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CIHM/ICMH
Microfiche
Séries.
CIHM/ICMH
Collection de
microfiches.
Canadien Instituts for Historical Microreproductions Institut canadien de microreproductions historiques
1980
Technical NotM / Notes technique*
The Inetitute has attempted to obtain the beat
original copy available for filming. Physical
features of this copy which may altor any of the
images in the reproduction are checlied beiow.
D
Coloured covers/
Couvertures de couleur
r~1 Coloured maps/
L'Institut a microfilmé le meilleur exemplaire
qu'il lui a été possible de se procurer. Certains
défauts susceptibles de nuire è la qualité de la
reproduction sont notés ci-dessous.
Cartes géographiques en couleur
D
n
Coloured pages/
Pages de couleur
Coloured plates/
Planches en couleur
D
D
Pages discoloured. stained or foxed/
Pages décolorées, tachetées ou piquées
Tight binding (may cause shadows or
distortion along interior margin)/
Reliure serré (peut causer de l'ombre ou
de la distortion le long de la marge
intérieure)
D
D
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Transparence
Pages damaged/
Pages endommagées
[3
Additional commenta/
Commentaires supplémentaires
Fold-out maps, charts, etc., may be filmed at a différent
réduction ratio than the rett of the lioolt.
Bibliographie Notes / Notes bibliographiques
D
D
Only édition available/
Seule édition disponible
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D
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Erreurs de pagination
Pages missing/
Des pages manquent
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Cover title missing/
Le titre de couverture manque
D
IMaps missing/
Des cartes géographiques manquent
I I Plates missing/
Des planches manquent
D
Additional commenta/
Commentaires supplémentaires
The images appaaring hara ara tha bast quality
possible considaring tha condition and lagibility
of the original copy and in iceeping with tha
filming contract spécifications.
Las images suivantes ont été reproduites avec le
plus grand soin, compte tenu de la condition et
de la netteté de l'exemplaire filmé, et en
conformité avec les conditions du contrat de
filmaga.
The lest racorded frame on aach microfiche shali
contain tha symbol — ^ (maaning CONTINUED"),
or tha symbol y (maaning "END"), whichava-
applias.
Un des symboles suivants apparaîtra sur la der-
nière image de chaque microfiche, selon le cas:
la symbole — ► signifie "A SUIVRE", le symbole
▼ signifie "FIN".
Tha original nopy was borrowad from. and
filmad with, tha kind consent of the following
institution:
Library of tha Public
Archivas of Canada
Maps or plates too large to be entirely inciuded
in one axposura are filmad baginning in tha
uppar laft hand corner, left to right and top to
bottom. as many framas as raquirad. Tha
following diagrams illustrata the method:
L'exemplaire filmé fut reproduit grâce à la
générosité de l'établissement préteur
suivant :
La bibliothèque des Archives
publiques du Canada
Las cartes ou les planchas trop grai.das pour être
reproduites en un seul cliché sont filméos à
partir de l'angle supérieure gauche, de gauche à
droite et de haut an bas, an prenant le nombre
d'images nécessaire. La diagramme suivant
illustre la méthode :
1
2
3
4
8
6
■/^^/j-y-/^
HISÏOIHE
li£ LA
DÉCOUVERTE DE L'AMÉRIQUE
PREMIÈRE PARTIE
LES PRÉCURSEURS DE COLOMB
KXTIIAIT DKS MÉMOIRES
OE LA
SOCIÉTÉ BOURGUIGNONNE
OB
GÉOGRAPHIE ET irHISTOlRE
iWMMM
HISTOIRE
DE LA
DEPUIS LES ORIGINES JUSQU'A LA MORT DE
(^.HIIISTOPHE COLOMB
l'Ait
PAUL GAFFAREL
■■■•ol*ea«eui* ù la Faculté tlo» I^ettres de nijon,
TOME PREMIER
LES PRlXURSliUKS DE COLOMK
*'*titi*
PAIUS
ARTHUR ROUSSEAU, ÉDITEUR
14, Rue Soufflot, et Rue TouUier, 13.
180:3
:i
AVANT PROPOS
(Jiiaiid, ((Hiiinciit et [nir (jui rAinéii<|iU' l'ut-cllt' découverte ?
(îertes, nous ne soinmes pus de ceuv (|ui, par amour du para-
doxe ou par es|>rit de dénigrement, se font un jeu de contredire
les opinions courantes ou d'attacjuer les gloires consacrées,
pour nous, c<»nune pour tout le monde, Colomi) est et restera
le véritable découvreur de l'Ainéricpie : mais les grandes dé-
couvertes ne s'improvisent jamais, pas plus (pie les grandes
inventions. Coloud» a eu des devanciers, et plusieurs de ses
contemporains méritent d'être associés à sa gloire. Avant lui
de nombreux savants s'étaient occupés de la forme véritable
de la terre et avaient affirmé qu'au delà de l'Océan s'étendaient
des continents inconnus, .\vantlui |»lusieurs capitaines s'étaient
hasiirdés sur r.Vtlantique, les uih poussés par la tempête, les
autres en (piéle d'aventures, c(!ux-ci entraînés par l'ardeur
mercantile et ceux-là par la ferveur religieuse. Exposer les
théories et les hypothèses de ces érudits, rechercher à traviMs
les âges les traces de ces vaillants marins, raconter la vie de
f^olomb et résumer les découvertes maritimes de ses contem-
porains, en un mot discuter un problème de géographie histo-
rique, dont il est difficile de méconnaître l'intérêt, telle a été
notre intention.
T. I. 1
CHAPITHË 1
LKS COMMUNICATIONS KNTRK L AMKUIQU:-: ET \. ANCIliN
CONTINENT ÉTAIENT-KI.LES POSSIMLES DANS i/aNTI-
gUITÉ ?
Los relations entre rAinéricjue et le continent (|ue nous
liahitons étaient-elles possibles dans l'antiquité? A ne consulter
que les apparences, les communications entre les deux mondes
paraissent bien difficiles. Plusieurs motifs s'opposaient, en
ell'et, à ce que les anciens s'aventurassent sur l'Océan. Le
premier était la terreur instinctive qu'ils éprouvaient à la \u«'
de la mer. Comme l'écrit notre historien p(»ète, Miclielet t^l),
" cette masse énorme d'eau, inconnue et ténébreuse dans sa
profonde épaisseur, apparut toujours redoutable à l'imafrination
immaine ». Lorsque les Aryas atteignirent pour la première
fois ses rivages, et se trouvèrent en présence de ce grandiose
spectacle, auquel rien jusqu'alors ne les avait préparés, ils n<'
«aclièrent pas leur étonnement et leurs craintes. « C'est là qu'ils
virent la mer, lisons-nous dans un épisode du Mahababrata,
l'Astika-Parva (:2), immense réceptacle des ondes, avec ses pro-
fondes eaux, agitées d'un vaste bruit, terrible, infranchissable en
ses profonds tournoiements, jetant la crainte au sein de toutes
les créatures, formidable par les cris de ses monstres aquati(|ues,
(1) MiciiELET, La mer, p. 3.
(2 Ce passage est cité par Lenormant, Manuel d'histoire ancienne, t. 111.
p. 439.
•I"'.'V
4 l'UKMIKHK l'AHTIK. — LES PHKCl'nSRIHS llR COLOMH.
Hc l)iilaii*;aiit sur ses riva^'cs au puissant SMurj|(> du veut, se
cahraut dans snu a^'itatiou, et dansant (;à et là en i-i>nniant ses
mains pleines de vajrufs >. Telles durent (^tre les impressions
de tous les peuples (pii, dans leiu's mi^'ralinns ou leurs courstN,
arrivèrent Juscpi'à la mer. lùicoi-e aujourd'hui tous ceux cpii,
pour la pi-eniière fois, assistent à ses }.'ifrantes(pies tra^rt-dies,
éprouvent conune un sentiment iTelVroi. l'n nè|,'re Mak(»lolo,
uounné Sekoueltou (l\ (pie Livin^'stone ramenait avec lui du
rentre de l'Africpie, perdit la tête ipiaiid il apereut l'Océan et se
ji'tu dans les flots. N(' voyons-nous pas les enfants fuir devant
la va^'ue. et les animaux parta^:er cette répulsion ? Les plantes
(dies-mémes semhlent se tordre et se rejeter en arrière au voi-
sinage de la mer. 1/humaniié n'a triomphé de ce premier uiou-
vement de terr"ur instinctive (pi'après plusieurs siècles d'édu-
cation, et hien des j;énérations se sont sr,< , édé avant (pie l'on
rencontrAt riiomme au c(eur i)ardé d'un M'iple airain, (pii, l<^
premier, osa sur un es(piif hraver les dan^'ers de l'Océan (2;.
illi rol»ur el aes triplex
Circu pecliis erat, qui lVa;,'lleni hiici
Conuuisil pela^'o raleni
Priruiis, uec lini'.iil piiccipitoiu .VTricuin
Deccrlaiilein Acpiilonihiis.
Si du moins ces premiers navifiateurs avai(;nt eu à leur dispo-
sition de solides eud)arcatious el de hons instruments ; s'ils
avaient eu, (M>mme les nôtres, un ffuide assuré dans la hous-
sol(> ! Mais les profjrès Ac. la iiavi};ation furent hien lonîJrs. Nos
ancêtres durent, pendant des siècles, se intenter de ce .«anpies
rudimentaires, dont ou retrouve (îucore (piehpies déhris dans
les couches organi(piesdu conuuencement de la période (piater-
naire : grossiers radeaux, ou plutôt troncs d'arhres à peine
(''quarris. inégalement creusés, et sans ajtpui extérieur potn* les
(1) LiVLNnsroNE, Voyagr en .Ifrii/iic (Tour du moiido, 1866).
(2) HoHACK, Odes, I, m, 0.
IIIAI'. I. — COMMLMC. KNTHELAMKHiyUK ET LANC liO.MI.NK.NT. .»
raiiu's ; «c (|iii lui^iuo a l'ait conjcctuivr (in'oii ics dirifrcait avec,
la iiiaiii(l). Il est vrai (|ii(' |i('ii à pt'U les navires se iicrlVrfion-
tièrciif. On apprit à les niàtcr, à les pontcr; nii les pnin-vut «l'un
{gouvernail {'1) ; mais ils étaient toujours mal construits et mal
}fréés. De plus, les marins n'osaient |>as s'éloigner des côtes et
perdaient aies doulder un temps précieux, domine ils n'avaient
pour tout»? indication (pie des étoiles qui n'étaient pas toujours
visililes, au moindre lirouillard, à la première tempête, ils
étaient oldij.'és de suspendre leur marche, tmp heureux si les
values ne les jetaient pas à la côte, si le vent ne les entraînait
pas au lar};e, sans guides, sans signes de reconnaissance, hal-
lottés au lias sur des mers inconnues. Au temps d'Homère,
un voyage de llrète en Kgypte passait encore pour dangereux (3)
et les |»irates osaient seuls l'entreprendre au péril de leur vie,
Jus(prà Hérodote, l'Egypte fut pour les (Jrecs une terre mer-
veilleuse (-i). Ce n'est (pic lentement, et a|»rès hien des hési-
tations, (pie les marins se décidèrent à sortir d(^ la Méditerranée
et à se ris(|uer sur rAtlaiiti(iue. Encore ne perdirent-ils jamais
les côtes de vue. Dans leurs voyages ordinaires, ils paraissent
ne pas avoir dépassé au nord les Iles ]}ritanni({ues, et au sud
les parages du Séiu'gal.
De fantasti(|ues récits augmentaient encore les dangers de la
navigation sur l'Océan. Dans la direction du Nord, c'étaient
des montagnes de glace ou des hrouillards perpétuels qui arré-
(1) Le inustîc de Copeiihaîçue possède trois de ces barques (Wohsae, Cata-
loffue de Musée, iio» 293, 4, "i). Le musée de l'académie de Dublin eu possède
également trois. On en trouve dans presque tous les lacs Suisses (V. Thoyok,
Hahitatiom lacustres. — Desou, Palafittes du lac de NeufchiUel). De
1775 à 1835 dix-sej)t de ces canots ont été retirés de terrains bas, abandonnés
par la mer près de Glasgow (Lykll, Antiquité de l'homme, traduction Chaper,
p. 40). On peut encore étudier des spécimens analogues dans les musées
d'Abbeville, Dijon, Lyon et Suint-Germain.
(2) Moutim-et, Origines de la navigation et de lapi'che, p. 16-19.
(:l) HoMÈHE, Odyssée, III, 73, 319. — XIV, 2*i7.
(4) Tout le second livre des Histoires d'HÉnonoTE.
'^1
m
«
l'HEMIKHK l'AHTlK. — LES PRKCLRSEL'RS DE COLOMB.
talent la maiThc des vaisseauv. Aussi quand les Arj^onautes (1)
arrivent dans les mers septentrionales, ils remar(|uent avec
épouvante (jue le vent ne soulùve plus les vagues et (pi'un
siNîuce éternel régne sur les flots. Le Marseillais Pytliéas (i2),
lial)itué au soleil <'t aux molles caresses de la Méditerranée,
raconte, avec une sorte de terreur religieuse, qu'il s'est avancé
jusque dans une région « où l'on ne rencontn^ plus ni terre, ni
air, ni mer, mais, à leur place, un conqiosé de «-es divers
éléments, sans qu'il soit possible à l'hounne d'y naviguer ni
d'y poser le pied. » Le Carthaginois Uimilcon (3) avoue qu'il
n'a pas osé se hasarder sur cette mer innnense, couverte de
hrouillards, où nul souffle ne pousse les vaisseaux, et où l'obs-
curité cache de re<loutal)les ahinies. Dans la direction du Midi
au contraire les prétendues ardeurs de la zone torride interdi-
saient aux
>yi
)[>n
risquerait dans les régions du Sud ! Il serait hrùlé par le soleil.
Telle étaiUlu moins l'opinion des savants les plus autorisés, de
Strahon [A) reproduisant les théories d'ilipparque, de Pline le
Naturaliste (il) et même de Ptolémée ((»).
Plus encore que les chaleurs insupportables ou <|ue les froids
(i) Apollonius de Rhodes, ArgouauliijXfs, V. H07.
(2) SthAbox, 11, i : « Ev oi; ojt: yf, y.aO'ajir.v irrrip/cv ï-:, ojtî Oa/.aia»,
ojT'ar,5, àXXà C'jy^w^xi Tt l/. tojtjdv -Àejaovt OaXaTTUi) Èotzo;, Èv »•) 9r,ai
■ZTiV ytJv xâi TfjVi OatXaTTav aidjoîîiOat xa't ■:« TjjjinavTa, xa't toutov (Îi; av
osa;i.ôv stvai t<ov oXjdv, [^■r^^:î Tzor^Z'j'w \xt,-ï hXokov 'jzâoyovTa. »
(3) AviENCS, 0)'<i iiuiritima, V. 388.
Nulliis lia<c liJiit frctit ;
Nulliis rarinas oeqiior iUml iiitiilit,
Dcsiiit qiiuil ulto Uabra propollcntia,
.Niillusquo puppini spirilus cœli jiivot :
Dehinc quotl œthram quodam aniiotu vostiut
Caligo, scnipor nebula coiidut gurgitein.
(4) Stbaiion, II, 5: « 'AotxrlTOJ; oi ta; aXXa; ÎJiôva:, ti-,v tx?,v otâ -/.aujAa,
T/jV 5: 3:à ^ùxo;. »
(5) Pline, Histoire naturelle, I, 61. — II, 68. - Vi. 36.
(6) pTOLéMKE, VI, 16. — llvciN, 1, 8. — Machobe, Commentaire du
songe de Scipion, II, 5.
(IIAI'. I. — C.OMMLNU;. ENTRE L'AMÉHIQUE ET L'ANC. CONTINEiNT. 7
(•\(<'ssirs, les matelots iTiloutaient les monstros qui peuplaient
l'Océan (1). Ces écuoils contre lesquels se brisent les flots, ee
sont les Sirènes à la voix perfide; ces courants qui entraînent
les navires, ce sont (l'edrayants animaux, chim«>res ou hippo-
centaures ; ces plaintes du vent à travers la mûturo, ce sont les
nymphes de la mer qui défendent leur domaine, et annoncent
à l'audacieux explorateur une catastrophe imminente ; ces
méduses et ces pieuvres (pii |)arfois apparaissent à la surface
des flots, ce sont d'énormes serpents tout prêts fi engloutir
navires et matelots. Aussi les marins, même les plus hardis, ne
s'aventuraient-ils qu'en tremblant sur ces mers qui cachaient
faut de périls, et l'Océun demeurait la région de l'épouvante et
des mystères.
Les savants eux-mêmes, au lieu de les dissiper, augmentaient
ces terreurs et ces illusions. Quelqueà-uns d'entre eux, plus
hardis ou mieux inspirés, s'efTorcaienl:, il est vrai, de démontrer
à leurs contemporains l'inanité de leurs craintes, mais on ne les
écoutait pas. On les taxait même de folie, (piand leurs théories
scientihipies combattaient les préjugés courants. Thaïes et les
Stoïciens {'i) par exemple affirment-t-ils que la terre est sphé-
rique et par conséquent que les antipodes existent, Plutarque,
intelligence ouverte, esprit encyclopédique, n'hésitera pourtant
pas à tourner ce système en ridi.ule, et, avec lui, d'autres savants
débiteront avec assurance et soutiendront avec autorité les
théories les plus absurdes sur la forme de la terre. Homère (i)
(1) UEniiKi» DE XivREY, TrodUioiis tératcliujiques. — Ferdixand Dkms,
Le Monde enchanté.
(2) l»i.uT.\nyLE, De placitix philoxophorinn, 111, 10.
(3i Id., De facie in orbe lunne, VIII : « Quelles absurdités ne débitent pas
«es iihilosoplies ? Ne disaient-ils pas que la terre est sphériqua? Et pourtant
die contient des profondeurs, des élévations, des irrégularités considérables.
Ne (lisaient-ils pas qu'elle est habitée par des antipodes qui, comme des in-
sectes ou des chats, s'accrochent après elle, en ayant la tète en bas et les pieds
en haut. »
(il HoMKHR, Iliade, XVIII, 606, 7. — Odyssée, XII, 1, 156. — XX, 7. -
XXI. liU.
■ses:
8
PREMIEHE PARTIE. — LES PRECURSr'RS DE f.OLOM».
\}/
n'avait-il pas avance! que la terre était un disque plat, entouré
par le fleuve Océan, du sein duquel surgissent des colonnes qui
supportent la voûte solide du ciel? D'après Pindare (1) la terre
repose sur des colonnes de diamant ; d'après Xénophane (2)
elle a, par ses parties inférieures, jeté des racines à une
profondeur infinie, et n'est qu'un composé d'air et de feu
Anaximandre et Hécatée se la représentaient comme une sorte
de colonne en pierre assise sur une surface unie. Anaximène(3)
en faisait un trapèze, Leucippe un tambour et Démocrite un
large disque creusé dans son milieu. Ces étranges théories,
patronnées par les poètes et par les philosoplies, c'est-à-dire
par ceux dont les œuvres constituaient en ([uelque sorte la masse
commune des connaissances populaires, s'enracinaient peu
à peu dans les esprits. Aussi, à ces époques reculées où les
ignorants inspiraient d'autant plus de confiance que leurs
affirmations étaient plus hardies, peu de personnes pouvaient-
elles seulement supposer que, par delà le monde connu, exis-
taient d'autres terres, dont elles n'étaient séparées que par
l'Océan.
Terreur inspirée par la mer, imperfection des moyens nau-
tiques, ridicules erreurs acceptées comme vérités démontrées,
ignorance de la forme véritable de la terre, telles étaient donc
les causes principales qui, dans l'antiquité, semblaient devoir
interdire toute relation entre l'ancien continent et l'Amérique.
Malgré ces dangers et ces préjugés, malgré ces craintes et
cette ignorance, les marins pourtant ne manquaient pas. Peu
à peu grandissait le champ des connaissances. Les mystères
s'éclaircissaient et l'Océan s'ouvrait à d< investigations de plus
en plus fréquentes. On s'imagine trop communément que les
anciens n'ont connu qu'une petite partie de l'Europe, de l'Asie
et de l'Afrique. Même dans les meilleurs atlas les cartes du
(1) PiNDAHE cité par Plutarque, De fade in orbe lunée, VI.
(2) AÉJiopiiANB cité par Plutarque, De placitis philosophorum, III, 9.
(3) Id., m, 10.
MB.
CHAI'. I. — COMMUMC. ENTRE L'aMÉRIQL'E ET L'AXC. CONTINENT. !>
, entoure'
jiines qui
) la terre
phiine (2)
;s à une
t de feu
une sorte
imène (3)
ocrite un
théories,
est-à-dire
i la masse
lient peu
es où les
jue leurs
ouvaient-
inu, exis-
que par
eus nau-
nontrées,
ient donc
nt devoir
mérique.
raintes et
pas. Peu
mystères
s de plus
que les
e l'Asie
irtes du
m, 9.
monde visité par eux ne fiffurent (;ue le liassin de la Méditerranée
avec l'Europe en deçà de l'Elbe, du Uanuhe et du Dniester. l'Asie
jusqu'au Turkestan et au Pendjab, et r.\fri(|ue jusqu'au Sahara
et au cap (iuardafui. Quelques savants seraient même tentés de
restreindre encore cet étroit domaine. 11 est cependant démontré
(pie les anciens s'étaient avancés jusipie dans la Halti(pi(> (I) et
même qu'ils avaient reconnu l'Islande (2). En Asie ils avaient
dépassé le (îan;;e. découvert l'Indo-Chine et avaient même
pénétré jusqu'en Chine (3). En Afrique, le cap de lionne-Espé-
rance (4) avait été doublé et toutes les eûtes du continent noir (5)
reconnues. Le monde s'élargissait pour ainsi dire, et, de jour
en jour, l'homme étendait son domaine.
En même temps se dissij)aient les craintes chimériques. On
ne reculait plus devant les dangers signalés. On conunençait
à taxer de mensonges les effrayants récits mis en circulation par
les Phéniciens, sans doute pour éviter la concurrence, sur les
périls de la mer extérieure, et on se lançait sur leurs traces.
Ulysse, cette personnification de l'esprit d'aventures, ce héros
de la ruse mais aussi de la persévérance, se faisait attacher aux
mâts de son navire pour ne pas succond)er aux séductions des
sirènes, mais il les bravait, et ses compagnons ne l'abandonnaient
pas. liientôt des navigateurs, plus hardis encore, n'hésitèrent
(1) Keraoi.io, De la connaissance que les anciens ont eue du nord de
l'Europe (Acadùinie des Inscriptions, t. XLV, p. 26-57). — Wuieiui, Sur les
relations des (Srecs et des Romains dans le nord et sur \es nntif/ues voies
de commerce (Ueviic archéologique, mai 1860).
CJ) Lei.ewei,, Pi/tfiikis de Marseille et la géograp/tie île son temps.
(3) Hein ALI». Relations historiques et commerciales de C empire Romain
avec fAsie orientale. — Bihdwood. Manuel de la section des Indes britan-
niques il l'exposition universelle de 1878.
|4) Gakeakei,, Eudoxe de Cyzique et le périple de V. Afrique dans l'anti-
quité, 1874.
('>) AitBÉ l^Ei'iTKE, De his qiii antc Vascum a Gama Africain légère ten-
tavvunt. — ScMiAi'AiiEi.Li, La circumnavigation de l'Afrique par les
Phéniciens au Vil" siècle avaiit le Christ (Cosmos de Guido Cora, déceni!)re
1881). — (il iHALO, Le périple de l'Afrique au temps de Séchao (Société de
géographie de Toulouse) .
nj.m II I I 1 nn*i>i«*
l^r
10
l'HKMIERK l'AUTIE.
LKS l'REr.rHSElHS DR COLOMB.
■V S
1
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plus il se (liri};er vers les n''}rions inconnues, et ce furent les
savants (|ui les encourapùrent à pousser toujours en avant. « H
n'est guère vraiseinhlahle, écrivait Strabon (1), que l'Océan
puisse être divisé en mers distinctes par des isthmes étroits qui
interceptent la navigation. Il paraît bien plus probable (pie ledit
Océan est un et continu ; d'autant que ceux qui, ayant entrepris
Je périple de la terre, sont revenus sur leurs pas, ne l'ont pas
l'ait, de leiu- aveu même, pour s'être vu barrer et interce[)ter le
passage par (juelque continent, mais uniquement par manque
de vivres et par peur de la solitude, la mer demeurant toujours
aussi libre devant eux. «
Rien en effet ne nous empêche de croire (jue les anciens se
sont avancés très loin dans l'Atlantique. Un préjugé trop ré-
pandu consiste à opposer des présomptions à des faits. Ceci
n'a |ias eu lieu, dit-on, parce que cela ne pouvait pas se faire ;
et les anciens n'ont pas connu l'Amérique, parce qu'ils n'avaient
pas les moyens de la connaître ; mais on n'apprécie pas suffi-
samment jusqu'à quel point les navigateurs peuvent compenser
rimperfi'ction de leurs vaisseaux par leur hardiesse et leur
«'xpérience pratique.
Des exeiuples modernes, en nous prouvant ce dont sont
«•apables des barbares audacieux, nous feront comprendre com-
ment les marins d'autrefois p-uvaient entreprendre des courses
(|ui nous paraîtraient aujourd'hui inexécutables. Les Malais,
avec leurs frêles esquifs, leur /»'0S, ont peuplé la plupart des
îles de la mer du Sud (iJ). Les indigènes de Mozambique, encore
aujourd'hui, s'aventurent dans l'Océan Indien sans autre guide
que le temps, et sont parfois transportés à d'énormes distances.
A l'époque où Cook les découvrit (3), les Maoris de la Nouvelle-
(1) STiiABctx, I, r, 8. <> ()j/ '^TM r-,;:î;poj tïvo; àvTi::i7:roûor,î jtal y.w>uo'j'3r,;
Tov ïr.'i/A'J^a. ;:Xoiïv àva)ipo'j;0TÎv3ct , à).Xà WJi anoptaj xat f,pe[jifa;, ôuSèv
r,~ov Tf,; OaÀaiJT,; r/ojar,; tov rropov. »
(2/ Qlatheméhe, '.tlémoires de l'Académie des Insa'iptio7is et Belles-
Lettres, 1845, p. 381.
(3) Cook, Voyarjes (édition 1784), t. I, liv. i, § 8.
niAI'. I. — COMML'.NK.. r.NTHK l'AMKHIOLIÎ ET L'A.NC. CONTINENT. 11
ÎZi'IaïKlc allaient jusqu'à Taïti. T.e Révérend Eliis parle de plu-
sieurs pirofifues arrivées à Taïti, et dont le.> maîtres étaient
|<iri},'inaires de pays dont on ne soupçonnait pas l'existence dans
[l'areliipel (1) ; il mentionne encore des voyaj^es des Wallis aux
[Loyalty, séparées par un intervalle de 1,800 kilomètres. Parfois
la tempête entraîne fort IoiH des barques et môme des vais-
Iscaux. (lomara (2) racontait déjà qu'au temps de Gor*ès on
Itrouva sur les cotes de Californie les débris d'un navire du
Hatliay, c'est-à-dire de la Chine. 11 y a (|uelques années une
lltanpie japonaise fut jetée aux Ixjuches de l'Oréffon, et son
?qui|)a}re fut retrouvé captif chez des Indiens de la haie d'Hud-
pt»n [fi). On conserve au musée d'Aherdeen le kayak d'un
)éclieur esquimau rencontré vivant sur la côte d'An},'leterre. A
)lusieurs reprises, d'autres Esquimaux furent ainsi transportés
lu Nouveau-Monde en Europe (4). Lcscarhot (5) rapporte qu'à
la fin du xvi'^' siècle, le marquis de la Roche cherchait, dans
me petite embarcation, un port aux environs de l'île Sahle, au
llanada, quand il fut saisi par le vent d'est et jeté en quelques
jours aux rivages de France. II serait facile de multiplier les
jxemples et nous po rrions retrouver dans les trop rares
ïuvrages de l'antiquité (jui nous ont été conservés, le souvenir
le traversées analogues, soit entreprises en vertu d'un dessein
Raisonné, soit dues uniquement au hasard. Qu'il nous soit au
noins permis de considérer comme démor/tré que ces traversées,
jossihles de nos jours, l'étaient déjà dans l'antiquité.
Aussi bien, et nous ne sauricms trop insister sur ce point,
ll'Amérique est beaucoup plus rapprochée de l'ancien continent
Iqu'on ne se l'imagine d'ordinaire. Nos cartes, pour la plupart
Itrès imparfaites, ne représentent le plus souvent le nouveau
(1) Ellis, Polynesian Resparches, t. I, p. 120.
(2) Gomaha, Hist. geii. de las Indias, p. 117.
(3) Wii.soN, Prehistovic mnn., p. 100.
(1) Joi.v, l'Homme avaîit les métaux, p. 258.
(o) Lescahbot, Histoire de la Nouvelle France (édition Tross), p. 396, 7.
WfTBfcr. CihCT.*: :-t--;
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12
l'HKMIKHK l'AHTlK.
LKS l'HKClHSKlRS DE COf.OMH.
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nioiulo que s(''jiar(> et cumme isolt'- dos coiitineiits qui l'cntourenf .
Aussi nous faisons- nous, en g»''ii;^r''i, une très fausse idée des
distances. L'Atlaiiti(i?ie, pour bcaucou}) de [lersonnes, est au
moins aussi considérable que le Pacifique. C'est seulement en
jetant les yeux sur une sphère terrestre où les continents et les
mers sont marqués avec leur grandeur relative qu'on se rend
compte de la petitesse de rAtlanti(|ue à côté des immensités
mystérieuses du Pacifique. On dirait un détroit et une mer.
Encore <'e détroit est-il resserré et comme étranglé à trois
endroits différents.
Du cap Roxos, j)rôs de l'archipel de Bissagots, non loin de la
côte de Sierra Leone en Afn(iue (12° 20' Lat. N — 19° li' Long. ())
au cap San Roque au lirésil (r>°2H' 17" Lat. N — 37° 37' 2(>" Long.
0) la distance n'est (jue de 510 lieues marines à 555() mètres
la lieue, c'est-à-dire de 710 lieues ordinaires à 4,000 mètres la
lieue, à peu près la distance de Paris à Moscou en ligne droite,
ou, si l'on préfère une distance maritime {)lus facilement appré-
ciable, la distance de Gibraltar à l'ancienne Gyrénaïque.
Le second étranglement est formé par l'île Valentia au sud-
ouest de l'Irlande entre le golfe de Dingle et de Baliins Kellig
(r32« ir Lat. N — 57" 40' Long. O) et la côte de Labrador.
L'écartement n'est que 542 lieues marines, 750 lieues ordinaires,
la distance de Paris à Nijni Novogorod ou de Gibraltar à l'iilgypte.
C'est cette vallée de l'Atlantique qui a été choisie pour l'établis-
sement du premier cable sous-marin (jui ait joint les deux
mondes.
Enfin le Groenland, si on le considère comme faisant partie
du continent américain, s'approche tellement du cap Rarclay
dans la terre de Scoresby (69° 10' Lat. N — 26» -4' Long. 0) du
cap Wrath en Ecosse (5S° 39' Lat. N — 7» 18' Long. 0) et de
Stadiand en Norvège (62° 7' Lat. N) qu'il n'y a entre ces divers
points que 269 et 280 lieues marines, 373 et 388 lieues ordi-
naires, la distance de Paris à Varsovie et Kœnigsherg, ou de
Gibraltar à Tunis.
CHAI». I. — C.OMMIMC. KNÏHK l/AMKniOriC ET L'aNC. r.ONTINK.NT. l'A
iJi' CCS trois ôtruiijrlcmciits de rAilanti(|ue, lo dernier atteint
à peine la lon;;nenr île la moitié des deux antres, et ceux-ci si>nt
s('|)arés |)ar moins d( (>(M> lieues marines. Sans doute le (Iroenl/ind
n'est peuplé que par de misérahles lril)us d'I-lstiuimanx et de
rares lùu-opéens, et, si son importance f;éofrraplii(|ue est jurande,
il n'est (pie très secondaire pour le connnerce et la navijfation :
mais rirlande et la cùfe de (luinée d'un côté, le Labrador et le
Hrésil de l'anur. sont des pays autrement favorisés pur la
nature. IJe plus les conmnmications sont encore facilitées par
le fïrand nombre des îles ou îlots interposés, qui ont servi et
servent encore de points de relAclie aux navif,'ateurs et diminuent
sinjrulièrement les distances. Ainsi dans le premier étranglement,
rlu cap Uoxos au cap San Rotjue, sont jetés les îlots de Las Rocas,
Kernando de Noronlià, Pinedi» de San Pedro et Frencli Soal.
Pour le second étran}:lement entre Valentia et le Labrador, existe
un nombre si considérable d<' vigies et d'écueils (|u'on les a
pai'tagés en six zones distinctes. Pour le troisième, entre le
(îroeidand d'un côté, l'Ecosse ou la Norvèg(i de l'autre, la distance
est singulièrement diminuée par l'Islande. lesFéroë, les Shetland,
etc. Notons eidln que les Acores sont comme jetées au milieu
fie rAtlanticjue, que de rend)oucliure du Tage à San Miguel des
Aciires on ne compte que !2i7 lieues marines, '.W,i lieues ordi-
iiiiires, et de Corvo, la plus occidentale des Acores à la Nouvelle
1m;osso que '.V'rl lieues marines, 577 lieues ordinaires.
N'est-ce pas ici l'occasion de rap|)elcr que, d'après une
tradition (pii remonte aux [iremiers âges de l'anticpiité, et (jue
nous croyons pour notre part conforme à la réalité, toutes ces
lies faisaient jadis partie d'un grand continent, l'Atlantide, qu'un
épouvantable cataclysme elfondra dans les abîmes et d(»nt il ne
reste aujourd'hui que des faible débris. La (juestion de l'Atlantide
a été si souvent agitée, et elle a donné lieu à de si importants
débats, d'ailleurs elle se rattache si étroitement à notre sujet
qu'il nous a paru difficile de ne pas la traiter à notre tour, et de
donner au moins les raisons (|ui nous ont porté à croire <jue (u;
■ ■■■■■*»
li
PHKMIKHK l'AHTIK.
I.KS l'KKCCKSKIDS DK CuLo.MII.
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~1
1
continent inystéricnx existait iuitrt'fois entre rancicrn't le non vcan
monde, et lenr servait [)ar ('(Miséiiuent de lien de cimniinnication.
Nons rac(tntei'ons pins loin riiistoin- des Atlantes : (jii'il lions
snffise de rappeler ici (pi'à niu' é|>o(|ne, dont il est inipossijile
de préciser la date, snrvint nn cataclysme éponvantahle (|ni
honlevorsu l'nnivers entier. C'est alors, tr«''s pndialtlenient, (jiie
s'onvrit le détn»it de Gibraltar, alors (|ne les Ktats Uarliarescpies
d'anjonrd'lmi cessi'rent d'cUre une pres(|n'ile européenne, alors
(|ue fut en},'loutie l'Atlantide : mais il en reste des débris, et
nous pensons qu'on peut les rencontrer au milieu même de
rUcéan Atlantique, dans l'immense espace ([ue déterminent les
Acores, les Canaries, la mer des Sarjtasses et les Antilles. La
science se prononc(!-t-elle en faveur de notre système? Les faits
sont-ils d'accord avec la tradition ? C'est ce que nous allons
examiner.
La géolojrie est une des sciences naturelles dont les progrès,
•lepuis le commencement du siècle, ont été les plus marqués.
Ses précieuses indications ont l'autorité d'un fait accompli, et
lud, aujourd'bui, ne s'aventure sans elle sur le terrain des
études préliistoriques. Un de ses princi{>es les mieux établis
est (|ue, toutes les fois ipi'on découvre, dans les îles ou les
contiiients séparés à l'heure actuelle par des bras de mer, et
même soumis à d'autres conditions climatolofriques, les mêmes
débris de plantes et d'animaux on en peut légitimement con-
l'Iure <iu(î ces continents étaient jadis réunis. Sir II. Murchi-
sun a prouvé de la sorte l'antique conuexité de l'Angleterre et
de l'Irlande (1), Kdvvard Forbes celle de l'Irlande et de
ri'iSpagne ["D, IJonrguignat celle de l'Kspagne et de l'Afrique du
Nord (3). Plusieurs savants ont également cherché à établir que
riMU'ope et rAméri(jue étaient réunies aux temps préhistoriques.
Les uns se sont contentés de le supposer : Ortelius, Kircher,
(1) MciiciiisoN, Anniverxavfi aclrcttx, 1863.
(2) E. Forbes cité par E. Rkci.us, la Terre, p. ir).
(3) BoLiiouioxAT, Malacologie de l'Algérie, p. 312.
ciivr. I. — c.oMMiMC. ic.NTRE i/a:ikiu(.»i K KT i/anc. co.ntinknt. !.*>
(liiifjiK'iK', MciiU'Il»', (^arli; les iiutr<'s ont essayi- de le pntiivcr:
Ihill'uii, de Fortiu (IX'rhaii, (ladet, Samuel d'KMtrei. Mory de
Saint-Vincent : oeiiv-ri enfin Teint réellement jimiivé |iar la
(•uni|)arais(tn de la flore et de ia l'aune des deux euntiuenfs (1),
Vai elVet, dans les terrains tertiaires de ri'iUnipe, on a r(>tri»uvé
des tulipiers fossiles, des cypn'îs de la Louisiane, des robiniers,
des paumes ou noix des Etats-Unis, des feuilles dérailles, de
ma}m(dias, de sassafras, d'ifs, de se((uuias et d'autres arhres <|ui
ne se rencontrent plus ((ue dans rAniéri(|ue du Nord. lîntre les
deux continents les lifrnites de l'Irlande présentent une vétréta-
tion analogue. Les fougères arborescentes d'Europe ressemblent
à celles du Mexicpie {"1). La flore miocène de l'Europe centrale
était la mémo que la flore actuelle de l'Amérique méridionale.
Mômes analogies pour la faune : jadis, sur les bord de la Tamise
et de la Seine, comme dans les couches miocènes des Mauvaises
Terres du Nebraska, vivaient des rhin» éros, des madiairodus,
des paléothériums, etc. Comment donc ex|)liquer cette confor-
mité, sinon par l'existence d'un isthme, dune île ou d'un
continent jeté entre les deux mondes et facilitant entre eux les
cnunnunications? Et cette ile, ce continent, (pie sont-ils autre
chose (pu» l'Atlantide?
Divers géologues ou géographes ont cherché à déterminer le
contours de cette île, ou plut<')t de ce continent enfoui sous les
eaux (3). Essayons comme eux de les retrouver. Il suflira de
(1) Ki.isKK Ukci.us, La Terre, p. 4(5. — 11 cite les travaux iI'Oswai.I) IIeem,
Ki.ee, (Jaidby, et surtout U.MiEuxs, Dir Vrrsunkciie Insel Mlantis.
{2i E. Fdiiime», De la (Ustrihution f/éoyrapliiffiie den foiif/cres du
Mexiiiup (Sociélé holauique de Frauce, juillet 18G!), p. S2). " Les déduc-
tious, dit-il. nous rauièncnt forcémeut à l'hypothèse d'un continent internuj-
diaire, l'Allantidc, dont il ne resterait jilus que quelques sommités éparses,
sous forme d'iles, dans l'Océan atlantique. »
(3) Blaciie, Mémoire sur Vile de Frislnnde (Académie des sciences, nSS).
— Caiim, Leltres américaines (traduction Lefebvre de Villehrune). — Bonv
DE Saist- Vincent, Esmi sur les iles Formatées. - .Mahcoc, Carte du glohe
à l'éfioque jurassitjue. — Boteliia, Pruehas (jeoloyicas de la existetiria
de In Mlantida ; su fauna y su flora.
k;
rHKMlKllK l'AIITIi:
Li:s rKKcriisKi IIS i>k columii.
jeter leM yeux sur une des eartes (1) «le» l'Océan où les diverses
profctiideiirs observées sont iii(li<|uées par des teintes plus ou
moins claires, et un examen siiperiiciel lions permettra <le
déiiinvrir un vaste coiitiiienf déterminé par les Acores, les
('.aiiari«'s, les Antilles et de iiomitreuses vi^'ies. Ce continent est
contourné par un fleuve maritime, le (luU'-Stream, <pii semlile
liaifrner ses C(\tes, et partout il a gardé les traces de jj;igaiites(|ues
liouleversemeiits. Ainsi, pour les Antilles, Oolomlt avait déjà
remanpié (pie la Trinité et les îles adjac(>ntes avaient jadis dû
faire partie du continent. Kn elVet l'archipel «pii commence ù
la Trinité, se continue par Tahaf-'o etdrenade, et se proloiij:e en
demi-cercle de Port(j-Uico au cap tîatoche dans le Yiicatan, par
Haïti et (îuba, iiiar([ue une cliaiiie sous-marine, dont les îles ne
seraient (pie les sommets, La iiu-r est peu profonde dans ces
parafées, et toutes c(;s îles sont fort rapjtrocliées les imes des
autres, [..e Tortujia, Margarita, (loche, la Sola, Testigos ne sont
séparées du continent (pie par un mince détroit et très peu de
fond. HIanquillu, Orchila, les llo(pies, Huenayre, (iura(;ao et
( Iriilia semblent les restes de terres submergées, et d'ailleurs
elles sont dc^ mi^me formation géologi(pie (pie la côte de Vene-
zuela ; ce (jui fait supposer (pie jadis elles faisaient partie de
la terre ferme et n'en furent détjicliées qiu; par une secousse
formidable, a Les différentes sources thermales qui sourdent
au bord et au dedans même du golfe, et qui élèvent la tempé-
rature de la mer dans r(!space d'une demi lieue carrée, l'huile
(U
P'
■trol
e qui couvre la surlace de la baie, !a
multitude d
es
eaux .sulfureuses, les mines de |)oix élastique fréquemment
^'■/
(I Voir la carte dressée i)ar riii^'tiiiieiir V. de Botelha (Mapn del Oceano
Athnitico Sptentrionat) et insérée dans les Mémoires du Congrès des Améri-
cniistes du Madrid (1881).
(2) Troisième voyage de Colomb. Lettre au roi et à la reine. — Navahkttk,
Colcccton de los viajes y dr.icu/jrhnieiitos que hicieron pov mar lus Espa-
nolc, etc., t. 1, p. 102 : « Y conjelnré que alli dondc son estas dos bocas
<|ue algun tiempo scria tierra eoulinua a la isla de la Trinidad cou la tierra
«le (îracia. »
C.IIAP. I. — COMMIMC. KNTHK L'aMKHIUI'E ET l'aNC. CONTINENT. 17
iiiun<l<''('s, tout se réunit pour cuiistatcr l't'pocjuc rt'lativomeiit
iinidcriic de cet événement -> (1). Le golfe et In lugune de
Vlitracailto présentent encore des traces sensibles du grand
iMiiileverseinent (|ui jadis lit connnuniquer le golfe avec l'Océan
en engloutissant une niasse; considérable dv terrain. Les golfes
de Paria et de Cariaco attestent aussi l'action d'une g ande
irruption des eaux <|ui les découpa en formes étranges. Ce qui
d'ailleurs sendtlerait jjrouver la formation récente; de ces terrains,
c'est l'accroissement delà température qui indicpie une moindre
é|iaiss(iu* aux cou(;hes terrestres. D'ordinaire la température
s'accroit d'un degré par trente métrés de profondeur : Sur les
côtes de (lolomhie et dans les Antilles, elle s'accroit d'un degré
par l:i à L'i mètres (2). Des |)liénomènes analogues se sont
produits sur la côte du Yucatan (3). D'après les traditions locales
elle était jadis réunie à Cuba. Cette péninsule (;n ed'et, pres(|ue
«•nfièrement dépourvue de fleuvos et de rivières, ne reçoit d'eau
«pie par des puits immenses que l'on croit alimentés par des
fleuves souterrains, tandis (|ue l'île de Cuba est sillonnée par
de nombreux cours d'eaux.
D'ailleurs le continent américain presque tout entier se
présente à nous comme ayant conquis sur les eaux, après la
disparition de l'Atlandide, d'énormes espaces (i). Les Etats-
L'nisentrc l'Atlantique et les Allegbanys, la Floride, la Louisiane,
le Texas sont des terres abandonnées par l'Océan. Les bassins
de l'Amazone et de la Plata sont de la même formation géolo-
gi(|ue. La Patagonie est si évidemment un ancien fond de mer
«pie les plaines de la région sont encore imprégnées de sel, c'est-
VAHETTK,
((.S"
Espn-
los
l)ocas
la
tierra
(1) CoDAz/i, Résume" delà Geoyvafiu de Venezuela, p. 467.
ri) Maiicel de Sehh , Cosmogonie de Moïse comparée aux faits hislo-
tiiiues, t. H, p. 322.
(3) Stepiiens, Incidents of travcl in Yucatan, I, 6. — Bhasski ii dk
UoiiiBoino, Archives de la Commission du Mexii^ue, II, 19.
») HiFKON, Epoques de la nature [dàiWon Flourcns), t. IX, p. 572. —
Joi.iBois, Dissertation sur l'Atlantide, p. 97, 98. — d'Orbigxy, Voyage
dans l'Amérique méridionale, IV, 188.
T. I. 8
18
l'KFCMIKHK l'AUTIK. — LKS l'HKCl'USKlHS l)K (.((UlMIl.
iVdirc (|ii(> le grand cataclysrno a mis iiiiu incr iiniiiciiso à la
place (ruii pays fortilc et nMnpIacé <li' vaste» mers par un vé-
ritul>le c-diitiiient.
Aux vraiscMildances scieiitilupies s'ajoutent les traditions lu-
cales. Les Claraïlies (1), lors de la (-«(iKpKHe, racontèrent au\
Espagnols (pie toutes les Antilles avaient jadis formé un seul
continent, mais cprelles furent sul)itement séparées par l'action
des eaux. Ils disaient encore (|ue les mornes, h's falaises et les
escarpements de leurs îles furent transformés par cette inon-
dation maritime. IjC souvenir d(^ cette convulsion géologi(pie
s'est per|>étué à travers les Ages, et c'est touj«»urs l'eau (pii joue
le rôle de l'élément destructeur. Ainsi les Kloridiens (:i) racon-
taient que le soleil retarda sa course de vingt-quatre heures et
que les eaux du lacThéomis ayant débordé couvrirent tout, sauf
une montagne, où se réfugièrent les seuls lionmies cpii furent
sauvés. Les Californiens (IJ) parlent d'une inondation générale
amenée par la colère de leur dieu Tchling. Les Iroquois disent
que la terre fut inondée par un grand lac. Les Montagnais (4) du
Canada raci»ntaient (pi'uu certain Messou étant entré dans un lac
pour y chercher ses chèvres « ce lac venant à desgorger couvrit
la terre, et ahyma le m(»nde, et généralement tous les arhres
qu'elle avoit produits d'elle-même en furent cachez ». Les (;ia-
uadiens d'IIochelaga [■',) «( font mention en leurs (^liansons <pie
les eaux s'estant une fois dél)or(lées couvrirent toute la terre, et
ê-vi:
(1) lloKN, De ori(jinil)Us Atnericani.i, p. 88. » linimincrabilcs Messicaiii
siiMis iiisiiliis iiiiuin olitn contiiiciitein fuisse : ita ex iiiajornm aiitii|ui.ssiiiia
tradilioiii' ipsos iiicolas asscrerc labeiitibus sircnlis avulsas vi teinpestalis, cl
cxigiii: IVc'lis divisas iii laiituin iiuiiieruin cxcievissi-. » CI'. RÉvii.i.i:, Histoire
tlnx Cjraifjp^ (Nouvelle Revue), 1882 — Borde, Histoire de l'Ile de la Tri-
nitad, p .'H -(50.
(2) II. i>K CiiAiiKM^Kv, Traditions ntn''ricainos surin dêluqe (Revue ainé-
ricainc, 'i'> série, [». 88-'J8i. — Cf. Acost.\, Ds promulf/ationeEvanfjelii a/ntd
Barbaros.
(!{) De Cii.\nENf;KY, oiivr. cilé, p. 9:{.
(4) SAo.vni), Hiitoiro du Canada, p. 502, édit. Tross, p. 467.
{")) LEsr,.\RR()T, Histoire de la Nouvelle France, p. 693, édit. Tross, p. 049.
CHAI'. I. — co.mminh;. kntme r/AMKHiQiK KT l'anc. i:(>.\TIM„\T. I!»
furent tous les lioiiiiiu's iioyi'/, ('\t»'|it(' leurs fjraiids pères (|iii
Si' sauvèrent sur les plus liants arhres du pays ». Voici la tra-
(luetiuu (l'une lé^'ende Kscpiiuiaude, recueillie |iar le II. P.
l'etilnt (1) : « L'eau avant envahi le j.'lt)lie terrestre, nu s'épou-
vanta; les tentes des lioiiuues disparurent, le vent les emporta;
on lia côt(! à côte plusieiu's Itanpies; les vaj:ues dépassèrent les
uionta;:nes rocheuses. In ;;rand vent les poussait s(U' la terre,
les lionuues se lireiit sécher, sans dmife au soleil, mais le inonde
et la terre dispariu'ent. Par une chaleur adVeuse les hommes
périrent. Par. les fhtls. ils périrent é}.'aletnent. Ils trendilaient,
ils se lamentaient ; les arhri's déracinés flottaient au jjré des
vaf.Mies... cependant un hoimne a|)pelé le fils du lliliou jeta son
arc dans les flots : « Vent, ne souffle plus ! c'est assez, s'écria-
f-il, après (juoi il jeta dans l'eau ses pendants d'oreille. La lin
arriva ».
Pareils souvenirs se retrouvaient chez les hahitants de la
Terre-Ferme et de la (bastille d'Or (2). Une lé^'ende llaï-
tieniu', conservée |)ar frère Romain Pane (31, attrihue aussi
à une inondation soudaine la formation des Antilles. F^es
peuplades de l'Orénocpie désignaient ce cataclysme |»ar le
nom de (".afenaman<»a (4), ce (pii veut dire suhmersion du faraud
lac. Kidui, voici (>n rpu'ls termes saisissants les Quichuas, c'est-
à-dire les hahitants primitifs de l'Kurope centrale, racontent
cette ell'rayante inoiulafion dans leur livre sucré, le Popol
Vuli (5) : « Alors les eaux furent gonflées par la volonté du
il) H.-P l'KriioT, [.ff Ero/iii/naux (Congrus améiiciiiiiste de Nancy)
p. :);(().
CJ) IIkiihkha, Ui^loiia tjencml de las Imitas, II, 07. — IV, 11!). —
(.)) Humain I'ank, Histoire de Notre-Dame de Izamal, liaductioii Hr
(II! llonrboiir;,', ]). 110 Cf. Lettres de Pierre Marti/r à Pompo7iiii, 1
\\\)'i ^Lu^t^(;s ili; Picne Martyr relatives aux découvertes inaritinics des
i;ii()ls et des Portufçais, Irad. Gallarcl et Louvot, \^. 10).
(i) (iiMii.i.A, Orhioro illustrado (traduction Eidous), t. II, p. 1;>5.
(.■)) Vojnd Vuh traduction Brasseur de Bourbourg), p. 27, 29, .'H. Cf.
Histoire d'un voyage au Brésil, § 26 : « Ils avoyeut fait mention en
, 1. I,
V. 6.
asseur
:{ juin
Kspa-
Lkiiy,
leins
pwi
:>()
l'HKMIKHK l'AiniK. — I.KS l'IlKCLHSKl »S 1>K COUlMIJ.
cœur dn cit'l, et il se lit une jrraiulL' inondatioii (|ui vint au-
dessus de la t(Me de ces nianiiequins et de cestMres travaillés de
li(»is. Une résine épaisse descendit du ciel. L'oiseau ilécotcovacli
leur vint arracher les yeuv de l'nrhite, le Canialotz vint leur
trancher la tête, le Tainhalan hrisa et hroya leurs os et leurs
cartilafres. leurs corps furent réduits en poudre et dispersés
Alors on vit les hommes cotirir en se poussant, remplis de dé-
sespoir : ils voulaient monter sur leurs maisons, et les maisons
sV'croulant les faisaient tond)er à terre; ils voulaient monter sur
les arhres. et les iU'hres les secouaient loin d'eux ; ils voulaient
entrer dans les cavernes, et les cavernes se fermaient devant
eux. Ainsi s'accomplit la ruine de ces créatures humaines ».
Que si maintenant nous nous transportons sur les archipels
qui suhsistent au milieu de l'Atlantique, connue les derniers
témoins de ieffondrement de rAtlanti<le, nous remanpierous
d'abord que leur nond»re et leur position paraissent avoir
singulièrement varié depuis les premières observations qui en
ont été faites. Il est à peu près injpossihle d'établir la concor-
dance entre les textes anciens et les archipels actuels. Où |)lacer
[lar exemple l'île de Cerné qui fut pendant plusieurs siècles, le point
de relAche des vaisseaux Carthaginois, et le Char des Dieux,
et l'île des (iorilles, et les îles Purpuraircs? Dès 1534 Bordone (1)
avouait qu'on n'était pas d'accord sur le nombn^ et la position
des îles de l'Atlantique. 11 est en effei probable que les convul-
sions souterraines ont à diverses reprises modifié la physiono-
mie du sol. Les archipels de l'Atlant
tique
sont les restes d'une
ancienne chaîne de montagne. L'action des forces volcan
iques
l'a séparée en fragments, et
et se manifeste de temps à
conmie cette action dure encore
autre, ainsi s'expli(jueraient la dis-
cliaiisons que les eaux s'estaus une fois telIcniciU débordées ({u'elles couvrirent
tonte l.i terre, les lioinnies du monde, excepté leurs grands pères qui se sau-
vèrent sur les plus hauts arbres de leur pays, furent noyez. »
(1) BdUDOXK, Liùro ncl si tjua vagionn de lutte l'Isole del tnumto cou
li lor nomi mitic/ii et moderni (1334).
iK^mai
^m
CIIAI'. T. — COMMIMC. KNTHK l'aMKRKHK KT L'ANO. CONTI.NKNT. i\
pjiritioii de certaines îles et le défaut de concordance entre les
documents anciens et l'état des choses actuel. (1).
Il est certain (|u"à Madère, dans les (lanaries et au\ Acores,
u se laisse partout aj>ercevuir IVMupreinte du feu, et d'énormes
fra}j:ments de laves ont été lancés, dans toutes les directions, à
de telles distances, qu'il est souvent difficile de se rendre
compte de la position isolée où on les trouve ». Dans ces trois
archipels, les montafïnes o, une hauteur prodigieuse, hors de
proportion avec l'étendue des îles. L(> terrain est sillonné par de
longues anfractuosités et des couches de laves amoncelées. De
loin en loin, fument enc(»re les volcans, dont les éruptions ne
laissent pas (pie d'être très dangereuses. Pourtant le terrain de
ces ai,'>'nels n'est pas entièrement volcanique; on y rencontre
des débris de roches [>rimitives, granit, syénite, en un mot tous
les indices de la jiériode primaire {"2). Un des géologues qui ont le
mieux étudié ces îles, Doodwich (3), écrivait à propos de
Madère et de sa voisine Porto Santo qu'elles n'avaient pu être
créées par un volcan sous-marin. « Il est d'ahord irrécusahie
(pie les masses de basalte ne formaient pas dans l'origine une
roche d'une autre nature (pie la chaleur aurait dilatée dans la
place (pi'elle occupait, et (jui se serait pénétrée de vapeur pour
former la roche actuelle ; tout ser.ible prouver au contraire (pie
ces masses se sont élevées li(|uides, et qu'elles se sont écoulées
de la bouche d'un cratère. Kn second lieu, si l'île de Madère
iiiilo cou
(1) Hc.MB(ti.i)T, Voyage aux régionx l'qiiinoxiale du juuvean continent,.
I, 327. " Quant à la question île savoir si l'arcliipcl des Canaries et les
îles adjacentes sont les débris d'une chaîne de montagnes, déchirée et sub-
mergée dans une des grandes catastrophes qu'a éprouvées le globe, ceci n'est
nullement contraire aux lois reconnues de la nature ». — heuthei-ot, llia-
toire naturelle des lies Canaries, II, 87 : « L'action des forces volcaniques,
qui a rompu l'ancien système de montagnes et l'a séparé par fragments, ne
s'est pas restreinte aux îles Canaries. Elle s'étend sur un plus large espace,
et l'on peut en observer les effets depuis les Açores jusqu'aux îles du Cap-
Vert. »
(2) D'Avi7.Ac., Iles de l'Afrique (Univers pittoresque), p, 43.
(3; Hooowicii, Excursions in Madeira and Porto Santo, p. 107.
'1n99L!i!
"■'.LÎ.'J',..!.
^A
22
l'RKMlKllK l'AHTlK.
LKS l'HKC.IKSKlHS UK COLOMll.
avait ('tt' oiiiiôrcnient cirre par un courant luariii, sa hasci, jo
dirai mémo toute sa l)aso devrait tUro (composée de pierre ponce
et de houille ; or, ces deux substances se trouvent en (|uantit»''
extrchnement petite et en couches alternantes avec la basalte
et le tuf » .
Les Clanaries (1), malfrré leurs noml)reux volcans et les débris
ijiués tlont elles sont parsemées, ollVent des traces j)lus fréquentes
encore de terrain primitif. Remarquons tout d'abord que le pic de
Teyde, dans Tile de Ténérifl'e, qui s'élève jusqu'j'i 3,710 mètres,
sembh; par sa hauteur avoir eu jadis pour hase une terre bien
plus étendue que les sept cents milles carrés de superficie de
l'île actuelle. Bien que l'action des forces volcaniques (2!) soit
partout visible, « nous avons retrouvé (3) dans l'archipel des
débris de roches primitives, desjrranits jtarfaitement conservés,
<»u qui, pour avoir épr^tuvé un feu violent, n'en existaient pas
moins avant les incendies souterrains, des lits de sable ferruffi-
neux (|ui n'ont éprouvé aucune altération, des couches d'arj^ile
(jui ont conservé leur disposition et tous leurs caractères, enfin
des amas de corps fossiles où l'on distingue des productions
marines et des empreintes de végétaux ». La syénite a été
signalée à Fortaventura ; la syénite et le schiste nncacé à Gomera,
Uuniboldt (i) qui résida (juelque temps dans l'archipel n'hésite
pas à reconnaître ces îles comme le débris d'une chaîne de mon-
tagnes déchirées et submergées par une des grandes convulsions
du globe. Les côtes en effet sont presque découpées à pic et
descendent si hruscjuement dans la mer que, principalement sur
la bande orientale, les poissons ne peuvent déposer leur frai et
i
"<
il'
(1) Beutiiei.ot, Histoire ncturelle des Canaries. — Ciiii, v Nabanjo, Los
Canarias.
(2) En 1492, 1528, 1585, 1705, 1106, 1730, 1735 et 1708 les Canaries
furent bouleversées par des tremblements de terre. — Voir GODRON, Sahara
et Atlantide, p. 17.
(3) Bon Y DE Saint- Vi.NCKNT, Essai sur les îles Fortunées, p. 431.
^4) HL.Mr.oi,i)T, Voyaye aux régions cquinoxialer, du nouveau continent ,
t. I, §2.
?i»
t:iIAl'. I. — f.OMMUMC. ENTRE L'AMÉRIQI'E ET l'aNC. CONTINENT. 23
la |h\Ii(' est presque nulle (1). Le premier aspect de l'archipel
est même si |)eu attrayant (juon ne s'explique pas qu'il ait si
longtemps porté le nom d'îles Fortunées, mais le printemps
éternel, la beauté du ciel et la fécondité du sol font vite oublier
ces côtes tourmentées par d'affreuses convulsions et le confus
entassement de rochers qui ne rappellent que trop le cataclysme
auquel l'archipel dut sa création.
Les îles du Cap-Vert présentent (2) la même constitution
physique et la même formation. Autour d'un pic, ancien volcan,
dont les éruptions sont encore menaçantes, Saô Antonio, Paù de
Assucar, (îordo, Fogo, etc. et qui par sa prodigieuse hauteur
est tout à fait hors de proportion avec la petite île qui le renferme,
des terres se sont effondrées, creusant entre elles des abîmes ;
des montagnes se sont précipitées dans la mer d'un seul bloc,
et plongent leur base à pic dans les flots pendant qu'elles cachent
leur tète dans les neiges. L'aspect de ces îles est si tourmenté
(|u'oii les désigna autrefois sous le nom d'îles des Gorgones :
Immenses crevasses, cratères gigantesques, montagnes éboulées
dans la plaine, tout y atteste encore l'action des forces souter-
raines.
C'est siu'tout l'archipel des Açores qui fut violemment boule-
versé et abîmé en grande partie. La surface de la plupart do
ces îles est fort irrégulière, coupée par de hautes montagnes et
de profondes déchirures, causées sans doute par l'action des
pluies sur des matériaux peu consistants. Les reliefs se terminent
brusquement à la mer par des rocs perpendiculaires qui semblent
des nnu'ailles. Le sol a été si bouleversé qu'il est presque
impossible de reconnaître la succession des couches stratifiées,
et (jue les caractères observéssur un point sont presque toujours
diamétralement opposés aux phénomènes qui se manifestent
sur un autre point. Les éruptions volcaniques n'ont pas cessé.
(1) D'AvEZAC, Iles de l'Afrique, p. 123.
(2) I. LopKs DE Lima, E
fjuezas (l«4i , t. I. Das ilhas de Caôo Verde.
nsaios sobre a statistica da:, possessoes portu-
\^
t !
¥■■
24
PREMIERE 1 HE. — LES PRECURSEURS DE COLOMIl.
Celles de llio, de ir>31, de 17oo et de 1811 ont laissé de
lugubres souvenirs. En mai 1807 on signalait encore des eom-
motions souterraines, et, les 1" et 2 juin de la mOme année,
une bouche volcanique lançant des pierres et épanchant d'énormes
masses de lave s'élevait à la surface de la mer entre Graciosa et
•ceira. Pourtant le terrain primitif se rencontre dans les îles
us éloignées du centre et du foyer. Le schiste constitue
1 lie Santa Maria et le marbre est abondant dans l'île de Gorvo (1).
Il se peut que toutes ces îles. Madère, Cap-Vert, Canaries,
Açores, soient les restes d'anciennes chaînes de montagne.
« Quand les feux souterrains furent devenus assez forts pour
se faire jour dans le continent Atlantique et que les rochers les
plus solides ne purent résister aux secousses qu'ils imprimaient
au sol..., l'eau, qui cherche sans cesse à accroître son domaine,
profita de cette crise et des fractures qu'elle occasionnait pour
se répandre sur plusieurs points. Bientôt, par les effets réunis
du courroux de l'Océan et des éruptions volcaniques, un continent
disparut de dessus la surface du globe. Les fragments »^noini-
unis et sans solidité qui en faisaient la masse furent entraînés
par les courants (2) >>, et c'est ainsi qu'il ne resta bientôt plus
que le sommet des anciennes montagnes de l'Atlantide.
Ce n'est pas seulement dans ces archipels, mais aussi dans la
mer qui les entoure qu'il est facile de retrouver les tra(;es d'un
continent submergé. Entre les Canaries et la côte Marocaine, la
mer est si peu profonde que quelques géologues ont affirmé
qu'une convulsion violente de la nature a seule pu séparer cet
archipel du continent. Il suffit, en effet, d'explorer la côte
d'Afrique (3) entre les caps Spartel et Bon pour y remanjuer
(1) BoiD, A description of the Açores, or Western Islands, frotn personal
observation, 1835. — Drolet et Morelet, Rapport fait au roi de Portuyul
sur %m voyage d'exploration scientifique aux îles Açores, 1857. — G. Hau-
TUNG, Die Azoren in ihrer Aiisseren Erscheimmg und nach geognostichen
Natur geschildert, 1860.
(2) BoRY DE Saint-Vincent, ouv. cité, p. 1860.
(3) GoLBERHY, Fragments d'un votjage en Afrique, t. I, § 2. — Bory iik
Saint-Vincent, ouv. cité, p. 440.
CIIAl'. I. — COMMUMC. ENTRE l'aMÉRIQIE ET l'aNC. CONTINENT, "i.'i
lissé de
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— BOHY DE
SI
de nund)ren\ déchirements et des monta}j;nes séparées par des
gor}îes très ouvertes et paraissant divisées par l'action d'un
violent ellort. Entre Madère et les Canaries se prolonge sous
les flots une chaîne sous-marine dont les sommets émergent de
loin en loin :!:s Désertes, île Salvage, etc., et semblent ne faire
des deux archipels qu'un seul système. Entre les Canaries et
les Acores existent encore de nombreuses vigies, jadis men-
tionnées par Frézier (I) et Fleurien (i), qui explorèrent ces
parages. Ces vigies sont mêmes si nond)reuses qu'il est impos-
sible d'en expliquer la présence sans admettre qu'elles appar-
tenaient à un continent submergé (3). L'amiral Fleuriot de
Langle a c(»nsacré à ces vigies éparses un important travail,
dont nous allons présenter un tableau résumé (i\
D'après le savant observateur, on distingue six zones dans
cette partie de l'Atlantique. La première est situé entre 12" et
18" de longitude ouest de Paris. Elle comprend six vigies ou
écueils : 1° Le liackall (57°, 39' '.Vr Lat. N. — 15» W Long. 0)
signalé en 1810 par le capitaine de VJ'Sndymiou, et (|ui depuis a
figuré sur toutes les cartes marines ; "l" L'Helen (57" i5' et
15" 37' 15") sur lequel s'est perdu, en 18:24, le capitaine Erskine ;
3» La Unche dite Kius (55» 18' — 13° !29') signalée en 17M, à
(juatre pieds sous l'eau, par le capitaine du FricndSIùn, Ait-
Kins, revue, en 18
par
ipitaii
3t en
1852, par le capitaine du Fiugalto», Cronig ; 4" La /{oclie du
Diahlt; observée en 1737 (i7"i2()' — 13» 20') par le capitaine
(1) FnÉziEB, fielatiom de voijnge h In mer du Sud, r. 289.
(a) Fi.ELiiiEN (i)e;i. Le Neptune Américo-septentrio» J (1180), p. 60(i.
(.')) BuKFON {Epoque de ta nature, édition Flf.cns, t. IX. p. :}63) s'eu
était douté : « Le grand intervalle de nier, écrit-il, entre l'Espagne et les terres
voisines du Canada est prodigieusement raccourci par les bancs et par les îles
dont il est semé, et ce qui pourrait donner quelque prohabilité de plus à cette
présomption, c'est la tradition de la submersion de l'Atlantide. »
(4| Fi.EuniOT DE Langle, Oftnervations de vigies- et de /lauts fondu dans
ll'Attantique septentrional au targr des Acores (Bulletin de la Société de
I géographie de Paris, juillet 1865).
:2(;
l'HKMIKHK l'AHTIK. — LES l'HKCLHSEURS 1)K COLOM».
a
Hrignon ot en 1818 (4(5" 3.'!' — 15" !27'j par le cafjitiiino W.
Peter; 5" J/^/yrfa (44° 45' — 17° 45°). Dès 13()7, iKtus trouvons
eet écueil indiqué sur la carte catalane éditée par Uuclier. Il
reparait dans le Ptoléniée de 1519, et, dès lors, figure sur les
mappemondes modernes. 11 a été observé, en 1730, par le capi-
taine de Rock ; 0° Vigie du VHanmhnl. Kn 1749, le capitaine
(irifïe de rilaiinihal sifrnalait des i)risants danp:ereux par 43' 10'
et l(i"40' : serait-ce par hasard le ménie liant fond que celui où
Heriu'ville, lonuuandant de Vh'lisfibt'lli, se tnmva engagé en
17i5 (44" Kf — 13° S) et où un coup de mer furieux lui enleva
soixante et dix hommes de son équipage?
La deuxième zone est située entre 18° et 25" de longitude
ouest. Elle comprend neuf vigies en hauts-fonds. 1° Le banc de
Kramer, ainsi nonuné du capitaine Alof Kramer qui le décou-
vrit par 59" 47' et 19" ; 2° Le banc du Lion (50" 42' — 19" 50')
reconnu en 177(5 par le capitaine Pickersgill et en 1831 [)ar le
capitaine Vidal ; 3" fji Hoche du lirasil on banc de fei\ indiipiée
déjà sur le portulan médicéen de 1351 (1. de Brazi), sur la carte
de Picignano de 1307 (Insula de Bracir), sur le portulan de
Mecia de Viladestes de 1413 (insola de Brazil), sur les cartes
d'Andréa Bianco de 1430, de Fra Mauro de 1457, et de Ptolé-
mée de 1519 : à partir du XV siècle on ne la retrouve plus ;
4" Les Hoches de Nègre. En 1722, par 48"10'— 22°40' le capitaine
Nègre, de la Rose Sainte-Croix aperçut (juelques pointes de
roche ; est-ce un des rochers couverts de coquillages et émer-
geant d'environ 05 centimètres que le capitaine Michel, de la
Catherine découvrit en 1753 par 48" 45' — 18" 59', ou le haut-
fonds, sur lequel déferlait une mer très blanche, que signalait
en 1810, par 47" 50' — 23" le capitaine de la JJellone, de Prigny ?
5" Cinq grosses tètes. En 1817, par 43° 28'— 23° 40' le capitaine
Dichin, de la Confiance, découvrit un récif couvert d'eau; en 1854,
par 44" 14" — 23" 53', le capitaine Duprat apercevait une roche
haute d'environ 15 mètres, et la même année, par 44°22' — 21°27',
le capitaine Persil remarquait une autre roche f t élevée, en-
1!
r.llAI*. I. — r'^.:.:MlMC.. K.MHK i/aMKKIOCE et l'aNC. C.ONTi.NENT. "11
haut-
lignalait
'rigny ?
ipitaine
Ml 1854,
roche
ttiun'c (le l»risaiits utoros ne doiiiiaiit de f(jiul(|u'à 113 nit'tres ;
<t" .\fiii/di( : cet îlot qu'il ne faut pas confondre avec l'îlot de
même nom déjà signalé dans la première z<tne fut oliservé en
ITd.'i, par 47° 12' — 2.'l"3i>', par le ca|)itaine Nau de Bordeaux, (pii
le décrivit connue une île blanche de la grandeur de l'île d'Aix.
Kn 1717 le Père Gordeiro, dans son histoire des îles de r(Jcéanie
{ >ccidentale, le faisait figurer (iTo^O' — :25»2V) parmi les posses-
sions du Portugal, mais en 1738 le capit.iine lh-adf(irt, dn Jfdi'llfi/,
par 'io° 10' — 21'*37', eten 184ïile capitaine IJridou, de la TlitW-se,
par M'}" 10' — 22" 30', ne trouvaient plus (|ue des brisants (h; six ou
sept pieds de haut. 7» lifinr Lamarre. Ce banc fut signalé en
1820 , 42";n'- |)as de longitude) par le cj'.pitaine Lamarre de VA'mi-
iii'-Marh'. Il rencontra de nombreux rochers sé[ .rés par des
,i<Miiau\ et leur assigna une étendue de vingt à vingt et un milles
dans la direction du sud-sud-est au nord-nord-ouest. 8° liane
ilAdruher. En 183Î) le capitaine Adroher aperçut à sept ou
liiiif mètres sous l'eau, par ^((".'iC)' et 10" 01' un récif de cinq
milles d'étendue. 0° Banc de. In Henriette. Ku 181(», par 37" 39'
et 10° 4Î)', le navire la Henriette avait déjà trouvé dans ces
parages un brisant fort étendu.
La troisième zone est située entre 25" et 30° de longitude
ioiiest. Elle comprend sept basses ou vigies. 1° Vigie de Mar-
chdine observé en 1728 (par -48" — 2(»° 39') par le capitaine
Marchoiue, du Prince-de-Conti ; 2° Vigie de Hoittin, signalée
tur la première fois en 1701 par le capitaine Houtin (iC)" 40' —
io^riO*) (]ui découvrit un rocher de -43 mètres de long sur 20 de
large, et pratiqua des sondages tout autour ; mais dès 1727,
ar 4()"20' — 28" 49', la frégate la Galatre ne trouvait plus qu'un
récif, en 1788, par 45" 48' — 2(»"10', le commandant du liurhcnu,
kle Segneville, ne signalait plus qu'une décoloration de l'eau, et
en 1833, |)ar i()"30' — 25» i8Gorral, capitaine de Co/?7H*\s/arforne
parlait plus que d'un haut fond. 3° /.« Vigie de Gosseauine. Dès
1(;27, par 4-4° 52' — 28" 3 4', le pilote Albert de la Trcmhlnde avait
Ail la mer se briser surunécueil. En 1819 le capitaine Coombo,
28
PHEMIKHK rAHTIK. — LKS l'HKC.l HSKJRS I>K COLOMH.
(le la Patins, visita le diinger par M)"î>'ï — 2H":H, et même réussit
à arracher un goëmon qui tenait au fond. Eu IH'M), par 41^52' —
28" 34, lo capitaine (Josseaunie dhservait des rochers émerfieant
de l'eau, et en 1843, par 4.')"!' et 28Tj' le capitaine (^ornforth,
de VOtfersponl, certifiait l'existence d'un hrisant. 4" lion f il'
firreiw. Le capitaine Greeve, de YAnna-Cnthm'hia a[»ercut en
1745, par 44" — 27°2r)',uue chaîne de rochers, prohahlement lu
même que revit en 1711, par i.'l'lîJ'-- 27" 2o, le capitaine Curie
de la D'uinu. .> liasse de VlAiphros'ini'. Vax IS.'il, par 43° 40' —
29° î)', le capitaine Mestre, de VJ'Jnphrosiin', remarqua que la
mer était décolorée, et trouva le fond à 82 et à 8') mètres.
0° Viffle di' Gairhard't. Elle fut signalée en 1735 par le capi- ,
tainedu J)auj)lii)i, (îuichardi, cpii, par 42° 30' — 20" 25', vit des
roches élevées d'une di/aine dv mètres, mais en 182Î), à hi
même latitude, le capitaine Mils, du 7'«//(f'>' n'en rencontrait [)lus
que deux; en 182'.), par 42" 20' — 27" 20', le capitaine Woodall,
de Vludemnili/, signalait des rochers sur lesquels la mer défer-
lait avec violence, et eu 1842, par 42" 51' — 20" 35, le capitaine
Alderson, du Mornhig-Star, trouvait des rochers élevés de trois
mètres. 7' liasse de VAhnable Marie Jeanne. En 1777, par
41° 30' — 29° 28' , le capitaine Voizard, de VAhnable-Marie-
Jeanne, s'aperçut que la mer changeait de couleur, mais il
n'eut pas le temps de sonder; en 1813, par 41° 7' — 24" 59',
le capitaine du Pei'setts trouva des hrisants.
La quatrième zone comprise entre le 30" et le 35" de latitude,
comprend six écueils : i° Les Trois Cheiwinées. C'est en 1720 que
le capitaine du Clos-Fernel, du Chai-de- Verne ^ signala, par
45" 57' — 31° 54' trois têtes de rochers hauteur de 27 mètres
environ. 11 leur donna le nom des Trois Cheminées à cause de
leur forme allongée. Elles avaient d"- aru un siècle plus tard,
car, en 1823, par 47° 55' — 32° 04', VAmHié-du-Croisic ne
trouvait plus qu'un fort brisant, et en 1831 , par Alo 55' — 37" 20',
le capitaine Hatena, de la Bonne-Mère, manquait d'échouer sur
une longue ligne de brisants séparés en quatre groupes bien
(.MAI'. I. — COMMIMC. K.NTHK I.AMKIUQIK KT l'aNC. CO.NTI.NE.NT. li.*.)
«lisfiiicts. Il est iK'Miimoins prnhaMc (|ii(' leurs (iliscrviifioiis
s'adressaient à une autre vi^Mc, car en IH'ri, |iar 47" 'M' — 'M" 11',
le capitaine Koallovs, de Vh'df/lf, si^qialait encore trois têtes de
rochers émergeant de '11 mètres. ^" ht Itttrht» du Mnr'nier fut
indi(|uéepar le cai)itaine Swaintore, du Mar'nin- (|ui faillit s'y
perdre en IH.'JI, par iC»" :K)' — lUTi"'. W" La /{orlif /fntdn'sou,
ainsi nonnnée |)arce(|irelle consiste en un fond rocheux très con-
sidérahle, trouvé en iSriO, avec 87 et 17H mèfres de fond, par
A'I^V.V — IJl^^iO', par le capitaine llenderson, du riHiiicn-AWHe
roche llenderson ressemhie à i" La /{nclic Moss- raii, trouvée eu
IS'il |>ar le capitaine Mossurau, de V/ùlirard Kcinn/, qui dé-
clare avoir vu la uu'r se hriser par iI}"H' — lU"!!". .V' La /{nrhe
du Fi/m ressemhie aux Trois Cheminét's. Elle fut sifîuah'M? eu
17(57 par le capitaine Ytreck, du Fijcu, ijui découvrit trois têtes
de rochers par -47" ^' — ;{3" (H)', mais sans trouver de fond ; et
en 1S5(» par le capitaine Chardenni. du Duquesni' qui vit par
47" 'X — 31° 7', trois têtes de rochers disposées eu trian}:lo
émerf^eant de deux uà'tres et garnies à l'eutour de fucus.
Signalons encore dans cette zone ()" Im Viq'to dv la Couslauça,
formée par des hrisants aperçus en 1840 (IJ2" ^(>' — 38" -45') par
le pilote de la Cousiauça, Manuel Ferrecrà.
La cinquième zone, située entre 35" et 4'>", comprend neuf
vigies : 1" /{ochers dv fiourjli. Ce sont deux rochers hors de
l'eau {■U)° 33' — 3o» "H)') ohservés en 1820 par le capitaine
Heaufort, du Concnrd. ll" Lllc Jacquot fut signalée eu 1728
(.4r;o 40'— 38' 59') par le capitaine Bannehetche, de Saint-
.lean-de-Luz, qui faillit s'y hriser ; en 1782 (40" 50' — 42» 12')
|)ar le capitaine Querval, du Jeum Frrdêric ; eu 1830 (-40^55' —
41° 50') par Mate Legros du Scaflores, qui trouva une île de
cent mètres d'élévation, et en 1858 (40" 52' — 40" 20') par le
capitaine Joh du Christ obal, qui ne rencontrait plus que trois
têtes de rochers. 3" La basse d'AmhUmoni est formée par des
hrisants situés par 44° 20' — 35° 59', vus en 1087 par le capitaine
•l'Anihlimont, de VArv-en-CU:l. 4» La liasse Sargeac : c'est un
:t()
l'UKMii'.m; I'ahtik
LKS l'HKCIHSKlHS \)V. (OLOMII.
il
II
I
\
r
rocluT roufrc (ill" ri"' — 13" 1 V) siffiiah- en IT.'iO |»;ir le t'a|)ilaiiic
Sarpcac, de la Mitr'ic-Him', ; à iu> |>as cinifoiKlrc avec uii liant
l'orid (le ciiKi iiK-trcs, sitiu'' par K^l" W — ',\\)" io', (lôcouvcrt la
iii^'irio uniUH! par le capitaine llaiiii^'cau, du Lrznvd. W Le Itniu-
l'^sjKifjtiid fiiiisi nommé en l'C»*.! par le caiiitainc Ifilcsias, dn
Slscai', (pii romar(|na, par W" ^i' — 38" iO, nnc décolo-
ration d(> l'can et trouva lo fond à huit mètres scidcnicnt. Kn
1841,
nar
M)'
," /<
ï.)
IW" 37', on observait un banc à fleur d'eau.
mais il avait disparu en 1857, carie capitaine VValstein, du /ilntiit-
fn'i-f/, ne siffnalait plus, par -iO'^O' — 30° "HY, (|u'une décoloration
de l'eau. i\<> Itmtc dit IJruid. En 1803, par il» 2i' — V.V îi.'i', le
capitaine Castillo, de la Conslanra, avait déjà vu la mer se
briser; mais c'est en 18il seulement, par 41" 10' — 43° 55',
(|ue le capitaiiu' Treadwell, du Driiid, aperçut une dizaine de
roches à un mètre au dessus de l'eau. 7" Vif/ic de Clianieri'dit
ainsi nommé du capitaine Chantereau, de VAiir/nsie, qui en
17:il, par 38" "24' — il" 50', découvrit de forts brisants. 8» hi
Hoclii; drs 'froin Frères fut découverte en 1720 (40" 28' —
43° 00') par le capitaine Sébastien, des Trnh-Frères, cpii trouva
le fond à sept mètres. Enfin dims cette cinquième zone existent
0" Acv Ilocho.s ScDis Nom, (jui peut être se confondent avec les
précédentes et qui furent observées en iH±l (38" 10' — 30" 52')
par le pilote espagnol de la Tr'iunfnnic ; en 1831 (38° 45' —
30» 25') par le capitaine Ignace Natta ; en 1840 (37' .50' — 35" 24',
par Manoël Feneira ; en 1840 (38" 23' — 30° 30') par le capitaine
IJotte, de la Louise.
La sixiène zone, située entre 45° et 00» de latitude, comprend
trois écueils : 1" La Hoche }fé(jiiet, fond rocheux à cinq mètres
de profondeur, signalé en 17()8 par le capitaine Méquet, de
(Iranville, par 40° 30' — 47° 33', et qui se confond peut-être
avec 2° Les Roches Vierges, découvertes en 1829 (iO" 27' —
53' 10') par le lieutenant Rose, de la Ti/ue, ([ui trouva le fond
à quatre niètres, et en 1843 (4()° 30' — 52" 4') par le cai»itaine
llyder, du Jiélhel, qui trouva le fond à sept mètres. 3" La Roche
CHAI'. I. — «'.(IMMIMC. KNTUK LAMKIllylK ET i/ANC. CONTINKNT. M
trf/nrnr/dii
If : (l(''S l7(K)im iiîivirc de Hordciuix avait sif.Mialt'' un
haiif et <|n('l(Hi.'s îlots par iO» :«()' — .'il» :«>'). Kn \'-l''l U-
capitaine llcrvaiiaiilf, (In (htnt/Ki'ninl, iAm'r\n\l à "<M> int-lrcs ilc
distance, par il" — i<»" 1', d'une part un roclier à tieur d'eau
et de l'autre tniis brisants distincts. En 1818, par M)' .Vi' —
M" !'(", le capifiiine Konrnier, de VOsctir l'i hlisr tntuvait une
roclie hors de l'eau. Le capitaine Maxwell eu sifjnalait tmis eu
IH-iC», |tar
ilo '■y — iilo V,i, et c'était une véritahie chaîne de
rncliers cpie le capitaine de \\\iiinli(i rencuutrait en 18;Ht par
/tiJ» ;{'
il» :2()'
Il <'st donc prouvé (pi'an milieu de i'Océaii Atlanti(|ue, entre
10" et OO" de loufritude ouest de Paris, c'est-à-dire sur un es|iac<'
considérahie, existent des brisants, des roches isolées, «niel(|ues
îlots et des hauts fonds. Encore a-t-il été impossible de recueillir
toutes les explorations nautiques, et l'Atlantique n'a été étudié
(jue sur une petite partie de son inunense étendue. On aura de
plus remar(|ué, dans cette loujrue énumératiou, cpie très peu
d'observations concordent, (|ue tel écueil signalé à tel endroit
ne s'y est plus retrouvé quel(|ues années |»lus tard, mais qu'il
a été remplacé par un haut fond, ou récipro(|uement (|u'un haut
fond s'est changé en une chaîne de brisants. Il se pourrait donc,
d'uiu' part, (jue le nombre de vigies observées fût bien plus
considérable et cpi'on ait aj>pli(pié à tort la même dénomi-
nation à des positions dilféreuti's, d'une autre [lart (pie le travail
souterrain des feux intérieurs (pii jadis engloutit la majeure
partie de l'Atlantide ne soit pas encore terminé, et. par consé-
(pient, que de nouveaux archipels émergent ou (pie d'anciens
s'elfondrent subitement. Ne signalait-on pas, en janvier 18.')7,
au large des Carolines et de la Floride, uik; immense irruption
(l'eau douce ? Des courants boueux et jaunâtres sillonnèrent
l'Océan et des milliers de poissons furent tués (1). En pleine mer
la salure diminua de moitié et les pécheurs puisèrent pendant
(I) Ravskim) Tiiomassv, Essai sur l'/if/drolnf/ie. — E. Heci.is, la nirr.
.
\i
:\-i
l'HICMIKMK l'AKTIl
LKS rHKC.HHSKfHS DE r.OMlMH.
iiii iiiitis (lo l'oau |Mjlal)l('. Ou eût dit le Houlèvciiiciit d'un
nuitiucnt.
FiCs anciciiH avaient déjà r<'ruar(|U('' (pic rAtlanti(|U(' était
parl'uis ('(tiiuuc agité de uinuvcniculs couvulsifs. (l'était uiénu'
v\u'z euK uniMipiniou répandue (|u'<iu nepuuvaitipiedil'ficilenient
naviguer au-delà des coImuiu's d'Hercule, car la nier, disaient-
ils, était obstruée [lar des déliris roclnMix, des hancs de vase et
surtout des agglomérations d'iierlies marines : ils n'hésitaient
pas à attribuer la cause de ces agitations aux derniers tressail-
lements de l'écorce terrestre, encore frémissante de l'épouvan-
tahle cataclysme <pii engloutit l'Atlantide.
'< On ne peut naviguer au-delà de Cerné, écrivait un contem-
porain de Darius I, Scylax de Guryande (1), car lu mer est
eird)arrassée par de la vase et par des herbes ». « Maintenant
encore, lisons-nous dans Platon (ïi), on ne peut parcourir cette
mer (l'Atlantique), ni la connaître, parce que la navigation est
empêchée par la vase très |>rofonde qu(! l'île a formée en s'abî-
munt ». Ilérodot ' (3), racontant le voyage projeté du satrape
Satnspùs autour le l'Afrique, affirme qu'il s'arrêta en chemin
parce qu'il reconnut l'impossibilité d'aller plus loin. Plutar(|ue (i)
rapporte qu'il ne faut voyager sur rAtlanticjue (|u'avec des
bateaux à rame, car les eaux ne permettent qu'une lente
navigation et sont rendues bourbeuses par la (juantité de vase
(Il ScYLAX DE Cavrandf. (édition Didot) : « Ks'pvr,; oï v/^ioy Ta irJMivx
oyxSTt iiv. TZAfDTa oto ppa/ÛTr,-» OaXâzTT);, xal nr^XoCÎ, xai oûxci;. »
(2) Fi.ATON, Tintée : (( Aïo zal vùv ànopov xat àô'.epsûvrjTOV y^y^vs toÙxei
T.ù^ctyoi, nr,Xoj xapTa [ii^îo; £;iroôwv ov-o;, ov f, vrjao; îÇo(X£vr, rapcV/îTO. »
Ce renseignement est confirmé par le Scholiastn de Platon (Edition Tauclinitz,
Vil, I». 2!)'»' : (( Tojto xat ot toÙ; âxEt'vT, xoroy; !a-opO'jvT;; Xs^ouaiv, m-
-avTa TîvaXfiiSr; tov =xeÎ eivat "/«îipov. TEvayo; rii ÈTCtv Wùi ti; întnoXâÇovTo;
•joaTa, où ;:oaXoCp, xa; IJOTavrl; Èni9a'.vo|j.svr,; toûtco, r[ ;;riXn»5r, r.zkx^T^, rj
o'.âjîpoyo:, r^ xâOupyot ■zôr.oi. »
(:{| Ukrodote, IV, 33 : « ToC! oà ;jl7j t.i^atjmzx'. It,'iljr,v raviîXî'iDa alttov
Too: ïXîys, tô ::X'}Xo'^ -ô r.y'tn» où ?yvaTÔv Ëti aivai aXX'îv'a/îiOa'.. »
[\) Plutauquë, De faciu m orôe liins, § 26.
il fi
Ouest de Fari»
C Perro»
l-KS Ar't'ORTS Di; (ÎULK STHEAJI
(Extrait ilc lu (iro<:ia|ililc tl'K. Hkci.us, llacliottc et C', Wilcurs).
4
(IIAP. I. — COMMUMC. ENTRE LAMÉRIOIE ET l'aNC. CONTINENT. 33
(ju'y d('|><)sent de iiomhieux affluents venus de terre ferme. 11
«'Il résulte de tels attcrrissements que lu mer en est épaissie,
.Vristotc [l) sig:nale les danjfers de la navigation dans ces
(laraijes. L'auteur anonyme du Traité des Merveilles (2) rapporte
(|U(' des Phéniciens de (iadès rencontrèrent, après quatre jours
de navigation, des régions pleines de varechs, où jouaient de
iKiinlMTUx thons. L'exa'ct Strahon (3) confirme ce renseignement
et nous apprend (pie la chair de ces thons était fort estimée,
parce (pi'ils se nourissaient d'une sorte de gland marin si
ahondant qu'à l'époque de la mat'irité les côtes de Gadès et des
alentours en étaient jonchées. Or ce gland marin n'est autre
(|UL' le fruit en graines des sargasses arrachées aux hancs de
r.\tlanti(pie et jetées sur les cotes européennes (4). Ces sargasses
atteignaient parfois des proportions gigantesques et arrêtaient
la marche des vaisseaux. Aussi les navigateurs n'osaient-ils pas
se ris([uer dans ces {>arages dangereux.
Même pendant le moyen âge, persista cette croyance à la
«lifflculté de la navigation dans l'Atlantique. Jornandès (5),
riiistorien national des (ioths, disait, en parlant de l'Océan,
que non-seulement personne n'avait jamais essayé de décrire
les régions lointaines (ju'il baigne, mais encore que personne
n'avait osé le traverser, parce que les algues arrt .aient la marche
<les vaisseaux, les vents n'avaient plus de force, et que celui-là
seul connaissait ces parages, qui en fut le créateur. » De
il
!; I
il) AuisTOTE, MétcoroU>(ji(iues, II, 1, 14 : Ta o'à'Ço) aTT,Xwv ,'3sa/c'a \xh
v.% Tov nfjXov, à-voa ô'satlv, «îj? èv v.oiXfi) -f^<i OaXâTtr,; o'ùur,;.
■1} De mirafjilitjus auscultationihiis, édit. Didot, p. 166. — Voir le texte
au chapitre intitulé Les Pliéiiicieiis en Amérique.
(3) SriiABON, III, 2, 7.
\'i) THÉoi'RAaTt, Histoire des plantes, IV, 7.— Aviesls, Ora niariti>na,
\. iO'J.
(")) JoRNANDÉs, Historia Gothoriim. « Oceani vero intraiismeabiles ulte-
riorcs fines non soluni non describere quis aggressus est, veruin etiani iiei;
tîuiquani licuit transfretare , quia rcsistente ulva et ventoruni spiramine
<|iiicscenle, impermeabiles esse scntiantur, et nuUi cogniti, nisi soli ei qui cos
cunstituil. »
T. I. 3
34
PREMIERE PARTIE. — LES PRECURSEURS 1)E COLOMB.
il
î
( »i
nombreux romans de ("li<?vaIorie (1) parlent, comme d'une mer
très lointaine, de la mer liétée. Or, bétée ne signifie pas gelée,
mais coagulée, et c'est justement dans cette mer (jue l'auteur
de l'Image du Monde, au cliapitre d'Aufrique et de ses régions,
plaçait l'Atlantide de Platon, et conservait ainsi comme l'écho
des traditions antiques. Les Arabes, ces hardis marins, (|ui
semblaient avoir hérité de l'esprit aventureux des Phéniciens (2),
hésitèrent eux aussi à se lancer dans l'Atlantique, car ils se le
rejtrésentaient comme couvert de ténèbres, ou rempli d'une
eau épaisse ou boueuse où il était impossible de naviguer.
Mohammed, l'auteur d'un traité de cosmographie intitulé le
Parfum drs fleurs dans les merveilles de Vinwers n'écrivait-il pas
encore, en 151G, que les eaux de l'Océan étaient troubles et que
personne n'osait s'y hasarder à cause de la difficulté d'y na viguer ?
Il se peut que, soit par ignorance, soit par préjugé, les écri-
vains de l'antiquité et du moyen-âge aient singulièrement grossi
les difficultés de la navigation dans l'Atlantique : il est néan-
moins très probable que ces dangers existaient, et, s'ils ont en
partie disparu aujourd'hui, n'est-ce pas que, par la suite des
siècles, les commotions violentes (jui bouleversèrent si souvent
cette mer, ainsi que les courants dont la force est si redoutable
ont transporté ces débris en les désagrégeant et peu à peu doiuié
à rAtlanti(|ue sa profondeur actuelle ? Ces courants, (jui durent
encore, ont sans doute creusé cette mer qui, d'après les appa-
rences, ne dut pas d'abord être si profonde. Ils minèrent et
engloutirent des iles moins solides (pie les archipels (jui sub-
sistent (le nos jours, et sur lescpiels pourtant leur action lente
et continu;'lle ne laisse pas ([ue d'être visible, et c'est ainsi que.
si rVtlantide disparut, ses débris émergent encore au-dessus
de ses eaux.
(1) Voir au cli;ipitrc intilulé Los Irlainlais en Ainùriiiue tout ce qui csl
relatif aux courses de Saiut-Braudau dans cette nier Bétée.
(2) Reixaud, Introduction à la traduction tir la géoqraphic d'Ahoulfrd'i.
1». 212, 21.'), 2S(). — KDnisi, Traduction Jaul)ert, t. I, p. 345.
TTTW
,;„^^I, ,. — rOMMlNIC. KNTHK L'aMÉRIOI'K KT l'aNT. CONTINENT. 3">
Au «•oiifjn's AiiuTicanistc de Mfidrid, cii 1881, un des savants
dont s'honore l'Espagne contemporaine, F. de Hotellia (1),
eonsidérant conmie acquis le fait de l'existence de TAtlantide
dans les limites que nous venons de lui tracer, clierciiait à en
fixer les contours exacts. Après avoir exposé les causes (jui, à
l'ori^Mue de ré|)0<|ue (piaternaire, diu-ent [)ro(luire TcH'ondrement
des terres aujourd'hui couvertes |»ar l'Atlantique, après avoir
montré comment ce cataclysme, coïncidant avec le soulèvement
des Andes et de la chaîne volcanique Méditerranéenne, pro-
duisit un épouvantable bouleversement à la surface du monde
déjà habité, l'éminent iufiénieur présenta une carte de l'Atlan-
tique sur laquelle étaient indiqués les sondafies exécutés jusqu'à
ce jour. Imaginant alors un mouvement orographique qui aurait
soulevé de 32i() mètres le fond de l'Océan et notant les sommets
et les continents qui émergeraient au-dessus du niveau de la
mer, il démontra sans peine que les limites des nouvelles terres
correspondaient à celles de l'Atlantide disparue. Certes, ce pro-
cédé est ingénieux, mais il est toujours dangereux de s'a]>puyer
sur une hypotlièse. Aussi préférons-nous ne parler que de c(^
(|ui existe et non pas de ce qui pourrait exister. Or, ne résulte-
t-il pas de la j)réseuce au milieu de l'Atlantique de tant d'îles et
de fragments d'îles que jadis existait dans cet espace un immense
continent, qui n'était, qui ne pouvait être que l'Atlantide?
En résumé, et sans tenir compte des nombreux écueils et
rochers épars dans les six zones de l'Atlantique que nous avons
énumérées, il existe, à l'heure actuelle, trois trajets directs de
la Guinée au llrésil, de l'Irlande au Labrador, de la Norvège et
de l'Ecosse au (Iroenland, et de nombreux trajets indirects par
les îles qui parsèment l'Atlantique ; à ne considérer que la géo-
graphie; physique, il s(> pourrait, par conséquent, que cette dis-
tance ait été parcourue par de hardis marins, soit hasard de la
(1) 1''. DK HoTEi.HA, Pruchras geologicas de la existencia de la AtlaïUida,
su faima ij su flora (Congrès américaniste de Madrid, t. I, p. 142-16.1).
. 1< l-i nj'^^"-^
3()
niKMIKmC l'AKTIK. — LKS PHKCL'HSKIHS 1)K COLOM».
î|
(
tempête, soit volonté bien réfléehie de pousser en avunt, (!t (ju»;
quelques uns d'entre eux, plus audaeieux ou plus heureux, aient
découvert rAméricpie avant la date olfieielle.
Une autre eause [)liysique devait les aider dans ces voyages :
c'étaient les courants marins, ces inunenses fleuves pélag;iques,
(jue nous ont fait connaître les belles observations de Maury, de
Humboldt, et d'E. Reclus (1). Le plus considérable et le mieux
connu de ces courants, le (îulf-Stream ou courant du golfe,
pousse, d'un mouvement lent mais continu, les eaux de l'Atlau-
ti(jue vers les cotes du Brésil. Il contourne les Guyanes, le Vene-
zuela, la Colombie, l'Amérique centrale, le Mexique et les
Etats-Unis. 11 pénètre dans le détroit de la Floride, et coule
droit au nord en longeant la cote Américaine jusqu'à la hauteur
de Terre-Neuve. Les courants du pôle qu'il y rencontre l'arrêtent
et brisent sa marche. Une lutte s'engage. Le Gulf-Stream ré-
siste et finit par l'emporter, mais il semble que ses eaux tour-
billonnent sous un tel choc. Une partie du courant s'engage
dans les mers boréales ; l'autre, de beaucoup la plus considé-
rable, se déploie en éventail dans la direction de l'Europe, où
elle arrive en deuv branches. La première baigne les côtes
d'Islande, d'Irlande, de Norvège et pénètre dans l'Océan glacial
jusqu'à la Nouvelle-Zemble ; la seconde arrive sur les rivages
de France, d'Espagne, de Portugal et du Maroc ; mais, heurtée
|)ar les terres, elle se replie sur elle-même en décrivant une
ellipse, dont la grande axe serait la distance qui sépare les Cii-
uaries des Bermudes, puis revient à son point de départ. C'est
dans l'intérieur de cette ellipse que sont accumulés et comme
emprisonnés par le (rourant qui les enveloppe d'énormes amas
d'herbes, qui constituent la mer de Sargasses. Aucun de n(>s
fleuves continentaux ne peut donner l'idée de ce gigantes(jue
cours d'eau. Ses rives, d'un bleu sombre, se distinguent nette-
(l) Maiky, Georjvaphij oftiœ sea. — A. de Humiioi.dt, Voyage aux ra-
yions l'i/uino.viales du nouveau continent, .. I, liv. i. — E. Hkci,us, La
Terre, l. H, p. 8t.
C.IIAI'. I.
COMMUMC. ENTRE l'aMÉRIOIE ET L'aNC. CONTINENT. 'M
ment sur lu surface de l'Atlantique au-dessus de laquelle leur
axe s'élève d'environ soixante centimètres. Il a ses rives indi-
quées par des sillons d'écume. Quand le courant polaire le
rencontre, la ligne de démarcation entre les deux niasses li-
(piides est tellement précise, cpi'on distingue le moment où le
navire sort d'un courant pour fendre l'autre. Le frottement de
ces masses coulant en sens inverse produit une série de remous
et de tourbillons. A sa sortie du canal de Bahama, le (iulf-
Stream s'élanc»; dans l'Océan par une, embouchure de plusieurs
kilomètres de largeur et une épaisseur moyenne de 370 mètres.
Là, sa vitesse ég>le celle des principaux fleuves de la terre, car
elle atteint sept à huit kilomètres par heure, elle n'est ordi-
nairement, quand il gagne en largeur ce qu'il perd en force
d'impulsion, que de cinq kilomètres et demi Quand les vents
ne s'opposent pas à sa course, il roule paisiblement dans l'At-
lantique la niasse effroyable de ses eaux, quaiante cinq mil-
lions de mètres cubes par seconde : Lorsque, au contraire, la
tempête le retarde, il s'épanche avec fureur sur les terres Lasses
du rivage, et les ravage impitoyablement.
Un des plus curieux phénomènes qui signalent le Gulf-Stream
à l'attention des savants, des économistes et des négociants est
le mouvement constant de translation dont sont animés ses
flots. En supposant qu'une molécule d'eau revienne à la place
d'où elle était partie, on a calculé qu'il lui faudrait trente-quatre
mois pour se retrouver à son point de dé[)art. Un bateau qui
serait censé ne pas recevoir l'impulsion du vent parviendrait en
treize mois des Canaries aux côtes de Caracas. Il lui faudrait dix
mois pour faire le tour du golfe de Mexique ; mais, en qua-
rante-cinq ou cinquante jours seulement la force du courant le
porterait de la passe de Bahama au banc de Terre-Neuve. Les
eaux de l'Atlantique sont donc agitées par un mouvement lent
mais régulier, qui porte constamment les objets flottants dans
une direction déterminée. (Jràce à ce perpétuel circuit, la navi-
gation a pu rapprocher le Nouveau-Monde de l'Ancien. La
>• / ^i ^.VlÎ-.; 'ilL'i
;; ï
*'■•
as
PHKMIKHK l'AUTIK. — LKS l'HKCUKSKl'RS DE COLOM».
plupart (les inarins (|ui reviennent des Antilles nu îles Etats-
Unis utilisent la forte de ce courant. Sans lui, les côtes Amé-
ricaines seraient pratiquement plus éloignées de l'Europe qu'elles
ne le sont en réalité, les colonies resteraient dans un déplorable
isolement, et la civilisation, faute d'aliments, aurait été singu-
lièrement retardée ou même arrêtée. Aussi letiulf-Stream est-il
comme la grande route qui unit l'Ancien et le Nouveau-Monde.
Cette grande route, ol>jectera-t-on, n'est connue et suivie que
depuis peu. Dans l'antiquité, par conséquent, elle ne pouvait être
qu'inutile. Assurément les anciens ne Tout ni découverte, ni
parcourue, mais elle n'en existait pas moins, et, depuis des
siècles, le mouvement de translation, (jui anime en quehjue
sorte les eaux du Oulf-Strtîam, opérait des transports étranges
qui n'avaient pas complètement échappé à l'attention. Ainsi
Fernando Colomb (1) raconte, dans la Vie de son père, «pi'un
pilote Portugais, nommé Martin Vincent, lui parla un jour d'une
pièce de hois sculptée (|u'il avait trouvée en mer à cent cin-
quante lieues à l'ouest du cap Saint-Vincent (2). Comme le vent,
depuis plusieurs jours, soufflait de l'ouest, le pilote Portugais
afiirmait ([ue cette pièce de bois, portée par un courant marin,
venait des îles qui devaient exister dans cette direction. Pedro
Correa, mari d'une des belles-sœurs de Colomb, et gouverneur
de Porto-Santo dans les Açores, avait vu dans cette île un
morceau d(! bois analogue, qui avait dû être jeté sur la plage
par les mêmes courants. 11 avait, à diverses reprises, ramassé
des cannes ou roseaux, d'une grosseur telle, qu'en les coupant
d'un nœud à l'autre, on aurait pu en faire des l)arils contenant
au moins neuf bouteilles de vin. « On avait aussi rapporté à
(1) Fernando Colomb, Histoire de la vie et des découvertes de Christophe
Colomb (Traduction Muller), § 9, p. 32.
(2) Cf. Hehreha, Historia gênerai de las I?idias, liv. I. « Tonio un pedaço
de madero labrado por artificio, i a là que se juzgabar non con liierro, de
lo quai i per aver ventado niuchos dias poniente, iniaginaba que a quel palo
venia de alguna isla » .
iV t
I.IIAI'. I. — COMMLMC. ENTHE LAMÉKIOL'E ET l'aNC. CONTINENT. 30
l'ainifiil (ju'à Graziosa et à Fayal (1), quand le vont avait soufflé
lun^:t('ni|is de roccident, on trouvait communément sur les
rivufres une espèce de pin qui ne croit sur aucune des terres
connues des navifrateurs ; (ju'en outre, à Florès, le vent avait
nu jour rejeté deux cadavres, dont le visage très large, avait un
aspect tout autre que celui des chrétiens. On ajoutait qu'au
cap de la Verga on avait un jour aperçu au loin sur la mer plu-
sieurs almadies ou barques couvertes, que le mauvais temps
avait dû, à ce que l'on supposa, entraîner hors de leur route
dans le trajet de l'une à l'autre des îles occidentales ».
Ces apports sont dus évidemment au Gulf Strcam, et il n'est
pas inutile de faire remarquer que leur constatation, en quelque
sorte officielle, encouragea Colomb dans sa détermination de
voyager à l'ouest. Ces apports du Gulf Stream n'ont jamais
cessé. En 1731, un bateau chargé de vins, faisant route de
Ténériffe à Gomera, lutta pendant plusieurs jours contre la tem-
|)éte, et, abandonné aux courants, arriva avec six hommes d'équi-
page à l'île de Trinité {'•li. En 1704 un petit bâtiment chargé de
blé et destiné à passer de Lanzarotte à Sainte-Croix de Téné-
rifTe, fut entraîné sur la côte de Caracas (3). Les débris d'un
navire anglais, incendié près de la Jamaïque, sont parvenus
jusqu'aux rivages d'Ecosse. Vieira, l'historien des Canaries,
rapporte que souvent des fruits ou des graines provenant
d'arbres indigènes aux Antilles ont été jetés par lu mer sur les
rivages des îles de Fer et de la Gomera (-4). De nos jours, le
(1) Fehnando Colomb, ouvrage cité, p. 32-33. — Cf. Heiirera, ouv. cité :
<c En la isla de Flores hechô la mar dos cucipos de hombres muertos que
mostrabaiu teiier las casas niui anchas i de utro gesto que tenieii los chris-
lianos. Otra vez se vieron dos canoas o almadias con casa movcdica que pas-
sando de uiia o olra isla, los debio de hecliar la fuer^a del viento e como
iiunca se muden vinierou a parar a los Açores ».
(2) Gu-Mii.i.A, Ormoco illustrado (Traduction Eidous), t. II, p. 208.
(3) Gi.ASs, History of the discovery and conquest of the Canary
Ixlands, p. 5.
(4) HuMBOLDT, Histoire de la géographie du nouveau continent, t. II,
p. 251.
•<9M
40
PREMIKHE PAKTIE. — LKS PHECLHSEUHS DE COLOMH.
Gulf Streain drpose encore jusqu'en Irlande, aux lléhrides
et en Norwège, des graines de plantes tropicales, mimosa scan-
dens, guilandina honduc, dolichos urens. Ilumboldt a ramassé
ù Sainte-Croix de Ténérifle un tronc de < udrela odorata, couvert
d'écorces et de lichens, qui avait sans doute été arraché à la
côte de Paria ou de Honduras (1). Tout récemment, vers lu fin
de 1887 (2j, un iuunense radeau composé de :2,700 troncs d'arl)rcs,
et formant une navette effdéo de 180 métrés de longueur et d'un
poids total de 11,000 tonnes fut soulevé par un ouragan près de
Long-Island et abandonné ù la dérive. On s'élança aussitôt à la
recherche de ces dangereuses épaves. Plus de cinq cents frag-
ments du radeau ont été signalés, et on a reconnu que le
courant qui les emportait se déployait en forme d'éventail dans
la direction des Açores.En 255 jours, les épaves avaient franchi
près de 6,000 kilomètres, à peu près un kilomètre par heure.
Tel des fragments du radeau avait déjà presque atteint les côtes
de France (3), Aussi bien on a souvent remarqué que de temps
à autre le courant océanique dépose en Norwège des tonneaux
bien conservés, remplis de vins de France, et qui proviennent
de navires naufragés dans la mer des Antilles. On cite même
des barils, remplis d'huile de palme, faisant partie d'une
cargaison naufragée au cap Lopez (Congo français) et qui ont
traversé deux fois l'Atlantique, une première fois de l'est à
l'ouest, une seconde fois de l'ouest à l'est.
Il est donc incontestable que, dès l'antiquité la plus reculée,
des marins ont pu être entraînés par le courant océanique, et
être jetés, sans s'en douter, au nouveau monde. Nous n'en
avons, il est vrai, aucune preuve certaine ; mais on cite pourtant,
et cela dès l'antiquité, de nombreux transports, autrement
(1) HcMBOLDT, Histoire de la géographie du nouveau continent, t. II, p. 254.
(2) Elisée Reclus, L'Amérique, p. 63.
(3) Le prince héréditaire Albert de Monaco a imaginé une série de flotteurs
qui ont été retrouvés à des distances énormes du point où ils avaient été
lancés. Voir Société de géographie de Paris, J888, II, 191, 417, et 1801, 1, 530.
CHAI'
COMMLMC. KMHK LAMKHlgi IC KT l'A.NC. CONTINENT, il
t'Xtraordiniiii'cs, (jiic jamais iicrsuiiii»' ne s't'st aviso de cnnlcslcr.
Ainsi Pusidoiiius racdiitc (1) ((iic les (h'hris (ruii navin; (Jaditau
fuivnt (Mitraini's par les ('«niraiits marins jus(|ii(' sur la côte
d'Arabie, et Pline cl) confirme le mOme lait. On peut encore citer
les débris d'un vaisseau qui, poussé par les courants occidentaux,
fut porté de la mer Rou^'e à Tile de Crète (3). 11 est donc fort
|)ossil)lo (jue les anciens, malgré l'imperfection de leurs moyens
nauti(jui's, ou jJutôt à cause de cette imperfection, aient été
p(jussés par les courants de l'Atlantique dans la direction de
l'ouest, connue le sera par j'xemple dans la première anné(^ du
seizième siècle, le Portugais Alvarès Cabrai (|u'un hasard
analogue conduisit aux côtes brésiliennes.
Nous n'avons jusqu'à présent cherché à établir que la vrai-
semblance, ou, si l'on préfère, lu possibilité des relations entre
l'ancien et le nouveau monde pendant l'antiquité. 11 nous reste
H examiner les diverses traditions en vertu desquelles certains
peuples, de préférence aux autres, auraient [)orté leurs investi-
gations de ce côté. On en compte quatre : Phéniciens, Juifs,
Grecs, Romains. Nous passerons successivement en revue leurs
prétentions respectives.
{\) Straiion, 11, 3, 4 : Tô o ' àx.po7:p(;)prjv Trpo'fspovTa s; to qji-optov,
Ssizvjvat TOÎ; vauv.XT-ipoi;, yv^vat 5È Paos'.p'.twv ov.'
(2) Pi.ixE, Histoire naturelle, 67 : Iti siiiii Arabico, res gereiilc C. Cœ.sarc,
Augusfi filio, signa iiaviuin ex Hispaiiicnsibiis iiaufragiis ferunltir agiiila.
(3) Massoudy, Les Prairies d'or (traduction Uaibicr de Meynardj, I, 363.—
« On a déjà trouvé du côté de l'île de Crète des planclies de bois de teck,
percées de trous, et reliées ensemble par des atlaclics faites avec des lilaments
de cocotiers ; elles provenaient de vaisseaux naufragés qui avaient été le jouet
des vagues. Or ce genre de structure n'est en usage que sur les cétes de la
mer d'Abyssinie. On ne peut expliquer ce fait qu'en disant que la nier (jui
baigne les côtes de Chine va se joindre à l'Océan. « — Hkinai» {Introduc-
tion à In géographie d'Aboulféda) cite un passage analogue rapporté par
Abou-Zéid.
i
CHAPITRE II
LES PHKNICIENS EN AMERIQUE
II
Il !. f
t
Les Pliônicions furent les meilleurs marins de l'antiquité.
Resserrés entre la Méditerranée et la chaîne abrupte du Liban,
ils semblaient invités aux lointains voyages par cette mer, qui
découpait sur leurs côtes tant de ports excellents, et par ces mon-
tagnes qui leur fournissaient en abondance, pour leurs vaisseaux,
du i)ois de construction, du fer et du cuivre. Gomme le pain
journalier leur mancpiait, et que le sol de la région, maigre et
stérile, ne suffisait pas à entretenir leurs multitudes qui toujours
augmentaient, la nécessité les forçait à s'expatrier. En vain
biUissaient-ils des cités gigantesques et des maisons à plu-
sieurs étages (1) ; il leur fallait à tout prix jeter au dehors le
trop plein de la population. Or le continent leur était fermé.
Assyriens, Egyptiens, Perses, tous les possesseurs de la contrée
se seraient opposés à leur établissement en terre ferme. Par
bonheur la mer s'ouvrait à leur fiévreuse activité, et ce petit
peuple, dédaigné par ses voisins, couvrira de ses colonies les
côtes de la Méditerranée, s'avancera jusqu'au fond de la Bal-
tique et du golfe Persique, fera le tour de l'Afrique avant Gama,
et découvrira peut-être l'Amérique avant Colomb (2).
:
(1) Strabon, XVI, 2. Toaaûxr) 8'£javôp''a y.v/^r^za.'. [As'/p'. xai vù'v, oi^ic
-oXuopo'yOj; olxoSai xà; o'.xia;. — Mêla, Géographie, II, 7.
(2) MovKRs, Das Phônizische Alterthum (2a volume, 2" partie). — Heerex,
Politique et commerce des peuples de l'antiquité. — Hoefeb, Phénicie et
Chaldée (Collection de l'Univers pittoresque).
VP
CIIAI'ITIU: II.
u;s i'iii;.\n;ii:.\s kn amkriolk.
i:i
(lo sont en cnVt les Plu-nicioiis (jui, les premiers, fraiiehirent
le reddutahle passafre des coloimes (l'Ilcrrule. domine tous l(!s
vrais navifjateurs cpii redoutent la eoneurrenee, ils avaient pour
principe de céder la place à leurs rivaux en matière commer-
ciale. Chassés par les (Irecs, de comptoir en comptoir, depuis
lu mer Egée jus([u'en Kspagne, et atteints par eux dans cette
dernière contrée, ils n'hésitèrent pas à se déplacer encore et
à chercher au loin des aventures plus profitahles et des régions
[dus mystérieuses. Ils hruvèrent les dangers de la mer inconnue,
(pii l)aignait les rivages de leur colonie la plus ïeeulée, et se
lancèrent dans l'Océan, mais non pas sans hésiter. Voici com-
ment un poète, qui travaillait sur des documents d'origine Phé-
nicienne, Avienus, a parlé de ces dangereuses expéditions (1) :
il) AviENi», Ora maritima, v, 37o.
Ultra lias coluiiiiias, pmpter Europa:- latus,
Vicos et iiibcs iiicoliB Cartliagiiiis
Tenucrc qiioiidain : mos at ollis hic erat
Ut planioïc tcxereiit fumlo rates,
Quo cymba lergiiin fusior brevius maris
Prœlaberetiir : porro in occidiiaiii plagam
AI) bis cobimnis giirgitem esse iriteriniiium,
Late patere pclagus, exteiuli saluiii,
Himilco tradit. Niilhis bicc adiit fréta,
Nullus caririas requor illiid iiitulit.
Dcsiiil quud alto llabra propcllciitia
Xullusquc puppim spiritiis ccrli juvet ;
Dehiiic quod œlhram quodam ainictii vestiat
Caligo, semper iiebiila coiidaf gurgileni,
Et crassiore iinbiluiu perstel die.
Oceanus isle est, orbis etfusi procul
Circiinilatralor, iste pontiis maximus,
Hic giirges oras ambiens, hic intimi
Salis irrigator, hic parcris nostri maris
Plerumque porro tciiiic tenditur salum,
Ut vix arenas subjaccntes oculat.
Exsuperat autem gurgitem fucus frequcns
Atqui! impeditur œstus hic uliginc.
Vis bclluarum pelagus omne internatat,
Multusque terror ex feris habitat fréta.
u
l'KKMIKHK l'AKTIi:.
LKS l'HKCIHSKlHS ItK i;0U»MH.
î
I
/)
I)
« Au (Icli'i (If ces culoiiiics, le Iniifj; des rivajîcs de riMin»|ic, des
villes et di's villa},M!s fuiTiit Jadis (iccii|k''s par <l('s (lartlia^iiiois.
(l'était un usage cliez ees navigateurs de ('(nistruire des navires
à fond plat et à large carène (|ui pouvaient traverser les parages
peu proi'onds, Iliniileon raconte (ju'à parfii- de ces nuhnes
colonnes, du côté dii couchant, connnence une nier sans hornes,
vaste Océan qui s'étend au loin sans rivages. IVrsonne ne s'est
hasardé dans ces parages ; jamais navigateur n'a pénétré dans
cette mer, où aucun vent ne pousse le navire au large, où aucun
souffle de l'air ne favorise la marche du vaisseau. En (»utre l'air
est enveloppé de brouillards conmie d'un voile, la mer est tou-
jours couverte dehrume, et uikî atmosphère épaisse y entretient
un jour néhuleux. Cette mer est l'Océan, l'Océan qui gntndc
autour des bords lointains du monde, l'Océan la plus grande
des mers, dont les eaux font une ceinture aux rivages ; l'Océan
qui se déverse dans la mer intérieure et alimente cette mer,
notre mer à nous. . . . Les flots qui s'étendent au delà ont
généralement si peu de profondeur (ju'ils cachent à peini; les
sables du fond. L'eau est couverte d'une espèce de varecli qui
abonde dans ces parages : cette végéfati(ni humide arrête les
courants. Toute cette mer est peuplée d'énormes poissons qui
la sillonnent L'épouvante y habite par la (juantité de monstres
marins dont elle est remplie ».
Les Phéniciens affrontèrent ces dangers. L'Océan devint
bientôt comme leur domaine ; peut-être même lui ont-ils donné
son nom, s'il est vrai qu'Océan ne vient pas du sanscrit Ogha
ou ogh flux, torrent, eau, ou du grec (.jxuj, rapide, mais du
Phénicien Og qui signifie mer ambiante (1). Avant Homère ils
avaient déjà fondé quelques colonies hors du détroit (2). Ces
établissements prirent tout à coup une extension que rien ne
pouvait faire prévoir, et plus de trois cents villes phéniciennes
(1) Huj.:>OLDT, Histoire de la géographie du nouveau continent , I, 33.
— PiCTET, Origines Indo-Européennes, p. 116.
(2) Strabon, XVII, 3, 8. — Scylax, p. 2.
;(
ciiAPiTHi: II. — ii:s i'iii:.Nit;iK,\s k.\ amkiuoik.
tr»
s'(''li'V<"'n'iit cumiiic |»iir ciirli.iiifciin ;»l sur la côte nccidciitiil»' de
rArri<|ii»'. Ce nt'^iiM'iit pus des villis iiii|>n»vis(''«'s ou (!<• siiiipli's
ciiiiiptniis (le rnimiicnc, mais dr vt-riliihlcs citi's. L'une d'entre
elles, la ville du Lixiis, fut lucMiie, d'après la traditinu, aussi
iinportiuite (pie (lartha^'e. |)e «es purfs Alrirains |»artirent à la
déenuverle de iii»Mil»reu\ vaisseaux. Ou a conservé lo nom des
eliel's de deux de ces expéditious, llaiiiiou (pii loiijrea la côte de
r.M'ricpie et Ilimilcou «pii reiuoiifa celle de IKiirope (II. D'autres
marins, plus hardis encore, prirent la haute mer dans la direc-
tion de rOnesî, et non seulement ahordèrent les divers archipels
<le l'Atlanticpie, mais encore parvinrent [>eut-(Hre juscpi'au
continent américain.
Le s(»uvenir de ces voyages en Améri<pie ne nous a pas été
conservé ; h^s IMiéniciens, en vrais ronnnercants qui n'ignorent
pas le prix de la discrétion (2), se taisaient potu- mieux assurer
leur monopole. Ils ne disaient rien des pays où ils se procuraient
les pnxluits précieux «pi'ils revendaient ensuite, et, de plus,
répandaient mille hruits eiïrayants sur ces l(»intaines contrées.
Les terribles légeiules, répétées et ampliliées par la crédulité
grec(pie, sur les ardeurs de la zone torride ou les froids exces-
sifs du |»ôle, et sur h's monstres gardiens de la mer, ont, sans
doute, pour origine des récits phéniciens. Ils ne se contentaient
pas d'inspirer la terreur ; ils coulaient im[)it(»yahlement le navire
de l'imprudent étranger qui dépassait les limites réservées (3),
ou bien, s'ils n'étaient pas en force, ils n'hésitaient pas à se
sacrifier eux-mêmes |)lut«')t que de révéler le secret de la route
suivie par eux (4). lîntre eux pourtant ils s'aidaient et soutenaient.
(1) Pour le périple d'Haiiiion, consulter les Geographi minores, I, 1. Pour
celui d'Himilcon, YOra mnritbnn d'Avieiuis, dans les Pivla; latini minores.
(2) Stbabon, III, 5, 11. xoûnTovTEç tkr.anst. tôv ;:).0'3v.
(3) Id., XVIII, I, li). Kap/ri5ov;oj; oi y.arajrovtojv. sV Tt; Tmv Çevfov st;
(4) Id., m, 5, H. T(Ôv o: Pw;jiâitov ènaxoXojOovvTwv vajcXrJpw t-.v', 3wo;
xal xj-.o\ voÎsv Ta i]xr.rty.9., -^Oo'vfij ô vay/.>,r;po; vmm ii; Tî'vayo; sJcfJaXî Tr,v
vâov, Ir.x^x^ùi^ o'eÎ; tov ajTOv oXcOpciv xat toÙ; È;:oti2vo'j;.
i
M\
rRKMIERK l'AiniE.
LKS l'HKC.l'HSia'HS ItE COLOM».
Diiiis le temple de Molcarth, à (lartliagc, cos luil)iles négociants
déposaient les relations de leurs voyages, ce (|u'on pourrait
appeler leurs journaux de bord, et ils indiquaient à leurs
compatriotes les routes à suivn;, les périls à éviter et les marchés
à ( xploiter ; mais ce précieux monument fut détruit par les
Romains et disparut avec Cartilage elle-même. On sait en cU'et.
avec quel soin jaloux les vainqueurs s'attachèrent à détruire
tout ce qui pouvait jterpétrer la mémoire de leurs rivaux al)ht»rrés.
(iràce au mutisme volontaire des Phéniciens et à la haine
systématique des Romains, nous n'avons d(»nc aucun rensei-
gnement exact sur ces voyages transatlanti([ues ; mais les (îrecs,
(|ui n'avaient pas contre les Phéniciens les mêmes motifs de
haine que les Romains, nous ont conservé sur ces traversées
(luehjues détails intéressants, et, d'un autre côté, en Amérique
même, les traditions indigènes et les souvenirs locaux nous
fourniront peut-être siu' ce sujet des lumières inattendues.
Le premier problème à résoudre est celui de savoir jusqu'où
les Phéniciens se sont avancés dans la direction de l'Ouest, et
<juels sont les archipels ou les continents par eux découverts (1).
C'est de Palos, sur la côte d'Andalousie, (|ue partirent, (M1
liî):2, Colomh et ses conq)agnons, à la recherche d'un passage
direct vers l'Inde : par une singulière coïncidence, un port très
voisin de Palos, (îadès, fut le |»oint de départ des Phéniciens
pour leurs excursions dans l'Atlantique. (Iadès était le grand
entrepôt des Phéniciens en Espagne. Lorsque les colonies
Mauritaniennes commencèrent à rivaliser d'inqwrtance avec
cette métropole, de véritahies flottes sillonnèrent les flots
jusipi'alors indomptés de l'Océan, («uidés par leurs instincts
nautiques, servis par leur témérité, les Phéniciens décou\ rirent
les uns après les autres hîs archipels semés dans l'Océan connue
les arches d'un pont gigantesipie jeté par la nature entre l'ancien
et le nouveau monde.
(Ij Ouvrage capital ilo Lei.kwki,, Div Entdcckttr <ji:n dcr Carthagov ini'l.
CIIAI'ITRK 11.
LKS l'IlKMC.lK.NS EN AMKRIQLK
Leur première station fut aux Canaries, dans ces iles (jue
ranti(juité connut sous le nom d'iles Fortunées. Les (Canaries
ne sont éloignées de la terre ferme (|ue de centtrent»' kilomètres
et les Phéniciens exécutaient des voyages bien plus longs et
plus dangereux, cpiand ils allaient |)ar exemple d'Espagne en
Irlande, ou s'aventuraient avec de simples barques sur la (;ôte
de Mauritanie juscpi'au delà du fleuve Lixus (1). C'est sur les
indications des voyageurs Phéniciens (jue les (irecs coni.urent
ces îles et en lirent la demeure des héros après leur mort ("l) :
mais ils ne paraissent pas y avoir séjourné, tandis (|ue les
Phéniciens y fondèrent très probablement de véritables colonies.
Lorsque Juba d(> Mauritanie, 'avant l'ère chrétienne, composa
les nombreux ouvrages, dont rensend)lc formait comme un
inventaire des connaissances de l'antiquité (3), il remar([ua que
ces iles Fortunées avaient jadis été habitées et qu'on y trouvait
fréquemment des traces d'habitation humaine, sauf à (hnbrios.
Ce sont peut-être les débris des colonies Phéniciennes, détruites
à la suite de quelque révolution politi(jue, dont on a perdu le
souvenir. Une de ces îles se nonnnait Junonia, ou du moins les
géographes grecs et latins, qui ont décrit l'arcltipel des Canaries,
l'ont toujours désignée sous ce nom. Or, Tauith, la grande
déesse de (Cartilage, répond à Juuon, et les géographes n'ont
probablement fait ([ue traduire la dénomination phénicienne.
De plus le poète Avienus ('i;, dans son Ord Marilhiui, cuinposée
Griechen auf dnm Atlantkchcn Oican. — ïradiiclinn allemaiiiti' do Karl
UittiT, Hoiliii, 18:!l.
(1) Sthaiiox, II, 3, -i. ToJTOj; o!; -À;îv |J.3/pt "oî At'îou -oTa;j//j r.zy.
T/;v Majpo'jiiav âXiîuo|x£Vou;.
i2) ItoMKiti:, Odi/fifiii'. lY, ;iC.'t. — IIkskidi;, 1(i8. — PixnAiu:, Oh/Diiiii/iios,
II, 178 et fragments dos tlirùnos. — Cf. i'r.i TAiincK., Vie de Srrturiits, S.
(3) Pi.i.NE, //(«^ naturelle, VI, 37.
(4l AviE.NL's, Oi'u inaritima, ItlrJ.
.... Post pelagia est iiisula
llei'ltaniin abundaiis, atqiie Saturno sacra.
Scd vis iii illa tanta naturalis est,
Ut si quis hanc in iiavigaiido accesscrit.
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l'HEMIKRE l'AHTlK. — LKS l'HKCl'HSKl FIS UE COLOMH.
Cil };rando partie d'après des périples phéniciens, nous a donné,
à propos de Texplorateur llimilcon, la description très recon-
naissahle du volcan de Ténériffe. « Kn dehors des colonnes
d'Hercule est une île consacrée à Saturne. La nature s'y montre
d'une manière redoutable, car, lorsque un vaisseau s'en approche,
les vagues de la mer (pii l'environnent se déchaînent avec impé-
tuosité, ébranlent l'île, et la font tressaillir d'épouvante, tandis
que l'Océan conserve le calme d'un lac ». 11 semble donc que
les Phéniciens ont considéré les Canaries comme une de leurs
stations commerciales.
Nous ne parlerons néanmoins qu'avec la plus grande réserve
de prétendues inscriptions Phéniciennes trouvées aux Canaries.
En 18(>!2, un allemand, le docteur Karl von Fritsch, avait
signalé plusieurs caractères étranges gravés sur un rocher de
Helmaco dans l'île Palma. Kn septembre 4873, don Aquilino
Padron, curé bénéficier de la cathédrale de las Palmas, décou-
vrit dans l'île de Fer, au sud de Yalverde, dans un site désert
dit de los Letreros, de mystérieux caractères gravés sur une
ancieime coulée de lave basaltique, très poreuse, mais dont la
surface était unie sur une longueur de |)lus de quatre cents
mètnîs. Vers la fin de 187^), le même curé trouva d'autres
inscriptions plus complètes et plus importantes dans le ravin de
Candia, non loin de l'emplacement de sa première découverte.
Sabin Berthelot, consul de France à Sainte-Croix de Ténériffe,
s'empressii de communiquer cette double découverte à la
Société de géogra|)hie de Paris, et en fit l'objet d'un important
mémoire (2). « Je retrouve bien là, écrivait-il, le type des ins-
Mox excitetiir prope itisulain marc,
Quatiatur ipsa, et oiniie .subsiliat suluin
Aile iiiliciniscens ; cœtero ad slagiii vieem
Pelago silente.
1) Kahl v{ n Fritsch, liàsebililev von den Kanurischen Insein (Mitheil-
uiijçeii von Pelermann, 1857).
2l Saiiix BERTiiKLor, Notice sur les naraetères hiéroglyphiques (/raves
sur les roches volcaniques aux lies Canarien (Société de géographie Ae
les ins-
(MiUieil-
fs (/raves
laphie de
CHAPITRE II. — LES PHÉNICIENS EN AMÉRIQUE. i9
criptioiis li('l)raï(iues, Phéniciennes ou Carthaginoises, mais j'y
vois aussi beaucoup d'autres signes étranges, inusités : toutes ces
variantes, toutes ces nouveautés me déroutent ». Quelques-uns
de ces caractères resssembleut en effet aux lettres Phéniciennes,
mais ils sont pour ainsi dire jetés au hasard. Quelques-uns,
les plus remarquables, sont comme isolés, tandis que d'autres,
inscrits à la suite, tantôt horizontalement, tantôt verticalement,
suiit confondus au milieu de signes irréguliers. Quelles que
snient la bonne volonté et la fertilité d'imagination des déchif-
freurs d'inscriptions, il est impossible de démêler un alphabet
uelconque à travers une pareille confusion. Si nous n'avions
Ique cette preuve du séjour des Phéniciens aux Canaries,
il faudrait renoncer tout de suite à soutenir notre opinion, car
les inscriptions signalées restent jusqu'à nouvel ordre indéchif-
^Éfnihles. C'est la concordance des traditions antiques et
Tunaii imité dans les relations géographiques qui nous permettent
.s^gdavancer que les Phéniciens ont connu et sans doute colonisé
'■' ccf archipel; mais jusqu'à présent les preuves matérielles de
leur séjour font absolument défaut.
Même incertitude au sujet de l'archipel de Madère. Ces lies
pourtant ne sont guère plus éloignées de la côte que les Canaries,
et l(>s courants y poussent égah'inent les navires. On a prétendu
(]u'elles correspondaient aux llespérides de l'antiquité, c'est-à-
<lire aux îles du Couchant, à ces îles qui ont si souvent changé
<!(' place dans la géographie ancienne, au fur et à mesure que
s'étendaient les connaissances et les découvertes ; mais les
Phéniciens n'ont jamais été présentés comme les découvreurs,
et encore moins comme les colonisateurs des Hes|)érides : en
parlant de la probai)ilité de leurs voyages à l'île de Madère,
ous n'avançons donc qu'une simple conjecture.
Nous serons
ph
qui
'mis, février 1875). — lu., Nuurdle découverte irhiscriptioiis lapit/aires
jr> l'ile dp Fer (Id., sept. 187<>). — 1d., .hitiquilés Canarienne)!, |». 12!)-181.
T. I. 4
30
l'KEMIEHK PARTIE. — LES PRECURSEURS DE COLOMIJ.
ment à ropinion reçue, nous semltlent être ces fameuses
Gassitérides ou îles de l'Etain, sur la position desquelles on a
tant discuté. Hérodote est le plus ancien des auteurs qui ont
décrit les Gassitérides. Parlant des extrémités septentrionales de
rEuro|)e, il cite l'Eridan d'où vient rand)re et les Gassitérides
d'où l'on extrait l'étain, mais il avoue qu'il ne sait rien de positif
sur ces régions, et ne peut rien affirmer, sinon que l'Eridan est
un fleuve, et les Gassitérides un archipel, et que l'ambre et l'étain
sont des produits de ces terres lointaines (1). Strahon est bien
plus explicite (i) : « Les îles Gassitérides qui suivent sont au
nond)r(> de dix, toutes très rapprochées les unes des autres.
Un les trouve en s'avançant au nord en pleine mer à partir
du [tort des Artabres. Une seule de ces îles est déserte, dans
toutes les autres les habitants ont pour costume de grands
manteaux noirs, qu'ils portent par dessus de longues tuniques
talaires, serrées par une ceinture au dessus de la poitrine, ce
(jui, joint au l)i\ton (ju'ils ont toujours à la main quand ils se
promènent, les fait ressembler tout à fait aux furi(»s vengeresses
de la tragédie. Ils vivent en général du produit de leurs troupeaux,
à la façon des pj'uples nomades, (pliant aux [troduits de leurs
mines d'étain et de ploud), ils les échangent, ainsi que les
produits de leurs bestiaux, contre des poteries, du sel, et des
ustensiles de cuivre ou d'airain que des marchands Hrangers
leur apportent. Dans le principe, des Phéniciens de(iadès étaient
le seul peuple (|ui envoyât des vaisseaux trafiquer dans ceitc
île, et ils cachaient soigneusement à tous les autres la route ((ui
y iiièiie... A force d'essayer cependant, les Romains Unirent
par déi'ouvrir la route de ces iles. (.W fut Publius Grassus qui
y passa le premier et, comme il reconnut le [»eu d'épaisseur
des filous et le caractère pacifi([ue d<N habitants, il donna toutes
(t) llKRondïK, II, II."). OJt^ vr,7/j; o;oa Ka^a'.TSfioa; sou^à;, i/. zw/ '>
•/.aiai'Tîîo; îr/xr/ 'i'J'.'i.
(2) SriiAHO.N, III, 5, II. Tiailuclion ïardicii, l. I, p. 281.
niAPITRK II. - LES l'IlKNIClKNS K.\ AMKHIQIE.
51
les indications pouvant i'aciiiter la liltr»' pratique de ces parag<'s,
plus éloifïnés de nous poiu-fant (|ue ne l'est la mer de Uretaf.'ne <>.
Uiitdore de Sicile (1) se contente de faire renianpier (|ue u les
[dus riches mines d'étain sont dans les îles de l'Océan, en face
de riliérie, et au dessus de la Lusitanie, et qu'on les nomme
pour cette raison les îles Cassitéridcs ». Pline l'ancien (2), dans
le chapitre qu'il intitule iles de la mer Atlanti(jue, éuumère les
des Fortunées et les îles Cassitéridcs, en face de la Geltihérie.
Les autres géofïraphes, Solin (3), Uenys (il, le commentateur
d'Kustathe (.">), et Nicéphore Hlemmydas (0) confirment (;es
renseignements, et tous, sans exception, décrivent séparément
les iles Cassitéridcs et l'archipel lîritannique.
De ces divers textes, il est permis de conclure que les Cassi-
téridcs sont des îles, (pi'elles sont au nomhre de dix, qu'elles se
trouvent au nord de l'Hspagne et à plusieurs journées de navi-
gation du continent, (pi'elles renfermaient jadis des mines
d'étain, mais (pie ces mines sont épuisées. Or, comme on a
prétendu retrouver les Cassitéridcs tantôt en (lalicie, tantôt
dans la presfpi'ile Armoricaine ou en Cornouailles, ou hien
encore dans les petites lies cpii hordent les côtes de France et
(Il IJioixiitE \)K Sicile, V, 38.
(2) Pi.iNE, Hist. naturelle, IV, 36. Ex adverso Cclliberia; comphircs suiil
insiilif, Cassiteiides dicta? Gnccis, a ferlilitatc plunibi. — Cf. Id., XXXIV, 47.
(3) Soi.ix, 23. Cassitéridcs iiisulœ spcctant adversuin Ceitibcria; latiis :
plunibi fertiles.
(4) Dknvs, Geof/mp/ii minores, t. II, p. ■"'Tif, v, 561.
ajTap ur: 'azpr,v
Nrjaou;, Ka-joiSa;, tdOt xaaatTî'poio ysv^OXrj,
Xy/v.'î'. vai'ouaiv «Yauwv -aloô; I[îrÎp(ov.
(jl Le comineiitateiir d'EisTATiiE (Id., p. 337) se conlciilc d'ajouter i|u'ioie
des Castérides est déserte, et que l'élain se rencontre, non pas à lleur de terre,
mais dans des mines.
(G) Nic.Ki'HoiiE \\\.v.\\y\s\)ks {Géographie synoptique, id., p. 462), reproduit
le texte de Denys, mais en détaciiant avec soin les Cassitéridcs de rarcliijjel
Ilritanniquo.
iti
«..'.Jflw-i.i/^J.W-'V- ..
»2
l'HKiMIKUK l'AiniK. — I.KS PKKCCHSKIHS l>K r.OLOM».
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I
I
(rAiifjIctcrrc , spoeialcinent l'arcliiiH-l des Sorliiij.Mi('s , nous
n'avuns qu'à rocluMvIier si ces diverses positions irj)on(lent aux
descriptions auti(|ues.
Les |>romontoires de (lalicio et d'Ai'niori(pie doivent tout
d'abord (Hre écartés, puiscpie ce ne sont pas des îles. Il en sera
de même pour le Cornouailles, mal;;ré la puissante autorité
d'Anville, (pii se |)rononcait pour cette ré^'ion, sous prétexte (pie
des caps tels (jue le lioleriuui (Lands'end), le Dumnonium et
rOcrinuui (Lizard), séparés par des },^oii'es profonds, pouvaient
être i»ris pour des îles par des étrangers (1). Aussi Itien ces
promontoires ne sont pas à plusieurs journées du continent,
puis(|u'ils en font partie, et, aujourd'hui encore, on y trouve
<ie Tétain.
Les lies de la côte française seront éjralement écartées. Sans
doute ce sont des îles, et elles se trouvent à |)lusieurs journées
de navifration au nord de l'Espagne ; maison en compte plus de
dix, elles sont éloignées les unes des autres, enfin et surtout
elles n'ont jamais produit d'étain.
Les îles Sorlingues forment au contraire un archipel. Elles
scjnt au nord de l'Espagne, très rapprochées les unes des autres ;
elles ont produit et produisent encore de l'étain. Aussi, hou
nondire de géographes, séduits par ces rapprochements, n'ont
pas hésité à conclure (|ue les Sorlingues correspondaient aux
(jassitériiles. Ils avaient ouhlié qu'on comptait seulement dix
Cassitérides et ((ue les Sorlingues sont hien plus nomhreuses ;
(pi'on ne les abordait (ju'après un voyage de plusieurs jours,
tandis (jue les Sorlingues sont en vue des côtes Anglaises. Re-
tnanpions enfin que Diodore, énumérant les mines d'étain
il) D'Anvili.e, Géographie, t. II, ji. 103 : « ()a .i tout lieu de croire «luc
c'est à la pointe de l'isle Britamiique qu'il faut rapporter les Cassitérides, et,
sans se borner aux petites îles ou rochers des Scilly ou Sorlingues, comprendre
sous ce nom des i)romontoires qui, séparés par des enfoncements de mer à
l'extrémité du continent, pouvaient être pris par des étrangers arrivant dans
ces parages pour des terres isolées ».
' .♦
^^^^^♦î^.
CIIAPITHK II. — LF.S l'JlÉ.MCIENS RN AMKRIOL'E.
:i:{
«•(iiimics (le son temps, cito celles des Cassitéridcs, puis (cllcs
(le (Îraiide-Hretiiîjne et partieulièreinent d'Ictis : auniit-il dis-
tiii|.Mié tes deux centres de productif»!!, si les (iassitérides avaiei!t
réellenieut («jri'espoudu aux Sorliii|Jrues (1)?
(»ù d(>i!c cliei-clier les Cassitéi-ides. siiKjn aux Acures, tn!niiie
n'hésitait pas à le faii'e le gi-aiid eosnioiii-aphe de Xurenil)er^%
Martii! Heliai!!!, (pii, dans so!i f^lulte de 149:2, dési}:iiait cet
archipel sous le iiorn d'Açores ou Clutherides? Les Acores, (>!!
etret, sont de tout point conformes à lu description des auteui-s
anciens. On en compte dix (Sainte-Marie, Saint-Michel, les
Fourmis, Terceire, Saint-Georges, le Pic, Fayal, (îi-aziosa,
Corvo, Floi-è>), i-appi-ochées les unes des autres. Il faut pour y
altorder, cpi'on parte d'Kspagne, de France ou d'Angleterre,
plusieurs jours de navigation. Knfin les !nines d'étuin, dont on
i-etrouve ei! |ilusieurs endi-oits la trace, ont cessé d'être pi'oduc-
tives, comme elles avaient déjà cessé de l'être au moirient où
Puhlius Givissus, lieutenant de César, entre[)ritde les découvrir.
Certains détails caractéristiques se sont même perpétués juscju'à
nos jours : Les Acoi-éens portent encore le même costume qu'au
temps de Strahon, ce costume qui les faisait ressemhler « aux
furies vengeresses ». Le grand manteau noir dont ils s'enve-
loppent est même devenu pour eux si important, (jue les
paysans retardent leur mariage jusqu'à ce qu'ils aient acheté
cette j)iè(:e essentielle de leur hahillemcnt (2).
Il parait que les premiers Européens qui ahordèrent aux
Acores, à l'époque des grandes découvertes maritimes, rencon-
trèrent sur le sol quelques traces du séjour des Phéniciens ;
mais ces témoignages sont fort discutables. Ainsi, d'après une
(i) l)i')D()HE DE Sicile.
(2) D'AvEZAC, Iles de l'Afrique (CoUeclion de YUnivers pittoresque), p. 32 :
« Dans toutes les saisons on porte le manteau. C'est un article si important
pour la considération personnelle que l'on voit souvent un paysan difTérer son
mariage jusqu'à ce qu'il soit assez riche pour acheter celte pièce essentielle «le
son costume ».
kjt^
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l'UKMlKHK l'AHTIK. — LKS l'RKClHSKlRS I)K COLOM».
m
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tradition (l(mt rien ne ntiifiniic rautluMiticitc', les diMouvreurs
P(>rtuf,'ais auraient trouvé à Corvo, sur le sommet d'une mon-
tagne, lu statue d'un lionnne monté sur un eheval sans selle, la
tôte découverte, la main |5^uuche posée sur la crinière du cheval,
la main droite étendue vers l'ouest (1). Cette statue serait-elle
d'origine phénicienne? Le cavalier étendant la main dans la
direction de l'Amérique serait-il une de ces effigies de l'Hercule
Tyrien, que les Phéniciens aimaient à ériger dans leurs plus
lointains comptoirs comme une marque; de pris»; de possession ?
Quel(pies savants n'ont pas hésité à l'aftirmer : Ont-ils donc
<iuhlié que les Phéniciens n'aimaient pas i"i montrer aux peuples
rivaux le chemin des |)ays qu'ils avaient découverts? D'ailleurs
aucun des contemporains de Colomh n'a parlé de cette statue,
et pourtant ils enregistrent avec soin les troncs d'arhres exotiques
ou les cadavres de races inconnues jetés à la C('>te des Açores.
Ni liehaim (2) qui séjourna longtemps dans l'archipel, ni
liarros (3), ni (îrynu'us (I), ni Ortelius (5), ni les cartographes
ou cosmographes du XVi"' siècle ne sont plus explicites à cet
égard. Peut-être trouverons-nous le mot de l'énigme dans une
description moderne des Acores, D'après Boid (0), un des
promontoires de Corvo présenterait la forme d'une personne
dont la main est tendue vers l'occident. La statue équestre est
^onc réduite à un phénomène naturel, et c'est seulement après
la découverte de l'Amérique au XV siècle qu'on a imaginé de
donner au rocher de Corvo sa signification mystérieuse. Ainsi
[i] Fabia y Souza, Historia del regno de Portugal, édit, 1730, p. 258 :
(I. . . En la cumbre de un monte fue hallada una «statua de un liumbre puesto
a cavallo en pelo. . . senalando al ponicnte ».
(2) JoMAKD, Monuments de la tjéorjraphie, planche 52, Mappemonde de
Beliaim.
(3) Bakhos, Asia, dos fectosque os Portuguczes fizeramno descobrimento
e conquista dos mares e terras do oriente (1552).
(i) GnvNAEUs, Novus orbis regionum ac insularum veteribus incognita-
rum, una cum tabula cosmographica (1332).
(S) Obtemls, Theatrum orbis terraruni (1570).
,{6) Boid, Description of the Azores (1833), p. 316-318.
CIIAIMTHK 11. — LES l'IlÉNICIENS KN AMÉHIQUE.
t(tml)(>rait d'ollc-nu^nic cette prétendue preuve du séjour des
Pliénitiens ;»ix Acores.
Nous accorderons plus de confiance, mais n(»n pas encore
une confiance ulisoliie, au curieux renseignement donné par
Tiievet, le cosmographe de Henri II, cpii visita les Acores en
loot. 11 parle, dans su Cosmographie Unn-erseAk (1), de grottes
situées au bord de la mer dans l'île Saint-Michel. On y pénétrait
par une ouverture de cinq ùsix pieds de diamètre. Les premiers
explorateurs s'attendaient à y rencontrer des trésors, « maison
n'y trouva chose quelconque, sinon deux uionuments de pierre,
dont chacun d'iceux n'estoit moins long que de douze pieds et
demy, et large de quatre et demy ou environ. Ceux qui ont veu
lesdits monuments, construits assez rustiquemcnt, m'ont assuré
n'y avoir apparence ned'escriture, ne d'autre marque d'antiquité,
mais le portraict de deux grandes couleuvres, ({ui estoient autour
desdicts monuments, ensemble quelques lettres liéhraiques
grandes de quatre doigts et si antiques qu'à grand'peine les
|)ouvoit-on lire : toutesfois un Marainne, natif d'Espaigne, fils
de Juif, homme versé aux langues, les peignit telles que je vous
les représente icy.., et estoireut ces lettres au hault bout desdicts
monuments, au bas ces deux aultres mots..., l'interprétation
desquels je sursoye, la laissant à ceux qui font profession de
ceste langue ». Thevet termine en racontant que plusieurs
accidents eurent lieu, et qu'on mura la grotte afin de ne pas les
voir se renouveler.
On aura remarqué les invraisemblances de ce récit et regretté
(|ue l'auteur de la Cosmographie n'ait pas jugé îi propos de nous
indi(|uer la position exacte de la grotte, ni l'a-)- ée où on la mura.
Remarquons toutefois que les Phéniciens aimaient à construire
leurs tombeaux dans des grottes. Renan, dans sa mission de
Phénicie, a retrouvé de véritables nécropoles, creusées dans le
roc, à Djebel, à Amrit, et surtout à Mugharet-Ablon. De plus
i<i
1
(1) Thevet, Cosmographie universelle, liv. XXII, p. 1022.
ÎJO
l'HKMlKHK l'AHTlK
Lies l'HECURSELRS DE COLOMIt.
les serpents sont un motif d'ornementation tout oriental. Kniiu
les canu'tùres figurés dans l'ouvrage de Tiievet ressemblent
à des caractères sémitiques, llumholdt (1) les avait communiqués
j\ un savant orientaliste, Wilken, qui, tout en regrettant (|ue lu
copie ne fût pas plus exacte, essaya de les interpréter et crut
pouvoir lire Taal ou Baal, ben Martbar Baal, ou Matliald BaaI.
Ce sont des mots Pbéniciens bien connus. Combien est-il donc
fi\cheux que Tlievet soit si conqjlètement dépourvu de critique,
et qu'on n'ait pas encore retrouvé l'entrée de cette grotte murée
si mal à propos !
La découverte en novembre 1749 de monnaies pbéniciennes
à Corvo soulève peut-être moins d'objections. Le ressac des
vagues dans une tempête avait mis à découvert un grand vase
brisé contenant une quantité de monnaies. On les porta dans un
des couvents de l'ile, et les curieux se les partagèrent. Neuf
d'entre elles furent envoyées à Madrid : elles étaient en or ou
en cuivre et portaient l'empreinte d'une tête de cheval ou d'un
cheval tout enlier. Les dessins en furent publiés dans les
mémoires de la Société de Gothembourg. Humboldt (i) (|ui les
compara aux monnaies phéniciennes trouvées en grand nombre
dans la Baltique et conservées au cabinet des médailles du roi
de Danemark, remarquait une grande ressemblance entre ces
monnaies de provenance si diverse. Il en concluait presque
qu'elles avaient été perdues par l'un des négociants phéniciens,
que le commerce de l'étain attirait dans ces parages. Avouons
néanmoins que les preuves matérielles du séjour des Phéniciens
aux Açores méritent confirmation, et que ce sont surtout les
descriptions des auteurs anciens qui nous permettent d'avancer
que les Phéniciens ont peut-être connu cet archipel.
Aussi bien ce qui nous confirmerait dans cette opinion, c'est
qu'ils paraissent s'être avancés beaucoup plus loin. Ils ont, en
(1) Humboldt, Géographie du nouveau continent, t. II, p. 243.
(2) Humboldt, id., p. 22.
CIIAI'ITItK II.
LKS PIIKMCIK.NS KN AMKMlglK
:i7
elFet, coimu la incr des Saluasses (|ui coiniiiciicc au larm* des
Acoivs l't s'rtciid |»i'('S(|ii(' jus(|iraii\ Antilles (I). De lioiiiii'
heure, ils ont sif,Miale l'exisU-nce de ces haiics d'alfiues fidffaiites
et les (Jrecs ont eu coiiune l'éclio de ces relations. Scjlax de
Caryaudie en parle dans son Pvrijdi'. « On ne |)eut naviffuei"
au-delà de Gern»"', dit-il, car la iner est enil>arrassée par de la
vase et des JM'rhes [t) ». Aristote était instruit de la diniculté
de la navif^ation dans ces parages, c.ir il la sifrnale dans son
Triùl('' di; Mrli'iirologie (3). L'auteiu- anonyme du Tra'iti' des
Merveilles est très explicite à ce sujet : <• Ia's Phéniciens de
(iadès (jui navij;uaient au-delà des c(»lonnes d'IUM'cuh', écrit-il,
furent jioussés par un vent d'est, et, après (juatre jours de
marche, arrivèrent dans des régions désertes, pleines de van'chs,
où ils trouvèrent (h's thons en ahondance (i) ». Théophraste,
dans son J/lstoire des Plantes (îjj, parle aussi des Sargasses,
dont il admire la force et la grandeur : « L'algue, dit-il, croit
en pleine mer au-delà des colonnes d'Hercule. Elle atteint,
parait-il, des pnjportions gigantescpies con)me htngueur et
comme largeur ». Avienus, enfin, dans sa tradition du J*èri/)le
d'J/imilroii (()), mentionne la mer des Sargasses. (( Au-dessus
1.:
^;
(I ) Gakkahei., La Mer ile.i Sargasses (Société de géograpbiu de Paris, 1872 .
('2) ScYi.AX ((Jeoj,'. minores). Kî'pvr;; oï vrjioj rà ir.z/.zî'/x rrjy.i-i 317.
nXwTà ôià [3pay'jTr,Ta OaÀaTTi;; zat ;:r,ÀoO /al ■^■jy.ryj-.
(3) AiiiSTOTK, Météoroloijie, II, i, U.
(■i) De mirabilibu^ auscultationihus (Edit. Uidot, p. 106). <l>oivixa; toÙî
7.aTO'.x.o:vTa; tx ràc-;,îa zaÀojijiEva ï\i<i -Xcovia; llfa/Asiojv <:zr).wi àr,r,-
Àtf.hr; avc'p.) f,[i.:pa; TETTapa; -apaY'VciOa! v.ç -l'va; totio'j; !,o/;[jio'j;, s'j/.oO;
rXr;p£tî, lip'faiv EÙfîT/.caOai 'jr.ip^fixXkov Oûvfov Tzlffio^.
(5) TiiÉopiiHASTK, Hisf. plantarum, IV, 7. r-vEta; os tô çjxo; èv [xh xf,
È'Çe.) Twv a-rr/wv Ilca/Xs'twv OaXâaar,, Oaùijia t: tÔ ijle'yeOo;. ai; ça^i, /«t
TÔ ;:ÀâTo;, [xstl^ov «Iji rra/aiaTtaîov.
iC) AviENcs, Orn maritima, V, 403.
Exsupcrat auteni gurgilem fucus frcqucns
Atquc iinpeditur œstus liic uligiiie.
Sic nuUa laie (labra propelluiit rateiii.
Sic segnis liumor œquoris jugri stupel.
;' I
:iH
l'IlKMIKUK l'AIITIi:. — LKS l'IlKlIlHSKI IIS ItK roMiMll.
Il
(les Ilots se dressent des iil}.iies iioiuhreiises, (jui, |»ar leiireiitr»!-
rmisemeiit, Inniieiit mille ulistiicles. Aiiniii soultle ne |i(iiism'
en avant le navire. Les l|<»ls restent inniioliiles et paresseux.
Des algues en (|uantité sont semées sur l'ahime et souvent elles
arrêtent la marche des vaisseaux, (m'elles retiennent eonune
avec des joncs ».
Les IMiéniciens ont-ils été réellement arrêtés dans leurs
expéditions par la masse des sar};ass«'s flottantes, ou l)ien
ont-ils, suivant leur habitude, exajiéré les danjrers de la navi-
gation dans ces parajics pour eu éloi^'uer les vaisseaux étran-
j:ers? Nous le croirons (Tautant plus volontiers que, d'après la
tradition, ils auraient dé|»assé même la mer des Sargasses et
auraient ahordé rAuu'rique.
Deux écrivains ;;re(;s, rauteiu" anonyme du Tra'itr di's
Mi'rri'ilh-s, et Diod(»re(le Sicile, ont en ell'et |)arlé d'une ^'raiule
ile, véritable contineni situé en dehors des colonnes d'Hercule,
à plusieurs journées de navif^ation de la terre ferme, où les
l'héniciens auraient été poussés |)ar la tempête, (^juune ces
passaf.'es sont curieux, nous les citerons dans l(!ur iniéfiralité.
Voici le premier (l) : « Dans la mer qui s'étend au-delà des
colonnes d'Hercule, on raconte que les Carthaginois ont décou-
vert ime ile (lésert(>. Elle était couverte de forêts à essences
variées, parcourue par des fleuves navijrahles, féconde en
productions de tout ffenre et éloif^née de plusieurs journées de
naYi^:ation. Les Carthaginois, attirés par la fertilité du sol, y
lirent de fréquents voyages. Quelques-uns même s'y établirent;
mais le sénat de Carthage menaça du dernier supplice tous
ceux (|ui dorénavant éniigreraient dans cette ile ». H voulait à
la fois arrêter l'émigration qui prenait de trop fortes propor-
tions et se réserver, en cas de malheur, une retraite assurée ».
Adjicit et illiid pluriinurn inlcr giir{;itcs '
Exstare l'iicuin, et sœpe viigulti vice
Retinere piippim.
(1) De mirabilibiis nuscuKationifnis; Mil. Didot, p. 88, g 84.
r
:i
ciiAi'iTin: II. — LES niKNir.iKNS v.\ AMKiiiyriî.
idc «Ml
■m'os (le
sol, y
)1 iront;
■e tous
ml ait à
)ropoi'-
isiiiri' ».
Dindon- s'exprime «'Il res ternies (l) : « Un côté de la Lihye, on
fniine niie Ile dans la liante nier, iVuuv étendue ennsidéralde,
et située dans l'Uréan. Klle <'st éloi^'iiée de la Liltye d<' pliisieurs
joins de iiavi};atinn, et située dans rnccident. Son S(d est l'ertile,
niniita^rneiix, peii plat et d'une faraude beauté. Cette ile est
[traversée par des fleuves navi^'ahles. ( In y voit de iiotnhrenx
[jardins plantés de toutes sortes d'arltres et des ver^rers traversés
la
r d
es souires i
l'eau douce. Un v trouve des maisons de
I
IranipaJine somptueusement construites, et dont les parternîs sont
l<»riir., ùo berceaux couverts de fleurs, ("/est là (pie les lialtitants
xissent la saison de l'été, jouissant voluptueusement des liieiis
|ue la cani|ia^'iie leur fournit en abondance. La réjrioii uionla-
lense est couverte de bois épais et d'arbres fruitiers <le toute
fîspèce ; le séjour dans les montafrues est embelli par des valbnis
M de nombreuses s(turces. Kn un mot toute l'île est bien arrosée;
d'eaux d(»uces (|ui contribuent non seulement aux |)laisirs des
lialtitants, mais encore à leur santé et à leur force... T/air y est
si tem|(éré (|ue les fruits des arbres et d'autres produits y croissent
m abondance* pendant la plus grande partie de l'année. Knfiii
cette ile est si belle (pi'elle parait plut(H le séjour lienreux de
»|iiel(pu's dieux que celui des bomnies. Jadis elle était inconnue à
( ause de son ébjijrnement du continent et voici comment elle fut
découverte. Les Phéniciens «exerçaient do toute aiiti«piité un
( niiiinerco maritime fort iHondu. Ils établirent un frrand nombre
ili' co|oni«îs dans la Libye et dans les pays occidentaux do l'Eu-
inpe. Leurs entreprises leur réussissaient à souhait, et, ayant
ac(piis do grandes richesses, ils tentèrent de naviguer au delà
(les ((donnes d'ih'rcnlo, sur la mer «ju'on appelle Océan....
IN'iidant (ju'ils longeaient les C(Hos de la Libye, ils furent ji'tés
par des vents xiolents fort loin dans l'Océan. Battus par la
ti'in|)éte pondant plusieurs jours, ils abordèrent enfin dans file
dont nous avons parlé. Ayant pris connaissance de la richesse
!
f^
(1) DioDOME DE Sicile, V. 1i)-20. Trailuction Hoefer, 11, p. 19-20.
Ji
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PREMIERE PARTIE.
LES PRECURSEURS UE COLOMB.
du sol, ils cominuniqu(''r('iit leur découverte ;ï t<iut le moudc.
C'est pourquoi les Tyrrhéniens, puissants sur mer, voulaient
aussi y envoyer une colonie ; mais ils en furent empOchés par
les Carthaginois. Ces deruiers craignaient d'un côté (|u'un trop
grand nombre de leurs concitoyens, attirés par la beauté de
cette ile, ne désertassent leur patrie ; et de l'autre ils la regar-
daient comme un asile dans le cas où il arriverait (pielcpic
malheur à Cartilage ; car ils espéraient cpi'étant maîtres de la
mer, ils pourraient se transporter avec toutes leurs familles
dans cette ile qui serait ignorée de leurs vain(jueurs ».
Quelle est cette ile merveilleuse? N'a-t-elle jamais eu de réa-
lité que dans l'imagination du philosophe et de l'historien (IV?
Cerfe« l'auteur du Traité des Merveillea a enregistré dans son
ouvrage bien des légendes absurdes, et Diodore a trop souvent
conservé, en guise de faits historicjues, des traditions mythiques
pour que nous ne pesions pas son témoignage avec la plus
grande rigueur ; mais, d'un autre côté, le pseudo-Aristote ;i
donné sur cette ile bien des détails précis, et Diodore en ii
décrit les beauté" pittoresques avec un enthousiasme trop sin-
cère pour être de commande. On croirait lire les récits images
des premiers voyageurs du xvP' siècle, qui débarquèrent au
Brésil ou au Mexique. Il semble avoir éprouve les émotions
délicieuses dont nos pères furent saisis lorsque Bougainvilic.
au dernier siècle, leur montrait Taïti, la Nouvelle-Cyfhèrc
sortant du sein des flots avec sa couronne de palmiers et su
ceinture de fleurs. Sans rien affirmer encore, admettons dom
que les Phéniciens découvrirent une grande île au-del« des cn-
lonnes d'Hercule, à [)lusieurs jou. lées de navigation du con-
tinent, qu'ils y faisaient de nombreux voyages et qu'ils étaicni
fort jaloux d'en conserver la possession exclusive, afin de s'y
(1) Tel était l'avis de Montaigne. Ensais, I, .10. Des Cannibales : >< Ccsli
narration d'Aristote n'a non pins d'accord avec nos terres neufves », —
Ainsi pensait ég.-ilenient Hcckman, le commentateur le plus érudit du Iraili
De mirabilihux auscultationibus.
■MH
r.HAl'ITRE II.
LES PllKMClKNS K.\ AMKRIQUK
01
triiiisporfcr, eu cas do besoin, oux et leurs familles, de môme
(|ne les llidiaiidais soiif^'èrent un inonient à émiffrer à Batavia,
Iurs(|ut' l'arniée de Louis XIV meniiea Amsterdam : il nous
reste à déterininer la [uisition de cette île.
(losselin I) prétendait la retrouver dans Fortaventure ou
Lancerute, ilei'ren et lloefer dans Madère ; mais les raisons
<|u'ils allètrueiit sont médiocres (-2). Jamais les Canaries ou
Madère n'ont eu de tleuves navijialdes ; jamais ces archipels
n'ont été pris pour des continents. Serait-ce donc (jue la des-
[cription <le cette ile, bien ((ue fabuleuse, indi(pie une vague
connaissance de l'Amérique (3). ou croirions-nous avec llorn (4),
ravec Landaf.'i), Ordonez (0), Cabrera (7), IJocliart (S) et quchpies
^autres érudits (pie cette ile correspond exactement au ncmveau
'■^continent ?
Certes, il serait imprudent d'aflirmer, ainsi ((ue l'iui de ces
savants, Robert Comtaeus (9) (pie l'Amériipie toute entière a
été peuplée par les Phéniciens ; nous ne distinguerons pas non
plus, comme a cru devoir le faire llorn, trois grandes émi-
il) (lOssKMx, lirrhcrc/ms sia- la (jéuf/vriphio si/xtématii/uc rt i)Ositivp dp<
|«»c/'e?îs.
(2) Uf.eren, Coinwcrcp de l'antir/ititii, tratl. de Suckiui, t. IV, § 5.
(.1) W'esscling, dans son Commentaire de Diodore, s'ex|)i'imait en ces
Itermcs : « Fabulis adfinia snnt q\v,v de hac insnla [n'odniitur ; id tamen
liiidicantia ol)sciirani Imjns regionis, quam Ameiicani vocamus, famam in
ICarthaginiensium iiavij;ationibiis ad veterum aures dimanasse ».
(V) Hors, De onijinil/us Ameriranis, p. 1!».
(r»i Lakda, Relation dea dioaes du Yucatan . Iraduclion Biassenr de
iourboiirp;.
(61 Ordoxe/, Historia de la creaciun dcl vielo ;j de la tierra.
(7l Ca"<bkra, Drscriptio7i nf t/ie ruinti of ancient rit;/ di.wovered near
^alcmjae.
(8) UociiART, Phnletj vel Canaan, p, 645 : « Vel nus(inam est Ikvc insula,
vel nna est ex insulis novi orbis, ant pars ali(|na Brasilia\ qnam, littorilxis
^nmdmn satis peragratis, Phirniccs acceperunt pro insnla ».
|!M HoRx, onv. cité, p. 1!). « Sententia ejus est : Americanos omnes a
'liœnicibtis ortos, et uiiam banc gentem vastum ilhim orbem et babitare et
l(jtexisse, ila ut ex abis provinciis luilli ante llispanos prœter Pliœnices eo
ïenerint > .
l.,i|ejlUJ'W!lVF ^'-/'«M'
[^^p«w^»ipp?îB»w^wii»w^^ep
{\1>
l'REMlKRK l'ARTiK. — Li:s l'RKClIHSKCHS DE COLOMU.
},^ruti(>iis Pli(''ni('U'iuu's en Aint''ri(|uc (1), lu proiniôn» s(tiis l.i
direction d'Atliis, fils du Ciel et frèrt' de Saturne, qui dmiiifi
son nom au continent, à la nier, et aux liahitants du pays ; hi
seconde telle (|ue la rapportent le [)seudo-Aristote et Diodore :
la troisième enfin au temps d'iliram et de Salonion ; nous
n'admettrons pas davantafre roj)inion de Cahrera. (pii fi\e h
l'époque de la première guerre puni(pie la date de la premièri'
immifrration carthaginoise en Ainéri(pie (il) : ces affirmations
ap|)artienneiit au domaine de la fantaisie, et, à force de har-
diesse, tond)ent [)resque dans le ridicule. Contentons-noiis
d'énumérer les principaux motifs qui poussaient les Phéniciens
dans les mers occidentales et les probabilités de leurs voya^res
dans la direction de rAméri(jue.
On sait déjà (pie trois cents villes Phéniciennes prospérèrent
à la fois sur la côte occidentale d'Afri(|ue (3). Leurs liahitants
eurent à soutenir de lonjjues et interminables luttes contre les
})euplades indifiènes, Plierésiens ou Nif^ritiens, de même (pic
nos colons du Sénétral repoussent les atta(|ues incessantes des
Toucouleurs ou des Bambarras, et ils finirent par succomber
dans cette lutte 'néfiale. Tous ne périrent pas dans la f^uienc
finale. Les uns restèrent dans le pays à titre d'esclaves nu
d'alliés. On a cru retrouver leurs descendants dans cette étraiiiic
po|)uliition des Uoohies de Fernandopo, (pii vivent à jiart, sans
s(> mêler au\ iMu-opéens ou aux uèpres et dttiit la langue ne res-
semble à aucune langue voisine et présente des rapports in-
times avec les idiomes asiati(pies (4). Les autres montèrent sur
leurs vaisseaux et cherchèrent une nouvelle patrie. L'Atlanti(pii'
::'
il'
III
(1) lloiix, id., p. 20, 02, ni.
(2) Cauhkua, cité i)ar l'abbû Douieiiccli {lievite Américuine, 2"= sério,
N» 2, p. 102).
(3^ Straron, XVII1,3, 3. 'Ev -v.; iÇf,; /ôX-ot: /aTOi/.'a; ÀsvEaOai na).a:a:
Tjoiwv, a; 'fr||iO'j; ivjj.>. \i\t'^, où/. :XaTTOvtov f, Tpiay.O'îifDV -oXs(ov, ai '/■■
'i>aoo'ja;oi zal o'. Nty^ilTai ij^-ocOriiav.
(4) TiUKHC.ELix, Journal d'un lialeinicr, et Hullctin de la Socirté 'I'
fjéograp/iie tir Ptiris: (juin 18()7).
CllAl'ITRK II. — LKS IMIKMCIKNS KN AMEHIOIK
(;:t
s'ouvrait devant eux et leurs marins s'y étaient aventurés à
plusieurs re[>rises. Ils s'y ris(|uèrent à leur tour et s'établirent
dans le continent entrevu par leurs explorateurs. Autrement,
comment e\pliqu(>r la disparitii»n soudaine de trois cents villes
et ranéantissenient d'une [topulation civilisée (|ui n'aui'ait laissé
ni traces sur le sol. ni souvenirs dans l'iiistoire?
Nous savons d'un antre côté, par le témoijfiiage de Pline (1),
(|ue les Canaries étaient désertes lors(|ue les Romains y ahor-
dèrent, et pourtant ils y rencontrèrent des ruines d'édifices. Uù
donc sont allés ces Phéniciens insulau-es? H est peu prohahie
qu'ils se s(»ient dirijrés vers les côtes (lauloises ou Espafjnoles,
puisipi'ils fuyaient les Ilomains, et ([ue la (laule et ri<]s|);it;ne
étaient déjà en partie terres romaines. Ils n'auraient certes pas
cherché un refuge précisément dans le pays de leurs oppres-
seurs, alors que la mer lihre s'ouvrait à eux. Ils durent, eux
aussi, s'embarquer sur leurs vaisseaux, et chercher au-delà de
l'Océan une autre patrie, «pii ne pouvait être (jue rAniéri(|ue.
L'Amérique était donc le seul asile ouvert aux émigrés
Phéniciens de la côte Africaine ou des archipels de rAtlanti(jue.
Il est vrai (ju'on ne connaît ni l'emplacement ni le sort de ces
nouvelles colonies, et l'exact Polybe i) ne |tarle point de ces
établissements, lui qui enregistre avec, tant de soins tout ce (|ui
intéressait le commerce de (larthage. L'existence de ces colonies
traiisatlanti(pies était pourtant affirmée par une tradition (|ue
les Grecs connaissaient vaguement, de même que nos matelots
n'ignorent pas (|ue nous avons jadis possédé le Canada et une
partit" de l'ilindoustan. Si les Phéniciens n'ont pas été plus
explicites, c'est (piils en fiuriit empêchés par letn- prudence
cunnnerciale et surtout par racharnement extraordinaire avec
Romains firent disoaraitre tout
3quel
qui
)pei
I
souvenu*
(1) Pi.iNK, Histuire naturelle, VI, ',\'l.
(2) Poi.YBK, dans le Ircnte-quatiièiuc! livi(! de son liisloiru, dont il m; rostc
(lue des fraj,'inents, § 3.
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l'RKMIEIlK l'AHTIi:. — LES PRIXUHSKL'HS UK COLOMK.
Iiiterrogoons rAiiK'rujUc cllc-rrK^mt'. P(Mit-iHre a-t-clle ((in-
scrvt' (jiKîlquo trace du sôjour des Phéniciens (juelqiuî inscrip-
ti(»ii, (iiiel([ue uioiiuinent, (juelquo débris de leur religion ou
de leur langue.
Au xvi" siècle, lorsque les Espagnols et les autres Européens
ai)ordérent au Mexi(|ue, au Pérou, et dans toutes les contrées
du nouveau continent (pii jouissaient d'une civilisation relati-
vement avancée, les indigènes les accueillirent avec empres-
sement, pres([U(! comme des frères dont il attendaient le retour.
Toutes les traditions Américaines en effet, sans exception,
indiquaient l'Orient, c'est-à-dire l'ancien monde, et non
l'Occident, c'est-à-dire l'Asie, comme le berceau des ancêtres.
Ainsi, au Mexi(jue, l'empereur Montezuma, quand il eut sa
première entrevue avec Cortès, lui tint le discours suivant, que
le Conquistador a soigneusement conservé dans une de ses let-
tres (1) à Charles Quint : c Depuis longtemps nous savons par
les titres que nos pères nous ont laissés, que ni moi, ni aucun
habitant de ce pays n'en sommes originaires ; nous sommes
des étrangers venus de fort loin sous les étr darts d'un roi, qui
s'en retourna dans son pays après la coii([uète, et ([ui fut si
longtemps à revenir au Mexique, (jue ses sujets avaient déjà
formé une nombreuse population lors de son retour. Ce roi
voulut ramener ses sujets avec lui, mais ils ne consentirent pas
à le suivre et encore moins à le recevoir pour maître. Il repartit
seul, et nous assura qu'il viendrait un de ses descendants pour
subjuguer le pays. Suivant le point de l'Orient dont vous dites
venir, suivant tout ce que vous nous racontez du roi qui vous
a envoyés ici, nous croyons d'autant plus fermement qu'il est
n(»tre roi naturel, (jue vous ajoutez qu'il y a longtemps qu'il a
entendu parler de nous. Nous sommes certains que vous ne
nous trompez pas : vous pouvez donc être assuré (jue nous vous
reconnaissons pour maître, comme représentant du grand roi
(I) Fkunanu Coutks, Lettre II à l'Empereur Charles Quint. Traduction
Vallée.
CHAPITRE II. — LES l'IlÉNICIENS EN AMÉRIQIjE.
03
dont vous nous parlez, et que nous vous obéirons ; vous pouvez
(.idonncr absolument dans tous le pa -s qui m'appartient, et
tout ce (|ue nous avons est à votre disposition ». L'infortuné
souverain était tellement persuadé de la légimité des droits des
nouveaux arrivants qu'il essaya d'en convaincre ses propres
sujets. Quand il se vit forcé de reconnaître son impuissance et
(le céder à la supériorité des armes Européennes, voici le
discours (pi'il tint aux Mexicains pour leur proposer d'accepter
la suzeraineté de Cliarles Quint (l). <« Aussi bien que moi, vos
prédécesseurs vous ont appris à connaître (lue nous ne sommes
pas naturels de cette contrée. Us vinrent tout d'abord d'une
terre lointaine, conduits par un chef auquel ils étaient soumis.
Longtemps après ce chef revint et trouva (jue nos aïeux s'étaient
mariés avec les femmes du pays, et avaient bilti des villes qu'ils
avaient peuplées de leur nombreuse postérité. Vous savez aussi
qu'ils refusèrent de l'accompagner lorsqu'il repartit pour son
pays, et même de le recevoir pour suzerain de celui-ci. Alors
il s'en alla, en les menaçant de retourner avec des forces ou
d'en envoyer de si considérables qu'elles réduiraient notre pays
A l'obéissance ».
On aura remarqué la singulière ressemblance que présente ce
discours avec la tradition rapportée par le pseudo Aristote, et
d'après laquelle les Carthaginois ne devaient pas liabiter l'île
Merveilleuse, de peur d'oublier leur patrie. Il est vrai que le
pseudo Aristote ne rapporte pas que les colons aient refusé
d'obéir, et que Montezuma n'indiquait ni le pays d'où venait ce
peuple, ni l'époque de son émigration, mais les traditions
Mexicaines sont unanimes à déclarer que ces étrangers étaient
blancs, barbus, fort industrieux, et qu'ils devaient un jour ou
l'autre revenir pour soumettre le pays (2). Deux de ces traditions
(1) Antoxk) de Sous, Conquête du Mexique, Iraduclion île Tlioiilzii,
I. il, p. 187. — Cf. Pierre Martyr, Décades, IV, 6.
("Il Cf. IxTLiLXOciiiTi,, Histoire des Chichimùques (traduction Teriiaiix-
Coiiipaiis, p. 3) : « D'après ce (pion voit dans les histoires des Uimèiiiies et
T. I. 5
00
l'HF.MIKRE PARTIE. — LES PRECURSEURS DE COLOM».
'Iv
inôritiiiit une mention spériale : la première est celle de Quet-
zalcoluuitl, et la seconde celle de Votan.
A une épo(|ue inconnue, mais fort reculée, une vinjîtaine de
chefs, ohéissant au commandement suprême de l'un d'entre eux,
nommé QuetzalcoluiatI, auraient ahordé, montés (pfils étaient
sur plusi(!urs navires venant de l'est, à Païuico, grand port inté-
rieur, situé sur la rivière du même nom, qui se jette dans le
Tampico. Ils étaient de bonne apparence, vêtus dliahits longs
en étoiïe noire, qui s'ouvraient par devant, Mancs de teint et
portant de longues harhes. Bien reçus partout, ces étrangers
arrivèrent à Tulan, la capitale du pays, et payèrent l'iiospitalité
({u'on leur donnait en enseignant aux indigènes mille secrets
industrieux pour travailler les métaux et sculpter les pierres.
Voici comment parle de QuetzalcohuatI le franciscain Bernardin
de Siihagun (l) qui recueillit avec tant de soin, et dans les
premières années de l'occupation Espagnole, les traditions
mexicaines. <« QuetzalcohuatI fut estimé et tenu pour Dieu. On
l'adorait à Tulan depuis les temps les plus reculés. Son temple
très élevé avait un escalier dont les marches étaient si étroites
(|u'un pied ne pouvait y tenir. Sa statue était toujours couchée
et couverte de mantas. Sou visage était fort laid, harhu, et In
tète allongi'c. Ses sujets étaient tous des ouvriers dans les arts
mécaniques, très adroits à travailler la pierre verte appelée
chalchinitl, à fondre l'argent et à faire bien d'autres choses en
ce genre. Ces métiers avaient tous leurs principes et leur origine
lies Xicalanqucs, ils vinrent du côté de rOriont, dans des vaisseaux ou des
eanots, et dél)arquèrent dans le pays de l'otoiiclian, où ils s'établirent, ainsi
i|ue sur les Imrds de la rivière d'Atoyor, qui eoule entre l'nebla de los An-
;;e!es et Cholnlan i). Cr.AViGEno, Storia antiijnn (/ri Mexico, I, 146. —
Vkyiia, Ili.ifiD'ia (tnthjua de Mexico, XIII. — Ce dernier alTirnie que ces
étrangers, venus de l'Orient, délianinèrcnt dans la haie de Vera Cruz.
Urasseur de IJenrbourg, dans son Histoire des nations civilisées du Mexitfiir
et de l'A)uth-if/i{C centrale, a réinii un grand nombre de témoignages con-
cordants à cet égard.
(I) Saiiaocx, Histoire de la Noiirelte Espagne (Traduction Jo\irdaneti.
III, 3, p. 202.
r.llAPITHE II. — LKS l'IlKMCIENS EN AMÉHIQIE.
(i7
dans Qucfziilcolmatl. l('((Ut'l possédait dos maisons de la piiMTc
piTcicusc appck'c clialcliinitl, ou fal)ri(|ui'('s on arfïcnt, en nacre
roufrc et lilanclic, vu turquoises et plumes riciies ». Les nou-
veaux débarqués send>lent donc avoir appris les arts industriels
aux indifrénes. Ce sont eux encore ((ui leur enseiîïnérent les
procédés variés de la teinturerie, |»rorédés auxcpiels justement
excellèrent toujours les Phéniciens u On S(>mait et tm récoltait,
écrit Sahafïun, du coton de toute couleur, rouvre, écarlate, jaune,
Itrun hIancliAtre, vert, Ideu, noir, orangé et fauve ». Après avoir
séjourné dans diverses réj.'ions, Quetzalcoliuatl et ses compa-
}.Mions se disposèrent à renter chez eux, mais on ne leur permit
de repartir qu'à condition « de laisser ici Fart de fondre l'argent,
de travailler les pierres et le bois, de peindre, de faire des
teuvres en plume, ainsi que bien d'autres métiers » (1). Encore
durent-ils promettre leur retour (2) et ne partir que par convois
successifs.
Telle est la tradition : Des étrangers venus par mer, et du
côté de l'est, ont séjourné quelque temps en Amérique, appris
aux indigènes des métiers (ju'ils ignoraient, et disparu après
avoir promis leur retour. Cette tradition se retrouve, avec
cpielques modifications, dans tous les états de l'Amérique
centrale (3). Elle laissa des traces profondes dans l'imagination
populaire, car, aux premiers jours de la conquête espagnole, les
Mexicains prirent les compagnons de Cortès pour les descendants
il Sahm.i.n, (iiiv. cité. Liv. III, § t:}, p. 21S.
;îi IxTi.ii.xocinïi., Histoire des Chicfiinu'i/urs, Iraduclioii Ternaiix-C.imi-
|i;iiis, [1. (') : (( Fil (jnittiiiit cette nation, Qnetzalcolniall lenr dit (lue dans nn
leni|is à venir, il reviendrait et que sa doctrine serait reçue ; ({u'alors leurs
l'iilanls seraient scii^netn-s et posséderaient le pays, mais qu'eux et leurs di.'s-
ceiidants éprouveraient lieaucoup de calamités et de persécutions >■.
i:j) ToiKjci'MMiA, Munavquia Indiamt, IV, 1-t. — VI, 24. — (jOmaka,
Chronira de lu Niirca Ei<pana, % 222. — Laxda, Hclation des choses du
Yiiratnn, traduction Brasseur de Hourbourg, p. .S.')! : c La tradition rapporte
que la race de ce pays vint partie du couchant, partie du levant. » —
()()(;( h.i.i;d(). Historia de Yiicathan, liv. IV, § 3, p. 17(i. — PnESCorr, V.nti-
i/iii'te du Mexii/uc, traduction Pichot, t. I, p. 48, 237.
rrrrsr
m
l'UEMIKHK PAHTIK. — LP:S PRECirHSElRS DE COLOM».
de ce Qiu'tzalcohuatl, dont ils attendaient tonj<jnrs l'arrivée. Il
fallut de luiifîues années ot bien ties cruautés (^onuiiises par les
concjuérants [tour détromper les indigènes. Encore ne renon-
cèrent-ils pas à leurs espérances. Ils se consolèrent de leur
<»|)pression, en attendant le retour de ce liienfaitcnr d(; leur race :
de même que les Portugais attendirent longtemps leur roi
Sébastien tué à Alcazanjuivir, de même que les Juifs attendent
encore leur Messie. Même à l'heure actuelle, cette croyance est
tellement eiu'acinée dans les esprits, que, lors de la royauté
éphémère de Maximilien d'Autriche, on exploita leur superstition
pour leur représenter ce jeune homme au teint pâle, à la longue
harhe, et venant de l'est, comnu' celui (pii devait réaliser leurs
chimérique es[)érances.
Quel ionc le pays oriental d'où sortirent Quetzalcohuatl (!l
ses compagnons ? Ordonez, Juarros, Moraës, Clavigero, Ca-
brera (1) et plusieurs autres affirment que les innnigrants étaient
des Phéniciens. Ils font en effet remarcjuer la couleur noire des
vêtements de ces étrangers, et la comparent aux vêtements noirs
(jue portaient les Phéniciens de Gadès et des Gassitérides.
Ils rappellent que les grandes industries Phéniciennes furent
celles de l'ornementation, de la ciselure, de la teinturerie, et
des constructions maritimes, (jue les Américains apprirent de
ces étrangers. Ils démontrent enfin qu'un seul peuple dans
l'antiquité, le peuple Phénicien, était capable d'entreprendre
d'aussi dangereuses traversées que celle de l'Atlantique. Nous
ne nous prononcerons [)as aussi (Catégoriquement, car il est fort
il!
(1) Ces auteurs sont tous cités par Brasseur do Bourbourjj, dans son His-
toire des nations civilisées du Mexique et de VAincriijue centrale, I, 17. —
Voir également Hohn, De orir/ini/jus Americanis, p. Wi. — I..ANn\, Relation
des c/toses du Vucatan, p. 334. — ToiiyuE.M.\i)A, Monaniida Indiana. Ce
dernier pensait qu'Haïti fut d'al)ord colonisée par les l'Iiéniciens, qui se
répandirent ensuite à Cuba et au Mexique, et il ajoute : » Comme gens de
raison et de valeur, ils purent connaître l'art d'édifier de somptueux monu-
ments et d'assujétir les autres nations, mais la connnunicatiou leur avant
manqué par la suite des temps, ils seraient devenus gens rudes et barbares.»
1«1
et
■WfS»
f !•!'. . rru fr.im.j....
CIIAPITHK II. — U:S l'IlKMC.lKNS KN AMKlUgi i:.
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(liriicilc (le (lémcMcr la vt'i-itô an iiiilicu (!<' n's i'('ns('ij.'iit'int'nts
vajriics et sans jnvcision. An moins unrons-nons constat»'' (|no
les Mexicains et tons li's indigènes de rAmériciuo Centrale
croyaient à la venne dans lenr pays d'indnstrietix étrangers,
arrivés par mer et originaires de l'orient. Ces étrangers sont-ils
des Phéniciens? Certes lenrs voyages sont [lossildes. ils sont
même vraisemblables, mais ils ne sont pas autlienti(|ues.
bi légende de Votan, pins singulière encore (jne celle de
QnetzalcoluiatI , confirmera peut-être ces probabilités et ces
vraiseiid>lances (1). Kn 1091 Francisco >îunez de la Vega,
évécpie de Chiapas de las Indias dans l'isthme de Tehuantepec,
ayant a|)pris (pie l'on conservait avec vénération dans une chétive
maison de la vallée du Soconusco un manuscrit en langue
fzendale, couvert d'hiéroglyphes, des figures symboliques et des
vases en terre cuite de grande dimension, que les Indiens, depuis
vingt siècles et plus, se transmettaient pieusement de main en
main, se fit livrer le manuscrit et les reliques Indiennes. « Le
tout fut brûlé publiquement, écrit l'évéque (:2), sur la place
pnbli(pu' de Huéluiét.ui, (piand nous fîmes notre visite pastorale en
1091 ». Au moins le pieux iconoclaste eut-il la précaution, avant
de détruire ce manuscrit, de s'en faire expliquer le contenu. Nous
savons, gnke à lui, qu'il contenait l'histoire d'un certain Votan,
(|ui serait venu en Amérique avec de nombreux immigrants
et (pii était originaire d'un pays situé de l'autre c«!»té de' la mer
des Antilles. Il rangea sous sa domination tous les peuples du
centre de l'Amérique, et leur enseigna les éléments de la civili-
sation. Bientôt arrivèrent de nouveaux immigrants. A quatre
reprises, Votan rentra dans son pays natal pour y chercher ou
des auxiliaires ou de nouvelles méthodes agricoles et industrielles.
(1) De CiiAnENCEv Le Mythe de Votan (Actes de la Société de philologie,
1871). — Bhasseub de Bounnounci, Histoire des nations civilisées du Mexique
et de l'Amérique centrale, I, 43.
(2) Nlnez de la Veoa, Constitucioncs diocesanas del obispado de Chiapas,
p. 8. n» 31, § XXVII, p. 10, no 36, § XXXIl.
70
l'IUCMIKHIC l'AHTIK. — LKS l'HKCI HSIU HS l»K COLOM».
h ■
Ses coiiipatriotcs et sis sujets acceptèriMit avec [diiisir les conseils
de son expérience, et il mourut au comble de la puissance en
laissant l<> souviaiir de ses réfornKîs civilisatrices.
Cette léffende a été racontée en termes un peu dillerents par
Ordonez de (^evallos, le savant auteur du Vidfjc drl Mmido.
Cet écrivain avait composé un traité spécial intitulé /'rahaiiza
dt' l'olnti, mais (|ui est resté inachevé ou (pii a (lis|)aru. Ses
manuscrits sont conservés à Mexico, où Tahhé Hrasseur de
bourhourg les consulta. Voici, d'après lui (1), (|uelle serait la
version d'Ordonez. Votan se serait vanté d'être de la race des
serpents, de tirer son orij^ine de Cliivim « et d'être le premier
liouune, envoyé par Dieu en cette réfjion, pour partager et
peupler ces terres qu'aujourd'hui nous appelons Améritpie. H
indique la route (|u'il suivit, et ajoute (|u'aprés s'être établi dans
ce dernier pays, il fit divers voyages à Chivini, <pi'il alla en
Kspagne, à Rome, à Jérusalem, (piil vit le grand temple de
Jérusalem, et, de là, passa en Bahylonie, où il vit les ruines
d'un grand édifice, que les hommes construisirent pour s'élever
jusqu'au ciel, et que les hommes avec qui il conversa l'assu-
rèrent que cet édifice ou tour fut l'endroit où Dieu donna à
chaque famille un idiome distinct. Il fixe l'époque de la transmi-
l^ration des Indiens en Amérique, nous fait connaître l'endroit
où les Mexicains eurent leur premier établissement, etc. ».
Un troisième écrivain, P. de Cabrera, a repris cette légende
en la précisant davantage (Î2), car il donna la description du
manuscrit tzendale, brûlé par l'évéque do Chiapas. « Au
sommet de la première page les deux continents sont teintés en
difTérentes couleurs, dans deux petits carrés, placés aux angles
et parallèlement l'un à l'autre ». Le premier, représentant l'Eu-
rope, l'Asie et l'Afrique, se trouve marqué par deux figures ver-
ticales en forme de S, le second représentant l'Amérique par
(1) BnAssECKDEBounBOUHG.cité par CharcncGy (Le Mythe de Votan, i>. 11).
(2) Cabreba, Description of the ruins of an ancient city, discovered near
;Palcnque, p. 33, 76.
-i^
CIIAI'ITHK II. — LES IMIKNIC.IENS EN AMEHIQUE.
71
ilciix fi}.Miri's linrizuntalcs de mi^rno forme. L'auteur déclare se
iH.nuner Vntau Gliivini. Il était de race étrangère et conduisit
sept familles au continent Américain, o Après leur avoir assigné
des terres, il revint dans son pays natal en deçà de la grande
mer ». Il retourna par la route (|ue ses frères, les serpents,
avaient tracée, y laissa des signes, et passa r ar la maison des
treize serpents. VAxi'm, il s'établit délijiitivement au nouveau
continent, où les descendants des sept premières fannlles (pi'il
avait tout dabord conduites avec lui, le reconnurent pour leur
<.lief.
Voilà certes un étrange récit. Quel est ce Votan? Que signi-
lient ces voyages? Les interprètes ont le champ libre. Aussi
ont-ils d(tnné carrière à leurs hypothèses. Le plus affirmatif est
Cabrera. Il reconnaît sans hésitation dans Ghivim le Givin ou
Hivim de la IJible, descendant de llétus, fds de Ghanaan, et
dans les treize serpents les treize Ganaries ; il va même jusqu'à
tixer la date précise du voyage de Votan à Rome, qui aurait eu
lieu en 290 avant Jésus-Ghrist, sous le consulat de P. Gorne-
lius Rufus. M. Onffroy de Thoron (1) affirme que Votan est
d'origine Phénicienne, et que son nom signifie serpent. Il croit
avoir retrouvé son point de départ, Valoun Ghivin, à l'est de
Tanger, à la rivière Valoun, et son point d'arrivée Valoun
Votan, dans les grandes ruines qui existent encore aux environs
de Gindad Real de Ghiapas. 11 pense que la demeure des treize
serpents est Haïti , célèbre par ses cavernes sacrées où Ton
entretenait des serpents vivants. Gertes ces commentaires sont
ingénieux, mais ils le sont peut-ôtre trop et ne constituent pas
une preuve sérieuse. Il nous faut avouerque ces traditions amé-
ricaines sont trop vagues pour nous permettre d'avancer autre
chose que la vraisemblance de voyages dans l'Atlantique, entre
l'ancien et le nouveau monde, et cela à une époque très reculée.
Que nous soyons disposé à ne voir dans Quetzalcohuatl et dans
(1) ONFFitoY DE TiioRON, Lcs Pliéniciens à nie d'Haïti et nur le continent
mnéricain, p. 21, 23.
mmi
1
I
I
r
7-2
l'HKMIKHK l'AHTIR.
LKS I'HÉ(:i;hsfu;hs de colomii.
Vntfiii (juc (les pcrs()nllJl^(■H iiiytlii(|U(.'s, ou <|ii(' nous les pre-
nions au contraii'c |miui' les clicts des iiniiii^raiitsqui arrarliait'nl
à la harharic les tribus sauvages de i'Aniéri(|ue ceutrale, un fait
inconteslaltle nous paraît se dégager des brouillards de la tra-
dition, c'est ((ue les deux inondes conutuuiicpièrent |)ar l'inter-
uiédiair(> d'une |>opulation énergique et hardie; ut, s'il nous
était permis d'énoneiM- une conjecture, nous croirions vcdontiers
que le seul peuple capable «l'enfreprendre à travers l'Atlantitpie
CCS voyages hardis et ré|)étés était le peuple Phénicien,
A défaut des traditions, les langues, les mœurs, les religions
ont-elles gardé la trace du séjour des Phéniciens en Améri(pie,
et trouverons-nous sur le sol même des preuves matérielles de
ces antiques relations des Phéniciens avec le nouveau confi-
nent?
La langue Phénicienne est h peu près inconnue. (Jesenius
évaluait à neuf cent trente seulement le nombre des inots pai'
venus jusqu'à nous (1). En y ajoutant quelques autres mots
fournis par les inscriptions récemment découvertes, nous arri-
vons à un peu plus de mille. Mais le Phénicien ressemblait au
syriaque et à l'hébreu (2), et, en comparant ces langues iuix lan-
gues américaines, nous trouverons quelques resseiiiblances qui
avaient déjà frappé les premiers écrivains qui s'occupèrent de
l'Amérique. Il est vrai que ces rapprochements ne sont, la
plupart du temps, que des coïncidences fortuites, et qu'aucune
des langues américaines, soit par sa grammaire, soit par son
vocabulaire, n'a jamais ressemblé aux langues sémitiques.
Si donc on rencontre quelques analogies entre certains mots
de quelques-unes des langues américaines et les langues sémi-
tiques, cette coïncidence ne prouve ni même n'indique une
commune origine. Ces réserves une fois faites, mentionnons,
mais surtout à titre de curiosité, que le préfixe Car, que les
(1) Gesenius, Phœnicix linquse reliquis ex inscriptionibus et numix,
p. 346-347.
(2) HoEFER, Phénicie (Collection de l'Univers pittoresque), p. Ii4).
^
ciiAriTRK II. — i.Ks i'iii;.Mi;ii:.Ns k.n anikhiuli-:
T.\
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icniriciis liK
■ttaiciit voloiiliiTs (Icviiiit le imin de .ciirs villos,
(:artliaj;('. Cai'fcja, Carfiia. se rclnnivc dans pivs de tn»is cents
noms df |M'ii|»l('s on de Inraliti'^s, dont le (li<lit>iiiiiiin' d'AIccdo
donne la nonicnclatuiv i i|dèt(' (l). Les niot= nlié'ùciens (^)iich;
feu, foyer, maison, fur, action de creuser la terre pour en tirer
do l'eau, et Okov, amas de terre i»u de pierres formé par une
excavation ont tValcment leurs analojiues dans une foule de
noms ("2) de lieux répandus dans les deux Américpies et spécia-
lement aux alentours de la mer des Antilles ; mais il ne faudrait
pas exa^rérer la portée d'étymolo^^ies souvent fort <-ontestaldes.
Si, à la rijj;ueur, on peut retrouver la racine Pœinis dans les
mots Panucus, un des plus anciens souverains de l'Amériipie
centrale, Pinoles, les premiers lialtitants du ( luatemala, et Panama
qui a survécu h toutes les révolutions politiipies, n'est-ce point
une exajrération manifeste (jue d'avancer, avec lloru (3), que
deux des anciens rois dllaïti, Mafrimahe et Ma|;oricli, rappellent
le n<im de Maj^^on ; deux frrandes familles indii^ènes de (Juada-
laxara, les Uarscinmza et les Harcimeca celui de Uarcii, et nojr<»ta,
la capitale de la Col<iud>ie, celui de JJogud ou iJocchus ? Trouvera-
t-on, ainsi (jue (iarcia (4), que les Giorotegani et le Corrihicani
du Nicaraj,'ua sont les frères des (Carthaginois, ou que le mot
Gannihale dérive du phéuicien llannihal ? Ces fantaisies philo-
logiques ne sont j)lus de mise aujourd'hui et il nous faut réso-
lument avouer <|ue, si jamais les Phéniciens ont colonisé
(!) Ai.cKDo, Dicciiitwrio ycogrnfko-ldstorko de las Indian occtifeiitules
(T America 1186-89). Nom indigi-iie du Vt'siiézuéla Caro ; aflluoiit du Para
Caranaca ; aflluenls di; rOrénoque Caroiii et Carabana ; |irovinco péruviuMiiie
Carabaya sur le conlin du leriitoiii! des Indiens Caiangue.s; Caraïbes des An-
tilles ; villes ou villages de la Colombie Caracollo, Caracolo, Carigayas, Caral-
macra, Caraibamba, (>ai'aima, Carainulla, Caramanta; du Venezuela, Caracas,
Carabobo, Cariaco, Caioia; du Hrésil, Caitivello, de Cuba, Cardenas, etc.
(2) Queretaro, Queratoco, Querio, Quero, Qnerobamba, yucnium.ica, etc. —
Curai, Curalmara, Curalmari, Curalmasi, Curay, Curampa, Curanari, Curapo,
Curaxi, etc.
(3) Hors, De ofigi7iibus Américains, p. 115, 117.
(4) Gakcia, Origen de los Indios de el nuevo mundo, § 63.
0 1
-• -«r
^"
/4 l'KKMIKRE l'AHTIK. — LICS l'HKCUKSKCRS 1)K COLOMB.
TAmôriquo, ou bi(Mi ils ont tout de suite renoncé à leur idiome
national, ou .. an cet idiome n'a laissé que des traces insai-
sissables (1).
Les religions américaines et phéniciennes ne prouveront pas da-
vantage la communauté d'origine : nous constaterons néanmoins
de curieuses analogies. De tout temps et dans tous les pays, les
sacrifices humains ont été en honneur, mais ce qu'on n'a retrouvé
(|u'en Phénicie et en Amérique, ce sont les sacrifices de petits
enfants. A Tyr et à Cartilage ("2), comme au Mexique et au
Pérou (3), on n'hésitait pas à jeter au feu ses propres enfants
pour apaiser le courroux des dieux. On a mémo retrouvé dans
la Caroline (4) des statues d'airain creuses, dans lesquelles on
enfermait ces victime» de la superstition. Cette conformité
«l'usages est à tout le moins singulière, surtout quand on se
rappelle que les Phéniciens ont introduit ces rites sanglants dans
toutes leurs colonies ; mais a-t-on le droit de conclure de cette
ressemblance, peut-être fortuite, entre les usages à une commu-
nauté d'origine absolue entre les Phéniciens et les Américains.
(1) Aussi ne menliorinuns-nous qu'à litre de curiosité les étymologies pro-
posées par M. Onirroy de Tliorou, dans sou livre, d'ailleurs très iutércssant Les
Phénk-iens H l'ile d'Haïti et sur le royitinent Amdriroin. D'après Iim les
uiols Aztèques, Kinaniès, Cliichimèques, Tolléques, Tsendal, Tséquil, Nahuatl,
Cuba, Yucatau , Copau, Guatemala, etc., seraient des substantifs Phéni-
ciens, très légèrement altérés. Nous lui laissons la res|ionsabilité de cette
théorie. Voir pages 26, 28, 20, 30, 31. Le même auteur prétend encore
qii'Haïti fut une coloiiie Phénicienne, et il essaye de le démontrer en énu-
inérant cent-deux noms empruntés au Taino, c'est-à-dire au dialecte parlé par
les anciens Haïtiens, et dont l'étunologie serait * -uicienne, p. 1)1-105.
(2) DiODORE DB Sicile, passim. — Lactanck, i. ...aution Divine, I, 21. —
Plltarque, De la Superstition, § 15. — Ji sti.n, .WIII, 6. — XXIll, G, 12.
— EusKBE, Préparation évangéliqiie, IV, 0. — Munter, Religion de Car-
thage, XWl.
(3) (JoMAHA, Histoire d° l'Inde, IV. — Acosta, Histoire naturelle et
morale des Indes, V, 17. — HEnitEnA, Histoire générale des hauts faits
des Castillans dans les iles et la terre ferme de l'Océan, V, 44. — Landa,
Relation des choses du Yucatan, p. It'i5. — Pbescott, La Conqu('te du
'>ce.vi(/ue, I, 3.
(4) HoR.N", De Originilnis Americanis, p. 126.
CIIAI'ITKU; H.
LES l'IlKXIClENS E.N AMKRIQLE.
Si ces derniers avaient ri''l)ituiU', ainsi (|ue les Phéniciens,
d'élever sur les routes des monceaux de? pierres pour se concilier
les faveurs de la divinité, quand ils étaient en voyage (1) ; si les
uns et les autres baisaient l'air en signe d'adoration, et s'ils se
saignaient eux-mêmes pour arroser leurs idoles, de bonne foi
ces rapprochements ne sont-ils pas quelque peu forcés et ne
soimncs-nous pas plutôt fondé à reconnaître que, si les Phéniciens
ont jamais colonisé l'Amérique, l'influence de leurs religions
y fut dans tous les cas à peu près nulle ?
Nous en dirons autant des [)rétendues ressenddances pour les
usages de la vie conunune. 11 se peut que les cases haïtiennes
resseudilent aux mapalia phéniciens (2), ou (|ue la coill'ure des
Phéniciens (|ui se rasaient la tête en ne laissant flotter au sommet
i\u crâne qu'une toufle de cheveux à hupielle ils donnaient
i'iisuite différentes formes, soit reproduite par les habitants du
Nicaragua et du Yucatan, c'est-à-dire des pays oià l'on ci-oit
(|ue les Phéniciens ont surtout séjourné ; mais d'autres ;)euples
habitent des maisons semblables et se coiffent de même, sans
que personne se soit avisé d'établir le moindre rapport entre eux
ol les Américains. Aussi bien la plupart de ces coutumes sont
f<jrt naturelles. Si, par hasard, quelques ressemblances curieuses
se présentent, ce n'est pas une raison pour conclure à l'identité
de races absolument dissemblables sous d'autres rapports.
Il est cependant un point qui mérite un examen attentif:
nous voulons parler de la ressemblance qui existait entre les
industries phéniciennes et américaines.
( )n sait que les Phéniciens s'étaient rendus célèbres par leur
adresse dans les travaux métcllurgiques. Presque toutes les
. -if
!
! \
{\) Paul Maucoy {Tour du Monde, ii» 149) a retrouvé au Pérou cette
coutume prétendue Phénicienne. Les voya^ iurs indigènes élèvent des tas de
l 'erres, dits apac/tectas, eu l'honneur de Paciiacamuac, le maître de l'Uni-
vers, et ces tas sont toujours grossis par la dévotion des passants.
(2) HonN, ouv. cité, p. 120.
[■\) De Fkhussac, Bulletin des Sciences historiques, t. VI, p. <o2.
'^M
76
PHEMIKHE PARTIE. — LES l'RECLHSErUS ItE COLOMIl.
t
mines do l'Ancicn-Monde (int otô coiinuos ot exploitées piir
eux(i). ATliasos, à Samothrace, au mont Pangée où les mineurs
passaient pour \q^- dieux du pays, les Kahires, en Espagne où
l'on retrouve encore la trace de leurs travaux, en (iaule où l'on
a cru découvrir dans le Morvan et dans les monts Arrée les
procédés (ju'ils employaient, partout les Phéniciens ont tiré parti
des richesses minérales du sol. Ils savaient aussi donner aux
métaux les formes les plus variées et les plus délicates. Qu'on
se rappelle les (;hefs-d'reuvr(> que Salomon fit exécuter poul-
ie temple de Jérusalem par des ouvriers Phéniciens (2). L'anti-
quité vantait aussi les coupes Sidoniennes et les bracelets
d'or ou d'argent garni d'ambre et de [lierres précieuses qu'on
fabriquait àTyr (3). Que si maintenant n<jus nous transportons en
Amérique, nous y rema^-querons la même habilité de fabrication
et les mêmes procédés ingénieux. Ainsi, les habitants du Darien
et du Guatemala, et les Mexicains fondaient des plats en métMJ
de huit faces, chacune d'un métal différent, et sans soudure
apparente ; des poissons ou des oiseaux, dont les écailles ou les
plumes, tantôt d'or, tantôt d'argent, se succédaient sans la
moindre trace d'un raccordement artificiel (4). On trouvait encore
chez eux, à l'époque de la conquête, des statues d'un seul jet,
vides à l'intérieur, min'^'^^s et déliées au dehors ; des perroquets
et des singes automates, etc. (o). Parmi les présents que fit
(1) DioDouK DE Sicile, passim. — Hokkeh, Phénicie, p. 55. — Sciiui./. el
Paillette, Bulletin de la Société géologit/ue (Décembre 1849).
^2) Rois, I, 8, 13-50.
(3) HOMÈHK, Iliade, XXIII. 741. — Odyssée, X ,', 451). — VinoiLE,
Enéide, 1, 724. — Athénée, XI, 279. — PACsAPiiAs, IX, 41, 42.
(4) Hekhera, ouv. cité, II; 7, 13. — Tomql'emada, Mo7iaiquia Indiana,
XIII, 34. — OviEDo, Uistoria genend de las Indias, III, p. 124. — F.
XÉRÈS, Conquista del Peru (traduction Ternaux-Compans/ IV. — CAnLi,
Lettres américaines, I, 277, 355. •- Prescott, Conquête du Mexique
(tradiictioii Pichot), t. I. p. 112.
(5) Voir dans l'Histoire véridique de Bernard Diaz la triomphante énu-
niération des objets d'art et des pièces d'orfèvrerie emportées du Mexique en
Europe par les Espagnols. — Pierre Martyr, Décades, IV, 9 ; V, 10.
1
CllAlUTRE H.
LKS l'IlK.NIClENS EN AMERIQUE.
77
rinca Atahualpa aux Es|»a};iiuls do Pizarre, on remarqua une
statue de hcrfrer avec ses moutons en or, parfaitement travaillée ;
des pailles d'or massif surmontées d'épis qui faisaient illusion,
(|uafre lances d'or, dix à douze statues de femmes {rrandeur
naturelle, etc. (Jn conserve encore dans les nmsées d'Amérique
et dans ([uehjues collections Européennes des vases à dessins
éiiiaillés et des pièces d'orfèvrerie d'un travail exquis. Enfin, les
indi^^ènes connaissaient la trenqx' du cuivre, et l'on retrouve de
temps à autre des armes (tu des rasoirs en cuivre, admiraldenient
effilés, et (pii remontent à une très haute antiquité.
Quel est donc le peuple ipii apprit aux Américains à si bien
se servir de métauv ."'' Leurs traditions s(jnt unanimes à ce sujet :
Ce fut un peuple étraiifier, déjà fort avancé dans la civilisation,
mais dont le souvenir avait disparu, .\insi, à l'épociue de la
con(juôte espagnole, les Caraïbes étaient incapaldes de creuser
dans le roc les cryptes et les immenses souterrains qu'on trouvait
dans leurs îles. Les Haïtiens ne pouvaient même se rendre
cuiupte des travaux gigantes(iues que nécessitaient les mines
ahandoiuiées depuis de siècles, et retrouvées jusqu'à seize milles
de profondeur, par Barthélémy Colondt (l). Au moins savaient-
ils (|ue leurs ancêtres avaient profité des leçons d'étrangers fort
industrieux, mais ils avaient oublié à la fois le nom de ces
étrangers et le secret de hiurs {)rocédés.
Une peuplade américaine, éteinte de nos jours (:2), faisait
exception. C'était la tribu des Macares, forgerons héroïques qui
résistèrent longtemps aux Espagnols, puisque soixante iuis
après Colomb, les Macaronas des forges de Sainte-Marthe con-
servaient encore leur indépendance. Ces Macares s'étaient
;1* HoitN, De Originihua A)tierir(niis, ji. 200. « [iivenit spocus aUijsinios
et velustissinios ; licnc ami fodiiia protL-ndebatur ultra milliaria sex deciin,
iiigi'iis profecto argiiineiituiii gentes cam olitu iiisulam acocssissi; nietallicas,
«luales al) --mni iovo Phœiiiccsft Hispaiii fueruiit. »
r2 ItKASSKiH DE UoL'nitocii(i, IntrodurtioH à lu traduction tir Lnndu,
KrUition des choses du Yiiia*a)i, \>. .\('.VII-X(A hl.
1
1
78
l'RKMlKHK l'ARÏIE.
LES l'KKr.l'HSKinS DR COLOMB.
jadis rôpandus sur une vaste étendue de pays, oùleur nnin s'(>st
conservé. Une des branches du Mississipi se nomme Macaret.
L'île Macare est à remlxjuclmre de rOrénoque et un des liras
de ce fleuve porte le même nom. Nous retrouvons dans le
Cumana Macara|)ana, dans l'Ecuador Macaro, en Colomltie la
province de Macarabita et le cap Macarie. Or les Macares, de
tout temps réputés pour leur habileté dans les arts métallurtriciues,
avaient certaines coutumes qui les rapprochaient des Phéniciens.
Ils dressaient partout des colonnes gigantesques, parfois de
forme humaine, qui. le jour, indiquaient aux voyageurs la route
à suivre, et, la nuit, servaient peut-être de phares. N'est-ce
point l'usage phénicien des colonnes indicatrices que nous
retrouvons à Samothrace, aux détroits de Messine et de (îibral-
tar, en un mot partout où les Phéniciens se sont établis? Deux
de ces colonnes, élevées par les Macares, subsistent encore an
confluent du Garare et de la Magdalena. Elles sont sculptées ci
cann<^lées, d'une hauteur prodigieuse. On les considère «ommc
les génies tutélaires des montagnes et des fleuves, et on va les
visiter en pèlerinage. Les Macares plaçaient ;\ cAté des morts,
dans les tombeaux, de petits simulacres de ces colonnes. En
1787 Méry de Saint Vincent trouvait encore à Haïti de ces
sinuilaf'res dans les grottes qui servaient de sépultures aux
races disparues. Quand ils se mettaient en route, les Macares
('mp(trtaient avec eux ces petites effigies (|ui leur servaient dv
dieux protecteurs. La conformité de ces usages, et la ressem-
blance des j)rocé(lés industriels indiquerait donc que les Macares
seraient d'origine Phénicienne, ou tout au moins qu'ils auraient
subi l'influence Phénicienne.
Oiï sait (Micore (pie les Phéniciens étaient d'habiles céramistes
et d'incomparables teinturiers (1). Ces deux industries ont
toujours été très florissantes en Amérique. Il suffit de parcourii'
(I) Edouard Geiihahd, l'r/jrr die Kunst der Pli<v7iizier, Berlin, 18i8. —
HOEFER, P/l('/ll'C(>. p. S(!-1U'f.
CIlAPITRr: II. — LKS niKMClKNiS EN AMERIQUE,
7Î)
les (•((llcr.tions d'aiiti(|iiit{''s Ain«''ricaiiU!s, ocllt's par exemple du
Muséum fur Krdkuiide de lierliii, dis|)osées avec tant de science
et d'ingéniosité pîir le docteur Hastian, ou celle du duc d'Ossuna
k Madrid, pour se convaincre de la firodigieuse liahileté des
iMitiers Américains. Telle de leurs statuettes en terre cuite {D,
tel (le leurs vases peut être comparé aux productions les j)lus
réputées de la cérami(|ue p:rec(|ue ou étrusque. Or, à l'heure
actuelle, ils seniltlent avoir oublié l'iiahileté d'autrefois. Ils se
contentent de formes convenues, ils n'ont plus ni l'invention,
ni le génie, qui jadis inspirait les aut«>urs des ces vrais chefs-
d'o'uvre qu'il nous a été donné d'admirer aux congrès améri-
canistes de Madrid, de Berlin et de Paris ; mais tous parlent avec
orgueil de leurs anciens maîtres, et, chose curieuse, ils s'accfjrdent
à dire que ces maîtres étaient étrangers. Quant aux ébjffes teintes,
elles ont délié l'action du temps. Les bandelettes qui couvraient
les momies retrouvées dans la nécropole d'Ancon, par MM, Reiss
et Steuhel send)!ent sortir de l'atelier du teinturier (2). Les
conquistadores du xvi" siècle s'extasiaient sur lu solidité et le
brillant des étoffes mexicaines et péruviennes (3). De nos jours
les iudigèiu's ont encore conservé le secret de tissus à cou-
leurs variées qui rappellent les -xij-y.y.-lx r.i-'/.oi. des femmes
Sidoniennes, tant vantées par Homère (4): 11 semi)le (|ue ces
ouvriers Américains se transmettent ainsi, par hérédité, des
procédés, qu'ils n'étaient pas capid>les d'inventer, mais seule-
ment d'imiter. Qui ^^mc leur a conuuuniqué cette extraordinaire
habileté dans la céramique et la teinturerie, sinon le peuple qui
dans rauti(|uité porta ces deux industries à leur perfection ?
1 Voir la statuette du musée de Derliu qu'on nomnii' le boiillon du
Yucalau. Elle a été reproduite par le docteur Bastian {Vcrd/fcntlirhiDiycn
nus (le»i Koiiiglic/inn muscuin fur riilkerkunde heraus(jflfjehen cou dcr
rencaltiDig, Berlin, i888)
(2) Beiss et Stecbel, Reiseii in sial-americn. Les momies d'Ancon sont
aujourd'hui déposées au musée d'ethnographie de Berlin.
(3i Samaiiin, ouvrage et passage cité, p. 207.
(4) HoMKnK, Iliade, XXIV, 229.
mm
Il LVA^mmr'^
m
l'HliMlKHK l'AHTIK.
LKS l'HKCUHSKURS DE COLOMIl.
i.
r
11^
').
l'iic objection se |)résente : Si les Pliéiiicieiis ont récllenieiit
connu rAniéri(|ue, |)our'(|uoi n'y ont-ils pas iiirernii leur domi-
nution ? Pounjuoi, supérieurs connue ils l'étaient aux indigènes,
se sont-ils contentés de les initier à la civilisati(»n, sans essayer
de les fondre eu un grand peu{)le ? Mais les négociants en
général s'occupent peu de politi([ue. De plus ces premiers colons,
s'ils ont existé, ont été nécessairement peu nombreux, et bientôt
la métropole, an lieu de la protéger, interdit l'émigration dans
ce continent nouvellement découvert. D'ailleurs on oublie trop
que, lors(jue une race s'établit en contpiérante dans un pays,
elle y rencontre un génie local, invincible, qui réagit bientôt sur
les conquérants eux-mêmes. Comme le nombre fait la force, au
bout de ([uelques générations, les vaincus ont conquis leurs
vainqueurs. N'est-ce pas ainsi que les Neustriens devinrent les
Normands, et (jue les Tartares se convertirent en Cbinois? Telle
fut sans doute l'histoire des colons Phéniciens d'Amériijue. Ils
devinrent bientôt plus Américains que les Américains eux-mêmes.
Us se mêlèrent à la population environnante, et oublièrent jusqu'à
leur origine.
Au moins trouvera-t-on sur le sol Américain (pielque trace
matérielle du séjour des Phéniciens, quelque monument authen-
ti([ue qui convaincra les plus incrédules? On a si bien compris
cette nécessité que quelques partisans déterminés de la
colonisation de l'Amérique par la Phénicie ont créé de toutes
pièces de prétendus monuments Phéniciens. Il est vrai que ces
diverses supercheries archéologiques ont tourné à la confusion
de leurs auteurs.
lîn 18G9 le monde artistique et savant fut mis en émoi par la
découverte d'une statue gigantesque, d'origine Phénicienne,
trouvée à Onondaga, à plusieurs mètres au-dessous du sol, dans
des fouilles pratiquées pour reconnaître un prétendu gisement
de pétrole. Voici ce qui s'était passé : Un certain Morton, de
Hulfalo, poussé par je ne sais quelle étrange fantaisie, s'avisa
de faire tailler dans un bloc énorme de pierre, pris dans les
|i parla
tienne,
|>1, dans
Isement
Ion, de
s'avisa
luis les
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r.iiAriTIlK II.
Lies l'IlKMClKNS KN AMKHIOUE.
81
«ai-fii'n's (lu fort DoiIk»', «Ihiis l'Iowa. une sfatue en |)i('(l par le
s(iil|ttcur Koolcy. Aliii de ne doiiiun- l'ôvcil àpersumic, on garnit
(!<' tapisseries riiitéricur de l'atelier, puis dos acides et des
cuuleurs lialiilemeiit ai)pli(piées donnèrent à la statue une
apparence de vétusté fort re- pectalde. Quand elle l'ut terminée,
on \-\ déposa dans une ralss(î innnense et on la eoinluisit
à Omiuda^^i. Morton la lit ensuite eid'ouir à la profondeur où il
la retrouva sans peine <leu\ mois plus tard. Hientitt on ne parla
plus (pie du géiuit Phénicien de rUnondaga. Mais trop de
personnes avaient été mises dans le secret. Quand l;i fraude fut
découverte, Morton fut saisi d'un désespoir si violent ([u'il se
peudit à un arhre. tout près de l'endroit où il jtrétendait avoir
découvert son |j:éant Phénicien.
■le lie sache pas que lin si tragicjue ait été réservée à
l'iiiveiitciir (le l'inscription IMiénicienne du Parahyha dans
le Brésil : aussi hieii cet archéolojrue ultrafantaisiste a gardé
un prudent anonyme, (le fut le ll{ septemhre ISTi «pie le
secrétaire de l'Institut historicpie, géographi(|ue et etlino-
graplii(pie du lirésil reçut une lettre, signée Joatiuin Alves
(le Costa, accompagnée de la copie d'une inscription en caractères
étranges, cpii aurait été trouvée sur une pierre cassée en ([uatre
morceauv dans sa propriété de Pouso Alto, Par ordre de l'Institut
le savant directeur des musées de llio de Janeiro, Ladislau de
Soiiza Mello Netto étudia l'inscription et n'eut pas de peine à en
déterminer le caractère oriental. 11 essaya même d'en donner
une traduction. La voici : « Ce monument de pierre a été dressé
par des Cananéens Sidoniens qui, pour aller fonder des comptoirs
en pays éloigné, montagneuv et aride, sous la prot(5Ction des
dieux et des déesses, se sont mis en route dans la dix-neuvième
année du règne d'Hiram notre puissant roi. Us partirent d'Asion-
gaher dans la mer des Joncs, après avoir emharqué les colons
(1) Ladislau Netto, La vérité sur l'inscription de h: Paralu/hu. Rio-de-
Jaueiro, 188."J. — Sc.iii.ottman'x, Die Pkoenizier in Brasilirn (lenacr LilU;-
rutrizeitiiiig 187-4, ii» 30), — llevuc criti(iue ilu 31 octobre 1874.
T. I. 6
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•nRMiKni: i'AHTik.
LKS l'HKCCnSKlJIlS HE cor.oM».
sur dix navires, et ils naviguèrent ensemble le lourde la grand,'
terre pendant deux ans. Ils furent ensuite sé[)arés du cunnuandaiit
de la flotte et entraînés loin de leurs conipagnons. Ils sont arrivés
ici douze lioiruries et treize femmes sur cette côte inconnue, dont
moi le malheureux Métu-Astarté ai pris possession. Que les
Dieux et les Déesse; nu; soient en aide ! >> (lerfes, si rinscri|)tioii
n'est [)as apocryjdie, elle constitue un document (l(^ premier
ordre et prouve le séjour des Phéniciens dans le nouveau
mondcî : mais ce fut justement la précision des détails (pii
éveilla les soupçons de M. Netto. Il rechercha le signataire de
la lettre d'envoi, et ne trouva nulle part ce mystérieux Joa(piin
Alves de Costa. La propriété de Pous(» Alto ne fut pas non plus
retrouvée, même (piand on la cluM'clia sur les rives de la Para-
hyba do Sut. Fort excité par sa déconvenue, M. Netto s'avisa
d'mi stratagèmes : sous le jjrétexte d'avoir (|uel(|ues renseigne-
ments scientiliques, il écrivit aux ciiu| ou six Brésiliens, cpii
avaient qmihpie connaissance des langues orientales, et, dans
les réponses qu'il reçut, reconnu! l'écrittu'e de rintrouval)lc
Joaepiin Alves do Costa. La supercherie était démontrée, et
l'inscriptiitu de la Parahyha ne méritait plus (pie l'honneur
d'être placée à côté du géant de l'f Jnondaga.
C'est avec la ménu' prudence (pie nous parlerons dune galère
antique scul[)tée sur un rocher de l'île de Pedra sur le Rio
Negro, justement dans le pays des Macares, et dont Brasseur d(!
]k)url)ourg a donné le curieux dessin (l). Même réserve à propos
de la conmmnication du docteur Lund, de Lagoa Sauta du
Brésil, à la Société Royale des antiquaires du Nord, siégeant ;i
Co|)enhague(i2), On aurait découvert, en 1831), dans la itrovinco
<le Bahia, mie grande ville al)andonnée, de construction tort
ancienne, et dont les édifices étaient en pierre de taille. On y
(1) Hhassiuii iik Uouneocno, Inlin'lwUon ii ta traduction du Pojjol.
Vuh, p. LXIX.
(2) Société dos antiquaires du Nord, 18;}!I-4U, p. 2l). — Id. l8'«U-i4, p.
15'J, 180.
CIIAI'ITHK II. — Li:s l'IlKMCIICNS K.N AMKMKII K
h:{
llltl'
(tant
rivt's
dont
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ptioii
Livoau
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Para-
s' avisa
seifinc-
ns, (lui
•t, dans
ouvalih'
>iuu'ur
^alôrt'
U' ni"
^m'ur ai'
Il pn>l»<»^
aiita du
^oaiit il
u'oviiv.'t'
KHI IVn't
e. Un ^
(lu P"ll"'
|8'iO-lV, l'-
aurait MiiMnc VII, sur une rdlonuc, une s
tatui' liuinaiut
tilt le
liras drnit iHcndu luniilrait de l'indcv la dirrclion du nord. iJès
l'anucc suivanfc, IS'd>, la rirf.'alt' danoise Hrlinic déltan|ua à
llaliia, et les lieutenants Svensnn et Scliiilz, avee le naturaliste
Kruj^er, lurent eiiar;.'és d'examiner les ruines; ui.:!snul clieiuin
n'éfiiit praticalile et (iii ne connaissait ini^ine pas reui|»iacenienf
exact de hi \ille. L'arclieV(^(|ue de Haliia. M«i' llonuialdo, or-
donna liien à un de ses pnHres de lui adresser un ra|>|torl |»réa-
lalile sur la situation de celle ville, et |>rouiif de se charj^^'r de
l'exploration, mais rien ne lut exécuté. .Nous (>n sommes encore
rédiùts aux conjectures sur cette imti(|ue cil('(pii peut être Phé-
nicienne fiait aussi hien que (chinoise, ou plufiH n'av<tir jamais
existé que dans i'imafriiiatiou de ceux cpii voulurent hien la dé-
couvrir.
(l'est avec lii iiK^ine incrédulité que nous examinerons de soi-
disaut perles Phéniciennes, (pi'on a retrouvées un peu partout
siu' le sol xVméricain ^1), par exemple, dans la province hré-
silieime de Sao Pedro do Rio (Irande do Sul et aux Ktats-L'nis.
Schoolcraft a décrit et représenté ((uel(|ues-unes de ces [lerles ["1).
\
u couvres
Ainéricaniste de Uerlin, en 1888, M. Netto uou
s a
coniiuuiiKpie nue de ces [»erie
mais, loin de iienstr, ave
Moiiut et Nilsson, qu'elles prouvent la présence des Phéniciens
en Amérique, nous leur attrihuuns une ori},'ine heaucoup plus
moderne. Nous croyons, en effet, qu'elles sont (Uî f'ahrication
véintienue, et (|u'elles Jlfîuraienf au nomhre de ces ohjets (|ue
les premiers navigateurs Espagnols, Portugais et Français ont
a|»portés au Nouveau-Monde, pour les distrihuer aux indigènes,
afin de s'attirer leurs honnes grAces et leurs sympathies (3). C'est
(1) Ladislau Netto, Invcstigacioes sobre a arclieoloyia />rflsî7ezm (Arcliivios
(11) Miiseo Nacional, |i. 441-443) 1885.
(2j ScuooixHAi'T, Indian Trihcs of tin; United statcs.
(3) Ainsi le navire l'Espoir, commanJé par le capitaine de Gonneville, qui
visila les côtes Ihésilienues en 1503 avait des rassades dans son cliargenieiil.
Cf. Gakiaiiei., Jean Amjo (Société de géograpliic de Rouen, 1889).
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l'HKMIKHE l'AHTlK.
LKS l'HKClRSKlKS l>K «:OLOM».
ce qnt' nos vieux navifîahuirs iioiiunaiciit des rtissndt'x. On
trouvaient de ces passades à lM)rd de tous les vaisseaux (|ui
s'aventuraient aux terres nouvelles. Dès lors (juoi (rétoiinant si
(|uel(|ues-uns de ees fragiles ornements ont été conservés par
les indigènes? A vrai dire, on n'a jus(|u'à présent trouvé eu
Amérique (pie deux monuments, dont ranthenticité est incon-
testable, et (pii méritent un examen sérieux ; ce sont, le rocher
de Taunton Hiver et l'inscription de (irave-Greek.
Dans l'état de Massachussets, comté de Bristol, territoire de
Berkeley, sur la rive orientale du Taunton-lliver (Coliannet
des Indiens), par 41" iri' 30" de latitude nord, s'élève un
rocher de couleur rouge, qui a ([uatre mètres de hase et un
mètre soixante-dix centimètres de hauteur. Il porte une inscrip-
tion en caractères mystérieux qui ont exercé la sagacité des
é|»igraphistes. L'explication la plus curieuse est celle de Mathieu
qui pensait que les caractères furent tracés par les Atlantes, en
l'an VMH avant Jésus-Christ (1). Moreau de Dammartin voyait
dans ce monument un fragment de sphère céleste orientale, ou
plutôt un thème astronomique pour un moment donné, cju'il
li.xait au iio décembre à minuit (2). Le colonel Wallancey tâche
de prouver que l'inscription est Sibérienne (3). Schoolcraf^, en
soumit une copie à l'examen d'un chef Indieu, Ghingswank qui
l'expliqua comme rappelant la victoire d'une tribu américaine (4).
Des antiquaires danois, Charles Rafn et Finn Magnusen, ont
reconnu, ainsi que Leiewell et M. (Iravier, des caractères
runiques se rapportant aux aventures des Scandinaves dans le
II
(1) Matihec, cité par Vardisii, Hccherclifs fitr lex Anfi'/uilcs tir l'Ami:-
rique septentrionale, p. 70.
(2) .Moreau i>k D.v.muautin, La Pierre de Taunton (Institut liistoriquui,
t. IX, p. Ur>- 154
(3) LuiiliocK, L'Homme avant l'Histoire, tiaductioii Barliicr, p. 228. —
Colonel Cliarles Wai.i.ancky, Oliserratiom of the American Inscription
(Société (les Antiquaires de Londres, 1787), t. VIII, p. 303.
(4) Li nnocK. ^/^ supr. p. 228.
^^WWTTTJ ,»li"^.
CIIAPITHK 11. — l-KS l'HKMf.lKNS EN AMÉRIOIK.
H?i
Massachusscîts (I). D'autn-s savants enfin l'attrilmcnt aux Phéni-
( ions (i). Kn 1783 le révérend Erza Stiles, prêchant devant le
gouverneur do Connectieut, citait ce rocher comme la meilleure
preuve dos voyages Phéniciens au nouvonU monde. Court de
(îélielin, Tingénieux auteur du Monde primitif, donnait égale-
ment à celte inscription une origine phénicienne, et essayait
do l'interpréter. M. Onffroy de Thoron en a mémo donné
l'explication suivante (3) : « Envieux de la fortune, pour causer
les ruines, il pillait on frappant : sa vie voluptueuse s'est écoulée
comme l'onde rapide. » Pourtant, si on essaye de suivre ces
ingénieux commentateurs sur le fac-similé de l'inscription, on
n'y voit rien autre chose que des traits informes, tels qu'en
[)ourrait former un enfant «|ui. pour la première fois, tient une
plume entre ses mains. Il est prohahie que le rocher do Taunton-
River est et restera une énigme indéchiffrahle. Ce fut peut-être
un signe de reconnaissance pour les marins étrangers qui, les
premiers, s'aventurèrent dans ce pays inconnu, et couvrirent à
la hâte ce rocher de signes caractéristiques pour eux et pour
leurs successeurs ; mais , s'il appartient à une civilisation
étrangère, nous n'avons pus le droit de conclure qu'il s'applique
aux Phéniciens plutôt qu'à tout autre peuple navigateur.
Quant à l'inscription de Grave-Creek, elle a été trouvée dans
les montagnes du mémo nom, à l'ouest des Alleghanys, près
de Wheeling, canton de Marshall, en Virginie. On la découvrit
da.:s une sorte de tumulus, décrit par Schoolcraft (i). Après
(1) Leleweel, Mémoire sur les frères Zcni, p. 82. — Gravier, Décou-
verte (le l'Amérique par les Normands (avec un rac-simile de l'inscription),
p. 94. — Hafn, The Dighton Roch-lnscription (Magazine of American his-
(ory (IHTJ).
(2) Court de Gerelix, Monde primitif, VIII, p. 500-509 (avec fac-similc
(le l'inscription). — Cf. Yates and Moultox, History of tlie states of
Newyork, including its Aboriginal and colonial Armais (Ncwyork, 1824),
t. I, p. 86. — L'un et l'autre soutiennent la même hypothèse.
(3) Onffrov de TnonoN, Les Phéniciens à Haïti, p. 45.
(4) Scnooi.cRAFT, Travels in the central portions of tlte Mississipi
Valley.
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l'HK.MIKKK l'AHTIK,
LES l'HKClKSKlRS llK COLOMB.
uiu' première empreinte à la eire, on en lit im estampage en
pliUre (1), L'i pierre sur laquelle est gravée Tinscription est
eompacte, ovale, assez dure pour résister à la pointe d'un cou-
teau. Klle devait à sa longue inhumation une couleur foncée.
Ijes caractères sont anguleux, sans doute à cause de l'instrument
grossier du graveur qui ne lui permettait pas d'arrondir les
traits, mais très lisibles, bien (pie peu profonds. Cette conser-
vation parfaite a même fait douter de l'authenticité du monu-
ment, Elle s'explique pourtant par l'enfouissement séculaire au
fond du tumulus. En même temps que l'inscription, on exhuma
un cadavre qui portait encore un bracelet au bras, des pierres
précieuses, des armes, des colliers et des poignets en métal.
Dans les autres tumulus du voisinage, on a également trouvé
une pierre imagée de forme sphérique, une pierre ornemen-
tale sculptée, des anneaux de porphyre et l'image informe d'un
être humain. Il semble donc, à première vue, que l'inscription
n'a été inventée ni découverte pour les besoins de la cause.
Restait à déehiiTrer les caractères : ils sont disposés en trois
lignes parallèles, chacune de sep* lettres, dont plusieurs sont
reconnaissables à première vue comme phéniciennes. School-
craft avait renoncé à traduire celte inscription (2), parce qu'il y
retrouvait non seulement du phénicien, mais encore de l'étrusque,
du runique, de l'ancien gai'l, de l'anglo-saxon, de Tapalachien,
du creek, etc. Pourtant les érudits qui ont fait de cette inscription
l'objet de leur examen s'accordent à lui reconnaître, dans son
ensemble, tous les caractères d'une inscription sémitique.Turner,
professeur d'hébreu au séminaire de New- York, pensait qu'il
fallait y voir un alphabet sémitique, à cause du rapport qui
existait entre le nombre de ces caractères et celui des lettres de
l'alphabet hébraïque, mais cette supposition tombe d'elle-même,
(1) M. Schwab, Revue archéologique, fév. 1857.
(2) ScHOOLCRAiT. Brief of a runic inscription fotindin North America
^Société des Antiquaires du Nord, 1840-1H44), p. 119.
ïi »
CHAPITRE II.
LES l'IlÉNICIENS EN AMÉRIQUE.
87
attondu que certaines lettres sont reproduites plusieurs fois et
(|ue d'ailleurs on n'a jamais déposé d'alphabet dans une tombe.
Jomard, qui (omposa deux mémoires à oe sujet (1), préten-
dait que les caractères de Grave Creek sont identiques à ceux
dont se servent les Touaregs du Sahara, que ces derniers avaient
reçus des Phéniciens : aussi n'hésitait-il pas à affirmer que
l'inscription de Grave Creek était d'origine phénicienne. Plusieurs
orientalistes ont pensé de même (2), mais ils n'ont plus été du
même avis dans l'interprétation. Voici la traduction de Maurice
Schwab (3) : •< Le chef de l'émigration qui s'est rendu ensuite
dans ces lieux (ou dans cette île) a fixé ces statuts à jamais ».
Opport, partisan de la même théorie, traduit tout différemment:
<■ Sépulture de celui qui a été assassiné en cet endroit. Puisse
Dieu, pour le venger, frapper ses assassins en leur tranchant les
mains, l'existence ». Pour être complet, il nous faudra men-
fionner une troisième interprétation, qui ressemble très peu aux
précédentes. M. Lévy-Bing en a pris la responsabilité au congrès
américaniste de Nancy ( i) : « Ce que tu dis, tu l'imposes, tu brilles
dans ton élan impétueux, rapide comme le chamois ». Lequel
de ces trois orientalistes croire de préférence ? Nous ne tenterons
pas de trancher le débat (5).
Nous parlerons avec une égale réserve, d'une autre inscription
trouvée le 10 janvier 1877, parle Révérend F. Gass, en présence
<le témoins sérieux, à la base d'un mound conique situé sur la
(1) JoMARi), Notes sur une pierre gravée, trouvée dmis un ancien tumu-
lus Américain, et, à cette occasion, sur l'édition Libyen. — Seconde note,
1846.
(2) Castelnau, Voyage dans l'Amérique du Sud^ t. IV, p. 262.
(3) ScHWAH, ouv. cité.
(4) Lévy-Bixg, hiscription de Grave-Creek (Congrès Américaniste de
Nancy, t. I, p. 219).
(5) Au Congrès Américaniste de Luxembourg en 1877 (t. II, p. 7), après
lecture du colonel Chas. Whithleney sur les Fraudes archéologiques corn-
tnises aux Etats-Unis, et après déclaration de trois archéologues émincnts,
Georges Squier, Daniel Wilson, E.-H. Davis, la question a été tranchée : la
fameuse inscription est apocrypho.
•M
88 PREMIÈRE PARTIE. — LES PRÉCURSEIRS DE COLOMB. ,
ferme de Cork, non loin de Davenport dans l'Io\sa{l). C'est une
tablette d'argile bitumineuse portant gravée au droit une scène
funéraire et au revers une scène de chasse. Dans la scène
funéraire, au sommet d'un tumulus est allumé un grand feu,
sans doute destiné ù brûler trois cadavres déposés sur le sol.
Treize hommes grossièrement figurés dansent autour du bûcher
en se donnant la main. Le soleil dardant ses rayons, la lune
dans son plein et de noml»reuses étoiles sont représentées au
ciel. Au-dessus de ces astres, fort étonnés de se trouver réunis,
deux bandes sont couvertes de signes et tout le haut de la tablette
est également rempli de signes. On en compte 98, dont 74
différents et 24 qui se répètent. On est donc en présence d'une
inscription. En quelle langue est rédigée cette inscription ? Est-
elle phénicienne ? est-elle américaine ? Nous laissons à d'autres
plus compétents le soin de se prononcer.
En résumé, il en est des inscriptions de Grave Creek ou de
Davenport comme de toutes les traditions que nous venons
d'énumérer sur les établissements phéniciens en Amérique.
Jusqu'à nouvel ordre on n'a le droit de rien affirmer. Peu de
problèmes sont aussi intéressants à discuter, mais, avant d'eu
donner une solution définitive, il faudrait d'autres preuves et
des arguments plus solides, qui manquent encore et proba-
blement manqueront toujours.
^ >
(!) R. J. Gass, Account of the discoverrj of inscribed tablets, with u
description by Dt t. Farquharson (Proccdings of the Davenport Acadcmy of
natural science, juillet 1877). (Cf. Congrès américaniste de Luxembourg,
t. II, p. 158-160).
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CHAPITRE III
'^ilfr-
LES JUIFS EN AMERIQUE.
Plusieurs ('orivains ont cru sériousemont, et iiffirmé avec une
sorte de conviction passionnée (|ue rAmériqiie avait été non
seulement découverte, mais encore peuplée par les Juifs. Horn,
dans son curieux livre de l'origine des nations Américaines, a
dressé, non sans malice, la liste de ces écrivains (1) ; mais c'est
de sang froid (|ue (îregorio Garcia qui passa douze années dans
les missions Américaines et s'appliqua à l'étude des antiquités,
affirme (pie les Américains descendent des Juifs (2). Montesinos,
le visitador de Lima, qui sans doute eut en sa possession les
manuscrits du savant évéque de Quitt», Luis Lopez, soutient que
les dynasties Péruviennes ont une origine liébraïque (3). Ce
système a été également défendu, avec un grand luxe d'argu-
ments, par l'anglais Thorowgood en 1050(4) et par le Suisse
Spizelius en 1601 (5). Un Israélite, Manassé ben IsraiM,
a composé à ce sujet un traité spécial qu'il a pompeuse-
r-
(\) HoRN, De Orighii/jtis Amevicanis, p. 5 et suivantes.
(2) Grrgohio GAnr.iA, Origen de Ion Indios de cl Niteio Mundo, r
Indias Occidentales (Valence, 1607).
(3) MoxTEsi.NOS, Mdmoires /nstoriques de l'ancien Pérou (Collection
Tcrnam-Compans) 2"'» série, volume 7.
(4) Thomas Tiiohowoood, lews in America or prohabilities that the
Américains are of that race. Londres, 1650. — 2™» édition, Londres, 1660.
^5) Spizclu'S, Elevatio relafionis Montezinianae de repertis in America
tribiiôus israeliticis, et discussio argumenlorum pro origine gentium ame-
ricanarum Israelitica a Manasse ben Israël congtiistarum (Bâie, 1661).
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l'MKMIKIU: l'AHTIi:.
LES l'HKCrnSKIHS l»K CdLOMH.
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nient intitulé l-^sjn'Vdtizn ilr Isravl (1). An (li\-luiili(''ni(' siècle,
<lnniillu i^:i), Adair (U) et Court de (Jéhelin (i) partageaient
encore ces étranges théories. Pres(|ue de nos jours, un riche
anglais, lord Kingshurough's (oj, consacra la plus grande
partie de sa belle fortune, tout son temps et toute son intelli-
gence à lu coûteuse publication d'une collection d(^ documents
Américains, iin|irimés avec luxe, illustrés avec magnificence
et distribués avec générosité, pitar établir à son tour cpie les
Américains procédaient des Juifs. On se souvient, enfin, (|ue le
fondateur d'une religion à tout le moins singulière, mais qui
n'a peut-être pas encore dit son dernier mot, Joi^ Smith, le chef
des Mormons, affirmait (pie l'Amérique avait été peuplée par
une colonie sortie de Uabel à l'époque de lu confusion de langues,
et plus tard par un second essaim échappé à lu destruction de Jéru-
salem, sous Sédécias. Ne serait-ce qu'au point de vue littéraire,
le pr(d)lème mérite donc les honneurs d'une discussion sérieuse.
Il est incontestaiile que les Juifs ont joué et jouent encore nu
grand rôle dans l'histoire de l'humanité. Leur activité inouïe,
leur persévérance, leur génie connnercial, et surtout leurs
malheurs les ont dispersés dans toutes les directions. Plusieurs
siècles avant Henjamin deTudela, un des enfants d'Israël aurait
pu, lui aussi, tracer la triomphante énumération des établis-
sements Juifs répandus dans tous les pays alors connus. Les
Juifs sont-ils allés jusqu'en Amérique? Les uns se prononcent
pour l'affirmative ; le plus grand nombre est d'un avis opposé.
A nous d'examiner les pièces du procès.
(I) Menasse» ben Ishabl, Origen di; los Amerkmios. esto es espsranza
de Israël. (Amsterdam, 1650). Ce curieux ouvrage a élé réimprimé, avec un
savant commentaire, par Santiago Pérès lunqucra (Madrid, 1881).
(2| (iuMiKLA, El Orinoco illustrado (traduction Eidens), 1758.
(3) James âdair, The history of tlie American Indians, 1771.
(4) Court de G£bem!(, Mojide primitif, t. Vlli.
(5) LoRi) KiNOSBOROur.n's, Antiquities of Mexico, 1830-1848. Voir surtout
dans le tome VI : Argument to show that the Jews in early âges colonis'id
America.
\
niAlMTRE III. — LKS Jl IKS KN AMKIUOUE. W
Assiirriiu'iit nous ne coiisicltToiis point rdiiinu' sérifuses l<>s
raisons alhyiuVs par le bon U'srarlxtt dans son Hislonr d>' la
Nouvelle France (1) : «« Quel cniptVlu'nifnt, ('crit-il, y a-t-il do
croin- (pic Noi' ayant vï'tn trois «ont cinfpiantc ans apn-s le
lJt''lu}.'t' n'ait hiy-ini'smo en le S(»in et |>ris la pcino ilc pt'upler,
ou plustot n'|ioupK'r cos païs-là Luy (pii avoit la connois-
sancc de millo choses que nous n'avons point par la traditive
des sciences infuses en notre premier pure, du(|uel il peut avoir
veu les enfans, ignoroit-il ces terres occidentales, où, par avcn-
tin-e il avoit pris nais^^ance ? Certes, en tout cas, il est à présumer
([u'ayant l'esprit de Dieu avec luy, et ayant à rétalilir le monde
par une spéciale élection du ciel, il avoit (du moins par
renouunée) connoissance de ces terres-là, auxquelles il ne luy
a point esté plus difficile de faire voile, ayant |)euplé l'Italie,
(|ue de venir du bout de la mer Méditerranée sur le Tibre
fonder son laniculum, si les histoires prophanes sont véritables,
<'t, par mille raisons, y a apparence de le croire ; car, en quehiue
part du monde qu'il se trouvoit, il estoit parmi ses enfants ».
Nous n'admettons pas non plus l'itinéraire de fantaisie tracé
par le père (iumilla qui suppose que, 131 ans après le Déluge,
178S ans après la création du monde, «|uelques descendants de
Ciliam passèrent des îles du Oup Vert à Pernambuco, et de là se
répandirent sur toute l'Amérique (2). Ces imaginations singu-
lières n(> sont excusables que parce qu'elles furent sérieusement
débitées.
( l'est avec la même réserve que nous nous permettrons d'exa-
miner certaines prophéties, plus ou moins explicites, au moyen
des(|uelles on a essayé de prouver que la découverte de l'Amé-
rique avait été prédite par la Bible. Christophe Colomb (3), dans
(1) Lesgarbot, Histoire de la Nouvelle France (édition Tross), p. 23.
(2) GuMiLLA, El Orinoco illmtrado (trad. Eidous), p. 179.
(3) Navahrbtte, Colleccion de los viajes y descutmmientos, t. I, p. 392,
p. 8i) » ...Yo estaba bien seguroque esto no vernia à mcnos, y cstoy de contino,
jierque es vcrdad que lodo pasara, y no la palabra de Dios, y se compara todo
i [>.
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l'HKMIKHE l'AUTIK. — LKS l'RKCl'KSKlKS l)K CdLOM».
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la rcliitioii do son troisième voyage, «écrivait au roi et à la reino
«rKsiiagiU' : « JVtais l>i«'ii sur (|U(' mes prédictiitiis s»' rôali-
serau'iil, rt je continue dVlre du nuHne avis, |iuis(|u'il est vrai
que tout passera excepté la parole de Dieu Or, Dieu parle
bien clairement de ces contrées, par la bouche d'Isaïe en plusieurs
endroits de l'Kcriture, quand il affirme que c'est de rHs|)ague
(|ue son saint nom sera répandu ». Les seuls passages de la
Bible qui nous aient paru avoir quelques rapports, et encore
très éloignés, avec les événements en question sont les suivants :
<< Voici le nom du Seitrneur (|ui arrive de loin (1). — Voici des
hommes (|ui viendront de loin, ceux-ci du nord et de la mer,
<;eux-h\ du continent austral {"2). — Le petiple que tu ignorais, tu
l'appellerais, et les nations qui ne l'ont pas connu accourront
vers toi (3). — Moi je suis attendu par les îles, et les navires
sorit disposés sur le rivage pour amener tes fils de ces loin-
taines contrées (i). — Voici que maintenant je crée de nouveaux
cieux et une terre nouvelle (3). — Il en est comme des cieux
nouveaux et du nouveau continent que le Seigneur a dressés
devant lui ((>) ». Mais, à part cette mention d'îles et de terres
nouvelles qui peut s'appliquer à l'Océan tout aussi bien qu'à
l'Amérique, il nous faut avouer que ces prédictions sont conçues
en termes si vagues et si généraux qu'elles peuvent s'appliquer
également à des faits très divers. On s'étonne vraiment que de
■ h
lo que dijo ; cl cual luii claro hablô de estas tierras por la hoca de Isaias
en tantos lugares de su Escriptura, aflrmando que de Espana les séria divulgado
su sanlo nombre ».
^1) IsAiE, XXX, 27 : « Ecce nomen Doinini venit de longinquis ».
(2) Id., XLIX, 9 : « Ecce isti de lon{;c venient, et ecce illi ab aquilone et
mari, et isti de terra australi ».
(3) Id., LV, U : « Ecce gentem quam nescicbas vocabis, et gentes quae te
non cognoverunt ad te current » .
(4) Id., LX, 9 : « Me enim insulae cxspectant, et naves maris in principiu,
ut adducam fllios tuos de longe ■.
(3) Id., LXV, 17 : « Ecce enim creo cœlos novos et terram novam «.
(6) Id.. LXYI, 22 : « Quia sicut cocli novi et terra nova, quœ ego facio
stare coram me, dicit Doniinus ».
S
:--, 1
If
CIIAI'ITHi: III. — LES JIIKS KN AMKIUQIT. 93
^Tiiiids «'sprits aiciif .ittaclit' de riiii|ii»rfaii(c à do toiles iiidi-
catioiis; mais los lioininos d'autrofois aiiiiaioiit A so souvonir du
t('iii|>s|»assi'',surtnut(|uandilsylr<iiivaioiitd"aiili(|uos prôdictiniis,
qu'ils crdyaicut sincôrouiont voir so rôalisor à leurs youx. N'uu-
l)li<iiis [tas d'ailleurs, pour ce (pii re}.'ardo doloinl», (|u'il vivait à
une épiupie et se trouvait dans un pays i»ù toute thénric^ nou-
velle n'était acceptée (pie si elle était conrornie à la foi reçue, et
appuyée sur une ou |)lu; ieurs citations Itililiipies. Tout»' question
étant avant tout une (juostion tliéolo<ii(pio, on comprendra (pie
los passantes (pie nous venons de citer aient pu à la rifrueur être
interprétés commo une indication stiriisaiito à la découvorto do
rAinéri(pie.
On a cru é}:alomeiit retrouver dans la prophétie d'Ahdias
raimoiice de {grandes découvertes f!:éo^'raplii(|ues : « et rarmée
de ces enfants d'Israël p(»ssédera ce (pii était auv (!lianiméons
Jiis(pi'à Sarepta of ceux do Jérusalem (|ui auront été transportés
dans le Hosplioro poss(>deront les villes du Midi (1) ». 13'aprés los
coininontateurs, Sarepta serait la (Jaule, le Hosphore répondrait
au délr(»it de (îihraltar et les villes du Midi aux réjjions Améri-
caines: mais ce ne sont làcpiodes liypotlièses à peine sérieuses
et au\(piollos il est mémo impossible de s'arrêter. D'autres pas-
safies de la Uihie nous éclaireront peut-être davantafre.
Ce ne sera point le <piatrième livre d'Esdras dont on a encore
torturé lo sens dans res|)oir d'y trouver (piehpie allusion à la
future découverte du nouveau monde. Ce livre appartient à un
firoupo d'écrits apocalyptiques, forgés aux proiTiiors siècles du
christianisme, et qui de honne heure furent considérés comme
apocryphes, à tel point que Luther los comfjarait aux fahles
d'Esope (3). Christophe ColomI) cite pourtant ce passage d'Esdras,
•^
(1) Abdias, V, 20 : « Et tiansinigratio excrcitus liujus filionim Israi-l
(iiiinia loca Clianaiiœorum nsque ad Sareptam, et tiansmigralio Jérusalem
ifiiic iii Dosphoro est pos.sidcbit civitates austri . »
(2) AcoSTA, Histoire naturelle des Indes (Traduction Hegiiault, p. 30).
(3) FABnicius, Codices pseudnveteris Testamenti, t. Il, p. 114-180-191.
!K
l'HKMIKHK l'AHTIK. — LKS l'HKC.IHSErHS l»K COI.OM».
i I
cf, fort (le l'autorilt' (le llo^<'r Hacoii (I) et de Pierre <r.\illy,
trouve iliiiis le verset suivant rumine une annonce de la ilé-
eonverle : « Le troisième jour vous avez ordonné aux eaux de se
rassenihler dans la septième partie de la terre {'2) ». Il cite j-ncoi'e
un autre passage : « Il apparaîtra le continent (pii est main-
tenant caché (II) ». De ces d«'ux versets le premier s'e\pli(pie
aisément, (|uand on se rappelle (|ue les juifs [tartageaient la
surface d«; la terre en sept zones ou climats : dés lors il devenait
natiu'el (|u'ils rassemblassent les eaux dans une de ces sept
zones. Quand au second verset il serait sans doute plus convain-
cant, mais faut-il y voir autre chose (ju'une de ces vagues
prophéties, connue on en trouve tant dans la Hihie?
|j<'s saintes Ecritures parlent encore de trois |>uys mystérieux :
Ophir, Tarsis et Parvaïm ou Paruim, dans lesquels .,.' a cru,
mais à tort selon nous, retrouver l'Américjue. Voici hv; passages
de la HihIe où il est parlé d'()pliir(i) : « Le roi Salonion envoya
aussi ime flotte à Asiongaher prés d'Elath, sur la mer Rouge, en
Idumée. liiram eud)an|ua sur cette flotte ceux de ses serviteurs
(pii connaissaient les choses de la mer, dt; concert avec les
serviteurs de Salomon. .Vrrivés à Ophir, ils y ramassèrent (|uatrc
cent vingt talents d'oripiMIs portèrent au roi Salomon. La flotte
d'iliram, <pii portait de l'or d'Ophir, apporta aussi de ce pays
du huis, de l'encens en grande quantité et des pierres pré-
ili ItiKiKM Uacox, 0/((/.s' mnjiis «idit. Lomlrcs, 1733, p. 183). « Et ne
ali(|iiis inpcdiat liuiic aiictoritnteiii dicciis qnod liber illc est apocryphus, dicen-
diiiii esl qiiud sancii illuin lialtncrinit in iisu, et eo iti offlcio diviiio iituiiti)r>'.
(2 KsDHAS, IV, (). « Et leitia die iinperasti aquis coiigregari in septim«
Wvviv parte ».
.1) il)., IV, 7. <i Et apparesceiis o.stendctur quie mine subducitur terra. »
(4) l{ois, I. IX, 2(i, 27, 28: « Classein quoqiic fecit rex Saloinoii in Asion-
};aber quoB est juxta Ailatli , in littorc maris Ilnbri, in terra ldum(n:i.
Misitquc Hiram in classe illa serves suos viros iianticos et gnaros maris cuir:
servis Salomonis. Qui, quuni vcni.sscnt in Ophir, smnptuni inde aiirnm qna-
dringeiitonim viginti talentoruni detulerunt ad regem Salomonem. Sedi'l
classis Hiram, quaî portiibat aurum de Ophir, altiilit ex Ophir ligna, tiiyniif.i
milita nimis et gcnmias pretiosas ».
CHAPITRE III. — l.KS JIIFS K.V AMKHIQIIK fS
cicust's », et plus l(»iii(l) : <« F^c roi .Insa|»liat avait mis sur iiht
(U's vaisseaux pour (liorclicr l'or d'Opliir ». Où est tcUc Opliir
inystrriciisc? Jamais pcut-fHrc prohlômc m''o^raplii(|ii<' ne rct ut
do solutions aussi variées, [jcs uns se prononcent pour l'Inde {'1)
et les autres pour l'A rallie (.'l). (lelui-ti plare Ophir en .\rmé-
nie (4), celui-là en Phryjîie (a), d'autres enfin, sur les côtes
orientales d'Alri(jue ((») , et tous luttent d'inf;éni<»sité et
d'érudition pour soutenir leurs liy|»otlièses. Il en est d'autres
enfin (pii, plus hardis, se déclarent en faveur dv l'Américpio et
même du Pérou. Cl» )|»lie Colond» le premier s'ima}:inait
avoir découvert le pays d'Opliir, quand il arriva sur la rôle du
Verafçua (7), « S'il en est ainsi, écrivait-il, je suis certain «pie
les mines de cette île sont les mêmes que celles de Verafiua,
[{} Hois, I, XXil, 40. Ucx ven» Josapliat fcccral classem iii mari (|iiic iiavi-
{;arcnt iii Ophir pniptcr auruiii.
(2) JosÉPiiK, A>iti(juit('s Judaïques, VIII, t). — I^iimcmi -i, S(tvi(j(itio S'ila-
monis Ophivitica illustrata (ttUK)). — Ciiajipoi,i,i(».>i, Efiypte sous les
Pharaons, I, (58.
\'.\) lUicHAnr, (leoijraphia Sacra (lG-i6l, t. II, p. .38. — .Miciiaki.is, Spki-
Irijium yooip'aphio' Heùr.Torutn cxtcrsp (17il8-70i, t. Il, p. 181. — ViscEsr,
Histori/ of the commerce and navigatioti n/' t/tp anciens in tlie Indian
Océans |8."i7). — Tvchsex, De cotnmi rcio llcôr,voru)ii. — Si.kt/k.n, Mé-
moire sur les tril/iis d'Arabes notnades le Sj/rie. — NiKiii un, ItvsilireiliuJi /
von Araôien (1817), t. III. •- Gosskmii, l\echerchi>s sur la giioijraphie des
anciens, t. Il, p. 'Jl.
(4) C.M.siKT , Dissertation sur le paijs d'Ophir (Colleclimi des Irailôs
jçédjçrapiiiqiies, La Haye, 1730), p. 287.
(■)) Haiidt, Disscrtutio de rcgione Ophir (Ilcimstadt, 1718).
(C) La .Mmitixikke, Dictionnaire géofpaphique, 1758 (ailicle Opliirl. -
D'Asvii.i.K, Géographie ancienne. — Bhuce, Travels to discover the source/i
of the Nilus in the years 170S-1777 [Indaciion Castcra . — Dklisi.k pk
Sai.es, ouvrage cité, t. VI, p. 3I!>. — Gksemi's, Scriptur.e lingu.rquc
Pheniciœ monumenta quotquot supersunt (Leipziçf, 1837). — De QrATRE-
MKHE, Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles-I..cttres 1845), p
;tl9. — Hi Miioi.DT, Comsos (l. II, p. 403).
(7) Navakrette, ouv. cité, t. I, |i. 4r)7 . •< Si asi fuerc dij-o que aiçuellii
minas de la Aurea son unas y se conviencn con estas de Verajçua, ipic como
yo dije arriba ee alarga al Poniente veintc jornadas, y son i;n una distancia
lejos del polo y de la linea. » Cf. Piemue Martyr. Décade I, p. H.
'A
i.i
1M)
l'REMIKHK l'AHTIi:. — LES l'RECUnSEURS DE COLOMB.
ptiisqu'cllo est sitiKu; à vingt jouriUH's vers lo rouchant, et qu'ollc
se trouvo ('loignéc du pôle et <lo la ligne équinoxiale ». Toute
luie légion do commentateurs a pensé, comme lui, retrouver
(>pliir en Américfue. Ce sont Arias Montanus, Robert Estîenne,
Jean liecan, Euguhinus, (Jenehrard, YataMe, Possevinus et
Morniuns (1). Ortelius n'hésite même pas à donner le nom
d'( >phir à Haï 't au Pérou dans celle de ses cartes qu'il intitule
(Jeographia Sat ra Cette opinion fut encore partagée par Monte-
sinos, par Ulloa, et par beaucoup d'autres savants, on pourrait
dire presque jusqu'à nos jours (2) : Elle n'est pourtant guère
soutenahie, comme nous allons essayer de le démontrer.
Les arguments de ceux qui croient à la similitude d'Ophir et
de l'Amérique ne sont pas en effet très sérieux, et vraiment
Acosta a beau jeu, (juand il les énumère pour les tourner en
ridicule (3). La principale de leurs raisons n'est-elle pas la
prétendue ressemblance des noms d'Ophir et de Pérou ! Or, si
l'on en croit Carcilaso de la Vega, ce nom de Pérou serait dû
à un accident fortuit : Les premiers Espagnols qui déi)arquèrent
(hiiis cette contrée; demandèrent à un pécheur nommé Béruquel
était le nom de la contrée. Ce dernier, ne comprenant qu'à demi,
se nomma, et dès lors son nom fut donné au pays qui s'appelait
en réalité Tahuantinuyo (4). Il est vraiment par trop puéril «le
fonder sur un simple rapprochement de mots l'identité de deux
pays. D'ailleurs comment su[»poser que les Juifs aient connu le
Pérou plut<)t qu<' le Brésil ou toute autre contrée riveraine de
(i) Tous CCS auteurs sont cités par Hohn, De Originibus Americanis, p.
7, MoxTANcs pour ses Antiquitét Judaïques, Becan pour ses Origines .1?!-
tnoerpianx, EuGuniNus pour son De fluxu et refluxu maris, Genebuaiiii
pour sou Isagoge rabbinica, Vatable pour ses Annotations au livre des
rois.
(2) Voir de IUvero, Revue des races latines, t. XIV, p. 192.
(.'<) Acosta, Histoire des Indes (traduction RegnauU), p. 27, 28, chapitres
XIII et XIV.
(i) (Jaucilaso de la Vega, Commentaire des Incas (traduction Baudouin,
1715), t, I, p. 15.
CHAPITRE m. — LES JUIFS E.\ AMERIQUE.
M
i'Atlanti(jno ? Us auraient donc, en partant de la mer Rouge,
traversé l'imniense mer Pacifique (1). Mais ce voyage est
autrciiient invraisemblable que la traversée de l'Atlantique.
( >pliir n'est donc pas l'Amérique. Nous en dirons autant de
Tarsis. La llible parle en termes fort vagues de Tarsis, comme
d'un pays éloigné, très fertile, abondant en richesses agricoles
ft iiiéta!lurgi(pies, mais elle ne fixe point sa position. « La flotte
(Iti roi et la flotte d'IIiram allaient par mer à Tarsis une fois t.ous
les Iniis ans (ou une traversée qui durait trois ans) : EIL en
rajqMtrtait de l'or, de l'argent, des dents d'éléphants, dos singes
et (les paons » (2). Il est seulement probable que Tarsis était
à l'occident, puisque le prophète Jouas s'embarque à Joppé sur
la Méditerranée, et non plus à Elath ou à Asiongaber sur la
mer Rouge, pour se rendre à Tarsis (3). Aussi les commentateurs
ont-ils donné libre carrière à leur imagination, quand ils ont
clicrché l'emplacement de Tarsis. Cilicie (4), Asie Mineure (5),
Tliasos (0), Espagne (7), Carthage (8), tous les pays occidentaux
Il 11 est vrai qne rien n'arrête l'imagination des commentateurs. Deux
(IViilrc eux, de Frauclieville (Mémoires de l'Acudémie de Berlin, t. XVII) cl
Court de Gébclin (Monde privtitif) n'onl-ils pas prétendu que les Juifs s'arrè-
lai(!nt en route dans nu cer'ain royaume de Juida, sur les fleuves Jaquin et
IMuaat, colonie orientale Fondée par Salonion pour favoriser le commerce en
Afrique ! Ce royaume paraît à tout le moins aussi imaj^inai.e que les préteuHns
voyages des Juifs ^au Pérou.
(2) Uois, t. X, 22 : « Classis régis pcr marc cum classe Hiram semel per
très annos iltat in Tharsim, deferens inde aurum, et argentum, et dentés
«•icpliantorum, et siniias, et pavos ». Cf. E/.écuiel, cliap. 27, V. 12.— P.vn.v-
I.II'OMKNES, II, !), 10.
• '■<] JoNAS, I, 4. n Et descendit in Joppein.etinvcnit navemeuntcminTliarsis».
(i) C'est l'opinion de Josèphe, Anselme, Nicolas de Lyra, et dom Caluiet
rilés par Franchevillc (ut. sujjra).
(.') Ainsi pense de Ribera.
()) Système de Lcclcrc et de Franchevillc.
H; Théorie de Pinedo, (îoropius, Bochart et (Jesenius. C'est même la
théorie que semblent confirmer les travaux les plus récents. Movers dans son
histoire Phénicienne [Gv.schichtc dcr Colonien, p. r)fli-6l4) a prouvé i\ peu
près complètement l'identité de Tarsis et de l'Espagne.
(8) Les Septante, Thcodoret et Valable se sont prononcés pour Carthage.
Voir Calmet, I)i-serlalion sur le partage des enfants de Noé (Bible, I, 4ol).
T. 1. 7
'/i
98
PREMIERE PARTIE. — LES PRECURSEURS DE COLOMB.
' ?
I.
ont été les u s après les autres désignés par eux. D'après Saint
Jérôme, Tarsis répondrait à tous les pays au delà de la nier ;
d'après Lipenius et (irotius à l'océan ; d'après Horn et Moréri
à rAméri(|ue (1). Cette dernière hypothèse ne parait guère
fondée.
Le principal argument de Horn et Moreri est leur explica-
tion de scmel ni ti-es annos, qu'ils interprètent par un voyagi;
de trois ans, car, avec les moyens nautiques dont on disposait
alors, l'Amérique seule, et non pas Carthage ou l'Espagne, était
assez éloignée pour n'être ahordée qu'après un voyage de trois
ans. Mais, comme semel in ires annos signifie tout aussi bien
qu'on ne faisait ce voyage que tous les trois ans, il faut recou-
rir à d'autres arguments pour prouver l'identité de Tarsis et de
l'Amérique, et ces arguments on les cherche encore.
Quant au pays de Parvaïni ou de Paruim, un érudit mo-
derne, Onffroy de Thoron, croit l'avoir trouvé dans la
vallée de l'Amazone. La Bible rapporte que Salomon orna
sa maison de belles pierres précieuses et que l'or venait
de Paruim (2). Or, les deux rivières aurifères de Paru
et d'Apu Paru, au pluriel Paruim, qui forment l'IJcayali,
et la rivière, également aurifère, de Paru, qui sort des
monts Tumucumac, en Guyane, finissent leurs eaux dans
le grand "ouraiit de l'Amazone. Par une curieuse coïncidence,
ce fleuve, dans une partie de son cours, porte le nom de Rio
Solimoens, c'est-à-dire de Salomon. Onflroy de Thoron, en
conclut que les flottes de Salomon allaient ch-^rcher de l'or dans
ce pays aurifère de Paruim (3), et il retrouve dos étymoloa:i('s
hébraïques dans une cinquantaine de dénominations géogra-
plnijucs de la région. II a même dressé la carte du Paruim
bibli(|ue, sur les deux rives de l'Amazone, entre les montagnes
(1) UoHN, De Oviginii/ttfi Amerkanis, p. !)4-200.
tionnairc historique (article Opliir).
(2) PARAUP(tMK^^:s, II, § [\, v, 6.
(3; Onkfiioy de Thcuo.n, ouv. cité, p. 7i-89.
— MonÉRi, Grand die-
S,
lit int)-
ans li'
,n orna
venait
i; Paru
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oi't il^^i^
X dans
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•on, *'U
or dans
loloiii»'^
Igéojira-
Piiruim
Intasinos
i'rt)i
d (U'--
f.llAI'ITRE m. - LES JlIFS K.N AMERIQUE. ■ W
(luyanaises et les affluents de la rive droite du fleuve. Il est vrai
(pie CCS priHendues preuves tirées de la philolofjie nous ins-
pirent de la défian e. Aussi, tout en rendant justice à Tingé-
niosité et à l'érudition du commentateur, suspendrons-nous
provisoirement notre jugement, et chercherons-nous ailleurs
(pi'en Améri(|ue le Paruim de Salomon.
S'il paraît aujourd'hui certain qu'Ophir, Tarsis, et même
Paruim doivent être cherchés autre part que sur le continent
américain, est-il vrai que les peuples de la Palestine n'ont
jamais dépassé la Méditerranée? Est-il vrai que jamais aucun
d'eux ne s'est aventuré sur l'Atlantique? Procope a pourtant
conservé une fort curieuse légende qui pourrait, à cet égard,
modifier nos idées (1). A l'époque de l'invasion de la Palestine par
Jésus (Josué), fils de Navé, tous les peuples maritimes de Sidon
i\ l'Kgypte, Jébuséens, Gergéséens et autres, abandonnèrent
leur patrie, et s'établirent en Afrique, le long de l'Atlantique.
Us y bâtirent des villes, y fondèrent des colonies, et leur langue
y était encore en usage au cinquième siècle de l'ère chrétienne.
Sur l'emplacement deTigisis, près d'une source très abondante,
ils avaient construit un cluUeau fort et élevé deux stèles de
marbre blanc, portant une inscription phénicienne (pii sigui-
ti.iit : << Nous sommes ceux qui avons fui loin de la face du
(1) Pkocope, De Bello Vandalico, H, 10 {Cjllec{ion de la Bijzantine,
183.3, p. 449). EvraÙOa fJixrjVTO ëOvr, ;:oX'javOpw-ôtaTa, Ti^-^nxiv. -i /.al
lïij'/jiato! /a; aXÀa atra ôvo|i.aTa 's'yovTa, oi; ôrj ctWx îj tûv 'K|5sai'fov '.i-.oo'.x
y.aÀsT. Ojto; ô Xâi; ir.z: àî;i.a/ov -t /pTiiia -ôv :nr;XoTr,v aTpaTrjôv sloov, l^
XjOwv TÛv -aTp!«ov sÇavâarav-î; J-' Atyôrrou 6|idpov ô'jTr,; syalpr^Tav. "KOva
•/(ôsov o'jSa'va asioiv ho>.y.r\'Z(».rs^x'. sOp'j'vTs;, l~z<. h PtX'^ûr.ZM -oXjavOoojn'a
:/ -aXatO'j r^v, È; At[5ÛT,v ÈaTotXr,7av. IIoXsi; tî oi/.taavTs; -oXXâ; Çya-aaav
Ai,jjr|V [xr/f. aTr,Xojv tûv 'IIpaxXcO>v iV/ov, sv-aiiOâ tî xai s; i\i.ï ^:r^ ^vM/joy
5(ôvr, /pdiiJiEvot »'i)xr,vTai. 'Eo£?|xavTO oÈ xai opouptov èv Noi»|jiiôta t.('Ai:, ou
vjv -oX;; T^'yia;'; iatt te /.a? ôvo;AâÇ£Tai. "EvOa Tc^Xaf 3uô h. Xi'Owv Xcuxwv
-iT.'j<.r,<i.vii\ ày/ 1 ^^i'^Tii etai TJ); ixeyiXrjs, Yp3t[xjj.aTa ^oivtxixà ÈYy.£y.oXa;jL;ji;v«
i/'ij'sx'. Tf, <I)0'.v''x(ov YXùiaarj Xs^ovia tijoê : f,[J.îî; iaijLÈv oî sjvovte; à::o
rpo;');:ou 'Ir,Jo3 Toû Xtjtuou ulou Nau^.
I: s
-•»lii.ây. •-- f»
KK)
l'HEMIERE l'AHTIK.
LES PRECURSEURS DE COLOMB.
i
hrigand Jésus, fils de Navé ». Que devinrent ces Chanunécns
ainsi repousses jusqu'aux extrémités occidentales de l'Afrique?
Hardis marins et commerçants intrépides comme l'étaient leurs
ancêtres, et de plus poussés par la nécessité, n'est-il pas pro-
bable qu'ils se sont lancés sur l'Océan qui s'ouvrait à eux? Ils
eurent bientôt découvert les îles (|ui le parsèment (1). Ces Mes,
il est vrai, étaient désertes, quand les Romains les retrou-
vèrent (:2), mais rien n'empêche de supposer qu'elles ont été
abandonnées par leurs premiers habitants, émigrés en Amé-
ri(|ue, et ces habitants ne seraient autres que les Ghananécns
dont Procope a raconté l'exode.
On a môme pensé retrouver aux Açores les traces de ces
Chananéens. Nous avons déjà parlé de la grotte mystérieuse de
Saint-Michel, décrite par Tiievet dans sa Cosmographie univcr-
scllt' (3), et de l'inscription en caractères sémitiques qu'il y avait
relevée. Ces caractères, avons-nous dit, ressemblent aux lettres
phéniciennes : mais l'alphabet chananéen est identique, et les
Chananéens, tout aussi bien que les Phéniciens, peuvent être
considérés comme les auteurs de cette inscription.
C'estencore à Saïut-Michel (jue, d'après Manassé ben Israël {l)\
des Kspagnols auraient trouvé une tombe avec des caractères
sémitiques, qui signifiaient Mehetabel Suai, fi'.s de Matadhel :
mais on ne sait c'_' qu'est devenue cette prétendue inscription,
ni par qui elle a été découverte : en sorte que, jusqu'à nouvel
ordre, on est obligé de la considérer comme inventée pour les
besoins de la cause.
Nous ne citerons que pour mémoire (5), et par scrupule d'exar-
1^11 SiirtAs (Lexique (édition Hckkcr, 18ôi) au mot Xâvaav raconte c^tte
grande cmigiation en ternies à peu près analogues.
(2) Pi.i.NE, Histoire Naturelle, V, 1, lii.
^3) Voir plus haut, p. 55.
(4) Manassé ken Isiwf.i., E.y)era7i[ri iL' Israël, p. 26-27.
(5 Samiei, IJAni.ow et N. ItoE Buadn'f.ii, A history of a stune heariwj
hehreir iin'cription, found in an American mound ^Congrès Américaiiisle
de Nancy, t. II, p. 192-197).
CIIAl'ITHE III.
LES JL'IFS EN AMEIUOL'E.
101
titude, la prétendue découverte faite par David W^rick à
Newark dans l'Ohio, dans un tumulus qui paraissait remonter
à une haute antiquité, puisque des arbres y avaient poussé dont
la croissance supposait une durée de ci; j siècles, d'un (^ofTre
en hois rempli d'ossements (1 ) . Au milieu de l'argile et des cendres
d'os calcinés qui remplissaient ce cotTre on aurait tnmvé un
crilne et dans ce crAne une pierre de trois pouces de longueur,
couverte de caractères qui resseml)laient à des lettres hébraïques.
On avait donc en mains la preuve certaine de la présence de
Juifs en Amérique avant Christophe Colomb : mais la découverte
était apocryphe. Elle fut dénoncée par le colonel Whittleney (2)
dans un factum retentissant, et au Congrès américaniste de
Luxembourg, un de ses anciens défenseurs (3) était obligé de
faire ce piteux aveu : « La pierre de Newark a fort mal répondu
à l'attente publique ». Reconnaissons d'ailleurs, comme on
pourra s'en convaincre par l'inspection de cette pierre, que,
même d'origine hébraïque, elle demeurerait indéchiffrable.
Il n'en est pas moins probale que des Chananéens, expulsés
de leur pays par les Juifs, ont occupé une partie des côtes
africaines et colonisé les archipels de l'Atlantique. De là se
sont-ils répandus en Amérique ? C'est ce que nous ne pouvons
avancer que sous toutes réserves, et vraiment Horn nouy semble
bien affirmatif quand il prétend retrouver dans le nom de deux
Lucayes, Madanina et Guacana, la preuve de l'origine madianite
ou chanaéenne de leurs premiers habitants. Ce sont là des
procédés que réprouve la critique moderne : aussi est-ce j)lutôt
pour ne pas être accusé d'inexactitude plutôt que par conviction
([ne nous avons parlé de ces voyages chananéens.
Nous raconterons avec la même réserve la prétendue émigra-
[i) FosTER, The prehistork Races of the iinited States, 124-126.
(2) Colonel Whittleney, Archseological Frauds. — Id. Inscribed Stonex,
Licking County, Ohio (Western Reserve and Northern Ohio Historical So'
cicty, n» 53, march, 1881).
(3) Stronck, Repères chronologiques de l'histoire des Mound Buildern
(Congres Américaniste de Luxembourg, I, 313).
-
102 l'HEMlÈRK PARTIR.
lES PRÉCURSErHS DE C.OLOM».
tioii des Juifs eu Amérique, lorsque; Salmanasar eut renversé
le royaume d'Israi'l, et emmené les dix tri! ms (mi captivité (1 ). On
suit que bon nombre de Juifs plutôt que de, suivre leur vainqueur,
s'enfuirent alors avec leurs familles et se dispersèrent dans
toutes les directions. Quelques uns d'entre eux, avec la vigueur
et la pronqititude de détermination qui a toujours caractérisé
leur race, n'hésitèrent pas à mettnî le désert entre eux et leurs
oppresseurs, et reprirent les routes tracées jadis par leurs
ancêtres dans leur exode d'Egypte. Arrivés sur les bords de la
mer, et repoussés comme impurs, ils durent continuer leur
pénible chemin et le poursuivre, le long des côtes de la Méditer-
ranée jusqu'à ce qu'enfin ils arrivèrent sur l'Atlantique. De
telles migrations n'ont rien de bien extraordinaire. N'est-ce
pas ainsi que les Phocéens quittèrent volontairement l'Asie
Mineure pour se fixer sur les côtes arides et pelées de la (laule (2)?
N'est-ce pas ainsi que les Francs, internés sur le Bosphore,
s'échappèrent à travers toute la Méditerranée, et rejoignirent
leurs compagnons à l'embouchure du Rhin après avoir doublé
l'Espagne et longé la (iaule? (3) De même firent ces Juifs,
qu'excitait le double amour de la religion menacée et de la patrie
perdue. Une fois en vue de l'Atlantique, la mer leur était
ouverte. Il est possible qu'ils s'y soient aventurés et n'aient pas
tardé à la franchir.
Lord Kingsborough's leur fait suivre un autre chemin (4). 11
prétend qu'à travers toute l'Asie ils remontèrent jusqu'aux
glaces Sibériennes et traversèrent le détroit de Behring afin de
se soustraire aux horreurs de la famine. En butte aux attaques
des sauvages, ils se seraient peu à peu répandus jusqu'au
Mexique et au Pérou, et y auraient fondé de grands empires.
Plus encore que la route suivie par les Juifs, ce qu'il nousi
(1) Rois, IV, n.
(2) Hérodote, I, 162-167
(3) Histoire Auouste.
(4) Tour du Monde, n» 391 (juin 1867).
r.llAPITRE m. — LES JUIFS EN AMÉRIQUE.
108
importe de connaître, c'est la réalité de leur séjour en Amérique.
Kxiste-t-il on un mot, entre t jx et certains peuples de l'Amérique,
surtout du Hiidi, des analogies dans les traditions, dans les
coutumes, dans la langue, dans les traits du visage ; analogies
(|ui nous permettraient de conclure que les Chananéens et les
Juifs se sont peu à peu avancés d'une rive i\ l'autre de l'Atlan-
tique, en passant par les îles intermédiaires ?
Le souvenir de la double émigration des Chananéens et des
Juifs semble avoir été conservé par quelques traditions locales.
Un des premiers historiens de la conquête, le froid et conscien-
cieux llerrera (1) écrit « qu'un grand nombre d'Indiens avaient
appris de leurs ancêtres que la terre de Yucatan avait été
peuplée par des nations venues de l'Orient, et que Dieu avait
délivrées de l'oppression en leur ouvrant un chemin vers la
mer ». Landa (2), témoin oculaire et l'un des principaux
auteurs de la conquête du pays, dit aussi : « Quelques anciens
du Yucatan prétendent avoir entendu de leurs ancêtres que cette
tern; fut occupée par une race de gens qui entrèrent du côté du
levant et que Dieu avait délivrée en lui ouvrant douze chemins
vers la mer. Or si cela était vrai, il s'en suivrait que tous les
habitants des Indes Occidentales seraient descendus des Juifs ».
Des traditions analogues ont été recueillies, tout récemment
encore, chez les Montagnais, peuplade de la Nouvelle Bretagne,
par un observateur dont on ne saurait récuser la haute compé-
tence ou la froide impartialité, le Père Petitot (3). Quelques
écrivains sont encore plus explicites. Lizana et Torquemada
tracent avec précision la route de ces tribus errantes d'après
les documents indigènes qui étaient en leur possession (4), et
affirment que les populations de l'Amérique Centrale venaient
(1) Herreha, llistoria gênerai de las Indias, IV, X, 8.
(2) Landa, Relation du Yucatan (traduction Brasseur de Bourbourg) .
(3) Pèhe Petitot (Nouvelles Annales des Voyages), février 1869.
(i) LizANA, Histoire de Notre-Dame de Izamal (traduction Brasseur do
Bourbourg), p. 357. — Tohquemada, Monarquia Indiana (1723).
104 PRKMIKHE l'ARTIi:. — LES PRÉCURSEURS DE COLOM».
(le Guba^ mais après avoir habité successivement les Antilles,
les Canaries et l'Afrique. Or on sait conilùen Colomb et les
premiers navigateurs ou historiens de l'Amer. que avaient ét«''.
frappés de la ressemblance qui existait entre les insulaires des
Antilles et ceux des Canaries. Herthelot, dans sa récente histoire
des Canaries, constate la même analogie, et de plus établit que
plusieurs noms de personnes et de localités étaient identi(|ues
dans les deux archipels. Que si maintenant nous rapprochons
ces traditions Américaines de la tradition conservée par Procope
et Suidas et de la dispersion des tribus juives sous Salmanazar,
nous co. .aterons entre ces divers récits une grande ressem-
blance. Reconnaissons pourtant qu'il faut nous défier de la
tendance qu'ont toujours eue certains écrivains, et en parti-
culier les historiens de l'Amérique, à. forcer les analogies entre
l'ancien et le nouveau continent, et que, pour confirmer les
traditions que nous avons énumérées , nous avons besoin
d'autres preuves.
Ce ne sont pas les ressemblances qu'on a cru trouver entre
les coutumes juives et américaines qui triompheront de notre
défiance. Manassé Ben Israël (i) rapporte, en effet, que Monte-
sinos, voyageant dans l'Amérique Méridionale, reconnut dans son
guide un Israélite qui l'assura que bon nombre d'Indiens, ayant
la môme origine que lui, habitaient les Cordilliôres, mais Manassé
était juif lui-même, et l'on connaît l'orgueil national de cette
race et son ardent désir d'étendre sa puissance et d'augmenter
sa renommée : certes, s'il avait pu prouver son assertion, il
n'aurait pas manqué de le faire ; or, non seulement il garda le
silence à ce sujet, mais encore il avoue qu'il ne parle que par
ouï-dire. En effet les voyageurs qui ont traversé les Andes,
depuis Humboldt jusqu'à Casteinau et Paul Marcoy n'ont pas
trouvé trace de ces prétendus Juifs.
Il est vrai qu'Adair, voyageur et marchand anglais du xviir
(1) Manassé ben Israël, ouv. cité, p. 4-6,
CIIAIMTHE III. — LES JflFS KN AMiiRlyi:!:.
10.">
siècle (1), qui vécut ({uatrc aus parmi les Indiens, et «t'>serva
leurs coutumes avec intériH ; que (iumilla, supérieur des riiissioiii
(le rOrénoqiu! et recteur <lu crdiège de Cartliagèae eu I7iti ; ipu^
lord Kinjishorougirs, le systématique compilateur des aati(|uités
Me\i(!aines, et que plusieurs autres écrivains ont fait au sujet de
la prétendue similitude entre les coufunu?sjuives et américaines
(le curieuses remarques. Ainsi les .\méricains du Midi, de
même que les Juifs , olfrent à Dieu les prémices de leurs
rt'coltes. Us célèbrent toutes les nouvelles lunes et font au
commencement de septembre une grande cérémonie d'expiation.
Cliez eux, comme au temps de Ilutl», le frère du défunt prend
la veuve pour épouse ; chez eux la purification, le bain, le jeune
sont en usage à des époques déterminées. Us ont même une
arche sainte, soigneusement enfermée dans un sanctuaire, et la
portent devant eux à la guerre, en prenant soia que jamais elle
ne touche terre. Adair, Gumilla et Kingsborough's en concluent
volontiers que les Américains descendent des Juifs.
Les ressemblances les plus étranges ont été signalées par le
Pèr(î Petitot chez les Déné-Dindjiés, tribu Américaine (jui s'étend
sur d'énormes espaces, de la mer d'Hudson aux monts des
Cascades (2). Ces barbares, de même que les Juifs, pratiquent
la circoncision. Ils imposent à leurs femmes et à leurs filles,
à l'époque menstruelle, une séquestration absolue. Ils les
relèguent même à ce moment dans des huttes de branchage, où
elles doivent vivre la tête et la poitrine couvertes d'un capuchon,
sans qu'il leur soit permis de suivre ou de traverser les sentiers
frayés, ni de monter en pirogue (3). Après leurs couches, les
(1) Adair, The History of the American Indiatts. — KiNcsBOHOtiiH's,
Antiquities of Mexico, t. IV, p 45. — Gumilla, op. cit., t. 1, p. 186.
(2) Père Petitot, Les Dené-Dindjiés (Congrès Américaniste de Nancy,
t. II, p. 26).
(3) Léritique, XV, 19. Mulicr quae redcunte mense, patilur flnxuni san-
guinis, scptcm dics separabitur. — Cf. Plassard (Société de géographie de
Paris, juin 1868) constatant que, chez les Guaranos de rOrcnoque, la
femme en couches et la femme réglée sont considérées comme impures. On
s !
V
KMi l'HKMIKHK l'AiniK,
LKS l>nÉ(.l'HSKIIHS DR COLUMH.
i
IViiimcs s'iilistiendroiit «le tout cnmnu'n'c chariM'l puiidaiit
(|iianint(> jours (1). Kilos nourriront hMirs rnfants au moins
pendant trois ans [il). ICIlcs ne se marieront rpicdans Icurtriltu,
«^t de pn-lériMice avec leurs l(oaux-fr(''res (IJ). Les Den<^-l)indjiés,
de nuhne cpie les Juifs, éproiivont inie grande n^pufjnancc
à manipuler des cadavres (4), ou nK^ine à les touflier (.*>). Ils
hrùlent les liardes et les ustensiles ((i) des défunts. La viande
de cliieu est par eux considérée comme immonde (7). Jamais ils
ne mandent certaines parties du corps des animaux, surtout les
nerfs des jambes (8). Lorsqu'il leur arrive de tuer à la chasse
queUpie gros animal, tel (pi'un élan, ils en ramassent le sanp
dans la panse de la héte, et l'ensevelissent dans la neige. Si c'est
un petit animal ils le saignent aussitAt(O). Ils ont même conservé
des traditions qui rappellent étrangement certaines croyances
bibliques. Ainsi, bien qu'habitant un pays où ne peut vivre aucim
serpent, ils connaissent le serpent et en font l'esprit du mal. Ils
identilient son nom avec; celui du mal et de la mort, et affirment
qu'il s'unit A la première femme. Ils croient encore î\ l'œuvre de
la création pendant six jours, à l'unité de l'espèce humaine, au
péché originel, au déluge, aux géants antédiluviens et h la diffusion
porte i\ celte dernière, dans une cabane isolée dont elle ne doit pas sortir,
tout ce dont elle a besoin.
(1) Lévitique, Xil, 2.
1,2) Macchabées, VU, 27. Lac triennis dcdi et alui.
(3) Nombres, XXXVI, 7. — Lévitique, XVIII, 6. — Id., XXI, 14. Omnes
viri duccnt uxores de tribu et cognatione sua.
(4) Nombres, XIX, 2. Qui cetigerit cadaver hominis proptcr hoc septeni
dicbus erit immundus.
(5) Nombres, XIX, 16 Si quis in agro tctigerit cadaver hominis, sJve os
iliius, sive sepulcrum, immundus erit septem dicbus.
(6) Nombres, XIX, 14.
(7) Deutéronome, XXIII, 18. Non ofieres pretium carnis in domo domini
tui quia abominubile est apud Dominum tuum.
(8) Genèse, XXXII, 32. Lévitique, V, 14. Sanguinem universœ carnis non
comedatis, quia anima carnis in sanguine est.
y) Lévitique, XVII, 13. Si venatione ceperit avem vel Teram, fundat san-
guinem ejus, et operiat itlum terra.
i[
ciiAi'iTiii; m. — i,Ks jriKS en amèhkji'k.
107
(lu laiiKaKc, domines liihiiqiics dont lu prôscnce au milieu de ces
sauva^'cs (h'iiotc, en (Icliorn de toute explication matériel le
|ilausil)le, à tout le luniiis iiiu> haute anti(|uité. Notons encore
que c»'s Deni-Diiidjiés racontent (|u'ils ont lonf,'temps vécu f • ec
(les élranfîers (|ui se rasaient la tête, portaient en ffiierre des
\étements couverts d'écaillés (cuirasses), des boucliers de peau,
(les (*as(pies de hois, et des couteaux au Ixiut d'un long manche
(lances). Ces étrangers, n(»nuiiés Kfivi Detelli ou Têtes pelées,
Mialtraifaient les Uené-Dindjic's, et les forcèrent à chercher au
loin une autre patrie.
Assurément ces analogies sont frappantes, mais elles n'ont
|ias été constatées par tous les voyageurs, et d'ailleurs mie cou-
luitie, niénu' étrange, peut se retrouver dans hien des pays,
sans (pie les habitants de ces pays soient de même race. Pour
n'en citer qu'un exemple, la circoncision était prafi(piée chez
les Kfhiopicns, les Arabes, les Phénéciens, les Colciiidiens, etc.
l-llle l'est encore aujourd'hui par tous les Mahométans. Qui donc
pourtant s'aviserait de prétendre que ces peuples étaient ou sont
tous de même ruce?
(le (|ui nous frapperait plus encore «pie ces anylogies de cou-
tumes qui peuvent n'être qu'accidentelles, c'est la perpétuité de
lu langue. Les Juifs, encore aujourd'hui, ont fidèlement con-
servé, comme un dép(jt précieux, leur langue nationale : ils ne
l'auraient certainement [)as oubliée en Américiue si, réellement,
ils y étaient allés. Remarquons, néanmoins, que les Juifs
doivent la conservation de leur langue à la fn'quence de leurs
communications, et il p^ut se faire qu'une petite fraction d'entre
eux, isolés et comme ,/erdus au milieu d'un peuple immense,
ne nîcevant aucune nouvelle de leurs compatriotes, et forcés,
|»)ur se faire comprendre, d'adopter la langue de leurs voisins,
aient, après quelques générations, oublié l'idiome national.
Quelques mots hébreux pourtant se seraient conservés. Ainsi,
Sagard Théodat (1), prétend qu'il a entendu les Américains du
(1) Sac.ard Théodat, Histoire du Canada (1636), édition Tross, p. 292.
■1
1()8 PHKMIKKK PAHTIK.
LKS l>HKI.( HSKl'KS l»R COLOMIi.
Nord cIiiiiiUm' Alléluia ! mais le naïf voyageur entoiidait pi'olia-
hlciiuMit de iiouveaiiv convertis i\ la religion catlioliciiK», (|ui a
conservé ce mot hébreu dans sa liturfrie. D'ailleurs, connue nous
espérons le démontrer |>lus tard, la région, où fut signalé ce
chant de joie chrétien et juif, fut, à diverses reprises, et hien
avant Lescarhot, occupée par des colons chrétiens, soit Irlandais,
soit Northmans. Il n'y a donc rien d'étonnant à celte continuité
dans l'expression des sentiments joyeux.
Les ressemblances signalées par Adair seraient plus impor-
tantes (1). Ce voyageur rapporte, en effet, que certaines tribus
Péruviennes portcmt sur la poitrine une coquille blanche où est
gravé le mot liébreux Urim. Klles chantent en outre .» ,1e Mes-
chiha, llo Meschiha, Vah Meschiha », c'est-à-dire les trois
syllabes du mot Jéhovah, coupées par trois appels au Messie.
Adair affirme encore (jue les coupables sont nommés lia Ksit
Canaha, c'est-à-dire pécheurs de Chanaan, et ([u'aux offices
religieux les prêtres apostrophent les distraits en leur disant :
« Tschi Haksit Canaha », c'est-à-dire pécheur de Chanaan. Ces
analogies sont étranges, mais ni assez frappantes, ni assez
convaincantes pour entraîner la conviction, et d'ailleurs le témoi-
gnage d'Adair est trop isolé pour qu'on ait le droit d'en conclure
l'identité des langues hébr&ïque et péruvienne.
Telle fut pourtant l'opinion de quelques savants. Le docteur
Heinsius, membre de l'Académie de Berlin, pensait que le Péru-
vien dérive directement de l'Hébreu (2). La Condamine trouvait
aussi des ressemblances, mais il ne citait que six mots Hébreux
ayant avec le Péruvien des rapports plus ou moins éloignés (3).
Court de Gébelin (4), toujours exagéré dans ses assertions,
(1) Adaih, ouvrage cité. Voir le cinquième argument (p. 37-74), qui traite
de la langue des Indiens.
(2) Pelloutier, Mémoire sur les rapports des Celtes et des Américains
(Académie de Berlin), 1749.
(3) La Condamine, Rapport sur les monuments du Pérou au temps den
Incas (Académie de Berlin), 1746.
(4) Court de Gebbmn, Monde primitif, t. VIII, p. 525.
r.iiAi'iTKi: III.
MIS JI'IKS KN AMKnigi'K.
\m
(Ircssiiit un (lirtioimnirc de ces mots, et, rien qu'à la Icttn' A,
en ('iiiiiiK'rait (-iiu|uaiit(>-(|natn> : mais la |ilii|)ai't de sos assimi-
lations sont toreros, et il tant |M)nr les admettre |)lns (|ne de la
Itonne volonté. Le téinoi^na^'c d(> \lalon(>t serait inoin> sns-
|te('t(l). Nous lisons, en eiïet. dans les Mémoires «le ce froid et
l'oiiseiencieiix oliscrvatetir, (|ii'un Juif établi à Surinam, (>t
iioiiuné Isaar Narci, lui aurait at'tirmé (|ue les sulistantirs d(> la
iaiijfue «les(Jalil)is, c'est-à-dire des Indiens de la (luyane, étaient
d'origine lié|)raù|ue, surtout les sultstantils (|ni désignaient les
choses. Kniiu, (ra|)rès le rapport d'un voyaf,'eur moderne, C.as-
telnaii, un IsraJ'Iite, di^ Siuitarein sur IWinaxone, lui aurait
iiidi(pié |)lus de cinquante tenues (>inpnmtés auv idiomes du
pays et tout à fait semIdaMes à ceux des llélireux {"1).
La |)liilolo}fie est une science trop moderne, ot ses procédés
d'iiivestifrations sont déterminés (le])uistn»p ])eu de temps, p>ur
ne pas avouer notre déliance à l'égard de certaines théories, en
vertu (les(pielles lesérudits du dernier siècle, et peut-être même
(|uel(pies savants contemporains sont portés à conclure de
(■criailles identifications, peut-être accidentelles, à une coimnu-
iiauté d'orif^ine entre certaines laujrues. Les exemples «pie nous
avons allégués à propos de la prétendue ressemltlance entr«' les
langues juive et péruvienne ne nous semltlent jus(prà nouvel
ordre, ni assez nombreux, ni assez précis pour entraîner notn».
conviction. Tant qu'on n'aura pas démontré (|ue ces deux
langues ont les mêmes j)rocédés soit dans la structure de la
phrase, soit dans la formation des mots, et nous ne pensons
pas que cette prouve ait jamais été donnée, nous n'hésiterons
pas à affirmer que ces ressemblances ne sont dues (|u'iui hasard,
et, par conséquent, que la cidonisation de l'Amérique par les
.luifs n'est pas établie par la perpétuité de leur langue au
nouveau monde. . - .
(1) .Malolet, Mémoires, t. I, p. lo8.
(2) De Castelkac, Vogar/e dans l'Amérique Méridionale, t. IV (Cuzco).
^- 'i
1 1
110 l'REMIÈRK PARÏIK. — LES PHÉCinSElRS 1)K COLOMIl.
La perpc^tuitô du type, si rôellianeiit clic existe, serait plus
rcmar(|uai>le. Quelques voyageurs l'ont constatée, et, comme le
type juif n'est pas un de ceux qu'on puisse aisément confondre
avec d'autres, s'il s'est .conservé en Amérique, c'est que sur ce
continent s'est produit un phénomène très intéressant de trans-
mission héréditaire.
L'abbé Brasseur de Bourbourg, qui a longtemps vécu parmi
les Indiens du Guatemala (1), s'exprime en ces termes sur leur
compte : « Nous avons eu souvent l'occasion d'admirer parmi
les populations Indiennes du Mexique et de l'Amérique centrale
des types Juifs ou Egyptiens. Plus d'une fois également nous
avons observé dans ces contrées des profds semblables à celui
du roi de Juda sculpté parmi les ruines de Karnak. Une fouit;
d'étrangers ont remarqué avec autant de surprise que nous
dans certains villajres guatémaliens le costume arabe des
hommes et le costume juif des femmes de Palin et du lac
d'Amatitlan ». Ces observations présentent un vif intérêt. Il
serait à souhaiter qu'elles fussent répétées par d'autres voya-
geurs et conduites avec plus de rigueur scientifique. Si réelle-
ment l'Amérique a été peuplée et colonisée par des Juifs, on ne
parviendra jamais à le démontrer qu'en étudiant la conforma-
tion physique, (ju les singularités du type indigène ; mais, à
l'heure actuelle, le problème n'a pas été suffisamment élucidé.
<Jn peut même dire qu'il n'a pas été posé, puisque i on ignore
si ces Américains, qui ressemblent aux Juifs, descendent d'une
émigration plus ou moins considérable qui aurait eu lieu sans
laisser de traces authentiques dans l'histoire; ou bien s'ils ont
pour ancêtres des Juifs débarqués en Amérique aux premiers
jours de la conquête. C'est dans cette direction, et rien ((ue
dans cette direction qu'il faut s'engager pour trouver le secret,
si longtemps cherché, de la présence des Juifs au Nouveau
(1) Brasseur de Boiuiioiko, Histoire des nations civilisées de l'Amdrit/i/i'
lentralr, t, I, p. 17.
CHAPITRE III.
LES JUIFS EN AMÉRIQUE.
111
Monde avant Colomb. Autrement, toutes les ressemblances, ou,
|)uur être plus exact, toutes les analogies que nous avons
signalées dans les coutumes, dans la langue, dans les traits du
visage, ne nous donnent, jusqu'à nouvel ordre, aucun droit de
conclur'-! à la réalité de ces voyages transatlantiques.
'■
CHAPITRE IV
LES GRECS ET LES ROMAINS ONT-ILS CONNU l'aMÉRIQUE ?
TRADITIONS. — THÉORIES. — VOYAGES.
Les Grecs et les Romains ont-ils connu l'Amérique? Cette
«[uestion, au premier abord, semble toute résolue. Ni les uns
ni les autres n'ont jamais eu grand désir de pénétrer dans les
régions inexplorées. La terre, pour eux, fut toujours étroitement
bornée, et lorsque, par hasard, ils franchirent ces bornes, ils
furent arrêtés par les dangers prétendus ou réels de l'Océan.
Leurs voyages en Amérique sont donc peu vraisemblables.
Pourtant, si le nouveau monde n'a pas été découvert par eux,
ils en eurent du moins comme le pressentiment, on dirait
pres(jue la réminiscence, car ils en ont parlé à diverses reprises
comme on parle d'un pays entre aperçu en songe, dont on
s'efforce au réveil de ressaisir par la pensée les contours perdus.
Afin de procéder avec méthode dans ce rapide examen, npus
établirons une distinction entre les traditions, les théories et
les voyages : les traditions remontent au premiers Ages de
l'humanité et elles ont été si persistantes qu'il importe d'en'
suivre la série à travers les siècles. Quelques-unes des théories
sont rigoureusement vraies et elles ont conduit les navigateurs
à des résultats sérieux. Quant aux voyages, bien que quelques-
uns ))araissent présenter des garanties d'exactitude, nous ne
nous croyons pas le droit d'affirmer qu'un seul d'entre eux
soit authentique. i
SHH
I
«•.IIAIMTRK IV. — LKS CHECS KT LKS ROMAINS.
113
Nous examiiUTons successivement ces traditions, ces théories
et ces voyages.
1. — Les traditions.
Les fradititjns se groupent autour de trois noms : l'Atlantide,
le continent Cronien et la Méropide.
Solon est le premier parmi les anciens qui se soit occupé de
l'Atlantide. Il avait beaucoup voyagé et s'était lié avec les prêtres
(le la ville égyptienne de Sais (1). Ces dépositaires de la science
antique furent interrogés }»ar lui sur l'histoire des temps reculés
et i< il r(îconnut (ju'on pouvait jjresque dire (|u'au|irès de leur
s(icn<'e, la sieiuie et celle de tous ses compatriotes n'était
rien ». Un jour, voulant engager les prêtres à parler de l'anti-
(|uité, il se mit à leur raconter ce que nous savons de plus
ancien, Phoronée dit le Premier, Niohé, le déluge de Deucalion
et de Pyrrha, leur histoire et leur postérité, supputant le nombre
(les années et essayant ainsi de fixer l'épocpie des événements,
l'n des prêtres les plus âgés lui dit: <( O Sulon, Solon, vous
autres Grecs, vous serez toujours enfants, il n'y a pas de vieillard
parnii vous ». — « VA pourquoi? » — « Vous êtes tous, dit le
prôtre, jeunes d'intelligence, vous ne possédez aucune vieille
tradition ni aucune science vénérable par son antiquité ». Fort
étinné de ce discours, Solon conjura les prêtres de lui apprendre
exactement ce qu'ils savaient de l'histoire de ses aïeux, et il
apprit alors que jadis ses ancêtres avaient glorieusement lutté
contre un peuple conquérant, les Atlantes, (jui étendait sa domi-
nation sur l'univers presque entier, mais dont la patrie disparut
i-n un seul jour anéantie par de grands tremblements île terre
et des inondations. Séduit par la beauté tragi([ui! du sujet et
(!) Platon, Le Timé' (traduction Cousin), p. lOlJ. I.e nieillcur foninicn-
liiiiu (lu Tiniéu est celui de M. Tli. lleini Martin.
T. I.
8
114 l'HKMIÈRE l'AnTIK. — LES 1 .CLKSKIRS l»E COLOMH.
désirant ('lever un monument à la },'l(»ire de ses conipatriotes,
le législateur athénien résolut d'occuper les loisirs que lui
donnait la tyrannie de Pisistrate en composant un poème sur
la guerre des Athéniens et des Atlantes. La vieillesse l'empêcha
d'achever son «T-uvre, et ce fut un malheur, car, d'après
Platon (1) : <» S ' >n se fut livré sérieusement à la poésie, s'il
eût achevé l'ouv qu'il avait rapporté d'Egypte, si les factions
et les autres mau\ (pi'il trouva ici ne l'eussent contraint d'inter-
rompre ses travaux, seliju moi, ni Hésiode, ni Homère, ni aucun
autre poète n'eût surpassé sa gloire ».
Platon ne se contenta pas d'un hommage stérile. « S'emparant
de ce sujet comme d'une helle terre aliandonnée, et qui lui
revenait par droit de parenté, (2) il se fit un point d'honneur de
l'achever et de l'embellir. H y mit un vestihule superhe, l'entoura
d'une magnillque enceinte et de vastes cours, et y ajouta de si
beaux ornements, qu'aucune histoire, aucune fable, aucun
poème n'en eurent jamais de semblables. Mais il l'avait com-
mencé trop tard ; prévenu par la mort, il n'eut pas le temps de
l'achever, et ce qui manque de cet ouvrage laisse aux lecteurs
autant de regrets (jue ce qui en reste leur cause de plaisir. De tous
les temples d'Athènes, celui de Jupiter Olympien est le seul qui
ne soit pas fini ; de même, entn» tant de beaux ouvrages (|ue la
sagesse de Platon a enfantés, son Atlantide est le seul «ju'il ait
laissé imparfait ». Ainsi s'exprimait Plutar(|ue (3), et, tout en
faisant la part d'une certaine exagération laudative, nous ne
pouvons que confirmer son jugement, car nous possédons encore
cette (inivre inachevée de Platon ; c'est celui de ses dialogues
(|ui est intitulé Gritias ou de l'Atlantide. Hn voici une analyse
sommaire.
^l) Pi.AiiiN, /.'• Tiinifc, p. 105.
(2) Platon avait pour mère Péricliciu'!, fillo de Glaucon, fils de Gritias, fils
de Dropiilas, fri-re de Soloii.
(3) PuTAiiQii:, Vir de Solon ledit. Uidot, p. il.j, § 32 . «... m; yàp f,
-ÔX'.;twv 'AOr|Vx;(i)v to 'OXj;x-îtov, ojt-.); f, IIXaToivo; ao^'ixTÔv '.VTXavtixov
:v -oXXoT: /.a/.oT; |j.ôvov spYOV àrcÀi; ïi/r/.jv ».
CIIAI'ITHK IV.
LKS (iMEC.S KT LKS KOMAI.NS.
II 5
Neuf mille ans avant l'époque (Ui discouraient ensenihle
Sitcrate, Critias, Tiniée et Herinocrate, « s'éleva une guerre
générale entre les peuples qui sont en deçà et ceux cpii sont au
delà des colonnes d'Ile; ••.'<>. Athènes fut à la tête de la première
ligue, et à elle seule acheva toute cette guerre. L'autre était
dirigée par les rois de rAtlantide. f^ette ile était (1) |>lus grande
(|ue l'Asie et l'Afrique, mais elle fuf submergée par des trem-
Idoinents de terre, et, à sa place ou ne rencontre plus (pi'un
humus (|ui arrête les navigateurs et rend la mer impraticable ».
Les rois Atlantes descendaient de Neptune. Depuis plusieurs
générations, ils régnaient sur cette île : « Leur empire {"!)
s'étendait sur un grand nombre d'îles, et même en deçà du
détroit, jusqu'à l'Egypte et à la Tyrrhénie ». La postérité de
l'aîné d'entre eux, Atlas, se [)erpétua toujours vénérée. Le plus
âgé de la race laissait le trône au plus Agé, et ils conservèrent
ainsi le pouvoir dans leur famille pendant un grand nombre de
siè'les. Ils amassèrent d'innombrables richesses grâce au com-
merce et aux productions du pays : or , métaux , aromates
iiiiimaux domestiques et sauvages, vignes, blé, fruits de toute
sdile et particulièrement « ce fruit ligneux qui ofl're à la fois
(le la boisson, de la nourriture et des parfums (3) ». Leurs villes
étaient splendides, leurs palais magnifiques. Us avaient creusé
de grands canaux où voguaient les trirèmes. Dans la capitale ils
avaient bâti des gymnases, des hippodromes, des bains. Ils
n'avaient pas oublié les casernes, ils connaissaient même '(!s
corps d'élite. La capitale présentait tous les avantages j'un
(1) Platon, Cvitiua, traduction Cousin, p. 252 (édit. Didot, p, 251) : (( '>'■
'f,; 'ATÀavTioo; vT^aou PaaiXst;, ^v or) AtjEÛT); xa? 'Aaia; [Xc:îoj[j.»|aov oiaav
"cyaiji3v li'vat -OTî, vù'v o' G-ri astdji.tov ouatxv xr.oçm -r,Xôv toî; èvOr/o:
:-/.:oya'.v i-'i to ;:av -s'Xayo;, d'iaTS [i.r/,î'~i -opîJcaOa'., xwX'jTrîv ~apa;y£;v ».
(2) Id., p. 262 et p. 250 : « "ApyovTc; [jlÈv jtoXXwv àXXwv /.tn-'x to -i)>ayo:
vrlidiv ï'ti oi [i-î'/pt X£ 'A'.YJHTO'j xal T'jppr,vi'a; -wj Èvtô; Sî'jpo îràpyovTï; )).
3) Id., p. 263 et 256 : « Kai tôv oao: ÇjX'.vo; noiiaTa /.at [ipoaa-:* y.x:
aXîl|ji|j.aTa çiipiov )).
i
i a
1I(
» rUKMILHK l'AHïli:. — LKS l'UKClHSKlUS IIK COLOMH.
|)urt (lo mer, car << le «'anal et Ir plus };:i'aii(i port (''taicnt ((tuvcrts
«Uî navires et de niarcliands qui arrivaient de fous les pays du
monde, et dont la foule produisait la nuit et le jour un mélange
de tous les langafres et un tumulte eontinuel » (l).
Le reste du pays répondait à la beauté de la caiiitale. La plaine
immense (jui entourait la ville, entrecouj)ée de canaux. f(»rt
peuplée, donnait deux récoltes par an. Une armée formidaltle
j^ardait le |)ays et deux cents gros vaisseaux défendaient ses
a|»proclies. Les dix rois Atlantes, maîtres al>s«»lus (lans leurs
états, se rassend)laient à des épocjues fixes, tous les cin(| ou six
ans, et réglaient en conmmn toutes les aflaires litigieuses. Us
réalisaient ainsi la répul)li((ue idéale «|ue révent pour notre
Kurope certains théf»riciens. Pendant de longs siècles se maintint
le bon ordre sur cette terre privilégiée ; mais, soit (jue les rois
ne fussent pas restés fidèles à leurs engagements, soit (|ue les
peuples se fussent lassés <le cette félicité sans nuage, le désordre
et l'anarcliie régnèrent à leur tour. Kmporlés par la passion des
con«iuétes, les rois .\tlantes réussirent d'abord à étendre leur
domination, mais ils se brisèrent contre la résistance d'Atbènes
et de ses alliés. Dès lors commença la décadence et bientôt
Jn|)iter (i) « voyant la dépravation do cette race autrefois si
vertueuse, voulut les punir pour les rendre plus sages et plus
modérés. Il rassembla donc les Dieux dans le sanctuaire du ciel
placé au centre du monde, d"où il domine tout ce qui participe
<le la génération, et, lors(|u'ils furent tous réunis, il dit »
Le Critias s'arrête brusquement ici, mais, dans un autre de
ses dialogues, le Timée (3), Platon avait également parlé de
r.Vtlanlide, et nous savons, grâce à lui, ([ue Ju[)iter ordonna la
(1) Platon, Critia-t, |t. 268 et |i. 2.")8 : (( "< )o3 àva-AOj; za\ o [xÈy'.ito:
AVif,"/ kVîjxsv -m'aiv) /.a- :;j.-'j_ofov à-iiy.v'>j;i.3V(ov -âvToOsv, -M'ir^'/ /.v.
0fjou,3ov -avTooa-'Jv /.tj-ov -.i ;a-0 ' /|;x:'oav y.a: o'.i vj/.tq; 6-o -ÀrjOoj;
rapcyoafvdjv ».
(2) lu., |i. 275 dp. 201.
(i) Pi.ATOx, Timée (Iradiictioii Cousin), p. 111.
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(".IIAIMTHIC III. — U:S CHKC.S KT LKS lUIMAlNS.
117
(l('stni(:ti<»ii par IV'.ui et par le Icii de cotto terre maudite, et
(pie ses ordres impitoyables furent rifrourensenient exécutés,
(le passage du Timée est trop important pour ne pas être cité
en entier : « Parmi tant de grandes actions de notre ville, dont
!i mémoire se conserve dans nos livres, disaient à Solon les
|)rétres de Sais, il y on a surtout une (ju'il faut placer au dessus
de toutes les autres. Ces livres nous apprennent ([uelle puissante
armée Athènes a détruite, armée qui, venue à travers la mer
Atlantique, envahissait insolemment l'Eunqje et l'Asie ; car cette
mer était alors navigable (1), et il y avait, au devant du détroit
<pie vous appelez les colonnes d'Her(u!<>. nue île plus grande
que la Libye et l'Asie. De cette île on pouvait facileme.t passer
aux autres îles, et de celles-là à tout le continent qui borde tout
autour la mer intérieure, car ce (jui est en deçà du détroit dont
nous parlons ressemble à un port ayant une entrée étroite ; mais
c'est là une véritable mer, et la terre qui l'environne un véritable
con inent. Dans cette île Atlantide régnaient des rois d'une
grai, de et merveilleuse puissau'îe ; ils avaient sous leur domination
l'île entière, ainsi que plusieurs autres îles et quelques parties
(lu continent. En outre, en deçà du détroit, ils régnaient encore?
sur la Libye jusqu'à l'Egypte et sur l'Europe jusqu'à la Tyrrhénie,
Toute cette puissance se réunit un jour pour asservir d'un seul
coup notre pays, le V(Jtre, et tous les peuples situés de ce C('»té
du détroit. C'est alors qu'éclatèrent au grand jour la vertu et le
courage d'Athènes. Cette ville avait obtenu, par sa valeur et sa
supériorité dans l'art militaire, le commandement de tous les
Hellènes. Mais ceux-ci ayant été forcés de l'abandonner, elle
(1) Platox, Timée : (( Tors yàp ;:o(;£'jat[xov jjv tÔ sxe? ;:EXaYo;. vf,aov yxp
-îo TOj (iTÔjiaTQ; î'./sv. 0 y.aXsîTat, «S; za-z. UfAEt;, 'Ilpa-'.Xï'ou; iTïîXa;. "HSs
vf,ao; à[j.a Ai^jt^; r^v xa; Aai'a; jjL£î!^a)V, EÇ r;; ir.i^ctzôv z-\ là; àXXa; vrjwj;
Toî; tôt' Èyi'yveto Tzopvjoi^iivoi;, sx Se t(ôv VTjawv im Tf,v zaTavTixpy -àsav
T;r£!pov, TJ-jV ;:£p"i tov àXr,Oivôv sxsîvov ;:dvTOi(. TàÔE [aIv yàp ô'aa svtÔ; toû
(JTO|xaTo; où Xe'yojjiev, !j/a;v£Tat X!|jLf,v otevov Ttva ëia7:Xouv ë/ojv. 'Exjîvo
03 -jAayo; ô'vTw;, r, tî r.t^d/ojioi. xj'Ô -^f, -avT£X(ÎJî àXr,Oûî ôpOoTaT ' àv
XsyoïTO fJ;:£rpoî ».
IIH l'UKMIKUi: l'AHTli;. — LKS l'HKClKSKlHS 1>K COLOMlt.
brava seule les plus ^^mikIs diinj^ers, arnMu l'iiivasiuii, ériffea
(les trophées, préserva de l'esclavafre les peuples encore libres
et rendit à une entière indépendance tous ceux qui, connue nous,
demeiu'ent en deçà des colonnes d'Hercule. Dans la suite de
{grands trenddeinents de terre et des inondations engloutirent,
en un seul jour et en une luiit fatale, tout ce (pi'il y avait chez
vous de guerriers, et l'île Atlantide disparut sous la nu>r : aussi,
depuis ce temps, la nier est-elle devenue inaccessible et a-t-elle
cessé d'être navigable par la quantité de limon que Tile abîmée
a laissée à sa place ».
Tel est le double récit du Critias et du Tiinée. Ce récit est-il
authentique dans tous ses parties, et devons-nous l'accepter
dans ses moindres détails? Assurément non. 11 est certain (pie
la description de l'île Atlantide, le tableau séduisant qu'en trace
Platon, le conseil des rois Atlantes, leurs lois particulières, tout
cela nous paraît fictif et allégorique. Les annales des peuples
anciens ne comprenaient guère que rénumération des règnes,
des batailles et des généabjgies. Les prêtres Eg\[itiens surtout,
habitués qu'ils étaient à l'extrême concision de leurs hiéro-
glyphes, n'auraient jamais conservé dans leurs histoires, et par
consé(iuent n'auraient pas donné à Solon tous ces détails des-
criptifs ou moraux. Ils sont dus à la brillante imagination de
Platon. Le philosophe, dans le T'unée, voulait prouver à ses
interlocuteurs qu'il existe des Dieux vengeurs du crime et rému-
nérateurs de la vertu. L'histoire du peuple Atlante comblé de
bienfaits tant qu'il est juste, anéanti par une catastrophe sou-
daine quand il a cessé d'obéir aux lois divines, était parfai-
tement appropriée à ce sujet, et on comprend qu'il ait brodé
(juelques fictions sur cette trame ingénieuse, afin de rendre la
leçon plus frappante. Au moins le fonddu ré. est-il vrai ? Assu-
rément oui. « Toutes les fois que Platon avance une pure fiction,
/écrivait un de ses plus savants commentateurs, Marcile Ficin (1),
(1) Marcile Ficin, Argumentum in Timaetim, p. 5iG : « Quidam solam
CIIAI'ITHK IV. — LKS C.HFXS ET LES HUMAINS.
119
il il grand soin de le dire cxpressénient ». Or, quo lisons-nous
au conunencemcnt du Tiniée (1). « Ecoute, Socrate, un récit
Ition étrange, et pourtant parfaitement vrai, tel que Solon, le
plus sage des sept sages, Ta fait autrefois ». Et plus loin [''l) :
<( Quelle est donc cette action cpie le vieillard Critiiis racontait,
non comme une vaine tradition, mais connue un fait réellement
accompli |>ar cette ré[ml>lique dans les temps anciens, d'aprùs le
récit de Solon? » Remarquons, en outre, que Critias, dans le
dialogue (jui porte son nom, invoque Mnémosyne, la déesse de
la mémoire, « car, dit-il (3), la plus grande partie de ce que j'ai
à dire dépend d'elle ». Il a tellement peur des objections qu'il
les prévient, et a grand soin de faire remarquer ([ue, si les héros
Atlantes portent des noms à tournure hellénique, c'est ({ue les
Egyptiens avaient traduit ces noms dans leur propre langue, et
(|ue Solon n'a fait que les imiter. Si donc Platon revenait avec
tant d'insistance sur la réalité et l'authenticité de son récit, c'est
qu'il en était persuadé lui-même et voulait faire passer cette
persuasion dans l'esprit de ses interlocuteurs. N'avons-nous pas
le droit de conclure, abstraction faite des ornements poétiques
dont nous parlions tout à l'heure, que le fond du récit est rigou-
reusement vrai, c'est-à-dire que réellement il a existé ime
grande île, au-delà des Colonnes d'Hercule, dont les habitants
ont joué pendant plusieurs siècles un rôle prépondérant, mais
(pii a disparu en queb^ues heures dans un cataclysme ?
allcgoriam dixcrunt, scd hos redarguuiit probatissirni (inique Platon icorum,
aftlrmantes quidcm liistonam, quia dixcrit Plato factuiii esse valdc inirabile
sod ouiiiiiuio vemin. Serisum procterea Platoni nihil usquc tcmerc molienti
allegoricum existimat adhibcndum. » Cf. Argumentum in Critiam, p. 601.
(1) Platon, Timée, édition D.idot, p. 199. "Axous or,, w i^wxoaTï;, Xci^oj
aàXa [xàv otTorrou, navTâ-ao; oz iXrfioîji, in; 6 xwv'enTa ao'^wv oo^ùkaTo;
(2) Id. AÀXà Srj ;:oîov ïpfo^ to3to Kpitia; où Xsvoiisvov |i.£v, «î); oà ::payOàv
ôvTto; Onô TfiîSî tfj; ::oXc'wî «pyaîov Sirjysîxo xatà Tf,v i]dXtovo; àxo»Jv ;
(3) Id., p. 254. S/sSôv yàp Ta ;iey"^* 'iî^'v» '^'^v XÔywv iv TaÛTïj ~fi Osû,
-âvT' sat'i.
!
I
im) l'HEMlKHK l'AiniE. — LKS l'HKCUHSELRS l»E OOLOM».
Le r6c.\[ do Platon a pourfaiit soulcvi^ Wwn des (•(tnlradictioiis.
D(^s ranti(|uit<'> , certains philosoplu's se prononcèrent contre
l'Atlantide. Les Néoplatoniciens surtout coudiatfirent son exis-
tence. Longin ne voyait en elle qu'un simple développement
littéraire sans portée historique. Amelius retrouvait, <lans le
récit de l'effondrement de l'Atlantide, h* conduit des étoiles fixes
et des planètes ; Numérius, la lutte du bien et du mal ; Origène
celle des bons et des mauvais génies. Proclus, qui nous a fait
connaître ces diverses opinions dans son Coinmeuinire sur le
Timée, cite encore, mais sans les nommer, d'autres philosophes
pour lesquels l'Atlantide n'était qu'une allégorie, sans liens avec
l'histoire réelle, mais qui cachait de profondes doctrines sur la
nature de l'univers.
Le moyen Age ne souleva point cette question ; mais, lorsque
les découvertes de Colomb curent, en quelque sorte, renouvcdé
le problème, l'existence de l'Atlantide fut de nouveau et réso-
lument niée. Acosta, le consciencieux historien des Indes (1),
Bernard de Malin Kroot, le savant commentateur (2), Fabricius,
l'éditeur de la Bibllolheca Gnvca (3), n'hésitaient pas à se pronon-
cer contre Platon. Le géographe Gellarius (4) essaya de discuter
l'existence de l'Atlantide, mais il ne parvint à prouver que sa
disparition, ce qui n'avait jamais été contesté. Tiedemann (5)»
(1) Acosta, Historia natural y moral de las Indias (traduction Hcgnault,
1598), p. i^ : « Je ne porte point tant de respect à l'authoritô de Platon,
quoy qu'ils l'appellent divin, qu'il me semble difficile de croire qu'il ait peu
escrire ces choses de l'isle Atlantique, pour une vraje liistoyre, lesquelles
pour cela ne laissent point d'cstrc de pures fables ».
(2) B. DE Malin Kroot, Paralipomena de historicis grxcis, p. 9o.
(3) Fabbicius, Bibliotheca Grœca, liv. m, § 3, p. 98.
(4) Cellarils, Notitiaorbis antiqui, sive geographia plenior, t. il, p. 164.
« Obstant alia : vicinitas ostii ad columnas Herculis, aiitc quod dicitur sita
fuisse, a quo longissime abest America.... deinde rcgum illius insula3 im-
perium, et bellum cum Atheniensibus gestum, et insuliB ulteriores in quas ex
Atlantide navigatio instituta fuerit. Quid plura ? ait Tj^av'aOr;, disparuit
insula, nusquam superest ».
(5) Tiedemann, Dialogorum Platonis argumenta^ p. 399,
CIIAI'ITIIF, IV. — Î.KS CHKCS KT LKS IlOMAINS.
121
raldx' (iiT\ss('iit (l), Ilisiiiaiiii (:2), irAiivilU» [',\) liii-iiit^mc
ii'ii|)|)Hrt('iit point coiitiv lii r(>alit('> du rontirit'iit cii^'ldiiti d'ar^:!!-
iiicnfs (lôcisifs. Hartnli fait du iV'cit de Platon iiii itot'iiic allr-
jrori(|iU' et satiri(|iio dans hMHicl il croit rccoiiiiaîtrc les principaux
('•vcncnicnts de la fîni-rrc du iVloponncsc [\). Au \l.\'' siôclc,
(îossclin (.')), Uckcrt ((>; , Malte Hrini (7), Lctronnc (H), A.
Uhiiinc (î)), Ploix (10), s'accordent à s(»utenir ipie l'Atlantide
n'a jamais existé (|ue dans la hrillante imagination du philosophe
athénien. Th. [I. Martin (II) |)ense (|U(( l'Atlantide n'est (pi'une
liction ingénieuse des K}rypti<'ns p(»ur se concilier l(!s sympathies
j;rcc((uos. Nickiés (lii) eidln attrihue cette croyance à une illusion
(ro[)ti((ue, à unt' sorte de mirage.
Sans se prononcer aussi ouvertement, plusieurs écrivains se
sont contentés d'émettre des doutes. Ainsi Montaigne énonce
ill CiiEYssK.NT, O/jservathiis crifù/itos sur l'Atlantiih' iJomiiiil ties Sa-
vants, février 17*î>.
(2) HiSMANX, Seul' Wclt tind Memcheiu/pucliichtc laiipeiidicc), t. I, p.
{'.\) D'Axvii.i.K, (h'oijfdfihie iincictmc, t. III, p. 12:i : ■< Lu narré de l'ialoii
est le récit d'nti Athénien qni vent illustrer sa patrie, et on voit dans et;
ipi'il débite sur la patrie des Atlantes un philosophe occupé de spéculations
|ihis inai^niliques (|ue vraisemblables ».
(1) Uartcji.i, Hcflcxiuns impartiales sur le proijvès réel nu apparent i/ue
les sciences et les arts ont fait dans te xviii» siècle e?! Europe, liv. I. Il
n'est cependant guère probable que Platon ait caché les Spaitiates sous le
nuni des Allantes, et, si la petite île Atalanta, au nord de l'Huripe, fut, au
rapport de Thucydide. sé|)arée du continent lors de la guerre du Péloponnèse,
C8t-cc une raison pour conTondre la grande Atlantide et la petite Atalanta?
(5) (îosSKi.ix, liéoyrapliie des anciens, 1, 141.
(6) L'ckeut, (ieogriiptiie der Griechen und Homeni, I, p li'i. — II, p.
l'J2.
(7) Maltk-Bklx, Géofjraphie universelle (édition 1840), I, 20.
^8) Lethoxxk, Essai sur les idées cosmor/raphiijues qui se rattachent au
nom d'Atlas (Bulletin universel des sciences), mars 1831.
(9) A. IliiixxE, article Amérique dans l'Encyclopédie nouvelle.
(10) I\oix (Revue d'anthropologie), mai 18S7.
(il) ïii. H. -Martin, ouv. cité. I, 3;i0.
(12) NiCKLKs, Mémoires de l'Académie de Stanislas (1864), p. .308.
l±l l'HRMIKHi; l'AHTIK.
I.KS l-nÉC.rHSElHS l»K CdLOMU.
le l'ait, mais sans l'iu'(!oiii|>a};ii('r de n'-flcxioris (1). Hun'oii (:>),
McînU'Iic {'<Vj i'I Ilaynul [A) n'aflirmciit ni ne nient. \j' jésnifc
Lalilan «listiiif^nc avec soin les npininns contraires niais ne se
prononce pas (.">). Voltaire semble tantôt croii'e à l'Atlantide t't
fanlôl la rejeter (tî). Le marquis de Saint-Simon tour à toiu'
nie et allirme (7). Ihunholdt reste indécis (H), c.ir <i les prolilèmes
d<' la {«'éojfrapilie m\tlii<|ue des Hellènes ne peuvent (Hre traités
selon les mûmes principes (pie les prohièmes de la {géographie
pt»sitive ; ils olVrent connue des images voilées à contours indé-
terminés ». Stallhuum, im des derniers connnentateurs de
Platon, croit ipie le fond du récit est vrai, mais qu'il a été singu-
lièrement modilié (!)). IJeudant enfin touche avec réserve à
celte (pieslion (10) : « Nous m- saurions nier positivement l'exis-
tence de r.Vtlantide, ensevelie sous les eaux, suivant les tra-
ditions égyptieiuKîs, en un jour et une nuit ».
(1) .MoNTAKiM:, Ks'<«/.9, I, 30. « Platon introduit Selon racontant avoir
appris dos proshlro 'e la ville de Sais.... 11 est bien vraisemblable que cest
e\tr(^nle ravage d'i m ayt faict des cliaii{;cniciits cstran{;es aux liabilations du
la terre, mais il n'y a pas grande apparence que cestc isic soit ce monde
nouveau que nous venons de découvrir ".
{•?.) \Uvvos, Histoire naturelle (édition de t74'J), t. F, p. 313.
(3) Mk.ntki.i,e, Encyclopédie métlunlique uu.i mots Atlnntis et Attantica,
t. I, p. 250.
i't) IIav.nai., Histoire philosophique des deux Indes, t. X, p. 45.
."i Lakitau, Md'urs des sauvages américains comparées aux mœurs des
premiers temps, t. I, 2, 27.
(t)) V(ii.TAU<i:, OKuvres complètes (édition I78i), t. XXXVIII, p. 450.
« L'engloutissement de l'Atlantide peut être legardé avec au moins autant de
raison comme un point historiipie que comme une fable ; le peu de profon-
deur de la mer Atlantique jusqu'aux Canaries pourrait bien être une preuve
de ce grand évétienent, et les ilcs Canaries pourraient bien être les restes de
l'Atlantide a.
(7) Sai.nt-Simon, Nyclologues de Platon, 4» nuit, p. 27. — Dissertation
sur un passage do Platon et sur l'ilc Atlatitidc, p. 20 et 74.
(8) HuMBOLDT, Histoire de la géographie du nouveau continent, t. I,
p. 169.
(0) Stai.i.bai'm, Commentaire du Critias. Critiam censcamus simillimum
fabulic alicui romanensi, liistoriœ veritatc non omnino destitutic.
(10) Beloant, Eléments de géologie, p. 19.
CAAI'ITIU; IV
LKS liHKCS KT I.KS HOMAI.NS.
lil)
de
tion
t. I,
num
A|>n'« «•eux (|iii nient et cimix qui (litntciit, passons à crux (jui
4'i'()i*>nt. licur iioiiiIm'c est cunsidéralilc, surtout iliuis ranti(|uité,
et la |)r(>s(|U(' unanimité de rcs téiiioi^Miap's est niénic une preuve
sérieuse de l'existence de l'Atlantide. Ainsi i'astronoiu<> lùidoxe
de Ciiide, contetnporain et disciple de IMuton, regardait roiunie
véritalde l'histoire ra((»ntée à Solon paF* les prêtres de Saïs(l).
Sfralion, «lont le; scepticisme scientillipie s'affirme en tant d'en-
droits, n'iiésit(> pus à proclamer (pie l'opinion de Posidonins est
plausilile {'Ij. Pline l'Ancien se prononce dans le même sens (U) :
*< La nature, dit-il, a retranché totalement certaines régions,
léiiioin premièrement cetti^ Atlantide où est aujourd'hui la mer
du niùme nom, et qui, s'il en faut croire Platon, avait mie étendue
immense. Le platonicien Pliilon le Juif (i) ad(q>te purement et
simplement ropiiii(»n du maitre. Un autre platonicien, Crantor (.'>),
aurait retrouvé la tradition de l'Atlantide chez les prêtres de
Sais, (|ui lui montrèrent des stèles, où toute cette iiistoire se
trouvait écrite. Proclus, à (jui nous devons ce rensei}:iiement
sur (Irantor, nous a|)prend éj;aleinent (pi'un certain Marcellus(()),
auteur d'un livre perdu intitulé les Kthiopiques, rapportait (jue
des traditions sur l'Atlantide avaient été recueillies par des
v(»ya}ïeurs dans une île inaccessible de l'Océan. Un certain
Zoticos avait composé un poème sur l'Atlantide (7). Proclus
^1) DioiiÈNE Lakuce, Vlil, 8.
[2) SiRAiiON, II, 3, C : « ^olls nt! pouvons qu'approuver ce que dit Posi-
donius des soulèvenients et des atTaissenieiits du sol et eu géuéral de tous les
cliaugeuieuts produits soit, par les Ircuiblemeuts de terre, soit par ces causes
analogues que nous avons nous-mêmes énumérées plus haut. Nous approu-
vons aussi qu'il ait, à l'appui de sa thèse, cité ce que dit Platon île l'Atlan-
tide, que la tradition relative à cette ile pouvait bien ne pas être une pure
tirtion ".
3) Pline, Histoire naturelle, II, 02. In totum abstulit terras, priinuni
omnium ubi Atlanticum mare est, si crcdinuis Platoni, immense spatio.
(•4) Phii.on i.e Jlik, De i Indesifuctilnlité du monde, p. 9G3.
(5) Puoci.Ls, Commentaire de Timée. p. 24.
(G) ID., id.
(7) PoHi'iiTHE, De vita Plotini (édition Didot), p. 106. ISuvrjv ôà xai
II
A
1 .
i
1
im VlW.mkWK lAHTlE.
LKS l'HKClHSKrilS DE COLOMlt.
I
lui-iiK^iic, ainsi que son maître Syrianus, et latniili(juo, tout en
conjccturunt que Platon avut choisi ce fait historique pour eu
faire l'emblème de la lutte éternelle de l'esprit contre la matière,
ne mettaient nullement en doute sa réalité. Ce témoignage a
d'autant plus d'importance que Proclus enregistre avec soin les
opinions contraires (1). En dehors de l'école d'Alexaiulrie, dont on
pourrait suspecter les attaches platoniciennes, la croyance naïve
à l'existence de l'Atlantide se retrouve dans Ammien Marcellin (2).
Deuv apologistes du christianisme n'éprouvent |»as plus de
scrupules que l'ami de Julien l'Apostolat à affirmer l'existence
de ce continent englouti. Arnohe va mémejusqu'à fixer l'époque
de l'invasion de l'Eufope par les Atlantes (3) ; (juant à Tei'-
tullien, il parle à diverses reprises de l'Atlantide, mais sans
douter un seul instant de son existence (i).
L'antiquité croyait donc à l'Atlantide. Philosophes, poètes,
historiens racontaient à l'envi ses merveilles et ses malheurs.
Peut-être même le souvenir de l'ile mystérieuse s'était-il
conservé directement dans la religion Athénieniu>, puisque,
dans la fête d(îs petites Panathénées, on portait (>n procession
un péplum hrodé, où l'on voyait comment les anciens Athéniens,
élevés et soutenus par Minerve, avaient été victorieux des
Atlantes (5). Pendant le moyen âge au contraire la croyance A
ZfÔTixo;, xptT;'-/o; ts xai ;:otrjTi)'.o;, o; rôv ATXavT>.-/.ôv ii; ::oir[<iiv [iET^jJaXî
jrâvj ;iO'.r,Ttxfo;.
(1) Phoci-ls, ouvrage cité, p 24, 52-59, 61.
(2) Ammien Mahcei.i.i^, XVII, 7. Siiiit et clinsnialim, qui, grandiori tnotti
patcfaclis subito voratrinis, terraruni purtem absorbent, ut in atlantico mari
Europœo orbe spatiosior insula.
(3) Absobe, Adversiis gentes, liv. I. Il croyait que cet événement était
contemporain de l'invasion des Assyriens sous Ninus.
(4) Tertci-men, De pallio, 25. — Apolo(jétiqu<\ 4i^, .Mcmorat et Plato
niajorem AsiuR vel Africœ terram Atlantico mari ereptam.
'^^) Scholiasle de Platon (édit. Didot. frag. IV, \k •»42) : « N'hésitons pas
ù reconnaître que cette légende est peu vraisemblable. Proclus, dans son
commentaire du Timée, parle bien de ce péplum, et ajoute rpril représentait
la victoire des Athéniens contre les barbares, mais il ne dit pas (}uc ces bar-
niAlMTKK IV. — I.KS CHKCS ET LES ROMAINS.
125
rAlliintitle so trouva à |n'U prôs intorrompue (1). C/est surtout dans
les temps iiindcrucs, au niouicnt où furent do nouveau agitées
eu lùu'ope les ([uestions qui jadis avaient passionné l'antiquité
(pie la eroyanee à IWtlantide rencontra de nombreux partisans,
(lolomli l'ut un de ses plus chauds défenseurs. Oviedo(:2), l'iiis-
torien des Indes, l'orientaliste (Jeneltrard (II), Christophe llec-
man, le père Kin'her(4), croient tous à l'Atlantide et e\|>liquent
sa disparition par le déluge biblique, lludbeck (t)), Kurenius(O),
Haer (7), Tournefort (8), Van Eys (9), Olivier (10), Sauuiel
d'Kngel, Fabre d'Olivet, Carli, (11), de la Morde, Cadet,
Uailly (1^) et Uelisle d(> Sales (13), pensent de même. Citons
bares étaient les Allariles, et plus loin il ajoute que, dans celte môme fiMc,
les Alliéniens célt'bi'aient aussi leur victoire contre les Perses et leurs autres
victoires iiistoriques. Les barbares re|)résentés sur lu pepUini étaient donc,
très probablement, des Perses et non des Atlantes n.
(1) Au sixième siècle, (losmas Indicopleustes, citais sa Topoyrnjiliii' chi'P-
//>;)?('• (Montl'aucon, Nova coilectio patrum et scriptorum j;raccorum, t. II,
p. 114-125, l:\\, 13G, 138, 186-J92, :}.K)-:i42) parle encore de l'Atlantide, mais
pour l'acconnuoder à sou système cosnio};raplii(iue. Avec ce sinjçnlier com-
mentateur do Platon, on ne peut citer pour toute cette période ipTune carte
lie r Atlantide qui tijçure dans un Macrobe du x^ siècle. Cl'. Sa.ntahk.m, Cos-
)iiQ(jra}ihii.' et l'dvloyvdphie du tnoye?t-f)'jc. 11, 42.
(2i OviEDO, L(i hi.iforid f/encral de las Indias.
(3) Genebhad, Vhrouoijrfiphia sacra (l.'iSO), liv. I. — Ukimann, Hintuna,
nrhi.i fcrrtintin (1680). De iusulis, § 5.
('») KiuciiKR, Expycitatiii de Atlnntido lHntoni'<. — Munt/iis su/dcrriiiirus.
(.ï) llLDiiKf.K, Atlantira siri' Maidirirn rrra Itt/dieti posteromin sedes ad
potvia. Upsal, 1675.
^6) EroKMis, Atlantiai Orientalis (traduit du Suédois en latin par Hen-
liorn), 1764.
(7) Hakh, Ksuni hixtovir/un et rriti' ue sur li's AtUuitii/ucs, Paris, 1762.
— Avignon, 1835.
(8i TontNKHJHï, Voijuije du Lerant, lettre XV, t. II.
(9) Vax Evs, Disscrtntio de Platane Mozaizante. FraucIbrt, 1715.
(10) Oi.iviKU, Dissertatiiin sur Ir Critias do Platon, M^'o.— Sami ki-u'Enoei.,
Comment f Amérique a-t-elle étt} peuplée d'hommes et d'animaux '.' 1762.
,11) Caiii.i, Lettres Américaines (traduction Lelebvre de Villebrunei
1788. — De i,\ Houdk, Histoire abrégée de la mer du Sud (1791).
vl2) Baim.v, Lettres sur i Atlantide et sue l'histoire ancienne del'Asie, 177U.
(13) Dei.isi.e de Sai.es, Histoire nouvelle de tom les peuples du tnonde,
réduite aux seuls faits qui peuvent instruire et piquer la curiosité.
1
I
I
:«
120 l'HEMIKRK PAHTIK. — LKS l'IlKCrHSKlKS I>E COLOMB.
oncoro «lu xix" siècle (îravos (1), Daviès, Lfitreillc (:2), Hoiy
de Saint-Vincent, (3) de Fortia d'Urban, IJunsen, Villcinain,
Jolilxtis (i), lloisel (5j, Denisot, Novo y Colson (('»), de
Hotellia (7), les docteurs Amegliino et Lagneau (8), le pro-
fesseur Uorsari, qui reconnaissent la réalité historique de
l'Atlantide. H est vrai que leurs raisons ne son* pas toujours
très sérieuses, et qu'ils prêtent le flanc aux attaques de leurs
adversaires, mais nous ne voulions pour le moment que consta-
ter, dans les temps modernes, le grand nombre des croyants à
l'Atlantide et la continuité de cette croyance à travers les Ages.
Ce n'est pas tout que d'avoir pour soi lu tradition historique :
il faut encore que les données de la science ne combattent point
cette tradition. Or, en s'en tenant au texte même de Platon,
une grande île existait : elle a disparu. Ce |)hénomône est-il
possible d'après les données de la géologie et de la physique
générale du globe ?
Quand la terre se formait, de soudains cataclysmes, ana-
logues à celui qui fit disparaître l'Atlantide, bouleversaient la
face du monde. Ainsi que l'écrivait un de nos plus illustres
contemporains, Darwin (9) : <( Le temps viendra où les géo-
{\) (îiiAVKs, voir plus loin, p. 131 .
(2) ClAUEi, Mt'moires sur les jcn^pcx et autres pierres précieuses de la
Corse, n8,ï. — Lathkille, Mémoires sur divers sujets (F histoire naturelle
des in^/'ites, de t/éoyraphie et de chronologie, 1810.
(.'il DiiKY DK Saint-Vince.nt, Essui sur les lies Fortunées. — {«'oiitia
d'Uhhan, Essai sur quelques-uns des plus anciens monuments de la géo-
graphie, 1802, t. I, p. 5. — BiNSKN, Egyptfs place in iiniversal history,'
l. IV. p. 421 .
(i) .loMROis, Dissertation sur l'Atlantide. — Vili.emai.n, Histoire de la
littérature française au xin" siècle, lettre XIV.
(5) IloisEi., Les Atlantes, 1874.
\f>i Novo V Colson, la Ultima teoria de la Atlantide (Société de géogni-
pliic (le Madrid) .
(7) L)KlioTEi.iiA, Pucljras geologicas de laexistencia de la Atlantida, 1881.
(8) D' A.MEG111N0, Lu Antiquedad del Homhre en cl Plato (188ii). —
Df Lagneau (Société d'anthropologie, 1864, p. 748. — 1880, p. 450).
(9; Dauwin cité par Ueci.is [La Terre), p. 808. — Cf. Le préambule des
CIIAIMTKK IV. — Lies (JHKCS KT LKS HUMAINS.
1-27
logui's considiM'eroiit le repos de l'écorce terrestre pendjuit
toute une période de son liistoire comme aussi improhahie que
le serait le calme absolu de ratmosplière |)en(lant tante une
saison de Tannée ». Dès l'antiquité on peut citer de iiond)reuv
phénomènes qui présentent une grande analof^ie avec celui qui
amena la ruine de l'Atlantide. « Démodés, dans ses histoires,
écrit Strahon (1), raconte que de terribles trenddenu'iits de
terre furent autrefois ressentis en Lydie, en lonie, et jusqu'en
Troade, qui engloutirent des villages entiers, convertirent des
marécages en lacs et sulunergèrent Troie sous les eaux ih\
la mer. Par une cause analogue, l'ile de Pharos, la Pharos
d'Egygte, située naguère en pleine mer, n'est plus à proprement
parler qu'une presqu'île ; Tyr et Clazomènes pareillement.
Nous-méme, lors de notre voyage à Alexandrie en Egypte,
nous avons vu la mer, aux environs de Péluse et du mont
Gasius, se soulever tout »i coup, inonder ses rivages, et faire de
la montagne une île Démétrius de Gallatis, dans son
relevé des tremblements de terre ressentis en Grèce, nous
iipprend qu'une portion notable des îles Lichades et du
Cenoeum fut engloutie, (|ue Phalares méuie fut en quelque
sorte rasée tout entière jusqu'au niveau du su], (pi'un même
désastre eut lieu à Lamia et à Larissa, etc. Enlin, l'un rapporte
que l'ile Atalanta, près de l'Eubée, s'ouvrit juste par le milieu
et livra passage aux vaisseaux, et qu'en certains endroits
l'inondation y couvrit la plaine jusipi'à une distance de vingt
stades ». 11 serait facile de multiplier les exemples {'!) : ainsi
l'Acarnanie et l'Achaïe sont couvertes presque entièrement par
les eaux des g(dfes d'Ambracie et de Gorinthe. La Pro|)ontide
Epoques (le In Nritiire de Bii'kon : « La nature s'est trouvée dans (lillérciils
états, et la terre a pris successivement des formes différentes. Les citnix eux-
mêmes ont varié, et toutes les choses de l'univers physique sont, conuiie
l'cilcs du monde moral, dans un mouvement continuel de variations sucees-
sivcs ».
(1) Sthauo.n, I, 3, 17.
(2)lD., 1,3,20.
i é
1:28 l'REMIKRI': l'AKTIK. — LES l'RÉCrRSEURS DE COLOMll.
\
et le pont Eiixin suhmorgont de vastes plaines en Asie et en
Europe. Tant<)t la mer se creuse un chemin à travers l'ilelles-
pont et le IJusphore de Tlirace (1), tantôt elle sépare la Sicile de
l'Italie, Chypre de la Syrie, Euhée de la Béotie, l'Afrique de
l'Espagne, la (Jaule de la (îrande-Bretagne, ou hien elle
engloutit Pyrrha et Aulissa, Hélice et Bura dans le golfe de
ilorinthe, la majeure partie de l'île de Cos et la moitié deTynda-
ris en Sicile. Quelquefois c'est au milieu des terres (|ue s'af-
faissent le mont Cyhotus et la ville de Curète, ainsi que
Sipylus de Magnésie. Un continent tout entier disparaît même,
au grand effroi des contemporains, la terre Lyctonienne ou
Lycaonienne.
Tous ces phénomènes se sont produits à l'époque historique.
Ils sont tout aussi prouvés que l'affaissement, au vi'' siècle de
notre ère, de la ville d'Herbadilla que recouvre aujourd'hui le
lac de (irandlieu (i2), ou que la brusque séparation des îles
Jersey, Guernesey et autres d'avec le Cutentin (3) ; ou que la
formation du Zuydersée en 1170 (4) ; du Dollartsée en 1277 et
1287 ; (lu Bieshoch en 14"21 ; ou que le trend>lement de 1003.
qui causa de si terribles ravages au Canada et changea en un
ospace immense, entrecoupé de lacs et de ruisseaux, près de
cent lieues de pays autrefois occupées par des montagnes et des
ntchers ; ou ((ue le treud)Iement de loGG qui abîma sous les
eaux plus de soixante lieues carrées dans la province chinoise
de Ghansi ; ou que la disparition sous les eaux, en 1819, sur
une étendue de quatre-vingt-quatre lieues carrées, de la plaine
de Sindrée aux bouches de l'Indus (o) ; ou que l'effroyable érup-
tion du Krakatau en 1882, dont on ressentit les secousses sur
(1) Oiii'iiÉE, Poème (les Argonaute-; (édit. Tauchnitz , V. 128-16!t.
(2) Pklcmet et Cii.vxi-AiRE, Description topograp/iique et stalistique de lu
France.
(3) Elisée Reclus, La France, i>. 093. 639-G49.
(4i Id., L'Europe septentrionale, p. 222-224.
(5) ZuRCiiER et Maroou.é, Le Monde sous-marin, p. 2"1.
m
CUAPITRE IV. — LES GRECS ET LES ROMAINS.
129
(rénonnes espaces (1). Ce n'est donc pas une exagérîition poé-
ticpie (2) ou une fantaisie d'artiste qui a inspiré ces beaux vers
à Ovide (3) :
Vidi ego, quod fuerat quondam soiidissima tellus,
Esse fretniii ; vidi fictas ex œquore terras,
E procul a pelago conchaj jacuere marinai,
Et vêtus inventa est in niontibus anchora summis :
Qiiodque luit campus, vallem decursus aquaruni
Fecit, et oluvio nions est deductus in .iiquor,
Eque paludosa siccis humus aret arenis.
Le grand cataclysme ^ui détruisit l'Atlantide ne ressend>le-t-il
pas à tous ceux que nous venons d'énumérer? Sans doute, un
tel bouleversement ne s'est pas accompli à l'époque bistorique ;
Platon lui-même en fixe la date à neuf mille ans avant lui ; mais
ce n'est pas une raison pour le nier. Sans qu'il soit besoin de
recourir aux milliers de siècles de la cbronologie cbinoise ou
indoue, nul aujourd'bui n'ignore que l'univers existait bien avant
les six mille ans de la cbronologie classique. Par conséquent,
puisque la tradition bistorique et la science sont d'accord pour
reconnaître l'existence de l'Atlantide, nbésitons pas à nous
ranger parmi ceux qui croient à l'autlienticité du récit Platonicien.
L" Atlantide a existé : mais quelle était sa position ? Les
opinions varient à l'infini. Les uns ont pensé, avec Rudl)cck(4),
(1) Edmond Cotteau, Krakatau et le Détroit de la Sonde (Tour du
Monde, 1886).
(2) Plusieurs savants : président de Brosses, Korster, Dumont d'Uiville,
Uroca, Moerenhout, Martin de Moussy, etc., pensent que jadis existait dans
le Pacifique un grand continent, déterminé par les îles Havaï, les .Marquises
et la Nouvelle-Zélande, qui ne seraient que les sommets des terres enj^lou-
ties. Ce n'est qu'une hypothèse, mais fort legitmie ; à plus forte raison pou-
vait jadis exister dans l'Atlantique un continent dont les Antilles, les Arores
Ole , sciaient comme les dernières arêtes. — Cf. i>e Urossks. Narif/atiiDis
aii.v ferres Australes. — Gabriel Laionu, bulletin de la Sociétù de iji-o-
fjraitliie (juin 1867).
(3 Ovide, Métamorphc^es, liv. xv.
(i Voir pour l'exposé de ces divers systèmes et leur réfutation Gakkahei,,
L'Atlantide (Revue de géographie, 1880).
T. I. 9
i
^
130 PREMIÈRE PARTIE. — LES PRÉCURSEURS DE COLOM».
que l'Atlantide était l'ancienne Suède, et les autres, avec ihrl'er,
les provinces septentrionales de l'Allemagne baignées par la Bal-
tique. Bailly retrouvait l'Atlantide dans le Spitzherg, et Delisle
de Sales dans la Méditerranée. Kirchmaïer la plaçait en Afrique,
dans l'ancien lac Triton, et Jolibois dans les régions de l'Atlas
et du Sahara. Un savant contemporain, dont il est difficile de
résumer la compétence, Berlioux (1), a cru retrouver dans
l'Afrique Septentrionale l'emplacement de l'Atlantide, et u
même essaye de raconter l'histoire des rois Atlantes. C'est
encore une opinion peu commune que celle du Flamand
Grave (2) et de l'Anglais Davies qui prétendaient découvrit-
l'Atlantide en Hollande. D'autres savants, également étranges
dans leurs conceptions. Van Eys en 1715, l'avocat Marseillais
Claude Olivier en 1726, le Suédois Kuréiiius en 1754, et Bai^r
en 1702, dirigeaient leurs recherches vers la Palestine, Latreille
vers la Perse, Moreau de Jonnès (3) en Crimée. Tous ces écri-
vains n'ont, de parti pris, voulu tenir aucun compte du texte
de Platon. Us ont placé l'Atlantide soit en Europe, soit en
Asie, en deçà, par consé(jU('nt, des colonnes d'Hercule, «•!
presque tous ont voulu la reconnaître dans des contrées encore
existantes. C'en est assez pour démontrer le mal fondé de leurs
théories.
(1) Berlioi'X. Hhtoire de l'Atlanlis et du l'Atlas primitif, 1883.
(2) Voici le titre exact de l'ouvrage de Grave : nous le citons à cause de
la rareté du livre et de soa étrangeté : « Répuhlique des Champs-Elysées ou
Monde ancien, ouvrage dans Icqiccl on démontre principalement que les
C/un/iptlili/sées et CEnfer des anciens sont les noms d'une ancienne
répuhlit/ue d'hommes justes et religieux, située à l'e.rtrémité septentrionale
de lu Gaule, et surtout dans les lies du Bus-Rhin . . . que les Elyséens,
nommés aussi sous d'autres rapports Atlantes, llijperboréens, Cimmériens,
ont (ici Usé les anciens peuples, y compris les Egyptiens et les Grecs, que
les dieux de lu fable ne sont que les euihlt'mes des institutions sociales de
l'Elysée, que la voàle céleste e'it la tableau de ces institutions et de la
philosophie des législateurs Atlantes, etc. » — Davies soutint la niôine tlièse
dans ses Antiqux linguœ Britannic.v rudimenta.
(3) MoKE.\r DE Jo?i.\És, Géographie préhistorique, l'Atlantide, p. 103-1.(7.
•miPf'l^uji;^^
CIIAI'ITHK IV.
LKS CRKCS CT LES ROMAINS.
i:m
D'autres savants, mieux ins|)irés, ont, conformément au\
indications Platoniciennes, cherché l'Atlantide au-delà des
colonnes d'Hercule, mais ils ont eu le tort de la placer en Amé-
ri(|ue, ouhliant qu'elle n'existait plus.
Dès loî>3 (Jomara affirmait que l'Atlantide correspondait
à l'Amérique (l) ; en loOl (îuillaume dePostel, le savant orien-
taliste, alléguait une prétendue étymologie mexicaine pour pro-
poser d'appeler Atlantis le nouveau continent (2). Wytfliet, un
des meilleurs géographes du xiV siècle, étahlissait l'identité de
ces deux continents (3). Bacon y croyait aussi, mais dans un
ouvrage de pure fiction et qui est resté inachevé (-4). Le Suisse
Bircherodius essayait de prouver qu'il fallait chercher du côté
de l'Amérique la position de l'ancienne Atlantide (ÎJV Lamothe
Levayer (6), le sceptique et érudit auteur de la Gi'ographie du
Prince, voyait « dans le Timée et le Critias quelque petite
apparence de l'Amérique ». Sainte-Croix (7) et Garli (8) étaient
(lu même avis. Ce dernier, dans ses Lettres américaines, a
même dépensé heaucoup de science et d'imagination pour prou-
ver sa thèse. B est vraiment singulier que ni lui ni ses devan-
ciers n'aient été arrêtés par le texte de Platon, hien affirmatif
sur ce point, que l'Atlantide a disparu en une seule nuit à la
suite d'un effroyable cataclysme et qu'il est par conséquent inu-
tile de la chercher dans une région encore existante. Emportés
par leur désir de retrouver l'Atlantide au Nouveau-Mond?. ils
ont oublié que l'Atlantide n'existait plus. Quelques cartographes
fi
(1) GoMARA, Historia de las Indias, fol. 119.
(2) PosTEL, CoAmographicœ discipUnœ compendiitm cum s!/7iopsi reriiin
toto orbe fjesfarum, p. 13 et 57.
'i) Wytfliet, Histoire universelle des Indes orientales et occidentale!^,
p. 60.
(4) Bacon, Nova Atlantis, 1638, p. 364.
(5) BinciiERODirs, De orbe novo non novo, Altorf, t683.
(6) LAMOTiiE-LEVAYEn, Géographie du prince, p. 2t.
(7) Sainte-Croix, De l'état et du sort des anciennes colonies, p. 24.
(8) Tout le deuxième volume de l'ouvrage de Cari.i (traduction Lefebvre
tic Villebrune.
\',\ll l'UKMIKKK l'AHTIK. — LKS l'UKiUmSKL'HS I)K COLOMII.
ont |»ai1ii^:('' ces illusions. A lu fin du xvii'' sioclc, (Juillaunu!
Sansoii [l] piihliait dans son f;raiid atlas une carte de rAinériquo
partagée entre les fils d'Atlas, et il intitulait gravement cette
fantaisie géographique : IVovus orbis, pol'nis allcrn conlincus,
sirt' Ailmtiis insnla a M. Sniison antiqultati rrsiitiita, niiiir
di'inuni mnjori forma delineafa, et in deceiii régna juxln
dccem Nepdini fiiinn dlslr'ibuta, pneterea insidic nosir.rque
riinllnenfis rof/iones qn'ibtis hnpenwere Allanlis regcs, nui quas
itrniis ientaoere. \a\ rroirait-on ? Un autre cartugraplie, Robert de
Vaugondy (2, partageait encore l'Amérique entre la postérité
d'Atlas dans son Orhh Velus in utroquc continente juxia men-
tem Sansoninnam distincins nec non obseroationibus astrono-
niicia redactim. Tout récemment, au congrès des Américanistes
de Copenhague, qui eut lieu en 1883, un fantaisiste, M. Ste-
phens Blackett (3), n'affirmait-il [)as que l'on retrouve les races
(|ui hahitaient les différentes parties de l'Amérique lors de la
<;on(jnéte espagnole; en les comparant avec lt!s races (jue les
anciens auteurs ont nommées comme habitant l'Atlantide. Ainsi
les Titanides correspondent aux Totonaques, lapetus aux Zapo-
tèques, Atlas aux Aztlans, Mala aux Maïas, Typhaeus aux
Tapys, indiens de l'Amérique du Sud, etc. Ces singularités
géographiques, pour ne pas les qualifier plus sévèrement, ne
sont (ju'un jeu d'esprit, et c'est décidément hors de l'Améritiuc
(pi'il nous faut chercher l'emplacement de l'Atlantide.
Nous avons essayé plus haut d'établir que l'Atlantide se trou-
vait jadis dans l'immense espace que déterminent les Açores,
les Canaries, la mer des Sargasses elles Antilles. Nous n'avons
(1) Carte 82 de l'atlas de 1680.
(2) Editions de 1748 et 1702. Les Etats-Unis formaient la part de Gadciros
et le Mexique celle d'Atlas, dont la capitale s'élevait sur l'emplacement de
Mexico. Amphères avait pour lui le Venezuela et la Guyane. Le Pérou
appartenait à Evemon, la Bolivie et le Paraguay à Mnésée, la Confédération
Argentine à .Mestor. Plus modestes ou moins bien partagés, Azaes, Elasippcs
et Diuprcpes se contentaient du Chili et de la Patagonic.
(3) Bl.\ckett, The lost history of America (Congrès de Copenhague, p. 139.
CHAPITRE IV. — LKS GKECS KT LES ROMAINS.
i:n
pas i\ revenir sur cette démonstration, (|ue nous nous sommes
ciïorcé de rendre proltante On nous pardonnera d'avoir insisté
sur ce problème historique, non seulement i\ cause de son
importance, mais aussi parce qu'il se rattachait directement à
notre sujet. 11 est certain que la croyance à l'Atlantide ne fut
[)as sans avoir une grande influence sur la découverte de
l'Amérique. Colomb y croyait. Tous ses contemporains y
crurent également, et, dans l'antiquité, ce fut certainement la
tradition que l'on conserva avec le plus de soin, et que l'on se
transmit avec le plus d'exactitude de génération en génération.
H était donc nécessaire d'en parler longuement et de prouver
(îomment i\ travers les Ages, et par un travail inconscient de
l'esprit humain, ces vagues notions se transformèrent peu à
peu, et aboutirent aux merveilleuses découvertes maritimes du
xV et du xvi" siècle.
La tradition de l'Atlantide n'est pas la seule que nous ait
léguée l'antiquité relativement à l'existence d'un continent au-
deliï des mers connues et dans la direction de l'ouest. Plutarque
a conservé le souvenir du continent Cronien, et Elien celui de
la Mérop'ide.
Le continent Cronien est mentionné dans le traité de Plu-
tarque intitulé De fac'ie in orbe luniv (1). C'est un résumé
dogmatique des opinions de l'antiquité sur notre satellite. Un
certain Sylla raconte à Lamprias, frère de Plutarque, qu'il a
rencontré <\ Carthage un étranger fort au courant de toutes les
sciences. Cet étranger venait d'acquérir du renom en découvrant
des parchemins sacrés qu'on avait transportés secrètement hors
de l'ancienne ville, quand elle avait été détruite. Il arrivait d'une
île mystérieuse située dans les profondeurs de l'Océan Atlan-
tique. H y était resté trente années, remplissant les fonctions
de prêtre de Saturne, et la décrivit en ces termes à Sylla : (2)
(t) Pliîtarque, De facie in orbe lunée (édition Didot), p. 1151-1153, § 29.
(2) Traduction Bétolaud {Œuvres morales), t. IV, p. 119.
IIM l'KKMlKHK l'Ainii;. — LKS l'Hl-XXHSEUHS UE OOLoMII.
« Rioii Ht; s'oppose à ce (jue je déhute à la fucoii d'Homère :
Ogygie est une île éloignée eu lu mer, à ciu(| journées de
navigation de la (iraude Bretagne et à l'ouest (1). Trois autres
îles, à égales distances de cette île et entre elles, sont placées eu
avant et tout îi fait vers le point où le soleil se couche pendant
Tété. Dans une de ces îles, suivant les traditions mythologiques
<les IJarhares, Saturne fut emprisonné par Jupiter. Sous la
surveillance de son fils, il résidait dans la plus reculée et au
delà de la portion de mer qu'on appelle mer Saturnienne.
Les barbares ajoutent {"2) que le grand continent qui entoure
en cercle la grande mer, un peu moins éloignée des autres îles,
est à environ cinq mille stades d'Ogygie, et que l'on ne peut y
aborder (ju'avec des biUiments à rame. Les eaux en elfet ne
permettent qu'une lente navigation, et sont rendues bourbeuses
par la (juantité de vase ([u'y déposent de nombreux affluents
venus de terre ferme. Il en résulte de tels atterrissenients que
la mer en est épaissie : elle prend une sorte de consistance, à
ce point (|u'on l'a cru glacée. La partie de ce continent qui
longe la mer est occupé par des Grecs (3). Ils s'étendent sur un
golfe qui n'a pas moins d'étendue que les Paludes Méotides, et
dont l'embouchure répond précisément en ligne droite à celle
de la mer Caspienne, Ils s'appellent et s'estiment des continen-
taux, et ils donnent le nom d'insulaires (4) à ceux qui habitent
notre sol, attendu qu'il est entouré parla mer de tous les côtés.
D'après eux, aux peuples de Saturne se mêlèrent plus tard
(1) 'ÛY"Y'''1 v^'o;- • • ôpôjiov 7)[aepwv rMzt BpîtTav^aa ànfyouaa nXiovzi
Tcpô; iar^pav. "Etspot Sa Tost; Vaov Èît£ivr,ç àçeaTwaa'. xat aXX*)Xti)v,
-poxsîvTai ji-âXiara xatà ouîjjiàî f,X;ou Ospivà;.
(2) Tr,v 8$ |j.EYâXT,v fj-£ipov, 69 'rj; rj |j.sy*^i1 rspisysiat x'jxX«[) OoîXaTTa,
-ffi 'Q^uy;'*; ~£pt r.iv:a. y.ta-/_iX''o'j; aiaôfo'j; y.(i>r.-/^^t'3'. ;:Xo''oi'3 y.o[t.iÇo[i.iv(o.
(3) T^ç ôà f,::s{pou tÔ 7:pô; tfj OaXàTTr; xaTOtxeîv 'EXXrJva; r,zp\ xo'X;iou
oox ^attdvw T7); Maifôttooî.
W KaXs'iv Se xai vo[JLfÇciv exei'vouî, Ti::£ipwxaa (xàv iuiôuç, vr,(jialTa; 8è
Toù; TaÛTTjv tfjv Y^v xaTOtxoùvTaî.
-a.
CHAPITRE IV. — LES GRECS ET LES ROMAINS.
135
roux qui, venus avec Hercule, furent laissés dans cette contrée ;
et l'élément grec, déjà éteint et dominé par l'influence de la
lanjrue, des lois et du régime barbares, se trouva comme ranimé
gr.ke à cette adjonction qui lui donna une nouvelle puissance
et un nouveau dévelojipement. Voilà pourquoi chez eux les pre-
miers honneurs sont pour Hercule et les seconds pour Saturne.
Quand l'étoile de Saturne, par nous appelée Phémon, et par
eux Nyctouros (gardien de la nuit), est arrivée au signe du
Taureau, ce qui exige une révolution de trente ans, ils procèdent
à un sacrifice préparé longtemps d'avance, On organise aussi
une expédition maritime dans les conditions suivantes : Des
habitants désignés par le sort montent chacun sur un nombre
égal d'es<|uifs ; là ils ont soigneusement ménagé tout ce qui est
nécessaire pour un voyage à rame sur une mer aussi étendue,
et pour un aussi long séjour en pays étranger. Une fois partis,
nos navigateurs éprouvent, on le conçoit bien, des fortunes
diverses. Ceux (jui ont échappé aux hasards de la mer com-
mencent par aborder dans les îles opposées, où habitent des
(irecs. Là ils voient le soleil se dérouler moins d'une heure
durant trente jours. C'est là ce qui constitue la nuit. C'est une
espèce de crépuscule léger, entre chien et loup comme on dit,
et (|ui régne après le coucher du soleil. Ils restent là durant
([uatre-vingt-dix jours, au milieu d'hommages, de soins affec-
tueux, et estimés, proclamés personnages saints ; après quoi les
vents les remportent de nouveau au delà de la mer. Nuls autres
n'habitent leurs îles, à l'exception d'eux mômes et de ceux qui
y furent envoyés avant eux. H leur est permis de retourner dans
leur patrie, quand ils ont été voués treize ans au culte du Dieu ;
mais ils préférèrent naturellement, pour la plupart, terminer là
leur séjour ; les uns par habitude, les autres parceque, sans
travail et sans embarras, tout leur est fourni en abondance
pour les sacrifices et les cérémonies du culte, ou bien en raison
de ce qu'ils s'occupent toujours de certaines études savantes et
(le philosophie.
i
'■)
\ \
130 PREMIÈHE PAUTIR. — LES PBÉCL'HSELRS DE COLOMH.
l
:i:
Rien (II! plus merveilleux (|ue la nature de cette île. L'air y
est d'une douceur charmante. Quel(|ues uns pensaient à la
quitter. I^ Dieu les en empocha en venant se présenter i\ eux
comme on ferait à des familiers et à des amis. . . Pour ce <|ui
est de Saturne lui-même, il réside dans une grotte profonde.
Il y est endormi sur un rocher étincelant comme de l'or, et
c'est le sommeil que Jupiter a imaginé de lui donner pour lien.
Des oiseaux qui ont établi leur demeure sur le haut d'un rocher
viennent en voltigeant apporter au Dieu l'amliroisie. L'île entière
est parfumée d'une odeur délicieuse qui s'exhale de ce rocher
comme d'une source. ... ».
Strabon (^1) n'aimait pas le genre hAtard qui consiste i\ mêler,
non par ignorance, mais comme simple ornement poéti(|ue, le
mythe î\ l'histoire.. Ces mythes pourtant ne sont pas un simple
divertissement de l'esprit. Ils tiennent k un système d'o|)inions
antiques, dont certaines parties sont parvenues jusqu'à nous.
La légende, conservée par Plutarque, est sans doute un de ces
fragments. On pourrait, en effet, dans cette légende, distinguer
deux parties : la première toute mythique et la seconde géogra-
phique. Nous ferons bon marché de la partie mythique Elle se
rattache vraisemblablement au culte mystérieux de Saturne, de
cette vieille divinité toujours refoulée vers l'ouest et le nord-
ouest, comme si les brouillards et les glaces de ces contrées
avaient pu la faire disparaître. Le nom de mer de Saturne, en
effet, ne s'appliqua-t-il pas d'abord à l'Adriatique (2), puis aux
mers qui baignent l'Europe au nord-ouest (3) et enfin ù l'Océan
septentrional (4) ? La seconde partie au contraire est plus réelle.
Elle se rattache à la géographie des temps historiques et nous
fait comme entrevoir les régions boréales, dont on soupçonnait
(1) Strabon, I, n, xi.
(2) Scholiaste d'Apollonius, l\, 321.
(3) Argonautiques, V, 1029. — Denys le Peiuégète, V, 32.
(4) Plutarque, ut supra. — Crbuzer, Symbolique (traduction Guigniaut),
t. Il, p. 213, 215, 225.
c.iiAiMTnr: iv. — les chkcs ft les homains.
i:n
l\'\istcnr('. Kssayoïis de dégager te (|iril peut y avoir de vrui
(lu tout «u moins do vraisciidilaldc dans ce rf^cit.
Dans la direction dt* rttucst- nord -ouest, et au-delà de la
(îrande-liretagne, s'étendent donc un certain nomlire d'iles,
dont la plus recnlé(> est éloifïuée de vingt jours de navigation.
Il serait assez diriicile de jtréciser la situation de ces îles :
remarquons néanmoins cpie de l'extrémité de l'Kcosse aux
Féroi', des Féroi» à l'Islande et de l'Islande au Groenland, même
avec les faibles moyens d(ï navigation dont disposaient les
anciens et en tenant compte du peu de précision des renseigne-
m(!nts de ce genre, on pouvait aller facih'meiit en vingt ou
vingt-cinq jours de la firande-Hretagne au (Jroenland en passant
par ces des intermédiaires. De plus, l'Kcosse, les Féroi', l'Islande
et le (iroenland sont à peu prés à égale distance les unes des
autres et toutes dans la direction indiquée de l'ouest-nord-ouest.
Enfin on avait déjà ohservé dans ces parages les [iliénométies
météorologi([ues, qu'on y étudie encore aujourd'hui. Ne sait-on
pas en eiïet que, sous le cercle polaire, an solstice d'été, le
soleil estprescpie toujours sur l'horizon? Le 2i juin, au moment
de son coucher, il l'effleure, pour ainsi dire, sans disparaître
entièrement, et remonte tout de suite après. Ijt^moine Dicuil.
dans son naïf et grossier langage, disait que « cette nuit était
assez claire pour qu'on put enlever les poux de sa chemise » (1).
Ainsi donc, au delà do la Grande-Bretagne, et dans une région
où le soleil, pendant prés d'un mois, est presque toujours au
dessus de l'horizon, c'est-à-dire dans la région boréale, les
Grecs auraient découvert quelques îles. Ils seraient même allés
plus loin, et auraient abordé un grand continent, qui entourait
l'Océan (2). Gin(| mille stades, environ deux c-ent cinquante
(1) Dicuil, De mensura orbis, § VIII, 2 : u Ita ut nihil teiicbrarum iti
minimo ipso spatio fiât, sed quidquid liomo operari voliicrit, vel pcdiculos de
cainisia abstrahere, tanquam in prœsentiam solis potcst »
(2) Ne serait-ce point les iles dont Pline parle en ces termes {Histoire natu-
relle, IV, 15) : « Timaeus historiens a Britannia introrsns sex dierum navi-
i
\
r,
lus l'HKMIÈHK PAHTIE.
LES PRKCURSELIKS 1)E COLOMH.
lieues, séparaient ce continent de l'île Ofïygie. Les côtes, et
surtout celles d'un golfe aussi grand que le Palus Méotides étaient
liahitées |»ar des Grecs. On ne se servait dans ce pays que de
hateaux h rames, car la navigation était lente et difficile, à cause ■
de la grande quantité de vase déposée par les cours d'eau, ou
bien en(;ore de la gl;ice qui embarrassait la surface des flots.
Quel est ce continent entouré par l'Océan? Quel est ce golfe
dont la navigation est si dangereuse? r<(>rtes nous ne nous
chargerons pas de résoudre le prohième. Quelques géographes
ont été plus affirmatifs. Horn se déclare en faveur du Groen-
land (l). Ortelius se prononce pour l'Amérique {"l). On est
même allé juscju'à prétendre que le golfe, aussi grand «jue le
Palus Méotis, correspondait à la mer d'iludson ou au détroit
de Baffin. Nous ne pouvons qu'enregistrer ces opinions, et
constater qiie les Grecs croyaient à l'existence d'un continent
au delà de ces îles boréales, dont la situation correspondrait en
ed'et assez exactement à celle de l'Amérique.
Est-ce à dire qu'il faille prendre il la lettre les indications de
Plularque? Assurément non. Dans cette description des îles et
du continent Cronien, il a donné libre carrière à son imagination.
Si, connue il le prétend, des Grecs étaient établis depuis des
siècles sur les rivages de ce golfe, s'ils se considéraient comme
habitants d'un continent, et traitaient leurs compatriotes d'insu-
laires, si en un mot ils avaient conservé le souvenir de leur
origine, ils ne se seraient pas abi\tardis au contact de leurs
{çalioiio abosse (licit iiisulam Mictim... ad eain Britannos navigiis vitilibus,
coris circuiiisiitis, navigare. Sunt (jui et alias prodant, Scandiani, Durnnam,
Bcrgos, inaxiiiianque omnium Ncrigcn, ex qua Tliulen navigetiir ».
(1) IIoun, De Originihus Amcricanis, p. l.")5 : << Gronlandiic nomcn eliani
antiqiiissiinivS geugi'a|)liis notuin. Quid illud marc, quod supra Uubeas et
Scaiidiam est, Cronium dixeruiit ab ci adjacente Cronia, sive Saturni insula,
qiiain etiam Ogygiam vocarunt, ut ex Plutarchi libro de imaginibus in Luiia
put(!t ».
(2) Ohtei-ils, De orbe terrarum : « Ego quoque liujus (Amcric-e) nicn-
lionem ficri a Plularcho, in l'acie de orbe luna;, sub nominc mp^ni continentis,
pulo ».
wstsumtSZ
ImMw-^^H» ■»! I
CIIAI'ITRE IV
LES CHECS ET LES ROMAINS.
139
v(»isius, ils n'iuiraioiit ouhli»'' ni leur langue, ni leurs usages; ils
auraient en un mot hiissé des traces visibles et (lurahles de leur
séjour. Peut-être le philosophe de Ghéronée a-t-il siini>lenient
cherché à flatter l'amour-propre de ses vaniteux concitoyens ;
mais, tout en faisant la part de la fantaisie, nous croyons (|ue
le fond même du récit n'a pas été inventé. Les (irecs o.it
réellement entendu parler d'îles et de continents situés au delà
de IWtlantiqup, et dans la direction de l'ouest. Peut-être même
(piel(iues-uns d'entre eux s'étaient-ils aventurés dans ces lointains
parages, car il est telle circonstance du récit de Plutanjue (pi'il
est difficile d'inventer, par exemple la permanence du soleil au
dessus de l'horizon à certaines époques de l'année et la difficulté
de la navigation dans ces mers. Or les mêmes phénomènes
physiques se reproduisent encore aujourd'hui dans les mêmes
contrées, et, si Plutarque dans son récit a précisément indiqué
le seul endroit de notre hémisphère où s'accomplit ce singulier
phénomène, et une des rares mers où la glace entrave la
navigation, c'est sans doute (ju'il les connaissait, vaguement
|)eut-étre, mais enfin d'une façon quelconque. Les ()rn«>ments
lie style et les fantaisies mythiques tiennent, il est vrai, trop de
place dans son récit, mais les inventions greccpies n'anéantissent
pas la réalité du fond. Plutarque s'est fait couune l'interprète
d'événements réels, «pi'il peut avoir arrangés à sa guise. Ayant
entendu parler d'îles lointaines, de grandes terres découvertes
dans un pays étranger, au delà de l'Atlanticpie, il trouva l'occasion
excellente pour associer la vraise'nhiance géogra|)hi(pie aux
mythes religieux. II lui fallait pour servir de résidence cachée
à Saturne quelque Ogygie Homérique, quelque île lointaine dont
tous soupçonneraient l'existence et personne ne connaîtrait la
position précise. Cette île sera le pays d'où jadis, d'où peut-être
hier, revenaient les marins dont il écoutait les récits merveilleux.
Aussitôt il hrodera sur ce thème, en respectant autant (jue
possihle la vraisemblance, et c'est ainsi que des brouillards de
la fable ou des récits obscurs de quelque grec anonyme sortirent
le continent Cronien et les îles qui l'avoisinaient.
il
! .
M
i|
I ^
no PREMIÈRE PARTIE. — LES PRÉCLRSELRS DE COLOMH.
La Môropide, dont Elien (1) Ji raconté l'histoire, n'a |tcut-(Hr('.
pas plus existé que rAtlantide ou que le continent Cronien, ou
du moins il est tout aussi difficile d'assigner une position exacte
à ce nouveau continent qu'aux terres décrites par Platon et par
Plutarque, mais le récit d'Elien, dont nous allons donner une
rapide analyse, prouve, de même que les traditions conservées
par le philosophe et l'historien grecs, la perpétuité de la croyance
à l'existence d'une grande terre occidentale.
Silène, roi de Carie ou de Mélos suivant les uns, de Nysa en
Afrique suivant les autres, joyeux compagnon et gai buveur,
avait mis en pratique, plusieurs siècles avant Epicure, la philo-
sophie du bonheur. Jupiter l'avait pourtant choisi comme pré-
cepteur de son fds Hacchus, car Silène cachait sous une appa-
rente bonhommie une science profonde, et, quand il discutait
quelque question morale ou philosophique, on l'écoutait avec,
respect et admiration. Seulement ce n'était pas chose aisée que
de l'arracher à ses plaisirs habituels. H fallait user de ruse et de
violence. Miaas, roi de Phrygie, le fameux Midas dont les
longues oreilles ne sont peut-être qu'un symbole de son ardeur
à l'étude, attira Silène à sa cour, et, usant du même subterfuge
que le Chromis et le Mnasyle de Virgile, parvint à lui arracher
quelques-uns de ses secrets. Dans un de ses savants entretiens,
son hôte lui décrivit, en détail, un continent mystérieux, la
Méropide, et ce sont les fragments de cette description, jadis
écrite par Théopompe, qu'Elien nous a transmis.
L'Europe, l'Asie et l'Afrique sont des îles, autour desquelles
circule l'Océan (2). En dehors de ce monde existe un continent
unique, d'une immense étendue. 11 est peuplé de grands ani-
maux. Les hommes qui l'habitent ont une stature double de la
nôtre, et la durée de leur vie s'allonge dans la même proportion.
<1) Elien, Histoires variées, III, 3 (édition Didot, p. 329).
(2) Id., id. « Tr]v (aIv Eùp(ûrtr,v x«i t^jv Au^av nal trjv Atj3uTJv vrjdou;
EÎvai, a? 7:£ppipfeîv xyxX(i) tov 'Qxeavdv, i'tizzipov Sa eivai [/.o'vr^v Èxsivr^v tf|V
ÈÇw TO'JTO'J T03 XOa[AO'J, X. T. X ».
'"^
CHAPITRE IV
LKS CHEC.S ET LES ROMAINS.
141
Ils (Hit beaucoup de {îi'iindes villes et sont régis par des nueurs
et des usages tout à fait diflerents des nôtres. Silène rapportait
(|ue deux de ces villes surtout étaient importantes. Elles ne se
ressemblaient en rien. L'une se nommait la guerrière (Makkimos)
et l'autre la pieuse (Eusebès). Les Eusebiens vivent toujours
en paix. Ils ont de grandes ricbesses. Ils n'ont pas besoin pour
récolter les productions de la terre de cbarrues et de bœufs ; ils
n'ont riiabitude ni de cultiver leurs cliamps ni de les ense-
mencer. Ils sont exempts de toute maladie, et passent de la vie
à la mort le sourire sur les lèvres et le c(eur joyeux. Ils sont si
vertueux, si ennemis de toute dis[)ute (|ue les Dieux eux-mêmes
résident souvent parmi eux. Les Makkimiens, au contraire,
sont très belliqueux. Ils naissent avec leurs armes, et sont
toujours en guerre. Ils ont soumis à leur domination les peuples
voisins. Cette seule cité est la maîtresse d'un nombre considé-
rable de peuples. Près de deux cents myriades d'babitants
vivent dans cette ville. Ils meurent quel([uef'ois de maladie,
mais c'est un accident fort rare : c'est dans les combats surtout
qu'ils périssent, à coups de massue ou de pierres, car ils ne
peuvent être blessés par le fer. Ils possèdent une cpiantité ((insi-
dérable d'or et d'argent, à tel point que l'or est cliez eux UKtins
estimé que cbez nous le fer. Silène racontait que les Makkimiens
avaient eu autrefois l'intention de conquérir nos îles. Us pas-
sèrent l'Océan au nombre de mille myriades de soldats, et arri-
vèrent jusque chez les llyperboréens; mais quand ils apprirent
que nous regardions comme iieureux ces peuples, dont la vie
s'écoulait obscure et sans gloire, "Is méprisèrent une telle con-
quête et dédaignèrent d'aller plus loin.
La plus étonnante partie du récit de Silène était la suivante :
« Des hommes appelés Meropes habitaient dans ce continent
des îles nombreuses et peuplées. Cette région se terminait à une
sorte d'abîme, appelé Anostos, ou sans retour. Il n'était ni téné-
breux, ni lumineux, mais rem|)li d'une amosphère opa(|ue.
sombre et rougeiUre. Dans la contrée coulaient deux fleuves,
liP"Wi
142 PREMIÈRE PARTIE.
LES PRECURSEURS DE COLOMB.
dont l'un s'appelait Volupté et l'autre Jrislesse. Ils étaient l'un
et l'autre hordes d'arbres qui ressemblaient à de grands j>latanes.
Les fruits qui poussaient sur les arbres du fleuve 7'risU;ssi;
avaient une singulière propriété : celui qui les goûtait fondait
en larmes, passait le reste de sa vie dans les pleurs, et finissait
par mourir de chagrin. Les fruits cueillis sur les rives du fleuve
Volupté produisaient un elîet tout contraire. Celui qui en
goûtait perdait le désir de ce qu'il avait le plus recherché. Il
oubliait ce qu'il avait le plus chéri, et, rajeunissant graduel-
lement, repassait tour à tour de la vieillesse à l'Age viril, à lu
jeunesse, à l'adolescence et au premier Age, jusqu'à ce (ju'eniin
il retournât au néant ».
Elien n'accordait aucune confiance à Théopompe. Il le consi-
dérait comme un simple mytliologue et non comme un historien,
u Si quelqu'un trouve vraisemblable le récit de l'écrivain de
Chio, dit-il (1), libre à lui. Pour moi, sur ce point comme dans
ses autres ouvrages, c'est un insigne arrangeur de fables ». Pas
plus (ju'Elien, nous ne croyons aux fleuves merveilleux, aux
arbres étranges et à l'abîme sans issue de la Méropide. Nous
n'admettons pas davantage l'existence des Eusebiens et des
Makkimiens. Le récit de Théopompe est sans doute un roman
sentimental. Il a voulu, comme Morus ou Cabet, décrire les
merveilles d'une terre idéale, ou bien encore, comme Swift,
faire la satire de ses contemporains: mais, ainsi qu'il arrivt;
fréquemment dans les ouvrages de fiction, cette histoire, dont
les héros portent des noms de fantaisie, et dont l'action se
passe dans un pays imaginaire, n'en est pas moins réelle par
quelque point. N'a-t-on pas retrouvé dans le grand Cyrus de
M"" de Scudéry un récit détaillé et fort exact de la bataille de
Itocroy ? Il en est peut-être de même de la Méropide de Théo-
pompe. C'est une allégorie, mais, malgré les ornements ridicules
[\) EuEN, ut siipm Kai Tajta il Tto r.h-o; ô Xto; Aî'ywv r.zr.ii-CfJiOM.
H
CHAPITRE IV. — LES GRECS ET LES ROM;* INS.
143
et les fabuleux récits qui la déparent, elle repose probablement
sur quelque fait autbentique. On peut, par conséquent, sous
les voiles qui la recouvrent, trouver un fond de réalité.
Quelle est cette vérité ? Nous ne prétendons pas, avec Lefebvre
de Villebrune, le traducteur de Garli, que le passage d'Elien
nous transporte au Pérou ou au Mexi(|ue, surtout si, au lieu de
Makkimoi, on lisait Makkikoi (1) ; nous ne croyons pas non
plus avec Perizonius(2), un des plus savants commentateurs
d'Elien, que les anciens avaient eu quelque vague connaissance
de l'Amérique : on peut néanmoins affirmer que l'auteur de ce
fragment s'est emparé d'une vieille tradition, et l'a transformée
en allégorie, en satire ou en roman. L'indication de cette
contrée occidentale, la singulière conformité que l'on a pu
constater entre les Atlantes et les Makkimiens, qui eux aussi se
dirigent de l'ouest à l'est pour conquérir le monde, toutes ces
coïncidences ou plutôt toutes ces analogies nous démontrent
que les anciens n'ont jamais cessé de croire à l'existence de
vastes continents au-delà des mers.
Atlantide, continent Gronien et Méropide, tels sont donc les
trois noms aiitour desquels on a b.'iti d'audacieuses théories,
mais qui du moins affirment la perpétuité des traditions rela-
tives à l'existence d'un grand continent occidental.
Avec le progrès des temps peu à peu les notions se préci-
sent. Aux vagues traditions succèdent les conjectures, dont
(juelques-unes seront marquées d'un caractère scietitilicpie, et
rrayeront la voie aux prochaines découvertes.
11. — Les Théories.
Parmi ces conjectures, il en est une très familière à l'antiquité,
(Il Cahli, Lettres Américaini's, t. II, p. il.
(2) EuKN, édition Pcrizonius (1101), p. 217 : N'on diibito quin vetcrcs
aliquid scivcrint, quasi per umbraut et caligiiicm, de America ».
iH F'HEMIÈRE PARTIE.
LES PRECURSEURS DE COLOMH.
et qui exerça une grande influence sur l'esprit des voyageurs et
des géographes. Colouih l'invoquait encore cpiand il cherchait à
faire approuver ses projets. Elle est relative à l'existenccî d'un
continent au-delà de l'Atlantique, d'une terre opposée à la nôtre,
ou, pour employer l'expression consacrée, d'une antichtone.
Ainsi que le remarque Humholdt (1), « l'idée de l'existence
prohahie de quelque autre masse de terre, séparée de celle que
nous hahitous par une vaste étendue de mer, devait se présen-
ter dés les temps les plus reculés. H paraît si naturel à l'homme
de rêver à quelque chose au-delà de l'horizon océanique, que,
même à l'époque où la terre était considérée comme une sur-
face plane ou légèrement concave, on pouvait croire qu'au-delà
de la ceinture de l'Océan homérique il y avait quelque hahita-
tion des hommes, une autre oîzojasvr,, le lokaloka des mvthes
indiens ». Sans doute divers préjugés empêchèrent longtemps
les anciens de croire qu'ils pouvaient directement connaître ces
terres mystérieuses, mais ils en eurent toujours comme le pres-
sentiment. Les plus grands esprits sont unanimes sur ce point.
Un passage ohscur d'Anaxagore, conservé par Simplicius (2),
est relatif à un autre monde, non pas imaginaire, ni perçu uni-
quement par l'intelligence, mais réel et tomhant sous les sens.
Pythagore (3) croyait aux antipodes, et son disciple Philo-
lalis (4) supposait que la terre et son antichtone se mouvaient
parallèlement dans un orhite commun autour du soleil. Platon (5)
et Aristote (G) étaient persuadés de l'existence des antipodes ;
(1) HuMBOi.DT, Histoire de In géographie du nouveau continent, t. I, p. 110
(■2) Si.Mi'UflL's, édition Scliaubacli, p. 89, 93. 110. yf:i
(3) DiofiKXE Laerce, VII, ii6. Etvat ôà xai àvit-ôSa; xai ta f,[xîv zâro)
îy.îi'vcp'.; avw.
(4) Philolaus, édition Uocckh, p. 115-117.
(5) DioGÈ.NE L.vEKct:, III, 24 : Kal ;:pôjTo; sv 9'.Xoao9;a àvT'.-ooa; (ôvo'jjia'jî.
(6) AiuSTOTE, De cœlo. II. 14 : 'llTr,; y?;; av siV, -coiyeps'.a toù o/^[jiaTo:
a'.Ti'a ayaipciEtor-jî oùaa. 'Hti 5i O'.â ttJ; twv àirptôv çavtaiia; où [xovov
oavspôv OTi r.cpi^pzQT];, àXXà xat zo ;j.c'yeOo; où/ oùia [JLîyâXr, . . . 'Eviot yàp
•*v ÀipTZTw [jLEv aiTsps; ôpûvTat y.al -spt KÛTTpov, kv toÎ; -poa «pxTOv oè
•/topioiç oy/ ôpàivTat.
MACROBII IN SOMNIUM SCIPIONIS EXPOSITiO,
\
<•«' (l«'niu;r |>
iiiu' «u'Iipso (
sur lo dis(|n(
vers le sud,
est s|(h(''ri(|u
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(1) CiCÉBON,
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vos pai'te contii
ribus, latcribus
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Iniito iioininc q
T. I
\
CIIAI'IÏHE IV.
LKS (ÎHKCS KT LKS ROMAINS.
Ii5
<•(' dernier |intuv;iit la sphéricifé de lu terre parce fait que, dans
une éclipse de lune, l'ombre de la terre se montrait circulaire
sur le dis(|ue lunaire, et aussi parce que, quand on voyageait
vers le sud, on découvrait de nouvelles étoiles. Or, si la terre
est spliéri(pie, ajoutait-il, faut-il supposer (juc l'autre partie de
la sphère est uni([uement rouverte d'eau, ou hien, plutôt, <|u'il
s'y trouve d'autres terres dont le climat vaut le nùtn;, d'autres
masses continentales dans lescjuelles se répètent les mêmes
|»hc jmènes climatériques que chez nous ? Cicéron ( I ) n'hésitait
pas à se prononcer en faveur de la seconde hypothèse. Il com-
prenait, avec l'instinct du génie, quelle était la vraie forme de
la terre, et il avait, par une merveilleuse intuition et dans un
magnilique langage, prouvé la nécessité des anti|»odes et la con-
tinuité de l'Océan autour de notre continent : « Tu vois sur la
terre les habitations des hommes disséminées, rares, et n'occu-
pant qu'un étroit espace ; tu vois même entre ces petites taches
(jui forment les points habités de vastes déserts interposés ; tu
vois enfin ces peuples divers tellement séparés que rien ne [leut
se transmettre de l'un à l'autre ; tu les vois jetés cà et là, sous
d'autres latitudes dans un autre hémisphère, trop éloignés de
vous pour que vous puissiez attendre d'eux aucune gloire », et
plus loin : « Deux zones sont habitables, la zone australe dont
les peuples sont vos antipodes, race étrangère à la vôtre ; enfin
cette zone septentrionale que vous habitez, et encon^ dans quelle
(1) CtcÉRON, République, liv. VI, 12, 13, traduction Villomaiii, p. 382 :
<< Vides habitari iii terra raris et angiistis in locis ; et in i|)s> iiiasi niacnlis,
ntii habitatur, vastas solitudines intcrjectas ; uusquu, qui inc( t terrani, non
modo intcrruptos ita esse, ut nihil inter ipsos ab aliis ad alios nianare possit
sud partiin obliques, partiin ctiani adversos stare vobis : a (juibns exspectarc
i;loriaui corte nullain potestis ». — « Duo sunt habitabiies, ((uonnn australi»
ille est, in que qui insistunt, adversa vobis urgent vestigia, nihil ad vestinni
j,'(!nus ; hic autein alter subjeclus aquiloni, qucni intolilis, cerne quani tenui
vos pai'te contingat. Oirniis enini terra, ([ua* colitnr a vobis. angnsla vcrli-
cibus, lateribus latior, parva quaidain insula est, circunifusa illo mari, quod
Allanlicuni, quod Magnum, quod Occanuni ai»pella(is in terris ; ijui tanien
linito noinine quain sit parvus vides ».
T. I. 10
•f
..^.■*>
140 PREMIÈRE PARTIE. — LES PRÉCURSEURS I»E COLOMH.
h.
faible proportion vous apparticiit-cllo ? Toute cette partie de la
terre occupée par vous, resserrée vers les p(Mes, plus l.irfre vers
le centre, n'est (ju'une île de toutes parts baignée par une mer
qui s'appelle l'Atlantique, la Grande Mer, l'Océan, ronuiie vous
dites sur la terre, et pourtant, avec tous ces grands noms, tu
sais quelle est sa petitesse ». Macrobe (1), le commentateur de
Cicéron, reprenait cette théorie en ramplifiant. Il divisait l(>
globe en quatre masses continentales, deux pour l'hémisphère
boréal, deux pour riiéniisphérc austral, de telle sorte qu'un
navigateur, en allant de l'est à l'ouest, devait forcément rencon-
trer sur sa route le continent des antipodes qui n'avait pas
encore été découvert à cause des chaleurs de la zone torride.
Il (>xise donc, d'après Cicéron, deux continents habitables, et
d'après Macrobe quatre. Ces continents il est vrai n'ont pas
encore été reconnus, mais, forcément, on les découvrira,
lorscpron aura réussi à surmonter les obstacles de la zone
torride. Telle était la théorie courante. Elle a été généralement
adoptée par les géographes de l'antiquité. C'est ainsi que
Strabon {"2) se prononce en faveur de l'antichtone. » Qu'appe-
lons-nous en effet terre habitée? Uni(piement cette portion de
terre que nous habitons, et qu'à ce titre nous connaissons. Or
il peut se faire que, dans la même zone tempérée, il y ait deu\
terres habitées, plus même, surtout à proximité de ce parallèle
qui, passant par Athènes, coupe toute la mer Atlantique ».
Poin[)onius Mêla (II), adopte également cette théorie. « Y a-t-il
(1) Macmobe, Commentaire du sonf;e de Scipioji, II, 9 : « Ab ortetito voro
duos siiitis rcrtiridit, iiiuiin ad cxlrcmitatcin sepluiitrionis, ad australis altcruin
riirsiisiiut; al» occiderile duo pariter ciiasciiiilur sinus, (^inuciii terrain quadi'i-
tidaiii dividiiiit, ol siiii^ulas, ut supra dixinuis, haltitalioiius insulas faciuiil.
Naiu iuter nos et australes lioniiucs ineaiis ille por calulaiu zonani, lolanKim;
eiugeiis, et rursus utriusrpie regiouis exlreuia liuibus suis ambieus, biuas in
superiore atque inl'eriore terraî superficie insulas facit ».
(2) Strabox, 1, i, (). KotXoj;j.£v Y«? 'jîwj,u.:'vr,v '.yj ot/.ou|X£V xai YV'op:Ço[A£v.
'EvOc'ysra'. Si sv xf^ aj:?) zy/.pi-:'!) Çfovrj y.x\ oj'i otxojas'va; S'.va-. r, /.al
-Àei'ou;
(3) PoMPONiL's Mbla, De situ orhi^, I, 9 : « Quod si est alter orbis,
•'fl^sces
»omicn
Cf. /o.
'■"■•■V. His\
*"'f,'', cir
slare, et
mic iiied
""" l'atio
(3) /d.,
C.IIAIMTHK IV. — LKS CHKCS KT LKS KOMAINS.
147
nti autre muiule, ('crit-il, et, dans la directujii du midi, des
coiiliut'iits ((pposés au nôtre, œ système ne me seudiie pas
éloifiiiè de la vérité (1) ».
On nous pardonnera d'avoir cité, malgré la monotonie
de cette énumérati(»n, tous ees passages empruntés aux
philosuplies et aux savants de l'antiquité. Ne démontrent-ils
|.as en eiïet que les anciens avaient ridé(! hien arrêtée d'une
aiititiitone ou continent opposé? Or, et c'est ici que nous
rentrons dans notre sujet, c'est surtout dans la direction de
l'ouest qu'ils ont cherché à découvrir cette antichtone. Il est
vrai que la description qu'ils en donnent mantpie de précision,
et que poètes ou philosophes ont ouvert, à propos de ces
mystérieuses contrées, lihre carrière à leur imagination, mais
ils les ont toujours cherchées du côté où le soleil se couche.
N'est-ce point au-delà de l'Atlantique qu'Homère a placé ses
Champs-Elysées (â), « ce pays où l'on ne connaît ni les tempêtes,
ni l'hiver, où murmure toujours un doux zéphyre, et où les
élus de Jupiter, arrachés au sort commun des mortels, goûtent
iMie éternelle félicité? » C'est encore au-delà de l'Occident (|uil
nous faudra chercher le pays des Gimmériens (3) « ce peuple
stmlquc opposili nobis a nieridie antichtoiies, ne illud quidei.i a vlto nimiiim
abscesserit. »
(1) Ce ne sont point les seuls témoignages qu'or? puisse alléguer en faveur do
la croyance des anciens à la sphéricité de la terre. Voir Manilius Astro-
nomica, I, 373-377.
Quod si plana foret tcllus, seinel orta per omnem
Deliceres. pariter toti miserabilis orbi.
Sed quia per tercteni deducta est terra tiniorcni,
His modo, post illis apparet Délia terris,
Exoriens simul atque cadens.
Cf. Id., II, 220-224. — Virgile, Georgigues, I, 247-251. — Pi.ixk i.'an-
<:iK.N. Histoire iiuturelle, II, 65 : « Ingens hic pugna litlerarum, con(ra.|ne
vulgi, circumfundi (errœ nudique homiiies, conversisque inter se pedibus
slare, et cunctis similem es.>s cœli vcrticem, ac simili modo ex quacunique
l'iiile nicdiani calcari ; illo quœrcnte cur non décidant contra siti : tanquain
non ratio presto sit, ut nos non decidere mirentur illi. »
(2) Homère, Odyssée, VI, 41, 542.
(3) lu., XI, 14-li).
HH l'IlKMIKHK l'AHTIK. — LKS l'URCIÎHSKI'MS l)K COLOMB.
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inulliouriMix (|ui, tuiijours ciiviroiiiii! d'ôimisses tt'nôliros, no
jttuit jiiriiais des niyoïH du soloil, ni (|UHtid rct astre itimitc aux
lii'ux, ni (|uand il dcscciid sur la tcrn' •>. A !'( )(>(-id(>nt ciicuro
les iiicrvcillfs du palais d'Alcinoiis et les jardins cncliautt's
fie ScJM'ria (l), ainsi (juc la ((mtrt'M' cliarmanlt' dont parlf
Hésiode {'!) : «Jupiter Saturnien leur pei-niet de vivre et d'habiter
à l'écart des liuinniis et il les établit aux extrémités de lu terre,
loin des inunortels, sous le sceptre de Saturne. (îes héros
fortunés jouissent de la quiétude, au milieu de l'Océan tempé-
tueux, dans les iU's des iiienheureux, où la fertilité (hi sol fait
fUîurir trois fois chaque année l'arbre aux fruits suaves ». La
contrée tnystéri(Mise <tù l'auteur du Prométhée enchaîné place ses
(îorjidues (IJi, la terre bénie du ciel (jue Pindare assigne c(jnmie
séjour à ses héros ^i) sont aussi dans la direction de l'ouest.
(Jue dire de cette étrange contrée dont parle Lucien dans son
I/istoiri' \'i'ri table (.'i), et que décrivait sans dout(! .Vntonin
Diogène, dans un ouvrai^e aujourd'hui |)erdu, intitulé: Des choses
hicroi/afjles qu'an vi>il (in-deli'i de l'Océan (G) ;' C'est parce (jue
le héros de ce roman voudra connaître la limite de l'Océan
et les h<»mmes qui en habitent le bord opposé (jue, suivi de
cin(|uante j(Uines }iens de son àf,'e, il se lancera dans l'.Vtlan-
tique (7).
Ce ne sont pus seulement les poètes et les rouianciers, mais
11) IloMÉKR, Odyssée, lu., IV, 507. - VII, 188 Cf. Wei.kkh, Die Ilome-
rise)ien Phocakcn unit die Insdn dtr Seliijer . — Vinkt, Les Paradis pro-
fanes (Ik'vuc de Paris, 18.'.'.
(2) IlÉsioDK, Travaux et Jours, 16T-173. — Cf. Id., Tliéoijonie, V, 274-
27(5.
(3) Escuvi.i;, Prométhée enchainé. Conseilla lo.
(4) Pindahe, Olympiques, II, fragments des Thrcnes.
(5) Li'ciKN, Histoire rérital)le, traduction Talbot, I, 340-117.
(0"; POBi'HYKE, Vie de P/jl/iar/ore (édit. Didot), p. 81)i. A'.oyi'voj; o ' ;•/ -v.;
(7) Lucien, ouv. cité. Ka'i to [JouA-ila-. aaO^îv -.î -j -ï'm; ia:-. toj Q/.Eavoj
■/.x\ T''v3; o! -fpav x.aTOi/'.oCîvTs; «vOpwnoi.
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nÉHT— t
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CIIAriTIlK IV. — LKS «HKCS KT I.KS lUtMAINS.
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les Hiivaiits «TX-nu^ines qui cnticiit ù rcxistencc (!«' ferres éloi-
gnées dans la diructimi de l'ouest. Aristote sait (|u"il existe d«'s
îles dans- rAtIanti(|ue (1), les unes plus faraudes, les autres plus
petites (pie notre continent, mais il n'en connait ni le nombre,
ni la position exacte et assure (pi'il ne les a pas visitées.
Kratostliène {"!), plus at'lirmatil', nientioiuie dans cette direction
ime ou plusieurs des au-delà de celles cpi'on y avait déjà recon-
nues. Kn eflet, le savant bibliothécaire d'AUixandrie, qui recevait
de tous côtés tant de documents divers, eut sans doute entre les
mains (pielipie relation aujourd'hui [((îrdue. Sa hardiesse lui
valut les critiques de Strabon, (|ui ne trouvait nulle part les îles
signalées par son |)rédécesseur, mais croyait pourtant «prelles
pouvaient exister. Il citait même à l'appui i\c ce système la
curieuse opinion de (Iratès de Malle, qui affirmait l'existence
d'un continent au-delà de l'Atlantirpu" et prétendait cpu», sur ses
côtes, devaient se trouver d'autres Ethiopiens. « Il s'appuyait (3)
sur ce que ce nom d'Kthiopiens désigne pour nous toutes les
populations méridionales répandues le long de l'Océan, et qui
semblent former la bordure extrême de la terre habitée ; il
conclut que, par analogie, on doit concevoir au-delà de l'Océan
l'existence d'autres Ethiopiens occupant, par rapport aux diffé-
rents peuples de cette seconde zone tempérée, et sur les bords
dudit Océan, la même situation extrême. » Pline, Mêla, tous les
géographes latins ou byzantins sont du même avis, et c'est
(1) Aristote, De mundo, 111 (édil. Didot), t. lll, p. 629 : » IloXXà; Zï
v.at àXXa; v/jao'jç £txôî tî^îSe àvTirôpOiJLOu; à;:oO£v x-îaOai, Ta; iji:v [jif/'î^oy;
aÙT^î, Tàç 3'eXixTTOuç, fjjjiîv 3s -âaa; ttXïjv ttjîSe aopâiou;. »
(2) Strabon, 1, m, 2. « Wzni'z-.fjy.z 3à/.a\ rep\ twv 'e'Çoj 'Hpa/XEÙov atTjX'îiv
roXXot; (luOtiiScai , KepVTiV te v^aov xat «XXou: totcou; ovoiaaî^ojv Toù;
[Ar,Sa(iou vuvi 8eixv'j|ji^vou;. »
(3) Strabon, I, H, 14. << "QaTzep oùv ot i:àp f,[xîv 'AiOiottsî oûtoi Xs^oviai
o't ;:pôs jjiear,[A[îiav y.ey.Xt'ixevot Tzxp' oXtjv Tf,v o!xou(i.£vr,v 'éay^axot tûv aXXo)v
napoixoùvTeî Tov 'QxEavôv, ouTta; oiExai Seîv xa\ TiEpav toù ' ÛXEavoy voiEioOai
Tiva; 'AtO'ona; £(j/_(xto'jî twv àXXwv '.oiv Èv tt) k^pa syxpotTto, rapoixoSvTe;
TÔv aùtôv toOtov «ôxeavov. »
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150 l'RKMlKRK l'ARTIK.
LKS rKKCUHSKURS DE COLOMR.
toujours du côté de l'ouest qu'ils cherchent les îles et les terres
nouvelles, dont ils affirment l'existence.
L'hésitation n'est donc pas possiMe. Sauf de rares exceptions,
l'antiquité tout entière a cru h l'existence d'une ou de plusieurs
antichtones et elles les a (cherchées dans la direction de l'ouest
et au-delà de l'Atlantique. 11 est vrai que rien n'est précis dans
ces indications, et que ces ilos ou ces continents, dont on parlait
sur la foi des poètes ou des philosophes, personne ne les avait
visités. Bien plus, on regardait comme inutiles tous les voyages
qu'on entreprendrait dans cette direction : « Au-delà d'Ierné
(c'est-à-dire l'Irlande) se trouvent peut-être d'autres îles, mais
il n'y a pas grand intérêt à les chercher, écrit Strahon (1), car
les hypothèses suffisent à la science... Ajoutons qu'au point de
vue politique, il n'y aurait également aucun avantage à connaître
ces contrées lointaines avec leurs hahitants, surtout si ce sont
des îles qui, faute de comnmnication facile, ne peuvent rien
pour nous, soit en bien, soit en mal ». Nous reconnaîtrons
encore que ces contrées transatlantiques ont été choisies par les
romanciers d'alors, par Lucien et par Antonin Diogéne par
exemple, dont nous citions tout à l'heure les œuvres, comme le
théâtre des exploits de leurs héros imaginaires ; nous avouerons
enfin que les descriptions les plus étranges se sont mêlées à
cette idée vraie et que l'antichtone ou le pays des antipodes
sont devenus le séjour des peuples extraordinaires, Astomes,
Acéphales, Tétrapodes, Monocolcs, Sciapodes, et des animaux
fantastiques, dont les bestiaires du moyen âge ont précieusement
conservé le souvenir (2). Mais, de nos jo'irs, les notions les
plus étranges prennent encore naissance avec une merveilleuse
facilité. Ainsi sait-on pourquoi les progrès des Espagnols aux
Philippines furent si rapides ? C'est que les indigènes, en
(1) Strahon, II, v, 8. « To S'sxelOsv ètcI xrjv 'I^pvrjv où-Ahi Yv<i5pi[j.ov,
Ko'aov fiv Tt; Osir,, oùS ', v. jîEpaiTEpo) ett o'r/.rJat;j.a èiTiv, où8È Set cppovttÇstv
Toî; Ir.aw) ÀsyOEÎat. Ilpdî 8à te yap £7:taTr([ir,v àpxeî i:ô Xapstv. »
(2) Bergeh de Xivbey, traditions tératologiques .
•asiBKrië«'^îî^
CllAPITRK IV. — LES GRECS ET LES HOMALNS.
131
voyant les Espagnols se nourrir de biscuits de mer, fumer du
tabac et porter une longue épée, les prirent pour des monstres
redoutables qui mangeaient des pierres, vomissaient du feu et
avaient une queue pointue (1). A plus forte raison devait-on, i\ une
époque d'ignorance générale et de crédulité universelle, forger
les contes les plus incroyables sur ces pays que, d'ailleurs, on
ue connaissait pas.
Donc, tout en faisant la part des préjugés et des superstitions,
de l'indifférence et de l'ignorance, des erreurs et des confusions,
il n'en reste pas moins établi que la croyance à l'existence de
continents opposés au nôtre était, bien que vague encore,
universellement répandue.
Un grand philosophe, Sénéque, s'est fait comme l'interprète
de cette croyance quand il a prédit, en termes si clairs, qu'on y
a vu comme l'annonce certaine d'événements contemporains, la
découverte du Nouveau-Monde. Voici cette prophétie, fort re-
marquée par Colomb, et citée après lui par Pierre Martyr,
Oviedo, Herrera, et plusieurs des historiens de l'Amérique :
« Un temps viendra dans la suite des siècles où l'Océan brisera
les liens dont il enserre le monde ; à tous s'ouvrira le grand
continent ; Typhis découvrira de nouvelles régions, et Thulô ne
sera plus la terre la plus reculée » .
Venient annis sœcula seris,
Quibus Oceanus vincula reruni
Laxet, et ingens pateat tellus,
Typhisque novos delegat orbes,
Nec sit terris ultima Thule (2).
Faudrait-il ne voir dans cette prophétie que l'expression poé-
tique de la théorie des hémisphères inconnus (3) ? Il y a
pourtant dans ces vers un tel cachet de précision ; ils annoncent
(1) Ameiliiox, Histoire du commerce et de la navigation des Egyptiens
sous le règne de Ptolémée, p. 92.
(2) Séneque, Jtferf^e, II, 371.
(3) ViviEA ^K Saint-Martin, Année géographique, i867, p. 296.
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i \
152 PREMIÈRE PARTIE. — LES PRÉCURSEURS DE COLOMH.
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si bien \er, futures découvertes, qu'on est plutôt tenté de croire,
avec Leibniz, que Sénèque a réellement annoncé la décou-
verte de l'Amérique (1). L'enflure même et la majesté du style
contribuent ii donner à ce morceau une couleur prophétique,
dont aurait été dénuée une simple hypothèse géographique.
Ortelius (2), rappelant que Sénèque était Espagnol, pensait que,
de préférence ù tout autre, il pouvait ainsi pressentir et annonc(!r
le nouveau continent; mais n'est-il pas plutôt vrai que l'idée
de cette découverte flottait alors confusément dans les esprits ?^
On s'occupait beaucoup de lointains voyages. Les centurions de
Néron tâchaient de découvrir les sources du Nil (3). L'intérieur
de l'xVfriquc s'ouvrait aux ardentes investigations du Cornélius
Balbus (4) et le roi Juba, dépouillant les rares ouvrages (Cartha-
ginois qui avaient été épargnés, écrivait ses commentaires sur
l'Afrique. La carte de l'Empire, dressée par ordre d'Agrippa,
avait besoin de nombreuses corrections (5), depuis ([ue les
légions, dans leurs courses victorieuses, avaient parcouru la
Germanie et la Grande-Bretagne (0). Est-il besoin de supposer,
comme le fit Gronovius, un '^es commentateurs de Sénéque, que
ce dernier avait beaucoup voyagé et était devenu un des plus
savants géographes de son temps ? Mais, à certaines époques,
tout le monde s'occupe de voyage. Ainsi, quand Henri de Viseu
s'établissait à Sagres et lançait à la découverte ses hardis pilotes,
l'Europe entière s'intéressait à leurs travaux. Quand eurent lieu
les grandes découvertes maritimes du xvi" siècle, lors(jue deux
(1) Leibniz, édition de Genève, 1768, t. VI, p. CiT : « Sénèque, dans le
Médée, a prédit la découverte de l'Amérique » .
(2) OnTELlus, Theatrum rmindi.
(3) Sénèque, Questions naturelles, VI, 8, 3 : « Ego quidcm centuriones
duos, quos Nero Cacsar, ut aliarum virtutum, ita veritatis aniantissimiis, ad
investigandum Nili caput miserat, audivi narrantes ». — Cf. Pi.ine, Histoire
naturelle, VI, 29.
(4) Pline, Id., V, 5. — Beruoux, Les Ancietmes explorations et les
anciennes découvertes de l'Afrique centrale (Revue do géographie, V, 7)
(5) Ahhien Marcellin, XXII, 12.
(6) Pline, Histoire naturelle^ HI, 3.
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■Jiiiin. I I "Tî m""*
iil—Oi'rii I li In I I in" iT-
CUA PITRE IV,
LES CHEC.S ET LES HUMAINS.
vy.)
cents ans plus tard Gook et Boufïainvillo appelèrent l'attention
surTOcéanie, lorscpie de nos jours toute une légion d'intrépides
découvreurs s'abattit en (pielque sorte sur l'Afrique et en prit
possession au nom des droits supérieurs de la civilisation, une
véritable fièvre de curiosité s'empara de tous les esprits. De
même, au premier siècle de l'ère chrétienne, quand les Romains,
maîtres de l'univers connu, se hasardèrent dans les pays
inexplorés , prédomina un semblable désir d'augmenter les
connaissances géographiques. Sénèque , par sa fortune, sa
réputation, sa position auprès de l'Empereur, était, plus que
personne, à même d'ôtre un des premiers et des mieux ren-
seignés. De plus, il était ini des savants les plus érudits de son
temps. Les vieilles traditions Phéniciennes et Grecques se con-
fondirent dans son esprit avec les données nouvelles, et c'est
ainsi (|ue, mêlant les formules inexactes de la science antique
aux tâtonnements encore obscurs des récentes découvertes, il
composa sa fameuse prédiction.
Le grand bruit qui se fit autour de cette prédiction, dès que
les faits en eurent constaté la réalité, engagea un Portugais, un
certain Jacobo Navarcho, à commettre une supercherie archéo-
logique, dont Ortelius a conservé le souvenir (1). En 1500,
il fit graver sur un marbre de méchants vers latins, auxquels il
affecta de donner une forme archaïque, et un sens énigmatique ;
puis, quelques années plus tard, en 1508, supposant le marbre
suffisamment détérioré, il feignit de le découvrir et le montra i\
des curieux enthousiastes comme une inscription sibylline. Si-
bylline était-elle, en effet, pour la difficulté de l'interprétation :
u Les rochers auront roulé sur cette inscription et ces caractères
réguliers, lorsque tu verras. Occident, les richesses de l'Orient.
Le Gange, l'Indus, le Tigre, vraiment ce spectacle sera mer-
veilleux, échangeront entre eux leurs productions ».
(1) Ortéul'S, The'ttrum orhis terravum, pi. 2. — L\ Poi'ELM.mére
(Histoire des Trois Mondes, I, § 5, p. 13) croyait encore, quand il écrivait
son ouvrage, en 1532, à la réalité de cette inscription.
; \
'^iMtMiMiiMNliMIÉf^
154 PREMIÈRE PARTIE. — LES PRÉCURSEURS DE COLOMB.
Volventur saxa litteris e'. ordine rectis,
Quuni videas, Occidons, Orientis opes.
Gange?, Indus, Tigris, erit niirabile visu,
Merces commutabit suas uterque sibi.
Ce jargon emphatique éveilla les soupçons d'un savant
jurisconsulte. César Orlando, qui n'eut pas de peine à découvrir
la fraude, et, dès lors, fut oubliée la prétendue prophétie.
Aussi bien la prophétie de Sénéque pouvait induire un anti-
<juaire peu scrupuleux à la tentation d'en fabriquer une
semblable, puisque, le 4 juillet 1860, le congrès des États-
Unis de Colombie, réunis à Bogota (1), en déclarant qu'il
acceptait le don fait par le général président Mosquera d'une
statue de Christophe Colomb, a décidé ([uc cette statue serait
érigée à Colon dans l'isthme de Panama, et (jue le piédestal
porterait sur une de ses faces la prédiction de Sénèque (2). 11
était difficile à la fois de rendre un plus bel hommage à celui
qui retrouva l'Amérique , et de mieux reconnaître la profonde
impression laissée par les vers du tragique latin?
Les Grecs et les Romains n'ont pas cru seulement à l'existence
d'un continent opposé, d'une antichtone, au delà de l'Atlantique.
Ils ont essayé d'en trouver le chemin sinon directement, au
moins par leurs hypothèses scientifiques. Une de ces hypothèses
est remarquaide par son caractère d'absolue précision, et c'est
en la faisant passer de la théorie dans la pratique que Colomb
a trouvé l'Amérique.
Les anciens croyaient en effet à la possibilité d'une commu-
nication entre l'Atlantique et la mer des Indes. Homère (3) parle
(1) Vivien de Saixt-Martin, Année géographique, 1867, p. 295.
(2) Celte statue existe. Elle a été donnée par l'impératrice Eugénie au
général Mosquera, parent éloigné de la famille Montijo : « Colomb, droit et
fier, protège de la main droite une toute petite femme, nue, craintive et
courbée, mais fort jolie, si jolie qu'elle rappelle plutôt une charmante pari-
sienne costumée en source, qu'une indienne trapue, lourde, aux traits écrases ».
A. Rkci.us, Tour du Monde, 1880.
(3) HoMKRE, Iliade, Vil. 422. — VIH, 485.
(3) Ari
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CHAPITRE IV.
LES C.RECS Eï LES ROMAINS.
ù plusieurs reprises de rOçéan qui entour la terre, et dont les
flots facilitent les relations entre les peuples les plus «'«loignés.
Cette id(^e, soutenue et reprise par d'autres poètes (1), est
confirinée par le témoignage d'Hérodote (2). « Toute lu mer
que parcourent les Hellènes, dit-il, et celle (jui est hors des
colonnes d'Hercule, à laquelle on donne le nom d'Atlantique,
et la mer Erythrée ne forment qu'une mer m. Ce que le grand
iiistorien avait compris pour ainsi dire par intuition, d'autres
écrivains plus versés dans les connaissances positives l'affirmè-
rent avec plus d'autorité. « Ceux qui supposent, écrit Aristote(3},
que le pays autour des colonnes d'Hercule n'est pas éloigné de
rinde, et qu'il n'y a qu'une seule mer, ne me paraissent pas
s'être heaucoup trompés ». H se fonde, en effet, sur une
ingénieuse conjecture, dont les récents voyages ont démontré
l'exactitude, à savoir qu'aux deux extrémités du monde alors
connu, c'est-fi-dire aux Indes haignées par la mer Erythrée et
sur les rivages de l'Africjue Occidentale baignés par l'Atlantique
se trouvaient les mêmes animaux (4), singes, éléphants, croco-
diles, et les mêmes plantes, palmiers, roseaux gigantesques,
etc. Donc, le pays intermédiaire, bien qu'inexploré, non seu-
lement devait exister, mais encore avoir les mêmes produits.
Oatès de Malle croyait aussi à la communication de rAtlanti([ue
et de la mer des Indes, puisqu'il admettait la réalité du périple
de l'Afrique par Ménélas (3). Eratosthène, le grand géographe
(1) OnpuÉB, Jupiter et Junon, édition Hcrmatin, 1863.
(2) HÉRODOTE, 1, 202. « T/jv [xh yàp "EXXrjve; vajTtXXovTat nàaav,
r, k'Çdj airjXojv OâXaaua f/ 'AxXavTt; y.aXou[jLSVT) , /.«• rj 'EpuOpr) [xi'a Tuy/
(3) Aristote, De cœlo, U, 24 : « Aïo toÙ; Û7:oXa|A6âvQVTa; a'Jvâ;:T£'.v
-£îl Ta; 'IIpaxXEtO'j; aT/JXa; "dxrov tto j^epl tTiV 'lv3ixf,v, y.at toûtov
Tpoj:ov sîvat tjjV OotXaTTav [Jifav, [at] X;av ù;ToXa[jL[3âv£iv onziitz ôo/.âîv. »
(4) Id., Il, 14 : « As'Yoyat 8à TSXfiatpdjjLEvot x«t toÎ; ïXc'faa'., oti
àjjicpOTê'poy; -où; td7:oJî toÙ; ÈT/aTsûovTa; tô -^évor, xjtwv àariv, «o;
:i-/«t(t)v 3tà To auvârteiv àXX^Xoc; toSto ;:s-ovOdtojv. »
(5) Cratés de Malle, cité par Strabon, II, i, 9.
•/.ai
acvEi
TOV
tÔv
-cpi
tfOV
i-,
156 l'nKMIKPR I'AHTIF:. — les I'RÉCURSKIHS dk c.olom».
dont nous no conniiissons plus los »ruvrcs (jue par fVapinonts.
pensait do rnùmo : «Toute la mer ext(^riouro, disait-il, no forme
qu'un seul et m<^me courant, (tu, en d'autres ternies, la mer
Hesperienne ou Occidental»' et la nier Krythrée n'en font
(|u'une (1) ». 11 est plus explicite encore dans un autre passaf^e :
« On pourrait, dit-il, aller sur mer depuis l'Iliérie jus(pi'à l'Inde,
en suivant le même parallèle, n'était l'immensité de l'Atlan-
tique (2) ».
Il est vrai (jue cette théorie soulevait parfois d'ardentes contra-
dictions. Ilipparque, par exemple, soutenait que l'Océan ne
formait pas une seule mer, mais qu'il était comme coupé par
de frrands isthmes qui le partageaient en plusieurs bassins par-
culiers(3). Après lui Marin de Tyr, Ptolémée et leurs disciples
croyaient à la séparation des Océans, et leurs opinions furent
acceptées par un hou nombre de savants jusque dans le moyen-
àge ; mais, après Aristote et Eralosthène, Posidonius proclama
à son tour la continuité des Océans (4) et la prouva par son
récit du voyage d'Eudoxe de Cyzique, depuis les bords de la Mer
Rouge jusqu'à l'Ibérie. Il la démontra encore en faisant re-
marquer qu'on avait trouvé dans la Mer Rouge les débris d'un
navire de Gadés ([ui y avait été entraîné par les flots. Strabon,
lui-môme, malgré sa réserve ou plutôt malgré son scepticisme
scientifique qui ne lui permet de croire (ju'à ce qui lui semble
surabondamment prouvé, adopterait volontiers cette théorie de
la proximité de l'Espagne et de la merdes Indes. Partout où les
(1) Strabon, 1, m, 13. « Tr,v èxto; OâXaTtav aTra'jav aupioCîv eivai, ojata
•/.al Tr|V 'Ea-fpiov za! t))v 'EoûOpav OâXaTtav [jiiav eiva;. »
(2) Id., F, IV, 6. « "D-iT ' V. [i.T) To [jls'yeOoî toj 'AiXaviiz-où ^îEXàyoui;
sxtiSXuE, xav TzlîXv rju.à; kx tî;; 'I[3îp!a; s'.; Tr,v 'Ivoix/jv ô'.à toù aù-O'j
-apaXXrîXo'j ».
(3) Stbabon, II, 1, 9.
(4) Id., II, m, 4. — Gakfarel, Eudoxe de Cyzique et le périple de
l'Afrique dmis l'antiquité (Mémoires de la Société d'émulation du Doubs,
1813). — Abbé Lepitre, De his qui ante Vafcum a Gama Africain légère
tentaverunt .
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(.IIAI'ITHK IV.
LKS (IRKCS KT LKS ROMAINS.
irn
lutinrncs altcignin'nt rcvtrémitc'' do lii terre, dit-il, ils ont trouvi^
rOc/'iiii (1), (< et pour les parties où le fait n'a pu «Hre vérifié exac-
tement j)ar les sens, le rais^nneiuent la étaltli de même ». Il
affirme mémo [•!) « (pie l'espace encore fermé à nos vaisseaux
faute de relations établies entre luts marins et ceux (|ui exécutent
en sens contraire des |)éri|)les anaJd^iues, est peu considérable, à
en juji'er |»ar les distances parallèles (|ue nos vaisseaux ont déjà
parcourues ». Les jiéoffraplies latins repreuuent la même idée
en termes à peu près identicpies. « T(tute la mer qui s'étend
entre l'Inde et (îadès, écrit Solin, ()$) on |»eut, d'après .|ul>a, la
parcourir pour peu qu'on soit poussé par le vent d'est ». « Le
spectateur curieux, ajoute Sénè(pie, (i) fait fi deTétroitesse de son
ancien dcunicile. Quel est, en effet, l'intervalle qui sépare les
Indes de l'extrémité de l'Espafîne ? C/est un espace* (|ui peut être
l'ranclii en (jueUpies joiu's par un navire (|ue pousserait un vent
favoralde ». Ces divers passa|^es étaient connus de Coloml). 11
aimait à les citer, et les appli(|uait à ses propres projets. Ne
sait-on pas aujourd'hui qu'en se dirigeant vers l'Occident, il
cherchait non [»as un continent nouveau, mais une route [>lus
sûre et plus c(»urte pour se rendre d'I^lspagne au\ Indes?
Donc ces deux croyances de l'existence d'un continent au
delà de rAtlanti(|U(! et d(> la continuité des Océans existaient dans
l'antiipiité, mais elles flottaient confusément dans les esprits. ^5)
1
,1) SiRABO.N, I, 1, 8 " Ka- ô'-oj ô; -f] aiaOr^asi Àai'JEîv oô/ îiTi^pÇsv, ô
{'Ij Id. » Tôoï /îi-J;i.:vov anXouv /|;i.;v [J-î/p'- vj'v to) arj iJ'iir.^a,'. ;j.r|0î'v3iî
aXÀ/{}.0'.; T(oj àvT'.nip'.-XaovTC'jv oJ -ô/.u, i" ti; auvciOriaiv à/. TtTiv -apa/.-
X/JA(ov o'.aiTrj[xàT(ov tojv £'j;x.T(ov f||J.'.v. o
('■i'^ Soi. IN, § 5ti : c( Oiniir illiid mnrc ;ib Iiidia iisiiuu ad Gadcs volait Juba
intfïlligi riavigabili; C.ori tMiiluiu flatibiis »
(4) Sénèijl'k, Questio'u iintureUes, V, '■>& : « Tmic coiitL'mnit ciiiiosiis
spectatot- (loiuicilii priuris aii^iistias. Quaiitiuii ciiiin est ({iiud ab iiltiiiiis litlo-
l'ibiis IlispaniiC usqiiu ad liidos jacct ? Paucissiniorum dioriiiii spatiuiii, si
iiaveni suus veiitus iiuplevil .
(ô) Les tiiéories antiques paraissaient si bien fondées an baron de Zacli
i|n'il écrivait qu'au teiniis de Sénènue les voyages d'Espagne en Amérique
■if
■ÀUi.m
.jMmumi..^ I
158 PRiîMiÈni': pahtie.
LES l'H'XUnSEL'HS 1>K COLOMll.
Repoussécs par les uns, adoptées par le plus g:rand iioniltre, elles
laissaient entrevoir la j)ossii>ilité de navif^ner de|)uis l'extrémité
occidentale de l'Europe et de l'Afrifjue jus(ju'au.\ Indes, Aussi
est-il hors de doute que, perpétuées à travers le moyen Afre, elles
entraînèrent Colond» à la découverte du nouveau monde, ou du
moins à entreprendre le voyage dans le(|uel, sans ([u'il s'en
doutât, il découvrit le nouveau monde.
de
III. — LES VOYAGES.
Stralion «...as apprend que, de son temps, d'assez nombreux
navi};ateurs se hasardaient dans la mer extérieure, autrement
dit dans l'Océan Atlantique : sans doute ils étaient obli},'és de
rebrousser chemin, mais encore avaient-ils fait quelques pas
en avant et donné l'exemple (1). Il est probable que, sur leurs
traces, s'aventurèrent de hardis conipaj,Mions, de même que sur
les pas des Portu},Mis au xV siècle s'élancèrent bientôt de
nondireux compétiteurs. Ce fut ainsi que s'étendirent et se
précisèrent les connaissances géographiques.
Quelles furent en effet les connaissances précises et positives
des (irecs et des Romains dans la direction de l'ouest, au delà
des colonnes d'Hercule? (2) Deux groupes d'îles paraissent avoir
été piirticulièrement visitées par eux. Ils les nommaient les
Fortunées et les Ilespérides.
Lorsque Sertorius, fuyant la tyrannie de Sylla jusqu'aux
h. i
I \ !
(levaient ôtrc fréquents. Sans partager l'cnthoiisiasme scientit'Kiiie de l'émi-
nent auteur de la Correspondance astro7iomit/ue (1826, t. XIV, p. 386)
iccduiiaissons au moins que les Grecs et les Romains s'étaient avancés dans
rAllantique au delà des Colonnes d'Hercule, et que leurs voyages dans cette
direction étaient fréquents.
(1) Stuabon, II, V, 8.
(2) Ln.KWELi-, Die Entdcckungen iler Carthatjer und Grlcchen auf detn
atlantischen Océan (traduction allemande de Ritter), Ucrlin, 1831.
:
tém
»»e."!f StT-lur;
CHAIMTHK IV. — LKS CHECS KT LKS HOMAI.NS.
iri'j
extrômité de rKspagiK;, arriva à Gadès, il y rencontra des
pirates qui venaient de visiter deux îles situées dans l'Atlantique;
à environ dix mille milles de Gadés. Ils lui en vantèrent
beaucoup le sol fertile et le climat admirable, (les pirates étaient
sans doute Espa{inols d'ori^nne. Ecrasés par les envaliissenrs
de U'ur pays, et disposés par leur caractère à t(Hit supporter,
sauf la privation de leur indépcmlance, les Ks[>agnols étaient
alors, plus ((ue tout autre, habitués aux lointains voyages.
Séduit par leurs récits enthousiastes , espérant trouver au
milieu de l'Océan la liberté et le rej)os qui lui manquaient en
Europe, le général Romain eut un instant la pensée de s'em-
barquer pour ces îles mystérieuses, mais il ne put décider ses
compagnons à le suivre (1).
Après Sertorius cet archipel fut mieux connu. Les (Irecs
l'avaient nommé Bienheureux, les Latins le désignèrent sous
le nom de Fortuné. C'est à ces îles qu'Horace (2) faisait allu-
sion :
Nos manet Oceanus circiim vagus : arva, beata
Petamus arva, divitos et insulas,
Heddit ubi Cererom tellus iiiarala qiiolaiinis.
C'est d'elles encore que parle Pline en racontant, d'après
Statius Sebosus, ({u'à 7."jO milles à l'ouest de Gadès, on trouvait
successivement Junonia, Pluvialia, Capraria, Planaria et Con-
vallis (3). Le roi de Numidie Juba, qui avait établi des teintu-
reries de pourpre sur les îles voisines de la cote des Autololes,
s'était informé des îles Fortunées (î), mais il leur donnait des
noms différents: Ombrios, Junonia, Capraria, Nivaria elCanaria;
il avait sur leurs productions et leur climat des renseignements
étendus. Ptolemée en énumérait six qui se succédaient du nord
(1) Plutarque, Vie de SertoviU'^, VIII.
1832, p. 196.
(2) Horace, Epodca, XVI, 41 .
(3) Pm.nk, Histoire naturelle, IV, 31.
(4) ]}\.\}iv., Histoire naturelle, IV, 32.
-Cf. Salluste, éilitioii Gelulacli,
1
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ii
■\.i!f
U'À) l'IlKMlKHK l'AHTIi;. — LlCS l'HKCUHSKlHS KK COLOMIl.
i
't ,
au sud (liUH l'drtln^ suivant : Nin<ruaria. (lanaria, (lapraria,
Pliivialia, .liUKiuia, Aprositos ^ I). (les ilcs t'taiciit (loue ('oiiuucs
cl des couununuatious ivjjrulirrcs cxistaicul entre elles et le
(•(»ntiiient. Jadis m(Mne elles lurent liahitées. I^e nii Juha
racontait qu'on y trouvait fré(juennnent des traces d'habitations
inunaines (2). ]a' wm\ de Canaries (|ui a survécu, le nombre
dos îles, la distance ({ui les sépare du continent, tout donc nous
porte à croire (pie les anciens ont réelleniont connu l'archipel
des Canaries.
Nous serons moins allirmatii" jtour un autre groupe d'iles
dont le nom se rencontre fréijuennnentclie/ les auteurs anciens,
les llespérides. On sait que le nom d'ilespérie désifjna d'abord
tous les pays du couchant. ICn Euroj»' il passa de la (îrèce à
l'Italie, puis à l'Espaj^ne. Imi A l'ricjue riles[)érie désijrna (l'abord
la partie du grand désert où se perdit l'armée de Cambyse (3) ;
plus tard nous le retrouv<ms au midi de la Cyrénaïque (4); le
périple d'ihuinon {•>'] le reporte sur les bords d(! l'Atlantique,
près (lu fleuve Lixus, dans ce pays où Hercule alla cueillir des
[lonnnes d'or. Lorscpi'enlin le Samien (lolaeos ((»), sans se lais-
ser effrayer par les contes d'Hésiode sur les (Jorgones, et sans
craindre la rivalité des Phéniciens, franchit les colonnes d'Her-
cule et prit possession de l'Atlanti(iue au nom de ses compa-
triotes, rilespérie recula une seconde fois. Itllle quitta le continent
et se réfugia dans les îles. 11 est difficile d'assigner à ces îles
une position précise. Tant(*»t on les nomme Hespérides, tant('»t
(îorgades ou Atlantides ; mais les renseignements sont si con-
fus et tellement contradictoires, les récits des voyageurs si tron-
qués, si défigurés par des dépositions ignorantes ou des
(1, Ptoi.kmék, IV, (5.
(2j Pline, Ilistoin; u'iturclb;, IV, 'M.
(;î) Hérodote, UI, 26.
(4} SiHviiOX, IJvre sur l'AIVique.
(5) Pi.iNK, lli-ttoirf natnrellr, VI.
,6; HÉnoDOTE, IV, 1.32.
- r.r. II.., VI, 37.
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raiAPiTRK IV. — LKS r.nEcs et les romains.
ICI
iiuMisoiifîi's intéressés, (|iril est impossible dVtahlir hi concor-
dance de cet archipel avec les iles du Cap-Vert, ou de Madère,
ou tel autre groupe de l'.Vtlanticpie. il denieiwe seidenient
pntuvé (pie l'.'s (Irecs et les iloinains connaissaient vajruenient,
dai.s la direction de l'ouest, d'autres iles (|ue les Fortunées.
Un seul auteur, Patisanias, a parlé d'un autre archipel, celui
des iles Satyrides, dnnt remplacement est encore plus problé-
matique. « Kuphémos de Carie, a-t-il raconté, se rendait en
Italie. Les vents le détournèrent de sa route et le poussèrent
jusfpie dans cette mer extérieure, (pii n'est pas encore f'réipientée.
Il V trouva de nombreuses iles, les unes désertes, les autres
peuplées d'hommes sauvages. Les matelots ne voulaient pas
ap|)rocher de ces dernières, ayant abordé précédemment dans
(juelques-unes, et sachant de (juoi leurs habitants étaient capa-
bles ; ils s'y virent ce|tendant encore forcés. Les matelots don-
nèrent à ces iles le nom de Satyrides. Leurs habitants sont
roux et ont des queues aussi lonj^ues que celles des chevaux,
lis accoururent vers le vaisseau dès qu'ils l'aperçurent. Ils
ne parlaient point, mais ils se jetèrent sur les femmes pour les
violer. .\ la fin, les matelots épouvantés leur abandoimèrent
ime femme barbare, et les Satyres, peu satisfaits des jouissances
naturelles, assouvirent huir brutalité sur toutes les parties de
son corps (1) ».
L'exactitude et la bonne foi de Pausanias sont universelle-
(i) Pausanias, I, 23 : « "E?r, Sa 'T^j^Tjao;, Kào àvf.p, -Xewv s; 'haX;av,
àjjiapTSîv ûnô àvEiiùiV to'j T:\o\i xai 3; Tr,v È'îfo OâXa'Jîav, È; rlv oÙxî't'.
;:Àioujiv, iX^vf/<)f,von. Nrlsou; 31 sivai |jiîv EÀeycV àprj(i.oy; ;:oÀXà;, èv ii
TXJTa'.ç oîxîîv àv3pi; otypiou;. TaÛTai; 8à ojx àOslsiv vrîaot; rpo;i'T/£!v toÙ;
vaÛTa;, o;« -ootîî'j'v t: ;cpoT/ovTa; zat Ttîiv Èvo'.v.O'jvtwv où/. a7:-!pti>; Ëyovtaç.
BiaiOTjvat S'oOv /.«l tots. TaÛTa; xaÀstaOat [xh irto vxjtwv i]aTup;'3a;, sivat
oî Toù; £votxoyv-aî xaî nypjbouî, xal tn-wv ou ~oÀù |ji£''ou; Ëyj'-v ;-'i toî;
tay(otî oùpà;. To'jto'j;, t'»; rjiOovTo, xaTa3pa[jiovra; ït:\ Tr,'/ vauv ^tov/jv |^3V
0'jSs(jL''av isvat. rat; Si yuvâiÇiv èr:'./ etpsîvTaî; Èv -^ vj);. TeTwo; ol, ôs^aavTa;
Toy; vaÛTa; [îàp,3apov y^valxa è'xCJaXî'.v è; xrjV vtjuov. 'El Ta'jTrjv oùv ujîptÇe'.v
TOj; SaTÛpou;, où [iôvov ^ xaOfaTrjXcV, àXXà xai tô 7:av ôfioitu; oûjxa.
T. I. H
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102 l'HKMIKRK l'AHTIK. — LES PHÈCUHSEURS DR COLOMB.
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I.
meut rccomuies et aiipréciées. Il a donc certiiiiiciiicnt ciiti'iKiii
racoiiUîr le voyupe (ri<]iiplieiiius de Curie, et ce voyage, selon
tonte vraiseird)lance, a dû iHw exécuté. Il nous reste à déternii-
IMT flans (|nelle direction, et à essayer de retntnver les Safyrides.
Certains auteurs ont pensé (jue les Satyrides correspondaient
aux Antilles. Kn elVet les insulaires des Satyrides avaient la
peau roufje, de niônie (|ue les Américains , et plus particulière-
ment les Caraïbes des .\ntilles. Tueurs instincts hestiaux et leur
luxure frappaient d'étonnement les (Irecs, de même (jue les |»re-
miers conipiistadores espaf^nols ne trouvèrent pas <rex|)ressions
assez éner}.'i(pies pour déplorer les déhauclies et lesnweurs hon-
teuses des .Vniéricains. Quant à la (pieue des Satyrides, il est
fort possible ipie li's matelots d'Iùipliemos aient été tntmpés,
ainsi (pi'il arrive aux voyaf,'(!urs (pii se contentent d'un examen
superliciel, et (|u'ils aient pris pour un appendice naturel ce (pii
n'était (pi'un ornement. Un des missionnaires (jui purent encttre
étudier sur place les munirs des Caraïbes, le [»ère Lalitau, dit
expressément ([u'avant d'aller au combat ces insulaires s'ornaieni
de (pieues |)osticbes enlevées aux animaux (l). C'est encore
ce (pi(ï t'ont aujourd'hui certains Indiens du l-'ar-West (:2). Nous
faut-il donc conclure de ces curieuses ressend)lances (pi'Euphe-
mos a découvert (juehpi'ime des Antilles? Mais ces ressemblances
ne sont que des coïncidences. D'ailleurs le retour d'Euphemos
en Europe aurait été tout aussi extraordinaire que son arrivée en
Améritpie, et il est plus (|ue i)robable que sa découverte ne
serait restée ni isolée, ni stérile. La relation de Pausanias peut
donc ne |)as étn; fabuleuse, mais elle s'applitiuc à d'autres îles
(ju'aux Antilles, et nous n'avons le droit de nous en servir
(pi'avec la plus extrême prudence.
Nous en dirons tout autant, et avec encore moins d'hésitation,
de certains voyages exécutés en Aniéri(jue par les Grecs et les
(1) Lafiiac, Mœur^ des sauvar/cs comparéex aux mœurs des premiers
tempf, 1, 29.
(2) De Lanoyk. Les Mandans (Tour du .Monde, 1869), 163.
^T»"»^"^»*,
CIIAIMTIll': IV. — l,KS CRKCS KT LIS HoMAINS.
UV.i
Uoinaiiis, et dttiit U'h tniccs aiitliciitMjiit/y iiiii'ait'iit ('tr conscrvi'cs
au iKiiivcaii iiiniiilc. Il parailcait (1) iiu'iiii lahniirtMir (irtcrra aux
(Mivintiis (le Muutcvidco luic picrrr tniiiul.iii'c tluiit l'iiiscriiiti m
|Mirfail : " Sous le r(''f.Mit' (l'Alexandre, (ils de lMiili|»|te, roi de
Mai'éduiiie, dans la s(ii\aiile-i-iii(|uièine olympiade, IMoleiiiaius ».
Que d'iiivraisciiiMauces arruiiiulées ! .\iiisi doue un ^ivr du
iioiu d(> l'toleiiiaios aurait été jeté par la tempête ou eoiiduit par
un autre luotil' (|ue nous ijinoroiis siu- la (("île d'.\iM('ri(pie, dans
l'estuaire de la IMata, et ses couipa^'iKUis auraient éri^é en sou
lioiiiieur un luonmuent funéraire, dont lUie seule pierre aurait
été conservée ! Ilemanpioiis tout d'alxtrd (pie les ins('ri|)lions de
ce ^'eiire sont toujours trop convaincantes, et pourtant (pii \eut
prouver trop ne prouve rien {"l). De niéme (pi'on n'a conservé
dans les chants hascpies ou Itretons que les chants relatifs aux
événements U's plus connus, dont l'Kskuara ou l'Armoriipio
furent le thé.Ure, ainsi, c'est au temps d'.Vlexandro, c'est-à-dire
de celui do t(jus les Grecs ipii a laissé le plus {rrand nom, et
dont on connuit, en eiret, les projets de voyajîe et de circuiiK
iiavijration (pie ce monument fut construit, et il fut construit en
riionuenr d'un IHolemaios, c'est-à-dire d'un firec «pii [tortait le
inéme nom (pie le fondateur de la dynastie des Laj::ides. .Mexandre,
le coiupiérant de l'Asie, le vuljiarisateur des id(''es lielléni(|ues
à travers tout l'ancien continent, et Ptolemaios, le fondateur de
cette dynastie frrecque (|ui valut à l'Kfjypto trois siècles de pros-
périté, certes les deux noms sont liahilement choisis [tour
auf^menter l'eflet. Rien ne manque à l'inscription, pas mémo la
\t
(1) Journal de l'InatvucAion puhlujue, juin 1833.
(2) A. DE BAuiiiftr.KMY, Manuel île nuniisuiati'iue ancienne (Rorel), 188C,
p. 410 (lu rappciulicc : » Il y a (iuel(|ues ann(jes ([ue l'on parle de la décou-
verte, eti AnK'iriquc, d'un trésor dans un tombeau. Ce trésor était composé de
monnaies grec(|ues de l'époque d'Alexandrc-le-Grand, cl permettait aux
arcliéologucs, trop peu circonspects, de divaguer k jierte de vue sur la décou-
verte plus ou moins ancienne du Nouveau-Monde. Ce ne fut que quelque
temps après que l'on découvrit la supercherie, et même le marchand qui avait
vendu les pièces transportées au delà de l'Océan «.
lu'
l(')i IMtK.MIKUK l'AK.
i.Ks l'HKt'.rnsKnts dk colomb.
i t
date exacte, (ycst justoinont la précisidii tlo ces détails (|ui iiuus
inspirera des doutes. Il faut toujours se délier des paysans (jui
trouvent à point nonnné un débris antique sous le site de leur
charrue et des savants (]ui, par hasard, se présentent toujours à
temps jiour ap|irécier la valeur ilu uioinnuent et empêcher
l'ijjnorant de le détruire. Les supercheries arcliéoloj,'i(jues rap-
pellent les prétendues découvertes que ne mancpieut pas de
l'aire les ouvriers, lors(|triui souverain étrani^cr ou (piel(|ue
voyageur de distinction visite les ruines de Pompeï. Aussi hien
que prouve un monument îuii(|ue et qui a vu ce monument ?
Quel est le umsée (|ui renferme l'inscription de Montevideo, ou
tout au moins sa reproduction?
Ta's inventeurs anonymes de la trouvaille ont si i)ien compris
la nécessité de ne pas avoir un unitjue témoignafie de la présence
des (lirecs en Amérique (pi'ils en ont hien vite trouvé de nouveaux,
;ï tel |»oint (pu', pendant (piehpu* teuq)s, le serpent de mer et les
préteiulues inscri|)tions f;rec(pies de laPliitaont défrayé les faits
divers de maint journal. On ne s'est |»as, en elVet. arrêté en si
beau chemin. HientiH on trouva des ai'uies de guerre avec
des inscriptions greccjues, des paniers avec ornementations
grecques. Bien plus, « on a trouvé dans les fouilles exécutées
aux environs de Panama un vase eu terre cuite, contenant un
nond)re considérahie de monnaies romaines en hronze, frappées
dans le lu'' et iV siècles de notre ère. On | 'ruit toutefois
siqqioser, à défaut d'autre preuve |)ositive de tommunication
entre les anciens Romains et r.\méri(jue Uîéridionale, ([ue ces
monnaies avaient été enfouies par ([uelcpie numismate ou
archéologue espagmd, (jui habitait rancienne ville de Panama,
lors(pie celle-ci a été saccagé»^ et détruites en 1(>70 par 1«î
boucanier irlandais Morgan (i) ». Kn pareille occasion, pounpioi
trouve-t-.-u toujotu's du bronze, rarement de l'argent, jamais de
l'or? 11 est rare pourtant (jue Vim thésaurise de la monnaie de
(\} Maucel iiK Skhhks, La Coxmoijonin de Moïse, j». 3Ji.
CUAI'ITHK IV.
LES C.HKCS KT I.KS lUIMAlNS.
Uuy
Itillim. Si un lloriiaiii du iV si("'(l(' est venu en AnuTiriuc, il a
dû prendre avec lui de l'or plutôt que de l'argent on du cuivre.
Le vase où était renfermé cette monnaie, (|u"est-il devenu? On
sait iuijourd'hui déterminer l'àfic exact de tous les objets en
arjfile. Comment d(jnc a-t-on sacrifié si léjièrenient une preuve
décisive à l'appui de la thèse qu'on voulait soutenir? Quant au
prétendu numismate? (jue la crainte du boucanier Morjran aurait
poussé à enfouir son trésor, son evistence est tout aussi proldé-
mati(pie que celle du Romain voyajieur du iv'' siècle. Celui-lù
seul a vécu qui eut la prudence de ne confier à la terre que des
monnaies de peu de valeur et la chance ines|iérée de les trouver
au moment favorable.
Ce n'est pas au reste la première fois que pareille découverte
fut signalée (1). Au connnencemenî de l'occupatiem espasrnole
on trouva dans une mine américaine une pièce de monnaie à
l'effigie d'Auguste. L'arclievétjue de Cosenza, Johannes Ru-
fus l'envoya au souverain Pontife (;2) ; mais que prouvent dix,
quinze, vingt pièces de monnaies antitiues ? C'est seulement
quand on en rencontre un grand nombre, et en divers endroits,
((u'il est conforme aux règles de la criticjue historique de
conclure à la réalité de certains rapports entre le pays où l'on
trouve la monnaie et le pays où elle est iahriquée : d'autant
plus qu'en pareil cas ce ne sont pas les monnaies seules, mais
aussi les monuments, les usages, la langue qui attestent le
séjour et l'établissement d'un peu[)le. L ". prétendus monuments
grecs, n'hésitons pas .à le dire, sont donc complètement apo-
cryphes.
On s'est encore avisé d'établir ime certaine identité entre les
il
(1) La Poi'F.i.i.inikhe, Histoire îles Trois Motidcs, I, 5.
(2) IIOKN, De oriijinibus Amcricnuis, p. i;i : « Hoinaiios iii Amcricam
venissc Muriiimus Siculus putabat argumciito iiuiimii aiilicpii etl'uçieiii Aii-
{,'iisli ie|)ra'sciitaritis, et iii Aiiioriiur lodiiia lepcrli ; (lueiu suninio pontifiei
.lohai nés Riifus, arcliiepiscopiis Coiisciitiims, rnisit : scd immmum illum vcl
siippusiluni fuisse, vel ab llispaiiis illatuni et casii aniissini piital ». —
Cf. (iRTELi is, TfirnfrKin or/tis terrannn, planche 2.
Utii PHKMIKHIC l'AHTIK.
LKS l'HKClUtSKlJHS 1)K COLOMll.
îil
langues grecque ou latiiie et américaine; mais les analogies
<|u'on s'est etrorcé de découvrir sont t-^llement arbitraires (|u'on
peut les considérer coimni» non avenues. Ainsi Court de
(iél)elin rapprocha la racine Fr',, terre, des mots virginiens
okké, okkeil, okkekonit, okketanganish, okkekontou (|ui signi-
fient terre, monde, champ, jardin, |tays (1). Ilorn trouvait une
certaine ressemhlance entre le virglnien mw et le latin liomo(!2),
entre les mots brésiliens anga, ara, palia, pi, aya (|ui signifient
Ame, air, poitrine, pied, désert et les mots latins correspondants
anima, aer, pectus, pes, avia; entre les mots péruviens paula,
mamaty, gœnali, tonimerou (jui signifient pugilat, mamelle,
genou, tonnerre, et les mots l.U'ns correspondants pugilatus,
inummae, genu. tonitru. Hradfort cite aussi ({uel((nes mots
analogues (3). Il paraît que neuf mots grecs se retrouvent dans
l'idiome chilien (4). Enfin un érudit américain, Lopez de
Montevideo, élevant ces singularités à la hauteur d'inu' thénrie
scientifique, a prétendu (|ue la langue Quiclma dérivait du grec
ou plut«)t de l'Arien, et a dressé un vocabulaire Aryo-
Quichua (o). Nous citerons (juebpies-unes de ces étyniologies.
Elles ont à tout le moins le mériti le l'étrangeté. Ainsi Quito, la
ville de l'Equateur, viendrait du gnîc Kôttoî, arc -en-ciel ; korak,
le corbeau, dériverait de KofaÇ ; akallu, le bec des oiseaux de
'Afxw; akatanka, grattoir à chair de "A/avo; ou "A/.avOo; ; ana-
komel, im[)itoyable, de N£/.o;; ankayllini, se plaindre, de 'X^/m',
antes, les andes, de 'Avt-!; aratihua, fermier, de Acoi'w, 'Apatrip ;
kapulu, bouton de fleurs, delvs^aÀrJ; kakallu, langue, de rXoiiaa;
hirka, muraille, de lljpyo^; chanka, genou, de Tovu; hamiui,
marcher, de Baîvf»; luittius, rouge, de "Eoto ; kokkea, ordure,
(1) CoiiKT m Gehemn, Monde primitif, VIII, 511».
(2) HoHN, De oviyiniùiis Americatiis, p. 32.
(3| BitAUFOUT, American antiquities and Hesearc/ies in to tlie origin and
hislon/ of the red Hace (1841)
(4 Castelnau, Vui/nge divin i Amérique méridionale, t. lY, p. 266.
(5) V.-l'. LoPE/, Les Races Aryennes du Pérou ; leur langue, leur reli-
gion, leur histoire (1871).
19 yj
■in^^ùB55iTS
CHAPITRE IV
LES GRECS ET LES ROMAINS.
167
(le Kâxy.r, ; kokori, place chaude, de Kâw, Kaût.); kokou, jonchée,
<1(' Xci'c) ou Xsupto ; kokori, or, de Xfùao; ; sUikka, maigre, de
"KÀay'Jî ; totopius, forger, de Tû-tw ; mati, front, de M^t;; ; muka,
sarigue, de Mlo; ; onkoni, être malade, de'Oyxo;; rimani, parler
(le Pr,[xa, etc.
Un sait que les philologues ne reculent jamais devant les
conséquences de leurs systèmes, mais nous ne les suivrons pas
sur ce terrain dangereux. Lihre à eux d'admettre toutes les
i)izarreries que hon leur semhlera! Nous n'en concluerons pas
moins, avec Rivero, que, pour un mot étranger analogue par le
sens et par le son avec un autre mot américain, on trouve
neuf mille termes américains, pour lesquels aucune analogie
n'existe. 11 en est donc des preuves philologiques du séjour des
Grecs et des Romains en Amérique comme; des preuves emprun-
tées aux monuments et aux monnaies, c'est-à-dire qu'elles
n'ont jamais eu de réalité que dans l'imagination ou la bonne
volonté de ceux qui les ont mises en circulation.
De tout ce qui précède semble résulter que jamais ni les
(irecs ni les Romains ne mirent le pied en Amérique. Ce sont
au contraire les Américains qui, au premier siècle avant l'ère
chrétienne, parvinrent peut-être en lîurope. Nous voulons
parler du voyage forcé de quelques américains jetés par la
tempête sur les côtes européennes, voyage qui a été fort
contesté, mais qui nous paraît sinon prouvé, du moins vrai-
semblable.
Cornélius Nepos , cité par Pomponius Mêla , raconte ([ue
Metellus Celer, étant proconsul en Gaule, reçut en présent d'un
roi deslioiens (juelques Indiens, arrachés par la tempête à leurs
rivages et entraînés jusqu'en Germanie (1). Pline rapporte le
(i) PoMPONiL's Mêla, III, 5, vin. « Testem rei Q. Mcteiluin Celcreni adjicit
(C. Ncpos) ciiin que rctulissc commémorât, Qiium liallio! pro consule prœ-
cssct, Indes quosdani a rcge Boiorum donc sibi dates, unde in eas terras
(Icvenissent reqnirendo cognovisse, vi tempestatum ex Indicis œquoribus
abreptos, emensosquo quie intcrerant, tandem in Germaniœ littora exiisse »,
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168 PREMIÈRE PARTIE. — LES PRÉCURSEURS DE COLOMB.
môme fait en termes à peu prfîs identiques, sauf qu'il nomme
le roi des Suèves (1) au lieu du roi des Uoïens (i). Ce qui ressort
de ce double témoignage, c'est que, peu après la conquête de la
(iaule par les Romains, des Indiens étaient venus par mer sur
les côtes de Germanie. Au temps de Mêla et de Pline, on
croyait encore que la Caspienne communiquait directement
avec l'Océan Septentrional et la Haltique (3). La traversée
de ces Indiens sexpliquait naturellement par la circumnaviga-
tion de l'Asie Horéale (4). llahelais, qui s'intéressait à ces
Indiens, accomoda cette supposition aux découvertes géogra-
phiques : « Et suys en ceste opinion, dit-il, sauf meilleur
jugement, (jue telle routte, de fortune, fut suyvie par ces
Indiens, qui navigèrent en Germanie, et feurent honorahlement
traictez par le roy des Suèdes, en temps que Q. Metellus Celer
estoit proconsul en Gaule (u) ». Huet, le savant évéque
d'Avranches, crut également que ces Indiens étaient parvenus
en Germanie par l'Océan, la Caspienne, et le Palus Méotis (('») :
mais un pareil itinéraire est tout aussi fabuleux que celui des
Argonautes. Pelloutier soutenait que ces Indiens étaient des
Africains, mais il n'alléguait aucune preuve sérieuse (7). Vos-
(1) Pline, Histoire naturelle, 11, C". « Idem N'epos de se|iteiitrioiiaH
circuilu tradit Q, Mctello Céleri, L. Afratiii in consulatii coUegie, sed tuni
Galliœ pro consuli, Indos a rege Suevorum dono dates, qui, ex India, com-
mercii causa, navigantes, tcnipestatibus cssent in Germaniam abrepti ».
(2) Les manuscrits donnent diverses leçons ; Boioruni, Botorum, Betorum,
Baîtorum, Lidorum, Lydorum, Getorum, Gotonum. M. de Cenleneer, le
dernier écrivain qui se soit cecupé avec une rare compétence de ce curieux
problème géographique, pense qu'il faut lire Rœtorum, et qu'il s'agit d'un de
ces chefs Rhétiens, dont plusieurs cohortes avaient été cantonnées le long du
Rhin. — Cf. ScHOENEMANN, De Cohort. Romanis auxiiiariis, 1881}. ]). 26.
(3) On le croyait '^ncore au temps des Arabes : ainsi Edrisi fait communi-
quer ces deux mers.
(4) Mentionnons p'-irtant l'opinion de Hansen {Die Chrorogmphie des
PomponiiiK Mêla) et de Bunbury (.1 historij of ancient geography, 188:j),
qui nient la réalité du voyage.
(5) Rabelais, édition Jeannet, t, IV, p. 33.
(6) Huet, Histoire du commerce des anciens, p. 358.
(7) Pelloutier, Mémoires de l'Académie de Berlin, 1743, p. 186.
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■:^^:- r-r.'Z^aezj,,
Cll.M'ITKK IV.
I.KS C.HKC.S KT LKS «OMAINS.
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siiiH pensait (juc c'étiiient ch's |{r('toiis(l), maison aurait rccdiinu
leur langage, et d'ailleurs, les conuniniicatiuns devaient (Hre
tro]) fréquentes entre la (îennanie et la (îrande-Hretagne j)our
(|ue l'arrivée sur le littoral (Jerniain de marins bretons fût
signalée coimue ini fait extraordinaire. Vivien de Saint-
M 'rtin en fait des Slaves, des Vendes ou Vinidi, (|ui, depuis
les temps les plus reculés, habitaient les eôtes de la IJaltiipie {iL].
L'n érudit Scandinave, Schiern, n'a-t-il pas prétendu cpie le
mot Indus n'étant pas un mot ctlmologi(jue mais bien géogra-
phicpie, et les Indiens existant tout aussi bien dans l'Asie
lioréale que dans l'Asie Méridionale, les Indiens de Metellus
Celer ne pouvaient être et n'étaient (pie des Lapons (3) 1
Reste une dernière li\p(jtbèse : Pourquoi ces Indiens ne
seraient-ils pas des Américains, des pécheurs ou des matelots,
surpris |)ar la tempête et jetés au large ? Ue tels événements
sont plus fré(pients qu'on ne le sup|)oserait au premier abord.
Le cardinal Sylvius Aeneas Piccolomini (ij raconte, dans sa
Description du Maitclf, que des navires et des négociants
Indiens, eu ll(>(>, sous le règne de Frédéric Harberousse,
furent jetés par la tempête sur les côtes de (lermanie. lieinbo (ù)
(1) Vossics, Oljserriitionfs ad Pompoitiiis Meliini, p. 210.
(2) ViviKN l)K Saint-.Mahti. "lisfoii'c (lu la ;j(in/jrai>liie, 187;], p. llfi.
(3) SciiiEiiN', Une énigme pt/i>io;/rap/iitjiee dp l'antiquité (Mémoire.'; de
la Société des Antiquaires du Nord, 1881), p. ?4:;-2!i8.
(4) Syi.vil's ylvvEAS, /!,</> Euioilt qiw elegantiasinia descriptio (1.'J3!l,
II, 8. » Nos apud Ollionein legimus sub imperatoribus Teutonicis ludicaiu
riaveni et Inilos uegotiatores ia (îernianico littore fuisse dcprehensos, quos
ventis agitatos injçratis ab orientali plajja venissc coiistabat ». — On ne
trouve aucune allusion à un fait semblable ni dans lu Chronique d'Otlion de
Frejsingen, que citait Piccolomini, ni dans sa relation des exfdoits de Bar
berousse, ni dans l'ieuvre de ses conliiuiateurs Uagewiu et OIto de Saint-
biaise. 11 est probable que Piccolomini citait une Histoire d'Autriche, attribuée
ù Othou de Kreysiugen, et qu'on croit perdue.
(5) benibo cité par Hori\ {I)n oriijini/nis Americanis, p. 14). « Navi»^
liallica, dum in (Jceano iter non longe a Hritaunia faccret, uaviculnm ex
uiediis abscissis viiuiuibus arborum (|ue libro solido coritc\tis œdilicataui
cepit ; in qna honiines eraut septem, mediocri stalura, colore suhobscuro.
i
Jl,
î t.
'^ I.
170 PREMli:itK l'AHTIE.
LKs i-hkcihsfaîrs de colomij.
rapporto, dans son Hhiniro de Verihi'., (ju'nn vaisseau français,
<'u l.')()8, rencontra non loin <lcs côtes anjrlaises un liateau fait
en écorcc et en joncs. H était monté |»ar sej>t hommes de
médiocre stature, de couleur rouf^e, à la face longue et étendue.
On ne pouvait comprendre leur lanfiage. Six d'entre eux mou-
rurent. Le septième, nn Jeune homme, survécut, (!t fut présenté
au nii Louis Xll, qui se trouvait alors dans le Maine, (k's
inconnus ne pouvaient être que des Américains. Tout indicjue
leur origine, la construction de leur l)arqu(>, les traits de leur
figure, la couleur de leur peau. Aussi hien de pareils voyages,
de plus difficiles même, ne sont pas impossihles. En 1()82,
un Esquimau fut jeté, avec son kayack, au sud de Pile Eday (1\
et en lG8i un autre édioua à Westray, la ])lus occidentale des
Orcades. Un de ces hateaux fut exposé à Edimhourg (!t l'autre
conservé dans l'église de Hurray aux Orcades. En i738 (pielques
Indiens, occupés à lii pèche aux Iles Juan Fernandez, se dégoû-
tèrent de leur genre de vie, et, avec un simple canot, sans pro-
visions, sans agrès, ahordèrent à Val[)araiso (2). Les résidents
Européens de Yokohama (3) onttous connu rinter|)rété José H ico,
un Japonais entraîné avec son frêle esquif et porté juqu'à San-
Francisco par le grand courant é(|uatorial qui haigne les côtes de
ÎNiphon et décrit vers la Californie une courhe de quelques mil-
liers de kilomètres. Il se peut donc que le vent ait jadis jeté à la
fttjte européenne (juelques américains; car la distance n'est pas
lato et putente viiUu ; corum senno intcllij;i non ])nterat : Ex ils sex iiiorteni
obierunt ; uiius adolesceris in Aiilercos, ubi rtix erat, vivus est perduetus ».
(i; James Wallace, An nccoiint of t/ie Ulauds Ot-kney.
(2) lIi.LOA, Mémoires philosophiques, historiques, physiques, coiicernanf la
ilécouvcrte de l'Amérique, etc. (traduction I.efebvre de Vil!ebnine),t. 11, p. 327.
(3) Aimé HiiMiiEnT, Voyage au Japon (Tour de Mond.,1863, 3.")) : « Depuis
1782, quarante et une barques japonaises sont venues échouer à la ci'ite amé-
ricaine, et vingt huit de ces naufrages out eu lieu jrastérieurement à l'année
18b0. Ces quarante et un naufrages sont simplement ceux dont il a été pris
no'e ». — V. Allen, La très ancienne Amérique (Congrès Américaniste de
Luxembourg, I, 81. — On cite, au siècle dernier, cinquante et un cas de
navires japonais poussés par les courants sur les côtes Américaines. — Cf.
0. L(*;w, Mittheilunyen von Petermann, 1877, p. 138.
?
. m" • .» .iiju» j*»< I'- V. ■-»
r.llAl'lTHK IV.
LES tiRECS ET LES ROMAINS .
171
tellement graiulc. ainsi que nous l'avons déjà démontré, qu'elle
ne puisse être franchie en quelques jours. Cette conjecture est
si vraisemhlahle (|u'elle avait frappé les premiers historiens de
la conquête au xvr siècle, «i Qui sait, dit l'un d'entre eux,
(îomara (1), si les Indiens de Metellus Celer n'étaient point des
.Vméricains du Lahrador !» — « Je crois, écrit un autre, le
}xéo}ïraplie XN'ytfliet (i2), (jue ces Indiens ne venaient point,
comme l'on cru certains auteurs, des extrémités de l'Urient ou
de l'Occident, mais (pie c'étaient des Américains du Lahrador,
de l'Kstotiland ou de tout autre pays voisin, et tous ceu\ qui se
rendent compte des différences de climat penseraient comme
moi ». Sans affirmer, comme Wytfliet, que ces Indiens étaient
orijçinaires du nord de l'Amérique, nous croyons avec Inique,
réellement, ils venaient du nouveau monde.
Il paraîtrait même, mais cette conjecture semhle hien hasardée,
(pie nous possédons le portrait d'un de ces Américains. Il existe
en effet au nmsée du I ouvre une tête en hronze antique (3), ou
plut(')t une situla de hronze ayant la forme d'une tête d'homme,
vigoureusement moulée, dans hKjuelle un savant critique et con-
naisseur, Egger, croyait reconnaître un des indiens de Geler (4).
Nous pensons pourtant que cette histoire aurait eu un tout
autre retentissement, et que d'autres écrivains que Mêla ou
IMine en auraient parlé, si la réputation de ces étrangers se fut
étendue au point qu'on gravAt sur le hronze l'empreinte de
leurs traits (5). Mais si la situla n'est pas le portrait d'un de ces
(1) GoMARA, Historia gênerai de las Indian. p. 7, édit. 1553. Ca tambien
(lizeii coiiio cil tiempo dcl empcrador Federigo Barbaroxxn aportaron a Lubec
ciertos Indios in una canoa.
(2) Wytiliet, Descriptionis Ptolemaicœ augmentum. v Indos non ex
ultiinis Orientis ot Uccidcntis partibus, iiti quibusdam visiim est, sed ex hoc
Laboiatoris et Kstotilandiœ aut vicinis terris venisse constanter teneo, ine-
ciinique sentiet ([uicumque cliniatis ratioiiem expenderit. »
(3i Ce bronze, dont raulhcnticité est indiscutable, provient de la collection
Kdniond Durand, que le roi Charles X acquit pour le Louvre en 182o.
(4 ) EocEti , Mi'moircs de la Société des Antiquaires défrance ( i 859) , p. 83-89.
{5) M . Leenians, le savant directeur des Musées Hollandais, pense que la
: --^
172 I'UKMIKRK PARTIK. — les I'RKC.IHSKIRS I»F. COLOMIt.
i} i.
Indiens au moins est-ollel«' portrait d'un Anirricain? Ce lironzc
classé sous le niinu-n» H-H\ ('«t ainsi (iécrit dans le catalofriie de
Loni^jM'rier (I) : <■ lUisle d'esclave enlièreirietit rasé ; ses oreilhîs
sont {grandes et tombantes. Le liant du cràMe s'ouvre au moyen
d'une cliarnière et forme couvercle. Au dessus des oreilles sont
placés (les anneaux dans !('S(|nels s'ajuste une anse riioldle
tiguraut une liranche d'arbre avec des uteuds .. Il suflit de jeter
les yeux sur ce bronze pour se convaincre (jue tinit en lui
rappelle la race rouge du nouveau moiule. Le crâne est dolicbo-
céphale, le front fuyant, les oreilles longues et basses, les
sourcils fortement anpiés, le nez aijuiliu, les lèvres grosses,
le maxillaire inférieur arrondi. L'im|iressiou d'ensemble est
saisissante. Pour la rendre plus sensible, M. de Ceuleneer (2) a
imaginé de représenter (juebpu's types d'Indiens actuels (II), et de
les rappriM'ber de la situla du Lftuvre. La ressemblance est
extraordinaire. C'est bien le type d'un Américain, et d'un
Américain des Etats-Unis qu'on a sous les yeux.
La réalité du voyage des Indiens de Metellus (leler nous
paraît donc établie ; et c'est la seule traversée de l'Océan Atlan-
ti(|ue, mentionnée par les écrivains d(; l'antiquité cbissique,
(jui nous semble rigoureusement démontrée. Nous pensons
néanmoins que la notion d'un continent transatlantique, bien
(|ue confuse, ne se perdit jamais, et, si les voyages des tirées
et des Romains eu Ainéri(|ue sont imaginaires, au moins cmt-ils
ou comme le pressentiment de ce nouveau inonde, (pi'il était
donné à une autre époque de retrouver définitivenu'ut.
situla est une caricature llomainc, mais les caricatures se présentent surtout
sur les vases et les terres cuites, et sont d'ordinaire bien plus petites <|ue le
bronze du Louvre. En outre le travail n'est jamais si soigné.
(1) De Longpériek, Soticc da l/ronzcs atitù/ue.i erposés cUms /rs ynleries
du Musée du Louvre, 1868, p. 143.
(2) De Ceclenker, Ti/pc d'f?ulien du Nouveau Monde repréxenté sur titi
lironze antique du Louvre, 1890.
(:)) Ces types sont empruntés à la collection Catlin, conservée à l'United
States National Muséum de Washington.
siti:la en bronze
(A|)|iai'lcnant au imisfe du Louvre).
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AI.
CHAPITRE V
1,1 :s COMMUNICATIONS KNTIIK I. AMKllIQUE ET l/ANCIKN
MONDK ÎITAUÎNT-EIJ.KS l'OSSIHI.KS AU MOYli:N-A(;E 1
Pciulaiit le uiuytMï-.'ifîe s'arnHt'iit It's pntffirs de la stiiMico
>;(''oj.n'a|ilii(|ui'(l). Après les {^raiidi's gucM'res (jui suivirent l'iiiva-
sioii (les Harharcs, (juaitil l'esprit de séparation et d'isolement
succéda à l'union roinaine, cliaipie peuple désonnais concentra
son activité dans ses propres frontières. On renon(;a à i>en |)rès
coiuplètenient au\ relations extérieures, et, par suite, au com-
merce, à la navigation et aux découvertes. Les Vandales eurent
il est vrai une flott(> importante, mais ce n'étaient (jue des pirates.
Les Aiifîles et les Savons ne savaient, avec leurs bannies légères,
que c(»urir d'ime rive à l'autre, pilliM- une ville ou remonter un
Heuve. (loths de l'est ou de l'ouest, Loud)ards et Francs n'eurent
pas d'antre marine. Les successeurs dégénérés des Césars
romains [)ouvaient à peine garantir Constantinople des iittatjues
de ses ennemis (^). (jharlemagne, dont le génie prévoyant ne
négligeait aucun détail, ouvrit des relations avec les pays alors
connus, mais, après lui, tout disparut, et de son œuvre gigan-
tes(|ue il ne resta que d'impuissants déitris (3). Ce n'est que
J>eaucoup plus tard <[ue les Républi(iues italiennes au midi, les
péclieurs norwégiens, danois et islandais au nord, ainsi (jue
(T, Daunou, Histoire de la géographie. — Vivien de Saint-Martin, His-
toire lies découvertes yéographifjiies.
{"2} Urapeyron, L'Empereur Héracliui. — Rambaud, Constantin Porphy-
rof/éui'te
(3) (iAFFAREL, De Francix commercio rerjnantibits Karolinis.
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171 PREMIÈRK PARTIE. — LES F'HÉ<:LRSEURS DE COLOMB.
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les moines irlandais, se Ianr«>rent de nouveau dans d'aventu-
reux voyages ; mais, pendant cinq siècles, faute de marine, les
connaissances géographiques diminuèrent au lieu de s'étendre,
et de regrettables erreurs furent commises. 11 semble parfois
qu'effrayés par les ténèbres (|ui s'épaississent, é[»ouvantés par
les opinions étranges et contradictoires (pii se pressent autour
d'eux, les hommes aient oublié la terre. Ils se croient dans une
immense tombe, dont la trompette du dernier jour pourra seule
soulever la lourde pierre.
Aussi, sauf de rares exceptions, le />^ mensuraprovinciarum
orbis ierru% de Dicuil (1), le Traité de, Vadminhtration de VEin-
pire, par Constantin Porphyrogénète, la Description du Dane-
mark, par Adam de Brome, les Relations d'Other et de
Witlfstan, insérées dans la traduction de Paul Orose par le roi
Alfred, Vltin&raire, de Benjamin de Tudela. nous ne trouvons
plus au moyen-Age de monument géographique original. Ou bien
on se contente de copier ou de traduire à peu près textuellement
un ouvrage ancien, ainsi que le fera par exemple, au xiir
siècle, Blemmydas, dont la Géographie synoptique n'est (|ue
la paraphrase poétique de Denys-le-Périégète ; ou bien, au foinl
de quelque cloître ignoré, on réunira sans la moindre critique,
comme V Anonyme de Raeennc, des fragments empruntés à
divers auteurs, et rédigés avec tant d'ineptie (ju'on ignore jus-
qu'à l'épocjue géographique (ju'a essayé de décrire ce compila-
teur (2). Gène sont pas seulement les enfants et les paysans de
(1) DicuiL, £>(,' mensnra provinviarum orbis terne. Edition princcps par
Wallicnaër en i806, édition critique par Letronnc en 1814. — Auam de
Brème, De situ Danix et reliquarum quœ trans Daniam sunt reginntim
nutura, éditions de 1615 et de 1629. — Constantin I'orphyrogénéte, Traité
de l'administration de l'Empire, éditions de Meursius (1610-1617) et de
Banduri (1711). — Alfred le Grand, Histoire de Peut Orose, édition de
1773. — Benjamin de Todela, édition Edouard Charton, insérée dans les
Voyageurs anciens et modernes, t. II, p. 156-222.
(2) D'AvEZAc, Jean et Gabriel Gravier, Le Ravennate (Société normande
de géographie, 1888).
CIIAP V.— COMMUNICATIONS AVEC LAMKHIQUEAU MOYEN AGE. 175
lu [H'crniôro oroisiide (|ui s'imaginent (\i\v Jt-rusuleni est tout pp«>s
d'eux (1) ; un abluMie Cluiiy, \mô par h; comte Uourcard de
fonder un monastère de son ordre à Saint-Maur-des-Fossés,
n'osera pas se rendre à cette invitation, parce que les environs
de Paris Ini semblent trop éloignés de son couvent(2/. (luillaume,
ahhé de Saint-Uénigne de Dijon, donnera la nu^me excuse
au duc de Normandie, «|ui le priait de fonder une abbaye dans
ses états (3). L<;s Northmans établis en Neustrie oublièrent luen-
tôt la position de leur ancienne; patrie (4). En 1095, les moines
de Saint-Martin-de-Tournay cliercbèrent, sans y parvenir, à
découvrir l'abbaye de Ferriéres (5). Même à une épo(|ue plus
avancée, les re|»résentants en cjuelque sorte officiels de la
science commettront de pareils erreurs (('»). Ainsi Vincent de
Beau vais ne connaîtra pas la Baltique, et son contemporain
Albert-le-(irand ne lui attribuera l'inqjortance (jue d'un simple
golfe !
dette ignorance tenait à des causes multiples : au culte des
l'niversités pour tout ce qui venait de l'antiquité, et à une
aveugle; confiance dans les légendes cbrétiennes. Toutes les
cartes, jusciuVi la fin du xv^ siècle, figurent au nord de l'Europe
le pays des Amazones. On y trouve également comme villes
florissantes, Troie, Ninive ou Cartilage, Quant <iu Paradis Ter-
restre, bien cpi'il change de situation, il est toujours représenté
avec un grand !"ixe d'enluminures, de dorures et de feuillages
verdoyants. I nmour du merveilleux était une nouvelle cause
d'erreurs. On ne saurait croire à (|uel point nos [)ères aimaient
les récits fantastiques de voyages dans des pays merveilleux.
Pour n'en citer qu'un exemple, (iiraud de Cambrai obtint un tel
(1) GUItLAl'ME DE NOOENT, II, 6.
2) Sphe.nuel, Histoire des découneries, § 28.
(3) Bollundistes, \" janvier. — Chronique de Saint-Béniyne.
(i) Guillaume de Jumiéges, I, 2.
{^)) AcHKRy, Spicilegiutn, t. II. p. 00.
i6) Dal.nou, Histoire de la géographie, § 3.
M
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1?, '' I
170 PREMIÈHE PAHTIK. — LES I'RÉ«:URSEUKS DE COLOMB.
«
«uccès par le rôcit de son voyage en Irlande que, dans toutes
les villes où il passait, il était obligé de donner une triple lecture
de sa description (1). Le premier jour était réservé aux pauvres,
le second aux docteurs, aux clercs et aux étudiants, et le troi-
sième aux bourgeois. Kt p(»urfant il racontait qu'en Irlande les
oiseaux poussaient sur les arbres {% , les poissons avaient les dents
d(»rées, et des monstres couraient la campagne, moitié liommes,
moitié taureaux. Les crapauds et les serpents mouraient en tou-
chant le sol (3;, et les femmes ne pouvaient accoucher dans une
ile de la côte (i). Il était certes bien facile de le convaincre
d'imposture, mais de véritables multitudes se pressaient autour
de lui. On eût dit que ses contemporains aimaient à être
trompés.
La cause la plus fréquente et la plus sérieuse de l'ignorance
géographique au moyen-i\ge fut la persistance de certains pré-
jugés dont le clergé se fit comme l'interprète trop complaisant.
Les prêtres, en qui résidait alors toute la science, avaient conçu
d'étranges systèmes sur la position et la forme de la terre.
Eminents par leurs vertus, mais peu familiarisés "vec la réalité
des choses, ils imposaient leurs opinions préconçues à des
populations d'ailleurs trop ignorantes pour les discuter. Ainsi
ils ne croyaient pas à la sphéricité de la terre. Il est certain que,
si on s'en tient à la lettre des Saintes-Ecritures, la première
idée qu'elle suggère est celle de la platitude de la terre, entourée
i
1) GiRALDus Gambhkxsis Bafiy), Topographia Hihernix (édition Camdcii,
Francfort, 1602).
(2) lD., p. M : « Sunt et avcs hic multœ, quœ bernacœ vocantur; quas
inirum in inodum contra naturam natura producit, aucis quidem palustribus
similes, sed minores. . . Ex succo ligneo marinoquc occulta nimis admirandaquu
âuniifiii ratione, alimenta simui incrcmcntaquc suscipiunt. Vidi multotics oculi:»
mcis plusquam mille minutie hujusmodi avium corpuscula in littorc maris ab
uno ligno dependentia, tcstis inclusa et jam formata. » Voir l'histoire des
•croyances sar la bernache dans BurKOM (Histoire naturelle des oiseaux), «dit.
1783, t. IX, p. 93.
(3) ID., § 30, 31, 3S.
(4) ID., § 14, p. 82.
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l/lliAGE DU MONDE DE PIEnnK D'aILLY (148;j).
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CllAP. V. — COMMUNICATIONS AVEC L'AMÉRIQUE AU MOYEN AOE. 177
'e tous oùtos par la mer, et aux extromiU^s de laquelle le ciel
.'orme cotnine uue voûte solide, (|ui soutient la couche des eaux
sup«''rieures. \\vr. un pareil système, la théorie des Antipodes
est, en elfet, inadmissilile. D'ailleurs, s'il existe au-delà des
mers des êtres ayant une nature sen.iilahle à la nAtre, «jue
devient le dogme di? l'unité humaine ? Ces doutes, non résolus,
avaient conduit la plu|iart des Pères de l'Eglise à rejeter l'exis-
tence des Antipodes comme une fiction aussi contraire à la foi
qu'à la raison. « Y a-t-il quelqu'un, écrivait Lactance (1),
d'assez extravagant pour se persuader qu'il y ait des hommes
dont les pieds seraient en haut et la tête en has; (jue tout ce qui
est couciié en ce pays soit suspendu là-bas ; ([ue les herbes et
les arbres y croissent en descendant et (jue la grêle et la pluie
y tombent en montant? Faut-il s'étonner que l'on ait mis les
jardins suspendus de Babylone au nombre des merveilles de la
nature, puisque les philosophes suspendent ainsi des champs,
des mers, des villes et des montagnes? ». De même «aint Au-
gustin démontrait (2) « qu'il n'y a pas de raison de croire à cette
fabuleuse hypothèse d'hommes qui, foulant cette partie opposée
de la terre, où le soleil se lève quand il se couche pour nous,
opposent leurs pieds aux nôtres. Cette opinion ne se fonde sur
aucune notion historique... Mais fùt-il démontré que le monde
et la terre ont la forme sphérique, il serait trop absurde de pré-
tendre qu'après avoir franchi les immensités de l'Océan ,
(|uelques hommes aient pu, hardis navigateurs, passer de cette
partie du monde dans l'autre pour y implanter un rameau dé-
tiu'hé de la famille du premier homme ». Isidore de Séville (3) ne
il) Lactance, Institution dieine, 111, 24 : « Quid ? llli qui esse contrarios
vustigiis nostris antipodas putant, nuin aliquid loqucrcntur? Aut est quisquam
tam incptus qui crcdat cssc hotnines, quorum vestigia sint superiora quam
(■apila ? »
(2) Saint Augustin, De civitate Dei, XVI, 9.
(3) Isidore de Sévii.le, Originas, IX, 2 : « Jam vcro iiis, qui anlipodic
ilicuntur, co quod conlrarii esse vestigiis nostris putantur, ut, quasi sub
T. I. 12
' •.'-■LMiiwaïgjiniTliitfaft'
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178 l'RKMIÈRK PARTIE. — LKS PRÉCURSEURS DE COLOM».
croit pus, lui non [ilus, aux Antipudi-s : << Ct'ux (|u'oii iioirniio
les Aiitipod«!s, patro que on croit qu'ils iiiarclicnt en sens
inverse de nous, et que, placés cpi'ils sont au-dessous de nous,
leurs pieds sont o[)posés aux nôtres, il n'y a pas de raison pour
croire à leur existence », Telle est enconî l'opinion de saint
Justin, de saint Hasile, de saint (irépoire de Nazianze, de saint
Ainhroise, de saint Jean (Ihrysoslôme, d» saint (iésaré»*, de
Procope de (iaza, de Severianus de (lahala et de Diodore de
Tarse (1). L'exposé le plus complet de la doctrine de l'épocfue
est la Topographie C/inUieune, de Gosnias Indicftpleustes (:2).
(le voyageur Egyptien revient naïvement aux traditions an-
ciennes. Non seulement il nie la rotondité de la terre en
s'appuyant sur toutes sortes de raist ns tirées d'une physique
passablement étrange , mais encore <> si nous passons aux An-
tipodes, dit-il, nous verrons aussitôt cond)ien sont ridicules ces
contes de honne femme. Si les pieds d'un lionmie sont opposés
à ceux d'un de ses semblables, que ce soit dans la terre, l'eau,
l'air, le feu, ou tout autre corps, comment tous deux peuvent-ils
rester debout, comment l'un et l'autre peuvent-ils vivre la tétc
en bas?Cest!.i, certainement, une hypothèse absurde. Et quand
il vient à pleuvoir, comment dire que la pluie tombe sur les
deux? Elle tombe bien sur l'un, mais sur l'autre ne mon-
terait-elle pas plutôt ? » Ces raisonnements enfantins de Cosmas
sont à la hauteur de sa cosmogonie. Ne prétend-il pas démontrer
terris positi, advcrsa pcdibus iiustris calcant vcsti(;ia, niilla ralionc credundiiiii
est. »
(1) Tons CCS pères et docteurs sont cités, avec les passages correspondants
de leurs œuvres, par Letronne, OpinioHs cosmographiqiies des pères de
rEijIiae (Revue des Deux-Mondes, mars 1834). — On peut consulter égale-
ment Jr)LiiDAix, De l'influence dAvistote et de sen mterpvèfes sur la décou-
verte du S'ouveau-Monde (Journal gÔNéral de l'instruction publique, année
1861).
(2) La meilleure édition de l'ouvrage de Cosmas Indicopleustes a été
donnée par Montcauco.n, Collectio nova patrum et scnpto'-um graecorum^
t. n, p. 43 (17 lO) Voir Ë. Gharto.v, Voijaijeurs anciens et modernes, t. Il,
p. 1-30
r.llAI'. V. — COMMUNICATIONS AVEC i/aMKHIQUR AI' MOYKN AC.K. 171)
(|(U' le tidx'riiach' de Moïse est lii véritiililc image du iiiondt*,
que la terre est carrée et renfermée avec !(• soleil, la lune et les
autres astres dans une sorte de cafre Mli!un;;ne, duiit la partie
siipérieiUT forme un douille ciel (i)?
Sans doute (|uel(|ues liomnii's se rencontraient (|ui répugnaient
à accepter connue articles de foi ces affirmations sans fondement,
mais ils étaient forcés de s'y eoufiirmer sous les peines les plus
graves. Kusèhe de (îésarée s'étant hasardé, ('ans son Commen-
lairt! SU7' les psftinm's, à dire que la terre était ronde, se repentit
l)ientôt de sa témérité et revint à l'opinion commune (!2).
Photius, analysaii» les ouvrages de Cosmas et de Diodore de
Tarse (3), laisse voir qu'il ne partage pas leurs erreurs, mais de
foudtien de précautions n'use-t-il pas pour envelopper une aussi
téméraire pensée ! L'Irlandais Virgile fut moins prudent (i). Il
exposa publiquement la théorie des antipodes et soutint qu'il y
avait un autre monde et d'autres liommes. Dénoncé comme
hérésiarque par son rival de gloire et d'éloquence, Boniface, il
fut déféré par le pape Zacharie à la juridiction du duc de
Havière, Odilou (748). On ne sait trop quel fut le résultat de
iencpiéte (5). D'après la tradition, Virgile aurait du rétracter ses
(1) Cette opinion se perpétua : Au temps de PInlippc-Augustc, Alain de
Lille, dans son Anticlatidianus, sera le seul à soutenir que la terre n'est pas
oariéc, mais ronde. Voir Kerdixand Denis, Monde Enchanté, p. 23.
(2) CùlU'ctio nova patrum, etc., f, 460 : « Cujus in Hnibus antipodes l'abu-
lus»; liabitare creduntur ».
(3) PnoTiis, Bihiiotheca Grxca, VU, 2, liv. xiv.
(4) D'Achehy et M.vbiixon, Ada sanctorum ordi7iis Sancti Benedicti in
sxculorum classes disMùtita (Sœculum, I({) p. 72. Lettre du pape Saint
Zacharie, t. XV, inter Bonifacianas epistolas. Le pape l'accusait d'avoir dit :
u Quod sciiicct alius mundus et alii homincs sub terra sint, aliusquc sol et
luna >'.
(il) On peut consulter sur Virgile de Salzbourg, X..., Nouvelles remar-
ques sur Virgile, Homère, et le prétendu style poétique de l'Ecriture
sainte JTIO). — liEncEn de Xivuky, Traditions tératologiques, p. 186-
188. — Alfred Webb, A compendium of Irish Biography, comprising
Sketches of distinguished Irishmann, 1878. — Notons d'ailleurs qu'il n'est
)|ucstion de ces controverses ni dans la Vie anonyme de Saint Ebehrard de
/ I
' ; '
IHO l'IlKMIKm: PAHTIi:. — I-KS I-HKCI-HSKIHS I»K COLflMH.
npiiiictns <'t l('« rejeter sur un n-rtaiii Virfiilc «l'Arles, fuvori do
Cliildclx'rt II, (>t mort en ^>i\. Il serait ini^iiie allé se jiistilier
à Home, et, bien (iii'il eût prouvé (|ut> les irlandais étaient en
euunuuuieatinn ré^'ulière avec un uiondc» trausatlauti(|ue, su
sentant ineapaltle de résister à la plus ^M'aiide force du temps, il
se serait rési^:né à luie rétractation. La soumission de ce nouveau
4ialilée l'ut l>ien accu(>illie. puiscpie, peu tlannées après l'erKpiéte,
il fut sacré évéque de Sal/liour^ji TtJi) et plustard canonisé (lliH).
Les savants se le tinrent pour dit et la théorie des antipodes
fut dés lors coiidauuu'e. llahan Maur, pur exemple, en parle à
peu près dans les mêmes termes «pie Lactance ou Saint-
Augustin (1). Au X'' siècle, un interprète de Hoèce déclare cpie
cette théorie est contraire à la foi. {"1). « Loin de nous, s'écrie-
t-il, la [»ensée de croire à Texistence des antipodes : c'est une
ynnce de tout point contraire au christianisme ». Guillaume de
Couches (pii pourtant se signale (dus d'une fois par ses opinions
hardies (3), se range en cette occasion au sentiment général
et incline à penser «|ue, s'il y a des antipodes, nous n'en avons
pas lu certitude, faute de couummicjuer avec eux. Ces opinions
étranges persisteront jusqu'au xV siècle, car les conseillers de
la reine Isahelle à Salaman((ue et à (îrenade, opposenmt encore
à Goloud), pour le détourner de ses projets, des considérations
analogues sur les antipodes i\).
Solz/ioiir;/, ni dans le Livre iten inlrarles de Virgile, l'un et l'autre publias
dans le Acta Sawtorum nrdinin Sanrtis Benedicti.
(1) Uaiian Macii, De toiivcrso, 1. XI', §2.
(2) Ctasuicornm auctorum o Vaticmiis codicihus, t. IV, p. 353 (Ilomc,
1831) : « Absil ut nos quisquaui aniipodum fabulas recipeie arbitrctur, quie
sunt tldci chrisliano^ omnino cuntrariic ! »
(3) GciLbALUE DE CoMciiEs, Pfiilosop/iia minor, IV, 3 : « NuUus tamen
nosti'uui ad illos ncquc illurum ad nos pervcnirc potcst ».
(4) Geraldim. Itinerarium ad regiones sub xquinoctiali plaga consii-
tuta:<, Romii!, 1631, fol. 204. « Multi antistites patritc Hispanœ nianifcstum
reaui pênes cos esse plane assei'cbant, co quod Nicolaum a Lyra totam terrai
huniamc compaginem ab insulis Fortunatis in oricntem usque supra marc
extcntuni nulla latera iiabcrc pcr inferiorcui partein sphœrœ obtorta dicit. Et
Divus Adrelius Augustinus nulles esse antipodas affirmât ».
niAI'. V. — COMMIMCATION' AVEC l'aMKHKM K AI MoVKN ACK. 181
Oïl avait aussi cuiisorvc' au uio^cu-à^c les |»r»''jujî(''s anti(|U('s
sur la xnnc torridc. Dos W v" si«\'h', l'aul Ornsc, Pliilost<trf,'(' et
Mnïsf (If Klinrcu se pronnuraicut en favrur «li' la tlic-orif «le
ritili.'iliitaliilitô de la /on<> torridc (1). Jean IMiilopouus, ^ram-
iHairicu alcxaudriu du vi''si(>cl(>, r>rrivait : >< (JucNjucs |i(>rsniuu's
ont s()U|i(;onn('', se coufomiaut à uut> tradition ahsurdc, (|u<>
l'Ocrau .it!auti<|U(> va se rrunir dans la partie ori(.*utal(> avec la
uior Krytluvc, ce qui est rvideunnout faux, car il faudrait (luc
rOcnui se prolon^cAt tout au travers de la Lihye et dans la zone
forrid»' inOuic, où il est impossible (|ue des hoiuines puissent
naviguer h cause de la chaleiu* brûlante qi •è};ne ("l) ». dette
erreur »'tait acceptée par les savants les plus ré|)utés (|ui lu
propafçeaient dans leurs écrits. Ainsi nous la retrouvons dans
Isidore de Séville (3), Marcianus Capella (i), (Jréf^oire de
'l'ours (5) et Héde le Vénérable ,t»). Le manuscrit 4830 de la
Hil>liotbè(|ue Nationale donne trois cartes insérées à la suite du
LHh'i' [rofariim sancti hidori, (|ui prouvent toutes les trois
qu'on ne croyait pas (pi'il fût (lossible de pénétrer dans la /one
torride (7 . Au xii" siècle, Honoré d'Autun, l'abbesse Herrade
de Landsberg, (îeoffroy de Saint-Victor (8), Hugues Metellus et
le poète philosopbe Bernard de Chartres renouvellent ces vieilles
;i) Tous cités par Santareu, Cosmographie et Cartographie du moi/en-
igc, F, 310.
(2) PniLopoNLs, De creatione mundi (cilé par Letronne, Journal des
Savants, 1831 p. 547.
(3) IsiDOHE DE Sftvii.i.E, Origines, XIV, 5 : « Extra Ires partes orbis, quarta
pars trans Ocr .m est, quic nobis ardorc solis incognita o«t •.
(4) Marcianus Capeli.a, Satgritrcon inédit. Kopp, 1836), p. 503 : « Media-
vcro llainmis atquc aniiclis ardoribus torridata propinquantes animantium
comburit occasus » .
i5) Jacob, Géographie de Grégoire de Tours.
(6) Bède ue Vénéharle, Mundi constitutio (cditl612), t. I, p. 324 : «...
quœdam mundi partes teiiiperie sua incoluiitur, quœdain immanitate frigoris
uni coloris cxistunt inhabitabiles ».
(7) Santabkm, ouv. cité, p. 24, 50, 69,
(8) Geoffroy de Saint-Victor, Microcosmtts, f. 18. « Mediam vero zonaia
caloris intempérie, proptcr pcrpetuam soiis prœsentiam, intiabitabilem ».
182 l'HICMlKHIC l'AHTIK. — LKS PRÉCl'RSEniS 1)K COLOM».
tlirories. Au iiiilit'u du siôclo suivant, et nialgn'' le progrès des
coiui.'iissancos nautiques, Nicépliore Hlouunydas H) affirmera
oueore (|ue la ( l>:;îeur de cette zone est un oi)stacle insurmontable
à la navigation (2). Sacrohnsco, le fameux cosmographe anglais
dont la Sp.t'ra tnimdi fit pendant (piatre cents ans autorité dans
les écoles, Vincent de Heauvais lui-inôme partageait cette erreur
et avec lui pensaient les chefs de l'Eglise ou les représentants
les plus autorisés de la scieii L'un d'entre eux, Albert de
SHxe, prétendra même <pie non sommes séparés de ces régions
par ces déserts coupés de hautes montagnes, (|ui ont la propriété
d'attirer la chair humaine connue l'aimant attire le fer (II). Pierre
il'Alhano répétera ces fahles ridicules sans les cond)attre (4),
malgré sa réputation méritée de savoir et de ferme jugement.
Jusqu'au xiV" siècle, fidèles à l'anticpie tradi tion, Hrunetto
Latini /.M et son illustre élève le liante, llanuif de; llygeden,
Nicolas Oresme, Mandeville et Hoccaee |(J) croient encore tpie
les chaleurs excessives empêchent de connaître une partie
de l'univers (7).
Ce double préjugé de la non-existence des antipodes et de
(1) Nic(''pliorc Blcniinjdas, cité par Letbosne, Opinions co^moffraphquex
des Pères de l'Eglise, p. I"J, 20.
(2) Sacho Hosco, De Splurrn mimdi (ôdition de Lyon, 1531) : « Illn
ij^itur zona quir est iiiter duos tropicos dicilur inhal)ilal)ili$ prupter cale-
rem solis discurreniis super illam ». Cet ouvrage eut 2i éditions au w* siècle,
et plus de quarante de ir>ul à 1(U7.
(3) Ai.RRRTUs Saxonii 8, Qii.TstiouPs de cœh et nutido, 1. ii, p. 26 : >< Suul
quidam montes, qui habent naturam attralicndi carnem humanam, sicul
magnes attrahit fcrrum, et htcc est causa quarc nidius transit ».
(4) Petkub de Ai.nANo, Conciliator controvetsiiirum tfuw inttr p/iiloso-
phos et mcdicos vcnantur, Diff. 67
(5) BnuNKrro Latim, // Termo (édit. Venise, 1533). Il aOlrme qu'en
Afrique, au-delà du pays des Garamanles, il n'y a que des déserts où per-
sonne n'habite jusqu'à l'Arabie (ove nulla persona habita in fino in Arabia),
ei cela à cause de la trop grande chaleur du soleil.
(6) Hoc.cACK, De mojdiàus et diversis nominiôus maris.
(7) Tous cités par Santareh, Cosmographie et cartographie du moyen-
àge, I, 76, 78, 108, 137, 139, 141, 147.
riIAI'. V. —COMMUNICATIONS AVEC LAMÉHIQUE AU MOYEN AGE. 183
riiilial)ital>ilité de la zone torride devait, pour de longues années
«Mii'ore, accréditer de fatales erreurs et empêcher tout progrès
géograplii(pu'. Plus encore que l'ignorance ou que les scrupules
tliéttlogiques, une autre raison s'opposait encore à ce «jue les
marins s'aventurassent hors des mers connues. L'Océan, en
eiïet, passait pour l'asile des monstres (1). C'est là (|ue vivaient
l'odontotyramus, assez gros pour avaler un éléphant entier, et
le serpent qui se dressait du sein des Ilots et poussait de
lugulires gémissements avant de se jeter sur les niateU)ls pour
les dévorer. (Vest là que le harca engloutissait les navires, là
surtout (pie le kraken, en respirant au soleil, étreignait de ses
Itras multiples les imprudents (|ui n'avaient pu fuir à temps.
Cosmas exprime en ces termes la frayeur que lui faisait éprouver
à lui et à ses compagnons la vue de l'Océan (2) : (( Les matelots et
les passagers les plus expérimentés disaient que nous appro-
chions de l'Océan et tous criaient au pilote : retourne à gauche
dans le golfe, de peur ([u'emportés pur le cf»urant dans l'Océan,
nous ne périssions ; car l'Océan, entrant dans le golfe, soulevait
de vastes flots et la vague nous entraînait vers la pleine mer.
C'était là un spectacle pénihie qui nous glaçait de frayeur ».
.\ ne considérer que les apparences, il semhie donc que la
notion d'un continent opposé au delà de l'Atlantitjue ait
été, pendant tout le moyen-Age, comme anéantie? Il semhie
surtout (pi'aucun n.ivigateur n'ait osé s'aventurer sur cette mer
de l'ouest, si féconde en dangers et en catastrophes. Pourtant,
malgré cette ignorance à peu prés générale, et malgré ces
causes d'immohilité, quelques savants avaient conservé de justes
notions sur la forme de la terre, et de hardis marins se risquaient
de temps à autre sur l'Océan.
Dans le chaos qui suivit les invasions harhares, la science
géographique avait été fort compromise, mais, peu à peu, grâce
I
(1) nKHOKii DK XivBEY, TradUionn tératologiques.
marins.
["i) Cosmas Indicopleustes, ouv. duS (édition Charton), p. 12.
Landrin, Monstres
1
"-M^^u
« \\■^
18i PREMIÈRE PARTIE. — LES PRÉCURSEURS DE COLOMB.
H l'ôtude attentive des texte "., grAce aux sources nouvelles que
le zèle des traducteurs ouvrit en Occident à l'érudition, prAce
surtout aux efforts {rénéreux de quelques esprits dV'lite pour
secouer le joug du passé et s'engager résolument dans la voie
du progrès, une sève plus abondante circula dans les écoles
chrétiennes et vivifia la géographie comme les autres connais-
sances humaines. Une partie des erreurs anciennes disparut,
les vérités déjà connues furent confirmées, et la Bihie ne resta
plus l'autorité unique et exclusive. Quelques docteurs, et parmi
eux celui dont la parole faisait autorité. Saint Thomas, allèrent
môme jusqu'à prétendre que l'écrivain sacré avait parfois
aci ommodé son langage à l'inexpérience de ceux auxquels il
s'adressait, que les expressions dont il se servait pouvaient être
entendues de diverses façons, et que tout passage en contradiction
avec des faits certains devait être écarté (1). Aussi quelques
savants rompirent-ils sans plus tarder avec les préjugés de
l'école, en affirmant hardiment non seulement que la terre était
sphérique et la zone torride habitable, mais aussi qu'un grand
continent existait dans l'autre moitié du globe et qu'on le décou-
vrirait en s'avançant dans la direction de l'Atlantique.
Isidore de Séville avait déjà parlé de la sphéricité probable de
la terre (2), mais il ne l'avait admise que sous toutes réserves.
Béda. plus affirmatif, en donna la preuve (3) : C'est que, du
(1) S. Thomas, Summa theoloyix, II, i, 68 : >< Nihil auctorilate scrip-
turœ dcrogatur, si diversimodc cxponatur, dunimodo hoc fli-miter tencatur,
quod sacra scriptura nihil Talsum contincat. Constat tamcn in scriplura sacra
multa mctaphoricc tiadita esse, qux secundum plaiiam supcrilcicin liltcrin
intclligi non valent. — Duo sunt obscrvanda : primo quidein ut vcritas scrip-
turœ inconcusse tencatur ; secundo, quum scriptura divina mullipliciter
cxponi qu'^at, quod nulli 3xpositioni aliquis ita précise adhœrcaiit, ut si
cerla ratione constiterit hoc esse Talsum, quod iiliquis sensuni scriptura; ctse
credebat. id nihiiominus asscrere prœsumat».
(2) IsiDOBE DE Séville, Ettjmologicon, XIV, 5.
(3) Béda, De natura rerum, § 46 : « Orbeni tr-rac dicimus, non quod
absoluti orbis sit forma, in tanta montium camporumquc disparitatc, sed
cujus amplcxus, si cuncta linearum comprchendantur ambitu, figuram abso-
fim
CHAI'. V. — (.OMMUNICATIONS AVIX LAMKHiyL E AU MOYEN ACE. iS.'i
point (|ue nous occupons, nous aperce V(»ns les astres (|ui sont
au nord sans voir ceux «pii sont au midi, et <|ue, récipr<j(|uenient,
si nous lial)itions les réfjions n:éridionales, nous ne verrions
pas ceux du nord, la convexité du «ol ne permettant pas, dans ce
ras ni dans l'autre, d'embrasser à la fois les deux pôles ». Nous^
trouvons la même doctrine chez Scot Krifrène et Uemi d'.Vuxerre,
;'insi (pie chez Uahan Maur (1) et plus tard clu'z Adelhard de
Hath, Honoré d'Autun et (îuillaume de Conches {i). A partir du
treizième siècle c'est pour ainsi dire une opinion courante, dont
il serait superflu de rechercher la trace dans les écrits du temps.
Qu'on en juge plutôt par le grand nombre des ojivrages composés
(lès cette épo(pie, sous le titre de Traité de la S|)hèn . Tel
d'entre eux, <'elui de Jean de Sacroixtscit, eut jusqu'à soixante-
cin(| éditions, et au moins autant de commentaires (3) !
La théorie de l'hahitahilité de la zone torride ne triompha cpie
|)lus tard. Le fameux comte de liollstadt, Albert le (Irand, (pie
ses contemporains, effrayés par l'universalité de son savoir,
prirent pour un sorcier, dit expressément, dans s(m Liber
Cdsmographicua de iiainra locoriiin, (pie toute la zone torride
est habitable (-4). Pierre d'Albano , au commencement du
XIV'' siècle, se fit l'ingénieux propagateur de cette doctrine :
« Pttdémée, dit-il, a seulement fait remanpier (pi'aucun témoi-
gnage direct ne lui avait fourni la preuve (pie les contrées-
é(juinoxiales fuss;'nt liabit<^es, et, en ce point, beaucoup de
cosmographes, dont l'hésitation n'est pas excusable, puis(prils
liili orbis cfflciat. Inde ciiim fit ut .scptcntrionalis plagie si(]cra nobis scmpcr
aiiparcant, meridiaiia* iiunquam ».
(1) Haran .Malii, De i'niverso, XII, i. « Forinaiu tcrrœ ideo scriptma
orbuiii vocal, co quod rcspicicntibus cxtrciiiitatciu ejus circiilus seinper appa-
rcat, qiiein Gracci orizonta vocaiit ».
\i) Cilés par Joukdmn, Mémoire sur l'influence d'Aristot'!, etc., p. 7.
(3) Les plus connus de ces traités fuient composés par Campanus de No-
varre mort en 1300, par Cecco d'A.scoli (1257-1327) et par Nicolas Orcsme.
(I) Ai.iiEKT i,F. Ghand, Liher Cosmographicus de natuva locontni tStras-
liourg, 15IF)), fol. 14bet23«.
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lut
186 PREMIÈRE "ARTIE. — LES PRÉCURSElîRS DE COLOMU.
pouvaient invoquer le témoignage de Suint Jeun Dani.iscène,
ont imité sa réserve. Aujourd'hui l'incertitude n'est plus
possible, et il n'y a que les gens peu instruits, oapaltles de
croire que les régions équinoxiales sont inliahitahles et que
l'Océan occupe partout l'espace compris entre les deux tro-
piques » (1). Nicolas Oresme, grand maître du collège de
Navarre, mort évéque de Lisieux en 1382, auteur d'un Traité de
la Sphère dédié a Charles Y, s'exprimait en ces termes (2) :
« Aucuns dient que la tierce plage, qui est souhz la v(»ye du
soleil entre les deux tropiques est inhabitable ; mais les autres dient
que c'est très noble et très atrempée habitacion, especialement
vers le milieu, soubz l'equinocial, et ce fut l'opinion d'Avicenne.
Et ceulx qui maintiennent ceci arguent ainsi : que si elle estoit
inhabitable, ce seroit pour trop grant chaleur, mais il n'en est
pas ainsi. » Cette théorie fut dès lors acceptée, et même
enseignée. Ainsi que la précédente elle devait contribuer
à étendre les connaissances géographi([ues.
La croyance la plus utile au redressement des erreurs sur la
forme véritable de la terre fut celle de l'existence d'un ou de
plusieurs continents au-delà de l'Atlantique. Les savants, qui
se firent les interprètes de cette théori -, renouvelaient une doc-
trine ancienne. Nous avons déjà vu que Cicéron, Macrobe et
d'autres écrivains pensaient que les deux hémisphères que
l'Océan sépare l'un de l'autre sont, en outre, coupés à deux
reprises par les eaux, de manière que la surface de la terre se
trouve partagée en quatre continents, deux dans l'hémisphère
boréal et deux dans l'hémisphère austral. Ce singulier système
nous le retrouvons chez Cuillaume de Couches (3), et chez un
écrivain du commencement du treizième siècle, Geoffroy de
Saint-Victor, qui s'exprime ainsi {A) : « Les philosophes éta-
(1) Petrus de Ai,bano, Conciliatorcontroversiarum(]UX inter philosophos
et medicos versant ur, fol. 100.
(2) Nico! A3 Oresme, Traité de la Sphère, § XXIX.
(3) Guillaume de Conçues, Phiiosophia mitior, IV, 3.
(4) Geoffroy de Saint-Victor, Microcosmus, cité par Jourdain, p. 8 :
.\îl
CHAI'. V. — COMMl'MCATIONS AVEC l'AMKHIOII: AU MOYEN AGE. 187
Missent par des raisons trOs plausililes l'existence en quatre
points du monde de quatre portions de terre ferme non seu-
-lenient habitables, mais encore habitées. En effet, selon les
philosophes, la terre est partagée, ainsi que le ciel, en r •/[
zones Comme le grand Océan divise deux fois chaqre zone
tempérée, elle est partagée en deux continents, ce qui, pour les
deux zones, donne quatre continents, deux dans l'hémisphère
supérieur et deux dans l'hémisphère inférieur. Les deux con-
tinents qui ont la même longitude dans un hémisphère différent
se font face, non pas, il est vrai, directement, et leurs habitants
s'appellent anthùtes, c'est-à-dire placés les uns en face des
autres ; les deux continents qui ont une longitude différente,
celui-ci dans l'hémisphère du nord, celui-là dans l'hémisphère
(lu midi, se trouvent aux deux extrémités d'une ligne qui passe
par le centre de la terre ; aussi leurs habitants sont-ils appelés
Antipodes ». Albert-le-Grand, sans être aussi explicite, admettait
également l'existence de ce continent opposé (1). « Les mômes
rliniats, dit-il, se répètent dans l'hémisphère inférieur, de l'autre
côté de l'équateur, où il existe deux races d'Ethiopien. , ceux du
tropique boréal et ceux du tropique austral. L'hémisphère infé-
rieur. Antipode du nôtre, n'est pas tout à fait couvert d'eau ; il
est en grande partie habité, et, si les hommes de ces régions
éloignées ne parviennent pas jusqu'à nous, c'est à cause des
vastes mers interposées ».
Le contemporain d'Albert-le-Grand, Vincent de Beauvais,
<< Nnturalis philosophiis prubabili valdc ra Jone in (|iiatuor locis muiidi quatuor
partes aridas asserit apparaisse, et singulas non solum habitabilcs sed et liabi-
lalas esse. Docet enim quinquc esse cœll terras vel cœli zonas.... Magno
Oceaiio utram((uc zonam (tempcratam) bis dividente et sic quatuor aridas
fnriciite, ita ut duiic quw. in cadem zona sunt, altéra in inferiori, altéra in
supcriori hemispherio, indirecte quidem, sibi contra posito) sunt. Quarum et
habitatores anthctos, id est contra positos vocant. Quœ vero in diversis zonis
»unt, altéra sursum, altéra dcorsum, qui» per médium terrtc se respiciunt,
dirccta sibi contra positionc opponuntur, undc et earum habit.itores antipodes
vocant. »
(l; Ai.bert-le-Grand, ouv. cité, fol. 23».
I I
188 PRKMIÈRK l'AHTIK. — LKS l'RKt.l RSKIRS UK COLOMB.
cliarfît'i par suint Louis de (;oni|)Ost'r une sorte d'encyclopédie,
put, dans son Spéculum Quadruplex, (|ui se rattachait étroi-
tement à la relifîion, liasard<'r (piehjues idées nouviîlles. Ainsi
parlera-t-il des terres situées au delà de l'Océan, et de la qua-
trième partie du monde. << Après les trois parties du monde,
dit-il, et au delà do l'Océan s'étend vers le Midi une (piatrième
partie. Les ardeurs du soleil nous empêchent de le connaître ».
Comme on le voit, Vincent de Beauvais n'est pas encore dé}ra}jé
des vieux préjugés. Il confond les idées justes et les erreurs, les
théories savantes et les mythes géographiques, mais il cherche
pourtant des explications scientifiques. Ce fut le Pline de son
époque (1).
Un autre savant du xiii'' siècle, Roger liacon, fut hien su-
périeur à Vincent de Beauvais connue érudition et comme
intuition scientifique. Le docteur admirahle, comme l'avaient
si hien surnommé ses contemporains, eut, en effet, la gloire
d'affirmer hardiment que, d'après les lois de la nature, une
grande terre inconnue devait exister en Occident, mais il ne
prétendit jamais <jue cette terre fût inaccessihle : « La mer,
dit-il (2), ne couvre pas, comme on le prétend, les trois quarts
de la terre. Déjà il est évident qu'une grande partie de ce quart
doit se trouver au-dessous de nos régions habitées, car l'Orient
est rapproché de l'Occident et la mer (pii les sépare est petite.
(1) Vincent de Beauvais, Spéculum quadruplex iiaturah, liv. xxxii, § l'i,
|i. âill : << Extra trcs autcin partes orbis qur.rla est trans Occanum : Interior
est in ineridie, quœ solis ardore incognila nobis est ».
(2) Roger Bacon, Opiis majus . « Hoc igitnr marc non cooperit ires
quartas terrtc, ut œstiinetur. . . . Jam patet quod niultuni de quartu illa sub
nostra erit habitatione, propter hoc quod principia Orientis et Occidentis sunt
propc, quia marc parvuni ea séparât ex altéra parte tcrroc, et ideo babitatio
intcr Orientcm et Occidentem non erit medietas œquinoctialis circuli, nec
medictas rotunditatis terroc. Quantum autem hoc sit, non est temporibus
nostris mcnsuratum, nec invenimus in libris antiquorum, ut oportet, certill-
catum ; nec mirum quoniam plus medietatis terro) , in qua sumus, nobis
ignotum. .Manifestum est igitur quod a fine Occidentis usque ad finem Indite
supra Isrram erit longe plus quam medietas terrie » .
^fî
cil Aï». V. — COMMUNICATIONS AVRC l'aMÉRIOIE Ai: MOYEN AGE. 180
Aussi, la terre lml)it('e entre l'Orient et l'Ooeident ne d«''passe-
l-elle pas la moitié du cercle é(|uino\ial. ni le milieu de la sphère
céleste. Mais (juelle est cette d: -tance? (Jn ae l'a pas mesurée
(le notre époque, et les l'vres anciens ne nous donnent à cet
éirard aucun renseif?nement. Qu'y a-t-il donc d'étonnant si plus
de la moitié de la terre (|ue notis habitons nous est inconnue?
Il est donc manifeste (joe, depuis rextréme Occident jusqu'à
j'i-xh-éme Inde, il doit y avoir une surface comprenant plus de la
iriititié de terre ».
Ainsi donc, par la seule fon-e du raisonnement, Roger
Maçon (l) avait compris qu'il devait exister, en opposition à notre
continent, une autre grande terre jusqu'alors inconnue, et cette
terre il affirmait ([u'on la découvrirait dans l'espace qui sépare
l'extrémité occidentale de riîurupi; de l'extrémité orientale de
rinde. Il était impossible de mieux indiquer la position de
l'Amérique. Malheureusement, Iiors des cloîtres et des univer-
sités, personne ne connaissait les conclusions du docteur admi-
rable. On s'efforçait même de les cacher, car ce don de prophétie
clfrayait et il fallut la toute puissante protection du pape
(lléinent IV pour rendre à la liberté le pauvre moiius jeté en
prison parce qu'il axwiit été supérieur à son siècle.
Le terrain n'en était pas moins bien préparé, et bientôt
s'imposèrent ces doctrines, qui d'abord n'avaient excité que des
iléliances. Ce qui surtout contribua à répandre ces théories
nouve"es, ce fut la persuasion où l'on était que la distance qui
sé|)arait l'Europe de l'Inde dans la direction de l'Atlantique
n'était pas considérable. Nous savons déjà que les anciens
croyaient à la proximité de ces deux continents (2). Aristote
(1) llogcr Bacon Tut un véritable rcfonnateur. Ce puissant génie, le véritable
riiiidaleur de la science expérimentale, annonce et prépare, pour ainsi dire,
les inventions des siècles postérieurs : ballons, leviers, lunettes, cloches à
jdongenrs, armes à feu. paquebots et chemins de fer. Voir dans la Biographie
nnivenellp. de Didot Hœfer l'article Roger Bacon, et surtout VÉtiide sur
Hof/cr Bacon, par Charles.
(2) Voir plus haut, chapitre iv, p. 154-137.
li
100 PRKMIi:»K PARTIK. — LKS l'RKCIRSKlJHS DE COLOMB.
s'était à ce propos, et ;'i diverses reprises, expliqué très c.liiire-
ment. Or Arist<»te fut iefiraad éducateur du moyen âge (1). Ses
ouvrages, traduits dans toutes les langues de l'Europe, formèrent
comme le fonds commun de la philosophie et de la science.
Ses principes furen* aveuglement acceptés et commentés avec
passion. Il suffit (î |)arcourir les ouivres des maîtres les plus
autorisés de la scheiasticpie pour se rendre compte de rintluence
qu'il exerça. Souvent on se contente de le traduire, parfois (»n le
paraphrase, jamais on ne le discut(î. Voici comment Averroc's
le plus céléhre de ses interprètes Arahes, s'exprime au sujet de
sa conjecture sur le peu d'éte"dne de l'Atlantique (2) : « Aristote
donne la preuve suivante de ai petitesse de la terre : c'«;st que
l'horizon des lieux où les statues d'Hercule sont placées, c'est-
à-dire l'extrémité occidentale de la mer hahitée, est proche de
son extrémité orientale, et qu'entre les deux régions il existe
une seule nier continue Aristote ajoute que ces deux
contrées sont peu éloignées, parce qu'elles produisent l'une
et l'autre des éléphants. En effet les animaux qu'on ne rencontre
pas dans tous les pays, mais dans un seul, sont particuliers à
ce pays, par la raison que c'est là le climat approprié à leur
nature. Dès lors les régions qui les produisent ne sauraient être
à une distance hien éloignée, car l'éloignement suppose en
général la dissemhlance ».
Les écrivains du treizième siècle les plus familiers avec le
péripatetisme et la philosophie musulmane, Alhert le Grand,
Saint Thomas, Roger Bacon, s'expriment en termes à peu près
identiques. Le premier, dans son Commentaire du iraité du
ciel et du monde, dit expressément qu'entre l'horizon de ceux
qui hahitent près de Gadès, et l'horizon des Indiens, il ne peut
exister qu'une mer de médiocre étendue; (3). Saint Thomas
(1) Jourdain, Recherches sur l'dge et l'origine il<'s traductions latines
d'Aristol" — Id., De ^influence d'Aristote et de ses interprètes sur la
découverte du Nouveau- Monde.
(2) Jourdain, ouv. cite, p. 17.
(3) Albert le Grand, De cœlo et mundo. liv. ii. Tract, iv, § 11, i. Il,
CHAI». V. — COMMUNICATIONS AVEC l'aMKRIQL'E AU MOYEN AOE. 191
n'viciil à deux reprises sur cctto tliéorii'. Uuns sou /•Sx/msitinn
des linrs du ciel et du mnude, il reproduit l'Iiypollièse de lu
proximité du «continent orienta! et de rcxtréinité des côtes
d'Kspafine et (i"Afri(jue (1). Dans soti (^tnniiirulairr des
Mi'lritrt's, il iiidi(}ue seulement que l'IJcéaii .Vtlanti<|Vie a deux
rivafîes opposés, lun aux colonnes d'Hercule, l'autre à l'ex-
trémité orientale de l'Asie (2). Roger Hacon reprend, en les
déveioppiuit, les arffunients d'Aristote (3), et, avec la netteté
ordinaire de son esprit, démontre la possibilité de la navifjation
entre les deux continents. Il semhie dès lors (pie cette croyance
soit admise par tous, car nous la trouvons enseignée par les
professeurs de l'université de Paris, par exemple par Nicolas
Uresme et par Pierre d'Ailly (4).
Ces diverses théories dénotent chez les savants qui les mirent
en circulation une singulière connaissance de la forme générale
de la terre. Que si nous changeons les noms, et faisons dispa-
raître (juel(|ues erreurs qui sont comme le signe de répo<|ue,
la |)lupart des passages que nous av(jns cités ne seraient pas
déplacés dans les ouvrages modernes. H est certain qu'Alhej't le
|i. HO : « liitcr cniin orizontcm habiluiitiiim iii climiitu illo juxla (Indes Hcr-
culis, et iiri/oiitein liabitaiiliuin iii liidia, non est iii niudio, iil diciint^ iiisi
i|uoddaiii mare parviitn ; scd marc dcnaiiuin meta est clinialis illius ex occi-
dciitali parte ».
(1) Saint Thomas, cité par Jourdain, p. 21 : » Et idco non videntnr valde
inciedibilia opinari qui volunt coaplare, secunduni similitudineiu et piupiii-
ipiitatein, locnm in exlremo occidentis situm loco qui est ciica mare
Indicum in exlremo Oricnlis, et dicnnt nnum esse mare Oceanuni quod
coiitinnat n traque loea ».
(2) lu., p. 22 : <• Quod est circa terniinuni Indicum, ex parte Oricntis, et
quod est circa columnits Herculis, ex parte Occidentis, non videntnr posse
copiilari ad invicem, ut sit reditns ex alia parte, et sic tota ista porlio terrœ sit
liabitabilis continue, quia impeditur accessus propter mare. »
(3) Rouer Bacon, Opiis majus (édit. 1750), p. 137 : « Et vocatur Oceanus,
ut principiuni Indiic possit esse multuin extra mcdietatem ci|ninoctialis circuli
sub terra, accedcns valdc ad flnein Hispaiiii». »
(V) Nicolas Oresme, Traité de la sphère, tout le clia|iitre des climats. —
Pierre h'Aii-ly, Imago mttndi, § 4'J.
VM imu:mikiik pahtik. — i.ks i'HKciuskuhs i>k colomii.
(iriin<i,'(|U(* Viiici'iit de licaiivais, Saint Thomas et Ilojrcr Hacoii
oui «Icvaiico leur siôclc, qu'ils cNiTcrrciit nue (diissantc influence
sur leurs coiiteiniMirains et (|u'ils coiilirnièreut dans leurs
au(ta(;ieu\ projets les marins (|ui déjà s'aventuraient sur
l'Océan.
Parmi les savants dont les d'uvres eurent à travers les Ages
comme un long retentissement, Dante mérite une place i\ part,
(let Homère chrétien d<»nt les poèmes étaient déjà vivement
goûtés par set cunteinptu'ains, parle à diverses reprises des
ï'toilos de l'autre hémisphère et des continents inconnus .
« (J frères, dit son f/h/ssi-, vous (pii à travers mille périls êtes
parvenus jusqu'à cet Occident, si peu «ju'il vous reste encore à
jouir de vos sens éveillés, ne vous refusez pas à la gloire de
•découvrir par delà le soleil un monde encore inliahité ».
0 fralli, dissi, che per cenlo uiillie
Perigli sitHe giunti ail Occidenle,
A quesla tanto picciola vigilia
De voslri seiisi, che del rinianente,
Non vogliate negar l'esperienza
Diretro al sol, del niundo seiiza génie.
Quand les hardis marins se sont décidés à suivre leur
•capitaine, <( notre poupe au levant et le gouvernail prenant
à gauche, nous fîmes des ailes à ce vol insensé. Déjà la nuit
voyait se déployer devant elle toutes les étoiles de l'autre
hémisphère ; l'astre polaire ne se montrait plus qu'à l'extré-
mité de l'horizon : nous avions vu cinq fois reparaître le gloh»;
argenté de la lune, depuis que nous entreprenions ce grand
voyage, quand nous aperçûmes une montagne que la distance
rendait encore obscure, et qui était la plus haute que j'eusse
encore observée. Nous nous livrâmes à une joie qui bientôt se
changea en douleur. Il s'éleva de cette terre nouvelle un tour-
i)ilIon qui vint frapper la proue du vaisseau; trois fois la
i
(I) Dante, l'Enfer, chant xxvi, terzo 45 et suiv.
m
CHAI'. V. — COMMUNICATIONS AVKC l'aMÈHIQIE AU MOYKN A(1K. lOIi
t('tii|MMt' (if toiirticr U- navir»', puis «'Ile fracassa la poupe, ft,
niiniiic il |»lut à Dieu, I'Ociniii se reforma sur nous ».
, Tulle It! slelle qim dt'll' allro polo
Vidt'a la nollc, ol iioslio, laiilo basso
Che linn siirgcr à fiior dcl inaiin siiolo...
(jiiaiulo lu'apparvt- iina iiioiitagua bruna
I»er la dislaiizia, e perveiiiii alla lanto
Quanto vedula non n'avero alcuna
(le passa},'(' a siii^'ulièreineut préoccupi'' Icïs l'oinnientateurs
de Dante. Lt^s uns, (iran};ier, Moutonnet, Venturi et Lombardi,
croient (jue le poète entend par cette iiiontag:ne la montagne
du l*urffatoire, au liant de la((uel!e il |)lace le Paradis Terrestre.
Uivarol rappelle «|ue, du t«'mps de Dante, « il courait déjà
(piebptes bruits (pi'il existait un autre inonde au-delà des
mers ». (Jinguéné l'auteur trop dédaigné d'une excellente bis-
toirc de la littérature italienne (1), remarque avec raison que
Dante était un des savants de son époque le plus au courant des
trjiditi(»ns anti(|ues et dt!s théories nouvelles, et il ajoute :
" Ne serait-il |)as possible cpie Dante eût eu (luehpie connais-
sance ou quelque idéci de la grande catastrophe de Pile .\tlan-
fide, qui paraît avoir été [»lacé(; dans l'Océan qui porte son
nom ; que cette montagne d'où s'élève un tourbillon destructeur
l'ut le volcan de Ténériffe qui, depuis longtemps éteint, domine
sur les Canaries, anciens débris de la grande île, et qu'enfin le
poète eût voulu consigner cette tradition dans son ouvrage?...
1) GiNf.UENÉ, Histoire de la littérature Italienn», 1 U, p. 108-100. —
foici l'appréciation de Cantu dan» son Histoire Uîiiven ..'e ; « Nous placc-
l'iins parmi les hommes de suiuneu Dante Ali^hieri, qni sut tout ce (|uc l'on
connaissait de son temps, et pressentit quelques-unes des connaissances ulté-
rieures. 11 indique clairement les antipodes et le centre de {gravité de la
terre. Avant Newton il assigna à la lune la cause du flux et du reflux ; avant
(îalilée, la maturation des fruits par la lumière ipii on fait évaporer l'uxyi^ènc ;
avant Linné il déduisit de leurs orgaues sexuels la classidcation des végé-
taux ; avant Leibniz il signala le principe de la raison suffisante ; avant
liucon il indiqua l'expérience comme la source d'où dérivent nos arts humains».
T. I. 13
I
19i l'Rr.MIKHIC l'ARTIi:. — LKS l'RÈCURSEIRS I)K COLOMH.
Il ;
1
I'
Ne poiirrait-oii pas cndro aussi, cl pfiit-tMrc avec plus de
vraisciiihlunce, (pic, (pioicpu; rAiuci'i(|uc ne fut |ias «'iicoro
découverte, il courait déjà des bruits de rexistcuce d'ua autre
monde, au-delà des mers, et (pie Uaute, attentif à recueillir
dans son |)oème toutes les coimaissanccs ac(|uises(le son temps,
lie né^lif^ea pas même ce iiruit si iiii|)ortaiit par son ohjfl,
tout c(»ufus (pi'il était encore? »
CiCtte explication nous semhie très plaiisiitle. On peut à lion
droit c(»iisidérer la Diriin' CniiK'dic coiiiiik! le résumé des
connaissances de l'épocpie. Sans doute les indications du j)octe
man(|ueiit de [irécision, mais Strahon, c(^ juge sévère, accordait
à Homère la foi la plus absolue. Pounpioi traiter Dante avec
plus de rigueur? Son ouvrage est de pure fiction, et ce n'est
pas à un poète (|u"il faut demander toute la rigueur d'un rai-
sonnement scientifique. Que ce soit de sa [)art de l'érudition ou
de l'intuition , un écho des voyages contemporains ou une
création |)(jéti(pie, Dante, dont Colomb aimait et appréciait le
génie, a dû exercer sur son esprit une certaine iidluence, et, plus
d'une fois, dans ses longues méditations, le futur amiral dut
relire les merveilleuses aventures de l'Ulysse Dantes(]ue.
Aussi bien ce n'est pas le seul passage de la Divine Comédie
qui prouve que son auteur avait des notions plus étendues (pie
les cosmograpbes de son temps, et comme le pressentiment des
futures découvertes. Souvent il fait allusion à la sphéricité de
la terre, et le Paradis, qui surmonte la cime de la montagne du
Purgatoire, est situé selon lui dans les mers de l'hémisphère
austral, aux antipodes de Jérusalem (1). 11 parle aussi plus
d'une fois des étoiles nouvelles, et mentionne même la plus
brillante des constellations australes, la fameuse croix du
Sud (^) : « Je me tournai à droite pour considérer l'autre pijle;
j'aperçus quatre étoiles cjui ne furent jamais observées que par
(I) 0A.4TE, Purgatoire, chant iv, xxi.
(2)lD , Purgatoire, I, 22.
CUAI'. V. — COMMl MCATIONS AVEC L'aMKHIOI K Al MOYEN AdK. 195
les premiers liahilants de la lerre. L«' eiel paraissait se réjouir
(le leur éclat. () eontrée du nord, toi <|ui ne peux eontetnpier
CCS astres él»louissauts, (pie je te plains dans ton veuvage! »
In ini voisi a nian désira, e poHJ mente
Ali'alli'o polo, e vidi (piattro slelle
Non visle mai ftior (ir.illa prima ^'eiile,
(iodcr pareva l'ciid di ior liammello.
t)h ! stïtlcnU'ioiial vedovo site,
Poi che privato se di misar quelle !
Ces (pjutro étoiles sont-elles iinajîinaires ? Telle est ropiiiion
de Streckfuss, eotnrnentafeur allemand de la Divine (Comédie (I),
mais il est bien peu pr(d)al>le que Dante, (jui vient d'énu-
méror plusieurs étoiles sur le nom et la position destpielles
aui'un doute n'est possil)le, ait de lui-même inventé la Croix du
Sud? Aurait-il jiropliétisé son ajiparilion (i), ou l)ien, connue
le croit un autre de ses commentateurs, Lomiuirdi, ces (piatre
étoiles ne sont-elles .(pi'un symbole des vertus cardinales? Sans
av(»ir l'esprit prophéti(jue, et surtout sans faire de la théologie
astronomique, Dante entendit sans doute parler de cette hrillunl»*
constellation. La Croix du Sud est visible dans le sud de l'Egypte
et dans l'Ilindoustun (3). C'est peut-être de cette constellation
(pie parlait déjà Aristotc, quand il faisait remarquer qu'on
V(jyait en Egy[)te des étoiles qui ne brillaient point dans notre
liémisphère (V).En tout cas, à l'époque à laquelle écrivait Dante,
le 1310 à 1314, les négociants Pisans ou Vénitiens fréquentaient
(b'jà ces contrées, et, par conséquent, a\ aient observé la constel-
(1) Streckfuss, Die Goettlvhe Comœdie, p. 179, 228 (1834).
ii) Ainsi le croyait un des plus anciens commentateurs du Dante, Andréa
Corsali. Voir sa lettre à Codius, du ('(janvier 1515, ins(;'rée dans la RaccoUa
<li Viarjiji do KaMUSIo (I, 177).
(3) Lettre de l'amiral Rossel '■ Artaud de Montor (traduction de Dante,
p. 178). — HcMBOLDT, Histoire n. la Géographie du Nouveau Continent,
t. Il, p. ;i23.
|4) Abistote, De cœlo, II, 14 : a "Eviot yàp iv 'AiYti::T«i> fxàv Mzépzi
ùocSvTai /.ai nepi Kû;;pov, èv Totî Jîpôç «pxiov 3e yç^oipioi; où)^ ôpwvToit ».
VM
» rilKMIKItK l'AItTIK
i,i;s l'iiKci'iisiM'iis m: coi.omh.
f: M 1
lidioii (le la (îroix «lu SikI. Lt-s Arnlics, i|iii se sont n'-|iaii(|iis
«laiis loiilcs les ilin'ctidiis, et iliiiit les roiiiiaissaiiccs s(i('iilili(|ii('s
<l(''iii(»iitn'iil «lu'ils riifciit les v«''rila!)lt's lit-rilitTs de It-coh-
(l'AlcxaiKlfic , avaiciif cf^alfiiicnt sif.Mi.ilt'' ('cltc cuiistcllatioii.
(Ju('l(|ii('s-iiiis lit' Icnis |»laiiis|»li('r('s avaient |»i'iil-iHn' passé
snus les yeux (lu |K»t"'t('. Il existe un fclolte dressé en ICj^ypte par
(laïssar l>eu aheu C.asscui, en li:J.'i, Iniifrteuips ctniservé eu Por-
Ui\in\, accpiis eu l"Si par le rardiiial llur^^ia, <U (pii a été l'dhjet
d'un savaul travail d'Asseuiaui «le Tripoli, en 1"!H) i I). (le ^Itihe,
où l'on distin^'ue la (îmixdu Sud, uii tout autrt! iiUAw analuf^ue,
fut peul-(Hre (-(insulté par Dante. D'ailleurs, si l'on admet (pie
Dante a ('(Hinu ces étoiles, j;ràc.(î aux n(''^'(i(iauts Italiens venant
do l'Orient ou aux planisphères arabes, il n'est pas telleuieiit
coutraire au l)(tr' sens de suppttser (pie ces rensei^'neineuls
peuvent lui avoir été donnés par des voya^^eurs ou des cosuio-
};raplies «pii avaient vu la (Iroix du Sud dans les mers Occi-
dentales. Les Vénitiens et les (léiiois, dès les premières années
du xiv" siècle, s'étaienl d('Jà Tort avancés dans l'AtlaulitpK' et le
loii},' des ( ôles (r.\rri(pie, I(îs (lénois surt(»ut (pii avaient donné
à rarcliipel de Madère des dénominations Italiennes {'i). Il est
donc possilile (|ue ce soit par des rapports occidentaux (pie
Dante ait eu connaissance de la (Iroix du Sud, et uiénie, ce
devait être une notion fort l'épaiidiie, car le poète n'en parle (pie
par allusion, comme s'il devait être com|iris de tous. La vision
de Dante iittllVe donc rieii de siu^iulier, et, si les comnieu-
tateurs se sont émerveillés de sa science, c'est, comme le re-
mar(|ue avec es|)ril un de ses traducteurs, .Artaud de Montor,
f|ue l(!s lcct(!urs de vers ne lisent pas Uîs livres des savants, ou
l>i<!n que les lecUîurs des oiivrajics des savants ne lisent pas les
écrits des poètes.
(Il Simon Assbmani , (Holtu^ nrle^ti^ Ciifim Arnliiru* Muxei Hofi/iiiiii
iHiisfrntus, Pmloiic, 1710.
2) D'AvK/AC, Sotire d>'x diirnurerti's /'ailes au iiioi/fn-tUff! (lima l'Oconn
Atlantiijur antéfinireinent aitx f/raiiilfs exiilortitioiis Portiii/aises du
XV» siMe (Nouvelle» amiiiles îles V()yin;(.'», 184")).
CIIAP. V. — CdMMrNICATIONSAVKC l/AMl^JlUOri: AU MOYK.N ACK. 107
Il lions r.'iudni r(>|H'ii(laiit faii'c iitic ('\('('|iti<iii |i(iiir (loloinlt.
Il liniiit D.'iiilc, et ii(> iK'^Mip'ait pas pour anluiit la lecture de»
ouvrages scieiitiiupies. Il est vrai (pie e'est à ics derniers ou-
vrages ipi'il réservait sa prédilertioii et particiilièreiiieiit aux
travaux d'iiii de nos ciinpatriotes, IMerre d'Ailly (I), (pi'il cite
sans cesse, et (pi'il seinide c(»iisi(lérer conuiie un maître in-
faillilile. Bien (pie Pi(>rre ne soit (pTuii simple compilateur,
souvent (l(''pourvu de criti(pie, rr fut, en cMet, dans les (''ci ils du
cardinal arclutvtMpie de C.amhrai , et spi'-cialenient dans son
fni(i(/(t Mintd'i, (pie l'amiral [misa ses principaux arguments et
s'initia aux tli(''ories anti(pies. On conserve eiic(»re à S(''ville {^)
\\\\ exem[»laire ini|irim('> en liîM>, avec des cara(t("'res gotliirpies,
(le V/iiKit/d Miiin/i du cardinal (rAill> '^ur les feuillets de garde
sont dessiiK'es et tn^'s liahileinent colori(''es des spli(''res armil-
laires. Les marges sont couvertes d(' n<»tes r(''(lig(''es en latin,
d'une ('criture fln«^ et serive, trac<''e de la iiK^me main (pii a pa-
reillement anu(»ti' le Marco l»ol(» (•diU'i par KraïK'ois de l'epuris
et l'histoire d'/Kneas Silvius. Toutes ces iKttes sont altrihiK-es
;i (lolomi) (.'{). Il avait, en ell'et, beaucoup prati(pi('> Pierre d'Ailly,
et aimait à le citer, parce (pi'il lui l'ournissait les sources an-
ciennes dont il avait hesoin, et (pie de plus il ('tait nMwuinii et
ap|irouv('' [i.ir l'Kglise. Dans une lettre de 1 108, a(lress(''(; d'Haïti
.iu\ iiKuianpies (Cspaginds, (lolomlt cite ou plut('it traduit tex-
tuellement t(tnte une page de V/nidffti Miindi [K). Il y trouvait
non seulement r(''nuinerati(»n des auteurs anciens (pii cndent i\
(t) DiNAix, Ndtir.f! hutovUiuc et, littiirtiirr sur /'. il'Ailly (C(iinl)r.'ii, 18:?4),
2) IIariussk, liihlinfherd niurriruiKi rrfus/iHsimii, Additidiis, p. xv.
(;)) (le livre |ior''î anjoiird'liui la rubn(|iifi (i. (J. 178-'J1. Las Casas avait
déjà si/iiah'; ce vuliiino ^l^iv. I, fj 28, l. I, .')I3) : « Yo hali(!, en urio libro viojo
di! (".risl(il)al ('.(don, de las obras de {'«dro d<! Aliac» escritas esta» pala-
bras en la iiiarKcti del tralado de iniaKiiu* iiiiiiidi ».
(4) Navahkktk, o(iv. cil(';, l. I, p. 409. c Kl Aristotel dice (|uc este miiiido
es pe(|ii(Mi oy es (d agiia riiiiy poca, y (|U(! i'acilriieiile se |uiede |iasar de KspanA
a In» Indias, y (!slo (■,nrillr(na el Avcroys y le aleiça el cardeiial Pednt de
Aliaco, aulorizaiido este dieir y aqnal de SeiiC(a, etc. ».
T
108 F'HHMIKRE PARTIR. - LES PRÉCURSGI'RS DE COLOMB.
la facilité d'une communication entre l'Atlantique et la mer des
Indes, mais encore l'opinion du cardinal qui l'encourageait dans
ses propres idées (1). « En allant d'un pôle à l'autre, écrivait
Pierre d'Ailly, la mer s'étend entre les dernières limites de
l'Espagne et le commencement de l'Inde ; l'eau couvre les trois
quarts de la terre. Donc les parties extrêmes de l'Occident et de
l'Orient sont très rapprochées (2), attendu qu'une petite merles
sépare » ; et plus loin (3) : « Il y en a qui disent que la région
située entre le tropique d'hiver et le cercle antarctique est d'un
climat tempéré, et aussi hien habitable que la région où nous
sommes. Ils disent aussi qui\ y a des Antipodes qui peuvent
occuper des régions et des habitations comme nous, et qui ont
l'hiver quand nous avons l'été, et réciproquement le printemps
quand nous avons l'autonme ; mais il n'y a pas de communi-
cation entre les Antipodes et nous, à cause de la zone torride et
des chaleurs tropicales Au reste pour des questions de ce
genre, ce n'est pas tant sur l'imagination que sur l'expérience et
les probabilités qu'il faut fonder sa croyance (A) ».
Assurément ces théories sont fort discutables : mais que
signifient et cette affirmation, si souvent répétée, de ia petitesse
relative de la mer qui sépare l'Espagne de l'Inde, et ces vagues
pressentiments d'un monde nouveau ? Est-ce un simple écho
des traditions antiques ? Est-ce plutôt prescience de l'avenir?
On comprend qu'un esprit mystique et exalté, comme l'était
Colomb, ait été singulièrement impressionné par cette lecture.
La parole de l'Evangile : et in omnem terram exivit sonus
eorum (5), ne s'est pas encore accomplie, avait écrit Pierre
(1) Pierre d'Ailly, Explicit Ymago mimdi de scriptura et e.r pturihus
auctoribus recollecta, anno Domini 1410, sans date.
(2) Id., Quià principium Orientis et Uccidentis sunt prope, qiium mare
parvum ea separet ex altéra parte terrtc.
(3) Id , Voir tout le chapitre vu de l'Imago mundi, intitulé : de Varietate
opinionum circa habitationem terrx.
(4) Id., « In his rébus non tam imaginationibus quam experimcntis et
probabilibus historiis rcputo certitudinaliter adhaerenduni ».
(5) Psaume xix.
niAP. V. — COMMUNICATIONS AVEC L'AMÉRIQUE AU MOYEN AQE. 199
(l'Ailly . aussi Goloml) quand il aura découvert l'Amérique,
s'imaginera avoir prouvé, par ses voyages, les paroles du psal-
miste : à tel point que l'auteur du premier psautier polyglotte,
imprimé à Gènes, en 131G, par l'évéque de Nebbio, Giustiniani,
donnera, dans les notes de son ouvrage, une courte biographie
de Colomb, en guise de commentaire à ce verset (1).
Pierre d'Ailly est donc un de ceux qui exercèrent la plus
grande influence sur les détermination de Colomb, et son
ouvrage jette le jour le plus vif sur les connaissances de l'époque.
On était alors, pour ainsi dire, dans l'attente d'un monde
i)ouveau. De nombreuses cartes témoignent à la fois des progrès
de plus en plus marqués de la géographie et de la croyance
persistante à une terre transoccanique. On n'avait donc pas
encore retrouvé l'Amérique, mais la notion de ce continent
flottait confuse et inconsciente dans tous les esprits, aussi bien
que de nos jours, bien que personne n'ait encore pénétré au
p(Me Nord, on sait vaguement que le jour de cette découverte
ne tardera plus.
Les savants et les érudits n'étaient pas les seuls à prévoir le
subit agrandissement des connaissances géographiques. Les
marins ne manquaient pas, qui, par instinct ou par vaiUance,
s'engageaient dans ces mers, au-delà desquelles les attendaient
tant de merveilleuses découvertes. Les courageuses populations
qui, sur les côtes de l'Océan, se livraient à la grande poche,
s'aventuraient parfois si loin, ou bien étaient poussées par la
tempête à de telles distances, que parfois elles découvraient
des terres jusqu'alors ignorées. Ce sont les pécheurs de baleines
dont les courses extraordinaires méritent surtout notre attention.
La baleine aime les eaux profondes et la haute mer. Rarement
elle se hasarde jusqu'en vue des côtes. Attirés par l'espoir d'une
si riche proie, les pécheurs mettaient à la mer leurs frêles
(1) Giustiniani. Psnlterium Hebraeum, Grsecum, Arabicum et Chaldatum,
cum tribus latinis interpretationibus et glossis, Gône» in-3» 1316. — Noto
marginale sur la psaume xix.
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20() PREMIÈRE PARTIE. — LES PRÉCURSEURS DE C(i JU.
canots et les dirigeaient vers cette montagne vivante, qui fuyait
devant eux. Entraînés au large et comme enivres par le danger,
ils oubliaient la distance, et passaient, sans s'en douter, d'une
île à l'autre. Ainsi, sans doute, furent découvertes les îles jetées
entre la Scandinavie , la (irande-Bretagne et le Groenland,
ainsi le Groenland lui-même et U-étre l'Amérique. Sans
parler des jx^cheurs qui contrihu ainsi, au moyen-Age, à
étendre les connaissances géograpi..ijues, tous les peuples du
nord qui se firent pirates, entassés ([u'ils étaient dans un pays
glacial, où ils ne pouvaient donner libre carrière à leur activité
dévorante, cbercbérent de leur côté de grandes aventures sur
l'Océan. Au moment où les autres peuples de l'Europe avaient
à peine quelques navires, les pirates du Nord prenaient, pour
ainsi dire, possession de l'Océan et des terres nouvelles, quil
cacbait dans ses mystérieux lointains.
Un autre mobile, plus puissant encore, fut l'ardeur religieuse.
Mus par une force étrange, obéissants à un esprit de propa-
gande, dont ils ne se rendaient peut-être pas compte, les
missionnaires chrétiens montaient sur leurs vaisseaux et mar-
chaient droit devant eux, se fiant au hasard qui les conduisait
où Dieu avait décidé qu'ils iraient, et, dans leurs courses
hardies, initiaient à la civilisation des peuples jusqu'alors
inconnus (1). Avant Boniface connaissait-on la Germanie, avant
Anschaire les pays du Nord, avant Rubruquis et Plan de Garpin
l'Asie Centrale? Quelles indications précieuses pour la géographie
fournissent encore les Lettres Edifiantes et les Ayinales de la
Propagation de la Foi ! Et cet apôtre de l'Afrique, ce grand et
héroïque Livingstone, n'était-il pas lui aussi un missionnaire ?
(1) Roger Bacon {Opus majus, p. 189) avait déjà remarqué l'importance des
découvertes géographiques dont on était redevable aux missionnaires : « Co-
gnitio locorum mundi valde necessaria est reipublicaî fidelium et conversioni
infldelium qui loca mundi ignorât nescit non solum quo vadat, sed quo
tendat, et ideo, sive pro conversione infldelium proflciscatur, aut pro aliis
Ecclesiae negotiis, necessc est ut sciât ritus et conditiones omnium nationum.»
CUAl'. V. — COMMUNICATIONS AVKC l'aMÉRIOLE Al; MOYEN AGE. 201
On peut donc raffirnHT, «ans crainte d'(Hre démenti, (|iiel(|ues-
uns des missionnaires, non seulement chrétiens, mais aussi
musulmans ou Imudhistes, furent d'intrépides voyageurs, et, ftar
leurs explorations, ils contribuèrent singulièrement à étendre
le cercle des connaissances géographiques.
Ce n'étaient pas seulement la né(;essité, l'amour de la gloirir
ou la ferveur religieuse qui lançaient ainsi dans l'Océan
barques de pêcheurs, flottilles de pirates et vaisseaux de mis-
sionnaires. De tout temps ce fut comme un instinct de l'huma-
nité de rêver au-delà de l'iiorizon. L'enfant voudrait savoir ce
que lui cachent les montagnes qui bornent sa vue ; il cherche à
deviner les terres inconnues dont il soupçonne» l'existence par
delà la ligne bleue formée par la mer. Les grctssiers pécheurs,
les pirates ignorants ou les missionnaires enthousiastes du
moyen-i\ge se laissaient, eux aussi, aller à la pente des rêveries.
Ils se demandaient si, peut-être, au-delà de l'horizon, n'exis-
taient pas des îles ou des continents. Sans doute ces conjectures
étaient pour la plupart sans consistance, mais une idée qui
simplement a traversé l'esprit suffit souvent à mettre sur la voie
d'importantes découvertes, .\ussi rangerons-nous ces désirs
inconscients, de même que les courses des pécheurs, des pirates
et des missionnaires, au nombre des principales causes (jui
amenèrent les grandes découvertes du quinzième siècle.
Il est vrai que l'histoire de la géographie, pendant le moyen-
Age, ne présente sur ces voyages à travers l'Atlantique que de
confuses tradition •-, mais encore nous faut-il étudier ces tradi-
tions, car nous n'avons pas le droit de conclure que, pendant ces
longs siècles d'ignorance, les relations étaient matériellement
impossibles entre l'ancien et le nouveau continent.
CHAPITRE VI
LES ILES FANTASTIQUES DE L OCEAN ATLANTIQUE :
SAINT-BRANDAN. — LES SEPT CITÉS. — ANTILIA.— BRASIL
Les anciens avaient plact^ à l'occident la Terre des Bienheu-
reux, les îles Fortunées ou le dernier asile de Saturne. Lorsque
le christianisme eut partout remplacé les anciens cultes, ce fut
le Paradis Terrestre qui occupa les imaginations (1) ; ce furent
aussi ces archipels mystérieux, dont parlaient les livres sacrés,
et où les saints persécutés devaient trouver le repos et le hon-
heur (2). Or quand il s'agit de fixer la position soit du Paradis
Terrestre, soit de ces îles reculées, presque toujours, soit simple
hasard, soit prescience singulière, les spéculations des théolo-
giens ou des érudits se dirigèrent de préférence au-delà de
l'Océan. 11 est vrai que les commentateurs sont loin de s'accor-
<ler sur la position du Paradis Terrestre. A mesure que s'éten-
dront les connaissances géographiques, il s'éloignera dans un
vaporeux lointain, comme ces terres merveilleuses qu'on
aperçoit dans les mirages ; mais tout le monde croit à son exis-
(1) D. Calmkt, Commentaires sur la Bible (Dissertation sur le Paradis)
t. I, p. 331. — Santarem, Cosmographie et cartographie du moyen-âge.
(2) EsDBAS, IV, 6, 7. — Psaume %. Latent insulœ multa; ; fili hominis,
loquere ad habitatorcs insulœ. — Cf. Saint Pkosper, De vocatione, liv. m :
» In extremis iniindi partibus sunt aliqusD nationcs, quibus nondum illuxit
gratia Salvatoris, quibus tnmen illa mensura generalis auxilii, quoc desuper
hominibus est, non negatur ».
<;;
CHAI'. VI. — LES ILKS FANTASTIOl'KS l»K l/oCÉAX ATLANTIQli:. :203
tence, et c'est en général dans la direcUon de l'ouest que le
cherchent les savants de l'époque.
Les Esséniens croyaient déjà que les justes allaient jouir de
la félicité parfaite dans des lieux de repos situés au milieu de
l'Océan (1). Saint Clément de Rome pensait qu'au-delà de
l'Océan existaient d'immenses terres parmi lesquelles se trouve
le Paradis (2). Saint Ephrem, Tertullien dans son poème de
Jugement du Seigneur, saint Basile dans non Hexaniernn, saint
.Amhroise dans son traité sur le Paradis sont du même avis (3 .
Ceux-là même qui ont énoncé les théories les plus liizarres sur
la forme de la terre ont parfois à ce sujet comme des éclairs de
raison qui illuminent leurs œuvres. Ainsi le cosmographe ano-
nyme du xm" siècle, édité par Pertz, n'hésite pas, malgré ses
fabuleux récits, sur la position du Paradis Terrestre (i). Isidore
de Séville le place dans les îles Fortunées (o|. Saint Avitus
lui consacre tout un poème, et, reprenant les données anti-
ques, l'installe bien loin au-delà des mers connues (G). Gosmas
liidicopleustes lui-méiie n'écrira-t-il pas (7) : « La terre est
divisée en deux parties par la mer que l'on nomme Océan :
l'une est la partie que nous habitons ; et l'autre, au-delà de
l'Océan, est celle qui se réunit au ciel. C'est dans cette terre
qu'habitaient les hommes avant le déluge ; c'est là aussi (ju'était
situé le Paradis ».
Ces recherches pieuses et ces naïves conjectures nous lais-
il) JosKPiiE, De ùello Judaico (II, xi, 8, 9»). 'Arooa;vovTat Tr,v j-èo
'iixc'avov ôtahav à-oxjîdOat.
(2) Saint Clémknt de Rome, Ep. I ad Corinthios. (Collectio pairum qui
tempore apo^toloniin vixerunt) vol. i, p. 158-159.
3) Tous ces auteurs sont cités par Lethonne (Journal des Savants), 1831.
— Cf. du môme auteur, Opinions cosmographigties des Pères de l'Eglise
\Reviie des Deux-Mondes), 1884.
(4) A. Mal'Ry, article Paradis de Y Encyclopédie moderne.
(ij) Isidore de Séville, XIV, p. 193.
(6) Avitus, De initio mundi. Edition Sirmond, 1643, V. 523.
1,7) CosMAS INDICOPLEUSTES, Topographie chrétienne de l'Univers, traduc-
l»'".' Charton (Voyageurs anciens et modernes), t. II, p. 10.
i^
2()i l'HKMIKHK l'AHTli:.
Li:S l'MKCLHSEUHS I»E COLOMH.
sont iuijnurd'liui à peu pn'-s intliiïôrcnts ; mais roportons-nons
à CCS cpoqiios de fui ardente et non raisonnce, et ce cliarnie iW
mystère alors si puissant se révélera à nous. Serfs courltés sous
la glèbe, soldats mourant sous le sabre des infidèles, moines
rêveurs et méditatifs, tous alors élevaient leurs pensées vers un
monde meilleur qu'ils disposaient à leur guise, et ce monde
inconnu ils l'aimaient comme on aime l'espérance. Longtemps
en effet se maintint la croyance à l'existence du Paradis dans
notre univers. Saint Honaventure et saint Tbomas d'.Vc(piin 1«
décrivaient avec entbousiasme ; le premier le plaçait même sous
réqualeur, au-del;\ des lieux babités, et c'est la position qui lui
est encore assignée dans lu fameuse carte catalane de linr)-8(1).
Dante croyait le trouver aux antipodes de Jérusalem(2). (îolomb
pensait que la vaste masse d'eau qu'il rencontra dans le golfe de
Paria sortait de l'immense fleuve du Paradis dont parlent les
Pères de l'Église (3). Vespucci partageait cette opinion (4).
Acosta y souscrivait également (5). Certes cette croyance ne fut
pas la cause dos découvertes postérieures, mais elle contribua à
encourager les voyageurs, et il nous a fallu la mentionner jjour
prouver la singulière perpétuité des croyances relatives à un
monde transatlantique.
Les cartograpbes du moyen-Age ne se contentaient pas de
placer à l'ouest le Paradis Terrestre ; ils semaient encore dans
(1) Maury, article cité.
(2) Dantr, Purgatoire, IV. 22. — XXI, 20.
^3) Colomb, Lettre d'Haïti à Ferdinand et Isabelle, édition Navarette,
I, 408. Grandes indicios son estes del paraiso terrenat, porquel sitio es con-
forme a la opinion de cstos santos c somos leologos, y asimismo los senales
son muy conformes, que yo jamas lei ni oi que tanta cantitad de agua dulcc
fuesce asi adentro é vicina con la saladu ; y si de alli del paraiso no sale,
parece aun major maravilla, porque no creo que se sepa en el mundo de rio
tan grande y tan fondo.
(i) Vespucci, Relation de 3» voyage. Edit. Hylacomylus : « Et ccrte si
Paradisus tcrrestris in aliqua sit terric parte, non longe ab illis regionibus
distarc existimo ».
(.')) Acosta, Historia général 69-71.
r.llAI'. VI. — LKS ILKS KAMASTIOIKS DE l/oCKAN ATLANTIQUE. 203
rOcraii un (-ertiiiii iioiiiIiit d'ilcs iiiia^Mnairos, «ju'ils plaçiiicnt
sous le pati'tnia};!' de (|ucl([uo saint rcnoiiinK', et associaieut
ainsi leur désir dV'tendn; les connaissances fr»''Ofrra|)lii(|U('s et de
les concilier avec les données reli{;ieuses. Parmi les îles fantas-
ti(|nes, inventées par la crédulité des cartojjraphes, un«; des
plus célèbres est l'Ile de Saint Urandan (I). (^e n'est pas en
ellet seulement dans la lé},'ende (pie s'est conservé !e s(»uvenir
(lu saint irlandais ; nous en trouvons la trace persistante dans
la ^M''tif:raplii(> du moyen-Afîe, et même dans la f.'éo}îraphit!
contemporaine. Vincent de Ueauvais est \ peu près le seul
écrivain sérieux (|ui, auXllI'' siècle, ait pr(»t(»sté contre la réalité
des découvertes de Hrandan. » (^ette léf^eudc est remj)Iie de dé-
fiiils apocryphes, écrivait-il, je la crois fausse de t<»ut [toint (2) ».
Ses contemporains au contraire l'or.t acceptée, sans même en
discuter l'authenticité. Tous les traités }réofrraphi([ues d(! répo(|ue,
toutes les cartes mentionnent l'île découverte par le saint voyaf^eur.
Dans un manuscrit du X'" siècle, conservé îl la hililiothèque de
Turin, sont déjà mar(|uées sur l'Océan des îles encore anonymes,
mais (pii seront hientiM désif^nées par le nom du saint, (jui passait
pftur les avoir d(?couvertes (3). llonorius d'Autuu, dans son
/mufjo Mundi composée en H30, en parle en ces termes : « Il y
a dans l'Océan une certaine île ajrnSihle et fertile entre toutes
les autres, inconnue auv hommes, découverte par (pieUjue
hasard, puis cherchée sans ({u'on pût la retrouver et appeh'e
l'erdue. C'était, dit-on, celle où vint jadis Saint Urandan ». La
mappemonde de Jac(]ues de Yitry et Vlninr/o Mttndi de Robert
d'Auxerre (1205) mentionnent l'île du Saint Irlandais. Dans le
( I ) (îAFFAREi-, Les Voywjes de Saint-Bnindun ^SociùttJ (1(! géographie 'le
Uocherort), 1881. p. 11. — Peschel, Zeitalter der Enfdeckumjen, p. 31).
(i Vini:e.nt de Bkauvais, Spéculum historiale, liv. xxi, § 81. « Eain
peregiinatioiiis liistorinin, propler apocrypha qiuedain delirameiita, quic circa
viiluiitiir coiitinuri, mcndacem existimo ».
(3' Le manuscrit est cité par Santahkm, dans son Essai sur la Cosmo-
i/raphie et la cartographie du moijen-ûge. Il est reproduit par Jomahu ,
Monmni'nts de la géographie, ri» 58-51), I.
■t„i
•HWi PRKMIKHE PARTIR. — LKS PRÈCIRSKIRS nE COLOMH.
Portulim (lu XIV'" sit'rle i\iu\ l'on conserve h lu liihliotlièquc de
Siiinl Marc ù Venise (i), non loin île la côte occidentale de
l'Irlande, une île relevée d'enluminures et d'or est désignée
par cette légende : « La nutntagna de Sto Hrandan >>. I^a carte
de Pizzigani {"l) (13(17) représente le saint tendant les liras vers
les îles (pii portent son nom, Isole Hrandany. Ce sont trois îles,
dont la plus méridionale, de fornie ronde, est appelée Isola
Marirniga, la seconde, très écliancrée. Isola (Canaris, et la
troisième, foute petite, Isola Urandani. Le Portulan de la
Bildiothèque municipale de Dijon (.3), qui parait avoir été
composé au commencement du XV" sièle, a conservé le nom de
cette ile. La cîirte ancônitaine de Weimar (li2i), la carte
génoise de Ueccaria (1454), la mappemonde de Fra Maure (1157),
celle de Henincusa (1480), enregistrent soigneusement l'île de
Saint Hrandan, et toujours dans la direction de l'ouest. Nous la
trouvons ;iussi marquée sur la carte de Heliaim (4), c'est une
grande île occidentale placée près de l'équateur, avec l'inscription
suivante : « L'an 5(iu après Jésus-Christ, Saint l'<randan arriva
avec son navire dans cette ile, où il vit beaucoup de choses
merveilleuses, et, après sept ans écoulés, il s'en retourna dans
son i>ays ». Sur la magnifique mappemonde peinte sur parchemin
par ordre de Henri II, l'île de Saint Brandan est marquée entre
l'Islande et Terre-Neuve. Elle conserva cette place dans la carte
de Sébastien Cabot (G) (1544), dans l'atlas de Mercator (7) (1569),
(1, .Matkowit/., Handschriftlichr Schifferkarten in den Bibliotheken zu
Venedig (Société de géographie de Vienne), 1882.
(2) JoJiAHD, ouv. cité, pi. 44. 45.
(3) Gakfarkl, Portulan inédit de la bibliothèijue de Dijon (Commission
des Antiquités de la Côlc-d'Or). 1870.
{■i) L'île est marquée à l'ouest des Açores. Elle est fort échanrrée et porte
2ette légende : « Nacli Cliriste Geburlh 565 Kahm S. Brandon mit seineii
Schifîe auf dièse Insul der dasclbs vil wunders bcsahc, und ubcr sicben Ja!ir
darnach wieder in scni haudzogc ». Jomard, ouv. cité, pi. § 2, 52 bis.
(•5) JoMARD, Monuments de la géographie, planche 23, 24.
(6) ID., pi. 60-07.
(7) ID., no 76. Mercator la nomme S. Brftndani.
zu
I.IIAI'. VI. — LKS ILES FANTASTiyiES l»K l'oCÉAN ATLANTiyiK. 207
«lans hxCoxmnrjrdphic Un\vn'SPlli'.iWV\\i'\i^\.[\) (li>7()). OrteliuH
lii rii|i|)i'o(-liait de risliindc [i.]. Le Uijuiiiiais Morisnt, auteui' d'une
Hialm'in orhh lunrllimi, se gardait hii'ii de ruuhlicr. Nous la
rt'trouvous oucorc au XYIII'' siècle. Kn 17.*).*) (lautier la (dacait au
('in(|iiièni(' dcfri'é <iut'st de l'ilc de Fer, sous le ->{)" do Lat. N. {•\)
,\u XLV siècle eulin, elle existe encore : seulement elle a voyage
et ne cesse de voyager ; car on désigne sous ce nom une ih; dont
la position varie singulièrement, puisijue on la place même dan»
la mer des Indes, tantôt au nord, tantôt au sud ou à l'est dos
Mascareignes (-1).
Lue singulière et persistante illusi(»n géographique a contril»ut"
à faire croire à l'existence de cette île errante. D<; temps à autre
les habitants de Madère crtjyaient voir à l'horizon se profiler les
contoin's de cette ile : aussitôt ils s'emharquaient, mais au
moment où ils distinguaient les sinuosités de la côte et les
moindres détails de la campagne, soudain elle disparaissait en
s'ahimant dans les flots et les vapeurs de la mer. La curiosité
fut si vivement excitée par cette île imaginaire et l'on crut si
fermement à sa réalité qu'en 1484 un insulaire de Madère,
Diimingues do Arco , se faisait concéder par la couronne de
Portugal, une ile qu'il voyait chaque année, et (|u"il s'engageait
à aller chercher (o). Trois ans plus tard, en 1187, un véritable
traité était signé entre le Portugal et le Terceiran Fernando de
L'Imo (jui voulait la con(|uérir à ses frais (G). Môme après
Christophe Colomh, on la cliorciiait encore. Les Portugais,
(|uand ils arrivèrent en Amérique, croyaient l'avoir retrouvée.
rie
eu
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(1) TiiKVKT, Cosmof/raphie iinivsrselln, ]). 903.
{i) OiiTKi.ics, T/iealrum orOis terranim, carte 5.
(3) Galtikii, carte 4 annexée ii ses Oh^iervations sur l'Histoire naturelle.
(i) Voir les atlas de Moxin (1831), Dkioi X et Leuoy (1861), Stieler (1867),.
et les cartes générales de l'Afriiiue.
(r)) IIauuisse. tes Corterenl, p. 42.
(<)) D'AvEZAC, lies de l'Afri'fuc (Univers Pittoresque), p. 21. — Was-
hington IiiviNC, Vie (le C. Colomfi, appendice N" 23, traduction Dciau-
conprcl, t. IV, p. 258.
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-H)H l'iiKMiKHi: l'.vHTii:. — i,ks i'Hftt:rHsi:ri(s dk (.omimii.
Kii ir>17, |i)rs(|iit> lùiiiiiaïuit'l (le INirtiigal ahaïKionim ses iiivtcii-
tioiiH sur l«'s Cîmarics, il > comprit «v\|iri'ss(\m('iit l'ilc cacliée.
Kii l.'l-Jd mit' ('\|H'>(lilii>ii parfit des Canaries à sa n'clicrchc, sous
le (-ommaïKlfiiiciit «le F(M'iiari<lu dt* Trnja cl de Fernando Alvarc/,
mais «>ll»> ne fut pas plus liciinMisc (pic Icsprcccdcntcsil). Kii l.'»7()
un certain Pedro Vellia allirma (pi'il avait di'lianpié tians ccîtte
ile, et UK^me (pi'il \ avait reiiianpié des traces de pas Immaiiis
doubles de l'ordinaire. Il avait mi'me trouvé uiu> ci-oi\ clouée
à un arlire voisin et les restes d'un feu prohahlement allumé
pour faire cuire <les poissons à écailles. Aux environs paissai(>iit
denond)reux troupeaux. .\u moment où les matelot» s'apprêtaient
{\ le. poiu'suivre, mu* tempét(î s'éleva (|ui les força d«! re^'af^ner
leur navire. En un instant ils perdirent la terre de vue, et,
l(»rsque la tempête fut passée, ils ne purent jamais retrouver
l'île mystérieuse (i). La véracité de ce récit fut conjirmée par
une enquête solennelle dirigée par Pedro Ortez de Funez,
inipiisiteur de la (Irande (^anarie, él, sur la foi de ces renseigne-
ments pourtant bien vagues, Fernand(» de Villa m1)os, régidorde
Palma, voulut encore tenter l'aventure, mais 1 ne réussit pas
davantage. C(tmme p(»urtaut les apparitions s»' multipliaient, et
(juo toutes les fois elles étaient constatées par un grand nomhre
de témoins, un(î véritable (iévre de curiosité s'empara des
(Canariens. En IHOi départ de Lorenzo Pinedo et (i. Perez de
Acosta. En 1721 don Juan de Mur, gouverneur de l'archipel,
confie à Gaspard Uoniinguez un navire qui part de Santa-Cruz
et y rentre après plusieurs mois de courses inutiles sur l'Océan.
L'île était toujours en vue, mais nul ne pouvait se vanter d'y
avoir débarqué. Le 3 mai 1739 prés de quarante personnes
l'apercevaient encore distinctement. Elle paraissait consister en
il'i ViERA V Clwuo, Noticias de la historia gênerai de /«.s" islas de
-Canuria ;i 777-1783), liv. i.
(2) NuNEZ DE hk Pena, Conquista ;/ antiquedades de las Islas de la Gran
•Canaria, 1676.
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Daprè^ Vidal
C. Perron
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CIIAP. VI. — LKS ILKS FANTASTIOI^ES DE L'OCÉAN ATUNTIQI'E. 200
di'ux };nm<los inonfafriwîs s('|)an''(?s par une vallrc, et, avec un
télescope, la vallée semhlait remplie d'arltres (1).
Si (Iniic cotte tradition est fausse, au moins fut-elle persistante.
Kn vain essaya-t-ou de l'expllipier. Les uns ont prétendu (pie
cette île servait de =.i jour au mi Visifjotli lloderik, le vaincu d(!
Xérès la Froutera, <mi au roi de l*ortu},'al Séhastien, la victime
d'Alcazanpiivir; les autres y ont chenille le Paradis terrestre,
où Va\U\ et Knocl\ avec d'autres sajjes, attendent le jufrement
dernier (2). Peut-être ne faut-il y voir (pi'un phénomène
physicpie, (piehpie iuira},'e analogue à la Kata Mor;;ana du
détroit de Messine. (îette explication est (rautant plus plausihie
rpie les dessins de cette île fantasticpie la représentent comme
allongée du nord au sud avec deux cimes inégales séparées par
une dépression : ce cpii rappellerait tout à fait l'île de Palma
quand on l'aperçoit du large en venant de Ténérill'e ou de la
(îoniera. .\ussi hien sans rappeler ici (jue, du sommet du
Tavfîète, on aperçoit les éruptions de l'Ktna (II"), et (pie, par un
heau temps, on découvre la (lorse de Nice ou de Oaimes, sans
même enrcfristrer les curieuses observations de Hiot dans son
mémoire sur les llrfr(tcihms c.rlriun'd'nm'iroi, (4) contentons-
nous de rappeler (pi'on [>ent, du ca|) Hojador, surtout pendant les
éruptions et {ïrAce au reflet des nuafres (pii |>lanent au-dessus
du volcan, apercevoir Ténérif^;. Il se pourrait donc (pie, des
Canaries, grAce à la réfraction, on découvrit Palma ou toute
autre île de l'archipel.
Saint lirandan n'était pas le seul des saints du christisanisnie
sous le [)atronnage du(|uel avait été jdacée (piehpie contrée
imaginaire. Une autre légeinh* chrétienne, celle de l'île de Sept
tlités, eut un grand retentissement au moyen âge (.">), et contrihua
(1) ViEBA, ouv. cité, t. I, § 28.
(2) D. Calmet, La Ri'iln commenter, I, :J5'».
(;») Ross, Hellenkfi, I, 2.
(4) UiOT {Miimoires du l'Institut, 1810), t. I, p. 267.
(5) Gakfarel, L'ile des Sept Cites et l'île Antilia (Congrès des Atnéri-
caiiistes de Madrid), t. 1, p. 198-214.
T. I. 14
V.
I
210 l'RlCMIKRE PARTIE.
LES PRECURSEURS DE COLOMR.
à tourner l'attention i)ul)li(|ue vers les mers occidentales, où
déjà (|uel(jues savants s'accordaient à trouver l'emplacement du
Paradis Terrestre. On racontait qu'à ré|)o(|ue de la con(|U(He
de l'Esitafriie par les Aralies, après la défaite d(; Xérès la
Frontera et la disparition du roi lloderik, se|)t évé(|ues, sous
ladirecti(ju de l'un d'entre eux, l'archevêque de Porto, s'endiar-
(|uèrent, suivis di; leurs ouailles, et poussèrent droit devant eux
sur l'Océan. A|très une loufîue navigation, ils abordèrent une
île inconnue et s'y fixèrent après avoir hrùlé leurs vaisseaux,
(ionune ils étaient se|»t et (jue chacun d'eux se construisit une
demeure |)articulière, l'île prit le nom d'île des sept Cités. Klle
il depuis figuré sur un certain nombre d(! cartes. Martin
liehaim sur sa fameuse carte de Nuremberg (l Wîi) la dessinait
avec la légende suivante (1) ; « Quand on se reporte à l'année 741
après la naissance du Christ, lors((ue toutes l'Espagne fut envahie
[)ar les mécréants d'Africpie, alors l'île noirnnée Sette Citade,
ci-dessus figurée, fut peu|)lée par un arclievéciue de Porto ou
P(»rtugal, avec six autres évé([ues et des chrétiens, liommes et
feu)iues, lesquels, s'étant enfuis d'Kspagne sur des vaisseaux, y
vinrent avec des bestiaux et leur fortuiu' ». Même après la décou-
verte de l'Ainériipie, Kernand Colomb croyait à l'existence de
cette île, et en racontait l'histoire en termes à peu près identi-
ques : « On racontait ([u'au huitièmes siècle de l'ère chrétienne,
sept évéques Portugais, suivis de leurs (juailles, s'étaient embar-
(jués pour gagn(!r cette île, où ils avaient hàti sept villes, et
((u'ils n'avaient plus voulu (piitter, ayant d'ailleurs hrùlé leurs
vaiss;'auv et Uîurs agrès pour s'interdire la possibilité du
retour » (2).
(Il JdMAiiii, oiiv. citi!, plaiiclics 52, r)2 liis.
{ij KkkkinaM) CdMiMii, Vie de l'amiral, ^ 4. Itiiyscli, dans la carie intitiih'c
uiiiversalior (Ojçiiiti (iiliis tabula ex recciilibus coiifecta observatioiiibus, qu'il
a ajoutée à sou éditiou de Ptoleniée (Uouie, 1508), mcutioiiiie cette, légende, et
inscrit sur .sa carie, entre les Açores et Es[ia(çnula, une île Autilia avec la
légende suivante : » Tenipore régis Uudcrici ((ui nltimus in liispania terra
(i3llios rcxit ad hain insulam a facic barbnrorutn qui tune Ilispaniam invasc-
'I
CHAI'. VI. - - LKS ILi:S FANTASTIOl-'KS 1)K l/oCKAN ATLANTIOLUC. !2ll
Sans discuter ici la réalité (iii la fausseté tJo cett(! léf^eiide,
nous roconnaitntns cependant (|ue l'instinct de tons les peuples
conipiis est de rêver un jour de restauration. T>es Juifs ne
croient-ils pas encore à leur Messie llhérateur et triomphant?
Les (lallois ont Ion;j;tenips espéré le retour de leur héros natio-
nal, Arthur. Les Irlauflais dWméricjue sont attendus par leurs
compatriotes d'Europe puur tenter le prand ceuvre de la restau-
ration nationale. Quand les Incas furent renversés par les
l']s[»af.^nols, leurs sujets se racontèrent entre eux que les descen-
dants d'Ataunal[>a reviendraient un jniu' relever Panticpie
monarchie des fils du soleil. Ijc^ même dans la péninsule <'spa-
t,n.ioIe où, d'après la tradition, un grand nomhre de (ioths
s'étaient soustraits à la domination aralie et avaient trouvé un
refuge dans l'ile des Sept Cités. Aussi comprend-on que cette
légende se soit fidèlement conservée dans les souvenirs popu-
laires, et même (pi'avec le temps elle ait été emhellie et
augmentée, bientôt, en effet, on 1:0 se contenta [)lus de men-
tioiuier l'île mystérieuse, on prétendit l'avoir retrouvée. En
Mil, un Portugais, poussé par la tempête dans l'Atlantique,
aurait débarqué dans une île inconnue où il trouva sept villes,
dont les hal)itants parlaient le portugais (1). Ces derniers
auraient voulu le retenir, car ils se refusaient à toute commu-
nication avec leur ancienne patrie, mais il parvint à s'échapper
et revint en Portugal, où il raconta à don Henri de Viseu ses
étonnantes aventures (2). Ce prince réprimanda vivement le
rant fugissc crcdiiiitiii-. Habent arcliiepiscopuin cuni 6 aliis episcopis
quare u iiiiillis iiisula .scptciu civitatiini appellatur. » L'île des Sept Cités
fijçiire encore sur la carte de Gérard Mercator (Rupeimonde, 1538) et sur
celle de Mercator (1587).
(1) tloKN, Dn Orifjinihus Americanix, p. 7 : <i Année MCCCXLVII, Por-
liigallus «[uidatu navigans extra frctuin Heracleum adversis ventis in rcniotain
insulam, occidentem versus, abrcptus fuit, et in ca invenit scptcin civitates,
i|ua; Portugalloruni lingua loqucbantur, et interrogabant au Mauri adliuc
vuxarent llispatiiain, unde, amisso Koderico, fugati suit ».
(2) Ce détail est confirmé par Ferdinand Colomii, ouv. cité, § 9 : « Le
capitaine et les marins reprirent la nier en toute ]ii\lc et firent voile vers le
21:2 l'KKMiKKi: I'autik.
LKS l'KKCniSKlHS l)K COLOMB.
ciipitainc pour sNHrc onfui sîins avoir coinplôtr ses renseijfiie-
nients, <'t II' marin offrayt'' ue reparut plus. Néanmoins cotte
histoire fit du bruit : les érudits de r«''po(jue identifièrent la
prétendue découverte avec l'île phénicienne nuMitionnée par
Aristote et par Diodore de Sicile. Dès lors elle prit place sur les
cartes, sous le nom que nous lui connaissons, île des Sept Cités.
(Jn n'avait même pas perdu l'espoir de la retrouver. Le 10
novembre li7'), don Fernando Telles, un Portugais, se faisait
donner l'investiture des îles qu'il pourrait découvrir dans
l'Océan (1), et il était expressément stipulé que cette donation
pourrait s'étendre au Setle Gidades, dont on avait perdu la
trace. Le 3 mars liSO un autre Portugais, de Terceira, Fernando
Ulmo, se faisait donner une autre île qu'il supposait être celle
de Sette Gidades, et le contrat de cession était enregistré par
devant notaire. Même après la découverte de l'Amérique, l'île
mystérieuse ne disparut pas Elle figurait encore sur le planis-
phère de Henri 11, et jusque sur la carte de Mercator en 1509.
On a cru retrouver cette île à Saint-Midtel, une des Açores (2).
A l'extrémité orientale de cette île s'étend une vallée d'environ
trois lieues carrées ; c'est un ancien cratère, semblable à une
immense chaudière. Il est entouré de montagnes escarpées, avec
Portugal, certains que l'infant les louerait de leur conduite. Le prince, au
contraire, les en blània sévèrement, et leur ordonna de retourner vers cette
île, d'y scjourner et de venir lui rapporter ce qu'ils y auraient vu. Ces gens,
pris de frayeur, s'en allèrent avec leur navire et ne reparurent plus en Por-
tugal. Entre autres détails, ils avaient dit que les mousses du navire, ayant
ramené sur le rivage du sable pour nettoyer leurs ustensiles, avaient reconnu
que ce sable était pour les dcur tiers d'or tin »: Cf. Hgrrera, Historna gênerai,
liv. I : •< En tienipo dcl infante D. Enricpie de Portugal coriformenta corrio
in navio que liabia solido de Portugal, i no pan^ hasta dar as cU a, paro que
los marineros terminendo que no los quemasen el navio ilos detuviessen de
holvieron a Portugal inuy alegres contiando de receberi mercedes dcl infante,
cl quai los nialtrati^ por naversc vcnido sus mas raçom, i los niundù bolver,
pero que el nucse i los marineros no la osaron liaver isoldes de el reino numa
mas bolvieron «. «
(1) JoMARD, ouv. cité, pi. 23-24. 70.
(2) D'AvEZAC. Ilex de l'Afrique, p. 74.
(;ilAI> — Lies ILES FANTASTIQLKS DE l'oC.ÉAN AïLANTIQUE. 1213
deux petits lacs dans le fond. Le sol est de lave et de pierre
[»once, niais recouvert d'un liumus fertile. Quelques misérables
chaumières répandues dans la vallée composent un hameau qui
porte, en effet, le nom de Sept Cités. Serions-nous en présence
des sept villes jadis iiàties par les proscrits? Mais, à première
vue, plusieurs milliers d'entre eux n'auraient pas pu vivre et
prospérer dans un espace aussi étroit. Sans doute les tremhK;-
ments de terre sont fréipients aux Açores (1). Ils peuvent avoir
détruit les villes et transformé le sol ; mais au moins trouverait-
on encore les débris des maisons et rien de seuihlahle n'existe.
Le nom seul s'est (conservé et encore jurerait-on qu'il est
d'origine moderne et que le hameau actuel des Sept Cités a été
ainsi dénommé par quelque érudit en quête de souvenirs rétros-
pectifs. Ce n'est donc pas aux Açores qu'il faut chercher l'île
des Sept Cités.
Ce ne sera pas non plus sur le continent américain. On le
croyait pourtant au xvi*-' siècle. Le Père franciscain Marcos de
Niza, sur la foi de vagues récits, s'enfonçait en 1539 dans
l'Amérique du Nord, du ctjté de la Californie, avec l'espoir de
trouver dans une contrée, nommée Cibola par les indigènes, les
sept cités de la légende. Accompagné de trois franciscains et
d'un nègre qui prétendait connaître la route, il atteignit des
régions inexplorées et raconta, à son retour, qu'il avait vu dans
le lointain sept villes resplendissantes, dont il avait pris posses-
sion au nom du roi d'Espagne (2). Ses récits enthousiastes déci-
dèrent le départ d'une expédition considérable, commandée par
un gentilhomme de mérite, Francisco Vasquez de Coronado ;
mais la petite armée, après avoir supporté bien des fatigues,
(1) CoRDEiRO, VAmérique et le l'ovtugnis ^Congrès des Aniéricanistes de
Nancy), t. I, p. 264.
(2) La relation de ce voyage est insérée dans la collection Tërnaix-Compans,
Voyages, relations et mémoires pour servir à l'histoire de la découverte
de l'Amérique, 1'» série, vol. ix, p. 256-284. Cf. Dans le môme volume,
p. 2i7-235, Instructions données par Autojiio de Mendoza, vice-roi de la
Nouvelle-Espayne, aie père Marcos i'- Niza.
\\
'1
214 ruEMiKHK rAHTii:
LKS l'RKCl'HSKrHS l>K COLOMIt.
1 :1 ■ 1
arriva au pied d'un rocher aride, sur le(|uel s'élevait eu effet
Cibola, village si peu considérahle « (|u'il y a des fenues de la
Nouvelle Espagne (pii ont meilleure apparence » (l).
Le Cibola du xvi" siècle, ce Tomhoucfou américain, comme
l'appelle ingénieusement llumholdt ne réalisa donc point les
rêves des premiers conquérants ["l). On n'y trouva ni sept cités
chrétieimes, ni peuple ayant gardé de vieilles traditions, mais
Cibola n'en existait pas moins, dans un pays voisin du Rio (iila,
non loin des sources du Rio del Norte, et, chose singulière, lu
région comprenait soixante-dix bourgades réparties eu sept
provinces. II paraîtrait môme qu'aujourd'hui à Zuni, ville prin-
cipale de l'ancien Cibola, se rencontrent des Indiens à cheveux
blonds et à visage clair. « A leur aspect, s'écriait Catlin, on est
tenté de s'écrier : Ce ne sont pas là des Indiens ! Il y en a
beaucoup parmi eux, dont le teint est aussi clair ([ue celui des
sang-môlés. Parmi les femmes en particulier, plusieurs ont la
peau presque blanche, et les yeux gris, bleus ou couleur noi-
sette ». 11 est vrai que ces indications n'offrent rien de précis et
nous ne devons pas oublier que Cibola est le pays des mirages,
puisque, en lîiiO, Vasquez de Coronado ( i) prit pour des hommes
vêtus de blanc et send)lables à des religieux de la Merci quehjues-
uns de ces grands hérons blancs que les Espagnols nomment
(1) Tehnal'x-Compans, p. 364-382, Relation du voyage fait ù la Nouvelle
Terre sous les ordres du général Francisco Vasquez de Coronado, rédigée
par le capitaine J. Jaramillo. — (]f. même volume, p. 349-303, Lettres
de Vasquez Coronado, gouverneur de la Nouvelle Galice, et (lu., p. 1-24G),
Pedro de Castaneda de Nagera, Relation du voyage de Cibola entrepris
en 1540, où l'on traite de toutes les peuplades qui habitent cette contrée,
de leurs mœurs et coutumes.
(2) HuHBOLDT, Histoire de la géographie du nouveau continent. 11, 204.
Cf. J.-H. Simpson, Coronado's march in research of the seven Cities of
Cihola, and discussion of their probable locution (Smitlisoniaii Institution,
1869, p. 209-240). — Vivien de Saint-Martix, An7iée géographique, 1872,
p. 239.
(3) Catlin, Letters and notes and the manners, customs and conditions
of the nort American Indians, I, 93.
(4) Vasquez de Coronado, ouv. cité.
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<;ilAF'. VI. — LES ILES FANTASTIQl'ES DE l'oCÉAN ATLANTIOl'E. 215
fncore soldados, parceque, vus de loin et à contre-jour, ils res-
semblent à des sentinelles ; mais l'existence de ces Indiens à
teint piile et dans une région rigoureusement divisée en sept
cantons, n'en est pas moins singulière, surtout si on la rapproche
«l'une curieuse légende rapportée par Sagahun, historien sans
grande critique, mais qui eut le mérite de rapporter fidèlement les
traditions indigènes (1). Il s'agit de l'origine des Nahuatl. « La
relation qu'en donnent les anciens, dit-il, est qu'ils vinrent par
mer du côté du Nord... On conjecture que ces naturels sortirent
de sept grottes et que ces sept grottes sont les navires ou galères
dans lesquels arrivèrent les premiers colons ». Ces premiers
colons étaient-ils les diocésains des sept évéques visigoths et le
Cibola où l'on rencontre encore aujourd'hui des Indiens à teint
hlanc correspond-t-il au pays des Sept Cités, nous n'oserions
l'affirmer, car ce nombre fatidique de sept peut n'être dû qu'au
simple hasard, tout aussi bien que la présence d'une race blanche
dans les régions de Cibola : nous devions toutefois mentionner
ces analogies, sans nous permettre pour autant d'établir une
concordance absolue entre le Cibola et l'île des Sept Cités.
Une autre île que les cartographes du moyen Age men-
tionnent encore fréquemment, et parfois même confondent avec
l'île des Sept Cités, est l'île Antilia. Les uns trouvent un certain
rapport entre Antilia et l'Atlantide (2) ; les autres, versés dans
la connaissance des langues orientales, ont pensé qu' Antilia
correspondait au Gezyret-el-Tennyn ou île des serpents des
cosmographes arabes (3) ; en effet, sur quelques cartes du xiV et
(1) Saiiaol'n, Histoire des choses de la Nouvelle Espagne, T, t8.
(2) D'AvEZAC {[les de l'Afrique), p. 28), cite un document géographique
de 1455 portant la désignation suivante : « Geste islc est appelée de Antillis.
Platon asseure que ceste isle estoit presque aussi grande que l'Afrique, et il
dit que dans ccstc mer se veoient de grands heurtements des courants, qui
passeraient sur ceste islc sablonneuse, à raison desquels sables la susdite islc
s'est presque effondrée par la volonté de Dieu, et ceste mer est appelée mer
de Batture ».
(3) BuAciiE, Mémoire sur Vile Antilia (Mémoires de l'Institut, 1806).
210 PREMIÈRE PARTIE. — LES PRÉCURSEURS DE COLOMB.
du xV siècle est figurée une île près de laquelle un homme est
dévoré par des serpents. Cette île s'appelle Antilia, ce qui
pourrait bien être la traduction de l'AraheTennyn. On a encore
prétendu que l'étymologie d' Antilia était ante insula, île anté-
rieure, et, dans ce cas, Antilia ne serait qu'une réminiscence
de cette île mystérieuse de l'Océan qu'Aristote nommait àvn;:ci-
pUaoç et Ptolémée ir.po<:'.-:o; (1). Quelle que soit l'origine de cette
dénomination, elle existe, et c'est à nous de suivre sa fortune
à travers les cartes et les traités géographiques.
Pedro de Médina, écrivain espagnol du xvi siècle (2),
rapporte que, dans un Ptolémée offert au pape Urbain VI, qui
régna de 1378 à 1389, il remarqua l'île Antilia qui portait la
légende suivante : « Ista huula Antilia , allquando a fAtsiiams
est inventa, sed modo quando qmerituv, non invenitur ». H
est probable qu'il ne s'agit ici que d'une de ces cartes supplé-
mentaires que les savants ajoutaient aux manuscrits de Ptolémée,
au fur et à mesure des découvertes géographiques, afm de mettre
en quelque sorte au courant leur auteur favori, car nous ne
trouvons l'île Antilia marquée sur aucune des cartes datant
du xiV siècle. Il est vrai qu'on a encore voulu trouver l'Antilia
sur la carte dressée en 1367 par Pizzigani (3). On distingue
en effet sur une île très à l'ouest dans l'Atlantique deux statues
figurées avec la mention suivante : « Hœ sunt statuse qux
stant ante ripas AntiUix, quariim quxin fundo ad securandos
homines navigantes, quare est fusum ad ista maria quousque
possint navigare, et foras porrecta statua est mare sorde quo
non possint intrare nautx ». Mais la carte de Pizzigani est
d'une lecture difficile. Ad ripas Antilliie se lit tout aussi bien
(1 Aristote, De mundo, III. ^
(2) Pedro de Médina, cité par d'Avezac (lies de l'Afrique, p. 27), est l'au-
teur du Regimienlo de navegacion (1563) et de YArte del navegar (1555).
(3) JoHARD, ouv. cité, plancbes 4445. — Cf. Humboldt, Histoire de la
Géographie du Nouveau Continent, t. Il, p. 177. — Buache, ut supra. -
ZURLA, Viaggi Venezziani, t. H, p. 374.
CIIAi'. VI. — LES ILES FANTASTIQUES DE L'OCÉAN ATLANTIQUE. it\l
que Ad ripus AtitUio, et mèrno Ad ripas istins insiil.T. Ce n'est
donc pas au xiv" sic-'cle qu'on trouve IWntilia mentionnée avec
[H'écision.
A vrai dire la première indication (certaine de l'Aiitilia ne
peut (Hre livée (ju'à l'année lAAA, épocjue à lacpielle, d'après
Ueliaini, un navire espagnol s'approcha pour la première fois
de cette île et la lit connaître à l'Europe (1). Dès lors l'Antilia
figure en elFet sur presque toutes les cartes. On la retrouve sur
le Portulan Ancônitain de 147i, conservé à la hil)liotlièqu(?
grand-ducale de Weimar, et sur celui du Génois Heccaria ou
Hecclaria conservé à la liihliolhèque de Panne (2). La carte du
Vénitien Andréa Bianco, dressée en 14IUI, et publiée par Fornia-
leoni en 1789 (3), celle du (iénois Hartolomeo Pareto, dressée
en 1455 et publiée par Andrés (i), la mappemonde de Fra
Maure en 1457 et la carte d'Andréa Henincasa dressée en 147(»
mentionnent pareillement l'Antilia. Le mathématicien florentin
Toscanelli, qui fut le correspondant de Golomh et le conlh-ma
dans sa résolution de chercher à l'occident la route des Indes,
avait dessiné avec; soin une carte du vo^'age à entreprendre
dans cette direction, et l'Antilia y figurait comme station inter-
médiaire sur la route de Lisbonne aux Indes par l'ouest. Dans
la lettre qui accompagnait cette carte, il parle de l'Antilia comme
d'un pays connu : « Depuis l'île Antilia que vous connaissez,
jusqu'à la très noble île de Cippangu, etc. » (5). Malheureusement
la carte de Toscanelli est perdue, et il esta peu près impossible
d'évaluer avec précision les distances fixées par l'érudit florentin.
(1) JOHARD, ouv. cité, j)l. 52 : Remarquons toutefois d'après Herrera
(Hintoria gênerai) que << en las cnrtas de niarear antiguas se pintabam algunas
islas por aquelles marcs, especial meute la isîa que decian de Antilia ».
(2) D'AVEZAC, lies de l'Afrique, p. 24. — Humboldt, ut supra, t. Il, p. 190.
(3) FoHMALEOM, Suggio sulta nautica antica dei Veneziani.
(4) Andrés, Note sur une carte géographique de 1455.
(5) Toscanelli, Lettre à Colomb, publiée d'après l'original, par Barrisse.
{Don Fernando Colon, historiador de su padre). « Ab insula Antilia vobis
nota ad insulam nobilissimam Cippangis^ etc. ».
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LKS l'HKClJKSEURS 1>K COLOMIl.
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Il t'st vrai (|U(î imus possédons V\ ^\u\n\ dresst'' quehjues aiinécs
plus tard par lîcliaim , et (jui n'est à ce qu'on croit cpi'une
reproduction de lacarte dciToscanelli. Or l'Antilia y est nianpiée
sous l(î ;J3' de longitude occidentale. Urtelius et Mercator la
dessinent encore dans leurs atlas (1). Va\ général toutes ces
cartes lui donnent une forme rectangulaire, et en font un pays
à peu près aussi grand (pie l'Espagne. Les côtes sont décrites
avec une grande apparence d'exactitude. On y reti'ouve les
mêmes détails que dans ces terres imaginaires du pôle nord ou
du pôle sud qu'on dessina avec tant de soin dans les atlas
jusqu'au xviii" siècle. Donc à partir de xiv" siècle tous les
marins ont cru à l'existence de l'Antilia : il nous reste à
déterminer la position (|u'ils lui assignaient.
Chercherons -nous l'Antilia dans l'archipel des Canaries?
Mais ces îles avaient été visitées dès le xiii" siècle, vers 1275,
par le Génois Lancelot Maloisel, et en 1291 par Tedisio Doria
et les frères Vivaldi, d'autres Génois. Pétrarque, né en 1304,
nous affirme qu'une flotte de guerre génoise avait pénétré aux
Canaries toute une génération avant lui. Au xiv" siècle, cet
archipel fut encore reconnu et visité en 1341 par Angiolini del
Tegghia, en 1360, par deux navires espagnols expédiés par Luis
de Lacerda, cnl377parleBiscayen Ruys de Avendano,enl342
par F. Lopez, en 1380 par le Castillan Ureno (2). L'atlas cata-
lan de 1375 édité par Buchon, la carte de Mecia de Viladestes
et le Portulan de la hihhothèque municipale de Dijon marquent
ces îles. Au commencement du w" siècle, lorsque Jehan de
Bethencourt partit de Normandie avec le dessein hien arrêté de
conquérir les Canaries, non seulement il emmenait avec lui
de France des interprètes canariens, mais encore la chronique
rédigée par ses aumôniers nous apprend que ces îles étaient
■' 1
(1) Obteuu?. carte 5. — .Mebcator, carte 3.
(2) Gravier, Recherches mr les navigations européennes faites au moyen-
âge aux côtes o:cidentales d'Afrique (Congrès de géograpliic de Pari
en 1878, p. 459-497).
CIIAP. VI, — LKS ILES FANTASTIQUES DE L'oCÉAN ATLA.NTIQl E. ilO
ili'puis longtemps fmiiicntt'cs par les marins (1), Si donc lu
premier»' notion authentique de i'Antilia date seulement de
lili, comme nous l'avons établi |)lus haut, les (lanaries étant
connues depuis bien plus longtemps, ce n'est pas dans cet
arclii[iel ([ue nous devons cluM'clier I'Antilia.
L'archipel de Mad»'re, depuis longtemps visité par les A rahes,
avait aussi, dès le xiV siècle, été signalé jiar les Européens, (!t
particulièrement par les Italiens (2), car toutes les cartes mari-
times d(î l'épcHjue donnent aux îles des dénominations italiennes,
Insula di Legnano, Déserte, Salvage, Porto-Santo, etc. Ce n'est
donc point là encore qu'il nous faut chercher I'Antilia.
L(>s îles du Cap-Vert ont été découvertes à une époque hien
|)lus ré(;ente (3). C'est en lioGque le Vénitien Ca da Mosto et
le (jénois Antonio Usodi Mare reconnurent les premiers ces
îles, mais elles sont peu éloignées de la côte, tandis que toutes
les cartes du temps représentent I'Antilia au milieu de l'Océan
et ne cessèrent jamais de la représenter en même temps que
l'archipel du Cap-Vert.
( )ù donc trouver cette Antilia fantastique ? Buache se pro-
nonçait en faveur des Açores {\), bien que les Açores fussent
connues et dessinées dès le milieu du xiV siècle, si du moins
on en croit le Portulan Médiceen de 1351 (5). Aussi bien si
I'Antilia eût correspondu à Saint-Michel ou à toute autre île du
groupe açoréen, on ne l'aurait plus figurée sur les cartes de
l'époque, qui, au contraire, représentent simultanément, ainsi
que celles de Bianco ou de Behaim, I'Antilia et les Açores.
L' Antilia serait-elle l'Amérique? A propos de la carte de
Bianco, qui marque deux îles séparées par un détroit, Antilia
;l) Gravier. Le Canarien, p. 2246.
(2 D'AvEZAC, Iles de C Afrique. — Gravier, ouv. cité.
(3) J. Loi'EZ de Lima, Ensayo sobre a stntistica dus possessocs portu-
gttezttu, Lisboa, 1844.
(4) Buache, ouv. cilé.
(5) D'AvEZAc, lies de l'Afrique. — Gohdeybo, Historia iiisuluna rias
ilhas a Portugal suageytas no Oceano occidental, Lisboa, 1717.
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220 PHEMIKHK l'AUTIK. — LES l'UKCLHSKlRS DE COLOMH.
et la Mail Satuiluxio, un googi-aplic allfiiiaiid, Hasscl, |in>t*'ii(|
que ces deux îles correspoïKleiit aux deux parties du roiitiiieiit
américain que l'on croyait en effet, aux premiers temps de hi
découverte, séparées par un détroit. Foniialeoiii n'hésite pas à
ral'firmer (l), mais cette liyp<»llièse n'est sout»'iiue par aucun
argument sérieux. Il est prolialtleipi'inspirés p;ir je ne sais (pieile,
réminiscences anti(|ues et par de vagues traditions, les carto-
graphes du moyen-Age conroiidirent sous le nom nni(pie d'.\n-
tilia les côtes de plusieurs îles récemmont découvertes. Ainsi
Beccaria, dans sa carte de liU."), appelle Antilia et l'arcliiitcl
qui l'entoure Insulie de novo repte (re[ierta!) (2). Puis, à mesure
que ces iles furent mieux connues, cpie leurs contours, leur
grandeur et leur position furent déterminés avec précision, on
se tttntonta d'éloigner dans la direction de l'ouest cette ile ima-
ginaire, qui servit désormais à désigner toutes les découvertes
encore incertaines. L'Antilia fut l'ilespérie du moyen-àge : elle
recula toujours, comme celle de l'antiquité, devant les explora-
teurs hardis et les voyageurs aventureux.
Antilia disparaîtra en effet des cartes, dès que le Nouveau-
Monde sera découvert. Si aujourd'hui ce nom s'applique encore
à tout un archipel, c'est l'effet d'un pur hasard géographicjue.
Colomb, Oviedo, Acosta, Goinara et les premiers historiens
espagnols de l'Amérique ne parlent jamais de l'Antilia. Les
mappemondes ajoutées suivant l'usage aux éditions de Ptolémée
ne la mentionnent pas davantage. Sur les cartes de Juan de la
Gosa ou de llibeira il n'y a pas trace du nom des Antilles. Dans
le recueil italien de Joutes les îles du monde par IJenedetto
Bordone (3), dans VIsokmo de Porcacchi (4), dans la Cosmo-
(1) KORMALEONI, OUV. cité.
(2) JoMARD, ouv. cite, planche 8.
(3) Bordone Uiro nel quai si vagiona de tutte l'hole del mondo, Ve-
nise, 153i.
(4) TiiOMAiiO Porcacchi, l'Isole piu fatnose del mondo, Venise, 1590.
OHAP. VI. — LES ILKS KANTASTIOIKS l»E l/oC^AN ATUNTIOl'K- ^^2i
l/r(ij)liir (r.\ii(li'('' Tlifvct (1), «laiiH lu Ih'scriptnm (1rs /ndfs ncn-
ilnilnh's |iiir llcrrora (ii), jaiiiais ne llpiirc le iiotn (rAiitilIcs.
Ii'ar<'lii|i(>l (|iii porto aujoiinriiiii rc iimii est (Irsi^Mir sons la
(ItMioiiuiiatioti (l(> Liirayt^s, (larailics, on Itirii «Micorc de (laiiicr-
cancs (II). Sans doute Picrrt' Martyr avait déjà propose'' ce
nom dans ses Ih'raili's (l), et .Xnicri^'o Vcspncci, la srnie l'ois
(|n'il cite (lolonil), parle anssi dWntilia (.'>), mais, malgré cetti;
donlile autorité, le nom dWntilles, pendant eneore tont nn
sièele, devait être inronnn. (Vest seulement à partir du xvii*
sièele qne la grande céléhrifé des cartes d(! W'ytfliet (<>) et
d'Ortelins (7), qni, sans doute par souvenir d'érnnition, avaient
l'ait revivre cette appellation, li\a pour toujours sur les cartes
d'Américpie le nom d'.Xntilles.
LWntilia n'a donc été (prun mythe géograplii(pie , mais
aiupiel on cessa de iToire |(eaucou|> plus vile «pi'on ne l'avait
l'ait pour l'île de Saint Hrandan. Seidement, par nn singulier
hasard, aucune terre ne porte aujourd'hui le nom du saint Ir-
landais, tandis ipie le rnagniti(pie archipel de la mer du Me\i(|ue
a conservé le nom qui ne lui fut définitivement aftrihué (pie
l(iugtem|is après sa découverte. Ce mythe, (juelle (pi'ait été sa
l'orfune, nous j)rouvedonc, une fois de plus, comhien était prt)-
fondément gravée dans les esprits la croyance à l'existence
d'iles ou de continents dans l'tJcéan Atlantique,
(1) TiiKVKT, Co.imOf/raphie Utiivrrselle, Paris, 157.').
2) IIkhiikha, Hàtoi'ia gennivil de los hechos do los Cnslpllannu m las
/.v/r/s // Tirrra firme del mnr Oceann.
(IJ) lIcMi-.oi.DT. lïhtoire de la Géographie du Nouveau Continent, t. Il,
|i. 10!t-;00.
(i) l'iKitHK Mahtyii, Décades, 1, jt. tl : « In Hispaniola Ophirain insulain
se rcpcrisse refert Columbiis, seil, cosmographoruiii tractu diligcnler conside-
rato, Antilim insiihc suiil illaî et adjacentes aliœ «.
(■■>) IIyi.acojiyi.is, Cosnioyraphiâs introductio : « Veiiimus ad Anligliœ in-
sidain, (]uain paucis niiper ab annis Christophoru$ Columbus discoopcruit ».
()) Wytki.iet, Descriptionis PtolemaicT augmentum, 1 597, carie 5, Novi
orliis pais Borscalis.
(7) Omtri.ius. Toutes les cartes de son atlas relatives à l'Amérique.
1 /
"i^l i'hkmikhk i'aiitik. — i,ks pHKcrnsKins i»k (.(ilomii.
vmri ^
Nous iivDris ciicnrc à (>iir('f,'istn'r (rautrcs îles, dont rcxislciirc
est tout .'iiissi |)rol)l<'>inati(|ii(>, mais ait\(|U(>ll('s on croyait au
riioyiMi-àp', avant la date orilcicllc de lu «Ircouvcrtc de l'AnK'-
ri(|ii('. l'n ivcit (|u<'l('on(|ue de voya^*', mt^nic invraiscnddalilc,
se iTiiandait-il, (|Ucl(|U(> marin nrcnait-il rionrunc terre la trom-
peuse <-i|)|iaren('e d'un niia^'c à l'Iiori/oii, il annonçait an retour
sa prétendue découverte. Aussitôt les carto^raplles se mcîttaient
à r»euvre. Assttciant leurs désirs à de confuses n(»tions, ils
créaient (|uel(|ue terre uouveIN', (|ni ne disparaissait des cartes
(pi'a|»rès des découvertes l)i(>n autlienti(|ues. Telles lurent les
trois îles (pie, d'ordinaire, on trouve manpiées à cAté d(î l'An-
tilia sur la plupart des cartes et porlidans (uie ikjus citions plus
haut : la première, à vin^rt lieues envinui à l'ouest d'Aiitilia, et
parallèlement à elle, est de r(»rme carrée ; elle: a nom lloyllo :
la s(>conde (>st à soixante lieues au nord ; on la nonune La Mail
Satanaxio ou San Atanaf,'io ; la dernière, eiilin, au nord d«> la
seconde, complète le f^roiipe et s'a|»pelle 'raninar ou Danmar.
1)(^ ces trois îles celle (pii se retrouver sur le plus j^raiid nomlire
de rartes est l'ile de la Man Satanaxio ou de la Main de Satan,
(lelfe deiiominatioii est siiifiiilière. Devons-nous y voir (piehpie
va|.Mie reflet de la lép'mh» de saint nraudan, oinpiehpie nouveau
c(Hite sur les daiifrersde l'Océan ? Fttrmaleoiii (I), en consultant à
la l)iltliotliè(pie Saint-Marc, de Venise, l'atlas d'.Vndrea Ilianco,
sur leipiel Danse de Villoisou venait d'appeler l'attention de
l'Kurope savante , avouait naïveinent (pi'il avait lonj^temps
clierclié l'explication de ce nom. X iovci' de c(»nsulter les vieux
auteurs, il découvrit un roman de (lliristol'oro ,\rineno, intitulé
// /*rllrfjriiiti'/f/i(i di Ire f/ioiuanii, dans leipicd on parlait d'une
certaine contrée de l'Inde, où, tous les jours, uikî grande! main
sortait de l'eau, saisissait les matelots, et les entraînait dans
laluine avec leurs navires, dette main ne pouvait être (pie la
main de Satan, d'où I(î nom d<tnné à l'ile mystérieuses : Nous
(I) FOII.MAI.EO.NI, oiiv. cili'î.
CHAI'. VI
l,i;S ILKS KANTASTKMÎKS llK l/oCKA.N ATLWTH.MK. ±l'.i
croyons, an contraire, (jnc (Ihistoloro Ai'uicno s'est ins|>iré de
cette léfjemle, mais (|n'il ne l'a pas inventée. ICIie evisfail hien
avant Ini. Pendant, lonl le nn»\en-à^,^e on a placé l'enfer dans
ces réj:ions Septentrionales de rAtlanti(pie, où, tont justement,
les cartographes avaient l'hahitnde de pliicer l'ile en (piestion.
Ainsi, la carte de rAtlanli(|ne insérée dans la /{iirrolla t/i
Vitiifffi de Hanmsio (I) plaçait an nord de Terre-Neuve l'ile
des Dialiles, dont on voyait, en eU'et, voltif!:er à Teiitonr tonte
uniM'oliorte ; llnyscli, dans son atlas de l.'iOT-l.'JOS, insérait
dans cette ré(.,Mon de l'Océan, ime insida da>monnm {li) ; (".orte-
real donnait é;;alemenl à une Ile sin* la côte de Labrador le nom
(l'Isola de los Uemoiiios [',\) ; Tlievet, enihi,dans sa CusiiKif/rd-
ces
ftliit! iinirn'sallt; {A) {\î>Ti'))y raconte avec candeur les s(»idrran
et les persécutions (pr(;ndnrent les mallienrenv indigènes on les
navigateurs européens conduits par leiu' mauvaise fortune dans
l'archipel des Démons ('»). Mais, (pielle (pie soit l'explication
donnée, l'existence de l'ile en (piestion demeure toujours pro-
lilémati(pie. S'il nous était permis d'aventurer une hxpothése,
nous croirions volontiers (pie les navij,Mteurs de l'épiMpie ren-
conlrèrent, en s'aventiirant dans l'.\llanti(|ue, (|uel(|iies-uns de
pie, (piel(p
ces };i;;aiites(|ues iceher},^s , ou moiita^iiies (
le ul
ice
arracUes
aux '(aïKpiises du pi'de et entraînés au sud par les courants,
dont la rencontrer ass(>/ fre(pieiite est, iinhiie aujourd'hui, si
redoutée par les capitaines, (les icelierfi:s, (piand ils se heurtent
iue un navire
iiilenl
à pic, et, comme ils ariiveiil à
l'improvisle, escortés par d'épais lirouillards, ils pai'aissent
réelleiiieiit sortir du sein des (lots, comme sortait la main de
Satan, pour précipiter au fond de l'ahiuie matelots et navires.
UiK- antre explication, heaiicoiip plus natiu'elle, consiste A
(1) ItAMiisio, Uureulln tli viii//i/i, (. Il, '.\'A\.
(2) llrvsi;ii, ('111111111 (l(! Plohîiiicc, l.iOH.
{',\) IIaiiiiishic, /.m dnrtevntt/
4) TiiKVKi, Costnoi/rap/iie IJniver.sfllf.
(:;) Viiii ciKuiio k;« cartes do Lafrcri (Venise, l.'i66l l'I de il. Meic.ulor (1587)
¥\'
22!i PREMIÈRE PARTIE.
LES PRECURSEURS DE COLOMR.
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lire San Anatafîio au lieu de Man Satanaxio. Le dérhiffrement
des portulans du moyen à'^c qui sont parvenus jusqu'à nous, est
très difficile, et, pour un lecteur dont les connaissances paléo-
};raplii(jues seraient médiocres, comme l'étaient, par exemple,
celle de Formaleoni, le premier éditeur de l'Atlas de Bianco, on
peut lire indifl'éremment l'une et l'autre leçon. En ce cas, la
prétendue île de Satan serait tout simplement l'île placée sous
l'invocation de saint Atlianase, ce qui était plus conforme aux
habitudes des marins de l'époque.
Quelle que soit l'origine de cette appellation, nous ne sommes
jias fixés sur la position de l'île, pas plus que sur la position des
deux îles voisines, Royllo et Tanmar. Elles disparurent succes-
sivement des cartes, même avant l'Antilia, qui, du moins, a
laissé son nom à un immense archipel, tandis que ces îles fan-
tastiques sont rentrées dans l'obscurité. Elles n'en seraient même
jamais sorties sans le singulier et très persistant pressentiment
des marins et des érudits de l'époque, relativement à l'existence
de terres à l'occident.
Nous en dirons autant pour l'île de Bracie, Berzil ou Brasil
([ue les cartes du moyen âge dessinaient an milieu de l'Atlantique.
On les trouve, par exemple, sur le portulan médicéen de 1381.
La carte catalane de 1375 (1) en mentionne môme deux sous le
même nom et la carte des frères Pizigani (1367) (2) en compte
jusqu'à trois : la première au sud sous le parallèle de Gibraltar,
la seconde au sud-ouest de l'Irlande, accompagnée de deux
navires et d'un homme dont on ne voit plus que la tête, car il
est dévoré par des serpents ; la troisième au nord de la précé-
dente avec une bête fantastique qui enlève un homme dans sa
gueule : elle porte l'inscription I" de Mayotus seu de Bracir.
Elle > st dénommée Brazil sur le portulan de Mecia de Vila-
destes (1413), les cartes d'Andréa Bianco (1430) et Fra
(1) Tasto et Bucmo\ Notice d'un atlax en langue catalane, manuscrit de
Tan 1375, conservé ^ a7'mi les manuscrits de la Bibliothèque roijale.
(2) JoM\RD, ouv. cité, planches 4i-4;j.
1
36?)
FRAGMENT DE LA CARTE DE
CARTE DE PICIGNANO (1367)
//
ClIAP. VI. — LES ILES FANTASTIQUES DE l'OCÉAN ATLANTIQUE. 225
Mauro (1437), et toujours elle figure à l'ouest de l'Irlande. Nous
lui trouvons le même nom et la mt^me position dans les Ptolé-
mées de 1513 et de 1519, dans le tr»>s curieux atlas manus-
crit de la l)il)liotliè(jue de la Faculté de Montpellier (1), composé
peu après le voyage de Magellan, dans le portulan de Malartic
qui date de 1535, dans le Ramusio de 1550 et dans Vlsolnrio de
Porcacclii (1572) ; un siècle et demi après la colonisation des
Açores par le Portugal on continuait à placer une île de Brazil
au nord ou au nord-ouest de Gorvo. Les atlas de Lafreri (1566),
d'Ortelius et de Mercator (1587) marquaient encore ce nom. Le
souvenir de cette île errante s'est même conservé jusqu'à nos
jours dans le Brazil Rock, rocher ou plutôt fond rocheux indiqué
sur les cartes modernes de l'Atlantique à quehjues degrés à
l'ouest de l'extrémité la plus occidentale de l'Irlande (2;.
L'identité de ce nom avec celui d'une des plus vastes contrées
du nouveau monde peut paraître singulière. Indiquerait-elle
quelque mystérieux pressentiment de la découverte d'Alvarès
Cahral? Il n'est pas besoin d'aventurer cette hypothèse. Il en
est en effet de Brasil comme d'Antilia. Ces noms furent appliqués
à des terres inconnues avant d'être fixées définitivement. Par
un curieux hasard, un hois rouge, propre à la teinture des laines
et des cotons, commença à désigner le pays d'où on le tirait,
Malabar et Sumatra ; puis ce nom fut appliqué à une île de
l'Océan où on crut le retrouver, et enfin à la contrée américaine
qui l'a conservé (3). Il se pourrait encore que Brésil rappelât
le souvenir de la terre mystérieuse chantée par les bardes
irlandais et gallois. Ce mot peut en effet se décomposer en deux
racines gai^liqucs, /}7-eas grand et î île. Le Brésil serait alors la
(il Cet atlas (in-4», 22 cartes, n» Tfl) appartenait jadis à un conseiller au
Parlement de Dijon, de Clugny. 11 a, tans doute, été composé par Baptisla
Agnese, l'auteur du Portulan de Marlatic. — Cf. Gaffarei, {Mémoires de la
Société Bourguignonne de Géographie et d'Histoire, 1889).
(2) Voir la carte d'Irlande de l'atlas de Stieler (édition de 1867).
^3) Gaffadel, Histoire du Brésil français au xvi» siècle.
T. I. 15
'■'l"4
226 PREMIÈRE PARTIE. — LES PRÉCURSEURS DE COLOMB.
grandi* îlo, et corrospondrait à Tvd'iq Mnr le grand rivage ou /'//•
Mnr la gnindo terre, dont parle lu légende de Gondla le Ueaii.
Aussi l)ien rappelons, à titre de curiosité, qu'en Angleterre on
crut longtemps à rexistence de cette île mystérieuse. « Le
15 juillet 1480, des navires appartenant à John Jay le Jeune,
jaugeant 80 tonneaux, sortirent de IJristol pour naviguer à l'ouest
de l'Irlande jusqu'à File de Urassyle. Le 18 septemltre (1481 ?)
on apprit que Thomas Iloyd, le marin le plus expert de l'Angle-
terre, (pii commandait l'expédition, après une navigation de près
de neuf mois, hattu par la tempête, avait été forcé d'entrer dans
un port d'Irlande pour laisser reposer ses navires et ses matelots,
sans avoir découvert ladite île (1) ». Même au XVIF siècle l'île de
Hrasil ou O'Brazil n'était pas encore oubliée. Voici en effet ce
(|ue nous lisons dans un ouvrage publié en 1084 (2) : « Des îles
d'Aran et du continent de l'ouest paraît souvent visible l'île
enchanteresse que l'on nomme O'Ikasil et en irlandais Heg'araii
ou la petite Aran, aujourd'hui l)annie des cartes de navigation.
Est-ce ime île réelle rendue inaccessible par ordre spécial de
Dieu comme une sorte de paradis terrestre, ou bien le résultat
d'une illusion produite par de légers nuages apparaissant à la
surface de la mer ; ou encore faut-il y reconnaître le séjour de
quelques mauvais esprits ? Ce sont là des questions qu'il ne nous
appartient pas de juger » .
Que le mot de Drasil ait pour origine le nom d'un bois de
teinture ou qu'il soit comme l'écho d'une vieille légende,, nous
rangerons cette contrée parmi les îles fantastiques, ou plutôt
parmi ces terres voyageuses dont le souvenir s'est perpétué
par la tradition, et qui n'ont conquis qu'à une époque relative-
ment moderne la certitude de leur existence.
(1) tinirariwn Wilelmi Botonei, ilict de Worcestre, cité par Haurissk,
Colomb, I, p. 317.
(2) R. O'Fi.AiiEKTY, A Chorographkal deacriptioîi of We^t or //. !ar Con-
naught (168*). — Dublin, Irish Aich. Soc. 1846, p. 68-69, cité par Hamy,
Les origine de la cwtographie de l' Europe Septentrionale (Bulletin do
(Géographie historique et scientiflqiic, 18S8).
r.llAP. VI. — LES ILES FANTASTIQt'KS DE l'oC.ÉAN ATLA.NTIOl'E. 227
Dans ces môincs |»arag('s, c'cst-à-dirc ciitro rirlaïuU.', Tcrre-
NcMivo ot les Açores sont ('{ïaicmont marquées les deux îles
Mayda ou Asrnaïde et Isla Verde (1). Apr^s la diM-ouvorte de
l'Ainérique, elles figurent avec régularité sur les cartes, mais
leur [(osition est incertaine. De nos jours elles sont encore
niar(|uées, ou plutôt signalées, comme écueils à (-viter. et sous
les noms de Maïda et de (Ireen Rock, Leur existen<'e n'est donc
millement |trohlémati(|ue.
Ainsi donc sept cités ou .Vntilia, La Man Safanaxioou Brasil,
voyages réels ou imaginaires, terres chimériques ou îles
existantes, ' , géographes du moyen-Age, mêlant d'antiques
traditions à des découvertes récentes, ont toujours placé à l'ouest
ces prétendues contrées. Assurément ce n'est point encore Ifi
r.\méri(|ue, mais c'est déjà la direction de l'Amérique.
(1) Allas Catalan de 1367, Portulan de Marlalic de 1535, Ptoléniécs de 1513
et li)t9, etc. Isolario de Porcacchi (15'72). — Cf. Flelriot de Lanole, Mé-
moire sur les vigies de l'Atlantique. (Bulletin de la Société de Géographie
de Paris, juillet 1865).
l;
CHAPITRE VII
VOYAGKS DES ARAHKS DANS L ATLANTIQUE.
IL»'
à'
I
rli
De tous les |)(>u[)I('s qui, au moyen-Age, malgré les dangers
réels ou prétendus de l'Océan, osèrent s'aventurer sur ses flots,
il en est trois, les Arabes, les Irlandais et les Northmans, qui
semlilent ne jamais avoir oublié les traditions antiques. Ils n'ont
pas un instant ressé de naviguer dans la direction de l'ouest,
(Mjmme s'ils avaient eu la prescience de futures découvertes. Il
est même probable que plusieurs d'entre eux abordèrent en Amé-
ritjue bien avant Colomb. Nous essayerons de le prou 'cr en
recueillant dans les œuvres de leurs poètes ou de leurs histo-
riens les traits épars qui nous permettront sans doute de substi-
tuer des faits précis à de vagues légendes, et de reconstituer un
chapitre trop oublié de l'histoire^ ancienne de l'Amérique.
On sait le grand rôle joué dans l'histoire de la civilisation par
les Arabes. Humboldt les considérait non sans raison comme
les successeurs des Romains pour le développement et l'agran-
dissement de l'univers (1). Cette race mobile et robuste, ignorante
mais non grossière, était douée d'une vive imagination et cepen-
dant attentive à tous les phénomènes de la nature. Dans toutes
les sciences, et particulièrement en géographie, ils rendirent
les plus éminents services. Conquérants, ils font connaître des
(1) IIljiboldt, Costnos, t. H, p. 246, 249, 491. Cf. le beau portrait du génie
Arabe tracé par Herder, Idées sur la philosophie de l'histoire de l'humanité,
t. XIX, § 4 et 5.
Z
CIIAP. VU. — VdYACKS l»KS AHAHKS DANS L'aTLAMIQ! E. ±1*.)
pays iiiyst(''ri('ii\ ; voyageurs et coiiiiiiciTiiiits, ils étudioiit les
rossoui'ct's (le ces pays (I). Le Coran recoiiiriiaiide en elVet le
commerce et l'industrie eonimc des ()('(U{)atioiis agn-ahles à
Dieu. Aussi, négocianti^ et soldats nuirclièrent-ils ensend)le
à la coïKiinHe du monde, les caravanes furent protégées |)ar les
armées, et les généraux, en défendant les marchands, crurent
accomplir un devoir non moins sacré (jue celui d'exterminj'r
sans |>itié les intidèles. Fje Tliibet et une partie de la Chine, la
Tartarie et une partie de l'Africpie intérieure furent -tins!
parcourues et décrites par les Arabes. Du côté de l'occident,
malgré la hardiesse de leurs marins et l'audace de leurs pirates,
leurs progrès furent moins rapides. Ils répandirent pourtant
leur langue et leurs chiffres jusque dans l'extrôme nord. Un
trouve encore de leurs monnaies sur les hords de la Dalti(|ue et
en Laponie (2). Ils connurent d'une façon certaine les îles Ca-
naries, peut-être Madère et les Açores. Quelques-uns d'entre eux
poussèrent même, à ce que prétend la tradition, jusqu'en Amé-
rique.
L'Océan inspirait pourtant aux Arabes une sorte de terreur
religieuse. Il était pour eux le théâtre des plus elfroyables aven-
tures, le séjour des monstres et des mauvais génies. C'est sur
l'Océan que Simbad le Marin, représentant symbolique des
1
(1) Dès les premiers siècles, les Kalifcs ordonnèrent à leurs généraux de
faire décrire les pays soumis. De là tant de glorieux travaux parmi lesquels
on peut citer ceux d'Eumsi (Traduclion Jaubert, Délassements de l'honnne
désifeux de connaître à fond les diverses contrées du monde), d'iBN al
Olaudi {Perle des merveilles), d'AnocLFEDA {Vraie situation des pai/s), de
Maçoudi {Les prairies d'or et les tnines de pierres précieuses, traduction
Barbier de Meynard et Parvet de CourteiHe), d'iBN Halkal {Indicateur des
pays par ordre alphabétique), d'Eb Bakoli {Merveilles de In toute puissance
sur la terre), d'IsN Batoutaii {Voyages, traduction Defréméry et Sangui-
nelti), Abd ai, Hatif {Description de l'Egypte, traduction de Sacy), etc. Cf.
Lelewel {Géographie du moyen-âge), t. 1.
(2) HuHBOLDT, Cosmos, II, 265. — Leopuld de Ledebuii. UOer die in den
Baltischen Laiidern gefundeneti Zeugnisse eines Handelsverktrs mit dem
Orient zur zeit der Arabischen Welthersschaft, 1840.
"l'M) i'hkmiTjif. I'ahtik. — li;s i'AKcirskirs i»k r.oLOMU.
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iK^gociiints aralu'H du iimycu-Agc, ('prniivf l(»us ses iniillicurs.
Kdrisi parle ilc l'Océan coiniiu'cii aurait (tarlé h; vieil Kscliyie (1),
cumule i*ytlieas parU; de la luer (glaciale. <> Les eaux de cette
mer, dit-il, sont é|»aisses et de couleur somhre. L(!s vaj,'ues s'y
élt''veTit d'une facou ed'rayaute. Sa profondeur est considérable,
ryohsciu'ité y rèf;ne continuellement; la navi;;ation y est diffi-
cile, les vents impétueux, et, du cMù de l'occident, les bornes
en sont inconnues ». Hien qu'il ait composé son ouvrai^e à la
Un du xiV siècle, en 1377, Ilni-Klinidoun, semble éprouver
une sorte de terreur religiiMise en parlant do. rAtlanti(jue (2) :
(i C'est une vaste mer sans liornes, écrit-il, où les navires
n'osent se hasarder hors de la vue des côtes, parce (pi'on i|;nore
où les vents pourraient les pousser, vu (ju'au-deli\ de cette mer
il n'y a point de terre (|ui soit habitée. Quant aux mers dont les
limites sont connues, les navires y navif,'uent, parce (jue h^s
marins savent par expérience où les vents |)euvent les conduire ;
mais il s'en faut de beaucoup (ju'il en soit ainsi pour l'Atlan-
tique, parce qu'il n'en connaissent pas les bornes, et, quoiqu'ils
connaissent la direction des vents, ils ignorent jusqu'où leur
souffle pousserait les navires qui |»ourraient se trouver envi-
ronnés de brumes, et faire naufrage ».
Malgré les dangers que présentait la navigation de la mer
Ténébreuse, les Arabes ne laissaient pas que de s'y aventurer.
Ils croyaient qu'elle était remplie d'un nombre incalculable
d'îles, les unes désertes, les autres habitées, celles-ci enfin
possédées en propre par des sorciers ou par des animaux fan-
tastiques. Ibn-al-Ouardi prétendait que ces îles étaient si
nombreuses (ju'on ne pouvait les comptei (3). Edrisi fixait leur
nombre à vingt-sept mille (4), et il en énumérait quelques-
unes : Sura, Sauli, « dont les habitants ressemblent plutôt à
! I
I
i
1) Edbisi, ouv. cité. Trad. Jaubert, t. II, p. 36.
2) Ibn-Kiialdoun, Prolégomènes historiques. Trad. de Slane.
3) Ibn-al-Ouardi cité par d'Avezac, Iles de l'Afrique, p. 15.
4) Edrisi, ouv. cité, p. 198.
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CHAI'. VII. — VOYAGES DES ARABES DANS i/aTUNTIQI'K. 231
(les r(>iiiiii(!s qn'i\ tl(!s lioiniiios. Les dents leur surtciit (!«•
la bouclic, leurs yeux élincelU'ut coiiune des éclairs et leurs
jiimhes ont l'apparence de Itois lirùlé. » Mnstachiin fut jadis
ravagée par un dragon u cpie tua Alexaiulre » A (îallian
« les insulaires sont de forme humaine, mais portent <les ttMes
d'animaux (1) ". A llaea « vivent des oiseaux semhlahles à des
aigles, rouges et armés de grilles ; ils se noiu'rissent de coquil-
lages et de poissons et lU' s'éloignent jamais de ces parages.
On dit aussi <pie l'ile Uaca produit une espèce de fruits sem-
hlaljles aux figues de la grosse espèce, et dont on se sert coiimie
un antidote contre ' 's poisons. L'auteur du L'wre des M''rri'illes
raconte qu'un roi de France, informé de ce fait, envoya sur les
lieux un navire pour obtenir les fruits elles oiseaux en question,
mais le navire se perdit, etdefmis on n'en entendit plus parler»,
(lliaslend était jadis peuplée, mais ses habitants émigr«'rent en
Kurope ; (|uant à Laça, « cette île a cessé d'étn^ habitée parce que
les ser|)ents s'y sont excesssivement imdtipliés (2) ». Ces ren-
seignements sont si peu précis et i appellent tellement les contes
dont la princesse Schehérazade amusait son irascibleépoux, qu'on
ne saurait déterminer en détail la synonymie géographique de
de ces îles, d'autant plus que les Arabes ne marquent jamais
aucune distance, et, par là, ouvrent la porte à toutes les conjec-
tures.
Il paraît cependant que les Arabes ont réellement connu les
îles Canaries. Voici comment en parle Edrisi (3) : « H y a deux
îles nommées les îles Fortunées d'où Ptolémée commence à
compter les longitudes. On dit qu'il se trouve dans chacune de
ces îles un tertre construit en pierres et de cent coudées de
iiaut. Sur chacun d'eux est une statue en bronze qui indique
de la main l'espace qui s'étend derrière elle. Les idoles de cette
espèce sont, d'après ce qu'on rapporte, au nombre de six ». Mais
1
(1) Edri»!, p. 200.
(2) Id., ouv. cité, p. 200.
(3) Id., ouv. cité, 1, 10.
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232 PREMIÈRE PARTIE.
LES PRECURSEURS DE COLOMB.
au deli\ des Canaries les iiulioiitioiis donni'os |)ar les Arabos
sont vagues ot nuHiu' contrudictoiros. Ils ne s'accordent que sur
un point, l'ignorance à peu près absolue où Ton est sur les pays
baignés par la mer Ténébreuse. << Personne ne sait ce (jui existe
au deli\ de cette iner ténébreuse, écrit encore Edrisi (1), personne
n'a pu rien apprendre de certain à cause des difficultés (pi'op-
posent à la navigation la profondeur des ténèbres, la hauteur
des vagues, la frécpience des tempêtes, la multiplicité des
animaux monstrueux et la violence des vents. Il y a cependant
dans cet océan un grand nombre d'îles, soit habitées, soit
désertes, mais aucun navigateur ne se hasarde à le traverser,
ni à gagner lîi haute mer ; on se l)orne à côtoyer sans perdre
de vue les rivages. Les vagues de cette mer, hautes comme des
montagnes, bien qu'elles s'agitent et se pressent, restent cepen-
dant entières et ne se fendent pas. S'il en était autrement, il
serait impossible de les franchir ».
Les Arabes néanmoins s'étaient parfois aventurés fort loin
sur l'Océan. Une de leurs expéditions parait, moins que les
autres, dénuée des caractères de l'authenticité, bien (pi'elle soit
encore enveloppée de légendes et pleine de contradictions ; car
il send)le vraiment que les Arabes, de même race et de môme
caractère que les Phéniciens, aient pris plaisir à ne rien nous
laisser de certain sur ces contrées, où ils retrouvaient leurs
traces, de même qu'ils les avaient déjà observées sur toutes les
côtes de la Méditerranée et de la mer Rouge. C'est Edrisi qui a
gardé le souvenir de cette exploration de l'Océan, et il en parle
comme d'un fait déjà ancien. Or comme il composa son ouvrage
en Hoi, il nous faut reporter bien avant cette date la curieuse
expédition des frères Maghrurins (2).
(1) Edrisi, U, ouvr. cité, p. 2, Cf. — Id., p. 10, et 104.
(2) Hartmann, Africa Edrisii, 312-319. — Buaciie, Mémoires de l'Institut,
t. IV, p. 27.— HuHBOLDT^ Histoire de la Géographie du Nouveau Continent,
t. H, p. 137. — Webb et Berthelot, Histoire naturelle des Canaries,
Ethnographie, p. 10. — J. da Costa de Màcedo, Memoria cm que se pre-
(IIAI'. Vil. — VOYAC.KS DES ARAllKS ItANS L'ATLANTIQrK. ltX\
Avant (|U(' les Ai'iil)os ('iisscnl l'VaciK' Lishoniic, et ils n'en
l'un'iit rhass(!s pur les (llurtu'ns (|u'oii lliT, huit d'ciitrc eux,
l'tahlis dans cette ville, l'oriiièreutie pntjet (i'é(|ui|ier un vaisseau,
et départir à la découverte dans la direction de l'ouest. » Voici
comment la chose se |»assa (l). Ils se réunirent au nomhredehuit,
tous proches parents, et, a|>rès avoir construit un navire de
transport, ils \ emhanpièrent de l'eau et des vivres en (piantité
sulfisante pour une navigation de plusieiu-s mois. Ils mirent en
mer au |)reniier souffle de vent d'est. .\près avoir navigué
durant onze jours ou environ, ils arrivèrent à une mer dont les
ondes épaisses exhalaient une odeur fétide, cachaient de nom-
hreux récifs, et n'étaient éclairées tpie faihiement. (îraijïiiant de
périr ils chanffèrent la dii'cction de leurs voiles, coururent vers
le sud durant douz(> jours, et atteignirent l'île des Moutons,
ainsi nommée parce (jue de nond)reux trou|)eaux de mnut(nis y
paissaient sans herger et sans personne pour les garder. Ayant
mis pied à terre dans cette île, il y trouvèrent une source d'eau
courante et des liguiers sauvages. Ils prirent et tuèrent (piehpics
moutons, mais la chair en étîiit tellement amère (pi'il était
impossihle de s'en nourrir. Ils n'en gardèrent (pie les peaux,
naviguèrent encore douze jours, et aperçurent enlin une île <pii
[laraissait habitée et cultivée ; ils en appnichèrent afin de savoir
ce (pii en était ; peu de temps après ils furent entourés de
hanpies, faits i>risonniers, et conduits ù une ville située sur le
iionl de la mer. Us descendirent ensuite dans une maison où
ils virent des hommes de haute stature, de couleur rousse et
basanée, portant des cheveux longs, et des fenunes (pii étaient
d'une rare beauté. Us rtistèrent trois jours dans cette maison.
tend'' provar qw os Aro/jvs ?iaô conhecarâo as Caiiaria^ nntcs dos Pnrtii-
(jaezes (1844). — Ii>., A ddi ta ment os a pvimi'irà parte da meiiwvia sohre as
vcvdiidciras epocas cur ijur principiaraô as uossas naveyacoés e descoliri-
mentos ?io Oceano Atlantieo (lluciicil de rAcadéniic île Lisbonne, t. XI,
part. 11).
(1) Ediusi, ouv. cilé. T. 11, p. 2().
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i'M l'HEMlÈRE PARTIE. — LES PHÉCURSEURS DE COLOMB.
Le ([uatrièmc ils virent venir un homme, parlant la langue
aral)e,qui leur demanda qui ils étaient, pourquoi ils étaient venus,
et quel était leur pays. Us lui racontèrent toutes leurs aventures.
Celui-ci leur donna.de bonnes espérances et leur fit savoir
qu'il était intei prête.
Deux jours après ils furent présentés au roi qui leur adressa
les mêmes questions, et auquel ils répondirent, comme ils
avaient déjà répondu à l'interprète, qu'ils s'étaient hasardés sur
la nier afin de savoir ce qu'il pouvait y avoir de singulier et de
curieux, et afin de constater ses extrêmes limites. Lorsque le
roi les entendit ainsi parler, il se mit à rire et dit à l'interprète :
« Explique à ces gens-là que mon père ayant jadis prescrit à
(juelques-uns de ses esclaves de s'embarquer sur cette mer,
eeux-ci la parcoururent dans sa largeur durant un mois, jusqu'à
ce que, la clarté des cieux leur ayant tout à fait manqué, ils
furent obligés de renoncer à cette vaine entreprise ». Le roi
ordonna de plus à l'interprète d'assurer les Maghrurins de sa
bienveillance, afin qu'ils concassent une bonne opinion de lui,
ce qui fut fait. Ils retournèrent donc à leur prison et y restèrent
jusqu'à ce qu'un vent d'ouest s'éfant «levé, on leur banda les
yeux, on les fit entrer dans une barque, et on les fit voguer
durant quelque temps sur la mer. « Nous courûmes, disent-ils,
environ trois jours et trois nuits, et nous atteignîmes ensuite
une terre où l'on nous débarqua les mains liées derrière le dos,
sur un rivage où nous fûmes abandonnés. Nous y restâmes
jusqu'au lever du soleil dans le plus triste état, à cause des liens
(jui nous serraient fortement et nous incommodaient beaucoup;
enfin ayant entendu des éclats de rire et des voix humaines,
nous nous mîmes à pousser des cris. Alors quelques habitants
de la contrée viiu'ent à nous, et, nous ayant trouvés dans une
situation si misérable, nous délièrent et nous adressèrent di-
verses questions auxquelles nous répondîmes par le récit de
notre aventure. C'étaient des IJerbers. L'un d'entre eux nous
dit : « Savez-vous quelle est la distance qui vous sépare de votre
tniAP. VII. — VOYAGES DKS ARABES DANS l'aTLANTIQI^E. 235
pays? » et sur notre r«''ponse négiitive, il ajouta ; « Entre le
point où vous vous trouvez et votre patrie, il y a deu\ mois de
cliemin ». Celui d'entre ces individus qui paraissait le plus
considérable disait sans cesse : Wassafi ! ( Hélas ! ). Voilà
pourquoi le nom du lieu est encore aujourd'hui Asafi. C'est le
port dont nous avons déjà parlé comme étant à l'extrémité de
l'Occident ».
De ce curieux récit d'Edrisi, il ne sera pas sans intérêt de
rapprocher une narration semblable, qu'a conservée Maçoudi
dans ses Prairies d'Or[l) : « Un habitant de l'Espagne, écrit-il,
nommé Kach Kach, natif de Cordoue, réimit une troupe de
jeunes gens, ses compatriotes, et voyagea avec eux sur l'Océan
dans des embarcations qu'il avait équipées. Après une absence
assez longue, ils revinrent tous chargés de butin. Au surplus,
cette histoire est connue de tous les Espagnols (2) ».
Nous mentionnerons encore une tradition rapportée par
Abou-Abdallab Mohammed (^3), qui aurait vu dans une ancienne
relation que des marins envoyés par Alexandre (?) à la décou-
verte de pays inconnus, avaient rencontré, dans une mer loin-
taine et inexplorée, un navire monté par des hommes originaires
dun grand pays situé au-delà de la mer environnante ; « et
pourtant, dit-il, nous n'y avions jamais supposé autre chose
que la mer. Que Dieu discorne la vérité de cette histoire ! »
Quelle conclusion tirer de ce triple récit? De (Juignes, dans
sa traduction des Extraits d'Ihn Al Ouardi, prétend que ces
hommes à la face rouge et aux cheveux longs sont des Peaux-
llouges, et que par conséquent les Maghrurins sont parvenus
aux côtes d'Amérique. N'est-il pas plus vraisend)la]>le d'admettre,
(1) Maçoudi, Les Prairies d'or, traduction Barbier de Mcynard, t. l,p. 258.
(2) 11 s'Kgit bien cnlendu de l'Espagne Musulmane, car Maçoudi vivait au
x» siècle, à l'époque où ses coreligionnaires possédaient encore la majeure
partie de la Péninsule.
(.3) Abou-Abdau.ah-Mohamhed DiMASHOL'i, né en 1256, mort en 1337, a
composé Ce qu'il y a de plus remarquable dajis les temps en fait de mer-
veilles de la terre et du ciel. Traduction française par F. Mchron.
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236 PREMIFIRE PARTIE, — LES PRÉCURSEURS DE COLOMB.
avec Tychsen (1) et Malte-Brun (2), que les Maghrurins étaient
parvenus à quelque archipel, aux Açores ou au Cap-Vert. Sans
doute, ces îles étaient inhabitées, quand les Portugais les re-
trouvèrent ; mais la population primitive, précisément de race
basanée et à longue chevelure, les Guanches, pouvait bien être
celle que rencontrèrent encore les navigateurs Arabes.
Humboldt pense que les Maghrurins ne sont allés qu'aux
Canaries (3) ; mais cet archipel était parfaitement connu des
Arabes, et désigné par eux sous le nom de Khaledat ou Khalidat.
Ibn Said parle de ces îles et des colonnes sur lesquelles était
gravée l'inscription : « On ne passe plus loin (4) ». Ikkoui dit que
« les îles de Khalidat sont situées à l'extrémité duMoghreb (.'i).
Dans chacune d'elles, il y a une figure qui est comme un fanal
pour les navires, et les avertit qu'au-delà desdites îles il n'y a
point de route à suivre ». Nous avons déjà cité le passage
d'Edrisi où il est question de cet archipel. Il est vrai que les
renseignements des géographes Arabes sur ces îles sont tel-
lement confus qu'il se peut que les Maghrurins aient cru
découvrir les Canaries, lorsqu'ils les retrouvaient seulement,
tant les communications étaient rares entre cet archipel et les
côtes de Maroc ou d'Espagne.
D'Avezac est d'avis que l'île des Moutons, à douze journées
ouest de Lisbonne, puis à douze journées Sud, ne peutêtre que
l'île de Legname des portulans néo-latins, plus tard appelée
Madeira(G), et dont le nom italianisé présente, en effet, une cer-
taine analogie avec la dénomination Arabe El Aghnam. On ne
trouve plus aujourd'hui dans cette île des moutons, mais des
(1) Tychsen, Neiie oriental und exegetische Biàlioteck, t. VIII, p. 54,
par Humboldt, Géographie du nouveau continent, t. II, o. 139.
(2) Malte-Brun, Géographie universelle (édit. 1840), t. I, p. 190.
(3) Humboldt, ut supra, t. II, p. 140.
(4) Ibn Saïd, cité par Santarem, Géographie du moyen-ùge, I. 41.
(5) Bakoui, Notices et extraits des matiuscrits de la Bibliothèque du Hoiy
t. Il, p. 397.
(6) D'Avezac, lies de l'Afrique, p. 18.
CIIAP. VII. — VOYAGE DES ARABES DANS L'ATLANTIQUE. 237
(lièvres dont la chair est efFectivement rendue amère par une
plante, le eoqueret, qu'elles broutent cpielquefois. Quant à
l'autre ile, il ne se prononce pas, mais ce ne peut ôtre TAmô-
rique. Non seulement Edrisi rapporte l'opinion du roi de l'ile,
mais encore il dit expressément dans plusieurs autres passages
(ju'au-delà de cette île on ne trouve aucun lieu habité, et on
ifinorc ce qui existe.
Si donc les Aral)cs se sont avancés assez loin dans l'Atlan-
ti(|ue, nous n'avons de leur passage ou de leur séjour en Amé-
ri(iue aucune preuv»; ; aussi, n'hésiterons-nous pas à conclure
(|u'on aurait tort de les ranger parmi les précurseurs de Colomb.
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CHAPITRE VIII
LES IRLANDAIS EN AMERIQUE AVANT COLOMB.
COLONISATION DE l'iRLAND 1T MIKLA
L'Irlande au moyen Age ne fut pas seulement la terre dos
saints, mais aussi le pays des voyageurs. Energiques et re-
muants, fiers de leur indépendance, les Irlandais semblaient
avoir hérité des qualités de leurs ancêtres légendaires, les Phé-
niciens (1). Comme eux ils aimaient le changement et l'activité,
comme eu\ ils n'hésitaient pas à porter dans d'autres régions
leur génie d'entreprise. La mer, qui de toutes parts les entou-
rait, les attira de bonne heure. Elle parlait à leur imagination
avec ses couleurs changeantes, ses horizons mobiles et les
merveilleux phénomènes dont elle est le théâtre. Aussi ne crai-
gnaient-ils pas d'affronter ses orages sur leurs barques
recouvertes de cuirs grossièrement cousus (2), qui rappellent
les baïdares des modernes Esquimaux , et qui déjà frappaient
d'étonnement les marins de l'antiquité. « Un peuple nombreux
s'agite là, écrivait Avienus (3), ayant l'esprit fier et une grande
(1) De UouoEMo;«ir, l'Age de Bronze, p. 2oîi, 371. — De Lasteyiue, Revue
des DeuxMonilt's, 15 avril 1807.
(2j Le corium, curica ou curacli des anciens Celtes est décrit par César {De
Betlo civiti, 1, 54). — Lucain (P/iarsale, IV, 130-5). — Pline (Hist. natu-
relle, VII, 57K — SouN (Polyhistoria, 72).
(3) Avienus, Ora maritima, 98-107. Multa vis hic gentis est, — Superbus
nuimus, efficax solertia — ...Non lii carinas quippe pinis tcxere, — acerevc
norunt. Non abiete, ut usus est, — Curvant faselos ; sed rei ad miraculum, —
Navigia junctis semper aptant pellibus, — Corioque vastutn sœpe percurruii
«alum.
ClIAl'. Vill
ij:s ihlvndais kn amkiuolk avant COLOM». "l'.V.i
iu'tivité. Tous sont livri'scxclusivenient aux soins du coinnionc,
ils traversent la mt'r dans leurs canuts, les(|uels ne sont |>fls
fabriqués en bois de pin ou de sapin, mais fal)ri(|ués en [>eaux
et en cuirs ».
(À' fut surtout (piand l'île devint chrétienne (|ue les Irlandiiis
éprouvèrent comme un impérieux l)esoin d'aller chercher et de
porter au loin la science et la foi. L'Irlande mérita hien le
surnom d'Ile des Saints, à cause du {îrand nombre de ses mo-
nastères, de l'instruction de ses prêtres et surtout de l'entraî-
nante ardeur de ses missionnaires. Un les trouvait dans tous les
pays et sur toutes les mers d'Occident. Dans leurs visi(jns
mysti(iues s'offraient à eux des peuples à initier à la loi du
Christ. Excites par la lecture des livres saints et des ouvrages
scientifiques alors connus (1), et comme enfiévrés par l'habi-
tude de la méditation religieuse en face de l'Océan, les saints
d'Erin, à partir du Yl" siècle, cherchent des mondes inconnus
à con(|uérir à la foi nouvelle.
Pendant que Columba et ses disciples immédiats parcou-
l'ent, la croix en main, l'Europe barbare (2), d'autres moines,
leurs compatriotes, s'aventurent sur l'Océan et ont la gloire de
découvrir des peuples ignorés et le bonheur d'en faire des
chrétiens Vers l'an 503, se trouvant à la cour de lirudeus, roi
des Pietés, en présence du chef des Orcades, Columba avait
déjà eu l'occasion de recommander à ce dernier (3) queUjues-uns
(1) Diciiii, {De mcnsura orhis terr.v, S T, édition I.etronne) cite t'riscien,
Soliti, Pline, Isidore do Seville, Philoemon, XénopJion de Lampsaque, Pjthéas
el Onôsicritc.
(2) Lt vie de Columba a été inscrite par Adanman, et insérée dans la col-
l(T,tion des HoUandistes, à la date du "1 juin. Elle a été rééditée par W.
Rkeves, Dublin, 1857. On peut encore consulter sur Columba Mackenzie,
Sctotcli writers; — Butler, Lifeof the fnints; — Jounson's, Jouniey fo tfic
Western l^/es.
{'X) .\i)AM.NAN, ouv. cité. « Aliqui ex nostris nuper emigraverunt, desertum iv.
pelago intransmeabili invenire optantes, ipii forte post longos circuitus Urcades
devenerunt insulas; huie regulo, cujus obsides in manu tua sunt, diligenler
commciida ne aliquid adversi intra terminos ejus contra eos fiat ».
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S-iO l'REMIKRK PAHTIE. — LES PHÉCrHSKrUS DE COLOMB.
de ses moines qui s'étaient aventurés surrOcéan. « Quehjues-
uns des noires, lui dit-il, ont émigré dernièrement avec l'espoir
de trouver un pays désert, dans la mer impénétrable ; peut-être
après de longs détours arriveront-ils aux îles Orcades ; fais donc
des recommandatii»ns pressantes à ce chef, dont tu as les otages
en ton [touvoir, alin (|u"il ne soit pas fait d(! mal aux nôtres
dans la limite de ses Etats ». F^es successeurs iuunédiats de
Columba suivirent son exemple et continuèrent leurs périlleux
voyages (1). Dans les siècles suivants ce mouvement d'émigra-
tion s'accentua encore. « Les essaims sacrés des moines ir-
landais, écrivait saint Bernard, se sont répandus sur toutes les
nations étrangères. On aurait dit une inondation (:2) ». « L'ha-
bitude des voyages est devenue (diez eux une seconde nature »,
disait au ix*" siècle Walafrid Strabon (3) ; et un autre de ses
contemporains s'exprimai* ces termes : « Que dire de l'Ir-
lande, qui, méprisant les u^ngers de l'Océan, émigré presque
tout entière avec ses troupeaux de philosophes et descend sur
nos rivages ? » Ces troupeaux de philosophes, dont il est ici
parlé non sans une nuance d'ironie, avaient été organisés en
confréries par Golumba et par ses disciples immédiats (-4). On
les nommait tantôt les Ciildêes, c'est-à-dire, d'après une éty-
mologie assez contestable, les Gultores Dei, tantôt les Papae,
c'est-à-dire les Clercs (5). Leur fondateur leur avait donné pour
(1) Voir la prophétie de Saint Mociita de Luoiimooh dans la Vie de Co-
liimba par Adamnan : « Nomen columlxc pcr omnes insularuni oceani pro-
vincias divulgabitur riotum ».
(2) Saint Bernahd, Vie de saint Malachie, p. 5. « In extcras ctiam nationep,
quasi inundatione facta, illa sese sanctorum examina efTuderunt »
(3) Cité par Montalembebt, Moines dOccident, IX, 1.
(4) D. Bouquet, Préface de la vie de saint Germain, t. VIII, p. 503. u Quid
Hiberniam ineinorem contempto pelagi discrimine, penc totam cum grege
philosophorum ad iiostra littora migrantcm ».
(5) Ce mot est actuellement réservé par les catholiques pour désigner le sou-
verain pontife, mais on le retrouve, sous une forme plus ou moins altérée, et
avec le môme sens, dans l'allemand pfaffe, le russe pop, le polonais pop, le
magyar pap, et le fmnoh pappi.
.,*"■■
iiiiAi". VIII. — m:s i»l\m).\is i:.\ amkkiuik avant colomii. iil
rostiiiui' l.'i tuni(|ii(> MiiiicIm' s.itis dont*' |).'ir iilliision au |)lii-
maiTt' fil' rniscaii syiiil)olii|ii(' dont il portait le lU)in(l). Les
Papat' toiiscrvi'n'nt piciisciiiciit cette fiiiiiipic, (|iii devint pour
eux eoinme nu sijriie distiiietil', et la transportèrent dans tous
les pays où les entraîna leur Innueiu' voyafreuse.
Nous n'avons pas à raconter iri les courses, soit des Irlandais,
soif des Papae. à travers l'Kurope barbare ou Ui bassin de la
Méditerranée. .\f tachons-nous à leurs pas seulement dans la
direction de IWtlanticpie et des réf;;iôns occidentales, où ils
feront d'importantes découvertes et réussiront ni<"'nie à l'onder
des colonies.
Il y a deux parts à faire dans ces voya^res ; la première, toute
de tradition, mais de tradition persistante, est manpiée par des
léjrendes srdt d'oriffine païenne, s((it (rorif.^ine chrétienne. La
seconde repose sur (h's témoi>;na^'<s plus authentiques ; elle est
marquée» par les voyaf^es des Papae dans l'Atlantiipie et par la
cn|,. lisation de Tlrland It mikia ou petite Irlande. .Nous les
étudierons successivement.
Le premier de ces Irlandais au cu'ur intrépide dont la
légende a conservé le souvenir se nonnnait Condia le Beau (i).
ill l'apat! vero prnptcr all)as vestes, iiiiibus ni cleriei iiHliicluiiilur, voeali
siiiit, unde in tetitonica linjçua ommes cleriei papie tlicuiitur iKhkvk (liiiioMcox
NdUVKGi.t; dans Monumenta historien Xorvegia- 1I88O1, p. 8!), 208).
i2i La légende de Conillu a été eonscrvéo par le Lenljtir nti h uiilhri, ou
livre de la brune [ican, ainsi nommé à cause de la couleur dn parcliemin sur
leipicl est écrit le manuscrit. L'autenr du iioénie se nonimait .Moelnuiiré. Il
vivait vers l'an 1000. Le Leabar nn h ui'f/iri a été publié en 1870 par r.\ca-
(léniie royale d'Irlande. I^a légende de Condla a été rééditée et traduite en
anglais par J.-(>. HRinxic CnowK dans The Jowndl of the Hoynl historical
(ind anheolofficnl Asxociatiou of Irelaiid, 1874, 4» série, t. III, p. 1. Voir
également Krnkst Winoisu, Jrisnhn tPxtf mit Woprtrrfiuch, Leipzig, 1880,
T. 1. 16
♦ 1^
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2i2 PHEMIKHE l'Ainii;. — Lies l'HKClHSKlHS l»K C.OLOMI».
Il (Hait (ils (le Cunu Cl(.'t Cliatliuc, roi (t'Irlaïuli! de lll'-i à l.'iT de
notre (;re. Un jour, se trouvant avec son pure sur le sonnuetde
rUsnecli, dans le Mcath, une fenuiie lui appaïut et lui annun(;a
({u'eli'.' habitait » le pays des vivants, où l'on ne connaît ni la
mort, ni le péclic'', où l'on est perp(''tuelleinent en i'(Hes ». Elle
l'invita à le suivre : «i Viens avec moi, (Inndla le Roufj:e, au ((tu
lacheti', à la belle l'ace et aux joues vermeilles, tu ne perdras
rien de ta jeunesse ni de ta beauté jusipi'au joiu- du terribli;
jugement ». Le vieux roi, (|ui l'entendait sans la voir, recourut
auv incantations des Druides pour se débarrasser des obses-
sions de l'inconnue ; elle disparut en efl'et, mais en jetant à
Condla une pomme. Le jeun(^ prince toud)a aussitôt dans une
noire tristesse, il repoussa toute nourritm-e et toute boisson, et
ne mangea plus (|ue de cetti; jiouune, (pii restait intacte. Au
bout dun mois, l'incomuie reparut et ren<»iivela son invitation.
Conn sur|(ris, car il entendait sans voir, interr(»gea son lils.
« Je suis bien perplexe, répondit ce dernier. J'aime les miens
par dessus tout, mais le chagrin me ronge à cause de la dame ».
(!eile-ci dit alors d'une voix mélodieuse; : a Heau jeune lionune,
pour étr<î exempt de la tristesse (|ue fe causent tes devoirs, c'est
dans mon cm-rach (es(piit'i de cristal (pie nous devons nous
réuijir, si nous voidons gagner le tertre de Hoadag. Il est une
autre terre (pi'il y aurait proiit à chercher. jJien ((u'elle soit
éloignée et (pie le soleil baisse, nous |M)uvons l'atteindre avant
la nuit. C'est le pays (|ui charme l'esprit de (juiconcjue se tourne
vers moi ». A peine eut-elle achevé, que Gondla se jeta dans le
canot de cristal, cjui bientijt disparut dans un lointain brumeux.
Depuis ce jour personne n'a r(!vu Condla.
dette légende était populaire en Irlande. On la retrouve sous
diverses formes, et modifiée parles civilisations et les religions
différentes ; mais le fond s(d>siste le même : il s'agit toujours
et surtout Dealvois, lu Grande Terre de l'Ouest d'après les documents cel-
tiques du moyen-'Ujc (congrès aiiiériciiniste de Madrid), 1881 ; Id., l'Elyscc
transatlantique et l'Eden occidental (Hcvue do l'histoire des religions), 1883.
]'
CIIAl'. VIII. — LES IRLANDAIS KN AMKlUOrR AVANT COLOM». îl\'\
(run vnya}{(! par mer, dans la dircctioii de l'ouest, à la rcclu'n'lie
(rime terre iiierveilleiis(!, et les Irlandais se laissent toujours
entraîner avec uii" sinj^ulière facilité à ces loini.iincs entre-
piises. Dans une autre lép:eii(le, |»res(|ue aussi populaire ipie la
|irécédeiite. celle de (luculain, prince de Caialaiftue et Miilr-
llienuie, dans ITIster, il est (piestion d'un pass situé à l'ouest,
lin delà de la faraude mer. Il se iionnne tantôt Diutsid, collines
des Fées, tantôt 'Peu, uiaj:. Trofïai^'i, la |)uissante plain(> de
Tru}:aif;i, et le plus souvent Majr inell ou plaine des Délices. On
y trouve de tout en abondance. Les aritres sont toujours cliarjrés
de fruits, et t(d de ces fruits est assez j^ros pour nourrir trois
cents lioiiuTies. (Vest là (pi'on admire l'arbre d'arfient au som-
met ducpiel brille le soleil, et la fontaine cpii ressend)le à la
1 urne d'abondance de l'anticpiité classi(pie, et la cuve d'by-
(Iromel (pii ne désemplit jamais, là surtout (pie vivent des
fenmies d'une beauté res|)leiulissante, dont la plus belle,
Kand, lille d'.Md Arbal, a pourtant été délaissée par son mari
.Macnannan. Fand a entendu parler du héros Cuculain, et
demande sa main. Cuculain, (pii a déjà femme et maîtresse,
lie sait trop (pie répondre et envoie deux fois en reconnais-
sance un de ses serviteurs. Séduit par les rapports entbou-
siastes de son messajier, il se décide à passer la mer, aborde en
.Ma;; mell et épouse la belle Fand, puis il retourne en Irlande
an|)rès de son ancienne fenmie, la jalouse Emer, mais en
compajrnie de sa nouvelle épouse. Les deux rivales se ren-
(■(jiitrent, mais, au lieu d'en venir aux mains, elles font assaut
lie générosité. Tout finit par s'arranger, lors(jue l'infidèle Mao
iiaiman revient chercher Fand ; et Guculaiu, (|ui ne peut se
consoler de son départ, boit un breuvage magique (pii lui
donne l'fmbli (1).
i!
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(1) I.(!s aventures de Clcl'lain ne sont connues que par des extraits juxta-
posés do textes différents, que le compilateur n'a pas toujours réussi à accorder.
On les trouve dans le Leaùar na h uidhri, p. 43-50, déjà cité. Cf. E. Wimu.sh,
Irisr/ie texte, p. 20.'i-227. Cinnv, the Atlantis, H juillet 1858, p. 370-392,
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ii'i l'iir.MiKiii: l'AitTir.. — i.i:s i'iikc.ihski us kk tiiiuiMii.
lu .'iiiti-c licrus tif la Ic^imkIi' irhiiidiiisc, Lr>M<j:,iirr, st-iiiMc
avoir |ilii4i viilitiiticrs iiccuiniiioilr sa vie au\ cxi^M'iircs de <.i
iiotivcllo situation. C/rlait lt> liU <l<' ('.n>iiitiiaii(l (lass, roi ilr
('.otiiMii^'lit. Il s r>tait (<iiil)ai'(|iH' |MMii' allrr sccuiirir aii-ilclà des
iiicfs le l'ui <l<'s Sids, |''iarlia iiiar llctacli. Il nlitiiif en n'ciini-
pensc la lillc de a' dcrnici' et se retira avec elle dans le Diiii
iiia^' iMcll Mil plaine de la ritadelle de-^ Délires. An Ixint d'un an
de séjiinr, il revint en C.onnan^dit : mais nmnne son hean-pére
l'avait averti <pie, s'il mettait pied à terre, il m* pourrait pa-^
rentrer an Ma^: nndl. Léojiaire resta sonrd an\ snpplicjdioiis de
son père, et répondit à ses oH'res d'al>di(pier en sa l'avem"
« (|n'mi(' seule nuit chez les Sids valait mieux tpie tout le
niyamne paternel ■>. l'Ji elFet. il alla rejoindre sa femme l'I
^((uverner le .\[aj;' rncll (1^
Le Ma;.' mell n'est pas la seule ré^:ion transatlantitpie dont il
est parlé dans les |éf:endes irlandaises. Il est enraiement (piestinn
d'autres eonfrees tout aussi merveilleuses, où abordent les
rianns, ei's liéros dos poèmes ossianiipies. dijnt le nom, [larail-
il, a été usin"|ié par les modernes Kcnians. Les Fianns sont le«;
ennemis des IJananns. Us ont réussi à les expulser d'Irlande, et
les ont ol)lij:és à ehercher un refn^c dans les lointaim's réfîion^
au delà de rAtlanti(|ue, dont on connaissait vaj,nieinont l'evis-
teuee. Los Danaruis. luen (praeclimatés diuis li-ur nouvelle patrie,
n'ont pas ouMié |(> sol natal, et y font de temps à autre de
pa-;saf;ères desrentes. Seulement, connue ils sont devemis
magiciens, ils rectnuvnt à de miséraldes artifices pour assouvir
leur venficnce. L'un d'entre eu\. Avaria, se iu('tamorphose en
pirate, se cacite sous le nom de (liolla iJeacair et entre an
service du chef <\o^ Fianns. |"''ionn Mac ('junhail. celui (pic
Macpherson innniu'talisera hien des siècles plus tard sous le
Il janvier ISV.i, |i. '.I8-I_'i, :t6J-:tf'(!). Kkacvuis, Elysc fr(tits/itl<intii/io\
2ÎMI-2!»;».
ili ItoiiKirr Atkinson. T/ir liool; oj' I.rin^ti't\ xùincHini' rnllrd thi' Bo"l: <>f
Glendalowjh, Dublin, 1880, j.. iT.j-JIfi.
i
CHAI'. Mil.
I.KS IIILAMt.MS \:\ AMKItlUl K WAM Cnl.uMII. 'J'».»
iiuiii il*' |-'iii;;;il. In jiiiir il l'iitraiin' ;'i sa siiitr (|iiiii/( Kiiitiiis cl
les l'ail iiiuiilcr sur un cheval (lialHili(|uc, i|iii inarciic |ilus \ilc
(|U(' le vent, «'t IraviTsc la ^M-andc uicr. Les llols s'nnvi'enl «levaiil
eux, cl hientùf ils alxinlcnf dans la grande lenc de l'oiiesi, "ù
les allcndeiil les Danaiins. Kiunn s'élance ii leur |iiiursuil(', aide
par deux vaillants ciiin|ia^'iions, JM'ratlalJi cl Knll-I^icaldiar. et,
,1 travers les leui|M''les cl les lenèl»res. s'enjiaji'c dans Incéan.
Ils arrivent près d'une i'imIm' à pic dont le soiiiinet se perdait
dans les images, l-'iuiin réussit à l'escalader <■! inunte sur un
plateau iiiid)rap'', au milieu dinpiel coule uiu' l'raiclie l'nntaine
uardée par un ;;éanl. Après mainte aventure extraonlinaire, à
fnrce de lialtre la merci d'errer d'ile en ile. les hraves irlandais
linissenl par relioiiNcr le Dananii Avaria, et delixrent leurs
cumpatriot(>s [\).
Le lilsde j'^innn, Oisin, bien pins coniui snus le nom d'Ossian,
est aussi le liérits d'une léjicnde dont le retentissement fut autre-
ment coiisidéralile, car elle s'est perpéinée à travers les siècles,
et la l'ontaine de .jouvence l'ait en (|uel(|U(' sorte partie, même à
riieiu'e actuelle, des connaissances populaires. Vers le milien
du xvii'' siècle, un harde (|ue l'on cntit être Michel (loniyn a
tondu de vieilles traditions païennes et des léjiendes ciirétienn«'s
et composé un poème, dont le |irinci|)al épisode est intitulé : '/'/>•-
iiti-)i-of/ <«i Ifi lù»itai>i<' (Iv JoiiiH'Hce [i). Oisiii, aveujile, ciiargé
d'années, mais ayant toujours conservé la croyance aux divinités
de sa jeunesse et le culte idéal de la vertu et du courajic, est
accueilli par Patrice, le saint national de l'Irlande. Kntre le
représ(!ntant du druidisine et le cliampion du christianisme
s'engagent de terrihies controverses. Le vieil Oisin ne peut
ill W. Jovi.K, (>l(l Crlfic lioinana'i, |i. 223-2'i;t, — O'Cciiiiv, Loctuvfi: itii
l/if iiitinu-rript itidto-ials, IMG-318.
i2) Ce pociiie a été cdiU'i par Uhy.v.n ()'L(m)*ky (Dublin, iHM) et réédité par
la (ialtii: l'niaii, The lai/ of Oisin in tlip Youny. — Cf. ItKAi vois, Eden
Iransatlfmti'iue, p. 1(00-307. — I''. IIatki.y M'ai»ki., Ossiiin and t/ie Ch/di;
Fing<d in Ireland, Osmr in Irr/and <>c Ossian hixtovical and authontir,
(ilasjrow, liS7."l.
r
^24(;
> l'UKMIKKI'; l'AKTIi:.
I.KS l'ItKCI IISKI IIS l»i; COl.U.MIl.
H
«niitcMiir sa l'iinMir, mais !,> saint le taliiic t>ii ' oriaiil de lui
raruiitcr des liisldircs du temps passé, et le Ik'tus ('cltiiiiii' ne
résiste jamais an plaisir de se .nclln' cii srèiic, al»»rs (jii'il était
Jeune et plein d'ardem-. (tisin laconte (pie, se Irunvaiit avec snn
[>C>n> Kionii, il vit un junr apparaitri^ une jeune Mlle d'iiiK' mer-
veilleuse heauté. |<]||e se UHinmait Niamli, (la lirillante) et arrivait
de la jurande terre de l'ouest, le 'l'ir-ua-ii-o^. " ("/est la plus
délirieuse ((Mitrée (pii existe, lui dit-elle, et la plus eélèltre au
inonde ; les arhres y sont eliari^ésde fruils et de Heurs ; le miel
et le vin y sont en al)ondaiir(>. lue l'ois là lu ne craindrns ni
la UKU't, ni la décrépilude, lu vivras dans les l'êtes, les jeux et
l(S festins, tu entendras résonner mélodieusement les rordes
de la harpe, lu auras de l'arj^cnt, de l'or, Iteaucoup de joyaux,
cent épées, etc. u. Disin accepta sans trop se l'aire prier Tinvi-
tution de Niamli, et, après avoir pris confié de son père l''ionn
(!t, de son lils Os^ar, se rendit à Tir-na-n-o^. Niumli devint son
épouse et lui diinna trois enl'anls ; mais on se lasse de tout,
même du honlieur. Après ti-ois siècles d'une existence Itieii-
lieureuse, Oisin voulut retourner en IrlamIe. Niamli consentit
à son départ, mais en le prévenant (pie, s'il descendait de
clieval, non seulement il ne reviendrait pas à Tir-na-n-oji, mais
encore aurait S(tn A^e réel. Oisin accepta ces conditions et partit.
A peine déhanpié en Irlande, son desapoinlement fut faraud.
Personne ne h; reconnaissait. Tons les l^'ianns étaient morts.
Des roiices et des chardons poussaient sur !'em|)lac,eiuent de
son aiici(Mme résidence, Almhuin. A ce moment, plusieurs
homm(!s l'appelèrent à leur aide, écrasés (pTils étaient |)a ne
lourde dalle. Oisin, sans d(!scendi'e de son cheval, leur t(^iiUit
la main, mais la san^tle du coursier se rompit, il l'ut jeté à Uwvo,
et devint anssit(M vieux, caduc A aveu};le.
Tir-na-n-o;;, on, si l'on préfère, la fontaine de Jouv(înc(^ a,
depuis Ossian, été céléhr(''e hieii des l't/is, et c'est toujours à
rouest (pie l'ont placée les dilléreiits écrivains (pii ont raconté
4'ett(; lég(înde. t'.."tte fctictii passionna les Irlandais, oortés (pi'ils
<:IIAI'. Mil. — l,KS IMUNliAIS KN AM^HIOUK AVANT COLOMIl. "217
«■'liiifiif V("'s le mci'vcillciix, cf cclii diins iiii(> (''|im(|ii(' (m'i ((iiiiiiicii-
raiciil les (ItMiniivcrlcs diiiis l'iiiiiiiciisil('' ,;■ ■< mers incxploircs.
Aussi Wu'u, iikHiic an xvi'" sirclc, ri'^spafiiiul Juan de; Solis, (|ui
(loui'lanl aurait dû (Mrc rclain'' par rcvprricuc»' de ses conlciu-
p(tra us, uc parlail-il pas à la r(Hi(pi(M<' de ccKc rniitaiuc lucrvcil-
Icusc où l'ou Intuvail à la l'ois la sauf*'- cl le raji'uuisscnicu! ; cf
«•(nidiicii de f^rucralions, cucore apn'-s lui, out-ollcs cru à
rcxistcMcc ^i^' celle source de vie?
Assiu'éuieiit loiiles ces lé;,M'nilcs païeiuies soûl étraiif.'es et
l'ahul
euses, niais on l<'s a trop <
<léd;
liL^iées. l'illes caclitMit «'il elVet
iiii fond de vérité. Si les persuimaj,'es soûl iiiveiilés, si leurs
aveiifiires lie sont pas croyaldes, au moins ce (pii se dé^a},^' de
ces histoires c'est la persistance de la croyance à une grande
terre occidentale, au delà de l'Océan, et à la l'réfpience des
relations qui existaient entre les Irlandais et les lialtitants de ce
iiioiid(> transatlantiipie. i^es lé^'endes chrétiennes cpi'ii nous
reste inaintenant à exniniiier sont é^^^lelllen^ remplies d'évé-
iienieiifs extraordinaires, et les héros dont elles céléhrent les
exploits sont sans (iuiit(> imaginaires, coinine pouvaient l'être
C.oiidla le Iteaii, rioiin ou ( Hsin ; mais elles coiilirment la réalité
des voyages entrepris par les Irlandais dans la direction de
l'ouest, et à ce titre elles niériteut de notre part un exaiiKui
attentif.
Saint Hrandan (1) est le principal héros de la léf^endc
(Il Kiir Saint IIuandan un peut coiisiiIIim' ihitis la cDlIccliuii des llolluinlistus
(édition l'altiié, l. lit, p. liriîl-dOIl) les Aria S(i)if/iiri/)ii tiuiii. - ■ .Iiiiinai,, /a
Lé(ji'iulc ttitine. de S. Urundtiiiif'n, avec une traduction iiii';diti! en proso et en
poé.sies lotnanes, l'aris, 1SU6. — TnoMAs Wiiicinr, Saint Hnnulan, a me-
(liiii'iuil If'i/riitl ()/' l/ii' sf'ti, in )'ni/li>)/i irrsr an'/ /«ose .l'eicy Socicîly, vol.
XlVl. Londres, 1811. — Mev, W. T. IU:ks, Vi/n Sonrti Itrrmiiini, texte latin,
p. "J.'il-2'i'>, et traduction ati;çlai»e, p. .M.'^rOil <le /./iv.s' o/' t/ir Caui/irn-
Hritis/i Sninls of tlif /i/'flt tind inancdin/r ^urn'diuii cimturirs, IH.'IS. -
Kahi, S(;iiiioi:ni;ii, Snurt llvnnddu, )'i>i Intinniarhi-r nnil il ci dciitsr/ie tcxlc,
Krlaniçeii, t871. - IIkmma.n yrc.iMKii, Notice sur cetto It'^tçende et texte anglo-
uoiinan<lilaus les Hoin/inisc/ii- Htudien d'Kd. Uoelitner, Stiasiionrg, 1S71-1875,
p. 5;):t:i«7. - I''. MdiiA.N, Al tu Sinifti lirmdani, Ituhlin, 1872. — Francisouk
^48 l'HEMIÈIll': l'AHTlK. — LKS l'HÉCUKSElHS 1»K COLOMIt.
'<■■
chrétiemu'. Le récit de ses aventures ii été répandu au nioyeii-
i\y;o non seulement en Irlande, mais dans rEuru[ie entière, et
même il eontrihua à tourner ratten'inu |iul)li(|ue vers ces mers
occidentales, où déjà certains savants avaient placé le paradis
terrestre. Les merveilleuses traversées de cet Ulysse chrétien, qui
[tendant plusieurs années erre à travers rAtlantique et découvre,
non sans danger, des îles et des continents, les prodiges, les
invraisemblances, les absurdités même de ses aventures ont
eliarmé bien des générations. Raoul (llaber nous rapporte qu'au
ti-mps du roi Robert on ajoutait une créance absolue au.v fables
delà vie de saint Rrandan (1). Irlandais, (îallois, Normands,
Anglais, Français, Allemands et Castillans les ont racontées.
Klles ont été traduites dans toutes les langues. Peut-être ont-
elles pénétré jusqu'en Orient. En France elles faisaient partie
du domaine de la poésie populaire, car nous lisons dans le
Itoman du lic.nurd :
Je fot savoir Ion lai Breton
Et de Merlin et de Koiicon,
Del roi Artur et de Tristan,
Del Chievrefol, de saint lirandan (2\
11 est donc indispensable de connaître une légende ipii everça
sur les contemporains une si grande iuliaence et déte/mina
quelques-uns d'entre eux à suivre l'exemple du saint.
Brandan était Irlandais. On ignore le lieu de sa naissance.
Michel, les Voyages merveilleux de saint Brandan ù la recherche (hi pa-
radis terrestre, Paris, 187G. — Paul Gaffarel, les Voyages de saint Itranilun
et des Papœ dans l'Atlantique au moyen-Age (Société de {géographie de Uo-
chefort), 1881.
(1) lUouL Glaueh, Historiarum libri quinque, II, 2oédit. Proust, p. 27-28.
(2) Rien qu'à notre Bibliothèque nationale il existe onze manuscrits de
cette légende ; Strasbourg en i)ossédait jadis un. On signale encore celui de
Sainl-Gall, et plusieurs en Angleterre. L'abbé de la Rue a donné une tra-
duction française dons ses Essais historiques sur les bardes, les jongleurs
et les trouvères, t. II, p. 68-87, Nous nous sommes constamment servi de la
traduction latine de Jubinat et de l'édition en langue romane de Francisque
Michel.
< 1
\
ClIAP. VIII. — I.KS IULA.MIAIS K.N AMICHIOIK AVANT COI.UMIt. ^V.>
Les IJollandistcs la fixent à l'année i(»(). Il lut coinhiit. dès sa
tendre enraiicc, à l'aliliaye de (ilnainscliedniil, près du iiKUit
Liiaehra. Ce in<»nastère était dirifi:é par une sainte reimiie. Ita.
(pii prit l'entant en frraiule aU'eetiun et lui lit donner une excel-
lente instructidii (l). Dans ce milieu mvsficpie, entouré de
feininos qui exaltaient jus(ju"à la passion un esprit déjà tout
[lorté à la ferveur relijrieuse, liraudan devint coiiniie reniant
du miracle. Il jouissait du d(jn de prophétie; un venait de fort
loin consulter les oracles de sa sajiesse enrantine. Jeune lioiinne,
il entra dans les ordres sacrés, et, coumie il était de grande
l'aniille, devint promptement alilié. Les lioimeurs ecclésias-
ti(|ues nall'aildireiit pas son ardeur. Il parcom-ut l'Irlande et \
fonda de nombreux monastères. Le j)lus célèlire d'entre eux fut
celui de Cluainsfert dans le (lonnaught, dont il se réserva la
direction suprême. Trois mille moines lui obéissaient. I^es plus
célèbres d'entre eux furent saint i'^ircy, le patron de Péntnne,
A s;iint Macluvius ou Macbutus, dont le nom est aujourdimi
porté par la lière cité de Saint-Malo. (pii lu cli(»isit poui- son
médiateur céleste. La ré[)utation de sainteté de iSrandan était si
bien établie cpie les |irétres romains venaient le consulter et lui
SOU' ttaient des cas de conscience. |{ient«'>t il ne se contenta
|iius d'administrer les affaires spirituelles de l'Irlande : son
imaf^inatiou le transporta dans des m»»ndes nouveaux, au-delà
de rUcéaii, (tù l'avaiPut précédé les héros païens (londia,
Léofïaire, Fiann et Oisin. Hientôt il résolut d'aller <on(|uérir
ces iles mystérieuses à la foi du (Ihrist, et dis|)osa tout pour une
longue expédition.
1 ^t
(I) On nous snura ^ré d'avoir n!|irotiiiit dans sa iiaïvtîté le iiassajçt! suivaiii
des IJullaiidistcs : >> Saiicta Ita cuiu ^;audiu iiia^iio acce[iit saiictuiu iiilaiileiii,
et iiuti'ivit euin (|uin(|uc ariiiis, diligebat<iue valde. Et rideiis gloriofa virgo
lia cuMi jucundo IVeiiuciiter aiiiiiio inteiiogabat eiim dicens : » () sanctc
iiilaiis, <|uid IcctiHcat te ? •> Paiviilus dicebat piierili loquela : « Quia le video
inilii loqui et alias tibi sini..v.s sanclas vir^iiies ; istin seinper me lœtilicaut
tendîtes nie in manilius suis ». Uieebat ei sancta : « Sit de te, l'ili mi, ^an-
diuiii in C(olum ».
R 1^
^;)(> l'HKMIKRK l'AHTIR.
LRS l'HKC.rRSEURS DK COLOMIl.
nraiidan uvait été déjà [irécédé dans cette direction |)ar un
moine, Mernoc, et par leur maître commun, Harintus. Mernoc
le premier avait (|uitté son monastère et s'était établi dans une
île de rAtlanti(|ue, prés du mont de la Pierre, Il y vivait avec
<iuel(iues relij;ieux de fruits, de racines et et de léfrumcs, ne
sortait de sa cellule que pour assister aux offices. Pourtant,
de temps à autre, il faisait des absences de (juel(|ues semaines,
et, ([uand il revenait, ses liahits étaient impréfrnés d'une odeur
délicieuse qui persistait au moins pendant (juarante jours (1),
« Ne voyez-vous pas, disait-il à ses frères étonnés, que je re-
viens du Paradis ? » Ou remanjuera la persistance de cette
odeur, siu'tout quaiul on se rappellera que les anciens voyageurs
ont été unanimes à mentioiuuT l'air embaumé de l'Amérique
tropicale. « Voici venir de la terre, écrivait l'un d'entre eux,
le naïf Lescarbot (12), des odeurs en suavité non pareilles, ap-
p(»rtées d'un v«'nt cliaud si abondamment (|ue tout l'Orient n'en
saurait produire davantage. Nous tendions nos mains comme
pour les ])rendre, tant elles étaient palpables ». Mernoc n'avait
pas oublié son île natale. 11 y revenait de temps à autre. Dans
un de ses voyages, il persuada à son maître lîarintus de l'ac-
compagner, et le lit monter dans une barque qu'envelop|)èrent
bientôt des brouillards si épais (|ue les voyageurs ne pouvaient
se distinguer de la poupe à la proue. Mais le soleil dissipa les
(1) JuBlNAL, ouv. cité : 11 Nonne cognoscitis iii odorc vestimeiitoruni inco-
runi quoil in Paradiso I)ei fuinius ? » — Tune rcsponderunt fratres dicenles :
Il Abba, novinuis quia fuistis in Par.idiso Dei, nain sippe per fiaganliani
vestiinenloruni abbatis iiostri probavimus ipiod penc usquc ad quadraginta
<lics nares nostra^ tenebanlur odore ».
(2) Lescarbot, Histoire de la Nouvelle France, édition Tross, Paris
1866, liv. IV, § 12, p. 51."). — Cf. Premier voyage de Colomb, lundi 8 octobre |
11 L'air était doux comme en Andalousie ; c'était un i)laisir de respirer cet air
(jui vraiment était embaumé. ■> Verrazano avait également remarqué ces
brises parfumées qui annonçaient le continent américain. Bari.ow, auteur
d'une description de la Carolin , écrira encore en 1584 : « VV'o snielt so
sweet and so strong a smell, as if we liad becn in tlie midst of sonie délicate
garden, abounding witli ail Kinds of odoriferous flowers ».
1,
II
\
V.
CIIAI'. Vlll. — LKS IHLANDAIS K.N AMKHigiK AVANT (-.((LoMll. ^ol
nuages, ot liicntùt ils upcnurent vcm's l'ouest une graiule terre
;'i liKjuelle ils abordèrent. Ajirès (juinze jours de niarrlie à tra-
vers des prairies en fleurs et des arbres chargés de fruits ils
n'étaient encore arrivés <(u'au niilieii de lile (1), et ils s'apprê-
taient à traverser un grand fleuve qui coulait de l'ouest à l'est,
lorsqu'iui ange leur apparut et leur défendit d'aller j)lus loin,
car au-delà du fleuve commençait le paradis. Ikrnoc etBarintus
(tl)éirent et roiournèrent en arrière, liarintus revint même en
Irlande, et ce sont ses récits enflammés qui décidèrent Brandau
à se lancer sur ses traces.
Hrandan fit part de ses intentions à une centaine de nmines,
qui s'embarquèrent avec lui. Ce premier voyage fut malheu-
reux (:2). La tempête, la famine et surtout l'inexpérience de
l'é(pupage faillirent à plusieurs reprises entraîner la perte
totale de l'expédition. Il fallut rentrer en Irlande sans avoir
trouvé l'île où Mernoc s'était établi avec ses compagnons.
(îet insuccès, loin d'anéantir les espériuices de lirandan, les
surexcita. 11 s'occupa tout aussitôt d'un nouveau voyage. Cette
fois il ne prit avec lui que (piatorze moines (11), parmi lesquels
son disciple favori, Machut ou Maclou, lireton du pays de
dalles, fils du gouverneur de Gimicastum (Winchester). Les
jtieux aventuriers s'embarquent pleins d'espoir sur une barque
légère dont la membrure était couverte de peaux de bœuf
cousues ensembles. Ils emportaient des vivres pour quaraute
jours. Au moment de partir, trois fières se glissent au milieu
d'eux malgré les remontrances de Brandau et ses tristes pres-
11'
h
I.
«■■•
(1) JriilNAL, 2-3. Quum sletisset navis ad terrain, ilesccndimus nos et
i'œpimus nos circumire et ambularc illani insulani pcr quindecim dics et non
pntuiinus fineni illiiis invenirc... ))orn) quinto decirno die invenimus lluvium
\ergeiiteui ad orieiilalem plagani ab occasii.
(2) Ce premier voyage n'est raconté que i)ar les Bollandistcs. « Quuin
navigio lassati, quani qu.erebant insulam invenire nequirent, peragratis Orca-
dibus, ceterisqne aquilonensibus insulis, ad patriani redeunt n.
(3) Le nombre des compagnons de Brandan n'est pas le même dans les
diverses relations.
V, f^' f* '^
'7~^r
ià'
à i> ',
il
1
if.
! ;
"i'.'rl i>)ii:mii:iiic I'ahtii:. — i.Rs i'i!i:i;i'iisi:iiis iti-: (ui.o.mii.
sciitiiiR'iits. l'ciidiiiit (|iiin/(' Jours If xciit soul'lla de lest, |Hiis
lomhii suhitciiiciit. Lfs iimiiics roiimicnciiciil h «c ilci ouiM^cr,
car ils vunuaiciil ;"i la rame, sanssiivoir où ils allaient, et «'laiciU
à l)(»ut (le forces cl tic vivres; mais ItiMiitlaii les rassura. Au
Ixiut (l'iiii uiois ils arrivent à une ;:ran<lc il(>, mais ne tniu\eut
(le port (le (léltar(|ueiueiit (|u aitrès avoir loiifié les (ôtes iiendaiit
fntis jours. Ils vout de là à uu cli;iteaii di'sert. <jù ils trouvent
lun' taille servie et. desmeuldes spleudides 'r(>ut<' par le.leiuou,
un des moines d('>ro|)e un lianap A'ov, mais il est puni de sa
faute par la mort. l"ip<Hi\antes par cet .iccident. les compa-
^uoiis de lirandan reprennent la mer et arrivent dans ime autre
île où |)aissaient des l>rel»is toutes Idanclies et jzrosses connue
des liœufs. Cette fois un liomme leur apporte à mauficr et se
fait JM'nir nar eux (luand ils repartent. .Vnrès (iuel(|ues jours de
piel(pies j(
navigation, ils se trouvent en vue dun Ilot is(d('' (|ui leiu' parait
(•(tnmiode pour prendre \\n peu de re|»os. Ils y tclèltrent les
oflices de la nuit et du matin, et appn'tent leui' icpas. mais à
peine le feu est-il allnnu' (|ne l'île se met en mouvement.
Itrundiin leur disl : < Krèrcs, savez
Purqiieï poiir oiil. avez ?
N'est pas lenc, aiuz csl, lieste
U nus feïnies notre teste ;
l*eissuns de mer sur les greimns.
.Ne inerveiili's de ço, siMf^'unrs,
Pur 10 vus volt Deus ci mener
Qui il voieit plus ascuer :
Ses merv(;illcs cuin plus V(,'rrez,
Vai lui plus niult niielz cr(;n-ez(l).
il) Francisvle Michel, ouv. cit»';, vers 170-47!). La version latine (jilitéo
par .lultiiial ost .si naïve qu'on nou.s saina un; ilii l'avoir re[ii'odiiite ici •
« Ex|»orlavcrunt cirncs crudas Uc navo ut illas (loincdcrent solo, et. ,ii8i;es
i)uus sccuni tulerant de alia iusula, posuuruut (jue caccabuui super ij^tiein ;
nuuin autein niinislrarent ligna igni, et l'ervere cirpissel caccabus, <(Bpit illa
insula se niovere sicut uiida. Fralres vcro cucuricruul ad naveiu, implorantes
patrociniuni patris sni : patcr auteni singulos illos pcr iiiauus iiitus in navein
illAI', VIII. — l,i:s !HI.\M».\I> I:n A.\ir;ilinri-: A\A.\T lUH.n.Mll. "i.'ill
dette |iii''te||<lMe Meét.iit en elVef iill |M»is><tn. [M'ilt-r'fre iiiie
li.ileiiie lli. (|ii('. r|,iii> leiif ii.iïve iuiiunmee. les iiioiiii's avaient
prise |iMUf ini vi>c solitaire. .\u>si liien [larcil fait devait se
ii'iii'ineler en {IVM). si tontel'His nu ajinifet'ni ,t la lettre adrcsséi^
par l'irii- Kalkendoi-j'. évr'*|iie de Nidros, an pape Léon .\. \du-
laiit ii'lrhrer la messe antri' jtarf (|iie ^iir nn liatean. ce prélat
aurait également di'hanpK' sur un îlot, cpii salVaissa dès (pt'il
ent Uni le saint sarrijice {"Ii.
(jnelipies jiinrs après ce curieux incident de leur voyaf.'c. les
moines irlandais aliordèi-ent une ile verdovaiite arrosée par de
Irais riiisseanx. IjCs arlm-s et les rochers étaient couverts
d'oiseaux ijui venaient familièrement se jttM'clier sur ré[)aulc
des Moineaux déitanpiés Saint Itrandan, coninte yUx^i tard saint
l'rani'ois il'.Vssise avec les hirondelles, enfra^'ea la conversation
avec eux. Ils lui apprirent ipie d'aiifres ils étaient devenus
oiseaux, et lui prédirent l'avenir. Le saint ahhé entonne le 7'/'
hfiiiii, les oiseaux raccompagnent, et le- frères uoùtent un
délicieux repos de cin(|uante jours rians cette ile(|u'ils iionuiient
le Paradis des oiseaux, llenianpions à ce pro[)os (pie les voxa-
jiciiis ipii. à une épo(pie relativement moderne, retrouvèrent
les .\coies. s'étonnèrent An j:rand nondtre et de la familiarité
des oiseaux de cet archipel ; aussi hien le nom même des Acores
\ieiit du portufjais acor qui siu'nille milan. l>ntor. I.,a carte ca-
talane de (laliriid de N'alseipia, composée en 1 iîJK, et sur
Lupielle (lf.MU-e l'ai-chipel. mentionne en cet endroit la Vlha de
Osels. Krnctnnso {}\), dans >a Chronique, s'extasie sur les
liaxit. rcliilisi|ui' oiimilms dcliilis in ii!snl,i iil.i, iiavcm solvcnmt ut abirenl.
l'iHTii cadnii iiisiila se inovit iii Occanniii - . Cf. ItAOi i. (ii.AHKii, II, 2.
(1 I.P Beatiaii'c d'Anmur par Uk.iiauu l'OlJKNiVAi., manuscril du \« siècle
ijiii faisait jailis partit- de la citiliTlioii l)iiJot, représente le vaisseau de
lliaiidan d'ahoiii aiirlé près de la lialeine, puis soulevé par le monstre iiiiiriii.
(À's deux miniatures, tiuenient exécutées, ont été rv'|co(luites pai' Lacuoix, les
>ni'iiii:f I
■t 1rs l.'-fhi
S' ai/ mi>i/e)i-nf/r, p
:i04.
LaMiHIN, Ui.stniri; ih's )ni>iistrr.-i inunns, p c'
l)'.\vi;/.Ar, Sofii'r ili's i/i''rn)iriTf<'s faites n
MIaiili
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■:/cn-ihjc itam l'oréan
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"■l'A IMUCMItUK PAHTIK.
Li:s l'RKCL'HSEL'IlS DK C.OLOMll.
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^il-^
I;
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(l(''li(i('us('s iiK'Iodics (ju'oii entendait toujours dans les hois do
San \1ij;u('l. Il raconte nuMiie, avec une naïveté cliarniante (|(n
ra|)|ielle sinf^nlièrenient la légende irlandaise, (|u'il assista à un
concert dont les chanteurs étaient des pinsons, des serins, des
merles et des tourterelles. Il se pourrait donc cpie le Paradis
des oiseaux correspondit à l'une des Acores.
Les compagnons de lirandan s'arracliènnit à ce lieu de {\ô-
lices et reprirent leurs voyages. Leur prochaine station devait
être l'ile d'Alhaeus, cette ile fameuse où l'un des premiers
apôtres de rirland(>, Alhaeus ,'1) ou Ailldie, gêné |>ar les hon-
neurs (pi'il l'ecevait, avait résolu de se retiriM- pour vivre en
ermite. Ils y arrivèrent après trois mois de navigation, mais en
lirent le tour pendant ([uarante jours sans trouver un s(;ul port.
A la lin, ils s'engagèrent dans un étroit goulet qui ne pouvait
contenir «pi'un navire. A peine déhanpiés, ils furent reçus par
un vieillard silencieux (|ui les conduisit à un monastère où
vingt-(piatre moines observaient depuis longtemps la règle du
silence le |>lus ahsolu. Ils n'éprouvaient aucun hesoin corporel ;
ils n'avaient même j»as lu peine d'allumer les lampes de l'autel,
(pii s'illuminaient soudainement. liranilan aurait bien \ouln
prolonger s((n séjour dans ce |)ays merveilleux, mais le temps
de la Pà(pio api)rochait, et les frères avaient promis de la célé-
brer dans le Paradis des oiseaux.
Pendant cinq ans encore durent ces courses étranges. Glnupie
année, à la même é|)0(pie, une force inconnue les ramène iui
Paradis des oiseaux, mais à travers les aventures les plus extra-
ordinaires. Tantôt ils rencontrent une mer dormante où ils ne
voguent (pi'avec peine et souffrent du froid; sans doute la mer
Hétée, c'est-à-dire coagulée, dont il est tant parlé dans les
romans de chevalerie {"1) :
(1) John Coi.dANUs, Arta snjitortim vetcrh et majorts Scotix vel Hihev-
iii.T, Louvaiii, t645, p. 241.
(2) Roman do la C/iarreffr, V. 3U0'J. — Chamo7i (rAntioche, VII, 115.—
Auherii Iv Doiirf/uifjnon. — liornan du Renavt, t. III, p. 309. — Roman du
CHAI'. Mil. — LKS IULAMIAIS KN AMÉRIQUE AVANT COuTSl». :2.'».'>
Ddi'iuiuilt! iiitrr mit c iimilf
(]lii il siylcr liir ml lorlc.
Puis qu'iiiil (intit. III <|iiinzfincs,
Freidiii' Inr ciiii piu' les vciiuîs (1).
'raiitnt l'oiseau (iripliti i^), (|iii, de s.i simtc; puissaiiU" fiilt'vi-
|( s vaisseaux et les laisse retomher sur les rncliers. i>ù ils se
brisent, s'élunee (•(tiitre eu\ et va les saisir, i(irs(|u'il est tué par
iiii autre <jiseau plus redoutable. .Aujourd'hui un éiiornie
poisson s'élance ronire eux |iour les dévorer (3), lorscpi'il est
atta(pié et tué par un monstre marin plus ^'if;antes(|ue eneore.
i/'s moines se repaissent des débris de ce [)oisson et S(; ravi-
taillent pour trois mois. Demain ils arrivent près d'une ile où
ils ne peuvent descendre, mais dont la pieuse population chante
(les caiifi(pies en leur honnem*. Voici (pi'ils débarquent près
dune ile couverte de forêts, où poussent des vignes chargées
de grappes. Il s'en dégage des effluves parfumées, coiume d'une
cbaiidire pleiiu' de pommes (i). (le trait (pie n(jus avons d(''jà
signalé dans l'histoire de Mernoc seuible indi(juer (pie les pieiiv
voyageurs étaient alors bjut près de rAuiériijue tropicale. Plus
loin, ils traversent un(> uier si transparente i|u'ils distiuguent
les énormes poissons qui s'y jouent '."J,. Hieutôt la tempête
les pousse vers un endroit horrible, ([ui n'est autre que la
bouche d(^ l'enfer (0). Un volcan se dresse devant eux, peut-être
riléda ou le Heerenherg de Jean Mayen, qui fait au loin bouil-
lonner la mer, et remplit l'atmosphère de vapeurs sulfureuses.
iJautres iles retentissent sous le marteau des (îycbqH's (7).
comte (If l'oiti.er!<, V. 1203. — Ficnibrns. V. :27i7. — Bdutluin dr Sr/ioiirc^
V, 11.-)!), utc.
(1) FiuNc.isijuK MiciiKi,, V. 8%-8'J'J.
(2) II... 1002-1031.
(3) II».. V. o;;i-iooi.
(I) Siciil lulor duinus plcnoe iiornis piiiiicis.
(5) Iiiviiiienint mare tam claniiii ut videie possciit ea (|iiio subtns ert.nt.
^6) F. .Mir.iiKi., V. 1098-1212. , »,, ,
(7; iit., V. 1212-1439. .. ';.-
!2.*»('> l'ril;MIKHK l'AHTIK. — -I.KS l'HKri'HSKniS IH' tlol.UMII.
.Iiidiis Isciifiolt' leur iippaniit cf leur r.iniiitc ses soiiUViinrcs.
Des (|(''m(iiis les suiiiiK'tfcnt i'i mille (•[H'cuvcs, iiiiiis ils les
snriiiMiitcnt cf. .iinvs avoir traversé «ré|(ais hi'uiiillanis, Unissent
|)iii' trouver une terre inconinie. (|iii n'est antre (|iie le l'ar.idis
terrestre (I).
(l'est un immense rontineni on se remontrent les protlnctions
les plus variées. I.'iitmosplière \ est ItrilliUite, la lumière du
soleil éternelle -1).
De jifiils Itois (• (le rivere
Veieiil Ifiie millt plenere.
(irandiiis esl la praierie,
Uni liiz (lis est l)e;il tlurie.
Li tliii- siief niiiit i tiaireni,
Ciini là ù li piii lepaironl.
D'arbres, tl« fleurs deliciiis.
. . . Siuiz lin i liiisl li rleis soleil.
Ne vouz ii'orez n'i mot ini peil ;
N'i vien
I nul
nue ilel air.
(Jui (li'l soleil lol;.'et le elair. . .
I^'mlant ipiai-ante Jours les moines essayent de f"air<' le toiii'
de cette terre, «piils prennent pour um> île [li], mais ils arrivent
à l'emboiichurc d'un lleuve iimnensc cpii leur |»n»uve, connue
plus U^v^\ rOn''n<»(|iie à (lolomh. ipie l'IIo est un continent (i).
tl'est alors ([ue leur apparaît un anjre, (|ui leur ordonne de
retourner en Irlande, non sans av(»ir emporté dos fruits et des
pierres de ce Paradis, Cuture résidence dos saints, (juand le
monde entier sera converti. Les moines obéissent, et, après
I) 1<\ MiciiKi., V. 1014-11(12.
(21 11)., V. n:t2.
l'.h Jvni.N.M., T)!,'). Ciicntii(!iiM((!s iliain Ifirani. (|iiaiii(liu fiicruiit in illa,
iinlla nox illis ailfiiil, sed lux liicebat siciit sol i cet iii tciiiporc siio, t't ita
per qiia(lraj;iiita (lies liistravcrunt terrain illam, sed fiiieni ilHus miiiimo iiiviv
iiirft ])oteraiit.
(1) !i>., t'dCi. yuailam vcro die inveiicruiU inioddain (sic) magnum lluvimii,
i|ii(iil noiniai|iia!ii potueniiit traiisvadeie, verjtentom ad mcdiiuii insul.T.
1î.
SAINT BRANIUN ET LA BALEINE
D après le Rcsliairc d'amour de Richard Fouriiival
(manuscrit de la colloction Didol).
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r.llAI'. VIII, — LES IRLANDAIS EN AMÉRIOl'Ii: AVANT COLOMB. 257
avoir une dcrniùre fois roléhrô la PAquo au Paradis des oiseaux,
ils n'gafrnont leur patrie. A peine de retour Brandan mourait,
à r<\}j:e de quatre-vingt-dix-huit ans et dans toute la gloire de la
sainteté.
Quant à son disciple favori, Machutus, il ne se tint pas pour
battu, et fit une troisième tentative, mai:, la tempi^te jeta son
bateau sur les côtes d'Armorique, n.)n loind'Alet. Bien accueilli
par les habitants de cette ville, il y fixa sa résidence, devint son
évé(jue, et lui donna son nom, qu'elle a depuis {jardé, Saint-
Malo (1).
Telle est la légende : elle n'est pas présentée partout de la môme
façon, mais les différences n'ont trait qu'à des aventures autre-
ment racontées, et d'ailleurs elles n'offrent qu'une importance
secondaire. Ce qui nous surprendrait davantage, c'est la sin-
gulière analogie de cette légende avec les traditions orientales.
Il serait même fort curieux de savoir si cette histoire passa
d'Irlande en Orient, ou si les deux peuples la trouvèrent
ensemble (2). Ainsi le géographe Edrisi (3), tout comme l'auteur
anonyme des Voi/ngcs merveilleux, nomme l'île des Brebis et
et le Paradis des oiseaux. Dans les Mille et lote Nuits, le fameux
Sindbad, lors d'un de ses nombreux voyages, aborde à l'île El
Thojono, dont les oiseaux lui donnent de merveilleux con-
certs (4). L'oiseau Rock qui l'enlève ressemble étrangement au
(iripli de Brandan, et l'aventure de la baleine paraît traduite
de l'i .'égende chrétienne. « Nous découvrîmes une île charmante
dont le sol semblait couvert d'im tapis de verdure odoriférante.
Le capitaine ayant fait carguer les voiles, tous les marchands
(1) JoAXNES A Bosco, Vttn Snurti ^facluv^i ex mm/traïux floriacnmlms
vetustissimis- (Floriaccnsis vêtus bibliothcca Beiicdicliiia, Lyon, 1605). —
D'AciiKBY et Mabillon, Vita Saticti Mnclovii ex msc. cod. vet d'Hôrouval
(Annales sanctorum ordinis Sancti Benedicti, 1668''. — Siokbeut m: Gembi.olx,
Vita Sancti Macfovici xive Maclmtii (Patrologic de .Mignc, t. 160, 18r4K
(2) Reinaud, Introduction à la géoqrapliie d'Alioiilfèda.
(3) Edhisi, tiad. Jaubert, t. 1, p. 198-200.
(4) Mille et une Nuits, trad. Galland.
T. I. 17
il
ï
■■'1
-
i
>
!irJ8 l'HKMlÈKE l'AHTIK
U:S l'KKCURSEURS DE COLOMH.
«lescLMulirent du Ixitimont et se mirent à maiifrer, à hoire, ;i se
reposer. Tout à cou[) i'ile éprouve un tremblement et est agitée.
Un crieur proclame : Voyageurs ! prenez garde à vous ! vite au
vaisseau! Sinon vous ùtes tous perdus! l'île sur Lupielle vous
vous trouvez est un |ioisson. Tout le moude gagna le '>i\timent :
pour moi je restai sur I'ile, (|ui re[)longea prescjue aussitôt ».
La légende de Hrandan a donc pénétré jusqu'en Orient; niais
si cette odyssée monacale s'est |»artout répandue au moyen-Age,
c'est qu'elle avait un fond de vérité. Les aventures d'Ulysse
auraient-elles charmé lesdrecsetnous cliarmeraient-elles encore
si ce Jiéros de la ruse et de la patience n'avait pas existé? 11 est
vrai que les aventures du saint njoine ne sont pas toujours
vraisemblables ; mais qui voudrait ne retenir des légendes (jue
ce (ju'elles ont de possible retrancherait aussi de VOdi/nsrc et
de toutes les autres épo|»ées les merveilles et les fables qui les
ornent. Ainsi que Ta écrit un savait gaéliste, dont le témoignage
fait autorité, W. F. Sbeene (1), u c'est im roman pieux mais (|ui
repose sur un Tondement historique. Des récits fabuleux n'au-
raient pas été intercalés dans î i biographie de saint llraudan,
s'il n'y avait |>as eu dans les événements de sa vie une entreprise
pour l'extensictn du christianisme dans (luebjues îles lointaines,
et il ne manque pas d'indices pour montrer qu'il en fut ainsi ».
IjCS courses vraies ou fausses des moines prouvent du moins
(|u'ils n'hésitaient pas à les entreprendre. D'ailleurs, les lies
qu'ils |)arcourent, le grand continent sur lequel ils débarquent,
les dangers de la traversée, tous ces épisodes cachent peut-être,
sous le voile de la fiction, de réelles découvertes. C/est à nous
de dégager le fait historique des ornements qui le dénaturent.
Ainsi nous remarquerons que Hrandan et ses compagnons se
dirigent toujours de préférence vers l'ouest, c'est-A-dire dans la
direction de l'Amérique, et cpi'iis errent au milieu d'archipels
(1) W. S. SiiKK.NE, Ce/tic Scotliurl, ri hMwtj of ancinit Mhan, 1877,
t. II. |). 76.
Si
CHAI'. Mil.
LKS IULANHAI.' KN AMKIUyilK AVANT r.OLOMIt. 'l'i'.)
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dans h'siiucls on rcroiiiiiiitrait sans lro|i de peine les Acnres,
les Canaries, Madùre, l'Islande nu^nie, on tel autre groujie des
Iles et des îl«ifs jetés entre les deux continents. Sans exiger dans
la détenninatioii des terres <'ntrevues par les moines irlandais
une précision impossible à obtenir, il est pourtant vraisemblable
(pie le Paradis «les oiseaux cornîspond à I une des Açores.
Ténérille dans les Canaries est un ancien \olcan <|ui sans doute
était en activité, lorscpie les compagnons de J^ri.ndan contem-
plèrent avec, elFroi les tourbillons de tlaiumes (pji couronnaient
sa cime et les fleuves de lave (pii couraient sur ses flancs.
D'ailleurs, les éruptions de l'ilécla, celles de Heeremberfï, durent
en(;ore, et rien n'empéclie de supposer (pie Hrandan s'est aventuré
juscpi'à c(îs liantes latitudes. Quant au Paradis terrestre, si éloi^rné
Ai' l'Irlande, arrosé par de si grands fleuves, et dont les moines
ne parviennent [«as à faire le totu", ne serait-ce pas (piel(|ue
partie du continent américain? Il ne faudrait certes point
prendre à la lettre les indications î;éojrraplii(|ues des Wti/afjcs
iiti'vrcilli'ii.r, mais il semble pourtant bien constaté (|ue les
moines naviguèrent à l'ouest, (|u'ils trouvèrent des îles et
abordèrent un continent. De plus, à plusieurs reprises, ils
rencontrèrent dans leurs courses errantes des coreligionnaires
et même des oontpa'riotes, ce (jui indi«pierait des voyages
antérieurs.
Aussi bien Hrandan, Mernoc, Macluitus, ne sont pas les seuls
Irlandais (jui au moyen Age se sont aventurés sur l'Océan (1), et
ilontlbistoire, singulièrement défigurée par la légende, a conservé
le souvenir. Un contemporain de Hrandan, Conal Deagli, riclie
propriétaire du Connaught, avait trois fils qui tous les trois
avaient embrassé la carrière périlleuse mais lucrative de pirate.
('.at(''cliisés par saint Coman, ils renoncèrent à leur (coupable
industrie, et, pour mieux mar(pier leurs sentiments de pénitence,
(Il UfiBEHT Atkinson, T/ic Book of Lehislrr, Diililiii, 1880, p. -W.
Ci'URV, Lectures, etc., p. 289-291, 587-593.
;
!2l»(> PHEMIKKK l'ARTIK. — LKS l'UKCIRSKI l«S l)K COLOMB.
irsolurciit (le parcourir on |H'l«'riiis les îlos «le l'Atl!inti(|U('. Ils
lirt'iit don.' constrnin' un furra<li, ou bateau fîarni «le peaux,
pt»ur neuf personnes, et s'eniharquèrenf, en l'an .'iiO, «lans la
haie île (iallway. Pendant quarante jours et (juarante nuits ils
errèrent à l'aventure sur r()c«''an, et ahordèrent dans une île
très peuplée, et dont tous les lialtitants seudilaient accablés de
douleur et v«'rsaient des larmes abondantes. Dans une ile voisine
les insulaires étaient soumis à d'all'n'uses souH'rancH's en expiatittii
de leurs péchés. Après de longues courses, les Jils de (lonal
Deaffh iiniient par descendre en Kspapne, où ils furent accueillis
par mi saint évéque nommé Justin. (lelui-ci transmit le récit de
leurs aventures à saint Coman. ([ui les raconta à saint Mocholmojr,
et c'est ce dernier qui s'emi|>ara de la léjjende pour en fain; un
poème.
Un autre Irlandais, Maelduin ,1;, (ils posthume d'Allil Corar
Ago, que des pirater avaient assassiné, jure de venj^erson j»ère.
H construit un grand currach, couvert d'une triple cuirasse de
peaux de Ixeuf, et portant soixante hommes d'équipage, dévoués
à sa fortune. Il s'end)arque avec eux, et, toujours dans la direction
de l'ouest, part à la recherche des assassins. Les Irlandais
arrivent à deux ilôts (»ù ils entendent des pirates se vanter de
l'assassinat d".\llil Corar Ago, mais, au moment où ils s'apprétenf
à les punir, une tenqiéte se déclare. Maelduin laisse amener les
voiles et part à la dérive. Cihemin faisant, ils découvrent plusieurs
îles. Dans l'une sont des fourmis aussi grosses <|ue des poulains ;
dans l'autre habitent des géants «pii prennent pour coursiers la
crête des vagues. Ici s'élève un palais splendide où sont dressées
des tables richement servies; là s'étale un ponnnier qui ne porte
que sept pouunes, irais chacune de ces pommes suflit pour
nourrir et abreuver les voyageurs pendant «piarante jours. Sur
(1) Leahhar na h Vidhri (ouvr. cité), p. '2*2-20. — Cf. J(>vi:e, Old a-ltir
Romança, 112-176. — Aiihois de Juiiainvii.i.k, Cntalof/iie <le ht littérature
épviue tk l'Irlande, 1883, |.. LM-lsa.
CIIAP. Vlli. — LES IHLA.NDAIS EN AMKKIQIE AVANT (..(LOMB. ;2(il
iiiic autiH.' lie poussent des oniiigi-rs «'inliauiiH's, Plus loin, on
admire un palais taillé dans un bloc calcaire et dont toutes les
ouvertures, à l'exception d'une unique p(»rte, donnent sur une
cour intérieure orné»? de colonnes de niarhre et garnie de tables
toutes servies. Voici l'Ile des Pleurs et des Rires. Voiln l'île des
moutons blancs et <les moutims noirs, qui cbanjfent de cotdeur
(juand ils cliangent de troupeau. Dans l'île des Amazones, les
Irlandais reçoivent un accueil empressé, maison repousse leurs
propositions matrimoniales. Dans l'île des Oiseaux toute une
tribu volatile à plumage varié parle, chante et jacasse. Ici, un
solitaire, de nationalité irlandaise, leur raconte (|ue chaque année
grandit l'îlot sur lequel il a été jeté par la tempête. Là se dresse
un pilier colossal dont la base disparait sous l'eau et le chapiteau
dans la nue. Du sommet part un réseau conique de mailles
d'argent très larges. Les Irlandais en détachent une pour TolTrir
à leur retour en ex-voto à quelque église du pays natal. Ils
arrivent enfin dans une ile fort étendue dont la surface est
coupée par de liantes montagnes et par d'immenses plaines
couvertes de bruyères. Des jeunes filles courent à leur rencontre,
et se montrent à leur égard si peu rigides qu'elles ne veulent
plus les laisser partir. Les compagnons de Maelduin s'arrachent
à cette Gapoue transatlantique et s'efforcent de revenir en Irlande.
Ils trouvent encore sur leur chemin une île boisée, dont les
arbres produisent une boisson enivrante mais délicieuse , et
dans cette île quinze moines qui, après Brandan, avaient fait
un pèlerinage dans les îles du (Irand Océan. Ces moines conser-
vaient précieusement une sorte de valise ayant appartenu à saint
Brandan. Ils indiquèrent à leurs compatriotes un lac dont les
eaux avaient ia propriété de rajeunir. L'un d'entre eux, Diuran
Lekerd, s'y plongea, et en effet il ne perdit plus ni une dent ni
un cheveu, et garda une admirable santé tout le reste de son
existence. Les deux dernières stations de Maelduin sont dans
un îlot où il rencontre un pénitent irlandais, natif de Tory, jadis
cuisinier dans un monastère dédié à saint Columba, et sur un
u
202 l'HKMIKRK l'AHTIK. — LES l'HKCIHSKfHS l>K COI.OM».
r<i('li«'r uù il reiiiurqiic des faucniis soiiiltlahlcs à coiix d'IriaiKi*' ;
il suit la <liro(.-tion df leur vol pour rcntror on Kuro|)»,', où il
s'empresse, avec ses conipaj^iioiis, daller d»''poser dans la
cathédrale d'Arinagli la maille d'arjîent dt-roltée au pilier
mystérieux.
Assurément la plupart de ces récits sont fantastiques, et même
plusieurs d'entre eux semblent imités de la légende de saint
Urandan. Quelques passajçes méritent pourtant d'être signalés
conmie indi(|uant une vague connaissance de l'Amérique. Ces
oiseaux chanteurs ressemblent singulièrement aux perroquets de
la région tropicale ; cet îlot qui grandit d'année en année rap-
pelle la formation géologique des Ijernmdes et de quelques
Antilles. Enfin, la persistance de ces voyages dans la direction
de l'ouest et les rencontres fréquentes de compatriotes semblent
démontrer que les compagnons de Maelduin ne s'aventuraient
[>as dans des parages tout à fait inconnus.
On nous saura gré de rapprocîher de ces légendes irlandaises
d'autres traditions empruntées à des pays voisins, mais dont les
habitants étaient les frères d'origine des Irlandais, au pays de
(ialles et à la Bretagne française. On sait que, dans le pays de
Galles, les monastères ont été détruits avec un acharnement
extraordinaire et les moines expulsés sans pitié, à l'époque de
la Iléforme. Les manuscrits ont été disséminés, et on ne con-
serve plus que des traditions fort vagues (1). Les savants ont
rangé en quatre séries ces traditions relatives aux merveilles
transatlantiques. La première a trait aux pays des Sids ou des
Fées (2), que l'on place toujours à l'ouest et au-delà de l'Océan ;
(1) Skbke, The four ancient Books of Walen, contniniy tlie q/tnriv
poems attrihuted to the Bords. — J. Camprei.l, Popular Taies of the
west Highland», Edimbiirgh, 1860-1862. — Beauvois, Eden ccidenta!,
|). 312.
(2) D.-\V. Nash, Taliesin or the Bards and Druids of Britain, a trans-
lation of the remains of the earliest welsh Bards, and an examination
of the hardie mysteries, Londres, 1858.
CHAI'. VIII. — LES IKLANIIAIS KN AMÉRIOIK AVANT COLOMH. ^ilili
la seconde se rapporte à la disparition , dès le V siècle de
notre ère, d'un certain (ialVan, (ils d'Alddun, qui, avec ses
lioinmes, fit voile pour les îles vertes des courants, Gwerdon-
naii Hiou, et dont on perdit la trac»* (1). Dans la troisième et dans
la (|uatriènie série figurent toutes les légendes sur le roi Arthur
et sur l'enchanteur Merlin (2) : c'est surtout le mystérieux pays
de l'ouest, où se réfugia le roi Arthur, et où il attend le moment
de se montrer de nouveau pour chasser les Saxons, qui excita
la verve des hardes gallois. Ce pays se nomme Avallon, ou l'Ile
des Pommes. « L'océan entoure cette île (3) qui n'est privée
d'aucun hien ; il n'y a là ni voleurs, ni hrigands, ni ennemis
pour tendre des emhùches ; pas de violence, pas de l'roid ni
chaud insupportables ; la paix, la concorde, un plantureux prin-
temps y régnent éternellement ; les fleurs, lys, roses, violettes
y abondent ; les arbres y portent sur la même branche des fleurs
et des fruits ; sans être souillés de sang, les jeunes gens y
demeurent toujours avec la vierge du lieu ; pas de vieillesse, pas
de maladie, pas de douleur, tout y est plein d'allégresse ; on n'y
a rien en propre, tout y est commun ».
C'est dans un pays aussi merveilleux, toujours à l'ouest et
dans l'Atlantique que des moines armoricains de Saint-Matliieu
du Finistère retrouvèrent les patriarches FXie et Enoch, qui,
d'après la tradition, y attendent le jour du jugement dernier.
Ces moines exploraient l'Océan (4).
(1) OwEN Jones, The Myrvyrian Archœology of Wales, collected out of
ancient manuscripts, 1801.
(2) Kr. Michel et Tu. Wbjght, Vita Merlini, Londres, 1837. — Hersart
DE LA ViLLEMARQUÉ, Ic Merveïtlcux OU moyen-dge, l'Enchanteur Merlin,
Myrdhirm, son histoire, ses œuvres, son influence. — Edgard Quinet,
l'Enchanteur Merlin.
(3^ Passage du Pseudo-Gildas, appelé Britannica htstorise metaphrastes,
reproduit par Usserius, Britanniearum ecclesiarum antiquitates et pri-
mordia, Dublin, 1639, p. 524.
(•4) Struvius, Germanicorum scriptorum qui rerurii a Germanis per
niultas xtates gestarum historias vel annales posteris reliquerunt, t. 111,
i',
âOi PREMIÈRE l'ARTIE, — LES PRÉCURSEl'HS DE COLOMB.
Qui niuriuiu Unes scrutuntur, t>t ulliiiiii lerrn^
Ut vult'unt popiilis post tempora loiif.'a reterre.
Une fois leur navire erra trois ans sans (|u'ils pussent rien
voir (jue la mer et le ciel. L<»s vivres coinmeneaient i\ leur man-
quer, quand ils trouvèrent sur un îlot une statue de femme en
airain, qui du doigt leur indiquait le oliomin.
In nuMlio marium velut aert-u stabat imago,
Keniiiiaca speciu, super ardua saxa, virago,
lUa suis digitis pcrvia nionstrat lier.
Ils suivent avec empressement cette indication, et dus le
lendemain rencontrent une autre statue, (jui leur enseigne encoîv
la voie à suivre. En elfet, à leur grande joie, ils découvrent
bientôt une montagne dans le lointain. C'est une montagne d'où
jaillissent des éclairs, et sur les flancs de laquelle roulent des
lave?, mais elle répand une odeur merveilleuse. Les moines
débarquent et vont à la découverte dans le pays, où ils ne ren-
contrent ni hommes ni animaux. Enfin ils arrivent à une ville
entourée de fortes murailles. Tout est en or, maison, meubles,
église, mais personne ne garde ces trésors. Au fond d'un cloître
magnifique étaient pourtant deux vieillards, qui se lèvent pour
exercer les devoirs de l'hospitalité, et leur apprennent qu'ils
sont Elie et Enoch : « Un de nos jours, ajoutent-ils, est égal à
cent de vos années ; ceux qui étaient enfants lors de votre départ
sont maintenant des vieillards et demain aucun d'eux ne sera
en vie. Pendant votre séjour ici, six à sept générations de rois
et de peuples se succéderont dans votre patrie, et vous-mêmes
vous serez vieillards lorsque vous y retournerez ». En efl'et,
quand les moines reviennent en Bretagne, ils s'aperçoivent, à
leur grande stupeur, que tout est changé autour d'eux, qu'ils
sont accablés d'années et qu'ils n'ont plus qu'à mourir.
p. 59, reeditavit Gotefridi Viterbiensis Panthéon, ex bibliotheca Joannis
Pistorii Nidani.
y
CIIAI'. VIII.
LKS IHLAMtAIS K.1 AMKHiyiK AVA.NT (.OMt.MH. 2(i.*>
Tclh's sont les priiicipulcs Irjrondrs païonnos un chrétiennes
par l(>s(|U(>ll(>H l(>s IrliiiKlais ont anirnié la (-iiiitinuitr< <lc leur
ornyanco à lexistenc»' des terres transatlaiititpies. Il ne fandrait
point prendre à la lettre tons les épisodes de ces léjîeiides des-
tinées à l'ainnsenient on à l'édification de cenx (|ui les ent«'n-
daient raconter, mais, ainsi »|iie l'a reniar<|né l'nn des savants
(pii ont le pins contribué à nous les faire connaître (1), (^Inrry,
« ces faits seraient d'une {grande valeur s'ils nous avaient été
transmis dans leur fori.ie originale, mais, dans le cours des
ilges, après avoir passé par la liouclie de narrateurs remplis
d'iinaginatijtn, ces récits ont [lerdu une grande partie de leui"
simplicité primitive pour devenir de plus en plus fantastiques
et extravagants ». Ils n'en constituent pas moins une source de
renseignements fort précieux. Mais il est temps de passer de la
légende à l'histoire et de montrer comment les voyages très
authenti(|ues (pi'il nous reste à enregistrer confirment la réalité
ou tout au moins la vraisemblance des cjuirses d'Oisin, de
Hrandan, ou de Maelduin.
Il
Les Papae ou (iuldees, c'est-à-dire les prtHres irlandais, se
sont en effet avancés, d'une façon certaine, bien au-delà de l'Ir-
lande, dans la double direction de l'ouest et du nord-ouest.
Plusienrs motifs les poussaient à l'émigration. î^e premier, c'est
(I) CiRRY, Lecturf-i, etc., ouv. cité, 289. — Cf. Bkauvois, Erien occidental,
p. 371 : H C'est ainsi qu'aujourd'liui des écrivains aimés de la jeunesse viil-
(çarisent la science en l'encadrant dans des aventures imaginaires ou même
incroyables ; si, grAce à cet appoint romanesque, leurs livres venaient à sur-
nager seuls dans quelque naufrage des connaissances humaines, comme ont
fait les légendes gaéliques ou cymriques, nos arrière petits-neveux n'auraient
jias plus le droit de négliger les faits positifs contenus dans ces récits, que
nous-mêmes n'aurions raison de nier les voyages et les établissements tran-
satlanli(|ucs des Gaëls n cause des flctions qui y sont mêlées ».
■:t
^
1,
•H\{\ l'IUlMIKHI-; l'AKTIK. — I.KS l'UKCIUSKlUS l»K CdUlMH.
i|u'ils furent »'ii (l(''s)H'ror(l «vt-r la majorité des «•allinli(|n('s sur
divers points de discipline, lixution du jour de Pil(|u»'s, cérémo-
nies coniplémentaires du liaptème, tonsure monastiipie (I), ete.
Très lidèles au rite de leur maître liien aimé, dès (Mîi, plutôt
que de se conformer aux décisions de la conférence de \\'ill>y {'!),
ils (piittaient l'Angleterre et retournaient avec leur chef, l'évécpie
Oolman, au monastère d'Iona. (îin(piante ans plus tard, lors-
que le roi des Pietés, Neclitan, imposa la rèffle romaine à son
<lergè, les Papae s'«'\ilèrent volontairement d'Ecosse (3). Ivtrsijue
l'Irlande à son tour fut rumenée à l'unité catholique (1), ils
n'eurent plus d'autre refuge (pie les archipels nord-atlantiques
et s'y retirèrent les uns ajirès les autres, mais ils furent toujours
vus d'un mauvais (eil par les autres catholiques, (|ui les traitaient
d'Africains judaisants (5).
Fjt's Papae, d'ailleurs, renoncèrent sans trop de peine .. 'eur
patrie, car les régions mystérieuses du nord exercèrent toujours
sur eux un invincihie attrait. « I^e Seigneur a fait ce qu'il a
voulu faire au ciel et sur la terre, et dans tous les ahimes, écri-
vait (liraud de Cambrai ((») ; il est admirahie dans ses saints et
grand dans toutes ses «nivres, unis c'est aux lointaines extré-
mités du monde que la nature affranchie se joue dans les plus
étonnants prodiges », Il semhie que les Irlandais se soient appli-
qué ces paroles et aient voulu connaître ces prodiges. Dans les
mers orageuses et voilées par d'épaisses brumes qui baignent
la verte Érin, et où l'on peut croire qu'au-delà des pays habi-
tés par les hommes s'étendent des terres inconnues ; à tra-
vers les archipels semés sur les flots et oui sont neut-étre le;
qui
peut-t
(1) Varin, Cousus de la dissidence entre l'Eglise bretonne et l'Eglise
romaine (Mémoires de rAcadéniie des inscriptions ot belles-lettres, 1858).
(2) .MoxTAi-EMBEBT, Moines d'Ocfider,t, t. IV, p. 170-181.
(3) Mo.vrALEMBEHT, p. 159-16U.
(4) ID., t. V, id., p. 4, 15, 22, 23.
(5 Beauvois, Relations précolombiennes des Gaèts avec le Mexique
^Congrès américaniste de Copenhague), p. 78.
(G) GiHAi.DL'8 Cambhexsis, Topoçraphin Hihemiâf. •
d
'1
C
• MAI'. Mil. — LKS IKLANDAIS K.\ AMKIllyi K AVAM COLOMI.. HTt
«Irliris <{(> cniitiiKMits <lis|iariis, les saints Irlandais uni aiiiir à
s'avnitiircr. On ciU'h' vityaf!:»' <lf ItaitMii, le pn-initT successeur
*l*' saint (înliiiiilta au ti.unastcrc (l'Iiina, et les trois ex|i«'>i!itiniis
<le son ci)nteiii|)<)rain (donnai . Il est vrai (|u'on n'a «le détails
que sur la troisième de ces expéditions. Pendant (|uaraiite jours
(ioriuac, poussé dans rAtlantiipu! par un violent vent du sud,
dépassa toutt's les limites connues, et s'avança jusqu'à un»?
ré^'ioii de l'Océan où il fut assailli par des l)(>stioles noires, (pii
ineiiacaieiit de percer avec leurs aiguillons les peaux ipii pro-
tc|,'j'aient l'eiiiharcation. Ia' détail proiiv»' l'authenticité du récit.
Dans les mers horéales elFet, certains crustacés, particuliè-
rement la leriiaea hrancliiaiis, attacpient les navires en liap.<les
innoiid>ral)l(;s. Heureusement pour (îorinac le vent tomlia. Il
put retourner et rentrer en Irlande (1).
Le voyage de Snedghus et de Mac-Ilia}j:lila (i), tous deux
d'Ioria, au milieu du vu" siècle, présente également les carac-
tères de l'authenticité. (Vestuii pèlerinage maritime ipi'avaient
entrepris ces hardis cumpagnoiis. Ils errèrent de longs mois
sur l'Atlantique et découvrirent de noinhreuses îles, les unes
désertes, les autres liahitées. Un jour, la hrise leur apporta des
mélodies connues, \o sidiinn ou chaut funèhre des femmes
d'Irlande. Ils ahordèrent aussitôt et furent accueillis avec empres-
sement par des femmes «pti leur aJressèrent lu parole en Irlan-
dais et les conduisirent à leur chef. C'étaient «'ii effet des exilés
irlandais de la tribu des Fer llois, qui avaient autrefois massa-
<'ré Uîur chef et avaient été abandonnés au caprice des îlots.
.\près avoir séjourné qucbjue temps dans l'île, Snedglius et
Muc-Iliughla retournèrent sans accident à loua (3). Us avaient
(1) Les aventures de Cormac ont été racontées par Andamxan, l'auteur de
la Vtcile saint Coliimba. Voir l'édition W. Heewes, Dublin, 1857, p. 160-170.
|2 CuRHV, Lectures on the ancient nmnuscript matcrials of ancient
ivish history, Dublin, 1878.
(Ui Bkaivois {Grande terre de l'ouest, p. 78) mentionne ces voyages d'après
le T/ie liook of the Makomies, manuscrit encore inédit, et d'après la Vie de
I!
20S l'IlKMlKlIi: l'AKTli;. — I.KS l'HKCl MSKIKS l>K COI.OM».
ra|t|t(»rt<'' «le leur voyaK*' mu' IViiilIc d'aphrc, cxtraordinain' par
ses (liriioiisioiis, (juc Ton conserva précieusement d'alutnl à loua,
puis à Tiri'onnel. On la connaissait sous le nom de (luile-
faidli de saint (^oluml)a(lj. Kn lliOO, iors(pie Donnocli etOilla Isa
Mac-Kirl»is compilèrent dans h; Lrahliar ('hindi; Li'cuhi Vh'ncli-
ira rltiri'i'h (Imluiin eilti' »(U Aventures des clercs de saint
Cohnnha, cette feuille existait enc<tre. Elle avait été transportée
à Cennana i Kells, dans le Meatii. Or, où trouve-t-on ces
feuilles « au -i lar^a's (pi(> la |)eau d'un Ixeuf » sinon dans les
réfîions tropicales ? N'est-ce donc pas que les Irlandais avec leurs
simples currachs se sont aventurés juscpie-là?
Nous ui' pourrons cpie mentionner les aventures de (picUpies
PapîL* dans l'océan du nonl-ouest et le (ïonunencemetit de la
nivijj^ution di; deux moines de Tordre d(; Saint (lolmnlwi dans la
mer du Nord, caries manuscrits (pii les contiennent sont enct»re
inédits et à peu près inaccessibles, sauf à ipu-hpies fjai'listes.
("est avec la même réserve (pie nous parlerons des voyaj^es
entrepris par d'autres Pa|«e dans l'Atlantique, (^es voya},'es sont
pourtant certains. Les Orcades et les Shetland furent d'aliord
reconnues et occupées par eux. Cette occupation fut ménic! si
bien acceptée par les insulaires, qu'ils prirent le nom (!t adop-
tèrent l(^ costume de ceux (pii venaient l(!s initier à la (civilisation.
Au IX'' siècle de notre ère, lors(pi(î I(î roi de Nor\vè};e Ilarald
llarf'affr envahit ces iirchipels, il extennina tous les habitants
et les remplaça par des païens (h; Norwège. Le nom des Pa|)a'
se conserva néanmoins aux Orcades. On le retnuive dans les
îles Papawertra et Pa[iostronsa, et dans plusieurs localités de
Paplay. De même, aux Shetland on signale les trois iles de
Pa|»aslone, Papalittle, Papa et le domaine de Papil (i2).
saint Columfift, compilée par Magnus O'Duiincl e*. publiée par extrait dans
Tviadia thniimaturija' spu divorum Pntricii, Columb.e et Htigidœ ucla, pai
Jean Colf^an (Louvain, 1647), p. 44G.
(1 ) E. CuKHY, Lrctnrrs, ouv. cité, p 124-'), et 333-4.
(2) .Ml'ncii, Gcoyraphiske Oplysniwjer om Orknwerw, 1852, p. 4'J, 52, îi.'i,
ClIAl'. Mil. — I.KS IIILA.Vh.MS K.\ AMKIMUIK AVANT (•.(U.OMIl. lliW)
m
Des Onadi's et (U's Slictliiiiil , les papa' passèrent facilement
aux Feroë. Voici coiiiineiit l'iiii d'eux, Diciiil, (|iii composa en
H'I^t un curieux traité de }:éof:rap|iie, /h' niriisiirii or/tis lnr;i'{l),
parle de cette dêc(»uverte. « il y a un f^'rand iioudire d'autn's Jlfts
dans l'Océan au nord de la Hrefa^:ne, les \ aisseaux vofîuant à
pleines voiles et poussés par un vent t<»ujoiu's favorahie emploient
deux jours et d(!U\ nuits pour s'y rendre des îles septen'irional<>s
lie la |{retaj:ne. l'n relijrieux di^:n<' de foi m'a raconté (pi'après
avoir navifiiié deux jours et une nuit d'été, dans un petit hàfi-
inent à deux ran^rs de rames, il ahorda dans une de ces îles.
(les îles sont petites pour la plupart, pres(pie toutes séparées les
imes (l(!s autres par d(!s détroits fort resserrés ; elles étaient, il
y a ime centaine d'années, lialiitées par des ermites sortis de
notre Scottia (^). Mais, de même (pi'elles avaient été désertes
depuis le conmiencement du monde, ainsi, ahandoiinées inaiii-
i2, ;i"i,
;i8, (U. f)7. 1(12 <l r.vnijviifihir <»n lijaltinmi. 18:i7, \\. ;tl2, W^. :);i4, .Tit),
;i(i7, ."177, 3S1. Liî mcmn liislorion, tliiiis ses Si/iii/i(tl,r ad /listariiiiii tiuti-
iiuinrcm Norrp</i,T (('.liristaiiia, IS'Jfl) a piiblii'! un piissajçi! inU'TL'ssaiil de l7/j.<-
tnria Soriryi.r (lu'il avait (Iticoiivcrti! : « Papa- vent, priiplcr vestes all)as,
ijuiliMs ut rlerici iiiducliantur, viicati suut, uutir in Icutonica liu^nia oiiuios
(Ici ici papa' (li(Mnilur ».
ill Diccn., I)i' nti'UKin-fi or/tis len.r, t'dit. I.otinuiic, VMF, Il : •> Suut alia'
iiisuhc uiulta* iu septcutriiuiaii Britauuia> Occaiii), i|ua> a si;pl<>utrii)ualil)U4
lti'itaiiuia> iusiilis duoruiu dicruui ac nactiiiui recta u.ivi^Mlioue, |di;uis velis,
assiiluo l'clicitcïr veulo, adiii i|ueuut. Alii|uis prolius reli;;ii.<sus uiilii relulit
i|uiiil, iu duulius a>stivis dielius, et iiua iutcrcodoute uocle, uavi(;atis iudunruiii
navicula IraustiiM'iun, iu uuaui illaruiu iuti'oivil. IIIjp iusula' suut alia* p.irvulic,
fei'u cuiu'Uc siunii au<;uslis dislaules IVetis, iu quibiis.iu ceuluin l'eruie auuis,
ci't;uiila> lu nnstra Scnttiu naviguantes liabitaveruut. S(>d, sicut a priueipii nnuidi
ilcscrta! seuiper lueruut, ita ninic, causa latronuui uoruiauiiornui, vaciia' aua-
l'IuM'etis, pltuno inunnierabilibus oviltus, ac diveisis punuibus inuitis niuiis
uiai'iuaruni aviuui. Nunipnuu cas insulas iu libris auctoruni rueniorutas inve-
uinnis ».
[i] Au uuiycn-A{;(! l'Irlande s'appelait Scottia. Le mol n'a pas d'autre sens
dans .\lcuin, Alfred le (îrand, Héda, Kjçinliard. (;'(!stseideinent vers le milieu du
IX'' siècle ipie, le roi des l'ictes étant mort sans héritiers din-cts, Kenneth, roi
de iJabriail, pays des anciens Scots, s'em|)ara du douiaiiie picte et réunit le.s
deux Klats eu un seul royaume (8 v:{); mais le iioni de Scotland ne devint d'un
iisa^e cuiumuu qu'aa w siècle.
il
>/.
■i
270
l'IlKMIKKI-: l'AKTIi:.
.KS l'KDCt nSKI'KS liK CDLOMn.
)
V
;i
tiMiaiit les iiiiiirliDivtcs à ciiisc des Nortliiiiiiiis, cllc-i sdiit
i'«'iii|>li)*s iriinc iniiltilii(|(* iniioiMlirahh* de hrchin et d'oiscaiix <lt*
iiuT de diverses csimtcs. Nmiis iravoiis Inmvt'' im's llrs iiu'ii-
tioiiiircK duiis aiiriiii aiilciir ■>. (Ict an'liipcl Ciit rava}:»' par les
Nortlitiiaiis. «•itjniiic l'avaient été les Orcadrs et 1rs Slx'tlaiid,
mais l«' siMivniir des Papa* s'y («M'pétiia. Le pasfciir Sclmi'tcr,
(|iii s*>'st atlarlié à n'ciicillir les traditions loialcs, rapp:«rl<'
qu'avant l'arrivét- des cDtKpK'raiits Nortlnnans « il s'était éfahli
iliins les il(>s <U\s hommes tpic Ton (-nnsidérailtoininc des saints,
attendu qu'ils avaient la puissanee de faire des sijfues et des
mira<|«'s, de f.'uérir les lilessures et les maladies, aussi iiien des
liitunnes ipie des animaux. Ils savaient prédire si pendant
l'année la péelie ou l'état sanitaire seraient t'avorahles. Ils ne
vivaient pas enniine les autres liomfues, car leur nourritiu'e se
eouiposait de lait, d'u-uCs, de racines et d'alfrues. Ils avaient des
chèvres di»mestiipies(pi'ils trayaient, mais ils ne tuaient aucune
rréalure et ne versaient pas le sauj,'. Les seids Dhjels qu'ils
acceptassent connue présents ou vu réuumération de leurs ser-
vices étaient le [tain azyme, le poisson séché et la hure pour se
vélir. Un montre [ilusieurs localités <»ù ces f.'eus auraient
hahilé... A l'arrivée «h-s Norvvé}j;iens, (pielques-uns d'entre eii\
s'éloijîiiérent par mer et d'autres se relufrièrent dans des
cav<'rues ... A ces traits on aura facilement reconnu les l'apa-
irlanda<s qui convertirent les insulair(;s et s'étahlircnt dans
l'archipel (1),
Où allèrent les fufiçitifs des Kéroë ? Dicoi' nous l'apprend : ce
fut en Islande. Kidéles à leur esprit (h; propa;z:aud(; et d'initiative,
les Papa» cherchèrent de nouveaux pays pour y euseij.'ner la foi
et y trouver le repos. La première t(!rr(! ipi'ils rencontrèrent au
nord des Féroe fut l'Islande. Dicuil la 'îonnue 'l'hulé, mais la
description (pi'il en donne ne laisse; aucun d'xite, car rislandc
est la seule des iles situées sous h; ccircle polaire où les Papa-
(1; SciiBourrKn, Aiiti/cvui kh Tidsfchrifl (t84!)-51j, [i. Iifi-i47.
1
• UAI'. VIII. — I.KS IHI.ANhAIS IvN AMKHIUIII", AVANT Cdl.OMH. ^271
aient pu alictnlcr et résider en <|iiiltaiit les Kéroi'. « Il y a Irciile
ans, ('rril-il (1), (|ii(' «les rlcrcs i|iii avaient demeuré dans celte.
ile depuis les r, demies <le février jiisipi'à celles d'anùf nie racdil-
lèreiit (pie, noii seulement lurs du sulsticc d'été, mais encore
(piel(pies jours avant et a|)i'és, le siilcil disparait pour peu d(>
temps et semide se cacher derrière une ((tlliiie, en sorte (pu;
l'idiscurité dure très peu de temps. Aussi voit-on assez clair
pour se livrer à toute <'spèc<' d'occupalions, et l'on [toiirrail
UK^iie chercher ses pou\ dans sa chemise comme en plein
jour ; il est prohahie ipie, si l'on était sur une inonta^:ne, on ne
verrait pas h; soleil se coucher. Ils ont menti rcu\ (pii ont écrit
(pie cett(! ile était entouire d'une mer de [ilace, car les susdits
clercs (pii ont vof^ué vers cette ile dans le t'inps du f.'i'and IVoid
ont |iu y ahonhîr... Il est vrai (|u'à une journée do navigation
au nord de cette île ils ont trouvé la mer geh'Mî ».
Les Papae, comme on le voit, étaient entreprenants, et, s'ils
n'avaient été arrêtés par cette inrranchissahle lianlère de glaces
contre hupielle se sont hrisés tant (rhéroï(pies ellorts depuis
Mslheas jusrpi'à Wey prédit ou (Jreely, ils auraient porté huirs
(royances liien au-delà de l'Islande. Dans la (lir(>clioii du nord,
l'Islande devait être leur dernière étape. Lors(pie les .NorthrnaQs
ahordèrent à leur tour dans l'ultima Thulé, c'('sl-à-(lire vers le
dernier ipiart du ix" siècle, les Papae leur cédèn-nl encore la
place (•!). <• Il y avait là des chrétiens, lisons-nous dans les
11
i ï
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ft I l)ir,ni,, Dr iiiensurn ovfils Irrr.r, VII. 2 : '< 'rri^csiimis imiic fuiniis mi
a (|ii() iniriliitvcnml iiiilii clc'riri i|iii, ;i kiiieiiilis ri;lirii:iiii iis(|iii; kiilciidas :iii-
Kii^ti, iii irisiila Tliiilc inariscniiit, qiiod, iinii snliitn iii acslivo soislilio, .tcd iii
(li(?l)iis rirca illiid, iii V(;s|)i!rtina liora, (iccidetis .sol al)S(vinilit se i|ii;tsi traiis
|iarviiluiii liiiiiuliiiii : itu ut niliil (t'iiulirunitii in iiiiiiidio spalio liai ; si'd i|iiid-
qiiid lifiriMi (iporari voliicrit, v(ïI iiuiliciilos de cainJHia almtralitM'c, taiii|uaiii in
|HiC!tniitia s(dis potcsl : et, si in altitiidiiu! iiKintiiiiti cjiis luisKi-iit. Tor^itari
niiiKpiaiii snl alis.'iiMdcrctur al) iilis... iiH^iitiuntt;» railiinlur qui ciiciiiii isiiii
(•oiiirctiiiii mari! fiinj scripscnint, naiii navi;;atil(!s Iriiipoif; fii^joris (;am i(i-
trabniit, simI, navit^atione iiiiiiis dipi ex illa ad Itorcam, cnii;;clatiini mare invi;-
lILTIillt ».
(il AiiK (''HniiiiK, Islendina swi/ur (184^, t. I, p. 4. Quelques-un» d'entre
•27:2 l'HEMlKRK l'ARTIK.
LKS PKKCIHSEIKS l)K C.ltLOMB.
Sa}ïas islaiidiiises, do ceux (|iu' les Norvof^icns appellent l*apas;
mais ces derniers s'éloignèrent parce (|u'ils ne voulaient pas
rester avec des païens; ils laissèrent après eux des livres
irlandais, des cloches et des crosses d'où l'on peut conclure que
c'étaient des Irlandais ». Dans un autre ouvrage islandais, le
Lit)i(linuiiol)of{, ou livre de prise de [lossession, nous trouvons
'! 'S reuseifrnc'nents idcntirpies (l) : <( Avant ((ue l'island;; fût
colonisée par la Norvège, il \ avait dans l'île de ces hommes
que les Norvégiens nomment Papas. C'étaient des chrétiens, et
l'on pense qu'ils venaient des contrées situées à l'ouest de la
mer, car on trouva après eux des livres irlandais, des cloches
et des crosses et plusieui's autres objets, d'où l'on peut conclure
<jue c'étaient des hommes de l'ouest. Ces trouvailles furent
laites dans l'est, à Papey et Papy lé. On voit aussi par les livres
anglais (pi'il y avait des relations entre ces pays ».
Tous les archipels de la mer du Nord, l'Islande elle-même,
ont donc été reconnus et colonisés par les Papae ; mais arrêtés
par les glaces, ils ne purent pousser plus loin leurs investiga-
tions, et chassés de leurs conquêtes par les Northmans, ils
furent obligés de reculer devant eux, comme jadis les Phéni
niciens devant les Grecs, et de tenter de nouvelles découvertes
dans cet Océan qui jusqu'alors n'avait trompé aucune de leurs
espérances. Ils niontèreut de nouveau sur kjrs currachs, et.
! ;)
eux pourtant restèrciù Jaiis le pays. C'était évidemment nu descendant des
Irlandais, ce moine qui, en 98G, accompagna Erick Hauda dans sou expé-
dition en Groenland et composa un poème intitulé Hnfgerdinfjhar (le ras de
maréel, dont le refrain a été conservé par le Landnamabock (p. 1061 : « Je
prie celui qui soumet les moines à de salutaires épreuves de favoriser mon
voyage : que le maître de la voûte céleste me tende une main secourable ». Cf.
JoEKGE.NSEN, Dell Hordiskc kirkes grnnd hreggelse og fbcrsfe udvikting, Co-
penhague, 1874-6.
(Il 1d., Landnamahok, t. I, p. 32-36. Ou trouve également dans le Land-
7iamnhok (p. 50-51 1 la mention d'une église dédiée à saint Columba, et qui
«ivait été biUie en l'honneur d'Aslof Aslik, ju des douze chrétiens irlandais qui
avaient été .s'établir dans le Ràngarthing, et qui ne voulaient avoir aucun
rapport avec les païens des environs.
i* I
il (les
expé-
as de
« Je
mon
.Cf.
, Co-
laml-
H qui
lis qui
liucuti
CIIAP. VIII. — LES IHL.\Nn.MS K.N AMÉRIQUE AVANT COLOMIJ. 273
de k'inp(".c en tompôte, de naufrage en naufrajre, finirent par
alinrder en Amérique dans une région qu'ils nornmùrent
rirland it Mikia (1). Seulement, avertis par l'expérience, ils
gardèrent cette fois le secret de leur dé(;ouverte, et veillèrent
avec un soin jaloux à ce qu'elle ne fè* jias connue en Europe,
(^.e sont les Northmans d'Islande qi.i les poursuivirent encore
«Ifuis hîurs nouveaux domaines, et c'est dans les ouvrages écrits
par eux que nous trouverons la preuve de ce premier établisse-
ment d'une nation chrétienne au nouveau monde.
Trois ouvrages islandais parlent de l'Irland it Mikla. Le
premier est le Loudunmahok {^1) ou livre de prise de possession
(le l'Islande. C'est une histoire généalogique, sûre et positive,
des principales familles islandaises du x*" au xiiT' siècle. Il a été
composé par Are Thorgilsson, surnonuné Krodhé ou le savant,
et complété par cinij autres historiens ou généalogistes. Are
Frodhé vécut de 1007 à 11 W. Voici comment il parle de son
hisaïeul Are Màrsson (3) : « Are, fîls de Mi\r et de Torkatla,
fut poussé par une tempête dans le Hviframannaland, que
(|uelques-uns appellent Irland it Mikla. Ce pays est situé à l'ouest,
dans la mer, près du Vinland it (lodha, et, dit-tm, à six jour-
nées de navigation de l'Irlande. Ce récit a été fait d'abord par
Hrafn Ulynireksfaré, (pii avait longtemps habité lllymrek en
Irlande. Torkell (iellisson rapporta aussi que des Islandais
disaient avoir appris de Thorfinn, jarl des Orkneys, que Are
M) L'historien qui a le mieux élupidé cette importante question de la coloni-
sation irlandaise précolombienne est M. Ueauvois, Découverte du Nouveau
Momie par /es I> landais et pronières traces du christianisme eu Amériqyie
avant Van 1000 (Conprès américaniste de Nancy, 1873, t. I, p. 41-93). — ID.,
hf! Derniers Vestii/es du christianisme prêché du x« au xiv» siècle dans le
Markland de la Grande Irlande. — Les Porte-Croix de la Gaspésir et de
t'Acadie, 1817.
(2) Le Landnanmhok a été publié par Wkvs, Antiqiiitates American.v,
sive scriptores septentrionales rerum ante Columhianarum in America
(Copenhague, 1837) et par Hakn et 1«'i.n.>- Maonisen, Grœnlands historiske
mindes mœrker (Copenhague, 1838-18i.">i.
(3) Landnatnabok, part. II, § 22, dans Islendina Sœgur, p. 120-130.
T. I. 18
\ t'
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{
i;
1i
274 l'HEMIÈRR PARTIE.
LKS l'HKCUHSELRS ni: TOLOMU.
avait «''11' rcfuniju diiiis le llvitramaiinalaïul, et (|iril ne
pouvait en sortir, mais «lu'il \ étaii traité avei; lioiiiiciir ». Voici
donc un Islandais, Are Màrsson, jeté par la tcnipiHc dans un
pays où on l'accuoille Iticn, mais on lui interdisant di; retourner
dans sa patrie. Le hruit de ses aventures se répand néanmoins,
et ce sont deux Islandais. Hrafn et Torkell (iellisson, qui le
transmettent au rédacteur du Ijtndtiumabok. Or, ce Ilr;ifn, qui
a lonfîtemps habité Limerik en Irlande, tenait sans doute ses
renseijïnements de voyajreurs irlandais revenus du Ilvitra-
mannaland; (|uant à T<trkell (Jellisson, il était l'oncle paternel
dWré Frodlié; il avait beaucoup voyajjé, beaucoup appris, et
transmis une foule de récits à son nevo"; enlin il s'.q)puyait
sur U\ témoignafre du jarl ou duc des Orcades, (fest-à-tlire
d'un pays colonisé par les Papae irlandais, et (pu sans doute
avait conservé des relations avec les autres colonies fondées
par ces mêmes Papae. Ue ce premier témoignaffe semble donc
résulter que les colons irlandais avaient occupé un };rand i)ays
situé à l'ouest, et qu'ils empérhaient tous les navijj:ateurs (pic
le hasard ou la tempête y conduisaient de rentrer dans leur
patrie.
Voici un nouveau fra;;ineiit de chroiiiipie islandaise plus con-
cluant encore. 11 est enqu'uiité à l'L'i/r/ji/gf/ifi Sur/a (1), ou
histoire des notables personiiaîJ:es de la péninsule de Thorness
et des Eyrby^'ges dans l'Islande occidentale. D'après cette Snrj.i,
IJjo'rn, fils d'Asbrand, s'était épris de Thuride de Frodhà, et
resta eu bonnes relations avec elle, même après son mariafre
avi'c \\\\ certain Thorold. De \\ des hostilités et «les assassinats.
(Il L'Iîf/r-'/'/'jrjii Snya a été composée apiés 1148, piiisquH elle cite li;
L'iii Inunnliuk, écrit à cette époque, et avant la soutiiission île l'Islande au
roi lie Norvèjje eu 1204. Elle a été publiée deux lois dans so» entier, eu 1782,
à Copculiague, par Tliorkelin, et eu 1861, à Leipzig, par C. Vigfusson. Hah.n
on a donne des extraits avec traduction danoise et latine dans ses Antiquitatcs
Ameiicau.r, 1, p. 53:!-78l). — Reu vois en a traduit quelques fragments en
français dans ses Dikoiirertos dc^ Scundl/iarcs en Atnêiiqup, tlu X' un
XIII' siè:le {Revue oriental)' et américaine, Paris, 1859j.
ats.
«:ilM'. Vm, — LES !KLAM)AIS IvN AMKHIQl'E AVANT (.(ILOMII. "llî)
Traduit devant le Tliiii}r |ioiir avoir tu»' deux de ses adver-
saires, |{j(prn j)artit en exil, se signala par sa bravoure, et
revint en Islande dix an. plus tard, toujours épris de Thuride.
Compromis par ses assiduités et poursuivi par la haine de la
famille de Timride, il dut s'expatrier une seconde fois et
<• piU'tit avec un vont du nord-est qui souffla prescpie continuel-
lement, et de longtemps on n'entendit |iarler de ce navire » (l).
C'était en U80 (pie Hjo'rn était pour la première l'ois parti en
exil, et aux al(>ntours de l'an mil (ju'il avait pour la seconde
fois quitté l'Islande. Or, en lOIWJ, vers la lin du règne de saint
Olaf {-2), un riche armateur islandais, (ludhlcif, « ayant fait un
voyage à Duhlin, naviguait vers l'ouest pour retourner en
Islande, lorsque un grand vent du nord-est le poussa si loin en
mer, vers rouest et le sud-ouest, (|u'il ne savait plus où se
trouvait la terre. Comme l'été était avancé, ils firent de nom-
hreux vu'ux pour être préservés d'un naufrage, et il arriva
qu'ils apercyrent la terre. C'était une grande contrée qu'ils ne
cfinnaissaiont pas. Cudhleif eties siens prirent la résolution d'y
déharquer, parce qu'ils étaient fatigués d'avoir été longtemps
ballottés sur mer. Ils trouvèrent un bon port, et ils étaient à
terre depuis peu de temps, lorsqu'il arriva des gens dont pas un
ne leur était connu, mais il leur semblait fort que ceux-ci par-
laient l'irlandais. Bientôt cotte multitude s'étant accrue au
nombre de plusieurs centaines, assaillit les navigateurs, s'em-
para d'eux tous, les chargea do liens et les amena vers le haut
pays. Conduits à une assemblée pour y être jugés, ils com-
prirent que les uns voulaient les massacrer tout de suite, les
autres les partager entre eux et les réduire à l'esclavage. Pen-
dant les délibérations, ils virent arriver une troupe de cavaliers
avec un étendard, d'où ils concluront qu'il devait y avoir un
chef dans cotte troupe. Lorsque colle-ci fut arrivée, ils virent
(1) Ei/r/iyggiu Saga, § 47.
(2,1 ID., § (H.
:2"('t IMIKMIKHr. l'AUTIK
LKS l'RKCrUSKinS 1)K COLOMB.
«•licvaucluT s(»iis rt''teiuliiril un Iidiiiiiio faraud et vij;<»unMi\, di'jà
trrs âgé et à <'lioven\ blancs. Tous les assistants s'inrlinènMit
(levant Cl' pcrsonnajfe ot rarcneillircnt (le leur niiciix : c'est à
lui (|ue fut laissée la décision de l'alfaire. Le vieillard envoya
"liercher (ludlihif et ses gens, leur adressa la | arole en lan<:iic
l'.orraine. et leur denianda de (|uel pays ils étaient, lis lui ré-
pondirent qu'ils étaient Islandais pour la |)lupart. — " lît quels
sont les Islandais parmi vous ? » (iudldeif lui dit ipi'il en était
un, et salua le vieillard, qui lui fit \um accueil et lui denianda
de quelle contrée de l'Islande il était. (îudhieif lui dit (pi'il était
du canton de IJorjrarfjierd}:. « Et de quel endroit? » Renseigné
sur ce poi/it par (iudlileif, il l'interrogea sur presque toutes les
personnes considéraMes de IJorgarfjo'rdli et tlu Ureidliafjo'rdli.
Dans ces entretiens il s'inforuia exactement à tous égards de
Snorré (iodhé et de sa s(vur Thuride de FrodliA, et siu'tout de
Kjartan, fds de cette dernière, (pii était alors maître de
Krodlià ».
Gomme les indigènes s'iuqtafientaient et réclamaient une
prompte solution de ralFaire, le chef déclara (pi'il laissait les
étrangers libres, mais, dit-il en confidence à (Iudldeif, « alors
même que l'été vous semblerait bien avancé, je vous conseille
de vous éloigner promptement, car il ne faut pas se fier aux
indigèiies, et il ne fait pas bo!i avoir affaire à eux ; ils croient
d'ailleurs que la loi a été violé(î à leur préjudice. — Mais, dit
(Iudldeif, s'il nous est donné d(î revoir notre patrie, comment
nommerons-nous celui (jui nous a sauvés? — Je ne puis vous
le dire, répondit-il, car je ne veux pas que mes parents ou mes
frères d'armes fassent un voyage comme (^elui que vous auriez
fait, si je n'eusse été présent pour vous protéger... Il y a dans
le pays des <'befs plus puissants que moi, ils ne sont pas ac-
tuellement dans la contrée où vous avez abordé ; mais, s'ils
viennent, ils auront peu de ménagements pour les étrangers ».
Malgré les instances des Islandais, le vieux chef ne voulut
jamais se nommer, mais il pressa leur départ, voulut assister ù
CHAI*. VIII. — LKS IHLVMIAIS K\ AMKRIQUK AVANT COLOMII. "111
loiir eiiiltar<|U('iiu'iit cl leur doiiiia (|U('l<iiK's pn'st'nts <|<'stiii(''s à
Tlmridc et à son fils. <• Si (|iiol(]iriiu croit savoir à (jui '>iit a»,-
|)arU>iiu CCS ohjcts, ajouta-t-il, ilis-lc.irdciiia part (juc je ûcKads
à (|ui (luo Cl' soit «le venir me trouver ; car c'est iww eiitre|»rise
(térilleuse, à uioins <|ue \\>i\ u'ait, coinnie vous, la chance <!(!
trouver un lieu d'ahordage favoraMe. Ce pays est étendu vA
mal pourvu de ports, et partout un mauvais accueil attend les
étrangers, à moins cpi'ils ne soient dans les mêmes circons-
tances (jue vous ». Après «juoi iJudhIeif et les siens se mirent
en mer et arrivèrent en Irlande à une époque avancée de l'au-
tomne. Ils passèrent Tliiver à Dyflinn (Duhlin), et, l'été sui-
vant, ils firent voile pour l'Islande, où ils remirent les présents
aux destinataires. Des p«'rsonnes tieiuient |)our ceriain (|ue le
chef indigène était Hjiern Hreidhvikingakappé, mais il n'y a
pas d'autres notions certaines ù cet égard que celles qu'on a
rapportées ».
Certes, ces aventures sont romanesques, et la reuc»jntre
fortuite de lijœrn et de (ludhleif semhie arrangée à plaisir,
mais elle n'est pas invraisemhlahle, et d'ailleurs elle est con-
signée dans une saga islandaise, dont la véracité n'a jamais été
contestée. Si donc nous acceptons provisoirement l'authenticité
de ce récit, nous remarquerons (jue les deux islandais Bjœru
et Gudhleif ont tous les deux été jetés par la tempête dans un
pays civilisé, situé très à l'ouest, où la langue irlandaise était
couramment parlée, mais dont les habitants massacraient et
réduisaient systématiquement à l'esclavage les étrangers qui
abordaient chez eux. En outre, ce pays était situé à l'ouest de
l'Irlande et de l'Islande, c'est-à-dire dans la direction de l'Amé-
rique. Il paraît donc correspondre à l'Irland it Mikla, où Are
Màrsson, avait été précédemment jeté.
Une troisième saga, celle de Thorfmn Karlsefne (1), cora-
il) La saga du Thorlînii Karlscrne, dont le texte est contenu dans quinze
manuscrits, a été publiée dans les Antiquitates Americanse àa Rafn et dan
,1
ïJ78 l'IlKMIKHK l'AIITIi:. — LKS l'nKCinSKI'IIS l>K COI.OMII.
|>(ts('>(> (i'ii|)r('>s les rolatiuiis <ruii ou <!(' pliisiciirs dos Nortliiiiiins
(|iii (iôcouvrirent le Viiilaiid, n'iifVniic un pussa};*' )i'iiii(> iiii-
liorlancc; rapitale |M)iir los ('taltlissciiiciits des Irlandais an
nouveau inonde. Il y est dit (|Ui>, <|n(>l(|u<>s années après l'an
mil, Tliorlinn el ses compa^^nons, après avoir passé trois ans
dans le Vinland, c'est-à-dire, roinine nous le prouverons plus
loin, en .\inéri(|ue, revenaient dans le (îroenland, lorsfpi'ils
trouvèrent sur l«'ur cheinin cimi Skrodlinj^s ou Kscpiiinaux.
« L'un d'eux était harliu, et il y avait deux feirniies et deux en-
fants. Les gens de Karlsefne s'eui|)arèrent de ces derniers,
tandis (jue les autres s'éciiappèrent et disparurent sous terre.
Les enfants, euiuienés |)ar eux, apprirent leur Ianf,Mie et
furent haptisés (1), Ils appelaient leur mère Vettliild(> l't leur
pènî Uvaefje. Ils ra|)portèrent (juc^ deux rois gouvernaient les
Sknidlings, l'un nouuné Avalldania, l'autre Valldidida ; ipi'il
n'y avait pas de maisons dans le pays, que les liahitants cou-
chaient dans des cavernes ou des trous ; (pi'une autre firande
contrée située en face de leur pays était habitée pai' des };ens
(pii marchaient vêtus de hlanc, portant devant eux des perches
où étaient fixés des drapeaux et criant fort. On pense (pie
c'était le llvitramannaland ou Irland it Mikia ».
Quels sont ces gens vêtus de hlanc, sinon des Papae ou des
indigènes colonisés par eux et restés fidèles au costume de saint
(iolumba ? Quant à ces perches ornées de drapeaux et à ces
Groimlands hhtoriskc Mhulcxmœt ko: La traduction française a ùlv doiitiéc
par Beauvois (Découvertes tics Scandinaves en Amérique, ]). 3248).
(1) Rakn, Antiquitates americaniv, p. 182. Kailsefaiani pucros coiiipre-
lieudcrunt, céleris Skrœlliiii;i$ fuga elal)ciitibus et terra déhiscente alisor|)tis.
Hos duo pucros sccum abduxeruiit, cosquc linguam docuciunt et haptizaruiit
ni nominarunt matrein Vcttliildam et patrem Uvœgium, dixerunt reges
Skrœllingis iinperarc, quorum altcri nomcii cssc Avalldanio, alteri Valldidida,
nullas ibi domos esse, scd in antris aut cavernis babitari ; ex altéra parte,
exadversuni suani terrani, aliain silam cssc regionem, quam incolcreut ho-
inincs, albis vestibus induti, hos longurios prœferrc, paniiis affîxis, et alla
voce clamarc. Hanc putant esse Hvitraniannal^nd (Terra Hoininuiii alboruin),
.sivc Irlandiaui Magnam.
IJI
;."*i
niAI'. Mil. — LES IHUMtAIS V.S AM^MUOI'K AVANT COLOMB. 270
(li.'iiits (|iii avaient si fort ri'a|)|it'> riina}.'iiiati))ii dis petits
Skni'IlififTs, n'cst-il pas aisé do rccdiiiiaitrc une procession et
(les cantiipies, dont les Pa|)ae auraient r.discrvé l'usafîe dans
leur nouvelle possession?
De ces trctis docuinents irlandais ronserv<^s par le hiiidni ■
iiKifni/,', par l'hi/rhi/gf/iti Sii;/ii et par la Sar/ti dr '/'Ikh'/Iiiii
h'nrlsrf'tif, il seinlile donc résulter ipie les Irlandais avaient
découvert à l'ouest un pays an(piel ils avaient donné leur nom,
Irland it Mikia, ou la (irande Irlande; (pie cet autre nom du
llvitramaniialand , ou terre des hommes blancs ou velus du
lilanc, rappelle le costume des Papae ; (ju'ils avaient conservé
l'usage de la langue irlandaise ; (pi'ils étaient restés fidèles au
christianisme, puis(ju'ils céléhraient des processions et clian-
laient des cantiques; enlin (pi'ils étaient sans pitié pour les
naufragés, parce que, plusieurs fois pourchassés et expulsés par
les |)irates Northinans, ils voulaient, pour leur sécurité future,
dissimuler leurs découvertes. Donc, r.\inéri(pie a été reconnue
et en partie c(»loniséc par les Irlandais, et, hien (|ue le témoi-
gnage des sagas islandaises niauiiue de précision, l'existence de
l'Irland it MikIa peut et doit être considérée comme un fait
historique (1).
Deux autres documents, l'un d'origine italienne, l'autre de
jiroveuance galloise, confirment la réalité de cette colonisation
précolonihienno de l'Amérique par les Irlandais.
A lu fin du xiV siècle (2) deux patriciens de Venise, Nicolo
!
(1) L'hliiiul it Mikla des sagas est iiicntioniiée par Edrisi sous le num
d'Irlandeli el Kabirah. Ce i ; et plusieurs autres détails sur les contrées du
Nord lui ont sans doute été <ournis par les Northniaiis employés à la cour de
leur compatriote, le roi de Sicile Ilojçer II (1130-1154).
(2) La relation des frères Zeni a été publiée pour la première fois sous le
litre de Delto scoprimento deU'isolf Fvklanda, Eslanda, Engrovelanda,
Estilanda et Icaria, fatto anlo il Polo Art ko, da due fratelli Zeni M.
S'icolo il K. V M. Antonio libre utio, à la suite de Dei commentarii del
viaggi in Persia di M. Caterino Zeno il K., Venise, 1358. La meilleure
édition moderne est celle de M. Major, Tfie voi/ayes of tfœ Venitian brothers.
'
^80 ntKMIÈKK l'ARTŒ. — LES l'HKl'.l'RSEURS DK COLOMH.
Zcnu et Antuniu Zcno, aiiii'iK's par lt>s liasards d'une vie aven-
tureuse dans les régions situées uu nurd-ouest de rKuropc,
visitèrent les mis après les autres les |mys autrefois parcourus
par les Papae. Ils ont raconté leurs voyages et décrit les con-
trées visitées dans une relation fameuse, dont l'authenticité a
été condtattue, et (|U(;, pour notre part, nous n'hésitons |)as à
croire vraie dans son (Misemble et même dans ses détails. Nous
aurons occasion de revenir sur cet important document. Nous
ne voulons pour le moment en extraire (ju'un [lassage fort cu-
rieux. Nicolo Zeno rapportait qu'un vieux pètdieur frislandais,
c'est-à-dire un insulaire des l'Y'roi.', avait vu dans l'ouest, vers
l'nn 131)0, des pays riches et po|mleux (1). « Quatre navires d(;
Nico/o ed Antonio Zeno, to the Northern seas, in tlir A7.V Century,
London, 1873.
^1) Edition Majoii, p. 1U-21. u Si partirono vciUisei anni f\ qiiattro iiavigli
di piscatori, i quali, assaltali da una graiida furtuna, inuiti giurtii andaroiio,
corne pur perduti per il marc, quando flnalmente raddolcitosi il tempo, scu-
prirono una isola detta Estotilanda posta in ponente, lontano da Fiislandu
piu di mille miglia, nclla quale si ruppe un dé'navigli, c soi uomini, clie
n'crano si'i, fuiono presi da gli isolani, c condotti à una ciltà bcUissiiiia c
niolto popolata, dovc il ite, che lo signoreggiava, fatti venir molti intcrpreti,
non se trovo mai alcuno che sapesse la lingua di quelli pescalori, se non un
Latino nella stessa isola pcr fortuna medesimamente capitato, il quale diman-
dando lor la parle del He che cruno e di dove venivano, raccolse il tuttu, e lo
riseri al Re, in quale intese tulle quesle cose, voile che si fermassero nel
paese ; perche essi facendo il suo commendamento, per non si polur altro
fare, sleltcro cinque anni nell isola cd appressero la lingua, e un di loro par-
licolarmenle fu in diversi parti dell' isola, c narra che è ricchissiina ed
abondantissima di tutti li béni del mondo, e che ë poco minrc di Islanda,
ma più fertile, havendo nel mezzo un monte altissimo, dal quale nascouo
quattro liumi, che la irrigano. Quelli che l'habitano son« ingeniosi, e haiino
tulle le arti corne noi ; e credesi, che inaltri tempi havessero commercio con
i nostri, perche dice di havcr veduli libri lalini nella libreria del Re, che non
rengono hora da lor inlesi, hanno lingua, e lettera separate, e cavano metalli
di ogni sorte, e sopra tutto abondano di oro, c le lor pratiche sono in Engru-
neland, di dove traggono pelleceri, e zolfo, e pcgola ; ed verso astro narra
che è un gran paese molto ricco d'oro c popolato ; seminano grano, c fanno
la cervosa, che è una sorte di bevanda che usano i popoli scllentrionali, corne
noi il vino, hanno boschi d'immensa grandezza, e fabricano à muraglia, c ci
sono molle ciltà c castella. Fanno navigli e navigano, ma non hanno la
calamità ne intendono col bossolo la tramontana ».
II!,-
n
CHAC. Mil. — l,KS IHLANhAlS KN AMKHKU K AVANT Col.nMII. :J8I
|M^'li('urs raisuiunt voile an courliuiit, lors(|irils l'iin'iit iissailtin
par iiiic violente teiii|i(He (|iii tliira pliisietirs jours, et hireiit
coiiiiiie perclus au milieu des Ilots. Au retour du lieau temps, ils
dé((»uvrireiit une ile située à l'iMiesf et iiuuunée l<]stolilaiid. Ils
se trouvaient alors à plus de mille milles du Frislaiid. L'ii des
navires, monté par six liommes, fut [tris par les insulaires. On
les conduisit dans une ville lort helle et hieii peu|(lée, Li' roi
(|ui lu gouveriuiit manda plusieurs inlerprètes, mais aucun
d'eux ne connaissait la langue de ces pécheurs, si ce n'est un
Latin, arrivé dans cette ile par fortune de mer, (|ui leur
demanda de la |)art du roi (|ui ils étaient et (Toù ils venaient,
(Juand le roi l'ut informé de ce (|ui h's ri'gardail, il rés(dut de les
retenir prisonniers. Les pécheurs se soumirent à sa volonté,
puisipi'ils ne pouvaient autrement faire, et restèrent cimi ans
dans ce pays, dont ils apprirent la langue. L'un d'eux visita à
plusieurs rejtrises la région. Il raconta qu'cdie était riche, ahon-
(lamment pourvue de tous les hiens du muiide et un peu plus
petite (|ue l'Islande, mais [dus fertile. Au milieu se dresse une
montagne fort élevée, d'où sortent quatre fleuves qui l'arrosent.
Les habitants sont ingénieux <!t aussi avancés dans les arts (|ue
les Krislanduis. Il est même probable (|u'ils avaient eu autrefois
(les relations avec la Krislande, car le pécheur remarqua dans
la bibliothèque du roi des livres latins qu'aucun d'eux ne com-
prenait plus. Leur langue et leur alphabet diffèrent de ceux de
la Krislande. Ils exploitent des mines et ont de l'or en abon-
dance. Us ont des relations avec le (iroenland, d'où ils tirent
des peaux, du soufre et de la poix. Vers le sud s'étend une im-
mense région, riche encore et très p(!uplée. Ils cultivent des
graines et font de la cervoise, qui est une sorte de bière en
usage chez les peuples septentrionaux, comme le vin en Italie.
Le pays est couvert de bois immenses, et ils en font des mu-
raili ■ Ils ont des villes et des chAteaux. Ils construisent des
vaii'seaux et naviguent, mais ne connaissent pas l'usage de la
pierre aimantée et ne se servent pas de la boussole pour se
\M^
|i
-2H-1 l'IlKMlKRK l'AHÏIE. — LKS l'UKCIRSKlUS l»K COLOMII.
«lirifTcr vors le nord ». Après des aventures extraordinaires
df»nt le récit trouvera sa jilace ailleurs, ic itéciieur Krislandais
réussit à é(|ui|ier un navire à ses Trais et à revenir dans sa
patrie, « où il porta à son seigneur la nouvelle de la déromerte.
de ce richissime pays (1) ».
(Juel est «1 ce riciiissinie [>ays »? Nous pensons (pi'il corres-
pond exactement à l'Irland it Mikia, non seulement |)arce (pie
ses habitants avaient cons(>rvé rhatiitu('e. connue an lem|»s
de Hju'rn et de (îudhieif, de se défier des étrangers au point
de les retenir prisoiuiiers, mais surtout parce (pi'ils jouissaient
d'une civilisation très avancée, et, au dire du pécheur Krislan-
«lais, observateur pourtant i)ien superficiel, send>laient avoir eu
des relations avec les Kuropéens. Kn outre ils avaient une
littérature, puisque leur roi possédait une hihliothècpie, et.
sans trop forcer la vraisemblance, il est permis d'avancer cpie
les livres latins qui se trouvaient dans cette bibliothè(pie pn»-
venaient des Pa|)ae, qui les em|tortaient toujours soigneusement
avec eux dans toutes leurs covu'ses. Sans doute ils ne compre-
naient plus la langue latine, mais, depuis plusieurs siècles, ces
Américîiins d'origine irlandai-;e n'avaient plus de prêtres
Cormes dans les universités et les séminain's d'l<]urope. Il n'est
pasjus(ju'au nom d'Estotiland ipii n'apporte une preuve nouvelle
à cette identité probable de l'Irland it Mikla et (hi pays décou-
vert par le pécheur Krislandais. On sait en elVet que l'Irlande
pendant tout le moyen Age s'est ajtpelée Scocii» ou Scotland :
et, si le premier éditeur de la relation de Zeni a mal lu son
texte et imprimé Estotiland ou lieu de Esco''iland, il se pourrait
que les Escocilaiulais descendissent ened'etdes colons irlandais
d(»nt muis avons déjà raconté les courses et les établissements
•n A
nu
riq
ne
Il est vrai uue l>ien des années s'étaient écoulées deimis I
(ti K(l. Majoii, p. "li. « l'ortaiulo a qiiesld signor la nuova tiello scopri-
ineiito ili quel pacsc riccliissiiiio ».
CHAI'. Vm. — LKS IRLANDAIS KN AMKIUOI'K AVANT COI.OMU. :28l{
juin' <»ii. Hjn'ni et (îiidlilcif ('clianjrcaicnt leurs (•oin|)lim('Mls
j(is(|u'à r(''|»(»(|U(> où Zono ('criviiit sa relation, et, dans cet
iiiter" aile (le quatre sif'-cles, nous ne trouvons rien ou prescjue
lien dans les doeunienfs eontein|)oi-ains qui nous perniefte
d'ariiriner ([ue I. s Irlandais d'I'lurope n'aient [las oubli»' leurs
l'rères d'Aniéri(jtie. Il n'en est |»as moins (n''s probaMe (pie
pins d'un marin V(»uluf visiter la . ontive (pii avait enrichi ui» si
i:ran(l nombre de braves compajîuons. Sans doute le ivcit de ces
vuyaf^es n'a pas (''t('' conserv('' dans l'Ii, ; -lire, mais ils ont dû
'fre ex(''cut(''s. Aussi bien n'est-ce |»as en admettant l'existence
le rirland it Mikia (pie nous pouvons e\pli(pier un tn'-s curieux
incinnent frallois dont pers(»nne n'a jamais coiilest»'' l'autlien-
ticiU' et (|ui nous parait s'appli(pier à c(>tte mystc'rietise n'^^ioii
iii|(tnis(''e depuis si ' 'Ufjtemps par les Irlandais.
Au xii" sii'cle (1), vers l'an 1 170, une dispute s'('leva, à propos
(le la succession au fn'me, entre les tils d'Owen Guynetii, roi
lie la partie septentrionale du pays de (îalles. Madoc, un de
CCS princes, l'atigu('' et d(''}::oùt('' de ces discussions, se (b'-cida à
(■'iiii^:rer pour chercher un s('jour plus tranquille. Il diri;,^ea sa
course droit à l'ouest, en laissant rirlande (lerri(''re lui, et arriva
(liiiis un pays inconnu (pii lui parut si agivable, qu'il retourna
1 1 1 David Powel, Caratlocs /listorij of Camhria irith a7inotatio?is, \a)i\-
(Ircs, ir)8i ; léiiiiinessioii imi IG07 et 1714. <> Amio MCI^XX, Oweiio (îdyiielli
(Icriiiieto, diiin filii iiiter su du i)i'inci|iiit(i coiiteiiihiiit, et iiuthiis aiiiiis siipc-
l'ior illiiin ublinciet, Madocus umis t;x libuiis Oweiii (ïiiviiellii, discordianini
riviliiim et jirœlioniin iiilcr fralres iioitirsds, coniparavit silti aliiiiiot navcs,
rt idoiico coininealii aliisque rébus iinpositis, e patria profectiis ut uiivas
liMTas iiivcstijçaret, ac reliita post tcrguiii lliberiiia, douce iucideiet iii terras
aille iiicoguitas, ubi inulta niirandaque (diservavit. Iiidc ad patriain reversiis,
(iainbi'is sui^ exponit qunm aiuanias et fecundas terras adiisset, sive ullis
iiicolis, proclive esse ipsis et doincstica peiiciila vilarc et amœiiis liiscc alque
recuiidis terris poliri. Quinii uou païu-is persuasisset, denuo navos plures
sibi ciiiupuravit, ot ouinibus ucccssarii.s iiiipusitis iiuiginun u(nneruHi viroruiii
pariter ac fcniinarum, quos doinesticarum calauiitatu(u trcdebal, secum iii
illas terras adduxit, et patriie awv vale dixit >■. L'bistoire de Vi'adoc a l'ii!
reprise, avec uu grand luxe dÏMiulitioii, par K. B. DE Costa, M;/rijriii)n Ar-
'•hnioloijj/, Albaiiy, 1891.
]
i I
284 i'KEMlÈKK l'AKTIE.
LES l'REC.lHSElHS 1»E COLOM».
!i
i-fi
dans sa patrie et raiticnji avec lui l'un noniltre de ses ((.ytisans,
auxquels il persuada sans peine qu'il valait bien mieux éclianfjcr
une froide et stérile contrée contre une région niagnilicpie, et
les agitations de la guerre civile contre la tranquille possession
d'un pays que personne ne disputerait. David Powel, l'Iiistorien
des Gallois, qui nous a conservé ce curieux récit, n'est pas le
seul dont le témoignage puisse être allégué en faveur de Madoc.
Un barde, son conqiatriote , Meredith , fils de Rbest, men-
tionne également la navigation de Madoc vers des terres
inconnues (1). Or, ce Itarde vivait bien avant la découverte dv*
Colond), à une époque où on ne peut le soupçonner d'avoii-
inveU'C cette histoire par amour-propre national et pour donner
à son pays une gloire qui lui manquait. Knfm les triades
galloises (2), (|ui paraissent avoir été transcrites au xil'" siècle,
parlent également, à propos des pertes subies par l'ile de
Bretagne, « de Magdawag ab Owain (iwyned, qui se mit en
mer avec trois cents hommes embarqués sur dix navires, et qui
arriva on ne sait où » (3),
Cette tradition est-elle vraisemblable? A&surément oui. Les
eûtes découpées de leur pays, les collines boisées qui descerident
jusqu'à la mer, la vue continuelle de l'Océan, tout, jusqu'aux
traditions de leurs ancêtres, ^)Oussait les Gallois aux lointaines
entreprises. Us n'avaient oublié ni leur roi Arthur, ni la mysté-
rieuse Avallon d'où il doit un jour revenir pour chasser les
(1) IIakllyt, The principal navigations, voiages, trafiques ot the En-
(jlish nation, Loiidou, 160U, t. 111, p. 4.
Madoc wif, in wj'cddic wcdd,
lawn gouaii, Owyn Gwyiiedds :
N'y syiiinm dir, fy eiiaid dedd
Nada iiiawr, oud y morocdu.
(2) DiEPEMtACii, Celtica, 11, 2, p 73, triade X. «... y trydydd Madawjç
ab Owaiii Gwyiiedd, a actli ir mor a thrichannyn gydag cf mewu deg ilong,
ac ni wyddis i ba le arthalt ».
(3) Mentionnons ù titre de curiosité qu'un des plus grands poètes anglais,
Soutliey, a choisi Madoc comme héros d'un de ses poèmes : 1 vol. in-4,
Edimbourg, 1805-1809.
CHAI'. VIII. — LKS lUL.VNDAlS K.N AMKIUOIK AVANT COLOMH. 28?)
Saxons, et plus iVuu (iallois dut espérer qu'il rencontrerait cette
terre tant désirée dans ses {grandes pèches sur l'océan. Les (Iallois
en ed'et furent des premiers à p(»ursuivre la baleine au large des
eûtes et à travers la tempête, (le fut même un honneur chez eux
(pie de s'adonner à cette vie aventureuse. Leurs harponneurs,
dans les listes de wehrgeld, sont estimés un quart en sus des
autres hommes de la môme classe qu'eux (l). Dans ces courses
hardies, emportés par la passion ou [)ar la <'iipidité, souvent ils
(lé|tassaient les limites de leurs connaissances maritimes. Par-
fois aussi, surpris par la tempête, ils étaient poussés vers des
rivages inconnus, car, ne Tonhlions pas, la distance n'est pas
fort longue jusqu'aux côtes américaines, et nous savons le.s
étonnants voyages acc(»mplis par de simples harques. Ceux
d'entre eux qui revinrent racontèrent les merveilles des pays
(pi'ils avaient entrevus, et c'en fut assez pour exciter en toute la
nation l'ardeur des aventures. Les chefs du [lays eux-mêmes
s'en émurent, et l'un d'eux, plus hardi que les autres, tenta la
fortune et s'expatria.
On a prétendu que le voyage de Madoc avait été inventé de
toutes pièces, et que Powell et Ilakiuyt lavaient imaginé pour
soutenir et légitimer les projets de Walter llaleigh ; mais les
Anglais ne sont |)as coutumiers de pareils ménagements ; quand
ils veulent s'étahlir dans un pays, ils ne recourent pas iVdes
arguments d'érudition rétrospective, mais à la force brutale.
La reine Elisabeth surtout, qui était en état de guerre ouverte
avec l'Espagne, devait peu se soucier de ses droits à la posses-
sion du Nouveau Monde, et, on peut l'affirmer hardiment.
Jamais sou brillant capitaine, le fier Raleigh, ne songea à
se poser comme l'héritier et le continuateur du (iallois Madoc.
(j'était bien dans un pays vierge, et à la tête d'une expédition
purement anglaise, (ju'il entendait créer en Amérique une
nouvelle Angleterre. Si le bard« Mérédith, si l'historien Powel,
I 0 l.iNDENBROCK, Lcx Anf/Uca, V. 20.
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'iHVi l'HEMIKinC l'AHTlK. — l.l>
r.L'HSEURS DE COLOMB.
si le compositeur des Triades < raconté le voyage de Maduc.
c'est (jue léelleinent le voyage lut exécuté, et que tout se passa
comme le rapporte la tradition. Aussi nous faudra-t-il recon-
naître avec liuinl)oIdt tout l'intérêt que présente cette traditii»n
et nous dirons volontiers avec lui (1) : « Je ne partage aucune-
ment le mépris avec lequel ces traditions nationales ont souvent
été traitées. ' au contraire la ferme j)ersuasion (ju'avec un
peu d'assidui 'écouverte de faits entièrement inconnus au-
jourd'hui édaiicra lieaucouj) de ces problèmes historiques ».
l'essayons maintenant de déterminer la contrée où avait
dél)ar(|ué le prince gallois, llakluvt prétendait la retrouver
dans le Yucatan, et il en donnait comme preuve le grand
noud)re de croix trouvées dans cette contrée par les Espagnols
au XVI'" siècle, mais le culte de la croix était répandu dans tout<'
r.\méri(|ue, et même dans une partie de l'ancien monde avant
le christianisme : il ne prouve donc rien (2). llorn (Toit aussi
à la réalité du voyage de Madoc, mais pense qu'il a déhanjuc
en Virginie (3). Il s'appuie, pour le démontrer, sur des tradi-
tions indigènes. 11 rappelle que les sauvages Virginiens rendaient
houuuage à un certain Madeczunga ou Madinga, dont io nom
|)résente en effet une certaine analogie avec celui de Madoc.
Laët énumère avec complaisance une cinquantaine de mois
en virginien et en gallois (^i). Ces ressemblances ont encore été
signalées ]»ar Ulloa (5), mais la plupart d'entre elles nous
semblent forcées, et c'est avec raison (|ue Uobertson les tourne
(1) lIcMii ii.DT, lli.'itoil'c de la i/i'or/rap/iic ihi Noui'Pnu Cuntinc?il, t, III,
p. 140.
(2) li.xBKiKi, DE MoHTii.LET, Ir Sit/iic flc 1(1 Croix avant le christianisme,
passiin.
{',]} Hors, De origini/jus Aincriranis, p. 136. < Habeinus Mad.izuiigaiii
et .Miidiiijçam qui, ciir MaJoc Cainbreiisi.s esse neqiieat, qiieni in cas partes
delatiiin domcstica cvincuiit nioiiuineiila, ratio iiiilla reddi |)otcst ».
(■i) 1^.\ET, Nota' a<l dissertationem Hugonis Grotii, p, 140-152.
(il) Uli.oa, Mémoires p/ii/osophiques sur la découverte de l'Amérique,
traduction de Villebruiie, t. H, p. 48 i, 48.').
CHAI'. VIII. — l.KS IHLA.MIAIS K.\ AMKHKJIK AVANT (OLdMll. :2HT
•Ml ritliriilc y\). Dovoiis-iious en cU'ot CDUcliin' ;i lidentitt' iWs
(îalliiis L't lU's Vii'},Miii('iis, parce qui' ces dcriiicrs, au temps de
l{;ileij:li, se servait ilu salut gallois luxi lions loch, ou hieii
appelaient le pingouin jinif/iihi, le pain hara, Wvui' iri/, la
mère nifini, le jtère Iiid, un tuyau de plume en/,.'/', un renani
cli/tiii//, de l'eau lilanrlie t/wo» di/r, un ne/ Iriri/ii, le ciel iit;ti/\
efc? On hieii ces ressend)laiu'es sont accidentelles, ou liien ces
m<»ts n'auront été introduits (pi'à une époque toute moderne.
A vrai dire les exigences de la science contemporaine répugnent
absolument à un pareil genre de preuves.
On a encore signalé sur d'autres points de l'Amérique de
prétendues traces de la langue galloise. Ainsi TorrèsCaicedo (2)
rap|>orte (jue la langue Tuneiia, parlée par les Indiens deTierra
.\dieutro, dans la province de Tunja, au nord de la Nouvelle-
(rrenade, altonde en mots gallois (jui y sont usités depuis fort
longtemps. « Le capitaine Abraham, lisons-nous dans riiistoire
(lu Kentucky de Filson (3), homme sur la véracité duqu(>l on peut
(Hiinpter, a assuré à l'auteur que, dans la dernière guerre, étant
;vcc sa compagnie à Kaskaskuy, il y vint (pielques Indiens
qui. parlant la langue galloise, furent parfaitement entendus de
deux (îallois cpii étaient avec lui, et ([u'ils leui- parlèrent d'une
manière [tarfaitement conforme à ce (|u'en rapportent les
habitants de l'ouest ». Ce témoignage n'est pas le seul (4). L ii
ministre méthodiste, Heatty, (Jallois de naissance, fut un jour
surpris dans la Caroline par un parti de sauvages (jui s'ap|iré-
taient à le tuer, lorscju'il se reconniianda à Uieu tout haut <lans
ha langue. AussitiH les siuivages, étonnés (ju'il parlât comme
(MX, le délièrent et le conduisirent dans leur village, à (ju -Icpies
(1) UoMKursoN, The history uf Aineric-i, éilit. 1*77, t. I, p. 4:i7.
(2) ToiiUKsCAïcEOd.c.ité par José I'krez \l\evue américaine,"!" s,(iv\c,\). i6«i.
et) Jitii.N l"'ir.so\, Histoire de Kentucicr, nouvelle rnlonif à l'ouest de In
Virginie 'liiuluction Parraud).
( tl l^ïi KiivuE DE Vii.i.EiinuNE, Méntoircs à la suite de la traduction de.''
Mémoires /iliilosop/iiifues d'i'lloa, L II, p. 484.
Itï
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:288 PHKMIKRK l'AHTIK. — LKS l'HKClHSKIMS 1»K ('.OLOMH.
jours (lo m;ii"('li(\ « Il y vit une peuplade toute galloise, où se
conservait encore la tradition du |)assag(« de Madoc. Ou
le conduisit ensuite à l'oratoire, où on lui mit en main un
rouleau de peau dans lecpiel était soifineusement conservé un
manuscrit de l.i Hiltle en langue galloise ». IJealty revint à
Londres, et puMia cet événement dans un petit ouvrage
intitidé Jininud of tint inontha. On cite encore l'aventure
d'un certain Sntfon (jui eut également l'occasion de connaître
cette peuplade sauvage (1); celle de 'Morgan Jones, (|ui, fait
prisonnier par les Doggs et Tuscaroras de Virginie, en 108'J,
fut épargné par eux parce qu'il parlait leur langue (2). « Us nous
traitèrent avec alfahilité pendant quatre mois, racontait ce
Morgan, je parlai avec eux de nombreuses choses en langue
bretonne, et je leur fis trois pèches par semaine. Ils se
faisaient un plaisir (le me communiquer leurs affaires les
plus difficultucuses, et, quand nous les quittAmes, ils agirent à
notre égard avec heaucouj) de civilité ». Il ne faudrait certes
pas ajouter une confiances trop absolue à ces témoignages, dont
(|uelques-uns ont été peut-être inventés après coup et dont
l'origine est à tout le moins suspecte; au moins démontrt'nt-ils
(jue la tradition du voyage de Madoc ne s'est jamais perdue,
même en Amérique.
Aussi bien ce n'est ni dans le Yucatan, ni en Virginie ou en
Caroline, ni dans le Kentucky ou la Nouvelle-Grenade qu'il
nous faut chercher l'emplacement de la colonie galloise conduite
par Madoc : c'est en Irland itMikla. Les Irlandais et les Gallois
sont en effet de même race. Ils ont toujours eu des relations
suivies. Ainsi que le prouvent les légendes païennes et chrétiennes
dont nous avons donné l'analyse, les Gallois croyaient, aussi
bien (pie les Irlandais, à l'existence d'iles et de continents au
delà de l'Atlantiijue. Malgré les précautions prises par les
(Il Lekebvre de Vn.LEBRUJiE, lov. cit., p. 483.
iy.) OwKN, Hecueil il'antiquitds hretonnes, Londres, 1877, p. 103.
ClIAP. VIII. — LE3 IRLANDAIS EN AMÉRIQUE AVANT COLOMB. 289
Irlandais pour cacher leurs dôcouvertes maritimes, il est impos-
sible que de vagues rumeurs ne les aient pas fait connaître,
surtout |)ar leurs voisins des (lallois. Lorsque Madoc forma le
projet d'émigrer, ce n'est pas au hasard qu'il s'aventurait sur
r<»<;éan. H connaissait l'existence de l'Irland it Mikia, et c'est
lie propos délibéré (ju'il se dirigeait sur cette terre, où il était à
l'avance assuré de trouver des frères d'origine, et par conséquent
un bon accueil
Il ne nous reste plus qu'à déternMiier l'emplacement de cette
Irland it MikIa, de ce champ d'asile du moyen Age, où se réfu-
;,^ièrent successivement les Irlandais chassés de leurs possessions
maritimes par les Northmans et les Gallois en quête d'aventures.
La plupart des savants se sont contentés de reprodrire une
ctssertioii de Rafn, cpii plaçait l'Irland it MikIa dans ai partie
méridionale des Etats-Unis. Rafn s(> fondait sur une vague
traditions des Indiens Savannahs, d'après laquelle la Floride
aurait été autrefois habitée par des hommes de race blanche, en
possession d'outils de fer. Il alléguait encore de prétendues
aiialo ats de langage et des traces persistantes du christianisme
en Floride; mais Beauvois a démontré, (1) par uuv. étude
attentive des textes et une rigoureuse argumentation, (|ue la
véritable position de llrland it Mikla doit être reportée beaucouf)
plus au nord, soit dans l'île de Terre-Neuve, soit sur la rive
méridionale du Saint- Laurent. Il résulte en effet de divers
passages de Sagas que l'Irland it Mikla était située entre le
Helluland et le Vinland. Or, le llelluland correspondant au
Labrador, comme nous essaierons de le prouver à propos des
voyages des Northmans en Améri(|ue, et le Vinland aux Etats
(le New-York, Rhode-Island et Massachusetts, l'Irland it Mikla
ou Hvitramannaland se trouve entre ces deux contrées, c'est-à-
(liiv qu'il occupe la rive méridionale du Saint-Laurent et les
ik's qui ferment le golfe.
fl) Beauvois, Découverte </u ^^ouvenii Monde par les Irlandais, etc., p.
82-86.
T. I. 19
' s
! t.
200 PRKMlftHK l'ARÏIK. — LES 1'RK(U'RSErRS DE COLOMB.
L'autlu'iiticitô (le ceth; iiouvcllo tlu'oric est <'onnrnié(; par des
notions trrs précises sur les traces persistantes du christianisnie
dans cette réirion, que recueillirent quehpies missionnaires
français au Canada. 1/un de ces missionnaires, un récollet, le
père le Cler(|, était resté douze ans au Canada, de Ki'.'i à ItiS".
et particidièrement en (laspésie, e'est-à-dire dans la région qui
correspond à Tancien llvitramannaland . Fort surpris de-
trouver le culte de la croix élahli chez les sauva|,'çs (ju'iî était
chargé d'évangéliser, il étudia leurs mœurs et leurs traditions,
et, de retour en France, consigna ses ohservations dans un
ouvrage aujourd'hui fort rare, et dont voici le titre exact :
NuHvi'lb; rdatinn di; la Gasj)<''s'n\ qn'i conflful las nnfiirs l'i lu
rclif/ion dfs sauvages Gasprsiens, J*orle-Cro'i.r, adorateurs du
soleil, et d'autres peuples de VAmér'ique septentrionale, d'ttr
Canada, i vol. in-li2, Paris, Amahle Auhry, 1091. « Le culte
ancien et l'usage religieux de la croix, écrit le récollet, qu'<iii
admire encore aujourd'hui parmi ces sauvages, pourraient hieii
nous persuader (pie ces peuples ont reçu autrefois la connais-
sance de l'Evangile et du christianisme, (|ui s'est enlhi |»enlii
parla négligence et le lihertinage de leurs ancêtres » (1)... " ll-^
ont, titut inlidèles (|u'ils soient, la croix en grande vénération ;
ils la portent ligurée sur leurs hahits et sur leur chair ; ils l;i
tiennent à la main dans tous leurs voyages, soit par mer, suif
par terre, et enfin ils la posent au dedans et au dehors de leur*
cabanes, comme la manjue d'honneur qui les distingue <lcs
autres tribus du Canada » ["1). Le père Le Cler([ chercha à
connaître l'origine de ce culte, et les anciens de la trihn lui
racontèrent que leurs ancêtres allaient mourir de faim, <■< lors(|iii'
leur apparut un beau jeune honnne porteur d'une croix, (|iii
leur ordituna d'adorer cet instrument de salut. Ils obéirent et
furent sauvés. Dès ce jour ils conser- ont pour ce signe sai r<^
la vénération la plus profonde ».
(1) Bkauvois, Lm l'orte-Croir il: hi Gaspésie rt fie t.icadic (Annales ilr
philosophie chiéticmic, avril 1877).
i2i I.K Ci.ERc^, ouv. cité, p. 40-41, 16».
CHAI'. Vm. — LKS IKLA.NHAIS KN AMKIUQIK AVANT COLOM». ^l\)i
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Coiniiic le père Le Clei'(| cninposait son livre à la liii du
Wi!'' siècle, Mil pourrait olijeeter cpie les iii(liî,'èiies (pi'il s'étonnail
<le trouver prescpie chrétiens avaient peut-être été évangélisés
par les premiers Kiinipéens (pii ahordérent dans la contrée
au \vi'' siècle ; mais ces Kuntpéens avaient eux-mêmes été
frappés par les nomltreux vestifres de christianisme (pi'ils avaient
rencontrés. En l'JHi voyant Jac(pies (^artier planter une croix
sur le littoral, les indigènes lui avaient indicpié |)ar sipnes ipi'il
s'en trouvait de seud)lal)les sur tout leui' territoire (1). Au
temps de Jean Alphonse fl.'iil), leur lan;;ne renfermait encore
lteaucou|) de mots latins ('1\ . Kii Uti)'! (Ihaniplain trouvait
dans la haie de Fundy une croix de hois couverte de mousse et
[tresque pourrie (3) ; et lesi ndiffènes du voisinage non seulement
faisaient le signe de la croix à tout pn»|>os, mais encore la
portaient sur leurs vêtements et (tans leurs cahanes. Aussi
Lescarhot, riiistorieu de la Nouvelle-France (i), n'Iiésitait-il
pas à écrire que <c ces peujdes sont venus de quelque race de
j;ens (|ui avaient été instruits en la loi de Dieu ».
Il serait facile de multiplier les preuves : mais ne sont-elles
pas déjà suffisantes pour permettre d'affirmer que, dans le pays
qui nous parait correspondre à l'Irland it Mikia, les indigènes
avaient conservé, jusqu'à la lîu de xvii'" siècle, le souvenir
inconscient mais persistant de leur origine européenne ?
En résumé, la tradition est d'accord avec l'histoire pour
démontrer l'existence en Amérique, plusieurs siècles avant
Colomh, d'une colonie fondée par des Irlandais.
(1) Relation du voyage de Cartier au Canada en l,i3i, édition Micliclaiit
et Ramé, p 40-41. <• Et icelle croix plaiitasmes sur ladite ponicte devant eux..,
ft nous fît une grande liarangue nous montrant ladite croix et faisant le signe
de la croix avec deux doycts, et puis nous nionstroit la terre tout autour de
nous ».
(2) Jeax Alphonse, manuscrit de 1542 : « Les gens parlent beaucoup de
mots qui approchent du latin ».
(,3) Les Voyages du sieur de Champlain, édition Laverdière.
(4) Lkscarkot, Histoire de la Nvuiellc-Fram-e, édition Tross, t. I, p. 22,
!
I
■
'.
CHAPITUE IX
LES NORTIIMANS EN AMMRlQUK. -- \.K VINLAND lîT I,A
NOIIOMBHGA.
Do tous les peuples de l'Kurope, il n'eu est aucun, au moyeii-
A}fo, dont les expéditions aventureuses se soient étemlues à
autant de pays (pie les Northniaiis. La nier fut [lour eux l'élé-
uient par ex('ellence. Elle entourait leur |»ays de toutes parts,
elle oreusait sur leurs côtes de noudtreux fiords ipii pénétraient
fort avant dans l'intérieur des terres, et l)iU}j;naient les sapins
de leur t'orcHs. La stérilité du sol, la fré([uence des famines, la
difflcidtédesconuinniications excitaient leurs instincts vagabonds.
Lii religion elle-même et surtout leur caractère national les
poussaient vers l'Océan. Pour (;ux la pire des injures était d'être
appelé casanier. Aussi, par nécessité autant cpie par passion,
les Norfhmans tournèrent-ils de honne heure leur activité vers
la mer, et c'est sur la mer cpie se développa, exalté par l'ému-
lation, l'héroïsme des fortes races du nord.
Tacite avait déjà remarqué que les Northmans d'alors, ceux
(pi'il ap|ielle Suiones, étaient redoutables par leurs flottes (1).
Les sauvages habitants de la Scandinavie continuèrent les
exploits de leurs ancêtres, et lirent de l'Océan comme leur
domaine. Leurs vaisseaux étaient solides et bien pontés. Ils
avaient c(»nservé la forme déjà observée par l'historien romain :
(I) Tacitk, Gurmnnic, S XLIV. » Suioiium liiiic civitates, ipso in Oceaiio,
prictcr viros armaque, classibiis valent ".
il ) ;
r.llAPlTHE IX. — I.KS NOHTIIMANS K.N AMKHKJI K.
i293
« leurs vaisseaux did'èrent des iiùfres eu fe (|U(^ les deux extré-
mités se terminent eu |intue. et (|u'ils se |»résenteut dans uik'
direction eoinuinde pour toucher au rivasre » (1), c'est-à-dire
(ju'ils pouvaient éj;a!euH'nt s'einharquer d'un c(^té ou de l'autre,
et tenter ou repousser un aborda^re soit par l'avant, soit par
l'arrière. Les cliefs teinaieut à en avoir de jfrainle.-^ tlitnensions.
Le hwf/Srrixnil d'Olal" Tryf^^vason avait trente-deux raufis de
rauuis et portait cpiatre-vin^'t-dix liouunes, le Dmw-I truffons
d"Ulaf-le-Saiut pouvait porter deux cents honnues. Des lifrure»
d'animaux t'antasticpies se dressaient sur la proue, et, (piand ces
monstres paraissaient]sur les cAtes, les clu'onicpieurs du moyen-
.'^f,'i! rapportent (|u'on croyait voir c une troupe de hêtes sauvages
au milieu d'une forêt •> {"1). Les îs'orthmans nianiaient liahile-
ment ces vaisseaux ; ils savaient profiter des variations de l'at-
mosphère, et prévoir les chaufïenients trop hruscjues (3). Ils
étaient donc aussi bons matelots (pi'intrépides soldats, et mieux
préparés (|ue tout autre peuple aux lointaines entreprises.
La fausse interprétation d'un texte, ou plutôt lu maladroite
interpolation d'un copiste a été la cause d'une singulière erreur
relative à la date des premières entreprises des Northnians dans
la direction de l'Américjue. Le pape tirégoire IV, lorsqu'il inves-
tit le fameux Anscharius du ncmveau titre d'archevêque de
Hambourg (831), énumera, dans la bulle d'investiture (4), les
'*1^
il
t
i
II
lie
ornai n
Oceaiio,
(1) Id. « Forma iiaviiim eo differt quod, iitrinque, prora parntam sempci
nppiiisui frontein agit ».
(2) Depping, Histoire des expéditions maritimes des Normands et de
leurs expéditions en France au x« siècle, p. 42-45. — Jal, Archéologie
navale, p. 131, 132, 139, 144.
(3) FoHSTKR, Hisioire des découvertes et des voyages faits dans le Nord
(Irad. Broussonnel), t. 1, p. 127-129.
(4) RvDBRHO, Traités de la Suède (1877), p. 6, 7. « Ipsumquc flliuni
iiostrum, jamdictuin Ânsgarium et succcssnrcs ejus, legatos in omnibus
circumquaquc gentibus Danorum, Suenonuni, Norvegorum, Farrie, Gronlan-
dam, Halsingolandam, Islandam, Scridevindum, Slavornm, nec non omnium
scptciitrionalium et oricntalium natioiium, quocumquc nomine nominatarum^
dclcgamus ».
: I
m à
Il
±\)\ l'KKMiKui; l'Ainii:
I.KS l'IlKCI'lisKI'KS IIK <:i)l.(IMII.
p('ii|)l(!s i'i la roiivrrsioii iI(>si|iii>Ih «levait travailler le saint :
» Nous (iélé};iii)iis in»tre lils le dit Aiisrliariiis et ses successeurs
comme léf;at chez foutes les nations des Danois, des Suédois,
des .Norvéffieus, des l-Vro-yens, du(iroenland, du llelsin^'aland,
de l'Islande, des liapoiis, des Slaves, ainsi (\\u\ de tous les pays
H(!|iteutrionau\ et orientaux de (|U(^l(|ue nom «ju'ils soient apfte-
k'j
Dans la pluitart ties exeuudaires du décret par leciuel
M'
r*!m|>ereur Tjouis le Débonnaire r<!Cotuuit le nouvel arclievttché ( 1 )
(l.'i mars H:ti), il est également dit : « Nous notilions aux lils de
la sainte K);lise, |>résents ou futurs, que de nos jours, par la
grAce d«' Dieu et à la laveiu' des prédications et des con«|uétes
de l'Kvanfjile, une lar^fc porte s'est ouverte dans les pays sep-
tentrionaux, à savoir chez les peujtles Danois, Suédois, Norvé-
giens, dans les Férot^, (Iroenland, Islande et clie/ les Lapons ».
Des passages anal(»gu(^s se trouvent daiis les huiles de Nico-
las I" (8:JH ou 8t)i) (-2), et de Jean X {'M)) (3). Kst-ce donc «pie
l(! (iroenland a été ajouté après coup, |»eut-étre lors«pie l«!s suc-
cesseurs d'Ansclia'"!' à l'archevêché de llamhourg voulurent se
donner desdroit;- sur ce lointain pays? Saint llaudiert en ell'ef,
le su<;c,esseur inunédiat d'Anschaire (;t son historien, disait en
parlant de son ohédience cprelle s'étendait sur les Sué<lois, les
Danois, les Slaves ett(»ns les peuples du Nord, mais il ne citait
pas 1« (Iroeidand (i). Adam de Hrôme nommait également à ce
|»ropos Suédois, Danois, Slaves, et il ajoutait, et tous les peu-
(1) Les Grocnlnnik ftuloriski' Minilcs moerker (l , 12, 15), citent le Coi/r.r
Vdalrici llabenbcrgensU : « Aquiloiiilm» in |iarlil)us, iii };eiitibiis vidclicit
Danornin, Gronltindnn, Islamlos et omiiiuui scpteiilrionaliiim iialionnni ». —
Codex Vicelini : « Siieiionimi, Norweoium, Karriii. (Ironlamlaui, IslaiDiaiii,
Scridevindam ». — Codex Lindenbrog : « Norlwcgorum, Kaniai, Gronlnii-
flon, llalsin^ulanduii, Islandoii, Scridcviiidon >'.
(2) Rydbeiio, ouv. cité, I, |t. 23, 2(>.
(.'{) Id., ouv, cité, I, p. 32.
(4) L.VNCKBKCK, Scriptorrs rrriim Dankanim (1772-1776), t. I. ji. iSI :
u Constitutiiiii legatuui circuniqiiaqne gciitibus Sucnoniim, sivc Daiioniiii.
nec non etiani Slavonini, aliarumque in Aquilonis partil)us gcnliuiii consti-
tutaruni ».
CIIAIMTHK I\. — LES NOHTIIMANS EN AVKniQI'K,
'iwrt
|»lt's voisins, iiiuIh sans niciitiuiitior les (îrornliiidiiis I). D'ail-
li>iirs les passages citos plus haut iinuiincnt l«> lirnciilaii<l <• lui
nom punMiK'iit soandinavf, du norn nii^nic qui lui l'ut donné par
iM'ik Hauda, scuicnicnt à la lin du \" siètlf. iW n'est en elVet
<pie par les Nortiunaus, et assez tard, (pie la (lurie romaine eut
• onnaissance du (îroerdand et elierclia à le plaeer sous la Juri-
diction de l'areiievi^que de llamltourg. Les textes que nous avons
• ités sont d'ailleurs conlredils [tar d'autres textes, (pii, dans l'éiui-
mération des pays du Nord, omettent le tiroenland. La l)iMle
d'investiture de l'arclievtVlié de llamlioiu'f; et le capitulaire de
Louis le Délionnaire, les documents les plus sérietix (pi'ftn puiss»-
alléjfiier, sont contredits et réfutés par des textes p!us anci(>ns,
ipii |)araiss(>ut plus autlienticpies, et où le nom d(! (iroenland
ne lifiure pas (2), (ïe n'est donc |)as au ix" siècle, nuiis seulement
au \'', connue nous le démontrerons, ipie l'ut découverte cette
terre américaine, et, par consé<juent, les Xorthmans ne c(»m-
mencèrent pas dès le règne du lils de (îliarlemagne leurs auda-
cieuses expéditions dans les mers du Nord.
Aussi bien on sait à ne pas en d(tuter(pie c'est surtout à la lin
du neuvième siècle, |ieu de temps avant rintroducliou du chris-
tianisme dans Ui nord de TlCurope, lorscpie triompha dans la
péninsule Scandinave le grand mouvement d(! concentration
monarchi(pie opéré par llarald Ilaarl'ager (KC-OUI}), (pie l'ex-
pansion des races du Nord fut lu plus coiisidérahle (iJ). Dans
Il AiiAM i)K Hitt-MK, De situ Daiiix. << Aliis coiijaccnlibus iii circuilu
|io|)iilis ».
1^2) l'iiiLii'i'K G(*:sAR, Triapostutatus Septentriotiis, vila l't (icsfa S. S. Vil-
lefiadi, S. Ansynrii, N. liembcrti (Cologne, IGlti), cIomik; le texte suivant
pour la bulle d'investiture : « Jani dictuni Ansgariuni, legatuni in omnibus
rircum(]uaquc gentibus Sucnoruni, sive Danoruni, ncc iiuii ctiarn Slavorurn »,
et pour le ciipitulaire de Louis le Débonnaire : u Id circo sanctic Dei ecclc-
siœ flliis, prifiscntibus scilicel et fuluris, ccrtum esse volunius, qualiler divina
ordinante gracia, nostris in dicbus, aquilonalibus in ]iartibus, in gente vidu-
licct t)anoruni, sivc Sucnonum, magnum cœlcstis gratin prœdicationis sive
acquisitionis patcfccit ostium ».
(3) (jEFKitOY, Histoire des Etats Scandinaves. — Id., {'Islande avant le
'•liristianismpy p. 13.
I
i
i96 PREMIÈRR PAKTIE. — LKS l'RKOUHSEURS DE COLOMB.
l'espoir do se soustraire à la domination exclusive d'un roi par-
tout vain(|ueur, les Northmans se dispersèrent dans toutes les
directions, et se lancèrent dans les expéditions les plus loin-
taines et les découvertes les plus inattendues. Les uns pillent
l'Angleterre, l'Irlande et l'Espagne. Les autres ruinent la France
et s'établissent dans une de ses plus riches provinces (1). Ceux-
ci pénétrent jus{iue dans la Méditerranée, ceux-là, comme Other
et Wulfstan, dont le roi Alfred nous a conservé les relations (2),
entrent dans la mer Blanche, remontent par la Dwina et arri-
vent par la Volga jusqu'à la Caspienne, tandis que leurs com-
pagnons fondent Novogorod, s'emparent de Kiew et assiègent
Gonstantinople (3). Ils vont même jusqu'au Pirée inscrire leurs
caractères runiques jusque sur les flancs d'un des lions qui ornent
aujourd'hui l'arsenal de Venise (4). Vers le nord-ouest enfin,
poussés par le hasard, mais prédestinés à de grandes choses, ils
rencontrent des terres nouvelles, et peuplent des iles ou des
continents inconnus ; car il semble que, dans ces régions de
l'extrôme Occident, animés d'un esprit plus pacifique, ils aient
voulu réparer les pertes causées ailleurs par leurs fureurs.
Dans la direction du nord-ouest, la pèche et le commerce,
<|u'ils mêlaient volontiers à la piraterie, furent les principales
causes de leurs découvertes. Les mers du nord sont poisson-
neuses : on y trouvait des morses, des baleines et des morues.
Gomme les Northmans se livraient à cette poche avec ardeur,
à la fois par plaisir et par intérêt, ils rencontrèrent, les unes
après les autres, toutes les îles qui s'étendent entre la côte Scan-
dinave et la côte Américaine. Ces îles devinrent entre leurs
mains comme autant de stations intermédiaires, ainsi que
Carthage servit jadis aux Phéniciens pour atteindre Gadès et
(îadès les îles de l'Atlantique, L'histoire de ces expéditions
(1) Depping, ouv. cité.
(2) Langebeck, Scriptores renim Danicarum medii svi, t. II.
(3) Rambaud, Histoire de Russie.
\*) Rafn, Inscription Runique du Pirée.
CHAPITRE IX. — LKS NoFrrilMANS KN AMÉHIOI'K.
25»:
occidentales avait été longtemps néffligée. Elle fut, pour lu
première fois, exposée d'une manière scientifique par (m érudit
Islandais, Thormod Torfesen (l(t3()-171î)), qui s'appli(|ua toute
sa vie à débrouiller les anticjuités du Nord, encore si peu étudiées,
et obtint, à l'aide des Sajfas et autres écrits à peu près inconnus,
les résultats les [)lus remar([uab!es. Mais ses deux principaux ou-
vrages, YH'istiùve. du Viuland (l) et VHisto'nr du (iraunland ["1),
écrits avec lourdeur et peu lus, furent bientôt oubliés, C'est
seulement de nos jours que les descendants des ()irates North-
nians se firent un titre de gloire des exploits de leurs ancêtres,
et recherchèrent pieusement le souvenir et la trace de leurs
lointaines expéditions. Le professeur Karl Hafn fut le principal
auteur de ce mouvement national. Son ouvrage sur WsA)it}(iiiitcs
Ainrricaiui's [',i) fit époque dans la science. Non seulement ses
compatriotes le lurent avec plaisir, mais encore, à cause de la
nouveauté de ses aperçus et de la richesse de ses documents,
il fut traduit, paraphrase ou conmienté à peu près dans toutes
les langues de l'Europe (4). Rafn lui même comp(»sa un résumé
(1) flistoria V'nilandix nntiqii.r, .<eif parfis Ameriae septetttriondiix
ubi nottiijiis ratio recensetitr, siiiis terr.v ex dieriiin ôrumalium fipatio
expenditur, soii fertiiitas et incolartim fjarharie.i, peregrinnrum tempo-
ravius incolatiis et gesfa. vicinarum terrarum nomina et faciès ex auti-
HUitatibus hlandicis in lucem producta expommtur. HaArii.'j. no.j.
(2) Gronlandia antiqun sen veteris Gronlandi/e de.icriptio, ii/ji cœli
marisqiie natura, ter>;r, loe.orum et villnrum sitiis, animalium terrestrium
(iquatiliumque varia f/enera, (jentis origo et incrementa, status politieuît
pt ecdesiasticus, ge.sta memoraf)ilia et vicissitudine.i, ex antiqiii^i me-
moriis, prsecipue Isl tndicis, qiia fieri potuerit indttstrio, collecta expo-
nitntur. Haviiiae, 170 i.
(i) Bafn, Antiquitates Amertcan.v, sive saiptores septentrionales reruui
ante. — Columbianarum in America Hafiiiao, 1837.
4) D. Bliidingii, Ontdeckinq van Amerika en herhanlde Zeereizen
devmats, in de X, A7, M[\ Xll, XIV, Lu Haye, 1838. — Hettkma,
Onldecking van America in de 10» eeuw. Leeuwarden, 1838. Sjooren, Saiiit-
Pétcrbourg, 1839. — Graiierg de HEMSO,McHi«W« sulla scoperta delV America
net lecolo decimo. Pise, 1839. — Chdadano de Venezuela, Memoria sobre
l'I descitttrimiento de la A merica en el sigln'derimo, Caracas , 1 839. — J . Tol'l.mi.v
Smith, The Northmen in New-England, or Amerika in the tenth Centurtj
ïï
,1
]
•lUH l'HEMIKHK l'AHTlK.
Lies l'UKf.l IISKIHS 1)K COLOMH
II
i;
lie son ouvi*a}i;(% «ju'il [»ul)liîi «laiis los Mrnio'nrs de la Sorh'tr
di's AntHinnircs du Nord (l). (jt'ttc s(»('i(''t('' rorma une coiii-
iiiission spéciale pour rétiulc des inoiiunients Scandinaves de
l'AnuTique. lliontôt en eHef turent [ndiliées par elle les Sauras
Islandaises (pji n'avaient été données par llat'n qu'à l'état de
fragments ("1). Dés ce moment les anticpiités du Nord furent
sérieusement étudiées, et bon nond)re d'ouvrafîes de grande
importance ont paru (3). Nous aurons occasion de les citer : il
nous suffira de nommer parmi les auteurs, auxquels nous
sommes redevables des plus importants de ces travaux, en
Scandinavie Rafn et Finn Mafrnusen, en France Heauvois (i)
Boston, 183!). - Uehnaiidino Hiondkm.i, Scopprta deU'Amerikn f'ittta wl
srcolo X du nlctmi Sanidmiri, Milano, 1839.— Josk Pid.m., So/ji-e ri. descv-
hrinùento de America en In siylo X por los Escfiudinavon. — Ffurkira
LagOS, Meuioria .fohrc o deacohrimento du AmcrUia no seeulo drrhno, Hio
de Janeiro, 1840. — LuDi.ow Bkamish, The tlisroveri/ of America by t/tr
Northmnn in tlie tentk centiiri/ with notiers o/ tlie carlij scttletnents of
the Irixh in the Western Hemisp/iere, Londres, 18U. — .Michki, Toth,
Ertekézes Amerika felfiidoz. Tctcserol a tizc/irk azazadhan, l'estli, 1842.
— W. vox Si.NsnEHi, Island, Uritranimudand^ (ininland und VinUind,
oder der Nornuinner Leben niif Islniid. und Griinltind, nnd deren F(dirten
naeh America schon iiber 500 Jahre ror Colutnbu.s, Ueidelberg, 1842. —
A.ioEKso.N, America not dincovered bi/ Colitinbiis. A Ui-itorical Sketch of
the discocery of America by the Nor^emen, Londres, 18"4.
(il Uakn, Mémoire sur la découverte de t Amérique au x» s/w/e (Sociéti'
des Anlii|uaircs du Nord), 1838. — 2» édition, 1843. — CI". Recueil des
rommunicationn faites à la Société d"s Antiijuuires du Nord au sujet de
ta publication de liafn, 1843.
(2l Le premier volume (1813) contenait les Schedx de Islandia par Are
Thorgilsson surnommé Frode, et le Landnûmûbock ou Liber origijium
Islandi.e ; le second les Snyas d'f Kialarnessthiny et de Thveearatin, etc.
(3) Nous citerons particulièrement Hakn et Ki in Mahmsse.n, Grœnlands,
historiske mindes moerker, udyione of det kenejeliye nordiske oldskrift,
Sciskak, r.openliague, 1838-1845, et P. -A. .MiNcii, Det norske Folks Historié,
Christiania, 1853.
(4) Beau vois. Découvertes des Scandituives en Amérique du x* au
xin* siècle, 1850. — La Découverte du Nouveau Monde par les Irlandais
et les premières traces du christianisme en Amérique avant l'an mil
(Congres Américaniste de Nancy, 1875. — Les Colonies européennes du
Markland et de l'Escociland au xiv» siècle, et les vestiges qui en subsis-
}y
t
C.llAPlïHE IX.
LKS NdHTIlMANS EN AMKHIQl E
-2î»i»
et (iravier (l), aux Etats-Unis Khen Norton llorsforil (i),
li. F. de Costa (3) et Marie lîrown i). llràce aux savants, dont
nous venons de résunner les intéressantes études, on sait
aujourd'Imi que les Orcades, les Slietland et les Hébrides furent
tout d'abord reconnues et conquises par les Nortbmans. Us en
exterminèrent les indigènes (5) et firent de ces archipels stériles
et montagneux, mais pourvus d'excellents ports, de vrais re[>aires
de pirates. L'île de Man et l'Irlande furent ensuite occupées.
T/ile de Man devait même jusqu'au xT siècle (0) rester sous
l'autorité spirituelle de l'archevêque de Nidaros (Drontheim),
et la domination Norvégienne se maintiendra à Limerick et à
Waterford jusqu'à l'invasion d'Henri 11 PlantagenêtC^).
Dès l'année 72o les Northmans arrivèrent aux Féroë, et en
exterminèrent les rares habitants (8). Ces ibîs servaient de
retraite à des milliers d'oiseaux et nourrissaient des troupeaux
U'vent jusqu'aux xvi» et xyu" sii'clc (Congrès Ainéricanisle de Luxenibourj,',
1877). — Les Porte-Croix de la Gaspésie et de PAcadic (Annales de plii-
loso|)hio cliiéliennc;, 1877. — Origines et fond(dion du plus ancien évéclii;
du Nouveau Monde (Mémoires de la Société de Ueaune, 1878i. — Les
Skriieclings, ancêtres des Esquimaux (Itevue Orientale et Américaine),
187'J. — La Norambégue (Congrès Américaniste de Bruxelles), 187!). — La
Vendetta dans le Nouveau Monde au x» siècle (Muséon de Couvain), 1882.
it) Ghavieh, Découverte de l'Amérique par les Normands au x« siècle,
1874. — Les Norma?ids sur la route des Indes (.\cadémie de Uonen, 1880).
(i) Ebex Nohton Hohsfohd, Jolin Cahots La?id''all in 1407 and thc
site of Norutnbega, Cambridge, 188(>. — Discovery of America bg North-
men, Boston, 1888. — The problem oftUe Northmen, Cambridge, 188D.
|3i B.-F DE Costa, Découverte de l'Amérique avant C. Colomb par les
hommes du Nord, ouvrage traduit des Sagas de l'Islande, Londres, 1869. —
.Mémoire sur le même sujet dans le Bulletin de la Société de géographie de
New- York (t. II, 1868-1870).
(4) Mahie Bbown, The Icelandic Discoverers of America, 1888.
(5; Adam, Historia ecclesiastica. (édit. 1595), p. 140. - Bahry, Histori/
of the Orkney Islands (édit. James Ileadrik^ 18081, p. 113-114
(6) Gekfhov, Islande avant le christianisme, p. 14.
(7) Id., Histoire des Etats scanditiaves, p. 72.
(8) DiCL'iL, Liber de mensura orbis terr.v. (Edition Walkenaër, 1807),
p. 30. Ces insulaires étaient surtout des anachorètes originaires d'Islande, o Nunc
causa latronum Normannorum vacure anachoritis », dit avec indignation Uicuil.
M
I
IKK) l'KKMlKKIC l'AHTIE. — LES l'RKCUHSEL'RS Ut COLOMB.
de hrehis. Le (iulf Stream leur donnait un climat supportable
et leur apportait d'énormes quantités de poissons. Séduits par
ces avantages les Nortlimans s'établirent en assez grand nombre
dans cet archipel, mais bientôt, emportés par leur esprit aven-
tureux, ils reprirent la mer et cherchèrent de nouveaux pays
j\ coloniser ou plutôt à conquérir (1).
En 801 le pirate Naddod, (|ui allait aux Féroë, fut poussé
dans la direction du nord-ouest, en vue d'une terre blanche de
neige. Il débarqua, gravit une montagne, mais n'aperçut aucune
trace d'habitation, et ne put savoir s'il avait découvert une île
ou un continent. Il nomma le pays Snoeland ou Terre de
Neige {t). Deux ans plus tard, en 803, le Suédois (iardar, ([ui
s« rendait aux Hébrides, fut également poussé par la tempête
vers le Snoeland. Il y passa l'hiver, s'assura qu'il avait trouvé
une ile et lui imposa son nom, Gardarsholm (3). Un célèbre
pirate, Floki Rafn, partit à la recherche de Gardarsholm. Il la
retrouva sans peine, en parcourut les côtes et en gravit les
montagnes. Efl'rayé par les feux intérieurs qui la bouleversaient
et par les glaces flottantes qui l'entouraient, il lui donna le nom
qui depuis a prévalu, Iceland, ou pays des glaces, dont nous
avons fait Islande (i).
En 874 Ingolf et lijorlaf s'établissaient définitivement en
Islande (5). Ils avaient emporté les colonnes sacrées de la
maison qu'ils abandonnaient en Norvège, et les avaient jetées
à l'eau en formant le vœu de se fixer dans le pays où le flot les
porterait. Ce fut à Faxefiord, sur l'emplacement actuel de
{{) Les principales incursions aux Féroi- eurent lieu dans les années 798,
807, 815 et 835. Cf. Letrohne, Recherches géoyfaphiques et critiques sur le
livre de mensura orbis terrie (1884), p. ISf».
(2) Scripta historica Istandorum de rehiis t/estis teterum borealium. —
Historia Olavi Tryggvii filii (Hafniac, 1878), p. 2(il.
(3) lo., p. 262.
(4) Id., p. 262-263.
(5) Grimour Thomson, The Northmen tu Iceland ^Mémoires de la Société
des Antiquaires du Nord, 1850-1860,1 p. 134.
CUAI'ITKE IX. — Li:s .NdHTIlMANS EN AMKHIQri:.
301
Ilcykiawick (1). Dès ce iiioiiu'iit l'Islande fut consid('in''f' coinine
t«'rre norvôjïieiiue. De iioinhroux colons s'y (''tahlironf. Ils fon-
(l»"'r('nt un»' sorte de ré()ul)li<jue (jui se maintint jusqu'en 12()1,
épo(jue ri laquelle elle fut ol>lif;ée de se soumettre aux rois de
Norvèjïe. C'est en Islande (|ue se conservèrent le mieux les
traditions de cette race vajrahonde (;2). Cette île devint comme;
la mémoire vivante <les Northmans. Non seulement les Islandais
frardèrent le souvenir de leur histoire primitive, mais encore ils
la développèrent pour It'ur |)ropre compte, et en composèrent
tout un cycle de poésies conservées d'abord dans les chants
populaires, puis fixées par les lettres latines (3).
La colonisation de l'Islande conduisit à d'autres découvertes (■4).
Dès S77 un certain (iannhjorn avait entrevu les hlanches cimes
ipii hordent le rivajre oriental du Groenland, mais i! ne s'y arrêta
pas, et, pendant plus d'un siècle, nul n'osa s'aventurer sur ses
traces. D'effrayants récits ouraient sur cette région mystérieuse.
On racontait qu'un certain llollur (ieit, accompagné d'une
chèvre, y était allé de Norvège en sautant de glaçon en glaçon.
Il y avait vu des chênes (pii produisaient des glands gros comme
des honnnes, des géants d'une taille iuunense, et des rochers de
glace qui, pareils aux Symplégades des Argonautes, brisaient
les vaisseaux (5) au passage. Ce dernier trait seul est vrai, car,
aujourd'hui encore, les vaisseaux pris entre ces îles flottantes
sont écrasés : « J'ai vu, écrivait le célèbre baleinier Sc.oresby,
un navire pris entre deux nun-s de glace, qui fut anéanti instan-
(1) GmsioL'R Thomson, ji. 266-268. — Whkatox, ///s^o/r' r/r.s pruplrs du
Nord, ou Danois et Normands. iTrad. Guillot, 1884), jt. 26-28.
(2) X. Maumieh. Lettres sur l'Islande.
i.'{) Curieux passage de Saxo (Iuammaticls, lUstoria Banica (Eilif. MuUer,
1S;{(). p. 7-81 sur les Tylenses ou Islandais. « Cuuctaruni quippe natiotiuin res
gestas cognosse inenioriiPiiue niandare voluplalis loco repulant, uon rninoris
^loriaî judicanlcs aliénas virtules disscrcre (juani proprias exliibere ».
(V) Gki'KHoy, Hisloir" des Etats Scandinaves, p. 19.
(o) TouKAEL's, Gro7ilandia antiqua, olc. — Egoéde, Desci'iption et his-
toire naturelle du Groenland (traduction française de l'î63).
A&l l'IUCMIKRK l'AIVriK.
Lies l'HKClKSKinS llK COLOMII.
taïK'iiuMit (liiiis leur ilintc toriiiidahic. Seule la pointe du •;raii<l
màt resta dehout au-de.ssus de eo toinltoau flottunt, coiniiie un
runèl)re si^wial » (1).
Sans se laisser arnUer par ces rétits. Erick Rau<ia ou le
Rouge, lils de Thornwald, forcé de (piifter Tlslande pour un
meurtre, se lança en 1)S;{ dans la direction des terres entrevues
par (iunnl)jorn. Il déc(»uvrit Itientôt une côte rocheuse et
d'énormes jrlaciers (pii d<>scendai<>ut jiiscpi'à la mer. Kri<k ne
s'y arrêta |>as. Il descendit au sud, doubla le ca[> cpii depuis
s'est appelé Fareweli, et se fixa sur la côte occidentale dans le
iîord d'Ijjalliko, où il connuençu la construction d'un vaste
hàtiment, adossé contre un rocher, qu'il nomma Hrattahilda.
Le littoral était moins désolé que le rivage oriental. L'herhe
y poussait en abondance. De nombreux bouleaux égayaient le
paysage de leurs blanches feuilles. Les animaux domesti(|ues
supportaient le cliinat. Krick voulut donner au pays dont il
|>renait possession un nom de bon augure et l'appela (Imenland
ou Terre Verte : » Si cette contrée porte un beau nom, disait-il,
les honunes se décideront plus facilement à la venir liabiter ».
Ses pressentiments ne le trompèrent pas. Attirés par la
nouvelle de la découverte, de nombreux colons arrivèrent au
(Iroenland. Dès 985 trente-cinq navires islandais mettaient à la
voile pour le (iroenland, et (juatorze arrivaient à destination.
Les nouveaux arrivés se constituèrent en république, à l'image
de la réj)ublique islandaise, et gardèrent une sorte d'iinlépen-
diyice sous la j)rotection de la Norvège. Ce devait être la dernière
étape des Nortbmans avant leur découverte du continent
américain.
En !>8(» partit de Norvège la première expédition à la côte
.Vméricaine (3). Elle fut conduite par un certain Biarn, lils
(1) ScoRKsuv cité par L. Fic.likk, Terre et mer, y. Tt.
(2) IIafn, Antif/iiitatcs Amerkan.v, 93, 95, 207.
(3) Les aventures d'Erik Hauda, de Biarn et de Leif ont été racontées par le
Codex Flateyejisis, ainsi nommé de la petite ilo l<'latcya, dans le tiord islan-
r.llAlMTMK I.V.
I.KS NOKTIIMANS KN AMKIUQI'E.
'M):\
(l'ilci'iulf, descfiidaiit tics prciiiicrs tuions Islaiitlais. Vaillant
malin, hardi aux aventures, et dt'jà ctninu par plnsionrs cxpt'-
ilitit»ns heureuses, Miarn avait formé le projet de rejoindre son
père, (pii avait suivi Erik llauda au (îroenl.ind. Il didianjua
d'ahttrd en Islande, puis apprenant (prUeriull' tHait avee Erik
dans un pays inctnuui situé à l'ouest, il réstjlut de le suivre, et,
sans seulement décîharjrer son navire, se lanea dans cette mer
inconnue. Pendant trt>is jours la navi^'ation fut heureuse, mais
les brouillards survim-enl, ces terribles linmillards qui, de nos
jours encore, arrêtent, malfrré tttus leurs instruments de pré-
cision, la marche de nt)s marins. Hiarn n'avait plus (ju'à se
laisser aller à la dérive. Au Itout de (juehjues jours il découvrit
une terre couverte de hois, mais d<»nt la description ne répondait
nullement à ce cpi'on racontait du (Iroenland. Il la laissa à
haliord, et navigua encore un jour et une nuit avant d'aper-
cevoir une t ôte plate et hoisée. Les matelots auraient voulu
déhanjuer jxtur renouveler leurs provisions d'eau et de Ixiis,
mais Miarn, (pii tenait à rejtiindre son père au plus vite, s'y
ttpposa et lit changer la direction du vaisseau. Us naviguèrt^nt
pendant trois jours, poussés par le vent du sud-tniest, et apiM'-
cureiit une terre élevée couverte tie glaciers (l'était une Ile
dont iU longèrent lesci')tes. Ils s'en éloignèrent à la faveur d'un
vent propice, et, après (juatre jours de navigation, arrivèrent
enfin au (Jroenland, où ils trouvèrent Heriulf.
IJiarn ne tira point parti de sa découverte, car désormais il
ne (juitta plus sa patrie adoptive. Bien reçu par Erik Hauda,
estimé par tous, il parait avoir renoncé à son aventureusi' car-
tlais (le liiL'idliiiC, où on le fonserva loiijçtemps. C'est un beau niorimuent tic
calligraphie Scandinave. 11 fut cnvoyti par 1 evèque tie Skalliolt au roi de Da-
nemark Friidéric II. 11 est aujourd'hui conservé à la Bibliolhc'(|ue de Copen-
hague. Ce manuscrit, commencé en 1387, fut terminé en 1307 ; ces deux
dates sont fixées, l'une par une remarque interlinéaire du copiste, l'autre jiar
une nt)te de Ion Ilakonson, pour tpii cette copie fut faite. Le Codex Fla-
tcyensis a été publié par IIafn dans les Antiquitates Amevicanœ. Non.
donnons, d'après Norton Horsford, la rcproiluction de l'uni! des feuilles.
,i
:{(>î l'HEMIKHK l'AHTIK.
.KS l'Mftr.l'HSKlHS l»K i;OL(»M».
"ri
riiMT ; m'iiiimMiiissa rt''|(iifjition lui attira de nombreux visifcms,
aii\(|U('ls il aiiiiail à rai'oiilcr ses voyaffcs.
On ne sait |ias au juste les ferres (léc(»u vertes par Hiarn.
Uieri n'est plus vajjue ipie ces journées de navifjation ; rien de
plus clian^eant (pie la direction du vaisseau. Le continent (pi(>
les Nortinnuns trouvèrent en cinjrlant de risland(! droit vers
l'ouest |)ent tout aussi hien (Hre la terre du Labrador ou celle
des Etats-Unis. Quant à l'île, elle correspondrait soit à Terre-
Neuve, soit aux îles jetées entre les détroits de Davis et d'Ilud-
son. Hiarn n'avait donné de nom à aucune de ces contrées.
Soyons aussi prudent (jue lui, d'autant plus que nous aurons le
droit d'être bientôt plus arfinnatif".
(Test en î)87 (|ue Hiarn avait peut-être entrevu l'Améritpie.
Kn l'an mil, un (Jroenlandais, Leif, la découvrit réellement (1).
Leif était fds d'Krik Hauda et de Tborbilda. De liante taille,
beau, robuste, il aurait voulu, comme les rois de la mer,
(liantes par les poètes nationaux, prendre le commandement
d'une exp(''dition, et illustrer son nom par de bardies entreprises.
L'occasion se présenta pour lui d'utiliser cett(! ardeur. Le
cbristianisme venait d'être introduit en Scandinavie. Le roi de
Norvèfïe, Ulaf Try}.^gvasen, récemment converti, avait tout
l'entliousiasiiK; du néopbyte, et demandait parr(tis à l'épée des
conversions (pi'il ne pouvait obtenir par la parole. Il venait,
IfrAce à deux ilp()tres, (iissur le (îrand et iljalti Skegfjeson, de
coiupiérir l'Islande au cbristiiuiisme. Il cliarj^ea Leif, (2) qu'il
(1 Voir le tout récent ouvrage du professeur (tistave Stoh.m, Stiidies of
thc Viiu'land Voi/agcs (Mémoires de la Société des AnIiquaircsduNord, 1888,)
p. 307-310.
(2) Rafn, ouv. cité, p. 117-118. — a Tu vero co cum niandatis meis conce-
dito, atque sic cln'istianani rcligioncni aiinuiitiato ». Lcivus lioc peues euia
tore dixit, se vero putare hoc uegotiuui no» sine difiicultate in Gronlendia
pnrfectum iri. Rex ait <( nescire se liominem, eo ad hanc rem magis idoneuni,
atque tu iu perficicndo furtuna uteris ». — « Id soluminodo accidet, res-
pondit Leivus, si tuo favorc sublevatus l'ucro ». — Groenlands Historiske
Minilesmoerker, I, 384-6.
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STATUE DE LEIF
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CIIAI'ITIU': IX.
LKS NOHTIIMANS KN AMKRIQIJK.
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avait lui-m(>iii(! lonverti à la Toi nouvelle, do pri^cher h; cliris-
tianisme au Groenland. « Je crois, lui dit-il, qu'il serait bon
(|ue Hi te rendisses aupn'is de ton pî^re, avec mission de pro-
pager le christianisme au (iroenland ». « Vous n'avez qu'à
commander, répliqua Lcif, mais je crois qu'il sera difficile de
réussir dans mon pays ». « Je ne connais pas d'homme plus
propre que toi à bien remplir cette mission, reprit le roi, tu
feu acquitteras avec succès ». (( Ce sera alors grAce à votre
a[»pui ». Leif partit en eiïetdans l'été de l'an mil, en compagnie
d'un prêtre et de (juelques hommes sucri 07'ditiis (1). Il trouva
le terrain bien préparé, sans doute par un moine llébridais qui,
en 986, était parti avec Erik Rauda à la découverte du (Iroen-
land, et qui, pendant la traversée, avait composé un poème
norrain intitulé Hnfgpvdhingnr, le Ras de rtiaràe, dont le re-
frain a été conservé : « Je prie celui qui soumet les moines à de
salutaires épreuves de favoriser mon voyage : que le maître de
la voûte céleste me tende une main secourable ». Les prédica-
tions de ce moine, qui sans doute appartenait à la confrérie
de ces Papae Irlandais, dont nous avons plus haut raconté les
aventures, ne réussirent qu'à moitié ; car le vieil Erik Rauda
resta toujours fidèle aux vieilles pratiques païennes (2). Il
rendait un culte à l'ours blanc, et accordait toute sa confiance à
un certain Thorhall, moitié sorcier, moitié régisseur, et prêtre
à ses heures. Lorsque Leif débarqua au (Iroenland, et lui com-
muniqua ses projets, Erik Rauda fit la sourde oreille. Il blâma
même son fils d'avoir mené avec lui l'Hypocrite (Skemadhr),
comme il appelait le prêtre, et déclara qu'il ne recevrait pas le
baptême. Leif fut plus heureux auprès de sa mère Thorhilda,
fl!
(1) Rafn, Id., p. 18-19. — Eadem navi veliebatur vir Hebridensis chris-
tianus qui carmen intcrcalatum de Hafgerdiaga composuit in quo sunt lii versus
intercalares : Monachorum tentatorem, noxic expertuin. — Oro, ut meani pro-
fectionem secundet. — Dominus, terrestris lacunaris aulam — Tenens, sua
me tueatur dextra •.. — Groenlandx historiske Mindesmoœrker, 1, 180,
(2) Groenlands historiske Mindesmcerker, 1, 40S. — II, 224-6. Rafs,
Antiquitates Americanse, 137, 168, 169,
T, I, 20
■ ■ ■
'MH\ i'nr.Mii:i«K I'aiitiic. — m:s I'UKcihskius w. c.oi.dMii.
(«t (|p s«'s deux frôros Thorviild et TliorsUîiii, i|ui t(»us los tmis
reçurent le haptAme. Thurliilda fil alors consfruirc à (|iu-l(|iu'
distance de Brattahilda une é|,'lise où elle allait avec les autres
néophytes l'aire ses dévotions. Elle poussa nïénie si loin sou
/Ole de néophyte qu'elle ne voulut [dus av(»ir de relations avec
son mari resté païen (1).
Ij<Mf fut-il obligé de niodérer son zèle à cause de l'opiiosition
de son père, ou bien céda-t-il à cet impérieux besoin qui entraine
toujours les nouveaux convertis à propager au loin la bonne
nouvelle, toujours est-il qu'il songea bientôt à quitter le Groen-
land et à retrouver le pays entre aperçu par Hiarn lleriulfson.
11 acheta le navire de ce dernier, enrôla trente-cinq hommes et
pria son père de commander l'expédition. Erik llauda ne se
décida qu'avec peine. 11 avait pourtant accepté. Conformément
i\ la croyance odiniquequi veut qu'on ne jouisse dans le Valhalla
que des richesses mises en terre, il avait même caché son or et
son argent, et se rendait à cheval au lieu de l'embarquement,
lorsqu'il tomba. Considérant cette chute comme un augure
défavorable, il ordonna à sa femme de déterrer ses richesses et
laissa Leif partir tout seul (2i.
Parmi les trente-cinq compagnons de l'audacieux capitaine
qui s'aventurait ainsi sans autre direction que les étoiles et les
souvenirs déjà lointains de Hiarn, se trouvait un Allemand, (ju
du moins un homme du Sud, Sudrmadr, comme disent les Sagas.
dont la présence; à bord attestait la fréquence des rapports qui
existaient entre la (iermanie et la Scandinavie (3). Peut-être aussi
n'était-ce qu'un de ces aventuriers mercenaires du moyen âge
qui préféraient à leur patrie les entraînements de la bataille et
les émotions de la vie maritime.
(1) Rak.n, 40, 119. Pour tous los détails de riiitroductioii du chiisliaiiistiie
au Groenland, eotisuUei' Beacvois : <)riiji?ies et fondation du plii^ (incivil
évi'ché du Noiireait Monde. >< Thjodhilda, ex (|ua (idem acceptaverat, milhim
cum Eiriko v-onvicluin liaberc voluit, iina' rcs illius aiiimo valdeadversabatur".
(2) Particula de (ironnlandis (Wafii. p. 27).
(3)lD., p. 28.
C.IIAIMTHK IV. — I.KS NMHTIIMANS K\ AMKHKM'K.
:h)7
IjCS coiMiKijfuons (l(^ LeirtrMiivï'n'iit (l'iiboni le pays que IJiarii
avait si^'iialc. Kiilrc la côte ot los glaciers (|ui s'rlevaiciil plus
l(»in dans rint»>rieur, le sol ('•tait comme joiiclié de ^Mlets. Il n'y
avait pas de },m/.()11 ot la tern> était dépour\iie d'agréments. " Au
moins ne i'erons-nous point «omme Hiarn ipii a négligé de
visiter cotte tern; dit alors Iv-ïf. Je veux hii duiiiuT un nom.
Je ra|)[iello llelluland ou pays rocuilloux > il).
Trois journéos do navigation contluisirent ensuite; les Nortli-
mans à un autre pays, plat, couvert de bois. J^a côte ne présentait
aucun escar(»emetif. mais son approche était rendue difficile par-
des bancs de sable, heif l'appella Maïkland ou terre dos
Forêts (2).
Une course de doux jours porta ensuite les Nortluiians vers
une île séparée du continent par un détroit fort dangereux à
cause des bas fonds qui le parsemaient. L'eau était si basse
qu'au moment de la marée descendante le vaisseau resta à sec.
Derrière un promontoire ot sur le continent s'ouvrait l'estuaire
d'un fleuve sortant d'un lac. Leur désir do prendre terre était
si grand qu'ils n'eurent pas la patience d'attendre le reflux ot se
rendirent tout de suite au rivage. A peine; débarqués, ils prirent
possession du sol suivant l'usage Scandinave (II), les uns on
allumant à l'embouchure du tlouve un grand feu, tlont les rayons,
aussi loin qu'ils se répandaient, leur en soumettaient les rives,
les autres en faisant le tour de leur nouveau domaine, une
hache à la main, dans la direction do l'ouest à l'est, et marquant
leur passage par des signes sur les arbres et les rochers. Puis
ils construisirent dos baraques en l)ois, et se disposèrent à
prendre leurs quartiers d'hiver. La rivière et le lac nourrissaient
des saumons (i), le bois était abondant, le climat supportable,
(1) Particula de Grocnlmulis, p. 21-28.
(2) h)., p. 29. « Hicc terra erat plana et sylva obsita; inullis in locis, <|uh
perineabant, candidte arenœ, molli littoruni adsensu. Tuni Leivius : luncc terra
ex rubus, quibus maxime abundat, nomen trahct et Marklandia appcllabitur.
(3) Gkkkhov, L'Islande avant le Christianisme, p. 16.
(i) Particula de Groenlandis, p. 32.
30S l'KKMIKKK l'AHTIK.
LKS l'RECLHSEl'HS 1)K COLOM».
rini'galito dos jours et dos nuits moins j^rando qu'on Islande
ot au Groenland, puisque, dans les jours les plus courts, le
soleil se levait à sept heures ot demie et se couchait à quatre et
demie. Los Northmans résolurent do se partager on doux bandes.
Les uns resteraient à la garde du camp qu'on nomma Leifs-
budir, les autres partiront à la découverte. Un certain soir que
rAllomand Tyrkor s'était attardé, Leif, inquiet sur son sort,
partit à sa recherche avec douze compagnons. On le trouva
comme il essayait de revenir, appesanti par les fumées du
raisin qu'il avait trouvé et dont il ;iva:c absorbé une trop grande
(|uantité. Go fut à cause de Tyrkor que Leif, avant do revenir
au (Iroenland, donna au pays qu'il avait découvert le nom de
Vinland ou terre du vin.
ÎjO voyage de retour fut heureux. Dans les premiers jours de
l'an 1(X)1, ayant chargé son navire de bois, de peaux et de rai-
sins, Leif mit à lu voile pour le Groenland. Il était en vue des
montagnes do cette région, (juand il fut assez heureux pour
apercevoir et pour sauver quinze naufragés norvégiens, qui lui
faisaient des signaux de détresse. Cette découverte et ce sauve-
tage lui valurent le surnom de Fortuné (1).
Nous voici en présence de faits bien constatés, et qui n'ont
pas été inventés pour les besoins de la cause, puisque les docu-
ments qui les contiennent ont tous été composés avant l'arrivée
de Colomb aux Antilles. Helluland, Markland, Vinland, ce sont
là des pays réellement découverts et en partie décrits pa" !c :
Northmans : Où donc les retrouver ?
Helluland pourrait bien correspondre à Terre-Neuve. Cent
cinquante milles en effet séparent cette île du Groenland, ot
il ne fallut à Biarn que quatre jours pour franchir cette dis-
tance. En évaluant à trente ou trente-cinq milles par jour la
distance parcourue par les Northmans, on obtient pour les quatre
jours précisément la distance de cent cinquante miller. De plus
(1) Rakn, AntiquUates Americans, p. 191-192.
CIIAI'ITRK IX.
LKS .NOHTIIMANS KN AMKHIOrK.
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Terre-Nouvo est d'un abord dangereux, commf l'était le Hellu-
land. Elle est découpée par des baies nombreuses, les montagnes
de l'intérieur gardent la neige pendant six mois et la végétation
est fort chétive. C'"st bien là la description de Va Terra Petrusa
des Sagas islandaises.
Markiand paraît être la presqu'île de la Nouvelle-Ecosse. Elle
mérite encore l'épithète que lui donnait Torfaeus, pass'nn silvis
virens, et les bois de construction sont, aujourd'bui comme
autrefois, une de ses principales ricbesses. De [dus, la côte est
basse, dangereuse, d'un accès difficile à cause des nombreux
bancs de sable qui la défendent.
Quant au Vinland, ce ne peut être qu'une partie des Etats-
Unis actuels. Le jour le plus court de l'année au Vinland est,
d'après les Sagas, de neuf beures. Or, c'est dans les états de
Rhode-island, New-York et New-Jersey que le soleil ne reste
à l'borizon que neuf beures dans le jour le plus court de l'année.
De plus la côte de ces états, basse, sans rocbers, formée par les
petites collines boisées, dont parlent les Sagas, s'accorde par-
faitement avec la côte américaine depuis le cap Sable jusqiz'au
cap God, Uafn (1) pensait que l'île, qui formait à l'est du conti-
nent un étroit passage assez dangereux, est l'île Nantucket, en
face du Massachussets. Les bas-fonds existent toujours et le mais
passage est redouté par les marins qui préfèrent doubler l'île,
le détroit est large de 48 kilomètres, et de plus Nantucket n'est
pas isolée. A côté se trouve l'île de Martbas Vineyard. La situation
de Long-Island, beaucoup plus rappochée de la côte, convien-
drait mieux à l'emplacement de l'île. En ce cas Leifsbudir n'au-
rait pas été bâti, comme le pensait Rafn, non loin de Providence,
à l'emboucbure du Pocasset-River qui sort du mount Hamp-
Hay, mais par une singulère coïncidence, à la place même de
la moderne capitale des Etats-Unis, New-York (2). Sans doute
ii
(1) Rafs, Mémoire sur la Découverte, etc.
(2) Un savant américain, le professeur Ebeii Norton Horsford de Cambridge,
'roil avoir retrouvé remplacement authentique des premiers établissements
310 l'REMIÈRR l'AKTIi:.
LKS l'HKCrUSKlHS l)K COLDMlt.
les fleuves de la cote en face de Nantucket, le Merrimac, le
GonDecticut, sont poissonneux et prennent leur source dans des
lacs, mais l'Hudson qui se jette dans la mer en face Long-lsland'
est également poissonneux, et, de plus, il prend sa source tout
près du lac Champlain. Il n'est donc pas impossible que, sur
les rives de ce fleuve prédestiné, ait été élevé le premier
établissement Scandinave. D'ailleurs la vigne qui donna son
nom auVinland, pousse encore spontanément dans tout loMas-
sachussets et une partie du New-York (1). Les voyageurs con-
temporains parlent avec admiration des raisins sauvages de
cette contrée et des énormes vignes naturelles qui poussent sur
les bords de l'Ohio (2). L'île de Marthas Vineyard doit môme son
nom à l'abondance de ses vignes. L'assimilation est donc aussi
complète que possible, et c'est bien le continent américain et la côte
des Etats-Unis qu'avait découverts Leif . Aussi bien ce voyage ne
devait pas être le seul, et de nouvelles expéditions allaient con-
firmer et étendre les précédentes.
Leif ne renonça pas, comme Biarn, aux bénéfices de son
voyage. Il parla beaucoup des pays nouveaux qu'il avait visités
Northmans, et il le fixe non loin de Boston sur les bords du Charles Hiver.
Leif aurait, d'après lui, débarqué sur la rive gauche de ce lleuve. 11 prétend
même que la principale colonie Scandinave, la fameuse Norombega, dont il sera
parlé plus loin, se trouvait à Watertowii, au conlluent du Charles River et du
Stong-Brook. De fait on a retrouvé sur ce point de très anciennes constructions
et des traces de vieilles habitations. M. Horsford a mis au service de sa thèse
une ingéniosité de vues et une originalité d'expressions fort remarquable :
mais, en pareille matière, il faut se garder de toute affirmation tranchante :
aussi n'acceptons-nous cette hypothèse qu'à titre d'hypothèse. Ceux de nos
lecteurs qui voudraient étudier à fond cette intéressante question n'ont qu'à
recourir aux travaux de l'érudit américain. Voici le titre des principaux :
John Cabots Landful in 1497 and the site ofNorumbega. Cambridge, 188(1.
— The problem oh the Northmen. Cambridge, 1889. — The Discovery of
the ancient city of Norumbega, Boston, 1890. — Watertown, The site of
the ancient city of Norumbega, Boston, 1890.
(1) Lettre de Fugl de Saint Thomas insérée dans les Mémoires de la Société
des Antiquaires du Noi-d (1840-1843), p. 8.
(2) Rapport adressé à la Société des Antiquaires du Nord par A. Ghennk,
JoHS Babtlrtt et Wkrb (1840-1844), confirmant tous ces détails.
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l'on
CIIAI'ITRK IX.
LES NORTllMANS EN AMERIQUE.
311
et n'eut pas de peine à décider un de ses frères, Thorwald, à
tenter une expédition analogue. Il est étrange qu'il ne l'ait pas
accompagné, mais ces hommes du Nord, hardis et infatigables
à l'œuvre, se reposaient indéfiniment quand ils avaient, par leurs
prouesses, illustré leur nom ou acquis assez de richesses. Ils ne
comprenaient pas ce sentiment tout moderne que le glorieux
infant de Portugal, Henri de Viseu, devait plus tard choisir
comme devise : désir de mieux faire.
Leif resta donc à Ikattahilda dans la maison de son père
Erik Rauda, et se contenta de donner à son frère des conseils
et un vaisseau, le même qui avait déjà servi à Biarn, et qui
venait de le conduire au Vinland ; ce qui nous prouve en pas-
sant combien l'art des constructions maritimes était développé
chez les Northmans, puisque ce vaisseau résistait depuis si
longtemps aux affreuses tempêtes des mers horéales.
Thorwald partit en 1(K)2. 11 arriva à Leifsbudir et y passa
l'hiver. Au printemps de 1003, il envoya une partie de ses
hommes vers le sud, que n'avaient encore reconnu ni son frère
ni Biarn. Les Northmans parcoururent une belle contrée, admi-
rablement boisée. Ils n'osèrent pourtant s'enfoncer dans l'inté-
rieur et ne perdirent jamais la côte de vue. Cette côte était
hérissée de rochers. Des îles nombreuses, mais toutes petites,
s'en détachaient. Nulle part on ne rencontra de traces humaines,
sauf une petite grange, dans une ile située à l'ouest. L'explora-
tion dura tout l'été et une partie de l'automne. Les Northmans
passèrent l'hiver dans leurs baraquements de Leifsbudir et
reprirent leurs courses au printemps de 1004, mais cette fois
dans la direction du nord. I isirant profiter des beaux jours qui
commençaient, Thorwald, avec Mi.c habileté toute pratique, qui
dénotait en lui une profonde connaissance des mers septen-
trionales, passa à l'est, puis au nord, jusqu'à un cap fort remar-
quable, auquel il donna le nom de Kialarness. c'est-à-dire cap
de la Quille. Ue là, il longea la côte dans la direction de l'est,
jusqu'à ce qu'il fut arrivé à un autre promontoire. Jusqu'alors
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ifî
312 PREMIÈRE PARTIE.
.ES PRECURSEURS DE COLOMB.
on n'avait pas rencontré d'indigènes : c'est ii\ que, pour la pre-
mière fois, les Northmans rencontrèrent trois petits canots en
cuir cousu, menés chacun par trois honmies petits, laids et
couverts de fourrure. Thorwald monta à bord, mais ses compa-
gnons, au lieu de les accueillir avec bienveillance, les tuèrent
tous, à l'exception d'un seul qui parvint à s'échapper. Les
Sagas (1) ne donnent aucune raison de ce crime odieux, qui
allait recevoir sa punition immédiate.
Forts de la supériorité de leurs armes et confiants en leur
bonheur habituel, les Northmans s'étaient endormis, quand ils
furent réveillés par des cris perçants. C'étaient plusieurs cen-
taines d'indigènes qui entouraient le navire et le criblaient de
flèches. Ils n'eurent pas de peine à les mettre en fuite, mais leur
ihef avait été mortellement blessé. Sentant sa fin prochaine,
Thorwald se fit débarquer sur le promontoire et demanda à être
enterré en chrétien. « Vous dresserez, dit-il, deux croix sur
mon tombeau, l'une à la tête, l'autre aux pieds, et vous appel-
lerez toujours cet endroit Krossaness, promontoire des croix ».
Ses compagnons exécutèrent ses dernières volontés et retournè-
rent hivernera Leifsbudir. L'année suivante, en lOOo, après
avoir chargé leur navire des produits du Vinland, ils reprirent
le chemin du Groenland.
A la fin du xviii" siècle, près de Hull et du cap Alderton, «n
découvrit un tombeau qui contenait un squelette et une épéo h
poignée de fer. Ce squelette était celui d'un Scandinave et cette
épée n'était pas de fabrication européenne postérieure au
xV siècle (2). On en conclut, peut être témérairement, que ce
tombeau était celui de Thorwald. En 1840, dans des fouilles
entreprises au Fall River, dans le Massachussets, on découvrit
un autre squelette (3). Sa poitrine était couverte d'un plastron
(1) Rafn, ouv. cité, p. 46-48, 464. — Groenlands historiske Mindes-
mœrker, I, 226-231, III, 900.
(2) Smith, Société des Antiquaires du Nord (1840-3j.
(3) Id., 1845-49, p. lOi.
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r.HAI'ITKK l.V.
I.KS NOHTIIMA.NS K.N AMKHIOUK.
:jih
U'S-
tle l)n)nze autour duquel s'enroulait une ceinture faite avec des
tuyaux de hronze, anaIof;ues aux ceintures antiques déterrées
en Danemark et en Islande. Ces tuyaux étaient attachés l'un à
l'autre par des courroies de cuir. Le hronze de la ceinture fut
envoyé à l'illustre Berzelius, qui en lit l'analyse et reconnut
que la composition chimique était analojjue à celle des armures
du X'' et xi° siècles, conservées dans les musées du nord , et
notamment au hronze d'une armure découverte à Noviing en
latland, et analysée }>ar Forchhammer. IJès lors, on admit le
fait connue prouvé. La poésie s'empara même de cette hypothèse
scientifique, et le grand poète américain Longfellow composa
uni^ hallade en l'honneur de ce héros, qui aurait pu être
Thorwald (l).
Que l'on ait retrouvé ou non le cadavre du second fds d'Erik,
l'expédition (pi'il dirigea n'en est pas moins fort authenticpie.
Dès lors, les Northmans connaissent la route du Vinland, ef
Leifshudir devient pour eux un point de relâche fort important.
Les rivages découverts dans la direction du sud sont ceux du
New-York, du New-Jersey, de la Dela\Nare, du Marylaud,
peut être même de la Virginie et de la Caroline. Les forêts,
!)ien (ju'exploitées à outrance, s'étendent, encore aujourd'hui.
Jusqu'à la mer; la cote est hasse, hordée d'un grand nomhrc
de petites iles qui seml)lent en avoir été détachées par (pielque
convulsion géologique. Dans la direction du nord, les deux
promontoires reconnus par Thorwald paraissent être, celui de
Kialarness le cap Cod, le Nanset des Indiens, à l'extrémité
orientale du Massachussets, remanpiahk: en efl'et par sa forme
allongée et la courhe gracieuse (pi'il décrit ; celui de Krossaness
le cap Sahle à l'extrémité méridionale de la nouvelle Ecosse, »»u
peut être encore le cap Garnet. De la sorte s'ex[)liquerait la
route suivie par les Northmans en tournant la pointe Kialarness
(1) LoNOKEi.i.o\v, The Skelcton in .Ivrnern (Edition Tauchnitz, vol. 1,
p. 15).
31 i l'HEMIKKE PARTIK. — I.KS PHÉOirRSEURS \)K COLOMB
jusqu'à ce qu'ils arrivassent au fond de la haie où se trouvaient
les indigènes. Cette baie doit (Hre la baie de Fundy. Quant aux
indigènes, ceux que les Sagas nomment les Skroellings, ce sont
les anc(Hres directs des Ksquirnaux. 11 est en effet prouvé que
les Esquimaux descendaient jadis beaucoup plus vers le sud et
s'étendaient sur des espaces bien plus vastes qu'aujourd'hui.
Ils «itaient déjà grands chasseurs, mais peu hospitaliers. Leurs
canots de cuir cousu montés par trois hommes ressemblaient
aux canots dont se servent encore leurs descendants, et dès le
premier jour, au contact des Européens, ils engagèrent avec eux
cette lutte tragique, (jui les refoula peu à peu vers le pôle, et
ne se terminer!' que par l'anéantissement de ce peuple, (pi n'est
déjà plus qu'une peuplade.
iW qui achève de démontrer la sincérité du récit des Sagas,
c'est la torpeur qui s'empare des Nortlimans, au moment où ils
ne devraient songer qu'à se défendre contre les Skroellings.
Dans ces contrées, en (îffet, l'impression produite par les pre-
miers froids, surtout par des liommes qui ne les ont jamais
bravés, est toujours la même. Les membres s'engourdissent et
les yeux se ferment. Les marins qui naviguent pour la première
fois dans ces mers subissent tous l'influence de ce curieux phé-
nomène, 'iès (ju'ils entrent dans les régions du froid.
Les Northmans avaient donc découvert une partie du littoral
des Etats-Unis et du Dominion Canadien : il ne leur restait
plus qu'à pnjfiter de ces découvertes en y fondant des colonies,
ou du moins des établissements plus sérieux que Leifsbudir :
Ce fut l'œuvre de nouveaux navigateurs.
La famille d'Erik Rauda semble s'être assuré le monopole
des expéditions au Vinland. Après ses deux frères Leif et
Thorwald, le troisième fds d'Erik, Thorstein, se disposa à
partir à son tour. Il voulait surtout aller prendre le cadavre de
Thorwald afin de le déposer en terre sainte. Depuis que le
christianisme s'était répandu au Groenland, les Northmans se
conformaient exactement aux rites funéraires de leur nouvelle
CIIAPIÏHK IX.
LliS .NOHTHMA.NS K.N AMKRIOl'l'"
ai ri
religion (1). Ils no se contentaient plus d'enterrer les cadavres
au lieu du décès en plantant un pieu au-dessus de la poitrine ;
ils voulaient la bénédiction du prêtre et l'office des morts. Un
(iroenlandais, Lika-Lodhin, ou Lodhin des cadavres (2), se fit
Hjéme une réputation en allant chercher jusque dans les régions
fîlaciales les cadavres des nombreux naufragés qui périssaient
dans ces tristes contrées pour les transporter dans quelque
cimetière consacré. Thorstein, poussé par sa famille, résolut
donc de rendre les derniers devoirs à son frère. 11 partit avec
vingt cinq hommes et sa femme (iudrida, au commencement de
Tannée lOOG.
L'expédition ne réussit pas. Moins heureux que leurs devan-
ciers, les Northmans errèrent à l'aventure sur la mer pendant
tout l'été. Un hiver précoce les força à relâcher au Groenland,
à Lysufiord, sur la cùt(; occidentale ou Westerbygd, sans qu'ils
eussent seulement entrevu le Vinland. Tous les malheurs
d(!vaient fondre sur eux. A peine avaient-ils pris leurs quartiers
d'hiver qu'une terrible maladie, peut-être le scorbut, les attaqua.
Thorstein, atteint par l'épidémie, ne tarda pas à succomber,
niais non sans avoir prédit à sa femme (iudrida de brillantes
destinées, qui devaient un jour se réaliser (3).
La quatrième expédition des Northmans avait donc échoué,
mais (iudrida, qui survécut, revint au Groenland. Sa nais-
sance, ses richesses, les dangers qu'elle avait courus, peut-être
même la prédiction de son mari, avaient attiré sur elle l'atten-
fion. Elle passait en outre pour être douée du talent poétique.
Les Sagas ont conserve le souvenir d'une scène de sorcellerie
W
■:
(1) Groenland.'^ fiistoriskp Mindesmoerker, I, 238-8, 392-400. — Rakn,
Antïq. Amer. 47, r>a, 123, 130.
(2) (ivoenlaJids hist. Mind. II, 239, 656, 638, 662, 666, 777, 253, 847.
(3) De Gudrida en efTet et de son fils Snorro, le premier Européen connu
qui soit né en Amérique (1008), descendirent des évéques, des jurisconsultes,
(les ambassadeurs, des savants (Fina Magnusen, Thorlocius, Grim Thorkelin)
et l'illustre sculpteur Thorwaldsen. (Voir Rafn, Atitiquitates Americano',
tableaux généalogiques, 8 e,t 91.
I 3
'Mi)
l'HKMIKHK l'AHTIi:.
I.KS l'HKClHSKLKS ItK COLOMIt.
l!
OÙ, malgrô sa récente eonvorsion, elle consentit à jouer un
rcMe. Il s'agissait d'aider dans ses incantations une femme
nommée Tliorbjarge, qui disaitia bonne aventure, et déchanter
le poème hxiiiuU'V/'Jvocation des J'Jspriis Gard'inns, Vardlokur,
« le chant est de telle sorte, dit d'abord (iudrida, que je ne
|juis être d'aucun secours ici, parce cpie je suis chrétienne (1) ».
« Pourtant, répondit la sibylle, tu pourrais bien rendre ce ser-
vice à l'assemblée et tu n'en vaudrais pas moins après qu'avant ».
Le maître de la maison insista tellement auprès de (.îudrida
«{u'elle finit par consentir. Ijcs femmes se placèrent donc en
cercle autour d'une estrade, « et Gudrida chanta si bien que les
auditeurs dirent n'avoir jamais entendu plus belle voix (2) «>. La
devineresse la remercia et ajouta : << Ce poème a été si agréable-
ment chanté qu'il a plu aux esprits et en a attiré un grand
nombre qui voulaient se séparer de nous », et, pour récom-
penser (Iudrida de son concours, elle lui annonça un prochain
et brillant mariage. En effet, un Norvégien de grande famille,
puisqu'il comptait des rois parmi ses ancêtres, Thorfinn (){)
Karisefne, qui était venu passer les fêtes de Noël à lirattahildn
près de Leif, vit Gudrida, en devint amoureux et obtint sa
main. Dès lors (îludrida ne cessa d'encourager son second mari
à tenter un voyage au Vinland. Thorfinn y consentit, mais il
(1) Uafn, Antiquitates Americana', p. 104-113 : « Hœc ratio talis est, coi
nullam operain tribueie statueriin, nain femiiia ciiristiana sum ». — ThoHi-
jarga ait : « Ita evcnire possit, ut adjuineiito aliis sis liac in rc, nequc tanicn
pejus audias quam aiilca ».
(2) Id., |). 110. « Tuni Gudrida caiinen lain suaviter et perite cccinit, ul
nemo adstantium sibi visus sit carnicn audivissc suaviorc voce cantatuni.
Fatidica, actis ei pro carminé gratiis, multos dixit genios suavitate carminis
tam eprcgic cantati allcctos eo jain advcnisse ».
(3) Sur Tliorlînn Karisefne on peut consulter à la bibliothèque de l'Uni-
versité de Copenhague, dans la collection Arna-Magnéenne, le manuscrit 544.
Il est de la fin du xiil» ou du commencement du xiv siècle. Il n'a pas d'autn;
titre que celui que lui a donné Arn-Magnœus : Hintoria ThovfinU Karsefnii.
Consulter également à la biblothèque royale Danoise les manuscrits 13c (cofiii;
du précédent), 768[' <fait par l'Islandais Biarn Jonas de Skardsa qui vécut de
iri74à 1655), 115«, 769i', 281o, 719h (tous postérieurs).
CIIAIMTRK IX.
IK^ NfnnilMANS EN AMKKIOL'K.
:U7
vonlut (Ml assurer lo siiccùs et, cetto fuis, trois navires partirent
(■ns(Mnl)le. Tliorfînn et sa femme, avec Snorre Tliorbrandson,
cunimundaient le premier; IJiarn Crrimolson et Thorhall (luin-
lason étaient les chefs du second ; sur le troisième étaient
Thorliall et Tliorward, ce dernier mari de Freydisa, fille natu-
relle d'Erik Uauda, qui l'avait suivi à bord. Un des enfants
d'Krik, cette fois encore, faisait donc partie de l'expédition.
Au printemps de 1007 partirent les cent soixante personnes
(pi(î contenaient les trois vaisseaux. Cette fois les Nortinnans
cherchaient à fonder une nouvelle colonie, et leurs chefs étaient
bien résolus à se tailler en Vinland une principauté indépen-
dante. Ils furent d'abord portés au nord par les courants et
s'engagèrent dans le détroit qui plus tard portera le nom du
navigateur Davis, puis, poussés par un violent vent du nord, ils
mirent le cap au sud, et arrivèrent assez vite au llelluland, qui
était alors rempli de renards. De là ils passèrent au Markiand,
dont ils admirèrent les forêts, et longèrent les côtes qui
s'étendent au sud. La tombe de Thorwald ne fut pas retrouvée,
bien que plusieurs de ses compagnons dussent monter les
navires de Karisefnc (1). Les Northmans prirent terre au cap
Kialarness, où ils recueillirent une quille de vaisseau, et, à
partir de ce point, virent de vastes déserts, des dunes, de
longues et étroites plages, qu'ils nommèrent Furdustrandir ou
Rivages merveilleux. Deux coureurs Ecossais qu'ils avaient ii
bord, Hake et Hekia, descendirent à terre et revinrent bientôt
avec des raisins et des épis de blé sauvage. Les Northmans
arrivèrent enfin dans une baie circulaire, très profonde, où se
trouvait une île couverte d'eiders. Ils appelèrm la baie Straum-
fiord ou baie des Gourants, l'île Staumey, ou île des Courants,
et se décidèrent à hiverner (2).
Karisefne et Gudrida étaient les vrais chefs de l'expédition.
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il) Rafn, p. 139.
(2) Rafn, p. 141.
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LKS l'IlKCIHSKLHS W. C.OLOMH.
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Ils avaient fait les dépenses les plus considérahles, et, en toutes
choses, pris l'initiative. A eux donc, revenait le commande-
ment ; mais, dans le Nord, à cette époque, l'indépendance et
lii liberté d'allures étaient absolues. Pendant (jue Karlsefnc
essayait les travaux de défrichement et d'agriculture avec les
])estiau\ qu'il avait amenés, et envoyait (juelques-uns des siens
tantôt pécher la baleine alors abondante sur la côte, tantôt
explorer les belles forêts d'alentour, Thorhall Gandason et huit
hommes se séparèrent du reste de la troupe. Thorhall, un ami
d'Erik llauda, était resté fort attaché aux usages païens et fidèle
aux pratiques étranges de l'Odinisme. 11 n'aimait pas les nou-
veaux convertis qui formaient la majorité des colons, et, toutes
les fois que survenait un accident, ne manquait pas de le pré-
senter conmie une punition des anciens Dieux Scandinaves. Un
jour, ayant dépecé et fait cuire une baleine d'une espèce in-
connue, qui venait d'échouer à la côte, les Northmans furent
tous malades. « La Barbe Rousse (le Dieu Thor) s'écria aus-
sitôt Thorhall (1), a été plus secourable que votre Christ. Voilà
ce que j'ai obtenu pour le poèifie (jue j'ai débité en l'iionneur
de Thor, mon protecteur, qui ne m'a jamais fait "défaut », et il
leur annonça qu'ils trouveraient bientôt du gibier et du poisson.
Un autre jour, portant de l'eau dans son navire, il improvisa un
couplet satirique (2), car il était poète à ses heures. « Les co-
lonnes de fer de l'Assemblée me disaient qm; j'aurais dans ci-
pays les vins les plus délicats; il me faut maintenant dire du
11
H) Rakn, p. 112. << Niinc Alieiiobarbus ille aiixilio promtior erat quani
Cliristus vcster ; hoc pnemii loco retiili pro carminé quod de Thore patrono
coinposui ; hic luc laio frustratiis est ».
(!2) Id., |). I4i. « Coiivciitus fcrrci columina dixeruiit
Mo, liuc advciiientem, optinia
L'suin fuisse polione ; oportet me
Coram hominibiis terram vituperare,
Nuiic iiumcn, (lagitàlor galeir,
Situlam maiiibus cogitur vcrsarc ;
Sic vero res est, ut ad fontem procumbam
Haud vinum mca labia tetigit».
CIIAI'ITHK IX.
LES NORÏIIM.WS K.N AMKRiyUK.
:jiu
mal (le ce pays. Lu. (livinitc! qui porte un ras(pi(' nie présoutc un
seau. Je cours aussitôt à lu loutiiiue. et mes lèvres ne sentent
pas le f,'oùt (lu vin », Des niilleries <»n en arriva Itientùt à des
discussions plus sérieuses. Une première fois déjà Tliorliall
s'était enfoncé dans les forêts d(; l'intérieur pour ne pas
prendre part à des cérémonies qui le blessaient. Il finit par
annoncer sa détermination de rentrer au (Iroenland, et, avec
huit de ses compagnons, prit en «idet la ner avec le i>lus petit
des trois navires. Voici la strophe railleuse qu'il chantait en
quittant le Vinland [l) : « Retournons au pays de nos ancêtres.
Faisons voile et que notre navire glisse rapidement le long de
ces rivages sablonneux. Que ceux dont les glaives bravent lu
tempête, que ceux qui rejettent les anciennes momrs et louent
cette terre, restent dans le Furdustraiidir à faire bouillir 'a ba-
leine ». Arrivé à la hauteur du Markland, Thorhall fut assailli
par une violente tempête, poussé en pleine mer et jusque sur
les côtes d'Irlande, où on le retint prisonnier. Quelques mar-
chands rapportèrent plus tard qu'il était mort en esclavage {'2).
Pendant ce temps Karlsefne et les autres chefs, avec cent
trente et un hommes, partaient à la recherche de Leifsbudir.
Us rencontrèrent un grand fleuve sortant d'un lac, avec des
iles à son embouchure. Dans la vallée de ce fleuve, qu'ils
remontèrent, le froment et les raisins poussaient d'eux-mêmes
dans les champs. Karlsefne trouva la place bonne et fit immé-
diatement construire des baraques en bois, auxquelles il donna
son nom, Thorfinusbudir (3).
(1) Uafn, p. li'i. « Eo redciirnus, ubi fionterranei
Sunt nostri ! t'aciauius ulitem,
Expansi arenosi periliini,
Lata navis cxplurarc ciirricula :
Durn procellam incitantes gladii,
iMora- impatientes, (pii terram
(îoUaudant, Fnrdusirandas
inliabitant et co(iuunt bahnonas ».
(2) ID., p. Ml.
(3) 11 y a deux versions de cet épisode, le premier est donné par la Parti-
!
il
1-
r
'A'H) i'iii:.Mii;ni': i-autii:. — ij:s I'UKCimskius ih; cdi.oMU,
Karisefiit' t'fait dans la contn^c depuis une (|uiiizaiii(' de jours
lorsque parurent les Skroellin^'s. Les Norflniiaiis aperenrent
tout à coup un ^rand nond)re de harques de cuir dont les
rames brandies par le soleil produisaient le rnc^rne bruit
que le V(Mit lors(|u"il souffle dans luie botte de pailb? (1). Les
hommes (pii les ronduisaient avaient le teint foncé, de jjrands
veux «st la face lar;i;e. Ils débanpièrent un instant, mais, aprt^s
avoir bien examiné les Noribmans, montèrent de nouveau sur
bîurs barques et s'éloifrnèrent en ramant vers le sud. Ils repa-
rurent au printemps suivant (1008). lia baie était toute noire
de canots, comme si l'on y eût semé du cliarb(jn (2). Cette fois
Skroellings et Northmans entrèrent en relations. Les naturels
njontraient une grande prédil(>ction pour des étoiïes rouges
(|u'ils roulaient autour de leur tête. Ils cédaient, pour s'en
procurer, de précieuses fourrures. Lorsque les Northmans
i'ommencèrent à couper ces éton'es, dont ils n'avaient plus îi
leur disposition qu'une petite ({uantité, en lanières larges d'un
doigt, les Skroellings continuèrent à les acheter au uuîme [)rix
que la pièce elle-même. Ils auraient aussi voulu des piques et
des épées, mais Karlsefne défendit de leur en vendre. S'étant
avisé de leur ofl'rir du lait, les Skroellings se jetèrent avec
avidité sur ce breuvage, qu'ils ne connaissaient pas, et ne
songèrent pluK qu'à céder leurs fourrures pour se procurer cette
boisson délicieuse. A ce moment un taureau sortit du bois et se
mit à beugler très fort (3). Les Skroellings épouvantés et se
cula de Groenlandis (Raf.n, p. 58-64.) et le second par VHixtnria Karhefini
(IUkn, p. 151-150) : ils ne diffèrent que par quelques détails chronologiques.
Nous avons suivi de préférence Yllistovia Karlsefini.
(1) Rafn traduit sonum cdenlos instar culnii vento strideutis. IJeauvois
pense qu'il faut traduire : produisant le même bruit que des tléaux. Cf.
Be.mjvois, Les Skrxlingx, p. 12.
(2) Rakn, p. 130. Tanta multitudine, ut si carbonibus ostium œstuarii
conspersum esset.
(3) Rafn, p. 151. Accidil ut taurus, qui Karlsffini fuit, e sylva excurrens
altum niugiret.
cauvois
IX. Cf.
estuarii
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FAC-SIMILE DU CODEX PLATEYENSIS
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CIIAPITRK IX.
LES NOHTHMANS EN AMERIQUE.
321
rroyant trahis s'enfuirent sur leurs canots et se dirigèrent dans
la direction du sud.
Trois semaines |)Ius tard leurs barques reparaissaient. Ei;
vain Karlsefne avait-il pris d'hahilos dispositions en dispersant
ses compaf.qions dans les hois, et en se retranchant lui-même
(>ntre un fleuve et une fonH. Les frondes des Skroellin^s
effrayèrent les Northmans qui battirent en retraite jusque sur
un j)lateau rocheux, où ils opposèrent une vive résistance. Ce
fut alors que Freydisa se montra la digne fille d'Erik Rauda, la
descendante des héroïnes chantées par les Sagas. Bien qu'en
état de grossesse avancée, elle saisit une épée, et, le sein nu,
les cheveux épars, se défendit si bravement qu'elle écarta les
Skroellings qui l'attaquaient, et parvint à rejoindre le camp.
D'après une autre version (1), Freydisa, n'ignorant pas que les
Skroellings ne savaient pas se servir des armes en méfal, se
serait elle-même frappée de manière à montrer aux ennemis
combien l'épée était tranchante, et, en effet, les Skroellings
épouvantés prirent la fuite. Du côté des Skroellings on remar-
qua un homme grand et de belle prestance qui, ayant saisi une
arme que venait de jeter à terre un de ses compagnons, la
considéra un instant, puis la jeta dans le lac, aussi loin (pi'il
put. (2) Malgré la bravoure chevaleresque de ce chef, les
Skroellings furent vaincus, et durent battre en retraite, laissant
nombre d'entre eux sur le champ de bataill(\ Cette expédition,
si bien commencée, devait mal finir. Un grand nombre de
Northmans avaient déjà succombé sous les flèches ou les pierre s
des Skroellings. Les survivants commençaient à se lasser de
de leur séjour dans un pays si lointain. De plus la présence de
([uelques femmes semait parmi eux des divisions et des haines.
Les célibataires réclamaient en effet la promiscuité de ces
(1) Rak.n, p. \T)i. >i Illa exlractum e vestibus inammam nudo gladio illidit,
qua re perterriti Skrœllitigi iii naves refugerunt ».
(2) Particuln de Grœnlandis (IUf.n, p. 63).
T. I. 21
322 PREMIÈFIE l'ARTlK.
LKS PRÉCURSKL'RS 1»K COLOMB.
i ;
femmes, que les maris refusaient, (1^ Karisefne, pour éviter la
guerre civile, qui devenait menaçante, se décida à donner le
signal du retour au (îroenland.
Il ne restait plus auv Norlhmans que deux vaisseaux. Uiarn
Grrimolsoii prit le commandement de l'un d'eux et Karisefne de
l'autre. Biarn fut écarté de sa route jusqu'à la mer il'Irlande.
Son vaisseau attaqué par les tarets faisait eau de toutes parts et
allait somhrer. L'équipage n'avait à sa disposition qu'une barque
qui ne pouvait contenir que la moitié d'entre eux. Ils décidèrent
qu'on tirerait au sort pour savoir qui descendrait dans la barque,
Biarn fut au nombre de ceux que le sort favorisa. \\ était sur le
point de donner le signal du départ, quand un jeune Islandais,
condamné à rester, lui reprocha de l'abandonner (2). Emu de
pitié, le vaillant capitaine prit sa place, et sauva ainsi le jeun(!
homme, caria barque finit |)ar gagner Dublin, d'où les Northmans
revinrent en Islande.
Thorfinn Karisefne fut plus heureux, car il réussit à conduire
son navire au Groenland, mais il signala son voyage de retour
par une inutih; cruauté. En naviguant an nord, le long de la
côte, il rencontra cinq Skroellings vêtus de fourrures et (pii
dormaient sur le rivage ; ils furent égorgés (3). Deux enfants
étaient avec eux. Les Northmans les prirent, leur donnèrent le
(1) lUi'N, p. Kil. Dissidio de nxoribusorto, quiiin qui uxorihns carcrctil,
eas ab uxoratis |)ostiilareiit, qiiii ex re inaximic tiirbm exstiteniiit.
(2) RAFiN, p. IG-i. Ou nous saura ç;rù d'avoir reproduit ici le naïf récit de
la Sa;;a « Qui quum in scapliuin descendissent, unus vir Islandns, qui iii
navi erat, (piique Biarnium ab Islandiu fiicrat coniilatus, infit : » An tu, Biariii,
liio a nie discedere vis? » Biarnius : « Ita noue lîeri necesse est ». 111e :
" Aliud pDllicebaris patri mco, quando tecuui ab Islundia prolicisccbar, quant
ut ita a inc discedercs, ([uippe ijui i)ollicitus çis nos utrosque cadein fortuna
usuros ». Biarnius respondit : « Neque sic erit ; tu in scapbam descende, ego
vero couscendain navcui ; video eniui te adeo vitaî cupiduin esse ». Cf. p. 184-
185.
(3) La saga de Tiiorlinn allègue pour excuse que les Northmans s'imagi-
nèrent que ces Sknclliugs avaient été bannis de leur pays. Raf.n, p. 15G. Hos
u terra externiinatos esse Karlsefniani intelligebant.
CHAPITRE IX.
LKS NORTIIMANS RN AMKRIQL'E.
323
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|ns s'iniagi-
156. Ho5
haptf^iiie et les emmenèrent avec eux. Ils noimnaieiit leur pèrft
Uvivpe, et leur mère Yetthilde. Ils racontèrent (jue deux rois
},'ouvernaient les Skroelliiifrs, l'un apj ;lé Avalldania et l'autre
Valldidida. Il n'y avait pas do maisons dans leur pays, et on
couchait dans des cavernes et dans des trous. Ce fut encore dans
le voyafre de retour cpu; les Xorthmans eurentà supporter diverses
attaques de la part des Skrocllin^'S (1). Ces indiiiènes étaient
pl"s l)elli(pieu\ et d'im aspect plus etîrayant (pie ceux avec
les(piels les Northmans avaient jusqu'alors été en contact. Aussi,
dans leur effroi, prétendaient-ils ([u'ils n'avaient qu'une jambe,
et s'abîmaient sous terre, quand on les atta([uait. Un matelot du
bord composa même à ce sujet une chanson dont voici le
refrain (2) : <( Nos hommes, c'est la vérité pure, ont poursuivi
sur le rivage un être qui n'avait qu'une jambe : mais cet être
étrange, d'une course rapide, s'est enfui sur le flot. Entends-tu
bien , Karisefne ? » Ces étranges ennemis tuèrent même un
Nfirthman nommé Thorwald, qu'on a confondu très à tort avec
le fils d'Erik tué en 1003 sous le cap Krossaness.
Karisefne, malgré les Skroellings et malgré les difficultés de
la traversée réussit pourtant à rentrer au (iroenland. II ne fit
(|u"y toucher barre, et se rendit presque aussitôt en Norvège
avec les marchandises ([u'il rapportait du Vinland, et les vendit
dans de bonnes conditions. Un marchand de IJrême lui oH'rit
une demi livre d'or pour un morceau de bois qui lui servait dans
son temple de famille (3j. C'était du mausur vinlandais, proba-
(1) UAKN, p. 158.
(2) Voici la clianson du poète anonyme : (R.\kn, p. 160) :
Inseculi sunt viri ^
(Sane venini fuit hoc)
Unum unipcdem
Deorsum in littus ;
Sed mirificus homo
Cursu contendit
Uaplim per uequora ;
Audi, Karisefni.
(3) II)., p. 74.
l\
■Il
: !
U2i l'HKMlKllK l'AltTlK. — LKS l'HKCUHSRCHS DK C.OLOMIl.
■I !■:
Itlciuciil (le rOraltle bouclr. D'apirs la tradition jamais navire
plus ridicnient cliargô n'otait revenu du (îrocnland. Aussi les
grands seigneurs norvégiens lirent-ils un si bon accueil à Karls-
efne, ({u'il rentra en Islanile fort riche, chargé d honneurs, et
s'y r.\a |)nur ne phis en sortir jus(|u'à sa njort. Sa femme (Judrida
hii avait donné au Vinland un (ils Snorro, Iv [iremier Européen
né d'une façon certaine en Améri([ue, (pii devint hi souche d'une
nomi»reuse postérité. En [H',V,i le dernier de ses descendants
directs, Magnus Stepiiensen, vivait encore en Islande. Quant
à (Judrida, prise de la passion des voyages, elle se rendit à ll'»me,
où elle fut très bien reçue. " Rome était très att'iitive aux
découvertes géographiques et collectionnait avec soin les cartes
et les récits (jui lui parvenaient (1). Toute découverte seud)lait
un agrandissement rlu domaine papal, un champ nouveau pour la
prédication évangélicpie. Oe ce (ju'ils n'ont laissé dans l'histoire
écrite aucune trace appréciable, les récits de Gudrida n'en
exercèrent pas moins une certaine influence sur les découvertes
postérieures. Il ne faudrait point s'étonner (|uand ils auraient
provoqué ou confirmé les suppositions des cosmograplu's italiens
relatives à la proximité des côtes orientales de l'Asie'».
Le voyage de Thorfinn Karisefne et de ses compagnons ne
fut signalé par aucune nouvelle découverte. Les terres visitées
avaient été déjà reconnues par Leif et par Thorwald, mais les
côtes que ceux-ci n'avaient fait qu'entrevoir, Karisefne les avait
mieux explorées et décrites avec plus de précision. Ainsi les
Furdustrandir ou rivages merveilleux nous les retrouvons en
Nouvelle-Ecosse. « Ces dunes, écrit un voyageur moderne (2),
attirent fortement les regards par leur caractère particulier.
Quand nous approchâmes de l'extrémité du cap, le sable et la
stérilité du sol augmentaient, et, en plusieurs endroits, il ne
manquait au voyageur (jue de rencontrer sur sa route une horde
(1) Gravier, Découverte de V Amérique par les Normnudx, p. 106.
(2) HncHOCii, Ressort of fhe yeology af Massachussets.
ciiAi'iïiu: IX.
LKS NOHTIIMANS F.N AMKHIOl'K.
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(le Itédoiiins \umv lui faire croire (|u"il était dans les jtntfondenrs
d'un désert d'Araliie nu de Libye ». La haie circulaire reinar-
(|uahle f»ar ses courants, le Strautniiord, doit être la haie de
Buzzard, où se fait encore ressentir l'influenc»! du (iulf Streani.
Quant au\ iles tellement couvertes d'eiders qu'on écrasait leurs
MHifs en inarcliant (1), nous les retrouvons sin- la c^jte de Massa-
chussets, dans les rochers inliahités (ju'on nomme Kgge Islands,
et (jue les ciders choisissent encore de nos jours pour y jiondre
et y couver leurs (cufs.
Les Sagas rapportent encore que Thorfinn Karisefne envoya
ses compagnons exploiter les forêts, où l'on trouvait surtout mi
certain arhre nommé mausur. Cet arhre est l'érahle houclé qui
|)euple encore les forêts de la région et f>résente à l'éhénisterie
de si précieuses ress(jurccs.
Les haleines ont, il est vrai, disparu des côtes, et la chair île
haleine ne pourrait plus servir à l'alimentation des populations
littorales, mais il y en avait jadis. Dans la haie de Naragansett
se dresse encore le Whal Rock ou rocher de la lialeine, et ces
dénominations, toutes populaires, ne se (l<tnnent jamais au
hasard.
La vigne et le hié poussent naturellement dans le pays. Le
climat y est doux, le gazon s'y flétrit à peine. Les Northmans
donnaient à la région entière le nom de It-Goda, ou la honne
contrée ['■2). Encore aujourd'hui on l'appelle le Paradis de
l'Amérique du Nord.
On s'étonnera peut-être de voir les Skroellings si avancés
dans le Midi (3), Thorwald les avait naguère rencontrés en
Nouvelle-Ecosse. Karisefne les trouvait, et luttait avec eux dans
l'état actuel de New- York. Les Skroellings en effet paraissent
avoir occupé im immense territoire, mais peu à peu, ils céderont
(1) Rak.\, p l4l. '< Taiitus in iiisula anatuiu moUissimarutn iiumerus eral,
ut prae ovis traiisiri fere non possel ».
("1) Rakn, p. 191. « Invenit Vinlandiani Uonani (Vinlanil hit Godda) ».
(3) Beauvois, Les Skroellings, p. 20-2i.
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LliS l'HKCl'IlSKIII.-. I)K (.OLOMIt.
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lu place ù de nouveaux erivaliisseurs, 't, dès le xvi" siècle, ils
seront refoulés très avant dans le no'd, |)res(jue dans les rèfiions
p(daires, où sont aujourd'hui cundnés les tièhris de cette
race jadis si puissante. Ceux avec lescpiels luttèrent les
Northnians resseuddent à s'y méprendre aux modernes Kalalis.
Ils sont petits (1), comme l'étaient les Skroellin^'s, ils ont la
face large, le teint foncé, ils sont vêtus de fourrures et se terrent
dans des trous creusés dans le sol. Ils ont encore des canots
de cuir. En HJOo le capitaine Jame Hall ayant laissé une épée
à leur disposition, l'un d'eux se coupii la main (2j. Aussi bien
les Kalalis du Laltrador se servent encore aujourd'hui de
couteaux de pierre. Les Skroellings existent donc encore, mais
ils n'occupent plus la même région.
Sauf la (le ière, toutes les expéditions des Northnians en
Amérique .„ .s ont, jus(|u'à [irésent, apporté leur contingent
de données géographiijues. Un nouveau voyage allait être inutile.
Kreydisa, la vaillante fille d'Eric, la sirur de Leif, et de
Thorwald, voulut, elle aussi, jouer un rôle important dans ce
nouveau monde, où elle n'avait jusqu'alors ligure (pi'au second
rang. Maîtresse absolue de l'esprit de son mari, le faihle Thor-
wald, elle l'engagea, malgré sa répugnance, à retourner au
Vinland, Cherchait-elle la richesse ou d'autres aventures ? Etait-
ce l'avidité ou l'amour de la gloire qui la poussaient? Tout porte
à croire que cette héroïne songeait surtout à l'argent. Elle avait
traité avec deux Islandais, Ilcgge et Finnborge, et convenu avec
eux de partager les dépenses et les profits de l'expédition. Les
deux parties contractantes s'étaient engagées à ne conduire
(1) RiNK, De Dnnske llandelsidislriker i Nordfjroenland, t II, |). 2, 8,
11. « La plupart des Kalalis sont de courte taille, et se distinguent par des
mains et des pieds extraordiriairement petits ; la couleur du visage est très
brune..., leur face est large et plate, le regard un peu oblique conune dans
la race mongole. Les cheveux sont d'un noir de corbeau, très grossiers et
hérissés ».
(2) A. Meyl.vn, Histoire de Cévangélisation des Lapons, et l'Evangile
au Labrador (18G3), p. 13i.
f 1
1 1
CHAPITRE IX. — LES NOHTIIMANS EN AMEHIQUE.
327
<liacunc que trente liuiiimes, mais Frcydisa en cacha cinq de
|>lus dans la cale de son navire pour assurer sa supériorité en
cas de conflit, et ne les montra que lorsqu'il n'était plus temps
de revenir sur ses pas. A peine déharqués au Vinland, les
associés entrèrent en discussion, llegge et Kinnborge arrivés,
avant Freydisa,s"élaient installés àLeifsl)udir(l). A peini; débar-
quée, la virago les força de déloger sous prétexte que son frère
Ijcif l'avait autorisée à se servir de sa maison, et les contraignit
à construire un autre logis sur le rivage. Uegge et Finnhorge,
qui paraissent avoir poussé très loin la longanimité, essayèrent
un rapprochement, et organisèrent des jeux et des fêtes pour
passer gaîment l'hier, mais des querelles éclatèrent, et la
mauvaise saison s'acheva assez tristement. Freydisa qui n'aurait
dû s'en prendre qu'à elle de ces premiers mécomptes, jura de
se venger (2). Un matin elle sort du lit conjugal, à peine vêtue,
se rend chez les deux frères, et leur propose d'échanger leurs
navires, llegge et Finnhorge, par esprit de conciliation, y con-
sentent. Aussitôt Freydisa va trouver son mari, le réveillle, se
plaint d'avoir été insultée par ses associés, et réclame une
punition exemplaire. Thorwald, sans seulement soupçonner
l'artifice, fait prendre les armes à ses hommes, et les conduit à
la demeure de ses associés. Ils sont saisis et égorgés. Cinq
de leurs femmes avaient été épargnées. Personne ne voulait les
tuer. « Donnez moi une hache, » s'écrie la féroce Freydisa. On
la lui donne, et les cinq infortunées tombent sous les coups de
la Walkyrie (3). Gomme la contenance des Northmans, vite
revenus de leur ivresse sanguinaire, lui prouvait qu'ils avaient
horreur de ce massacre inutile : « Si la fortune nous accorde de
retourner au Groenland, dit-elle, je retrancherai du milieu des
âl .
très
I dans
ers
s et
(1) Rafn, p. 67, Particula de Groenlandis.
(2) 11)., p. 68-71.
(3) 1d., p. 71. « Superstites vero erant inuliercs, quas nemo occidere
voluit. Heic Freydisa : « date mihi securim ni manum ». Ita factum. Deinde
illa quinque mulicres, quie ibi erant, ferro adgreditur et exanimes relinquit ».
'
Il '
328 l'HEMIÈRE l'AHTlE. — LES l'HÉCURSEUHS DE COLOMB.
hoinnu's ('chii <nii dira ces cliosos. Nous dirons au contraire
(|u'ils sont restés ici » (1).
D<>s lors l(! succès était assuré. Maîtresse de deux vaisseaux,
et l'orte de la terreur (|u'elle ins|)irait, Freydisa explore tran(|uil-
lenient le pays, tantôt loiif^eant les côt(!s, tantôt s'enfoncant dans
les forêts, puis, au prinleui[)s dcî 1013, retourne au Groenland.
Son assurance paraît l'avoir ahandoniiée. En vain distriltua-t-elle
i\ ses compagnons la [dus grande partie de ce qu'elle rapportait
du Vinland : elle ne parvint pas à cacher sou crime, et fut
dénoncée à Leif. « Je ne puis punir ma so'ur, dit ce dernier ;
mais je prévois (|ue sa postérité sera malheureuse {"1) ». Kn elfet,
d'après les Sagas, il ne lui arriva plus dès lors (jue des n'vers.
Le 2G avril 1831, à l'extrémité méridionale du Fall- River,
dans le Massachussetts , à l'endroit même où Leifshudir fut
peut-être hAti, on trouva divers squelettes avec des armures de
poitrine en bronze, des fers de lance et divers instruments,
semblables à ceux dont se servaient les Northmans au x" siècle,
car le bronze a été analysé et contient les mêmes éléments que
le bronze des objets similaires trouvés en Jutland. On en a
conclu, peut-être prématurément, (jue ces squelettes étaient
ceux des victimes de Freydisa. Nous ne pouvons que relater
cette hypothèse : ce n'est en effet, et jusqu'à nouvel ordre,
qu'une hypothèse (3).
Apartirdecetteépoque,lesrenseignementsdevienncntdemoins
en moins précis. Les Sagas désormais ne mentionnent plus comme
une singularité les voyages des Northmans dans ces contrées,
sans doute parce qu'on les considérait comme un fait habituel.
!■
H
(1) Rak\, p. 11. « Si nobis dabit fortuna, ut in Grœnlandiani reveniamus,
hune ego virum de niedio tollani, qui lias res indicaveril ; nos vcro dicamus,
eos heic remansisse, postquam hinc discessissemus».
(2) Id., p. 73. Non induci possum ut in sororem meam Frcydisam, proul
meruit, animadvertam, scd hoc divinabo, prolem corum parum successus habi-
turam ».
(3) Mémoires de la Société des Antiquaires du Nord, 1840-1844 (p. 104-
109, 119-127, 177-178). 184549 (p. 101-102;.
CIIAI'ITHK I.V.
LKS NOin'IlMANS KN AMKHKJUK.
•.\'2\>
\)rout
habi-
Une dc'cunvertc n'M'ciito vient de pruiivcr mit' luis de plus (|ii»'
le Viiilaiid (''tiiit rcf^iirdô coiiune lUic véritaljlc ctilniiic par les
Nnrflimaiis. l'ji ISIîH, M. IMiilip|i(' Maisli tntiiva en Islande, près
de l'éfflise de Skalliolt, Italie, à ce (lu'nii pense, en KK'l" par
rév(\(pie Isleif, nn niainisci-it. latin ipi'il lési<ina smis le iiuin de
Skalliolt Saga, et (pii l'nt traduit en anglais par sir TlKunas
Murrav. (\o inainiscrit racontait les voyages des Islandais an
Vinland. Il |»arlait aussi de leurs coinhats contre les Skroellings,
et surtout de l'expédition tentée par un certain llervador, (|ui
serait parti du Vinland pour se rendre dans les terres du sud,
sur les côtes de llritrauianalaiid. llervador, voidanf hiverner
dans ce pays, remonta un fleuve et linit |»ar s'arrêter au pied
do cascades écumantes qu'il nonmia llridsoerk. ('/est là (pie
périt, tuée par !a llèclie d'tni sauvage, une des i'emmes de
rcx|)édition, Syasi. Ses compagnons l'enterrèrent à l'endi'oil
même où elle était tombée. La Skalliolt Saga pntuvait simple-
ment, une l'ois de plus, que les Nortliuians avaient poussé leurs
expéditions assez loin dans le sud, ((u'ils avaient peut-être
connu la (lliesapeake, les fleuves qui s'y jettent, ainsi que les
cascades (|ue forme le Potomae au-dessus de Washington, l'n
savant, Uaninson, un géologue, Letpieureiix, le professeur
Brand de Washington et le docteur Hoyce de Hoston voulurent
profiter des indications du manuscrit, et retrouver le t(jinhean
de Syasi. Ils réussissent au-delà de leurs espérances (l), et
môme trop complètement au gré de (piehpies érudits qui les
accusèrent d'avoii- eux-mêmes préparé une mystification archéo-
logique. Le i28 juin 1807, en effet, Raffinson trouva une ins-
cription runi(jue à trois kilomètres environ au-dessus de
Washington. Cette inscription avait été protégée par la voûte
que forme en dessus le rocher nommé Arrou-head (Tête de
flèche), et par le voisinage d'un unti(pie sapin au tronc tordu.
104-
(1) Tour du Monde (N" 483) citant un numéro AdVUnion de Washint/ton,
reproduit par le New-Ï^ork Weekly-Trihune.
rir
'.\'M) i'hi:mik»k I'autik. — i.i:s i'ukciiiskiiis dk cni.o.Mii.
I']||(> s(> nirii|i(isait ilc cai'iKitM'cs de trois iiuiiccs (le liant, les uns
très |M'ii prnfuinls, icsiiiitrcs au contrain' rrciisés jiis(|irà iii) liiii-
tit'iiic (le iHiucc. Kllc fut ainsi traduite : « Ici rcfiosc Syasi la
MIhiuIc, lie rislaiuli'( M'inilalc, veuve de Kjoldr, s(enrde'rii(tj:r|iar
snii |ière,A},'ée(le viiijj;t-(in(| ans. Que Dieu lui lasse j;ràce(l().')l) •>.
fiOs heureux areliéoloj^ues l'ouillèrent ensuite le snl au-dessous do
rinsrri|)tioii. Ils trouvèrent quelques ossements (|ui f(»iul»èrent
aussitôt en |»oussière, trois objets de toilette en l>ron/e tout à
fait inforines, percés d'un trou par où passait sans doute un
cordon, deux IVajriuents d'encrinite servant peut-être à un
collier, et enlin deux nioiuiai(<s du Has-Kinpire datant du
M'' siècle. Cette dernière trouvaille n'a rien de sur-prenant : ou
sait aujourdlnii «[ue de nombreux Nortlimans s'enrôlèrent,
sous le nom de V'arèjiues, au service des em[)ereurs de
(lonstantiuople (1^. Tous ces objets sont aujourd'hui déposés à
Washiufrton, au nuisée de l'Institut Smithsonien. Ils semblent
démontrer la présence des Northmans en Améri<|ue vers le
milieu du xi'' siècle.
Aussi bien, à cette é|)0(|ue, la connaissance des colonies
américaines semble avoir |)énétré juscju'en lùu'ope. Adjun de
liréine, dans sa description des contrées du Nord, |)arlo en
termes fort clairs de la Vinlandia(^). « Il est encore une autre île
qui, d'aitrès le roi Suénon Estritius, fut découverte dans cet
iii
(!) llAKN, Antiquités Hussns et Orieiitiila.f d'oprùs les monuments histo-
riques des Ivlanditis et des anciens Sc(nidi7inves.
(2) Adam de Urèjik, Historin ecclesiastica. § 24(>, p. 151. « Prictcrea
iitiiim iulluic insulain recitavit rex Daniœ Suenus Estritius a imillis repertani
in illo Occaiio, (|iitr dicitur Winlaiid, uo quod ibi vites s|)onte nascantur ;
nain et frii^cs il)i non ai)unilarc, non fabulosa opiniunc, sed certa Danorum
rclatione, conipeiiinus. . , Post (inani insulani terra nulla iiivenitur habita-
bilis in illo Oceano, sed omnia, ipun rétro sunt, glacie intoleraltili ac calijçiiie
nmensa plena sunt : Cujus rei Marcianus ita mcniinerit, ultra Thile inquicns
navigari rarius diei propter marc coneretuni. Tentavit hoc nupcr experien-
tissimus Nordmarnornni priiiccps Haraldus, qui, latudincni septentrionalis
Occaiii pcrscrulatu^ navibus, tandeni caligantibus ante ora dcncicntis mundi
t'inibus, immane abyssi baratiirum retroactis vertigiis via solus evasit. »
(IIAI'ITHK l\.
l,i:S NOHTIIMANS K.N AMKaiyii:.
:i:u
inquicns
Uiicricn-
lilrionalis
lis muniii
ncôan. On la iiiiiiiiiia Viiilanil (pays du \iii), iiurcc (|iit> los
\i;,'ii('s y |i()iis>H-iit (l'cllt's-iiK^iiics. (le n'est pus une liisf(»ire
inventée à iihiisir ; nous savons pur des n lalioiis danoises
anllienti<|ues (jin' lu réffion n'est nuèiv iortile. Derrière le
N'iniand on ne trouve ^'uère dans cet océan auctuu' terre
liaitital)le : ce sont des iuunensités couvertes de ^Jace et pionj;é(!S
dans i'(»l>scnrité. Marcien s'en est souvenu (piand il a écrit
(|u'oM ne pouvait navi^'uer |)lus d'un jour au-delà de Thulé.
Tout réceuinient un prince northniun, excellent inariti, liarald,
a voulu s'y ris(juer; il s'est enga}i:é avec ses navires dans
rUcéan se|»tentrional, mais le monde finissait et l«'s trnèlires
aiifiuieutaient. A f^rand peine a-t-il pu. pres(|ue seul, éviter les
altimes et les goullVes ». L'n savant Suédois, rpii a irussi à se
l'aire un nom par ses fantaisies };éo}:raphi(pies, Uudheck,
raiiteiu" de l'.Vtlantide, a cru voir dans ce pays non pas U>
Vinland mais la Finlande (1). Or, la Finlande n'est pas d.ins la
zone de la vi),^ne, elle n'est pas non plus située dans l'Océan,
au-delà de Thulé, et les pays (ju'on trouve derrière ne sont ni
iidiahitahles ni inliahités. Le Vinland au contraire est situé
au-delà de Thulé et produit de la vigne. De plus, derrière ce
pays, les glaces ;'t les hrouilliu'ds durent éternellement, et le»
voyageurs (|ui se sont aventurés a|)rès liarald dans les mers du
pôle ont dû s'estinu'r fort heureux quand ils en sont revenus,
(l'est donc bien rAméri(|ue dont parlait à Adam de Hréme le
ini Suénou, et c'est l'Américpu' dont le géographe historien a
conservé le souvenir.
Le Vinland était également connu dans l'archipel des Feroi',
sans doute par suite des relations suivies (jui existaient entre
les habitants de cet archipel et les colons du Vinland. On a
conservé un ancien chant, Carmen horotcum (i) , d'après lequel
la belle Ingeborga, fille d'un roi, ne consent à donner sa main
11) RuDBECK, Atlrmtis, VII, part. VIII, p. 29.
(-) Uaf.n, Carvieii heroicum in quo Vinlandix mentio fit {Antiquitate
Americanx), p. 320-335.
'.V.\'l l'ItlCMlKHK l'AHTIK. — I.ICS l'Hr.C.I'USIMItS llK (■.(M.ilMIÎ.
mi'î
I i*
m-
n
i\n'n\i jj;ii('rri('r (|iii iiiii'.i nuiili.ittii et vaiiicii trois rciis du Vhi-
laiid ; mais ih •• s(»nt |»as iiK's par l-'iiiu Fulcr, le li('rns i|ii(' la
[M'iiiccssc avait clidisi dans son cdMir, et, l'orcrc de tenir sa
promesse, rinrortimée meurt de cliafirin. I^a date de ce chant
est incertaine, et il ne l'andrait pas lui attrihiier la valeur d'un
«lociiinent liistori(|ue, mais, à travers les ornements poétirpies
(pii le délij^'urent, il est facile de défrafrer un fait, rexislence de
rapports suivis (intre les îles de rAtlanti(pie et le Vinland, et
mtWne d'une navigation trop comme |>our (jue les scaldes en
cliantent en((»re les péri|)éties.
Nous retrouver<ins encore le Vinland dans la contrée dont le
Normand (M'der-ic Vital (l) parlait en ces termes : <• Li-s îles ( )r-
cades, le Vinland, risl,..<de el le (îroeiilaud, an nord des(pielles
on ne trouve plus juicime terre, appartiennent, ainsi (|U(! beau-
coup d'autres pays jus(praii (Jotlilaud, au l'oi de Norvéffc, (jui,
(lo tous les |)ays à la l'ois, recoitpar mer de ^^raiides richesses m.
Le tevte est altéré en cet endroit. On |ieut lire Vinlanda ou
Kinlanda, mais l'historien, à pro|)os de la j^nerrc soutenue par
Ma^iius III, roi de Noi'vè|j:e, contre l'Islande, nuMitiounait les
|)ossessions de Si^^urd I le (jnjisé. Oomhien est-il peu prohalile
(|u'après avoir cité les ()rcades,et étant sm- le point denonuner
l'Islande i>t le (îroenland, il ait pensé soit à la Finlande, soit au
rinmark de la Suède, alors (|u'il était si naturel de citer le
Viidand parmi les terres océani(|ues dépendant de la couronne
do Norvège, d'autant pins «pie la Finlande fut toujours une
dépendance de la Suède ou de la llussie, mais nullement de la
Norvège.
Donc, au Xi'' et au \ii" siècle, le Vinland est compté parmi
les possessions Scandinaves. Les évéques de Norvège et d'Is-
(t) Omoeiik; Vital, llixtovia ecclesiasliai, liv. x (('édition [.e Piovosl,
t. IV, p. !2'.l| : '< Orcailcs iiisiilm vl Viiiliiiiila, Islaiida r|ii()(|iie ot (iiueiilarKla,
ultra i|iiaiii ud .su|)t(;iiti'i(iiu!iii terra non rL-|icritur, aliaM|U(; plants iisi|ii" in
(îuti 'atnlani itt^^i Nnrii'ornrn subjiciuntur, et du tnlo orlte divititu navi^iu illuc
udveluinlnr »,
— .!•-'"• —
r.llAlMTHK I.V.
l,i:S NdltillMA.NS KN AMKHIUI lO.
:t;t:t
lundi', et Itifiiti'il !<■ ikhivcI ('v' 'iic iiislallt' ;'i (laidar, en llfncii-
laiid, le roiisidt'rnil cniiiiiic une paroisse «'•l(ii;;in't' de leur
dincèsc, et parCois vont rciidi'c visite à leurs luiiitaiiies ouailles,
(l'est ainsi «pi'en KKl!) j'évi^cpie Ion on Jean, après nn séjour
de (piatre ans en Islande, passe au VinlainJ dans Tesjjoir de con-
vertir les peuplades américaines, (pii connneneaieni à i'ournir' des
compagnes au\ colons Nortiunans, niais il y sidiit le niartyre'^l).
Oiielipies années plus lar<l, en llil, après diverses tentatives
dont riiist(tire n"a coiiservé(prun va^ue souvenir (:2), rislainlais
l']rik l'psi (le l^oisson), ou plutôt (lni'ips<in ilils de (înùpi partit
pour le Viidand, dont la situation religieuse lui inspirait de
vives in(puétndes. Il parait (pie les colons de \inland (-taient
alors assez nonil»reu\, et (pie le nouvel éviMpie trouva sa mis-
sion trop lourde, car il renonça solennellement à son siè^c de
(lardar poin- se consacrer à ses ouailles du Vinland (il). C'est du
moins ('(> (pie semlile iii(li(piei' la nomination à l'évéclié de
lîardar, en ll!2'i, d'un cei'tain .Vrnald, sur la (leman(UH>\|. cesse
des cidoiis (Iroenlandais réunis en diète fîéiiéraU' (i).
Il eût été \\\v\ intéressant de cmïiiaitre dans ses détails la
prédication d'iù-ik l'psi et son lieiireiiv succès. La découverte
de (piehpie niaiiiiserit islandais éclaircira peut-être un jour ce
curieux problème, (le doit (Mre en l'U'et la vipmrense impulsion
donnée par iM'ik l'psi à la prédication clirétienne au Vinland
(pii e\pli(|ue la persistance des traditions et des cérénioiiicîs
reli^Mi!Uses dans certains cantons île l'Amériiiue du Nord. N(Jiis
(I) /ttdiid^ LnndsunuKiliock, p. ItltO. — Toni'AKi s, IJi^turid VinlmiiU.v
iinliifu.e, p. 71. — Bkai'Vois, Oritjines et /hiidiitioii tlu ii/its tmcien évé./ti:
du Souvenu Monde p. lliO.
{2) Hkai.vois, oiiv. t'il('', p. \'M). — (iroenliiiids liislarish' Mindesiun'vltes,
III, (). - Ant. Atnri; p. 262.
(J) IUkn, Ant. Auter. p. 2G1-262, 4;i2-4ÎJ3.
'V) l.(! récit tirs (IfUiiilli'; di! i-ettc! iMcctitiii . ". Iroiivc; dims le l'M.iteyjarbock
iinpoitiiiit iiiaiiiiscril dont il a i'iù pai'U; pins haut Cf. (Iroelimih /listori^ke,
\lindi:iin(}')'kes, t. Il, p. (i80-719. — Voir dans los Mémoires de lu Soiùété
ilrs Antii/u/lires du Noril (I84I)-I8H|, .1 inentoir nf lunar Soi-kesou jxir
<il 1 HMI .M).\H«O.N HkI'I'.
r
I«
i -i
334 PHEMIKRK PAHTIi:. — LES l'RKC.LHSKCKS Ï)K COLOMIl.
aurons occasion de revenir sur cet intéressant sujet. Ainsi s'ex-
pliquerait également, hien que l'assertidn paraisse au premier
abord paradoxale, !,t prédication de la croisade en Améri(pie(l),
mais seulement à une épocpie où elle commençait à ne plus être
dans l'ancien monde qu'un vain mot, un simple [)rétoxte à lever
de l'arpent plutôt qu'une guerre sainte. L'Kglise en effet, «pii
voulait profiter de ses dernières ressources, songe à ces dio-
cèses él(jignés qu'elle ne connaissait guère (pie de nom. I*]n
12(51 lévéque ( Haf, prépare le terrain par ses prédications (2j.
En 1270 l'archevêque Ion, autorisé par le |»ape, à cause de la
longueur du chemin et des fatigues du voyage, à ne pas aller de
sa personne dans ces lointaines contrées, envoie << une sage et
discrète personne » pour recueillir en son nom le produit dos
dîmes, et des commutations de vanix, produit destiné à la croi-
sade al(jrs préchée par toute l'Kurope, et le pape Nicolas II, |»ar
une lettre datée de Rome le 31 janvier 1270, confirme les pleins
pouvoirs fonférés par l'arche vécjue à ce collecteur anonyme.
Trois ans plus tard, en 12S2, le mandataire revenait en Nor-
vège avec une riche moisson de dîmes, mais les pauvres colons
du Vinland connaissaient peu les métaux précieux ou du moins
n'aimaient pas à s'en dessaisir. Ils avaient payé' le saint person-
nage en nature et ce n'é;wi point de Wtr, mais une ample provi-
sion de pelleteries, de dents de morse et de fanons de baleine (pic
rapportait ce dernier. L'archevêque loii, fort embarrassé, con-
sulta le pape pour savoir ce qu'il devait en faire (i mars 1282i
et Martin IV lui donna le conseil tout pratique de vendre et de
réaliser. Il est probable (pie l'archevêque sui^t ^e conseil (3i.
Vingt-ciu(j uns plus tard, en 1307, les dîmes du Yinland
figuraient encore dans le produit des collectes (4). En 1300,
(1) Paul IUkst, ExpMitions et pèlerinages des Sca7idinaves en Terre-Saint >■
au temps (/e.f Croisades, p. 36".
2) C'est ce même tivênue qui sj chargea d'oprier, au nom du roi de Nor-
vège, la réunion à lu couronne des colonies d'AnKJriquc.
(3) IliANT, CUV. cité, p. 365.
(4) iD., p. 380.
CIIAIMTHIC IX',
LES NOHTllMANS K.\ AMIIlUOrR.
;{;$;)
re-Saintc
de Nor-
aprc's le cijiu'ilc de Vioiini' ot la |uilili( atiou d'une levée de
subsides par Laurent KarloCsou et IJiarn, révtkjue de (lardar
Ariii se rendit à sa résidence et orf:anisa cette levée (l). Il
n'oublia pas ses paroisses de Vinland, car, en 131.'), les dîmes
des colonies américaines, consistant connue toujours en dents
de morse et en pelleteries diverses, furent vendues douze livres
et ((uatorze sous tournois à lui flamand, Jean du Pré. l'Ji iXil't
ces comptes lurent définitivement arrêtés [tar Pierre (lervais [il).
Les possessions extrêmes des Nortbmans contribuèrent donc
pour leur part au grand mouvement religieux, (jui est resté le
fait dominant du moyen ilge. Trop éloignés pour prendre à la
lutte une pîu't active, et d "ailleurs appelés trop tard, les [)auvres
colons du Vinland tlonnèrent néanmoins à l'Europe cbrétienne,
qui soupçonnait à peine leur existence, tout ce dont ils pouvaient
disp(jser, c'est-i'i-dire les produits peu variés de leur industrie.
Connue les détails sur l'organisation et la vie intérieure de
ces colonies américaines mancpient dans les documents islandais,
on est réduit sur leur compte à des conjectures. Il est néanmoins
probable qu'il en fut du Vinland connne des autres établissements
fondés dans l'extrême Nord |)ar les N(»rlbmans, c'est-à-dire
(ju'il fut organisé en colonie liitre. I^es clierclieurs d'aventures
poussés par le désir de lu nouveauté, et les bannis toujours
nombreux aux époques et dans les pays où dominent les passions
individuelles, venaient s<hiIs au Vinland. Unesorlede république
s'y était établie, sous le protectorat nominal des rois de Norvège,
et probablement sous la direction de quelque descendant d'iu'ik
llauda. Les colons entretenaient avec la métropole, mais surtout
avec le (Jroenland et l'Islande des relations assez suivies (3). Ils
échangeaient les richesses du pays, bois précieux, peaux de
bêtes, dents de morse, huile ou fanons de baleine contre le fer
et les armes qui leur man(|uaient. C'était la pêche surtout ([ui
(1) lliA, , p. 394.
(2) Id., |i. 391.
(y) ToHKAELs, Yinlandia antiqna p. "1.
f '}
*{.'{(» l'IlKMir.HK l'AItTIK.
LKS l'UKClIIlSKUMS llK CdLOMIt.
O'
t'iiricliissait les Nortliiiians (rAin('ri(|ii('. Maintes (ois ces hardis
marins se laiicèroiit, à travers les détroits qm' redoutent atijoiir-
<riiiii nos capitaines, à la [inursuite de i|U(>l(|iie haleine (|iii leur
avait échappé. Ainsi (pie le chantait un de leurs scaldes, Svenin,
l'auteur du Xiirdrsrliidrupd (1), ils nhésitaient pas à alVronter
les M hideux lils de Forujot (^) souillant sur le hiltinient, et les
vafiues dispersant leur écume. Ils s'avançaient au milieu des
tourhillons iurieiix de la faraude chaine (piand elle commençait
à déchirer et à l'aire tournoyer les lilles du p,éant des mers
toujours ^siies dans la tempête ». Les colons i\u (îroenland,
et particidiérement les Storiiindi, ou farauds [tropriéfaires, se
signalaient par leur audace. Ils s'étaient étahlis sur tout le
versant oriental de la péninsule : (Ireipar et Kroksiiardarheidi,
au nord et au sud de l'île de Disco, ipudcpie part diuis le f^^olCi^ de
Mel ville, étai(!nt leurs principales stations d'été (IJ). Ils\ trouvaient
dos phoipies et du hois (lotte apporté du continent parles courants
polaires. Un chroniipieur contemporain, IJiarn lonoeus, ('om|itait
alors treize |)aroisses suhdivisées en cent (juatre-vinf^t-dix villes
dans le Westerhj^d et (piatre paroisses suhdivisées en (|uatre-
vinj,^t-dix villes dans ri']sterhyf:çd, c'est-à-dire sur les deux versants
du (iroeidand. (le chill're seud)le fort (exagéré. (les villes n'étaient
sans douti! (pie des villajîes, ou même des maisons isolées, et
ces éfilises des chapelles, maisixi chi(rr(î sup|)ose une [)opulation
relativement considérahh; et une prospérité réelle.
lui lliK) trois (iroenlandais, entrainés par le f^oùt dos aventures
périlleuses, voulunnit s'enfoneer jusque dans la région, chanté(!
par les scaldes, « où l'étoile polaire était visii)le à nndi ». Ils
.s'enfîag(!rent dans les détroits nommés depuis de Davis et de
le
dai
ve
(1) Ce poi'iiic (latc! de; la tîii du xi" siècle. Il est cité par Hiwnjui.sson.
Jusqu'où les incie}is Sca?idiiinvcs ont-ils pém'tn! vers le pôle arctù/uc da7is
leurs expéditions à ta mer (jlaciale ? |i. 149.
(2) Les lemp.'.es.
(;t) Hakn, Antiquitates Americano:, p. 273-6, 296-300. Tohkaeus, Vin,'
landia Antiqua, p. 2!)-3.'j.
CIIAI'ITIIK IV.
I.KS NOinilMANS KN AMKIIlOin:.
atmn
litures
•t de
JLSSOS.
daii'i
Vin-
Uariiii, et iirrivrfciif jusqu'il l'île Kini^iktorsuak (ui dos Kcriirncs,
suiis le 72" ").""»' de lafitiido horéalc. Fiers de leur e\|»l(»it, ils eu
î-^ravèreiil le souvenir sur une des piei-res de Tile. ('<eUe [tierre
tut tntiivée en ISi'i. décliillVée par le inissioiinairi' Kra^di, et
dé|tnsée par le capitaine (Iraali au uuisée de la Suciété des
anti(|uaires du Nnrd ( I ). Vax voici la traduction : " l'-rlin^'«t, lils de
Si^:\vat. et Iliarn, lils de 'Pliord, et lundride, lils d'Odd, ('rifjèrent
ces monceaux de pierre le samedi avant le jour de fi:af:udaf: {"IVi
a\ril) et déhiayèreiit la place, \\X\ » (ti). Les Saj^sis ne parlent
pas de cette expédition, mais l'inscription de Kin};iktorsoak est
autlienti([ue, et, depuis w moment, on a trouvé des insoriptions
analotiues à jieu près dans les mêmes parafées, à l^^llikko,
à Kfie^^eit, à ['p|)ernavick, (pii n<' laissent aucun doute sur la
réalité de ces voyajres dans les réjrions Itoréales ('A).
Les Saf;as ont conservé le souvenir d'un voya^ic entrepris en
liCtC» dans la même direction par (piel(|ues ecclésiasti(pies du
diocèse de (lardar. Trois prêtres, et parmi eux un certain
llalldor', parfirent de Kroksilardarheidi. Surpris par des Itrouil-
lards intenses et poussés par le vent du sud, ils se laissèrent aller
à la dérive à travers un labyrinthe d'iles et lnn;:èrent des cotes
liordées de [placiers à [lerte de vue (i). Voici du reste la relation
adressée par llalldor à son ami le (îroeidandais Arnald, chapelain
de Ma}j:nus llakonson, roi de Norvè}i;e (12()l}-li2()S) : <> Les
prêtres é(juipèrent un vaisseau destiné à une expédition vers le
n(trd ayant jtonr Itut d'"xauuner le pays situé plus au nord (pie
les contrées visitées jnscpi'alors. Ils lirent voile de Kroksliar-
darheidi jus([u'à ce (pi'ils perdissent la côte de vue. .Mors un
vent du sud, aocompaf.'^né dune ;;i'an(le obscurité, les attaipia <'n
(1) Raks, A7it. Am., p. 276-218 citant llom(i'stelc\i;i Sl<iil(llii!l},'i;ma.
12) Màinnirt'A de la Socirlt' t/c^ AntiquaircH dit Nord, 184.'i-184!t. p. :tli.
(H) Mi'jnoires de la Sociéti' des Atiti'/uairr.s du Nurd, pas.siin.
{k} (iri)enlands liislorilie Mindcsimvrkrr , t. 11 , p. 2:t8-2i.'!. — UaKN.
Antiqxnlates Aiiieriiyni.r, p. 2(i!)-27H, Nous avons rilr la liadiictinn Itryii-
jullson, ouv. cité, p 14i^.
!s !
T.
22
1
X)H l'HKMlliHK l'ARTIK.
LRS PRKCIHSKLHS l>K C.OI.OMIl.
H.p
471
li;
face, ot ils furent contriiiiits do laisser aller- le vaisseau selon le
vent; niai>> lorscjue la tempête se fut calriiée et (pTil lii jour de
nouveau, ils virent une jurande (|uantifé d'îles et toute sorte de
poissons, dos piiocpios, des haleines, et des ours en jrraiid nombre.
Ils pénétrèrent jus(|u'au fond do la baie, do sorte qu'ils perdirent
la terre do vue vers l<> midi, ainsi que les i^laciers, car, d'aussi
loin que l'on pouvait y voir vers le sud, il n'y avait (|ue des
placiers. Ils y trouvèrent des traees de Skroelliuf^'^s , mais ils
ne pouvaient débanpier à ( anse des ours. Plus tard ils retour-
nèrent en arrièi'o pendant trois jours, et étant arrivés iKpiebpies
îles situées au sud de Sncofell, ils y trouvèrent de nouveau des
traces de Skroellinjis. Knsuili' ils se tournèrent vers le sud
jusqu'à Kroksiiardarlieidi, une longue journée à rames, le jour
même de la Saint Jacques. La nuit tout ficlait alors, mais le soleil
brillait cependant j(tur et nuit, et ne s'él(>vait jamais plus haut
(jue si un homme se couchait transversalement dans un bateau
à six rames, eu s'étendant sur le banc, rond)ro du bord le plus
rapproché du soleil lui tombait sur le visafîe. Mais à minuit le
soleil était aussi haut que chez ( u\, dans un jiays habité, cpiand
il se trnu\e au uord-ouest. Après cela ils retournèrent à (i;irdar 'i.
(le passa;j:e. à cau<e de la précision de certains détails, a frappé
les savants il). On a essayé de déterminer la latitude (pi'at-
teifïnirent ces premiers explorateurs des régions boréales.
D'après les calcids miiuitieux de l'astronoirie Schumacher et de
l'amiral Zahrtmaim, la hauteur de soleil, au i.'J juillet, jour de
la Saint .la<ques, à minuit, nous ramène au parallèle de 7o' '<('»,
c'est à dire un peu au nord du détroit de Marrow. Haildi>r l't ses
compajinons auraient donc précédé Franklin, Ross, Uayos,
Nares et (Ireely. t(tus ces héros des réf^ions boréales, dans ces
mers lerriitles, si fécondes eu naufra|i'es de tout j;enre, et ils les
auraient bravées avec leur frêles escjuif-;, soutenus seulement
par la ferme volonté de << [)ousser plus oultre ! »
(1) IUfn, A)itii/uiti:i ADtériminv.i, Introdiiclion, p. XXVI. II». Memoirr
sut' la Découverte île. l'Ainvrit/ue du .x" .'■irclf, p. 21.
parle
(2!
MiclK
i'i)
CIIAI'ITKK IX. — LKS NOHTIIMANS K.N AMKHK>li:.
:j:j!)
A pou prôs ù la tnôrnc <'po(|U(\ on liiHrj il), doux pnHros Islan-
dais Atlalln'aixl ot Thorwald llolfrasou, coniproiuis dans los
Irouhlos roligioux do lilo s'oird)ar(juoront pDur le Markland :
Ils retroiivôront sans peino lo pays aiiquol ils dunnôront lo nom
(pi'il a depuis conservô Nyj<i-Liuid, ou Torro-Ncuno. La morue,
alors counno aujourdliiii , foisonnait dans ces parages Ou
trouvait aussi beaucoup de |)oissons sur les eôtes. Il suffisait do
creuser des fossés à l'endroit baigné par la [)lus haute m(îr, et,
(piand Toau se retirait, ils se trouvaient plein de; poissons. Cotte
pèche facile et lucrative est encore aujourd'hui pratiquée par
les riverains de Terre-Neuve. Aditllirand ot Thtjrwald décou-
vrirent ou du moins signalèrent encore los îles du Duvet, ainsi
nommées à cause du nombre extraordinaire d'oiders ou d'autres
oiseaux de mer qui y bAtissaient leurs nids. C'est une particu-
larité (|ue signalèrent également nos compatriotes Cartier et
Cbamplain, lorsque, à un siècle di; distance, ils voyagèrent au
Canada, u Ces isles, écrira Cartier (2), estoyont plus remplies
d'oiseaux que ne serait un pré d'herl)e, lesquels faisoyent là
leurs nids, et en la plus grande de ces isles y en avoit un
monde do ceux que nous appelions margaux qui soat grands
ot plus grands qu'oysons, ot estoijnt séparez en un canton, ot
on l'autre part y avoit des godets, ... ». — <( On y trouvait,
lisons-nous dans Cbamplain, une telle abondance d'oiseaux
(le difl'érentes espèces qu'on ne pourrait se l'imaginer, si l'on no
Tiivait vu, comme cormorans, canards de toutes sortes, oies,
niarincttes, outardes... et autres sortes lesquels y font leurs
uids » (3).
aii?^ *'^'>
k iU lo^
kilouiont
Méiiiol
(l) Voir les Annales Royales, ainsi nommées parce (jue le manuscrit en est
conserve à la bibliothèque du Roi à Copenhague. — Rai'N, .1»/. Atn. p. 262.
'< Kundu Helgasyim Nyja Land Adhalbraiidr ok Tliorwaldr ». — Les Annales
tris anciennes qui datent du commencement du xive siècle, et le Klateyjarbok
liHilent de cette découverte, mais sans en mentionner les auteurs. R.ai'N, p. 262.
(2:i DUanirs du voijage fait par le capitaine Jaques Cartier, édition
.Michclant et Uanié (1863), p. 34.
(li) C.iiAMi'i.AiN, édition Laverdière.
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.•.■?;iit-i.
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'A'tO l'iiKMiKiU': l'AHTii:. — u:s i'RKccuskihs hk colomii.
La nouvelle des découvortes d'Adalliriuid et de 'Pliurwidd se
i'é|(aiidit en Nid'vèj^e, et excita un joyeux eui|»resseinent. lui l^iH*.)
le rui ICric envoyait d'almrd en IsiaiuUï pour y (tréparer l'expé-
dition, puis à la Tei're-Neuve un certain llolf. I^es annales
Islandaisi's nous montrent ce lloli'" parcourant en ell'et l'Islande
dès l'année 121)U, et en^af^cant les lialtilanls à faire le voyafre
de Terre-Neuve (1) ». (Juand il mourut en lill.'îil était connu sous
le surnom d<' Uoll' des pays, ou Uoll' rKs|)lorateur : ce (pii
sendderait indiquer (ju'il avait été heureux dans ses voyages ["1).
\ partir de cette épocjue, on n<! trouve plus mentionnées
dans les Sagas et dans les autres documents liist(jri<iues que de
très rares expéditions, soit au Vinland, soit à la Teri'(!-Neuv(^
Il semble (jue ces voyages sont devenus liahiluels, pres(pie
réguliers, et dès lors ils n'attirent plus l'alteation. Ainsi,
lors([ui' Ivar Hardson en 1317 sera chargé de visiter et de décrire
les étahlissements des Northmans en Améri(|ue, il compo-
sera son ouvrage sans seulement faire remarquer (|u"il décrit
des régions à peu près inconnues (3). En 1347 nous trouverons
une nouvelle mention d'un voyage au Markiand, mais sans le
moindre mot de surprise (i). « 11 vint alors en Islande un navire
du Groeidand, ntonté par dix-huit hommes, et (jui avait visité
le Markiand (5) ".A vrai dire les Islandais ou les(jroeiilandais,
Il Rakn, Aut. Arn. p. 2ti3. « For Rolfr uni Island, ok Krafahi menn lit
Nyja Lands ferdhar ».
"Ij Uakn, Id., Andadhist Landa Ilolfr.
(.'il On a conservé la description du (îrœnland par Ivar Mradson. Rai'N l'a
publiée dans ses Aiitiijuitates Americanx, p. .302-318. — Majou en adonné
une nouvelle édition eu 187;{. Descnptio Grwnlandiœ auctore Ivare Bardi
filio (i la suite de Tliu Voyages of Niœlo aiul Antonio Zeno).
(4) Voir la curieuse lettre de recommandation donnée à Ivar par llaknii,
archevè(iue de Bergen, 6 août 1341. (Mémoires de la Société des Antiquaivi'i
du Sord, 18451 849, p. 7).
(."•) Um-n, p. 264-0. Cf. p. 207, extrait des annales de Skalholt : « Il vint
aussi un navire de (irœnland, moins grand que les petits vaisseau.ic qui l'ont
le voyage d'Islande. Il aborda dans le Straumfiord extérieur. Il était saim
ancres et il portait dix-sept lioinnies, ipii s'étaient rendus dans le Markiand,
mais qui avaient ensuite été poussés ici à la dérive ».
OIIAl'ITUi: l\. — l.KS NOIITIIMA.NS K\ A.MKRKHi:.
ail
menn lit
RapN l'a
a donné
: Il 11 vinl
X. (jui font '
était saii»
Marklanil,
(lu froizicmc au (|H!itorzi(''iii(' sic'clc, paraissent avoir (Mitretciiii
(le fr(''(ju('nt('s relations avec les établissements d'Amérique, (le
(|u'ils rliercliaient siu" les côtes du nouveau monde c'étaient
surtout des poissons ou des aninuiuv marins, et aussi du bois
flotté. Il est en ell'et ti'ès souvent fait mention dans les Sa},Ms d(>
ce bois flotté, qui, très probablement, était apporté par les cou-
rants [»olaires. .Vinsi, dans la clironicpie du préteur llnnk Kr-
lendson, à la date de l'.VM, nous lisons : " Dans le Nordshota
(partie du (îroenland), il y a ilu bois flotté, mais il n'y croit |ias
d'arbres. Cette pointe septeiitriijiiale du (îroenland reçoit sur-
tout du bois et toutes sortes d'épaves venant des polfes du
Markiand » (1). Le plus renonmié de ces bois était le uiausur ou
érable bouclé. On le trouve encore dans le l{bode Islarul et le
Massacbusscts. Ses deux princij)ales variétés, l'acer rubrum ou
birds'efie (o'il d'oiseau) et l'acer sacliarimun ou curledmaple
(érable frisé") sont fort rccberchées à cause de leurs belles cou-
leurs, de leur dureté et de leur éclat. Lorsque les cours d'eau
de la côte Américaine portent à la merles troncs arracbés dans
les forêts qui bordent le littoral, aujourd'hui comme jadis c'est
sur le rivage du Groenland (|ue les (;ourants rejettent ces pré-
cieuses épaves (2).
Malgré ces deux sources pour ainsi dire intarissables de
richesses, pécdieries et bois flottés, les établissements du Vin-
land et du Markiand, fondés par des métropoles fort pauvres
elles-mêmes restèrent fort chétifs. D'abord les Northnians ne
tardèrent pas à tourner vers d'autres contrées leur activité
remuante. L'empire d'Orient (|ui s'écroulait et le service rému-
nérateur qu'ils prêtaient en qualité de vvarangi ou gardes du
corps au\ empereurs Byzantins les attiraient bien plus que les
dangers de la mer et les profits toujours précaires de ses redo;i-
(1) Ce passage a été conservé par Rjoerh deSkardsa, auteur des Annales
(lu Gtœnland (Rafn, p. 27.')).
(2) llixccK, Grœnland, f. il, p. 18.
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'(
.Tri l'UKMIKIIK l'.MITIK.
LKS l'HKClUSKIUS ItK COUIMU.
m
tiiMos uventurcs. l^a iii(';ti'(jp(il<!, au lii'ii de les sout(!nir, semble
avoir oublié ces lointain coiuptoirs. A jiurtir ilu règnii de Mar-
);uerite de Waldeiuar, la ruuroune se réserva le monopole du
(•ommcrci! , et défendit à tout navire « à moins de justifier
(pi'il leur a été iiuftossible de résistera la force des vents et aux
inAles de gla(;e ([ui flottent sur les eaux », déborder sans sa
p(^rmissi»»n à ces colonies transatlanti(jues (1) ; ce ijui, du jour au
lendemain, diminua singulièrement le nombre des armateurs
ou des marins assez hardis pour s'engager dans ces expéditions
aventureuses, et dont ils devaient partager les prollts, si profits
il y avait, avec la couronne. La liberté comm«M'ciale pouvait
seule donner la vie à ces lointains établissements. Klle disparut.
Les colonies américaines disparurent avec elle.
Les attaques incessantes des Skroellings précipitèrent cette
chute. Il send)le (|ue les indigènes se soient montrés réfrac-
traires à la civilisation européenne. Dès la pnîmière heure ils
ont engagé contre les nouveaux arrivants une lutte pour l'exis-
tence, où ils furent d'abord vainqueurs. Ce n'est i)as que
quelques-uns d'entre eux n'auraient pas mieux demandé que de
vivre en bonne intelligence avec les Européens. Les Sagas ont
conservé la touchante histoire de deux jeunes Ksquimaux, le
frère et la sctur, qui , sauvés d'une mort terrible , (ils étaient
abandonnés sur un récif que commençait à couvrir la marée
haute), par un colon Northman, Biorn Einarsson Jorsolafare,
lui prêtèrent serment de fidélité, et dès lors pourvurent à tous
ses besoins. La jeune fdie regardait comme une grande faveur
(|ue sa maîtresse, Sohveig, nouvellement accouchée, lui permit
de porter et de caresser son enfant. Le jeune homme allait à la
pèche et <\ la chasse pour ses nouveaux amis. Tous deux furent
tellement désolés du départ de Biorn qu'ils se tuèrent en se
jetant à la mer du haut d'un rocher pour suivre le navire de
leur maître qui n'avait pas voulu les emmener en Islande » (2).
(1) IsAACUs PoNTANus, Rerum Danicarum hialoria (1031), p. 521,
1^2) Grœnlands historiske mindesmœrker, t III, p. 34, 436-439.
i i;
CllAlMTHi: I.\. — LKS NdllTIlMANS KN AMlOHigilK.
M'A
Leurs cuiiipiitriotcs ii'rl.iiciif |>Jis si tcmlrcs à l'égard des
Nurlliiiiaiis. Ils les (•((iisidciMiciihoiiiiiic dds cniiciiiis iiatioiiaiLX,
et les alta(|iiai('iit sans iviiiissioii dès (|u'ils se croyaieiUlcs plus
Torts (l). Il |)rati(|uai('iil iiièiiic, intii sans succès, l'art de faire
soiniirer les navires Nurllimans. « Dans le (îroenland, écrivait
Olulis Ma^rnus (i), il y a une espèce de pirates qui se servent
de canots de cuir et de procédés nautiques extraordinaires, en ce
([u'ils attaipient, non par le haut, mais par le bas, les navires
de conuiu-rce, et en percent la cale par dehors. Jùi iriO.'J, j'ai
vu nioi-niéuie deux canots de ce genre, en cuir, placés au-
dessus de la porte occidentale, à l'intérieur de la porte de la
catliédriile d'AsIo (Christiania). Ils étaient suspendus au mur
connue trophée... Les habitants de cette contrée, en efTet, ne
font pas peu de gain en s'appropriant, par ces artifices et d'autres
send)!al(les, les dépoudies des navires. Avec leur adresse de
larnjiis, ils en percent sans bruit les planches inférieures pour y
faire entrer l'eau, et les submergent très vite ».
Ce n'était pas seulement en ((ualité de [ùrates queles Schroel-
lings s'étaient rendus redoutables. Ils n'hésitaient pas à attaquer
les Northmans dans leurs établissements, même fortifiés. C'est
ainsi que toutes les colonies du Westribygdh, en Groenland
occidental, furent détruites les unes après les autres. En 1344,
Ivar liardson (3), chargé d'une ex|)édition dans cette région,
fut très surpris « de n'y trouver aucun habitant, soit chrétien,
soit païen. Il n'y avait ((ue du bétail deveim sauvage et des
moutons ; ils se nourrirent de ces animaux, en chargèrent sur
leurs embarcations autant ((u'elles en pouvaient porter et firent
voile pour leur pays ». Ce fut surtout au xv" siècle que les
(1) (Srœnlands liistoriske mindesmœrker, t. III, p. 32.
(2) Olaus Magncs, De gentium scptentvionaliiim variis conditionibus
(1555), § 'J, p. 68.
(3) IvAR Hahdson, Dettcripfio GrT.nlandix (édit. Major, p. 53). « Quo
(luum venisseiit, nuliuin liomineni, neque cliristianum, nequu paganuin, inve-
nerunt, tantuininodo fera pccora et ovcs depreiicnderunt, ex quibus quantum
naves ferre poterant in lioc dcportato, domuni rcdierunt ».
IMAGE EVALUATION
TEST TARGET (MT-3)
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^ A
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1.0
1.1
: 112 12.0
IL25 III 1.4
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liÂ
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314 PREMIKKK PAHTIK. — LES l'HÉCt'BSEURS DE COLOMIi.
attaques des Skrocllings furent riuloutahles. Nous nVii vouluiis
donner d'autre preuve (jue le liref du pape Nirulas V, en date
du 'M septeml)re 14-48, adressé aux évoques de Skalliolt et de
Hols en Islande (1) : « Il y a trente ans, des l»arl>ares, sur une
flotte partie des cOtes païennes les plus voisines, ont attaqué
dans une sanglante agression tout le peuple des colonies, ravagé
par le feu et le glaive le pays et les édilices sacrés, ne laissant
subsister dans l'île, qui, dit-on, s'étend dans des limites très
larges, que neuf églises jiaroissiales, au.vpielles ils ne pou-
vaient avoir un accès facile à cause de l'escarpeinent des mon-
tagnes. Ils firent prisonniers et emtnenèrent dans leur pays les
malheureux habitants des deux sexes, principalement ceux
qu'ils voyaient vigoureux, propres à supporti-r le j<tug d'une
captivité perpétuelle, et acconunodés à leur tyrannie ». Cette-
navrante description est si bien conforme à la réalité, et les
Skroellings, encouragés par le succès, durent tellement mul-
tiplier leurs atta(|ues, (jue bientôt les derniers chrétiens dispa-
rurent du (Iroenland. On a conservé la liste des évé(jues de
Gardar. Trois seulement sont nommés après le bref du pape
Nicolas V, Gregorius, Jacobus et Vincentius, dont les sceaux,
dat«''s de 1450, 1487 et 1537, ont été retrouvés et publiés par la
Société des Antiquaires du Nord (2).
Une nouvelle cause de dépérissement s'ajouta à toutes celles
qui existaient déjà. La terrible peste noire (3), celle dont Boc-
(1) (irœnlands historiske mindesmœrker, t. III, p. IIO-I. « Ex linitiiiiis
littoribus barbaroruin, nnte annos triginta, classe navali barbari iiisurgcnlcs
cunctum habitatorum ibidem populuiii crudeli iiivasioiic ag;;ressi, et ipsuiii
patriain icdesquc sacras ignc et gladio dévastantes, sulis in iiisiila iioveiii
relictis ecclesiis parochialibus, quœ latissiinis dicitiir extendi tcnninis, qua^^
propter crepidines inoiitiuin commode adiré non possuiit; miserandos utriiistjne
sexus indigcnas, iilos prœcipuc, quos ad subeundum perpétua* onera semlatis
aptes videbant et fortes, tanquam ipsorum tyrannidi accommodâtes, ad pro-
pria venerunt captives ».
(2) Société des Antiquaires du Nord, 1845-1849, p. 432.
(3) Heckeh, Der Schwarze Tod des viehrzehnten lahrhunderts, p. 39.
ciiAi'iTiii-: IX.
I.KS .\(»IITIIMA\S i:.\ AMKKiun:.
:iir;
cace il consorvo k* Iu^uIht souvenir (I), après avoir ravapé lAsif
et rEuro|H', s'otcndit à rAiiiériquc. (|iieson isolciiuMit aurait dû
lirotéger, et dépeupla presque eiitièn'iiient le (Iroeiilaml. Or,
coinniu e'étaieiit le (iroeiiiaiid et l'Islande qui fouriiissaieiit
prcs((uu exclusiveuieiit des e(doiis au Vinlaiid et au Markiaiid,
les eoininuiiiratious furent interroiupues, et la dépopulation (|ui
affligeait ces deux contrées, s'étendit aux colonies an>érieaines(:i).
Il paraîtrait encore qu'un énorme amas de glace, luie gigan-
tes<jue l>an(|uise, se serait interposé entre le Vinland et le (îroen-
land {'.Vj. Dès lors les colons d'Américpie, déjà peu nond)reux,
dispersés sur une immense étendue de pays, séparés de la
métropole par un obstacle insurmontaltle, et d«> plus entourés
d'ennemis avec lesquels toute union était impossihie, auraient
rapidement disparu, et avec eux, le souvenir de cette lointain»'
colonisation, (iette liypothèst; est ingénieuse, mais non prouvée.
Néanmoins le (îroenlaiid était jadis couvert de forêts et de
prairies, et, de nos jours, c'est à peine si, dans le |)rintemps
boréal, toujours si court, la terre s'y couvre de gazon.
L'Islande produisait jadis du Itlé et ses beaux arbres étaient
X'antés par les Sagas : elle n'a [dus aujourd'bui que des arbris-
seaux rabougris. L'accunndatictn des glaces au pôle nord, dont
la science a démontré la réalité, peut donc avoir cliangé les con-
ditions de la température, et, dès lors, l'irruption soudaim»
d'une grande banquise suffit pour détruire les établissement>*
northmans au Vinland.
Les établissements du (iroenland ne tardèrent pas à dépérir
pour les mêmes motifs. Les relations avec l'Europe devinrent
11
3'J.
(1) BoccACK, Proldffue du Décamiiron.
(2) PoNTANCS, ouv. citô, III, 8, p. 1f)7. H Siiiit qui (radant, post cani epidc-
iiiicam lucin, fuisse inlcrmissain ac negluctani, cpuR ail oras (îruiilaiidJH)
soicniiis antea et anniia fucrat, incolaruin Danitr navi{;ationcm ».
(3) Id., id. « l)eind(> immcnsaui paulatiin t;x Trnilcltotis (;lacieruiii copiant
roaccrvalaiu fuisse, qutr nunc iiiipcdita umnia et diflicilia rcddat. Adeo ut
vix, nisi a parte iiisuia^ (\nm Libaiiotuin lioiealein spécial, terniiii liodie,
quuinvis et id subiudc difliculter, detur cunjuiii^cre ».
', »
M
3ir> PREMIÈRE PARTIK. — LES l'RKClRSEURS HE COI-OM».
si difficiles que, dus rannée 1383, on n'apprenait en Norvège
que six ans après ses funérailles la mort d'un évèque de (iar-
dar (1), llenricus {"2). Ces relations finirent même par »Hre tota-
lement interrompues, à tel point que le Groenland fut non
seulement oublié, mais mémo perdu. Le roi de Dan'^mark, Fré-
déric III (1048-1070), appelait ce pays sa pierre philoso|»liale (3),
parce qu'on le cliercliait toujours. Kn 1711, l'évéque de Dron-
theim le confondait avec le Canada. C'est seulement en 1725
qu'un prêtre norvégien, llans Eggede (4), devint comme le
second fondateur de la colonie en appelant de nouveau l'atten-
tion de ses compatriotes sur cette terre injustement délaissée.
Abandon de la métropole, attaques incessantes des Skrœllings,
é|)idémies, inqxtssibilité matérielle des communications, tout se
réunissait donc contre <'es malheureux établissements des North-
mans en Amérique. Les liistori','ns du Nord ne les mentionnent
plus dès le xiV siècle; les liis.oriens méridionaux, (pii ne les
connaissaient pas, persistent dans leur silence, et c'est ainsi
<|ue l'Amériijue fut de nouveau perdue pour les Européens.
A-t-elle été tout-à-fait perdue? Aucune relation n'a-t-elle été
conservée entre l'ancien et le nou\eau monde? Nous avons peine
à le (Toire, surtout quand nous nous rappelons la persistance
à travers l(!s siècles d'une dénomination géographique, (pii
semble indiquer quelcjue vague connaissance des découvertes
Scandinaves (5). Les cartes, les portulans et certaines relations
1 1 1 ToRFAEis, Historin Ovonlmidiae, p. 241-246. — Cf. Lei.ewei., Mé-
moire suv les Zeni, p. 80.
it) Le sceau de l'évoque Heriricus a été retrouve et publié dans les Mé-
moires de la Société des Antiquaires du Nord (1845-1849), p. 432.
{3i La .Motte-Levayer, G^ogra/thie du Prince, 1,2, p. 49.
|4) Toutes les tentatives inrructueuses pour retrouver le Groenland ont été
énumérées par Eu<iÉbE (ouv. cité) |i. 20-27. Voir le très intéressant article de
M. Valdemaii Scii\iiut, Voyages des Danois au Groenland (Congrès Anic-
ricanistc de Copenhague, p. 195-236.
(5) E. Beacvois, La Noramôégue, Découverte d'une quatrième colonie
précolombienne dans te Nouveau Monde (Congrès Américaniste de
Bruxelles). , ,
V •'I
<:IIA1'1TRK IX. — LK*; NOHTllMANS K\ AMKHJQIE.
:vM
|d ont été
irticlc de
rès Anic-
colonie
linistc de
de voyages, ù partir du xvï" sifrle, placent en effet dans l'Amé-
rique du Nord un certain pays de Norohega ou Noroinhega,
qui pourrait bien (Hre le Noroen hydgdh ou Norroen bypdh,
c'est-à-dire le pays des Norrains ou Norvégiens. Dans la carte
dressée par Jérôme Verrazano en lo29 |l), et conservée aux
Archives delà Propagande, se trouve indiquée non pas précisé-
ment la Norambega, mais l'Arnbega, et cela au milieu de déno-
minations païennes (Olympe), catholiques (San Giorgio, San
Severi'io, etc.), naturelles (La Pescaria, del llefugio), ou fran-
çaises (Dieppois, Angolesmes, Vendôme, etc) : ce qui semble
démontrer que l'Ambega, dans laquelle il est facile de retrou-
ver le mot tronqué de Norand)ega n'est pas un nom de fantaisie,
Ramusio dans sa liclaiion de i^oifagc du grand capitaine Fran-
rese (2),IeDieppoisParmentier,parle en ces termes du pays signalé
par Verrazano, '''est-à-dire des côtes des États-Unis et du Canada.
"< Les habitants de cette contrée sont humains et traitables,
accueillants et aimables. La terre abonde en productions de tous
genres. Là, poussent des vignes sauvages et d'autres arbres
odoriférants. Le pays est appelé par les indigènes Norumbega. »
A cette relation Ramusio avait annexé une carte dressée par
(îastaldi. La Norumbega est représentée comme une ile au sud
d'un grand fleuve ou d'un bras de mer, qui s'étend de l'est à
l'ouest depuis un cap des Bretons jusqu'à un autre bras de
mer. On y lit les noms de Port du Refuge, Port Real, le Paradis,
île Brisa, Flora et Angoulesme. Autant qu'il est possible d'éta-
blir une identification géographique, cette Norumbega paraît
correspondre au Nouveau-Brunswick, à la Nouvelle-Ecosse et
au Maine jusqu'à la rivière Kennebeck ou Chaudière, c'est-à-
1,1) De Costa, Verrazano the Explorer, 1881. — Gaffabbi., Les Décou-
l'veurs français de C Amérique du Nord, p. 139.
(2) Uamusio, Raccolta di Viaggi (1536), t. II!, p. 423 a Griiabilato.i
di qucsta terra sono gcntili, trattabili,' amichevoli, e piacevole. La terra c
abundantissima d'ogni frutti, vi uascono arauci, niandorle, uva salvatica e
niultc altre sorti d'arbori odoriferi. La terra e dctta da paisani Nurum-
bega ».
U
11
y
j
:M8 i'rkmière I'autik.
U:s l'KKCLHSKlRS IIK COLOM».
dinî ù un pays jadis folonist' parles Noithiiians, qui lui auraiiMil
laissé leur nom (Ij.
Dans lo célèbre fîloho d'Ulpius, dressé en lî)i2 (2), et (pii ap|>ar-
tientà l'historial Society de New-York, la Norumbcfïa a disparu
pour être reiiiplacé»' par la Verrazana sive Nova (iallia, mais on y
trouve la ville d»» Norman villa, placée vers le iH" et le W depré
de latitude nord, qui paraît être la capitale du pays. Ce nom de
Normanvilla n'est-il pas un indice suffisant de la persistance du
séjour des Northmans dans la contrée?
Jean Alfonse, le compagnon de Cartier et de Rolterval, le
célèbre pilote réputé par ses connaissances nautiques et par sa
hardiesse, dont les conteujporains vantaient la science et l'expé-
rience, avait condensé, dans un important ouvrage, tous les ren-
seignements géograj)liiques ramassés dans sa longue et aventu-
reuse carrière. Ij<; manuscrit de cet ouvrage existe encore (3). Il
est difficile à décliilTrer, car l'écriture est presque effacée. Voici
comment, dans cet important résumé des connaissances d(
l'époque, Jean Alfonse parlait de la Norombègue : « Je ditz que
le cap de saint Jehan, dit cap à Hreton et le cap de la Francis-
cane sont sous nord-est et sud-ouest, et prennent un quart de
est à ouest, et y a en la route cent quarante lieues, et icy finit
ung cap appelé le cap de Norombègue. Le dict cap est par qua-
rante et ung degré/ de la haulteur du pôle arctique. La dicte
coste est toute sableuse, basse, sans nulle montaigne. Et au long
laquelle coste y a plusieurs isles de sable et coste forte dange-
reuse de bancs et rochiers. Les gens de ceste coste et de cap à
Breton sont maulvaises gens, puissans, grands fleschiers, et
sont gens qui vivent de poissons et de chair, et ont aulcuns
(1) De Costa, Vetrazano the Explorer, p. 18.
(2) Ce glolx^ est intitulé : Rcgioncs orbis tcrrarum quœ aul a vetcribus
trnditœ aiit nostra patrumquc mciiioria coinperliR sint Euphrosynus L'Ipius
(lescribebat aniic salutis, 1542.
(3) Cosmographie de Jehan Allefonse et de Raulin Secalart, coxmo-
graphe de Hunnefleur, 1345. Manuscrit 076 (grand Tormat) de la Biblio-
thèqne nationale à Paris.
CIIAI'ITHK l\.
I.KS MUnilMANS IC.N AMmUOl'E.
:\v.)
letcribus
Llpiu»
coxtno-
Bibliti-
iiMit/ et |iarlcnt (|iiasi li' iik^uic l<in}.Mf;o de ceux de Ciiiiada et
Sitiit ^M'aiid peuple. I<]| ceiiK de cap à Hretoii vont doiiiiei' la
j:iierre à eeulx de la Terre-Neurve (piaiid ils pesriieiit, et pour
nulle eliose ne saulven>\ent la vie à un^' lionnne (juand ils le
peuvent, si ce n'est jeuiu' enlant ou jeune lille. Sont si cruels
que si [trennent xm^i liomine portant harhe, il/ luy (-ou|ipent les
nii'udires et les portent à leurs l'ennnes et enll'ans afin d'être
vengez en cela. Kt y a entre eux fitrce pelleteries de foutes liestes.
Au delà du cai» de Noroinltèfrue descend la rivière dudit Noruui-
bègue, environ vinjrt et cin(| lieues du cap. La dicte; rivière est
large de plus de quarante lieues de latitude en son entrée, et a
de largeur an dedans bien trente et(piarante lieues, et est pleine
d'isles qui eutj'ent liien dix ou d(ju/e lieues en la uier, et est
fort dangereuse de rochers et l»aptures. La dicte rivière est par
quarante et deux degrez de la liauteiu' du polie arctique. Au
dedans île ladicte rivière y aune ville (jui s'appelle .S'oromhègue,
et y a en elle de bonnes gens, et y a force pelleteries de
toutes bestes. Les gens de lu ville sont vestus de pelleteries,
portant nianteaulx de martres. Je me doute (jue la dicte rivière
va entre à la rivière de llocbelaga, car elle est salée plus de
«juarante lieues en dedans, selon la dict des gens de la ville.
Les gens parlent beaucoup de mots qui approchent du latin, et
adorent le soleil, et sont belles gens et grands lionuTies. La terre
de Norombègue est haulte et bonne ».
D'après la description de Jean Alfonse le nom de Norom-
bègue désignerait à là fois un pays, une rivière et une ville, ha ■
pays est assez facile à retrouver, car les lit ) lieues qui séparent
le cap Breton et le cap de la Franciscane conduisent assez exac-
tement à la hauteur du cap Montauk à Long Island. La contrée
Norumîiega correspondrait donc à la côte actuelle de la nouvelle
Kcosse, du nouveau Hrunswick, du Maine, de Nevv-Hampshire,
du Massachussctts, de Rhode-Island, du Connecticut i.'t de New-
York. Quant à la rivière de Norumbega, il ne faut pas |>rendre
ce mot dans son sens rigoureux. Il ne s'agit pas en effet d'un
l
!
I
\<âli
II
U5() PREMIÈRE PARTIE. — LES PRÉCIRSEIRS 1»E COLOMB.
cours d't'iiu eiitro deux Itci-fjos, mais d'uni* rivi/^re roiiirnc Ut
rivit^re, c/cst-à-diro la ctMo, de (j<^nes. Cctt»* pn'Menduc rivièn*
de N'orumlte^a ne peut (Hre, avec les dimensions que lui donne
AlFonse, ni le saint Jean, ni la sainte (Iroix, ni le Penoliseot,
ni m(Hn«> l'Hudson, mais uniquement la Iwiie de Fundy qui a
IGO kilomètres de prol'ondeur sur i.'» de large, et est semée
d'iles, soit dans les haies du Penohscut et de Passimaquoddy.
soit au sud à Fentrée du },'olfe. Kniin la ville de NorumlM'ga doit
ùtre ehercliée quel(|ue part sur la côte. On aura remarqué que
les Iiahilants de Norumi)ef:a étaient de monirs relativement
policées, «pi'ils portaient des costumes et surtout qu'ils savaient
quelques mots de latin, sans doute ce qu'ils avaient retenu des
liynmes sacrés (pie chantaient autrefois h's missionnaires.
Alfonse n'a, il est vrai, cité aucun de ces mots, mais Sagard
Tliéodat(l) mentionne un chant canadien que les indigènes n*-
pétaient encore de son temps, c'est-à-dire en 10.%, Tameia
alléluia, tameia a don vcni, han han héhé. Le mot alléluia est il
vrai d'origine héhraique, mais il a été en quelque sorte latinisé
par l'église catholique, et les Canadiens l'avaient retenu. Ix* nom
de Jésus s'était également conservé dans la langue des AlH*naquis
qui l'appelaient Kiziin, dans celle des Cliippevvays qui rap|>e-
laient (lischi, dans celle de diverses trihus de la nouvelle Angle-
terre «pii l'appelaient Késus, et par les trii)us Algonquines qui
adoraient le soleil et le nommaient Jésus (2). N'est-ce donc pas
que la Noromhega avait autrefois été colonisée par des Euro-
péens convertis au christianisme, et ces Européens ne sont-ils
pas les Northmans, dont nous avons raconté les expéditions
au nouveau monde?
.\près Jean Alfonse , celui des écrivains français du
XVI'' siècle qui ii donné la description la plus étendue de la
Noromhega est André The vet (3), On sait que cet éruditcordelier
(I) Saoaud Théodat, Histoire du Canada, p 311.
(2j PÈKE Chaules Laulemant, Relation de la Soiivelle France (1626), p. 4.
(3j Thevet, Singttlaritez de la Fiance antarctique, édition GaJIinl [ilTiS).
d 1
CIIAI'ITKK IX — LES NùKTII.MA.NS EN AMKHIOI K,
IKW
avait voyagé dans tout»* rAin(''ru|in' alors coniMic. Il lU' parli-
pourtant pas do la Noroinhcga dans ses Siiiffiitnrili-z ttr In h'rtnivi'
antnrct'uiitr, hion nu'il se soit rtrndn lon^'iicnicnt sur le Canada :
c'est dans sa Cosninr/rnpliii' «»»»•(•/•.<*•//<• (I) que nous troiivenuis
les renseignements les plus t-ompiels : << De la terre do Canada
et Maeealoos efde plusieurs rivières »le la coste de Noreinhégue.
Ayant laissé la Floride à luain gaulelie avec grand noud)rc
d'isles, d'islettes, goulplies et promontoires, se présente la plus
helle rivière qui soit en t<»ule la terre, nonnnéo de nous Norem-
hégue et des barbares Aggoncy (2) et marquée en (pielquos
cartes marines Rivière (îrande. Il entre plusieurs autres belles
rivières dans cesto-ey, et sur la(|uelle jadis les François foirent
bastir un petit fort, (piehjuo dix ou douze lieues en icelle, lequel
ostoit environné d'eau douice, qui se va dégorger dans icelle.
<!t fut nommé ceste place le fort de Noroud)égue. Plusieurs
pilotes qui s'estiment estre les plus acc<»rts de l'Kuropo, discou-
rant du privilège, m'ont voulu faire accroire que ce pays
Norondiégien ostoit le propre pays de Canada. Mais tant s'en
fault. comme je leur dis, attendu «pie cj-slny ci est sur les
(piarante trois dogrez et coluy de (îanada est sur les cincpiante
et un et cinquante-doux... Devant (preii aborder la dite rivière,
nous apparaît une îsk tournée de buis» isleauv fort petits, (pii
avoisineiit la terre des Montagnes Vertes et le caj) des Isles.
De là Vous venez tousjours costo\aut jusques à la boiiclie do la
rivière, rentrée de laquelle est daîigereuso à cause de noudtreux
et baults rocbors et forces batm-es, et est son entrée merveil-
leusement largo. Quelques trois lieues de la dicte rivière se
présente devant eux une belle isie, (|ui peut avoir (piafre lieues
de tour, et babitée seulement do(pielques pesoheursetd'oysoaux
(1) TiiÉVKT, Cosmographie l'nirericUe M.'j76). fol. 1008-l00!)-l01O.
(2) On aura remarqué ce mot rf'Agjjont y. Le pays vouait i-n oflfet d'être
agité par un déplacunient de triltiis, cpii avait substitué aux triltus Huruniies
les tribus Algonquiries. Thevcl avait con>taté le chaiigenieut et conservé le
nuni.
:r>:2 l'HKMIKIIi: l'AHTlK.
M;s IMIKLinsKIHS l»K COLOMIt.
1
i
<l«' diverses csiutcs, riuiiiiiiéc ayayiiscoii, ;'i caiisi- ()irt'll«' esf
faite en rnniie (rnii hras iriiotiiiiie <|irils a|)|i(>lleiit ainsi. Sa
lon^iieiii' est (lu iinnl au sud et la(|uelle mu (lourroit peiipler
facilenieiit, aussi Itieii (|ue plusieurs petites islettes (pii l'avoi-
sineiit d'assez luin, et eu icelle l'aire une ('(irleresse très belle
pour teuir en Itride *(»ule la niste. Ayant mis pied à terre, an
pays cirninvoisin, aperceuuies un faraud nouiltre de [leuples (|ui
venttit droit à nous de toutes parts et en telle uudtifnde (pie
vous eussiez dit estre une voh'e d'('tonrneau\. ('.(MI\ (pii uiar-
eli('rent les premiers estoient les hommes qu'ils nomment
Apuenous; apr»>s venaient les femmes (ju'ils appellent pera-
^'ruastas, puis les adejrestes (jui sont les en fans, et les derniers
estoient les filles n<tnmi(''es aniasgestas Ayant demeur('' là
ein(| jours levasmes les anchres et partismes d'avec eulx avec
«11 merveilleux contenteuient d'une part et d'autre Kn la
r(''}rion donc plus voisine de la Floride (que aucuns ont appeU-e
Terre francoyse et ceux du pays Noronil)(>gue), la terre (^st assez
fertile en diverses sortes de fruits ».
Thevet passe pour (Mre (h'pourvu de critique et s(>s contem-
porains contestaient d(''jà la valeur de ses informations. Les
mots qu'il place dans la bouche des Noramht''giens paraissent
avoir c'ti!' forgt's par lui. Il ne faut donc lui accorder qu'une
confiance limitcV, et, s'il (''tiiit isol('% nous devrions en bonne
règle récuser son témoignage. Uemaniuons néanmoins que sa
description correspond à peu près exactement à celle de Jean
Alfonse, et que, sans trop fixer les identifications, on retrouve
à travers ses lignes, et malgré leur peu de précision, la baie Je
Fundy actuelle. En outre bon nombre de cartographes de ses
«îontemporains ont assigné la même position à la Norombega.
Il est vrai (jue dans la Mappemonde dite de Henri II (1), dans
rAméri(iue du nord, à l'ouest d'im golfe semé d'îles et qui
(1) JoMAHD, .Vo7»OMtf«/« Uff Id (imi/rapfiip, feuille i7. — GAPKAHEL.ies dc-
cvuvreurs français, p. 117.
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CIIAI'ITUK IX.
I.KS NOinilMANS 1;N AMKHIOl'K
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pi^nôtn' |ii'()r()ii(i(''iiiciit (liiiis riiitt'rit'ur Hi's terres, iioii loin
(rime ville surmontée t\v deux tours, est nommée l'Anoro-
l»a>;a, niais n'est-ce point là le nom «léfipuré de Norom-
lu'fra? Noi.s h> croirons d'autant ftliis volontiers (jue, dans le
Ptidémée de i.'îiH, édite par Pietro Ainlrea (1), entre le LV et
le ,")(>'■ de;;ré de latitude non), et sur le Ptoléniée de 1501 édité
pur Rus(elli (2), entre la KIorida et la Tierra de Uaccalos figure
la Tierra de Norumberi;. Sur la Mappemonde de lîiliO ('.)), au
fond d'un },'olfe [irofond où se jette une rivière formée de deux
bras à peu près égaux, (iérard Mercator a dessiné le littoral de
la Norumhega avec une ville du même nom couronnée de hauts
édifices. Ortelius, dans son '/'liralnmi nrfiis tiTrarinii, dont la
première édition parut à Anvers en l."i7(), a «lans su Mappe-
monde donné la forme générale de la Noramhegi».
Que: si nous poursuivons cette revue à travers les atlas de
l'époque, nous aurons encore à enregistrer la mappemonde
présentée à Philippe Sidney en 1582 par Michel Look (i), où la
Noronibega est représentée comme une grande île entre le
Saint-Laurent à l'ouest, l'île de r4ap-Hreton à fest, et l'île
Claudia au sud, c'est-à-dire qu'elle ré|)(tnd à la presqu'île
Acadienne. Sur les feuille 20-30 de l'atlas composé en lî>83
par J.-A. Vaul.x (5) non seulement la Norambègue figure sur la
côte méridionale de la péninsule au sud du Saint-Laurent,
mais encore il est probable que la baie de Norin, entre la Baie-
Grande et la Grande-Rivière est une abrévation de la Baie
de Norambègue. Philippe Gallois(r)), dans son Kpitome J'hmtri,
j
, tes df'
,1) PiETno Andréa. Z.» Geografin (fi Claudio Ptolomeo Alessam/rino, Ve-
nise, 1548.
(2) G. Rlscelu, Geografia di Claudio Tolomeo, Venise, 1S61.
(3) JoMARD, Monuments de la Géographie, feuille 38.
(4) Tome VII des publications de l'Hakluyt Society.
(5) Premières œuvres. Cf. Cortambkht, Introduction aux Monuments de
la Géographie par Jomard (Bulletin de la Société de Géographie de Paris,
juillet 1872).
(6) Philippe Gall(*:us, Epitome theatri. Anvers 1589, fol. 5.
T. I. 23
H
''
lUJi l'UKMIKUR l'AHTIK. — LES PMJ^ICIRSKIHS IlR COLOMB.
I
(iossiiic la N'oraiiilx'^M, et toujours avec une ville du ni)Wu«' uoui,
au sud du Saiiit-Lauroiit. Sur la carte di> Tliouias llood [l] (|ui
date d(; \'.'}\)'l la cité nii'ridionaltMrAcadic s'apiudlc la Noroudic^'a,
A. Mafîiii ['2), dans sa ^coffrapliic de l*iî>7, di-crit eu ces termes
la Norurnhe^a, (|ue siu' sa nia|(|)enioiide il uonune Noro|ief;a :
«' La Noruud>e},'a est une contrée péninsulaire (|ui s'étend dans
la nier du nord. Klle est appelée d'a|)rès une ville do ce nom, et
elle Jouit d'un climat tempéré et d'un sol fertile. Klle a «pielcpies
peuples dési};nés de manière dillereiile par les Portugais, les
Espa}.'nols et les Français, de sorte (pie Ion ne peut tirer de là
aucune notion certaine ". D'après la carte annexée à l'ouvra^re
de W'ytfliet [,\), composé en l'JMK, la Norundiej^a s'étendrait
du iV' au i.*)'' de^ré de latitude nord, et la ville de Normnhefia
serait située par i.'l" '10' de latitude, au coiilliient de dei; rivières
qui f(trment le fleuve de ce nom. « Plus outre («pie li Vir};inie)
vers le Soptenlriou, est Norumhejra, latpielle d'mie lielle cité el
d'un f.M'aruI fleuve est assez connue ; encore (|ue l'on ne trouve
point d'où elle tire ce nom, car les harhares l'appellent .\^'},nm-
cia. Sur l'entrée de ce fleuve il y a ime ile propre pour la
pesclierie. La réfrion (pii va le lonj; de la mer est ahondaute en
poissons l't vers la .Nouvelle-Krance a j:rand nond)re de ht-fes
sauvages et est fort conunode pour la chasse, et les liahilans
vivent de mesme façon (|ue ceux de la Nouvelle-France ».
Le témoif^najjre des écrivains du xvi'' siècle est donc à peu près
uiianlîîie (i). Ils s'accordent tous à n'c<iiinaître l'existence d'une
contrée qu'ils nomment Norumliefra ou Nm-andiega et ils la
placent au sud du Saint-Laurent, en général dans le payscom|)ris
(1 Kl NSI \i.vN.N, Atlds fur E?itdeckuii;fenf/nsicfite Auivrikia, feuille xni.
(i\ A. XiviiiN, (ieoijrap/tix unii'er^.r tiitn vrlens, htm iinv/r af/soliiti-i-
simiiiii n/iK^i. (ioInjçMC, 1Ô'J7.
(t) NVvni.iKi', D'iL-rijiHonis Ptolemik.e ftaymeiilum, lo98. L'ouvrage m
été traduit en IVau<;ais sous le nom Alli-itoirc L'iiicfirselle. (Douai, 1607'.
(4l Voir l'ouvrage réci'.it do 15. F. !>!•: C<hta Ancirn Noroinhpgn, or tin
voi/ if/i's of Simon Fi^rdin indo uiul John W'ulk'ir lo the Penoùscot River. —
Albaiiy, 1890. .
cuAi'iTin-: IV.
I.KS MiHTIlMANS IvN AMKIUyt K.
•f<).)
il)ilau^
> (l'une
t ils lii
■uinpn?
Mil.
luiv
intrc i»
ciiln' rcsiiiairc de rc llciivc cl la liait' ili' ImiihIv. Il est \rai (Hic
les n'iisci^iM'iiii'iUs iii.iii(|ii*'iil un |t('ii «le iMvcisioii. cl i|uo la
|>lu|)iii'l (l('scai'ti)<;ra|(li(s ne |)ai'lcut<lc la Norainltc^^a que par ouï
(lire, niais la rcj^imi fuut cnticrc clait alors liuiilcvcrscc par ^U'
tcrriltics ^:ucrn's entre lluroiis et .\lf;i)ii(|uiiis, cl ranciea nom
(le la r«''},'inn fendait à disparaître pniirtUrc rcnipla' • par le iiorn
de la triiiu \icloricii-ii' , Air^ )n % cl Ajrj.nini-ia . c'est-à-dire
Aljriinipiins. ('/est sans diiutc ce (pii c\pli(pic puinpidi, an
sicc|(> suivant, n<>n senlenient cette dénomination ;j:éo^i'aplii(|ue
touilla en dcsuétu»' nais encore on coatesîa sou autlienticité.
Ainsi (lliaïuplain, cpii avait vainement cherclié dans la Norani-
licfrue 'I) " une firaiide ville fort peuplée de sauvaj,'» s adroits
et lialiiles, et ayant du fil de coton » écrit-il non sans déctiura-
j,'eiueiit : '< je m'assure (|ue la plupart de cenv (pii en out fait
mention ne l'ont cru... ce ne sont les merveilles (praucuns
en ont escrites. » Il va même justprà conclure « (jue ceuv dont
ils tenaient leurs renseijiiiements \\\'\i savaient pas plus (pi'euv ».
Lescarhot après lui (:2) raille lourdement ceuv (pii ont parlé' de
Noramliega. » Si cotte lielle ville a ouc(|ues esté en nature, dit-il,
je voudrais liien savoir ([ui l'a démolie ». Mais ces ullé^;ations
lU' prouvent rien. On |iouvait au dix-septième siècle (II) ou au
(1) CiiAMi'i.MN. Viif/ar/es. (Editidc. Laverilièie), t. III, p. i:}.";.
'2 I.F.sr.AitBor, Histoire (le la Xoiirrllr Fruncf {VAlil'um Tioss), liv. vi, _!^ v,
p. 015-670
{;]) N(Uis sijjiialei'oiis pourtant, eu plein dix-scptièiiio siècle, la (le!;eii|>lioii de
la Noramb(?i;a donnée par Owity, dans .sa Description yénërale dv l'Aiiic-
riqiic (édition de KitiO, p. 32). « Le pays le moins froid de tons, c'est la No-
rainbèjçuc, ipii est meilleure eu toute façon que l'Acadie sa voisine, et plii.s
lialiitable et plantureuse. Eu esté la chaleur y est autant ou plus insupportable
(pi'cn Erauce : mais elle ne dure guère, parce que le temps se brmiilleaussit()t
et les arbres prennent feuille ordinairement plus tard qucu France. Au pays
des Etchechemins ou de Norambôgue. .. ces brouées viennent souvent en esté.
Toutefois l'air est fort sain jtar tout ce pays à qui l'ont accoutumé... Les
terres sont aussi bonnes qu'eu b'rance, principalement en la Norambègue,
comme ou cognoist eu ce qu'elles sont noires, et produisent des arbres hauts
et droilii, et quantité d'herbe et de foin, qui est iiuelqucfois aussi haut ([u'un
homme «. Voir également l'atlas de HoNDius (Thédtre des Gaules, planche I
!$.*■»('• l'IlKMIKIU: i'AIITIi:. - LKS l'HKCI'KSKCHS hK COLOMH.
(Ii\-liuifièii!<-' hU'cU' (I), on avoir niihlir lu Norainltcf;:!, on avoir
penin sa trace : nous croyons |)oiirtaut (juc la NoranilM'p:a avait
«'visb'. (|ir<'ll(' avait iHc colonise»' par des Kuropécns, très
proliahiciticnt par des Nortliinaiis. Nous p(>iisons en outre qu'on
peut, en étudiant les nionuuu'iits, les traditions, les langues,
les relifrion prouver son existenre. Mais ce difficile examen
ne peut (Ml lit à la léfîère, et nous nous rés«'rvoiis d<! discuter
ailleurs c(;t intéressant prohlèuie. Il nous suTtlra |iour le rnouieut
d'avoir établi (pie les Nortinnaus ont déc(tnvert et colonisé
rAniérifpu' avant Colonil», et (pie celui de leurs étaldissenients
dont le souvenir s'est longtemps conservé s'appelait la Noram-
hega.
éiiilioii 16.17 . L:i Norambi-jçiic y est iinli(|iic(', à (leii pi'cs sur l'emplacement
(le l'AcaïUe.
^1; Même an WIU' sitide, le pèie Chailevoix (llistoirr de lu SouveUf
Fnnicp, l. I, p. IK) parh- eneore dt; la Noramliègui!, mais d'iiii ton liieii ili--
(laij;iieiix : « A moitié eliemiii de Sainte-Croix à la rivière de (.fniiiiheki, on
Ironve celle de Pentafjoi'l, (pii traverse par le milieu (;e (|n'on apnelait la No-
ranibègne, dont on a t'ait si liingtein|is une belle et puissante (trovince, et où
il n'y a jamais eu ijue quelques villages d'Hllchemenins, assez peu peui)lés ».
(ÎHAPIÏHE X
I.K VOYAKK DliS KRKKIIS /.KM
A laiiiidu mV sirc.lc, ^rArc à iiin'licrciiti'i'prcii.int, Zirliniiii,
ot à (Icnv patrit-iciis de Vcnist", Nicolit Zcim cf Antonio Zono,
(\nc les liasanls de leur (k'sfinc'c avaient amenés dans les mers
du Nord, rAméri(|ne lut d(; nouveau entrevue. 1/autlientieité de
(•«'tte dé<-()uverte a été fort discutée (IK On a prétendu ijue la
(!) Bl'ac.iik, Mi-muirr sur file de Frislfindfi (Académie royale des sciences,
il^i). — l'"oHSTKii, Histoire des découvertes et des voyaifes faits dints te
\ord (liiuhictioii Uioiissonetl, 178S. — Zuiu.a, [)i Marro l'uU, e dei/ti tiltri
}jiii iUitstri dissert/izioni :, VLiieziu, 1888. Dans le lume 11, |i. I, est inséré
un mémoire intitulé : l)ri viaijiji e sroperte settenlrionali di Nirolo ed
Antonio Xeni, pulrizi Ve7ieti, dissrrliizione. — Dk/<»s uk i.a lloyi kttk,
article .sur les Zeni tiaiis la Hioi/rnphie uni ver-- lie de Micliauil. — Lei.F.wei,,
Mémoit e sur le royaije des frères Zeni. — Zaubtmann, Sordiscic Tidsskrift
for Oldki/ndii/fied (iioni'U'. royale des anti(|uaires du Nord, t. Il, p. 193-211,
C(i|ienliaj;ue, 18.ir>. Ce mémoire a été traduit du ilaiiois en l'ranrais et inséré
dans Itts nouvelles annales des voyages, 181)0. — ItHKOsnoiiKh, Dissertation
sur les y.eni [Ciroclundshe historiskeuiindes unrrlar, fiiipenliague, 18i">,
p. ,■129-674. — Fhéhkiik: Kmaiilp, Xi-niernes lie/se fil Sordrn et Tolknin;/s
Forsœg (Revue péogralii(|ue danoise;. — C. Df.simom, Mémoire sur le
roi/uf/e fies frères Zeni nu n^ird de l'Europe ((liornalc Ligustieo di arclia'o-
logia, sloria e liell'iîrli, janvier-lévrier. 1878). — II»., / ria(ji/i, e lu lurtn dei
frutelli Zeno Veneziani. i;i90-lto;j. Arcliivio Storieo Italiano, 1885). —
— (îHAViKit, Déiourerte de l'Auiéritfue par les Sonuauds au X» siècle, 1871,
p. 18;i-2ll. — Majoh, Tlie roi/uges nf tlie lenetiun hrothcrs, Sicoio et
Antonio Zeno, to tlie nortlieni sens '187:j). — GAFfAHKi., Les Voijatjes des
frères Zeni, explorateurs Vénitiens (Hevuc de géographie, t. Vil, 2it-3i(i.
~ .Mahkham, Les uhords de lu ré()ion inconnue (traduction Gaido/), p.
108-106. — .Iapeti s Steensthl'I'. Zeniener Heiser i Sordeti (Mémoires de
il
s'
H
:t:>K
•HK MKHi: l'AIITIK
Lies i'Hi:i;««si:i IIS i»i: coi.omii.
relation du v(»vaL'«' dos frèn.'s Zcni ne méritait aiirunc rrovaiicf.
D'antres écrivains, moins ariirmaliCs, se sont r(»nt<'nt<''s de s(»u-
l(!V(!r des doutes sur ccrlaiiis |((»ints ; d'autres encore ont acreptt''
r(;tte relation dans t>>ns ses détails. Il est |m>u de |)i'o|tlèni(!S
p''ojrraplii(|ues (|ui aient S()ulevé de plus vils déiiats. Aussi e(!
voyage nous a-t-ii paru mériter un examen spécial.
l'endant la plus ^'rande partie du moyen-à^'e, la prépondé-
rance maritime appartint aux Vénitiens. Maîtres des îles de
l'Archipel et des côtes de l'Adriatiipie, tout puissants à (lonstan-
linople, à Smyrne, à Alexandrie, vaimpH'ius des (lénois, leurs
rivaux, peu à peu ils étendent leurs coiM|uétes et augmentent
leurs richesses. I^a Méditerranée leur appartient pres(pie exclu-
sivement. Ils vont même au-delà. Marco Polo, et, à sa suite, de
nondu'eux et hardis né^:ociants, ses coni|tatriotes, s'aventurent
en pleine Asie. La m<'r Noire et la (^'is|)iemie sont Iréipiculées
par eux. Ils avaient même réialili rancienne roule de la mer
Uouj;e et pénétraient jusque dans la vallée su|iérieure du Nil,
où Mruce a retrouvé leurs traces (1). Ils n'hésitaient pas non
plus i\ s(; lancer dans l'Océan Atiantitpie. .Aussi entreprenants
et plus h(!iir(*ux (pie les Phéniciens, puiscpi'ils avaient à leur
disposition un merveilleux iiistrum(*nt de découv<>rtes, la lious-
sfde, on les voit navif;u(;r dès le viV siècle sur cette mer
inconnue [%. Au xV'sièch', le Vénitien (la da Moslo découvrait
la Siiciéti; (les Ariti<|iiair(!.s du Nnni (1883| ÙU: par la Hl-viic lii.st(irii|uu dt! iio-
veitibri! 188:}, p. iH.'i. Cf. Coii^çn-s Aiiiriicaiiisli! .! • (litiHMiliagiiir, \>. ITiO. —
Ukacvoi», Di^vourertv du Souvrnu-Mrmdc pur 1rs Islandais, etc. (Conjjrt's
(les Ainéric.uiisUjs de Nancy, I. I, p. il -!••'(, cl Lps Voi/ai/i-i ft/iusti nlii/iirs
des Zeni (.Muséum, IS'.IO). — .NoitDKNSKioi.!», Oui llioi/i'ruu Zrnits rcsnr
uch de aUldtn Kattov ofven Norden. — Iiimim.kii, Zenns Frisltiudu /■>
Icelmid fdid nut f/in Frrors (Société de j;éo''rapliic de Lmidres, 187((i, el
Naittical Hemurks nliont t/ir Zeiii-Voyayes (doiigrès de Copenhague, 188;{;.
(1) Sur le commerce des Vénilicns ou peut consulter La I'iiimudaik.
Etudes sur le runirner-e tut uiof/en-tU/i; — Zchi.a, ouv. cité. — Dai .^ol:,
Histoire de Venise, pa.ssim.
(2) (inAviEK, Hec/ifrcfws sur lex uarif/ations eurupéeimes faites tiu moijen-
t)(je iiiij: côtes ot-i itJejitales tl'Afrii/ite, t-ji tle/iors tles ntirit/tifintis jiortit-
gaises du quinziètne nii'ele (tlorigiès géu|;raplii(|ue de Paris en 1818;.
L
r.HAlMTHK X.
U; VOYACK DES FRKKKS /EM.
:m
IIO-
(rsor
, et
DAIK.
kl M)i:,
lortii-
r.inliipcl (In Ciip-Vcrt cl s'avaiirait jusqu'à r<''(|Uiil('ur. Il faut
rucHnc i\iu' sa n'uutafioii ait iui|Htrluii('' la vanit»'' ihis P(»rtu},'ais,
<ar ci'ux-ci iin'tcndi'iif (|u'il navi^'uait au s<.'rvice dv lour roi. l^t!
Vénitien Andrôa Miaiicu, dans sr»n l*orlulan «IclilK», inscrivait
avec soin tout(îs les n'-centcs (lôcouvcrtcs faites dans cette di-
rectitdi. D'autres Vénitiens, tantôt au service des princes
étran};ers, tantôt navif.'nant pour leur propre compte, allaient
porter au loin leur e\péri(;nce nautiipie et leur activité mercan-
tile, et au};mentaieut ainsi le domaine maritime et les relations
couunerciales de la Séréuissime Ué|iulili(pie.
La plus célèhre de ces expéditions vénitiennes dans l'Atlan-
li(ju(! est celle des frères Nicolo et Antonio Zeno, ipii ont peut-
être retrouvé l'Amériipu! à la fin du xiv" siècle. Ils apparte-
naient l'iui et l'autre à la famille patricienne des Zeno, (pii
<loniiatautdedo};es et tant de jjénéraux à V(Miise. I^ein' trisaïeul
Marco Zeno avait assisté à la |>rise de (^tnstantinople |iar les
(Iroisés en liiOi ; leur aïeul Henieri Zeno fut do^e «le l:2o:2 i\
litiH; leur père Pi«'tro, siu'nommé // /haffonc, avait été en
X'AVfl noHuné capitaine jrénéral dans une pucrre contre les
Turcs ; huir frère aîné Garlos, surnouuné // Ij'nur, s'illustra
dans la fruerre de Chio},'};ia ; Nicolo et Antonio étaient donc, de
>rrande iiol>l(!ss«^; mais, crtmme tous les nobles Vénitiens de
cette épocpie, ils ne rougissaient pas de fragner leur vie par le
travail, et demandaient au commerce les richesses (pii leur
eussjMit fait «léfaut au l(»}ris paternel, car ils étaient dix enfants.
Nicol»» Zeno (1), né vers l.'Wri ou 133(5, était déjà c»»nmi
lorsqu'il entreprit le grand voyage cpii devait l'innnortaliscT. Kn
1305, il concourut avec (piarante patriciens à l'élection du doge
(1) Marcolii'i a été le premier étljtcur de la relation des Zciii. Haiiiusio l'a
reproduite au lime II, p. 230 de sa Racoi.ta di Via(ioi sous le litre de Dello
sroprhneud) i/'H' isola Fridandn, Kxlnndn, Engrovdandn, EslntitatiUa et
Icarin. Fatto prr due fratellc /l'tii M. Niroh il Cnvalirre et M. Antonio.
\a meilleure cditiou moderne est celle de Major : Nous l'avons constamment
citée.
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360 PREMIÈRE PARTIE.
LES PRÉCURSEURS DE COLOMI».
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Marco Cornaro ; en 13G7, il fut au iioiiihre des douze députés
envoyés ù Marseille pour transportera Rome le pape Urbain V
et sa cour ; en 1379, il commandait une galère contre les Gé-
nois; en 1382, après avoir contribué à l'élection du doge Michel
Morosini, il se fit envoyer à Ferrare connne ambassadeur; en
1388, il fixa les limites de la principauté de Padoue et de la
République. H avait donc joué un grand rôle, et était un des
patriciens les plus en vue de Venise ; mais il ne jugeait j)as sa
tâche accomplie. 11 voulait parcourir le monde (1), et visiter les
régions baignées par rAtlanti(|ue où n'allaient que rarement
ses compatriotes (1). C'était pour lui une occasion de satisfaire
sa passion des voyages tout en rendant service à sa patrie, il
équipa donc un navire à ses frais, et, en 1388, partit pour son
exploration de l'Océan.
Les débuts du voyage furent heureux. Nicolo traversa le
détroit de (libaltar, et longea les côtes Espagnoles, Françaises
et Flamandes. Assailli tout à coup par une violente tempête, il
fut jeté sur les côtes d'une île nommée dans la relation Fris-
landa. Les insulaires, habitués à maltraiter les naufragés et à
se partager k irs dépouilles, s'apprêtaient à faire un mauvais
parti aux Vénitiens, lorsque ceux-ci furent secourus très à
propos par un certain Zichmni, roi desîL^ Portland etSorany,
qui se trouvait alors dans le voisinage, et était justement occupé
à faire la guerre au Frislandais. Fort hîureux d'associer à sa
fortune des auxiliaires dévoués et surtout un capitaine du talent
et de l'expérience de Nicolo Zeno, Zichmni promit sa protection
aux naufragés et les prit à son service. En effet, grâce aux Véni-
tiens et à leur pratique de la navigation à travers les détroits et
le long de côtes dangereuses, il s'empara des petites îles qui
entouraient Frislande, Ledovo, Ilofe, Sanestol, et, malgré les dif-
(1) Edit. Major, p. 3. « Or Nicolo... entrù in graiidissimo desidcrio di
veder il rnundo, e peregrinare, et farsi capace di varii costumi et di lingue
de gli huoniini, accio che con le occasioni poi potesse nieglio far servigio
alla sua patria cd à se acquistar fama e honore ».
(,
CIIAI'ITHIC X.
lu: voYAi.K i)i:s khkuks zem.
3I>1
licultés (|u ulFraieut à la iiavifcatiun les lianes de sabli* et les r<i-
chers, péïK'tru jus(ju"à la rapitalc do l'ilo et la soumit Unit entière.
Les Vénitiens furent cuinhlés de présents, et Niculo fait elteva-
lier par le prince et nouniié amiral '!<■ sa flotte.
T(jus ces détails étaient eonteiuis dans iine lettre cpie Nicolo
adressait à son frère Antonio, rr sté à Venise, pour renf.'a}r'M' à
venir le rejoindre en Frislande. « Si vous voulez voir du monde,
pratiquer diverses nations, vous faire un nom illustre et une
grande position, suivez la longue route que j'ai parcourue au
milieu des dangei-s dont je suis sorti sain et sauf ; je vous rece-
vrai avec le plus grand plaisir parce <|ue vous êtes mon frère
par la valeur et par le sang». Il lui donnait en même temps
des renseignements sur la nature du sol et les productions du
[)ays. Il lui apprenait par exemple «|ue la principale industrie
des Frislandais était le poisson salé (pi'ils exportaient en grande
quantité dans l'archipel l}rilunni([ue, en Norvège, en Danemark,
jusqu'en Flandre et en Bretagne. Antonio reçut la lettre de son
frère. Jaloux de marcher sur ses traces (1), de voir des pays
nouveaux et d'acquérir à la î )is réputation et fortune, il accepta
ses ollVes, é(|uipa un navire, et, après diverses péripéties, réus-
sit à le rejoindre. Fort bien accueilli par Nicolo et par le prince
Ziclmmi, il servit (juatre ans sous les ordres de son frèn', et
pendant dix autres années, après la mort de Nicolo , au(|uel il
succéda dans ses honneurs et dignités, resta au service du prince
bienfaiteur de sa famille.
Zichnmi, fort de l'appui des Vénitiens, avait résolu de conqué-
rir toutes celles des îles de l'Atlantique ipii reconnaissaient
alors la suzeraineté du roi de Norvège. Une première expédition
contre TEstland échoua (1393-139ij, ou du moins n'amena
d'autre résultat que le pillage des sept îles Talas, Broas, Iscant.
Trans, Mimant, Dambere, Bres, et la construction d'une forte-
(I Edit -Majoii, |). 10. « Pcrclie egli, clic non nien era desideroso clie si
fosse il fratelln, di vcder il iiiiindo c pralicar varie gcnti, et perciô farsi
illustre c p;rand' uoino, comprô una nave, etc. »
I
I .!
r*o''
'{(5:2 l'HEMiKHK rAinii:.
l.i;S l'UKClHSKlHS 1»K (.(ll.OMI».
)\
rt'ssc à Hrcs (l'^. Nicolo, iKiiiimc'' {gouverneur de t-oMo forfi-rcss*!,
voulut |»ro(iterde son isolenieut pom tenter d'' nouvelles décoji-
vertes. Il é(|ui|)ii done trois n.ivires (|ui, au mois dejiiiili't l'.VX't,
iirrivèrenf en Knfîroveland ou (ïrolandiu. Les nouveaux délmr-
(|ués y trouvèrent un monastère de frères prêcheurs et une
é}i:lise dédiée à Saint-Tli(»mas, près de laquelle coulait une source
d'eau bouillante, dont les moines se servaient pour rliauiïer
leur église, leurs dortoirs, leurs réfectoires, et même pour faire
leur cuisine et cidtiver des fleurs en serre (^). Un volcan peu
éloigné leur fournissait en abondance des pierres légères qu'ils
façonnaient en voûtes ou convertissaient en chaux. lN>ndant
l'été ils étaient en relations suivies avec Trondon (Droutheim),
et en échange du hois, des grains et des draps qu'ils recevaient,
expédiaient des poissons salés et des fourrures variées.
Parfois les navires de Trondon surpris par les glaces étaient
obligés d'hiverner devant le port (3). Une fl(jttille de barques en
forme de navettes, recouvertes de peaux, et par suite insubmer-
sibles et imperméables, était à leur disposition. Les indigène»
étonnés de leur industrie les prenaient pour des dieux (i) et
leur fournissaient en aimndance tout ce dont ils avaient besoin.
(jCS moines étaient originaires de Suède; de Norvège et d'autres
pays (5). Le plus grand nombre d'entre eux, venait d'Islande.
(1) Edit. Major, p. 12. •< Nicolo rimasu in Bres .si dclibcro ù tuiiipo ii jovo
tli iiscir fiiori, e sco|)rii- tenu; uiiile arinuti tru nuvigli non niolto grandi dcl
nicssc (li Liiglio fecc vcla verso Irainontana, c giunse ».
(2) Id., p. 13. << Et ci sono giardinetti, coperti di verno, il qnali inafiati di
qiiell'acqua si difcndcno contra la ncve et il freddo ».
(:)) Ib., p. 16. u E senipre in quel porto ci sono molli navigli,clic non posso-
no partirc per essere il mare aggiaciato, ed aspettano il nuovo tempo, che lo
disgele ».
(4) lu., p. 13. « Per le (|uali corze le genli di quei luoglii, vcdendo effeti
sopra natura, tengono quelli frati per Dei, e portano a lor polli, carne, c allre
c(»se '1.
(••>) II)., p. IC. <i Ci concorreorio in questo monistero frati di Norvcgia, di
Sucda, c di altri paesi, ma la maggior parle sono dclle Islande ».
CIIAPITIU: v.
I.K VOYACK l»i:S rHKHKS /KM.
'M\:\
|)OSSO-
clic lo
cffeti
; altre
vcgia.
Ils parlaient le latin (I), tnais ( «'taicnt surtout les chefs de la
lomniuiiHUté qui euiplo'aient cette laufrne.
Nicolo Zeno aurait bien voulu continuer un voya^re (|ui s'an-
nonçait si l)i(Mi. Il prenait des notes sur ses découvertes, dressait
la carte du pays et utilisait son séjour ; mais les rifïueurs du
climat l'avaient éprouvé. Il dut retourner en Frislande et y mou-
rut. Antonio lui sucéda dans la faveur de Ziclmuii. Non seule-
ment il hérita de ses (Ufrnités, mais encore devint le continuateur
de ses projets. Il aurait potu'lant désiré retourner à Venise,
mais il s'était rendu indispensable et Zichmni iw voulut jamais
lui accorder cette aut(»risation. Enchaîné par sa ^^randeur et
prisonnier volontaire, Antonio se réserva néanmoins lo droit
d'entretenir une correspondance avec sa famille. Dans une de
ses lettres à son frère aîné darh» Zeno, il donnait d'intéressants
détails sur une autre ile de l'Atlanticjue, la fameuse Kstoti-
landa, (|ue nous avons déjà étudiée à prop(»s de la colonisation
de rAméri(|ue par les Irlandais. Il nous faut néanmoins
revenir à cette relation, ne serait-ce que pour la compléter
et préciser certains détails.
Quatre embarcations de pêcheurs Frislandais avaient été jetées
par la tempête dans une île, nommée Estotiland, située très
avant dans l'ouest. Le pays était civilisé. Les péclieurs furent
Itien accueillis, mais on leur défendit <Ie rentrer en ["'rislande.
Ils se soumirent à cet ordre et restèrent cin(j ans dans l'île, dont
ils apprirent la langue et étudièrent les ressources. Gomme ils
savaient se servir de la boussole et en apprirent l'usage aux
insulaires « ils furent très appréciés (2). Aussi le roi les expédia-
t-il avec douze naAÎres vers le sud dans un pays ([u'ils nomment
Drogeo. Mais en route ils furent assaillis par une si violente
(i) Édit. Major, p. 18. < Usaiii il piu d'cssi la lingiia Latiiia, u spccial-
iiicntc i superiori ed i grandi del nionistero ».
(2) 1d., p. 21. « Per il che qucsti pescalori furono in grau pregio, si
«lie il Rc li spedi con dodici navigli verso oslro ncl pacsc clic essi chianiano
Drogio ».
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'M\\ im(i:mikiii: l'AirriK. — lks l'KKr.LRSKiKs i»e cowmh.
t(>iii|i<Ho (|u'ils, se croyaient pcnliis. Ils «>vitèr(>iit |Miiirtaiit uii«*
mon cruollc, mais pour tomber dans une situation encore pire,
parce qu'à terre ils furent faits prisonniers, et la plupart di'vorés
pur les féroces habitants (pii mandent de la <-liair humaine et
la tiennent pour une viande très savoun-use •>.
I^; pêcheur et ses compagnons sauvèrent leur vie en montrant
la uiauière de prendre le poisson avec, des lilets : il |M^<hait
clia(|ue jour en mer ou diuis les eaux douces, et prenail iieau-
cou|> de poisson (pi'il donnait aux chefs. Par là il se mit si bien
eir '■•ivcur (|ue chacun le chérissait, l'aimait et l'estimait fort.
Sa l'éputatioii se répandit chex les peuples voisins, et un chef
peu pi
des environs éprouva un si j^rand désir de l'avoir près de lui et
de voir avec (piel art admirable il savait prendre le poisson qu'il
déclara la guerre à celui chez le(|uel se trou\ait le Frislandais :
il Huit par avoir le dessus parc(> qu'il était plus puissant et
belliqueux, et le |)écheur lui fut envoyé avec ses conipaj;nons.
Pendant les treize années do suite (pi'il demeura dans ces con-
trées, il dit (pi'il passa de la méuie manière au pouvoir de plus de
viujït-cinq maîtres; celui-ci faisant totijours la {juerre à celui-là,
et un tel à tel autre, rien
(|ue poi
ur avoir le pécheur, leiiuel erra
ainsi, sans avoir jamais de demeure fixe «ians le même lieu
bien longtemps, de sorte (pril conmit et pan-ourut toutes ces
contrées (1).
Il dit que ce pays est très vaste, et connue un nouveau monde.
(i Eilil. Majdii, p. 22. •< E cusi eiranilo uniln senza liavcr mai fenna liabi-
latiuiic in un luoj^i) hiuf^o (cnipo, si rhc ciinnobè et practico quasi lutte quelle;
parti. Edice il pncsc (!S!>ei'u ^rundissinio, et quasi un nuovn tiiondo, sua {;ente
roza c priva di ii{!;ni bciic, perche vunno nudi tutti, che patiscaiia frcddi cnideli,
ne sanno coprirsi dcile pclli degli anitnali clic prundcnu in caccia ; non haniio
nietallu di alcuno .sorte, vivcno di cacciagioni, c portano lancicdi legno nclla
puiila agiuzxe, cd nrchi, le curde *lc i quali sono di i>elle di aniniali ». N"est-<'c
pas ainsi (piu les chefs l'atagons se disputaient la pos.M!ssioii de l'Iicroïquc
Guinard, dont ils étaient obligés, tout en le martyrisant, d'admirer la su|>é-
riorité intellectuelle, et ipii ne parvint à se sauver de leur» mains que par des
prodiges d'énerRiu '! \'oir Tour du Monr/e, 1861, Rrlation du Voyaije de
Guinnvd en Pataf/onie.
CIIAI'ITHi: \.
LK VOY.\i;K I»KS F'UKItKS ZENI.
3().n
UMi'iA (ju«' la popnlalion «'st },'r<»ssi«^f«' <'t priv«'«' H<» tout !>i(Mi : Ions
sfuit mis ; ils snnIlVcnt du froid rifruun'ux t't lU' sav'>n! \\»^- so
couvrir des peaux il'auiuiaux «pi'ils prt'iinciit à la cii:!"^;,*' ; ils
n'ont auiuuc sorte de métal, vivent de ••liasse, et portent des
lances de bois aif;uis»''es d'un lutut et des ar«'s dont les cordes
sont faites de cuir. (!e sont des peuples d'une grande férocité
<pii se coiuhattent mutuellement à mort, et se inaiifrent l'un
l'autre. Ils ont des chefs et certaines lois lii(>n dillerentes d'un
pays à l'autre : mais, plus on va vers le siid-»tuest, [dus on
trouve de civilisation à cause de la douceur de la température (i) ;
de sorte (pi'il y a des cités, des tein|iles pour les idoles où l'on
sacrifie des victimes humaines, (pie l'on inanfxe ensuite. Dans
cette contrée on a (|uelipi(* connaissance et usage de l'or et de
l'arpent.
Le pécheur, après avoir passé de si nom".. reuses années dans
ce pays, résolut de regagner, si c'était possible, sa patrie. Ses
compagnons, désespérant delà revoir, le laissèrent partir en lui
souhaitant hou voyage, et restèrent où ils étaient. Leur ayant
fait ses adieux, il s'enfuit à travers les hois vers Drogeo, et fut
très bien accueilli et choyé du eiief voisin, (pii le connaissait, et
était en grande hoslilité avec son ancien maître. Il retourna ainsi
de proche en proche par \h même où il avait passé, et, après
beaucoup de temps, et assez de peine et de fatigue, regagna
finalement Drogeo, où il habita trois ans de suite. Jusqu'à ce que,
|»arun heureux hasard, il apprit des haiiitants qu'il était arrivé :\
la cAte quelques navires. De là, ayant coneu l'espoir de réaliser son
désir, il se rendit vers la mer, et demanda aux navigateurs de
(piel pays ils étaient. Il apprit avec grand plaisir qu'ils Tenaient
de l'Estotiland, «^t, les ayant priés de l'emmener, il fut volontiers
accueilli, parce (|u'il savait la langue du pays, et devint leur
(1) Ed. MAJon, p. 2J. « Ma piu che si va verso garbino, vi ci Irova plu civllilà
per r.ierc tempciali clic ù è ; di maniera, clic si sono citt'i, teinpij agli Idoli,
cd in sacriflcano gli liuomini c se li mangiaiio por ; liarciido in qucstn parte
<|ualchc intelligenza cd uso dcU'oro c dcll-argcnto ».
V
.«>(( rilKMIKIlK l'AHTIi:. — LICS l'UKl.l MSKI US l»K COLOMH.
iiitorprôfc. Kiisiiitt' il irlit avec eux ce voyage, en sorte (jn'il
devint très riclie. Ayant iiii-iiH^iiie citiistniit vi armé un navire,
il revint en Frislaïule, apportant an sei^'nein' de l'île la nouvelle
de la découverte de; ce pays trôs riche. VA le tout est conlirnié
pur les marins et par lieaucoup de choses nouvelles, (jui attes-
tent la véracité de t<tut ce cpi'il a ra|tporfé ■> (l).
Antonio Zeno racontait ensuite (pie le prince Zicinimi, espé-
rant de nouvelles concpiétes, et mis en fioùt par le récif du
pécheur Krislandais, se décida à tenter une faraude expédition.
Hien <pie le pécheur (pii devait servir de },MU(le fût mort trois
jours avant le départ de la flotte, il persista dans sa résolution,
et entraîna avec lui Antonio Zeno et un fjrand nond>re d'aven-
turiers, descendants des anciens pirates Northmans, (ju'exci-
taient à la l'ois la cupidité et la séduction toute |)uissante de
l'inconnu. C'est dans une seconde lettre à son l'rèrc Carlo.
qu'.Vntoriio Zeno doiiiuiit tous ces détails, et racontait en même
temps l'expédition. Ziclunni s'était réservé le conmiandement
en chef de la flotte et avait <hoisi pour fluides (juehiues-uns des
matelots cpii étaient revenus d'Estoliland avec le |»écheur Fris-
landais. Après avoir visité (pu'kpies-unes des îles (pii dépen-
daient de la l'"'rislaiule, Ijcdovo et Ilofe, les voya|îeurs se lan-
cèrent droit devant eux dans la direction de l'ouest {"2). Les
vaisseaux, à peine (mi |)leine mer, furent dispersés par une
vi(dente tempête, mais ils se rallièrent, et arrivèrent en vue
d'une firande île. Un interprète Islandais pouvait seul com-
prendre le lan}i:age des insulaires ['À). Il apprit d'eux cpie leur
pays se nommait Icaria, leur roi Icarus, et «pi'il tenait son nom
de leur j)remier souverain Icarus, fils de D«edalus. Les Icaricns
(1) Edit. .Ma.ioii, |i. 2.1. « E fiitto (^d aiinato an navijçlio del suo, se ne c
ritlornato iii l'^islanda, |)ortando a ([iicslo signur la iiiiova dullo scoprimcrilo
di quel i)ae.so ricliissiino ; od a tiitto se gli à l'udc pcr i marinai, et molle
cosc nuovc chc appruvano esscre vero, (|uanli egli lia rappurlalo ».
(2) Id., p. 20- « 1{ navigando con biion vcnto scoiuimmo da poueute terra ».
(:j) Id., p. 27. « Glie sapovano parlar in dicci linguaggi, ne fu inteso alcun
di loro, fuor ch'un d'islanda ».
1
ciiAriTiiK \. — LK vovAdi: i»i;« l'iiKUKs zi;m.
MM
m* Voulaient ;i\(»ir aiiriiii coiiiiiici'ci' avec les ('traii^t'i'H (1), ot
|iirviiii'(>iit Zirlitiiiii <|trils s'upi nscraiciit à smi ili''liari|ii(>iii(>iil ;
r(>|i(>ii<laiil ils ruiisciitaiciit à et- (lu'iiii de srs Imiiiiius ilfsccinlit
i^i tci'i'f |)Miir a|i|in>ii(li-(> leur laii};uc et ('■ludit'i* leurs couturues.
Zicltnuii ne tint aueun cnnipte de leurs nliservations. Il f!* le
tour lie l'ile, à la reclierclie d'ini port où il pût renouveler ses
provisions d'eau ; mais les insulains suivaient les nutuvenients
de la tlolte. Ils ('i)nunuiii(piaient entre eux par des si^:naux de
l'eu sur les uu>nlagnes, et, à peine Zichinni avait-il déhanpié,
(pi'il était assailli par des forces supérieures, perdait plusieiu's
de ses lioinuies, et étiiit o|ilij;é de rej;aj;nei' pré<ipitauuuent ses
vaissciuix. Piqué au jeu, le priiu-e essaya plusieurs lois ik"
descendre à terre, mais les insulaires le suivaient le loufi: de la
côte, toujours en armes, ne voulant uièiue pas entrer en pour-
parlers, et déterminés à vendre ilièrement leur vie, si les
étrangers [tersistaient dans leur résolution.
Zicluuni se décide alors à poiu'suivre son voya^re, et cingle
vers l'ouest pendant six joins \'2'i ; mais le vent saute au sud-
ouest, et, connue la mer était mauvaise, les vaisseaux se laissent
pousser pendant (jua.tre jours \ent arriére. l'iUlin on découvre
la terri', mais ce n'est pas sans hésitation tpi'ou s'en a|i|)roclie,
car la mer était toujours grosse, et nul ne connaissait le pays
«pi'on venait de découvrir: i< lùiliii, a\ec l'aide de Dieu, le vent
vient à loud»er, et les flots se calment. Quehpies matelots
montent en Itanpie et v(»nf à terre. Ils reviennent prescpu;
aussitôt et nous annoiicentà notre ^^rande satisfaction cpi'ils ont
trouvé un pays admirahle el un port excellent. A celte nouvelle,
(1) Eilit. Majok, p. 2;. « Non ricevoviiiio iilctiii lores'icii». (; (.'lie peicio
|>re(;iiv;iiio il iKistio IMiiiciiie, clie non volcssc roinper ((uellc lt'^i;i clie li;iV(!ano
liavuto dalla l'clice nienioiia di qnt'l lie ».
(2) 1d., |) :UI. « Nuvigaiido sci giorni per )ionentc ; ma vnltatusi il tunipo
à garl)ino, cd inga<!;liardito$i pcrcio il inan;, scorse il'arniala qnaltro di con
vento in popjia, o discoprendo liiialnionle l(!rra con non iMcciolo limon'
si appi'cssatnnio a quelln pcr essoru il mai' ^'onfio, cl la Icrra discopurta da noi
non conosciiita ».
loi
-li
w
'M\H l'MKMIKHK l'AHTir.. - I.KS l'HKr.lHSKIUS liK (IW.OMII.
nous n'iin»r(|iioiis les vaisscuiix, et (Irsccrulniis à ItTre. A \mui',
l'iitrés dans le \utr\ inms a|)('i'c(>V)>ns à riinri/oii une ^'i'aii<l«>
iiKintagtic (l'nii sort la riiiiu'c. Nous »'S|)(''ri<»iis (|ti(' l'ilc iic serait
pas iiilialtiti'c. Afin de s'en assiirtT, Zicliinni irsoliit (l'envoyer
un (léfarlicnicnt tic cent «le ses meilleurs soldats |)our recon-
naître le pays et dire (|uels en étaient les haltitants. Kn atten-
dant, les nmtelots firent leurs provisions d'eau et de liois. Ils
prirent lieaueoup de poissons et de veaux marins, (les veaux
mai'ins étaient si nond)reu\, (pi'ou était (;omtne dégoûté de les
maiifrer. Sur ces entrefaites arriva le mois de Juin ; la tempé-
rature était douc(', |)h:.'. (pi'on ne jteut le dire. Oomme nous ne
trouvions aucun habitant, on finit par supposer «|ue r-ette lieile
il(! était déserte. Nous doniiAmes au port le nom de Trin, et à
la pointe (pii s'avance dans la mer le nom de cap de Trin ».
ÏjCS soldats, qu'on avait envoyés en reconnaissance, annon-
cèrent (ju'ils avaient enfin trouvé des habitants (l), mais
c'étaient des sauvajres, de petite taille, très peureux, <|ui s'en-
fuyaient à leur vue dans les cavernes qui leur servent de
demeures. Zichmni voyant «|ue la contrée paraissait riche, l'air
salubre, et (jue les indigènes ne lui opposeraient aucune résis-
tance, résolut de tirer parti de tous ces avantages et de peupler,
en y bâtissant une ville, s\ nouvelle acquisition (2) ; mais l'hiver
survint, et les fatigues de la colonisation jetèrent le découra-
gement dans les esprits. Il fallut que Zichmni permît à Antonio
de retourner en Frislande et de ramener avec lui tous ceux qui
renonçaient à leurs projets. Quant à lui, attendant les secours
et les auxiliaires que lui avait promis son fidèle amiral, il res-
terait dans sa capitale improvisée. Antonio accomplit son
(1) Edit. Major, 31 << K clic n'habitavano molle genti intorno mczzo selva-
ticlie rcparandosi nclle caverne di picciola statura e molle panrosc, perche
«abilo chi ci videro fu{Ç(i;irono nellc caverne » .
(2) 1d.. p. 32. « Di clie informalo Zichmni, vedendo il luogo con aère sa-
lubre e soltile, e con miglior terrcno, e fiumi^ e tante allro parlicolarilà cnlrù
in pensiero di farlo habitare, c di fabricarvi una cilla ».
i >
lit son
IZO
acre sa-
Irità entra
(IIAI'ITIIi; X. — LK V(tV.\(iK liKS KHKHKS ZKNr. iMJO
iiiaïKliit, t't. luiNciu'il rrviiit en Krislimdc, il y Tuf inciu'illi iivcc
nitliDiisiasiiit' ; rar, (Icpiiis iiu'oii n'avait plus «le nouvelles de
re\|M'>(iitiun, mi n'nvait titul perdu, liuiniiies et vaisseaux (1).
Aulnnii» avait érrit d'autres lettres à son fn're. Il lui parlait
de ses derniers vi.yaf:es au pays ('(dmiise par Zirlinuii, (pii
avait fonde des villes et étendu ses coiupuMes au loin. Il lui
annoueait en iiK^uie temps une des('ri|)lion de tous les pays
(pi'il avait parcourus, de leiu-s roiitunies. de leurs productions,
de leins pèclienies ^"2 . Il lui pi'ouiettait aussi l'histoire de Kris-
landa, Islande, l'iSfland, Norvèfre, Kstotiland. Dro^reo et
(iroenland, (|ii'il joindrait à la hio^'rapliie de leur l'r^re Nirolo
et à celle du prince Zichnuii. Il avait l'intention de porter avec
lui, tpiand il reviendrait à Venise, tous ces manuscrits : mais
de ces divers ouvraj^es, il ne reste malheureusement (pie
l'indication, et jamais ju'rte ne l'ut plus ref:rcttahle, car ils nous
auraient éclairés sur hien des points restés douteux, et surtout
ils nous auraient convaincus ipie les l'raf:ments des lettres
parvenues jus(prà nous ne sont pas, connue on l'a prétendu,
un ouvrafTO de pun» fiction.
Telle est la relation du V(»ya|:e des Zeni. .lusipi'à (piel point
(h'V(nis-nons ajouter foi à cette relation? Trois solutions se
présentent : ou hien cette relation a été inventée à jdaisir, et on
ce cas, il fiiut en déharrasser la science; ou hien elle est vraie,
et, en ce cas, elle fournit d(î précieux rensei^MU'uients ; ou i)ien
la relation, vraie dans le fond, est fausse dans les détails, et, en
(Il Edit. Majok, p. 33. u Dovc il pupolu, chu crcduvn di linvur pcrduto il sun
Principe per si liinga diniora clic ncl viaggio liavcvamo fado, ci raccolsc con
se;;ni di (^raiidissiina allcgrc/xa ».
(2i Id., p 33. " Qiiaiilo a sapcie le cose, chc nii licercate de costumi de gli
hnotnini, dc^^li aiiimali, c de pacsi coiivicini, io ho fatto di tutto un lihro dist-
'.' 'to, che piaccndo a Dio portcro cou ineco. ncl qnalc lio descritto il paesc, i
pCLji moslruosi, i costumi, le le^{;i di Krislcinda, di Islanda, di Kstlinula, del
ilegeio di Norvcgia, d'Estotilanda, di Urogio, ed inftne la vita di Nicolo il Cava-
lière, con la discoperta da lui facla, e le cose di (îrolanda. Ho anco scritto la
vita c le impresse di Zichmni ».
1
I -Il
T. I.
U
370 l'KEMIÈHK l'ARTIE.
LKS l'KKCLHSKLHS 1)K COLOM».
■ 1
l'i 1
ce cas, il faut distinguer les notions précises des renseignements
erronés qu'elle renferme. Nous |>ensons que la troisième
solution est la plus juste, et nous allons essayer de le |)rouver.
La plus grave ol)je(;tion (ju'on ait dirigée contre raullientitité
de la relation est qu'on a troj» atteiuiu pour livrer à la pulilicité
des événements aussi curieux, et cela à une é|toque où les
esjtrits se tournaient avec ardeur vers tout ce (pii intéressait la
science géographique. Kn ellet, le récit des voyages des frères
Zeni resta longtenq)s inconnu. Il ne fut [tuhlié (|u'a|)rès lu
découverte définitive de IWmérique par les ICspagnols. C'est
seulement vers le milieu du .wi*" siècle qu'un des mendtres de la
famille des Zeni, Nicolo Calerino Zeno, mettant en ordre des
papiers domestiques, (|u'une coupahle incurie avait ahandtjunés
retrouva les lettres si curieuses de son ancêtre, et s'empressa
de les faire connaître, l-llles étaient mallietireusement iufvom-
plètes. Gaterino Zeno avait même contribué par son étourderic
à en perdre une partie, car il s«! souvenait (pie, tout enfant, il
les avait tenues entre les mains, et, ne sachant <'e (ju'il faisait,
les avait lacérées (1). Les fragments cpii subsistaient avaient
néanmoins une telle importance cpi'il essaya de réparer sa faute
en les i)ul»liant 11 y joignit une carte des pays parcourus (:i.
carte également dressée par ses ancêtres, mais ti'llemcnt
dégradée (juil la corrigea en partie d'après les documents (piil
avait à sa disposition. C'est <'n l.'i.'iS cpie parut cette précieuse
publication, sous le titre de Delhi scuiyiinu'nln dflV istiht Fvix-
Iniidn, Eslanda, Jùifjrori'lfntdn, haUttilnudn, et /rariti, fnttit
snlto il jiolo ariicn, da due f'ratfUi Zrni, M. .Xiroln il /,• '■
M. Anloiiiii, li/jvo iiiio, avec carte, à la suite de /h'i rdiinin'ii-
(1) K(l. Majoii, p. U4. '1 l*crclic io aiiCDr raiiciiillo, o jierven'oni aile iiiaiii,
ne sopciuld cii) clio l'ossei'd, coiin; laiiiio i laiiciiilli, le si|iiarci'i(;ii c iiiaiuli'i
liitle a inale, il clie imii pnsso, se iimi ciiii ;;raiiili.ssiino dolore, ricuidaiiii liora ".
(2) 1d., p. ti : '< iJi quustc parti ili Trainoiitaiia in'ù païuto di trame iiiia
copia et iiJia caita da iiavigare, rlio annira mi truovo liaveie Ira le ariticli<-
cusc uos'.rc di casa...».
!?^!!S7i'i>i'Ki"""iPil
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<:"-AI'ITmc V. — L,.;
"''•'^ '>KS KHKRKS ZKM. ;{7|
"" *■» .•■■i-„„„.. ,,„ ,.,„,,„„,;'•";■'■";;"'--' <. d,-. ,.,«,
prouva les résuilals ,(„ v.,v ',.„;'•. '""'I""'" <■"■""«
"• '••■"""-■'". »"iv,„„ ,■„.„;:; '" '^•"' '■■' •■■"■I" 'ies Zc„i,
„■„,,„•,.,„ ..|,a,„„. j„„, ,•„„:„,,'".■";'■'■"■» "•■'•••.Mes ,.„ ,.„„.
VV,.i,i,.„ ,„ ,vv,. si,v„, j ' ■ '-":■■ ■^■™""(«),.c'ogra,,ia.
M"'"W. Il.m,usi„, ,,. f 1 ."' ' ' '"r " ' ''"^ *• ""'^"■"i '■ *■
''- ;;-"■■ .la..s .:,„ ,,!,,:, ','''"'''' ■• '--ai. la r,.,,„i„„
'!'■ voya^-os. """'^'' '"■- '""«lions .•|n,„„.,,„„,,,
"'■■*' "'"S .lom,.f,lol,o,u „„,,,..„.
f;- l« Z,.„i aie,,, ,-,,■. pe„d„ , , ;'"""""^ ""^»' '"■"-1.1™
;"■ '•■' '■'"•■■"■"". »."..„;• .:;;7"— '"".-...re ,■.,.,..„,.
'^"".. "■..■«, T,„.f„e„s, Ti,,.|,; I i '„""" ^'■"^■'"''■- Pa.«io„
!H".so,,,.,,,it^;::,;:;i;:;l7"™'«.™^'«.: i.,'
'"•'••'•'■»*,„ls. ,|„e de docu„,é„ .''.''''"""■'• 'I'"' <li' in.'.moire,
'■''- .'-^f..„.„„„„,,i,e, „,„„ ,:„, , • "^ '"'"■""^ -■«.- „.-.,li,e,„,,
T""' "• -■• l""-Te le '.'''■■'''"''*■"'•"'■■■''•'•''"
'-vcu.e,.„„s-„„„spasdel,.parur„„;
H) Rt.scKi.i.i, Georirafia ai Tr^i^
'^ Mo,.Kr.,, P.o/4.;r\:j;:t ::• !"f ' Venise, 1,„.
'•J) Livio Sam r.>. cifé par Ziirla Vrr .? '*'' '" '''''"^^'e xv,.
II
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'.ili l'Hl-.MIKHK l'AHTli;. — LKS l'HKClHSIUHS ItK CdLOMIt.
r.miill»' |ti»tiitii'iin(!, i\\u' Icsadaiirs |iul>li(|iu's et r.uliiiinislnition
(l'une firaiido rorlimc détounieiif du soin de ranjrcr des papitM-s
(|ui ii'iiitt'rcsscnt (|ue cos aniM'trcs ? Il fallait un clicnlicur (»u un
(lii^ir, toi (juc Caterino Zono, pour s'aviser de rcnuier tous ces
manuscrits entassés sous les l'omhles de sun palais, tous ces
parchemins à demi rouffés [)ar les vers. Il fallait surtout uxw
épo<|ue d'ardente curiosité, telle (|ue la Ilenaissance, pour (pie
pareille idée ptMK'tràt dans son esprit. Peut (Hre cliercliait-il
((uehjue anti(pie manuscrit acheté' par ses aïeuv dans leurs
V(jyajj;e\, au Levant : il ne rencontra |)as ce (pi'il désirait, mais
au moiiis p(jssédons-nous frràce à lui un très curieux, et, croy(»n!*-
nous, un très authenti(jue document du xiv"' siècle.
On a prétendu (pie la relation et la carte furent composées
par Caterino Zeno, et qu'il se servit pour se travail des rensei-
gnements ndatifs au (iroenland qui, pour la première fois,
parvenaient alors en Italie. Nous admettons volontiers, d'autant
|»lus (ju'il l'avoue lui-même, (pie In carte i; été remaniée par
Caterino Zeno, mais le dessin primitif était si Itien une (Pfivre
originale, (pie toutes les cartes postérieures des r(''jrionsdu Nord
sont en partie copié-es sur la carte des Zeni. Quant à la relation
est-il possihie (juelle soit r(puvre d'un faussaire, puis(jue son
éditeur, Caterino Zeno, était un des grands pers ^nnages de la
llépuhlique (l), qui n'avait pas hesoin, pour grandir sa répu-
tation , d'attrihuer à ses ancêtres de lointaines découvertes.
D'ailleurs sa vie tout entière protestait contre cette imputation
de faux. Aussi hien, si la relation (Hait nVllement r(puvre d'un
faussaire, présenterait-elle tant d'incohérence, d'inexactitudes,
d'omissions? D'ordinaire les auteurs de pareilles impostures
prennent mieux leurs précautions et ne s'exposent pas à de pareils
reproches. Gomment admettre ipie la |)uissante famille des Zeni,
dont la postérité se perpétua Jusqu'en 17rj(), aitun instant consenti
l> )
{{) Caterino Zeiio était un des plus savants liommes de l'époque. Son
portrait, par Paul Véronèse, fut placé dans la salle du Conseil des Dix, dont
il était membre.
f^m
iw^Mm^ma
CIIAI'IÏHE X. — LK VdVACK DKS KRKHKS ZK.M.
:r,:i
•pu-
«rtes.
afutu
d'un
iluros
Zeni,
hiso
wli
le.
Son
iloiil
à oi'ttt' aiulacieust' usurpation de s(tu n«im? Cumnu'nt, d'un autre
enté, n'aurait-un élevé aucune réclauiation contre eux, si ou
eut soupçonné (^aterino Zeno de mensonjîe ? Or, rien de seni-
Idahle n'eut jamais lieu ui de la part des Zeni, ni contre eux.
il seudile donc cpie la relation présente tous les caractères de
l'authenticité.
Une autre preuve de l'authenticité de cette relation, c'est son
cachet de naiv<'té, (pi'il est dil'llcile de niéc<tnnaitre. (connue
Ruhru(piis, connue Marco Polo, les Zeni ont réellement vu ce
qu'ils décrivent, entendu ce qu'ils racontent, souH'ert du froid
et de la tempête connue ils s'en plaignent; Caterino Zeno
s'excuse «juelque part (1) de ne pas reproduire intéfjralement
une des lettres de son ancêtre, avec ses négligences de; style et
ses tounmres vieillies. La candeur de cette précaution oratoire
ne démontre-t-elle [»as l'ahsolue sincérité du premier éditeur de
la relation ?
(Jn a encore prétendu (pu; ce voyag:e fut inventé par un
Vénitien jaloux de tiênes, et désireux de rabaisser la },doire
du génois Colond». On n'y trouve pourtant aucune récrimination,
ni même aucuiu' allusion contre Colomb. Les pays décrits par
^'icolo et Antonio Zeno ne présentent aucune analogie avec les
descriptions du navigateur génois. Rien pourtant n'eut été plus
facile, si la relation eut été apocryphe et dirigée contre Coloud»
<|ue d'y introduire la description très reconnaissahle par exemple
d'Ilispaniola, de Cuba ou de toute autre Antille. Or, rien dans
la relation, ne sessemble, de près ou de loin, aux terres signalées
par (lolomb. L'inventeur de la relation, quel (|u'il soit, aurait
donc bien mal exécuté son dessein si réellement il avait cherché
à décrier Colond», et voulu le présenter comme le plagiaire des
Zeni.
il nous faudra pourtant recîonnaitre , et c'est ici (jue le;*
(1) Eilit. .Majoh, |i. l'J : « l.aqual discoperta narra M. Antonio in una lettcra
scrilla a M. Carlo suo fralello cosi |iinitalincnte, inutate pero alcuno voci
uDticlie, u lo slile, c lasciata star nel suo essere la niatena ».
:i -
'MA PHEMIKHK l'AHTI
LKs iiiociRsinns i»k colomi».
objections devit'niu'ut sériouscs, (|ne lu relation du vcjyaffe est
jdeine de confusions, d'invraisemblances, et mOme de contra-
dictions. l']st-ce un uiotit" pour la rejeter ? Assurément non.
Supposons un voyaj^eur (pii, sans avoir jamais entendu parler
des Antilles oi 'e tout autre archipel, serait tout à cou[) transporté
dans ces îles igerait de l'une à l'autre. S'il cherchait à nous
les décrire, su» quand ses souvenirs ne seraient plus dans
leur première fraîcheur, souvent il confondrait telle ou telle de
ces îles avec une île voisine, et pourrait commettre de ffrossières
erreurs. Ainsi firent les Zeni. Transportés dans un monde
inconnu, préoccupés de leurs propres affaires, ils durent oublier
bien des détails et se tromper souvent. Ces erreurs prouvent
leur sincérité, car ce serait supposer un singulier raffinement
à l'auteur d'un ouvrage apocryphe que de croire qu'il aura fait
litière de son amour-propre et se sera exposé volontairement au
reproche d'avoir composé un livre rempli de fautes.
H ne nous reste plus (ju'à essayer de faire le départ entre les
renseignem(>nts précis et les notions erronées de la relation. Cet
examen nous prouvera (jue, si Ton trouve dans cette relation t^"*
points obscurs et des traits évidemment fabuleux, au lieu de la
rejeter en bloc, il est préférable de les étudier avec soin. Plus
on les étudiera, mieux on les comprendra.
Tout d'abord quel est ce prince Zichmni qui joue un si grand
rôle dans la relation? llorn a beau jeu pour se moquer jtlus ou
moins spirituellement de ce prince qu'il prétend inventé pour
les besoins de la cause (l). Il est certain que ce nom de Zichnmi
a une tournure étrange et qu'il a beaucoup embarrassé les com-
mentateurs. Afin d'en faciliter la prononciation, Pontanus (2), un
des premiers historiens «jui aient discuté ce problème, changeait
l'm en in et proposait de lire Zichinni. Wytfliet écrivait Zichini.
(1) HoRN, De Oriijinibus Americanis, p. 156.
(2) Pontanus, Rerum danicarum historia {.\inslciilaiii, 1631), p. 762.
C'est encore Pontanus qui cite VVytfliet (p. 763).
I
(■lIAl'IÏRn X.
LK VOYAGi: IH:S FRKRES ZENI.
375
iiiui
ou
i»ur
ni ni
)m-
,uu
liai.
Marco IJarhiivu, parent des Zeni, qui connut les lettres d'Antonio
vin|?t-d(;u\ ans avant leur pulilication (1), et s'en servit pour
composer son recueil des I)i sce» douze pnfrhie ,^^0111 7À(:.hno {'i).
Or Zichini ou Zichno est une transcription assez fidr'le du ;ieux
norrain Thefrn, qtu sij^nifio le propriétaire libre. Ziclimni serait
«lonc un titre et non pas un nom de famille.
Sans nous attarder dans cette discussion philologique qui
nous paraît peu intéressante et encore moins prohante, cherchons
si, parmi les souverains ou les princes du nord à la fin du
Mv"" siècle, il ne s'en trouve pas un dont la vie et les actes
répondent à ce que racontent de lui les Zeni. Nous ne citerons
ici qu'à titre de singularité l'hypothèse de F. Krarup, qui prétond
reconnaître Zichmni dans Henri de Siggens, maréchal de l'armée
de llolstein, (jui aurait effectivement enlevé le Nord Frisland ou
Frise SIeswigeoise, en 1371, à Olaf, fils de Ilaken de Norvège
et de Marguerite de Waldemar ; mais, si le nom de Siggens se
rapproche, jusqu'à un certain point, de l'italien Zichmni, la vie
et les actes du maréchal ne ressemblent nullement à ce que les
Zeni ont raconté de leur prince. 11 nous faut donc chercher
ailleurs, et peut-être serons-nous plus heureux dans nos
recherches, lorsque nous les aurons dirigées sur un certain
Henri Sinclair, baron de Roslin, descendant d'un des compa-
gnons de (jruillaume le Conquérant, qui était allé chercher fortune
en Ecosse. Henri Sinclair, déjà seigneur de Caithness en Ecosse,
des Sthetland, de Portland et du duché de Sorand, s'était fait
nommer par le roi d'Ecosse comte des îles Orcades. Afin de
fortifier sa position, il avait, en 1379, sollicité et ob'jnu du roi
de Norvège la confirmation de ses droits sur l'a^'^nipel. Brave,
habile marin, dévoué aux intérêts de ses sujets, il ne voulait pas
(|u'ils fussent rançonnés par les pirates Danois ou Norvégiens,
alors nombreux et redoutables, et dirigeait contre ces insaisis-
I .
762.
(1) ZURLA, Di Marco Poli, etc., t. H, p. 9.
{2) Beauvois, Le Markland et l'Escocitnnd (Congrès des Amcricanistes de
Luxembourg, t. i, p. 200.
37(1 l'MKMiKHK l'Airni:. — lks i'Hkclrsiîlrs I)i: colomii
sableseuiu'iiiis (le rn'(|iu'iit('s expéditions (1). Aussi, (|uaii(l il apprit
l'arrivc'c (riiii marin aussi exporinicnt»' et d'un ofticier aussi
l)rav<' que Niroio Zcnu, clierclia-t-il à se l'attaclicr en (|ualité
de capitaine de la (lotte (|u'il destinait à la eonipuMe du Frisland.
L'existence de Henri Sinclair, ses projets de cunquètt! et ses
expéditious ne s(»nt niés par personne. Nous ne savons il est
vrai connniMit, à la lin du xiV siècle, les hommes du nord
prononçaient Sinclair ou ses étpiivalents, ni conmientun Italien
pouvait entendre et transcrire ce nom, mais l'identité d(! Sinclair
et de Zichinni nous send)le très probable, et (l'ailleurs, comnje
nous allons ntjus en convaincre, eile sera conlirmée par la suite
du récit.
Quels sont les pays con(|uis, entrevus ou visités parce prince
belliqueux et par les Vénitiens qu'il a prisa son service? On en
compte jus(|u"à siv : Frislanda, Estland, Enproneland, J-lsto-
lilanda, Icaria, Drogeo. Etudions-les successivement.
On a beaucoup discuté sur l'emplacement de la Frislande.
Certains auteurs, radicaux dans leurs affirmations, ont souteim
que l'ile décrite par les Zeni a bien existé jadis, mais (pi'elle a
aujourd'hui disparu. Sur lu mappemonde jointe par Ruyscb à
son édition de Ptolémée, la Frislande n'est pas indiquée. On lit
à sa place : fnsiila liaec anno 1 4ô6 fuit totaUter combusta.
Baudrand écrivait en 1682, dans son D'tctvmnmrc r/rogni-
pMque{1) : « La Frislande est, d'après certains écrivains, une
île très grande de l'Océan septentrional, mais sa situation, par
qui et en quelle année elle fut découverte, à qui elle obéit, ses
divisions, ses villes, tous ces renseignements sont contradic-
toires ; aussi est-il plus exact de dire qu'il n'y a nulle part de
(Ij Gravier, Découverte de l'Amérique par les Normandx, ISl-lS'J. -
Barry, Historij of the Orkney hlands (Londoii, 1808), l. II, p. 202.
(2) Baudrand, Dictionnaire géographique, I, 414. <■ I''rislaiidiam insulain
esse pcramplani Oceani Seplcntrionalis quidam sciipsere, sed quœ sil, a
quibus détecta, et quo aiiuu, cui .'ubjaceat^ et quas habeat partes et urbes,
neque constat iiiter ipsos qui de illa scripsere, ita ut inelius sit dicf- nsulaiu
Frislandiam nullani ».
art <lt'
■m.
insulani
liop sil, a
Et urbcs,
asulani
O -rf-
'— 5
c
q -d
a
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y.
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I t
1 ^
IS
) !
1 ' *
ClIAriTHE X.
LI-: VOYACK l>ES KHKHKS ZEM.
:no
Frislaudo ». Piiifrn'' «'t Honla (l), dans la relation du voyage qu'ils
('ntro|)rin'nt en 1771 et 1772 dans les mers du Nord, cher-
chèrent également sans la trouver la Frislande : «^ Que l'île
Krislandia ait existé ou non, disent-ils, il est au moins certain
qu'elle n'existe phis ; mais existe-t-il, sous le nom de lins, une
petite partie de cette Ile. nous en doutons, parce que nous ne
voyons pas que l'existence de ilus ait été suffisanunent cons-
tatée ». Tout récemment, dans son curieux et intéressant ouvrage
intitulé Pauvre hlaiidi' ! ('2) M. Victor Mev'nan soutenait la
même théorie et affirmait »pi(! la Frislande avait disparu à
une épo(|ue relativement moderne. I^a Frislande aurait donc
été détruite par un cataclysme analogue à celui qui sultmergea
jadis l'Atlantide ou la Lyctonie : mais les effets de cette révo-
lution géologique se seraient fait sentir au loin, et auraient été
connus au moins dans les îles voisines : or, de[iuis l'an 8(K), on a
conservé les traces et le souvenir des moindres ravages exercés
par la mer à Heligoland ; depuis le xii" siècle on connaît, pour
ainsi dire jour par jour, les changements opérés sur les côtes
de Norvège, de Danemark ou de Hollande, Se peut-il donc(|ue
la soudaine disparition, à partir du xv" siècle, d'une île aussi
grande que l'était la Frislande n'ait laissé ni traces dans les
mers et les îles voisines, ni souvenirs dans l'esprit des hahi-
tants, et cela dans une région où les phénomènes cosmi(|uc»
sont enregistrés avec soin, et les traditions entretenues avec
fidélité? Il nous faut donc renoncer à cette hypothèse de la
suhmersion, et chercher si on ne pourrait pas retrouver, autre
part qu'au fond de la mer, la Frislande des Zeni.
Nous laisserons de côté l'hypothèse à tout le moins singu-
lière de Bossi (3), qui entendait par Frisland tous les pays
uhondantsen poisson, d'après l'ancien teutonique Frisch Land,
(1) Borda, Pinohé et Verdcx db i.a Crecnk, Recherches pour vérifier les
cartes hydroi/raphigues, t. Il, p, 3o'J.
(2) Victor Meicnan, Paurrn Islande, |i. 31-33.
(3) Bossi, Histoire de Christophe CoiomO.
n
, i
. 1
\ X
380 l'IlKMIKHK l'AUTIK. — I.KS l'HKClRSKlHS HK (OLOMI).
pays (lu poisson. Nous nous (oiitciitcroiis aussi de iiiciitioiiiici'
lii hiziiiTc [tositioii i\\w lui assi}.Mi('iil, au su(l-(»U('st df l'Islande,
frrs près du (Irociiliind, Oriclius ( I ), Mcrcator (2), HIacii ^3),
iJiidlcy i) cl (loronclli ('.)), et nous ne saurons tro|» nous
rtonncr de ce (pic l)clislc ((>) en I7IH, et Laniartinièrc "jeu
17(IK, lui a\aiciit conserve la même position. L'opinion de
Steenslrup (H) ne nous parait |tas non plus facile à sfiutenir
Cet écrivain pense en elVcl «pie la l'^rislaiide correspond ;i
rislandc, cl il essaie tic le prouver en interprétant les noms
des lieux inscrits sm- la carte des Zeni. Il pense (pic ces
noms sont islandais sous une forme italianisée, on Itien traduits
textuellement de l'islandais en italien : mais il a ouldic (pic
l'Islande est nonnuce dans la relation comme un pays dislincl
de la Frislande ^0) et (pi'il est par consécpient impossible de
confondre ces deux régions. Un autre savant, Walkenaër 10 .
a cru retrouver la Krislande dans l'Irlande. Dans son système.
la Krislande ré|»ondrait au nord-ouest de l'Irlande, le jfolfe de
Suderoà la baie de (lulloway, Sonestol à l'embouchure du Sliaiir
non et liondendon à la prescjuile de Hrandon dans le comté de
Kerry. Quant à rem|)laceineiit de la capitale, il hésite entre
Belfast et Dovvn Patrick. (les raccordements sont inirénicux
(1) OiiTELiLS, Theafriiin ur/iis terrarum (1573). caries 1 el 2.
\2) Meiic.ator, Citrte ilo 156!) rcpiodnitc par Joinanl, ouv. citi!', ji!. 18.
(3) Bi.AEU, Atlas de 1034.
(4) Dl'DI.ev, Arcano del mure (1630-1661).
(5) Cdiio.NKi.i.i, H piivtol(ini) ilella mure, 1698. Ce dernier publia une carlt*
particulière du Frislaiid smis ce titre : Frislaiida sco|)erta da Nicole Zeiin.
patricio Veneto, crcduta favolosa, o nel mare sominersa.
(0) Delisle, Atltia historique et f/éoijraphiqtie, 1118.
(1) Lamahtimeue {Dictionnaire t/tiof/raphii/ue fie I768j la plaçait entre le
3405' long. O, et 60» et 63» lat. N.
(8) Steenstrup, Congrès Aniéricaniste de Copenhague, p. 180.
(9) Relation, édit. Majoh, p. 11. « Ed vedendosi pcr la ïramontana vicino
aile Islande, délibère di assaltar Islanda «. — Voir p. Il, 16, 20, 33,34.
« Le logge di Frislanda, di Islanda ».
(10) Wai.kesae», Lettre à Dezos de ta Roquette, insérée dans la liioijrti-
phie univerelle de Michaud à rarliclc des frères Zeni.
ClIAl'ITlIi: \.
m: v«n.\(;i: i»i:s iukuks zkm.
:wi
liiofir'i-
siuis iloiitc, mais iniiiiniMit sii|i|misci- <|(I(' les Zciii iiiciit duiinr
lies iiniiis hi/iirrt's et si t'(nii|ilt''|('in('Mt iinniiinis ;i des pays t(>ls
(|n<' rirlaiidc, (Irpiiis |iiiifrlciii|is cxplun'c, ('niiiiiic le |ii'iiiiv(>(it
les tarfi's aiitrricun'S ? {{) l'iit' hyiintlM'sc plus ivcciitc nous
parait moins suntcnalilc cncon' (pir la tlH'ui-jc de xValkcnai'r :
Kn'dt'rirk Ki'ai'n|> {"2) n'a-t-il pas sniifcnn (pTil l'allaif «lifrclit'i*
lit Krislandc dans le Nord Krislaud on Fiisc SIcswifjcrdsc ;
mais il ne pcnt (<\|diipici' une Inidc d*> unms propres et d**
détails (pi'il se contente de passer sons silenee, el. des trente-
neni" noms cités par les Zenidans leni' carte de l-'rislanda, il ne
parvient à étaldir l'identilication que de Sorano avec Siehren
en Wa^'rie, de Sndero avec Siideraii, un des liras de mer cpii
séparent les îles Sle\vif:oises, et de Forlanda avec Itordinm près
de Bredstedt en SIeswi;;.
(Jn'est-il besoin de chercher si loin la position de la Krisliuide?
Il est nn archi|»el de rAtlanti(|ue dont la positicm et les déno-
minations correspondent à peu |)rès exactement à la position
assifrnéo par les Zeni à la Krislande, et aux dénominations géo-
j,^ra[)hi(pies (ju'ils ont inscrites sur leurs cartes : c'est l'archipel
des Feroi' {',)). Sans doute le mot Feroë n'est pas le même que
le mot Frislanda ; mais il a, parait-il, pour riicine Fara ou Fare,
(|ui sifînifle passage, détroit entre (h's des, dont on a fait succes-
sivement Far-or, Faer-oer, et Fair-islanri. Il se peut enc<)reque
Frislande signifie terre des Frisons, Frisa-land, car on sait par
une curieuse tradition recueillie de ncis jours par le pasteur
Schro'ter (4), que des Frisons occupèrent Sudhuroy, la plus
méridionale des Feroë, Quelle qu'ait été la fortune de ce nom,
(1) IIamv, Les Orifjinps de la carto'jraphie ilc l'Europe Septentrionale.
(Bullclia de géographie liistorique et scieiitiliiiue, 1888).
(2) Krarup, ouv. cité.
(;]) G. Debes, Fœr.-B reserata, a (lescription of tlie ialancU, translateil
l'rom the danish, Londres, 167C. — ToRKours, Comentatio de rébus Fivre-
ijensium, 1695.
(4} SciiRoETER, Les Frisons à Ahaberf/ (cité par Beal'vois, Découverte du
Nouveau-Monde, etc., p. 90).
!
:w-i
l'IlKMlKMK l'AIITIK. — LKS l'IlKCI HSKI IIS W. (.OMlMIt.
h !
il n'eu est pus iiiniiis vrai (|iit> les Zciii ut* rniit |)<is iiivciit)- |iiiiii-
l(>s licsniiis <l<' leur cause, rar, hicii avant rii\, la llrslaiiila «le la
(M'ofirapliic d'ivlrisi (IlTii) ^l). la Vricslaiidia iriiii |»laiiis|»ln''rc
<lti Wl" sii'M-lr, t>ii t<M(> <lii iiiaiiiisirit i.l:2(> du ronds latin à la
Uihlinf|it''(|iic iiatidiialf de Paris (2i, le W'rislad de lu Map-
pcniniidc de llatudl' de lly^'^'cdcii (l.^t'iO) ';)), rappelaient le
nnui de Krislande, et cette il(> occupait déjà l'eniplacenient de
KeroC. (lel archipel est encore désij;né sous le nom de Frislanda
dans les mappemondes de Hianco (li;M'>)(i) et de Kra Manro
(l 'lo'.)) ainsi (pie dans un atlas catalan de la fin du XV siècle, à
rAinhrosienne de Milan (o). Ou le trouve éj^alemiMit dénommé
dans les cartes de .liian ((ij de la dosa, (l.'KM)) de Uuscelli ^7)
li;')»>l), de Mercutor (i:)(>î>) (8) et de Si^unl Steplianius (l.'iTO).
ImiIIii (lliristoplie (lolomi) qui lit un voyajre dans les mers du
Nord au mois de lévrier 1 i"", visita le pays cpi'il nomme Kris-
lande ,!)), et déteimina sa position par le ~',\° de lat N. ; ce ipii
correspond à peu |)iès exactement à la position des Teroë.
Donc, pendaiK tout le moyen-àfîe, bien avant l'époque où
parut la relation des Zeni, la Krislande est inarquée dans les
cartes du temps au même de;,n'é de latitude quo les Keroë. Les
loiifiitudes seules varient. Jl est vrai (|ue la Krislande est c<insi-
dérée dans la relation comme ne formant (prune seule terre, et
il) KiMiisi, iratliiolioii Jaubcrt.
(2) (jli'i [lar Santaiikm, Atlas f(ntii)()sii de )>iapiJ"monili.'^, etc., pi. 23.
{'X, .loM.viiii, niiv. cite.
[ij KoiiMAi.KOM, oiiv. cité.
(.j) l"/iKi.i,i KT San 1''impi'o, Stu//i fjior/rdfici mill/i storia dclla geografia
in Ila/iu (1887), l. Il, p. 238, N» Hl4.
fi) JiiMAiin, plaiiclie, .N<" 19. 20.
(7) lli sciii.i.i, (ié/y/i'ap/iie ilo l'folcméc.
|8) JoMAHii, oiiv. citts, |il. 76
(11) Ili'.MBoi.DT, Histoire de la géographie du nouveau continent, t. Il,
p. lOG, citant lu liailc dos cini| zones liabilablc.s, coinpos('; par Colomb :
H Lorsfiue je nie trouvai dans cette île, la mer n't'tait pas gcl(5c, (|uoi(|ue les
niaiées y soient si fortes qu'elles y montaient à vin};t-six brasses et descen-
daient autant. Il est vrai ([uc le Tile dont parle J'tolemtJe se trouve là on il
le place et se nomme aujourd'hui Frislande ».
CIIAI'lTIUv X. — LK VO>A(iK llKS FHKHKS ZKM.
:m:{
(juc, «If plus, toutes li's ciirtcs du temps la dessinent eornnie ne
riti'iiiiinl (pi'iine seule ile ; mais il semhle (pie ee l'ut luii^'temps
CMiume (Ui procédé des ('ai't)i};ra|dies de ne di'crire dans un archi-
pel mal connu (pie liis simiosilés extérieures, en ne tenant md
compte des détroits, des caps et des iles à l'intérienr. Il u'n a pas
loii^Memps, par exemple, (pie les nomlireuses îles et les détroits
multiples (pie les uavi^'ateui's rencontrent à la pointe sud de
rAméri(pie, ont cessé d'être compris sous la dénomination
uni(pie de Terre de Immi (I ). F^a ^irande étendue de la Frishuide
dans la carte des Zeiii provient peut-être aussi de ce (pie le
dessin ori^'iiiiil, très delahré (piand il fut copié, u'oIVrait plus
(pi'une imaj.fe coiii'use des canaux (pii séparent les Keroi'. Aussi
liieii, supposons un instant ipie les iles Feroë ne forment (prune
seule ile ; (jue si nous in'jçli^eons les détroits (pii les séparent,
et ne considérons «pie les conllj^urationsdes c('»tes, no is verrons
alors, en comparant la carte des Zeni à une cart(î moderne de
l'arcliipel, (pie les mêmes caps se présentent dans le même
ordre, eu suivant la même direction, et (pie les fiolfes sont à
peu près identi(]ues (2).
ICiilin (piel(|ues dénominations jiéo^rapliiipies se sont mainte-
nues juscpià nos jours, presipie semlilalih - à celles (pi'indi-
(piaieiit les Zeni. (Jtii ne recoimailrait dans Monaco li' nom
italianisé de lile iVIonkers un des Moines, la plus méridio-
nale des iles de Tarcliipel ? Le c;ip Spafiia ne serait-il |ias le
cap Stacken, le j^olfe de Sudero le Suderoi' liord. licdtivo Lillle
vjrufia
(i) La Torce do l'tMi a îles |ii'ii|inrlioiis ^'i^niitcsqucs dans ravaiit-doniicre
carli! de l'atlas d'drteiiiis, dans le ijnrieux ^lohc de Nancy (Conjurés Auiéiica-
nisle de Luxeiubonij;, I, ;id!)i el dans la |ilii|iart des cartes du xvi" <!t même du
XYii" siècle, l'arf.iis intime elle se confond avec les terres australes. Voir la
inapiieniondo de Henri 11 (Joinard, onv. cité), et le Pcn-tulan de Malartic (So-
ciété ltourj;iii);iionne de géo^rapliie et d'Iiistoire), 1880.
(2) Iteuiai'(|Uoi)s tontefuis (|ii(! Siuilioii Minch, la plus méridionale des [«"eroi-
(Cl<>2'il n'existe pins. Cette l'alaise, de 27 mètres de liant, très ntile pour les
navires anxiinels elle sijçiialait des tonrliilloii» danjjercux, a été engloutie le T
novembre US.So. (I^.Mto.N.NK, V)i )ni)i< i/ii'f< l'archipel des Fœroer, Tour ihi
monde, 1S.S7).
ï
38i PMEMIÈRK l'ARTIK.
Li;s l'RKriHSKnis dk coi.omii.
Dinion, Sanostol Saiuloi', etc. (1)? IhiiiclH' et surtout Lt'Itnvel, (jui
niit poussé l'identificatiou Jusqu'au liout, n'ont laissa |)asst'p
qu'un seul des trcnle-luiit ni>ms cités par les Zeni sans lui assi-
gner sa position, mais (juel(|ues-uns de leurs rapprochements
sont à tout le moins forcés (îJi. Les analofries sifrnalées sont
pourtant singulières, car rien ne passe aussi difficilement (|ue
les noms propres d'une langue à l'autre, surtout (piand ce sont
des étrangers qui traduisent avec leur prononciation les ;ionis
des contrées qu'ils parcourent. Qui d*»nc reconnaîtrait, s'il n'en
était averti, et dans des pays voisins, S'graveniiagen, Meclieln,
Luttig, Kortryck, Regenshurg, Diedenhofen, etc., détigurés sous
les noms de La Haye. Malines, Liège. Courtrai, Ratishonne et
Thionville?
Veut-on d'autres preuves de l'identification de la Frislandc
et des Feroë? La relation parle à diverses reprises du grand
nond)re des poissons qu'on trouvait dans l'archipel (3V Les
insulaires le salaient ou le fumaient et l'exportaient juscpi'en
Norvège, en Flandre et en Rretagne. C'était la grande produc-
tion du pays. Aujourd'hui encore Danois, Anglais. Hollandais
même fréquentent ces parages à cause de l'énorme (juantit(>
de poissons qu'ils y rencontrent, et parfois y font de véritahles
pèches miraculeuses (4).
D'après la relation l'abordage de la Frislande était difficile
à cause des écueils, de l'escarpement de la côte et des courants.
Les mêmes difficultés subsistent. La mer qui environne les
(1) Voir la carte jointe à l'ouvrage cité ci-dessus (io., p. 399).
(2) Ainsi, d'après I^elewel (Ménioiic cité, p. 102-103), les villes de Frisland,
Godmec et Sorand correspondent à Kingshaven, Thorsliaven et Scavernus.
Portland est identitié à Sydero. Laissons lui la responsabilité de ces rappro-
chements.
|3) Helation, édit. .Majom, p. 9. u Nel (|ualc si prende pescc in taiita co|)ia,
che se ne caricano moite navi, e se ne fornisce la Flandra, la IJretagna, l'Iii-
gtiiltcrra, la Scotia, c Dannimarcha, e di quel ne cavano grandissime ric-
cliezze ».
(4) Lahonne, Un mois dans l'archipel des Faeroer (Tour du monde, 1887).
Voir gravure p. 395 et 4U9 représentant la pèche des Dauphins.
1 i
SEP NOVA TABVLA
ippro-
I copia,
nu-
lle ric-
1887)
»E RUSCELLI (1561)
septentrionAlivm part
BRI D
,i>ODALIDA .'•.'•!•
CARTE DU VOYAGE DES FRÈRES ZENO, o'après l
PARTIVM NOVA TABVLA
NT RIO
BRI D
i ZENO, d'après le Ptolémée de Ruscelu (1561)
■•■«■F
«'
! I!
CIIAI'ITRK X. — LK VOYACE DES FRERES ZE.M.
38o
Feroë est IV'coiulc en naufrages, et les Itons mouillages sont
rares dans l'archipel. « Le brassiage dans les détroits est
considérable, lisons-nous dans une relation contemporaine, et
Ton rencontre dans plusieurs endroits des gouffres ou tourbil-
lons. Celui de Sudcro s'accuse par quatre tourbillons impétueux
se jouant au milieu d'une spirale de récifs à fleur d'eau, sur
lesquels se briserait en mille éclats la barque du pécheur
imprudent » (1).
La tradition locale elle-même vient à l'appui de notre système.
Un pasteur, le révérend Schroetter (2), a recueilli dans l'île de
Sudburoy une tradition d'après laquelle les Férégiens méridio-
naux, révoltés contre leur évéque, furent secourus par un chef
frison d'Akraberg, qui leur amena <( deux embarcations de
corsaires <jui avaiejit été au sud ; elles leur furent d'une grande
utilité, car, la veille du jour où l'on devait livrer bataille,
elles firent voile pour diverses contrées au nord de l'archipel et
menacèrent de les piller. Aussi beaucoup de Septentrionaux
restèrent-ils chez eux, n'osant laisser les femmes seules en
présence des corsaires. Le résultat fut que les Méridionaux
remportèrent la victoire et tuèrent beaucoup d'ennemis ». Ce
récit concorde avec la relation de Nicolo Zeno qui, en effet, se
rendit avec la flotte à Bondendon, au nord de l'archipel, pendant
que Zichmni conduisait les opérations par terre (3). Il nous
semble donc démontré que ce n'est pas ailleurs que dans les
Feroë qu'il faut chercher la Frislande des Zeni, et que toute
eette partie de la relation présente le caractère de l'autiienti-
cité la plus absolue.
Après avoir soumis la Frislande. Zichmni aurait attaqué
(1) Lahonxe. 1(1., p. 392.
(2) ScHBOETTEn, Traditions populaires des Foeroes (Société des Antiquaires
<lii Nord, 18t'J-51, j. J45-6).
(3) Edit. .Major, p. 8. « Il capitaiio, col consiglio di M Nicolo, voile, clic si
facesse scala a uni» terra chiamala Bondcndon per intender i successi délia
guerra di Zicliinni...».
T. I,
m
:J80 l'HEMIÈKE PAHTlt;. — LES l'HÉCUHSELHS I»E COLOMIt.
l'Estlaïul. On a prétendu ((uc (•'(Huit l'Islande; mais aucune des
dc'mominations gÔMjgraphitiues (;(tnserv(''es par la (•art(! des Zeni
ne se retrouve en Islande. De |ilus les annales islandaises ont
toujours ét('' rédigées ave(; grand S(jin, et elles ne parUnit pas de
cette invasion. Walkenaër fait de l'Kstland le nord de l'Ecosse.
Nous retrouverons plus aisément l'Kstland dans l'archipel des
Shetland. 11 était en elFet de bonne tactique pour Zicliinni,
(|ui ne songeait à rien nmins (|u"à la con(piète de toutes les lies
de rAtlaiiti([ue, de commencer par les moins éloignées. Or les
Shetland sont rapprochées des Feroi' et il est dit expressément
dans la relation <|ue l'Estland est très pn'îsde la Frislande (i]. La
plupart des noms indiqué's sur les cartes des Zeni se retrouvent
en elïet dans les Shetland. Forster {'2) a essayé d'applitjuer à
cet archipel le même procédé ((ue celui dont Huache et Lelewel
se sont servis pour les Feroë, et il a démontré sans trop de
peine (jue les îles de Bres, Mimant, Iscant, Taluo, IJroas et
Trans, mentionnées par les Zeni, répondaient à Bressa, Mani-
land, Trus, Teal, Buras et Tronda, toutes dans les Shetland.
L'ideiitilication n(jus semble aussi coin|)lète que possible, et.
|)ar c(insé(|uent, sur ce point encore, la relation des Zeni n'a
pas été inventée.
Le doute n'est guère permis pour l'Eiigroneland dans lecpiel
on reconnaît si facilement le (Iroenland. Seul, le parad(j\al
F. Kraru|), si»us prétexte que la carte des Zeni joint le (iroen-
land à la Norv('ge, a fait de la pres([u'île (Iroenlandaise la
pres(ju'île Lapone. H a même retrouvé le cap Trin sur la vù[i\
Terske au S.-E. de la Lapouie, et le monastère de Saint-
Thomas dans un des couvents russes de la Mer lUanche, et
pourtant ces couvents ont tous été fondés p(jslérieurenjent.
(1) Edit. Major, p. 10. « AU' impiesa di Eslaiida, die è sopra la cosla tia
Frislanda c Noivegia ».
(2) FoHSTER, Histoire des découvertes et des voyages faits dans le Nord.
D'après Zurla (ouv. cité, p. 15) l'Estland lijçdre (li;jà, et à la place des Shetland,
sur la septième feuille de l'atlas d'Andioa IJiamo, sous le nom de Stilanda.
CliAI'lTRK X.
LK VOYACiK ItKS KHKHKS ZKNI.
:w7
MllU'l
loxal
ruen-
cni
liiiiit-
lii.'.
Inu'Ut.
3Sta tiii
Nord.
Hetlaiul.
klanila.
F. Krarup use vraiuieiit de [troct'dés par trop cominodcs pour
justifier ses hypothèses. Kn efFet il ne tient aucun compte des
p(»sitions assignées et supprimer les détails ([ui le fjéncnt.
Mentionnons encore l'opinion à tout le moins sinjîulière de
Steenstrup(l),(pii croit retrouver l'Kngroneland des Zeni dans une
contrée marécageuse des Frisons du Nord, sans doute l'Eidcrs-
teat, et al'lirme que les Zeni ne sont jamais allés au (Iroenland.
Ne vaut-il pas mieux revenir à l'ojiinion comnume, et recon-
naître ave(; tout le monde, même avec les adversaires des Zeni,
que l'Engroneland est le (Jroenland?
La carte du pays est dressée avec beaucoup de soin ; les
sinuosités sont indi(|uées exactement, si hieu (|ue Zahrtmann (2),
un des contradicteurs les plus résolus des Z(!ni, a déclaré que,
pour rédiger cette carte de l'Engroncland, les frères Zeni durent
s'adresser à d(;s marins éclairés ou à de savants ecclésiastiques.
On aura en outre remarqué la grande précision avec laquelle^
les Vénitiens parlent du climat et des ])roductions locales. Le
climat n'a pas varié : il est toujours aussi rude et la température
toujours glaciale. Quant aux productions, ce sont les mêmes, des
poissons salés, des pelleteries et des barques rudimentaires.
Ces barques les Zeni les avaient décrites avec étonnement (3).
Tous les détails de leur description sont encore vrais de nos
jours, et les (îroenlandais n'ont pas modifié leurs procédés de
construction et de gréement. L'ourmiak d'igalikko tel que le
décrit Uayes dans son voyage à la terre de Désolation (4), c'est-
(1) Steenstulp, Congrès Arnéricauiste de Copenliajîiie, p. 180,
(2) Zaeihtmann, ouv. cité (Nouvelles Annales des Voyages, 1836j.
(3) Relation, édit. .Majoii, p. 16. « Le barclie de pescatori si fanno corne le
navicelle clie iisano le tessitori nevfar la tcla ; et toUe la pelle de posci le for-
mano ; et cueite insieme, et poste in piu doppij, rièscono à buone e sicuro,
ch'è cosa ceito niiracolosa à scntire, nella fortune vi si serrano dcntro, o las-
ciano i>ortaisi dall' onde e da' ventl per il mare senza algun timoré o di
affogarsi ».
(4) IIayes, La terre de désolation (Tour du monde), 1873, t. Il, p. 8. —
Cf. H.vYKs, Vof/age à la mer libre du pAle arctique (Tour du monde, 1868),
t. I. p. 121.
i
! I
I
;JK8 l'UKMlKHi: l'AlUlK. — LES l'RKCLKSELKS DE r.oLOM».
à-dire aii (irocnland, i'(.'sseml)l(' à s'y m<''|)n'n«lr«' an raiiot de
cuir des insulaires de I'Kii}i:ntneland. Ce ne sont point là des
plirases jetées au hasard et des mots sans valeur. A vrai dire
il n'est pas nu passade de la relation (|ui, littéralement, ne
s'ap|ili(pie encore au (îroenland contemporain.
Il est cependant deux points qui ont soulevé d<; sérieuses
objections ; Le monastère de Saint-Thomas n'a pas été retrouvé.
et le (îroenland n'a pas de volcan en activité : L'i relation
Vénitienne serait donc fausse au moins sur deux points.
II nous faudra tout d'ahord remarquer qtie la création d'un
couvent au (iroenland n'a rien d'invraisemhlahle. On sait déjà
que l'Evangile fut de honne heure prêché dans cette lointaine
réfîion, et même qu'un évéché y fut étahli (I). Dès lors quoi
d'étonnant si des moines, lualf^ré la ri}:ueur du climat, ont
songé à se réunir en connuunauté dans le (îroenland ? Aussi
hien nous savons, mais sans plus de détails, qu'un couvent fut
fondé au (îroenland eu l'an l'iH '2). D'un autre côté Ivar
Bradsen, auteur d'une description du (îroenland composée au
(juatorziéme siècle (3), dit expressément qu'au fond d'un fiord
est un grand monastère consacré à Saint Olaf et à Saint Augustin,
habité par des chanoines réguliers, etdmit les domaines étaient
considérables. Est-ce ce monastère (|u'Ortelius, dans son atlas
de l'iTS (i), indiquait sur sa carte du (iroenland sous le nom de
luniuisieriurn Snucii Jliomœ, et que (jérard Mercator (5), dans
(l) Beauvûis, Origines et fondation du plus ancien érMié du Souvenu
Momie (Société d'histoire, d'arciiéolojçic et de littérature de Beaiine), 1878.
;2) PoNTAXiis, ouv. cité.
(3) IvAR Braosex, Descriptio Gronlandiœ, édil. Major, p. 45 : « Hnud
procul ab hoc tractu iiigcns inoiiasteriiun situni est, a Canonicis re^ularibus
habilatuni, sancto Olavo et saiiclo Augustiiio consecralum : monastcriiirn a
parte iiitcriori oninia ad linem sinus, omniaque exterius ab opposito latcrc
possidet ».
(4) Ortrlius, carte intitulée Septentrionalium regionum dexeriptio.
3) G. Mehcator, Desct'iptio cœli et terne : « Duœ tantum habitationes
in extremis quasi scptcntrioiiis, in (ironiandia videlicet, nota; sunt, Alba et
S. Thoniœ cœnobiuin ••. — Cf. Id., Atlas, planche 22.
1'
cihU'iTin: X.
LK VOYACK l>i:s THKHKS ZKM.
:iso
sa description du pôle arctique ^1578), décriNuit en ces termes :
" Il ny a (pie deux haliitatittns dans ces pays de TextiM^me nord,
je veux parler du (îroenland, Alha et le monastère de Saint-
Tliomas? » Ce <pii nous porterait à le croire c'est (pie, quekjues
années auparavant, en I5()i, (''po(pie à la(|uelle on avait d(''jà à
peu [)r(;s perdu de vu<» le (îroeidaud, ;le {gouverneur d'Islande,
ayant con(is(pié les revenus du couvent d'ilel^'olloël, trouva
un vieux moine (|ui, jadis, avait l'ait partie du couvent de Saint-
Thomas au (îroenland, et en donna une description conforme
à celle de Nicolo Zeno(l). Le gouverneur prt!'para aussitôt une
ex|)édition au (îroenland (mars 15()i). Les matelots islandais
arriv('rent en vue des côtes, mais furent arrc't('; par des murs de
glace, (pi'ils franchirent avec peine. Ils eurent à comhattre des
ours h'ancs, et se remharqui^rent au plus vite à cause du froid
qui devenait de plus en plus intense, (ies divers t(!'moignages ne
prouvent-ils pas, par leur concordance uu^me, que jadis exista
au (îroenland un couvent de Saint Thomas? Sans doute Ivar
Bradsen a pariti de Saint Olaf etnon de Saint Thomas, mais on
sait dt'jà connnent les noms propres se modifient d'une langue
ù l'autre et le nom septentrional d'Olaf doit aux oreilles miiri-
dionale d'un Y(''nitien avoir heaucoup ressemhic* à celui de
Saint Thomas. Il est encore vrai qu'on n'a pas encore retrouva'
l'emplacement de ce monastère, mais la côte (jrientale du Groen-
land est mal connue (2). Uudson en 1G07, David Danell en 1652,
OIsen Wallse en 17o2-o3, Lovenhorn, Egéde et Rothe en 1785-87,
lio.
titalioncs
Alba et
(1) Egéde, Description du Groenland (1763), p. 13. Egùde cite encore,
mais sous toutes réserves, et d'après le témoignage de Uithmarus Bleskenius,
un moine Groenlandais qui vivait en Islande vers 1646, et racontait des
choses extraordinaires sur un couvent de dominicains dans le Groenland,
appelé le cloître de Saint Thomas, où ses parents l'iivaicnt fait entrer tout
jeune. L'ouvrage de Dithmar est mtitulé : Islandia, sive populorum et mi-
rabilium quse in ea insula reperiuntur accuratior descriptio, Lugduni
Batavorum, 1601.
(2) Malte-Bbun, Les Danois à la côte orientale du Groenland, décou-
verte de la terre du roi Christian I\ par le lieutenant Holm (Société
normande de géographie, 18S6, p. 129-140).
]""
WM) l'UKMiKmc pautik.
l,i:S l'UKCLHSKUHS l»K <:0UlMI».
Scoreslty (mi 182:2, Saliinc et (Uiiveriii}; en 1S:2:{, Jules de HIks-
s(!vil(; en 18IJIJ en ont tente la reconnaissance, mais ilscnit tous
échoué En 1884-1885 le lieutenant Danois llolin a été plus
heureux. Il s'est avancé très au nord justiu'à une lerre (ju'il a
nouunée terre du roi Gliristian IV, et à sa j;rande surprise a
constaté la présence, sous ces hautes latitudes, de peuplades
indigènes ayant un seinhiaut de (civilisation, (juehpie autre
voyageur plus entreprenant on plus heureux pourra c(»niplétep
un jour ou l'autre ces ohservations, et peut être retrouver les
restes des édifices où vivaient autrefois les Européens (|ui
initièrent ces indigènes à la civilisation.
Un savant contemporain, M. Major, croit avoir retrouvé
l'emplacement du monastère sur la côte occidentale, non loin
<le Rafnfiord. Il allègue le curieux téinoignage d'Ivar Uradsen,
(|ui parle de sources chaudes situées au fond de ce (lord, près
du monastère de Saint Olaf et Saint Augustin. « L'eau chaude
ahondc dans ces petites îles (1). En hiver leur tein|»ératiu'e est si
élevée que personne ne peut s'en ap[)rocher. j*]lles refroidissent
en été, et peuvent servir de sources thermales. Beaucoup de
personnes reviennent à la santé et relèvent de maladie lorsqu'elles
en font usage. » Ce, sont les sources d'Onnartok, auprès des-
quelles on a en effet trouvé quelques ruines d'anciennes maisons.
Comme il n'y a pas dans le Groenland d'autres sources chaudes,
le site de l'antique monastère de Saint Thomas serait par là
même étahli d'une façon définitive. Avouons néanmoins que
l'argumentation de M. Major, hien qu'ingénieuse, n'est pas
convaincante. Le savant anglais en a pris fort à son aise avec
le texte et la carte de son auteur. Le monastère de Saint Thomas
(1) IvAH Bradsen (édition Major, |). 46) : « In sinu intei-iori inultœ sunt
parvœ insulœ, quarum omnium partem dimidiam cœnobium, alteram dimi-
diam templum cathédrale possidet. Use parvac insuUr calida aqua abuadant^
(|uœ hicme adeo fervent, ut nemini accedere prope fas sit ; acslate tempc-
ratïË sunt, ut lavacri usum prœstent, multiquc sanitati restituantur et ex
morbis convalcscant. »
<;iiAi'iTnR X. — i>; voyaoe hes krkhks /.km.
nnt
là
lU'
»ilS
'ec
mas
et ex
se Irouviiit sur la côto nrientulc of millciiu'Ht sur la côte occidtMi-
fale, et, de plus, à huit dojîrrs au n<»r<l-ou('st d'Oruiartok. Cette
idcntincatiou est donc ahsolunuMit arhitrairc.
M. Ucauvois (I) pense (pie Pile de Jean Mayen, à l'est du
(iroenland, si remarquahle par ses volcans éteints ou en activité,
avait été jadis colonisée par des Nortinnans, et «pi'on d<»it
y clierclier le couvent de Saint Thomas : mais cette île est hien
l'U dehors des voies de comuuuiicafioii ordinaire, et il est ftlus
f|ue probahle (pie des moines n'ont jamais son^'é à s'y établir,
(le n'est donc pas Jean Mayen (ju'auraient visité les Zeni.
Serait-ce qu(; le monastère n'a existé (pie dans rimaf:ination
<le Zeno? L'a-t-il inventé, comme le prétendu volcan au pied
du(piel il était hilti? (2) Sans doute on n'a |»as plus retrouvé le
volcan (pie le monast(''re, mais toute la réfjion (iroenlandaise est
sujette à l'action des forces volcani([ues. En 1783, le 11 juin, un
volcan Groenlandais, le Krapta Syssel, lançait trois énormes
colonnes de flammes qui furent aperçues de l'Islande (3). Des
baleiniers ont maintes fois éprouvé des secousses en phîine mer,
et découvert des amas de pierres ponces flottantes qui parais-
saient indi(pier l'existence de volcans (4). 11 se peut donc que
le volcan de Saint Thomas ait été en activité à l'époque des Zeni,
et que les Vénitiens, sur ce point comme sur tous les autres,
s(! soient contentés de décrire fidèlement ce qu'ils voyaient.
11 nous reste à déterminer la position de l'Icaria, de l'Esto-
tiland et de Drogeo. Là encore n(jus croyons qu'un examen
attentif de la relation nous permettra de préciser la situation
respective de ces trois terres.
(1) Beau vois, Les Voyages transatlantiques des Zeni, p. 23-24.
(2) Steenstrup dans son explication paradoxale de la relation des Zeni,
^Congrès de Copenhague, p. m) n'a-t-il pas affiriné que ce volcan n'était
qu'une tuilerie, que les masses tirées du foyer et donnant un ciment blanc
comme neige n'étaient qu'un four ù chaux, et les réservoirs des fosses à
chaux. Il est diUicile de dépenser plus d'ingéniosité à soutenir une cause aussi
détestable !
^3) HooYEB, Tour in Iceland, p. 423 cité par Gravier, ouv. cité, p. 201.
(4) MAi/rE-BauN, Géographie universelle, t. V, p. 39, 43, .'î5.
'.V,H l'HKMIKUi; l'AHTIK. — LICS l'IlKC» HSKLHS UK Cdl.oMIt.
Icaria est la première il(! n'iicontivedaiis l'Ocraii par Ziclirniii
et par Antonio Zctio, li»rs(pi"ils partirent de Krislamlr pour
leur ^M'anilc <>\|i('>(iition. iW nom d'Icaria inspire une inédiocri*
confiance, et le roi du |>ays, Icarns, descendant de D.edalns,
ressendde sin^^nlièreiuent à ces pers(tnua;;es inia^Mnaires, in-
ventés après coup pour les besoins d'une explication historique,
tels (ju'Achoeus, Ion ou Krancus. Les Zeni, on le sait, n'étaient
pas de simples négociants. A Venise, les |)atrici(>ns recevaient
une éducation fort soipnée. Inihus tpi'ils étaient des souvenirs
de l'anticpiité, et entendant lui nom (|ut se rapprocliait de celui
d'Icarus, les Zeni, ou tout simplement leur premier éditeur,
leur descendant (^atlierino, songèrent tout de suite à l'infttrtuné
rejeton de Dédale, et inscrivirent le nom du |)ère et celui du
fils dans leur relation. Un utopiste célèbre, inspiré par je ne
sais quelle réminiscence antiijuc, n'a-t-il pas de nos jours
donné le même nom à sa républi(|ue idéale? Ce n'est pas à dire
que l'Icarie des Zeni soit l'ceuvre de leur imagination, comme
l'était l'Icarie de Cabet. Le nom seul est bizarre, mais le pays
existait, et c'est à nous de le retrouver.
Forster (1) plaçait l'Icarie dans le comté de Kerry, en Irlande,
au sud-ouest de cette grande ile (2). (iaidoz prétend même; (|ue ce
mot se retrouve textuellement dans cette partie de l'Irlande, et
que les insulaires interrogés par Zichmni et Antonio Zeno sur
le nom du pays où ils venaient d'aborder auraient répondu :
I Giarraigh, vous êtes en Kerry, mots irlandais que Zeno
aurait traduits aussitôt par Icaria. L'explication est ingénieuse,
mais rien ne l'autorise, car l'Irlande était connue depuis
longtemps, et Zeno n'aurait seulement pas songé à la présenter
comme une terre qu'il venait de découvrir.
Walkenaër faisait de l'Icarie une des Hébrides, et Kraruf»
une des Feroi*. Has prétexte qu' Icaria est une mauvaise leçon
(i) FoRL.ER, ouv. cité. Ce comté se trouve au sud-ouest de Hic entre
Clarine, l'estuaire du Sliannon, Limerik, Cool( et l'Atlantique.
(2) Markiiam, Les Aborda de la région inconnue (traduction Gaidoz), p. 112.
HISC,
Irarup
Iccttu
cnlri'
m
i:ilAI'lTIIK \.
I.K VdVAci: iu;s i-iti:iii;s /km.
M\
|Miur Kariii. Il nous sciiiith (|ii<' ricitria dnil (Ucc rlicrtlifc
lK>aii('oii|) plus Iniu, tlaus l'Oosin, *>t dans la iJinMliou dr
rAuirriipic. La tarie des Zcui la plan» très à l'nufst dr l'Is-
lande et de la l''rislau<le, et au sud du (îl'oeidand. C'est la
|iuslti(iu (pie lui ont ^'ardée Uuscelli et (M'Ielius, et <pie nous
irtntuvttns eunirc dans une des cartes dressées en Kiill par le
Dijiinnais Mnrisnt I). Sans duute. à la latitude de la carte des
Zeni, nnus ne trouvons aucune ile (pii corres|M)nde à l'Icaria,
mais il ne nous faut [las oublier «pie la position d'un(> ile (pii
n'est pas (i\ée par des observations astronoinitpies, peut varier
de :2()U à i(K> lieues. Tel est justement le cas pour les anciennes
cartes. Aussi les navigateurs, même de très hoiiiie loi, ont
cru découvrir et ont nonnné des terres (|ui avaient déjà été
découvertes et noiinnées, mais dont la situation astronomi(pie
n'avait pas été sullisarumont déterminée ['!). l'ail'ois aus>i sy
commettent de f.M'ossières erreurs. Lorsipie le chevalier llélierl
retrouva en ITOH l'île découverte par Tristan d'Acunlia dès
i'J(M), il s'en croyait à plus de (jualre cents lieues (IJ). Les
l'ortu|;ais ne comptaient-ils pas cent lieues d«' dislance entre
les ilos de la Trinit»' et de Martin Vas (i)? Il y eu a neuf eu
réalité. Il se peut donc (pie nous devions cherclier Icaria
beaucoup plus près de la i ôte américaine (pi'elle n'est mar(|uée
dans les cartes aiiciemies, soit dans le détroit et la baie dllud-
son, soit plutôt dans le f^olfe de Saint-ljaureijt. S'af:it-il de
Terre-Neuve, ou d'Antic(jsti, ou de toute autr(> ile du {.ndl'e,
(Il MORISOT, 0;7y/.s- marititni iiistoria, p. 601.
(2) Ainsi la Nouvelle Georjjie de ("ook ii'ol autic que l'île de Saint-Pienc,
sigiialé'e di'S 1756 |iur Duclos-liuyot, eoiimiaiidaiil le vaisseau espajçnol le
Léon, et probableiiieut la terre de la Itotîlie déjà vue au xvir siècle. Les îles
Marquises furent successivemcut découvertes par Meiidana, C.ook, liigraliaui,
Marchand, Porter, Krnsenstern, Dumont d'L'rville, et changèrent souvent de
nnni, chacun de ces explorateurs se croyant le droit et le devoir de leur
imposer (nie dénomination nouvelle.
(3| Blac.uk, Mémoire sur Vile de Fridande, p. 435-436.
i4i D'AvEZAC, lies de l'Afrique, p. 21)9.
il
il I
i
394 l'HKMIKRK l'AHTlK. — I.KS l'IlKl.l KSELRS DE «lOLOM».
<;'est ce qu'il nous est imptissihlc do dôltM-mincr ; nous pousons
seulement que c'est dans ces paniffes (ju'il faut chenher Icaria.
Ce qui nous permet d'(Hre aussi ailirmatif, c'est (pie, sur
toutes les cartes du temps, Icaria est dessinée tout à côté de
rKstotiland,etque l'Estotiland, conune nous allons n(»us eu con-
vaincre, ne peut se retrouver «pie sur le continent américain.
De plus, à l'époque à laquelle les Zeni abordèrent en Icaria. le
pays était encore au pouvoir des Skr(»ellinfïs ou Esquimaux.
Nous savons déjà que ces Skroellipf^s furent en lutte cons-
tante avec les Northmans, (pi'ils les battirent à plusieurs reprises,
et (|u"ils étaient détermiiu's à re|)ousser toute nouvelle descente?
d'étrangers. (Test même ce qui explique racliarncmeiit avec
l(^quel ils s'opposèrent aux tentatives de dél>ar(|uement de
Ziclunni. Beauvois (1), un des rares érudits au\(|uels sa con-
naissance des langues du Nord donne une compétence toute
spéciale, a même cru retrouver dans la langue parlée par les
Skroellings rex[)licati(in du mot Icaria. Ikarirsa et lk(!rack
en effet signifiaient en es(piimau golfe, Ikerdleck ile au milieu
d'un golfe. Ikersaali grand golfe, Ikardiuck banc desahie, etc.;
dénominations qui s'appliquent toutes à la région du Saint-Lau-
HMit, et prouvent une fois de |)lus la véracité de la relation des
Zeni.
Quant à l'Estotiland c'est de fous les pays décrits par les Véni-
tiens <'elui qui a soulevé le plus de discussions, et c'est |)ourtanf
celui dont il nous sera peut-être le moins difficile de déterminer
la position. L'Estotiland en effet a, pendant de longues années,
été comme adopté par la géographie courante. Il figure dans
toutes les cartes du xvi'" siècle (2| et ne disparait complètement
(Il Ukacvois, Revue crititfHP, 1880, N» 60, p 200. — In., Voyat/es truiis-
Htlantiiiucs des Zeni, |i ;i.l. — Rink, Orthoyraphe et étymologii' desnom^
<lc lieux Grœnlatidais.
(2i Nous avons retrouvé ce nom jusque sur un cltapelel d'ivoire, iipparle-
iiaiil au musée de Dijon, et sur l'une des boules duquel est gravée une inia};(i
inundi. Voir Société bourguignonne de géographie et ''histoire, 188.'^.
'm*'
CIIAI'ITHK X.
\.V. VOYAdK DES FMKHKS ZK.M.
'M\
qu'au xvni" siC'olc ; et ciiton' k; ;;i'u}ïrjiplio UoluM't (I) dans sa
fit'ograitkv! nntnri'lU\ liistorif/iu', politique et Vdixinnin', dont
la itroniiiTC éditioii date de 1777, et (|ui l'ut longtemps eonsidé-
rée connue un traité elassuiue, nonnne-t-il gravement Kstoti-
land la répion du Labrador (il).
Aussi i)ien, c'est dans le voisinage du Lahrador, soit à Tern»-
Neuve, soit plutôt au Nouveau-llrunswick ou dans le l{as-(4a-
uada (|ue nous retrouverons la région autrefois signalée par les
Zeni. W ytfliet, dans l'atlas (ju'il joint à son //isioirc des Indes
(kcidentuks, inscrit Laborador siveEstotilaud, et la description
(|u'il en donne est uu^me assez conforme à celle des Zeni (II) :
<( L'Kstotilaud est fort montaigneuse, et pleine de forets, et de
toutes sortes de bestes sauvages, et dict-on mesme (pii s'y
trouvent aussi des grillons. Les habitants sont assez dociles et
ont un langage i)articulier, et diverses façons d'escrire (|ue les
autres. Ils sont forts et robustes, toujours adonnés à la cliasse,
etc. ». Nous pensons néanmoins (|ue l'Estotiland ne correspoiul
pas au Labrador, attendu qu'il est dit expressément dans la
relation des Zeni que l'Kstotiland est « une ile un peu moins
grande (pie l'Islande.. . très riche et possédant en abondance
tous les biens du monde (4) ». Or, le Labrador n'a jamais passé
pour une île et c'est une région peu favorisée de la nature.
<' Klb; ne se doibt nommer Terre-Neufve, écrivait Jacqm>s (Car-
tier (5), mais j)ierres et rochers effrables et mal rabotiez, car.
1
M'
i!
\
y
!i
les /r;.?is-
appaile-
(1) Gaffaiiei-, Le Géoi/raphe liobert (Société bourguignnime de goojçrnphie
et (l'Iiistoiiei, 1889.
(2) Robert, (léo<jraphie naturelle, lii-.toriqiie, etc., m7, t. III, p. 120.
(31 WvTFMET, Histoire des Indes occidentales, carte xi\, p. !>8-!»!1. — Cf.
La Poi'ELi.isiKUK [Les Trois Mondes, 1582), liv. I, § 8, p. 20, qui marque
l'Kstotilaiid à c(ité du Labrador.
(4) Edit. Majoh, p. 20. « Eiiarra ché è ricliissinia cd almndaiitissima di
tutti li heiii dcl inuiido, e clie è. poco minore di Islanda >>.
(5) .Jacques Cai\tieu, Relation du roijaije de 13;M, édition Mirhelant et
llanié, p. \\. — Cf. Youi.K lliso, Explorations in tlie intrrior of the
Laln-ador peninsula, London, I86;t. — Aiuifc Keri.and, Le Lahrador,
Québec, 1800.
(f-
300 l'HEMIÈKK l'ARTIK.
Li:S l'IlKClKSKlHS DE COLOMB.
en toute la dicte custe du Nord, je n'y vy une charretée de
terre. . . Fin j'estime mieulx (|ue aultrement que c'est la terre
que Dieu donna à Cayn » .
Terre-Neuve répondrait niieu.v à la description, d'ahoi-d
parce qu'elle est une ile » un peu moins jrrande que l'Islande »,
et aussi parce que les vaisseaux de Ziclimni durent y aliord(!r
plus facilement qu'au Labrador fl). Les restes de njursen pierre
trouvés par les Anglais au nord de Saint-Jean semblent être
les dernières traces du fort que Zichmni fit bAtir. On a égale-
ment trouvé au même endroit des monnaies flamandes (|ui
y ont peut-être été apportées par les compagnons de Zeno.
Notons enfin qu'il n'est pas impossible de trouver dans le nom
même d'Estotiland un ancien nom Scandinave, East-out-land,
terre extérieure de l'est, dénomination cpii conviendrait parfai-
tement à la situation de Terre-Neuve à l'égard de l'Américjue.
Aussi Thevet (2), Forster (3) et Malte-Brun (i) ont-ils conclu à
l'identité de Terre-Neuve et de l'Estoliland. Nous ferons pourtant
reniarqu(!r qu'on ne trouve pas dans cette île les quatre fleuves
sortant de la même montagne dont il est parlé dans la relation,
«|u'on n'y exploite pas non plus des mines de métaux précieux,
enfin qu'elle n'est pas très fertile, puisque les anciennes Sagas
la jugeaient sans valeur (5) et que Jacques Cartier, dans son
pittoresque langage, dit qu'un champ des iles de la Madeleine
vaut plus que toute la Terre-Neuve (('»).
Beauvois nous a semblé se rap|>rocher davantage de hi
vérité en assimilant l'Estotiland au nouveau Brunswick ou au
(I) F^ACKOix, //et (le l'Océan (Univers Piltoiesqucl, p. l4i. — Bahuow,
Histoire chronologique des voi/ayet vers le pôle arctique.
(2| Thevet, dans les deux cartes d'Europe et d'Améritpic qui accoinpagneiil
sa Cosmographie universelle, dessine Eslotiland à la place de Terre-Neuve-
(III FoRSTEB, ouv. cité, 1, 322.
(4) Malte-Brun, ouv. cité, I, 208.
('j) Leif disait (jue cette ile était (Galdalandi, sans valeur, et Biarn n'y vil
rien de bon (Ogagnvacnligt).
i6) Relation 'lu voyage de 1534., édition Micliclant et Ramé, p. 3.'}.
\ n
CIIAI'ITIU: X.
LK VOY.Vr.E DES FRERKS ZEM.
:vri
de la
ou au
lias-Cauailii (1). Il est vrai (|U(' ces pays no sont pas des îles, uiais
les anciens confondaient volontiers îles et prescju'îles, et, quand
il s'agit d'une presqu'île hornée au nord par le Saint-Laurent,
un sud par la baie de Fundy, h l'est par la mer, à l'ouest p:ir
les deux rivières Kennelteck et Cliaudiènv dont les deux sources
sont tr('vs rapprochées, on comprend qu'un étrauper ait pu s'y
tronqier. Dans la carte dressée en 18ii par l'ingénieur lleliii,
et annexée à VNIsloin' ffc In i\miri'lli' Frtiurc, de Cliarlevoix,
la Nouvelle I<]cosse est iJessinée comme une île vérifaMe, gràc(!
à la corimumictition des deux rivières Kénél)e(pii et Chaudière.
Or, l'île ou la pseudo-île ainsi délimitée correspond à lu des-
cription des Zeni.Elle est caractérisée par ses forêts immenses(^)
et pur la fertilité relative du sol. Quant au mont élevé d'où sor-
tent (juatre rivières (.1), ce doit être le mont natuldin, duns l'état
du Maine (lOil mètres d'altitude), d'où coulent le Kenneheck,
le P(Mioltscot, le Saint-.Jeun et lu Suinte-Croix. Il n'est pas
jusqu'aux mines qui, d'après lu relation, étuient ultondantes (4),
qui ne se rencontrent encore dans la région. On trouve en effet
de l'or près de la rivière Chaudière, du cuivre dans les cantons
do l'est, de l'argent massif dans le district de Saint-Kruncois, et
du fer presque partout (Ti).
Quelle que soit la position exacte de l'Kstotilund, et il est
difficile do lu préciser davantage, nous croyons pouvoir affirmer
cpje c'est uniquement sur le continent uméricuin qu'il fuut
chercher ce pays. Nous croyons également que l'Kstotilund
avait déjà été reconnu et en purtie colonisé pur des Européens ;
W à
Barhow,
^n n'y vil
(1) Beaivois, Les colonies Eiiropéc-nei du Mnrkhmd et de V Escociland
(Congrès Ainéiicaniste de Luxembourg, 1877), t. I, p. 171-227.
(2) Edition Majou, p. 21. Hanno bosclii d'immensa grandezza.
i'i] Id., p. 20. Havendo nel mozzo un monte altissimo, dol qualc nascono
i|uatti-o flumi, clic la irrigano.
(41 lu., p. 20. « E cavano metall' di ogrii sorte, sopra tutlo abondano
di oro ".
(5) Tac.mk, Esquisses sur le Cntinda, p. fil. — AncM.KMW.MLT, La province
lie Québec, p. 63.
398 l'REMIKRE PARTIE. — LES PRÉCURSEURS DE COLOMIl.
ainsi s'oxplicjiuMit plusieurs détails de la relation, qui, auti-e-
iiiont, resteraient incompréhensibles, et qui au contraire achè-
veront de démontrer la parfaite lutnne foi des Zeni. Ainsi lii
présence de livres latins dans la hihliothèque du roi d'Estoti-
laiid est toute naturelle, puisqu'il y avait eu des missionnaires
chrétiens dans ce pays (1). Si les habitants ne les comprenaient
plus, c'est qu'ils étaient séparés depuis plusieurs fiénératious
de la mère patrie. Supposons que les couununautés chrétiennes
qui existent à l'heure actuelle au fond du Yunnam restent
sans communication avec les missionnaires seulement pendant
quelques années, sans doute ces corelijrionnaires éloignés
garderont longtemps les livres latins (pi'on leur a confiés, mais
bientôt ils ne les comprendront plus. Les Estotilandais avaient
de même oublié le latin qui leur fut autrefois enseigné. Dieu
d'autres particularités attestent uiu' counnuiiauté d'origine. Us
semaient des céréales et brassaient de la bière, comme leurs
ancêtres l'avaient fait en Europe. Us construisaient des villes
et des châteaux, ainsi que des navires, ils s'habillaient de
fourrures, ils fondaient les métaux, en un mot ils pratiquaient
les industries européennes; seulement ils ne savaient pas se
servir de la boussole. En cflet, l'usage de ce merveilleux
insfrument de découvertes ne se répandit (|ue longtemps iiprès
que les relations fiu-ent ÎHterrompues entre l'Estotilund ci sa
métropole. On n'a pas, il est vrai, retrouvé les traces des
édifices bâtis par eux , mais leurs maisons étaient cons-
truites en bois. L'incendie ou le temps peuvent les avoir fait
disparaître. Les l<]stotilandais ne comprenaient pas non plus le
langage des nouveaux arrivants, mais, au bout de quelques
siècles, il sopère de tels changements dans un idiome, surtout
lors(]ue un très petit nombre de colons reste privé de toute
coinnumication avec la métropole, qu'il est naturel que l'an-
cienne langue fût devenue inintelligible aux compagnons de
Zichmni et d'Antonio Zeno.
(Il Voir plus haut le chapitre sur les migrations Irlandaises en Amériiiiio.
■ .-■■^fi««- i,|^,^^^y^.-^,^v|--.y:-^j^.^^- -
CIIAPIÏHK X.
LK VOYACK Mi:S l'HKRES ZEM.
'M)
Houx
prî's
cl sa
(les
ons-
fiiit
us U'
Uiues
urtout
toute
l'an-
•ns (le
lériqui;.
Il n'est pas jusciu'uu eoMlraste (jue |)n''sentaieiit les Kstotilaii-
dais avec les peuples situ(Js au suti de leur [»ays, cjui ne d(''montiv
leur <)rijj:ine eurupC'enne. Les uns (Haient agriculteurs, les
autres chasseurs; ceux-ci (Haient civilis(}s, ceux-là ('-taient
antlirop(»pliages et ne cunnaissaient ui("'nie pas l'industrie de
se couvrir des peaux des animaux qu'ils avaient tués. Les Estoti-
landais se servaient des na'tuux, et avaient de Vur en ahondance ;
Uîs sauvages au contraire se bornaient à aiguiser le bout de
leurs lances en liois. Ceux-ci enfin savaient se servir de vais-
seaux et de filets, ceux-là ne connaissaient même pas les
premiers rudiments de la navigati(m et de la pê'clie (1).
De (piels piiys (Haient originaires ces Estotilandais ? Nous
avons essayé d'établir plus haut qu'ils descendaient des anciens
colons Irlandais et Nortlmians. Sans insister davantage sur ce
point, car il est bien difficile de résoudre un problème historique
aussi compliqué, qu'il soit du moins permis de conclure que
l'Kstotiland doit être cherché en Amérique, (|ue les ]*]stotilan-
dais étaient d'origine européenne, et, comme une consé(pience
rigoureuse de ces principes, que la relation des Zeni est vraie
dans <.in[ ensemble pour ce qui concerne l'I^sfotiland.
Une preuvv nouvelle de l'authenticitf' de la relation nous sera
donnée par deux passages, qu'on n'a peut-être pas assez remar-
(|ués, de la lettre adressée en octobre loOl à ses frères par Pietn»
Pas(|ualig(i, ambassadeur de la République Vénitienne à Lis-
bonne ;:2i. lue des caravelles conduites par Gaspard (Icjrlereal à
ladécouverte de l'Amérique du Xord vena'l ^l'arriver à Lisbonne.
L'ambassadeur avait interrogé avec soin capitaine et matelots,
et examiné les indigènes ramenés par eux de ces terres loin-
(ll Voir plus liaut cliapitre vu.
(2i I.eltic iJ(! l'ielro l'asiiiiitlijto. dattie du !!• octobre 1,*)0I, reproduite par
llAniiissi:, Lrs Cortereal, appendice XVlll, p. 211. « Et cpiiîli ancliora liaiino
porta de la uiio pezo de spada rotta dorala : la quai cerlo jiar lacta iii Italia :
uno pulo de ipiesli aveva aie orechie dui lôdirii de arzento : clie scnza dubi(v
pareiio sta l'aoti a Veuetia. "
11
J
'((M) l'HEMlKHK l'AHTlK. — LKS l'HKCirHSKl'RS DK COLOM».
tailles. << Ils ont apporU"', <''crivait-il, un tronçon d'rpéc dorée
(jui parait avoir été fabriquée en Italie. XJn des enfants portait
aux oreilles deux petits dis([ues d'arf^'ent eonfectionnés certaine-
ment à Venise ». t^e saltre de fabrication italienne, ces dis(pH's
darp'iit de [trovenance vénitienne, (|ui donc les aurait p(»rtéssur
le continent américain sinon des Vénitiens, et, sans trop forcer
la vraisend)lance, ces Vénitiens ne seraient-ils pas ceux-là
même «pii avaient suivi le prince Zichmni jusqu'au Kstotiland,
c'est-à-dire jus(iue dans la région américainci qui correspond à
la terre découverte ou retrouvée plus tard par (îaspard Cortereal?
Nous aurions de la sorte un témoipnag'e matériel de la i)résence
sur le sol américain de ces Vénitiens dont on contestait la véra-
cité, et la relation des Zeni recevrait en quelque sorte une con-
sécration définitive.
Quant à Drogeo qui est à peine indiqué dans la relation, mais
dont il est dit que c'était, à cause de sa grandeui , comme un
monde nouveau, nous pensons avec Leiexvel, avec Kolil, avec
(Iravier (l) qu'il se confond avec le Vinland, ou, si l'on [tréfère,
avec la côte actuelle des Etats-Unis. Cette opinion ne repose, il
est vrai, que sur la carte jointe à la relation des Zeni, mais elle
est soutenahie si l'on admet, comme nous l'avons fait jusqu'ici,
l'autiienticité de cette relation. Nfius n'enregistrons que pour
mémoire la singulière hypothèse de Krarup qui retrouve Drogeo
dans Troki, l'ancienne capitale de la Lithuanie. Il a oublié que
les Lithuaniens n'étaient pas des sauvages comme les indigènes
de Urogeo, qu'ils étaient chrétiens, et qu'on les connaissait en
Italie. Restent les peuples du sud-ouest, au delà de Drogeo, qui
avaient des villes, des temples et des idoles, qui offraient à
leurs divinités des sacrifices humains, et se servaient de l'or et
de l'argent. 11 n'est pas besoin de longues recherches pour
retrouver en eux soit les Mexicains, soit même les Floridiens,
(jui étaient alors beaucoup plus puissants et surtout plus civilisés
qu'à l'époque de la conquête espagnole.
J) Gbavieh, ouv. cité, p. 211,
CllAl'lTKK X.
LK VOYACK DES FRERES ZEM.
401
pour
)rogeo
|iô que
ligines
sait en
.>o, qui
lient à
ror et
lidiens,
En résumé l'Amérique avait été de nouveau découverte au
xiV siècle, et le prince Zichmni, aidé par les Vénitiens, avait
fondé une colonie non loin de remplacement des anciennes
colonies irlandaises ou islandaises. De plus, la relation véni-
tienne est rigoureusement authentique et s'explique naturelle-
ment dans presque tous se» détails.
Telle est du moins la conclusion qui nous semble la mieux
l'ondée.
T. i.
26
CHAPITRE XI
TRACES DE LA PRÉSENCE DES EUROPÉENS EN AMÉRIQUE
AVANT CHRISTOPHE COLOMB
Nous n'avuns jusqu'à présent, àprupos des voyages entrepris
au moyen-âge par les Européens eu Amérique, examiné que
les rares documents disséminés dans les chroniques contem-
poraines ; mais si, comme nous le croyons, et comme nous
avons essayé de le démontfer, ils ont réellement. Irlandais ou
Northmaus, séjourné dans le nouveau continent, il nous faut
interroger l'Amérique elle-même pour voir si elle n'a pas gardé
(juelques souvenirs de leurs établissements. Peut-être quelques
ruines indiquent-elles encore l'emplacement de leurs anciennes
demeures? Peut-être les tribus qui occupent aujourd'hui la place
tenue jadis par eux ont-elles dans leurs langues, ou même dans
leurs traditions, conservé quelque trace de la présence des
Européens? Peut-être, enfin, la conformité de certains usages
religieux attoste-t-elle encore la présence de ces Européens en
Amérique ? A nous d'examiner si les monuments, si les dia-
lectes, les traditions ou les usages religieux de l'Amérique nous
perinettront d'affirmer avec plus de force ce que nous n'avons
avancé que sur la foi des chroniqut'urs Européens.
I. — LliS MOMMK.NTS
Parmi les monuments épars sur le sol de l'Amérique septen-
trionale, il en est quel<jues-uns qui se rapportent aux North-
CHAI'. XI. — TRACES DE LA PRÉSENCE DES EUROF»ÉENS. MY.i
lelques
j;iennes
a i>Uii't'
dans
ICC des
usaties
ens en
eà dia-
ue nous
navons
mans. Leur nombnî est peu considérable ; car, dans tout le
nord, on construisait en bois les édifices publics, et à plus forte
raison les maisons (1) ; or, toute construction de ce genre est
soumise à l)ien des accidents, humidité, [wurriture, incendie.
Il n'y a donc en Amérique aucun vestige de ces nuiisons de bois
que les Sagas appelaient des hudirm ; mais on trouve à Newport,
dans le Ilhode-Island, c'est-à-dire dans l'ancien Vinland, les
ruines d'un édifice connu sous le nom de maison de pierre, et
qui fut jadis, très probablement, construit par les Northmans.
C'est une sorte de rotonde en pierres de granit brut liées par
un excellent mortier, et jadis revêtues d'une couche seml)lable,
aujourd'hui tombée : elle est bâtie sur Ai'-^ arches qui reposent
sur huit colonnes. Les premiers colons européens qui s'établirent
dans le Rhode-Island n'y vinrent qu'en 1G38, et, dès 1078, le
testament de l'un d'entre eux, Benedict Arnold, mentionnait
sous le nom de moulin de pierre, et comme remontant à une
haute antiquité, le monument en question. La Société des
antiquaires du Nord siégeant à Copenhague a soigneusement
étudié ce monument, et affirme qu'il avait été construit par les
Northmans. Non seulement on ne rencontre do construction
semblnbh^ dans aucune partie de l'Amérique, mais encore de
frappantes analogies existent avec des édifices Scandinaves du
xi^ et du xu" siècle, .\insi les églises de Vesterirg et de Thor-
sager en Jutland, la crypte de la cathédrale de Wiborg, l'église
de Biernede près de Soro en Seeland, et quatre chapelles près
de Bornholm sont bâties sur le môme plan (2). Ce monument
était un baptistère, car l'usage régna longtemps de les cons-
truire détachés de l'égliso, ainsi qu'on pc » le voir encore à
llavenne, à Florence, à Parme, à Pise, et tous justement à
l'extrême Nord, à Igalikko et à Katortok en Groenland. Au
i
septen-
^orth-
(li (iKKKHOY, H Utoire des peuples Scandinaves, p. 9.
(21 Svciiité des Atitiquaires du Nord, 1838-1839, p. 249. — 1842-1843,
p. 310-341. — 1844, p. 101. — 1845-1849, p. 133.
40 i l'HKMlKlU: l'AHTIK.
LKS l'UKCnjSKlHS lue COI.OMII.
reste, [MMi nous iiiiportt' la (Icstinatioii du liàtiineiit, pourvu qui*
uous SDVDUs assuré (|u'il a vtc construit par des Nortlunaus.
Nous lie parlerons (|u'avec toute réserve d'un bloc de fçranll
couvert de caractères inconnus, trouvé à Scaticook sur It;
Housatonic (1), territoire de Kent dans le Connecticut; d'un roc
de quinze à vingt pieds de surface, cliarjïe de figtu'es d'animaux
},'rossièreinent {gravées, et qui avait été signalé en 1789 sur
l'Alleghany Hiver entre Venango, le fort Pitt et le lac Erié ;
d'une grande pierre couverte de caractères régulièrement placés
et remplis d'un mastic blanc aussi dur que la pierre, (ju'on avait
découverte à llutland, dans le comté d(; Worcester en Massa-
«•Imssets. Il est fAcheux qu'un liabile antiquaire n'ait pas visité
<!t décrit ces monuments, ou pris un(! copie fidèle des inscrip-
tions, car ils ont disparu sous l'indifférence des indigènes, et
peut-être a-t-on employé pour la pile d'un pont ou pour les fonda-
tions d'une maison telle pierre gravée dont l'inscription aurait
constitué le plus précieux des documents pour l'histoire de
l'Amérique.
Même réserve pour diverses découvertes, dont l'authenticité
nous parait insuffisante. Ainsi à Tiverton dans le Massa-
chussets (2), on aurait trouvé une pierre de forme oblongue avec
creux circulaire, une hache grande et lourde creusée de façon à
pouvoir être adaptée à un manche fourchu, trois coins polis
semblables à ceux du Nord, des rondelles et des fragments de
chaudière en pierre molle. Sur le Cumberland près de Rock
Gastle Greek et à S'.vanzy dans le comté de Bristol auraient été
signalés deux blocs de pierre posés verticalement et couverts
d'inscriptions. Dans l'île de Marthas Vineyard (3) ont été
déterrés et envoyés par M. Charles Hammond au Musée des
Antiquités du Nord. i\ Copenhague, en 1845, des fragments de
(i) Lettre de Thomas Webh à C. Raf'n [Antiquitates Americanse, p.
373-315).
(2) Société des Antiquaires du Nord, 1845-1849, p. 177.
(3) Société des Antiquaires du Nord, Id., p. 119.
inaiH.
granit
^ur If
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ents de
Iricarise, p-
CIIAI'. M. — THACKS UK LA l'HKSK.NCB IIKS KUHOI'KK.NS. iOîi
vuses d'argile avec des orncnients taillés ou imprimés dans l'ar-
gile trempée, ressemblant im\ vases tumulaires du Nord iiu
temps du paganisme, des houtons de pi<'rre de la l'orme d'un
(luif terminés à un Ixnit par une cannelure, des ancres et îles
p(»intes de flèches. Dés 18'r2, le docteur Suiitli di; Uoslon avait
annoncé la découverte d'iiu squelette encre pourvu d'une cein-
ture formée de tuhes ou de tuyaux en lironze, scudilables àccuv
qu'on a fréipu-mment trouvés, attachés par des cordons entre-
lacés, dans l'Islande et le Danemark. Les découvertes archéo-
logiques n'ont pas discontinué. Il serait fastidieux de toutes les
énumérer: mais, en général, ou bien elles sont insiguiiiantes,
ou bien, ce qui est plus grave, elles sont tro|> [)robantes Aussi
'•onq)rend-on (ju'un savant Américain, M. W'bitlesey, ait na-
guère composé un livre sur les fraudes archéologiques de ses
compatriotes.
Le roc de Dighton fait peut-être exception. Nous en avons
déjà parlé i\ propos des voyages réels et supposés des Phéni-
ciens en Amérique. Il a été présenté par (juelques savants connue
un monument d'origine scandina>"o (1). Lelewel y retrouvait la
ligure deThorfinn Karisefne et de son fUs Snorro, le nouveau-né,
désigné par le signe S. Le chiffre cxxxi s'appliquait au nombre
des hommes d'équipage, et le bouclier blanc était suspendu en
signe de paix. Un habile runologue, Finn Magnussen, sur la
demande expresse de Rafn, fit un examen approfoiuli de l'ins-
cription et affirma qu'elle était islandaise. 11 crut reconnaître
le navire de Thorfinn abrité contre le vent, (iudrida tenant en
main les clefs de la maison conjugale, leur fils Snorro, les 131
Northmans venus avec eux au Nouveau-Monde, et même Thor-
(I) Wauden, Recherches sur les antiquités de V Amérique septentrionale
(Société de géographie de Paris, 1821). — .Miciiaki, Lokt, Archxotugia, Or
miscellaneoui tracts relating to antiquity puhlished Inj the society of
Antiquitaries of London, vol. VIII, |). 294-295 (1787). — Lettre de John
Ilou'land et Thomas WcLô à Ha/'n [Antiquitates Americanœ, p. 361-371,
ligure IX de la planche XI I\ 183i.
t
40r» l'HKMIKHK l'ARTIK,
LKS l'UKClHSKiaS I* CULOMI».
(
liiiii ucc-ourunt pour n^Htiisscr um* invusiuii dos Skr()ellill^s.
Uafu voyait dans les personiiaffi's de droite des Skroellings et
(Uns les lignes qui s'eneli(îV(Hrent près d'eux des ar's, des
Hècii(!s et des projectiles, mais ni lui, ni Magiujssen n'iîssayèrent
«l'interpréter la partie cryptograplii(|ue de l'inscription. (1 ravier
«!li a traduit une partie : « 131 hommes ont occupé ce pays avec
Tlioriinn » ; il reconnaît dans le buste (ludrida, dans le petit
personnage Snorro, le premier Northman né en Améri(jue, et
dans les deux personnages de droite Tlioriinn et son ami Snorro
Thorbrandson. Certes ces interprétations sont ingénieuses,
mais elles ne prouvent que la grande imagination des interprètes,
et, décidément, jusqu'à plus ample informé, le roc de Digliton
restera une énigme indécliin'rable.
Aussi bien il n'y a de réellement authentiques que les ruines
et les inscriptions éparscs en (iroenland. Ces ruines forment
deux groupes sur la côte occidentale (1). Le premier entre le
60" et le 01° de lat. nord, non loin du cap Farcvvell : c'est
l'ancien Oesterbygd des Islandais. Le second est plus au nord
entre le 64° et le 65". Dans l'intervalle on ne trouve rien. Le
plus important est le premier de ces groupes : Les ruines sont
éparses dans le fiord d'Igalikko ou des maisons abandonnées,
à l'endroit où Eric Ilauda avait, aux approches de l'an mil, fondé
le premier établissement Scandinave au nouveau monde. Ce
liord, large de trois à huit kilomètres, ressemble moins à un
golfe qu'à un fleuve 11 se ramifie en deux branches au dessus
de JuUaneshaab, la branche méridionale conduisant à Brattahilda
et Gardar, la branche septentrionale à Krakortok. C'est à Kra-
kortok qu'on a signalé des ruines assez importantes, sur un
terrain en pente fort accidenté, mais dont les parties planes,
arrosées par de petits ruisseaux, produisent une végétation
vigoureuse, et spécialement de l'angélique, qui pousse jusqu'à
(1) Waldemak Schsudt, Traditions des Groenkindais (Congrès Améri-
l'anisle de Nancy, t. II, p. 181-191).
' «Jw'KaiBfcj^iruâ. .4i» ^fc(".-»i-'^i"*#rr^»:** •»
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au dessus
Irattahildu
est à Kra-
s, sur un
es planes,
végétation
se jusqu'il
ijîrôs Aniéri-
lui mètre de hauteur, et qui est la seul(! plant(! spontanée que
les Ks(|uiinaux utilisent pour leur alimentation. Jadis les céréales
étaient cultivées et de clia(pie maison dépendait un lot de terre
cultivée, comme le prouvent les traces de clAtures qui n'ont pas
encore disparu. I/église de Krakortok possède encore son
aiuîienne église, avec murs intacts jusqu'à une liautem- de
quinze ou dix-huit pieds. Cette église, dont l'orientation est
parfaite, a conservé sur toutes ses faces, à l'excefition de la face
nord, les haies de ses portes et de ses fenêtres. Une ouverture;
cintrée du côté ouest, au dessus de laquelle s'élevait le sanctuaire,
est à peu près intacte. Les murs sont construits en pierres plates,
de quatre pieds et demi d'épaisseur. Ces pierres ne sont reliées
entre elles que par de l'argile hieue. Tout près de; l'église étaient
le cimetière, où l'on a trouvé de nomhreuses tomhes, et plus
loin la maison du prêtre ou de l'évéïjue, dont les murs se
tiennent encore dehout jusqu'à la hauteur d'un premier étage.
On signale encore dans un angle du cimetière des décomhres
(jui furent jadis une aumônerie, une hàlisse circulaire dont les
murs de (juatre pieds d'épaisseur sur sept à huit de hauteur
sont renversés, mais dont on peut suivre le pourtour, et les
débris de cinq maisons. Les maisons étaient sans doute plus
nomhreuses, mais à l'exception des ruines décrites, les traces
en sont difficiles à trouver à cause des saules, des genévriers et
des houleaux nains qui les recouvrent.
Les ruines de Krakortok étaient connues depuis longtemps. Le
capitaine Graah les visita en 1878. Mathiesen, Gram, Motufeld
et Vahl les étudièrent de nouveau et prirent copie des inscriptions
qui ornaient le fronton de la porte de l'église à la façade ouest.
Le docteur Hayes, qui en fit une étude spéciale, les décrivit
avec soin dans son intéressant livre intitulé la Terre de Désola-
tion (1). On sait aujourd'hui, à ne plus en douter, que les
(1) Hayes, La Terre de Désolation (Tour du Monde, 1873).
I
:l
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\i{
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il
■408 l'REMIÈRK l'ARTlK. — LKS l'HKC.LHSKlRS DE COLOMB.
Nurtliinans élevèrent au XI" siècle tous ces édifices, témoins
irrécusables de leur établissement au Oroenland.
Tout autour de Krakortok, des fouilles, conduites avec intel-
ligence, ont amené la découverte dans le cimetière de Brattahilda
de fragments considérables d'une cloche en métal, d'une pierre
avec l'inscription suivante : Vigdis Mardottir hviliv lier : gledc
gup sol hennar, c'est-à-dire Ci-git Vigdis, fille de Mar, que
Dieu réjouisse son Ame ! et de plusieurs rangs de cercueils en
bois ou de tombeaux en pierre, qui contenaient encore des
squelettes, avec diverses pièces de vêtement, en général d'une
bure grossière, de couleur brun foncé, du môme tissu carré
que celui dont sont faites les pièces d'habillement trouvées dans
les tombeaux de Norvège.
Dans le ''imetiôre de Kaksiarsuk (1), sur le bras méridional
du fiord d Igalikko, on a encore trouvé des débris d'habits de
bure, des fragments de fer, des instruments divers en bronae,
un petit cheval en bronze, un peigne en os, une perle ou
mosaïque, et des fusaïoles en stéatite. Tous ces objets, soigneu-
sement étudiés et classés, enrichissent aujourd'hui les collec-
tions du Musée américain de Christiansbourg, formé par la
Société des antiquaires du Nord. Il serait trop long d'énumérer
tout ce que ce musée renferme d'intéressant pour notre sujet,
fragments de cloches d'églises, pièces de plomb représentant
Jésus sur la croix, assisté de Marie et de Jean, vases de métal,
pierres runiques en grand nombre, armes, etc. Nous ne pouvons
que renvoyer aux bulletins de la Société des antiquaires du
Nord, et surtout aux diverses éditions du catalogue du Musée,
rédigées avec un soin infini par l'éminent professeur Worsaa;.
Dans le groupe septentrional des ruines c^roeulandaises figu-
rent également de nombreux objets attestant la présence d(î
colons Scandinaves dans ces lointaines régions ; ce sont des
(1) Voir Steenstkup, The old Scandinavian Ruins in the District of
Jidianeshaaby South Greenland (Congrès des Ainéricanistes de Copenhague,
p. 108) avec figure des ruines signalées à Uniiansat, Kingua, Kaksiarsuk^ etc.
f.llAP. XI
TRACES HE LA PRÉSENCE DES ElROl'ÉENS. 'M)
fragments d'armes, de cloches, de vêlements, et iiuhne des
pierres avec inscriptions runiques. Nous avons signalé la plus
intéressante de ces pierres, celle qui a été trouvée en lS:2i sur
la partie la plus élevée de l'île Kingiktorsoak, au nord d'Uper-
nawick, et que Uafii interprétait ainsi (|u'il suit : " Kriings
Sighvarti lilius, et Hiarn Tliordi lilius, et Kindriddi ( )ddi lilius
feria septima unte diem victorialem exstruxerunt metas liasce et
purgaverunt locum. MGXXW ».
Des monuments nombreux, et dont rauthenticité parait indis-
custable, attestent donc la présence sur le sol américain de
colons Scandinaves, plusieurs siècles avant l'arrivée deColond).
Nous serons beaucoup moins at'linnatif pour les preuves de
leur séjour tirées des langues américaines, car ici nous nous
aventurons sur un terrain si peu solide, qu'd faut redouter de
nous heurter à chaque pas contre l'inconnu, ou bien alléguer
c(»mme raisons suffisantes des hypothèses, (jui ne sont et ne
peuvent être longtemps encore que des hypothèses.
11.
Lies L\.N(UES
La philologie américaine est, en effet, une science tnute mo-
derne. Depuis le mémoire de Duponceau (1) en ISIW sur le
système grammatical des langues de (piel(|ues nations de
l'Amérique du Xord, d'importants travaux ont été entrepris (2).
On a composé des vocabulaires et des granunaires non seu-
lu-
les
0/'
Uc.
(Il Ul'HONcK.vc, Mihnoire sur lu .lystcine f/rnmmniirat des la»;/ues tie
quelques Hdtiom hidieiuiea de l'Amérique du Nnrd (18381.
(2| CiiARi.Ks Lkci.khc, dans sa liiftliotheca Americana /'dilioa 1878) a
composé lo catiilogiii! lios ouvrages aiiciLMis et modernes sur la liiijçuisliiiue
américaine. Il a retrouvé itS ouvrages, dont (|uel(iues-uns fort im|iorlants,
répartis en 88 dialectes (p. 537-043). Voir dans les Mémoires du Coui/rès
Amériamisfe de Herlin de 1888 (p. H)8 r)20) la liste des ouvrages publiés sur
les langues de l'Ainérique du midi depuis 187r) ; cette savante nomenclature
est l'œuvre de M. Adam.
,1 i
tlO i':u:Mii;HK i'artik. — lks i'hkcirsecrs de colomu.
lenient des langues indigènes qui se sont maintenues jusqu'à
n.J jours, mais même des langues mortes qui n'existent plus
qu'à l'état d'exception. La plupart de ces travaux ont été en-
trepris par des spécialistes, qui n'ont rien négligé pour dofiner
à leurs études, parfois un peu arides, l'intérêt de la nouveauté
et la garantie de la science. Nous avouerons pourtant que
(juelques-uns de leurs systèmes nous ont inquiété par l'étran-
geté des aperçus et la hardiesse des hypothèses. A notre avis,
le temps n'est pas encore venu de bâtir le futur édifice de la
philologie comparée américaine ; on ne peut encore qu'en
assurer les fondements par d'utiles et modestes publications ;
comme du reste ont eu le bon goût de les entreprendre la plupart
des savants qui se sont adonnés à ces études intéressantes mais
difficiles. Aussi nous défierons-nous des conclusions ou pré-
maturées ou tranchantes. D'ailleurs, nous l'avouerons en toute
humilité, la compétence nous manque, et nous ne pouvons
qu'enregistrer, mais sous toutes réserves, certaines opinions.
L'abbé Brasseur de Bourbourg (1) qui, sur bien des points,
fut un devancier et un initiateur, écrivait que « ce qui lui avait
semblé le plus étran^, , c'est que dans ces langues Katchikele,
Quichée et Zutigile, les mots qui n'appartiennent point au
Maya m'ont tout l'air d'être d'origine germanique, saxons,
danois, flamands, anglais môme ». En effet, la liste dressée par
lui des mots Quiches, que l'on peut comparer aux racines ger-
maniques, est très considérable : Elle comprend quatre-vingt
pages format in-octavo (2). Assurément ces analogies sont
étranges. (J rotins écrivait il y a deux siècles (3) que tous les
peuples Américains en deçà de l'isthme de Panama avaient une
origine Scandinave ; certes, s'il avait seulement soupçonné que
la comparaison des dialectes américains et des langues de
(1) Brasseur de Bourbouro, Noten ffun votjagn dans VAmérique cen-
trale, p. 29.
(2) iD., Grammaire de la langue Quichée, p. 167-246.
(3) Grotius cité par Horn, De Originibus Americanis, p. 162-165.
I<i
CHAI'. \I.
TKACES J)l': LA rHKSENCE DES EL'ROI'EE.NS.
Ul
l'Europe septentrionale confirmerait sa thèse, il n'aurait pas
manqué de citer de nombreux exemples à l'appui de son dire.
Nous pensons toutefois que les affirmations de G rotins sont
aussi hasardées que les hypothèses de l'ahbé Brasseur do
Bourbourg nous semblent aventureuses. Sans doute quelques
mots Quiches ou Danois se ressemblent (1), Il se peut môme qu'il
existe une similitude absolue entre ces deux langues pour la
formation du passif dans les verbes, mais a-t-on le droit de
conclure (2) « que les langues du Mexique et de l'Amérique
centrale ont puisé les éléments dont elles se composent aux
mêmes sources que celles dites indo-européennes » ? Nous ne
le pensons pas ; nous croyons seulement que des Européens, et
surtout des hommes du Nord, s'établirent en Amérique, et que
la langue des nouveaux venus, ainsi qu'il arrive d'ordinaire, se
combina, dans une proportion plus ou moins considérable,
avec celle qu'on parlait déjà.
On a récemment prétendu (3) que la langue des Cheyonnes
était étroitement apparentée avec la langue Suédoise, et on expli-
(juait cette conformité par une communauté d'origine : « Un
Suédois vint, il y a quelque temps d(\j;i, de son pays natal, h
Leavenworth ; mais, comme il ne savait pas un mot d'anglais,
et qu'il lui était impossible de se faire entendre, il ne réussit
pas à se procurer du travail. En désespoir de cause, il finit par
se rendre au fort Leavenworth, où il s'enrôla dans l'armée régu-
lière. Un jour que des Indiens avaient été amenés prisonniers,
notre homme, en se promenant autour de la prison, entendit
ces gens converser entre eux, et constata avec surprise que leur
langue était semblable à la sienne. Il entra aussitôt dans la
prison, causa avec plusieurs d'entre eux en se servant de sa
langue maternelle, et parvint à se faire entendre ». Certes le
(r Bhasselu de BoL'itiioriiii, (irammaire de la langue Quicluie, p. 12.
(2) le, p. 11.
(3 Arlicle de M. Lf.vkm.v^, (iommuiiiquc par M. Adam au Congrès Aiué-
ricaniste de Nancy, t. 1, p. 8.
412 l'HKMlÈKt: l'AHTIK. — LKS l'HKCl'RSiaKS 1)K COLOMIi.
renseignement est curieux, mais il mérite confirmation, Aussi
l)ien n'est-il pas étrange qu'aucun des savants qui s'occupent
de philologie Américaine n'ait encore constaté cette ressem-
blance entre le Gheyenne et le Suédois, et connnent na-t-on
pas encore {)rofité de l'indication pour étayer un système, à tout
le moins plausible, de parenté entre ces deux races? Ne serait-
ce point que l'anecdote a été inventée de toutes pièces ?
C'est avec la même réserve que nous parlerons des nom-
breuses affinités constatées par un spécialiste, José Pérès, entre
les dialectes américains et le sanscrit (1). Pour ne citer que
quelques noms propres et seulement dans l'Amérique du Nord,
Canada, en sanscrit Kanada, signifierait qui mange peu ;
Arkansas, en sanscrit Arkança, rayon de soleil; Missouri, en
sanscrit Sourya, rayon de soleil ; Niagara, en sanscrit Ni agaro,
sans demeure ; Alabama, en sanscrit Alambania, support ;
Mohicans, en sanscrit Mokaka, qui trouble ; Chactas, en sans-
crit Schatika, effrayé; Pawni, en sanscrit Pouna, perdu, etc.
Comment expliquer ces analogies ? Seraient-elles fortuites? Ne
faudrait-il pas plutôt les attribuer à un peuple u origine indo-
européenne, aux Northmans par exemple ? A vrai dire, nous
avons grand peine à nous prononcer. Nous ne pouvons que
constater ces singularités, mais nous ne nous croyons pas
autorisé à les expliquer.
Pour être franc, dans l'état actuel de la philologie américaine,
si on n'avait d'autres preuves des colonies précolombiennes que
des preuves tirées des dialectes locaux, mieux vaudrait renoncer
à notre thèse. Nous ne trouvons pas en effet que ces analogies
constatées suffisent à démontrer que des Européens ont séjourné
en Amérique avant Colomb. Le seul et unique indice, à peu
près authentique, de leurs émigrations en Amérique, a été
tout récemment signalé par notre érudit compatriote, M. E.
Beauvois (2) : 11 s'agit d'une chanson que les Souriquois, ou
(1) José Pérès, Revue Américaine (nouvelle série, n'- T», p. 307).
(2) BEAtvois, La Novamùègue (Gong. American, de Bruxelles, 1880), p. 20.
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irtafihM*»**»**' ■ '
^AV-
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— THACKS 1)K LA l'HKSrvNCI': DES EUROI'KENS.
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indigènes de la nduvelle Ecosse, chantaient à la louange de
Poutrincourt, lorsqu'il les avait régalés. Lescarbot (1) qui nous
a conservé cette chanson, ou pi ifôt ce refrain, rpir/ico ïadm
t'dico, rapporte que les Sduriquois avaient perdu le sens de ces
mots. Ils se rappelaient seulement qu'ils appartenaient à un
vieux langag(! tombé en désuétude. Voici du reste le passage
de Lescarbot : « Quand le sieur de Poutrincourt leur donnait à
<liner, ils lui (.-hantaient des chansons de louanges, disant que
c'estoit un brave Sagamos qui les avoit bien traités, et qu'il
estoi leur bon ami ; ce qu'ils comprenoieut fort mystiquement
souz ces trois mots*: epigico iaion edico; \v. dis mystiquement,
car je n'ay jamais pu scavoir la propre signification de chacun
d'eux. Je croy que c'est du vieil langage de leurs pères, lequel
n'est plus en usage » . Ces trois mots mystérieux sont en effet
de l'ancien norrain, plus ou moins défiguré, soit par Lescarbot
qui le transcrivait, soit par les Souriquois qui le prononçaient
mal. Il faut lire œfligii gàiinn ciingu, ce qui signifie : nous
avons fait un copieux festin.
Lescarbot, auquel nous devons ce précieux renseignement
ajoute, en parlant des Souriquois (2) : « Or, pour revenir à nos
sauvages j'açoit que par le commerce plusieurs de nos François
les entendent, néantmoins ils ont une langue particulière qui
est seulement à eux connue » . Plusieurs mots de cette langue
ont été conservés par le naïf historien de la Nouvelle-France,
et la plupart d'entre eux trouvent leur explication dans l'ancien
Norrain : ainsi le nom même du pays (3) Norombcga ou Nor'ini-
bcga peut se traduire par Nordhan Vika golfe des Norrains,
ou Nordhan bega anse des Norrains, ou Nordhan bijgdh contrée
habitée par les Norrains. Le mot Souriké{^) ou Souriquois cor-
(t) Lescahbot, Hiitolre de la Nouvelle France, liv. vi, § 7, p 730
(édition Tross).
(2) Lescarbot, ouv. cité, p. 699.
(3) Beaiivois, ouv. cité, p. 31 .
(i) lu., p. 32.
ili l'HKMIÈRK PARTIR.
LKS l'RKCLRSEl'HS ni: COLOM»
respondrait ù Sudh, qui s'écrit su et se prononce sou, et /{i/,'r,
territoire ou province. Marchhn vu Souriquois ressemble au
Norvégien Varjen, et à l'Islandais Vargrinn, et signifie dans
les trois dialecte le loup. Tabo, deux, peut se ramener à l'Islan-
dais foau et au Norvégien 7'«o. Le père Biard, dans sa liehi-
iion de la Aouvellf Frnncu (1), a également conservé quelques
mots indigènes, qui ne s'expliquent que par les langues du
nord de l'Europe. « Lors messagers volent de toutes parts,
écrit-il, pour faire la plus générale assemblée qu'ils peuvent de
tous les confédérés (ju'ils appellent ricmanen ». Or, en vieux
Norrain, le mot rickmenni signifie les grands, les chefs. « Ils
sont de leur naturel peureux et couards, ajoute le père Biard (2),
quoy que ils ne cessent de se vanter et fassent leur possible
d'ôtre censez et d'avoir le nom de grand cœur, meskai canic-
ramon ». Or, en Islandais mest7- liamm rammadhr ou chammram-
madhr sigiiilie doué d'un cœur de héros. Maredo sang, et par
extension meurtre, se ramènerait h l'Islandais mordh meurtre,
ou à l'irlandai?^ vmrhliadk, tuerie, massacre (3).
Ces étymologies nous paraissent sérieuses : comme les mots
indigènes que nous avons expliqués par la vieille langue des
Northmans se sont justement retrouvés dans le pays où, d'après
la tradition, se seraient établis les Northmans, c'est-à-dire dans
l'ancienne Norambega, n'avons-nous pas le droit de conclure
que ce sont les débris de la langue parlée jadis par les colons
Européens, et que, sans en avoir seulement conscience, les
indigènes ont conservée et répétée ? N'avons nous pas également
le droit d'espérer qu'on pourra grossir quelque jour ce vocabu-
laire Souriquois-Northman, et par conséquent augmenter, pour
ceux qui douteraient encore, les preuves du si\jour des Euro-
péens en Amérique avant Christophe Colomb ?
,l| PÈRE BiAiU), Relation de la Nouvelle France (Relation des Jésuites
publiées sous les auspices du gouvernement Canadien, Québec, 1858), t. I,
p. il, 12.
(2, iD , p. 12.
[\ij Id., p. 34.
••■»JrTsii-T!-/,^^l(Hr
CHAI'. XI.
TIIACKS l»K LA l'UKSKXOK 1>KS KL'HlH'KKNS.
tl5
III.
Lies TRAUniONS.
Nous aborderons avor la plus grande réserve tout ce qui a
trait aux traditions communes aux peuples Américains et Kuro
péens. On sait en effet avec quelle facilité procèdent les fabrlca-
teurs de traditions, et nous avons tous présents à la mémoire de
retentissants débats sur Tautlienticité de prétendus chants
nationaux, inventés de toute [tièce. Nous n'ignorons pas, d'un
autre côté, que certaines traditions font poar ainsi dire partie
de l'héritage intellectuel d'une nation, et que, transmises à travers
les siècles, elle rappellent jusqu'à un certain point les événements
passés : le départ est donc malaisé à établir entre un fait réel
et les ornements dont il a été surchargé. Les traditions Améri-
caines ont été, plus (ju'en n'importe quel autre pays, ou bien
oubliées, ou bien re|)roduiles fort inexactement. Lors(|u'on les
étudiera avec plus de soin, lorsqu'on cherchera à les recueillir
d'après une méthode et des procédés vraiment scientifiques, il
se pourrait ([ue d'autres traditions ((mlii-masscnt la réalité de
ces relations anti-colombiennes ; mais le champ c- 1 iuunensc ;
non seulement il n'a |)as été défriché, mais encoiv a été à peine
entamé (l). Ce travail ne peut être entrepris (jue par des
Américanistes d'origine Américaine. A eux seuls iiicond)e cette
tâche difficile, mais intéressante et probablement féconde en
résultats inattendus.
Ainsi s'expliquent les erreurs étranges dans lesquelles sont
tombés certains érudits, (|ui, mal conseillés par l'amour propre
(Il II est pourtant de notre devoir de sijçiiiilcr ici les louables efforts tentés
par \e Journal of American Folk-horc, jiublié à Hostou et à New- York par
la Société Américaine du Kolk-I orc. Mentionnons éjçalcnient le curieux
mémoire de H. Hkckeh, Die Wiilsiini/en und Zirilliii</s sni/e in America
(Leipzig, I8sy) et le très intéressant opuscule de Sch.nfxi.k.miacii, Sur les
immi(jratio)is rfiin ancien culte a'>ia>ii/ue m Amérique (Llcrlin, 1889i.
jvt.-j,..y=-n7f..-Tï»a
'(Il»
l'HKMIKHI'; l'AHTIK. — Li;> , .(ICIIISKIHS l»K CMl.OMI»,
iiiitioiial, ont cIkîitIk' ;i tlt-iiioritrcr, <'ii s'a|i|)ij%aiit sur dt; pn'lcii-
fliics traditions, (|ii(' l'A rn(''ri(|U(' fut décou verte et iiu'Iik' colonisée,
l)i<>ti avant la fin du xV siècle», par divers |(eu[tlesSe|ttentrionaux ;
mais, (diiiiiM! I(!S dfjciitiietits sur lesquels ils s'a|i|iuient ne
présentent pas les earactères dc' l'autlienticité, nous n<' pouvons
(pTeiireiristrer ici leurs opinions. Ainsi llorn ^1. prétendait <|ue
les Scythes, poussés parles hasards de leur vie errante, étaient
arrivés sur l(!S hords de rAtlantitpK; et Tavaifitit franchi sur
d'énormes glaçons pour dél>ar(|uer au nouveau continent. Il
croyait retrouver entre l<^s Fenni décrits par Tacite rians sa
(lermanie et l(!s Huns dillormes dont.Annnien Marcellin nous a
transmis le Mdeux portrait uiu; grande ressemhlaiice avec les
HrésilicMii- (ùliichimétpies et autres peuplades Américaines.
Vie noma !(!, amour (ht la chass(!, p(!aux de hétes pour vétcanents,
prati(pie du tatouage, culture du maïs, mille usag('S analogu<-s
se retrouveraient chez les deux peuphis : la langue ménu! ne
varierait pas (i2). N'hésitons pas à reconnaîtr»' que ces hy[(othès<'s
sont hien hasardées, que ces rap[»roc,iiements sont p(!U convain-
cants, ((t, jusqu'à nouvel ordre, laissons les Scythes d'autrefois
dans leurs solitudes glacées.
Les prétenti<ms des (iertnains à la découverte de l'Aniéi-ique
nous send)l(;nt égal(;ment iuadmissihies. Poussé par un esprit
de patriotisuK! exclusif, (irotius ['.i) s'évertuait à |)enser qu'il
existe entre ses coni[)atriotss et les Américains des ress(;mhlances
telles que, forcément, l'uru' et l'autre race devaient avoir la môrne
origine. Il est vrai que certains usages se; retrouvaient chez les
p(;uplades (îermaiiH!S et Américain(!s : ainsi elles comptaient le
.em[)s non par jours mais par nuits ; ell(!S ph^ngeaient dans les
ilj lIoHN, I)/; Orit/iîii/jus Amnriranis, p. t."i3.
(2) Id., p. 160. « Lin^uu Itrasiliniia ciiiii F<!iiiiic.a rnaKnam omniiio corive.
nicntium prœ .se l'crt. Narii, ut niliil rlu co dicim (|iio(l iilraquc iin(;iia caret F,
il) est, iiiiitaiii cuiii lii{iiid() pcr|)etuo fii(;it, illiiil oiiinino rnemoral)ilu est ((iiod
<;t Urasiliaiii et Fenni pnnpositiorics »uas scmpcr noininibus postponunt ,
idqiic a|iud ipsos ac prmterea Fcnnos tantuni receptum est ».
C-i) GnoTius, De onyinc ijentium Americanarurn (1642).
CHAI'. M.
THACKS l»K LA l'HKSE.NCK DKS KUHOI'KK.NS.
417
(jU(!
|)rit
lii'il
les
les
lonve-
(|uod
<';m\ foiinintcH les ('iil";iiil.s iioiiveaiiv-nés ; elles aiiniiietit le jeu
avec passion, an point de perdre la lilterfé ; elles prati(|iiaient la
runnojrarnie ; rllrs eroyaient à l'existence de l'ànie ; niais (-es
Hsaffes sont ccnx de la pinparl des peuples sanva^'es, et ces
croyances sont partaf.'ées par heaiiconp de penpies. Or. si l'on
|ii)He en princifie altsolii ipu! les nations, dont les niuMirs présentent
(piel(|ne analo^'ie, sont d(! la iiiéine race, [(onr(|iioi ne pas étaitlir
par exemple <pn' les Australiens et les nègres de l'Afrifpie cen-
trale sont frères, parce (pi'ils marchent é^'alement nus? On no
poin-rait s'arnHer dans ces assimilations forcées. Aussi hieii la
plupart de ces continues sont fort naturelles ; si, par hasard,
ipiehpies particularités curieuses se r<Mic<)ntrent, ce n'est pas
iHK! raison pour en conchn-e lidentité d<; ra(;(!S uhsolumiîiit dis-
semlilahles siu' l<iiis les antres ra|(|)orls.
Lai'l, (pii relate cett<; sillfriilière hy[»otlièse de (îrolins (I), la
réfute d'autant |>lns aisément (pie les arfruinents du savant
Hollandais sont [larfois hien puérils. .Virisi une trihu Klori-
dieniie se nomme les Alavardi : aussitôt (Irotius, (pii se sou-
vient des lian^'ohardi, avance, comme une preuve trioin|diant(;
de sa thèse, (pie Lan;.'ohar(li et .Mavai'di sont identi(pi(;s. Sans
insister sur ce ra[)prochernent à tout l<; moins hasardé, (irotius
avait donc ouhlié ([iw les Lan}.^diar(li se faisaient remaivpier
(lar leur petit nomhn;, /jUiif/n/nirdox pancitas tio/jiUhil (12), et,
par (;(tnsé(pient, (pi'ils ne furent jamais ass(îz nomhreiix pour
envoyer des c(»lonies jiis(pren .\tnéri(pi(\ Donc, n'hésitctiis pas
à conclure (pie ces jiypotlièses ru; sont rien moins (pie coii-
vaincaiitits.
Nous rangerons laicore au nomhn^ d(!S singularités etlinof.'ra-
|)lii(pies la prétendue ori},'in(! Krisonru! (I(!s .\méricains. Ilorn
en parhî en termes étraiifres (3) : « On a prétendu, dit-il, (ju(!
(\) Lakt, Sot.n ad. dmin-tnlionnit fliti/onis (irotii i/e nviijhn' r/cntinrn
Amevicfmariwi, \>. 2".>.
(2) Tacite, Ccymanie, §11.
:{) IloHN, p. 1i. l''ii<;mnt <|iii hiniaiios et Cliiletiscs a l'Visiis deducerent,
T. I. 27
lU
il8 i'hi:mii";iik l'Airrii:. — lks i'HKcihskiirs hk «'.olomh.
I<>8 IV'rii vieil- et les (lliiliens «'taiciit issus des Frisons ; rar mi
trouvi' parfois dans le (]\\\\'\ «les aij^lcs à deux ftHcs cf des croix
miriiculciiscs. |)(> plus, (lliili vent dire froid en Indien. Enfin,
Alon/o d<> iM'cilla rapport** (pie (îlauca, lille d'un caciqui^
tliiilien, prise par les Espa^Miols, coinplait des Krisoiis parmi
ses aiiriMres ». Nous avouerons (pie ces aiiiilofries ne nous
paraissent reposer sur aucun foiideiuent solide, et tpie ces j^(''-
ii('alo;;ies fantasli(pies rappellent les prétentions suranné'es de
tel ou tel parvenu, (pii pr(''teii(lrait ^:relVersoii nom nouveau sur
le tronc d'une l'ace anti(pie. Il s'est pourtant trouve'' d'autres
('•crivains p(jur s(jutenii', avec llorii, cette |)r(''teiulue (»ri};in(! (hîs
AnK'ricains. Vax KUC», Pierre Sull'ridiis avait coinpos*'! un ou-
vra^re sur les c(»lonies des l'irisons eu dehors de ladermanie (1),
et il insistait siu- leurs voyages en Ami''ri(pie. Kn I7il, un
Brèmois, .1. JMiilippi; Cassel, écrivait un traité (:J) sur ce même
sujet, et fixait au xi" siècle la date de lu venue des Krisons en
Améri(|ue. Nous n'avons pu nous procurer ces ouvra^jes, mais
nous pensons (pie ces auteurs aui'oiit trop écoule leur imagi-
nation ou leur amour propri!, et (pie c'est à d'autres (pi'auv
Frisons (pi'il faut attriluier l'InMineur de la découverte du
U(»uveaii monde.
Une curieuse tradition rapportée par Pro(;ope seiiiltlerail
ittrilnier cet liouiieiir aux Hériiles. Les llériiles, battus par les
Lombards, au (piatrième siècle de l'ère clirétienne, se seraient
dispersés. Les uns s'élai)lireiit en lllyri(; et se joif^Miirent aux
envahisseurs di' l'empire romain. Les autres franchirent le
iiuod iu Chili' passiin ai|iiila! bicipilcs, et cnix iiiiraciilis rii!^;'i;iis, i|iii)(l Cliilc
Irions iiidis si;;uiliciit ; Cilaucuin (|iiui|ii(;, iiridcipis Cliiliuii.sis liliaiii, ait llis-
paiiis caiitain, SI! ex aiitii|iio l""risoiiis saii;j;iiiiie oriumlam ilixisse AU'otiso île
Ercialla rel'erl. »
(l)S('iritii>i s l»Krni cité |)ar Uiiiii) Ivmmics (De oriijinr iif.t/uu (intiquildtihus
Frisorum contra Suffreili Pétri et Hurnardi Furmerii /(il)ulas rt cruniiiii-
tioncs, ]). 117, à la suite île sa llnruia Frisiac tricin hintoriu, Leyile, li)l(i.
(2) J.-P. Casski,, De Frisonitni nm ii/atiou" furtuila in Aiu'.riatin s.vcuti)
XI /ïicta, Magdebourjj, 17*il.
i|Bi»"««WP
CHAI'. Xi.
ÏUACKS UK I.A l'IlKSK.NCI-; KKS Kl HOI'KK.NS.
ilO
ici'iiil
•aient
aux
ut
Il Cliilf
lit llis-
■iiisii lie
pt
tilill:<
[inillKi-
■,lt).
Isiccui"
Daiuilu' SDiis la ((iiKliiilc de pliisiciirs clicrs issus du saufr royal,
travcrsèn-iil le |»iiys des Slaves l), puis de vastes sujifudes, |»ai-
viiireiit jiis(|u'au Danemark, ef, couniie ils étaient résidus à ne
s'arrêter (|u'au\ extrémités de la terie, ils s'eud»ar(|uèrent siu'
l'Océan. ■' Arrivés à Thnlé, ils s'y lixèrent. Thulé est une ile
considérahle. On ernit (lu'eMe est dix fois plus ;;rande (pie la
Urelaiiiie. l'illeest située liés luiu au ikunI de (■clic dernière ile.
Tliulé est pres(pie tout entière inlialiitée. iJans la partie lialiiléc
on eiimpte trr'iite ti'ihus très iinmhreuses, ^duveniées chacune
|»ar cent chefs ". Dans cette ile, le soleil reste à Ihorizoïi ipia-
rante jours, au solstice d'été, puis, au snlstic(î d'hiver, il dis-
parait |iendant (piarante autres jours, l'mcdpe ref^rettait de ne
pas s'être rendu conipt(! |iar lui-même de ce phénomène, mais
il eu avait demandé la cause. Parmi l(<s nations ipii liahitont
Thulé, les Saithillniens ont conservé des uklmu's harliares. Ils
lU" portent ni vêtements lilés, ni chaussures, mais des [(eauxde
bêtes tuées à la chasse. F^es mères lu' nourrissent pas lems
enfants avec du lait, mais avec, la moelle des animaux féroces.
Ils ne c(»nnaissent ni le vin, ni les céréales. Ouant aux autn's
hahitants de Thulé, ils ress(Muhlenl aux Kuropéens, mais ils
sont restés païens et iimnoleut des victimes humaines. Ils ont
d'ailleurs conservé des relations avec les llérules restés sm- le
continent.
Malfiré le |)eu de précision de cette dciscription, il nous
semhie à première vue ({ue la Thulé (h; Procope ressemhie à
l'Islande ou au (îroenlaïul. Sa position au nord de la |{retaj;n(.',
la permanenco et la disjiarition du soleil aux deux s<dstices, la
i|) Procopk, De Bdlo Got/iico, II, 15 (Uyziinliiio, p. !20.')|. « 'IvyOs'voi i;
Ëjjis'.vav. "l'i'JT'. ô: f| HouAr, |j.£y;'îT7j i; ayav. lifcTTavia; yàp «JTr.v -A;ov j;
fk/a-Xai'^av Çu|xf!a;v:'. aivat, xîÎTat o: ajTfj; zoÀÀo) ànoOsv -po; noff,àv
ojaa, Èv /';>p* ^r, Tfj ot/.0'j[jic'vrj Tf'!a x.al or/.a ëOvr, zoX'javOr w;:c!TaTa topyTat.
Ha'j'.Àîî; ti lia'. /.xTa k'Ovo; éV.aaTov ».
ï'ii) l'UKMlKHK l'AIITIi:. — I.KS l'UKCrilSKIIIS llK COl-OMII.
riKicssc (lu cliiicit et l;i Itarliarif (rime parlii' des insulaires,
Idiis CCS détails se ra|i|»ni'teiil assez evacleiiieiit à l'Islande et an
(ii'uenland. (Jnant à rénii^M'atiMii des lléi-nles, elle ne nons est,
il est vrai, attcsti'c (|n(^ par le tenioijinajre de Prucope, mais (>lle
ii'ust pas iiivraisenildal)l(!. Il se pourrait dune (pi'une peuplade
(lerniaine ait éinijrré Jus(pie ilans ces réfîiuns septentrionales,
et, de là, se soit répaiidiu^ sur le eontinent américain, (le n'est
«pinne tradition, mais elle est en partie coidirmée pai- les tra-
ditions americaiiH's, et sm'toiit par un curi(Mi\ document iiidi-
f-ène, le Po|»ol Viili, ou livre sacré des (Jnicliés, traduit par le
savant et ref,M'etté Mrasseur de Hourhourj: (1),
Il paraîtrait cpi'à une époque (pi'il est diflicile de déterminer,
mais (pii flotte entre le i\"' et le V siècle, im peuple envahis-
seur, les Tolté(pies ou Tliuléfé([ues, sorti d'un pays septen-
trional nonmié Tnlan . refoula devant lui toutes les tribus
indifiènes , détruisit le ^'rand empire des (!lliicliiiuè(pics , et
fonda une domination (pii devait durer juscpi'à la création de
rem|)ire a/,té(pie au Mexiciue. Le Popol Vuli est le livre sacré
do ces Tolté(|ues. Il raconte tout au lonfï leurs diverses stations,
leurs soufFrancos et leur victoire finale. TjCs trihus (pii donne-
ront plus tard naissance au peuple Toltéque viennent toutes du
Nord-Ouest. Elles ont entraîné dos peuples sur leur passape,
ot arrivent enfin au bord de rOcéaii, après plusieurs stations
((ui gardèrent toutes le nom d<î la patrie {>riniitive, Tulan. Ces
tribus étaient misérables ([uand elles se décidèrent à s'aventurer
sur mer. << C'est avec une profonde angoisse et un travail
(1) Uhasselb de BouKBoi.iKi, Le Lirrc sacn; et 1rs tni/t/ien de tmitù/iiitr
Mcxkdine (1861). Ce inanusci'it .Vinériaiiii fut dùcouverl, dans les deriiiènïs
ai "ées du xYll" siècle, par le dominicain Francisco Ximenez, an bourj? de
Santo Tomas Cliicliicastenango, à vingt-deux lieues au nord-ouest de Guate-
mala. Il fut traduit par lui eu Es|)agnol. Le docteur Sclierzer pultlia cette
traduction, ijui était restée inédite, à Vienne, en 1856. Brasseur de Bourl)ourg
a donné, en 1861, une traduction française avec un commentaire étendu.
C'était, vtans sa pensée, le premier de ces ouvrages originaux qui devaient
renouveler i'iiistoire de l'Amérique. I^a mort a Itrisé ses espérances.
CHAI'. M.
THACKS ItK I.A l'HKSICNCK llKS KI'HiH'KKNS.
1-21
lolis
<('S
[ircr
(Vil il
Uliiitfi
i-<; (le
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|liour{;
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|M'>iiili|(< qu'ils piissri'ciit, l'.'ir ils n'.ixaic.it ni |iaiii. ni aliinciils.
Ils se f(inf«'Mtai('iif de siiccr r<'\(ri'iiiitt' de ccrfaiiics rat'iiics dr
lM)isil)iu\,(>tuiiisi ils s'inia^Miiaiciit iiiaiig('i'^l).()ii ne ('<)iii|)n>ti(l
|»as leur (ravrisôc sur la nier, car ils arri\»"'ri'nt par ici, CMUtiuc si
ce n'eût pas clé siu" la mer, par dessus des ruchers aniHiicelés,
couime riiules
ca et
A siu' le saule
N'nilà donc un irraiid
peuple (pii, sorti de l'Orient, et arrivé sin- les Imnls de l'Océan,
mais dépourvu de toute ressoiu'ce et Inné de coiitiiuier sa
ituu'clie, s'eiuhanpie siu' des radeaux ^:n»ssièreuieiit construits,
peut-être luénie stu" d'énormes jilaeons et se lie an iiasard de la
mer. Diuis un autre passage, plus signili<atif encore, nous
voyons les Toltécpies l'rancliir l'tdistacle ipii se présentait à eux.
« Alors nous arrivâmes sur le liord de la mer. Là étaient ras-
semitlés tous les "luerriers de
il vill
es : nous en vîmes
)érir un irraud iiomhri
dévor
es |»ar I angoisse
II
n y a piis de
(|Uoi passer, disaient les guerriers, et l'on n'a jamais oui dire
qu'on ait |)assé par-dessus la mer... Or, il y avait une l'orét
d'arhres rouges, de ceux dont nous avions pris des hâtons en
passant devant les arhres de Tulan. .Avec les pointes de ces
hois, on se poussa loin du sahie, au-dedans de la mer... alors
se; manifesta l'immensité au-dessus et au-dessous. Lors(pie
après cela ils rcivirent le suhie au-dedans de la nu'r, tous lurent
remplis d'allégresse! » Il est dillicile de mieux raconter cette
émigration de, tout un peuple. On assiste à ses conseils. On
voit comment, dans son inexpérience, il se contente de hanpies
dirigées par des rames, (le hois rouge ne s(>rait-il pas le sapin
si abondant dans les forêts septentrionales. Le [)ays (jn'ils
ahandonnent ne répondrait-il pas au nord de l'Europe et l(> pays
où ils ahord<;nt aux terres arctiques d'Amérique?
En ell'et, la terre dont les Toltéques ont pris possession i^t
glacée, sans arhres, sans rayons solaires pour la réchaull'er.
Elle pénètre d'effroi les malheureux émigrants. Mientôt ils s'en
(1) Poi'oi. Vcii, p. 2.3:{ (,3m« pallie, S vni.
A±l l'UKr-'-HK l'AUTIK. — UCS l'HKOlIlSlUHS l)K C.OLOMIt.
liisscnt et se (IrMidciif ;"i coiitiiiucr loiir iiiiirclic, iiuii sans avnir
iihiUuloiiiK' leurs idoles et leurs cliet's enterrés sous des collines
artilicielles. Mais le soleil se eache toujours et sou absence les
attriste!, k Malheur à nous, disent-ils, c'est en vain (jue nous
sommes arrivés ici |)our voir le lever du soleil. Notre sort était
éfral dans la patrie d'où nous avons été exilés. Notre c(eur
|)ourru-t-il se consoler en voyant nos Dieux réduits à se cacher
dans les hois et dans les fondrières? Car ils sont jjrands, Tohil,
Awilix et (lafjaxvitz : leur puissance (!st au-dessus de la puis-
sance des Dieux de tous les peuples et leurs prodifïes se sont
hautement manifestés dans ce voyajre au milieu de la nuit, du
froid, et dans les terreurs qu'ils ont inspirées au cteur des
hommes ».
Les Tolté(pies coutitment leur marche à travers ces déserts
de glace. Lors(jue le soleil se montra de nouveau, il ne resta
(|ne (juehpies mimites au-dessus de l'iiorizon. Sa face était
ardente, ainsi (pie nous le voyons parfois à travers les nuages,
seud)lahle à un gigantesque houlet rouge, mais sa chaleur ne
réciiaufl'ait pas encore. <■ Alors se manifesta les(deil, semhlahle
à un guerrier (pii se lève c'est ainsi (ju'il sécha la terre,
car, jusepi'au moment de son apparition, tout était humide et
fangeux. Mais sa chaleur était faihie, (>t il ne fit (pie se montrer
(piand il parut. Il ne resta que comme une image; dans un
miroir, car, véritahlement. ce ne peut '^*'"e le même soleil (pu
luit aujourd'hui ". Nous n'avons pas , iious occuper ici du
mérite littéraire des passages (jue nous avi»ns cités; remarquons
pourtant que ce peuple ([ui, semhlahle aux Juifs dv Moïse,
suhit tant de soulfrances sans jamais perdre courage, et réussit
enfin à force d'énergie à s'arracher à ces efVroyahles contrées
et à fonder un florissant enq)ire, mériterait d'être un peu plus
connu. Aussi ne ménagerons-nout; pus l'expression de notre
reconnaisf-ance au traducteur du Popol Vuh, [tour nous avoir
conservé un ouvrage douhlement précieux, à titre de compo-
sition poétique et de docum» nt historiqi''*.
-r-,-:<r_:i* ■•"^.r». . •■,•*'
CllAT. XI. — TRACES IH: LA l'RKSKNCK liKS KrROPKKNS. i^lt
|j(;s T()lt(''(|U('s, sortis du Labrador ou des environs do la i)ait'
d'iludsoii, s'avancent peu à [k'u vers le Sud et, toujours, ils
traînent à leur suite leurs divinités eî les installent avec solen-
nité dans les nouvelles Tulan qu'ils hAtissent sur leur passage.
A force de marcher dans la direclinn du Sud, ils Unissent par
se heurter contre un grand l'uipire, celui des Cliichiniècpies,
et engagent tout aussitVtt une lutte terrihle, (pii ne se terminera
(jue par rassujettissement des anciens possesseurs du sol, vers
le neuvième siècle de l'ère chrétienne. Les Ciiichiniè(pies, de
même (pie les Uomains en Kuro|)e, avaient fonde un empire
tout éclatant de gloire et de civilisation; mais, avec le triomphe
des harhares Toltéques, cet éclat disparut. A j»eu près au
moment où la féodalité rem|/lacait en l']urope les anciennes
monarchies, les Toltéques s'enqiarèrent enlin de ces belles
régions du Sud, (jui ont toujours exercé sur les honmies du
Nord un irrésistible attrait (l). Par une singulière concordance,
ce qu'on est convenu d'appeler le moyen-Age s'établissait en
même ten.ps et par les mêmes causes dans l'ancien comme
dans le Nouveau-Monde.
Les Toltéques descendent-ils de ces Hernies dont Procope
nous a raconté l'émigration, et le Tulan du Popol Vuh corres-
pond-il à la Thulé de l'historien Ihzantin? Certes les analogies
sont grandes et la concordance du nom est étrange C^) : mais
une simple tradition et un poème n'ont pas l'autorité d'un fait
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(1) Les historiens du Mexiciue sont unanimes à reprûsenler le nord de
rAniérifiuc connue le pays ori^çinairc l'es envahisseurs Toltéques. C'est encore
du nord que sortent les diviuiti's .Mexicaines, et c'est dans le nord que les
héros nationaux accomplissent leurs exploits. Voir Ixtlii.xocuiïi., Histoire
tlcx Chir/iitnc(iiies (Collection T 'ruanx-donipans, 2« série, I. Il et lli). —
Sahaocn, Histoire générale des choses de la Nouvelle Espagne (Traduction
Jourdanell. — Ci.avic.f.ho, Slorin drl Messico, iv, 160. — Hiiasski:» de
BocKBouiui, Histoire des nations firilisées de l'Améririuc centrale, etc.
(2) Nous n'avons pu nous procurer une carte lslandai«c du xii" siècle, citée
par Ckahnat kt Violi.et dk Dec. {Cités et ruines Américaines), montrant
à l'est de l'Islande un continent nommé Tila, dans lequel il est aisé de recon-
naître Tulan.
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i»i«*iim <wi I rt-^i iirMhiiwiiiiiiiiiii ni m l'iiii iTUiiiini Vifa.ti>Tia «lA^t^tarj^ja:- jrrg jrjrftfÂ:^^^^?^.:^".;^.
4:24 PREMIÈRE PARTIE. — LES PRÉCURSEURS DE COLOMB.
dûment constaté, et, jusqu'à nouvel ordre, nous ne [touvons
prendre aucune conclusion formelle.
Aussi bien a-t-on retrouv»' les traces des Tolté(|ues dans les
pays qu'ils ont successivement occupés, et a-t-on pu détermine;!*
par des preuves matérielles leur communauté d'origine avec
les llérules? (1). llemanjuons tout d'abord que les Toltéques,
ainsi que tous les peuples envahisseurs, devaient être en fort
petit nombre relativement à la nation qu'ils atta(|uaient. Une
fois installés dans leurs conquêtes, ils se fondirent bientôt
avec la population vaincue, de môme que les Francs, les W isi-
goths et les Lombards disparurent promptement au uiilieu des
Gaulois, des Espagnols ou des italiens (2). On ne pt)uvait donc
plus les reconnaître, lorsque, ([uelques siècles plus tard, les
Européens dél)arquèrent en Amérique. Si pourtant ces Tolté-
ques étaient vraiment de même race que les Hérules, la couleur
primitive et le type originel n'auraient pas complètement disparu
par suite du croisement des races et de l'action du climat. Ur,
les premiers conquérants remarquèrent avec étonneinent (jue
dans le pays de Gibola, non loin du Texas, dans une des c(jntrées
conquises par les Toltéques, vivaient des américains presque
blancs, et à cheveux clairs (3). Les ethnographes contemporains
constatent encore la coloration pAle des tribus de ce canton.
Brasseur de Bourbourg (4), dont le témoignage est précieux,
puisqu'il a longtemps vécu dans le pays dont il [tarie, affirme
(jae les indigènes du Mechoacan et du Yucatan sont beaucoup
plus blancs que leurs voisins des autres provinces. 11 paraîtrait
même que les Indiennes de Port-Mulgrave offrent le type blond
des laitières anglaises. Serait-ce donc que la race blanche,
(1) SciiOEDEL, Etudes sur Vantiqidté Américaine (Revue Aniéricaino), \ii,
174-197, 287-305.
(2) De Quatrekaoes, Histoire nature/le de l'homme (2"'> j)artie, § 3, 8).
(3) Rakn, Antiquitates Americanse,p,2T.~ Bonté, Recherches sur l'ori-
f/ine de la race Mexicaine indigène (^ey\i& Américaine, viii, 309).
(4) Bhasseuk i)e Boukboukg, Traduction de Landa, Dissertation sur tes
mythes Américains, p. 3.
ttVÏ .■wttwmJM»t^»*ûmMjtt'^»*>'«**' ■**»*■* '^ l'T"" fciri T I irt in«i.*nli-i
C.IIAP. M. — THAC.KS liK LA l'HKSK.NCE 1»KS EUHOl'KK.NS.
i^2,%
Ml,
jadis r('|(i'('SL'iil(''(' par ces Toltéques-lltTulos. se serait, dans
ccrtaiiios réffions américaines, j)er|»étuée jusqu'à iius jours?
A-t-on du moins retrouvé la trace dos émijrrations successives
des Toltèques? En général les peuples l)ari)ares, surtout cpiand
ils sont disséminés sur de vastes espaces, laissent d'eux peu de
souvenirs. Pourtant la plupart des tribus Indiennes de l'Améritpie"
septentrionale n'ont pas oublié l'inviision depeu[iles blancs venus
du Nord, .\insi les Indien:; Savannabs (|ui, vers IT.'iO, émigrèrent
de la Floride et de l'Obio, racontaient que jadis leur pays fut
occupé par des blancs qui se servaient d'instruments de fer.
Toutes les tribus Canadieniu's avaient des traditions analogues.
On a de plus observé que les nombreux tumuli épars dans la
vallée de l'Oliio recouvraient des scjuelettes (pii ne resseiid)lent
pas à ceux des Indiens d'aujourd'bui (1, ; ipie les cbemins cou-
verts, si iioud>reux dans rAméri(|ue du Nord, pi-éseutent la
même construction que dans l'Europe occidentale ; eidin ipie les
souterrains bâtis en bricpie et les rocbers couverts d'inscriptions
symboliques rappellent une migration et une station de peuples
de provenance étrangère, et, en tout cas, septentrionale.
Il n'est donc pas im|>ossible que les Toltè([ues dont personne
d'ailleurs ne conteste la réalité, descendent des Hernies sortis
jadis du nord de l'Europe, et «pi'ils aient fini par s'établir au
centre du nouveau monde, à j)eu près au moment où les Nortli-
mans s'installaient en Islande et au (îroenland. Il nous faudra
pourtant reconnaître (jue le PopolVuh n'a pas encore l'authenticité
des Sagas Islandaises, et c'est toujours à ces Sagas qu'il î.jus
faudra recourir pour retrouver avec certitude le souvenir du
passage et du séjour des Européens en Amérique dès les
premières années du XV siècle.
C'est justement dans le pays décrit par les Sagas, dans
l'ancienne Norambega (pi'on a retrouvé une curieuse tradition.
I :i i
II
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(1) C.iiAnxAY, Cités et ruines Auuirinaines. — Cf. Viom.et le DL'c, .irliclc
sur l'oiivragc de Cliarnay, iiiscrû dans le Journal des Savants
I
\'H\ l'KKMIKHI-: PAiniK.
LKS IMtKCLRSKl'HS IlK COUIMIt.
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(|ui, l)ie!i (■crtaincirR'nt, est d'origino scîuulinivc. Voici cuniiru'iil
la rapporto Cliam[)l;iin (1) : <i 11 y a (Mirorc une chose étrange,
digne de réciter, que [)lusieurs sauvages m'ont assuré estre
vraie. C'est (|ue proche de la l)aye des chaleurs, tirant au su,
est une isle où faict résidence un monstre épouvantahie (pie les
'sauvages appellent (iougou, et m'ont dict (piil avoit la forme
d'une femmes, mais fort effntyahle et d'une telle grandeur (pi'ils
me disoient <|ue le hout des masts de nostre vaisseau ne luy
fust pas venu jusques à la ceinture, tant ils le peignent grand 1
et (|ue souvent il a dévoré et dévore heaucoup de sauvages,
les(piels il met dans une grande poche quand il les peut attraper
et puis les mange Ce monstre faict des hruits horrihles
dedans ceste isle, (pje les sauvages appellent le (iougou ; et,
(|uand ils en parlent, ce n'est qu'avec une peur si estrang(Mpril
ne se peut dire plus et m'ont assuré plusieurs l'avoir veu ».
Lescarhot reproduisit cette légende mais avec des commentaires
si saugrenus, et de si lourdes i»laisanteries à l'adresse de (îliam-
|dain (;2) que ce dernier, dans les éditions suhséquentes de son
livre, supprima le passage. Lescarhot est pourtant ohligé de
reconnaiti-e que les sauvages croyaient à la Gougou (3). Dans
son poème sur la défaite des sauvages amouchiquois par le
Sagîimos Mend)ertou, il fait encore allusion à cette croyance (i).
De quoy tout effrayé le prince Meiiibertou,
Il se remet au Jeu du luonstrucux Gougou.
fja légende est donc hien réelle, puisqu'elle est localisée et
adoptée par les indigènes. Or, nous retrouvons dans la super-
stition des Northmans du moyen âge non pas seulement le nom à
( 1 1 De 'ictuvaffes ou voi/age de Champlain de Brounge fait en la Nouvelle
France, l'an 1603, p. 61-()2. — Eclit. Lavcrdièie, p. 125-12G. — Cette fal)le a
paru si étr. ijçe à l'aima Cayct qu'il l'a reproduite intégraloiuenl, niais .sans
citer son auteur, dans sa Clironolotjie septennaiie de IGU.'J.
(2) Lescahbot, Histoire de la Nouvelle France, édition Tross, p. 4.
(3) ID., p. 376.
(i) 11)., Les Muses de la Nouvelle France, édition Tross, p. 66.
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Il se peut qu'on ait exagéré ('(îs analogies entre les langues,
ou les traditions. D'ailleurs la question n'est pas encore suffi-
samment élucidée : mais comment expli([uer les ressemblances
plus frappantes qui existent entre certaines croyances et certaines
cérémonies chrétiennes et américaines?
Hien qu'elle soit fort étrange, nous ne mentionnerons que
(1) B. (îHORNDAt-, Folketro i Nordeit (Aniialer for Nordisk Oldkyiidighed oj;
Historié, ISiiS). — xN. M. Petersen, A'orr/« A' Mi/tfiolof/ic (Copenhiiiçiie, 1841»).
— J. M.ïiiiELE, Damnarkt Folkesag7i {CopaxhA-fUti, 1845), 1. 1, p. 18U; t. Il
p. 37, 38, 3i), 43, 48. 49, 207, 212, 213, 228. Tous ces ouvrages sont cités par
Heai'vois (Lp Noramhrguf, p. 41).
I
CHAI». \l. — THACKS 1)K LA l'HÉSK.NCK KKS KIHOI'KK.NS. '|27
peine défiguré de la (îongoii, (iygur ou (ija-gur (l), mais jus(|u'à
son sexe, sa figure enVoyable, sa taille gigantesque, sa résidence
dans les rochers, les bruits ell'royables dont ell(> fait retentir les
échos, su voracité, etc. N'est-ce donc pas (jue cette tradition
Scandinave a été apportée par les Northmans en Améri(pie, et
(pie les Américains ont concentré dans un type unique les traits
épars dans les traditions Scandinaves? N'est-ce pas eu un mot
la preuve nouvelle et décisive des rapports qui e\ist«M'ent avant
(lolomb entre l'ancien et le nouveau monde?
D'autres traditions américaines, relatives à l'arrivée et au
séjour dans l'Amérique centrale d'bonunes blancs veiuis de
l'Kst, étaient fort répandues, quand débanpièreut au nouveau
monde les Espagnols : mais ces traditions se lient intimement
avec la recherche des ressemblances existant entre les religions
américaines et le christianisme : nous en étudierons tout à
l'heure l'authenticité : il nous suffira d'avoir établi que l'étude
attentive des traditions américaines doit être entreprise avec
une grande réserve, mais que, sans doute, elle nous réserve
plus d'une surprise.
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IV
LKS KELK-.IGNS.
1!
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i28 l'HEMIKRK l'AHTIi:.
LES PRECURSiaitS DK COI.ÙMIt.
pour mémoire la friidition relative à la prédication du chris-
tianisme en Amérique par Saint Tliouuis. Cet apôtre passait
pour ne croire que ce qu'il voyait ou entendait : ses disciples
n'ont pas imité sa prudente réserve, car ils l'ont fait voyaf,'er
dans tous les pays connus et inconnus. Nous ne voulons pas
instituer ici à nouveau une controverse sur un sujet irritant (1),
qui ne peut être résolu ni dans un sens ni dans l'autre, et (|ui
d'ailleurs ne prouverait rien, puisque, même en admettant
l'authenticité de la tradition, il nous faudrait reconnaître en
même temps que la prédication de l'apôtre n'a laissé aucune
trace en Amérique. Qu'il nous suffise de rappeler ici les passages
de l'écrivain (jui paraît avoir le plus sagement, c'est-à-dire avec
le plus de froideur, résumé cette tradition. « La nation des
Manaicas est fort superstitieuse, écrit le père de Charlevoix (2).
Une ancienne tradition porte que l'apôtre Saint Thomas a
prêché l'Evangile dans leur pays, ou y a envoyé quelques-uns
de ses diseiples : ce qui est certain, c'est qu'à travers les fables
grossières et les dogmes monstrueux dont leur religion est
composée, on y découvre bien des traces de christianisme. Il
paraît surtout, si ce qu'on dit est vrai, qu'ils ont une légère idée
d'un Dieu fait homme pour le salut du genre humain, car une
de leurs traditions est qu'une femme douée d'une beauté parfaiti'
conçut, sans avoir jamais habité avec un homme, un très bel
enfant qui, parvenu à l'âge viril, opéra bien des prodiges,
ressuscita les morts, fit marcher les boiteux, rendit la vue aux
aveugles, et, ayant un jour rassemblé un grand peuple, s'éleva
dans les airs, transformé dans ce soleil qui nous éclaire ».
Charlevoix avance encore, mais sous toute réserve, que ces
sauvages croient à une sorte de Trinité, dont le père se nomme
(1) Congrus Ainéricanisles de Luxembourg et de Copentiague. Longues et
stériles discussions à ce sujet entre divers savants que nous ne voulons pas
citer, car c'est la seule et unique fois que fut troublée la bonne liarmonic
entre les membres de ces intéressants et très importants congrès.
(2) Chaulkvoix, Histoire du Paraguay, II, 274.
mu
r.iiAl'. \"i.
THACKS ItK LA l'nKSKNC.lC DKS KlHorKIC.NS.
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<)ni('(jii<itiun(|ui, le jils Urasiiiia et le Saint Esprit L'rapo. N'a-t-il
pas rais(jn dt; so inonfrcr sceptique, et n'est-il pas fort prohahle
(pie ces pieuses léfieiides ont été inventées par des missionnaires
désireux de se faire valoir?
Ces missionnaires n(^ sont pas des inconnus. (Iharlevoix
raconte encore (1) que, en lOOM, lorsque les [(ères Cafaldino et
Mocefa s"enf(Jiicérent dans les solitudes américaines j)our tenter
la conversion des (iuaranis, u le cacique Maracana et (juelques
autres des princi|>aux (iuaranis les assurèrent (pi'ils rivaient
appris de leurs ancêtres (prun savant lionuni', nommé Pay
Zuma, ou Pay Tuma, avoit |)ré(lié dans leur pays la foi du ciel ;
(|ue plusieurs s'étoient raiifîés sous sa conduite, et qu'il leur
avoit prédit en les quittant (pi'eux et leurs descendants ahan-
donneroient le culte du vrai Dieu qu'il leur avoit fait connoiti-e ;
mais qu'après plusieurs siècles de nouveaux envolés de ce mémo
Dieu viendroient armés d'une croix semhialde à celle (|u'il portoit,
et rétabliroient parmi leurs desc(;ndants ce même culte. Quelques
armées après, les pères de Montoya et Mendo/a aïant pénétré
dans le canton de Taïati, les Indiens (|u'ils y trouvèrent les
voiant venir avec une croix à la main, les reçurent avec de
^'randes démonstrations de joie (pii les surprirent beaucoup, et,
(îomme ceux-ci s'aperçurent de leur étonnement, ils leur
racontèrent les mêmes choses que Maraoana avait dites aux
pères Cataldino et Moceta. Ils apprirent que le saint homme
était aussi nommé Pay Abara, c'est-à-dire le Père (jui vit dans
le célibat. Au reste la tradition des Brasiliens est conforme
à celle des Guaranis, et elle porte encore que l'apôtre prit terre
<ui |(ort des saints, vis-à-vis de la barre de Saint Vincent, et
<(u'il apprit aux habitants à cultiver le manioc et à faire la
cassave » .
De ce Pay Zuma, ou Tuma, ou Abara, on a prétendu faire
^aint Thomas (2). Nous croirions plus volontiers qu'aux premiers
•il
'ii
>^1H
lionic
|I) CiiAni,KVOix, Histoire du Pan
raguinj, I, p. 312.
(2) Voir le très curieux livre de G. Gabci.v, Historia ecclesiastica y seglar
VM)
l'HKMlKHK l'AnTlIC. — I.KS l'HKCrHSKlKS W. COI.OM».
timw
jours (le lii (((IkiikHc du scizii'iiu* sirclr'. iiu |»nHr»' csimi,'!!!)!
!i cssayr (l'('>vauf,'('liser ces |)eu|ila(l(.'s iimi'ricaiiu's, y a ivnssi eu
partie, et (juc son souv(>iiir s'est [)er|tétué. Seuleiiieiil. ((tinuic
lu clironol()j,^ie n'existe |»as clie/ les in(li},'ènes, ils ont eoiit'ondu
les années et les siècles et reporté à une date fahideuse des
événements relativement modernes. Il est plus vraisendtlahie
encore (|ue ces léjrendes n'ont été trouvées que par ceux (pii
avaient intérêt à les trouver. Valdemar Sclmiidt raconte (|uel(pie
part (I) (pie les Ksfpiimaux n'ont aucune tradition, mais (|u'ils
cèdent facilement iuix obsessions des Kuropéens (|ui veulent
à tout prix, et partout, retrouver leurs propres traditions. Ue
même les missionnaires Kspa^'nols, (|ui s'adressaient à des
néophytes ne cherchant ((u'à leur plaire, leur ont fait répéter
des récits ([u'ils leur inspiraient en grande partie, et, repnjtluc-
leurs inconscients de li'urs [tropres inventions, ont fini par
croire à la l'éalité de légendes dont ils étaient les imiques auteurs.
Sans remonter aux siècles lointains où Saint Thomas était
censé répandre en Américpie la honne nouvelle, nous examinerons
avec la même réserve diverses traditi<ins (|ui nous ramènent à des
épo(pies beaucoup plus ra[tprochées. Un érudit dont la science
est aussi étendue (pie la perspicacité singulière, et (pii a su
déhrouiller la confusion des vieilles mytiiologies, M. lieauvois {'!■
a prétendu (|ue les Papae Irlandais, ilont n(»us avons raconté
plus haut les curieuses [)érégrinations, avaient |)énétré jusque
dans r.\méri(pie Centrale, et y avaient [irêché le christianisme.
IJaprès lui (Juetzalcohuatl (li), le réformateur mexicain dont les
lie 1(1 Yndid Oriental ij Occidental, y predicadon del Sancto Evan/jelii,
on clin pov los Ajioxtolos, lti.6. I.e luit de l'auteur est de eiierclicr si
" piissii la V(i à las Iiidias occidentales, antes que los Esjtaiioles las descu-
Ittieseii, auncpie lo mas que tiata es do las Orientales », et ses conclusioiis
sont (|iic l(s Apôtres ont prècliii l'Evangile au.x Indes.
(Ij Valdemau Scn.MiDT, Congrès A iniiricaniste de Luxemiotuy, t. il, p. 341.
[t] Beauvois, liel'ilions précolombiennes des Oaels avec te Merii/io'
(ConjçrcjsAuiC'ricanisle de Copenhague).
(3j Sauaisl'.Nj Histoire de la Nouvelle Espagne (traduction Jourdaneli,
m
r.HAI'. M — THACKS W. LA l'HKSKNCK ItKS KL'HOl'KKNS.
:(i
liistoriciis iiiitiuiiiiiix nul (('h'-hri' les vertus, ii'csl initrc (iniiii
IVipji Irliiiidiiis. Il \ciiiiit de l'est, e'est-à-dii'c de riùirn|ie, et
y relniiniii. Oest lui (|iii iiisliliiii le jerine, les inaferations, les
".1]
ttii'liires voldiilitires. Il sacriliait des railles, de
i.iid
du
^iltiei'. et avait liori'eiir des liécatoinlies liiiiiiaiiis. Ainsi (|ii(> les
disciples de Saint (luliiinha, il se montrait en rolie de coton
Idanc, étroite et longue, et portait par dessus cette rtdte une
niante parsemée de croix colorié(;s ,1). Voici conuiient un des
historiens les plus dignes de loi du ^levicpie, un des prcsmiors
professeurs de l'Université de Mexico, où il mourut en l.'JSl), le
père Duraii, pai'le de nuet/alcoliuatl (:J'i : " (Iraud est le souvenir
(|ue l'on garde de lui. .le l'ai vu peint comme je vais le tiécrinî
ci-après, sur un vieil et antiipie papier, d;ins la ville de Mexico.
Son aspect véiu-ralde montrait ([ue c'était un liouuue d'âge, avec
une l>ari)e longue, couleur roux clair, le nez un peu long, tuniélié
ou un peu charnu, haut de cor|)s, la chevelure longue et très
lisse, le maintien plein de gravité II était toujours enlermé dans
une cellule et en prières, et se montrait rarement. Il vivait dans
l'ahstinence, le jeûne, la chasteté, la |)enitence. Son occu|)ation
était d'élever des autels et des oratoires dans tous les ipiurtiers,
de placer des images dans les nnu's au-des-iis des autels, de se
prosterner devant elles et de les vénérer, tantôt en haisant la
terre, tauti'it en les touchant avec la main. Il était sans cesse en
oraison, dormait toujours au hord de l'autel qu'il édifiait et
couchait sur la dure. Il réunissait aussi des disciples et leur
p. 20!), 217, G.j'J. — Tk/o/ohoc, Hisfuin- itu Mexiijun (Cdiieclioii Tenuiux-
Coiii|iaiis, II, ]). 227, 2;t7, 24:'). — .Mkmhkia, //is/oriV/ ec(7rs(V(.s7/Vv/ Intlianay
t'ditidii li';izl)iilcet;i (IN70), p. 80.
(1) GOMAitA, ouv. cilé (édition Vediai, p. ItlU-S. — Toiiqckmada, Montir-
ijuia lyuHdwi, t. Il, p. 55.
("1) DiitAN llutoiir anciennr de la .\ouuelle Kspaynr, ti" partii,', |^ I
(ûditiuii Kiiii;sboruu^lii. Il lui doniu; U; nom du Topiltxin, iiiiiis iinus savons
par lu tùmoi;;nap;o do Juan de Tobar [IlisUiiro du Mcxà/uv, cilùt; par Ueauvois,
p. \}i\, qu' I' ou lui donnait trois noms appliipiés à dos Dieux, ol l'orl ostiniôs :
lu promior était Topiitzin, le second Quulzalcoliuatl, ut lo Iroisioniu Papa ».
V,\'l l'IlKMlKUK l'Ainii:.
Li;s l'UKci iisi:rns ni; colomh.
m.
ciisciffiiait à prier i>t .'i pnV^licr On dit (ju'il était orif^iiiiiirc
(les pays (''traii|;i'rs. On sait avec ccrlitiitlc (pic, après lUrc arrive
(ijnis ce pays et avoir coMMiiencé à réunir des disciples, et à édilier
des éjj;lises et des autels, lui et ses disciples allèrent prêcher dans
les lieux liahités. Voyant la {grossièreté et la dureté de ces ('(j'urs
terrestres, ils (piittèrent la contrée et retournèrent au pays d'où
ils éfiiienl venus ...
Il est certain (pie, pour un lecteur non prévenu, cclt(Mitation
pourrait s'ap|»li(|uer à la vie de tel ou tel saint chrétien, et par
consé(|U(Mit (|ue ringénieuse théorie de M. Beauvois semble à
ti»ut le moins vraisend)lal)le. La plu[)art des historiens contem-
porains de Diu'an conlirmeiit l'exactitude de ses renseiî,'nemeiits.
Ainsi, l'auteur anonyme (1) de /titos Aiilif/iios de la yucra /i'.s-
paiia écrit, en parlant de Qucîtzalcidiuatl, que d c'était un
iionune honnête et modéré, (jui mit en usage la j)éjiitence, le
Jeûne, les niortilications. (l'est lui qui commença à prêcher la
loi naturelle et i\ enseigner le jeûne par son exemple et ses
paroles. 11 n'était pas marié, ne connut i)as de femmes, et vécut
honnêtement et chastement. On dit qu'il fut le premier à
sacrilier le sang (|u'il se tirait des oreilles et de la langue, non
p(jur servir le démon, mais par pénitence ». Las Casas (i) avait
d(''jà parlé de QuetzalcohuatI << comme d'un hornme l)lan(% à
harhe touffue, qui interdit les sacrifices humains, enseigna la
vertu, et aimonça en s'en retournant (jue ses frères, blancs et
harhus, viendraient un jour de l'est pour gouverner leMexique».
Un moine chrétien n'aurait pas autrement agi, et il n'est pas
impossible qu'un moine chrétien soit en effet arrivé jusque
dans lAmérique centrale, et y ait prêché le Christianisme.
■VI
(!) PiuEUR DR Santa Maria de i.a ('oncki-tion de Teozocan, Hitos anti-
t/Hos, sacrificios é idolatrias de los Indios de la Ntieva Espana (Kiiigsbo-
rough, t. IX, p. 9).
(2) I^AS Casas, Apologetica historia, % 122 du tome V de la flistoria de
ias Indiaa. — Cf. IxrLiLXOCiiiri., Histoire des Chichiméques (coUeclion
Ternaux-Gonipiuis), t. I, p. 5-G.
1^
m
:y
;t pas
iisque
anti-
liigsbo-
iria de
llcclion
CIIAI'. M.
THACKS l»K LA i'IlKSKNCK DKS K IHOI'KK.NS.
\\Y.\
(Juc'l <''t;iil ic iiiuiiK', et à (lucllc ('idwiiic a-t-il ('ssay('' de coii-
vcrfir les Aiiu'ricaitis, c'est ici (|U(' iinfi'c iiifiriiiciix rompalriot»'
nmis parait trop ariiriiiatif'. Ilicii ne pruiiNc en ('(l'ct (pic (Jucf-
/alcnliiiall ait ctc Irlandais, cl mi cniiiiait si mal la date de sa
prfMlicatinii (pic certains (''riidits ont crn rcironvcr en Ini un
IMM'nicicii nu lin .Inif. Nous pensons, pour notre part, cpic ce
lut lin clin'ticn, et (pi'il vivait à une (''po(pic relativement mo-
derne. liC l'i'i'c Diiran raconte, en elVet. ipie nnet/alc<diiiatl, en
passant par Aciiitnco, avait laissé aux Indiens un ^mmikI livre
dont (pie!(pies lettres avaient jusipi'à (piatre d(»ints de liautenr.
sans doute ipichpie manuscrit orm'' de majuscules enlnmiiH'es
comme on composaient an inoyen-;\^e justement les moines de
Saint-Ciolomlta. Le Pi're Diiran aurait l»ien voulu se procurer
ce manuscrit, mais les Indiens venaient de le brûler (I). << J'en
fus peiiK', ajoutc-t-il, et je blâmai Tort ceux ipii l'avaient fait
brûler ; peut-être nous aurait-il donne'' satisfaction sur un fait
dont je nie doutais : (pie ce pouvait être le Saint Evanj^^ile en
Ian}J:ue InMiraïque ». Si donc ce pivcieux manuscrit avait éti'
conserv('' jiisipi'au seizième si(''cle, c'est sans doute (pie les
Indiens ne l'avaient en leur possession (pie depuis peu. Ils
avaient é^^aleinont conserve'', ou prt'teiidaieiit avoir conservé la
crosse é|)iscopalc, la mitre et les sandales des disciples de
Quetzalcoliuatl. Ils les donnèrent à Cortès, (ju'ils prenaient
pour son descendant. << Un de nos soldats portiiit un casque à
demi doré, lisons-nous dans les }fi''ino'nrs de Hernal Uiaz (:2) ;
Tedintle ((;aci(|ue de Cotastlan) vit le cas([ue et dit qu'il res-
semblait à d'autres qui sont en leur pouvoir et que leurs an-
cijtres leur avaient transmis comme un monument des races
dont ils étaient descendus. Ils en ornaient la tête de leur di-
vinité Huicbilobos, idole de la f^uerre. Leur seigneur Monte-
(1) DuRAX, 2» partie, § I.
(i) Behxal Uiaz, Conquête de la Xouvclle Ei^pugne (traduction Jourdanct),
p. 87-88. - - Cl". Sahagc.n, Histoire des choses de la Nouvelle Espagw
Ôrad. Jourdanct), p. 799-800.
T. I. 28
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LES l'HECLHSElRS I»E COLOMII.
zuniu serait n'rtaiiieiiu'iit lieuroiix di* le voir... Kn le voyant,
Montezuina fut saisi (i'admiratidn et (■••nciit une î^i-aiide joie.
Lorsque il compara le (-asciue avec celui (|ui coill'ait sou Hui-
cliilithos, il eut la certitude que nous ap|»arteni(»iis à la race de
ces lioinnies, dont l<'urs aïeux avaient dit (|u*ils viendraient
commander dans ces contrées ».
Ces ressemblances peuvent nVtro (|u'acci(lentelles, et il serai!
prescpu^ puéril de cducliu'e à rindentitication de (Juetzalcoliualt
et d'un Papa Islandais parceque (jnelques ornements s'étaient
conservés au Mexiqu(; qui rap|»elaient les ttrnements sacrés des
prêtres chrétiens : ce (|ui est beaucoup plus sijïuilicatif, c'est la
|)erpétuité de certaines coutumes, de certains rites, au\(piels il
est difficile de ne |>as attribuer une orifiine clirétieime, et dont
les introducteiu's, d"a[)rès une constante tradition, furent des
étranf.'ers venus de l'est. .\ Palencpié, chez les T/endales,
deux prêtres |)ontiiient devant une croix , dont l'orifrine
chrétienne est indiquée par le poisson, placé à la base. On sait
en elfet que le mot (irec î/Oj; est l'anagranmi'" des noms
et (pialités du (christ (1). Non loin de là, sur un linteau de
porte, à la villa Lorillard, deux persoimafies debi>ut se [trésentenl
nmluellement une croix. N'est-il pas évident (|ue ces prêtres
infidèles sont des adorateurs de l'endiléme du christianisme, la
seule religion où la croix soit l'objet d'un culte et non |ias une
anudette, ou un ornement banal? Aussi bien ce (pion retrouve
en Amérique ce n'est pas seidement la croix formée par l'entre-
croisement de deux liffues droiti's, symbole (pie l'on signale dans
bien des religions, mais la croix avec un personnage crucifié,
symbole ipii n'appartient (pi'au christianisme. Las Casas rup-
|)orte qu'une croix haute de dix palmes, emiroii "i mètres TiO
centimètres, faite d-^ ciment et de pierre se trouvait dans un
temple très fré(pienté de l'île le (^>zumel ["1). Un des compagnons
(1 ) MoRTii.i.KT, Le siV/Hf t/a la Croix nrnnt le Christianisme:.
(2; Las Casas, Hisforia do las Inr/itr^, t. v. ,? 433.
^'**44»
CHAI'. M.
TRACKS ItK LA l'HKSK.VCK l»KS KlMUl'KlvNS.
135
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«le (iitrtes, André de Tapia , dit (preiie avait la taille d"un
iionnne^l). tlette criiiv l'ut plus lard tnuisportee à Mérida ,.ins
le couvent des Franciscains. «< Au inilieii de la cour l"Mrmée par
le cloître de notre couvent de la ville de Mérida, écrit en lt»S8
riiistoirieii du Yucatan, Cof^'olludo {"l), est une eroiv de [)ierre
«reiiviroii une verjre de Iiauteiir, et dttnt cliacini des quatre
côtés est dun sixième de verge. On a dit i|u'elle a été brisée
dans le sens longitudinal et ({u'il en inainpie un morceau. La
figure d'un saint crucifix, (renviroii une demi-verge de hauteur,
est en deini-relief sur la UK'ine pierre ». Après la destruction
de ce couvent, la croix fut retirée ilu miiiiMi des ruines |)ar un
inoine (|ui rapporta le fait au voyageur Stepliens (3). Ce dernier
fixa aussitôt cette vénérable reli«|ue dans le mur du premier
autel de gauche dans l'Eglise de la Mcjorada. C'est une pierre
d'aspect antique sur la(|uelle est attaché, pieds et mains cloués,
un christ de ciment, en demi-relief.
Aussi bien le Christ de Mérida n'est pas le seul dont on ait
constaté l'existence avant la conquête espagnole. D' ,)rès Pierre
Martyr les premiers Européens qui débarquèrent au Yucatan
N irent beaucoup de croix (i). Us demandèrent aux indigènes d'où
leur venaient ces croix, et on leur répondit qu'ils vénéraient cet
instrument parce qu'un homme y était mort autrefois, plus
brilliuit «|ue le soleil. Le Père Uuran (5) raconte qu'un Espagnol
(1) lCA/itAi.<;ETA, Documentoa pnra la historia de Mexico (1861), p. 555 :
« Uiia eriiz tic cal de altor de cstado y iiiedio ».
(2) Cocni.LL'DO, Histoire du Yucatan, p. 201. " Tinnes ucado de mcdio rclieve
cil la inisina pieiira iiiia figura de un santo rrucilijo, cnniu de média vaia de
lai'i^o ».
(!lj Stki'IIk.ns, htcidentx of travel in Yiuathdn (1843, p. .'HS « Il is ol'
stoiie, lias a veneiahle appearancc of antiquity, and lias extcndcd on it in lialf
relief an iinajçe nf the Saviour, inade of plastes, willi tlie liands and fcet
nailcd ».
(l PiKiinE Mahtvh, De. orbe noio, Dec. iv, f. 290 (édit. 1587). « Cruccs
viderunl. Lnde id liabcant interrogali per interprètes dicuntobiissc lucidinrcm
sole lioniineni quemdam in co opiflcio ».
(5) 1)1 HAN, Historia de las Indias de Nueva Espana (Edition Kingsbo-
VM\ l'HEMiKiu: i'ahtik. — li;s l'iiKcrusEins i>i: (.olomii.
;i.
|iassaiit par la Za|)otc'<|(i(.> découvrit dans un ravin un <-rucili\
taille"'. A Topif, dans r«''tat de Talisco, un rruc.ilix était sculpti"'
sur une par(»i de rucher. Torqueuiada parle d'un vieux manuscrit,
écrit sur deux colonnes, conservé chez les Utouiis, et où t'tiiit
i'e|)résenté le (Uirist crucifié. Il parait mênie (|u'on a tn»uvé à
Palen<iué un moule à faire ces crucifix de terre cuite i, l), eu
forme de T, c<»uune il y eu avait eu Hurope au moyeu âge, uo-
tauuuent dans les pays (iaëlitpies. Enfin voici comuKuit Sahagun,
témoin bien digne de foi, puisqu'il i\o parle (|ue de ce qu'il a vu,
et c'est à son grand regret et pour ainsi dire malgré lui (|u"il
constate dos resseud)lances qui le désolent, parce qu'il y voit
l'rt'uvre du démon, voici comment il décrit de vieilles peintures
sur peau de cerf trouvées en 1570 à Oajaca par des religieux
qu'il n'hésite pas à qualifier de « dignes de foi d (^). Ces pein-
tures représentaient trois femmes : « Deux se tenaient ensemhie
et la troisième se détachait en avant en soutenant une croix en
bois, attuchée au n(eud de ses cheveux. Devant elle un honnue
nu était étendu sur une c"oix, à laquelle ses mains et ses pieds
étaient attachés avec des cordes. Gela me paraît se rapporter à
la Sainte Vierge et à ses deux sœurs ainsi qu'à notre Seigneur
crucifié. Cela ne |)ouvait être coimu (jue par luie prédication
ancienne ».
Sahagun n'était pas éloigné d'attribuer à une intervention
diabolique ces étranges coïncidences. Peut-être n'est-il pas
besoin de recourir à Satan pour trouver une explication plausible.
N'est-il pas en effet très probable qu'une prédication chrétienne
a eu lieu, à une époque «pi'il est difficile de préciser, mais que,
les premiers missionnaires n'ayant pas été renouvelés, leur
rougi), viK, 266). u Quu el liabito visto un crucilîgu entnllado en una pcna en
inia quebrada ».
(t) Be.vi'vois, Migrations d'Europe en Amérique au moyen-Age. — Les
Gai'Is.
1,2) S.\ii.\ou>!, Histoire dea Jioses de la Souvelle Espagne, Iraduclioii
Jourdanet, p. 791 .
CIIAI'. XI.
TRACKS DE LA l'HESK.NCK DES EIROI'EE.NS,
137
«•nscifîiu'incnt s'est peu à pcti iiioilifié, dôlifrun'' iiièiiu'? De \h
co fornl f'hréticii ot ces formes païennes, de là ces croyances <;t
ees cén'Mnonies qui setnitlent caUpiées sur les n»Hres, niais(|u'oii
est ohlijïé de dégager des superstitions locales et des rites parti-
culiers (|ui les obscurcissent. Le plus singulier c'est (|ue,
d'après toutes les traditions indigènes, ces croyances et ces rites
étaient d'origine étrangère. « Les disciples de ce saint lionmie
( QnetzalcohuatI ) , écrit le père Dnran , allaient revêtus de
longues rohes descendant jus(pi"au\ pieds (1). H avaient sur la.
tétc des coiffures eu étoffe (»u bonnets, cpie les Indiens cher-
chaient à représenter en peignant des tocpies... Ce vieil Indien
m'enseigna en outre que toutes les cérémonies, les rite*?,
rédificati(»n des temples et des autels, avec les images qu'on y
plaçait, le jeûne, la coutume d'aller pieds nus, de coucher sm*
la dure, de monter sur les hauteurs p<»ur y prêcher îa ft»i, de
baiser la terre, de jouer de la trompette, de la conque, de la
flùte dans les solennités, que tout cela se faisait ponr imiter le
saint honune ».
Il ne faudrait certes pas toml)er dans l'excès des premiers
missionnaires, qui acceptèrent aveuglément, cttnime articles de
foi, tout ce que voulurent bien leur faire croire des néophytes,-
empressés d'établir des rapports entre eux et leurs conquérants.
Ainsi ne serait- il [)as fort étrange de retrouver dans les
hiéroglyphes mexicains l'histoire de la conception d'un être
céleste dans le sein d'une vierge (2), ou celle de la passion et du
crucifiement de Jésus, ou bien encore a-t-on le droit de s'ima-
giner (pie Mexico fut fondée par le Messie, parc»; que ce fut un
certain Mersi ouMexi cpii conduisit les Azté((ues sur le plateau
de l'Anabuac (3)? Mais voici des analogies trop évidentes pour
être dues au seul hasard : les Mexicains admettaient un baptême
;l
(!) DuRAX, ouvrage cité. Voir plus haut.
(2) ToRQUEMADA, MoTian/uia Indiana, t. III, p. 1f)2.
(3) Ki.Nosnonoir.n, (tuv. cité, t. VI, p. 186. — Vkitia Linagr, .Vor/e de la
Vontractacion de las Indim Occidentales, 1, 16, 18.
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A',\H l'HKMIKIIK l'AMTIK. — LKS I-RKCIRSKIRS l>K «lOLMMI».
qui cfTarait le poclu'origincl (1). Us rroyaicnt à la confession (2)
ef sru'pialenu'nt à la «•onfcssion avant le niaria},'(' {'.\). Ils prati-
«|uaient la couiinunion (i). Ils se servaient d'eau hénite (.'i). Ils
se livraient, par esprit de pénitence, à d«' cruelles macéra-
tions (G) Ils avaient des monastères d'Iionnnes et de femmes,
(I) Sahacun, (Trad. Joiinlanel), p. iSr). « Cela étant «lit, raccoiirlicusw
donnait à rcnfant de l'eau à goûter, en lui portant ses doi(;ts mouillés à la
bouche, avec ces paroles : « Prends et reçois, voilà ce <pii doit te faire vivre
sur la terre pour que lu croisses et te fortilîes. C'est par elle «pie nous pos-
sédons les choses nécessaires à la vie sur la terre ; reçois la...». Apn-s cela
elle lui touchait les seins avec les doigts trompés dans l'eau, en disant : « V«)ilà
l'eau céleste, voilà l'eau très pure <|ui lave et nettoie notre c«pur et «pii cnh'vc
toute souillure ; reçois-la. Qu'elle daigne purifier et blanchir ton cœur ». Elle
lui jetait ensuite de l'eau sur la télé en prononçant ces paroles : « O mon
petit-fils, reçois et prends l'eau du Seigneur du monde, qui «;st notre vie, afin
que notre corps croisse et se fortifie. Elle est destinée à laver et à nettoyer. Je
prie qu'elle entre en ton corjis et qu'elle y vive, cette eau céleste et azuri'^e
d'un bleu clair Je supplie «prcUe détruise et écarte de toi tout le mal qui t'est
contraire, et qui te fut donné avant le commencement du inonde ».
^2) 1d.. Id., p. :i39. « De la confession auriculaire «lonl ces indi-
gents faisaient usage une fois dans leur vie, au temps de leur infidélité ».
lu., p. 23 et suiv. Sahagun fait inéinc ce curieux aveu : << c'est pour cette
raison que maintenant, au tein|is du christianisme, ils mettent le même zèle à
vouloir se confesser et faire pénitence pour les péchés graves et publics, coiiime
l'homicide, l'adultère, etc., se rappelant «pi'autiefois ces crimes leur étaient
pardonnes par la justice des hommes, dès lors qu'ils s'en étaient confess«''s cl
en avaient fait pénitence ». Cf. Acosta Histoire naturelle de^ Inrlex (Tra-
duction Hegiiault, p. 2u3», liv. v, S xxv.
(.'{) Hehrf.ra, Dec. iv, liv. x, p. 11.
(4) Sahacin, ouv. cité, p. 204. « On mettait en morceaux le corps de Uitzi-
lopochtli, d'autant plus aisément qu'il était fait de graines de blettes; le cirur
en était séparé pour être offert au seigneur ou roi, et tout le corps et les mor-
ceaux qui en provenaient, assimilés à la propre substance du Dieu, étaient
répartis, par portions égales, entre les natifs de Mexico et ceux de TIatclolio >•.
— Acosta, (Traduction Rcgnault, p. 258) : tout le chapitre xxiv du livre v,
intitulé : « De la façon que li; diable s'est efforcé de contrefaire au Mexique la
feste du Saint-Sacrement, et communion dont use la sainte Eglise ».
(■j) Mendikta, Historin cclesiastica Indiana, 11, 1!), p. 109.
(6) Sahacun, ouv. cité, p. 184. » Les Mexicains n;pandaient le sang comme
un acte de dévotion, en des jours cons.icré.? pour cela. Ils procédaient de la
manière suivante : s'ils voulaient se saigner la langue, ils se la traversaient
avec la pointe d'un petit couteau, et ils faisaient ensuite passer par le trou dtN
i:iiAi'. XI. — THACKS m: i,a I'KEsknck hks imhoi'KENs.
V.V.i
et li's n'Ii^icux d»' ces intinasU'ivs gardaioiit un célibat pcr-
|M'tuel ^1). Leurs [inHrcs portaient un ntstunie qui rappelait
relui des pnHres chrétiens, prineipalenient l'elui des moines
de Saint Coloiulta, reconnaissaliles à leurs cheveux rasés sur
le fn»nt et rejetés en arrière (:2l. Qnehpies-unes de leurs prières
semblaient calcpiées sur les prières du rituel chrétien, et plus
d'un de nos moralistes n'aurait qu'à reproduire les admi-
rables leçons recueillies par Saluif^un.
< Ml sait (pie Sahafîun avait appris les iaiifruesdu pays. Il causait
4-lia(|ue jour avec les indigènes et leur adressait des ipiestions
auxquelles ils répondaient par écrit, ou du moins par ce (pii
leur servait d'écriture, c'est-à-dire par des [u'intures hiérogly-
phiques. 11 soumettait abtrs ces peintures à d'autres indiprènes
élevés sous ses yeux au collèpe «le Santa Cruz , et leur
demandait une version de ces hiérofilyphes en lanjfuc
mexicaine , puis en «lonnait une traduction espa}.'noIe.
(iette traduction présente donc toutes les garanties d'exac-
titude et de sincérité. (JrAce à Sahagun. nous connaissons les
prières et les discours des Mexicains dans les circonstances les
plus criticpies ou simplement les plus respectables de la vie
publique et privée, par exemple lorscpie les enfants du souve-
rain arrivaient i'i l'Age de raison (.'l). lors(|ue le souverain
s'adressait pour la première fois à son peuple (-4), et «ju'un
vit'illard lui répondait (ij), lorsque le |>ère (0) et la mère
pailles de {graminées, dont le nombre était en rapport avec le ilejçré de dé-
votion de chacun... ils se saij^naient également li-s liras et les jambes... Ils se
faisaient des coupures aux oreilles, cf, aver le sanj; qui en découlait, se
traçaient des raies rougeàtrcs sur la figure ». Acost.v, ouv. cité. j. 237, 238.
(1) AcosTA, ouv. cité, § xv et xvi et livre V. Saliagun, id., p. 2i6.
(2) AcosTA, Id., p. 236. « Ils portoient une couronne en la teste comme les
l'rércs de par deçà, les cheveux un peu plus longs qui leur tomboycnt jusqucs
à moitié de l'oreille, excepté que, au derrière de la teste, ils les laissoient
croistrc quatre doigts de large qui leur dcsrendoient sur les cspaulcs ».
(3) Sahagun, ouv. cité, p. 380.
(4) Id., p. 365.
f5) Id., p. 3j8.
(61 Id., p. 385.
i i
}
!(
M
It:
iiO l'UliMIKHK l'AHTIi:. — LKS l'RKCLKSElHS HE COLOMII.
indiquaient ù ioui* tillo nuliiic la conduite à tenir. 1). I^e sixième
livre qui contient tous ces disciturs est empreint de la morale
la plus pure, et nous rép<>tons volontiers la plus chrétienne. Il
démontre jusqu'à l'évidence que les >le.\icains, soit par eux-
niénies, soit à la suite de prédications étrangères, s'étaient
élevés jusqu'aux conceptions (|ui ont h* plus honoré l'esprit
humain aux époijues les plus niémorahles des civilis.itions an-
térieures. II nous inspire en m'hne temps une synqiathie réelle
pour ces indigènes qui t»nt été punis des crimes d«' leurs princes
par une oppression systématique et par la perte de leur natio-
nalité.
lies missionnaires catholiques du .xvi'* siècle, épouvanti's par
ces ressemblances, les attribuaient à Satan, d'autant plus (|ue
les ahominatioim païennes se mêlaient aux observances les
plus orthodoxes {"1). Acosta consacre tout le cinquième livre de
son Hisloirc naiurelle des Indes à démontrer «< (pie le Diable
s'est elTorcé de s'esgaller à Dieu, et d>' luy ressend)ler aux
façons de sacrifices, religion et sacramens ». A la fin du
xvii* siècle, Antonio de Solis (3) croyait encore à la puissance
démoniaque qui travestissait les traditions juives et les rites
chrétiens pour mieux entraîner à leur perte les tribus améri-
caines. N'est-il pas plus raisonnable de croire à l'intervention
de quelque peuple chrétien. Irlandais ou Northmans, ({ui,
forcés de rompre leurs relations avec la métropole, se sont
étendus vers le Sud, attii^és à la fois par la douceur du climat
et par la nécessité ? Trop peu nombreux pour imposer leurs
croyances, ou bien encore trop peu éclairés pour les <-onserver
dans toute leur pureté, ils les auront sans doute adaptées aux
cérémonies et aux cultes qu'ils trouvèrent en usage. On ne sait
pas au juste à quelle époque ni qui donna aux Américains les
(1) Sahagun, id., p. 390.
(2) Acosta, ouv. cité, p. 209-273.
(fi) Antonio de Solis, Conquête du Mexique, traduction de Tlioulza, t. I,
. 132.
|Hi<<o4 -J|^§j)ÉÉ|Mtfl>
CHAI'. Xl, — THACKS llK LA l'HKSKNCK KKS KCHOI'KK.NS.
iil
prcniu'i'cs notions du iliristianisinc. niiiis assurrnicnt il se
trouva un peuple, ou tout nu moins ipielipies iiunnues cpii,
avant Colouih, avaient enseij^né notre reli^'ion aux Américains.
Saint François Xavier parcourut les Indes en c(»nverlissant les
peuples sur son passa^re ; il passa de là au Japon, et mourut
en (Iliine an moment où il allait continuer les iriiracles de sa
prédication, [^e clirislianisnu; ne lui a pas survécu dans ces
contrées ; mais si, aujourd'hui, on reiic<»ntre encctre chez cer-
tains de ces peuples orientaux des traces évidentes de chris-
tianisme, nous devons les attrihuer au saint Jésuite. iJe môme
firent en Américpie les chrétiens anonymes (|ui déposèrent dans
ces vastes contrées des ftermes féconds, plus tard développés :
les néophytes, privés de leur enseiffuement. perdirent peu à
peu le souvenir de ce (|u'on leur avait appris et confondirent
leurs croyances nouvelles avec la religion précédenunent étahlie.
Ue la sorte s'explicjuent les singulières analogies ipie nous
avons constatées.
Lu meilleure preuve du hien fondé de cette théorie c'est cpie
les traces du (christianisme ont été les plus évidentes et les plus
persistantes justement dans la région où les Northmans se sont
étahlis, c'est-à-dire dans le nord actuel des Ktats-Unis et dans
les provinces du Dominion haignées par r.Vtlanticpie. Il est
même assez curieux de rechercher à travers les relations des
voyageurs, et de siècle en siècle, les preuves de cette prédi-
cation antérieure aux explorations du xvi" siècle.
Ainsi nous lisiins dans le voyage de Jacques Cartier (I):
« I^ xxnii du mois (juillet I5IU) lismes faire une croix haute de
trente pieds, et fut faite en la présence de plusieurs d'iceux en
la pointe de l'entrée de ce port.. . et après la plantasmes en
leur présence sur la dite pointe, et la regardoyent fort, tant
lorsqu'on la faisait (pie quand on la plantait. Et l'ayant levée en
i
r.
^') Discours du voi/age fuit par le aipilaine Jmqms Cartier en lu terre
nettfve de Canada (Edition .Micliclmit cl Ititiiié, p. 55).
< l
l'
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s
*V2
l'HKMIKHE l'AHTlK.
I.KS l'HK(.( HSKIIIS 1>K COLOMH.
liant, iiniis nous agenouillions tous aviint les mains jointes,
Tadorant à leur veiU>, l't U'Air faisions sijjno regardant et montrant
le ciel, (|ue d'icelle dépendoit nostre rédemption ; de la(|uell<!
eh(»se ils s'émerveillèrent beaucoup, se tournant entre eux,
puis regardant cette croix. Mais estanz retourné en nos navires,
leur capitaine vint avt'c une barque à nous, vestu d'une vieille
peau d'ours noir, avec ses trois (ils et un sien frère, lesipiels
ne s'approchèrent si près du hord comme ils avoyent aecoustumé
et y fit une longue harangue montrant ceste croix, et faisant le
signe d'icelle avec deux doigts. Puis il monstroit toute la terre
des environs, comme si il eut voulu dire (pi'elle estoit toute à
luy, et (jue nous n'y devi(jns planter ceste croix sans son congé ».
Nous pensons que le Canadien cherchait plutôt à indiquer
<pi'il y avait d'autres croix, déjà érigées, dans toute la contrée.
S'il l'avait réellement C(tnsidérée comme un signe de prise de
possession, il se serait opposé à son érectiftn, ou l'aurait renver-
sée après le départ des Français. Or, non seulement il n'en fit
rien, mais encore, d'après une res|)ectal)le tradition, cette croix
était encore debout lors du vijyage de CJiamplain, près d'un
siècle plus tard (1) : « Kn l'un de ces [)'»rts (de la baie de Kundy),
lisons-nous dans la relation de 1(107, treuvasmes une croix qui
«'stoit fort vieille, toute couverte «le mousse et presque toutt;
pourrie, qui monstroit un signe évident qu'autrefois il y avoit
esté des chrestiens ». Que cette croix revue par (^diamplain ait
été ou non érigée par Cartier, le détail n'est curieux qu'au point
de vue archéologique. Ce (pi'il importe davantage de c<»nstater,
c'est que les habitants de la région avaient des habitudes chré-
tiennes, qui ne trouvent leur explication (jue si on admet une
prédication antérieure. Voici par exemph; comment un des
compagnons de Ghamplain, Lescarhot, parle des indigènes entre
le cap Breton et Malebarre (2) ; et son témoignage est d'au-
(i) Voyage de Champlain, édition Laverdière, l. III, p. 135.
(■1) Lescaiibot, Histoire de la Nouvtlie France, (édition Tross, p. 666-667).
niAP. XI. — THAI.KS ItK LA l'UKSK.NCK IH;S KlHol'KRNS.
\v,\
tant |>liis iiii|)urtaiit i|iril iic rroit pas à cctti» pivclication <|ii
(Ihristiaiiisiiii' et ne s'apcn-nit pas i|iril fournit ainsi des arji^u-
iiH'iits ('(tiitiv liii-iiiènu*. I^('s<'arl)ut al'lirrnt' cpi'il serait facile
(le (•(►rivcilir ces indigènes, « et de ceci, uj<»ute-t-il, j'ai dos
téiNMi^iiaffes rcrtains, pour ce (pie je les ai n'coiiniis tons
disposés à cela par la coiiinmnication (pi'ils avoicnt avec
lions ; et il y on a qui sont chrétiens de volonté et on
font les actions telles qu'ils peuvent, eiic<»re rpi'ils ik^ soient
haptisés; entre lesquels j»* iioiiinierai (îhkoudun capitaine (alias
Sa;;ainos) do la rivière S. Jean, le(piel ne iiian^çe point un
morceau qu'il ne love les yeux au ciel et no fasse le signe de la
croix, pour ce qu'il nous a vu faire ainsi ; même à nos prières
ils se mettent à genoux comme nous : et |)our ce cpi'il a vu une
grande croix plantée près de notre fort, il en a fait autant chez
lui et en toutes ses cahanos ; et en porte une devant sa poitrine,
disant qu'il n'est plus sauvage, et reconnaît hien (pi'ils s<»nt
hostos (ainsi dit-il on son langage) mais qu'il est comme nous
désirant ostro instruit. Co que je dis do celui-là, je le puis
al'lirmer presque de tous les autres ».
(le n'était pas seulcinont le Sagainos de la Rivière Saint .loan
qui désirait ainsi rossomhlor aux Européens. Tous les indigènes
de la région, Ahonakis, Souriquois, Ktchomins, etc., étidont
à demi européanisés avant l'arrivée des explorateurs du x vr siècle.
Kntro eux et les Français les alliances furent plus faciles et plus
fré(|uentos qu'avec toute autre peuplade indienne. On eût dit
qu'il existait entre eux une bonne intelligence qui tenait à des
affinités d'origine ou à toute autre cause liistorique. Go fut
également chez eux que persista le culte do la croix, déjà signalé
par les premiers arrivants. Voici ce qu'écrivait en 1035 le Père
Julien Perrault, missionnaire à Cap Breton (1) : « Ils font très
volontiers le signe de la croix, comme Ils nous voient faire,
(I) P. PEHnALLT, Relation de quel(/ues particularités du lieu et des ha-
Intants de Cap-Breton (à la suite de la Kelatioa liistorique de ce qui s'est
passé en la Nouvelle France en l'année 163,"> par le père Lejeune).
)
M
iil PltlCMIKKK l'AKTIK.
LKS l'HKCI HSKl'HS l»K COUIMH.
levant les veux au ciel, prointiiiaiit Jésus Maria ((inunc nnus,
Jus(|U(>-là (|u'ayaiit r('nian|U('> riioiuicur (|iic nous rciidinns à la
croiv, les pauvres ^eus se la |>ei}.'neut au visage et à resloiriac,
aux liras et aux jarnhes sans eu Olre priés. Je veux Itieu (jii'ils
fasseut tout <'ela eu ces couuueiU'ouienls par siui|>li(ité naturelle,
tpii les [Ktrte à imiter tout ce (|u'ils voi(>iit ». Au niénu> luouieiit,
en HVM't, Saganl Tlieodat, l'auteur d'une ciu'ieuse histoire du
(.anada, retrouvait avec étonnement chez les Montagnais l'histoire
du dêlufïe (1), et le dogme de la Trinité ["l). Il constatait encore
la croyance à la Vierge, et il concluait en ces termes (II) :
«« Voilà des sentiments et des [lensées qui ne sont pas trop
éloignés de la vérité de la chose pour des sauvages cpii n'ont
Jamais été instruits, car il lu; se lit |ioint (piejanuiis lesaoùtres,
leurs disciples, ni aucun religieux avant noiis aient passé »n ces
pays-là pour leur prêcher la parole de Uieu, ni autrement ».
Un autre missionnaire, le Père Leclerc(|, ipii arriva au Canada
le 11 octohre KiTa, et y resta douze ans, dont huit passés à la
mission de la rivière de Miramichi, était heaucoup plus aflir-
mutif (|ue Lescarhot, que Perrault ou (|ue Sagard. Dans sa
curieuse description de la Gaspésie (-4), il n'hésite pas à affirmer
« que le culte ancien et l'usage religieux de la Croix (|u'on
admire encore aujourd'hui parmi les sauvages de la rivière d»'
Miramichi, que nous avons honorée du titre auguste de la
Rivière de Sainte Croix, pourrait hien nous persuader en
quelque fîcon que ces peuples ont reçu autrefois la connais-
sance de 1 Evangile et du christianisme, qui s'est enfin perdu
par la négligence et le lihertinage de leurs ancêtres ». Et de
fait il cite à l'appui de son dire de nomhreux usages qui sem-
(1) Saoahd TiiEODAT, Histoïre (iu Canada, p. 507.
(2) iD., p. 504.
(3) Id., p. 506.
(4) Père Leci.ercq, Nouvelle relation île la Gaspésie qui contient les
mœurs et la religion des sauvages Gaspésiens, Porte-Croix, adorateurs du
Soleil et iFautres peuples de l'Amérique Septentrionale dite Canada (1691).
p. 40-41.
CHAI'. M. -• THACKS l»K LA l'HKSKNCK l»KS KIHOI'KK.NS.
**:i
la
t'ii
hais-
les
'S du
691).
Iilt'iit tlt'iiiMiitrcr (|iii' le culte «le la ('.i'oi\ riait ciic/ ti»iis (•«•«»
saiivaf^cs tic Iniditioti aïK-iciini* <>t coiistaiili'. Il est inOiiic allé
au (levant des nliJectiiMis (|uaii(l il a e\|ili(|iié les iiiotifs tie son
insistance à parler <lii calte de la ()roi\ en (lasiiésie. « (lonune
j'estime, dit-il, (|ue c<'tte renian|ne est une des pins cunsidé-
rablus de ma relatrim, J'ai cru (pi'après la perquisition très
•'vacte (pie j'en ai faite, p'eiidaiit les douze anix'es de mission
(pie j'ai demeuiv parmi ces peuples, je d(>vais satisfaire au
(l(''sir et à la pri(''re de |)lusieurs |>ersoniies (pii m'ont conjuir
de mettre au j(n . tte histoire, aiin de faire connaître au
public l'origine du culte de la Croix chez ces infidèles, son
interruption et son nHaldisseinent (1) ».
Voici les principaux points de son ar};umeiitati(»n : nous
l(!S citons à cause de l'inténU (pi'ils pn'sentent, et aussi à cause
de la rareté de l'ouvrafre : « J'ai trouvé auprès de certains sau-
va^res (pie n<»us appelons P(»rte Croix, une matière suffisante
pour nous faire conjecturer et croire même ipie ces piniples
n'ont pas eu l'oreille fermée à la voix des ap«'»tres, dont le son
a retenti par toute la terre, puis(prils ont parmi .-ux, tout infi-
dèles (pi'ils soient, la croix en f.'rande vénération, (pi'ils la
portent fifîurée sur leurs habits et sur leur chair, qu'ils la
tiennent à la main dans tous leurs voyages soit par mer, s(»it
par terre, et qu'en(in ils la posent, au dehors et au dedans de
leurs cabanes, comme la marque d'Iionneur (pii les distingue
des autres peuples du Canada {"1) ». Ce sentiment était si bien
enraciné dans leur esprit qu'un jour, aux objections du père
Leclercq qui lui représentait qu'il fallait choisir entre la croix et
le concubinage, un chef sauvage répondit qu'il abandonnerait
femmes et enfants « plut(jt que de quitter la croix que j'ai reçue
de mes ancêtres, en titre d'héritage et par droit d'aînesse, et je
la veux conserver toujours précieusement comme la marque
(1) Péhe Leclercq, ouv. cité, p. 170.
(S) Id., ouv. cité, p. 169.
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4tlJ
'HK.MIKUK l'AHTIK. — I.KS l'UKClHSKIMS UK Cdl.OMII.
(l'Iioiiiioii' (|iii (listirif^Mic le s<'iiiva|.'(> de Miniiiiiclii de tuiitcs li>s
aiifrcs nations lie lu Nniivcllc-Fraiirc » (11. l'ii jniir (ju'il iiilcr-
ntjrcaif SCS ouailles sur l'ori^'iiic lio ce culte, les saiiva^'cs
i'é|ioii<lii'eiit au l'ère Leclerc(|(|ue leurs anc(Mres étaient «lécimés
par une épitléuiie, |ors(|Uf un vieillard vit en son^;e un heau
Jeune linnnue i|ni lui conseilla, s'il voulait guérir, de prendre
la croi .1 Conmie les sauva[.'es sont crédules aux son^!;es jusipi'à
la supei'stilion, ils ne né^;lip'rent pas c(diii-ci dans leur (>xtrenie
nécessité ... Ils (irent luie assenihlée jiénérale de tout ce qih
restait d'une nation mourante, et tous (>nsendde condin'ent d'un
connnun accord (pu; l'on rec(^vi'ait avec lioinutur le sacré si^:rie
de la cr<*i\, (ju'on letu' présentait du ciel pour être la lin de leur
misère et lo coinnuMicement de leur bonheur. « Connue il arriva
en elVet, puiscpie la maladie cessa et que tous les aftliiiés ipii
[tortèreiit l'espectueusemenl la croix furent },Miéris miracultMi-
sement (12). Après donc la résolution prise dans le conseil (ii) pas
im sauvajre n'eût osé paraître devant les autres, sans av(jirensa
main, sur sa cliaii- ou sur ses liahits le sacré si^nede leur saint
en sorte «pie s'il était (piestion de décider (piel(|ue chose de
conséipience touchant la nation, soit pour conclure la paix nu
iléclarei' la mn-rre contre les eiuu'mis de la patrie, le chel" con-
vo<piait tous les anciens, (pii se rendaient |)oncluellement au
lieu du conseil, où, étant asseuddés, ils élevaient un(^ croix de
neul' .1 di\ pieds ; ils faisaient un cercle et prenaient leur place,
avec chacun leur croiv à la main, laissant celle du conseil au
milieu de l'assemhléc» ... S'a^^issait-il d'envoyer une andtassade,
le cacicpie remettait avec solennité mw croix précieuse au l'e-
préseutant de lu nation, et ce dernier la rendait, <piand il avait
Uni sa mission (i). « ICnlin ils n'(>ntreprenaient rien sans la
la croix ; le <hef la portait lui-même à la main, en forme s'e
(1) \^P.HK Lv.a.f.iw), oiiv. cit«^, |). 210.
(2) II.., |). i72-n:i.
(3) II.., |>. nc-nv,
(•i) lu., p n8-17!l.
;.:i«aM»!3»P(M>ww
^''— a?ywtf*T"
CIIAP. XI. — TIIACKS l»i; LA IMtKSKNCK DKS KrUOI'KF.NS.
HT
liàtoii, (>t il lu |)!.'i(;!iil (liiiis le Ijcii le plus lioiiui'alth' <l<- sii
calxiiic (I) ". S'('iiiliar(|ii.\i('nl-ils dans leurs raïKils irrcunt', ils
y nicttaiciit uuc rroix «le rlia(|U(' hout(:i). L'ii t'ulaut vcuaii-ilau
uiandt', ses laiip-s cl sou Ix'i'ccau élaicuf aiissitùl uiai(|U(''S du
sijiuc sa(iv(!l). Des rcuuucsi'faicut-cllcsciiccinlt's.cllfs li^uraicnt
Icsi^Mii' de la ri'(ii\ stu' la CKUNt'rtunMiiii cacliail leur sciii(iK l^t's
loudtt'aux t'fairMt urut-s dr cmiK (Ti), cl iim^uic dans leurs rer-
encils ils étaient ensevelis avec des croix a dans la croyance
(|ue cette croix leur l'era coiupa^zuie dans l'autre monde, et (pTils
ne seraient |ias c(Uinus de leurs anct^fres, s'ils n'avaient avec
eux la niar(|ue et l<' caractère lioiioralde qui distin^de les l'orte-
(Iroix <le t(tus les autres sauvajics de la Nouvelle-France (<») i .
Lors(|ue le père l.eclercii évauf^élisa ces (laspi'siens la plu-
part de ces coutumes r>taient tondiées en ilésuétude ; mais il
n'eut (pi'à parler pom- remettre eu lionneur le culte .le la Croix.
Ktonné de. son succès, il voulut un Jour leur l'aire avouer (pie
d'autres missioiniaires l'avaii'iit précédé. <. Ile ipioi ! me dit
le chef (7), tu es patriarche, tu veux que nous croyions tout ce
• pie tu pro|»oses, et lu ne veux pas croire à ce (pie nous te dis(»ns;
lu II as pas encore (piaraiite ans et il n'y en a (pie iU'ti\ cpie tu
demeures clu'/ les sanva^^es. et tu Mrélemîs savoir nos Iradilions,
nos maximes et nos coutumes mieux (pie n(»s anci'lres (pii nous
les ont enseignées ! Ne vois-tu pas tous les Jouin (Jiiiondo, (pii
a plus de six vin^'lans? Il a vu le premier navire (pii ail aliordé
dans noire pa\s. Il t'a iw'pélé liien soiiV(=iit (pie les sausaj^cs de
Mirainiclii ndnl pas reçu des étranj;ers l'iisa^'e de la croix et
(pie ce (piil en sait lui-même il l'a appris par la tradition dest>s
pères, (pii ont vécu pour le moins autant (pie lui. Tu |iou\ donc
' Il
! ;
(Il I'kiii; l.i.c.i.Kiiiij, iMiv, cilc, |i. IHd.
i2l In., p ISI.
et) II)., |i IKt.
(4) l!).. |i. 182.
(."il l!t., |i. IS.'i.
(li h. , |i. I ST.
0) li> , |i. 21-272.
I
; <
il
il
iiS PRKMIKRK P.VUTIK. — LKS 1'HK(UHSKI:KS DE COLOMB.
iiilV'iH'r (jiie nous l'avons rt'cuc avant quo les Français vinssent
à nos côtes ».
Comme Cartier arriva au («mada en l.'ilM et (|ue le père
Leelenj éerivait en 1077, il est peu prohahie (jue ee Quiondo,
i\w aurait été iV^o de li3 ans, ait vu les Français débarquer;
UHiis les (^.anadiens étaient unanimes à aftlruier (pi'ils connais-
saient la croiv de temps immémorial, et le père Leclenj lie
pouvait s'empêcher de reconnaître (pie sa prédication n'aurait
pas suffi à expli(|ucr cette prodigieuse expansion du culte de la
croix. D'ailleurs il n'avait ([u'ù jeter les yeux autour de lui, et
I)artout il voyait dressées devant lui des croix dont il n'avait
jamais ordonné l'érection : « Les lieux de pêche ou de chasse
les plus considérables, écrivait-il, sont distingués par les croix
qu'ils y plantent, et on est agréablement surpris, en voyageant
dans leur pays, de rencontrer de temps en temps des croix sur
le bord des rivières, à doubles et à trois croisées, comme celles
des patriarches (1) ».
On a accusé le père Leclerq d'avoir poussé la crédulité jusqu'à
ses dernières limites. Un de ses collègues, le père Lafitau, a
même prétendu que sa Relation de la (iaspésie n'était qu'un
pieux roman, et le père Charlevoix a lancé contre lui ce grave
rej>roche : « D'ailleurs ce religieux était le seul qui eût avancé
ce paradoxe ; aucun de ceux (jui avant lui avaient vécu avec
ces sauvages, et dont plusieurs ont su leur langue et étudié
leurs traditions beaucoup mieux (ju'il n avait pu le faire, n'y
ayant rien découvert de semblable ». Que si pourta.i. le père
Leclerq avait eu l'audace de forger de toutes pièces je ne sais
quels contes en l'air, il aurait été réprimandé ou démenti par
ses supérieurs : or, non seulement il ne le fut pas, mais encore,
quand on le rappela en France en 1687, il fut nommé gardien
ou supérieur du ccaventdes Ilécollets de Lens en Artois. En
(1) PÈRE Leclehq, ouv. cité, p. 186.
(2) Lafitau, Mœurs des sutwagps Amifricaitis, I, 435.
(:») CuAHLEVoix, Histoire de la Nouvelle France, I, 222.
.Um ii^JJ--
m"""*
'WT'
CllAI', XI. — TRACES DE U PRÉSENCE DES EUROPÉENS. 449
outre, Charlevoix se trompe quand il affime que [>as un de ses
contemr)orains n'a sig;nalé le culte de la croix dans la Nouvelle
France, Jean Baptiste de Lacroix Ghevrières de Saint- Vallier,
(|ui arriva au Canada en qualité de vicaire général de l'évêque de
Québec, François de Laval, le 30 juillet 1083, visita la mission
de Miramichi en 1686, et fut nommé évéque de Québec en
1688, il est par conséquent impossible de citer un téinoiu [>lus
compétent et plus autorisé, a ci>mj)osé un /:st(it présent de
l'Eglise ci de la colonie franniisi' dans hi j\'tn(i'rllc France (l),
dans lequel il parle de la rivière Sainte Croix et des Porte Croix
ou Gruciantaux. «■ Ils conserven* entre eux, écrit-il, un respect
particulier pour la croix, sans qu'il paraisse aucun vestige
d'où l'on puisse conjecturer (|u"ils en aient jamais connu le
mystère ; il serait fort curieux de pouvoir remonter jusqu'à la
première origine de ce culte qu'ils rendent sans y penser au
signe salutaire de la rédemption des hommes ; mais, comme
l'excès de la boisson d'eau-de-vie, dont ils sont aussi passionnés
que les autres sauvages, a fait mourir depuis quelque temps
tous les vieillards et un grand nombre de jeunes gens, il est
difficile de trouver parmi eux des personnes capables de nous
instruire de la vérité avec quelque sorte de certitude » (2). Le
pieux missionnaire fait pourtant allusion à ce vieillard, sans
doute le Quiondo de Leclcrcq, qui avait vu la croix en honneur
dans son pays avant l'arrivée des Français (3), et il ajoute
quelques détails qui complètent les données de son prédéces-
seur (A). >< Le capitaine se distinguait du conmuni en ce qu'il
avait une croix particulière sur les épaules, jointe à celle de
l'estouuic, et l'une et l'autre avaient une bordure de poils de
porc-épic, teinte en rouge du plus vif, couleur de feu ; outre
cela le:? trois croix de bois de deux pieds et demi de haut, d(Uit
(1) Paris, Robert Pépié, 1688. — Réimprimé à Québec, cri I8j7,
(2) Saint-Vallier, Ksfat pvo.ioHt de /'t'y//>, clc, i». :15-3C.
(3l lu , p. Tt-:iH.
(4 lu., p. :t!>.
T. I. 29
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mmmm
r
450 PREMIÈRE PARTIE. — LES PRÉCURSEURS DE COLOMB.
il appliquait l'une au devant de son canot pour les voyages, et
dont il plantait les deux autres au milieu de sa cabane et à la
porte contre les périls et pour le conseil, avaient chacune pour
marque de distinction trois croisillons ».
Une conclusion s'impose : c'est que le christianisme a été
prêché dans l'Amérique du Nord, avant l'arrivée des Européens
dans les premières années du xvi" siècle, et que le souvenir de
cette prédication, bien (ju'obscuici pai des superstitions locales,
s'était néanmoins perpétué avec assez de netteté pour que les
missionnaires chrétiens aient pu affirmer, en toute conscience,
et sans arrière-pensée, (|u"ils avaient eu des devanciers sur le
sol américain.
aOÈt
v'^rrt-
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE I.
LES COMMUNICATIONS ENTRE l'AMÉBIQUE ET l'ANCIEN CONTINENT
ÉTAIENT-ELLES POSSIBLES DANS l'aNTIQUITÉ ?
Les dangers de la mer. — R»icits fanlasliqiies do l'anliciuité sur les
dangers de la mer. — Théories scieiitiliiiues sur la forme de la terre. —
l'rogrès delà navigation. — Voisinage relatif de l'ancien et du nouveau
Continent. — Les trois étranglements de r.\tlanli(|nc. — L'Atlantide.
— Traces d'un grand bouleversement géologii|uc en .\méri(|ue. — Tra-
ditions Américaines sur ce cataclysme. — Les archipels de l'Atlan-
tique. — Les vigies éparscs da..s l'Atlantique. — Croyances anti(|nes
sur les diflicultés de la navigation dans l'Atlantique. — Les courants
nnirins de l'Atlantique et les apports involontaires. — F'ossibilité
des relations entre l'Ancien et le Nouveau Monde dès l'antiquité,
pages 3ù4l
CHAPITRE II.
LES PHENICIENS EN A.MEUIQUE.
Hardiesse des Phéniciens dans leurs navigations. — Los l'héniciwH
aux Canaries. — Inscriptions des Canaries — Les Phéuicums à Ma-
dère et aux Açores. — Les Açorcs correspondent aux Cassitéridcs. —
Inscription des Aç«res. — Les IMiéniciens et la mer des Sargasses.
— La grande île d'Aristotc et de Diodore, — Les Phéniciens sont-
ils allés jusqu'en Amérique? — Traditions Américaines. — Quetzal-
cohuatl et Volan. — Prétendues analogies entre les langues, les
religions et les mneurs des Phéniciens et des Américains. — Procédés
industriels. — La statue d'Onondaga. — L'inscription de Parahyba.
— La galère de l'île Pedra. — L'inscription de Taunton. — L'ins-
cription de Gravca Creek. — L'incription do Davenport, pages.. . . J2à 88
w
452
TABLE DES MATIKRES.
CMAPIÏHK Ml
LES JUIFS K.\ AMKniQli;.
Les parlisaiis du l'mijîiiio istaiilitc des Américains. — Les piopliélies. —
Opliir et Tarsis. — La Paivaïiii on l'aniiiii. — Les Cliaiiaiiéeiis de
Procope. — PirtendiK! éini^'ralioii des Juils en Aiiiériijuc. — Kxislu-
t-il des ressenitdances dans les traditions, dans les contunics, dans lus
lun{;ues, dans les types .luirs et Américains ? pages 89 à 1 1 1
CHAPITRE IV
LKS (iRECS ET LES UO.MAIXS ONT-II,>, CONNU I/aMÉRIQUE ?
Tiadilions, tliémies et voyajçcs. — I. L'Allanlide de Platon. — Les scep-
ticpies et les- croyants. — Possibilité de l'existence de IWtlantide. —
On était l'Atlantide ï — Le continent f'.roriien de PIntanpie. — La
Méropide d'Klien. — 11. L'.\nticliton(! vÀ les .\nli|)odes. — Les terres
à l'ouest. — Sénéipie et la prophétie de la Médée. — Les anciens
croyaient à lu |iossitiilité d'nne cornninnication entre l'Atlantique et
la mer des Indes. - III. Voyages anx ihss Korinnées et anx Hcspé-
ridps. — Kiiplicnios de Carie aux îles Satyrides. — Inscriptions et
monnaies j,'réco-latines. — .Analojçies prétendues entre les langues
ancieimesetles lanjçnes Américaines. — Les Indiens de Metellus Celer,
pages 112 à 17:2
CHAPITRE V
LES C().\L\!U.MC.\TIOXS ENTUE l'a.MÉRIQLM: ET l'aNCIE.N CONTINENT
ÉTAIENT ELLES POSSIBLES .\U .M()YEN-A(ÎE ?
Ignorance géograpliicpie. — (lauses de cette ignorance. — La croyance
aux Antipodes combattue connue sacrilège. — Prétendue inhabitabilité
de la zone torride. — Progrès des notions gèograpliicpics. — Croyance
à l'existence d'un ou de plusieurs ccmtincnts au-delà de l'Atlantique. —
Vincent de Beauvais. — Hoger Bacon. — Albertle-(irand. — Saint
Thomas. — Dante et la Croix du Sud. — Pierre d'Ailly.— Pécheurs,
pirates et missionnaires, pages 173 à iOX
CHAPITRE VI
LES ILES FANTASTIQUES DE l'oCÉAN ATLANTIQUE.
Le Paradis terrestre. — L'île de Saint Brandan. — Voyages entrepris
à la recherche de l'île de Saint-lirandan. — L'île des Sept Cités. -
mm
TABLE DES MATIERES.
153
Diverses positions assigiiées à cette ile prétcndiie. — L'Aiitilia. — Où
était l'Antilia? — il.yllo, L.a Man Satanaxio cl Tuninar. — lie de
Uracii ou Brazil. — ''layda et Isla Verde, pages 203 à 2â7
CHAPITRE VII
VOYAr.ES UKS ARABES DANS I.' ATLANTIQUE.
Grand rôle des Arabc^ dans l'Histoire de la civilisation. — Leurs con-
naissances géographiques sur l'Atlantique. — L'expédition des frères
Maghrurins, pages 228 à 237
CHAPITRE VIII
l.KTi inL.\M)AIS EN AMKIUQUK AVANT COI.O.Mll u'APnÈS LA LÉfiENDE
KT l'iiISTOIUE. — COLOXIS.VTION l)K L'iRL.VM) IT MIKLA.
L'Irlande est au moyen- Age la terre des saints et des voyageurs. — La
If'gcnde do Condla le Beau — Les aventures de Cuculain. — Léogairc.
— Fionn. — La légende d'Oisin et la fontaine de Jouvence. — Saint-
Krandan et ses courses à travers rAtlanti(|ue. — Qu'y a-t-il de vrai
dans cette légende? — Les fils de Conal IJcagli. — Les voyages de
.Mallduin. — Traditions du pays de Galles. — L'île d'Avallon. — La
légende d'Elie et d'Knocli. — Voyages des Papip Irlandais dans
l'Atlantique. — Cormac, Siiedglius, Mac-Riaglila. — Leurs stations
aux Oreades, aux Shetland, aux Féroë et en Islande. — L'irland It
.Mikia. — Voyage de l'Ishindais Are Marsson en Irland It Mikla —
Bjoerii et Gudleif. — La saga de Thorlînn Karlsefne. — Le voyage du
péciicur Frislandais d'après Nicole Zeno. — Les triades Galloises et
réniigration du prince Madoc. — Persistance du langage Gallois en
Amérique. — Madoc a débarqué dans l'irland It Mikla. — Persistance
des usages chrétiens dans l'irland It Mikla, pages 238 à 2'>M
CHAPITRE IX
à -201
LES NOHTII.MAN!^ KN AMÉRIQUE. — LE VINLANI) ET LA NORAMBEliA
Courses maritimes des Northmans. — La bulle de Grégoire IV. — Décou-
vertes et travaux modernes. — Colonisation de l'Islande. — Gunnbjorn
et Erick Rauda au Groenland. - Voyage de Biarn Heriulfson. —
Leif Ericson découvre le Hclluland, le Markland et le Vinland. —
Voyage de Thorwald Ericson à Leifsbudir en Vinland. — Voyage de
Thorstein et de Gudrida. — Voyage de Thorlînn Karlsefne — Les
SkroPllings. - Productions du Vinland.— Voyage de Tiiorwald et de
Ab\
TABLE DES MATIERES.
Kicydisa. — Voyage de Hcrvador. — Le Viiiland cunnu cii Europe. —
Le chris'iaiiisme cl la croisade au Vinland. — Courses et voyages dans
les rét^iotis boi'éales. — Découvertes d'Adhalbrand <'À de Thorvald. —
Commerce de puissous et d« bois (lotU*. — Décadence des colonies du
Vinland. — Adaqucs iticcssantes des Skioellin{;s. -- La |)estc noire. —
On perd la notion en Europe du Groenland et du Vinland. — La
Norambega. — Recherche de la Norambega à travers les cartes et les
documents géographiques. — Où était la Norambega ? pages. . . 292 à 356
CHAPITRE X
LES VOYAGES DES FRÈRES ZENI.
î
Génie . .iturcux des Vénitiens. — Voyage de Nicolo Zciio. — Voyage
d'Antonio Zeno. -=- Expéditions en Estland, en Engroveland. — Les
pécheurs Frislandais en Estotiland et à Drogeo. — Expédition de
Ziclimni dans la direction de l'ouest. — Icaria. — Catcrino Zeno et la
première édition de la relation. — Authenticité de la relation. — Le
prince Zichmni. — La Frislande et les Feroë. — L'Eiigroneland et le
monastère de Saint-Thomas. — L'Icaria. — L'Estotiland et les Esto-
tilandais. — Drogeo, pages 357 à M\
CHAPITBE XI
TRACES I)E LA PRÉSENCE DES EUROPÉENS EN
CHRISTOPHE COLO.MB.
A.MEHIQUE AVANT
L Les Monuments. — Maison de pierre de Newport. — Monuments
apocryphes. — Hoc de Dighton. — Les ruines Groenlandaises. — IL
Les langues. — Prétendues ressemblances entre les langues Améri-
caines et Européennes. — La chanson des Souriquois. — La langue
Souriquoise. — III. Les traditions. — Prétendues émigrations des
Scythes, des Germains, des Frisons, des Hernies. — Les Toltèqucs et
le Popol Vuh. — La Gougou. — IV. Les rcligitms. — Saint Thomas
en Amérique. — Les panœ Irlandais et Quetzalcohuatl. — Le Christ
honoré en Amérique. — Ressemblances entre les rites et les croyances
Américaines et Chrétiennes. — Traces persistantes du christianisme de
l'ancien Vinland. — Les Porte-Croix de (îaspésic, pages ^102 n 450
Saint-Bricuc. — Imprimerie Francisque Guyon. rua Saint-Gilles.