie  de  ses 
parllSBDS  l'abandonnèrent  et  il  fut  livré  par  ses  derniers  compa- 
gnons moyennaot  une  somme  de  cent  mille  roubles.  Mis  dans 
une  cage  de  fer  et  conduit  à  Moscou,  il  y  fut  eiéculé  par  les 
ordres  de  Catherine  en  1775.  Cette  insurrection  avait  duré  près 
de  deui  ans. 

i.  Grimm  avait  été    chargé  d'accompagner  la   princesse  àa 
Hesse-Darmstadt  pendant  son  voyage  k  Saint-Pétersbourg. 


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391  LETTRES  DE  GALIANI 

ici,  et  d'autres  circonstances  favorables  ont  fait  réussir 
une  chose  qu'on  croyait  désespérée.  J'en  espère  un 
grand  bien  pour  ma  patrie.  La  galanterie  est  la  pierre 
ponce  qui  polit  les  nations ,  je  vous  écris  donc  mas- 
qué; une  bautte  vénitienne  est  tout  mon  accoutrement. 
11  y  avait  vingt-deux  ans  que  mon  visage  passaitîi  dé- 
couvert, car  à  Paris  je  n'ai  jamais  été  au  bal.  Je  n'y 
mène  personne.  Je  n'ai  pas  besoin  de  pierre  ponce; 
je  suis  plus  poli  qu'un  roué  ne  devraitèlre. 

En  attendant,  ces  bals  nous  ont  aitiré  cinquante- 
deui  Anglais,  et  une  trentaine  d'étrangers  d'autres 
nations.  Nous  avons  débouqué  le  carnaval  de  Rome 
et  celui  de  Venise.  Nous  gagnerons  sur  l'Europe  une 
centaine  de  milliers  d'écus  en  peu  de  jours.  Milord 
Clive  seul  pourrait  les  dépenser,  en  achetant  de  mau- 
vaises copies  de  tableaus  pour  des  originaux  ' .  Il  est 
ici;  il  en  achète,  et  il  est  persuadé  que  les  diamants 
donnent  le  goût  des  arts.  Cela  est  vrai  jusqu'à  un 
certain  point,  car  il  est  vrai  aussi  que  stultiiiam  pa~ 
tiuntur  opss, 

Militemî  m'a  donné  la  médaille  de  M.  de  Sartine, 
ea  plâtre;  die  s'est    frottée  en  chemin.  N'y    en  a-t-il 

1.  Clivo  (Etoberl Lord)  (1735-1774),  gouverneur  du  Bengale;  il 
remporta  aux  Indes  d'ëclutants  succès,  et  revint  en  Europe 
comblé  d'honneurs  et  de  riclicsscs.  En  1773,  on  voulait  faire 
décider  itar  la  Chambre  des  Communes  que  Clive  avait  abusé  du 
pânvolr  pour  acquérir  sa  fortune  ;  U  Chambre  reponsw  la  pro- 
position. 


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LETTRES  DE  GALIANI  Î93 

pas  en  écaille,  l'aisant  le  couvercle  d'une  boite?  S'il  y 
a  des  boites  à  la  Sartine,  achetez-en-moi  une  de  peu 
de  pris,  mais  avec  sod  porlrail.  C'est  tout  ce  que  je 
désire  avoir. 

Aimez-moi  ;  portez-vous  bien.  Je  u'écris  pas  à  Chas- 
tellux;  j'écrirai  à  Pigoatelli.  Hardi,  vous  baptiserez 
notre  princesse  Louise  '.  Vous  nous  serez  bien  plus 
parents  qu'amis.  Mais  c'est  toujours  quelque  cbose 
que  de  vous  escamoter  de  beaux  présents.  Adieu. 


A    LA    MÊME 
I<èi)onse  caléf^rique  au  n*  87. 

SaplBS,  15  fôïfUr  177*. 

ie  suis  persuadé  que  Caraccioti  viendra  sans  faute  à 
Naples  ;  et  je  crois  aussi  qu'il  viendra  par  l'Allemagno 
et  par  Vienne.  Il  eu  avait  le  projet  et  c'est  son  plus 
court,  puisque  c'est  son  plus  agréable  chemin.  J'ai  de 

I.  l.ouLSC-Marie-AmÉlic,  priiici^sse  de  Naiiles  eldesDi'ui  Sii^ili's, 
née  le  il  juillet  1773,  secondit  TiIIb  de  Kcrdinanij  IV  et  de  Caro- 
line-Louise  d'Auttli'lic,  lilleulc  du  dauphin  et  de  ta  daupliinc  de 


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194  LETTRES  DE  GALIANI 

la  peine  &  croire  qu'il  veuille  embarquer  dans  sa  malle, 
et  promeoer  par  lo  monde,  ma  pacotille  ;  mais  il  est 
probfible  qu'il  enverra  quelques  caisses  ou  quelques 
malles  par  mer;  et,  dans  ce  cas-là,  vous  pourriez  le 
prier,  et  il  ne  me  refuserait  pas,  car  cela  ne  lui 
causerait  aucun  embarras,  et  lui  coûterait  en  raison  de 
treize  livres  le  quintal,  c'est-à-dire  rien  pour  un  ami. 
Voyons  donc  si  cela  est  faisable;  après,  nous  prendrons 
des  partis  en  désespérés,  comme  celui  de  Gènes,  que 
vous  me  proposez.  Je  ne  suis  point  pressé  de  recevoir 
la  toile  de  coton  et  les  mouchoirs,  avant  l'automne  pro- 
cbain.  Ils  ne  sont  pas  défendus  à  Naples,  et  la  douane 
n'en  est  pas  considérable;  mais  elle  est  embarrassante 
et  tracassièrc,  comme  tout  l'est  ici. 

Je  connais  votre  maison  de  la  rue  Gaillon.  N'en  crai- 
gnez rien,  on  vit  plus  longtemps  lorsqu'on  est  à  l'abri 
de  la  ventilation .  Le  monde,  les  médecins  croient  le 
contraire  ;  mais  rex|)ériencc  prouve  qu'ils  se  trompent. 
La  rechute  de  Mora  commence  à  me  faire  désespérer 
sur  son  compte.  L'air  de  Madrid  est  trop  ventilé,  et 
ses  poumons  ne  le  soutiennent  pas. 

Ce  voyage  d'Italie  ',  après  celui  de  Pétersbourg, 
vous  assomme,  vous  désole;  cependant,  je  ne  pour- 
rais m'empëcbcr  de  m'en  réjouir  infiniment,  s'il  avait 
lieu.  C'est  ce  que  je  ne  crois  pas.  Au  reste  jene  trouve 

1.  Orimm  voulût  partir  pour  l'ilalla. 


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pas  fou  d'avair  résolu  d'hiverner  à  Pétersbourg,  plutôt 
que  de  voyager  dans  une  si  rude  saison.  Ce  voyage  me 
parait  si  terrible  !  Et  puis  il  est  ridicule  de  faire  des 
longs  voyages  et  des  séjours  très  courts.  Schomberg 
m'adore,  je  le  sais.  Je  l'aime  et  l'admire,  et  si  c'était 
à  moi,  je  l'enlèverais  ù  la  France,  pour  avoir  enfin 
quelque  ctiose  de  vraiment  militaire  ici. 

L'affliction  de  madame  de  Matignoa,  en  effet,  a  été 
extrême;  tout  vient  du  défaut  d'éducation.  Si  on  lui 
avait  appris  qu'un  mari  n'est  qu'un  homme,  elle  verrait 
que  l'espèce  entière  lui  reste,  en  perdant  un  individu. 
M.  de  Matignon  a  été  infiniment  pleuré,  sans  être 
regretté,  car  on  voyait  qu'il  n'aurait  jamais  été  bon 
à  rien  qu'à  ôtre  un  bon  vivant'. 


1.  ■  Madame  de  Matignon  avait  beaucoup  de  gaieté  et  l'arl  de 
conter  des  rieni  arec  un  charme  infini.  Elli;  conta  une  histoire 
très  plaisante  k  son  n-tour  de  Kaples,  mais  il  est  CTtibarressaui 
d'écrire  le  mot  qi>l  en  f.^ll  tout  le  sel,  cepeiirlant  à  celle  époque 
ce  mot  était  sans  cesse  répùtË  dans  la  société,  puisqu'il  tenait  à 
une  moite.  Madame  de  Matignon  arrivant  de  Naple^.  o(i  son  père 
était  ambassadeur,  fut  obligée d'ailersur-ie.cliampkMarlï;elle  ne 
l'arrêta  â  Parisque  pour  y  coucher,  et  ne  Tut  point  mise  au  fait 
d'une  mode  nouvelle,  devenue  universelle  depuis  quioze  Jours. 
Celle  mode  consislait  à  se  mettre  par  derrière,  au  bas  de  la 
taille  et  sur  la  croupe,  un  paqtieL  plus  ou  moins  gros,  plus  ou 
moins  parfait  de  ressemblance,  auquel  an  donnait  sans  détour  le 
nom  de  c.  Madame  de  Matignon  arrive  à  Marly  pour  m  cou- 
cher et  on  la  loge  dans  un  appirtement  séparé  par  une  cloison 
ttèi  mince  du  celui  de  madame  de  Rully,  plus  lard  duchesse 
d'Aumont.  Qu'on  se  ll;jiire  la  surprise  de  utadame  de  Matignon 
lorsque  le  lendemain,  à  sou  réveil,  elle  entend  entrer  chez  ma* 
dune  de  Rully  la  princesse  d'H^ain,  qu'elle  reconnaît  i  la  voix, 


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396  LETTRES  DE  GALUNI 

Bjanchi  '  m'est  inconnu  ;  il  n'a  rien  donné  au  public 
ici.  Piccini  viont  de  donner  à  notre  grand  théâtre  un 
opéra  qui  a  surpassé  tout  ce  qu'on  avait  entendu  de 
bonne  musiiiue  jusqu'ici.  L'Orphée  de  Gluck,  qu'un  a 
donné  en  mâme  temps  à  la  cour,  en  a  été  furieusement 
éclipsé.  Comme  je  »ais  que  lo  prince  Pignatelli  aura 
]a  copie  entière  de  l'opéra  de  Piccini,  je  suis  persuadé 
qu<!  vous  l'entendrez.  Ëntcadcz-lc  pourtant  avec  tous 
les  accompagnements. 

Ce  que  vous  me  mandez  de  l'amitié  ancienne  de 
Carlin  avec  le  pape  m'a  fait  rêver  *,  et  il  me  vient  une 
idée  sublime  dans  la  t£te,  qu'il  faut  absolument  que 

et  qui,  luMe-chsinp,  dît  :  ■  Bonjour,  mon  cceur,  moDtrez-iDoi 
votK  c  ■  Madame  de  Matignon  pélrifiée,  écoute  et  reciieille 
le  dialogue  suirant  :  i  Maij,  mon  cœur,  il  est  iffreui,  iirali, 
mesqulD,  tombant!  —  £n  voulei~vou$  voir  un  juii,  tenez,  re- 
gardez le  mien....  —  Ah!  c'est  vrai,  dit  madame  de  Ruily 
avec  l'acceul  de  l'admiration,  regardez  donc,  m  s  ri  émoi  se  Ile  Au- 
bert  (c'était  la  Temmc  de  clianibre),  li  est  réellement  charmant 
le  c.  de  madane  dUiinin,  comme  il  est  reboDdn  —  Voili 
reprend  madame  d'Iltain,  comme  il  fdui  l'avoir  puur  réussir  dans 
un  salon.  Il  est  bien  beureui  que  je  sois  arrivée  pour  surveiUer 
le  vdtre  I  >  (Idémoirts  de  madamt  de  Gentis.) 

1.  Maître  de  chapelle  &  Crémone.  Il  composa  i  Pariï,  en  1775, 
pour  le  thélire  italien,  la  muiique  de  'la  Réduction  de  Paris  > 
et  plus  tard  celle  du  a  Mort  marié  >.  —  Son  opéra  de  i  Cas- 
lor  et  Pollux  i  eut  le  plus  grand  succès  en  Italie. 

3.  Le  pape  Ganganelli  était  d'une  trks  bas^  exiraclion  ;  t  on 
assuri'  quuson  peru  était  vendeur  J'urvii'ta.i  .t,  en  celt  qualité, 
fun  lié  (ivcc  le'pé]':  de  Cirlin,  I  arlrquin  d'aujuurd'tiui  de  la  co- 
mtdie  i^jlienno.  Le  S-iint-l'ére  lu  coiiualt  etl'uinie  particulière- 
ment. 11  vient  de  lui  en  donner  une  preuve,  va  coufér^nl  un 
binéllce  i  sun  Dis.  ■  (Bachaumont.) 


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LETTRES  DE  GALIANI  397 

VOUS  communiquiez  ù  Marmoatel  de  ma  part,  pour 
ladier  de  l'éleclriser.  On  pourrait,  ce  me  sembJe,  y 
bâtir  dessus  le  plus  beau  de  tous  les  romans  par  lettres, 
et  le  plus  sublime .  On  commencera  par  supposer  que 
ces  deux  compagnons  d'école,  Carlin  et  Gaaganelli, 
s'élant  liés  de  la  plus  étroite  amitié  dans  leur  jeu- 
nesse se  sont  promis  de  s'écrire  au  moins  une  fois 
tous  les  deux  ans,  et  de  se  rendre  compte  de  leur 
état.  Ils  tiennent  leur  parole,  et  s'écrivent  des  lettres 
pleines  d'âme,  de  vérité,  d'etfusion  de  cœur,  sans  sar- 
casmes, sans  mauvaises  plaisanteries.  Ces  lettres  pré^ 
senteraient  donc  le  contraste  singulierde  deux  bommes, 
dont  l'un  a  été  toujours  malheureux  et  qui,  paroe 
qu'il  était  malheureux,  est  devenu  pape,  tandis  que 
l'autre,  toujours  licureux,  est  resté  toujours  Arlequin, 
Le  plus  plaisant  serait  qu'Arlequin  offrirait  toujours  de 
l'argent  à  Gaiiganelli,  qui  serait  un  pauvre  moine, 
ensuite  un  pauvre  cardinal,  enlîu  pape,  pas  trop  à  son 
aise.  Arlequin  lui  offrirait  son  crédit  à  la  cour  pour  la 
restitution  d'Avignon,  et  le  pape  l'en  remercierait.  Ma 
télé  est  déjà  ai  enflammée  de  cet  ouvrage,  que  je  le 
ferais  ou  le  dicterais  en  quinze  jours,  si  j'en  avais  la 
force.  Je  m'attacherais  à  la  plus  étroite  vérité  ou 
vraisemblance,  sans  aucun  épisode  romanesque,  et  je 
convaincrais  le  monde  qu'Arlequin  a  été  le  plus  heu- 
reux des  hommes,  et  Ganganelli  le  plus  malheureux. 
Une  trentaine  de  lettres  et  autant  de  réponses  feraient 


jbïGoogIc 


298  LETTRES  UE  OALIAXI 

fout  l'ouvrage.  Beaucoup  de  génie  et  point  d'esprit 
on  feraient  un  chef-d'œuvre.  Bonsoir.  Adieu.  Aimez- 
moi. 


MADAME   I>  lÎPINAY   A   GALIANl 


Vous  avez  bien  raison,  cliarmant  et  sublime  abbé, 
les  lettres  entre  Arlequin  et  Ganganclli  feraient  un 
ouvrage  unique  '  ;  mais  où  avez-vous  eu  la  lôte  en 

1.  Le  projclde  Galiani,  de  su;>poscr  une  correspondance  entre 
Ganganelli  et  Carlin,  ne  fut  pas  mis  i  eiécution,  du  moint  tel 
que  l'abbé  l'avait  con[u.  —  Un  Italien,  nommé  Caroi-tioli,  sorie 
(l'aventurier,  qui  n'avait  rien  de  comniun  avec  l'ambassadeur  do 
Nsples,  publia  sous  lo  titre  de  Lettres  intéresîantei  du  pape 
Clément  XIV,  la  corrcsponiancc  Je  Gatiganeiii  avec  un  gi'and 
nombre  de  personnages  divers.  Le  livre  eut  le  plus  grand  succès. 
«  Ces  IcUres,  dit  Grjoim,  nous  di>Dnent  l'idée  la  plus  vraie  de 
la  manière  du  penser  d'un  homme,  dont  la  mémoire  mérite  sans 
doute  à  plus  d'un  titre  la  reconnaissance  et  l'admiration  de  son 
slËele.  >  Malheureusement  ces  lettres  étaient  aLaolument  apo- 
crjphes.  Bientôt  parut  en  réponse  :  Le  TarlufB  épistolaire 
démaïqaé,  ou  èpUre  tris  pimilière  à  M.  le  ntoriiuis  <h  Caraecîoii, 
colonH  in  parlihus,  éditeur  et  comme  qui  dirait  auteur  desletires 
attribuées  aa  pape  Clànenl  XIV,  etc.  On  y  prouve  très  bien 
que  ces  lettres  sont  supposées  et  que  toute  l'entreprise  est  une 
imposture  de  librairie  qui  a  été  poussée  aussi  loin  qu'elle  1« 
pouvait  être.  ■  (Laharpe,  Cor.  LHI.J 


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LETTRES  DE  GALIANI  390 

proposant  Marmontel  pour  l'exécuter?  Je  me  garderai 
bien  de  lui  dire  un  mot,  car  ce  serait  un  ouvrage 
manqué.  Il  n'y  a  que  deux  hommes  sur  la  terre  en 
état  de  faire  cette  entreprise  et  de  s'en  tirer  avec  suc- 
cès, vous  d'abord  avant  tout,  ou  Griram,  après  qu'il 
aura  été  eu  Italie  ;  car  pour  domier  à  oette  besogne  le 
degré  de  vérité  et  d'originalité  qu'elle  doit  avoir,  il 
Tant  avoir  été  sur  le  lieu,  il  faut  avoir  vu  des  moines 
italiens,  î]  faut  pouvoir  rendre,  non  ce  qu'on  a  vu  ser- 
vilement, mais  que  ce  que  l'on  a  vu  fasse  naître  des 
tours  de  tête  tout  pareils.  Personne  n'entend  mieux  que 
lui  ces  tours  d'imitation  qui  donnent  un  si  grand  air 
de  vérité  à  la  chose.  Je  l'entends  bien  aussi,  moi  ;  mais 
je  suis  trop  ignorante  pour  qu'il  me  vienne  assez  d'idées 
Traies  pour  mettre  l'esprit  de  côté,  et,  comme  vous 
dites,  il  n'en  feut  pas.  Tout  bien  compté,  l'abbé,  pre- 
nez votre  courage  à  deux  mains  et  faites  le  roman;  je 
vous  y  condamne.  Il  le  faut  absolument.  Vous  voyez 
bien  que  vous  seul  pouvez  remplir  un  plan  si  beau,  si 
sublime  et  si  profond.  C'est  l'alTaire  d'un  mois;  et 
pourquoi  attendre?  Allons,  csl-il  commencé?  Diclez- 
moi,  j'écrirai.  Tenez,  faites  mieux  ;  à  chaque  ordinaire, 
au  lieu  de  m'écrire,  envoyez-moi  une  lettre  de  Ganga- 
nelli,  et  je  vous  répondrai  une  lettre  d'Ar-le({uin  ;  elle 
sera  bonne  ou  mauvaise,  vous  la  corrigerez,  si  elle  est 
à  peu  près  bien,  ou  vous  la  refuserez  si  elle  est  à 
peu  près  mal.  Voua  y  ajouterez  les  termes  sacrameo' 


jbïGoogIc 


300  LETTRES  DE  GAI.IANI 

taux,  les  dictons  du  pays;  c€la  donnerait  à  notre 
correspoiidance  un  ton  fort  comique,  el  qui  attraperait 
l)ien  des  curieux  de  ia  poste. 


MADAME    D   i;PINAV 


Que  voule^vous  que  je  vous  mande,  ma  belle  dame? 
Mon  frère  est  à  l'agonie,  j'attends  la  nouvelle  de  sa 
mort  demain.  N'ai-je  pas  tout  dit?  Qu'il  est  affreux 
d'avoir  une  famille! 

Un  liorame  ici  déclamait  l'autre  jour  contre  le  ma- 
riage,  et  disait  :  «  Voyei  ce  que  c'est  que  le  mariage  : 
songez  que  le  bon  Dieu  a  été  obligé  d'en  ôter  le  péché 
mortel.  Il  a  donc  mis  en  équilibre  dans  la  balance 
l'enfer  et  le  mariage.  Encore  l'enfer  a  paru  plus  léger  !  » 

J'ai  reçu  vos  deux  numéros  dans  celle  semaine, 
le  S8  et  le  â9.  Le  premier  m'envoie  la  réponse 
de  M.  de  Foncemagnc  '.  Quoique  sa  Icuille   me  soit 

1.  ForKUmagoe  (Etienne  Lauréant  de)  (IGI4-17T9),  membre  de 
l'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres.  Son  ouvrage  le 
plus  connu  est  sa  réponse  à  Voltaire  au  sujet  du  lestaraent  po- 


jbïGooglc 


LETTRES  DE  OALIANI  301 

parraitement  inutile,  elle  a  servi  pour  me  prouver  l'état 
actuel  des  savants  de  Paris  et  leur  pitoyable  imbécillité. 
Ce  monsieur  n'a  Tait  que  copier  l'article  de  Morérî 
(comme  si  l'on  n'avait  pas  ici  un  dictionnaire  aussi 
commun),  avec  toutes  les  absurdités,  les  bêtises,  les 
fautes  qui  y  sont  ;  et  il  en  est  pâmé  de  plaisir  !  CepeU' 
dant  voilà  ce  qu'il  y  a  aujourd'hui  de  mieux  en  France 
en  fait  de  littérature;  je  m'en  doutais;  je  suis  bien 
aise  de  m'en  être  assuré.  Je  regrette  les  livres  qui  sont 
à  la  biblîolbèquc  du  roi,  mais  pas  les  hommes  qui  sont 
à  Paris.  Ah  !  si  j'y  pouvais  fouiller  I 

Mes  chemises  de  coton,  eu  arrivant  avant  l'hiver 
prochain,  arriveront  toujours  à  temps. 

Je  serais  curieux  de  savoir-si  d'Alembert  a'reçu  une 
réponse  de  moi  à  la  lettre  qu'il  m'écrivit  en  me  recom- 
mandant M.  de  La  Borde  '. 

Je  passe  au  numéro  suivant.  La  maladie  de  notre 
prince  Pignatelli  m'a  effrayé  beaucoup  :  elle  a  troublé 
le  plaisir  que  me  causaient  les  délicieux  détails  des 
facéties  parisiennes.  Celle  du  comte  de  Lauraguais 
est  charmante  tout  ù  fait,  et  de  très  b3n  ton  à  mon 
avis  '. 

Iltiquc  du  aaréobal  de  Richelieu.  VolIaJrc  soulenait  que 
tamenl  était  supposé. 

1.  Voit  la  lettre  du  35  septembre  1TT3. 

2.  Le  comte  de  Lauraguais  est  reslù  célébra  par  ses  racélies. 
Voici  celle  i  laquelle  Gallini  fait  allusion.  La  liaispD  du  comte 


jbïGoogIc 


30S  LETTRES  DE  GAIIANI 

Liaguet  et  Laharpe  m'ont  affligé  au  lieu  de  m'éj^yer  ; 
lorsqu'oD  voit  des  geas  d'esprit  et  même  de  géoie 
daus  leurs  écrits,  méprisables  ou  ridicules  dans  leur 
conduite,  on  voit  que  l'esprit  n'est  pas  le  miroir  de 
l'âme,  et  que  lessentimeulsque  l'on  couche  par  écrit 
sont  l'effet  d'un  écbo,  et  pas  une  productioD  des  pen- 
sées; cela  fâche  beaucoup  '.  Nous  sommes  dans  ua 


avec  Sophie  Arooult  Ql  grand  bruit.  Lorsque  celte  aciriee  IB 
qutti)  pour  le  prince  d'Hénin,  il  envoya  la  question  suivante  à 
la  (iieuilé  de  médecine  ;  <  Messieurs  de  ta  Faculté  sont  priés  de 
donner  eu  boone  forme  leur  avis  sur  toutes  les  hutles  possibUs 
de  l'cDaui  sur  le  corps  bumain,  et  jusque  quel  poJDt  la  santé 
peut  en  élre  altérée.  >  La  Faculté  répondit  '  que  l'enoui  pouvait 
rendre  les  digestions  difliciles,  empêcher  la  libre  circulation, 
donner  des  vapeurs,  etc.,  et  qu'à  la  longue  même,  il  pourrait 
produire  !e  marasme  et  la  mort,  s  Muni  de  cette  pièce  authen- 
tique, Lauraguais  se  rendit  cheï  un  commissaire  de  police,  qu'il 
coniraignil  k  recevoir  sa  plainte,  comme  quoi  il  se  porlait 
dénonciateur  envers  M.  le  prince  d'Hénin  homicide  de  Sophie 
Arnoult,  depuis  cinq  mois  el  plus  qu'il  no  bougeait  de  chez 
elle. 

i.  Presque  tous  les  avocats  s'étalent  promis  de  ne  plus  plaider 
contre  Linguct,  depuis  les  calomnies  Injurieuses  qu'il  s'était 
permises  contre  ses  confrères.  Il  demanda  à  Gerbier  de  réunir 
chez  lui  une  assemblée  d'avocats,  se  renicllanl  à  lui  du  soin  de 
le  défendre.  Au  jour  dit,  Linguet  arrive  et  parle  pendant deui 
heures;  on  le  prie  alois  de  se  retirer  pour  qu'on  puisse  délibé* 
rer.  CerWer  le  conduit  luj-mérne  dans  la  troisième  et  dernière 
piËce  de  l'appartement,  puis  il  rentre,  on  dispute,  on  s'échaulTe. 
GerbitT  veut  sortir  un  instant,  il  ouvre  inopinément  la  porte  de 
son  cabJDOl  et  trouve  Linguet  écoulant  l'oreille  collée  contre  la 
porte  I  A  la  suite  de  ce  délicat  procédé,  les  avocats  assemblés  en 
corps  ont.  d'une  voix  unanime,  ra;é  M.  LingucI  du  tableau. 

Quant  à  La  Harpe,  voici  Ibisioire  qui  çaotive  l'appréciation  de 
Oaliani  :  iM.  de  Laharpe  et  IL  Bliii   de  Sainmore  viennent  de 


ç)tzsci!,Googlc 


LETTRES  DE  GALIANI  303 

siècle  OÙ  i!  y  a  bien  plus  de  perroquets  qu'on  n'ima- 
gine. 11  y  a  déjà  tant  de  belles  choses  écrites,  qu'un 
horaœe  qui  n'aurait  pas  une  lecture  immense  et  une 
mémoire  prodigieuse,  ne  saurait  s'apercevoir  d'où 
Tiennent  les  clioses  qu'il  entend.  C'est  ce  qui  nous 
arrive  avec  Laharpe  '  :  c'est  un  perroquet,  n'en  dou- 


renouveter  la  querelle  de  Triuotin  cE  de  VadJus  et  la  manlëre  de 
la  terminer.  H.  de  Laharpe  ayant  inséré  au  Mercure  une  ana- 
Ijse  amère  cl  blessante  de  t'Orphanis  dt  M.  Blin,  celui-ci  a 
guetté  le  jour  où  bien  poudré  et  paré  de  sou  babil  de  Vélours 
noir,  sa  veste  dorée  et  ses  manclictles  de  Ulei  brodé,  il  allait  k 
un  dtoer  de  jolies  Temmes  et  de  beaiii  espriis.  Il  l'aborde  poli- 
ment dans  la  rue,  lui  donne  quelques  coups  de  poing  et  le 
sauce  ua  peu  dans  le  ruisseau  sans  respect  pour  sa  parure,  et 
pais  s'en  va.  M.  de  Labarpe  prétend  qu'il  a  ordonné  &  son  valet 
de  prendre  ledit  Blin  par  le  collet  et  qu'il  a  eu  le  temps  de 
s'enfuir  sans  coup  férir.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  qu'il  ar- 
riva â  son  dîner  fort  eu  désordre  el  3i  crotlé,  qu'il  fallut  grande 
indulgence  aux  jolies  femmes  et  aui  beaux  esprits  pour  le  rece- 
voir ainsi.  B  (Grimm.  Coir.litt.) 

1.  Laharpe  (1739-1803],  débuta  au  tbédlre  par  la  tragédie  de 
Warwick  qui  eut  un  grand  succès.  GriiDin,  avec  sa  Snessebabi- 
tticlle,  l'appcUe  u  le  coup  d'fssai  d'un  jeune  homme  de  soitanle 
ans  D.  —  Il  composa  beaucoup  de  pièces,  entre  aulces  tes  Bar- 
iiucides,  qu'il  considérait  comme  un  de  ses  iriooiplies.  Va  jour, 
se  promenant  au  buis  de  Uoniognc  avec  deux  dames  de  la  Cour, 
il  cnlendait  crier  des  cauiics  à  la  Bormécidc.  Pour  llatler  La- 
harpe, ces  dames  appelèrent  le  raarchaud  qui  leur  présente  des 
bilons  noueux  avec  une  pomme  d'ivoire  :  n  Quoi  !  voilà  vos  Bar- 
mécides,  reprirent  ces  dames;  pourquoi  leur  donner  un  pareil 
nom  ?  —  Vous  ailei  voir,  mesdames,  i  pouisuivit  le  marchand 
d'un  air  fulé.  —  11  démonia  la  pomme  montée  à  vis,  et  montra 
à  la  carrossée  un  iiros  siHlet  caché  dans  l'ivoire.  M.  de  Laharpe 
resta  tout  penaud,  mais  ces  dames  eurent  la  cruauté  d'éclater  de 
rire.  Que  devint  son  visage  t  Comme  le  disait  H,  de  B 


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304  LETTRES  DE  GALIANl 

tez  pas,  mais  sa  mémoire  est  si  bonne,  et  la  n6trc  est  si 
mauvaise,  qu'il  nous  est  impossible  de  nous  aperce- 
voir d'où  il  tire  ces  sons  qui  nous  paraissent  des  pro- 
duclious  de  son  esprit  et  même  de  son  génie.  D'ail- 
leurs, il  est  absolument  un  morl^l,  en  tout  sens  très 
ridicule  ;  je  lui  suis  redevable  de  m'avoir  fait  passer  le 
plaisir  d'avoir  de  l'esprit. 

Aimez-moi  toujours.  Plaignez-moi  à  présent;  soyez 
sûre  que  je  me  donae  du  courage  et  que  je  me  fais  une 
raison  ;  faites-vous-en  une  sur  la  Russie  et  les  folies 
des  voyageurs.  Adieu. 


A    LA    MEMi; 


Ha  belle  dame. 

Hier  au  matin,  avant  midi,  mon  fièrcest  mort.  N'en 
ai-je  pris  assez  dit  pour  ce  soir?  Si  vous  trouvez  que 
c'est  peu,  j'ajouterai  qu'il  y  a  trois  jours  j'appris  la 


chais,  ■  il  aurait  Tohtntien  pleuré  de  la  bile  >.    (Ilém 
madame  d'OberkîTeh.j 


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LETTRES  DE  CiALUni  305 

uouvelle  d'avoir  perdu  moD  oncle.  Il  était  vieux,  mais 
comme  il  laisse  une  famille  nombreuse  et  pauvre,  sa 
mort  a  été  factieuse. 

Cependant  votre  lettre  est  charmante;  vous  y  parais- 
sez contente  de  la  journée  passée  chez  le  baron  et  chez 
mademoiselle  de  Lespinasse.  Votre  bonheur  a  pensé 
m*égayer  -,  je  répondrai  donc  quelque  chose.  D'abord 
je  suis  ravi  du  rétablissement  du  prince  Pignatelli. 

M.  Capperonnter  ne  connaît  pas  mon  livre  sur  les 
monnaies T  11  est  pourtant  à  la  bibliothèque  du  roi; 
serait-il  comme  le  curé  deSaint-Sulpice,  qui  connais- 
sait mieux  ses  vaches  que  ses  brebis?  Pourquoi  ne  ré- 
pond'il  pas  à  ma  question  ?  —  Y  a-l-il  aucun  écrivain 
imprimé  ou  manuscrit  gui  marque  l'année  précise  de  la 
naissance  de  César  Borgia  ?  —  Voilà  la  question. 

M.  de  Pezay  m'accorde  donc  de  l'esprit;  j'admire 
sa  clémence.  Si  je  lui  accordais  le  sens  commun,  je 
aérais  bien  plus  généreux  que  lui;  mais  je  n'aime  pas 
à  être  taxé  de  prodigalité'. 

Dieu   me  garde  de  songer  à  détruire  votre  chftteau 

1.  Hassan,  plus  urd  Hasson  de  Peur,  ^l^'t  une  sorle  d'intri- 
gant qui  cherchait  par  tous  les  moj'eDs  i  se  pousser  dans  le  grand 
monde.  Il  rinult  assez  mal;  sa  sœur,  madame  de  Caisini,  était 
jolie,  on  le  déclara  poète.  On  représenla  ses  opéras-comiques,  mis 
en  mosique  par  Grétry,  et  parmi  eux  la  Ratière  d»  Salency.  Les 
succès  de  salon  ne  lui  sufiisant  plus,  il  acheta  une  compagnie; 
sa  fortune,  gagnée  dans  l'épicerie  par  ses  parents,  subvenait 
largement  à  toutes  ses  dépenses,  il  réussit  assez  bien  à  la  Cour, 
et  c'est  lui  qui  obtint  qu'on  écouldt  U.  Necker. 

» 


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306  LETTRES  DE  OALUNI 

CDËspagne;  au  contraire,  je  vais  yajouter  un  eatre-Bol, 
ou,  si  voulez,  un  parapet.  La  mort  de  moD  frère  m'ap- 
proche de  Paris;  voici  comment:  il  laisse  troia  ÛUes; 
je  les  marierai,  et,  pour  les  mieux  marier,  je  vais  faire 
croire  à  leurs  époui  que  je  serai  un  jour  ici  un  grand 
pereomiage.  Lorsque  la  chose  sera  faite,  et  les  mariages 
consommés,  ils  seront  bien  attrapés.  Je  quitterai  tout, 
et,  comme  rien  ne  m'attache  plus  ici,  je  m'en  retour- 
nerai à  Paris.  Ils  se  donneront  à  tous  les  diables;  mais 
il  n'y  aura  plus  de  remède.  A  l'occasion  de  la  vente 
des  livres  de  mon  frère,  je  vendrai  aussi  les  miens,  et 
ce  sera  autant  de  débarrassé.  Attendez-moi  donc 
sous  l'orme  ou  au  Carrousel,  et  lâchez  que  let  échoppe* 
soient  bien  fournies  de  bonnes  et  belles  marchandises. 
Aimeï-moi,  plaignez-moi,  et  croyea-moi  votre  très 
humble  et  obéissant  serviteur. 


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LETTRES  DB  (iALIANI 


Il  n'est  pas  temps  d'aricquiiis  ni  de  papes  '.  Je  vous 
djrai,  eo  vous  montrant  le  cercueil  de  ntoD  frère,  com- 
me ce  prédicateur  eu  montrant  son  crucifix  :  Voilà  le 
véritable  arlequin  '. 

Parlons  de  la  commission.  Puisqu'il  n'y  a  rien 
compter  sur  Caraccioli,  et  que  le  chevalier  de  H^allon 
m'ofii%  de  me  la  Taire  parvenir  jusqu'à  Marseille  sans 
frais,  j'accepte  l'offre,  car,  au  fond,  j'aurais  bien  trouvé 
ici  des  toiles  de  coton;  mais  une  spéculatiou  commer- 
ciale me  faisait  voir  qu'en  achetant  à' Paris,  si  j'eusse 

1.  Voir  la  letlce  du  15  février  1774. 

3.  Voici  l'aoecdote  Inouïe  que  raconuit  Gattl  et  à  laquelle 
GaliaDJ  fait  allusion  :  ■  A  Venlte,  le  eanilTtl  dure  pendant  ait 
iDoi»;  ki  moine»  Uime  vaut  ta  matque  et  en  domino,  et,  aur 
une  même  place,  on  voit  d'un  câtë,  »at  des  Eréteaui,  des  liia- 
trions  qui  jouenl  dea  farces  gales,  mais  d'une  Ucenee  eOl-inée, 
et  ^e  l'antre  ctité,  aur  d'autres  tréleaui,  dea  prêtres  qui  jouent 
de*  brces  d'une  autre  couleur  et  a'éeiient  :  i  Heaslenn,  laissez 
Ik  cei  mliiraMea;  ce  Pollchlnetle,  qui  vona  taaembte  là,  o'eil 
qu'an  «ot;  ■  et  en  aaontrut  le  ciiietflt  :  ■  Le  vrai  PolieUnalla 
le  grand  PoUchioèUe,  le  volli.  >  (flrimm,  Corr.  LM.) 


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308  LETTRES  DE  GALIANI 

pu,  toutefois,  épargner  le  ti-ansport  et  les  droils,  j'aurais 
gagné.  Ainsi,  si  l'on  peut  envoyer  la  toile  de  coton  à 
Marseille  sans  frais  ni  droits,  à  la  booDC  heure.  Pour 
les*  mouchoirs,  s'ils  ne  sont  pas  encore  achetés,  ou  si 
vous  pouvez  résilier  le  contrat,  je  vous  conjure  de  ne 
pas  les  envoyer.  J'en  trouverai  ici,  et  ce  sera  autant 
d'embarras  de  moins.  Pour  la  toile  donc,  envoyez-la  au 
plus  vite  au  consul  d'Espagne  à  Marseille,  en  le  char- 
geant de  la  donner  à  quelque  officier  des  frégates  du 
roi  de  Naples,  qui  y  vont  aller  pour  conduire  le  prince 
de  Roffadali,  ministre  enDanemark:  il  n'y  a  pas  de  temps 
à  perdre.  Pour  les  livres,  vous  ferez  ce  que  bon  vous 
semblera.  Ceux-là  ne  m'embarrassent  guère  n'étant  pas 
sujets  à  la  douane.  Je  ne  me  soucie  pas  des  mémoires 
de  Beaumarchais,  ignorant  tout  à  fait  la  question  '. 

Je  suis  bien  fAché  de  votre  rhume. 

Le  duc  de  Saie-Gotlia  m'a  envoyé  la  médaille  en  or, 
gravée  d'après  mon  dessin,  accompagnée  d'une  lettre 
incroyable.  II  m'a  pénétré  de  reconnaissance  au  point 
que  je  ne  saurais  vous  exprimer. 

Songez  que  c'est  Pâques  demain,  et  qu'on  la  souhaite 
ici  tout  comme  la  nouvelle  année. 

Je  n'ai  pas  le  temps  de  vous  écrire  un  mot  de  plus) 
il  faut  sortir.  Adieu. 

1.  Hémoires  panr  le  aiear  BeanmarclMis  par  lui-même,  illi- 
in-4*  ei  in-13*,  contre  H.  Gceiouii,  jkige;  medame  GceimiD,  le 
sieur  Beilrand,  Mario,  gaieller,  d'Arnaud  fiaculard,  rjiDseiller 
d'ambasMde  et  cofuorts. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANT 


Naplei,  t)  avril  <tt4. 

Je  suis  toujours,  ma  belle  dame,  plus  abruti  que  ja- 
mais par  mes  ennuyeuses  circonstances.  Mon  frère  a 
laisisé  son  bien  abîmé  de  dettes  et  de  désordre,  et  j'ai 
trois  nièâs  à  marier.  Je  ne  m'occupe  donc  que  de 
procès,  quittances,  recettes,  etc.;  puis  j'aurai  des  con- 
trats de  mariage,  et  me  voilà  bien  amusé  pour  long- 
temps. Cependant  si  je  vis  et  si  d'autres  meurent,  je 
reparaîtrai  à  Paris,  n'en  doutez  pas. 

Je  crois  vous  avoir  mandé  que  le  duc  de  Saxe-Gotha 
m'envoya  la  médaille  de  feu  son  père,  en  or,  accompa- 
gnée d'une  lettre  charmante  et  incroyablement  obli- 
geante.  [I  a  reçu  une  réponse  de  moi  fort  drAle.  Si 
j'avais  un  copiste  français,  je  vous  enverrais  l'une  et 
l'autre-,  peut^tre  la  montrera-t-il  à  Grimm,  à  son 
retour. 

Vous  ne  me  parlez  ni  du  départ  de  Caracdoli  ni  de 
la  santé  de  Pignatelli.  Les  frégates  du  roi,  qui  vont  d'ici 
à  Marseille,  partent  aujourd'hui.  Dieu  fasse  que  nuitoïle 


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310  LETTRES  DE  OALIANI 

de  colOD  arrive  avant  leur  retour  de  Marseille  à  Naples, 

pour  qu'elles  puissent  s'en  charger. 

Je  connaissais  l'épigramme  du  marquis  de  Pezay  '; 
M.  de  Breteuil  me  l'avait  montrée. 

Votre  querelle  avec  milord  Stormont  '  me  paraît 
aisée  à  apaiser  '.  Du  mérite  d'un  homme,  il  n'y  a 
que  son  siècle  qui  ait  droit  d'en  juger;  mais  un  siècle  a 
droit  de  juger  d'un  autre  siècle.  Si  Voltaire  a  jugé 
l'homme  ComeiUe,  il  est  absurdement  envieux;  s'il  a 
jugé  le  siècle  de  Corneille,  et  le  degré  de  l'état  de  l'art 
dramatique  d'alors,  il  le  peut,  et  notre  siède  a  droit 
d'eiamiuer  le  goût  des  uèclea  précédents.  Je  n'ai  ja- 
mais lu  lea  notes  de  Voltaire  sur  Corneille,  ni  voulu 
les  lire,  malgré  qu'elles  me  crevassent  lei  yeux  sur 
toutes  lea  cheminées  de  Paris,  lorsqu'elles  parui-ent. 
Mais  il  m'a  fallu  ouvrir  le  livre  deux  ou  trois  fois  au 


1.  On  anit  fait  sur  H.  de  fenj  l'épigramme  nivanle  : 
Ve  Jeune  homme  a  beaucoup  acquis, 
Beaucoup  acquis,  Je  vous  le  jure. 
En  deui  ans,  malgré  li  nalure, 
S  s'«l  fait  poble  M  marquli. 

9.  Lord  Stormont  était  ambaisodeur  eitraardlnatre  et  ptânt- 
potentlsire  du  roi  de  la  Grande-firaUgne  k  Parit.  U  habilail  nie 
Nenve-de!i-Pelit»<;himp9,  ris-i-vis  Is  rue  des  Bons-Enfanti, 

3.  A.  propos  du  commentaire  de  Voltaire  sur  Corneille,  on 
avait  dbeulé  dan*  la  »ociélA  de  madame  d'fiplnay,  dn  t»aa  ou  do 
mauTais  eObt  que  ce  genre  d'ouvrage  pouTsit  taire.  Comme  on 
n'était  pas  d'accord,  on  décida  de  prendre  Gallaul  pour  Juge, 
Orlinm  se  fut  pu  pemudé.  Voir  l'ippiadlM  XUI. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI  311 

moins  par  distmctioo,  et  toutes  les  fois,  je  l'ai  jeté 
avec  ÎDcUgnation,  parce  que  je  suis  tombé  sur  des  notes 
grammaticales,  qui  m'apprenaient  qu'un  mot  ou  une 
phrase  de  Corneille  n'étaient  pas  en  bon  français  :  ceci 
m'a  paru  aussi  absmiie  que  si  l'on  m'apprenait  que 
Cicéron  et  Virgile,  quoique  Italiens,  n'écrivirent  pas  en 
aussi  bon  italien  que  Boccace  et  l'Arioste.  Quelle  im- 
pertinence !  Tous  les  siècles  et  tous  les  pays  ont  leurs 
langues  vivantes  et  toutes  sont  également  bonnes. 
Chacun  écrit  la  sienne  :  nous  ne  savons  rien  de  ce  qui 
arrivera  &  la  langue  française,  lorsqu'elle  sera  morte; 
mais  il  se  pouri-ait  bien  faire  que  la  postérité  s'avisât 
d'écrire  en  français  d'après  le  style  de  Montaigne  et  de 
Corneille,  et  pas  d'après  celui  de  Voltaire.  Il  n'y  au- 
rait rien  d'étrange  en  cela.  On  écrit  le  latin  sur  le 
style  de  Plante,  de  Térence,  de  Lucrèce,  et  pas  sur 
celui  de  Prudentius,  Sidonius  ApoUinaris,  etc.,  etc.; 
quoique,  sans  contredit,  les  Romains  fussent  infini- 
ment plus  éclairés  au  iv*  siècle  sur  les  sciences,  astro- 
nomie, géométrie,  médecine,  littéraltu>e,  etc.,  qu'ils 
ne  l'étaient  du  temps  de  Térenoe  et  de  Lucrèce.  Ceci 
est  une  afi^ire  de  goût,  et  nous  ne  pouvons  rien  pré- 
voir des  goûts  de  la  postérité,  si  pourtant  nous  devons 
avoir  une  postérité,  et  qu'un  déluge  universel  ne  s'en 
mêle. 
Bonsoir;  umcE-moi,  détaillez-moi  plus  de  nouvelles. 


jbïGoogIc 


LETTKES  DB  GALrANI 


Niplet.  u  iDti  tni. 

CoiDitifl  on  voit  bien,  ma  belle  dame,  que  la  nou- 
velle maison,  rue  Saiot-Nicaise,  vous  égaie,  vous  ani- 
me et  vous  doane  des  idées  couleur  de  rose  !  Vous 
employez  votre  lettre  (au  lieu  de  me  donner  des  nou- 
velles de  Caraccioli,  de  Pignatelli,  du  baron  et  de  tous 
mes  amis),  à  m'inviter  k  des  choses  impossibles  ou  à 
peu  près.  Vous  ne  concevez  donc  pas  l'horreur  de  ma 
situation  ?  Je  suis  en  tout  abruti  ;  je  n'ai  plus  de  frère, 
plus  d'amis,  plus  de  patrie,  plus  de  maîtresses,  plus  de 
plaisirs.  Je  n'ai  que  de  l'argent,  asseï  pour  payer  voire 
lettre  de  change,  lorsqu'elle  arrivera.  Quel  arlequin, 
quel  pape  attendez-vous  de  mol  '  ?  Cependant,  si  vous 
voulez  absolument  ce  roman  «riginal  et  parfait,  et  tel 
qu'il  est  dans  ma  léte,  donnez-vous  la  peine  de  lier 
connaissance  avec  Carlin,  et  prenez  de  lui  les  époques 
justes  et  très  exactes  des  événements  de  sa  vie,  la  date 

] .  Voir  U  lettre  du  25  septembre  1773. 


jbïGoogIc 


I.ETTKES  DE  OALUNI  313 

de  ta  naissance,  ses  premtèreB  études,  son  arrÏTée  en 
France,  soa  entrée  k  la  comédie,  son  mariage,  la 
naissance  de  ses  enranis,  etc.  (ceci  doit  Atre  très  exact 
et  dans  le  dernier  détaiJ)  ;  ses  disputes  avec  ses  cama- 
rades, avec  les  gentilshommes  de  la  chambre,  etc.  Il 
en  faudrait  savoir  autant  et  avec'  autant  de  précision 
du  père  Ganganelli.  Avec  ces  matériaux  il  faut  bfttir; 
sans  cela,  rien  n'aura  l'air  original,  point  de  vrai, 
point  de  bonne  plaisanterie,  point  de  bon  ton.  Faites 
cela  vous  donc  de  votre  cAté,  et  puis  laissez-moi  faire; 
et  Dieu  sait  ce  qu'il  en  arrivera. 

Piccini  nous  quittera  sans  faute  pour  venir  vous 
trouver.  Il  est  digne  d'être  connu  personnellement  de  , 
vous.  Sa  femme  chante  très  joliment.  On  me  dit  que 
M.  de  La  Borde,  à  son  retour  d'Italie,  ayant  beaucoup 
parlé  de  lui  à  madame  la  comtesse  Dubarri,  c'est  elle 
qni  l'a  engagé  à  passer  en  France  avec  des  conditions 
fort  lucratives  pour  lui,  et  il  s'y  est  déterminé  '.  Tout 
le  monde  est  fort  fâché  ici  de  son  départ;  mais  per- 
sonne ne  lui  a  offert  dix  sols  pour  rester. 'Ah!  si  j'en 
pouvais  faire  autant  ;  mais  mes  nièces,  mes  chiennes  de 


1.  C'est  en  eOet  H,  de  Li  Borde  qui,  dans  soa  voyage  en  Italie, 
Ût  connaiSMOce  aiec  PiccinI,  et,  à  son  retour  à  Paris,  lai  Qt  faire 
les  oïïtea  les  plus. séduisantes  s'il  roulait  venir  en  France.  Pie* 
cloi  accepta  et  il  allait  partir,  quand  Louis  XV  mourut.  Le  mar- 
quia  Caracdoli  obtint  de  la  nourelle  reine  Marie-Antoinette  de 
renouer  ta  négociation  et  Piccini,  dans  ie  désir  d'être  utile  t  sa 
iKHnbrevse  famille,  quitta  l'ilalie;  U  arriva  à  la  fin  de  17T6. 


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3U  LETTRKS  DE  fiALIANI 

nièces,  me  lient  à  ce  cruel  poteau,   et  ma   chambre, 

me  Saiotr^icalae,  reste  vide;  quel  donunage  ! 

Je  SUIS  arrivé  enfln  à  posséder  ud  ctiat  aogola;  il 
m'est  arrivé  de  Marseille  avant-hier.  S'il  vit,  s'il  ne 
m'est  pas  volé,  j'aurai  trois  amis  h  Naples  (car  je  pos- 
sédais déjà  deux  chats),  même  après  le  départ  en  entier 
de  la  oolonie  Iran^ise  qne  H.  de  Breteuil  amena  id, 
et  qui  s'est  fondue  et  a  dépéri  presque  aussi  mal- 
heureusement  que  celle  de  Cayenne. 

Aimez-moi  ;  eagages  Pignatelli  ft  m'écrire  entln 
quelquefois,  donnez  de  mes  nouvelles  au  haron,  et 
donnez-moi  des  leurs. 

L'ouvrage  l'Homme  est-il  véritablement  de  feu  Hel- 
vélîua  >?  cela  peut  se  dire.  S'il  est  d'un  auteur  vi- 
vant, il  en  faut  taire  le  nom  par  écrit.  Je  n'ai  pas  vu 
cet  ouvrage  et  je  ne  vois  plus  aucun  Uvre;  je  vendra 
m6me  les  miens  pour  être  plus  à  la  légère. 

Bonsoir  ;  soyez  plus  longue  dans  vos  lettres. 

1.  C'était  une  dei  œuvre*  poitbuinea  d'Helrétlui. 


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L8TTRES  DR  (lALIANl 


A    LA    MËHE 
(Lettre  gratuite  aux  ingratn.) 

Naples,  it  Diïi  1174. 

Eh  bien,  ma  belle  dame,  y  pensez-vous  ?  Voilà  denx 
semaines  que  vous  ne  m'écrivez  pas;  \l  dans  qaels 
moments,  grand  Dieu  !  lorsque  j'ai  le  plus  de  curiosité 
des  événements  de  la  France.  Qu'avez-vous  donc?  la 
rue  Saint-Nicaise  vous  occupe-t-elle  si  fort?  A  la 
bonne  lieure,3i  j'y  élais,  les  escloppes  ou  échoppes  me 
donneraient  des  distractions;  mais  vous?  Enfin,  ma 
belle  dame,  ne  soyez  pas  cruelle,  ni  politique  avec  moi 
dans  ces  moments  de  curiosité  importante.  Tenez,  je 
ne  voua  engagerai  pas  à  des  indiscrétions.  Laissez-moi 
là  tout'ce-qui  arrivera  ou  n'arrivera  pas  aux  ministres 
en  pUce,  aui  parlements,  aux  princes  du  sang*.  Tout 
cela  ne  m'intéresse  guère.  Laissez  de  même  tes  finan- 
ces, la  guerre,  la  politique.  Dites-moi  ce  qui  arrivera 


1,  Louis  XT  Tenait  de  rnoorir  et   tout  le  monde  était  daos 
l'attenle  de  la  ligne  politique  qa'alliit  suivre  le  nouveau  roi. 


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St6  LETTRES  DE  OAIIANI 

aux  gens  de  lettres.  Cela  me  touche  de  bien  près.  Le 
règne  de  Louis  XV  sera  le  plus  mémorable  à  la  posté- 
rité, qui  ae  Dommera  le  siècle  de  Louis  XIV  que  pour 
dire  que  B0U3  Louis  XV,  Voltaire  eu  parlait.  Au  reste, 
c'est  ce  deroier  qui  a  produit  Montesquieu,  Voltaire, 
Diderot,  d'Alembert,  Boulanger,  Rouelle,  la  Chalotais 
et  l'éclipsentent  des  jésuites.  Lorsqu'on  compare  ]a 
cruauté  de  la  persécution  de  Port-Royal  à  la  douceur 
de  la  persécution  des  encyclopédistes,  on  voit  la  dilfé- 
rence  des  règnes,  des  mœurs  et  du  cœur  des  deux 
rois.  Celui-là  était  un  chercheur  de  renom  et  prmait 
le  bruit  pour*de  la  gloire;  celui-ci  était  un  booDèts 
homme,  qui  faisait  le  plus  vilain  des  métiers  (celui 
de  roi)  le  plus  k  contre-cœur  qu'il  pouvait.  On  ne 
rencontrera  de  longtemps  un  règne  pareil  nulle  part. 
Dites-moi  donc  si,  au  moins,  le  mouvement  imprimé  se 
soutiendra.  Allons,  parlez;  ne  me  faites  pas  sécher 
sw  pied  d'impatience  ;  vous  n'en  serez  pas  moins  vite 
meublée,  croyez-moi,  si  tous  m'écrivez.  Pour  moi,  je 
n'ai  jamais  rien  de  nouveau  à  vous  mander.  On  a  tué  ' 


I.  U  leUre  s'arrête  li,  la  pbrase  n'ett  pas  terminée. 


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LETTRES  DE  GALIANl 


A    LA    MÊME 


Nsples,  (  julQ  tT74. 

Votre  letti-e,  ma  belle  dame,  arrive  bien  à  propos 
pour  salisfaire  mon  appétit  de  nouvelles.  Co  n'est  pas 
que  je  ne  suBse  tout  ce  que  vous  m'avez  mandé; 
mais  j'aime  &  l'entendre  de  vous,  qui  voyez  bien,  et 
qui  n'avez  pas  d'envie  de  me  faire  voir  mal. 

Je  suis  enchanté  de  tout  ce  qu'on  dit  du  nouveau 
roi'.  Permettez-moi  pourtant  d'fttre  fïché  de  l'en- 
gouement des  Français  à  son  égard.  Je  vous  connais, 
je  sais  combien  il  vous  est  aisé  de  vous  dégoûter  par 
un  effet  de  l'excès  des  désirs  et  des  espérances  conçues. 
D'ailleurs,  plus  j'y  pense,  plus  je  trouve  que  c'est  la 
chose  du  monde  la  plus  diJIicile  de  gouverner  bieti 
la  France,  dans  l'état  où  elle  est'  Vous  êtes  précisé- 
ment dans  l'état  où  tite-Live  peint  les  Romains,  qui 
ne  pouvaient  plus  souffrir  ni  leurs  maux  ni  les  remèdes. 
Les  vices  ont  pris  racine,  ont  fait  corps  avec  les  moeurs. 

1.  l^uis  tvi. 


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3)8  LETTRES  DE  (lALIANI 

Délmisez-vous  les  demoiselles  t  le  luxe  tombera;  tombe- 
beroat  les  arts  voluptueux,  et  la  primauté  de  la  France  en 
cela,  qui  fait  ie  pivot  de  son  commerce,  de  sa  richesse, 
de  sa  considération  même,  sera  perdue.  Vous  avez  des 
vices énonues,  il  est  vrai;  mais  ils  sont  tels  que  toute 
l'Europe  voudrait  [es  acquérir,  et  payer  très  cher  les 
leçons  à  ses  maîtres.  Les  demoiselles  bannies,  on  atta- 
quera les  philosopbes.  Ils  se  tiennent  ensemble  ;  c'est 
UQ  autre  luxe;  mais  ils  donneut  à  votre  nation  l'éclat 
actuel.  Vous  ne  serez  plus  rien,  si  vous  n'êtes  plus 
les  maîtres  en  fait  de  vices.  Tel  est  l'état  de  l'Europe 
et  le  vAtre.  C'est  bien  étrange,  mais  c'est  très  vrai.  Ne 
prévoyons  donc  rien  ;  c'est  le  plus  sûr  et  le  moins 
triste  de  tous  les  partis  à  prendre.  Tenons-nous  aux 
Taits  ;  raandez^es-moi  sans  réflexions  ;  c'est  la  mCme 
chose  que  de  se  taire,  lorsqu'on  mande  les  faits  tout 
simplet. 

Le  retour  de  H.  de  Maurepas  est  d'un  tr&e  bon  au-» 
gure  *. 

1.  Maurepas  (Jean~t->MéncPbilippcaui,  coiutede)  tlTUl-ltSl], 
ministre  de  Louis  XV,  disgracié  à  la  suîlc  d'une  cruelle  plaisan- 
terie sur  madunedePoiiipAdour.  Aprii  ringt-clnq  uud'extl,  H.  J« 
Maurepas  venait  de  reprendre  place  au  conseil.  Louis  XVI,  qui 
arait  d'abord  hésité  entre  lui,  Macbault  et  Cboiseul,  cd  Ot  son 
ËODQdeDt  intime,  son  guide  et  lou  ami.  c  Peut-4tre,  dit  Har- 
inoutel,  avaU-oa  espéré  que  l'dge  et  le  malheur  avaient  donné  à 
son  caractère  plus  de  solidité,  de  constance  et  d'énergie,  mais, 
tiatnrellement  faible,  indolent,  personnel,  aimant  ses  aises  et  son 
repos,  peu  jaloux  de  donner  de  l'éclat  i  son  ministère  et  Taisant 
consister  l'art  du  gouvernement  à  tout  mener  sans  bruit,  Msu- 


jbïGooglc 


LETTRES  DE  GALIANI  319 

Je  suis  enchanté  da  ce  que  vous  me  mandez  relati- 
vement au  philosophe,  tracassé  par  les  gazetiers.  Il 
fallait  s'attendre  à  une  médisance,  car  on  a  beau 
mentir  sur  celui  qui  vient  de  loin.  D'ailleurs  les  éco- 
nomistes n'étaient  pas  des  gens  à  se  taire  sur  son 
compte. 

On  me  dit  que  Mora  esta  Paris  :  embrassez-le  bien 
tendrement  poor  mou  compte  ;  pour  le  vôtre,  faites 
ce  qui  vous  convient.  Vous  m'aviez  mandé  que  Hagal- 
loD  envoyait  ma  pacotille  de  toile  de  coton  au  consul 
d'Espagne  &  Marseille;  je  lui  avais  écrit  enconséquence. 
Le  consul  de  Naples  me  mande  que  c'est  à  lui  qu'on 
l'adresse.  Voilà  ma  prévoyance  perdue,  et  votlà  l'effet 
des  quiproquos.  Ahl  qu'on  a  de  peine«  dans  ce 
monde  pour  avoir    des  chemises,  même  petites  I 

Tous  ne  voulez  pas  croire  à  mon  abrutissement? 
eh  bien ,  juge&4e  par  cette  lettre.  Si  je  ne  suis  pas 
abruti,  au^  moins  vous  conviendrez  que  je  suis  bien 
triste  ;  cependant  je  n'ai  point  de  mémoires  de  tapis- 
siers  devant  moi.  J'ai  des  nièces.  Fi  !  les  vilains  meu- 
bles I  on  y  est  bien  durement  assis.  Bonjour^  car  il  n'est 
pas  nuit.  AimezHmoi  ;  payes  le  tapissier,  si  vous  pou- 
vez, et  moquez-vous  du  reste.  Adieu. 


repu  fut,  Aaa»  sa  vleillesBe,  ce  qu'il  ivirl  été  dans  ses  jeunet 
annéei,  ud  hguuae  ainuble,  occupé  de  lui-méino  el'uD  ministre 


jbïGoogIc 


LETTRIiS  DE  GALIAKt 


Ne  VOUS  f&chez  pas,  ma  belle  dame,  si  je  vous  dis 
que  votre  a"  78  est  sublime.  It  est  très  plat,  me  sou- 
Uendrez-Yous,  car  il  n'y  a  que  de  pelitds  uouvelles  de 
départs  et  d'arrivées.  £h  bien,  comptez-vous  cela  pour 
rien  ?  Ce  sont  des  faits,  et  les  laits  sont  toujours  su- 
blimes pour  moi.  Hais  il  n'y  a  pas  de  réflexions, 
ajoulerez-vous.  On  en  lera,  madame,  sur  les  ^ts,  n'en 
doutez  pas.  Remplissez  donc  vos  lelUes  de  faits,  et 
vous  comblerez  nies  désirs.  De  mon  côté,  j'en  ferais 
autant,  si  nos  faits  pouvaient  vous'  èlrc  connus. 

En  voilà  un  pourtant  à  propos  :  ce  matin  a  appa- 
reillé la  frégate  française  qui  vous  rend,  à  notre  grand 
grand  regret,  M.  de  Breteuil  et  sa  fille  ;  à  midi  nous 
l'avons  perdue  de  vue.  Il  pourra  vous  arriver  ensemble 
avec  ma  lettre.  Il  n'y  a  pas  d'exemple  d'aucun  Fran- 
çais qui  ail  été  plus  aimé,  plus  estimé,  plus  regretté 
des  Napolitdins.  II  n'y  a  qu'un  avis,  une  voix  sur 
cela.  Le  roi,  la  reine  et  la  nation  entière  le  regrettent, 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  CALIANl  3îl 

et  se  trouvent  désolés  de  son  départ.  Un  seul  homme 
n'en  est  pas  f&ché  ;  mais  il  n'est  pas  Napolitain.  Si  vous 
a'aviez  pas  sainte  Irénée  et  saint  Bcmi,  je  soutiendrais 
que  saint  Breteuil  a  été  le  premier  apAtre  de  la  France, 
du  moins  à  Naples.  Son  époque  sera  remarquable  par 
le  changement  de  nos  mœurs  et  de  nos  goûts.  Sous 
son  apostolat,  nous  avons  acquis  le  goût  des  spectacles 
français  et  des  ballels  décents  et  sérieux.  Aul'resne 
et  M.  le  Picque  seront  remarquables  dans  l'histoire 
de  la  l'évolution  des  mœurs.  Ils  ont  influé  plus  qu'on 
n'imagine  sur  te  tout  :  ils  ont  plus  fait  connaître 
Voltaire  et  Diderot,  et  ces  messieurs  feront  connaître 
le  reste. 

Haurepas  et  Sartîne  sont  les  deux  plus  excellents 
choix  qu'il  y  avait  à  faire  en  France'.  J'en  suis  si 
content,  que  vous  ne  sauriez  l'imaginer.  Arrangez  la 
malheureuse  afiaire  des  parlements,  et  vous  aurez  eu 
le  plus  brillant  début.  Si  vous  voulez  m'en  croire, 
conservez  le  nouveau  système  des  parlements  et  faJtes-y 
rentrer  les  anciennes  personnes.  Le  système  nouveau 
est  meilleur  ;  les  personnes  anciennes  valaient  mieux  '. 

Je  n'ose  vous  parler  de  Hora  t  il  y  a  longtemps  quo 


1.  Ob  pariiil  de  H.  de  Sartine  pour  le  miaisière  ;  il  avait  été 
remplacé  i  la  police  par  M.  Lenoir. 

3.  C'était  là  la  s'^ode  question  politique  qui  se  dresuit  au 
débat  dn  règne  de  Louis  XVI  ;  il  fallait  le  pronoDcer  entre  les 
ancien»  parlemmU  et  lea  patltmmlt  Mauptoit. 


jbïGoogIc 


311  LETTRES  DE  OALIANl 

je  l'ai  pleuré.  Tout  est  destinée  dans  ce  monde,  et 

l'Espagne  n'était  pas  digne  d'avoir  un  H.  de  More; 

peut-être  cela  dérangeait  l'ordre  entier  des  chutes  des 

monarcbies. 

Embrasse^  de  ma  part  le  revenant  de  bien  loin  t. 
S'il  est  rassasié  dés  froides  grandem's  hyperboréennes, 
ce  sera  tout  ce  qu'il  aura  rapporté  de  mieux  de  son 
voyage.  A  Paris,  les  philosophes  viennent  en  plein 
air  ;  à  Stodcholm,  à  Pétersbourg,  ils  ne  viennent  que 
dans  des  serres  chaudes  ;  à  Naples  on  les  élève  sous 
le  l'umier  :  c'est  que  le  climat  ne  leur  est  pas  favo- 
rable. Adieu. 


A    LA    MËHK 


n  y  a  des  vies,  ma  belle  dame,  qui  tiennent  à  \»  desti- 
née des  empires.  Annibal,  lorsqu'il  apprit  la  défaite  et  la 
mort  d'Asdrubal,  son  frère,  qui  valait  plus  que  lui,  ne 
pleura  point,  mais  il  dit  :  Agtwsco  fatum  Carthaginù. 


1.  Grimm  qui  renuit  de  Ruhjo. 


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LETTRES  DE  QALIANi  SB 

Je  sais  à  présent  quelle  sera  la  destinée  de  Carthage. 
J'en  dis  de  même  sur  la  mort  de  M.  de  Mora  '.  Je  sais 
à  présent  que  l'Espagne  doit  rester  barbare.  Tel  est 
l'ordre  des  destinées.  Ce  q[ue  nous  voyons  à  présent 
n'«9t  qu'une  fausse  lueur  de  polissement  ;  mais  l'Es- 
pagne ne  sera  pas  la  France.  S'il  était  dans  l'ordre 
étemel  qu'elle  le  devint,  Hora  ne  serait  pas  mort  ;  il 
serait  mùmeressuscil^,  s'il  l'eût  fallu:  telle  est  laforce  du 
destin.  C'est  peut-être  cette  même  force  qui  empêchera 
que  M.  de  Sartine  succède  à  H.  de  Saint-Florentin, 
et  que  M.  de  Breteuil  ait  été  dépassé  par  H.  de  Ver^ 
gennes  *.  Vous  fUtf»,  Français,  —  et  ne  vous  y  trom- 
pei  pas.  Vous  verres  (attendez),  avec  quelle  adresse, 
quel  enchaînement  admirable  le  destin  (cet  être  qui 
en  sait  bien  long)  au  meilleur  roi  possible,  au  mieux 


t.  M.  da  Hors  quitta  Paris  ie  Tendredi  T  aoùl  ITTS.  Celle diie 
lie  a'eDhta  jamiis  du  souTenlr  da  mademolieUe  de  l'EafiiiiMte, 
car  elle  devait  être  celle  de  la  séparalion  derniâre.  Les  deai 
amanU  ne  ae  revirent  plus,  et  H.  de  Mora  qui,  apiËs  un  séjour 
de  doux  années  en  Espagne,  avait  enSo  quitté  Madrid  le  6  mil 
1774,  tout  brOlant  d'impatience  de  revoir  Paris  et  celle  [|u'll 
aioiait,  moarot  à  Bordeaui,  le  vendredi  31  mai,  élouK  par  un 
crachement  de  aang. 

2.  Vergenoes  (Oiarles  Gravier,  comie  de)  11711-17671,  «lait  flb 
d'nn  président  t  mortier  do  Parlement  de  Dijon  ;  attaclié  d'am- 
tmMide  i  Francfort,  puis  eo  Porlngal,  il  plut  au  due  d'AigulIloo, 
qui  avait  reaatqué  la  clarté  el  la  précision  de  se«  rapporta  ;  il 
fut  nommé  ambaaMileiir  tStocklioini.  Peu  aprts  l'aYèneiBent de 
Louis  XVI,  il  parvint  su  ndaistère  des  aHUres  étrangirea,  oO  il 
rcHpIafa  le  duo  d'AiguiUon  que  la  reine  ne  pouvait  touffrin 


jbïGoogIc 


dU  LETTRES  DE  fiALIANl 

iotentiooDé,  escamotera  tous  les  desseins,  délournera 
toutes  les  bonnes  intentions,  et  fera  tout  c«  qu'il  vou- 
dra et  ce  que  nous  ne  voudrions  pas.  Arrêtez-vous  de 
grâce  devant  un  rôtisseur  ;  regardez  un  tournebroche  ; 
voyez-vous  ce  magot,  en  haut,  qui  parait,  avec  une 
force  et  une  application  étonnantes,  s'employer  à  tour- 
ner la  roue;  eh  bien,  c'est  là  l'homme  :  le  contre- 
poids caché  est  le  destin,  et  ce  monde  est  un  tourne- 
broche.  Nous  croyons  le  faire  aller,  et  c'est  lui  qui 
nous  fait  aller. 

En  attendant,  le  roi  et  les  princes  sont  inoculés  : 
c'est  par  le  même  principe.  Le  destin  (en  cela  favo- 
rable à  l'Europe),  veut  nous  guérir  de  la  petite  vérole. 
Il  croit  que  nous  en  avons  assez  de  la  grosse,  et  ne  se 
trompe  guère.  Voyez  par  quels  enchaînements  il  s'y 
prend  1  La  cour,  qui  le  plus  a  résisté  à  la  raison,  n'a 
pas  pu  résister  à  la  peur  ;  et  la  Halterie  va  faire  plus 
d'inoculations  que  n'en  aurait  jamais  fait  te  zèle  de  la 
préservation  d'un  monarque  '.  0  homme  !  être  bouffon, 


1.  Lt  Cour  de  France  se  flt  aussi  inoculer  et  Immédiatement, 
tout  le  monde  s'empreua  de  lulfre  cet  exemple.  L'inocuUtioD 
Tut  une  mode,  on  portait  dea  coiO\ire«  à  l'inocutallon.  t  Le  pro- 
dige de  l'IniiglnatiTe,  dit  Bachaumont,  e»t  la  coiffure  k  l'inocu- 
lation :  elle  est  chargée  d'un  serpent,  dune  muiue,  d'un  soleil 
levant  et  d'un  olivier  Rouvert  de  [ruits.  Le  aerpent  représenta 
la  médecine.  La  mauue  indique  l'art  dont  elle  s'est  servie  pour 
terraaMf  le  monstre  varioUque.  Le  soleil  tenmt  est  l'emblème  du 
jeune  roi  vers  lequel  se  tournent  les  espértnces.  On  trouve  dans 
l'olivier  le  symbole  de  la  paix  et  de  le  doacenr  que  répand  dans 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALUNr  335 

misérable,  ridicule  ;  tu  croîs  que  la  Condamine  a  prê- 
ché l'inoculatioa  ;  c'est  bien  l'inoculation  qui  a  [véché 
la  Coodamine,  et  lui  a  douné  la  célébrité  qu'il  ne 
méritait  peut-être  pas. 

Embrassez  le  revenant .  Ah  !  qu'il  a  beau  mentir  I  Je 
compte  qu'à  l'arrivée  de  cette  lettre,  il  sera  bieu  approché 
de  Paris,  à  moins  qu'il  ne  reste  à  essuyer  des  larmes  à 
Darmstadt  *. 

Caraccioli  est  arrivé  et  a  été  présenté.  Eaxeptus  brevi 
oscalo  nuUoque  semume,  servientium  turbœ  immixtia 
est.  (Tacite,  daus  la  vie  d'Agric.)  Je  l'ai  vu  ;  il  a  ébauché 
son  rapport  sur  tout  ce  que  je  voulais  savoir  de  Paris. 
Je  serais  assez  content,  sans  ce  qu'il  m'a  dit  de  l'état 
du  prince  Pignatelli,  qui  m'a  percé  le  cœur.  Quelle 
autre  espèce  de  disgrftce  !  Je  suis  triste  et  rêveur, 
comme  vous  voyez.  Bien  des  désagréments  valent  au- 
tant qu'un  malheur,  et  c'est  là  mon  état.  Parmi  mes 
désagréments,  j'ai  cehii  que  mon  domestique  français 
VutoiU  vient  de  me  quitter,  après  quinze  ans.  Une 
nostalgie  violente  l'a  rappelé  dans  sa  patrie  (la  Savoie), 
sans  qu'on  ait  pu  l'arrêter.  Ce  départ  dérange  mon 

le*  Imes  l'beureui  auccès  de  ropérttlon  à  laquelle  nw  prinees 
M  sont  Humis.  > 

t.  Grimai  ariil  accompagné  en  Russie,  en  aeptembre  1TT3,  la 
landgrave  de  Betse-DamuUdt  el  sa  fille,  qui  épousa  le  grand- 
duc  héritier.  Il  revint  à  Darmstadt  en  1774  et  séjourna  quelque 
temps  auprès  de  la  land^rare  qui  éprourait  un  vif  chagrin  d'être 
téparëe  de  sa  GUe.  [Voir  madame  d'Oberkirch.) 


jbïGoogIc 


8H  LETTRES  DE  O.ALIÂNI 

économie  domes^que,  et  j«  suis  plus  embarrassé  de 
décider  à  qui  doimeraî-je  6  battre  mon  ohooolat,  que 
le  roï  de  Pranoe  ne  Va  été  à  donner  le  département 
des  affaires  étrangères.  Il  viendra  peut-être  à  Paris, 
TOUS  le  TCrrei;  ;  il  vous  donnera  de  mes  nouvelles.  Je 
vous  le  reoommBiide,  ainsi  qu'à  M.  de  Magallon  et  il 
tous  mes  amis. 

Cette  semaine,  je  n'ai  point  de  vos  lettres.  Pourquoi 
me  délaiue&<T0UB  dans  des  moments  où  vos  lettres  me 
■enient  plus  chères  et  plus  précieuses  que  jamais  î 

Je  n'ai  point  épargné  ni  le  port  de  Paris  à  Marseille, 
ni  celui  de  Marseille  à  Naples,  sur  ma  toile  de  coton  ; 
je  n'épargnerai  pas  non  plus  les  droits;  et  peut-être  elle 
'  sera  saisie  en  contrebande.  Qb  !  le  fruit  de  tant  de 
s  1  Oh  1  destinée,  maltresse  du  monde  1 


Ntples,  fe  juUleiiiu. 


Ne  vous  ai'je  pas  mandé,  ma  belle  dame,  que  de 
tout  ce  que  j'écris,  je  ne  garde  plus  aucun  souvenir 
iibsolumeQt?  Gomment  voulez-vous  que  je  puisse  vous 


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LETTRE»  DE  Q&LUNI  3» 

expliquer  les  derniers  mots  d'nne  lettre,  écrite  il  y  a 
deux  mois,  où  vous  dites  que  je  (înis  par  ces  mata  : 
O»  a  M  '  ?  Le  diable  m'emporte  si  je  me  souviens 
d'avoir  jamais  écrit  une  chose  pareille.  Voua  auries  dû 
me  transcrire  le  paragraphe  entier,  depuis  le  oommen- 
oement.  Au  resta,  sAremeol  vous  avex  deviné  mal,  à 
force  d'y  employer  de  l'esprit.  Je  gage  que  vous  aurei 
mal  lu  mon  écriture  ;  car,  assurément,  je  n'ai  ni  tué, 
ni  voulu  tuer  jamais  personne.  Mandez-moi  le  dévelop- 
pement de  tout  cela.  J'eu  suis  devenu  bien  curieux. 
Relisez  bien,  et  si  vous  ne  m'entendez  pas,  transorivei- 
raoi  l'article  en  entier. 

La  pacotille  de  toile  de  coton  vient  d'arriver  ;  mais 
je  ne  l'ai  pas  encore  fait  débarquer,  crainte  de  la  voir 
saisie  en  contrebande.  Jamais  expédition  ne  fut  plut 
malheureuse  et  plus  dispendieuse,  à  travers  les  soins 
infinis  qu'on  y  a  mis. 

Je  paierai  don  Parez.  Merlin  est-il  tout  k  fait  mort 
à  jamais? 

II  sera  de  M.  de  Sartioe  tout  ca  que  la  destinée  vou- 
dra ;  je  ne  crains  pour  lui  que  le  poison,  s'il  parvient 
k  la  sublime  place.  Les  moyens  bas  et  Iftches,  dont  on 
se  sert  pour  lui  barrer  le  cbeniia,  me  font  avoir  cette 
peur. 

Si  le  nouveau  roi  est  économe,  il  aura  les  trois 

I.  Voir  11  lettre  du  S8  mil  1774. 


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»8  LETTRES  DE  GALIAM 

quarts  des  vertus  à  propos  pour  la  guérison  de  la 
France,  et  l'on  verra  la  poule  au  pot.  Hais  je  craim 
qu'on  ne  lui  ait  montré  la  lésine,  et  fait  ignorer  l'éco- 
nomie. J'apprends  qu'il  réforme  des  chiens  courants, 
et  je  vois  qu'il  garde  la  Corse  ;  il  allait  réformer  la 
Corse  et  garder  les  chiens.  La  Corse  est  la  plus  grosse 
folie  faite  par  M.  de  Choiseul,  et  la  plus  fatale  à  la 
France  '.  Attendez,  vous  verrez, 

Caraccioli  est  déjà  saoul  d'avoir  été  à  Naples,  et  il 
presse  son  retour.  Qu'il  sera  content,  s'il  se  revoit  en 
route  !  [I  ne  so  porte  pas  mieu^t  de  ses  jambes,  et  je 
crois  qu'il  est  persuadé  que  ses  jambes  n'acquerront 
rien  à  Naples. 

La  seule  bonne  chose  qu'ait  dite  cet  ennuyeux 
M.  Sterne,  est  lorsqu'il  me  dit  :  Il  vaut  mieux  mourir 
à  Paris  que  vivre  à  Naples. 

J'ignorais  le  voyage  du  baron.  Grinun  se  portera  à 
merveille,  dès  qu'il  sera  à  Leyde  ou  à  Gotha. 

Rien  de  nouveau  ici,  mais  l'attente  des  nouveautés 
devient  plus  forte  de  jour  en  jour. 

Aimet-moi.  POTtez-vous  bien.  Adieu. 

1.  En  1766,  la  Corse  avait  bdQd  trouvé  un  gouvemement  ré- 
gulier loua  la  djrecUon  de  Pascal  Paoll.  Gènes,  qui  ne  possédait 
plus  dans  l'tle  qoe  quelques  places  maritimes,  voyant  la  diâieullé 
lie  conserver  ses  territoires,  céda  la  Corse  à  la  France  en  paie- 
ment d'une  créance.  Cboiaeul  envoya  en  1169  une  armée  pour 
soumettre  llle  ;  Paoli,  écrasé  avec  les  siens,  dut  s'enfuir,  et  la 
Corse  enliëre  tomba  sous  la  domination  deJa  France. 


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LETTRES  DE  GALIANI 


Volpe  lettre,  ma  belle  dame,  finît  par  dire  que  j'ai 
besoin  de  toute  mon  indulgence  pour  vous  pardonner. 
Vous  êtes  donc  Pytiionisse,  Sibylle  (pas  vieille  pour- 
tant), Bohémienne  ou  autre  chose  pareitle.  Vous  avez 
deviné  que  la  pacotille  des  toiles  et  des  mouchoirs  était 
arrivée,  que  j'étais  dans  une  colère  épouvantable,  dans 
un  chagrin  mortel,  dans  un  désespoir  affreux.  Grand 
Dieu  I  Quelle  commision  !  J'appelle  mon  indulgence  à 
votre  secours;  mais,  en  vérité,  avouez-moi,  ave^-vous 
vu  la  toile  et  les  poignets  avant  de  me  les  envoyer  ! 
Soupçonnez-vous  que  le  marchand,  sur  qui  vous  vous 
seriez  reposée,  les  eût  troqués?  8i  cela  n'est  pas,  je  ne 
sais  comment  expliquer  l'aventure,  car  il  est  impossible, 
humainement  impossible,  que  sachant  que  j'avais  be- 
soin de  faire  des  chemises,  vous  ayez  pris  cette  toile, 
qui  est  au  moins  trois  fois  plus  grossière  qu'il  ne  fau- 
drait pour  employer  en  chemises  ;  assurément  per- 
sonne n'en  a  porté  an  monde  de  pareilles. 


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390  LETTRES  DE  GALIANI 

Le  malheur,  en  fait  d'argent,  est  sensible,  car  j'en 
perds  tout  le  prix.  Aucun  marchand,  je  ne  vous  exa- 
gère point,  n'a  voulu  me  la  reprendre  ici,  disant  qu'on 
ne  la  connaissait  point,  et  que  personne  ne  s'en  était 
jamais  servi.  Mais  à  cela  il  ;  aurait  remède  ;  j'en  ferai 
présent  à  mes  nièces.  Le  diable  est  que  je  suis  sans 
chemises  d'hiver,  et  qu'il  est  désolant  de  recommefwer 
une  commission  qui  a  duré  un  an. 

Béflexion  morale.  Les  meilleurs  de  mes  amis  sont 
à  Paris,  les  plua  vrais,  les  plus  intéressés  pour  moi  ; 
cependant  je  n'ai  pu,  en  mon  absence,  obtenir  rien  de 
ce  que  je  désirais  k  Paris.  J'ai  eu  beau  roe  fftcber 
contre  Magaltoo,  Fuentès,  Pigoatelll ,  Carraccioli , 
Sartine,  etc.  Je  ne  me  fliche  pas  &  présent  contre  vous, 
mais  je  vous  tftche  peutr^tJ«,  et  à  quoi  bon?  Pour- 
quoi  donc  cela?  C'est  que  Dieu  veut  que  je  boive  le 
calice  d'amertume  de  l'absence  jusqu'à  la  lie  et  que  je 
dise  toujours  en  moi-même  :  si  j'eusse  été  à  Paris,  cela 
n'aurait  pas  été.  —  Conelusùm.  L'absence  est  un  mal 
irréparable. 

Je  ne  sais  pas  être  inquiet  sur  la  santé  du  voyagent  *  ; 
il  me  parait  sauvé,  puisqu'il  a  touché  la  Bohême  sans 
maladie  chronique  et  attaquant  les  solides. 

La  Bastardella  ',  accoutumée  h  vendre  son  chant, 

1.  Grimm. 

3.  Lucrèce  Agnjari,  de  Fernre,  Mirnominto  !■  Butardella,  étcfl 
célËbre  par  retendue  prodlgteuN  d«  at  voli  gui  s'41«Teit  jaf- 


jbïGooglc 


LETTRES  DE  GALIiNl  .<at 

ne  saurait  s'habituer  à  le  donner  pour  rien,  comme 
elle  devrait  à  Paris.  C'est  une  bêtise  de  sa  part  ;  mais 
pas  une  impertinence. 

Ce  rappel  du  parlemeat  est  bien  différent  de  la  ren- 
trée. L'affaire  est  plus  scabreuse  qu'elle  ne  parait. 

Mon  domestique  français  m'a  enlîn  quitta,  il  m'a 
prié  de  lui  faire  parvenir  cette  lettre  ci-jointe  à  Paris, 
à  son  adresse;  comme  cite  sera  la  dernière,  j'espère 
que  TOUS  m'excuserez  si  je  vous  surcharge  de  ces 
fraisde poste.  Je  n'aj  pas  eu  encore  de  lettre  de  change 
de  Magallon  tirée  sur  moi,  mais  je  tiens  l'argent  tout 
prêt  pour  la  payer.  Je  reconnais  avoir  manqué  à  la  poli- 
tesse en  me  plaignant  de  l'exécution  d'une  coomiission 
qui  vous  aura  coûté  beaucoup  de  peine  et  d'embarras. 
Mais  n'aurais-je  pas  manqué  à  la  sincérité,  si  j'eusse 
été  poli?  Soyez  moins  sincère,  me  direz-vous.  Adieu. 


qu'ani  sona  les  plus  algas  ;  elle  résidait  à  Parme  od  elle  épousa 
Colla,  compositeur  eatlmé.  Ella  passa  quelque  temps  t  Paris 
sans  Tooloir  ehanter  dans  aucun  endroit  public,  laali  alla  chaii' 
tatl  assez  Tolontiera  A  souper,  sJe  l'ai  eoiendue,  disait  Laharpe, 
ce  n'est  pas  une  voii  très  agréable,  mais  c'est  peut-4tre  l'organe 
le  plus  extraordinaire  qui  eiisle.  Elle  a  repi  de  la  nature  un 
goder  avec  leqnei  elle  exécute  des  toun  de  force  Incrojables.  ■ 


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LETTRES  DE  C.ALIANI 


Point  de  vos  lettres  cette  semaine;  et  pourquoi? 
N'eussiez-vous  pu  me  mander  quelque  nouvelle,  au 
moins  de  la  chaise  de  paille? 

J'envoie  la  lettre  de  change  à  Hagallon  ;  et  comme 
vous  m'avez  fait  craindre  qu'il  pourrait  se  trouver 
parti  de  Paris,  je  crois  bien  faire  d'envoyer  la  seconde 
dans  vos  mains,  en  cas  que  la  première  s'égarftl. 

J'ai  donné,  il  y  a  quelques  jours,  deux  lettres  de 
recommandation,  l'une  pour  vous,  l'autre  pour  le 
comte  d' Albaret  à  im  Sicilien,  joueur  de  cor  de  chasse  ' . 

j.  Le  comte  d'AlUret,  piémoDUis,  éUlt  le  premier  amiteur 
de  muiique  de  l'époqae.  GlackUte  passionDâ.il  avail  une  troupe 
de  musicieDs  ■Uachèt  à  m  maùon,  et  il  donnait  des  concerts 
d'une  m*  perrecUon.  H.  d'Alt>aret  avait  beaucoup  d'esprit  et 
11  ttiwll  de*  ven  charmants.  On  demandait  un  jour,  à  souppr. 
i  Vabhé  Sabatier  ce  que  c'était  qu'une  femme,  Il  répondit  : 

a  qui  demudei-vaiu  ce  qua  c'eil  qu'une  temine, 

A  moi  qa'oD  a  réduit  à  i'igDorar  ton^oun  ; 

De  l'aTiugle  aflligè  vous  diehlrerei  l'Ame, 

SI  vous  lui  demiDdet  ce  que  sont  les  beaux  J«urs. 


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LETTRES  DE  GALIANI  333 

Je  n'ai  pas  pu  les  refuser  à  un  ami  qui  me  les  a 
demandées,  mais  je  vous  préviens  que  je  ne  connais, 
ni  de  vue  ni  de  nom,  le  sujet  que  jo  vous  ai  recom- 
mandé ;  en  conséquence  je  n'entends  vous  le  recom- 
mander qu'avec  béjiéfice  d^invenlaire,  comme  on  reçoit 
les  successions  suspectes.  Ëcoutez-le,  et  jugez-en  vous* 
même. 

Jo  suis  en  train,  comme  je  crois  vous  l'avoir  mandé, 
de  marier  deux  de  mes  trois  nièces  ;  cela  m'occupe 
étraugement;  mais  l'idée  du  repos  qui  pourrait  s'en- 
suivre dans  mon  esprit  me  soulage. 

Aimez-moi;  portez-vous  bien,  et  priez  Dieu  que  je 
puisse  me  dégager  des  liens  napolitains,  au  point  de 
redevenir  voyageur.  Adieu. 

Le  comte  d'Albaret  lai  ripoala  immédlalemeiil  : 

Vou»  peignez  mal  llDdlDéisncc 
Qne  voua  teigaez  en  ce  moment. 
Quand  on  parle  aussi  tendrement, 
Od  eal  bien  loin  rie  l'ignorance, 
El  je  T0D9  crois,  l'aveugle  clairvoyeiil. 

(Voir  l'appendice  iiv.) 


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LETTRES  DE  (lALIANI 


tnplss,  u  aoill  ni*- 

Ha  belle  dame,  votre  courte  lettre  du  23  passé  me 
renvoie  à  une  belle  et  longue  épltre  qu'un  quidam 
voyageur  doi  t  m'apporter,  et  qui  n'est  pas  encore  arrivée. 
Dieu  le  conduise  à  bon  port,  lui  et  sa  lettre  ;  en  alteii- 
tendant  je  vous  dirai  que  vos  souffrances  m'affligent  ;  il 
serait  temps  de  les  voir  finir.  Dëclarez-vous  vieille  une 
bonne  fois  ;  vous  savez  que  les  vieilles  sont  de  toutes 
les  femmes  les  mieui  portantes  Ainsi  installez-vous 
dans  cette  classe, et  faites'vous en  accorder  l'anciennelé 
nécessaire  par  un  brevet. 

La  nouvelle  que  vous  m'ajoutez  dans  le  poslscriplvm 
est  si  grande,  si  agréable  pour  moi  et  pour  mes  amis, 
que  j'ai  grande  peine  à  la  croire'.  Un  encyclopédiste 


1.  H.  Tnrgotéull  iDiendant  à  Limages  et  II  ;  avait  couqui.t 
l'estima  de  tous,  lorsque  Maurepas  le  Ht  appeler  au  mldislËre  ilc 
la  marine  en  Tcmpbcement  de  H.  de  Boines.  Un  tnois  apréi,  le 
chancelier  Haupeou  el  Terray  étaient  eiilés  et  Tnrgot  quittait  la 
marine  pour  le  contrAle  général.  La  nomiDallondeTurgot  eiclla 
un  enthoDsUsme  unirersel  dans  le  parti  enc;clo|>édique,  dont  II 


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LI^TTBES  DE  r.ALlÂM  3U 

parvenu  I  Possible  1  Ncm,  je  n'en  croie  rien.  Personne 
n'en  a  rien  mandé  à  Cartfccioli,  «t  puis  la  chose  est  par 
soi-même  incroyable.  Il  a  trop  d'esprit,  trop  de  droi- 
ture et  une  vertu  trop  roide,  pour  parvenir  aux  pre- 
mières charges;  enfin  je  suis  impatient  d'apprendre 
si  je  me  suis  trompé,  comme  je  le  souhaite,  ou  si  j'ai 
deviné,  ctHome  je  o^is.  N'allez  pas  me  dire  qu'il  n'e«t 
plus  mou  ami  depuis  l'exportation;  il  l'est  toujours,  et 
très  fort  (non  ami,  puisqu'il  est  honnête  homrae. 
homme  d'eaprit,  ami  de  mes  amis. 

Vous  me  demandée  si  je  travaille  encore  à  mon  livre 
de  ta  monnaie.  J'arrange  des  mariages  ;  voilà  tout  ce 
que  je  fais  à  présent.  J'espère  en  conclure  une  paire 
pour  octobre  prochain;  cela  fait,  il  ne  me  restera 
qu'une  bossue  à  placer.  Elle  a  de  l'esprit,  quoique 
laide  et  bossue  ;  ainsi  elle  s'aidera  ellennéme  km  ma* 
rier,  et  m'en  soulagera  le  travail.  Si  une  bonne  fols  je 
me  vois  débarrassé  de  cette  affreuse  situation  où  je 
suis,  ahl  que  de  livres,  que  d'ouvrages,  que  de  jolies 
choses  vous  verrez  produites  par  ma  vervel 

était  membre,  s  Je  auia  comme  tout  le  monde,  écrivait  VoJUire 
i  d'Argeutal,  le  33  décembre,  j'alteod»  beaucoup  de  M.  Turgot. 
Jamais  homme  n'est  venu  au  ministère  mieux  annonça  par  la 
voii  publique.  >  Au  conlrsire,  les  hommes  religieux  furent  con- 
sternés et  virent  avec  effroi  l'opposition  philosophique  entrer 
rtana  le  ministère.  Turgot  avait  de  vastes  projets  qu'il  essaya  peu 
il  peu  de  réaliser.  Son  premier  soin  fut  de  rétablir  ia  libre  cir- 
culation des  grains  à  l'intérieur.  —  >  L'abbé  Baudeau  disait  de  lui 
que  c'était  un  instrument  d'une  trempe  excellente .  mais  qui 
u'arait  pas  de  manche.  >>  (Chamfort.) 


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33S  LETTRES  DE  GALIANl 

A  présent  je  suis  bêle  et  faiseur  de  mariages;  et  ces 
deux  qualités  m'oDt  acquis  plus  de  réputation  que 
tous  mes  ouvrages  ;  car  il  est  bon  que  vous  sacbiez  que 
ma  conduite,  relativement  à  ma  famille  et  le  soin  que 
j'en  prends,  me  font  un  honneur  infini,  et  l'on  ne 
parle  que  de  cela  avec  autant  d'étonnement  que  d'en- 
thousiasme. Au  fond,  on  n'a  pas  tort;  la  moitié  de  l'es- 
pèce humaine  a  bien  plus  besoin  d'un  bon  mari  que 
d'un  bon  livre;  et  si  cela  est  vrai,  même  à  Paris,  jugez 
à  Napies,  où  il  n'y  a  que  douze  personnes  au  plus  qui 
sachent  lire,  combien  cela  doit  être  vrai. 

Carraccioli  se  porte  bien.  De  tous  les  revenants  de 
Paris,  c'est  celui  qui  m'en  a  donné  le  plus  de  détails 
intéressants  pour  moi.  Nous  ne  parlons  donc  que  de 
vous,  et  tous  les  vendredis  nous  parlons  tête  à  léle, 
après  avoir  diné,  deux  heures  au  moins  de  Paris. 

Nouvelle  pièce  ce  soir;  j'y  vais.  Adieu.* 


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LETTRES  DE  GALIi.NI 


k    LÀ    HëXE 


HaptM,  iT  août  iTTi. 

La  semaine  passée,  point  de  lettre  de  vous,  ma  belle 
dame  ;  cette  semaine,  deux  à  la  fois  :  faule  de  MM.  les 
directeurs  des  postes.  Jo  vaisy  répondre  laconiquement 
et  catégoriquement,  tout  comme  si  j'arrangeais  une 
capitulation  de  viile;  car  je  suis  d'une  humeur  de 
chien,  à  mon  ordinaire,  je  vous  en  préviens. 

D'abord,  l'énigme  des  mots  on  a  tué  ',  dans  une 
de  mes  lettres,  est  bieatât  résolue.  Je  n'achevai  pas  la 
phrase.  Apparemment  on  m'interrompit,  on  m'appela 
pour  entendre  brailler  des  avocats  dans  ma  pièce,  ou, 
si  vous  voulez,  dans  mon  salon  d'audience.  Le  soir,  j'ai 
cru  avoir  fini  la  lettre,  et,  sans  la  relire,  je  l'aï  cachetée 
et  envoyée.  La  question  serait,  à  présent,  d'achever  cette 
phrase,  mais  voilà  précisément  le  nœud  de  la  difficulté  ; 
je  vois  clairement  que  c'était  une  nouvelle  que  j'allais 
vous  donner  comme  un  échantillon,  dont  la  platitude 

^.  Voir  la  lettre  du  18  oiî  1TT4. 


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338  LETTRES  DS  r.ÀLUNl 

VOUS  aurait  prouvé  la  platitude  du  reste.  Mais  je  ne 
sais  pas  si  j'allais  vous  parler  d'une  pauvre  femme  qu'uu 
soldat  tua  d'un  coup  de  poing  à  la  tête,  ou  si  je  vous 
parlais  de  deux  chiens  condamnés  k  mort  par  autorité 
de  justice,  et  exécutés  par  la  main  du  bourreau,  pour 
avoir  mordu  un  enfant.  L'une  est  atroce,  l'autre  est 
ridicule  à  l'excès.  Peut-être  aussi  c'était  quelque  autre 
idée  dont  je  ne  me  souviens  point  du  tout. 

2".  Caraccioli  a  été  infiniment  sensible  à  l'article 
de  votre  lettre  ;  il  se  propose  de  vous  en  remercier  de 
vive  voix,  et  de  vous  voir  souvent  à  son  retour.  Il  se 
porte  bien  ;  ses  jambes  un  peu  enflées  sont  une  baga- 
telle  en  effet.  Il  a  pris  des  bains,  des  étuves,  des  eaux  de 
mer,  etc.  ;  mais  il  ne  les  a  pas  fait  serrer,  et  m'a  bien 
promis  de  ne  pas  le  l'aire.  Cet  homme,  philosophe  en 
tout,  et  résigné  aux  lois  du  destin,  ne  me  le  paraît  pas 
assez  en  fait  de  santé,  et  cela  me  fait  trembler  pour  lui. 
Il  se  tuera  à  force  d'inquiétude  et  d'envio  de  guérir; 
heureusement  il  osl  encore  plus  impatient  de  retourner 
àParis  <tue  de  guérir;  cela  l'empêchera  de  multiplier  les 
remèdes.  Je  cherche  la  raison  de  ce  manque  de  rési- 
gnation en  lui,  et  la  voici  h  mon  avis  :  on  est  sage  et 
résigné  en  proportion  de  ce  qu'on  a  souffert.  Or  il  avait 
jusqu'à  ce^te  heure  souffert  en  tout,  hormis  la  sanl^j 
dont  il  jouissait  parfaitement.  ïja  philosophie  n'est  donc 
pas  un  effet  de  la  raison,  mais  de  l'habitude,  elle  est  tout 
au  plus  une  crainte,  et  quelquefois  un  désespoir  raiwuiné. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GILIÂM  339 

3*.  Le  voyageur  et  votre  lettre  ne  paraisseat  pas  en- 
core ;  je  les  atteQds  pour  comprendre  quelque  chose  à 
l'état  de  votre  société  et  de  votre  famille.  J'ea  entends 
une  portion  en  tâtonnant. 

4°.  Vous  m'obliget  à  renouveler  le  souvenir  de  l'his- 
toire de  ma  toile  :  Infandum,  regtna,  jubés  renomre 
dolorem.  Le  croirieï-vous  ?  Cette  histoire  me  l'ait  trem- 
bler de  colère  et  de  rage,  aussitôt  que  j'y  pense.  Voos  me 
rendes  assez  de  justice  pour  croire  que  ce  n'est  pas  l'in- 
térêt et  ie  sacrifice  de  l'argent  qui  me  dépitent  ;  c'est  le 
guignon  atroce  que  je  ne  saurais  souffrir.  Pourraitr-on 
croire  qiie  l'endroit  du  monde  où  j'ai  les  meilleurs  amis 
est  séparé  de  moi  par  une  barrière  insurmontable?  Le 
desti  n  a  la  force  de  m'arracher  Paris,  comme  il  a  eu  celle 
de  m'arracher  de  Paris,  en  dépit  des  hommes  et  des 
dieux.  Il  m'a  vengé  ensuite,  chose  que  je  ne  lui  ai  point 
demandée  ;  enfin  ne  parlons  plus  de  l'emplette.  Je  me 
suis  défait  desmouchoirs  en  les  donnant;  ils  ne  me  seiv 
valent  à  rien.  Je  les  voulais  en  couleur,  ils  étaient 
blancs  ;  et  c'est  une  malpropreté  insoutenable  ici  que 
de  se  moucher  avec  des  mouchoirs  blancs  lorsqu'on 
prend  du  tabac.  Pour  la  toile,  j«  l'ai  offerte  jusqu'à 
trente  sols  l'aune,  on  n'en  a  pas  voulu  ;  j'ai  la  douleur 
de  l'avoir  encore.  La  police  de  chargement  avait  été 
employée  à  boucher  des  bouteilles  ;  c'est  pout  vous  en 
constater  le  fait  que  je  vous  l'envoie  ;  vous  verrez  que 
j'ai  payé  18  livres  4  sols  de  Paris  à  Marseille.  Mais  de 


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3W  LETTRES  DE  GALIANI 

grâce  ne  les  poursuivez  pas;  car.  sans  faute,  vous  ver- 

riez  que  nous  avons  tort,  et  qu'on  devait  les  payer. 

Le  destin  ne  feit  point  de  quartier;  c'est  à  mon 
guignon,  madame,  et  n'en  doutez  pas,  qu'il  fout  attri- 
buer le  malheur  de  Pignalelli  ;  je  l'avais  chargé  de  mille 
commissions.  Il  m'aurait  réuni  k  Paris;  il  aurait  été 
mon  correspondant  ;  ensuite  il  aurait  passé  en  Espagne, 
et  m'aurait  été  très  utile.  Mais  le  contraire  était  écrit 
dans  les  livres  des  astres,  comme  disent  bêtement  les 
astrologues,  au  lieu  de  dire  dans  le  livre  des  combinai- 
sons. Les  étoiles  fixes,  puisqu'elles  sont  fixes,  ne  se 
combinent  point  ;  et  point  de  desUn  pour  elles.  Lès  êtres 
mouvants  eux-mêmes  sont  les  seuls  sujets  an  destin, 
qui  n'est  autre  chose  qu'une  loi,  impossible  à  calculer 
pour  nous,  attendu  la  quantité  immense  de  données 
que  nous  n'avons  pas. 

Vous  m'encouragez  à  écrire  à  Suard.  Je  le  voudrais 
de  tout  mon  cœur,  mais  comment  s'y  prendre  t  Rece- 
vraît-ilavec  plaisir  une  lettre  en  italien?  S'il  la  veut, 
je  lui  en  écrirm  une  assez  belle,  j'en  réponds.  Ce  n'est 
qu'en  italien  que  j'écris  des  mots  et  des  phrases;  en 
français,  je  n'écris  que  des  choses.  Or,  il  est  un  des 
quarante  aux  mots,  et  je  rougirais  de  lui  présenter 
une  lettre  sans  phrases.  J'oserais  bien  en  écrire  une  à 
H.  Gresset',  puisqu'il  admire  le  langage  de  vos  aïeux, 
1.  Gce»et  (JeiD-Baptùte-Louis)  (1709-1777),  membre  et  direc- 
teur de  l'AcBdÉinio  fraocaiie,  auteur  de  la  comédie  du  Méchmt, 
du  poème  de  Yerl-Verl,  etc. 


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LETTRES  DE  GALIAHI  Ui 

auquel  mon  style  ressemble  bien  plus  qu'aux  lettres 
de  nos  jours. 

Je  me  suis  arrangé  avec  Caraccioli  pour  aller  diner 
chez  lui  les  vendredis,  jour  auquel  arrivent  les  lettres  de 
France  :  nous  noua  communiquons  aiusi  nos  trésors. 
J'ai  lu  une  lettre  de  mademoiselle  de  Lespinasse  et  une 
autre  du  chevalier  de  ChételluiE.  Toutes  les  deux  font 
mention  de  moi,  et  me  prouvent  que  Paris  ne  m'a  pas. 
encore  oublié.  Si  vous  pouvez  marquer  ma  sensibilité  el 
ma  reconnaissance  h  la  société  de  mademoiselle  de 
Lespinasse,  vous  me  ferez  grand  plaisir.  Je  n'ignore 
pas  qu'à  Paris  le  premier  mérite  est  d'être  sen- 
sible. Assurez  donc  que  je  suis  tellement  sensible  que 
j'en  deviens  parfois  ch&touilleux.  Aimez-moi  ;  plaignez 
mon  guignon  cruel.  Adieu. 


IMpIei,  S  Mptembro  11T4. 


Puisqu'il  i^ut,  ma  belle  dame,  vous  parler  encore  de 
na  toile,  voici,  marqué  n"  1,  l'échantillon  de  la  toile 


jbïGoogIc 


.343  LETTRES  DE  GÀLIANE 

que  TOUS  m'avez  envoyée  ' .  Vous  n'aurez  qu'à  )a  voir, 
pour  convenir  avec  moi  que  jamais  homme  n'en  a  fait 
des  chemises.  On  en  ferait  des  voilures  de  bâtiments 
assez  honnêtes. 

Voici  ensuite,  marqué  n"  2,  l'échantillon  de  celle  dont 
je  me  suis  servi,  tiré  d'une  de  mes  vieilles  chemises. 
La  qualité  est  à  peu  près  la  même  que  celle  que  vous 
m'avez  annoncée  pour  4  liv.  IS  s.,  et  c'est  précisément 
le  prix  que  je  vous  en  avais  marqué,  si  ma  mémoire 
n'est  pas  fautive  ;  car  je  me  souviens  de  vous  avoir 
mandé  qu'elle  coûterait  un  peu  moins  de  cent  sols. 

Voici,  en  troisième  lieu,  que  je  vous  renvoie  l'échan- 
tillon marqué  E  10,  que  vous  m'avez  indiqué  élre  au 
prix  de  3  liv.  là  s.  Si  j'avais  eu  une  toile  de  cette 
qualité,  je  n'aurais  rien  dit  ;  car,  quoiqu'elle  ne  paraisse 
pas  pouvoir  être  d'une  assez  longue  durée,  du  moins 
j'aurais  eu  des  chemises  pour  l'hiver.  Pour  expliquer  à 
présent  l'événement  incroyable,  il  n'y  a  qu'à  dire  que 
par  une  infamie  digne  de  la  corruption  de  la  bonne  foi, 
autrefois  si  vanlée,  des  marchands  français,  on  a  esca- 
moté la  pièce  dans  le  moment  même  que  vous  la 
cachetiez  :  car  vos  cachets  et  les  livres  y  étaient;  et  si 
je  ne  vous  en  aï  pas  parlé,  c'est  que  cette  aventure  me 
mettait,  comme  elle  me  met  encore,  en  furie,  toutes 
les  fois  que  j'y  pense.  Ainsi  n'en  parlons  plus, 

1.  Les  échanlilloDs  de  toile  soDl  encore  atlacbëa  à  1«  letu« 
uitograpbe  de  G*lliiil> 


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LETTRES  DE  CALIAM  M3 

Je  suis  ravi  des  nouvelles  de  Carlsbad  ;  elles  son): 
conformes,  non  seulement  à  mes  désirs,  mais  aussi  à 
mes  conjectures  et  à  mes  pii^ictions.  Or,  voua  savez 
que  l'orgueil  de  l'esprit  est  plus  fort  en  nous  que  le  con- 
tentement du  coeur:  et  que,  par  conséquence,  l'homme 
est  plus  flatté  d'avoir  deviné  un  malheur,  qui  arriverait 
ensuite,  que  de  s'être  trompé  et  de  l'avoir  évité.  Hor- 
rible constitution  de  l'homme,  qui  fait  qu'un  médecin 
est  capable  de  tuer  son  ami  pour  n'en  avoir  pas  le 
démenti,  qu'un  général  perd  exprès  une  bataille  don- 
née contre  son  avis  !  etc.  Heureusement,  pour  le  coup, 
j'avais  dit  dans  ma  tête  que  le  voyageur,  en  mettant 
le  pied  sur  son  sol  natal,  guérirait  '.  Ainsi  je  suis 
parfaitement  content. 

Caraccioli  est  à  Sorrento.  Je  viens  de  marier  deux  de 
mes  trois  nitces.  La  troisième,  étant  bossue,  .sera  bien 
plus  difficile  à  vendre.  Si  j'étais  votre  marchand  de 
toile,  je  pourrais  l'escamoter  contre  la  seconde  que  je 
viens  de  marier,  et  qui  est  jolie.  Vous  voyez  que  je 
fais  comme  l'Avocat  Patelin  :  j'en  reviens  toujours  à 
mes  moutons;  laissons  cela. 

Vous  pouvez  imaginer  &  quel  point  le  soin  de  deux 
mariages  m'accable,  étant  seul  dans  un  pays  oii  on  ne 
finit  rien,  et  où  on  doit  s'attendre  toujours  à  des  sur- 
prises et  à  traiter  avec  des  marchands  de  toile.  Me 
voilà  encore  à  mes  moutons, 

1.  D  «'agit  da  Grlmm. 


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3W  LETTRES  DE  GALIA.M 

Ah  çâ  ?  porlez-YOus  bien.  EmbrasBez-moi  le  voya- 
geur, r&Iné  des  revenants.  Ab  I  que  son  exemple 
m'aiguillonne!  Attendez  fue  j'ai  balayé  de  femelles  ma 
maison.  Adieu. 

Mais  voyez  de  grâce  cette  toile  :  n'estrelle  pas  détes~ 
table?  Fil  le  vilain  escamoteur!  Adieu. 


Naplo,  II  leplenibre  Wi, 

Votre  lettre,  ma  belle  dame,  j'en  conviens,  m'an- 
nonce les  nouvelles  les  plus  grandes  et  les  plus  inté- 
ressantes; mais  je  vous  en  donnerai  aussi,  de  mon 
côté,  qui  ne  sont  pas  de  paille.  Je  viens  de  me  défaire 
de  la  toile  de  coton  pour  soiiaote  Trancs,  C'est  pré- 
cisément la  moitié  de  ce  qu'elle  m'a  coûté.  Je  vous 
en  instruis  à  telle  lin  que  de  raison,  en  cas  que  l'on 
condamnât  l'escamoteur. 

Nous  avons  exilé  la  belle  madame  Goudar';  cet  exil 


.  Halame  Goudar  (Sarsli),  célèbre  par  &b  beauié  et  par  ttt 
étsil  la  femoK.'  d'Ange  Goudar.  lilléraieur,  auteur  de 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALUNI  3U 

vaut  bien  celui  d'un  cbancclier  '.  Enfio,  demain,  od  sigoe 
le  contrat  de  ma  nièce  la  cadette.  Voilà  des  nouvelles 
aussi  importantes  que  les  v6tres,  esceplé  celle  de  votre 
colique,  qui  m'intéresserait  le  plus,  si  vous  ne  m'aviez 
prévenu  que  vous  y  êtes  fort  sujette  depuis  quelque 
t£mps. 

Enfin  H.  Turgot  est  contrAleur-générai.  I)  restera 
trop  peu  de  temps  en  place  pour  exécuter  ses  systèmes. 
Son  administration  des  finances  ressemblera  à  la 
Cayenne  de  son  frère  <.  Il  punira  quelques  coquins  ;  il 
pestera,  se  fftchera,  voudra  faire  le  bien,  rencontrera 
des  épines,  des  difficultés,  des  coquins  partout.  Son 
crédit  diminuera;  on  le  détestera;  on  dira  qu'il  n'est 
pas  bon  à  la  besogne;  l'enthousiasme  se  refroidira;  il  se 
retirera,  ou  on  le  renverra;  et  on  reviendra  une  bonne 
fois  de  l'erreur  d'avoir  voulu  donner  une  place  telle 


fSipion  chjnojf,  j'£ipi<m  /Vimpatt,  etc.  Pendant  un  séjour  k 
Naplss,  il  écrivit  un  ouvrage  Intitulé  :  Napitt,  ce  qu'il  ftiut  faire 
pour  rendra  et  jtayt  jlorùianf.  (Venise,  1771,  in-6°,|  Cet  ouvrage, 
qui  était  une  violente  satire,  ttl  sensation  à  Naples,  lor»  de  sa 
publication  ;  mais  au  l>oul  de  quelque  temps,  le  ministre  Tanuflci 
flt  lirAler  l'ouvrage  de  la  maja  dn  bourreau  et  eiiler  l'auteur. 
Madame  Goudor  s'occupait  aussi  de  littérature;  elle  publia  aes 
œuvres  mêlées  en  1777. 

1.  Le  chancelier  Haupeou  avait  été  eiilc  le  2t  août. 

3.  Targot  (Et.-Pr,  dit  le  chevalier)  [17Î1-1789],  frère  du  ui- 
ulsire.  Il  Fut  gouverneur  de  la  Gu^iane  française,  qu'il  tenta  de 
coloniser,  saiu  y  réussir.  El  eut  avec  l'iDienditiii  Clianvallun  des 
démêlés  qui  le  conduisirent  en  prison;  il  finit  par  se  vouer 
eiclusifemtnt  aui  sciences. 


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346  LETTRES  DE  GlLIANl 

que  la  aiemie,  dans  uqc  monarchie  tellu  que  la  vAtre,  à 

un  homme  très  vertueux  et  très  philosophe.  La  lihre 

exportation  du  blé  sera  celle  qui  lui  cassera  le  cou  ; 

souvenez-vous-en. 

Pour  M.  de  Sarline',  il  tombe  plus  heureusement.  II 
ira,  s'il  succède  à  M.  de  la  Vrillière  ',  renconti-er  la 
partie  la  plus  saine  et  la  mieux  arrangée  de  la  France, 
et  je  dirai  même  de  l'Europe;  il  y  a  eu  grande  part. 
Je  veux  dire  la  police  intérieure,  les  beaux-arts,  etc. 
Il  y  restera  longtemps,  il  y  sera  béni,  adoré,  et  s' il  sait  se 
préserver  du  désir  de  passer  outre  à  la  chancellerie,  il 
sera  le  héros  du  règne  actuel.  Telles  sont  mes  prophé- 
ties. Adieu,  je  vous  quitte.  Portez-vous  bien. 

1.  M. de  Ssrtine  remplaça  Turgoi  comme  secrétaire  général  de 
la  marine. 

i.  yi.  de  la  Vrillière  (Pbelippcaux,  comte  de  Saint- Florentin],  tut 
remplacé  au  ministère  par  M.  de  Maleshcrbes.  On  Qt  sur  lui 
cette  épigramme  en  farine  d'épilapha  : 

Ayant  poriû  iroli  noma  aut9  en  laisser  aucun. 


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LETTRES  DE  GALIAKt 


K    LA    HÉME 


HapUs.  u  seplcmbre  <7)t. 

Votre  lettre  du  S  oe  vaut  pas  le  diable,  je  vous  en 
avertis.  Vous  y  6tes  tnalade,  souffrante,  eiirliuuiéc,  etc. 
Votre  secrétaire  s'est  doimé  une  eotorac,  et  vous  êtes 
Gondamaée  à  écrire  malgré  vos  souffrances.  Cela  œo 
f&cbe  sérieusemeat,  et  je  n'ai  pas  besoin  de  ra'afiliger. 
Je  suis  ennuyé,  obsédé  de  soins  désagréables,  et  l'en- 
nui vaut  presque  autant  que  les  souffrances. 

Je  n'ai  pu  m' empêcher  de  rire  eu  voyant  la  peine 
que  vous  vous  donniez  pour  une  secoadc  lettre  de 
change  parvenue  dans  vos  mains.  Vous  vouliez  me  la 
renvoyer;  vous  m'assurez,  sur  votre  conscience,  l'avoir 
brûlée.  Tranquillisez-vous;  on  ne  renvoie  pas  les  se- 
condes lettres  de  change;  on  ne  les  brAIe  pas;  mais 

on  s'en ,  car  elles  ne  servent  de  rien 

lorsque  la  première  est  acquittée.  Je  sens  ma  supériorité 
d'intelligence  sur  vous,  en  faitde  commerce,  depuis  que 
je  suis  conseiller. 

Je  savais  la  haine  de  Turgot  contre  mes  Dialogue*  ; 


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348  LETTRES  DE  GALIAHI 

ils  lui  deviendront  bien  plus  odieux  lorsque   cette 

maudite  exporlalion  l'aura  culbuté;  attendez. 

Dieu  vous  préserve  de  la  lilicFté  de  la  presse,  établie 
par  édit.  ttien  ne  contribue  davantage  à  rendre  une 
uatioD  grossière,  détruire  le  goût,  abâtardir  l'élo- 
quence et  toute  sorte  d'esprit.  Savez-vous  ma  définition 
du  niblime  oratoire  ?  C'est  l'art  de  tout  dire,  sans  être 
mis  à  la  Bastille,  dans  un  pays  où  il  est  défendu  du 
rien  dire.  Si  vous  ouvrez  les  portes  à  la  liberté  du 
langage,  au  lieu  de  ces  cbets-d'œuvre  d'éloquence,  les  re- 
montrances des  parlements,  voici  les  remontrances 
qu'un  parlement  fera  :  Sire,  vous  êtes  un  t...  j.  f. 
Au  lieu  de  ces  chefs-d'œuvre  de  polissonnerie  du 
jeune  Crébiilon,  on  verra  dans  un  roman  un  amant 

dire  à  sa  dame  :  Je  voudrais,  mademoiselle,  vous. 

Fi  !  l'horreur  ! 

La  contrainte  de  la  décence  et  la  contrainte  de  la 
presse  ont  été  les  causes  de  la  perfection  de  l'esprit,  du 
goût,  de  la  tournure  chez  les  Français.  Gardez  l'une 
et  l'autre,  sans  quoi  vous  êtes  perdus.  Une  liberté 
telle  quelle  est  bonne  :  on  en  jouit  déjà.  Elle  doit 
exister  par  le  fait,  et  ne  doit  être  fondée  que  sur  les 
vertus  personnelles  du  ministre  tolérant  et  magnanime. 
Par  là,  là  nation  chérira  davantage  le  ministre  qui 
pardonne,  loi-squ'il  pourrait  sévir.  Si  vous  accordez, 
par  un  édit,  la  liberté,  en  n'en  saurait  plus  aucun  gré 
BU  ministère,  et  on  l'insultera,  comme  on  fait  à  Lon- 


jbïGooglc 


LETTRES  DE  GALUNi  318 

dres.  la  natioa  deviendra  aussi  grossière  que  l'anglaise, 
et  le  point  d'honneur  (l'honneur,  le  pivot  de  votre 
monarcbie)  en  souffrira.  Vous  serez  aussi  rudes  que  les 
Anglais,  sans  être  aussi  robustes;  vous  serez  aussi 
fous,  mais  beaucoup  moins  profonds  dans  votre  folie. 
Bonsoir. 

Je  suis  ravi  de  la  destination  du  chevalier  de  Clermont 
Ici  '  :  rien  ne  pouvait,  qlu^  que  cela,  me  dédommager 
de  la  perte  de  M.  de  Breteuil.  Sa  femme  ne  me  regarde 
pas.  Je  n'ai  plus  de  dent.'<  pour  des  choses  aussi  cro- 
quantes. Ella  trouvera  ici  de  quoi  bouder  à  son  aise; 
maïs,  pour  lui,  il  est  tellement  mon  ami,  je  l'aime  si 
tendrement,  que  je  regarde  comme  un  vrai  bonheur 
pour  moi  de  le  posséder  ici  :  tâchez  de  le  lui  faire 
savoir  par  M.  de  Sartine. 


I.  Le  marquis  de  Clermont  venait  d'être  désigné  pour  rem- 
placer M.  de  Breteuil  comme  ambassadeur  à  Naples.  Il  éloit  fort 
aimable  et  irês  ban  musicien- 


jbïGooglc 


LEtTRES  DE  SALlAHl 


DE    BOMBELLES 


Nuples,  S  oolobre  mi. 

Bonjour,  iDoa  cher  ami. 

A  qui  vous  avisez-vous  d'écrire  el  d'envoyer  des 
lettres?  Ne  savez-vous  pas  que  l'abbé  Galiani  est  mort, 
ou,  pour  mieui  dire,  qu'il  s'eat  donné  la  ntorl  par 


1.  Inédile.  L'autographe  de  csHe  lettre  se  trouve  à  la  biblio- 
thèque jiubliquc  (le  Rouen;  nous  en  devons  la  communication  à 
l'obligeance  de  M.  Bachelet,  conservateur.  —  Le  marquis  de  Rom- 
belles  avait  élé  secrétaire  du  duc  de  !a  Vau|iallcrc  à  Naplc»,  et 
c'est  pendant  son  sÉjourdans  celte  ville  qu'il  se  lia  avec  Galiani. 
Il  allait  beaucoup  dans  la  société  napolitaine.  La  princesse  de 
RelmoDlc,  la  comtesse  Orford  et  ladj  HamïltOD  le  compinieal 
parmi  leurs  plus  lldéles  ;  il  passait  mÉme  pour  fort  empressé 
auprès  de  lady  Hamiiton  :  u  Nous  sommes  allés  ce  soir  cbeï  lady 
Hamilton,  dit  madame  de  Saussure,  le  doui  el  alTecté  Bombelles 
lui  en  contait. . .  s  El  quelques  jours  après  :  u  Nous  avons  été  chez 
lody  Hamilton,  parée  et  languissante  ;  Rombelles,  penché  vers 
elle  d'un  air  petit  maître,  lui  contait  ses  amours  qu'il  aiTectait 
de  cacher  sous  un  air  de  rudesse,  b  Le  marquis  de  Bombelles 
fiit  plus  tard  ambassadeur  en  Portugal.  Il  racontait  nn  singulier 
souTeuir  de  son  séjour  i  Lisbonne  :  n  Le  marquis  de  Bomtwlles 
m'a  tait  la  description  de  deux  robes  à  panier  qu'il  *  vues 
porter  i  la  reine.  Sur  l'une,  on  avait  repriisenlé  en  hroderiei 
une  espèce  de  péristyle  dont  les  deux  colonnes  Auivaieot  la 
direction  des  jambes,  surmontées  d'un  fronton,  duquel  tombait 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI  851 

ennui,  chagrin,  désolalion,  on  se  jetant  le  premier 
(nouveau  Curtius),  dedans  ce  gouffre  immense  qui 
s'entrouvrit  à  la  porte  de  Chiaja  après  votre  départ 
irréparable. 

La  divine  lettre  de  l'incomparable  Harécbal  a  pen- 
sé s'égarer*.  Personne  ne  l'entendait  ici.  Enfin,  on 
s'est  avisé  de  l'envoyer  à  Panurge  comme  venant  de 
la  main  de  son  protecteur  Gargantua.  Et  l'a  lue  cou- 
ramment, et  à  l'instant  a  fait  sa  réponse  dans  un  style, 
qui,  à  la  vérité,  n'est  plus  à  la  mode,  à  moins  que 
l'Académie  française  ne  le  rétablisse,  comme  elle 
parait  vouloir  très  sérieusement  entreprendre,  s'il  faut 
en  croire  à  la  réponse  donnée  à  Suard.  Telle  qu'elle 
est,  je  vous  l'envoie,  et  quoique  ce  ne  soit  point  une 
réponse  directe,  puisque  c'était  bien  à  l'abbé  Galiaui, 
et  pas  à  d'autres,  qu'on  avait  écrit,  si  vous  voulez  la 
présenter  au  Marécbal  ou  la  déposer  au  greffe  de 
l'Académie,  faites  comme  vous  voudrez,  je  vous  en 
laisse  le  cboix. 

Que  fait  madame  de  Matignon?   Est-elle  toujours 


une  camde  de  gize  d'nrgcnt  ;  l'autre,  reprÉsenUnl  Adam  et  Ëvc 
au  milieu  d'uD  arbre  de  la  science  du  bien  vl  du  mal,  et  le  ser- 
pent qui  y  grimpait  en  tvimonlant  len  le  sommet.  »  (Mémoires 
du  baron  de  Glelcben.) 

1.  Le  marécbal  de  Briasac  venait  il'écriru  à  Gatlaoi  une  lettre 
u>  lieui  rranE«is,  comme  il  aiait  coutume  de  le  raire  ;  il.  s'élait 
servi  de  l'intermédiaire  de  H.  de  BombeUes  pour  Tain  parvenir 
M  lelUe. 


jbïGoogIc 


35S  LETTRES  DE  GALUNI 

désolée  '  ?  Son  enfant  se  porte-t-il  bien?  Irez-TOus  à. 
Vienne?  Viendrez-vous  pour  condaviste  k  Rome'f 
Répondez^moi  raille  choses.  N'est-il  pa5  indigne  qu'on 
donne  la  mort  aux  rats  à  un  Pape?  Qu'on  empoi- 
sonne un  souverain  pontife,  c'est  tout  simple,  tout 
naturel,  je  n'y  trouve  rien  à  redire.  Hais  il  y  a  des 
poisons  pour  tous  les  rangs,  et  le  père  Ricci,  qui  en 
avait  un  cabinet  et  une  suite  complète,  pouvait  choisir 
quelque  chose  de  plus  dispendieux.  Enfin,  j'en  suis 
furieux  contre-  lui.  Il  a  dégradé  le  Saint-Siège,  et 
insulté  la  grandeur  souveraine.  La  mort  aux  raU  n'au- 
rait pu  se  donner  tout  au  plus  qu'à  un  gardien  de 
capucins.  La  donner  à  un  Pape!  fi  la  vilainie  *  I 


1 .  Madame  de  Haiigaon  veniil  de  perdre  son  mari  ;  ks  regrcU 
De  paralsKnt  pas  aToir  été  de  longue  durée.  Il  est  souvent 
question  d'elle  dans  les  mémoires  du  temps  :  ■  Elle  est  toute 
gracieuse  et  toute  charmanie.  Mariée  à  quaione  ans,  elle  futmère 
i  quinze.  Elle  est  d'une  élégance  achevée.  Elle  a  tait  un  marcbé 
de  Tingi-quatre  mille  livres  avec  BauUrJ,  moyennant  quoi  il  lui 
rourait  tons  les  jours  une  collTure  nouvelle.!  [V^motru  de  ma- 
dame d'Oberkirch.)  Elle  aimait  quelque  peu  la  toileile,  car  on 
raconte  qu'elle  alla  jusqu'à  payer  une  robe  600  livret  de  renies 
viagères  i  sa  couturière  I 

3.  Le  conclave  se  réunissait  pour  élire  un  pape  en  remplace- 
ment de  Clément  XIV,  qui  venait  de  mourir. 

3.  Gallani  dit  IrËs  nettement  que  le  pipe  a  été  empoisonné  et  il 
ajoute  fort  plaisamment  que  le  père  Ricci,  supérieur  général  de 
l'ordre  des  Jésuites,  aurait  bien  dû  choisir  un  poison  plus  dis- 
tingué. Notfe  abbé  détestait  tes  jésuites  et  son  accusation  perd 
ainsi  beaucoup  de  u  valeur.  Voici  ce  qui  s'était  passé:  En  1769, 
après  l'expulsion  des  jésuites  de  France  et  d'Espagne,  Louis  XV  et 


jbïGoogIc 


LETTHES  DE  GALIANl  353 

Bonsoir,  mon  ami.  Vous  voyez  que  j'ai  niis  un  jour 
entier  à  vous  écrire,  car  j'ai  commencé  par  bonjour, 
et  je  finis  par  tous  souhaiter  le  bonsoir.  Présentez 
mes  respecte  à  notre  incomparable  ambassadeur. 
Aimez-moi  etadieu. 

L'ombre  de  l'abbé  Galianï. 


Chirles  III  demandèreat  rormellement  au  pipe  la  suppression  de 
la  SociélË  de  Jésus.  Clément  XIII  mourut  dans  la  nuit  qai  pré- 
cédait  le  Consistoire  où  l'on  devait  traiter  la  question  (1769).  On 
choisit  pour  le  remplacer  le  cordelier  Ganganelli  ;  c'était  un 
bomme  instruit,  tolérant,  plein  d'esprit,  et  qui  eliercha  immé- 
diatement à  gagner  du  temps.  On  prétend  que  les  prédictions  de 
mort  pleuvaleni  autour  de  lui,  et  qu'il  tut  menacé  du  poison,  al 
sa  décision  était  contraire  aui  jésuites.  Pressé  par  les  instances 
de  la  France  et  de  l'Espagne,  le  pontife  dut  enBn  sa  décider,  et 
le  30  juillet  1713  paraissait  le  bref  d'abolition  de  la  Société  de 
Jésus.  Quelque  temps  après.  Clément  XIV  mourait  dans  de 
cruelles  souOïances.  Beaucoup  prétendirent  qu'on  lui  arail  donné 
de  Vaqua  toftina.  Le  cardinal  de  Bcrnis,  notre  ambassadeur  à  Rome, 
écrivait  :  '  Le  f^enre  de  maladie  du  pape,  et  surtout  les  circon- 
stances de  sa  mort,  font  croire  qu'elle  n'a  pas  été  naturelle... 
Les  médecins  qui  ont  asaisléà  l'ouïerturedu  cedaïres'expliquenl 
avec  prudence  et  les  chirurgiens  avec  moins  de  circonspect  ion.  > 
(Dépêche  de  Bernis  du  28  septembre.)  Un  grand  nombre  de 
personnes,  et  parmi  elles  le  ministre  TanuccI,  n'ont  jamais  cru 
à  un  empoisonnement  ;  mais  on  a  supposé  que  le  pape,  qui 
craignait  pour  sa  vie,  arait  abusé  des  contrepoisons,  au  point 
d'en  être  victime. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DB  Q4LIA.m 


LR   HARÉOHAL    D£    BRISSAC  < 
Gouverneur  de  Paris,  etc. 


Niplea.  octobre  trii. 


k  très  bault,  très  preulx  et  très  vaillant  chevaliw, 
monseigneur  le  géant  Gargantua,  duc  et  pair,  grand 


1.  feaU-Paul-Timoléon  de  Cossé-Brisiac  (I698-17S4),  devint 
maréchal  de  France  en  1T68.  C'éUlt  uoe  des  figures  les  plus  ori- 
ginales du  iTiii*  Biècle.  Le  baron  de  Gleichen,  dans  ses  Souve- 
niri,  donne  du  maréchal  un  portrait  bien  vivinf.  Nous  le  lui 
empruntons  :  s  Jamais  ridicules  n'ont  été  respectés  en  France 
comme  ceux  du  maréchal  de  Briasac.  Ils  étaient  vraiment  r^s- 
(KCtables,  car  ils  anieni  les  grâces  de  la  naïveté,  le  charme  du 
romanesque  et  le  mérite  d'une  réalité  aussi  estimable  (Qu'extraor- 
dinaire. Son  s^le  gaolois,  ses  phrases  amphigouriques,  ses  bas 
ponceao  roulés,  sDn  juste-au-corps  à  grands  parements,  bou- 
tonné ;  \ei  deux  petites  queues  qui  terminaient  sa  frisure 
exhaussée,  tout  cela  allait  parrailement  i  l'air  de  son  àme.  De 
loin,  on  croj'ail  voir  un  vieux  fou;  mais  de  près,  c'était  un 
homme  du  temps  des  Bayards,  et  ce  qui  rendait  son  héroïsme 
complètement  aimable,  c'est  que  les  (ormes  de  sa  vertu  étaient 
assez  grotesques,  pour  ne  pas  trop  humilier  l'amour-propre  de 
ses  contemporains.  On  voulait  un  jour  l'engager,  par  la  crainte 
de  déplaire  à  la  cour,  i  une  condescendance  équivoque;  il  ré- 
pondit ;  a  J'ai  tous  les  courages,  hors  celui  de  la  honte.  >  Dans 
sa  jeunesse,  ayant  pria  querelle  avec  le  prince  de  Conli  au  sortir 
de  l'Opéra  et  proposé  de  se  battre   avec  lui,    il  fut  mené  i  la 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIi.NI  S&5 

fouaccier  de  Praace,  portant  baston  fieurde  isé,  gou- 
verneur de  tous  francs  bedaults,  saiges  et  fols,  gsDs 
d'esprits  et  sots,  Bilans  ou  manans  en  la  bonne  ville 
de  Pftris,  le  très  féal,  très  loyal  serviteur  Psnurge 
envoyé  salut,  allégresse  et  joyeuU  contentement. 

Vos  très  honorés  pères,  ayeulx  et  encestree  de  toute 
mémoire  ont  esté,  monseigneur,  de  ce  sens  que  des 
batailles  par  eux  consommées  ont  plus  volontiers  érigé 
trophées  ë«  cœurs  des  vaincus  qu'es  terres  par  eux 
Conquestées  :  car  plus  estimaient  la  souvenance 
Bdcquise  par  libéralité,  courtoisie,  franchise,  mansué- 
tude, que  par  célébrité  de  fracas  de  harquebouies, 
Ihulconneaulx,  arbalestres,  coulevrines  et  bombardes, 
dont  il  advient  maintes  fois  grande  destruction  et 
doléance.  Vous  avez,  monseigneur,  ouUrepassë  vos 
encestres  tiur  ce  poinct,  et  plus  avez  soubmis  de  coeurs 
par  incroyable  débonnafreté  et  aifable  gentillesse,  en 
pleine  paix,  que  n'en  avei  déconfits  et  transper- 
cés  par   coups  et    main    revers  de  brand,    estoc, 


Bastille.  Pour  en  sortir,  il  devait  faire  des  excuses  i  ce  prince 
dtTBDt  loute  la  cour.  Ses  parents  «ureat  bien  de  la  peln  à  l'y 
résoudre;  enûn.  il  promit  d'obérr  au  roi.  Arriré  dans  la  galerie 
de  Versailles,  il  s'auproeha  du  prince  de  ComI  et  It  lui  dit  :  i  le 
rtti  m*a  ordoiné  de  vous  dHnutder  paf4on  :  je  le  Ms  ;  SMis 
vous  pouviei  ïous  faire  lionueur  à  meilleur  marché,  car.  en 
Térll£,  je  ne  rous  aurais  pas  lue.  ■  On  le  ramena  à  la  BasUUe  ; 
U  guerre  iutu  survenue,  il  fat  envoyé  h  aon  régimeol  et  on 
n'en  parla  plus.  ■  [Souvenir*  du  baron  de  Glelchen.)  Voir  l'ap- 
pCBdice  XV. 


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356  LETTRES  DE  RALIAHI 

cimeterre  el  pertuisaiinc,  et  par  proJisses  de  votre 
espouvantable  bracquemart  en  guerre  liorrifîcque,  dont 
facilement  je  m'advise  n'y  avoir  jamais  eu  es  aages 
dépassés  ung  plus  chevalereux  priuce,  ny  ung  plus 
guallant  homme  de  vous,  ny  plus  enclin  et  dispos  à 
toute  honesteté  gracieulse. 

J'apprends  par  votre  briefvc  et  joyeulse  lettre  à  feu 
l'abbé  de  Galiani,  de  piteuse  res^ulvenance,  que  vos 
soixante  et  seize  ans  vous  pèsent.  Certes  ils  sont 
griefs  et  lourds  en  fait  :  mais  j'espère,  par  grâce  et 
opération  de  la  dive  bouteille,  dont  je  rafraîchis  le 
vœu  touls  les  malins  à  jeun,  qu'il  vous  sera  licite 
et  loisible  de  passer  franchement  oultre  jusqu'à  cent, 
et  conserver  votre  vieillesse  chenue,  vivant  quoy  et 
joyeulx  sans  engendrer  oncques  melancholie,  voire 
entre  nopces,  banquets  et  festins,  blanches  fraîches 
joues  pleines  de  salacité  et  lascivie,  tétons  mirifiques, 
poussants  et  promouvants,  convoitise  impudique,  comme 
il  convient  à  guallant  et  magnanime  chevalier.  Et  s'il 
vous  advient,  par  rencontre  avecq  cettui  train  de  vie  là, 
de  rester  sans  sou  ni  maille,  n'en  soyez  ja  peiné  ni 
marri,  car  ung  noble  prince  n'a  jamais  un  sol. 
Thésauriser  est  faict  de  vilain.  AdoDcques  l'estat  au- 
quel vous  êtes  en  ce  moment,  s'il  vous  consent 
encore  de  grimper  soubdain  ù  vos  entreprinses  amou- 
reulses,  si  n'y  faites  point  de  faulte  d'icelles  con- 
sommer; car  ce  serait  grand  dommaige,  même  gros 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIAMI  357 

vitupère  et  déshonneur  pardevaut  belles  dames  de 
hault  lignage,  scabreuses  et  prudes,  qui  fout  la 
chattemitle. 

Ce  paovre  diable  d'abbé  Galiani  a  défailli  de  vio 
corporelle,  comme  bien  miculx  vous  scavez  par  force 
d'enauy,  eu  son  terrouoir  natal,  où  chacun  vit  dans 
sa  chacunière  en  mortelle  et  horrible  fainéantise, 
n'estant  employé  à  chose  aulcune  faire  louable  et 
vertueuse.  Jeunes  fillettes  et  mignonnes  gualoises  ont 
regretté,  par  triste  et  lamentable  complainte,  soit  trépas. 
Que  par  l'épine  de  saint  Fiacre,  Dieu  lui  pardonne  ses 
péchiez  !  Voire  ît  vous  aimait  bien  de  tout  son  cœur  : 
dont  j'afQrrae  qu'es  temps  prétérits,  personne  vivante 
ne  vous  aima  oncques  davanlaige.  Par  quoy  il  nous 
fault  penser  qu'il  vous  cogneust  merveilleusement, 
et  vous  prisait  à  bon  escient  comme  le  meilleur  de 
ses  amis.  Aulcunement  ne  fault  adviser  qu'il  eust 
défailli  d'estre  vostrc  serviteur  en  toute  loyaulté  et 
soubmission  sempiternelle. 


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LKTTBES  DE  flALUNI 


A    MADAME    D'ÉPtNAY 


Jamais  les  retards  de  la  poste,  ma  belle  dame, 
)i 'avaient  tourmenté  mon  Arae  autant  que  cette  fois  ; 
cdOi)  deus  de  vos  lettres  sont  arrivées,  et  Magallon, 
qui  m'a  écrit  aussi,  me  parle  de  votre  santé.  Je  ne 
Euis  point  tranquille  ni  gai  sur  ce  point.  Je  ti'aime 
pas  plus  les  vents  que  la  pluje.  L'année  passée  c'était 
do  l'eau  qui  m'incommodait,  maintenant  ce  sont  des 
vents.  Tranquillisez-moi. 

Je  n'ai  pas  le  temps  de  vous  écrire  ce  soir,  ni  celui 
de  vous  amuser  d'une  autre  taçon,  qu'en  vous  en- 
voyant la  copie  d'une  réponse  qu'il  m'a  fallu  donner  à 
une  lettre  du  maréchal  de  Brissac,  écrite  dans  son 
style  très  original,  que  vous  connaissez  fort  bien;  il 
me  l'a  fait  parvenir  par  la  voie  de  M.  de  Bombelles. 
Comme  ma  réponse,  apparemment,  vous  serait  restée 
inconnue,  je  vous  en  envoie  la  copie  pour  vous  divertir. 
Bonsoir, 


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Ï.ETTRES  DE  6i.LIÀNI 


A   H.    DE   BOMBELLES  ' 


Naplas,  n  octobre  ITT*. 

Très  cher  ami,  votre  longue,  amicale  et  très  aî- 
niable  lettre  du  3S  septembre  exigeait  une  réponse 
également  longue,  affectueuse  et  gracieuse;  mais  je 
suis,  ce  soir,  eu  colère  de  n'avoir  point  reçu  par  la 
poste  de  France  un  paquet  de  200  livres  et  de  ne 
pouvoir  tirer  un  sol  de  mes  abbayes  ;  enfin  je  viens 
d'écrire  des  lettres  foudroyantes  à  mes  débiteurs. 
Voyez  à  quel  danger  d'impolitesse  involontaire  vous 
âtes  exposé.  Le  temps  me  manque;  ainsi  ma  lettre 
ne  sera  ni  longue,  ni  affectueuse,  ni  gracieuse;  elle 
sera  ce  que  Dieu  voudra  :  commençons. 

Militemi  est  parti,  il  y  a  buit  jours,  pour  aller 
prendre  le  commandement  de  l'armée  en  Sicile,  sous 
les  ordres  du  nouveau  vice-roi.  Tout  y  est  do  la  plus 
grande    tranquillité,  de   sorte  qu'il  s'en  tirera  avec 

t.  Cette  lettre  ■  élé  écrite  en  italien.  Ceit  U  traduction  que 


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360  LETTRES  DE  GALIANI 

honneur.  Il  ne  se  mariera  pas,  parce  qu'il  a  des 
neveux;  et  déjà  il  en  a  placé  un  petit  dans  les  troupes. 
A  la  première  promotion,  il  sera  lieutenaot-général. 
A  dire  vrai,  il  mérite  c«tte  fortune  par  l'extrême 
honnêteté  de  son  caractère. 

Caraccioli  est  parvenu  à  désenfler  ses  jambes  en 
faisant  usage  de  vin  ferré  ;  et,  quand  il  mange  peu, 
il  se  porte  très  bien,  et  assez  mal,  quand  il  mange 
beaucoup;  mais  il  faut  convenir  que  très  souvent  il 
n'est  pas  bien  :  il  a  une  grande  impatience  de  partir. 
Ici  la  présence  des  souverains  et  de  la  cour  lui  laisse 
très  peu  de  chose  à  faire. 

On  m'a  dit  hier  que  non  seulement  notre  Fuenlès 
se  portait  bien,  mais  qu'il  s'occupait  de  ses  affaires, 
de  sorte  qu'il  a  arrangé  celle  qu'il  avait  avec  la  maison 
de  Monteleone.  l'en  suis  charmé,  et  je  lui  écrirai 
mardi. 

J'ai  toujours  eu  la  plus  haute  estime  pour  Turgot; 
s'il  reste  en  place,  il  prouvera  ce  qui,  jusqu'à  ce 
jour,  était  problématique,  qu'un  parfait  honnête 
honmie,  tout  vérité,  tout  raison,  tout  philosophie, 
peut  être  coalrôleur^énéral.  Je  suis  de  ceux  qui 
doutent  de  cette  possibilité,  et  j'ai  conçu  une  haine 
et  un  mépris  si  grand  pour  le  genre  humain,  que 
mon  cœur,  tout  en  faisant  des  vœux  pour  lui,  ne 
peut  s'empêcher  de  trembler  et  de  battre  quelque 
peu. 


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LETTRES  DE  GALIÀNI  361 

J'ai  lu  l'édit  '  ;  je  D'y  ai  rien  trouvé  qui  contrariât 
en  rien  la  moiudrs  phrase  de  mes  Dialogues  tant  com- 
battus. Pourquoi  donc  dit-on  du  mal  de  ces  bienheu- 
reux Dialogues,  si  l'on  en  suit  toutes  les  maximes  et 
tous  les  principes?  J'ai  été  le  plus  ardent  prédica- 
teur de  la  liberté  de  la  circulation  intérieure.  J'ai  dît 
aussi  que  l'exportation  devait  y  être  subordonnée. 
Pourquoi  donc  dit-on  chez  Turgot  que  mon  livre  est 
dangereux.  Demandez>lui  hardiment  à  lui-même,  si 
vous  le  pouvez,  qu'il  veuille  bien  m'édaircir  cette 
énigme  qui  me  tient  au  cœur.  Demandez-le  lui  de  la 
part  de  son  meilleur  ami  cl  de  H.  son  très  digne  frère. 
Mes  nièces  n'étaient  pas  le  seul  obstacle  qui  me 
retiut  loin  de  Paris.  Je  ne  désespère  cependant  point 
qu'il  ne  naisse  quelque  occasion  de  me  le  faire  revoir, 
tfais  que  verrai-je  t  Je  verrai  une  Pouzzole,  une 
Herculaaum.  Je  verrai  les  lieux  où  étaient  mes  amis. 
La  mort  ou  les  voyages  les  auront  presque  tous  dis- 
persés, et  je  pleurerai  sur  les  ruines  dâ  Jérusalem, 
comme  un  autre  Jérémie.  Vous  aussi,  vous  vouiez  le 
quitter.  Quitter  Paris  ou  la  vie,  c'est  tout  un.  Ce  sont 
toujours  DOS  plus  chers  amis  qu'il  taut  quitter.  Du 


1.  Un  arrêt  du  Conseil  du  13  septembre  1774  rétablissait  l« 
pleine  lilwrté  du  commerce  des  grains  à  l'inlérieur  cE  révoquait 
les  rèBlerocnU  restricliEi  renouvelé»  par  l'erray  en  décembre  1770  ; 
mais  ie  roi  sjoumait  la  liberté  de  1h  vente  hors  du  royaume 
juaqu'k  ce  que  les  circonstances  fussçnl  devenues  plus  Tavorables. 


JbïGoOgIc 


36S  LETTRES  DE  GALIANI 

reste,  c'esl  un  \ilain  pays  que  Paris,  comme  c'est 
aussi  uDe  chose  bien  dégoûtante  que  ce  1>od  monde, 
où  l'on  n'a  que  de  la  pluie,  du  v^t,  du  chaud  du 
froid,  de  la  puanteur,  des  insectes  et  des  fanges  de 
toutes  les  espèces. 

Madame  d'Ëpinay  a  calmé  un  peu  cette  semaine 
l'inquiétude  qu'elle-même  et  vous  m'aviez  donnée  sur 
l'élat  de  sa  santé.  Laissons  faire  à  Dieu,  et  pourvu 
que  je  ia  retrouve  à  mon  retour  à  Paris,  je  serai 
comme  oet  antiquaire  qui,  voyant  le  Panthéon  à  Rome, 
s'écria  ;  «  Foj'ià  un  monument  assez  bien  conservé*;  o 
et  se  consola  des  ruines  du  resl«. 

Je  voudrais  vous  dire  cent  autres  choses,  mais  il 
est  tard,  et  je  dois  vous  prier,  avant  tout,  de  pré- 
senter mes  respects  à  M.  d'Aranda,  et  de  ne  pas  oublier 
nos  amis,  d'Holbach,  Necker.  les  philosophes  et  même 
les  écoQomistes  qui  parlent  Irançais.  N'oubliez  pas 
l'aimable  duchesse  de  Cossé  et  le  grand  maréchal  de 
Brissac.  Si  vous  voyez  le  comte  ou  la  comlessse  de 
Narbonne-Pelet  ',  qui  demeure  rue  de  la  Planche, 
assurez-la  que  je  pense  toujours  à  elle.  Aimez-moi  et 
croyez-moi  tout  à  vous. 


1.  Le  comte  Louis  de  Narbonne,  chevalier  d'honneur  de  ma- 
dame Adélaïde,  lanie  du  roi,  homme  irËs  remnrqnable  par  sa 
grâce  et  par  son  esprjl.  Madame  l'aimait  beaucoup,  et  lorsqu'il 
sollicita  l'ambassade  de  Russie  en  1784,  elle  appuya  sa  demande 
avec  chaleur;  mais  son  concurreul,  le  jeune  comte  de  Ségur. 
l'emporta. 


jbïGoogIc 


LBTTRE3  DE  GAITANI  3U 

P.  S.  ATez-vouB  fait  quelque  chose  pour  le  pauvre 
NicolaTt  t'en  ai  causé  ici  trait  Toia  avec  Cwaocioli, 
et  nous  ne  trouTons  rien. 


\    MADAME    a  ÉPINAY 


C'est  cela  qui  s'appelle  de  belles  lettres,  ma  belle 
dqipe,  et  bien  sublimes  !  Vous  êtes  debout,  vous 
n'étouffez  plus,  vous  êtes  donc  soulagée,  quoique 
vous  n'en  disiez  mot  :  celte  réticence  est  sublime? 

Les  grands  et  petits  philosophes  vont  arriver.  Ils  ar- 
rivent précédés  de  squelettes,  de  domipos  et  de  pan- 
toufles. Quelle  profondeur!  quelle  sublimité!  J'en- 
tends. Le  philosophe  dit  par  le  domino,  que  le  monde 
n'est  qu'une  mascarade  ;  par  le  squelette,  que  la  mort 
démasque  tout,  et  par  la  panloufle,  qu'il  n'y  a  de 
vrai,  de  solide,  de  sérieux  dans  !e  monde,  qu'une  jolie 
pantoufle  d'une  jolie  femme.  Tous  les  anciens  sages 
ont  parlé  par  rébas.  Embrassez  donc  bien  fort  de  ma 
part  tous  ces  revenants.  Vous  aurez  eu  par  surcroit  le 
baron  de  Gleicben;  embraisez-le  de  ma   part  aussi. 


jbïGoogIc 


36*  LETTRES  DE  GALIANl 

et  dites-lui  que  j'ai  reçu  sa  lettre,  et  que  je  lui  ré- 
pondrai samedi  prochain. 

Si  vous  Jic  me  dites  pas  le  nom  du  voyageur,  je  ne 
saurai  jamais  s'il  a  rempli  sa  commission  ou  non,  11 
y  a  eu  ici  un  abbé,  ami  de  d'Alembert,  qui  m'a  cher- 
ché sans  me  trouver,  et  qui  s'en  est  allé  vite  à  Rome 
voir  mouler  un  pape.  Serait-il  le  voyageur  en  ques- 
tion? S'il  l'est,  il  a  oublié  la  lettre  dans  sa  poche. 

Pour  ma  toile  de  coton,  j'ai  enfin  décidé  de  traiuer 
cet  hiver,  le  mieux  que  je  pourrai,  eu  rapetassant 
mes  vieilles  chemises.  Au  printemps,  vous  aurez 
M.  de  Ciermont  d'Amboise,  qui  partira  pour  venir  ici 
jouer  le  rAle  d'ambassadeur.  C'est  à  lui  que  vous  don- 
nerez )a  pièce,  et  je  l'aurai  sans  frais  et  sans  escamo- 
tage. N'ai-je  pas  bien  pensé?  Je  suis  sublime  aussi 
quand  je  m'en  m6Io. 

J'ai  marié  deux  de  mes  nièces,  c'est  vrai  ;  mais  je 
De  les  ai  pas  encore  dotées,  voilà  le  diable;  et  voilà  un 
reste  bien  considérable  d'ennuis  et  d'embarras  qui  me 
retiennent  ici,  ut  me  retiendront  tant,  que  j'arriverai  à 
Paris  au  moment  précis  qu'on  brûlera,  par  la  main 
d'un  boulanger  ',  les  Ëpkémérides  du  citoyen,  par 
décret  du  parlement  '. 


1.  Pertlsan  de  Boullaoger.    . 

2.  Il  élait  difficile  de  mieui  prévoir  l'avenir;  en  1776,  après 
la  cloute  de  Turgot,  non  seulement  on  lupprima  les  Ephêmèriies 


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LETTRES  DE  GALIANI  365 

Relisez  mes  lettres;  voyez  si  votre  maladie  vous  a 

laissé  des  arrérages  qui  me  soient  dus.  J'entends  en 

être  payé  et  soldé,  et  j'ai  un  souvenir  confus  de  vous 

avoir  mandé  bien  des  choses. 

Nous  avons  ici  le  duc  de  Luxembourg  '  et  la  nièce 
du  cardinal  de  Bernis  '  :  je  suis  toujours  avec  eux,  et  je 
rappelle  Paris  à  mon  souvenir.  Caraccioli  a  décidé  son 
départ  dans  un  mois  d'ici;  il  emportera  des  jambes  à 
vendre  à  Vestris.  C'est  une  bonne  manufacture  de 
jambes  que  celle  de  Naples;  mais  les  têtes  qu'on  y 
travaille  ne  valent  en  général  rien:  elles  sont  laides  et 
creuses.  Adieu.  Bonsoir. 


du  cilov«»,  mais  encore  les  auleun  de  ce  recaeil,  les  abbés  Bau- 
dean  et  Roubaud  fureol  tralaés  en  juitice  et  eiilés  en  provlnce- 

1.  11  se  St  remarquer  plus  tard  comme  nicmbre  des  Emis  gé- 
nërsni.  ■  Né  avec  de  l'esprit,  de  la  grflce,  de  l'aoubilité,  un 
penchant  marqué  pour  la  paresse,  pour  les  choses  eitraordinaires 
qui  ne  gênent  pas,  il  arail  une  hauteur  difficile  à  allier  avec  la 
connaissance  des  hommes  et  des  choses.  >  [Galerie  des  Elats 
générauT.  Laxem.) 

i.  Marie-ChrisiiDe-.Tbérèse,  Qlle  de  Claude  de  Marbanne-Felet 
et  d'Helène-Franfoise  de  Pierre  de  Bernis,  épousa  le  loerquis 
de  Puy-Uontbnia,  mestre  de  camp  de  cavalerie.  Elle  éialt  nièce 
par  sa  mère  du  cardinal  de  Bernis,  ministre  des  aCTaires  étran- 
gères sous  Louis  XV.  Elle  a  écrit  sous  la  dictée  dn  cardinal  le 
manuscrit  des  mémoires  de  celui-ci. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIAME 


naples,  ig  novembre  ITTI. 

Je  De  doÎB  donc,  ma  belle  dame,  toos  parler  que  de 
lui  '?  A-Hl  vu  notre  aim&ble  prioce  de  Sase-Gotha? 
A-t-il  lu  la  lettre  par  laquelle  je  l'ai  remercié  de  la 
médaille  d'or  qu'il  m'envoya?  Qu'a-f-il  fait  dans  ce 
triste  nord?  A-t-ÎI  assuré  son  état  avec  de  bonnes  pen- 
sions et  de  légères  correspondances  '  ? 

Caraccioli  dit  qu'on  ne  Tirera  rien  de  ces  deux  voya- 
geurs, car  l'un  dira  ce  qu'il  n'a  pas  vu,  l'autre  ne  dira 
pas  ce  qu'il  a  vu  ;  et  je  crois,  ma  foi,  qu'il  a  raison  '  î 

1.  Grinm. 

3.  Grirom  resU  en  correapnadance  ivee  llmpératriee  Csibe- 
riae  pendant  viagt-deui  ans. 

3.  GriinmetDiderot  revenaient  de  Russie,  comblés  des  préscnl» 
de  limpéMlricB.  L'un  et  l'autre  étaient  ravis  de  leur  voyage. 

I  M.  Grimm  est  de  retour,  écrit  madcfflotselle  de  Lespi nasse, 
Je  l'ai  accablé  de  questions.  Il  peint  la  czarine,  noD  pas  comme 
une  souveraine,  mais  comme  une  femme  aimable,  pleine  d'es- 
prit, de  saillies  et  de  tout  ce  qui  peut  séduire  et  charmer.  Dans 
tout  ce  qu'il  me  disait,  je  reconnaissais  plutôt  cet  art  charmant 
d'une  coartbane  grecque,  que  la  dignité  et  l'éclat  de  l'impéra- 
trice  d'un  grand  empire.  Hais  il  noua  revient  tineautremonière 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  CALIANI  367 

Mes  Dialogues  sont  en  vente?  Est-ce  qu'ils  étaient 
défendus?  Vous  m'encouragez  à  les  achever.  Rien  n'est 
si  vrai  qu'un  dixième  dialogue  manque  :  maïs  le  moyen 
de  l'achever  1  Ma  verve,  mon  esprit,  ma  force,  mon 
loisir,  tout  a  manqué.  Je  ne  vois  qu'un  seul  moyen 
d'ajouter  quelque  chose  &  une  seconde  édition  ;  ce  se- 
rait d'y  insérer  tous  les  articles  des  lettres  que  j'ai 
écrites,  relatives  au  même  objet,  à  Suard,  à  Morel- 
let,  à  vous,  à  M.  de  Sailine,  et  k  bien  d'autres, 
dont  je  ne  me  souviens  plus  à  présent.  Je  pour- 
rais vous  envoyer  aussi  une  consultation  que  je  lis, 
pour  la  république  de  Gênes,  l'année  passée,  sur  la 
même  question  de  liberté  d'exportaliou.  Eniin,  si  avec 
de  vieilles  productions  de  ma  tête,  il  y  a  de  quoi  ren- 
dre plus  intéressant  l'ouvrage,  à  la  bonne  heure  I  sans 
cela,  je  ne  vois  pas  moyen  d'y  rien  ajouter.  Si  Merlin 
avait  payé,  j'aurais  plus  de  courage  ;  mais  ce  premier 


d'un  plus  grand  peintre,  c'est  Dideroi:  il  m'a  fait  dire  que  Je  le 
verrais  demain  :  j'en  serai  bien  aise.  Mats  dans  la  disposition 
oii  je  suis,  c'est  rhonune  du  monde  que  je  voudrais  le  moina 
voir  habituellement  :  il  force  l'attention  et  c'est  assurément 
ce  que  je  ne  puis  ni  ne  veux  accorder  de  suite  il  personne 
au  monde.  ■  —  •:  A  propos  de  Diderot,  dit  La  Harpe,  je  l'ai 
Ti]  depuis  son  retour  de  Russie.  Il  ne  tarit  poiot  sur  les  merveil- 
les de  ce  pays  et  de  In  cour  de  Pétersbourg.  11  en  parle  i  tous 
cent  qu'il  rencontre,  avant  de  leur  avoir  dit  bonjour.  Il  pré- 
tend que  la  tête  lui  aurait  tourné  s'il  était  resté  plus  longtemps 
à  Pétersbourg,  «  Je  crois  que  j'ai  bien  fait,  me  dit-il  de  mettre 
l'espace  de  CIX>  lieues  entre  cette  sublime  magicienne  et  moi.  ■ 
(La  Harpe,  Cor.Litt.) 


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368  LETTRES  DE  GALIANI 

malheur  m'a  tellement  abattu,  que  jo  ne  trouve  pas 
de  forces  en  moi  pour  m'occuper,  dans  un  pnys  où 
rien  ne  m'électrise,  à  des  études  qui  ne  serviront  qu'à 
me  faire  briller  dans  un  pays  où  je  ne  suis  plus. 

On  a  traduit  ici,  en  italien,  t'édit  de  H.  Turgot  ', 
et  on  l'a  imprimé  à  cdté  du  teste,  avec  une  dédicace 
au  nouveau  vice-roi  de.  Sicile.  Cela  fait  une  pièce  tout 
à  fait  curieuse.    . 

Caraccioli  partira  dans  quinze  jours.  Il  emmène  avec 
lui  des  excellents  chevaux  napolitains;  il  les  a  préférés 
aux  hommes  avec  raison.  Le  duc  de  Luxembourg  par- 
tira de  même,  saoulé  de  nos  dames  ;  il  les  préfère  de 
même  aux  hommes,  et  avec  raison. 

Moi.  je  reste  tristement  occupé  de  recouvrer  le  bien 
de  mon  frère,  de  le  partager  à  mes  nièces,  et  de  juger 
des  procès.  Quelle  vie!  vous  n'en  avez  point  d'idée. 

Aimez-moi,  ma  belle  dame;  je  ne  suis  bon  à  rien  ce 
soir.  Vous  te  voyez.  Point  de  vos  lettres  cette  semaine. 

1.  Voir  la  lettre  du  99  ociobre  1774. 


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LETTRES  DE  GàLUNI 


A   LA  HÈHE 


Niiples.  10  décembre  lit*. 

Peste  soit  de  t'Allemaud  M  II  est  doac  toujours 
ivre?  Toujours?  Et  ne  voit-il  pas  qu'avec  ses  propos 
bêtes,  de  retour  et  de  Douveaux  voyages,  il  vous  em- 
pêche de  vous  bien  porter,  selon  mon  ordomiancc. 
Enfin,  ma  belle  dame,  prenez  patience;  attwdez  qu'il 
ait  cuvé  son  Nord.  Lorsqu'il  sera  rassis,  je  me  llattc 
qu'on  se  frottant  les  yeux,  il  dira  :  que  j'étais  ivre  ! 

Vous  prétendez  de  moi  qu'après  une  lecture  profonde 
de  Rabelais,  je  sois  décent  dans  mon  style.  Y  songez-vous? 
N'avez-vous  jamais  lu  Rabelais  ■?  Eli  bien,  lisez-le 
donc,  et  covoyez-lc  parcourir  aux  commis  des  postes. 
A  propos  de  Rabelais,  je  suis  enchanté  que  la  copie  de 
ma  lettre  à  Gargantua-Brissac  vous  soit  parvenue,  car 
je  crois  l'original  égaré.  Il  est  bon  que  vous  sachiez 


s.  Voici  ladèÛDiliuu  nat  un  liste  que  Giliaol  donnait  de  R 
■  Il   ressemble  au  c.    d'un  pauvre    bonune,    fral«,    dodu, 
sale  et  liieo  porlanl.  > 


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alto  LKTTftKS  DK  OALIAMI 

que  j'ai  eavoyé  ma  lettre  au  diic  de  Briasac,  incluse 
dans  celle  que  j'ai  écrite  &  H.  de  Bombelles  ', 
qui  était  à  Naples  avec  le  baroQ  de  Sreteuil,  et  je  n'ai 
pas  eu  de  réponse  d'aucun  des  deui.  La  même  chose 
m'est  arrivée  avec  M.  le  baron  de  Breteuil,  à  qui  j'ai 
écrit  depuis  trois  mois,  et  point  de  réponse.  T&clie£  de 
connaître  ce  H.  de  Bombelles.  C'est  un  très 
aimtble  garçon,  d'un  grand  mérite,  et  digne  tout  à  tait 
d'être  connu  de  vous.  Madame  Geoffrin  vous  en  donnera 
des  tiouvelles.  Tâchez  donc  de  savoir  s'il  a  reçu  ma 
lettre,  et,  en  cas  de  désespoir,  commuuiquez-Iui,  de 
gr&ce,  ma  lettre  au  maréchal  de  Brissac  :  tien  ne  dé- 
sole autant  qu'une  lettre  égarée. 

Votre  Erington,  chargé  du  paquet  pour  moi,  est 
attendu  d'un  jour  à  l'autre.  Ne  soyez  donc  pas  inquiète. 

J'ai  vu  tout  ce  qui  s'est  passé  au  mémorable  Ut  de 
justice  ;  Je  ue  sais  pas  ce  qu'on  en  dira  :  pour  moi, 
j'y  vois  le  retour  des  personnes,  et  je  n'y  vois  pas  le 
retour  de  la  chose  '.  On  avait  aboli  un  parlement,  on 


I.  Voir  lea  lettres  du  8  octobre  1TT4> 

S.  Feu  de  tein[M  apiii  son  iiènement,  Laait  XVI  dnt  té- 
Mudre  la  grave  quesiion  des  pirlemeots.  Kirdertil-il  lei  ptrle- 
menls  Haupeou  on  levleodrail-ll  aui  anciens  parlements?  Turgot 
était  pour  le  système  Haupeon;  Haurepas,  au  coo traire,  qui  vo/ait 
que  l'esprit  pubilc  y  était  opposé,  persuada  au  roi  le  rappel  des 
anciens  magistrats.  Uais,  comme  le  dit  Galiani,  c'était  le  retour 
des  personnes,  non  pas  le  r«tour  de  U  chose,  car  on  inpoaa 
an  parlement  rappelé,  à  peu  de  cboses  près,  le  régime  de  Hin- 
peou.  Le  IS  norenlm  11T4,  Jour  d«  la  rentrée  unueUe  des 


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LETTRS9  DE  GALIÂNl  31] 

a  rétabli  un  CSifttelet.  S'ils  sont  justiciables  d'une  cour 
de  notables,  ils  ne  sont  plus  une  cour  souveraine  ;  ergo, 
etc.  Biais  je  vois  que  dans  ce  monde,  pour  jouir  de  la 
vie,  il  tàut  s'occuper  toujours  des  personnes,  jamais 
des  choses.  Les  choses  appartiennent  à  la  durée  des 
temps,  aux  révolutions  des  empires,  à  l'histoire,  et  cela 
ne  nous  fait  rien  du  tout.  Les  personnes  touchent  à 
la  jouissance  de  l'individu  dans  le  court  espace  de 
notre  vie;  ainsi,  puisque  les  personnes  sont  contentes 
d'être  rentrées  d'une  façon  quelconque,  soyons-en  con- 
tenir aussi. 

Richard  de  Glaniëres  a  donc  été  morfondu  par  l'abbé 
Badot  ' .  Ne  craignez  pas  l'inondaliou  des  pamphlets  : 
nn  s'en  lasse.  Le  premier  pas  en  avant  que  H,  le 
contrdleur-général  voudra  donner  ,  on  lui  écorcbera 
les  oreilles  à  force  de  cria  et  d'un  tintamarre  horrible  ; 
et  peut-être  on  l'épouvaDtera  au  point  de  le  faire 
reculer. 


vacance*)  le  roi  tint  uo  lit  de  justice  et  haraDgua  les  magiilrats 
qui  raTenalent.  Les  aucieDiiei  magistralures  furent  rétablies. 
Toute  interruption  de  service  de  la  pari  du  parlemeni  datait 
èlre  considérée  comme  Torfoiture,  et,  dans  ce  cas,  la  grand 
Conseil  remplaçait  de  droit  le  parlement. 

I.  Richard  des  GlaDiËres  arait  publié  uu  plan  d'imposition 
économique  et  d'adminislralion  des  Finances,  présenté  à  H.  Tur- 
got,  1774.  Les  Qnanclers,  les  fermiers  géoéraui  surtout,  furent 
exaspérés  de  ces  plans.  L'abbé  Baudeau  répondit  par:  QuettUm* 
proposas  à  M.  Richard  d»*  Glaitiérti  tur  tm  plan  soi-disant 
éçoiumitiu. 


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LETTRES  DE  GALIÀNI 


Mon  état  ici  est  toujours  le  même  ;  très  eoouyeux  et 
très  occupé.  Plaigaez-moi.  Ce  soir  je  ne  vous  en  dirai 
pas  davaatage.  Aimes-moi,  et  accoutumes>vous,  comnoe 
je  fais,  à  n'aimer  que  les  absents.  Bonsoir. 


A     LA    MÊME 


Naple:,  la  vi 


Votre  lettre  du  23  juillet,  livrée  à  M.  Ëringloo, 
est  enfin  dane  mes  mains  depuis  trois  jours.  Soyez 
donc  tranquille  sur  un  objet  qui  commençait  à  vous 
tracasser  l'imagination.  Parlons  d'autre  cbose. 

Si  la  cbaise  de  paille  a  le  plaisir  de  voir  descendre 
à  Paris  le  thermomètre  autant  qa'k  Pétersbourg,  il 
peut  donc  y  rester  sans  aller  cliercher  les  frimas  si 
loin.  Nous  avons  eu  toutes  les  autres  horreurs  des 
saisons,  hormis  le  l'roid.  Lorsque  la  paix  est  universelle 
dans  le  monde  (comme  il  arrive  à  présent  par  une 
combinaison  bien  rare),  c'estaux  éléments  à  s'enireluer. 
Il  n'y  a  que  Horellet  qui  guerroyé    avec  moi   '.   ie 

1 .  La  réfulation  de»  ■  Diatogaei  de  Gaiiani  lur  h  cotnmtrcv  de« 
(rJ«  >  veiMil  de  piralire.  Oa  »e  rappelle  que  cette  rituliUun, 


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LETTRES  DE  GALIANI  313 

serais  bien  curieux  de  voir  son  livre,  si  cela  se  pouvait 
sans  Irais  de  transport.  Je  gagerais  qu'il  me  prële  des 
opinions  que  je  n'ai  jamais  eues,  pour  les  combattre 
ensuite  à  toute  force. 

Savez-Tous  que  je  reçois  des  compliments  de  toutes 
parts,  d'Italie,  d'Allemagne,  ete.,  sur  ce  qu'on  croit  que 
M.  Turgol  a  lire  de  mon  livre  tous  les  principes  de  son . 
édit,  et  de  ce  qu'il  en  a  adopté  le  système  en  entier, 
d'encourager  la  circulation  intérieure,  et  de  ne  s'occu- 
per que  de  cela?  Dites  ce  que  jo  vous  mande,  et  qui 
est  très  vrai,  à  Morellet,  et  voyez-le  expirer  de  chagrin. 

Je  snis  au  désespoir  d'oublier  toujours  ce  que  je 
vous  mande,  et  de  n'avoir  pas  le  t«mps  de  tirer  une 
copie  de  mes  lettres.  Parexemple.je  n'ai  rien  entendu 
à  un  reproche  de  polissonnerie,  que  vous  me  fîtes 
l'avant-deniiëre  lettre;  et  je  n'entends  rien  à  un  com- 
[diment,  que  vous  me  laites,  sur  ce.  que  j'ai  écrit  à 
Hagallon  ;  je  ue  m'en  souviens  point  du  tout.    . 

J'attendrai  le  baron  Bullo',  et  je  lui  rendrai  les 
soins  qui  dépendront  de  moi.  Hais,  de  mon  cAté,  je 
suis  si  occupé  qu'il  m'est  impossible  de  S4^gner  per- 
sonne. Il  liaut  que  je  finisse.  Adieu. 

raaTTe  de  Horellet,  avait  été  saisie  en  17TD  et  déposée  h  la  Bastille, 
Le  nonteau  ministère  aatorlia  Morellel  i  mettre  cet  oairra^ 
en  renie. 

1.  Probablement  le  baron  de  Buiow,  publidste  allemand  dls- 
liogué.  Ses  ouvrages  d'histoire  et  de  juriiprudence  sont  estimés. 
(11*3-1810:) 


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tETTRES  DE  GALIANt 


A    LA    HËHE 


lt«p!8S,  7  JsavJer  MIS. 

Parbleu,  ma  belle  dame,  quand  tous  tous  en  mêlez, 
TOUS  âtes  sublime  aussi  dans  Totre  genre,  qui  est  la 
connaifisance  de  l'allure  des  hommes  I  Rien  n'est  si 
rrai.  Après  avoir  reçu  votre  erlngtonienne,  la  paresse 
m'a  pris  :  je  n'ai  point  relu  vos  lettres  et  je  me  les 
suis  tenues  pour  entendues,  quoique  je  n'y  eusse  rien 
compris.  A  vous  dire  vrai,  ce  que  vous  mandez  sur  le 
compte  du  Révérend  Père,  à  qui  tous  faites  jouer  un 
rô!e  dans  votre  coterie,  me  parait  sf  peu  assorti  & 
son  ige,  que  je  suis  tenté  de  croire  qu'il  y  a  quelque 
erreur  dans  la  dénomination.  A  cela  près,  tout  le  reste 
est  comme  je  l'aTais  préTu  et  mtoie  prédit  à  vous- 
même. 

Ce  que  vous  me  mandez  à  propos  de  votre  santé 
est  si  réjouissant,  si  consolant  pour  moi,  que  tous  ne 
sauriez  l'imaginer.  Vous  Toyez  que  tout  mon  Paris, 
mon  cher  Paris,  se  trouTe  réduit  à  tous  lout«  seule  à 
présent.  Si  je  vous  perdais,  je  perdrais  Paris  &a  entier. 


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LETTRES  DE  GAtlAifl  3» 

Hais  après  tout  c«  qae  vous  avez  souffert,  et  dans  un 
ftg«  si  critique,  se  bien  pwter,  m'assure  eneore 
quarante  années  de  correspcnidanGe,  et  j'en  ai  assez 
pour  moi  et  presque  assez  pour  tous. 

Pour  oe  qui  est  de  composer  des  dialogues,  ne  m'en 
paries  point  à  présent.  II  fout  que  Je  sorte  de  mes 
nièces  et  de  leurs  dots,  au  préalable.  La  chicane  est 
long;ue  k  Paris,  étemelle  h  Naples.  Cependant,  comme 
je  suis  d'une  activité  k  morfondre  l'éternité  elle-mârae, 
j'espère  qu'an  mois  demai,  je  pourrai  respirer  ud  peu. 
A  présent,  je  ne  suis  occupé  que  d'inventaires,  ventes 
de  livres,  tableaux,  estampes,  louages  de  maisons, 
baux  de  petites  terres,  et  de  grands  procès  avec. 
Plaignez-moi,  je  suis  pitoyable. 

Embrassez  mon  cher  baron  Kock,  que  je  croyais 
mort  à  Montpellier  ;  n'embrassez  pas  l'autre  baron 
Gleîchen,  car  vous  vous  y  prendriez  fort  gauchement; 
je  ferai  cela  beaucoup  mieux  moi-même,  l'année  qui 
vient.  En  attendant,  dites-lui  ■jncèrement  que  je  ne 
lui  ai  point  écrit,  de  crainte  que  ma  lettre  ne  s'égarât 
k  la  poste,  comme  i|  Ri'est  arrivé  avec  celles  au  baron 
de   Breteuii,  à  M.  de  Bombelles  et  à  bien    d'autres. 

Cela  me  jette  toujours  dans  de  telles  rages,  que  je 
perds  le  courage  d'écrire  à  qui  que  ce  soit.  Au  reste, 
dites  au  baron  que  son  vin  de  Lipari  lui  aurait  été 
envoyé,  si  son  banquier  de  Venise  avait  remis  ici 
l'aident  à  D.  Michel,  ce  que  ledit  banquier  n'a  point 


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37fl  LETTRES  DE  GAIIANI 

l'ail  ;  pourquoi  ledit  D.  Michel  n'a  point  acheté  Jcdil 
vin,  pour  l'envoyer  audit  baron  ;  et  n'ayant  pas  acheté 
ledit  vin,  11  aurait  demandé  audit  abbé  de  Galiani  la- 
dite somme,  que  letlit  abbé  n'a  pas  pu  lui  prêter,  et 
pour  cause.  A  ces  fins,  je  suis  d'avis  que  ledit  baron 
boive  de  l'eau  de  Spa  en  attendant,  et  achète  son  vin 
de  Lipari  ù  Napics,  quand  il  y  viendra. 

Décrassez-moi  bien  ce  russe  ou  rustre  qu'il  est. 
Hemettez-le  à  la  roue  pour  que  tout  le  rouillé  s'en 
aille,  et  qu'il  soit,  comme  il  était  ci-d<>vant,  le  plus 
maniéré  de  tous  les  lamentins  ', 

Mille  choses  à  mon  excellent  chevalier.  Ce  pauvre 
prince  laisse-t-il  quelque  espoir  *  ? 

Aimez-moi,  etporlez-vous  bien.  Caraccioli  voudrait 
trop  guérir  de  ses  jambes;  mais  à  son  itge,  il  Tant 
songer  à  vivre,  et  pas  à  guérir.  Adieu. 


1.  Il  «'agil  de  Grimm.  Pourquoi  GalisDi  le  déwgne-l-il  tinulf 
Lanunttn  ou  Lameotin  Mioatus,  <le  l'espa^ol  lo  manato,  l'ani- 
mal A  maina,  est  atasi  nommé  de  la  ressemblance  grossière  de  ses 
membres  aotérieurs  avec  des  mains.  On  lui  a  donné  rulgai- 
rement  le  nom  de  siri'De  ou  remme  marine. 

3.  PIgnalelli  était  dangereusement  malade. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  (iALUM 


Hapl*!,  u  |nnvi«r  tns. 

Notre  aventure  est  bien  boone,  notre  bonheur  est 
sans  égal.  Votre  n'OB,  qui  m'aurait  effrayé,  s'est  égaré  ; 
le  n'IOO,  qui  ine  rassure  sur  l'état  de  volr«>  santé, 
est  arrivé  nain  et  sauf,  et  j'apprends  que  je  ne  dois 
pas  trembler,  avant  que  d'avoir  eu  peur.  Mais  voiis, 
auricz-vous  peur,  si  je  vous  disais  que  j'ai  un  anthrax 
très  douloureux  dans  le  bord  des  narines,  qui  m'a 
causé  trois  fièvres,  et  qui  me  foit  souffrir  horriblement 
ce  soir? 

l-c  baron  Bullo  est  ai'rivé,  et  m'a  remis  votre  livn?  '  : 


I.  Les  Conv»nationt  d'Émilit,  pir  madame  d'Épinaj',  publiées 
pour  ta  première  Toit  en  1T74,  Ce  n'est  qu'eo  17S3  que  l'Aeadémle 
rran{aise  donna  1  cet  onvra^  le  prix  d'utililë,  fondé  par  H.  de 
Monthyon,  alors  chancelier  de  H.  In  corate  d' Artois .  L'impéralrlce 
Catherine  fui  encliintée  de  ce  livre,  qu'elle  nt  traduire  en  ruise, 
el  elle  permit  qae,  dans  les  éditions  suivantes,  il  lui  fût  dédié. 
Elle  Toulat  connaître,  au  moins  par  lettre,  la  iietite  Emilie  (plus 
Urtt  .madame  de  Buell],  et  cette  correspondance  devint  l'origine 
de  la  protection  qu'elle  accorda  à  la  famille  de  Bueil  pendant 
l'émigration. 


jbïGoogIc 


ne  tSTTBES  DE  GALIANI 

VOUS  ea  Tondriez  mon  sentiment,  je  le  vois  d'id;  mais 
j'ai  eu  la  fièvre,  les  feuillets  n'étaient  pas  coupés,  et 
ils  sont  d'un  papier  très  acariâtre.  J'ai  donc  lu  par 
bouts  et  morceaux.  Tout  ce  que  je  vous  en  dirai  ce 
soir,  c'est  qu'il  m'a  paru  très  original  et  très  nouveau, 
à  cause  du  genre.  |l  y  a  une  infinité  de  dialogues 
didactiques,  mais  tous  prennent  l'écolier  quelques  tons 
plus  baut.  Vous  le  prenez  au  bégaiement,  pour  ainsi 
dire,  ce  qui  n'avait  été  encore  fait  par  personne  ;  mais 
an  fond,  en  touchant  par  le  g,  sol,  ut,  vous  prenn  la 
base  fondamentale  de  tout  le  savoir  humain.  Je  vous 
dirai  aussi  que  vous  avez  élé  furieusement  aidée  par 
Emilie,  qui  a  composé  en  entier  son  rdie,  sans  quoi 
vous  ne  vous  en  seriez  jamais  tirée. 

Je  souffre  ou  nez  comme  un  malheureux,  ainsi  je 
vous  quitte.  Je  ne  souhaite  qu'une  douzaine  de  chemi- 
ses de  coton,  par  la  voie  de  H.  de  Clermont.  Nous 
sommes  entendus  sur  la  qualité  et  sur  le  prix.  Je 
■ouifre.  Bonsoir. 


jbïGoogIc 


L8TTRE3  DB  GAtUNI 


IfaplM,  M  juiTier  nn. 

Savez-Tous  bieo,  ma  belle  dame,  que  vous  avez 
pensé  me.faira  étouffer  à  force  de  rire.  Si  j'en  étais 
mort,  Totre  livre  en  aurait  été  la  cause.  Cette  dixième 
conversation  est  chose  incroyable  (car  le  mot  ehef- 
d^mtvre  e»l  trop  avili).  Emilie  s'est  surpassée  ella-mAïQe 
en  contant  ce  conte  des  et  puis.  Mon  Dieu,  quel  conte  l 
Ah  ça,  je  rêve  depuis  quelques  jours  à  décider  à  quoi 
votre  livre  est  bon,  et  je  crois  l'avoir  trouvé.  Je  m'en 
servirai  comme  d'une  pierre  de  touche  pour  connaître 
les  hommes.  Voici  un  échantillon  de  la  table  de  ce 
HPuveau  baromètre. 

Ceux  qui  diront  que  ce  livre  est  bon,  ntile.  mats 
i|U'on  aurait  pu  le  faire  mieux,  et  le  rendre  plus 
instructif,  ce  sont  des  têtes  bornées,  petits  esprits 
rétrécis. 

Ceux,  qui  ne  le  goûteront  point  du  tout,,  ce  sont  dss 
plate  b ,  sans  ftme  ni  coeur. 

Ceux  qui  le  UwiverODt  parbit,  ce  sont  des  flatlMirs. 


jbïGoogIc 


380  LETTRES  DE  UALIANI 

Ceax  qui  le  trouveront  d'une  gaieté  et  d'uoe  naïveté 
originales,  qui  en  étoufferont  de  rire,  et  qui  ne  le 
trouveroul  utile  en  rieo,  parce  que  rien  n'est  utile  à 
l'éducation,  attendu  que  l'éducation  est  en  entier  un 
effet  du  hasard,  autant  que  la  conception,  ce  sont  des 
hommes  sublimes,  Diderot,  Grimm,  Gleiclien  et  votre 
serviteur. 

J'en  étais  là,  lorsque  votre  n"  i  m'arrîvc.  Il  m'ap- 
prend que  votre  état  sera  incurable.  Tant  mieux  !  car 
la  mort  est  une  espèce  de  guérison .  Je  ne  demande 
pas  que  vous  guérissiez;  je  demande  que  vous 
viviez. 

Caraccioli  se  porte  à  merveille  ;  il  s'est  arrêté  parce 
que  l'horreur  du  grand  hiver  lui  a  fait  peur.  Il  par* 
lira  en  carême  ;  en  attendant,  il  verra  si  dans  la  pro* 
motion  il  aura  le  cordon  qu'il  désire,  quoique  sans 
impatience. 

J'apprends  le  succès  de  votre  livre,  comme  nou- 
veauté. C'est  une  autre  espèce  de  succès  qui  n'entre 
pas  dans  mon  tableau.  Il  prouve  uniquement  que 
l'ouvrage  est  original,  et,  par  conséquent,  en  sortant 
du  ton  monotone  des  platitudes  courantes,  il  plaît  par 
sa  nouveauté. 

L'opéra  le  Conclave  n'a  de  beautés  que  pour  ceux 
qui  savent  Hétastasio  par  cœur  ;  je  gagerais  d'en  faire 
un  qui  tournerait  les  têtes  à  tout  Paris,  car  il  serait 
cousu    de    morceaux    de  Voltaire,  de  Corneille,  etc. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANl  3S1 

Chaque  nation,  chaque  langue  a  ses  plaisanteries 
qu'on  ne  saurait  dépayser. 

Le  duc  de  Luxembourg  part  demain.  H.  de  Cler- 
DWnt  fera  mon  bonheur  ici.  Si  tous  voulez  le 
charger  d'un  almanach  royal,  outre  ta  toile,  cela  me 
fera  plaisir.  Enfin  je  prendrais  avec  plaisir  des  jarre- 
tières de  femmes,  sans  odeurs,  mais  élégantes  :  car  on 
ne  se  connaît  point  eu  jarretières  ici,  et  j'en  voudrais 
répandre  la  mode.  Le  retroussement  étaut  venu  à  la 
mode,  il  est  temps  de  perfectionner  les  jarretières. 
J'en  voudrais  avec  des  agrafes  d'argent  à  plusieurs 
trous,  pour  les  serrer  plus  ou  moins,  car  nos  cuisses 
sont  diablement  épaisses.  Bonsoir;  8imez.moî. 

P.  S.  H.  de  Bombellcs,  qui  était  ici,  n'a  pas  reçu  ma 
lettre  '  avec  celle  au  maréchal  de  Brissac.  De  grâce, 
faites-lui  en  par\'enir  la  copie;  n'y  manquez  pas. 

1.  Voir  let  lettres  du  8  octobre  1774. 


jbïGoogIc 


LKTTRK8  DK  GALUNl 


Hapleg,  ig  ttvricr  1711. 

Votre  lettre  du  23  janvier,  ma  belle  dame,  a  eu  la 
force  de  me  remettre  ea  gaieté,  par  la  iKume  humeur 
dont  elle  est  assaisomiée.  J'ea  avais  bien  besoin  dans 
l'état  où  je  suis.  Au  milieu  des  a&ires  chagriaaate6,qui 
m'accablent  de  tous  les  cAtés,  voici  ce  qui  vient  de 
m'arriver.  On  m'annonce  qu'à  la  poste  de  France  il  y  a 
pour  moi,  et  à  mou  adresse,  un  petit  paquet  estimé 
21  ducats  napolitains,  ce  qui  fait  cent  francs  de  France 
juste.  On  me  somme  de  le  retira  et  d'en  payer  la 
taxe,  sous  peine  d'être  privé  de  toutes  autres  lettres. 
Imaginez  mes  furies.  Je  n'attendais  rien  de  France; 
je  n'avais  rien  demandé  à  personne.  Je  rêve  à  ce  que 
cela  peut  être  ;  et  comme  on  m'assure  que  c'est  un  livre 
in-8°,  je  ne  puis  soupçonner  que  ce  soit  autre  chose 
que  le  livre  de  Panurge,  qu'il  a  la  cruauté  de  m'en- 
voyer  de  la  façon  la  plus  sanglante,  ou  que  ce  soit  l'ai* 
manach  royal  de  l'année,  dont  H.  le  baron  de  fireteuil  a 
voulu  me  ^ire  présent.  Pour  m'en  éolaircir,  je  demande 


jbïGoogIc 


LKTTRBS  llE  GALlANl  SM 

&  voir  le  paquet  sans  le  retirer  :  oa  me  le  refuse  flet. 
AiasI  je  reste  dans  l'obscurité,  et  toujours  condamné  & 
oent  Unes.  Je  prends  le  parti  de  requérir  qu'on  le  reo* 
voie  à  Rome  au  directeOr  de  la  poste  de  France,  en  lui 
faisant  miendre  (oar  c'est  lui  qnî  l'a  taxé)  l'injustice 
qu'il  y  avait  de  taxer  comme  écriture  ce  qui  est 
imprimé,  et  qui  doit  Atre  taxé  comme  marchandise. 
Vous  verrez  dans  le  papier  ci-joint  la  réponse  du  direc- 
teur de  Rome,  qui  me  dit  de  m'adresser  à  M.  de  Mon- 
r^ard  *  que  je  connaissais  beaucoup.  Hais  y:  ne 
m'adresse  qu'à  vous.  Je  vous  prie  de  savoir  si  c'est 
i'nbbé  Morellet  qui  m'a  envoyé  ce  paquet;  et  comme 
il  est  impossible  qu'il  ait  commis  une  vengeance  Idcbe, 
et  qu'il  faut  qu'il  y  ait  eu  quelque  méprise,  en  ce  que 
le  paquet  qui  aurait  dû  être  contresigné  Turgot  ne  l'a 
pas  été,  il  ne  lui  coûtera  qu'un  mot  à  H.  Turgot, 
mon  ancien  et  véritable  ami,  pour  remédier  à  ce 
désastre  affi%ux.  Si  ce  n'est  pas  lui,  alors  adressez- 
vous  à  M.  de  Uonregard,  ou  même  à  H.  Turgot,  pour 
m'obtenlr,  ce  qui  est  juste,  et  qu'on  ne  saurait  refuser 
à  personne,  qu'il  soit  taxé  comme  marchandise.  Je  le 
paierai  trois  ou  quatre  fois  plus  qu'il  ne  vaut,  et  mille 
fois  plus  que  je  ne  m'en  soucie  t  mais  du  moins  je  ne  le 
paierai  pas  cent  francs. 


i .  H.  TliiTOUl  de  Uonregard  éUit  InUndant  gèninl  des  poite* 
dtFruwe. 


jbïGoogIc 


3B4  LETTRES  DE  GALIANl 

Revenons  à  aos  moutons.  Gleichen  n'est  pas  mort, 
laut  mieux.  Mais  c'est  moi  qui  suis  mort  au  monde,  à 
la  gaieté,  aux  amis .  L'argent,  qu'il  avait  remis  ici  pour 
l'achat  de  certain  muscat,    n'a  été  payé   que   cette 

semaine,  parce  que    le  banquier  d'ici,  etc.,  etc 

Don  Hiquel  lui  doit  écrire  ce  soir. 

On  Tient  de  refaire  un  pape  Rezzonico  '.  Aolre- 
fois  le  pape  était  le  calire  de  l'Europe,  et  tous  les  sul- 
tans des  différentes  provinces  s'intéressaient  à  son 
élection.  Aujourd'hui  qu'il  n'est  que  le  souverain  de 
Rome,  ce  sont  les  grandes  familles  de  Rome  qui  le  (ont 
absolument.  Albani,  Corsini,  Borghèse,  Golonoa,  s'ai^ 
rangent  et  choisissent,  pour  leur  plus  grande  com- 
modité, un  laquais  dans  leurs  maisons  pour  en  jouer 
le  rdle.  Caligula  lit  consul  son  cheval. 

bonsoir.  Il  ne  faut  pas  que  je  vous  ruine  en 
gi-os  paquets  au  moment  même  que  je  m'en  plains. 
Bonsoir. 


I.  Le  prédécesneur  du  pape  Gaaganelli  aviil  élë  le  pipa  Rei- 
lonico,  sous  le  noin  de  Clément  XIII.  Pic  VI  «uccéda  à  Ganginelli. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANl 


A    LA    MEME 


Haples,  3t  révrler  177$. 

.  Quoique  je  n'aie  pas,  ma  belle  dame,  celle  semaine, 
de  lettres  de  vous,  j'ai  assez  de  quoi  remplir  uoe  demi- 
i'euîlle  ;  ainsi  je  commence  : 

Votre  baron  de  Bullo  est  parli  cette  semaine  pour 
aller  voir  le  pétrissemenl  qu'on  fait  à  Rome  d'un  pape 
nouvellement  fait.  Il  a  été,  si  je  ne  me  trompe,  assez 
content  de  moi,  lui  ayant  rendu  les  petits  services  qu'un 
homme  qui  ne  sort  pas  de  chez  soi,  et  qui  ne  voit  per- 
sonne (tel  que  moi),  pouvait  lui  rendre.  It  a  été  assez 
assidu,  pour  un  étranger,  à  me  venir  voir.  D'ailleurs 
c'est  UD  bon  diable,  un  grand  drdle  bien  bflti,  qui  aurait 
assez  plu  à  nos  grandes  dames,  s'il  s'était  donné  la 
grande  patience  de  leur  plaire.  Enfin  il  ne  m'a  point 
ennuyé,  chose  que  vous  craigniez. 

Castrucci  est  aussi  parti  cette  semaine.  Comme  il 
retournera  dans  quelques  mois  â  Paris,  je  l'ai  chargé 
d'un  petit  paquet  pour  son  ancien  maître  M.  Grimm, 
qui,  dans  le  fond,  est  destiné  à  toute  la  société  de  mes 


jbïGoÔgIc 


S8S  LETTRES  DE  GALUNI 

amis.  Vous  saurez  que  je  fis,  il  y  a  viagt  ans  juste,  une 
dissertation  sur  les  matières  du  Vésuve,  que  je  dédiai 
au  pape  LamberUui,  sans  l'imprimer  ' .  Il  y  a  deux  ans 
qu'on  l'a  furtivement  imprimée  à  Florence  avec  beau- 
coup de  fautes  et  à  mon  insu  :  c'est  cette  brocliure 
précisément  que  j'envoie  à  M.  Grimm.  J'aurais,  dans 
cette  année  écoulée,  fait  réimprimer  à  Naples  plus 
correctement  cette  édition ,  mais  les  suites  de  la  mort 
de  mon  frère  m'en  ont  empëcbé.  J'espère  qu'un 
temps  viendra  que  personne,  en  mom'ant,  ne  m'em- 
barrassera plus,  et-  alors  je  ferai  cette  seconde  édition. 
Ce  Gastrucci  m'a  paru  aussi  digoe  de  servir  H.  Grimm, 
que  Grimm  de  lui  commander.  Ainsi  je  le  lui  recom- 
mande, n  m'a  promis  de  m'ameaer  Grimm  un  beau 
matin  ici  ;  et  moi,  qui  suis  précisément  dans  l'éLit  de 
ce  bourreau  jeté  eu  bas  de  l'échelle  par  le  pendu,  qui 
se  justifiait  en  disant  :  «  Tudieu,  comme  il  y  allait  1  » 
je  ne  fais  que  crier  :  Qu'on  me  les  amène  ici,  je  les 
étranglerai  tous  1  car  depuis  qu'on  m'a  jeté  eu  bas  de 
Paris  et  que  j'ai  les  jambes  cassées,  je  ne  saurais  faire 
autrement. 

Je  vous  prie  de  dire  à  Gleichen  que  moi  et  don 
Miquel  nous  sommes  après  à  lui  acheter  ce  muscat  de 
Lipari,  qui  n'est  point  du  tout  aisé  à  se  laisser  trouver. 
Nous  en  goûtons  à  gauche  et  à  droite,  et  rien  de  bon 

!•  Voir  l'inU'oductioD. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALlANi  387 

jusqu'à  présent.  Je  lui  promets  lie  ne  lui  pas  l'aire  jeler 
son  argent  ;  ainsi  patience. 

Nous  avons  un  carnaval  bien  bruyant.  Moi  je  m'y 
ennuie,  n'ayant  point  de  maltresses,  et  comme  j'.-ii 
aussi  un  cœur  de  chair  et  d'os,  cela  m'est  sensible, 
ïkinsuir,  aimable  dame  ! 


X   UADAHË   DE   BELSUKCE 


Madame, 

Vous  voulez  donc  absolument  que  je  vous  réponde* 
Biais  si  maman  ne  se  porte  pas  bien,  que  vouleE-vous 
que  je  toub  disef  Puis-je  former  une  seule  pensée,  û 
vous  m'effiniyeE  par  votre  écriture  ?  Ne  aavea-vous  pas 
qu'en  Tait  de  maladies,  l'éloignement  grossit  les  objets, 
que  les  règles  de  la  perspective  sont  en  défaut  en  cela? 
Je  vois  bien  que  vous  avee  cherché  à  égayer  la  ton  de 
voe  lettres  ;  je  vois  que  maman  y  a  mis  des  apostilles  de 
sa  main,  mais  tout  cela  ne  me  tranquillise  point.  Elle 
m'avait  promis  de  n'être  plus  malade,  il  y  a  trois  mois» 
elle  m'a  manqué  de  parole  et  j'en  suis  furleui. 


jbïGoogIc 


386  LETTRES  DE  GALIANI 

Cependant  il  faut  vous  remercier  des  soins  que  vous 
vous  6tes  donnés  pour  me  distraire  de  l'objet  principal  de 
vos  lettres,  en  me  cherchant  querelle  sur  les  dialc^es 
d'Emilie.  Vous  voulez  qu'il  y  ait  quelque  chose  dans 
l'éducation  qui  ne  soit  pas  ce  que  nous  appelons  l'effet 
du  hasard  ;  j'en  conviens  en  partie,  et  je  dis  que  la  vie 
est  un  hasard,  mais  que  l'éducation  ne  l'est  pas  tout  à 
fait.  Il  y  a  une  inlluence  décidée  sur  nous,  qui  est  l'effet 
de  l'éducation.  Cela  est  vrai.  Mais  savez-vous  qui  est 
le  précepteur  qui  nous  élève  ?  Le  siècle  et  la  nation  au 
milieu  de  laquelle  on  vient  au  monde.  Ainsi  un  honuoe 
qui  viendra  au  monde  à  Constantinople,  aujourd'hui, 
s'élèvera  Turc;  à  Rome,  chrétien  apostolique  romain  ; 
à  Paris,  bel-esprit,  économisto-anglomano^'ural  ;  à  Lon- 
dres, goddem-colooiste ,  elc.  Tout  ce  qui  nous  envi- 
ronne nous  élève,  et  le  précepteur  est  un  infiniment 
petit,  méprisé  par  les  bons  calculateurs. 

Vous  avez  donc  raison;  il  faut  multiplier  les  hasards 
heureux.  Vous  avez  raison  aussi  de  dire  qu'on  élève  bien 
plus  une  liDe  qu'un  garçon,  parce  que  une  fille  est  bien 
moins  environnée  ;  mais  aussi  elle  a  une  crise  naturelle  à 
quinze  ans,  qui  est  une  espèce  de  régénération,  et  lors- 
que la  gorge  lui  pousse,  l'éducation  est  effacée  en  entier. 

Vous  voyez  que  j'aimerais  bien  à  disputer  avec  vous, 
si  TOUS  me  faisiez  l'honneur  de  m'écrire  lorsque  mamaD 
se  porte  bien.  Enfin,  je  veux  des  lettres  gratuites  de 
TOUS,  j'en  abhorre  en  forme  de  remplacement. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  QALIANI  3S9 

Pourquoi  craigoez-vou3  de  vous  approcher  de  moi 
pourm'embraBser?  Je  ne  tous  mordrai  pas;  j'ai  perdu 
toutes  mes  deols,  et  si  vous  êtes  jeune,  je  nelesuisp)us. 
Daignez  remettre  cette  iociuse  à  la  personne  à  qui 
elle  va,  que  vous  reconnaîtrez  aux  qualifications.  Faites 
bien  porter  maman  et  puis  écrivez-moi  à  outrance. 


*'    GRIHH    A    l'abbé   GALIANI 

Pari»,  M  («vrt«r  un. 

Hon  cher  prototype  de  tous  les  charmants  abbés, 
passés,  présents  et  à  venir,  madame  d'Ëpinay  n'a  plus 
de  fièvre,  mais  elle  est  faible  ;  malgré  cela,  elle  vous 
aurait  écrit  elle-même,  sans  uue  maudite  migraine  quia 
dérangé  ses  projets  de  jour  de  poste.  Si  elle  ne  vous  écrit 
pas  elle-même  par  la  suite  aussi  souvent  que  vous  le 
désirez  tous  les  deux,  ci;  ne  sera  que  par  des  motifs 
de  ménagements,  si  nécessaires  à  son  état.  Ce  qu'il  y 
a  de  mieus,  c'est  que  son  courage  et  sa  tranquillité 
se  soutienneot,  el  ce  sont  les  deux  plus  grands  re- 
mèdes que  je  comiaissc  en  médecine. 

1.  Collection  de  mademoiMlle  Herpin. 


jbïGoogIc 


SW  LETTRES  DE  GAtlANI 

Oiarmaut  abbé,  je  suis  au  désespoir  de  vous  écrire 
aujourd'hui,  parce  que  je  n'en  suis  pas  digne,  hébété, 
assommé  par  l'arrivée  du  jeune  duc  de  Saxe-Weimar 
et  du  prince  sod  frère,  Iraioant  après  eux  une  suite 
de  six  maîtres.  J'en  suis  rendu,  mais  rendu  ou  non, 
il  n'est  point  d'iuslant  dans  ma  vie  où  je  ne  vous  aime 
à  ]a  passion.  J'en  parle  souvent  à  cpux  qui  sont  dif^nes 
de  l'entendre,  mais  ne  crai(fnez  pas  que  j'en  parle  à 
ceui  qui  s'en  sont  rendus  indignes.  Le  secrétaire  or- 
.  dinaire,  madame  de  Beisunce,  est  à  Versailles  à  la  fête 
que  Monsieur  doune  à  l'archiduc  Maximllien.  L'abbé 
J.-C.  •  fait  son  mardi^gras  et  moi  ma  pénitence  au  mi- 
lieu des  enfants  d'Allemagne,  nouvellement  débarqués  à 
Paris.  Tout  ce  que  je  puis  vous  dire,  c'est  que  je  vous 
regretterai  tant  que  mon  boyau  fêlé  me  permettra  de 
vivre.  Vous  ne  savez  pas  peut-être  que  depuis  l'été  der- 
nier, j'ai  pour  premier  médecin,  le  roi  de  Prusse,  qui 
m'a  tiré  d'aflaires  en  m'envoyantà  Carlsbad  en  Bohème? 
Vous  ne  savez  pas,  peut^tre,  que  vous  êtes  connu 
de  l'impératrice  de  Russie  comme  le  pain  quotidien,  et 
qu'elle  en  parle  aussi  souvent  que  moi.  Cette  femme 
a  le  malheur  de  se  moquer  des  Musulmans  et  des  Éco- 
nomistes, mais,  à  cela  près,  c'est  une  charmante  femme. 
Hoi  qui  ai  appris,  dans  la  civilité  puérile  et  honnête, 
qu'il  ne  faut  se  moquer  de  personne,  je  vous   dis 

1.  L'abbé  Hayeul. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  6ALIAN1  3»1 

qu'il  y  a  grande  apparence  que  j'irai  vous  embrasser 
l'hiver  prochain  ;  mais  n'en  disons  encore  mot  à  per- 
sonne, de  peur  de  nous  tromper  encore  une  seconde 
fois  dans  nos  calculs. 

Adieu,  charmant  abbé,  aimez-moi  ;  vous  n'avez  rien 
de  mieux  ni  de  plus  sensé  à  faire. 

Nous  renvoyez-vous  monsieur  l'Ambassadeur?  Il 
,  est  aussi  de  ceux  qu'on  ne  peut  aimer  sans  passion. 
Nous  sommes  menacés  de  perdre  le  chevalier  de  Ha- 
gallon  sous  un  mois  ;  c'est  une  perte  irréparable,  et 
combien  n'en  avons-nous  pas  fait  depuis  six  ans? 


AU   BARON    DE     GRIMH' 

Au  liacre  de  tous  les  princes  allemands,  ancien  la- 
mentin,  maître  de  cérémonie  de  la  philosophie,  salut! 

Porte-voix  de  tant  de  princes  qui  vous  arrivent, 
quand  est-ce  donc  que  vous  finirez  de  les  remiser? 

1.  Cette  letlfe  n'eiiate  pas  daDa  t'édilion  Barbier. 


jbïGoogIc 


39S  LETTRES  DE  GALIAHI 

Je  m'étais  biea  douté  que  l'impératrice  de  Russie 

me  comiaissait;  car,  comme  elle  envoie  des  présents  à 

une  infinité  de  gens  de  lettres  qu'elle  ne  connaît  pas, 

.  voyant  que  je  n'en  recevais  aucun,  j'ai  dit  aussitAt  : 

c'est  qu'elle  me  connaît. 

Je  ne  connaissais  pas  le  roi  de  Prusse  pour  médecin  ; 
sur  ce  pied,  vous  aurez  le  Grand-Turc  pour  apothicaire, 
et  il  pourra  vous  fournir  à  vous,  aussi  bien  qu'à  mon  ' 
cher  Gleichen,  d'excellents  remèdes  contre  les  vers  qui 
s'engendrent  par  la  peur.  H  a  fait  de  nouvelles  recher- 
ches là-dessus. 

A  propos  de  l'impératrice  de  Russie ,  se  moquer  des 
économistes  dans  notre  siècle,  c'est  être  au-dessus  do 
son  siècle,  et  c'est  ce  qu'il  y  a  de  plus  difficile  '.  Le 
penchant  de  tous  les  esprits  médiocres  est  de  briller  par 
le  ton  et  le  jargon  du  siècle.  H  faut  avoir  un  grand 
fond  de  caractère  daos  l'âme  pour  mépriser  une  gloire 
et  un  applaudissement  infaillibles,  aussit6t  qu'un  prend 


■  19  juia  1716. 

■  J'ai  tié  enchamée  d'apprendre  que  l'admirable  La  Rivièra 
élait  le  commli  peinant  de  M.  Turgot  et  l'abbé  Baudeau  le 
commis  écrivant.  0ht  les  bonnes  têtes  que  Louis  XVI  possédait 
li  1  Sa  bonncur.  Il  ne  pourait  rien  faire  de  mieux  que  de  lea 
renvoyer,  » 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  G&LIANI  393 

le  ton  à  !a  mode,  et  qu'on  est  Beccaria  ',  Genovesi  *, 
Badaud,  Roubaud,  etc. 

Venez  me  Irouver  et  vous  ne  vous  en  repentirez  pas; 
il  y  a  encore  d'assez  beaux  restes  de  ce  charmant 
abbé;  mais  venez  vite,  sans  quoi  je  ne  vous  réponds 
de  rien. 

Nous  vous  renverrons  Caraccioli,  quoique  l'état  de 
sa  santé  ne  me  paraisse  pas  sûr.  1)  a  l'extérieur  de  la 
santé;  mais  je  crois  que  son  foie  le  mine  sourdement 
pour  en  faire  un  hydropique. 

J'ai  tâché,  en  vous  ccrivant,  de  ne  point  songer  à 
madame  d'Êpinay  ;  si  j'y  réfléchis  un  instant,  je  ne  sais 
pas  former  d'autre  idée  dans  mon  esprit,  que  de  vous 
demander  de  me  la  guérir.  Si  elle  ne  se  porte  pas  bien, 
je  n'ai  ni  le  cœur  ni  l'esprit  capable  d'écrire  un  mol  à 
quiconque  en  France.  Adieu,  homme  charmant,  digne 
d'aller  en  Russie,  et  de  ne  plus  y  retourner.  Adieu. 

1.  César  Bonesana,  marquis  de  Beccario  (1135-1793),  publia  le 
célèbre  Traité  des  déhis  et  des  peinet  qui  eut  un  immense  reten- 
UssemeDt.  Il  y  pojalt.d'une  fiifOD  remarquable,  l'origine,  la  base 
et  ies  bornes  du  droit  de  punir. 

3.  Antoine  Genovesi,  un  des  pbilosophea  iiailens  les  plus  dis- 
tingués (171Î-1T69].  Il  enlrepril  la  réforme  de  l'instruction  pu- 
blique à  Naples,  et  il  ourrit  une  chaire  de  métaphysique  à 
Itlniversiié ;  mais  comme  il  substituait  le  doute  philosophique  k 
la  croyance  lautomaliquei,  il  eût  été  sacrifié  comme  héréiique. 
si  l'archevêque  CélesUn  Galiani  ne  l'avait  soutenu.  11  créa  le 
premier  une  chaire  d'économie  politique.  Le  pape  Benoit  XIV 
lui  avait  accordé  sa  protection. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI 


A    MADAME    d'IÏPINAY 


Voilà  ce  qui  s'appelle  une  belle  lettre  tout  à  fait.  Une 
lettre  écrite  de  votre  main  en  entier,  où  vous  chantez 
victoire  contre  les  pels,  qui  ne  sont  pas  en  l'air,  où 
vous  renaissez  après  le  climatérique,  où  vous  voulez 
changer  de  titre  et  de  sexe,  et  au  lieu  de  belle  dame 
être  Pierrot,  où  vous  savourez  le  plaisir  d'exister, 
d'écrire,  d'écrire  à  votre  abbé.  Tout  ceci  est  ravissant. 

Pour  moi,  quoique  l'année  de  la  mort  de  mon  frère 
soit  révolue,  que  j'aie  marié  deux  de  mes  trois  nièces, 
et,  qui  plus  est,  remarié  en  secret  ma  belle-sœur,  je 
ne  suis  pas  au  bout  de  mes  ennuis.  Les  intérêts  de 
mon  frère  ne  sont  pas  à  beaucoup  près  déb/ouillés. 
et  il  me  reste  une  nièce  à  écorcber.  En  attendant,  je 
vis  comme  je  puis,  et  puisque  vous  êtes  guérie,  voilà 
un  grand  point  de  mou  bonheur  assuré.  Vous  ne  vou- 
lez plus  être  belle  dame,  et  mon  épilhèt©  de  charmant 
abbè  s'en  ira  au  diable  aussi,  car  je  ne  suis  plus  char- 


jbïGooglc 


LETTBE3  DE  GALIANI  306 

mant;  je  suis  maussade,  je  suis  Pierrot,  et  je  ne  voas 
céderai  ce  titre  pour  rien  au  monde. 

J'ai  été  ravi  dé  recevoir  une  lettre  du  prince  Pigna- 
telli  dans  son  état  naturel. 

Caraccioli  part  dans  la  huitaine.  Il  prend  le  chemin 
de  Vienne  pour  son  plaisir;  et  il  fait  fort  bien  d'allon- 
ger son  vo^ge,  car  plus  il  voyî^era,  mieux  il  se  portera. 

Je  suis  étonné  que  Naples  vous  ait  donné  la  mode 
des  coiffures  ;  car  il  y  a  quatre  ans,  ou  trois  au  moins, 
que  nos  dames  k  coiffent  sur  22  pouces  de  hauteur  et 
15  de  largeur,  sauf  panaches,  brimborions,  saucissons 
et  autre  attirail.  I.e  visage,  au  milieu  de  toute  cette  at- 
mosphère, a  l'air  d'un  nombril;  encore  ce  nombril  est 
joli  chez  vous;  il  est  affreux  chez  nous. 

Je  vous  renouvelle  mes  inslanc^s  de  vous  occuper 
d'uD  certain  paquet  qui  m'est  venu  de  France,  estimé 
cent  francs  juste,  et  pour  lequel  il  faut  parler  à  H.  de 
Honregard.  Je  vous  en  ai  écrit;  mais,  soit  que  ma 
lettre  se  soit  égarée,  soit  que  votre  maladie  vous  ait 
empêchée  de  tous  en  occuper,  vous  ne  m'avez  rien 
répondu  lÀ-dessus.  Il  s'agit  de  faire  comprendre  l'in- 
justice de  me  forcera  recevoir  un  livre,  qui  est  peut- 
être  celui  de  l'ahbé  Morellet,  à  cet  énorme  prix  de 
port.  Je  veux  l'avoir  gratis,  car,  sûrement,  par  quelque 
équivoque,  il  n'a  pas  été  contresigné.  Si  cela  est  im- 
possible, on  ne  peut  me  refuser  de  le  taxer  comme  mar- 
chandise. Bonsoir;  il  est  bien  tard.. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GÀLIANI 


NaplCB.  ts  BTril  <TTS. 

Puisqu'il  y  a  une  couTalescence.soufiroos  qu'elle  soit 
longue.  Vous  m'avez  promis  de  ne  plus  retomber  ma- 
lade, ainsi  il  est  juste  que  vous  vous  éloigniez  à  regret 
et  lentement  de  quelque  chose  qui  vous  a  été  plus 
attaché  que  vous  n'auriez  voulu. 

Quelque  pathétique  que  soit  le  tableau  de  votre  im- 
potence, vous  ne  me  persuaderez  jamais  que  vous  n'a- 
vez pas  des  moyens  de  parler  à  M.  de  Monregard. 
L'abbé  Horellet  lui-même,  dans  sa  toule-puissance  au- 
près du  contrAIeur-général,  serait  excellent.  Pour  moi, 
je  suis  très  prêt  à  abandonner  au  rebut  le  paquet, 
car,  comme  on  sait  que  c'est  un  imprimé,  c'est  une 
chose  très  aisée  que  d'avoir  une  brochure  qui  coule 
moins  de  cent  francs  :  mais  je  ne  saurais  consentir  à 
rester  toute  ma  vie  dans  l'incertitude  et  la  curiosité  de 
savoir  ce  que  contenait  ce  paquet,  et  par  qui  il  m'était 
envoyé.  Je  ne  demande  autre  chose  sinon  qu'on  l'ouvre 
à  Rome,  qu'on  mo  mande  ce  que  c'est,  et  puis  qu'on 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  CALUNl  397 

le  brûle.  Allons,  faites-moi  ce  plaisir,  et  épargnez-moi 
le  Irarail  d'écrire  à  M.  de  Honregard  :  il  est  si  gras  ! 
Tourner  de  belles  phrases,  composer  une  épitre  en 
français  1  Dieu,  quel  ouvrage  1  Le  cœur  me  manque, 
si  j'y  songe. 

Caraccioli  est  parti  lundi.  Il  ne  va  plus  en  Alle- 
magne, il  arrivera  à  la  fin  de  mai  à  Paris,  car  il  doit 
se  trouver  au  sacre  du  roi  et  voir  la  Sainte-Ampoule.  Il 
vous  dira  tant  de  choses  de  moi,  que  je  n'ai  plus  d'en- 
vie presque  de  vous  mander  autre  chose,  sinon  que  je 
me  porte  bien.  Il  m'a  bien  promis  de  vous  voir  très 
souvent.  Nous  sommes  restés  plus  amis  que  jamais. 
Ainsi  aimez-moi.  Assurez  l'abbé  Horellet  que  rien  de 
ce  qu'il  aura  dit  dans  son  livre  ne  pourra  me  fâcher. 
Lorsque  j'aime,  je  suis  bien  indulgent. 


Nipiss,  n  aTTa  mi. 

Avant  que  de  répondre  à  votre  lettre  pleine  d'amer- 
tume pour  le  départ  du  chevalier,  je  dois  vous  dire 
que  je  suis  parvenu  à  savoir  le  contenu  de  ce  fameux 


jbïGoogIc 


898  LETTRES  DE  GALUHI 

paquet,  et  l'homme  qui  s'est  avisé  de  me  l'eavoyer. 
C'est  précisément  le  livre  de  Morellet  qui  est  dedans; 
mais  ce  n'est  pas  iul  qui  me  l'envoie.  Le  criminel  est 
un  abbé  Leblond',  sous-bibHoUiécaire  du  collège  Ma- 
zarin,  aussi  illustre  imbécile  qu'antiquaire  obscur.  Per- 
sontie  ne  l'avait  prié  de  cela  ;  il  a  cru  faire  un  trait 
d'amitié  insigne,  et  m'obligor  iufiniment  par  cette  ex- 
pédition. Tout  se  voit  dans  ce  bas  monde.  Notez  que  je 
ne  connais  pas  cet  abbé,  sinon  parce  que  M.  Pellerhi, 
ayant  perdu  la  vue,  l'a  chargé  de  m'écrire  quelquol'ols 
au  sujet  des  médailles.  Je  lui  monte  une  garde  comme 
je  sais  en  monter  quelquefois.  Je  le  charge  de  réparer 
le  mal  qu'il  a  fait,  car  le  paquet  n'est  pas  encore  retiré 
de  la  poste  ni  jeté  au  rebut,  et  cette  affaire  n'est  pas 
encore  unie  :  je  ne  vous  l'ai  mandée  que  pour  vous 
tranquilliser. 

Venons  à  présent  à  vos  plaintes  sur  les  amitiés  liées 
avec  des  étrangers.  Vous  avez  tort  de  vous  en  plaindre. 
Tout  est  étranger  dans  ce  monde,  car  tous  s'en  vont 
par  la  mort.  Les  étrangers  ont  cela  de  commode,  qu'ils 
partagent  en  deux  le  regret.  On  en  sent  la  moitié,  lors- 
qu'ils s'en  vont,  et,  quoique  absents,  ils  ne  sont  pas 
entièrement  perdus.  On  en  a  des  lettres,  des  nou- 
velles, et  le  cas  de  les  revoir  n'est  jamais  impossible. 


i.  LebloDd  (l'abbé  Gaspard-Hichel,  dit)  né  A  Caen  en  1738,  mon 
t  Laigle  en  180B.  Hembre  de  l'Aetdéinle  des  loscriptlons. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIAM  3W 

S'ils  Tiennent  à  mourir,  la  douleur  tombe  sur  ce  reste 
d'esisteoce  perdu,  et  qui  est  bien  moindre  que  le  to- 
tal. Vous  n'aimerez  pas  sûrement  plu6  de  tomber  à 
plomb,  que  de  glisser  sur  des  malheurs.  Les  malheurs 
sont  la  sauce  de  cette  vilaine  viande  qu'on  appelle  la 
vie  :  on  en  est  environné.  Ne  vaut-il  pas  mieux  d^ 
tremper  cette  sauce  par  les  absences,  les  éloignementg, 
l'habitude  aux  détachements  ?  Voilà  des  raisons  bien 
fortes  pour  que  vous  continuiez  à  aimer  les  étrangers. 
Ce  soir  le  temps  me  manque  absolument.  Je  tra- 
vaille comme  un  forçat  à  donner  de  l'arrangement  à 
toutes  mes  affaires  et  à  celles  de  ma  famille;  et  si  je- 
réussis  à  m'en  débarrasser,  ne  doutez  pas  que  je  fasse 
encore  un  voyage  à  Paris.  Je  ne  rêve  qu'à  cela  à 
présent,  et  je  commence  à  y  voir  des  possibilités,  si 
J<D  vis,  et  si  d'autres  meurent.  Adieu. 


Jamais  lettre  de  vous  ne  m'a   fait  plus  de  plaisii*. 
Le  rétablissement  de  votre   santé,  l'établissement  de 


jbïGoogIc 


400  LETTRES  DE  GALIAM 

votre  fils,  sont  des  objets  solides  de  gaieté  et  de  bon- 
heur humain. 

Pour  moi,  jamais  je  ne  me  suis  trouvé  en  plus 
grand  besoio  d'être  égayé.  Nous  avons  ici  une  saison 
terrible  qui  tue  tant  de  monde  qu'on  regarderait 
notre  épidémie  comme  une  véritable  peste,  si  elle  était 
contagieuse.  J'ai  perdu  trois  ou  quatre  bons  amis; 
j'ai  perdu  avant-hier  la  femme  d'un  ancien  domestique 
qui  me  servait,  aussi  bien  que  son  mari,  depuis  trente- 
deux  ans.  Celte  perte  est  terrible  pour  un  garçon 
comme  moi,  qui  n'a  aucune  femme  à  '  la  maison. 
Je  ne  vous  en  dirai  pas  davantage  pour  vous  peindre 
combien  j'ai  l'âme  noircie  d'idées  sombres  et  tristes. 
Jamais  je  n'ai  eu  tant  de  peur  de  mourir  moi-même. 
Comme  les  morts  sont  subites  ou  précédées  d'une 
maladie  de  deux  jours  tout  au  plus,  et  qu'elles  consis- 
tent en  une  fièvre  maligne  avec  un  abcès  à  la  tête  ou 
à  la  poitrine,  on  n'est  pas  tranquille,  malgré  la  sen- 
sation de  la  meilleure  santé.  Je  me  porte  bien  et  je  me 
plains  pour  mort. 

Parlons  de  vous,  cela  vaudra  mieux.  Votre  fils 
séjournant  à  Fïîbourg  pendant  quelque  temps  est  tout 
ce  que  je  trouve  de  mieux  dans  votre  afiaîre.  L'air 
IVoid,  flegmatique  de  la  Suisse,  la  société  avec  des 
êtres  calmes,  sensés,  pesants  même,  fera  grand  bien 
à  la  tournure  de  l'esprit  de  votre  fils,  et  j'espère  qu'à 
Pribourg  il  deviendra  le  fils  de  sa  mère,  comme  à 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI  401 

Pau  il  était  bien  le  fils  de.soa  pèi-e.  Ceci  u'est  pas 
ostensible  coninie  vous  voyez. 

Je  suis  ravi  des  nouvelles  du  barou  de  Gleicheti, 
J'en  aurais  souhaité  du  prince  Pignatelli,  et  s'il  est 
encore  à  Paris? Urimm  à  Naples?  j'en  doute  fort;  et 
s'il  vient,  il  me  causera  bien  plus  de  chagrin  que  de 
plaisir.  Il  ne  viendra  que  pour  rester  huit  ou  dix  jours. 
Vaut-il  la  peine  d'attendre  six  ans  ces  huit  jours,  pen- 
dant lesquels  nous  nous  verrons  à  peine? 

A  propos,  faites  mes  compliments  à  M.  d'Affry  '  ; 
dites-lui  très  sérieusement  qu'il  travaille  à  toute  force 
pour  avoir  l'ambassade  de  Naples.  Vous  viendrez  à  cette 
occasion  me  trouver,  et  voilà,  par  une  suite  d'évé- 
nements les  moins  prévus,  que  nous  nous  reverrons 
dans  un  an.  Le  chevalier  de  Clermont  ira  autre  part  ; 
cela  m'est  égal,  si  je  le  dois  troquer  contre  vous  et 
M.  d'AfIry.  Autrement  je  ne  m'en  déferai  pas  pour  rien 
au  monde,  car  Je  suis  ravi  de  le  posséder  ici. 

Vous  êtes  à  la  veille  de   voir  Caraccioli  en  recevant 


1.  Louis-Augu  s  le- Augustin  d'Affry.  d'une  des  plua 
familles  de  Prtbourg  (1713-1793).  Il  embrassa  la  carrière  dei 
armes,  où  son  père  s'était  illustré;  Tait  maréchal  de  camp  en 
1748,  il  fut  choisi  par  le  roi  en  1755  pour  son  envofé  eilraor- 
dinaire  auprès  des  Provin ces-Unies.  Il  fut  revêtu  du  titre  d'am- 
bassadeur,  plis  nommé  colonel-général  des  Suisses  en  1780. 
Arrêté  le  10  août  et  conduit  en  prison,  il  fut  misen  liberté  peu 
de  temps  après  et  11  mourut  en  1793  dans  son  cbâteaude  Saiot- 
Barihélemy,  dans  le  canton  de  Vaud,  Inconsolable  de  la  mort  de 
son  Dis,  tué  le  16  août  aux  Tuileries.  Le  fils  de  madame  d'Épinaj' 
épousa  une  parente  de  M.  d'Aff^, 


jb'ïGoogIc 


m  LETTRES  DE  GALIANI 

cette  lettre.  Il  sera  donc  niuii  ohan<!elier,  et  vous  dim 

le  reste. 

VoudrieK-vous  embrasser  tDadanic  de  Reisunce  de  ma 
part?  En  voflit,  incluse,  la  procuraUon  pour  cet 
Rcte  si  Boleniiel.  Adieu.  VoyeE-vous  comme  je  1110  bats 
les  ilaocs  pour  être  gai.  Eii  vérité  je  ne  le  puis  pu 
à  celte  heure. 


A    HADAMt:     Oh    iELUVtiCF. 


Madame, 

Quoi,  est  un  ancien  mot,  ma  belle  dame,  qui  vieni 
peut-être  du  latin  quietus  et  de  l'italien  quem,  trijs 
énergique  pour  expliquer  ce  qui  se  fait  à  petit  bruit, 
on  cachette.  Mademoiselle  Quojet  était  donc  ce  qu'elle 
devait  être,  et  ses  trois  jacobins  l'étaient  aussi.  C'est 
son  père  qui  est  très  indigne  de  ce  nom.  Cependant  je 
pardonne  à  ce  père  ce  qu'il  a  fait  ;  s'il  n'est  pBs  un 
homme  d'espriti  il  est  du  moins  un  homme  en  règle;  la 
règle  veut  qu'une  fille  déréglée  aille  à  Sainte-Pélagie;  il 
y  envoie  sa  fille,  c'est  la  règle,  Groyei-moi,  Madame,  l'es- 


jbïGooglc 


LE'ITRKS  DE  UAI.IAM  MS 

prit  tracassé  tatigueet  n'avance  guère.  La  rôgle  tninquil- 
lise,  lorsqu'on  s'y  tieat,  on  n  bien  moins  de  peine  ;  ainsi 
laissez  à  Sainte-Pélagie  mademoiselle  Couet  ou  Ouoy 
ou  Quoyel,  ou  qu'on  hait,  puisque  l'orthographe  de  ce 
mot  est  très  disputée  parmi  les  savants. 

Pour  vous,  vous  n'irez  pas  à  Sainte-Pélagie,  ni  pour 
des  jacobins,  ni  pour  un  capucin,  ni  pour  personne. 
Les  jacobins  ne  puent  guère,  comme  vous  vous  ima- 
ginez, sans  le  savoir,  puisque  vous  n'en  avez  jamais 
flairé.  Ils  sentent  le  jacobin  comme  de  raison;  c'est 
votre  faute  si  cette  odeur  ne  vous  est  pas  agréable. 
Laissons  donc  quoys,  les  capucins  et  les  jacobins  et 
parlons  de  eu  qui  nous  intéresse. 

La  beauté  de  maman,  le  rétablisseuieut  de  sa  santé,  les 
adorations  qu'elle  mérite  de  préférence  ii  sa  fille,  voilà 
de  grandes  nouvelles  intéressantes,  précieuses  pour  moi, 
et  arrivées  très  k  propos  pour  m'égaycr.  J'en  avais 
grand  besoin,  ix  séjour  do  Naples,  ennuyebx  par 
essence,  est  devenu  encore  pire  depuis  qu'on  y  raeurl 
subitement.  Ceci  liasse  la  raillerie,  car,  du  moins,  il 
élait  bon  d'être  prévenu  qu'on  allait  mourir.  Mais 
laissons  celii.  A'ous  avez  enfin  consenti  à  m'embrasser; 
que  je  suis  content  !  Venes  donc  que  je  vous  embrasse, 
approchez-vous.  Vous  vous  retirez  tout  doucement; 
tnadame!  ne  reculez  pas  tant.  Diable!  vous  avez  reculé 
de  trois  cents  mortelles  lieues!  Vous  avez  diablement 
peur  des  dents  que  je  n'ai  plus. 


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LETTRES  DE  GALIANi 


A   MADÂUK   D   ËP[NAV 


Naplcs.  !T  mai  tm. 

Ce  n'est  que  par  vous,  madame,  que  j'ai  appris  les 
bagarres  de  Paris,  et  romme  je  ne  vois  plus  persounc 
qui  reçoive  des  lettres  de  France,  depuis  le  départ  de 
MM.  de  Breteuil  el  Oaraccioli,  tout  ec  que  vous  ne  m'en 
dites  pas  me  reste  inconnu,  à  mon  grand  re^t.  Bfon 
premier  mouvement,  à  la  lecture  de  votre  lettre,  a  été 
de  remercier  Dieu  de  n'être  pas  à  Paris.  J'y  aurais 
peut-être  été  mis  en  prison  comme  auteur  de  la  ré- 
volte '.  On  aurait  eu  raison  de  trouver  dans  mes  Dia- 

1.  En  1175,  la  cherté  du  blésvRit  augmenlé  vers  lepriDlempa, 
et  dins  plusieurs  endroits  s'était  produite  aue  véritable  TamiDe, 
qui  occasJODna  des  (roubles  graves.  Ces  émeutes,  siolstres  avant- 
coureurs  de  la  Révolution,  De  Turent  pas  prises  au  sérieui;  le 
sang  n'avait  pas  encore  cessé  de  couler  que  les  femmes  por- 
iBieat  déji  des  bonnets  à  la  révolte  et  qu'on  chantait  au  marË> 
chai  de  fiiron  ; 

Biron,  tes  glorieux  travaux 

En  dépit  de»  Cabales, 

Te  font  passer  pour  un  hèios 

Sous  les  piliers  des  halle». 

De  rue  en  rue,  su  petit  trol. 

Ta  chaSMi  la  Ismlne. 

GAnéral,  digne  de  Tnigol, 

Od   n'épargna  pis  davantage  le  ministre.  ■  M.  Turgol,  après 


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LETTRES  DE  GALIANI  W5 

togaes  que  je  l'avais  prédite  et  annoncée,  lors  que  j'ai 
dit  que  rbomme  d'Ëtat  doit  prévoir  les  cas  imprévus. 

Cette  tadigne  et  occulte  cabale,  qui  est  sans  dout« 
le  premier  mobile  de  l'imbécillité  populaire,  aurait  dû 
être  prévue.  La  moinaiUe  et  la  prëtraille  ont  été  les 
moteurs  des  émeutes  de  Madrid  en  176^.  On  se  servit 
du  prétexte  de  la  cherté,  pour  venger  les  impôts  que 
H.  de  Squillace  '  mettait  sur  les  eficlésiastiques.  Ceux 
qui  n'entendent  pas  souvent  la  messe  doivent  s'attendre 
donc  qu'on  vengera  les  mépris  de  la  messe.  Le  premier 
problème  à  résoudre  pour  un  ministre  est  de  garder 
sa  place  ;  et  plus  il  se  croit  honnête  bomme,  plus  il 
doit  s'acharner  à  rester  en  place,  pour  taire  plus  long- 
temps du  bien  aux  hommes.  Si  quelque  bien  qu'il 


avoir  permis  la  sortie  des  grains,  dit  Hëlra,  fut  surpris  de  la 
révolte   àet  peuples   à   celte   occasion:  <■  C'est,  disait-il,  parce 

>  qu'on  D'»f>tis  donné  encore  assez  de  liberté.  t>  —  i  II  nie  rappeile, 
disait  M.  Dubucq,  h  ce  sujet,  un  médecin  qui  vit  mourir  son  ma- 
lade après  l'avoir   fait    saigner   vingt  fois   et  qui  s'écria  :  c   Je 

>  l'avais  bien  dit  qu'on  ne  l'avait  pas  assez  saigné  I  ■  (\'oir  l'ap- 
pendice XVI.) 

1.  Le  marquis  de  Squillace,  Napolitain,  minisire  favori  de 
Charles  III,  roi  d'Espagne.  1!  fut  éloigné  1  la  suite  du  terrible 
soulèvement  de  Madrid  en  1T65;  il  était  très  impopulaire,  el 
comme  étranger  et  comme  novateur.  Il  prabiba  les  grands  cha- 
peaux rabattus  et  les  grands  manleaui  [ehambtrgoi,  eapas)  avec 
une  rigueur  telle,  qu'elle  proroqua  l'émeute.  On  accusa  les 
Jésuites,  qni  le  haïssaient,  d'avoir  contribué  an  soulèvement.  — 
Squillace  était  du  reste  odieux  i  la  noblesse  à  cause  de  son 
origine  napolitaine.  On  dit  aussi  que  la  beauté  de  la  marquise 
désolait  les  grandes  dames  da  Madrid;  ce  ne  fut  peut-être  pas 
étranger  à,la  t^tAce  de  son  mari. 


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406  LETTRES  DR  C.AI.EANI 

voudrail  Taire,  l'expoae  à  la  perdre,  il  doit  lo  sacrifier 

net  à  son  esjitence. 

J'espère  que  cet  événement  aura  appris  à  M.  Tui^ol 
et&  M.  l'abbé  Morellet  à  coimaltre  lei  hommes  et  le 
monde,  qui  n'est  pas  celui  des  ouvrages  des  écono' 
mistes.  Il  aura  mi  que  les  révoltes  occaaioimées  par  la 
t^erté  ne  soûl  pas  impossibles,  comme  il  croyait.  11  ■ 
calculait  tout  et  n'oubliait  que  la  mécbaucelé  des 
hommes,  et  l'envie  qui  persécute  les  hommes  en  charge. 
On  ne  sait  jamais  au  juste  le  nombre  des  ennemis. 
Feu  H.  le  maréchal  d'Estrées  '  ne  gavait  pas  que  le  duc 
de  Cumberland  '  avait  pour  allié  M.  de  Maillebois*,  et 
M.  Turgot  ne  sait  pas  peut^-étre  que  le  jadis  parlement, 
aujourd'hui  grand-twnseil,  trouve  le  pain  fort  cher 


t.  La  marËcbil  Louù-César  Letellîer,  comle  d'Estréu,  iiommé 
maNcht)  en  1756,  se  disilngui  à  la  bataille  de  PoDl«noï  {1746). 
commanda  en  chef  en  AElcmagne  et  battit  le  duc  de  Cumbw- 
laad  i  Haitenbeck  (1757).  Le  nom  d'Eatrées  a'ËteIgnIl  avec  lui. 

i.  Cumberlaud  (Guillaume-Auguste,  duc  de),  (1T1I*17GS),  gêné- 
rai  anglais,  Dis  du  roi  Georges  U. 

3.  Mallleboia  (J.-B.  François  Detmareb,  marquia  de),  {1681- 
1763],  marécbal  de  France,  Qla  du  coolrôleur-général  Deanu- 
reU  cl  petii-Qls  de  Colbert.  Le  comte  de  Halllebois,  que  le 
aiarÉchal  d'EsIrée*  avait  choUi  pour  son  marâchal  deit  logis,  (ut 
aoausé  d'avoir  cherché    k  faire  perdre  la  bataille  d'Haclenbek. 

Il  voulut  H  disculper  dans  un  mémoire  qu'il  publia,  maia  il 
(ul  arrtié  quelque  temps  apris,  et  recul  l'ordre  de  se  rendre  eu 
prison  au  ehdieau  de  Doullens  oii  il  demeura  quelque  lempt. 
On  disait  qu'il  avait  été  fort  jaloux  du  commandeutont  au 
obef  donné  au  nuiichal  d'Bstrtes.  Beienvel.  dans  tes  Mémoiroi. 
défeoil  MailleboU  de  celte  iRiputallOD. 


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LETTRES  DE  OÀLIANI  m 

aussi.  Si  son  chagrin  et  celui  de  M.  l'abbé  servaienl  k 
leur  faire  rendre  un  peu  plus  de  justice  à  mes  Ùialogtien 
ou  du  moins  à  mes  intentions,  qui  résultent  de  In  tota- 
lité de  mes  maximes,  j'aurais  gagné  beaucoup  k  cette 
bagarre,  puisqu'il  n'y  a  pas  d'hommes  dont  je  chérisse 
plus  l'estime  et  l'amitié.  Hs  ont  de  grandes  vertus  et  un 
grand  génie.  Ils  sont  restés  peut-Otre  trop  longtemps 
au  cabinet,  et  n'ont  pas  été,  comme  moi,  jetés  dès  leui-s 
premières  années  au  beau  milieu  a'une  cour,  pour  y 
être  le  jouet  de  la  fortune. 

En  attendant,  je  remercie  l'abbé  Morellet  de  vouloir 
bien  me  soulager  du  paquet  dont  il  est  la  première 
cause. 

Ha  nièce  me  reste  à  écorcher  :  car  (ce  que  vous  ne 
saviez  pas)  je  mesuisdébarrassé  aussi  de  ma  belle-sœur, 
que  j'ai  aidée  à  se  remarier.  Il  est  vrai  que  je  me 
débarrasse,  maïs  c'est  toujours  par  des  sacrifices  et  des 
pertes;  et  me  voilà  débarrassé  comme  on  se  débarrasse 
des  habits  et  des  haillons,  en  restant  tout  nu. 

Vous  avez  force  noces  et  festins  *.  Je  vous  laisse 
donc,  en  vous  priant  de  me  continuer  des  nouvelles  de 
l^ris.  Caraccioli  sera  arrivé  :  mais  il  sera  ii  Reims  '. 
A  son  retour  embrassez-le  de  ma  pari. 

U  y  a  un  siècle  que  je  n'ai  pas  de  nouvelles  du  baron 
d'Holbach. 

1.  Hulinie  d'Bpiuy  mariait  wo  Û\*. 
S.  Pour  le  sacre  ie  Louis  XVI. 


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LETTRES  DE  GAt.IAKI 


M  A  RAME    D   f.PII4AV 


Naples,  9  JuiD  II». 

Bien  peu  de  fois,  madame,  il  m'est  arrivé  d'être 
aussi  fâché  que  celte  semaine,  de  me  trouver  sana 
aucune  lettre  ni  de  vous  ni  de  personne.  Vraiment  je 
ne  suis  pas  inquiet  sur  votre  santé  individuelle,  vous 
m'avez  promis  de  vous  bien  porter.  Mais  je  soupirais 
après  celles  de  la  santé  publique,  qui  auraient  pu 
intéresser  un  grand  nombre  de  mes  amis.  Mille  bruits 
se  répandent  ici,  qui  me  paraissent  exagérés  :  et  vous 
ne  dites  mot.  Qu'en  penser  donc? 

Il  faut  pourtant  que  je  vous  mande  la  négociation 
du  [taquet,  heureusement  terminée  bier,  on  me  l'a 
envoyé  franco  di  porto.  J'ai  entr'ouvert  l'ouvrage  do 
Horcllet  ',  à  l'instant  j'ai  bftitlé  et  il  m'est  tombé  des 
mains.  Quelque  envie  que  j'aie  de  le  lire,  je  sens  que 
cela  est  au-dessus  de  mes  forces.  Je  sens  de  même 
qu'il  me  serait  impossible  de  le  réfuter.  II  est  si  long  ! 

1.  La  HéfùlaUon  de*  Dialogttti  sur  les  blés.   Voir   l'appenilire 

xvn. 


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LETTRES  DE  GALIANI  409 

et  il  me  paraît  que  c'est  un  ouvrage  prestigieux,  parce 
que  chaque  morceau,  chaque  ligne,  chaque  syllo- 
gisme du  livre  est  bien  écrit,  est  clair,  est  juste,  et 
cepeodaDt  le  tout  ensemble  est  plat,  obscur  et  faux. 
Je  n'entends  pas  par  quel  prestige  cela  arrive:  maïs 
c'est  le  second  cas  après  les  jésuites.  Chaque  jésuite 
était  aimable,  morigéné,  utile;  et  toute  la  Société, 
qui  n'était  pourtant  que  la  masse  de  tous  les  indi- 
vidus, était  odieuse,  corrompue  dans  la  morale,  perni- 
cieuse. Que  d'autres  expliquent  cet  étrange  phéno- 
mène :  pour  moi  je  m'y  perds. 

A  présent  je  vous  prie  très  instamment  de  médire, 
tout  au  long  et  tout  au  juste,  quel  effet  a  fait  le 
livre  de  Horellet  sur  les  différents  esprits  de  Paris, 
sans  me  parler  de  vous-même,  et  de  celui  de  mes 
intimes  amis.  Cela  m'intéresse  infiniment. 

Pour  ce  qui  est  de  la  question  traitée  par  moi  et  par 
l'abbé  Horellet,  elle  est  jugée  par  tous  les  gouverne- 
ments unanimement.  Tous  se  sont  détrompés  des 
enthousiasmes  des  économistes;  tous  ont  renchéri  sur 
les  anciennes  entraves  mises  à  la  liberté  des  blés. 
Les  Anglais  même,  depuis  dix  ans,  ont  mis  des  en- 
traves à  leur  liberté  et  à  leur  commerce,  en  dépit  de 
ta  forme  de  leur  gouvernement  '  libre  et  commerçant 
par  essence.  La  France  (foyer  du  mal)  a  été  incertaine 
et  flottante:  mais  dix  années  consécutives  de  cherté, 
de  famine,  de  révoltes,  auront  dû  la  détromper  aussi  ; 


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tlO  LETTRES  DE  CAirAM 

H  M.  Turgot,  qui  était  persuadé  que  la  liberté  ieul«< 
suffisait,  sera  très  étonné  de  se  voir  obligé  k  donner 
des  récompenses  pour  l'importation,  épuiser  le  trésor 
royal,  et  flétrir  aa  gloire.  Dieu  veuille  qu'il  soit  k 
temps  de  la  sauver  !  C'est  dommage  s'il  est  renvoyé; 
■nais  c'est  un  peu  sa  fauta.  Pourquoi  se  Taire  écono- 
miste? Que  diable  allait-il  Taire  dans  cette  galère  7  En 
attendant,  remerciez-le  bien,  lui  et  MorcUet  de  m'avoir 
délivré  du  paquet.  Cent  livres  de  port  étaient  ce  qu'il 
y  avait  de  plus  dur  dans  cet  ouvrage  contre  l'auteur 
malbeureux  des  Dialogues.  Dieu  fasse  qu'il  n'arrive 
rien  de  plus  dur  à  l'auteur  de  la  Héfutatton  I 

Aimez-moi  toujours  et  beaucoup.  Je  ne  parlerai  plus 
de  blés  dans  ma  vie.  Je  m'occupe  à  présent  de  retou- 
cher mon  Horace   '  :   cela   du    moins   n'occasionnerit 
aucun  bruit  ni  à  la  halle,  ni  à  l'hAtel  de  Soissons  *. 
Adieu ,  mille  choses  à  madame  de  Belsunce. 


I.  Peoiiant  ton  séjour  i  Paris,  Gaiianl,  qui  était  un  Ittiolsie 
de  premier  ordre,  avait  eotr^irli  un  camiuCDUira  sur  Honco. 
dont  Diderot  faisait  le  plus  granil  cas.  o  Horace  pourrail-il  éir*> 
mieux  entendu  de  tous  les  beaux  esprits  du  règne  d'ÀUKuaiB. 
qu'il  ne  la  été  dii-huit  centa  ans  après  par  notre  abbé?  Je  ne 
le  pense  pas  et  j'imagine  que  tous  ceux  qui  liront  les  remar- 
qaei  qu'il  a  (allei  lur  ce  poils  diront  comme  moi.  >  (Grimm.. 

i.  L'bOlal  d«  SoiftoRS  éUit  l'bAtel  des  Fennes  ;  le  Dwtogw 
sur  Ut  bUs  iTRil  naturellemenl  causé  beaucoup  de  bruit  parmi 
lis  Vermien  Généraux. 


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LETTRES  »K  RALIAM 


Je  reçois  à  la  t'ois,  ma  belle  dame  (jtt  reprends  mon 
ancien  formulaire,  parce  que  le  cœur  me  dit  que  les 
émeutes,  les  bagarres,  etc., vous  auront  rembelHe,  ren- 
graissée,  rajeunie),  deui  lettres  de  vous,  des  Ift  el  il 
mai,  qui  ue  me  disent  rien.  C'est  bien  étrange  que 
dans  un  pays  où  il  est  permis  de  tout  imprimer,  il  ne 
soit  permis  de  rien  écrii-e.  Cependant  j'ai  reçu  des 
lettres  de  Spa,  qui  m'en  disent  davantage. 

S'  j'avais  du  loisir,  je  ferais  un  traité  politique  dus 
émeutes,  de  leurs  causes,  de  leurs  effets,  el  des  moyens 
de  Im  prévenir  et  de  les  guérir.  D'abord,  je  voudrais 
bien  établir  et  bien  prêcher  que  rien  ne  fait  autant 
d'bonneur  aux  Bouverains  que  les  émeutes.  Le  cur 
Pierre  en  eut  une  vingtaine.  Le  roi  Charles  est  le  pre- 
mier qui  ait  eu  la  gloire  d'en  avoir  à  Madrid  après 
eu  avoir  balayé  les  immondices,  et  avant  que  d'en 
balayer  les  jésuites'.  Mais  c'est  tout  simple,  on  ne  prend 

I.  c  Charies  111  avait  entrepris  de  purtBer Hadrtd,  doDil'iDfec- 
tioo   élaii   «i  épouTanUble,  qu'on   la  wnUlt  à   six  litws  ft  lo 


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4IÎ  LETTRES  DE  GALIANI 

pas  des  pui^tions,  des  éméliques,'  sans  avoir  des 
Uanchées  d'estomac,  des  petites  convulsions,  des  défaïN 
lances,  etc.;  tous  ces  petits  maui  sont  les  compagnons 
de  la  guérison. 

Si  votre  jeune  souverain  ne  sacrifie  pas  M.  Tm^ot 
aui  caprices  ou  à  la  terreur  panique  de  son  peuple,  il 
mérite  d'acquérir,  par  ce  seul  trait,  le  surnom  de 
Grand.  Mais  je  crains  qu'on  ne  surprenne  sa  jeunesse. 
Voyons. 

J'attends  l'ouvrage  de  Necker  ',  que  je  lirai  pare« 
qu'il  se  laisse  lire,  et,  ce  qui  plus  est,  entendre.  Il 
est  même,  en  économie  politique,  le  Bernouilli  qui  sur- 


ronde,  et  qu'oD  la  mâchait  pendaat  six  semaines  avant  de  s'en 
£tre  blasé.  Il  n'y  a  sorte  d'oppositions  et  de  difficultés  qu'il  n'é- 
prouva dans  ce  projet.  Il  fallut  faire  venir  et  emplo^r  des  Na- 
politains, pour  ébiblir  de  force  des  latrines  dans  les  maisons,  et 
le  corps  des  médecins  composa  un  mémoire  pour  représenter 
que  l'air  de  Madrid  ayant  toujours  été  fort  sain,  il  leur  parais- 
sait dsDgereui  de  vouloir  le  changer.  Ceci  me  bit  souvenir 
.  de  l'blBtolre  d'un  Espagnol  qui  était  tombé  malade  en  Vnnce  et 
dont  les  médecins  ne  pouvaient  pas  deviner  la  maladie.  Son 
valet  de  chambre,  Imaginant  que  l'air  natal  pourrait  lui  faire  du 
bien,  et  le  malade  ne  pouvant  plus  être  transporté,  il  fourra  lOUs 
son  lit  un  bassin  plein  d'odeur  de  Madrid.  L'Espagnol,  après  des 
r^ves  délicieux,  s'éveilla  en  disant  :  '  Ho  Madrid  de  mi  aima  t  ■ 
et  il  guérit.  >  {mémoire  du  baron  de  Gleichen.)  Mais  ces  Inno- 
vaUons  irritaient  profondément  la  population  espagnole,  et  lorsque 
Charles  m  défendit  les  grands  mantcaui  et  les  grands  cbspeaui. 
Madrid  se  souleva,  la  garde  du  roi  fui  mise  en  déroute  et  il 
fallut  exiler  Squillece,  qui  passait  pour  l'inspirateur  de  tous 
ces  changemente. 

I ,  Sur  la  UgUlalion  tt  le  Ctmtaeret  dri  graùu. 


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LETTRES  DE  GALIANI  413 

passa  Newton  même,  dans  l'élégance,  netteté,  brièveté 
des  démonstrations.  C'est  ce  que  j'admire  le  plus 
en  Jui. 

Pour  ce  qui  est  de  mon  ami  Horejlet,  aujourd'hui 
mon  réfutateur,  puisque  je  n'ai  pas  payé  son  livre 
cent  francs,  je  lui  pardonne  toute  sa  rérutatJon.  En 
vérité,  il  m'a  fait  mourir  de  rire,  en  voyant  que  comme 
bon  théologien,  il  est  persuadé  intimement  qu'il  est 
obligé,  en  conscience,  de  réfuterions  mes  mots,  mes 
syllabes,  mes  virgules.  Vive  le  jansénisme  !  toutes  les 
vertus  des  païens  sont  des  vices.  Il  me  réfute  lorsque 
jo  m'oppose  aux  économistes,  et  il  me  réfute  encore 
plus,  lorsque  je  suis  d'accord  avec  eux.  Tout  lui  dé^ 
plait  dans  ma  bouche  :  c'est  charmant  en  vérité.  De  là, 
il  en  doit  arriver  qu'un  homme  qui  lira  son  livre  ne 
saura  pas  quelle  conséquence  en  tirer,  ne  devinera  pas 
quel  est  l'avis  de  l'abbé;  il  saura  seulement  qu'il  n'est 
pas  de  mes  avis,  autant  de  ceux  que  j'ai,  que  de  ceux 
que  je  n'ai  pas.  Que  cela  est  instructif! 

La  chaise  de  paille  me  demande  des  inscriptions. 
Dites-lui  qu'il  n'en  aura  pas,  qu'au  préalable  il  ne  m'ait 
informé  du  sort  qu'ont  eu,  autant  celle  pour  la  st£>tue 
du  czar  Pierre,  que  celle  pour  le  tombeau  des  ducs  de 
Saxe-Gotha . 

Bonsoir;  il  est  trfâ  lard.  Adieu,  aimez-moi. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  (lAl.lAM 


Ktplsg,  U  iDia  IT1S. 

Vous  avez  été  bien  aimable  de  m'avoir  donné  de  vos 
nouvelles  à  travers  vos  mariages  ',  vos  émi^utes  et  vos 
hourvaris  récréatifs.  Apparemment  tout  cela  est  arran- 
gé, car  vous  ne  m'en  dites  mot.  Tant  mieus,  et  j'en 
suis  vraiment  ravi  pour  H.  Turgot  ;  je  regarde  comme 
un  vrai  bonlieur  pour  la  France  de  le  posséder 
en  place.  Je  m'en  suis  assez  expliqué  avec  notre 
Garaccioli. 

J'aurai  tout  le  temps  d'attendre  l'ouvrage  de  Nedier 
sur  les  blés  :  rien  ne  presse,  car,  comme  je  ne  veux 
réfuter  personne,  ni  ne  dois  administrer  cette  partie, 
et  comme  mon  système  est  pris,  et  que  rien  ne  roc 
détermine  à  le  changer,  puisque  je  suis  exportiste 
autant  qu'aucun  autre,  et  que  l'impAt  des  traites  sur 
l'exportation  ne  saurait  la  gêner  en  aucune  maniërei 
pas  plus  que  les  impdls  des  aides  ne  gênent  le  com-  ' 
roerce  des  vins,  je  n'ai  plus  rien  à  apprendrci  et  rien 

l.Le  mariage  du  BU  d«  nudime  d'SpÎDij. 


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LETTRES  DE  fiAl.tANl  «S 

à  répondre  sur  la  queslioD.  Horellet  me  réfuie  à  ou- 
trance; il  ne  saurait  oie  pardonner  rien,  pu  même 
d'aimer  l' Almansch  RoTal.  Patience.  Me  pardonnera-t-il 
de  Vaimer  toujours,  et  de  le  voir  toujours  assis  i  tabli; 
à  côté  de  moi,  cher,  le  baron?  S'il  me  te  pardonne, 
je  suis  content. 

Sans  doute,  il  me  faut  des  chemises  de  toile  de  coton, 
au  moins  douze.  L'ambasaadeur  qui  viendra  doit  être 
chargé  de  me  les  apporter. 

Auron&-nous  H.  de  Clermont,  si  sa  l'otnme  meurt? 
On  craint  qu'il  s'en  soit  lellement  affecté,  qu'il  prenne 
le  parti,  au  lieu  de  Naplea,  de  s'en  aller  à  la  Trappe  ; 
et,  en  vérité,  j'en  donnerais  le  choix  comme  de  detix 
épingles.  Pourquoi  m'enviez^vous  le  bonheur  de  voir 
la  chaise  de  paille,  changée  en  chaise  (le  poste,  et 
roulant  l'Italie?  Vous  vous  connaissez  peu  en  l'ait  de 
réfrigérer  des  finies  du  purgatoire;  tout  leur  est  bon, 
jusqu'aui  plus  cfaétib  chapelets.  Caraccioli  vous  a-t-il 
dit  combien  je  m'ennuie  ici,  et  combien  j';  suis  mal- 
lieureui  1 

Sérieusement,  si  vous  croyez  qu'il  faille  donnei*  une 
seconde  édition  de  mes  Dialogues,  songea  à  y  ajoutet' 
tous  les  morceaux  de  mes  lettres  relatifs  à  la  questioui 
Ajoute^-y  aussi  la  parodie  de  VInlirit  de  l'État  de 
M.  de  la  Rivière  ',  s'il  vous  parait  amusant;  et  en  un 
1.  La  Bagarre,  dont  madiiUc  d'Gpiuay  possidtiit  nuls  le  ms- 


D.nt.z«dbïG00g[c 


416  LETTRES  DE  GALUNI 

mol  compilez,  compilez,  compilez  lout  ce  que  vous 
trouveiez  de  moi  à  Paris,  mais  n'attendez  rieu  de  plus 
d'ici.  Puisque  je  n'ai  pas  réussi  à  persuader  des  tètes 
exaltées,  je  perds  courage. 

Donnez-moi  quelques  nouvelles  du  baron  et  de  la 
belle  baronne. 

Aimez-moi;  portez-vous  bieu,  et  faites- vous  une 
raison  sur  la  perte  par  éloignement,  puisqu'il  s'en 
faut  faire  aussi  sur  les  pertes  par  mort.  Adieu. 


Je  ne  sais  pas  si  c'est  une  réponse  ou  non. 

Voilà  deus  ordinaires  que  je  n'ai  point  de  lettres  de 
vous,  et  eu  voilà  tout  autant  au  moins  que  je  ne  vous 
écris  pas.  Mais,  depuis  que  Caraccioli  est  à  Paris,  je 
suis  moins  inquiet  sur  votre  silence,  et  vous  le  serez 
moins  sur  le  mien  :  je  compte  lui  écrire  régulièrement. 
11  vous  estimait  infiniment  dès  Naples;  il  vous  aimera 
à  la  folie  à  Paris.  Ergo  il  vous  verra  souvent,  it  vous 
lira  quelques  articles  de  mes  lettres,  comme  par  exem- 
ple celle  de  ce  soir;  nous  serons  donc  saus  lacunes 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIAM  417 

dans  notre  correspondance.  Tâchez  toujours  de  lui 
donner  de  vos  nouvelles  dans  les  semaines  que  vous 
ne  comptez  pas  m'écrire. 

Avez-vous  lini  vos  mariages?  Je  vous  les  soubaile 
plus  heureux  que  les  miens.  Pour  ce  soir,  je  n'ai  rieu 
à  vous  dire  ni  de  sublime  ni  de  plat.  J'ai  dormi  trop 
cet  après-dlner,  et  j'en  ai  un  grand  mal  de  tète  ;  je 
m'en  vais  au  spectacle.  Adieu. 


A    LA    MÉHË 


Voici  une  lettre  de  vous  tout  à  fait  chariiiaute. 
Vous  y  êtes  gaie,  bien  portante,  et  bien  contente  pour 
notre  ami  Sartine.  Vous  m'annoncez  des  choses  très 
agréables,  et  vous  me  dessinez  des  tableaux  bien  risibles. 
Naigeon  '  ,  s'arrachant  les  poils  de  sa  tête  de  plaisir, 


1.  Littérateur  eDcyclopédi)  te  ;  ses  premEers  trsTaoi  eurent  pour 

objet  l'élude  de   raoïiquilé.  Son  pédaniisme  et  la  raideur  de 

caractère  qu'il  alTectaU,  la  délicatesse  de  son  tempérameat,  sa 

flrinre  recherchée,  rormaleiit  un  contraste,  qui  prétait  useï  au  ridi- 

u  » 


jbïGoogIc 


4IR  I.ETTRB.S  DK  (lALIAM 

et  criant  :  c'eut  litfroyable  !  Puut-on  ne  pas  étouffer,  à 

se  l'imagiDor? 

Maurepas,  Turgot,  Sartine.  ftlalesherites  <  ,  vnilà 
quatre  hommes  <lont  un  seul  suRità  rétablir  tin  empire. 
Dieu  sait  si  tous  les  quatre  le  feront,  comme  il  est  sûr 
qu'un  seul  d'entre  eui  l'aurait  l'ait.  Ahï  que  l'aritbmé- 
lique  politique  et  physique  est  différente  de  la  numA- 
rique!  Il  n'est  pas  vrai  qu'en  doublant  les  causes  on 
double  les  effets  :  si  on  met  double  charge,  il  ne 
s'ensuit  pas  qu'on  enverra  le  double  plus  loin  la  balle; 
mais  on  fera  péter  ou  <;rever  le  canon.  Voilà  ce  que 
je  crains  sérieusement,  à  présent  que  je  le  vois  si 
chargé  :  restons  donc  à  voir  cela.  Il  faudra  bien  que  je 
me  presse  d'arriver  ù  Pari»,  si  je  veux  attraper  le 
moment  agréable  pour  moi  de  voir  quatre  grands 
amis  à  moi,  quatre  grands  hommes,  quatre  anciens 
intimes  amis  en  place.  Je  crois  voir  là  la  conjonction 
de  toutes  les  planètes;  ils  s'cntr'éclipseront. 
Au   lieu  àc  diminuer    ma   famille,  Je  l'augmente 


cule.  Une  liaison  très  étroite,  à  laquelle  il  dut  toute  u  cousls- 
laDM  littéraire,  s'établit  ealre  lui  et  Diderot.  Niigeon  eompouit 
M  conversation  de  celle  de  Diderot,  qu'il  copiait  en  tout.  On  a 
trouTÉ  parmi  ses  papiers  des  mémoires  historiques  et  philoso- 
phiques pour  servir  à  l'histoire  de  Diderot. 

1 .  Le  6  mai  1TT5,  la  Cour  des  Aides,  présidée  par  Halesherbes, 
présenta  su  roi  des  remontrantet,  reaiÉes  célèbres,  surle  «ystènie 
d'impAt  qui  pesait  sur  la  France  et  sur  les  abus  qui  en  résul- 
taient; elle  demandait  des  États  généraui.  — Turgot  fll  Doramer 
Maleaherbea  au  ministère  de  la  maison  du  roi. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI  410 

luus  les  jours.  Hier  m'est  arrivée  de  Marseilk  une  chatte 
angola  destinée  à  iiiod  chat  angola  :  failes-en-moi 
compliment,  car  je  suis  au  comble  de  la  joie.  On 
aura  luie  race  angola  à  Naples,  et  au  moins  les  gens 
d'esprit  auront  avec  qui  passer  la  soirée,  et  trouver 
(|u'on  leur  fait  patte  de  velours.  Au  reste,  nous 
déclinons  vers  la  barbarie  stupide  et  grossière  tous  les 
jours  davantage,  et  l'on  voit  bien  que  c'est  Dieu  qui 
Tait  cela  fi  lui  tout  seul,  et  parce  que  cela  l'amuse  : 
il  nous  enlàve,  par  la  mort,  tous  les  jours,  quelqu'un 
qui  aimait  les  lettres  et  qui  aurait  pu  les  protéger  ; 
et  il  Cut  cela  avec  un  choix  et  une  intelligence  qui 
ne  laissent  rien  à  soupçonner  des  effets  du  hasard. 
Le  duc  de  Bovino,  grand  veneur  du  roi,  était  le  seul 
de  nos  courlisaus  qui  avait  lu  Horace,  et  la  mort  nous 
l'a  enlevé  avant-hier.  D'après  ce  tableau,  ne  m'atten- 
deopYOUE  pas  d'uu  moment  à  l'autre? 

Bonjour,  ma  belle  dame  ;  mille  choses  à  M.  d'Affry, 
à  votre t'amillci  à  nos  amis.  Adieu! 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI 


A    LA    MÈHi: 


Madame,  je  n'ai  pas  i-époiidu  à  une  très  belle  lettre 
de  vous,  la  semaine  passée  ;  heureusement  cette  semaine 
je  n'en  ai  point  reçu  :  ainsi  je  ne  serai  point  en  retard. 
Vous  me  disiez  qu'&  la  chaleur  près,  vous  vous  por- 
tiez à  merveille;  et  moi,  je  me  croirais  encore  mieux 
portant,  si  j'étais  en 

Vous  m'avez  conté  l'histoire  de  l'abbé  Bandeau,  en 
croyant  me  l'avoir  déjà  mandée  ;  mais,  en  vérité,  vous 
ne  me  l'avez  écrite  qu'une  seule  fois.  Oroyes-moi,  et 
souvenez-vous-cu  lorsqu'il  en  sera  temps,  les  écono- 
mistes casseront  le  cou  à  M.  Turgot.  Ils  ne  méritent 
{>as  d'avoir  un  ministre  dans  leur  secte  absurde  et 
ridicule. 

Je  commence  ù  être  embarrassé  pour  ma  toile  de 
cotOD  :  cependant  je  vois  que  te  meilleur  parti  est 
toi^ours  d'attendre  qu'un  ambassadeur  de  France 
vienne  à  Naptes,  car  enfin  il  en  viendra  un,  et  de 
le  prier  de  s'en  chaîner. 


!i!ïGooglc 


LETTRES  DE  GALIANI  4« 

J'ai  repris  ces  jours  passés  la  lecture  de  vos  Dia- 
logues, et  je  suis  tombé  sur  ce  petit  catéchisme  du 
douzième  dialogue  :  c'est  un  chef-d'œuvre  '  ;  il  est  au- 
dessus  de  tous  les  éloges  :  très  peu  de  personnes  sont 
en  état  d'en  mesurer  l'effet  progressif. 

Nous  n'avoQS  rien  ici  en  fait  de  littérature.  Je 
m'occupe  sérieusement  à  diriger  un  opéra  comique: 
s'il  réussit,  je  vous  en  instruirai  plus  amplement. 

Puisqu'il  n'est  pas  temps  de  la  liberté  de  la 
presse  à  Paris,  laissons  là  les  blés,  les  dialogues 
et  les  économistes.  Je  m'occupe  d'Horace  '  ;  je  suis 
parvenu  à  me  former  une  idée  bien  distincte  de  sa 
vie  :  il  a  été  malheureux,  pauvre,  très  mal  traité  par 
Mécène  qui  l'employa  beaucoup  et  lui  fit  très  peu  de 
bien.  Les  Mécènes  anciens  étaient  tels  que  les  Mécènes 
modernes.  Le  monde  s'est  toujours  ressemblé. 

Pardoonez-moi  si  je  ne  remplis  pas  le  papier.  Vous 
ne  sauriez  imaginer  combien  je  suis  obsédé  et  excédé 
d'ennuyeux.  Adieu  ! 


t.  ConMTtaiifmt  dEmilit,  tome  I",   page  3Î3,  —  l.aii 
FriDCOls  Locombe. 
3.  V(rir  la  lettre  du  3  juin  1775. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DK  IIAI.IAWI 


Madame, 

Vous  avez  bien  niisoa,  mais  Je  n'ai  pai  tout  à  fait 
lort.  Je  vous  avais  mandé  que,  lorsque  Caracci<di 
sérail  arrivé,  j'écrirais  taotAt  à  lui,  tantôt  à  vous;  ainai, 
vous  pourriez  avoir  toujours  de  mes  nouvelles,  sans  en 
l'aire  jamais  la  dépense.  La  raison  principale,  d'écrire 
plutôt  à  Caraccioli  qu'à  vous,  est  votre  maudite  tangue, 
sur  laquelle  je  commence  à  me  rouiller,  au  point  que 
je  me  trouve  bien  plus  à  l'aise  d'écrire  en  italien  à  Ca- 
*raccioli.  En  même  temps  cela  doit  l'obliger  à  voua  aller 
trouver,  el  je  travaille,  d'ici,  à  nouer  votre  amitié  avec 
lui. 

Plaignez-moi  si  je  ne  puis  pas  vous  écrire  plus  au  long 
ce  soir  :  je  suis  excédé  d'affaires  ennuyeuses,  el  je  m'en 
donne  d'amusantes  avec  mon  Horace  et  une  pièce  co- 
mique, que  je  suis  occupé  à  l'aire  achever  sous  ma  di- 


jbïGoogIc 


LETTRfiS  DE  GAMANI  ^t3 

recUon.  Elle  aura  pour  titre  le  Socrate  imaginaire  ': 
il  n'y  a  rien  de  plus  fou.  Je  vous  la  ferai  tenir  lorsqu'elle 
seraimprintée.  Bonsoir  '. 


A      LA     MËHK 

Ni|dei,  le  seplsmbre  IT79. 

Il  est  vrai,  notre  correipondance  est  allée  depuis  trois 
ou  quatre  mois,  fort  dérangée  chronologiquement,  mais 
je  vous  aime  toujours  très  méthodiquement.  Si  je  suis 
absent,  ce  n'est  pas  ma  faute,  ni  celle  de  mon  cœur  : 
mais  vous,  qui  avez  besoin  de  fruits,  pourquoi  ne  vous 
rendez-vous  pas  à  Naples,  le  pays  des  fruits?  Je  vous  pro- 
mets des  excellentes  figues  et  des  melons  à  Noël .  Venex^ 
je  vous  logerai  :  vous  ne  verrez  que  moi,  si  vous  voulos, 
et  je  ne  verrai  que  vous  durant  votre  séjour.  Si  le 
baron  *  ne  se  laisse  voir  ni  à  dtner  ni  ù  souper,  et  que 


i .  Paeslello  o 
3.  Srlmin. 


jbïGoogIc 


434  LETTRES  DE  GALIAM 

VOUS  ne  vouliez  pas  eutainer  le  coucher,  on  pourrait  au 
moins  le  forcer  à  accorder  le  lever.  Les  barons  du  St- 
Empire  sont  une  sorte  de  souverains  :  leur  lever  pour- 
rait être  majestueux  ! 

Comme  je  n'ai  rien  à  vous  mander  ce  soir,  je  vous 
parlerai  de  ma  pièce  comique  :  c'est  une  imitation  de 
Don  Quichotte.  On  suppose  un  bon  bourgeois  de  pro- 
vince qui  s'est  mis  en  tAte  de  rétablir  l'ancienne  philo- 
sophie, l'ancienne  musique,  la  gymnastique,  etc.  H  se 
croit  Socrate  :  il  a  pris  son  barbier,  dont  il  a  fait  Platon 
(c'est  te  Sancho  Pança)  ;  sa  femme  est  acariâtre  et  le 
bat  toujours:  ainsi  c'est  une  Xantippe.  Il  va  dans  son 
jardin  consulter  son  démon  ;  enfin  on  lui  fait  boire  un 
somnifère,  en  lui  faisant  croire  que  c'est  la  cigûe:  et 
grâce  à  l'opium,  lorsqu'il  se  réveille,  il  se  trouve  guéri 
de  sa  folie.  Ce  sujet  serait  digne  d'un  petit  roman  bien 
gai,  et  c'est,  à  mon  avis,  le  seul  qui  pourrait  étreaussi 
original  que  Don  Quichotte,  et  du  goût  de  notre  siècle. 
l/>rsque  la  pièce  sera  imprimée,  je  l'enverrai  à  Carac- 
cioli  ;  et  s'il  veut  se  donner  la  peine  de  vous  en  expli- 
quer les  phrases  et  les  plaisanteries  napolitaines,  vous 
rirez. 

Je  me  réjouis  infiniment  du  succès  de  vos  mariages  ; 
les  miens  ne  l'ont  pas  été  autant:  l'aînée  est  tombée 
dans  les  mains  de  certains  dévots,  d'ailleurs  bonnes 
gens;  ils  ne  me  sont  d'aucune  ressource,  mais  du  moins 
ils  ne  me  tmcassentpas.  Mais  la  cadette  a  développé  un 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  CALIANl  iii 

caractère  infâme  *,  et  est  tombée,  dans  le«  tnaina  d'un 
homme  encore  plus  inrâme;  mais,  lorsqu'elles  auront 
eu  leurs  dots,  je  serai  tranquille. 

Aimez-moi  ;  portez-vous  bien.  Adieu  1 


naplas,  an  septembre  ms. 

Ma  belle  dame,  vous  eies  bien  bonne  de  songer  à 
m'écrire  et  h  faire  mes  emplettes,  au  beau  milieu  de 
vos  noces;  je  n'en  aurais  pas  fait  autant.  Au  fond, 
toutes  mes  commissions,  que  je  vous  prie  de  m'envoyer 
par  M.  deClermont,  se  réduisent  à  la  quantité  de  toile 
de  coton  nécessaire  pour  douze  chemises  et  trois  dou- 
zaines de  paires  de  poignets  ;  si  vous  voulez  y  ajout^M' 
douze  mouchoirs  rouges  de  toile  de  Suisse,  à  la  bonne 
heure  ! 

Pour  des  livres,  je  ne  souhaite,  comme  vous  savez, 
que  des  voyageurs.  Si  on  a  traduit  en  trançaîs  les  voya- 

1.  Après  la  moi't  deGallant,  cette  aittce,  la  marquise  de  Sas- 
sinon}.  36  trouTint  mal  iraitée  dans  le  teslmneat.  voulut  l«  taire 
PMner;  elle  ne  r^asail  paa. 


jbïGoogIc 


4H  LETTRES  DK  GAI.IANI 

ges  de  MM.  Solaadar  et  Bancks,  en  Islande,  à  l'Ile  d'O- 

taïti.  etc.,  voiU  tout  '. 

J'attends  Grimm,  puisque  tout  Ifl  monde  lue  le  pro- 
met, mais  avec  des  fils  de  conquérants  de  Turcs  et  des 
Transdanubieus  *,  Grimm  ne  me  vaudra  pas  grand'cbose 
et  il  appartiendra  à  la  classe  des  quantités  Iranscen- 
daiilales.  Adieu,  je  suis  horriblement  pressé. 


A   MADAME  DE  BELSUNCE 

Naples,  («ociabre  I71i. 

Madame,  il  y  a  des  mains  maudites  qu'il  faut  baiser. 
La  vôtre  en  est  une.  ie  la  baise,  comme  vous  me  l'or- 
donnez; mais  puis-je  ne  pas  maudire  cette  maladie 
inexorable  que  rien  n'apaise,  ni  les  mariages,  ni  les 
ouvrages  publiés  ',  ni  les  soins  des  médecins,  ai  ceux 

1.  Joseph  Banks,  prapriétiire  de  biens  considérables  dans  le 
comté  de  LIdcoId,  s'embarqua  à  bord  du  vaisseau  du  capiltine 
Cook.  sans  autre  motif  que  sa  passion  pour  le  progrès  des 
•Mencet.  tl  «ngigu  le  docteur  Solauder,  éiève  du  célébra  Linné. 
1  l'accompogner  dans  ce  voyage. 

3.  Grimm  Toyagetit  avec  les  comtes  Romauioff. 

8.  Madame  d'Aplnaf  renail  de  publier  !•)  ConvtnaWmt 
d-EmUUi. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  Oil-IANi  4Î7 

des  enfants.  Si  vous  ne  m'aviez  rien  mandé,  c'eût  Mé 
mieux,  car  j'aurais  cru  madame  voira  mère  partie  pour 
1»  Suisse.  A  présent,  il  me  faut  attendre  impatiemment 
six  jours,  six  moiiols  jours;  et  vous  me  demandez  de 
la  philosophie  I  Belle  demande  I  Tout  au  plus  puis-je 
vous  donner  ce  soir  les  assurances  du  respect,  de  la 
reconnaissance,  de  l'amitié  avec  lesquellesje  suis,  etc. 


A   MADAME   DE   BRI.SUNCE 

Nïple»,  H  novembre  iT.i. 

Madame,  vous  êtes  la  plus  aimable  des  filles,  puis- 
que vous  soignez  votre  mère,  vous  EOignei  Jes  amis  de 
votre  mère  absents,  vous  regrettez  ceux  qUl  sont  partis, 
et  vous  finissez  par  avoir  toutes  les  incommodités  de 
votre  mère;  vous  êtes  enrhumée,  vous  toussez,  vous 
crachez,  voilà  qui  est  admirable.  Comme  vous  m'or- 
donnez d'être  gai,  je  tâche  de  l'être,  mais  je  n'en  ai 
pas  trop  de  sujet.  Il  est  vrai  que  j'aurai  le  plaisir  de 
voir  le  petit  prophète,  mais  ce  sera  pour  un  instant  et 
en  fuyant.  Voilà  toute  ma  perspective  de  bonheur  et  de 


jbïGoogIc 


41N  LETTRES  DE  fiALlANI 

plaisir.  Si  je  retournais  le  tableau,  Dieu,  quel  spectacle 

de  chagrins  ! 

Premièrement,  je  tremble  pour  la  toi  le  de  coton  qui  va 
m'arriver.  Vous  m'annoncez  qu'elle  n'est  pas  égale  à 
l'échantillon;  si  elleallait  être  aussi  vilaine  que  la  pré- 
cédente, je  me  serais  ruiné  en  toile,  sans  avoir  une  che- 
mise. 

Secondement,  vous  aurezlu,  dans  ma  lettre  à  maman, 
que  je  m'étais  amusé  à  faire  composer  une  pièce  inti- 
tulée Socrate.  Celte  pièce  a  été  donnée  ;  elle  a  fait 
tant  et  puis  tant  de  bruit,  qu'ellea  fini  par  être  défendue 
du  très  exprès  commandement  de  Sa  Majesté.  Vous  ne 
sauriez  imaginer  combien,  à  cette  occasion,  j'ai  eu  le 
plaisir  de  voir  que  j'étais  aussi  cordialement  détesté  par 
nos  beaux  esprits  que  je  le  suis  par  les  économistes. 
Ainsi,  j'ai  pris  la  résolution  de  ne  plus  rien  publier, 
rien  faire,  rien  écrire  dorénavant. 

Troisièmement,  j'ai  le  chagrin  de  ne  pouvoir  con- 
tinuer cette  lettre;  on  m'appelle  ;  je  dois  sortir,  et  on 
ne  me  permet  que  de  vous  assurer  des  sentiments  de 
respect,  d'attachement,  qui  me  lieront  éternellement  h 
vous. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  RALIAM 


A.    MADAME     DEPINAY 

Nsples,  ti  décembre  ^^^i. 

Madame, 

Voire  fille,  qui  a  eu  au  uioiiis  autant  soin  de 
moi  que  de  vous  dans  votre  maladie,  vient  de  m'avertir 
que  je  pouvais  recommeucer  à  vous  écrire,  parce  qu'il 
y  avait  tout  à  parier  que  ma  lettre  vous  rencootrerait 
bien  portante  :  ai  cela  n'arrive  pas,  preiiez-vous^n  à 
elle.  Au  fait,  je  suis  ravi  de  recommencer  avec  vous, 
car  ia  parenthèse  a  élé  un  peu  longue,  et  je  commen- 
çais à  en  avoir  peur,  mais  n'y  songeons  plus. 

Le  fait  est  que  je  ne  sais  pas  par  où  recommencer, 
tous  les  fils  de  dos  dialogues  étant  cassés  ou  ralentis 
par  le  laps  du  temps.  Commençons  par  le  bon  bout, 
et  c'est  toujours  l'argent.  Je  vous  dois  de  l'argent  et  des 
remercimeuts  ;  pour  les  remerclments,  je  vous  les 
compte  sur  le  champ  :  recevez-en  mille,  dix  mille,  un 
million.  C'est  bien  beau  à  vous,  au  milieu  de  vos 
souffrances,  d'avoir  songé  à  mes  ciiemises.  Pour  de 
l'argent,  la  chose  n'ira  pas  si  vite.  Je  voulais  en  écrire 


jbïGoogIc 


«0  I.ETTRKS  DE  fiAlIV.M 

à  (^raccioli  ;  mais  il  tire  de  l'argeul  de  Nuples,  el  ii'ea 
remet  guère.  Je  pourrais  attendre  l'arrivée  de  M,  de 
Clermonl,  mais  il  tardera  peut-être.  Ainsi  le  plus  court 
et  le  plus  sikr  sera  de  vous  les  remettre,  ces  437  liv. 
8  sols,  par  une  lettre  de  change,  et  c'est  ce  que  je 
compte  l'aÎFc  dans  la  semaine  prochaine.  Ayez  donc  ce 
peu  de  patience. 

Gleichen  est  à  Milan.  Ainsi  il  verra  la  chaise  de 
paillé  avant  moi.  Je  l'attends,  cette  chaise,  avec  la  der- 
nière impatience,  pour  lui  montrer  mon  travail  sur 
Horace,  qui,  assurément,  lui  fera  grand  plaisir. 

Je  vous  avais  mandé  que  je  m'élais  occupé  à  faire 
travailler  à  un  opéra  comique  appelé  Sacrale,  et  que 
cela  m'avait  infiniment  diverti.  Ensuite  vous  êtes  tom- 
bée malade,  et  je  ne  vous  en  ai  plus  parlé.  Il  faut  donc 
vous  apprendre  que  cette  pièce  a  eu  le  plus  sublime  de 
tous  les  succès.  Elle  a  été  défendue  du  très  exprès 
commandement  de  Sa  Majesté,  après  avoir  été  donnée 
'  six  fois  au  public,  et  mAme  une  fois  à  la  cour.  Cela 
n'était  pas  encore  aiTivé  en  Italie.  En  France,  le  seul 
Tartufe  mérita  cet  honneur.  Ainsi,  mettez  Socratc  au 
niveau  du  Tartufe  pour  le  bniit  qu'elle  a  fait,  pour  les 
cabales,  les  intrigues,  les  méchancetés  qu'elle  a  enfan- 
tées'. Telle  est  ma  situation  ici,  la  frayeur  qu'excite 
œon  esprit  dans  les  têtes  dc'^  imbéciles  ;  enviez-moi  et 

1.  On  itréLcQdlt  qne  Galinni  avait  tournÉ  en  ridicule  un  des 
priDCipBUx  magistnude  la  ville,  le  conseiller  Halle). 


jbïGoogIc 


LKTTRKS  IIK  IJAMAM  *3I 

ne  m«  plaif^iiex  pas.  car  c«tle  affaire  ne  m'a  Tait  hucuii 
tort.  Vous  ne  sauriez  imaginer  toul«s  les  explications 
qu'on  donnait  à  cette  pièce,  toutes  les  allusions  qu'on 
y  trouvait.  Après  l'Apocalypse,  rien  n'a  été  aussi  dnV 
lemeot  expliqué.  Je  veux  mourir  si  je  savais  rien  de  ce 
qu'où  trouvait  dans  ce  que  j'avais  t'ait.  Cependant  ou 
u'a  pas  défendu  les  imprimés,  mais  si  je  vous  en  en- 
vov'ais,  vous  ne  les  goûteriez  pas.  Adieu. 


Saples,  !3  di'cenilirc  mi. 

Madame,  une  lettre  de  madame  votre  lille  est  aussi 
belle  que  peut  l'être  pour  moi  une  lettre  qui  ne  soit 
pas  de  TOUS.  Mais  il  y  a  des  choses  au  monde  qu'on 
ne  supplée  pas  par  équivalents,  telks  que  la  maîtresse, 
te  duel  et  vos  lettres.  Il  m'en  faut  donc;  songez  à  m'en 
écrire  au  plus  vite  ;  en  attendant,  je  joius  ici  une  lettre 
fur  et  non  pas  à  messieurs  Tourton  et  Baur,  qui  n'est 
point  béte,  telle  que  toutes  celles  de  la  nouvelle  année. 
Elle  a  pour  cent  trente-sept  livres  huit  sols  d'esprit; 
n'est-ce  pas  en  avoir  beaucoup?  L'ordre  de  compter 


jbïGoogIc 


m  LETTRES  DE  UALlANi 

l'argeot  au  ftomaiizogogue  '  m'est  arrivé  trop  lard,  el 
ma  lettre  de  chai^  vous  fera  (ourher  l'argent  plustdt. 
Ainsi  c'est  le  mieux. 

Madame  votre  Jille  m'a  donné  des  nouvelles  touchant 
des  séparations  dont  elle  a  bien  senti  la  nullité  d'înlé- 
rét.  Elle  ne  m'a  pas  appris  la  plus  importante  pour 
moi,  savoir  si  M.  l'ambassadeur,  et  mes  chemises  avec, 
étaient  partis. 

Nous  avons  ici  le  margrave  de  Bareith  '  ;  il  me  con- 
naissait de  réputation  sur  les  rapports  de  Grtmm, 
Gleichen  et  peut-être  de  mademoiselle  Clairon  ;  il  m'a 
comblé,  parconséquent,  d'amitiés  auxquelles  j'ai  répondu 
par  beaucoup  de  franchise  et  de  vérité  dans  mes  propos. 
C'est  un  aimable  prince,  fort  réservé  ici,  mais  n'ayant 
aucun  des  défauts  de  son  rang.  Gleichen  sera  ici  en 
carnaval  et  le  petit  Prophète  y  sera  en  même  temps. 

1.  tii'imui. 

3.  c  Le  margrave  de  Bareith  el  d'Anspauh  iUil  un  bomme 
Irès  original^  l'Europe  entière  retentit  de  ses  folies  et  d«a  im- 
possibilités  dont  su  vie  fut  plèbe.  Il  ne  connaissait  pas  de  freia 
dans  ses  caprices  et  établit  à  sa  cour  mademoiselle  Clairon,  qui 
y  resta  dii-sept  ans  comme  amie,  comme  maîtresse,  je  ne  sais, 
mais  assurément  comme  première  puissance.  >  {Mémoirei  de 
madame  d'Oberkircb.)  On  dit  m£me  que  Clairoa,  au  grand  scan- 
dale de  la  noblesse,  fut  nommée  gouvernante  des  eafanls  du 
margrave.  Dès  1779,  aux  conrérences  de  Teschen,  le  margrave, 
dominé  par  mademoiselle  Clairon,  et  préférant  sa  liberté  et  ses 
plslsiis  aux  deroirs  de  la  souveraineté,  fit  t  Frédéric  II  la 
cession  de  ses  deux  margraviats  en  échange  d'une  pension,  an- 
nuelle de  douze  cent  mille  lifrM.  (Voir  l'appendice  XVill.) 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  CALtANI  433 

J'aurai  des  jours  heureux,  mais  bien  courts;  il  faut 
s'cD  contenter  :  la  vie  est  si  courte  elle-même  ! 

Peut-on  avoir  de  l'esprit  dans  ses  lettres,  lorsqu'on  a 
passé  toute  la  journée  (comme  je  fais),  à  entendre  des 
platitudes?  Plaignez-moi  :  je  suis  abruti.  Adieu.  Mille 
remerciements  à  madame  de  Beisunce  des  soins  qu'elle 
a  eus  d'entretenir  ma  correspondauce.  Allons,  c'est 
trop  la  fatiguer;  déchargez-la  une  bonne  fois  de  ce 
travail. 

Puisque  la  nouvelle  année  m'obligerait  à  écrire  enCn 
à  quelqu'un  de  mes  amis  délaissés,  chargez-vous  du 
baron  d'Holbacb,  de  la  baronne,  de  HH.  Neck.er,  Suard, 
Marmontel,  Raynal,  etc.  Caraccioli  se  chargera  du  reste. 
Adieu  encore. 


Pour  le  coup,  ma  belle  dame  (car,  quoique  vous  soyez 
très  faible  et  fort  maigrie,  vous  êtes  toujours  ma  belle 
dame),  sans  Qatteric,  votre  lettre  est  la  plus  belle  lettre 
qu'on  ait  écrite,  depuis  qu'on  a  écrit  des  lettres.  Je 


jbïGoogIc 


434  LETTRES  DE  GALIANI 

VOUS  en  fais  juge.  La  chaise  de  paille  et  moi  embrassés, 
voulant  jouir  de  ce  bonheur  taut  soupiré,  et  commençant 
à  le  goûter  en  effet,  si  une  lettre  de  vous  était  arrivée 
avec  de  fâcheuses  nouvelles  de  votre  santé,  quel  coup 
de  massue  I  Quelle  horrible  Bitiiation  pour  nous  deux, 
de  ne  nous  être  revus  que  pour  pleurer  ensemble  1  En 
revanche,  j'ai  reçu  votre  lettre  dictée  par  vous  :  je  ne 
faisais  que  le  quitter  ;  vite  j'ai  couru  chez  lui  :  nous 
nous  sommes  embrassés  comme  des  pauvres,  et  vite  et 
vite  nous  avons  pris  des  arrangements  pour  le  Vésuve, 
la  Cocagne,  les  presepios  et  mille  autres  niaiseries 
napolitaines.  Ah!  la  bénite  lettre!  la  bienheureuse 
lettre  1  elle  nous  a  ressuscites  ! 

Si  je  l'ai  revu,  pourquoi  ne  vous  reverrais-je  pas 
aussi? 

Il  m'a  apporté  les  poignets  et  la  toile.  Je  fais  préci- 
sément comme  celui  qui,  voulant  avoir  un  équipage, 
commença  par  acheter  le  foin.  Adieu,  je  ne  puis  pas 
être  plus  long,  la  poste  part  à  minuit,  et  voilà  onze 
heures  qui  sonnent,  adieu  encore.  Toujours  de  bonnes 
nouvelles  de  votre  santé,  et  puis  laissez-nous  faire. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI 


Kiples,  Il  février  tin. 


Votre  lettre  du  14  au  S!l  a  mis  le  comble  aux  plai- 
sirs du  séjour  de  Grimm  à  Naples  et  au  mien  de  l'avoir 
revu.  Nous  tremblions  à  chaque  instant  d'être  troublés 
dans  nos  doux  transports  parisiens,  par  quelque  lettre 
désagFéable  de  vous;  au  contraire,  vous  nous  avez 
régalés  au  commencement  et  à  la  fm  de  deux  lettres 
dictées  par  vous,  dont  la  dernière  respire  la  gaieté  et 
la  force.  Ce  dialogue,  grand  Dieu?  quel  dialogue  !  Grimm 
l'a  emporté  pour  en  régaler  Gleichen  et  quelque  autre 
à  Rome;  mais  il  me  le  renverra,  pour  que  rien  ne 
manque  à  ma  collection  de  vos  œuvres. 

Que  puis-je  vous  dire  d'ici?  Grtmm  a  laissé  un 
grand  vide  dans  mou  existence  et  des  regrets  infinis 
dans  mon  âme.  Cependant,  c'est  beau  de  nous  être  revus. 
Peut-être  je  vous  reverrai  à  mon  tour.  Ainsi  donnez- 
vous  la  peine  et  songez  sérieusement  à  m'attendre. 

Les  Romanzoff  ont  singulièrement  réussi  ici  comme 


jbïGoogIc 


436  LETTRES  DE  RALIANI 

partout,  et  avec  justice.  II  y  a  bien  de  l'étoffe  en  eus, 
surtout  dans  l'atné  qui  est  déjà  mûr,  et  ils  ont  un  très 
beau  poli  de  vernis.  De  tous  les  étrangers,  qui  se  sont 
trouvés  ce  carnaval  ici,  ils  étaient  les  plus  aimables 
sans  comparaison  '. 

Ce  soir  je  n'ai  pas  le  temps  de  m'arrëter  davantage 
avec  vous.  Remerciez  votre  aimable  fille  des  soins 
qu'elle  a  eus  dem'inl'ormer  exactement  de  votre  état,  et 
dispensez-la  à  jamais  de  ce  soin-Iâ.  Informcz-en-moi 
vous-même.  Adieu.  Grimm,  de  Rome,  vous  en  dira 
davantage. 


1.  Nous  trouvons  dans  madame  de  Genlls  quelques  détails 
qui  coalirroent  l'oplDion  de  Galiani  sur  les  Ramanzoff:  s  Ce 
voyage  de  Spa  (juillet  1787)  fut  très  brillant;  j'y  reiroural  M.  le 
comle  de  RonianzolT,  que  nous  avions  rencontré  t  Veniie,  ' 
quelques  années  Bupsravanl,  sous  la  conduite  de  M.  de  Grimm- 
Quoiquil  n'eût  k  cetle  époque-IA  que  dii-liuit  ans,  il  éleil 
d^i  fort  aimable.  H.  de  RomanioiT,  qui  n'avait  jamais  été  en 
France,  pariait  el  écrivait  le  français  comme  s'il  eût  passé  sa  vie 
i  Paris.  Je  n'ai  connu  personne  dont  la  conversation  fût  plus 
agréable;  son  esprit  s'était  formé,  il  avait  acquis  beaucoup 
d'instruction  et  sans  avoir  rien  perdu  de  son  amabilité  sociale.  ■ 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  BALIANI 


Naples,  llïTrll  UTt. 

Je  ne  répondis  pas  la  semaine  passée  à  voire  char- 
mante lettre,  parce  que  c'était  samedi  saint,  jour 
consacré  aux  visites  de  ce  que  nous  appelons  buona 
pasqua,  qu'il  faut  remplir  aussi  soigneusement  que 
celles  de  la  nouvelle  année  de  Paris.  Cette  semaine 
j'attendais  avec  la  dernière  impatience  vos  nouvelles 
sur  le  Lit  de  justice  et  sur  les  suites  de  la  suppression 
des  corps  et  métiers,  que  j'imaginais  terribles  et 
funestes;  mais  je  me  suis  trompé  peut-être,  et  l'abbé 
Horellet  aura  raison. 

Vous  ne  m'avez  point  écrit,  et  me  voilà  à  l'obscur 
de  tout.  Cependant,  quelle  que  puisse  être  la  réussite 
de  la  chose,  comme  je  ne  vous  ai  jamais  donné  mon 
avis  sur  ces  opérations  Turgotiennes,  le  voici  simple  et 
naïJ'*.  J'applaudis  à  la  substance  de  l'affaire  des COTvées 


1 1 .  Depuis  peu,  les  mercbandi  de  nouTeautés  en  tabatières  ont 
imaginé  des  boites  plates,  qu'ils  ont  par  cette  raisoa  appelées  des 
Platitudes;  elles  loot  de  cartou  et  i  tiÈs  bon  compte.  Madame 


jbïGoogIc 


43S  LETTRES  DE  GALU»! 

6tées  et  d'un  iœpOt  substitué,  mais  j'aurais  souhaité 
qu'on  eût  prisdes  mesures  bien  plus  fortes  pour  €'assurer 
que  jamais  l'argent  récolté  par  la  taxe  sur  les  terres 
ne  serait  employé  à  autre  chose  qu'à  faire  des  chemins. 
Sans  une  grande  précaution  sur  cela,  à  la  première 
guerre  et  peut-être  même  sans  guerre,  dans  la  main 
d'un  autre  contrôleur,  on  prétextera  des  besoins  de 
l'Ëtat,  on  détournera  ce  fonds  et  vous  resterez  sans 
chemins  :  car  on  ne  pourra  plus  y  forcer  les  paysans, 
et  l'on  n'aura  pas  d'argent  pour  les  soutenir. 
Pour  ce  qui  est  de  la  suppression  des  jurandes  ',  je 


It  dnchesse  de  Bourbon  est  Bllée  ces  jours-ci  ï  l'hOlel  labacb,  et 
quand  on  lui  a  demandé  ce  qu'elle  désirallîi  DeiTurgotitie«>,  a- 
l-elJe  répondu.  Le  marchand  aurpri»,  ignorait  ce  qu'elle  *oii- 
lait  dire.  (Oui,  des  Ubatiëres  comme  celles-là  i,  a-l-elle  ajouté,  en 
montrant  la  forme  moderne  :  <  Madame,  ce  sont  des  Platitudes.  ■ 
s  Oui,  oui,  B  riposlé  la  princesse,  c'est  la  même  cbose.  >  Le 
nom  leur  en  est  resté  et  il  n'est  personne  qui  ne  veuilie  avoir 
ta  TurgoUne  ou  sa  platitude.  • 

{BachaumoDt.) 

t.  Turgoi  eoDlittualt  ses  réformes.  En  janvier  1TT6  il  proposa 

!■  L'abolition  de  la  corvée  pour  les  chemins  et  son  remplace- 
ment par  un  impât  sur  les  propriétaires  de  bien  fonds. 

3*  L'abolition  des  droits  établis  A  Paris  sur  les  blés  et  les 
farines. 

3'  L'abolilion  des  offices  créés  sur  les  halles,  quais  et  ports  de 
PaHs. 

4'  La  suppression  des  Jurandes,  maîtrises  et  corps  de  métiers, 
et  la  pleine  liberté  pour  tout  citoyen  d'entreprendre  toute  espèce 
d'industrie,  etc.,  etc. 

Le  y  février  1776  les  édils  annoncés  furent  envoyés  au  parle- 

eni  pour  l'enregiitremeni.  Sur  six  édits  envoyés,  le  parlement 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALUNI  US 

le  dis  &  la  barbe  de  tous  les  raisonneurs  à  la  mode 
et  de  tous  les  économistes,  c'est  une  bêtise,  une  faute, 
une  absurdité.  On  ne  connaît  pas  les  hommes  : 
Conamw  in  vetitum.  Plus  une  chose  est  difficile, 
pénible,  coûteuse,  plus  les  hommes  l'aiment,  s'y  atta« 
chent,  en  raffolent.  Les  ordres  religieux  les  plus 
austères  sont  ceux  qui  ont  produit  le  plus  do  grands 
bommes.  Rendez  les  règles  des  pères  de  Sainl-BIaur  ou 
des  jésuites  aisées,  commodes,  leur  ordre  est  détruit  ; 
ainsi  je  suis  persuadé  que  M.  Turgot  a  porté  le  coup 
fatal  aux  manufactures  de  la  France.  Les  habiles 
artistes,  en  partie  sortiront;  d'autres  se  négligeront; 
et  au  lieu  d'établir  l'émulation,  il  aura  cassé  tous 
les  ressorts  vrais  du  cœur  de  l'homme.  Tel  est  mon 
avis. 

Je  n'ai  pas  eu  de  nouvelles  du  voyageur  depuis  un 
mois;  mais  il  est  si  paresseux!  Je  suis  enchanté  des 
progrès  de  votre  santé.  Pour  moi  je  me  porterais  bien, 
si  je  n'étais  dans  le  chagrin  d'avoir  perdu  mon  chat. 
Vous  ne  sauriez  imaginer  à  quel  point  je  suis  fâché 
d'avoir  perdu  i'ami  le  plus  raisonnable  que  j'eusse  ici, 

Gleichen  nous  quittera  bientât  ;  son  imagination  est 
bien  blessée,  et  peut-être  sa  santé  est  plus  mauvaise 


n'en  enrepïtra  qn'un  seul  et  demanda  au  roi  le  reirait  âea 
autres.  LonU  XVI  refusa,  et  comme  le  parlement  penistait  i 
désobéir,  un  lit  de  justice  Tut  teoD  le  11  mars  et  on  passa  outre 
pour  l'enregiatrement. 


jbïGoogIc 


«0  LETTRES  0E  GALIANl 

qu'elle  ne  parait.  En  tout  il  se  dispose  à  devenir 
très  malheureux.  Grondez  Hagallon  de  ne  m'avoir 
jamais  écrit.  Adieu. 


A    MADAME    DE    BELSUNCE 


Pour  le  coup,  c'est  bien  k  vous,  madame,  qu'il  Tant 
que  je  réponde.  Savei-vous  que  vous  devenez  charmante 
avec  vos  lettres?  Elles  n'annoncent  plus  la  maladie  de 
maman  ;  elles  en  exposent  les  occupations,  les  distrac- 
tions, les  idées  agréables  de  changer  de  maison,  et 
même  d'en  acheter  (ce  qui,  soit  dit  entre  nous,  me 
cause  autant  de  plaisir  que  d'étounement).  Continuez 
donc  &  présent  à  m'écrire  à  sa  place,  je  ne  m'en  plain- 
drai pas,  et  même  à  peine  pourrai-je  m'aperceroir  du 
changement. 

Je  sens  tout  le  chagrin  et  l'amertume  dans  lesquels 
doit  être  plongée  maman,  par  la  mort  de  son  chieo. 
Jugez,  vous,  à  présent,  de  la  mienne,  puisqu'on  vient  de 
tuer  mon  chat.  Abl  quelle  perle  que  celle  des  chiens 
et  des  chats  !  Tous  les  Vrilliëres  du  monde  ne  sont 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANl  4*1 

rien  en  coiDparaisoa*.  Ea  vérité,  je  suis  inconsolable 
depuis  trois  semaines,  il  avait  été  mon  maître  de  langue 
chatoise  ;  et  quoique  je  ne  pusse  pas  la  parler,  parce  que 
la  prononciation  en  est  plus  difficile  que  l'anglais,  je 
l'entendais  passablement. 

Mais  parlons  d'autre  chose.  Je  ne  suis  point  du  tout 
content  du  changement  de  maison  que  veut  faire  ma- 
man. Je  crois  plus  utile  pour  elle  le  bruit  que  la  soli- 
tude, on  se  fait  au  plus  grand  bruit,  comme  à  celui  des 
vagues  lorsqu'il  est  continuel,  mais  on  ne  se  fait  pas 
à  la  solitude.  Elle  nous  laisse  le  temps  de  sentir  nos 
incommodités,  qui  en  deviennent  plus  fortes  par  là  1 

Le  baron  de  Gleîchen  a  été  plus  heureux  que  le 
généi-al  Koch  ;  il  a  trouvé  ici  une  eau  soufrée  dont  il 
boit,  et  qui  tue  les  vers;  elle  l'a  remis  dans  un  état  de 
santé  meilleur  qu'il  n'aurait  pu  s'imaginer.  Jamais  il  ne 
s'est  si  bien  porté;  il  est  vrai  qu'il  s'ennuie  à  périr; 
mais  les  eau^  n'ont  jamais  guéri  l'ennui  ;  quelquefois  le 
Vin  Va  dissipé. 

Pardonnez-moi,  madame,  la  bêtise  de  cette  lettre  ;  je 
suis  accablé  constamment  d'occupations  ennuyeuses,  11 
faut  que  je  sorte  :  il  est  tard;  la  matière  me  manque,  et 
l'esprit  est  à  sec.  Embrassez  maman  de  ma  part. 
Adieu. 

1.  M.  le  due  de  la  Vrillière  était  minislre,  secrétaire  d'Ëlal; 
il  avait  le  déperCement  de  la  maiHiQ  du  roi,  le  clergé,  etc.  Il  fut 
dettitoÈ  en  1176  et  remplicé  par  Amelal,  secrétaire  d'Étal. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANl 


HADÀUE   D'ÉPINAV 


HapleE,  i«  mai  ^^^t. 

Que'  blasphème  !  Vous  appelez  un  chiffon  une  lettre 
écrite  toute  de  votre  main,  qui  me  parle  de  votre 
santé,  mieuK  que  je  ne  l'osais  attendre;  qui  m'annonce 
des  idées  de  changements  de  maison,  d'achat,  et 
d'autres  choses,  toutes  agréablement  fastidieuses.  Et 
que  pouviez-vous  m'écrire  de  plus  important? 

H'auriez-vous  parlé  de  vos  édits,  de  vos  réformes? 
Sur  les  édils,  je  vous  ai  déjà  mandé  mon  avis.  J'ap~ 
plaudis  à  tout,  excepté  les  maîtrises,  dont  l'abolition 
est  le  coup  mortel  porlé  aux  manufactures  de  France; 
et  l'effet  s'en  apercevra  dans  trente  ans  et  pas  aupara- 
vant. Pour  vos  réformes,  je  le»  applaudis  toutes,  d'au- 
tant plus  qu'aucune  ne  retombe  sur  moi.  Tite-Live 
disait  pourtant  de  son  siècle  (qui  ressemblait  si  fort  au 
nAtre)  :  Ad  hœe  tempora  ventum  est,  quibus  nec  vitia 
nostra  nec  remédia  pati  ponsamus.  «  On  est  dons  un 
siècle  où  les  remèdes  nuisent  au  moins  autant  que  les 
vices.  B  Savez-vous  ce  que  c'est?  L'époque  est  venue  de 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI  443 

la  chute  totale  de  l'Europe  et  de  la  transmigratiou  en 
Amérique.  Touttombeen  pourriture  ici:  religion,  lois, 
arts,  sciences  ;  et  tout  va  se  rebâtir  à  neuf  en  Améri- 
que. Ce  n'est  pas  ua  badinage  ceci,  ni  une  idée  tirée 
des  querelles  anglaises  :  je  t'avais  dit,  annoncé,  prè< 
ché  il  y  a  plus  de  vingt  ans  :  et  j'ai  ru  toujours  mes 
prophéties  s'accomplir.  N'achetez  donc  pas  votre  mai- 
son à  la.Chaussée-d'Antin,  vous  l'achèterez  à  Philadel- 
phie. Le  malheur  est  pour  moi,  puisqu'il  n'y  a  point 
d'abbayes  en  Amérique. 

Embrassez-moi  Schomberg  et  les  amis  qui  ne  seront 
pas  absents.  Le  voyageur  sera  à  Venise.  Je  n'en  aï 
point  de  nouvelles.  Adieu.  Voilà  du  chiffon,  si  vous  en 
voulez. 


KifiM,  f  juin  1TT6- 


Hîer  au  soir  est  arrivé  votre  ambassadeur.  La  pre- 
mière chose  dont  il  m'a  parlé,  c'est  de  votre  paquet. 
Je  l'attends  avec  impatience  pour  voir  si  la  deuiième 
expédition  de  la  toile  aura  été  moins  malheureuse  que 


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44*  LETTRES  DE  GALIANl 

la  première;  mais  il    faut  lui  donner  le  temps    de 

déballer  son  équipage.  Dieu  veuille  donc  que  ce  paquet 

ne  s'égare    pas  !    Car    comme    madame  )a  duchesse 

de  Chartres   va  lui  tomber  sur  le  corps',  il  y  aura 

pendant  quinze  jours  dans  sa  maison  un   hourvari 

récréatif. 

Vous  aurez  appris  la  mort  du  bon  comte  de 
Fuentès*.  J'en  suis  pénétré,  et  j'avais  bien  besoin  d'une 
lettre  aussi  gaie  que  la  vôtre.  Ce  qui  a  ajouté  à  mon 
plaisir,  c'est  la  feuille  de  notre  incomparable  philo- 
sophe. Notre  voyageur  vous  dira  que,  dans  son  séjour 
ici,  je  ne  lui  ai  parlé  que  du  philosophe,  lorsque  je 
pensais  à  m'égayer,  et  de  vous,  lorsqu'il  fallait  s'affli- 
ger. Vous  étiez  alors  dans  un  état  bien  chagrinant,  et 
je  m'attendais  bien  plus  à  apprendre  que  vous  eussiez 
été  loger  dans  la  domus  exilis  Plutonia  qu'à  la  Chaus- 
séc-d'Antin.  Enfin  Dieu  a  eu  pitié  do  moi. 

Je  répondrai  sans  faute  au  philosophe,  mais  donucz- 
en-moi  ic  temps.  Je  compte  l'amuser  avec  ma  réponse. 

Par  l'arrivée  du  beau-frère  de  l'ambassadeur,  qui  l'a 

1.  La  duïhosae  de  Charlrea  visitait  l'Italie. 

1,  Pendant  tout  soa  séjour  en  France,  (iailanl  avait  eu  les 
rapports  les  plua  affectueux  et  les  plus  Intimes  avec  le  conle  de 
Puentès,  alors  ambassadeur  d'Espagne  i  Paris.  Dans  sa  cor[«s< 
pondante  inétlita  avec  Tanucci,  il  parle  h  chaque  instant  délia 
cota  Fuentès,  comme  de  la  maison  où  il  allait  arec  le  plus  de 
plaisir.  Le  comte  de  Fueutès  mourut  k  Madrid  le  13  mai  1776, 
igé  de  53  aus. 


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LETTRES  DE  GALIA.M  445 

devancé  d'un  jour,  j'avais  appris  le  changement  du 
ministère,  et  je  n'avais  appris  rien  do  plus  que  ce  que  je 
savais,  lorsqu'on  créa  contrôleur-général  M.  de  Turgot  ' . 
De  grâce,  relisez  cette  lettre  que  je  vous  écrivis  alors  '. 
Je  vois  que  M.  de  Sarliae  va  devenir  le  pilote  de 
l'État*;  beati  mites,  quoniam  ipst  posstdebunt  teiram. 
Vous-même,  madame,  à  présent  que  vous  achetez  une 
maison,  vous  aimerez  bien  plus  l'architecte,  qui 
vous  en  réparera  les  trous,  vous  fera  quelques  légers 
changements,  que  vous  n'aimeriez  l'illustre  PerrauL, 
qui  vous  la  démolirait  pour  la  rebâtir  à  neuf  sur  un 
dessin  magnifique.  Car  vous  voulez  loger,  vous  sentez 


1.  r.es  réformes  de  Turgot  aTaieni  peu  à  peu  ameuté  eonire 
lui  tous  ceuxqui  l 's raieoi d'abord  soutenu,  Maurepas  lepremier.qui 
se  voj'all  complètement  effacé,  puis  la  famille  royale,  la  Cour, 
enOn  tous  ceux  qui  se  trouTaient  atteints  parles  ianovatloDS  du 
mlaislre.  On  poussa  iUalesherbes  k  se  retirer,  et  quand  oo  eut 
fait  le  vide  autour  de  Turgot,  on  obtint  du  roi  qu'il  le  renvoj'tt. 
I  Âhl  s'écria  Voltaire,  quelle  funeale  nouvelle  j'apprends!  La 
FrsDCB  aurait  été  trop  heureuse  !  que  dévie  mirons -nous  î  je  suis 
atterré  1.— Heure  pas  prit  aussilét  le  litre  de  chef  du  Conseil  des 
Snances,  et  il  appela  au  coo truie-général  rintendanl  de  Bordeaux, 
H.  de  Ctugny.Peu  de  temps  après  une  déclaration  royale  rétabLit 
Vancienutage  pour  Ut  réparations  des  chemins,  c'est-à-dire  In 
corvée.  On  rapporta  également  l'édit  qui  supprimait  les  maîtrises 
etles  jurandes. On  interdit  les  Éphéméiides  du  Citoyen  de  l'abbé 
Baudeaa,  qui  fut  exilé  ;en  province  aven  l'abbé  Roubaud.  — 
(laliani  ne  ponvait  que  se  réjouir  de  voir  la  défaite  de  la  secte 
économique,  qu'il  détestait  si  cordialement. 

3.  Voir  la  lettre  du  17  septembre  11T4,  qui,  en  elTet.  est  une 
véritable  propbélie. 

3.  H.  de  Sartine  était  ministre  de  la  marine. 


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446  LETTRES  DE  GALIAMI 

que  la  vie  est  courte,  et  qu'il  est  toujours  vrai,  ce  trait 
philosophique  d'Horace  :  Quid  brevi  fortes  jaculamur 
œvo  multa?  EoTiu  Sartiae  est  le  seul  qui  n'a  point 
fait  de  grands  édits,  qui  n'a  pas  demandé  des  lits  de 
justice,  et  je  parie  pourtant  que  son  département  est 
en  bien  meilleur  état  qu'il  n'élait  auparavant.  U  est 
donc  le  seul  qui  connaisse  les  hommes,  et  le  vrai  bon- 
heur qu'on  peut  leur  procurer.  Turgot  aura  reculé  le 
bien  d'un  demi-siècle.  U  aura  miné  la  secte  économi- 
que :  et  voilà  tout  ce  qu'il  aura  fait  de  bon.  Morellct 
sera  bicu  élonué,  élant  honnête  homme  autant  que  son 
chef,  de  se  trouver  encore  plus  détesté  que  les  Terray, 
etc.  :  mais  il  ignore  que  les  fripons  malheureux  ont  un 
parti,  et  que  les  honnêtes  gens  n'en  ont  aucun,  Ricci  ' 
avait  un  parti  ;  Silhouette  *  n'en  avait  point.  Aimez- 
moi.  Mille  choses  à  madame  de  Belsunce.  Adieu. 


1.  Supérieur  général  des  Jésuites. 

2.  Contrôleur  des  fi nan ces,  né  en  1709,  morlen  1767.— Il  C<nii-> 
mença  quelques  réformes,  mais  aj'ant  touIu  diminuer  le«  dé- 
pense'» personnelles  du  roi  et  élablir  de  noiiTeaui  impôts,  il  per- 
dit tout  crédit  et  fut  obligé  de  quitter  son  poste  au  bout  de 
huit  mois.  11  occupa  beaucoup  le  public  pendant  son  ministère, 
et,  aprfes  sa  chute,  tout  ce  qu'ocdoniiaU  la  mode  était  à  la 
sitlioueUe. 


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LETTRES  DE  GALtANI 


Kaples,  II  juin  me. 

Je  suis  sans  lettres  de  vous  depuis  deuic  semaines. 
Je  craius  que  ce  ne  soit  politique!  Après  m'avoîr 
doDué  sèchement  la  nouvelle  du  changement  du 
ministère,  vous  avez  voulu  me  taire  la  glose, 
n'est-ce  pas?  Moi,  plus  honnête  homme  que  vous,  je 
vais  vous  écrire  franchement  tout  ce  que  je  sais  de 
madame  la  duchesse  de  Chartres,  qui  nous  est  arrivée 
hier  au  soir,  et  qui  a  diné  ce  matin  avec  le  roi  et  la 
reine.  Des  gens  qui  sont  venus  de  Rome  nous  ont 
rapporté  que  là  elle  voulait  être  rentrée  chei  elle  à 
neuf  heures,  pendant  que  les  sociétés  à  Rome,  en  été, 
commencent  à  onze  heures  du  soir.  Lorsqu'on  lui 
montra  Saint-Pierre,  elle  courait  comme  un  lévrier, 
sans  s'arrêter  à  rien,  disant  toujours  :  C'est  charmant, 
entre  ses  dents,  sans  rien  fixer  ;  enfin  elle  ûxa  le  tombeau 
de  la  reine  Christine,  et,  après  l'avoir  regardé  long- 
temps, elle  dit  :  Comme  elle  est  mal  coiffée!  et  s'en  alla. 
Ce  trait  est  si  original  et  si  neuf,  que  je  n'ai  pu  vous  le 


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M8  LETTRES  DE  GALIAMl 

laisser  ignorer,  Co  matin  elle  a  peasé  mettre  en  émeute 
les  rues.  Il  a  fallu  6ter  les  coussins  à  la  plus  haute 
voiture  de  l'ambassadeur,  pour  que  sa  coiffure  y 
entrât.  Le  roi  a  fait  des  efforts  iucroyables  pour 
s'empôcher  de  rire.  Je  suis  très  pressé  d'aller  ce  soir 
au  théâtre,  pour  voir  le  succès  de  cette  nouveauté  > . 
Ah!  jusqu'aux  maîtres  d'hûtet  des  philosophes  causent 
des  séditions  dans  les  Ëlatsî 

Je  n'ai  aucune  nouvelle  du  voyageur  depuis  Pâques; 
donnez-eu-moi,  si  vous  en  avez. 

J'ai  reçu  le  paquet  de  la  toile  de  co[ou;  il  y  en 
avait  trois  coupons.  Les  deux  sont  excellente;  mais 
un  troisième  coupon  ne  vaut  rien.  Assurément,  vous 
y  aurez  apporté  tous  les  soins.  Il  faut  donc  dire  que 
le  commerce  de  la  compagnie  des  Indes  est  si 
florissant  qu'il  n'y  a  pas  à  Paris  de  quoi  faire  douze 
chemises  de  toile  de  coton.  Qu'en  dît-il  l'abbé Horellet? 


1.  Etirait  d'une  lettre  de  Gênes  da  20  mai.  «  Madame  la 
duchesse  de  Cbartres  a  d'abord  désolé  Ici  toutes  lei  femmes 
qui  se  piquent  de  se  parer  à  la  Parisienne;  cette  princesse, 
qui  voj'age  sous  le  nom  de  comtesse  de  Joinville,  n'a  paru 
les  premiers  jours  qu'en  demi-grand  bonnet  :  ce  qui  a  Tait 
irioraplier  les  maris,  ennemis  des  coiSïires  hautes  et  des  pa- 
nacbes;  ils  ont  représenté  i  leurs  moitiés  qu'elles  ne  pouvaieDt 
mieux  faire  que  de  se  conformer  k  la  fa;on  de  se  coiffer  de 
'  notre  première  princesse  du  sang.  Mais  celle-ci  s'étant  mise 
in  fiocchi  et  ayant  arboré  les  plumes,  l'allégresse  a  été  univer- 
selle chez  ICB  dames,  et,  dès  le  lendemain,  lus  banquiers  ont  eu 
pour  50,000  livres  de  commission  en  plumes  k  faire  venir  de 
France.  >  (Bachaumont.) 


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LETTRES  DE  GALEASI  «9 

Est-il  bien  content  de  sa  liberté?  Trouve-t-il  agréable 
jusqu'à  la  liberté  de  renvoyer  les  ministres? 

A  propos,  le  margrave  de  Bareith  m'a  mandé  de 
sa  résidence,  qu'étant  à  Paris,  il  avait  cliargé  sou 
banquier  de  m'expédier  douze  bouteilles  d'encre  par- 
faite. Je  n'en  ai  reçu  aucun  avis  de  Paris,  si  ce  n'est 
que  M.  l'ambassadeur  Ctermont  m'a  dit  qu'on  voulait 
ie  charger  de  cette  caisse,  et  qu'il  ne  voulut  pas  s'en 
charger.  J'aurais  pourtant  très  besoin  de  celte  encre 
Voyez  à  engager  ce  banquier  à  me  l'expédier  au 
plus  vite. 

Puisque  la  rencontre  de  la  toile  pour  chemises 
est  si  difficile,  soyez  à  la  vedette,  s'il  s'en  présente, 
et  achetez-en-moi ,  à  votre  aise  et  lorsque  vous  la 
rencontrerez,  une  autre  douzaine.  Vous  avez  bien  du 
temps  pour  cela,  et  au  départ  de  quelque  Nonce  ou 
autre,  vous  me  l'expédierez. 

Mille  choses  à  madame  votre  fille-  Adieu.  Aimez- 
moi  en  dépit  de  l'absence.  C'est  aujourd'hui  le  jour 
précis  qu'en  1769  je  vous  quittai.  Ah!  quel  souvenir  ! 


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LETTRES  DE  OiLIA.M[ 


De  Saune,  n  Juin  tiie. 

Vous  voyez,  ma  chère  dame,  par  l'endroit  d'où  je  vous 
écris,  que  je  suis  hors  de  Naples;  et,  par  conséquent, 
bien  peu  à  mon  aise  surtout  pour  épistoliser.  Mais  il  faut 
vous  écrire  1°  pour  vous  dire  que  la  lettre  du  37  mai, 
dont  TOUS  faites  mention,  est  précisément  celle  des 
vôtres  qui  s'est  égarée  ;  et  je  doute  fort  que  ce  soit  dans 
cette  lettre  égarée  que  vous  m'ayez  mandé  la  mort 
de  mademoiselle  de  Lespinasse,  car  Grimm  me  la 
manda  de  Venise,  et,  dans  votre  lettre  du  3  juin, 
vous  ne  m'en  disiez  mot.  Le  plus  agréable  pour  moi 
serait  d'apprendre  que  Grimm  m'avait  mandé  une 
fausse  nouvelle. 

Madame  la  duchesse  de  Chartres  nous  a  quittés. 
Si  H.  de  Genlis  ' ,  qui  la  dirigeait,  eût  été  un  peu 


1.  LecomU  de  Genlis,  marquis  de  Siitery,  mari  de  la  célèbre 
madame  de  Geniis,  gouTernaale  des  enTaott  du  duc  d'Orléaiu. 
Il  était  capitaioe  des  gardes  de  H.  le  dac  d'Orléans.  C'éUit  un 
brlliant   causeur,  plein  d'esprit.   11  ne  tiit  pas  le  modèle  des 


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LETTBE3  DE  GALUNI  <U( 

mwns  lésineux,  il  n'y  aurait  eu  rien  à  désirer  sur 
le  succès  qu'elle  a  eu  ici.  Mais  la  dépense  qu'elle  a 
faite  a  été  si  incroyablement  mince,  que,  si  je  vous 
la  disais,  vous  seriez  étonnée.  Les  daines  de  sa  suite 
marcbaieut  eo  habits  rapetassés  (c'est  au  pied  de  la 
lettre)  et  leur  attirail  était  quelque  chose  de  gueux, 
qu'on  ne  saurait  aisément  décrire  ' .  Voilà  une  grande 
preuve  d'amitié  que  je  vous  donne,  en  vous  mandant  de 
telles  nouvelles  avec  tant  de  candeur. 


maris,  mais  madame  da  Genlis,  s)  I'od  en  croit  les  mémoires 
du  temps,  sauf  les  siens,  ne  se  piquait  pas  d'une  constance 
i  toute  épreavS' 

1.  Madame  de  Geails  eipUquc  de  son  mieui,  dans  ses  Mèmoi- 
Ttt,  cet  attirail  mesquin  ;  reste  à  savoir  si  l'eipiication  est  vraie  : 
■  Nous.airlTAinesimidi  et  en  passant  dans  la  rue  de  Tolède,  ruequl 
est  aussi  peuplée  que  la  rue  Saint-Honoré,  on  nous  vola  deux 
porte-manteaux,  qui  contenaient  des  babils  de  livrée  de  nos 
gens  ,  et  tous  nos  paniers  de  robes  parées.  Comme  nos  courriers 
étaient  en  avant,  noua  ue  nous  en  aperçûmes  pas,  et  les  passants 
de  la  me,  irouvant  apparemment  cette  action  fort  simple,  ne 
nous  donnèrent  pas  le  moindre  avertissement.  Nous  fûmes  fort 
embarrassées  parce  que  nous  avions  besoin  de  nos  paniers  pour 
être  présentées  lo  lendemain  matin.  L'ambassadeur  eo  emprunta 
pour  nous  t  des  dames  de  sa  connaissance,  mais  ces  paniers 
étaient  beaucoup  plus  grands  que  les  nOtre^,  de  sorte  que  nos 
robes  le  trouvèrent  liés  raccourcies,  et  nous  parûmes  i  la  cour 
fort  ridiculement  habillées.  L'ambassadeur  conta  notre  aventure  ; 
on  en  rit  beaucoup,  et  le  roi  dit  k  l'ambassadeur  qu'il  nona 
ferait  reslituer  nos  paniers  et  qu'il  fallait  qu'il  s'adressit  pour 
cela,  de  sa  part,  à  un  homme  de  justice  qu'il  lui  nomma.  Ou 
Bt  comparaître  le  chef  de  la  bande  qu'on  connaissait  fort  bien 
et  il  restitua  gratuitement  les  paniers;  mais  il  fallut  pajer  pour 
les  habits  de  livrée,  car  le  roi  n'avait  pas  donné  d'ordre  i  leur 
sujet.  . 


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4&3  LETTRES  DE  GALIAM 

Votre  lettre  est  charmante  ea  ce  qu'elle  me  parle 
beaucoup  de  vous  et  de  votre  famille,  et  bien  peu 
des  afTaires  politiques. 

Gleichea,  après  avoir  pris  congé  de  tout  le  monde, 
et  s'être  muni  de  passeports,  est  resté:  et  il  est  tort 
content  d'avoir  une  fois  pu  vaincre  son  irrésolution  ; 
aussi,  à  l'instant,  il  s'est  mieux  porté.  Adieu;  il  faut 
aussi  que  je  vous  quitte  brusquement,  comme  vous 
dans  votre  lettre. 


Niplea,  •  Juillet  tTK. 

Cette  semaine,  je  n'ai  point  de  lettre  de  vous;  je 
suis  assez  tranquille  sur  votre  santé,  et  cependant  cette 
privation  me  cbagrine.  11  n'y  a  pas  d'ai^ut  que  je 
dépense  avec  plus  de  plaisir  que  ces  trente  cinq  sols 
par  semaine  pour  vos  lelti'es,  qui  ne  disent  rien  pour 
la  plupart.  Mais  une  lettre  qui  ne  dit  rien,  est  toujours 
une  lettre  qui  dit  qu'il  n'y  a  rien  k  dire,  et  le  silence 
dit  tout  et  rien  en  même  temps  :  et  voilà  un  propos 
obscur  qui  ne  vaut  fien. 


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lETTBES  DE  GAIIANI  453 

Moi  aussi  je  ne  vous  mande  jamais  rien;  mais  qu'im- 
porle  ;  j'écris,  et  ce  soir  je  suis  dans  ce  cas.  Que  vous 
dirai-je'Que  les  galères  de  Malte  sont  ici,  qu'il  yadessus 
force  chevaliers  français,  jeunes  étourdis  ;  que  SC.  Bé- 
reoger  '  va  partir,  et  que  si  vous  le  voyez  à  Paris,  il 
vous  parlera  beaucoup  de  moi;  qu'hier  au  soir,  chez 
l'Ambassadeur  de  France,  on  exécuta  un  Te  Deum 
composé  par  un  jeune  matlre  de  musique  français,  qui 
est  ici,  et  que  ce  Te  Deum  est  peut-être  le  premier 
qu'on  ait  chanté  sans  avoir  remporté  victoire. 

Vous  dirai-je  que  Paesiello  nous  a  donné  un  opéra 
boufTon  d'une  musique  tellement  supérieure,  qu'elle  a 
engagé  les  souverains  à  aller  à  son  petit  théâtre  l'en- 
tendre, événement  nouveau  depuis  l'établissement  de 
la  monarchie  chez  nous  •  ?  Vous  dirai-je  qu'hier  le 
roi  est  allé  en  procession  avec  ia  reine,  les  seigneurs 
et  les  dames  de  sa  cour,  gagner  le  pardon  du  jubilé  ". 

t.  M.  de  Bérenger  était  aUacbù  &  l'ambassade  de  France  k 
Naples.  Madame  de  Saussure  en  parle  souvent  dam  son  voyage. 

9.  Le  Utre  de  cet  opéra  est  :  ^1  flndo  il  v(ro. 

3.  ■  Dana  cette  fêle,  écrit  le  prince  Grégoire  OrlofT,  se  déploie 
en  liberté  le  gaùt  de  la  nation  Dapolitaine  pour  tout  ce  qui  est 
faste.  Il  n'est  pis  un  noble,  pas  un  bourgeois  qui  ne  vienne  s'y 
montrer,  et  dans  sa  plus  belle  voiture,  et  dans  ses  plus  beaoi 
habits.  On  ne  voit  qu'or,  broderies  et  brillants.  Le  roi,  les 
princes  et  tous  les  grands  ofBciers  de  la  cour  assistent  A  cette 
fête  dans  des  voitares  de  gala  fort  antiques,  qui  ne  sortent  guère 
que  ce  jouMk.  Le  carrosse  du  roi  est  surmonté  d'une  immense 
couronne  d'or  et  d'un  si  grand  amas  de  plumes  blanches,  qu'en 
le  voyant,  on  se  croit  transporté  dans  l'ancien  Mexique,  au 


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4M  LETTRES  DE  OALIANI 

Voilà  h\m  des  nouvelles  et  bien  intéressantes.  La  plus 
jQtéresaante  est  pourtant  que  je  commeDce  à  respirer 
sur  mes  afTaires  domestiques,  et  que  je  me  porte  bien  ; 
du  moins  il  me  paraît  aiosi.  Bon  soir;  mille  respecte 
k  madame  de  Belnunce  et  à  mes  amii .  Vous  avez  réta- 
bli H.  Lenoir  '  :  j'en  suis  cbarmé. 

N'oubliez  pas  les  bout^itles  d'encre  que  le  margrave 
de  Bareith  devait  me  faire  envoyer  par  son  banquier 
de  Paris. 


Pérou,  et  ««Biiier  «u  irlompbe  fle  Monteiuau.  ■  Madame  de 
Saussure  décrit  également  cette  procession,  i  Hod  mari  revint 
me  prendre,  et  il  me  plaça  ilius  ma  belle  chaise  i  porteur, 
tonte  d'or  et  de  glace,  comme  le  dit  ma  Qlle.  J'afals  deux 
porteurs  en  livrée,  mon  mari  marchait  à  colé  de  la  chaise  ; 
nous  en  avons  rencontré  beaucoup,  c'est  étonnant  la  magnl- 
llcence  qn*on  étale  pour  cette  occasion,  le  nombre  det  coureun, 
des  laquais,  des  pages,  des  gentilshommes,  qui  suivent  et  pré- 
cèdent  tous  dans  des  habits  délivrées  neuves  et  brillantes;  la  prin- 
cesse de  Ferolite,  chei  qui  nous  allions  voir  la  procession,  nous 
a  très  bien  reçus.  Je  ne  pouvais  m'dler  du  balcon  ;  cette  place 
de  l'Arco  du  Caste),  avec  la  foule  qui  la  remplissait,  la  quantité 
des  chaises,  et  de  leur  suite,  blsail  nn  eOït  brillant  et  singu- 
lier;  enûn  )a  procession  a  passé,  elle  est  en  vérité  superbe;  le 
roi,  la  reine,  précédés  de  tous  leurs  gardes,  suivis  de  toute  la 
cour,  leur  maison,  les  officiers  de  presque  tous  les  régiments, 
vont  visiter  à  pied  cette  église,  etc.  » 

1.  11  avait  remplacé  M,  de  Sartlne  comme  lieutenant  de  po- 
lice; Turgolle  fit  destituer  après  les  émeutes  occasionnées  par  la 
cherté  des  blés. 


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LKTTRKS  DE  OALIANI 


A    LA    MÊME 


Vous  avez  raison,  madame;  une  petite  lettre  de  votre 
main  équivaut  à  une  très  bonne  nouvelle;  aussi  je  suis 
content  de  ce  courrier.  Cependant  vous  parlez  des  cha- 
grins que  vous  causent  les  absents.  Ah.'  si  je  commen- 
çais à  vous  parler  de  ceux  que  causent  les  présents,  il 
me  faudrait  vous  parler  de  cinq  sœurs,  trois  nièces,  un 
neveu,  la  Temme  et  les  enfants  de  ce  neveu,  une  tante 
maternelle  et  sa  famille,  les  maris  de  mes  deu\  nièces, 
ma  belle-soeur,  son  mari,  sa  mère,  et  puis  à  peu  près 
trente  cousins  et  une  centaine  de  parents  plus  éloignés. 
Il  est  vrai,  au  pied  de  la  lettre  et  sans  exagération,  que 
tout  ce  monde  est  sur  mes  bras  ;  tous  ont  recours  à 
moi  ;  aucun  n'est  eu  état  ni  en  charge  à  m'appuyer,  h 
me  faire  quelque  bien,  à  m'étayer  :  tous  me  pèsent; 
tous,  à  mon  neveu  près,  sont  dévols  à  brûler;  et 
tous,  y  compris  mon  neveu,  sout  ennuyeux  à  périr. 
Toujours  quelqu'un  de  cet  esuim  de  parents  dîne  avec 
moi  ou  vient  loger  chez  mol.  Ils  m'dtent  la  solitude 


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4SS  LETTRES  DE  GALIANI 

sans  me  donner  la  compacte.  Je  ne  me  suis  étendu 
sur  cela  que  pour  vous  consoler  et  vous  prouver  que, 
à  la  santé  près  (qui  est  un  grand  article),  mon  état  est 
bien  pire  que  le  vAtre,  et  pour  vous  faire  convenir 
qu'il  n'y  a  rien  de  bon  dans  le  meilleur  des  mondes 
possibles.  Ab  !  si  le  bon  Dieu  eût  voulu  créer  un  monde 
impossible,  comme  nous  y  serions  heureux  ! 

Je  vous  remercie  de  m'avoir  mandé  un  excellent  mot 
de  Garaccioli  que  je  n'ai  communiqué  à  personne.  li 
paye  la  punition  d'avoir  voulu  ménager  et  même  cbérir 
cette  engeance  économisUque,  qui  s'est  avisée,  pour 
flatter  leur  feu  Turgot,  de  publier  sur  les  gazettes  un  bon 
mot  de  lui,  qui  lui  a  fait,  en  Italie  et  ici,  grand  tort  à 
la  réputation  de  discrétion  qu'un  ambassadeur  doit  sou- 
tenir en  parlant  des  afTaires  des  souverains.  Je  le  plains, 
mais  en  même  temps  je  lui  dirai  :  que  diable  allait-il 
faire  dans  celle  galère? 

L'ambassadeur  de  France  est  tout  à  fait  aimable.  Il 
réussit  ici  mieux  qu'aucun  autre,  môme  mieux  que 
Breteuil.  Beati  mites,  qwoniam  tpsi  possidebunt  terram. 

L'Hôtel-Dieu,  placé  aux  Invalides,  est  la  meilleure 
cbosc  qu'on  eût  pu  imaginer.  Il  fallait  un  bel  incendie 
pour  opérer  ce  bien,  tant  il  est  %Tai  que  la  lumière 
fait  des  progrès  (à  ce  que  disent  les  économistes). 
Quelle  lumière  que  celle  d'un  incendie*  I 

1.  L'HQtel-DIeu  arait  été  dëlmit  en  partie  par  un  incendie 
terrible  qui  éclata  dans  la  duU  du  30  décembre  177!  et  dont  on 


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LETTRES  DE  GALIAM  457 

Vous  ai-je  mandé  le  service  essentiel  que  m'a  rendu 
la  chaise  de  paille  ?  Il  a  Tait  acheter  par  l'impératrice 
de  Russie  le  cabinet  de  livres  et  d'estampes  de  mon 
frère,  au  pris  de  l'estimation  que  j'en  ai  demandé  '. 
Le  service  consiste  en  ce  que  je  me  suis  vengé  par  là 
de  mes  aimables  compatriotes  qui  le  voulaient  acheter 
pour  rien. 

Adieu.  On  m'interrompt;  et  c'est  le  frère  du  mari 
de  ma  nièce  qui  arrive,  après  avoir  visité  les  églises  du 
jubilé  :  ne  vous  l'avais-je  pas  dit? 


ne  put  M  rendre  enlièrement  maître  qu'en  bout  de  plusieurs 
joura.  Depuis  cette  époque  les  ruiues  de  ce  bétimcot  étaient 
(jemeurées  «nus  réparations  et  il  était  sans  cesse  qufstion  de  le 
rebllir  ailleurs,  ce  qui  n'eut  pas  lieu;  on  le  reconstruisit  sur 
son  iDcfen  emplacement. 
*  1.  Son  frère,  le  marquis  Bernard  Galianl,  s'était  occupé  toute 
M  lie  d'une  édition  complète  de  Vitruve,  avec  planches  ;  11  la 
publia  peu  de  temps  avant  de  mourir.  Sa  bibliotbèque  se  com- 
posait surtout  de  livres  d'arcbilcclure,  et  l'Impératrice  Catbe- 
rine  les  aimait  beaucoup.  Elle  écrivait  A  Grimm:  >  Î9  juin  1TT6- 
n  La  lettre  de  l'abbé  Galiuni  est  charmante  ;  son  envoi  de  livres 
me  fera  grand  plaisir,  car  je  raiïole  des  livres  d'architecture; 
toute  ma  chambre  en  est  pleine  et  je  n'en  ai  jamais  assez.  >  Et 
quand  l'enrol  fut  arrivé  :  s  La  bibllolhèque  de  l'abbé  Galianl 
m'amuse  souvent;  une  heure  avant  mon  dtner,  je  vais  lui 
rendre  visite,  et  li,  comme  les  petits  enranis,  j'en  eiamine  les 
feuilles  gravées,  aSn  d'emporter  le  miel  dans  ma  ruche;  quant 
aux  reliures  jo  n'y  regarde  jamais,  cela  m'est  fort  indlITérenL 
J'enverrai  i  l'abbé  Galiani  une  médaille  qui  lui  servira  de  por- 
trait ■ 


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LETTRES  DE  GÀLtAKI 


A    LA    MÊME 


Htples,  tr  Juillet  tTTI. 

Je  n'ai  point  de  lettre  de  vous,  madame,  cette  se- 
maine, et  je  n'auraia  rien  à  vous  mander,  ai  ce  n'ast 
l'état  de  désespoir  où  me  met  la  mauvaise  encre  qu'oa 
trouve  ici.  En  vérité  c'est  la  plus  grande  des  raisons  que 
j'ai  de  ma  paresse  à  écrire.  Ce  bon  Margrave  de  Barcith  • 
m'en  voulait  expédier  de  Paris  ;  il  en  a  chargé  son 
agent,  et  il  a  eu  la  bonté  de  m'en  informer.  Moi  je  l'ai 
remercié,  et  cependant  l'encre  n'est  pas  arrivée.  Je 
rougis  d'écrire  au  Margrave  et  de  lui  porter  mes 
plaintes  sur  cette  lésine  de  son  agent,  qui,  pour  ren- 
contrer peut-être  l'occasion  d'envoyer  les  bouteilles 
sans  frais  jusqu'à  Marseille,  me  fait  attendre  désormais 
six  mois.  De  grftce,  aidez-moi  à  recouvrer  cetta  encre. 
Criez,  pestez,  écrivez,  grondez,  cherchez,  faites  en  sorte 
que  j'aie  de  quoi  écrire,  si  l'envie  m'en  prend.  Vous  y 
gagnerez,  vous  la  première,  je  vous  en  assure. 

Paesiello,  notre  grand  compositeur,  est  pris  au  service 


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LETTRES  DE  GALIANI  459 

de  la  Russie  ',  et  port  d'ici  après-demain.  U  sera  d'une 
grande  ressource  à  Grimm  cet  hiver,  car  il  raffole  de 
sa  musique,  et  avec  raison.  Hoî  et  Gleicben  nous  éprou- 
vons beaucoup  de  peine  du  départ  de  cet  homme  de 
talent  et  de  génie,  qui,  en  outre,  est  fort  aimable.  Vous 
le  verrez  à  Paris,  peut-être  dans  trois  ans  d'ici. 

Aimez-moi  ;  et  lorsque  j'aurai  une  meilleure  encre, 
je  vous  promets  de  plus  longues  lettres.  Adieu. 


NADAHE    DÉPIMAY    A    GALIANI 


C'est  certainement,  mon  charmant  abbé,  une  cor- 
respondance unique  que  la  nôtre;  nous  nous  écrivons 
toutes  les  semaines  des  lettres  de  trois  ou  quatre 
pages,  dans  lesquelles  on  ne  trouve  autre  chose,  sinon  : 


1.  Paeslello  avait  débuté  au  ibéâlre  de  Bologne  p*r  la  PaplUa, 
qui  eut  un  éclalaut  succès.  L'impératrice  Catberine,  qui  voyait 
dans  II  correspondance  de  Gallani  loul  le  bien  qu'il  pensait  de 
ce  compositeur,  songea  k  te  l'attacher  et  lui  offrit  un  traitement 
de  neut  mille  roubles,  arec  maison  de  ville  et  de  campagne.  Pae- 
siello  accepta  et  passa  neuf  ans  en  Russie  ;  puis  U  vint  en  France 
et  retourna  monrir  k  Naples. 


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ie»  LETTRES  DE  GALIANI 

Je  me  porte  bien,  je  suis  gaie,  je  suis  triste,  il  fait 
chaud,  il  fail  froid,  un  tel  est  parti,  un  autre  arrive,  etc., 
et  nous  sommes  cootenls  de  nous  comme  des  rois  ; 
nous  nous  trouvons  de  l'esprit  comme  quatre.  Si  par 
hasard  un  courrier  manque,  voilà  des  plaintes, 
des  cris  :  il  semble  que  tout  soit  perdu.  Savez- 
vous  que  je  commence  à  penser  que  nous  som- 
mes bien  plus  heureux  que  nous  ne  le  croyons.  Puisque 
vous  l'êtes  de  ma  meilleure  santé,  je  vous  dirai  qu'elle 
chemine  vers  la  robusticité,  et  pour  vous  donner  du 
nouveau,  j'ajouterai  que  je  me  remets,  non  à  travailler, 
mais  k  penser;  et  si  ce  bon  état  dure,  je  ne  désespère 
pas  de  pouvoir  continuer  mes  dialogues  sur  l'éducation. 
Il  faut  que  je  vous  communique  quelques-unes  des 
idées  qui,  tout  en  rêvant,  m'ont  passé  par  la  tête. 

le  me  suis  demandé  pourquoi  les  animaux,  qui 
jusqu'à  présent  sont  bien  nos  très  humbles  serviteurs, 
s'avisent  de  naître  avec  le  degré  de  perrectibilité  qui 
leur  est  propre,  tandis  que  l'espèce  humaine  travaille, 
depuis  la  naissance  jusqu'à  la  morr,  pour  n'atteindre 
qu'au  degré  qui  lui  est  propre;  et  puis  je  me  suis 
demandé  si  l'avantage  était  pour  eux  ou  pour  nous  * . 
Avant  de  vous  dire  ma  réponse,  il  faut  que  vous 
sachiez  que  j'ai  fait  mes  deux  questions  à  un  homme 
d'esprit,    à   un  savant,  qui,  au  lieu  de  résoudre  le 

1.  Voir  la  lettre  du  11  octotire  1776. 


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LETTRES  DE  GALIANI  461 

problème,  m'a  dit  :  «  Lisez  un  livre  de  Bordeu  '  qui 
vient  de  paraître...  »  Lire!  moi,  lire!  ai-je  dit;  jamais. 
Des  laits,  tant  qu'oa  voudra  ;  mais  en  fait  de  raisonne- 
ment, je  ne  lis  que  dans  ma  tète.  J'ai  deviné  tout  ce 
que  je  sais,  et  je  devinerai  tout  ce  que  je  ne  sais  pas. 
En  vérité,  l'abbé,  il  y  a  des  moments  où  je  suis  assez 
folle  et  assez  vaine  pour  croire  que  j'ai  deviné  le  monde. 
Je  n'ai  pourtant  pas  tout  à  tait  deviné,  à  moi  toute 
seule,  la  réponse  à  ma  première  question.  J'ai  bien  dit  : 
c'est  que  chaque  espèce  d'animaux  n'est  occupée  que 
de  ce  qui  lui  est  propre  ;  mais  cela  ne  me  satisfait  pas. 
J'en  ai  parlé  au  philosophe  (à  qui  vous  devez  toujours 
une  réponse,  par  parentlièse)  ;  il  m'a  dit  :  a  J'y  ai  rêvé 
pins  d'un  jour;  c'est  que  chaque  espèce  d'animaux  a 
son  organe  prédominant,  qui  le  subjugue,  et  que 
l'homme  a  tous  les  siens  dans  un  degré  de  faculté 
combinée,  dont  le  centre  est  la  tète  et  la  pensée.  » 
U  m'apporta  un  exemple;  mais  je  ne  peux  pas  vous 
le  dire,  vous  le  devinerez.  Il  naquit  trois  enfants  ju- 
meaux, il  y  a  vingt  ans,  à  Amsterdam,  je  crois  ;  ils 
étaient  imbéciles,  féroces,  sauvages;  un  seul  de  leurs 
organes,  dès  l'âge  de  dix  ans,  était  à  son  point  de 
perfection,  et  d'une  perfection  monstrueuse.  Et  quel 
organefdevinez,  car  c'est  précisément  ce  que  je  ne  dirai 
pas.  Eh  bien,  ces  trois  eofonts  n'étaient  absolument 

1.  Tbéoph.  de  Bordeu,  docteur  en  mËdedoe  (IT^IT^G)' 


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*m  LBTTRE3  DE  QA.LIÀN1 

propres  qu'à  une  diose;  et  il  n'y  eut  point  dfi  puis- 
sance bunuiae  qui  pût  les  empécber  de  remplir  leur 
vocation.  Ils  moururent  épuisés  avant  l'âge,  etc.  Vrai- 
meati  lui  ai-ja  dit,  cela  me  fait  résoudre  un  autre  pro- 
blème, c'est  de  trouver  pourquoi  les  g&i&  de  génie  sont 
si  botes. . . . 

Quimt  k  savoir  de  quel  cdté  est  VaTsntage,  je  décide 
pour  les  animaus;  ils  n'ont  ni  la  peur  de  mourir,  ni 
l'amoar  des  richesses;  ils  n'en  ont  pas  même  le 
besoin  *. 

£hl  mon  Dieul  je  laisse  trotter  mon  imagination, 
et  je  ne  vous  dis  pas  que  notre  excellent  gros  curé, 
que  vous  n'avex  sûrement  pas  oublié,  vous  demande 
si  vous  ne  pourriez  pas  lui  procurer  une  lettre  de 
recommandation  pour  le  prélat  Philomarini,  qui  vient 
comme  vice-légat  à  Avignon,  où  réside  notre  bon 
pastauf.  C'est  simplement  dans  la  vue  d'en  être  dis- 
tingué ;  car  il  est  heureux,  à  son  aise,  et  n'a  rien 
à  lui  demander,  et  vous  savez  qu'il  s'appelle  l'abbé 
Martin  * . 

J'ai  déjà  sommé  tous  les  banquiers  de  Paris  d'avoir 
à  me  déclarer  lequel  d'entre  eux  est  celui  par  excel- 
lence du  Uargruve  de  Bareitli.  11  n'y  en  a  plus  que 

1.  Voit  l'ui^Miidice  XX. 

i.  L'abbé  Hitriln  eat  l'ancien  curé  de  Deuil,  doDt  il  est  sou- 
vent question  dans  les  lellres  de  Galiani  et  de  Diderot.  C'était  un 
homma  eiaalteni  at  d'uua  grande  lolérauca. 


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LEITRES  OS  GÀLUNI  463 

deux  à  interroger  sur  faits  et  articles  :  car  jusqu'à 
présent  mes  recherches  ont  été  vaines;  mais  de  ces 
deux  banquiers,  l'un  est  en  campagne,  l'autre  a  perdu 
stt  femme,  et  est  pius  triste  et  plus  noir  que  l'encre 
que  nous  réclamons.  I)  ne  serait  pas  poli  d'aller  faire 
cette  recherche  subitement,  II  budra  donc  laisser  passer 
encore  cet  ordinaire  sans  tous  donner  satisfaction. 

Adieu,  adieu,  mon  cher  aibbé,  voilà  une  des  plus 
longues  lettres  que  j'aie  écrite  depuis  deux  aps.  Je 
vous  embrasse. 


A    MADAME    d'éPINAY 

Votre  lettre,  madame,  c«tta  fois  est  tout  k  feit  dans 
le  style  récréatif.  Vous  vous  portez  bien  au  point  que 
vous  craignez  de  vous  porter  guignon,  en  vous  en 
vantapt  trop.  Ne  vous  l'avais-je  pas  ait?  L'ennui  eu- 
graisse.  Depuis  que  tous  vos  omis  sont  morts  ou  ab- 
sents, que  vous  êtes  dans  une  solitude  parfaite,  vous 
crevés  de  sant4  :  jugez  donc  oombieu  je  dois  6tre  plus 
gras  que  vous. 


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46t  LETTRES  DE  GALIA.M 

Je  me  suis  amusé  des  nouvelles  d'alarmes  de  guerre 
que  vous  me  mandez;  nous  qui  devrions  être  aussi 
alarmés  que  vous,  nous  rouûons  du  plus  profond 
sommeil  :  et  soyez  bien  sûre,  mais  très  sûre,  qu'il  n'y 
aura  pas  de  guerre  entre  l'Espagne  et  le  Portugal  '. 
Profitez  donc  du  jeu  des  actions  et  des  effets  royaux 
sur  cette  certitude.  U  est  vrai  que  le  roi  actuel  '  de 
Portugal  étant  très  malade,  on  ne  saurait  prédire  au 
juste  les  idées  et  le  système  de  son  successeur  ;  mais 
toujours  il  y  a  à  parier  qu'il  sera  aussi  pacifique  que 
son  frère,  et  qu'il  sera  plus  embarrassé  des  afiaires 
intérieures  qu'on  ne  l'imagine'. 

Vous  ne  m'aWez  pas  mandé  la  mort  du  pauvre  doc- 
leur  Roux  ',  ni  celle  de  mademoiselle  de  Lespinasse. 
Je  crains  pour  la  vie  de  d'AIembert;  il  faudrait  l'enga- 
ger à  un  voyage  d'Italie  *. 

1.  La  guerre  eut  lieu  et  le  Portugal  opposa  la  plus  énergique 
rcsiiUDce  à  toute  l'armée  espagnole,  appuyée  d'un  corps  auii- 
liaire  français.  Détail  Incrojable,  s'il  faut  en  croire  Gleicbeo, 
l'armée  espagnole  était  arrivée  aui  trontières  du  Portugal  et  on 
avait  oublié...  la  poadre!  On  en  envoya  chercher  à  Bajannel 

i.  Joseph  de  Bragance. 

3.  Le  frère  du  roi  était  dom  Pedro. 

4.  H.  Roux,  docteur  régent  de  la  Faculté,  rédacteur  do  Joumai 
dt  MMecîne.  Il  s'empoisoDua  lui-même  en  faisant  des  expériences 
sur  l'arseitic. 

&.  D'AIembert  était  l'ami  intime  de  mademoiselle  de  Lespinasse 
et  il  ressentait  pour  elle  une  passion  qui  ne  s'éleigoil  qu'avec 
la  vie.  On  sait  qu'ils  demeuraieol  ensemble  depuis  la  maladie 
qui  avait  failli  enlever  d'AIembert. 


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LETTRES  DE  GiLlANI  4A5 

Je  TOUS  ai  mandé  le  bienEait  de  Griaim,  de  m'aroir 
fait  vendre  le  cabiaet  de  livres  de  mon  frère.  A  présent 
il  ne  me  reste  que  les  tableaux  et  les  instruments 
mathématiques.  Parmi  ces  tableaux,  il  y  en  a  une 
douzaine  de  jolis,  qui  ne  sont  pas  fort  grands;  pour- 
rais-je  me  tUitter  de  les  débiter  à  Paris,  ou  faut^il  que 
je  me  retourne  aussi  du  cAlé  de  la  Russie?  Ëcrivez- 
moi  quelque  chose  sur  cette  question  que  je  vous  fais, 
et  qui  m'intéresse  infiniment. 

Aimez-moi.  On  m'appelle.  Adieu.  J'embrasse  Emilie, 
que  je  ne  connais  que  par  ses  dialogues.  Adieu. 


A    LA     MÊME 

HapiGS,  Il  aoat  nie. 

On  le  voit  bien  que  vous  faites  de  grands  progrès 
vers  la  robustictté  :  mais  vous  diriez  que  j'en  fais  à 
grands  pas  vers  la  rusliàté,  si  je  ne  répondais  pas  à 
votre  charmante  lettre.  Je  n'en  ai  pourtant  ni  le  temps 
ni  l'envie.  Cependant  il  faut  répondre. 

Pour  l'affaire  de  mon  encre,  vous  avez  pris  le  che- 
min le  plus  long  ;  voici  quel  aurait  été  le  plus  court. 


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m  LETTRES  DE  G.VLIANI 

n  aurait  par  exemple  fallu  trouver  quelqu'un  qui  Tùl 
en  florrespondance  avec  mademoiselle  Clairon  (soit 
Marmontel  ou  autre),  et  lui  faire  écrire  que  Galiani  se 
plaint  à  Naplea,  qu'aprM  avoir  reçu  une  très  gracieuse 
lettre  du  margrave,  qui  lui  mandait  avoir  chargé  son 
banquier  à  Paris  de  lui  envoyer  douie  bouteilles  d'en- 
cre, et  après  l'eu  avoir  remercié  1res  faumblemeut,  il 
n'avait  rien  reçu,  mademoiselle  Clairoa  aurait  tout 
arrangé  d'abord.  Pour  moi,  je  n'ose  pas  importuner  le 
margrave  pour  uue  pareille  bagatelle  avec  une  seconde 
lettre,  et  je  crois  que  vous  en  feriez  autant  à  ma  place. 
Voilà  donc  le  chemin  qu'il  faut  prendre  pour  terminer 
cette  affaire. 

le  vous  ferai  très  bien  l'affaire  de  notre  gros  curé  ; 
mais  il  aurait  fallu  me  donner  plus  de  détails  sur  lui, 
sur  le  lieu  de  sa  cure,  sur  ce  qu'il  pourrait  obtenir,  etc. 
Si  je  ne  fais  autre  chose  que  de  dire  qu'il  s'appelle 
Martin,  on  le  prendra  pour  l'ennemi  de  Pangloss  dans 
Candide. 

Sur  votre  question,  des  animaux,  et  des  hommes  et 
de  leur  perfectibilité,  je  vous  écrirai  une  autre  fois  : 
Car  poiu  à  présent  je  suis  interrompu^  Adieu. 


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LETTRES  DE  CALIANI 


A   I.A   HËMK 
hépome  à  une  infinité  de  numéros. 

Naplea.  K  Kplewbre  )ii(, 

J'ai  été  malade,  ma  chère  dame;  j'ai  été  aRairé;  j'ai 
été  plongé  dans  l'ennui,  le  chagi'in,  le  dégoût:  voilà 
les  causes  de  mon  silence  depuis  trois  ou  quatre 
semaines.  Vos  lettres  m'ont  réjoui,  vivifié  même,  mais 
pas  au  point  de  pouvoir  vous  le  dire.  Je  vous  répon- 
dais le  vendredi  en  vous  lisant,  et  quelles  réponses  ! 
Mais  je  retombais  dans  ta  paresse  ic  samedi,  qui  se 
passait  sans  vous  répondre.  Aujourd'hui,  j'ai  fait  dé- 
fendre ma  porte,  et  j'en  avais  le  droit,  car  c'est  un 
jour  de  fête,  et  je  me  suis  acharné  à  vous  couler  ù  fond 
une  réponse.  D'abord,  je  vous  remercie  d'une  recette 
d'encre  que  vous  oubliâtes  d'inclure  dans  la  lettre  qui 
m'en  parlait,-  et  qui  vint  dans  la  suivante.  Hais  grand 
Dieu  !  si  je  savais  faire  de  l'encre,  si  l'on  en  savait 
faire  ici,  je  n'eu  aurais  pas  demandé  à  un  prince  sou- 
verain. Ces  recettes  sont  aussi  vieilles  que  l'encre; 
r«pendant  on  en  fait  de  bonne  et  de  mauvaise,  selon 


jbïGoogIc 


us  LETTRES  DE  GALIANI 

les  pays,  sans  que  la  recette  de  la  bonne  ait  jamais  été 
un  secret.  Or,  persuadez-vous  bien  que  la  cause  la 
plus  forte  et  la  plus  vraie,  que  j'aie  k  présent  de  ne 
pas  écrire  volontiers,  est  la  mauvaise  encre.  Si  vous 
prenez  intérêt  à  cela,  tAchez  d'y  remédier,  et  je  vous 
ai  dit  le  comment  s'y  prendre  avec  le  margrave. 

La  lettre  où  vous  me  mandiez  le  malheur  de  la  perte 
de  mademoiselle  de  Lespinasse  s'est  égarée,  et  je  m'en 
étais  douté  comme  je  vous  l'ai  mandé. 

Votre  dernière  me  parle  du  malheur  de  madame 
Geoffrin;  elle  succombe  aux  lois  de  la  nature  et 
du  l«mps,  comme  les  édifices  les  plus  solides,  en  se 
détruisant  par  parties.  J'espère  qu'elle  vivra  encore 
quelque  temps  en  languissant,  mais  je  n'espère  plus 
la  revoir  à  mon  retour  à  Paris. 

H.  de  Oermont,  hier  au  soir,  m'étonna  et  me  surprit 
d'abord  en  me  soutenant  que  ces  maladies  et  ces 
rechutes  de  madame  GeotTrin,  avaient  été  causées  par 
des  excès  de  dévotion,  qu'elle  avait  commis  pendant  le 
jubilé*.   En   rentrant  chez   moi,  j'ai  rêvé  sur  cette 

1.  Madime  CeoffriD,  qui  toute  sa  vie  mil  fréquenlë  les  pbi- 
loMpbes  athées,  ne  m  piquait  pas  de  aentimenta  religieux  très 
prononcés.  Il  en  fut  autrenieni  dans  les  dernières  innées  de  sa 
Tie.  (Voir  l'appendice  X.)  Ella  poussait  l'ittenlion  pour  ses 
amisiusqu't  pourvoir  à  leurs  derniers  moments,  ne  voulant  pu 
qu'on  puisse  dire  qu'ils  étaient  morts  sans- confession;  elle  avait 
dans  ce  but  un  capucin  [orl  accommodani.  cQuand  ses  amis  tout 
les  mutins,  dit  Labarpe,  elle  se  diirgc  de  les  réduire  et  en  ssl 
toujours  venue  i  bout.> 


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LETTRES  DE  GALIANI  W 

étroDge  métamorphose,  et  j'ai  trouvé  que  c'était  la 
chose  du  monde  la  plus  naturelle.  L'incrédulité  est  le 
plus  grand  effort  que  l'esprit  de  l'homme  puisse  faire 
contre  son  propre  instinct  et  son  goût.  H  s'agit  de  se 
priver  à  jamais  de  tous  les  plaisirs  de  rîmagînation, 
de  tout  le  goût  du  merveilleux  ;  il  s'agit  de  vider  tout 
le  sac  du  savoir;  et  l'homme  voudrait  savoir;  de  nier 
ou  de  douter  toujours  et  de  tout,  et  rester  dans  l'ap- 
pau^Tissement  de  toutes  les  idées,  des  connaissances, 
des  sciences  sublimes,  etc.  Quel  vide  affireux  !  quel 
rien  !  quel  eiTort  I  il  est  donc  démontré  que  la  très,  très 
grande  partie  des  hommes  (et  surtout  des  femmes  dont 
l'imagination  est  double,  attendu  qu'elles  ont  l'imagi- 
nation de  la  tête  et  l'imagination  de  la  matrice),  ne 
saurait  être  incrédule,  et  celle  qui  peut  l'être,  n'en 
saurait  soutenir  l'effort  que  dans  la  plus  grande  force 
et  jeunesse  de  son  âme.  Si  l'Ame  vieillit,  quelque 
croyance  reparaît.  Voilà  aussi  pourquoi  il  ne  faudrait 
jamais  persécuter  les  vrais  incrédules  :  et  je  vous  ajou- 
terais qu'en  effet  ils  n'ont  jamais  été  persécutés.  On  ne 
persécute  que  les  fanatiques,  fondateurs  de  sectes,  qui 
pourraient  être  suivis.  Le  fanatique  est  un  homme  qui 
se  met  k  courir  au  milieu  d'une  foule,  et  d'abord  tout 
le  monde  le  suit.  L'incrédule  feit  bien  plus.  Cest  un 
danseur  de  corde  qui  fait  les  tours  les  plus  incroyables 
en  l'air,  voltigeant  autour  de  sa  corde.  Il  remplit  de 
frayeur  et  d'étonnement  tous  les  spectateurs,  et  per- 


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470  LETTRES  DE  GALUNI 

sonne  n'est  tenté  de  le  suivre  ou  de  l'imiter.   Ergo 

madame  Geoffrin  devait  finir  par  un  bon  jubilé,  Q.  G.  B. 

ie  TOUS  souhaite  de  finir  de  môme  :  ce  n'est  pas  un 
mauvais  souhait  pour  votre  saaté.  Vous  me  direz  que 
c'est  vrai  ;  maii  que  ce  n'est  pas  non  plus  un  joli  com- 
pliment à  votre  esprit;  j'en  conviens.  Mais  qu'est-ce 
que  vaut  l'esprit,  vis-à-vis  de  l'estomac? 

Je  vous  ai  tenu  parole.  Voilà  une  longue  lettre,  je 
pourrais  l'allonger  par  les  compliments  de  Gleichen, 
qui  m'en  charge  toujours. 

Pourquoi  ne  pas  m'envoyer  vos  couplets?  Quelqu'un 
arrivera  qui  me  .les  expliquera.  Adieu.  Lorsque  vous 
le  pourrez,  envoyeî-raoi  des  nouvelles  publiques  :  c'est 
ma  passion  à  présent  que  la  Gazette. 


Ntplee,  9  oclobre  itlt. 

Madame,  deui  semaines  sans  lettres  de  vous!  cela 
serait  tourmentant;  mais  je  suis  si  persuadé  que  vous 
ne  le  faites  que  pour  me  punir  de  mon  silence,  que  je 
suis  tout  à  fait  tranquille  sur  l'état  de  votre  santé.  Mon 
silence  est  criminel,  car  plus  je  suis  navré  de  chagrin  et 


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LETTRES  DE  GALUNI  471 

d'amertume,  plus  je  devrais  vous  écrire  pour  me  sou- 
lager. Cependant  je  ne  le  fais  pas,  parce  que  le  temps 
me  manque  autant  que  le  cœur. 

Je  vous  écris  ce  soir  pour  vous  donner  un  embarras 
auquel  je  n'ai  pu  me  refuser.  Un  homme  de  mes  plus 
chers  amis  d'ici  (c'est  beaucoup  dire  d'un  pays  où  je 
n'en  ai  guëres)  me  demande  de  lui  faire  venir  de  Paris 
deux  exemplaires  de  l'ouvrage  de  M.  d'Egly  ',  Histoire 
des  Bois  des  Deusc-Siciles  de  la  Maison  d'Anjou. 
Voudriez-vous  vous  donner  la  peine  de  les  faire 
acheter,  reliés  passablement  au  moins,  et  de  les  envoyer 
à  Marseille,  soit  à  quelque  négociant,  ou  à  H.  de  la 
Rosa,  consul  d'Espagne,  pour  me  les  faire  tenir  par  la 
voie  de  mer?  Je  payerai  votre  dépense  comme  vous 
juger»  le  mieui,  et  le  mieux  serait  que  je  la  payasse 
ici  à  M.  l'ambassadeur. 

Aimez-moi;  excusez-moi.  Je  dois  mener  au  spectacle 
ma  nièce  non  mariée  et  sa  mère  :  ceci  n'est-il  pas  bien 
amusant?  Une  autre  est  accouchée  hier  d'une  lille. 
Quels  vrais  plaisirs  que  la  naissance  d'uue  foule  de 
sots  et  de  sottes  futurs,  qu'il  me  faudra  marier  aussi. 

Ah  !  quel  plaisir  au  sein  de  sa  famille  1 

1.  Cbarles-Philippe  de  Monlbenault  d'Egly  (1696-174S),  membre 
de  l'Acidémle  des  Inscriptionj.  c  Son  HUtuirt  dei  TOii  dti  Deux- 
Siciki,  de  la  ifaiM»  de  France  (Psfia,  171*,  4  vol.,  in-lî*),  ren- 
fenae  tout  ce  que  cette  montrchie  oITre  d'intéregianl  depuis  aa 
fondalloQ  jusqu'à  aoa  jours.  Le  slyte  eu  est  pur,  la  narration 
Claire,  suivie  et  naturelle.  >  [Éhge  d'Égly,  par  Bougainville.) 


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LETTRES  DE  RALIAXI 


NnpleE,  II  octolir*  I7ie. 

Vous  en  parlez  bien  à  votre  aise,  ma  chère  dame, 
vous  me  grondez  de  ce  que  je  ne  vous  ai  point  répondu 
sur  la  perfectibilité  des  bAles,  cl  sur  In  perfectibilité 
des  arts  et  métiers  dans  tes  mains  des  économistes.  Si 
vous  saviez  dans  quel  anéantissement  d'esprit,  de  goût, 
d*existence  morale  je  suis  tombé,  au  lieu  de  me  gron- 
der, vous  me  plaindriez  : 

1°  Les  affaires  de  mes  nièces  ne  sont  pas  réglées;  et, 
par  une  ingratitude  dont  il  y  a  peu  d'exemples,  le  mari 
d'une  de  mes  nièces  plaide  contre  moi. 

2"  Le  pauvre  Militerni,  qui  servait  en  France  et  qui 
m'aidait  à  me  ressouvenir  de  Paris,  est  à  l'agonie,  et 
sans  espoir  do  rétablissement  de  son  hydropisie. 

4>  n'est  pas  tout  :  j'ai  perdu  un  cheval,  et  ma  chatte 
angola  se  meurt.  Peut-on  vous  verbaliser  politique  et 
métaphysique  dans  cet  accablement  de  disgrâces? 

Au  reste,  puisque  vous  le  voulez,  je  vous  dirai  que 
sur  l'article  des  b^tes,  je  vois  qu'on  commenct;  par 


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LETTRES  DE  O.ALIANI  4ï3 

tenir  pour  sûr  ce  qui  est  très  douteux.  Nous  croyons 
que  tout  c«  que  les  bêles  savent  vient  par  instinct,  et 
n'est  pas  passé  par  tradition.  A-t-on  des  naturalistes 
bien  exacts  qui  nous  disent  que  les  chats,  il  y  a.  trois 
mille  ans,  prenaient  les  souris,  préservaient  leurs  petits, 
connaissaient  la  vertu  médicinale  de  quelques  herbes, 
ou  pour  mieux  dire  de  l'herbe,  comme  ils  font  à 
présent  ?  Si  on  n'en  sait  rien,  pourquoi  prend-on  pour 
sûr  ce  qui  est  en  question,  et  tait-on  des  raisonnements 
h  perte  de  vue  sur  un  Tait  faux  ou  douteux?  Mes 
recherches  sur  les  mœurs  des  chattes  m'ont  donné  des 
soupçons  très  forts  qu'elles  sont  perfectibles;  mais  au 
bout  d'une  lon^e  traînée  de  siècles.  Je  crois  que  tout 
ce  que  les  chats  savent  est  l'ouvrage  de  quarante  îi 
cinquante  mille  ans.  Nous  n'avons  que  quelques  siècles 
d'histoire  naturelle  ;  ainsi  le  changement  qu'ils  auront . 
subi  dansce  temps  est  imperceptible.  Les  hommes  aussi 
ont  mis  un  temps  immense  à  leur  perfectibilité  :  car 
les  peuples  de  la  Californie  et  de  la  Nouvelle-Hollande, 
qui  sont  anciens  de  trois  ou  quatre  mille  ans,  sont 
encore  de  vraies  brutes.  La  perfectibilité  a  commencé  à 
faire  de  grande  progrès  en  Asie,  à  ce  qu'on  dit,  il  y  a 
plus  de  douze  mille  ans,  et  Dieu  sait  combien  de  temps 
avant,  on  n'avait  fait  que  de  vains  efforts.  Si  une  race 
asiatique  n'avait  pas  passé  en  Europe  et  en  Afrique, 
et  si  d'Europe  elle  n'eût  passé  en  Amérique,  d'oti  elle 
a  fait  le  tour  du  globe,  l'homme  ne  serait  encore  que 


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4M  LETTRES  DE  OALIANl 

le  plus  espiègle,  le  plus  malin  et  le  plus  adroit  des 
singes  :  ainsi,  la  perfectibilité  n'est  pas  un  don  de 
l'homniâ  en  entier;  mais  de  la  seule  race  blanche  et 
barbue.  Par  alliance,  la  race  basanée  et  barbue,  la  raco 
basanée  non  barbue,  et  la  race  noire  ont  gagné  queU 
que  chose.  Tout  ce  qu'on  dit  des  climats  est  une 
bêtise,  un  non  causa  pro  caiîsd,  erreur  la  plus  com- 
mune de  la  logique.  Tout  tient  aux  races;  la  première, 
la  plus  noble  des  races,  vient  naturellement  au  nord 
de  l'Asie.  Les  Russes  y  tiennent  de  plus  près,  et  c'est 
pour  cela  qu'ils  ont  fait  plus  de  progrès  en  cinquante 
ans  qu'on  n'en  fera  faire  aux  Portugais  en  cinq  cents. 
En  avez-vous  assez  pour  ce  soir? 

Aimez-moi;  plaignez-moi  bien  fort,  et  croyez-moi 
encore  plus  fort  tout  à  vous. 


Naple»,  1*  octobre  «ttS. 

Puisque  la  galanterie  du  margrave  se  réduit  (à  ce 
que  vous  me  mandez)  à  m'avoir  fait  acheter  dans  Paris 
douze  bouteilles  d'encre  pour  y  rester,  peudant  que  je 


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LETTRES  DE  GALIANI  476 

suis  ik  Naples,  et  que  ce  digne  banquier  du  margrave, 
M.  Rieder,  entend  que  l'ordre  de  ne  pas  causer  des 
trais  soit  relatif  au  mai^rave,  et  non  pas  à  moi  (comme 
tout  le  monde  l'auraïl  entendu),  je  vous  prie  de  voir 
d'abord  s'il  ra*a  acheté  de  cette  encre  fameuse  qu'on 
vend  à  l'enseigne  de  la  petite  vertu.  Si  c'est  de 
celle-là,  Je  vous  prie  de  m'en  envoyer  la  caisse  h 
Marseille,  adressée  au  consul  d'Espagne,  et  je  vous 
rembourserai  des  frais  de  transport.  J'ai  le  plus  grand 
besoin  du  monde  d'avoir  de  bonne  encre.  Votre  recette 
est  inexécutable  ù  Naples;  ainsi,  lorsqu'une  chose  est 
nécessaire,  il  faut  passer  par-dessus  toutes  les  difficul- 
tés. Si  la  caisse  était  trop  grande  et  trop  dispendieuse 
avec  douze  bouteilles,  envoyez-en-molla  moitié,  et  j'en 
aurai  encore  assez  pour  le  reste  de  ma  vie.  Au  reste, 
je  ne  saurais  me  persuader  que  le  margrave  ait  entendu 
que  je  dusse  payer  tes  frais  du  transport  jusqu'à  Na~ 
pies.  Le  présent  ne  consiste  qu'en  cela  :  car  ces 
bouteilles  sont  k  un  très  bas  prix,  à  ce  qu'il  me 
paraît. 

Autre  commission.  Lorsque  je  partis  de  Paris,  j'em- 
portai avec  moi  seize  volumes  du  recueil  général  des 
Voyages  de  M.  l'abbé  PrévAt,  traduit  de  '  l'anglais  :  il 
en  a  paru  ensuite  jusqu'à  vingt-deux,  si  je  ne  me 
trompe'.  On  me  demande  ici  de  chaque  volume  à 

i .  I)  n'en  exiilaii  que  19  volumes  à  l'époque  où  écrivait  l'abbé 
r.alianl;  le  30*  et  dernier  volume  a  parue»  1789. 


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476  LETTRES  DE  GALIAHI 

peu  près  dix-huit  ou  vingt  livres,  non  relié.  Faites- 
moi  le  plaisir  de  calculer  si,  en  achetant  à  Paris,  bro- 
chés, ces  sii  volumes,  et  comptant  les  frais  de  transport, 
je  pourrais  épargner  quelque  chose  de  dix-huit  ou 
vingt  livres  par  volume  qu'on  me  demande  ici;  et  si 
cela  est,  et  que  le  libraire  ne  fasse  pas  difficulté  à 
vous  les  vendre,  je  vous  prie  de  me  les  envoyer  dans 
la  même  caisse  où  vous  mettrez  les  deux  exemplaires 
de  l'histoire  du  royaume  de  Naples  par  M.  d'Egly,  dont 
je  vous  ai  parlé  il  y  a  deux  semaines.  Trêve  aux 
commissions  *. 

Je  suis  fôché  de  la  mort  de  madame  Trudaine  ;  cepen- 
dant, depuis  que  j'ai  appris  qu'on  a  calculé  qu'il  meurt 
les  trois  pour  cent,  année  commune,  des  vivants,  il  me 
parait  que  chaque  personne  qui  meurt,  contribuant  de 
son  côté  à  remplir  cette  fatale  dette  des  trois  pour  cent, 
elle  en  décharge  les  vivants,  et  par  conséquent  chaque 
mort  donne  un  degré  de  probabilité  de  vie  de  plus  à 
ceux  qui  restent.  D'après  ce  joli  calcul,  j'ai  trouvé  qu'il 
y  avait  des  personnes  à  Paris  dont  la  vie  m'intéressait 
plus  que  celle  de  madame  Trudaine,  et  je  suis  bien  aise 
du  degré  de  probabilité  de  plus  à  la  vie  qu'elles  vien- 
nent de  gagner  :  co  qui  me  ficherait,  ce  serait  la 
naissance  de  votre  petit-Qls  ;  car  chaque  personne  nais- 

1.  Il  ne  faut  pu  s'élonner  de  la  parcimonie  qu'apporte  Ga- 
liani  dans  lex  moindres  détails;  il  avait  dea  charges  nombrenset, 
UD  grand  état  de  maison,  auiqueb  sa  fortune  suffisait  i  peine. 


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LETTRES  DE  GALIA»!  «7 

saote  dte  ce  degré  de  probabilité  :  mais,  comme  il  est 
né  à  Fribourg,  je  le  mets  dans  ta  rubrique  des  vies 
t'ribourgeoises,  et  ne  m'en  iaquiëte  pas. 

Je  suis  ravi  de  l'état  où  vous  avez  vu  le  prince  Pigna- 
tcUi  :  il  Taut  que  les  chagrins  lui  aieat  ôlé  le  souvenir, 
car  il  m'avait  promis  de  m'envoyer  d'Espagne  du 
tabac  et  du  malaga,  et  n'en  a  rien  fait  :  faites-l'en  res- 
'.  Gleichen  vous  rend  mille  compliments. 


A    LA    HÈHE 

Naples,  I  novembre  )7t». 

Point  de  lettres  de  vous,  ma  chère  dame,  cet  ordi- 
naire; et,  d'une  certaine  façon,  je  dis  tant  mieux,  car 
je  suis  honteux  de  ma  paresse,  et  je  suis  enchanté  de 
trouver  des  complices. 

Je  vous  annonce  avec  plaisir  qu'un  banquier  de  Lyon 
m'a  écrit  qu'il  avait  déjà  expédié  le  16  octobre  à  Mar- 
seille la  bolle  avee  douze  bouteilles  d'encre,  par  ordre 
du  margrave,  qui  me  parviendrait  franco,  du  moins  du 
port  de  terre.  C'est  à  voua,  en  grande  partie,  que  jo 
dois  l'acquisition  de  cette  précieuse  liqueur,  dont  vous 


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478  LETTKES  DE  (iALlA.M 

profiterai  bieu  plus  que  si  c'était  du  vin  ou  du  Kosolio. 
Les  premières  gouttes  vous  eu  seront  dédiées,  n'en 
doutez  pas. 

Après  quarante-deux  ans,  nous  avons  eu  ici  une 
espèce  de  chaugement  dans  le  ministère.  Le  marquis 
Tanncci  a  été  déchargé  de  ses  départements  ',  qu'on  a 
donnés  au  marquis  de  la  Sambucca,  Sicilien  ;  et  il  est 
resté  ministre  d'Ëtat  sans  diiparlement.  Il  ressemblerait 
à  M.  de  Maurepas,  si  le  successeur  était  sa  créature, 
niais  it  a  été  choisi  par 'le  roi  à  son  insu,  et  cela  fait 
une  différence.  Un  événement  pareil  dans  te  pays  de 
la  léthargie  et  du  sommeil  (tel  que  le  nôtre),  en  est 
un  :  cela  ne  fait  rien  à  Paris.  Cependant  pour  nous 
c'L-st  beaucoup,  et  moi  qui  aime  infiniment  le  fracas, 
le  bruit,  les  changements,  je  suis  enchanté  du  spec- 
tacle :  cola  m'a  réveillé  un  peu  de  rabattement  où 
m'avait  plongé  la  maladie  déclarée  incurable  de  ma 
chatte  angola  ;  et  je  vois  que  ce  monde  n'est  qu'une 
chaîne  perpétuelle  de  plaisirs  et  de  chagrins. 

Embrassez-moi  bien  tendrement  le  prince  de  Pi- 
gnatclli,  et  engagez-le  à  m'écrire;  mais  surtout  à 
m'envoyer  du  moins  le  tabac  d'Espagne  qu'il  m'avait 
promis,  et  dont  j'ai  le  plus  pressant  besoin. 

Nous  vous  enverrons  dans  quinze  jours  Pîccini  avec 

t.  TaauGci,  ministre  d«s  affaires  étrangères  i  Ntples,  fuL  ren- 
versé par  rinflueDce  de  la  ntiie  Marie-CiroUae,  qui  topait  arec 
linpatlence  ei  jalousie  l'empire  quHl  atali  sur  r«eprit  du  roi. 


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LETTRES  DE  T.ALIAM  41» 

sa  femme,  qui  est  une  bonne  personne,  aimable,  douce, 
chantant  parfaitement  bien,  et  qui  vous  plaira  '.  Pour 
lui,  c'est  une  espèce  de  M.  Duni  :  sa  conversation  ne 
vaut  pas  ses  pièces,  mais  c'est  un  très  honnête  homme, 
et  je  vous  le  recommande  très  fort,  en  vous  priant  de 
le  recommander  aussi  au  baron  d'Holbach,  à  d'Albarel, 
à  la  Briche,  à  votre  mari,  et  omni  generi  muticorum. 
Aimez-moi  ;  demandez  à  Caraccioli  pourquoi  il  ne 
m'écrit  plus  depuis  six  mois  :  esl-il  fâohé  contre  moi  ? 
et  de  quoi  ?  Adieu. 


A    I.A   MEME 


Votre  numéro  21  serait  admirable,  puisqu'il  est  long, 
et  que  vous  m'y  annoncez  un  parrait  état  de  santé. 
Il  n'y  a  qu'un  certain  article  sur  la  santé  d'Emilie, 
qui  ne  vaut  pas  le  diable.  Vous  voudriez  des  nou- 
velles de  ma  santé.  Elle  est  à  souhait  à  présent  et  par 


1 .  PiocÎDi  iTiit  épauaé  en  1756  Viacen»  SibUla,  son  élève  dus 
l'trt  du  chui  ;  elte  jolgaait  aui  agrëmenb  de  m  personne  la 
Toii  La  plus  b«Ue  «t  U  plut  buichadte. 


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480  LETTRES  DE  GALIANI 

raison.  J'aime  lus  grands  événements,  et  nous  en  avons 
eu  un  ces  jours  passés,  dont  vous  serez  instruite.  Il 
ne  me  fait  rien  à  la  vérité,  ni  en  bien  ni  en  mal,  puis- 
que je  n'ai  que  fort  peu  à  craindre  et  encore  moins  à 
espérer  ;  mais  le  plus  grand  bonlieur  de  ma  vie,  étant 
la  vue  des  grands  spectacles,  je  suis  heureux  d'abord 
qu'il  y  en  a,  et  je  me  porte  à  merveille. 

L'encre  du  margrave  est,  à  ce  que  je  crois,  déjà 
dans  le  port  de  Naples.  Si  elle  est  bonne,  comme  je 
l'espère,  je  ne  ferai  qu'écrire;  et  quelles  lettres  vous 
aurez! 

J'ai  aussi  des  lettres  de  Pétersbourg,  du  1<"  octobre, 
qui  m'annoncent  le  bonheur  physique  et  moral  du 
voj'ageur  '.  Il  va  posséder  Paesiello,  et  se  rassasier  d'ex- 
cellente musique. 

Vous  avez  perdu  un  conlrdlenr-général  *,  dont  on  nu 
dira  dans  l'histoire  ni  bien  ni  maJ.  Le  successeur 
m'intéresse  fort  peu.  En  tout,  je  ne  vois  pas  que  vous 
puissiez  avoir  un  grand  homme  ;  car  le  grand  homme 
de  notre  siècle  doit  être   quelque  chose   d'indéfinis- 

1.  Grimm. 

2.  Après  la  cbute  de  Turgot,  on  avait  appela  au  conlrftle  gé- 
néral M.  de  Clugny,  inleadantde  Bord«aui.  Il  mourut  en  oclobre 
1776.  On  a  défiai  son  miniiiëre  :  *  Quatre  mois  de  pilla^  dont  le 
roi  seul  ne  savait  rien.  >  [Mémoirei  de  Harmontel,  t.  Il,  p.  904.) 
Sud  successeur  Tut  Tabuureau  des  Réaui,  ci-devant  Intendant 
de  province  el  depuis  conseiller  d'État.  Le  roi  lui  adjoignit  pour 
la  partie  des  fonds  H.  Necker,  le  Tameui  ttanquier  geDevois. 


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LETTRES  DE  GALIANI  481 

sable.  Il  faut  qu'il  n'ait  nj  les  vertus  ni  les  vices  dont 
on  parla  dans  tous  les  livres  de  morale.  Comme  nous 
sommes  parvenus  à  un  siècle  qui  nous  rend  insuppor- 
tables  autant  les  maux  quc'les  remèdes,  vous  voyez 
de  quelle  difficulté  est  de  résoudre  ce  problème.  Je 
crois,  après  y  avoir  longtemps  rêvé,  que  le  plus  plat 
bomme  serait  le  plus  grand  homme  de  notre  âge, 
puisqu'il  laisserait  subsister  tous  les  maux  (ce  qu'il 
faut),  en  se  donnant  toujours  l'air  de  vouloir  les  gué- 
rir (ce  qu'il  l'aut  aussi).  Turgot  qui,  sérieusement  vou- 
lait guérir,  a  été  culbuté  ;  Tcrray,  qui  disait  franche- 
ment qu'il  ne  voulait  rien  guérir,  a  été  exécré;  un  plat 
homme  dirait  tout  ce  que  disait  Turgot,  et  ferait 
tout  ce  que  faisait  Terray,  et  cela  irait  à  merveille. 
Ah  çà  !  bonsoir  1  11  est  deux  heures  après  minuit  ; 
je  vais  me  coucher. 


Naples,  is  noiembre  ins. 

Votre  lettre  du  29  octobre,  malgré  votre  à-propos  de 
cohque  arrivée  fort  mal  à  pi-opos,  est  \m  baume  à  mon 


jbïGoogIc 


483  LETTRES  DE  OÀLIAMI 

âme.  C'est  donc  moi,  tout  de  boa,  me  suis-je  écrié, 
qu'on  a  fait  cootrAleur-général  !  A  l'inslant  je  me  suis 
souvenu  des  deux  Amphitryons,  et  des  dtners  de 
M.  Necker  ',  et  je  me  suis  corrigé  en  disant:  le  véri- 
(aUe  Amphitrjron  est  celui  où  l'on  diac. 

Vous  avez  vu  que  je  me  suis  retenu  d'écrire  6  Sar- 
tine,  à  Malesherbes,  et  à  d'autres  amis  à  moi  dans  leur 
élévation  ;  mais  à  M.  Necker,  je  n'ai  pu  me  retenir 
d'écrire.  Je  vous  envoie  la  lettre,  et  je  vous  prie  d'y 
mettre  une  enveloppe.  Voyez  s'il  serait  bon  pour  con- 
tinuer   notre  correspondance,  sans    frais,   sous  son 


Piccini  est  parti  ce  matin.  Vous  l'aurez  it  Paris  h  la 
fin  de  l'année  :  je  l'ai  chargé  d'aller  vous  voir.  Je  suis 
fatigué  d'écrire.  Aimez-moi.  Adieu  ! 


1.  H.  Necker  n'avait  pas  été  Dommë  contrAlenr-génèral. 
On  «Tait  créé  pour  lui  la  fonctioD  nouvelle  de  directeur  du 
Trésor  ro^al.  Haurepas  avait  lu  le  Mémoire  où  le  célèbre  ban- 
quier indiquait  les  moyen<i  de  combler  le  déllcit  et  d'inspirer 
canflance  aux  capitalisles;  il  Tut  séduit,  mais  n'osant  porter  au 
contrûle-général  un  élranger,  surtout  un  protestant,  il  créa  pour 
lui  un  litre  nouveau.  Comme  on  l'a  tu,  M.  Necker  et  Galianl 
partageaient  à  peu  près  les  mêmes  idées  économiques.  Une 
bausse  considérable  sur  les  effets  publics  accueillit  la  Domina- 
tlon  de  M.  Necker  qui,  dès  son  entrée  en  fonctions,  commenga 
des  réformes.  Le  contra  leur-général,  Tabureau,  voulut  faire  de 
l'opposition,  il  fut  immédiatement  sscriHé  et  on  ne  le  remplaça 
pas.  H.  Necker  fut  alors  nommé  direcleur  général  des  lÎDaDces, 
mais,  s'il  avait  raotorilé,  il  n'avait  pas  l'entrée  au  Conseil. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIàNI 


NBples,  SU  novi-mbre  1770. 

Votre  a"  23  ne  parle  que  d'encre  et  de  livres,  ce 
qui  ferait  en  tout  une  bien  [>latc  lettre,  si  heureuse- 
ment il  n'y  avait  aussi  que  vous  vous  portez  bien. 

L'encre  du  mar^ave  est  à  flot,  comme  vous  saurez, 
depuis  le  20  d'octobre;  mais  elle  ne  m'est  pas  encore 
arrivée,  et,  jusqu'à  ce  qu'elle  arrive,  je  n'ai  pa»  déplai- 
sir à  écrire.  Pour  les  livres  partis  le  2  du  mois  de  ' 
novembre,  je  vous  remercie,  et  prie  Dieu  qu'il  les  fasse 
arriver  au  plustftt;  car  celui  qui  me  les  a  demandés  a 
été  frappé  d'apoplexie,  et  il  serait  bon  qu'ils  arrivas- 
sent avant  sa  mort.  Mon  Recueil  do  voyages  est  in-ip, 
comme  vous  auriez  pu  vous  en  apercevoir  par  ma  lettre, 
où  je  vous  disais  que  je  n'en  manquais  que  de  six  pour 
avoir  les  vingt-deux  qui  font  l'édition  complète.  Assu- 
rément, les  volumes  in-12  seront  bien  plus  nombreux. 
Je  ne  vous  demande  pas  de  me  les  expédier,  mais  de 
me  dire  si  je  pourrais  épargner  sur  les  prix  qu'on  en 
demande  ici. 


jbïGoogIc 


4S4  LETTRES  DE  GALIANI 

Dites-moi,  en  mfime  temps,  s'il  a  paru  à  Paris  quel- 
que nouvelle  carie  de  Pologne,  en  une  ou  deux  feuilles, 
ou,  tout  au  plus,  en  quatre  feuilles,  car  j'en  ferais 
bien  volontiers  l'acquisition. 

Vous  saurez  le  chaDgement  de  Grimaldi  *  à  Madrid 
en  même  temps  que  celui  de  Tanucci  ici.  Oa  m'a  as- 
suré que  les  deux  courriers  se  rencootrèrent  à  Sara- 
gosse.  Celui  de  Madrid  parla  le  premier,  et  dit  au  Napo- 
litain : 

—  Compère,  j'ai  uuc  bien  grande  nouvelle  dans 
ma  valise. 

Le  Napolitain.  —  Quelle  donc? 

L'Espagnol.  —  C'est  la  démission  de  Grimaldi. 

Sur  cela  le  Napolitain  froidement  lui  riposte  : 

—  Vous  me  prenez,  compère,  pour  im  courrier  boi- 
teux ;  j'ai  la  démission  de  M.  Tanucci  dans  la  mienne. 

Jugez  de  l'étonnement  et  de  la  surprise  des  deux  !  Ils 
finirent  par  s'embrasser,  et  remercier  Dieu  d'ëlre  nés 
courriers;  et  ils  se  quittèrent  bien  persuadés  qu'ils 
trouveraient  sans  faute  ù  qui  remettre  leurs  paquets  à 
leur  arrivée. 

Caraccioli  ne  m'écrit  plus  depuis  un  temps  immé- 
morial. TAchez  de  découvrir  un  peu  les  causes  de  son 
silencô  envers  moi.  Malgré  l'opinion  que  j'ai  de  sa 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  6ALIANI  485 

paresse,  de  son  dégoût  pour  sa  patrie,  et  d'autres 
raisons,  je  ne  laisse  pas  d'être  inquiet  sur  ce  silence. 
Bientôt  vous  verrez  Picciai,  mais  nous  avons  eu  une 
musique  de  Guglielmi  ',  qui  ne  nous  laisse  pas  de  re- 
grets pour  Piccini.  Adieu  !  Tâchez  de  persuader  Magal- 
lon  qu'il  vienne  avec  Griinaldi  à  Rome.  Puisque  vous 
ne  le  voyez  pas,  ce  cher  chevalier,  laissez-le-moi  revoir 
du  moins.  Quelle  joie  j'en  aurais  ! 


A   LA   MEME 

Haples,  »  diccmbrs  ms. 

Vous  ne  sauriez  imaginer,  ma  chère  et  aimable  dame, 
à  quel  poiut  l'encre  du  margrave,  qu'enfin  je  possède, 
m'a  rendu  heureux.  C'est,  sans  exagération,  une  résur- 
recti<m  de  mon  bras  qu'elle  vient  de  causer.  H  m'était 


].  Gaglielffii,  né  à  TAtssa  dj  Carrara',  élève  du  célèbre  Daraatc, 
émule  de  amarosa  et  de  Paesiello.  Il  voyagea  en  Aoglelerte,  eu 
Eipagne  et  â  Vienne,  puis  revint  se  Hier  à  Naples,  en  1TT6,  vers 
rige  de  cinquanle  ans.  Ses  opéi'as  curent  le  plu«  grand  auccèi. 
ZïDgarelli  regarde  l'opéra  de  Deborah  comme  le  chef-d'œuvre  de 
GagHelmi.  Il  mourul  le  19  novembre  1801  dans  sa  soiiante-dii- 
tcpUème  année. 


jbïGoogIc 


4W  LETTRES  DE  GALIANI 

devenu  absolument  impossible  d'écrire.  La  plume  me 
faisait  plus  d'horreurà  preodre  eu  main  qu'une  bêche, 
el  je  croyais  avoir  perdu  eolièrement  la  force  physique 
d'écrire.  Je  ne  ferai,  à  présent,  autre  chose  qu'écrire; 
et  vous  jugez  hien  qu'à  l'instant  l'envie  d'achever  mon 
ouvrage  sur  Horace,  ma  dissertation  sur  la  vie  du  duc 
de  Valentinois,  mes  pensées  sur  l'origine  des  montagnes 
est  revenue.  Il  est  bien  vrai  que  je  n'en  ferai  rien; 
mais,  du  moins,  ce  ne  sera  plus  la  faute  de  mon  bras 
ni  de  mon  encre  '. 

Point  de  lettres  de  vous  cette  semaine;  mais  je  sais, 
à  n'en  point  douter,  que  vous  vous  portez  bien,  car 
mon  cœur  ne  palpite  pas. 

Excusez,  en  attendant,  uoe  demande  ennuyeuse  que 
je  vais  vous  faire.  Pourriez-vous  soulager  le  désir  d'un 
évéque,  ennuyeux  janséniste,  que  nous  avons,  qui  vou- 
drait compléter  son  précieux  recueil  des  gazettes  ec- 
clésiastiques; il  a  le  bonheur  d'en  posséder  la  collection 
jusqu'au  13  juin  1770.  Quel  trésor!  Il  voudrait  avoir  le 
reste  jusqu'à  la  fm  de  l'année  courante.  Il  payera  tout 
au  monde  ponr  avoir  cela  et  posséder  un  ouvrage 
immortel  de  génie  et  de  goût.  Aidee-moi  à  le  conlen- 


t.  L'avocat  Aziarriti,  un  des  exAcutetlrs  testBmecUiras  da 
Galiani,  a  trouvé  les  docaments  préparés  par  l'abbé  pour  cetis 
via  du  duc  de  Valentloois,  mais  ils  n'étaient  pas  rédigés.  Ces 
papiers  sont  entre  les  mains  de  la  Famille  Gaetani,  i  Home; 
[Voir  le  récent  article  de  M.  Ademollo  dans  ïAntotogia  nuova.) 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANl  481 

1er,  je  voue  en  prie,  et  répondez-moi  catégoriquement 
sur  cela.  Si  tous  ne  pouvez  pas  tous  en  mêler,  voyez 
si  Caraccioli  pourrait  faire  cela  ensemble  avec  vous. 

Ea  attendant,  aimez-moi  bien  tort,  et  comptez  sur 
de  longues  lettre  de  ma  part,  depuis  que  l'encre  et  la 
plnme  favorisent  mon  bras.  Adieu  encore!  Piccini  est- 
il  arrivé? 


A   LA    MÊME 

Réponse  au  n"  25,  écrite  avec  la  plus  mauvaise  encre 
de  l'Europe,  pour  faire  triompher  la  Petite  Vertu 
du  margrave*. 

NtplM,  igdéc«Bibr*4T1l' 

Avant  que  de  vous  répondre,  ma  chère  et  aimablo 
dame,  je  vous  dirai  qu'il  y  a  déjà  dix  jours  qu'un  bâ- 
timent français,  arrivé  au  grand  galop  de  Marseille,  m'a 
rendu  une  petite  caisse  dans  laquelle  il  y  avait  les  deux 
exemplaires  de  l'histoire  des  rois  de  Naples,  que  je  vous 
avais  demandés,  l'en  ai  payé  le  port,  et  comme  sur  la 

.    1>  L'encra  de  la  Petite  Vertu  que  le  ma^me  de  Bireitli  unir 
envoyée  à  GaliaDi. 


jbïGoogIc 


4B8  LETTRES  DE  GALUN'l 

police  il  y  avait  vingt  livres  ea  outre,  j'ai  deviné  tout 
seul,  par  la  force  de  mon  génie,  que  cette  somme  était 
aille  de  la  valeur  de  l'ouvrage,  et  je  l'ai  payée  aussi,  sans 
quoi  on  ne  m'aurait  pas  livré  la  boiter  Ergo,  nous 
devrions  être  quittes  de  ia  valeur  de  cet  achat,  à  moins 
qu'il  n'y  ait  quelque  équivoque.  Je  dois  vous  dire  eu 
outre  que  vous  ne  m'aviez  rieu  écrit  sur  cela,  et  que 
votre  mémoire  est  en  défaut,  lorsqu'elle  vous  dit  m'en 
avoir  écrit  le  pris  de  dix  livres.  Mais  vous  avez  grand 
tort  d'accuser  votre  pauvre  santé  des  fautes  de  votre 
mémoire;  accusez-en,  et  croyez-moi,  l'absence  de  plu- 
sieurs de  vos  plus  tendres  amis.  Vous  songez  à  eux 
souvent,  vous  vous  proposez  à  tout  instant  de  leur 
écrire  telle  ou  telle  chose,  vous  dictez  même  les  lettres 
dans  votre  tête,  et  voilà  ce  qui  vous  confond  les  idées. 
Examinez-vous  d'après  ce  que  je  viens  de  vous  faire 
remarquer,  et  vous  verrez  que  j'ai  raison. 

J'ai  lu  dans  une  gazette  d'Italie,  qu'on  imprime  à 
présent  à  Paris,  l'histoire  complète  ou  les  annales  de 
la  Chiue,  traduites  d'une  grande  histoire  chinoise  qui 
est  à  la  bibliothèque  du  roi,  en  cent  volumes  chinois, 
et  que  cet  ouvrage  sera  de  douze  vol.  in-4'>,  enrichis  de 
planches.  Dites-m'en  quelque  chose,  si  cela  est  bon  ; 
combien  coûtera-t-il  *.  Est-il  imprimé  déjà?  etc.  Je 
serais  curieux  de  faire  cette  empiète. 

1.  Biliaire  générale  de  la  Chine,  publiée  par  l'aUté  Groaier  U 
Le  Rom  des  Usniera^es.  13  vol.  In  4*  (1777-1784]. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  OALUNI  489 

Madame  de  Bclsunce,  votre  aimable  fille,  m'a  fait 
parvenir  une  lettre  par  H.  le  comte  de  Bressac,  et 
dans  cette  lettre  elle  me  recommandait  beaucoup 
M.  de  Gallard.  Je  cherchais  donc  ce  comte  de  Gallard 
par  terre  et  par  mer,  et  c'était  M.  de  Bressac  lui-même. 
Nous  nous  sommes  beaucoup  amusés  de  ce  quiproquo. 
Elle  me  donne  aussi,  dans  cette  lettre,  de  vieilles  nou- 
velles; mais  je  la  remercie  beaucoup  de  m'avoir  fait 
connaître  un  homme  aussi  aimable  que  M.  de  Bressac  ; 
il  n'aura  pas  ici  le  temps  d'avoir  besoin  de  moi.  Un 
prince  de  Suède,  beaucoup  d'Anglais,  pas  mal  de 
Français,  deux  Russes,  Gleichen,  etc.,  voilà  une  assez 
nombreuse  compagnie  d'étrangers  qui  leur  fera  oublier 
qu'ils  n'ont  point  vu  de  Napolitains  à  Naples.  Carac- 
cioli  vient  de  perdre  sa  sœur  ici  ;  il  en  sera  affligé  & 
ce  que  j'imagine  ;  lâchez  de  le  consoler. 
Aimez-moi  1 

A  propos,  vous  m'avez  demandé  à  quel  point  m'a 
affecté  le  changement  de  ministère?  le  voici:  comme 
tout  le  monde  savait  que  Tanucci  ne  m'aimait  guère 
et  m'employait  encore  moins,  je  ne  puis  pas  être 
enveloppé  dans  la  disgrftce  de  ses  créatiycs.  Sambucca 
est  mon  ancien  et  véritable  ami,  aussi  bien  que  sa 
famille  entière  ;  mais  il  ne  fera  rien  de  moi  ;  et  cela, 
par  la  même  raison  que  Tanucci.  Un  ministre  ne 
s'attache  qu'aux  gens  qui  se  dévouent,  et  moi 
je  ne  puis  point  me  dévouer  ;  je  ne  saurais  pas  même 


jbïGoogIc 


4»  LETTRES  DE  OALIAMI 

me  donner  au  diable.  Je  suis  à  moi.  Je  n'aurai  ni 
grande  fortune,  ni  grandes  persécutions.  Pourvu  que 
j'obtienne  une  année  de  congé  pour  revoir  Paris,  je 
serai  content. 


BnpUs,  H  JïDïler  1T71. 

Lsi  semaine  passée,  je  n'eus  point,  ma  chère  dame, 
de  lettres  de  vous,  parce  qu'apparemment  voua  ne 
m'aviez  point  écrit.  Cette  semaine  je  n'en  ai  pas,  et 
c'est  peut-être  parce  que  le  courrier  n'est  point  arrivé. 
Je  n'ai  donc  rien  à  vous  dire,  sinon  que,  heureusement) 
je  ne  suis  pas  mort  du  froid,  comme  le  bruit  en  avait 
couru. 

Lo  baron  de  Gleichen,  qui  compte  sur  vos  bontés, 
puisque  vous  avez  tantde  souvenirs  de  lui,  est  la  cause 
principale  pour  laquelle  un  homme  comme  moi,  qui 
aurait  dû  mourir  de  froid,  vous  écrit  cependant  ce 
soir;  il  met  le  plus  vif  intérêt  à  faire  parvenir  la  ci- 
jointe  au  général  Kock.  Il  le  croit  à  Paris.  Il  aurait  pu 
envoyer   cette  lettre    à   MH.    Caccia  banquiers,   rue 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GiLIANI  491 

Saint-Hartin  ;  mais  il  aime  mieux  l'adresser  à  voua, 
pour  être  plus  sûr  qu'elle  parviendra  au  générai,  mort 
ou  vif  qu'il  soit. 
Aimez-moi  donc,  et  attendez  le  dégel.  Adieu  ! 


MADAME     d'ÉPIMAV     A     GALIANI 
Fari»,  10  téiriep  )77T- 

Ah  !  je  vous  entends  d'ici,  mais  en  vérité,  mon  cher 
abbé,  ce  n'est  pas  ma  foute,  et,  si  je  n'ai  point  écrit, 
c'est  que  je  n'ai  pu  écrire.  Mal  aux  entrailles,  mal  aux 
dents  ;  des  comptes  à  retirer  des  mains  d'une  veuve 
désolée,  qui  n'avait  le  temps  que  de  pleurer  et  ne 
trouvait  pas  celui  de  me  rendre  mon  argent  ;  des  dia- 
logues à  faire  ;  un  catéchisme  moral  que  j'ai  entre- 
pris, une  pièce  de  mes  amis  qui  est  tombée  et  qu'il  a 
fallu  relever;  que  sais-je?  et  tout  cela  du  fond  de  mon 
fauteuil,  car  je  n'en  bouge  pas  ;  et  puis,  le  len^s  qui 
coule  sans  en  avertir  ;  un  dimaucbe  n'attend  pas  l'autre  ; 
ou  ne  sait  comment  faire.  Enfin  me  voilà,  je  vais  vous 
couler  une  histoire,  et  puis  nous  verrons. 

M.  le  lieutenant  de  police  était  prié  d'uu  grand  dîner 


jbïGoogIc 


49i  LETTRES  DE  GALIAM 

de  cérémoDie,  d'uD  repas  de  communauté.  C'était  le 
cas  d'avoir  une  perruque  neuve,  il  la  commanda.  Le 
jour  arriva,  et  la  perruque  n'arrivait  pas.  Un  valet  de 
chambre  va  la  chercher.  Le  perruquier  fait  mille 
excuses,  mais  sa  Temme  était  accouchée  deus  jours 
avaut,  l'euraiit  était  mort  la  veille,  la  femme  étaitencore 
très  mal  ;  il  n'oit  pas  étonnant  que,  dans  ces  moments 
de  trouble  et  d'embarras,  on  ait  oublié  de  porter  la 
perruque  ù  monseigneur.  Mais  la  voilîi  dans  c«tte  boite: 
a  Vous  verrez,  dit-il,  que  j'y  ai  apporté  tous  mes  soins  :  » 
on  ouvre  la  botte  avec  précaution  pour  ne  pas  gâter 
la  perruque,-on  y  trouve  l'enrant  mort  de  la  veille, 
c  Ab  dieu  !  s'écrie  le  fierruquicr,  les  prêtres  se  sont 
trompésj  ils  ont  enterré  la  perruque  !....  »  Il  a  fallu  un 
ordre  de  l'arcbevéque,  uu  procès-verbal,  un  arrêt  du 
conseil,  et  je  ne  sais  quoi  encore  pour  enterrer  l'enfant 
et  déterrer  la  perruque. 

n  y  a  aussi  un  procès  fort  plaisant  entre  la  marquise 
de  Saint-Vincent  et  un  tailleur,  à  qui  elle  a  com- 
mandé une  paire  de  culottes  pour  l'abbé  un  te),  et  qu'elle 
refuse  aujourd'hui  de  payer;  mais  le  détail  de  cette 
affaire  assez  plate  en  elle-même  serait  trop  long. 

Que  vous  dirai-je  encore  pour  vous  tenir  au  cou- 
rant? On  avait  décidé  de  taire  de  l'Ëcolc  militaire  un 
séminaire  pour  les  aumôniers  des  régiments  et  on  des~ 
tinait  ces  aumttneries  aux  e\-jésuites.  Le  parlement  et 
un  ministre  étranger  ont  lait  des  remontrances;  elles 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIÀNI  493 

ODt  été  écoutées  el  l'établissement  n'aura  pas  lieu, 
au  grand  regret  de  M.  de  Saint-Germain  qui  espérait 
voir  à  l'avenir  toutes  les  troupes,  conduites  par  de 
tels  aumdniers,  mener  une  vie  exemplaire. 

Comment  vont  vos  dents,  l'abbé?  Les  miennes  ne 
veulent  ni  tomber  ni  rester,  elles  se  bornent  à  me 
faire  des  maux  enragés.  Est-ce  qu'on  ne  peut  pas  les 
mettre  à  la  raison  7  chaque  partie  de  nous-mêmes  a 
donc  une  volonté,  une  puissance  ?  ¥  entendez-vous 
quelque  chose  ?  Ah  !  dites-le  moi,  je  vous  prie  ! 

Bonjour,  mon  abbé.  Soyez-on  sûr,  je  vous  aime  tou- 
jours, toujours;  mais  le  temps  de  le  dire  ou  le  trouve- 
t-on? 


A  MADAME   d'ÉPINAY 

Naples,  i  février  mT. 

J'ai  été  ravi,  ma  chère  dame,  d'apprendre  par  vous 
les  premières  nouvelles  du  malheureux  Piccinî  et  de 
sa  charmante  femme.  Garaccioii  est  toujours  Carac- 
cioli  :  inutile  à  la  société,  agréable  en  société  *.  Je 

1.  Caraccioli  détendait  el  soutenait  Plccinl  i 
comme  le  disait  Laharpe  :  «  La  foule  est  pour  Gluck 


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494  LETTRES  DE  GALIANl 

voudrais  que  Piccini  mandât  à  ses  amis  et  surtout  à 
la  princesse  de  Belmonte,  les  services  que,  par  égard 
pour  moi,  vous  lui  avez  rendus;  cela  est  plus  intéres- 
sant pour  moi  que  vous  n'imaginez,  11  faut  savoir 
que  cette  vieille  princesse,  qui  est  une  sorte  de  ma- 
dame GeoflHn,  à  la  manière  napolitaine,  était  brouillée 
&  mort  avec  moi,  précisément  parce  qu'elle  protégeait 
Piccini,  et  qu'elle  me  croyait  partisan  outré  de  Paesîetlo. 
Lorsqu'elle  vit  que  je  m'intéressais  en  honnête  homme 
à  hicn  recommander  Piccini  à  Paris,  elle  y  fut  très 
sensible;  et  à  présent,  si  vous  faites  en  aorte  qu'elle 
sache  que  mes  recommandations  ont  été  utiles  à  Piccini, 
elle  va  être  enthousiasmée  et  folle  de  moi,  ce  qui  ferait 
grand  plaisir  à  mon  cœur,  un  grand  tiiomphe  à  mon 
caractère,  et  même  cela  aurait  des  rapports  de  cour 
qu'il  serait  trop  long  de  vous  expliquer.  Aio^  occupez- 
vous-en. 

En  revanche,  ne  vous  donnez  plus  la  peine  de  me  faire 
transcrire  des  morceaui    imprimés;  ils  m'arriveront 


taire,  noire  Dation  a  la  télé  dramatlqne  et  n'n  pas  l'oreille  mu- 
sicale; les  amateurs  ne  sont  pas  le  grand  nombre  et  la  loule 
n'aime  que  le  bnilt.  »  — ull  y  a  quelque  temps  que  l'ambassadeur 
de  Naples,  grand  prAneur  de  Piccini,  comme  de  raison,  médisait 
arec  son  accent  italien  :  n  Lea  oreilles  des  Italiens  ne  sont  qu'un 
s  simple  cartilage  ;  mais  celles  des  Français  sont  doublées  de  maro- 
quin.* —  s  A  propos  4'Ipkigénieen  Tauride,  ïobbè  Arnaud  dit  que 
la  douleur  aatigtM  était  relrottvée  par  Gliick.  —  Sur  quoi  l'ambassa- 
deur de  Naples  répondit  asseï  plaisamment  qn'tl  afinoil  t»««ux 
le  plaitir  modene.  ■  [Labarpe,  Corr.  Utt.) 


jbïGoogIc 


LETTRBS  DE  GALIANI  «» 

toujours  plas  tard.  Il  y  avait  déjà  quinze  jours  que 
j'avais  lu  le  préambule  de  Necker.  Son  idée  aQtiéco<- 
nonUstique  de  commencer  par  des  idées  plates  de  fout 
Une,  de  création  de  rentes,  d'emprunts,  etc.,  me  Êtit 
croire,  plus  que  tout,  qu'il  restera  longtemps  en  place, 
qu'il  y  fera  d'aussi  bonne  besogne  qu'il  est  possible 
d'en  faire  en  fait.  En  propos,  on  en  fera  toujours  de 
bien  plus  merveilleuse.  Il  faut  vivre  avec  ses  maux.  Le 
problème  est  de  vivre  et  pas  de  guérir. 

M.  le  comte  de  Bressac  est  parti  avant-hier  avec  ses 
deux  compagnons;  il  nous  a  laissé  des  regrets  par  ses  - 
aimables  qualités.  Je  crois  qu'il  ne  sera  pas  parti  mé-' 
content  de  Naples,  puisque  dans  le  furieux  jeu  qu'il  a 
joué  avec  le  prince  de  Suède,  le  roi  et  des  Anglais,  il 
n'a  pas  été  bien  malheureux  ;  mais  il  jouait  trop  gros 
jeu  pour  un  voyageur.-  H  m'a  promis  de  vous  parler  de 
moi. 

Le  landgrave  invisible  est  ici  depuis  hier.  Il  a  rendu 
ses  devoirs  au  Vésuve  d'abord.  On  dit  qu'il  ne  verra  pas 
le  roi  ;  ainsi  le  roi  ne  le  verra  pas,  cela  est  elair.  Moi, 
sans  £tre  roi,  je  ne  le  verrai  pas,  cela  est  sûr. 

Il  faut  que  je  vous  quitte  pour  aller  entendre  Sémi- 
ramis;  car  noiis  avons  encore  une  troupe  française  qui 
est  fort  mauvaise  ;  et  cependant  nos  Napolitains  y  vont  ; 
le  roi  surtout  s'y  plaît  beaucoup,  et  y  donne  plus  d'at- 
tention qu'il  n'en  a  donné  encore  à  aucun  spectacle. 
Qu'en  dites-vous  ? 


jbïGoogIc 


408  LETTRES  DE  GALtA»! 

J'espère  que  vous  m'aurez  acheté  les  gazettes  ecclésias- 
tiques? 11  faut  me  les  expédier  dans  une  caisse  à 
Marseille,  pour  y  être  embarquées,  et  c'est  dans  cette 
caisse  que  vous  mettrez  la  carte  de  Pologne.  Je  vous 
rembourserai  par  une  remise. 


.  MADAME    I)'ÉP[NAT 


Si  le  margrave,  avec  ses  bouteilles  d'encre,  m'avait 
envoyé  des  bouteilles  d'eau  de  Jouvence  et  de  gaieté, 
je  vous  écrirais  des  lettres  interminables,  et  vous  les 
mériteriez,  attendu  la  gaieté  des  vôtres.  Mais,  liélas  1  je 
suis  à  Naples.  Cela  veut  dire  dans  le  pays  de  l'ennui,  de 
la  pesanteur,  de  la  tristesse.  Je  ne  répondrai  donc 
qu'aux  articles  tristes  et  fâcheux  de  vos  deux  lettres,  te 
premier  et  le  plus  sensible  est  celui  de  vingt  livres  que 
je  vous  dois  sur  ce  maudit  H.  d'Ëgli.  J'avais  absous  de 
toute  dette  mon  ami  qui  m'en  avait  donné  la  commis- 
sion, croyant  que  les  vingt  livres  que  j'avais  trouvées 
sur  la  police  étaient  le  prix  de  l'acquisition.  Je  cours 
donc  risque  de  le  payer,  moi,  et  voilà  ce  qui  arrive  aux 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  fiALIAM  M7 

commissions.  Mais,  enfin,  ce  qu  i  m'intéresse'le  plus  à  pré- 
seut  c'est  de  vous  solder.  Tirez  donc  sur  moi  une  lettre 
decbangoou  un  ordre  de  payer  à  qui  vous  voudrez,  soit 
k  l'ambassadeur  ou  à  d'autri^s .  et  vous  verrez  que  je 
payerai. 

Vous  ne  m'avez  plus  parlé  de  Piccini.  Cela  me  fùclie, 
car  les  premières  nouvelles  que  vous  m'en  donnâtes 
n'étaient  pas  tout  à  Tait  agréables. 

Laissons  Caraccioli  dans  sa  tristesse  :  il  est  Napoli- 
tain aussi. 

La  chaise  de  paille  m'écrit  de  charmantes  épitreS 
de  Pétei-sbourg,  et  en  reçoit  de  moi  qui  ne  sont  pas  de 
paille. 

Gleichen  va  nous  quitter  sous  huit  jours,  et  compte 
être  à  Paris  en  octobre. 

Je  ne  sais  que  vous  mander  de  plus,  (jui  vaille  la 
peine  d'élre  écrit.  Il  ne  m'arrive  à  moi  aucune  aven- 
ture agréable  de  volcans.  Je  suis  amoureux  :  voilà  ce 
que  je  puis  vous  apprendre  de  plus  gai,  mais  je  suis 
malheureux,  voilà  ce  que  je  puis  vous  apprendre  de  ■ 
plus  triste,  \dieu,  aimez-moi.  je  le  mérite,  même  dans 
la  tristesse  et  l'insipidité.  Adieu. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI 


Nuples,  s  mars  llii. 

Madame,  je  viens  de  recevoir  vos  deux  n°'  32  et  33 
h  la  lois.  Je  vois  donc  que  ce  n'est  pas  vous  qui  avez  le 
lort  ;  ce  sont  les  neiges,  tes  pluies,  les  diables  et  leurs 
suppùls . 

Je  voudrais  répondre  à  tout  ce  «juc  vous  me  mandez, 
mais  en  vérité  je  ne  le  puis  pas.  J'ai  une  petite  fièvre 
insensible  presque,  qui  m'incommode  depuis  douze 
jours.  Le  plus  (;nind  de  ses  symptômes  est  ua  ennui 
mortel  qui  m'abat.  Je  ne  fais  que  dormir  on  m'enrager. 
Pardonnez-moi  donc  et  plaigneï-moi. 

Je  souhaite  de  plus  grands  détails  sur  Picclni.  Qu'est- 
ce  qu'il  compose^  du  sérieux  ou  du  bouffon?  de  qui 
est  la  pièce  î  quand  la  donnei-a-t-oii?  sur  quel  liiéâtre?* 
exécutée  par  qui'? 

1.  Piccini  iravaillail  à  cette  époque  à  son  opéra  de  Rulaad. 
poème  de  QaiimulL,  .iiTangi:|iar)Iai'monIcJ.  PicciDi  oesavail  pas  ua 
mol  de  rronfais.  Marmonicl  a:  chargea  de  le  lui  apprendre: 
il  moDlaii  Lous  les  malJos  cbei  eon  collaborateur  avec  Uquel  il 
s'enfermait  pendant  deux  ou  Iroit  beurej;'il  commençail  par  lui 


jbïGoogIc 


LETTRKS  DE  T.ALIAM  499 

Tout  ce  que  vous  me  mandez  de  Pacsiello,  je  te  savais 
en  droiture  par  la  chaise  de  paille  qui  me  lait  l'hon- 
neur de  m'écrire  aussi,  et  ne  m'oublie  pas  au  milieu  de 
ses  grandeurs.  Il  aura  de  la  peine  à  pouvoir  relournei' 
à  Paris,  mais  je  suis  sur  et  très  sur  qu'il  en  a  grande 
envie. 

Je  vous  ferai  tenir  le  plus  tût  possible  les  quatre- 
vingt-dix  livres  Ituilsols  que  Je  vous  dois.  Je  l'aurais  Tait 
ce  soir  même,  si  j'eusse  pu  sortir  de  ma  chambre. 
Pardoimez  si  je  ne  suis  pas  plus  lonj,',  eu  vérité  je 
n'en  ai  pas  la  Torce  Adieu  ;  embrassez-moi  la  dan- 
seuse vicomtesse',  et  croyez-moi  toujours  voti'e,  etc. 


eiplii)u«L'  une  scène,  qu'il  lui  (uisuit  unsuile  répéter;  puis  il 
marquait  sur  soa  manuscrit  la  (guïnlilé  de  tous  les  mois  en 
longues  et  en  brèves  ;  cela  fait,  il  lu  laissait  travailler  seal.  Le:  len- 
demain la  musicien  chaclait  au  (loèle  ce  qu'il  avail  fait;  s'il  lui 
était  écliappé  quelque  ineiattitule  quant  à  lu  prosodie,  ils  lu 
corrigeaient  sur-le-cbauip.  Culu  dura  une  année! 

1.  Madame  de  Bel^unee. 


jbïÇoogIc 


LETTRES  I>E  GALUN 


A    LA    HEHi; 


Nuiilcs,  11  murs  im. 

Voici  en  vérité  la  première  de  vos  lettres  depuis  liuil 
ans  qui,  sans  m'alHiger,  m'a  déplu.  Elle  est  en  vérité 
gaie,  folâtre,  plaisante,  ce  qui  prouve  uu  assez  bon 
l'ouds  de  sauté  à  la  lin  d'un  hiver  fort  rude,  et  cela 
m'enipôche  de  m'affliger.  mais  elle  me  prouve  aussi 
que  vous  commencez  à  me  négliger,  et  que  vous  ne 
m'écrivez  que  par  maaière  d'acquit  ;  et  cela  me  déplaît 
fort.  Vous  savez  que  je  m'intéresse  à  Piccini.  Il  est  à 
Paris,  vous  uc  m'en  dites  rien.  Vous  ne  me  dites  rien 
non  plus  de  M.  Necker,  rien  de  Caraccioli,  rien  de 
Bretcuil,  de  madame  GeolTrin,  du  baron  d'Holbach, etc., 
rien  enfin  de  tout  ce  qui  pourrait  m'inléresser,  rien  de 
Pétersbourg  (j'allais  l'oublier), et  vousemployez  le  temps 
à  m'écrire  une  longue  histoire  fabuleuse  qu'on  fai- 
sait de  mon  temps  sur  la  perruque  de  M.  de  Sarline,  et 
qui  n'appartient,  en  première  époque,  qu'à  la  feue 
perruqui!  noire  de  feu  M.  d  Argeuson.  Ceci  n'est-il  pas 
cruel?  Vous  mo  parlez  aussi  des  ex-jésuiles  ;  qu'est-ce 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  OALUNI  601 

que  cela  me  fait?  Mais  de  mes  amis,  de  nos  affaires, 
TOUS  oe  dites  rien.  , 

Je  vous  conterai,  moi,  que  ce  monsieur  à  qui  vous 
donnâtes  une  lettre  pour  moi,  étant  un  homme  d'es- 
prit, trouva  bon  de  placer  votre  lettre  dans  son  portc- 
feuille;  ensuite  il  eut  l'esprit  de  se  laisser  voler  son 
portefeuille  à  Rome  ;  enlin  il  eut  l'esprit  de  s'épouvan- 
ter de  se  présenter  chez  moi  sans  wtre  lettre.  Ergo, 
il  serait  parti  sans  me  voir  ;  mais  il  arriva  une  aventura 
de  bal  qui  me  le  lit  déterrer.  Votre  recommandé  s'élait 
introduit  chez  madame  André  ',  femme  du  consul  de 
Suède,  jeune  l*rovençale  assez  jolie.  Son  mari  est  de 
ma  taille  (Nota  bene).  Ils  étaient  au  bal  masque  public 
que  nous  avons  eu  ce  carnaval  passé,  Pour  être  à  leur 
aise,  ils  s'étaient  retirés  dans  un  coin  obscur  d'une  ps- 
pÈce  de  portique.  Madame  élait  démasquée  ;  moi,  j'étais 
masqué  jusqu'aux  dents,  et  me  voulais  approcher 
leoteme[it  d'elle,  puisque  je  la  connais  beaucoup,  i'cn- 
lends  qu'ils  se  disaient  :  C'est  lui,  oui,  c'est  lui,  et  l'iti- 
connu  pour  moi  me  paraissait  alarmé.  Je  m'a^'ance,  et, 
par  signes,  je  commence  îi  tourmenter  madame,  qui  ne 
me  reconnut  pas,  quoiqu'elle  s'aperçût  bien,  k  l'odeur, 
que  je  n'étais  pas  son  mari.  Enlin,  las  de  la  lourmcnl^T. 


1 .  Il  eil  loti  SDUient  question  dii  ma  damo  AnJri;  dans  le  jour- 
nal de  maijanie  de  Saussure  t  Au  dîner  de l'ambassaUi',  dil-elle. 
madame  Aodré  élait  parée  et  glorieuse.  Elle  csi  turi  jalouse  di's 
succès  des  oulres  et  il'une  humeur  peu  aimable,  i 


jbïGoogIc 


50i  LETTRES  DE  6ALIANI 

je  me  retounifi  à  son  homme,  et  je  lui  dis  avec  ma 
voix  naturelle  :  e  Oui,  monsieur,  c'est  moi  précisément, 
celui  que  vous  croyez,  n 

Au  sonde  ma  voix,  madame  me  reconnaît,  et  jette 
un  cri  de  joie  en  disant  : 

«  Ah!  c'est  M,  de  Galiani.  » 

Sur  cela  votre  monsieur  se  démasque,  et  se  trouve 
forcé  de  me  dire  : , 

«  Oui,  vraiment,  monsieur,  c'est  vous  que  je  désirais 
connaître  avant  de  partir.  J'avais  une  lettre  etc.;  jo 
l'ai  perdue,  etc.  ;  je  suis  un  sot,  etc.;  jo  pars  demain, 
etc.;  je  conterai  à  madame  d'Épinay  cette  histoire,  etc.  » 

Nous  avons  causé  un  quart  d'heure,  et  tout  a  été 
dit,  après  qu'il  m'a  rendu  compte  tic  votre  santé.  Si 
vous  voulez  des  nouvelles  de  la  mienne,  demandez-en 
au  chevalier  du  Moustier,  qui  part  cette  nuit  pour 
aller  enlever  une  Tcmme  à  Paris  et  nous  l'amener.  Si 
j'avais  plus  de  papier,  je  serais  plus  long.  Adieu. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALUNI 


Je  suis  très  honteux,  madame,  de  n'avoir  pas,  plas 
tf)t,  pu  vous  faire  rembourser  les  quatre-vingt-dix  livres 
que  je  vous  dois;  mais  sachez  que  M.  l'Ambassadeur 
a  été  si  incommodé  pendant  quinze  jours  par  une  lifvre 
acharnée  à  le  poursuivre,  qu'il  a  rei'iisé  la  porte  h 
tout  le  monde  sans  exri?ption.  Enfin,  hier  au  soir,  je 
l'ai  Torcée,  et  je  lui  ai  parlé.  Il  m'a  promis  qu'il  écrirait 
àson  hommed'affdircs  de  vous  faire  tenir  cette  somme, 
que  je  lui  rembourserai.  II  ne  me  nomma  pas  sou 
homme;  et  comme  il  était  souiTi-ant,  je  n'osai  pas 
l'importuner.  Cependant  je  ne  crois  pas  qu'il  l'oublie, 
lui  en  ayant  laissé  un  mot  d'écrit. 

Piccini  a  écrit  à  sa  protectrice,  la  princesse  de  Bel- 
monte,  toutes  les  bontés  que  vous  aviez  eues  pour  lui 
par  égard  pour  moi,  et  j'en  ai  reçu  des  remerciements 
à  foison.  Je  vous  en  suis  vraiment  obligé. 

Voire  catéchisme  pique  autant  ma  curiosité  que  celle 
de  l'Impératrice.  Le    sujet  est  admirable,  neuf,  j'ose 


jbïGoogIc 


504  LETTRES  DE  GALUNI 

dire  original.  Hais  permettez-moi  ;  je  crois  cetle  entre» 
prise  extrèmemeDt  pernicieuse.  Il  est  coastast  que  les 
caléchismes  ont  altéré  infiaiment  les  do^es  de  toutes 
les  religions  qui  se  sont  avisées  d'en  avoir.  Si  une  Fois 
on  en  a  un  morale,  ils  estropieront  ia  morale,  n'en 
doutez  pas.  La  morale  s'est  conservée  parmi  les  hommes, 
parce  qu'on  en  avait  peu  parlé,  et  jamais  didactique- 
ment  ;  toujours  éloquemment  ou  poétiquement.  D'abord 
que  tes  jésuites  s'avisèrent  de  la  réduire  en  système,  ils 
la  défigurèrent  horriblement.  Eu  effet  la  vertu  est  uu 
enthousiasme.  Si  on  eu  fait  une  géométrie  calculée,  on 
trouvera    le  bien    =    x,  le   mal    =;  y,    et  l'équation 

sera3x==o_?,=^o  Voilâmes  craiulcs:  dissipez-Ire. 

Parlez-moi  toujours  de  Piccini,  lorsque  vous  wudrez 
me  donner  des  nouvelles. 

A  propos,  on  m'écrit  de  Marseille  qu'on  y  avait  déjà 
embarqué  la  caisse  du  livres  que  vous  y  aviez  adressée. 
Portez-vous  bien.  Aimez-moi.  Adieu. 


jbïGoogIc 


t,ITTRE3  DE  QALUHI 


Nniiles,  <«  mil  IT71. 

Voua  avez  donc  cru  bonnement  que  je  me  fâcherais 
bien  de  mVutendre  appoU-r  monstie,  ingrat,  loul  eu 
qu'on  peut  être,  etc.  :  vous  voua  trompez.  Toutes  les 
passions  me  sont  égales.  La  seule  indifférence  me  tue. 
Je  me  réjouis  des  colères,  des  rages,  des  transports  : 
tout  cela  est  amour.  Fâchez-vous  et  aimez-moi.  Voilà  la 
loi  et  les  prophètes . 

Parmi  les  nouvelles  agréables,  vous  me  donnez  celle 
que  M,  Necker  vous  enverra  bientôt  à  l'hâpitat  '  :  c'est 
en  vérité  bien  réjouissant.  Vous  saurez  que  les  Vénitiens, 
par  une  véritable  banqueroute  de  leurs  hôpitaux,  tu 
ont  presque  fait  autant  au  bon  baron  de  GIcicben. 


1.  Madame  d'Ëpinaj  êUit  dans  une  aituallon  de  fortune  très 
précaire;  Grlmm  en  parla  à  l'irapéralriceCatheriDe,  qui  interiiut 
directemeni  auprès  de  M.  Necker;  puis,  .te  ramant,  elle  écri- 
vit de  nouveau  à  Grimm  :  ■  Ëcuutei,  plutôt  que  de  vous  mettre 
en  faux  Trais  arec  <]i;s  gens,  qui  ne  peuvent  ou  oe  veulent  pas 
accorder  une  cbose  qui  est  juste,  et  qui,  outre  cette  Justice,  est 
encorejgraiide  bagatelle  pour  trésor  de  roi,  vous  qui  me  dèpen- 


jbïGoogIc 


506  LETTRES  DE  GALIANI 

Pour  moi,  cb  n'est  que  mes  nièces  qui  auront  cet 
honneur-là  de  m'envoycr  i  l'hôpital.  Ce  qui  n'est  pas 
encore  décidé,  c'est  de  savoir  si  elles  m'enveruînl  h 
l'hôpital  des  fous,  ou  à  celui  des  mendiants,  ou  à  tous 
les  deux.  A  ce  propos,  je  vous  dirai  que  je  suis  accablé 
d'afTaires  au  non  plus  nllra  dans  ce  moment,  puisque  je 
suis  à  régler  les  contrats  de  mariage  de  ma  troisième 
et  dernière  nièce.  Elle  a  été  bien  coriace  à  écorcher 
parce  qu'elle  est  laide  et  bossue'.  Cependant  je  la  marie 
enfin,  et  m'en  débarrasse;  convenez  que  je  suis  un 
terrible  épousciir.  Voulez-vous  que  je  déniche  un  ma- 
riage pour  madame  GeotTrin,  ou  pour  madame  de  la 
Ferlé-Imbautt  ?  vous  n'avez  qu'à  parler,  j'en  assortirai 
un  très  convenable,  et  j'aurai  la  Toree  de  li'  stipuler.  Je 
suis  devenu  formidable  et  ïllusln' sur  eut  article-là;  et 
cela  me  donne  un  relief  et  une  oonsiJération  que  vous 
ne  sauriez  imaftincr.  Mes  pauvres  Napolitains  ignorent 
absolument  que  j'ai  publié  des  ouvrages,  et  s'ils  le 
savaient,  cola  ne  leur  ferait  rien  du  tout.  Mais  ils  savent 


MX  de  l'argent  tous  les  jours  de  l'année  pour  des  inutilités,  pre- 
nez de  cet  argent  jiisqu'i  deat  fois  huit  mille  tifres,  donnez-les 
i  l'auteur  des  Coni>enaiio>u  d'Emilie.  En  cas  qu'elle  ne  voulùr 
pas  les  accepter,  prâtez-li*s-lui  pour  cinquante  ans,  et  surtout 
ne'  m'en  parlez  plus,  ni  i  personne,  mais  diic-mol  loul  simple- 
ment, Jai  dunné  no  preië  les  dcuK  fois  8.000  lirres.  *  (Corres- 
pondance de  Catherine  avec  Grimm.  publiée  par  la  Sauiélé 
d'Hisioire  russe.) 


.   tard,  attaqua  te 


jbïGoogIc 


LKTTRES  DR  (iAI,IAM  507 

que  j'ai  marié  deux  nièces  et  que  je  m'en  vais  dépêcher 
la  troisième,  après  avoir  remarié  la  veuve  de  mon  frère, 
et  CCS  quatre  mariages  leur  paraissent  la.ctiose  du  monde 
la  plus  incroyable  et  Ja  plus  merveilleuse.  Si  cela  dure, 
on  me  claquera,  au  moment  que  je  paraîtrai  dans  les 
loges  de  spectacles. 

Autre  à-propos.  Kéjouissez-vous  avec  moi  de  ce  que 
le  roi  (cela  veut  diro  le  ministre)  vient  d'ajouter  âmes 
charges  celle  de  ministre  dans  le  bureau  desdomaines; 
nous  appelons  c<;1a  la  chambre  des  nllodiaiix.  C'est  une 
magistrature  de  plus  qui  me  donne  plus  d'autorité,  un 
peu  plus  d'occupation  et  point  de  profit,  mais  cela 
m'achemine  à  en  avoir  et  roilîi  pourquoi  cela  me  fait 
plaisir.  Je  suis  devenu  avide  sans  ^(re  plus  avare;  au 
contraire,  je  dépense  plus  que  jamais. 

Voilà  mes  nouvelles.  .4dieu.  Parlez-moi  loujours  de 
Piccini  et  jamais  des  perruques  de  M.  le  lieutenant  de 
police. 


jbïGoogIc 


tlTTRES  DE  OALIàMI 


A     LA    MÉHF 

Niples, 


Sans  doute,  ma  chère  dame,  il  faut  vous  répoiidiv. 
Vous  m'écrives  de  jolies  lettres,  amoureuses  même, 
charmâmes  tout  à  l'ail,  telles  que  celle  que  je  viens  de 
recevoir.  Mais  le  moyen  de  vous  écrire  ?  Savez-vous  que, 
dans  le  moment,  je  viensde  régler  le  contrat  de  mariage 
de  ma  troisième  et  dernière  nièceî  Savez-vous  qu'on 
le  signera  demain  et  qu'on  célébrera  les  fiançailles? 
Savez-vous  qu'il  m'a  fiallu  emprunter  de  l'argent  pour 
cela,  signer  d'autres  contrats  etc.?  Savez-vous  eu  outre 
que  j'ai  travaillé  avec  le  ministre  Sambucca,  ce  matin, 
sur  les  affaires  du  roi,  c'esl^à-dire  de  ma  nouvelle  com- 
missioa,  que  je  suis  excédé  d'affaires,  d'ennuis,  de 
diableries? 

Mais  ce  que  vous  ne  savez  pas,  c'est  que  j'ai  él^ 
foire  une  petite  course  à  Salerne,  et  que  dans  la 
voiture,  ne  sachant  que  faire  de  mieux,  j'ai  fait  un 
livre;  il  est  fait  et  parfait,  puisque  j'en  ai  fuit  les 
litres  des  chapitres.  Vous  n'avei   qu'à  les  remplir,  ce 


jbïGoogIc  ■ 


I.EtTRES  DE  GALlAM  509 

qui  est  très  aisé,  puisqu'ils  se  remplisseot  d'eux-mêmes. 
L'idée  de  faire  cet  ouvrage  m'est  venue  d'après  une 
lecture  de  Grotius  (ah  quel  déraisonueur ! ),  qu'il  a 
fallu  que  je  fisse.  Voilà  donc  mon  livre  que  je  ne 
communique  qu'à  vous,  sauf  à  le  raonlrer  à  la  seule 
chaise  de  paille,  qui  pourra  le  communiquer  à  la 
seule  Impératrice  ' . 

I)e  l'Instinct  et  des  Habitudes  de  l'homme,  ou  Prin- 
cipei  du  droit  de  Nature  et  des  Gens. 

Bine  omne  piindp'am,  hiii:  rtfer  ej:iliim. 


AVAST-PBOPOS 

De  l'iustiuclde  la  faim. 

De  l'instinct  de  l'amour. 

l)e  l'instinct  de  la  jalousie,  un  des  principes  des 
guerres. 

De  l'instinct  de  la  vengeance,  autre  principe  des 
guen-es. 

De  l'instinct  de  l'exercice,  de  l'adresse  et  de  la  force, 
troisième  principe  des  gneri-es  et  des  jeui  guerriers. 

De  l'instinct  de  la  pudeur,  principe  de  la  décence 
et  de  la  politesse. 

1.  r^lbcrlDe  II. 


jbïGoogIc 


510  LETTRES  UE  GALUNI 

De  l'iDstincl  de  crédulité,  principe  de  U  faussé 
médecine  et  de  la  fausse  religiou. 

De  rinstiDct  de  frayeur,  autre  principe  de  la  fausse 
religion. 

De  l'insUncl  de  l'amour  paternel. 

De  l'instiact  de  l'amour  filial.  Rechercher  s'il  existe 
uaturellement  dans  l'homme. 

De  l'instinct  du  ctiaugement  et  de  la  liberté,  prin- 
cipe des  expatriations  et  de  la  population  de  la  terre. 


Du  droit  des  yais. 

De  l'habitude  du  local,  principe  du  droit  de  pro- 
priété. 

De  l'habitude  pour  la  même  feuimt;,  principe  des 
devoirs  conjugaux. 

De  l'habitude  à  la  subordination,  principe  de  l'au- 
torité piiternelle  et  de  toutes  les  formes  do  gouver- 
nement. 

De  l'habitude  à  la  conliance,  principe  des  devoirs 
sociaux  et  des  traités. 

De  l'habitude  à  la  méfiance,  principe  de  l'inlï-actiou 
des  traités  et  des  guerres. 

De  l'habitude  au  dol  et  à  la  fraude,  principe  dus 
mœurs  des  nations  barbares. 

De  l'habitude  à  resclavage> 


jbïGoogIc 


LETTRES  UE  UALiANl  5tl 

LlvnE    III. 

Dex  loû  civiles  primitives  et  générales. 

J'oubliais  que  vous  pouviez  montrer  aussi  ceJa  au 
philosophe  :  veut-il  se  cliarger  de  remplir  le  blaac  de 
mes  ch:ipili'es?  Vous  m'avez  afflijjé  par  les  nouvelles 
du  haron  d'Holbach.  Un  goutteux  qui  s'avise  d'être 
néphrétique  fait  tremblei-  ;  faites-le  voyager  dans  les 
pays  cliauds.  Adieu. 


Ne  me  grondez  plus,  de  grài^e,  ma  chère  dame,  sur 
mon  silence  :  je  vous  en  ai  donne  de  si  bonnes  rai- 
sons que  vous  devez  être  tranquille,  et,  quand  même 
je  n'eusse  pas  eu  de  bonnes  raisons,  je  vous  ai  envoyé, 
la  semaine  passée,  une  table  de  chapitres  d'un  ou- 
vrage tel  que,  si  vous  le  faites,  il  vous  immortalisera. 
Mais  (je  ne  suis  qu'une  bête)  vous  ne  courez  pas 
après  là  gloire,  l'immortalité,  et  vous  venez  de  me 
l'appreadro.  Faites-lo  donc   pour    votre   amusomout; 


jbïGoogIc 


512  LETTRES  DE  GALIANI 

car,  si  vous  atteudez  que  je  l'écrive,  puisqu'il  est  tout 

l^itdans  ma  tôte,  vous  attendrez  longtemps. 

Le  cosmopolite  '  m'a  écrit  pour  m'apprendrc  son 
aiurt  voyage  en  Allemagne,  et  puis  son  retour  en 
Russie.  Si  les  cours  n'étaient  pas  des  mers  orageuses. 
vous  auriez  grande  raison  de  le  pleurer  pour  perdu  à 
jamais;  mais  il  est  philosophe,  el  point  ambitieux; 
aussilût  qu'il  verra  l'orage,  il  viiei-a  au  port,  et  vous 
le  reverrez.  En  attendant,  il  m'a  sérieusement  invité 
k  aller  à  Pétersbourg,  et  me  donne  le  rendez-vous 
chez  vous,  à  Paris,  pour  nous  mettre' ensemble  on 
voiture.  Rien  n'est  si  plaisant  que  de  voir  ces  arran- 
gements de  voyage,  faits  eutrc  uae  hirondelle  et  une 
tortue.  Que  voulez-vous?  cela  amuse  au  moins  l'inia- 
ginalion.  Il  faudra  cependant  que  Je  lui  l'époiide 
sérieusement  à  Francfort;  mais,  si  ma  letlrc  ne  l'y 
attrape  pas,  daignez  lui  dire  qu'un  counnercocpistoiairc, 
mieux  Hé  qu'il  n'a  été,  pourrait  autant  amuser  l'impé- 
ralrice,  que  ma  conversation  devant  elle;  et  je  lui 
asEureque  je  lui  donnerai  ce  commerce  pour  le  quart  au 
moins  de  ce  que  lui  coùtei-ait  mon  voyage  et  mon  séjour 
eu  Russie.  Vous  voyez  que  je  fais  bon  poids  et  bonne 
mesure,  et  que  je  ménage  les  finances  de  l'impératriec  '. 


I.  L'Impératrice  désirait  beiucoup  canaaltre  perioatiellemeiK 
Galitai  et  ellu  avait  chargé  Grlmin  lin  l'invi'er  à  venir  à  Pélers- 


jbïGooglc 


LETTRES  DE  GALIANI  S13 

Laissons  partir  l'empereur  ■ .  Je  ne  sais  pas  quel 
démon  de  notre  siècle  inspire  aux  souverains  de  se 
montrer  chez  les  autres  nations  :  si  on  (es  trouve 
meilleurs  que  le  propre  souverain,  ils  laissent  le  plus 
indigne  de  tous  les  regrets  ;  si  on  les  trouve  égaux 
ou  même  inférieurs,  ils  laissent  un  abattement  et 
une  désolation  dans  le  cœur  humain.  Il  y  a  des 
choses  qui  ne  sont  belles  qu'à  élre  souhaitées  :  l'amour 
a  de  ces  beautés-là,  et  je  trouve  que  la  vertu  des 
souverains  est  comme  le  plaisir  d'une  virginité. 
U  vaut  mieux  se  le  figurer  que  d'en  jouir.  Adieu. 


Avant  tout,  ma  chère  dame,  sachez  que  ma  pro- 
vision d'encre  à  la  Petite  Vertu,  louche  à  sa  fin. 
J'en  tus  très  prodigue»  parce  que  tout  le  monde, 
enchanté  des  bouteilles  de  cuir,  inconnues  jusqu'alors 


1.  L'empereur  d'Âulricbe, Joseph  U,  qui  vintiParis  iaeognilo 
BOUS  le  nota  de  comie  de  Falkeiuteln. 


jbïGoogIc 


au  LETTRES  DE  GALI&Nl 

à  Naples,  m'en  demandait.  Je  n'ai  plu3  besoin  de 
bouteilles,  mais  si  pouviez  faire  parvenir  à  Marseille 
une  bonne  provision  de  cette  eucre  en  une  Imuteille 
de  terre  cuite,  ou,  que  sais-je  moi?  en  quelque  autre 
récipient  point  coûteux,  vous  me  rendriez  un  très 
graud  service.  Voyez.  Voknti  nil  dif/iciie. 

Vous  êtes  donc  déménagée?  Savez-vous  que  c'est 
aujourd'hui  l'anoiversaire  du  jour  de  mon  départ  de 
Paris?  Puis'je  être  gai  avec  un  tel  souvenir?  Mille 
grâces  des  nouvelles  de  Piccini  :  il  faut  toujours  atten- 
dre que  la  toile  soit  baissée  pour  savoir  ce  qu'il  eo 
sera  de  son  succès  avec  le  public. 

Je  suis  aussi  fort  aise  du  retard  du  Russe  < .  Il  se 
trouvera  à  l'arrivée  de  ma  bibliothèque  à  Pétersbourg, 
et  cela  me  fait  plaisir*.  Je  voudrais  ensuite  qu'il  s'achc- 
min&t  avecle  comte  Rasomousky  '  à  Naples,  et  que,  d'ici, 
il  allât  vous  chercher  à  Paris,  en  carême.  Cet  homme 
parcourt  l'Europe  comme  si  elle  n'était  qu'une  carte 
géographique  ;  il  est  heureux  de  ne  pas  se  fatiguer 
dans  les  chaises  de  poste  et  tes  mauvaises  auberges. 

1.  Grinun. 

3.  On  se  rappelle  que  Galtani  avait  vendu  la  bibliothèque  de 
Un  frère  à  l'impératrice  Catherine. 

3.  Le  comte  de  Bazomewsky,  farori  du  grand-duc  de  RoMie, 
fut  eiilé  lors  du  mariage  du  grand-duc  avec  la  princesse  de 
Wurtemberg  [juillet  1776)  ;  il  était  i  la  lâte  de  la  facUon  qui 
poniaaît  le  prince  héritier  à  s'emparer  de  la  couromie  de  sa 
mère. 


:iz..i!,  Google 


LETTRES  DE  CALIANI  Stt 

Vous  ai-je  dit  quo  j'ai  reçu  la  gazette  ecclésiastique 
et  la  carte  de  Pologne,  où  je  n'ai  trouvé  qu'une  très 
vieille  et  très  mauvaise  carte  de  Pologne,  avec  du  jaune, 
du  vert  et  du  bleu,  mis  eu  hasard?  Ce  n'es:  pas  ce 
que  je  cherchais;  mais,  si  vous  vous  engagez  à  faire 
parvenir  cette  lettre  ci-jointe  à  son  adresse,  et  à  m'en 
envoyer  la  réponse,  j'en  saurai  davantage. 

Je  suis  béte  à  manger  du  foin  ce  soir.  C'est  que  je 
suis  excédé  des  informations  des  avocats,  des  afEures 
de  mes  nièces,  de  celles  du  roi,  des  procès,  des 
diables,  et  qu'en  attendant,  mon  excellent  ouvrage  sur 

le  Droit  de  Nature  et  des  Gens  f languit.  Adieu.^ 

Aimez-moi  autant  que  les  Parisiens  aiment  l'empereur, 
à  ce  que  vous  me  mandez  ' .  Adieu  encore. 
De  grAce  donnez^vous  quelque  peine  pour  dénicher 


1.  Joseph  II.  ■  C'est,  dit  madame  d'Oberkircli,  an  prince 
élrsDge,  et  peu  fait  peui-élre  pour  occuper  une  pareille  place 
dans  un  siècle  comme  celui-ci.  Il  e>t  de  l'abord  le  plus  hcile, 
recherche  la  Trancbise  et  U  Térlté,  souffre  qu'on  la  lui  dise  sais 
voile  et  sans  préterte.  11  est  <ta  reste  très  Qd  et  d'une  itéuëtca- 
tion  merveiUeuse.  11  eicita  parmi  la  population  parisienne  un 
véritable  entbousiumb  ;  sa  potiteMe,  m  simplicité  et  son  instrw 
tlonlui  attiraient  les  plus  grands  succès.  Il  portait  un  simple 
habit  de  drap,  ce  qui  lui  Talut  ce  compliment  d'uai  poissarde 
qui  lui  ofTrait  un  bouquet:  ■  Le  peuple  qui  pa;e  le^  galons  de 
vos  babils  est  blenheureui,monsieurleeoa)le.9  II  visita  lout  Parts, 
toutes  ses  curiosités,  tous  ses  monuments  comme  un  simple 
particulier  et  à  un  seigneur  qui  lui  reprochait  de  trop  se  OOD' 
fondre  avec  le  peuple,  il  répondit  :  c  Si  je  ne  voulais  voir  qœ 
mes  égaux,  je  devrais  me  renfermer  arec  mes  ancêtres  au  coûtent 
des  capucini,  ott  lll  reposent.  ■ 


jbïGoogIc 


M6  LETTRES  DE  GALIAKI 

ce  H.  Zannoni  i  à  qui  j'adresse  ma  leltre  :  s'il  esl 
vivant,  vous  en  aurez  des  nouvelles  par  d'autres  géo- 
graphes, et  surtout  par  H.  Messier,  astronome  aux 
comètes,  et  autres.  Il  était  l'ami  de  Diderot;  mais 
Diderot  ne  sait  rien  de  ce  qui  se  passe  dans  la  nature, 
malgré  qu'il  en  ait  interprété  les  secrels.  Adieu. 


Haples,  31  juin  1777. 

La  semaine  passée,  je  n'avais  pas  votre  leltre  sous  les 
yeux  lorsque  je  vous  écrivis  :  je  venais  de  l'envoyer 
au  ministre  de  Vienne  pour  lui  faire  lire  l'élc^  im- 
partial de  l'empereur,  que  vous  y  faites,  et  qui  lui 
a  fait  grand  plaisir  à  lire.  Il  me  renvoie  à  cette  heure 
votre  lettre  et  comme  je  n'en  ai  point  de  vous  cette 
semaine,  j'épuiserai  la  réponse. 

Je  m'aperçois  que  vous  songez  à  faire  réimprimer 
mes  Dialogttes  *.   Savez-vous  bien  que  ceci  est  une 


2.  Il  D'y  a  pas  eu  de  seconde  édliion  t  celte  époque, 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI  517 

nouvelle  très  importante  pour  tnoi,  une  affaire  ti^ 
grave,  et  qu'il  ne  fallait  pas  glisser  dessus  comme 
vous  faites?  D'abord  il  y  a  trois  ou  quatre  fautes 
d'impression  si  graves,  qu'il  faut  absolument  les  cor- 
riger. Je  ne  puis  pas  vous  mander  &  quelles  pages  elles 
sont,  puisque  je  n'ai  pas  même  un  seul  pauvre  petit 
exemplaire  des  Dialogues  chez  moi,  et  ayant  envoyé 
chez  trois  ou  quatre  de  mes  amis  pour  en  trouver, 
ils  n'en  ont  pas  :  il  faut  donc  me  donner  le  temps 
de  déterrer  un  exemplaire  à  Naples,  où  mon  livre  est 
presque  inconnu,  et,  la  semaine  prochaine,  je  vous 
manderai  ces  corrections. 

Deuxièmement,  ne  croyez-vous  pas  qu'il  'pourrait 
être  agréable  au  public,  et  surtout  au  libraire,  d'ajou- 
ter dans  cette  nouvelle  édition  trois  ou  quatre  lettres 
dogmatiques  sur  la  question,  ensemble  avec  les  lettres 
qu'on  m'écrivit,  telles,  par  exemple,  que  ma  lettre  à 
Suard,  ma  lettre  à  Morellet,  à  Sartine  et  &  d'autres. 
Je  les  conserve,  si  vous  n'en  avez  pas  de  copies-,  et 
je  puis  vous  fournir  aussi  les  lettres  de  ces  messieurs, 
auxquelles  les  miennes  servent  de  réponse.  Je  pourrais 
vous  envoyer  enfin  une  consultation  que  j'envoyai  à 
Gènes,  au  doge  Pallavicino,  sur  la  meilleure  manière 
d'administration  des  blés,  convenable  à  la  république  de 
Gènes.  Il  me  l'avait  demandée.  Cet  appendix  ne  serait-il 
pas  piquant?  Le  libraire  ne  le  payerait-il  pas  cinq  ou 
six  cents  livreA?  C'est  là  te  substantiel.  S'il  le  payait. 


jbïGoogIc 


M8  LETTRES  DE  GALIAM 

je  trouvenis  par  là  le  moyen  de  me  rembooner  de 
la  malheureuse  banqueroute  de  Merlin.  Ceci  m'iolé- 
rene  iariniment.  Répondez-moi  donc  cetégoriquemant 
sur  cela,  et  l&chez  de  me  rendre  utile  cette  secuide 
édition  ;  j'en  ai  vraiment  besoin.  Je  pourrais  tous  hiro 
parvenir  les  copies  de  toutes  c«s  lettres  et  de  met  répon* 
ses  sans  frais.  U  est  vrai  qu'il  faudraituQ  peu  en  retou- 
cher le  style,  mais  ceci  est  votre  affaire.  Notre  arran- 
gement est  ancien  sur  cela  :  je  mets  tes  choses,  vous 
y  mettez  les  paroles.  Adieu.  Étes-vous  délassée  de 
votre  déménagementî 


Naplei,  s  jDDiBt  tITT. 

Vous  êtes  bien  aimable,  ma  chère  dame,  de  songer 
à  m'écrira  au  milieu  de  vos  déménagements,  de  vos 
BouOi-ances  et  de  vos  affaires,  et  surtout  de  vos  béné* 
fices.  Je  vais  déménager  aussi,  et  rentrer  dans  ma 
maison  à  moi;  car  je  possède  une  vaste  maison,  ne 
vous  en  déplaise.  Cela  m'occupe.  Le  mariage  de  ma 
nièce  me  tracasse,  ma  nouvelle  charge   m'obsède,  et 


jbïGoogIc 


tETTRES  DE  GALIANI  519 

surtout  la  paresse  me  gagne.  Si  je  mangeais  moins, 
je  dormirais  rootiiB,  et  j'aurais  plus  de  lemps  à  m'oc- 
cuper;  mais  j'ai  tant  déplaisir  à  mangw  et  si  peu  k 
écrire,  qu'en  vérité  je  crains  fort  que  les  chapitres 
de  mon  ounage  ne  soient  pas  remplis  de  sitôt;  cepen- 
dant, il  faudra  voir  dans  la  nouvelle  maison  le  loisir 
que  j'aurai. 

Si  vous  avez  occasion  de  voir  Piccini,  encouragez-le 
à  trouver  le  moyen  de  faire  parvenir  ici  les  dispu- 
tes et  les  brochures  entro  les  gluckistes  et  les  picci- 
nistes  :  elles  nous  intéresseront  beaucoup  ■. 

Je  ne  sais  vraiment  où  me  tourner  pour  vous  don- 
ner des  nouvelles  d'ici  qui  vous  intéressent.  Vous 
diraî-je  que  notre  roi  a  pris  beaucoup  de  go&t  au 
spectacle  français,  en  sorte  qu'on  peut  bien  dire  qu'il 
est  le  seul  qui  y  soit  assidu? 

Vous  dirai-je  que  ^'est  moi  qu'on  a  chargé  d'exa- 
miner les  pièces  qu'on  pourrait  donner?  Je  n'en  ai 
défendu  que  trois  en  tout,  c'est-à-dire  Olympte,  le 
Galérien  et  le  Tartufe.  Toute  la  ville  crie  contre  moi, 


t.  <  Cette  grande  querelle  eut  pour  origine  un  mot  de  l'abbÊ 
Arnaud;  il  imprima  qup  Glucli  faisnit  un  Orlando  et  Piccini  un 
Orlandino.  H.  de  Harmonlel,  qui  avait  Écrit  le  poème  de  Holand 
pour  Picciul,  ae  mit  en  furie,  déclama,  tempéla  ;  et  de  lA  la 
bataille.  Les  femme»  s'en  mêlèrent  comme  les  bommes.  Ce  furent 
des  rages  et  des  cris  tels  qu'on  était  souvent  i^ligé  de  séparer 
les  gens,  et  qu'il  y  eut  nombre  d'amis,  d'amants  brouillés  pour 
cette  cause.  Elle  troubla  même  des  ménages,  et  je  cannais  une 
très  jolie  terame  que  je  ne  nommerai  pas,  laquelle  donnait  pour 


jbïGoogIc 


SO  LETTRES  DE  GAtlANl 

do  oe  qae  j'ai  été  un  censeur  trop  sévère,  et  veut  abso- 
lument qu'on  donne  ces  trois  pièces.  Auriez-vous  cru 
à  tant  de  progrès  chez  nous?  N'allez  pas  croire  pour- 
tant que  ce  soit  un  progrès  de  lumières;  c'est  uu 
progrès  de  stupidité.  On  ne  trouve  rien  de  mauvais 
dans  ces  trois  pièces,  parce  qu'on  n'y  entend  goutte. 
Cela  n'est-il  pas  fort  plaisant? 

Embrassez-moi  l'aimable  Schomberg.  Mes  amis  de 
Paris  se  partagent  furieusement.  J'ai  perdu  les  éco- 
nomistes, je  perdrai  les  gluckistee,  et  si  je  retournais 
k  Paris  je  n'aurais  plus  ni  les  économistes,  ni  les 
gluckistcs,  ni  les  jansénistes,  ni  les  molinisles,  et  il 
ne, me  resterait  peut^tre  que  les  ébénistes.  Adieu.  A 
huitaine,  car  je  suis  pressé. 


raison  de  k»  torte  enTers  son  mari  :  «  Comment  rotilei-vout 
endorer  c«t  bomine>tà  et  lui  être  Adèle?  D  est  plccInlstA  et 
n'écorche  le*  oreilles  da  matin  au  soir.  —  Alan  tous  le  lui 
rendez  du  soir  au  matin,  lui  répliqua-ton.  >  (JfAtMJfBi  de  ma- 
dame d'Oberkirch.)  Ces  querelles  des  pfcclnlstej  et  dea  glnc- 
klstes  séparèrent  en  deux  toute  h  société  parisienne  et  flrent 
beaucoup  de  peine  k  Plccini.  La  reine  était  à  la  (éle  des  glnc- 
klstes  et  son  parti  finit  pat  l'emporter. 


bïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIAM 


A    MADAME    DE 


Madame, 

Que  vous  êtes  aimable  et  judicieuse  d'avoir  com- 
mencé votre  lettre  par  m'amioncer  l'état  de  la  santé  de 
maman  !  Savez-vons  bien  que  ce  trait  est  fort  énidit, 
et  que  tes  anciens  Romains  en  usaient  ainsi  f  Si  voua 
n'aviez  pas  fait  cela,  assurément  je  serais  tombé  mort 
k  la  renverse.  J'avais  le  cœur  chargé  de  chagrin  et 
d'amertume  ;  la  lirayeur  que  votre  lettre  m'aurait  in- 
spirée, ajoutant  à  la  charge  un  nouveau  poids,  j'aurais 
succombé.  Le  plus  grand  des  malheurs  qui  pouvaient 
m'arriver,  le  plus  sensible  à  mon  cœur,  venait  de 
m'étre  annoncé,  lorsque  j'ouvrais  votre  lettre.  Ha  chatte 
angola  était  tombée  d'une  terrasse  dans  la  cour  et 
restée  morte  sur  le  carreau.  Ce  coup  est  un  coup  de 
foudre  pour  moi.  Sans  plaisanterie  et  sans  exagération, 
tous  les  objets  ici,  après  cette  perte,  sont  devenus 
indifférents  pour  moi  ;  rien  ne  m'attache  plus  à  ma 
chère    patrie,   où    rien  de    bon  n'est  resté   depuis 


jbïGoogIc 


6M  LETTRES  DE  OALIANI 

que  ma  chatte  marseillaise  (car  on  me  l'avait  envoyée 
de  Marseille)  est  trépassée.  Malgré  mon  deuil  et  mou 
accablement,  j'ai  bien  goûté  ce  joli  couplet  qui  com- 
mence Chef  son  libraire.  Je  ne  le  croîs  pas  neuf,  mais 
il  est  fort  bien  appliqué,  et  il  est  incomparable  en  lui- 
m^me. 

Piccini  est  bien  à  plaindre,  puisque  ses  amis  lui  font 
encore  plus  de  mal  que  ses  ennemis;  mais  pourvu 
qu'il  soit  payé  !  Enfin,  il  n'est  pas  allé  jusqu'à  Paris 
chercber  la  gloire;  il  en  avait  assez;  il  y  est  allé  cfaer" 
oher  l'argent  dont  il  a  amassé  fort  peu  dans  sa  vie  '. 
N'exigée  pas  de  moi  une  longue  lettre;  peuWtn  écrire 
lorsqu'on  a  perdu  sa  chatte  1 


t>  Le  nMlbanraui  Piceinl  n'eut  qua  dea  dieeptlons  et  6et  cha- 
griiM  en  Fronce;  en  1TB9,  il  perdit  ses  pensions,  retourna  b 
Naples  où  il  vécut  misëreblement,  puis  II  revint  encore  h  Paria 
eu  11  mourut  en  IBOO. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  QALIARI 


A   MADAME   d'ÉPINAT 


Kaples.  ts 

He  voioî  oouvart  de  bonto  et  de  repentir.  Oui,  je 
l'avoue,  je  ne  vous  ai  point  écrit  ;  j'Ai  été  mort,  enso- 
Teli,  malgré  que  vous,  au  milieu  de  vos  aouf^nws  et 
de  vos  déménagements,  vous  aves  toujours  songé  à 
moi,  et  vous  m'avez  écrit  ou  fait  écrire  par  votre  fille 
et  par  le  pripce  pignatelli,  t'ii  avait  voulu  s'en  «(s 
quitter. 

Que  vous  dirai-je  pour  mon  excuuf  Voloi  le  plus 
vrai.  Votre  aimable  611e  m'a  grondé  de  oe  que,  dans 
mes  lettres,  je  ne  parlais  que  de  mes  quadrupèdes  t 
mais  ce  serait  bien  pis  si  je  vous  parlais  des  bipèdes  de 
ce  pays-<i.  De  quoi  dois-je  dooo  voua  parler?  Voilik 
pourquoi  je  me  tais.  Mes  ocoupations,  mes  embarras 
domestiques,  mon  déménagement,  m'ont  Aie  le  temps 
et  l'envia  de  rêver  h  des  idées  philosophiques  ou  sa< 
vantes  ;  je  suis  h  sec.  Ce  plaisant  ouvrage  sur  l'origine 
du  Droit  tiré  des  bétes  (toujours  j'étudie  les  bétes,  tant 
je  suis  rassasié  des  hommes),  est  resté  à  la  table  des 


jbïGoogIc 


su  LETTRES  DE  RALIANI 

matières.  Pourtant,  si  une  bonne  fois  ma  troisième 
nièce  est  mariée,  et  le  partage  des  biens  de  mon  frère 
achevé,  je  me  flatte  de  ressusciter.  Vous  aurez  en 
octobre  Grimm  et  Gleichen,  et  vous  guérirez  de  tout, 
hormis  d'être  impotente. 

ie  me  tourmente  pour  trouver  de  quoi  vous  écrire. 
Vous  dirai-je  que  le  duc  d'Ayen  est  parU  d'ici  il  y  a 
trois  jours,  que  M.  et  Bfadame  de  Tessé  *  sont  restés? 
Qu'est-ce  que  cela  vous  fera,  puisque  cela  ne  nous  a 
rien  fait?  Ils  n'ont  pas  voulu  ici  se  lier  avec  personne; 
ils  nons  ont  négligés,  nous  en  avons  fait  de  même, 
et  on  ignorerait  qu'ils  y  sont,  s'ils  n'avaient  des  cbe- 
•vaxa  k  courte  queue  qui  les  rendent  très  remarquables. 

Vous  dirai-je  que  ce  prince  imbécile,  que  nous  avons 
ici,  a  depuis  trois  ou  quatre  jours  une  maladie  ?  Nos 
savants  médecins  n'ont  pas  pu  décider  si  c'élait  la 
petite  vérole  ou  une  fièvre  maligne  avec  des  éruptions 
à  la  peau?  Pour  moi  je  dis  que  c'est  la  gale.  En  at- 
tendant, le  roi,  la  reine  s'en  sont  enfuis  h  Caserte,  en 
déroute.  Rien  n'a  ressemblé  à  une  ville  prise  d'assaut, 
comme  Naples  ce  matin. 

Pourriez-vous  me  dire  les  bonnes  raisoas  qui  ont 
porté  H.  Necker  à  mettre  les  postes  en  régie?  Je  suis 
pour  les  fermes,  en  tout  ce  que  font  les  souverains. 

1.  Le  comte  de  Tessé,  grand  d'Espagne,  élait  premier  ëcuyer  . 
de  madame  la  Dauphine;  madame  de  Tessé  élali  la  aile  du 
maréchal  duc  de  Hoallles. 


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LETTRES  DE  GALIAM  515 

Vous  ne  m'avez  pas  mandé  s'il  était  possible  d'avoir 
encore  un  grand  pot  d'encre  de  Paris;  j'en  aurais  pour- 
tant  bien  besoin,  car,  du  présent  du  margrave,  il  ne 
m'est  resté  que  les  excellentes  bouteilles  en  cuir  : 
l'encre,  je  l'ai  toute  donnée. 

Grimm  eut  la  cruauté  de  ne  pas  m'écrire  avant  sou 
départ  de  Russie  ;  persuadez-lui  de  solder  son  compte 
avec  moi,  de  Paiîs;  on  lui  aura  renvoyé  une  lettre  que 
je  lui  avais  adressée  à  Pétersbourg. 

Faites  de  ma  part  mille  escuses  à  madame  de  Bel- 
suDCe,  sur  ce  que  je  n'ai  point  répondu  à  deux  de  ses 
lettres.  Je  suis  un  monstre;  voilà  mon  excuse.  Je  suis 
Azor,  elle  est  Zémire  '  ;  mais  je  l'aime. 

À  propos,  les  comédiens  français  ont  joué  ici  la 
Chasse  d'Henri  IV  supérieurement.  Le  roi  l'a  tellement 
goûtée  qu'il  l'a  redemandée  jusqu'à  (rois  fois.  Ah  !  si 
noua  avions  un  Sully,  nous  aurions  un  Henri. 


I.  AUuaion  ta  cont«  de  la  fi«Me  el  la  Bile,  de  madimedAuloo^; 

'on  a  Uré  de  ce  conle  l'opéi'a  de  Zémire  et  Àsore. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANl 


A    HADAHE   DE   BELSUNCE 

riBptu,  Il  SBpiembre  itt7. 
Madame, 

Vous  ne  vouiez  pas  que  je  parle  de  quadrupèdes, 
vous  BimeE  les  bipèdes;  et  bien,  je  vous  dirai  que 
Galti  doit  arriver  ici,  peut-être  dem&ta,  pour  inoculer 
la  famille  royale.  Une  mort  causée  par  la  petite  vérole 
vaut  ptu9  que  les  dissertations  de  la  Condamine.  Voilà 
toutes  nos  nouvelles  politiques.  Je  ne  puis  pas  vous 
envoyer  des  vers  et  des  coaplels  sur  nos  ministres, 
nous  les  maudissons  en  prose. 

Le  comte  de  Wilseck  est  parti.  Son  départ  a  été  un 
mystère;  il  est  parti  boudant,  et  boudé  de  tout  le 
monde  politique  ;  mais  les  amis  de  sa  personne 
l'aiment  toujours,  ot  le  regretteront  à  jamais.  Je  suis 
du  nombre  ;  et  comme  je  n'entre  pas  dans  les  coulisses 
de  la  politique,  de  mon  parterre  vulgaire  je  n'ai  point 
entendu  son  dépai^,  je  n'ai  fait  que  le  sentir. 

On  vient  de  tirer  les  numéros  de  la  loterie  ;  je 
complais  cette  fois  y  gagner  ;  j'ai  perdu.  Je  suis  dans 


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LETTRES  DE  GALIANl  631 

l'abattement  et  la  désolation,  car  (cela  soit  dit  entre 
nous,  et  gardez-moi  le  secret)  je  n'ai  plus  un  sol.  Un 
changement  de  maison,  des  embellissenieats,  des  ten- 
tures, de  nouveaux  meubles,  m'ont  ruiné,  abîmé, 
réduit  à  l'indigence.  Madame  votre  mère  en  a-t-eile 
fait  de  même?  Notre  proverbe  dit:  Pabbricare  è  u« 
dolce  impoverire  ';  et  j'en  fais  l'expérience. 

Vous  ne  m'avez  plus  parlé  de  Piccini,  et  au  lieu  de 
cela,  TOUS  me  parlez  de  M.  Necker;  mais  si  Necker  la.it 
le  bonheur  de  l'État,  Piccini  fait  le  bonheur  de  la  vie, 
ce  qui  vaut  bien  plus. 

L'honmie  du  Nord  ■  étouffera  de  chaud  cet  hiver. 

U  reviendra  chevalier  de  Vasa,  peut^tre  de  Saint»- 
.\nue,  comblé  de  boites,  couvert  de  diamants,  et 
endetté  de  réponses  à  tous  ses  amis;  embrassez-le 
de  ma  part,  et  faites-le  ressouvenir  de  cette  dette. 

Comme  je  n'ai  plus  de  chatte,  cet  article  manquant, 
je  ne  sais  plus  comment  prolonger  ma  lettre,  aimez- 
moi,  réclameï-moi  l'amour  de  madame  votre  mère,  et 
croyra-moi  au  vrai  votre. . . 

1.  Bâtir,  e'est  k  ruiner  daucemeoi. 

2,  GrimiD. 


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LETTRES  DE  GALIANI 


A.    LA  HÉME 

Hapleg,  t  oclobre  iitt. 


Madame, 


Je  suis  bien  affligé  des  nouvelles  de  la  sant^  de 
madame  votre  mère,  mais  je  n'en  suis  pas  désolii.  La 
mère  de  ma  belle-sœur  crache  du  sang  depuis  trois 
ou  quatre  ans;  elle  a  soixante  et  seize  ans;  elle  vit 
toujours.etmème, depuis  quelques  mois,  cela  va  mieux. 
La  mère  du  mari  d'une  de  mes  nièces  a  craché  de 
temps  à  autre  du  sang  depuis  une  vingtaine  d'années; 
je  viens  de  la  voir  ;  elle  approche  des  soixante  et  dix 
ans  ;  elle  m'a  dit  qu'elle  se  portait  fort  bien.  La  mère 
d'un  autre  mari  d'une  autre  de  mes  nièces  est  au  lit 
pour  avoir,  non  pas  craché,  mais  vomi  du  sang,  et 
ensuite  craché  plusieurs  fois  depuis  huit  jours.  De  ce 
pas  il  faut  que  j'aille  la  voir  ;  elle  m'a  dit  qu'elle  avait 
BoufTert  de  cette  incommodité  depuis  dix  ans  ;  elle  ne 
me  parait  pas  bien  épouvantée  du  symptAme.  Je  conclus 
donc  que  les  femmes  sont  de  vrais  boudins,  et  que  de 
quelque  cûlé  que  le  sang  leur  sorte,  il  n'en  saurait 
jamais  sortir  assez.  Ce  n'est  donc  pas  le  sang,  ce  sont 


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LETTRES  DE  GALIANI  53» 

les  douleurs  aiguës,  coutiuuelles,  iaexpugnables,  de 
madame  voire  mère  qui  me  fout  souffrir  et  trembler. 
Je  voudrais  apprendre  qu'elles  sont  calmées,  et  puis 
je  me  moquerais  du  reste. 

Votre  correspondance,  à  laquelle  vous  me  meoacei 
d'être  réduit,  n'est  pas  si  mauvaise  que  vous  pensez. 
n  est  vrai  qu'à  votre  âge  votre  conversation  vaut  mieux 
que  votre  correspondance,  maïs  vous  direz  que  c'est  ma 
faute  si  je  ne  jouis  pas  de  la  première.  Que  ne  vene^ 
v(Hi5  à  Paris,  me  direz-vous? 

Patience,  j'y  viendrai,  mais  laissez-moi  auparavant 
meubler  ma  maison. 

Ali  ça,  parlons  d'affaires.  J'avais  prié  madame  votre 
mère  de  deux  affaires  très  importantes  pour  moi  ;  elle 
ne  s'en  est  pas  acquittée,  et  peut-être  pas  ressouvenue 
dans  l'état  de  santé  où  elle  est. 

Vojez  donc  si  vous  y  pouvez  quelque  chose.  La  pre- 
mière était  de  tirer  au  clair  si  H.  Rizzi  Zannonî  était 
vivant  ou  mort;  et  dans  quel  endroit  du  monde  on 
croyait  gu'il  était.  Ce  monsieur  est  le  premier  géo-, 
graphe  de  l'Europe.  11  est  connu  de  Diderot,  Danville', 
Messier',  Buache*,  etc.  On  lui  avait  donné  la  garde  du 

I.  D'AnrlIle  (J.-B.  Bourguignon  d')  (169T-lTSi),  géognpbe 
célÈbre,  membre  de  l'Académie  de«  liucriptloni  et  bellM-lettre*. 

3.  Hessier  {1730-1817} ,  sstronome  de  la  marine,  membre  de 
l'Académie  des  sciences,  etc.,  etc. 


jbïGoogIc 


SM  LETTRES  DE  OALIANI 

dépAt  de  la  mariDe;  ainsi  M.  le  comte  de  NarboDne- 
Pellet  doit  le  eonnattre;  il  a  fait  la  carte  superbe  du 
royaume  de  Naples,  sous  ma  dictés;  il  a  fait,  ou  chi 
moins  commencé,  la  carte  de  Pologne  ;  il  a  fait  des 
dettes  ;  il  a  fait  banqueroute  ;  il  a  fait  peut-être  encore 
pis.  Qu'cst-il  donc  devenu  après  avoir  tant  fait? 

Seconde  affaire:  il  s'agissait  de  l'expédition  d'une 
grosse  bouteille,  tenant  à  peu  près  douze  pintes  d'encre 
de  Paris  de  la  Petite  Vertu,  envoyée  jusqu'à  Marseille; 
je -me  charge  de  la  faire  venir  de  Marseille  ici.  Cela 
est-il  possible? 

Gatti  arriva  il  y  a  huit  jours.  Il  a  inoculé  les  princes 
et  deux  {vincesses  mercredi  passé  ;  tout  le  monde 
tremble  du  succès,  excepté  lui.  On  a  fait  des  prières 
publiques.  La  reine  même,  qui  a  voulu  l'inoculation, 
s'en  repent.  A  force  de  voir  trembler,  je  commence  k 
trembler  aussi.  A  huitaine,  nous  serons  hors  de  doute. 

Ce  monstre  du  Nord  ',  Dieu  sait  s'il  m'écrira!  Il 
devrait  au  moins  m'apprendra  quelque  chose  relative- 
ment aux  livres  de  mon  frère.  Vous  ne  m'avez  [dus 
rien  mandé  sur  Piccini.  Gleichen  arrivera  en  même 
temps  que  Grimm.  M.  Necfcer  réussira  à  faire  de  gran- 
des réformes;  mais  je  doute  fort  qu'il  réussisse  à  faire 
de  grandes  économies.  Adieu. 

1.  Grimm. 


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I.ETTBB8  DE  GALIANI 


KaplM,  l"  lOVeMbn  <nt- 


Avant  que  je  l'oublie,  taiUe-moi  la  grâce  de  t'ajre 
savoir  au  baron  de  Gleîcbea  qua  je  vieiu  de  lui  écrjre 
ce  soir  même,  et  qu'il  f^ise  cbercher  ma  lettre  à  la 
po3le. 

ReyeaoDs  à  présealà  nos  moutonB.  Ne  vous  l'ayais-je 
pu  dit,  'que  le  aymplAme  du  eracbement  de  atng  a'^ 
lait  pas  Bî  fatal  que  vous  imagioez?  h  crains  bien  plus 
cette  maudite  faiblesse;  mais  espérons  toujours,  la  vie 
D'est  qu'un  espoir. 

Mon  diable,  ma  troisième  nièce  n'est  pab  encofe  para^ 
chevée  dans  le  mariage.  Il  y  a  contrat,  promeiMi  dat. 
[tféseat  ;  mai»  la  eomomption  ne  •'»(  pa«  eneora  bien 
établie  ;  cela  m'etmuie  jusqu'à  rabattement, 

C'est  vrai,  j'ai  gaspillé  mon  enerc;  mais  j'ignorais 
que  la  cbaleur  du  climat  de  Napieg  produisit  »m  COU' 
Sommatitm  d'encre,  par  le  dessèchement  qu'il  s'en  fait, 
sis  fois  plus  forte  man  oins  que  celle  de  Paris,  Vous 


jbïGoogIc 


5W  LETTRES  DE  GALIANE 

m'accusez  d'être  un  enfant  prodigue  ;  vous  avez  tort  : 
je  ne  suis  (comme  dit  l'abbé  Morellet)  qu'un  mauvais 
calculateur  économique. 

Qu'est-ce  que  c'est  qu'une  Olympiade  de  Sacchini  que 
vous  avez  entendue?  Eu  quelle  langueî  Exécutée  par 
qui  ?  Expliquez-moi  ce  phénomène  '. 

Piccini,  que  fait-il?  Vous  ne  m'en  parlez  plua  ? 

Jamais  je  n'ai  eu  tant  envie  de  vous  écrire  ;  mais  de 
quoi  remplir  ma  lettre?  J'avais  deux  des  vûtres  à  ré- 
pondre; je  les  ai  épuisées,  à  cela  près  que  je  ne  vous  ai 
rien  dit  de  VArmide  de  Gluck. 

Eh  bien!  elle  est  tombée;  j'en  étais  sûr  d'avance,  et 
je  crains  le  même  sort  pour  Roland*.  Ou  peut  dire  de 


1.  L'Olympiadt,  (ie  MÉUslase,  poème  fort  conou  en  Italie,  avail 
Été  traduit  et  arraugÉ  pour  la  scène  par  Pramery  et  mis  en  mu- 
sique par  S«ccbini.  L'Académie  royale  de  musique  ayant  refusé 
cet  ouvraye,  les  auteurs  le  proposèrent  è  la  Comédie  Italienne  oA 
il  fut  représenté  pour  la  première  fois  le  3  octobre  1777,  sous  le 
titre  de:  l'Oiyn^id»  ou  le  Triomphe  de  rAmitU,  drame  héroïque, 
en  trois  actes,  en  Ters.  La  pièce  eut  du  succès,  quoique  jonée 
par  des  acteurs  peu  faits  au  Iod  et  aux  costumes  de  leur  râle; 
madame  Trial  et  mademoiselle  Colombe  fuirent,  entre  autres,  fort 
applaudies. 

2.  Lorsqne  les  répétitions  de  Roland  commencèrent,  ses  par- 
tisans et  ses  ennemis  préparèrent  leurs  armes,  Ceui-ci  parai»- 
salent  les  plus  forts  parce  qu'ils  étaieni  les  plus  bruyants. 
Piccioi  crut  sa  chute  inévitable.  Le  jour  de  la  représentation 
(lévrier  1T78),  lorsqu'il  partit  pour  le  IhËJilre,  sa  famille  ne  tou- 
lut  point  l'y  accompagner  et  Ht  tous  te»  efforts  pour  le  retenir 
lui-même,  il  sortit  au  milieu  des  larmes  et  des  gênilssements. 
Le  succès  fui  des  plus  heureui  et  on  ramena  l'artiste  en 
triomphe. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI  B33 

l'opéra  français,  comme  de  la  République  romalae  au 
temps  de  Tîte-Live'  nec  mtia  nostra  nec  remédia  pâli 
possumus. 

Pour  le  coup,  il  m'est  impossible  de  m'allonger 
davaatage.  Adieu. 


Madame, 

Deux  semaioes  sans  lettres  de  tous  commençaiect 
à  m'inquiéter.  Cette  semaine,  j'en  ai  reçu  trois  à  la 
fois,  du  19,  du  28  octobre  et  du  3  novembre,  et  je  vais 
y  répondre. 

Commençons  par  le  plus  important.  Vous  compre- 
nez que  c'est  de  la  santé  de  maman  dont  je  veux 
vous  parler?  Pourquoi  vous  inquiétez-vous  si  fortqu'elle 
fasse  toujours  usage  de  l'opium?  Qu'en  craignez-vous? 
Ignorez-vous  {non  vous  ne  l'ignorez  pas)  que  l'Orient 
tout  entier,  c'est-à-dire  la  moitié  du  genre  humain, 
vit  avec  l'opium,  ou  pour  mieux  dire  dans  l'opium 
jusqu'à  la  décr^îtude?  L'Occident  se  sert  de  vin  au 
lieu  d'opium  et  en  tire  le  même  parti.  Ne  connaissez^ 


jbïGoogIc 


M4  LETTRES  OB  QALIANl 

VOUS  pal  de  vieilles  Ivrognesses  T  Eh  bien  1  maimn  Kra 
une  vieille  Ivrognesse  d'opium.  JTal  connu  la  corataïae 
Borroraée,  qui,  par  une  santé  frêle,  à  l'âge  de  cin. 
quonte  ans,  eut  besoin  pour  ses  nerfs  de  l'opium  et  du 
nnisc.  On  ne  saurait  imaginer  le  dégât  qu'elle  en  a  fait 
dans  sa  vie  ;  elle  vient  de  mourir  h  l'âge  de  cent  deux 
ans. 

Mettez-vous  bien  dans  la  tête  que  la  vie  n'étant  qu'un 
amas  de  maux,  de  souffrances  et  de  chagrins, 
Dieu  fit  de  s'enivrer  la  vertu  des  mortela. 

L'opium,  le  vin,  le  tabac,  les  trois  drogues  les  plus 
enivrantes,  sont  le  contrepoison  de  la  vie  des  Asiati- 
ques, des  Européens,  des  Américains.  Is  napeulke  des 
anciens  Grecs  n'a  été  autre  chose  que  l'opium.  L'am- 
broisie et  le  nectar  n'ont  été  autre  ohose  que  l'hydro- 
mel, boisson  tirée  du  miel,  et  capable  d'enivrer,  Le 
vin  n'était  pas  encore  connu  des  Grecs,  du  temps  de 
leur  plus  ancienne  mythologie.  Les  conquêtes  du  roi 
Ég]rpUen,  figuré  sous  le  nom  de  Baccbus,  transplan^ 
tèrent  les  vignes,  plantes  originaires  de  l'Arménie,  dans 
l'Asie-Hineure.  Voilà  une  terrible  et  bien  neuve  disser- 
tation à  propos  de  l'opium  de  maman.  Laissez-lui  en 
prendre  à  foisont  et  puisque  Fréron  et  son  Année  lU- 
térairesoai  morte*,  que  les  économistes  se  taisent,  vous 

1 .  Les  enaernis  de  Fréron  avalent  ablean  de  M ,  de  Hiroménll, 
gtrde  des  icesni,  li  lospemloa  du  [irtvil^  de  VAimte  tAlu- 


jbïGooglc 


LETTRES  DE  GALIANI  B» 

voyet  qu'elle  ne  saurait  trouver  d'tutre  somnifère.  J'es- 
père enfin  que,  si  elle  ne  s'impaliente  pas  de  guérir, 
elle  vivra,  et  flaira  par  guérir  tous  ses  maui,  excepté 
la  vieillesse. 

Gatti  a  été  dans  le  ravisBement  des  articles  qui  le 
regardent.  Nous  lui  avons  très  bien  payé  l'inoculatioD 
des  princes.  H  a  eu  une  pension  de  3,500  livres,  et 
pour  plus  de  1,KOO  livres  de  présents  enboltesetbagUei. 
Ce  qui  pis  est  pour  lui,  c'est  que  les  princes  at  prin- 
cesses se  sont  amourachés  de  lui.  Il  me  charge  de  vous 
dire  mille  choses,  tcnez*les  pour  dites. 

J'avais  appelé  mentor  du  Nord,  celui  que  vous  appe- 
lés mouton  du  Nord.  La  différence  n'eat  pas  bien  grande, 
c'est  la  même  qu'entre  précéder  et  suivre.  Les  princes 
allemands  et  russes  qui  élaient  avec  lui,  étaient  bien 
ses  moutons  )  mais  la  toison  n'en  a  pas  été  bien  rlohe. 
Enfin  ce  Mentor  moutou  est  arrivé;  il  m'écrira,  Je 
l'espère  ;  mais  il  ne  me  dira  pas  la  œntlème  partie  de 
oe  qu'il  devrait  me  dire. 

Les  vers  de  Marmohtel  sont  déliciens;  c'eitbien  dom- 
mage qu'ils  aient  été  faits  pour  sa  propre  femme'.  D 
faut  espérer  qu'il  en  reviendra.  L'inconstance  est  UDe 

faire.  Frëroa  avail  nne  atUque  de  goutte  au  mameDt  où  on 
lui  annonts  cette  nouvelle;  l»  goutte  KtaonU  et  l'élouffa  le 
10  nara  1776. 

1.  CbansoD  pour  madame  Mtrmoalel,  le  jour  de  sainte  Adélaïde, 
sa  fête.  [Œiwrei  con^flètes  de  Uarmontel,  I.  X,  p.  634,  ht\s.  — 
Verditee,  1810.) 


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5BS  LETTRES  DE  GALIANI 

loi  physique  de  toutes  les  espèces  d'animaux.  Sans  elle, 
point  de  fertilité,  point  de  variété,  point  de  perfectibi- 
lité. L'immense  variété  des  nations  qui  ont  peuplé  ou 
se  sont  alliées  en  Europe,  a  fait  la  perfection  de  notre 
race.  Les  Chinois  ne  se  sont  abrutis  que  par  la  non- 
mixtion  ;  et  depuis  l'arrivée  des  Tarlares,  ils  ont  gagné 
beaucoup.  Voici  une  autre  dissertation  bien  étrange.  Je 
vois  que,  ce  soir,  je  suis  en  train  de  disserter;  c'est  peut- 
être  ma  nouveUe  maison  qui  amène  cela  ;  car  c'est 
la  première  lettre  que  je  tous  en  écris. 

Mes  dissertations  et  ma  gaieté  vont  linir  à  présent 
que  je  relis  votre  dernière  lettre  du  3,  que  je  n'avais 
lue  qu'eu  courant,  et  que  je  m'en  trouve  frappé  comme 
d'un  coup  de  massue.  Vous  m'annoncez  l'expédition  de 
l'encre,  et  vous  m'anponcez  en  même  temps  l'aclut  et 
l'expédition  des  bouteilles  à  six  francs  pièce.  Grands 
dieux  !  J'avais  pourtant  bien  dit,  bien  écrit,  bien  dé- 
claré, que  je  voulais  avoir  de  l'encre  et  point  de  bou- 
teilles; que  ie  margrave  m'avait  pourvu  de  bouteilles  en 
si  grande  quantité,  que  j'en  avais  distribué  à  tous  mes 
amis.  Pourquoi  ne  m'avez  vous  pas  envoyé  cette  encre 
dans  des  bouteilles  de  verre,  comme  si  c'était  du  vin  ? 
Mais  le  ma)  est  fait,  il  est  irréparable.  Dieu  sait  quel 
mémoire  va  me  tomber  sur  le  cou  !  Dieu  sait  comment 
je  ferai  pour  le  payer?  Ce  qu'il  y  a  de  sûr,  c'est  que  je 
n'ai  plus  la  force  de  rien  dire  : 

CurcB  levet  loquuntia-,  ingénies  stupoil. 


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LETTRES  DE  GALIANI 


HONSIEDR   &  ALEMBERT* 


HoQsieur, 

Les  économistes  me  poursuivent  partout;  ce  sont 
donc  de  nouvelles  furies  qui  me  pendent,  pour  me 
servir  des  expressions  du  Tasse,  indivisibilmente  a 
lergo.  Ceux  de  Napies,  pour  venger  ceux  de  Paris, 
viennent  de  me  jouer  un  tour  diabolique  ;  ils  m'ont 
tait  donner  une  place.  Vue  place!  devines 7  je  vous  le 
donne  en  mille,  et  puis  en  mille  encore.  Jamais  pro- 
blème ne  fut  pour  vous  si  difficile  à  résoudre.  On  m'a 
fait  censeur;  Galiani, censeur!  J'ai  droit  de  vie  et  de 
mort  sur  tous  vos  auteurs  dramatiques.  Vous  avez  ap- 
pris, sans  doute,  par  les  papiers  publics,  que  nous 
avons  une  troupe  de  comédiens  français  à  Napies.  Les 
nouveaux  missionnaires  de  votre  patriarche  voulaient 
jouer  indistinctement  toutes  sortes  de  pièces,  et,  comme 
de  raison,  particulièrement  celles  dont  la  représenta- 
tion pouvait  leur  assurer  un  bénéfice  plus  considérable. 

i.  Nous  BTona  tout  lieu  de  croire  que  U  plus  grande  partie 
de  cette  lettre  est  l'œuvre  de  Seriejs. 


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38  LETTRES  DE  GALIÀNI 

On  a  cru  devoir  arrêter  leur  zèle,  et  c'est  moi  qu'on  a 
chargé  de  cette  tâche,  si  importante  au  salut  de  la  Répu- 
blique. Caveant  consoles,  a-t-on  dit,  etc. 

J'ai  bieu  trompé  ces  messieurs,  à  peine  suis-je  nommé 
que 


Ma  colÈre  retient,  et  je  n 
et  qu'es  parodiant  votre  poète  tragique  par  excellence, 
sans  avoir  plus  d'égards  que  lui  à  la  rime,  j'ajoute  : 
Immolons,  ea  venseur.  trois  pièces  i  la  foii. 

Je  défends  apjssitôt  OJifinpie,  le  Galérien;  le  croiriez- 
vous,  le  Tartufe? —  Le  Tartufe!  Oui,  monsieur  l'anti- 
cagot,  le  Tartufe.  Pourquoi  un  conseiller  d'aujourd'hui 
ne  ferait-il  pas  ce  qu'un  président  d'autrefois  fit  avec 
tant  de  succès  ? 

Vous  me  demanderez,  peut^tre,  d'où  venait  de  ma 
part  ce  transport  de  colère  ?  Tantœ  ne  ammis  cœlestibut 
trie?  De  ce  qu'on  avait  laisié  jouer  plusieurs  fois  mon 
Socrate  imaginaire,  parce  qu'on  l'attribuait  à  un  autre, 
et  qu'aussit6t  qu'on  apprit  que  j'en  avais  fait  le  Plan, 
on  en  défendit  la  représentation. 

Convenez,  mon  cher  philosophe,  que  c'est  une  belle 
chose  que  la  censure  ;  admirons  la  finesse  de  son  art, 
l'excellence  de  son  goût;  voyez-vous  comme  elle  s'at- 
tache de  préférence  à  tous  les  cheb-d'œuvre  du  génie; 
c'est  du  Voltaire  qu'il  lui  faut,  c'est  du  Raynal,  c'est  du 
Jean-Jacques  ;  en  vérité  ce  siècle  sera  remarquable  par 
ses  prouesses.  D'un  calé  la  raison,  de  l'autre unbâchw, 


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LETTRES  DE  OALIAX!  M9 

et  tout  cela  pour  le  mieux.  Si  j'étais  moins  versé  daiis 
les  antiquités,  et  aurlout  dans  l'histoire  des  événements 
mémorables,  qui  précédèrent  le  déluge,  j'attribuerais 
cette  belle  institution  à  des  économistes  de  Borne  ou  do 
la  Grèce,  mais,  si  je  ne  me  trompe,  l'origine  de  la 
censure  a  quelque  choie  de  plus  qu'humain;  elle  date 
du  moment  où  notre  premier  père  ayant  commis  un 
acte  reprébensible,  en  mangeant  d'un  fruit  prohibé, 
encourut  la  première  censure  dont  les  plus  anciennes 
wmalea  du  monde  fassent  mention.  Par  exemple,  je 
croirait  asseï  volontiers  que  nos  sublimes  panégyristes 
de  la  liberté  Illimitée,  font  remonter  leur  système  à  peu 
près  à  la  même  époque,  c'est-à-dire  lorsque  le  fils  aine 
de  ce  premier  père  usa  des  droits  de  cette  liberté  pour 
se  débarrasser  de  son  cadet,  dont  l'innocence  et  la  cou" 
sidération  dont  il  jouissait  auprès  de  l'Etemel  lui  por- 
taient ombrage.  Mais  laissons  là  ces  vieilleries  '. 

A  propos  de  censure,  il  court  ici  un  bruit  assez 
singulier  :  vous  avez  voulu,  dit-on,  vous  et  consorts, 
vous  aller  établir  à  Clèves,  pour  fuir  la  place  de 
Grève,  qui  menaçait  vos  écrits  et  vos  personnes; 
à  cet  effet,  vous  en  avez  demandé  la  permission  au  roi 
de  Prusse,  qui,  ajoute-t-on,  vous  a  permis  de  venir 
habiter  ses  Etats  )  mais  à  condition  de  ne  rien  écrire 
BUT  la  philosophie  ni  sur  la  religion.  Y  a-t-il  dans  tout 

1.  Ce  patagrapbe  nous  parait  être  le  seul  de  toute  U  lettre 
•VfD»  |WJss«  ittlUiar  t  Oalluil. 


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MO  LETTRES  DE  GALIANI 

cela  quelque  chose  de  vnû?  Le  grand  Frédéric  ne 
serait-il  philosophe  que  pour  lui  seulî  quant  à  vous,  je 
ne  crois  pas  un  mot  de  cette  prétendue  expatriation  : 
celui  qui  a  préféré  sa  tanière  du  Louvre  aux  palais  et 
aux  largesses  de  la  Sémiramis  du  Nord,  ne  s'exposera 
point,  à  coup  sûr,  au  danger  d'aller  mêler  sa  cendre  à 
ceUe  de  Jean  Huss.  Veuillez  bien,  cependant,  me  donner 
à  cet  égard  quelques  éclaircissements.  Le  voyage  de 
Diderot  a  paru  si  propre  à  justifier  ce  conte  1 

Que  font  tous  nos  amis?  nos  Roubaud,  nos  Panurge, 
nos  damesî  Aimez-moi  comme  je  vous  aime.  Bonsoir. 

P.-S.  —  On  parle  de  l'établissement  d'une  académie 
des  sciences  à  Naples,  vous  en  serez,  mon  maître. 


A    MADAME    d'ËPINAY 


Modicœ  fidei,  quare  dubitasti?  Ne  vous  l'avais-je  pas 
dit ,  qu'on  vit  avec  l'opium ,  qu'on  se  rétablit  avec 
l'opium  et  qu'on  vieillit  jusqu'à  la  décrépitude  avec 
l'opium.  Vous  serez  une  maréchale  de  Hirepoix  ;  vous 
tremblerez  :  qu'importe.  Vous  jouerez  au  cavagnole 


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LETTRES  DE  GALiAM  Ml 

jusqu'à  trois  heures  du  matin  :  n'estrce  pas  Atre  biea 
heureux  et  bien  employer  sa  vie'î 

Vous  ne  m'avez  jamais  fait  dire  à  qui  je  dois  payer 
ici  le  prix  de  cette  malheureuse  encre,  dont  je  ne  puis 
me  ressouvenir  sans  frissonner.  Cherchez  les  Piccini, 
Caraccioli,  Ferez,  comte  de  Fuentès,  marquis  de  Cler- 
mont,  ou  que  sais-jemoi,  qui  veuillent  vbus  rembour- 
ser la  dépense  faite  et  m'ordonner  de  payer  ici  à  leur 
correspondant  ;  car,  pour  une  lettre  de  change,  l'em- 
barras  serait  plus,  grand  que  la  chose  ne  vaut. 

Nous  avons  vu  remettre  ici  et  tomber  à  plat  un 
superbe  opéra  comique  de  Piccini.  Les  acteurs  n'étaient 
pas  les  mêmes  que  lorsqu'il  le  donna  il  y  a  sept  ans. 

Le  comte  de  VoronzofT,  qui  m'apporta  une  lettre  du 
plénipotentiaire  coureur  *,  est  un  bien  aimable  sujet  '. 


i.  U  maréchale  de  MIrepoix,  princesse  de  Lorraine  et  dame 
du  palais  de  la  reine;  ses  soupers  étalent  célèbres.  ■  Nulle 
Temme  n'était  plus  aimée,  plus  aimable  que  celte  amusante 
duchesse  de  Hirepoii,  toujours  désordonnée,  noyée  d'embarras 
d'argent,  minée  par  le  jeu,  perdue  ds  contrariété  et  de  gène  au 
milieu  de  cent  mille  livres  de  rente  et  cependant  quand  elle 
s'échappait  de  Versailles  et  tombait  A  Paris,  toujours  gale,  sans 
humeur,  douce,  complaisante,  gracieuse  à  tous,  empressée  A 
plaire,  ne  demandant  que  des  services  à  rendre,  si  bonne  qu'elle 
réussissait  i  faire  oublier  ses  léchetés  k  la  cour  et  à  remplacer  . 
autour  d'elle  l'estime  par  t'amiiié.  >  (De  Concourt,  ta  Femme  au 
dtoi'htiitième  tiède.) 

3.  Orimm. 

3.  Lecemto  de  Woronioff  devint  ambassadeur  de  Russie  i 
Londres,  où  il  jouit  de  la  plua  haute  considération. 


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Ml  t.ETTRES  DE  OALfANI 

Nous  nous  sommes  déjà  pris  de  belle  amitié,  et,  ce  ma- 
tin, je  dîne  avec  lui  chez  le  prince  Auguste  de  Sate- 
Gotha.  Nous  boirons  à  votre  sant^,  et  à  celle  du  grand 
coureur,  chaise  de  paille  et  de  poste.  Mais  il  est  indigne 
à  lui  de  n'avoir  pas  encore  écrit  de  Paris,  ni  achevé 
l'histoire  de  nos  affaires  À  Pétcrsbourg. 

Le  roi  voulant  ici  représenter  en  mascarade  la  sortie 
publique  du  Grand-Turc,  M.  l'ambassadeur  de  France, 
qui  a  souhaité  être  du  nombre  des  acteurs,  avait  été  dé- 
signé pour  y  représenter  l'aga  des  eunuques  blancs  ; 
mais  comme  il  a  trouvé  cctl«  place  trop  coûteuse 
pour  lui,  eu  ^gard  à  l'état  de  ees  revenus,  il  l'a 
changée  et  l'a  fait  accorder  au  prince  de  Migliano, 
qui  l'a  acceptée  sans  frayeur,  attendu  que  c'est  l'homme 
de  Naples  qui  a  le  nez  le  mieux  conditionné.  Cette 
cabale,  pour  cctle  place,  nous  a  autant  divertis  que 
la  mascarade  elle-même  nous  divertira,  lorsqu'elle 
aura  lieu.  Nous  croyions  avoir  un  carnaval  bien  gai, 
mais  nous  avons  des  spectacles  indignes,  des  bals  en- 
nuyeux et  déplacés  des  vrais  lieux,  et  nous  prenons  un 
deuil  de  deux  mois.  Force  Anglais  et  Anglaise*,  qui 
viennent  s'abriter  à  Naples  des  tempêtes  américaines  ', 
nous  ont  persuadés  qu'ils  venaient  chercher  le  meilleur 


1.  Le)  possessions  anglaises  eu  Amérique  élaicnt  bouleïer5ée<; 
par  la  guerre  de  l'indépendance.  La  Fraoce  signait,  ce  même 
mois  de  février,  un  (rallé  <t'alliaDce  a*ee  les  ËUU-Uai*  d'Amt- 
rique,  dont  elle  reconoalisait  l'Iadépendinde. 


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LETTRES  DIS  GALIANI  S*3 

des  camavaux  ou  carnavals  possibles.  En  attendant,  les 
Washington  et  les  Hanckocke  ■  leur  seront  fatals  on 
fatavœ. 

On  me  dit  que  M.  Necker  songe  à  quitter  le  minis- 
tère ;  les  Français  sont  donc  ingouvernables. 

J'aurais  dû  répondre  à  cinq  ou  six  lettres  de  votre 
aimable  fîUe  ;  mais,  si  elle  était  procureur-général  des 
domaines  du  roi  de  Naples,  elle  excuserait  tous  ceux 
qui  ne  répondent  jamais. 

Aimez-moi,  et  croyez-moi,  soit  que  j'écrive  ou  non. 
toujours  le  meilleur  de  vos  amiç. 


Lm  chagrins  cuisants,  ina  clière  dame,  que  me  cau- 
sent mes  embarras  domestiques,  sont  la  véritable 
cause  de  mon  silence.  Ha  santé  en  est  affectée  au  point 
que  j'ai  pris  la  résolution  subite  d'aller  faire  un  voyage 
jusque  dans  la  Pouille.  Je  pars  demain,  et  je  resterai 

I.  Hankocke  fat  an  des  fondsteors  du  répuMiqnei  amërl- 
caineg;  il  ÉUtt  né  1  Boston. 


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Hi  LETTRES  DE  GALIANI 

un  mois  ou  quarante  jours.  Ne  vous  alteadez  pas  à 
des  lettres  de  moi,  durant  cet  intervalle;  j'ai  besoin 
d'une  forte  dose  d'opium  aussi. 

Vos  deux  lettres  du  1^'  et  du  2î!  mars,  m'ont  fait 
un  plaisir  infini,  et  ont  diminué  mon  regret  de  n'être 
pas  à  Paris,  pour  y  voir  le  phénomène  de  Voltaire  ', 
Vous  me  le  peignez  avec  des  couleurs  si  vives,  que  je 
le  vois,  que  je  l'entends,  et  je  ris  de  bon  cceur. 

Il  m'était  impossible  de  vous  faire  payer  par  le  moyen 
de  M.  de  Clermont  ;  il  me  fait  l'hoaneur  d'être  brouillé 
à  mort  avec  moi,  parce  que,  dans  un  ]>etit  procès,  je 
n'ai  pas  donné  un  avis  favorable  à  son  recommandé. 
Voilà  pourquoi  il  ne  me  salue  plus. 

Gatti  a  bien  voulu  donc  se  cliarger  de  vous  faire 
payer  celte  somme,  mais,  comme  je  ne  me  souviens 
plus  du  montant,  vous  la  retirerez  de  son  banquier 
Brussoni,  et  je  rembourserai  Gatti. 

Ce  Gatti  a  gagné  ici  le  cœur  des  souverains.  Ils  ont 
exigé  de  lui  qu'il  se  fixât  à  Naples,  et  il  y  a  consenti, 
mais  sans  charges,  sans  titres,  sans  appointements  ; 
telles  ont  été  ses  conditions.  En  attendant,  pour  l'ino- 
culation du  roi,  il  a  obtenu  une  pension  de  quatre 
mille  deux  cents  livres. 


I.  Voltaire  avait  quitté  Paris  depuis  vlngl-buit  ans  lorsqu'il  y 
rentra  le  10  février  1778.  L'accueil  qu'il  y  refut  fui  indescriptible, 
une  foule  enthoiuiaate  De  cessait  d'entourer  ton  bôiel;  parlant 
ii  était  suiri  d'un  cortège  triomphal. 


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LETTAG3  DE  GALIANI  6U> 

et  à  peu  prèsdis  mille  francs  en  présentset  en  comptant. 
U  me  chai^  de  vous  dire  mille  choses  de  sa  part.  Le 
prince  Pignatelli  m'en  écrit  autant  de  Palerme  ;  vous 
aperccvez-TOus  que  cette  lettre  est  bète  à  manger  du 
foin  !  Ëh  bien  !  mon  ftme  et  ma  l£te  ne  sont  pas  en  état 
de  produire  rien  de  mieux  dans  mon  état  actuel.  Si 
vous  êtes  sensible  aux  amours  des  bétes,  sachez  que 
vous  êtes  la  mâme  dans  mon  cœur  abruti. 

La  Chaise  de  paille,  que  fait-il?  Aimez-moi  et  plai- 
gnez-moi. Adieu. 


MADAME    d'ÉPINAY  A   GALIAM 


J'espère  que  ma  lettre  vous  trouvera  de  retour  à 
Naptes,  mon  charmant  abbé.  J'ai  reçu  votre  lettre  de 
change,  et  je  fais  courir  après  le  banquier;  aussitôt 
que  j'aurai  touché  les  soixante  francs,  je  vous  le 
manderai. 

Je  trouve  M.  de  Clermont  sublime  de  vous  refuser  !e 
salut  parce  que  vous  avez  opiné  contre  son  protégé  ; 
je  connaissais  bien  tout  son  esprit,  mois  je  ne  le  croyais 
pas  si  profond  politique.  Cela  ne  se  trouve  peut-être 


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M  LETTRES  DE  GALUNI 

pas  dans  votre  excelleot  traité  d'Amico-Politico,  dont 
TOUS  nous  fltes  un  jour  na  si  charmant  précis;  mais 
TOUS  aT«  tort.  Er^,  M.  de  Clennont  est  plus  profond 
que  TOUS,  cela  me  parait  clair. 

Ce  qui  me  le  paraît  encore  davantage,  c'est  qu'il 
n'est  pas  donné  à  l'espèce  huanùne  d'être  heureuse  et 
tranquille,  puisque  vous-même,  l'abbé,  tous  avez  des 
chagrins  domestiques  qui  dérangent  votre  sanlé,  qui 
vous  font  courir  les  champs,  qui  troublent  votre  repos, 
votre  gaieté.  Et  qu'esl>-ce  donc  qui  peut  vous  tour- 
menter à  ce  point?  La  mortalité  est-elle  parmi  vos 
chatsf  l'amour  ou  l'envie  parmi  vos  servantes  et  vos 
valets?  Et  qu'importe  la  cause  grave  ou  frivole?  c'est 
l'efTel  sur  votre  âme  qu'il  faut  calculer.  Celui  qui  n'est 
malheureuiL  que  parce  qu'il  n'est  enTiranné  que  de 
désirs  trop  promptement  f^tisfaits,  n'en  souffre  pas 
moins.  Tirez-moi  de  peine,  et  diles-moi  que  tout  va  à 
peu  près  bien;  c'est  en  vérité  tout  ce  qu'il  faut  pour 
rendre  contents  les  gens  raisonnables. 

Que  vous  m'avez  fait  de  plaisir  en  me  donnant  de  si 
bonnes  nouvelles  de  notre  cher  Gattil  Je  l'aime  toujours 
et  je  m'intéresse  vivement  à  son  bonheur.  J'ai  des  pe- 
tits-cntants  qui  le  rendraient  bien  heureux.  Ma  petite 
Emilie,  qui  est  une  charmante  enfant,  lui  tournerait 
la  tête.  Dites-lui  encore  que,  s'il  vient  dans  ce  pays-ci, 
et  que  je  lui  fasse  le  récit  détaillé  de  tout  ce  qui  m'est 
arrivé  depuis  cinq  ans,  il  croira  plus  que  jamais  aui 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALUNI  HT 

miractes  de  la  nature  ;  car  Tronchin  ne  m'a  rien  fait 
que  de  petites  choses  pour  l'aider,  lorsqu'elle  avait  bien 
clairement  annoncé  son  intention. 

Voltaire  a  aclieté  une  maison  assez  près  de  moi.  Il 
riiabitera  au  mois  de  septembre.  Sa  nièce  est  assez 
sérieusement  malade.  Cette  circonstance  lui  a  fait  renon- 
cer au  projet  d'aller  passer  deui  mois  &  Fem'ey.  Il  parle 
d'un  voyage  de  cent  vingt  lieues  conmie  d'une  course 
à  Chaillot.  Il  partage  toujours  avec  Franklin  les  applau* 
dissements  et  les  acclamations  dn  public.  Dès  qu'ils 
paraissent  soit  au  spectacle,  aux  promenades,  aux  aca* 
démies,  les  cris,  les  battements  de  mains  ne  finissent 
plus.  Les  princes  paraissent,  point  de  nouvelles.  Voltaire 
éternue,  Franklin  dit:  «Dieu  vous  bénisse»,  et  le  train 
reconunence.  Voici  un  vers  latin  qu'on  a  fait  pour 
mettre  au  bas  du  portrait  de  ce  dernier. 

Bripuit  coeld  fulTntn,  iceptrumque  (yrannû. 

En  voulez-vous  la  traduction  en  vers,  que  d'Alembert 
a  faite  l'autre  jour  en  s'éveillant? 

Tu  tdIi  le  uge  courageui 
Dont  l'heureux  et  mftle  génie, 
k  nvi  ie  tonnerre  )idi  eieui 
Et  le  sceptre  à  U  tjnitaie. 

Puisque  je  donne  dans  la  poésie,  voici  d'autres  vers 
sur  la  petite  politesse  qu'a  faite  l'emperour  à  l'électeur 
de  Bavière,  en  lui  envoyant  la  toison  : 


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548  LETTRES  DE  GALIANI 

Prenei,  p»uyre  électeur,  el  prenez  arec  joie, 

La  toisoD  que  fort  à  propos 

L'empereur  enOn  vous  envole, 
Qoind  il  tous  a  muge  la  laine  suc  le  dos. 

En  voici  d'autres  sur  le  même  sujet  : 

Eu  tous  temps,  en  tous  lieui,  la  toison  des  brebii 
Jusqu'ici  du  tondeur  avait  fait  les  profits; 
Haia  aujourd'hui,  par  un  ttaJt  tout  nouveau. 
Au  tondu  le  tondeur  en  a  fait  le  cadeau. 

J'arrête  ici  ma  veine  poétique;  sans  quoi  vous  pour- 
riez prendre  ma  lettre  pour  un  extrait  du  Mercure  de 
France.  Parlons  de  l'opium.  Je  commence  à  m'en 
passer  d'un  jour  l'un  pour  ne  pas  tn'user  sur  ce  char- 
mant remède.  Le  général  Koch  arrive;  il  ne  m'inter- 
rompt pas,  mais  il  me  dit  de  vous  embrasser  pour  lui. 
Gleichen  part  mercredi  ;  nous  parlerons  encore  uoe 
fois  de  votis,  et  je  vous  dirai  cela  ou  autre  chose  à 
la  première  occasion. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI 


MADAME    D   ÊFINAT 


Madame,  il  faut  vous  écrire  pour  De  pas  vous  laisser 
ignorer  mon  état.  Haïs  que  vous  dirai-je?  Mes  regrets 
deviennent  plus  cuisants  tous  les  jours.  Aussitôt  que  je 
suis  seul,  je  retombe  dans  les  rêveries  et  les  tristesses. 
Ce  n'est  plus  la  mort  qui  fait  mon  chagrin,  je  me  suis 
fait  une  raison  sur  cela.  Je  comprends  que  c'est  une 
chose  toute  naturelle,  que  moi  et  tous  nous  en  devons 
faire  autant;  mais  c'est  le  genre  de  mort,  c'est  la  ma- 
nière brusque  et  imprévue  avec  laquelle  j'ai  été  quitté, 
qui  me  désole.  En  un  mot,  si  je  pouvais  la  faire  revivre 
pour  deux  heures,  lui  parler,  savoir  la  cause  de  sou 
désespoir,  ses  pensées,  ses  dernières  volontés,  et  qu'elle 
se  rendormit  ensuite,  je  croîs  que  je  serais  content  et 
consolé,  tout  comme  d'un  départ.  Pour  la  première  fois, 
j'ai  compris  l'utilité,  la  sagesse,  la  raison  universelle 
des  testaments.  Ils  sont  la  vraie  consolation  des  survi- 
vants k  une  personne  qui  nous  est  chère.  HaJs  j'ai  été 
si  brusquement  quitté,  qu'en  vérité  je  ne  sais  pas  si 


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su  LETTRES  DE  6ALIANI 

elle  s'est  jetée,  ou  si  on  l'a  perfidemeot  jetée,  et  ce  dernier 

trouble,  et  cette   incertitude   est  la  plus  affreuse  de 

toutes. 

Uais  jevous  noircis  l'&me.  Je  vous  dirai  donc  que, 
pour  me  distraire,  je  n'ai  trouvé  d'autre  moyen  que 
celui  de  m'occuper  très  profondément  sur  Horace,  et 
que  j'ai  enfin  commencé  à  écrire  la  vie  et  l'occasion  dea 
pièces  de  cet  auteur ,  ce  qui  est,  comme  vous  savez, 
l'OQvn^  que  Grimm  souhaitait  si  fwt.  Assurément 
j'en  achèverai  l'ébauche,  mais  il  est  bien  difficile  que 
je  le  mette  en  état  de  parailre.  Si  je  meurs,  je  léguerai 
cet  écrit  à  Grimm,  qui  le  fera  achever  et  publier.  Pour 
le  coup,  dans  peu  de  jours,  toutes  mes  découvertes  et 
mes  idées  seront  sauvées  de  l'oubli,  cela  suffît  pour  une 
ébauche.  Le  public  est  si  difficile  qu'il  faut  polir  les 
ouvrages  pour  qu'ils  puissent  lui  plaire,  et  je  ne  sais  pas 
si,  dans  l'état  où  je  suis,  j'aurai  la  force  de  me  donner 
la  peine  de  plaire  à  H,  le  public. 

Voulez-vous  m'aider  dans  mon  bavail  sur  Horace? 
Voici  ce  dont  j'ai  besoin.  Je  voudrais  que  vous  fissiez  ou 
fissiez  faire  une  recherche  exacte  de  tous  les  endroits 
des  ouvrages  de  Voltaire  dans  lesquels  il  a  critiqué 
Horace,  et  que  vous  me  les  marquiez  sur  une  feuille. 
Ce  djable  de  vieillard  a  le  nez  si  fin,  le  goût  si  délicat, 
qu'il  Ta  critiqué  toujours  avec  raison;  mais  il  se  trouve 
que  sa  critique  tombe  toujours  sur  le  dégât  que  les 
éditeurs  et  les  interprètes  ont  fait  à  mon  pauvre  auteur. 


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LETTRES  DE  OALUNI  Ul 

et  jamais  sur  Horace  lui-même.  Par  exemple,  Voltaire 
critique  une  ode  comme  bible,  sans  objet,  sans  suite,  et 
il  a  raison.  Mais  il  se  trouve  que  cette  ode  ne  sera  que 
la  moitié  d'une  pièce  de  vers,  qu'il  faut  coudre  avec 
une  autre  moitié,  et  alors  la  critique  disparaît.  Gomme 
je  n'ai  pas  la  collection  entière  des  ouvrages  de  Vol- 
taire, et  que  je  ne  sais  pas  si  à  Naples  (pays  très  savant), 
il  y  a  personne  qui  la  possède,  j'ai  recours  à  vous. 
Adieu  !  Aimez-moi.  Plaignez-moi. 

P.  S.  Qu'est-ce  que  coûterait  un  morceau  de  vélin 
préparé  pour  faire  une  miniature?  Pourraî>je  en  avoir 
une  boite  avec  huit  ou  dix  morceaux  de  médiocre  gran- 
deur? Mandez-moi  le  prix  avant  tout. 


Ksplw,  «  Juillet  <T1B. 

Les  marques  do  la  plus  tendre  amitié,  madame,  que 
vous  continuez  à  me  donner  en  m'écrivant,  et  de  votre 
main,  au  milieu  de  vos  souffrances,  peuvent  seules 
réveiller  ma  léthargie,  et,  pour  ainsi  dire,  me  tirer  du 
tombeau.  Au  reste  je  suis  mort,  comme  vous  savez.  Mes 


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5U  LETTRES  DE  GALIAM 

évâaements  sont  incroyablos.  Vous  en  savez  une  partie, 
et  assurément  vous  avez  cru  qu'il  ne  pouvait  plus 
m'arriver  rien  qui  secouât  davantage  mon  Ame.  Eh 
bien  !  vous  vous  êtes  trompée  :  it  m'est  arrivé  d'autres 
choses  bien  plus  uniques,  étranges,  pas  horribles,  mais 
extraordinaires,  au  point  qu'enfin  j'ai  succombé.  J'ai 
laissé  là  mon  Horace.  Je  n'écris  plus,  je  ne  pense  plus, 
je  ne  vis  plus,  je  végète  '. 

La  Chaise  de  paille  autrefois,  aujourd'hui  Chaise  de 
poste,  m'a  écrit  une  longue  lettre.  Il  voudrait  que 
je  lui  réponde.  Pourquoi  dois-je  lui  répondre?  Je  n'ai 
pas  reçu  le  portrait  de  l'impératrice.  U  se  plaint  très 
fort  qu'on  n'ait  pas  voulu  enterrer  un  homme  immortel  *  ; 
mais  parbleu  !  on  n'enterre  que  les  morts.  Sinite  mor- 
luos  sepelire  mortuos  suos.  Jésus-Christ  n'est  enterré 
nulle  part.  Pourquoi  faut-il  que  l'antechrist  le  soit?  Il 
se  plaint  de  la  maladresse  des  prêtres.  Je  ne  conviens 


1.  L'impératrice  de  RuMie  écrit  i  Grimm  è  celte  époque  ; 
t  Hais  qu'ett-ce  donc  que  les  chagrins  qui  •ccableDt  l'abbé  Ga- 
liani?  Je  croyais  mol  qui  Naples,  dans  le  plus  beau  climat  de 
l'Europe,  an  les  ressentait  moini.  pnrce  que  l'air  m'a  toujours 
réjouie;  mais  lis  y  sont  trop  accoutumés  pour  y  prendre  autant  de 
paît  que  ooua.  »  —Nous  n'avons  point  pu  découvrir  la  cause  des 
Tloleuts  chagrins  qu'éprouvait  Galiani. 

3.  Lorsque  Voltah-e  mourut,  le  clergé  était  décidé  k  lui  refuser 
les  honneurs  tiinèbres ,  que  l'opinion  publii|ue  demandait  im- 
périeusement. Tout  s'arrangea,  grdce  k  un  neveu  de  Voliaire, 
l'abbé  Mignot,  qui  enleva  le  corps  de  son  oncle  el  le  fit  ense- 
relir  dans  l'abbaye  de  ScelUéres,  en  Champagne. 


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LETTRES  DE  GALIANI  553 

pas  de  cela.  Je  trouve  pourtant  que  ce  serait  peiit^tre 
adroit  d'enterrer  Jean-Jacques  à  Saint-Denis  '. 

Ah!  qucj'avais  bon  nez  de  m'étreconslamment  refusé 
à  placer  ma  tète  dans  la  collection  de  feu  madame 
Geoffrin.  Dieu  sait  comment  madame  de  la  Ferté- 
Imbault  m'aurait  étiqueté  '.  Je  gage  qu'elle  y  aurait 
mis  :  Galiani,  célèbre  par  sa  perruque  taujourt  de  tra- 
vers. Votre  amitié  aurait  ajouté  à  celte  épigraphe  :  et  sa 
têle  jamais  de  travers  ;  mais  les  économistes  auraient 
elTacé  cette  addition. 

Vous  aurez,  à  l'heure  qu'il  est,  décidé  la  plus  grande 
révolution  du  globe  :  savoir,  si  c'est  l'Amérique  qui 
régnera  sur  l'Europe,  ou  l'Kurope  qui  continuera  à 
.  régner  sur  l'Amérique  '.  Je  gagerais  en  faveur  de 
l'Amérique,  par  la  raison  toute  matérielle  que  le  génie 
tourne  à  rebours  du  mouvement  diurne,  et  va  du  levant 
au  couchant  depuis  cinq  mille  ans,  sans  aberration. 

Gatti  me  dit  que  son  banquier  Brussoni  ne  lui  mande 
pas  de  vous  avoir  payé  les  soixante  livres,  prix  de 
l'encre.  De  grâce  Itnissez-moi  cette  affaire.  Faites-vous 
payer,  et  faites-moi  payer  à  Gatti. 

1.  Jean-Jacqnes  Rouïsetu  était  mort  le  3  juillet. 

3.  Hadame  de  la  PRrié-Imbault  détestait  les  philosophes,  amis 
de  s»  mère. 

3.  En  reconoaissant  ritidépcndanee  des  Ëuts-Unls  et  en  si- 
gaiat  arec  eux  un  trajiéd'alliaace,  la  France  venait,  en  clTet,  de 
décider  une  des  grandes  révoluUoDs  politiques  et  de  créer 
une  des  pin*  imporlanles  puissances  du  monde. 


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LKTTRES  DE  GALIARI 


Adieu  !  Comptez  que  c'est  le  plus  grand  elfort  que 
j'aie  pu  faire  que  do  vous  écrire  ces  quatre  mots  de 
griffonoage. 


A    LA    MÊME 


Votre  lettre,  madame,  du  13  du  mois  passé,  m'a  fait 
pâlir  de  Ërayeur.  Malgré  la  précaution  que  tous  comptez 
prendre,  d'envoyer  un  gros  paquet  au  cardinal  de 
Bernis,  je  tremble,  et  ce  n'est  pas  sans  fondement, 
d'être  obligé  d'en  payer  le  port  en  entier,  et  d'être 
ruiné  par  cet  événement  fâcheux  et  tout  à  fait  inat- 
tendu. Enfin,  voyons  et  ne  prévoyons  pas.  Je  commence 
à  sentir  que  les  malheurs  des  hommes  viennent  de 
leur  prévoyance,  malgré  qu'on  en  dise  le  contraire.  La 
prévoyance  est  la  cause  des  guerres  actuelles  de  l'Eu- 
rope. Parce  qu'on  prévoit  que  la  Maison  d'Autriche 
s'agrandira;  que  les  Américains,  dans  quelques  siècles 
d'ici,  que  les  Anglais,  les  Français,  les  Espagnols,  dans 
cent  ans,  feront  ou  ne  feront  pas  certaines  choses,  on 
commence  par  s'égorger  à  l'instant.  Si  Vao  voulait  se 


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LETTRES  DE  GALIANI  55S 

donner  la  peine  de  ne  rien  prévoir,  tout  le  monde  serait 
tranquille,  et  je  ne  crois  pas  qu'on  serait  plus  mal- 
beureus  parce  qu'on  ne  ferait  pas  la  guerre. 

En  attendant,  voici  la  perspective  de  mon  pays  :  La 
guerre  au  couchant,  la  peste  au  levant,  la  famine  dans 
l'intérieur.  Le  prophète  Nathan  a  de  quoi  choisir  à  son 
aise.  Nous  avons  eu  une  très  mauvaise  récolte.  On  a  fait 
des  règlements  à  l'antique  (car  nous  sommes  arriérés 
de  plusieurs  siècles),  et  à  l'instant  la  cherté  a  paru. 
Vous  imaginez  bien  que  je  ne  suis  ni  consulté,  ni  em- 
ployé ici,  ni  estimé  pour  entendre  rien  sur  la  matière. 
La  raison  est  que  tout  le  monde  ignore  ici  parfaitement 
que  j'ai  composé  un  livre  sur  cette  question.  On  sait 
que  j'ai  écrit  un  ouvrage  en  français,  mais  les  uns 
croient  que  c'est  un  joli  roman  de  fées,  les  autres  que 
c'est  de  la  poésie.  Ne  croyez  pas  que  je  badine  ou  que 
j'exagère  comme  le  chevalier  Lorenzi  '. 

1,  Lorenzi,  disait  Griram,  Était  naturellement  réfeor,  distrait, 
nair,  simple,  toujours  vrai,  sérieui  et  grave.  Le  plaisant  de  sea 
traits  consiste  en  ce  que  les  opérations  de  sa  léle  le  font  lente- 
ment el  diflicilement,  qu'il  a  de  la  peine  à  asaortir  l'expression 
a  aoD  idée,  qu'il  supprime  ordinairement  tous  les  inlernié- 
diaires  entre  deux  propositions,  qu'il  répond  souvent  à  sa  tète, 
au  lieu  de  répondra  A  ce  qu'on  lui  dit.  Un  jour,  chez  madarae 
GeolTrin,  li  s'embrouille  dans  une  généalogie:  —  «Mais,  chevalier, 
dit  ta  maîtresse  de  la  maison,  vous  radattz,  c'est  pire  que  jamais. 
—  Madame,  lui  répond  le  chevalier,  la  vie  est  si  courte  !  i  —  Un 
autre  jour,  dans  la  même  maison,  d'Alembcrt,  GrimiD,  Lorenil 
étaient  réunis  dans  le  salon  ;  Lorentl  sommeillait  etaiait  peine 
A  soutenir  sa  tète.  —  «  Il  me  semble,  chevalier,  dit  Griram,  que 
notre  conversation  tous  amuse  beaucoup,  puisqu'elle  tous  endort 


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556  LETTRES  DE  GALIÀNI 

Autre  chose  qui  vous  paraîtra  plus  étonnante,  car 
mon  pays  même  en  a  été  étonné.  Un  a  fondé  une  aca< 
demie  de  sciences  et  de  belles-lettres,  et  je  n'en  suis  pas. 
Vous  souvenez-vous  de  cet  homme  de  lettres  inconnu 
à  Diderot,  qui  lui  disait  tranquillement  :  a  Monsieur, 
je  travaille  pour  les  colonies  !  n  J'en  dis  de  môme  ;  je 
suis  à  Napics  et  je  travaille  pour  Pétcrsbourg  '. 

Gatti  vous  salue.  Le  comte  dç  Wilseck  est  arrivé  ;  et 
d'abord  m'a  parlé  de  vous  et  de  Grimm.  II  souh&îte 
des  nouvelles  de  ce  terrible  voyageur. 

Aimez-moi;  priez  Dieu  que  je  ne  paye  pas  le  paquet. 

Si  je  le  paye en  vérité en  vérité je  vous 

expédierai  l'encyclopédie  parla  poste.  Adieu! 


tout  debout?  —  Ob  I  non,  diNI,  nu  liochant  la  léte  et  avec 
son  ton  Innocent  et  naiT.  je  dora  quand  je  veui.  >  —  It  devait 
partir  pour  Londrfc  arec  b  duc  de  Mirepoii,  «t  il  élail  con- 
venu qu'il  enverrait  sa  malle  h  l'hâlet  du  duc;  pondant  qui) 
la  préparait,  il  requit  un  message  qui  le  presse  de  l'eipédler. 
Il  se  dépécbe  en  conséquence,  et,  de  peur  d'oublier  quelque 
cbose,  il  emltalle  tous  ses  babils.  Lorsque  la  malle  est  partie, 
it  s'aperçoit  qu'il  est  resté  en  chemise,  que  son  liibit  de  voyage 
est  dans  sa  malle  et  qu'il  n'a  conservé,  pour  sortir,  qn'une  mau* 
vaise  robe  de  chambre.  » 

) .  I  J'ai  ordonné  une  médaille  pour  l'abbé  Galiani  ;  II  a  bean 
dire,  mademolwlle  Csrdcl  l'aurait  appelé  léte  de  travers  tout 
comme  elle  m'appelait  ospnt  gauche.  Quel  dommage  que  la  léte 
de  cethorame-li  reste  sans  utilité  ù  Naples,  qu'on  y  ignore  jusqu'à 
ses  ouvrages,  et  qu'on  y  (asse  des  édita  à  l'antique,  sans  se  ser- 
vir de  lui  et  de  se^  idfcs  sages.  C'est  de  l'abbé  qu'on  peut  dire 
que  sa  patrie  le  méconnaît.  ■  [Correspoodance  de  l'impératrice 
Catherine.) 


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LETTBES  DE  GALIANI 


A     LA     HËHE 


La  semaine  passée,  madame,  je  vous  ai  envoyé  par  le 
baron  Yandertentroock  Grimin,  mes  remerciements 
sur  les  papiers  que  vous  m'avez  adressés.  Mon  coeur  a 
été  loucbé  eu  voyant  l'empressement  du  vôtre  à  saisir 
nne  occasion  de  me  soulager  dans  le  travail  sur  Horace. 
Je  ne  vous  demandais  que  la  recherche  des  endroits 
des  ouvrages  de  Voltaire,  dans  lesquels  il  critique  les 
pièces  d'Horace.  Vous  avez  fait  transcrire  tous  les  en- 
droits où  le  nom  même, d'Horace  se  rencontre,  soit  en 
louange,  soit  en  blâme.  Cependant  il  me  parait  que  la 
recherche  n'a  pas  été  exacte,  relativement  aux  ou\Tages 
de  Voltaire  parus  depuis  longtemps.  Je  me  souviens 
que  dans  Candide  le  sénateur  Poco-curanle  parle 
SHorac».  Quoi  qu'il  en  soit,  ne  vous  donnez  plus  de 
peine  :  ne  m'envoyez  que  vos  lettres  à  l'ordinaire; 
point  de  paquets,  et  laissez-moi  faire.  Si  je  vis,  Horace 
paraîtra.  11  faut  dire  :  si  je  vis,  puisque  nous  sommes 
dans  des  frayeurs  mortelles  relativement  fi  la  peste  qui 


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558  LETTRES  DE  CALIANt 

s'approche  très  vilainement  de  nous.  En  temps  de  peste, 

un  gentilhomme  n'est  pas  s&r  de  sa  vie. 

Le  prince  PignaleUi  d'Egmont  est  arrivé,  il  y  a  trois 
jours,  de  Palerme,  et,  à  son  grand  regret,  il  se  trouve 
obligé  &  faire  une  courte  quarantaine  dans  le  port  :  il 
en  est  au  désespoir. 

Le  comte  de  Wilseck  veut  que  je  vous  parle  toujours 
de  lui.  Je  vous  en  parle  donc,  et  je  lui  parle  de  vous. 
Que  ne  puis-je  lui  dire  que  vous  vous  portez  à  ravir  I 
Donnez-moi  l'ordre  de  lui  dire  cela.  Je  n'ose  pas  le 
faire  de  mon  propre  mouvement  :  il  feul  m'y  autoriser. 

Le  temps,  la  tête,  le  cœur  me  manquent  pour  remplir 
ce  reste  de  papier. 

Gattl  attend  toujours  que  vous  me  fassiez  savoir  si  je 
dois  lui  payer  les  soixante  livtes.  11  est  ici;  il  travaille 
à  ne  rien  faire  absolument,  et  il  trouve  que  celte 
occupation  est  bien  forte  et  surtout  bien  politique,  et 
il  a  raison*. 

Adieu!  Aimez-moi,  et  portez-vous  bien. 


1.  Gatti  comparait  la  vie  d'un  Européen  riche  et  savant,  coarant 
les  bibliotlièques,  les  cercles,  le»  académies,  les  spectacles  i  celle 
il'uii  Turc,  Étendu  sur  des  coussins,  en  face  de  la  mer  Noire, 
éLincelante  au  soleil,  buvant  le  moka  le  plus  etqais,  entouré  de 
parTums  délicieux,  d'esclaves  cbarmanies,  qu'il  aime  juste  assez 
pour  qu'elles  lui  donnent  du  plaisir  et  pas  de  tourment,  et 
détouroaDt  les  yeux  de  ce  riant  tableau  pour  les  élever  au  ciel 
en  prononjant  le  seul  mot  Atlab,  qui  renrerme  toutes  les  prières. 
Gatli  prËtendall  que  le  second  avait  mieux  choisi  I 


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LETTRES  DE  GALUHI 


A    MADAME    DE    BEL5DKCE 


Naplea,  il  septembre  <1}g. 

Uadame, 

Vous  êtes  bien  digne  d'Ure  la  fille  d'une  mère  incom* 
parable.  Accablée  de  chagrins,  de  fatigues,  de  lassitude, 
vous  songez  à  m'écrire  pour  me  tirer  de  l'incertitude, 
relativement  à  l'état  de  santé  de  votre  mère.  Vous  êtes 
cbariDaDte,  adorable,  divine.  Mais  maman  souf&e  tou- 
jours et  sou&e  beaucoup.  Voilà  qui  est  horrible,  détes- 
table, abominable,  mais  ce  n'est  pas  votre  faute.  Vous 
viendrez  me  voir  à  Naples.  J'en  suis  ravi.  Noua  atten- 
dons d'un  moment  à  l'autre,  ici,  et  avec  la  dernière 
impatience,  la  peste.  Ou  compte,  comme  chose  sûre. 
Cet  hiver,  sur  la  famine  ;  attendez  donc  que  tout  cela 
soit  passé,  et  ensuite  venez  ;  et  si  vous  me  retrouvez, 
comptez  me  trouver  tel  que  vous  me  connaissez. 

Le  prince  PJgnatelli  est  de  retour  de  Sicile,  et  comme 
il  est  heureux  1  à  l'instant  le  Vésuve  vient  de  (aire  une 


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560  LETTBES  DE  GALIANI 

éruption  assez  gentille  et  point  malfaisante  ni  dange- 
reuse, pour  l'amuser  '. 

Voilà  nos  nouvelles.  Pour  les  miennes,  je  vous  as- 
sure qu'il  ne  peut  y  avoir  que  la  peste  qui  puisse  me 
fendre  la  gaieté  et  la  belle  humeur  :  car  je  suis  dans  un 
accablement,  un  vide  de  sentiment  mortel. 

Je  voulais  travailler  sur  Horace  ;  j'avais  commencé, 
et  puis  j'ai  laissé  là  mon  ouvn^e,  partie  par  accable- 
ment, partie  par  effet  de  l'excès  de  chaleur  que  nous 
avons  enduré  cette  année. 

Gatti  me  demande  toujours  de  vos  nouvelles.  Noua 
allons  reperdre  et  pour  toujours,  le  comte  de  Wilseck, 
qui  a  pris  ses  audiences  de  congé  avaat-hier. 

Mille  choses  de  ma  part  au  baron  de  Vanderten* 
tronk,  et  Je  suis  pour  la  vie  votre  très  humble  et  très 
obéissant  serviteur. 


1.  ■  Que  dit  l'abbé  Galiani  de  U  conduite  de  ton  petit  eousl-- 
Det  le  Vésuve?  Où  était-il  peodant  ce  temps  Uî  •  [Correspon- 
dance de  Catberine.j  —  L'impératrice  disait  en  recevant  ies 
lettres  de  Galiani  :  c  Je  suis  au  pied  du  Vésuve,  c'est-i-dlre  en 
face  d'une  lettre  de  l'abbé  Gallui.  > 


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LETTRES  DE  GALIANI 


Naples,  )ft  oclobre  tn». 

Madame, 

Le  prince  Pigoatclli  d'Egmont  est  parti  d'ici  avant- 
hier  ;  je  l'ui  rendu  dépositaire  de  mes  sentiments  pour 
vous  et  votre  incomparable  mère.  Comme  il  tie  compte 
pas  rester  beaucoup  de  temps  en  clieœin,  j'espère  que 
btentùt  il  pourra  s'acquitter  de  ma  commission,  et  vous 
peindre  le  terriblement  ennuyeux  état  démon  existence 
déplacée. 

Votre  charmante  lettre  que  j'ai  reçue  il  y  a  quinze 
jours,  et  qui  n'a  élé  suivie  d'aucune  autre  depuis,  était 
consolante  par  deux  promesses,  l'une  que  maman  se 
porterait  bien  avec  le  temps,  l'autre  que  vous  vien- 
driez me  voir  avec  le  temps.  Quand  est-ce  que  ces 
temps  arriveront? 

Jamais  vous  ne  m'avez  mandé  si  les  soixantcs  livres 
vous  avaient  été  payées  par  le  banquier  de  M.  Gatti,  et 
si  je  dois  l'en  rembourser  ici.  On  ne  finit  rien  avec  les 
malades,  cela  est  très  vrai. 


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ses     .  LETTRES  DE  GALIANl 

La  chaise  de  paille  autrefois,  aujourd'hui  chaise  du 
poste,  passera-t-elle  l'hiver  à  Paris,  ou  à  Saint-Péters- 
bourg, ou  en  Laponie?  Pourquoi  ne  m'écril-il  plus? 
U  sait  bien  le  besoin  qu'il  a  de  mes  réponses.  Dites-lui, 
je  vous  prie,  que  je  travaille  à  force  sur  Horace,  et  que, 
si  je  mourais  aujourd'hui,  on  trouverait  assez  de  quoi 
attraper  mes  principales  idées  et  découvertes  sur  cet 
auteur. 

Gatti  me  charge  de  vous  préseuter  toujours  ses  res- 
pects, il  s'ennuie  ici  presque  autant  que  moi,  lui  à  ne 
rien  faire,  moiù  faire  dus  riens;  mais  mes  riens  sont 
des  riens  dégoûtants,  et  son  rien  est  délicieux.  AtDsi 
il  a  presque  tort  de  s'entmyer. 

Vous  TOyez  comme  je  me  tourmente  pour  remplir 
ma  lettre  sans  pouvoir  en  venir  à  bout.  Mon  esprit 
appauvri  ne  me  fournit  plus  d'idées.  Celles  du  senti- 
ment de  reconnaissance  de  votre  amitié  pour  moi  vous 
sont  si  connues,  que  vous  bâilleriez  en  lisant  cette 
lettre,  si  je  voulais  m'y  appesantir.  Aimez-moi  donc, 
donnes-moi  de  bonnes  nouvelles  de  maman,  et  adieu. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALUNI 


Madame, 

)t  le  supprime,  disait  Soliman ,  dans  la  pièce  des 
Trois  Sultanes  ',  à  son  écuyer  tranchant,  et  je  vous  eu 
dis  autant  k  vous,  en  qualité  de  gaieti^e,  voob  ne 
v^ei  rien. 

Grimm,  l'adorable  Grimm  m'avait  écrit  quinze  jours 
auparavant  que  maman  se  portait  oiieai,  sans  qu'on 
y  eût  rien  fait,  et  cette  noiivelle  m'avait  coDSolé.  Vous 
changez  ma  joie  en  tristesse.  Laissez  donc  écrire  des 
nouvelles  de  sa  santé  au  baron,  pendule  oscillatoire  de 
Paris  à  SainIrPétersbourg.  Pour  vous,  continuei-moi 
les  nouvelles  politiques  et  littéraires.  Vous  êtes  char- 


1.  Let  Trois  Stittana,  remédie  en  trois  sctea,  en  fera  de  Faiart, 
représentée  pour  la  première  fois  à  Paris  sur  le  Tbéfttre'Italien 
le  9  avril  1761  et  sur  le  Thédlre-Francais  le  38  avril  tS03.  Le 
succès  des  Tfdis SuUaite4  Tut  des  plus  brillanif.  On  crut  voir  une 
allusion  aux  mœurs  de  la  cour.  Louis  XV  paralssail  Soit  bien 
CBraclérUé  daos  le  râle  de  Soliman  et  madame  de  Pomptdour 
dans  celui  de  Roielane. 


jbïGoogIc 


564  LETTRES  DE  GALIANI 

mante  dans  votre  style,  souvent  on  n'y  entend  rien,  taot 
mieux.  Cest  le  vrai  style  pour  écrire  les  riens  amusants. 
En  attendant,  je  vous  remercie  de  m'avoir  enfin  assuré 
'  que  les  soixante  francs  vous  étaient  remboursés  ;  s'il 
est  bien  vrai  que  maman  me  l'avait  mandé,  il  faut 
dire  que  quelqu'une  de  ses  lettres  s'est  égarée. 

Le  prince  PigDatelli  est  en  chemin  depuis  quinze 
Jours,  ainsi  je  ne  puis  rien  lui  dire  de  votre  part  ;  vous 
le  lui  direz  de  vive  voix,  puisqu'avant  Noël  il  compte 
£tre  à  Paris. 

LecomtedeWilseckest  fixé  ù  Milan,  et  perdu  à  jamais 
pour  Maples^  Gatti  est  fixé  à  Naples,  mais  c'est  comme 
s'il  n'y  était  pas.  11  végète  et  ne  s'occupe  qu'à  élouBer 
les  germes  du  raisonnement  qui  voudraient  éclore  en  lui 

Horace  me  prend,  comme  la  goutte,  par  des  accès 
qui  s'évanouissent  ensuite.  A  présent  je  n'y  songe  pas 
Ah!  que  mon  état  est  cnièl!  J'ai  un  vide  dans  l'&me, 
dans  la  tète,  dans  le  présent,  dans  l'avenir;  mais  ne  par- 
lons pas  de  cela.  —  Il  y  a  un  siècle  que  vous  ne  m'avez 
rien  mandé  de  Piccini  et  de  sa  musique.  Voudriez-vous 
bien  m'en  dire  quelque  cltose?  Aimez-moi,  soignez 
maman,  et  dites  à  vos  grands  enfante,  de  se  presser  de 
me  Venir  voir  à  Naples,  sans  quoi  ils  ne  me  retrouveront 
pas.  Adieu. 

P.  S.  —  Nous  sommes  à  la  veille  de  supprimer  les 
cliartreuK  ;  tout  le  monde  les  regnttc  et  avec  raison  ; 
ils  faisaient  de  si  grandes  omelettes  ! 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIAMI 


NaptRi,  1  Dovembro  ma. 

Ah  !  que  vous  avez  bou  nez,  ma  douce  vicomtesse, 
vous  avez  senti  d'abord  que  j'allais  vous  supprimCT,  et 
mSme  vous  rembourser  la  cliarge  de  gazetière  de  ma- 
man, si  vous  aviez  continué  sur  le  même  ton.  J'admets 
voira  rétraclatiûD,  pourvu  que  vous  persistiez  à  donner 
un  temps  froid,  beaucoup  de  sommeil,  force  opium, 
de  l'embonpoint  el  de  la  musique  italienne  ô  maman. 
C'est  assurément  Caribaldi  I  et  ia  Frascalana*  qui  l'ont 
guérie.  Or,  sachez  que  dans  le  même  temps  qu'on 
donnait  la  Frascatana  à  votre  Opéra,  on  l'a  donnée 
ici,  et  moi  qui  ne  savais  rien  de  ce  qui  se  passait  & 
Paris,  je  brûlais  du  désir  qu'on  y  jou&t  le  premier  finale 


1.  Carlbaldj,  premier  cbanieurde  l'Académie  royale  de  musique 
en  1778.11  arait,  dit  (irimm,  une  voix  eDchantereSBe,  uoe 
ai-ance  et  ua  naturel  remarquables  dans  eon  chant. 

t.  Opéra  bouffe  de  Paesiello,  on  le  joue  encore  en  Itaile.  Les 
situations  en  sont  vives  et  gaies,  le  chant  plein  de  grice  et  de 
taciliië. 


tbïGoogIc 


5«  LETTRES  DE  GALIANI 

et  surtout  le  morceau  Momenlo  pOt  futtesto  ;  et  je  disais 
en  moi-même  :  si  les  ParisieDS  entendent  ce  prodige 
des  effets  de  la  musique,  ils  en  deviendront  fous  ;  je 
disais  vrai,  Paesielto  est  ialiniment  plus  fort  que  Piccini, 
dans  le  contrapunto,  ainsi  il  est  plus  sûr  de  réussir, 
aidant  sa  nature  avec  l'art.  Au  reste,  il  y  a  des  mor- 
ceaux produits  par  la  nature  toute  pure,  par  les  mains 
de  Piecini,  que  ni  Paesiello,  ni  aucun  être  mortel  n'é- 
galeront jamais.  Le  duo  de  la  bwma  Figliuola,  et  le  duo 
de  la  pièce  A'Alessandro,  et  ud  certain  quintetto  dans 
une  pièce  napolitaine  appelée  /  Viaggiatori,  sont  trois 
morceaux  de  Piccini  qu'on  n'égalera  jamais;  mais  ces 
morceaux  sont  rares,  comme  vous  dites;  Piccini  n'est 
pas  sûr  de  réussir  toujours;  Paesiello  est  si  fort  en 
musique  qu'il  peut  tirer  parti  de  tout. 

Vous  attribuez  la  perte  de  la  gaieté  à  la  corruptioo 
des  moeurs;  j'aimerais  mieux  l'attribuer  à  l'augmenta- 
tion prodigieuse  de  nos  connaissances  ;  à  force  de  nous 
éclairer,  nous  avons  trouvé  plus  de  vide  que  de  plein, 
et,  au  fond,  nous  savons  qu'une  infinité  de  choses, 
regardées  comme  vraies  par  nos  pères,  sont  fausses, 
et  nous  en  savons  très  peu  de  vraies  qu'ils  igno- 
rassent. Ce  vide,  resté  dans  notre  âme  etdansnotre  ima- 
gination, est,  à  mon  avis,  la  véritable  cause  de  notre 
tristesse  : 

Le  raisoDDer  trUlement  s'accrédite; 
Ab  !  cro;ei-mai,  I*erreur  a  son  mérite. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI  567 

(]e  sont  les  plus  beaux  vers  et  la  pensée  la  plus  su- 
blime enfantée  par  l'iramorlel  Voltaire. 

De  grâce,  remerciez  le  grand  baron  de  sa  lettre  ;  dites- 
lui  qu'il  a  tort,  à  son  ordinaire.  Il  me  fait  des  reproches 
injustes.  Le  prince  Pignatelli  emporte  avec  lui  une 
copie  exacte  de  la  musique  de  Sacrale,  et  si  on  veut  la 
donner  à  Paris,  on  le  pourra  très  aisément.  Adieu. 


A      HADAHE     d'ÉPINAT 

N"  1,  après  Pâques,  jour  de  la  Résurrection. 

Nuples.  la  novembre  <7Ta. 

AJa  belle  dame. 

Je  vous  rends  les  titres  qui  sont  dus  à  votre  embon- 
point actuel. 

Voilà  enân  une  lettre  satisfaisante  :  vous  n'y  avez 
oublié  qu'une  seule  ehose,  c'est  de  me  remercier, 
comme  le  Sénat  de  Rome  à  ce  général  qui  perdit  la 
bataille  de  Cannes,  quod  de  RepubUea  non  desperaverit. 
Vous  savez  que  j'ai  été  le  seul  à  m'opinifttrer  sur 
l'opium  et  sur  la  force  de  votre  sexe,  autant  que  sur 


jbïGoogIc 


568  LETTRES  DE  GALIANI 

celle  de  votre  âme.  Galti  vous  rend  ses  compliments. 
11  croit  que  vous  étiez  ensorcelée,  et  qu'enfin  le  diable 
est  sorti  à  force  d'exorcisations.  Qu'il  s'en  aille  donc 
chez  soi,  et  nous  laisse  en  paix. 

Vous  possédez  encore  une  fois  le  baron  de  Gleicben. 
Dites-lui  qu'à  Naples  le  whist  a  pris  vogue  et  qu'il  trou- 
vera à  le  jouer  partout  ;  dites-lui  aussi  que  le  nommé 
Simon,  qui  était  à  son  service,  a  eu  le  malheur  d'élre 
condamné  aux  galères  pour  trois  ans,  sans  avoir  com- 
mis aucun  crime,  et  sans  avoir  rien  fail  d'extraordinaire. 
Ce  pauvre  diable  ne  fait  autre  chose  que  dédire  que 
si  le  baron  eût  été  ici,  cela  ne  lui  serait  point  ar- 
rivé, et  il  dit  vrai. 

Je  vous  prie  de  dire  à  la  chaise  de  paille  et  de  poste 
que  notre  ministre  destiné  pour  la  Russie  est  enfin  parti 
avant-hier  :  ainsi  nous  sommes  à  ta  veille  de  voir  arri- 
ver le  ministre  russe. 

Continue»-moi  les  bonnes  nouvelles  de  votre  santé. 
Ne  vous  flattez  point  d'en  avoir  de  moi  de  pareilles  sur 
l'état  de  ma  santé  spirituelle.  Ma  santé  corporelle  est 
passable. 

Adieu;  mes  compliments  à  la  douce  vicomtesse.  Elle 
a  eu  soin  de  m'écrire  bien  exactement,  mais  pas  bien 
fidèlement  l'état  de  votre  santé. 

Gatli  et  moi  nous  désirons  des  détails  sur  l'état 
actuel  du  baron  et  de  la  baronne  d'Iiotbach  et  de  leur 
famille. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI 


A    LA  HËUE 

NLiples,  13  janvier  I77t. 

Madame, 

Gatti  et  moi  nous  vous  remercions  des  détails  que 
vous  nous  avez  donnés  sur  la  famille  d'Holbach,  pour 
laquelle  nous  conservons  loutc  la  reconnaissance  et 
l'attachement  possible.  Je  me  fais  une  ffite  de  revoir 
le  jeune  d'Holbach,  et  assurément  cetlfl  vue  m'atteudrira 
jusqu'aux  larmes. 

Pourvu  que  vous  vous  portiez  bien,  qu'importe  que 
votre  machine  soit  incompréhensible.  L'homme  est  fait 
pour  jouir  des  effets  sans  pouvoii*  deviner  les  causes. 

Je  dine  ce  mat!»  avec  madame  de  Chabot.  J'y  plai- 
derai la  cause  de  Grlmm,  si  on  lui  donne  tort,  mais 
apparenmient  il  aura  raison.  N'est-il  pas  un  libre  baron  ? 
Il  est  donc  libre  de  faire  ce  qu'il  veut.  On  mo  mande 
de  Florence  que  Grimm  revient  à  Naplcs  ce  prin- 
temps. Serail-il  bien  vrai? 

Madame  de  Chabot  a  rencontré  l'hiver  le  plus  riant, 
le  plus  beau,  le  plus  serein  qu'on  ait  eu  depuis  long- 


jbïGooglc 


570  LETTRES  DE  GALIANI 

tcmpsàNapIes.  Elle  en  est  tellementextasiéeque  je  crains 
qu'elle  c'en  devienne  folle.  Le  ciel,  i'air,  les  vues  lui 
tiennent  lieu  de  spectacle,  de  bals,  de  sociétés  et,  quoi- 
que le  carnaval  doive  être  très  triste,  elle  en  passera 
une  partie  ici  croyant  jouir  de  tout. 

Mon  Horace  avancerait,  si  j'avais  des  bibliothèques 
ici  ;  mais  le  défaut  de  livres,  les  peines  qu'il  &ut  se 
donner  pour  s'en  procurer,  entrecoupeot,  retardent,  et 
me  dégoûtent  de  mon  ouvrage. 

Nous  venons  de  perdre  notre  madame  Geofii*in,  la 
princesse  de  Belmonte  la  douairière,  la  grande  amie 
de  Metastasio  ' .  Quelle  différence  entre  l'état  de 
l'esprit  humatù  à  Paris  et  à  Naples  !  Vous  avez  publié 
jusques  à  quatre  éloges  de  madame  Geolîrin,  vous  en 
avez  parlé  en  rimes  et  en  prose,  vous  en  avez  fait  re- 
lentir  l'univers.  Nous  n'avons  pas  dit  un  pater  et  un 
ave  à  madame  de  Belmonte.  Elle  est  rentrée  dans  l'ou- 
bli. C'est  dans  ce  pays  qu'il  faut  que  je  vive,  et  vous 
me  demandez  des  lettres  spirituelles,  et  Grimm  des 
ouvrages  par-dessus  le  marché  1 

Je  vous  prie  de  mes  tendres  compliments  à  ladouce    - 
vicomtesse.  Je  vous  prie  d'embrasser  Gletchen  de  ma 
part,  et  de  lui  dire  que  le  malheur  de  Simon  ne  le  dé- 


1.  La  princesse  de  Belmonte,  doaairière,  était  la  belle-mère  de 
la  charmante  piincesse  de  DeliuoDle,  dont  parle  si  soutenl  ma- 
dame de  Saussure  dans  son  journal  ;  sa  maison  était  le  rendei- 
vous  delà  soclélé  la  plus  disltoguée  de  Naples. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GAI.IANI  5T1 

courage  pas  de  venirà  Naples;  que  nous  ae  sommes 
devenus  Di  plus  rigoureux,  ni  plus  injustes,  ni  plus 
perséculeurs;  qu'en  toui  nous  traitons,  comme  de  cou- 
tume, assez  mal  les  misérables,  et  respectons  tes  riches. 
Adieu. 


Maplel,  il  lévrier  iV3. 

Voilà  bien  du  temps  écoulé,  ma  chère  dame,  sans 
aucune  nouvelle  de  vous.  Cela  commence  à  m'inquicter, 
malgré  les  assurances  positives  que  j'ai  eues  de  votre 
parfaite  guérison.  Mais  il  a  lait  ime  saison  si  extraor- 
dinaire, tout  le  monde  est  mort  de  froid  le  mois  passé  ; 
tout  le  monde  meurt  de  chaud  dans  ce  mois.  La  séche- 
resse a  tout  brûlé.  Les  aurores  boréales,  les  comètes, 
jusqu'aux  solstices  et  aux  équinoxes,  tout  a  paru  dans 
le  ciel  et  sur  la  terre.  Êles-vous  donc  morte,  ou  guérie, 
ou  malade  encore?  Enfin  parlez-donc,  et  mandez-moi 
positivement  la  cause  de  votre  silence. 

Pour  moi,  je  manque  toujours  de  matière  écrivable. 
Nous  venons  de  promulguer  une  sage  loi  par  laquelle 


jbïGoogIc 


57Î  LETTRES  DE  OALIAN'T 

le  crime  de  viol,  de  séduction  (xiuprum),  est  aboli  h 
jamais.  Quatorze  cents  personnes  dans  le  royaume  de 
Naples  sont  sorties  de  prison  par  l'effet  de  cette  loi 
salutaire.  Voyez  quelle  rage  de  stuprer  nous  avions, 
ou,  pour  mieux  dire,  quelle  rage  avaient  les  parents  et 
les  prêtres  consulleurs  de  forcer  les  hommes  au  ma- 
riage en  Jaissant  prostituer  les  filles.  Enlin  je  suis 
vTaiment  content  de  cette  loi,  qui  rétablira  les  mœurs 
avec  le  temps,  et,  pour  le  coup,  ramène  la  tranquillité 
publique. 

Je  vous  l'avais  prédit.  Je  ne  verrai  qu'une  seule  fois 
ou  deux  le  jeune  d'Holbach,  qui  a  paru  et  disparu  sur 
notre  horizon  comme  un  météore.  A  peine  cus-je  un 
moment  pour  causer  avec  lui  et  lui  demander  des 
nouvoiles  de  votre  famille  et  de  la  sienne.  Gattî  en  a 
un  peu  plus  joui,  ayant  plus  de  loisir  que  moi.  Le 
chevalier  Mozi,  k  qui  il  avait  été  recommandé  par 
Gleichen,  lui  a  rendu  les  petits  services  qu'il  a  pu.  £n 
tout  il  m'a  paru  assez  aimable,  plus  raisonnable  que 
je  ne  croyais,  mais  pas  encore  mûr.  Il  s'est  bien  com- 
porté ici,  et  mieux  que  les  Français  se  le  font  d'ordi- 
naire. Enfin  il  m'a  laissé  des  regrets  et  point  de  cha- 
grins dans  l'âme. 

La  chaise  posle  et  paille,  que  fait-elle?  Et  le  cher 
baron  de  Gleichen  qui  trouvera  à  Naples,  en  revenant, 
une  superbe  Tuilerie,  qui  sera  par  sa  position  la  plus 
belle  de  l'Europe,  que  dit-il  ?  Reviendra-t-il  nous  voir  ? 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  UALIANI  573 

Nous  attendons  cette  année  la  peste.  Si  elle  no  vient 
pas,  je  l'attends,  et  je  ne  serai  pas  fâclié  du  troc  de  lui 
contre  la  peste. 

Je  présente  mes  respects  à  la  douce  vicomtesse. 
Aimeï-moi,  et  croyez-moi  toujours  votre  très  humble 
et  obéissant  serviteur. 


A.    LA    MÊME 

Nuplea,  imari  ma. 

Voilà,  ma  chère  dame,  la  plus  belle  lettre  que  vous 
ayez  écrite  depuis  quatre  ans.  Elle  est  pleine  de  sauté, 
de  gaieté,  de  force.  Vive  l'opium,  et  vive  la  vieillesse, 
dirai-jo  aussi  1  car,  quoique  vous  n'y  soyez  pas  encore 
arrivée,  vous  allez  y  entrer;  et,  une  l'ois  que  vous  serez 
dedans,  vous  vous  enjambonnerez,  impresciultirete,  et 
resterez  salée  jusqu'à  quatre-vingt-dix  ans. 

J'avais  besoin  de  votre  lettre.  Je  passe  de  chagrin  en 
chagrin,  d'amertume  en  amertume.  Je  m'étais  donné 
une  furieuse  entorse  au  genou,  qui  m'a  obligé  de  res- 
ter-chez  moi,  une  quinzaine  de  jours,  à  m'eunuyer. 
L'envie  m'a  pris,  pour  inc  désennuyer,  de  faire  un 


jbïGoogIc 


57*  LETTRES  DE  GALiANI 

petit  vocabulaire  étymologique  des  ■  mots  du  jargon 
napolilaîn  '.  II  s'imprimera  sous  le  nom  de  quelqu'un, 
et  ne  laissera  pas  que  d'être  intéressant  et  bouffiin. 
Si  l'on  soupçoone  qu'il  est  de  moi,  on  le  persécutera, 
on  le  dércadra,  j'en  suis  bien  sur;  ainsi  gardez-moi 
le  secret. 

Je  suppose  que  la  chaise  de  paille  aura  reçu  ma  let- 
tre avec  l'inscription  latine  qu'il  m'avait  demandée; 
je  suis  bien  impatient  de  l'apprendre. 

Faites-vous  dire  par  le  baron  de  Gleichen,  ce  que 
c'est  que  milady  Orford  ',  et  combien  je  dois  aimer, 
après  vous,  celte  respectable  femme.  Eh  bien,  elle  est 
malade,  el  ce  n'est  pas  sans  danger,  voilà  une  autre 
cause  de  mes  tristesses  ;  mais  le  fond  vient  de  l'ennui, 
du  manque  de  société  convenable  et  raisonnable,  et 
<lu  tableau  effrayant  de  l'avenir. 

Est-il  vrai  que  Rousseau  laissât  les  mémoires  de 
sa  vie  en  manuscrit T  Existe-t-il,  ce  manuscrit?  L'im- 
primera-t-on  'î 

Gattiest  à  Caserte  :  rassurez-vous,  il  n'est  menacé 


1.  Voir  la  lettre  du  11  avril  1779. 

2.:  Milady  Orford,  bru  de  Robert  Walpole,  s'était  d'abord 
retirée  à  Florence,  puis  elle  st  Qia  i  riaples  dont  le  climai  lui 
CODTenait  benueoup.  Son  bâtel  éliiit  i  PUzo  Falcone,  le  lieu  de 
Naples  le  plus  ûlevÉ.  Elle  menait  grand  train  et  avait  deui 
maisons  de  campagne,  l'une  h  Pouzioles,  l'autre  il  Santo-Sorio 
au  pied  du  Vésuve,  tout  près  de  celle  que  possëdail  taliani. 

3.  11  s'agit  des  ConfisiioM. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI  575 

d'aucune  fortune  ici,  non  plus  que  moi.  Vous  connais- 
sez bien  peu  noire  pays,  pour  avoir  ces  sortes  de 
frayeur. 

Piccini,  que  fait-il? 

Aimez-EDoi,  et  tâchez  de  perfectionner  votre  santé. 
Le  cas  de  passer  nos  vieillesses  ensemble  n'est  pas  des 
plus  impossibles,  mais  il  le  deviendrait  si  nous  n'en- 
treprenons pas  de  vieillir.  Adieu.  Je  vous  prie  d'em- 
brasser l'aimable  Zurkmantel  ',  si  vous  pouvez,  attendu 
la  circouférence  de  son  ventre.  Il  mérite  pourtant  qu'on 
fasse  UQ  effort  des  bras  pour  cela,  car  il  est  aimable 
au  possible.  Adieu. 


t.  Le  baron  de  Zuckmanlel  avait  été  ambassadeur  de  Praoce 
à  Venise.  Le  roi  lui  demande  un  jour  de  combien  de  membres  le 
Congeil  des  Dit  était  composé  :  «  De  quarante,  sire,  répondit-il 
sans  hésiter,  n  Le  baroD  avait  parlé  sans  réfléchir,  partant 
de  ce  principe  qu'on  duit  toujours  répondre  immédiatement  k 
roi  du  reste  n'y  Ht  pas  attention  et  eut 
r  la  plirase  du  baron  toute  naturelle. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANl 


Oui,  ma  chère  dame,  vous  avez  bien  pénétré  les  recoîDS 
de  mon  cœur,  pour  vous  être  aperçue  du  ton  de  tristesse 
qui  s'y  trouve  dans  le  foud  et  qui  obscurcit  mes  lettres. 
Depuis  ce  désastre  qui  vous  est  connu,  le  temps  a  dis> 
sipé  les  douleurs,  mais  il  m'est  resté  une  espèce 
d'apathie  et  d'ennui.  L'état  actuel  des  lettres,  des  es- 
prits, des  événements  de  ma  patrie,  l'a  augmentée.  Je 
deviens  tous  les  jours  plus  déplacé  dans  ce  pays.  Je 
déplais  aux  gens  en  charge,  et  aux  gens  de  lettres.  La 
mort  m'enlève  des  amis  ;  les  révolutions  de  la  cour  me 
substituent  des  ennemis  cachés,  des  envieux,  des  espèces 
méchantes  et  ennuyeuses. 

Je  ne  sais  pas  si  je  vous  ai  mandé  que  je  m'étais 
donné  une  entorse  au  genou,  qui  m'obligea  à  garder 
la  maison  quinze  jours;  ne  sachant  que  faire  pour  me 
désennuyer,  et  ne  pouvant  pas  continuer  mon  travail 
sur  Horace,  faute  de  livres  et  de  secours,  j'ai  entrepris 
un  ouvrage  dont  Diderot  me  donna  l'idée.  J'y  ai  tra^ 


jbïGoogIc 


LETTRES  UE  (lAIJANI  577 

vaille  un  mois  et  il  u*est  pas  loin  de  paraître  imprime. 
Je  suis  obligé  de  garder  le  plus  grand  secret,  sans 
quoi  on  ic  dérendrait,  comme  il  arriva  de  la  pièce  de 
Socrate  :  c'est  à  vous  seule  que  je  m'ouvre.  J'ai  entre- 
pris un  dictionnaire  du  dialecte  napolitain,  avec  des 
recherches  étymologiques  et  historiques,  sur  les  mots 
particuliers  à  notre  jargon  '.Ce  livre  sera  curieux,  et 
utile  à  mon  pnys,  au  reste,  plaisant  au  dernier  gré 
pour  ceux  qui  entendent  notre  dialecte.  Il  m'a  coûté 
peu  de  peine,  mais  beaucoup  de  temps,  et  voilà  une 
raison  pour  laquelle  je  ne  vous  ai  point  écrit  depuis 
quelques  semaines;  et  si  vous  me  voyez  rester  dans  le 
silence,  pendant  quelques  autres  semaines,  vous  en 
savez  la  raison,  que  je  vous  prie  pourtant  de  cacher 
jusqu'à  tant  que  l'ouvrage  paraisse. 

Je  suis  fâché  de  votre  chagrin  sur  le  veuvage  de  ma- 
dame de  la  Live  ';  pour  lui,  je  crois  qu'il  a  bien  fait 
de  mourir. 

Continuez  vos  ouvrages.  C'est  une  preuve  d'attache- 
ment à  la  vie  que  de  composer  des  livres. 

1.  Le  livre  de  Galiaai  fui  publié  en  1779  soiis  le  titre  :  Det 
DMetto  Napotelaito;  puis  Tabbé  composa  aussiiât  après  un  se- 
cond ouvrage,  desUn6  i  compléter  le  premier,  intitulé:  Vocabola- 
rio  dette  parole  det  Dialetto  Napolatano;  cette  seconde  partie  ne 
Tut  publiée  qu'après  m  mort. 

3.  H.  de  la  Llve  de  Jully,  frère  de  51.  d'Épinay,  était  mon. 
Il  avait  une  des  plus  belles  collections  de  tableiui  et  d'objets 
d'nrt  du  dii-huilième  siècle.  On  a  de  lut  un  excellent  portrait 
qui  appartient  k  madame  la  comtesse  de  Goyon  el  qui  a  Hguré 
à  l'exposition  en  Taveur  des  Alsaciens-Lorrains  en  1874. 


jbïGoogIc 


578  LETTRES  DE  GALIASl 

Je  dois  uoe  réponse  au  t>aron  du  Saint-Empire*; 
mais  il  m'a  tant  fait  attendre  les  siennes  quelquefois, 
qu'il  n'y  a  pas  grand  mal  qu'il  m'attende  à  son  tour. 

Ces  maudits  Américains  vous  ont  engagés  dans  une 
guerre  ruineuse  *. 

Tantœ  moîis  erat  Americanam  condere  geniem  ! 

Adieu. 


A    LA    HÈMK 


Mpl».  («juin  W1S. 
Madame, 

Lorsque  je  vous  ai  mandé  que,  m' étant  mis  à  impri- 
mer un  ouvrage,  je  serais  moins  exact  à  vous  écrire, 
je  ne  m'attendais  pas  que,  de  votre  cAté  aussi,  les 
lettres  auraient  cessé  tout  à  coup.  Est-ce  que  vous  im- 

1.  Brlmm. 

±  La  prise  de  PonilicliÉry  et  la  malheureuse  .eipédiUon  de 
SBinte-Lucie  ÉUienl  alors  le  sujei  de  grare*  préoccupatians  i 
Pari».  Cependant  on  ne  put  s'empéchet  d'en  plaisanter  en  dt- 
unt  que  si  jamais  od  dannalt  le  bAton  de  maréctiat  t  H.  d'Eï- 
taing,  qui  commandait  la  flotte,  il  ne  serait  pas  de  bois  de  Saiate- 


jbïGooglc 


LETTRES  UE  UALIAM  57» 

primez  RUBsi?  Vous  auriez  du  moins  dû  m'en  avertir, 
pour  me  tirer  d'inquiétude.  Et  la  chaise  de  paille  im- 
prime aussi  T  Et  votre  aimable  fille?  Tout  le  monde 
imprime  donc  1  Enfin,  mandes-moi  la  raison  de  votre 
silence  absolu  ;  je  ne  le  compreuds  pas,  en  vérité. 

Mon  ouvrage  va  très  lentement  dans  les  mains  d'un 
imprimeur  boiteux.  Vous  n'avez  pas  idée  de  ce  que 
c'est  qu'un  imprimeur  napolitain.  La  typographie  a 
sùremenl  fait  plus  de  progrès  cbes  les  Hotleatots.  Dieu, 
quelle'  peine  !  quel  travail  1  Au  bout  d'un  mois  j'en  suis 
à  la  seconde  feuille  tirée.  L'ouvrage  sera  au  moins  de 
vingt  feuilles;  ainsi  juges  que  eela  va  durer  tout  le 
reste  de  ma  vie. 

Je  ne  sais  plus  que  vous  mander,  si  vous  ne  soute- 
nez pas  l«  dialogue  de  votre  côté.  Aimez-moi  ;  portez^ 
vous  bien  et  ne  m'oubliez  pas  entièrement,  comme 
votre  silence  parait  l'annoncer.  Adieu. 


Vous  ne  sauriez,  madame,  vous  imaginer  le  contraste 
des  sensations   qu'a   causées  dans  mon    flme    votre 


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Ô80  LETTRES  DE  (iALlAM 

demière  lettre  du  3.  Lorsque  mon  domestique  me 
l'apporta  de  la  poste,  je  descendais  un  escalier,  et  je 
n'avais  pas  le  temps  de  l'ouvrir.  En  voyant  l'envelt^pe 
toute  écrite  de  votre  main,  )a  joie  paraissait  sur  mon 
visage,  et,  ce  qui  est  bien  plus  dr61e,  sans  l'avoir  lue, 
j'arrangeais  dans  ma  létc  la  réponse,  et  je  vous  Télici- 
lats,  je  me  l'élicitais,  je  plaisantais.  Enfin  le  temps  de  la 
lire  arriva.  Qu'avais-je  affaire  de  la  lire  ?  Quelle  sottise 
ai-je  faite  î  Ne  pouvais-je  pas  m'en  tenir  k  ce  que 
disait  l'adresse  de  l'enveloppe? 

Cet  opium  vomi  m'assomme  ;  essayez  donc  le  musc  : 
voilà  mon  dernier  mot.  Médicamentez-vous  à  reboor:» 
de  toutes  les  autres  médecines,  puisque  vous  êtes  une 
femme  si  différente  de  toutes  les  autres. 

Kien  n'est  plus  jusle  que  vous  vous  dispensiez  d'en- 
trer en  détail  de  nouvelles  politiques  avec  moi.  Cepen- 
dant, comme  nous  sommes  dans  une  année  qui  sera  la 
plus  mémorable  pour  les  siècles  à  venir,  s'il  arri- 
vait quelque  grand  événement,  tel  qu'une  bataille, 
un  débarquement,  etc.,  annoncez-le-moi  en  trois 
mots,  pour  que  je  puisse,  sur  votre  indication,  cher- 
cher it  le  savoir  en  détail  *. 

Grimm  ne  m'écrit  plus  ;  dites-lui  qu'enfin  le  comte 

I.  L'appui  que  la  France préUitautËtats-Utiu d'Amérique  arail 
amené  «ne  rupture  entre  l'Angleierre  et  la  France  (1778).  On 
se  bnllait  sur  mer  députa  un  an  déjà  et  on  s'attendait  i  de 
graveii  éTénemeots. 


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LETTRES  DE   fiALfANI  TM 

de  Borck,  Polonais,  part  de  Florence  pour  aller  h 
Paris,  et  me  demande  encore  une  fois,  avec  instance, 
de  le  lui  recommander.  Je  le  recommande  donc,  et 
j'espère  qu'ils  seront  bien  contents  de  s'être  connus. 

Mon  ouvrage  napolitain  n'est  qu'à  la  cinquième 
leuille  tirée:  Dieu  sait  s'il  vous  amusera;  je  le  fais 
parce  qu'il  ne  me  coûte  aucun  travail  ;  je  ne  souffre 
que  des  impatiences  que  me  donnent  ces  maudits  im- 
primeurs . 

Gatti  vous  dit  raille  choses.  Aimez-moi,  et  croyez* 
moi,  pour  la  vie,  voire  très  humble,  etc. 


Madame, 

Ëli  bien  !  qu'est-ce  que  cela  veut  dire  ?  Je  ne  revois 
plus  de  nouvelles  de  vous,  ni  de  personne  de  mes 
amis  de  Paris.  Gatti  n'en  sait  rien  non  plus.  Il  est 
bien  vrai  que  je  vous  avais  annoncé  une  occupa- 
lion  qui  m'aurait  empêché  de  répondre  régulière- 
ment.  Grâce  à  ,Dieu,  ma  petite   brochure   est    im-  . 


jbïGoogIc 


582  LETTRES  DE  G.VLIANI 

primée  et  paraîtra  après-demain.  J'«o  attendrai  le 
succès  pour  me  déterminer  si  je  dois  publier  la 
seconde  partie,  contenant  le  dictionnaire  de  mon 
dialecte;  ainsi  pendant  deux  ou  trois  mois,  je  serai 
désoeuvré.  Reprenons  donc  notre  correspondanco,  si 
votre  santé  vous  le  permet  ;  votre  aimable  fille  ne  peut- 
elle  plus  TOUS  aider  en  cela  t 

J'enverrai,  ou  pour  mieux  dire,  je  ferai  envoyer 
sous  l'enveloppe  de  M.  de  Sartine,  un  exemplaire  de 
ma  brocburo  à  la  chaise  de  paille  ;  daignes  donc  l'en 
prévenir,  il  me  parait  impossible  qu'il  puisse  ta  goûter. 
Cependant  c'est  à  voir.  En  tout,  je  suis  d'avis  qu'un 
ouvrage,  qui  contient  des  fkits,  et  des  Taits  peu 
connus,  et  prêts  à  tomber  dans  l'oubli,  est  tou- 
jours un  ouvrage  utile,  et  c'est  ce  qui  me  console  dans 
mon  travail. 

Je  vous  avais  suppliée  de  m'indiquer,  en  fait  de 
nouvelles,  tes  grands  événements  publics.  Nous  som- 
mes arrivés  à  une  époque  dont  on  ne  trouvera  pas  la 
pareille  dans  l'histoire  des  temps  passés.  La  seconde 
guerre  Punique,  même,  n'est  qu'une  vraie  pétarade 
vis-à-vis  de  l'année  177t).  Ainsi  il  faudrait  être  stupide 
pour  n'i^trc  pas  curieux.  11  est  vrai  que  je  ne  puis  pas 
encore  vous  reprocher  do  n'avoir  pas  satisfait  ma 
prière,  car  rien  de  grand  n'est  encore  arrivé;  mais 
nous  l'attendons  à  tout  instant,  et  ce  n'est  plus 
l'empire  de  l'Italie  et  de  la  Méditeimnée  qu'on  va 


jbïGoogIc 


LETTRES  UE  f.ALlAMl  583 

décider,  c'est  l'empire  du  globe  entier.  J'espère 
donc  que  vous  daignerez  m'indiquer,  eu  peu  de  mots, 
ce  que  je  dois  ensuite  chercher  à  mieux  savoir. 

Aimez-moi,  même  si  vous  m'écrivez  peu.  Mille  choses 
à  la  chaise  de  paille.  Adieu. 


'   '    DIDEROT    A    UALIANI 


Monsieur  et  très  aimable  abbé, 

M.  do  Jtteuiiier,  qui  vous  présentera  ce  billet,  est  le, 
debout,  à  côté  de  ma  table,  en  bottes,  le  fouet  à  la 
main,  tout  prêt  à  partir,  et  bien  résolu  de  ne  partir 
qu'avec  un  mot  de  moi  qui  vous  le  recommande. 
M.  de  Meunier  est  homm^  de  lettres,  homme  d'esprit, 
honnête  hommç,  c'est  l'ami  de  vos  amis.  Il  voyage 
par  curiosité.  Je  vous  supplie  de  lui  rendre  tous  les 
bons  offices  qu'un  de  vos  protégés  obtiendrait  de  moi. 
Je  vous  salue,  je  vous  embrasse.  Si  vous  ne  pt^nsez  pas 

I.  |n«diL«.  ColJection  de  mademoiselle  Herpin. 


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&84  LETTRES  DE  GALIAM 

quelquefois  à  des  hommes  qui  ne  vous  oublieront 
jamais,  parce  que  personne  ne  remplira  jamais  le  vide 
que  vous  avez  laissé  dans  leur  société,  vous  êtes  le 
plus  ingrat  de  la  race  humaine. 


A    MADAME    d'ÉPINAY 

Nsplei,  -IS  man  17R0. 

Ikfadaine,  vous  ne  sauriez  imaginer  le  plaisir  que 
m'a  causé  une  lettre  de  vous,  qui  me  parle  de  toute 
autre  chose  que  de  votre  santé.  Il  est  vrai  que  le  sujet 
de  votre  lettre  ne  m'intéresse  guère,  et  m'embarrasse 
un  peu  ;  mais  enfin  puisque  vous  regrettez  si  fort  une 
défunte,  c'est  une  preuve  que  vous  sentez  en  vous- 
même  que  vous  n'allez  pas  la  suivre.  Ainsi  soit-il.  Je 
tâcherai  de  vous  servir  de  mon  mieux,  mais  donnez-moi 
un  peu  de  temps,  une  quinzaine  de  jours. 

Faites-moi  l'amitié  de  dire  à  la  chaise  de  paille  que 
j'ai  reçu  de  Rome  la  carte  de  Sicile  où  mon  inscrip- 
tion se  trouve  gravée.  M.  le  conseiller  Reiffenstein 
s'est  donné  tous  les  soins  pour  me  l'envoyer  montée. 


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LETTRES  DE  r.VLUNI  585 

coloriée,  embellie  nu  psssibte  :  malgré  cela,  elle  est 
très  faiblement  gravée  *. 

Que  TOUS  dîrai-je  de  moi  t  Je  ne  fais  rien  ou  pres- 
que rien.  Je  fais  réimprimer  mon  ouvrage  sur  la 
.Vonnaie ,  j'ai  promis,  dans  la  préface,  d'y  ajouter  des 
not«s,  mais  peut-être  n'en  ferai-je  rien  '. 

Gatti  végète  ici  tout  comme  moi.  Quel  climat 
paresseux!  On  ne  fait  qu'imprimer  des  satires  san- 
glantes contre  moi.  Heureusement  le  public  est  de  mon 
côté,  et  les  auteurs  de  ces  satires  sont  dans  le  dernier 
mépris.  Toute  cette  colère  est  venue  d'une  certaine 
académie  des  sciences,  qu'on  croit  avoir  établie  ici, 
dont  j'ai  dédaigné  d'être  membre,  aussi  bien  que 
quelques  autres  hommes  qui  l'ont  également  dédaignée. 
Cette  académie  a  débuté  par  vouloir  faire  une  thériaque 
excellente  et  supérieure  à  celle  de  Venise,  et  par  vouloir 
obliger  par  force  les  apothicaires  de  l'acheter.  Vous 
jugerez  par  là  du  ton  de  cette  académie,  qui  est  établie 

t.  Le  baroD  de  ReilTeDslein,  né  dans  la  LithusDie  prussienue, 
flt  ses  études  à  Kœnigsberg  ,-  il  vnjragea  de.  1761  k  1762  avec 
le  comte  Linar,  se  lin  à  Bume  avec  Winckelmann  et  l]iill  par 
s'établir  dans  cette  ville.  Il  a  publiË  en  allemand  plusienrs 
ourrages  relatifi  aux  arts  et  b  la  littérature.  Il  est  mort  le 
13  oclabra  1783.  L'impératrice  Catberïnc,  qui  tenait  Reiffenstein 
ca  grande  estime,  l'avait  nommé  conseiller  et  le  chargeait  de 
toutes  ses  acquisitions  d'objets  d'arien  Italie.  [Coirespondancede 
Catherine  II  avec  nrimm.) 

3.  Gallani  ■  ^onté  quatone  DOt«s  fort  Intéressantes  ;  cette  se- 
conde édition  a  donc  beaucoup  plus  de  prii  aui  yeui  des  biblio- 
philes. 


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586  LETTRES  DE  C.ALIANI 

bien  plus  pour  un  objet  de  finance  que  pour  le  progrès 
du  savoir  humaiu.  Je  sais  que  l'année  passée,  lors- 
qu'on voulut  fonder  cette  académie  ici,  ou  écrivit  à 
d'Alembert  et  ù  d'âuLres  en  France,  pour  leur  aononcer 
qu'on  les  avait  créée  membres  hoDoraires.  Faites-moi 
l'amitié  de  me  mander  si  d'Alembert  et  les  autres 
acceptèrent  cet  honneur  et  qu'esU-ce  qu'ils  ont  répoadu  ? 
On  a  gardé  ici  le  plus  profond  silcoce  sur  leurs  ré- 
ponses; ainsi  tâchez  de  me  faire  savoir  ce  qui  eu  est. 

Embrassez-moi  Diderot  et  les  autres  amis.  Remer- 
ciez de  ma  part  Caraccioli  du  bieo  qu'il  a  dit  de 
ma  petite  brochure  sur  le  dialecle  napolitain.  Tâchez 
de  me  donner  quelque  nouvelle  intéressante.  Je  ne  vous 
eu  demande  plus  de  politiques.  La  guerre  me  parait 
finie.  On  traînera  encore  une  campagne;  cependant 
les  Américains  s'ari'aogeront  le  mieux  qu'ils  pourront, 
et  lorsqu'ils  se  seront  arrangés,  la  médiation  russe 
arrangera  l'Europe. 

Je  souhaiterais  savoir  si  le  vieux  M.  Pellerin,  l'anti- 
quaire, est  encore  vivant'. 

Si  vous  pouvez  faire  parvenir  des  nouvelles  de  moi 


1.  H.  PelleHn  ne  mourut  qu'es  ITBl,  dgé  de  99  ans.  ■  Il  «fait 
travaillé  l'art  numismatique  avec  beaucoup  de  succëi  et  èlBft  une 
merveille  d'érudllloa  en  ce  genre.  Les  savants  étrangers  allaient 
le  voir  autant  pour  son  cabinet  que  pour  lui-même,  i  iBaelwu- 
tnont.)  —  Galiaui,  qui  i,  Péris  Était  fort  lié  avec  lui,  aiail  cooti- 
nué  une  correspondance  asseï  suivie,  et  il  a  iaiisé  une  petite 
liollce  restée  înÉdite  sur  les  mÉdailles  de  Pellerin, 


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LETTRES  DB  RALUNl  MT 

à  midemoiaelle  Clairon,  et  m'en  donner  d'allé,  vous  me 
ferez  plaisir.  Le  temps  effaoo  les  petits  «iltonB,  mais  les 
profondes  gravures  restent.  Je  sais  à  présent  par- 
faitement quelles  sont  les  personnes  qui  m'ont  le  plus 
intéressé  à  Paris  ;  dans  les  premières  années,  je  ne  les 
distinguais  pas. 
Adieu, 


Naples,  S  Juin  itso. 

Madame,  votre  dernière  lettre  est  du  SI  février  :  cela 
fait  trois  mois  juste  que  vous  ne  m'avez  donné  aucune 
nouvelle  de  votre  santé.  Grimm  non  plus.  Personne 
ne  m'écrit  plus  de  Paris.  A  la  fin,  le  temps  a  opéré  et 
gagné  la  bataille.  Mais  pourquoi  désespérez-vous  de 
me  revoir  ?  Vous  allez  revoir  Magallon,  car  je  ne  doute 
pas  que,  dans  son  voyage  à  Parme,  il  ne  prenne  le 
détour  de  Paris.  le  vais  revoir  Caraccioli  et  j'en  suis 
comblé  de  joie.  Je  ne  le  crois  pas  aussi  joyeux  qui: 
moi.  Grand   Dieu  !  qu'est-ce  qu'il  y  a  donc  dans  ce 


jbïGoogIc 


58K  LETTRES  DE  GALIAM 

Paris  enchanteur,  qu'on  soit  au  désespoir  de  )e  quitter 

pour  la  vice-royauté  de  Sicile  '  ! 

Je  vous  avais  priée  de  n>e  mander  si  d'Alembert 
avait  accepté  d'être  membre  d'une  certaine  académie 
qu'on  vient  de  fonder  ici,  ou  ce  qu'il  avait  répondu. 
Urimm  aurait  dû  me  mander  la  réussite  d'une 
certaine  médaille.  Moi,  de  mon  cAté,  j'aurais  dû  vous 
envoyer  une  inscription  pourjmadame  de  Pernon'. 
Vous  croyez  que  je  l'ai  oubliée  :  point  du  tout.  Depuis 
trois  mois  votre  lettre  est  sur  ma  table  et  j'ai  réré 
souvent  à  vous  satisfaire.  Il  m'a  été  impossible.  Vous 
n'avAZ  pas  idée  de  l'état  de  ma  pauvre  tête  et  de 
mon  pauvre  cœur.  Des  ouvrages  à  réimprimer  aug- 
mentés, des  procès,  des  remontrances  éternelles  à 
faire,  des  plaideurs  à  écouter,  des  persécutions  à  la 
cour,  la  canaille  des  gens  de  lettres  révoltée  contre 
trois  ou  quatre  vrais  savants,  à  la  tète  desquels  on  me 
mol;  une  infinité  de  chagrins  domestiques,  ma 
maîtresse  malade  pendant  deux  mois,  un  cheval  mort, 


I.  Louis  XVI  rélicilail  Caraccioli  de  »  oomliiitjon  de  vice-mi 
de  Sicile  et  lui  disail  :  ■  Vous  allez  occuper,  Monsieur,  une  des 
pins  belles  places  de  l'Europe.  »  Caraccioli  rùpoudit  Irislement: 
<t  Hélas ,  sire,  la  plus  belle  place  de  l'Europe  est  celle  que  je 
quille,  c'est  la  place  Vendôme.  » 

1.  Madame  de  Peruou  âtait  aile  de  M.  Savaletle  de  Uagnaa- 
ville,  garde  du  Trésor  rojsl;  il  habitait  l'ëtâ  le  cbileau  de  la 
Chevrette  où  il  avait  uu  thëitre  de  sociÉlë  devenu  célèbre.  M.  de 
Magnanville  Étail  voisin  de  campagne  de  madame  d'Ëpînay 
el  ces  daines  élaienl  fort  liées. 


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LETTRES  DE  UALIAM  589 

un  voyage  fait  pour  voir  uoe  sœur  abbessc  de  la  Visi- 
lation  de  Saiat-Geoi^s  :  voilà  une  esquisse  de  mou 
JQcroyable  situation. 

Ue  voyant  bors  d'état  de  vous  satisfaire,  j'avais 
char^  Tabbé  Ignarra,  l'élève  de  Hazzocchi,  le  grand 
faiseur  d'inscriptions  chez  nous,  de  la  faire  à  ma 
plac^.  Il  y  a  plus  de  deux  mois  qu'il  s'en  est  acquitté. 
Elle  est  sur  ma  table,  elle  ne  ma  satisfait  guère  :  elle 
u'est  ni  tendre  ni  touchante,  elle  n'est  que  latiiu. 
J'aurais  voulu  la  retoucher  :  même  impossibilité.  Enfin 
je  vous  l'envoie  telle  quelle  en  son  original,  et  ce  n'est 
que  pour  vous  prouver  que  je  ne  tous  avais  point 
oubliée*. 

Vous  pouvez  me  répondre,  je  me  (latte  d'avoir  d'oras 
on  avant  un  peu  plus  de  loisir.  La  réimpression  de 
l'ouvrage  de  la  Monnaie  est  à  sa  fïu,  et  celle  du  Dia- 
lecte Napolitain  ira  plus  lentement. 

Embrassez  de  ma  part  votre  chère  lille,  mes  amis, 
les  d'Holbach  surtout;  et,  pour  ce  soir,  adieu. 

1.  Voir  l'appendice  XX. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIAH! 


Maples,  11  juillel  nSD. 

8i  vous  considérez,  ma  chère  dame,  combien  l'amOur 
est  craintif  de  sa  nalure,  et  que  la  peur  nous  fait  tou- 
jours songer  k  ce  qu'il  ;  a  de  plus  triste,  vous  conce- 
vrez aisément  que  votre  lettre  désolante  du  3  m'a  rem* 
pli  de  consolation.  Vous  n'avez  pas  la  force  de  dicter, 
mais  vous  dictez  avec  force.  Eh  bien  !  espérons  donc 
sur  cette  force  d'esprit.  Il  est  bien  vrai  que  l'Ame  est 
quelque  chose  de  différent  du  corps:  mais  c'est 
comme  la  crème  diffère  du  lait,  la  mousse  du  chocolat, 
l'eaunie-vie  du  vin  ;  l'essence  du  corps  devient  esprit, 
et  puisque  votre  corps  donne  encore  un  si  puissant 
esprit,  j'en  conclus  qu'il  u'esl  pas  g&té  tout  &  fait. 

Peste  soit  des  Américains,  des  guerres,  des  tlotLes 
et  des  arrangements  de  linances  qui  m'ont  enlevé  un 
aussi  bon  et  aimable  secrétaire  ! 

Je  plains  M.  Necker  sans  le  maudire.  Obligé  d'être  un 
joueur  de  gobelets,  il  faut  qu'il  fasfc  croire  qu'il  n'a 
pas  mis  des  impôts.  Mais  poiut 'd'argent  sans  impôts. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIAM  591 

Tout  ce  qui  nous  pèse  est  un  impAt,  et  tout  poids  qui 
tombe  sur  une  ceatième  partie  des  sujets,  au  bout  d'un 
an,  est  uq  impAl  général.  Au  bout  de  ce  temps  l'illu- 
sion disparait,  le  Jeu  des  gobelets  est  découvert,  et  un 
homme  qui  paraissait  ua  auge  ou  un  alchimiste,  etc., 
redevient  homme  sans  pierre  phîlosophale,  sans  ad- 
mirateurs; et,  ce  qui  pis  est,  sans  rencontrer  souvent' 
des  hommes  justes  et  raisonnables,  qui  ne  lui  fassent 
pas  un  crime  de  n'avoir  pas  fait  l'impossible.  L'hon- 
neur de  M.  Necker  exige  une  paix  au  plus  tôt.  Ceftx  qui 
ont  cru  qu'on  pouvait  avaler  l'Angleterre  auront  du 
moins  avoué  que  l'os  était  trop  dur  '.  Heureux  les 
Français,  si  cette  expérience  leur  a  prouvé  qu'il 
suffit  que  leur  roi  soit  le  Jupiter  de  l'Europe  ;  que  cela 
n'empËche  pas  qu'un  autre  eu  soit  le  Neptune,  un  troi- 
sième le  Pluton,  un  quatrième  le  Mars,  une  cinquième 
Cybèie;  et  qu'il  y  ait  dans  l'Olympe  une  foule  de 
petits  dieux  et  de  demi-déesses.  Rétablissons  le  poly- 
théisme pour  le  bien  de  la  paix. 

Vous  avez  raison;  le  temps  n'a  rîea  opéré  sur  vous, 
et  si  j'avais  dit  ce  blasphème  exécrable,  je  mériterais 
le  l'ouet;  mais  c'est  à  Grimm,  d'Holbach  et  tant  d'au- 
tres que  ma  télé  rêvait  lorsque  j'ai  fait  cette  triste 
médilation.  Vous  prétendez  justifier  la  chaise  de  paille 
en  me  disant  qu'il  a  beaucoup  d'affaires.  Mais  moi, 

1.  Lei  Qottes  frinçaiieii  avaient  estu/ë  de  nombreux  échecs. 


jbïGoogIc 


59f  LETTRES  DE  CALI.VM 

JL' suis  aussi  une  aHaîre  pour  lui.  Pourquoi  ne  se 
t'ail-il  pas  une  affairo  aussi  de  m' écrire?  Est-ce  que 
toutes  les  affaires  qu'il  a  valent  mieux  que  de  m'é- 
crire  quelquefois?  Avouez,  il  est  impardonnable.  Si 
vous  ne  voyez  pas  Hagallon  aussitôt,  puisqu'il  est  en 
mouvement  sur  ta  surface  de  l'Europe,  ni  vous  ni 
moi  nous  ne  devons  pas  désespérer  du  le  revoir. 

Caraccioli  vous  quittera  dans  quelques  mois.  Il  a 
reçu  la  seule  marque  de  distinction  qui  lui  manquait, 
la  clef  de  chambellan  d'exercice. 

Je  crois  vous  avoir  mandé  que  j'ai  fait  réimprimer 
mon  ancien  ouvrage  italien  Sulla  Moneta  ;  j'y  ai  ajouté 
des  notes,  et  dans  une  de  ces  notes,  j'ai  répondu 
avec  le  langage  de  l'amitié  à  l'abbé  Morellet.  Si  je 
savais  quelque  moyen  de  vous  en  faire  parvenir  un 
exemplaire,  je  ne  manquerais  pas  de  vous  expédier 
l'ouvrage;  en  attendant,  je  vous  envoie  la  demi-page 
oh  il  est  question  de  l'abbé  Morellet.  Aimez-moi; 
ordonnez  à  Grimm  de  m'écrire.  Adieu. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIAN! 


'  A    H.  GillHM 


Que  de  mauvaises  défaites,  mon  cher  silencieux, 
vous  itie  donaez  pour  des  raisons  de  votre  silence  ! 
Vous  dîtes  que  les  éeriturcs  vous  assomment,  et  vous 
ne  savez  la  plupart  du  temps  par  où  commencer.  Je 
vous  l'apprendrai.  Commencez  par  l'impératrice,  en- 
suite par  moi.  Vous  vous  en  trouverez  bien  et  moi 
aussi. 

A  qui  pourrait-on  persuader  jamais  qu'à  Mohilof  les 
deux  plus  grands  êtres  du  monde  ont  parlé  d'un  petit 
habitant  de  Naples,  que  tous  les  deux  n'ont  jamais 
vu  '  !  Y  a-t-il  rien  de  plus  étrange  et  de  plus  incroya- 
ble? C'est  pourtant  vrai,  mais  si  l'on  venait  à  le 
divulguer,  cela  ne  pourrait  servir  qu'à  m'attirer  une 
persécution  de  plus,  d'uue  meute  de  catiaillo  littéraire, 
et,  en  vérité,  je  n'eu  ai  pas  besoin.  Celtes  que  je 
souffre  me  suffisent. 

t.  Communiquée  par  M,  Groie. 

2.  C'ml  à  Mohilof  qu'eut  lieu  la  première  entrevue  entre, l'im- 
pératrice Celberine  c-Cl'empereur Joscpb  II. 


jbïGoogIc 


SM  LETTRES  DE  GALIAM 

Mohilof  sera  le  secood  temple  de  la  parfaite  tolé- 
rance, après  l'île  de  Lampedusa  S  qui  en  a  été  de  tout 
temps  le  modèle.  Oti  y  voit  le  même  homme  être 
marabout  turc  et  ermite  chrétien,  selon  que  la  galiole 
corsaire  qui  arrive  est  Lai'baresque  ou  napolitaine. 
Il  allume  tour  à  tour  les  cierges  d'une  chapelle  el 
ferme  l'autre  sanctuaire.  Il  a  d'excellent  vin  à 
vendre  aux  Turcs,  et  des  poulets  pour  les  jours 
maigres  à  vendre  aux  chrétiens.  Il  est  par  là  chéri 
des  deux  religions,  puisqu'il  fournit  aux  besoins  de 
l'homme. 

Vous  vous  êtes  trompé  en  croyant  que  c'est  l'ar- 
chiduchesse Béatrice  dont  j'ai  fait  la  conquête  *. 
Point  du  tout,  c'est  de  son  mari  '.  Je  suis  en  corres- 
pondance de  lettres  avec  lui.  Il  a  avidement  parcouru 
les  feuilles  de  mon  ouvrage  de  la  Monnaie,  que  je 
viens  de  faire  imprimer.  Il  m'aime  autant  que  Je  le 
mérite,  mais  il  m'estime  bien  plus  que  je  ne 
mérite. 

Le  père  Sauadoii  mit  eu  capilotade  les  odes  d'Horace 
pour  en  tirer  un  cmtnen  sœculare.  Ensuite,  il  lui 
vint  dans  la  télé  que  les  garçons  et  les  allés  l'avaient 

1.  Petite  lie  de  la  Méditerranée,  ïoisine  de  la  Tunisie;  elle  est 
roitée  lotigicmps  JDbabiiée  à  cause  des  incui^ioDS  des  corsaires 
barbaresques. 

I.  Marie  Béatrii  d'Esle,  fille  du  {>riiice  héréditaire  de  HodÈue. 

S.  Itin  Slanisisii  de  Lorrsiae,  fnre  de  l'eiopereur  d'Autrîche- 


jbïGooglc 


LETTRES  DE  GALIANI  b^ 

chanté  par  couplets,  et,  de  là,  il  ea  tira  uo  amas 
d'absurdités.  Cependant,  Pbilidor  l'a  mis  en  musique 
et  vous  m'assurez  qu'il  est  beau,  là  sauce  fait  tout 
manger.  Vous  m'encouragez  à  travailler  pour  satisraire 
r  Impératrice,  dont  les  idées  toujours  sublimes  wt  tou- 
jours originales  voudraient  une  exécution  complète  du 
Carmen  à  l'antique.  Je  n'ai  pas  besoin  d'être  encouragé 
à  travailler  pour  une  souveraine  unique,  mais  le 
puis-je?  Ignorez-vous  que  je  suis  hébété?  Surtout,  je 
suis  tellement  rouillé  dans  la  langue  française  qu'il 
me  devient  impossible  de  me  bien  exprimer  dans  cette 
langue.  Ajoutez  que  ne  pourrai  pas  dicter,  persoime 
autour  de  moi  ne  sachant  l'écrire.  Mon  écriture  est 
devenue  diabolique.  Enfm,  je  ne  sais  pas  trop  ce  qu( 
vous  entendez  par  un  programme.  Mais  pour  vous  prou- 
ver mou  empressement  et  mou  abrutissement,  l'ordi- 
naire prochain,  je  vous  enverrai  ce  que  j'aurais  dit  à 
Paesiello,  pour  lui  faire  composer  en  musique  à  ma 
guise  mon  carmen  saculare,  qui  n'est  pas  tout  à  fait 
celui  du  père  Sanadon,  ni  ct;lui  de  M.  Dacier.  Pour  les 
décorations  d'une  cérémonie  antique,  il  n'y  a  pas  de 
compositeur  de  ballets  français  qui  n'en  sache  plus 
que  moi. 

Vous  m'avez  consolé  un  me  disant  que  madame 
d'Épinay  avait  passé  cet  été  mieux  que  le  précédent. 
JI  n'en  est  pas  des  femmes  comme  des  hommes,  aux- 
quels chaque   année  do  plus  donne  plus  îi  craindre. 


jbïGoogIc 


596  LETTRES  DE  RALlANl 

Les   fenimes   en  gagnant  du    terrain  dans  certaines 

années  assurent  leur  décrépitude. 

Adieu,  il  fait  si  chaud  qu'il  m'est  impossible    de 
continuer . 


A    MADAME   d'ÉPINÀY 

Naples,  s  Mptembre  17M- 

Je  dois  une  réponse,  madame,  à  votre  chère  lettre 
du  6  aoùl.  Elle  commença  par  me  réjouir  d'un  été 
meilleur  que  les  précédents.  Si  cela  continue  d'été  en 
été,  cela  ira  le  mieux  du  monde.  Ensuite  je  vous 
remercierai  d'avoir  songea  moi  à  l'occasion  de  ce  livre 
sur  la  valeur  des  monnaies  que  vous  voulez  me  faire  pa]^ 
veuir,  et  je  trouve  aussi  que  la  voie  de  Caraccioli  sera  la 
meilleure.  Ces  notes  que  je  viens  d'ajouter  à  mcm 
ouvrage  sur  la  Monnaie  contiennent  aussi  certains 
détails  sur  la  valeur  des  denrées  dans  les  vieux  temps 
chez  nous,  qui  sont  assez  curieux.  Je  perds  la  tète 
à  penser  par  quelle  voie  je  vous  ferai,  de  mon  côté, 
parvenir  mon  ouvrage. 

Diderot  a  raison.  Les  blés  en  Hollande  ne  sont  pas 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  (iALIAN(  597 

à  UD  prix  fixe,  Don  pins  qu'aucune  chose  au  monde; 
maïs  ils  varient  moius  que  dans  les  pays  agricoles  : 
TOilà  tout  ce  que  je  voulais  dire,  et  ils  varieraient 
moins,  si  les  marchands  n'étaient  pas  des  sangsues 
par  essence  ;  voilà  ce  qu'il  veut  dire.  Au  reste,  cette 
question  est  indifférente,  comme  tout  au  monde.  Rien 
ne  se  fera  d'après  l'avis  des  sages  dans  ce  monde, 
mais  un  sage  fera  un  bon  livre  qui  plaira,  qu'on  lira 
avidement  :  on  l'applaudira;  il  en  retirera  quelque 
avantage,  soil  du  côté  des  fînances,  soit  du  calé  de 
la  considération;  et  voilà  qui  est  bien  tant  qu'il 
vivra;  puis  il  mourra,  et  tout  lui  deviendra  égal. 
Et  celui  qui  a  fait  le  monde  rira  de  tout  '  son  coeur 
de  voir  les  hommes  occupés  à  arranger  le  monde 
pour  leurs  besoins,  pendant  que  c'est  lui,  et  lui  tout 
seul,  sans  émule,  qui  se  l'arrange  à  son  caprice,  el 
pour  son  bon  plaisir. 

Mille  grâces  de  l'incroyable  nouvelle,  que  vous 
m'avez  donnée  touchant  la  non-académicité  de  d'Alem- 
bert  ' .  Pourriez-vous  découvrir  s'il  en  est  arrivé  de 
même  à  lU.  de  la  Lande,  que  nous  vantons  aussi 
comme  notre  académicien? 

Faites-moi  l'amitié  de  dire  à  la  chaise  de  paille 
qu'aussiti*it  que  je  reçus  sa    lettre,  je  commençai  ii 

1.  D'Alemberl  avait  élé  nommé  membre  de  lAcadéraie  des 
scienees  de  Naples,  il  avait  refjsé,  â  la  grande  joie  de  Gaiiani, 
qui  Étail  furieni  de  ne  pas  faire  partie  de  celle  Académie. 


jbïGoogIc 


598  LETTRES  DE  GALIANI 

travailler  sur  le  carmen  soecwlore.  et  à  coucher  sur 
le  papier  mes  idées  '  ;  mats  j'ai  laissé  là  mon  travail: 
les  bras  me  sont  tombés.  Cette  médaille  n'arrive  pas; 
lui  et  moi  nous  jouons  un  triste  rôle  dans  cette  aven- 
ture. Elle  serait  inconcevable  pour  moi,  si  je  ne 
connaissais  mon  guignon  en  fait  de  présents.  Ce  qui 
m'arriva  avec  le  duc  de  Choiseul  me  suffit  pour  m'en 
convaincre. 

Gatti  vous  fait  mille  compliments;  il  ne  fait  rieo. 
et  remplit  par  là  le  vœu  de  la  nature  qui  créa  l'homme 
pour  le  néant. 

Pourquoi  désespérez-vous  de  revoir  Magallon  ?  Il  f st 
vrai  que  je  compte  le  voir  avant  vous,  et  peut-être 
ce  printemps  prochain,  mais  aussi  il  y  a  bien  plus 
detcmpsqueje  nel'ai  pas  vu.  Vos  méditations  sur  les 

1.  Catherine  avait  en  erTet  ùcril  à  Grimm  :  ^  Pâlies  faire  le 
programme  de  cette  Tète  par  l'ebbé  Gallani,  et  <]Uand  il  sera  Tail, 
nous  trouverons  où  plarer  la  musique  de  Phiiidor.  n  Philidor 
avait  composé  une  partition  en  dniii  volumes  que  Timpé- 
ratrjce  avait  achetée  pour  ciiiq  mille  livres,  s  J'attends  dp 
l'abbé  rialtan),  écrit  Grimm  à  Catlierinc,  le  programme  pour  ce 
spectacle  que  je  réserve  toujours  pour  l'aniiÉe  sécuiairedo17M. 
Philidor,  aussi  s;urprls  que  confus,  d'une  grrice  ai  peu  a(tendn<>, 

est  resté  chez  moi  anéanti  comme  ud  fondeur  de  cloches 

[|  a  depuis  reçu  les  compliments  en  forme  du  café  de  la  Ré- 
)t<'iii^R  sur  la  place  du  Palais-Ro.val,  lieu  unique  en  Europe,  oit 
tous  les  plus  fameux  profe.'scurs  et  joueurs  d'échecs  sont  assem- 
blés toute  l'annùc,  sans  inlcrruption.  pour  ne  s'occuper  que  de 
cet  important  objet,  et  ofi  Philidor  est  révéré  comme  loraclp 
d'Apollon  à  Delphes.i  (10  aqU(  nSQ.)  (Correspondance  de  Grimm 
auee  Callierme  1 1 ,  publiée  par  la  So..>iËté(t'KistoirdTusse.  SaiDt- 
PÉtersbourg  1880.  —  p.  29-1 


jbïGoogIc 


LETTRES   DE   GALIANI  599 

regrets  des  morts  et  des  absences  sont  vraies,  el 
tristes  comme  tout  ce  qui  est  vrai.  Ergo,  faisons  des 
romans,  et  ne  vivons  que  de  romans  et  dans  les  ro- 
mans. La  seule  chose  vraie,  qui  n'est  pas  triste  pour 
moi,  c'est  que  je  sais  que  vous  m'aimez,  que  je  vous 
aime  aussi,  <^t  que  je  serai  toujours  à  vous. 


Nlples,  13  aepidmbra  17M. 

Madame,  il  est  déjà  à  Paris,  et  peut-être  vous  l'avez 
di'ijà  vu,  un  de  mes  plus  grands  amis,  M.  le  marquis 
Celesia,  Génois.  Je  vous  prie  de  l'aimer,  si  vous  m'ai- 
me/; j(^  vous  prie  en  mCme  temps,  avec  le  plus  grand 
secret,  de  bien  examiner  mademoiselle  sa  âtle,  et  de 
me  mander  ce  que  vous  en  pensez,  soiLpour  la  figure, 
soit  pour  l'esprit,  le  cœur,  les  talents.  Ce  que  tous 
m'en  direz  sera  d'un  grand  poids  pour  moi,  et  a  rap- 
port à  une  afiaire  intéressante,  mais  il  faut  que  personne 
ne  se  doute  de  rien. 

Ce  monstre  (vous  entendez  déjà  que  c'est  de  M.  de 
Grimm  que  je  vous  parle)  que  fait-il  î  Pourquoi  n'élec- 


jbïGooglc 


600  LETTRES  DE  GALIANI 

trise-t-ii  pas  mon  esprit  en  m'écrivant  ?  Et  vous,  coio- 
ment  vous  portez-vous?  Ce  mieux  ou  ce  moins  mal  se 
soutient-il  f 

Je  ne  sais  point  de  quoi  vous  remplir  cette  lettre. 
Depuis  qu'où  parle  de  la  législation  des  blés,  il 
semble  que  le  bon  Dieu,  pour  morfoadre  les  politiques, 
a  envoyé  la  disette  sur  la  terre.  Nous  sommes  celte 
année  dans  de  véritables  embarras,  el,  par  surcroit  de 
malbeur,  l'Espagne  nous  pompe  encore  des  blés.  Ah  t 
que  l'économistilicalioa  est  une  belle  chose  en  théorie  '. 

Donnez-nous  la  paix  ;  car  du  moins  nous  mangerons 
des  harengs,  de  la  morue,  et  du  blé  d'Amérique. 

Aimez-moi  toujours  :  je  vous  aime  à  l'adoration  ;  et, 
si  je  ne  remplis  pas  cette  lettre  de  sentiments,  c'est  que 
mon  style  n'est  pas  tout  à  fait  tourné  à  cela.  Adieu. 
Cetesia  vous  dira  le  reste. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GAKANI 


'  K    M.  CRIMM 


Naples,  «  décambreftiM. 

Monstre  d'oblivion  1 

Que  voulez-Vous  de  moi  avec  vos  agaceries  et  vos 
flatteuses  espérances  ?  Ne  voyez-vous  pas  que  mon  gui- 
gDon  est  tel  qu'il  change  l'ordre  et  la  nature  de  l'uni- 
vers ?  Trouvez-vous  naturel  qu'une  souveraine  qui  a 
versé  des  millions  en  présents,  qui  les  répand,  comme 
le  soleil  sa  lamière,  sur  les  justes  et  sur  les  indignes, 
soit  restée  trois  ou  quatre  ans  sans  savoir  se  déterminer 
à  vous  expédier  pour  moi  une  médaille  de  bronze?  N'en 
parlons  plus*.  J'enrage  contre  mon  incroyable  destin  et 
cela  me  met  de  mauvaise  humeur.  Ne  croyez  pas  que 
j'eusse  manqué  d'envie  de  vous  satisfaire  au  sujet  de 
la  fête  des  jeux  séculaires.  Aussitôt   après  avoir  reçu 

1.  Communiquée  pir  H.  Grote. 

3.  L'impérstrice  Écrit  :  «  Je  vous  prie  de  m'envoyer  la  livre 
de  1d  lionela  de  l'abbé  Galianl  traduit  eu  tranjais,  dès  qu'il  y 
aura  une  traduction  passable.  Je  vais  lui  expédier  deux  médailles 
d'or  pour  son  programme.  ■  [Correipondanee  tte  CalheriHe.l 


JbïGoOgIc 


602  LETTRES  D[E  GALIANÏ   ' 

votre  lettre,  je  me  mis  à  écrire  et  à  dicter.  Je  c 
çai  un  morceau  de  commentaire  sur  les  trois  odes 
qui  formeat  l'hymne  séculaire.  Je  me  dégoûtai  à  l'in- 
slant  de  ce  travail.  J'entrepris  de  dicter  un  plan  pour 
la  fête  en  question.  Pour  preuve,  voici  l'ébauche,  qui 
est  restée  longlempssur  ma  table.  Enfin,  ne  comprenant 
pas  trop  ce  que  vous  vouliei  de  moi,  ce  que  vous  en- 
tendiez par  le  mot  programme,  ne  recevant  plus  de 
lettres  de  vous,  ne  sachant  pas  ce  que  je  devais  faire, 
et  à  quoi  bon  tout  cela,  j'ai  laissé  là  cette  triste  occu- 
paliou,  et  je  me  suis  mis  à  faire  autre  chose  pour  ga- 
gner mon  pauvre  pain.  J'ai  entrepris  un  ouvrage  de 
droit  public  que  je  publierai  en  italien,  la  seule  langue 
que  je  sache  à  présent.  Son  titre  est  :  Des  devoirs  des 
Princes  neutres  «is-n-t'is  des  Princes  belligérants.  Ce 
livre  sera  pesant  au  point  qu'on  jurera  que  c'est  Vcifius 
nu  Puffendoriius,  qui  en  est  l'auteur.  Je  crains  bien  de 
ne  pas  achever  cet  ouvrage,  tant  j'ai  l'âme  abattue. 
Vous  entendez  bien  qu'on  dira  quelques  mots  dans  cet 
ouvrage  de  Catherine,  mais  ce  ne  sera  que  peu  de  mots  : 
on  n'aime  pas  beaucoup,  lorsqu'on  ne  connaît  pas. 
même  en  bronze,  les  physionomies  des  dames. 

Je  fais  cet  ouvrage  uniquement  pour  de  l'argent. 
Calcul  fait,  s'il  réussit  à  Naples,  je  puis  y  gagner,  en 
vendant  toute  l'édition,  quatre  cents  francs.  C'est  horri- 
blement peu,  comme  vous  voyez.  Ainsi  j'aurai  un  projet 
à  vous    communiquer.   (Je  serait  de   vous  l'envoyer 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  6ALIANI  603 

feuille  par  Teuille,  à  mesure  que  je  les  imprime  ici. 
Vous  trouveriez  quelque  pauvre  diable,  homme  de  lel- 
Ires,  qui  en  entreprendrait  la  traduction  eo  français. 
C'est  uoe  besogne  aisée  puisqu'il  s'agit  d'un  ouvrage 
tiidactique.  Je  voudrais  partager  la  moitié  du  profit 
avec  le  traducteur  :  et  si  vous  me  concluez  cette  affaire, 
ji;  serai  par  là  engagé  à  achever  mon  ouvrage.  Voyez 
si  vous  pouvez  me  rendre  ce  service.  Je  calcule  que 
cela  pourrait  me  rapporter  six  cents  autres  francs,  et 
j'en  bénirai  le  ciel  et  tous,  et  je  me  moquerai  des 
bienfaits  des  autres  toutes  les  fois  que  je  puis  me 
donner  de  l'argent  par  mon  propre  taleiit. 

Je  n'ai  pas  le  loisir  de  répondre  ce  sotr  ù  une  très 
belle  et  tr(>s  longue  lettre  de  madame  d'Épinay  que 
j'ai  reçue  cette  semaine,  mais  je  le  ferai  samedi  pro- 
chain. C'est  par  l'arrivée  de  M.  Célesia,  Génois,  à  Paris, 
que  j'ai  eu  des  détails  plus  affligeants  que  sa  lettre  sur 
sa  santé.  Il  m'a  aussi  parlé  de  vous..  Êtes-vous  toujours 
ami  de  M.  de  Castries  ? 

.\dieu.  je  n'ai  plus  de  temps  h  vous  donner. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALUNl 


A     MADAME     I)    ËPINAV 


Madame,  j'aurais  dû  vous  répondre  la  semaine  passée; 
mais  ce  samedi  était  la  veille  de  Noël,  très  grand  jour 
de  compliments  chez  nous,  et,  en  outre,  c'était  le  Jour 
des  funérailles  de  l'Impératrice.  Le  temps  de  vous 
écrire  me  manque  absolument.  Savez-vous  à  quoi  je 
compare  cette  mort  de  Marie-Thérèse  ?  A  un  encrier 
qu'on  a  renversé  sur  la  carte  géographique  de  l'Europe. 

J'espère  que  la  chaise  de  paille  est  rétablie  de  sa 
maudite  fièvre.  Dites-lui  que  l'abbé  de  Bajanne,  se 
trouvant  ici  et  partant  pour  Rome  après-demain,  a 
bien  voulu  se  chaîner  de  la  pacotille  de  mon  livre,  pour 
la  remettre  au  cardinal  deBemis.  J'ai  écrit  à  ce  cardinal, 
ce  soir  même,  pour  le  prier  de  l'adresser  à  M,  de  Ver- 
gennes;  ainsi  j'espère  que,  huit  jours  après  l'arrivée  de 
celle-ci,  Grimm  recevra  mon  livre.  Dites-lui,  en  outre, 
que  je  tiens  deux  exemplaires  de  cet  ouvr^^e,  relii^s 
déjà,  et  destinés  l'un  pour  le  duc  de  Saxe-Gotha,  et 
l'autre  pour  le  prince  Auguste,  son  frère  ;  mais  faul-' 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  r.ALIANI  603 

de  savoir  comment  m'y  prendre  pour  les  leur  faire 
parvenir,  ils  restent  sur  ma  table,  et  je  n'ai  pas  même 
su  décider  comment  les  en  avertir.  Ont-ils  quelque  agent 
à  Rome,  ou  en  d'autres  lieux  plus  chrétiens  que  la 
GothJe,  où  il  me  soit  plus  aisé  de  les  expédier  ?  Je  vou- 
drais en  envoyer  un  aussi  à  l'aimable  margrave  de 
Bareith  ;  comment  m'y  prendre  ?  Faites-moi  aider  par 
lui. 

Bonne  nouvelle,  en  vérité,  que  la  médaille  soit  en 
bronze.  Vous  ne  devinerez  pas,  assurément,  la  cause  de 
ma  frayeur  de  la  recevoir  en  or  ;  je  vais  vous  le  dire  : 
j'aurais  dû  écrire  une  lettre  à  i'iin[)^;ralrice  de  Russie  ; 
or,  j'aurais  donné,  moi,  le  pesant  d'une  médaille  d'or, 
pour  sortir  de  cet  embarras.  En  italien,  langue  qu'elle 
n'entend  pas,  il  était  indécent  à  moi  de  lui  écrire  ;  en 
irançais,  vous  savez  bien  que  je  ne  sais  pas  tourner  de 
belles  phrases;  en  un  mot,  je  serais  un  homme  perdu, 
si  j'étais  obligé  à  cette  cruelle  opération.  Envoyez-moi 
donc  la  médaille,  quand  et  par  qui  bon  vous  semblera  ; 
je  n'en  suis  pas  pressé  :  mais  obligez  la  chaise  de 
paille  ù  se  charger  de  mes  remerciemenls,  et,  s'il 
croyait  inévitable  à  moi  d'écrire  et  de  remercier,  je 
l'autorise  à  dire  que  je  suis  mort  ;  et  l'Impératrice  le 
croira;  car  comment  saura-t-elle  que  je  suis  vivant  'ï 


1.  L'Impératrice  envoya  d'atrard  un«  médaille  de  bronze  h    a- 
Uaai:(Avez-vai»  reçu  la  médaillede  bronze  pour  l'abbé  Galiani? 


jbïGoogIc 


606  LETTRES  DE  GALIANI 

Oa  tait  mourir  de  rn^me  ici  notre  aimable  Caraccioli, 
uvant  qu'il  nous  arrive,  mats  ce  n'est  pas  du  chagrin 
d'avoir  quitté  Paris  qu'on  lu  tue.  On  le  condamne 
comme  hydropique  confirmé,  et  ca  n'est  pas  notn» 
faute  si  on  le  croit,  puisqu'il  s'est  plu  à  l'écrire  lui* 
même.  Dites-moi  comment  vont  ses  jambes;  car  le 
cœur  n'a  jamais  tué  personne.  Mille  choses  de  ma  part 
à  l'aimable  Celesia  et  à  sa  famille  entière.  J'ai  fait  et 
je  ferai  tout  mon  possible  pour  me  rapprocher  d'eus  ; 
mais  ces  événements  sont  toujours  des  coups  du  sort  et 
du  hasard,  et  plus  on  combine  pour  les  faire  réussir, 
moins  ils  réussissent. 

Gatti  se  rencontra  k  Ure  votiti  lettre  au  nioraunl  ou 
elle  arriva.  11  vous  dit  mille  choses  tendres;  il  avoue 
qu'il  ne  saurait  vous  prescrire  rien  pour  raffermir  vos 
dents  ;  et,  pour  les  faire  tomber,  il  ne  connaît  rien  de 
mieux  que  les  grands  soufflets  que  les  jansénistes 
appelaient  des  secours,  mot  abusif  qu'on  devTait  réser- 
ver à  ceux  que  les  grands  princes  donnent  à  leurs 
petits  alliés  et  qu'on  a  donnés  aux  Polonais.  Je  suis 
bien  eu  peim^  du  tourment  que  vous  donnent  vos 
dents  ;  mais,  si  elles  tombent,  soyez-en  bien  contente  : 
il  n'y  a  pas  de  plus  grande  commodité  que  de  n'en  pus 
avoir,  et  je  l'éprouve. 


Écrit-elle  k  Crimm 

,;  el  qu'esl-ce  qu'il  y  anni 

l  de  si  exUraordi- 

naire  s'il  étoFl  au 

r.-ïers  d'.m«,  médaiUe»  N'y 

a-t  on  jamais  vii 

de  génies?  > 

jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI  607 

En  voUii  a^ez  pour  ce  soir.  Aimez-moi  toujours;  et 
sollicitez  ce  paresseux  de  Grimm  de  me  répondre. 
Adieu.  Je  vous  souhaite  une  année  meilleure. 


Naplet,  }  fâvrier  <7S4. 

Si  mon  bonheur,  madame,  ne  m'eût  secouru,  vos 
maux  etl'ingratilude  de  ce  monstre  (chaise  de  paille) 
m'auraient  conduit  cet  hiver  au  désespoir.  Trois  ^nds 
mois  se  sont  passés  sans  que  ni  vous  ni  lui  m'ayez 
écrit  un  pauvre  petit  mot.  La  chaise  aurait  pourtant  dû 
me  répondre  à  un  projet  assez  intéressant  pour  moi, 
que  je  lui  avais  communiqué;  mais  le  ciel,  qui  protège 
l'amitié  et  ta  vertu,  a  fait  trouver  cet  hiver  à  Paris  uu 
des  \i\as  vertueux  liommes  et  l'uu  de  mes  meillcur> 
amis,  M.  Gelcsia.  11  s'est  pris  de  belle  passion  pour 
vous,  comme  je  vois  par  ses  lettres.  Sa  l'amille  entière 
vous  adùre;  vous,  en  revanche,  vous  êtes  devenue 
amoureuse  folle  de  sa  fille  ainée,  comme  j'ai  vu  par 
votre  lettre.  C'est  par  lui  que  j'ai  eu  des  nouvelles  de 
vouB,  et    pas  tout  à  fait    mauvaises.  Il    me  dit  que 


jbïGoogIc 


606  LETTRES  DE  GALIANI 

l'hiver  vous  est  favorable.  Eh  bien,  que  Paris  reste 
toujours  dans  le  plus  rigide  hiver!  Sans  lui  j'aurais 
cru  mort  M.  Grimm,  car  vous  me  le  laissites  malade 
dans  votre  dernière  lettre,  et  puis  .vous  ne  m'écrivîtes 
plus  rien  de  rien.  Mais  mon  bonheur  va  finir  ;  je  n'ose 
plus  répondre  ce  soir  à  Celesia,  craignant  qu'il  ne  soit 
déjà  parti  pour  Gènes,  vous  laissant  sa  famille  en  gage  ; 
s'il  ne  l'est  pas  encore,  dites-lui  ma  crainte.  Grimm  u 
dû  recevoir  mon  livre  par  la  voie  du  cardinal  de  Bemis. 
S'il  ne  veut  pas  m'écrire,  je  le  laisse,  je  le  donne 
à  tous  les  souverains  (j'ai  pensé  dire  à  tous  les 
diables)du  nord.  Un  ouvrage  sérieux,  dont  je  m'occupe 
maintenant,  avance  lentement.  Je  serais  bien  pressé 
de  vous  montrer  ce  que  j'en  ai  fait  jusqu'à  présent.  Ah  ! 
si  je  pouvais  le  travailler  à  Paris,  et  en  communiquer 
des  morceaux  au  coin  de  votre  cheminée,  ou  à  des 
dîners  du  baron  d'Holbach  !  mais  cela  ne  se  peut  pas. 

Pressez Caraccioli  départir.  Puisqu'il  doit  franchir 
le  pas  une  fois,  faites-le  résoudre  à  s'y  déterminer  au 
plus  vite.  Gîtai  e  maccheront  si  mangiano  caldi  '  est 
le  proverbe  napolitain.  Les  Siciliens  se  trouvent  oS'ensés 
et  humiliés  de  voir  un  homme  marcher  à  reculons 
pour  aller  éti'e  leur  souverain. 

Je  ne  sais  que  vous  dire  de  plus  ce  soir.  Continuez  à 


).  Tmt  pit  pour  le  macaropi  si  oD  ne  lu  mange  pas  chabd. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  fiALI.VHI  609 

aiiiiei'  les  Celesia,  et  Temerciez-moi  de  vous  les  avoir 
fait  connaître.  Adieu.  Port«i-vous  bien  en  prolon^nt 
les  droits  de  l'hiver, 


Vous  m'avez  demandé,  madame,  dans  votre  lettre 
du  12  du  mois  passé,  des  renseignements  relatifs  à  la 
famille  de  Valori.  Voici  ma  réponse  sur  cet  article. 

Le  manuscrit  du  père  Borelli  existe  effectivement  à 
la  bibliothèque  du  roi  à  Capo  di  Monte;  mais  il  est  ' 
emballé  à  présent  depuis  plusieurs  mois,  parce  que 
l'on  compte  transporter,  de  Capo  di  Monte  à  Naples, 
cette  bibliothèque,' et  la  placer  convenablement  dans 
un  salon  magnilîque,  que  l'on  construit  à  présent.  Le 
salon,  les  armoires,  la  peinture,  l'arrangunent  des 
livres  consumeront  quelques  années,  après  lesquelles 
on  aura  tout  le  loisir  d'observer  le  manuscrit.  En  atten- 
dant, je  chercherai  s'il  existe  d'autre  copie  de  ce  ma- 
nuscrit, ce  qui  ne  serait  pas  impossible,  et  si,  dans 
l'état  d'abrutissement  général  de  ma  nation,  cela  peut 


jbïGoogIc 


MO  LETTRES  DE  CALUM 

réussir,  je  vous  en  informerai.  Au  reste  le  goût  et 
l'étude  des  généalogies  est  tombé  dans  le  dernier 
mépris  ici,  depuis  que  la  prérogative  de  la  n<d)Ie8se  est 
comptée  pour  rieu:  nous  sommes  à  présent  au  niveau 
de  Constantlnople.    . 

Je  change  de  discours .  Assurément  il  faut  que 
.M.  Grimm  n'ait  pas  reçu  quelqu'une  de  mes  lettres  ;  il 
n'aurait  pas  poussé  la  dureté,  et  je  dirai  presque  l'im- 
politesse, jusqu'au  point  de  me  refuser  toute  espèce  de 
réponse,  surtout  s'agissant  de  choses  de  son  service. 
Je  lui  avais  envoyé  une  feuille  relative  à  ce  qu'il  vou- 
lait de  moi,  pour  le  service  de,  l'impératrice,  dans  l'exé- 
cution du  fameux  Carmm  sœculare.  J'ignore  s'il  l'a 
reçue,  puisque  ni  lui  ui  vous  ne  m'en  mandez  rien 
depuis  deux  mois.  J'ai  envoyé  mon  livre  sur  la  Mon- 
naie par  la  voie  du  cardinal  de  Bernis,  et  point  dp 
nouvelles  non  plus;  enfia  je  lui  avais  écrit  dilTérentes 
choses  assez  importantes,  auxquelles  il  ne  répond  pas. 
Si  c'est  un  courrier  russe  qui  tient  les  cordons  de  ce 
malheureux  sac,  dans  lequel  on  l'a  fourré,  dites  à 
cet  infâme  courrier  qu'il  est  un  coquin,  un  faquin, 
un  Tarquin,  un  requin,  etc.,  d'empêcher  de  la  sorte 
le  plus  aimable  des  monstres  de  vivre  avec  ses  amis. 
Mille  choses  à  madame  votre  lïUe,  et  aux  aimables 
Celesia.  Adieu  ;  portez-vous  bien. 


jbïGoogIc 


LETTRES  hE  RALIANf 


MAD&HE   NErKKR   A   L   ABBË   GALIANi' 


Votre  lettre,  Mousieur  l'abbé,  est  venue  lier  dans 
moQ  souveuir  deux  époques  qui  me  sont  l'on  agréa- 
bles. Celle  où  j'iù  connu  un  homme  d'un  esprit  aussi 
charmant  que  supérieur,  et  celle  où,  loin  de  moi,  il 
me  conserve  un  peu  d'iotérèt  et  d'amitié.  Aussi  Je 
voudrais  de  tout  mon  cœur  taire  quelque  chose  qui 
pût  vous  plaire,  non  parce  que  vous  nous  estimez  (ce 
qui  me  flatte  pourtant  intinimeot)  mais  parce  que  vous 
nous  aimez  un  peu  et  que  nous  vous  aimons  beaucoup. 

Je  dois  vous  dire  cependant  que,  depuis  que  vous 
avez  quitté  Paris,  personne  ne  s'est  encore  dégoûté 
des  places  lucralives  ou  honorifiques;  la  demande  de 
votre  ami  se  trouve  donc  croisée  par  mille  autres  anté- 
rieures, et  par  toute  la  véhémence  des  intérêts  parti- 
culier&.  J'ai   fait  honneur   à    votre  recommandatioui 


1.  Cette  lettre  n'a  pa»  été  publiée  dua  les  éditions  de  1818. 
Bien  que  non  datée,  ^e  doit  être  clusia  deiu  l'aiiBée  mi  qui 
M  etUe  du  i^our  de>  Celeiia  t  Puis. 


jbïGoogIc 


«12  LETTRES  DE  GAl.IAM 

monsieur;  si  cependant  l'effet  avait  suivi  ma  prière, 
M.  Celesia  l'aurait  moins  dû  à  nos  sollicitations  qu'à 
celles  de  l'ambassadeur,  que  j'appelle  toujours  ainsi,  ne 
pouvant  me  résoudre  à  le  voir  sous  une  relation  qui 
nous  est  étrangère. 

Nous  trouvons  en  effet  beaucoup  d'esprit  à  H.  Cele- 
sia ;  et  cependant  je  ne  voudrais  pas  qu'un  juge  com- 
me vous,  si  bien  fait  pour  distribuer  les  couronnes, 
plaçât  à  cdté  l'un  de  l'autre  deux  hotiunes  qui  ne 
se  ressemblent  point.  Vous  avez  fait  à  U.  Necker  une 
part  très  noble  et  très  magoifiquc,  en  le  comparant  à 
l'astre  dont  le  disque  est  plus  grand  à  son  couchant 
qu'à  son  méridien  :  cette  part  est  celle  de  sa  conduite; 
l'aites-lui  en  une  autre  pour  ses  talents,  qui  soit  abso- 
lument solitaire. En  effet,  le  génie  de  H.  Necker  me  parait 
tantôt  dans  les  ténèbres,  et  tantôt  sur  nos  tètes;  tout 
ou  rien,  selon  les  places  ou  les  circonstances  ;  jugez 
combien  il  est  loin  d'avoir  des  rapports  avec  ce  qu'on 
appelle  dans  la  société  un  liomme  très  spirituel  et  très 
instruit.  Il  me  semble,  monsieur,  que  vous  n'êtes  pas 
trop  content  du  genre  humain  et  de  sa  morale, 
quand  elle  est  en  action  ;  mais,  en  revanche,  vous  devez 
être  bien  satisfait  de  la  sévérité  et  de  la  pureté  do  nos 
livres,  du  moins  si  vous  les  lisez;  car  il  me  semble  que 
vos  yeux  doivent  être  toujours  tournés  en  dedans, 
couune  les  bonzes  qui  passaient  leur  vie  à  contempler 
le  bout  de  leur  nez.  Je  ne  crois  pas  que  vous  gagniez 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI  613 

le  ciel  à  cette  contemplation  ;  omis  je  suis  persuadée 
que  vous  y  trouvez  un  inonde  d'idées,  et  des  idées  de 
l'autre  monde,  c'est-à-dire  aussi  neuves  que  piquantes, 
qu'on  ne  rencontre  pas  ioi-bas.  Vous  ne  seriez  pas 
surpris  de  celte  critique,  si  vous  reveniez  à  Paris; 
tous  nos  beaux  esprits  sont  dispersés;  ils  ress^nblent 
un  peu  aux  architectes  de  Babel,  et  ils  ont  été  dissipés 
par  le  même  moyen,  car  la  diversité  de  musique  est 
aussi  une  diversité  de  langage'.  Mais,  malgré  celte  divi- 
sion, tous,  je  puis  vous  l'assurer,  se  réunissent  à 
M.  Necker  et  à  moi,  pour  vous  regretter,  pour  vous 
désirer,  et  pour  vous  offrir  un  hommage  continuel 
d'admiration  et  d'attachement. 


Le  cardinal  de  Beriiis  m'a   fait  parvenir  le  Compte 
ftmdu  par  M.  Necker  ',  et,  par  l'enveloppe,  je  me' suis 

1.  Altudon  aux  querelles  des  GluckiïtHet  des  Piccinistes. 

3.  Celte  lettre  o'eiiite  pas  dans  les  édilions  de  ISIB. 

3.  La  siluatjon  de  M.  Mecker  était  deTeoue  difficile,  il  ne  trou- 


jbïGoogIc 


014  LETTRES  DE  (lAl.tAM 

aperça  t]ue  u'élait  vous  qui  m'en  disiez  l'expédition. 
Au  reste,  ioutenant  toujours  votre  cruauté,  je  n'y  ai 
pas  trouvé  une  ligne  de  vous.  Faut-il  que  je  vous  r- 
mercîe?  Faut-il  que  je  vous  maudisse?  L'un  et  l'autre, 
c'est  le  plus  sûr. 

Cet  ouvrage  m'a  fait  un  plaisir  inlini.  Il  y  a  des 
traits  d'éloquence  noble,  qui  m'ont  attendri  jusqu'aux 
larmes,  tels  que  l'éloge  de  madame  Necker  et  la  con- 
clusion. Si  les  académies  de  France  n'adjugent  pas  le 
prix  d'éloquence  à  ce  Compte  Rendu,  dites-leur  de  ma 
part  qu'elles  sont  composées  de  gens  imbéciles  et  stu- 
pides  ou  de  gens  ingrats. 

Au  surplus,  si  voulez  entendre  mon  «vis  sur  l'ou- 
vrage, je  vous  dirai  que  je  l'appelle  le  Tocsin  de  la 
Paix.  Le  nouveau  Démosthène  prêche  la  pais  comme 
l'autre    précbait  la  guerre;  heureux  les  Français  s'ils 


viit  plus  d'enprunts  à  réaliser,  en  ud  mot  le  crédit  étiit  épuisé  ei 
on  allait  être  obligé  de  recourir  aux  pires  expédients.  Neckw 
résolut  de  reconquérir  U  conBance  du  public  par  un  coup 
d'éclat  et  de  jeter  la  lumière  dans  l<ts  secrets  des  Bniaces  de 
l'Ëtat,  En  janvier  1TH1,'I1  publia  son  fameui  CompU  H»odu  où  il 
bitalt  l'exposé  des  recettes  et  des  dépenses  du  royaume,  i  Rien 
n'a  fait  plus  de  bruit,  dit  Labarpe,  que  le  Compte  Rendu  au  roi 
ptT  H.  Necker,  de  l'eut  des  flnuces  de  la  Frtnoe.  On  en  a 
débité  jusqu  i  3,000  eiempUIres  par  jour  et  l'ou  en  est  au  qua- 
ranllAmB  mille.  >  Cet  ouvrage  était  un  S7*t6ine  général  d'a^l- 
nistratjoD  Bscale;  M.  Necker  y  eiposait  les  moyens  de  réforme 
et  d'économie  qu'il  «Tait  trouTés  et  ceux  qu'il  se  propMvt  d'«s- 
sajer  encore.  Le  succès  le  plus  éclaiaoi  suItII  la  publlcalion  du 
ComfleRmdu:  en  peu  de  temps  Neckar  nbtial  pour  3311  mllliOM 
d'emprunt. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  IUL1AN1  Itl5 

r^uteat  plus  que  le*  Athéuiens  n' écoutèrent  celui-là. 
Si  la  paix  ne  se  fait  pas,  je  prévois  que  H.  Neoker 
quittera.  Peut-être  ae  voudra-l-^n  pas  laire  la  paix 
préoisément  pour  le  plaisir  de  le  voir  qi^itter  sa  place, 
et  c'est  ce  qui  iug  parait  le  plus  vraiKOmblablr.  Kii 
tout  cai  si  on  n'adore  pas  un  contrAteur  tel  que  lui, 
lus  Français  sont  ingouvernables  et  je  renonoe  au 
goût  de  lus  aimer  in  globo,  et  je  n'aimerai  que  les 
adorateurs  de  M,  Necker. 


MADAME   d'ÉPINAT 


Madame , 

Enfla.  j«  Hiii  parvenu  à  voir  et  «uininer  le  ma- 
uuwrit  de  li  bibllotbèque  de  notre  roi,  où  l'on  devait 
rencoQtnr  des  notices  ralativei  h  la  t'amilte  Valori. 
Je  n'ai  pu  ni  dû  me  fier  à  personne.  Je  l'ai  étudié 
moi-mAme  ;  voici  ce  que  c'est,  son  titre  est  le  suivant  : 
Àpparatus  hUtorkw  ad  antiqvot  chronologos  iUui- 
trandot  opéra  P.  CaroU  BoretU,  olerioi  Reg.  Uin. ,  quatre 
grands  volumes  iu-folio.  L'ouvrage  n'a  rien  d«  ooiS' 


jbïGoogIc 


Bfgr  LETTRES  DE  GALIAM 

muD  avec  ce  titre  ridicule  C'est  ua  index,  assez  dé- 
taillé et  1res  exact  de  tout  ce  qui  se  trouve  dans  les 
registres  de  la  chanceilerip  de  nos  rois  de  la  race  des 
Suëves,  d'Anjou  et  d'Aragon.  Il  y  a  la  table  de  tous 
les  noms  des  personnes  indiquées  dans  les  registres, 
el  il  n'y  a  pas  un  seul  Valori.  li  y  a  ensuite  la  table 
des  noms  des  personnes  nommées  dans  les  registres  de  U 
chambre  des  comptes,  et  voici  ce  que  j'y  vois  :  Fran- 
cesco  Valori,  ambasciator  di  Fireoze,  a.  1487.  Cette 
notice  n'est  point  précieuse,  puisque  tous  les  historiens 
nomment  cet  ambassadeur  de  la  république  de  Flo- 
rence envoyé  à  notre  roi  Ferdinand  I".  Ce  qu'on  peut 
déduire  de  plus  sûr,  de  la  reclierche  que  J'ai  faite 
dans  cet  ouvrage  du  père  Borelli,  et  dans  d'autres 
manuscrits  de  la  même  bibliothèque,  que  j'ai  voulu 
feuilleter  scrupuleusement,  c'est  que  la  famille  Valori. 
de  Florence,  n'a  jamais  envoyé  aucun  de  son  nom,  ni 
s'établir  à  Naples,  ni  même  servir  les  rois  de  Naples, 
puisque  tous  les  noms  de  leurs  courtisans  sont  dans 
ce  registre.  Dites  donc  à  H.  le  jeune  marquis  de  Valori, 
qu'il  ne  s'écarte  pas  de  la  Toscane  dans  les  rediercbes 
qu'il  va  faire  sur  les  anciens  titres  de  sa  famille. 

J'ai  reçu  une  lettre  de  Grimra,  après  un  temps 
infini  d'attente.  Pour  le  chfttier,  je  ne  lui  répondrai  pas 
ce  soir.  Horace  même  en  serait  scandalisé,  si  j'écri^'ais  : 
Hodie  sanctissima  sabatha,  vin  tu  curtia  Judceig  op- 
peiere?  Il  me  mande  que  le  37  mars  vous  étiez  malade 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GAI.IANI  017 

d'uDe  fièvre' fluxionale.    Noua  sommes  au  14  avril  : 
vous  vous  portez  doue  bien. 

Mille  choses  à  mes  Celesîa.  Aimez-moi  plus  que 
Grimro,  car  ce  monslre  ioeioroble  ne  m'aime  plus,  et 
il  n'aime  plus  rien.  Aussi  on  le  punit  comme  Damiens, 
en  le  tirant  à  quatre  chevaux.  Voilà  comme  on  doit 
punir  les  cruels.  Adieu. 


Nnplei.  s  juin  itsi. 

Votre  lettre  ravissante  me  parvint  au  moment  où 
j'allais  monter  en  voiture  à  Rome.  Elle  servit  admi- 
rablement pour  réjouir  ma  course  au  travers  des 
marais  Pontins.  Je  la  relus  quatre  ou  cinq  fois,  et 
toujours  avec  extase.  Arrivé  ici  samedi  passé,  je  n.'eus 
pas  le  loisir  d'y  répondre  le  même  jour;  je  le  fais  à 
présent. 

Caracciolî  arriva  avant-hier  jeudi.  Il  se  porte  très 
bien  de  tout,  hormis  une  certaine  jambe  gauche 
qui  est  d'une  architecture  fort  gauche ,  et  très 
diftérenle  de  k  jambe  droite.   Avec    tout    ce    dé- 


jbïGooglc 


ms  r.ETTRKS  DE  UALUNI 

faut  en  architecture,  l'édifice  pourrait  durer  encore 
quelques  années,  autant  qu'il  en  taut  pour  faire  du 
bien  ù  ]a  Sicile.  U  parle  toujours  de  Paris;  maii  il 
vivra  loin  de  Paris,  et  si  l'on  continue  k  faire  des 
sottises  en  France  contre  ses  meilleurs  amis,  il  lui 
arrivera,  tout  comme  il  m'est  arrivé,  qu'il  ne  regret- 
tera pas  la  France;  il  regrultera  ses  amis  de  Paris. 
Kjen  n'est  déballé  de  son  équipage  ;  ainsi  je  ne  pos- 
sède pas  encore  votre  ouvrage.  Je  brdle  d'impatienve 
de  le  lire,  et  je  vous  fais  mille  remerciements  aussi 
de  l'ouvrage  sur  la  valeur  des  monDaîes. 

J'ai  reçu  deux  lettres  de  Grimm,  l'une  à  Rome, 
ensemble  avec  la  vôtre;  l'autre,  celle  semaine.  La 
nouvelle  qu'il  m*a  donnée  de  la  démission  de  M.  Neo- 
ker  '  me  met  de  si  mauvaise  humeur,  que  je  ne 
veus  pas  lui  répondre.  Est-il  possible  qu'on  ne  trouve 
ni  siècle  éclairé,  ni  nation  docile,  .ni  souverain  cou- 
rageux, ni  temps,  ni  moment,  où  le  grand  homme 
puisse  rester  «n  plaoe  !  Qu'ost^œ  donc  que  cela?  Faut>il 
qu'il  y  ait  une  loi  âtemelle,  depuis  la  pomme  du  nolt« 
cber  père  Adam,  qui   ait  livré  les  hommes  aux  ni<^ 

1.  Le  clergé  et  les  économistes  BTaieni  été  les  premiers  adver- 
saires de  H.  Necker;  à  mesure  que  celui-ci  accompliiMit  des 
rilormes,  le  nomt>re  de  ses  enaemls  augmentait  ;  la  ligue  qui  avait 
renversé  Turgot  se  reforma.  Kecker  voulnl  obtenir  une  marque 
da  la  oonflanee  du  roi  et  demanda  l'enlria  au  Conseil,  afln  de 
poureir  j  défendre  lui-même  ses  projeU.  On  ne  refusa  pas, 
nuls  DD  lui  demanda  d'abjurer  sa  religion.  Il  oHVIi  sa  démli- 
sioo  qu'on  «eaepia  (19  mai  tTSt). 


jbïGoogIc 


I.ETTREl^  DE  CALFA^jl  619 

cliaDts  el  aux  imbéciles,  el  exclu  à  Jamais  les  héros. 
Si  c«tte  loi  existe,  il  faut  courber  le  dos  et  plier  la 
tâle;  si  elle  n'existe  pas,  je  maudirai  les  parlements, 
les  intendanis,  les  intrigants,  les  cabalants  et  les  rifii 
entâDdanls  d'avoir  fait  ce  massacre. 

A  propos.  Oaraccioli  ue  sait  rien  de   la  brochure  . 
qui  a  paru,  ^iis  son  nom,  contre  M.  Necker*.  II  serait 
très  curieux  de  la  voir.  Grimni  lui  fera  grand  plaisir 
de  la  lui  expédier. 

Je  me  réjouis  très  fort  de  votre  vertu  réiurreetive. 
Si  elle  TOUS  dure,  voua  flniret  par  accomplir  ma  pro- 
phétie, qui  est,  comme  vous  savei,  qu'à  la  longue 
vous  vous  enjambonoerei,  et  resterez  sftche  et  biea 
portante  jusqu'à  la  décrépitude. 

Voilà  du  monde  qui  ra'arrive  al  m'interrompt. 
A  nous  revoir;  k  samedi.  Adieu. 


1.  Ed  voici  le  Uu«  :  Leilr»  4e  M.  le  nurjuti  d*  Caraeotoli  à 
Jf.  ir4Jnii«-(,  17Si.  — (ictle  pièce  satirique  ett  de  feu  M.  leegnte 
de  Grimoird  :  elle  a  été  publiée,  avec  quelques  •ddltloos,  par 
XH.  Dgud«l  «1  loaun 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANl 


ntples,  <s  Juin  nu. 

Madame,  ce  n'est  que  ce  matin  à  midi  que  Carac- 
cioli  m'a  envoyé  les  deux  ouvrages  dont  vous  m'avez 
fait  présent.  Je  vous  remercie  de  ce  précieui  don. 
Je  n'ai  fait  que  les  feuilleter.  L'ouvrage  des  mesures, 
etc.,  m'a  paru  fort  savant,  fort  exact  et  d'un  travail 
épouvantable.  Qui  est  ce  H.  Paucton,  qui  en  est  l'au- 
leur  '  T  II  me  parait  qu'il  est  nommé  daos  un  Dialogue 
d  Emilie.  Pourquoi  une  si  belle  reliureî  Est-ce  que 
l'auteur  vous  en  avait  ftût  présent? 

Ces  Dialogues  sont  charmants  tout  à  fait.  Ce  rtAe 
d'Emilie  est  si  vrai  !  Jamais  on  n'a  dit  de  plus  grandes 
vérités  avec  plus  d'enfantillage.  Cest  un  grand  ou- 
vrage en  un  mot,  et  qui  pèse  autant  par  ce  qu'on  y 
dit  que  parce  qu'on  n'y   dit  pas. 

Vous  savez  les  grandes    querelles   qu'il  y  eut  en 

1.  Alexls-Iean-Pierre  Pauclon,  emploj'é  au  bureau  du  cadaitre. 
Son  grand  oUTrage  ■  pour  titre  :  Métrologie  ou  Traité  dtt  om- 
sures,  poiii  et  ntonnaies  dat  anciem  peuple)  et  de»  modamfi. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  tiiLIAM  621 

France  contre  les  jaosénistes,  à  propos  d'un  silence 
respectueuœ.  Ne  pourrait-on  pas  persécuter  de  même 
les  incrédules  sur  Xear  silence  respecltteux?  Ce  serait 
au  moins  une  chose  â  proposer  pour  le  bleu  de 
l'église. 

Ce  pauvre  abbé  Raynal  a  enfin  succombé  au  plaisir 
de  se  casser  le  cou  comme  auteur  célèbre  ' .  Quelle 
terrible  démangeaison  !  Je  prie  Dieu  tous  les  instants 
de  m'en  préserver. 

Je  vous  prie  de  dire  à  M,  Grimm  que  j'ai  été  à  . 
Home,  mais  je  n'ai  jamais  i-encontré  le  conseiller 
Reiffenstein.  J'avais  apporté  deux  exemplaires  de  mon 
ouvrage  pour  les  expédier  aux  Saxe-Ootha,  et  je 
les  ai  dooués  ù  d'autres.  Voilà  une  conduite  digne 
de  Diderot. 

Cai'accioli  su  porU;  très  bien.  II  parle  toujours  de 
Paris;  mais  il  ne  s'est  pas  encore  aperçu  combien  il 
le  regrettera,  lorsqu'il  sera  dans  la  monotonie  de 
l'eonui  et  la  sécheresse  du  travail  de  la  viee-royaulé. 
C'est  alors  qu'il  sentira  sa  perte.  A  présent  les  ca- 
i-esses  des  souverains,  les  compliments  de  tout  le  monde 
le  tieDDent  distrait  cl  presque  content. 

1.  L'abbé  Kayaal  venait  de  (aire  paraître  la  seconde  Édition 
de  ['Histoire  philoi(^igue  et  politique  des  HaUmementi  et  du 
tonmerce  des  Europiûn*  dans  les  Inde*.  Cette  (ots  il  avait  signé 
son  livre,  mais  comme  la  nonvelle  édition  était  encore  plus  har- 
die que  1b  précédente,  l'ouvrage  Tut  condamné  par  le  Parlement 
el  Baynal  obligé  de  quitter  la  France. 


jbïGoogIc 


r-t:  LF.TTRFS  [IK  (1  VLUr(l 

Gatti   TOUS    salue   bien  tendrement.   Nous   causons  ' 
loujours  de  vous  avec  Caracciolî.  Pour  ce  soir,  je  ne 
f)uis  TOUS   un  dfn>   davantage.  Aimez-moi,    soulena 
votre  santé  et  rroycï-moi  ponr  la  vie,   etc. 


Madame, 

N'allez  pas  croire  au  moius  que  Je  vous  aie  oubliée 
ou  négligée,  parce  que  depuis  longtemps  je  ne  tous  ai 
pas  écrit.  Sachet  <iue  je  me  suis  toujours  eolretemi 
avec  vous  :  je  vous  ai  entendue  causer  avec  un  plaisir 
Inlini.  Je  fais  ma  lectUK  favorite  de  vos  Convergatmts 
avec  Emilie,  que  je  n'ai  pas  l'honneur  de  connaître  ' . 


1.  lorsque  la  dueheiuie  de  Graoïmoat  ipprii  qu«  lActdttnie 
■VBJt  accordé  le  prii  aux  Convtrsationt  d'Emilie,  elle  dit  arec  sa 
rraDchtse  accoutumée  <  qu'elle  éiail  ravie  que  madame  d'Épi- 
nif  afi  en  le  prix,  d'abord  parce  qu'elle  «spérait  qo*  madasie 
de  Oenlis  en  mourrail  de  dépil,  ce  qui  aérait  uoa  eictUeaM 
Blhlre,  ou  qu'elle  se  Teogerait  par  une  buane  aaUt«  «Min  let 
pbiloHphea,  ce  qal  aereit  encore  »sKt  gai,  eauiite  puce  qu'elle 
était  bien  aise  que  toat  le  monde  tII,  ce  qu'elle  MDpfonnail  d*- 
puis  longtemps,  que  l'Académie  tombait  en  enfance.  > 


jbïGoogIc 


i;rttres  de  cai.iam  «« 

Mais  vous.  j«  vous  connais  el  je  vous  vois,  je  vous 
entends,  je  suis  de  toir*  les  eotrctiens.  Donnez-moi 
done  qaelqoe  éclaircissement  sur  ce  charmautouvrage. 
Qui  a  pu  composer  cette  originale  de  lettre  du  sieur 
Èloi  Godard't  Est-ce  vous-même?  Étiei-vous  si  gaie 
que  cela  au  milieu  des  souffrances  T  À-t-elle  un  fond 
de  vérité?  Est-e!le  en  entier  d'imagination  T  H  faut 
savoir  tous  les  détails  sur  ce  morceau  unique.  Et  ce 
conte  de  fées!  Si  j'en  avais  fait  un  pareil  à  N&pies,  on 
m'aurait  fourré  depuis  longtempsaucbfUeauSaint-Elme. 
Ne  vous  a-t-on  rien  dit  sur  le  compte  de  ce  conte  ? 

Votre  lettre  du  il  août  ne  vaut  pas  lu  précédente,  où  ' 
vous  mu  mandiez  que  votre  santé  était  bonne.  Cepen- 
dant, dans  celle-ci,  vous  parlez  de  crise;  ce  mot  signi- 
fiant  dfei«(on,  j'en  conclus  que  votre  procès  avec  la 
maladie,  celte  année,  est  jugi'  ô  votre  av.nnlage,  et  que 
vous  avez  gain  de  caasK. 

Vous  me  parlez  des  Celesia  obscurément;  mais  ils 
ne  m'ont  rien  mandé,  ni  à  Caraccioti  non  plus.  Est-ce 
qu'il  a  marié  son  aitiée?  J'en  suis  fAché  pour  ellg  et 
pour  moi. 

Carnccioli  se  porLe  à  merveille  ;  mais  il  a  tant  d'aver- 
sion pour  son  Palernie,  que  je  crains  qu'il  ne  se  fasse 
une  affaire  sur  ce  relard  excessif.  Son  vaisseau  est  prêt 


1.  Lettre   d'Ëloi    Godard.    Conv«naliont     d'Emilie,    t.    i. 
tl*  conversa ttoD,  p.  337.  LiuHniie,  FraD{oi8  Lacombe.  1T84 


jbïGoogIc 


6ii  LETTRES  DE  GAI.IANl 

depuis  plusieurs  jours.  Le  ministre  de  la  marine  crie 
contre  la  dépense  inutile  de  l' armement  ;  je  ne  sais  pas 
comment  cela  se  terminera.  Ne  dites  mol  de  ce  que 
je  vous  mande. 

Mon  ouvrage  de  droit  public  avança  lentement.  Je 
sens  que  je  suis  vieilli  et  que  je  ne  suis  i>lus  en  âge 
d'être  auteur,  sans  aide  ni  sccouis  d'autrui.  et  ici,  où 
le  trouver  ¥ 

Embrassez  de  ma  part  la  cliaise  de  paille,  qui  sera 
de  retour,  à  ce  que  j'imagine,  de  ses  eaux  de  Spa. 
Faites,  mon  Dieu,  la  paix;  car  sans  cela  je  resterai  sans 
chocolat,  et  j'en  mourrai.  Adieu.  Mille  choses  au  baron 
d'Holbach  et  à  mes  vieux  amis. 

Je  suis  très  occupé  à  présent  de  l'aire  taire  une  su- 
perbe carte  géographique  du  royaume  de  Nnples.  Vous 
savez  combien  j'ai  été  fou  de  ce  désir  ;  H.  Zannoni  est 
avec  moi ,  et  nous  avons  déjà  un  bon  commencement. 
La  Terra  di  Lavore  est  en  bon  état.  Adieu  encore.  Mes 
respects  à  madame  de  Beisunce,  que  je  crois  l'écrivaiii 
de  votre  dernière. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI 


A    D  ALEHBERT   ' 

Hsples,  10  janvier  ITSI. 

MoD  cher  ami, 

Voici  une  excelleote  occasion  de  vous  écrire,  enfin  ; 
M.  Poli',  qui  a  déjà  eu  l'honneur  de  vous  être  pré- 
senté dans  son  premier  voyage  à  Londres,  vous 
remelira  celle-ci  :  il  est  bien  digne  de  cultiver  votre 
connaissance  et  celle  de  vos  amis.  M,  le  duc  de  Gravina, 
avec  lequel  il  est,  n'en  serait  pas  moins  digne,  si 
vous  éliez  plus  disposé  à  mêler  la  philosophie  avec 
la  cour. 

Quoi  qu'il  en  soit,  M.  Poli  vous  donnera  de  mes 
nouvelles;  il  vous  dira  combien  je  suis  engraissé, 
marque  certaine  de  mon  ennui  :  les  chartreux  sont 
tous  dodus.  II  vous  dira  que  je  me  suis  rapproché 
des    mathématiques,   en  m'occupant  à  faire  exécuter 

1.  Celte  lettre  n'a  pas  élé  (lubllée  dans  les  édiUuas  de  1818. 
ï.  Les  Failli  Éiaietit  des  banquiers  de  Liibeck  ;   ils  posgédaient 
des  matsnns  de  banque  dans  loules  les  capitales  de  l'Europe. 


jbïGoogIc 


6M  LETTRES  DE  (ilLIAM 

une  belle  carte  géographique  du  royaume  de  Naples, 

par  le  même  M.  ZaaDonî   qui  y  travaille  à  Paris. 

Notre  Caraccîoli  fera  bien  plus  le  bonheur  des  au- 
tres, à  Palerme,  que  le  eien.  !l  s'y  conduit  avec  la 
satisracliOD  des  souveraios,  avec  surprise  de  la  part 
du  peuple,  avec  rancune  des  grands:  inais  il  n'est 
pas  heureux.  Il  a  engagé  la  noMesse  à  faire  passer 
dans  rtle  une  troupe  de  comédiens  français,  et  il  en 
sera  apparennnenl  le  seul  spectateur  avec  plaisir. 

Aimez-moi,  homme  incomparable  :  mm^fM.  un  peu 
à  une  course  en  Italie.  Enfin,  que  faites-vous  toujours 
à  Paris?  Tous  devez  ce  voyage,  sinon  à  vos  amis, 
au  moins  h  votre  célébrité.  Il  est  plaisant  de  courir 
le  monde  comme  un  éléphant  ou  un  rhinocéros,  et 
de  voir  la  foule  qui  s'empresee  de  nous  voir  -et  ne 
comprend  pas  trop  pourquoi  elle   est  curieuse. 

Enfin  je  vous  recommande  le  porteur,  dont  le 
caractère  doux  et  poli  vaut  autant  que  ses  connais- 
sances. Adieu  ;  aimez  votre  admirateur. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  «ALIAM 


'  'a  son  excellence 

monsieur   de    schoiivaloff 

r.bambeUan  de  S.  M.  Impériale 


Mon  iacomparable  ami'. 

On  voil  bieD  qiie  la  géographie  et  la  obronologie 
empioleot  en  vain  leur  marobandise  ordinaire  avec 
vous  contre  moi.  Ni  l'immense  distance  des  Jieux,  ni 


t.  Cammualquée  par  M.  le  marquis  île  Fiers. 

B.  Oaliaai  et  SobouvaloO'  s'éUlent  liés  à  Paris;  la  séparation 
n'interrompit  pas  leurs  relations  d'amitiù.  Scbouvaloff  avait 
rempli  les  ronctions  d'ambassadeur  de  Russie  en  France;  il  tat 
jAppalé  en  1776  par  Calberine  II  et  cqmblé  d'fionneun.  ■  J'ai 
reçu  il  y  a  quelques  jours,  dit  madame  Du  DelTand,  une  lettre 
de  Pétersbourg  du  bon  SdiouvalolTi  il  est  dans  la  plus  haute 
faveur,  :rimpérBicice  )'b  Tail  grand  obatqb^llao.  Le  ^K(Dier  jour 
qu'elle  lui  Ut  prendre  du  thé  avec  elle,  elle  luidit  :  Je  veui  que 
vous  sojei  A  TOtre  aisearec  moi  comme  tous  l'étiez  avec  madame 
DuDelÇiiid.i—iicbDuvBtoffétaitdu  reste  un  adroit  courtisan  comme 
on  vale  voir  :<SaTez-vousque  jesuis  toute aère,écritCalherine,  de- 
puis que  M.  Schouvaloff,  revenu  des  pays  étrangers,  m'a  dit  que  les 
artistes  d'Italie  n'étaient  point  du  tout  embarrassés  de  faire  mon 
proQI,  qu'ils  prenaient  bonnement  buïte,  médaillon  ou  médaille 
d'Alexandre  et  qu'ils  en  taisaient  des  choses  qui  me  ressemblaient 
toul  comme  d'autres.    Il   a  un   camée  lait  comme  cela  que  tous 


jbïGoogIc 


618  LEiTTHES  DE  GA.LIAM 

le  laps  du  temps  ne  refroidissent  voire  amilié  pour 
moi.  Toujours  des  souvenirs  tendros,  des  compliments 
sincères,  et,  qui  plus  est,  des  présents  de  voire  pari. 
Je  vous  rends  bien  la  pai-eille  sur  les  deux  premiers 
articles,  mais  quant  au  troisième,  on  pourrait  bien  en 
dire  autant  qu'on  en  dit  ù  Louis  SIV  :  des  trois  choses 
que  César  lit,  il  ne  fit  que  la  troisième. 

Le  prince  Joussoupof  m'a  remis  le  manchou,  dont 
vous  l'aviez  chargé,  .\dniirez  ma  simplicîlé  et  ma 
crasse  ignorance  en  Toit  do  pcauK  d'animaux  morts, 
car  sur  celle  des  vivants  je  ne  suis  pas  autant  ii 
l'obscur.  Je  ne  connaissais  cfue  les  peauK  d'agneaux 
morts-nés,  ratiuccs  ou  Irisées,  el  je  n'avais  jamais 
encore  vu  les  dainasquées  (et  c'est  ainsi  qu'on  les 
nomme).  Il  m'a  donc  paru  que  le  manclion  a^-ait  été 
furieusement  endommagé  par  la  pluie  et  le  voyage,  et 
me  voilft  au  désespoir.  J'envoie  ensuite  chez  les  mar- 
chands pour  lâcher  de  réparer  le  désastre,  et  quel 
est  mon  étonuement  d'apprendre  que  ce  vice  est  une 
beauté,  que  tout  est  naturel  rt  qu'il  n'y  a  rien  de 
si  précieux.  .\gréez  donc  mes  remerciements  en 
proportion  du  présent  en  lui-même,  et  de  la  marque 
de  votre  souvenir,   qni  m'est  encore   plus  chère. 


les  amateurs  de  ma  pti.vsiuDomie  veuleul  eopiet  comme  tris 
reBsitmlilaoL.  Celte  aveDlurc  a  fait  que  je  me  suis  arnt.'* 
(CorresponilMice  de  Calherine.)  C'est  au  comte  Schouviloffqu'ett 
adreuËe  la  correspondaDce  littéraire  de  Laharpe. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GÀI.UM  U9 

Le  suadil  prince  m'a  appris  on  même  temps  deux 
nouvelles  de  vous,  l'une  très  désaftréahie,  l'autre  ravis- 
sante ;  il  m'a  dit  que  vous  aviez  soulTuit  une  terribl^ 
maladie  l'été  dernier,  et  voilà  le  mauvais,  mais  que 
vous  en  étiez  réchappé,  et  que  la  santé,  les  médecins, 
et  mes  vœux  peul^tre  aussi,  vous  engageaient  h  re- 
tourner en  Italie,  et  voilà  le  bon .  Faites  donc  cela. 
Revenez.  On  ne  meurt  jamais  ici  que  de  plaisir,  et 
nous  tâcherons  de  ne  pas  vous  en  rassasier.  Ne  croyez 
pas  qu'il  y  ait  loin  de  Pétersbourg  à  Naples.  Il  y  a  au 
vrai  une   Pologne  :i  traverser,  mais  tout   le  reste   est 


Le  prince  de  Francavilla  mourut  hier.  Il  aurait  dû 
j^tre  le  plus  heureux,  puisqu'il  était  le  meilleur  des 
hommes.  Hais  pour  être  Heureux,  il  faut  mieux  être 
avisé  que  bon. 

Nous  possédons  les  comtes  du  Nord  '  depuis  ven- 
dredi au  soir.  Nos  souverains  allèrent  à  leur  rencontre 
et  les  recurent  autant  dans  leurs  bras  que  dans  leur 
cœur.  Ce  que  je  vous  dis  là  est  vrai  au  pied  de  la 
lettre,  et  si  je  ne  persuade  pas  de  cette  vérité  tout  le 
monde,  vous  le  croirez  sûrement,  puisque  vous  con- 
naissez te  caractère  du  roi  et  de  la  reine.  J'eus  Ihon- 


I.  Le  grand-duc  «L  ti  grande -duchesse  de  Russie  qui  voya- 
geaient en  Europe.  Catherine,  par  l'intermidlalra  de  Grimin, 
aiaii  préTBDU  Galiani  de  leur  pasaage  en  lui  recommanda  ni 
d'aller  )e*  voir  dès  leur  arrivée  î  Naples. 


jbïGoogIc 


630  LETTRES  DE  GALUNI 

neur  de  leur  ëlre  présenté  samedi  par  la  reine  même, 
et  j'en  ai  reçu  un  accueil  si  gracieux  que  la  tète  m'en 
tourne.  Hais  comme  il  n'y  a  pas  de  roses  sans  épines, 
je  m'attends  à  ce  que  certains  beauii-esprits  de  ma 
chère  patrie  ne  me  pardonneront  jamais  cet  honneur, 
comme  ils  ne  m'ont  jamais  pardonné  celui  que  me 
firent  l'archiduc  et  l'archiduchesse  de  Milan. 

Je  suis  pour  le  moment  occupé  d'un  ouvrage  sur 
les  droits  des  souverains  neutres,  mais  il  ne  sera  pas 
achevé  d'imprimer  au  dépari  des  grands-ducs.  Ainsi, 
je  ne  puis  vous  faire  d'autre  présent  que  de  mon 
ancien  ouvrage  délia  Moneta,  que  je  viens  de  réim- 
primer avec  des  notes.  J'espère  que  quelque  seigneur 
de  la  suite  des  grands.ducs  voudra  bien  s'en  charger. 
Puisse-t-il  se  présenter  d'autres  occasions  pour  celui 
qu'on  imprime  à  présent,  mais  ne  vaudrait-il  pas  mieux 
que  vous  vinssiez  vous-même  le  recevoir  du  ma  main. 
Vous  me  trouverez  toujours  rempli  de  reconnaissance. 
Votre  très  obéissant  serviteur. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  <:Ar.IA^r 


A    MADAME   DU    BOCCAGE    ' 

Napl«?,  iB  (éirlar  iiu. 
Ma  belle  dame, 

Rieu  de  plus  aimable  que  la  lettre  que  vous  m'avez 
fait  l'hoaueur  de  m'écrire;  elle  m'a  fait  d'autant  plus 
de  plaisir,  que  je  me  croyais  oublié  de  tout  Paris. 
Madame  d'Éplnay  ne  m'écrit  plus  ;  elle  est  malade,  et 
c'est  au  milieu  de  ses  souffrances  qu'elle  travaille, 
qu'elle    reçoit    use    palme    académique    ' .    Je    ne 


1,  Marie-Aaoe  Lepage,  née  &  Rouen  d'une  bonordble  ramllle 
bourgeoise,  épousa  un  Snaocier  normaDd,  H.  Joseph  du  Boc- 
cage>  ■  Nous  loupioniquelqueroii  ichei  madame  du  EÎoecage,  dit 
MarmoDtel.  Elle  avait,  comme  madame  Geoffria,  une  société 
littéraire,  mais  inflnlment  moins  agréable  et  analogue  à  son 
humeuf  douce,  froide,  polie  et  (Hâte.  J'en  avais  été  quelque  temps, 
mais  le  sérieui  m'en  ëloulTuit,  et   j'en  fus  chassé  par  l'ennui,  v 

C'est  dans  cette  maison  que  te  docteur  Johnson  vit  un  soir  ie 
valet  de  pied  prendre  le  sucre  eaire  tet  doigta  et  le  meUre  dans 
le  café  :  e  J'étais  sur  le  point  de  refuser  la  tasse  qu'on  m'olfraii, 
dit  philotOF^iquemeol  le  docteur,  miia  apprenant  que  le  café 
était  fait  pour  moi,  je  me  décidai  à  goûter  les  doigts  de  Tom.  > 

3.  Madame  d'Eplnay  avait  obtenu  le  prix  Montyaa  pour  ses 
Coaverialiont  SÉinilie. 


jbïGoogIc 


632  LETTRES  DE  GAl.IAM 

suis  poiot  étonné  du  prix,  mais  de  l'ouvrage,  que  je 
connaissais,  et  qui,  à  mon  avis,  eût  remporté  le  prix 
dans  toutes  les  aoidémies  du  monde  ;  c'est  une  véri- 
table production  du  coeur;  et  voilà  sans  doute  ce  qui 
lui  aura  fait  donner  la  préférence  sur  la  pièce  de  ma- 
dame de  Genlis;  elle  n'avait,  dites-vous,  que  ce  seul 
concurrent;  mais  c'était  bien  assez.  Ne  parlons  ni  de 
la  plume  ni  du  cceurde  l'auteur  d'Adèle  et  Théodore; 
c'est  là  peutrétre  son  moindre  mérite,  mais  son  crédit, 
mais  des  amfs  si  puissants  parmi  les  quarante.  Qu'aura 
dit  le  perroquet  La  Harpe?  Ce  qu'il  y  a  de  plus  admi- 
rable en  tout  cela,  c'est  que  deux  femmes  seulement  se 
soient  disputé  le  plus  noble  de  tous  les  prix.  J'en 
connais  une  troisième,  dont  la  muse  eilt  à  coup  sûr 
partagé  les  juges,  si  elle  eût  daigné  concourir;  mais 
elle  se  contente  d'une  couronne  '. 

Vous  me  demandez  des  nouvelles  de  Rome;  que  vous 
dirais-je  qui  ne  vous  soit  connu?  Mon  dernier  séjour 
dans  celte  capitale  fut  de  courte  durée,  et  toujours  je  n'y 
vis  le  lendemain  que  ce  que  j'avais  remarqué  la  veille, 
des  hommes  métamorphosés  en  femmes,  des  nuées  de 
pauvres  gras  comme  des  chanoines,  des  religieux  sans 
religion,  un  désert  à  midi,  un  palais  à  minuit  ;  telle 
est  l'idée  que  j'ai  conservée  de  cette  ancienne  maîtresse 
du    monde;  c'est   donc  beaucoup    moins  dans  mes 

1.  Allusion  à  la  Couronne  que  madame  du  Boccage  avait  reçue 
des  mains  de  Voluire.  (Seriejs.l 


jbïGoogIc 


LETTRES   1)E  CALIANI  S3 

récils  qu'il  faut  chercher  Rome,  que  dans  certaiaes 
lettres  sur  l'Italie,  d'une  dame  pour  qui,  dit-on,  un 
grand  cardinal  se  fit  homme  '. 

J'accepte  avec  une  vive  reconnaissance  l'offre  que 
vous  me  faîtes  d'être,  au  défaut  de  madame  d'Ëpioay, 
ma  correspondunte  à  Paris  ;  en  cela  votre  amitié  vous 
eût  imposé,  il  y  a  quelques  années,  une  tAche  pénible; 
maintenant  je  ne  sais  plus  lire,  ni  écrire,  ni  penser; 
jevis  commeélrangeraumonde.  C'est  à  vous, madame, 
c'est  &VOUS  de  me  rendre  à  la  vie,  en  continuant  de 
me  donner  de  vos  nouvelles;  à  ma  résurrection  ne 
fait  pas  autant  de  bruit  que  celle  de  Lazare,  si  non 
scribentw  hœc  m  generatiorte  altéra,  ce  prodige  n'en 
fera  pas  moins  époque  dans  les  annales  de  l'amitié,  et 
soD  souvenir  n'en  restera  pas  moin»  dans  le  cœur  de 
celui  qui  est  très  respectueusement,  etc. 

P.  S.  —  Veuillez  bien  me  donner  des  nouvelles  de 
madame  d'Épinay,  de  la  vicomtesse,  de  Marmonlel.  et 
autres  anciens  amis'. 


1.  Allusion  au  bon  mot  du  pape  Benott  JIV,  en  vajint  le 
rardiniIPusioneiaeproiDPDeravec  mtdamedu  Boccage.  (Sertejs.| 

2.  Nous n'arons pas TOulu  Buppriner  cette lettrequln'eiiiiteque 
dins  rédlllon  Sériera,  mais  nous  jommea  persuadé*  qu'ellf  n'eji 
pas  en  entier  de  Gali«ai. 


jbïGoogIc 


r.ETTtIKfl  DE  GAI.IA'II 


Madame, 


»  d'Ëpinajr  n'est  plusl  j'ai  donc  aum  cesa# 
d'dtrel  Voua  m'aviet  proposé,  dans  votre  daroière,  de 
continuer  avec  voui  la  cori^apondance  que  j'eus  l'hon- 
neur d'entretenir  si  longtemps  avec  elle  ;  je  uns  tout  le 
prix  du  saorifloe  que  tous  daignez  vous  Imposer;  mois 
comment  pourrais-je  y  répondret  Mon  oœur  n'est 
plus  paTTQJ  les  vivants,  il  est  tout  entier  dans  un  tom- 
beau. PardoRDe»-moi,  madame,  si  je  vous  écris  avec 
tant  de  franchise,  si  je  vous  montre  tant  d'ingratitude. 
Madame  la  vicomtesse  qui  me  donna  si  souvent 
des  nouvelles  de  sa  pauvre  mère,  n'a  pu  se  résoudre  à 
m'apprendrc  Une  Si  grande  perte;  c'est  vous  qu'elle  a 
priée  de  remplir  cette  triste  mission  :  elle  ne  pouvait 
mieux  choisir;  qui  mieux  que  vous  soulagerait  ma 
douleur,  si  elle  était  susceptible  de  soulagement?  Nais 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALrANF  (iK 

il  n'y  en  a  plus  pour  moi  ;  j'ai  vécu,  j'ai  donné  de  sages 
conseils,  j'ai  servi  l'ËUt  et  mon  maître,  j'ai  tenu  lieu 
de  père  à  une  famille  nombreuse,  j'ai  écrit  pour  le 
bonheur  de  mes  semblables,  et  dans  cet  âge  où  l'amitié 
devieut  plus  nécessaire,  j'ai  perdu  tous  mes  amis!  J'àl 
tout  perdu!  on  ne  survit  point  à  ses  amis. 

Encore  une  fois,  madame,  daignez  me  pardonner  è( 
croire  que  si  je  n'ai  plus  la  force  de  vous  écrire,  je 
n'en  conserve  pas  moins  le  souvenir  de  vos  bontés  et 
le  désir  de  vous  prouver,  tant  que  je  serai  condamné  fi 
traîner  encore  une  misérable  existence,  avec  quels  seii- 
linientsj'ai  l'houneur  d'f'tre,  etc. 


•'la  reine  CAROLINE  DE  MAtiLES  AO  COt^SEILLBB 
rERDI-tAIttl  GALIANf 


Monsieur  le  conseiller, 

ie  vous  éaii  pour  veus  eiprimer  le  cha^n  qve 
j'éprouve  de  perdre  en  vous  un  homme  aussi  utile  au 

i.   Cette    lettre  nous  a  été  communiquée  par  M.  ûettïdj, 
directeur  de  rKceic,  ffaD;alK  d'archéologie  à  Rome.  Elit  ie 


jbïGoogIc 


C»  LETTRES  DE  r.ALIl?EI 

service  do  roi  et  de  la  patrie.  Je  tieos  eu  raCme  temps 
à  voiu  assorer  qne  j'aoni  grand  soin  de  TOtre  nitee  ai 
faveur  de  laquelle  tous  m'arei  parlé  antrefois.  ie 
m'efforeeraj  de  montrer  aiosi  ma  ^titnde  pour    tos 


Hais  après  aTOir  essaye  de  \'oas  traaqDtlIiser  sur  ceox 
t|ai  TOUS  sont  cbers.  je  ne  pais  m'empficber  de  voua 
parler  de  Tous-même,  et  je  crois  en  ceb  tous  être 
utilr  et  TOUS  donner  la  plus  grande  preuve  de  ma 
reconnaissance. 

Vou.1  êtes  sur  le  point  de  frani^iir  ce  passage  suprême 
qui  conduit  à  b  vie  élemclle,  et  de  rendre  compte  de 
l'emploi  de  votre  existence  terrestre,  ausH  bien  que  des 
remarquables  facultés  que  la  Providence  vous  avait 
départies.  Quel»  que  soient  la  gravité  et  le  nombre  de  vos 
erreurs.  Dieu  fst  infiniment  miséricordieux,  et  cette 
maladie,  pendant  laquelle  il  vous  laisse  toute  votre  intel- 
ligence et  l'entière  possession  de  vous-même,  est  uo  effet 
de  sa  bonté  sans  limites.  Hais  craignez  d'en  abusa-  : 
abandonnez,  je  vous  en  conjure,  cette  fausse  idé«  de 
vouloir  montrer  nn  esprit  fort,  qui  n'est  qu'un  entête- 
ment irréfléchi.  Fruit  d'une  vie  licencieuse.  Ne  vous 
souciez  point  des  flatteries  de  ces  faux  amis  qui  vous 
entraînent  à  la  perdition  étemelle.  Croyet-moi,  jeiez- 


jbïGooglc 


LETTRES  DE  GALIAM  637 

VOUS  daas  les  bras  du  Dieu  de  miséricorde,  renODcez  à 
vos  erreurs,  éditiez  par  uae  ha  exemplaire  ceux  que 
votre  conduite  a  scandalisés  ;  réparez  ainsi  le  mal  accom- 
pli! Vous  recueillerez  de  cette  façon  l'estime,  leséloges 
et  l'admiration  de  tous. 

La  reconnaissance  même  que  j'ai  pour  vos  fidèles 
services  et  l'admiration  que  m'ont  toujours  inspirée 
votre  esprit  et  votre  génie,  me  jettent  dans  une  vive 
inquiétudedepuisqueje  vous  saisdacs  ce  péril  imminent. 
Je  voulais  vous  parier  ;  j'ai  appris  que  vous  n'étiez  plus 
en  état  de  sortir  ;  je  me  reproche  amèrement  de  n'avoir 
pas  mis  à  profit  les  derniers  jours  oîi  je  vous  ai  vu. 
Ënlin,  écoutez  ma  voix,  jetez-vous  dans  les  bras  du 
Dieu  de  miséricorde,  du  père  qui  pardonne;  offrez- 
lui  votre  mort  pi-ématurée,  vos  souffrances,  vos  peines, 
et  réparez  par  une  fîo  édifiante  le  scandale  que  vous 
avez  donné.  Refusez  voire  porte  aux  fbux  amis  (jui 
vous  flattent.  Quant  à  moi  je  méprise  leur  conduite. 

L'espérance  de  vous  faire  rentrer  en  vous-même  et 
de  vous  rendre  ainsi  le  plus  grand  des  services  m'au- 
rait engagée  à  venir  en  personne,  si  mon  rang  ne  me 
le  défendait.  Remerciez  l'Être  Suprême  de  vous  avoir 
doué  de  si  grands  talents  ;  repenlez-vous  de  l'abus  que 
voas  en  avez  fait,  et  profitezde  vos  derniers  instants  pour 
expier  vos  fautes,  réparer  le  scandale  que  vous  avez 
donné,  et  rentrer  en  grâce  auprès  de  ce  Dieu  de  misé- 
ricorde (jut  vous  ouvre  les  bras  pour  \'ous  presser  sur 


jbïGoogIc 


63e  LETTBES  D£  fiiLIANl 

scw  .tiwur,  pour  vous  panloimer  et  voue  macbce  sa 
:^ce..  Vous  fwe^  Uop  li'ûiteUigeuqe,  i'«o  suis  sàe,  pour 
-dwtor  .4e  i'esisUkace  de  tx  ItûMi.  Autour  de  vous,  tout 
J«  ^iCiMUte  ;  MiMt  «e  ^^  vous  «rriy«  e&l  dirigé  par  b» 
main  puissante  ;  je  ne  cbercherai  pas  À  vous  démcratrer 
«iiue  ichosedwt  voi^  êtes  déjà  coavaincu,  j'en  suis.cer- 
taiae:;  iletcwraDt  des  passions,  uxie  société  dangereuse, 
ttittUi  du  j)jftn  auront  été  la  cause  de  tos  enei|tf6  accu- 
BHiléee,  utaie  il  «stlemps  encore  :  la  Iwteur  de  votre 
«44^1  vaw  jn^uiélude,  la  lettre  ^ue  je  vous  éciis 
«ont  autant  de  .preuves  de  la  miséi;icoEde  divine,  qui 
vous  tead  les  bras  pour  vous  presser  sur  son  sein.  Pio- 
titee^W,  je  vous  eu  conjure.  £di&ez-aous  par  voire 
&a  ;  qti'^Ue  soit  celle  d'UQ  liéroB  chcélien,  converti, 
capeataitt  et  résigné,  estimé  plu6«ncore  après  sa  mort 
,^ue  pédant  sa  vie.  Recevez  mes  avertissements,  ils 
partent  d'un  Kxeur  Irataruel,  abandonnez  toute  pensée 
terrestre.  Je  m'oocupecai  de  vos  pai-uats.  Si  Dieu,  qui 
est  ,tout-puiefiant  veut  vous  guérir  et  .voue  sauver,  j'en 
aurai  une  grande  joie,  mais  remettez  <tout  entee  ses 
.mains  paternelles  et  miséricordieuses,  fiez-vous  à  lui  ; 
.édifiez.ceuK  ,qui  vous  entourent,  réparez  les  scandales, 
jrepentez-vous  de  vos  erreurs,  supportez  vos  souffrances 
avec  résignation  .et  comptez  avec  c^titude  sur  la  misé- 
ricorde inliqie.  >Celle  qui  est  ipénétrée  ,de  .votre  perte, 

Caroline. 


jbïGoogIc 


teïTJlSS  BE  «4t,IÀSI 


'*^6A.L1ANI   A  LA   REINE   CAROLINE   DE    NAPLES 


Neplps,  I»  oMobrB  f 


Parmi  Jes  miséricordes  iotUiias  ,Que  te  .Cwl  m'* 
accordées,  je  regarde  cQDame  une  de  ses  J«.vcDrs  Jas  plus 
rares,  d'avoir  ému  l'âpe  ^pieuse  de  Voiae  Jt|»>«até,  i 
ce  pQiat  que  la  Aeine  eUe-m^e  méat  «ne  jtBea^ar  de 
rentrer  dans  le  geôlier  de  la  vertu,  du  .de.v!cur  «t  ,dv 
aalut  éternel.  Je  recoDoaitrai  toujours  .daiis  .une  toUe 
.action  une  «ouveraine  aussi  litndcc  .yue  ,1a  iseillQnoe 
des  mère^  et  j'en  rendrai  étecneUemeat  .giftce  au  Très- 
Haut. 

Cependant,  pour  4tre  vrai,  je  dois  dire  .gue  Aion 
ei^t  n'e^t  poiot  aussi  éloigné  .du  droit  .ohemùi  (|ue 
pourraient  Je  faire  .croire  les  doutes  let  lee  inquiétudes 
gu'ei^prime  Votre  U^eslédans  sa  très. clémente  .letlte.; 
je  ,De  veux  point  nier  que  je  iCaie  été  .qt  que  je  pe 


jbïGoogIc 


640  LETTRES  DE  GALIANI 

sois  isncon.'  un  pécheur,  et  jo  prie  continuellement 

le  Ciel  d'user  envers  moi  de  miséricorde. 

Mais  je  puis  affirmer  que  les  maximes  de  l'éter- 
nelle morale  et  de  la  viritabb  religion  chrétienne  sont 
toujours  restées  gravées  dans  mon  esprit.  Je  prie  Dieu 
de  me  les  conserver  telles  jusqu'à  la  fin.  J'en  donnerai 
de  constantes  preuves  en  toute  occasion,  et  cela  ne  me 
coûtera  nul  effort. 

Je  me  sens  encore  assez  de  force  pour  conserver 
l'espoir  de  baiser  de  nouveau  les  mains  de  Votre  Majesté 
et  aussi  de  la  servir  jusqu'au  terme  de  ma  vie  ;  mais 
ce  tenno  est  prescrit  par  Dieu  et  n'est  connu  que  de 
lui  seul.  Toutefois,  si  les  médecins  en  jugent  mieui 
que  moi  et  que  leur  sentence  soit  sans  appel,  ce  sera 
une  bonté  infinie  de.  la  part  de  Voire  Majesté  de  ne 
point  abandonner  (et  elle  me  le  fait  espérer)  ma  belle- 
sœur,  la  marquise  Galiani,  et  son  mari  D.  Tolomeo 
Rorsi,  et  de  faire  obtenir  à  ce  dernier  l'avancement 
qu'il  a  mérité  depuis  longtemps  par  sa  bonne  conduite 
et  ses  loyaux  services. 

Puisque  la  bienfaisance  de  Votre  Majesté  est  iné- 
puisable, j'ose  la  prier  encore  de  vouloir  bien  présenter 
l'avocat  D.  Francisco  Azzarriti,  mon  jeune  parent,  pour 
l'emploi  de  secrétaire  du  Tribunal  de  Commerce;  j'ai 
en  partie  élevé  ce  jeuue  homme  ;  jo  l'ai  guidé  dans  sa 
carrière;  les  magistrats  ne  pourront  que  me  remercier 
de  l'avoir  proposé. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALlANt  641 

Je  ne  voudrais  pas  lasser  la  patience  de  Votre  Ma- 
jesté, surtout  par  un  mouvemcot  qu'on  pourrait  taxer 
d'orgueil,  mais  il  m'esl  impossible  de  ne  pas  dire  quu 
si  j'ai  de  nombreux  péchés  k  me  reprocher  comme 
homme  et  comme  chrétien,  je  ne  puis  m'en  repro- 
cher un  seul  ni  comme  magistrat  ni  comme  sujet. 
Je  suis  aux  pieds  de  Votre  Majesté. 


Les  trois  lettres  suivantes,  qui  sunL  incdilcs,  mtus  sont 
parvenues  trop  lard  pour  pouvoir  Hn  placées  à  leur  date. 


Sur  ce  que  Votre  Excellence  me  fit  l'honneur  de 
me  communiquer  vendredi  au  soir,  en  présence  de 
M.  l'ambassadeur  d'Espagne»,  au  sujet  de  ce  que  M.  de 
Basquiat*  lui  aurait  écrit  de  Napics,  touchant  l'af- 
(aire  delà  prise  de  la  Partenope*,  mon  devoir  ne  me 

1.  CommuDiquée  par  M.  Piertntoni. 

2.  Le  mirquis  Grimaldi, 

3.  Premier  secrélaire  de  l'ambassade  de  France  t  Nsples. 

4.  La  Parlenopt  était  un  narire  napolilam  chargé  de  tabac  et 
Btilres  marchandises  de  coDlrebande-  Il  fut  saisi  per  des  cor- 

II  <tl 


jbïGoogIc 


us  LETTRES  DE  Q&LUMI 

penDût  pas  de  négliger  d'assurer  à  Votre  Eicellence; 
que  je  n'u  reçu  d'autre  ordre  de  nu  oour,  que  de  pré- 
seater  una  rinasenta  et  amtca  tuwuria,  pour  cl>leair 
de  Sa  Uajesté  Très  Catholique  la  révocaUoa  de  l'irré- 
gulLère  sentencd  émanée  du  Conseil  des  Prises.  Et* 
comme  rien,  assurément,  ne  doit  être  plus  éloigné  des 
intentions  de  la  cour  de  Naples.  que  de  vouloir  avoir 
recours  à  d'autres  moyens  qu'à  ceux  auxquels  elle  est 
accoutumée,  et  qui  sont  conformes  à  la  parfaite  har- 
mooie  qui  règne  entre  les  deux  cours,  je  ne  nnrais 
me  persuader  qu'il  n'y  ait  eu  quelque  mit  enUmdu 
dans  cette  affaire  qui,  par  sa  petitesse  et  sa  nature,  est 
incapable  de  douner  aucun  nujet  de  plainte.  Sur  cela, 
j'ose  supplier  Votre  Excellence  de  vouloir  bien  m'ac- 
corder  la  grftce  de  suspendre  toute  explication  de 
ressentiment  à  ce  sujet,  comptant  que  j'aurai  l'hon- 
neur, mardi  prochain,  de  parler  à  Votre  Excellence,  et 
de  lui  faire  voir,  par  des  preuves  incontestables,  la 
vérité  de  Ce  que  je  viens  de  représenter. 

Je  suis.  Monseigneur,  avec  le  plus  profond  respect, 
le  tréa  humble  et  très  obéissant  serviteur  de  Votre 
'  Excellence. 

Mires  français,  quoique  sous  (Mvilldn  uipaliMin  et,  malgré  ions 
les  elTorta  de  Calîtni,  déclaré  de  banne  prise  pir  le  Cooteil  des 
Prises.  Il  s'si;ijsait  de  faire  révoquer  cet  arrêt.  Taoucei  anit 
cette  affaire  à  cœur,  noo  pour  h  chose  en  elle-m£me,  mais 
couinie  principe  à  l'égard  du  respect  dd  au  parlllon  nspolitaio. 
Galiani  parrinl,  mu  faire  rtroqner  la  déeition,  k  obtenir  une 
iDdemnllé. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  6ÀLIAII1 


Rue  Neuve- Sud  l-Roch, 

au  bureau  des  Gazettes. 


McuK^er  ami, 


Vous  avez  ea  un  manuscrit  qui  ne  poovsît  s'appeler 
qu'un  embryon  informe.  11  y  avait  dix  mille  béttses 
dedans.  L'ouvrage  (f  un  homme  qoi  n'a  ni  livres,  ni 
temps,  ni  eude  de  se  faire  imprimer  ne  saurait  jamais 
ètreautrcmeuE. 

Je  ne  puis  arouer  ni  permettre  qoe  tods  imprimiez 
autre  chose  que  la  feuille  que  je  tous  ai  envoyée,  et 
dont  la  continuation  jusqu'à  l'ode  31  fous  sera  parvenue 
à  cette  heure.  Vous  ne  m'avez  rien  dit|  rien  averti) 
rien  communiqué,  ainsi  vous  ne  pouvez  vous  plaindre 
en  rien  de  moi.  i'aurais  bien  à  me  plaindre  de  vous  si 
vous  m'imprimiei  malgré  moi.  Mais  je  n'ai  pas  la 

t.  Communiquée  par  HM.  Futtick  et  SlmpMo,  iTec  l'antorisa- 
tioa  du  possesseur  actuel.  H,  tumea  Alitou,  libraire  à  Barrow 
in  Furneu  (Angleterre)- 


jbïGooglc 


eu  LETTRES  DE  GÀLlàHI. 

Ibrco  de  vous  empêcher  de  commettre  un  mme  de 
lèse-amitié  et  de  trahison  liltératre.  Au  reste,  il  y  va 
autant  de  votre  honneur  à  applaudir  à  des  bfitises, 
qu'i  moi  de  les  avoir  dites.  Je  crois  qu'une  misérable 
brûlure  d'une  demi'feuille,  dans  un  siècle  où  on  brûle 
tant  de  papier,  ne  saurait  pas  tenir  contre  des  consi- 
dérations aussi  graves  et  aussi  puissantes. 

Qui  est-ce  qui  vous  a  dit  que  mon  livre  ne  sera  pas 
imprimé?  Quoique  tout  le  monde  m'ait  abandonné, 
est-ce  que  je  ne  pourrais  pas,  moi  tout  seul,  le  lécher 
tant  et  tant  qu'enfin  j'en  fisse  un  ours? 

Souvenez-vous  que  l'honneur,  la  foi,  l'amitié,  l'ob- 
servance (tes  paroles  données,  sont  la  mesure  des  sen- 
timents que  je  vous  ai  voués,  et  avec  lesquels  j'ai 
l'honneur  d'être  votre  très  humble  et  obéissant  ser- 
viteur '. 


t.  C'eit  par  lea  soin)  de  M.  Edmond  CotUnet  que  nous  avons 
eu  rommunication  de  celle  lellre.  Nous  smimes  benreoi  de  sai- 
sir cette  occasion  de  témaigaer  t  l'ami  et  au  letb^  loule  notre 
raeannalsMnce  pour  le  concoors  si  dévoué  et  si  utile  qu'il  a  bim 
voulu  nous  fréter. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIANI 


■  A   DALEHBERT 


Je  VOUS  lais,  moo  cher  d'Alembert,  mes  adieux;  je 
n'u  pas  eu  le  courage  de  prendre  congé  de  vous;  ce 
soat  des  moments  terribles  pour  un  coeur  sensible  de 
se  séparer  pour  toujours  de  ses  amis  et  des  personnes 
qu'on  aime  et  qu'on  estime  et  bonore,  et  qui  ont  Doit 
le  bonheur  de  ma  vie  pendant  moq  séjour  dans  ce 
pays^l.  Adieu,  mon  cher  ami,  je  vous  écrirai,  et 
j'espère  que  vous  me  donnerez  quelquefois  des  nou- 
velles de  votre  santé,  et  mo  direz  quelque  cbose  du 
courant  des  sciences,  au  moyen  de  quoi  je  pourrai 
encore  croire  n*étre  pas  sorti  de  ce  monde.  Adieu, 
mon  cher  ami  ;  souvenez-vous  de  moi  dans  vos  char- 
mantes sociétés;  j'aurai  toujours  dans  mon  cœur  le 
doui  et  tendre  souvenir  d'un  ami  si  digne  et  res- 
pectable. Vale. 

i.  Communiquée  par  M.  Dubranbult.  Celte  lettre,  icrlte  m 
moment  où  GtllanI  paruil  dé^eapéré  de  Paris,  porte  l'eraprelnie 
du  plus  grand  trouble,  et  d'une  as»ex  grande  confusion  d'idées 
et  de  itjrle. 

riH    DU    TOHK    SKCOND 


jbïGoogIc 


bïGoogIc 


APPENDICE 


Voici  ce  que  Diderot  (Corre^randance  «vec  inadamolulla 
Voland.)  dit  de  H.  Leroy  : 

■  Comme  nous  élions  occupés  un  de  ces  apiès-midi,  le 
père  Hoop,  te  baron  et  moi,  k  faire  une  partie  de  billard, 
on  entend  le  bruit  d'une  voiture  lâgère  sur  ts  chaussée; 
la  porte  du  billard  s'ouvre  aubilement.  C'est  madame  d'Hol- 
bach qui  entre  et  qui  nous  demande»  avec  une  Joie  qui 
rayonnait  autour  de  son  visage  comme  une  auréole  : 
■  Devinez  la  visite  qui  nous  vient* 7  Comme  nous  ne 
devinions  personne  qui  nous  aimflt  assez  pour  venir  s'en- 
fermer avec  nous  par  le  temps  qu'il  Taisait  :  *  C'est  H.  Le 
Roy  *,  nous  dit-elle.  Nous  allSmes  tous  l'embrasser.  Si 
TOUS  saviez  combien  je  l'aimo,  vous  sauriez  aussi  combien 
it  m'a  été  doux  de  le  voir.  ■ 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GAIIAM 


Madame  Helvélius  élait  une  demoiselle  de  Ligniville: 
■  C'est  une  femme  très  aimable,  qui  s'est  fait  un  caractère, 
qui  l'a  aSranchie  au  milieu  de  ses  semblables  toutes  es- 
claves. >  (Diderot  à  mademoiselle  Voland.  1760.)  —  Fon- 
tenelle,  flgé  de  97  an^  lui  adressa  un  jour  ud  mot  charmant: 
>  Venaut  de  dire  a  madame  Helvètius,  jeune,  belle  et  nou- 
vellement mariée,  mille  choses  aimablea  et  galantes,  il 
passa  devant  elle  pour  se  mettre  à  table,  ne  l'ayant  pas 
aperçue  :  •  Voyez,  lui  dit  madame  Helvètius,  le  cas  que  je 
dois  faire  de  vos  galanteries  :  Vous  passez  devant  moi  sans 
me  regarder.  —  Madame,  dit  le  vieillard,  si  je  vous  eusse 
regardée,  je  n'aurais  pas  passé.  i>  (Chamfort). 

lU 

La  sévère  madame  Necker  ne  craignait  pas  d'écrire  à 
M.  Mejster  : 

<  J'ai  lu  plus  d'une  fois,  avec  un  grand  plaisir,  le  pK'- 
cieux  manuscrit  de  mademoiselle  Clairon;  témoignez  lui, 
je  vous  prie,  combien  je  suis  sensible  à  la  flveur  qu'elle 
m'accorde.  Sa  manière  d'écrire  et  de  converser  a  pour  moi 
un  attrait  particulier  ;  c'est  im  je  ne  sais  quoi  d'une  per- 
fection idéale  et  cependant  réelle.  > 


IV 


Voici  comment  Grimm,  dans  sa  correspondance  littérair 
explique  le  terme  de  juveigneur. 


jbïGoogIc 


APPENDICE  849 

•  On  appelle  ainsi  un  cadet  apanage;  M.  le  duc  d'Orléans 
csl  juitigneur  de  la  miiâon  de  Franco.  Ce  mot  est  peut- 
Atre  uno  corruption  du  mot  junior,  dont  les  C^rs  du 
BoS'Empira  appelaient  ceux  qu'ils  associaient  à  l'Empire. 


LBTIRE  DU   5  SEPTBVBBR  1772. 

Son  Hisloîre  pitilosojih-'que  et  politique  des  itabliiaetneiit;  cl 
du  commerce  des  Européens  dam  les  deux  Indes  lit  un  bruit 
i>norme.  L'ouvrage  parut  sans  nom  d'auieur. 

tirimm  reprocha  à  l'abbé  d'avoir  manqué  de  méthode, 
de  simplicité,  de  justesse,  mais  >  nous  n'en  admirons  pas 
moins,  ajuute-t-il,  le^  sublimes  beautés  dont  cet  ouvrage 
est  rempli.  Depuis  l'Iîxprrt  des  Loin,  notre  liiléralure  n'a 
peut-être  produit  aucun  monument  plus  digne  de  passer  à 
la  postérité  la  plus  reculée  i. 


Diderot  avait  imaginé  l'inscription  suivante  : 

PB0VL1CATIS   BOBTIUH  ARMIS 


WONUHB.tTCH   POSUIT 

CATHABINA 

nOHIH*   SBCUXDA 

ANNO  1772. 


jbïGoogIc 


«»  LETTRES  DE  GALIA>'t 

■  Je  n'aime  pas  trop  cette  inscription,  dit  Grimm 

En  conséquence  de  ces  considérations,  je  me  suis  adressé, 
pour  ma  propre  satîsfaaion,  à  l'abbé  Galiioi,  et  je  lai  ai 
demandé  une  iûscription  selon  mon  goût  pour  la  statue 
de  Pierre-le-Grand.  » 


LETTRR  nu  19  DiCEMBBlîlTia. 

Voici  comment  Grimm  appréciait  l'ouvrage  de  Thomas  ; 

■  Sophie  Arnould,  plus  Justement  célèbre  par  les  saillies 
de  son  esprit  que  par  son  chant  asthmatique,  ayant  Je  ne 
sais  quelle  affaire  de  cheminée  &  discuter  avec  lemiaislrs 
qui  a  le  déparlement  de  Paris,  H.  Thomas,  de  l'Acadéniia 
française,  lui  dit  :  «  Mademoiselle,  j'ai  eu  occasion  de  voir 

■  H.  le  duc  de  laVrilliëre  et  de  lui  parler  de  votre  cheminée; 
1  je  lui  en  ai  parlé  d'abord  en  citoyen,  ensuite  en  {diilo- 

■  sophe  — Eh!  monsieur,  iuien-ompii  mademoiselle  Arnould 
1  c;  n'était  ni  on  citoyen  ni  en  philosophe,  mais  en 
>  ramoneur  qu'il  fallait  parler.  ■  Je  crains  qu'il  n'en  soit 
des  femmes  comme  des  cheminées  :  quand  on  veut  en 
parler  et  surtout  écrire,  ce  n'est  ni  en  citoyen  ni  en  philo- 
sophe compassé  et  didactique  qu'il  faut  traiter  ce  chapitre, 
mais  en  homme  sensible,  avec  un  style  plein  de  gr&ces, 
de  magie  et  de  charmes.  ■ 

VIII 

LBTTKB  DU   19  DiCIHBRB  ITTl. 

Pour  expliquer  ce  passage  nous  ne  pouvons  que  dier  cet 
entrait  de  Bacbaumont: 


jbïGoogIc 


APPENDICE  651 

c  Des  lellres  partîculiëres  de  Venise  porter  t  qua  HoDcenigo, 
un  des  grands  de  cette  République,  ayant  été  atteint  et 
convaincu  du  crime  de  sod....,  a  été  condamné  h  être 
mis  dans  tin  sac  et  jeté  h  la  mer,  au  moment  où  il  se 
disposait  à  remplir  une  place  importante  dans  une  Cour 
étrangère,  à  laquelle  il  avait  él^  nommé.  Au  surplus,  ou 
dit  que  ce  supplice  est  celui  adopté  par  l'ancienne  légis- 
lation romaine.  *  (Bachaumont.) 

Le  duc  de  Villarg,  que  Galiani  met  sur  le  même  pied 
que  Honœnigo,  éUit  le  fils  du  célèbre  maréchal  de  Villars. 
Gouverneur  de  Provence,  membre  de  l'Académie  française, 
il  cultiva  les  lettres  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie  et  fut  intime- 
ment lié  avec  Voltaire. 


IX 

LBTTSE  DO  3  AVBIL  1TI3. 
Miraelt  dt  minCjofieùr. 

Nous  trouvons  dans  les  Mémoires  de  Gleichen  quelques 
détails  fournis  par  l'abbé  lui-même  sur  cette  fameuse 
relique.  —  On  sait  qu'elle  se  compose  du  sang  de  saint 
Janvier,  conservé  dans  de  petites  fioles. 

■  Ou  voit  dans  le  fond  de  ces  fioles,  à  la  hauteur  d'un 
d(Mgt,  une  matière  qui  ressemble  à  de  la  poix-résine  fort 
brune  et  dure,  laquelle,  quand  le  miracle  sa  fait,  s'élève 
subitement  en  bouillonnant  et  remplit  tout  a  fait  les  petits 
vases. 

*  L'abbé  Galiani,  qui  a  observé  tout  ceci  plus  souvent 
et  encore  mieux  que  moi,  et  qui,  de  plus,  se  fondait  sur 
l'autorité  de  son  oncle,  archi-chapelain  du  roi,  et  qui,  par 
ses  relations  avec  tout  le  clei^é,  pouvait  être  encore  plus 
instruit  que  mol ,  prétendait  que  cette  relique   était  si 


jbïGoogIc 


6il  LETTRES  DE  GÂLIÀNI 

aocienoe  qu'on  en  avait  absulument  perdu  la  véritable 
liutoire,  que  le  clergé  de  Naples  agissait  de  boane  fd, 
qu'il  ignorait  parfaitement  le  secret  de  ce  tour  de  passe- 
passe,  et  qu'il  s'opérait  Traiseniblableœent  par  la  cbaleur 
extérieure,  et  peut-être  par  un  certain  coup  de  main  pres- 
crit ou  accidentel . 

t  L'abbé  Galiauj,  dans  la  tête  duquel  chaque  explication  à 
donner  prenait  une  tournure  ingénieuse  et  instructive, 
employait  le  mystère  de  ce  miracle  pour  commenter  un 
passage  d'Horace  qui,  parUot  dans  son  épître  du  voyage 
à  Brindisi  des  fourberies  religieuses  de  ce  pays-U,  dît  : 

(  Thura  aine  igné  liqueraciunt,  credal  Judoeus  Apella  >. 
•  Ils  liquéfient  de  l'encens  sans  employer  du  feu.  Il  fau- 
9  drait  être  un  Jttif  comme  Apella  pour  le  croire.  ■ 

a  11  y  a  apparence  que  les  premiers  prêtres  chrétiens 
auront  trouvé  ce  secret  chimique,  et  croyant  que  celte 
gomme  brunêtre  ne  ressemblait  pas  mal  à  du  sang  caillé, 
ils  se  seront  dit:  >  Voîli  une  escellenle  chose  qui  peut  nous 
être  aussi  utile  qu'aux  prêtres  païens,  »  ils  l'auront  employée 
comme  fraude  pieuse,  très  utile  par  le  grand  succès  qu'elle 
a  eu.  0 

{.Vémoirfs  du  baron  de  Gleichen.) 


X 

.BTTRB  BD   3  AVRIL    1173. 


Walpole,  dans  ses  souvenirs,  parle  aussi  de  la  dtuation 
toute  nouvelle  qu'avait  créée  l'exil  de  Choiseul  : 

1  Le  duc  de  Choiseul  avait  reçu  l'ordre  de  se  retirer 
dans  les  propriétés  de  sa  femme  en  Toùraine,  où  il  avait 
bflli  un  château  magnifique.  Bien  qu'il  fût  criblé  de  dettes, 
il  y  vécut  avec  nn  surcroît  de  profusion,  en  conservant 


jbïGoogIc 


APPENDICE  U3 

uu  en  Bflèclaut  de  conserver  eod  eatrain  et  sa  légèreté 
naturels.  C'était  un  speclacle  tout  nouveau  pour  la  France 
de  voir  un  miuîstrc  disgracié  rester  l'objet  de  la  vénération 
et  de  l'amour  ;  il  était  aussi  nouveau  de  voir  le  roi  devenir 
impopulaire,  ou,  ce  qui  est  synonyme  dans  ce  pays, 
démodé. 

(Waîpole-  Mémoires  du  régne  île  Georgra  lll. 
Année  1771.) 


Le  comte  d'Aranda,  que  nous  avons  vu  longtemps  ambas- 
sadeur en  France,  avait  été  premier  mir.istre  en  Espagne 
et  son  administration  avait  été  remarquable  par  son  énergie 
et  par  son  intégrité.  11  avait  plus  de  jugement  que  d'esprit, 
plus  de  télé  que  d'habileté,  mais  son  inébranlable  fermeté 
suppléait  à  tout.  —Il  terminait  toutes  ses  phrases  par»  com- 
prenez-vous >,  et  celte  mauvaise  habitude  était  quelquefois 
plaisante.  Un  jour,  qu'il  jouait  au  pharaon,  chez  la  princesse 
de  Lamballe,  le  banquier,  voyant  qu'il  se  trompait,  refu- 
sait de  lui  payer  un  roup  qu'il  avait  gagné,  l'ambassa- 
deur soutenait  sa  prétention  avec  toute  la  fierté  castillane; 
enfin  voyant  que  le  banquier  ne  se  rendait  pas,  il  siùsit 
le  grand  chandelier  qui  était  au  milieu  de  la  table,  en  lui 
disant:  >  Corn  prenez- vous ,  que  voilà  un  chandelier  et 
qu'il  est  pour  vous  jeter  à  la  tête,  comprenez- vous  ?  >  Le 
banquier  le  comprit  si  bien  qu'il  se  sauva  de  la  chambre 
et  qu'on  eut  beaucoup  de  peine  à  le  ramener.  Ce  n'est  pas 
une  des  moindres  preuves  de  la  force  de  caractère  du  comte 
d'Aranla  que  de  s'fire  rorrigr  tu  H  h  coup  sur  une  seule 


jbïGoogIc 


fit  LETTRES  DE  GALIA.Ni 

plaisaDleriQ  de  madame  de  BeauTSu  de  soa  élerael  •  eora- 
preoe^vouB  >. 

Duc  de  Lévis  (Mémoire*). 


LBTTBB    DU  28  AOUT   1773. 

Galianî  exprime  encore  cette  même  idée,  que  les  héros 
DBÎsseat  maintenant  dans  le  Nord,  dans  un  sonnet  dédié 
au  duc  de  Brunswick. 

{Correspondance  littéraire  de  Crimm.) 


LBTTBB  DU  83  AVHIL  177*. 

Quelque  respect  que  nous  ayons  pour  les  lumières  du 
sublime  iibbé,  nous  sommes  fort  tentés  de  n'être  pas  tout 
h  fait  de  son  avis.  Les  grands  hommes  ont  presque  tou> 
jours  été  mieux  appréciés  par  la  posléritéque  parleur  propre 
siècle,  témoin  Homère,  Millon,  Galilée,  Descaries  et  luit 
d'autres.  La  raison  en  est  .simple  :  Un  grand  homme  ne 
l'est  qu'autant  qu'il  est  vraiment  supérieur  à  son  âiècte, 
et  L'on  ne  peut  être  bien  jugé  que  par  ses  pairs. 

(Correspondante  litUraire  de  Grimm.) 


Madame  d'Oberkirch  dit  du  comte  d'Albaret  : 

'"  J'avais  «lé  invitée  à  un  concert  de  jour  chex  le  comté 


jbïGoogIc 


APPENDICE  S5S 

d'Albaret.  C'était  un  Piémorttais  fort  riche  qni  avait  des 
musideos  "à  lui,  demeurant  chez  lui,  ne  sortant  Janiais 
uns  aa  permission.^  Il  eut  fou  de  musique,  il  a  un  salon 
exprfe),  où  l'on  en  lait  toute  la  journée,  ausii  ses  concerts 
riiaient-ili  excellents.  Ils  passaient  pour  les  meiltears  de 
Paris.  • 


LBTTBB  d'octobke  1774. 

Le  maréchal  ayait  l'habitude  d'user*  du  viens  style  et  il 
y  avait  son  franc  parler.  Le  jour  de  la  prise  de  voile  de 
mademoiselle  de  Lenoncourt  que  sa  tante  la  comtesse  de 
Rupelmonde  forçait  à  éire  religieuse,  et  qoi  ne  fut  sauvée 
du  cloître  que  par  le  marMial  de  Beauvau  et  l'archevêque 
de  Paris,  le  maréchal  de  Brissac  ne  pul  contenir  sa  colère; 
il  se  récria  toul  hautsur  •■  la  mani^ancieuse  perrucliooneriË 
de  la  laniAIre  à  l'endroit  de  sa  tourierelle  el  cobmbine  de 
nièce  qu'elle  avait  entrepris  d'encager  inhumainement  et 
déloyaument  ». 

Lorsqu'il  élail  major  des  gardes  du  corps,  il  voyait  avec 
impatience  toutes  les  tribunes  bordées  de  dames  au  salut 
des  jeudis  et  des  dimanches,  où  le  roi  ne  manquait  guère 
d'assister;  el  presque  aucune  ne  s'y  trouvait  quand  on 
savait  de  bonne  heure  qu'il  n'y  viendrait  pas.  Sous  prétexte 
de  lire  dans  leurs  heures,  elles  avaient  toutes  de  petitea. 
bougies  devant  elles  pour  les  faire  remarquer.  Un  soir  que 
le  rot  devait  aller  au  salut  et  qu'on  faisait  la  prière  qui  le 
précédait,  tons  les  gardes  étant  postés  et  toutes  les  dames 
pincées,  arrive  le  major,  qui,  paraissant  à  la  tribune  du 
roi,  lève  son  b&ton,  et  dit  très  tiaui:  «  Gardes  du  roi,  ren- 
trez dans  vos  salles,  le  roi  ne  viendra  pas.  •  AussilOt  les 


jbïGoogIc 


6»  LETTRES  DE  GALiÂM 

gardes  obéisseni,  les  petites  bougies  s'éteignent,  et  toutes 
les  femmes  se  retirent,  excepté  la  duchesse  de  Guicbe, 
madame  de  Daugeau,  et  une  ou  dea-L  autres  qui  demeurè- 
rent. Brissac  avait  posté  des  grenadiers  aux  déboacliés  de 
la  chapelle,  pour  arrêter  les  gardes,  qui  reprirent  leurs 
postes  dès  que  les  dames  furent  aasez  loin  pour  ne  s'en 
pas  douter.  Là-dessus  arrive  le  roi  qui,  bien  étonné  de  ne 
point  voir  de  dames  remplir  les  tribunes,  demanda  par 
quelle  aventure  il  n'y  avait  per3onne.  Au  sortir  du  salut, 
Brissac  lui  conta  ce  qu'il  avait  fait,  non  sans  plaisanter  sur 
la  piété  des  dames  de  la  Cour.  L^  roi  en  rit  beaucoup, 
ainsi  que  tous  ceux  qui  l'accompagnaieat.  L'bisloire  s'en 
répandit  im  médiate  i&ent  après,  et  toutes  ces  femmes  au- 
raient de  bon  cœur  étranglé  M.  de  Brissac. 

{L'Ancienne  Cour,  tome  111,  page  143.) 


XVI 

LBTTKB  DU   37   MAI  1712. 

Le  18  avril  une  émeute  grave  eut  lieu  à  Dijon  ;  les 
paysans  saccagèrent  plusieurs  maisons.  Le  gouvernement 
prit  les  mesures  les  plus  louables  pour  faire  diminuer  le 
prix  des  grains.  Hais  le  mouvement  n'en  continua  pas 
moins;  des  bandes  armées  parcoururent  le  Soissonnais,  la 
Haute-Normandie,  le  Vexin,  saccagèrent  tout  sur  leur  passage 
et  pénétrèrent  à  Versailles  jusque  dans  lu  conr  du  château. 
Le  lendemain  elles  étaient  à  Paris  où  elles  pillèrent  toutes 
les  boutiques  de  boulangers.  Le  lieutenant  de  police  Lenoir 
élait  hostile  à  Turgot  et  avait  montré  beaucoup  de  mol- 
lesse; Turgot  le  lit  desiiluer, 


jbïGoogIc 


APPENDICE  657 

Heureusement  lo  miil  n'Alla  pas  plus  loiu,  Turbot  prit 
les  mesares  lee  plus  rigoureuses;  une  armée,  sous  lecom- 
inaiideDient  de  Biron,  Tut  mise  à  la  disposition  du  conirA- 
leur  général;  ou  institua  une  cour  prévotale,  et  le  H  mai, 
le  roi  tint  à  Versailles  un  lit  de  justice  où  il  donna  les 
niutiis  qui  exigeaient  d'aussi  graves  mesures. 


Morellet  n'était  pas  de  Torce  à  répondre  à  Galiani  ;  voici 
comment  Diderot  appricie  sa  rérutation  : 

g  Vous  désirez  savoir  mon  sentiment  sur  l'ouvrage  que 
vous  avez  bien  voulu  me  confier  et  que  je  vous  renvoie: 
Le  voici  :  Je  le  trouve  dur,  sec,  plein  d'humeur  et  pauvre 
d'idées.  L'auteur  ne  me  paraît  ni  assez  pourvu  d'expérience, 
ni  assez  fort'  de  raisons  pour  briser  son  adversaire  comme 
il  se  l'est  promis.  11  le  calomnie  en  plusieurs  endroits;  il 
affecte  de  ne  pas  l'entendre,  ou  il  ne  l'entend  pas  en  quel- 
ques autres  > 

XVIll 

LETTRI    DU    23DtciMBltE    ITTâ. 

La  vie  de  mademoiselle  Qairon  chez  son  ami  ne  res- 
semblait il  aucune  autre.  Ni  l'impératrice  de  Russie,  ni 
celle  d'Allemagne  n'avaient  autant  de  caprices.  C'était  sans 
cesse  à  recommencer;  à  peine  un  d'eux  était -il  salislïit 
qu'il  s'en  présentait  six  autres,  et  toujours  tragiquement, 
toujours  avec  un  étalage  et  des  gestes  à  remplir  un  théâtre. 


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ew  i.ETTRIS  DE  SALIA.M 

«  Je  crois  que  le  bonnet  de  nuit  de  nmdemoisdle  CUimn 
••A  une  couronne  d«  papier  doré,  •  disait  Udy  Craven.  • 

{ifémoiifs  de  madame  d'Oberkirch'i. 

Clairon  nignaii  à  la  cour  du  margr<iv<^ quand  iaiij  Craven 
y  parut;  elk'  oe  [arda  pas  k  supplanter  la  comédienne. 

Après  troU  ans  de  lutte,  Clairon  qùlU  la  place.  1.^  mar- 
grave fl  lady  Craven  durent  atieadre  pour  s'épauser,  l'un 
la  mort  de  sa  femme,  qui  était  toujours  muurante,  l'autre 
celle  de  son  mari,qui  ne  valait  guère  mieux.  Libres  enfin 
tous  lus  deux  en  septembre  1791,  ils  liniit  tout  de  suite  cé- 
lébrer leur  union.  Le  margrave  mourut  en  1806.  —  Kn 
1S£(,  la  margrave  publia  ses  Mémoires  el  mourut  h  Naples 
en  1828.  On  trouve  son  portrait  dans  la  nouvelle  édition 
anglaise  des  lettres  d'Horace  Walpole,  avec  lequel  elle  était 
en  ourrespondance.  (T.  VI,  p.  371.) 


Cirimm  (Correspondance  Hltéraire,  avril  1776),  cite  une 
partie  de  la  lettre  précédente  en  la  développant  et  en 
l'approuvant.  Il  déplore  la  suppreesion  des  jurandes  et 
des  corps  de  métiers.  «  Les  rangs,  les  titres,  dit-il,  les 
prix  établis  dans  toutes  noa  penaioni  et  dans  tous  nos 
collèges  sont  les  premiers  motifs  qui  invitent  potre  enfknoe 
Et  s'instruire.  Ne  sommes-nous  pas  déterminés  h  Imvailler 
dans  un  Age  plus  avancé  par  des  motÉfs  de  même  oatursT 
Les  bonneurs  du  l.auvre,  les  cordons,  les  titres,  ont-ils  un 
autre  objet?  • 


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Voici  l'inscription  [loiir  madame  de  Pernou  : 

RAHULINS  iSNILI^  OLTHPU   S 


tOMÊS  ILSGAItTIA,    OHNIDH 
PBXTES  QtlAH  Bl 
SEU  ANIMI   DOTirUS   LONOe 
IL  11   XtTURITATB,   rACILLIMO 

PUT  ATS,   BIUGIOTIE, 

S[NOULAIll    IK  FATRBH   REVEREHTIA. 

TANTOQUe   EBIiA   VIE  U  II   OBSBQUIO, 

UT  eu»   LO   MUTUIS  OBaBHÏABTI*  OITICllS 

ANOFITI      SEHPEH      CERTAHINE      COTITENDBRIT. 

HDIC   IH    HSDIO  «TA11S   VLOBE    IKTERCKPTf 
>.   n.   PATIK  T[£   TANT£ 
:.    ANT.   CABOLOS  DUPLRI3 

HOC  EST   AD   PEBPETUAH  BOLITDDINSH 

ATQUB  SORITODINBM  BB8KBTATUS. 

POSUBBDHT. 


JbïGOOgIC 


jbïGoogIc 


II,  A  mtdama  d'Éplnsy.— Naplu,  5  janvier  17T2.       S 
Lu  reccLM  de  (ialli.—  Le  vin  antiicorbDtiqae  de 
K.  Le  Hoï.  —    Dora.    —    Hadame  Hecber  el  la  d£- 
cenc«.  —  L'inoculalloD. 

ni.  A  la  même.  —  Naplei,  11  janvier  illi.  ...       8 


IV.  A  la  même.  —  Naples,  35  janrier  1T13. 


V.  A  U  même.—  Naples,  15  rirrler  lT7i. 
L'éul  de   GalU.  —  Se>   frajeunl.  —  Le  di 


VI.  k  madame  de  Belmnee.—  Naplea,  fi  (êrrier 


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LETTRES  DE  CA!,r.\N[ 

Vil.  Au  prince  hérédiUire  île  Sate-tiolha.  —   Xa- 

ples,  26   févrlpf  mi 19 

VIII.  Mailime  d'Ëpiniy  à  Galiani tS 

«6ve:   madnnip  d'Épinay  se  troil  madcniDfielle 


IX.  .V  madame  d'£pinaj.-~i<Japles.  St  lévrier  tTTi. 
Béporue  su   révs  de  madame  d'Épinay,  ^  De  la 


\.  A  la  m«n>e.  —  Naples,  7  mars  lT7i.  .  . 

Explicallon  du  tlire  de  JuBeiunrur,  —  Le  vico 
de  HoDiboissier.  —  Cleîchen. 

XI.  A  la  même.  -  Naples,  14  mars  17».  . 


prince  de  Golba  ai  le  duc  de  Glocester.  —  GalU  ai 
'   '      lliiDculatloli.'-   T.o   miracle 'de  l'hêmor relue.    - 
Juveoal  el  RabM, 

U\.  A  la  raéme.  —  Naples,  il  mars  1773 

caliAUi  ambllieai.  —L'éducation  des  chats.  — Mora. 

Xill.  A  la  iD#me.  —  Naples,  38  mars  1771.  .  .  . 

GatUel  i'iDOGUlatlon.  —  Le  T<n  anliSCOrhalfque.  — 
Vnyage  d'Anquelil  aux  Indes. 

XIV.  A  la  raêma.   -  Naple»,   H    «Tril   1712.   .   .   . 

L'éiourdcria  de  HagaUen. 


XV.  A  mail  a  me  d'Épi  naj.  —  Naptes,  25  «Tril  1772. 
Histoire  de  l'tbbé  candon.  >-  La  reuile  de  Diderot 
9ur  l<>4   temmas.  —   L'histoire  deSlam.  —  RMti  re- 
loutnc  en  France,  —  Recade  pour  !*•  core. 

XVI.  A  la  ««me.  —  Naplu,  9  mai  1773.  .  .  . 

costumes  de  cour  et  de  illle 'pour  le  baron  Griami. 
—  L'uarice  de  lord  Sbalbam*.  — 


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IVll.  A  raonsienr  PelleriD.  —  .Nspin,  16  mal  17T2. 
Le   vicomta  de  Monlboliilsr.  ~  Le  pèr?  Maznun, 
l'abbé  Xanpl,  —  Lps  inédallle!i. 

XVIII.  A  madame  d'Ëpinaf.  -Napltui,  ï3  mai  1712. 

DiiTéreare  entra  ladmlrAiton  et  lestime.  —  Mâ- 
gallon.  -  U  CondaiDine. 

XIX.  A  madame  de  Beliunce.—Neplea,  30  mai  1773. 
HtsWIre  des  chats. 

XX.  A  madame  d'Ëpinay.  —  ^sples.  6  juin  1713. 


\XI.  A  la  même.  —  ^apiea,  13  jain  1713 H5 

imi  Laninrelus.  —  Les  bimanes. 

IXII.  A  moDslFur  le  chevalier  île  Magailou.  —  Na- 

ples,  19  juin  1773 »7 

Le  Fatal  paquet.  —  Le!'  loiiclieH  île  la  reine,  —  La 
Fologne  et  la  Russie. 

.  XXIII.  A  madame  d'Ëplnay.  —  Naplea,  19  juin   1773     89 

GBlti.  —    EHicacilé   des    einpWlrei,    —  Lpb  m(-- 

XXIV.  A  la  m^me.  -  Niplea.  S7  juin  1773 93 

tmotiOD  de  Gallani  en  recevant  une  Jeiin'  de 
inailgme  d'Kpioay.  —  Crimra  mourrn  d'aHliirPi  - 
^lai  il<>  crol^ninre.  ~  Centrils  t  Hora. 

XXV ,  A  la  mâme.  -  Naplea,  1 1  juillet  1773 V7 

M.  de  Monlbolssier.  -  La  IradiiclJaii  de  Juvénal. 
XXVI.  A  u  m#me.  -  Naples,  IH  juillet  1773 m 

prlnci's  morts;  inscriptions  sur  leurs  médailles:  le 
cliDléra  iDorbaii  :  miracles  d'une  »ainie  de  Nnpies. 


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LETTRES  DE  tiALIANl 
XXVII.  A  Hodamc  d'Ëpina;.  -  Napkes,  8  aoAl  1772..     lOi 


XXVIII.  A  It  même.  —  Napl».  13  •o<t'  "?' 'M 

Il  fout  écrire  par  la  poste. 

XXÏX.  A  la  même.-  Napln,  32  «oùt  1772. 105 

HGurel'avaricei  il  fani  écrire  par  lapMie.  —  catli, 
son  averfion  pour  U  France.  —  Biiloin  du  eomnitret 
dît  deiUB  Jada.  —  Suard  el  l'Académie. 

XXX.  A  Diderot.  —  Naples,  5  sept^nbre  1772. 108 

Voyages  au  Ksmtcbalka,  eu  Cbine  et  an  Japon, —  Bots 
que  devraient  se  proposer  Les  gramis  Toyageurs. 

XXXI.  A  madame  d'Épinay.  —  Xaplet,  5  septembre 

1772 111 

non  du  marquis  de  Croi»mare.  —  Le  dégoût  de  In 
vie  vous  rend  insenilbles.~Li  convalescence  de  Grimm. 
~  L'abbé  Baynai  et  YHisUiirt  phihiaphiqu: 

XXXII.  A  la  même.  —  Naples,  19  septembre  1771...    lia 

u  sanlé  de  Grîmm.  —  Sulels  sépuicraui  des  an- 
cien». ToDibeau  du  duc  stdoiaducliessede  Sa^ie-lioUia. 
—  Ouvrage  poBlbume  d'Belvélius. 

XXXIII.  A  la  mèrae.  -  Naples,  IT  octobre  1771 '  119 

Magallon.  —  Les  disettes.  --  Le  fatalisme, 

'  XXXIV.  A  Grimm.  —  Naples,  17  octobre  1772 112 

ID-Jcriplion  pour  la  statue  élevée  i  pierre-la-Grand, 

XXXV.  A  0iadB(nedÉpinay.-Naples,24Mi(»brel77ï    m. 

La receilo do »(aîna  iBnffiie.  —  Levlnaniiscorbuil- 
que.  —  Situation  de  Gallini  k  Napte!.  —  Le  comte 
Hiewuski.  ~  Le  chanoine  d'Etampei;  les  lanaliques. 

XXXVI.  A  U  même.  —  Naples,  30  octobre  1772 lîB 

Projet  de  monument  pour  le  prince  de  Sbii>.goi1u. 
a  Voltaire.  —  Le  Dialogur  ixr  lt$  Fm 


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TABLR  6B,-> 

led'Épinsjr.— Naplei.  7  nutembre  1773    134 


XXXVIII.  A  la  même.  —  Naples,  U  nov«nbre  1771....    138 

XXXIX.  k  la  même.  —  Naples,  31  novembre  1773....    139 

Ptc^Mdcdialague.  —  Buber,  dècoupeur  de  Voluire. 
XL.  A  M.  Baudouin.  —  Naples,  3g  novembre  1773    141 

La  qussiioo  de>  gTnins.  —  La  Tèaaiilé  des  chBriKS 
ie  Judicaliirc. 

XLI.  Àmadamed'Epiaay.  —  Naplea,  5  décembre  1773    1*6 


XL1I.   A  la  même.  —  Naples,  11  décembre  177!....     US 
1^  TtoîU  dti  dmit  ilt  nature  et  tiei  Qtni. 

XLIU.  A  la  même.  —  Nspleo,  19  décembre  1773....     151 

Caroccioli  ne  connaît  pLo»  l'Italie.  —  Le  Diatogi»  '«r 
len  femmt*.  —  Le  cbcvilisr  Mouceoiga. 

XLIV.  A  la  même.  —  Naple»,  3  janvier  1773 153 

Ce  quo  c'est  que 
—  Ce  qui  prodall 

préfèrp  la  monarcblc. 

XLV.  A  la  même.  —  Naplea,  9  janvier  1773    ...      156 

Mon  de  Saraale. 
SLVI.  A  la  même.—  Naples,  16 janvier  1773.  ...    157 

-  Gazelle  des 


XLVII.  A  ia  même.  -  Naplea,  33  janvier  1773  ...    161 

Gaietle  dea  spectaclea. 
XLVlll.  Madame  d'ËpIna;  i  Galiaiii.  —  12  janvier  1T73    164 
Enai  tur  Ui  ftmnut,  de  Thamai.  —  Lt    tyilinu 


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LETTRES  DE  RALIANF 

\UX.  A  midame  d'Éplnaj'.  —  Naples,t9J>iDvler1T73    lliU 
«iiiette  àei  spect«c1e-i. 
[..  A  la  m«me.  —  Naplei,13  février  1773  ....    114 

Qoe  H.  io  Sartine  force  Merlin  i  payer. 
LI.  A  la  même.  -  Naple*,  Ï7  fé»rier  1773  .   .       .176 
Les  événemeals  Imprétusde  la  vie.— M.  etNKdmns 
de  EMtaure.  —  Gazelle  de*  ipecuel», 

L[t.  k  madame  d'Ëplony.  —  Naplei,i3  ma»  1173.    <Bt 

Pa«tiello,  Piccini. 

LUI.  A  la  même.  -  Naples,  il  mars  1773 186 

Pignalelli,   —  Schauvalofl.   -~   L'électriclli,   —  Le 
père  Cpsaire  et  son  sennon. 

L[V.  A  la  même.  —  Na,)les,  3  avril  1773 190 

L'éduralion  chez  les  «ntaais. 

LV.  A    .M.    le    baroD  de    Gleicheii.    —    Naples, 

3  avril  1773 193 

Le  dur  de  Cholseul  *  ChsDleloup. 

LVI.  A  madame  d'Ëpinay.  — Naples,  17  avril  1773.    197 

L'abaeDce.  —  BarUtK  --  Un  llalians  ne  ppiivenc 
Jouer  la  iragèdfo. 

LVII.  A  la  même.  •-  Naple.',  14  avril  1773.  .  .  .  .    iM 
HerliD,  —  L'biitoire  aoclenoe. 

LVIII.  A  la  même.  —  Naplei,  15  mal  in3 iU3 

L'absence.  —  Diderol  es  Iiiieile,  '  L'élei-irtcll^.  — 
La  Féliciti  fubtiqxa. 

LIX.   l  Madame  de  Bd«unce.—NBples,lSmal1113.    Kt-ï 

L'biitolredo  tonnerri.'.  —  Le  chevalier  Eamlllon  i>l 
f\i  machine  électrique.  —  CliaEteUiix  â  Raples. 

LX.  A  madame  d'Ëpiua;.  —  Naplea,  %i  mai  1773     DM 

Plri'inl  el  rj»4[pllui. 


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TABLE 

LXr.  A  midiine  d'fipliuy.  ~  Naples,  5  juin  1773. 

FaralJèlc  SDtre  les  lettres  de  mldsine  d'âpinuy  et 

celles    de  r-Bliani.      -    U  Carte    géographiquu   de 


LXU.  Madame  d'Épiony  â  Ualiani.  —  Paris,  36  juin 

ma .   11% 

U  santé.  '  ChBitellux.  —  Diderot  ù  la  Haye. 

LXril,  .V  rnsdanx-  d'Ëpinny.  —  J^apl^a,  19  juin  1773.    îlS 

L'ennui  et  la  souffrance.  —  Craismare.  son  poiirnJl. 
L'oubli.  -  Le  pape  et  la  caria  de  Haple£,  ~  Bret  du 


LÎIV.  A  madame  d'Ëpiaay.  —  Naples,  il  Juin  1773.    nO 

Sauté  de  madame  d  Ëpinay.  —  L'ode  d'Rorac*. 

LKY.  Diderot  t  Raliani m 

La  a*  ode  du  ili*  livre  d'Horace. 

LXVl.  A.  madanip  dtpmay.  —  Naples,  3  jaillet1773,    ii3 

Le  nonce  du   pape  il  Varsovie  et  Isa  Itltrea  de 
l'abbé. 

LXVII.  t,e  iDarqui.4  de   Caraccloll  A  Gatiani.  —  PdrJs, 

îî  juin  1773 ife 

La  Diakguwinr  Iti  UUi, 

LXVII).  Au  marquis  de  Caraccioli.  —  Naplea,  15  juil- 
let \1n.  ..'.'.' M8 

/.M  Biahgun  ntr  Ist  bléi. 

I.XIX.  A  madame  d'Ëpinay.  -  N'aplna,  1T  juillet  t173.    £)l 

Diderot.  —  PiRnatdll.  ~  I4e<  DintoguC'.  -  r.aliaiii 
et  Horellet. 

L.X.X,  A.  la  même.  —  Naplas,  Ï4  juillet  17T3.  .  .  .    i3i 

La  nulle.  —  Le  Plaqua.  —  Proph^tiM, 

LXXI.  A  la  même.  >  Napl<>s.  31  juillet  1773.  .  .  .    iSM 

Hacaiion  el  d'Ar.iiidi.  —  L'ennui  d'i^tre  volt. 


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LETTRES  DE  GAI.IANI 
I.XÏII.  A  mailame  d'Ëpioi;'.  —  Ntples,  7  août  1173.    S40 

HagalloD  at  d'Anuda.  —  PiRDateLll.  -  L«t  malièrea 
.  d'or  et  d'M-gonl. 

LXXITt,  A  )■  même.  —  Niples,  14  aoùl  1773 243 

L'ivMiiare  dt  Varsovie.  —  LecaUioltrdei  CéleiUDi. 

—  Césnr  Borgia, 

LXKIV.  A  la  même.  —  Na pies,  31  aoat  1773 24G 

L'ouvra;c  d^M.  Olaf  Torée.  —  Les  noyés. 

LXXV.  A  la  même.  —  Naples,  38  eoùt  1773 S&l 

Le  UroD  de  Thue.  —  Cwues  de  la  Isnilitd  i  lU- 
ples.~—  Lea  Jèioliei. 

LXXVI.  A  b  même.  —  Naplei,  i  septembre  1773.  .  .    2ât 
L'avealure  de  Varsovie.  —   l.e»  JtSDtlei,  —  M.  de 
l>  Borde. 

LXXVII.  A  la  même.  —  Naples,  M  teptembre  1773  .  .    SS7 


LXXVIU.  A  la  raème.  —  Naples,15  septembre  t773  .  . 

Ce  que  c'esl  que  U  correEpondence,  —  Le  mérile 
d*UD  oovrege,  —  Les  chemlsei. 


IL  de  U  Borde.  —  Les  JAiultes.  —  Mademoiwlle  de 

LXXX.  A  madame  d'Êpiaay.—  Neples,  1  octob.  1773    369 
César  Borgia,  —  H.  Necker. 

LXXXl.  A  la  même.  —  Nsples,  33  octobre  1773  ...    271 
BDDDit  de  la  tunllle.  —  IL  CapperoiiDler. 

LXXXII.  A  la  même.  —  Ntples,  6  norembre  1773.  .  .    3Ï4 

Tbéurie  de  U  politique. 


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LXXXlii.  A  niidanied'Ëpm«jF~Niplus,13Dovciiibrct773    278 
M.  Cipp«roiiiuer,  Ctetr  BorgU.  —  U  diseUe. 

LïXXIV.  A  la  même.  —  Naplea,  18  décembre  1W3  .  ,    281 


LÏXXV.  A  la  même.  —  La  nouTelle  année  177*  .  .  .    iSô 
HelTéUus.  —  Bt  rhommt.  —  Lea  empires.  —  M.  de 
MalignoD. 

LXXXVI.  A  la  même.  —  Naples,  M  janïler  177*  ,  .  .    ï88 
toBOD  at  lea  Dialaguti.    ' 

LXXXVIl.  A  la  même.  —  Naples,  39  janvier  m*.  ...  390 
a  bal   da  l'opéra  da 

-  Naples,  16  ttrriei  1774.  ...    293 

voyugeE.  —  Madama  da  HaiigaMi.  — 
:k.  '-  Carlin  et  nanganelli. 

LXXXJX.  Madame  d'Épinay  k  Galiodi.  —  Niples,  27  fé- 

ïrier  1774 ,    393 

Carlin  ai  GiDgaulli. 

XC.  A  madame  d'Épina;.  —  Naples,  5  mars  177*  ,    300 

La  mariage.  —  H.  de  Faocemagoe.  —   Pigaaielll, 

—  Fudlis  de  M.  de  Lauragusls.  —  Lingael  el  La- 

XCI.  A  la  même.  —  Naples.  13  mars  177*  .  .  .  .   >304 
Caliaal  perd  son  frère.  —  César  Borgta.  -   H.  do 

XCII.  A  la  même.  —  Naples,  3  avril  177* 307 

Le  vérilabLc  arlequin.  —  La  toile  de  coton. 

XCIII.  A  la  même.  —  Naples,  K  avril  177*.  ....    3U9 


Dç)tzsci!/Googlc 


)  LETTRES  DE  GALIANI 

XCIV.  i  madame  dtpiwy.  -  Nipki^  1*  ™"'  !"*■    -«i 
OrilD  0t  «;aDtiiMl)l.  '  MpÊM  da  PùciBi. 

\CV,  A.  1»  aitme.  —  Naple».  i8  mal  177* 3i 

Le  régna  ile  Louis  w- 

VCVr.  A  la  même.  —  SapLe*.  4  juio  1774 5" 

ProphéllB»  »ur  k  France.  -  "ow, 
SIVU.  A  la  même.  -  Kaples,  U  juin  1774 3W 

Mpwt  de  ■.  de  BreUull-  -   Meufepei   fl  SïHii». 

-  ïora. 

XilVIll.  A  U   même.  -  Naplfi'.  H  juillM  ITJ4  .   .   -   .     3iJ 
Le  mon  de  H.  de  Mora.    -  Prêdldion  (iir  ^•■  •éfmi 
dr  Louia  XVl.  -  L'invCuletloD- 

XCIX.  A  la  même.  —  Naple.s.  16  joillw  IT74.  ...    M» 

M,  de  Serllni;.  -  Louis  \ÏL 

i:.  A  U  même.  —  Naple»,  i3  juillet  177*.  .  .  .    3il" 

La  loile  de  oolon.  —  L'abeeoce.  —  U  BmliiiiiellH. 
Cl.  ila  nifeme..-r  Napl£s,  7  «odt  117* 3M 

MaguiLoa.  -  Coinle  d'IlbvM. 

Cil.  .V  la  même.  —  Naplw,  19  aoAl  117* 334 

Targut  «u  ContîOlB  général.  -  L«i  alèeei  et  leuri 

CIV.  i  la  mAïai-.  —  Naples    i7  août  1774 3ÎÎ 

i^occloll  01  B«  «*Blé.  -  liiisMr»  de»  rhemtw^. 
—  Le  Gulgnon,  —  Suard. 

CV  .V  la  même.  —  Naples,  3  septembre  1774  .  .    341 
.  Lpi  chenlsei.  —  l'orguoil  de  feaprit.  —  Lei  ma- 

CVI.  A  la  même.  —  Naplea,  17  septembre  1774  .  .    3*4 

BiU  de  midamo  Goodar.  —  Turgoi.  conirileur  go- 
néraU  -  M.  de  Smtiot. 


jbïGoogIc 


':vn,  A  MidiDiea'Ëiniiay.— Naple!>,itiieplembr«lTTt    34ti 
L«  liHire  dfl  change,  —  IUia«  ■)«  lurgot  coaire  ]«>. 
niaiiigim,  —  Ln  libtrtâ  de  U  |>rpsse.  —  Le  chevnliet 
de  ClermoDl. 

CVUI.  A  M.  de  Bombelles  [Inédite].  —  Naptes,  8  oc- 
tobre m* :fi(i 

Gallaiii  osi  morl.  —  rj'liro  du  iLiartEli»!  de  Brissae. 
—  MBilame  de  «aliRnon.  —  La  iniirl  aux   rais  a  un 


<:X.  A  madame  d'ÉpillIO-  —  ^'aplB»,15oclob.  1774.     3^ 

t:Xl.  À  U.  de  Bombelles.  —  Naplea,  19  oetoU.  1714.    35» 

Hilitcrni.  -  r^racdoli.   -   Fiienlvi.  ~  Turgol.  - 


<',XU.  A  madame  d'ËpiDa}.  —  ^Hplell,  iU  octob.  17T4.    -tb^i 

lirtam  at  Uiderui.  —  La  lolle  de  votoB.  —  l.e  duc 

lie  I.uxemboDrg,  —  La  nièce  du  cardlnnl  de  Bemis. 

t:\lU.  A  u  même.  — A'aples,  19  novembn;  1774  .  .    Jm 
CXIY.  A  la  même.  -  Naples,  10  décembre  1774  .  .    m> 


,  la    veille  de  Moël , 

Iji  rérulabon  àe  l'abbé  HorellH(. 

i:\Vl.  A  l«  uiùmu.  —  Naples,  7  jaDvier  1775  .... 

La  santr  d"  madame  d'Éplnay.  —  Le  baron  Kock, 

CXVll.  A  U  uiéme.  -  Naples,  14  janvier  1775  .  .  . 

Lti  Convtriatimi  ittmiUt, 

CXVHI.  A  la  même,  —  Nai^ea.  3B  janvier  177E.  .  .  . 

Ui  CmetrtalioHi  itBmilie,  —  It  ConcUtvf. 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GALIAM 
CXIX.  k  madame d'Ëplnay.  -  tVaples,  18  février  1775    38i 

CXX.  A  la  même.  —  Niples,  35  février  1775.  ...    385 
Le  baron  de  Bullow.  —  DisselaiEoD  sur  le  Vésuve. 


d  et  le  husurd. 

Grimm  â  Galieml  ilnédtU).  —  Paris,  ÏS  février 
1776 

Le  duc  de  Saxe-Weimar.  —  Le   rai  de  PniMe.  — 


CXXUI.  Au  baron  de  Grimm.  -  Saples,  20  ours  1775.    391 
CalheriDS  coDDHlisatl  GallaDi.  —  Le  roi  de  Prusse 

midacin.  —  CitjieriDe  se  moque  des  ècooDiPlsiea. 

CXXIV.  A  madame  d'Ëpinay.  —  Naples,  8  avril  1775  .    394 

Le«  coilFurcs  A  Haples.  —  Le  paquet. 
CXXV.  A  la  même.  —  Naples,  15  atril  1775 396 

Le  paquet.  —  Caraccioli  part  pour  Paris. 
CXXVl.  A  la  mime.  —  .Naptes,  29  avril  1775  ....    397 

Le  paquot  de  l'abbé  Leblond.  —  Amitiés  avec  tes 
étrangers. 

CXXVII.  A  la  même.  -  ISaples,  6  mai  1775 399 

L'épidémie  à  Noples.  —  Le  (ils  d'fipinay  à  Pribourg. 
M.  d'AITr?. 

C.YXVIll.  A   madame  de    Belsunce.  —  Naples,  6   mal 

1775 m 

Hademoltoile  Quoîsi. 

CXXIX.  A  madame  d'Épinaj.  -  Maples,  i^  mai  1775.    M» 
Les  Bagarres  de  Paris. 

C.YXX.  A  la  même.  —  Napks,  3  juia  1775 408 

La  réfalalion  de  MoreUet. 


ç)tzsci!,Googlc 


CIXXI.  A  madame  d'Ëpinay.  —  Naples,  10  juin  1775    411 

Lei  émeutes.  —  L'ouTrage  da  H.  tfecltar.  —  Celui 
de  Morellal. 

CXXXU.  A  la  même.  —  Kn^es,  U  juin  177!» 4U 

L'ouvrage  de  H.  Hecker.   —   H.   de  CkriDonii  ta 
mort  ds  sa  Temnie.  —  Ltt  Dialoguu. 

CXXXin.  A  U  même.  —  Napira,  13  jaillet  1775.  ...    416 

CXXXIV.  A  U  même.  —  Naples,  1»  juiUet  1TT5.  ...    417 


CXXXV.  A  la  même.  —  Naples,  19  août  1775.  .  .  . 
Lee  Eccnomiiles  cisseronl  le  con  à  H.  Turgol. 
L'ouvrage  >ur  Borace. 

CXXXVI.  A  Ja  même.  —  Naples,  9  sepUmbre  1775.  . 

L4  Socrati  imaçinairt. 

CXXXVII.  A  la  même.  —  Naples,  16  septembre  1775  . 


CXXXVin.  A  la  même.  —  Naplea,  30  leptembre  1775. 
Vajage  de  SoUader  et  Banks. 


CXL.  A  la  même.  —  Naplea,  U  novembre  1775  .  . 
La  toile  de  colon.  —  Le  Sacrale  est  défendu. 

CXLI.  A  madame  d'Ëplnay.  —  Naplai,  9  décembre  1775    09 
L'argent  et  les  remercJoionti.  —  Le  Sveratt  el  ton 
InlerdlcUon. 

CXLn.  A  u  même.  -  Naples,  23  décembre  1715  .  .    431 
te  uurgravfl  de  Bueltb. 


jbïGoogIc 


14  LETTRES  DE  GiLIANI 

CXLm.  A  madimed'Épiiutr.— Naplea,  30  jinvier  1776   433 

GriaUD  i  niplea. 

CXLIV.  A  U  même.  -Maplea,  17  février  m«.  .  .  .    *3i 
Départ  de  GrImB.  —  Lm  BauMiolT. 

CXLV.  A  Is  même.  —  Stplee,  13  avril  1776    ...  .    437 
Lit  de  Justice.  —  Suppregiion  des  juraiides,  m«I- 
trises  et  corpa  de  métiers. 

CXLVI.  A  m«lama  de  Belsunce.  — Naples,  11  mal  1776    440 
Perte  d'ua  cliaL  —  Baron  da  Glelcheo. 

CXLTtl.  A  madame  d'Épinay.  —  Naplea,  18  mai  1776.    441 
SoppTMtkiB  det  laraDdea,  etc.  —  L'Baropa  eat  près 
de  su  cbute  ;  elle  sera  remplacée  par  l'Ainërlqae. 

CXLVIII.  A  le  même.  —  Naplea,  l"  juin  1776 443 


CXUX.  A  la  même.  —  Raplea,  15  jnio  1776 447 

La  duclwaaa  de  Ctuctrei  à  Kaples.  —  L'Hcra  da 

CL.  A  la  même.  —  De  Somme,  19  juin  1776.  .  .    450 
La  ducbes^e  de  Chartres  â  Maples. 

CLl.  A  la  même.  '-  Naples,  6  juiUel  1776 46! 

.   .       .   .  H- péraqger..— ,  Paesiello.  —  Le  JabDé. 

CLU.  A  la  même.  —  If  aptes,  M  juillet  1776  ....    456 
laiMLii  de  la  lamiUe.   —  CaraicioU.   —  Acbal  par 
Calherlae  It  de>  livres  de  Bernard  Galiaal. 

CLHI.  A  la  metne.  -  Naplea,  27  juillet  1776.  ...    458 
L'encre  du  Margrave.  —  l'aeskllo  en  Rusiie. 

CLIV.  Madame  dtpiDaT  à  Galiani.  -  19  jrrillet  1776    459 
Leoc  cArraspoodasm.  -^  La  perlaoUUlile  des  aaiBaui. 
-  L-^bé  Hartin. 


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TiBLE  m 

CLV.  A  madiine  d'Épinay.  —  Niples,  10  août  1776    463 

L'ennui  «igraisse.  —  La  guerre  enue  l'Espagne  et  le 
Foriugid.  —  Mon  de  madeiuoiselle  de  Leapinasse.  du 
docteur  Roux. 

CLVI.  A  la  mëtue.  —  Naples,  t8  «oAt  117S 465 

L'encre  du  Margrave.  —  Hademoiselle  Clairon. 

CLVIl.  A  la  mëtue.  —  Haples,  31  teplembre  ITTS.  .    «7 

Recette  pour  l'( 
sa  causes.  —  L' 

CLVIJI.  A  la  même.  —  NapleH,  5  octobre  1776.  . 
Histoire   dsf  r«l*   de*  D««n-SicHM  it  la   a 

d'Anjou. 

eux.  A  la  même.  --  Naples,  11  octobre  1TT6  . 
L»  petleclibiUtê  du  bStes. 

CLX.  A  la  même.  —  Naples,  19  octobre  1776  . 


CLXI.  A  la  même.  —  Naples,  t  novembre  177{l.  .  ,    4 
La  Sambuccu  remplace  taauccj.  -^  Fiçfini  part  pour 

CLXII.  A  la  mène.  —  Naples,  9  Dorembre  177fi,  .  ,    4 
TurgDt  et  son  succfiteui. 

CLXUI.  A  U  même,  -  JSaples,  16  soTeubu  t;7#  .  .    4 

M.  Seoktt,  àiSWUvr  du  Uévr  T0]l9l 

CLXIV.  A  U  m^oe.  -  Impies,  .30  wvemlire  tm  .  t    * 

r-''*ffeW"°f"  de  OfîaaUi.  —  lesj^wmiers. 

CLXV.  A  la  même.  —  Naples,  24  décembre  1776  .  .    4 
L'encre  da  Hargreve.  —    Les   Gazettes  occléslas- 


jbïGooglc 


6  LETTRES  DE  GlLllM 

CLtVL  InudimeiTËpiatT.— Naptei.SdkcmbrelTTC    Wt 
AutMn  et  la  Cliimr.  -m.it  CtU*nL  -  Le  cfcu- 

CLX\1I.  Â  I*  même.  —  îïapleî.  11  j?Btier  i:r.  .  .  .    *« 

Le  b^jo  de  Gl-i^bea. 

CLXrUL  Madame  d'ÉpiniT  i  G^limi.   —  Puis.  30  r«- 

trier  17:7 m 

La  psirsî-Tt  di  \.e^:ea.-A  Je  p.I.r?. 
CLIIX.  A  nudam?  d'ËpiDay.  —  >aplM.8  reirierl777    193 
Picciiii  i  Pa.-i!'.  —  tt  pri^mb^lE  i^^  M.    Xrcktf.  — 


cm  À  \»  même.  —  tiapïa.  i±  léjtict  ITT?  .  .  .    496 
Pi;:i!ii.  —  Crimm  à  Pélwsboorg. 

CLXXl.  À.  !•  nitinc.  -  Nsples,  5  mirs  17n UB 

La  Oèrre.  —  Piconi.  Paeiidio. 

CLUIL  A  la  même.  —  Niplcs.  2î  nan  ITTI  .  .  .  .    JâO 
Pbinles  de  Galûoi.  ~  ÂveolDic  de  tul  nusq-jé. 

aXHn.  a  ta  même.  —  Xaples,  «  ifril  1777 503 

Picdni  et  U  prlocesMi  da  Belmonle.  ^  Le  cMt- 

CLIXIV.  A  la  mente.  —  Napla.lO  mai  1777 W 

Calûni  ira  à  l'bApilal. 

CLUV.  a  la  même.  -  Naples,24mai  ITT SOB 

Oe  ràulinct  tl  du  habiladtt  à*  liatmmt. 

CLXIVl.  A  la  mime.  —  Kaplei,  31  mai  1777 «Il 

Grîmm  el  sei  Yojagei.  —  Les  Tor»gei  des  ïouto- 

CLIXVU.  A  la  mime.  —  Naples,  14  Jdîd  1777 313 

GrlmiB.  —  La  carte  de  Pologne.  —  Zaïmoal. 


JbïGoOgIc 


TABLE  «77 

CLXÏVIU.  A  nudame  d'Épioaj.  -  Nsples,  21  juin  1777.    516 

KeÎDipressiDn  dci  lHalogaa. 

CLXXIX.  A  la  même.  —  Naples.  5  juillet  1777 51B 

Gluckislcs  el  PicciiiElee.  —  Cnlfanl  censeur. 

CLXXX.  A  madame  de  Behunce.  —  Naples,  18  juil- 
let 1777 5îi 

Muri  d'une  chalta.  —  Piccini  à  Paris. 

CLXXXI.  A  madame  d'Épinay.  —  Naples,  13   wplem- 

bre  1777 523 

Ennui»  de  GslianL  ~-  Le  duc  d'AyeD.  —  H.  et  nu- 
doDiedo  TessË.  —  Lci  camédieiia  franfaïs. 

CLXXXII.  A  madame  de  Beisunœ.  —  Naples,  37  sep- 
tembre 1777 saa 

Gaiti.  -■   Le  comie  de  Wilieck.  —  Misère  de  Ga- 


CLXXXIIT.  A  la  même.  -  Naples,  4  octobre  1777.  ...    528 
La  saoïe  de  mudame  d'Épinaî.  —  aittl  zannoni.— 
L'iaoculslion  ANaplus. 

CLXXXir.  A  la  m£me.  —  Naples,  1»  novembre  1777  .  .    531 
L'Olyoïpiadc,  do  Sacchlol.  —  VÀTmiâe,  da  Giuclt. 

CLXXIV.  A  la  mûme.  —  Naplea,  33  norembre  1777 .  .    633 
L'opium.  —  L'inoculaiian.  —  Giinim.  —  l'Idcoos. 

CLXXXVI.  A  d'Alembert.  —  Naples,  38  ooTembre  1777.    537 
Gaiianl  censeoi.  —  La  ceosuce. 

CLXXXVII.  A  madame  d'Ëpinay.  —  .tapies,  7  Kvrier  1778    540 
Le  comte  de  Voronzaff.  —  Le  CaroBval  à  Naples. 

CLXXXVIU.  A  U  même.  —  Naples,  11  avril  1778 543 

La    phénomène  de   Vollalra.  —   GfttU    se  Dxe  H 


JbïGoOgIc 


STÉ  lettres  de  GALIANI 

CLXXtn.  Madame  dltplDs;  tCaOani.  —  3  mal  ITTS.  .    515 
M.  de  ClenDODl.  —  t'Mpéee  bamaine   ae  peul  eire 
beorsose.  —  Gsiu.  —  Voltaire  et  FriakUa. 

CXC.  A  madame  d'Ëpinaj.  —  Naplea,  13  jain  1778    519 

TriateaiB  de  calianl.  —  Éiode  inr  Honte. 
CXCL  X  la  mâme.  —  Naples.SS  juillet  1717  ....    551 
La  Chalia  e«  pallia,  -  Nadime  de    )1  Pertt-Im- 
banU.  —  L'Amérique  régner*  <ur  l'Europe, 

CXCII.  A  la  même.  —  Naples,  1»  aotlt  1778 551 

U  prliaraota  Mt  la  Muroa  des  tnalbmn,  -^  Lo- 

CXCnr.  A  !■  mine.  —  Naplw,  29  aitAt  1778 K7 

HtriM.  —  Plgnttellt,  -^  WlUeck.  -  Gulli. 

CXCIV.  A  madame  de  Belsunco.  —  Itaples,  11  sep- 
tembre 1778 559 

■SlU  de  mailiiae  d'ApInay.  —  pifOalelU. 
CXCV.  A  la  même.  —  Ifdples,  lOMtobK  1778  ...    561 

Fignatelli.  —  Grimm.  —  CaUl. 

CXCn.  A  la  même.  —  Kaples,  31  octobre  17T8.  .  .    5ft3 

Style  de  madame  de  fielsoace.  —  dorace. 
CXCVII.  A  la  mémej  —  Haplêi,  1  norêubre  1778.  .  .    565 
flatiié  de  madame  d'Iplaa;.  —  u  rraieai<uu. 

CXCnil.  A  madame  d'ÉpInay.  —  Naples ,  38  noTem- 

bra  1778 SS7 

Madame  d'EpInay  va  mlauij  •-  La  btroD  de  Gtei- 

CXCflC.  A  la  «ème.  —  Naplea,  23  janvier  J779.  ...    569 
Itadame  de  Chabot,  —  Hort  da  madame  de   Bel- 


CC.  A  la  même.  —Naples,  37  féniar  1779. 
Lai  Mr le  viol.  —  Lejeaae  d'Holbaota. 


jbïGoogIc 


TABLB  679 

CCI.  A  madame  d'Ëptnsj.— Niples,  3  mars  1TT9  .    573 

M  Vocabnlair»  napolitain.  -~  Hilad;  Orfold. 

COU.  A  In  même.  —  Ntples,  17  avril  1779  ....    576 
Iritwiae  da  saliani.  —  La  Foealmiair», 

CCUI.  A  la  néme.  —  Naplw,  1»  joio  1179 579 

L«s  [mprlmcurs  napollUIns, 

CUV.  A.  la  même.  -  Haples,  31  jniltet  1T79  .  .  .  .    M9 

L'année  est  mâmorable. 

CCV.  A  Is  même.  —  Naples,  18  septembre  1T79 .  .    581 
Le    Vocabulairt   ni  Imprime.  —   Orandi   eTéaa- 
msDls  en  France. 

CCVI.  Diderot  à    Galiani,    —  (Inédite.)  —  Patis , 

21  septembre  1779 583 

-     H.  de  Meunier. 

CCVII,  A  madame  d'Éptnay.  —  Naplei,  IS  mars  1780.    684 
Relffenstein.  —  Satires  contra  Galiani.  -~  L'acadénla 
de  Ksples. 

CCvni.  A  la  même.  —  Naples,  3  juin  1780 587 

D'iJembert.  —  taserlpUon  paur  madame  de   Per- 


CCEt.  A  la  même.  —  Naple*,  Sajuillet  1780  .... 
K.  Hecter.  —  Oallani  est  onbllé  da  lei  amis. 

CCI.  A  M.  Grimm.  —  (Inédile.)  —  Niplei,  5  août 

1780 

HohUat.  —  Le  Carmen  taealare. 

CCXI.  A  madame  d'Ëpinay.  —  Naples,  9  septembre 

1780 

Les  blés  en  HolUiide.  ^  le  f^armart  tœculart. 

CCXn.  A  la  même.  —  Naples,  28  septembre  1780.  . 


jbïGoogIc 


LETTRES  DE  GA.L1AI<II 


CCÏV.  A  la  même.  —  Kaples,  3  téTrier  1781  . 


CCXVI.  A  U  même.  —  Naples,  10  mars  1781  . 
Lb  famille  Valori.  —  Giimm. 


CCXVir,  Madame  Keeker  à  (iaiiani 611 

H.  Celesia,  U.  Keckcr. 

CCXVIII.  A  M.  Grimn-..  -  Kaples,  31  mare  1781.  ;  .  .    613 
Complt  rendu  de  H.  Hccker. 

ceux.  A  madame  d'Épinay.  —  Naples,  14  avril  1781.    613 
La  tainille  Yalorl. 

CCXX.  A  la  mâme.  —  Maplea,  9  juin  1761 617 

La  Jambe  de  Cucaccloli.  —  Démlssiau  da  H.  Necker. 

CCXXI.  A  la  même-  —  Naples,  16  juin  1781 610 

ConcarialùRU  d'Emilie.  —  Raynal. 

CCXXfl.  A  la  même.  —  Naples,  Ï2  septembre  1781  .  .    6» 

Converiationi  (TEiniUi. 

CCXXIIl.  A  d'Alemberl.  —  Naples,  10  janvier  1781.  .  .    6ia 

U.  Poli.  ^  CoracciolL 


-  Le  comte  du  Kord. 


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TABLE  681 

CCXIV.  A    madame  du  Boccage.  —  Manies,  20  fé- 
vrier 1783 631 

CCXXVI.  A  la  même.  —  Naples.  10  juin  1783 G3i 

tlorl  de  madsniG  d'ËplDU}'. 

CCXXVII.  La  reine  CarolîDe  à  Galiani.  —  {Inidite.j  — 

Naples,  17  octobre  1787 635 

CoDseila  pour  le  salut  de  Csliaai. 

CCXXVni.  GalioDi  à  la  reine  Caroline.  —  (Inédite.)    — 

Haples,  18  octobre  1787 639 

CCXXIS.  Au  duc  de  Choîseul.  —  (Inédite.)  —  Paris, 

1"  mars  1760 6il 

La  Purteaopo , 

CCXXX.  A  Suard.  -  (Inédite.)—!  airil  1765  ...  .    643 
CCXÏXI.  A  d'Alembert.  —  (Inédite.) 6*5 

Appendice ■ 647 


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