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Full text of "Histoire de la découverte de l'Amérique depuis les origines jusqu'à la mort de Christophe Colomb [microforme]"

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CIHM/ICMH 

Microfiche 

Séries. 


CIHM/ICMH 
Collection  de 
microfiches. 


Canadien  Instituts  for  Historical  Microreproductions  Institut  canadien  de  microreproductions  historiques 

1980 


Technical  NotM  /  Notes  technique* 


The  Inetitute  has  attempted  to  obtain  the  beat 
original  copy  available  for  filming.  Physical 
features  of  this  copy  which  may  altor  any  of  the 
images  in  the  reproduction  are  checlied  beiow. 


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Couvertures  de  couleur 


r~1      Coloured  maps/ 


L'Institut  a  microfilmé  le  meilleur  exemplaire 
qu'il  lui  a  été  possible  de  se  procurer.  Certains 
défauts  susceptibles  de  nuire  è  la  qualité  de  la 
reproduction  sont  notés  ci-dessous. 


Cartes  géographiques  en  couleur 


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Coloured  pages/ 
Pages  de  couleur 


Coloured  plates/ 
Planches  en  couleur 


D 
D 


Pages  discoloured.  stained  or  foxed/ 
Pages  décolorées,  tachetées  ou  piquées 


Tight  binding  (may  cause  shadows  or 
distortion  along  interior  margin)/ 
Reliure  serré  (peut  causer  de  l'ombre  ou 
de  la  distortion  le  long  de  la  marge 
intérieure) 


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[3 


Additional  commenta/ 
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Fold-out  maps,  charts,  etc.,  may  be  filmed  at  a  différent 
réduction  ratio  than  the  rett  of  the  lioolt. 


Bibliographie  Notes  /  Notes  bibliographiques 


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Le  titre  de  couverture  manque 


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IMaps  missing/ 

Des  cartes  géographiques  manquent 


I      I       Plates  missing/ 


Des  planches  manquent 


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Additional  commenta/ 
Commentaires  supplémentaires 


The  images  appaaring  hara  ara  tha  bast  quality 
possible  considaring  tha  condition  and  lagibility 
of  the  original  copy  and  in  iceeping  with  tha 
filming  contract  spécifications. 


Las  images  suivantes  ont  été  reproduites  avec  le 
plus  grand  soin,  compte  tenu  de  la  condition  et 
de  la  netteté  de  l'exemplaire  filmé,  et  en 
conformité  avec  les  conditions  du  contrat  de 
filmaga. 


The  lest  racorded  frame  on  aach  microfiche  shali 
contain  tha  symbol  — ^  (maaning  CONTINUED"), 
or  tha  symbol  y  (maaning  "END"),  whichava- 
applias. 


Un  des  symboles  suivants  apparaîtra  sur  la  der- 
nière image  de  chaque  microfiche,  selon  le  cas: 
la  symbole  — ►  signifie  "A  SUIVRE",  le  symbole 
▼  signifie  "FIN". 


Tha  original  nopy  was  borrowad  from.  and 
filmad  with,  tha  kind  consent  of  the  following 
institution: 

Library  of  tha  Public 

Archivas  of  Canada 

Maps  or  plates  too  large  to  be  entirely  inciuded 
in  one  axposura  are  filmad  baginning  in  tha 
uppar  laft  hand  corner,  left  to  right  and  top  to 
bottom.  as  many  framas  as  raquirad.  Tha 
following  diagrams  illustrata  the  method: 


L'exemplaire  filmé  fut  reproduit  grâce  à  la 
générosité  de  l'établissement  préteur 
suivant  : 

La  bibliothèque  des  Archives 

publiques  du  Canada 

Las  cartes  ou  les  planchas  trop  grai.das  pour  être 
reproduites  en  un  seul  cliché  sont  filméos  à 
partir  de  l'angle  supérieure  gauche,  de  gauche  à 
droite  et  de  haut  an  bas,  an  prenant  le  nombre 
d'images  nécessaire.  La  diagramme  suivant 
illustre  la  méthode  : 


1 

2 

3 

4 

8 

6 

■/^^/j-y-/^ 


HISÏOIHE 


li£  LA 


DÉCOUVERTE  DE  L'AMÉRIQUE 


PREMIÈRE  PARTIE 


LES     PRÉCURSEURS     DE     COLOMB 


KXTIIAIT  DKS  MÉMOIRES 


OE  LA 


SOCIÉTÉ   BOURGUIGNONNE 


OB 


GÉOGRAPHIE   ET   irHISTOlRE 


iWMMM 


HISTOIRE 


DE  LA 


DEPUIS  LES  ORIGINES  JUSQU'A  LA  MORT  DE 


(^.HIIISTOPHE  COLOMB 


l'Ait 


PAUL  GAFFAREL 

■■■•ol*ea«eui*    ù    la    Faculté    tlo»    I^ettres    de    nijon, 


TOME  PREMIER 


LES    PRlXURSliUKS     DE     COLOMK 


*'*titi* 


PAIUS 

ARTHUR    ROUSSEAU,    ÉDITEUR 
14,  Rue  Soufflot,  et  Rue  TouUier,  13. 


180:3 


:i 


AVANT  PROPOS 


(Jiiaiid,  ((Hiiinciit  et  [nir  (jui  rAinéii<|iU'  l'ut-cllt'  découverte  ? 
(îertes,  nous  ne  soinmes  pus  de  ceuv  (|ui,  par  amour  du  para- 
doxe ou  par  es|>rit  de  dénigrement,  se  font  un  jeu  de  contredire 
les  opinions  courantes  ou  d'attacjuer  les  gloires  consacrées, 
pour  nous,  c<»nune  pour  tout  le  monde,  Colomi)  est  et  restera 
le  véritable  découvreur  de  l'Ainéricpie  :  mais  les  grandes  dé- 
couvertes ne  s'improvisent  jamais,  pas  plus  (pie  les  grandes 
inventions.  Coloud»  a  eu  des  devanciers,  et  plusieurs  de  ses 
contemporains  méritent  d'être  associés  à  sa  gloire.  Avant  lui 
de  nombreux  savants  s'étaient  occupés  de  la  forme  véritable 
de  la  terre  et  avaient  affirmé  qu'au  delà  de  l'Océan  s'étendaient 
des  continents  inconnus,  .\vantlui  |»lusieurs  capitaines  s'étaient 
hasiirdés  sur  r.Vtlantique,  les  uih  poussés  par  la  tempête,  les 
autres  en  (piéle  d'aventures,  c(!ux-ci  entraînés  par  l'ardeur 
mercantile  et  ceux-là  par  la  ferveur  religieuse.  Exposer  les 
théories  et  les  hypothèses  de  ces  érudits,  rechercher  à  traviMs 
les  âges  les  traces  de  ces  vaillants  marins,  raconter  la  vie  de 
f^olomb  et  résumer  les  découvertes  maritimes  de  ses  contem- 
porains, en  un  mot  discuter  un  problème  de  géographie  histo- 
rique, dont  il  est  difficile  de  méconnaître  l'intérêt,  telle  a  été 
notre  intention. 

T.   I.  1 


CHAPITHË  1 


LKS  COMMUNICATIONS  KNTRK  L  AMKUIQU:-:  ET  \.  ANCIliN 
CONTINENT  ÉTAIENT-KI.LES  POSSIMLES  DANS  i/aNTI- 
gUITÉ  ? 


Los  relations  entre  rAinéricjue  et  le  continent  (|ue  nous 
liahitons  étaient-elles  possibles  dans  l'antiquité?  A  ne  consulter 
que  les  apparences,  les  communications  entre  les  deux  mondes 
paraissent  bien  difficiles.  Plusieurs  motifs  s'opposaient,  en 
ell'et,  à  ce  que  les  anciens  s'aventurassent  sur  l'Océan.  Le 
premier  était  la  terreur  instinctive  qu'ils  éprouvaient  à  la  \u«' 
de  la  mer.  Comme  l'écrit  notre  historien  p(»ète,  Miclielet  t^l), 
"  cette  masse  énorme  d'eau,  inconnue  et  ténébreuse  dans  sa 
profonde  épaisseur,  apparut  toujours  redoutable  à  l'imafrination 
immaine  ».  Lorsque  les  Aryas  atteignirent  pour  la  première 
fois  ses  rivages,  et  se  trouvèrent  en  présence  de  ce  grandiose 
spectacle,  auquel  rien  jusqu'alors  ne  les  avait  préparés,  ils  n<' 
«aclièrent  pas  leur  étonnement  et  leurs  craintes.  «  C'est  là  qu'ils 
virent  la  mer,  lisons-nous  dans  un  épisode  du  Mahababrata, 
l'Astika-Parva  (:2),  immense  réceptacle  des  ondes,  avec  ses  pro- 
fondes eaux,  agitées  d'un  vaste  bruit,  terrible,  infranchissable  en 
ses  profonds  tournoiements,  jetant  la  crainte  au  sein  de  toutes 
les  créatures,  formidable  par  les  cris  de  ses  monstres  aquati(|ues, 


(1)  MiciiELET,  La  mer,  p.  3. 

(2  Ce  passage  est  cité  par  Lenormant,  Manuel  d'histoire  ancienne,  t.  111. 
p.  439. 


•I"'.'V 


4  l'UKMIKHK    l'AHTIK.     —    LES    PHKCl'nSRIHS    llR   COLOMH. 

Hc  l)iilaii*;aiit  sur  ses  riva^'cs  au  puissant  SMurj|(>  du  veut,  se 
cahraut  dans  snu  a^'itatiou,  et  dansant  (;à  et  là  en  i-i>nniant  ses 
mains  pleines  de  vajrufs  >.  Telles  durent  (^tre  les  impressions 
de  tous  les  peuples  (pii,  dans  leiu's  mi^'ralinns  ou  leurs  courstN, 
arrivèrent  Juscpi'à  la  mer.  lùicoi-e  aujourd'hui  tous  ceux  cpii, 
pour  la  pi-eniière  fois,  assistent  à  ses  }.'ifrantes(pies  tra^rt-dies, 
éprouvent  conune  un  sentiment  iTelVroi.  l'n  nè|,'re  Mak(»lolo, 
uounné  Sekoueltou  (l\  (pie  Livin^'stone  ramenait  avec  lui  du 
rentre  de  l'Africpie,  perdit  la  tête  ipiaiid  il  apereut  l'Océan  et  se 
ji'tu  dans  les  flots.  N('  voyons-nous  pas  les  enfants  fuir  devant 
la  va^'ue.  et  les  animaux  parta^:er  cette  répulsion  ?  Les  plantes 
(dies-mémes  semhlent  se  tordre  et  se  rejeter  en  arrière  au  voi- 
sinage de  la  mer.  1/humaniié  n'a  triomphé  de  ce  premier  uiou- 
vement  de  terr"ur  instinctive  (pi'après  plusieurs  siècles  d'édu- 
cation, et  hien  des  j;énérations  se  sont  sr,< ,  édé  avant  (pie  l'on 
rencontrAt  riiomme  au  c(eur  i)ardé  d'un  M'iple  airain,  (pii,  l<^ 
premier,  osa  sur  un  es(piif  hraver  les  dan^'ers  de  l'Océan  (2;. 

illi  rol»ur  el  aes  triplex 

Circu  pecliis  erat,  qui  lVa;,'lleni  hiici 

Conuuisil  pela^'o  raleni 

Priruiis,  uec  lini'.iil  piiccipitoiu  .VTricuin 

Deccrlaiilein  Acpiilonihiis. 

Si  du  moins  ces  premiers  navifiateurs  avai(;nt  eu  à  leur  dispo- 
sition de  solides  eud)arcatious  el  de  hons  instruments  ;  s'ils 
avaient  eu,  (M>mme  les  nôtres,  un  ffuide  assuré  dans  la  hous- 
sol(>  !  Mais  les  profjrès  Ac.  la  iiavi};ation  furent  hien  lonîJrs.  Nos 
ancêtres  durent,  pendant  des  siècles,  se  intenter  de  ce  .«anpies 
rudimentaires,  dont  ou  retrouve  (îucore  (piehpies  déhris  dans 
les  couches  organi(piesdu  conuuencement  de  la  période  (piater- 
naire  :  grossiers  radeaux,  ou  plutôt  troncs  d'arhres  à  peine 
(''quarris.  inégalement  creusés,  et  sans  ajtpui  extérieur  potn*  les 


(1)  LiVLNnsroNE,  Voyagr  en  .Ifrii/iic  (Tour  du  moiido,  1866). 

(2)  HoHACK,  Odes,  I,  m,  0. 


IIIAI'.  I.  —  COMMLMC.  KNTHELAMKHiyUK  ET  LANC  liO.MI.NK.NT.    .» 

raiiu's  ;  «c  (|iii  lui^iuo  a  l'ait  conjcctuivr  (in'oii  ics  dirifrcait  avec, 
la  iiiaiii(l).  Il  est  vrai  (|ii('  |i('ii  à  pt'U  les  navires  se  iicrlVrfion- 
tièrciif.  On  apprit  à  les  niàtcr,  à  les  pontcr;  nii  les  pnin-vut  «l'un 
{gouvernail  {'1)  ;  mais  ils  étaient  toujours  mal  construits  et  mal 
}fréés.  De  plus,  les  marins  n'osaient  |>as  s'éloigner  des  côtes  et 
perdaient  aies  doulder  un  temps  précieux,  domine  ils  n'avaient 
pour  tout»?  indication  (pie  des  étoiles  qui  n'étaient  pas  toujours 
visililes,  au  moindre  lirouillard,  à  la  première  tempête,  ils 
étaient  oldij.'és  de  suspendre  leur  marche,  tmp  heureux  si  les 
values  ne  les  jetaient  pas  à  la  côte,  si  le  vent  ne  les  entraînait 
pas  au  lar};e,  sans  guides,  sans  signes  de  reconnaissance,  hal- 
lottés  au  lias  sur  des  mers  inconnues.  Au  temps  d'Homère, 
un  voyage  de  llrète  en  Kgypte  passait  encore  pour  dangereux  (3) 
et  les  |»irates  osaient  seuls  l'entreprendre  au  péril  de  leur  vie, 
Jus(prà  Hérodote,  l'Egypte  fut  pour  les  (Jrecs  une  terre  mer- 
veilleuse (-i).  Ce  n'est  (pic  lentement,  et  a|»rès  hien  des  hési- 
tations, (pie  les  marins  se  décidèrent  à  sortir  d(^  la  Méditerranée 
et  à  se  ris(|uer  sur  rAtlaiiti(iue.  Encore  ne  perdirent-ils  jamais 
les  côtes  de  vue.  Dans  leurs  voyages  ordinaires,  ils  paraissent 
ne  pas  avoir  dépassé  au  nord  les  Iles  ]}ritanni({ues,  et  au  sud 
les  parages  du  Séiu'gal. 

De  fantasti(|ues  récits  augmentaient  encore  les  dangers  de  la 
navigation  sur  l'Océan.  Dans  la  direction  du  Nord,  c'étaient 
des  montagnes  de  glace  ou  des  hrouillards  perpétuels  qui  arré- 


(1)  Le  inustîc  de  Copeiihaîçue  possède  trois  de  ces  barques  (Wohsae,  Cata- 
loffue  de  Musée,  iio»  293,  4,  "i).  Le  musée  de  l'académie  de  Dublin  eu  possède 
également  trois.  On  en  trouve  dans  presque  tous  les  lacs  Suisses  (V.  Thoyok, 
Hahitatiom  lacustres.  —  Desou,  Palafittes  du  lac  de  NeufchiUel).  De 
1775  à  1835  dix-sej)t  de  ces  canots  ont  été  retirés  de  terrains  bas,  abandonnés 
par  la  mer  près  de  Glasgow  (Lykll,  Antiquité  de  l'homme,  traduction  Chaper, 
p.  40).  On  peut  encore  étudier  des  spécimens  analogues  dans  les  musées 
d'Abbeville,  Dijon,  Lyon  et  Suint-Germain. 

(2)  Moutim-et,  Origines  de  la  navigation  et  de  lapi'che,  p.  16-19. 
(:l)  HoMÈHE,  Odyssée,  III,  73,  319.  —  XIV,  2*i7. 

(4)  Tout  le  second  livre  des  Histoires  d'HÉnonoTE. 


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l'HEMIKHK    l'AHTlK.    —    LES    PRKCLRSEL'RS   DE   COLOMB. 


talent  la  maiThc  des  vaisseauv.  Aussi  quand  les  Arj^onautes  (1) 
arrivent  dans  les  mers  septentrionales,  ils  remar(|uent  avec 
épouvante  (jue  le  vent  ne  soulùve  plus  les  vagues  et  (pi'un 
siNîuce  éternel  régne  sur  les  flots.  Le  Marseillais  Pytliéas  (i2), 
lial)itué  au  soleil  <'t  aux  molles  caresses  de  la  Méditerranée, 
raconte,  avec  une  sorte  de  terreur  religieuse,  qu'il  s'est  avancé 
jusque  dans  une  région  «  où  l'on  ne  rencontn^  plus  ni  terre,  ni 
air,  ni  mer,  mais,  à  leur  place,  un  conqiosé  de  «-es  divers 
éléments,  sans  qu'il  soit  possible  à  l'hounne  d'y  naviguer  ni 
d'y  poser  le  pied.  »  Le  Carthaginois  Uimilcon  (3)  avoue  qu'il 
n'a  pas  osé  se  hasarder  sur  cette  mer  innnense,  couverte  de 
hrouillards,  où  nul  souffle  ne  pousse  les  vaisseaux,  et  où  l'obs- 
curité cache  de  re<loutal)les  ahinies.  Dans  la  direction  du  Midi 
au  contraire  les  prétendues  ardeurs  de  la  zone  torride  interdi- 
saient aux 


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risquerait  dans  les  régions  du  Sud  !  Il  serait  hrùlé  par  le  soleil. 
Telle  étaiUlu  moins  l'opinion  des  savants  les  plus  autorisés,  de 
Strahon  [A)  reproduisant  les  théories  d'ilipparque,  de  Pline  le 
Naturaliste  (il)  et  même  de  Ptolémée  ((»). 

Plus  encore  que  les  chaleurs  insupportables  ou  <|ue  les  froids 

(i)  Apollonius  de  Rhodes,  ArgouauliijXfs,  V.  H07. 

(2)  SthAbox,  11,  i  :  «  Ev  oi;  ojt:  yf,  y.aO'ajir.v  irrrip/cv  ï-:,  ojtî  Oa/.aia», 
ojT'ar,5,  àXXà  C'jy^w^xi  Tt  l/.  tojtjdv  -Àejaovt  OaXaTTUi)  Èotzo;,  Èv  »•)  9r,ai 
■ZTiV  ytJv  xâi  TfjVi  OatXaTTav  aidjoîîiOat  xa't  ■:«  TjjjinavTa,  xa't  toutov  (Îi;  av 
osa;i.ôv  stvai  t<ov  oXjdv,  [^■r^^:î  Tzor^Z'j'w  \xt,-ï  hXokov  'jzâoyovTa.  » 

(3)  AviENCS,  0)'<i  iiuiritima,  V.  388. 

Nulliis  lia<c   liJiit   frctit  ; 

Nulliis  rarinas  oeqiior  iUml  iiitiilit, 
Dcsiiit  qiiuil  ulto  Uabra  propollcntia, 
.Niillusquo  puppini  spirilus  cœli  jiivot  : 
Dehinc  quotl  œthram  quodam  aniiotu  vostiut 
Caligo,  scnipor  nebula  coiidut  gurgitein. 

(4)  Stbaiion,  II,  5:  «  'AotxrlTOJ;  oi  ta;  aXXa;  ÎJiôva:,  ti-,v  tx?,v  otâ  -/.aujAa, 
T/jV  5:  3:à  ^ùxo;.  » 

(5)  Pline,  Histoire  naturelle,  I,  61.  —  II,  68.  -  Vi.  36. 

(6)  pTOLéMKE,  VI,  16.  —  llvciN,  1,  8.  —  Machobe,  Commentaire  du 
songe  de  Scipion,  II,  5. 


(IIAI'.  I.  — C.OMMLNU;.  ENTRE  L'AMÉHIQUE  ET  L'ANC.  CONTINEiNT.    7 

(•\(<'ssirs,  les  matelots  iTiloutaient  les  monstros  qui  peuplaient 
l'Océan  (1).  Ces  écuoils  contre  lesquels  se  brisent  les  flots,  ee 
sont  les  Sirènes  à  la  voix  perfide;  ces  courants  qui  entraînent 
les  navires,  ce  sont  (l'edrayants  animaux,  chim«>res  ou  hippo- 
centaures  ;  ces  plaintes  du  vent  à  travers  la  mûturo,  ce  sont  les 
nymphes  de  la  mer  qui  défendent  leur  domaine,  et  annoncent 
à  l'audacieux  explorateur  une  catastrophe  imminente  ;  ces 
méduses  et  ces  pieuvres  (pii  |)arfois  apparaissent  à  la  surface 
des  flots,  ce  sont  d'énormes  serpents  tout  prêts  fi  engloutir 
navires  et  matelots.  Aussi  les  marins,  même  les  plus  hardis,  ne 
s'aventuraient-ils  qu'en  tremblant  sur  ces  mers  qui  cachaient 
faut  de  périls,  et  l'Océun  demeurait  la  région  de  l'épouvante  et 
des  mystères. 

Les  savants  eux-mêmes,  au  lieu  de  les  dissiper,  augmentaient 
ces  terreurs  et  ces  illusions.  Quelqueà-uns  d'entre  eux,  plus 
hardis  ou  mieux  inspirés,  s'efTorcaienl:,  il  est  vrai,  de  démontrer 
à  leurs  contemporains  l'inanité  de  leurs  craintes,  mais  on  ne  les 
écoutait  pas.  On  les  taxait  même  de  folie,  (piand  leurs  théories 
scientihipies  combattaient  les  préjugés  courants.  Thaïes  et  les 
Stoïciens  {'i)  par  exemple  affirment-t-ils  que  la  terre  est  sphé- 
rique  et  par  conséquent  que  les  antipodes  existent,  Plutarque, 
intelligence  ouverte,  esprit  encyclopédique,  n'hésitera  pourtant 
pas  à  tourner  ce  système  en  ridi.ule,  et,  avec  lui,  d'autres  savants 
débiteront  avec  assurance  et  soutiendront  avec  autorité  les 
théories  les  plus  absurdes  sur  la  forme  de  la  terre.  Homère  (i) 


(1)  UEniiKi»  DE  XivREY,  TrodUioiis  tératcliujiques.  —  Ferdixand  Dkms, 
Le  Monde  enchanté. 

(2)  l»i.uT.\nyLE,  De  placitix philoxophorinn,  111,  10. 

(3i  Id.,  De  facie  in  orbe  lunne,  VIII  :  «  Quelles  absurdités  ne  débitent  pas 
«es  iihilosoplies  ?  Ne  disaient-ils  pas  que  la  terre  est  sphériqua?  Et  pourtant 
die  contient  des  profondeurs,  des  élévations,  des  irrégularités  considérables. 
Ne  (lisaient-ils  pas  qu'elle  est  habitée  par  des  antipodes  qui,  comme  des  in- 
sectes ou  des  chats,  s'accrochent  après  elle,  en  ayant  la  tète  en  bas  et  les  pieds 
en  haut.  » 

(il  HoMKHR,  Iliade,  XVIII,  606,  7.  —  Odyssée,  XII,  1,  156.  —  XX,  7.  - 
XXI.  liU. 


■ses: 


8 


PREMIEHE  PARTIE.   —   LES   PRECURSr'RS   DE   f.OLOM». 


\}/ 


n'avait-il  pas  avance!  que  la  terre  était  un  disque  plat,  entouré 
par  le  fleuve  Océan,  du  sein  duquel  surgissent  des  colonnes  qui 
supportent  la  voûte  solide  du  ciel?  D'après  Pindare  (1)  la  terre 
repose  sur  des  colonnes  de  diamant  ;  d'après  Xénophane  (2) 
elle  a,  par  ses  parties  inférieures,  jeté  des  racines  à  une 
profondeur  infinie,  et  n'est  qu'un  composé  d'air  et  de  feu 
Anaximandre  et  Hécatée  se  la  représentaient  comme  une  sorte 
de  colonne  en  pierre  assise  sur  une  surface  unie.  Anaximène(3) 
en  faisait  un  trapèze,  Leucippe  un  tambour  et  Démocrite  un 
large  disque  creusé  dans  son  milieu.  Ces  étranges  théories, 
patronnées  par  les  poètes  et  par  les  philosoplies,  c'est-à-dire 
par  ceux  dont  les  œuvres  constituaient  en  ([uelque  sorte  la  masse 
commune  des  connaissances  populaires,  s'enracinaient  peu 
à  peu  dans  les  esprits.  Aussi,  à  ces  époques  reculées  où  les 
ignorants  inspiraient  d'autant  plus  de  confiance  que  leurs 
affirmations  étaient  plus  hardies,  peu  de  personnes  pouvaient- 
elles  seulement  supposer  que,  par  delà  le  monde  connu,  exis- 
taient d'autres  terres,  dont  elles  n'étaient  séparées  que  par 
l'Océan. 

Terreur  inspirée  par  la  mer,  imperfection  des  moyens  nau- 
tiques, ridicules  erreurs  acceptées  comme  vérités  démontrées, 
ignorance  de  la  forme  véritable  de  la  terre,  telles  étaient  donc 
les  causes  principales  qui,  dans  l'antiquité,  semblaient  devoir 
interdire  toute  relation  entre  l'ancien  continent  et  l'Amérique. 

Malgré  ces  dangers  et  ces  préjugés,  malgré  ces  craintes  et 
cette  ignorance,  les  marins  pourtant  ne  manquaient  pas.  Peu 
à  peu  grandissait  le  champ  des  connaissances.  Les  mystères 
s'éclaircissaient  et  l'Océan  s'ouvrait  à  d<  investigations  de  plus 
en  plus  fréquentes.  On  s'imagine  trop  communément  que  les 
anciens  n'ont  connu  qu'une  petite  partie  de  l'Europe,  de  l'Asie 
et  de  l'Afrique.  Même  dans  les  meilleurs  atlas  les  cartes  du 


(1)  PiNDAHE  cité  par  Plutarque,  De  fade  in  orbe  lunée,  VI. 

(2)  AÉJiopiiANB  cité  par  Plutarque,  De  placitis  philosophorum,  III,  9. 

(3)  Id.,  m,  10. 


MB. 


CHAI'.  I.  —  COMMUMC.  ENTRE  L'aMÉRIQL'E  ET  L'AXC.  CONTINENT.    !> 


,  entoure' 
jiines  qui 
)  la  terre 
phiine  (2) 
;s  à  une 
t  de  feu 
une  sorte 
imène  (3) 
ocrite  un 

théories, 
est-à-dire 
i  la  masse 
lient  peu 
es  où  les 
jue  leurs 
ouvaient- 
inu,  exis- 

que   par 

eus  nau- 

nontrées, 

ient  donc 

nt  devoir 

mérique. 

raintes  et 

pas.  Peu 

mystères 

s  de  plus 

que  les 

e  l'Asie 

irtes  du 

m,  9. 


monde  visité  par  eux  ne  fiffurent  (;ue  le  liassin  de  la  Méditerranée 
avec  l'Europe  en  deçà  de  l'Elbe,  du  Uanuhe  et  du  Dniester.  l'Asie 
jusqu'au  Turkestan  et  au  Pendjab,  et  r.\fri(|ue  jusqu'au  Sahara 
et  au  cap  (iuardafui.  Quelques  savants  seraient  même  tentés  de 
restreindre  encore  cet  étroit  domaine.  11  est  cependant  démontré 
(pie  les  anciens  s'étaient  avancés  jusipie  dans  la  Halti(pi(>  (I)  et 
même  qu'ils  avaient  reconnu  l'Islande  (2).  En  Asie  ils  avaient 
dépassé  le  (îan;;e.  découvert  l'Indo-Chine  et  avaient  même 
pénétré  jusqu'en  Chine  (3).  En  Afrique,  le  cap  de  lionne-Espé- 
rance (4)  avait  été  doublé  et  toutes  les  eûtes  du  continent  noir  (5) 
reconnues.  Le  monde  s'élargissait  pour  ainsi  dire,  et,  de  jour 
en  jour,  l'homme  étendait  son  domaine. 

En  même  temps  se  dissij)aient  les  craintes  chimériques.  On 
ne  reculait  plus  devant  les  dangers  signalés.  On  conunençait 
à  taxer  de  mensonges  les  effrayants  récits  mis  en  circulation  par 
les  Phéniciens,  sans  doute  pour  éviter  la  concurrence,  sur  les 
périls  de  la  mer  extérieure,  et  on  se  lançait  sur  leurs  traces. 
Ulysse,  cette  personnification  de  l'esprit  d'aventures,  ce  héros 
de  la  ruse  mais  aussi  de  la  persévérance,  se  faisait  attacher  aux 
mâts  de  son  navire  pour  ne  pas  succond)er  aux  séductions  des 
sirènes,  mais  il  les  bravait,  et  ses  compagnons  ne  l'abandonnaient 
pas.  liientôt  des  navigateurs,  plus  hardis  encore,  n'hésitèrent 

(1)  Keraoi.io,  De  la  connaissance  que  les  anciens  ont  eue  du  nord  de 
l'Europe  (Acadùinie  des  Inscriptions,  t.  XLV,  p.  26-57).  —  Wuieiui,  Sur  les 
relations  des  (Srecs  et  des  Romains  dans  le  nord  et  sur  \es  nntif/ues  voies 
de  commerce  (Ueviic  archéologique,  mai  1860). 

CJ)  Lei.ewei,,  Pi/tfiikis  de  Marseille  et  la  géograp/tie  île  son  temps. 

(3)  Hein  ALI».  Relations  historiques  et  commerciales  de  C  empire  Romain 
avec  fAsie  orientale.  —  Bihdwood.  Manuel  de  la  section  des  Indes  britan- 
niques il  l'exposition  universelle  de  1878. 

|4)  Gakeakei,,  Eudoxe  de  Cyzique  et  le  périple  de  V. Afrique  dans  l'anti- 
quité, 1874. 

('>)  AitBÉ  l^Ei'iTKE,  De  his  qiii  antc  Vascum  a  Gama  Africain  légère  ten- 
tavvunt.  —  ScMiAi'AiiEi.Li,  La  circumnavigation  de  l'Afrique  par  les 
Phéniciens  au  Vil"  siècle  avaiit  le  Christ  (Cosmos  de  Guido  Cora,  déceni!)re 
1881).  —  (il  iHALO,  Le  périple  de  l'Afrique  au  temps  de  Séchao  (Société  de 
géographie  de  Toulouse) . 


nj.m  II  I  I      1  nn*i>i«* 


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10 


l'HKMIERK    l'AUTIE. 


LKS    l'REr.rHSElHS   DR   COLOMB. 


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plus  il  se  (liri};er  vers  les  n''}rions  inconnues,  et  ce  furent  les 
savants  (|ui  les  encourapùrent  à  pousser  toujours  en  avant.  «  H 
n'est  guère  vraiseinhlahle,  écrivait  Strabon  (1),  que  l'Océan 
puisse  être  divisé  en  mers  distinctes  par  des  isthmes  étroits  qui 
interceptent  la  navigation.  Il  paraît  bien  plus  probable  (pie  ledit 
Océan  est  un  et  continu  ;  d'autant  que  ceux  qui,  ayant  entrepris 
Je  périple  de  la  terre,  sont  revenus  sur  leurs  pas,  ne  l'ont  pas 
l'ait,  de  leiu-  aveu  même,  pour  s'être  vu  barrer  et  interce[)ter  le 
passage  par  (juelque  continent,  mais  uniquement  par  manque 
de  vivres  et  par  peur  de  la  solitude,  la  mer  demeurant  toujours 
aussi  libre  devant  eux.  « 

Rien  en  effet  ne  nous  empêche  de  croire  (jue  les  anciens  se 
sont  avancés  très  loin  dans  l'Atlantique.  Un  préjugé  trop  ré- 
pandu consiste  à  opposer  des  présomptions  à  des  faits.  Ceci 
n'a  |ias  eu  lieu,  dit-on,  parce  que  cela  ne  pouvait  pas  se  faire  ; 
et  les  anciens  n'ont  pas  connu  l'Amérique,  parce  qu'ils  n'avaient 
pas  les  moyens  de  la  connaître  ;  mais  on  n'apprécie  pas  suffi- 
samment jusqu'à  quel  point  les  navigateurs  peuvent  compenser 
rimperfi'ction  de  leurs  vaisseaux  par  leur  hardiesse  et  leur 
«'xpérience  pratique. 

Des  exeiuples  modernes,  en  nous  prouvant  ce  dont  sont 
«•apables  des  barbares  audacieux,  nous  feront  comprendre  com- 
ment les  marins  d'autrefois  p-uvaient  entreprendre  des  courses 
(|ui  nous  paraîtraient  aujourd'hui  inexécutables.  Les  Malais, 
avec  leurs  frêles  esquifs,  leur  /»'0S,  ont  peuplé  la  plupart  des 
îles  de  la  mer  du  Sud  (iJ).  Les  indigènes  de  Mozambique,  encore 
aujourd'hui,  s'aventurent  dans  l'Océan  Indien  sans  autre  guide 
que  le  temps,  et  sont  parfois  transportés  à  d'énormes  distances. 
A  l'époque  où  Cook  les  découvrit  (3),  les  Maoris  de  la  Nouvelle- 

(1)  STiiABctx,  I,  r,  8.  <>  ()j/  '^TM  r-,;:î;poj  tïvo;  àvTi::i7:roûor,î  jtal  y.w>uo'j'3r,; 
Tov  ïr.'i/A'J^a.  ;:Xoiïv  àva)ipo'j;0TÎv3ct ,  à).Xà  WJi  anoptaj  xat  f,pe[jifa;,  ôuSèv 
r,~ov  Tf,;  OaÀaiJT,;  r/ojar,;  tov  rropov.  » 

(2/  Qlatheméhe,  '.tlémoires  de  l'Académie  des  Insa'iptio7is  et  Belles- 
Lettres,  1845,  p.  381. 

(3)  Cook,  Voyarjes  (édition  1784),  t.  I,  liv.  i,  §  8. 


niAI'.  I.  —  COMML'.NK..  r.NTHK  l'AMKHIOLIÎ  ET  L'A.NC.  CONTINENT.    11 

ÎZi'IaïKlc  allaient  jusqu'à  Taïti.  T.e  Révérend  Eliis  parle  de  plu- 
sieurs pirofifues  arrivées  à  Taïti,  et  dont  le.>  maîtres  étaient 
|<iri},'inaires  de  pays  dont  on  ne  soupçonnait  pas  l'existence  dans 
[l'areliipel  (1)  ;  il  mentionne  encore  des  voyaj^es  des  Wallis  aux 
[Loyalty,  séparées  par  un  intervalle  de  1,800 kilomètres.  Parfois 
la  tempête  entraîne  fort  IoiH  des  barques  et  môme  des  vais- 
Iscaux.  (lomara  (2)  racontait  déjà  qu'au  temps  de  Gor*ès  on 
Itrouva  sur  les  cotes  de  Californie  les  débris  d'un  navire  du 
Hatliay,  c'est-à-dire  de  la  Chine.  11  y  a  (|uelques  années  une 
lltanpie  japonaise  fut  jetée  aux  Ixjuches  de  l'Oréffon,    et  son 
?qui|)a}re  fut  retrouvé  captif  chez  des  Indiens  de  la  haie  d'Hud- 
pt»n  [fi).  On  conserve  au  musée  d'Aherdeen   le  kayak   d'un 
)éclieur  esquimau  rencontré  vivant  sur  la  côte  d'An},'leterre.  A 
)lusieurs  reprises,  d'autres  Esquimaux  furent  ainsi  transportés 
lu  Nouveau-Monde  en  Europe  (4).  Lcscarhot  (5)  rapporte  qu'à 
la  fin  du  xvi'^'  siècle,  le  marquis  de  la  Roche  cherchait,  dans 
me  petite  embarcation,  un  port  aux  environs  de  l'île  Sahle,  au 
llanada,  quand  il  fut  saisi  par  le  vent  d'est  et  jeté  en  quelques 
jours  aux  rivages  de  France.  II  serait  facile  de  multiplier  les 
jxemples   et   nous   po  rrions    retrouver  dans   les   trop  rares 
ïuvrages  de  l'antiquité  (jui  nous  ont  été  conservés,  le  souvenir 
le  traversées  analogues,  soit  entreprises  en  vertu  d'un  dessein 
Raisonné,  soit  dues  uniquement  au  hasard.  Qu'il  nous  soit  au 
noins  permis  de  considérer  comme  démor/tré  que  ces  traversées, 
jossihles  de  nos  jours,  l'étaient  déjà  dans  l'antiquité. 
Aussi  bien,  et  nous  ne  sauricms  trop  insister  sur  ce  point, 
ll'Amérique  est  beaucoup  plus  rapprochée  de  l'ancien  continent 
Iqu'on  ne  se  l'imagine  d'ordinaire.  Nos  cartes,  pour  la  plupart 
Itrès  imparfaites,  ne  représentent  le  plus  souvent  le  nouveau 

(1)  Ellis,  Polynesian  Resparches,  t.  I,  p.  120. 

(2)  Gomaha,  Hist.  geii.  de  las  Indias,  p.  117. 

(3)  Wii.soN,  Prehistovic  mnn.,  p.  100. 
(1)  Joi.v,  l'Homme  avaîit  les  métaux,  p.  258. 
(o)  Lescahbot,  Histoire  de  la  Nouvelle  France  (édition  Tross),  p.  396,  7. 


WfTBfcr.  CihCT.*:  :-t--; 


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12 


l'HKMIKHK    l'AHTlK. 


LKS    l'HKClHSKlRS   DE  COf.OMH. 


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nioiulo  que  s(''jiar(>  et  cumme  isolt'-  dos  coiitineiits  qui  l'cntourenf . 
Aussi  nous  faisons- nous,  en  g»''ii;^r''i,  une  très  fausse  idée  des 
distances.  L'Atlaiiti(i?ie,  pour  bcaucou})  de  [lersonnes,  est  au 
moins  aussi  considérable  que  le  Pacifique.  C'est  seulement  en 
jetant  les  yeux  sur  une  sphère  terrestre  où  les  continents  et  les 
mers  sont  marqués  avec  leur  grandeur  relative  qu'on  se  rend 
compte  de  la  petitesse  de  rAtlanti(|ue  à  côté  des  immensités 
mystérieuses  du  Pacifique.  On  dirait  un  détroit  et  une  mer. 
Encore  <'e  détroit  est-il  resserré  et  comme  étranglé  à  trois 
endroits  différents. 

Du  cap  Roxos,  j)rôs  de  l'archipel  de  Bissagots,  non  loin  de  la 
côte  de  Sierra  Leone  en  Afn(iue  (12°  20'  Lat.  N  — 19°  li'  Long.  ()) 
au  cap  San  Roque  au  lirésil  (r>°2H'  17"  Lat.  N  —  37°  37'  2(>"  Long. 
0)  la  distance  n'est  (jue  de  510  lieues  marines  à  555()  mètres 
la  lieue,  c'est-à-dire  de  710  lieues  ordinaires  à  4,000  mètres  la 
lieue,  à  peu  près  la  distance  de  Paris  à  Moscou  en  ligne  droite, 
ou,  si  l'on  préfère  une  distance  maritime  {)lus  facilement  appré- 
ciable, la  distance  de  Gibraltar  à  l'ancienne  Gyrénaïque. 

Le  second  étranglement  est  formé  par  l'île  Valentia  au  sud- 
ouest  de  l'Irlande  entre  le  golfe  de  Dingle  et  de  Baliins  Kellig 
(r32«  ir  Lat.  N  —  57"  40'  Long.  O)  et  la  côte  de  Labrador. 
L'écartement  n'est  que  542  lieues  marines,  750  lieues  ordinaires, 
la  distance  de  Paris  à  Nijni  Novogorod  ou  de  Gibraltar  à  l'iilgypte. 
C'est  cette  vallée  de  l'Atlantique  qui  a  été  choisie  pour  l'établis- 
sement du  premier  cable  sous-marin  (jui  ait  joint  les  deux 
mondes. 

Enfin  le  Groenland,  si  on  le  considère  comme  faisant  partie 
du  continent  américain,  s'approche  tellement  du  cap  Rarclay 
dans  la  terre  de  Scoresby  (69°  10'  Lat.  N  —  26»  -4'  Long.  0)  du 
cap  Wrath  en  Ecosse  (5S°  39'  Lat.  N  —  7»  18'  Long.  0)  et  de 
Stadiand  en  Norvège  (62°  7'  Lat.  N)  qu'il  n'y  a  entre  ces  divers 
points  que  269  et  280  lieues  marines,  373  et  388  lieues  ordi- 
naires, la  distance  de  Paris  à  Varsovie  et  Kœnigsherg,  ou  de 
Gibraltar  à  Tunis. 


CHAI».  I.  —  C.OMMIMC.  KNÏHK  l/AMKniOriC  ET  L'aNC.  r.ONTINK.NT.    l'A 


iJi'  CCS  trois  ôtruiijrlcmciits  de  rAilanti(|ue,  lo  dernier  atteint 
à  peine  la  lon;;nenr  île  la  moitié  des  deux  antres,  et  ceux-ci  si>nt 
s('|)arés  |)ar  moins  d(  (>(M>  lieues  marines.  Sans  doute  le  (Iroenl/ind 
n'est  peuplé  que  par  de  misérahles  lril)us  d'I-lstiuimanx  et  de 
rares  lùu-opéens,  et,  si  son  importance  f;éofrraplii(|ue  est  jurande, 
il  n'est  (pie  très  secondaire  pour  le  connnerce  et  la  navijfation  : 
mais  rirlande  et  la  cùfe  de  (luinée  d'un  côté,  le  Labrador  et  le 
Hrésil  de  l'anur.  sont  des  pays  autrement  favorisés  pur  la 
nature.  IJe  plus  les  conmnmications  sont  encore  facilitées  par 
le  fïrand  nombre  des  îles  ou  îlots  interposés,  qui  ont  servi  et 
servent  encore  de  points  de  relAclie  aux  navif,'ateurs  et  diminuent 
sinjrulièrement  les  distances.  Ainsi  dans  le  premier  étranglement, 
rlu  cap  Uoxos  au  cap  San  Rotjue,  sont  jetés  les  îlots  de  Las  Rocas, 
Kernando  de  Noronlià,  Pinedi»  de  San  Pedro  et  Frencli  Soal. 
Pour  le  second  étran}:lement  entre  Valentia  et  le  Labrador,  existe 
un  nombre  si  considérable  d<'  vigies  et  d'écueils  (|u'on  les  a 
pai'tagés  en  six  zones  distinctes.  Pour  le  troisième,  entre  le 
(îroeidand  d'un  côté,  l'Ecosse  ou  la  Norvèg(i  de  l'autre,  la  distance 
est  singulièrement  diminuée  par  l'Islande.  lesFéroë,  les  Shetland, 
etc.  Notons  eidln  que  les  Acores  sont  comme  jetées  au  milieu 
fie  rAtlanticjue,  que  de  rend)oucliure  du  Tage  à  San  Miguel  des 
Aciires  on  ne  compte  que  !2i7  lieues  marines,  '.W,i  lieues  ordi- 
iiiiires,  et  de  Corvo,  la  plus  occidentale  des  Acores  à  la  Nouvelle 
1m;osso  que  '.V'rl  lieues  marines,  577  lieues  ordinaires. 

N'est-ce  pas  ici  l'occasion  de  rap|)elcr  que,  d'après  une 
tradition  (pii  remonte  aux  [iremiers  âges  de  l'anticpiité,  et  (jue 
nous  croyons  pour  notre  part  conforme  à  la  réalité,  toutes  ces 
lies  faisaient  jadis  partie  d'un  grand  continent,  l'Atlantide,  qu'un 
épouvantable  cataclysme  elfondra  dans  les  abîmes  et  d(»nt  il  ne 
reste  aujourd'hui  que  des  faible  débris.  La  (juestion  de  l'Atlantide 
a  été  si  souvent  agitée,  et  elle  a  donné  lieu  à  de  si  importants 
débats,  d'ailleurs  elle  se  rattache  si  étroitement  à  notre  sujet 
qu'il  nous  a  paru  difficile  de  ne  pas  la  traiter  à  notre  tour,  et  de 
donner  au  moins  les  raisons  (|ui  nous  ont  porté  à  croire  <jue  (u; 


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PHKMIKHK    l'AHTIK. 


I.KS    l'KKCCKSKIDS    DK    CuLo.MII. 


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continent  inystéricnx  existait  iuitrt'fois  entre  rancicrn't  le  non vcan 
monde,  et  lenr  servait  [)ar  ('(Miséiiuent  de  lien  de  cimniinnication. 
Nons  rac(tntei'ons  pins  loin  riiistoin-  des  Atlantes  :  (jii'il  lions 
snffise  de  rappeler  ici  (pi'à  niu'  é|>o(|ne,  dont  il  est  inipossijile 
de  préciser  la  date,  snrvint  nn  cataclysme  éponvantahle  (|ni 
honlevorsu  l'nnivers  entier.  C'est  alors,  tr«''s  pndialtlenient,  (jiie 
s'onvrit  le  détn»it  de  Gibraltar,  alors  (|ne  les  Ktats  Uarliarescpies 
d'anjonrd'lmi  cessi'rent  d'cUre  une  pres(|n'ile  européenne,  alors 
(|ue  fut  en},'loutie  l'Atlantide  :  mais  il  en  reste  des  débris,  et 
nous  pensons  qu'on  peut  les  rencontrer  au  milieu  même  de 
rUcéan  Atlantique,  dans  l'immense  espace  ([ue  déterminent  les 
Acores,  les  Canaries,  la  mer  des  Sarjtasses  et  les  Antilles.  La 
science  se  prononc(!-t-elle  en  faveur  de  notre  système?  Les  faits 
sont-ils  d'accord  avec  la  tradition  ?  C'est  ce  que  nous  allons 
examiner. 

La  géolojrie  est  une  des  sciences  naturelles  dont  les  progrès, 
•lepuis  le  commencement  du  siècle,  ont  été  les  plus  marqués. 
Ses  précieuses  indications  ont  l'autorité  d'un  fait  accompli,  et 
lud,  aujourd'bui,  ne  s'aventure  sans  elle  sur  le  terrain  des 
études  préliistoriques.  Un  de  ses  princi{>es  les  mieux  établis 
est  (|ue,  toutes  les  fois  ipi'on  découvre,  dans  les  îles  ou  les 
contiiients  séparés  à  l'heure  actuelle  par  des  bras  de  mer,  et 
même  soumis  à  d'autres  conditions  climatolofriques,  les  mêmes 
débris  de  plantes  et  d'animaux  on  en  peut  légitimement  con- 
l'Iure  <iu(î  ces  continents  étaient  jadis  réunis.  Sir  II.  Murchi- 
sun  a  prouvé  de  la  sorte  l'antique  conuexité  de  l'Angleterre  et 
de  l'Irlande  (1),  Kdvvard  Forbes  celle  de  l'Irlande  et  de 
ri'iSpagne  ["D,  IJonrguignat  celle  de  l'Kspagne  et  de  l'Afrique  du 
Nord  (3).  Plusieurs  savants  ont  également  cherché  à  établir  que 
riMU'ope  et  rAméri(jue  étaient  réunies  aux  temps  préhistoriques. 
Les  uns  se  sont  contentés  de  le  supposer  :  Ortelius,  Kircher, 

(1)  MciiciiisoN,  Anniverxavfi  aclrcttx,  1863. 

(2)  E.  Forbes  cité  par  E.  Rkci.us,  la  Terre,  p.  ir). 

(3)  BoLiiouioxAT,  Malacologie  de  l'Algérie,  p.  312. 


ciivr.  I.  —  c.oMMiMC.  ic.NTRE  i/a:ikiu(.»i  K  KT  i/anc.  co.ntinknt.   !.*> 

(liiifjiK'iK',  MciiU'Il»',  (^arli;  les  iiutr<'s  ont  essayi-  de  le  pntiivcr: 
Ihill'uii,  de  Fortiu  (IX'rhaii,  (ladet,  Samuel  d'KMtrei.  Mory  de 
Saint-Vincent  :  oeiiv-ri  enfin  Teint  réellement  jimiivé  |iar  la 
(•uni|)arais(tn  de  la  flore  et  de  ia  l'aune  des  deux  euntiuenfs  (1), 
Vai  elVet,  dans  les  terrains  tertiaires  de  ri'iUnipe,  on  a  r(>tri»uvé 
des  tulipiers  fossiles,  des  cypn'îs  de  la  Louisiane,  des  robiniers, 
des  paumes  ou  noix  des  Etats-Unis,  des  feuilles  dérailles,  de 
ma}m(dias,  de  sassafras,  d'ifs,  de  se((uuias  et  d'autres  arhres  <|ui 
ne  se  rencontrent  plus  ((ue  dans  rAniéri(|ue  du  Nord.  lîntre  les 
deux  continents  les  lifrnites  de  l'Irlande  présentent  une  vétréta- 
tion  analogue.  Les  fougères  arborescentes  d'Europe  ressemblent 
à  celles  du  Mexicpie  {"1).  La  flore  miocène  de  l'Europe  centrale 
était  la  mémo  que  la  flore  actuelle  de  l'Amérique  méridionale. 
Mômes  analogies  pour  la  faune  :  jadis,  sur  les  bord  de  la  Tamise 
et  de  la  Seine,  comme  dans  les  couches  miocènes  des  Mauvaises 
Terres  du  Nebraska,  vivaient  des  rhin»  éros,  des  madiairodus, 
des  paléothériums,  etc.  Comment  donc  ex|)liquer  cette  confor- 
mité, sinon  par  l'existence  d'un  isthme,  dune  île  ou  d'un 
continent  jeté  entre  les  deux  mondes  et  facilitant  entre  eux  les 
cnunnunications?  Et  cette  ile,  ce  continent,  (pie  sont-ils  autre 
chose  (pu»  l'Atlantide? 

Divers  géologues  ou  géographes  ont  cherché  à  déterminer  le 
contours  de  cette  île,  ou  plut<')t  de  ce  continent  enfoui  sous  les 
eaux  (3).  Essayons  comme  eux  de    les  retrouver.  Il  suflira  de 


(1)  Ki.isKK  Ukci.us,  La  Terre,  p.  4(5.  —  11  cite  les  travaux  iI'Oswai.I)  IIeem, 
Ki.ee,  (Jaidby,  et  surtout  U.MiEuxs,  Dir  Vrrsunkciie  Insel  Mlantis. 

{2i  E.  Fdiiime»,  De  la  (Ustrihution  f/éoyrapliiffiie  den  foiif/cres  du 
Mexiiiup  (Sociélé  holauique  de  Frauce,  juillet  18G!),  p.  S2).  "  Les  déduc- 
tious,  dit-il.  nous  rauièncnt  forcémeut  à  l'hypothèse  d'un  continent  internuj- 
diaire,  l'Allantidc,  dont  il  ne  resterait  jilus  que  quelques  sommités  éparses, 
sous  forme  d'iles,  dans  l'Océan  atlantique.  » 

(3)  Blaciie,  Mémoire  sur  Vile  de  Frislnnde  (Académie  des  sciences,  nSS). 
—  Caiim,  Leltres  américaines  (traduction  Lefebvre  de  Villehrune).  —  Bonv 
DE  Saist- Vincent,  Esmi  sur  les  iles  Formatées.  -  .Mahcoc,  Carte  du  glohe 
à  l'éfioque  jurassitjue.  —  Boteliia,  Pruehas  (jeoloyicas  de  la  existetiria 
de  In  Mlantida  ;  su  fauna  y  su  flora. 


k; 


rHKMlKllK    l'AIITIi: 


Li:s  rKKcriisKi  IIS  i>k  columii. 


jeter  leM  yeux  sur  une  des  eartes  (1)  «le»  l'Océan  où  les  diverses 
profctiideiirs  observées  sont  iii(li<|uées  par  des  teintes  plus  ou 
moins  claires,  et  un  examen  siiperiiciel  lions  permettra  <le 
déiiinvrir  un  vaste  coiitiiienf  déterminé  par  les  Acores,  les 
('.aiiari«'s,  les  Antilles  et  de  iiomitreuses  vi^'ies.  Ce  continent  est 
contourné  par  un  fleuve  maritime,  le  (luU'-Stream,  <pii  semlile 
liaifrner  ses  C(\tes,  et  partout  il  a  gardé  les  traces  de  jj;igaiites(|ues 
liouleversemeiits.  Ainsi,  pour  les  Antilles,  Oolomlt  avait  déjà 
remanpié  (pie  la  Trinité  et  les  îles  adjac(>ntes  avaient  jadis  dû 
faire  partie  du  continent.  Kn  elVet  l'archipel  «pii  commence  ù 
la  Trinité,  se  continue  par  Tahaf-'o  etdrenade,  et  se  proloiij:e  en 
demi-cercle  de  Port(j-Uico  au  cap  tîatoche  dans  le  Yiicatan,  par 
Haïti  et  (îuba,  iiiar([ue  une  cliaiiie  sous-marine,  dont  les  îles  ne 
seraient  (pie  les  sommets,  La  iiu-r  est  peu  profonde  dans  ces 
parafées,  et  toutes  c(;s  îles  sont  fort  rapjtrocliées  les  imes  des 
autres,  [..e  Tortujia,  Margarita,  (loche,  la  Sola,  Testigos  ne  sont 
séparées  du  continent  (pie  par  un  mince  détroit  et  très  peu  de 
fond.  HIanquillu,  Orchila,  les  llo(pies,  Huenayre,  (iura(;ao  et 
(  Iriilia  semblent  les  restes  de  terres  submergées,  et  d'ailleurs 
elles  sont  dc^  mi^me  formation  géologi(pie  (pie  la  côte  de  Vene- 
zuela ;  ce  (jui  fait  supposer  (pie  jadis  elles  faisaient  partie  de 
la  terre  ferme  et  n'en  furent  détjicliées  qiu;  par  une  secousse 
formidable,  a  Les  différentes  sources  thermales  qui  sourdent 
au  bord  et  au  dedans  même  du  golfe,  et  qui  élèvent  la  tempé- 
rature de  la  mer  dans  r(!space  d'une  demi  lieue  carrée,  l'huile 


(U 


P' 


■trol 


e  qui  couvre  la  surlace  de  la  baie,  !a 


multitude  d 


es 


eaux  .sulfureuses,   les  mines   de    |)oix   élastique  fréquemment 


^'■/ 


(I  Voir  la  carte  dressée  i)ar  riii^'tiiiieiir  V.  de  Botelha  (Mapn  del  Oceano 
Athnitico  Sptentrionat)  et  insérée  dans  les  Mémoires  du  Congrès  des  Améri- 
cniistes  du  Madrid  (1881). 

(2)  Troisième  voyage  de  Colomb.  Lettre  au  roi  et  à  la  reine.  —  Navahkttk, 
Colcccton  de  los  viajes  y  dr.icu/jrhnieiitos  que  hicieron  pov  mar  lus  Espa- 
nolc,  etc.,  t.  1,  p.  102  :  «  Y  conjelnré  que  alli  dondc  son  estas  dos  bocas 
<|ue  algun  tiempo  scria  tierra  eoulinua  a  la  isla  de  la  Trinidad  cou  la  tierra 
«le  (îracia.  » 


C.IIAP.  I.  —  COMMIMC.  KNTHK  L'aMKHIUI'E  ET  l'aNC.  CONTINENT.  17 

iiiun<l<''('s,  tout  se  réunit  pour  cuiistatcr  l't'pocjuc  rt'lativomeiit 
iinidcriic  de  cet  événement  ->    (1).  Le  golfe  et  In  lugune  de 
Vlitracailto   présentent   encore   des    traces   sensibles  du  grand 
iMiiileverseinent  (|ui  jadis  lit  connnuniquer  le  golfe  avec  l'Océan 
en  engloutissant  une  niasse;  considérable  dv  terrain.  Les  golfes 
de  Paria  et  de  Cariaco  attestent  aussi  l'action  d'une  g  ande 
irruption  des  eaux  <|ui  les  découpa  en  formes  étranges.  Ce  qui 
d'ailleurs  sendtlerait  jjrouver  la  formation  récente;  de  ces  terrains, 
c'est  l'accroissement  delà  température  qui  indicpie  une  moindre 
é|iaiss(iu*  aux  cou(;hes  terrestres.  D'ordinaire  la  température 
s'accroit  d'un  degré   par  trente  métrés  de  profondeur  :  Sur  les 
côtes  de  (lolomhie  et  dans  les  Antilles,  elle  s'accroit  d'un  degré 
par   l:i  à   L'i  mètres  (2).  Des  |)liénomènes  analogues  se  sont 
produits  sur  la  côte  du  Yucatan  (3).  D'après  les  traditions  locales 
elle  était  jadis  réunie  à  Cuba.  Cette  péninsule  (;n  ed'et,  pres(|ue 
«•nfièrement  dépourvue  de  fleuvos  et  de  rivières,  ne  reçoit  d'eau 
«pie  par  des  puits  immenses  que  l'on  croit  alimentés  par  des 
fleuves  souterrains,  tandis  (|ue  l'île  de  Cuba  est  sillonnée  par 
de  nombreux  cours  d'eaux. 

D'ailleurs  le  continent  américain  presque  tout  entier  se 
présente  à  nous  comme  ayant  conquis  sur  les  eaux,  après  la 
disparition  de  l'Atlandide,  d'énormes  espaces  (i).  Les  Etats- 
L'nisentrc  l'Atlantique  et  les  Allegbanys,  la  Floride,  la  Louisiane, 
le  Texas  sont  des  terres  abandonnées  par  l'Océan.  Les  bassins 
de  l'Amazone  et  de  la  Plata  sont  de  la  même  formation  géolo- 
gi(|ue.  La  Patagonie  est  si  évidemment  un  ancien  fond  de  mer 
«pie  les  plaines  de  la  région  sont  encore  imprégnées  de  sel,  c'est- 


VAHETTK, 

((.S" 

Espn- 

los 

l)ocas 

la 

tierra 

(1)  CoDAz/i,  Résume"  delà  Geoyvafiu  de  Venezuela,  p.  467. 
ri)  Maiicel  de  Sehh    ,  Cosmogonie  de  Moïse  comparée  aux  faits  hislo- 
tiiiues,  t.  H,  p.  322. 

(3)  Stepiiens,   Incidents  of  travcl  in    Yucatan,  I,  6.  —  Bhasski  ii    dk 
UoiiiBoino,  Archives  de  la  Commission  du  Mexii^ue,  II,  19. 

»)  HiFKON,  Epoques  de  la  nature  [dàiWon  Flourcns),  t.  IX,  p.  572.  — 
Joi.iBois,  Dissertation  sur  l'Atlantide,  p.  97,  98.  —  d'Orbigxy,  Voyage 
dans  l'Amérique  méridionale,  IV,  188. 

T.  I.  8 


18 


l'KFCMIKHK    l'AUTIK.   —    LKS    l'HKCl'USKlHS   l)K   (.((UlMIl. 


iVdirc  (|ii(>  le  grand  cataclysrno  a  mis  iiiiu  incr  iiniiiciiso  à  la 
place  (ruii  pays  fortilc  et  nMnpIacé  <li'  vaste»  mers  par  un  vé- 
ritul>le  c-diitiiient. 

Aux  vraiscMildances  scieiitilupies  s'ajoutent  les  traditions  lu- 
cales.  Les  Claraïlies  (1),  lors  de  la  (-«(iKpKHe,  racontèrent  au\ 
Espagnols  (pie  toutes  les  Antilles  avaient  jadis  formé  un  seul 
continent,  mais  cprelles  furent  sul)itement  séparées  par  l'action 
des  eaux.  Ils  disaient  encore  (|ue  les  mornes,  h's  falaises  et  les 
escarpements  de  leurs  îles  furent  transformés  par  cette  inon- 
dation maritime.  IjC  souvenir  d(^  cette  convulsion  géologi(pie 
s'est  per|>étué  à  travers  les  Ages,  et  c'est  touj«»urs  l'eau  (pii  joue 
le  rôle  de  l'élément  destructeur.  Ainsi  les  Kloridiens  (:i)  racon- 
taient que  le  soleil  retarda  sa  course  de  vingt-quatre  heures  et 
que  les  eaux  du  lacThéomis  ayant  débordé  couvrirent  tout,  sauf 
une  montagne,  où  se  réfugièrent  les  seuls  lionmies  cpii  furent 
sauvés.  Les  Californiens  (IJ)  parlent  d'une  inondation  générale 
amenée  par  la  colère  de  leur  dieu  Tchling.  Les  Iroquois  disent 
que  la  terre  fut  inondée  par  un  grand  lac.  Les  Montagnais  (4)  du 
Canada  raci»ntaient  (pi'uu  certain  Messou  étant  entré  dans  un  lac 
pour  y  chercher  ses  chèvres  «  ce  lac  venant  à  desgorger  couvrit 
la  terre,  et  ahyma  le  m(»nde,  et  généralement  tous  les  arhres 
qu'elle  avoit  produits  d'elle-même  en  furent  cachez  ».  Les  (;ia- 
uadiens  d'IIochelaga  [■',)  «(  font  mention  en  leurs  (^liansons  <pie 
les  eaux  s'estant  une  fois  dél)or(lées  couvrirent  toute  la  terre,  et 


ê-vi: 


(1)  lloKN,  De  ori(jinil)Us  Atnericani.i,  p.  88.  »  linimincrabilcs  Messicaiii 
siiMis  iiisiiliis  iiiiuin  olitn  contiiiciitein  fuisse  :  ita  ex  iiiajornm  aiitii|ui.ssiiiia 
tradilioiii'  ipsos  iiicolas  asscrerc  labeiitibus  sircnlis  avulsas  vi  teinpestalis,  cl 
cxigiii:  IVc'lis  divisas  iii  laiituin  iiuiiieruin  cxcievissi-.  »  CI'.  RÉvii.i.i:,  Histoire 
tlnx  Cjraifjp^  (Nouvelle  Revue),  1882  —  Borde,  Histoire  de  l'Ile  de  la  Tri- 
nitad,  p    .'H -(50. 

(2)  II.  i>K  CiiAiiKM^Kv,  Traditions  ntn''ricainos  surin  dêluqe  (Revue  ainé- 
ricainc,  'i'>  série,  [».  88-'J8i.  —  Cf.  Acost.\,  Ds  promulf/ationeEvanfjelii  a/ntd 
Barbaros. 

(!{)  De  Cii.\nENf;KY,  oiivr.  cilé,  p.  9:{. 

(4)  SAo.vni),  Hiitoiro  du  Canada,  p.  502,  édit.  Tross,  p.  467. 

{"))  LEsr,.\RR()T,  Histoire  de  la  Nouvelle  France,  p.  693,  édit.  Tross,  p.  049. 


CHAI'.  I.  —  co.mminh;. kntme r/AMKHiQiK KT  l'anc.  i:(>.\TIM„\T.    I!» 

furent  tous  les  lioiiiiiu's  iioyi'/,  ('\t»'|it('  leurs  fjraiids  pères  (|iii 
Si'  sauvèrent  sur  les  plus  liants  arhres  du  pays  ».  Voici  la  tra- 
(luetiuu  (l'une  lé^'ende  Kscpiiuiaude,  recueillie  |iar  le  II.  P. 
l'etilnt  (1)  :  «  L'eau  avant  envahi  le  j.'lt)lie  terrestre,  nu  s'épou- 
vanta; les  tentes  des  lioiiuues  disparurent,  le  vent  les  emporta; 
on  lia  côt(!  à  côte  plusieiu's  Itanpies;  les  vaj:ues  dépassèrent  les 
uionta;:nes  rocheuses.  In  ;;rand  vent  les  poussait  s(U'  la  terre, 
les  lionuues  se  lireiit  sécher,  sans  dmife  au  soleil,  mais  le  inonde 
et  la  terre  dispariu'ent.  Par  une  chaleur  adVeuse  les  hommes 
périrent.  Par. les  fhtls.  ils  périrent  é}.'aletnent.  Ils  trendilaient, 
ils  se  lamentaient  ;  les  arhri's  déracinés  flottaient  au  jjré  des 
vaf.Mies...  cependant  un  hoimne  a|)pelé  le  fils  du  lliliou  jeta  son 
arc  dans  les  flots  :  «  Vent,  ne  souffle  plus  !  c'est  assez,  s'écria- 
f-il,  après  (juoi  il  jeta  dans  l'eau  ses  pendants  d'oreille.  La  lin 
arriva  ». 

Pareils  souvenirs  se  retrouvaient  chez  les  hahitants  de  la 
Terre-Ferme  et  de  la  (bastille  d'Or  (2).  Une  lé^'ende  llaï- 
tieniu',  conservée  |)ar  frère  Romain  Pane  (31,  attrihue  aussi 
à  une  inondation  soudaine  la  formation  des  Antilles.  F^es 
peuplades  de  l'Orénocpie  désignaient  ce  cataclysme  |»ar  le 
nom  de  (".afenaman<»a  (4),  ce  (pii  veut  dire  suhmersion  du  faraud 
lac.  Kidui,  voici  (>n  rpu'ls  termes  saisissants  les  Quichuas,  c'est- 
à-dire  les  hahitants  primitifs  de  l'Kurope  centrale,  racontent 
cette  ell'rayante  inoiulafion  dans  leur  livre  sucré,  le  Popol 
Vuli  (5)  :  «  Alors  les  eaux  furent  gonflées  par  la  volonté  du 


il)  H.-P  l'KriioT,  [.ff  Ero/iii/naux  (Congrus  améiiciiiiiste  de  Nancy) 
p.  :);((). 

CJ)  IIkiihkha,  Ui^loiia  tjencml  de  las  Imitas,  II,  07.  —  IV,  11!).  — 

(.))  Humain  I'ank,  Histoire  de  Notre-Dame  de  Izamal,  liaductioii  Hr 
(II!  llonrboiir;,',  ]).  110  Cf.  Lettres  de  Pierre  Marti/r  à  Pompo7iiii,  1 
\\\)'i  ^Lu^t^(;s  ili;  Picne  Martyr  relatives  aux  découvertes  inaritinics  des 
i;ii()ls  et  des  Portufçais,  Irad.  Gallarcl  et  Louvot,  \^.  10). 

(i)  (iiMii.i.A,  Orhioro  illustrado  (traduction  Eidous),  t.  II,  p.  1;>5. 

(.■))  Vojnd  Vuh  traduction  Brasseur  de  Bourbourg),  p.  27,  29,  .'H.  Cf. 
Histoire  d'un  voyage  au  Brésil,  §  26  :  «  Ils  avoyeut  fait  mention  en 


,  1.  I, 

V.  6. 

asseur 

:{  juin 

Kspa- 


Lkiiy, 
leins 


pwi 


:>() 


l'HKMIKHK    l'AiniK.    —    I.KS    l'IlKCLHSKl  »S    1>K   COUlMIJ. 


cœur  dn  cit'l,  et  il  se  lit  une  jrraiulL'  inondatioii  (|ui  vint  au- 
dessus  de  la  t(Me  de  ces  nianiiequins  et  de  cestMres  travaillés  de 
li(»is.  Une  résine  épaisse  descendit  du  ciel.  L'oiseau  ilécotcovacli 
leur  vint  arracher  les  yeuv  de  l'nrhite,  le  Canialotz  vint  leur 
trancher  la  tête,  le  Tainhalan  hrisa  et  hroya  leurs  os  et  leurs 

cartilafres.  leurs  corps  furent  réduits  en  poudre  et  dispersés 

Alors  on  vit  les  hommes  cotirir  en  se  poussant,  remplis  de  dé- 
sespoir :  ils  voulaient  monter  sur  leurs  maisons,  et  les  maisons 
sV'croulant  les  faisaient  tond)er  à  terre;  ils  voulaient  monter  sur 
les  arhres.  et  les  iU'hres  les  secouaient  loin  d'eux  ;  ils  voulaient 
entrer  dans  les  cavernes,  et  les  cavernes  se  fermaient  devant 
eux.  Ainsi  s'accomplit  la  ruine  de  ces  créatures  humaines  ». 

Que  si  maintenant  nous  nous  transportons  sur  les  archipels 
qui  suhsistent  au  milieu  de  l'Atlantique,  connue  les  derniers 
témoins  de  ieffondrement  de  rAtlanti<le,  nous  remanpierous 
d'abord  que  leur  nond»re  et  leur  position  paraissent  avoir 
singulièrement  varié  depuis  les  premières  observations  qui  en 
ont  été  faites.  Il  est  à  peu  près  injpossihle  d'établir  la  concor- 
dance entre  les  textes  anciens  et  les  archipels  actuels.  Où  |)lacer 
[lar  exemple  l'île  de  Cerné  qui  fut  pendant  plusieurs  siècles,  le  point 
de  relAche  des  vaisseaux  Carthaginois,  et  le  Char  des  Dieux, 
et  l'île  des  (iorilles,  et  les  îles  Purpuraircs?  Dès  1534  Bordone  (1) 
avouait  qu'on  n'était  pas  d'accord  sur  le  nombn^  et  la  position 
des  îles  de  l'Atlantique.  11  est  en  effei  probable  que  les  convul- 
sions souterraines  ont  à  diverses  reprises  modifié  la  physiono- 


mie du  sol.  Les  archipels  de  l'Atlant 


tique 


sont  les  restes  d'une 


ancienne  chaîne  de  montagne.  L'action  des  forces  volcan 


iques 


l'a  séparée  en  fragments,  et 
et  se  manifeste  de  temps  à 


conmie  cette  action  dure  encore 
autre,  ainsi  s'expli(jueraient  la  dis- 


cliaiisons  que  les  eaux  s'estaus  une  fois  telIcniciU  débordées  ({u'elles  couvrirent 
tonte  l.i  terre,  les  lioinnies  du  monde,  excepté  leurs  grands  pères  qui  se  sau- 
vèrent sur  les  plus  hauts  arbres  de  leur  pays,  furent  noyez.  » 

(1)  BdUDOXK,  Liùro  ncl  si  tjua  vagionn  de  lutte  l'Isole  del  tnumto  cou 
li  lor  nomi  mitic/ii  et  moderni  (1334). 


iK^mai 


^m 


CIIAI'.  T.  —  COMMIMC.  KNTHK  l'aMKRKHK  KT  L'ANO.  CONTI.NKNT.    i\ 

pjiritioii  de  certaines  îles  et  le  défaut  de  concordance  entre  les 
documents  anciens  et  l'état  des  choses  actuel.  (1). 

Il  est  certain  (|u"à  Madère,  dans  les  (lanaries  et  au\  Acores, 
u  se  laisse  partout  aj>ercevuir  IVMupreinte  du  feu,  et  d'énormes 
fra}j:ments  de  laves  ont  été  lancés,  dans  toutes  les  directions,  à 
de  telles  distances,  qu'il  est  souvent  difficile  de  se  rendre 
compte  de  la  position  isolée  où  on  les  trouve  ».  Dans  ces  trois 
archipels,  les  montafïnes  o,  une  hauteur  prodigieuse,  hors  de 
proportion  avec  l'étendue  des  îles.  L(>  terrain  est  sillonné  par  de 
longues  anfractuosités  et  des  couches  de  laves  amoncelées.  De 
loin  en  loin,  fument  enc(»re  les  volcans,  dont  les  éruptions  ne 
laissent  pas  (pie  d'être  très  dangereuses.  Pourtant  le  terrain  de 
ces  ai,'>'nels  n'est  pas  entièrement  volcanique;  on  y  rencontre 
des  débris  de  roches  [>rimitives,  granit,  syénite,  en  un  mot  tous 
les  indices  de  la  jiériode  primaire  {"2).  Un  des  géologues  qui  ont  le 
mieux  étudié  ces  îles,  Doodwich  (3),  écrivait  à  propos  de 
Madère  et  de  sa  voisine  Porto  Santo  qu'elles  n'avaient  pu  être 
créées  par  un  volcan  sous-marin.  «  Il  est  d'ahord  irrécusahie 
(pie  les  masses  de  basalte  ne  formaient  pas  dans  l'origine  une 
roche  d'une  autre  nature  (pie  la  chaleur  aurait  dilatée  dans  la 
place  (pi'elle  occupait,  et  (jui  se  serait  pénétrée  de  vapeur  pour 
former  la  roche  actuelle  ;  tout  ser.ible  prouver  au  contraire  (pie 
ces  masses  se  sont  élevées  li(|uides,  et  qu'elles  se  sont  écoulées 
de  la  bouche  d'un  cratère.  Kn  second  lieu,  si  l'île  de  Madère 


iiiilo  cou 


(1)  Hc.MB(ti.i)T,  Voyage  aux  régionx  l'qiiinoxiale  du  juuvean  continent,. 
I,  327.  "  Quant  à  la  question  île  savoir  si  l'arcliipcl  des  Canaries  et  les 
îles  adjacentes  sont  les  débris  d'une  chaîne  de  montagnes,  déchirée  et  sub- 
mergée dans  une  des  grandes  catastrophes  qu'a  éprouvées  le  globe,  ceci  n'est 
nullement  contraire  aux  lois  reconnues  de  la  nature  ».  —  heuthei-ot,  llia- 
toire  naturelle  des  lies  Canaries,  II,  87  :  «  L'action  des  forces  volcaniques, 
qui  a  rompu  l'ancien  système  de  montagnes  et  l'a  séparé  par  fragments,  ne 
s'est  pas  restreinte  aux  îles  Canaries.  Elle  s'étend  sur  un  plus  large  espace, 
et  l'on  peut  en  observer  les  effets  depuis  les  Açores  jusqu'aux  îles  du  Cap- 
Vert.  » 

(2)  D'Avi7.Ac.,  Iles  de  l'Afrique  (Univers  pittoresque),  p,  43. 

(3;  Hooowicii,  Excursions  in  Madeira  and  Porto  Santo,  p.  107. 


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^A 


22 


l'RKMlKllK    l'AHTlK. 


LKS    l'HKC.IKSKlHS    UK   COLOMll. 


avait  ('tt'  oiiiiôrcnient  cirre  par  un  courant  luariii,  sa  hasci,  jo 
dirai  mémo  toute  sa  l)aso  devrait  tUro  (composée  de  pierre  ponce 
et  de  houille  ;  or,  ces  deux  substances  se  trouvent  en  (|uantit»'' 
extrchnement  petite  et  en  couches  alternantes  avec  la  basalte 
et  le  tuf  » . 

Les  Clanaries  (1),  malfrré  leurs  noml)reux  volcans  et  les  débris 
ijiués  tlont  elles  sont  parsemées,  ollVent  des  traces  j)lus  fréquentes 
encore  de  terrain  primitif.  Remarquons  tout  d'abord  que  le  pic  de 
Teyde,  dans  Tile  de  Ténérifl'e,  qui  s'élève  jusqu'j'i  3,710  mètres, 
sembh;  par  sa  hauteur  avoir  eu  jadis  pour  hase  une  terre  bien 
plus  étendue  que  les  sept  cents  milles  carrés  de  superficie  de 
l'île  actuelle.  Bien  que  l'action  des  forces  volcaniques  (2!)  soit 
partout  visible,  «  nous  avons  retrouvé  (3)  dans  l'archipel  des 
débris  de  roches  primitives,  desjrranits  jtarfaitement  conservés, 
<»u  qui,  pour  avoir  épr^tuvé  un  feu  violent,  n'en  existaient  pas 
moins  avant  les  incendies  souterrains,  des  lits  de  sable  ferruffi- 
neux  (|ui  n'ont  éprouvé  aucune  altération,  des  couches  d'arj^ile 
(jui  ont  conservé  leur  disposition  et  tous  leurs  caractères,  enfin 
des  amas  de  corps  fossiles  où  l'on  distingue  des  productions 
marines  et  des  empreintes  de  végétaux  ».  La  syénite  a  été 
signalée  à  Fortaventura  ;  la  syénite  et  le  schiste  nncacé  à  Gomera, 
Uuniboldt  (i)  qui  résida  (juelque  temps  dans  l'archipel  n'hésite 
pas  à  reconnaître  ces  îles  comme  le  débris  d'une  chaîne  de  mon- 
tagnes déchirées  et  submergées  par  une  des  grandes  convulsions 
du  globe.  Les  côtes  en  effet  sont  presque  découpées  à  pic  et 
descendent  si  hruscjuement  dans  la  mer  que,  principalement  sur 
la  bande  orientale,  les  poissons  ne  peuvent  déposer  leur  frai  et 


i 

"< 

il' 


(1)  Beutiiei.ot,  Histoire  ncturelle  des  Canaries.  —  Ciiii,  v  Nabanjo,  Los 
Canarias. 

(2)  En  1492,  1528,  1585,  1705,  1106,  1730,  1735  et  1708  les  Canaries 
furent  bouleversées  par  des  tremblements  de  terre.  —  Voir  GODRON,  Sahara 
et  Atlantide,  p.  17. 

(3)  Bon  Y  DE  Saint- Vi.NCKNT,  Essai  sur  les  îles  Fortunées,  p.  431. 

^4)  HL.Mr.oi,i)T,  Voyaye  aux  régions  cquinoxialer,  du  nouveau  continent , 
t.  I,  §2. 


?i» 


t:iIAl'.  I.  —  f.OMMUMC.  ENTRE  L'AMÉRIQI'E  ET  l'aNC.  CONTINENT.    23 

la  |h\Ii('  est  presque  nulle  (1).  Le  premier  aspect  de  l'archipel 
est  même  si  |)eu  attrayant  (juon  ne  s'explique  pas  qu'il  ait  si 
longtemps  porté  le  nom  d'îles  Fortunées,  mais  le  printemps 
éternel,  la  beauté  du  ciel  et  la  fécondité  du  sol  font  vite  oublier 
ces  côtes  tourmentées  par  d'affreuses  convulsions  et  le  confus 
entassement  de  rochers  qui  ne  rappellent  que  trop  le  cataclysme 
auquel  l'archipel  dut  sa  création. 

Les  îles  du  Cap-Vert  présentent  (2)  la  même  constitution 
physique  et  la  même  formation.  Autour  d'un  pic,  ancien  volcan, 
dont  les  éruptions  sont  encore  menaçantes,  Saô  Antonio,  Paù  de 
Assucar,  (îordo,  Fogo,  etc.  et  qui  par  sa  prodigieuse  hauteur 
est  tout  à  fait  hors  de  proportion  avec  la  petite  île  qui  le  renferme, 
des  terres  se  sont  effondrées,  creusant  entre  elles  des  abîmes  ; 
des  montagnes  se  sont  précipitées  dans  la  mer  d'un  seul  bloc, 
et  plongent  leur  base  à  pic  dans  les  flots  pendant  qu'elles  cachent 
leur  tète  dans  les  neiges.  L'aspect  de  ces  îles  est  si  tourmenté 
(|u'oii  les  désigna  autrefois  sous  le  nom  d'îles  des  Gorgones  : 
Immenses  crevasses,  cratères  gigantesques,  montagnes  éboulées 
dans  la  plaine,  tout  y  atteste  encore  l'action  des  forces  souter- 
raines. 

C'est  siu'tout  l'archipel  des  Açores  qui  fut  violemment  boule- 
versé et  abîmé  en  grande  partie.  La  surface  de  la  plupart  do 
ces  îles  est  fort  irrégulière,  coupée  par  de  hautes  montagnes  et 
de  profondes  déchirures,  causées  sans  doute  par  l'action  des 
pluies  sur  des  matériaux  peu  consistants.  Les  reliefs  se  terminent 
brusquement  à  la  mer  par  des  rocs  perpendiculaires  qui  semblent 
des  nnu'ailles.  Le  sol  a  été  si  bouleversé  qu'il  est  presque 
impossible  de  reconnaître  la  succession  des  couches  stratifiées, 
et  (jue  les  caractères  observéssur  un  point  sont  presque  toujours 
diamétralement  opposés  aux  phénomènes  qui  se  manifestent 
sur  un  autre  point.  Les  éruptions  volcaniques  n'ont  pas  cessé. 

(1)  D'AvEZAC,  Iles  de  l'Afrique,  p.  123. 


(2)  I.   LopKs  DE  Lima,  E 


fjuezas  (l«4i  ,  t.  I.  Das  ilhas  de  Caôo  Verde. 


nsaios  sobre  a  statistica  da:,  possessoes  portu- 


\^ 


t    ! 


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24 


PREMIERE   1        HE.   —   LES    PRECURSEURS   DE   COLOMIl. 


Celles  de  llio,  de  ir>31,  de  17oo  et  de  1811  ont  laissé  de 
lugubres  souvenirs.  En  mai  1807  on  signalait  encore  des  eom- 
motions  souterraines,  et,  les  1"  et  2  juin  de  la  mOme  année, 
une  bouche  volcanique  lançant  des  pierres  et  épanchant  d'énormes 
masses  de  lave  s'élevait  à  la  surface  de  la  mer  entre  Graciosa  et 

•ceira.  Pourtant  le  terrain  primitif  se  rencontre  dans  les  îles 
us  éloignées  du  centre  et  du  foyer.  Le  schiste  constitue 
1  lie  Santa  Maria  et  le  marbre  est  abondant  dans  l'île  de  Gorvo  (1). 
Il  se  peut  que  toutes  ces  îles.  Madère,  Cap-Vert,  Canaries, 
Açores,  soient  les  restes  d'anciennes  chaînes  de  montagne. 
«  Quand  les  feux  souterrains  furent  devenus  assez  forts  pour 
se  faire  jour  dans  le  continent  Atlantique  et  que  les  rochers  les 
plus  solides  ne  purent  résister  aux  secousses  qu'ils  imprimaient 
au  sol...,  l'eau,  qui  cherche  sans  cesse  à  accroître  son  domaine, 
profita  de  cette  crise  et  des  fractures  qu'elle  occasionnait  pour 
se  répandre  sur  plusieurs  points.  Bientôt,  par  les  effets  réunis 
du  courroux  de  l'Océan  et  des  éruptions  volcaniques,  un  continent 
disparut  de  dessus  la  surface  du  globe.  Les  fragments  »^noini- 
unis  et  sans  solidité  qui  en  faisaient  la  masse  furent  entraînés 
par  les  courants  (2)  >>,  et  c'est  ainsi  qu'il  ne  resta  bientôt  plus 
que  le  sommet  des  anciennes  montagnes  de  l'Atlantide. 

Ce  n'est  pas  seulement  dans  ces  archipels,  mais  aussi  dans  la 
mer  qui  les  entoure  qu'il  est  facile  de  retrouver  les  tra(;es  d'un 
continent  submergé.  Entre  les  Canaries  et  la  côte  Marocaine,  la 
mer  est  si  peu  profonde  que  quelques  géologues  ont  affirmé 
qu'une  convulsion  violente  de  la  nature  a  seule  pu  séparer  cet 
archipel  du  continent.  Il  suffit,  en  effet,  d'explorer  la  côte 
d'Afrique  (3)  entre  les  caps  Spartel  et  Bon  pour  y  remanjuer 

(1)  BoiD,  A  description  of  the  Açores,  or  Western  Islands,  frotn  personal 
observation,  1835.  —  Drolet  et  Morelet,  Rapport  fait  au  roi  de  Portuyul 
sur  %m  voyage  d'exploration  scientifique  aux  îles  Açores,  1857.  —  G.  Hau- 
TUNG,  Die  Azoren  in  ihrer  Aiisseren  Erscheimmg  und  nach  geognostichen 
Natur  geschildert,  1860. 

(2)  BoRY  DE  Saint-Vincent,  ouv.  cité,  p.  1860. 

(3)  GoLBERHY,  Fragments  d'un  votjage  en  Afrique,  t.  I,  §  2.  —  Bory  iik 
Saint-Vincent,  ouv.  cité,  p.  440. 


CIIAl'.  I.  — COMMUMC.  ENTRE  l'aMÉRIQIE  ET  l'aNC.  CONTINENT,    "i.'i 


lissé  de 
'S  com- 

iinnéc, 
■normes 
iciosa  et 

les  îles 
■onstitue 
orvo  (1). 
Canaries, 
ontajrne. 
)rts  pour 
chers  les 
)riinaient 
domaine, 
nait  pour 
>ts  réunis 
continent 
its  moins 

entraînés 

ntôt  plus 
e. 

dans  la 

ices  d'un 

ocaine,  la 
Ht  affirmé 

parer  (;el 
la   côte 

emaniuer 

uvi  Personal 
de  Portugal 
—  G.  Hau- 
•ogîiostichen 

—   BOHY    DE 


SI 


de  nund)ren\  déchirements  et  des  monta}j;nes  séparées  par  des 
gor}îes  très  ouvertes  et  paraissant  divisées  par  l'action  d'un 
violent  ellort.  Entre  Madère  et  les  Canaries  se  prolonge  sous 
les  flots  une  chaîne  sous-marine  dont  les  sommets  émergent  de 
loin  en  loin  :!:s  Désertes,  île  Salvage,  etc.,  et  semblent  ne  faire 
des  deux  archipels  qu'un  seul  système.  Entre  les  Canaries  et 
les  Acores  existent  encore  de  nombreuses  vigies,  jadis  men- 
tionnées par  Frézier  (I)  et  Fleurien  (i),  qui  explorèrent  ces 
parages.  Ces  vigies  sont  mêmes  si  nond)reuses  qu'il  est  impos- 
sible d'en  expliquer  la  présence  sans  admettre  qu'elles  appar- 
tenaient à  un  continent  submergé  (3).  L'amiral  Fleuriot  de 
Langle  a  c(»nsacré  à  ces  vigies  éparses  un  important  travail, 
dont  nous  allons  présenter  un  tableau  résumé  (i\ 

D'après  le  savant  observateur,  on  distingue  six  zones  dans 
cette  partie  de  l'Atlantique.  La  première  est  situé  entre  12"  et 
18"  de  longitude  ouest  de  Paris.  Elle  comprend  six  vigies  ou 
écueils  :  1°  Le  liackall  (57°,  39'  '.Vr  Lat.  N.  —  15»  W  Long.  0) 
signalé  en  1810  par  le  capitaine  de  VJ'Sndymiou,  et  (|ui  depuis  a 
figuré  sur  toutes  les  cartes  marines  ;  "l"  L'Helen  (57"  i5'  et 
15"  37'  15")  sur  lequel  s'est  perdu,  en  18:24,  le  capitaine  Erskine  ; 
3»  La  Unche  dite  Kius  (55»  18'  —  13°  !29')  signalée  en  17M,  à 
(juatre  pieds  sous  l'eau,  par  le  capitaine  du  FricndSIùn,  Ait- 
Kins,  revue,  en  18 


par 


ipitaii 


3t  en 


1852,  par  le  capitaine  du  Fiugalto»,  Cronig  ;  4"  La  /{oclie  du 
Diahlt;  observée  en  1737  (i7"i2()' —  13»  20')  par  le  capitaine 


(1)  FnÉziEB,  fielatiom  de  voijnge  h  In  mer  du  Sud,  r.  289. 

(a)  Fi.ELiiiEN  (i)e;i.  Le  Neptune  Américo-septentrio»  J  (1180),  p.  60(i. 

(.'))  BuKFON  {Epoque  de  ta  nature,  édition  Flf.cns,  t.  IX.  p.  :}63)  s'eu 
était  douté  :  «  Le  grand  intervalle  de  nier,  écrit-il,  entre  l'Espagne  et  les  terres 
voisines  du  Canada  est  prodigieusement  raccourci  par  les  bancs  et  par  les  îles 
dont  il  est  semé,  et  ce  qui  pourrait  donner  quelque  prohabilité  de  plus  à  cette 
présomption,  c'est  la  tradition  de  la  submersion  de  l'Atlantide.  » 

(4|  Fi.EuniOT  DE  Langle,  Oftnervations  de  vigies-  et  de  /lauts  fondu  dans 
ll'Attantique  septentrional  au  targr  des  Acores  (Bulletin  de  la  Société  de 
I  géographie  de  Paris,  juillet  1865). 


:2(; 


l'HKMIKHK  l'AHTIK.  —  LES  l'HKCLHSEURS  1)K  COLOM». 


a 


Hrignon  ot  en  1818  (4(5"  3.'!'  —  15"  !27'j  par  le  cafjitiiino  W. 
Peter;  5"  J/^/yrfa  (44°  45'  —  17°  45°).  Dès  13()7,  iKtus  trouvons 
eet  écueil  indiqué  sur  la  carte  catalane  éditée  par  Uuclier.  Il 
reparait  dans  le  Ptoléniée  de  1519,  et,  dès  lors,  figure  sur  les 
mappemondes  modernes.  11  a  été  observé,  en  1730,  par  le  capi- 
taine de  Rock  ;  0°  Vigie  du  VHanmhnl.  Kn  1749,  le  capitaine 
(irifïe  de  rilaiinihal  sifrnalait  des  i)risants  danp:ereux  par  43'  10' 
et  l(i"40'  :  serait-ce  par  hasard  le  ménie  liant  fond  que  celui  où 
Heriu'ville,  lonuuandant  de  Vh'lisfibt'lli,  se  tnmva  engagé  en 
17i5  (44"  Kf —  13°  S)  et  où  un  coup  de  mer  furieux  lui  enleva 
soixante  et  dix  hommes  de  son  équipage? 

La  deuxième  zone  est  située  entre  18°  et  25"  de  longitude 
ouest.  Elle  comprend  neuf  vigies  en  hauts-fonds.  1°  Le  banc  de 
Kramer,  ainsi  nonuné  du  capitaine  Alof  Kramer  qui  le  décou- 
vrit par  59"  47'  et  19"  ;  2°  Le  banc  du  Lion  (50"  42'  —  19"  50') 
reconnu  en  177(5  par  le  capitaine  Pickersgill  et  en  1831  [)ar  le 
capitaine  Vidal  ;  3"  fji  Hoche  du  lirasil  on  banc  de  fei\  indiipiée 
déjà  sur  le  portulan  médicéen  de  1351  (1.  de  Brazi),  sur  la  carte 
de  Picignano  de  1307  (Insula  de  Bracir),  sur  le  portulan  de 
Mecia  de  Viladestes  de  1413  (insola  de  Brazil),  sur  les  cartes 
d'Andréa  Bianco  de  1430,  de  Fra  Mauro  de  1457,  et  de  Ptolé- 
mée  de  1519  :  à  partir  du  XV  siècle  on  ne  la  retrouve  plus  ; 
4"  Les  Hoches  de  Nègre.  En  1722,  par  48"10'— 22°40'  le  capitaine 
Nègre,  de  la  Rose  Sainte-Croix  aperçut  (juelques  pointes  de 
roche  ;  est-ce  un  des  rochers  couverts  de  coquillages  et  émer- 
geant d'environ  05  centimètres  que  le  capitaine  Michel,  de  la 
Catherine  découvrit  en  1753  par  48"  45'  — 18" 59',  ou  le  haut- 
fonds,  sur  lequel  déferlait  une  mer  très  blanche,  que  signalait 
en  1810,  par  47"  50'  —  23"  le  capitaine  de  la  JJellone,  de  Prigny  ? 
5"  Cinq  grosses  tètes.  En  1817,  par  43° 28'— 23° 40'  le  capitaine 
Dichin,  de  la  Confiance,  découvrit  un  récif  couvert  d'eau;  en  1854, 
par  44"  14" — 23"  53',  le  capitaine  Duprat  apercevait  une  roche 
haute  d'environ  15  mètres,  et  la  même  année,  par  44°22' — 21°27', 
le  capitaine  Persil  remarquait  une  autre  roche  f    t  élevée,  en- 


1! 


r.llAI*.  I.  —  r'^.:.:MlMC..  K.MHK  i/aMKKIOCE  et  l'aNC.  C.ONTi.NENT.    "11 


haut- 

lignalait 

'rigny  ? 

ipitaine 

Ml  1854, 

roche 


ttiun'c  (le  l»risaiits  utoros  ne  doiiiiaiit  de  f(jiul(|u'à  113  nit'tres  ; 
<t"  .\fiii/di(  :  cet  îlot  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  l'îlot  de 
même  nom  déjà  signalé  dans  la  première  z<tne  fut  oliservé  en 
ITd.'i,  par  47°  12' — 2.'l"3i>',  par  le  ca|)itaine  Nau  de  Bordeaux,  (pii 
le  décrivit  connue  une  île  blanche  de  la  grandeur  de  l'île  d'Aix. 
Kn  1717  le  Père  Gordeiro,  dans  son  histoire  des  îles  de  r(Jcéanie 
{ >ccidentale,  le  faisait  figurer  (iTo^O'  — :25»2V)  parmi  les  posses- 
sions du  Portugal,  mais  en  1738  le  capit.iine  lh-adf(irt,  dn  Jfdi'llfi/, 
par  'io°  10' — 21'*37',  eten  184ïile  capitaine  IJridou,  de  la  TlitW-se, 
par  M'}"  10' — 22"  30',  ne  trouvaient  plus  (|ue  des  brisants  (h;  six  ou 
sept  pieds  de  haut.  7»  lifinr  Lamarre.  Ce  banc  fut  signalé  en 
1820  ,  42";n'-  |)as  de  longitude)  par  le  cj'.pitaine  Lamarre  de  VA'mi- 
iii'-Marh'.  Il  rencontra  de  nombreux  rochers  sé[  .rés  par  des 

,i<Miiau\  et  leur  assigna  une  étendue  de  vingt  à  vingt  et  un  milles 
dans  la  direction  du  sud-sud-est  au  nord-nord-ouest.  8°  liane 
ilAdruher.  En  183Î)  le  capitaine  Adroher  aperçut  à  sept  ou 
liiiif  mètres  sous  l'eau,  par  ^((".'iC)'  et  10"  01' un  récif  de  cinq 
milles  d'étendue.  0°  Banc  de.  In  Henriette.  Ku  181(»,  par  37"  39' 
et  10°  4Î)',  le  navire  la  Henriette  avait  déjà  trouvé  dans  ces 
parages  un  brisant  fort  étendu. 

La  troisième  zone  est  située  entre  25"  et   30°  de  longitude 

ioiiest.  Elle  comprend  sept  basses  ou  vigies.  1°    Vigie  de  Mar- 

chdine    observé  en   1728  (par  -48"  —  2(»°  39')  par  le   capitaine 

Marchoiue,  du  Prince-de-Conti  ;  2°  Vigie  de  Hoittin,  signalée 
tur  la  première  fois  en  1701  par  le  capitaine  Houtin  (iC)"  40'  — 
io^riO*)  (]ui  découvrit  un  rocher  de  -43  mètres  de  long  sur  20  de 
large,  et  pratiqua  des  sondages  tout  autour  ;  mais  dès  1727, 
ar  4()"20'  —  28"  49',  la  frégate  la  Galatre  ne  trouvait  plus  qu'un 
récif,  en  1788,  par  45"  48'  —  2(»"10',  le  commandant  du  liurhcnu, 
kle  Segneville,  ne  signalait  plus  qu'une  décoloration  de  l'eau,  et 
en  1833,  |)ar  i()"30' — 25»  i8Gorral,  capitaine  de  Co/?7H*\s/arforne 
parlait  plus  que  d'un  haut  fond.  3° /.«  Vigie  de  Gosseauine.  Dès 
1(;27,  par  4-4° 52'  — 28" 3 4',  le  pilote  Albert  de  la  Trcmhlnde  avait 
Ail  la  mer  se  briser  surunécueil.  En  1819  le  capitaine  Coombo, 


28 


PHEMIKHK    rAHTIK.    —    LKS    l'HKC.l  HSKJRS   I>K   COLOMH. 


(le  la  Patins,  visita  le  diinger  par  M)"î>'ï — 2H":H,  et  même  réussit 
à  arracher  un  goëmon  qui  tenait  au  fond.  Eu  IH'M),  par  41^52'  — 
28"  34,  lo  capitaine  (Josseaunie  dhservait  des  rochers  émerfieant 
de  l'eau,  et  en  1843,  par  4.')"!'  et  28Tj'  le  capitaine  (^ornforth, 
de  VOtfersponl,  certifiait  l'existence  d'un  hrisant.  4"  lion f  il' 
firreiw.  Le  capitaine  Greeve,  de  YAnna-Cnthm'hia  a[»ercut  en 
1745,  par  44" — 27°2r)',uue  chaîne  de  rochers,  prohahlement  lu 
même  que  revit  en  1711,  par  i.'l'lîJ'--  27"  2o,  le  capitaine  Curie 
de  la  D'uinu.  .>  liasse  de  VlAiphros'ini'.  Vax  IS.'il,  par  43°  40' — 
29°  î)',  le  capitaine  Mestre,  de  VJ'Jnphrosiin',  remarqua  que  la 
mer  était  décolorée,  et  trouva  le  fond  à  82  et  à  8')  mètres. 
0°  Viffle  di'  Gairhard't.  Elle  fut  signalée  en  1735  par  le  capi- , 
tainedu  J)auj)lii)i,  (îuichardi,  cpii,  par  42°  30'  —  20"  25',  vit  des 
roches  élevées  d'une  di/aine  dv  mètres,  mais  en  182Î),  à  hi 
même  latitude,  le  capitaine  Mils,  du  7'«//(f'>' n'en  rencontrait  [)lus 
que  deux;  en  182'.),  par  42"  20'  —  27"  20',  le  capitaine  Woodall, 
de  Vludemnili/,  signalait  des  rochers  sur  lesquels  la  mer  défer- 
lait avec  violence,  et  eu  1842,  par  42" 51'  —  20"  35,  le  capitaine 
Alderson,  du  Mornhig-Star,  trouvait  des  rochers  élevés  de  trois 
mètres.  7'  liasse  de  VAhnable  Marie  Jeanne.  En  1777,  par 
41°  30' —  29°  28' ,  le  capitaine  Voizard,  de  VAhnable-Marie- 
Jeanne,  s'aperçut  que  la  mer  changeait  de  couleur,  mais  il 
n'eut  pas  le  temps  de  sonder;  en  1813,  par  41°  7'  —  24"  59', 
le  capitaine  du  Pei'setts  trouva  des  hrisants. 

La  quatrième  zone  comprise  entre  le  30"  et  le  35"  de  latitude, 
comprend  six  écueils  :  i°  Les  Trois  Cheiwinées.  C'est  en  1720  que 
le  capitaine  du  Clos-Fernel,  du  Chai-de-  Verne ^  signala,  par 
45"  57'  —  31°  54'  trois  têtes  de  rochers  hauteur  de  27  mètres 
environ.  11  leur  donna  le  nom  des  Trois  Cheminées  à  cause  de 
leur  forme  allongée.  Elles  avaient  d"-  aru  un  siècle  plus  tard, 
car,  en  1823,  par  47°  55'  —  32°  04',  VAmHié-du-Croisic  ne 
trouvait  plus  qu'un  fort  brisant,  et  en  1831 ,  par  Alo  55'  —  37"  20', 
le  capitaine  Hatena,  de  la  Bonne-Mère,  manquait  d'échouer  sur 
une  longue  ligne  de  brisants  séparés  en  quatre  groupes  bien 


(.MAI'.  I.  — COMMIMC.  K.NTHK  I.AMKIUQIK  KT  l'aNC.  CO.NTI.NE.NT.    li.*.) 


«lisfiiicts.  Il  est  iK'Miimoins  prnhaMc  (|ii('  leurs  (iliscrviifioiis 
s'adressaient  à  une  autre  vi^Mc,  car  en  IH'ri,  |iar  47"  'M'  —  'M"  11', 
le  capitaine  Koallovs,  de  Vh'df/lf,  si^qialait  encore  trois  têtes  de 
rochers  émergeant  de  '11  mètres.  ^"  ht  Itttrht»  du  Mnr'nier  fut 
indi(|uéepar  le  cai)itaine  Swaintore,  du  Mar'nin-  (|ui  faillit  s'y 
perdre  en  IH.'JI,  par  iC»"  :K)'  —  lUTi"'.  W"  La  /{orlif  /fntdn'sou, 
ainsi  nonnnée  |)arce(|irelle  consiste  en  un  fond  rocheux  très  con- 
sidérahle,  trouvé  en  iSriO,  avec  87  et  17H  mèfres  de  fond,  par 
A'I^V.V  —  IJl^^iO',  par  le  capitaine  llenderson,  du  riHiiicn-AWHe 
roche  llenderson  ressemhie  à  i"  La  /{nclic  Moss-  raii,  trouvée  eu 
IS'il  |>ar  le  capitaine  Mossurau,  de  V/ùlirard  Kcinn/,  qui  dé- 
clare avoir  vu  la  uu'r  se  hriser  par  iI}"H'  —  lU"!!".  .V'  La  /{nrhe 
du  Fi/m  ressemhie  aux  Trois  Cheminét's.  Elle  fut  sifîuah'M?  eu 
17(57  par  le  capitaine  Ytreck,  du  Fijcu,  ijui  découvrit  trois  têtes 
de  rochers  par  -47"  ^'  —  ;{3"  (H)',  mais  sans  trouver  de  fond  ;  et 
en  1S5(»  par  le  capitaine  Chardenni.  du  Duquesni'  qui  vit  par 
47"  'X  —  31°  7',  trois  têtes  de  rochers  disposées  eu  trian}:lo 
émerf^eant  de  deux  uà'tres  et  garnies  à  l'eutour  de  fucus. 
Signalons  encore  dans  cette  zone  ()"  Im  Viq'to  dv  la  Couslauça, 
formée  par  des  hrisants  aperçus  en  1840  (IJ2"  ^(>'  —  38"  -45')  par 
le  pilote  de  la  Cousiauça,  Manuel  Ferrecrà. 

La  cinquième  zone,  située  entre  35"  et  4'>",  comprend  neuf 
vigies  :  1"  /{ochers  dv  fiourjli.  Ce  sont  deux  rochers  hors  de 
l'eau  {■U)°  33'  —  3o»  "H)')  ohservés  en  1820  par  le  capitaine 
Heaufort,  du  Concnrd.  ll"  Lllc  Jacquot  fut  signalée  eu  1728 
(.4r;o  40'—  38'  59')  par  le  capitaine  Bannehetche,  de  Saint- 
.lean-de-Luz,  qui  faillit  s'y  hriser  ;  en  1782  (40"  50'  —  42»  12') 
|)ar  le  capitaine  Querval,  du  Jeum  Frrdêric  ;  eu  1830  (-40^55'  — 
41°  50')  par  Mate  Legros  du  Scaflores,  qui  trouva  une  île  de 
cent  mètres  d'élévation,  et  en  1858  (40"  52'  —  40"  20')  par  le 
capitaine  Joh  du  Christ obal,  qui  ne  rencontrait  plus  que  trois 
têtes  de  rochers.  3"  La  basse  d'AmhUmoni  est  formée  par  des 
hrisants  situés  par  44°  20'  —  35°  59',  vus  en  1087  par  le  capitaine 
•l'Anihlimont,  de  VArv-en-CU:l.  4»  La  liasse  Sargeac  :  c'est  un 


:t() 


l'UKMii'.m;  I'ahtik 


LKS    l'HKCIHSKlHS    \)V.   (OLOMII. 


il 


II 


I 

\ 


r 


rocluT  roufrc  (ill"  ri"' — 13"  1 V)  siffiiah- en  IT.'iO  |»;ir  le  t'a|)ilaiiic 
Sarpcac,  de  la  Mitr'ic-Him',  ;  à  iu>  |>as  cinifoiKlrc  avec  uii  liant 
l'orid  (le  ciiKi  iiK-trcs,  sitiu''  par  K^l"  W  —  ',\\)"  io',  (lôcouvcrt  la 
iii^'irio  uniUH!  par  le  capitaine  llaiiii^'cau,  du  Lrznvd.  W  Le  Itniu- 
l'^sjKifjtiid  fiiiisi  nommé  en  l'C»*.!  par  le  caiiitainc  Ifilcsias,  dn 
Slscai',  (pii  romar(|na,  par  W"  ^i'  —  38"  iO,  nnc  décolo- 
ration d(>  l'can  et  trouva  lo  fond  à   huit  mètres  scidcnicnt.  Kn 


1841, 


nar 


M)' 


,"  /< 


ï.) 


IW"  37',  on  observait  un  banc  à  fleur  d'eau. 


mais  il  avait  disparu  en  1857,  carie  capitaine  VValstein,  du  /ilntiit- 
fn'i-f/,  ne  siffnalait  plus,  par  -iO'^O'  —  30°  "HY,  (|u'une  décoloration 
de  l'eau.  i\<>  Itmtc  dit  IJruid.  En  1803,  par  il»  2i'  —  V.V  îi.'i',  le 
capitaine  Castillo,  de  la  Conslanra,  avait  déjà  vu  la  mer  se 
briser;  mais  c'est  en  18il  seulement,  par  41"  10'  —  43°  55', 
(|ue  le  capitaiiu'  Treadwell,  du  Driiid,  aperçut  une  dizaine  de 
roches  à  un  mètre  au  dessus  de  l'eau.  7"  Vif/ic  de  Clianieri'dit 
ainsi  nommé  du  capitaine  Chantereau,  de  VAiir/nsie,  qui  en 
17:il,  par  38"  "24'  —  il"  50',  découvrit  de  forts  brisants.  8»  hi 
Hoclii;  drs  'froin  Frères  fut  découverte  en  1720  (40"  28'  — 
43°  00')  par  le  capitaine  Sébastien,  des  Trnh-Frères,  cpii  trouva 
le  fond  à  sept  mètres.  Enfin  dims  cette  cinquième  zone  existent 
0"  Acv  Ilocho.s  ScDis  Nom,  (jui  peut  être  se  confondent  avec  les 
précédentes  et  qui  furent  observées  en  iH±l  (38"  10'  —  30"  52') 
par  le  pilote  espagnol  de  la  Tr'iunfnnic  ;  en  1831  (38°  45'  — 
30»  25')  par  le  capitaine  Ignace  Natta  ;  en  1840  (37'  .50'  —  35"  24', 
par  Manoël  Feneira  ;  en  1840  (38"  23'  —  30°  30')  par  le  capitaine 
IJotte,  de  la  Louise. 

La  sixiène  zone,  située  entre  45°  et  00»  de  latitude,  comprend 
trois  écueils  :  1"  La  Hoche  }fé(jiiet,  fond  rocheux  à  cinq  mètres 
de  profondeur,  signalé  en  17()8  par  le  capitaine  Méquet,  de 
(Iranville,  par  40°  30'  —  47°  33',  et  qui  se  confond  peut-être 
avec  2°  Les  Roches  Vierges,  découvertes  en  1829  (iO"  27'  — 
53'  10')  par  le  lieutenant  Rose,  de  la  Ti/ue,  ([ui  trouva  le  fond 
à  quatre  niètres,  et  en  1843  (4()°  30'  —  52"  4')  par  le  cai»itaine 
llyder,  du  Jiélhel,  qui  trouva  le  fond  à  sept  mètres.  3"  La  Roche 


CHAI'.  I.  —  «'.(IMMIMC.  KNTUK  LAMKIllylK  ET  i/ANC.  CONTINKNT.    M 


trf/nrnr/dii 


If  :  (l(''S  l7(K)im  iiîivirc  de  Hordciuix  avait  sif.Mialt''  un 


haiif  et  <|n('l(Hi.'s  îlots  par  iO»  :«()'  —  .'il»  :«>').  Kn  \'-l''l  U- 
capitaine  llcrvaiiaiilf,  (In  (htnt/Ki'ninl,  iAm'r\n\l  à  "<M>  int-lrcs  ilc 
distance,  par  il"  —  i<»"  1',  d'une  part  un  roclier  à  tieur  d'eau 
et  de  l'autre  tniis  brisants  distincts.  En  1818,  par  M)'  .Vi'  — 
M"  !'(",  le  capifiiine  Konrnier,  de  VOsctir  l'i  hlisr  tntuvait  une 
roclie  hors  de  l'eau.  Le  capitaine  Maxwell  eu  sifjnalait  tmis  eu 


IH-iC»,  |tar 


ilo  '■y  —  iilo  V,i,  et  c'était  une   véritahie  chaîne  de 


rncliers  cpie  le  capitaine  de  \\\iiinli(i  rencuutrait  en   18;Ht  par 


/tiJ»  ;{' 


il»  :2()' 


Il  <'st  donc  prouvé  (pi'an  milieu  de  i'Océaii  Atlanti(|ue,  entre 
10"  et  OO"  de  loufritude  ouest  de  Paris,  c'est-à-dire  sur  un  es|iac<' 
considérahie,  existent  des  brisants,  des  roches  isolées,  «niel(|ues 
îlots  et  des  hauts  fonds.  Encore  a-t-il  été  impossible  de  recueillir 
toutes  les  explorations  nautiques,  et  l'Atlantique  n'a  été  étudié 
(jue  sur  une  petite  partie  de  son  inunense  étendue.  On  aura  de 
plus  remar(|ué,  dans  cette  loujrue  énumératiou,  cpie  très  peu 
d'observations  concordent,  (|ue  tel  écueil  signalé  à  tel  endroit 
ne  s'y  est  plus  retrouvé  quel(|ues  années  |»lus  tard,  mais  qu'il 
a  été  remplacé  par  un  haut  fond,  ou  récipro(|uement  (|u'un  haut 
fond  s'est  changé  en  une  chaîne  de  brisants.  Il  se  pourrait  donc, 
d'uiu'  part,  (jue  le  nombre  de  vigies  observées  fût  bien  plus 
considérable  et  cpi'on  ait  aj>pli(pié  à  tort  la  même  dénomi- 
nation à  des  positions  dilféreuti's,  d'une  autre  [lart  (pie  le  travail 
souterrain  des  feux  intérieurs  (pii  jadis  engloutit  la  majeure 
partie  de  l'Atlantide  ne  soit  pas  encore  terminé,  et.  par  consé- 
(pient,  que  de  nouveaux  archipels  émergent  ou  (pie  d'anciens 
s'elfondrent  subitement.  Ne  signalait-on  pas,  en  janvier  18.')7, 
au  large  des  Carolines  et  de  la  Floride,  uik;  immense  irruption 
(l'eau  douce  ?  Des  courants  boueux  et  jaunâtres  sillonnèrent 
l'Océan  et  des  milliers  de  poissons  furent  tués  (1).  En  pleine  mer 
la  salure  diminua  de  moitié  et  les  pécheurs  puisèrent  pendant 


(I)  Ravskim)  Tiiomassv,  Essai  sur  l'/if/drolnf/ie.  —  E.  Heci.is,  la  nirr. 


. 


\i 


:\-i 


l'HICMIKMK    l'AKTIl 


LKS    rHKC.HHSKfHS    DE   r.OMlMH. 


iiii  iiiitis  (lo  l'oau  |Mjlal)l('.  Ou   eût  dit   le  Houlèvciiiciit  d'un 


nuitiucnt. 


FiCs  anciciiH  avaient  déjà  r<'ruar(|U(''  (pic  rAtlanti(|U('  était 
parl'uis  ('(tiiuuc  agité  de  uinuvcniculs  couvulsifs.  (l'était  uiénu' 
v\u'z  euK  uniMipiniou  répandue  (|u'<iu  nepuuvaitipiedil'ficilenient 
naviguer  au-delà  des  coImuiu's  d'Hercule,  car  la  nier,  disaient- 
ils,  était  obstruée  [lar  des  déliris  roclnMix,  des  hancs  de   vase  et 


surtout  des  agglomérations  d'iierlies  marines  :  ils  n'hésitaient 
pas  à  attribuer  la  cause  de  ces  agitations  aux  derniers  tressail- 
lements de  l'écorce  terrestre,  encore  frémissante  de  l'épouvan- 
tahle  cataclysme  <pii  engloutit  l'Atlantide. 

'<  On  ne  peut  naviguer  au-delà  de  Cerné,  écrivait  un  contem- 
porain de  Darius  I,  Scylax  de  Guryande  (1),  car  lu  mer  est 
eird)arrassée  par  de  la  vase  et  par  des  herbes  ».  «  Maintenant 
encore,  lisons-nous  dans  Platon  (ïi),  on  ne  peut  parcourir  cette 
mer  (l'Atlantique),  ni  la  connaître,  parce  que  la  navigation  est 
empêchée  par  la  vase  très  |>rofonde  qu(!  l'île  a  formée  en  s'abî- 
munt  ».  Ilérodot  '  (3),  racontant  le  voyage  projeté  du  satrape 
Satnspùs  autour  le  l'Afrique,  affirme  qu'il  s'arrêta  en  chemin 
parce  qu'il  reconnut  l'impossibilité  d'aller  plus  loin.  Plutar(|ue  (i) 
rapporte  qu'il  ne  faut  voyager  sur  rAtlanticjue  (|u'avec  des 
bateaux  à  rame,  car  les  eaux  ne  permettent  qu'une  lente 
navigation  et  sont  rendues  bourbeuses  par  la  (juantité  de  vase 

(Il  ScYLAX  DE  Cavrandf.  (édition  Didot)  :  «  Ks'pvr,;  oï  v/^ioy  Ta  irJMivx 
oyxSTt  iiv.  TZAfDTa  oto  ppa/ÛTr,-»  OaXâzTT);,  xal  nr^XoCÎ,  xai  oûxci;.  » 

(2)  Fi.ATON,  Tintée  :  ((  Aïo  zal  vùv  ànopov  xat  àô'.epsûvrjTOV  y^y^vs  toÙxei 
T.ù^ctyoi,  nr,Xoj  xapTa  [ii^îo;  £;iroôwv  ov-o;,  ov  f,  vrjao;  îÇo(X£vr,  rapcV/îTO.  » 
Ce  renseignement  est  confirmé  par  le  Scholiastn  de  Platon  (Edition  Tauclinitz, 
Vil,  I».  2!)'»'  :  ((  Tojto  xat  ot  toÙ;  âxEt'vT,  xoroy;  !a-opO'jvT;;  Xs^ouaiv,  m- 
-avTa  TîvaXfiiSr;  tov  =xeÎ  eivat  "/«îipov.  TEvayo;  rii  ÈTCtv  Wùi  ti;  întnoXâÇovTo; 
•joaTa,  où  ;:oaXoCp,  xa;  IJOTavrl;  Èni9a'.vo|j.svr,;  toûtco,  r[  ;;riXn»5r,  r.zkx^T^,  rj 
o'.âjîpoyo:,  r^  xâOupyot  ■zôr.oi.  » 

(:{|  Ukrodote,  IV,  33  :  «  ToC!  oà  ;jl7j  t.i^atjmzx'.  It,'iljr,v  raviîXî'iDa  alttov 
Too:  ïXîys,    tô  ::X'}Xo'^  -ô  r.y'tn»  où  ?yvaTÔv  Ëti  aivai  aXX'îv'a/îiOa'..  » 

[\)  Plutauquë,  De  faciu  m  orôe  liins,  §  26. 


il  fi 


Ouest  de  Fari» 


C    Perro» 


l-KS    Ar't'ORTS    Di;    (ÎULK    STHEAJI 
(Extrait  ilc  lu  (iro<:ia|ililc  tl'K.  Hkci.us,  llacliottc  et  C',  Wilcurs). 


4 


(IIAP.  I.  —  COMMUMC.  ENTRE  LAMÉRIOIE  ET  l'aNC.  CONTINENT.    33 


(ju'y  d('|><)sent  de  iiomhieux  affluents  venus  de  terre  ferme.  11 
«'Il  résulte  de  tels  attcrrissements  que  lu  mer  en  est  épaissie, 
.Vristotc  [l)  sig:nale  les  danjfers  de  la  navigation  dans  ces 
(laraijes.  L'auteur  anonyme  du  Traité  des  Merveilles  (2)  rapporte 
(|U('  des  Phéniciens  de  (iadès  rencontrèrent,  après  quatre  jours 
de  navigation,  des  régions  pleines  de  varechs,  où  jouaient  de 
iKiinlMTUx  thons.  L'exa'ct  Strahon  (3)  confirme  ce  renseignement 
et  nous  apprend  (pie  la  chair  de  ces  thons  était  fort  estimée, 
parce  (pi'ils  se  nourissaient  d'une  sorte  de  gland  marin  si 
ahondant  qu'à  l'époque  de  la  mat'irité  les  côtes  de  Gadès  et  des 
alentours  en  étaient  jonchées.  Or  ce  gland  marin  n'est  autre 
(|UL'  le  fruit  en  graines  des  sargasses  arrachées  aux  hancs  de 
r.\tlanti(pie  et  jetées  sur  les  cotes  européennes  (4).  Ces  sargasses 
atteignaient  parfois  des  proportions  gigantesques  et  arrêtaient 
la  marche  des  vaisseaux.  Aussi  les  navigateurs  n'osaient-ils  pas 
se  ris([uer  dans  ces  {>arages  dangereux. 

Même  pendant  le  moyen  âge,  persista  cette  croyance  à  la 
«lifflculté  de  la  navigation  dans  l'Atlantique.  Jornandès  (5), 
riiistorien  national  des  (ioths,  disait,  en  parlant  de  l'Océan, 
que  non-seulement  personne  n'avait  jamais  essayé  de  décrire 
les  régions  lointaines  (ju'il  baigne,  mais  encore  que  personne 
n'avait  osé  le  traverser,  parce  que  les  algues  arrt  .aient  la  marche 
<les  vaisseaux,  les  vents  n'avaient  plus  de  force,  et  que  celui-là 
seul   connaissait  ces   parages,  qui   en   fut  le   créateur.   »   De 


il 


!;  I 


il)  AuisTOTE,  MétcoroU>(ji(iues,  II,  1,  14  :  Ta  o'à'Ço)  aTT,Xwv  ,'3sa/c'a  \xh 
v.%  Tov  nfjXov,  à-voa  ô'satlv,  «îj?  èv  v.oiXfi)  -f^<i  OaXâTtr,;  o'ùur,;. 

■1}  De  mirafjilitjus  auscultationihiis,  édit.  Didot,  p.  166.  —  Voir  le  texte 
au  chapitre  intitulé  Les  Pliéiiicieiis  en  Amérique. 

(3)  SriiABON,  III,  2,  7. 

\'i)  THÉoi'RAaTt,  Histoire  des  plantes,  IV,  7.—  Aviesls,  Ora  niariti>na, 
\.   iO'J. 

("))  JoRNANDÉs,  Historia  Gothoriim.  «  Oceani  vero  intraiismeabiles  ulte- 
riorcs  fines  non  soluni  non  describere  quis  aggressus  est,  veruin  etiani  iiei; 
tîuiquani  licuit  transfretare ,  quia  rcsistente  ulva  et  ventoruni  spiramine 
<|iiicscenle,  impermeabiles  esse  scntiantur,  et  nuUi  cogniti,  nisi  soli  ei  qui  cos 
cunstituil.  » 

T.  I.  3 


34 


PREMIERE    PARTIE.    —   LES    PRECURSEURS   1)E   COLOMB. 


il 


î 


(     »i 


nombreux  romans  de  ("li<?vaIorie  (1)  parlent,  comme  d'une  mer 
très  lointaine,  de  la  mer  liétée.  Or,  bétée  ne  signifie  pas  gelée, 
mais  coagulée,  et  c'est  justement  dans  cette  mer  (jue  l'auteur 
de  l'Image  du  Monde,  au  cliapitre  d'Aufrique  et  de  ses  régions, 
plaçait  l'Atlantide  de  Platon,  et  conservait  ainsi  comme  l'écho 
des  traditions  antiques.  Les  Arabes,  ces  hardis  marins,  (|ui 
semblaient  avoir  hérité  de  l'esprit  aventureux  des  Phéniciens  (2), 
hésitèrent  eux  aussi  à  se  lancer  dans  l'Atlantique,  car  ils  se  le 
rejtrésentaient  comme  couvert  de  ténèbres,  ou  rempli  d'une 
eau  épaisse  ou  boueuse  où  il  était  impossible  de  naviguer. 
Mohammed,  l'auteur  d'un  traité  de  cosmographie  intitulé  le 
Parfum  drs  fleurs  dans  les  merveilles  de  Vinwers  n'écrivait-il  pas 
encore,  en  151G,  que  les  eaux  de  l'Océan  étaient  troubles  et  que 
personne  n'osait  s'y  hasarder  à  cause  de  la  difficulté  d'y  na  viguer  ? 
Il  se  peut  que,  soit  par  ignorance,  soit  par  préjugé,  les  écri- 
vains de  l'antiquité  et  du  moyen-âge  aient  singulièrement  grossi 
les  difficultés  de  la  navigation  dans  l'Atlantique  :  il  est  néan- 
moins très  probable  que  ces  dangers  existaient,  et,  s'ils  ont  en 
partie  disparu  aujourd'hui,  n'est-ce  pas  que,  par  la  suite  des 
siècles,  les  commotions  violentes  (jui  bouleversèrent  si  souvent 
cette  mer,  ainsi  que  les  courants  dont  la  force  est  si  redoutable 
ont  transporté  ces  débris  en  les  désagrégeant  et  peu  à  peu  doiuié 
à  rAtlanti(|ue  sa  profondeur  actuelle  ?  Ces  courants,  (jui  durent 
encore,  ont  sans  doute  creusé  cette  mer  qui,  d'après  les  appa- 
rences, ne  dut  pas  d'abord  être  si  profonde.  Ils  minèrent  et 
engloutirent  des  iles  moins  solides  (pie  les  archipels  (jui  sub- 
sistent (le  nos  jours,  et  sur  lescpiels  pourtant  leur  action  lente 
et  continu;'lle  ne  laisse  pas  ([ue  d'être  visible,  et  c'est  ainsi  que. 
si  rVtlantide  disparut,  ses  débris  émergent  encore  au-dessus 
de  ses  eaux. 


(1)  Voir  au  cli;ipitrc  intilulé  Los  Irlainlais  en  Ainùriiiue  tout  ce  qui   csl 
relatif  aux  courses  de  Saiut-Braudau  dans  cette  nier  Bétée. 

(2)  Reixaud,  Introduction  à  la  traduction  tir  la  géoqraphic  d'Ahoulfrd'i. 
1».  212,  21.'),  2S().  —  KDnisi,  Traduction  Jaul)ert,  t.  I,  p.  345. 


TTTW 


,;„^^I,    ,.  —  rOMMlNIC.  KNTHK  L'aMÉRIOI'K  KT  l'aNT.  CONTINENT.    3"> 

Au  «•oiifjn's  AiiuTicanistc  de  Mfidrid,  cii  1881,  un  des  savants 
dont  s'honore  l'Espagne  contemporaine,  F.  de  Hotellia  (1), 
eonsidérant  conmie  acquis  le  fait  de  l'existence  de  TAtlantide 
dans  les  limites  que  nous  venons  de  lui  tracer,  clierciiait  à  en 
fixer  les  contours  exacts.  Après  avoir  exposé  les  causes  (jui,  à 
l'ori^Mue  de  ré|)0<|ue  (piaternaire,  diu-ent  [)ro(luire  TcH'ondrement 
des  terres  aujourd'hui  couvertes  |»ar  l'Atlantique,  après  avoir 
montré  comment  ce  cataclysme,  coïncidant  avec  le  soulèvement 
des  Andes  et  de  la  chaîne  volcanique  Méditerranéenne,  pro- 
duisit un  épouvantable  bouleversement  à  la  surface  du  monde 
déjà  habité,  l'éminent  iufiénieur  présenta  une  carte  de  l'Atlan- 
tique sur  laquelle  étaient  indiqués  les  sondafies  exécutés  jusqu'à 
ce  jour.  Imaginant  alors  un  mouvement  orographique  qui  aurait 
soulevé  de  32i()  mètres  le  fond  de  l'Océan  et  notant  les  sommets 
et  les  continents  qui  émergeraient  au-dessus  du  niveau  de  la 
mer,  il  démontra  sans  peine  que  les  limites  des  nouvelles  terres 
correspondaient  à  celles  de  l'Atlantide  disparue.  Certes,  ce  pro- 
cédé est  ingénieux,  mais  il  est  toujours  dangereux  de  s'a]>puyer 
sur  une  hypotlièse.  Aussi  préférons-nous  ne  parler  que  de  c(^ 
(|ui  existe  et  non  pas  de  ce  qui  pourrait  exister.  Or,  ne  résulte- 
t-il  pas  de  la  j)réseuce  au  milieu  de  l'Atlantique  de  tant  d'îles  et 
de  fragments  d'îles  que  jadis  existait  dans  cet  espace  un  immense 
continent,  qui  n'était,  qui  ne  pouvait  être  que  l'Atlantide? 

En  résumé,  et  sans  tenir  compte  des  nombreux  écueils  et 
rochers  épars  dans  les  six  zones  de  l'Atlantique  que  nous  avons 
énumérées,  il  existe,  à  l'heure  actuelle,  trois  trajets  directs  de 
la  Guinée  au  llrésil,  de  l'Irlande  au  Labrador,  de  la  Norvège  et 
de  l'Ecosse  au  (Iroenland,  et  de  nombreux  trajets  indirects  par 
les  îles  qui  parsèment  l'Atlantique  ;  à  ne  considérer  que  la  géo- 
graphie; physique,  il  s(>  pourrait,  par  conséquent,  que  cette  dis- 
tance ait  été  parcourue  par  de  hardis  marins,  soit  hasard  de  la 


(1)  1''.  DK  HoTEi.HA,  Pruchras  geologicas  de  la  existencia  de  la  AtlaïUida, 
su  faima  ij  su  flora  (Congrès  américaniste  de  Madrid,  t.  I,  p.  142-16.1). 


.  1<  l-i  nj'^^"-^ 


3() 


niKMIKmC    l'AKTIK.    —    LKS    PHKCL'HSKIHS    1)K    COLOM». 


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( 


tempête,  soit  volonté  bien  réfléehie  de  pousser  en  avunt,  (!t  (ju»; 
quelques  uns  d'entre  eux,  plus  audaeieux  ou  plus  heureux,  aient 
découvert  rAméricpie  avant  la  date  olfieielle. 

Une  autre  eause  [)liysique  devait  les  aider  dans  ces  voyages  : 
c'étaient  les  courants  marins,  ces  inunenses  fleuves  pélag;iques, 
(jue  nous  ont  fait  connaître  les  belles  observations  de  Maury,  de 
Humboldt,  et  d'E.  Reclus  (1).  Le  plus  considérable  et  le  mieux 
connu  de  ces  courants,  le  (îulf-Stream  ou  courant  du  golfe, 
pousse,  d'un  mouvement  lent  mais  continu,  les  eaux  de  l'Atlau- 
ti(jue  vers  les  cotes  du  Brésil.  Il  contourne  les  Guyanes,  le  Vene- 
zuela, la  Colombie,  l'Amérique  centrale,  le  Mexique  et  les 
Etats-Unis.  11  pénètre  dans  le  détroit  de  la  Floride,  et  coule 
droit  au  nord  en  longeant  la  cote  Américaine  jusqu'à  la  hauteur 
de  Terre-Neuve.  Les  courants  du  pôle  qu'il  y  rencontre  l'arrêtent 
et  brisent  sa  marche.  Une  lutte  s'engage.  Le  Gulf-Stream  ré- 
siste et  finit  par  l'emporter,  mais  il  semble  que  ses  eaux  tour- 
billonnent sous  un  tel  choc.  Une  partie  du  courant  s'engage 
dans  les  mers  boréales  ;  l'autre,  de  beaucoup  la  plus  considé- 
rable, se  déploie  en  éventail  dans  la  direction  de  l'Europe,  où 
elle  arrive  en  deuv  branches.  La  première  baigne  les  côtes 
d'Islande,  d'Irlande,  de  Norvège  et  pénètre  dans  l'Océan  glacial 
jusqu'à  la  Nouvelle-Zemble  ;  la  seconde  arrive  sur  les  rivages 
de  France,  d'Espagne,  de  Portugal  et  du  Maroc  ;  mais,  heurtée 
|)ar  les  terres,  elle  se  replie  sur  elle-même  en  décrivant  une 
ellipse,  dont  la  grande  axe  serait  la  distance  qui  sépare  les  Cii- 
uaries  des  Bermudes,  puis  revient  à  son  point  de  départ.  C'est 
dans  l'intérieur  de  cette  ellipse  que  sont  accumulés  et  comme 
emprisonnés  par  le  (rourant  qui  les  enveloppe  d'énormes  amas 
d'herbes,  qui  constituent  la  mer  de  Sargasses.  Aucun  de  n(>s 
fleuves  continentaux  ne  peut  donner  l'idée  de  ce  gigantes(jue 
cours  d'eau.  Ses  rives,  d'un  bleu  sombre,  se  distinguent  nette- 

(l)  Maiky,  Georjvaphij  oftiœ  sea.  —  A.  de  Humiioi.dt,  Voyage  aux  ra- 
yions l'i/uino.viales  du  nouveau  continent,  ..  I,  liv.  i.  —  E.  Hkci,us,  La 
Terre,  l.  H,  p.  8t. 


C.IIAI'.  I. 


COMMUMC.  ENTRE  l'aMÉRIOIE  ET  L'aNC.  CONTINENT.    'M 


ment  sur  lu  surface  de  l'Atlantique  au-dessus  de  laquelle  leur 
axe  s'élève  d'environ  soixante  centimètres.  Il  a  ses  rives  indi- 
quées par  des  sillons  d'écume.  Quand  le  courant  polaire  le 
rencontre,  la  ligne  de  démarcation  entre  les  deux  niasses  li- 
(piides  est  tellement  précise,  cpi'on  distingue  le  moment  où  le 
navire  sort  d'un  courant  pour  fendre  l'autre.  Le  frottement  de 
ces  masses  coulant  en  sens  inverse  produit  une  série  de  remous 
et  de  tourbillons.  A  sa  sortie  du  canal  de  Bahama,  le  (iulf- 
Stream  s'élanc»;  dans  l'Océan  par  une,  embouchure  de  plusieurs 
kilomètres  de  largeur  et  une  épaisseur  moyenne  de  370  mètres. 
Là,  sa  vitesse  ég>le  celle  des  principaux  fleuves  de  la  terre,  car 
elle  atteint  sept  à  huit  kilomètres  par  heure,  elle  n'est  ordi- 
nairement, quand  il  gagne  en  largeur  ce  qu'il  perd  en  force 
d'impulsion,  que  de  cinq  kilomètres  et  demi  Quand  les  vents 
ne  s'opposent  pas  à  sa  course,  il  roule  paisiblement  dans  l'At- 
lantique la  niasse  effroyable  de  ses  eaux,  quaiante  cinq  mil- 
lions de  mètres  cubes  par  seconde  :  Lorsque,  au  contraire,  la 
tempête  le  retarde,  il  s'épanche  avec  fureur  sur  les  terres  Lasses 
du  rivage,  et  les  ravage  impitoyablement. 

Un  des  plus  curieux  phénomènes  qui  signalent  le  Gulf-Stream 
à  l'attention  des  savants,  des  économistes  et  des  négociants  est 
le  mouvement  constant  de  translation  dont  sont  animés  ses 
flots.  En  supposant  qu'une  molécule  d'eau  revienne  à  la  place 
d'où  elle  était  partie,  on  a  calculé  qu'il  lui  faudrait  trente-quatre 
mois  pour  se  retrouver  à  son  point  de  dé[)art.  Un  bateau  qui 
serait  censé  ne  pas  recevoir  l'impulsion  du  vent  parviendrait  en 
treize  mois  des  Canaries  aux  côtes  de  Caracas.  Il  lui  faudrait  dix 
mois  pour  faire  le  tour  du  golfe  de  Mexique  ;  mais,  en  qua- 
rante-cinq ou  cinquante  jours  seulement  la  force  du  courant  le 
porterait  de  la  passe  de  Bahama  au  banc  de  Terre-Neuve.  Les 
eaux  de  l'Atlantique  sont  donc  agitées  par  un  mouvement  lent 
mais  régulier,  qui  porte  constamment  les  objets  flottants  dans 
une  direction  déterminée.  (Jràce  à  ce  perpétuel  circuit,  la  navi- 
gation a  pu  rapprocher  le   Nouveau-Monde  de  l'Ancien.  La 


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PHKMIKHK    l'AUTIK.    —    LKS    l'HKCUKSKl'RS    DE   COLOM». 


plupart  (les  inarins  (|ui  reviennent  des  Antilles  nu  îles   Etats- 
Unis  utilisent  la  forte  de  ce  courant.  Sans  lui,  les  côtes  Amé- 
ricaines seraient  pratiquement  plus  éloignées  de  l'Europe  qu'elles 
ne  le  sont  en  réalité,  les  colonies  resteraient  dans  un  déplorable 
isolement,  et  la  civilisation,  faute  d'aliments,  aurait  été  singu- 
lièrement retardée  ou  même  arrêtée.  Aussi  letiulf-Stream  est-il 
comme  la  grande  route  qui  unit  l'Ancien  et  le  Nouveau-Monde. 
Cette  grande  route,  ol>jectera-t-on,  n'est  connue  et  suivie  que 
depuis  peu.  Dans  l'antiquité,  par  conséquent,  elle  ne  pouvait  être 
qu'inutile.  Assurément  les  anciens  ne  Tout  ni  découverte,  ni 
parcourue,  mais  elle  n'en  existait  pas  moins,   et,  depuis  des 
siècles,  le  mouvement  de  translation,  (jui  anime  en  quehjue 
sorte  les  eaux  du  Oulf-Strtîam,  opérait  des  transports  étranges 
qui  n'avaient  pas  complètement  échappé  à  l'attention.   Ainsi 
Fernando  Colomb  (1)  raconte,  dans  la  Vie  de  son  père,  «pi'un 
pilote  Portugais,  nommé  Martin  Vincent,  lui  parla  un  jour  d'une 
pièce  de  hois  sculptée  (|u'il  avait  trouvée  en  mer  à  cent  cin- 
quante lieues  à  l'ouest  du  cap  Saint-Vincent  (2).  Comme  le  vent, 
depuis  plusieurs  jours,  soufflait  de  l'ouest,  le  pilote  Portugais 
afiirmait  ([ue  cette  pièce  de  bois,  portée  par  un  courant  marin, 
venait  des  îles  qui  devaient  exister  dans  cette  direction.  Pedro 
Correa,  mari  d'une  des  belles-sœurs  de  Colomb,  et  gouverneur 
de  Porto-Santo  dans  les  Açores,  avait  vu  dans  cette  île  un 
morceau  d(!  bois  analogue,  qui  avait  dû  être  jeté  sur  la  plage 
par  les  mêmes  courants.  11  avait,  à  diverses  reprises,  ramassé 
des  cannes  ou  roseaux,  d'une  grosseur  telle,  qu'en  les  coupant 
d'un  nœud  à  l'autre,  on  aurait  pu  en  faire  des  l)arils  contenant 
au  moins  neuf  bouteilles  de  vin.  «  On  avait  aussi  rapporté  à 


(1)  Fernando  Colomb,  Histoire  de  la  vie  et  des  découvertes  de  Christophe 
Colomb  (Traduction  Muller),  §  9,  p.  32. 

(2)  Cf.  Hehreha,  Historia  gênerai  de  las  I?idias,  liv.  I.  «  Tonio  un  pedaço 
de  madero  labrado  por  artificio,  i  a  là  que  se  juzgabar  non  con  liierro,  de 
lo  quai  i  per  aver  ventado  niuchos  dias  poniente,  iniaginaba  que  a  quel  palo 
venia  de  alguna  isla  » . 


iV  t 


I.IIAI'.  I.  —  COMMLMC.  ENTHE  LAMÉKIOL'E  ET  l'aNC.  CONTINENT.    30 

l'ainifiil  (ju'à  Graziosa  et  à  Fayal  (1),  quand  le  vont  avait  soufflé 
lun^:t('ni|is  de  roccident,  on  trouvait  communément  sur  les 
rivufres  une  espèce  de  pin  qui  ne  croit  sur  aucune  des  terres 
connues  des  navifrateurs  ;  (ju'en  outre,  à  Florès,  le  vent  avait 
nu  jour  rejeté  deux  cadavres,  dont  le  visage  très  large,  avait  un 
aspect  tout  autre  que  celui  des  chrétiens.  On  ajoutait  qu'au 
cap  de  la  Verga  on  avait  un  jour  aperçu  au  loin  sur  la  mer  plu- 
sieurs almadies  ou  barques  couvertes,  que  le  mauvais  temps 
avait  dû,  à  ce  que  l'on  supposa,  entraîner  hors  de  leur  route 
dans  le  trajet  de  l'une  à  l'autre  des  îles  occidentales  ». 

Ces  apports  sont  dus  évidemment  au  Gulf  Strcam,  et  il  n'est 
pas  inutile  de  faire  remarquer  que  leur  constatation,  en  quelque 
sorte  officielle,  encouragea  Colomb  dans  sa  détermination  de 
voyager  à  l'ouest.  Ces  apports  du  Gulf  Stream  n'ont  jamais 
cessé.  En  1731,  un  bateau  chargé  de  vins,  faisant  route  de 
Ténériffe  à  Gomera,  lutta  pendant  plusieurs  jours  contre  la  tem- 
|)éte,  et,  abandonné  aux  courants,  arriva  avec  six  hommes  d'équi- 
page à  l'île  de  Trinité  {'•li.  En  1704  un  petit  bâtiment  chargé  de 
blé  et  destiné  à  passer  de  Lanzarotte  à  Sainte-Croix  de  Téné- 
rifTe,  fut  entraîné  sur  la  côte  de  Caracas  (3).  Les  débris  d'un 
navire  anglais,  incendié  près  de  la  Jamaïque,  sont  parvenus 
jusqu'aux  rivages  d'Ecosse.  Vieira,  l'historien  des  Canaries, 
rapporte  que  souvent  des  fruits  ou  des  graines  provenant 
d'arbres  indigènes  aux  Antilles  ont  été  jetés  par  lu  mer  sur  les 
rivages  des  îles  de  Fer  et  de  la  Gomera  (-4).  De   nos  jours,  le 


(1)  Fehnando  Colomb,  ouvrage  cité,  p.  32-33.  —  Cf.  Heiirera,  ouv.  cité  : 
<c  En  la  isla  de  Flores  hechô  la  mar  dos  cucipos  de  hombres  muertos  que 
mostrabaiu  teiier  las  casas  niui  anchas  i  de  utro  gesto  que  tenieii  los  chris- 
lianos.  Otra  vez  se  vieron  dos  canoas  o  almadias  con  casa  movcdica  que  pas- 
sando  de  uiia  o  olra  isla,  los  debio  de  hecliar  la  fuer^a  del  viento  e  como 
iiunca  se  muden  vinierou  a  parar  a  los  Açores  ». 

(2)  Gu-Mii.i.A,  Ormoco  illustrado  (Traduction  Eidous),  t.  II,  p.  208. 

(3)  Gi.ASs,  History  of  the  discovery  and  conquest  of  the  Canary 
Ixlands,  p.  5. 

(4)  HuMBOLDT,  Histoire  de  la  géographie  du  nouveau  continent,  t.  II, 
p.  251. 


•<9M 


40 


PREMIKHE    PAKTIE.    —    LKS    PHECLHSEUHS   DE    COLOMH. 


Gulf  Streain  drpose  encore  jusqu'en  Irlande,  aux  lléhrides 
et  en  Norwège,  des  graines  de  plantes  tropicales,  mimosa  scan- 
dens,  guilandina  honduc,  dolichos  urens.  Ilumboldt  a  ramassé 
ù  Sainte-Croix  de  Ténérifle  un  tronc  de  <  udrela  odorata,  couvert 
d'écorces  et  de  lichens,  qui  avait  sans  doute  été  arraché  à  la 
côte  de  Paria  ou  de  Honduras  (1).  Tout  récemment,  vers  lu  fin 
de  1887  (2j,  un  iuunense  radeau  composé  de  :2,700  troncs  d'arl)rcs, 
et  formant  une  navette  effdéo  de  180  métrés  de  longueur  et  d'un 
poids  total  de  11,000  tonnes  fut  soulevé  par  un  ouragan  près  de 
Long-Island  et  abandonné  ù  la  dérive.  On  s'élança  aussitôt  à  la 
recherche  de  ces  dangereuses  épaves.  Plus  de  cinq  cents  frag- 
ments du  radeau  ont  été  signalés,  et  on  a  reconnu  que  le 
courant  qui  les  emportait  se  déployait  en  forme  d'éventail  dans 
la  direction  des  Açores.En  255  jours,  les  épaves  avaient  franchi 
près  de  6,000  kilomètres,  à  peu  près  un  kilomètre  par  heure. 
Tel  des  fragments  du  radeau  avait  déjà  presque  atteint  les  côtes 
de  France  (3),  Aussi  bien  on  a  souvent  remarqué  que  de  temps 
à  autre  le  courant  océanique  dépose  en  Norwège  des  tonneaux 
bien  conservés,  remplis  de  vins  de  France,  et  qui  proviennent 
de  navires  naufragés  dans  la  mer  des  Antilles.  On  cite  même 
des  barils,  remplis  d'huile  de  palme,  faisant  partie  d'une 
cargaison  naufragée  au  cap  Lopez  (Congo  français)  et  qui  ont 
traversé  deux  fois  l'Atlantique,  une  première  fois  de  l'est  à 
l'ouest,  une  seconde  fois  de  l'ouest  à  l'est. 

Il  est  donc  incontestable  que,  dès  l'antiquité  la  plus  reculée, 
des  marins  ont  pu  être  entraînés  par  le  courant  océanique,  et 
être  jetés,  sans  s'en  douter,  au  nouveau  monde.  Nous  n'en 
avons,  il  est  vrai,  aucune  preuve  certaine  ;  mais  on  cite  pourtant, 
et  cela   dès  l'antiquité,    de  nombreux   transports,   autrement 

(1)  HcMBOLDT,  Histoire  de  la  géographie  du  nouveau  continent,  t.  II,  p.  254. 

(2)  Elisée  Reclus,  L'Amérique,  p.  63. 

(3)  Le  prince  héréditaire  Albert  de  Monaco  a  imaginé  une  série  de  flotteurs 
qui  ont  été  retrouvés  à  des  distances  énormes  du  point  où  ils  avaient  été 
lancés.  Voir  Société  de  géographie  de  Paris,  J888,  II,  191,  417,  et  1801, 1,  530. 


CHAI' 


COMMLMC.  KMHK  LAMKHlgi  IC  KT  l'A.NC.  CONTINENT,    il 


t'Xtraordiniiii'cs,  (jiic  jamais  iicrsuiiii»'  ne  s't'st  aviso  de  cnnlcslcr. 
Ainsi  Pusidoiiius  racdiitc  (1)  ((iic  les  (h'hris  (ruii  navin;  (Jaditau 
fuivnt  (Mitraini's  par  les  ('«niraiits  marins  jus(|ii('  sur  la  côte 
d'Arabie,  et  Pline  cl)  confirme  le  mOme  lait.  On  peut  encore  citer 
les  débris  d'un  vaisseau  qui,  poussé  par  les  courants  occidentaux, 
fut  porté  de  la  mer  Rou^'e  à  Tile  de  Crète  (3).  11  est  donc  fort 
|)ossil)lo  (jue  les  anciens,  malgré  l'imperfection  de  leurs  moyens 
nauti(jui's,  ou  jJutôt  à  cause  de  cette  imperfection,  aient  été 
p(jussés  par  les  courants  de  l'Atlantique  dans  la  direction  de 
l'ouest,  connue  le  sera  par  j'xemple  dans  la  première  anné(^  du 
seizième  siècle,  le  Portugais  Alvarès  Cabrai  (|u'un  hasard 
analogue  conduisit  aux  côtes  brésiliennes. 

Nous  n'avons  jusqu'à  présent  cherché  à  établir  que  la  vrai- 
semblance, ou,  si  l'on  préfère,  lu  possibilité  des  relations  entre 
l'ancien  et  le  nouveau  monde  pendant  l'antiquité.  11  nous  reste 
H  examiner  les  diverses  traditions  en  vertu  desquelles  certains 
peuples,  de  préférence  aux  autres,  auraient  [)orté  leurs  investi- 
gations de  ce  côté.  On  en  compte  quatre  :  Phéniciens,  Juifs, 
Grecs,  Romains.  Nous  passerons  successivement  en  revue  leurs 
prétentions  respectives. 


{\)  Straiion,  11,  3,  4  :  Tô  o  ' àx.po7:p(;)prjv  Trpo'fspovTa  s;  to  qji-optov, 
Ssizvjvat  TOÎ;  vauv.XT-ipoi;,  yv^vat  5È  Paos'.p'.twv  ov.' 

(2)  Pi.ixE,  Histoire  naturelle,  67  :  Iti  siiiii  Arabico,  res  gereiilc  C.  Cœ.sarc, 
Augusfi  filio,  signa  iiaviuin  ex  Hispaiiicnsibiis  iiaufragiis  ferunltir  agiiila. 

(3)  Massoudy,  Les  Prairies  d'or  (traduction  Uaibicr  de  Meynardj,  I,  363.— 
«  On  a  déjà  trouvé  du  côté  de  l'île  de  Crète  des  planclies  de  bois  de  teck, 
percées  de  trous,  et  reliées  ensemble  par  des  atlaclics  faites  avec  des  lilaments 
de  cocotiers  ;  elles  provenaient  de  vaisseaux  naufragés  qui  avaient  été  le  jouet 
des  vagues.  Or  ce  genre  de  structure  n'est  en  usage  que  sur  les  cétes  de  la 
mer  d'Abyssinie.  On  ne  peut  expliquer  ce  fait  qu'en  disant  que  la  nier  (jui 
baigne  les  côtes  de  Chine  va  se  joindre  à  l'Océan.  «  —  Hkinai»  {Introduc- 
tion à  In  géographie  d'Aboulféda)  cite  un  passage  analogue  rapporté  par 
Abou-Zéid. 


i 


CHAPITRE  II 


LES   PHKNICIENS   EN    AMERIQUE 


II 

Il     !.     f 


t 


Les  Pliônicions  furent  les  meilleurs  marins  de  l'antiquité. 
Resserrés  entre  la  Méditerranée  et  la  chaîne  abrupte  du  Liban, 
ils  semblaient  invités  aux  lointains  voyages  par  cette  mer,  qui 
découpait  sur  leurs  côtes  tant  de  ports  excellents,  et  par  ces  mon- 
tagnes qui  leur  fournissaient  en  abondance,  pour  leurs  vaisseaux, 
du  i)ois  de  construction,  du  fer  et  du  cuivre.  Gomme  le  pain 
journalier  leur  mancpiait,  et  que  le  sol  de  la  région,  maigre  et 
stérile,  ne  suffisait  pas  à  entretenir  leurs  multitudes  qui  toujours 
augmentaient,  la  nécessité  les  forçait  à  s'expatrier.  En  vain 
biUissaient-ils  des  cités  gigantesques  et  des  maisons  à  plu- 
sieurs étages  (1)  ;  il  leur  fallait  à  tout  prix  jeter  au  dehors  le 
trop  plein  de  la  population.  Or  le  continent  leur  était  fermé. 
Assyriens,  Egyptiens,  Perses,  tous  les  possesseurs  de  la  contrée 
se  seraient  opposés  à  leur  établissement  en  terre  ferme.  Par 
bonheur  la  mer  s'ouvrait  à  leur  fiévreuse  activité,  et  ce  petit 
peuple,  dédaigné  par  ses  voisins,  couvrira  de  ses  colonies  les 
côtes  de  la  Méditerranée,  s'avancera  jusqu'au  fond  de  la  Bal- 
tique et  du  golfe  Persique,  fera  le  tour  de  l'Afrique  avant  Gama, 
et  découvrira  peut-être  l'Amérique  avant  Colomb  (2). 


: 


(1)  Strabon,  XVI,  2.  Toaaûxr)  8'£javôp''a  y.v/^r^za.'.  [As'/p'.  xai  vù'v,  oi^ic 
-oXuopo'yOj;  olxoSai  xà;  o'.xia;.  —  Mêla,  Géographie,  II,  7. 

(2)  MovKRs,  Das  Phônizische  Alterthum  (2a  volume,  2"  partie).  —  Heerex, 
Politique  et  commerce  des  peuples  de  l'antiquité.  —  Hoefeb,  Phénicie  et 
Chaldée  (Collection  de  l'Univers  pittoresque). 


VP 


CIIAI'ITIU:    II. 


u;s  i'iii;.\n;ii:.\s  kn  amkriolk. 


i:i 


(lo  sont  en  cnVt  les  Plu-nicioiis  (jui,  les  premiers,  fraiiehirent 
le  reddutahle  passafre  des  coloimes  (l'Ilcrrule.  domine  tous  l(!s 
vrais  navifjateurs  cpii  redoutent  la  eoneurrenee,  ils  avaient  pour 
principe  de  céder  la  place  à  leurs  rivaux  en  matière  commer- 
ciale. Chassés  par  les  (Irecs,  de  comptoir  en  comptoir,  depuis 
lu  mer  Egée  jus([u'en  Kspagne,  et  atteints  par  eux  dans  cette 
dernière  contrée,  ils  n'hésitèrent  pas  à  se  déplacer  encore  et 
à  chercher  au  loin  des  aventures  plus  profitahles  et  des  régions 
[dus  mystérieuses.  Ils  hruvèrent  les  dangers  de  la  mer  inconnue, 
(pii  l)aignait  les  rivages  de  leur  colonie  la  plus  ïeeulée,  et  se 
lancèrent  dans  l'Océan,  mais  non  pas  sans  hésiter.  Voici  com- 
ment un  poète,  qui  travaillait  sur  des  documents  d'origine  Phé- 
nicienne, Avienus,  a  parlé  de  ces  dangereuses  expéditions  (1)  : 


il)  AviENi»,  Ora  maritima,  v,  37o. 

Ultra  lias  coluiiiiias,  pmpter  Europa:-  latus, 
Vicos  et  iiibcs  iiicoliB  Cartliagiiiis 
Tenucrc  qiioiidain  :  mos  at  ollis  hic  erat 
Ut  planioïc  tcxereiit  fumlo  rates, 
Quo  cymba  lergiiin  fusior  brevius  maris 
Prœlaberetiir  :  porro  in  occidiiaiii  plagam 
AI)  bis  cobimnis  giirgitem  esse  iriteriniiium, 
Late  patere  pclagus,  exteiuli  saluiii, 
Himilco  tradit.  Niilhis  bicc  adiit  fréta, 
Nullus  caririas  requor  illiid  iiitulit. 
Dcsiiil  quud  alto  llabra  propcllciitia 
Xullusquc  puppim  spiritiis  ccrli  juvet  ; 
Dehiiic  quod  œlhram  quodam  ainictii  vestiat 
Caligo,  semper  iiebiila  coiidaf  gurgileni, 
Et  crassiore  iinbiluiu  perstel  die. 
Oceanus  isle  est,  orbis  etfusi  procul 
Circiinilatralor,  iste  pontiis  maximus, 
Hic  giirges  oras  ambiens,  hic  intimi 

Salis  irrigator,  hic  parcris  nostri  maris 

Plerumque  porro  tciiiic  tenditur  salum, 

Ut  vix  arenas  subjaccntes  oculat. 
Exsuperat  autem  gurgitem  fucus  frequcns 
Atqui!  impeditur  œstus  hic  uliginc. 
Vis  bclluarum  pelagus  omne  internatat, 
Multusque  terror  ex  feris  habitat  fréta. 


u 


l'KKMIKHK    l'AKTIi:. 


LKS    l'HKCIHSKlHS    ItK   i;0U»MH. 


î 


I 


/) 


I) 


«  Au  (Icli'i  (If  ces  culoiiiics,  le  Iniifj;  des  rivajîcs  de  riMin»|ic,  des 
villes  et  di's  villa},M!s  fuiTiit  Jadis  (iccii|k''s  par  <l('s  (lartlia^iiiois. 
(l'était  un  usage  cliez  ees  navigateurs  de  ('(nistruire  des  navires 
à  fond  plat  et  à  large  carène  (|ui  pouvaient  traverser  les  parages 
peu  proi'onds,  Iliniileon  raconte  (ju'à  parfii-  de  ces  nuhnes 
colonnes,  du  côté  dii  couchant,  connnence  une  nier  sans  hornes, 
vaste  Océan  qui  s'étend  au  loin  sans  rivages.  IVrsonne  ne  s'est 
hasardé  dans  ces  parages  ;  jamais  navigateur  n'a  pénétré  dans 
cette  mer,  où  aucun  vent  ne  pousse  le  navire  au  large,  où  aucun 
souffle  de  l'air  ne  favorise  la  marche  du  vaisseau.  En  (»utre  l'air 
est  enveloppé  de  brouillards  conmie  d'un  voile,  la  mer  est  tou- 
jours couverte  dehrume,  et  uikî  atmosphère  épaisse  y  entretient 
un  jour  néhuleux.  Cette  mer  est  l'Océan,  l'Océan  qui  gntndc 
autour  des  bords  lointains  du  monde,  l'Océan  la  plus  grande 
des  mers,  dont  les  eaux  font  une  ceinture  aux  rivages  ;  l'Océan 
qui  se  déverse  dans  la  mer  intérieure  et  alimente  cette  mer, 
notre  mer  à  nous.  .  . .  Les  flots  qui  s'étendent  au  delà  ont 
généralement  si  peu  de  profondeur  (ju'ils  cachent  à  peini;  les 
sables  du  fond.  L'eau  est  couverte  d'une  espèce  de  varecli  qui 
abonde  dans  ces  parages  :  cette  végéfati(ni  humide  arrête  les 
courants.  Toute  cette  mer  est  peuplée  d'énormes  poissons  qui 
la  sillonnent  L'épouvante  y  habite  par  la  (juantité  de  monstres 
marins  dont  elle  est  remplie  ». 

Les  Phéniciens  affrontèrent  ces  dangers.  L'Océan  devint 
bientôt  comme  leur  domaine  ;  peut-être  même  lui  ont-ils  donné 
son  nom,  s'il  est  vrai  qu'Océan  ne  vient  pas  du  sanscrit  Ogha 
ou  ogh  flux,  torrent,  eau,  ou  du  grec  (.jxuj,  rapide,  mais  du 
Phénicien  Og  qui  signifie  mer  ambiante  (1).  Avant  Homère  ils 
avaient  déjà  fondé  quelques  colonies  hors  du  détroit  (2).  Ces 
établissements  prirent  tout  à  coup  une  extension  que  rien  ne 
pouvait  faire  prévoir,  et  plus  de  trois  cents  villes  phéniciennes 

(1)  Huj.:>OLDT,  Histoire  de  la  géographie  du  nouveau  continent ,  I,  33. 
—  PiCTET,  Origines  Indo-Européennes,  p.  116. 

(2)  Strabon,  XVII,  3,  8.  —  Scylax,  p.  2. 


;( 


ciiAPiTHi:  II.  —  ii:s  i'iii:.Nit;iK,\s  k.\  amkiuoik. 


tr» 


s'(''li'V<"'n'iit  cumiiic  |»iir  ciirli.iiifciin  ;»l  sur  la  côte  nccidciitiil»'  de 
rArri<|ii»'.  Ce  nt'^iiM'iit  pus  des  villis  iiii|>n»vis(''«'s  ou  (!<•  siiiipli's 
ciiiiiptniis  (le  rnimiicnc,  mais  dr  vt-riliihlcs  citi's.  L'une  d'entre 
elles,  la  ville  du  Lixiis,  fut  lucMiie,  d'après  la  traditinu,  aussi 
iinportiuite  (pie  (lartha^'e.  |)e  «es  purfs  Alrirains  |»artirent  à  la 
déenuverle  de  iii»Mil»reu\  vaisseaux.  Ou  a  conservé  lo  nom  des 
eliel's  de  deux  de  ces  expéditious,  llaiiiiou  (pii  loiijrea  la  côte  de 
r.M'ricpie  et  Ilimilcou  «pii  reiuoiifa  celle  de  IKiirope  (II.  D'autres 
marins,  plus  hardis  encore,  prirent  la  haute  mer  dans  la  direc- 
tion de  rOnesî,  et  non  seulement  ahordèrent  les  divers  archipels 
<le  l'Atlanticpie,  mais  encore  parvinrent  [>eut-(Hre  juscpi'au 
continent  américain. 

Le  s(»uvenir  de  ces  voyages  en  Améri<pie  ne  nous  a  pas  été 
conservé  ;  h^s  IMiéniciens,  en  vrais  ronnnercants  qui  n'ignorent 
pas  le  prix  de  la  discrétion  (2),  se  taisaient  potu-  mieux  assurer 
leur  monopole.  Ils  ne  disaient  rien  des  pays  où  ils  se  procuraient 
les  pnxluits  précieux  «pi'ils  revendaient  ensuite,  et,  de  plus, 
répandaient  mille  hruits  eiïrayants  sur  ces  l(»intaines  contrées. 
Les  terribles  légeiules,  répétées  et  ampliliées  par  la  crédulité 
grec(pie,  sur  les  ardeurs  de  la  zone  torride  ou  les  froids  exces- 
sifs du  |»ôle,  et  sur  h's  monstres  gardiens  de  la  mer,  ont,  sans 
doute,  pour  origine  des  récits  phéniciens.  Ils  ne  se  contentaient 
pas  d'inspirer  la  terreur  ;  ils  coulaient  im[)it(»yahlement  le  navire 
de  l'imprudent  étranger  qui  dépassait  les  limites  réservées  (3), 
ou  bien,  s'ils  n'étaient  pas  en  force,  ils  n'hésitaient  pas  à  se 
sacrifier  eux-mêmes  |)lut«')t  que  de  révéler  le  secret  de  la  route 
suivie  par  eux  (4).  lîntre  eux  pourtant  ils  s'aidaient  et  soutenaient. 

(1)  Pour  le  périple  d'Haiiiion,  consulter  les  Geographi  minores,  I,  1.  Pour 
celui  d'Himilcon,  YOra  mnritbnn  d'Avieiuis,  dans  les  Pivla;  latini  minores. 

(2)  Stbabon,  III,  5,  11.  xoûnTovTEç  tkr.anst.  tôv  ;:).0'3v. 

(3)  Id.,  XVIII,  I,  li).  Kap/ri5ov;oj;  oi  y.arajrovtojv.   sV  Tt;  Tmv   Çevfov  st; 

(4)  Id.,  m,  5,  H.  T(Ôv  o:  Pw;jiâitov  ènaxoXojOovvTwv  vajcXrJpw  t-.v',  3wo; 
xal  xj-.o\  voÎsv  Ta  i]xr.rty.9.,  -^Oo'vfij  ô  vay/.>,r;po;  vmm  ii;  Tî'vayo;  sJcfJaXî  Tr,v 
vâov,  Ir.x^x^ùi^  o'eÎ;  tov  ajTOv  oXcOpciv  xat  toÙ;  È;:oti2vo'j;. 


i 


M\ 


rRKMIERK    l'AiniE. 


LKS    l'HKC.l'HSia'HS    ItE   COLOM». 


Diiiis  le  temple  de  Molcarth,  à  (lartliagc,  cos  luil)iles  négociants 
déposaient  les  relations  de  leurs  voyages,  ce  (|u'on  pourrait 
appeler  leurs  journaux  de  bord,  et  ils  indiquaient  à  leurs 
compatriotes  les  routes  à  suivn;,  les  périls  à  éviter  et  les  marchés 
à  (  xploiter  ;  mais  ce  précieux  monument  fut  détruit  par  les 
Romains  et  disparut  avec  Cartilage  elle-même.  On  sait  en  cU'et. 
avec  quel  soin  jaloux  les  vainqueurs  s'attachèrent  à  détruire 
tout  ce  qui  pouvait  jterpétrer  la  mémoire  de  leurs  rivaux  al)ht»rrés. 

(iràce  au  mutisme  volontaire  des  Phéniciens  et  à  la  haine 
systématique  des  Romains,  nous  n'avons  d(»nc  aucun  rensei- 
gnement exact  sur  ces  voyages  transatlanti([ues  ;  mais  les  (îrecs, 
(|ui  n'avaient  pas  contre  les  Phéniciens  les  mêmes  motifs  de 
haine  que  les  Romains,  nous  ont  conservé  sur  ces  traversées 
(luehjues  détails  intéressants,  et,  d'un  autre  côté,  en  Amérique 
même,  les  traditions  indigènes  et  les  souvenirs  locaux  nous 
fourniront  peut-être  siu'  ce  sujet  des  lumières  inattendues. 

Le  premier  problème  à  résoudre  est  celui  de  savoir  jusqu'où 
les  Phéniciens  se  sont  avancés  dans  la  direction  de  l'Ouest,  et 
<juels  sont  les  archipels  ou  les  continents  par  eux  découverts  (1). 

C'est  de  Palos,  sur  la  côte  d'Andalousie,  (|ue  partirent,  (M1 
liî):2,  Colomh  et  ses  conq)agnons,  à  la  recherche  d'un  passage 
direct  vers  l'Inde  :  par  une  singulière  coïncidence,  un  port  très 
voisin  de  Palos,  (îadès,  fut  le  |»oint  de  départ  des  Phéniciens 
pour  leurs  excursions  dans  l'Atlantique.  (Iadès  était  le  grand 
entrepôt  des  Phéniciens  en  Espagne.  Lorsque  les  colonies 
Mauritaniennes  commencèrent  à  rivaliser  d'inqwrtance  avec 
cette  métropole,  de  véritahies  flottes  sillonnèrent  les  flots 
jusipi'alors  indomptés  de  l'Océan,  («uidés  par  leurs  instincts 
nautiques,  servis  par  leur  témérité,  les  Phéniciens  décou\  rirent 
les  uns  après  les  autres  hîs  archipels  semés  dans  l'Océan  connue 
les  arches  d'un  pont  gigantesipie  jeté  par  la  nature  entre  l'ancien 
et  le  nouveau  monde. 


(Ij  Ouvrage  capital  ilo  Lei.kwki,,   Div  Entdcckttr <ji:n  dcr  Carthagov  ini'l. 


CIIAI'ITRK   11. 


LKS    l'IlKMC.lK.NS   EN   AMKRIQLK 


Leur  première  station  fut  aux  Canaries,  dans  ces  iles  (jue 
ranti(juité  connut  sous  le  nom  d'iles  Fortunées.  Les  (Canaries 
ne  sont  éloignées  de  la  terre  ferme  (|ue  de  centtrent»' kilomètres 
et  les  Phéniciens  exécutaient  des  voyages  bien  plus  longs  et 
plus  dangereux,  cpiand  ils  allaient  |)ar  exemple  d'Espagne  en 
Irlande,  ou  s'aventuraient  avec  de  simples  barques  sur  la  (;ôte 
de  Mauritanie  juscpi'au  delà  du  fleuve  Lixus  (1).  C'est  sur  les 
indications  des  voyageurs  Phéniciens  (jue  les  (irecs  coni.urent 
ces  îles  et  en  lirent  la  demeure  des  héros  après  leur  mort  ("l)  : 
mais  ils  ne  paraissent  pas  y  avoir  séjourné,  tandis  (|ue  les 
Phéniciens  y  fondèrent  très  probablement  de  véritables  colonies. 
Lorsque  Juba  d(>  Mauritanie,  'avant  l'ère  chrétienne,  composa 
les  nombreux  ouvrages,   dont  rensend)lc  formait  comme  un 
inventaire  des  connaissances  de  l'antiquité  (3),  il  remar([ua  que 
ces  iles  Fortunées  avaient  jadis  été  habitées  et  qu'on  y  trouvait 
fréquemment  des  traces  d'habitation  humaine,  sauf  à  (hnbrios. 
Ce  sont  peut-être  les  débris  des  colonies  Phéniciennes,  détruites 
à  la  suite  de  quelque  révolution  politi(jue,  dont  on  a  perdu  le 
souvenir.  Une  de  ces  îles  se  nonnnait  Junonia,  ou  du  moins  les 
géographes  grecs  et  latins,  qui  ont  décrit  l'arcltipel  des  Canaries, 
l'ont  toujours  désignée  sous  ce   nom.  Or,  Tauith,   la  grande 
déesse  de  (Cartilage,  répond  à  Juuon,  et  les  géographes  n'ont 
probablement  fait  ([ue  traduire  la  dénomination  phénicienne. 
De  plus  le  poète  Avienus  ('i;,  dans  son  Ord  Marilhiui,  cuinposée 


Griechen  auf  dnm  Atlantkchcn  Oican.  —  ïradiiclinn  allemaiiiti'   do   Karl 
UittiT,  Hoiliii,  18:!l. 

(1)  Sthaiiox,  II,  3,  -i.  ToJTOj;   o!;  -À;îv   |J.3/pt   "oî  At'îou   -oTa;j//j  r.zy. 
T/;v  Majpo'jiiav  âXiîuo|x£Vou;. 

i2)  ItoMKiti:,  Odi/fifiii'.  lY,  ;iC.'t.  —  IIkskidi;,  1(i8.  —  PixnAiu:,  Oh/Diiiii/iios, 
II,  178  et  fragments  dos  tlirùnos.  —  Cf.  i'r.i  TAiincK.,  Vie  de  Srrturiits,  S. 
(3)  Pi.i.NE,  //(«^   naturelle,  VI,  37. 
(4l  AviE.NL's,  Oi'u  inaritima,  ItlrJ. 

....  Post  pelagia  est  iiisula 

llei'ltaniin  abundaiis,  atqiie  Saturno  sacra. 

Scd  vis  iii  illa  tanta  naturalis  est, 

Ut  si  quis  hanc  in  iiavigaiido  accesscrit. 


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l'HEMIKRE   l'AHTlK.    —    LKS   l'HKCl'HSKl  FIS    UE  COLOMH. 


Cil  };rando  partie  d'après  des  périples  phéniciens,  nous  a  donné, 
à  propos  de  Texplorateur  llimilcon,  la  description  très  recon- 
naissahle  du  volcan  de  Ténériffe.  «  Kn  dehors  des  colonnes 
d'Hercule  est  une  île  consacrée  à  Saturne.  La  nature  s'y  montre 
d'une  manière  redoutable,  car,  lorsque  un  vaisseau  s'en  approche, 
les  vagues  de  la  mer  (pii  l'environnent  se  déchaînent  avec  impé- 
tuosité, ébranlent  l'île,  et  la  font  tressaillir  d'épouvante,  tandis 
que  l'Océan  conserve  le  calme  d'un  lac  ».  11  semble  donc  que 
les  Phéniciens  ont  considéré  les  Canaries  comme  une  de  leurs 
stations  commerciales. 

Nous  ne  parlerons  néanmoins  qu'avec  la  plus  grande  réserve 
de  prétendues  inscriptions  Phéniciennes  trouvées  aux  Canaries. 
En  18(>!2,  un  allemand,  le  docteur  Karl  von  Fritsch,  avait 
signalé  plusieurs  caractères  étranges  gravés  sur  un  rocher  de 
Helmaco  dans  l'île  Palma.  Kn  septembre  4873,  don  Aquilino 
Padron,  curé  bénéficier  de  la  cathédrale  de  las  Palmas,  décou- 
vrit dans  l'île  de  Fer,  au  sud  de  Yalverde,  dans  un  site  désert 
dit  de  los  Letreros,  de  mystérieux  caractères  gravés  sur  une 
ancieime  coulée  de  lave  basaltique,  très  poreuse,  mais  dont  la 
surface  était  unie  sur  une  longueur  de  |)lus  de  quatre  cents 
mètnîs.  Vers  la  fin  de  187^),  le  même  curé  trouva  d'autres 
inscriptions  plus  complètes  et  plus  importantes  dans  le  ravin  de 
Candia,  non  loin  de  l'emplacement  de  sa  première  découverte. 
Sabin  Berthelot,  consul  de  France  à  Sainte-Croix  de  Ténériffe, 
s'empressii  de  communiquer  cette  double  découverte  à  la 
Société  de  géogra|)hie  de  Paris,  et  en  fit  l'objet  d'un  important 
mémoire  (2).  «  Je  retrouve  bien  là,  écrivait-il,  le  type  des  ins- 

Mox  excitetiir  prope  itisulain  marc, 
Quatiatur  ipsa,  et  oiniie  .subsiliat  suluin 
Aile  iiiliciniscens  ;  cœtero  ad  slagiii  vieem 
Pelago  silente. 
1)  Kahl  v{  n  Fritsch,  liàsebililev  von  den  Kanurischen  Insein  (Mitheil- 
uiijçeii  von  Pelermann,  1857). 

2l  Saiiix  BERTiiKLor,  Notice  sur  les  naraetères  hiéroglyphiques  (/raves 
sur  les  roches  volcaniques  aux  lies  Canarien  (Société  de  géographie  Ae 


les  ins- 


(MiUieil- 

fs  (/raves 
laphie  de 


CHAPITRE   II.    —   LES   PHÉNICIENS   EN  AMÉRIQUE.  i9 

criptioiis  li('l)raï(iues,  Phéniciennes  ou  Carthaginoises,  mais  j'y 
vois  aussi  beaucoup  d'autres  signes  étranges,  inusités  :  toutes  ces 
variantes,  toutes  ces  nouveautés  me  déroutent  ».  Quelques-uns 
de  ces  caractères  resssembleut  en  effet  aux  lettres  Phéniciennes, 
mais  ils  sont  pour  ainsi  dire  jetés  au  hasard.  Quelques-uns, 
les  plus  remarquables,  sont  comme  isolés,  tandis  que  d'autres, 
inscrits  à  la  suite,  tantôt  horizontalement,  tantôt  verticalement, 
suiit  confondus  au  milieu  de  signes  irréguliers.  Quelles  que 
snient  la  bonne  volonté  et  la  fertilité  d'imagination  des  déchif- 
freurs  d'inscriptions,  il  est  impossible  de  démêler  un  alphabet 
uelconque  à  travers  une  pareille  confusion.  Si  nous  n'avions 
Ique  cette  preuve  du  séjour  des  Phéniciens  aux  Canaries, 
il  faudrait  renoncer  tout  de  suite  à  soutenir  notre  opinion,  car 
les  inscriptions  signalées  restent  jusqu'à  nouvel  ordre  indéchif- 
^Éfnihles.  C'est  la  concordance  des  traditions  antiques  et 
Tunaii  imité  dans  les  relations  géographiques  qui  nous  permettent 
.s^gdavancer  que  les  Phéniciens  ont  connu  et  sans  doute  colonisé 
'■' ccf  archipel;  mais  jusqu'à  présent  les  preuves  matérielles  de 
leur  séjour  font  absolument  défaut. 

Même  incertitude  au  sujet  de  l'archipel  de  Madère.  Ces  lies 
pourtant  ne  sont  guère  plus  éloignées  de  la  côte  que  les  Canaries, 
et  l(>s  courants  y  poussent  égah'inent  les  navires.  On  a  prétendu 
(]u'elles  correspondaient  aux  llespérides  de  l'antiquité,  c'est-à- 
<lire  aux  îles  du  Couchant,  à  ces  îles  qui  ont  si  souvent  changé 
<!('  place  dans  la  géographie  ancienne,  au  fur  et  à  mesure  que 
s'étendaient  les  connaissances  et  les  découvertes  ;  mais  les 
Phéniciens  n'ont  jamais  été  présentés  comme  les  découvreurs, 
et  encore  moins  comme  les  colonisateurs  des  Hes|)érides  :  en 
parlant  de  la  probai)ilité  de  leurs  voyages  à  l'île  de  Madère, 
ous  n'avançons  donc  qu'une  simple  conjecture. 
Nous  serons 


ph 


qui 


'mis,  février  1875).  —  lu.,  Nuurdle  découverte  irhiscriptioiis  lapit/aires 
jr>  l'ile  dp  Fer  (Id.,  sept.  187<>).  —  1d.,  .hitiquilés  Canarienne)!,  |».  12!)-181. 

T.    I.  4 


30 


l'KEMIEHK   PARTIE.    —    LES   PRECURSEURS   DE   COLOMIJ. 


ment  à  ropinion  reçue,  nous  semltlent  être  ces  fameuses 
Gassitérides  ou  îles  de  l'Etain,  sur  la  position  desquelles  on  a 
tant  discuté.  Hérodote  est  le  plus  ancien  des  auteurs  qui  ont 
décrit  les  Gassitérides.  Parlant  des  extrémités  septentrionales  de 
rEuro|)e,  il  cite  l'Eridan  d'où  vient  rand)re  et  les  Gassitérides 
d'où  l'on  extrait  l'étain,  mais  il  avoue  qu'il  ne  sait  rien  de  positif 
sur  ces  régions,  et  ne  peut  rien  affirmer,  sinon  que  l'Eridan  est 
un  fleuve,  et  les  Gassitérides  un  archipel,  et  que  l'ambre  et  l'étain 
sont  des  produits  de  ces  terres  lointaines  (1).  Strahon  est  bien 
plus  explicite  (i)  :  «  Les  îles  Gassitérides  qui  suivent  sont  au 
nond)r(>  de  dix,  toutes  très  rapprochées  les  unes  des  autres. 
Un  les  trouve  en  s'avançant  au  nord  en  pleine  mer  à  partir 
du  [tort  des  Artabres.  Une  seule  de  ces  îles  est  déserte,  dans 
toutes  les  autres  les  habitants  ont  pour  costume  de  grands 
manteaux  noirs,  qu'ils  portent  par  dessus  de  longues  tuniques 
talaires,  serrées  par  une  ceinture  au  dessus  de  la  poitrine,  ce 
(jui,  joint  au  l)i\ton  (ju'ils  ont  toujours  à  la  main  quand  ils  se 
promènent,  les  fait  ressembler  tout  à  fait  aux  furi(»s  vengeresses 
de  la  tragédie.  Ils  vivent  en  général  du  produit  de  leurs  troupeaux, 
à  la  façon  des  pj'uples  nomades,  (pliant  aux  [troduits  de  leurs 
mines  d'étain  et  de  ploud),  ils  les  échangent,  ainsi  que  les 
produits  de  leurs  bestiaux,  contre  des  poteries,  du  sel,  et  des 
ustensiles  de  cuivre  ou  d'airain  que  des  marchands  Hrangers 
leur  apportent.  Dans  le  principe,  des  Phéniciens  de(iadès  étaient 
le  seul  peuple  (|ui  envoyât  des  vaisseaux  trafiquer  dans  ceitc 
île,  et  ils  cachaient  soigneusement  à  tous  les  autres  la  route  ((ui 
y  iiièiie...  A  force  d'essayer  cependant,  les  Romains  Unirent 
par  déi'ouvrir  la  route  de  ces  iles.  (.W  fut  Publius  Grassus  qui 
y  passa  le  premier  et,  comme  il  reconnut  le  [»eu  d'épaisseur 
des  filous  et  le  caractère  pacifi([ue  d<N  habitants,  il  donna  toutes 

(t)  llKRondïK,  II,  II.").   OJt^  vr,7/j;  o;oa  Ka^a'.TSfioa;  sou^à;,    i/.  zw/  '> 
•/.aiai'Tîîo;  îr/xr/  'i'J'.'i. 

(2)  SriiAHO.N,  III,  5,  II.  Tiailuclion  ïardicii,  l.  I,  p.  281. 


niAPITRK   II.     -   LES   l'IlKNIClKNS   K.\   AMKHIQIE. 


51 


les  indications  pouvant  i'aciiiter  la  liltr»'  pratique  de  ces  parag<'s, 
plus  éloifïnés  de  nous  poiu-fant  (|ue  ne  l'est  la  mer  de  Uretaf.'ne  <>. 
Uiitdore  de  Sicile  (1)  se  contente  de  faire  renianpier  (|ue  u  les 
[dus  riches  mines  d'étain  sont  dans  les  îles  de  l'Océan,  en  face 
de  riliérie,  et  au  dessus  de  la  Lusitanie,  et  qu'on  les  nomme 
pour  cette  raison  les  îles  Cassitéridcs  ».  Pline  l'ancien  (2),  dans 
le  chapitre  qu'il  intitule  iles  de  la  mer  Atlanti(jue,  éuumère  les 
des  Fortunées  et  les  îles  Cassitéridcs,  en  face  de  la  Geltihérie. 
Les  autres  géofïraphes,  Solin  (3),  Uenys  (il,  le  commentateur 
d'Kustathe  (.">),  et  Nicéphore  Hlemmydas  (0)  confirment  (;es 
renseignements,  et  tous,  sans  exception,  décrivent  séparément 
les  iles  Cassitéridcs  et  l'archipel  lîritannique. 

De  ces  divers  textes,  il  est  permis  de  conclure  que  les  Cassi- 
téridcs sont  des  îles,  (pi'elles  sont  au  nomhre  de  dix,  qu'elles  se 
trouvent  au  nord  de  l'Hspagne  et  à  plusieurs  journées  de  navi- 
gation du  continent,  (pi'elles  renfermaient  jadis  des  mines 
d'étain,  mais  (pie  ces  mines  sont  épuisées.  Or,  comme  on  a 
prétendu  retrouver  les  Cassitéridcs  tantôt  en  (lalicie,  tantôt 
dans  la  presfpi'ile  Armoricaine  ou  en  Cornouailles,  ou  hien 
encore  dans  les  petites  lies  cpii  hordent  les  côtes  de  France  et 


(Il  IJioixiitE  \)K  Sicile,  V,  38. 

(2)  Pi.iNE,  Hist.  naturelle,  IV,  36.  Ex  adverso  Cclliberia;  comphircs  suiil 
insiilif,  Cassiteiides  dicta?  Gnccis,  a  ferlilitatc  plunibi.  —  Cf.  Id.,  XXXIV,  47. 

(3)  Soi.ix,  23.  Cassitéridcs  iiisulœ  spcctant  adversuin  Ceitibcria;  latiis  : 
plunibi  fertiles. 

(4)  Dknvs,  Geof/mp/ii  minores,  t.  II,  p.  ■"'Tif,  v,  561. 

ajTap  ur:  'azpr,v 

Nrjaou;,  Ka-joiSa;,  tdOt  xaaatTî'poio  ysv^OXrj, 
Xy/v.'î'.  vai'ouaiv  «Yauwv  -aloô;  I[îrÎp(ov. 
(jl  Le  comineiitateiir  d'EisTATiiE  (Id.,  p.  337)  se  conlciilc  d'ajouter  i|u'ioie 
des  Castérides  est  déserte,  et  que  l'élain  se  rencontre,  non  pas  à  lleur  de  terre, 
mais  dans  des  mines. 

(G)  Nic.Ki'HoiiE  \\\.v.\\y\s\)ks  {Géographie  synoptique,  id.,  p.  462),  reproduit 
le  texte  de  Denys,  mais  en  détaciiant  avec  soin  les  Cassitéridcs  de  rarcliijjel 
Ilritanniquo. 


iti 


«..'.Jflw-i.i/^J.W-'V- .. 


»2 


l'HKiMIKUK    l'AiniK.    —    I.KS    PKKCCHSKIHS    l>K    r.OLOM». 


!      i 


I 


I 


(rAiifjIctcrrc ,  spoeialcinent  l'arcliiiH-l  des  Sorliiij.Mi('s  ,  nous 
n'avuns  qu'à  rocluMvIier  si  ces  diverses  positions  irj)on(lent  aux 
descriptions  auti(|ues. 

Les  |>romontoires  de  (lalicio  et  d'Ai'niori(pie  doivent  tout 
d'abord  (Hre  écartés,  puiscpie  ce  ne  sont  pas  des  îles.  Il  en  sera 
de  même  pour  le  Cornouailles,  mal;;ré  la  puissante  autorité 
d'Anville,  (pii  se  |)rononcait  pour  cette  ré^'ion,  sous  prétexte  (pie 
des  caps  tels  (jue  le  lioleriuui  (Lands'end),  le  Dumnonium  et 
rOcrinuui  (Lizard),  séparés  par  des  },^oii'es  profonds,  pouvaient 
être  i»ris  pour  des  îles  par  des  étrangers  (1).  Aussi  Itien  ces 
promontoires  ne  sont  pas  à  plusieurs  journées  du  continent, 
puis(|u'ils  en  font  partie,  et,  aujourd'hui  encore,  on  y  trouve 
<ie  Tétain. 

Les  lies  de  la  côte  française  seront  éjralement  écartées.  Sans 
doute  ce  sont  des  îles,  et  elles  se  trouvent  à  |)lusieurs  journées 
de  navifration  au  nord  de  l'Espagne  ;  maison  en  compte  plus  de 
dix,  elles  sont  éloignées  les  unes  des  autres,  enfin  et  surtout 
elles  n'ont  jamais  produit  d'étain. 

Les  îles  Sorlingues  forment  au  contraire  un  archipel.  Elles 
scjnt  au  nord  de  l'Espagne,  très  rapprochées  les  unes  des  autres  ; 
elles  ont  produit  et  produisent  encore  de  l'étain.  Aussi,  hou 
nondire  de  géographes,  séduits  par  ces  rapprochements,  n'ont 
pas  hésité  à  conclure  (|ue  les  Sorlingues  correspondaient  aux 
(jassitériiles.  Ils  avaient  ouhlié  qu'on  comptait  seulement  dix 
Cassitérides  et  ((ue  les  Sorlingues  sont  hien  plus  nomhreuses  ; 
(pi'on  ne  les  abordait  (ju'après  un  voyage  de  plusieurs  jours, 
tandis  (jue  les  Sorlingues  sont  en  vue  des  côtes  Anglaises.  Re- 
tnanpions   enfin  que   Diodore,  énumérant   les   mines   d'étain 


il)  D'Anvili.e,  Géographie,  t.  II,  ji.  103  :  «  ()a  .i  tout  lieu  de  croire  «luc 
c'est  à  la  pointe  de  l'isle  Britamiique  qu'il  faut  rapporter  les  Cassitérides,  et, 
sans  se  borner  aux  petites  îles  ou  rochers  des  Scilly  ou  Sorlingues,  comprendre 
sous  ce  nom  des  i)romontoires  qui,  séparés  par  des  enfoncements  de  mer  à 
l'extrémité  du  continent,  pouvaient  être  pris  par  des  étrangers  arrivant  dans 
ces  parages  pour  des  terres  isolées  ». 


'  .♦ 


^^^^^♦î^. 


CIIAPITHK   II.     —    LF.S   l'JlÉ.MCIENS  RN   AMKRIOL'E. 


:i:{ 


«•(iiimics  (le  son  temps,  cito  celles  des  Cassitéridcs,  puis  (cllcs 
(le  (Îraiide-Hretiiîjne  et  partieulièreinent  d'Ictis  :  auniit-il  dis- 
tiii|.Mié  tes  deux  centres  de  productif»!!,  si  les  (iassitérides  avaiei!t 
réellenieut  («jri'espoudu  aux  Sorliii|Jrues  (1)? 

(»ù  d(>i!c  cliei-clier  les  Cassitéi-ides.  siiKjn  aux  Acures,  tn!niiie 
n'hésitait  pas  à  le  faii'e  le  gi-aiid  eosnioiii-aphe  de  Xurenil)er^% 
Martii!  Heliai!!!,  (pii,  dans  so!i  f^lulte  de  149:2,  dési}:iiait  cet 
archipel  sous  le  iiorn  d'Açores  ou  Clutherides?  Les  Acores,  (>!! 
etret,  sont  de  tout  point  conformes  à  lu  description  des  auteui-s 
anciens.  On  en  compte  dix  (Sainte-Marie,  Saint-Michel,  les 
Fourmis,  Terceire,  Saint-Georges,  le  Pic,  Fayal,  (îi-aziosa, 
Corvo,  Floi-è>),  i-appi-ochées  les  unes  des  autres.  Il  faut  pour  y 
altorder,  cpi'on  parte  d'Kspagne,  de  France  ou  d'Angleterre, 
plusieurs  jours  de  navigation.  Knfin  les  !nines  d'étuin,  dont  on 
i-etrouve  ei!  |ilusieurs  endi-oits  la  trace,  ont  cessé  d'être  pi'oduc- 
tives,  comme  elles  avaient  déjà  cessé  de  l'être  au  moirient  où 
Puhlius  Givissus,  lieutenant  de  César,  entre[)ritde  les  découvrir. 
Certains  détails  caractéristiques  se  sont  même  perpétués  juscju'à 
nos  jours  :  Les  Acoi-éens  portent  encore  le  même  costume  qu'au 
temps  de  Strahon,  ce  costume  qui  les  faisait  ressemhler  «  aux 
furies  vengeresses  ».  Le  grand  manteau  noir  dont  ils  s'enve- 
loppent est  même  devenu  pour  eux  si  important,  (jue  les 
paysans  retardent  leur  mariage  jusqu'à  ce  qu'ils  aient  acheté 
cette  j)iè(:e  essentielle  de  leur  hahillemcnt  (2). 

Il  parait  que  les  premiers  Européens  qui  ahordèrent  aux 
Acores,  à  l'époque  des  grandes  découvertes  maritimes,  rencon- 
trèrent sur  le  sol  quelques  traces  du  séjour  des  Phéniciens  ; 
mais  ces  témoignages  sont  fort  discutables.  Ainsi,  d'après  une 


(i)  l)i')D()HE  DE  Sicile. 

(2)  D'AvEZAC,  Iles  de  l'Afrique  (CoUeclion  de  YUnivers  pittoresque),  p.  32  : 
«  Dans  toutes  les  saisons  on  porte  le  manteau.  C'est  un  article  si  important 
pour  la  considération  personnelle  que  l'on  voit  souvent  un  paysan  difTérer  son 
mariage  jusqu'à  ce  qu'il  soit  assez  riche  pour  acheter  celte  pièce  essentielle  «le 
son  costume  ». 


kjt^ 


u 


l'UKMlKHK    l'AHTIK.    —    LKS    l'RKClHSKlRS   I)K   COLOM». 


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tradition  (l(mt  rien  ne  ntiifiniic  rautluMiticitc',  les  diMouvreurs 
P(>rtuf,'ais  auraient  trouvé  à  Corvo,  sur  le  sommet  d'une  mon- 
tagne, lu  statue  d'un  lionnne  monté  sur  un  eheval  sans  selle,  la 
tôte  découverte,  la  main  |5^uuche  posée  sur  la  crinière  du  cheval, 
la  main  droite  étendue  vers  l'ouest  (1).  Cette  statue  serait-elle 
d'origine  phénicienne?  Le  cavalier  étendant  la  main  dans  la 
direction  de  l'Amérique  serait-il  une  de  ces  effigies  de  l'Hercule 
Tyrien,  que  les  Phéniciens  aimaient  à  ériger  dans  leurs  plus 
lointains  comptoirs  comme  une  marque;  de  pris»;  de  possession  ? 
Quel(pies  savants  n'ont  pas  hésité  à  l'aftirmer  :  Ont-ils  donc 
<iuhlié  que  les  Phéniciens  n'aimaient  pas  i"i  montrer  aux  peuples 
rivaux  le  chemin  des  |)ays  qu'ils  avaient  découverts?  D'ailleurs 
aucun  des  contemporains  de  Colomh  n'a  parlé  de  cette  statue, 
et  pourtant  ils  enregistrent  avec  soin  les  troncs  d'arhres  exotiques 
ou  les  cadavres  de  races  inconnues  jetés  à  la  C('>te  des  Açores. 
Ni  liehaim  (2)  qui  séjourna  longtemps  dans  l'archipel,  ni 
liarros  (3),  ni  (îrynu'us  (I),  ni  Ortelius  (5),  ni  les  cartographes 
ou  cosmographes  du  XVi"'  siècle  ne  sont  plus  explicites  à  cet 
égard.  Peut-être  trouverons-nous  le  mot  de  l'énigme  dans  une 
description  moderne  des  Acores,  D'après  Boid  (0),  un  des 
promontoires  de  Corvo  présenterait  la  forme  d'une  personne 
dont  la  main  est  tendue  vers  l'occident.  La  statue  équestre  est 
^onc  réduite  à  un  phénomène  naturel,  et  c'est  seulement  après 
la  découverte  de  l'Amérique  au  XV  siècle  qu'on  a  imaginé  de 
donner  au  rocher  de  Corvo  sa  signification  mystérieuse.  Ainsi 

[i]  Fabia  y  Souza,  Historia  del  regno  de  Portugal,  édit,  1730,  p.  258  : 
(I. . .  En  la  cumbre  de  un  monte  fue  hallada  una  «statua  de  un  liumbre  puesto 
a  cavallo  en  pelo. . .  senalando  al  ponicnte  ». 

(2)  JoMAKD,  Monuments  de  la  tjéorjraphie,  planche  52,  Mappemonde  de 
Beliaim. 

(3)  Bakhos,  Asia,  dos  fectosque  os  Portuguczes  fizeramno  descobrimento 
e  conquista  dos  mares  e  terras  do  oriente  (1552). 

(i)  GnvNAEUs,  Novus  orbis  regionum  ac  insularum  veteribus  incognita- 
rum,  una  cum  tabula  cosmographica  (1332). 
(S)  Obtemls,  Theatrum  orbis  terraruni  (1570). 
,{6)  Boid,  Description  of  the  Azores  (1833),  p.  316-318. 


CIIAIMTHK    11.    —    LES    l'IlÉNICIENS   KN   AMÉHIQUE. 


t(tml)(>rait  d'ollc-nu^nic  cette  prétendue  preuve  du  séjour  des 
Pliénitiens  ;»ix  Acores. 

Nous  accorderons  plus  de  confiance,  mais  n(»n  pas  encore 
une  confiance  ulisoliie,  au  curieux  renseignement  donné  par 
Tiievet,  le  cosmographe  de  Henri  II,  cpii  visita  les  Acores  en 
loot.  11  parle,  dans  su  Cosmographie  Unn-erseAk  (1),  de  grottes 
situées  au  bord  de  la  mer  dans  l'île  Saint-Michel.  On  y  pénétrait 
par  une  ouverture  de  cinq  ùsix  pieds  de  diamètre.  Les  premiers 
explorateurs  s'attendaient  à  y  rencontrer  des  trésors,  «  maison 
n'y  trouva  chose  quelconque,  sinon  deux  uionuments  de  pierre, 
dont  chacun  d'iceux  n'estoit  moins  long  que  de  douze  pieds  et 
demy,  et  large  de  quatre  et  demy  ou  environ.  Ceux  qui  ont  veu 
lesdits  monuments,  construits  assez  rustiquemcnt,  m'ont  assuré 
n'y  avoir  apparence  ned'escriture,  ne  d'autre  marque  d'antiquité, 
mais  le  portraict  de  deux  grandes  couleuvres,  ({ui  estoient  autour 
desdicts  monuments,  ensemble  quelques  lettres  liéhraiques 
grandes  de  quatre  doigts  et  si  antiques  qu'à  grand'peine  les 
|)ouvoit-on  lire  :  toutesfois  un  Marainne,  natif  d'Espaigne,  fils 
de  Juif,  homme  versé  aux  langues,  les  peignit  telles  que  je  vous 
les  représente  icy..,  et  estoireut  ces  lettres  au  hault  bout  desdicts 
monuments,  au  bas  ces  deux  aultres  mots...,  l'interprétation 
desquels  je  sursoye,  la  laissant  à  ceux  qui  font  profession  de 
ceste  langue  ».  Thevet  termine  en  racontant  que  plusieurs 
accidents  eurent  lieu,  et  qu'on  mura  la  grotte  afin  de  ne  pas  les 
voir  se  renouveler. 

On  aura  remarqué  les  invraisemblances  de  ce  récit  et  regretté 
(|ue  l'auteur  de  la  Cosmographie  n'ait  pas  jugé  îi  propos  de  nous 
indi(|uer  la  position  exacte  de  la  grotte,  ni  l'a-)-  ée  où  on  la  mura. 
Remarquons  toutefois  que  les  Phéniciens  aimaient  à  construire 
leurs  tombeaux  dans  des  grottes.  Renan,  dans  sa  mission  de 
Phénicie,  a  retrouvé  de  véritables  nécropoles,  creusées  dans  le 
roc,  à  Djebel,  à  Amrit,  et  surtout  à  Mugharet-Ablon.  De  plus 


i<i 


1 


(1)  Thevet,  Cosmographie  universelle,  liv.  XXII,  p.  1022. 


ÎJO 


l'HKMlKHK    l'AHTlK 


Lies    l'HECURSELRS   DE  COLOMIt. 


les  serpents  sont  un  motif  d'ornementation  tout  oriental.  Kniiu 
les  canu'tùres  figurés  dans  l'ouvrage  de  Tiievet  ressemblent 
à  des  caractères  sémitiques,  llumholdt  (1)  les  avait  communiqués 
j\  un  savant  orientaliste,  Wilken,  qui,  tout  en  regrettant  (|ue  lu 
copie  ne  fût  pas  plus  exacte,  essaya  de  les  interpréter  et  crut 
pouvoir  lire  Taal  ou  Baal,  ben  Martbar  Baal,  ou  Matliald  BaaI. 
Ce  sont  des  mots  Pbéniciens  bien  connus.  Combien  est-il  donc 
fi\cheux  que  Tlievet  soit  si  conqjlètement  dépourvu  de  critique, 
et  qu'on  n'ait  pas  encore  retrouvé  l'entrée  de  cette  grotte  murée 
si  mal  à  propos  ! 

La  découverte  en  novembre  1749  de  monnaies  pbéniciennes 
à  Corvo  soulève  peut-être  moins  d'objections.  Le  ressac  des 
vagues  dans  une  tempête  avait  mis  à  découvert  un  grand  vase 
brisé  contenant  une  quantité  de  monnaies.  On  les  porta  dans  un 
des  couvents  de  l'ile,  et  les  curieux  se  les  partagèrent.  Neuf 
d'entre  elles  furent  envoyées  à  Madrid  :  elles  étaient  en  or  ou 
en  cuivre  et  portaient  l'empreinte  d'une  tête  de  cheval  ou  d'un 
cheval  tout  enlier.  Les  dessins  en  furent  publiés  dans  les 
mémoires  de  la  Société  de  Gothembourg.  Humboldt  (i)  (|ui  les 
compara  aux  monnaies  phéniciennes  trouvées  en  grand  nombre 
dans  la  Baltique  et  conservées  au  cabinet  des  médailles  du  roi 
de  Danemark,  remarquait  une  grande  ressemblance  entre  ces 
monnaies  de  provenance  si  diverse.  Il  en  concluait  presque 
qu'elles  avaient  été  perdues  par  l'un  des  négociants  phéniciens, 
que  le  commerce  de  l'étain  attirait  dans  ces  parages.  Avouons 
néanmoins  que  les  preuves  matérielles  du  séjour  des  Phéniciens 
aux  Açores  méritent  confirmation,  et  que  ce  sont  surtout  les 
descriptions  des  auteurs  anciens  qui  nous  permettent  d'avancer 
que  les  Phéniciens  ont  peut-être  connu  cet  archipel. 

Aussi  bien  ce  qui  nous  confirmerait  dans  cette  opinion,  c'est 
qu'ils  paraissent  s'être  avancés  beaucoup  plus  loin.  Ils  ont,  en 


(1)  Humboldt,  Géographie  du  nouveau  continent,  t.  II,  p.  243. 

(2)  Humboldt,  id.,  p.  22. 


CIIAI'ITItK    II. 


LKS    PIIKMCIK.NS    KN    AMKMlglK 


:i7 


elFet,  coimu  la  incr  des  Saluasses  (|ui  coiniiiciicc  au  larm*  des 
Acoivs  l't  s'rtciid  |»i'('S(|ii('  jus(|iraii\  Antilles  (I).  De  lioiiiii' 
heure,  ils  ont  sif,Miale  l'exisU-nce  de  ces  haiics  d'alfiues  fidffaiites 
et  les  (Jrecs  ont  eu  coiiune  l'éclio  de  ces  relations.  Scjlax  de 
Caryaudie  en  parle  dans  son  Pvrijdi'.  «  On  ne  |)eut  naviffuei" 
au-delà  de  Gern»"',  dit-il,  car  la  iner  est  enil>arrassée  par  de  la 
vase  et  des  JM'rhes  [t)  ».  Aristote  était  instruit  de  la  diniculté 
de  la  navif^ation  dans  ces  parages,  c.ir  il  la  sifrnale  dans  son 
Triùl(''  di;  Mrli'iirologie  (3).  L'auteiu-  anonyme  du  Tra'iti'  des 
Merveilles  est  très  explicite  à  ce  sujet  :  <•  Ia's  Phéniciens  de 
(iadès  (jui  navij;uaient  au-delà  des  c(»lonnes  d'IUM'cuh',  écrit-il, 
furent  jioussés  par  un  vent  d'est,  et,  après  (juatre  jours  de 
marche,  arrivèrent  dans  des  régions  désertes,  pleines  de  van'chs, 
où  ils  trouvèrent  (h's  thons  en  ahondance  (i)  ».  Théophraste, 
dans  son  J/lstoire  des  Plantes  (îjj,  parle  aussi  des  Sargasses, 
dont  il  admire  la  force  et  la  grandeur  :  «  L'algue,  dit-il,  croit 
en  pleine  mer  au-delà  des  colonnes  d'Hercule.  Elle  atteint, 
parait-il,  des  pnjportions  gigantescpies  con)me  htngueur  et 
comme  largeur  ».  Avienus,  enfin,  dans  sa  tradition  du  J*èri/)le 
d'J/imilroii  (()),  mentionne  la  mer  des  Sargasses.  ((  Au-dessus 


1.: 


^; 


(I  )  Gakkahei.,  La  Mer  ile.i  Sargasses  (Société  de  géograpbiu  de  Paris,  1872  . 
('2)  ScYi.AX    ((Jeoj,'.    minores).    Kî'pvr;;   oï   vrjioj   rà   ir.z/.zî'/x   rrjy.i-i  317. 
nXwTà  ôià  [3pay'jTr,Ta  OaÀaTTi;;  zat  ;:r,ÀoO  /al  ■^■jy.ryj-. 
(3)  AiiiSTOTK,  Météoroloijie,  II,  i,  U. 

(■i)  De  mirabilibu^  auscultationihus  (Edit.  Uidot,  p.  106).  <l>oivixa;  toÙî 
7.aTO'.x.o:vTa;  tx  ràc-;,îa  zaÀojijiEva  ï\i<i  -Xcovia;  llfa/Asiojv  <:zr).wi  àr,r,- 
Àtf.hr;  avc'p.)  f,[i.:pa;  TETTapa;  -apaY'VciOa!  v.ç  -l'va;  totio'j;  !,o/;[jio'j;,  s'j/.oO; 
rXr;p£tî,  lip'faiv  EÙfîT/.caOai  'jr.ip^fixXkov  Oûvfov  Tzlffio^. 

(5)  TiiÉopiiHASTK,  Hisf.  plantarum,  IV,  7.  r-vEta;  os  tô  çjxo;  èv  [xh  xf, 
È'Çe.)  Twv  a-rr/wv   Ilca/Xs'twv   OaXâaar,,    Oaùijia  t:  tÔ  ijle'yeOo;.   ai;   ça^i,  /«t 
TÔ  ;:ÀâTo;,  [xstl^ov  «Iji  rra/aiaTtaîov. 
iC)  AviENcs,  Orn  maritima,  V,  403. 

Exsupcrat  auteni  gurgilem  fucus  frcqucns 
Atquc  iinpeditur  œstus  liic  uligiiie. 
Sic  nuUa  laie  (labra  propelluiit  rateiii. 
Sic  segnis  liumor  œquoris  jugri  stupel. 


;'  I 


:iH 


l'IlKMIKUK    l'AIITIi:.    —    LKS    l'IlKlIlHSKI  IIS    ItK   roMiMll. 


Il 


(les  Ilots  se  dressent  des  iil}.iies  iioiuhreiises,  (jui,  |»ar  leiireiitr»!- 
rmisemeiit,  Inniieiit  mille  ulistiicles.  Aiiniii  soultle  ne  |i(iiism' 
en  avant  le  navire.  Les  l|<»ls  restent  inniioliiles  et  paresseux. 
Des  algues  en  (|uantité  sont  semées  sur  l'ahime  et  souvent  elles 
arrêtent  la  marche  des  vaisseaux,  (m'elles  retiennent  eonune 
avec  des  joncs  ». 

Les  IMiéniciens  ont-ils  été  réellement  arrêtés  dans  leurs 
expéditions  par  la  masse  des  sar};ass«'s  flottantes,  ou  l)ien 
ont-ils,  suivant  leur  habitude,  exajiéré  les  danjrers  de  la  navi- 
gation dans  ces  parajics  pour  eu  éloi^'uer  les  vaisseaux  étran- 
j:ers?  Nous  le  croirons  (Tautant  plus  volontiers  que,  d'après  la 
tradition,  ils  auraient  dé|»assé  même  la  mer  des  Sargasses  et 
auraient  ahordé  rAuu'rique. 

Deux  écrivains  ;;re(;s,  rauteiu"  anonyme  du  Tra'itr  di's 
Mi'rri'ilh-s,  et  Diod(»re(le  Sicile,  ont  en  ell'et  |)arlé  d'une  ^'raiule 
ile,  véritable  contineni  situé  en  dehors  des  colonnes  d'Hercule, 
à  plusieurs  journées  de  navif^ation  de  la  terre  ferme,  où  les 
l'héniciens  auraient  été  poussés  |)ar  la  tempête,  (^juune  ces 
passaf.'es  sont  curieux,  nous  les  citerons  dans  l(!ur  iniéfiralité. 
Voici  le  premier  (l)  :  «  Dans  la  mer  qui  s'étend  au-delà  des 
colonnes  d'Hercule,  on  raconte  que  les  Carthaginois  ont  décou- 
vert ime  ile  (lésert(>.  Elle  était  couverte  de  forêts  à  essences 
variées,  parcourue  par  des  fleuves  navijrahles,  féconde  en 
productions  de  tout  ffenre  et  éloif^née  de  plusieurs  journées  de 
naYi^:ation.  Les  Carthaginois,  attirés  par  la  fertilité  du  sol,  y 
lirent  de  fréquents  voyages.  Quelques-uns  même  s'y  établirent; 
mais  le  sénat  de  Carthage  menaça  du  dernier  supplice  tous 
ceux  (|ui  dorénavant  éniigreraient  dans  cette  ile  ».  H  voulait  à 
la  fois  arrêter  l'émigration  qui  prenait  de  trop  fortes  propor- 
tions et  se  réserver,  en  cas  de  malheur,  une  retraite  assurée  ». 


Adjicit  et  illiid  pluriinurn  inlcr  giir{;itcs  ' 

Exstare  l'iicuin,  et  sœpe  viigulti  vice 
Retinere  piippim. 
(1)  De  mirabilibiis  nuscuKationifnis;  Mil.  Didot,  p.  88,  g  84. 


r 


:i 


ciiAi'iTin:  II.  —  LES  niKNir.iKNS  v.\  AMKiiiyriî. 


idc  «Ml 
■m'os  (le 
sol,  y 
)1  iront; 
■e  tous 
ml  ait  à 
)ropoi'- 
isiiiri'  ». 


Dindon-  s'exprime  «'Il  res  ternies  (l)  :  «  Un  côté  de  la  Lihye,  on 
fniine  niie  Ile  dans  la  liante  nier,  iVuuv  étendue  ennsidéralde, 
et  située  dans  l'Uréan.  Klle  <'st  éloi^'iiée  de  la  Liltye  d<'  pliisieurs 
joins  de  iiavi};atinn,  et  située  dans  rnccident.  Son  S(d  est  l'ertile, 
niniita^rneiix,  peii  plat  et  d'une  faraude  beauté.  Cette  ile  est 
[traversée  par  des  fleuves  navi^'ahles.  (  In  y  voit  de  iiotnhrenx 
[jardins  plantés  de  toutes  sortes  d'arltres  et  des  ver^rers  traversés 


la 


r  d 


es  souires  i 


l'eau  douce.   Un    v    trouve  des   maisons   de 


I 

IranipaJine  somptueusement  construites,  et  dont  les  parternîs  sont 

l<»riir.,  ùo  berceaux  couverts  de  fleurs,  ("/est  là  (pie  les  lialtitants 
xissent  la  saison  de  l'été,  jouissant  voluptueusement  des  liieiis 
|ue  la  cani|ia^'iie  leur  fournit  en  abondance.  La  réjrioii  uionla- 
lense  est  couverte  de  bois  épais  et  d'arbres  fruitiers  <le  toute 
fîspèce  ;  le  séjour  dans  les  montafrues  est  embelli  par  des  valbnis 
M  de  nombreuses  s(turces.  Kn  un  mot  toute  l'île  est  bien  arrosée; 
d'eaux  d(»uces  (|ui  contribuent  non  seulement  aux  |)laisirs  des 
lialtitants,  mais  encore  à  leur  santé  et  à  leur  force...  T/air  y  est 
si  tem|(éré  (|ue  les  fruits  des  arbres  et  d'autres  produits  y  croissent 
m  abondance*  pendant  la  plus  grande  partie  de  l'année.  Knfiii 
cette  ile  est  si  belle  (pi'elle  parait  plut(H  le  séjour  lienreux  de 
»|iiel(pu's  dieux  que  celui  des  bomnies.  Jadis  elle  était  inconnue  à 
(  ause  de  son  ébjijrnement  du  continent  et  voici  comment  elle  fut 
découverte.  Les  Phéniciens  «exerçaient  do  toute  aiiti«piité  un 
(  niiiinerco  maritime  fort  iHondu.  Ils  établirent  un  frrand  nombre 
ili'  co|oni«îs  dans  la  Libye  et  dans  les  pays  occidentaux  do  l'Eu- 
inpe.  Leurs  entreprises  leur  réussissaient  à  souhait,  et,  ayant 
ac(piis  do  grandes  richesses,  ils  tentèrent  de  naviguer  au  delà 
(les  ((donnes  d'ih'rcnlo,  sur  la  mer  «ju'on  appelle  Océan.... 
IN'iidant  (ju'ils  longeaient  les  C(Hos  de  la  Libye,  ils  furent  ji'tés 
par  des  vents  xiolents  fort  loin  dans  l'Océan.  Battus  par  la 
ti'in|)éte  pondant  plusieurs  jours,  ils  abordèrent  enfin  dans  file 
dont  nous  avons  parlé.  Ayant  pris  connaissance  de  la  richesse 


! 


f^ 


(1)  DioDOME  DE  Sicile,  V.  1i)-20.  Trailuction  Hoefer,  11,  p.  19-20. 


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PREMIERE   PARTIE. 


LES    PRECURSEURS    UE   COLOMB. 


du  sol,  ils  cominuniqu(''r('iit  leur  découverte  ;ï  t<iut  le  moudc. 
C'est  pourquoi  les  Tyrrhéniens,  puissants  sur  mer,  voulaient 
aussi  y  envoyer  une  colonie  ;  mais  ils  en  furent  empOchés  par 
les  Carthaginois.  Ces  deruiers  craignaient  d'un  côté  (|u'un  trop 
grand  nombre  de  leurs  concitoyens,  attirés  par  la  beauté  de 
cette  ile,  ne  désertassent  leur  patrie  ;  et  de  l'autre  ils  la  regar- 
daient comme  un  asile  dans  le  cas  où  il  arriverait  (pielcpic 
malheur  à  Cartilage  ;  car  ils  espéraient  cpi'étant  maîtres  de  la 
mer,  ils  pourraient  se  transporter  avec  toutes  leurs  familles 
dans  cette  ile  qui  serait  ignorée  de  leurs  vain(jueurs  ». 

Quelle  est  cette  ile  merveilleuse?  N'a-t-elle  jamais  eu  de  réa- 
lité que  dans  l'imagination  du  philosophe  et  de  l'historien  (IV? 
Cerfe«  l'auteur  du  Traité  des  Merveillea  a  enregistré  dans  son 
ouvrage  bien  des  légendes  absurdes,  et  Diodore  a  trop  souvent 
conservé,  en  guise  de  faits  historicjues,  des  traditions  mythiques 
pour  que  nous  ne  pesions  pas  son  témoignage  avec  la  plus 
grande  rigueur  ;  mais,  d'un  autre  côté,  le  pseudo-Aristote  ;i 
donné  sur  cette  ile  bien  des  détails  précis,  et  Diodore  en  ii 
décrit  les  beauté"  pittoresques  avec  un  enthousiasme  trop  sin- 
cère pour  être  de  commande.  On  croirait  lire  les  récits  images 
des  premiers  voyageurs  du  xvP'  siècle,  qui  débarquèrent  au 
Brésil  ou  au  Mexique.  Il  semble  avoir  éprouve  les  émotions 
délicieuses  dont  nos  pères  furent  saisis  lorsque  Bougainvilic. 
au  dernier  siècle,  leur  montrait  Taïti,  la  Nouvelle-Cyfhèrc 
sortant  du  sein  des  flots  avec  sa  couronne  de  palmiers  et  su 
ceinture  de  fleurs.  Sans  rien  affirmer  encore,  admettons  dom 
que  les  Phéniciens  découvrirent  une  grande  île  au-del«  des  cn- 
lonnes  d'Hercule,  à  [)lusieurs  jou.  lées  de  navigation  du  con- 
tinent, qu'ils  y  faisaient  de  nombreux  voyages  et  qu'ils  étaicni 
fort  jaloux  d'en  conserver  la  possession  exclusive,  afin  de  s'y 

(1)  Tel  était  l'avis  de  Montaigne.  Ensais,  I,  .10.  Des  Cannibales  :  ><  Ccsli 
narration  d'Aristote  n'a  non  pins  d'accord  avec  nos  terres  neufves  »,  — 
Ainsi  pensait  ég.-ilenient  Hcckman,  le  commentateur  le  plus  érudit  du  Iraili 
De  mirabilihux  auscultationibus. 


■MH 


r.HAl'ITRE   II. 


LES   PllKMClKNS   K.\   AMKRIQUK 


01 


triiiisporfcr,  eu  cas  do  besoin,  oux  et  leurs  familles,  de  môme 
(|ne  les  llidiaiidais  soiif^'èrent  un  inonient  à  émiffrer  à  Batavia, 
Iurs(|ut'  l'arniée  de  Louis  XIV  meniiea  Amsterdam  :  il  nous 
reste  à  déterininer  la  [uisition  de  cette  île. 

(losselin    I)   prétendait  la  retrouver  dans   Fortaventure  ou 
Lancerute,   ilei'ren  et  lloefer  dans  Madère  ;  mais  les  raisons 
<|u'ils  allètrueiit  sont  médiocres  (-2).    Jamais  les   Canaries  ou 
Madère  n'ont  eu  de  tleuves  navijialdes  ;  jamais  ces  archipels 
n'ont  été  pris  pour  des  continents.  Serait-ce  donc  (jue  la  des- 
[cription  <le  cette  ile,   bien   ((ue  fabuleuse,  indi(pie  une  vague 
connaissance  de  l'Amérique  (3).  ou  croirions-nous  avec  llorn  (4), 
ravec  Landaf.'i),  Ordonez  (0),  Cabrera  (7),  IJocliart  (S)  et  quchpies 
^autres  érudits  (pie  cette  ile  correspond  exactement  au  ncmveau 
'■^continent  ? 

Certes,  il  serait  imprudent  d'aflirmer,  ainsi  ((ue  l'iui  de  ces 
savants,  Robert  Comtaeus  (9)  (pie  l'Amériipie  toute  entière  a 
été  peuplée  par  les  Phéniciens  ;  nous  ne  distinguerons  pas  non 
plus,  comme  a  cru  devoir  le  faire  llorn,  trois  grandes  émi- 


il)  (lOssKMx,  lirrhcrc/ms  sia-  la  (jéuf/vriphio  si/xtématii/uc  rt  i)Ositivp  dp< 
|«»c/'e?îs. 

(2)  Uf.eren,  Coinwcrcp  de  l'antir/ititii,  tratl.  de  Suckiui,  t.  IV,  §  5. 
(.1)  W'esscling,  dans  son   Commentaire  de  Diodore,  s'ex|)i'imait    en  ces 
Itermcs  :    «  Fabulis  adfinia  snnt  q\v,v   de  hac  insnla  [n'odniitur  ;  id  tamen 
liiidicantia   ol)sciirani   Imjns  regionis,  quam  Ameiicani  vocamus,   famam  in 
ICarthaginiensium  iiavij;ationibiis  ad  veterum  aures  dimanasse  ». 
(V)  Hors,  De  onijinil/us  Ameriranis,  p.  1!». 

(r»i  Lakda,    Relation   dea  dioaes   du   Yucatan .   Iraduclion    Biassenr  de 
iourboiirp;. 
(61  Ordoxe/,  Historia  de  la  creaciun  dcl  vielo  ;j  de  la  tierra. 
(7l  Ca"<bkra,  Drscriptio7i  nf  t/ie  ruinti  of  ancient  rit;/  di.wovered  near 
^alcmjae. 

(8)  UociiART,  Phnletj  vel  Canaan,  p,  645  :  «  Vel  nus(inam  est  Ikvc  insula, 
vel  nna  est  ex  insulis  novi  orbis,  ant  pars  ali(|na  Brasilia\  qnam,  littorilxis 
^nmdmn  satis  peragratis,  Phirniccs  acceperunt  pro  insnla  ». 

|!M  HoRx,  onv.  cité,  p.  1!).  «  Sententia  ejus  est  :  Americanos  omnes  a 
'liœnicibtis  ortos,  et  uiiam  banc  gentem  vastum  ilhim  orbem  et  babitare  et 
l(jtexisse,  ila  ut  ex  abis  provinciis  luilli  ante  llispanos  prœter  Pliœnices  eo 
ïenerint  > . 


l.,i|ejlUJ'W!lVF  ^'-/'«M' 


[^^p«w^»ipp?îB»w^wii»w^^ep 


{\1> 


l'REMlKRK    l'ARTiK.     —    Li:s    l'RKClIHSKCHS   DE  COLOMU. 


},^ruti(>iis  Pli(''ni('U'iuu's  en  Aint''ri(|uc  (1),  lu  proiniôn»  s(tiis  l.i 
direction  d'Atliis,  fils  du  Ciel  et  frèrt'  de  Saturne,  qui  dmiiifi 
son  nom  au  continent,  à  la  nier,  et  aux  liahitants  du  pays  ;  hi 
seconde  telle  (|ue  la  rapportent  le  [)seudo-Aristote  et  Diodore  : 
la  troisième  enfin  au  temps  d'iliram  et  de  Salonion  ;  nous 
n'admettrons  pas  davantafre  roj)inion  de  Cahrera.  (pii  fi\e  h 
l'époque  de  la  première  guerre  puni(pie  la  date  de  la  premièri' 
immifrration  carthaginoise  en  Ainéri(pie  (il)  :  ces  affirmations 
ap|)artienneiit  au  domaine  de  la  fantaisie,  et,  à  force  de  har- 
diesse, tond)ent  [)resque  dans  le  ridicule.  Contentons-noiis 
d'énumérer  les  principaux  motifs  qui  poussaient  les  Phéniciens 
dans  les  mers  occidentales  et  les  probabilités  de  leurs  voya^res 
dans  la  direction  de  rAméri(jue. 

On  sait  déjà  (pie  trois  cents  villes  Phéniciennes  prospérèrent 
à  la  fois  sur  la  côte  occidentale  d'Afri(|ue  (3).  Leurs  liahitants 
eurent  à  soutenir  de  lonjjues  et  interminables  luttes  contre  les 
})euplades  indifiènes,  Plierésiens  ou  Nif^ritiens,  de  même  (pic 
nos  colons  du  Sénétral  repoussent  les  atta(|ues  incessantes  des 
Toucouleurs  ou  des  Bambarras,  et  ils  finirent  par  succomber 
dans  cette  lutte  'néfiale.  Tous  ne  périrent  pas  dans  la  f^uienc 
finale.  Les  uns  restèrent  dans  le  pays  à  titre  d'esclaves  nu 
d'alliés.  On  a  cru  retrouver  leurs  descendants  dans  cette  étraiiiic 
po|)uliition  des  Uoohies  de  Fernandopo,  (pii  vivent  à  jiart,  sans 
s(>  mêler  au\  iMu-opéens  ou  aux  uèpres  et  dttiit  la  langue  ne  res- 
semble à  aucune  langue  voisine  et  présente  des  rapports  in- 
times avec  les  idiomes  asiati(pies  (4).  Les  autres  montèrent  sur 
leurs  vaisseaux  et  cherchèrent  une  nouvelle  patrie.  L'Atlanti(pii' 


::' 


il' 
III 


(1)  lloiix,  id.,  p.  20,  02,  ni. 

(2)  Cauhkua,  cité  i)ar  l'abbû  Douieiiccli  {lievite  Américuine,  2"=  sério, 
N»  2,  p.  102). 

(3^  Straron,  XVII1,3,  3.  'Ev  -v.;  iÇf,;  /ôX-ot:  /aTOi/.'a;  ÀsvEaOai  na).a:a: 
Tjoiwv,  a;  'fr||iO'j;  ivjj.>.  \i\t'^,  où/.  :XaTTOvtov  f,  Tpiay.O'îifDV  -oXs(ov,  ai  '/■■ 
'i>aoo'ja;oi  zal  o'.  Nty^ilTai  ij^-ocOriiav. 

(4)  TiUKHC.ELix,  Journal  d'un  lialeinicr,  et  Hullctin  de  la  Socirté  'I' 
fjéograp/iie  tir  Ptiris:  (juin  18()7). 


CllAl'ITRK   II.    —    LKS    IMIKMCIKNS    KN    AMEHIOIK 


(;:t 


s'ouvrait  devant  eux  et  leurs  marins  s'y  étaient  aventurés  à 
plusieurs  re[>rises.  Ils  s'y  ris(|uèrent  à  leur  tour  et  s'établirent 
dans  le  continent  entrevu  par  leurs  explorateurs.  Autrement, 
comment  e\pliqu(>r  la  disparitii»n  soudaine  de  trois  cents  villes 
et  ranéantissenient  d'une  [topulation  civilisée  (|ui  n'aui'ait  laissé 
ni  traces  sur  le  sol.  ni  souvenirs  dans  l'iiistoire? 

Nous  savons  d'un  antre  côté,  par  le  témoijfiiage  de  Pline  (1), 
(|ue  les  Canaries  étaient  désertes  lors(|ue  les  Romains  y  ahor- 
dèrent,  et  pourtant  ils  y  rencontrèrent  des  ruines  d'édifices.  Uù 


donc  sont  allés  ces  Phéniciens  insulau-es?  H  est  peu  prohahie 
qu'ils  se  s(»ient  dirijrés  vers  les  côtes  (lauloises  ou  Espafjnoles, 
puisipi'ils  fuyaient  les  Ilomains,  et  ([ue  la  (laule  et  ri<]s|);it;ne 
étaient  déjà  en  partie  terres  romaines.  Ils  n'auraient  certes  pas 
cherché  un  refuge  précisément  dans  le  pays  de  leurs  oppres- 
seurs, alors  que  la  mer  lihre  s'ouvrait  à  eux.  Ils  durent,  eux 
aussi,  s'embarquer  sur  leurs  vaisseaux,  et  chercher  au-delà  de 
l'Océan  une  autre  patrie,  «pii  ne  pouvait  être  (jue  rAniéri(|ue. 
L'Amérique  était  donc  le  seul  asile  ouvert  aux  émigrés 
Phéniciens  de  la  côte  Africaine  ou  des  archipels  de  rAtlanti(jue. 
Il  est  vrai  (ju'on  ne  connaît  ni  l'emplacement  ni  le  sort  de  ces 
nouvelles  colonies,  et  l'exact  Polybe  i)  ne  |tarle  point  de  ces 
établissements,  lui  qui  enregistre  avec,  tant  de  soins  tout  ce  (|ui 
intéressait  le  commerce  de  (larthage.  L'existence  de  ces  colonies 
traiisatlanti(pies  était  pourtant  affirmée  par  une  tradition  (|ue 
les  Grecs  connaissaient  vaguement,  de  même  que  nos  matelots 
n'ignorent  pas  (|ue  nous  avons  jadis  possédé  le  Canada  et  une 
partit"  de  l'ilindoustan.  Si  les  Phéniciens  n'ont  pas  été  plus 
explicites,  c'est  (piils  en  fiuriit  empêchés  par  letn-  prudence 
cunnnerciale  et  surtout  par  racharnement  extraordinaire  avec 
Romains  firent  disoaraitre  tout 


3quel 


qui 


)pei 


I 


souvenu* 


(1)  Pi.iNK,  Histuire  naturelle,  VI,  ',\'l. 

(2)  Poi.YBK,  dans  le  Ircnte-quatiièiuc!  livi(!  de  son  liisloiru,  dont  il  m;  rostc 
(lue  des  fraj,'inents,  §  3. 


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l'RKMIEIlK    l'AHTIi:.     —    LES    PRIXUHSKL'HS    UK   COLOMK. 


Iiiterrogoons  rAiiK'rujUc  cllc-rrK^mt'.  P(Mit-iHre  a-t-clle  ((in- 
scrvt'  (jiKîlquo  trace  du  sôjour  des  Phéniciens  (juelqiuî  inscrip- 
ti(»ii,  (iiiel([ue  uioiiuinent,  (juelquo  débris  de  leur  religion  ou 


de  leur  langue. 


Au  xvi"  siècle,  lorsque  les  Espagnols  et  les  autres  Européens 
ai)ordérent  au  Mexi(|ue,  au  Pérou,  et  dans  toutes  les  contrées 
du  nouveau  continent  (pii  jouissaient  d'une  civilisation  relati- 
vement avancée,  les  indigènes  les  accueillirent  avec  empres- 
sement, pres([U(!  comme  des  frères  dont  il  attendaient  le  retour. 
Toutes  les  traditions  Américaines  en  effet,  sans  exception, 
indiquaient  l'Orient,  c'est-à-dire  l'ancien  monde,  et  non 
l'Occident,  c'est-à-dire  l'Asie,  comme  le  berceau  des  ancêtres. 
Ainsi,  au  Mexi(jue,  l'empereur  Montezuma,  quand  il  eut  sa 
première  entrevue  avec  Cortès,  lui  tint  le  discours  suivant,  que 
le  Conquistador  a  soigneusement  conservé  dans  une  de  ses  let- 
tres (1)  à  Charles  Quint  :  c  Depuis  longtemps  nous  savons  par 
les  titres  que  nos  pères  nous  ont  laissés,  que  ni  moi,  ni  aucun 
habitant  de  ce  pays  n'en  sommes  originaires  ;  nous  sommes 
des  étrangers  venus  de  fort  loin  sous  les  étr  darts  d'un  roi,  qui 
s'en  retourna  dans  son  pays  après  la  coii([uète,  et  ([ui  fut  si 
longtemps  à  revenir  au  Mexique,  (jue  ses  sujets  avaient  déjà 
formé  une  nombreuse  population  lors  de  son  retour.  Ce  roi 
voulut  ramener  ses  sujets  avec  lui,  mais  ils  ne  consentirent  pas 
à  le  suivre  et  encore  moins  à  le  recevoir  pour  maître.  Il  repartit 
seul,  et  nous  assura  qu'il  viendrait  un  de  ses  descendants  pour 
subjuguer  le  pays.  Suivant  le  point  de  l'Orient  dont  vous  dites 
venir,  suivant  tout  ce  que  vous  nous  racontez  du  roi  qui  vous 
a  envoyés  ici,  nous  croyons  d'autant  plus  fermement  qu'il  est 
n(»tre  roi  naturel,  (jue  vous  ajoutez  qu'il  y  a  longtemps  qu'il  a 
entendu  parler  de  nous.  Nous  sommes  certains  que  vous  ne 
nous  trompez  pas  :  vous  pouvez  donc  être  assuré  (jue  nous  vous 
reconnaissons  pour  maître,  comme  représentant  du  grand  roi 

(I)  Fkunanu  Coutks,  Lettre  II  à  l'Empereur  Charles  Quint.  Traduction 
Vallée. 


CHAPITRE    II.    —   LES   l'IlÉNICIENS   EN   AMÉRIQIjE. 


03 


dont  vous  nous  parlez,  et  que  nous  vous  obéirons  ;  vous  pouvez 

(.idonncr  absolument  dans  tous  le  pa -s  qui  m'appartient,  et 

tout  ce  (|ue  nous  avons  est  à  votre  disposition  ».  L'infortuné 

souverain  était  tellement  persuadé  de  la  légimité  des  droits  des 

nouveaux  arrivants  qu'il  essaya  d'en  convaincre  ses  propres 

sujets.  Quand  il  se  vit  forcé  de  reconnaître  son  impuissance  et 

(le  céder  à  la  supériorité   des   armes   Européennes,    voici  le 

discours  (pi'il  tint  aux  Mexicains  pour  leur  proposer  d'accepter 

la  suzeraineté  de  Cliarles  Quint  (l).  <«  Aussi  bien  que  moi,  vos 

prédécesseurs  vous  ont  appris  à  connaître  (lue  nous  ne  sommes 

pas  naturels  de  cette  contrée.  Us  vinrent  tout  d'abord  d'une 

terre  lointaine,  conduits  par  un  chef  auquel  ils  étaient  soumis. 

Longtemps  après  ce  chef  revint  et  trouva  (jue  nos  aïeux  s'étaient 

mariés  avec  les  femmes  du  pays,  et  avaient  bilti  des  villes  qu'ils 

avaient  peuplées  de  leur  nombreuse  postérité.  Vous  savez  aussi 

qu'ils  refusèrent  de  l'accompagner  lorsqu'il  repartit  pour  son 

pays,  et  même  de  le  recevoir  pour  suzerain  de  celui-ci.  Alors 

il  s'en  alla,  en  les  menaçant  de  retourner  avec  des  forces  ou 

d'en  envoyer  de  si  considérables  qu'elles  réduiraient  notre  pays 

A  l'obéissance  ». 

On  aura  remarqué  la  singulière  ressemblance  que  présente  ce 
discours  avec  la  tradition  rapportée  par  le  pseudo  Aristote,  et 
d'après  laquelle  les  Carthaginois  ne  devaient  pas  liabiter  l'île 
Merveilleuse,  de  peur  d'oublier  leur  patrie.  Il  est  vrai  que  le 
pseudo  Aristote  ne  rapporte  pas  que  les  colons  aient  refusé 
d'obéir,  et  que  Montezuma  n'indiquait  ni  le  pays  d'où  venait  ce 
peuple,  ni  l'époque  de  son  émigration,  mais  les  traditions 
Mexicaines  sont  unanimes  à  déclarer  que  ces  étrangers  étaient 
blancs,  barbus,  fort  industrieux,  et  qu'ils  devaient  un  jour  ou 
l'autre  revenir  pour  soumettre  le  pays  (2).  Deux  de  ces  traditions 


(1)  Antoxk)  de  Sous,  Conquête  du  Mexique,  Iraduclion  île  Tlioiilzii, 
I.  il,  p.  187.  —  Cf.  Pierre  Martyr,  Décades,  IV,  6. 

("Il  Cf.  IxTLiLXOciiiTi,,  Histoire  des  Chichimùques  (traduction  Teriiaiix- 
Coiiipaiis,  p.  3)  :  «  D'après  ce  (pion  voit  dans  les  histoires  des  Uimèiiiies  et 

T.   I.  5 


00 


l'HF.MIKRE   PARTIE.    —   LES   PRECURSEURS   DE   COLOM». 


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inôritiiiit  une  mention  spériale  :  la  première  est  celle  de  Quet- 
zalcoluuitl,  et  la  seconde  celle  de  Votan. 

A  une  épo(|ue  inconnue,  mais  fort  reculée,  une  vinjîtaine  de 
chefs,  ohéissant  au  commandement  suprême  de  l'un  d'entre  eux, 
nommé  QuetzalcoluiatI,  auraient  ahordé,  montés  (pfils  étaient 
sur  plusi(!urs  navires  venant  de  l'est,  à  Païuico,  grand  port  inté- 
rieur, situé  sur  la  rivière  du  même  nom,  qui  se  jette  dans  le 
Tampico.  Ils  étaient  de  bonne  apparence,  vêtus  dliahits  longs 
en  étoiïe  noire,  qui  s'ouvraient  par  devant,  Mancs  de  teint  et 
portant  de  longues  harhes.  Bien  reçus  partout,  ces  étrangers 
arrivèrent  à  Tulan,  la  capitale  du  pays,  et  payèrent  l'iiospitalité 
({u'on  leur  donnait  en  enseignant  aux  indigènes  mille  secrets 
industrieux  pour  travailler  les  métaux  et  sculpter  les  pierres. 
Voici  comment  parle  de  QuetzalcohuatI  le  franciscain  Bernardin 
de  Siihagun  (l)  qui  recueillit  avec  tant  de  soin,  et  dans  les 
premières  années  de  l'occupation  Espagnole,  les  traditions 
mexicaines.  <«  QuetzalcohuatI  fut  estimé  et  tenu  pour  Dieu.  On 
l'adorait  à  Tulan  depuis  les  temps  les  plus  reculés.  Son  temple 
très  élevé  avait  un  escalier  dont  les  marches  étaient  si  étroites 
(|u'un  pied  ne  pouvait  y  tenir.  Sa  statue  était  toujours  couchée 
et  couverte  de  mantas.  Sou  visage  était  fort  laid,  harhu,  et  In 
tète  allongi'c.  Ses  sujets  étaient  tous  des  ouvriers  dans  les  arts 
mécaniques,  très  adroits  à  travailler  la  pierre  verte  appelée 
chalchinitl,  à  fondre  l'argent  et  à  faire  bien  d'autres  choses  en 
ce  genre.  Ces  métiers  avaient  tous  leurs  principes  et  leur  origine 

lies  Xicalanqucs,  ils  vinrent  du  côté  de  rOriont,  dans  des  vaisseaux  ou  des 
eanots,  et  dél)arquèrent  dans  le  pays  de  l'otoiiclian,  où  ils  s'établirent,  ainsi 
i|ue  sur  les  Imrds  de  la  rivière  d'Atoyor,  qui  eoule  entre  l'nebla  de  los  An- 
;;e!es  et  Cholnlan  i).  Cr.AViGEno,  Storia  antiijnn  (/ri  Mexico,  I,  146.  — 
Vkyiia,  Ili.ifiD'ia  (tnthjua  de  Mexico,  XIII.  —  Ce  dernier  alTirnie  que  ces 
étrangers,  venus  de  l'Orient,  délianinèrcnt  dans  la  haie  de  Vera  Cruz. 
Urasseur  de  IJenrbourg,  dans  son  Histoire  des  nations  civilisées  du  Mexitfiir 
et  de  l'A)uth-if/i{C  centrale,  a  réinii  un  grand  nombre  de  témoignages  con- 
cordants à  cet  égard. 

(I)  Saiiaocx,  Histoire  de  la  Noiirelte  Espagne  (Traduction  Jo\irdaneti. 
III,  3,  p.  202. 


r.llAPITHE   II.    —    LKS    l'IlKMCIENS    EN   AMÉHIQIE. 


(i7 


dans  Qucfziilcolmatl.  l('((Ut'l  possédait  dos  maisons  de  la  piiMTc 
piTcicusc  appck'c  clialcliinitl,  ou  fal)ri(|ui'('s  on  arfïcnt,  en  nacre 
roufrc  et  lilanclic,  vu  turquoises  et  plumes  riciies  ».  Les  nou- 
veaux débarqués  send>lent  donc  avoir  appris  les  arts  industriels 
aux  indifrénes.  Ce  sont  eux  encore  ((ui  leur  enseiîïnérent  les 
procédés  variés  de  la  teinturerie,  |»rorédés  auxcpiels  justement 
excellèrent  toujours  les  Phéniciens  u  On  S(>mait  et  tm  récoltait, 
écrit  Sahafïun,  du  coton  de  toute  couleur,  rouvre,  écarlate,  jaune, 
Itrun  hIancliAtre,  vert,  Ideu,  noir,  orangé  et  fauve  ».  Après  avoir 
séjourné  dans  diverses  réj.'ions,  Quetzalcoliuatl  et  ses  compa- 
}.Mions  se  disposèrent  à  renter  chez  eux,  mais  on  ne  leur  permit 
de  repartir  qu'à  condition  «  de  laisser  ici  Fart  de  fondre  l'argent, 
de  travailler  les  pierres  et  le  bois,  de  peindre,  de  faire  des 
teuvres  en  plume,  ainsi  que  bien  d'autres  métiers  »  (1).  Encore 
durent-ils  promettre  leur  retour  (2)  et  ne  partir  que  par  convois 
successifs. 

Telle  est  la  tradition  :  Des  étrangers  venus  par  mer,  et  du 
côté  de  l'est,  ont  séjourné  quelque  temps  en  Amérique,  appris 
aux  indigènes  des  métiers  (ju'ils  ignoraient,  et  disparu  après 
avoir  promis  leur  retour.  Cette  tradition  se  retrouve,  avec 
cpielques  modifications,  dans  tous  les  états  de  l'Amérique 
centrale  (3).  Elle  laissa  des  traces  profondes  dans  l'imagination 
populaire,  car,  aux  premiers  jours  de  la  conquête  espagnole,  les 
Mexicains  prirent  les  compagnons  de  Cortès  pour  les  descendants 


il    Sahm.i.n,  (iiiv.  cité.  Liv.  III,  §  t:},  p.  21S. 

;îi  IxTi.ii.xocinïi.,  Histoire  des  Chicfiinu'i/urs,  Iraduclioii  Ternaiix-C.imi- 
|i;iiis,  [1.  (')  :  ((  Fil  (jnittiiiit  cette  nation,  Qnetzalcolniall  lenr  dit  (lue  dans  nn 
leni|is  à  venir,  il  reviendrait  et  que  sa  doctrine  serait  reçue  ;  ({u'alors  leurs 
l'iilanls  seraient  scii^netn-s  et  posséderaient  le  pays,  mais  qu'eux  et  leurs  di.'s- 
ceiidants  éprouveraient  lieaucoup  de  calamités  et  de  persécutions  >■. 

i:j)  ToiKjci'MMiA,  Munavquia  Indiamt,  IV,  1-t.  —  VI,  24.  —  (jOmaka, 
Chronira  de  lu  Niirca  Ei<pana,  %  222.  —  Laxda,  Hclation  des  choses  du 
Yiiratnn,  traduction  Brasseur  de  Hourbourg,  p.  .S.')!  :  c  La  tradition  rapporte 
que  la  race  de  ce  pays  vint  partie  du  couchant,  partie  du  levant.  »  — 
()()(;( h.i.i;d().  Historia  de  Yiicathan,  liv.  IV,  §  3,  p.  17(i.  —  PnESCorr,  V.nti- 
i/iii'te  du  Mexii/uc,  traduction  Pichot,  t.  I,  p.  48,  237. 


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l'UEMIKHK    PAHTIK.    —    LP:S    PRECirHSElRS   DE   COLOM». 


de  ce  Qiu'tzalcohuatl,  dont  ils  attendaient  tonj<jnrs  l'arrivée.  Il 
fallut  de  luiifîues  années  ot  bien  ties  cruautés  (^onuiiises  par  les 
concjuérants  [tour  détromper  les  indigènes.  Encore  ne  renon- 
cèrent-ils pas  à  leurs  espérances.  Ils  se  consolèrent  de  leur 
<»|)pression,  en  attendant  le  retour  de  ce  liienfaitcnr  d(;  leur  race  : 
de  même  que  les  Portugais  attendirent  longtemps  leur  roi 
Sébastien  tué  à  Alcazanjuivir,  de  même  que  les  Juifs  attendent 
encore  leur  Messie.  Même  à  l'heure  actuelle,  cette  croyance  est 
tellement  eiu'acinée  dans  les  esprits,  que,  lors  de  la  royauté 
éphémère  de  Maximilien  d'Autriche,  on  exploita  leur  superstition 
pour  leur  représenter  ce  jeune  homme  au  teint  pâle,  à  la  longue 
harhe,  et  venant  de  l'est,  comnu'  celui  (pii  devait  réaliser  leurs 
chimérique    es[)érances. 

Quel  ionc  le  pays  oriental  d'où  sortirent  Quetzalcohuatl  (!l 
ses  compagnons  ?  Ordonez,  Juarros,  Moraës,  Clavigero,  Ca- 
brera (1)  et  plusieurs  autres  affirment  que  les  innnigrants  étaient 
des  Phéniciens.  Ils  font  en  effet  remarcjuer  la  couleur  noire  des 
vêtements  de  ces  étrangers,  et  la  comparent  aux  vêtements  noirs 
(jue  portaient  les  Phéniciens  de  Gadès  et  des  Gassitérides. 
Ils  rappellent  que  les  grandes  industries  Phéniciennes  furent 
celles  de  l'ornementation,  de  la  ciselure,  de  la  teinturerie,  et 
des  constructions  maritimes,  (jue  les  Américains  apprirent  de 
ces  étrangers.  Ils  démontrent  enfin  qu'un  seul  peuple  dans 
l'antiquité,  le  peuple  Phénicien,  était  capable  d'entreprendre 
d'aussi  dangereuses  traversées  que  celle  de  l'Atlantique.  Nous 
ne  nous  prononcerons  [)as  aussi  (Catégoriquement,  car  il  est  fort 


il! 


(1)  Ces  auteurs  sont  tous  cités  par  Brasseur  do  Bourbourjj,  dans  son  His- 
toire des  nations  civilisées  du  Mexique  et  de  VAincriijue  centrale,  I,  17.  — 
Voir  également  Hohn,  De  orir/ini/jus  Americanis,  p.  Wi.  —  I..ANn\,  Relation 
des  c/toses  du  Vucatan,  p.  334.  —  ToiiyuE.M.\i)A,  Monaniida  Indiana.  Ce 
dernier  pensait  qu'Haïti  fut  d'al)ord  colonisée  par  les  l'Iiéniciens,  qui  se 
répandirent  ensuite  à  Cuba  et  au  Mexique,  et  il  ajoute  :  »  Comme  gens  de 
raison  et  de  valeur,  ils  purent  connaître  l'art  d'édifier  de  somptueux  monu- 
ments et  d'assujétir  les  autres  nations,  mais  la  connnunicatiou  leur  avant 
manqué  par  la  suite  des  temps,  ils  seraient  devenus  gens  rudes  et  barbares.» 


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CIIAPITHK    II.    —    U:S    l'IlKMC.lKNS    KN    AMKlUgi  i:. 


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(liriicilc  (le  (lémcMcr  la  vt'i-itô  an  iiiilicu  (!<'  n's  i'('ns('ij.'iit'int'nts 
vajriics  et  sans  jnvcision.  An  moins  unrons-nons  constat»''  (|no 
les  Mexicains  et  tons  li's  indigènes  de  rAmériciuo  Centrale 
croyaient  à  la  venne  dans  lenr  pays  d'indnstrietix  étrangers, 
arrivés  par  mer  et  originaires  de  l'orient.  Ces  étrangers  sont-ils 
des  Phéniciens?  Certes  lenrs  voyages  sont  [lossildes.  ils  sont 
même  vraisemblables,  mais  ils  ne  sont  pas  autlienti(|ues. 

bi  légende  de  Votan,  pins  singulière  encore  (jne  celle  de 
QnetzalcoluiatI ,  confirmera  peut-être  ces  probabilités  et  ces 
vraiseiid>lances  (1).  Kn  1091  Francisco  >îunez  de  la  Vega, 
évécpie  de  Chiapas  de  las  Indias  dans  l'isthme  de  Tehuantepec, 
ayant  a|)pris  (pie  l'on  conservait  avec  vénération  dans  une  chétive 
maison  de  la  vallée  du  Soconusco  un  manuscrit  en  langue 
fzendale,  couvert  d'hiéroglyphes,  des  figures  symboliques  et  des 
vases  en  terre  cuite  de  grande  dimension,  que  les  Indiens,  depuis 
vingt  siècles  et  plus,  se  transmettaient  pieusement  de  main  en 
main,  se  fit  livrer  le  manuscrit  et  les  reliques  Indiennes.  «  Le 
tout  fut  brûlé  publiquement,  écrit  l'évéque  (:2),  sur  la  place 
pnbli(pu'  de  Huéluiét.ui,  (piand  nous  fîmes  notre  visite  pastorale  en 
1091  ».  Au  moins  le  pieux  iconoclaste  eut-il  la  précaution,  avant 
de  détruire  ce  manuscrit,  de  s'en  faire  expliquer  le  contenu.  Nous 
savons,  gnke  à  lui,  qu'il  contenait  l'histoire  d'un  certain  Votan, 
(|ui  serait  venu  en  Amérique  avec  de  nombreux  immigrants 
et  (pii  était  originaire  d'un  pays  situé  de  l'autre  c«!»té  de'  la  mer 
des  Antilles.  Il  rangea  sous  sa  domination  tous  les  peuples  du 
centre  de  l'Amérique,  et  leur  enseigna  les  éléments  de  la  civili- 
sation. Bientôt  arrivèrent  de  nouveaux  immigrants.  A  quatre 
reprises,  Votan  rentra  dans  son  pays  natal  pour  y  chercher  ou 
des  auxiliaires  ou  de  nouvelles  méthodes  agricoles  et  industrielles. 


(1)  De  CiiAnENCEv  Le  Mythe  de  Votan  (Actes  de  la  Société  de  philologie, 
1871).  —  Bhasseub  de  Bounnounci,  Histoire  des  nations  civilisées  du  Mexique 
et  de  l'Amérique  centrale,  I,  43. 

(2)  Nlnez  de  la  Veoa,  Constitucioncs  diocesanas  del  obispado  de  Chiapas, 
p.  8.  n»  31,  §  XXVII,  p.  10,  no  36,  §  XXXIl. 


70 


l'IUCMIKHIC    l'AHTIK.    —    LKS    l'HKCI  HSIU  HS   l»K  COLOM». 


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Ses  coiiipatriotcs  et  sis  sujets  acceptèriMit  avec  [diiisir  les  conseils 
de  son  expérience,  et  il  mourut  au  comble  de  la  puissance  en 
laissant  l<>  souviaiir  de  ses  réfornKîs  civilisatrices. 

Cette  léffende  a  été  racontée  en  termes  un  peu  dillerents  par 
Ordonez  de  (^evallos,  le  savant  auteur  du  Vidfjc  drl  Mmido. 
Cet  écrivain  avait  composé  un  traité  spécial  intitulé  /'rahaiiza 
dt'  l'olnti,  mais  (|ui  est  resté  inachevé  ou  (pii  a  (lis|)aru.  Ses 
manuscrits  sont  conservés  à  Mexico,  où  Tahhé  Hrasseur  de 
bourhourg  les  consulta.  Voici,  d'après  lui  (1),  (|uelle  serait  la 
version  d'Ordonez.  Votan  se  serait  vanté  d'être  de  la  race  des 
serpents,  de  tirer  son  orij^ine  de  Cliivim  «  et  d'être  le  premier 
liouune,  envoyé  par  Dieu  en  cette  réfjion,  pour  partager  et 
peupler  ces  terres  qu'aujourd'hui  nous  appelons  Améritpie.  H 
indique  la  route  (|u'il  suivit,  et  ajoute  (|u'aprés  s'être  établi  dans 
ce  dernier  pays,  il  fit  divers  voyages  à  Chivini,  <pi'il  alla  en 
Kspagne,  à  Rome,  à  Jérusalem,  (piil  vit  le  grand  temple  de 
Jérusalem,  et,  de  là,  passa  en  Bahylonie,  où  il  vit  les  ruines 
d'un  grand  édifice,  que  les  hommes  construisirent  pour  s'élever 
jusqu'au  ciel,  et  que  les  hommes  avec  qui  il  conversa  l'assu- 
rèrent que  cet  édifice  ou  tour  fut  l'endroit  où  Dieu  donna  à 
chaque  famille  un  idiome  distinct.  Il  fixe  l'époque  de  la  transmi- 
l^ration  des  Indiens  en  Amérique,  nous  fait  connaître  l'endroit 
où  les  Mexicains  eurent  leur  premier  établissement,  etc.  ». 

Un  troisième  écrivain,  P.  de  Cabrera,  a  repris  cette  légende 
en  la  précisant  davantage  (Î2),  car  il  donna  la  description  du 
manuscrit  tzendale,  brûlé  par  l'évéque  do  Chiapas.  «  Au 
sommet  de  la  première  page  les  deux  continents  sont  teintés  en 
difTérentes  couleurs,  dans  deux  petits  carrés,  placés  aux  angles 
et  parallèlement  l'un  à  l'autre  ».  Le  premier,  représentant  l'Eu- 
rope, l'Asie  et  l'Afrique,  se  trouve  marqué  par  deux  figures  ver- 
ticales en  forme  de  S,  le  second  représentant  l'Amérique  par 


(1)  BnAssECKDEBounBOUHG.cité  par  CharcncGy  (Le  Mythe  de  Votan,  i>.  11). 

(2)  Cabreba,  Description  of  the  ruins  of  an  ancient  city,  discovered  near 
;Palcnque,  p.  33,  76. 


-i^ 


CIIAI'ITHK    II.    —    LES    IMIKNIC.IENS   EN    AMEHIQUE. 


71 


ilciix  fi}.Miri's  linrizuntalcs  de  mi^rno  forme.  L'auteur  déclare  se 
iH.nuner  Vntau  Gliivini.  Il  était  de  race  étrangère  et  conduisit 
sept  familles  au  continent  Américain,  o  Après  leur  avoir  assigné 
des  terres,  il  revint  dans  son  pays  natal  en  deçà  de  la  grande 
mer  ».  Il  retourna  par  la  route  (|ue  ses  frères,  les  serpents, 
avaient  tracée,  y  laissa  des  signes,  et  passa  r  ar  la  maison  des 
treize  serpents.  VAxi'm,  il  s'établit  délijiitivement  au  nouveau 
continent,  où  les  descendants  des  sept  premières  fannlles  (pi'il 
avait  tout  dabord  conduites  avec  lui,  le  reconnurent  pour  leur 

<.lief. 

Voilà  certes  un  étrange  récit.  Quel  est  ce  Votan?  Que  signi- 
lient  ces  voyages?  Les  interprètes  ont  le  champ  libre.  Aussi 
ont-ils  d(tnné  carrière  à  leurs  hypothèses.  Le  plus  affirmatif  est 
Cabrera.  Il  reconnaît  sans  hésitation  dans  Ghivim  le  Givin  ou 
Hivim  de  la  IJible,  descendant  de  llétus,  fds  de  Ghanaan,  et 
dans  les  treize  serpents  les  treize  Ganaries  ;  il  va  même  jusqu'à 
tixer  la  date  précise  du  voyage  de  Votan  à  Rome,  qui  aurait  eu 
lieu  en  290  avant  Jésus-Ghrist,  sous  le  consulat  de  P.  Gorne- 
lius  Rufus.  M.  Onffroy  de  Thoron  (1)  affirme  que  Votan  est 
d'origine  Phénicienne,  et  que  son  nom  signifie  serpent.  Il  croit 
avoir  retrouvé  son  point  de  départ,  Valoun  Ghivin,  à  l'est  de 
Tanger,  à  la  rivière  Valoun,  et  son  point  d'arrivée  Valoun 
Votan,  dans  les  grandes  ruines  qui  existent  encore  aux  environs 
de  Gindad  Real  de  Ghiapas.  11  pense  que  la  demeure  des  treize 
serpents  est  Haïti ,  célèbre  par  ses  cavernes  sacrées  où  Ton 
entretenait  des  serpents  vivants.  Gertes  ces  commentaires  sont 
ingénieux,  mais  ils  le  sont  peut-ôtre  trop  et  ne  constituent  pas 
une  preuve  sérieuse.  Il  nous  faut  avouerque  ces  traditions  amé- 
ricaines sont  trop  vagues  pour  nous  permettre  d'avancer  autre 
chose  que  la  vraisemblance  de  voyages  dans  l'Atlantique,  entre 
l'ancien  et  le  nouveau  monde,  et  cela  à  une  époque  très  reculée. 
Que  nous  soyons  disposé  à  ne  voir  dans  Quetzalcohuatl  et  dans 


(1)  ONFFitoY  DE  TiioRON,  Lcs  Pliéniciens  à  nie  d'Haïti  et  nur  le  continent 
mnéricain,  p.  21,  23. 


mmi 


1 

I 


I 


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7-2 


l'HKMIKHK    l'AHTIR. 


LKS  I'HÉ(:i;hsfu;hs  de  colomii. 


Vntfiii  (juc  (les  pcrs()nllJl^(■H  iiiytlii(|U(.'s,  ou  <|ii('  nous  les  pre- 
nions au  contraii'c  |miui'  les  clicts  des  iiniiii^raiitsqui  arrarliait'nl 
à  la  harharic  les  tribus  sauvages  de  i'Aniéri(|ue  ceutrale,  un  fait 
inconteslaltle  nous  paraît  se  dégager  des  brouillards  de  la  tra- 
dition, c'est  ((ue  les  deux  inondes  conutuuiicpièrent  |)ar  l'inter- 
uiédiair(>  d'une  |>opulation  énergique  et  hardie;  ut,  s'il  nous 
était  permis  d'énoneiM-  une  conjecture,  nous  croirions  vcdontiers 
que  le  seul  peuple  capable  «l'enfreprendre  à  travers  l'Atlantitpie 
CCS  voyages  hardis  et  ré|)étés  était  le  peuple  Phénicien, 

A  défaut  des  traditions,  les  langues,  les  mœurs,  les  religions 
ont-elles  gardé  la  trace  du  séjour  des  Phéniciens  en  Améri(pie, 
et  trouverons-nous  sur  le  sol  même  des  preuves  matérielles  de 
ces  antiques  relations  des  Phéniciens  avec  le  nouveau  confi- 
nent? 

La  langue  Phénicienne  est  h  peu  près  inconnue.  (Jesenius 
évaluait  à  neuf  cent  trente  seulement  le  nombre  des  inots  pai' 
venus  jusqu'à  nous  (1).  En  y  ajoutant  quelques  autres  mots 
fournis  par  les  inscriptions  récemment  découvertes,  nous  arri- 
vons à  un  peu  plus  de  mille.  Mais  le  Phénicien  ressemblait  au 
syriaque  et  à  l'hébreu  (2),  et,  en  comparant  ces  langues  iuix  lan- 
gues américaines,  nous  trouverons  quelques  resseiiiblances  qui 
avaient  déjà  frappé  les  premiers  écrivains  qui  s'occupèrent  de 
l'Amérique.  Il  est  vrai  que  ces  rapprochements  ne  sont,  la 
plupart  du  temps,  que  des  coïncidences  fortuites,  et  qu'aucune 
des  langues  américaines,  soit  par  sa  grammaire,  soit  par  son 
vocabulaire,  n'a  jamais  ressemblé  aux  langues  sémitiques. 

Si  donc  on  rencontre  quelques  analogies  entre  certains  mots 
de  quelques-unes  des  langues  américaines  et  les  langues  sémi- 
tiques, cette  coïncidence  ne  prouve  ni  même  n'indique  une 
commune  origine.  Ces  réserves  une  fois  faites,  mentionnons, 
mais  surtout  à  titre  de  curiosité,  que  le  préfixe  Car,  que  les 

(1)  Gesenius,  Phœnicix  linquse  reliquis  ex  inscriptionibus  et  numix, 
p.  346-347. 

(2)  HoEFER,  Phénicie  (Collection  de  l'Univers  pittoresque),  p.  Ii4). 


^ 


ciiAriTRK  II.  —  i.Ks  i'iii;.Mi;ii:.Ns  k.n  anikhiuli-: 


T.\ 


IM 


icniriciis  liK 


■ttaiciit  voloiiliiTs  (Icviiiit  le  imin  de  .ciirs  villos, 
(:artliaj;('.  Cai'fcja,  Carfiia.  se  rclnnivc  dans  pivs  de  tn»is  cents 
noms  df  |M'ii|»l('s  on  de  Inraliti'^s,  dont  le  (li<lit>iiiiiiin'  d'AIccdo 

donne  la  nonicnclatuiv  i i|dèt('  (l).  Les  niot=  nlié'ùciens  (^)iich; 

feu,  foyer,  maison,  fur,  action  de  creuser  la  terre  pour  en  tirer 
do  l'eau,  et  Okov,  amas  de  terre  i»u  de  pierres  formé  par  une 
excavation  ont  tValcment  leurs  analojiues  dans  une  foule  de 
noms  ("2)  de  lieux  répandus  dans  les  deux  Américpies  et  spécia- 
lement aux  alentours  de  la  mer  des  Antilles  ;  mais  il  ne  faudrait 
pas  exa^rérer  la  portée  d'étymolo^^ies  souvent  fort  <-ontestaldes. 
Si,  à  la  rijj;ueur,  on  peut  retrouver  la  racine  Pœinis  dans  les 
mots  Panucus,  un  des  plus  anciens  souverains  de  l'Amériipie 
centrale,  Pinoles,  les  premiers  lialtitants  du  (  luatemala,  et  Panama 
qui  a  survécu  h  toutes  les  révolutions  politiipies,  n'est-ce  point 
une  exajrération  manifeste  (jue  d'avancer,  avec  lloru  (3),  que 
deux  des  anciens  rois  dllaïti,  Mafrimahe  et  Ma|;oricli,  rappellent 
le  n<im  de  Maj^^on  ;  deux  frrandes  familles  indii^ènes  de  (Juada- 
laxara,  les  Uarscinmza  et  les  Harcimeca  celui  de  Uarcii,  et  nojr<»ta, 
la  capitale  de  la  Col<iud>ie,  celui  de  JJogud  ou  iJocchus  ?  Trouvera- 
t-on,  ainsi  (jue  (iarcia  (4),  que  les  Giorotegani  et  le  Corrihicani 
du  Nicaraj,'ua  sont  les  frères  des  (Carthaginois,  ou  que  le  mot 
Gannihale  dérive  du  phéuicien  llannihal  ?  Ces  fantaisies  philo- 
logiques ne  sont  j)lus  de  mise  aujourd'hui  et  il  nous  faut  réso- 
lument avouer  <|ue,   si  jamais   les   Phéniciens  ont   colonisé 

(!)  Ai.cKDo,  Dicciiitwrio  ycogrnfko-ldstorko  de  las  Indian  occtifeiitules 
(T America  1186-89).  Nom  indigi-iie  du  Vt'siiézuéla  Caro  ;  aflluoiit  du  Para 
Caranaca  ;  aflluenls  di;  rOrénoque  Caroiii  et  Carabana  ;  |irovinco  péruviuMiiie 
Carabaya  sur  le  conlin  du  leriitoiii!  des  Indiens  Caiangue.s;  Caraïbes  des  An- 
tilles ;  villes  ou  villages  de  la  Colombie  Caracollo,  Caracolo,  Carigayas,  Caral- 
macra,  Caraibamba,  (>ai'aima,  Carainulla,  Caramanta;  du  Venezuela,  Caracas, 
Carabobo,  Cariaco,  Caioia;  du  Hrésil,  Caitivello,  de  Cuba,  Cardenas,  etc. 

(2)  Queretaro,  Queratoco,  Querio,  Quero,  Qnerobamba,  yucnium.ica,  etc.  — 
Curai,  Curalmara,  Curalmari,  Curalmasi,  Curay,  Curampa,  Curanari,  Curapo, 
Curaxi,  etc. 

(3)  Hors,  De  ofigi7iibus  Américains,  p.  115,  117. 

(4)  Gakcia,  Origen  de  los  Indios  de  el  nuevo  mundo,  §  63. 


0  1 


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/4         l'KKMIKRE    l'AHTIK.    —    LICS    l'HKCUKSKCRS   1)K   COLOMB. 

TAmôriquo,  ou  bi(Mi  ils  ont  tout  de  suite  renoncé  à  leur  idiome 
national,  ou  ..  an  cet  idiome  n'a  laissé  que  des  traces  insai- 
sissables (1). 

Les  religions  américaines  et  phéniciennes  ne  prouveront  pas  da- 
vantage la  communauté  d'origine  :  nous  constaterons  néanmoins 
de  curieuses  analogies.  De  tout  temps  et  dans  tous  les  pays,  les 
sacrifices  humains  ont  été  en  honneur,  mais  ce  qu'on  n'a  retrouvé 
(|u'en  Phénicie  et  en  Amérique,  ce  sont  les  sacrifices  de  petits 
enfants.  A  Tyr  et  à  Cartilage  ("2),  comme  au  Mexique  et  au 
Pérou  (3),  on  n'hésitait  pas  à  jeter  au  feu  ses  propres  enfants 
pour  apaiser  le  courroux  des  dieux.  On  a  mémo  retrouvé  dans 
la  Caroline  (4)  des  statues  d'airain  creuses,  dans  lesquelles  on 
enfermait  ces  victime»  de  la  superstition.  Cette  conformité 
«l'usages  est  à  tout  le  moins  singulière,  surtout  quand  on  se 
rappelle  que  les  Phéniciens  ont  introduit  ces  rites  sanglants  dans 
toutes  leurs  colonies  ;  mais  a-t-on  le  droit  de  conclure  de  cette 
ressemblance,  peut-être  fortuite,  entre  les  usages  à  une  commu- 
nauté d'origine  absolue  entre  les  Phéniciens  et  les  Américains. 


(1)  Aussi  ne  menliorinuns-nous  qu'à  litre  de  curiosité  les  étymologies  pro- 
posées par  M.  Onirroy  de  Tliorou,  dans  sou  livre,  d'ailleurs  très  iutércssant  Les 
Phénk-iens  H  l'ile  d'Haïti  et  sur  le  royitinent  Amdriroin.  D'après  Iim  les 
uiols  Aztèques,  Kinaniès,  Cliichimèques,  Tolléques,  Tsendal,  Tséquil,  Nahuatl, 
Cuba,  Yucatau ,  Copau,  Guatemala,  etc.,  seraient  des  substantifs  Phéni- 
ciens, très  légèrement  altérés.  Nous  lui  laissons  la  res|ionsabilité  de  cette 
théorie.  Voir  pages  26,  28,  20,  30,  31.  Le  même  auteur  prétend  encore 
qii'Haïti  fut  une  coloiiie  Phénicienne,  et  il  essaye  de  le  démontrer  en  énu- 
inérant  cent-deux  noms  empruntés  au  Taino,  c'est-à-dire  au  dialecte  parlé  par 
les  anciens  Haïtiens,  et  dont  l'étunologie  serait  *    -uicienne,  p.  1)1-105. 

(2)  DiODORE  DB  Sicile,  passim.  —  Lactanck,  i.  ...aution  Divine,  I,  21.  — 
Plltarque,  De  la  Superstition,  §  15.  —  Ji  sti.n,  .WIII,  6.  —  XXIll,  G,  12. 
—  EusKBE,  Préparation  évangéliqiie,  IV,  0.  —  Munter,  Religion  de  Car- 
thage,  XWl. 

(3)  (JoMAHA,  Histoire  d°  l'Inde,  IV.  —  Acosta,  Histoire  naturelle  et 
morale  des  Indes,  V,  17.  —  HEnitEnA,  Histoire  générale  des  hauts  faits 
des  Castillans  dans  les  iles  et  la  terre  ferme  de  l'Océan,  V,  44.  —  Landa, 
Relation  des  choses  du  Yucatan,  p.  It'i5.  —  Pbescott,  La  Conqu('te  du 
'>ce.vi(/ue,  I,  3. 

(4)  HoR.N",  De  Originilnis  Americanis,  p.  126. 


CIIAI'ITKU;   H. 


LES    l'IlKXIClENS    E.N    AMKRIQLE. 


Si  ces  derniers  avaient  ri''l)ituiU',  ainsi  (|ue  les  Phéniciens, 
d'élever  sur  les  routes  des  monceaux  de?  pierres  pour  se  concilier 
les  faveurs  de  la  divinité,  quand  ils  étaient  en  voyage  (1)  ;  si  les 
uns  et  les  autres  baisaient  l'air  en  signe  d'adoration,  et  s'ils  se 
saignaient  eux-mêmes  pour  arroser  leurs  idoles,  de  bonne  foi 
ces  rapprochements  ne  sont-ils  pas  quelque  peu  forcés  et  ne 
soimncs-nous  pas  plutôt  fondé  à  reconnaître  que,  si  les  Phéniciens 
ont  jamais  colonisé  l'Amérique,  l'influence  de  leurs  religions 
y  fut  dans  tous  les  cas  à  peu  près  nulle  ? 

Nous  en  dirons  autant  des  [)rétendues  ressenddances  pour  les 
usages  de  la  vie  conunune.  11  se  peut  que  les  cases  haïtiennes 
resseudilent  aux  mapalia  phéniciens  (2),  ou  (|ue  la  coill'ure  des 
Phéniciens  (|ui  se  rasaient  la  tête  en  ne  laissant  flotter  au  sommet 
i\u  crâne  qu'une  toufle  de  cheveux  à  hupielle  ils  donnaient 
i'iisuite  différentes  formes,  soit  reproduite  par  les  habitants  du 
Nicaragua  et  du  Yucatan,  c'est-à-dire  des  pays  oià  l'on  ci-oit 
(|ue  les  Phéniciens  ont  surtout  séjourné  ;  mais  d'autres  ;)euples 
habitent  des  maisons  semblables  et  se  coiffent  de  même,  sans 
que  personne  se  soit  avisé  d'établir  le  moindre  rapport  entre  eux 
ol  les  Américains.  Aussi  bien  la  plupart  de  ces  coutumes  sont 
f<jrt  naturelles.  Si,  par  hasard,  quelques  ressemblances  curieuses 
se  présentent,  ce  n'est  pas  une  raison  pour  conclure  à  l'identité 
de  races  absolument  dissemblables  sous  d'autres  rapports. 

Il  est  cependant  un  point  qui  mérite  un  examen  attentif: 
nous  voulons  parler  de  la  ressemblance  qui  existait  entre  les 
industries  phéniciennes  et  américaines. 

(  )n  sait  que  les  Phéniciens  s'étaient  rendus  célèbres  par  leur 
adresse   dans  les  travaux  métcllurgiques.  Presque  toutes  les 


.    -if 


! 


!  \ 


{\)  Paul  Maucoy  {Tour  du  Monde,  ii»  149)  a  retrouvé  au  Pérou  cette 
coutume  prétendue  Phénicienne.  Les  voya^  iurs  indigènes  élèvent  des  tas  de 
l 'erres,  dits  apac/tectas,  eu  l'honneur  de  Paciiacamuac,  le  maître  de  l'Uni- 
vers, et  ces  tas  sont  toujours  grossis  par  la  dévotion  des  passants. 

(2)  HonN,  ouv.  cité,  p.  120. 

[■\)  De  Fkhussac,  Bulletin  des  Sciences  historiques,  t.  VI,  p.  <o2. 


'^M 


76 


PHEMIKHE   PARTIE.    —    LES    l'RECLHSErUS   ItE   COLOMIl. 


t 


mines  do  l'Ancicn-Monde  (int  otô  coiinuos  ot  exploitées  piir 
eux(i).  ATliasos,  à  Samothrace,  au  mont  Pangée  où  les  mineurs 
passaient  pour  \q^-  dieux  du  pays,  les  Kahires,  en  Espagne  où 
l'on  retrouve  encore  la  trace  de  leurs  travaux,  en  (iaule  où  l'on 
a  cru  découvrir  dans  le  Morvan  et  dans  les  monts  Arrée  les 
procédés  (ju'ils  employaient,  partout  les  Phéniciens  ont  tiré  parti 
des  richesses  minérales  du  sol.  Ils  savaient  aussi  donner  aux 
métaux  les  formes  les  plus  variées  et  les  plus  délicates.  Qu'on 
se  rappelle  les  (;hefs-d'reuvr(>  que  Salomon  fit  exécuter  poul- 
ie temple  de  Jérusalem  par  des  ouvriers  Phéniciens  (2).  L'anti- 
quité vantait  aussi  les  coupes  Sidoniennes  et  les  bracelets 
d'or  ou  d'argent  garni  d'ambre  et  de  [lierres  précieuses  qu'on 
fabriquait  àTyr  (3).  Que  si  maintenant  n<jus  nous  transportons  en 
Amérique,  nous  y  rema^-querons  la  même  habilité  de  fabrication 
et  les  mêmes  procédés  ingénieux.  Ainsi,  les  habitants  du  Darien 
et  du  Guatemala,  et  les  Mexicains  fondaient  des  plats  en  métMJ 
de  huit  faces,  chacune  d'un  métal  différent,  et  sans  soudure 
apparente  ;  des  poissons  ou  des  oiseaux,  dont  les  écailles  ou  les 
plumes,  tantôt  d'or,  tantôt  d'argent,  se  succédaient  sans  la 
moindre  trace  d'un  raccordement  artificiel  (4).  On  trouvait  encore 
chez  eux,  à  l'époque  de  la  conquête,  des  statues  d'un  seul  jet, 
vides  à  l'intérieur,  min'^'^^s  et  déliées  au  dehors  ;  des  perroquets 
et  des  singes  automates,  etc.  (o).  Parmi  les  présents  que  fit 


(1)  DioDouK  DE  Sicile,  passim.  —  Hokkeh,  Phénicie,  p.  55.  —  Sciiui./.  el 
Paillette,  Bulletin  de  la  Société  géologit/ue  (Décembre  1849). 
^2)  Rois,  I,  8,  13-50. 

(3)  HOMÈHK,  Iliade,  XXIII.  741.  —  Odyssée,  X ,',  451).  —  VinoiLE, 
Enéide,  1,  724.  —  Athénée,  XI,  279.  —  PACsAPiiAs,  IX,  41,  42. 

(4)  Hekhera,  ouv.  cité,  II;  7,  13.  —  Tomql'emada,  Mo7iaiquia  Indiana, 
XIII,  34.  —  OviEDo,  Uistoria  genend  de  las  Indias,  III,  p.  124.  —  F. 
XÉRÈS,  Conquista  del  Peru  (traduction  Ternaux-Compans/  IV.  —  CAnLi, 
Lettres  américaines,  I,  277,  355.  •-  Prescott,  Conquête  du  Mexique 
(tradiictioii  Pichot),  t.  I.  p.  112. 

(5)  Voir  dans  l'Histoire  véridique  de  Bernard  Diaz  la  triomphante  énu- 
niération  des  objets  d'art  et  des  pièces  d'orfèvrerie  emportées  du  Mexique  en 
Europe  par  les  Espagnols.  —  Pierre  Martyr,  Décades,  IV,  9  ;  V,  10. 


1 


CllAlUTRE   H. 


LKS    l'IlK.NIClENS   EN   AMERIQUE. 


77 


rinca  Atahualpa  aux  Es|»a};iiuls  do  Pizarre,  on  remarqua  une 
statue  de  hcrfrer  avec  ses  moutons  en  or,  parfaitement  travaillée  ; 
des  pailles  d'or  massif  surmontées  d'épis  qui  faisaient  illusion, 
(|uafre  lances  d'or,  dix  à  douze  statues  de  femmes  {rrandeur 
naturelle,  etc.  (Jn  conserve  encore  dans  les  nmsées  d'Amérique 
et  dans  ([uehjues  collections  Européennes  des  vases  à  dessins 
éiiiaillés  et  des  pièces  d'orfèvrerie  d'un  travail  exquis.  Enfin,  les 
indi^^ènes  connaissaient  la  trenqx'  du  cuivre,  et  l'on  retrouve  de 
temps  à  autre  des  armes  (tu  des  rasoirs  en  cuivre,  admiraldenient 
effilés,  et  (pii  remontent  à  une  très  haute  antiquité. 

Quel  est  donc  le  peuple  ipii  apprit  aux  Américains  à  si  bien 
se  servir  de  métauv  ."''  Leurs  traditions  s(jnt  unanimes  à  ce  sujet  : 
Ce  fut  un  peuple  étraiifier,  déjà  fort  avancé  dans  la  civilisation, 
mais  dont  le  souvenir  avait  disparu,  .\insi,  à  l'épociue  de  la 
con(juôte  espagnole,  les  Caraïbes  étaient  incapaldes  de  creuser 
dans  le  roc  les  cryptes  et  les  immenses  souterrains  qu'on  trouvait 
dans  leurs  îles.  Les  Haïtiens  ne  pouvaient  même  se  rendre 
cuiupte  des  travaux  gigantes(iues  que  nécessitaient  les  mines 
ahandoiuiées  depuis  de  siècles,  et  retrouvées  jusqu'à  seize  milles 
de  profondeur,  par  Barthélémy  Colondt  (l).  Au  moins  savaient- 
ils  (|ue  leurs  ancêtres  avaient  profité  des  leçons  d'étrangers  fort 
industrieux,  mais  ils  avaient  oublié  à  la  fois  le  nom  de  ces 
étrangers  et  le  secret  de  hiurs  {)rocédés. 

Une  peuplade  américaine,  éteinte  de  nos  jours  (:2),  faisait 
exception.  C'était  la  tribu  des  Macares,  forgerons  héroïques  qui 
résistèrent  longtemps  aux  Espagnols,  puisque  soixante  iuis 
après  Colomb,  les  Macaronas  des  forges  de  Sainte-Marthe  con- 
servaient   encore    leur    indépendance.    Ces   Macares    s'étaient 


;1*  HoitN,  De  Originihua  A)tierir(niis,  ji.  200.  «  [iivenit  spocus  aUijsinios 
et  velustissinios  ;  licnc  ami  fodiiia  protL-ndebatur  ultra  milliaria  sex  deciin, 
iiigi'iis  profecto  argiiineiituiii  gentes  cam  olitu  iiisulam  acocssissi;  nietallicas, 
«luales  al)  --mni  iovo  Phœiiiccsft  Hispaiii  fueruiit.  » 

r2  ItKASSKiH  DE  UoL'nitocii(i,  IntrodurtioH  à  lu  traduction  tir  Lnndu, 
KrUition  des  choses  du  Yiiia*a)i,  \>.  .\('.VII-X(A  hl. 


1 


1 


78 


l'RKMlKHK    l'ARÏIE. 


LES   l'KKr.l'HSKinS   DR   COLOMB. 


jadis  rôpandus  sur  une  vaste  étendue  de  pays,  oùleur  nnin  s'(>st 
conservé.  Une  des  branches  du  Mississipi  se  nomme  Macaret. 
L'île  Macare  est  à  remlxjuclmre  de  rOrénoque  et  un  des  liras 
de  ce  fleuve  porte  le  même  nom.  Nous  retrouvons  dans  le 
Cumana  Macara|)ana,  dans  l'Ecuador  Macaro,  en  Colomltie  la 
province  de  Macarabita  et  le  cap  Macarie.  Or  les  Macares,  de 
tout  temps  réputés  pour  leur  habileté  dans  les  arts  métallurtriciues, 
avaient  certaines  coutumes  qui  les  rapprochaient  des  Phéniciens. 
Ils  dressaient  partout  des  colonnes  gigantesques,  parfois  de 
forme  humaine,  qui.  le  jour,  indiquaient  aux  voyageurs  la  route 
à  suivre,  et,  la  nuit,  servaient  peut-être  de  phares.  N'est-ce 
point  l'usage  phénicien  des  colonnes  indicatrices  que  nous 
retrouvons  à  Samothrace,  aux  détroits  de  Messine  et  de  (îibral- 
tar,  en  un  mot  partout  où  les  Phéniciens  se  sont  établis?  Deux 
de  ces  colonnes,  élevées  par  les  Macares,  subsistent  encore  an 
confluent  du  Garare  et  de  la  Magdalena.  Elles  sont  sculptées  ci 
cann<^lées,  d'une  hauteur  prodigieuse.  On  les  considère  «ommc 
les  génies  tutélaires  des  montagnes  et  des  fleuves,  et  on  va  les 
visiter  en  pèlerinage.  Les  Macares  plaçaient  ;\  cAté  des  morts, 
dans  les  tombeaux,  de  petits  simulacres  de  ces  colonnes.  En 
1787  Méry  de  Saint  Vincent  trouvait  encore  à  Haïti  de  ces 
sinuilaf'res  dans  les  grottes  qui  servaient  de  sépultures  aux 
races  disparues.  Quand  ils  se  mettaient  en  route,  les  Macares 
('mp(trtaient  avec  eux  ces  petites  effigies  (|ui  leur  servaient  dv 
dieux  protecteurs.  La  conformité  de  ces  usages,  et  la  ressem- 
blance des  j)rocé(lés  industriels  indiquerait  donc  que  les  Macares 
seraient  d'origine  Phénicienne,  ou  tout  au  moins  qu'ils  auraient 
subi  l'influence  Phénicienne. 

Oiï  sait  (Micore  (pie  les  Phéniciens  étaient  d'habiles  céramistes 
et  d'incomparables  teinturiers  (1).  Ces  deux  industries  ont 
toujours  été  très  florissantes  en  Amérique.  Il  suffit  de  parcourii' 


(I)  Edouard  Geiihahd,  l'r/jrr  die  Kunst  der  Pli<v7iizier,  Berlin,  18i8.  — 

HOEFER,  P/l('/ll'C(>.   p.   S(!-1U'f. 


CIlAPITRr:   II.    —    LKS    niKMClKNiS   EN   AMERIQUE, 


7Î) 


les  (•((llcr.tions  d'aiiti(|iiit{''s  Ain«''ricaiiU!s,  ocllt's  par  exemple  du 
Muséum  fur  Krdkuiide  de  lierliii,  dis|)osées  avec  tant  de  science 
et  d'ingéniosité  pîir  le  docteur  Hastian,  ou  celle  du  duc  d'Ossuna 
k  Madrid,  pour  se  convaincre  de  la   firodigieuse  liahileté  des 
iMitiers  Américains.  Telle  de  leurs  statuettes  en  terre  cuite  {D, 
tel  (le  leurs  vases  peut  être  comparé  aux  productions  les  j)lus 
réputées  de  la  cérami(|ue  p:rec(|ue  ou  étrusque.  Or,  à   l'heure 
actuelle,  ils  seniltlent  avoir  oublié  l'iiahileté  d'autrefois.   Ils  se 
contentent  de  formes  convenues,  ils  n'ont  plus  ni  l'invention, 
ni  le  génie,  qui  jadis  inspirait  les  aut«>urs  des  ces  vrais  chefs- 
d'o'uvre  qu'il  nous  a  été  donné  d'admirer  aux  congrès  améri- 
canistes  de  Madrid,  de  Berlin  et  de  Paris  ;  mais  tous  parlent  avec 
orgueil  de  leurs  anciens  maîtres,  et,  chose  curieuse,  ils  s'accfjrdent 
à  dire  que  ces  maîtres  étaient  étrangers.  Quant  aux  ébjffes  teintes, 
elles  ont  délié  l'action  du  temps.  Les  bandelettes  qui  couvraient 
les  momies  retrouvées  dans  la  nécropole  d'Ancon,  par  MM,  Reiss 
et  Steuhel  send)!ent   sortir  de  l'atelier  du   teinturier  (2).  Les 
conquistadores  du  xvi"  siècle  s'extasiaient  sur  lu  solidité  et  le 
brillant  des  étoffes  mexicaines  et  péruviennes  (3).  De  nos  jours 
les  iudigèiu's  ont  encore  conservé    le  secret   de  tissus  à  cou- 
leurs variées  qui  rappellent  les  -xij-y.y.-lx  r.i-'/.oi.   des    femmes 
Sidoniennes,  tant  vantées  par  Homère  (4):  11  semi)le  (|ue  ces 
ouvriers  Américains  se  transmettent  ainsi,  par  hérédité,  des 
procédés,  qu'ils  n'étaient  pas  capid>les  d'inventer,   mais  seule- 
ment d'imiter.  Qui  ^^mc  leur  a  conuuuniqué  cette  extraordinaire 
habileté  dans  la  céramique  et  la  teinturerie,  sinon  le  peuple  qui 
dans  rauti(|uité  porta  ces  deux  industries  à  leur  perfection  ? 


1  Voir  la  statuette  du  musée  de  Derliu  qu'on  nomnii'  le  boiillon  du 
Yucalau.  Elle  a  été  reproduite  par  le  docteur  Bastian  {Vcrd/fcntlirhiDiycn 
nus  (le»i  Koiiiglic/inn  muscuin  fur  riilkerkunde  heraus(jflfjehen  cou  dcr 
rencaltiDig,  Berlin,  i888) 

(2)  Beiss  et  Stecbel,  Reiseii  in  sial-americn.  Les  momies  d'Ancon  sont 
aujourd'hui  déposées  au  musée  d'ethnographie  de  Berlin. 

(3i  Samaiiin,  ouvrage  et  passage  cité,  p.  207. 

(4)  HoMKnK,  Iliade,  XXIV,  229. 


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Il  LVA^mmr'^ 


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l'HliMlKHK    l'AHTIK. 


LKS   l'HKCUHSKURS   DE   COLOMIl. 


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l'iic  objection  se  |)résente  :  Si  les  Pliéiiicieiis  ont  récllenieiit 
connu  rAniéri(|ue,  |)our'(|uoi  n'y  ont-ils  pas  iiirernii  leur  domi- 
nution  ?  Pounjuoi,  supérieurs  connue  ils  l'étaient  aux  indigènes, 
se  sont-ils  contentés  de  les  initier  à  la  civilisati(»n,  sans  essayer 
de  les  fondre  eu  un  grand  peu{)le  ?  Mais  les  négociants  en 
général  s'occupent  peu  de  politi([ue.  De  plus  ces  premiers  colons, 
s'ils  ont  existé,  ont  été  nécessairement  peu  nombreux,  et  bientôt 
la  métropole,  an  lieu  de  la  protéger,  interdit  l'émigration  dans 
ce  continent  nouvellement  découvert.  D'ailleurs  on  oublie  trop 
que,  lors(jue  une  race  s'établit  en  contpiérante  dans  un  pays, 
elle  y  rencontre  un  génie  local,  invincible,  qui  réagit  bientôt  sur 
les  conquérants  eux-mêmes.  Comme  le  nombre  fait  la  force,  au 
bout  de  ([uelques  générations,  les  vaincus  ont  conquis  leurs 
vainqueurs.  N'est-ce  pas  ainsi  que  les  Neustriens  devinrent  les 
Normands,  et  (jue  les  Tartares  se  convertirent  en  Cbinois?  Telle 
fut  sans  doute  l'histoire  des  colons  Phéniciens  d'Amériijue.  Ils 
devinrent  bientôt  plus  Américains  que  les  Américains  eux-mêmes. 
Us  se  mêlèrent  à  la  population  environnante,  et  oublièrent  jusqu'à 
leur  origine. 

Au  moins  trouvera-t-on  sur  le  sol  Américain  (pielque  trace 
matérielle  du  séjour  des  Phéniciens,  quelque  monument  authen- 
ti([ue  qui  convaincra  les  plus  incrédules?  On  a  si  bien  compris 
cette  nécessité  que  quelques  partisans  déterminés  de  la 
colonisation  de  l'Amérique  par  la  Phénicie  ont  créé  de  toutes 
pièces  de  prétendus  monuments  Phéniciens.  Il  est  vrai  que  ces 
diverses  supercheries  archéologiques  ont  tourné  à  la  confusion 
de  leurs  auteurs. 

lîn  18G9  le  monde  artistique  et  savant  fut  mis  en  émoi  par  la 
découverte  d'une  statue  gigantesque,  d'origine  Phénicienne, 
trouvée  à  Onondaga,  à  plusieurs  mètres  au-dessous  du  sol,  dans 
des  fouilles  pratiquées  pour  reconnaître  un  prétendu  gisement 
de  pétrole.  Voici  ce  qui  s'était  passé  :  Un  certain  Morton,  de 
Hulfalo,  poussé  par  je  ne  sais  quelle  étrange  fantaisie,  s'avisa 
de  faire  tailler  dans  un  bloc  énorme  de  pierre,  pris  dans  les 


|i  parla 
tienne, 
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Isement 
Ion,  de 
s'avisa 
luis  les 


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r.iiAriTIlK  II. 


Lies    l'IlKMClKNS   KN   AMKHIOUE. 


81 


«ai-fii'n's  (lu  fort  DoiIk»',  «Ihiis  l'Iowa.  une  sfatue  en  |)i('(l  par  le 

s(iil|ttcur  Koolcy.  Aliii  de  ne  doiiiun- l'ôvcil  àpersumic,  on  garnit 

(!<'  tapisseries  riiitéricur  de  l'atelier,   puis  dos  acides  et  des 

cuuleurs    lialiilemeiit    ai)pli(piées    donnèrent    à    la    statue    une 

apparence  de  vétusté  fort  re-  pectalde.  Quand  elle  l'ut  terminée, 

on   \-\   déposa    dans   une   ralss(î    innnense   et   on   la   eoinluisit 

à  Omiuda^^i.  Morton  la  lit  ensuite  eid'ouir  à  la  profondeur  où  il 

la  retrouva  sans  peine  <leu\  mois  plus  tard.  Hientitt  on  ne  parla 

plus  (pie   du   géiuit    Phénicien  de  rUnondaga.    Mais  trop  de 

personnes  avaient  été  mises  dans  le  secret.  Quand  l;i  fraude  fut 

découverte,  Morton  fut  saisi  d'un  désespoir  si  violent  ([u'il  se 

peudit  à  un  arhre.  tout  près  de  l'endroit  où  il  jtrétendait  avoir 

découvert  son  |j:éant  Phénicien. 

■le  lie  sache  pas  que  lin  si  tragicjue  ait  été  réservée  à 
l'iiiveiitciir  (le  l'inscription  IMiénicienne  du  Parahyha  dans 
le  Brésil  :  aussi  hieii  cet  archéolojrue  ultrafantaisiste  a  gardé 
un  prudent  anonyme,  (le  fut  le  ll{  septemhre  ISTi  «pie  le 
secrétaire  de  l'Institut  historicpie,  géographi(|ue  et  etlino- 
graplii(pie  du  lirésil  reçut  une  lettre,  signée  Joatiuin  Alves 
(le  Costa,  accompagnée  de  la  copie  d'une  inscription  en  caractères 
étranges,  cpii  aurait  été  trouvée  sur  une  pierre  cassée  en  ([uatre 
morceauv  dans  sa  propriété  de  Pouso  Alto,  Par  ordre  de  l'Institut 
le  savant  directeur  des  musées  de  llio  de  Janeiro,  Ladislau  de 
Soiiza  Mello  Netto  étudia  l'inscription  et  n'eut  pas  de  peine  à  en 
déterminer  le  caractère  oriental.  11  essaya  même  d'en  donner 
une  traduction.  La  voici  :  «  Ce  monument  de  pierre  a  été  dressé 
par  des  Cananéens  Sidoniens  qui,  pour  aller  fonder  des  comptoirs 
en  pays  éloigné,  montagneuv  et  aride,  sous  la  prot(5Ction  des 
dieux  et  des  déesses,  se  sont  mis  en  route  dans  la  dix-neuvième 
année  du  règne  d'Hiram  notre  puissant  roi.  Us  partirent  d'Asion- 
gaher  dans  la  mer  des  Joncs,  après  avoir  emharqué  les  colons 

(1)  Ladislau  Netto,  La  vérité  sur  l'inscription  de  h:  Paralu/hu.  Rio-de- 
Jaueiro,  188."J.  —  Sc.iii.ottman'x,  Die  Pkoenizier  in  Brasilirn  (lenacr  LilU;- 
rutrizeitiiiig  187-4,  ii»  30),  —  llevuc  criti(iue  ilu  31  octobre  1874. 
T.  I.  6 


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82 


•nRMiKni:  i'AHTik. 


LKS   l'HKCCnSKlJIlS   HE   cor.oM». 


sur  dix  navires,  et  ils  naviguèrent  ensemble  le  lourde  la  grand,' 
terre  pendant  deux  ans.  Ils  furent  ensuite  sé[)arés  du  cunnuandaiit 
de  la  flotte  et  entraînés  loin  de  leurs  conipagnons.  Ils  sont  arrivés 
ici  douze  lioiruries  et  treize  femmes  sur  cette  côte  inconnue,  dont 
moi  le  malheureux  Métu-Astarté  ai  pris  possession.  Que  les 
Dieux  et  les  Déesse;  nu;  soient  en  aide  !  >>  (lerfes,  si  rinscri|)tioii 
n'est  [)as  apocryjdie,  elle  constitue  un  document  (l(^  premier 
ordre  et  prouve  le  séjour  des  Phéniciens  dans  le  nouveau 
mondcî  :  mais  ce  fut  justement  la  précision  des  détails  (pii 
éveilla  les  soupçons  de  M.  Netto.  Il  rechercha  le  signataire  de 
la  lettre  d'envoi,  et  ne  trouva  nulle  part  ce  mystérieux  Joa(piin 
Alves  de  Costa.  La  propriété  de  Pous(»  Alto  ne  fut  pas  non  plus 
retrouvée,  même  (piand  on  la  cluM'clia  sur  les  rives  de  la  Para- 
hyba  do  Sut.  Fort  excité  par  sa  déconvenue,  M.  Netto  s'avisa 
d'mi  stratagèmes  :  sous  le  jjrétexte  d'avoir  (|uel(|ues  renseigne- 
ments scientiliques,  il  écrivit  aux  ciiu|  ou  six  Brésiliens,  cpii 
avaient  qmihpie  connaissance  des  langues  orientales,  et,  dans 
les  réponses  qu'il  reçut,  reconnu!  l'écrittu'e  de  rintrouval)lc 
Joaepiin  Alves  do  Costa.  La  supercherie  était  démontrée,  et 
l'inscriptiitu  de  la  Parahyha  ne  méritait  plus  (pie  l'honneur 
d'être  placée  à  côté  du  géant  de  l'f  Jnondaga. 

C'est  avec  la  ménu'  prudence  (pie  nous  parlerons  dune  galère 
antique  scul[)tée  sur  un  rocher  de  l'île  de  Pedra  sur  le  Rio 
Negro,  justement  dans  le  pays  des  Macares,  et  dont  Brasseur  d(! 
]k)url)ourg  a  donné  le  curieux  dessin  (l).  Même  réserve  à  propos 
de  la  conmmnication  du  docteur  Lund,  de  Lagoa  Sauta  du 
Brésil,  à  la  Société  Royale  des  antiquaires  du  Nord,  siégeant  ;i 
Co|)enhague(i2),  On  aurait  découvert,  en  1831),  dans  la  itrovinco 
<le  Bahia,  mie  grande  ville  al)andonnée,  de  construction  tort 
ancienne,  et  dont  les  édifices  étaient  en  pierre  de  taille.  On  y 

(1)  Hhassiuii  iik  Uouneocno,  Inlin'lwUon  ii  ta  traduction  du  Pojjol. 
Vuh,  p.  LXIX. 

(2)  Société  dos  antiquaires  du  Nord,  18;}!I-4U,  p.  2l).  —  Id.  l8'«U-i4,  p. 
15'J,  180. 


CIIAI'ITHK   II.    —    Li:s    l'IlKMCIICNS    K.N   AMKMKII  K 


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(tant 

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[s  qui 
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)!i(iuiu 
lU  i)liis 
Para- 
s' avisa 
seifinc- 
ns,  (lui 
•t,  dans 
ouvalih' 

>iuu'ur 

^alôrt' 
U'  ni" 
^m'ur  ai' 
Il  pn>l»<»^ 
aiita  du 
^oaiit  il 
u'oviiv.'t' 
KHI  IVn't 
e.  Un  ^ 

(lu   P"ll"' 

|8'iO-lV,  l'- 


aurait MiiMnc  VII,  sur  une  rdlonuc,  une  s 


tatui'  liuinaiut 


tilt  le 


liras  drnit  iHcndu  luniilrait  de  l'indcv  la  dirrclion  du  nord.  iJès 
l'anucc  suivanfc,  IS'd>,  la  rirf.'alt'  danoise  Hrlinic  déltan|ua  à 
llaliia,  et  les  lieutenants  Svensnn  et  Scliiilz,  avee  le  naturaliste 
Kruj^er,  lurent  eiiar;.'és  d'examiner  les  ruines;  ui.:!snul  clieiuin 
n'éfiiit  praticalile  et  (iii  ne  connaissait  ini^ine  pas  reui|»iacenienf 
exact  de  hi  \ille.  L'arclieV(^(|ue  de  Haliia.  M«i'  llonuialdo,  or- 
donna liien  à  un  de  ses  pnHres  de  lui  adresser  un  ra|>|torl  |»réa- 
lalile  sur  la  situation  de  celle  ville,  et  |>rouiif  de  se  charj^^'r  de 
l'exploration,  mais  rien  ne  lut  exécuté.  .Nous  (>n  sommes  encore 
rédiùts  aux  conjectures  sur  cette  imti(|ue  cil('(pii  peut  être  Phé- 
nicienne fiait  aussi  hien  que  (chinoise,  ou  plufiH  n'av<tir  jamais 
existé  que  dans  i'imafriiiatiou  de  ceux  cpii  voulurent  hien  la  dé- 
couvrir. 

(l'est  avec  lii  iiK^ine  incrédulité  que  nous  examinerons  de  soi- 
disaut  perles  Phéniciennes,  (pi'on  a  retrouvées  un  peu  partout 
siu'  le  sol  xVméricain  ^1),  par  exemple,  dans  la  province  hré- 
silieime  de  Sao  Pedro  do  Rio  (Irande  do  Sul  et  aux  Ktats-L'nis. 
Schoolcraft  a  décrit  et  représenté  ((uel(|ues-unes  de  ces  [lerles  ["1). 


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u  couvres 


Ainéricaniste  de  Uerlin,  en  1888,  M.  Netto  uou 


s  a 


coniiuuiiKpie  nue  de  ces   [»erie 


mais,   loin   de  iienstr,  ave 


Moiiut  et  Nilsson,  qu'elles  prouvent  la  présence  des  Phéniciens 
en  Amérique,  nous  leur  attrihuuns  une  ori},'ine  heaucoup  plus 
moderne.  Nous  croyons,  en  effet,  qu'elles  sont  (Uî  f'ahrication 
véintienue,  et  (|u'elles  Jlfîuraienf  au  nomhre  de  ces  ohjets  (|ue 
les  premiers  navigateurs  Espagnols,  Portugais  et  Français  ont 
a|»portés  au  Nouveau-Monde,  pour  les  distrihuer  aux  indigènes, 
afin  de  s'attirer  leurs  honnes  grAces  et  leurs  sympathies  (3).  C'est 


(1)  Ladislau  Netto,  Invcstigacioes  sobre  a  arclieoloyia  />rflsî7ezm  (Arcliivios 
(11)  Miiseo  Nacional,  |i.  441-443)  1885. 

(2j  ScuooixHAi'T,  Indian  Trihcs  of  tin;  United  statcs. 

(3)  Ainsi  le  navire  l'Espoir,  commanJé  par  le  capitaine  de  Gonneville,  qui 
visila  les  côtes  Ihésilienues  en  1503  avait  des  rassades  dans  son  cliargenieiil. 
Cf.  Gakiaiiei.,  Jean  Amjo  (Société  de  géograpliic  de  Rouen,  1889). 


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l'HKMIKHE    l'AHTlK. 


LKS   l'HKClRSKlKS   l>K   «:OLOM». 


ce  qnt'  nos  vieux  navifîahuirs  iioiiunaiciit  des  rtissndt'x.  On 
trouvaient  de  ces  passades  à  lM)rd  de  tous  les  vaisseaux  (|ui 
s'aventuraient  aux  terres  nouvelles.  Dès  lors  (juoi  (rétoiinant  si 
(|uel(|ues-uns  de  ees  fragiles  ornements  ont  été  conservés  par 
les  indigènes?  A  vrai  dire,  on  n'a  jus(|u'à  présent  trouvé  eu 
Amérique  (pie  deux  monuments,  dont  ranthenticité  est  incon- 
testable, et  (pii  méritent  un  examen  sérieux  ;  ce  sont,  le  rocher 
de  Taunton  Hiver  et  l'inscription  de  (irave-Greek. 

Dans  l'état  de  Massachussets,  comté  de  Bristol,  territoire  de 
Berkeley,  sur  la  rive  orientale  du  Taunton-lliver  (Coliannet 
des  Indiens),  par  41"  iri'  30"  de  latitude  nord,  s'élève  un 
rocher  de  couleur  rouge,  qui  a  ([uatre  mètres  de  hase  et  un 
mètre  soixante-dix  centimètres  de  hauteur.  Il  porte  une  inscrip- 
tion en  caractères  mystérieux  qui  ont  exercé  la  sagacité  des 
é|»igraphistes.  L'explication  la  plus  curieuse  est  celle  de  Mathieu 
qui  pensait  que  les  caractères  furent  tracés  par  les  Atlantes,  en 
l'an  VMH  avant  Jésus-Christ  (1).  Moreau  de  Dammartin  voyait 
dans  ce  monument  un  fragment  de  sphère  céleste  orientale,  ou 
plutôt  un  thème  astronomique  pour  un  moment  donné,  cju'il 
li.xait  au  iio  décembre  à  minuit  (2).  Le  colonel  Wallancey  tâche 
de  prouver  que  l'inscription  est  Sibérienne  (3).  Schoolcraf^,  en 
soumit  une  copie  à  l'examen  d'un  chef  Indieu,  Ghingswank  qui 
l'expliqua  comme  rappelant  la  victoire  d'une  tribu  américaine  (4). 
Des  antiquaires  danois,  Charles  Rafn  et  Finn  Magnusen,  ont 
reconnu,  ainsi  que  Leiewell  et  M.  (Iravier,  des  caractères 
runiques  se  rapportant  aux  aventures  des  Scandinaves  dans  le 


II 


(1)  Matihec,  cité  par  Vardisii,  Hccherclifs  fitr  lex  Anfi'/uilcs  tir  l'Ami:- 
rique  septentrionale,  p.  70. 

(2)  .Moreau  i>k  D.v.muautin,  La  Pierre  de  Taunton  (Institut  liistoriquui, 
t.  IX,  p.  Ur>- 154 

(3)  LuiiliocK,  L'Homme  avant  l'Histoire,  tiaductioii  Barliicr,  p.  228.  — 
Colonel  Cliarles  Wai.i.ancky,  Oliserratiom  of  the  American  Inscription 
(Société  (les  Antiquaires  de  Londres,  1787),  t.  VIII,  p.  303. 

(4)  Li  nnocK.  ^/^  supr.  p.  228. 


^^WWTTTJ  ,»li"^. 


CIIAPITHK    11.    —    l-KS   l'HKMf.lKNS    EN   AMÉRIOIK. 


H?i 


Massachusscîts  (I).  D'autn-s  savants  enfin  l'attrilmcnt  aux  Phéni- 
(  ions  (i).  Kn  1783  le  révérend  Erza  Stiles,  prêchant  devant  le 
gouverneur  do  Connectieut,  citait  ce  rocher  comme  la  meilleure 
preuve  dos  voyages  Phéniciens  au  nouvonU  monde.  Court  de 
(îélielin,  Tingénieux  auteur  du  Monde  primitif,  donnait  égale- 
ment à  celte  inscription  une  origine  phénicienne,  et  essayait 
do  l'interpréter.  M.  Onffroy  de  Thoron  en  a  mémo  donné 
l'explication  suivante  (3)  :  «  Envieux  de  la  fortune,  pour  causer 
les  ruines,  il  pillait  on  frappant  :  sa  vie  voluptueuse  s'est  écoulée 
comme  l'onde  rapide.  »  Pourtant,  si  on  essaye  de  suivre  ces 
ingénieux  commentateurs  sur  le  fac-similé  de  l'inscription,  on 
n'y  voit  rien  autre  chose  que  des  traits  informes,  tels  qu'en 
[)ourrait  former  un  enfant  «|ui.  pour  la  première  fois,  tient  une 
plume  entre  ses  mains.  Il  est  prohahie  que  le  rocher  do  Taunton- 
River  est  et  restera  une  énigme  indéchiffrahle.  Ce  fut  peut-être 
un  signe  de  reconnaissance  pour  les  marins  étrangers  qui,  les 
premiers,  s'aventurèrent  dans  ce  pays  inconnu,  et  couvrirent  à 
la  hâte  ce  rocher  de  signes  caractéristiques  pour  eux  et  pour 
leurs  successeurs  ;  mais ,  s'il  appartient  à  une  civilisation 
étrangère,  nous  n'avons  pus  le  droit  de  conclure  qu'il  s'applique 
aux  Phéniciens  plutôt  qu'à  tout  autre  peuple  navigateur. 

Quant  à  l'inscription  de  Grave-Creek,  elle  a  été  trouvée  dans 
les  montagnes  du  mémo  nom,  à  l'ouest  des  Alleghanys,  près 
de  Wheeling,  canton  de  Marshall,  en  Virginie.  On  la  découvrit 
da.:s  une  sorte  de  tumulus,  décrit  par  Schoolcraft  (i).  Après 

(1)  Leleweel,  Mémoire  sur  les  frères  Zcni,  p.  82.  —  Gravier,  Décou- 
verte (le  l'Amérique  par  les  Normands  (avec  un  rac-simile  de  l'inscription), 
p.  94.  —  Hafn,  The  Dighton  Roch-lnscription  (Magazine  of  American  his- 
(ory  (IHTJ). 

(2)  Court  de  Gerelix,  Monde  primitif,  VIII,  p.  500-509  (avec  fac-similc 
(le  l'inscription).  —  Cf.  Yates  and  Moultox,  History  of  tlie  states  of 
Newyork,  including  its  Aboriginal  and  colonial  Armais  (Ncwyork,  1824), 
t.  I,  p.  86.  —  L'un  et  l'autre  soutiennent  la  même  hypothèse. 

(3)  Onffrov  de  TnonoN,  Les  Phéniciens  à  Haïti,  p.  45. 

(4)  Scnooi.cRAFT,  Travels  in  the  central  portions  of  tlte  Mississipi 
Valley. 


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l'HK.MIKKK   l'AHTIK, 


LES    l'HKClKSKlRS    llK   COLOMB. 


uiu'  première  empreinte  à  la  eire,  on  en  lit  im  estampage  en 
pliUre  (1),  L'i  pierre  sur  laquelle  est  gravée  Tinscription  est 
eompacte,  ovale,  assez  dure  pour  résister  à  la  pointe  d'un  cou- 
teau. Klle  devait  à  sa  longue  inhumation  une  couleur  foncée. 
Ijes  caractères  sont  anguleux,  sans  doute  à  cause  de  l'instrument 
grossier  du  graveur  qui  ne  lui  permettait  pas  d'arrondir  les 
traits,  mais  très  lisibles,  bien  (pie  peu  profonds.  Cette  conser- 
vation parfaite  a  même  fait  douter  de  l'authenticité  du  monu- 
ment, Elle  s'explique  pourtant  par  l'enfouissement  séculaire  au 
fond  du  tumulus.  En  même  temps  que  l'inscription,  on  exhuma 
un  cadavre  qui  portait  encore  un  bracelet  au  bras,  des  pierres 
précieuses,  des  armes,  des  colliers  et  des  poignets  en  métal. 
Dans  les  autres  tumulus  du  voisinage,  on  a  également  trouvé 
une  pierre  imagée  de  forme  sphérique,  une  pierre  ornemen- 
tale sculptée,  des  anneaux  de  porphyre  et  l'image  informe  d'un 
être  humain.  Il  semble  donc,  à  première  vue,  que  l'inscription 
n'a  été  inventée  ni  découverte  pour  les  besoins  de  la  cause. 

Restait  à  déehiiTrer  les  caractères  :  ils  sont  disposés  en  trois 
lignes  parallèles,  chacune  de  sep*  lettres,  dont  plusieurs  sont 
reconnaissables  à  première  vue  comme  phéniciennes.  School- 
craft  avait  renoncé  à  traduire  celte  inscription  (2),  parce  qu'il  y 
retrouvait  non  seulement  du  phénicien,  mais  encore  de  l'étrusque, 
du  runique,  de  l'ancien  gai'l,  de  l'anglo-saxon,  de  Tapalachien, 
du  creek,  etc.  Pourtant  les  érudits  qui  ont  fait  de  cette  inscription 
l'objet  de  leur  examen  s'accordent  à  lui  reconnaître,  dans  son 
ensemble,  tous  les  caractères  d'une  inscription  sémitique.Turner, 
professeur  d'hébreu  au  séminaire  de  New- York,  pensait  qu'il 
fallait  y  voir  un  alphabet  sémitique,  à  cause  du  rapport  qui 
existait  entre  le  nombre  de  ces  caractères  et  celui  des  lettres  de 
l'alphabet  hébraïque,  mais  cette  supposition  tombe  d'elle-même, 


(1)  M.  Schwab,  Revue  archéologique,  fév.  1857. 

(2)  ScHOOLCRAiT.  Brief  of  a  runic  inscription  fotindin  North  America 
^Société  des  Antiquaires  du  Nord,  1840-1H44),  p.  119. 


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CHAPITRE  II. 


LES   l'IlÉNICIENS   EN  AMÉRIQUE. 


87 


attondu  que  certaines  lettres  sont  reproduites  plusieurs  fois  et 
(|ue  d'ailleurs  on  n'a  jamais  déposé  d'alphabet  dans  une  tombe. 

Jomard,  qui  (omposa  deux  mémoires  à  oe  sujet  (1),  préten- 
dait que  les  caractères  de  Grave  Creek  sont  identiques  à  ceux 
dont  se  servent  les  Touaregs  du  Sahara,  que  ces  derniers  avaient 
reçus  des  Phéniciens  :  aussi  n'hésitait-il  pas  à  affirmer  que 
l'inscription  de  Grave  Creek  était  d'origine  phénicienne.  Plusieurs 
orientalistes  ont  pensé  de  même  (2),  mais  ils  n'ont  plus  été  du 
même  avis  dans  l'interprétation.  Voici  la  traduction  de  Maurice 
Schwab  (3)  :  •<  Le  chef  de  l'émigration  qui  s'est  rendu  ensuite 
dans  ces  lieux  (ou  dans  cette  île)  a  fixé  ces  statuts  à  jamais  ». 
Opport,  partisan  de  la  même  théorie,  traduit  tout  différemment: 
<■  Sépulture  de  celui  qui  a  été  assassiné  en  cet  endroit.  Puisse 
Dieu,  pour  le  venger,  frapper  ses  assassins  en  leur  tranchant  les 
mains,  l'existence  ».  Pour  être  complet,  il  nous  faudra  men- 
fionner  une  troisième  interprétation,  qui  ressemble  très  peu  aux 
précédentes.  M.  Lévy-Bing  en  a  pris  la  responsabilité  au  congrès 
américaniste  de  Nancy  (  i)  :  «  Ce  que  tu  dis,  tu  l'imposes,  tu  brilles 
dans  ton  élan  impétueux,  rapide  comme  le  chamois  ».  Lequel 
de  ces  trois  orientalistes  croire  de  préférence  ?  Nous  ne  tenterons 
pas  de  trancher  le  débat  (5). 

Nous  parlerons  avec  une  égale  réserve,  d'une  autre  inscription 
trouvée  le  10  janvier  1877,  parle  Révérend  F.  Gass,  en  présence 
<le  témoins  sérieux,  à  la  base  d'un  mound  conique  situé  sur  la 


(1)  JoMARi),  Notes  sur  une  pierre  gravée,  trouvée  dmis  un  ancien  tumu- 
lus  Américain,  et,  à  cette  occasion,  sur  l'édition  Libyen.  —  Seconde  note, 
1846. 

(2)  Castelnau,  Voyage  dans  l'Amérique  du  Sud^  t.  IV,  p.  262. 

(3)  ScHWAH,  ouv.  cité. 

(4)  Lévy-Bixg,  hiscription  de  Grave-Creek  (Congrès  Américaniste  de 
Nancy,  t.  I,  p.  219). 

(5)  Au  Congrès  Américaniste  de  Luxembourg  en  1877  (t.  II,  p.  7),  après 
lecture  du  colonel  Chas.  Whithleney  sur  les  Fraudes  archéologiques  corn- 
tnises  aux  Etats-Unis,  et  après  déclaration  de  trois  archéologues  émincnts, 
Georges  Squier,  Daniel  Wilson,  E.-H.  Davis,  la  question  a  été  tranchée  :  la 
fameuse  inscription  est  apocrypho. 


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88        PREMIÈRE   PARTIE.    —   LES   PRÉCURSEIRS   DE  COLOMB.       , 

ferme  de  Cork,  non  loin  de  Davenport  dans  l'Io\sa{l).  C'est  une 
tablette  d'argile  bitumineuse  portant  gravée  au  droit  une  scène 
funéraire  et  au  revers  une  scène  de  chasse.  Dans  la  scène 
funéraire,  au  sommet  d'un  tumulus  est  allumé  un  grand  feu, 
sans  doute  destiné  ù  brûler  trois  cadavres  déposés  sur  le  sol. 
Treize  hommes  grossièrement  figurés  dansent  autour  du  bûcher 
en  se  donnant  la  main.  Le  soleil  dardant  ses  rayons,  la  lune 
dans  son  plein  et  de  noml»reuses  étoiles  sont  représentées  au 
ciel.  Au-dessus  de  ces  astres,  fort  étonnés  de  se  trouver  réunis, 
deux  bandes  sont  couvertes  de  signes  et  tout  le  haut  de  la  tablette 
est  également  rempli  de  signes.  On  en  compte  98,  dont  74 
différents  et  24  qui  se  répètent.  On  est  donc  en  présence  d'une 
inscription.  En  quelle  langue  est  rédigée  cette  inscription  ?  Est- 
elle phénicienne  ?  est-elle  américaine  ?  Nous  laissons  à  d'autres 
plus  compétents  le  soin  de  se  prononcer. 

En  résumé,  il  en  est  des  inscriptions  de  Grave  Creek  ou  de 
Davenport  comme  de  toutes  les  traditions  que  nous  venons 
d'énumérer  sur  les  établissements  phéniciens  en  Amérique. 
Jusqu'à  nouvel  ordre  on  n'a  le  droit  de  rien  affirmer.  Peu  de 
problèmes  sont  aussi  intéressants  à  discuter,  mais,  avant  d'eu 
donner  une  solution  définitive,  il  faudrait  d'autres  preuves  et 
des  arguments  plus  solides,  qui  manquent  encore  et  proba- 
blement manqueront  toujours. 


^     > 


(!)  R.  J.  Gass,  Account  of  the  discoverrj  of  inscribed  tablets,  with  u 
description  by  Dt  t.  Farquharson  (Proccdings  of  the  Davenport  Acadcmy  of 
natural  science,  juillet  1877).  (Cf.  Congrès  américaniste  de  Luxembourg, 
t.  II,  p.  158-160). 


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CHAPITRE  III 


'^ilfr- 


LES  JUIFS   EN   AMERIQUE. 


Plusieurs  ('orivains  ont  cru  sériousemont,  et  iiffirmé  avec  une 
sorte  de  conviction  passionnée  (|ue  rAmériqiie  avait  été  non 
seulement  découverte,  mais  encore  peuplée  par  les  Juifs.  Horn, 
dans  son  curieux  livre  de  l'origine  des  nations  Américaines,  a 
dressé,  non  sans  malice,  la  liste  de  ces  écrivains  (1)  ;  mais  c'est 
de  sang  froid  (|ue  (îregorio  Garcia  qui  passa  douze  années  dans 
les  missions  Américaines  et  s'appliqua  à  l'étude  des  antiquités, 
affirme  (pie  les  Américains  descendent  des  Juifs  (2).  Montesinos, 
le  visitador  de  Lima,  qui  sans  doute  eut  en  sa  possession  les 
manuscrits  du  savant  évéque  de  Quitt»,  Luis  Lopez,  soutient  que 
les  dynasties  Péruviennes  ont  une  origine  liébraïque  (3).  Ce 
système  a  été  également  défendu,  avec  un  grand  luxe  d'argu- 
ments, par  l'anglais  Thorowgood  en  1050(4)  et  par  le  Suisse 
Spizelius  en  1601  (5).  Un  Israélite,  Manassé  ben  IsraiM, 
a  composé   à   ce   sujet   un  traité  spécial  qu'il  a   pompeuse- 


r- 


(\)  HoRN,  De  Orighii/jtis  Amevicanis,  p.  5  et  suivantes. 

(2)  Grrgohio  GAnr.iA,  Origen  de  Ion  Indios  de  cl  Niteio  Mundo,  r 
Indias  Occidentales  (Valence,  1607). 

(3)  MoxTEsi.NOS,  Mdmoires  /nstoriques  de  l'ancien  Pérou  (Collection 
Tcrnam-Compans)  2"'»  série,  volume  7. 

(4)  Thomas  Tiiohowoood,  lews  in  America  or  prohabilities  that  the 
Américains  are  of  that  race.  Londres,  1650.  —  2™»  édition,  Londres,  1660. 

^5)  Spizclu'S,  Elevatio  relafionis  Montezinianae  de  repertis  in  America 
tribiiôus  israeliticis,  et  discussio  argumenlorum  pro  origine  gentium  ame- 
ricanarum  Israelitica  a  Manasse  ben  Israël  congtiistarum  (Bâie,  1661). 


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l'MKMIKIU:    l'AHTIi:. 


LES    l'HKCrnSKIHS    l»K   CdLOMH. 


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nient  intitulé  l-^sjn'Vdtizn  ilr  Isravl  (1).  An  (li\-luiili(''ni('  siècle, 
<lnniillu  i^:i),  Adair  (U)  et  Court  de  (Jéhelin  (i)  partageaient 
encore  ces  étranges  théories.  Pres(|ue  de  nos  jours,  un  riche 
anglais,  lord  Kingshurough's  (oj,  consacra  la  plus  grande 
partie  de  sa  belle  fortune,  tout  son  temps  et  toute  son  intelli- 
gence à  lu  coûteuse  publication  d'une  collection  d(^  documents 
Américains,  iin|irimés  avec  luxe,  illustrés  avec  magnificence 
et  distribués  avec  générosité,  pitar  établir  à  son  tour  cpie  les 
Américains  procédaient  des  Juifs.  On  se  souvient,  enfin,  (|ue  le 
fondateur  d'une  religion  à  tout  le  moins  singulière,  mais  qui 
n'a  peut-être  pas  encore  dit  son  dernier  mot,  Joi^  Smith,  le  chef 
des  Mormons,  affirmait  (pie  l'Amérique  avait  été  peuplée  par 
une  colonie  sortie  de  Uabel  à  l'époque  de  lu  confusion  de  langues, 
et  plus  tard  par  un  second  essaim  échappé  à  lu  destruction  de  Jéru- 
salem, sous  Sédécias.  Ne  serait-ce  qu'au  point  de  vue  littéraire, 
le  pr(d)lème  mérite  donc  les  honneurs  d'une  discussion  sérieuse. 
Il  est  incontestaiile  que  les  Juifs  ont  joué  et  jouent  encore  nu 
grand  rôle  dans  l'histoire  de  l'humanité.  Leur  activité  inouïe, 
leur  persévérance,  leur  génie  connnercial,  et  surtout  leurs 
malheurs  les  ont  dispersés  dans  toutes  les  directions.  Plusieurs 
siècles  avant  Henjamin  deTudela,  un  des  enfants  d'Israël  aurait 
pu,  lui  aussi,  tracer  la  triomphante  énumération  des  établis- 
sements Juifs  répandus  dans  tous  les  pays  alors  connus.  Les 
Juifs  sont-ils  allés  jusqu'en  Amérique?  Les  uns  se  prononcent 
pour  l'affirmative  ;  le  plus  grand  nombre  est  d'un  avis  opposé. 
A  nous  d'examiner  les  pièces  du  procès. 


(I)  Menasse»  ben  Ishabl,  Origen  di;  los  Amerkmios.  esto  es  espsranza 
de  Israël.  (Amsterdam,  1650).  Ce  curieux  ouvrage  a  élé  réimprimé,  avec  un 
savant  commentaire,  par  Santiago  Pérès  lunqucra  (Madrid,  1881). 

(2|  (iuMiKLA,  El  Orinoco  illustrado  (traduction  Eidens),  1758. 

(3)  James  âdair,  The  history  of  tlie  American  Indians,  1771. 

(4)  Court  de  G£bem!(,  Mojide  primitif,  t.  Vlli. 

(5)  LoRi)  KiNOSBOROur.n's,  Antiquities  of  Mexico,  1830-1848.  Voir  surtout 
dans  le  tome  VI  :  Argument  to  show  that  the  Jews  in  early  âges  colonis'id 
America. 


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niAlMTRE  III.   —   LKS  Jl  IKS   KN  AMKIUOUE.  W 

Assiirriiu'iit  nous  ne  coiisicltToiis  point  rdiiinu'  sérifuses  l<>s 
raisons  alhyiuVs  par  le  bon  U'srarlxtt  dans  son  Hislonr  d>'  la 
Nouvelle  France  (1)  :  ««  Quel  cniptVlu'nifnt,  ('crit-il,  y  a-t-il  do 
croin-  (pic  Noi'  ayant  vï'tn  trois  «ont  cinfpiantc  ans  apn-s  le 
lJt''lu}.'t'  n'ait  hiy-ini'smo  en  le  S(»in  et  |>ris  la  pcino  ilc  pt'upler, 

ou  plustot  n'|ioupK'r  cos  païs-là Luy  (pii  avoit  la  connois- 

sancc  de  millo  choses  que  nous  n'avons  point  par  la  traditive 
des  sciences  infuses  en  notre  premier  pure,  du(|uel  il  peut  avoir 
veu  les  enfans,  ignoroit-il  ces  terres  occidentales,  où,  par  avcn- 
tin-e  il  avoit  pris  nais^^ance  ?  Certes,  en  tout  cas,  il  est  à  présumer 
([u'ayant  l'esprit  de  Dieu  avec  luy,  et  ayant  à  rétalilir  le  monde 
par  une  spéciale  élection  du  ciel,  il  avoit  (du  moins  par 
renouunée)  connoissance  de  ces  terres-là,  auxquelles  il  ne  luy 
a  point  esté  plus  difficile  de  faire  voile,  ayant  |)euplé  l'Italie, 
(|ue  de  venir  du  bout  de  la  mer  Méditerranée  sur  le  Tibre 
fonder  son  laniculum,  si  les  histoires  prophanes  sont  véritables, 
<'t,  par  mille  raisons,  y  a  apparence  de  le  croire  ;  car,  en  quehiue 
part  du  monde  qu'il  se  trouvoit,  il  estoit  parmi  ses  enfants  ». 

Nous  n'admettons  pas  non  plus  l'itinéraire  de  fantaisie  tracé 
par  le  père  (iumilla  qui  suppose  que,  131  ans  après  le  Déluge, 
178S  ans  après  la  création  du  monde,  «|uelques  descendants  de 
Ciliam  passèrent  des  îles  du  Oup  Vert  à  Pernambuco,  et  de  là  se 
répandirent  sur  toute  l'Amérique  (2).  Ces  imaginations  singu- 
lières n(>  sont  excusables  que  parce  qu'elles  furent  sérieusement 
débitées. 

(  l'est  avec  la  même  réserve  que  nous  nous  permettrons  d'exa- 
miner certaines  prophéties,  plus  ou  moins  explicites,  au  moyen 
des(|uelles  on  a  essayé  de  prouver  que  la  découverte  de  l'Amé- 
rique avait  été  prédite  par  la  Bible.  Christophe  Colomb  (3),  dans 

(1)  Lesgarbot,  Histoire  de  la  Nouvelle  France  (édition  Tross),  p.  23. 

(2)  GuMiLLA,  El  Orinoco  illmtrado  (trad.  Eidous),  p.  179. 

(3)  Navahrbtte,  Colleccion  de  los  viajes  y  descutmmientos,  t.  I,  p.  392, 
p.  8i)  »  ...Yo  estaba  bien  seguroque  esto  no  vernia  à  mcnos,  y  cstoy  de  contino, 
jierque  es  vcrdad  que  lodo  pasara,  y  no  la  palabra  de  Dios,  y  se  compara  todo 


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l'HKMIKHE    l'AUTIK.    —    LKS    l'RKCl'KSKlKS    l)K   CdLOM». 


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la  rcliitioii  do  son  troisième  voyage,  «écrivait  au  roi  et  à  la  reino 
«rKsiiagiU'  :  «  JVtais  l>i«'ii  sur  (|U('  mes  prédictiitiis  s»'  rôali- 
serau'iil,  rt  je  continue  dVlre  du  nuHne  avis,  |iuis(|u'il  est  vrai 

que  tout  passera  excepté  la  parole  de  Dieu Or,  Dieu  parle 

bien  clairement  de  ces  contrées,  par  la  bouche  d'Isaïe  en  plusieurs 
endroits  de  l'Kcriture,  quand  il  affirme  que  c'est  de  rHs|)ague 
(|ue  son  saint  nom  sera  répandu  ».  Les  seuls  passages  de  la 
Bible  qui  nous  aient  paru  avoir  quelques  rapports,  et  encore 
très  éloignés,  avec  les  événements  en  question  sont  les  suivants  : 
<<  Voici  le  nom  du  Seitrneur  (|ui  arrive  de  loin  (1).  —  Voici  des 
hommes  (|ui  viendront  de  loin,  ceux-ci  du  nord  et  de  la  mer, 
<;eux-h\  du  continent  austral  {"2). —  Le  petiple  que  tu  ignorais,  tu 
l'appellerais,  et  les  nations  qui  ne  l'ont  pas  connu  accourront 
vers  toi  (3).  —  Moi  je  suis  attendu  par  les  îles,  et  les  navires 
sorit  disposés  sur  le  rivage  pour  amener  tes  fils  de  ces  loin- 
taines contrées  (i).  —  Voici  que  maintenant  je  crée  de  nouveaux 
cieux  et  une  terre  nouvelle  (3).  —  Il  en  est  comme  des  cieux 
nouveaux  et  du  nouveau  continent  que  le  Seigneur  a  dressés 
devant  lui  ((>)  ».  Mais,  à  part  cette  mention  d'îles  et  de  terres 
nouvelles  qui  peut  s'appliquer  à  l'Océan  tout  aussi  bien  qu'à 
l'Amérique,  il  nous  faut  avouer  que  ces  prédictions  sont  conçues 
en  termes  si  vagues  et  si  généraux  qu'elles  peuvent  s'appliquer 
également  à  des  faits  très  divers.  On  s'étonne  vraiment  que  de 


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lo  que  dijo  ;  cl  cual  luii  claro   hablô  de   estas  tierras  por  la  hoca  de  Isaias 
en  tantos  lugares  de  su  Escriptura,  aflrmando  que  de  Espana  les  séria  divulgado 
su  sanlo  nombre  ». 
^1)  IsAiE,  XXX,  27  :  «  Ecce  nomen  Doinini  venit  de  longinquis  ». 

(2)  Id.,  XLIX,  9  :  «  Ecce  isti  de  lon{;c  venient,  et  ecce  illi  ab  aquilone  et 
mari,  et  isti  de  terra  australi  ». 

(3)  Id.,  LV,  U  :  «  Ecce  gentem  quam  nescicbas  vocabis,  et  gentes  quae  te 
non  cognoverunt  ad  te  current  » . 

(4)  Id.,  LX,  9  :  «  Me  enim  insulae  cxspectant,  et  naves  maris  in  principiu, 
ut  adducam  fllios  tuos  de  longe  ■. 

(3)  Id.,  LXV,  17  :  «  Ecce  enim  creo  cœlos  novos  et  terram  novam  «. 
(6)  Id..  LXYI,  22  :  «  Quia  sicut  cocli  novi  et  terra  nova,  quœ  ego  facio 
stare  coram  me,  dicit  Doniinus  ». 


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CIIAI'ITHi:   III.    —   LES   JIIKS    KN    AMKIUQIT.  93 

^Tiiiids  «'sprits  aiciif  .ittaclit'  de  riiii|ii»rfaii(c  à  do  toiles  iiidi- 
catioiis;  mais  los  lioininos  d'autrofois  aiiiiaioiit  A  so  souvonir  du 
t('iii|>s|»assi'',surtnut(|uandilsylr<iiivaioiitd"aiili(|uos  prôdictiniis, 
qu'ils  crdyaicut  sincôrouiont  voir  so  rôalisor  à  leurs  youx.  N'uu- 


l)li<iiis  [tas  d'ailleurs,  pour  ce  (pii  re}.'ardo  doloinl»,  (|u'il  vivait  à 
une  épiupie  et  se  trouvait  dans  un  pays  i»ù  toute  thénric^  nou- 
velle n'était  acceptée  (pie  si  elle  était  conrornie  à  la  foi  reçue,  et 
appuyée  sur  une  ou  |)lu;  ieurs  citations  Itililiipies.  Tout»'  question 
étant  avant  tout  une  (juostion  tliéolo<ii(pio,  on  comprendra  (pie 
los  passantes  (pie  nous  venons  de  citer  aient  pu  à  la  rifrueur  être 
interprétés  commo  une  indication  stiriisaiito  à  la  découvorto  do 
rAinéri(pie. 

On  a  cru  é}:alomeiit  retrouver  dans  la  prophétie  d'Ahdias 
raimoiice  de  {grandes  découvertes  f!:éo^'raplii(|ues  :  «  et  rarmée 
de  ces  enfants  d'Israël  p(»ssédera  ce  (pii  était  auv  (!lianiméons 
Jiis(pi'à  Sarepta  of  ceux  do  Jérusalem  (|ui  auront  été  transportés 
dans  le  Hosplioro  poss(>deront  les  villes  du  Midi  (1)  ».  13'aprés  los 
coininontateurs,  Sarepta  serait  la  (Jaule,  le  Hosphore  répondrait 
au  délr(»it  de  (îihraltar  et  les  villes  du  Midi  aux  réjjions  Améri- 
caines: mais  ce  ne  sont  làcpiodes  liypotlièses  à  peine  sérieuses 
et  au\(piollos  il  est  mémo  impossible  de  s'arrêter.  D'autres  pas- 
safies  de  la  Uihie  nous  éclaireront  peut-être  davantafre. 

Ce  ne  sera  point  le  <piatrième  livre  d'Esdras  dont  on  a  encore 
torturé  lo  sens  dans  res|)oir  d'y  trouver  (piehpie  allusion  à  la 
future  découverte  du  nouveau  monde.  Ce  livre  appartient  à  un 
firoupo  d'écrits  apocalyptiques,  forgés  aux  proiTiiors  siècles  du 
christianisme,  et  qui  de  honne  heure  furent  considérés  comme 
apocryphes,  à  tel  point  que  Luther  los  comfjarait  aux  fahles 
d'Esope  (3).  Christophe  ColomI)  cite  pourtant  ce  passage  d'Esdras, 


•^ 


(1)  Abdias,  V,  20  :  «  Et  tiansinigratio  excrcitus  liujus  filionim  Israi-l 
(iiiinia  loca  Clianaiiœorum  nsque  ad  Sareptam,  et  tiansmigralio  Jérusalem 
ifiiic  iii  Dosphoro  est  pos.sidcbit  civitates  austri .  » 

(2)  AcoSTA,  Histoire  naturelle  des  Indes  (Traduction  Hegiiault,  p.  30). 

(3)  FABnicius,  Codices  pseudnveteris  Testamenti,  t.  Il,  p.  114-180-191. 


!K 


l'HKMIKHK    l'AHTIK.    —    LKS    l'HKC.IHSErHS    l»K   COI.OM». 


i   I 


cf,  fort  (le  l'autorilt' (le  llo^<'r  Hacoii  (I)  et  de  Pierre  <r.\illy, 
trouve  iliiiis  le  verset  suivant  rumine  une  annonce  de  la  ilé- 
eonverle  :  «  Le  troisième  jour  vous  avez  ordonné  aux  eaux  de  se 
rassenihler  dans  la  septième  partie  de  la  terre  {'2)  ».  Il  cite  j-ncoi'e 
un  autre  passage  :  «  Il  apparaîtra  le  continent  (pii  est  main- 
tenant caché  (II)  ».  De  ces  d«'ux  versets  le  premier  s'e\pli(pie 
aisément,  (|uand  on  se  rappelle  (|ue  les  juifs  [tartageaient  la 
surface  d«;  la  terre  en  sept  zones  ou  climats  :  dés  lors  il  devenait 
natiu'el  (|u'ils  rassemblassent  les  eaux  dans  une  de  ces  sept 
zones.  Quand  au  second  verset  il  serait  sans  doute  plus  convain- 
cant, mais  faut-il  y  voir  autre  chose  (ju'une  de  ces  vagues 
prophéties,  connue  on  en  trouve  tant  dans  la  Hihie? 

|j<'s  saintes  Ecritures  parlent  encore  de  trois  |>uys  mystérieux  : 
Ophir,  Tarsis  et  Parvaïm  ou  Paruim,  dans  lesquels  .,.' a  cru, 
mais  à  tort  selon  nous,  retrouver  l'Américjue.  Voici  hv;  passages 
de  la  HihIe  où  il  est  parlé  d'()pliir(i)  :  «  Le  roi  Salonion  envoya 
aussi  ime  flotte  à  Asiongaher  prés  d'Elath,  sur  la  mer  Rouge,  en 
Idumée.  liiram  eud)an|ua  sur  cette  flotte  ceux  de  ses  serviteurs 
(pii  connaissaient  les  choses  de  la  mer,  dt;  concert  avec  les 
serviteurs  de  Salomon.  .Vrrivés  à  Ophir,  ils  y  ramassèrent  (|uatrc 
cent  vingt  talents  d'oripiMIs  portèrent  au  roi  Salomon.  La  flotte 
d'iliram,  <pii  portait  de  l'or  d'Ophir,  apporta  aussi  de  ce  pays 
du  huis,  de  l'encens  en  grande  quantité  et  des  pierres  pré- 

ili  ItiKiKM  Uacox,  0/((/.s'  mnjiis  «idit.  Lomlrcs,  1733,  p.  183).  «  Et  ne 
ali(|iiis  inpcdiat  liuiic  aiictoritnteiii  dicciis  qnod  liber  illc  est  apocryphus,  dicen- 
diiiii  esl  qiiud  sancii  illuin  lialtncrinit  in  iisu,  et  eo  iti  offlcio  diviiio  iituiiti)r>'. 

(2  KsDHAS,  IV,  ().  «  Et  leitia  die  iinperasti  aquis  coiigregari  in  septim« 
Wvviv  parte  ». 

.1)  il).,  IV,  7.  <i  Et  apparesceiis  o.stendctur  quie  mine  subducitur  terra.  » 

(4)  l{ois,  I.  IX,  2(i,  27,  28:  «  Classein  quoqiic  fecit  rex  Saloinoii  in  Asion- 
};aber  quoB  est  juxta  Ailatli ,  in  littorc  maris  Ilnbri,  in  terra  ldum(n:i. 
Misitquc  Hiram  in  classe  illa  serves  suos  viros  iianticos  et  gnaros  maris  cuir: 
servis  Salomonis.  Qui,  quuni  vcni.sscnt  in  Ophir,  smnptuni  inde  aiirnm  qna- 
dringeiitonim  viginti  talentoruni  detulerunt  ad  regem  Salomonem.  Sedi'l 
classis  Hiram,  quaî  portiibat  aurum  de  Ophir,  altiilit  ex  Ophir  ligna,  tiiyniif.i 
milita  nimis  et  gcnmias  pretiosas  ». 


CHAPITRE    III.    —    l.KS   JIIFS    K.V    AMKHIQIIK  fS 

cicust's  »,  et  plus  l(»iii(l)  :  <«  F^c  roi  .Insa|»liat  avait  mis  sur  iiht 
(U's  vaisseaux  pour  (liorclicr  l'or  d'Opliir  ».  Où  est  tcUc  Opliir 
inystrriciisc?  Jamais  pcut-fHrc  prohlômc  m''o^raplii(|ii<'  ne  rct  ut 
do  solutions  aussi  variées,  [jcs  uns  se  prononcent  pour  l'Inde  {'1) 
et  les  autres  pour  l'A  rallie  (.'l).  (lelui-ti  plare  Ophir  en  .\rmé- 
nie  (4),  celui-là  en  Phryjîie  (a),  d'autres  enfin,  sur  les  côtes 
orientales  d'Alri(jue  ((») ,  et  tous  luttent  d'inf;éni<»sité  et 
d'érudition  pour  soutenir  leurs  liy|»otlièses.  Il  en  est  d'autres 
enfin  (pii,  plus  hardis,  se  déclarent  en  faveur  dv  l'Américpio  et 
même  du  Pérou.  Cl»  )|»lie  Colond»  le  premier  s'ima}:inait 
avoir  découvert  le  pays  d'Opliir,  quand  il  arriva  sur  la  rôle  du 
Verafçua  (7),  «  S'il  en  est  ainsi,  écrivait-il,  je  suis  certain  «pie 
les  mines  de  cette   île  sont  les  mêmes  que  celles  de  Verafiua, 


[{}  Hois,  I,  XXil,  40.  Ucx  ven»  Josapliat  fcccral  classem  iii  mari  (|iiic  iiavi- 
{;arcnt  iii  Ophir  pniptcr  auruiii. 

(2)  JosÉPiiK,  A>iti(juit('s  Judaïques,  VIII,  t).  —  I^iimcmi -i,  S(tvi(j(itio  S'ila- 
monis  Ophivitica  illustrata  (ttUK)).  —  Ciiajipoi,i,i(».>i,  Efiypte  sous  les 
Pharaons,  I,  (58. 

\'.\)  lUicHAnr,  (leoijraphia  Sacra  (lG-i6l,  t.  II,  p.  .38.  —  .Miciiaki.is,  Spki- 
Irijium  yooip'aphio'  Heùr.Torutn  cxtcrsp  (17il8-70i,  t.  Il,  p.  181.  —  ViscEsr, 
Histori/  of  the  commerce  and  navigatioti  n/'  t/tp  anciens  in  tlie  Indian 
Océans  |8."i7).  —  Tvchsex,  De  cotnmi  rcio  llcôr,voru)ii.  —  Si.kt/k.n,  Mé- 
moire sur  les  tril/iis  d'Arabes  notnades  le  Sj/rie.  —  NiKiii  un,  ItvsilireiliuJi / 
von  Araôien  (1817),  t.  III.  •-  Gosskmii,  l\echerchi>s  sur  la  giioijraphie  des 
anciens,  t.  Il,  p.  'Jl. 

(4)  C.M.siKT ,  Dissertation  sur  le  paijs  d'Ophir  (Colleclimi  des  Irailôs 
jçédjçrapiiiqiies,  La  Haye,  1730),  p.  287. 

(■))  Haiidt,  Disscrtutio  de  rcgione  Ophir  (Ilcimstadt,  1718). 

(C)  La  .Mmitixikke,  Dictionnaire  géofpaphique,  1758  (ailicle  Opliirl.  - 
D'Asvii.i.K,  Géographie  ancienne.  —  Bhuce,  Travels  to  discover  the  source/i 
of  the  Nilus  in  the  years  170S-1777  [Indaciion  Castcra  .  —  Dklisi.k  pk 
Sai.es,  ouvrage  cité,  t.  VI,  p.  3I!>.  —  Gksemi's,  Scriptur.e  lingu.rquc 
Pheniciœ  monumenta  quotquot  supersunt  (Leipziçf,  1837).  —  De  QrATRE- 
MKHE,  Mémoires  de  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-I..cttres  1845),  p 
;tl9.  —  Hi  Miioi.DT,  Comsos  (l.  II,  p.  403). 

(7)  Navakrette,  ouv.  cité,  t.  I,  |i.  4r)7  .  •<  Si  asi  fuerc  dij-o  que  aiçuellii 
minas  de  la  Aurea  son  unas  y  se  conviencn  con  estas  de  Verajçua,  ipic  como 
yo  dije  arriba  ee  alarga  al  Poniente  veintc  jornadas,  y  son  i;n  una  distancia 
lejos  del  polo  y  de  la  linea.  »  Cf.  Piemue  Martyr.  Décade  I,  p.  H. 


'A 


i.i 


1M) 


l'REMIKHK    l'AHTIi:.    —    LES   l'RECUnSEURS   DE  COLOMB. 


ptiisqu'cllo  est  sitiKu;  à  vingt  jouriUH's  vers  lo  rouchant,  et  qu'ollc 
se  trouvo  ('loignéc  du  pôle  et  <lo  la  ligne  équinoxiale  ».  Toute 
luie  légion  do  commentateurs  a  pensé,  comme  lui,  retrouver 
(>pliir  en  Américfue.  Ce  sont  Arias  Montanus,  Robert  Estîenne, 
Jean  liecan,  Euguhinus,  (Jenehrard,  YataMe,  Possevinus  et 
Morniuns  (1).  Ortelius  n'hésite  même  pas  à  donner  le  nom 
d'(  >phir  à  Haï  't  au  Pérou  dans  celle  de  ses  cartes  qu'il  intitule 
(Jeographia  Sat  ra  Cette  opinion  fut  encore  partagée  par  Monte- 
sinos,  par  Ulloa,  et  par  beaucoup  d'autres  savants,  on  pourrait 
dire  presque  jusqu'à  nos  jours  (2)  :  Elle  n'est  pourtant  guère 
soutenahie,  comme  nous  allons  essayer  de  le  démontrer. 

Les  arguments  de  ceux  qui  croient  à  la  similitude  d'Ophir  et 
de  l'Amérique  ne  sont  pas  en  effet  très  sérieux,  et  vraiment 
Acosta  a  beau  jeu,  (juand  il  les  énumère  pour  les  tourner  en 
ridicule  (3).  La  principale  de  leurs  raisons  n'est-elle  pas  la 
prétendue  ressemblance  des  noms  d'Ophir  et  de  Pérou  !  Or,  si 
l'on  en  croit  Carcilaso  de  la  Vega,  ce  nom  de  Pérou  serait  dû 
à  un  accident  fortuit  :  Les  premiers  Espagnols  qui  déi)arquèrent 
(hiiis  cette  contrée;  demandèrent  à  un  pécheur  nommé  Béruquel 
était  le  nom  de  la  contrée.  Ce  dernier,  ne  comprenant  qu'à  demi, 
se  nomma,  et  dès  lors  son  nom  fut  donné  au  pays  qui  s'appelait 
en  réalité  Tahuantinuyo  (4).  Il  est  vraiment  par  trop  puéril  «le 
fonder  sur  un  simple  rapprochement  de  mots  l'identité  de  deux 
pays.  D'ailleurs  comment  su[»poser  que  les  Juifs  aient  connu  le 
Pérou  plut<)t  qu<'  le  Brésil  ou  toute  autre  contrée  riveraine  de 


(i)  Tous  CCS  auteurs  sont  cités  par  Hohn,  De  Originibus  Americanis,  p. 
7,  MoxTANcs  pour  ses  Antiquitét  Judaïques,  Becan  pour  ses  Origines  .1?!- 
tnoerpianx,  EuGuniNus  pour  son  De  fluxu  et  refluxu  maris,  Genebuaiiii 
pour  sou  Isagoge  rabbinica,  Vatable  pour  ses  Annotations  au  livre  des 
rois. 

(2)  Voir  de  IUvero,  Revue  des  races  latines,  t.  XIV,  p.  192. 

(.'<)  Acosta,  Histoire  des  Indes  (traduction  RegnauU),  p.  27,  28,  chapitres 
XIII  et  XIV. 

(i)  (Jaucilaso  de  la  Vega,  Commentaire  des  Incas  (traduction  Baudouin, 
1715),  t,  I,  p.  15. 


CHAPITRE   m.   —    LES  JUIFS   E.\  AMERIQUE. 


M 


i'Atlanti(jno  ?  Us  auraient  donc,  en  partant  de  la  mer  Rouge, 
traversé  l'imniense  mer  Pacifique  (1).  Mais  ce  voyage  est 
autrciiient  invraisemblable  que  la  traversée  de  l'Atlantique. 

(  >pliir  n'est  donc  pas  l'Amérique.  Nous  en  dirons  autant  de 
Tarsis.  La  llible  parle  en  termes  fort  vagues  de  Tarsis,  comme 
d'un  pays  éloigné,  très  fertile,  abondant  en  richesses  agricoles 
ft  iiiéta!lurgi(pies,  mais  elle  ne  fixe  point  sa  position.  «  La  flotte 
(Iti  roi  et  la  flotte  d'IIiram  allaient  par  mer  à  Tarsis  une  fois  t.ous 
les  Iniis  ans  (ou  une  traversée  qui  durait  trois  ans)  :  EIL  en 
rajqMtrtait  de  l'or,  de  l'argent,  des  dents  d'éléphants,  dos  singes 
et  (les  paons  »  (2).  Il  est  seulement  probable  que  Tarsis  était 
à  l'occident,  puisque  le  prophète  Jouas  s'embarque  à  Joppé  sur 
la  Méditerranée,  et  non  plus  à  Elath  ou  à  Asiongaber  sur  la 
mer  Rouge,  pour  se  rendre  à  Tarsis  (3).  Aussi  les  commentateurs 
ont-ils  donné  libre  carrière  à  leur  imagination,  quand  ils  ont 
clicrché  l'emplacement  de  Tarsis.  Cilicie  (4),  Asie  Mineure  (5), 
Tliasos  (0),  Espagne  (7),  Carthage  (8),  tous  les  pays  occidentaux 


Il  11  est  vrai  qne  rien  n'arrête  l'imagination  des  commentateurs.  Deux 
(IViilrc  eux,  de  Frauclieville  (Mémoires  de  l'Acudémie  de  Berlin,  t.  XVII)  cl 
Court  de  Gébclin  (Monde  privtitif)  n'onl-ils  pas  prétendu  que  les  Juifs  s'arrè- 
lai(!nt  en  route  dans  nu  cer'ain  royaume  de  Juida,  sur  les  fleuves  Jaquin  et 
IMuaat,  colonie  orientale  Fondée  par  Salonion  pour  favoriser  le  commerce  en 
Afrique  !  Ce  royaume  paraît  à  tout  le  moins  aussi  imaj^inai.e  que  les  préteuHns 
voyages  des  Juifs ^au  Pérou. 

(2)  Uois,  t.  X,  22  :  «  Classis  régis  pcr  marc  cum  classe  Hiram  semel  per 
très  annos  iltat  in  Tharsim,  deferens  inde  aurum,  et  argentum,  et  dentés 
«•icpliantorum,  et  siniias,  et  pavos  ».  Cf.  E/.écuiel,  cliap.  27,  V.  12.—  P.vn.v- 
I.II'OMKNES,  II,  !),  10. 

•  '■<]  JoNAS,  I,  4.  n  Et  descendit  in  Joppein.etinvcnit  navemeuntcminTliarsis». 

(i)  C'est  l'opinion  de  Josèphe,  Anselme,  Nicolas  de  Lyra,  et  dom  Caluiet 
rilés  par  Franchevillc  (ut.  sujjra). 

(.')  Ainsi  pense  de  Ribera. 

())  Système  de  Lcclcrc  et  de  Franchevillc. 

H;  Théorie  de  Pinedo,  (îoropius,  Bochart  et  (Jesenius.  C'est  même  la 
théorie  que  semblent  confirmer  les  travaux  les  plus  récents.  Movers  dans  son 
histoire  Phénicienne  [Gv.schichtc  dcr  Colonien,  p.  r)fli-6l4)  a  prouvé  i\  peu 
près  complètement  l'identité  de  Tarsis  et  de  l'Espagne. 

(8)  Les  Septante,  Thcodoret  et  Valable  se  sont  prononcés  pour  Carthage. 
Voir  Calmet,  I)i-serlalion  sur  le  partage  des  enfants  de  Noé  (Bible,  I,  4ol). 
T.  1.  7 


'/i 


98 


PREMIERE   PARTIE.   —   LES   PRECURSEURS  DE   COLOMB. 


'     ? 


I. 


ont  été  les  u  s  après  les  autres  désignés  par  eux.  D'après  Saint 
Jérôme,  Tarsis  répondrait  à  tous  les  pays  au  delà  de  la  nier  ; 
d'après  Lipenius  et  (irotius  à  l'océan  ;  d'après  Horn  et  Moréri 
à  rAméri(|ue  (1).  Cette  dernière  hypothèse  ne  parait  guère 
fondée. 

Le  principal  argument  de  Horn  et  Moreri  est  leur  explica- 
tion de  scmel  ni  ti-es  annos,  qu'ils  interprètent  par  un  voyagi; 
de  trois  ans,  car,  avec  les  moyens  nautiques  dont  on  disposait 
alors,  l'Amérique  seule,  et  non  pas  Carthage  ou  l'Espagne,  était 
assez  éloignée  pour  n'être  ahordée  qu'après  un  voyage  de  trois 
ans.  Mais,  comme  semel  in  ires  annos  signifie  tout  aussi  bien 
qu'on  ne  faisait  ce  voyage  que  tous  les  trois  ans,  il  faut  recou- 
rir à  d'autres  arguments  pour  prouver  l'identité  de  Tarsis  et  de 
l'Amérique,  et  ces  arguments  on  les  cherche  encore. 

Quant  au  pays  de  Parvaïni  ou  de  Paruim,  un  érudit  mo- 
derne, Onffroy  de  Thoron,  croit  l'avoir  trouvé  dans  la 
vallée  de  l'Amazone.  La  Bible  rapporte  que  Salomon  orna 
sa  maison  de  belles  pierres  précieuses  et  que  l'or  venait 
de  Paruim  (2).  Or,  les  deux  rivières  aurifères  de  Paru 
et  d'Apu  Paru,  au  pluriel  Paruim,  qui  forment  l'IJcayali, 
et  la  rivière,  également  aurifère,  de  Paru,  qui  sort  des 
monts  Tumucumac,  en  Guyane,  finissent  leurs  eaux  dans 
le  grand  "ouraiit  de  l'Amazone.  Par  une  curieuse  coïncidence, 
ce  fleuve,  dans  une  partie  de  son  cours,  porte  le  nom  de  Rio 
Solimoens,  c'est-à-dire  de  Salomon.  Onflroy  de  Thoron,  en 
conclut  que  les  flottes  de  Salomon  allaient  ch-^rcher  de  l'or  dans 
ce  pays  aurifère  de  Paruim  (3),  et  il  retrouve  dos  étymoloa:i('s 
hébraïques  dans  une  cinquantaine  de  dénominations  géogra- 
plnijucs  de  la  région.  II  a  même  dressé  la  carte  du  Paruim 
bibli(|ue,  sur  les  deux  rives  de  l'Amazone,  entre  les  montagnes 


(1)  UoHN,  De  Oviginii/ttfi  Amerkanis,  p.  !)4-200. 
tionnairc  historique  (article  Opliir). 

(2)  PARAUP(tMK^^:s,  II,  §  [\,  v,  6. 

(3;  Onkfiioy  de  Thcuo.n,  ouv.  cité,  p.  7i-89. 


—  MonÉRi,  Grand  die- 


S, 


lit  int)- 
ans  li' 
,n  orna 

venait 
i;    Paru 

cayali, 

oi't  il^^i^ 
X  dans 
iilenw, 

(II'  Ri" 
•on,    *'U 

or  dans 

loloiii»'^ 

Igéojira- 

Piiruim 

Intasinos 


i'rt)i 


d  (U'-- 


f.llAI'ITRE   m.     -    LES   JlIFS   K.N   AMERIQUE.  ■      W 

(luyanaises  et  les  affluents  de  la  rive  droite  du  fleuve.  Il  est  vrai 
(pie  CCS  priHendues  preuves  tirées  de  la  philolofjie  nous  ins- 
pirent de  la  défian  e.  Aussi,  tout  en  rendant  justice  à  Tingé- 
niosité  et  à  l'érudition  du  commentateur,  suspendrons-nous 
provisoirement  notre  jugement,  et  chercherons-nous  ailleurs 
(pi'en  Améri(|ue  le  Paruim  de  Salomon. 

S'il  paraît  aujourd'hui  certain  qu'Ophir,  Tarsis,  et  même 
Paruim  doivent  être  cherchés  autre  part  que  sur  le  continent 
américain,  est-il  vrai  que  les  peuples  de  la  Palestine  n'ont 
jamais  dépassé  la  Méditerranée?  Est-il  vrai  que  jamais  aucun 
d'eux  ne  s'est  aventuré  sur  l'Atlantique?  Procope  a  pourtant 
conservé  une  fort  curieuse  légende  qui  pourrait,  à  cet  égard, 
modifier  nos  idées  (1).  A  l'époque  de  l'invasion  de  la  Palestine  par 
Jésus  (Josué),  fils  de  Navé,  tous  les  peuples  maritimes  de  Sidon 
i\  l'Kgypte,  Jébuséens,  Gergéséens  et  autres,  abandonnèrent 
leur  patrie,  et  s'établirent  en  Afrique,  le  long  de  l'Atlantique. 
Us  y  bâtirent  des  villes,  y  fondèrent  des  colonies,  et  leur  langue 
y  était  encore  en  usage  au  cinquième  siècle  de  l'ère  chrétienne. 
Sur  l'emplacement  deTigisis,  près  d'une  source  très  abondante, 
ils  avaient  construit  un  cluUeau  fort  et  élevé  deux  stèles  de 
marbre  blanc,  portant  une  inscription  phénicienne  (pii  sigui- 
ti.iit  :  <<  Nous  sommes  ceux  qui  avons  fui  loin   de   la  face  du 

(1)  Pkocope,  De  Bello  Vandalico,  H,  10  {Cjllec{ion  de  la  Bijzantine, 
183.3,  p.  449).  EvraÙOa  fJixrjVTO  ëOvr,  ;:oX'javOpw-ôtaTa,  Ti^-^nxiv.  -i  /.al 
lïij'/jiato!  /a;  aXÀa  atra  ôvo|i.aTa  's'yovTa,  oi;  ôrj  ctWx  îj  tûv  'K|5sai'fov  '.i-.oo'.x 
y.aÀsT.  Ojto;  ô  Xâi;  ir.z:  àî;i.a/ov  -t  /pTiiia  -ôv  :nr;XoTr,v  aTpaTrjôv  sloov,  l^ 
XjOwv  TÛv  -aTp!«ov  sÇavâarav-î;  J-' Atyôrrou  6|idpov  ô'jTr,;  syalpr^Tav.  "KOva 
•/(ôsov  o'jSa'va  asioiv  ho>.y.r\'Z(».rs^x'.  sOp'j'vTs;,  l~z<.  h  PtX'^ûr.ZM  -oXjavOoojn'a 
:/  -aXatO'j  r^v,  È;  At[5ÛT,v  ÈaTotXr,7av.  IIoXsi;  tî  oi/.taavTs;  -oXXâ;  Çya-aaav 
Ai,jjr|V  [xr/f.  aTr,Xojv  tûv  'IIpaxXcO>v  iV/ov,  sv-aiiOâ  tî  xai  s;  i\i.ï  ^:r^  ^vM/joy 
5(ôvr,  /pdiiJiEvot  »'i)xr,vTai.  'Eo£?|xavTO  oÈ  xai  opouptov  èv  Noi»|jiiôta  t.('Ai:,  ou 
vjv  -oX;;  T^'yia;';  iatt  te  /.a?  ôvo;AâÇ£Tai.  "EvOa  Tc^Xaf  3uô  h.  Xi'Owv  Xcuxwv 
-iT.'j<.r,<i.vii\  ày/ 1  ^^i'^Tii  etai  TJ);  ixeyiXrjs,  Yp3t[xjj.aTa  ^oivtxixà  ÈYy.£y.oXa;jL;ji;v« 
i/'ij'sx'.  Tf,  <I)0'.v''x(ov  YXùiaarj  Xs^ovia  tijoê  :  f,[J.îî;  iaijLÈv  oî  sjvovte;  à::o 
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l'HEMIERE    l'AHTIK. 


LES   PRECURSEURS   DE   COLOMB. 


i 


hrigand  Jésus,  fils  de  Navé  ».  Que  devinrent  ces  Chanunécns 
ainsi  repousses  jusqu'aux  extrémités  occidentales  de  l'Afrique? 
Hardis  marins  et  commerçants  intrépides  comme  l'étaient  leurs 
ancêtres,  et  de  plus  poussés  par  la  nécessité,  n'est-il  pas  pro- 
bable qu'ils  se  sont  lancés  sur  l'Océan  qui  s'ouvrait  à  eux?  Ils 
eurent  bientôt  découvert  les  îles  (|ui  le  parsèment  (1).  Ces  Mes, 
il  est  vrai,  étaient  désertes,  quand  les  Romains  les  retrou- 
vèrent (:2),  mais  rien  n'empêche  de  supposer  qu'elles  ont  été 
abandonnées  par  leurs  premiers  habitants,  émigrés  en  Amé- 
ri(|ue,  et  ces  habitants  ne  seraient  autres  que  les  Ghananécns 
dont  Procope  a  raconté  l'exode. 

On  a  môme  pensé  retrouver  aux  Açores  les  traces  de  ces 
Chananéens.  Nous  avons  déjà  parlé  de  la  grotte  mystérieuse  de 
Saint-Michel,  décrite  par  Tiievet  dans  sa  Cosmographie  univcr- 
scllt'  (3),  et  de  l'inscription  en  caractères  sémitiques  qu'il  y  avait 
relevée.  Ces  caractères,  avons-nous  dit,  ressemblent  aux  lettres 
phéniciennes  :  mais  l'alphabet  chananéen  est  identique,  et  les 
Chananéens,  tout  aussi  bien  que  les  Phéniciens,  peuvent  être 
considérés  comme  les  auteurs  de  cette  inscription. 

C'estencore  à  Saïut-Michel  (jue,  d'après  Manassé  ben  Israël  {l)\ 
des  Kspagnols  auraient  trouvé  une  tombe  avec  des  caractères 
sémitiques,  qui  signifiaient  Mehetabel  Suai,  fi'.s  de  Matadhel  : 
mais  on  ne  sait  c'_'  qu'est  devenue  cette  prétendue  inscription, 
ni  par  qui  elle  a  été  découverte  :  en  sorte  que,  jusqu'à  nouvel 
ordre,  on  est  obligé  de  la  considérer  comme  inventée  pour  les 
besoins  de  la  cause. 

Nous  ne  citerons  que  pour  mémoire  (5),  et  par  scrupule  d'exar- 

1^11  SiirtAs  (Lexique  (édition  Hckkcr,  18ôi)  au  mot  Xâvaav  raconte  c^tte 
grande  cmigiation  en  ternies  à  peu  près  analogues. 

(2)  Pi.i.NE,  Histoire  Naturelle,  V,  1,  lii. 

^3)  Voir  plus  haut,  p.  55. 

(4)  Manassé  ken  Isiwf.i.,  E.y)era7i[ri  iL'  Israël,  p.  26-27. 

(5  Samiei,  IJAni.ow  et  N.  ItoE  Buadn'f.ii,  A  history  of  a  stune  heariwj 
hehreir  iin'cription,  found  in  an  American  mound  ^Congrès  Américaiiisle 
de  Nancy,  t.  II,  p.  192-197). 


CIIAl'ITHE   III. 


LES   JL'IFS   EN   AMEIUOL'E. 


101 


titude,  la  prétendue  découverte  faite  par  David  W^rick  à 
Newark  dans  l'Ohio,  dans  un  tumulus  qui  paraissait  remonter 
à  une  haute  antiquité,  puisque  des  arbres  y  avaient  poussé  dont 
la  croissance  supposait  une  durée  de  ci;  j  siècles,  d'un  (^ofTre 
en  hois  rempli  d'ossements  (1  ) .  Au  milieu  de  l'argile  et  des  cendres 
d'os  calcinés  qui  remplissaient  ce  cotTre  on  aurait  tnmvé  un 
crilne  et  dans  ce  crAne  une  pierre  de  trois  pouces  de  longueur, 
couverte  de  caractères  qui  resseml)laient  à  des  lettres  hébraïques. 
On  avait  donc  en  mains  la  preuve  certaine  de  la  présence  de 
Juifs  en  Amérique  avant  Christophe  Colomb  :  mais  la  découverte 
était  apocryphe.  Elle  fut  dénoncée  par  le  colonel  Whittleney  (2) 
dans  un  factum  retentissant,  et  au  Congrès  américaniste  de 
Luxembourg,  un  de  ses  anciens  défenseurs  (3)  était  obligé  de 
faire  ce  piteux  aveu  :  «  La  pierre  de  Newark  a  fort  mal  répondu 
à  l'attente  publique  ».  Reconnaissons  d'ailleurs,  comme  on 
pourra  s'en  convaincre  par  l'inspection  de  cette  pierre,  que, 
même  d'origine  hébraïque,  elle  demeurerait  indéchiffrable. 

Il  n'en  est  pas  moins  probale  que  des  Chananéens,  expulsés 
de  leur  pays  par  les  Juifs,  ont  occupé  une  partie  des  côtes 
africaines  et  colonisé  les  archipels  de  l'Atlantique.  De  là  se 
sont-ils  répandus  en  Amérique  ?  C'est  ce  que  nous  ne  pouvons 
avancer  que  sous  toutes  réserves,  et  vraiment  Horn  nouy  semble 
bien  affirmatif  quand  il  prétend  retrouver  dans  le  nom  de  deux 
Lucayes,  Madanina  et  Guacana,  la  preuve  de  l'origine  madianite 
ou  chanaéenne  de  leurs  premiers  habitants.  Ce  sont  là  des 
procédés  que  réprouve  la  critique  moderne  :  aussi  est-ce  j)lutôt 
pour  ne  pas  être  accusé  d'inexactitude  plutôt  que  par  conviction 
([ne  nous  avons  parlé  de  ces  voyages  chananéens. 

Nous  raconterons  avec  la  même  réserve  la  prétendue  émigra- 

[i)  FosTER,  The  prehistork  Races  of  the  iinited  States,  124-126. 

(2)  Colonel  Whittleney,  Archseological  Frauds.  —  Id.  Inscribed  Stonex, 
Licking  County,  Ohio  (Western  Reserve  and  Northern  Ohio  Historical  So' 
cicty,  n»  53,  march,  1881). 

(3)  Stronck,  Repères  chronologiques  de  l'histoire  des  Mound  Buildern 
(Congres  Américaniste  de  Luxembourg,  I,  313). 


- 


102      l'HEMlÈRK   PARTIR. 


lES    PRÉCURSErHS    DE   C.OLOM». 


tioii  des  Juifs  eu  Amérique,   lorsque;  Salmanasar  eut  renversé 
le  royaume  d'Israi'l,  et  emmené  les  dix  tri!  ms  (mi  captivité  (1  ).  On 
suit  que  bon  nombre  de  Juifs  plutôt  que  de,  suivre  leur  vainqueur, 
s'enfuirent  alors  avec  leurs  familles  et  se  dispersèrent  dans 
toutes  les  directions.  Quelques  uns  d'entre  eux,  avec  la  vigueur 
et  la  pronqititude  de  détermination  qui  a  toujours  caractérisé 
leur  race,  n'hésitèrent  pas  à  mettnî  le  désert  entre  eux  et  leurs 
oppresseurs,  et  reprirent  les   routes   tracées  jadis   par  leurs 
ancêtres  dans  leur  exode  d'Egypte.  Arrivés  sur  les  bords  de  la 
mer,  et  repoussés  comme  impurs,  ils  durent  continuer  leur 
pénible  chemin  et  le  poursuivre,  le  long  des  côtes  de  la  Méditer- 
ranée jusqu'à  ce  qu'enfin  ils  arrivèrent  sur  l'Atlantique.  De 
telles  migrations  n'ont  rien  de  bien  extraordinaire.  N'est-ce 
pas  ainsi  que  les  Phocéens  quittèrent  volontairement   l'Asie 
Mineure  pour  se  fixer  sur  les  côtes  arides  et  pelées  de  la  (laule  (2)? 
N'est-ce  pas  ainsi  que  les  Francs,  internés  sur  le  Bosphore, 
s'échappèrent  à  travers  toute  la  Méditerranée,  et  rejoignirent 
leurs  compagnons  à  l'embouchure  du  Rhin  après  avoir  doublé 
l'Espagne  et  longé  la  (iaule?  (3)  De  même  firent  ces  Juifs, 
qu'excitait  le  double  amour  de  la  religion  menacée  et  de  la  patrie 
perdue.  Une  fois  en  vue  de   l'Atlantique,   la  mer  leur  était 
ouverte.  Il  est  possible  qu'ils  s'y  soient  aventurés  et  n'aient  pas 
tardé  à  la  franchir. 

Lord  Kingsborough's  leur  fait  suivre  un  autre  chemin  (4).  11 
prétend  qu'à  travers  toute  l'Asie  ils  remontèrent  jusqu'aux 
glaces  Sibériennes  et  traversèrent  le  détroit  de  Behring  afin  de 
se  soustraire  aux  horreurs  de  la  famine.  En  butte  aux  attaques 
des  sauvages,  ils  se  seraient  peu  à  peu  répandus  jusqu'au 
Mexique  et  au  Pérou,  et  y  auraient  fondé  de  grands  empires. 

Plus  encore  que  la  route  suivie  par  les  Juifs,  ce  qu'il  nousi 

(1)  Rois,  IV,  n. 

(2)  Hérodote,  I,  162-167 

(3)  Histoire  Auouste. 

(4)  Tour  du  Monde,  n»  391  (juin  1867). 


r.llAPITRE   m.    —   LES  JUIFS  EN  AMÉRIQUE. 


108 


importe  de  connaître,  c'est  la  réalité  de  leur  séjour  en  Amérique. 
Kxiste-t-il  on  un  mot,  entre  t  jx  et  certains  peuples  de  l'Amérique, 
surtout  du  Hiidi,  des  analogies  dans  les  traditions,  dans  les 
coutumes,  dans  la  langue,  dans  les  traits  du  visage  ;  analogies 
(|ui  nous  permettraient  de  conclure  que  les  Chananéens  et  les 
Juifs  se  sont  peu  à  peu  avancés  d'une  rive  i\  l'autre  de  l'Atlan- 
tique, en  passant  par  les  îles  intermédiaires  ? 

Le  souvenir  de  la  double  émigration  des  Chananéens  et  des 
Juifs  semble  avoir  été  conservé  par  quelques  traditions  locales. 
Un  des  premiers  historiens  de  la  conquête,  le  froid  et  conscien- 
cieux llerrera  (1)  écrit  «  qu'un  grand  nombre  d'Indiens  avaient 
appris  de  leurs  ancêtres  que  la  terre  de  Yucatan  avait  été 
peuplée  par  des  nations  venues  de  l'Orient,  et  que  Dieu  avait 
délivrées  de  l'oppression  en  leur  ouvrant  un  chemin  vers  la 
mer  ».  Landa  (2),  témoin  oculaire  et  l'un  des  principaux 
auteurs  de  la  conquête  du  pays,  dit  aussi  :  «  Quelques  anciens 
du  Yucatan  prétendent  avoir  entendu  de  leurs  ancêtres  que  cette 
tern;  fut  occupée  par  une  race  de  gens  qui  entrèrent  du  côté  du 
levant  et  que  Dieu  avait  délivrée  en  lui  ouvrant  douze  chemins 
vers  la  mer.  Or  si  cela  était  vrai,  il  s'en  suivrait  que  tous  les 
habitants  des  Indes  Occidentales  seraient  descendus  des  Juifs  ». 
Des  traditions  analogues  ont  été  recueillies,  tout  récemment 
encore,  chez  les  Montagnais,  peuplade  de  la  Nouvelle  Bretagne, 
par  un  observateur  dont  on  ne  saurait  récuser  la  haute  compé- 
tence ou  la  froide  impartialité,  le  Père  Petitot  (3).  Quelques 
écrivains  sont  encore  plus  explicites.  Lizana  et  Torquemada 
tracent  avec  précision  la  route  de  ces  tribus  errantes  d'après 
les  documents  indigènes  qui  étaient  en  leur  possession  (4),  et 
affirment  que  les  populations  de  l'Amérique  Centrale  venaient 

(1)  Herreha,  llistoria  gênerai  de  las  Indias,  IV,  X,  8. 

(2)  Landa,  Relation  du  Yucatan  (traduction  Brasseur  de  Bourbourg) . 

(3)  Pèhe  Petitot  (Nouvelles  Annales  des  Voyages),  février  1869. 

(i)  LizANA,  Histoire  de  Notre-Dame  de  Izamal  (traduction  Brasseur  do 
Bourbourg),  p.  357.  —  Tohquemada,  Monarquia  Indiana  (1723). 


104   PRKMIKHE  l'ARTIi:.  —  LES  PRÉCURSEURS  DE  COLOM». 

(le  Guba^  mais  après  avoir  habité  successivement  les  Antilles, 
les  Canaries  et  l'Afrique.  Or  on  sait  conilùen  Colomb  et  les 
premiers  navigateurs  ou  historiens  de  l'Amer. que  avaient  ét«''. 
frappés  de  la  ressemblance  qui  existait  entre  les  insulaires  des 
Antilles  et  ceux  des  Canaries.  Herthelot,  dans  sa  récente  histoire 
des  Canaries,  constate  la  même  analogie,  et  de  plus  établit  que 
plusieurs  noms  de  personnes  et  de  localités  étaient  identi(|ues 
dans  les  deux  archipels.  Que  si  maintenant  nous  rapprochons 
ces  traditions  Américaines  de  la  tradition  conservée  par  Procope 
et  Suidas  et  de  la  dispersion  des  tribus  juives  sous  Salmanazar, 
nous  co.  .aterons  entre  ces  divers  récits  une  grande  ressem- 
blance. Reconnaissons  pourtant  qu'il  faut  nous  défier  de  la 
tendance  qu'ont  toujours  eue  certains  écrivains,  et  en  parti- 
culier les  historiens  de  l'Amérique,  à. forcer  les  analogies  entre 
l'ancien  et  le  nouveau  continent,  et  que,  pour  confirmer  les 
traditions  que  nous  avons  énumérées ,  nous  avons  besoin 
d'autres  preuves. 

Ce  ne  sont  pas  les  ressemblances  qu'on  a  cru  trouver  entre 
les  coutumes  juives  et  américaines  qui  triompheront  de  notre 
défiance.  Manassé  Ben  Israël  (i)  rapporte,  en  effet,  que  Monte- 
sinos,  voyageant  dans  l'Amérique  Méridionale,  reconnut  dans  son 
guide  un  Israélite  qui  l'assura  que  bon  nombre  d'Indiens,  ayant 
la  môme  origine  que  lui,  habitaient  les  Cordilliôres,  mais  Manassé 
était  juif  lui-même,  et  l'on  connaît  l'orgueil  national  de  cette 
race  et  son  ardent  désir  d'étendre  sa  puissance  et  d'augmenter 
sa  renommée  :  certes,  s'il  avait  pu  prouver  son  assertion,  il 
n'aurait  pas  manqué  de  le  faire  ;  or,  non  seulement  il  garda  le 
silence  à  ce  sujet,  mais  encore  il  avoue  qu'il  ne  parle  que  par 
ouï-dire.  En  effet  les  voyageurs  qui  ont  traversé  les  Andes, 
depuis  Humboldt  jusqu'à  Casteinau  et  Paul  Marcoy  n'ont  pas 
trouvé  trace  de  ces  prétendus  Juifs. 

Il  est  vrai  qu'Adair,  voyageur  et  marchand  anglais  du  xviir 


(1)  Manassé  ben  Israël,  ouv.  cité,  p.  4-6, 


CIIAIMTHE   III.    —    LES   JflFS   KN   AMiiRlyi:!:. 


10."> 


siècle  (1),  qui  vécut  ({uatrc  aus  parmi  les  Indiens,  et  «t'>serva 
leurs  coutumes  avec  intériH  ;  que  (iumilla,  supérieur  des  riiissioiii 
(le  rOrénoqiu!  et  recteur  <lu  crdiège  de  Cartliagèae  eu  I7iti  ;  ipu^ 
lord  Kinjishorougirs,  le  systématique  compilateur  des  aati(|uités 
Me\i(!aines,  et  que  plusieurs  autres  écrivains  ont  fait  au  sujet  de 
la  prétendue  similitude  entre  les  coufunu?sjuives  et  américaines 
(le  curieuses  remarques.  Ainsi  les  .\méricains  du  Midi,  de 
même  que  les  Juifs ,  olfrent  à  Dieu  les  prémices  de  leurs 
rt'coltes.  Us  célèbrent  toutes  les  nouvelles  lunes  et  font  au 
commencement  de  septembre  une  grande  cérémonie  d'expiation. 
Cliez  eux,  comme  au  temps  de  Ilutl»,  le  frère  du  défunt  prend 
la  veuve  pour  épouse  ;  chez  eux  la  purification,  le  bain,  le  jeune 
sont  en  usage  à  des  époques  déterminées.  Us  ont  même  une 
arche  sainte,  soigneusement  enfermée  dans  un  sanctuaire,  et  la 
portent  devant  eux  à  la  guerre,  en  prenant  soia  que  jamais  elle 
ne  touche  terre.  Adair,  Gumilla  et  Kingsborough's  en  concluent 
volontiers  que  les  Américains  descendent  des  Juifs. 

Les  ressemblances  les  plus  étranges  ont  été  signalées  par  le 
Pèr(î  Petitot  chez  les  Déné-Dindjiés,  tribu  Américaine  (jui  s'étend 
sur  d'énormes  espaces,  de  la  mer  d'Hudson  aux  monts  des 
Cascades  (2).  Ces  barbares,  de  même  que  les  Juifs,  pratiquent 
la  circoncision.  Ils  imposent  à  leurs  femmes  et  à  leurs  filles, 
à  l'époque  menstruelle,  une  séquestration  absolue.  Ils  les 
relèguent  même  à  ce  moment  dans  des  huttes  de  branchage,  où 
elles  doivent  vivre  la  tête  et  la  poitrine  couvertes  d'un  capuchon, 
sans  qu'il  leur  soit  permis  de  suivre  ou  de  traverser  les  sentiers 
frayés,  ni  de  monter  en  pirogue  (3).  Après  leurs  couches,  les 

(1)  Adair,  The  History  of  the  American  Indiatts.  —  KiNcsBOHOtiiH's, 
Antiquities  of  Mexico,  t.  IV,  p    45.  —  Gumilla,  op.  cit.,  t.  1,  p.  186. 

(2)  Père  Petitot,  Les  Dené-Dindjiés  (Congrès  Américaniste  de  Nancy, 
t.  II,  p.  26). 

(3)  Léritique,  XV,  19.  Mulicr  quae  redcunte  mense,  patilur  flnxuni  san- 
guinis,  scptcm  dics  separabitur.  —  Cf.  Plassard  (Société  de  géographie  de 
Paris,  juin  1868)  constatant  que,  chez  les  Guaranos  de  rOrcnoque,  la 
femme  en  couches  et  la  femme  réglée  sont  considérées  comme  impures.  On 


s  ! 


V 


KMi       l'HKMIKHK    l'AiniK, 


LKS    l>nÉ(.l'HSKIIHS    DR   COLUMH. 


i 


IViiimcs  s'iilistiendroiit  «le  tout  cnmnu'n'c  chariM'l  puiidaiit 
(|iianint(>  jours  (1).  Kilos  nourriront  hMirs  rnfants  au  moins 
pendant  trois  ans  [il).  ICIlcs  ne  se  marieront  rpicdans  Icurtriltu, 
«^t  de  pn-lériMice  avec  leurs  l(oaux-fr(''res  (IJ).  Les  Den<^-l)indjiés, 
de  nuhne  cpie  les  Juifs,  éproiivont  inie  grande  n^pufjnancc 
à  manipuler  des  cadavres  (4),  ou  nK^ine  à  les  touflier  (.*>).  Ils 
hrùlent  les  liardes  et  les  ustensiles  ((i)  des  défunts.  La  viande 
de  cliieu  est  par  eux  considérée  comme  immonde  (7).  Jamais  ils 
ne  mandent  certaines  parties  du  corps  des  animaux,  surtout  les 
nerfs  des  jambes  (8).  Lorsqu'il  leur  arrive  de  tuer  à  la  chasse 
queUpie  gros  animal,  tel  (pi'un  élan,  ils  en  ramassent  le  sanp 
dans  la  panse  de  la  héte,  et  l'ensevelissent  dans  la  neige.  Si  c'est 
un  petit  animal  ils  le  saignent  aussitAt(O).  Ils  ont  même  conservé 
des  traditions  qui  rappellent  étrangement  certaines  croyances 
bibliques.  Ainsi,  bien  qu'habitant  un  pays  où  ne  peut  vivre  aucim 
serpent,  ils  connaissent  le  serpent  et  en  font  l'esprit  du  mal.  Ils 
identilient  son  nom  avec;  celui  du  mal  et  de  la  mort,  et  affirment 
qu'il  s'unit  A  la  première  femme.  Ils  croient  encore  î\  l'œuvre  de 
la  création  pendant  six  jours,  à  l'unité  de  l'espèce  humaine,  au 
péché  originel,  au  déluge,  aux  géants  antédiluviens  et  h  la  diffusion 


porte  i\  celte  dernière,  dans  une  cabane  isolée  dont  elle  ne  doit  pas  sortir, 
tout  ce  dont  elle  a  besoin. 

(1)  Lévitique,  Xil,  2. 

1,2)  Macchabées,  VU,  27.  Lac  triennis  dcdi  et  alui. 

(3)  Nombres,  XXXVI,  7.  —  Lévitique,  XVIII,  6.  —  Id.,  XXI,  14.  Omnes 
viri  duccnt  uxores  de  tribu  et  cognatione  sua. 

(4)  Nombres,  XIX,  2.  Qui  cetigerit  cadaver  hominis  proptcr  hoc  septeni 
dicbus  erit  immundus. 

(5)  Nombres,  XIX,  16    Si  quis  in  agro  tctigerit  cadaver  hominis,  sJve  os 
iliius,  sive  sepulcrum,  immundus  erit  septem  dicbus. 

(6)  Nombres,  XIX,  14. 

(7)  Deutéronome,  XXIII,  18.  Non  ofieres  pretium  carnis  in  domo  domini 
tui  quia  abominubile  est  apud  Dominum  tuum. 

(8)  Genèse,  XXXII,  32.  Lévitique,  V,  14.  Sanguinem  universœ  carnis  non 
comedatis,  quia  anima  carnis  in  sanguine  est. 

y)  Lévitique,  XVII,  13.  Si  venatione  ceperit  avem  vel  Teram,  fundat  san- 
guinem ejus,  et  operiat  itlum  terra. 


i[ 


ciiAi'iTiii;  m.  —  i,Ks  jriKS  en  amèhkji'k. 


107 


(lu  laiiKaKc,  domines  liihiiqiics  dont  lu  prôscnce  au  milieu  de  ces 
sauva^'cs  (h'iiotc,  en  (Icliorn  de  toute  explication  matériel  le 
|ilausil)le,  à  tout  le  luniiis  iiiu>  haute  anti(|uité.  Notons  encore 
que  c»'s  Deni-Diiidjiés  racontent  (|u'ils  ont  lonf,'temps  vécu  f  •  ec 
(les  élranfîers  (|ui  se  rasaient  la  tête,  portaient  en  ffiierre  des 
\étements  couverts  d'écaillés  (cuirasses),  des  boucliers  de  peau, 
(les  (*as(pies  de  hois,  et  des  couteaux  au  Ixiut  d'un  long  manche 
(lances).  Ces  étrangers,  n(»nuiiés  Kfivi  Detelli  ou  Têtes  pelées, 
Mialtraifaient  les  Uené-Dindjic's,  et  les  forcèrent  à  chercher  au 
loin  une  autre  patrie. 

Assurément  ces  analogies  sont  frappantes,  mais  elles  n'ont 
|ias  été  constatées  par  tous  les  voyageurs,  et  d'ailleurs  mie  cou- 
luitie,  niénu'  étrange,  peut  se  retrouver  dans  hien  des  pays, 
sans  (pie  les  habitants  de  ces  pays  soient  de  même  race.  Pour 
n'en  citer  qu'un  exemple,  la  circoncision  était  prafi(piée  chez 
les  Kfhiopicns,  les  Arabes,  les  Phénéciens,  les  Colciiidiens,  etc. 
l-llle  l'est  encore  aujourd'hui  par  tous  les  Mahométans.  Qui  donc 
pourtant  s'aviserait  de  prétendre  que  ces  peuples  étaient  ou  sont 
tous  de  même  ruce? 

(le  (|ui  nous  frapperait  plus  encore  «pie  ces  anylogies  de  cou- 
tumes qui  peuvent  n'être  qu'accidentelles,  c'est  la  perpétuité  de 
lu  langue.  Les  Juifs,  encore  aujourd'hui,  ont  fidèlement  con- 
servé, comme  un  dép(jt  précieux,  leur  langue  nationale  :  ils  ne 
l'auraient  certainement  [)as  oubliée  en  Américiue  si,  réellement, 
ils  y  étaient  allés.  Remarquons,  néanmoins,  que  les  Juifs 
doivent  la  conservation  de  leur  langue  à  la  fn'quence  de  leurs 
communications,  et  il  p^ut  se  faire  qu'une  petite  fraction  d'entre 
eux,  isolés  et  comme  ,/erdus  au  milieu  d'un  peuple  immense, 
ne  nîcevant  aucune  nouvelle  de  leurs  compatriotes,  et  forcés, 
|»)ur  se  faire  comprendre,  d'adopter  la  langue  de  leurs  voisins, 
aient,  après  quelques  générations,  oublié  l'idiome  national. 
Quelques  mots  hébreux  pourtant  se  seraient  conservés.  Ainsi, 
Sagard  Théodat  (1),  prétend  qu'il  a  entendu  les  Américains  du 


(1)  Sac.ard  Théodat,  Histoire  du  Canada  (1636),  édition  Tross,  p.  292. 


■1 


1()8       PHKMIKKK    PAHTIK. 


LKS    l>HKI.(  HSKl'KS   l»R   COLOMIi. 


Nord  cIiiiiiUm'  Alléluia  !  mais  le  naïf  voyageur  entoiidait  pi'olia- 
hlciiuMit  de  iiouveaiiv  convertis  i\  la  religion  catlioliciiK»,  (|ui  a 
conservé  ce  mot  hébreu  dans  sa  liturfrie.  D'ailleurs,  connue  nous 
espérons  le  démontrer  |>lus  tard,  la  région,  où  fut  signalé  ce 
chant  de  joie  chrétien  et  juif,  fut,  à  diverses  reprises,  et  hien 
avant  Lescarhot,  occupée  par  des  colons  chrétiens,  soit  Irlandais, 
soit  Northmans.  Il  n'y  a  donc  rien  d'étonnant  à  celte  continuité 
dans  l'expression  des  sentiments  joyeux. 

Les  ressemblances  signalées  par  Adair  seraient  plus  impor- 
tantes (1).  Ce  voyageur  rapporte,  en  effet,  que  certaines  tribus 
Péruviennes  portcmt  sur  la  poitrine  une  coquille  blanche  où  est 
gravé  le  mot  liébreux  Urim.  Klles  chantent  en  outre  .»  ,1e  Mes- 
chiha,  llo  Meschiha,  Vah  Meschiha  »,  c'est-à-dire  les  trois 
syllabes  du  mot  Jéhovah,  coupées  par  trois  appels  au  Messie. 
Adair  affirme  encore  (jue  les  coupables  sont  nommés  lia  Ksit 
Canaha,  c'est-à-dire  pécheurs  de  Chanaan,  et  ([u'aux  offices 
religieux  les  prêtres  apostrophent  les  distraits  en  leur  disant  : 
«  Tschi  Haksit  Canaha  »,  c'est-à-dire  pécheur  de  Chanaan.  Ces 
analogies  sont  étranges,  mais  ni  assez  frappantes,  ni  assez 
convaincantes  pour  entraîner  la  conviction,  et  d'ailleurs  le  témoi- 
gnage d'Adair  est  trop  isolé  pour  qu'on  ait  le  droit  d'en  conclure 
l'identité  des  langues  hébr&ïque  et  péruvienne. 

Telle  fut  pourtant  l'opinion  de  quelques  savants.  Le  docteur 
Heinsius,  membre  de  l'Académie  de  Berlin,  pensait  que  le  Péru- 
vien dérive  directement  de  l'Hébreu  (2).  La  Condamine  trouvait 
aussi  des  ressemblances,  mais  il  ne  citait  que  six  mots  Hébreux 
ayant  avec  le  Péruvien  des  rapports  plus  ou  moins  éloignés  (3). 
Court  de  Gébelin  (4),  toujours  exagéré  dans  ses  assertions, 

(1)  Adaih,  ouvrage  cité.  Voir  le  cinquième  argument  (p.  37-74),  qui  traite 
de  la  langue  des  Indiens. 

(2)  Pelloutier,  Mémoire  sur  les  rapports  des  Celtes  et  des  Américains 
(Académie  de  Berlin),  1749. 

(3)  La  Condamine,  Rapport  sur  les  monuments  du  Pérou  au  temps  den 
Incas  (Académie  de  Berlin),  1746. 

(4)  Court  de  Gebbmn,  Monde  primitif,  t.  VIII,  p.  525. 


r.iiAi'iTKi:  III. 


MIS   JI'IKS    KN    AMKnigi'K. 


\m 


(Ircssiiit  un  (lirtioimnirc  de  ces  mots,  et,  rien  qu'à  la  Icttn'  A, 
en  ('iiiiiiK'rait  (-iiu|uaiit(>-(|natn>  :  mais  la  |ilii|)ai't  de  sos  assimi- 
lations sont  toreros,  et  il  tant  |M)nr  les  admettre  |)lns  (|ne  de  la 
Itonne  volonté.  Le  téinoi^na^'c  d(>  \lalon(>t  serait  inoin>  sns- 
|te('t(l).  Nous  lisons,  en  eiïet.  dans  les  Mémoires  «le  ce  froid  et 
l'oiiseiencieiix  oliscrvatetir,  (|ii'un  Juif  établi  à  Surinam,  (>t 
iioiiuné  Isaar  Narci,  lui  aurait  at'tirmé  (|ue  les  sulistantirs  d(>  la 
iaiijfue  «les(Jalil)is,  c'est-à-dire  des  Indiens  de  la  (luyane,  étaient 
d'origine  lié|)raù|ue,  surtout  les  sultstantils  (|ni  désignaient  les 
choses.  Kniiu,  (ra|)rès  le  rapport  d'un  voyaf,'eur  moderne,  C.as- 
telnaii,  un  IsraJ'Iite,  di^  Siuitarein  sur  IWinaxone,  lui  aurait 
iiidi(pié  |)lus  de  cinquante  tenues  (>inpnmtés  auv  idiomes  du 
pays  et  tout  à  fait  semIdaMes  à  ceux  des  llélireux  {"1). 

La  |)liilolo}fie  est  une  science  trop  moderne,  ot  ses  procédés 
d'iiivestifrations  sont  déterminés  (le])uistn»p  ])eu  de  temps,  p>ur 
ne  pas  avouer  notre  déliance  à  l'égard  de  certaines  théories,  en 
vertu  (les(pielles  lesérudits  du  dernier  siècle,  et  peut-être  même 
(|uel(pies  savants  contemporains  sont  portés  à  conclure  de 
(■criailles  identifications,  peut-être  accidentelles,  à  une  coimnu- 
iiauté  d'orif^ine  entre  certaines  laujrues.  Les  exemples  «pie  nous 
avons  allégués  à  propos  de  la  prétendue  ressemltlance  entr«'  les 
langues  juive  et  péruvienne  ne  nous  semltlent  jus(prà  nouvel 
ordre,  ni  assez  nombreux,  ni  assez  précis  pour  entraîner  notn». 
conviction.  Tant  qu'on  n'aura  pas  démontré  (|ue  ces  deux 
langues  ont  les  mêmes  j)rocédés  soit  dans  la  structure  de  la 
phrase,  soit  dans  la  formation  des  mots,  et  nous  ne  pensons 
pas  que  cette  prouve  ait  jamais  été  donnée,  nous  n'hésiterons 
pas  à  affirmer  que  ces  ressemblances  ne  sont  dues  (|u'iui  hasard, 
et,  par  conséquent,  que  la  cidonisation  de  l'Amérique  par  les 
.luifs  n'est  pas  établie  par  la  perpétuité  de  leur  langue  au 
nouveau  monde.  .  -  . 


(1)  .Malolet,  Mémoires,  t.  I,  p.  lo8. 

(2)  De  Castelkac,  Vogar/e  dans  l'Amérique  Méridionale,  t.  IV  (Cuzco). 


^-  'i 


1 1 


110       l'REMIÈRK   PARÏIK.    —   LES   PHÉCinSElRS   1)K  COLOMIl. 

La  perpc^tuitô  du  type,  si  rôellianeiit  clic  existe,  serait  plus 
rcmar(|uai>le.  Quelques  voyageurs  l'ont  constatée,  et,  comme  le 
type  juif  n'est  pas  un  de  ceux  qu'on  puisse  aisément  confondre 
avec  d'autres,  s'il  s'est  .conservé  en  Amérique,  c'est  que  sur  ce 
continent  s'est  produit  un  phénomène  très  intéressant  de  trans- 
mission héréditaire. 

L'abbé  Brasseur  de  Bourbourg,  qui  a  longtemps  vécu  parmi 
les  Indiens  du  Guatemala  (1),  s'exprime  en  ces  termes  sur  leur 
compte  :  «  Nous  avons  eu  souvent  l'occasion  d'admirer  parmi 
les  populations  Indiennes  du  Mexique  et  de  l'Amérique  centrale 
des  types  Juifs  ou  Egyptiens.  Plus  d'une  fois  également  nous 
avons  observé  dans  ces  contrées  des  profds  semblables  à  celui 
du  roi  de  Juda  sculpté  parmi  les  ruines  de  Karnak.  Une  fouit; 
d'étrangers  ont  remarqué  avec  autant  de  surprise  que  nous 
dans  certains  villajres  guatémaliens  le  costume  arabe  des 
hommes  et  le  costume  juif  des  femmes  de  Palin  et  du  lac 
d'Amatitlan  ».  Ces  observations  présentent  un  vif  intérêt.  Il 
serait  à  souhaiter  qu'elles  fussent  répétées  par  d'autres  voya- 
geurs et  conduites  avec  plus  de  rigueur  scientifique.  Si  réelle- 
ment l'Amérique  a  été  peuplée  et  colonisée  par  des  Juifs,  on  ne 
parviendra  jamais  à  le  démontrer  qu'en  étudiant  la  conforma- 
tion physique,  (ju  les  singularités  du  type  indigène  ;  mais,  à 
l'heure  actuelle,  le  problème  n'a  pas  été  suffisamment  élucidé. 
<Jn  peut  même  dire  qu'il  n'a  pas  été  posé,  puisque  i  on  ignore 
si  ces  Américains,  qui  ressemblent  aux  Juifs,  descendent  d'une 
émigration  plus  ou  moins  considérable  qui  aurait  eu  lieu  sans 
laisser  de  traces  authentiques  dans  l'histoire;  ou  bien  s'ils  ont 
pour  ancêtres  des  Juifs  débarqués  en  Amérique  aux  premiers 
jours  de  la  conquête.  C'est  dans  cette  direction,  et  rien  ((ue 
dans  cette  direction  qu'il  faut  s'engager  pour  trouver  le  secret, 
si  longtemps  cherché,  de  la  présence  des  Juifs   au   Nouveau 


(1)  Brasseur  de  Boiuiioiko,  Histoire  des  nations  civilisées  de  l'Amdrit/i/i' 
lentralr,  t,  I,  p.  17. 


CHAPITRE   III. 


LES   JUIFS    EN    AMÉRIQUE. 


111 


Monde  avant  Colomb.  Autrement,  toutes  les  ressemblances,  ou, 
|)uur  être  plus  exact,  toutes  les  analogies  que  nous  avons 
signalées  dans  les  coutumes,  dans  la  langue,  dans  les  traits  du 
visage,  ne  nous  donnent,  jusqu'à  nouvel  ordre,  aucun  droit  de 
conclur'-!  à  la  réalité  de  ces  voyages  transatlantiques. 


'■ 


CHAPITRE  IV 

LES  GRECS  ET  LES  ROMAINS  ONT-ILS  CONNU  l'aMÉRIQUE  ? 
TRADITIONS.   —   THÉORIES.   —   VOYAGES. 


Les  Grecs  et  les  Romains  ont-ils  connu  l'Amérique?  Cette 
«[uestion,  au  premier  abord,  semble  toute  résolue.  Ni  les  uns 
ni  les  autres  n'ont  jamais  eu  grand  désir  de  pénétrer  dans  les 
régions  inexplorées.  La  terre,  pour  eux,  fut  toujours  étroitement 
bornée,  et  lorsque,  par  hasard,  ils  franchirent  ces  bornes,  ils 
furent  arrêtés  par  les  dangers  prétendus  ou  réels  de  l'Océan. 
Leurs  voyages  en  Amérique  sont  donc  peu  vraisemblables. 
Pourtant,  si  le  nouveau  monde  n'a  pas  été  découvert  par  eux, 
ils  en  eurent  du  moins  comme  le  pressentiment,  on  dirait 
pres(jue  la  réminiscence,  car  ils  en  ont  parlé  à  diverses  reprises 
comme  on  parle  d'un  pays  entre  aperçu  en  songe,  dont  on 
s'efforce  au  réveil  de  ressaisir  par  la  pensée  les  contours  perdus. 

Afin  de  procéder  avec  méthode  dans  ce  rapide  examen,  npus 
établirons  une  distinction  entre  les  traditions,  les  théories  et 
les  voyages  :  les  traditions  remontent  au  premiers  Ages  de 
l'humanité  et  elles  ont  été  si  persistantes  qu'il  importe  d'en' 
suivre  la  série  à  travers  les  siècles.  Quelques-unes  des  théories 
sont  rigoureusement  vraies  et  elles  ont  conduit  les  navigateurs 
à  des  résultats  sérieux.  Quant  aux  voyages,  bien  que  quelques- 
uns  ))araissent  présenter  des  garanties  d'exactitude,  nous  ne 
nous  croyons  pas  le  droit  d'affirmer  qu'un  seul  d'entre  eux 
soit  authentique.  i 


SHH 


I 


«•.IIAIMTRK   IV.    —    LKS   CHECS    KT   LKS    ROMAINS. 


113 


Nous  examiiUTons  successivement  ces  traditions,  ces  théories 
et  ces  voyages. 


1.  —  Les  traditions. 

Les  fradititjns  se  groupent  autour  de  trois  noms  :  l'Atlantide, 
le  continent  Cronien  et  la  Méropide. 

Solon  est  le  premier  parmi  les  anciens  qui  se  soit  occupé  de 
l'Atlantide.  Il  avait  beaucoup  voyagé  et  s'était  lié  avec  les  prêtres 
(le  la  ville  égyptienne  de  Sais  (1).  Ces  dépositaires  de  la  science 
antique  furent  interrogés  }»ar  lui  sur  l'histoire  des  temps  reculés 
et  i<  il  r(îconnut  (ju'on  pouvait  jjresque  dire  (|u'au|irès  de  leur 
s(icn<'e,   la   sieiuie   et  celle   de   tous   ses  compatriotes   n'était 
rien  ».  Un  jour,  voulant  engager  les  prêtres  à  parler  de  l'anti- 
(|uité,  il  se  mit  à  leur  raconter  ce  que  nous  savons  de  plus 
ancien,  Phoronée  dit  le  Premier,  Niohé,  le  déluge  de  Deucalion 
et  de  Pyrrha,  leur  histoire  et  leur  postérité,  supputant  le  nombre 
(les  années  et  essayant  ainsi  de  fixer  l'épocpie  des  événements, 
l'n  des  prêtres  les  plus  âgés  lui  dit:  <(  O  Sulon,  Solon,  vous 
autres  Grecs,  vous  serez  toujours  enfants,  il  n'y  a  pas  de  vieillard 
parnii  vous  ».  —  «  VA  pourquoi?  »  —  «  Vous  êtes  tous,  dit  le 
prôtre,  jeunes  d'intelligence,  vous  ne  possédez  aucune  vieille 
tradition  ni  aucune  science  vénérable  par  son  antiquité  ».  Fort 
étinné  de  ce  discours,  Solon  conjura  les  prêtres  de  lui  apprendre 
exactement  ce  qu'ils  savaient  de  l'histoire  de  ses  aïeux,  et  il 
apprit  alors  que  jadis  ses  ancêtres  avaient  glorieusement  lutté 
contre  un  peuple  conquérant,  les  Atlantes,  (jui  étendait  sa  domi- 
nation sur  l'univers  presque  entier,  mais  dont  la  patrie  disparut 
i-n  un  seul  jour  anéantie  par  de  grands  tremblements  île  terre 
et  des  inondations.  Séduit  par  la  beauté  tragi([ui!  du  sujet  et 


(!)  Platon,  Le  Timé'  (traduction  Cousin),  p.  lOlJ.    I.e  nieillcur  foninicn- 
liiiiu  (lu  Tiniéu  est  celui  de  M.  Tli.  lleini  Martin. 


T.    I. 


8 


114       l'HKMIÈRE    l'AnTIK.    —    LES    1      .CLKSKIRS    l»E   COLOMH. 

désirant  ('lever  un  monument  à  la  },'l(»ire  de  ses  conipatriotes, 
le  législateur  athénien  résolut  d'occuper  les  loisirs  que  lui 
donnait  la  tyrannie  de  Pisistrate  en  composant  un  poème  sur 
la  guerre  des  Athéniens  et  des  Atlantes.  La  vieillesse  l'empêcha 
d'achever  son  «T-uvre,  et  ce  fut  un  malheur,  car,  d'après 
Platon  (1)  :  <»  S  '  >n  se  fut  livré  sérieusement  à  la  poésie,  s'il 
eût  achevé  l'ouv  qu'il  avait  rapporté  d'Egypte,  si  les  factions 
et  les  autres  mau\  (pi'il  trouva  ici  ne  l'eussent  contraint  d'inter- 
rompre ses  travaux,  seliju  moi,  ni  Hésiode,  ni  Homère,  ni  aucun 
autre  poète  n'eût  surpassé  sa  gloire  ». 

Platon  ne  se  contenta  pas  d'un  hommage  stérile.  «  S'emparant 
de  ce  sujet  comme  d'une  helle  terre  aliandonnée,  et  qui  lui 
revenait  par  droit  de  parenté,  (2)  il  se  fit  un  point  d'honneur  de 
l'achever  et  de  l'embellir.  H  y  mit  un  vestihule  superhe,  l'entoura 
d'une  magnillque  enceinte  et  de  vastes  cours,  et  y  ajouta  de  si 
beaux  ornements,  qu'aucune  histoire,  aucune  fable,  aucun 
poème  n'en  eurent  jamais  de  semblables.  Mais  il  l'avait  com- 
mencé trop  tard  ;  prévenu  par  la  mort,  il  n'eut  pas  le  temps  de 
l'achever,  et  ce  qui  manque  de  cet  ouvrage  laisse  aux  lecteurs 
autant  de  regrets  (jue  ce  qui  en  reste  leur  cause  de  plaisir.  De  tous 
les  temples  d'Athènes,  celui  de  Jupiter  Olympien  est  le  seul  qui 
ne  soit  pas  fini  ;  de  même,  entn»  tant  de  beaux  ouvrages  (|ue  la 
sagesse  de  Platon  a  enfantés,  son  Atlantide  est  le  seul  «ju'il  ait 
laissé  imparfait  ».  Ainsi  s'exprimait  Plutar(|ue  (3),  et,  tout  en 
faisant  la  part  d'une  certaine  exagération  laudative,  nous  ne 
pouvons  que  confirmer  son  jugement,  car  nous  possédons  encore 
cette  (inivre  inachevée  de  Platon  ;  c'est  celui  de  ses  dialogues 
(|ui  est  intitulé  Gritias  ou  de  l'Atlantide.  Hn  voici  une  analyse 
sommaire. 


^l)  Pi.AiiiN,  /.'•  Tiinifc,  p.  105. 

(2)  Platon  avait  pour  mère  Péricliciu'!,  fillo  de  Glaucon,  fils  de  Gritias,  fils 
de  Dropiilas,  fri-re  de  Soloii. 

(3)  PuTAiiQii:,  Vir  de  Solon  ledit.  Uidot,  p.  il.j,  §  32  .  «...  m;  yàp  f, 
-ÔX'.;twv  'AOr|Vx;(i)v  to  'OXj;x-îtov,  ojt-.);  f,  IIXaToivo;  ao^'ixTÔv  '.VTXavtixov 
:v  -oXXoT:  /.a/.oT;  |j.ôvov  spYOV  àrcÀi;  ïi/r/.jv  ». 


CIIAI'ITHK   IV. 


LKS   (iMEC.S    KT    LKS    KOMAI.NS. 


II 5 


Neuf  mille   ans   avant   l'époque   (Ui   discouraient  ensenihle 
Sitcrate,  Critias,  Tiniée  et  Herinocrate,  «  s'éleva  une  guerre 
générale  entre  les  peuples  qui  sont  en  deçà  et  ceux  cpii  sont  au 
delà  des  colonnes  d'Ile;  ••.'<>.  Athènes  fut  à  la  tête  de  la  première 
ligue,  et  à  elle  seule  acheva  toute  cette  guerre.   L'autre  était 
dirigée  par  les  rois  de  rAtlantide.  f^ette  ile  était  (1)  |>lus  grande 
(|ue  l'Asie  et  l'Afrique,  mais  elle  fuf  submergée  par  des  trem- 
Idoinents  de  terre,  et,  à  sa  place  ou  ne  rencontre  plus  (pi'un 
humus  (|ui  arrête  les  navigateurs  et  rend  la  mer  impraticable  ». 
Les  rois  Atlantes  descendaient  de  Neptune.  Depuis  plusieurs 
générations,  ils  régnaient  sur  cette  île  :   «   Leur  empire  {"!) 
s'étendait  sur  un  grand  nombre  d'îles,  et  même  en  deçà  du 
détroit,  jusqu'à  l'Egypte  et  à  la  Tyrrhénie  ».  La  postérité  de 
l'aîné  d'entre  eux,  Atlas,  se  [)erpétua  toujours  vénérée.  Le  plus 
âgé  de  la  race  laissait  le  trône  au  plus  Agé,  et  ils  conservèrent 
ainsi  le  pouvoir  dans  leur  famille  pendant  un  grand  nombre  de 
siè'les.  Ils  amassèrent  d'innombrables  richesses  grâce  au  com- 
merce et  aux  productions  du  pays  :    or ,  métaux ,  aromates 
iiiiimaux  domestiques  et  sauvages,  vignes,  blé,  fruits  de  toute 
sdile  et  particulièrement  «   ce  fruit  ligneux  qui  ofl're  à  la  fois 
(le  la  boisson,  de  la  nourriture  et  des  parfums  (3)  ».  Leurs  villes 
étaient  splendides,  leurs  palais  magnifiques.  Us  avaient  creusé 
de  grands  canaux  où  voguaient  les  trirèmes.  Dans  la  capitale  ils 
avaient  bâti   des  gymnases,   des   hippodromes,  des  bains.  Ils 
n'avaient  pas  oublié  les  casernes,  ils  connaissaient  même  '(!s 
corps  d'élite.  La  capitale   présentait  tous   les  avantages  j'un 

(1)  Platon,  Cvitiua,  traduction  Cousin,  p.  252  (édit.  Didot,  p,  251)  :  ((  '>'■ 
'f,;  'ATÀavTioo;  vT^aou  PaaiXst;,  ^v  or)  AtjEÛT);  xa?  'Aaia;  [Xc:îoj[j.»|aov  oiaav 
"cyaiji3v  li'vat  -OTî,  vù'v  o'  G-ri  astdji.tov  ouatxv  xr.oçm  -r,Xôv  toî;  èvOr/o: 
:-/.:oya'.v  i-'i  to  ;:av  -s'Xayo;,  d'iaTS  [i.r/,î'~i -opîJcaOa'.,  xwX'jTrîv  ~apa;y£;v  ». 

(2)  Id.,  p.  262  et  p.  250  :  «  "ApyovTc;  [jlÈv  jtoXXwv  àXXwv  /.tn-'x  to  -i)>ayo: 
vrlidiv  ï'ti  oi  [i-î'/pt  X£  'A'.YJHTO'j  xal  T'jppr,vi'a;  -wj  Èvtô;  Sî'jpo   îràpyovTï;  )). 

3)  Id.,  p.  263  et  256  :  «  Kai  tôv  oao:  ÇjX'.vo;  noiiaTa  /.at  [ipoaa-:*  y.x: 
aXîl|ji|j.aTa  çiipiov  )). 


i 


i  a 


1I( 


»       rUKMILHK   l'AHïli:.    —    LKS    l'UKClHSKlUS   IIK   COLOMH. 


|)urt  (lo  mer,  car  <<  le  «'anal  et  Ir  plus  };:i'aii(i  port  (''taicnt  ((tuvcrts 
«Uî  navires  et  de  niarcliands  qui  arrivaient  de  fous  les  pays  du 
monde,  et  dont  la  foule  produisait  la  nuit  et  le  jour  un  mélange 
de  tous  les  langafres  et  un  tumulte  eontinuel  »  (l). 

Le  reste  du  pays  répondait  à  la  beauté  de  la  caiiitale.  La  plaine 
immense  (jui  entourait  la  ville,  entrecouj)ée  de  canaux.  f(»rt 
peuplée,  donnait  deux  récoltes  par  an.  Une  armée  formidaltle 
j^ardait  le  |)ays  et  deux  cents  gros  vaisseaux  défendaient  ses 
a|»proclies.  Les  dix  rois  Atlantes,  maîtres  al>s«»lus  (lans  leurs 
états,  se  rassend)laient  à  des  épocjues  fixes,  tous  les  cin(|  ou  six 
ans,  et  réglaient  en  conmmn  toutes  les  aflaires  litigieuses.  Us 
réalisaient  ainsi  la  répul)li((ue  idéale  «|ue  révent  pour  notre 
Kurope  certains  théf»riciens.  Pendant  de  longs  siècles  se  maintint 
le  bon  ordre  sur  cette  terre  privilégiée  ;  mais,  soit  (jue  les  rois 
ne  fussent  pas  restés  fidèles  à  leurs  engagements,  soit  (|ue  les 
peuples  se  fussent  lassés  <le  cette  félicité  sans  nuage,  le  désordre 
et  l'anarcliie  régnèrent  à  leur  tour.  Kmporlés  par  la  passion  des 
con«iuétes,  les  rois  .\tlantes  réussirent  d'abord  à  étendre  leur 
domination,  mais  ils  se  brisèrent  contre  la  résistance  d'Atbènes 
et  de  ses  alliés.  Dès  lors  commença  la  décadence  et  bientôt 
Jn|)iter  (i)  «  voyant  la  dépravation  do  cette  race  autrefois  si 
vertueuse,  voulut  les  punir  pour  les  rendre  plus  sages  et  plus 
modérés.  Il  rassembla  donc  les  Dieux  dans  le  sanctuaire  du  ciel 
placé  au  centre  du  monde,  d"où  il  domine  tout  ce  qui  participe 
<le  la  génération,  et,  lors(|u'ils  furent  tous  réunis,  il  dit » 

Le  Critias  s'arrête  brusquement  ici,  mais,  dans  un  autre  de 
ses  dialogues,  le  Timée  (3),  Platon  avait  également  parlé  de 
r.Vtlanlide,  et  nous  savons,  grâce  à  lui,  ([ue  Ju[)iter  ordonna  la 

(1)  Platon,  Critia-t,  |t.  268  et  |i.  2.")8  :  ((  "<  )o3  àva-AOj;  za\  o  [xÈy'.ito: 
AVif,"/  kVîjxsv  -m'aiv)  /.a-  :;j.-'j_ofov  à-iiy.v'>j;i.3V(ov  -âvToOsv,  -M'ir^'/  /.v. 
0fjou,3ov  -avTooa-'Jv  /.tj-ov  -.i  ;a-0  '  /|;x:'oav  y.a:  o'.i  vj/.tq;  6-o  -ÀrjOoj; 
rapcyoafvdjv  ». 

(2)  lu.,  |i.  275  dp.  201. 

(i)  Pi.ATOx,  Timée  (Iradiictioii  Cousin),  p.  111. 


COI 

Slip 
He 

(1) 

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TOÎ; 

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i  il: 


(".IIAIMTHIC    III.    —    U:S   CHKC.S    KT    LKS    lUIMAlNS. 


117 


(l('stni(:ti<»ii  par  IV'.ui  et  par  le  Icii  de  cotto  terre  maudite,  et 
(pie  ses  ordres  impitoyables  furent  rifrourensenient  exécutés, 
(le  passage  du  Timée  est  trop  important  pour  ne  pas  être  cité 
en  entier  :  «  Parmi  tant  de  grandes  actions  de  notre  ville,  dont 
!i  mémoire  se  conserve  dans  nos  livres,  disaient  à  Solon  les 
|)rétres  de  Sais,  il  y  on  a  surtout  une  (ju'il  faut  placer  au  dessus 
de  toutes  les  autres.  Ces  livres  nous  apprennent  ([uelle  puissante 
armée  Athènes  a  détruite,  armée  qui,  venue  à  travers  la  mer 
Atlantique,  envahissait  insolemment  l'Eunqje  et  l'Asie  ;  car  cette 
mer  était  alors  navigable  (1),  et  il  y  avait,  au  devant  du  détroit 
<pie  vous  appelez  les  colonnes  d'Her(u!<>.  nue  île  plus  grande 
que  la  Libye  et  l'Asie.  De  cette  île  on  pouvait  facileme.t  passer 
aux  autres  îles,  et  de  celles-là  à  tout  le  continent  qui  borde  tout 
autour  la  mer  intérieure,  car  ce  (jui  est  en  deçà  du  détroit  dont 
nous  parlons  ressemble  à  un  port  ayant  une  entrée  étroite  ;  mais 
c'est  là  une  véritable  mer,  et  la  terre  qui  l'environne  un  véritable 
con  inent.  Dans  cette  île  Atlantide  régnaient  des  rois  d'une 
grai,  de  et  merveilleuse  puissau'îe  ;  ils  avaient  sous  leur  domination 
l'île  entière,  ainsi  que  plusieurs  autres  îles  et  quelques  parties 
(lu  continent.  En  outre,  en  deçà  du  détroit,  ils  régnaient  encore? 
sur  la  Libye  jusqu'à  l'Egypte  et  sur  l'Europe  jusqu'à  la  Tyrrhénie, 
Toute  cette  puissance  se  réunit  un  jour  pour  asservir  d'un  seul 
coup  notre  pays,  le  V(Jtre,  et  tous  les  peuples  situés  de  ce  C('»té 
du  détroit.  C'est  alors  qu'éclatèrent  au  grand  jour  la  vertu  et  le 
courage  d'Athènes.  Cette  ville  avait  obtenu,  par  sa  valeur  et  sa 
supériorité  dans  l'art  militaire,  le  commandement  de  tous  les 
Hellènes.  Mais  ceux-ci  ayant  été  forcés  de  l'abandonner,  elle 

(1)  Platox,  Timée  :  ((  Tors  yàp  ;:o(;£'jat[xov  jjv  tÔ  sxe?  ;:EXaYo;.  vf,aov  yxp 
-îo  TOj  (iTÔjiaTQ;  î'./sv.  0  y.aXsîTat,  «S;  za-z.  UfAEt;,  'Ilpa-'.Xï'ou;  iTïîXa;.  "HSs 
vf,ao;  à[j.a  Ai^jt^;  r^v  xa;  Aai'a;  jjL£î!^a)V,  EÇ  r;;  ir.i^ctzôv  z-\  là;  àXXa;  vrjwj; 
Toî;  tôt'  Èyi'yveto  Tzopvjoi^iivoi;,  sx  Se  t(ôv  VTjawv  im  Tf,v  zaTavTixpy  -àsav 
T;r£!pov,  TJ-jV  ;:£p"i  tov  àXr,Oivôv  sxsîvov  ;:dvTOi(.  TàÔE  [aIv  yàp  ô'aa  svtÔ;  toû 
(JTO|xaTo;  où  Xe'yojjiev,  !j/a;v£Tat  X!|jLf,v  otevov  Ttva  ëia7:Xouv  ë/ojv.  'Exjîvo 
03  -jAayo;  ô'vTw;,  r,  tî  r.t^d/ojioi.  xj'Ô  -^f,  -avT£X(ÎJî  àXr,Oûî  ôpOoTaT  '  àv 
XsyoïTO  fJ;:£rpoî  ». 


IIH       l'UKMIKUi:    l'AHTli;.    —    LKS    l'HKClKSKlHS    1>K   COLOMlt. 

brava  seule  les  plus  ^^mikIs  diinj^ers,  arnMu  l'iiivasiuii,  ériffea 
(les  trophées,  préserva  de  l'esclavafre  les  peuples  encore  libres 
et  rendit  à  une  entière  indépendance  tous  ceux  qui,  connue  nous, 
demeiu'ent  en  deçà  des  colonnes  d'Hercule.  Dans  la  suite  de 
{grands  trenddeinents  de  terre  et  des  inondations  engloutirent, 
en  un  seul  jour  et  en  une  luiit  fatale,  tout  ce  (pi'il  y  avait  chez 
vous  de  guerriers,  et  l'île  Atlantide  disparut  sous  la  nu>r  :  aussi, 
depuis  ce  temps,  la  nier  est-elle  devenue  inaccessible  et  a-t-elle 
cessé  d'être  navigable  par  la  quantité  de  limon  que  Tile  abîmée 
a  laissée  à  sa  place  ». 

Tel  est  le  double  récit  du  Critias  et  du  Tiinée.  Ce  récit  est-il 
authentique  dans  tous  ses  parties,  et  devons-nous  l'accepter 
dans  ses  moindres  détails?  Assurément  non.  11  est  certain  (pie 
la  description  de  l'île  Atlantide,  le  tableau  séduisant  qu'en  trace 
Platon,  le  conseil  des  rois  Atlantes,  leurs  lois  particulières,  tout 
cela  nous  paraît  fictif  et  allégorique.  Les  annales  des  peuples 
anciens  ne  comprenaient  guère  que  rénumération  des  règnes, 
des  batailles  et  des  généabjgies.  Les  prêtres  Eg\[itiens  surtout, 
habitués  qu'ils  étaient  à  l'extrême  concision  de  leurs  hiéro- 
glyphes, n'auraient  jamais  conservé  dans  leurs  histoires,  et  par 
consé(iuent  n'auraient  pas  donné  à  Solon  tous  ces  détails  des- 
criptifs ou  moraux.  Ils  sont  dus  à  la  brillante  imagination  de 
Platon.  Le  philosophe,  dans  le  T'unée,  voulait  prouver  à  ses 
interlocuteurs  qu'il  existe  des  Dieux  vengeurs  du  crime  et  rému- 
nérateurs de  la  vertu.  L'histoire  du  peuple  Atlante  comblé  de 
bienfaits  tant  qu'il  est  juste,  anéanti  par  une  catastrophe  sou- 
daine quand  il  a  cessé  d'obéir  aux  lois  divines,  était  parfai- 
tement appropriée  à  ce  sujet,  et  on  comprend  qu'il  ait  brodé 
(juelques  fictions  sur  cette  trame  ingénieuse,  afin  de  rendre  la 
leçon  plus  frappante.  Au  moins  le  fonddu  ré.  est-il  vrai  ?  Assu- 
rément oui.  «  Toutes  les  fois  que  Platon  avance  une  pure  fiction, 
/écrivait  un  de  ses  plus  savants  commentateurs,  Marcile  Ficin  (1), 


(1)  Marcile  Ficin,  Argumentum  in  Timaetim,  p.  5iG  :  «  Quidam  solam 


CIIAI'ITHK    IV.    —    LKS   C.HFXS    ET    LES    HUMAINS. 


119 


il  il  grand  soin  de  le  dire  cxpressénient  ».  Or,  quo  lisons-nous 
au  conunencemcnt  du  Tiniée  (1).  «  Ecoute,  Socrate,  un  récit 
Ition  étrange,  et  pourtant  parfaitement  vrai,  tel  que  Solon,  le 
plus  sage  des  sept  sages,  Ta  fait  autrefois  ».  Et  plus  loin  [''l)  : 
<(  Quelle  est  donc  cette  action  cpie  le  vieillard  Critiiis  racontait, 
non  comme  une  vaine  tradition,  mais  connue  un  fait  réellement 
accompli  |>ar  cette  ré[ml>lique  dans  les  temps  anciens,  d'aprùs  le 
récit  de  Solon?  »  Remarquons,  en  outre,  que  Critias,  dans  le 
dialogue  (jui  porte  son  nom,  invoque  Mnémosyne,  la  déesse  de 
la  mémoire,  «  car,  dit-il  (3),  la  plus  grande  partie  de  ce  que  j'ai 
à  dire  dépend  d'elle  ».  Il  a  tellement  peur  des  objections  qu'il 
les  prévient,  et  a  grand  soin  de  faire  remarquer  ([ue,  si  les  héros 
Atlantes  portent  des  noms  à  tournure  hellénique,  c'est  ({ue  les 
Egyptiens  avaient  traduit  ces  noms  dans  leur  propre  langue,  et 
(|ue  Solon  n'a  fait  que  les  imiter.  Si  donc  Platon  revenait  avec 
tant  d'insistance  sur  la  réalité  et  l'authenticité  de  son  récit,  c'est 
qu'il  en  était  persuadé  lui-même  et  voulait  faire  passer  cette 
persuasion  dans  l'esprit  de  ses  interlocuteurs.  N'avons-nous  pas 
le  droit  de  conclure,  abstraction  faite  des  ornements  poétiques 
dont  nous  parlions  tout  à  l'heure,  que  le  fond  du  récit  est  rigou- 
reusement vrai,  c'est-à-dire  que  réellement  il  a  existé  ime 
grande  île,  au-delà  des  Colonnes  d'Hercule,  dont  les  habitants 
ont  joué  pendant  plusieurs  siècles  un  rôle  prépondérant,  mais 
(pii  a  disparu  en  queb^ues  heures  dans  un  cataclysme  ? 


allcgoriam  dixcrunt,  scd  hos  redarguuiit  probatissirni  (inique  Platon icorum, 
aftlrmantes  quidcm  liistonam,  quia  dixcrit  Plato  factuiii  esse  valdc  inirabile 
sod  ouiiiiiuio  vemin.  Serisum  procterea  Platoni  nihil  usquc  tcmerc  molienti 
allegoricum  existimat  adhibcndum.  »  Cf.  Argumentum  in  Critiam,  p.  601. 

(1)  Platon,  Timée,  édition  D.idot,  p.  199.  "Axous  or,,  w  i^wxoaTï;,  Xci^oj 
aàXa  [xàv  otTorrou,  navTâ-ao;  oz  iXrfioîji,  in;  6  xwv'enTa  ao'^wv  oo^ùkaTo; 

(2)  Id.  AÀXà  Srj  ;:oîov  ïpfo^  to3to  Kpitia;  où  Xsvoiisvov  |i.£v,  «î);  oà  ::payOàv 
ôvTto;  Onô  TfiîSî  tfj;  ::oXc'wî  «pyaîov  Sirjysîxo  xatà  Tf,v  i]dXtovo;  àxo»Jv  ; 

(3)  Id.,  p.  254.  S/sSôv  yàp  Ta  ;iey"^*  'iî^'v»  '^'^v  XÔywv  iv  TaÛTïj  ~fi  Osû, 
-âvT'  sat'i. 


! 


I 


im)       l'HEMlKHK    l'AiniE.    —    LKS   l'HKCUHSELRS    l»E   OOLOM». 

Le  r6c.\[  do  Platon  a  pourfaiit  soulcvi^  Wwn  des  (•(tnlradictioiis. 
D(^s  ranti(|uit<'> ,  certains  philosoplu's  se  prononcèrent  contre 
l'Atlantide.  Les  Néoplatoniciens  surtout  coudiatfirent  son  exis- 
tence. Longin  ne  voyait  en  elle  qu'un  simple  développement 
littéraire  sans  portée  historique.  Amelius  retrouvait,  <lans  le 
récit  de  l'effondrement  de  l'Atlantide,  h*  conduit  des  étoiles  fixes 
et  des  planètes  ;  Numérius,  la  lutte  du  bien  et  du  mal  ;  Origène 
celle  des  bons  et  des  mauvais  génies.  Proclus,  qui  nous  a  fait 
connaître  ces  diverses  opinions  dans  son  Coinmeuinire  sur  le 
Timée,  cite  encore,  mais  sans  les  nommer,  d'autres  philosophes 
pour  lesquels  l'Atlantide  n'était  qu'une  allégorie,  sans  liens  avec 
l'histoire  réelle,  mais  qui  cachait  de  profondes  doctrines  sur  la 
nature  de  l'univers. 

Le  moyen  Age  ne  souleva  point  cette  question  ;  mais,  lorsque 
les  découvertes  de  Colomb  curent,  en  quelque  sorte,  renouvcdé 
le  problème,  l'existence  de  l'Atlantide  fut  de  nouveau  et  réso- 
lument niée.  Acosta,  le  consciencieux  historien  des  Indes  (1), 
Bernard  de  Malin  Kroot,  le  savant  commentateur  (2),  Fabricius, 
l'éditeur  de  la  Bibllolheca  Gnvca  (3),  n'hésitaient  pas  à  se  pronon- 
cer contre  Platon.  Le  géographe  Gellarius  (4)  essaya  de  discuter 
l'existence  de  l'Atlantide,  mais  il  ne  parvint  à  prouver  que  sa 
disparition,  ce  qui  n'avait  jamais  été  contesté.  Tiedemann  (5)» 


(1)  Acosta,  Historia  natural  y  moral  de  las  Indias  (traduction  Hcgnault, 
1598),  p.  i^  :  «  Je  ne  porte  point  tant  de  respect  à  l'authoritô  de  Platon, 
quoy  qu'ils  l'appellent  divin,  qu'il  me  semble  difficile  de  croire  qu'il  ait  peu 
escrire  ces  choses  de  l'isle  Atlantique,  pour  une  vraje  liistoyre,  lesquelles 
pour  cela  ne  laissent  point  d'cstrc  de  pures  fables  ». 

(2)  B.  DE  Malin  Kroot,  Paralipomena  de  historicis  grxcis,  p.  9o. 

(3)  Fabbicius,  Bibliotheca  Grœca,  liv.  m,  §  3,  p.  98. 

(4)  Cellarils,  Notitiaorbis  antiqui,  sive  geographia  plenior,  t.  il,  p.  164. 
«  Obstant  alia  :  vicinitas  ostii  ad  columnas  Herculis,  aiitc  quod  dicitur  sita 
fuisse,  a  quo  longissime  abest  America....  deinde  rcgum  illius  insula3  im- 
perium,  et  bellum  cum  Atheniensibus  gestum,  et  insuliB  ulteriores  in  quas  ex 
Atlantide  navigatio  instituta  fuerit.  Quid  plura  ?  ait  Tj^av'aOr;,  disparuit 
insula,  nusquam  superest  ». 

(5)  Tiedemann,  Dialogorum  Platonis  argumenta^  p.  399, 


CIIAI'ITIIF,    IV.    —    Î.KS   CHKCS   KT   LKS    IlOMAINS. 


121 


raldx'  (iiT\ss('iit  (l),  Ilisiiiaiiii  (:2),  irAiivilU»  [',\)  liii-iiit^mc 
ii'ii|)|)Hrt('iit  point  coiitiv  lii  r(>alit('>  du  rontirit'iit  cii^'ldiiti  d'ar^:!!- 
iiicnfs  (lôcisifs.  Hartnli  fait  du  iV'cit  de  Platon  iiii  itot'iiic  allr- 
jrori(|iU'  et  satiri(|iio  dans  hMHicl  il  croit  rccoiiiiaîtrc  les  principaux 
('•vcncnicnts  de  la  fîni-rrc  du  iVloponncsc  [\).  Au  \l.\''  siôclc, 
(îossclin  (.')),  Uckcrt  ((>; ,  Malte  Hrini  (7),  Lctronnc  (H),  A. 
Uhiiinc  (î)),  Ploix  (10),  s'accordent  à  s(»utenir  ipie  l'Atlantide 
n'a  jamais  existé  (|ue  dans  la  hrillante  imagination  du  philosophe 
athénien.  Th.  [I.  Martin  (II)  |)ense  (|U((  l'Atlantide  n'est  (pi'une 
liction  ingénieuse  des  K}rypti<'ns  p(»ur  se  concilier  l(!s  sympathies 
j;rcc((uos.  Nickiés  (lii)  eidln  attrihue  cette  croyance  à  une  illusion 
(ro[)ti((ue,  à  unt'  sorte  de  mirage. 

Sans  se  prononcer  aussi  ouvertement,  plusieurs  écrivains  se 
sont  contentés  d'émettre  des  doutes.  Ainsi  Montaigne  énonce 


ill  CiiEYssK.NT,   O/jservathiis  crifù/itos   sur  l'Atlantiih'  iJomiiiil  ties  Sa- 
vants, février  17*î>. 
(2)  HiSMANX,   Seul'   Wclt  tind  Memcheiu/pucliichtc   laiipeiidicc),  t.  I,  p. 

{'.\)  D'Axvii.i.K,  (h'oijfdfihie  iincictmc,  t.  III,  p.  12:i  :  ■<  Lu  narré  de  l'ialoii 
est  le  récit  d'nti  Athénien  qni  vent  illustrer  sa  patrie,  et  on  voit  dans  et; 
ipi'il  débite  sur  la  patrie  des  Atlantes  un  philosophe  occupé  de  spéculations 
|ihis  inai^niliques  (|ue  vraisemblables  ». 

(1)  Uartcji.i,  Hcflcxiuns  impartiales  sur  le  proijvès  réel  nu  apparent  i/ue 
les  sciences  et  les  arts  ont  fait  dans  te  xviii»  siècle  e?!  Europe,  liv.  I.  Il 
n'est  cependant  guère  probable  que  Platon  ait  caché  les  Spaitiates  sous  le 
nuni  des  Allantes,  et,  si  la  petite  île  Atalanta,  au  nord  de  l'Huripe,  fut,  au 
rapport  de  Thucydide.  sé|)arée  du  continent  lors  de  la  guerre  du  Péloponnèse, 
C8t-cc  une  raison  pour  conTondre  la  grande  Atlantide  et  la  petite  Atalanta? 

(5)  (îosSKi.ix,  liéoyrapliie  des  anciens,  1,  141. 

(6)  L'ckeut,  (ieogriiptiie  der  Griechen  und  Homeni,  I,  p  li'i.  —  II,  p. 
l'J2. 

(7)  Maltk-Bklx,  Géofjraphie  universelle  (édition  1840),  I,  20. 

^8)  Lethoxxk,  Essai  sur  les  idées  cosmor/raphiijues  qui  se  rattachent  au 
nom  d'Atlas  (Bulletin  universel  des  sciences),  mars  1831. 

(9)  A.  IliiixxE,  article  Amérique  dans  l'Encyclopédie  nouvelle. 

(10)  I\oix  (Revue  d'anthropologie),  mai  18S7. 
(il)  ïii.  H.  -Martin,  ouv.  cité.  I,  3;i0. 

(12)  NiCKLKs,  Mémoires  de  l'Académie  de  Stanislas  (1864),  p.  .308. 


l±l       l'HRMIKHi;   l'AHTIK. 


I.KS    l-nÉC.rHSElHS   l»K  CdLOMU. 


le  l'ait,  mais  sans  l'iu'(!oiii|>a};ii('r  de  n'-flcxioris  (1).  Hun'oii  (:>), 
McînU'Iic  {'<Vj  i'I  Ilaynul  [A)  n'aflirmciit  ni  ne  nient.  \j'  jésnifc 
Lalilan  «listiiif^nc  avec  soin  les  npininns  contraires  niais  ne  se 
prononce  pas  (.">).  Voltaire  semble  tantôt  croii'e  à  l'Atlantide  t't 
fanlôl  la  rejeter  (tî).  Le  marquis  de  Saint-Simon  tour  à  toiu' 
nie  et  allirme  (7).  Ihunholdt  reste  indécis  (H),  c.ir  <i  les  prolilèmes 
d<'  la  {«'éojfrapilie  m\tlii<|ue  des  Hellènes  ne  peuvent  (Hre  traités 
selon  les  mûmes  principes  (pie  les  prohièmes  de  la  {géographie 
pt»sitive  ;  ils  olVrent  connue  des  images  voilées  à  contours  indé- 
terminés ».  Stallhuum,  im  des  derniers  connnentateurs  de 
Platon,  croit  ipie  le  fond  du  récit  est  vrai,  mais  qu'il  a  été  singu- 
lièrement modilié  (!)).  IJeudant  enfin  touche  avec  réserve  à 
celte  (pieslion  (10)  :  «  Nous  m-  saurions  nier  positivement  l'exis- 
tence de  r.Vtlantide,  ensevelie  sous  les  eaux,  suivant  les  tra- 
ditions égyptieiuKîs,  en  un  jour  et  une  nuit  ». 


(1)  .MoNTAKiM:,  Ks'<«/.9,  I,  30.  «  Platon  introduit  Selon  racontant  avoir 
appris  dos  proshlro  'e  la  ville  de  Sais....  11  est  bien  vraisemblable  que  cest 
e\tr(^nle  ravage  d'i  m  ayt  faict  des  cliaii{;cniciits  cstran{;es  aux  liabilations  du 
la  terre,  mais  il  n'y  a  pas  grande  apparence  que  cestc  isic  soit  ce  monde 
nouveau  que  nous  venons  de  découvrir  ". 

{•?.)  \Uvvos,  Histoire  naturelle  (édition  de  t74'J),  t.  F,  p.  313. 

(3)  Mk.ntki.i,e,  Encyclopédie  métlunlique  uu.i  mots  Atlnntis  et  Attantica, 
t.  I,  p.  250. 

i't)  IIav.nai.,  Histoire  philosophique  des  deux  Indes,  t.  X,  p.  45. 
."i    Lakitau,  Md'urs  des  sauvages  américains  comparées  aux  mœurs  des 
premiers  temps,  t.  I,  2,  27. 

(t))  V(ii.TAU<i:,  OKuvres  complètes  (édition  I78i),  t.  XXXVIII,  p.  450. 
«  L'engloutissement  de  l'Atlantide  peut  être  legardé  avec  au  moins  autant  de 
raison  comme  un  point  historiipie  que  comme  une  fable  ;  le  peu  de  profon- 
deur de  la  mer  Atlantique  jusqu'aux  Canaries  pourrait  bien  être  une  preuve 
de  ce  grand  évétienent,  et  les  ilcs  Canaries  pourraient  bien  être  les  restes  de 
l'Atlantide  a. 

(7)  Sai.nt-Simon,  Nyclologues  de  Platon,  4»  nuit,  p.  27.  —  Dissertation 
sur  un  passage  do  Platon  et  sur  l'ilc  Atlatitidc,  p.  20  et  74. 

(8)  HuMBOLDT,  Histoire  de  la  géographie  du  nouveau  continent,  t.  I, 
p.  169. 

(0)  Stai.i.bai'm,  Commentaire  du  Critias.  Critiam  censcamus   simillimum 
fabulic  alicui  romanensi,  liistoriœ  veritatc  non  omnino  destitutic. 
(10)  Beloant,  Eléments  de  géologie,  p.  19. 


CAAI'ITIU;    IV 


LKS    liHKCS    KT    I.KS    HOMAI.NS. 


lil) 


de 
tion 
t.  I, 
num 


A|>n'«  «•eux  (|iii  nient  et  cimix  qui  (litntciit,  passons  à  crux  (jui 
4'i'()i*>nt.  licur  iioiiiIm'c  est  cunsidéralilc,  surtout  iliuis  ranti(|uité, 
et  la  |)r(>s(|U('  unanimité  de  rcs  téiiioi^Miap's  est  niénic  une  preuve 
sérieuse  de  l'existence  de  l'Atlantide.  Ainsi  i'astronoiu<>  lùidoxe 
de  Ciiide,  contetnporain  et  disciple  de  IMuton,  regardait  roiunie 
véritalde  l'histoire  ra((»ntée  à  Solon  paF*  les  prêtres  de  Saïs(l). 
Sfralion,  «lont  le;  scepticisme  scientillipie  s'affirme  en  tant  d'en- 
droits, n'iiésit(>  pus  à  proclamer  (pie  l'opinion  de  Posidonins  est 
plausilile  {'Ij.  Pline  l'Ancien  se  prononce  dans  le  même  sens  (U)  : 
*<  La  nature,  dit-il,  a  retranché  totalement  certaines  régions, 
léiiioin  premièrement  cetti^  Atlantide  où  est  aujourd'hui  la  mer 
du  niùme  nom,  et  qui,  s'il  en  faut  croire  Platon,  avait  mie  étendue 
immense.  Le  platonicien  Pliilon  le  Juif  (i)  ad(q>te  purement  et 
simplement  ropiiii(»n du maitre. Un  autre  platonicien,  Crantor (.'>), 
aurait  retrouvé  la  tradition  de  l'Atlantide  chez  les  prêtres  de 
Sais,  (|ui  lui  montrèrent  des  stèles,  où  toute  cette  iiistoire  se 
trouvait  écrite.  Proclus,  à  (jui  nous  devons  ce  rensei}:iiement 
sur  (Irantor,  nous  a|)prend  éj;aleinent  (pi'un  certain  Marcellus(()), 
auteur  d'un  livre  perdu  intitulé  les  Kthiopiques,  rapportait  (jue 
des  traditions  sur  l'Atlantide  avaient  été  recueillies  par  des 
v(»ya}ïeurs  dans  une  île  inaccessible  de  l'Océan.  Un  certain 
Zoticos  avait  composé  un  poème  sur  l'Atlantide  (7).  Proclus 


^1)  DioiiÈNE  Lakuce,  Vlil,  8. 

[2)  SiRAiiON,  II,  3,  C  :  «  ^olls  nt!  pouvons  qu'approuver  ce  que  dit  Posi- 
donius  des  soulèvenients  et  des  atTaissenieiits  du  sol  et  eu  géuéral  de  tous  les 
cliaugeuieuts  produits  soit,  par  les  Ircuiblemeuts  de  terre,  soit  par  ces  causes 
analogues  que  nous  avons  nous-mêmes  énumérées  plus  haut.  Nous  approu- 
vons aussi  qu'il  ait,  à  l'appui  de  sa  thèse,  cité  ce  que  dit  Platon  île  l'Atlan- 
tide, que  la  tradition  relative  à  cette  ile  pouvait  bien  ne  pas  être  une  pure 
tirtion  ". 

3)  Pline,  Histoire  naturelle,  II,   02.  In   totum  abstulit  terras,  priinuni 
omnium  ubi  Atlanticum  mare  est,  si  crcdinuis  Platoni,  immense  spatio. 

(•4)  Phii.on  i.e  Jlik,  De  i Indesifuctilnlité  du  monde,  p.  9G3. 

(5)  Puoci.Ls,  Commentaire  de  Timée.  p.  24. 

(G)  ID.,  id. 

(7)    PoHi'iiTHE,    De  vita   Plotini  (édition  Didot),   p.    106.    ISuvrjv  ôà   xai 


II 


A 


1       . 

i 
1 


im       VlW.mkWK    lAHTlE. 


LKS    l'HKClHSKrilS    DE   COLOMlt. 


I 


lui-iiK^iic,  ainsi  que  son  maître  Syrianus,  et  latniili(juo,  tout  en 
conjccturunt  que  Platon  avut  choisi  ce  fait  historique  pour  eu 
faire  l'emblème  de  la  lutte  éternelle  de  l'esprit  contre  la  matière, 
ne  mettaient  nullement  en  doute  sa  réalité.  Ce  témoignage  a 
d'autant  plus  d'importance  que  Proclus  enregistre  avec  soin  les 
opinions  contraires  (1).  En  dehors  de  l'école  d'Alexaiulrie,  dont  on 
pourrait  suspecter  les  attaches  platoniciennes,  la  croyance  naïve 
à  l'existence  de  l'Atlantide  se  retrouve  dans  Ammien  Marcellin  (2). 
Deuv  apologistes  du  christianisme  n'éprouvent  |»as  plus  de 
scrupules  que  l'ami  de  Julien  l'Apostolat  à  affirmer  l'existence 
de  ce  continent  englouti.  Arnohe  va  mémejusqu'à  fixer  l'époque 
de  l'invasion  de  l'Eufope  par  les  Atlantes  (3)  ;  (juant  à  Tei'- 
tullien,  il  parle  à  diverses  reprises  de  l'Atlantide,  mais  sans 
douter  un  seul  instant  de  son  existence  (i). 

L'antiquité  croyait  donc  à  l'Atlantide.  Philosophes,  poètes, 
historiens  racontaient  à  l'envi  ses  merveilles  et  ses  malheurs. 
Peut-être  même  le  souvenir  de  l'ile  mystérieuse  s'était-il 
conservé  directement  dans  la  religion  Athénieniu>,  puisque, 
dans  la  fête  d(îs  petites  Panathénées,  on  portait  (>n  procession 
un  péplum  hrodé,  où  l'on  voyait  comment  les  anciens  Athéniens, 
élevés  et  soutenus  par  Minerve,  avaient  été  victorieux  des 
Atlantes  (5).  Pendant  le  moyen  âge  au  contraire  la  croyance  A 


ZfÔTixo;,  xptT;'-/o;  ts  xai  ;:otrjTi)'.o;,  o;  rôv  ATXavT>.-/.ôv  ii;  ::oir[<iiv  [iET^jJaXî 
jrâvj  ;iO'.r,Ttxfo;. 

(1)  Phoci-ls,  ouvrage  cité,  p    24,  52-59,  61. 

(2)  Ammien  Mahcei.i.i^,  XVII,  7.  Siiiit  et  clinsnialim,  qui,  grandiori  tnotti 
patcfaclis  subito  voratrinis,  terraruni  purtem  absorbent,  ut  in  atlantico  mari 
Europœo  orbe  spatiosior  insula. 

(3)  Absobe,  Adversiis  gentes,  liv.  I.  Il  croyait  que  cet  événement  était 
contemporain  de  l'invasion  des  Assyriens  sous  Ninus. 

(4)  Tertci-men,  De  pallio,  25.  —  Apolo(jétiqu<\  4i^,  .Mcmorat  et  Plato 
niajorem  AsiuR  vel  Africœ  terram  Atlantico  mari  ereptam. 

'^^)  Scholiasle  de  Platon  (édit.  Didot.  frag.  IV,  \k  •»42)  :  «  N'hésitons  pas 
ù  reconnaître  que  cette  légende  est  peu  vraisemblable.  Proclus,  dans  son 
commentaire  du  Timée,  parle  bien  de  ce  péplum,  et  ajoute  rpril  représentait 
la  victoire  des  Athéniens  contre  les  barbares,  mais  il  ne  dit  pas  (}uc  ces  bar- 


niAlMTKK    IV.    —   I.KS    CHKCS   ET   LES   ROMAINS. 


125 


rAlliintitle  so  trouva  à  |n'U  prôs  intorrompue  (1).  C/est  surtout  dans 
les  temps  iiindcrucs,  au  niouicnt  où  furent  do  nouveau  agitées 
eu  lùu'ope  les  ([uestions  qui  jadis  avaient  passionné  l'antiquité 
(pie  la  eroyanee  à  IWtlantide  rencontra  de  nombreux  partisans, 
(lolomli  l'ut  un  de  ses  plus  chauds  défenseurs.  Oviedo(:2),  l'iiis- 
torien  des  Indes,  l'orientaliste  (Jeneltrard  (II),  Christophe  llec- 
man,  le  père  Kin'her(4),  croient  tous  à  l'Atlantide  et  e\|>liquent 
sa  disparition  par  le  déluge  biblique,  lludbeck  (t)),  Kurenius(O), 
Haer  (7),  Tournefort  (8),  Van  Eys  (9),  Olivier  (10),  Sauuiel 
d'Kngel,  Fabre  d'Olivet,  Carli,  (11),  de  la  Morde,  Cadet, 
Uailly  (1^)  et  Uelisle  d(>   Sales  (13),  pensent  de  même.  Citons 

bares  étaient  les  Allariles,  et  plus  loin  il  ajoute  que,  dans  celte  môme  fiMc, 
les  Alliéniens  célt'bi'aient  aussi  leur  victoire  contre  les  Perses  et  leurs  autres 
victoires  iiistoriques.  Les  barbares  re|)résentés  sur  lu  pepUini  étaient  donc, 
très  probablement,  des  Perses  et  non  des  Atlantes  n. 

(1)  Au  sixième  siècle,  (losmas  Indicopleustes,  citais  sa  Topoyrnjiliii'  chi'P- 
//>;)?('•  (Montl'aucon,  Nova  coilectio  patrum  et  scriptorum  j;raccorum,  t.  II, 
p.  114-125,  l:\\,  13G,  138,  186-J92,  :}.K)-:i42)  parle  encore  de  l'Atlantide,  mais 
pour  l'acconnuoder  à  sou  système  cosnio};raplii(iue.  Avec  ce  sinjçnlier  com- 
mentateur do  Platon,  on  ne  peut  citer  pour  toute  cette  période  ipTune  carte 
lie  r Atlantide  qui  tijçure  dans  un  Macrobe  du  x^  siècle.  Cl'.  Sa.ntahk.m,  Cos- 
)iiQ(jra}ihii.'  et  l'dvloyvdphie  du  tnoye?t-f)'jc.  11,  42. 

(2i  OviEDO,  L(i  hi.iforid  f/encral  de  las  Indias. 

(3)  Genebhad,  Vhrouoijrfiphia  sacra  (l.'iSO),  liv.  I.  —  Ukimann,  Hintuna, 
nrhi.i  fcrrtintin  (1680).  De  iusulis,  §  5. 

('»)  KiuciiKR,  Expycitatiii  de  Atlnntido  lHntoni'<.  —  Munt/iis  su/dcrriiiirus. 

(.ï)  llLDiiKf.K,  Atlantira  siri'  Maidirirn  rrra  Itt/dieti  posteromin  sedes  ad 
potvia.  Upsal,   1675. 

^6)  EroKMis,  Atlantiai  Orientalis  (traduit  du  Suédois  en  latin  par  Hen- 
liorn),  1764. 

(7)  Hakh,  Ksuni  hixtovir/un  et  rriti'  ue  sur  li's  AtUuitii/ucs,  Paris,  1762. 
—  Avignon,  1835. 

(8i  TontNKHJHï,  Voijuije  du  Lerant,  lettre  XV,  t.  II. 

(9)  Vax  Evs,  Disscrtntio  de  Platane  Mozaizante.  FraucIbrt,  1715. 

(10)  Oi.iviKU,  Dissertatiiin  sur  Ir  Critias  do  Platon, M^'o.—  Sami  ki-u'Enoei., 
Comment  f  Amérique  a-t-elle  étt}  peuplée  d'hommes  et  d'animaux  '.'  1762. 

,11)  Caiii.i,  Lettres  Américaines  (traduction  Lelebvre  de  Villebrunei 
1788.  —  De  i,\  Houdk,  Histoire  abrégée  de  la  mer  du  Sud  (1791). 

vl2)  Baim.v,  Lettres  sur  i  Atlantide  et  sue  l'histoire  ancienne  del'Asie,  177U. 

(13)  Dei.isi.e  de  Sai.es,  Histoire  nouvelle  de  tom  les  peuples  du  tnonde, 
réduite  aux  seuls  faits  qui  peuvent  instruire  et  piquer  la  curiosité. 


1 


I 
I 


:« 


120       l'HEMIKRK   PAHTIK.    —    LKS    l'IlKCrHSKlKS   I>E   COLOMB. 

oncoro  «lu  xix"  siècle  (îravos  (1),  Daviès,  Lfitreillc  (:2),  Hoiy 
de  Saint-Vincent,  (3)  de  Fortia  d'Urban,  IJunsen,  Villcinain, 
Jolilxtis  (i),  lloisel  (5j,  Denisot,  Novo  y  Colson  (('»),  de 
Hotellia  (7),  les  docteurs  Amegliino  et  Lagneau  (8),  le  pro- 
fesseur Uorsari,  qui  reconnaissent  la  réalité  historique  de 
l'Atlantide.  H  est  vrai  que  leurs  raisons  ne  son*  pas  toujours 
très  sérieuses,  et  qu'ils  prêtent  le  flanc  aux  attaques  de  leurs 
adversaires,  mais  nous  ne  voulions  pour  le  moment  que  consta- 
ter, dans  les  temps  modernes,  le  grand  nombre  des  croyants  à 
l'Atlantide  et  la  continuité  de  cette  croyance  à  travers  les  Ages. 

Ce  n'est  pas  tout  que  d'avoir  pour  soi  lu  tradition  historique  : 
il  faut  encore  que  les  données  de  la  science  ne  combattent  point 
cette  tradition.  Or,  en  s'en  tenant  au  texte  même  de  Platon, 
une  grande  île  existait  :  elle  a  disparu.  Ce  |)hénomône  est-il 
possible  d'après  les  données  de  la  géologie  et  de  la  physique 
générale  du  globe  ? 

Quand  la  terre  se  formait,  de  soudains  cataclysmes,  ana- 
logues à  celui  qui  fit  disparaître  l'Atlantide,  bouleversaient  la 
face  du  monde.  Ainsi  que  l'écrivait  un  de  nos  plus  illustres 
contemporains,  Darwin  (9)  :  <(  Le  temps  viendra  où  les   géo- 


{\)  (îiiAVKs,  voir  plus  loin,  p.   131 . 

(2)  ClAUEi,  Mt'moires  sur  les  jcn^pcx  et  autres  pierres  précieuses  de  la 
Corse,  n8,ï.  —  Lathkille,  Mémoires  sur  divers  sujets  (F histoire  naturelle 
des  in^/'ites,  de  t/éoyraphie  et  de  chronologie,  1810. 

(.'il  DiiKY  DK  Saint-Vince.nt,  Essui  sur  les  lies  Fortunées.  —  {«'oiitia 
d'Uhhan,  Essai  sur  quelques-uns  des  plus  anciens  monuments  de  la  géo- 
graphie, 1802,  t.  I,  p.  5.  —  BiNSKN,  Egyptfs  place  in  iiniversal  history,' 
l.  IV.  p.   421 . 

(i)  .loMROis,  Dissertation  sur  l'Atlantide.  —  Vili.emai.n,  Histoire  de  la 
littérature  française  au  xin"  siècle,  lettre  XIV. 

(5)  IloisEi.,  Les  Atlantes,  1874. 

\f>i  Novo  V  Colson,  la  Ultima  teoria  de  la  Atlantide  (Société  de  géogni- 
pliic  (le  Madrid) . 

(7)  L)KlioTEi.iiA,  Pucljras geologicas  de  laexistencia  de  la  Atlantida,  1881. 

(8)  D'  A.MEG111N0,  Lu  Antiquedad  del  Homhre  en  cl  Plato  (188ii).  — 
Df  Lagneau  (Société  d'anthropologie,  1864,  p.  748.  —  1880,  p.  450). 

(9;  Dauwin  cité  par  Ueci.is  [La  Terre),  p.  808.  —  Cf.  Le  préambule  des 


CIIAIMTKK    IV.    —    Lies    (JHKCS    KT    LKS    HUMAINS. 


1-27 


logui's  considiM'eroiit  le  repos  de  l'écorce  terrestre  pendjuit 
toute  une  période  de  son  liistoire  comme  aussi  improhahie  que 
le  serait  le  calme  absolu  de  ratmosplière  |)en(lant  tante  une 
saison  de  Tannée  ».  Dès  l'antiquité  on  peut  citer  de  iiond)reuv 
phénomènes  qui  présentent  une  grande  analof^ie  avec  celui  qui 
amena  la  ruine  de  l'Atlantide.  «  Démodés,  dans  ses  histoires, 
écrit  Strahon  (1),  raconte  que  de  terribles  trenddenu'iits  de 
terre  furent  autrefois  ressentis  en  Lydie,  en  lonie,  et  jusqu'en 
Troade,  qui  engloutirent  des  villages  entiers,  convertirent  des 
marécages  en  lacs  et  sulunergèrent  Troie  sous  les  eaux  ih\ 
la  mer.  Par  une  cause  analogue,  l'ile  de  Pharos,  la  Pharos 
d'Egygte,  située  naguère  en  pleine  mer,  n'est  plus  à  proprement 
parler  qu'une  presqu'île  ;  Tyr  et  Clazomènes  pareillement. 
Nous-méme,  lors  de  notre  voyage  à  Alexandrie  en  Egypte, 
nous  avons  vu  la  mer,  aux  environs  de  Péluse  et  du  mont 
Gasius,  se  soulever  tout  »i  coup,  inonder  ses  rivages,  et  faire  de 

la   montagne    une    île Démétrius   de    Gallatis,   dans   son 

relevé  des  tremblements  de  terre  ressentis  en  Grèce,  nous 
iipprend  qu'une  portion  notable  des  îles  Lichades  et  du 
Cenoeum  fut  engloutie,  (|ue  Phalares  méuie  fut  en  quelque 
sorte  rasée  tout  entière  jusqu'au  niveau  du  su],  (pi'un  même 
désastre  eut  lieu  à  Lamia  et  à  Larissa,  etc.  Enlin,  l'un  rapporte 
que  l'ile  Atalanta,  près  de  l'Eubée,  s'ouvrit  juste  par  le  milieu 
et  livra  passage  aux  vaisseaux,  et  qu'en  certains  endroits 
l'inondation  y  couvrit  la  plaine  jusipi'à  une  distance  de  vingt 
stades  ».  11  serait  facile  de  multiplier  les  exemples  {'!)  :  ainsi 
l'Acarnanie  et  l'Achaïe  sont  couvertes  presque  entièrement  par 
les  eaux  des  g(dfes  d'Ambracie   et  de  Gorinthe.   La  Pro|)ontide 

Epoques  (le  In  Nritiire  de  Bii'kon  :  «  La  nature  s'est  trouvée  dans  (lillérciils 
états,  et  la  terre  a  pris  successivement  des  formes  différentes.  Les  citnix  eux- 
mêmes  ont  varié,  et  toutes  les  choses  de  l'univers  physique  sont,  conuiie 
l'cilcs  du  monde  moral,  dans  un  mouvement  continuel  de  variations  sucees- 
sivcs  ». 

(1)  Sthauo.n,  I,  3,  17. 

(2)lD.,  1,3,20. 


i  é 


1:28       l'REMIKRI':    l'AKTIK.    —    LES    l'RÉCrRSEURS   DE   COLOMll. 


\ 


et  le  pont  Eiixin  suhmorgont  de  vastes  plaines  en  Asie  et  en 
Europe.  Tant<)t  la  mer  se  creuse  un  chemin  à  travers  l'ilelles- 
pont  et  le  IJusphore  de  Tlirace  (1),  tantôt  elle  sépare  la  Sicile  de 
l'Italie,  Chypre  de  la  Syrie,  Euhée  de  la  Béotie,  l'Afrique  de 
l'Espagne,  la  (Jaule  de  la  (îrande-Bretagne,  ou  hien  elle 
engloutit  Pyrrha  et  Aulissa,  Hélice  et  Bura  dans  le  golfe  de 
ilorinthe,  la  majeure  partie  de  l'île  de  Cos  et  la  moitié  deTynda- 
ris  en  Sicile.  Quelquefois  c'est  au  milieu  des  terres  (|ue  s'af- 
faissent le  mont  Cyhotus  et  la  ville  de  Curète,  ainsi  que 
Sipylus  de  Magnésie.  Un  continent  tout  entier  disparaît  même, 
au  grand  effroi  des  contemporains,  la  terre  Lyctonienne  ou 
Lycaonienne. 

Tous  ces  phénomènes  se  sont  produits  à  l'époque  historique. 
Ils  sont  tout  aussi  prouvés  que  l'affaissement,  au  vi''  siècle  de 
notre  ère,  de  la  ville  d'Herbadilla  que  recouvre  aujourd'hui  le 
lac  de  (irandlieu  (i2),  ou  que  la  brusque  séparation  des  îles 
Jersey,  Guernesey  et  autres  d'avec  le  Cutentin  (3)  ;  ou  que  la 
formation  du  Zuydersée  en  1170  (4)  ;  du  Dollartsée  en  1277  et 
1287  ;  (lu  Bieshoch  en  14"21  ;  ou  que  le  trend>lement  de  1003. 
qui  causa  de  si  terribles  ravages  au  Canada  et  changea  en  un 
ospace  immense,  entrecoupé  de  lacs  et  de  ruisseaux,  près  de 
cent  lieues  de  pays  autrefois  occupées  par  des  montagnes  et  des 
ntchers  ;  ou  ((ue  le  treud)Iement  de  loGG  qui  abîma  sous  les 
eaux  plus  de  soixante  lieues  carrées  dans  la  province  chinoise 
de  Ghansi  ;  ou  que  la  disparition  sous  les  eaux,  en  1819,  sur 
une  étendue  de  quatre-vingt-quatre  lieues  carrées,  de  la  plaine 
de  Sindrée  aux  bouches  de  l'Indus  (o)  ;  ou  que  l'effroyable  érup- 
tion du  Krakatau  en  1882,  dont  on  ressentit  les  secousses  sur 


(1)  Oiii'iiÉE,  Poème  (les  Argonaute-;  (édit.  Tauchnitz  ,  V.  128-16!t. 

(2)  Pklcmet  et  Cii.vxi-AiRE,  Description  topograp/iique  et  stalistique  de  lu 
France. 

(3)  Elisée  Reclus,  La  France,  i>.  093.  639-G49. 
(4i  Id.,  L'Europe  septentrionale,  p.  222-224. 

(5)  ZuRCiiER  et  Maroou.é,  Le  Monde  sous-marin,  p.  2"1. 


m 


CUAPITRE  IV.   —   LES  GRECS   ET   LES   ROMAINS. 


129 


(rénonnes  espaces  (1).  Ce  n'est  donc  pas  une  exagérîition  poé- 
ticpie  (2)  ou  une  fantaisie  d'artiste  qui  a  inspiré  ces  beaux  vers 
à  Ovide  (3)  : 

Vidi  ego,  quod  fuerat  quondam  soiidissima  tellus, 

Esse  fretniii  ;  vidi  fictas  ex  œquore  terras, 

E  procul  a  pelago  conchaj  jacuere  marinai, 

Et  vêtus  inventa  est  in  niontibus  anchora  summis  : 

Qiiodque  luit  campus,  vallem  decursus  aquaruni 

Fecit,  et  oluvio  nions  est  deductus  in  .iiquor, 

Eque  paludosa  siccis  humus  aret  arenis. 

Le  grand  cataclysme  ^ui  détruisit  l'Atlantide  ne  ressend>le-t-il 
pas  à  tous  ceux  que  nous  venons  d'énumérer?  Sans  doute,  un 
tel  bouleversement  ne  s'est  pas  accompli  à  l'époque  bistorique  ; 
Platon  lui-même  en  fixe  la  date  à  neuf  mille  ans  avant  lui  ;  mais 
ce  n'est  pas  une  raison  pour  le  nier.  Sans  qu'il  soit  besoin  de 
recourir  aux  milliers  de  siècles  de  la  cbronologie  cbinoise  ou 
indoue,  nul  aujourd'bui  n'ignore  que  l'univers  existait  bien  avant 
les  six  mille  ans  de  la  cbronologie  classique.  Par  conséquent, 
puisque  la  tradition  bistorique  et  la  science  sont  d'accord  pour 
reconnaître  l'existence  de  l'Atlantide,  nbésitons  pas  à  nous 
ranger  parmi  ceux  qui  croient  à  l'autlienticité  du  récit  Platonicien. 

L" Atlantide  a  existé  :  mais  quelle  était  sa  position  ?  Les 
opinions  varient  à  l'infini.  Les  uns  ont  pensé,  avec  Rudl)cck(4), 


(1)  Edmond   Cotteau,  Krakatau  et   le  Détroit   de   la   Sonde   (Tour  du 
Monde,  1886). 

(2)  Plusieurs  savants  :  président  de  Brosses,  Korster,  Dumont  d'Uiville, 
Uroca,  Moerenhout,  Martin  de  Moussy,  etc.,  pensent  que  jadis  existait  dans 
le  Pacifique  un  grand  continent,  déterminé  par  les  îles  Havaï,  les  .Marquises 
et  la  Nouvelle-Zélande,  qui  ne  seraient  que  les  sommets  des  terres  enj^lou- 
ties.  Ce  n'est  qu'une  hypothèse,  mais  fort  legitmie  ;  à  plus  forte  raison  pou- 
vait jadis  exister  dans  l'Atlantique  un  continent  dont  les  Antilles,  les  Arores 
Ole  ,  sciaient  comme  les  dernières  arêtes.  —  Cf.  i>e  Urossks.  Narif/atiiDis 
aii.v  ferres  Australes.  —  Gabriel  Laionu,  bulletin  de  la  Sociétù  de  iji-o- 
fjraitliie  (juin  1867). 

(3   Ovide,  Métamorphc^es,  liv.  xv. 

(i   Voir  pour  l'exposé  de  ces  divers  systèmes  et  leur  réfutation  Gakkahei,, 
L'Atlantide  (Revue  de  géographie,  1880). 

T.    I.  9 


i 


^ 


130       PREMIÈRE    PARTIE.    —    LES   PRÉCURSEURS   DE  COLOM». 

que  l'Atlantide  était  l'ancienne  Suède,  et  les  autres,  avec  ihrl'er, 
les  provinces  septentrionales  de  l'Allemagne  baignées  par  la  Bal- 
tique. Bailly  retrouvait  l'Atlantide  dans  le  Spitzherg,  et  Delisle 
de  Sales  dans  la  Méditerranée.  Kirchmaïer  la  plaçait  en  Afrique, 
dans  l'ancien  lac  Triton,  et  Jolibois  dans  les  régions  de  l'Atlas 
et  du  Sahara.  Un  savant  contemporain,  dont  il  est  difficile  de 
résumer  la  compétence,  Berlioux  (1),  a  cru  retrouver  dans 
l'Afrique  Septentrionale  l'emplacement  de  l'Atlantide,  et  u 
même  essaye  de  raconter  l'histoire  des  rois  Atlantes.  C'est 
encore  une  opinion  peu  commune  que  celle  du  Flamand 
Grave  (2)  et  de  l'Anglais  Davies  qui  prétendaient  découvrit- 
l'Atlantide  en  Hollande.  D'autres  savants,  également  étranges 
dans  leurs  conceptions.  Van  Eys  en  1715,  l'avocat  Marseillais 
Claude  Olivier  en  1726,  le  Suédois  Kuréiiius  en  1754,  et  Bai^r 
en  1702,  dirigeaient  leurs  recherches  vers  la  Palestine,  Latreille 
vers  la  Perse,  Moreau  de  Jonnès  (3)  en  Crimée.  Tous  ces  écri- 
vains n'ont,  de  parti  pris,  voulu  tenir  aucun  compte  du  texte 
de  Platon.  Us  ont  placé  l'Atlantide  soit  en  Europe,  soit  en 
Asie,  en  deçà,  par  consé(jU('nt,  des  colonnes  d'Hercule,  «•! 
presque  tous  ont  voulu  la  reconnaître  dans  des  contrées  encore 
existantes.  C'en  est  assez  pour  démontrer  le  mal  fondé  de  leurs 
théories. 


(1)  Berlioi'X.  Hhtoire  de  l'Atlanlis  et  du  l'Atlas  primitif,  1883. 

(2)  Voici  le  titre  exact  de  l'ouvrage  de  Grave  :  nous  le  citons  à  cause  de 
la  rareté  du  livre  et  de  soa  étrangeté  :  «  Répuhlique  des  Champs-Elysées  ou 
Monde  ancien,  ouvrage  dans  Icqiccl  on  démontre  principalement  que  les 
C/un/iptlili/sées  et  CEnfer  des  anciens  sont  les  noms  d'une  ancienne 
répuhlit/ue  d'hommes  justes  et  religieux,  située  à  l'e.rtrémité  septentrionale 
de  lu  Gaule,  et  surtout  dans  les  lies  du  Bus-Rhin . . .  que  les  Elyséens, 
nommés  aussi  sous  d'autres  rapports  Atlantes,  llijperboréens,  Cimmériens, 
ont  (ici Usé  les  anciens  peuples,  y  compris  les  Egyptiens  et  les  Grecs,  que 
les  dieux  de  lu  fable  ne  sont  que  les  euihlt'mes  des  institutions  sociales  de 
l'Elysée,  que  la  voàle  céleste  e'it  la  tableau  de  ces  institutions  et  de  la 
philosophie  des  législateurs  Atlantes,  etc.  »  —  Davies  soutint  la  niôine  tlièse 
dans  ses  Antiqux  linguœ  Britannic.v  rudimenta. 

(3)  MoKE.\r  DE  Jo?i.\És,  Géographie  préhistorique,  l'Atlantide,  p.  103-1.(7. 


•miPf'l^uji;^^ 


CIIAI'ITHK    IV. 


LKS    CRKCS    CT    LES    ROMAINS. 


i:m 


D'autres  savants,  mieux  ins|)irés,  ont,  conformément  au\ 
indications  Platoniciennes,  cherché  l'Atlantide  au-delà  des 
colonnes  d'Hercule,  mais  ils  ont  eu  le  tort  de  la  placer  en  Amé- 
ri(|ue,  ouhliant  qu'elle  n'existait  plus. 

Dès  loî>3  (Jomara  affirmait  que  l'Atlantide  correspondait 
à  l'Amérique  (l)  ;  en  loOl  (îuillaume  dePostel,  le  savant  orien- 
taliste, alléguait  une  prétendue  étymologie  mexicaine  pour  pro- 
poser d'appeler  Atlantis  le  nouveau  continent  (2).  Wytfliet,  un 
des  meilleurs  géographes  du  xiV  siècle,  étahlissait  l'identité  de 
ces  deux  continents  (3).  Bacon  y  croyait  aussi,  mais  dans  un 
ouvrage  de  pure  fiction  et  qui  est  resté  inachevé  (-4).  Le  Suisse 
Bircherodius  essayait  de  prouver  qu'il  fallait  chercher  du  côté 
de  l'Amérique  la  position  de  l'ancienne  Atlantide  (ÎJV  Lamothe 
Levayer  (6),  le  sceptique  et  érudit  auteur  de  la  Gi'ographie  du 
Prince,  voyait  «  dans  le  Timée  et  le  Critias  quelque  petite 
apparence  de  l'Amérique  ».  Sainte-Croix  (7)  et  Garli  (8)  étaient 
(lu  même  avis.  Ce  dernier,  dans  ses  Lettres  américaines,  a 
même  dépensé  heaucoup  de  science  et  d'imagination  pour  prou- 
ver sa  thèse.  B  est  vraiment  singulier  que  ni  lui  ni  ses  devan- 
ciers n'aient  été  arrêtés  par  le  texte  de  Platon,  hien  affirmatif 
sur  ce  point,  que  l'Atlantide  a  disparu  en  une  seule  nuit  à  la 
suite  d'un  effroyable  cataclysme  et  qu'il  est  par  conséquent  inu- 
tile de  la  chercher  dans  une  région  encore  existante.  Emportés 
par  leur  désir  de  retrouver  l'Atlantide  au  Nouveau-Mond?.  ils 
ont  oublié  que  l'Atlantide  n'existait  plus.  Quelques  cartographes 


fi 


(1)  GoMARA,  Historia  de  las  Indias,  fol.  119. 

(2)  PosTEL,  CoAmographicœ  discipUnœ  compendiitm  cum  s!/7iopsi  reriiin 
toto  orbe  fjesfarum,  p.  13  et  57. 

'i)  Wytfliet,  Histoire  universelle  des  Indes  orientales  et  occidentale!^, 
p.  60. 

(4)  Bacon,  Nova  Atlantis,  1638,  p.  364. 

(5)  BinciiERODirs,  De  orbe  novo  non  novo,  Altorf,  t683. 

(6)  LAMOTiiE-LEVAYEn,  Géographie  du  prince,  p.  2t. 

(7)  Sainte-Croix,  De  l'état  et  du  sort  des  anciennes  colonies,  p.  24. 

(8)  Tout  le  deuxième  volume  de  l'ouvrage  de  Cari.i  (traduction  Lefebvre 
tic  Villebrune. 


\',\ll      l'UKMIKKK    l'AHTIK.    —    LKS    l'UKiUmSKL'HS    I)K   COLOMII. 


ont  |»ai1ii^:(''  ces  illusions.  A  lu  fin  du  xvii''  sioclc,  (Juillaunu! 
Sansoii  [l]  piihliait  dans  son  f;raiid  atlas  une  carte  de  rAinériquo 
partagée  entre  les  fils  d'Atlas,  et  il  intitulait  gravement  cette 
fantaisie  géographique  :  IVovus  orbis,  pol'nis  allcrn  conlincus, 
sirt'  Ailmtiis  insnla  a  M.  Sniison  antiqultati  rrsiitiita,  niiiir 
di'inuni  mnjori  forma  delineafa,  et  in  deceiii  régna  juxln 
dccem  Nepdini  fiiinn  dlslr'ibuta,  pneterea  insidic  nosir.rque 
riinllnenfis  rof/iones  qn'ibtis  hnpenwere  Allanlis  regcs,  nui  quas 
itrniis  ientaoere.  \a\  rroirait-on  ?  Un  autre  cartugraplie,  Robert  de 
Vaugondy  (2,  partageait  encore  l'Amérique  entre  la  postérité 
d'Atlas  dans  son  Orhh  Velus  in  utroquc  continente  juxia  men- 
tem  Sansoninnam  distincins  nec  non  obseroationibus  astrono- 
niicia  redactim.  Tout  récemment,  au  congrès  des  Américanistes 
de  Copenhague,  qui  eut  lieu  en  1883,  un  fantaisiste,  M.  Ste- 
phens  Blackett  (3),  n'affirmait-il  [)as  que  l'on  retrouve  les  races 
(|ui  hahitaient  les  différentes  parties  de  l'Amérique  lors  de  la 
<;on(jnéte  espagnole;  en  les  comparant  avec  lt!s  races  (jue  les 
anciens  auteurs  ont  nommées  comme  habitant  l'Atlantide.  Ainsi 
les  Titanides  correspondent  aux  Totonaques,  lapetus  aux  Zapo- 
tèques,  Atlas  aux  Aztlans,  Mala  aux  Maïas,  Typhaeus  aux 
Tapys,  indiens  de  l'Amérique  du  Sud,  etc.  Ces  singularités 
géographiques,  pour  ne  pas  les  qualifier  plus  sévèrement,  ne 
sont  (ju'un  jeu  d'esprit,  et  c'est  décidément  hors  de  l'Améritiuc 
(pi'il  nous  faut  chercher  l'emplacement  de  l'Atlantide. 

Nous  avons  essayé  plus  haut  d'établir  que  l'Atlantide  se  trou- 
vait jadis  dans  l'immense  espace  que  déterminent  les  Açores, 
les  Canaries,  la  mer  des  Sargasses  elles  Antilles.  Nous  n'avons 


(1)  Carte  82  de  l'atlas  de  1680. 

(2)  Editions  de  1748  et  1702.  Les  Etats-Unis  formaient  la  part  de  Gadciros 
et  le  Mexique  celle  d'Atlas,  dont  la  capitale  s'élevait  sur  l'emplacement  de 
Mexico.  Amphères  avait  pour  lui  le  Venezuela  et  la  Guyane.  Le  Pérou 
appartenait  à  Evemon,  la  Bolivie  et  le  Paraguay  à  Mnésée,  la  Confédération 
Argentine  à  .Mestor.  Plus  modestes  ou  moins  bien  partagés,  Azaes,  Elasippcs 
et  Diuprcpes  se  contentaient  du  Chili  et  de  la  Patagonic. 

(3)  Bl.\ckett,  The  lost  history  of  America  (Congrès  de  Copenhague,  p.  139. 


CHAPITRE    IV.    —    LKS   GKECS    KT    LES   ROMAINS. 


i:n 


pas  i\  revenir  sur  cette  démonstration,  (|ue  nous  nous  sommes 
ciïorcé  de  rendre  proltante  On  nous  pardonnera  d'avoir  insisté 
sur  ce  problème  historique,  non  seulement  i\  cause  de  son 
importance,  mais  aussi  parce  qu'il  se  rattachait  directement  à 
notre  sujet.  11  est  certain  que  la  croyance  à  l'Atlantide  ne  fut 
[)as  sans  avoir  une  grande  influence  sur  la  découverte  de 
l'Amérique.  Colomb  y  croyait.  Tous  ses  contemporains  y 
crurent  également,  et,  dans  l'antiquité,  ce  fut  certainement  la 
tradition  que  l'on  conserva  avec  le  plus  de  soin,  et  que  l'on  se 
transmit  avec  le  plus  d'exactitude  de  génération  en  génération. 
H  était  donc  nécessaire  d'en  parler  longuement  et  de  prouver 
(îomment  i\  travers  les  Ages,  et  par  un  travail  inconscient  de 
l'esprit  humain,  ces  vagues  notions  se  transformèrent  peu  à 
peu,  et  aboutirent  aux  merveilleuses  découvertes  maritimes  du 
xV  et  du  xvi"  siècle. 

La  tradition  de  l'Atlantide  n'est  pas  la  seule  que  nous  ait 
léguée  l'antiquité  relativement  à  l'existence  d'un  continent  au- 
deliï  des  mers  connues  et  dans  la  direction  de  l'ouest.  Plutarque 
a  conservé  le  souvenir  du  continent  Cronien,  et  Elien  celui  de 
la  Mérop'ide. 

Le  continent  Cronien  est  mentionné  dans  le  traité  de  Plu- 
tarque intitulé  De  fac'ie  in  orbe  luniv  (1).  C'est  un  résumé 
dogmatique  des  opinions  de  l'antiquité  sur  notre  satellite.  Un 
certain  Sylla  raconte  à  Lamprias,  frère  de  Plutarque,  qu'il  a 
rencontré  <\  Carthage  un  étranger  fort  au  courant  de  toutes  les 
sciences.  Cet  étranger  venait  d'acquérir  du  renom  en  découvrant 
des  parchemins  sacrés  qu'on  avait  transportés  secrètement  hors 
de  l'ancienne  ville,  quand  elle  avait  été  détruite.  Il  arrivait  d'une 
île  mystérieuse  située  dans  les  profondeurs  de  l'Océan  Atlan- 
tique. H  y  était  resté  trente  années,  remplissant  les  fonctions 
de  prêtre  de  Saturne,  et  la  décrivit  en  ces  termes  à  Sylla  :  (2) 


(t)  Pliîtarque,  De  facie  in  orbe  lunée  (édition  Didot),  p.  1151-1153,  §  29. 
(2)  Traduction  Bétolaud  {Œuvres  morales),  t.  IV,  p.  119. 


IIM       l'KKMlKHK    l'Ainii;.    —    LKS    l'Hl-XXHSEUHS    UE   OOLoMII. 

«  Rioii  Ht;  s'oppose  à  ce  (jue  je  déhute  à  la  fucoii  d'Homère  : 
Ogygie  est  une  île  éloignée  eu  lu  mer,  à  ciu(|  journées  de 
navigation  de  la  (iraude  Bretagne  et  à  l'ouest  (1).  Trois  autres 
îles,  à  égales  distances  de  cette  île  et  entre  elles,  sont  placées  eu 
avant  et  tout  îi  fait  vers  le  point  où  le  soleil  se  couche  pendant 
Tété.  Dans  une  de  ces  îles,  suivant  les  traditions  mythologiques 
<les  IJarhares,  Saturne  fut  emprisonné  par  Jupiter.  Sous  la 
surveillance  de  son  fils,  il  résidait  dans  la  plus  reculée  et  au 
delà  de  la  portion  de  mer  qu'on  appelle  mer  Saturnienne. 
Les  barbares  ajoutent  {"2)  que  le  grand  continent  qui  entoure 
en  cercle  la  grande  mer,  un  peu  moins  éloignée  des  autres  îles, 
est  à  environ  cinq  mille  stades  d'Ogygie,  et  que  l'on  ne  peut  y 
aborder  (ju'avec  des  biUiments  à  rame.  Les  eaux  en  elfet  ne 
permettent  qu'une  lente  navigation,  et  sont  rendues  bourbeuses 
par  la  (juantité  de  vase  ([u'y  déposent  de  nombreux  affluents 
venus  de  terre  ferme.  Il  en  résulte  de  tels  atterrissenients  que 
la  mer  en  est  épaissie  :  elle  prend  une  sorte  de  consistance,  à 
ce  point  (|u'on  l'a  cru  glacée.  La  partie  de  ce  continent  qui 
longe  la  mer  est  occupé  par  des  Grecs  (3).  Ils  s'étendent  sur  un 
golfe  qui  n'a  pas  moins  d'étendue  que  les  Paludes  Méotides,  et 
dont  l'embouchure  répond  précisément  en  ligne  droite  à  celle 
de  la  mer  Caspienne,  Ils  s'appellent  et  s'estiment  des  continen- 
taux, et  ils  donnent  le  nom  d'insulaires  (4)  à  ceux  qui  habitent 
notre  sol,  attendu  qu'il  est  entouré  parla  mer  de  tous  les  côtés. 
D'après  eux,  aux  peuples  de  Saturne  se  mêlèrent  plus  tard 

(1)  'ÛY"Y'''1  v^'o;-  •  •  ôpôjiov  7)[aepwv  rMzt  BpîtTav^aa  ànfyouaa  nXiovzi 
Tcpô;  iar^pav.  "Etspot  Sa  Tost;  Vaov  Èît£ivr,ç  àçeaTwaa'.  xat  aXX*)Xti)v, 
-poxsîvTai  ji-âXiara  xatà  ouîjjiàî  f,X;ou  Ospivà;. 

(2)  Tr,v  8$  |j.EYâXT,v  fj-£ipov,  69 'rj;  rj  |j.sy*^i1  rspisysiat  x'jxX«[)  OoîXaTTa, 
-ffi  'Q^uy;'*;  ~£pt  r.iv:a.  y.ta-/_iX''o'j;  aiaôfo'j;  y.(i>r.-/^^t'3'.  ;:Xo''oi'3  y.o[t.iÇo[i.iv(o. 

(3)  T^ç  ôà  f,::s{pou  tÔ  7:pô;  tfj  OaXàTTr;  xaTOtxeîv  'EXXrJva;  r,zp\  xo'X;iou 
oox  ^attdvw  T7);  Maifôttooî. 

W  KaXs'iv  Se  xai  vo[JLfÇciv  exei'vouî,  Ti::£ipwxaa  (xàv  iuiôuç,  vr,(jialTa;  8è 
Toù;  TaÛTTjv  tfjv  Y^v  xaTOtxoùvTaî. 


-a. 


CHAPITRE  IV.    —   LES  GRECS  ET   LES  ROMAINS. 


135 


roux  qui,  venus  avec  Hercule,  furent  laissés  dans  cette  contrée  ; 
et  l'élément  grec,  déjà  éteint  et  dominé  par  l'influence  de  la 
lanjrue,  des  lois  et  du  régime  barbares,  se  trouva  comme  ranimé 
gr.ke  à  cette  adjonction  qui  lui  donna  une  nouvelle  puissance 
et  un  nouveau  dévelojipement.  Voilà  pourquoi  chez  eux  les  pre- 
miers honneurs  sont  pour  Hercule  et  les  seconds  pour  Saturne. 
Quand  l'étoile  de  Saturne,  par  nous  appelée  Phémon,  et  par 
eux  Nyctouros  (gardien  de  la  nuit),  est  arrivée  au  signe  du 
Taureau,  ce  qui  exige  une  révolution  de  trente  ans,  ils  procèdent 
à  un  sacrifice  préparé  longtemps  d'avance,  On  organise  aussi 
une  expédition  maritime  dans  les  conditions  suivantes  :  Des 
habitants  désignés  par  le  sort  montent  chacun  sur  un  nombre 
égal  d'es<|uifs  ;  là  ils  ont  soigneusement  ménagé  tout  ce  qui  est 
nécessaire  pour  un  voyage  à  rame  sur  une  mer  aussi  étendue, 
et  pour  un  aussi  long  séjour  en  pays  étranger.  Une  fois  partis, 
nos  navigateurs  éprouvent,  on  le  conçoit  bien,  des  fortunes 
diverses.  Ceux  (jui  ont  échappé  aux  hasards  de  la  mer  com- 
mencent par  aborder  dans  les  îles  opposées,  où  habitent  des 
(irecs.  Là  ils  voient  le  soleil  se  dérouler  moins  d'une  heure 
durant  trente  jours.  C'est  là  ce  qui  constitue  la  nuit.  C'est  une 
espèce  de  crépuscule  léger,  entre  chien  et  loup  comme  on  dit, 
et  (|ui  régne  après  le  coucher  du  soleil.  Ils  restent  là  durant 
([uatre-vingt-dix  jours,  au  milieu  d'hommages,  de  soins  affec- 
tueux, et  estimés,  proclamés  personnages  saints  ;  après  quoi  les 
vents  les  remportent  de  nouveau  au  delà  de  la  mer.  Nuls  autres 
n'habitent  leurs  îles,  à  l'exception  d'eux  mômes  et  de  ceux  qui 
y  furent  envoyés  avant  eux.  H  leur  est  permis  de  retourner  dans 
leur  patrie,  quand  ils  ont  été  voués  treize  ans  au  culte  du  Dieu  ; 
mais  ils  préférèrent  naturellement,  pour  la  plupart,  terminer  là 
leur  séjour  ;  les  uns  par  habitude,  les  autres  parceque,  sans 
travail  et  sans  embarras,  tout  leur  est  fourni  en  abondance 
pour  les  sacrifices  et  les  cérémonies  du  culte,  ou  bien  en  raison 
de  ce  qu'ils  s'occupent  toujours  de  certaines  études  savantes  et 
(le  philosophie. 


i 


'■) 


\  \ 


130   PREMIÈHE  PAUTIR.  —  LES  PBÉCL'HSELRS  DE  COLOMH. 


l 


:i: 


Rien  (II!  plus  merveilleux  (|ue  la  nature  de  cette  île.  L'air  y 
est  d'une  douceur  charmante.  Quel(|ues  uns  pensaient  à  la 
quitter.  I^  Dieu  les  en  empocha  en  venant  se  présenter  i\  eux 
comme  on  ferait  à  des  familiers  et  à  des  amis. . .  Pour  ce  <|ui 
est  de  Saturne  lui-même,  il  réside  dans  une  grotte  profonde. 
Il  y  est  endormi  sur  un  rocher  étincelant  comme  de  l'or,  et 
c'est  le  sommeil  que  Jupiter  a  imaginé  de  lui  donner  pour  lien. 
Des  oiseaux  qui  ont  établi  leur  demeure  sur  le  haut  d'un  rocher 
viennent  en  voltigeant  apporter  au  Dieu  l'amliroisie.  L'île  entière 
est  parfumée  d'une  odeur  délicieuse  qui  s'exhale  de  ce  rocher 
comme  d'une  source. ...  ». 

Strabon  (^1)  n'aimait  pas  le  genre  hAtard  qui  consiste  i\  mêler, 
non  par  ignorance,  mais  comme  simple  ornement  poéti(|ue,  le 
mythe  î\  l'histoire..  Ces  mythes  pourtant  ne  sont  pas  un  simple 
divertissement  de  l'esprit.  Ils  tiennent  k  un  système  d'o|)inions 
antiques,  dont  certaines  parties  sont  parvenues  jusqu'à  nous. 
La  légende,  conservée  par  Plutarque,  est  sans  doute  un  de  ces 
fragments.  On  pourrait,  en  effet,  dans  cette  légende,  distinguer 
deux  parties  :  la  première  toute  mythique  et  la  seconde  géogra- 
phique. Nous  ferons  bon  marché  de  la  partie  mythique  Elle  se 
rattache  vraisemblablement  au  culte  mystérieux  de  Saturne,  de 
cette  vieille  divinité  toujours  refoulée  vers  l'ouest  et  le  nord- 
ouest,  comme  si  les  brouillards  et  les  glaces  de  ces  contrées 
avaient  pu  la  faire  disparaître.  Le  nom  de  mer  de  Saturne,  en 
effet,  ne  s'appliqua-t-il  pas  d'abord  à  l'Adriatique  (2),  puis  aux 
mers  qui  baignent  l'Europe  au  nord-ouest  (3)  et  enfin  ù  l'Océan 
septentrional  (4)  ?  La  seconde  partie  au  contraire  est  plus  réelle. 
Elle  se  rattache  à  la  géographie  des  temps  historiques  et  nous 
fait  comme  entrevoir  les  régions  boréales,  dont  on  soupçonnait 


(1)  Strabon,  I,  n,  xi. 

(2)  Scholiaste  d'Apollonius,  l\,  321. 

(3)  Argonautiques,  V,  1029.  —  Denys  le  Peiuégète,  V,  32. 

(4)  Plutarque,  ut  supra.  —  Crbuzer,  Symbolique  (traduction  Guigniaut), 
t.  Il,  p.  213,  215,  225. 


c.iiAiMTnr:  iv.  —  les  chkcs  ft  les  homains. 


i:n 


l\'\istcnr('.  Kssayoïis  de  dégager  te  (|iril  peut  y  avoir  de  vrui 
(lu  tout  «u  moins  do  vraisciidilaldc  dans  ce  rf^cit. 

Dans  la  direction  dt*  rttucst- nord -ouest,  et  au-delà  de  la 
(îrande-liretagne,  s'étendent  donc  un  certain  nomlire  d'iles, 
dont  la  plus  recnlé(>  est  éloifïuée  de  vingt  jours  de  navigation. 
Il  serait  assez  diriicile  de  jtréciser  la  situation  de  ces  îles  : 
remarquons  néanmoins  cpie  de  l'extrémité  de  l'Kcosse  aux 
Féroi',  des  Féroi»  à  l'Islande  et  de  l'Islande  au  Groenland,  même 
avec  les  faibles  moyens  d(ï  navigation  dont  disposaient  les 
anciens  et  en  tenant  compte  du  peu  de  précision  des  renseigne- 
m(!nts  de  ce  genre,  on  pouvait  aller  facih'meiit  en  vingt  ou 
vingt-cinq  jours  de  la  firande-Hretagne  au  (Jroenland  en  passant 
par  ces  des  intermédiaires.  De  plus,  l'Kcosse,  les  Féroi',  l'Islande 
et  le  (iroenland  sont  à  peu  prés  à  égale  distance  les  unes  des 
autres  et  toutes  dans  la  direction  indiquée  de  l'ouest-nord-ouest. 
Enfin  on  avait  déjà  ohservé  dans  ces  parages  les  [iliénométies 
météorologi([ues,  qu'on  y  étudie  encore  aujourd'hui.  Ne  sait-on 
pas  en  eiïet  que,  sous  le  cercle  polaire,  an  solstice  d'été,  le 
soleil  estprescpie  toujours  sur  l'horizon?  Le  2i juin, au  moment 
de  son  coucher,  il  l'effleure,  pour  ainsi  dire,  sans  disparaître 
entièrement,  et  remonte  tout  de  suite  après.  Ijt^moine  Dicuil. 
dans  son  naïf  et  grossier  langage,  disait  que  «  cette  nuit  était 
assez  claire  pour  qu'on  put  enlever  les  poux  de  sa  chemise  »  (1). 

Ainsi  donc,  au  delà  do  la  Grande-Bretagne,  et  dans  une  région 
où  le  soleil,  pendant  prés  d'un  mois,  est  presque  toujours  au 
dessus  de  l'horizon,  c'est-à-dire  dans  la  région  boréale,  les 
Grecs  auraient  découvert  quelques  îles.  Ils  seraient  même  allés 
plus  loin,  et  auraient  abordé  un  grand  continent,  qui  entourait 
l'Océan  (2).  Gin(|  mille  stades,  environ  deux  c-ent  cinquante 


(1)  Dicuil,  De  mensura  orbis,  §  VIII,  2  :  u  Ita  ut  nihil  teiicbrarum  iti 
minimo  ipso  spatio  fiât,  sed  quidquid  liomo  operari  voliicrit,  vel  pcdiculos  de 
cainisia  abstrahere,  tanquam  in  prœsentiam  solis  potcst  » 

(2)  Ne  serait-ce  point  les  iles  dont  Pline  parle  en  ces  termes  {Histoire  natu- 
relle, IV,  15)  :  «  Timaeus  historiens  a  Britannia  introrsns  sex  dierum  navi- 


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r, 


lus       l'HKMIÈHK    PAHTIE. 


LES    PRKCURSELIKS   1)E   COLOMH. 


lieues,  séparaient  ce  continent  de  l'île  Ofïygie.  Les  côtes,  et 
surtout  celles  d'un  golfe  aussi  grand  que  le  Palus  Méotides  étaient 
liahitées  |»ar  des  Grecs.  On  ne  se  servait  dans  ce  pays  que  de 
hateaux  h  rames,  car  la  navigation  était  lente  et  difficile,  à  cause  ■ 
de  la  grande  quantité  de  vase  déposée  par  les  cours  d'eau,  ou 
bien  en(;ore  de  la  gl;ice  qui  embarrassait  la  surface  des  flots. 
Quel  est  ce  continent  entouré  par  l'Océan?  Quel  est  ce  golfe 
dont  la  navigation  est  si  dangereuse?  r<(>rtes  nous  ne  nous 
chargerons  pas  de  résoudre  le  prohième.  Quelques  géographes 
ont  été  plus  affirmatifs.  Horn  se  déclare  en  faveur  du  Groen- 
land (l).  Ortelius  se  prononce  pour  l'Amérique  {"l).  On  est 
même  allé  juscju'à  prétendre  que  le  golfe,  aussi  grand  «jue  le 
Palus  Méotis,  correspondait  à  la  mer  d'iludson  ou  au  détroit 
de  Baffin.  Nous  ne  pouvons  qu'enregistrer  ces  opinions,  et 
constater  qiie  les  Grecs  croyaient  à  l'existence  d'un  continent 
au  delà  de  ces  îles  boréales,  dont  la  situation  correspondrait  en 
ed'et  assez  exactement  à  celle  de  l'Amérique. 

Est-ce  à  dire  qu'il  faille  prendre  il  la  lettre  les  indications  de 
Plularque?  Assurément  non.  Dans  cette  description  des  îles  et 
du  continent  Cronien,  il  a  donné  libre  carrière  à  son  imagination. 
Si,  connue  il  le  prétend,  des  Grecs  étaient  établis  depuis  des 
siècles  sur  les  rivages  de  ce  golfe,  s'ils  se  considéraient  comme 
habitants  d'un  continent,  et  traitaient  leurs  compatriotes  d'insu- 
laires, si  en  un  mot  ils  avaient  conservé  le  souvenir  de  leur 
origine,  ils  ne  se  seraient  pas  abi\tardis  au  contact  de  leurs 

{çalioiio  abosse  (licit  iiisulam  Mictim...  ad  eain  Britannos  navigiis  vitilibus, 
coris  circuiiisiitis,  navigare.  Sunt  (jui  et  alias  prodant,  Scandiani,  Durnnam, 
Bcrgos,  inaxiiiianque  omnium  Ncrigcn,  ex  qua  Tliulen  navigetiir  ». 

(1)  IIoun,  De  Originihus  Amcricanis,  p.  l.")5  :  <<  Gronlandiic  nomcn  eliani 
antiqiiissiinivS  geugi'a|)liis  notuin.  Quid  illud  marc,  quod  supra  Uubeas  et 
Scaiidiam  est,  Cronium  dixeruiit  ab  ci  adjacente  Cronia,  sive  Saturni  insula, 
qiiain  etiam  Ogygiam  vocarunt,  ut  ex  Plutarchi  libro  de  imaginibus  in  Luiia 

put(!t  ». 

(2)  Ohtei-ils,  De  orbe  terrarum  :  «  Ego  quoque  liujus  (Amcric-e)  nicn- 
lionem  ficri  a  Plularcho,  in  l'acie  de  orbe  luna;,  sub  nominc  mp^ni  continentis, 
pulo  ». 


wstsumtSZ 


ImMw-^^H»    ■»!   I 


CIIAI'ITRE    IV 


LES   CHECS   ET   LES   ROMAINS. 


139 


v(»isius,  ils  n'iuiraioiit  ouhli»''  ni  leur  langue,  ni  leurs  usages;  ils 
auraient  en  un  mot  hiissé  des  traces  visibles  et  (lurahles  de  leur 
séjour.  Peut-être  le  philosophe  de  Ghéronée  a-t-il  siini>lenient 
cherché  à  flatter  l'amour-propre  de  ses  vaniteux  concitoyens  ; 
mais,  tout  en  faisant  la  part  de  la  fantaisie,  nous  croyons  (|ue 
le  fond   même  du  récit  n'a  pas  été  inventé.   Les  (irecs  o.it 
réellement  entendu  parler  d'îles  et  de  continents  situés  au  delà 
de  IWtlantiqup,  et  dans  la  direction  de  l'ouest.  Peut-être  même 
(piel(iues-uns  d'entre  eux  s'étaient-ils  aventurés  dans  ces  lointains 
parages,  car  il  est  telle  circonstance  du  récit  de  Plutanjue  (pi'il 
est  difficile  d'inventer,  par  exemple  la  permanence  du  soleil  au 
dessus  de  l'horizon  à  certaines  époques  de  l'année  et  la  difficulté 
de  la  navigation  dans  ces  mers.  Or  les  mêmes  phénomènes 
physiques  se  reproduisent  encore  aujourd'hui  dans  les  mêmes 
contrées,  et,  si  Plutarque  dans  son  récit  a  précisément  indiqué 
le  seul  endroit  de  notre  hémisphère  où  s'accomplit  ce  singulier 
phénomène,    et  une  des   rares   mers   où  la  glace   entrave  la 
navigation,  c'est  sans  doute  (ju'il  les  connaissait,   vaguement 
|)eut-étre,  mais  enfin  d'une  façon  quelconque.  Les  ()rn«>ments 
lie  style  et  les  fantaisies  mythiques  tiennent,  il  est  vrai,  trop  de 
place  dans  son  récit,  mais  les  inventions  greccpies  n'anéantissent 
pas  la  réalité  du  fond.  Plutarque  s'est  fait  couune  l'interprète 
d'événements  réels,  «pi'il  peut  avoir  arrangés  à  sa  guise.  Ayant 
entendu  parler  d'îles  lointaines,  de  grandes  terres  découvertes 
dans  un  pays  étranger,  au  delà  de  l'Atlanticpie,  il  trouva  l'occasion 
excellente   pour   associer  la  vraise'nhiance   géogra|)hi(pie  aux 
mythes  religieux.  II  lui  fallait  pour  servir  de  résidence  cachée 
à  Saturne  quelque  Ogygie  Homérique,  quelque  île  lointaine  dont 
tous  soupçonneraient  l'existence  et  personne  ne  connaîtrait  la 
position  précise.  Cette  île  sera  le  pays  d'où  jadis,  d'où  peut-être 
hier,  revenaient  les  marins  dont  il  écoutait  les  récits  merveilleux. 
Aussitôt  il  hrodera  sur  ce  thème,  en  respectant  autant  (jue 
possihle  la  vraisemblance,  et  c'est  ainsi  que  des  brouillards  de 
la  fable  ou  des  récits  obscurs  de  quelque  grec  anonyme  sortirent 
le  continent  Cronien  et  les  îles  qui  l'avoisinaient. 


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I  ^ 


no      PREMIÈRE   PARTIE.    —    LES    PRÉCLRSELRS    DE   COLOMH. 

La  Môropide,  dont  Elien  (1)  Ji  raconté  l'histoire,  n'a  |tcut-(Hr('. 
pas  plus  existé  que  rAtlantide  ou  que  le  continent  Cronien,  ou 
du  moins  il  est  tout  aussi  difficile  d'assigner  une  position  exacte 
à  ce  nouveau  continent  qu'aux  terres  décrites  par  Platon  et  par 
Plutarque,  mais  le  récit  d'Elien,  dont  nous  allons  donner  une 
rapide  analyse,  prouve,  de  même  que  les  traditions  conservées 
par  le  philosophe  et  l'historien  grecs,  la  perpétuité  de  la  croyance 
à  l'existence  d'une  grande  terre  occidentale. 

Silène,  roi  de  Carie  ou  de  Mélos  suivant  les  uns,  de  Nysa  en 
Afrique  suivant  les  autres,  joyeux  compagnon  et  gai  buveur, 
avait  mis  en  pratique,  plusieurs  siècles  avant  Epicure,  la  philo- 
sophie du  bonheur.  Jupiter  l'avait  pourtant  choisi  comme  pré- 
cepteur de  son  fds  Hacchus,  car  Silène  cachait  sous  une  appa- 
rente bonhommie  une  science  profonde,  et,  quand  il  discutait 
quelque  question  morale  ou  philosophique,  on  l'écoutait  avec, 
respect  et  admiration.  Seulement  ce  n'était  pas  chose  aisée  que 
de  l'arracher  à  ses  plaisirs  habituels.  H  fallait  user  de  ruse  et  de 
violence.  Miaas,  roi  de  Phrygie,  le  fameux  Midas  dont  les 
longues  oreilles  ne  sont  peut-être  qu'un  symbole  de  son  ardeur 
à  l'étude,  attira  Silène  à  sa  cour,  et,  usant  du  même  subterfuge 
que  le  Chromis  et  le  Mnasyle  de  Virgile,  parvint  à  lui  arracher 
quelques-uns  de  ses  secrets.  Dans  un  de  ses  savants  entretiens, 
son  hôte  lui  décrivit,  en  détail,  un  continent  mystérieux,  la 
Méropide,  et  ce  sont  les  fragments  de  cette  description,  jadis 
écrite  par  Théopompe,  qu'Elien  nous  a  transmis. 

L'Europe,  l'Asie  et  l'Afrique  sont  des  îles,  autour  desquelles 
circule  l'Océan  (2).  En  dehors  de  ce  monde  existe  un  continent 
unique,  d'une  immense  étendue.  11  est  peuplé  de  grands  ani- 
maux. Les  hommes  qui  l'habitent  ont  une  stature  double  de  la 
nôtre,  et  la  durée  de  leur  vie  s'allonge  dans  la  même  proportion. 

<1)  Elien,  Histoires  variées,  III,  3  (édition  Didot,  p.  329). 
(2)  Id.,  id.  «  Tr]v   (aIv   Eùp(ûrtr,v  x«i  t^jv  Au^av  nal  trjv   Atj3uTJv  vrjdou; 
EÎvai,  a?  7:£ppipfeîv  xyxX(i)  tov  'Qxeavdv,  i'tizzipov  Sa  eivai  [/.o'vr^v  Èxsivr^v  tf|V 

ÈÇw  TO'JTO'J  T03  XOa[AO'J,   X.   T.   X    ». 


'"^ 


CHAPITRE    IV 


LKS    CHEC.S    ET    LES   ROMAINS. 


141 


Ils  (Hit  beaucoup  de  {îi'iindes  villes  et  sont  régis  par  des  nueurs 
et  des  usages  tout  à  fait  diflerents  des  nôtres.  Silène  rapportait 
(|ue  deux  de  ces  villes  surtout  étaient  importantes.  Elles  ne  se 
ressemblaient  en  rien.  L'une  se  nommait  la  guerrière  (Makkimos) 
et  l'autre  la  pieuse  (Eusebès).  Les  Eusebiens  vivent  toujours 
en  paix.  Ils  ont  de  grandes  ricbesses.  Ils  n'ont  pas  besoin  pour 
récolter  les  productions  de  la  terre  de  cbarrues  et  de  bœufs  ;  ils 
n'ont  riiabitude  ni  de  cultiver  leurs  cliamps  ni  de  les  ense- 
mencer. Ils  sont  exempts  de  toute  maladie,  et  passent  de  la  vie 
à  la  mort  le  sourire  sur  les  lèvres  et  le  c(eur  joyeux.  Ils  sont  si 
vertueux,  si  ennemis  de  toute  dis[)ute  (|ue  les  Dieux  eux-mêmes 
résident  souvent  parmi  eux.  Les  Makkimiens,  au  contraire, 
sont  très  belliqueux.  Ils  naissent  avec  leurs  armes,  et  sont 
toujours  en  guerre.  Ils  ont  soumis  à  leur  domination  les  peuples 
voisins.  Cette  seule  cité  est  la  maîtresse  d'un  nombre  considé- 
rable de  peuples.  Près  de  deux  cents  myriades  d'babitants 
vivent  dans  cette  ville.  Ils  meurent  quel([uef'ois  de  maladie, 
mais  c'est  un  accident  fort  rare  :  c'est  dans  les  combats  surtout 
qu'ils  périssent,  à  coups  de  massue  ou  de  pierres,  car  ils  ne 
peuvent  être  blessés  par  le  fer.  Ils  possèdent  une  cpiantité  ((insi- 
dérable  d'or  et  d'argent,  à  tel  point  que  l'or  est  cliez  eux  UKtins 
estimé  que  cbez  nous  le  fer.  Silène  racontait  que  les  Makkimiens 
avaient  eu  autrefois  l'intention  de  conquérir  nos  îles.  Us  pas- 
sèrent l'Océan  au  nombre  de  mille  myriades  de  soldats,  et  arri- 
vèrent jusque  chez  les  llyperboréens;  mais  quand  ils  apprirent 
que  nous  regardions  comme  iieureux  ces  peuples,  dont  la  vie 
s'écoulait  obscure  et  sans  gloire,  "Is  méprisèrent  une  telle  con- 
quête et  dédaignèrent  d'aller  plus  loin. 

La  plus  étonnante  partie  du  récit  de  Silène  était  la  suivante  : 
«  Des  hommes  appelés  Meropes  habitaient  dans  ce  continent 
des  îles  nombreuses  et  peuplées.  Cette  région  se  terminait  à  une 
sorte  d'abîme,  appelé  Anostos,  ou  sans  retour.  Il  n'était  ni  téné- 
breux, ni  lumineux,  mais  rem|)li  d'une  amosphère  opa(|ue. 
sombre  et  rougeiUre.  Dans  la  contrée  coulaient  deux  fleuves, 


liP"Wi 


142       PREMIÈRE   PARTIE. 


LES    PRECURSEURS   DE   COLOMB. 


dont  l'un  s'appelait  Volupté  et  l'autre  Jrislesse.  Ils  étaient  l'un 
et  l'autre  hordes  d'arbres  qui  ressemblaient  à  de  grands  j>latanes. 
Les  fruits  qui  poussaient  sur  les  arbres  du  fleuve  7'risU;ssi; 
avaient  une  singulière  propriété  :  celui  qui  les  goûtait  fondait 
en  larmes,  passait  le  reste  de  sa  vie  dans  les  pleurs,  et  finissait 
par  mourir  de  chagrin.  Les  fruits  cueillis  sur  les  rives  du  fleuve 
Volupté  produisaient  un  elîet  tout  contraire.  Celui  qui  en 
goûtait  perdait  le  désir  de  ce  qu'il  avait  le  plus  recherché.  Il 
oubliait  ce  qu'il  avait  le  plus  chéri,  et,  rajeunissant  graduel- 
lement, repassait  tour  à  tour  de  la  vieillesse  à  l'Age  viril,  à  lu 
jeunesse,  à  l'adolescence  et  au  premier  Age,  jusqu'à  ce  (ju'eniin 
il  retournât  au  néant  ». 

Elien  n'accordait  aucune  confiance  à  Théopompe.  Il  le  consi- 
dérait comme  un  simple  mytliologue  et  non  comme  un  historien, 
u  Si  quelqu'un  trouve  vraisemblable  le  récit  de  l'écrivain  de 
Chio,  dit-il  (1),  libre  à  lui.  Pour  moi,  sur  ce  point  comme  dans 
ses  autres  ouvrages,  c'est  un  insigne  arrangeur  de  fables  ».  Pas 
plus  (ju'Elien,  nous  ne  croyons  aux  fleuves  merveilleux,  aux 
arbres  étranges  et  à  l'abîme  sans  issue  de  la  Méropide.  Nous 
n'admettons  pas  davantage  l'existence  des  Eusebiens  et  des 
Makkimiens.  Le  récit  de  Théopompe  est  sans  doute  un  roman 
sentimental.  Il  a  voulu,  comme  Morus  ou  Cabet,  décrire  les 
merveilles  d'une  terre  idéale,  ou  bien  encore,  comme  Swift, 
faire  la  satire  de  ses  contemporains:  mais,  ainsi  qu'il  arrivt; 
fréquemment  dans  les  ouvrages  de  fiction,  cette  histoire,  dont 
les  héros  portent  des  noms  de  fantaisie,  et  dont  l'action  se 
passe  dans  un  pays  imaginaire,  n'en  est  pas  moins  réelle  par 
quelque  point.  N'a-t-on  pas  retrouvé  dans  le  grand  Cyrus  de 
M""  de  Scudéry  un  récit  détaillé  et  fort  exact  de  la  bataille  de 
Itocroy  ?  Il  en  est  peut-être  de  même  de  la  Méropide  de  Théo- 
pompe. C'est  une  allégorie,  mais,  malgré  les  ornements  ridicules 

[\)  EuEN,  ut  siipm    Kai  Tajta  il  Tto  r.h-o;  ô  Xto;  Aî'ywv  r.zr.ii-CfJiOM. 


H 


CHAPITRE   IV.   —   LES   GRECS   ET    LES   ROM;* INS. 


143 


et  les  fabuleux  récits  qui  la  déparent,  elle  repose  probablement 
sur  quelque  fait  autbentique.  On  peut,  par  conséquent,  sous 
les  voiles  qui  la  recouvrent,  trouver  un  fond  de  réalité. 

Quelle  est  cette  vérité  ?  Nous  ne  prétendons  pas,  avec  Lefebvre 
de  Villebrune,  le  traducteur  de  Garli,  que  le  passage  d'Elien 
nous  transporte  au  Pérou  ou  au  Mexi(|ue,  surtout  si,  au  lieu  de 
Makkimoi,  on  lisait  Makkikoi  (1)  ;  nous  ne  croyons  pas  non 
plus  avec  Perizonius(2),  un  des  plus  savants  commentateurs 
d'Elien,  que  les  anciens  avaient  eu  quelque  vague  connaissance 
de  l'Amérique  :  on  peut  néanmoins  affirmer  que  l'auteur  de  ce 
fragment  s'est  emparé  d'une  vieille  tradition,  et  l'a  transformée 
en  allégorie,  en  satire  ou  en  roman.  L'indication  de  cette 
contrée  occidentale,  la  singulière  conformité  que  l'on  a  pu 
constater  entre  les  Atlantes  et  les  Makkimiens,  qui  eux  aussi  se 
dirigent  de  l'ouest  à  l'est  pour  conquérir  le  monde,  toutes  ces 
coïncidences  ou  plutôt  toutes  ces  analogies  nous  démontrent 
que  les  anciens  n'ont  jamais  cessé  de  croire  à  l'existence  de 
vastes  continents  au-delà  des  mers. 

Atlantide,  continent  Gronien  et  Méropide,  tels  sont  donc  les 
trois  noms  aiitour  desquels  on  a  b.'iti  d'audacieuses  théories, 
mais  qui  du  moins  affirment  la  perpétuité  des  traditions  rela- 
tives à  l'existence  d'un  grand  continent  occidental. 

Avec  le  progrès  des  temps  peu  à  peu  les  notions  se  préci- 
sent. Aux  vagues  traditions  succèdent  les  conjectures,  dont 
(juelques-unes  seront  marquées  d'un  caractère  scietitilicpie,  et 
rrayeront  la  voie  aux  prochaines  découvertes. 

11.  —  Les  Théories. 

Parmi  ces  conjectures,  il  en  est  une  très  familière  à  l'antiquité, 

(Il  Cahli,  Lettres  Américaini's,  t.  II,  p.  il. 

(2)  EuKN,  édition  Pcrizonius  (1101),  p.  217  :  N'on  diibito  quin  vetcrcs 
aliquid  scivcrint,  quasi  per  umbraut  et  caligiiicm,  de  America  ». 


iH      F'HEMIÈRE   PARTIE. 


LES    PRECURSEURS   DE   COLOMH. 


et  qui  exerça  une  grande  influence  sur  l'esprit  des  voyageurs  et 
des  géographes.  Colouih  l'invoquait  encore  cpiand  il  cherchait  à 
faire  approuver  ses  projets.  Elle  est  relative  à  l'existenccî  d'un 
continent  au-delà  de  l'Atlantique,  d'une  terre  opposée  à  la  nôtre, 
ou,  pour  employer  l'expression  consacrée,  d'une  antichtone. 

Ainsi  que  le  remarque  Humholdt  (1),  «  l'idée  de  l'existence 
prohahie  de  quelque  autre  masse  de  terre,  séparée  de  celle  que 
nous  hahitous  par  une  vaste  étendue  de  mer,  devait  se  présen- 
ter dés  les  temps  les  plus  reculés.  H  paraît  si  naturel  à  l'homme 
de  rêver  à  quelque  chose  au-delà  de  l'horizon  océanique,  que, 
même  à  l'époque  où  la  terre  était  considérée  comme  une  sur- 
face plane  ou  légèrement  concave,  on  pouvait  croire  qu'au-delà 
de  la  ceinture  de  l'Océan  homérique  il  y  avait  quelque  hahita- 
tion  des  hommes,  une  autre  oîzojasvr,,  le  lokaloka  des  mvthes 
indiens  ».  Sans  doute  divers  préjugés  empêchèrent  longtemps 
les  anciens  de  croire  qu'ils  pouvaient  directement  connaître  ces 
terres  mystérieuses,  mais  ils  en  eurent  toujours  comme  le  pres- 
sentiment. Les  plus  grands  esprits  sont  unanimes  sur  ce  point. 
Un  passage  ohscur  d'Anaxagore,  conservé  par  Simplicius  (2), 
est  relatif  à  un  autre  monde,  non  pas  imaginaire,  ni  perçu  uni- 
quement par  l'intelligence,  mais  réel  et  tomhant  sous  les  sens. 
Pythagore  (3)  croyait  aux  antipodes,  et  son  disciple  Philo- 
lalis  (4)  supposait  que  la  terre  et  son  antichtone  se  mouvaient 
parallèlement  dans  un  orhite  commun  autour  du  soleil.  Platon  (5) 
et  Aristote  (G)  étaient  persuadés  de  l'existence  des   antipodes  ; 

(1)  HuMBOi.DT,  Histoire  de  In  géographie  du  nouveau  continent,  t.  I,  p.  110 
(■2)  Si.Mi'UflL's,  édition  Scliaubacli,  p.  89,  93.  110.  yf:i 

(3)  DiofiKXE  Laerce,  VII,  ii6.  Etvat  ôà  xai  àvit-ôSa;  xai  ta  f,[xîv  zâro) 
îy.îi'vcp'.;  avw. 

(4)  Philolaus,  édition  Uocckh,  p.  115-117. 

(5)  DioGÈ.NE  L.vEKct:,  III,  24  :  Kal  ;:pôjTo;  sv  9'.Xoao9;a  àvT'.-ooa;  (ôvo'jjia'jî. 

(6)  AiuSTOTE,  De  cœlo.  II.  14  :  'llTr,;  y?;;  av  siV,  -coiyeps'.a toù  o/^[jiaTo: 
a'.Ti'a  ayaipciEtor-jî  oùaa.  'Hti  5i  O'.â  ttJ;  twv  àirptôv  çavtaiia;  où  [xovov 
oavspôv  OTi  r.cpi^pzQT];,  àXXà  xat  zo  ;j.c'yeOo;  où/  oùia  [JLîyâXr, . . .  'Eviot  yàp 
•*v  ÀipTZTw  [jLEv  aiTsps;  ôpûvTat  y.al  -spt  KÛTTpov,  kv  toÎ;  -poa  «pxTOv  oè 
•/topioiç  oy/  ôpàivTat. 


MACROBII     IN     SOMNIUM   SCIPIONIS    EXPOSITiO, 


\ 


<•«'  (l«'niu;r  |> 
iiiu'  «u'Iipso  ( 
sur  lo  dis(|n( 
vers  le  sud, 
est  s|(h(''ri(|u 
lii  s|)lièn'  est 
s'y  trouve  d' 
ruiisses  coiif 

pas  à  se  |jro 
prenait,  avei 
la  terre,  et  i 
magnifique  1 
tinuité  tle  l'( 
terre  les  hali 
pant  qu'un  ( 
(jui  forment 
vois  enfin  ce 
se  transmett 
d'autres  latil 
vous  pour  qi 
plus  loin  :  « 
les  peuples  s 
cette  zone  st 

(1)   CiCÉBON, 

'<  Vides  hiibitar 
iibi  habitatur,  ^ 
modo  interrupt 
sud  partiin  obli 
gloriam  certe  ii 
illc  est,  in  quo 
geniis  ;  liic  aul 
vos  pai'te  contii 
ribus,  latcribus 
Atlantic'um,  qii 
Iniito  iioininc  q 

T.    I 


\ 


CIIAI'IÏHE   IV. 


LKS   (ÎHKCS   KT    LKS   ROMAINS. 


Ii5 


<•('  dernier  |intuv;iit  la  sphéricifé  de  lu  terre  parce  fait  que,  dans 
une  éclipse  de  lune,  l'ombre  de  la  terre  se  montrait  circulaire 
sur  le  dis(|ue  lunaire,  et  aussi  parce  que,  quand  on  voyageait 
vers  le  sud,  on  découvrait  de  nouvelles  étoiles.  Or,  si  la  terre 
est  spliéri(pie,  ajoutait-il,  faut-il  supposer  (juc  l'autre  partie  de 
la  sphère  est  uni([uement  rouverte  d'eau,  ou  hien,  plutôt,  <|u'il 
s'y  trouve  d'autres  terres  dont  le  climat  vaut  le  nùtn;,  d'autres 
masses  continentales  dans  lescjuelles  se  répètent  les  mêmes 
|»hc  jmènes  climatériques  que  chez  nous  ?  Cicéron  (  I  )  n'hésitait 
pas  à  se  prononcer  en  faveur  de  la  seconde  hypothèse.  Il  com- 
prenait, avec  l'instinct  du  génie,  quelle  était  la  vraie  forme  de 
la  terre,  et  il  avait,  par  une  merveilleuse  intuition  et  dans  un 
magnilique  langage,  prouvé  la  nécessité  des  anti|»odes  et  la  con- 
tinuité de  l'Océan  autour  de  notre  continent  :  «  Tu  vois  sur  la 
terre  les  habitations  des  hommes  disséminées,  rares,  et  n'occu- 
pant qu'un  étroit  espace  ;  tu  vois  même  entre  ces  petites  taches 
(jui  forment  les  points  habités  de  vastes  déserts  interposés  ;  tu 
vois  enfin  ces  peuples  divers  tellement  séparés  que  rien  ne  [leut 
se  transmettre  de  l'un  à  l'autre  ;  tu  les  vois  jetés  cà  et  là,  sous 
d'autres  latitudes  dans  un  autre  hémisphère,  trop  éloignés  de 
vous  pour  que  vous  puissiez  attendre  d'eux  aucune  gloire  »,  et 
plus  loin  :  «  Deux  zones  sont  habitables,  la  zone  australe  dont 
les  peuples  sont  vos  antipodes,  race  étrangère  à  la  vôtre  ;  enfin 
cette  zone  septentrionale  que  vous  habitez,  et  encon^  dans  quelle 


(1)  CtcÉRON,  République,  liv.  VI,  12,  13,  traduction  Villomaiii,  p.  382  : 
<<  Vides  habitari  iii  terra  raris  et  angiistis  in  locis  ;  et  in  i|)s>  iiiasi  niacnlis, 
ntii  habitatur,  vastas  solitudines  intcrjectas  ;  uusquu,  qui  inc(  t  terrani,  non 
modo  intcrruptos  ita  esse,  ut  nihil  inter  ipsos  ab  aliis  ad  alios  nianare  possit 
sud  partiin  obliques,  partiin  ctiani  adversos  stare  vobis  :  a  (juibns  exspectarc 
i;loriaui  corte  nullain  potestis  ».  —  «  Duo  sunt  habitabiies,  ((uonnn  australi» 
ille  est,  in  que  qui  insistunt,  adversa  vobis  urgent  vestigia,  nihil  ad  vestinni 
j,'(!nus  ;  hic  autein  alter  subjeclus  aquiloni,  qucni  intolilis,  cerne  quani  tenui 
vos  pai'te  contingat.  Oirniis  enini  terra,  ([ua*  colitnr  a  vobis.  angnsla  vcrli- 
cibus,  lateribus  latior,  parva  quaidain  insula  est,  circunifusa  illo  mari,  quod 
Allanlicuni,  quod  Magnum,  quod  Occanuni  ai»pella(is  in  terris  ;  ijui  tanien 
linito  noinine  quain  sit  parvus  vides  ». 

T.    I.  10 


•f 


..^.■*> 


140      PREMIÈRE   PARTIE.    —    LES   PRÉCURSEURS    I»E  COLOMH. 


h. 


faible  proportion  vous  apparticiit-cllo  ?  Toute  cette  partie  de  la 
terre  occupée  par  vous,  resserrée  vers  les  p(Mes,  plus  l.irfre  vers 
le  centre,  n'est  (ju'une  île  de  toutes  parts  baignée  par  une  mer 
qui  s'appelle  l'Atlantique,  la  Grande  Mer,  l'Océan,  ronuiie  vous 
dites  sur  la  terre,  et  pourtant,  avec  tous  ces  grands  noms,  tu 
sais  quelle  est  sa  petitesse  ».  Macrobe  (1),  le  commentateur  de 
Cicéron,  reprenait  cette  théorie  en  ramplifiant.  Il  divisait  l(> 
globe  en  quatre  masses  continentales,  deux  pour  l'hémisphère 
boréal,  deux  pour  riiéniisphérc  austral,  de  telle  sorte  qu'un 
navigateur,  en  allant  de  l'est  à  l'ouest,  devait  forcément  rencon- 
trer sur  sa  route  le  continent  des  antipodes  qui  n'avait  pas 
encore  été  découvert  à  cause  des  chaleurs  de  la  zone  torride. 

Il  (>xise  donc,  d'après  Cicéron,  deux  continents  habitables,  et 
d'après  Macrobe  quatre.  Ces  continents  il  est  vrai  n'ont  pas 
encore  été  reconnus,  mais,  forcément,  on  les  découvrira, 
lorscpron  aura  réussi  à  surmonter  les  obstacles  de  la  zone 
torride.  Telle  était  la  théorie  courante.  Elle  a  été  généralement 
adoptée  par  les  géographes  de  l'antiquité.  C'est  ainsi  que 
Strabon  {"2)  se  prononce  en  faveur  de  l'antichtone.  »  Qu'appe- 
lons-nous en  effet  terre  habitée?  Uni(piement  cette  portion  de 
terre  que  nous  habitons,  et  qu'à  ce  titre  nous  connaissons.  Or 
il  peut  se  faire  que,  dans  la  même  zone  tempérée,  il  y  ait  deu\ 
terres  habitées,  plus  même,  surtout  à  proximité  de  ce  parallèle 
qui,  passant  par  Athènes,  coupe  toute  la  mer  Atlantique  ». 
Poin[)onius  Mêla  (II),  adopte  également  cette  théorie.  «  Y  a-t-il 

(1)  Macmobe,  Commentaire  du  sonf;e  de  Scipioji,  II,  9  :  «  Ab  ortetito  voro 
duos  siiitis  rcrtiridit,  iiiuiin  ad  cxlrcmitatcin  sepluiitrionis,  ad  australis  altcruin 
riirsiisiiut;  al»  occiderile  duo  pariter  ciiasciiiilur  sinus,  (^inuciii  terrain  quadi'i- 
tidaiii  dividiiiit,  ol  siiii^ulas,  ut  supra  dixinuis,  haltitalioiius  insulas  faciuiil. 
Naiu  iuter  nos  et  australes  lioniiucs  ineaiis  ille  por  calulaiu  zonani,  lolanKim; 
eiugeiis,  et  rursus  utriusrpie  regiouis  exlreuia  liuibus  suis  ambieus,  biuas  in 
superiore  atque  inl'eriore  terraî  superficie  insulas  facit  ». 

(2)  Strabox,  1,  i,  ().  KotXoj;j.£v  Y«?  'jîwj,u.:'vr,v  '.yj  ot/.ou|X£V  xai  YV'op:Ço[A£v. 
'EvOc'ysra'.  Si  sv  xf^  aj:?)  zy/.pi-:'!)  Çfovrj  y.x\  oj'i  otxojas'va;  S'.va-.  r,  /.al 
-Àei'ou; 

(3)  PoMPONiL's   Mbla,  De   situ  orhi^,    I,    9  :  «  Quod  si  est  alter  orbis, 


•'fl^sces 
»omicn 


Cf.  /o. 
'■"■•■V.  His\ 
*"'f,'',  cir 
slare,  et 
mic  iiied 
"""  l'atio 

(3)  /d., 


C.IIAIMTHK    IV.    —   LKS   CHKCS    KT   LKS    KOMAINS. 


147 


nti  autre  muiule,  ('crit-il,  et,  dans  la  directujii  du  midi,  des 
coiiliut'iits  ((pposés  au  nôtre,  œ  système  ne  me  seudiie  pas 
éloifiiiè  de  la  vérité  (1)  ». 

On  nous  pardonnera  d'avoir  cité,  malgré  la  monotonie 
de  cette  énumérati(»n,  tous  ees  passages  empruntés  aux 
philosuplies  et  aux  savants  de  l'antiquité.  Ne  démontrent-ils 
|.as  en  eiïet  que  les  anciens  avaient  ridé(!  hien  arrêtée  d'une 
aiititiitone  ou  continent  opposé?  Or,  et  c'est  ici  que  nous 
rentrons  dans  notre  sujet,  c'est  surtout  dans  la  direction  de 
l'ouest  qu'ils  ont  cherché  à  découvrir  cette  antichtone.  Il  est 
vrai  que  la  description  qu'ils  en  donnent  mantpie  de  précision, 
et  que  poètes  ou  philosophes  ont  ouvert,  à  propos  de  ces 
mystérieuses  contrées,  lihre  carrière  à  leur  imagination,  mais 
ils  les  ont  toujours  cherchées  du  côté  où  le  soleil  se  couche. 
N'est-ce  point  au-delà  de  l'Atlantique  qu'Homère  a  placé  ses 
Champs-Elysées  (â),  «  ce  pays  où  l'on  ne  connaît  ni  les  tempêtes, 
ni  l'hiver,  où  murmure  toujours  un  doux  zéphyre,  et  où  les 
élus  de  Jupiter,  arrachés  au  sort  commun  des  mortels,  goûtent 
iMie  éternelle  félicité?  »  C'est  encore  au-delà  de  l'Occident  (|uil 
nous  faudra  chercher  le  pays  des  Gimmériens  (3)  «  ce  peuple 

stmlquc  opposili  nobis  a  nieridie  antichtoiies,  ne  illud  quidei.i  a  vlto  nimiiim 
abscesserit.  » 

(1)  Ce  ne  sont  point  les  seuls  témoignages  qu'or?  puisse  alléguer  en  faveur  do 
la  croyance  des  anciens  à  la  sphéricité  de  la  terre.  Voir  Manilius  Astro- 
nomica,  I,  373-377. 

Quod  si  plana  foret  tcllus,  seinel  orta  per  omnem 

Deliceres.  pariter  toti  miserabilis  orbi. 

Sed  quia  per  tercteni  deducta  est  terra  tiniorcni, 

His  modo,  post  illis  apparet  Délia  terris, 

Exoriens  simul  atque  cadens. 
Cf.  Id.,  II,  220-224.  —  Virgile,  Georgigues,  I,  247-251.  —  Pi.ixk  i.'an- 
<:iK.N.  Histoire  iiuturelle,  II,  65  :  «  Ingens  hic  pugna  litlerarum,  con(ra.|ne 
vulgi,  circumfundi  (errœ  nudique  homiiies,  conversisque  inter  se  pedibus 
slare,  et  cunctis  similem  es.>s  cœli  vcrticem,  ac  simili  modo  ex  quacunique 
l'iiile  nicdiani  calcari  ;  illo  quœrcnte  cur  non  décidant  contra  siti  :  tanquain 
non  ratio  presto  sit,  ut  nos  non  decidere  mirentur  illi.  » 

(2)  Homère,  Odyssée,  VI,  41,  542. 

(3)  lu.,  XI,  14-li). 


HH      l'IlKMIKHK   l'AHTIK.    —    LKS    l'URCIÎHSKI'MS    l)K  COLOMB. 


i.1 


I  ) 


Ws   i 


^n 


I 


inulliouriMix  (|ui,  tuiijours  ciiviroiiiii!  d'ôimisses  tt'nôliros,  no 
jttuit  jiiriiais  des  niyoïH  du  soloil,  ni  (|UHtid  rct  astre  itimitc  aux 
lii'ux,  ni  (|uand  il  dcscciid  sur  la  tcrn'  •>.  A  !'(  )(>(-id(>nt  ciicuro 
les  iiicrvcillfs  du  palais  d'Alcinoiis  et  les  jardins  cncliautt's 
fie  ScJM'ria  (l),  ainsi  (juc  la  ((mtrt'M'  cliarmanlt'  dont  parlf 
Hésiode  {'!)  :  «Jupiter  Saturnien  leur  pei-niet  de  vivre  et  d'habiter 
à  l'écart  des  liuinniis  et  il  les  établit  aux  extrémités  de  lu  terre, 
loin  des  inunortels,  sous  le  sceptre  de  Saturne.  (îes  héros 
fortunés  jouissent  de  la  quiétude,  au  milieu  de  l'Océan  tempé- 
tueux, dans  les  iU's  des  iiienheureux,  où  la  fertilité  (hi  sol  fait 
fUîurir  trois  fois  chaque  année  l'arbre  aux  fruits  suaves  ».  La 
contrée  tnystéri(Mise  <tù  l'auteur  du  Prométhée  enchaîné  place  ses 
(îorjidues  (IJi,  la  terre  bénie  du  ciel  (jue  Pindare  assigne  c(jnmie 
séjour  à  ses  héros  ^i)  sont  aussi  dans  la  direction  de  l'ouest. 
(Jue  dire  de  cette  étrange  contrée  dont  parle  Lucien  dans  son 
I/istoiri'  \'i'ri table  (.'i),  et  que  décrivait  sans  dout(!  .Vntonin 
Diogène,  dans  un  ouvrai^e  aujourd'hui  |)erdu,  intitulé:  Des  choses 
hicroi/afjles  qu'an  vi>il  (in-deli'i  de  l'Océan  (G)  ;'  C'est  parce  (jue 
le  héros  de  ce  roman  voudra  connaître  la  limite  de  l'Océan 
et  les  h<»mmes  qui  en  habitent  le  bord  opposé  (jue,  suivi  de 
cin(|uante  j(Uines  }iens  de  son  àf,'e,  il  se  lancera  dans  l'.Vtlan- 
tique  (7). 
Ce  ne  sont  pus  seulement  les  poètes  et  les  rouianciers,  mais 


11)  IloMÉKR,  Odyssée,  lu.,  IV,  507.  -  VII,  188  Cf.  Wei.kkh,  Die  Ilome- 
rise)ien  Phocakcn  unit  die  Insdn  dtr  Seliijer .  —  Vinkt,  Les  Paradis  pro- 
fanes (Ik'vuc  de  Paris,  18.'.'. 

(2)  IlÉsioDK,  Travaux  et  Jours,  16T-173.  —  Cf.  Id.,  Tliéoijonie,  V,  274- 
27(5. 

(3)  Escuvi.i;,  Prométhée  enchainé.  Conseilla  lo. 

(4)  Pindahe,  Olympiques,  II,  fragments  des  Thrcnes. 

(5)  Li'ciKN,  Histoire  rérital)le,  traduction  Talbot,  I,  340-117. 

(0";  POBi'HYKE,  Vie  de  P/jl/iar/ore  (édit.  Didot),  p.  81)i.  A'.oyi'voj;  o  '  ;•/  -v.; 

(7)  Lucien,  ouv.  cité.  Ka'i  to  [JouA-ila-.  aaO^îv  -.î  -j  -ï'm;  ia:-.  toj  Q/.Eavoj 
■/.x\  T''v3;  o!  -fpav  x.aTOi/'.oCîvTs;  «vOpwnoi. 


ïi 


nÉHT— t 


■«sa-" 


CIIAriTIlK   IV.    —    LKS   «HKCS    KT    I.KS    lUtMAINS. 


\V.\ 


les  Hiivaiits  «TX-nu^ines  qui  cnticiit  ù  rcxistencc  (!«'  ferres  éloi- 
gnées dans  la  diructimi  de  l'ouest.  Aristote  sait  (|u"il  existe  d«'s 
îles  dans-  rAtIanti(|ue  (1),  les  unes  plus  faraudes,  les  autres  plus 
petites  (pie  notre  continent,  mais  il  n'en  connait  ni  le  nombre, 
ni  la  position  exacte  et  assure  (pi'il  ne  les  a  pas  visitées. 
Kratostliène  {"!),  plus  at'lirmatil',  nientioiuie  dans  cette  direction 
ime  ou  plusieurs  des  au-delà  de  celles  cpi'on  y  avait  déjà  recon- 
nues. Kn  eflet,  le  savant  bibliothécaire  d'AUixandrie,  qui  recevait 
de  tous  côtés  tant  de  documents  divers,  eut  sans  doute  entre  les 
mains  (pielipie  relation  aujourd'hui  [((îrdue.  Sa  hardiesse  lui 
valut  les  critiques  de  Strabon,  (|ui  ne  trouvait  nulle  part  les  îles 
signalées  par  son  |)rédécesseur,  mais  croyait  pourtant  «prelles 
pouvaient  exister.  Il  citait  même  à  l'appui  i\c  ce  système  la 
curieuse  opinion  de  (Iratès  de  Malle,  qui  affirmait  l'existence 
d'un  continent  au-delà  de  l'Atlantirpu"  et  prétendait  cpu»,  sur  ses 
côtes,  devaient  se  trouver  d'autres  Ethiopiens.  «  Il  s'appuyait  (3) 
sur  ce  que  ce  nom  d'Kthiopiens  désigne  pour  nous  toutes  les 
populations  méridionales  répandues  le  long  de  l'Océan,  et  qui 
semblent  former  la  bordure  extrême  de  la  terre  habitée  ;  il 
conclut  que,  par  analogie,  on  doit  concevoir  au-delà  de  l'Océan 
l'existence  d'autres  Ethiopiens  occupant,  par  rapport  aux  diffé- 
rents peuples  de  cette  seconde  zone  tempérée,  et  sur  les  bords 
dudit  Océan,  la  même  situation  extrême.  »  Pline,  Mêla,  tous  les 
géographes  latins  ou  byzantins  sont  du   même   avis,  et   c'est 

(1)  Aristote,  De  mundo,  111  (édil.  Didot),  t.  lll,  p.   629  :  »  IloXXà;  Zï 

v.at  àXXa;  v/jao'jç  £txôî  tî^îSe  àvTirôpOiJLOu;  à;:oO£v  x-îaOai,  Ta;  iji:v  [jif/'î^oy; 
aÙT^î,  Tàç  3'eXixTTOuç,  fjjjiîv  3s  -âaa;  ttXïjv  ttjîSe  aopâiou;.  » 

(2)  Strabon,  1,  m,  2.  «  Wzni'z-.fjy.z  3à/.a\  rep\  twv  'e'Çoj  'Hpa/XEÙov  atTjX'îiv 
roXXot;  (luOtiiScai ,  KepVTiV  te  v^aov  xat  «XXou:  totcou;  ovoiaaî^ojv  Toù; 
[Ar,Sa(iou  vuvi  8eixv'j|ji^vou;.  » 

(3)  Strabon,  I,  H,  14.  <<  "QaTzep  oùv  ot  i:àp  f,[xîv  'AiOiottsî  oûtoi  Xs^oviai 
o't  ;:pôs  jjiear,[A[îiav  y.ey.Xt'ixevot  Tzxp'  oXtjv  Tf,v  o!xou(i.£vr,v  'éay^axot  tûv  aXXo)v 
napoixoùvTeî  Tov  'QxEavôv,  ouTta;  oiExai  Seîv  xa\  TiEpav  toù  '  ÛXEavoy  voiEioOai 
Tiva;  'AtO'ona;  £(j/_(xto'jî  twv  àXXwv  '.oiv  Èv  tt)  k^pa  syxpotTto,  rapoixoSvTe; 
TÔv  aùtôv  toOtov  «ôxeavov.  » 


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150       l'RKMlKRK    l'ARTIK. 


LKS   rKKCUHSKURS   DE   COLOMR. 


toujours  du  côté  de  l'ouest  qu'ils  cherchent  les  îles  et  les  terres 
nouvelles,  dont  ils  affirment  l'existence. 

L'hésitation  n'est  donc  pas  possiMe.  Sauf  de  rares  exceptions, 
l'antiquité  tout  entière  a  cru  h  l'existence  d'une  ou  de  plusieurs 
antichtones  et  elles  les  a  (cherchées  dans  la  direction  de  l'ouest 
et  au-delà  de  l'Atlantique.  11  est  vrai  que  rien  n'est  précis  dans 
ces  indications,  et  que  ces  ilos  ou  ces  continents,  dont  on  parlait 
sur  la  foi  des  poètes  ou  des  philosophes,  personne  ne  les  avait 
visités.  Bien  plus,  on  regardait  comme  inutiles  tous  les  voyages 
qu'on  entreprendrait  dans  cette  direction  :  «  Au-delà  d'Ierné 
(c'est-à-dire  l'Irlande)  se  trouvent  peut-être  d'autres  îles,  mais 
il  n'y  a  pas  grand  intérêt  à  les  chercher,  écrit  Strahon  (1),  car 
les  hypothèses  suffisent  à  la  science...  Ajoutons  qu'au  point  de 
vue  politique,  il  n'y  aurait  également  aucun  avantage  à  connaître 
ces  contrées  lointaines  avec  leurs  hahitants,  surtout  si  ce  sont 
des  îles  qui,  faute  de  comnmnication  facile,  ne  peuvent  rien 
pour  nous,  soit  en  bien,  soit  en  mal  ».  Nous  reconnaîtrons 
encore  que  ces  contrées  transatlantiques  ont  été  choisies  par  les 
romanciers  d'alors,  par  Lucien   et   par  Antonin  Diogéne  par 
exemple,  dont  nous  citions  tout  à  l'heure  les  œuvres,  comme  le 
théâtre  des  exploits  de  leurs  héros  imaginaires  ;  nous  avouerons 
enfin  que  les  descriptions  les  plus  étranges  se  sont  mêlées  à 
cette  idée  vraie  et  que  l'antichtone  ou  le  pays  des  antipodes 
sont  devenus  le  séjour  des  peuples  extraordinaires,  Astomes, 
Acéphales,  Tétrapodes,  Monocolcs,  Sciapodes,  et  des  animaux 
fantastiques,  dont  les  bestiaires  du  moyen  âge  ont  précieusement 
conservé  le  souvenir  (2).  Mais,  de  nos  jo'irs,  les  notions  les 
plus  étranges  prennent  encore  naissance  avec  une  merveilleuse 
facilité.  Ainsi  sait-on  pourquoi  les  progrès  des  Espagnols  aux 
Philippines  furent   si   rapides  ?  C'est  que  les   indigènes,  en 

(1)  Strahon,  II,  v,  8.  «  To  S'sxelOsv  ètcI  xrjv  'I^pvrjv  où-Ahi  Yv<i5pi[j.ov, 
Ko'aov  fiv  Tt;  Osir,,  oùS  ',  v.  jîEpaiTEpo)  ett  o'r/.rJat;j.a  èiTiv,  où8È  Set  cppovttÇstv 
Toî;  Ir.aw)  ÀsyOEÎat.  Ilpdî  8à  te  yap  £7:taTr([ir,v  àpxeî  i:ô  Xapstv.  » 

(2)  Bergeh  de  Xivbey,  traditions  tératologiques . 


•asiBKrië«'^îî^ 


CllAPITRK   IV.    —    LES   GRECS   ET   LES   HOMALNS. 


131 


voyant  les  Espagnols  se  nourrir  de  biscuits  de  mer,  fumer  du 
tabac  et  porter  une  longue  épée,  les  prirent  pour  des  monstres 
redoutables  qui  mangeaient  des  pierres,  vomissaient  du  feu  et 
avaient  une  queue  pointue  (1).  A  plus  forte  raison  devait-on,  i\  une 
époque  d'ignorance  générale  et  de  crédulité  universelle,  forger 
les  contes  les  plus  incroyables  sur  ces  pays  que,  d'ailleurs,  on 
ue  connaissait  pas. 

Donc,  tout  en  faisant  la  part  des  préjugés  et  des  superstitions, 
de  l'indifférence  et  de  l'ignorance,  des  erreurs  et  des  confusions, 
il  n'en  reste  pas  moins  établi  que  la  croyance  à  l'existence  de 
continents  opposés  au  nôtre  était,  bien  que  vague  encore, 
universellement  répandue. 

Un  grand  philosophe,  Sénéque,  s'est  fait  comme  l'interprète 
de  cette  croyance  quand  il  a  prédit,  en  termes  si  clairs,  qu'on  y 
a  vu  comme  l'annonce  certaine  d'événements  contemporains,  la 
découverte  du  Nouveau-Monde.  Voici  cette  prophétie,  fort  re- 
marquée par  Colomb,  et  citée  après  lui  par  Pierre  Martyr, 
Oviedo,  Herrera,  et  plusieurs  des  historiens  de  l'Amérique  : 
«  Un  temps  viendra  dans  la  suite  des  siècles  où  l'Océan  brisera 
les  liens  dont  il  enserre  le  monde  ;  à  tous  s'ouvrira  le  grand 
continent  ;  Typhis  découvrira  de  nouvelles  régions,  et  Thulô  ne 
sera  plus  la  terre  la  plus  reculée  » . 

Venient  annis  sœcula  seris, 
Quibus  Oceanus  vincula  reruni 
Laxet,  et  ingens  pateat  tellus, 
Typhisque  novos  delegat  orbes, 
Nec  sit  terris  ultima  Thule  (2). 

Faudrait-il  ne  voir  dans  cette  prophétie  que  l'expression  poé- 
tique de  la  théorie  des  hémisphères  inconnus  (3)  ?  Il  y  a 
pourtant  dans  ces  vers  un  tel  cachet  de  précision  ;  ils  annoncent 

(1)  Ameiliiox,  Histoire  du  commerce  et  de  la  navigation  des  Egyptiens 
sous  le  règne  de  Ptolémée,  p.  92. 

(2)  Séneque,  Jtferf^e,  II,  371. 

(3)  ViviEA  ^K  Saint-Martin,  Année  géographique,  i867,  p.  296. 


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152       PREMIÈRE  PARTIE.    —   LES   PRÉCURSEURS   DE   COLOMH. 


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si  bien  \er,  futures  découvertes,  qu'on  est  plutôt  tenté  de  croire, 
avec  Leibniz,  que  Sénèque  a  réellement  annoncé  la  décou- 
verte de  l'Amérique  (1).  L'enflure  même  et  la  majesté  du  style 
contribuent  ii  donner  à  ce  morceau  une  couleur  prophétique, 
dont  aurait  été  dénuée  une  simple  hypothèse  géographique. 
Ortelius  (2),  rappelant  que  Sénèque  était  Espagnol,  pensait  que, 
de  préférence  ù  tout  autre,  il  pouvait  ainsi  pressentir  et  annonc(!r 
le  nouveau  continent;  mais  n'est-il  pas  plutôt  vrai  que  l'idée 
de  cette  découverte  flottait  alors  confusément  dans  les  esprits  ?^ 
On  s'occupait  beaucoup  de  lointains  voyages.  Les  centurions  de 
Néron  tâchaient  de  découvrir  les  sources  du  Nil  (3).  L'intérieur 
de  l'xVfriquc  s'ouvrait  aux  ardentes  investigations  du  Cornélius 
Balbus  (4)  et  le  roi  Juba,  dépouillant  les  rares  ouvrages  (Cartha- 
ginois qui  avaient  été  épargnés,  écrivait  ses  commentaires  sur 
l'Afrique.  La  carte  de  l'Empire,  dressée  par  ordre  d'Agrippa, 
avait  besoin  de  nombreuses  corrections  (5),  depuis  ([ue  les 
légions,  dans  leurs  courses  victorieuses,  avaient  parcouru  la 
Germanie  et  la  Grande-Bretagne  (0).  Est-il  besoin  de  supposer, 
comme  le  fit  Gronovius,  un  '^es  commentateurs  de  Sénéque,  que 
ce  dernier  avait  beaucoup  voyagé  et  était  devenu  un  des  plus 
savants  géographes  de  son  temps  ?  Mais,  à  certaines  époques, 
tout  le  monde  s'occupe  de  voyage.  Ainsi,  quand  Henri  de  Viseu 
s'établissait  à  Sagres  et  lançait  à  la  découverte  ses  hardis  pilotes, 
l'Europe  entière  s'intéressait  à  leurs  travaux.  Quand  eurent  lieu 
les  grandes  découvertes  maritimes  du  xvi"  siècle,  lors(jue  deux 


(1)  Leibniz,  édition  de  Genève,  1768,  t.  VI,  p.  CiT  :  «  Sénèque,  dans  le 
Médée,  a  prédit  la  découverte  de  l'Amérique  » . 

(2)  OnTELlus,  Theatrum  rmindi. 

(3)  Sénèque,  Questions  naturelles,  VI,  8,  3  :  «  Ego  quidcm  centuriones 
duos,  quos  Nero  Cacsar,  ut  aliarum  virtutum,  ita  veritatis  aniantissimiis,  ad 
investigandum  Nili  caput  miserat,  audivi  narrantes  ».  —  Cf.  Pi.ine,  Histoire 
naturelle,  VI,  29. 

(4)  Pline,  Id.,  V,  5.  —  Beruoux,  Les  Ancietmes  explorations  et  les 
anciennes  découvertes  de  l'Afrique  centrale  (Revue  do  géographie,  V,  7) 

(5)  Ahhien  Marcellin,  XXII,  12. 

(6)  Pline,  Histoire  naturelle^  HI,  3. 


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CUA PITRE  IV, 


LES   CHEC.S   ET    LES    HUMAINS. 


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cents  ans  plus  tard  Gook  et  Boufïainvillo  appelèrent  l'attention 
surTOcéanie,  lorscpie  de  nos  jours  toute  une  légion  d'intrépides 
découvreurs  s'abattit  en  (pielque  sorte  sur  l'Afrique  et  en  prit 
possession  au  nom  des  droits  supérieurs  de  la  civilisation,  une 
véritable  fièvre  de  curiosité  s'empara  de  tous  les  esprits.  De 
même,  au  premier  siècle  de  l'ère  chrétienne,  quand  les  Romains, 
maîtres  de  l'univers  connu,  se  hasardèrent  dans  les  pays 
inexplorés  ,  prédomina  un  semblable  désir  d'augmenter  les 
connaissances  géographiques.  Sénèque ,  par  sa  fortune,  sa 
réputation,  sa  position  auprès  de  l'Empereur,  était,  plus  que 
personne,  à  même  d'ôtre  un  des  premiers  et  des  mieux  ren- 
seignés. De  plus,  il  était  ini  des  savants  les  plus  érudits  de  son 
temps.  Les  vieilles  traditions  Phéniciennes  et  Grecques  se  con- 
fondirent dans  son  esprit  avec  les  données  nouvelles,  et  c'est 
ainsi  (|ue,  mêlant  les  formules  inexactes  de  la  science  antique 
aux  tâtonnements  encore  obscurs  des  récentes  découvertes,  il 
composa  sa  fameuse  prédiction. 

Le  grand  bruit  qui  se  fit  autour  de  cette  prédiction,  dès  que 
les  faits  en  eurent  constaté  la  réalité,  engagea  un  Portugais,  un 
certain  Jacobo  Navarcho,  à  commettre  une  supercherie  archéo- 
logique, dont  Ortelius  a  conservé  le  souvenir  (1).  En  1500, 
il  fit  graver  sur  un  marbre  de  méchants  vers  latins,  auxquels  il 
affecta  de  donner  une  forme  archaïque,  et  un  sens  énigmatique  ; 
puis,  quelques  années  plus  tard,  en  1508,  supposant  le  marbre 
suffisamment  détérioré,  il  feignit  de  le  découvrir  et  le  montra  i\ 
des  curieux  enthousiastes  comme  une  inscription  sibylline.  Si- 
bylline était-elle,  en  effet,  pour  la  difficulté  de  l'interprétation  : 
u  Les  rochers  auront  roulé  sur  cette  inscription  et  ces  caractères 
réguliers,  lorsque  tu  verras.  Occident,  les  richesses  de  l'Orient. 
Le  Gange,  l'Indus,  le  Tigre,  vraiment  ce  spectacle  sera  mer- 
veilleux, échangeront  entre  eux  leurs  productions  ». 

(1)  Ortéul'S,  The'ttrum  orhis  terravum,  pi.  2.  —  L\  Poi'ELM.mére 
(Histoire  des  Trois  Mondes,  I,  §  5,  p.  13)  croyait  encore,  quand  il  écrivait 
son  ouvrage,  en  1532,  à  la  réalité  de  cette  inscription. 


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'^iMtMiMiiMNliMIÉf^ 


154       PREMIÈRE    PARTIE.    —   LES    PRÉCURSEURS    DE   COLOMB. 

Volventur  saxa  litteris  e'.  ordine  rectis, 
Quuni  videas,  Occidons,  Orientis  opes. 
Gange?,  Indus,  Tigris,  erit  niirabile  visu, 
Merces  commutabit  suas  uterque  sibi. 

Ce  jargon  emphatique  éveilla  les  soupçons  d'un  savant 
jurisconsulte.  César  Orlando,  qui  n'eut  pas  de  peine  à  découvrir 
la  fraude,  et,  dès  lors,  fut  oubliée  la  prétendue  prophétie. 

Aussi  bien  la  prophétie  de  Sénéque  pouvait  induire  un  anti- 
<juaire  peu  scrupuleux  à  la  tentation  d'en  fabriquer  une 
semblable,  puisque,  le  4  juillet  1860,  le  congrès  des  États- 
Unis  de  Colombie,  réunis  à  Bogota  (1),  en  déclarant  qu'il 
acceptait  le  don  fait  par  le  général  président  Mosquera  d'une 
statue  de  Christophe  Colomb,  a  décidé  ([uc  cette  statue  serait 
érigée  à  Colon  dans  l'isthme  de  Panama,  et  (jue  le  piédestal 
porterait  sur  une  de  ses  faces  la  prédiction  de  Sénèque  (2).  11 
était  difficile  à  la  fois  de  rendre  un  plus  bel  hommage  à  celui 
qui  retrouva  l'Amérique ,  et  de  mieux  reconnaître  la  profonde 
impression  laissée  par  les  vers  du  tragique  latin? 

Les  Grecs  et  les  Romains  n'ont  pas  cru  seulement  à  l'existence 
d'un  continent  opposé,  d'une  antichtone,  au  delà  de  l'Atlantique. 
Ils  ont  essayé  d'en  trouver  le  chemin  sinon  directement,  au 
moins  par  leurs  hypothèses  scientifiques.  Une  de  ces  hypothèses 
est  remarquaide  par  son  caractère  d'absolue  précision,  et  c'est 
en  la  faisant  passer  de  la  théorie  dans  la  pratique  que  Colomb 
a  trouvé  l'Amérique. 

Les  anciens  croyaient  en  effet  à  la  possibilité  d'une  commu- 
nication entre  l'Atlantique  et  la  mer  des  Indes.  Homère  (3)  parle 


(1)  Vivien  de  Saixt-Martin,  Année  géographique,  1867,  p.  295. 

(2)  Celte  statue  existe.  Elle  a  été  donnée  par  l'impératrice  Eugénie  au 
général  Mosquera,  parent  éloigné  de  la  famille  Montijo  :  «  Colomb,  droit  et 
fier,  protège  de  la  main  droite  une  toute  petite  femme,  nue,  craintive  et 
courbée,  mais  fort  jolie,  si  jolie  qu'elle  rappelle  plutôt  une  charmante  pari- 
sienne costumée  en  source,  qu'une  indienne  trapue,  lourde,  aux  traits  écrases  ». 
A.  Rkci.us,  Tour  du  Monde,  1880. 

(3)  HoMKRE,  Iliade,  Vil.  422.  —  VIH,  485. 


(3)  Ari 


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CHAPITRE   IV. 


LES   C.RECS    Eï    LES   ROMAINS. 


ù  plusieurs  reprises  de  rOçéan  qui  entour  la  terre,  et  dont  les 
flots  facilitent  les  relations  entre  les  peuples  les  plus  «'«loignés. 
Cette  id(^e,  soutenue  et  reprise  par  d'autres  poètes  (1),  est 
confirinée  par  le  témoignage  d'Hérodote  (2).  «  Toute  lu  mer 
que  parcourent  les  Hellènes,  dit-il,  et  celle  (jui  est  hors  des 
colonnes  d'Hercule,  à  laquelle  on  donne  le  nom  d'Atlantique, 
et  la  mer  Erythrée  ne  forment  qu'une  mer  m.  Ce  que  le  grand 
iiistorien  avait  compris  pour  ainsi  dire  par  intuition,  d'autres 
écrivains  plus  versés  dans  les  connaissances  positives  l'affirmè- 
rent avec  plus  d'autorité.  «  Ceux  qui  supposent,  écrit  Aristote(3}, 
que  le  pays  autour  des  colonnes  d'Hercule  n'est  pas  éloigné  de 
rinde,  et  qu'il  n'y  a  qu'une  seule  mer,  ne  me  paraissent  pas 
s'être  heaucoup  trompés  ».  H  se  fonde,  en  effet,  sur  une 
ingénieuse  conjecture,  dont  les  récents  voyages  ont  démontré 
l'exactitude,  à  savoir  qu'aux  deux  extrémités  du  monde  alors 
connu,  c'est-fi-dire  aux  Indes  haignées  par  la  mer  Erythrée  et 
sur  les  rivages  de  l'Africjue  Occidentale  baignés  par  l'Atlantique 
se  trouvaient  les  mêmes  animaux  (4),  singes,  éléphants,  croco- 
diles, et  les  mêmes  plantes,  palmiers,  roseaux  gigantesques, 
etc.  Donc,  le  pays  intermédiaire,  bien  qu'inexploré,  non  seu- 
lement devait  exister,  mais  encore  avoir  les  mêmes  produits. 
Oatès  de  Malle  croyait  aussi  à  la  communication  de  rAtlanti([ue 
et  de  la  mer  des  Indes,  puisqu'il  admettait  la  réalité  du  périple 
de  l'Afrique  par  Ménélas  (3).  Eratosthène,  le  grand  géographe 


(1)  OnpuÉB,  Jupiter  et  Junon,  édition  Hcrmatin,  1863. 

(2)  HÉRODOTE,  1,  202.  «  T/jv  [xh  yàp  "EXXrjve;  vajTtXXovTat  nàaav, 
r,  k'Çdj  airjXojv  OâXaaua  f/   'AxXavTt;  y.aXou[jLSVT) ,  /.«•  rj    'EpuOpr)  [xi'a  Tuy/ 

(3)  Aristote,  De  cœlo,  U,  24  :  «  Aïo  toÙ;  Û7:oXa|A6âvQVTa;  a'Jvâ;:T£'.v 
-£îl  Ta;  'IIpaxXEtO'j;  aT/JXa;  "dxrov  tto  j^epl  tTiV  'lv3ixf,v,  y.at  toûtov 
Tpoj:ov  sîvat  tjjV  OotXaTTav  [Jifav,  [at]  X;av  ù;ToXa[jL[3âv£iv  onziitz  ôo/.âîv.  » 

(4)  Id.,  Il,  14  :  «  As'Yoyat  8à  TSXfiatpdjjLEvot  x«t  toÎ;  ïXc'faa'.,  oti 
àjjicpOTê'poy;  -où;  td7:oJî  toÙ;  ÈT/aTsûovTa;  tô  -^évor,  xjtwv  àariv,  «o; 
:i-/«t(t)v  3tà  To  auvârteiv  àXX^Xoc;  toSto  ;:s-ovOdtojv.  » 

(5)  Cratés  de  Malle,  cité  par  Strabon,  II,  i,  9. 


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156      l'nKMIKPR   I'AHTIF:.    —   les   I'RÉCURSKIHS  dk  c.olom». 

dont  nous  no  conniiissons  plus  los  »ruvrcs  (jue  par  fVapinonts. 
pensait  do  rnùmo  :  «Toute  la  mer  ext(^riouro,  disait-il,  no  forme 
qu'un  seul  et  m<^me  courant,  (tu,  en  d'autres  ternies,  la  mer 
Hesperienne  ou  Occidental»'  et  la  nier  Krythrée  n'en  font 
(|u'une  (1)  ».  11  est  plus  explicite  encore  dans  un  autre  passaf^e  : 
«  On  pourrait,  dit-il,  aller  sur  mer  depuis  l'Iliérie  jus(pi'à  l'Inde, 
en  suivant  le  même  parallèle,  n'était  l'immensité  de  l'Atlan- 
tique (2)  ». 

Il  est  vrai  (jue  cette  théorie  soulevait  parfois  d'ardentes  contra- 
dictions. Ilipparque,  par  exemple,  soutenait  que  l'Océan  ne 
formait  pas  une  seule  mer,  mais  qu'il  était  comme  coupé  par 
de  frrands  isthmes  qui  le  partageaient  en  plusieurs  bassins  par- 
culiers(3).  Après  lui  Marin  de  Tyr,  Ptolémée  et  leurs  disciples 
croyaient  à  la  séparation  des  Océans,  et  leurs  opinions  furent 
acceptées  par  un  hou  nombre  de  savants  jusque  dans  le  moyen- 
àge  ;  mais,  après  Aristote  et  Eralosthène,  Posidonius  proclama 
à  son  tour  la  continuité  des  Océans  (4)  et  la  prouva  par  son 
récit  du  voyage  d'Eudoxe  de  Cyzique,  depuis  les  bords  de  la  Mer 
Rouge  jusqu'à  l'Ibérie.  Il  la  démontra  encore  en  faisant  re- 
marquer qu'on  avait  trouvé  dans  la  Mer  Rouge  les  débris  d'un 
navire  de  Gadés  ([ui  y  avait  été  entraîné  par  les  flots.  Strabon, 
lui-môme,  malgré  sa  réserve  ou  plutôt  malgré  son  scepticisme 
scientifique  qui  ne  lui  permet  de  croire  (ju'à  ce  qui  lui  semble 
surabondamment  prouvé,  adopterait  volontiers  cette  théorie  de 
la  proximité  de  l'Espagne  et  de  la  merdes  Indes.  Partout  où  les 

(1)  Strabon,  1,  m,  13.  «  Tr,v  èxto;  OâXaTtav  aTra'jav  aupioCîv  eivai,  ojata 
•/.al  Tr|V  'Ea-fpiov  za!  t))v  'EoûOpav  OâXaTtav  [jiiav  eiva;.  » 

(2)  Id.,  F,  IV,  6.  «  "D-iT  '  V.  [i.T)  To  [jls'yeOoî  toj  'AiXaviiz-où  ^îEXàyoui; 
sxtiSXuE,  xav  TzlîXv  rju.à;  kx  tî;;  'I[3îp!a;  s'.;  Tr,v  'Ivoix/jv  ô'.à  toù  aù-O'j 
-apaXXrîXo'j  ». 

(3)  Stbabon,  II,  1,  9. 

(4)  Id.,  II,  m,  4.  —  Gakfarel,  Eudoxe  de  Cyzique  et  le  périple  de 
l'Afrique  dmis  l'antiquité  (Mémoires  de  la  Société  d'émulation  du  Doubs, 
1813).  —  Abbé  Lepitre,  De  his  qui  ante  Vafcum  a  Gama  Africain  légère 
tentaverunt . 


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(.IIAI'ITHK    IV. 


LKS   (IRKCS    KT    LKS    ROMAINS. 


irn 


lutinrncs  altcignin'nt  rcvtrémitc''  do  lii  terre,  dit-il,  ils  ont  trouvi^ 
rOc/'iiii  (1),  (<  et  pour  les  parties  où  le  fait  n'a  pu  «Hre  vérifié  exac- 
tement j)ar  les  sens,  le  rais^nneiuent  la  étaltli  de  même  ».  Il 
affirme  mémo  [•!)  «  (pie  l'espace  encore  fermé  à  nos  vaisseaux 
faute  de  relations  établies  entre  luts  marins  et  ceux  (|ui  exécutent 
en  sens  contraire  des  |)éri|)les  anaJd^iues,  est  peu  considérable,  à 
en  juji'er  |»ar  les  distances  parallèles  (|ue  nos  vaisseaux  ont  déjà 
parcourues  ».  Les  jiéoffraplies  latins  repreuuent  la  même  idée 
en  termes  à  peu  près  identicpies.  «  T(tute  la  mer  qui  s'étend 
entre  l'Inde  et  (îadès,  écrit  Solin,  ()$)  on  |»eut,  d'après  .|ul>a,  la 
parcourir  pour  peu  qu'on  soit  poussé  par  le  vent  d'est  ».  «  Le 
spectateur  curieux,  ajoute  Sénè(pie,  (i)  fait  fi  deTétroitesse  de  son 
ancien  dcunicile.  Quel  est,  en  effet,  l'intervalle  qui  sépare  les 
Indes  de  l'extrémité  de  l'Espafîne  ?  C/est  un  espace*  (|ui  peut  être 
l'ranclii  en  (jueUpies  joiu's  par  un  navire  (|ue  pousserait  un  vent 
favoralde  ».  Ces  divers  passa|^es  étaient  connus  de  Coloml).  11 
aimait  à  les  citer,  et  les  appli(|uait  à  ses  propres  projets.  Ne 
sait-on  pas  aujourd'hui  qu'en  se  dirigeant  vers  l'Occident,  il 
cherchait  non  [»as  un  continent  nouveau,  mais  une  route  [>lus 
sûre  et  plus  c(»urte  pour  se  rendre  d'I^lspagne  au\  Indes? 

Donc  ces  deux  croyances  de  l'existence  d'un  continent  au 
delà  de  rAtlanti(|U(!  et  d(>  la  continuité  des  Océans  existaient  dans 
l'antiipiité,  mais  elles  flottaient  confusément  dans  les  esprits.  ^5) 


1 


,1)  SiRABO.N,   I,   1,  8  "    Ka-    ô'-oj  ô;   -f]   aiaOr^asi  Àai'JEîv   oô/    îiTi^pÇsv,   ô 

{'Ij  Id.  »  Tôoï  /îi-J;i.:vov  anXouv  /|;i.;v  [J-î/p'-  vj'v  to)  arj  iJ'iir.^a,'.  ;j.r|0î'v3iî 
aXÀ/{}.0'.;  T(oj  àvT'.nip'.-XaovTC'jv  oJ  -ô/.u,  i"  ti;  auvciOriaiv  à/.  TtTiv  -apa/.- 
X/JA(ov  o'.aiTrj[xàT(ov  tojv  £'j;x.T(ov  f||J.'.v.   o 

('■i'^  Soi. IN,  §  5ti  :  c(  Oiniir  illiid  mnrc  ;ib  Iiidia  iisiiuu  ad  Gadcs  volait  Juba 
intfïlligi  riavigabili;  C.ori  tMiiluiu  flatibiis     » 

(4)  Sénèijl'k,  Questio'u  iintureUes,  V,  '■>&  :  «  Tmic  coiitL'mnit  ciiiiosiis 
spectatot-  (loiuicilii  priuris  aii^iistias.  Quaiitiuii  ciiiin  est  ({iiud  ab  iiltiiiiis  litlo- 
l'ibiis  IlispaniiC  usqiiu  ad  liidos  jacct  ?  Paucissiniorum  dioriiiii  spatiuiii,  si 
iiaveni  suus  veiitus  iiuplevil . 

(ô)  Les  tiiéories  antiques  paraissaient  si  bien  fondées  an  baron  de  Zacli 
i|n'il  écrivait  qu'au  teiniis  de  Sénènue  les   voyages  d'Espagne  en  Amérique 


■if 


■ÀUi.m 


.jMmumi..^  I 


158     PRiîMiÈni':  pahtie. 


LES    l'H'XUnSEL'HS   1>K   COLOMll. 


Repoussécs  par  les  uns,  adoptées  par  le  plus  g:rand  iioniltre,  elles 
laissaient  entrevoir  la  j)ossii>ilité  de  navif^ner  de|)uis  l'extrémité 
occidentale  de  l'Europe  et  de  l'Afrifjue  jus(ju'au.\  Indes,  Aussi 
est-il  hors  de  doute  que,  perpétuées  à  travers  le  moyen  Afre,  elles 
entraînèrent  Colond»  à  la  découverte  du  nouveau  monde,  ou  du 
moins  à  entreprendre  le  voyage  dans  le(|uel,  sans  ([u'il  s'en 
doutât,  il  découvrit  le  nouveau  monde. 


de 


III.   —   LES  VOYAGES. 

Stralion  «...as  apprend  que,  de  son  temps,  d'assez  nombreux 
navi};ateurs  se  hasardaient  dans  la  mer  extérieure,  autrement 
dit  dans  l'Océan  Atlantique  :  sans  doute  ils  étaient  obli},'és  de 
rebrousser  chemin,  mais  encore  avaient-ils  fait  quelques  pas 
en  avant  et  donné  l'exemple  (1).  Il  est  probable  que,  sur  leurs 
traces,  s'aventurèrent  de  hardis  conipaj,Mions,  de  même  que  sur 
les  pas  des  Portu},Mis  au  xV  siècle  s'élancèrent  bientôt  de 
nondireux  compétiteurs.  Ce  fut  ainsi  que  s'étendirent  et  se 
précisèrent  les  connaissances  géographiques. 

Quelles  furent  en  effet  les  connaissances  précises  et  positives 
des  (irecs  et  des  Romains  dans  la  direction  de  l'ouest,  au  delà 
des  colonnes  d'Hercule?  (2)  Deux  groupes  d'îles  paraissent  avoir 
été  piirticulièrement  visitées  par  eux.  Ils  les  nommaient  les 
Fortunées  et  les  Ilespérides. 

Lorsque  Sertorius,   fuyant    la   tyrannie  de    Sylla  jusqu'aux 


h.  i 


I  \   ! 


(levaient  ôtrc  fréquents.  Sans  partager  l'cnthoiisiasme  scientit'Kiiie  de  l'émi- 
nent  auteur  de  la  Correspondance  astro7iomit/ue  (1826,  t.  XIV,  p.  386) 
iccduiiaissons  au  moins  que  les  Grecs  et  les  Romains  s'étaient  avancés  dans 
rAllantique  au  delà  des  Colonnes  d'Hercule,  et  que  leurs  voyages  dans  cette 
direction  étaient  fréquents. 

(1)  Stuabon,  II,  V,  8. 

(2)  Ln.KWELi-,  Die  Entdcckungen  iler  Carthatjer  und  Grlcchen  auf  detn 
atlantischen  Océan  (traduction  allemande  de  Ritter),  Ucrlin,  1831. 


: 


tém 


»»e."!f  StT-lur; 


CHAIMTHK   IV.    —    LKS   CHECS   KT    LKS    HOMAI.NS. 


iri'j 


extrômité  de  rKspagiK;,  arriva  à  Gadès,  il  y  rencontra  des 
pirates  qui  venaient  de  visiter  deux  îles  situées  dans  l'Atlantique; 
à  environ  dix  mille  milles  de  Gadés.  Ils  lui  en  vantèrent 
beaucoup  le  sol  fertile  et  le  climat  admirable,  (les  pirates  étaient 
sans  doute  Espa{inols  d'ori^nne.  Ecrasés  par  les  envaliissenrs 
de  U'ur  pays,  et  disposés  par  leur  caractère  à  t(Hit  supporter, 
sauf  la  privation  de  leur  indépcmlance,  les  Ks[>agnols  étaient 
alors,  plus  ((ue  tout  autre,  habitués  aux  lointains  voyages. 
Séduit  par  leurs  récits  enthousiastes ,  espérant  trouver  au 
milieu  de  l'Océan  la  liberté  et  le  rej)os  qui  lui  manquaient  en 
Europe,  le  général  Romain  eut  un  instant  la  pensée  de  s'em- 
barquer pour  ces  îles  mystérieuses,  mais  il  ne  put  décider  ses 
compagnons  à  le  suivre  (1). 

Après  Sertorius  cet  archipel  fut  mieux  connu.  Les  (Irecs 
l'avaient  nommé  Bienheureux,  les  Latins  le  désignèrent  sous 
le  nom  de  Fortuné.  C'est  à  ces  îles  qu'Horace  (2)  faisait  allu- 
sion : 

Nos  manet  Oceanus  circiim  vagus  :  arva,  beata 

Petamus  arva,  divitos  et  insulas, 

Heddit  ubi  Cererom  tellus  iiiarala  qiiolaiinis. 

C'est  d'elles  encore  que  parle  Pline  en  racontant,  d'après 
Statius  Sebosus,  ({u'à  7."jO  milles  à  l'ouest  de  Gadès,  on  trouvait 
successivement  Junonia,  Pluvialia,  Capraria,  Planaria  et  Con- 
vallis  (3).  Le  roi  de  Numidie  Juba,  qui  avait  établi  des  teintu- 
reries de  pourpre  sur  les  îles  voisines  de  la  cote  des  Autololes, 
s'était  informé  des  îles  Fortunées  (î),  mais  il  leur  donnait  des 
noms  différents:  Ombrios,  Junonia,  Capraria,  Nivaria  elCanaria; 
il  avait  sur  leurs  productions  et  leur  climat  des  renseignements 
étendus.  Ptolemée  en  énumérait  six  qui  se  succédaient  du  nord 


(1)  Plutarque,  Vie  de  SertoviU'^,     VIII. 
1832,  p.  196. 

(2)  Horace,  Epodca,  XVI,  41 . 

(3)  Pm.nk,  Histoire  naturelle,  IV,  31. 

(4)  ]}\.\}iv.,  Histoire  naturelle,  IV,  32. 


-Cf.  Salluste,  éilitioii  Gelulacli, 


1 


I 


ii 


■\.i!f 


U'À)      l'IlKMlKHK    l'AHTIi;.    —    LlCS    l'HKCUHSKlHS    KK   COLOMIl. 


i 
't     , 


au  sud  (liUH  l'drtln^  suivant  :  Nin<ruaria.  (lanaria,  (lapraria, 
Pliivialia,  .liUKiuia,  Aprositos  ^  I).  (les  ilcs  t'taiciit  (loue  ('oiiuucs 
cl  des  couununuatious  ivjjrulirrcs  cxistaicul  entre  elles  et  le 
(•(»ntiiient.  Jadis  m(Mne  elles  lurent  liahitées.  I^e  nii  Juha 
racontait  qu'on  y  trouvait  fré(juennnent  des  traces  d'habitations 
inunaines  (2).  ]a'  wm\  de  Canaries  (|ui  a  survécu,  le  nombre 
dos  îles,  la  distance  ({ui  les  sépare  du  continent,  tout  donc  nous 
porte  à  croire  (pie  les  anciens  ont  réelleniont  connu  l'archipel 
des  Canaries. 

Nous  serons  moins  allirmatii"  jtour  un  autre  groupe  d'iles 
dont  le  nom  se  rencontre  fréijuennnentclie/ les  auteurs  anciens, 
les  llespérides.  On  sait  que  le  nom  d'ilespérie  désifjna  d'abord 
tous  les  pays  du  couchant.  ICn  Euroj»'  il  passa  de  la  (îrèce  à 
l'Italie,  puis  à  l'Espaj^ne.  Imi  A l'ricjue  riles[)érie  désijrna  (l'abord 
la  partie  du  grand  désert  où  se  perdit  l'armée  de  Cambyse  (3)  ; 
plus  tard  nous  le  retrouv<ms  au  midi  de  la  Cyrénaïque  (4);  le 
périple  d'ihuinon  {•>']  le  reporte  sur  les  bords  d(!  l'Atlantique, 
près  (lu  fleuve  Lixus,  dans  ce  pays  où  Hercule  alla  cueillir  des 
[lonnnes  d'or.  Lorscpi'enlin  le  Samien  (lolaeos  ((»),  sans  se  lais- 
ser effrayer  par  les  contes  d'Hésiode  sur  les  (Jorgones,  et  sans 
craindre  la  rivalité  des  Phéniciens,  franchit  les  colonnes  d'Her- 
cule et  prit  possession  de  l'Atlanti(iue  au  nom  de  ses  compa- 
triotes, rilespérie  recula  une  seconde  fois.  Itllle  quitta  le  continent 
et  se  réfugia  dans  les  îles.  11  est  difficile  d'assigner  à  ces  îles 
une  position  précise.  Tant(*»t  on  les  nomme  Hespérides,  tant('»t 
(îorgades  ou  Atlantides  ;  mais  les  renseignements  sont  si  con- 
fus et  tellement  contradictoires,  les  récits  des  voyageurs  si  tron- 
qués,   si    défigurés    par    des   dépositions    ignorantes    ou   des 


(1,  Ptoi.kmék,  IV,  (5. 

(2j  Pline,  Ilistoin;  u'iturclb;,  IV,  'M. 

(;î)  Hérodote,  UI,  26. 

(4}  SiHviiOX,  IJvre  sur  l'AIVique. 

(5)  Pi.iNK,  lli-ttoirf  natnrellr,  VI. 

,6;  HÉnoDOTE,  IV,  1.32. 


-  r.r.  II..,  VI,  37. 


•^ter:" 


■  ■IIIW     ■    "Mil       1""     •   "l    > 


raiAPiTRK  IV.  —  LKS  r.nEcs  et  les  romains. 


ICI 


iiuMisoiifîi's  intéressés,  (|iril  est  impossible  dVtahlir  hi  concor- 
dance de  cet  archipel  avec  les  iles  du  Cap-Vert,  ou  de  Madère, 
ou  tel  autre  groupe  de  l'.Vtlanticpie.  il  denieiwe  seidenient 
pntuvé  (pie  l'.'s  (Irecs  et  les  iloinains  connaissaient  vajruenient, 
dai.s  la  direction  de  l'ouest,  d'autres  iles  (|ue  les  Fortunées. 

Un  seul  auteur,  Patisanias,  a  parlé  d'un  autre  archipel,  celui 
des  iles  Satyrides,  dnnt  remplacement  est  encore  plus  problé- 
matique. «  Kuphémos  de  Carie,  a-t-il  raconté,  se  rendait  en 
Italie.  Les  vents  le  détournèrent  de  sa  route  et  le  poussèrent 
jusfpie  dans  cette  mer  extérieure,  (pii  n'est  pas  encore  f'réipientée. 
Il  V  trouva  de  nombreuses  iles,  les  unes  désertes,  les  autres 
peuplées  d'hommes  sauvages.  Les  matelots  ne  voulaient  pas 
ap|)rocher  de  ces  dernières,  ayant  abordé  précédemment  dans 
(juelques-unes,  et  sachant  de  (juoi  leurs  habitants  étaient  capa- 
bles ;  ils  s'y  virent  ce|tendant  encore  forcés.  Les  matelots  don- 
nèrent à  ces  iles  le  nom  de  Satyrides.  Leurs  habitants  sont 
roux  et  ont  des  queues  aussi  lonj^ues  que  celles  des  chevaux, 
lis  accoururent  vers  le  vaisseau  dès  qu'ils  l'aperçurent.  Ils 
ne  parlaient  point,  mais  ils  se  jetèrent  sur  les  femmes  pour  les 
violer.  .\  la  fin,  les  matelots  épouvantés  leur  abandoimèrent 
ime  femme  barbare,  et  les  Satyres,  peu  satisfaits  des  jouissances 
naturelles,  assouvirent  huir  brutalité  sur  toutes  les  parties  de 
son  corps  (1)  ». 

L'exactitude  et  la  bonne  foi  de  Pausanias  sont  universelle- 

(i)  Pausanias,  I,  23  :  «  "E?r,  Sa  'T^j^Tjao;,  Kào  àvf.p,  -Xewv  s;  'haX;av, 
àjjiapTSîv  ûnô  àvEiiùiV  to'j  T:\o\i  xai  3;  Tr,v  È'îfo  OâXa'Jîav,  È;  rlv  oÙxî't'. 
;:Àioujiv,  iX^vf/<)f,von.  Nrlsou;  31  sivai  |jiîv  EÀeycV  àprj(i.oy;  ;:oÀXà;,  èv  ii 
TXJTa'.ç  oîxîîv  àv3pi;  otypiou;.  TaÛTai;  8à  ojx  àOslsiv  vrîaot;  rpo;i'T/£!v  toÙ; 
vaÛTa;,  o;«  -ootîî'j'v  t:  ;cpoT/ovTa;  zat  Ttîiv  Èvo'.v.O'jvtwv  où/.  a7:-!pti>;  Ëyovtaç. 
BiaiOTjvat  S'oOv  /.«l  tots.  TaÛTa;  xaÀstaOat  [xh  irto  vxjtwv  i]aTup;'3a;,  sivat 
oî  Toù;  £votxoyv-aî  xaî  nypjbouî,  xal  tn-wv  ou  ~oÀù  |ji£''ou;  Ëyj'-v  ;-'i  toî; 
tay(otî  oùpà;.  To'jto'j;,  t'»;  rjiOovTo,  xaTa3pa[jiovra;  ït:\  Tr,'/  vauv  ^tov/jv  |^3V 
0'jSs(jL''av  isvat.  rat;  Si  yuvâiÇiv  èr:'./ etpsîvTaî;  Èv  -^  vj);.  TeTwo;  ol,  ôs^aavTa; 
Toy;  vaÛTa;  [îàp,3apov  y^valxa  è'xCJaXî'.v  è;  xrjV  vtjuov.  'El  Ta'jTrjv  oùv  ujîptÇe'.v 
TOj;  SaTÛpou;,  où  [iôvov  ^  xaOfaTrjXcV,  àXXà  xai  tô  7:av  ôfioitu;  oûjxa. 
T.    I.  H 


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102       l'HKMIKRK   l'AHTIK.   —   LES   PHÈCUHSEURS   DR  COLOMB. 


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I. 


meut  rccomuies  et  aiipréciées.  Il  a  donc  certiiiiiciiicnt  ciiti'iKiii 
racoiiUîr  le  voyupe  (ri<]iiplieiiius  de  Curie,   et  ce    voyage,  selon 
tonte  vraiseird)lance,  a  dû  iHw  exécuté.  Il  nous  reste  à  déternii- 
IMT  flans  (|nelle  direction,  et  à  essayer  de  retntnver  les  Safyrides. 
Certains  auteurs  ont  pensé  (jue  les  Satyrides  correspondaient 
aux  Antilles.  Kn  elVet   les  insulaires  des  Satyrides  avaient  la 
peau  roufje,  de  niônie  (|ue  les  Américains  ,  et  plus  particulière- 
ment les  Caraïbes  des  .\ntilles.  Tueurs  instincts  hestiaux  et  leur 
luxure  frappaient  d'étonnement  les  (Irecs,  de  même  (jue  les  |»re- 
miers  conipiistadores  espaf^nols  ne  trouvèrent  pas  <rex|)ressions 
assez  éner}.'i(pies  pour  déplorer  les  déhauclies  et  lesnweurs  hon- 
teuses des  .Vniéricains.  Quant  à  la  (pieue  des  Satyrides,   il  est 
fort  possible   ipie  li's  matelots  d'Iùipliemos  aient  été  tntmpés, 
ainsi  (pi'il  arrive  aux  voyaf,'(!urs  (pii  se  contentent  d'un  examen 
superliciel,  et  (|u'ils  aient  pris  pour  un  appendice  naturel  ce  (pii 
n'était  (pi'un  ornement.  Un  des  missionnaires  (jui  purent  encttre 
étudier  sur  place  les  munirs  des  Caraïbes,  le  [»ère  Lalitau,  dit 
expressément  ([u'avant  d'aller  au  combat  ces  insulaires  s'ornaieni 
de  (pieues  |)osticbes   enlevées   aux  animaux  (l).    C'est  encore 
ce  (pi(ï  t'ont  aujourd'hui  certains  Indiens  du  l-'ar-West  (:2).  Nous 
faut-il  donc  conclure  de  ces  curieuses  ressend)lances  (pi'Euphe- 
mos  a  découvert  (juehpi'ime  des  Antilles?  Mais  ces  ressemblances 
ne  sont  que  des  coïncidences.  D'ailleurs  le  retour  d'Euphemos 
en  Europe  aurait  été  tout  aussi  extraordinaire  que  son  arrivée  en 
Améritpie,  et  il    est  plus  (|ue  i)robable  que  sa  découverte   ne 
serait  restée   ni  isolée,  ni  stérile.  La  relation  de  Pausanias  peut 
donc  ne  |)as  étn;  fabuleuse,  mais  elle  s'applitiuc  à  d'autres  îles 
(ju'aux   Antilles,    et  nous  n'avons  le  droit  de  nous  en  servir 
(pi'avec  la  plus  extrême  prudence. 

Nous  en  dirons  tout  autant,  et  avec  encore  moins  d'hésitation, 
de  certains  voyages  exécutés  en  Aniéri(jue  par  les  Grecs  et  les 


(1)  Lafiiac,  Mœur^  des  sauvar/cs  comparéex  aux  mœurs  des  premiers 
tempf,  1,  29. 

(2)  De  Lanoyk.  Les  Mandans  (Tour  du  .Monde,  1869),  163. 


^T»"»^"^»*, 


CIIAIMTIll':    IV.    —    l,KS    CRKCS    KT    LIS    HoMAINS. 


UV.i 


Uoinaiiis,  et  dttiit  U'h  tniccs  aiitliciitMjiit/y  iiiii'ait'iit  ('tr  conscrvi'cs 
au  iKiiivcaii  iiiniiilc.  Il  parailcait  (1)  iiu'iiii  lahniirtMir  (irtcrra  aux 
(Mivintiis  (le  Muutcvidco  luic  picrrr  tniiiul.iii'c  tluiit  l'iiiscriiiti m 
|Mirfail  :  "  Sous  le  r(''f.Mit'  (l'Alexandre,  (ils  de  lMiili|»|te,  roi  de 
Mai'éduiiie,  dans  la  s(ii\aiile-i-iii(|uièine  olympiade,  IMoleiiiaius  ». 
Que  d'iiivraisciiiMauces  arruiiiulées  !  .\iiisi  doue  un  ^ivr  du 
iioiu  d(>  l'toleiiiaios  aurait  été  jeté  par  la  tempête  ou  eoiiduit  par 
un  autre  luotil' (|ue  nous  ijinoroiis  siu-  la  (("île  d'.\iM('ri(pie,  dans 
l'estuaire  de  la  IMata,  et  ses  couipa^'iKUis  auraient  éri^é  en  sou 
lioiiiieur  un  luonmuent  funéraire,  dont  lUie  seule  pierre  aurait 
été  conservée  !  Ilemanpioiis  tout  d'alxtrd  (pie  les  ins('ri|)lions  de 
ce  ^'eiire  sont  toujours  trop  convaincantes,  et  pourtant  (pii  \eut 
prouver  trop  ne  prouve  rien  {"l).  De  niéme  (pi'on  n'a  conservé 
dans  les  chants  hascpies  ou  Itretons  que  les  chants  relatifs  aux 
événements  U's  plus  connus,  dont  l'Kskuara  ou  l'Armoriipio 
furent  le  thé.Ure,  ainsi,  c'est  au  temps  d'.Vlexandro,  c'est-à-dire 
de  celui  do  t(jus  les  Grecs  ipii  a  laissé  le  plus  {rrand  nom,  et 
dont  on  connuit,  en  eiret,  les  projets  de  voyajîe  et  de  circuiiK 
iiavijration  (pie  ce  monument  fut  construit,  et  il  fut  construit  en 
riionuenr  d'un  IHolemaios,  c'est-à-dire  d'un  firec  «pii  [tortait  le 
inéme  nom  (pie  le  fondateur  de  la  dynastie  des  Laj::ides.  .Mexandre, 
le  coiupiérant  de  l'Asie,  le  vuljiarisateur  des  id(''es  lielléni(|ues 
à  travers  tout  l'ancien  continent,  et  Ptolemaios,  le  fondateur  de 
cette  dynastie  frrecque  (|ui  valut  à  l'Kfjypto  trois  siècles  de  pros- 
périté, certes  les  deux  noms  sont  liahilement  choisis  [tour 
auf^menter  l'eflet.  Rien  ne  manque  à  l'inscription,  pas  mémo  la 


\t 


(1)  Journal  de  l'InatvucAion  puhlujue,  juin  1833. 

(2)  A.  DE  BAuiiiftr.KMY,  Manuel  île  nuniisuiati'iue  ancienne  (Rorel),  188C, 
p.  410  (lu  rappciulicc  :  »  Il  y  a  (iuel(|ues  ann(jes  ([ue  l'on  parle  de  la  décou- 
verte, eti  AnK'iriquc,  d'un  trésor  dans  un  tombeau.  Ce  trésor  était  composé  de 
monnaies  grec(|ues  de  l'époque  d'Alexandrc-le-Grand,  cl  permettait  aux 
arcliéologucs,  trop  peu  circonspects,  de  divaguer  k  jierte  de  vue  sur  la  décou- 
verte plus  ou  moins  ancienne  du  Nouveau-Monde.  Ce  ne  fut  que  quelque 
temps  après  que  l'on  découvrit  la  supercherie,  et  même  le  marchand  qui  avait 
vendu  les  pièces  transportées  au  delà  de  l'Océan  «. 


lu' 


l(')i       IMtK.MIKUK    l'AK. 


i.Ks  l'HKt'.rnsKnts  dk  colomb. 


i  t 


date  exacte,  (ycst  justoinont  la  précisidii  tlo  ces  détails  (|ui  iiuus 
inspirera  des  doutes.  Il  faut  toujours  se  délier  des  paysans  (jui 
trouvent  à  point  nonnné  un  débris  antique  sous  le  site  de  leur 
charrue  et  des  savants  (]ui,  par  hasard,  se  présentent  toujours  à 
temps  jiour  ap|irécier  la  valeur  ilu  uioinnuent  et  empêcher 
l'ijjnorant  de  le  détruire.  Les  supercheries  arcliéoloj,'i(jues  rap- 
pellent les  prétendues  découvertes  que  ne  mancpieut  pas  de 
l'aire  les  ouvriers,  lors(|triui  souverain  étrani^cr  ou  (piel(|ue 
voyageur  de  distinction  visite  les  ruines  de  Pompeï.  Aussi  hien 
que  prouve  un  monument  îuii(|ue  et  qui  a  vu  ce  monument  ? 
Quel  est  le  umsée  (|ui  renferme  l'inscription  de  Montevideo,  ou 
tout  au  moins  sa  reproduction? 

Ta's  inventeurs  anonymes  de  la  trouvaille  ont  si  i)ien  compris 
la  nécessité  de  ne  pas  avoir  un  unitjue  témoignafie  de  la  présence 
des  (lirecs  en  Amérique  (pi'ils  en  ont  hien  vite  trouvé  de  nouveaux, 
;ï  tel  |»oint  (pu',  pendant  (piehpu*  teuq)s,  le  serpent  de  mer  et  les 
préteiulues  inscri|)tions  f;rec(pies  de  laPliitaont  défrayé  les  faits 
divers  de  maint  journal.  On  ne  s'est  |»as,  en  elVet.  arrêté  en  si 
beau  chemin.  HientiH  on  trouva  des  ai'uies  de  guerre  avec 
des  inscriptions  greccjues,  des  paniers  avec  ornementations 
grecques.  Bien  plus,  «  on  a  trouvé  dans  les  fouilles  exécutées 
aux  environs  de  Panama  un  vase  eu  terre  cuite,  contenant  un 
nond)re  considérahie  de  monnaies  romaines  en  hronze,  frappées 
dans  le  lu''  et  iV  siècles  de  notre  ère.  On  |  'ruit  toutefois 
siqqioser,  à  défaut  d'autre  preuve  |)ositive  de  tommunication 
entre  les  anciens  Romains  et  r.\méri(jue  Uîéridionale,  ([ue  ces 
monnaies  avaient  été  enfouies  par  ([uelcpie  numismate  ou 
archéologue  espagmd,  (jui  habitait  rancienne  ville  de  Panama, 
lors(pie  celle-ci  a  été  saccagé»^  et  détruites  en  1(>70  par  1«î 
boucanier  irlandais  Morgan  (i)  ».  Kn  pareille  occasion,  pounpioi 
trouve-t-.-u  toujotu's  du  bronze,  rarement  de  l'argent,  jamais  de 
l'or?   11  est  rare  pourtant  (jue  Vim  thésaurise  de  la  monnaie  de 


(\}  Maucel  iiK  Skhhks,  La  Coxmoijonin  de  Moïse,  j».  3Ji. 


CUAI'ITHK   IV. 


LES    C.HKCS    KT    I.KS    lUIMAlNS. 


Uuy 


Itillim.  Si  un  lloriiaiii  du  iV  si("'(l('  est  venu  en  AnuTiriuc,  il  a 
dû  prendre  avec  lui  de  l'or  plutôt  que  de  l'argent  on  du  cuivre. 
Le  vase  où  était  renfermé  cette  monnaie,  (|u"est-il  devenu?  On 
sait  iuijourd'hui  déterminer  l'àfic  exact  de  tous  les  objets  en 
arjfile.  Comment  d(jnc  a-t-on  sacrifié  si  léjièrenient  une  preuve 
décisive  à  l'appui  de  la  thèse  qu'on  voulait  soutenir?  Quant  au 
prétendu  numismate?  (jue  la  crainte  du  boucanier  Morjran  aurait 
poussé  à  enfouir  son  trésor,  son  evistence  est  tout  aussi  proldé- 
mati(pie  que  celle  du  Romain  voyajieur  du  iv''  siècle.  Celui-lù 
seul  a  vécu  qui  eut  la  prudence  de  ne  confier  à  la  terre  que  des 
monnaies  de  peu  de  valeur  et  la  chance  ines|iérée  de  les  trouver 
au  moment  favorable. 

Ce  n'est  pas  au  reste  la  première  fois  que  pareille  découverte 
fut  signalée  (1).  Au  connnencemenî  de  l'occupatiem  espasrnole 
on  trouva  dans  une  mine  américaine  une  pièce  de  monnaie  à 
l'effigie  d'Auguste.  L'arclievétjue  de  Cosenza,  Johannes  Ru- 
fus  l'envoya  au  souverain  Pontife  (;2)  ;  mais  que  prouvent  dix, 
quinze,  vingt  pièces  de  monnaies  antitiues  ?  C'est  seulement 
quand  on  en  rencontre  un  grand  nombre,  et  en  divers  endroits, 
((u'il  est  conforme  aux  règles  de  la  criticjue  historique  de 
conclure  à  la  réalité  de  certains  rapports  entre  le  pays  où  l'on 
trouve  la  monnaie  et  le  pays  où  elle  est  iahriquée  :  d'autant 
plus  qu'en  pareil  cas  ce  ne  sont  pas  les  monnaies  seules,  mais 
aussi  les  monuments,  les  usages,  la  langue  qui  attestent  le 
séjour  et  l'établissement  d'un  peu[)le.  L  ".  prétendus  monuments 
grecs,  n'hésitons  pas  .à  le  dire,  sont  donc  complètement  apo- 
cryphes. 

On  s'est  encore  avisé  d'établir  ime  certaine  identité  entre  les 


il 


(1)  La  Poi'F.i.i.inikhe,  Histoire  îles  Trois  Motidcs,  I,  5. 

(2)  IIOKN,  De  oriijinibus  Amcricnuis,  p.  i;i  :  «  Hoinaiios  iii  Amcricam 
venissc  Muriiimus  Siculus  putabat  argumciito  iiuiimii  aiilicpii  etl'uçieiii  Aii- 
{,'iisli  ie|)ra'sciitaritis,  et  iii  Aiiioriiur  lodiiia  lepcrli  ;  (lueiu  suninio  pontifiei 
.lohai  nés  Riifus,  arcliiepiscopiis  Coiisciitiims,  rnisit  :  scd  immmum  illum  vcl 
siippusiluni  fuisse,  vel  ab  llispaiiis  illatuni  et  casii  aniissini  piital  ».  — 
Cf.  (iRTELi  is,  TfirnfrKin  or/tis  terrannn,  planche  2. 


Utii       PHKMIKHIC    l'AHTIK. 


LKS    l'HKClUtSKlJHS    1)K    COLOMll. 


îil 


langues  grecque  ou  latiiie  et  américaine;  mais  les  analogies 
<|u'on  s'est  etrorcé  de  découvrir  sont  t-^llement  arbitraires  (|u'on 
peut  les   considérer    coimni»    non    avenues.    Ainsi    Court    de 
(iél)elin  rapprocha    la    racine    Fr',,  terre,  des   mots    virginiens 
okké,  okkeil,  okkekonit,  okketanganish,  okkekontou  (|ui  signi- 
fient terre,  monde,  champ,  jardin,  |tays  (1).  Ilorn  trouvait  une 
certaine  ressemhlance  entre  le  virglnien  mw  et  le  latin  liomo(!2), 
entre  les  mots  brésiliens  anga,  ara,  palia,  pi,  aya  (|ui  signifient 
Ame,  air,  poitrine,  pied,  désert  et  les  mots  latins  correspondants 
anima,  aer,  pectus,  pes,  avia;  entre  les  mots  péruviens  paula, 
mamaty,   gœnali,  tonimerou  (jui    signifient  pugilat,   mamelle, 
genou,  tonnerre,  et  les  mots  l.U'ns  correspondants  pugilatus, 
inummae,  genu.   tonitru.    Hradfort  cite  aussi    ({uel((nes    mots 
analogues  (3).  Il  paraît  que  neuf  mots  grecs  se  retrouvent  dans 
l'idiome    chilien    (4).    Enfin    un    érudit   américain,   Lopez   de 
Montevideo,  élevant  ces  singularités  à  la  hauteur  d'inu'  thénrie 
scientifique,  a  prétendu  (|ue  la  langue  Quiclma  dérivait  du  grec 
ou    plut«)t    de  l'Arien,    et    a   dressé    un    vocabulaire    Aryo- 
Quichua  (o).  Nous  citerons  (juebpies-unes  de  ces  étyniologies. 
Elles  ont  à  tout  le  moins  le  mériti    le  l'étrangeté.  Ainsi  Quito,  la 
ville  de  l'Equateur,  viendrait  du  gnîc  Kôttoî,  arc -en-ciel  ;  korak, 
le  corbeau,  dériverait  de  KofaÇ  ;   akallu,  le  bec  des  oiseaux  de 
'Afxw;  akatanka,  grattoir  à  chair  de  "A/avo;  ou  "A/.avOo;  ;  ana- 
komel,  im[)itoyable,  de  N£/.o;;  ankayllini,  se  plaindre,  de  'X^/m', 
antes,  les  andes,  de  'Avt-!;  aratihua,  fermier,  de  Acoi'w,  'Apatrip  ; 
kapulu,  bouton  de  fleurs,  delvs^aÀrJ;  kakallu,  langue,  de  rXoiiaa; 
hirka,  muraille,  de   lljpyo^;  chanka,   genou,  de  Tovu;   hamiui, 
marcher,  de  Baîvf»;  luittius,  rouge,  de  "Eoto  ;  kokkea,  ordure, 

(1)  CoiiKT  m  Gehemn,  Monde  primitif,  VIII,  511». 

(2)  HoHN,  De  oviyiniùiis  Americatiis,  p.  32. 

(3|  BitAUFOUT,  American  antiquities  and  Hesearc/ies  in  to  tlie  origin  and 
hislon/  of  the  red  Hace  (1841) 

(4    Castelnau,  Vui/nge  divin  i Amérique  méridionale,  t.  lY,  p.  266. 

(5)  V.-l'.  LoPE/,  Les  Races  Aryennes  du  Pérou  ;  leur  langue,  leur  reli- 
gion, leur  histoire  (1871). 


19  yj 


■in^^ùB55iTS 


CHAPITRE  IV 


LES   GRECS   ET   LES   ROMAINS. 


167 


(le  Kâxy.r,  ;  kokori,  place  chaude,  de  Kâw,  Kaût.);  kokou,  jonchée, 
<1(' Xci'c)  ou  Xsupto  ;  kokori,  or,  de  Xfùao;  ;  sUikka,  maigre,  de 
"KÀay'Jî  ;  totopius,  forger,  de  Tû-tw  ;  mati,  front,  de  M^t;;  ;  muka, 
sarigue,  de  Mlo;  ;  onkoni,  être  malade,  de'Oyxo;;  rimani,  parler 
(le  Pr,[xa,  etc. 

Un  sait  que  les  philologues  ne  reculent  jamais  devant  les 
conséquences  de  leurs  systèmes,  mais  nous  ne  les  suivrons  pas 
sur  ce  terrain  dangereux.  Lihre  à  eux  d'admettre  toutes  les 
i)izarreries  que  hon  leur  semhlera!  Nous  n'en  concluerons  pas 
moins,  avec  Rivero,  que,  pour  un  mot  étranger  analogue  par  le 
sens  et  par  le  son  avec  un  autre  mot  américain,  on  trouve 
neuf  mille  termes  américains,  pour  lesquels  aucune  analogie 
n'existe.  11  en  est  donc  des  preuves  philologiques  du  séjour  des 
Grecs  et  des  Romains  en  Amérique  comme;  des  preuves  emprun- 
tées aux  monuments  et  aux  monnaies,  c'est-à-dire  qu'elles 
n'ont  jamais  eu  de  réalité  que  dans  l'imagination  ou  la  bonne 
volonté  de  ceux  qui  les  ont  mises  en  circulation. 

De  tout  ce  qui  précède  semble  résulter  que  jamais  ni  les 
(irecs  ni  les  Romains  ne  mirent  le  pied  en  Amérique.  Ce  sont 
au  contraire  les  Américains  qui,  au  premier  siècle  avant  l'ère 
chrétienne,  parvinrent  peut-être  en  lîurope.  Nous  voulons 
parler  du  voyage  forcé  de  quelques  américains  jetés  par  la 
tempête  sur  les  côtes  européennes,  voyage  qui  a  été  fort 
contesté,  mais  qui  nous  paraît  sinon  prouvé,  du  moins  vrai- 
semblable. 

Cornélius  Nepos  ,  cité  par  Pomponius  Mêla ,  raconte  ([ue 
Metellus  Celer,  étant  proconsul  en  Gaule,  reçut  en  présent  d'un 
roi  deslioiens  (juelques  Indiens,  arrachés  par  la  tempête  à  leurs 
rivages  et  entraînés  jusqu'en  Germanie  (1).  Pline  rapporte  le 

(i)  PoMPONiL's  Mêla,  III,  5,  vin.  «  Testem  rei  Q.  Mcteiluin  Celcreni  adjicit 
(C.  Ncpos)  ciiin  que  rctulissc  commémorât,  Qiium  liallio!  pro  consule  prœ- 
cssct,  Indes  quosdani  a  rcge  Boiorum  donc  sibi  dates,  unde  in  eas  terras 
(Icvenissent  reqnirendo  cognovisse,  vi  tempestatum  ex  Indicis  œquoribus 
abreptos,  emensosquo  quie  intcrerant,  tandem  in  Germaniœ  littora  exiisse  », 


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168   PREMIÈRE  PARTIE.  —  LES  PRÉCURSEURS  DE  COLOMB. 

môme  fait  en  termes  à  peu  prfîs  identiques,  sauf  qu'il  nomme 
le  roi  des  Suèves  (1)  au  lieu  du  roi  des  Uoïens  (i).  Ce  qui  ressort 
de  ce  double  témoignage,  c'est  que,  peu  après  la  conquête  de  la 
(iaule  par  les  Romains,  des  Indiens  étaient  venus  par  mer  sur 
les  côtes  de  Germanie.  Au  temps  de  Mêla  et  de  Pline,  on 
croyait  encore  que  la  Caspienne  communiquait  directement 
avec  l'Océan  Septentrional  et  la  Haltique  (3).  La  traversée 
de  ces  Indiens  sexpliquait  naturellement  par  la  circumnaviga- 
tion de  l'Asie  Horéale  (4).  llahelais,  qui  s'intéressait  à  ces 
Indiens,  accomoda  cette  supposition  aux  découvertes  géogra- 
phiques :  «  Et  suys  en  ceste  opinion,  dit-il,  sauf  meilleur 
jugement,  (jue  telle  routte,  de  fortune,  fut  suyvie  par  ces 
Indiens,  qui  navigèrent  en  Germanie,  et  feurent  honorahlement 
traictez  par  le  roy  des  Suèdes,  en  temps  que  Q.  Metellus  Celer 
estoit  proconsul  en  Gaule  (u)  ».  Huet,  le  savant  évéque 
d'Avranches,  crut  également  que  ces  Indiens  étaient  parvenus 
en  Germanie  par  l'Océan,  la  Caspienne,  et  le  Palus  Méotis  (('»)  : 
mais  un  pareil  itinéraire  est  tout  aussi  fabuleux  que  celui  des 
Argonautes.  Pelloutier  soutenait  que  ces  Indiens  étaient  des 
Africains,  mais  il  n'alléguait  aucune  preuve  sérieuse  (7).  Vos- 

(1)  Pline,  Histoire  naturelle,  11,  C".  «  Idem  N'epos  de  se|iteiitrioiiaH 
circuilu  tradit  Q,  Mctello  Céleri,  L.  Afratiii  in  consulatii  coUegie,  sed  tuni 
Galliœ  pro  consuli,  Indos  a  rege  Suevorum  dono  dates,  qui,  ex  India,  com- 
mercii  causa,  navigantes,  tcnipestatibus  cssent  in  Germaniam  abrepti  ». 

(2)  Les  manuscrits  donnent  diverses  leçons  ;  Boioruni,  Botorum,  Betorum, 
Baîtorum,  Lidorum,  Lydorum,  Getorum,  Gotonum.  M.  de  Cenleneer,  le 
dernier  écrivain  qui  se  soit  cecupé  avec  une  rare  compétence  de  ce  curieux 
problème  géographique,  pense  qu'il  faut  lire  Rœtorum,  et  qu'il  s'agit  d'un  de 
ces  chefs  Rhétiens,  dont  plusieurs  cohortes  avaient  été  cantonnées  le  long  du 
Rhin.  —  Cf.  ScHOENEMANN,  De  Cohort.  Romanis  auxiiiariis,  1881}.  ]).  26. 

(3)  On  le  croyait  '^ncore  au  temps  des  Arabes  :  ainsi  Edrisi  fait  communi- 
quer ces  deux  mers. 

(4)  Mentionnons  p'-irtant  l'opinion  de  Hansen  {Die  Chrorogmphie  des 
PomponiiiK  Mêla)  et  de  Bunbury  (.1  historij  of  ancient  geography,  188:j), 
qui  nient  la  réalité  du  voyage. 

(5)  Rabelais,  édition  Jeannet,  t,  IV,  p.  33. 

(6)  Huet,  Histoire  du  commerce  des  anciens,  p.  358. 

(7)  Pelloutier,  Mémoires  de  l'Académie  de  Berlin,  1743,  p.  186. 


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■:^^:-  r-r.'Z^aezj,, 


Cll.M'ITKK    IV. 


I.KS    C.HKC.S    KT    LKS    «OMAINS. 


i(;<) 


siiiH pensait  (juc  c'étiiient  ch's  |{r('toiis(l),  maison  aurait  rccdiinu 
leur  langage,  et  d'ailleurs,  les  conuniniicatiuns  devaient  (Hre 
tro])  fréquentes  entre  la  (îennanie  et  la  (îrande-Hretagne  j)our 
(|ue  l'arrivée  sur  le  littoral  (Jerniain  de  marins  bretons  fût 
signalée  coimue  ini  fait  extraordinaire.  Vivien  de  Saint- 
M  'rtin  en  fait  des  Slaves,  des  Vendes  ou  Vinidi,  (|ui,  depuis 
les  temps  les  plus  reculés,  habitaient  les  eôtes  de  la  IJaltiipie  {iL]. 
L'n  érudit  Scandinave,  Schiern,  n'a-t-il  pas  prétendu  cpie  le 
mot  Indus  n'étant  pas  un  mot  ctlmologi(jue  mais  bien  géogra- 
phicpie,  et  les  Indiens  existant  tout  aussi  bien  dans  l'Asie 
lioréale  que  dans  l'Asie  Méridionale,  les  Indiens  de  Metellus 
Celer  ne  pouvaient  être  et  n'étaient  (pie  des  Lapons  (3)  1 

Reste  une  dernière  li\p(jtbèse  :  Pourquoi  ces  Indiens  ne 
seraient-ils  pas  des  Américains,  des  pécheurs  ou  des  matelots, 
surpris  |)ar  la  tempête  et  jetés  au  large  ?  Ue  tels  événements 
sont  plus  fré(pients  qu'on  ne  le  sup|)oserait  au  premier  abord. 
Le  cardinal  Sylvius  Aeneas  Piccolomini  (ij  raconte,  dans  sa 
Description  du  Maitclf,  que  des  navires  et  des  négociants 
Indiens,  eu  ll(>(>,  sous  le  règne  de  Frédéric  Harberousse, 
furent  jetés  par  la  tempête  sur  les  côtes  de  (lermanie.  lieinbo  (ù) 


(1)  Vossics,  Oljserriitionfs  ad  Pompoitiiis  Meliini,  p.  210. 

(2)  ViviKN  l)K  Saint-.Mahti.     "lisfoii'c  (lu  la  ;j(in/jrai>liie,  187;],  p.   llfi. 

(3)  SciiiEiiN',  Une  énigme  pt/i>io;/rap/iitjiee  dp  l'antiquité  (Mémoire.';  de 
la  Société  des  Antiquaires  du  Nord,  1881),  p.  ?4:;-2!i8. 

(4)  Syi.vil's  ylvvEAS,  /!,</>  Euioilt  qiw  elegantiasinia  descriptio  (1.'J3!l, 
II,  8.  »  Nos  apud  Ollionein  legimus  sub  imperatoribus  Teutonicis  ludicaiu 
riaveni  et  Inilos  uegotiatores  ia  (îernianico  littore  fuisse  dcprehensos,  quos 
ventis  agitatos  injçratis  ab  orientali  plajja  venissc  coiistabat  ».  —  On  ne 
trouve  aucune  allusion  à  un  fait  semblable  ni  dans  lu  Chronique  d'Otlion  de 
Frejsingen,  que  citait  Piccolomini,  ni  dans  sa  relation  des  exfdoits  de  Bar 
berousse,  ni  dans  l'ieuvre  de  ses  conliiuiateurs  Uagewiu  et  OIto  de  Saint- 
biaise.  11  est  probable  que  Piccolomini  citait  une  Histoire  d'Autriche,  attribuée 
ù  Othou  de  Kreysiugen,  et  qu'on  croit  perdue. 

(5)  benibo  cité  par  Hori\  {I)n  oriijini/nis  Americanis,  p.  14).  «  Navi»^ 
liallica,  dum  in  (Jceano  iter  non  longe  a  Hritaunia  faccret,  uaviculnm  ex 
uiediis  abscissis  viiuiuibus  arborum  (|ue  libro  solido  coritc\tis  œdilicataui 
cepit  ;  in  qna  honiines  eraut  septem,  mediocri   stalura,  colore  suhobscuro. 


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Jl, 


î   t. 


'^    I. 


170       PREMli:itK   l'AHTIE. 


LKs  i-hkcihsfaîrs  de  colomij. 


rapporto,  dans  son  Hhiniro  de  Verihi'.,  (ju'nn  vaisseau  français, 
<'u  l.')()8,  rencontra  non  loin  <lcs  côtes  anjrlaises  un  liateau  fait 
en  écorcc  et  en  joncs.  H  était  monté  |»ar  sej>t  hommes  de 
médiocre  stature,  de  couleur  rouf^e,  à  la  face  longue  et  étendue. 
On  ne  pouvait  comprendre  leur  lanfiage.  Six  d'entre  eux  mou- 
rurent. Le  septième,  nn  Jeune  homme,  survécut,  (!t  fut  présenté 
au  nii  Louis  Xll,  qui  se  trouvait  alors  dans  le  Maine,  (k's 
inconnus  ne  pouvaient  être  que  des  Américains.  Tout  indicjue 
leur  origine,  la  construction  de  leur  l)arqu(>,  les  traits  de  leur 
figure,  la  couleur  de  leur  peau.  Aussi  hien  de  pareils  voyages, 
de  plus  difficiles  même,  ne  sont  pas  impossihles.  En  1()82, 
un  Esquimau  fut  jeté,  avec  son  kayack,  au  sud  de  Pile  Eday  (1\ 
et  en  lG8i  un  autre  édioua  à  Westray,  la  ])lus  occidentale  des 
Orcades.  Un  de  ces  hateaux  fut  exposé  à  Edimhourg  (!t  l'autre 
conservé  dans  l'église  de  Hurray  aux  Orcades.  En  i738  (pielques 
Indiens,  occupés  à  lii  pèche  aux  Iles  Juan  Fernandez,  se  dégoû- 
tèrent de  leur  genre  de  vie,  et,  avec  un  simple  canot,  sans  pro- 
visions, sans  agrès,  ahordèrent  à  Val[)araiso  (2).  Les  résidents 
Européens  de  Yokohama  (3)  onttous  connu  rinter|)rété  José  H  ico, 
un  Japonais  entraîné  avec  son  frêle  esquif  et  porté  juqu'à  San- 
Francisco  par  le  grand  courant  é(|uatorial  qui  haigne  les  côtes  de 
ÎNiphon  et  décrit  vers  la  Californie  une  courhe  de  quelques  mil- 
liers de  kilomètres.  Il  se  peut  donc  que  le  vent  ait  jadis  jeté  à  la 
fttjte  européenne  (juelques  américains;  car  la  distance  n'est  pas 

lato  et  putente  viiUu  ;  corum  senno  intcllij;i  non  ])nterat  :  Ex  ils  sex  iiiorteni 
obierunt  ;  uiius  adolesceris  in  Aiilercos,  ubi  rtix  erat,  vivus  est  perduetus  ». 
(i;  James  Wallace,  An  nccoiint  of  t/ie  Ulauds  Ot-kney. 

(2)  lIi.LOA,  Mémoires  philosophiques,  historiques,  physiques,  coiicernanf  la 
ilécouvcrte  de  l'Amérique,  etc.  (traduction I.efebvre  de  Vil!ebnine),t.  11,  p.  327. 

(3)  Aimé  HiiMiiEnT,  Voyage  au  Japon  (Tour  de  Mond.,1863,  3."))  :  «  Depuis 
1782,  quarante  et  une  barques  japonaises  sont  venues  échouer  à  la  ci'ite  amé- 
ricaine, et  vingt  huit  de  ces  naufrages  out  eu  lieu  jrastérieurement  à  l'année 
18b0.  Ces  quarante  et  un  naufrages  sont  simplement  ceux  dont  il  a  été  pris 
no'e  ».  —  V.  Allen,  La  très  ancienne  Amérique  (Congrès  Américaniste  de 
Luxembourg,  I,  81. —  On  cite,  au  siècle  dernier,  cinquante  et  un  cas  de 
navires  japonais  poussés  par  les  courants  sur  les  côtes  Américaines.  —  Cf. 
0.  L(*;w,  Mittheilunyen  von  Petermann,  1877,  p.  138. 


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r.llAl'lTHK    IV. 


LES   tiRECS    ET    LES    ROMAINS . 


171 


tellement  graiulc.  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  démontré,  qu'elle 
ne  puisse  être  franchie  en  quelques  jours.  Cette  conjecture  est 
si  vraisemhlahle  (|u'elle  avait  frappé  les  premiers  historiens  de 
la  conquête  au  xvr  siècle,  «i  Qui  sait,  dit  l'un  d'entre  eux, 
(îomara  (1),  si  les  Indiens  de  Metellus  Celer  n'étaient  point  des 
.Vméricains  du  Lahrador  !»  —  «  Je  crois,  écrit  un  autre,  le 
}xéo}ïraplie  XN'ytfliet  (i2),  (jue  ces  Indiens  ne  venaient  point, 
comme  l'on  cru  certains  auteurs,  des  extrémités  de  l'Urient  ou 
de  l'Occident,  mais  (pie  c'étaient  des  Américains  du  Lahrador, 
de  l'Kstotiland  ou  de  tout  autre  pays  voisin,  et  tous  ceu\  qui  se 
rendent  compte  des  différences  de  climat  penseraient  comme 
moi  ».  Sans  affirmer,  comme  Wytfliet,  que  ces  Indiens  étaient 
orijçinaires  du  nord  de  l'Amérique,  nous  croyons  avec  Inique, 
réellement,  ils  venaient  du  nouveau  monde. 

Il  paraîtrait  même,  mais  cette  conjecture  semhle  hien  hasardée, 
(pie  nous  possédons  le  portrait  d'un  de  ces  Américains.  Il  existe 
en  effet  au  nmsée  du  I  ouvre  une  tête  en  hronze  antique  (3),  ou 
plut(')t  une  situla  de  hronze  ayant  la  forme  d'une  tête  d'homme, 
vigoureusement  moulée,  dans  hKjuelle  un  savant  critique  et  con- 
naisseur, Egger,  croyait  reconnaître  un  des  indiens  de  Geler  (4). 
Nous  pensons  pourtant  que  cette  histoire  aurait  eu  un  tout 
autre  retentissement,  et  que  d'autres  écrivains  que  Mêla  ou 
IMine  en  auraient  parlé,  si  la  réputation  de  ces  étrangers  se  fut 
étendue  au  point  qu'on  gravAt  sur  le  hronze  l'empreinte  de 
leurs  traits  (5).  Mais  si  la  situla  n'est  pas  le  portrait  d'un  de  ces 


(1)  GoMARA,  Historia  gênerai  de  las  Indian.  p.  7,  édit.  1553.  Ca  tambien 
(lizeii  coiiio  cil  tiempo  dcl  empcrador  Federigo  Barbaroxxn  aportaron  a  Lubec 
ciertos  Indios  in  una  canoa. 

(2)  Wytiliet,  Descriptionis  Ptolemaicœ  augmentum.  v  Indos  non  ex 
ultiinis  Orientis  ot  Uccidcntis  partibus,  iiti  quibusdam  visiim  est,  sed  ex  hoc 
Laboiatoris  et  Kstotilandiœ  aut  vicinis  terris  venisse  constanter  teneo,  ine- 
ciinique  sentiet  ([uicumque  cliniatis  ratioiiem  expenderit.  » 

(3i  Ce  bronze,  dont  raulhcnticité  est  indiscutable,  provient  de  la  collection 
Kdniond  Durand,  que  le  roi  Charles  X  acquit  pour  le  Louvre  en  182o. 
(4  )  EocEti ,  Mi'moircs  de  la  Société  des  Antiquaires  défrance  (  i  859) ,  p.  83-89. 
{5)  M .  Leenians,  le  savant  directeur  des  Musées  Hollandais,  pense  que  la 


:  --^ 


172       I'UKMIKRK    PARTIK.    —    les   I'RKC.IHSKIRS   I»F.   COLOMIt. 


i}   i. 


Indiens  au  moins  est-ollel«' portrait  d'un  Anirricain?  Ce  lironzc 
classé  sous  le  niinu-n»  H-H\  ('«t  ainsi  (iécrit  dans  le  catalofriie  de 
Loni^jM'rier  (I)  :  <■  lUisle  d'esclave  enlièreirietit  rasé  ;  ses  oreilhîs 
sont  {grandes  et  tombantes.  Le  liant  du  cràMe  s'ouvre  au  moyen 
d'une  cliarnière  et  forme  couvercle.  Au  dessus  des  oreilles  sont 
placés  (les  anneaux  dans  !('S(|nels  s'ajuste  une  anse  riioldle 
tiguraut  une  liranche  d'arbre  avec  des  uteuds  ..  Il  suflit  de  jeter 
les  yeux  sur  ce  bronze  pour  se  convaincre  (jue  tinit  en  lui 
rappelle  la  race  rouge  du  nouveau  moiule.  Le  crâne  est  dolicbo- 
céphale,  le  front  fuyant,  les  oreilles  longues  et  basses,  les 
sourcils  fortement  anpiés,  le  nez  aijuiliu,  les  lèvres  grosses, 
le  maxillaire  inférieur  arrondi.  L'im|iressiou  d'ensemble  est 
saisissante.  Pour  la  rendre  plus  sensible,  M.  de  Ceuleneer  (2)  a 
imaginé  de  représenter  (juebpu's  types  d'Indiens  actuels  (II),  et  de 
les  rappriM'ber  de  la  situla  du  Lftuvre.  La  ressemblance  est 
extraordinaire.  C'est  bien  le  type  d'un  Américain,  et  d'un 
Américain  des  Etats-Unis  qu'on  a  sous  les  yeux. 

La  réalité  du  voyage  des  Indiens  de  Metellus  (leler  nous 
paraît  donc  établie  ;  et  c'est  la  seule  traversée  de  l'Océan  Atlan- 
ti(|ue,  mentionnée  par  les  écrivains  d(;  l'antiquité  cbissique, 
(jui  nous  semble  rigoureusement  démontrée.  Nous  pensons 
néanmoins  que  la  notion  d'un  continent  transatlantique,  bien 
(|ue  confuse,  ne  se  perdit  jamais,  et,  si  les  voyages  des  tirées 
et  des  Romains  eu  Ainéri(|ue  sont  imaginaires,  au  moins  cmt-ils 
ou  comme  le  pressentiment  de  ce  nouveau  inonde,  (pi'il  était 
donné  à  une  autre  époque  de  retrouver  définitivenu'ut. 


situla  est  une  caricature  llomainc,  mais  les  caricatures  se  présentent  surtout 
sur  les  vases  et  les  terres  cuites,  et  sont  d'ordinaire  bien  plus  petites  <|ue  le 
bronze  du  Louvre.  En  outre  le  travail  n'est  jamais  si  soigné. 

(1)  De  Longpériek,  Soticc  da  l/ronzcs  atitù/ue.i  erposés  cUms  /rs  ynleries 
du  Musée  du  Louvre,  1868,  p.  143. 

(2)  De  Ceclenker,  Ti/pc  d'f?ulien  du  Nouveau  Monde  repréxenté  sur  titi 
lironze  antique  du  Louvre,  1890. 

(:))  Ces  types  sont  empruntés  à   la  collection  Catlin,  conservée  à  l'United 
States  National  Muséum  de  Washington. 


siti:la   en  bronze 
(A|)|iai'lcnant  au  imisfe  du    Louvre). 


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AI. 


CHAPITRE    V 


1,1  :s    COMMUNICATIONS    KNTIIK    I.  AMKllIQUE    ET    l/ANCIKN 
MONDK    ÎITAUÎNT-EIJ.KS    l'OSSIHI.KS   AU    MOYli:N-A(;E  1 

Pciulaiit  le  uiuytMï-.'ifîe  s'arnHt'iit  It's  pntffirs  de  la  stiiMico 
>;(''oj.n'a|ilii(|ui'(l).  Après  les  {^raiidi's  gucM'res  (jui  suivirent  l'iiiva- 
sioii  (les  Harharcs,  (juaitil  l'esprit  de  séparation  et  d'isolement 
succéda  à  l'union  roinaine,  cliaipie  peuple  désonnais  concentra 
son  activité  dans  ses  propres  frontières.  On  renon(;a  à  i>en  |)rès 
coiuplètenient  au\  relations  extérieures,  et,  par  suite,  au  com- 
merce, à  la  navigation  et  aux  découvertes.  Les  Vandales  eurent 
il  est  vrai  une  flott(>  importante,  mais  ce  n'étaient  (jue  des  pirates. 
Les  Aiifîles  et  les  Savons  ne  savaient,  avec  leurs  bannies  légères, 
que  c(»urir  d'ime  rive  à  l'autre,  pilliM-  une  ville  ou  remonter  un 
Heuve.  (loths  de  l'est  ou  de  l'ouest,  Loud)ards  et  Francs  n'eurent 
pas  d'antre  marine.  Les  successeurs  dégénérés  des  Césars 
romains  [)ouvaient  à  peine  garantir  Constantinople  des  iittatjues 
de  ses  ennemis  (^).  (jharlemagne,  dont  le  génie  prévoyant  ne 
négligeait  aucun  détail,  ouvrit  des  relations  avec  les  pays  alors 
connus,  mais,  après  lui,  tout  disparut,  et  de  son  œuvre  gigan- 
tes(|ue  il  ne  resta  que  d'impuissants  déitris  (3).  Ce  n'est  que 
J>eaucoup  plus  tard  <[ue  les  Républi(iues  italiennes  au  midi,  les 
péclieurs  norwégiens,    danois  et  islandais  au  nord,  ainsi  (jue 

(T,  Daunou,  Histoire  de  la  géographie.  —  Vivien  de  Saint-Martin,  His- 
toire lies  découvertes  yéographifjiies. 

{"2}  Urapeyron,  L'Empereur  Héracliui.  —  Rambaud,  Constantin  Porphy- 
rof/éui'te 

(3)  (iAFFAREL,  De  Francix  commercio  rerjnantibits  Karolinis. 


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IMAGE  EVALUATION 
TEST  TARGET  (MT-3) 


1.0 


1.1 


11.25 


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171       PREMIÈRK   PARTIE.    —    LES    F'HÉ<:LRSEURS    DE  COLOMB. 


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les  moines  irlandais,  se  Ianr«>rent  de  nouveau  dans  d'aventu- 
reux voyages  ;  mais,  pendant  cinq  siècles,  faute  de  marine,  les 
connaissances  géographiques  diminuèrent  au  lieu  de  s'étendre, 
et  de  regrettables  erreurs  furent  commises.  11  semble  parfois 
qu'effrayés  par  les  ténèbres  (|ui  s'épaississent,  é[»ouvantés  par 
les  opinions  étranges  et  contradictoires  (pii  se  pressent  autour 
d'eux,  les  hommes  aient  oublié  la  terre.  Ils  se  croient  dans  une 
immense  tombe,  dont  la  trompette  du  dernier  jour  pourra  seule 
soulever  la  lourde  pierre. 

Aussi,  sauf  de  rares  exceptions,  le  />^  mensuraprovinciarum 
orbis  ierru%  de  Dicuil  (1),  le  Traité  de,  Vadminhtration  de  VEin- 
pire,  par  Constantin  Porphyrogénète,  la  Description  du  Dane- 
mark, par  Adam  de  Brome,  les  Relations  d'Other  et  de 
Witlfstan,  insérées  dans  la  traduction  de  Paul  Orose  par  le  roi 
Alfred,  Vltin&raire,  de  Benjamin  de  Tudela.  nous  ne  trouvons 
plus  au  moyen-Age  de  monument  géographique  original.  Ou  bien 
on  se  contente  de  copier  ou  de  traduire  à  peu  près  textuellement 
un  ouvrage  ancien,  ainsi  que  le  fera  par  exemple,  au  xiir 
siècle,  Blemmydas,  dont  la  Géographie  synoptique  n'est  (|ue 
la  paraphrase  poétique  de  Denys-le-Périégète  ;  ou  bien,  au  foinl 
de  quelque  cloître  ignoré,  on  réunira  sans  la  moindre  critique, 
comme  V Anonyme  de  Raeennc,  des  fragments  empruntés  à 
divers  auteurs,  et  rédigés  avec  tant  d'ineptie  (ju'on  ignore  jus- 
qu'à l'épocjue  géographique  (ju'a  essayé  de  décrire  ce  compila- 
teur (2).  Gène  sont  pas  seulement  les  enfants  et  les  paysans  de 


(1)  DicuiL,  £>(,'  mensnra  provinviarum  orbis  terne.  Edition  princcps  par 
Wallicnaër  en  i806,  édition  critique  par  Letronnc  en  1814.  —  Auam  de 
Brème,  De  situ  Danix  et  reliquarum  quœ  trans  Daniam  sunt  reginntim 
nutura,  éditions  de  1615  et  de  1629.  —  Constantin  I'orphyrogénéte,  Traité 
de  l'administration  de  l'Empire,  éditions  de  Meursius  (1610-1617)  et  de 
Banduri  (1711).  —  Alfred  le  Grand,  Histoire  de  Peut  Orose,  édition  de 
1773.  — Benjamin  de  Todela,  édition  Edouard  Charton,  insérée  dans  les 
Voyageurs  anciens  et  modernes,  t.  II,  p.  156-222. 

(2)  D'AvEZAc,  Jean  et  Gabriel  Gravier,  Le  Ravennate  (Société  normande 
de  géographie,  1888). 


CIIAP    V.—  COMMUNICATIONS  AVEC  LAMKHIQUEAU  MOYEN  AGE.    175 

lu  [H'crniôro  oroisiide  (|ui  s'imaginent  (\i\v  Jt-rusuleni  est  tout  pp«>s 
d'eux  (1)  ;  un  abluMie  Cluiiy,  \mô  par  h;  comte  Uourcard  de 
fonder  un  monastère  de  son  ordre  à  Saint-Maur-des-Fossés, 
n'osera  pas  se  rendre  à  cette  invitation,  parce  que  les  environs 
de  Paris  Ini  semblent  trop  éloignés  de  son  couvent(2/.  (luillaume, 
ahhé  de  Saint-Uénigne  de  Dijon,  donnera  la  nu^me  excuse 
au  duc  de  Normandie,  «|ui  le  priait  de  fonder  une  abbaye  dans 
ses  états  (3).  L<;s  Northmans  établis  en  Neustrie  oublièrent  luen- 
tôt  la  position  de  leur  ancienne;  patrie  (4).  En  1095,  les  moines 
de  Saint-Martin-de-Tournay  cliercbèrent,  sans  y  parvenir,  à 
découvrir  l'abbaye  de  Ferriéres  (5).  Même  à  une  épo(|ue  plus 
avancée,  les  re|»résentants  en  cjuelque  sorte  officiels  de  la 
science  commettront  de  pareils  erreurs  (('»).  Ainsi  Vincent  de 
Beau  vais  ne  connaîtra  pas  la  Baltique,  et  son  contemporain 
Albert-le-(irand  ne  lui  attribuera  l'inqjortance  (jue  d'un  simple 
golfe  ! 

dette  ignorance  tenait  à  des  causes  multiples  :  au  culte  des 
l'niversités  pour  tout  ce  qui  venait  de  l'antiquité,  et  à  une 
aveugle;  confiance  dans  les  légendes  cbrétiennes.  Toutes  les 
cartes,  jusciuVi  la  fin  du  xv^  siècle,  figurent  au  nord  de  l'Europe 
le  pays  des  Amazones.  On  y  trouve  également  comme  villes 
florissantes,  Troie,  Ninive  ou  Cartilage,  Quant  <iu  Paradis  Ter- 
restre, bien  cpi'il  change  de  situation,  il  est  toujours  représenté 
avec  un  grand  !"ixe  d'enluminures,  de  dorures  et  de  feuillages 
verdoyants.  I  nmour  du  merveilleux  était  une  nouvelle  cause 
d'erreurs.  On  ne  saurait  croire  à  (|uel  point  nos  [)ères  aimaient 
les  récits  fantastiques  de  voyages  dans  des  pays  merveilleux. 
Pour  n'en  citer  qu'un  exemple,  (iiraud  de  Cambrai  obtint  un  tel 


(1)  GUItLAl'ME  DE  NOOENT,  II,  6. 

2)  Sphe.nuel,  Histoire  des  découneries,  §  28. 
(3)  Bollundistes,  \"  janvier.  —  Chronique  de  Saint-Béniyne. 
(i)  Guillaume  de  Jumiéges,  I,  2. 
{^))  AcHKRy,  Spicilegiutn,  t.  II.  p.  00. 
i6)  Dal.nou,  Histoire  de  la  géographie,  §  3. 


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170       PREMIÈHE    PAHTIK.    —    LES    I'RÉ«:URSEUKS   DE   COLOMB. 

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«uccès  par  le  rôcit  de  son  voyage  en  Irlande  que,  dans  toutes 
les  villes  où  il  passait,  il  était  obligé  de  donner  une  triple  lecture 
de  sa  description  (1).  Le  premier  jour  était  réservé  aux  pauvres, 
le  second  aux  docteurs,  aux  clercs  et  aux  étudiants,  et  le  troi- 
sième aux  bourgeois.  Kt  p(»urfant  il  racontait  qu'en  Irlande  les 
oiseaux  poussaient  sur  les  arbres  {% ,  les  poissons  avaient  les  dents 
d(»rées,  et  des  monstres  couraient  la  campagne,  moitié  liommes, 
moitié  taureaux.  Les  crapauds  et  les  serpents  mouraient  en  tou- 
chant le  sol  (3;,  et  les  femmes  ne  pouvaient  accoucher  dans  une 
ile  de  la  côte  (i).  Il  était  certes  bien  facile  de  le  convaincre 
d'imposture,  mais  de  véritables  multitudes  se  pressaient  autour 
de  lui.  On  eût  dit  que  ses  contemporains  aimaient  à  être 
trompés. 

La  cause  la  plus  fréquente  et  la  plus  sérieuse  de  l'ignorance 
géographique  au  moyen-i\ge  fut  la  persistance  de  certains  pré- 
jugés dont  le  clergé  se  fit  comme  l'interprète  trop  complaisant. 
Les  prêtres,  en  qui  résidait  alors  toute  la  science,  avaient  conçu 
d'étranges  systèmes  sur  la  position  et  la  forme  de  la  terre. 
Eminents  par  leurs  vertus,  mais  peu  familiarisés  "vec  la  réalité 
des  choses,  ils  imposaient  leurs  opinions  préconçues  à  des 
populations  d'ailleurs  trop  ignorantes  pour  les  discuter.  Ainsi 
ils  ne  croyaient  pas  à  la  sphéricité  de  la  terre.  Il  est  certain  que, 
si  on  s'en  tient  à  la  lettre  des  Saintes-Ecritures,  la  première 
idée  qu'elle  suggère  est  celle  de  la  platitude  de  la  terre,  entourée 


i 


1)  GiRALDus  Gambhkxsis   Bafiy),  Topographia  Hihernix  (édition  Camdcii, 
Francfort,  1602). 

(2)  lD.,  p.  M  :  «  Sunt  et  avcs  hic  multœ,  quœ  bernacœ  vocantur;  quas 
inirum  in  inodum  contra  naturam  natura  producit,  aucis  quidem  palustribus 
similes,  sed  minores. . .  Ex  succo  ligneo  marinoquc  occulta  nimis  admirandaquu 
âuniifiii  ratione,  alimenta  simui  incrcmcntaquc  suscipiunt.  Vidi  multotics  oculi:» 
mcis  plusquam  mille  minutie  hujusmodi  avium  corpuscula  in  littorc  maris  ab 
uno  ligno  dependentia,  tcstis  inclusa  et  jam  formata.  »  Voir  l'histoire  des 
•croyances  sar  la  bernache  dans  BurKOM  (Histoire  naturelle  des  oiseaux),  «dit. 

1783,  t.  IX,  p.  93. 

(3)  ID.,  §  30,  31,  3S. 

(4)  ID.,  §  14,  p.  82. 


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^leptima  figura. 

4Sti(tttgoif^  ftrmt.riu{w<aplni|o<vp(lariE9  «1ii«  praM'oiTioiirtrrre  in  tn$  pftrttaa  fi 
^Kctr  pro  tiâsncttonr  mai»  te  qoorSbini  Flonffnô  fC  njiohâ  bic  gh  tttmpVi  poljto 
rnm  qnto  pMticiiUrior.^t(Unttio  rntiorf  Ugari  rrqofric^ptrr  meoircfiancû  txit  ab 
Kctno  pcr  ftriaum  mrstôirifc*  bifptnîâ  propr  gc&r*  bnQia.  /itparc  verOrobcô  éric 
•hodcne  dixé  mroif  oritti*4  mmbief  io  cftvtriii»  m(Tl«tcctrc«  mcMâ  0,ri(d*  n  «ce» 
tetfiù  â  coto*  Utori  vir  in  âne  tcmûno»  itadd  octani  nas^ttionc  at^^itur. 

f5ol?rçp(ttr(Ô9^ 


franda        


Vptoifti   flrapbi 


0lri<D9.    •Rifff^  (nbabi  »► 
têbïï  ppttt  êlgori 
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btf  dtinft:i5fj»intd»il  6  mi 


troplme  caprtcoriK 


^Crmrus  I  ittrtfc? 


DolttOdndraUo» 


l/lliAGE     DU     MONDE     DE     PIEnnK     D'aILLY    (148;j). 


K.!' 


CllAP.  V.  —  COMMUNICATIONS  AVEC  L'AMÉRIQUE  AU  MOYEN  AOE.   177 

'e  tous  oùtos  par  la  mer,  et  aux  extromiU^s  de  laquelle  le  ciel 
.'orme  cotnine  uue  voûte  solide,  (|ui  soutient  la  couche  des  eaux 
sup«''rieures.  \\vr.  un  pareil  système,  la  théorie  des  Antipodes 
est,  en  elfet,  inadmissilile.  D'ailleurs,  s'il  existe  au-delà  des 
mers  des  êtres  ayant  une  nature  sen.iilahle  à  la  nAtre,  «jue 
devient  le  dogme  di?  l'unité  humaine  ?  Ces  doutes,  non  résolus, 
avaient  conduit  la  plu|iart  des  Pères  de  l'Eglise  à  rejeter  l'exis- 
tence des  Antipodes  comme  une  fiction  aussi  contraire  à  la  foi 
qu'à  la  raison.  «  Y  a-t-il  quelqu'un,  écrivait  Lactance  (1), 
d'assez  extravagant  pour  se  persuader  qu'il  y  ait  des  hommes 
dont  les  pieds  seraient  en  haut  et  la  tête  en  has;  (jue  tout  ce  qui 
est  couciié  en  ce  pays  soit  suspendu  là-bas  ;  ([ue  les  herbes  et 
les  arbres  y  croissent  en  descendant  et  (jue  la  grêle  et  la  pluie 
y  tombent  en  montant?  Faut-il  s'étonner  que  l'on  ait  mis  les 
jardins  suspendus  de  Babylone  au  nombre  des  merveilles  de  la 
nature,  puisque  les  philosophes  suspendent  ainsi  des  champs, 
des  mers,  des  villes  et  des  montagnes?  ».  De  même  «aint  Au- 
gustin démontrait  (2)  «  qu'il  n'y  a  pas  de  raison  de  croire  à  cette 
fabuleuse  hypothèse  d'hommes  qui,  foulant  cette  partie  opposée 
de  la  terre,  où  le  soleil  se  lève  quand  il  se  couche  pour  nous, 
opposent  leurs  pieds  aux  nôtres.  Cette  opinion  ne  se  fonde  sur 
aucune  notion  historique...  Mais  fùt-il  démontré  que  le  monde 
et  la  terre  ont  la  forme  sphérique,  il  serait  trop  absurde  de  pré- 
tendre qu'après  avoir  franchi  les  immensités  de  l'Océan  , 
(|uelques  hommes  aient  pu,  hardis  navigateurs,  passer  de  cette 
partie  du  monde  dans  l'autre  pour  y  implanter  un  rameau  dé- 
tiu'hé  de  la  famille  du  premier  homme  ».  Isidore  de  Séville  (3)  ne 


il)  Lactance,  Institution  dieine,  111,  24  :  «  Quid  ?  llli  qui  esse  contrarios 
vustigiis  nostris  antipodas  putant,  nuin  aliquid  loqucrcntur?  Aut  est  quisquam 
tam  incptus  qui  crcdat  cssc  hotnines,  quorum  vestigia  sint  superiora  quam 
(■apila  ?  » 

(2)  Saint  Augustin,  De  civitate  Dei,  XVI,  9. 

(3)  Isidore  de  Sévii.le,  Originas,  IX,  2  :  «  Jam  vcro  iiis,  qui  anlipodic 
ilicuntur,  co  quod  conlrarii   esse  vestigiis    nostris  putantur,   ut,   quasi  sub 

T.    I.  12 


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178      l'RKMIÈRK   PARTIE.    —   LKS    PRÉCURSEURS   DE  COLOM». 

croit  pus,  lui  non  [ilus,  aux  Antipudi-s  :  <<  Ct'ux  (|u'oii  iioirniio 
les  Aiitipod«!s,  patro  que  on  croit  qu'ils  iiiarclicnt  en  sens 
inverse  de  nous,  et  que,  placés  cpi'ils  sont  au-dessous  de  nous, 
leurs  pieds  sont  o[)posés  aux  nôtres,  il  n'y  a  pas  de  raison  pour 
croire  à  leur  existence  »,  Telle  est  enconî  l'opinion  de  saint 
Justin,  de  saint  Hasile,  de  saint  (irépoire  de  Nazianze,  de  saint 
Ainhroise,  de  saint  Jean  (Ihrysoslôme,  d»  saint  (iésaré»*,  de 
Procope  de  (iaza,  de  Severianus  de  (lahala  et  de  Diodore  de 
Tarse  (1).  L'exposé  le  plus  complet  de  la  doctrine  de  l'épocfue 
est  la  Topographie  C/inUieune,  de  Gosnias  Indicftpleustes  (:2). 
(le  voyageur  Egyptien  revient  naïvement  aux  traditions  an- 
ciennes. Non  seulement  il  nie  la  rotondité  de  la  terre  en 
s'appuyant  sur  toutes  sortes  de  raist  ns  tirées  d'une  physique 
passablement  étrange  ,  mais  encore  <>  si  nous  passons  aux  An- 
tipodes, dit-il,  nous  verrons  aussitôt  cond)ien  sont  ridicules  ces 
contes  de  honne  femme.  Si  les  pieds  d'un  lionmie  sont  opposés 
à  ceux  d'un  de  ses  semblables,  que  ce  soit  dans  la  terre,  l'eau, 
l'air,  le  feu,  ou  tout  autre  corps,  comment  tous  deux  peuvent-ils 
rester  debout,  comment  l'un  et  l'autre  peuvent-ils  vivre  la  tétc 
en  bas?Cest!.i,  certainement,  une  hypothèse  absurde.  Et  quand 
il  vient  à  pleuvoir,  comment  dire  que  la  pluie  tombe  sur  les 
deux?  Elle  tombe  bien  sur  l'un,  mais  sur  l'autre  ne  mon- 
terait-elle pas  plutôt  ?  »  Ces  raisonnements  enfantins  de  Cosmas 
sont  à  la  hauteur  de  sa  cosmogonie.  Ne  prétend-il  pas  démontrer 

terris  positi,  advcrsa  pcdibus  iiustris  calcant  vcsti(;ia,  niilla  ralionc  credundiiiii 
est.  » 

(1)  Tons  CCS  pères  et  docteurs  sont  cités,  avec  les  passages  correspondants 
de  leurs  œuvres,  par  Letronne,  OpinioHs  cosmographiqiies  des  pères  de 
rEijIiae  (Revue  des  Deux-Mondes,  mars  1834).  —  On  peut  consulter  égale- 
ment Jr)LiiDAix,  De  l'influence  dAvistote  et  de  sen  mterpvèfes  sur  la  décou- 
verte du  S'ouveau-Monde  (Journal  gÔNéral  de  l'instruction  publique,  année 
1861). 

(2)  La  meilleure  édition  de  l'ouvrage  de  Cosmas  Indicopleustes  a  été 
donnée  par  Montcauco.n,  Collectio  nova  patrum  et  scnpto'-um  graecorum^ 
t.  n,  p.  43  (17  lO)  Voir  Ë.  Gharto.v,  Voijaijeurs  anciens  et  modernes,  t.  Il, 
p.  1-30 


r.llAI'.  V. — COMMUNICATIONS  AVEC  i/aMKHIQUR  AI'  MOYKN  AC.K.   171) 

(|(U'  le  tidx'riiach'  de  Moïse  est  lii  véritiililc  image  du  iiiondt*, 
que  la  terre  est  carrée  et  renfermée  avec  !(•  soleil,  la  lune  et  les 
autres  astres  dans  une  sorte  de  cafre  Mli!un;;ne,  duiit  la  partie 
siipérieiUT  forme  un  douille  ciel  (i)? 

Sans  doute  (|uel(|ues  liomnii's  se  rencontraient  (|ui  répugnaient 
à  accepter  connue  articles  de  foi  ces  affirmations  sans  fondement, 
mais  ils  étaient  forcés  de  s'y  eoufiirmer  sous  les  peines  les  plus 
graves.  Kusèhe  de  (îésarée  s'étant  hasardé,  ('ans  son  Commen- 
lairt!  SU7'  les  psftinm's,  à  dire  que  la  terre  était  ronde,  se  repentit 
l)ientôt  de  sa  témérité  et  revint  à  l'opinion  commune  (!2). 
Photius,  analysaii»  les  ouvrages  de  Cosmas  et  de  Diodore  de 
Tarse  (3),  laisse  voir  qu'il  ne  partage  pas  leurs  erreurs,  mais  de 
foudtien  de  précautions  n'use-t-il  pas  pour  envelopper  une  aussi 
téméraire  pensée  !  L'Irlandais  Virgile  fut  moins  prudent  (i).  Il 
exposa  publiquement  la  théorie  des  antipodes  et  soutint  qu'il  y 
avait  un  autre  monde  et  d'autres  liommes.  Dénoncé  comme 
hérésiarque  par  son  rival  de  gloire  et  d'éloquence,  Boniface,  il 
fut  déféré  par  le  pape  Zacharie  à  la  juridiction  du  duc  de 
Havière,  Odilou  (748).  On  ne  sait  trop  quel  fut  le  résultat  de 
iencpiéte  (5).  D'après  la  tradition,  Virgile  aurait  du  rétracter  ses 


(1)  Cette  opinion  se  perpétua  :  Au  temps  de  PInlippc-Augustc,  Alain  de 
Lille,  dans  son  Anticlatidianus,  sera  le  seul  à  soutenir  que  la  terre  n'est  pas 
oariéc,  mais  ronde.  Voir  Kerdixand  Denis,  Monde  Enchanté,  p.  23. 

(2)  CùlU'ctio  nova  patrum,  etc.,  f,  460  :  «  Cujus  in  Hnibus  antipodes  l'abu- 
lus»;  liabitare  creduntur  ». 

(3)  PnoTiis,  Bihiiotheca  Grxca,  VU,  2,  liv.  xiv. 

(4)  D'Achehy  et  M.vbiixon,  Ada  sanctorum  ordi7iis  Sancti  Benedicti  in 
sxculorum  classes  disMùtita  (Sœculum,  I({)  p.  72.  Lettre  du  pape  Saint 
Zacharie,  t.  XV,  inter  Bonifacianas  epistolas.  Le  pape  l'accusait  d'avoir  dit  : 
u  Quod  sciiicct  alius  mundus  et  alii  homincs  sub  terra  sint,  aliusquc  sol  et 
luna  >'. 

(il)  On  peut  consulter  sur  Virgile  de  Salzbourg,  X...,  Nouvelles  remar- 
ques sur  Virgile,  Homère,  et  le  prétendu  style  poétique  de  l'Ecriture 
sainte  JTIO).  —  liEncEn  de  Xivuky,  Traditions  tératologiques,  p.  186- 
188.  — Alfred  Webb,  A  compendium  of  Irish  Biography,  comprising 
Sketches  of  distinguished  Irishmann,  1878.  —  Notons  d'ailleurs  qu'il  n'est 
)|ucstion  de  ces  controverses  ni  dans  la  Vie  anonyme  de  Saint  Ebehrard  de 


/  I 


'  ;  ' 


IHO       l'IlKMIKm:   PAHTIi:.    —    I-KS    I-HKCI-HSKIHS    I»K   COLflMH. 

npiiiictns  <'t  l('«  rejeter  sur  un  n-rtaiii  Virfiilc  «l'Arles,  fuvori  do 
Cliildclx'rt  II,  (>t  mort  en  ^>i\.  Il  serait  ini^iiie  allé  se  jiistilier 
à  Home,  et,  bien  (iii'il  eût  prouvé  (|ut>  les  irlandais  étaient  en 
euunuuuieatinn  ré^'ulière  avec  un  uiondc»  trausatlauti(|ue,  su 
sentant  ineapaltle  de  résister  à  la  plus  ^M'aiide  force  du  temps,  il 
se  serait  rési^:né  à  luie  rétractation.  La  soumission  de  ce  nouveau 
4ialilée  l'ut  l>ien  accu(>illie.  puiscpie,  peu  tlannées  après  l'erKpiéte, 
il  fut  sacré  évéque  de  Sal/liour^ji  TtJi)  et  plustard  canonisé  (lliH). 
Les  savants  se  le  tinrent  pour  dit  et  la  théorie  des  antipodes 
fut  dés  lors  coiidauuu'e.  llahan  Maur,  pur  exemple,  en  parle  à 
peu  près  dans  les  mêmes  termes  «pie  Lactance  ou  Saint- 
Augustin  (1).  Au  X''  siècle,  un  interprète  de  Hoèce  déclare  cpie 
cette  théorie  est  contraire  à  la  foi.  {"1).  «  Loin  de  nous,  s'écrie- 
t-il,  la  [»ensée  de  croire  à  Texistence  des  antipodes  :  c'est  une 
ynnce  de  tout  point  contraire  au  christianisme  ».  Guillaume  de 
Couches  (pii  pourtant  se  signale  (dus  d'une  fois  par  ses  opinions 
hardies  (3),  se  range  en  cette  occasion  au  sentiment  général 
et  incline  à  penser  «|ue,  s'il  y  a  des  antipodes,  nous  n'en  avons 
pas  lu  certitude,  faute  de  couummicjuer  avec  eux.  Ces  opinions 
étranges  persisteront  jusqu'au  xV  siècle,  car  les  conseillers  de 
la  reine  Isahelle  à  Salaman((ue  et  à  (îrenade,  opposenmt  encore 
à  Goloud),  pour  le  détourner  de  ses  projets,  des  considérations 
analogues  sur  les  antipodes  i\). 


Solz/ioiir;/,  ni  dans  le  Livre  iten  inlrarles  de   Virgile,  l'un  et  l'autre  publias 
dans  le  Acta  Sawtorum  nrdinin  Sanrtis  Benedicti. 

(1)  Uaiian  Macii,  De  toiivcrso,  1.  XI',  §2. 

(2)  Ctasuicornm  auctorum  o  Vaticmiis  codicihus,  t.  IV,  p.  353  (Ilomc, 
1831)  :  «  Absil  ut  nos  quisquaui  aniipodum  fabulas  recipeie  arbitrctur,  quie 
sunt  tldci  chrisliano^  omnino  cuntrariic  !  » 

(3)  GciLbALUE  DE  CoMciiEs,  Pfiilosop/iia  minor,  IV,  3  :  «  NuUus  tamen 
nosti'uui  ad  illos  ncquc  illurum  ad  nos  pervcnirc  potcst  ». 

(4)  Geraldim.  Itinerarium  ad  regiones  sub  xquinoctiali  plaga  consii- 
tuta:<,  Romii!,  1631,  fol.  204.  «  Multi  antistites  patritc  Hispanœ  nianifcstum 
reaui  pênes  cos  esse  plane  assei'cbant,  co  quod  Nicolaum  a  Lyra  totam  terrai 
huniamc  compaginem  ab  insulis  Fortunatis  in  oricntem  usque  supra  marc 
extcntuni  nulla  latera  iiabcrc  pcr  inferiorcui  partein  sphœrœ  obtorta  dicit.  Et 
Divus  Adrelius  Augustinus  nulles  esse  antipodas  affirmât  ». 


niAI'.  V.  — COMMIMCATION'   AVEC  l'aMKHKM  K  AI   MoVKN  ACK.   181 

Oïl  avait  aussi  cuiisorvc'  au  uio^cu-à^c  les  |»r»''jujî(''s  anti(|U('s 
sur  la  xnnc  torridc.  Dos  W  v"  si«\'h',  l'aul  Ornsc,  Pliilost<trf,'('  et 
Mnïsf  (If  Klinrcu  se  pronnuraicut  en  favrur  «li'  la  tlic-orif  «le 
ritili.'iliitaliilitô  de  la  /on<>  torridc  (1).  Jean  IMiilopouus,  ^ram- 
iHairicu  alcxaudriu  du  vi''si(>cl(>,  r>rrivait  :  ><  (JucNjucs  |i(>rsniuu's 
ont  s()U|i(;onn('',  se  coufomiaut  à  uut>  tradition  ahsurdc,  (|u<> 
l'Ocrau  .it!auti<|U(>  va  se  rrunir  dans  la  partie  ori(.*utal(>  avec  la 
uior  Krytluvc,  ce  qui  est  rvideunnout  faux,  car  il  faudrait  (luc 
rOcnui  se  prolon^cAt  tout  au  travers  de  la  Lihye  et  dans  la  zone 
forrid»'  inOuic,  où  il  est  impossible  (|ue  des  hoiuines  puissent 
naviguer  h  cause  de  la  chaleiu*  brûlante  qi  •è};ne  ("l)  ».  dette 
erreur  »'tait  acceptée  par  les  savants  les  plus  ré|)utés  (|ui  lu 
propafçeaient  dans  leurs  écrits.  Ainsi  nous  la  retrouvons  dans 
Isidore  de  Séville  (3),  Marcianus  Capella  (i),  (Jréf^oire  de 
'l'ours  (5)  et  Héde  le  Vénérable  ,t»).  Le  manuscrit  4830  de  la 
Hil>liotbè(|ue  Nationale  donne  trois  cartes  insérées  à  la  suite  du 
LHh'i'  [rofariim  sancti  hidori,  (|ui  prouvent  toutes  les  trois 
qu'on  ne  croyait  pas  (pi'il  fût  (lossible  de  pénétrer  dans  la  /one 
torride  (7  .  Au  xii"  siècle,  Honoré  d'Autun,  l'abbesse  Herrade 
de  Landsberg,  (îeoffroy  de  Saint-Victor  (8),  Hugues  Metellus  et 
le  poète  philosopbe  Bernard  de  Chartres  renouvellent  ces  vieilles 

;i)  Tous  cités  par  Santareu,  Cosmographie  et  Cartographie  du  moi/en- 
igc,  F,  310. 

(2)  PniLopoNLs,  De  creatione  mundi  (cilé  par  Letronne,  Journal  des 
Savants,  1831    p.  547. 

(3)  IsiDOHE  DE  Sftvii.i.E,  Origines,  XIV,  5  :  «  Extra  Ires  partes  orbis,  quarta 
pars  trans  Ocr      .m  est,  quic  nobis  ardorc  solis  incognita  o«t  •. 

(4)  Marcianus  Capeli.a,  Satgritrcon  inédit.  Kopp,  1836),  p.  503  :  «  Media- 
vcro  llainmis  atquc  aniiclis  ardoribus  torridata  propinquantes  animantium 
comburit  occasus  » . 

i5)  Jacob,  Géographie  de  Grégoire  de  Tours. 

(6)  Bède  ue  Vénéharle,  Mundi  constitutio  (cditl612),  t.  I,  p.  324  :  «... 
quœdam  mundi  partes  teiiiperie  sua  incoluiitur,  quœdain  immanitate  frigoris 
uni  coloris  cxistunt  inhabitabiles  ». 

(7)  Santabkm,  ouv.  cité,  p.  24,  50,  69, 

(8)  Geoffroy  de  Saint-Victor,  Microcosmtts,  f.  18.  «  Mediam  vero  zonaia 
caloris  intempérie,  proptcr  pcrpetuam  soiis  prœsentiam,  intiabitabilem  ». 


182       l'HICMlKHIC   l'AHTIK.    —   LKS    PRÉCl'RSEniS    1)K   COLOM». 

tlirories.  Au  iiiilit'u  du  siôclo  suivant,  et  nialgn''  le  progrès  des 
coiui.'iissancos  nautiques,  Nicépliore  Hlouunydas  H)  affirmera 
oueore  (|ue  la  (  l>:;îeur  de  cette  zone  est  un  oi)stacle  insurmontable 
à  la  navigation  (2).  Sacrohnsco,  le  fameux  cosmographe  anglais 
dont  la  Sp.t'ra  tnimdi  fit  pendant  (piatre  cents  ans  autorité  dans 
les  écoles,  Vincent  de  Heauvais  lui-inôme  partageait  cette  erreur 
et  avec  lui  pensaient  les  chefs  de  l'Eglise  ou  les  représentants 
les  plus  autorisés  de  la  scieii  L'un  d'entre  eux,  Albert  de 
SHxe,  prétendra  même  <pie  non  sommes  séparés  de  ces  régions 
par  ces  déserts  coupés  de  hautes  montagnes,  (|ui  ont  la  propriété 
d'attirer  la  chair  humaine  connue  l'aimant  attire  le  fer  (II).  Pierre 
il'Alhano  répétera  ces  fahles  ridicules  sans  les  cond)attre  (4), 
malgré  sa  réputation  méritée  de  savoir  et  de  ferme  jugement. 
Jusqu'au  xiV"  siècle,  fidèles  à  l'anticpie  tradi  tion,  Hrunetto 
Latini  /.M  et  son  illustre  élève  le  liante,  llanuif  de;  llygeden, 
Nicolas  Oresme,  Mandeville  et  Hoccaee  |(J)  croient  encore  tpie 
les  chaleurs  excessives  empêchent  de  connaître  une  partie 
de  l'univers  (7). 

Ce  double  préjugé  de  la  non-existence  des  antipodes  et  de 


(1)  Nic(''pliorc  Blcniinjdas,  cité  par  Letbosne,  Opinions  co^moffraphquex 
des  Pères  de  l'Eglise,  p.  I"J,  20. 

(2)  Sacho  Hosco,  De  Splurrn  mimdi  (ôdition  de  Lyon,  1531)  :  «  Illn 
ij^itur  zona  quir  est  iiiter  duos  tropicos  dicilur  inhal)ilal)ili$  prupter  cale- 
rem  solis  discurreniis  super  illam  ».  Cet  ouvrage  eut  2i  éditions  au  w*  siècle, 
et  plus  de  quarante  de  ir>ul  à  1(U7. 

(3)  Ai.RRRTUs  Saxonii  8,  Qii.TstiouPs  de  cœh  et  nutido,  1.  ii,  p.  26  :  ><  Suul 
quidam  montes,  qui  habent  naturam  attralicndi  carnem  humanam,  sicul 
magnes  attrahit  fcrrum,  et  htcc  est  causa  quarc  nidius  transit  ». 

(4)  Petkub  de  Ai.nANo,  Conciliator  controvetsiiirum  tfuw  inttr  p/iiloso- 
phos  et  mcdicos  vcnantur,  Diff.  67 

(5)  BnuNKrro  Latim,  //  Termo  (édit.  Venise,  1533).  Il  aOlrme  qu'en 
Afrique,  au-delà  du  pays  des  Garamanles,  il  n'y  a  que  des  déserts  où  per- 
sonne n'habite  jusqu'à  l'Arabie  (ove  nulla  persona  habita  in  fino  in  Arabia), 
ei  cela  à  cause  de  la  trop  grande  chaleur  du  soleil. 

(6)  Hoc.cACK,  De  mojdiàus  et  diversis  nominiôus  maris. 

(7)  Tous  cités  par  Santareh,  Cosmographie  et  cartographie  du  moyen- 
àge,  I,  76,  78, 108,  137,  139,  141,  147. 


riIAI'.  V.  —COMMUNICATIONS  AVEC  LAMÉHIQUE  AU  MOYEN  AGE.   183 

riiilial)ital>ilité  de  la  zone  torride  devait,  pour  de  longues  années 
«Mii'ore,  accréditer  de  fatales  erreurs  et  empêcher  tout  progrès 
géograplii(pu'.  Plus  encore  que  l'ignorance  ou  que  les  scrupules 
tliéttlogiques,  une  autre  raison  s'opposait  encore  à  ce  «jue  les 
marins  s'aventurassent  hors  des  mers  connues.  L'Océan,  en 
eiïet,  passait  pour  l'asile  des  monstres  (1).  C'est  là  (|ue  vivaient 
l'odontotyramus,  assez  gros  pour  avaler  un  éléphant  entier,  et 
le  serpent  qui  se  dressait  du  sein  des  Ilots  et  poussait  de 
lugulires  gémissements  avant  de  se  jeter  sur  les  niateU)ls  pour 
les  dévorer.  (Vest  là  que  le  harca  engloutissait  les  navires,  là 
surtout  (pie  le  kraken,  en  respirant  au  soleil,  étreignait  de  ses 
Itras  multiples  les  imprudents  (|ui  n'avaient  pu  fuir  à  temps. 
Cosmas  exprime  en  ces  termes  la  frayeur  que  lui  faisait  éprouver 
à  lui  et  à  ses  compagnons  la  vue  de  l'Océan  (2)  :  ((  Les  matelots  et 
les  passagers  les  plus  expérimentés  disaient  que  nous  appro- 
chions de  l'Océan  et  tous  criaient  au  pilote  :  retourne  à  gauche 
dans  le  golfe,  de  peur  ([u'emportés  pur  le  cf»urant  dans  l'Océan, 
nous  ne  périssions  ;  car  l'Océan,  entrant  dans  le  golfe,  soulevait 
de  vastes  flots  et  la  vague  nous  entraînait  vers  la  pleine  mer. 
C'était  là  un  spectacle  pénihie  qui  nous  glaçait  de  frayeur  ». 

.\  ne  considérer  que  les  apparences,  il  semhie  donc  que  la 
notion  d'un  continent  opposé  au  delà  de  l'Atlantitjue  ait 
été,  pendant  tout  le  moyen-Age,  comme  anéantie?  Il  semhie 
surtout  (pi'aucun  n.ivigateur  n'ait  osé  s'aventurer  sur  cette  mer 
de  l'ouest,  si  féconde  en  dangers  et  en  catastrophes.  Pourtant, 
malgré  cette  ignorance  à  peu  prés  générale,  et  malgré  ces 
causes  d'immohilité,  quelques  savants  avaient  conservé  de  justes 
notions  sur  la  forme  de  la  terre,  et  de  hardis  marins  se  risquaient 
de  temps  à  autre  sur  l'Océan. 

Dans  le  chaos  qui  suivit  les  invasions  harhares,  la  science 
géographique  avait  été  fort  compromise,  mais,  peu  à  peu,  grâce 


I 


(1)  nKHOKii  DK  XivBEY,  TradUionn  tératologiques. 
marins. 
["i)  Cosmas  Indicopleustes,  ouv.  duS  (édition  Charton),  p.  12. 


Landrin,  Monstres 


1 


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«  \\■^ 


18i      PREMIÈRE    PARTIE.    —    LES    PRÉCURSEURS   DE   COLOMB. 

H  l'ôtude  attentive  des  texte  ".,  grAce  aux  sources  nouvelles  que 
le  zèle  des  traducteurs  ouvrit  en  Occident  à  l'érudition,  prAce 
surtout  aux  efforts  {rénéreux  de  quelques  esprits  dV'lite  pour 
secouer  le  joug  du  passé  et  s'engager  résolument  dans  la  voie 
du  progrès,  une  sève  plus  abondante  circula  dans  les  écoles 
chrétiennes  et  vivifia  la  géographie  comme  les  autres  connais- 
sances humaines.  Une  partie  des  erreurs  anciennes  disparut, 
les  vérités  déjà  connues  furent  confirmées,  et  la  Bihie  ne  resta 
plus  l'autorité  unique  et  exclusive.  Quelques  docteurs,  et  parmi 
eux  celui  dont  la  parole  faisait  autorité.  Saint  Thomas,  allèrent 
môme  jusqu'à  prétendre  que  l'écrivain  sacré  avait  parfois 
aci  ommodé  son  langage  à  l'inexpérience  de  ceux  auxquels  il 
s'adressait,  que  les  expressions  dont  il  se  servait  pouvaient  être 
entendues  de  diverses  façons,  et  que  tout  passage  en  contradiction 
avec  des  faits  certains  devait  être  écarté  (1).  Aussi  quelques 
savants  rompirent-ils  sans  plus  tarder  avec  les  préjugés  de 
l'école,  en  affirmant  hardiment  non  seulement  que  la  terre  était 
sphérique  et  la  zone  torride  habitable,  mais  aussi  qu'un  grand 
continent  existait  dans  l'autre  moitié  du  globe  et  qu'on  le  décou- 
vrirait en  s'avançant  dans  la  direction  de  l'Atlantique. 

Isidore  de  Séville  avait  déjà  parlé  de  la  sphéricité  probable  de 
la  terre  (2),  mais  il  ne  l'avait  admise  que  sous  toutes  réserves. 
Béda.  plus  affirmatif,  en  donna  la  preuve  (3)  :  C'est  que,  du 

(1)  S.  Thomas,  Summa  theoloyix,  II,  i,  68  :  ><  Nihil  auctorilate  scrip- 
turœ  dcrogatur,  si  diversimodc  cxponatur,  dunimodo  hoc  fli-miter  tencatur, 
quod  sacra  scriptura  nihil  Talsum  contincat.  Constat  tamcn  in  scriplura  sacra 
multa  mctaphoricc  tiadita  esse,  qux  secundum  plaiiam  supcrilcicin  liltcrin 
intclligi  non  valent.  —  Duo  sunt  obscrvanda  :  primo  quidein  ut  vcritas  scrip- 
turœ  inconcusse  tencatur  ;  secundo,  quum  scriptura  divina  mullipliciter 
cxponi  qu'^at,  quod  nulli  3xpositioni  aliquis  ita  précise  adhœrcaiit,  ut  si 
cerla  ratione  constiterit  hoc  esse  Talsum,  quod  iiliquis  sensuni  scriptura;  ctse 
credebat.  id  nihiiominus  asscrere  prœsumat». 

(2)  IsiDOBE  DE  Séville,  Ettjmologicon,  XIV,  5. 

(3)  Béda,  De  natura  rerum,  §  46  :  «  Orbeni  tr-rac  dicimus,  non  quod 
absoluti  orbis  sit  forma,  in  tanta  montium  camporumquc  disparitatc,  sed 
cujus  amplcxus,  si  cuncta  linearum  comprchendantur  ambitu,  figuram  abso- 


fim 


CHAI'.  V.  —  (.OMMUNICATIONS  AVIX  LAMKHiyL  E  AU  MOYEN  ACE.   iS.'i 

point  (|ue  nous  occupons,  nous  aperce V(»ns  les  astres  (|ui  sont 
au  nord  sans  voir  ceux  «pii  sont  au  midi,  et  <|ue,  récipr<j(|uenient, 
si  nous  lial)itions  les  réfjions  n:éridionales,  nous  ne  verrions 
pas  ceux  du  nord,  la  convexité  du  «ol  ne  permettant  pas,  dans  ce 
ras  ni  dans  l'autre,  d'embrasser  à  la  fois  les  deux  pôles  ».  Nous^ 
trouvons  la  même  doctrine  chez  Scot  Krifrène  et  Uemi  d'.Vuxerre, 
;'insi  (pie  chez  Uahan  Maur  (1)  et  plus  tard  clu'z  Adelhard  de 
Hath,  Honoré  d'Autun  et  (îuillaume  de  Conches  {i).  A  partir  du 
treizième  siècle  c'est  pour  ainsi  dire  une  opinion  courante,  dont 
il  serait  superflu  de  rechercher  la  trace  dans  les  écrits  du  temps. 
Qu'on  en  juge  plutôt  par  le  grand  nombre  des  ojivrages  composés 
(lès  cette  épo(pie,  sous  le  titre  de  Traité  de  la  S|)hèn  .  Tel 
d'entre  eux,  <'elui  de  Jean  de  Sacroixtscit,  eut  jusqu'à  soixante- 
cin(|  éditions,  et  au  moins  autant  de  commentaires  (3)  ! 

La  théorie  de  l'hahitahilité  de  la  zone  torride  ne  triompha  cpie 
|)lus  tard.  Le  fameux  comte  de  liollstadt,  Albert  le  (Irand,  (pie 
ses  contemporains,  effrayés  par  l'universalité  de  son  savoir, 
prirent  pour  un  sorcier,  dit  expressément,  dans  s(m  Liber 
Cdsmographicua  de  iiainra  locoriiin,  (pie  toute  la  zone  torride 
est  habitable  (-4).  Pierre  d'Albano ,  au  commencement  du 
XIV''  siècle,  se  fit  l'ingénieux  propagateur  de  cette  doctrine  : 
«  Pttdémée,  dit-il,  a  seulement  fait  remanpier  (pi'aucun  témoi- 
gnage direct  ne  lui  avait  fourni  la  preuve  (pie  les  contrées- 
é(juinoxiales  fuss;'nt  liabit<^es,  et,  en  ce  point,  beaucoup  de 
cosmographes,  dont  l'hésitation  n'est  pas  excusable,  puis(prils 


liili  orbis  cfflciat.  Inde  ciiim  fit  ut  .scptcntrionalis  plagie  si(]cra  nobis  scmpcr 
aiiparcant,  meridiaiia*  iiunquam  ». 

(1)  Haran  .Malii,  De  i'niverso,  XII,  i.  «  Forinaiu  tcrrœ  ideo  scriptma 
orbuiii  vocal,  co  quod  rcspicicntibus  cxtrciiiitatciu  ejus  circiilus  seinper  appa- 
rcat,  qiiein  Gracci  orizonta  vocaiit  ». 

\i)  Cilés  par  Joukdmn,  Mémoire  sur  l'influence  d'Aristot'!,  etc.,  p.  7. 

(3)  Les  plus  connus  de  ces  traités  fuient  composés  par  Campanus  de  No- 
varre  mort  en  1300,  par  Cecco  d'A.scoli  (1257-1327)  et  par  Nicolas  Orcsme. 

(I)  Ai.iiEKT  i,F.  Ghand,  Liher  Cosmographicus  de  natuva  locontni  tStras- 
liourg,  15IF)),  fol.  14bet23«. 


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186       PREMIÈRE   "ARTIE.    —   LES    PRÉCURSElîRS   DE  COLOMU. 

pouvaient  invoquer  le  témoignage  de  Suint  Jeun  Dani.iscène, 
ont  imité  sa  réserve.  Aujourd'hui  l'incertitude  n'est  plus 
possible,  et  il  n'y  a  que  les  gens  peu  instruits,  oapaltles  de 
croire  que  les  régions  équinoxiales  sont  inliahitahles  et  que 
l'Océan  occupe  partout  l'espace  compris  entre  les  deux  tro- 
piques »  (1).  Nicolas  Oresme,  grand  maître  du  collège  de 
Navarre,  mort  évéque  de  Lisieux  en  1382,  auteur  d'un  Traité  de 
la  Sphère  dédié  a  Charles  Y,  s'exprimait  en  ces  termes  (2)  : 
«  Aucuns  dient  que  la  tierce  plage,  qui  est  souhz  la  v(»ye  du 
soleil  entre  les  deux  tropiques  est  inhabitable  ;  mais  les  autres  dient 
que  c'est  très  noble  et  très  atrempée  habitacion,  especialement 
vers  le  milieu,  soubz  l'equinocial,  et  ce  fut  l'opinion  d'Avicenne. 
Et  ceulx  qui  maintiennent  ceci  arguent  ainsi  :  que  si  elle  estoit 
inhabitable,  ce  seroit  pour  trop  grant  chaleur,  mais  il  n'en  est 
pas  ainsi.  »  Cette  théorie  fut  dès  lors  acceptée,  et  même 
enseignée.  Ainsi  que  la  précédente  elle  devait  contribuer 
à  étendre  les  connaissances  géographi([ues. 

La  croyance  la  plus  utile  au  redressement  des  erreurs  sur  la 
forme  véritable  de  la  terre  fut  celle  de  l'existence  d'un  ou  de 
plusieurs  continents  au-delà  de  l'Atlantique.  Les  savants,  qui 
se  firent  les  interprètes  de  cette  théori  -,  renouvelaient  une  doc- 
trine ancienne.  Nous  avons  déjà  vu  que  Cicéron,  Macrobe  et 
d'autres  écrivains  pensaient  que  les  deux  hémisphères  que 
l'Océan  sépare  l'un  de  l'autre  sont,  en  outre,  coupés  à  deux 
reprises  par  les  eaux,  de  manière  que  la  surface  de  la  terre  se 
trouve  partagée  en  quatre  continents,  deux  dans  l'hémisphère 
boréal  et  deux  dans  l'hémisphère  austral.  Ce  singulier  système 
nous  le  retrouvons  chez  Cuillaume  de  Couches  (3),  et  chez  un 
écrivain  du  commencement  du  treizième  siècle,  Geoffroy  de 
Saint-Victor,  qui  s'exprime  ainsi  {A)  :  «  Les  philosophes  éta- 


(1)  Petrus  de  Ai,bano,  Conciliatorcontroversiarum(]UX  inter philosophos 
et  medicos  versant ur,  fol.  100. 

(2)  Nico!  A3  Oresme,  Traité  de  la  Sphère,  §  XXIX. 

(3)  Guillaume  de  Conçues,  Phiiosophia  mitior,  IV,  3. 

(4)  Geoffroy  de  Saint-Victor,   Microcosmus,   cité  par  Jourdain,  p.  8  : 


.\îl 


CHAI'.  V. — COMMl'MCATIONS  AVEC  l'AMKHIOII:  AU  MOYEN  AGE.    187 

Missent  par  des  raisons  trOs  plausililes  l'existence  en  quatre 

points  du  monde  de  quatre  portions  de  terre  ferme  non  seu- 

-lenient  habitables,   mais  encore  habitées.  En  effet,  selon  les 

philosophes,  la  terre  est  partagée,  ainsi  que  le  ciel,  en  r  •/[ 

zones Comme  le  grand  Océan  divise  deux  fois  chaqre  zone 

tempérée,  elle  est  partagée  en  deux  continents,  ce  qui,  pour  les 
deux  zones,  donne  quatre  continents,  deux  dans  l'hémisphère 
supérieur  et  deux  dans  l'hémisphère  inférieur.  Les  deux  con- 
tinents qui  ont  la  même  longitude  dans  un  hémisphère  différent 
se  font  face,  non  pas,  il  est  vrai,  directement,  et  leurs  habitants 
s'appellent  anthùtes,  c'est-à-dire  placés  les  uns  en  face  des 
autres  ;  les  deux  continents  qui  ont  une  longitude  différente, 
celui-ci  dans  l'hémisphère  du  nord,  celui-là  dans  l'hémisphère 
(lu  midi,  se  trouvent  aux  deux  extrémités  d'une  ligne  qui  passe 
par  le  centre  de  la  terre  ;  aussi  leurs  habitants  sont-ils  appelés 
Antipodes  ».  Albert-le-Grand,  sans  être  aussi  explicite,  admettait 
également  l'existence  de  ce  continent  opposé  (1).  «  Les  mômes 
rliniats,  dit-il,  se  répètent  dans  l'hémisphère  inférieur,  de  l'autre 
côté  de  l'équateur,  où  il  existe  deux  races  d'Ethiopien. ,  ceux  du 
tropique  boréal  et  ceux  du  tropique  austral.  L'hémisphère  infé- 
rieur. Antipode  du  nôtre,  n'est  pas  tout  à  fait  couvert  d'eau  ;  il 
est  en  grande  partie  habité,  et,  si  les  hommes  de  ces  régions 
éloignées  ne  parviennent  pas  jusqu'à  nous,  c'est  à  cause  des 
vastes  mers  interposées  ». 
Le  contemporain  d'Albert-le-Grand,  Vincent  de  Beauvais, 

<<  Nnturalis  philosophiis  prubabili  valdc  ra  Jone  in  (|iiatuor  locis  muiidi  quatuor 
partes  aridas  asserit  apparaisse,  et  singulas  non  solum  habitabilcs  sed  et  liabi- 
lalas  esse.  Docet  enim  quinquc  esse  cœll  terras  vel  cœli  zonas....  Magno 
Oceaiio  utram((uc  zonam  (tempcratam)  bis  dividente  et  sic  quatuor  aridas 
fnriciite,  ita  ut  duiic  quw.  in  cadem  zona  sunt,  altéra  in  inferiori,  altéra  in 
supcriori  hemispherio,  indirecte  quidem,  sibi  contra  posito)  sunt.  Quarum  et 
habitatores  anthctos,  id  est  contra  positos  vocant.  Quœ  vero  in  diversis  zonis 
»unt,  altéra  sursum,  altéra  dcorsum,  qui»  per  médium  terrtc  se  respiciunt, 
dirccta  sibi  contra  positionc  opponuntur,  undc  et  earum  habit.itores  antipodes 
vocant.  » 

(l;  Ai.bert-le-Grand,  ouv.  cité,  fol.  23». 


I    I 


188       PRKMIÈRK    l'AHTIK.    —    LKS    l'RKt.l  RSKIRS    UK   COLOMB. 

cliarfît'i  par  suint  Louis  de  (;oni|)Ost'r  une  sorte  d'encyclopédie, 
put,  dans  son  Spéculum  Quadruplex,  (|ui  se  rattachait  étroi- 
tement à  la  relifîion,  liasard<'r  (piehjues  idées  nouviîlles.  Ainsi 
parlera-t-il  des  terres  situées  au  delà  de  l'Océan,  et  de  la  qua- 
trième partie  du  monde.  <<  Après  les  trois  parties  du  monde, 
dit-il,  et  au  delà  do  l'Océan  s'étend  vers  le  Midi  une  (piatrième 
partie.  Les  ardeurs  du  soleil  nous  empêchent  de  le  connaître  ». 
Comme  on  le  voit,  Vincent  de  Beauvais  n'est  pas  encore  dé}ra}jé 
des  vieux  préjugés.  Il  confond  les  idées  justes  et  les  erreurs,  les 
théories  savantes  et  les  mythes  géographiques,  mais  il  cherche 
pourtant  des  explications  scientifiques.  Ce  fut  le  Pline  de  son 
époque  (1). 

Un  autre  savant  du  xiii''  siècle,  Roger  liacon,  fut  hien  su- 
périeur à  Vincent  de  Beauvais  connue  érudition  et  comme 
intuition  scientifique.  Le  docteur  admirahle,  comme  l'avaient 
si  hien  surnommé  ses  contemporains,  eut,  en  effet,  la  gloire 
d'affirmer  hardiment  que,  d'après  les  lois  de  la  nature,  une 
grande  terre  inconnue  devait  exister  en  Occident,  mais  il  ne 
prétendit  jamais  <jue  cette  terre  fût  inaccessihle  :  «  La  mer, 
dit-il  (2),  ne  couvre  pas,  comme  on  le  prétend,  les  trois  quarts 
de  la  terre.  Déjà  il  est  évident  qu'une  grande  partie  de  ce  quart 
doit  se  trouver  au-dessous  de  nos  régions  habitées,  car  l'Orient 
est  rapproché  de  l'Occident  et  la  mer  (pii  les  sépare  est  petite. 

(1)  Vincent  de  Beauvais,  Spéculum  quadruplex  iiaturah,  liv.  xxxii,  §  l'i, 
|i.  âill  :  <<  Extra  trcs  autcin  partes  orbis  qur.rla  est  trans  Occanum  :  Interior 
est  in  ineridie,  quœ  solis  ardore  incognila  nobis  est  ». 

(2)  Roger  Bacon,  Opiis  majus  .  «  Hoc  igitnr  marc  non  cooperit  ires 
quartas  terrtc,  ut  œstiinetur. . . .  Jam  patet  quod  niultuni  de  quartu  illa  sub 
nostra  erit  habitatione,  propter  hoc  quod  principia  Orientis  et  Occidentis  sunt 
propc,  quia  marc  parvuni  ea  séparât  ex  altéra  parte  tcrroc,  et  ideo  babitatio 
intcr  Orientcm  et  Occidentem  non  erit  medietas  œquinoctialis  circuli,  nec 
medictas  rotunditatis  terroc.  Quantum  autem  hoc  sit,  non  est  temporibus 
nostris  mcnsuratum,  nec  invenimus  in  libris  antiquorum,  ut  oportet,  certill- 
catum  ;  nec  mirum  quoniam  plus  medietatis  terro) ,  in  qua  sumus,  nobis 
ignotum.  .Manifestum  est  igitur  quod  a  fine  Occidentis  usque  ad  finem  Indite 
supra  Isrram  erit  longe  plus  quam  medietas  terrie  » . 


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cil  Aï».  V.  — COMMUNICATIONS  AVRC  l'aMÉRIOIE  Ai:  MOYEN  AGE.  180 

Aussi,  la  terre  lml)it('e  entre  l'Orient  et  l'Ooeident  ne  d«''passe- 
l-elle  pas  la  moitié  du  cercle  é(|uino\ial.  ni  le  milieu  de  la  sphère 
céleste.  Mais  (juelle  est  cette  d: -tance?  (Jn  ae  l'a  pas  mesurée 
(le  notre  époque,  et  les  l'vres  anciens  ne  nous  donnent  à  cet 
éirard  aucun  renseif?nement.  Qu'y  a-t-il  donc  d'étonnant  si  plus 
de  la  moitié  de  la  terre  (|ue  notis  habitons  nous  est  inconnue? 
Il  est  donc  manifeste  (joe,  depuis  rextréme  Occident  jusqu'à 
j'i-xh-éme  Inde,  il  doit  y  avoir  une  surface  comprenant  plus  de  la 
iriititié  de  terre  ». 

Ainsi  donc,  par  la  seule  fon-e  du  raisonnement,  Roger 
Maçon  (l)  avait  compris  qu'il  devait  exister,  en  opposition  à  notre 
continent,  une  autre  grande  terre  jusqu'alors  inconnue,  et  cette 
terre  il  affirmait  ([u'on  la  découvrirait  dans  l'espace  qui  sépare 
l'extrémité  occidentale  de  riîurupi;  de  l'extrémité  orientale  de 
rinde.  Il  était  impossible  de  mieux  indiquer  la  position  de 
l'Amérique.  Malheureusement,  Iiors  des  cloîtres  et  des  univer- 
sités, personne  ne  connaissait  les  conclusions  du  docteur  admi- 
rable. On  s'efforçait  même  de  les  cacher,  car  ce  don  de  prophétie 
clfrayait  et  il  fallut  la  toute  puissante  protection  du  pape 
(lléinent  IV  pour  rendre  à  la  liberté  le  pauvre  moiius  jeté  en 
prison  parce  qu'il  axwiit  été  supérieur  à  son  siècle. 

Le  terrain  n'en  était  pas  moins  bien  préparé,  et  bientôt 
s'imposèrent  ces  doctrines,  qui  d'abord  n'avaient  excité  que  des 
iléliances.  Ce  qui  surtout  contribua  à  répandre  ces  théories 
nouve"es,  ce  fut  la  persuasion  où  l'on  était  que  la  distance  qui 
sé|)arait  l'Europe  de  l'Inde  dans  la  direction  de  l'Atlantique 
n'était  pas  considérable.  Nous  savons  déjà  que  les  anciens 
croyaient  à  la  proximité  de  ces  deux  continents  (2).  Aristote 

(1)  llogcr  Bacon  Tut  un  véritable  rcfonnateur.  Ce  puissant  génie,  le  véritable 
riiiidaleur  de  la  science  expérimentale,  annonce  et  prépare,  pour  ainsi  dire, 
les  inventions  des  siècles  postérieurs  :  ballons,  leviers,  lunettes,  cloches  à 
jdongenrs,  armes  à  feu.  paquebots  et  chemins  de  fer.  Voir  dans  la  Biographie 
nnivenellp.  de  Didot  Hœfer  l'article  Roger  Bacon,  et  surtout  VÉtiide  sur 
Hof/cr  Bacon,  par  Charles. 

(2)  Voir  plus  haut,  chapitre  iv,  p.  154-137. 


li 


100       PRKMIi:»K    PARTIK.   —   LKS    l'RKCIRSKlJHS   DE   COLOMB. 


s'était  à  ce  propos,  et  ;'i  diverses  reprises,  expliqué  très  c.liiire- 
ment.  Or  Arist<»te  fut  iefiraad  éducateur  du  moyen  âge  (1).  Ses 
ouvrages,  traduits  dans  toutes  les  langues  de  l'Europe,  formèrent 
comme  le  fonds  commun  de  la  philosophie  et  de  la  science. 
Ses  principes  furen*  aveuglement  acceptés  et  commentés  avec 
passion.  Il  suffit  (î  |)arcourir  les  ouivres  des  maîtres  les  plus 
autorisés  de  la  scheiasticpie  pour  se  rendre  compte  de  rintluence 
qu'il  exerça.  Souvent  on  se  contente  de  le  traduire,  parfois  (»n  le 
paraphrase,  jamais  on  ne  le  discut(î.  Voici  comment  Averroc's 
le  plus  céléhre  de  ses  interprètes  Arahes,  s'exprime  au  sujet  de 
sa  conjecture  sur  le  peu  d'éte"dne  de  l'Atlantique  (2)  :  «  Aristote 
donne  la  preuve  suivante  de  ai  petitesse  de  la  terre  :  c'«;st  que 
l'horizon  des  lieux  où  les  statues  d'Hercule  sont  placées,  c'est- 
à-dire  l'extrémité  occidentale  de  la  mer  hahitée,  est  proche  de 
son  extrémité  orientale,  et  qu'entre  les  deux  régions  il  existe 

une  seule  nier   continue Aristote   ajoute   que  ces  deux 

contrées  sont  peu  éloignées,  parce  qu'elles  produisent  l'une 
et  l'autre  des  éléphants.  En  effet  les  animaux  qu'on  ne  rencontre 
pas  dans  tous  les  pays,  mais  dans  un  seul,  sont  particuliers  à 
ce  pays,  par  la  raison  que  c'est  là  le  climat  approprié  à  leur 
nature.  Dès  lors  les  régions  qui  les  produisent  ne  sauraient  être 
à  une  distance  hien  éloignée,  car  l'éloignement  suppose  en 
général  la  dissemhlance  ». 

Les  écrivains  du  treizième  siècle  les  plus  familiers  avec  le 
péripatetisme  et  la  philosophie  musulmane,  Alhert  le  Grand, 
Saint  Thomas,  Roger  Bacon,  s'expriment  en  termes  à  peu  près 
identiques.  Le  premier,  dans  son  Commentaire  du  iraité  du 
ciel  et  du  monde,  dit  expressément  qu'entre  l'horizon  de  ceux 
qui  hahitent  près  de  Gadès,  et  l'horizon  des  Indiens,  il  ne  peut 
exister  qu'une  mer  de   médiocre  étendue;  (3).  Saint  Thomas 


(1)  Jourdain,  Recherches  sur  l'dge  et  l'origine  il<'s  traductions  latines 
d'Aristol"  —  Id.,  De  ^influence  d'Aristote  et  de  ses  interprètes  sur  la 
découverte  du  Nouveau-  Monde. 

(2)  Jourdain,  ouv.  cite,  p.  17. 

(3)  Albert  le  Grand,  De  cœlo  et  mundo.  liv.  ii.  Tract,  iv,  §  11,  i.  Il, 


CHAI».  V.  — COMMUNICATIONS  AVEC  l'aMKRIQL'E  AU  MOYEN  AOE.    191 

n'viciil  à  deux  reprises  sur  cctto  tliéorii'.  Uuns  sou  /•Sx/msitinn 
des  linrs  du  ciel  et  du  mnude,  il  reproduit  l'Iiypollièse  de  lu 
proximité  du  «continent  orienta!  et  de  rcxtréinité  des  côtes 
d'Kspafine  et  (i"Afri(jue  (1).  Dans  soti  (^tnniiirulairr  des 
Mi'lritrt's,  il  iiidi(}ue  seulement  que  l'IJcéaii  .Vtlanti<|Vie  a  deux 
rivafîes  opposés,  lun  aux  colonnes  d'Hercule,  l'autre  à  l'ex- 
trémité orientale  de  l'Asie  (2).  Roger  Hacon  reprend,  en  les 
déveioppiuit,  les  arffunients  d'Aristote  (3),  et,  avec  la  netteté 
ordinaire  de  son  esprit,  démontre  la  possibilité  de  la  navifjation 
entre  les  deux  continents.  Il  semhie  dès  lors  (pie  cette  croyance 
soit  admise  par  tous,  car  nous  la  trouvons  enseignée  par  les 
professeurs  de  l'université  de  Paris,  par  exemple  par  Nicolas 
Uresme  et  par  Pierre  d'Ailly  (4). 

Ces  diverses  théories  dénotent  chez  les  savants  qui  les  mirent 
en  circulation  une  singulière  connaissance  de  la  forme  générale 
de  la  terre.  Que  si  nous  changeons  les  noms,  et  faisons  dispa- 
raître (juel(|ues  erreurs  qui  sont  comme  le  signe  de  répo<|ue, 
la  |)lupart  des  passages  que  nous  av(jns  cités  ne  seraient  pas 
déplacés  dans  les  ouvrages  modernes.  H  est  certain  qu'Alhej't  le 


|i.  HO  :  «  liitcr  cniin  orizontcm  habiluiitiiim  iii  climiitu  illo  juxla  (Indes  Hcr- 
culis,  et  iiri/oiitein  liabitaiiliuin  iii  liidia,  non  est  iii  niudio,  iil  diciint^  iiisi 
i|uoddaiii  mare  parviitn  ;  scd  marc  dcnaiiuin  meta  est  clinialis  illius  ex  occi- 
dciitali  parte  ». 

(1)  Saint  Thomas,  cité  par  Jourdain,  p.  21  :  »  Et  idco  non  videntnr  valde 
inciedibilia  opinari  qui  volunt  coaplare,  secunduni  similitudineiu  et  piupiii- 

ipiitatein,  locnm  in   exlremo  occidentis  situm loco  qui  est  ciica   mare 

Indicum  in  exlremo  Oricnlis,  et  dicnnt  nnum  esse  mare  Oceanuni  quod 
coiitinnat  n traque  loea  ». 

(2)  lu.,  p.  22  :  <•  Quod  est  circa  terniinuni  Indicum,  ex  parte  Oricntis,  et 
quod  est  circa  columnits  Herculis,  ex  parte  Occidentis,  non  videntnr  posse 
copiilari  ad  invicem,  ut  sit  reditns  ex  alia  parte,  et  sic  tota  ista  porlio  terrœ  sit 
liabitabilis  continue,  quia  impeditur  accessus  propter  mare.  » 

(3)  Rouer  Bacon,  Opiis  majus  (édit.  1750),  p.  137  :  «  Et  vocatur  Oceanus, 
ut  principiuni  Indiic  possit  esse  multuin  extra  mcdietatem  ci|ninoctialis  circuli 
sub  terra,  accedcns  valdc  ad  flnein  Hispaiiii».  » 

(V)  Nicolas  Oresme,  Traité  de  la  sphère,  tout  le  clia|iitre  des  climats.  — 
Pierre  h'Aii-ly,  Imago  mttndi,  §  4'J. 


VM     imu:mikiik  pahtik.  —  i.ks  i'HKciuskuhs  i>k  colomii. 


(iriin<i,'(|U(*  Viiici'iit  de  licaiivais,  Saint  Thomas  et  Ilojrcr  Hacoii 
oui  «Icvaiico  leur  siôclc,  qu'ils  cNiTcrrciit  nue  (diissantc  influence 
sur  leurs  coiiteiniMirains  et  (|u'ils  coiilirnièreut  dans  leurs 
au(ta(;ieu\  projets  les  marins  (|ui  déjà  s'aventuraient  sur 
l'Océan. 

Parmi  les  savants  dont  les  d'uvres  eurent  à  travers  les  Ages 
comme  un  long  retentissement,  Dante  mérite  une  place  i\  part, 
(let  Homère  chrétien  d<»nt  les  poèmes  étaient  déjà  vivement 
goûtés  par  set  cunteinptu'ains,  parle  à  diverses  reprises  des 
ï'toilos  de  l'autre  hémisphère  et  des  continents  inconnus . 
«  (J  frères,  dit  son  f/h/ssi-,  vous  (pii  à  travers  mille  périls  êtes 
parvenus  jusqu'à  cet  Occident,  si  peu  «ju'il  vous  reste  encore  à 
jouir  de  vos  sens  éveillés,  ne  vous  refusez  pas  à  la  gloire  de 
•découvrir  par  delà  le  soleil  un  monde  encore  inliahité  ». 

0  fralli,  dissi,  che  per  cenlo  uiillie 
Perigli  sitHe  giunti  ail  Occidenle, 
A  quesla  tanto  picciola  vigilia 
De  voslri  seiisi,  che  del  rinianente, 
Non  vogliate  negar  l'esperienza 
Diretro  al  sol,  del  niundo  seiiza  génie. 

Quand  les  hardis  marins  se  sont  décidés  à  suivre  leur 
•capitaine,  <(  notre  poupe  au  levant  et  le  gouvernail  prenant 
à  gauche,  nous  fîmes  des  ailes  à  ce  vol  insensé.  Déjà  la  nuit 
voyait  se  déployer  devant  elle  toutes  les  étoiles  de  l'autre 
hémisphère  ;  l'astre  polaire  ne  se  montrait  plus  qu'à  l'extré- 
mité de  l'horizon  :  nous  avions  vu  cinq  fois  reparaître  le  gloh»; 
argenté  de  la  lune,  depuis  que  nous  entreprenions  ce  grand 
voyage,  quand  nous  aperçûmes  une  montagne  que  la  distance 
rendait  encore  obscure,  et  qui  était  la  plus  haute  que  j'eusse 
encore  observée.  Nous  nous  livrâmes  à  une  joie  qui  bientôt  se 
changea  en  douleur.  Il  s'éleva  de  cette  terre  nouvelle  un  tour- 
i)ilIon  qui   vint  frapper   la  proue   du    vaisseau;  trois  fois  la 


i 


(I)  Dante,  l'Enfer,  chant  xxvi,  terzo  45  et  suiv. 


m 


CHAI'.  V. — COMMUNICATIONS  AVKC  l'aMÈHIQIE  AU  MOYKN  A(1K.   lOIi 


t('tii|MMt'  (if  toiirticr  U-   navir»',  puis  «'Ile  fracassa  la  poupe,  ft, 
niiniiic  il  |»lut  à  Dieu,  I'Ociniii  se  reforma  sur  nous  ». 

,  Tulle  It!  slelle  qim  dt'll'  allro  polo 
Vidt'a  la  nollc,  ol  iioslio,  laiilo  basso 
Che  linn  siirgcr  à  fiior  dcl  inaiin  siiolo... 

(jiiaiulo  lu'apparvt-  iina  iiioiitagua  bruna 

I»er  la  dislaiizia,  e  perveiiiii  alla  lanto 
Quanto  vedula  non  n'avero  alcuna 

(le  passa},'('  a  siii^'ulièreineut  préoccupi''  Icïs  l'oinnientateurs 
de  Dante.  Lt^s  uns,  (iran};ier,  Moutonnet,  Venturi  et  Lombardi, 
croient  (jue  le  poète  entend  par  cette  iiiontag:ne  la  montagne 
du  l*urffatoire,  au  liant  de  la((uel!e  il  |)lace  le  Paradis  Terrestre. 
Uivarol  rappelle  «|ue,  du  t«'mps  de  Dante,  «  il  courait  déjà 
(piebptes  bruits  (pi'il  existait  un  autre  inonde  au-delà  des 
mers  ».  (Jinguéné  l'auteur  trop  dédaigné  d'une  excellente  bis- 
toirc  de  la  littérature  italienne  (1),  remarque  avec  raison  que 
Dante  était  un  des  savants  de  son  époque  le  plus  au  courant  des 
trjiditi(»ns  anti(|ues  et  dt!s  théories  nouvelles,  et  il  ajoute  : 
"  Ne  serait-il  |)as  possible  cpie  Dante  eût  eu  (luehpie  connais- 
sance ou  quelque  idéci  de  la  grande  catastrophe  de  Pile  .\tlan- 
fide,  qui  paraît  avoir  été  [»lacé(;  dans  l'Océan  qui  porte  son 
nom  ;  que  cette  montagne  d'où  s'élève  un  tourbillon  destructeur 
l'ut  le  volcan  de  Ténériffe  qui,  depuis  longtemps  éteint,  domine 
sur  les  Canaries,  anciens  débris  de  la  grande  île,  et  qu'enfin  le 
poète  eût  voulu  consigner  cette  tradition  dans  son  ouvrage?... 


1)  GiNf.UENÉ,  Histoire  de  la  littérature  Italienn»,  1  U,  p.  108-100.  — 
foici  l'appréciation  de  Cantu  dan»  son  Histoire  Uîiiven  ..'e  ;  «  Nous  placc- 
l'iins  parmi  les  hommes  de  suiuneu  Dante  Ali^hieri,  qni  sut  tout  ce  (|uc  l'on 
connaissait  de  son  temps,  et  pressentit  quelques-unes  des  connaissances  ulté- 
rieures. 11  indique  clairement  les  antipodes  et  le  centre  de  {gravité  de  la 
terre.  Avant  Newton  il  assigna  à  la  lune  la  cause  du  flux  et  du  reflux  ;  avant 
(îalilée,  la  maturation  des  fruits  par  la  lumière  ipii  on  fait  évaporer  l'uxyi^ènc  ; 
avant  Linné  il  déduisit  de  leurs  orgaues  sexuels  la  classidcation  des  végé- 
taux  ;  avant  Leibniz  il  signala  le  principe  de  la  raison  suffisante  ;  avant 

liucon  il  indiqua  l'expérience  comme  la  source  d'où  dérivent  nos  arts  humains». 
T.  I.  13 


I 


19i       l'Rr.MIKHIC    l'ARTIi:.    —    LKS    l'RÈCURSEIRS   I)K   COLOMH. 


Il  ; 


1 


I' 


Ne  poiirrait-oii  pas  cndro  aussi,  cl  pfiit-tMrc  avec  plus  de 
vraisciiihlunce,  (pic,  (pioicpu;  rAiuci'i(|uc  ne  fut  |ias  «'iicoro 
découverte,  il  courait  déjà  des  bruits  de  rexistcuce  d'ua  autre 
monde,  au-delà  des  mers,  et  (pie  Uaute,  attentif  à  recueillir 
dans  son  |)oème  toutes  les  coimaissanccs  ac(|uises(le  son  temps, 
lie  né^lif^ea  pas  même  ce  iiruit  si  iiii|)ortaiit  par  son  ohjfl, 
tout  c(»ufus  (pi'il  était  encore?  » 

CiCtte  explication  nous  semhie  très  plaiisiitle.  On  peut  à  lion 
droit  c(»iisidérer  la  Diriin'  CniiK'dic  coiiiiik!  le  résumé  des 
connaissances  de  l'épocpie.  Sans  doute  les  indications  du  j)octe 
man(|ueiit  de  [irécision,  mais  Strahon,  c(^  juge  sévère,  accordait 
à  Homère  la  foi  la  plus  absolue.  Pounpioi  traiter  Dante  avec 
plus  de  rigueur?  Son  ouvrage  est  de  pure  fiction,  et  ce  n'est 
pas  à  un  poète  (|u"il  faut  demander  toute  la  rigueur  d'un  rai- 
sonnement scientifique.  Que  ce  soit  de  sa  [)art  de  l'érudition  ou 
de  l'intuition ,  un  écho  des  voyages  contemporains  ou  une 
création  |)(jéti(pie,  Dante,  dont  Colomb  aimait  et  appréciait  le 
génie,  a  dû  exercer  sur  son  esprit  une  certaine  iidluence,  et,  plus 
d'une  fois,  dans  ses  longues  méditations,  le  futur  amiral  dut 
relire  les  merveilleuses  aventures  de  l'Ulysse  Dantes(]ue. 

Aussi  bien  ce  n'est  pas  le  seul  passage  de  la  Divine  Comédie 
qui  prouve  que  son  auteur  avait  des  notions  plus  étendues  (pie 
les  cosmograpbes  de  son  temps,  et  comme  le  pressentiment  des 
futures  découvertes.  Souvent  il  fait  allusion  à  la  sphéricité  de 
la  terre,  et  le  Paradis,  qui  surmonte  la  cime  de  la  montagne  du 
Purgatoire,  est  situé  selon  lui  dans  les  mers  de  l'hémisphère 
austral,  aux  antipodes  de  Jérusalem  (1).  11  parle  aussi  plus 
d'une  fois  des  étoiles  nouvelles,  et  mentionne  même  la  plus 
brillante  des  constellations  australes,  la  fameuse  croix  du 
Sud  (^)  :  «  Je  me  tournai  à  droite  pour  considérer  l'autre  pijle; 
j'aperçus  quatre  étoiles  cjui  ne  furent  jamais  observées  que  par 


(I)  0A.4TE,  Purgatoire,  chant  iv,  xxi. 
(2)lD  ,  Purgatoire,  I,  22. 


CUAI'.  V.  —  COMMl MCATIONS  AVEC  L'aMKHIOI  K  Al   MOYEN  AdK.    195 

les  premiers  liahilants  de  la  lerre.  L«'  eiel  paraissait  se  réjouir 
(le  leur  éclat.  ()  eontrée  du  nord,  toi  <|ui  ne  peux  eontetnpier 
CCS  astres  él»louissauts,  (pie  je  te  plains  dans  ton  veuvage!  » 

In  ini  voisi  a  nian  désira,  e  poHJ  mente 
Ali'alli'o  polo,  e  vidi  (piattro  slelle 
Non  visle  mai  ftior  (ir.illa  prima  ^'eiile, 
(iodcr  pareva  l'ciid  di  ior  liammello. 
t)h  !  stïtlcnU'ioiial  vedovo  site, 
Poi  che  privato  se  di  misar  quelle  ! 

Ces  (pjutro  étoiles  sont-elles  iinajîinaires  ?  Telle  est  ropiiiion 
de  Streckfuss,  eotnrnentafeur  allemand  de  la  Divine  (Comédie  (I), 
mais  il  est  bien  peu  pr(d)al>le  que  Dante,  (jui  vient  d'énu- 
méror  plusieurs  étoiles  sur  le  nom  et  la  position  destpielles 
aui'un  doute  n'est  possil)le,  ait  de  lui-même  inventé  la  Croix  du 
Sud?  Aurait-il  jiropliétisé  son  ajiparilion  (i),  ou  l)ien,  connue 
le  croit  un  autre  de  ses  commentateurs,  Lomiuirdi,  ces  (piatre 
étoiles  ne  sont-elles .(pi'un  symbole  des  vertus  cardinales?  Sans 
av(»ir  l'esprit  prophéti(jue,  et  surtout  sans  faire  de  la  théologie 
astronomique,  Dante  entendit  sans  doute  parler  de  cette  hrillunl»* 
constellation.  La  Croix  du  Sud  est  visible  dans  le  sud  de  l'Egypte 
et  dans  l'Ilindoustun  (3).  C'est  peut-être  de  cette  constellation 
(pie  parlait  déjà  Aristotc,  quand  il  faisait  remarquer  qu'on 
V(jyait  en  Egy[)te  des  étoiles  qui  ne  brillaient  point  dans  notre 
liémisphère  (V).En  tout  cas,  à  l'époque  à  laquelle  écrivait  Dante, 
le  1310  à  1314,  les  négociants  Pisans  ou  Vénitiens  fréquentaient 
(b'jà  ces  contrées,  et,  par  conséquent,  a\ aient  observé  la  constel- 


(1)  Streckfuss,  Die  Goettlvhe  Comœdie,  p.  179,  228  (1834). 

ii)  Ainsi  le  croyait  un  des  plus  anciens  commentateurs  du  Dante,  Andréa 
Corsali.  Voir  sa  lettre  à  Codius,  du  ('(janvier  1515,  ins(;'rée  dans  la  RaccoUa 
<li  Viarjiji  do  KaMUSIo  (I,  177). 

(3)  Lettre  de  l'amiral  Rossel  '■  Artaud  de  Montor  (traduction  de  Dante, 
p.  178).  —  HcMBOLDT,  Histoire  n.  la  Géographie  du  Nouveau  Continent, 
t.  Il,  p.  ;i23. 

|4)  Abistote,  De  cœlo,  II,  14  :  a  "Eviot  yàp  iv  'AiYti::T«i>  fxàv  Mzépzi 
ùocSvTai  /.ai  nepi  Kû;;pov,  èv  Totî  Jîpôç  «pxiov  3e  yç^oipioi;  où)^  ôpwvToit  ». 


VM 


»       rilKMIKItK    l'AItTIK 


i,i;s  l'iiKci'iisiM'iis  m:  coi.omh. 


f:  M     1 


lidioii  (le  la  (îroix  «lu  SikI.  Lt-s  Arnlics,  i|iii  se  sont  n'-|iaii(|iis 
«laiis  loiilcs  les  ilin'ctidiis,  et  iliiiit  les  roiiiiaissaiiccs  s(i('iilili(|ii('s 
<l(''iii(»iitn'iil  «lu'ils  riifciit  les  v«''rila!)lt's  lit-rilitTs  de  It-coh- 
(l'AlcxaiKlfic ,  avaiciif  cf^alfiiicnt  sif.Mi.ilt''  ('cltc  cuiistcllatioii. 
(Ju('l(|ii('s-iiiis  lit'  Icnis  |»laiiis|»li('r('s  avaient  |»i'iil-iHn'  passé 
snus  les  yeux  (lu  |K»t"'t('.  Il  existe  un  fclolte  dressé  en  ICj^ypte  par 
(laïssar  l>eu  aheu  C.asscui,  en  li:J.'i,  Iniifrteuips  ctniservé  eu  Por- 
Ui\in\,  accpiis  eu  l"Si  par  le  rardiiial  llur^^ia,  <U  (pii  a  été  l'dhjet 
d'un  savaul  travail  d'Asseuiaui  «le  Tripoli,  en  1"!H)  i  I).  (le  ^Itihe, 
où  l'on  distin^'ue  la  (îmixdu  Sud,  uii  tout  autrt!  iiUAw  analuf^ue, 
fut  peul-(Hre  (-(insulté  par  Dante.  D'ailleurs,  si  l'on  admet  (pie 
Dante  a  ('(Hinu  ces  étoiles,  j;ràc.(î  aux  n(''^'(i(iauts  Italiens  venant 
do  l'Orient  ou  aux  planisphères  arabes,  il  n'est  pas  telleuieiit 
coutraire  au  l)(tr'  sens  de  suppttser  (pie  ces  rensei^'neineuls 
peuvent  lui  avoir  été  donnés  par  des  voya^^eurs  ou  des  cosuio- 
};raplies  «pii  avaient  vu  la  (Iroix  du  Sud  dans  les  mers  Occi- 
dentales. Les  Vénitiens  et  les  (léiiois,  dès  les  premières  années 
du  xiv"  siècle,  s'étaienl  d('Jà  Tort  avancés  dans  l'AtlaulitpK'  et  le 
loii},' des  (  ôles  (r.\rri(pie,  I(îs  (lénois  surt(»ut  (pii  avaient  donné 
à  rarcliipel  de  Madère  des  dénominations  Italiennes  {'i).  Il  est 
donc  possilile  (|ue  ce  soit  par  des  rapports  occidentaux  (pie 
Dante  ait  eu  connaissance  de  la  (Iroix  du  Sud,  et  uiénie,  ce 
devait  être  une  notion  fort  l'épaiidiie,  car  le  poète  n'en  parle  (pie 
par  allusion,  comme  s'il  devait  être  com|iris  de  tous.  La  vision 
de  Dante  iittllVe  donc  rieii  de  siu^iulier,  et,  si  les  comnieu- 
tateurs  se  sont  émerveillés  de  sa  science,  c'est,  comme  le  re- 
mar(|ue  avec  es|)ril  un  de  ses  traducteurs,  .Artaud  de  Montor, 
f|ue  l(!s  lcct(!urs  de  vers  ne  lisent  pas  Uîs  livres  des  savants,  ou 
l>i<!n  que  les  lecUîurs  des  oiivrajics  des  savants  ne  lisent  pas  les 
écrits  des  poètes. 

(Il  Simon   Assbmani  ,  (Holtu^   nrle^ti^   Ciifim  Arnliiru*  Muxei  Hofi/iiiiii 
iHiisfrntus,  Pmloiic,  1710. 

2)  D'AvK/AC,  Sotire  d>'x  diirnurerti's  /'ailes  au  iiioi/fn-tUff!  (lima  l'Oconn 
Atlantiijur  antéfinireinent  aitx  f/raiiilfs  exiilortitioiis  Portiii/aises  du 
XV»  siMe  (Nouvelle»  amiiiles  îles  V()yin;(.'»,  184")). 


CIIAP.  V.  —  CdMMrNICATIONSAVKC  l/AMl^JlUOri:  AU  MOYK.N  ACK.    107 


Il  lions  r.'iudni  r(>|H'ii(laiit  faii'c  iitic  ('\('('|iti<iii  |i(iiir  (loloinlt. 
Il  liniiit  D.'iiilc,  et  ii(>  iK'^Mip'ait  pas  pour  anluiit  la  lecture  de» 
ouvrages  scieiitiiupies.  Il  est  vrai  (pie  e'est  à  ics  derniers  ou- 
vrages ipi'il  réservait  sa  prédilertioii  et  particiilièreiiieiit  aux 
travaux  d'iiii  de  nos  ciinpatriotes,  IMerre  d'Ailly  (I),  (pi'il  cite 
sans  cesse,  et  (pi'il  seinide  c(»iisi(lérer  conuiie  un  maître  in- 
faillilile.  Bien  (pie  Pi(>rre  ne  soit  (pTuii  simple  compilateur, 
souvent  (l(''pourvu  de  criti(pie,  rr  fut,  en  cMet,  dans  les  (''ci  ils  du 
cardinal  arclutvtMpie  de  C.amhrai  ,  et  spi'-cialenient  dans  son 
fni(i(/(t  Mintd'i,  (pie  l'amiral  [misa  ses  principaux  arguments  et 
s'initia  aux  tli(''ories  anti(pies.  On  conserve  eiic(»re  à  S(''ville  {^) 
\\\\  exem[»laire  ini|irim('>  en  liîM>,  avec  des  cara(t("'res  gotliirpies, 
(le  V/iiKit/d  Miiin/i  du  cardinal  (rAill>  '^ur  les  feuillets  de  garde 
sont  dessiiK'es  et  tn^'s  liahileinent  colori(''es  des  spli(''res  armil- 
laires.  Les  marges  sont  couvertes  d('  n<»tes  r(''(lig(''es  en  latin, 
d'une  ('criture  fln«^  et  serive,  trac<''e  de  la  iiK^me  main  (pii  a  pa- 
reillement anu(»ti'  le  Marco  l»ol(»  (•diU'i  par  KraïK'ois  de  l'epuris 
et  l'histoire  d'/Kneas  Silvius.  Toutes  ces  iKttes  sont  altrihiK-es 
;i  (lolomi)  (.'{).  Il  avait,  en  ell'et,  beaucoup  prati(pi('>  Pierre  d'Ailly, 
et  aimait  à  le  citer,  parce  (pi'il  lui  l'ournissait  les  sources  an- 
ciennes dont  il  avait  hesoin,  et  (pie  de  plus  il  ('tait  nMwuinii  et 
ap|irouv(''  [i.ir  l'Kglise.  Dans  une  lettre  de  1 108,  a(lress(''(;  d'Haïti 
.iu\  iiKuianpies  (Cspaginds,  (lolomlt  cite  ou  plut('it  traduit  tex- 
tuellement t(tnte  une  page  de  V/nidffti  Miindi  [K).  Il  y  trouvait 
non  seulement  r(''nuinerati(»n  des  auteurs  anciens  (pii  cndent  i\ 


(t)  DiNAix,  Ndtir.f!  hutovUiuc  et,  littiirtiirr  sur  /'.  il'Ailly  (C(iinl)r.'ii,  18:?4), 
2)  IIariussk,  liihlinfherd  niurriruiKi  rrfus/iHsimii,  Additidiis,  p.  xv. 

(;))  (le  livre  |ior''î  anjoiird'liui  la  rubn(|iifi  (i.  (J.  178-'J1.  Las  Casas  avait 
déjà  si/iiah';  ce  vuliiino  ^l^iv.  I,  fj  28,  l.  I,  .')I3)  :  «  Yo  hali(!,  en  urio  libro  viojo 
di!  (".risl(il)al  ('.(don,  de  las  obras  de  {'«dro  d<!  Aliac» escritas  esta»  pala- 
bras en  la  iiiarKcti  del  tralado  de  iniaKiiu*  iiiiiiidi  ». 

(4)  Navahkktk,  o(iv.  cil(';,  l.  I,  p.  409.  c  Kl  Aristotel  dice  (|uc  este  miiiido 
es  pe(|ii(Mi  oy  es  (d  agiia  riiiiy  poca,  y  (|U(!  i'acilriieiile  se  |uiede  |iasar  de  KspanA 
a  In»  Indias,  y  (!slo  (■,nrillr(na  el  Avcroys  y  le  aleiça  el  cardeiial  Pednt  de 
Aliaco,  aulorizaiido  este  dieir  y  aqnal  de  SeiiC(a,  etc.  ». 


T 


108       F'HHMIKRE    PARTIR.     -     LES    PRÉCURSGI'RS   DE   COLOMB. 

la  facilité  d'une  communication  entre  l'Atlantique  et  la  mer  des 
Indes,  mais  encore  l'opinion  du  cardinal  qui  l'encourageait  dans 
ses  propres  idées  (1).  «  En  allant  d'un  pôle  à  l'autre,  écrivait 
Pierre  d'Ailly,  la  mer  s'étend  entre  les  dernières  limites  de 
l'Espagne  et  le  commencement  de  l'Inde  ;  l'eau  couvre  les  trois 
quarts  de  la  terre.  Donc  les  parties  extrêmes  de  l'Occident  et  de 
l'Orient  sont  très  rapprochées (2),  attendu  qu'une  petite  merles 
sépare  »  ;  et  plus  loin  (3)  :  «  Il  y  en  a  qui  disent  que  la  région 
située  entre  le  tropique  d'hiver  et  le  cercle  antarctique  est  d'un 
climat  tempéré,  et  aussi  hien  habitable  que  la  région  où  nous 
sommes.  Ils  disent  aussi  qui\  y  a  des  Antipodes  qui  peuvent 
occuper  des  régions  et  des  habitations  comme  nous,  et  qui  ont 
l'hiver  quand  nous  avons  l'été,  et  réciproquement  le  printemps 
quand  nous  avons  l'autonme  ;  mais  il  n'y  a  pas  de  communi- 
cation entre  les  Antipodes  et  nous,  à  cause  de  la  zone  torride  et 

des  chaleurs  tropicales Au  reste  pour  des  questions  de  ce 

genre,  ce  n'est  pas  tant  sur  l'imagination  que  sur  l'expérience  et 
les  probabilités  qu'il  faut  fonder  sa  croyance  (A)  ». 

Assurément  ces  théories  sont  fort  discutables  :  mais  que 
signifient  et  cette  affirmation,  si  souvent  répétée,  de  ia  petitesse 
relative  de  la  mer  qui  sépare  l'Espagne  de  l'Inde,  et  ces  vagues 
pressentiments  d'un  monde  nouveau  ?  Est-ce  un  simple  écho 
des  traditions  antiques  ?  Est-ce  plutôt  prescience  de  l'avenir? 
On  comprend  qu'un  esprit  mystique  et  exalté,  comme  l'était 
Colomb,  ait  été  singulièrement  impressionné  par  cette  lecture. 
La  parole  de  l'Evangile  :  et  in  omnem  terram  exivit  sonus 
eorum  (5),  ne  s'est  pas  encore  accomplie,  avait  écrit  Pierre 

(1)  Pierre  d'Ailly,  Explicit  Ymago  mimdi  de  scriptura  et  e.r  pturihus 
auctoribus  recollecta,  anno  Domini  1410,  sans  date. 

(2)  Id.,  Quià  principium  Orientis  et  Uccidentis  sunt  prope,  qiium  mare 
parvum  ea  separet  ex  altéra  parte  terrtc. 

(3)  Id  ,  Voir  tout  le  chapitre  vu  de  l'Imago  mundi,  intitulé  :  de  Varietate 
opinionum  circa  habitationem  terrx. 

(4)  Id.,  «  In  his  rébus  non  tam  imaginationibus  quam  experimcntis  et 
probabilibus  historiis  rcputo  certitudinaliter  adhaerenduni  ». 

(5)  Psaume  xix. 


niAP.  V.  — COMMUNICATIONS  AVEC  L'AMÉRIQUE  AU  MOYEN  AQE.  199 


(l'Ailly  .  aussi  Goloml)  quand  il  aura  découvert  l'Amérique, 
s'imaginera  avoir  prouvé,  par  ses  voyages,  les  paroles  du  psal- 
miste  :  à  tel  point  que  l'auteur  du  premier  psautier  polyglotte, 
imprimé  à  Gènes,  en  131G,  par  l'évéque  de  Nebbio,  Giustiniani, 
donnera,  dans  les  notes  de  son  ouvrage,  une  courte  biographie 
de  Colomb,  en  guise  de  commentaire  à  ce  verset  (1). 

Pierre  d'Ailly  est  donc  un  de  ceux  qui  exercèrent  la  plus 
grande  influence  sur  les  détermination  de  Colomb,  et  son 
ouvrage  jette  le  jour  le  plus  vif  sur  les  connaissances  de  l'époque. 
On  était  alors,  pour  ainsi  dire,  dans  l'attente  d'un  monde 
i)ouveau.  De  nombreuses  cartes  témoignent  à  la  fois  des  progrès 
de  plus  en  plus  marqués  de  la  géographie  et  de  la  croyance 
persistante  à  une  terre  transoccanique.  On  n'avait  donc  pas 
encore  retrouvé  l'Amérique,  mais  la  notion  de  ce  continent 
flottait  confuse  et  inconsciente  dans  tous  les  esprits,  aussi  bien 
que  de  nos  jours,  bien  que  personne  n'ait  encore  pénétré  au 
p(Me  Nord,  on  sait  vaguement  que  le  jour  de  cette  découverte 
ne  tardera  plus. 

Les  savants  et  les  érudits  n'étaient  pas  les  seuls  à  prévoir  le 
subit  agrandissement  des  connaissances  géographiques.  Les 
marins  ne  manquaient  pas,  qui,  par  instinct  ou  par  vaiUance, 
s'engageaient  dans  ces  mers,  au-delà  desquelles  les  attendaient 
tant  de  merveilleuses  découvertes.  Les  courageuses  populations 
qui,  sur  les  côtes  de  l'Océan,  se  livraient  à  la  grande  poche, 
s'aventuraient  parfois  si  loin,  ou  bien  étaient  poussées  par  la 
tempête  à  de  telles  distances,  que  parfois  elles  découvraient 
des  terres  jusqu'alors  ignorées.  Ce  sont  les  pécheurs  de  baleines 
dont  les  courses  extraordinaires  méritent  surtout  notre  attention. 
La  baleine  aime  les  eaux  profondes  et  la  haute  mer.  Rarement 
elle  se  hasarde  jusqu'en  vue  des  côtes.  Attirés  par  l'espoir  d'une 
si  riche  proie,  les  pécheurs  mettaient  à  la  mer  leurs  frêles 

(1)  Giustiniani.  Psnlterium  Hebraeum,  Grsecum,  Arabicum  et  Chaldatum, 
cum  tribus  latinis  interpretationibus  et  glossis,  Gône»  in-3»  1316.  —  Noto 
marginale  sur  la  psaume  xix. 


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20()      PREMIÈRE    PARTIE.    —    LES    PRÉCURSEURS   DE   C(i       JU. 

canots  et  les  dirigeaient  vers  cette  montagne  vivante,  qui  fuyait 
devant  eux.  Entraînés  au  large  et  comme  enivres  par  le  danger, 
ils  oubliaient  la  distance,  et  passaient,  sans  s'en  douter,  d'une 
île  à  l'autre.  Ainsi,  sans  doute,  furent  découvertes  les  îles  jetées 
entre  la  Scandinavie ,  la  (irande-Bretagne  et  le  Groenland, 
ainsi  le  Groenland  lui-même  et  U-étre  l'Amérique.  Sans 
parler  des  jx^cheurs  qui  contrihu  ainsi,  au  moyen-Age,  à 

étendre  les  connaissances  géograpi..ijues,  tous  les  peuples  du 
nord  qui  se  firent  pirates,  entassés  ([u'ils  étaient  dans  un  pays 
glacial,  où  ils  ne  pouvaient  donner  libre  carrière  à  leur  activité 
dévorante,  cbercbérent  de  leur  côté  de  grandes  aventures  sur 
l'Océan.  Au  moment  où  les  autres  peuples  de  l'Europe  avaient 
à  peine  quelques  navires,  les  pirates  du  Nord  prenaient,  pour 
ainsi  dire,  possession  de  l'Océan  et  des  terres  nouvelles,  quil 
cacbait  dans  ses  mystérieux  lointains. 

Un  autre  mobile,  plus  puissant  encore,  fut  l'ardeur  religieuse. 
Mus  par  une  force  étrange,  obéissants  à  un  esprit  de  propa- 
gande, dont  ils  ne  se  rendaient  peut-être  pas  compte,  les 
missionnaires  chrétiens  montaient  sur  leurs  vaisseaux  et  mar- 
chaient droit  devant  eux,  se  fiant  au  hasard  qui  les  conduisait 
où  Dieu  avait  décidé  qu'ils  iraient,  et,  dans  leurs  courses 
hardies,  initiaient  à  la  civilisation  des  peuples  jusqu'alors 
inconnus  (1).  Avant  Boniface  connaissait-on  la  Germanie,  avant 
Anschaire  les  pays  du  Nord,  avant  Rubruquis  et  Plan  de  Garpin 
l'Asie  Centrale?  Quelles  indications  précieuses  pour  la  géographie 
fournissent  encore  les  Lettres  Edifiantes  et  les  Ayinales  de  la 
Propagation  de  la  Foi  !  Et  cet  apôtre  de  l'Afrique,  ce  grand  et 
héroïque  Livingstone,  n'était-il  pas  lui  aussi  un  missionnaire  ? 


(1)  Roger  Bacon  {Opus  majus,  p.  189)  avait  déjà  remarqué  l'importance  des 
découvertes  géographiques  dont  on  était  redevable  aux  missionnaires  :  «  Co- 
gnitio  locorum  mundi  valde  necessaria  est  reipublicaî  fidelium  et  conversioni 

infldelium qui  loca  mundi  ignorât  nescit  non  solum  quo  vadat,  sed  quo 

tendat,  et  ideo,  sive  pro  conversione  infldelium  proflciscatur,  aut  pro  aliis 
Ecclesiae  negotiis,  necessc  est  ut  sciât  ritus  et  conditiones  omnium  nationum.» 


CUAl'.  V.  — COMMUNICATIONS  AVKC  l'aMÉRIOLE  Al;  MOYEN  AGE.  201 

On  peut  donc  raffirnHT,  «ans  crainte  d'(Hre  démenti,  (|iiel(|ues- 
uns  des  missionnaires,  non  seulement  chrétiens,  mais  aussi 
musulmans  ou  Imudhistes,  furent  d'intrépides  voyageurs,  et,  ftar 
leurs  explorations,  ils  contribuèrent  singulièrement  à  étendre 
le  cercle  des  connaissances  géographiques. 

Ce  n'étaient  pas  seulement  la  né(;essité,  l'amour  de  la  gloirir 
ou  la  ferveur  religieuse  qui  lançaient  ainsi  dans  l'Océan 
barques  de  pêcheurs,  flottilles  de  pirates  et  vaisseaux  de  mis- 
sionnaires. De  tout  temps  ce  fut  comme  un  instinct  de  l'huma- 
nité de  rêver  au-delà  de  l'iiorizon.  L'enfant  voudrait  savoir  ce 
que  lui  cachent  les  montagnes  qui  bornent  sa  vue  ;  il  cherche  à 
deviner  les  terres  inconnues  dont  il  soupçonne»  l'existence  par 
delà  la  ligne  bleue  formée  par  la  mer.  Les  grctssiers  pécheurs, 
les  pirates  ignorants  ou  les  missionnaires  enthousiastes  du 
moyen-i\ge  se  laissaient,  eux  aussi,  aller  à  la  pente  des  rêveries. 
Ils  se  demandaient  si,  peut-être,  au-delà  de  l'horizon,  n'exis- 
taient pas  des  îles  ou  des  continents.  Sans  doute  ces  conjectures 
étaient  pour  la  plupart  sans  consistance,  mais  une  idée  qui 
simplement  a  traversé  l'esprit  suffit  souvent  à  mettre  sur  la  voie 
d'importantes  découvertes,  .\ussi  rangerons-nous  ces  désirs 
inconscients,  de  même  que  les  courses  des  pécheurs,  des  pirates 
et  des  missionnaires,  au  nombre  des  principales  causes  (jui 
amenèrent  les  grandes  découvertes  du  quinzième  siècle. 

Il  est  vrai  que  l'histoire  de  la  géographie,  pendant  le  moyen- 
Age,  ne  présente  sur  ces  voyages  à  travers  l'Atlantique  que  de 
confuses  tradition  •-,  mais  encore  nous  faut-il  étudier  ces  tradi- 
tions, car  nous  n'avons  pas  le  droit  de  conclure  que,  pendant  ces 
longs  siècles  d'ignorance,  les  relations  étaient  matériellement 
impossibles  entre  l'ancien  et  le  nouveau  continent. 


CHAPITRE  VI 


LES  ILES  FANTASTIQUES  DE  L  OCEAN  ATLANTIQUE  : 
SAINT-BRANDAN. —  LES  SEPT  CITÉS. —  ANTILIA.—  BRASIL 


Les  anciens  avaient  plact^  à  l'occident  la  Terre  des  Bienheu- 
reux, les  îles  Fortunées  ou  le  dernier  asile  de  Saturne.  Lorsque 
le  christianisme  eut  partout  remplacé  les  anciens  cultes,  ce  fut 
le  Paradis  Terrestre  qui  occupa  les  imaginations  (1)  ;  ce  furent 
aussi  ces  archipels  mystérieux,  dont  parlaient  les  livres  sacrés, 
et  où  les  saints  persécutés  devaient  trouver  le  repos  et  le  hon- 
heur  (2).  Or  quand  il  s'agit  de  fixer  la  position  soit  du  Paradis 
Terrestre,  soit  de  ces  îles  reculées,  presque  toujours,  soit  simple 
hasard,  soit  prescience  singulière,  les  spéculations  des  théolo- 
giens ou  des  érudits  se  dirigèrent  de  préférence  au-delà  de 
l'Océan.  11  est  vrai  que  les  commentateurs  sont  loin  de  s'accor- 
<ler  sur  la  position  du  Paradis  Terrestre.  A  mesure  que  s'éten- 
dront les  connaissances  géographiques,  il  s'éloignera  dans  un 
vaporeux  lointain,  comme  ces  terres  merveilleuses  qu'on 
aperçoit  dans  les  mirages  ;  mais  tout  le  monde  croit  à  son  exis- 


(1)  D.  Calmkt,  Commentaires  sur  la  Bible  (Dissertation  sur  le  Paradis) 
t.  I,  p.  331.  —  Santarem,  Cosmographie  et  cartographie  du  moyen-âge. 

(2)  EsDBAS,  IV,  6,  7.  —  Psaume  %.  Latent  insulœ  multa;  ;  fili  hominis, 
loquere  ad  habitatorcs  insulœ.  —  Cf.  Saint  Pkosper,  De  vocatione,  liv.  m  : 
»  In  extremis  iniindi  partibus  sunt  aliqusD  nationcs,  quibus  nondum  illuxit 
gratia  Salvatoris,  quibus  tnmen  illa  mensura  generalis  auxilii,  quoc  desuper 
hominibus  est,  non  negatur  ». 


<;; 


CHAI'.  VI.  —  LES  ILKS  FANTASTIOl'KS  l»K  l/oCÉAX  ATLANTIQli:.    :203 

tence,  et  c'est  en  général  dans  la  direcUon  de  l'ouest  que  le 
cherchent  les  savants  de  l'époque. 

Les  Esséniens  croyaient  déjà  que  les  justes  allaient  jouir  de 
la  félicité  parfaite  dans  des  lieux  de  repos  situés  au  milieu  de 
l'Océan  (1).  Saint  Clément  de  Rome  pensait  qu'au-delà  de 
l'Océan  existaient  d'immenses  terres  parmi  lesquelles  se  trouve 
le  Paradis  (2).  Saint  Ephrem,  Tertullien  dans  son  poème  de 
Jugement  du  Seigneur,  saint  Basile  dans  non  Hexaniernn,  saint 
.Amhroise  dans  son  traité  sur  le  Paradis  sont  du  même  avis  (3  . 
Ceux-là  même  qui  ont  énoncé  les  théories  les  plus  liizarres  sur 
la  forme  de  la  terre  ont  parfois  à  ce  sujet  comme  des  éclairs  de 
raison  qui  illuminent  leurs  œuvres.  Ainsi  le  cosmographe  ano- 
nyme du  xm"  siècle,  édité  par  Pertz,  n'hésite  pas,  malgré  ses 
fabuleux  récits,  sur  la  position  du  Paradis  Terrestre  (i).  Isidore 
de  Séville  le  place  dans  les  îles  Fortunées  (o|.  Saint  Avitus 
lui  consacre  tout  un  poème,  et,  reprenant  les  données  anti- 
ques, l'installe  bien  loin  au-delà  des  mers  connues  (G).  Gosmas 
liidicopleustes  lui-méiie  n'écrira-t-il  pas  (7)  :  «  La  terre  est 
divisée  en  deux  parties  par  la  mer  que  l'on  nomme  Océan  : 
l'une  est  la  partie  que  nous  habitons  ;  et  l'autre,  au-delà  de 
l'Océan,  est  celle  qui  se  réunit  au  ciel.  C'est  dans  cette  terre 
qu'habitaient  les  hommes  avant  le  déluge  ;  c'est  là  aussi  (ju'était 
situé  le  Paradis  ». 

Ces  recherches  pieuses  et  ces  naïves  conjectures  nous  lais- 


il)  JosKPiiE,  De  ùello  Judaico  (II,  xi,  8,  9»).  'Arooa;vovTat  Tr,v  j-èo 
'iixc'avov  ôtahav  à-oxjîdOat. 

(2)  Saint  Clémknt  de  Rome,  Ep.  I  ad  Corinthios.  (Collectio  pairum  qui 
tempore  apo^toloniin  vixerunt)  vol.  i,  p.  158-159. 

3)  Tous  ces  auteurs  sont  cités  par  Lethonne  (Journal  des  Savants),  1831. 
—  Cf.  du  môme  auteur,  Opinions  cosmographigties  des  Pères  de  l'Eglise 
\Reviie  des  Deux-Mondes),  1884. 

(4)  A.  Mal'Ry,  article  Paradis  de  Y  Encyclopédie  moderne. 

(ij)  Isidore  de  Séville,  XIV,  p.  193. 

(6)  Avitus,  De  initio  mundi.  Edition  Sirmond,  1643,  V.  523. 

1,7)  CosMAS  INDICOPLEUSTES,  Topographie  chrétienne  de  l'Univers,  traduc- 
l»'".'   Charton  (Voyageurs  anciens  et  modernes),  t.  II,  p.  10. 


i^ 


2()i      l'HKMIKHK    l'AHTli:. 


Li:S    l'MKCLHSEUHS    I»E   COLOMH. 


sont  iuijnurd'liui  à  peu  pn'-s  intliiïôrcnts  ;  mais  roportons-nons 
à  CCS  cpoqiios  de  fui  ardente  et  non  raisonnce,  et  ce  cliarnie  iW 
mystère  alors  si  puissant  se  révélera  à  nous.  Serfs  courltés  sous 
la  glèbe,  soldats  mourant  sous  le  sabre  des  infidèles,  moines 
rêveurs  et  méditatifs,  tous  alors  élevaient  leurs  pensées  vers  un 
monde  meilleur  qu'ils  disposaient  à  leur  guise,  et  ce  monde 
inconnu  ils  l'aimaient  comme  on  aime  l'espérance.  Longtemps 
en  effet  se  maintint  la  croyance  à  l'existence  du  Paradis  dans 
notre  univers.  Saint  Honaventure  et  saint  Tbomas  d'.Vc(piin  1« 
décrivaient  avec  entbousiasme  ;  le  premier  le  plaçait  même  sous 
réqualeur,  au-del;\  des  lieux  babités,  et  c'est  la  position  qui  lui 
est  encore  assignée  dans  lu  fameuse  carte  catalane  de  linr)-8(1). 
Dante  croyait  le  trouver  aux  antipodes  de  Jérusalem(2).  (îolomb 
pensait  que  la  vaste  masse  d'eau  qu'il  rencontra  dans  le  golfe  de 
Paria  sortait  de  l'immense  fleuve  du  Paradis  dont  parlent  les 
Pères  de  l'Église  (3).  Vespucci  partageait  cette  opinion  (4). 
Acosta  y  souscrivait  également  (5).  Certes  cette  croyance  ne  fut 
pas  la  cause  dos  découvertes  postérieures,  mais  elle  contribua  à 
encourager  les  voyageurs,  et  il  nous  a  fallu  la  mentionner  jjour 
prouver  la  singulière  perpétuité  des  croyances  relatives  à  un 
monde  transatlantique. 

Les  cartograpbes  du  moyen-Age  ne  se  contentaient  pas  de 
placer  à  l'ouest  le  Paradis  Terrestre  ;  ils  semaient  encore  dans 


(1)  Maury,  article  cité. 

(2)  Dantr,  Purgatoire,  IV.  22.  —  XXI,  20. 

^3)  Colomb,  Lettre  d'Haïti  à  Ferdinand  et  Isabelle,  édition  Navarette, 
I,  408.  Grandes  indicios  son  estes  del  paraiso  terrenat,  porquel  sitio  es  con- 
forme a  la  opinion  de  cstos  santos  c  somos  leologos,  y  asimismo  los  senales 
son  muy  conformes,  que  yo  jamas  lei  ni  oi  que  tanta  cantitad  de  agua  dulcc 
fuesce  asi  adentro  é  vicina  con  la  saladu  ;  y  si  de  alli  del  paraiso  no  sale, 
parece  aun  major  maravilla,  porque  no  creo  que  se  sepa  en  el  mundo  de  rio 
tan  grande  y  tan  fondo. 

(i)  Vespucci,  Relation  de  3»  voyage.  Edit.  Hylacomylus  :  «  Et  ccrte  si 
Paradisus  tcrrestris  in  aliqua  sit  terric  parte,  non  longe  ab  illis  regionibus 
distarc  existimo  ». 

(.'))  Acosta,  Historia  général  69-71. 


r.llAI'.  VI.  —  LKS  ILKS  KAMASTIOIKS  DE  l/oCKAN  ATLANTIQUE.    203 

rOcraii  un  (-ertiiiii  iioiiiIiit  d'ilcs  iiiia^Mnairos,  «ju'ils  plaçiiicnt 
sous  le  pati'tnia};!'  de  (|ucl([uo  saint  rcnoiiinK',  et  associaieut 
ainsi  leur  désir  dV'tendn;  les  connaissances  fr»''Ofrra|)lii(|U('s  et  de 
les  concilier  avec  les  données  reli{;ieuses.  Parmi  les  îles  fantas- 
ti(|nes,  inventées  par  la  crédulité  des  cartojjraphes,  un«;  des 
plus  célèbres  est  l'Ile  de  Saint  Urandan  (I).  (^e  n'est  pas  en 
ellet  seulement  dans  la  lé},'ende  (pie  s'est  conservé  !e  s(»uvenir 
(lu  saint  irlandais  ;  nous  en  trouvons  la  trace  persistante  dans 
la  ^M''tif:raplii(>  du  moyen-Afîe,  et  même  dans  la  f.'éo}îraphit! 
contemporaine.  Vincent  de  Ueauvais  est  \  peu  près  le  seul 
écrivain  sérieux  (|ui,  auXllI''  siècle,  ait  pr(»t(»sté  contre  la  réalité 
des  découvertes  de  Hrandan.  »  (^ette  léf^eudc  est  remj)Iie  de  dé- 
fiiils  apocryphes,  écrivait-il,  je  la  crois  fausse  de  t<»ut  [toint  (2)  ». 
Ses  contemporains  au  contraire  l'or.t  acceptée,  sans  même  en 
discuter  l'authenticité.  Tous  les  traités  }réofrraphi([ues  d(!  répo(|ue, 
toutes  les  cartes  mentionnent  l'île  découverte  par  le  saint  voyaf^eur. 
Dans  un  manuscrit  du  X'"  siècle,  conservé  îl  la  hililiothèque  de 
Turin,  sont  déjà  mar(|uées  sur  l'Océan  des  îles  encore  anonymes, 
mais  (pii  seront  hientiM  désif^nées  par  le  nom  du  saint,  (jui  passait 
pftur  les  avoir  d(?couvertes  (3).  llonorius  d'Autuu,  dans  son 
/mufjo  Mundi  composée  en  H30,  en  parle  en  ces  termes  :  «  Il  y 
a  dans  l'Océan  une  certaine  île  ajrnSihle  et  fertile  entre  toutes 
les  autres,  inconnue  auv  hommes,  découverte  par  (pieUjue 
hasard,  puis  cherchée  sans  ({u'on  pût  la  retrouver  et  appeh'e 
l'erdue.  C'était,  dit-on,  celle  où  vint  jadis  Saint  Urandan  ».  La 
mappemonde  de  Jac(]ues  de  Yitry  et  Vlninr/o  Mttndi  de  Robert 
d'Auxerre  (1205)  mentionnent  l'île  du  Saint  Irlandais.  Dans  le 


(  I  )  (îAFFAREi-,  Les  Voywjes  de  Saint-Bnindun  ^SociùttJ  (1(!  géographie  'le 
Uocherort),  1881.  p.  11.  —  Peschel,  Zeitalter  der  Enfdeckumjen,  p.  31). 

(i  Vini:e.nt  de  Bkauvais,  Spéculum  historiale,  liv.  xxi,  §  81.  «  Eain 
peregiinatioiiis  liistorinin,  propler  apocrypha  qiuedain  delirameiita,  quic  circa 
viiluiitiir  coiitinuri,  mcndacem  existimo  ». 

(3'  Le  manuscrit  est  cité  par  Santahkm,  dans  son  Essai  sur  la  Cosmo- 
i/raphie  et  la  cartographie  du  moijen-ûge.  Il  est  reproduit  par  Jomahu  , 
Monmni'nts  de  la  géographie,  ri»  58-51),  I. 


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•HWi       PRKMIKHE    PARTIR.    —    LKS    PRÈCIRSKIRS   nE   COLOMH. 

Portulim  (lu  XIV'"  sit'rle  i\iu\  l'on  conserve  h  lu  liihliotlièquc  de 
Siiinl  Marc  ù  Venise  (i),  non  loin  île  la  côte  occidentale  de 
l'Irlande,  une  île  relevée  d'enluminures  et  d'or  est  désignée 
par  cette  légende  :  «  La  nutntagna  de  Sto  Hrandan  >>.  I^a  carte 
de  Pizzigani  {"l)  (13(17)  représente  le  saint  tendant  les  liras  vers 
les  îles  (pii  portent  son  nom,  Isole  Hrandany.  Ce  sont  trois  îles, 
dont  la  plus  méridionale,  de  fornie  ronde,  est  appelée  Isola 
Marirniga,  la  seconde,  très  écliancrée.  Isola  (Canaris,  et  la 
troisième,  foute  petite,  Isola  Urandani.  Le  Portulan  de  la 
Bildiothèque  municipale  de  Dijon  (.3),  qui  parait  avoir  été 
composé  au  commencement  du  XV"  sièle,  a  conservé  le  nom  de 
cette  ile.  La  cîirte  ancônitaine  de  Weimar  (li2i),  la  carte 
génoise  de  Ueccaria  (1454),  la  mappemonde  de  Fra  Maure  (1157), 
celle  de  Henincusa  (1480),  enregistrent  soigneusement  l'île  de 
Saint  Hrandan,  et  toujours  dans  la  direction  de  l'ouest.  Nous  la 
trouvons  ;iussi  marquée  sur  la  carte  de  Heliaim  (4),  c'est  une 
grande  île  occidentale  placée  près  de  l'équateur,  avec  l'inscription 
suivante  :  «  L'an  5(iu  après  Jésus-Christ,  Saint  l'<randan  arriva 
avec  son  navire  dans  cette  ile,  où  il  vit  beaucoup  de  choses 
merveilleuses,  et,  après  sept  ans  écoulés,  il  s'en  retourna  dans 
son  i>ays  ».  Sur  la  magnifique  mappemonde  peinte  sur  parchemin 
par  ordre  de  Henri  II,  l'île  de  Saint  Brandan  est  marquée  entre 
l'Islande  et  Terre-Neuve.  Elle  conserva  cette  place  dans  la  carte 
de  Sébastien  Cabot  (G)  (1544),  dans  l'atlas  de  Mercator  (7)  (1569), 


(1,  .Matkowit/.,  Handschriftlichr  Schifferkarten  in  den  Bibliotheken  zu 
Venedig  (Société  de  géographie  de  Vienne),  1882. 

(2)  JoJiAHD,  ouv.  cité,  pi.  44.  45. 

(3)  Gakfarkl,  Portulan  inédit  de  la  bibliothèijue  de  Dijon  (Commission 
des  Antiquités  de  la  Côlc-d'Or).  1870. 

{■i)  L'île  est  marquée  à  l'ouest  des  Açores.  Elle  est  fort  échanrrée  et  porte 
2ette  légende  :  «  Nacli  Cliriste  Geburlh  565  Kahm  S.  Brandon  mit  seineii 
Schifîe  auf  dièse  Insul  der  dasclbs  vil  wunders  bcsahc,  und  ubcr  sicben  Ja!ir 
darnach  wieder  in  scni  haudzogc  ».  Jomard,  ouv.  cité,  pi.  §  2,  52  bis. 

(•5)  JoMARD,  Monuments  de  la  géographie,  planche  23,  24. 

(6)  ID.,  pi.  60-07. 

(7)  ID.,  no  76.  Mercator  la  nomme  S.  Brftndani. 


zu 


I.IIAI'.  VI.  —  LKS  ILES  FANTASTiyiES  l»K  l'oCÉAN  ATLANTiyiK.    207 

«lans  hxCoxmnrjrdphic  Un\vn'SPlli'.iWV\\i'\i^\.[\)  (li>7()).  OrteliuH 
lii  rii|i|)i'o(-liait  de  risliindc  [i.].  Le  Uijuiiiiais  Morisnt,  auteui'  d'une 
Hialm'in  orhh  lunrllimi,  se  gardait  hii'ii  de  ruuhlicr.  Nous  la 
rt'trouvous  oucorc  au  XYIII''  siècle.  Kn  17.*).*)  (lautier  la  (dacait  au 
('in(|iiièni('  dcfri'é  <iut'st  de  l'ilc  de  Fer,  sous  le  ->{)"  do  Lat.  N.  {•\) 
,\u  XLV  siècle  eulin,  elle  existe  encore  :  seulement  elle  a  voyage 
et  ne  cesse  de  voyager  ;  car  on  désigne  sous  ce  nom  une  ih;  dont 
la  position  varie  singulièrement,  puisijue  on  la  place  même  dan» 
la  mer  des  Indes,  tantôt  au  nord,  tantôt  au  sud  ou  à  l'est  dos 
Mascareignes  (-1). 

Lue  singulière  et  persistante  illusi(»n  géographique  a  contril»ut" 
à  faire  croire  à  l'existence  de  cette  île  errante.  D<;  temps  à  autre 
les  habitants  de  Madère  crtjyaient  voir  à  l'horizon  se  profiler  les 
contoin's  de  cette  ile  :  aussitôt  ils  s'emharquaient,  mais  au 
moment  où  ils  distinguaient  les  sinuosités  de  la  côte  et  les 
moindres  détails  de  la  campagne,  soudain  elle  disparaissait  en 
s'ahimant  dans  les  flots  et  les  vapeurs  de  la  mer.  La  curiosité 
fut  si  vivement  excitée  par  cette  île  imaginaire  et  l'on  crut  si 
fermement  à  sa  réalité  qu'en  1484  un  insulaire  de  Madère, 
Diimingues  do  Arco ,  se  faisait  concéder  par  la  couronne  de 
Portugal,  une  ile  qu'il  voyait  chaque  année,  et  (|u"il  s'engageait 
à  aller  chercher  (o).  Trois  ans  plus  tard,  en  1187,  un  véritable 
traité  était  signé  entre  le  Portugal  et  le  Terceiran  Fernando  de 
L'Imo  (jui  voulait  la  con(|uérir  à  ses  frais  (G).  Môme  après 
Christophe  Colomh,  on  la  cliorciiait  encore.  Les  Portugais, 
(|uand  ils  arrivèrent  en  Amérique,  croyaient  l'avoir  retrouvée. 


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(1)  TiiKVKT,  Cosmof/raphie  iinivsrselln,  ]).  903. 

{i)  OiiTKi.ics,  T/iealrum  orOis  terranim,  carte  5. 

(3)  Galtikii,  carte  4  annexée  ii  ses  Oh^iervations  sur  l'Histoire  naturelle. 

(i)  Voir  les  atlas  de  Moxin  (1831),  Dkioi  X  et  Leuoy  (1861),  Stieler  (1867),. 
et  les  cartes  générales  de  l'Afriiiue. 

(r))  IIauuisse.  tes  Corterenl,  p.  42. 

(<))  D'AvEZAC,  lies  de  l'Afri'fuc  (Univers  Pittoresque),  p.  21.  —  Was- 
hington IiiviNC,  Vie  (le  C.  Colomfi,  appendice  N"  23,  traduction  Dciau- 
conprcl,  t.  IV,  p.  258. 


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-H)H     l'iiKMiKHi:  l'.vHTii:.  —  i,ks  i'Hftt:rHsi:ri(s  dk  (.omimii. 

Kii  ir>17,  |i)rs(|iit>  lùiiiiiaïuit'l  (le  INirtiigal  ahaïKionim  ses  iiivtcii- 
tioiiH  sur  l«'s  Cîmarics,  il  >  comprit  «v\|iri'ss(\m('iit  l'ilc  cacliée. 
Kii  l.'l-Jd  mit'  ('\|H'>(lilii>ii  parfit  des  Canaries  à  sa  n'clicrchc,  sous 
le  (-ommaïKlfiiiciit  «le  F(M'iiari<lu  dt*  Trnja  cl  de  Fernando  Alvarc/, 
mais  «>ll»>  ne  fut  pas  plus  liciinMisc  (pic  Icsprcccdcntcsil).  Kii  l.'»7() 
un  certain  Pedro  Vellia  allirma  (pi'il  avait  di'lianpié  tians  ccîtte 
ile,  et  UK^me  (pi'il  \  avait  reiiianpié  des  traces  de  pas  Immaiiis 
doubles  de  l'ordinaire.  Il  avait  mi'me  trouvé  uiu>  ci-oi\  clouée 
à  un  arlire  voisin  et  les  restes  d'un  feu  prohahlement  allumé 
pour  faire  cuire  <les  poissons  à  écailles.  Aux  environs  paissai(>iit 
denond)reux  troupeaux.  .\u  moment  où  les  matelot»  s'apprêtaient 
{\  le.  poiu'suivre,  mu*  tempét(î  s'éleva  (|ui  les  força  d«!  re^'af^ner 
leur  navire.  En  un  instant  ils  perdirent  la  terre  de  vue,  et, 
l(»rsque  la  tempête  fut  passée,  ils  ne  purent  jamais  retrouver 
l'île  mystérieuse  (i).  La  véracité  de  ce  récit  fut  conjirmée  par 
une  enquête  solennelle  dirigée  par  Pedro  Ortez  de  Funez, 
inipiisiteur  de  la  (Irande  (^anarie,  él,  sur  la  foi  de  ces  renseigne- 
ments pourtant  bien  vagues,  Fernand(»  de  Villa  m1)os,  régidorde 
Palma,  voulut  encore  tenter  l'aventure,  mais  1  ne  réussit  pas 
davantage.  C(tmme  p(»urtaut  les  apparitions  s»'  multipliaient,  et 
(juo  toutes  les  fois  elles  étaient  constatées  par  un  grand  nomhre 
de  témoins,  un(î  véritable  (iévre  de  curiosité  s'empara  des 
(Canariens.  En  IHOi  départ  de  Lorenzo  Pinedo  et  (i.  Perez  de 
Acosta.  En  1721  don  Juan  de  Mur,  gouverneur  de  l'archipel, 
confie  à  Gaspard  Uoniinguez  un  navire  qui  part  de  Santa-Cruz 
et  y  rentre  après  plusieurs  mois  de  courses  inutiles  sur  l'Océan. 
L'île  était  toujours  en  vue,  mais  nul  ne  pouvait  se  vanter  d'y 
avoir  débarqué.  Le  3  mai  1739  prés  de  quarante  personnes 
l'apercevaient  encore  distinctement.  Elle  paraissait  consister  en 


il'i  ViERA  V  Clwuo,  Noticias  de  la  historia  gênerai  de  /«.s"  islas  de 
-Canuria  ;i  777-1783),  liv.  i. 

(2)  NuNEZ  DE  hk  Pena,  Conquista  ;/  antiquedades  de  las  Islas  de  la  Gran 
•Canaria,  1676. 


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Daprè^  Vidal 


C.  Perron 


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£>e47àSÛ' 


a'eSOÀ^O"'         ahXX?'"et  ^i4-c/j/À 


LKP    SKI'T    CITKS 
(Kxtrail  de  la  {i<*ogra|iliic'  d'K.  Hkci.us,  llaoliellL'  el  C".  ('•ililoiirs). 


(.11  AI 


deux 

Si  (Il 
En  vail 
cctt»'  \\\ 
Xi'tôs 
a'AIca^ 
0(1  Kl  il 
(Icrnicil 
|)liysi(M 
(h'troit 
(|(i('  les 


CIIAP.  VI.  —  LKS  ILKS  FANTASTIOI^ES  DE  L'OCÉAN  ATUNTIQI'E.    200 

di'ux  };nm<los  inonfafriwîs  s('|)an''(?s  par  une  vallrc,  et,  avec  un 
télescope,  la  vallée  semhlait  remplie  d'arltres  (1). 

Si  (Iniic  cotte  tradition  est  fausse,  au  moins  fut-elle  persistante. 
Kn  vain  essaya-t-ou  de  l'expllipier.  Les  uns  ont  prétendu  (pie 
cette  île  servait  de  =.i  jour  au  mi  Visifjotli  lloderik,  le  vaincu  d(! 
Xérès  la  Froutera,  <mi  au  roi  de  l*ortu},'al  Séhastien,  la  victime 
d'Alcazanpiivir;  les  autres  y  ont  chenille  le  Paradis  terrestre, 
où  Va\U\  et  Knocl\  avec  d'autres  sajjes,  attendent  le  jufrement 
dernier  (2).  Peut-être  ne  faut-il  y  voir  (pi'un  phénomène 
physicpie,  (piehpie  iuira},'e  analogue  à  la  Kata  Mor;;ana  du 
détroit  de  Messine.  (îette  explication  est  (rautant  plus  plausihie 
rpie  les  dessins  de  cette  île  fantasticpie  la  représentent  comme 
allongée  du  nord  au  sud  avec  deux  cimes  inégales  séparées  par 
une  dépression  :  ce  cpii  rappellerait  tout  à  fait  l'île  de  Palma 
quand  on  l'aperçoit  du  large  en  venant  de  Ténérill'e  ou  de  la 
(îoniera.  .\ussi  hien  sans  rappeler  ici  (jue,  du  sommet  du 
Tavfîète,  on  aperçoit  les  éruptions  de  l'Ktna  (II"),  et  (pie,  par  un 
heau  temps,  on  découvre  la  (lorse  de  Nice  ou  de  Oaimes,  sans 
même  enrcfristrer  les  curieuses  observations  de  Hiot  dans  son 
mémoire  sur  les  llrfr(tcihms  c.rlriun'd'nm'iroi,  (4)  contentons- 
nous  de  rappeler  (pi'on  [>ent,  du  ca|)  Hojador,  surtout  pendant  les 
éruptions  et  {ïrAce  au  reflet  des  nuafres  (pii  |>lanent  au-dessus 
du  volcan,  apercevoir  Ténérif^;.  Il  se  pourrait  donc  (pie,  des 
Canaries,  grAce  à  la  réfraction,  on  découvrit  Palma  ou  toute 
autre   île  de  l'archipel. 

Saint  lirandan  n'était  pas  le  seul  des  saints  du  christisanisnie 
sous  le  [)atronnage  du(|uel  avait  été  jdacée  (piehpie  contrée 
imaginaire.  Une  autre  légeinh*  chrétienne,  celle  de  l'île  de  Sept 
tlités,  eut  un  grand  retentissement  au  moyen  âge  (.">),  et  contrihua 

(1)  ViEBA,  ouv.  cité,  t.  I,  §  28. 

(2)  D.  Calmet,  La  Ri'iln  commenter,  I,  :J5'». 
(;»)  Ross,  Hellenkfi,  I,  2. 

(4)  UiOT  {Miimoires  du  l'Institut,  1810),  t.  I,  p.  267. 

(5)  Gakfarel,  L'ile  des  Sept  Cites  et  l'île  Antilia  (Congrès  des  Atnéri- 
caiiistes  de  Madrid),  t.  1,  p.  198-214. 

T.  I.  14 


V. 


I 


210      l'RlCMIKRE    PARTIE. 


LES   PRECURSEURS  DE  COLOMR. 


à  tourner  l'attention  i)ul)li(|ue  vers  les  mers  occidentales,  où 
déjà  (|uel(jues  savants  s'accordaient  à  trouver  l'emplacement  du 
Paradis  Terrestre.  On  racontait  qu'à  ré|)o(|ue  de  la  con(|U(He 
de  l'Esitafriie  par  les  Aralies,  après  la  défaite  d(;  Xérès  la 
Frontera  et  la  disparition  du  roi  lloderik,  se|)t  évé(|ues,  sous 
ladirecti(ju  de  l'un  d'entre  eux,  l'archevêque  de  Porto,  s'endiar- 
(|uèrent,  suivis  di;  leurs  ouailles,  et  poussèrent  droit  devant  eux 
sur  l'Océan.  A|très  une  loufîue  navigation,  ils  abordèrent  une 
île  inconnue  et  s'y  fixèrent  après  avoir  hrùlé  leurs  vaisseaux, 
(ionune  ils  étaient  se|»t  et  (jue  chacun  d'eux  se  construisit  une 
demeure  |)articulière,  l'île  prit  le  nom  d'île  des  sept  Cités.  Klle 
il  depuis  figuré  sur  un  certain  nombre  d(!  cartes.  Martin 
liehaim  sur  sa  fameuse  carte  de  Nuremberg  (l  Wîi)  la  dessinait 
avec  la  légende  suivante  (1)  ;  «  Quand  on  se  reporte  à  l'année  741 
après  la  naissance  du  Christ,  lors((ue  toutes  l'Espagne  fut  envahie 
[)ar  les  mécréants  d'Africpie,  alors  l'île  noirnnée  Sette  Citade, 
ci-dessus  figurée,  fut  peu|)lée  par  un  arclievéciue  de  Porto  ou 
P(»rtugal,  avec  six  autres  évé([ues  et  des  chrétiens,  liommes  et 
feu)iues,  lesquels,  s'étant  enfuis  d'Kspagne  sur  des  vaisseaux,  y 
vinrent  avec  des  bestiaux  et  leur  fortuiu'  ».  Même  après  la  décou- 
verte de  l'Ainériipie,  Kernand  Colomb  croyait  à  l'existence  de 
cette  île,  et  en  racontait  l'histoire  en  termes  à  peu  près  identi- 
ques :  «  On  racontait  ([u'au  huitièmes  siècle  de  l'ère  chrétienne, 
sept  évéques  Portugais,  suivis  de  leurs  (juailles,  s'étaient  embar- 
(jués  pour  gagn(!r  cette  île,  où  ils  avaient  hàti  sept  villes,  et 
((u'ils  n'avaient  plus  voulu  (piitter,  ayant  d'ailleurs  hrùlé  leurs 
vaiss;'auv  et  Uîurs  agrès  pour  s'interdire  la  possibilité  du 
retour  »  (2). 

(Il  JdMAiiii,  oiiv.  citi!,  plaiiclics  52,  r)2  liis. 

{ij  KkkkinaM)  CdMiMii,  Vie  de  l'amiral,  ^  4.  Itiiyscli,  dans  la  carie  intitiih'c 
uiiiversalior  (Ojçiiiti  (iiliis  tabula  ex  recciilibus  coiifecta  observatioiiibus,  qu'il 
a  ajoutée  à  sou  éditiou  de  Ptoleniée  (Uouie,  1508),  mcutioiiiie  cette,  légende,  et 
inscrit  sur  .sa  carie,  entre  les  Açores  et  Es[ia(çnula,  une  île  Autilia  avec  la 
légende  suivante  :  »  Tenipore  régis  Uudcrici  ((ui  nltimus  in  liispania  terra 
(i3llios  rcxit  ad  hain  insulam  a  facic  barbnrorutn  qui  tune  Ilispaniam  invasc- 


'I 


CHAI'.  VI.  -  -  LKS  ILi:S  FANTASTIOl-'KS  1)K  l/oCKAN  ATLANTIOLUC.    !2ll 

Sans  discuter  ici  la  réalité  (iii  la  fausseté  tJo  cett(!  léf^eiide, 
nous  roconnaitntns  cependant  (|ue  l'instinct  de  tons  les  peuples 
conipiis  est  de  rêver  un  jour  de  restauration.  T>es  Juifs  ne 
croient-ils  pas  encore  à  leur  Messie  llhérateur  et  triomphant? 
Les  (lallois  ont  Ion;j;tenips  espéré  le  retour  de  leur  héros  natio- 
nal, Arthur.  Les  Irlauflais  dWméricjue  sont  attendus  par  leurs 
compatriotes  d'Europe  puur  tenter  le  prand  ceuvre  de  la  restau- 
ration nationale.  Quand  les  Incas  furent  renversés  par  les 
l']s[»af.^nols,  leurs  sujets  se  racontèrent  entre  eux  que  les  descen- 
dants d'Ataunal[>a  reviendraient  un  jniu'  relever  Panticpie 
monarchie  des  fils  du  soleil.  Ijc^  même  dans  la  péninsule  <'spa- 
t,n.ioIe  où,  d'après  la  tradition,  un  grand  nomhre  de  (ioths 
s'étaient  soustraits  à  la  domination  aralie  et  avaient  trouvé  un 
refuge  dans  l'ile  des  Sept  Cités.  Aussi  comprend-on  que  cette 
légende  se  soit  fidèlement  conservée  dans  les  souvenirs  popu- 
laires, et  même  (pi'avec  le  temps  elle  ait  été  emhellie  et 
augmentée,  bientôt,  en  effet,  on  1:0  se  contenta  [)lus  de  men- 
tioiuier  l'île  mystérieuse,  on  prétendit  l'avoir  retrouvée.  En 
Mil,  un  Portugais,  poussé  par  la  tempête  dans  l'Atlantique, 
aurait  débarqué  dans  une  île  inconnue  où  il  trouva  sept  villes, 
dont  les  hal)itants  parlaient  le  portugais  (1).  Ces  derniers 
auraient  voulu  le  retenir,  car  ils  se  refusaient  à  toute  commu- 
nication avec  leur  ancienne  patrie,  mais  il  parvint  à  s'échapper 
et  revint  en  Portugal,  où  il  raconta  à  don  Henri  de  Viseu  ses 
étonnantes  aventures  (2).  Ce  prince  réprimanda  vivement  le 


rant  fugissc  crcdiiiitiii-.    Habent  arcliiepiscopuin  cuni  6  aliis  episcopis 

quare  u  iiiiillis  iiisula  .scptciu  civitatiini  appellatur.  »  L'île  des  Sept  Cités 
fijçiire  encore  sur  la  carte  de  Gérard  Mercator  (Rupeimonde,  1538)  et  sur 
celle  de  Mercator  (1587). 

(1)  tloKN,  Dn  Orifjinihus  Americanix,  p.  7  :  <i  Année  MCCCXLVII,  Por- 
liigallus  «[uidatu  navigans  extra  frctuin  Heracleum  adversis  ventis  in  rcniotain 
insulam,  occidentem  versus,  abrcptus  fuit,  et  in  ca  invenit  scptcin  civitates, 
i|ua;  Portugalloruni  lingua  loqucbantur,  et  interrogabant  au  Mauri  adliuc 
vuxarent  llispatiiain,  unde,  amisso  Koderico,  fugati  suit  ». 

(2)  Ce  détail  est  confirmé  par  Ferdinand  Colomii,  ouv.  cité,  §  9  :  «  Le 
capitaine  et  les  marins  reprirent  la  nier  en  toute  ]ii\lc  et  firent  voile  vers  le 


21:2     l'KKMiKKi:  I'autik. 


LKS    l'KKCniSKlHS    l)K    COLOMB. 


ciipitainc  pour  sNHrc  onfui  sîins  avoir  coinplôtr  ses  renseijfiie- 
nients,  <'t  II'  marin  offrayt''  ue  reparut  plus.  Néanmoins  cotte 
histoire  fit  du  bruit  :  les  érudits  de  r«''po(jue  identifièrent  la 
prétendue  découverte  avec  l'île  phénicienne  nuMitionnée  par 
Aristote  et  par  Diodore  de  Sicile.  Dès  lors  elle  prit  place  sur  les 
cartes,  sous  le  nom  que  nous  lui  connaissons,  île  des  Sept  Cités. 
(Jn  n'avait  même  pas  perdu  l'espoir  de  la  retrouver.  Le  10 
novembre  li7'),  don  Fernando  Telles,  un  Portugais,  se  faisait 
donner  l'investiture  des  îles  qu'il  pourrait  découvrir  dans 
l'Océan  (1),  et  il  était  expressément  stipulé  que  cette  donation 
pourrait  s'étendre  au  Setle  Gidades,  dont  on  avait  perdu  la 
trace.  Le  3  mars  liSO  un  autre  Portugais,  de  Terceira,  Fernando 
Ulmo,  se  faisait  donner  une  autre  île  qu'il  supposait  être  celle 
de  Sette  Gidades,  et  le  contrat  de  cession  était  enregistré  par 
devant  notaire.  Même  après  la  découverte  de  l'Amérique,  l'île 
mystérieuse  ne  disparut  pas  Elle  figurait  encore  sur  le  planis- 
phère de  Henri  11,  et  jusque  sur  la  carte  de  Mercator  en  1509. 
On  a  cru  retrouver  cette  île  à  Saint-Midtel,  une  des  Açores  (2). 
A  l'extrémité  orientale  de  cette  île  s'étend  une  vallée  d'environ 
trois  lieues  carrées  ;  c'est  un  ancien  cratère,  semblable  à  une 
immense  chaudière.  Il  est  entouré  de  montagnes  escarpées,  avec 

Portugal,  certains  que  l'infant  les  louerait  de  leur  conduite.  Le  prince,  au 
contraire,  les  en  blània  sévèrement,  et  leur  ordonna  de  retourner  vers  cette 
île,  d'y  scjourner  et  de  venir  lui  rapporter  ce  qu'ils  y  auraient  vu.  Ces  gens, 
pris  de  frayeur,  s'en  allèrent  avec  leur  navire  et  ne  reparurent  plus  en  Por- 
tugal. Entre  autres  détails,  ils  avaient  dit  que  les  mousses  du  navire,  ayant 
ramené  sur  le  rivage  du  sable  pour  nettoyer  leurs  ustensiles,  avaient  reconnu 
que  ce  sable  était  pour  les  dcur  tiers  d'or  tin  »:  Cf.  Hgrrera,  Historna  gênerai, 
liv.  I  :  •<  En  tienipo  dcl  infante  D.  Enricpie  de  Portugal  coriformenta  corrio 
in  navio  que  liabia  solido  de  Portugal,  i  no  pan^  hasta  dar  as  cU  a,  paro  que 
los  marineros  terminendo  que  no  los  quemasen  el  navio  ilos  detuviessen  de 
holvieron  a  Portugal  inuy  alegres  contiando  de  receberi  mercedes  dcl  infante, 
cl  quai  los  nialtrati^  por  naversc  vcnido  sus  mas  raçom,  i  los  niundù  bolver, 
pero  que  el  nucse  i  los  marineros  no  la  osaron  liaver  isoldes  de  el  reino  numa 
mas  bolvieron  «.  « 

(1)  JoMARD,  ouv.  cité,  pi.  23-24.  70. 

(2)  D'AvEZAC.  Ilex  de  l'Afrique,  p.  74. 


(;ilAI>  —  Lies  ILES  FANTASTIQLKS  DE  l'oC.ÉAN  AïLANTIQUE.    1213 

deux  petits  lacs  dans  le  fond.  Le  sol  est  de  lave  et  de  pierre 
[»once,  niais  recouvert  d'un  liumus  fertile.  Quelques  misérables 
chaumières  répandues  dans  la  vallée  composent  un  hameau  qui 
porte,  en  effet,  le  nom  de  Sept  Cités.  Serions-nous  en  présence 
des  sept  villes  jadis  iiàties  par  les  proscrits?  Mais,  à  première 
vue,  plusieurs  milliers  d'entre  eux  n'auraient  pas  pu  vivre  et 
prospérer  dans  un  espace  aussi  étroit.  Sans  doute  les  tremhK;- 
ments  de  terre  sont  fréipients  aux  Açores  (1).  Ils  peuvent  avoir 
détruit  les  villes  et  transformé  le  sol  ;  mais  au  moins  trouverait- 
on  encore  les  débris  des  maisons  et  rien  de  seuihlahle  n'existe. 
Le  nom  seul  s'est  (conservé  et  encore  jurerait-on  qu'il  est 
d'origine  moderne  et  que  le  hameau  actuel  des  Sept  Cités  a  été 
ainsi  dénommé  par  quelque  érudit  en  quête  de  souvenirs  rétros- 
pectifs. Ce  n'est  donc  pas  aux  Açores  qu'il  faut  chercher  l'île 
des  Sept  Cités. 

Ce  ne  sera  pas  non  plus  sur  le  continent  américain.  On  le 
croyait  pourtant  au  xvi*-'  siècle.  Le  Père  franciscain  Marcos  de 
Niza,  sur  la  foi  de  vagues  récits,  s'enfonçait  en  1539  dans 
l'Amérique  du  Nord,  du  ctjté  de  la  Californie,  avec  l'espoir  de 
trouver  dans  une  contrée,  nommée  Cibola  par  les  indigènes,  les 
sept  cités  de  la  légende.  Accompagné  de  trois  franciscains  et 
d'un  nègre  qui  prétendait  connaître  la  route,  il  atteignit  des 
régions  inexplorées  et  raconta,  à  son  retour,  qu'il  avait  vu  dans 
le  lointain  sept  villes  resplendissantes,  dont  il  avait  pris  posses- 
sion au  nom  du  roi  d'Espagne  (2).  Ses  récits  enthousiastes  déci- 
dèrent le  départ  d'une  expédition  considérable,  commandée  par 
un  gentilhomme  de  mérite,  Francisco  Vasquez  de  Coronado  ; 
mais  la  petite  armée,  après  avoir  supporté  bien  des  fatigues, 

(1)  CoRDEiRO,  VAmérique  et  le  l'ovtugnis  ^Congrès  des  Aniéricanistes  de 
Nancy),  t.  I,  p.  264. 

(2)  La  relation  de  ce  voyage  est  insérée  dans  la  collection  Tërnaix-Compans, 
Voyages,  relations  et  mémoires  pour  servir  à  l'histoire  de  la  découverte 
de  l'Amérique,  1'»  série,  vol.  ix,  p.  256-284.  Cf.  Dans  le  môme  volume, 
p.  2i7-235,  Instructions  données  par  Autojiio  de  Mendoza,  vice-roi  de  la 
Nouvelle-Espayne,  aie  père  Marcos  i'-  Niza. 


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214     ruEMiKHK  rAHTii: 


LKS    l'RKCl'HSKrHS    l>K    COLOMIt. 


1 :1  ■  1 


arriva  au  pied  d'un  rocher  aride,  sur  le(|uel  s'élevait  eu  effet 
Cibola,  village  si  peu  considérahle  «  (|u'il  y  a  des  fenues  de  la 
Nouvelle  Espagne  (pii  ont  meilleure  apparence  »  (l). 

Le  Cibola  du  xvi"  siècle,  ce  Tomhoucfou  américain,  comme 
l'appelle  ingénieusement  llumholdt  ne  réalisa  donc  point  les 
rêves  des  premiers  conquérants  ["l).  On  n'y  trouva  ni  sept  cités 
chrétieimes,  ni  peuple  ayant  gardé  de  vieilles  traditions,  mais 
Cibola  n'en  existait  pas  moins,  dans  un  pays  voisin  du  Rio  (iila, 
non  loin  des  sources  du  Rio  del  Norte,  et,  chose  singulière,  lu 
région  comprenait  soixante-dix  bourgades  réparties  eu  sept 
provinces.  II  paraîtrait  môme  qu'aujourd'hui  à  Zuni,  ville  prin- 
cipale de  l'ancien  Cibola,  se  rencontrent  des  Indiens  à  cheveux 
blonds  et  à  visage  clair.  «  A  leur  aspect,  s'écriait  Catlin,  on  est 
tenté  de  s'écrier  :  Ce  ne  sont  pas  là  des  Indiens  !  Il  y  en  a 
beaucoup  parmi  eux,  dont  le  teint  est  aussi  clair  ([ue  celui  des 
sang-môlés.  Parmi  les  femmes  en  particulier,  plusieurs  ont  la 
peau  presque  blanche,  et  les  yeux  gris,  bleus  ou  couleur  noi- 
sette ».  11  est  vrai  que  ces  indications  n'offrent  rien  de  précis  et 
nous  ne  devons  pas  oublier  que  Cibola  est  le  pays  des  mirages, 
puisque,  en  lîiiO,  Vasquez  de  Coronado  (  i)  prit  pour  des  hommes 
vêtus  de  blanc  et  send)lables  à  des  religieux  de  la  Merci  quehjues- 
uns  de  ces  grands  hérons  blancs  que  les  Espagnols  nomment 


(1)  Tehnal'x-Compans,  p.  364-382,  Relation  du  voyage  fait  ù  la  Nouvelle 
Terre  sous  les  ordres  du  général  Francisco  Vasquez  de  Coronado,  rédigée 
par  le  capitaine  J.  Jaramillo.  —  (]f.  même  volume,  p.  349-303,  Lettres 
de  Vasquez  Coronado,  gouverneur  de  la  Nouvelle  Galice,  et  (lu.,  p.  1-24G), 
Pedro  de  Castaneda  de  Nagera,  Relation  du  voyage  de  Cibola  entrepris 
en  1540,  où  l'on  traite  de  toutes  les  peuplades  qui  habitent  cette  contrée, 
de  leurs  mœurs  et  coutumes. 

(2)  HuHBOLDT,  Histoire  de  la  géographie  du  nouveau  continent.  11,  204. 
Cf.  J.-H.  Simpson,  Coronado's  march  in  research  of  the  seven  Cities  of 
Cihola,  and  discussion  of  their  probable  locution  (Smitlisoniaii  Institution, 
1869,  p.  209-240).  —  Vivien  de  Saint-Martix,  An7iée  géographique,  1872, 
p.  239. 

(3)  Catlin,  Letters  and  notes  and  the  manners,  customs  and  conditions 
of  the  nort  American  Indians,  I,  93. 

(4)  Vasquez  de  Coronado,  ouv.  cité. 


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<;ilAF'.  VI.  —  LES  ILES  FANTASTIQl'ES  DE  l'oCÉAN  ATLANTIOl'E.    215 

fncore  soldados,  parceque,  vus  de  loin  et  à  contre-jour,  ils  res- 
semblent à  des  sentinelles  ;  mais  l'existence  de  ces  Indiens  à 
teint  piile  et  dans  une  région  rigoureusement  divisée  en  sept 
cantons,  n'en  est  pas  moins  singulière,  surtout  si  on  la  rapproche 
«l'une  curieuse  légende  rapportée  par  Sagahun,  historien  sans 
grande  critique,  mais  qui  eut  le  mérite  de  rapporter  fidèlement  les 
traditions  indigènes  (1).  Il  s'agit  de  l'origine  des  Nahuatl.  «  La 
relation  qu'en  donnent  les  anciens,  dit-il,  est  qu'ils  vinrent  par 
mer  du  côté  du  Nord...  On  conjecture  que  ces  naturels  sortirent 
de  sept  grottes  et  que  ces  sept  grottes  sont  les  navires  ou  galères 
dans  lesquels  arrivèrent  les  premiers  colons  ».  Ces  premiers 
colons  étaient-ils  les  diocésains  des  sept  évéques  visigoths  et  le 
Cibola  où  l'on  rencontre  encore  aujourd'hui  des  Indiens  à  teint 
hlanc  correspond-t-il  au  pays  des  Sept  Cités,  nous  n'oserions 
l'affirmer,  car  ce  nombre  fatidique  de  sept  peut  n'être  dû  qu'au 
simple  hasard,  tout  aussi  bien  que  la  présence  d'une  race  blanche 
dans  les  régions  de  Cibola  :  nous  devions  toutefois  mentionner 
ces  analogies,  sans  nous  permettre  pour  autant  d'établir  une 
concordance  absolue  entre  le  Cibola  et  l'île  des  Sept  Cités. 

Une  autre  île  que  les  cartographes  du  moyen  Age  men- 
tionnent encore  fréquemment,  et  parfois  même  confondent  avec 
l'île  des  Sept  Cités,  est  l'île  Antilia.  Les  uns  trouvent  un  certain 
rapport  entre  Antilia  et  l'Atlantide  (2)  ;  les  autres,  versés  dans 
la  connaissance  des  langues  orientales,  ont  pensé  qu' Antilia 
correspondait  au  Gezyret-el-Tennyn  ou  île  des  serpents  des 
cosmographes  arabes  (3)  ;  en  effet,  sur  quelques  cartes  du  xiV  et 


(1)  Saiiaol'n,  Histoire  des  choses  de  la  Nouvelle  Espagne,  T,  t8. 

(2)  D'AvEZAC  {[les  de  l'Afrique),  p.  28),  cite  un  document  géographique 
de  1455  portant  la  désignation  suivante  :  «  Geste  islc  est  appelée  de  Antillis. 
Platon  asseure  que  ceste  isle  estoit  presque  aussi  grande  que  l'Afrique,  et  il 
dit  que  dans  ccstc  mer  se  veoient  de  grands  heurtements  des  courants,  qui 
passeraient  sur  ceste  islc  sablonneuse,  à  raison  desquels  sables  la  susdite  islc 
s'est  presque  effondrée  par  la  volonté  de  Dieu,  et  ceste  mer  est  appelée  mer 
de  Batture  ». 

(3)  BuAciiE,  Mémoire  sur  Vile  Antilia  (Mémoires  de  l'Institut,  1806). 


210       PREMIÈRE    PARTIE.    —   LES    PRÉCURSEURS   DE  COLOMB. 

du  xV  siècle  est  figurée  une  île  près  de  laquelle  un  homme  est 
dévoré  par  des  serpents.  Cette  île  s'appelle  Antilia,  ce  qui 
pourrait  bien  être  la  traduction  de  l'AraheTennyn.  On  a  encore 
prétendu  que  l'étymologie  d' Antilia  était  ante  insula,  île  anté- 
rieure, et,  dans  ce  cas,  Antilia  ne  serait  qu'une  réminiscence 
de  cette  île  mystérieuse  de  l'Océan  qu'Aristote  nommait  àvn;:ci- 
pUaoç  et  Ptolémée  ir.po<:'.-:o;  (1).  Quelle  que  soit  l'origine  de  cette 
dénomination,  elle  existe,  et  c'est  à  nous  de  suivre  sa  fortune 
à  travers  les  cartes  et  les  traités  géographiques. 

Pedro  de  Médina,  écrivain  espagnol  du  xvi  siècle  (2), 
rapporte  que,  dans  un  Ptolémée  offert  au  pape  Urbain  VI,  qui 
régna  de  1378  à  1389,  il  remarqua  l'île  Antilia  qui  portait  la 
légende  suivante  :  «  Ista  huula  Antilia ,  allquando  a  fAtsiiams 
est  inventa,  sed  modo  quando  qmerituv,  non  invenitur  ».  H 
est  probable  qu'il  ne  s'agit  ici  que  d'une  de  ces  cartes  supplé- 
mentaires que  les  savants  ajoutaient  aux  manuscrits  de  Ptolémée, 
au  fur  et  à  mesure  des  découvertes  géographiques,  afm  de  mettre 
en  quelque  sorte  au  courant  leur  auteur  favori,  car  nous  ne 
trouvons  l'île  Antilia  marquée  sur  aucune  des  cartes  datant 
du  xiV  siècle.  Il  est  vrai  qu'on  a  encore  voulu  trouver  l'Antilia 
sur  la  carte  dressée  en  1367  par  Pizzigani  (3).  On  distingue 
en  effet  sur  une  île  très  à  l'ouest  dans  l'Atlantique  deux  statues 
figurées  avec  la  mention  suivante  :  «  Hœ  sunt  statuse  qux 
stant  ante  ripas  AntiUix,  quariim  quxin  fundo  ad  securandos 
homines  navigantes,  quare  est  fusum  ad  ista  maria  quousque 
possint  navigare,  et  foras  porrecta  statua  est  mare  sorde  quo 
non  possint  intrare  nautx  ».  Mais  la  carte  de  Pizzigani  est 
d'une  lecture  difficile.  Ad  ripas  Antilliie  se  lit  tout  aussi  bien 

(1  Aristote,  De  mundo,  III.  ^ 

(2)  Pedro  de  Médina,  cité  par  d'Avezac  (lies  de  l'Afrique,  p.  27),  est  l'au- 
teur du  Regimienlo  de  navegacion  (1563)  et  de  YArte  del  navegar  (1555). 

(3)  JoHARD,   ouv.  cité,  plancbes  4445.  —  Cf.  Humboldt,  Histoire  de  la 
Géographie  du  Nouveau  Continent,  t.  Il,  p.  177.  —  Buache,  ut  supra.  - 
ZURLA,  Viaggi  Venezziani,  t.  H,  p.  374. 


CIIAi'.  VI.  —  LES  ILES  FANTASTIQUES  DE  L'OCÉAN  ATLANTIQUE.    it\l 

que  Ad  ripus  AtitUio,  et  mèrno  Ad  ripas  istins  insiil.T.  Ce  n'est 
donc  pas  au  xiv"  sic-'cle  qu'on  trouve  IWntilia  mentionnée  avec 
[H'écision. 

A  vrai  dire  la  première  indication  (certaine  de  l'Aiitilia  ne 
peut  (Hre  livée  (ju'à  l'année  lAAA,  épocjue  à  lacpielle,  d'après 
Ueliaini,  un  navire  espagnol  s'approcha  pour  la  première  fois 
de  cette  île  et  la  lit  connaître  à  l'Europe  (1).  Dès  lors  l'Antilia 
figure  en  elFet  sur  presque  toutes  les  cartes.  On  la  retrouve  sur 
le  Portulan  Ancônitain  de  147i,  conservé  à  la  hil)liotlièqu(? 
grand-ducale  de  Weimar,  et  sur  celui  du  Génois  Heccaria  ou 
Hecclaria  conservé  à  la  liihliolhèque  de  Panne  (2).  La  carte  du 
Vénitien  Andréa  Bianco,  dressée  en  14IUI,  et  publiée  par  Fornia- 
leoni  en  1789  (3),  celle  du  (iénois  Hartolomeo  Pareto,  dressée 
en  1455  et  publiée  par  Andrés  (i),  la  mappemonde  de  Fra 
Maure  en  1457  et  la  carte  d'Andréa  Henincasa  dressée  en  147(» 
mentionnent  pareillement  l'Antilia.  Le  mathématicien  florentin 
Toscanelli,  qui  fut  le  correspondant  de  Golomh  et  le  conlh-ma 
dans  sa  résolution  de  chercher  à  l'occident  la  route  des  Indes, 
avait  dessiné  avec;  soin  une  carte  du  vo^'age  à  entreprendre 
dans  cette  direction,  et  l'Antilia  y  figurait  comme  station  inter- 
médiaire sur  la  route  de  Lisbonne  aux  Indes  par  l'ouest.  Dans 
la  lettre  qui  accompagnait  cette  carte,  il  parle  de  l'Antilia  comme 
d'un  pays  connu  :  «  Depuis  l'île  Antilia  que  vous  connaissez, 
jusqu'à  la  très  noble  île  de  Cippangu,  etc.  »  (5).  Malheureusement 
la  carte  de  Toscanelli  est  perdue,  et  il  esta  peu  près  impossible 
d'évaluer  avec  précision  les  distances  fixées  par  l'érudit  florentin. 


(1)  JOHARD,  ouv.  cité,  j)l.  52  :  Remarquons  toutefois  d'après  Herrera 
(Hintoria  gênerai)  que  <<  en  las  cnrtas  de  niarear  antiguas  se  pintabam  algunas 
islas  por  aquelles  marcs,  especial meute  la  isîa  que  decian  de  Antilia  ». 

(2)  D'AVEZAC,  lies  de  l'Afrique,  p.  24.  —  Humboldt,  ut  supra,  t.  Il,  p.  190. 

(3)  FoHMALEOM,  Suggio  sulta  nautica  antica  dei  Veneziani. 

(4)  Andrés,  Note  sur  une  carte  géographique  de  1455. 

(5)  Toscanelli,  Lettre  à  Colomb,  publiée  d'après  l'original,  par  Barrisse. 
{Don  Fernando  Colon,  historiador  de  su  padre).  «  Ab  insula  Antilia  vobis 
nota  ad  insulam  nobilissimam  Cippangis^  etc.  ». 


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Il  t'st  vrai  (|U(î  imus  possédons  V\  ^\u\n\  dresst''  quehjues  aiinécs 
plus  tard  par  lîcliaim  ,  et  (jui  n'est  à  ce  qu'on  croit  cpi'une 
reproduction  de  lacarte  dciToscanelli.  Or  l'Antilia  y  est  nianpiée 
sous  l(î  ;J3'  de  longitude  occidentale.  Urtelius  et  Mercator  la 
dessinent  encore  dans  leurs  atlas  (1).  Va\  général  toutes  ces 
cartes  lui  donnent  une  forme  rectangulaire,  et  en  font  un  pays 
à  peu  près  aussi  grand  (pie  l'Espagne.  Les  côtes  sont  décrites 
avec  une  grande  apparence  d'exactitude.  On  y  reti'ouve  les 
mêmes  détails  que  dans  ces  terres  imaginaires  du  pôle  nord  ou 
du  pôle  sud  qu'on  dessina  avec  tant  de  soin  dans  les  atlas 
jusqu'au  xviii"  siècle.  Donc  à  partir  de  xiv"  siècle  tous  les 
marins  ont  cru  à  l'existence  de  l'Antilia  :  il  nous  reste  à 
déterminer  la  position  (|u'ils  lui  assignaient. 

Chercherons -nous  l'Antilia  dans  l'archipel  des  Canaries? 
Mais  ces  îles  avaient  été  visitées  dès  le  xiii"  siècle,  vers  1275, 
par  le  Génois  Lancelot  Maloisel,  et  en  1291  par  Tedisio  Doria 
et  les  frères  Vivaldi,  d'autres  Génois.  Pétrarque,  né  en  1304, 
nous  affirme  qu'une  flotte  de  guerre  génoise  avait  pénétré  aux 
Canaries  toute  une  génération  avant  lui.  Au  xiv"  siècle,  cet 
archipel  fut  encore  reconnu  et  visité  en  1341  par  Angiolini  del 
Tegghia,  en  1360,  par  deux  navires  espagnols  expédiés  par  Luis 
de  Lacerda,  cnl377parleBiscayen  Ruys  de  Avendano,enl342 
par  F.  Lopez,  en  1380  par  le  Castillan  Ureno  (2).  L'atlas  cata- 
lan de  1375  édité  par  Buchon,  la  carte  de  Mecia  de  Viladestes 
et  le  Portulan  de  la  hihhothèque  municipale  de  Dijon  marquent 
ces  îles.  Au  commencement  du  w"  siècle,  lorsque  Jehan  de 
Bethencourt  partit  de  Normandie  avec  le  dessein  hien  arrêté  de 
conquérir  les  Canaries,  non  seulement  il  emmenait  avec  lui 
de  France  des  interprètes  canariens,  mais  encore  la  chronique 
rédigée  par  ses  aumôniers  nous  apprend  que  ces  îles  étaient 


■'  1 


(1)  Obteuu?.  carte  5.  —  .Mebcator,  carte  3. 

(2)  Gravier,  Recherches  mr  les  navigations  européennes  faites  au  moyen- 
âge  aux  côtes  o:cidentales   d'Afrique   (Congrès  de   géograpliic   de  Pari 
en  1878,  p.  459-497). 


CIIAP.  VI,  —  LKS  ILES  FANTASTIQUES  DE  L'oCÉAN  ATLA.NTIQl  E.    ilO 

ili'puis  longtemps  fmiiicntt'cs  par  les  marins  (1),  Si  donc  lu 
premier»'  notion  authentique  de  i'Antilia  date  seulement  de 
lili,  comme  nous  l'avons  établi  |)lus  haut,  les  (lanaries  étant 
connues  depuis  bien  plus  longtemps,  ce  n'est  pas  dans  cet 
arclii[iel  ([ue  nous  devons  cluM'clier  I'Antilia. 

L'archipel  de  Mad»'re,  depuis  longtemps  visité  par  les  A  rahes, 
avait  aussi,  dès  le  xiV  siècle,  été  signalé  jiar  les  Européens,  (!t 
particulièrement  par  les  Italiens  (2),  car  toutes  les  cartes  mari- 
times d(î  l'épcHjue  donnent  aux  îles  des  dénominations  italiennes, 
Insula  di  Legnano,  Déserte,  Salvage,  Porto-Santo,  etc.  Ce  n'est 
donc  point  là  encore  qu'il  nous  faut  chercher  I'Antilia. 

L(>s  îles  du  Cap-Vert  ont  été  découvertes  à  une  époque  hien 
|)lus  ré(;ente  (3).  C'est  en  lioGque  le  Vénitien  Ca  da  Mosto  et 
le  (jénois  Antonio  Usodi  Mare  reconnurent  les  premiers  ces 
îles,  mais  elles  sont  peu  éloignées  de  la  côte,  tandis  que  toutes 
les  cartes  du  temps  représentent  I'Antilia  au  milieu  de  l'Océan 
et  ne  cessèrent  jamais  de  la  représenter  en  même  temps  que 
l'archipel  du  Cap-Vert. 

(  )ù  donc  trouver  cette  Antilia  fantastique  ?  Buache  se  pro- 
nonçait en  faveur  des  Açores  {\),  bien  que  les  Açores  fussent 
connues  et  dessinées  dès  le  milieu  du  xiV  siècle,  si  du  moins 
on  en  croit  le  Portulan  Médiceen  de  1351  (5).  Aussi  bien  si 
I'Antilia  eût  correspondu  à  Saint-Michel  ou  à  toute  autre  île  du 
groupe  açoréen,  on  ne  l'aurait  plus  figurée  sur  les  cartes  de 
l'époque,  qui,  au  contraire,  représentent  simultanément,  ainsi 
que  celles  de  Bianco  ou  de  Behaim,  I'Antilia  et  les  Açores. 

L' Antilia  serait-elle  l'Amérique?  A  propos  de  la  carte  de 
Bianco,  qui  marque  deux  îles  séparées  par  un  détroit,  Antilia 

;l)  Gravier.  Le  Canarien,  p.  2246. 

(2   D'AvEZAC,  Iles  de  C Afrique.  —  Gravier,  ouv.  cité. 

(3)  J.  Loi'EZ  de  Lima,  Ensayo  sobre  a  stntistica  dus  possessocs  portu- 
gttezttu,  Lisboa,  1844. 

(4)  Buache,  ouv.  cilé. 

(5)  D'AvEZAc,  lies  de  l'Afrique.  —  Gohdeybo,  Historia  iiisuluna  rias 
ilhas  a  Portugal  suageytas  no  Oceano  occidental,  Lisboa,  1717. 


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220       PHEMIKHK   l'AUTIK.   —   LES  l'UKCLHSKlRS   DE  COLOMH. 

et  la  Mail  Satuiluxio,  un  googi-aplic  allfiiiaiid,  Hasscl,  |in>t*'ii(| 
que  ces  deux  îles  correspoïKleiit  aux  deux  parties  du  roiitiiieiit 
américain  que  l'on  croyait  en  effet,  aux  premiers  temps  de  hi 
découverte,  séparées  par  un  détroit.  Foniialeoiii  n'hésite  pas  à 
ral'firmer  (l),  mais  cette  liyp<»llièse  n'est  sout»'iiue  par  aucun 
argument  sérieux.  Il  est  prolialtleipi'inspirés  p;ir  je  ne  sais  (pieile, 
réminiscences  anti(|ues  et  par  de  vagues  traditions,  les  carto- 
graphes du  moyen-Age  conroiidirent  sous  le  nom  nni(pie  d'.\n- 
tilia  les  côtes  de  plusieurs  îles  récemmont  découvertes.  Ainsi 
Beccaria,  dans  sa  carte  de  liU."),  appelle  Antilia  et  l'arcliiitcl 
qui  l'entoure  Insulie  de  novo  repte  (re[ierta!)  (2).  Puis,  à  mesure 
que  ces  iles  furent  mieux  connues,  cpie  leurs  contours,  leur 
grandeur  et  leur  position  furent  déterminés  avec  précision,  on 
se  tttntonta  d'éloigner  dans  la  direction  de  l'ouest  cette  ile  ima- 
ginaire, qui  servit  désormais  à  désigner  toutes  les  découvertes 
encore  incertaines. L'Antilia  fut  l'ilespérie  du  moyen-àge  :  elle 
recula  toujours,  comme  celle  de  l'antiquité,  devant  les  explora- 
teurs hardis  et  les  voyageurs  aventureux. 

Antilia  disparaîtra  en  effet  des  cartes,  dès  que  le  Nouveau- 
Monde  sera  découvert.  Si  aujourd'hui  ce  nom  s'applique  encore 
à  tout  un  archipel,  c'est  l'effet  d'un  pur  hasard  géographicjue. 
Colomb,  Oviedo,  Acosta,  Goinara  et  les  premiers  historiens 
espagnols  de  l'Amérique  ne  parlent  jamais  de  l'Antilia.  Les 
mappemondes  ajoutées  suivant  l'usage  aux  éditions  de  Ptolémée 
ne  la  mentionnent  pas  davantage.  Sur  les  cartes  de  Juan  de  la 
Gosa  ou  de  llibeira  il  n'y  a  pas  trace  du  nom  des  Antilles.  Dans 
le  recueil  italien  de  Joutes  les  îles  du  monde  par  IJenedetto 
Bordone  (3),  dans  VIsokmo  de  Porcacchi  (4),  dans  la  Cosmo- 


(1)  KORMALEONI,  OUV.   cité. 

(2)  JoMARD,  ouv.  cite,  planche  8. 

(3)  Bordone  Uiro  nel  quai  si  vagiona  de  tutte  l'hole  del  mondo,  Ve- 
nise, 153i. 

(4)  TiiOMAiiO  Porcacchi,  l'Isole  piu  fatnose  del  mondo,  Venise,  1590. 


OHAP.  VI.  —  LES  ILKS  KANTASTIOIKS  l»E  l/oC^AN  ATUNTIOl'K-    ^^2i 


l/r(ij)liir  (r.\ii(li'(''  Tlifvct  (1),  «laiiH  lu  Ih'scriptnm  (1rs  /ndfs  ncn- 
ilnilnh's  |iiir  llcrrora  (ii),  jaiiiais  ne  llpiirc  le  iiotn  (rAiitilIcs. 
Ii'ar<'lii|i(>l  (|iii  porto  aujoiinriiiii  rc  iimii  est  (Irsi^Mir  sons  la 
(ItMioiiuiiatioti  (l(>  Liirayt^s,  (larailics,  on  Itirii  «Micorc  de  (laiiicr- 
cancs  (II).  Sans  doute  Picrrt'  Martyr  avait  déjà  propose''  ce 
nom  dans  ses  Ih'raili's  (l),  et  .Xnicri^'o  Vcspncci,  la  srnie  l'ois 
(|n'il  cite  (lolonil),  parle  anssi  dWntilia  (.'>),  mais,  malgré  cetti; 
donlile  autorité,  le  nom  dWntilles,  pendant  eneore  tont  nn 
sièele,  devait  être  inronnn.  (Vest  seulement  à  partir  du  xvii* 
sièele  qne  la  grande  céléhrifé  des  cartes  d(!  W'ytfliet  (<>)  et 
d'Ortelins  (7),  qni,  sans  doute  par  souvenir  d'érnnition,  avaient 
l'ait  revivre  cette  appellation,  li\a  pour  toujours  sur  les  cartes 
d'Américpie  le  nom  d'.Xntilles. 

LWntilia  n'a  donc  été  (prun  mythe  géograplii(pie  ,  mais 
aiupiel  on  cessa  de  iToire  |(eaucou|>  plus  vile  «pi'on  ne  l'avait 
l'ait  pour  l'île  de  Saint  Hrandan.  Seidement,  par  nn  singulier 
hasard,  aucune  terre  ne  porte  aujourd'hui  le  nom  du  saint  Ir- 
landais, tandis  ipie  le  rnagniti(pie  archipel  de  la  mer  du  Me\i(|ue 
a  conservé  le  nom  qui  ne  lui  fut  définitivement  aftrihué  (pie 
l(iugtem|is  après  sa  découverte.  Ce  mythe,  (juelle  (pi'ait  été  sa 
l'orfune,  nous  j)rouvedonc,  une  fois  de  plus,  comhien  était  prt)- 
fondément  gravée  dans  les  esprits  la  croyance  à  l'existence 
d'iles  ou  de  continents  dans  l'tJcéan  Atlantique, 


(1)  TiiKVKT,  Co.imOf/raphie  Utiivrrselle,  Paris,  157.'). 

2)  IIkhiikha,  Hàtoi'ia  gennivil  de  los  hechos  do  los  Cnslpllannu  m  las 
/.v/r/s  //  Tirrra  firme  del  mnr  Oceann. 

(IJ)  lIcMi-.oi.DT.  lïhtoire  de  la  Géographie  du  Nouveau  Continent,  t.  Il, 
|i.  10!t-;00. 

(i)  l'iKitHK  Mahtyii,  Décades,  1,  jt.  tl  :  «  In  Hispaniola  Ophirain  insulain 
se  rcpcrisse  refert  Columbiis,  seil,  cosmographoruiii  tractu  diligcnler  conside- 
rato,  Antilim  insiihc  suiil  illaî  et  adjacentes  aliœ  «. 

(■■>)  IIyi.acojiyi.is,  Cosnioyraphiâs  introductio  :  «  Veiiimus  ad  Anligliœ  in- 
sidain,  (]uain  paucis  niiper  ab  annis  Christophoru$  Columbus  discoopcruit  ». 

())  Wytki.iet,  Descriptionis  PtolemaicT  augmentum,  1 597,  carie  5,  Novi 
orliis  pais  Borscalis. 

(7)  Omtri.ius.  Toutes  les  cartes  de  son  atlas  relatives  à  l'Amérique. 


1      / 


"i^l     i'hkmikhk  i'aiitik.  —  i,ks  pHKcrnsKins  i»k  (.(ilomii. 


vmri  ^ 


Nous  iivDris  ciicnrc  à  (>iir('f,'istn'r  (rautrcs  îles,  dont  rcxislciirc 
est  tout  .'iiissi  |)rol)l<'>inati(|ii(>,  mais  ait\(|U(>ll('s  on  croyait  au 
riioyiMi-àp',  avant  la  date  orilcicllc  de  lu  «Ircouvcrtc  de  l'AnK'- 
ri(|ii('.  l'n  ivcit  (|u<'l('on(|ue  de  voya^*',  mt^nic  invraiscnddalilc, 
se  iTiiandait-il,  (|Ucl(|U(>  marin  nrcnait-il  rionrunc  terre  la  trom- 


peuse <-i|)|iaren('e  d'un  niia^'c  à  l'Iiori/oii,  il  annonçait  an  retour 
sa  prétendue  découverte.  Aussitôt  les  carto^raplles  se  mcîttaient 
à  r»euvre.  Assttciant  leurs  désirs  à  de  confuses  n(»tions,  ils 
créaient  (|uel(|ue  terre  uouveIN',  (|ni  ne  disparaissait  des  cartes 
(pi'a|»rès  des  découvertes  l)i(>n  autlienti(|ues.  Telles  lurent  les 
trois  îles  (pie,  d'ordinaire,  on  trouve  manpiées  à  cAté  d(î  l'An- 
tilia  sur  la  plupart  des  cartes  et  porlidans  (uie  ikjus  citions  plus 


haut  :  la  première,  à  vin^rt  lieues  envinui  à  l'ouest  d'Aiitilia,  et 
parallèlement  à  elle,  est  de  r(»rme  carrée  ;  elle:  a  nom  lloyllo  : 
la  s(>conde  (>st  à  soixante  lieues  au  nord  ;  on  la  nonune  La  Mail 
Satanaxio  ou  San  Atanaf,'io  ;  la  dernière,  eiilin,  au  nord  d«>  la 
seconde,  complète  le  f^roiipe  et  s'a|»pelle  'raninar  ou  Danmar. 

1)(^  ces  trois  îles  celle  (pii  se  retrouver  sur  le  plus  j^raiid  nomlire 
de  rartes  est  l'ile  de  la  Man  Satanaxio  ou  de  la  Main  de  Satan, 
(lelfe  deiiominatioii  est  siiifiiilière.  Devons-nous  y  voir  (piehpie 
va|.Mie  reflet  de  la  lép'mh»  de  saint  nraudan,  oinpiehpie  nouveau 
c(Hite  sur  les  daiifrersde  l'Océan  ?  Fttrmaleoiii  (I),  en  consultant  à 
la  l)iltliotliè(pie  Saint-Marc,  de  Venise,  l'atlas  d'.Vndrea  Ilianco, 
sur  leipiel  Danse  de  Villoisou  venait  d'appeler  l'attention  de 
l'Kurope  savante  ,  avouait  naïveinent  (pi'il  avait  lonj^temps 
clierclié  l'explication  de  ce  nom.  X  iovci'  de  c(»nsulter  les  vieux 
auteurs,  il  découvrit  un  roman  de  (lliristol'oro  ,\rineno,  intitulé 
//  /*rllrfjriiiti'/f/i(i  di  Ire  f/ioiuanii,  dans  leipicd  on  parlait  d'une 
certaine  contrée  de  l'Inde,  où,  tous  les  jours,  uikî  grande!  main 
sortait  de  l'eau,  saisissait  les  matelots,  et  les  entraînait  dans 
laluine  avec  leurs  navires,  dette  main  ne  pouvait  être  (pie  la 
main  de  Satan,  d'où  I(î  nom  d<tnné  à  l'ile  mystérieuses  :  Nous 


(I)  FOII.MAI.EO.NI,  oiiv.  cili'î. 


CHAI'.  VI 


l,i;S  ILKS  KANTASTKMÎKS  llK  l/oCKA.N  ATLWTH.MK.    ±l'.i 


croyons,  an  contraire,  (jnc  (Ihistoloro  Ai'uicno  s'est  ins|>iré  de 
cette  léfjemle,  mais  (|n'il  ne  l'a  pas  inventée.  ICIie  evisfail  hien 
avant  Ini.  Pendant,  lonl  le  nn»\en-à^,^e  on  a  placé  l'enfer  dans 
ces  réj:ions  Septentrionales  de  rAtlanti(pie,  où,  tont  justement, 
les  cartographes  avaient  l'hahitnde  de  pliicer  l'ile  en  (piestion. 
Ainsi,  la  carte  de  rAtlanli(|ne  insérée  dans  la  /{iirrolla  t/i 
Vitiifffi  de  Hanmsio  (I)  plaçait  an  nord  de  Terre-Neuve  l'ile 
des  Dialiles,  dont  on  voyait,  en  eU'et,  voltif!:er  à  Teiitonr  tonte 
uniM'oliorte  ;  llnyscli,  dans  son  atlas  de  l.'iOT-l.'JOS,  insérait 
dans  cette  ré(.,Mon  de  l'Océan,  ime  insida  da>monnm  {li)  ;  (".orte- 
real  donnait  é;;alemenl  à  une  Ile  sin*  la  côte  de  Labrador  le  nom 
(l'Isola  de  los  Uemoiiios  [',\)  ;  Tlievet,  enihi,dans  sa  CusiiKif/rd- 


ces 


ftliit!  iinirn'sallt;  {A)  {\î>Ti'))y  raconte  avec  candeur  les  s(»idrran 
et  les  persécutions  (pr(;ndnrent  les  mallienrenv  indigènes  on  les 
navigateurs  européens  conduits  par  leiu' mauvaise  fortune  dans 
l'archipel  des  Démons  ('»).  Mais,  (pielle  (pie  soit  l'explication 
donnée,  l'existence  de  l'ile  en  (piestion  demeure  toujours  pro- 
lilémati(pie.  S'il  nous  était  permis  d'aventurer  une  hxpothése, 
nous  croirions  volontiers  (pie  les  navij,Mteurs  de  l'épiMpie  ren- 
conlrèrent,  en  s'aventiirant  dans  l'.\llanti(|ue,  (|uel(|iies-uns  de 


pie,  (piel(p 


ces  };i;;aiites(|ues   iceher},^s  ,  ou  moiita^iiies  ( 


le  ul 


ice 


arracUes 


aux  '(aïKpiises  du  pi'de  et  entraînés  au  sud  par  les  courants, 
dont  la  rencontrer  ass(>/  fre(pieiite  est,  iinhiie  aujourd'hui,  si 
redoutée  par  les  capitaines,  (les  icelierfi:s,  (piand  ils  se  heurtent 


iue  un  navire 


iiilenl 


à    pic,  et,  comme  ils  ariiveiil  à 


l'improvisle,   escortés   par   d'épais    lirouillards,    ils    pai'aissent 

réelleiiieiit  sortir  du  sein  des  (lots,  comme  sortait   la  main  de 

Satan,  pour  précipiter  au  fond  de  l'ahiuie  matelots  et  navires. 

UiK-  antre  explication,  heaiicoiip  plus  natiu'elle,  consiste  A 


(1)  ItAMiisio,  Uureulln  tli  viii//i/i,  (.  Il,  '.\'A\. 

(2)  llrvsi;ii,  ('111111111  (l(!  Plohîiiicc,  l.iOH. 
{',\)  IIaiiiiishic,  /.m  dnrtevntt/ 

4)  TiiKVKi,  Costnoi/rap/iie  IJniver.sfllf. 

(:;)  Viiii  ciKuiio  k;«  cartes  do  Lafrcri  (Venise,  l.'i66l  l'I  de  il.  Meic.ulor  (1587) 


¥\' 


22!i   PREMIÈRE  PARTIE. 


LES  PRECURSEURS  DE  COLOMR. 


\t 


lire  San  Anatafîio  au  lieu  de  Man  Satanaxio.  Le  dérhiffrement 
des  portulans  du  moyen  à'^c  qui  sont  parvenus  jusqu'à  nous,  est 
très  difficile,  et,  pour  un  lecteur  dont  les  connaissances  paléo- 
};raplii(jues  seraient  médiocres,  comme  l'étaient,  par  exemple, 
celle  de  Formaleoni,  le  premier  éditeur  de  l'Atlas  de  Bianco,  on 
peut  lire  indifl'éremment  l'une  et  l'autre  leçon.  En  ce  cas,  la 
prétendue  île  de  Satan  serait  tout  simplement  l'île  placée  sous 
l'invocation  de  saint  Atlianase,  ce  qui  était  plus  conforme  aux 
habitudes  des  marins  de  l'époque. 

Quelle  que  soit  l'origine  de  cette  appellation,  nous  ne  sommes 
jias  fixés  sur  la  position  de  l'île,  pas  plus  que  sur  la  position  des 
deux  îles  voisines,  Royllo  et  Tanmar.  Elles  disparurent  succes- 
sivement des  cartes,  même  avant  l'Antilia,  qui,  du  moins,  a 
laissé  son  nom  à  un  immense  archipel,  tandis  que  ces  îles  fan- 
tastiques sont  rentrées  dans  l'obscurité.  Elles  n'en  seraient  même 
jamais  sorties  sans  le  singulier  et  très  persistant  pressentiment 
des  marins  et  des  érudits  de  l'époque,  relativement  à  l'existence 
de  terres  à  l'occident. 

Nous  en  dirons  autant  pour  l'île  de  Bracie,  Berzil  ou  Brasil 
([ue  les  cartes  du  moyen  âge  dessinaient  an  milieu  de  l'Atlantique. 
On  les  trouve,  par  exemple,  sur  le  portulan  médicéen  de  1381. 
La  carte  catalane  de  1375  (1)  en  mentionne  môme  deux  sous  le 
même  nom  et  la  carte  des  frères  Pizigani  (1367)  (2)  en  compte 
jusqu'à  trois  :  la  première  au  sud  sous  le  parallèle  de  Gibraltar, 
la  seconde  au  sud-ouest  de  l'Irlande,  accompagnée  de  deux 
navires  et  d'un  homme  dont  on  ne  voit  plus  que  la  tête,  car  il 
est  dévoré  par  des  serpents  ;  la  troisième  au  nord  de  la  précé- 
dente avec  une  bête  fantastique  qui  enlève  un  homme  dans  sa 
gueule  :  elle  porte  l'inscription  I"  de  Mayotus  seu  de  Bracir. 
Elle  >  st  dénommée  Brazil  sur  le  portulan  de  Mecia  de  Vila- 
destes   (1413),    les   cartes   d'Andréa   Bianco    (1430)   et   Fra 


(1)  Tasto  et  Bucmo\  Notice  d'un  atlax  en  langue  catalane,  manuscrit  de 
Tan  1375,  conservé  ^  a7'mi  les  manuscrits  de  la  Bibliothèque  roijale. 

(2)  JoM\RD,  ouv.  cité,  planches  4i-4;j. 


1 


36?) 


FRAGMENT   DE  LA  CARTE    DE 


CARTE    DE    PICIGNANO  (1367) 


// 


ClIAP.  VI.  —  LES  ILES  FANTASTIQUES  DE  l'OCÉAN  ATLANTIQUE.    225 

Mauro  (1437),  et  toujours  elle  figure  à  l'ouest  de  l'Irlande.  Nous 
lui  trouvons  le  même  nom  et  la  mt^me  position  dans  les  Ptolé- 
mées  de  1513  et  de  1519,  dans  le  tr»>s  curieux  atlas  manus- 
crit de  la  l)il)liotliè(jue  de  la  Faculté  de  Montpellier  (1),  composé 
peu  après  le  voyage  de  Magellan,  dans  le  portulan  de  Malartic 
qui  date  de  1535,  dans  le  Ramusio  de  1550  et  dans  Vlsolnrio  de 
Porcacclii  (1572)  ;  un  siècle  et  demi  après  la  colonisation  des 
Açores  par  le  Portugal  on  continuait  à  placer  une  île  de  Brazil 
au  nord  ou  au  nord-ouest  de  Gorvo.  Les  atlas  de  Lafreri  (1566), 
d'Ortelius  et  de  Mercator  (1587)  marquaient  encore  ce  nom.  Le 
souvenir  de  cette  île  errante  s'est  même  conservé  jusqu'à  nos 
jours  dans  le  Brazil  Rock,  rocher  ou  plutôt  fond  rocheux  indiqué 
sur  les  cartes  modernes  de  l'Atlantique  à  quehjues  degrés  à 
l'ouest  de  l'extrémité  la  plus  occidentale  de  l'Irlande  (2;. 

L'identité  de  ce  nom  avec  celui  d'une  des  plus  vastes  contrées 
du  nouveau  monde  peut  paraître  singulière.  Indiquerait-elle 
quelque  mystérieux  pressentiment  de  la  découverte  d'Alvarès 
Cahral?  Il  n'est  pas  besoin  d'aventurer  cette  hypothèse.  Il  en 
est  en  effet  de  Brasil  comme  d'Antilia.  Ces  noms  furent  appliqués 
à  des  terres  inconnues  avant  d'être  fixées  définitivement.  Par 
un  curieux  hasard,  un  hois  rouge,  propre  à  la  teinture  des  laines 
et  des  cotons,  commença  à  désigner  le  pays  d'où  on  le  tirait, 
Malabar  et  Sumatra  ;  puis  ce  nom  fut  appliqué  à  une  île  de 
l'Océan  où  on  crut  le  retrouver,  et  enfin  à  la  contrée  américaine 
qui  l'a  conservé  (3).  Il  se  pourrait  encore  que  Brésil  rappelât 
le  souvenir  de  la  terre  mystérieuse  chantée  par  les  bardes 
irlandais  et  gallois.  Ce  mot  peut  en  effet  se  décomposer  en  deux 
racines  gai^liqucs,  /}7-eas  grand  et  î  île.  Le  Brésil  serait  alors  la 


(il  Cet  atlas  (in-4»,  22  cartes,  n»  Tfl)  appartenait  jadis  à  un  conseiller  au 
Parlement  de  Dijon,  de  Clugny.  11  a,  tans  doute,  été  composé  par  Baptisla 
Agnese,  l'auteur  du  Portulan  de  Marlatic.  —  Cf.  Gaffarei,  {Mémoires  de  la 
Société  Bourguignonne  de  Géographie  et  d'Histoire,  1889). 

(2)  Voir  la  carte  d'Irlande  de  l'atlas  de  Stieler  (édition  de  1867). 

^3)  Gaffadel,  Histoire  du  Brésil  français  au  xvi»  siècle. 

T.  I.  15 


'■'l"4 


226       PREMIÈRE   PARTIE.    —   LES   PRÉCURSEURS   DE   COLOMB. 

grandi*  îlo,  et  corrospondrait  à  Tvd'iq  Mnr  le  grand  rivage  ou  /'//• 
Mnr  la  gnindo  terre,  dont  parle  lu  légende  de  Gondla  le  Ueaii. 
Aussi  l)ien  rappelons,  à  titre  de  curiosité,  qu'en  Angleterre  on 
crut  longtemps  à  rexistence  de  cette  île  mystérieuse.  «  Le 
15  juillet  1480,  des  navires  appartenant  à  John  Jay  le  Jeune, 
jaugeant  80  tonneaux,  sortirent  de  IJristol  pour  naviguer  à  l'ouest 
de  l'Irlande  jusqu'à  File  de  Urassyle.  Le  18  septemltre  (1481  ?) 
on  apprit  que  Thomas  Iloyd,  le  marin  le  plus  expert  de  l'Angle- 
terre, (pii  commandait  l'expédition,  après  une  navigation  de  près 
de  neuf  mois,  hattu  par  la  tempête,  avait  été  forcé  d'entrer  dans 
un  port  d'Irlande  pour  laisser  reposer  ses  navires  et  ses  matelots, 
sans  avoir  découvert  ladite  île  (1)  ».  Même  au  XVIF  siècle  l'île  de 
Hrasil  ou  O'Brazil  n'était  pas  encore  oubliée.  Voici  en  effet  ce 
(|ue  nous  lisons  dans  un  ouvrage  publié  en  1084  (2)  :  «  Des  îles 
d'Aran  et  du  continent  de  l'ouest  paraît  souvent  visible  l'île 
enchanteresse  que  l'on  nomme  O'Ikasil  et  en  irlandais  Heg'araii 
ou  la  petite  Aran,  aujourd'hui  l)annie  des  cartes  de  navigation. 
Est-ce  ime  île  réelle  rendue  inaccessible  par  ordre  spécial  de 
Dieu  comme  une  sorte  de  paradis  terrestre,  ou  bien  le  résultat 
d'une  illusion  produite  par  de  légers  nuages  apparaissant  à  la 
surface  de  la  mer  ;  ou  encore  faut-il  y  reconnaître  le  séjour  de 
quelques  mauvais  esprits  ?  Ce  sont  là  des  questions  qu'il  ne  nous 
appartient  pas  de  juger  » . 

Que  le  mot  de  Drasil  ait  pour  origine  le  nom  d'un  bois  de 
teinture  ou  qu'il  soit  comme  l'écho  d'une  vieille  légende,,  nous 
rangerons  cette  contrée  parmi  les  îles  fantastiques,  ou  plutôt 
parmi  ces  terres  voyageuses  dont  le  souvenir  s'est  perpétué 
par  la  tradition,  et  qui  n'ont  conquis  qu'à  une  époque  relative- 
ment moderne  la  certitude  de  leur  existence. 

(1)  tinirariwn  Wilelmi  Botonei,  ilict  de  Worcestre,  cité  par  Haurissk, 
Colomb,  I,  p.  317. 

(2)  R.  O'Fi.AiiEKTY,  A  Chorographkal  deacriptioîi  of  We^t  or  //.  !ar  Con- 
naught  (168*).  —  Dublin,  Irish  Aich.  Soc.  1846,  p.  68-69,  cité  par  Hamy, 
Les  origine  de  la  cwtographie  de  l' Europe  Septentrionale  (Bulletin  do 
(Géographie  historique  et  scientiflqiic,  18S8). 


r.llAP.  VI.  —  LES  ILES  FANTASTIQt'KS  DE  l'oC.ÉAN  ATLA.NTIOl'E.    227 

Dans  ces  môincs  |»arag('s,  c'cst-à-dirc  ciitro  rirlaïuU.',  Tcrre- 
NcMivo  ot  les  Açores  sont  ('{ïaicmont  marquées  les  deux  îles 
Mayda  ou  Asrnaïde  et  Isla  Verde  (1).  Apr^s  la  diM-ouvorte  de 
l'Ainérique,  elles  figurent  avec  régularité  sur  les  cartes,  mais 
leur  [(osition  est  incertaine.  De  nos  jours  elles  sont  encore 
niar(|uées,  ou  plutôt  signalées,  comme  écueils  à  (-viter.  et  sous 
les  noms  de  Maïda  et  de  (Ireen  Rock,  Leur  existen<'e  n'est  donc 
millement  |trohlémati(|ue. 

Ainsi  donc  sept  cités  ou  .Vntilia,  La  Man  Safanaxioou  Brasil, 
voyages  réels  ou  imaginaires,  terres  chimériques  ou  îles 
existantes,  '  ,  géographes  du  moyen-Age,  mêlant  d'antiques 
traditions  à  des  découvertes  récentes,  ont  toujours  placé  à  l'ouest 
ces  prétendues  contrées.  Assurément  ce  n'est  point  encore  Ifi 
r.\méri(|ue,  mais  c'est  déjà  la  direction  de  l'Amérique. 

(1)  Allas  Catalan  de  1367,  Portulan  de  Marlalic  de  1535,  Ptoléniécs  de  1513 
et  li)t9,  etc.  Isolario  de  Porcacchi  (15'72).  —  Cf.  Flelriot  de  Lanole,  Mé- 
moire sur  les  vigies  de  l'Atlantique.  (Bulletin  de  la  Société  de  Géographie 
de  Paris,  juillet  1865). 


l; 


CHAPITRE   VII 


VOYAGKS  DES  ARAHKS  DANS  L  ATLANTIQUE. 


IL»' 


à' 


I 


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De  tous  les  |)(>u[)I('s  qui,  au  moyen-Age,  malgré  les  dangers 
réels  ou  prétendus  de  l'Océan,  osèrent  s'aventurer  sur  ses  flots, 
il  en  est  trois,  les  Arabes,  les  Irlandais  et  les  Northmans,  qui 
semlilent  ne  jamais  avoir  oublié  les  traditions  antiques.  Ils  n'ont 
pas  un  instant  ressé  de  naviguer  dans  la  direction  de  l'ouest, 
(Mjmme  s'ils  avaient  eu  la  prescience  de  futures  découvertes.  Il 
est  même  probable  que  plusieurs  d'entre  eux  abordèrent  en  Amé- 
ritjue  bien  avant  Colomb.  Nous  essayerons  de  le  prou  'cr  en 
recueillant  dans  les  œuvres  de  leurs  poètes  ou  de  leurs  histo- 
riens les  traits  épars  qui  nous  permettront  sans  doute  de  substi- 
tuer des  faits  précis  à  de  vagues  légendes,  et  de  reconstituer  un 
chapitre  trop  oublié  de  l'histoire^  ancienne  de  l'Amérique. 

On  sait  le  grand  rôle  joué  dans  l'histoire  de  la  civilisation  par 
les  Arabes.  Humboldt  les  considérait  non  sans  raison  comme 
les  successeurs  des  Romains  pour  le  développement  et  l'agran- 
dissement de  l'univers  (1).  Cette  race  mobile  et  robuste,  ignorante 
mais  non  grossière,  était  douée  d'une  vive  imagination  et  cepen- 
dant attentive  à  tous  les  phénomènes  de  la  nature.  Dans  toutes 
les  sciences,  et  particulièrement  en  géographie,  ils  rendirent 
les  plus  éminents  services.  Conquérants,  ils  font  connaître  des 

(1)  IIljiboldt,  Costnos,  t.  H,  p.  246, 249,  491.  Cf.  le  beau  portrait  du  génie 
Arabe  tracé  par  Herder,  Idées  sur  la  philosophie  de  l'histoire  de  l'humanité, 
t.  XIX,  §  4  et  5. 


Z 


CIIAP.  VU.  —  VdYACKS  l»KS  AHAHKS  DANS  L'aTLAMIQ!  E.      ±1*.) 

pays  iiiyst(''ri('ii\  ;  voyageurs  et  coiiiiiiciTiiiits,  ils  étudioiit  les 
rossoui'ct's  (le  ces  pays  (I).  Le  Coran  recoiiiriiaiide  en  elVet  le 
commerce  et  l'industrie  eonimc  des  ()('(U{)atioiis  agn-ahles  à 
Dieu.  Aussi,  négocianti^  et  soldats  nuirclièrent-ils  ensend)le 
à  la  coïKiinHe  du  monde,  les  caravanes  furent  protégées  |)ar  les 
armées,  et  les  généraux,  en  défendant  les  marchands,  crurent 
accomplir  un  devoir  non  moins  sacré  (jue  celui  d'exterminj'r 
sans  |>itié  les  intidèles.  Fje  Tliibet  et  une  partie  de  la  Chine,  la 
Tartarie  et  une  partie  de  l'Africpie  intérieure  furent  -tins! 
parcourues  et  décrites  par  les  Arabes.  Du  côté  de  l'occident, 
malgré  la  hardiesse  de  leurs  marins  et  l'audace  de  leurs  pirates, 
leurs  progrès  furent  moins  rapides.  Ils  répandirent  pourtant 
leur  langue  et  leurs  chiffres  jusque  dans  l'extrôme  nord.  Un 
trouve  encore  de  leurs  monnaies  sur  les  hords  de  la  Dalti(|ue  et 
en  Laponie  (2).  Ils  connurent  d'une  façon  certaine  les  îles  Ca- 
naries, peut-être  Madère  et  les  Açores.  Quelques-uns  d'entre  eux 
poussèrent  même,  à  ce  que  prétend  la  tradition,  jusqu'en  Amé- 
rique. 

L'Océan  inspirait  pourtant  aux  Arabes  une  sorte  de  terreur 
religieuse.  Il  était  pour  eux  le  théâtre  des  plus  elfroyables  aven- 
tures, le  séjour  des  monstres  et  des  mauvais  génies.  C'est  sur 
l'Océan   que  Simbad  le  Marin,    représentant   symbolique    des 


1 


(1)  Dès  les  premiers  siècles,  les  Kalifcs  ordonnèrent  à  leurs  généraux  de 
faire  décrire  les  pays  soumis.  De  là  tant  de  glorieux  travaux  parmi  lesquels 
on  peut  citer  ceux  d'Eumsi  (Traduclion  Jaubert,  Délassements  de  l'honnne 
désifeux  de  connaître  à  fond  les  diverses  contrées  du  monde),  d'iBN  al 
Olaudi  {Perle  des  merveilles),  d'AnocLFEDA  {Vraie  situation  des  pai/s),  de 
Maçoudi  {Les  prairies  d'or  et  les  tnines  de  pierres  précieuses,  traduction 
Barbier  de  Meynard  et  Parvet  de  CourteiHe),  d'iBN  Halkal  {Indicateur  des 
pays  par  ordre  alphabétique),  d'Eb  Bakoli  {Merveilles  de  In  toute  puissance 
sur  la  terre),  d'IsN  Batoutaii  {Voyages,  traduction  Defréméry  et  Sangui- 
nelti),  Abd  ai,  Hatif  {Description  de  l'Egypte,  traduction  de  Sacy),  etc.  Cf. 
Lelewel  {Géographie  du  moyen-âge),  t.  1. 

(2)  HuHBOLDT,  Cosmos,  II,  265.  —  Leopuld  de  Ledebuii.  UOer  die  in  den 
Baltischen  Laiidern  gefundeneti  Zeugnisse  eines  Handelsverktrs  mit  dem 
Orient  zur  zeit  der  Arabischen  Welthersschaft,  1840. 


"l'M)     i'hkmiTjif.  I'ahtik.  —  li;s  i'AKcirskirs  i»k  r.oLOMU. 


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iK^gociiints  aralu'H  du  iimycu-Agc,  ('prniivf  l(»us  ses  iniillicurs. 
Kdrisi  parle  ilc  l'Océan  coiniiu'cii  aurait  (tarlé  h;  vieil  Kscliyie  (1), 
cumule  i*ytlieas  parU;  de  la  luer  (glaciale.  <>  Les  eaux  de  cette 
mer,  dit-il,  sont  é|»aisses  et  de  couleur  somhre.  L(!s  vaj,'ues  s'y 
élt''veTit  d'une  facou  ed'rayaute.  Sa  profondeur  est  considérable, 
ryohsciu'ité  y  rèf;ne  continuellement;  la  navi;;ation  y  est  diffi- 
cile, les  vents  impétueux,  et,  du  cMù  de  l'occident,  les  bornes 
en  sont  inconnues  ».  Hien  qu'il  ait  composé  son  ouvrai^e  à  la 
Un  du  xiV  siècle,  en  1377,  Ilni-Klinidoun,  semble  éprouver 
une  sorte  de  terreur  religiiMise  en  parlant  do.  rAtlanti(jue  (2)  : 
(i  C'est  une  vaste  mer  sans  liornes,  écrit-il,  où  les  navires 
n'osent  se  hasarder  hors  de  la  vue  des  côtes,  parce  (pi'on  i|;nore 
où  les  vents  pourraient  les  pousser,  vu  (ju'au-deli\  de  cette  mer 
il  n'y  a  point  de  terre  (|ui  soit  habitée.  Quant  aux  mers  dont  les 
limites  sont  connues,  les  navires  y  navif,'uent,  parce  (jue  h^s 
marins  savent  par  expérience  où  les  vents  |)euvent  les  conduire  ; 
mais  il  s'en  faut  de  beaucoup  (ju'il  en  soit  ainsi  pour  l'Atlan- 
tique, parce  qu'il  n'en  connaissent  pas  les  bornes,  et,  quoiqu'ils 
connaissent  la  direction  des  vents,  ils  ignorent  jusqu'où  leur 
souffle  pousserait  les  navires  qui  |»ourraient  se  trouver  envi- 
ronnés de  brumes,  et  faire  naufrage  ». 

Malgré  les  dangers  que  présentait  la  navigation  de  la  mer 
Ténébreuse,  les  Arabes  ne  laissaient  pas  que  de  s'y  aventurer. 
Ils  croyaient  qu'elle  était  remplie  d'un  nombre  incalculable 
d'îles,  les  unes  désertes,  les  autres  habitées,  celles-ci  enfin 
possédées  en  propre  par  des  sorciers  ou  par  des  animaux  fan- 
tastiques. Ibn-al-Ouardi  prétendait  que  ces  îles  étaient  si 
nombreuses  (ju'on  ne  pouvait  les  comptei  (3).  Edrisi  fixait  leur 
nombre  à  vingt-sept  mille  (4),  et  il  en  énumérait  quelques- 
unes  :  Sura,  Sauli,  «  dont  les  habitants  ressemblent  plutôt  à 


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1)  Edbisi,  ouv.  cité.  Trad.  Jaubert,  t.  II,  p.  36. 

2)  Ibn-Kiialdoun,  Prolégomènes  historiques.  Trad.  de  Slane. 

3)  Ibn-al-Ouardi  cité  par  d'Avezac,  Iles  de  l'Afrique,  p.  15. 

4)  Edrisi,  ouv.  cité,  p.  198. 


'•; 


CHAI'.  VII.  —  VOYAGES  DES  ARABES  DANS  i/aTUNTIQI'K.     231 


(les  r(>iiiiii(!s  qn'i\  tl(!s  lioiniiios.  Les  dents  leur  surtciit  (!«• 
la  bouclic,  leurs  yeux  élincelU'ut  coiiune  des  éclairs  et  leurs 
jiimhes  ont  l'apparence  de  Itois  lirùlé.  »  Mnstachiin  fut  jadis 
ravagée  par  un  dragon  u  cpie  tua  Alexaiulre  »  A  (îallian 
«  les  insulaires  sont  de  forme  humaine,  mais  portent  <les  ttMes 
d'animaux  (1)  ".  A  llaea  «  vivent  des  oiseaux  semhlahles  à  des 
aigles,  rouges  et  armés  de  grilles  ;  ils  se  noiu'rissent  de  coquil- 
lages et  de  poissons  et  lU'  s'éloignent  jamais  de  ces  parages. 
On  dit  aussi  <pie  l'ile  Uaca  produit  une  espèce  de  fruits  sem- 
hlaljles  aux  figues  de  la  grosse  espèce,  et  dont  on  se  sert  coiimie 
un  antidote  contre  '  's  poisons.  L'auteur  du  L'wre  des  M''rri'illes 
raconte  qu'un  roi  de  France,  informé  de  ce  fait,  envoya  sur  les 
lieux  un  navire  pour  obtenir  les  fruits  elles  oiseaux  en  question, 
mais  le  navire  se  perdit,  etdefmis  on  n'en  entendit  plus  parler», 
(lliaslend  était  jadis  peuplée,  mais  ses  habitants  émigr«'rent  en 
Kurope  ;  (|uant  à  Laça,  «  cette  île  a  cessé  d'étn^  habitée  parce  que 
les  ser|)ents  s'y  sont  excesssivement  imdtipliés  (2)  ».  Ces  ren- 
seignements sont  si  peu  précis  et  i  appellent  tellement  les  contes 
dont  la  princesse  Schehérazade  amusait  son  irascibleépoux,  qu'on 
ne  saurait  déterminer  en  détail  la  synonymie  géographique  de 
de  ces  îles,  d'autant  plus  que  les  Arabes  ne  marquent  jamais 
aucune  distance,  et,  par  là,  ouvrent  la  porte  à  toutes  les  conjec- 
tures. 

Il  paraît  cependant  que  les  Arabes  ont  réellement  connu  les 
îles  Canaries.  Voici  comment  en  parle  Edrisi  (3)  :  «  H  y  a  deux 
îles  nommées  les  îles  Fortunées  d'où  Ptolémée  commence  à 
compter  les  longitudes.  On  dit  qu'il  se  trouve  dans  chacune  de 
ces  îles  un  tertre  construit  en  pierres  et  de  cent  coudées  de 
iiaut.  Sur  chacun  d'eux  est  une  statue  en  bronze  qui  indique 
de  la  main  l'espace  qui  s'étend  derrière  elle.  Les  idoles  de  cette 
espèce  sont,  d'après  ce  qu'on  rapporte,  au  nombre  de  six  ».  Mais 


1 


(1)  Edri»!,  p.  200. 

(2)  Id.,  ouv.  cité,  p.  200. 

(3)  Id.,  ouv.  cité,  1,  10. 


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232       PREMIÈRE    PARTIE. 


LES    PRECURSEURS   DE   COLOMB. 


au  deli\  des  Canaries  les  iiulioiitioiis  donni'os  |)ar  les  Arabos 
sont  vagues  ot  nuHiu'  contrudictoiros.  Ils  ne  s'accordent  que  sur 
un  point,  l'ignorance  à  peu  près  absolue  où  Ton  est  sur  les  pays 
baignés  par  la  mer  Ténébreuse.  <<  Personne  ne  sait  ce  (jui  existe 
au  deli\  de  cette  iner  ténébreuse,  écrit  encore  Edrisi  (1),  personne 
n'a  pu  rien  apprendre  de  certain  à  cause  des  difficultés  (pi'op- 
posent  à  la  navigation  la  profondeur  des  ténèbres,  la  hauteur 
des  vagues,  la  frécpience  des  tempêtes,  la  multiplicité  des 
animaux  monstrueux  et  la  violence  des  vents.  Il  y  a  cependant 
dans  cet  océan  un  grand  nombre  d'îles,  soit  habitées,  soit 
désertes,  mais  aucun  navigateur  ne  se  hasarde  à  le  traverser, 
ni  à  gagner  lîi  haute  mer  ;  on  se  l)orne  à  côtoyer  sans  perdre 
de  vue  les  rivages.  Les  vagues  de  cette  mer,  hautes  comme  des 
montagnes,  bien  qu'elles  s'agitent  et  se  pressent,  restent  cepen- 
dant entières  et  ne  se  fendent  pas.  S'il  en  était  autrement,  il 
serait  impossible  de  les  franchir  ». 

Les  Arabes  néanmoins  s'étaient  parfois  aventurés  fort  loin 
sur  l'Océan.  Une  de  leurs  expéditions  parait,  moins  que  les 
autres,  dénuée  des  caractères  de  l'authenticité,  bien  (pi'elle  soit 
encore  enveloppée  de  légendes  et  pleine  de  contradictions  ;  car 
il  send)le  vraiment  que  les  Arabes,  de  même  race  et  de  môme 
caractère  que  les  Phéniciens,  aient  pris  plaisir  à  ne  rien  nous 
laisser  de  certain  sur  ces  contrées,  où  ils  retrouvaient  leurs 
traces,  de  même  qu'ils  les  avaient  déjà  observées  sur  toutes  les 
côtes  de  la  Méditerranée  et  de  la  mer  Rouge.  C'est  Edrisi  qui  a 
gardé  le  souvenir  de  cette  exploration  de  l'Océan,  et  il  en  parle 
comme  d'un  fait  déjà  ancien.  Or  comme  il  composa  son  ouvrage 
en  Hoi,  il  nous  faut  reporter  bien  avant  cette  date  la  curieuse 
expédition  des  frères  Maghrurins  (2). 

(1)  Edrisi,  U,  ouvr.  cité,  p.  2,  Cf.  —  Id.,  p.  10,  et  104. 

(2)  Hartmann,  Africa  Edrisii,  312-319.  —  Buaciie,  Mémoires  de  l'Institut, 
t.  IV,  p.  27.—  HuHBOLDT^  Histoire  de  la  Géographie  du  Nouveau  Continent, 
t.  H,  p.  137.  —  Webb  et  Berthelot,  Histoire  naturelle  des  Canaries, 
Ethnographie,  p.  10.  —  J.  da  Costa  de  Màcedo,  Memoria  cm  que  se  pre- 


(IIAI'.  Vil.  —  VOYAC.KS  DES  ARAllKS  ItANS  L'ATLANTIQrK.     ltX\ 

Avant  (|U('  les  Ai'iil)os  ('iisscnl  l'VaciK'  Lishoniic,  et  ils  n'en 
l'un'iit  rhass(!s  pur  les  (llurtu'ns  (|u'oii  lliT,  huit  d'ciitrc  eux, 
l'tahlis  dans  cette  ville,  l'oriiièreutie  pntjet  (i'é(|ui|ier  un  vaisseau, 
et  départir  à  la  découverte  dans  la  direction  de  l'ouest.  »  Voici 
comment  la  chose  se  |»assa  (l).  Ils  se  réunirent  au  nomhredehuit, 
tous  proches  parents,  et,  a|>rès  avoir  construit  un  navire  de 
transport,  ils  \  emhanpièrent  de  l'eau  et  des  vivres  en  (piantité 
sulfisante  pour  une  navigation  de  plusieiu-s  mois.  Ils  mirent  en 
mer  au  |)reniier  souffle  de  vent  d'est.  .\près  avoir  navigué 
durant  onze  jours  ou  environ,  ils  arrivèrent  à  une  mer  dont  les 
ondes  épaisses  exhalaient  une  odeur  fétide,  cachaient  de  nom- 
hreux  récifs,  et  n'étaient  éclairées  tpie  faihiement.  (îraijïiiant  de 
périr  ils  chanffèrent  la  dii'cction  de  leurs  voiles,  coururent  vers 
le  sud  durant  douz(>  jours,  et  atteignirent  l'île  des  Moutons, 
ainsi  nommée  parce  (jue  de  nond)reux  trou|)eaux  de  mnut(nis  y 
paissaient  sans  herger  et  sans  personne  pour  les  garder.  Ayant 
mis  pied  à  terre  dans  cette  île,  il  y  trouvèrent  une  source  d'eau 
courante  et  des  liguiers  sauvages.  Ils  prirent  et  tuèrent  (piehpics 
moutons,  mais  la  chair  en  étîiit  tellement  amère  (pi'il  était 
impossihle  de  s'en  nourrir.  Ils  n'en  gardèrent  (pie  les  peaux, 
naviguèrent  encore  douze  jours,  et  aperçurent  enlin  une  île  <pii 
[laraissait  habitée  et  cultivée  ;  ils  en  appnichèrent  afin  de  savoir 
ce  (pii  en  était  ;  peu  de  temps  après  ils  furent  entourés  de 
hanpies,  faits  i>risonniers,  et  conduits  ù  une  ville  située  sur  le 
iionl  de  la  mer.  Us  descendirent  ensuite  dans  une  maison  où 
ils  virent  des  hommes  de  haute  stature,  de  couleur  rousse  et 
basanée,  portant  des  cheveux  longs,  et  des  fenunes  (pii  étaient 
d'une  rare  beauté.  Us  rtistèrent  trois  jours  dans  cette  maison. 


tend''  provar  qw  os  Aro/jvs  ?iaô  conhecarâo  as  Caiiaria^  nntcs  dos  Pnrtii- 
(jaezes  (1844).  —  Ii>.,  A  ddi  ta  ment  os  a  pvimi'irà  parte  da  meiiwvia  sohre  as 
vcvdiidciras  epocas  cur  ijur  principiaraô  as  uossas  naveyacoés  e  descoliri- 
mentos  ?io  Oceano  Atlantieo  (lluciicil  de  rAcadéniic  île  Lisbonne,  t.  XI, 
part.  11). 
(1)  Ediusi,  ouv.  cilé.  T.  11,  p.  2(). 


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i'M      l'HEMlÈRE    PARTIE.    —    LES    PHÉCURSEURS    DE   COLOMB. 

Le  ([uatrièmc  ils  virent  venir  un  homme,  parlant  la  langue 
aral)e,qui  leur  demanda  qui  ils  étaient,  pourquoi  ils  étaient  venus, 
et  quel  était  leur  pays.  Us  lui  racontèrent  toutes  leurs  aventures. 
Celui-ci  leur  donna.de  bonnes  espérances  et  leur  fit  savoir 
qu'il  était  intei prête. 

Deux  jours  après  ils  furent  présentés  au  roi  qui  leur  adressa 
les  mêmes  questions,  et  auquel  ils  répondirent,  comme  ils 
avaient  déjà  répondu  à  l'interprète,  qu'ils  s'étaient  hasardés  sur 
la  nier  afin  de  savoir  ce  qu'il  pouvait  y  avoir  de  singulier  et  de 
curieux,  et  afin  de  constater  ses  extrêmes  limites.  Lorsque  le 
roi  les  entendit  ainsi  parler,  il  se  mit  à  rire  et  dit  à  l'interprète  : 
«  Explique  à  ces  gens-là  que  mon  père  ayant  jadis  prescrit  à 
(juelques-uns  de  ses  esclaves  de  s'embarquer  sur  cette  mer, 
eeux-ci  la  parcoururent  dans  sa  largeur  durant  un  mois,  jusqu'à 
ce  que,  la  clarté  des  cieux  leur  ayant  tout  à  fait  manqué,  ils 
furent  obligés  de  renoncer  à  cette  vaine  entreprise  ».  Le  roi 
ordonna  de  plus  à  l'interprète  d'assurer  les  Maghrurins  de  sa 
bienveillance,  afin  qu'ils  concassent  une  bonne  opinion  de  lui, 
ce  qui  fut  fait.  Ils  retournèrent  donc  à  leur  prison  et  y  restèrent 
jusqu'à  ce  qu'un  vent  d'ouest  s'éfant  «levé,  on  leur  banda  les 
yeux,  on  les  fit  entrer  dans  une  barque,  et  on  les  fit  voguer 
durant  quelque  temps  sur  la  mer.  «  Nous  courûmes,  disent-ils, 
environ  trois  jours  et  trois  nuits,  et  nous  atteignîmes  ensuite 
une  terre  où  l'on  nous  débarqua  les  mains  liées  derrière  le  dos, 
sur  un  rivage  où  nous  fûmes  abandonnés.  Nous  y  restâmes 
jusqu'au  lever  du  soleil  dans  le  plus  triste  état,  à  cause  des  liens 
(jui  nous  serraient  fortement  et  nous  incommodaient  beaucoup; 
enfin  ayant  entendu  des  éclats  de  rire  et  des  voix  humaines, 
nous  nous  mîmes  à  pousser  des  cris.  Alors  quelques  habitants 
de  la  contrée  viiu'ent  à  nous,  et,  nous  ayant  trouvés  dans  une 
situation  si  misérable,  nous  délièrent  et  nous  adressèrent  di- 
verses questions  auxquelles  nous  répondîmes  par  le  récit  de 
notre  aventure.  C'étaient  des  IJerbers.  L'un  d'entre  eux  nous 
dit  :  «  Savez-vous  quelle  est  la  distance  qui  vous  sépare  de  votre 


tniAP.  VII.  —  VOYAGES  DKS  ARABES  DANS  l'aTLANTIQI^E.     235 

pays?  »  et  sur  notre  r«''ponse  négiitive,  il  ajouta  ;  «  Entre  le 
point  où  vous  vous  trouvez  et  votre  patrie,  il  y  a  deu\  mois  de 
cliemin  ».  Celui  d'entre  ces  individus  qui  paraissait  le  plus 
considérable  disait  sans  cesse  :  Wassafi  !  (  Hélas  !  ).  Voilà 
pourquoi  le  nom  du  lieu  est  encore  aujourd'hui  Asafi.  C'est  le 
port  dont  nous  avons  déjà  parlé  comme  étant  à  l'extrémité  de 
l'Occident  ». 

De  ce  curieux  récit  d'Edrisi,  il  ne  sera  pas  sans  intérêt  de 
rapprocher  une  narration  semblable,  qu'a  conservée  Maçoudi 
dans  ses  Prairies  d'Or[l)  :  «  Un  habitant  de  l'Espagne,  écrit-il, 
nommé  Kach  Kach,  natif  de  Cordoue,  réimit  une  troupe  de 
jeunes  gens,  ses  compatriotes,  et  voyagea  avec  eux  sur  l'Océan 
dans  des  embarcations  qu'il  avait  équipées.  Après  une  absence 
assez  longue,  ils  revinrent  tous  chargés  de  butin.  Au  surplus, 
cette  histoire  est  connue  de  tous  les  Espagnols  (2)  ». 

Nous  mentionnerons  encore  une  tradition  rapportée  par 
Abou-Abdallab  Mohammed  (^3),  qui  aurait  vu  dans  une  ancienne 
relation  que  des  marins  envoyés  par  Alexandre  (?)  à  la  décou- 
verte de  pays  inconnus,  avaient  rencontré,  dans  une  mer  loin- 
taine et  inexplorée,  un  navire  monté  par  des  hommes  originaires 
dun  grand  pays  situé  au-delà  de  la  mer  environnante  ;  «  et 
pourtant,  dit-il,  nous  n'y  avions  jamais  supposé  autre  chose 
que  la  mer.  Que  Dieu  discorne  la  vérité  de  cette  histoire  !  » 

Quelle  conclusion  tirer  de  ce  triple  récit?  De  (Juignes,  dans 
sa  traduction  des  Extraits  d'Ihn  Al  Ouardi,  prétend  que  ces 
hommes  à  la  face  rouge  et  aux  cheveux  longs  sont  des  Peaux- 
llouges,  et  que  par  conséquent  les  Maghrurins  sont  parvenus 
aux  côtes  d'Amérique.  N'est-il  pas  plus  vraisend)la]>le  d'admettre, 

(1)  Maçoudi,  Les  Prairies  d'or,  traduction  Barbier  de  Mcynard,  t.  l,p.  258. 

(2)  11  s'Kgit  bien  cnlendu  de  l'Espagne  Musulmane,  car  Maçoudi  vivait  au 
x»  siècle,  à  l'époque  où  ses  coreligionnaires  possédaient  encore  la  majeure 
partie  de  la  Péninsule. 

(.3)  Abou-Abdau.ah-Mohamhed  DiMASHOL'i,  né  en  1256,  mort  en  1337,  a 
composé  Ce  qu'il  y  a  de  plus  remarquable  dajis  les  temps  en  fait  de  mer- 
veilles de  la  terre  et  du  ciel.  Traduction  française  par  F.  Mchron. 


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236       PREMIFIRE   PARTIE,    —    LES   PRÉCURSEURS   DE  COLOMB. 

avec  Tychsen  (1)  et  Malte-Brun  (2),  que  les  Maghrurins  étaient 
parvenus  à  quelque  archipel,  aux  Açores  ou  au  Cap-Vert.  Sans 
doute,  ces  îles  étaient  inhabitées,  quand  les  Portugais  les  re- 
trouvèrent ;  mais  la  population  primitive,  précisément  de  race 
basanée  et  à  longue  chevelure,  les  Guanches,  pouvait  bien  être 
celle  que  rencontrèrent  encore  les  navigateurs  Arabes. 

Humboldt  pense  que  les  Maghrurins  ne  sont  allés  qu'aux 
Canaries  (3)  ;  mais  cet  archipel  était  parfaitement  connu  des 
Arabes,  et  désigné  par  eux  sous  le  nom  de  Khaledat  ou  Khalidat. 
Ibn  Said  parle  de  ces  îles  et  des  colonnes  sur  lesquelles  était 
gravée  l'inscription  :  «  On  ne  passe  plus  loin  (4)  ».  Ikkoui  dit  que 
«  les  îles  de  Khalidat  sont  situées  à  l'extrémité  duMoghreb  (.'i). 
Dans  chacune  d'elles,  il  y  a  une  figure  qui  est  comme  un  fanal 
pour  les  navires,  et  les  avertit  qu'au-delà  desdites  îles  il  n'y  a 
point  de  route  à  suivre  ».  Nous  avons  déjà  cité  le  passage 
d'Edrisi  où  il  est  question  de  cet  archipel.  Il  est  vrai  que  les 
renseignements  des  géographes  Arabes  sur  ces  îles  sont  tel- 
lement confus  qu'il  se  peut  que  les  Maghrurins  aient  cru 
découvrir  les  Canaries,  lorsqu'ils  les  retrouvaient  seulement, 
tant  les  communications  étaient  rares  entre  cet  archipel  et  les 
côtes  de  Maroc  ou  d'Espagne. 

D'Avezac  est  d'avis  que  l'île  des  Moutons,  à  douze  journées 
ouest  de  Lisbonne,  puis  à  douze  journées  Sud,  ne  peutêtre  que 
l'île  de  Legname  des  portulans  néo-latins,  plus  tard  appelée 
Madeira(G),  et  dont  le  nom  italianisé  présente,  en  effet,  une  cer- 
taine analogie  avec  la  dénomination  Arabe  El  Aghnam.  On  ne 
trouve  plus  aujourd'hui  dans  cette  île  des  moutons,  mais  des 

(1)  Tychsen,   Neiie  oriental  und  exegetische  Biàlioteck,  t.  VIII,  p.  54, 
par  Humboldt,  Géographie  du  nouveau  continent,  t.  II,  o.  139. 

(2)  Malte-Brun,  Géographie  universelle  (édit.  1840),  t.  I,  p.  190. 

(3)  Humboldt,  ut  supra,  t.  II,  p.  140. 

(4)  Ibn  Saïd,  cité  par  Santarem,  Géographie  du  moyen-ùge,  I.  41. 

(5)  Bakoui,  Notices  et  extraits  des  matiuscrits  de  la  Bibliothèque  du  Hoiy 
t.  Il,  p.  397. 

(6)  D'Avezac,  lies  de  l'Afrique,  p.  18. 


CIIAP.  VII.  —  VOYAGE  DES  ARABES  DANS  L'ATLANTIQUE.       237 


(lièvres  dont  la  chair  est  efFectivement  rendue  amère  par  une 
plante,  le  eoqueret,  qu'elles  broutent  cpielquefois.  Quant  à 
l'autre  ile,  il  ne  se  prononce  pas,  mais  ce  ne  peut  ôtre  TAmô- 
rique.  Non  seulement  Edrisi  rapporte  l'opinion  du  roi  de  l'ile, 
mais  encore  il  dit  expressément  dans  plusieurs  autres  passages 
(ju'au-delà  de  cette  île  on  ne  trouve  aucun  lieu  habité,  et  on 
ifinorc  ce  qui  existe. 

Si  donc  les  Aral)cs  se  sont  avancés  assez  loin  dans  l'Atlan- 
ti(|ue,  nous  n'avons  de  leur  passage  ou  de  leur  séjour  en  Amé- 
ri(iue  aucune  preuv»;  ;  aussi,  n'hésiterons-nous  pas  à  conclure 
(|u'on  aurait  tort  de  les  ranger  parmi  les  précurseurs  de  Colomb. 


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CHAPITRE  VIII 


LES    IRLANDAIS    EN    AMERIQUE    AVANT    COLOMB. 
COLONISATION    DE   l'iRLAND   1T   MIKLA 


L'Irlande  au  moyen  Age  ne  fut  pas  seulement  la  terre  dos 
saints,  mais  aussi  le  pays  des  voyageurs.  Energiques  et  re- 
muants, fiers  de  leur  indépendance,  les  Irlandais  semblaient 
avoir  hérité  des  qualités  de  leurs  ancêtres  légendaires,  les  Phé- 
niciens (1).  Comme  eux  ils  aimaient  le  changement  et  l'activité, 
comme  eu\  ils  n'hésitaient  pas  à  porter  dans  d'autres  régions 
leur  génie  d'entreprise.  La  mer,  qui  de  toutes  parts  les  entou- 
rait, les  attira  de  bonne  heure.  Elle  parlait  à  leur  imagination 
avec  ses  couleurs  changeantes,  ses  horizons  mobiles  et  les 
merveilleux  phénomènes  dont  elle  est  le  théâtre.  Aussi  ne  crai- 
gnaient-ils pas  d'affronter  ses  orages  sur  leurs  barques 
recouvertes  de  cuirs  grossièrement  cousus  (2),  qui  rappellent 
les  baïdares  des  modernes  Esquimaux ,  et  qui  déjà  frappaient 
d'étonnement  les  marins  de  l'antiquité.  «  Un  peuple  nombreux 
s'agite  là,  écrivait  Avienus  (3),  ayant  l'esprit  fier  et  une  grande 

(1)  De  UouoEMo;«ir,  l'Age  de  Bronze,  p.  2oîi,  371.  —  De  Lasteyiue,  Revue 
des  DeuxMonilt's,  15  avril  1807. 

(2j  Le  corium,  curica  ou  curacli  des  anciens  Celtes  est  décrit  par  César  {De 
Betlo  civiti,  1,  54).  —  Lucain  (P/iarsale,  IV,  130-5).  —  Pline  (Hist.  natu- 
relle, VII,  57K  —  SouN  (Polyhistoria,  72). 

(3)  Avienus,  Ora  maritima,  98-107.  Multa  vis  hic  gentis  est,  —   Superbus 
nuimus,  efficax  solertia  —  ...Non  lii  carinas  quippe  pinis  tcxere,  —  acerevc 
norunt.  Non  abiete,  ut  usus  est,  —  Curvant  faselos  ;  sed  rei  ad  miraculum,  — 
Navigia  junctis  semper  aptant  pellibus,  —  Corioque  vastutn  sœpe  percurruii 
«alum. 


ClIAl'.   Vill 


ij:s  ihlvndais  kn  amkiuolk  avant  COLOM».  "l'.V.i 


iu'tivité.  Tous  sont  livri'scxclusivenient  aux  soins  du  coinnionc, 
ils  traversent  la  mt'r  dans  leurs  canuts,  les(|uels  ne  sont  |>fls 
fabriqués  en  bois  de  pin  ou  de  sapin,  mais  fal)ri(|ués  en  [>eaux 
et  en  cuirs  ». 

(À'  fut  surtout  (piand  l'île  devint  chrétienne  (|ue  les  Irlandiiis 
éprouvèrent  comme  un  impérieux  l)esoin  d'aller  chercher  et  de 
porter  au  loin  la  science  et  la  foi.  L'Irlande  mérita  hien  le 
surnom  d'Ile  des  Saints,  à  cause  du  {îrand  nombre  de  ses  mo- 
nastères, de  l'instruction  de  ses  prêtres  et  surtout  de  l'entraî- 
nante ardeur  de  ses  missionnaires.  Un  les  trouvait  dans  tous  les 
pays  et  sur  toutes  les  mers  d'Occident.  Dans  leurs  visi(jns 
mysti(iues  s'offraient  à  eux  des  peuples  à  initier  à  la  loi  du 
Christ.  Excites  par  la  lecture  des  livres  saints  et  des  ouvrages 
scientifiques  alors  connus  (1),  et  comme  enfiévrés  par  l'habi- 
tude de  la  méditation  religieuse  en  face  de  l'Océan,  les  saints 
d'Erin,  à  partir  du  Yl"  siècle,  cherchent  des  mondes  inconnus 
à  con(|uérir  à  la  foi  nouvelle. 

Pendant  que  Columba  et  ses  disciples  immédiats  parcou- 
l'ent,  la  croix  en  main,  l'Europe  barbare  (2),  d'autres  moines, 
leurs  compatriotes,  s'aventurent  sur  l'Océan  et  ont  la  gloire  de 
découvrir  des  peuples  ignorés  et  le  bonheur  d'en  faire  des 
chrétiens  Vers  l'an  503,  se  trouvant  à  la  cour  de  lirudeus,  roi 
des  Pietés,  en  présence  du  chef  des  Orcades,  Columba  avait 
déjà  eu  l'occasion  de  recommander  à  ce  dernier  (3)  queUjues-uns 

(1)  Diciiii,  {De  mcnsura  orhis  terr.v,  S  T,  édition  I.etronne)  cite  t'riscien, 
Soliti,  Pline,  Isidore  do  Seville,  Philoemon,  XénopJion  de  Lampsaque,  Pjthéas 
el  Onôsicritc. 

(2)  Lt  vie  de  Columba  a  été  inscrite  par  Adanman,  et  insérée  dans  la  col- 
l(T,tion  des  HoUandistes,  à  la  date  du  "1  juin.  Elle  a  été  rééditée  par  W. 
Rkeves,  Dublin,  1857.  On  peut  encore  consulter  sur  Columba  Mackenzie, 
Sctotcli  writers;  —  Butler,  Lifeof  the  fnints;  —  Jounson's,  Jouniey  fo  tfic 
Western  l^/es. 

{'X)  .\i)AM.NAN,  ouv.  cité.  «  Aliqui  ex  nostris  nuper  emigraverunt,  desertum  iv. 
pelago  intransmeabili  invenire  optantes,  ipii  forte  post  longos  circuitus  Urcades 
devenerunt  insulas;  huie  regulo,  cujus  obsides  in  manu  tua  sunt,  diligenler 
commciida  ne  aliquid  adversi  intra  terminos  ejus  contra  eos  fiat  ». 


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S-iO       l'REMIKRK   PAHTIE.    —   LES   PHÉCrHSKrUS   DE   COLOMB. 

de  ses  moines  qui  s'étaient  aventurés  surrOcéan.  «  Quehjues- 
uns  des  noires,  lui  dit-il,  ont  émigré  dernièrement  avec  l'espoir 
de  trouver  un  pays  désert,  dans  la  mer  impénétrable  ;  peut-être 
après  de  longs  détours  arriveront-ils  aux  îles  Orcades  ;  fais  donc 
des  recommandatii»ns  pressantes  à  ce  chef,  dont  tu  as  les  otages 
en  ton  [touvoir,  alin  (|u"il  ne  soit  pas  fait  d(!  mal  aux  nôtres 
dans  la  limite  de  ses  Etats  ».  F^es  successeurs  iuunédiats  de 
Columba  suivirent  son  exemple  et  continuèrent  leurs  périlleux 
voyages  (1).  Dans  les  siècles  suivants  ce  mouvement  d'émigra- 
tion s'accentua  encore.  «  Les  essaims  sacrés  des  moines  ir- 
landais, écrivait  saint  Bernard,  se  sont  répandus  sur  toutes  les 
nations  étrangères.  On  aurait  dit  une  inondation  (:2)  ».  «  L'ha- 
bitude des  voyages  est  devenue  (diez  eux  une  seconde  nature  », 
disait  au  ix*"  siècle  Walafrid  Strabon  (3)  ;  et  un  autre  de  ses 
contemporains  s'exprimai*  ces  termes  :  «  Que  dire  de  l'Ir- 
lande, qui,  méprisant  les  u^ngers  de  l'Océan,  émigré  presque 
tout  entière  avec  ses  troupeaux  de  philosophes  et  descend  sur 
nos  rivages  ?  »  Ces  troupeaux  de  philosophes,  dont  il  est  ici 
parlé  non  sans  une  nuance  d'ironie,  avaient  été  organisés  en 
confréries  par  Golumba  et  par  ses  disciples  immédiats  (-4).  On 
les  nommait  tantôt  les  Ciildêes,  c'est-à-dire,  d'après  une  éty- 
mologie  assez  contestable,  les  Gultores  Dei,  tantôt  les  Papae, 
c'est-à-dire  les  Clercs  (5).  Leur  fondateur  leur  avait  donné  pour 

(1)  Voir  la  prophétie  de  Saint  Mociita  de  Luoiimooh  dans  la  Vie  de  Co- 
liimba  par  Adamnan  :  «  Nomen  columlxc  pcr  omnes  insularuni  oceani  pro- 
vincias  divulgabitur  riotum  ». 

(2)  Saint  Bernahd,  Vie  de  saint  Malachie,  p.  5.  «  In  extcras  ctiam  nationep, 
quasi  inundatione  facta,  illa  sese  sanctorum  examina  efTuderunt  » 

(3)  Cité  par  Montalembebt,  Moines  dOccident,  IX,  1. 

(4)  D.  Bouquet,  Préface  de  la  vie  de  saint  Germain,  t.  VIII,  p.  503.  u  Quid 
Hiberniam  ineinorem  contempto  pelagi  discrimine,  penc  totam  cum  grege 
philosophorum  ad  iiostra  littora  migrantcm  ». 

(5)  Ce  mot  est  actuellement  réservé  par  les  catholiques  pour  désigner  le  sou- 
verain pontife,  mais  on  le  retrouve,  sous  une  forme  plus  ou  moins  altérée,  et 
avec  le  môme  sens,  dans  l'allemand  pfaffe,  le  russe  pop,  le  polonais  pop,  le 
magyar  pap,  et  le  fmnoh  pappi. 


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iiiiAi".  VIII.  —  m:s  i»l\m).\is  i:.\  amkkiuik  avant  colomii.  iil 

rostiiiui'  l.'i  tuni(|ii(>  MiiiicIm'  s.itis  dont*'  |).'ir  iilliision  au  |)lii- 
maiTt'  fil'  rniscaii  syiiil)olii|ii('  dont  il  portait  le  lU)in(l).  Les 
Papat'  toiiscrvi'n'nt  piciisciiiciit  cette  fiiiiiipic,  (|iii  devint  pour 
eux  eoinme  nu  sijriie  distiiietil',  et  la  transportèrent  dans  tous 
les  pays  où  les  entraîna  leur  Innueiu'  voyafreuse. 

Nous  n'avons  pas  à  raconter  iri  les  courses,  soit  des  Irlandais, 
soif  des  Papae.  à  travers  l'Kurope  barbare  ou  Ui  bassin  de  la 
Méditerranée.  .\f tachons-nous  à  leurs  pas  seulement  dans  la 
direction  de  IWtlanticpie  et  des  réf;;iôns  occidentales,  où  ils 
feront  d'importantes  découvertes  et  réussiront  ni<"'nie  à  l'onder 
des  colonies. 

Il  y  a  deux  parts  à  faire  dans  ces  voya^res  ;  la  première,  toute 
de  tradition,  mais  de  tradition  persistante,  est  manpiée  par  des 
léjrendes  srdt  d'oriffine  païenne,  s((it  (rorif.^ine  chrétienne.  La 
seconde  repose  sur  (h's  témoi>;na^'<s  plus  authentiques  ;  elle  est 
marquée»  par  les  voyaf^es  des  Papae  dans  l'Atlantiipie  et  par  la 
cn|,.  lisation  de  Tlrland  It  mikia  ou  petite  Irlande.  .Nous  les 
étudierons  successivement. 


Le  premier  de  ces  Irlandais  au  cu'ur  intrépide  dont  la 
légende  a  conservé  le  souvenir  se  nonnnait  Condia  le  Beau  (i). 

ill  l'apat!  vero  prnptcr  all)as  vestes,  iiiiibus  ni  cleriei  iiHliicluiiilur,  voeali 
siiiit,  unde  in  tetitonica  linjçua  ommes  cleriei  papie  tlicuiitur  iKhkvk  (liiiioMcox 
NdUVKGi.t;  dans  Monumenta  historien  Xorvegia-  1I88O1,  p.  8!),  208). 

i2i  La  légende  de  Conillu  a  été  eonscrvéo  par  le  Lenljtir  nti  h  uiilhri,  ou 
livre  de  la  brune  [ican,  ainsi  nommé  à  cause  de  la  couleur  dn  parcliemin  sur 
leipicl  est  écrit  le  manuscrit.  L'autenr  du  iioénie  se  nonimait  .Moelnuiiré.  Il 
vivait  vers  l'an  1000.  Le  Leabar  nn  h  ui'f/iri  a  été  publié  en  1870  par  r.\ca- 
(léniie  royale  d'Irlande.  I^a  légende  de  Condla  a  été  rééditée  et  traduite  en 
anglais  par  J.-(>.  HRinxic  CnowK  dans  The  Jowndl  of  the  Hoynl  historical 
(ind  anheolofficnl  Asxociatiou  of  Irelaiid,  1874,  4»  série,  t.  III,  p.  1.  Voir 
également  Krnkst  Winoisu,  Jrisnhn  tPxtf  mit  Woprtrrfiuch,  Leipzig,  1880, 

T.   1.  16 


♦  1^ 

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2i2       PHEMIKHE   l'Ainii;.    —    Lies    l'HKClHSKlHS    l»K  C.OLOMI». 

Il  (Hait  (ils  (le  Cunu  Cl(.'t  Cliatliuc,  roi  (t'Irlaïuli!  de  lll'-i  à  l.'iT  de 
notre  (;re.  Un  jour,  se  trouvant  avec  son  pure  sur  le  sonnuetde 
rUsnecli,  dans  le  Mcath,  une  fenuiie  lui  appaïut  et  lui  annun(;a 
({u'eli'.'  habitait  »  le  pays  des  vivants,  où  l'on  ne  connaît  ni  la 
mort,  ni  le  péclic'',  où  l'on  est  perp(''tuelleinent  en  i'(Hes  ».  Elle 
l'invita  à  le  suivre  :  «i  Viens  avec  moi,  (Inndla  le  Roufj:e,  au  ((tu 
lacheti',  à  la  belle  l'ace  et  aux  joues  vermeilles,  tu  ne  perdras 
rien  de  ta  jeunesse  ni  de  ta  beauté  jusipi'au  joiu-  du  terribli; 
jugement  ».  Le  vieux  roi,  (|ui  l'entendait  sans  la  voir,  recourut 
auv  incantations  des  Druides  pour  se  débarrasser  des  obses- 
sions de  l'inconnue  ;  elle  disparut  en  efl'et,  mais  en  jetant  à 
Condla  une  pomme.  Le  jeun(^  prince  toud)a  aussitôt  dans  une 
noire  tristesse,  il  repoussa  toute  nourritm-e  et  toute  boisson,  et 
ne  mangea  plus  (|ue  de  cetti;  jiouune,  (pii  restait  intacte.  Au 
bout  dun  mois,  l'incomuie  reparut  et  ren<»iivela  son  invitation. 
Conn  sur|(ris,  car  il  entendait  sans  voir,  interr(»gea  son  lils. 
«  Je  suis  bien  perplexe,  répondit  ce  dernier.  J'aime  les  miens 
par  dessus  tout,  mais  le  chagrin  me  ronge  à  cause  de  la  dame  ». 
(!eile-ci  dit  alors  d'une  voix  mélodieuse;  :  a  Heau  jeune  lionune, 
pour  étr<î  exempt  de  la  tristesse  (|ue  fe  causent  tes  devoirs,  c'est 
dans  mon  cm-rach  (es(piit'i  de  cristal  (pie  nous  devons  nous 
réuijir,  si  nous  voidons  gagner  le  tertre  de  Hoadag.  Il  est  une 
autre  terre  (pi'il  y  aurait  proiit  à  chercher.  jJien  ((u'elle  soit 
éloignée  et  (pie  le  soleil  baisse,  nous  |M)uvons  l'atteindre  avant 
la  nuit.  C'est  le  pays  (|ui  charme  l'esprit  de  (juiconcjue  se  tourne 
vers  moi  ».  A  peine  eut-elle  achevé,  que  Gondla  se  jeta  dans  le 
canot  de  cristal,  cjui  bientijt  disparut  dans  un  lointain  brumeux. 
Depuis  ce  jour  personne  n'a  r(!vu  Condla. 

dette  légende  était  populaire  en  Irlande.  On  la  retrouve  sous 
diverses  formes,  et  modifiée  parles  civilisations  et  les  religions 
différentes  ;  mais  le  fond  s(d>siste  le  même  :  il  s'agit  toujours 


et  surtout  Dealvois,  lu  Grande  Terre  de  l'Ouest  d'après  les  documents  cel- 
tiques du  moyen-'Ujc  (congrès  aiiiériciiniste  de  Madrid),  1881  ;  Id.,  l'Elyscc 
transatlantique  et  l'Eden  occidental  (Hcvue  do  l'histoire  des  religions),  1883. 


]' 


CIIAl'.  VIII.  —  LES  IRLANDAIS  KN  AMKlUOrR  AVANT  COLOM».    îl\'\ 


(run  vnya}{(!  par  mer,  dans  la  dircctioii  de  l'ouest,  à  la  rcclu'n'lie 
(rime  terre  iiierveilleiis(!,  et  les  Irlandais  se  laissent  toujours 
entraîner  avec  uii"  sinj^ulière  facilité  à  ces  loini.iincs  entre- 
piises.  Dans  une  autre  lép:eii(le,  |»res(|ue  aussi  populaire  ipie  la 
|irécédeiite.  celle  de  (luculain,  prince  de  Caialaiftue  et  Miilr- 
llienuie,  dans  ITIster,  il  est  (piestion  d'un  pass  situé  à  l'ouest, 
lin  delà  de  la  faraude  mer.  Il  se  iionnne  tantôt  Diutsid,  collines 
des  Fées,  tantôt  'Peu,  uiaj:.  Trofïai^'i,  la  |)uissante  plain(>  de 
Tru}:aif;i,  et  le  plus  souvent  Majr  inell  ou  plaine  des  Délices.  On 
y  trouve  de  tout  en  abondance.  Les  aritres  sont  toujours  cliarjrés 
de  fruits,  et  t(d  de  ces  fruits  est  assez  j^ros  pour  nourrir  trois 
cents  lioiiuTies.  (Vest  là  (pi'on  admire  l'arbre  d'arfient  au  som- 
met ducpiel  brille  le  soleil,  et  la  fontaine  cpii  ressend)le  à  la 
1  urne  d'abondance  de  l'anticpiité  classi(pie,  et  la  cuve  d'by- 
(Iromel  (pii  ne  désemplit  jamais,  là  surtout  (pie  vivent  des 
fenmies  d'une  beauté  res|)leiulissante,  dont  la  plus  belle, 
Kand,  lille  d'.Md  Arbal,  a  pourtant  été  délaissée  par  son  mari 
.Macnannan.  Fand  a  entendu  parler  du  héros  Cuculain,  et 
demande  sa  main.  Cuculain,  (pii  a  déjà  femme  et  maîtresse, 
lie  sait  trop  (pie  répondre  et  envoie  deux  fois  en  reconnais- 
sance un  de  ses  serviteurs.  Séduit  par  les  rapports  entbou- 
siastes  de  son  messajier,  il  se  décide  à  passer  la  mer,  aborde  en 
.Ma;;  mell  et  épouse  la  belle  Fand,  puis  il  retourne  en  Irlande 
an|)rès  de  son  ancienne  fenmie,  la  jalouse  Emer,  mais  en 
compajrnie  de  sa  nouvelle  épouse.  Les  deux  rivales  se  ren- 
(■(jiitrent,  mais,  au  lieu  d'en  venir  aux  mains,  elles  font  assaut 
lie  générosité.  Tout  finit  par  s'arranger,  lors(jue  l'infidèle  Mao 
iiaiman  revient  chercher  Fand  ;  et  Guculaiu,  (|ui  ne  peut  se 
consoler  de  son  départ,  boit  un  breuvage  magique  (pii  lui 
donne  l'fmbli  (1). 


i! 


m 


(1)  I.(!s  aventures  de  Clcl'lain  ne  sont  connues  que  par  des  extraits  juxta- 
posés do  textes  différents,  que  le  compilateur  n'a  pas  toujours  réussi  à  accorder. 
On  les  trouve  dans  le  Leaùar  na  h  uidhri,  p.  43-50,  déjà  cité.  Cf.  E.  Wimu.sh, 
Irisr/ie  texte,  p.  20.'i-227.  Cinnv,  the  Atlantis,  H  juillet  1858,  p.  370-392, 


i 


II 


rr^ 


*^ 


■^  I 


ii'i      l'iir.MiKiii:  l'AitTir..  —  i.i:s  i'iikc.ihski  us  kk  tiiiuiMii. 

lu  .'iiiti-c  licrus  tif  la  Ic^imkIi'  irhiiidiiisc,  Lr>M<j:,iirr,  st-iiiMc 
avoir  |ilii4i  viilitiiticrs  iiccuiniiioilr  sa  vie  au\  cxi^M'iircs  de  <.i 
iiotivcllo  situation.  C/rlait  lt>  liU  <l<'  ('.n>iiitiiaii(l  (lass,  roi  ilr 
('.otiiMii^'lit.  Il  s  r>tait  (<iiil)ai'(|iH'  |MMii'  allrr  sccuiirir  aii-ilclà  des 
iiicfs  le  l'ui  <l<'s  Sids,  |''iarlia  iiiar  llctacli.  Il  nlitiiif  en  n'ciini- 
pensc  la  lillc  de  a'  dcrnici'  et  se  retira  avec  elle  dans  le  Diiii 
iiia^'  iMcll  Mil  plaine  de  la  ritadelle  de-^  Délires.  An  Ixint  d'un  an 
de  séjiinr,  il  revint  en  C.onnan^dit  :  mais  nmnne  son  hean-pére 
l'avait  averti  <pie,  s'il  mettait  pied  à  terre,  il  m*  pourrait  pa-^ 
rentrer  an  Ma^:  nndl.  Léojiaire  resta  sonrd  an\  snpplicjdioiis  de 
son  père,  et  répondit  à  ses  oH'res  d'al>di(pier  en  sa  l'avem" 
«  (|n'mi('  seule  nuit  chez  les  Sids  valait  mieux  tpie  tout  le 
niyamne  paternel  ■>.  l'Ji  elFet.  il  alla  rejoindre  sa  femme  l'I 
^((uverner  le  .\[aj;'  rncll  (1^ 

Le  Ma;.'  mell  n'est  pas  la  seule  ré^:ion  transatlantitpie  dont  il 
est  parlé  dans  les  |éf:endes  irlandaises.  Il  est  enraiement  (piestinn 
d'autres  eonfrees  tout  aussi  merveilleuses,  où  abordent  les 
rianns,  ei's  liéros  dos  poèmes  ossianiipies.  dijnt  le  nom,  [larail- 
il,  a  été  usin"|ié  par  les  modernes  Kcnians.  Les  Fianns  sont  le«; 
ennemis  des  IJananns.  Us  ont  réussi  à  les  expulser  d'Irlande,  et 
les  ont  ol)lij:és  à  ehercher  un  refn^c  dans  les  lointaim's  réfîion^ 
au  delà  de  rAtlanti(|ue,  dont  on  connaissait  vaj,nieinont  l'evis- 
teuee.  Los  Danaruis.  luen  (praeclimatés  diuis  li-ur  nouvelle  patrie, 
n'ont  pas  ouMié  |(>  sol  natal,  et  y  font  de  temps  à  autre  de 
pa-;saf;ères  desrentes.  Seulement,  connue  ils  sont  devemis 
magiciens,  ils  rectnuvnt  à  de  miséraldes  artifices  pour  assouvir 
leur  venficnce.  L'un  d'entre  eu\.  Avaria,  se  iu('tamorphose  en 
pirate,  se  cacite  sous  le  nom  de  (liolla  iJeacair  et  entre  an 
service  du  chef  <\o^  Fianns.  |"''ionn  Mac  ('junhail.  celui  (pic 
Macpherson    innniu'talisera    hien   des   siècles    plus  tard  sous  le 

Il    janvier    ISV.i,    |i.  '.I8-I_'i,   :t6J-:tf'(!).    Kkacvuis,     Elysc   fr(tits/itl<intii/io\ 
2ÎMI-2!»;». 

ili  ItoiiKirr  Atkinson.  T/ir  liool;  oj'  I.rin^ti't\  xùincHini'  rnllrd  thi'  Bo"l:  <>f 
Glendalowjh,  Dublin,  1880,  j..  iT.j-JIfi. 


i 


CHAI'.    Mil. 


I.KS  IIILAMt.MS  \:\  AMKItlUl  K  WAM   Cnl.uMII.    'J'».» 


iiuiii  il*'  |-'iii;;;il.  In  jiiiir  il  l'iitraiin'  ;'i  sa  siiitr  (|iiiii/(  Kiiitiiis  cl 
les  l'ail  iiiuiilcr  sur  un  cheval  (lialHili(|uc,  i|iii  inarciic  |ilus  \ilc 
(|U('  le  vent,  «'t  IraviTsc  la  ^M-andc  uicr.  Les  llols  s'nnvi'enl  «levaiil 
eux,  cl  hientùf  ils  alxinlcnf  dans  la  grande  lenc  de  l'oiiesi,  "ù 
les  allcndeiil  les  Danaiins.  Kiunn  s'élance  ii  leur  |iiiursuil(',  aide 
par  deux  vaillants  ciiin|ia^'iions,  JM'ratlalJi  cl  Knll-I^icaldiar.  et, 
,1  travers  les  leui|M''les  cl  les  lenèl»res.  s'enjiaji'c  dans  Incéan. 
Ils  arrivent  près  d'une  i'imIm'  à  pic  dont  le  soiiiinet  se  perdait 
dans  les  images,  l-'iuiin  réussit  à  l'escalader  <■!  inunte  sur  un 
plateau  iiiid)rap'',  au  milieu  dinpiel  coule  uiu'  l'raiclie  l'nntaine 
uardée  par  un  ;;éanl.  Après  mainte  aventure  extraonlinaire,  à 
fnrce  de  lialtre  la  merci  d'errer  d'ile  en  ile.  les  hraves  irlandais 
linissenl  par  relioiiNcr  le  Dananii  Avaria,  et  delixrent  leurs 
cumpatriot(>s  [\). 

Le  lilsde  j'^innn,  Oisin,  bien  pins  coniui  snus  le  nom  d'Ossian, 
est  aussi  le  liérits  d'une  léjicnde  dont  le  retentissement  fut  autre- 
ment coiisidéralile,  car  elle  s'est  perpéinée  à  travers  les  siècles, 
et  la  l'ontaine  de  .jouvence  l'ait  en  (|uel(|U('  sorte  partie,  même  à 
riieiu'e  actuelle,  des  connaissances  populaires.  Vers  le  milien 
du  xvii''  siècle,  un  harde  (|ue  l'on  cntit  être  Michel  (loniyn  a 
tondu  de  vieilles  traditions  païennes  et  des  léjiendes  ciirétienn«'s 
et  composé  un  poème,  dont  le  |irinci|)al  épisode  est  intitulé  :  '/'/>•- 
iiti-)i-of/  <«i  Ifi  lù»itai>i<'  (Iv  JoiiiH'Hce  [i).  Oisiii,  aveujile,  ciiargé 
d'années,  mais  ayant  toujours  conservé  la  croyance  aux  divinités 
de  sa  jeunesse  et  le  culte  idéal  de  la  vertu  et  du  courajic,  est 
accueilli  par  Patrice,  le  saint  national  de  l'Irlande.  Kntre  le 
représ(!ntant  du  druidisine  et  le  cliampion  du  christianisme 
s'engagent  de  terrihies  controverses.   Le   vieil   Oisin  ne  peut 


ill  W.  Jovi.K,  (>l(l  Crlfic  lioinana'i,  |i.  223-2'i;t,  —  O'Cciiiiv,  Loctuvfi:  itii 
l/if  iiitinu-rript  itidto-ials,  IMG-318. 

i2)  Ce  pociiie  a  été  cdiU'i  par  Uhy.v.n  ()'L(m)*ky  (Dublin,  iHM)  et  réédité  par 
la  (ialtii:  l'niaii,  The  lai/  of  Oisin  in  tlip  Youny.  —  Cf.  ItKAi  vois,  Eden 
Iransatlfmti'iue,  p.  1(00-307.  —  I''.  IIatki.y  M'ai»ki.,  Ossiiin  and  t/ie  Ch/di; 
Fing<d  in  Ireland,  Osmr  in  Irr/and  <>c  Ossian  hixtovical  and  authontir, 
(ilasjrow,  liS7."l. 


r 


^24(; 


>        l'UKMIKKI';    l'AKTIi:. 


I.KS    l'ItKCI  IISKI  IIS    l»i;   COl.U.MIl. 


H 


«niitcMiir  sa  l'iinMir,  mais  !,>  saint  le  taliiic  t>ii  '  oriaiil  de  lui 
raruiitcr  des  liisldircs  du  temps  passé,  et  le  Ik'tus  ('cltiiiiii'  ne 
résiste  jamais  an  plaisir  de  se  .nclln'  cii  srèiic,  al»»rs  (jii'il  était 
Jeune  et  plein  d'ardem-.  (tisin  laconte  (pie,  se  Irunvaiit  avec  snn 
[>C>n>  Kionii,  il  vit  un  junr  apparaitri^  une  jeune  Mlle  d'iiiK'  mer- 
veilleuse heauté.  |<]||e  se  UHinmait  Niamli,  (la  lirillante)  et  arrivait 
de  la  jurande  terre  de  l'ouest,  le  'l'ir-ua-ii-o^.  "  ("/est  la  plus 
délirieuse  ((Mitrée  (pii  existe,  lui  dit-elle,  et  la  plus  eélèltre  au 
inonde  ;  les  arhres  y  sont  eliari^ésde  fruils  et  de  Heurs  ;  le  miel 
et  le  vin  y  sont  en  al)ondaiir(>.  lue  l'ois  là  lu  ne  craindrns  ni 
la  UKU't,  ni  la  décrépilude,  lu  vivras  dans  les  l'êtes,  les  jeux  et 
l(S  festins,  tu  entendras  résonner  mélodieusement  les  rordes 
de  la  harpe,  lu  auras  de  l'arj^cnt,  de  l'or,  Iteaucoup  de  joyaux, 
cent  épées,  etc.  u.  Disin  accepta  sans  trop  se  l'aire  prier  Tinvi- 
tution  de  Niamli,  et,  après  avoir  pris  confié  de  son  père  l''ionn 
(!t,  de  son  lils  Os^ar,  se  rendit  à  Tir-na-n-o^.  Niumli  devint  son 
épouse  et  lui  diinna  trois  enl'anls  ;  mais  on  se  lasse  de  tout, 
même  du  honlieur.  Après  ti-ois  siècles  d'une  existence  Itieii- 
lieureuse,  Oisin  voulut  retourner  en  IrlamIe.  Niamli  consentit 
à  son  départ,  mais  en  le  prévenant  (pie,  s'il  descendait  de 
clieval,  non  seulement  il  ne  reviendrait  pas  à  Tir-na-n-oji,  mais 
encore  aurait  S(tn  A^e  réel.  Oisin  accepta  ces  conditions  et  partit. 
A  peine  déhanpié  en  Irlande,  son  desapoinlement  fut  faraud. 
Personne  ne  h;  reconnaissait.  Tons  les  l^'ianns  étaient  morts. 
Des  roiices  et  des  chardons  poussaient  sur  !'em|)lac,eiuent  de 
son  aiici(Mme  résidence,  Almhuin.  A  ce  moment,  plusieurs 
homm(!s  l'appelèrent  à  leur  aide,  écrasés  (pTils  étaient  |)a  ne 
lourde  dalle.  Oisin,  sans  d(!scendi'e  de  son  cheval,  leur  t(^iiUit 
la  main,  mais  la  san^tle  du  coursier  se  rompit,  il  l'ut  jeté  à  Uwvo, 
et  devint  anssit(M  vieux,  caduc  A  aveu};le. 

Tir-na-n-o;;,  on,  si  l'on  préfère,  la  fontaine  de  Jouv(înc(^  a, 
depuis  Ossian,  été  céléhr(''e  hieii  des  l't/is,  et  c'est  toujours  à 
rouest  (pie  l'ont  placée  les  dilléreiits  écrivains  (pii  ont  raconté 
4'ett(;  lég(înde.  t'.."tte  fctictii  passionna  les  Irlandais,  oortés  (pi'ils 


<:IIAI'.  Mil.   —  l,KS  IMUNliAIS  KN  AM^HIOUK  AVANT  COLOMIl.    "217 

«■'liiifiif  V("'s  le  mci'vcillciix,  cf  cclii  diins  iiii(>  (''|im(|ii('  (m'i  ((iiiiiiicii- 
raiciil  les  (ItMiniivcrlcs  diiiis  l'iiiiiiiciisil(''  ,;■  ■<  mers  incxploircs. 
Aussi  Wu'u,  iikHiic  an  xvi'"  sirclc,  ri'^spafiiiul  Juan  de;  Solis,  (|ui 
(loui'lanl  aurait  dû  (Mrc  rclain''  par  rcvprricuc»'  de  ses  conlciu- 
p(tra  us,  uc  parlail-il  pas  à  la  r(Hi(pi(M<'  de  ccKc  rniitaiuc  lucrvcil- 
Icusc  où  l'ou  Intuvail  à  la  l'ois  la  sauf*'-  cl  le  raji'uuisscnicu!  ;  cf 
«•(nidiicii  de  f^rucralions,  cucore  apn'-s  lui,  out-ollcs  cru  à 
rcxistcMcc  ^i^'  celle  source  de  vie? 

Assiu'éuieiit   loiiles  ces   lé;,M'nilcs   païeiuies  soûl  étraiif.'es  et 


l'ahul 


euses,  niais  on  l<'s  a  trop  < 


<léd; 


liL^iées.  l'illes  caclitMit  «'il  elVet 


iiii  fond  de  vérité.  Si  les  persuimaj,'es  soûl  iiiveiilés,  si  leurs 
aveiifiires  lie  sont  pas  croyaldes,  au  moins  ce  (pii  se  dé^a},^'  de 
ces  histoires  c'est  la  persistance  de  la  croyance  à  une  grande 
terre  occidentale,  au  delà  de  l'Océan,  et  à  la  l'réfpience  des 
relations  qui  existaient  entre  les  Irlandais  et  les  lialtitants  de  ce 
iiioiid(>  transatlantiipie.  i^es  lé^'endes  chrétiennes  cpi'ii  nous 
reste  inaintenant  à  exniniiier  sont  é^^^lelllen^  remplies  d'évé- 
iienieiifs  extraordinaires,  et  les  héros  dont  elles  céléhrent  les 
exploits  sont  sans  (iuiit(>  imaginaires,  coinine  pouvaient  l'être 
C.oiidla  le  Iteaii,  rioiin  ou  (  Hsin  ;  mais  elles  coiilirment  la  réalité 
des  voyages  entrepris  par  les  Irlandais  dans  la  direction  de 
l'ouest,  et  à  ce  titre  elles  niériteut  de  notre  part  un  exaiiKui 
attentif. 

Saint    Hrandan    (1)    est   le    principal    héros   de    la    léf^endc 


(Il  Kiir  Saint  IIuandan  un  peut  coiisiiIIim' ihitis  la  cDlIccliuii  des  llolluinlistus 
(édition  l'altiié,  l.  lit,  p.  liriîl-dOIl)  les  Aria  S(i)if/iiri/)ii  tiuiii.  -  ■  .Iiiiinai,,  /a 
Lé(ji'iulc  ttitine.  de  S.  Urundtiiiif'n,  avec  une  traduction  iiii';diti!  en  proso  et  en 
poé.sies  lotnanes,  l'aris,  1SU6.  —  TnoMAs  Wiiicinr,  Saint  Hnnulan,  a  me- 
(liiii'iuil  If'i/riitl  ()/'  l/ii'  sf'ti,  in  )'ni/li>)/i  irrsr  an'/  /«ose  .l'eicy  Socicîly,  vol. 
XlVl.  Londres,  1811.  —  Mev,  W.  T.  IU:ks,  Vi/n  Sonrti  Itrrmiiini,  texte  latin, 
p.  "J.'il-2'i'>,  et  traduction  ati;çlai»e,  p.  .M.'^rOil  <le  /./iv.s'  o/'  t/ir  Caui/irn- 
Hritis/i  Sninls  of  tlif  /i/'flt  tind  inancdin/r  ^urn'diuii  cimturirs,  IH.'IS.  - 
Kahi,  S(;iiiioi:ni;ii,  Snurt  llvnnddu,  )'i>i  Intinniarhi-r  nnil  il  ci  dciitsr/ie  tcxlc, 
Krlaniçeii,  t871.  -  IIkmma.n  yrc.iMKii,  Notice  sur  cetto  It'^tçende  et  texte  anglo- 
uoiinan<lilaus  les  Hoin/inisc/ii-  Htudien  d'Kd.  Uoelitner,  Stiasiionrg,  1S71-1875, 
p.  5;):t:i«7.    -  I''.  MdiiA.N,  Al  tu  Sinifti  lirmdani,  Ituhlin,  1872.  —  Francisouk 


^48       l'HEMIÈIll':   l'AHTlK.    —    LKS    l'HÉCUKSElHS   1»K   COLOMIt. 


'<■■ 


chrétiemu'.  Le  récit  de  ses  aventures  ii  été  répandu  au  nioyeii- 
i\y;o  non  seulement  en  Irlande,  mais  dans  rEuru[ie  entière,  et 
même  il  eontrihua  à  tourner  ratten'inu  |iul)li(|ue  vers  ces  mers 
occidentales,  où  déjà  certains  savants  avaient  placé  le  paradis 
terrestre.  Les  merveilleuses  traversées  de  cet  Ulysse  chrétien,  qui 
[tendant  plusieurs  années  erre  à  travers  rAtlantique  et  découvre, 
non  sans  danger,  des  îles  et  des  continents,  les  prodiges,  les 
invraisemblances,  les  absurdités  même  de  ses  aventures  ont 
eliarmé  bien  des  générations.  Raoul  (llaber  nous  rapporte  qu'au 
ti-mps  du  roi  Robert  on  ajoutait  une  créance  absolue  au.v  fables 
delà  vie  de  saint  Rrandan  (1).  Irlandais,  (îallois,  Normands, 
Anglais,  Français,  Allemands  et  Castillans  les  ont  racontées. 
Klles  ont  été  traduites  dans  toutes  les  langues.  Peut-être  ont- 
elles  pénétré  jusqu'en  Orient.  En  France  elles  faisaient  partie 
du  domaine  de  la  poésie  populaire,  car  nous  lisons  dans  le 
Itoman  du  lic.nurd  : 

Je  fot  savoir  Ion  lai  Breton 

Et  de  Merlin  et  de  Koiicon, 

Del  roi  Artur  et  de  Tristan, 

Del  Chievrefol,  de  saint  lirandan  (2\ 

11  est  donc  indispensable  de  connaître  une  légende  ipii  everça 
sur  les  contemporains  une  si  grande  iuliaence  et  déte/mina 
quelques-uns  d'entre  eux  à  suivre  l'exemple  du  saint. 

Brandan  était  Irlandais.  On  ignore  le  lieu  de  sa  naissance. 


Michel,  les  Voyages  merveilleux  de  saint  Brandan  ù  la  recherche  (hi  pa- 
radis terrestre,  Paris,  187G. —  Paul  Gaffarel,  les  Voyages  de  saint  Itranilun 
et  des  Papœ  dans  l'Atlantique  au  moyen-Age  (Société  de  {géographie  de  Uo- 
chefort),  1881. 

(1)  lUouL  Glaueh,  Historiarum  libri  quinque,  II,  2oédit.  Proust,  p.  27-28. 

(2)  Rien  qu'à  notre  Bibliothèque  nationale  il  existe  onze  manuscrits  de 
cette  légende  ;  Strasbourg  en  i)ossédait  jadis  un.  On  signale  encore  celui  de 
Sainl-Gall,  et  plusieurs  en  Angleterre.  L'abbé  de  la  Rue  a  donné  une  tra- 
duction française  dons  ses  Essais  historiques  sur  les  bardes,  les  jongleurs 
et  les  trouvères,  t.  II,  p.  68-87,  Nous  nous  sommes  constamment  servi  de  la 
traduction  latine  de  Jubinat  et  de  l'édition  en  langue  romane  de  Francisque 
Michel. 


<    1 


\ 


ClIAP.  VIII.  —  I.KS  IULA.MIAIS  K.N  AMICHIOIK  AVANT  COI.UMIt.    ^V.> 

Les  IJollandistcs  la  fixent  à  l'année  i(»().  Il  lut  coinhiit.  dès  sa 
tendre  enraiicc,  à  l'aliliaye  de  (ilnainscliedniil,  près  du  iiKUit 
Liiaehra.  Ce  in<»nastère  était  dirifi:é  par  une  sainte  reimiie.  Ita. 
(pii  prit  l'entant  en  frraiule  aU'eetiun  et  lui  lit  donner  une  excel- 
lente instructidii  (l).  Dans  ce  milieu  mvsficpie,  entouré  de 
feininos  qui  exaltaient  jus(ju"à  la  passion  un  esprit  déjà  tout 
[lorté  à  la  ferveur  relijrieuse,  liraudan  devint  coiiniie  reniant 
du  miracle.  Il  jouissait  du  d(jn  de  prophétie;  un  venait  de  fort 
loin  consulter  les  oracles  de  sa  sajiesse  enrantine.  Jeune  lioiinne, 
il  entra  dans  les  ordres  sacrés,  et,  coumie  il  était  de  grande 
l'aniille,  devint  promptement  alilié.  Les  lioimeurs  ecclésias- 
ti(|ues  nall'aildireiit  pas  son  ardeur.  Il  parcom-ut  l'Irlande  et  \ 
fonda  de  nombreux  monastères.  Le  j)lus  célèlire  d'entre  eux  fut 
celui  de  Cluainsfert  dans  le  (lonnaught,  dont  il  se  réserva  la 
direction  suprême.  Trois  mille  moines  lui  obéissaient.  I^es  plus 
célèbres  d'entre  eux  furent  saint  i'^ircy,  le  patron  de  Péntnne, 
A  s;iint  Macluvius  ou  Macbutus,  dont  le  nom  est  aujourdimi 
porté  par  la  lière  cité  de  Saint-Malo.  (pii  lu  cli(»isit  poui-  son 
médiateur  céleste.  La  ré[)utation  de  sainteté  de  iSrandan  était  si 
bien  établie  cpie  les  |irétres  romains  venaient  le  consulter  et  lui 
SOU'  ttaient  des  cas  de  conscience.  |{ient«'>t  il  ne  se  contenta 
|iius  d'administrer  les  affaires  spirituelles  de  l'Irlande  :  son 
imaf^inatiou  le  transporta  dans  des  m»»ndes  nouveaux,  au-delà 
de  rUcéaii,  (tù  l'avaiPut  précédé  les  héros  païens  (londia, 
Léofïaire,  Fiann  et  Oisin.  Hientôt  il  résolut  d'aller  <on(|uérir 
ces  iles  mystérieuses  à  la  foi  du  (Ihrist,  et  dis|)osa  tout  pour  une 
longue  expédition. 


1  ^t 


(I)  On  nous  snura  ^ré  d'avoir  n!|irotiiiit  dans  sa  iiaïvtîté  le  iiassajçt!  suivaiii 
des  IJullaiidistcs  :  >>  Saiicta  Ita  cuiu  ^;audiu  iiia^iio  acce[iit  saiictuiu  iiilaiileiii, 
et  iiuti'ivit  euin  (|uin(|uc  ariiiis,  diligebat<iue  valde.  Et  rideiis  gloriofa  virgo 
lia  cuMi  jucundo  IVeiiuciiter  aiiiiiio  inteiiogabat  eiim  dicens  :  »  ()  sanctc 
iiilaiis,  <|uid  IcctiHcat  te  ?  •>  Paiviilus  dicebat  piierili  loquela  :  «  Quia  le  video 
inilii  loqui  et  alias  tibi  sini..v.s  sanclas  vir^iiies  ;  istin  seinper  me  lœtilicaut 
tendîtes  nie  in  manilius  suis  ».  Uieebat  ei  sancta  :  «  Sit  de  te,  l'ili  mi,  ^an- 
diuiii  in  C(olum  ». 


R  1^ 


^;)(>       l'HKMIKRK   l'AHTIR. 


LRS    l'HKC.rRSEURS   DK  COLOMIl. 


nraiidan  uvait  été  déjà  [irécédé  dans  cette  direction  |)ar  un 
moine,  Mernoc,  et  par  leur  maître  commun,  Harintus.  Mernoc 
le  premier  avait  (|uitté  son  monastère  et  s'était  établi  dans  une 
île  de  rAtlanti(|ue,  prés  du  mont  de  la  Pierre,  Il  y  vivait  avec 
<iuel(iues  relij;ieux  de  fruits,  de  racines  et  et  de  léfrumcs,  ne 
sortait  de  sa  cellule  que  pour  assister  aux  offices.  Pourtant, 
de  temps  à  autre,  il  faisait  des  absences  de  (juel(|ues  semaines, 
et,  ([uand  il  revenait,  ses  liahits  étaient  impréfrnés  d'une  odeur 
délicieuse  qui  persistait  au  moins  pendant  (juarante  jours  (1), 
«  Ne  voyez-vous  pas,  disait-il  à  ses  frères  étonnés,  que  je  re- 
viens du  Paradis  ?  »  Ou  remanjuera  la  persistance  de  cette 
odeur,  siu'tout  quaiul  on  se  rappellera  que  les  anciens  voyageurs 
ont  été  unanimes  à  mentioiuuT  l'air  embaumé  de  l'Amérique 
tropicale.  «  Voici  venir  de  la  terre,  écrivait  l'un  d'entre  eux, 
le  naïf  Lescarbot  (12),  des  odeurs  en  suavité  non  pareilles,  ap- 
p(»rtées  d'un  v«'nt  cliaud  si  abondamment  (|ue  tout  l'Orient  n'en 
saurait  produire  davantage.  Nous  tendions  nos  mains  comme 
pour  les  ])rendre,  tant  elles  étaient  palpables  ».  Mernoc  n'avait 
pas  oublié  son  île  natale.  11  y  revenait  de  temps  à  autre.  Dans 
un  de  ses  voyages,  il  persuada  à  son  maître  lîarintus  de  l'ac- 
compagner, et  le  lit  monter  dans  une  barque  qu'envelop|)èrent 
bientôt  des  brouillards  si  épais  (|ue  les  voyageurs  ne  pouvaient 
se  distinguer  de  la  poupe  à  la  proue.  Mais  le  soleil  dissipa  les 

(1)  JuBlNAL,  ouv.  cité  :  11  Nonne  cognoscitis  iii  odorc  vestimeiitoruni  inco- 
runi  quoil  in  Paradiso  I)ei  fuinius  ?  »  —  Tune  rcsponderunt  fratres  dicenles  : 
Il  Abba,  novinuis  quia  fuistis  in  Par.idiso  Dei,  nain  sippe  per  fiaganliani 
vestiinenloruni  abbatis  iiostri  probavimus  ipiod  penc  usquc  ad  quadraginta 
<lics  nares  nostra^  tenebanlur  odore  ». 

(2)  Lescarbot,  Histoire  de  la  Nouvelle  France,  édition  Tross,  Paris 
1866,  liv.  IV,  §  12,  p.  51.").  —  Cf.  Premier  voyage  de  Colomb,  lundi  8  octobre  | 
11  L'air  était  doux  comme  en  Andalousie  ;  c'était  un  i)laisir  de  respirer  cet  air 
(jui  vraiment  était  embaumé.  ■>  Verrazano  avait  également  remarqué  ces 
brises  parfumées  qui  annonçaient  le  continent  américain.  Bari.ow,  auteur 
d'une  description  de  la  Carolin  ,  écrira  encore  en  1584  :  «  VV'o  snielt  so 
sweet  and  so  strong  a  smell,  as  if  we  liad  becn  in  tlie  midst  of  sonie  délicate 
garden,  abounding  witli  ail  Kinds  of  odoriferous  flowers  ». 


1, 


II 


\ 


V. 


CIIAI'.  Vlll.  —  LKS  IHLANDAIS  K.N  AMKHigiK  AVANT  (-.((LoMll.    ^ol 


nuages,  ot  liicntùt  ils  upcnurent  vcm's  l'ouest  une  graiule  terre 
;'i  liKjuelle  ils  abordèrent.  Ajirès  (juinze  jours  de  niarrlie  à  tra- 
vers des  prairies  en  fleurs  et  des  arbres  chargés  de  fruits  ils 
n'étaient  encore  arrivés  <(u'au  niilieii  de  lile  (1),  et  ils  s'apprê- 
taient à  traverser  un  grand  fleuve  qui  coulait  de  l'ouest  à  l'est, 
lorsqu'iui  ange  leur  apparut  et  leur  défendit  d'aller  j)lus  loin, 
car  au-delà  du  fleuve  commençait  le  paradis.  Ikrnoc  etBarintus 
(tl)éirent  et  roiournèrent  en  arrière,  liarintus  revint  même  en 
Irlande,  et  ce  sont  ses  récits  enflammés  qui  décidèrent  Brandau 
à  se  lancer  sur  ses  traces. 

Hrandan  fit  part  de  ses  intentions  à  une  centaine  de  nmines, 
qui  s'embarquèrent  avec  lui.  Ce  premier  voyage  fut  malheu- 
reux (:2).  La  tempête,  la  famine  et  surtout  l'inexpérience  de 
l'é(pupage  faillirent  à  plusieurs  reprises  entraîner  la  perte 
totale  de  l'expédition.  Il  fallut  rentrer  en  Irlande  sans  avoir 
trouvé  l'île  où  Mernoc  s'était  établi  avec  ses  compagnons. 

(îet  insuccès,  loin  d'anéantir  les  espériuices  de  lirandan,  les 
surexcita.  11  s'occupa  tout  aussitôt  d'un  nouveau  voyage.  Cette 
fois  il  ne  prit  avec  lui  que  (piatorze  moines  (11),  parmi  lesquels 
son  disciple  favori,  Machut  ou  Maclou,  lireton  du  pays  de 
dalles,  fils  du  gouverneur  de  Gimicastum  (Winchester).  Les 
jtieux  aventuriers  s'embarquent  pleins  d'espoir  sur  une  barque 
légère  dont  la  membrure  était  couverte  de  peaux  de  bœuf 
cousues  ensembles.  Ils  emportaient  des  vivres  pour  quaraute 
jours.  Au  moment  de  partir,  trois  fières  se  glissent  au  milieu 
d'eux  malgré  les  remontrances  de  Brandau  et  ses  tristes  pres- 


11' 


h 


I. 


«■■• 


(1)  JriilNAL,  2-3.  Quum  sletisset  navis  ad  terrain,  ilesccndimus  nos  et 
i'œpimus  nos  circumire  et  ambularc  illani  insulani  pcr  quindecim  dics  et  non 
pntuiinus  fineni  illiiis  invenirc...  ))orn)  quinto  decirno  die  invenimus  lluvium 
\ergeiiteui  ad  orieiilalem  plagani  ab  occasii. 

(2)  Ce  premier  voyage  n'est  raconté  que  i)ar  les  Bollandistcs.  «  Quuin 
navigio  lassati,  quani  qu.erebant  insulam  invenire  nequirent,  peragratis  Orca- 
dibus,  ceterisqne  aquilonensibus  insulis,  ad  patriani  redeunt  n. 

(3)  Le  nombre  des  compagnons  de  Brandan  n'est  pas  le  même  dans  les 
diverses  relations. 


V,      f^'  f*  '^ 


'7~^r 


ià' 

à  i>  ', 
il 

1 


if. 


!  ; 


"i'.'rl     i>)ii:mii:iiic  I'ahtii:.  —  i.Rs  i'i!i:i;i'iisi:iiis  iti-:  (ui.o.mii. 

sciitiiiR'iits.  l'ciidiiiit  (|iiin/(' Jours  If  xciit  soul'lla  de  lest,  |Hiis 
lomhii  suhitciiiciit.  Lfs  iimiiics  roiimicnciiciil  h  «c  ilci  ouiM^cr, 
car  ils  vunuaiciil  ;"i  la  rame,  sanssiivoir  où  ils  allaient,  et  «'laiciU 
à  l)(»ut  (le  forces  cl  tic  vivres;  mais  ItiMiitlaii  les  rassura.  Au 
Ixiut  (l'iiii  uiois  ils  arrivent  à  une  ;:ran<lc  il(>,  mais  ne  tniu\eut 
(le  port  (le  (léltar(|ueiueiit  (|u  aitrès  avoir  loiifié  les  (ôtes  iiendaiit 
fntis  jours.  Ils  vout  de  là  à  uu  cli;iteaii  di'sert.  <jù  ils  trouvent 
lun'  taille  servie  et.  desmeuldes  spleudides  'r(>ut<'  par  le.leiuou, 
un  des  moines  d('>ro|)e  un  lianap  A'ov,  mais  il  est  puni  de  sa 
faute  par  la  mort.  l"ip<Hi\antes  par  cet  .iccident.  les  compa- 
^uoiis  de  lirandan  reprennent  la  mer  et  arrivent  dans  ime  autre 
île  où  |)aissaient  des  l>rel»is  toutes  Idanclies  et  jzrosses  connue 
des  liœufs.  Cette  fois  un  liomme  leur  apporte  à  mauficr  et  se 
fait  JM'nir  nar  eux  (luand  ils  repartent.   .Vnrès  (iuel(|ues  jours  de 


piel(pies  j( 


navigation,  ils  se  trouvent  en  vue  dun  Ilot  is(d(''  (|ui  leiu'  parait 
(•(tnmiode  pour  prendre  \\n  peu  de  re|»os.  Ils  y  tclèltrent  les 
oflices  de  la  nuit  et  du  matin,  et  appn'tent  leui'  icpas.  mais  à 
peine  le  feu  est-il  allnnu'  (|ne  l'île  se  met  en  mouvement. 

Itrundiin  leur  disl  :   <  Krèrcs,  savez 
Purqiieï  poiir  oiil.  avez  ? 
N'est  pas  lenc,  aiuz  csl,  lieste 
U  nus  feïnies  notre  teste  ; 
l*eissuns  de  mer  sur  les  greimns. 
.Ne  inerveiili's  de  ço,  siMf^'unrs, 
Pur  10  vus  volt  Deus  ci  mener 
Qui  il  voieit  plus  ascuer  : 
Ses  merv(;illcs  cuin  plus  V(,'rrez, 
Vai  lui  plus  niult  niielz  cr(;n-ez(l). 


il)  Francisvle  Michel,  ouv.  cit»';,  vers  170-47!).  La  version  latine  (jilitéo 
par  .lultiiial  ost  .si  naïve  qu'on  nou.s  saina  un;  ilii  l'avoir  re[ii'odiiite  ici  • 
«  Ex|»orlavcrunt  cirncs  crudas  Uc  navo  ut  illas  (loincdcrent  solo,  et.  ,ii8i;es 
i)uus  sccuni  tulerant  de  alia  iusula,  posuuruut  (jue  caccabuui  super  ij^tiein  ; 
nuuin  autein  niinislrarent  ligna  igni,  et  l'ervere  cirpissel  caccabus,  <(Bpit  illa 
insula  se  niovere  sicut  uiida.  Fralres  vcro  cucuricruul  ad  naveiu,  implorantes 
patrociniuni  patris  sni  :  patcr  auteni  singulos  illos  pcr  iiiauus  iiitus  in  navein 


illAI',   VIII.   —  l,i:s  !HI.\M».\I>  I:n  A.\ir;ilinri-:  A\A.\T  lUH.n.Mll.    "i.'ill 


dette  |iii''te||<lMe  Meét.iit  en  elVef  iill  |M»is><tn.  [M'ilt-r'fre  iiiie 
li.ileiiie  lli.  (|ii('.  r|,iii>  leiif  ii.iïve  iuiiunmee.  les  iiioiiii's  avaient 
prise  |iMUf  ini  vi>c  solitaire.  .\u>si  liien  [larcil  fait  devait  se 
ii'iii'ineler  en  {IVM).  si  tontel'His  nu  ajinifet'ni  ,t  la  lettre  adrcsséi^ 
par  l'irii-  Kalkendoi-j'.  évr'*|iie  de  Nidros,  an  pape  Léon  .\.  \du- 
laiit  ii'lrhrer  la  messe  antri'  jtarf  (|iie  ^iir  nn  liatean.  ce  prélat 
aurait  également  di'hanpK'  sur  un  îlot,  cpii  salVaissa  dès  (pt'il 
ent  Uni  le  saint  sarrijice  {"Ii. 

(jnelipies  jiinrs  après  ce  curieux  incident  de  leur  voyaf.'c.  les 
moines  irlandais  aliordèi-ent  une  ile  verdovaiite  arrosée  par  de 
Irais  riiisseanx.  IjCs  arlm-s  et  les  rochers  étaient  couverts 
d'oiseaux  ijui  venaient  familièrement  se  jttM'clier  sur  ré[)aulc 
des  Moineaux  déitanpiés  Saint  Itrandan,  coninte  yUx^i  tard  saint 
l'rani'ois  il'.Vssise  avec  les  hirondelles,  enfra^'ea  la  conversation 
avec  eux.  Ils  lui  apprirent  ipie  d'aiifres  ils  étaient  devenus 
oiseaux,  et  lui  prédirent  l'avenir.  Le  saint  ahhé  entonne  le  7'/' 
hfiiiii,  les  oiseaux  raccompagnent,  et  le-  frères  uoùtent  un 
délicieux  repos  de  cin(|uante  jours  rians  cette  ile(|u'ils  iionuiient 
le  Paradis  des  oiseaux,  llenianpions  à  ce  pro[)os  (pie  les  voxa- 
jiciiis  ipii.  à  une  épo(pie  relativement  moderne,  retrouvèrent 
les  .\coies.  s'étonnèrent  An  j:rand  nondtre  et  de  la  familiarité 
des  oiseaux  de  cet  archipel  ;  aussi  hien  le  nom  même  des  Acores 
\ieiit  du  portufjais  acor  qui  siu'nille  milan.  l>ntor.  I.,a  carte  ca- 
talane de  (laliriid  de  N'alseipia,  composée  en  1  iîJK,  et  sur 
Lupielle  (lf.MU-e  l'ai-chipel.  mentionne  en  cet  endroit  la  Vlha  de 
Osels.    Krnctnnso   {}\),  dans    >a    Chronique,    s'extasie  sur  les 


liaxit.  rcliilisi|ui'  oiimilms  dcliilis  in  ii!snl,i   iil.i,  iiavcm  solvcnmt  ut  abirenl. 
l'iHTii  cadnii  iiisiila  se  inovit  iii  Occanniii  -  .  Cf.  ItAOi  i.  (ii.AHKii,  II,  2. 

(1  I.P  Beatiaii'c  d'Anmur  par  Uk.iiauu  l'OlJKNiVAi.,  manuscril  du  \«  siècle 
ijiii  faisait  jailis  partit-  de  la  citiliTlioii  l)iiJot,  représente  le  vaisseau  de 
lliaiidan  d'ahoiii  aiirlé  près  de  la  lialeine,  puis  soulevé  par  le  monstre  iiiiiriii. 
(À's  deux  miniatures,  tiuenient  exécutées,  ont  été  rv'|co(luites  pai'  Lacuoix,  les 


>ni'iiii:f  I 


■t  1rs  l.'-fhi 


S'  ai/  mi>i/e)i-nf/r,  p 


:i04. 


LaMiHIN,  Ui.stniri;  ih's  )ni>iistrr.-i  inunns,  p     c' 
l)'.\vi;/.Ar,  Sofii'r  ili's  i/i''rn)iriTf<'s  faites  n 


MIaiili 


7' 


isi: 


■:/cn-ihjc  itam  l'oréan 


i 


"■l'A       IMUCMItUK    PAHTIK. 


Li:s    l'RKCL'HSEL'IlS    DK   C.OLOMll. 


I 


^il-^ 


I; 


I    i 


(l(''li(i('us('s  iiK'Iodics  (ju'oii  entendait  toujours  dans  les  hois  do 
San  \1ij;u('l.  Il  raconte  nuMiie,  avec  une  naïveté  cliarniante  (|(n 
ra|)|ielle  sinf^nlièrenient  la  légende  irlandaise,  (|u'il  assista  à  un 
concert  dont  les  chanteurs  étaient  des  pinsons,  des  serins,  des 
merles  et  des  tourterelles.  Il  se  pourrait  donc  cpie  le  Paradis 
des  oiseaux  correspondit  à  l'une  des  Acores. 

Les  compagnons  de  lirandan  s'arracliènnit  à  ce  lieu  de  {\ô- 
lices  et  reprirent  leurs  voyages.  Leur  prochaine  station  devait 
être  l'ile  d'Alhaeus,  cette  ile  fameuse  où  l'un  des  premiers 
apôtres  de  rirland(>,  Alhaeus  ,'1)  ou  Ailldie,  gêné  |>ar  les  hon- 
neurs (pi'il  l'ecevait,  avait  résolu  de  se  retiriM-  pour  vivre  en 
ermite.  Ils  y  arrivèrent  après  trois  mois  de  navigation,  mais  en 
lirent  le  tour  pendant  ([uarante  jours  sans  trouver  un  s(;ul  port. 
A  la  lin,  ils  s'engagèrent  dans  un  étroit  goulet  qui  ne  pouvait 
contenir  «pi'un  navire.  A  peine  déhanpiés,  ils  furent  reçus  par 
un  vieillard  silencieux  (|ui  les  conduisit  à  un  monastère  où 
vingt-(piatre  moines  observaient  depuis  longtemps  la  règle  du 
silence  le  |>lus  ahsolu.  Ils  n'éprouvaient  aucun  hesoin  corporel  ; 
ils  n'avaient  même  j»as  lu  peine  d'allumer  les  lampes  de  l'autel, 
(pii  s'illuminaient  soudainement.  liranilan  aurait  bien  \ouln 
prolonger  s((n  séjour  dans  ce  |)ays  merveilleux,  mais  le  temps 
de  la  Pà(pio  api)rochait,  et  les  frères  avaient  promis  de  la  célé- 
brer dans  le  Paradis  des  oiseaux. 

Pendant  cinq  ans  encore  durent  ces  courses  étranges.  Glnupie 
année,  à  la  même  é|)0(pie,  une  force  inconnue  les  ramène  iui 
Paradis  des  oiseaux,  mais  à  travers  les  aventures  les  plus  extra- 
ordinaires. Tantôt  ils  rencontrent  une  mer  dormante  où  ils  ne 
voguent  (pi'avec  peine  et  souffrent  du  froid;  sans  doute  la  mer 
Hétée,  c'est-à-dire  coagulée,  dont  il  est  tant  parlé  dans  les 
romans  de  chevalerie  {"1)  : 

(1)  John  Coi.dANUs,  Arta  snjitortim  vetcrh  et  majorts  Scotix  vel  Hihev- 
iii.T,  Louvaiii,  t645,  p.  241. 

(2)  Roman  do  la  C/iarreffr,  V.  3U0'J.  —  Chamo7i  (rAntioche,  VII,  115.— 
Auherii  Iv  Doiirf/uifjnon.  —  liornan  du  Renavt,  t.  III,  p.  309.  —  Roman  du 


CHAI'.  Mil.  —  LKS  IULAMIAIS  KN  AMÉRIQUE  AVANT  COuTSl».    :2.'».'> 

Ddi'iuiuilt!  iiitrr  mit  c  iimilf 
(]lii  il  siylcr  liir  ml  lorlc. 
Puis  qu'iiiil  (intit.  III  <|iiinzfincs, 
Freidiii'  Inr  ciiii  piu'  les  vciiuîs  (1). 

'raiitnt  l'oiseau  (iripliti  i^),  (|iii,  de  s.i  simtc;  puissaiiU"  fiilt'vi- 
|(  s  vaisseaux  et  les  laisse  retomher  sur  les  rncliers.  i>ù  ils  se 
brisent,  s'élunee  (•(tiitre  eu\  et  va  les  saisir,  i(irs(|u'il  est  tué  par 
iiii  autre  <jiseau  plus  redoutable.  .Aujourd'hui  un  éiiornie 
poisson  s'élance  ronire  eux  |iour  les  dévorer  (3),  lorscpi'il  est 
atta(pié  et  tué  par  un  monstre  marin  plus  ^'if;antes(|ue  eneore. 
i/'s  moines  se  repaissent  des  débris  de  ce  [)oisson  et  S(;  ravi- 
taillent pour  trois  mois.  Demain  ils  arrivent  près  d'une  ile  où 
ils  ne  peuvent  descendre,  mais  dont  la  pieuse  population  chante 
(les  caiifi(pies  en  leur  honnem*.  Voici  (pi'ils  débarquent  près 
dune  ile  couverte  de  forêts,  où  poussent  des  vignes  chargées 
de  grappes.  Il  s'en  dégage  des  effluves  parfumées,  coiume  d'une 
cbaiidire  pleiiu'  de  pommes  (i).  (le  trait  (pie  n(jus  avons  d(''jà 
signalé  dans  l'histoire  de  Mernoc  seuible  indi(juer  (pie  les  pieiiv 
voyageurs  étaient  alors  bjut  près  de  rAuiériijue  tropicale.  Plus 
loin,  ils  traversent  un(>  uier  si  transparente  i|u'ils  distiuguent 
les  énormes  poissons  qui  s'y  jouent  '."J,.  Hieutôt  la  tempête 
les  pousse  vers  un  endroit  horrible,  ([ui  n'est  autre  que  la 
bouche  d(^  l'enfer  (0).  Un  volcan  se  dresse  devant  eux,  peut-être 
riléda  ou  le  Heerenherg  de  Jean  Mayen,  qui  fait  au  loin  bouil- 
lonner la  mer,  et  remplit  l'atmosphère  de  vapeurs  sulfureuses. 
iJautres  iles  retentissent  sous   le   marteau  des  (îycbqH's  (7). 

comte  (If  l'oiti.er!<,  V.  1203.  —  Ficnibrns.  V.  :27i7.  —  Bdutluin  dr  Sr/ioiirc^ 
V,  11.-)!),  utc. 

(1)  FiuNc.isijuK  MiciiKi,,  V.  8%-8'J'J. 

(2)  II...  1002-1031. 

(3)  II»..  V.  o;;i-iooi. 

(I)  Siciil  lulor  duinus  plcnoe  iiornis  piiiiicis. 

(5)  Iiiviiiienint  mare  tam  claniiii  ut  videie  possciit  ea  (|iiio  subtns  ert.nt. 
^6)  F.  .Mir.iiKi.,  V.  1098-1212.  ,  »,,  , 

(7;  iit.,  V.  1212-1439.  ..  ';.- 


!2.*»('>       l'ril;MIKHK    l'AHTIK.    —  -I.KS    l'HKri'HSKniS    IH'   tlol.UMII. 

.Iiidiis  Isciifiolt'  leur  iippaniit  cf  leur  r.iniiitc  ses  soiiUViinrcs. 
Des  (|(''m(iiis  les  suiiiiK'tfcnt  i'i  mille  (•[H'cuvcs,  iiiiiis  ils  les 
snriiiMiitcnt  cf.  .iinvs  avoir  traversé  «ré|(ais  hi'uiiillanis,  Unissent 
|)iii'  trouver  une  terre  inconinie.  (|iii  n'est  antre  (|iie  le  l'ar.idis 
terrestre  (I). 

(l'est  un  immense  rontineni  on  se  remontrent  les  protlnctions 
les  plus  variées.  I.'iitmosplière  \  est  ItrilliUite,  la  lumière  du 
soleil  éternelle   -1). 

De    jifiils  Itois  (•  (le  rivere 
Veieiil  Ifiie  millt  plenere. 
(irandiiis  esl  la  praierie, 
Uni  liiz  (lis  est    l)e;il  tlurie. 
Li  tliii-  siief  niiiit  i  tiaireni, 
Ciini  là  ù  li  piii  lepaironl. 
D'arbres,  tl«  fleurs  deliciiis. 
.  . .  Siuiz  lin  i  liiisl  li  rleis  soleil. 
Ne  vouz  ii'orez  n'i  mot  ini  peil  ; 


N'i  vien 


I  nul 


nue  ilel  air. 


(Jui  (li'l  soleil  lol;.'et  le  elair.  .  . 

I^'mlant  ipiai-ante  Jours  les  moines  essayent  de  f"air<'  le  toiii' 
de  cette  terre,  «piils  prennent  pour  um>  île  [li],  mais  ils  arrivent 
à  l'emboiichurc  d'un  lleuve  iimnensc  cpii  leur  |»n»uve,  connue 
plus  U^v^\  rOn''n<»(|iie  à  (lolomh.  ipie  l'IIo  est  un  continent  (i). 
tl'est  alors  ([ue  leur  apparaît  un  anjre,  (|ui  leur  ordonne  de 
retourner  en  Irlande,  non  sans  av(»ir  emporté  dos  fruits  et  des 
pierres  de  ce  Paradis,  Cuture  résidence  dos  saints,  (juand  le 
monde  entier  sera   converti.  Les  moines  obéissent,  et,  après 


I)  1<\  MiciiKi.,  V.  1014-11(12. 

(21  11).,  V.  n:t2. 

l'.h  Jvni.N.M.,  T)!,').  Ciicntii(!iiM((!s  iliain  Ifirani.  (|iiaiii(liu  fiicruiit  in  illa, 
iinlla  nox  illis  ailfiiil,  sed  lux  liicebat  siciit  sol  i cet  iii  tciiiporc  siio,  t't  ita 
per  qiia(lraj;iiita  (lies  liistravcrunt  terrain  illam,  sed  fiiieni  ilHus  miiiimo  iiiviv 
iiirft  ])oteraiit. 

(1)  !i>.,  t'dCi.  yuailam  vcro  die  inveiicruiU  inioddain  (sic)  magnum  lluvimii, 
i|ii(iil  noiniai|iia!ii  potueniiit  traiisvadeie,  verjtentom  ad  mcdiiuii  insul.T. 


1î. 


SAINT    BRANIUN    ET    LA    BALEINE 

D  après    le    Rcsliairc    d'amour    de    Richard    Fouriiival 
(manuscrit  de  la  colloction  Didol). 


%^N  "^         -^^ 


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11.25 


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(1) 

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(2) 

(3) 
(4) 

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r.llAI'.  VIII,  —  LES  IRLANDAIS  EN  AMÉRIOl'Ii:  AVANT  COLOMB.    257 

avoir  une  dcrniùre  fois  roléhrô  la  PAquo  au  Paradis  des  oiseaux, 
ils  n'gafrnont  leur  patrie.  A  peine  de  retour  Brandan  mourait, 
à  r<\}j:e  de  quatre-vingt-dix-huit  ans  et  dans  toute  la  gloire  de  la 
sainteté. 

Quant  à  son  disciple  favori,  Machutus,  il  ne  se  tint  pas  pour 
battu,  et  fit  une  troisième  tentative,  mai:,  la  tempi^te  jeta  son 
bateau  sur  les  côtes  d'Armorique,  n.)n  loind'Alet.  Bien  accueilli 
par  les  habitants  de  cette  ville,  il  y  fixa  sa  résidence,  devint  son 
évé(jue,  et  lui  donna  son  nom,  qu'elle  a  depuis  {jardé,  Saint- 
Malo  (1). 

Telle  est  la  légende  :  elle  n'est  pas  présentée  partout  de  la  môme 
façon,  mais  les  différences  n'ont  trait  qu'à  des  aventures  autre- 
ment racontées,  et  d'ailleurs  elles  n'offrent  qu'une  importance 
secondaire.  Ce  qui  nous  surprendrait  davantage,  c'est  la  sin- 
gulière analogie  de  cette  légende  avec  les  traditions  orientales. 
Il  serait  même  fort  curieux  de  savoir  si  cette  histoire  passa 
d'Irlande  en  Orient,  ou  si  les  deux  peuples  la  trouvèrent 
ensemble  (2).  Ainsi  le  géographe  Edrisi  (3),  tout  comme  l'auteur 
anonyme  des  Voi/ngcs  merveilleux,  nomme  l'île  des  Brebis  et 
et  le  Paradis  des  oiseaux.  Dans  les  Mille  et  lote  Nuits,  le  fameux 
Sindbad,  lors  d'un  de  ses  nombreux  voyages,  aborde  à  l'île  El 
Thojono,  dont  les  oiseaux  lui  donnent  de  merveilleux  con- 
certs (4).  L'oiseau  Rock  qui  l'enlève  ressemble  étrangement  au 
(iripli  de  Brandan,  et  l'aventure  de  la  baleine  paraît  traduite 
de  l'i  .'égende  chrétienne.  «  Nous  découvrîmes  une  île  charmante 
dont  le  sol  semblait  couvert  d'im  tapis  de  verdure  odoriférante. 
Le  capitaine  ayant  fait  carguer  les  voiles,    tous  les  marchands 


(1)  JoAXNES  A  Bosco,  Vttn  Snurti  ^facluv^i  ex  mm/traïux  floriacnmlms 
vetustissimis-  (Floriaccnsis  vêtus  bibliothcca  Beiicdicliiia,  Lyon,  1605).  — 
D'AciiKBY  et  Mabillon,  Vita  Saticti  Mnclovii  ex  msc.  cod.  vet  d'Hôrouval 
(Annales  sanctorum  ordinis  Sancti  Benedicti,  1668''. —  Siokbeut  m:  Gembi.olx, 
Vita  Sancti  Macfovici  xive  Maclmtii  (Patrologic  de  .Mignc,  t.  160,  18r4K 

(2)  Reinaud,  Introduction  à  la  géoqrapliie  d'Alioiilfèda. 

(3)  Edhisi,  tiad.  Jaubert,  t.  1,  p.  198-200. 

(4)  Mille  et  une  Nuits,  trad.  Galland. 

T.    I.  17 


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!irJ8      l'HKMlÈKE   l'AHTIK 


U:S   l'KKCURSEURS    DE   COLOMH. 


«lescLMulirent  du  Ixitimont  et  se  mirent  à  maiifrer,  à  hoire,  ;i  se 
reposer.  Tout  à  cou[)  i'ile  éprouve  un  tremblement  et  est  agitée. 
Un  crieur  proclame  :  Voyageurs  !  prenez  garde  à  vous  !  vite  au 
vaisseau!  Sinon  vous  ùtes  tous  perdus!  l'île  sur  Lupielle  vous 
vous  trouvez  est  un  |ioisson.  Tout  le  moude  gagna  le  '>i\timent  : 
pour  moi  je  restai  sur  I'ile,  (|ui  re[)longea  prescjue  aussitôt  ». 

La  légende  de  Hrandan  a  donc  pénétré  jusqu'en  Orient;  niais 
si  cette  odyssée  monacale  s'est  |»artout  répandue  au  moyen-Age, 
c'est  qu'elle  avait  un  fond  de  vérité.  Les  aventures  d'Ulysse 
auraient-elles  charmé  lesdrecsetnous  cliarmeraient-elles  encore 
si  ce  Jiéros  de  la  ruse  et  de  la  patience  n'avait  pas  existé?  11  est 
vrai  que  les  aventures  du  saint  njoine  ne  sont  pas  toujours 
vraisemblables  ;  mais  qui  voudrait  ne  retenir  des  légendes  (jue 
ce  (ju'elles  ont  de  possible  retrancherait  aussi  de  VOdi/nsrc  et 
de  toutes  les  autres  épo|»ées  les  merveilles  et  les  fables  qui  les 
ornent.  Ainsi  que  Ta  écrit  un  savait  gaéliste,  dont  le  témoignage 
fait  autorité,  W.  F.  Sbeene  (1),  u  c'est  im  roman  pieux  mais  (|ui 
repose  sur  un  Tondement  historique.  Des  récits  fabuleux  n'au- 
raient pas  été  intercalés  dans  î  i  biographie  de  saint  llraudan, 
s'il  n'y  avait  |>as  eu  dans  les  événements  de  sa  vie  une  entreprise 
pour  l'extensictn  du  christianisme  dans  (luebjues  îles  lointaines, 
et  il  ne  manque  pas  d'indices  pour  montrer  qu'il  en  fut  ainsi  ». 
IjCS  courses  vraies  ou  fausses  des  moines  prouvent  du  moins 
(|u'ils  n'hésitaient  pas  à  les  entreprendre.  D'ailleurs,  les  lies 
qu'ils  |)arcourent,  le  grand  continent  sur  lequel  ils  débarquent, 
les  dangers  de  la  traversée,  tous  ces  épisodes  cachent  peut-être, 
sous  le  voile  de  la  fiction,  de  réelles  découvertes.  C/est  à  nous 
de  dégager  le  fait  historique  des  ornements  qui  le  dénaturent. 
Ainsi  nous  remarquerons  que  Hrandan  et  ses  compagnons  se 
dirigent  toujours  de  préférence  vers  l'ouest,  c'est-A-dire  dans  la 
direction  de  l'Amérique,  et  cpi'iis  errent  au  milieu  d'archipels 


(1)  W.  S.  SiiKK.NE,  Ce/tic  Scotliurl,  ri  hMwtj  of  ancinit  Mhan,  1877, 
t.  II.  |).  76. 


Si 


CHAI'.  Mil. 


LKS  IULANHAI.'  KN  AMKIUyilK  AVANT  r.OLOMIt.    'l'i'.) 


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dans  h'siiucls  on  rcroiiiiiiitrait  sans  lro|i  de  peine  les  Acnres, 
les  Canaries,  Madùre,  l'Islande  nu^nie,  on  tel  autre  groujie  des 
Iles  et  des  îl«ifs  jetés  entre  les  deux  continents.  Sans  exiger  dans 
la  détenninatioii  des  terres  <'ntrevues  par  les  moines  irlandais 
une  précision  impossible  à  obtenir,  il  est  pourtant  vraisemblable 
(pie  le  Paradis  «les  oiseaux  cornîspond  à  I  une  des  Açores. 
Ténérille  dans  les  Canaries  est  un  ancien  \olcan  <|ui  sans  doute 
était  en  activité,  lorscpie  les  compagnons  de  J^ri.ndan  contem- 
plèrent avec,  elFroi  les  tourbillons  de  tlaiumes  (pji  couronnaient 
sa  cime  et  les  fleuves  de  lave  (pii  couraient  sur  ses  flancs. 
D'ailleurs,  les  éruptions  de  l'ilécla,  celles  de  Heeremberfï,  durent 
en(;ore,  et  rien  n'empéclie  de  supposer  (pie  Hrandan  s'est  aventuré 
juscpi'à  c(îs  liantes  latitudes.  Quant  au  Paradis  terrestre,  si  éloi^rné 
Ai'  l'Irlande,  arrosé  par  de  si  grands  fleuves,  et  dont  les  moines 
ne  parviennent  [«as  à  faire  le  totu",  ne  serait-ce  pas  (piel(|ue 
partie  du  continent  américain?  Il  ne  faudrait  certes  point 
prendre  à  la  lettre  les  indications  î;éojrraplii(|ues  des  Wti/afjcs 
iiti'vrcilli'ii.r,  mais  il  semble  pourtant  bien  constaté  (|ue  les 
moines  naviguèrent  à  l'ouest,  (|u'ils  trouvèrent  des  îles  et 
abordèrent  un  continent.  De  plus,  à  plusieurs  reprises,  ils 
rencontrèrent  dans  leurs  courses  errantes  des  coreligionnaires 
et  même  des  oontpa'riotes,  ce  (jui  indi«pierait  des  voyages 
antérieurs. 

Aussi  bien  Hrandan,  Mernoc,  Macluitus,  ne  sont  pas  les  seuls 
Irlandais  (jui  au  moyen  Age  se  sont  aventurés  sur  l'Océan  (1),  et 
ilontlbistoire,  singulièrement  défigurée  par  la  légende,  a  conservé 
le  souvenir.  Un  contemporain  de  Hrandan,  Conal  Deagli,  riclie 
propriétaire  du  Connaught,  avait  trois  fils  qui  tous  les  trois 
avaient  embrassé  la  carrière  périlleuse  mais  lucrative  de  pirate. 
('.at(''cliisés  par  saint  Coman,  ils  renoncèrent  à  leur  (coupable 
industrie,  et,  pour  mieux  mar(pier  leurs  sentiments  de  pénitence, 


(Il  UfiBEHT   Atkinson,     T/ic  Book  of  Lehislrr,   Diililiii,   1880,  p.  -W. 
Ci'URV,  Lectures,  etc.,  p.  289-291,  587-593. 


; 


!2l»(>       PHEMIKKK    l'ARTIK.    —    LKS    l'UKCIRSKI  l«S    l)K   COLOMB. 

irsolurciit  (le  parcourir  on  |H'l«'riiis  les  îlos  «le  l'Atl!inti(|U('.  Ils 
lirt'iit  don.'  constrnin'  un  furra<li,  ou  bateau  fîarni  «le  peaux, 
pt»ur  neuf  personnes,  et  s'eniharquèrenf,  en  l'an  .'iiO,  «lans  la 
haie  île  (iallway.  Pendant  quarante  jours  et  (juarante  nuits  ils 
errèrent  à  l'aventure  sur  r()c«''an,  et  ahordèrent  dans  une  île 
très  peuplée,  et  dont  tous  les  lialtitants  seudilaient  accablés  de 
douleur  et  v«'rsaient  des  larmes  abondantes.  Dans  une  ile  voisine 
les  insulaires  étaient  soumis  à  d'all'n'uses  souH'rancH's  en  expiatittii 
de  leurs  péchés.  Après  de  longues  courses,  les  Jils  de  (lonal 
Deaffh  iiniient  par  descendre  en  Kspapne,  où  ils  furent  accueillis 
par  mi  saint  évéque  nommé  Justin.  (lelui-ci  transmit  le  récit  de 
leurs  aventures  à  saint  Coman.  ([ui  les  raconta  à  saint  Mocholmojr, 
et  c'est  ce  dernier  qui  s'emi|>ara  de  la  léjjende  pour  en  fain;  un 
poème. 

Un  autre  Irlandais,  Maelduin  ,1;,  (ils  posthume  d'Allil  Corar 
Ago,  que  des  pirater  avaient  assassiné,  jure  de  venj^erson  j»ère. 
H  construit  un  grand  currach,  couvert  d'une  triple  cuirasse  de 
peaux  de  Ixeuf,  et  portant  soixante  hommes  d'équipage,  dévoués 
à  sa  fortune.  Il  s'end)arque  avec  eux,  et,  toujours  dans  la  direction 
de  l'ouest,  part  à  la  recherche  des  assassins.  Les  Irlandais 
arrivent  à  deux  ilôts  (»ù  ils  entendent  des  pirates  se  vanter  de 
l'assassinat  d".\llil  Corar  Ago,  mais,  au  moment  où  ils  s'apprétenf 
à  les  punir,  une  tenqiéte  se  déclare.  Maelduin  laisse  amener  les 
voiles  et  part  à  la  dérive.  Cihemin  faisant,  ils  découvrent  plusieurs 
îles.  Dans  l'une  sont  des  fourmis  aussi  grosses  <|ue  des  poulains  ; 
dans  l'autre  habitent  des  géants  «pii  prennent  pour  coursiers  la 
crête  des  vagues.  Ici  s'élève  un  palais  splendide  où  sont  dressées 
des  tables  richement  servies;  là  s'étale  un  ponnnier  qui  ne  porte 
que  sept  pouunes,  irais  chacune  de  ces  pommes  suflit  pour 
nourrir  et  abreuver  les  voyageurs  pendant  «piarante  jours.  Sur 


(1)  Leahhar  na  h  Vidhri  (ouvr.  cité),  p.  '2*2-20.  —  Cf.  J(>vi:e,  Old  a-ltir 
Romança,  112-176.  —  Aiihois  de  Juiiainvii.i.k,  Cntalof/iie  <le  ht  littérature 
épviue  tk  l'Irlande,  1883,  |..  LM-lsa. 


CIIAP.  Vlli.  —  LES  IHLA.NDAIS  EN  AMKKIQIE  AVANT  (..(LOMB.    ;2(il 

iiiic  autiH.'  lie  poussent  des  oniiigi-rs  «'inliauiiH's,  Plus  loin,  on 
admire  un  palais  taillé  dans  un  bloc  calcaire  et  dont  toutes  les 
ouvertures,  à  l'exception  d'une  unique  p(»rte,  donnent  sur  une 
cour  intérieure  orné»?  de  colonnes  de  niarhre  et  garnie  de  tables 
toutes  servies.  Voici  l'Ile  des  Pleurs  et  des  Rires.  Voiln  l'île  des 
moutons  blancs  et  <les  moutims  noirs,  qui  cbanjfent  de  cotdeur 
(juand  ils  cliangent  de  troupeau.  Dans  l'île  des  Amazones,  les 
Irlandais  reçoivent  un  accueil  empressé,  maison  repousse  leurs 
propositions  matrimoniales.   Dans  l'île  des  Oiseaux  toute  une 
tribu  volatile  à  plumage  varié  parle,  chante  et  jacasse.  Ici,  un 
solitaire,  de  nationalité  irlandaise,  leur  raconte  (|ue  chaque  année 
grandit  l'îlot  sur  lequel  il  a  été  jeté  par  la  tempête.  Là  se  dresse 
un  pilier  colossal  dont  la  base  disparait  sous  l'eau  et  le  chapiteau 
dans  la  nue.  Du  sommet  part  un  réseau  conique  de  mailles 
d'argent  très  larges.  Les  Irlandais  en  détachent  une  pour  TolTrir 
à  leur  retour  en  ex-voto  à  quelque  église  du  pays  natal.   Ils 
arrivent  enfin  dans  une  ile  fort  étendue  dont  la  surface  est 
coupée  par  de  liantes  montagnes  et  par  d'immenses  plaines 
couvertes  de  bruyères.  Des  jeunes  filles  courent  à  leur  rencontre, 
et  se  montrent  à  leur  égard  si  peu  rigides  qu'elles  ne  veulent 
plus  les  laisser  partir.  Les  compagnons  de  Maelduin  s'arrachent 
à  cette  Gapoue  transatlantique  et  s'efforcent  de  revenir  en  Irlande. 
Ils  trouvent  encore  sur  leur  chemin  une  île  boisée,  dont  les 
arbres  produisent  une  boisson  enivrante  mais  délicieuse ,  et 
dans  cette  île  quinze  moines  qui,  après  Brandan,  avaient  fait 
un  pèlerinage  dans  les  îles  du  (Irand  Océan.  Ces  moines  conser- 
vaient précieusement  une  sorte  de  valise  ayant  appartenu  à  saint 
Brandan.  Ils  indiquèrent  à  leurs  compatriotes  un  lac  dont  les 
eaux  avaient  ia  propriété  de  rajeunir.  L'un  d'entre  eux,  Diuran 
Lekerd,  s'y  plongea,  et  en  effet  il  ne  perdit  plus  ni  une  dent  ni 
un  cheveu,  et  garda  une  admirable  santé  tout  le  reste  de  son 
existence.  Les  deux  dernières  stations  de  Maelduin  sont  dans 
un  îlot  où  il  rencontre  un  pénitent  irlandais,  natif  de  Tory,  jadis 
cuisinier  dans  un  monastère  dédié  à  saint  Columba,  et  sur  un 


u 


202       l'HKMIKRK    l'AHTIK.    —    LES    l'HKCIHSKfHS   l>K  COI.OM». 

r<i('li«'r  uù  il  reiiiurqiic  des  faucniis  soiiiltlahlcs  à  coiix  d'IriaiKi*'  ; 
il  suit  la  <liro(.-tion  df  leur  vol  pour  rcntror  on  Kuro|)»,',  où  il 
s'empresse,  avec  ses  conipaj^iioiis,  daller  d»''poser  dans  la 
cathédrale  d'Arinagli  la  maille  d'arjîent  dt-roltée  au  pilier 
mystérieux. 

Assurément  la  plupart  de  ces  récits  sont  fantastiques,  et  même 
plusieurs  d'entre  eux  semblent  imités  de  la  légende  de  saint 
Urandan.  Quelques  passajçes  méritent  pourtant  d'être  signalés 
conmie  indi(|uant  une  vague  connaissance  de  l'Amérique.  Ces 
oiseaux  chanteurs  ressemblent  singulièrement  aux  perroquets  de 
la  région  tropicale  ;  cet  îlot  qui  grandit  d'année  en  année  rap- 
pelle la  formation  géologique  des  Ijernmdes  et  de  quelques 
Antilles.  Enfin,  la  persistance  de  ces  voyages  dans  la  direction 
de  l'ouest  et  les  rencontres  fréquentes  de  compatriotes  semblent 
démontrer  que  les  compagnons  de  Maelduin  ne  s'aventuraient 
[>as  dans  des  parages  tout  à  fait  inconnus. 

On  nous  saura  gré  de  rapprocîher  de  ces  légendes  irlandaises 
d'autres  traditions  empruntées  à  des  pays  voisins,  mais  dont  les 
habitants  étaient  les  frères  d'origine  des  Irlandais,  au  pays  de 
(ialles  et  à  la  Bretagne  française.  On  sait  que,  dans  le  pays  de 
Galles,  les  monastères  ont  été  détruits  avec  un  acharnement 
extraordinaire  et  les  moines  expulsés  sans  pitié,  à  l'époque  de 
la  Iléforme.  Les  manuscrits  ont  été  disséminés,  et  on  ne  con- 
serve plus  que  des  traditions  fort  vagues  (1).  Les  savants  ont 
rangé  en  quatre  séries  ces  traditions  relatives  aux  merveilles 
transatlantiques.  La  première  a  trait  aux  pays  des  Sids  ou  des 
Fées  (2),  que  l'on  place  toujours  à  l'ouest  et  au-delà  de  l'Océan  ; 


(1)  Skbke,  The  four  ancient  Books  of  Walen,  contniniy  tlie  q/tnriv 
poems  attrihuted  to  the  Bords.  —  J.  Camprei.l,  Popular  Taies  of  the 
west  Highland»,  Edimbiirgh,  1860-1862.  —  Beauvois,  Eden  ccidenta!, 
|).  312. 

(2)  D.-\V.  Nash,  Taliesin  or  the  Bards  and  Druids  of  Britain,  a  trans- 
lation of  the  remains  of  the  earliest  welsh  Bards,  and  an  examination 
of  the  hardie  mysteries,  Londres,  1858. 


CHAI'.  VIII.   —  LES  IKLANIIAIS  KN  AMÉRIOIK  AVANT  COLOMH.    ^ilili 

la  seconde  se  rapporte  à  la  disparition ,  dès  le  V  siècle  de 
notre  ère,  d'un  certain  (ialVan,  (ils  d'Alddun,  qui,  avec  ses 
lioinmes,  fit  voile  pour  les  îles  vertes  des  courants,  Gwerdon- 
naii  Hiou,  et  dont  on  perdit  la  trac»*  (1).  Dans  la  troisième  et  dans 
la  (|uatriènie  série  figurent  toutes  les  légendes  sur  le  roi  Arthur 
et  sur  l'enchanteur  Merlin  (2)  :  c'est  surtout  le  mystérieux  pays 
de  l'ouest,  où  se  réfugia  le  roi  Arthur,  et  où  il  attend  le  moment 
de  se  montrer  de  nouveau  pour  chasser  les  Saxons,  qui  excita 
la  verve  des  hardes  gallois.  Ce  pays  se  nomme  Avallon,  ou  l'Ile 
des  Pommes.  «  L'océan  entoure  cette  île  (3)  qui  n'est  privée 
d'aucun  hien  ;  il  n'y  a  là  ni  voleurs,  ni  hrigands,  ni  ennemis 
pour  tendre  des  emhùches  ;  pas  de  violence,  pas  de  l'roid  ni 
chaud  insupportables  ;  la  paix,  la  concorde,  un  plantureux  prin- 
temps y  régnent  éternellement  ;  les  fleurs,  lys,  roses,  violettes 
y  abondent  ;  les  arbres  y  portent  sur  la  même  branche  des  fleurs 
et  des  fruits  ;  sans  être  souillés  de  sang,  les  jeunes  gens  y 
demeurent  toujours  avec  la  vierge  du  lieu  ;  pas  de  vieillesse,  pas 
de  maladie,  pas  de  douleur,  tout  y  est  plein  d'allégresse  ;  on  n'y 
a  rien  en  propre,  tout  y  est  commun  ». 

C'est  dans  un  pays  aussi  merveilleux,  toujours  à  l'ouest  et 
dans  l'Atlantique  que  des  moines  armoricains  de  Saint-Matliieu 
du  Finistère  retrouvèrent  les  patriarches  FXie  et  Enoch,  qui, 
d'après  la  tradition,  y  attendent  le  jour  du  jugement  dernier. 
Ces  moines  exploraient  l'Océan  (4). 


(1)  OwEN  Jones,  The  Myrvyrian  Archœology  of  Wales,  collected  out  of 
ancient  manuscripts,  1801. 

(2)  Kr.  Michel  et  Tu.  Wbjght,  Vita  Merlini,  Londres,  1837.  —  Hersart 
DE  LA  ViLLEMARQUÉ,  Ic  Merveïtlcux  OU  moyen-dge,  l'Enchanteur  Merlin, 
Myrdhirm,  son  histoire,  ses  œuvres,  son  influence.  —  Edgard  Quinet, 
l'Enchanteur  Merlin. 

(3^  Passage  du  Pseudo-Gildas,  appelé  Britannica  htstorise  metaphrastes, 
reproduit  par  Usserius,  Britanniearum  ecclesiarum  antiquitates  et  pri- 
mordia,  Dublin,  1639,  p.  524. 

(•4)  Struvius,  Germanicorum  scriptorum  qui  rerurii  a  Germanis  per 
niultas  xtates  gestarum  historias  vel  annales  posteris  reliquerunt,  t.  111, 


i', 


âOi       PREMIÈRE    l'ARTIE,    —    LES    PRÉCURSEl'HS    DE  COLOMB. 

Qui  niuriuiu  Unes  scrutuntur,  t>t  ulliiiiii  lerrn^ 
Ut  vult'unt  popiilis  post  tempora  loiif.'a  reterre. 

Une  fois  leur  navire  erra  trois  ans  sans  (|u'ils  pussent  rien 
voir  (jue  la  mer  et  le  ciel.  L<»s  vivres  coinmeneaient  i\  leur  man- 
quer, quand  ils  trouvèrent  sur  un  îlot  une  statue  de  femme  en 
airain,  qui  du  doigt  leur  indiquait  le  oliomin. 

In  nuMlio  marium  velut  aert-u  stabat  imago, 
Keniiiiaca  speciu,  super  ardua  saxa,  virago, 
lUa  suis  digitis  pcrvia  nionstrat  lier. 

Ils  suivent  avec  empressement  cette  indication,  et  dus  le 
lendemain  rencontrent  une  autre  statue,  (jui  leur  enseigne  encoîv 
la  voie  à  suivre.  En  elfet,  à  leur  grande  joie,  ils  découvrent 
bientôt  une  montagne  dans  le  lointain.  C'est  une  montagne  d'où 
jaillissent  des  éclairs,  et  sur  les  flancs  de  laquelle  roulent  des 
lave?,  mais  elle  répand  une  odeur  merveilleuse.  Les  moines 
débarquent  et  vont  à  la  découverte  dans  le  pays,  où  ils  ne  ren- 
contrent ni  hommes  ni  animaux.  Enfin  ils  arrivent  à  une  ville 
entourée  de  fortes  murailles.  Tout  est  en  or,  maison,  meubles, 
église,  mais  personne  ne  garde  ces  trésors.  Au  fond  d'un  cloître 
magnifique  étaient  pourtant  deux  vieillards,  qui  se  lèvent  pour 
exercer  les  devoirs  de  l'hospitalité,  et  leur  apprennent  qu'ils 
sont  Elie  et  Enoch  :  «  Un  de  nos  jours,  ajoutent-ils,  est  égal  à 
cent  de  vos  années  ;  ceux  qui  étaient  enfants  lors  de  votre  départ 
sont  maintenant  des  vieillards  et  demain  aucun  d'eux  ne  sera 
en  vie.  Pendant  votre  séjour  ici,  six  à  sept  générations  de  rois 
et  de  peuples  se  succéderont  dans  votre  patrie,  et  vous-mêmes 
vous  serez  vieillards  lorsque  vous  y  retournerez  ».  En  efl'et, 
quand  les  moines  reviennent  en  Bretagne,  ils  s'aperçoivent,  à 
leur  grande  stupeur,  que  tout  est  changé  autour  d'eux,  qu'ils 
sont  accablés  d'années  et  qu'ils  n'ont  plus  qu'à  mourir. 


p.  59,  reeditavit  Gotefridi  Viterbiensis  Panthéon,  ex  bibliotheca  Joannis 
Pistorii  Nidani. 


y 


CIIAI'.  VIII. 


LKS  IHLAMtAIS  K.1  AMKHiyiK  AVA.NT  (.OMt.MH.    2(i.*> 


Tclh's  sont  les  priiicipulcs  Irjrondrs  païonnos  un  chrétiennes 
par  l(>s(|U(>ll(>H  l(>s  IrliiiKlais  ont  anirnié  la  (-iiiitinuitr<  <lc  leur 
ornyanco  à  lexistenc»'  des  terres  transatlaiititpies.  Il  ne  fandrait 
point  prendre  à  la  lettre  tons  les  épisodes  de  ces  léjîeiides  des- 
tinées à  l'ainnsenient  on  à  l'édification  de  cenx  (|ui  les  ent«'n- 
daient  raconter,  mais,  ainsi  »|iie  l'a  reniar<|né  l'nn  des  savants 
(pii  ont  le  pins  contribué  à  nous  les  faire  connaître  (1),  (^Inrry, 
«  ces  faits  seraient  d'une  {grande  valeur  s'ils  nous  avaient  été 
transmis  dans  leur  fori.ie  originale,  mais,  dans  le  cours  des 
ilges,  après  avoir  passé  par  la  liouclie  de  narrateurs  remplis 
d'iinaginatijtn,  ces  récits  ont  [lerdu  une  grande  partie  de  leui" 
simplicité  primitive  pour  devenir  de  plus  en  plus  fantastiques 
et  extravagants  ».  Ils  n'en  constituent  pas  moins  une  source  de 
renseignements  fort  précieux.  Mais  il  est  temps  de  passer  de  la 
légende  à  l'histoire  et  de  montrer  comment  les  voyages  très 
authenti(|ues  (pi'il  nous  reste  à  enregistrer  confirment  la  réalité 
ou  tout  au  moins  la  vraisemblance  des  cjuirses  d'Oisin,  de 
Hrandan,  ou  de  Maelduin. 


Il 


Les  Papae  ou  (iuldees,  c'est-à-dire  les  prtHres  irlandais,  se 
sont  en  effet  avancés,  d'une  façon  certaine,  bien  au-delà  de  l'Ir- 
lande, dans  la  double  direction  de  l'ouest  et  du  nord-ouest. 
Plusienrs  motifs  les  poussaient  à  l'émigration.  î^e  premier,  c'est 

(I)  CiRRY,  Lecturf-i,  etc.,  ouv.  cité,  289.  —  Cf.  Bkauvois,  Erien  occidental, 
p.  371  :  H  C'est  ainsi  qu'aujourd'liui  des  écrivains  aimés  de  la  jeunesse  viil- 
(çarisent  la  science  en  l'encadrant  dans  des  aventures  imaginaires  ou  même 
incroyables  ;  si,  grAce  à  cet  appoint  romanesque,  leurs  livres  venaient  à  sur- 
nager seuls  dans  quelque  naufrage  des  connaissances  humaines,  comme  ont 
fait  les  légendes  gaéliques  ou  cymriques,  nos  arrière  petits-neveux  n'auraient 
jias  plus  le  droit  de  négliger  les  faits  positifs  contenus  dans  ces  récits,  que 
nous-mêmes  n'aurions  raison  de  nier  les  voyages  et  les  établissements  tran- 
satlanli(|ucs  des  Gaëls  n  cause  des  flctions  qui  y  sont  mêlées  ». 


■:t 


^ 


1, 

•H\{\       l'IUlMIKHI-;   l'AKTIK.    —    I.KS    l'UKCIUSKlUS   l»K   CdUlMH. 

i|u'ils  furent  »'ii  (l(''s)H'ror(l  «vt-r  la  majorité  des  «•allinli(|n('s  sur 
divers  points  de  discipline,  lixution  du  jour  de  Pil(|u»'s,  cérémo- 
nies coniplémentaires  du  liaptème,  tonsure  monastiipie  (I),  ete. 
Très  lidèles  au  rite  de  leur  maître  liien  aimé,  dès  (Mîi,  plutôt 
que  de  se  conformer  aux  décisions  de  la  conférence  de  \\'ill>y  {'!), 
ils  (piittaient  l'Angleterre  et  retournaient  avec  leur  chef,  l'évécpie 
Oolman,  au  monastère  d'Iona.  (îin(piante  ans  plus  tard,  lors- 
que le  roi  des  Pietés,  Neclitan,  imposa  la  rèffle  romaine  à  son 
<lergè,  les  Papae  s'«'\ilèrent  volontairement  d'Ecosse  (3).  Ivtrsijue 
l'Irlande  à  son  tour  fut  rumenée  à  l'unité  catholique  (1),  ils 
n'eurent  plus  d'autre  refuge  (pie  les  archipels  nord-atlantiques 
et  s'y  retirèrent  les  uns  ajirès  les  autres,  mais  ils  furent  toujours 
vus  d'un  mauvais  (eil  par  les  autres  catholiques,  (|ui  les  traitaient 
d'Africains  judaisants  (5). 

Fjt's  Papae,  d'ailleurs,  renoncèrent  sans  trop  de  peine  ..  'eur 
patrie,  car  les  régions  mystérieuses  du  nord  exercèrent  toujours 
sur  eux  un  invincihie  attrait.  «  I^e  Seigneur  a  fait  ce  qu'il  a 
voulu  faire  au  ciel  et  sur  la  terre,  et  dans  tous  les  ahimes,  écri- 
vait (liraud  de  Cambrai  ((»)  ;  il  est  admirahie  dans  ses  saints  et 
grand  dans  toutes  ses  «nivres,  unis  c'est  aux  lointaines  extré- 
mités du  monde  que  la  nature  affranchie  se  joue  dans  les  plus 
étonnants  prodiges  »,  Il  semhie  que  les  Irlandais  se  soient  appli- 
qué ces  paroles  et  aient  voulu  connaître  ces  prodiges.  Dans  les 
mers  orageuses  et  voilées  par  d'épaisses  brumes  qui  baignent 
la  verte  Érin,  et  où  l'on  peut  croire  qu'au-delà  des  pays  habi- 
tés par  les  hommes  s'étendent  des  terres  inconnues  ;  à  tra- 
vers les  archipels  semés  sur  les  flots  et  oui  sont  neut-étre  le; 


qui 


peut-t 


(1)  Varin,  Cousus  de  la  dissidence  entre  l'Eglise  bretonne  et  l'Eglise 
romaine  (Mémoires  de  rAcadéniie  des  inscriptions  ot  belles-lettres,  1858). 

(2)  .MoxTAi-EMBEBT,  Moines  d'Ocfider,t,  t.  IV,  p.  170-181. 

(3)  Mo.vrALEMBEHT,  p.  159-16U. 

(4)  ID.,  t.  V,  id.,  p.  4,  15,  22,  23. 

(5   Beauvois,   Relations  précolombiennes  des    Gaèts   avec  le   Mexique 
^Congrès  américaniste  de  Copenhague),  p.  78. 
(G)  GiHAi.DL'8  Cambhexsis,  Topoçraphin  Hihemiâf.  • 


d 

'1 
C 


•  MAI'.  Mil.    —   LKS  IKLANDAIS  K.\  AMKIllyi  K  AVAM  COLOMI..    HTt 

«Irliris  <{(>  cniitiiKMits  <lis|iariis,  les  saints  Irlandais  uni  aiiiir  à 
s'avnitiircr.  On  ciU'h'  vityaf!:»' <lf  ItaitMii,  le  pn-initT  successeur 
*l*'  saint  (înliiiiilta  au  ti.unastcrc  (l'Iiina,  et  les  trois  ex|i«'>i!itiniis 
<le  son  ci)nteiii|)<)rain  (donnai  .  Il  est  vrai  (|u'on  n'a  «le  détails 
que  sur  la  troisième  de  ces  expéditions.  Pendant  (|uaraiite  jours 
(ioriuac,  poussé  dans  rAtlantiipu!  par  un  violent  vent  du  sud, 
dépassa  toutt's  les  limites  connues,  et  s'avança  jusqu'à  un»? 
ré^'ioii  de  l'Océan  où  il  fut  assailli  par  des  l)(>stioles  noires,  (pii 
ineiiacaieiit  de  percer  avec  leurs  aiguillons  les  peaux  ipii  pro- 
tc|,'j'aient  l'eiiiharcation.  Ia'  détail  proiiv»'  l'authenticité  du  récit. 
Dans  les  mers  horéales  elFet,  certains  crustacés,  particuliè- 
rement la  leriiaea  hrancliiaiis,  attacpient  les  navires  en  liap.<les 
innoiid>ral)l(;s.  Heureusement  pour  (îorinac  le  vent  tomlia.  Il 
put  retourner  et  rentrer  en  Irlande  (1). 

Le  voyage  de  Snedghus  et  de  Mac-Ilia}j:lila  (i),  tous  deux 
d'Ioria,  au  milieu  du  vu"  siècle,  présente  également  les  carac- 
tères de  l'authenticité.  (Vestuii  pèlerinage  maritime  ipi'avaient 
entrepris  ces  hardis  cumpagnoiis.  Ils  errèrent  de  longs  mois 
sur  l'Atlantique  et  découvrirent  de  noinhreuses  îles,  les  unes 
désertes,  les  autres  liahitées.  Un  jour,  la  hrise  leur  apporta  des 
mélodies  connues,  \o  sidiinn  ou  chaut  funèhre  des  femmes 
d'Irlande.  Ils  ahordèrent  aussitôt  et  furent  accueillis  avec  empres- 
sement par  des  femmes  «pti  leur  aJressèrent  lu  parole  en  Irlan- 
dais et  les  conduisirent  à  leur  chef.  C'étaient  «'ii  effet  des  exilés 
irlandais  de  la  tribu  des  Fer  llois,  qui  avaient  autrefois  massa- 
<'ré  Uîur  chef  et  avaient  été  abandonnés  au  caprice  des  îlots. 
.\près  avoir  séjourné  qucbjue  temps  dans  l'île,  Snedglius  et 
Muc-Iliughla  retournèrent  sans  accident  à  loua  (3).  Us  avaient 


(1)  Les  aventures  de  Cormac  ont  été  racontées  par  Andamxan,  l'auteur  de 
la  Vtcile  saint  Coliimba.  Voir  l'édition  W.  Heewes,  Dublin,  1857,  p.  160-170. 

|2  CuRHV,  Lectures  on  the  ancient  nmnuscript  matcrials  of  ancient 
ivish  history,  Dublin,  1878. 

(Ui  Bkaivois  {Grande  terre  de  l'ouest,  p.  78)  mentionne  ces  voyages  d'après 
le  T/ie  liook  of  the  Makomies,  manuscrit  encore  inédit,  et  d'après  la  Vie  de 


I! 


20S       l'IlKMlKlIi:    l'AKTli;.    —    I.KS   l'HKCl  MSKIKS    l>K   COI.OM». 

ra|t|t(»rt<''  «le  leur  voyaK*'  mu'  IViiilIc  d'aphrc,  cxtraordinain'  par 
ses  (liriioiisioiis,  (juc  Ton  conserva  précieusement  d'alutnl  à  loua, 
puis  à  Tiri'onnel.  On  la  connaissait  sous  le  nom  de  (luile- 
faidli  de  saint (^oluml)a(lj.  Kn  lliOO,  iors(pie  Donnocli  etOilla  Isa 
Mac-Kirl»is  compilèrent  dans  h;  Lrahliar  ('hindi;  Li'cuhi  Vh'ncli- 
ira  rltiri'i'h  (Imluiin  eilti'  »(U  Aventures  des  clercs  de  saint 
Cohnnha,  cette  feuille  existait  enc<tre.  Elle  avait  été  transportée 
à  Cennana  i  Kells,  dans  le  Meatii.  Or,  où  trouve-t-on  ces 
feuilles  «  au  -i  lar^a's  (pi(>  la  |)eau  d'un  Ixeuf  »  sinon  dans  les 
réfîions  tropicales  ?  N'est-ce  donc  pas  que  les  Irlandais  avec  leurs 
simples  currachs  se  sont  aventurés  juscpie-là? 

Nous  ui'  pourrons  cpie  mentionner  les  aventures  de  (picUpies 
PapîL*  dans  l'océan  du  nonl-ouest  et  le  (ïonunencemetit  de  la 
nivijj^ution  di;  deux  moines  de  Tordre  d(;  Saint  (lolmnlwi  dans  la 
mer  du  Nord,  caries  manuscrits  (pii  les  contiennent  sont  enct»re 
inédits  et  à  peu  près  inaccessibles,  sauf  à  ipu-hpies  fjai'listes. 

("est  avec  la  même  réserve  (pie  nous  parlerons  des  voyaj^es 
entrepris  par  d'autres  Pa|«e  dans  l'Atlantique,  (^es  voya},'es  sont 
pourtant  certains.  Les  Orcades  et  les  Shetland  furent  d'aliord 
reconnues  et  occupées  par  eux.  Cette  occupation  fut  ménic!  si 
bien  acceptée  par  les  insulaires,  qu'ils  prirent  le  nom  (!t  adop- 
tèrent l(^  costume  de  ceux  (pii  venaient  l(!s  initier  à  la  (civilisation. 
Au  IX''  siècle  de  notre  ère,  lors(pi(î  I(î  roi  de  Nor\vè};e  Ilarald 
llarf'affr  envahit  ces  iirchipels,  il  extennina  tous  les  habitants 
et  les  remplaça  par  des  païens  (h;  Norwège.  Le  nom  des  Pa|)a' 
se  conserva  néanmoins  aux  Orcades.  On  le  retnuive  dans  les 
îles  Papawertra  et  Pa[iostronsa,  et  dans  plusieurs  localités  de 
Paplay.  De  même,  aux  Shetland  on  signale  les  trois  iles  de 
Pa|»aslone,  Papalittle,  Papa  et  le  domaine  de  Papil  (i2). 


saint  Columfift,  compilée  par  Magnus  O'Duiincl  e*.  publiée  par  extrait  dans 
Tviadia  thniimaturija'  spu  divorum  Pntricii,  Columb.e  et  Htigidœ  ucla,  pai 
Jean  Colf^an  (Louvain,  1647),  p.  44G. 

(1  )  E.  CuKHY,  Lrctnrrs,  ouv.  cité,  p    124-'),  et  333-4. 

(2)  .Ml'ncii,  Gcoyraphiske  Oplysniwjer  om  Orknwerw,  1852,  p.  4'J,  52,  îi.'i, 


ClIAl'.   Mil.  —  I.KS  IIILA.Vh.MS  K.\  AMKIMUIK  AVANT  (•.(U.OMIl.    lliW) 


m 


Des  Onadi's  et  (U's  Slictliiiiil ,  les  papa'  passèrent  facilement 
aux  Feroë.  Voici  coiiiineiit  l'iiii  d'eux,  Diciiil,  (|iii  composa  en 
H'I^t  un  curieux  traité  de  }:éof:rap|iie,  /h'  niriisiirii  or/tis  lnr;i'{l), 
parle  de  cette  dêc(»uverte.  «  il  y  a  un  f^'rand  iioudire  d'autn's  Jlfts 
dans  l'Océan  au  nord  de  la  Hrefa^:ne,  les  \ aisseaux  vofîuant  à 
pleines  voiles  et  poussés  par  un  vent  t<»ujoiu's  favorahie  emploient 
deux  jours  et  d(!U\  nuits  pour  s'y  rendre  des  îles  septen'irional<>s 
lie  la  |{retaj:ne.  l'n  relijrieux  di^:n<'  de  foi  m'a  raconté  (pi'après 
avoir  navifiiié  deux  jours  et  une  nuit  d'été,  dans  un  petit  hàfi- 
inent  à  deux  ran^rs  de  rames,  il  ahorda  dans  une  de  ces  îles. 
(les  îles  sont  petites  pour  la  plupart,  pres(pie  toutes  séparées  les 
imes  (l(!s  autres  par  d(!s  détroits  fort  resserrés  ;  elles  étaient,  il 
y  a  ime  centaine  d'années,  lialiitées  par  des  ermites  sortis  de 
notre  Scottia  (^).  Mais,  de  même  (pi'elles  avaient  été  désertes 
depuis  le  conmiencement  du  monde,  ainsi,  ahandoiinées  inaiii- 


i2,  ;i"i, 


;i8,  (U.  f)7.  1(12  <l  r.vnijviifihir  <»n  lijaltinmi.  18:i7,  \\.  ;tl2,  W^.  :);i4,  .Tit), 
;i(i7,  ."177,  3S1.  Liî  mcmn  liislorion,  tliiiis  ses  Si/iii/i(tl,r  ad  /listariiiiii  tiuti- 
iiuinrcm  Norrp</i,T  (('.liristaiiia,  IS'Jfl)  a  piiblii'!  un  piissajçi!  inU'TL'ssaiil  de  l7/j.<- 
tnria  Soriryi.r  (lu'il  avait  (Iticoiivcrti!  :  «  Papa-  vent,  priiplcr  vestes  all)as, 
ijuiliMs  ut  rlerici  iiiducliantur,  viicati  suut,  uutir  in  Icutonica  liu^nia  oiiuios 
(Ici ici  papa'  (li(Mnilur  ». 

ill  Diccn.,  I)i'  nti'UKin-fi  or/tis  len.r,  t'dit.  I.otinuiic,  VMF,  Il  :  •>  Suut  alia' 
iiisuhc  uiulta*  iu  septcutriiuiaii  Britauuia>  Occaiii),  i|ua>  a  si;pl<>utrii)ualil)U4 
lti'itaiiuia>  iusiilis  duoruiu  dicruui  ac  nactiiiui  recta  u.ivi^Mlioue,  |di;uis  velis, 
assiiluo  l'clicitcïr  veulo,  adiii  i|ueuut.  Alii|uis  prolius  reli;;ii.<sus  uiilii  relulit 
i|uiiil,  iu  duulius  a>stivis  dielius,  et  iiua  iutcrcodoute  uocle,  uavi(;atis  iudunruiii 
navicula  IraustiiM'iun,  iu  uuaui  illaruiu  iuti'oivil.  IIIjp  iusula'  suut  alia*  p.irvulic, 
fei'u  cuiu'Uc  siunii  au<;uslis  dislaules  IVetis,  iu  quibiis.iu  ceuluin  l'eruie  auuis, 
ci't;uiila>  lu  nnstra  Scnttiu  naviguantes  liabitaveruut.  S(>d,  sicut  a  priueipii  nnuidi 
ilcscrta!  seuiper  lueruut,  ita  ninic,  causa  latronuui  uoruiauiiornui,  vaciia'  aua- 
l'IuM'etis,  pltuno  inunnierabilibus  oviltus,  ac  diveisis  punuibus  inuitis  niuiis 
uiai'iuaruni  aviuui.  Nunipnuu  cas  insulas  iu  libris  auctoruni  rueniorutas  inve- 
uinnis  ». 

[i]  Au  uuiycn-A{;(!  l'Irlande  s'appelait  Scottia.  Le  mol  n'a  pas  d'autre  sens 
dans  .\lcuin,  Alfred  le  (îrand,  Héda,  Kjçinliard.  (;'(!stseideinent  vers  le  milieu  du 
IX''  siècle  ipie,  le  roi  des  l'ictes  étant  mort  sans  héritiers  din-cts,  Kenneth,  roi 
de  iJabriail,  pays  des  anciens  Scots,  s'em|)ara  du  douiaiiie  picte  et  réunit  le.s 
deux  Klats  eu  un  seul  royaume  (8  v:{);  mais  le  iioni  de  Scotland  ne  devint  d'un 
iisa^e  cuiumuu  qu'aa  w  siècle. 


il 


>/. 


■i 


270 


l'IlKMIKKI-:    l'AKTIi:. 


.KS    l'KDCt  nSKI'KS    liK    CDLOMn. 


) 


V 


;i 


tiMiaiit  les  iiiiiirliDivtcs  à  ciiisc  des  Nortliiiiiiiis,  cllc-i  sdiit 
i'«'iii|>li)*s  iriinc  iniiltilii(|(*  iniioiMlirahh*  de  hrchin  et  d'oiscaiix  <lt* 
iiuT  de  diverses  csimtcs.  Nmiis  iravoiis  Inmvt''  im's  llrs  iiu'ii- 
tioiiiircK  duiis  aiiriiii  aiilciir  ■>.  (Ict  an'liipcl  Ciit  rava}:»'  par  les 
Nortlitiiaiis.  «•itjniiic  l'avaient  été  les  Orcadrs  et  1rs  Slx'tlaiid, 
mais  l«'  siMivniir  des  Papa*  s'y  («M'pétiia.  Le  pasfciir  Sclmi'tcr, 
(|iii  s*>'st  atlarlié  à  n'ciicillir  les  traditions  loialcs,  rapp:«rl<' 
qu'avant  l'arrivét- des  cDtKpK'raiits  Nortlnnans  «  il  s'était  éfahli 
iliins  les  il(>s  <U\s  hommes  tpic  Ton  (-nnsidérailtoininc  des  saints, 
attendu  qu'ils  avaient  la  puissanee  de  faire  des  sijfues  et  des 
mira<|«'s,  de  f.'uérir  les  lilessures  et  les  maladies,  aussi  iiien  des 
liitunnes  ipie  des  animaux.  Ils  savaient  prédire  si  pendant 
l'année  la  péelie  ou  l'état  sanitaire  seraient  t'avorahles.  Ils  ne 
vivaient  pas  enniine  les  autres  liomfues,  car  leur  nourritiu'e  se 
eouiposait  de  lait,  d'u-uCs,  de  racines  et  d'alfrues.  Ils  avaient  des 
chèvres  di»mestiipies(pi'ils  trayaient,  mais  ils  ne  tuaient  aucune 
rréalure  et  ne  versaient  pas  le  sauj,'.  Les  seids  Dhjels  qu'ils 
acceptassent  connue  présents  ou  vu  réuumération  de  leurs  ser- 
vices étaient  le  [tain  azyme,  le  poisson  séché  et  la  hure  pour  se 
vélir.  Un  montre  [ilusieurs  localités  <»ù  ces  f.'eus  auraient 
hahilé...  A  l'arrivée  «h-s  Norvvé}j;iens,  (pielques-uns  d'entre  eii\ 
s'éloijîiiérent  par  mer  et  d'autres  se  relufrièrent  dans  des 
cav<'rues  ...  A  ces  traits  on  aura  facilement  reconnu  les  l'apa- 
irlanda<s  qui  convertirent  les  insulair(;s  et  s'étahlircnt  dans 
l'archipel  (1), 

Où  allèrent  les  fufiçitifs  des  Kéroë  ?  Dicoi'  nous  l'apprend  :  ce 
fut  en  Islande.  Kidéles  à  leur  esprit  (h;  propa;z:aud(;  et  d'initiative, 
les  Papa»  cherchèrent  de  nouveaux  pays  pour  y  euseij.'ner  la  foi 
et  y  trouver  le  repos.  La  première  t(!rr(!  ipi'ils  rencontrèrent  au 
nord  des  Féroe  fut  l'Islande.  Dicuil  la  'îonnue  'l'hulé,  mais  la 
description  (pi'il  en  donne  ne  laisse;  aucun  d'xite,  car  rislandc 
est  la  seule  des  iles  situées  sous  h;  ccircle  polaire  où  les  Papa- 

(1;  SciiBourrKn,  Aiiti/cvui kh  Tidsfchrifl  (t84!)-51j,  [i.  Iifi-i47. 


1 


•  UAI'.  VIII.  —  I.KS  IHI.ANhAIS  IvN  AMKHIUIII",  AVANT  Cdl.OMH.    ^271 


aient  pu  alictnlcr  et  résider  en  <|iiiltaiit  les  Kéroi'.  «  Il  y  a  Irciile 
ans,  ('rril-il  (1),  (|ii('  «les  rlcrcs  i|iii  avaient  demeuré  dans  celte. 
ile  depuis  les  r, demies  <le  février  jiisipi'à  celles  d'anùf  nie  racdil- 
lèreiit  (pie,  noii  seulement  lurs  du  sulsticc  d'été,  mais  encore 
(piel(pies  jours  avant  et  a|)i'és,  le  siilcil  disparait  pour  peu  d(> 
temps  et  semide  se  cacher  derrière  une  ((tlliiie,  en  sorte  (pu; 
l'idiscurité  dure  très  peu  de  temps.  Aussi  voit-on  assez  clair 
pour  se  livrer  à  toute  <'spèc<'  d'occupalions,  et  l'on  [toiirrail 
UK^iie  chercher  ses  pou\  dans  sa  chemise  comme  en  plein 
jour  ;  il  est  prohahie  ipie,  si  l'on  était  sur  une  inonta^:ne,  on  ne 
verrait  pas  h;  soleil  se  coucher.  Ils  ont  menti  rcu\  (pii  ont  écrit 
(pie  cett(!  ile  était  entouire  d'une  mer  de  [ilace,  car  les  susdits 
clercs  (pii  ont  vof^ué  vers  cette  ile  dans  le  t'inps  du  f.'i'and  IVoid 
ont  |iu  y  ahonhîr...  Il  est  vrai  (|u'à  une  journée  do  navigation 
au  nord  de  cette  île  ils  ont  trouvé  la  mer  geh'Mî  ». 

Les  Papae,  comme  on  le  voit,  étaient  entreprenants,  et,  s'ils 
n'avaient  été  arrêtés  par  cette  inrranchissahle  lianlère  de  glaces 
contre  hupielle  se  sont  hrisés  tant  (rhéroï(pies  ellorts  depuis 
Mslheas  jusrpi'à  Wey prédit  ou  (Jreely,  ils  auraient  porté  huirs 
(royances  liien  au-delà  de  l'Islande.  Dans  la  (lir(>clioii  du  nord, 
l'Islande  devait  être  leur  dernière  étape.  Lors(pie  les  .NorthrnaQs 
ahordèrent  à  leur  tour  dans  l'ultima  Thulé,  c'('sl-à-(lire  vers  le 
dernier  ipiart  du  ix"  siècle,  les  Papae  leur  cédèn-nl  encore  la 
place   (•!).   <•    Il    y  avait  là   des  chrétiens,  lisons-nous  dans   les 


11 


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ft  I  l)ir,ni,,  Dr  iiiensurn  ovfils  Irrr.r,  VII.  2  :  '<  'rri^csiimis  imiic  fuiniis  mi 
a  (|ii()  iniriliitvcnml  iiiilii  clc'riri  i|iii,  ;i  kiiieiiilis  ri;lirii:iiii  iis(|iii;  kiilciidas  :iii- 
Kii^ti,  iii  irisiila  Tliiilc  inariscniiit,  qiiod,  iinii  snliitn  iii  acslivo  soislilio,  .tcd  iii 
(li(?l)iis  rirca  illiid,  iii  V(;s|)i!rtina  liora,  (iccidetis  .sol  al)S(vinilit  se  i|ii;tsi  traiis 
|iarviiluiii  liiiiiuliiiii  :  itu  ut  niliil  (t'iiulirunitii  in  iiiiiiidio  spalio  liai  ;  si'd  i|iiid- 
qiiid  lifiriMi  (iporari  voliicrit,  v(ïI  iiuiliciilos  de  cainJHia  almtralitM'c,  taiii|uaiii  in 
|HiC!tniitia  s(dis  potcsl  :  et,  si  in  altitiidiiu!  iiKintiiiiti  cjiis  luisKi-iit.  Tor^itari 
niiiKpiaiii  snl  alis.'iiMdcrctur  al)  iilis...  iiH^iitiuntt;»  railiinlur  qui  ciiciiiii  isiiii 
(•oiiirctiiiii  mari!  fiinj  scripscnint,  naiii  navi;;atil(!s  Iriiipoif;  fii^joris  (;am  i(i- 
trabniit,  simI,  navit^atione  iiiiiiis  dipi  ex  illa  ad  Itorcam,  cnii;;clatiini  mare  invi;- 

lILTIillt  ». 

(il  AiiK  (''HniiiiK,  Islendina  swi/ur  (184^,  t.  I,  p.  4.  Quelques-un»  d'entre 


•27:2       l'HEMlKRK    l'ARTIK. 


LKS    PKKCIHSEIKS    l)K   C.ltLOMB. 


Sa}ïas  islaiidiiises,  do  ceux  (|iu'  les  Norvof^icns  appellent  l*apas; 
mais  ces  derniers  s'éloignèrent  parce  (|u'ils  ne  voulaient  pas 
rester  avec  des  païens;  ils  laissèrent  après  eux  des  livres 
irlandais,  des  cloches  et  des  crosses  d'où  l'on  peut  conclure  que 
c'étaient  des  Irlandais  ».  Dans  un  autre  ouvrage  islandais,  le 
Lit)i(linuiiol)of{,  ou  livre  de  prise  de  [lossession,  nous  trouvons 
'!  'S  reuseifrnc'nents  idcntirpies  (l)  :  <(  Avant  ((ue  l'island;;  fût 
colonisée  par  la  Norvège,  il  \  avait  dans  l'île  de  ces  hommes 
que  les  Norvégiens  nomment  Papas.  C'étaient  des  chrétiens,  et 
l'on  pense  qu'ils  venaient  des  contrées  situées  à  l'ouest  de  la 
mer,  car  on  trouva  après  eux  des  livres  irlandais,  des  cloches 
et  des  crosses  et  plusieui's  autres  objets,  d'où  l'on  peut  conclure 
<jue  c'étaient  des  hommes  de  l'ouest.  Ces  trouvailles  furent 
laites  dans  l'est,  à  Papey  et  Papy  lé.  On  voit  aussi  par  les  livres 
anglais  (pi'il  y  avait  des  relations  entre  ces  pays  ». 

Tous  les  archipels  de  la  mer  du  Nord,  l'Islande  elle-même, 
ont  donc  été  reconnus  et  colonisés  par  les  Papae  ;  mais  arrêtés 
par  les  glaces,  ils  ne  purent  pousser  plus  loin  leurs  investiga- 
tions, et  chassés  de  leurs  conquêtes  par  les  Northmans,  ils 
furent  obligés  de  reculer  devant  eux,  comme  jadis  les  Phéni 
niciens  devant  les  Grecs,  et  de  tenter  de  nouvelles  découvertes 
dans  cet  Océan  qui  jusqu'alors  n'avait  trompé  aucune  de  leurs 
espérances.  Ils  niontèreut  de  nouveau  sur  kjrs  currachs,  et. 


!  ;) 


eux  pourtant  restèrciù  Jaiis  le  pays.  C'était  évidemment  nu  descendant  des 
Irlandais,  ce  moine  qui,  en  98G,  accompagna  Erick  Hauda  dans  sou  expé- 
dition en  Groenland  et  composa  un  poème  intitulé  Hnfgerdinfjhar  (le  ras  de 
maréel,  dont  le  refrain  a  été  conservé  par  le  Landnamabock  (p.  1061  :  «  Je 
prie  celui  qui  soumet  les  moines  à  de  salutaires  épreuves  de  favoriser  mon 
voyage  :  que  le  maître  de  la  voûte  céleste  me  tende  une  main  secourable  ».  Cf. 
JoEKGE.NSEN,  Dell  Hordiskc  kirkes  grnnd  hreggelse  og  fbcrsfe  udvikting,  Co- 
penhague, 1874-6. 

(Il  1d.,  Landnamahok,  t.  I,  p.  32-36.  Ou  trouve  également  dans  le  Land- 
7iamnhok  (p.  50-51 1  la  mention  d'une  église  dédiée  à  saint  Columba,  et  qui 
«ivait  été  biUie  en  l'honneur  d'Aslof  Aslik,  ju  des  douze  chrétiens  irlandais  qui 
avaient  été  .s'établir  dans  le  Ràngarthing,  et  qui  ne  voulaient  avoir  aucun 
rapport  avec  les  païens  des  environs. 


i*  I 


il  (les 
expé- 
as  de 
«  Je 
mon 
.Cf. 
,  Co- 

laml- 
H  qui 
lis  qui 
liucuti 


CIIAP.  VIII.  —  LES  IHL.\Nn.MS  K.N  AMÉRIQUE  AVANT  COLOMIJ.    273 

de  k'inp(".c  en  tompôte,  de  naufrage  en  naufrajre,  finirent  par 
alinrder  en  Amérique  dans  une  région  qu'ils  nornmùrent 
rirland  it  Mikia  (1).  Seulement,  avertis  par  l'expérience,  ils 
gardèrent  cette  fois  le  secret  de  leur  dé(;ouverte,  et  veillèrent 
avec  un  soin  jaloux  à  ce  qu'elle  ne  fè*  jias  connue  en  Europe, 
(^.e  sont  les  Northmans  d'Islande  qi.i  les  poursuivirent  encore 
«Ifuis  hîurs  nouveaux  domaines,  et  c'est  dans  les  ouvrages  écrits 
par  eux  que  nous  trouverons  la  preuve  de  ce  premier  établisse- 
ment d'une  nation  chrétienne  au  nouveau  monde. 

Trois  ouvrages  islandais  parlent  de  l'Irland  it  Mikla.  Le 
premier  est  le  Loudunmahok  {^1)  ou  livre  de  prise  de  possession 
(le  l'Islande.  C'est  une  histoire  généalogique,  sûre  et  positive, 
des  principales  familles  islandaises  du  x*"  au  xiiT'  siècle.  Il  a  été 
composé  par  Are  Thorgilsson,  surnonuné  Krodhé  ou  le  savant, 
et  complété  par  cinij  autres  historiens  ou  généalogistes.  Are 
Frodhé  vécut  de  1007  à  11 W.  Voici  comment  il  parle  de  son 
hisaïeul  Are  Màrsson  (3)  :  «  Are,  fîls  de  Mi\r  et  de  Torkatla, 
fut  poussé  par  une  tempête  dans  le  Hviframannaland,  que 
(|uelques-uns  appellent  Irland  it  Mikla.  Ce  pays  est  situé  à  l'ouest, 
dans  la  mer,  près  du  Vinland  it  (lodha,  et,  dit-tm,  à  six  jour- 
nées de  navigation  de  l'Irlande.  Ce  récit  a  été  fait  d'abord  par 
Hrafn  Ulynireksfaré,  (pii  avait  longtemps  habité  lllymrek  en 
Irlande.  Torkell  (iellisson  rapporta  aussi  que  des  Islandais 
disaient  avoir  appris  de  Thorfinn,  jarl  des  Orkneys,  que  Are 

M)  L'historien  qui  a  le  mieux  élupidé  cette  importante  question  de  la  coloni- 
sation irlandaise  précolombienne  est  M.  Ueauvois,  Découverte  du  Nouveau 
Momie  par  /es  I>  landais  et  pronières  traces  du  christianisme  eu  Amériqyie 
avant  Van  1000  (Conprès  américaniste  de  Nancy,  1873,  t.  I,  p.  41-93).  —  ID., 
hf!  Derniers  Vestii/es  du  christianisme  prêché  du  x«  au  xiv»  siècle  dans  le 
Markland  de  la  Grande  Irlande.  —  Les  Porte-Croix  de  la  Gaspésir  et  de 
t'Acadie,  1817. 

(2)  Le  Landnanmhok  a  été  publié  par  Wkvs,  Antiqiiitates  American.v, 
sive  scriptores  septentrionales  rerum  ante  Columhianarum  in  America 
(Copenhague,  1837)  et  par  Hakn  et  1«'i.n.>-  Maonisen,  Grœnlands  historiske 
mindes  mœrker  (Copenhague,  1838-18i.">i. 

(3)  Landnatnabok,  part.  II,  §  22,  dans  Islendina  Sœgur,  p.  120-130. 

T.    I.  18 


\  t' 


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1i 


274       l'HEMIÈRR   PARTIE. 


LKS    l'HKCUHSELRS   ni:   TOLOMU. 


avait  «''11'  rcfuniju  diiiis  le  llvitramaiinalaïul,  et  (|iril  ne 
pouvait  en  sortir,  mais  «lu'il  \  étaii  traité  avei;  lioiiiiciir  ».  Voici 
donc  un  Islandais,  Are  Màrsson,  jeté  par  la  tcnipiHc  dans  un 
pays  où  on  l'accuoille  Iticn,  mais  on  lui  interdisant  di;  retourner 
dans  sa  patrie.  Le  hruit  de  ses  aventures  se  répand  néanmoins, 
et  ce  sont  deux  Islandais.  Hrafn  et  Torkell  (iellisson,  qui  le 
transmettent  au  rédacteur  du  Ijtndtiumabok.  Or,  ce  Ilr;ifn,  qui 
a  lonfîtemps  habité  Limerik  en  Irlande,  tenait  sans  doute  ses 
renseijïnements  de  voyajreurs  irlandais  revenus  du  Ilvitra- 
mannaland;  (|uant  à  T<trkell  (Jellisson,  il  était  l'oncle  paternel 
dWré  Frodlié;  il  avait  beaucoup  voyajjé,  beaucoup  appris,  et 
transmis  une  foule  de  récits  à  son  nevo";  enlin  il  s'.q)puyait 
sur  U\  témoignafre  du  jarl  ou  duc  des  Orcades,  (fest-à-tlire 
d'un  pays  colonisé  par  les  Papae  irlandais,  et  (pu  sans  doute 
avait  conservé  des  relations  avec  les  autres  colonies  fondées 
par  ces  mêmes  Papae.  Ue  ce  premier  témoignaffe  semble  donc 
résulter  que  les  colons  irlandais  avaient  occupé  un  };rand  i)ays 
situé  à  l'ouest,  et  qu'ils  empérhaient  tous  les  navijj:ateurs  (pic 
le  hasard  ou  la  tempête  y  conduisaient  de  rentrer  dans  leur 
patrie. 

Voici  un  nouveau  fra;;ineiit  de  chroiiiipie  islandaise  plus  con- 
cluant encore.  11  est  enqu'uiité  à  l'L'i/r/ji/gf/ifi  Sur/a  (1),  ou 
histoire  des  notables  personiiaîJ:es  de  la  péninsule  de  Thorness 
et  des  Eyrby^'ges  dans  l'Islande  occidentale.  D'après  cette  Snrj.i, 
IJjo'rn,  fils  d'Asbrand,  s'était  épris  de  Thuride  de  Frodhà,  et 
resta  eu  bonnes  relations  avec  elle,  même  après  son  mariafre 
avi'c  \\\\  certain  Thorold.  De  \\  des  hostilités  et  «les  assassinats. 

(Il  L'Iîf/r-'/'/'jrjii  Snya  a  été  composée  apiés  1148,  piiisquH  elle  cite  li; 
L'iii  Inunnliuk,  écrit  à  cette  époque,  et  avant  la  soutiiission  île  l'Islande  au 
roi  lie  Norvèjje  eu  1204.  Elle  a  été  publiée  deux  lois  dans  so»  entier,  eu  1782, 
à  Copculiague,  par  Tliorkelin,  et  eu  1861,  à  Leipzig,  par  C.  Vigfusson.  Hah.n 
on  a  donne  des  extraits  avec  traduction  danoise  et  latine  dans  ses  Antiquitatcs 
Ameiicau.r,  1,  p.  53:!-78l).  —  Reu  vois  en  a  traduit  quelques  fragments  en 
français  dans  ses  Dikoiirertos  dc^  Scundl/iarcs  en  Atnêiiqup,  tlu  X'  un 
XIII'  siè:le  {Revue  oriental)'  et  américaine,  Paris,  1859j. 


ats. 


«:ilM'.  Vm,  —  LES  !KLAM)AIS  IvN  AMKHIQl'E  AVANT  (.(ILOMII.    "llî) 

Traduit  devant  le  Tliiii}r  |ioiir  avoir  tu»'  deux  de  ses  adver- 
saires, |{j(prn  j)artit  en  exil,  se  signala  par  sa  bravoure,  et 
revint  en  Islande  dix  an.  plus  tard,  toujours  épris  de  Thuride. 
Compromis  par  ses  assiduités  et  poursuivi  par  la  haine  de  la 
famille  de  Timride,  il  dut  s'expatrier  une  seconde  fois  et 
<•  piU'tit  avec  un  vont  du  nord-est  qui  souffla  prescpie  continuel- 
lement, et  de  longtemps  on  n'entendit  |iarler  de  ce  navire  »  (l). 
C'était  en  U80  (pie  Hjo'rn  était  pour  la  première  l'ois  parti  en 
exil,  et  aux  al(>ntours  de  l'an  mil  (ju'il  avait  pour  la  seconde 
fois  quitté  l'Islande.  Or,  en  lOIWJ,  vers  la  lin  du  règne  de  saint 
Olaf  {-2),  un  riche  armateur  islandais,  (ludhlcif,  «  ayant  fait  un 
voyage  à  Duhlin,  naviguait  vers  l'ouest  pour  retourner  en 
Islande,  lorsque  un  grand  vent  du  nord-est  le  poussa  si  loin  en 
mer,  vers  rouest  et  le  sud-ouest,  (|u'il  ne  savait  plus  où  se 
trouvait  la  terre.  Comme  l'été  était  avancé,  ils  firent  de  nom- 
hreux  vu'ux  pour  être  préservés  d'un  naufrage,  et  il  arriva 
qu'ils  apercyrent  la  terre.  C'était  une  grande  contrée  qu'ils  ne 
cfinnaissaiont  pas.  Cudhleif  eties  siens  prirent  la  résolution  d'y 
déharquer,  parce  qu'ils  étaient  fatigués  d'avoir  été  longtemps 
ballottés  sur  mer.  Ils  trouvèrent  un  bon  port,  et  ils  étaient  à 
terre  depuis  peu  de  temps,  lorsqu'il  arriva  des  gens  dont  pas  un 
ne  leur  était  connu,  mais  il  leur  semblait  fort  que  ceux-ci  par- 
laient l'irlandais.  Bientôt  cotte  multitude  s'étant  accrue  au 
nombre  de  plusieurs  centaines,  assaillit  les  navigateurs,  s'em- 
para d'eux  tous,  les  chargea  do  liens  et  les  amena  vers  le  haut 
pays.  Conduits  à  une  assemblée  pour  y  être  jugés,  ils  com- 
prirent que  les  uns  voulaient  les  massacrer  tout  de  suite,  les 
autres  les  partager  entre  eux  et  les  réduire  à  l'esclavage.  Pen- 
dant les  délibérations,  ils  virent  arriver  une  troupe  de  cavaliers 
avec  un  étendard,  d'où  ils  concluront  qu'il  devait  y  avoir  un 
chef  dans  cotte  troupe.  Lorsque  colle-ci  fut  arrivée,  ils  virent 


(1)  Ei/r/iyggiu  Saga,  §  47. 
(2,1  ID.,  §  (H. 


:2"('t        IMIKMIKHr.    l'AUTIK 


LKS    l'RKCrUSKinS    1)K   COLOMB. 


«•licvaucluT  s(»iis  rt''teiuliiril  un  Iidiiiiiio  faraud  et  vij;<»unMi\,  di'jà 
trrs  âgé  et  à  <'lioven\  blancs.  Tous  les  assistants  s'inrlinènMit 
(levant  Cl'  pcrsonnajfe  ot  rarcneillircnt  (le  leur  niiciix  :  c'est  à 
lui  (|ue  fut  laissée  la  décision  de  l'alfaire.  Le  vieillard  envoya 
"liercher  (ludlihif  et  ses  gens,  leur  adressa  la  |  arole  en  lan<:iic 
l'.orraine.  et  leur  denianda  de  (|uel  pays  ils  étaient,  lis  lui  ré- 
pondirent qu'ils  étaient  Islandais  pour  la  |)lupart.  —  "  lît  quels 
sont  les  Islandais  parmi  vous  ?  »  (iudldeif  lui  dit  ipi'il  en  était 
un,  et  salua  le  vieillard,  qui  lui  fit  \um  accueil  et  lui  denianda 
de  quelle  contrée  de  l'Islande  il  était.  (îudhieif  lui  dit  (pi'il  était 
du  canton  de  IJorjrarfjierd}:.  «  Et  de  quel  endroit?  »  Renseigné 
sur  ce  poi/it  par  (iudlileif,  il  l'interrogea  sur  presque  toutes  les 
personnes  considéraMes  de  IJorgarfjo'rdli  et  tlu  Ureidliafjo'rdli. 
Dans  ces  entretiens  il  s'inforuia  exactement  à  tous  égards  de 
Snorré  (iodhé  et  de  sa  s(vur  Thuride  de  FrodliA,  et  siu'tout  de 
Kjartan,  fds  de  cette  dernière,  (pii  était  alors  maître  de 
Krodlià  ». 

Gomme  les  indigènes  s'iuqtafientaient  et  réclamaient  une 
prompte  solution  de  ralFaire,  le  chef  déclara  (pi'il  laissait  les 
étrangers  libres,  mais,  dit-il  en  confidence  à  (Iudldeif,  «  alors 
même  que  l'été  vous  semblerait  bien  avancé,  je  vous  conseille 
de  vous  éloigner  promptement,  car  il  ne  faut  pas  se  fier  aux 
indigèiies,  et  il  ne  fait  pas  bo!i  avoir  affaire  à  eux  ;  ils  croient 
d'ailleurs  que  la  loi  a  été  violé(î  à  leur  préjudice.  —  Mais,  dit 
(Iudldeif,  s'il  nous  est  donné  d(î  revoir  notre  patrie,  comment 
nommerons-nous  celui  (jui  nous  a  sauvés?  —  Je  ne  puis  vous 
le  dire,  répondit-il,  car  je  ne  veux  pas  que  mes  parents  ou  mes 
frères  d'armes  fassent  un  voyage  comme  (^elui  que  vous  auriez 
fait,  si  je  n'eusse  été  présent  pour  vous  protéger...  Il  y  a  dans 
le  pays  des  <'befs  plus  puissants  que  moi,  ils  ne  sont  pas  ac- 
tuellement dans  la  contrée  où  vous  avez  abordé  ;  mais,  s'ils 
viennent,  ils  auront  peu  de  ménagements  pour  les  étrangers  ». 
Malgré  les  instances  des  Islandais,  le  vieux  chef  ne  voulut 
jamais  se  nommer,  mais  il  pressa  leur  départ,  voulut  assister  ù 


CHAI*.  VIII.  —  LKS  IHLVMIAIS  K\  AMKRIQUK  AVANT  COLOMII.    "111 

loiir  eiiiltar<|U('iiu'iit  cl  leur  doiiiia  (|U('l<iiK's  pn'st'nts  <|<'stiii(''s  à 
Tlmridc  et  à  son  fils.  <•  Si  (|iiol(]iriiu  croit  savoir  à  (jui  '>iit  a»,- 
|)arU>iiu  CCS  ohjcts,  ajouta-t-il,  ilis-lc.irdciiia  part  (juc  je  ûcKads 
à  (|ui  (luo  Cl'  soit  «le  venir  me  trouver  ;  car  c'est  iww  eiitre|»rise 
(térilleuse,  à  uioins  <|ue  \\>i\  u'ait,  coinnie  vous,  la  chance  <!(! 
trouver  un  lieu  d'ahordage  favoraMe.  Ce  pays  est  étendu  vA 
mal  pourvu  de  ports,  et  partout  un  mauvais  accueil  attend  les 
étrangers,  à  moins  cpi'ils  ne  soient  dans  les  mêmes  circons- 
tances (jue  vous  ».  Après  «juoi  iJudhIeif  et  les  siens  se  mirent 
en  mer  et  arrivèrent  en  Irlande  à  une  époque  avancée  de  l'au- 
tomne. Ils  passèrent  Tliiver  à  Dyflinn  (Duhlin),  et,  l'été  sui- 
vant, ils  firent  voile  pour  l'Islande,  où  ils  remirent  les  présents 
aux  destinataires.  Des  p«'rsonnes  tieiuient  |)our  ceriain  (|ue  le 
chef  indigène  était  Hjiern  Hreidhvikingakappé,  mais  il  n'y  a 
pas  d'autres  notions  certaines  ù  cet  égard  que  celles  qu'on  a 
rapportées  ». 

Certes,  ces  aventures  sont  romanesques,  et  la  reuc»jntre 
fortuite  de  lijœrn  et  de  (ludhleif  semhie  arrangée  à  plaisir, 
mais  elle  n'est  pas  invraisemhlahle,  et  d'ailleurs  elle  est  con- 
signée dans  une  saga  islandaise,  dont  la  véracité  n'a  jamais  été 
contestée.  Si  donc  nous  acceptons  provisoirement  l'authenticité 
de  ce  récit,  nous  remarquerons  (jue  les  deux  islandais  Bjœru 
et  Gudhleif  ont  tous  les  deux  été  jetés  par  la  tempête  dans  un 
pays  civilisé,  situé  très  à  l'ouest,  où  la  langue  irlandaise  était 
couramment  parlée,  mais  dont  les  habitants  massacraient  et 
réduisaient  systématiquement  à  l'esclavage  les  étrangers  qui 
abordaient  chez  eux.  En  outre,  ce  pays  était  situé  à  l'ouest  de 
l'Irlande  et  de  l'Islande,  c'est-à-dire  dans  la  direction  de  l'Amé- 
rique. Il  paraît  donc  correspondre  à  l'Irland  it  Mikla,  où  Are 
Màrsson,  avait  été  précédemment  jeté. 

Une  troisième  saga,  celle  de  Thorfmn  Karlsefne  (1),  cora- 


il) La  saga  du  Thorlînii  Karlscrne,  dont  le  texte  est  contenu  dans  quinze 
manuscrits,  a  été  publiée  dans  les  Antiquitates  Americanse  àa  Rafn  et  dan 


,1 


ïJ78       l'IlKMIKHK    l'AIITIi:.    —    LKS    l'nKCinSKI'IIS    l>K   COI.OMII. 

|>(ts('>(>  (i'ii|)r('>s  les  rolatiuiis  <ruii  ou  <!('  pliisiciirs  dos  Nortliiiiiins 
(|iii  (iôcouvrirent  le  Viiilaiid,  n'iifVniic  un  pussa};*'  )i'iiii(>  iiii- 
liorlancc;    rapitale    |M)iir   los   ('taltlissciiiciits    des    Irlandais    an 


nouveau  inonde.  Il  y  est  dit  (|Ui>,  <|n(>l(|u<>s  années  après  l'an 
mil,  Tliorlinn  el  ses  compa^^nons,  après  avoir  passé  trois  ans 
dans  le  Vinland,  c'est-à-dire,  roinine  nous  le  prouverons  plus 
loin,  en  .\inéri(|ue,  revenaient  dans  le  (îroenland,  lorsfpi'ils 
trouvèrent  sur  l«'ur  cheinin  cimi  Skrodlinj^s  ou  Kscpiiinaux. 
«  L'un  d'eux  était  harliu,  et  il  y  avait  deux  feirniies  et  deux  en- 
fants. Les  gens  de  Karlsefne  s'eui|)arèrent  de  ces  derniers, 
tandis  (jue  les  autres  s'éciiappèrent  et  disparurent  sous  terre. 
Les  enfants,  euiuienés  |)ar  eux,  apprirent  leur  Ianf,Mie  et 
furent  haptisés  (1),  Ils  appelaient  leur  mère  Vettliild(>  l't  leur 
pènî  Uvaefje.  Ils  ra|)portèrent  (juc^  deux  rois  gouvernaient  les 
Sknidlings,  l'un  nouuné  Avalldania,  l'autre  Valldidida  ;  ipi'il 
n'y  avait  pas  de  maisons  dans  le  pays,  que  les  liahitants  cou- 
chaient dans  des  cavernes  ou  des  trous  ;  (pi'une  autre  firande 
contrée  située  en  face  de  leur  pays  était  habitée  pai'  des  };ens 
(pii  marchaient  vêtus  de  hlanc,  portant  devant  eux  des  perches 
où  étaient  fixés  des  drapeaux  et  criant  fort.  On  pense  (pie 
c'était  le  llvitramannaland  ou  Irland  it  Mikia  ». 

Quels  sont  ces  gens  vêtus  de  hlanc,  sinon  des  Papae  ou  des 
indigènes  colonisés  par  eux  et  restés  fidèles  au  costume  de  saint 
(iolumba  ?  Quant  à  ces  perches  ornées  de  drapeaux  et  à  ces 

Groimlands  hhtoriskc  Mhulcxmœt  ko:  La  traduction  française  a  ùlv  doiitiéc 
par  Beauvois  (Découvertes  tics  Scandinaves  en  Amérique,  ]).  3248). 

(1)  Rakn,  Antiquitates  americaniv,  p.  182.  Kailsefaiani  pucros  coiiipre- 
lieudcrunt,  céleris  Skrœlliiii;i$  fuga  elal)ciitibus  et  terra  déhiscente  alisor|)tis. 
Hos  duo  pucros  sccum  abduxeruiit,  cosquc  linguam  docuciunt  et  haptizaruiit 
ni  nominarunt  matrein  Vcttliildam  et  patrem  Uvœgium,  dixerunt  reges 
Skrœllingis  iinperarc,  quorum  altcri  nomcii  cssc  Avalldanio,  alteri  Valldidida, 
nullas  ibi  domos  esse,  scd  in  antris  aut  cavernis  babitari  ;  ex  altéra  parte, 
exadversuni  suani  terrani,  aliain  silam  cssc  regionem,  quam  incolcreut  ho- 
inincs,  albis  vestibus  induti,  hos  longurios  prœferrc,  paniiis  affîxis,  et  alla 
voce  clamarc.  Hanc  putant  esse  Hvitraniannal^nd  (Terra  Hoininuiii  alboruin), 
.sivc  Irlandiaui  Magnam. 


IJI 


;."*i 


niAI'.  Mil.  —  LES  IHUMtAIS  V.S  AM^MUOI'K  AVANT  COLOMB.   270 

(li.'iiits  (|iii  avaient  si  fort  ri'a|)|it'>  riina}.'iiiati))ii  dis  petits 
Skni'IlififTs,  n'cst-il  pas  aisé  do  rccdiiiiaitrc  une  procession  et 
(les  cantiipies,  dont  les  Pa|)ae  auraient  r.discrvé  l'usafîe  dans 
leur  nouvelle  possession? 

De  ces  trctis  docuinents  irlandais  ronserv<^s  par  le  hiiidni  ■ 
iiKifni/,',  par  l'hi/rhi/gf/iti  Sii;/ii  et  par  la  Sar/ti  dr  '/'Ikh'/Iiiii 
h'nrlsrf'tif,  il  seinlile  donc  résulter  ipie  les  Irlandais  avaient 
découvert  à  l'ouest  un  pays  an(piel  ils  avaient  donné  leur  nom, 
Irland  it  Mikia,  ou  la  (irande  Irlande;  (pie  cet  autre  nom  du 
llvitramaniialand ,  ou  terre  des  hommes  blancs  ou  velus  du 
lilanc,  rappelle  le  costume  des  Papae  ;  (ju'ils  avaient  conservé 
l'usage  de  la  langue  irlandaise  ;  (pi'ils  étaient  restés  fidèles  au 
christianisme,  puis(ju'ils  céléhraient  des  processions  et  clian- 
laient  des  cantiques;  enlin  (pi'ils  étaient  sans  pitié  pour  les 
naufragés,  parce  que,  plusieurs  fois  pourchassés  et  expulsés  par 
les  |)irates  Northinans,  ils  voulaient,  pour  leur  sécurité  future, 
dissimuler  leurs  découvertes.  Donc,  r.\inéri(pie  a  été  reconnue 
et  en  partie  c(»loniséc  par  les  Irlandais,  et,  hien  (|ue  le  témoi- 
gnage des  sagas  islandaises  niauiiue  de  précision,  l'existence  de 
l'Irland  it  MikIa  peut  et  doit  être  considérée  comme  un  fait 
historique  (1). 

Deux  autres  documents,  l'un  d'origine  italienne,  l'autre  de 
jiroveuance  galloise,  confirment  la  réalité  de  cette  colonisation 
précolonihienno  de  l'Amérique  par  les  Irlandais. 

A  lu  fin  du  xiV  siècle  (2)  deux  patriciens  de  Venise,  Nicolo 


! 


(1)  L'hliiiul  it  Mikla  des  sagas  est  iiicntioniiée  par  Edrisi  sous  le  num 
d'Irlandeli  el  Kabirah.  Ce  i  ;  et  plusieurs  autres  détails  sur  les  contrées  du 
Nord  lui  ont  sans  doute  été  <ournis  par  les  Northniaiis  employés  à  la  cour  de 
leur  compatriote,  le  roi  de  Sicile  Ilojçer  II  (1130-1154). 

(2)  La  relation  des  frères  Zeni  a  été  publiée  pour  la  première  fois  sous  le 
litre  de  Delto  scoprimento  deU'isolf  Fvklanda,  Eslanda,  Engrovelanda, 
Estilanda  et  Icaria,  fatto  anlo  il  Polo  Art  ko,  da  due  fratelli  Zeni  M. 
S'icolo  il  K.  V  M.  Antonio  libre  utio,  à  la  suite  de  Dei  commentarii  del 
viaggi  in  Persia  di  M.  Caterino  Zeno  il  K.,  Venise,  1358.  La  meilleure 
édition  moderne  est  celle  de  M.  Major,  Tfie  voi/ayes  of  tfœ  Venitian  brothers. 


' 


^80      ntKMIÈKK   l'ARTŒ.   —   LES   l'HKl'.l'RSEURS  DK  COLOMH. 

Zcnu  et  Antuniu  Zcno,  aiiii'iK's  par  lt>s  liasards  d'une  vie  aven- 
tureuse dans  les  régions  situées  uu  nurd-ouest  de  rKuropc, 
visitèrent  les  mis  après  les  autres  les  |mys  autrefois  parcourus 
par  les  Papae.  Ils  ont  raconté  leurs  voyages  et  décrit  les  con- 
trées visitées  dans  une  relation  fameuse,  dont  l'authenticité  a 
été  condtattue,  et  (|U(;,  pour  notre  part,  nous  n'hésitons  |)as  à 
croire  vraie  dans  son  (Misemble  et  même  dans  ses  détails.  Nous 
aurons  occasion  de  revenir  sur  cet  important  document.  Nous 
ne  voulons  pour  le  moment  en  extraire  (ju'un  [lassage  fort  cu- 
rieux. Nicolo  Zeno  rapportait  qu'un  vieux  pètdieur  frislandais, 
c'est-à-dire  un  insulaire  des  l'Y'roi.',  avait  vu  dans  l'ouest,  vers 
l'nn  131)0,  des  pays  riches  et  po|mleux  (1).  «  Quatre  navires  d(; 

Nico/o  ed  Antonio  Zeno,  to  the  Northern  seas,  in  tlir  A7.V  Century, 
London,  1873. 

^1)  Edition  Majoii,  p.  1U-21.  u  Si  partirono  vciUisei  anni  f\  qiiattro  iiavigli 
di  piscatori,  i  quali,  assaltali  da  una  graiida  furtuna,  inuiti  giurtii  andaroiio, 
corne  pur  perduti  per  il  marc,  quando  flnalmente  raddolcitosi  il  tempo,  scu- 
prirono  una  isola  detta  Estotilanda  posta  in  ponente,  lontano  da  Fiislandu 
piu  di  mille  miglia,  nclla  quale  si  ruppe  un  dé'navigli,  c  soi  uomini,  clie 
n'crano  si'i,  fuiono  presi  da  gli  isolani,  c  condotti  à  una  ciltà  bcUissiiiia  c 
niolto  popolata,  dovc  il  ite,  che  lo  signoreggiava,  fatti  venir  molti  intcrpreti, 
non  se  trovo  mai  alcuno  che  sapesse  la  lingua  di  quelli  pescalori,  se  non  un 
Latino  nella  stessa  isola  pcr  fortuna  medesimamente  capitato,  il  quale  diman- 
dando  lor  la  parle  del  He  che  cruno  e  di  dove  venivano,  raccolse  il  tuttu,  e  lo 
riseri  al  Re,  in  quale  intese  tulle  quesle  cose,  voile  che  si  fermassero  nel 
paese  ;  perche  essi  facendo  il  suo  commendamento,  per  non  si  polur  altro 
fare,  sleltcro  cinque  anni  nell  isola  cd  appressero  la  lingua,  e  un  di  loro  par- 
licolarmenle  fu  in  diversi  parti  dell'  isola,  c  narra  che  è  ricchissiina  ed 
abondantissima  di  tutti  li  béni  del  mondo,  e  che  ë  poco  minrc  di  Islanda, 
ma  più  fertile,  havendo  nel  mezzo  un  monte  altissimo,  dal  quale  nascouo 
quattro  liumi,  che  la  irrigano.  Quelli  che  l'habitano  son«  ingeniosi,  e  haiino 
tulle  le  arti  corne  noi  ;  e  credesi,  che  inaltri  tempi  havessero  commercio  con 
i  nostri,  perche  dice  di  havcr  veduli  libri  lalini  nella  libreria  del  Re,  che  non 
rengono  hora  da  lor  inlesi,  hanno  lingua,  e  lettera  separate,  e  cavano  metalli 
di  ogni  sorte,  e  sopra  tutto  abondano  di  oro,  c  le  lor  pratiche  sono  in  Engru- 
neland,  di  dove  traggono  pelleceri,  e  zolfo,  e  pcgola  ;  ed  verso  astro  narra 
che  è  un  gran  paese  molto  ricco  d'oro  c  popolato  ;  seminano  grano,  c  fanno 
la  cervosa,  che  è  una  sorte  di  bevanda  che  usano  i  popoli  scllentrionali,  corne 
noi  il  vino,  hanno  boschi  d'immensa  grandezza,  e  fabricano  à  muraglia,  c  ci 
sono  molle  ciltà  c  castella.  Fanno  navigli  e  navigano,  ma  non  hanno  la 
calamità  ne  intendono  col  bossolo  la  tramontana  ». 


II!,- 


n 


CHAC.   Mil.  —  l,KS  IHLANhAlS  KN  AMKHKU  K  AVANT  Col.nMII.    :J8I 

|M^'li('urs  raisuiunt  voile  an  courliuiit,  lors(|irils  l'iin'iit  iissailtin 
par  iiiic  violente  teiii|i(He  (|iii  tliira  pliisietirs  jours,  et  hireiit 
coiiiiiie  perclus  au  milieu  des  Ilots.  Au  retour  du  lieau  temps,  ils 
dé((»uvrireiit  une  ile  située  à  l'iMiesf  et  iiuuunée  l<]stolilaiid.  Ils 
se  trouvaient  alors  à  plus  de  mille  milles  du  Frislaiid.  L'ii  des 
navires,  monté  par  six  liommes,  fut  [tris  par  les  insulaires.  On 
les  conduisit  dans  une  ville  lort  helle  et  hieii  peu|(lée,  Li'  roi 
(|ui  lu  gouveriuiit  manda  plusieurs  inlerprètes,  mais  aucun 
d'eux  ne  connaissait  la  langue  de  ces  pécheurs,  si  ce  n'est  un 
Latin,  arrivé  dans  cette  ile  par  fortune  de  mer,  (|ui  leur 
demanda  de  la  |)art  du  roi  (|ui  ils  étaient  et  (Toù  ils  venaient, 
(Juand  le  roi  l'ut  informé  de  ce  (|ui  h's  ri'gardail,  il  rés(dut  de  les 
retenir  prisonniers.  Les  pécheurs  se  soumirent  à  sa  volonté, 
puisipi'ils  ne  pouvaient  autrement  faire,  et  restèrent  cimi  ans 
dans  ce  pays,  dont  ils  apprirent  la  langue.  L'un  d'eux  visita  à 
plusieurs  rejtrises  la  région.  Il  raconta  qu'cdie  était  riche,  ahon- 
(lamment  pourvue  de  tous  les  hiens  du  muiide  et  un  peu  plus 
petite  (|ue  l'Islande,  mais  [dus  fertile.  Au  milieu  se  dresse  une 
montagne  fort  élevée,  d'où  sortent  quatre  fleuves  qui  l'arrosent. 
Les  habitants  sont  ingénieux  <!t  aussi  avancés  dans  les  arts  (|ue 
les  Krislanduis.  Il  est  même  probable  (|u'ils  avaient  eu  autrefois 
(les  relations  avec  la  Krislande,  car  le  pécheur  remarqua  dans 
la  bibliothèque  du  roi  des  livres  latins  qu'aucun  d'eux  ne  com- 
prenait plus.  Leur  langue  et  leur  alphabet  diffèrent  de  ceux  de 
la  Krislande.  Ils  exploitent  des  mines  et  ont  de  l'or  en  abon- 
dance. Us  ont  des  relations  avec  le  (iroenland,  d'où  ils  tirent 
des  peaux,  du  soufre  et  de  la  poix.  Vers  le  sud  s'étend  une  im- 
mense région,  riche  encore  et  très  p(!uplée.  Ils  cultivent  des 
graines  et  font  de  la  cervoise,  qui  est  une  sorte  de  bière  en 
usage  chez  les  peuples  septentrionaux,  comme  le  vin  en  Italie. 
Le  pays  est  couvert  de  bois  immenses,  et  ils  en  font  des  mu- 
raili  ■  Ils  ont  des  villes  et  des  chAteaux.  Ils  construisent  des 
vaii'seaux  et  naviguent,  mais  ne  connaissent  pas  l'usage  de  la 
pierre  aimantée  et  ne  se  servent  pas  de  la  boussole  pour  se 


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-2H-1       l'IlKMlKRK    l'AHÏIE.    —    LKS    l'UKCIRSKlUS    l»K   COLOMII. 

«lirifTcr  vors  le  nord  ».  Après  des  aventures  extraordinaires 
df»nt  le  récit  trouvera  sa  jilace  ailleurs,  ic  itéciieur  Krislandais 
réussit  à  é(|ui|ier  un  navire  à  ses  Trais  et  à  revenir  dans  sa 
patrie,  «  où  il  porta  à  son  seigneur  la  nouvelle  de  la  déromerte. 
de  ce  richissime  pays  (1)  ». 

(Juel  est  «1  ce  riciiissinie  [>ays  »?  Nous  pensons  (pi'il  corres- 
pond exactement  à  l'Irland  it  Mikia,  non  seulement  |)arce  (pie 
ses  habitants  avaient  cons(>rvé  rhatiitu('e.  connue  an  lem|»s 
de  Hju'rn  et  de  (îudhieif,  de  se  défier  des  étrangers  au  point 
de  les  retenir  prisoiuiiers,  mais  surtout  parce  (pi'ils  jouissaient 
d'une  civilisation  très  avancée,  et,  au  dire  du  pécheur  Krislan- 
«lais,  observateur  pourtant  i)ien  superficiel,  send>laient  avoir  eu 
des  relations  avec  les  Kuropéens.  Kn  outre  ils  avaient  une 
littérature,  puisque  leur  roi  possédait  une  hihliothècpie,  et. 
sans  trop  forcer  la  vraisemblance,  il  est  permis  d'avancer  cpie 
les  livres  latins  qui  se  trouvaient  dans  cette  bibliothè(pie  pn»- 
venaient  des  Pa|)ae,  qui  les  em|tortaient  toujours  soigneusement 
avec  eux  dans  toutes  leurs  covu'ses.  Sans  doute  ils  ne  compre- 
naient plus  la  langue  latine,  mais,  depuis  plusieurs  siècles,  ces 
Américîiins  d'origine  irlandai-;e  n'avaient  plus  de  prêtres 
Cormes  dans  les  universités  et  les  séminain's  d'l<]urope.  Il  n'est 
pasjus(ju'au  nom  d'Estotiland  ipii  n'apporte  une  preuve  nouvelle 
à  cette  identité  probable  de  l'Irland  it  Mikla  et  (hi  pays  décou- 
vert par  le  pécheur  Krislandais.  On  sait  en  elVet  que  l'Irlande 
pendant  tout  le  moyen  Age  s'est  ajtpelée  Scocii»  ou  Scotland  : 
et,  si  le  premier  éditeur  de  la  relation  de  Zeni  a  mal  lu  son 
texte  et  imprimé  Estotiland  ou  lieu  de  Esco''iland,  il  se  pourrait 
que  les  Escocilaiulais  descendissent  ened'etdes  colons  irlandais 
d(»nt  muis  avons  déjà  raconté  les  courses  et  les  établissements 


•n  A 


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Il  est  vrai  uue  l>ien  des  années  s'étaient  écoulées  deimis  I 


(ti  K(l.  Majoii,  p.  "li.  «  l'ortaiulo  a  qiiesld  signor  la   nuova  tiello   scopri- 
ineiito  ili  quel  pacsc  riccliissiiiio  ». 


CHAI'.  Vm.  —  LKS  IRLANDAIS  KN  AMKIUOI'K  AVANT  COI.OMU.    :28l{ 

juin'  <»ii.  Hjn'ni    et   (îiidlilcif   ('clianjrcaicnt   leurs  (•oin|)lim('Mls 

j(is(|u'à   r(''|»(»(|U(>    où    Zono  ('criviiit   sa  relation,   et,    dans   cet 

iiiter"  aile  (le  quatre  sif'-cles,  nous  ne  trouvons  rien  ou  prescjue 

lien   dans  les  doeunienfs   eontein|)oi-ains    qui     nous   perniefte 

d'ariiriner  ([ue  I.  s  Irlandais  d'I'lurope  n'aient  [las  oubli»'  leurs 

l'rères  d'Aniéri(jtie.  Il  n'en   est   |»as  moins  (n''s   probaMe  (pie 

pins  d'un  marin  V(»uluf  visiter  la  .  ontive  (pii  avait  enrichi  ui»  si 

i:ran(l  nombre  de  braves  compajîuons.  Sans  doute  le  ivcit  de  ces 

vuyaf^es  n'a  pas  (''t(''  conserv(''  dans  l'Ii,  ;  -lire,  mais   ils  ont  dû 

'fre  ex(''cut(''s.  Aussi  bien   n'est-ce  |»as  en  admettant  l'existence 

le  rirland  it  Mikia  (pie  nous  pouvons  e\pli(pier  un  tn'-s  curieux 

incinnent  frallois  dont  pers(»nne  n'a  jamais  coiilest»''  l'autlien- 

ticiU'  et  (|ui  nous  parait  s'appli(pier  à  c(>tte   mystc'rietise  n'^^ioii 

iii|(tnis(''e  depuis  si  '  'Ufjtemps  par  les  Irlandais. 

Au  xii"  sii'cle  (1),  vers  l'an  1 170,  une  dispute  s'('leva,  à  propos 
(le  la  succession  au  fn'me,  entre  les  tils  d'Owen  Guynetii,  roi 
lie  la  partie  septentrionale  du  pays  de  (îalles.  Madoc,  un  de 
CCS  princes,  l'atigu(''  et  d(''}::oùt(''  de  ces  discussions,  se  (b'-cida  à 
(■'iiii^:rer  pour  chercher  un  s('jour  plus  tranquille.  Il  diri;,^ea  sa 
course  droit  à  l'ouest,  en  laissant  rirlande  (lerri(''re  lui,  et  arriva 
(liiiis  un  pays  inconnu  (pii  lui  parut  si  agivable,  qu'il  retourna 

1 1 1  David  Powel,  Caratlocs  /listorij  of  Camhria  irith  a7inotatio?is,  \a)i\- 
(Ircs,  ir)8i  ;  léiiiiinessioii  imi  IG07  et  1714.  <>  Amio  MCI^XX,  Oweiio  (îdyiielli 
(Icriiiieto,  diiin  filii  iiiter  su  du  i)i'inci|iiit(i  coiiteiiihiiit,  et  iiuthiis  aiiiiis  siipc- 
l'ior  illiiin  ublinciet,  Madocus  umis  t;x  libuiis  Oweiii  (ïiiviiellii,  discordianini 
riviliiim  et  jirœlioniin  iiilcr  fralres  iioitirsds,  coniparavit  silti  aliiiiiot  navcs, 
rt  idoiico  coininealii  aliisque  rébus  iinpositis,  e  patria  profectiis  ut  uiivas 
liMTas  iiivcstijçaret,  ac  reliita  post  tcrguiii  lliberiiia,  douce  iucideiet  iii  terras 
aille  iiicoguitas,  ubi  inulta  niirandaque  (diservavit.  Iiidc  ad  patriain  reversiis, 
(iainbi'is  sui^  exponit  qunm  aiuanias  et  fecundas  terras  adiisset,  sive  ullis 
iiicolis,  proclive  esse  ipsis  et  doincstica  peiiciila  vilarc  et  amœiiis  liiscc  alque 
recuiidis  terris  poliri.  Quinii  uou  païu-is  persuasisset,  denuo  navos  plures 
sibi  ciiiupuravit,  ot  ouinibus  ucccssarii.s  iiiipusitis  iiuiginun  u(nneruHi  viroruiii 
pariter  ac  fcniinarum,  quos  doinesticarum  calauiitatu(u  trcdebal,  secum  iii 
illas  terras  adduxit,  et  patriie  awv  vale  dixit  >■.  L'bistoire  de  Vi'adoc  a  l'ii! 
reprise,  avec  uu  grand  luxe  dÏMiulitioii,  par  K.  B.  DE  Costa,  M;/rijriii)n  Ar- 
'•hnioloijj/,  Albaiiy,  1891. 


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i  I 


284       i'KEMlÈKK    l'AKTIE. 


LES    l'REC.lHSElHS    1»E   COLOM». 


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dans  sa  patrie  et  raiticnji  avec  lui  l'un  noniltre  de  ses  ((.ytisans, 
auxquels  il  persuada  sans  peine  qu'il  valait  bien  mieux  éclianfjcr 
une  froide  et  stérile  contrée  contre  une  région  niagnilicpie,  et 
les  agitations  de  la  guerre  civile  contre  la  tranquille  possession 
d'un  pays  que  personne  ne  disputerait.  David  Powel,  l'Iiistorien 
des  Gallois,  qui  nous  a  conservé  ce  curieux  récit,  n'est  pas  le 
seul  dont  le  témoignage  puisse  être  allégué  en  faveur  de  Madoc. 
Un  barde,  son  conqiatriote ,  Meredith ,  fils  de  Rbest,  men- 
tionne également  la  navigation  de  Madoc  vers  des  terres 
inconnues  (1).  Or,  ce  Itarde  vivait  bien  avant  la  découverte  dv* 
Colond),  à  une  époque  où  on  ne  peut  le  soupçonner  d'avoii- 
inveU'C  cette  histoire  par  amour-propre  national  et  pour  donner 
à  son  pays  une  gloire  qui  lui  manquait.  Knfm  les  triades 
galloises  (2),  (|ui  paraissent  avoir  été  transcrites  au  xil'"  siècle, 
parlent  également,  à  propos  des  pertes  subies  par  l'ile  de 
Bretagne,  «  de  Magdawag  ab  Owain  (iwyned,  qui  se  mit  en 
mer  avec  trois  cents  hommes  embarqués  sur  dix  navires,  et  qui 
arriva  on  ne  sait  où  »  (3), 

Cette  tradition  est-elle  vraisemblable?  A&surément  oui.  Les 
eûtes  découpées  de  leur  pays,  les  collines  boisées  qui  descerident 
jusqu'à  la  mer,  la  vue  continuelle  de  l'Océan,  tout,  jusqu'aux 
traditions  de  leurs  ancêtres,  ^)Oussait  les  Gallois  aux  lointaines 
entreprises.  Us  n'avaient  oublié  ni  leur  roi  Arthur,  ni  la  mysté- 
rieuse Avallon  d'où  il  doit  un  jour  revenir  pour  chasser  les 

(1)  IIakllyt,  The  principal  navigations,  voiages,  trafiques  ot  the  En- 
(jlish  nation,  Loiidou,  160U,  t.  111,  p.  4. 

Madoc  wif,  in  wj'cddic  wcdd, 
lawn  gouaii,  Owyn  Gwyiiedds  : 
N'y  syiiinm  dir,  fy  eiiaid  dedd 
Nada  iiiawr,  oud  y  morocdu. 

(2)  DiEPEMtACii,  Celtica,  11,  2,  p  73,  triade  X.  «...  y  trydydd  Madawjç 
ab  Owaiii  Gwyiiedd,  a  actli  ir  mor  a  thrichannyn  gydag  cf  mewu  deg  ilong, 
ac  ni  wyddis  i  ba  le  arthalt  ». 

(3)  Mentionnons  ù  titre  de  curiosité  qu'un  des  plus  grands  poètes  anglais, 
Soutliey,  a  choisi  Madoc  comme  héros  d'un  de  ses  poèmes  :  1  vol.  in-4, 
Edimbourg,  1805-1809. 


CHAI'.  VIII.  —  LKS  lUL.VNDAlS  K.N  AMKIUOIK  AVANT  COLOMH.    28?) 


Saxons,  et  plus  iVuu  (iallois  dut  espérer  qu'il  rencontrerait  cette 
terre  tant  désirée  dans  ses  {grandes  pèches  sur  l'océan.  Les  (Iallois 
en  ed'et  furent  des  premiers  à  p(»ursuivre  la  baleine  au  large  des 
eûtes  et  à  travers  la  tempête,  (le  fut  même  un  honneur  chez  eux 
(pie  de  s'adonner  à  cette  vie  aventureuse.  Leurs  harponneurs, 
dans  les  listes  de  wehrgeld,  sont  estimés  un  quart  en  sus  des 
autres  hommes  de  la  môme  classe  qu'eux  (l).  Dans  ces  courses 
hardies,  emportés  par  la  passion  ou  [)ar  la  <'iipidité,  souvent  ils 
(lé|tassaient  les  limites  de  leurs  connaissances  maritimes.  Par- 
fois aussi,  surpris  par  la  tempête,  ils  étaient  poussés  vers  des 
rivages  inconnus,  car,  ne  Tonhlions  pas,  la  distance  n'est  pas 
fort  longue  jusqu'aux  côtes  américaines,  et  nous  savons  le.s 
étonnants  voyages  acc(»mplis  par  de  simples  harques.  Ceux 
d'entre  eux  qui  revinrent  racontèrent  les  merveilles  des  pays 
(pi'ils  avaient  entrevus,  et  c'en  fut  assez  pour  exciter  en  toute  la 
nation  l'ardeur  des  aventures.  Les  chefs  du  [lays  eux-mêmes 
s'en  émurent,  et  l'un  d'eux,  plus  hardi  que  les  autres,  tenta  la 
fortune  et  s'expatria. 

On  a  prétendu  que  le  voyage  de  Madoc  avait  été  inventé  de 
toutes  pièces,  et  que  Powell  et  Ilakiuyt  lavaient  imaginé  pour 
soutenir  et  légitimer  les  projets  de  Walter  llaleigh  ;  mais  les 
Anglais  ne  sont  |)as  coutumiers  de  pareils  ménagements  ;  quand 
ils  veulent  s'étahlir  dans  un  pays,  ils  ne  recourent  pas  iVdes 
arguments  d'érudition  rétrospective,  mais  à  la  force  brutale. 
La  reine  Elisabeth  surtout,  qui  était  en  état  de  guerre  ouverte 
avec  l'Espagne,  devait  peu  se  soucier  de  ses  droits  à  la  posses- 
sion du  Nouveau  Monde,  et,  on  peut  l'affirmer  hardiment. 
Jamais  sou  brillant  capitaine,  le  fier  Raleigh,  ne  songea  à 
se  poser  comme  l'héritier  et  le  continuateur  du  (iallois  Madoc. 
(j'était  bien  dans  un  pays  vierge,  et  à  la  tête  d'une  expédition 
purement  anglaise,  (ju'il  entendait  créer  en  Amérique  une 
nouvelle  Angleterre.  Si  le  bard«  Mérédith,  si  l'historien  Powel, 

I  0  l.iNDENBROCK,  Lcx  Anf/Uca,  V.  20. 


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'iHVi       l'HEMIKinC    l'AHTlK.    —   l.l> 


r.L'HSEURS   DE   COLOMB. 


si  le  compositeur  des  Triades  <  raconté  le  voyage  de  Maduc. 
c'est  (jue  léelleinent  le  voyage  lut  exécuté,  et  que  tout  se  passa 
comme  le  rapporte  la  tradition.  Aussi  nous  faudra-t-il  recon- 
naître avec  liuinl)oIdt  tout  l'intérêt  que  présente  cette  traditii»n 
et  nous  dirons  volontiers  avec  lui  (1)  :  «  Je  ne  partage  aucune- 
ment le  mépris  avec  lequel  ces  traditions  nationales  ont  souvent 
été  traitées.  '  au  contraire  la  ferme  j)ersuasion  (ju'avec  un 
peu  d'assidui  'écouverte  de  faits  entièrement  inconnus  au- 

jourd'hui édaiicra  lieaucouj)  de  ces  problèmes  historiques  ». 

l'essayons  maintenant  de  déterminer  la  contrée  où  avait 
dél)ar(|ué  le  prince  gallois,  llakluvt  prétendait  la  retrouver 
dans  le  Yucatan,  et  il  en  donnait  comme  preuve  le  grand 
noud)re  de  croix  trouvées  dans  cette  contrée  par  les  Espagnols 
au  XVI'"  siècle,  mais  le  culte  de  la  croix  était  répandu  dans  tout<' 
r.\méri(|ue,  et  même  dans  une  partie  de  l'ancien  monde  avant 
le  christianisme  :  il  ne  prouve  donc  rien  (2).  llorn  (Toit  aussi 
à  la  réalité  du  voyage  de  Madoc,  mais  pense  qu'il  a  déhanjuc 
en  Virginie  (3).  Il  s'appuie,  pour  le  démontrer,  sur  des  tradi- 
tions indigènes.  11  rappelle  que  les  sauvages  Virginiens  rendaient 
houuuage  à  un  certain  Madeczunga  ou  Madinga,  dont  io  nom 
|)résente  en  effet  une  certaine  analogie  avec  celui  de  Madoc. 
Laët  énumère  avec  complaisance  une  cinquantaine  de  mois 
en  virginien  et  en  gallois  (^i).  Ces  ressemblances  ont  encore  été 
signalées  ]»ar  Ulloa  (5),  mais  la  plupart  d'entre  elles  nous 
semblent  forcées,  et  c'est  avec  raison  (|ue  Uobertson  les  tourne 


(1)  lIcMii  ii.DT,  lli.'itoil'c  de  la  i/i'or/rap/iic  ihi  Noui'Pnu  Cuntinc?il,  t,  III, 
p.  140. 

(2)  li.xBKiKi,  DE  MoHTii.LET,  Ir  Sit/iic  flc  1(1  Croix  avant  le  christianisme, 
passiin. 

{',]}  Hors,  De  origini/jus  Aincriranis,  p.  136.  <  Habeinus  Mad.izuiigaiii 
et  .Miidiiijçam  qui,  ciir  MaJoc  Cainbreiisi.s  esse  neqiieat,  qiieni  in  cas  partes 
delatiiin  domcstica  cvincuiit  nioiiuineiila,  ratio  iiiilla  reddi  |)otcst  ». 

(■i)  1^.\ET,  Nota'  a<l  dissertationem  Hugonis  Grotii,  p,  140-152. 

(il)  Uli.oa,  Mémoires  p/ii/osophiques  sur  la  découverte  de  l'Amérique, 
traduction  de  Villebruiie,  t.  H,  p.  48 i,  48.'). 


CHAI'.  VIII.  —  l.KS  IHLA.MIAIS  K.\  AMKHKJIK  AVANT  (OLdMll.    :2HT 


•Ml  ritliriilc  y\).  Dovoiis-iious  en  cU'ot  CDUcliin'  ;i  lidentitt'  iWs 
(îalliiis  L't  lU's  Vii'},Miii('iis,  parce  qui'  ces  dcriiicrs,  au  temps  de 
l{;ileij:li,  se  servait  ilu  salut  gallois  luxi  lions  loch,  ou  hieii 
appelaient  le  pingouin  jinif/iihi,  le  pain  hara,  Wvui'  iri/,  la 
mère  nifini,  le  jtère  Iiid,  un  tuyau  de  plume  en/,.'/',  un  renani 
cli/tiii//,  de  l'eau  lilanrlie  t/wo»  di/r,  un  ne/  Iriri/ii,  le  ciel  iit;ti/\ 
efc?  On  hieii  ces  ressend)laiu'es  sont  accidentelles,  ou  liien  ces 
m<»ts  n'auront  été  introduits  (pi'à  une  époque  toute  moderne. 
A  vrai  dire  les  exigences  de  la  science  contemporaine  répugnent 
absolument  à  un  pareil  genre  de  preuves. 

On  a  encore  signalé  sur  d'autres  points  de  l'Amérique  de 
prétendues  traces  de  la  langue  galloise.  Ainsi  TorrèsCaicedo  (2) 
rap|>orte  (jue  la  langue  Tuneiia,  parlée  par  les  Indiens  deTierra 
.\dieutro,  dans  la  province  de  Tunja,  au  nord  de  la  Nouvelle- 
(rrenade,  altonde  en  mots  gallois  (jui  y  sont  usités  depuis  fort 
longtemps.  «  Le  capitaine  Abraham,  lisons-nous  dans  riiistoire 
(lu  Kentucky  de  Filson  (3),  homme  sur  la  véracité  duqu(>l  on  peut 
(Hiinpter,  a  assuré  à  l'auteur  que,  dans  la  dernière  guerre,  étant 
;vcc  sa  compagnie  à  Kaskaskuy,  il  y  vint  (pielques  Indiens 
qui.  parlant  la  langue  galloise,  furent  parfaitement  entendus  de 
deux  (îallois  cpii  étaient  avec  lui,  et  ([u'ils  leui-  parlèrent  d'une 
manière  [tarfaitement  conforme  à  ce  (|u'en  rapportent  les 
habitants  de  l'ouest  ».  Ce  témoignage  n'est  pas  le  seul  (4).  L  ii 
ministre  méthodiste,  Heatty,  (Jallois  de  naissance,  fut  un  jour 
surpris  dans  la  Caroline  par  un  parti  de  sauvages  (jui  s'ap|iré- 
taient  à  le  tuer,  lorscju'il  se  reconniianda  à  Uieu  tout  haut  <lans 
ha  langue.  AussitiH  les  siuivages,  étonnés  (ju'il  parlât  comme 
(MX,  le  délièrent  et  le  conduisirent  dans  leur  village,  à  (ju  -Icpies 


(1)  UoMKursoN,  The  history  uf  Aineric-i,  éilit.  1*77,  t.  I,  p.  4:i7. 

(2)  ToiiUKsCAïcEOd.c.ité  par  José  I'krez  \l\evue  américaine,"!" s,(iv\c,\).  i6«i. 
et)  Jitii.N  l"'ir.so\,  Histoire  de  Kentucicr,  nouvelle  rnlonif  à  l'ouest  de  In 

Virginie  'liiuluction  Parraud). 

(  tl  l^ïi  KiivuE  DE  Vii.i.EiinuNE,  Méntoircs  à  la  suite  de  la  traduction   de.'' 
Mémoires  /iliilosop/iiifues  d'i'lloa,  L  II,  p.  484. 


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:288      PHKMIKRK    l'AHTIK.    —    LKS    l'HKClHSKIMS    1»K   ('.OLOMH. 

jours  (lo  m;ii"('li(\  «  Il  y  vit  une  peuplade  toute  galloise,  où  se 
conservait  encore  la  tradition  du  |)assag(«  de  Madoc.  Ou 
le  conduisit  ensuite  à  l'oratoire,  où  on  lui  mit  en  main  un 
rouleau  de  peau  dans  lecpiel  était  soifineusement  conservé  un 
manuscrit  de  l.i  Hiltle  en  langue  galloise  ».  IJealty  revint  à 
Londres,  et  puMia  cet  événement  dans  un  petit  ouvrage 
intitidé  Jininud  of  tint  inontha.  On  cite  encore  l'aventure 
d'un  certain  Sntfon  (jui  eut  également  l'occasion  de  connaître 
cette  peuplade  sauvage  (1);  celle  de  'Morgan  Jones,  (|ui,  fait 
prisonnier  par  les  Doggs  et  Tuscaroras  de  Virginie,  en  108'J, 
fut  épargné  par  eux  parce  qu'il  parlait  leur  langue  (2).  «  Us  nous 
traitèrent  avec  alfahilité  pendant  quatre  mois,  racontait  ce 
Morgan,  je  parlai  avec  eux  de  nombreuses  choses  en  langue 
bretonne,  et  je  leur  fis  trois  pèches  par  semaine.  Ils  se 
faisaient  un  plaisir  (le  me  communiquer  leurs  affaires  les 
plus  difficultucuses,  et,  quand  nous  les  quittAmes,  ils  agirent  à 
notre  égard  avec  heaucouj)  de  civilité  ».  Il  ne  faudrait  certes 
pas  ajouter  une  confiances  trop  absolue  à  ces  témoignages,  dont 
(|uelques-uns  ont  été  peut-être  inventés  après  coup  et  dont 
l'origine  est  à  tout  le  moins  suspecte;  au  moins  démontrt'nt-ils 
(jue  la  tradition  du  voyage  de  Madoc  ne  s'est  jamais  perdue, 
même  en  Amérique. 

Aussi  bien  ce  n'est  ni  dans  le  Yucatan,  ni  en  Virginie  ou  en 
Caroline,  ni  dans  le  Kentucky  ou  la  Nouvelle-Grenade  qu'il 
nous  faut  chercher  l'emplacement  de  la  colonie  galloise  conduite 
par  Madoc  :  c'est  en  Irland  itMikla.  Les  Irlandais  et  les  Gallois 
sont  en  effet  de  même  race.  Ils  ont  toujours  eu  des  relations 
suivies.  Ainsi  que  le  prouvent  les  légendes  païennes  et  chrétiennes 
dont  nous  avons  donné  l'analyse,  les  Gallois  croyaient,  aussi 
bien  (pie  les  Irlandais,  à  l'existence  d'iles  et  de  continents  au 
delà  de  l'Atlantiijue.    Malgré   les   précautions   prises   par  les 


(Il  Lekebvre  de  Vn.LEBRUJiE,  lov.  cit.,  p.  483. 

iy.)  OwKN,  Hecueil  il'antiquitds  hretonnes,  Londres,  1877,  p.  103. 


ClIAP.  VIII.  —  LE3  IRLANDAIS  EN  AMÉRIQUE  AVANT  COLOMB.    289 


Irlandais  pour  cacher  leurs  dôcouvertes  maritimes,  il  est  impos- 
sible que  de  vagues  rumeurs  ne  les  aient  pas  fait  connaître, 
surtout  |)ar  leurs  voisins  des  (lallois.  Lorsque  Madoc  forma  le 
projet  d'émigrer,  ce  n'est  pas  au  hasard  qu'il  s'aventurait  sur 
r<»<;éan.  H  connaissait  l'existence  de  l'Irland  it  Mikia,  et  c'est 
lie  propos  délibéré  (ju'il  se  dirigeait  sur  cette  terre,  où  il  était  à 
l'avance  assuré  de  trouver  des  frères  d'origine,  et  par  conséquent 
un  bon  accueil 

Il  ne  nous  reste  plus  qu'à  déternMiier  l'emplacement  de  cette 
Irland  it  MikIa,  de  ce  champ  d'asile  du  moyen  Age,  où  se  réfu- 
;,^ièrent  successivement  les  Irlandais  chassés  de  leurs  possessions 
maritimes  par  les  Northmans  et  les  Gallois  en  quête  d'aventures. 

La  plupart  des  savants  se  sont  contentés  de  reprodrire  une 
ctssertioii  de  Rafn,  cpii  plaçait  l'Irland  it  MikIa  dans  ai  partie 
méridionale  des  Etats-Unis.  Rafn  s(>  fondait  sur  une  vague 
traditions  des  Indiens  Savannahs,  d'après  laquelle  la  Floride 
aurait  été  autrefois  habitée  par  des  hommes  de  race  blanche,  en 
possession  d'outils  de  fer.  Il  alléguait  encore  de  prétendues 
aiialo  ats  de  langage  et  des  traces  persistantes  du  christianisme 
en  Floride;  mais  Beauvois  a  démontré,  (1)  par  uuv.  étude 
attentive  des  textes  et  une  rigoureuse  argumentation,  (|ue  la 
véritable  position  de  llrland  it  Mikla  doit  être  reportée  beaucouf) 
plus  au  nord,  soit  dans  l'île  de  Terre-Neuve,  soit  sur  la  rive 
méridionale  du  Saint- Laurent.  Il  résulte  en  effet  de  divers 
passages  de  Sagas  que  l'Irland  it  Mikla  était  située  entre  le 
Helluland  et  le  Vinland.  Or,  le  llelluland  correspondant  au 
Labrador,  comme  nous  essaierons  de  le  prouver  à  propos  des 
voyages  des  Northmans  en  Améri(|ue,  et  le  Vinland  aux  Etats 
(le  New-York,  Rhode-Island  et  Massachusetts,  l'Irland  it  Mikla 
ou  Hvitramannaland  se  trouve  entre  ces  deux  contrées,  c'est-à- 
(liiv  qu'il  occupe  la  rive  méridionale  du  Saint-Laurent  et  les 
ik's  qui  ferment  le  golfe. 

fl)  Beauvois,  Découverte  </u  ^^ouvenii  Monde  par  les  Irlandais,  etc.,  p. 

82-86. 

T.    I.  19 


'  s 


!   t. 


200       PRKMlftHK   l'ARÏIK.    —    LES  1'RK(U'RSErRS   DE  COLOMB. 

L'autlu'iiticitô  (le  ceth;  iiouvcllo  tlu'oric  est  <'onnrnié(;  par  des 
notions  trrs  précises  sur  les  traces  persistantes  du  christianisnie 
dans  cette  réirion,  que  recueillirent  quehpies  missionnaires 
français  au  Canada.  1/un  de  ces  missionnaires,  un  récollet,  le 
père  le  Cler(|,  était  resté  douze  ans  au  Canada,  de  Ki'.'i  à  ItiS". 
et  particidièrement  en  (laspésie,  e'est-à-dire  dans  la  région  qui 
correspond  à  Tancien  llvitramannaland .  Fort  surpris  de- 
trouver  le  culte  de  la  croix  élahli  chez  les  sauva|,'çs  (ju'iî  était 
chargé  d'évangéliser,  il  étudia  leurs  mœurs  et  leurs  traditions, 
et,  de  retour  en  France,  consigna  ses  ohservations  dans  un 
ouvrage  aujourd'hui  fort  rare,  et  dont  voici  le  titre  exact  : 
NuHvi'lb;  rdatinn  di;  la  Gasj)<''s'n\  qn'i  conflful  las  nnfiirs  l'i  lu 
rclif/ion  dfs  sauvages  Gasprsiens,  J*orle-Cro'i.r,  adorateurs  du 
soleil,  et  d'autres  peuples  de  VAmér'ique  septentrionale,  d'ttr 
Canada,  i  vol.  in-li2,  Paris,  Amahle  Auhry,  1091.  «  Le  culte 
ancien  et  l'usage  religieux  de  la  croix,  écrit  le  récollet,  qu'<iii 
admire  encore  aujourd'hui  parmi  ces  sauvages,  pourraient  hieii 
nous  persuader  (pie  ces  peuples  ont  reçu  autrefois  la  connais- 
sance de  l'Evangile  et  du  christianisme,  (|ui  s'est  enlhi  |»enlii 
parla  négligence  et  le  lihertinage  de  leurs  ancêtres  »  (1)...  "  ll-^ 
ont,  titut  inlidèles  (|u'ils  soient,  la  croix  en  grande  vénération  ; 
ils  la  portent  ligurée  sur  leurs  hahits  et  sur  leur  chair  ;  ils  l;i 
tiennent  à  la  main  dans  tous  leurs  voyages,  soit  par  mer,  suif 
par  terre,  et  enfin  ils  la  posent  au  dedans  et  au  dehors  de  leur* 
cabanes,  comme  la  manjue  d'honneur  qui  les  distingue  <lcs 
autres  tribus  du  Canada  »  ["1).  Le  père  Le  Cler([  chercha  à 
connaître  l'origine  de  ce  culte,  et  les  anciens  de  la  trihn  lui 
racontèrent  que  leurs  ancêtres  allaient  mourir  de  faim,  <■<  lors(|iii' 
leur  apparut  un  beau  jeune  honnne  porteur  d'une  croix,  (|iii 
leur  ordituna  d'adorer  cet  instrument  de  salut.  Ils  obéirent  et 
furent  sauvés.  Dès  ce  jour  ils  conser-  ont  pour  ce  signe  sai  r<^ 
la  vénération  la  plus  profonde  ». 


(1)  Bkauvois,  Lm  l'orte-Croir  il:  hi  Gaspésie  rt  fie  t.icadic  (Annales  ilr 
philosophie  chiéticmic,  avril  1877). 
i2i  I.K  Ci.ERc^,  ouv.  cité,  p.  40-41,  16». 


CHAI'.   Vm.   —  LKS  IKLA.NHAIS  KN  AMKIUQIK  AVANT  COLOM».    ^l\)i 


lisiiu' 
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lot,  !•• 

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rne  satr^ 


l\\miil<: 


Coiniiic  le  père  Le  Clei'(|  cninposait  son  livre  à  la  liii  du 
Wi!'' siècle,  Mil  pourrait  olijeeter  cpie  les  iii(liî,'èiies  (pi'il  s'étonnail 
<le  trouver  prescpie  chrétiens  avaient  peut-être  été  évangélisés 
par  les  premiers  Kiinipéens  (pii  ahordérent  dans  la  contrée 
au  \vi''  siècle  ;  mais  ces  Kuntpéens  avaient  eux-mêmes  été 
frappés  par  les  nomltreux  vestifres  de  christianisme  (pi'ils  avaient 
rencontrés.  En  l'JHi  voyant  Jac(pies  (^artier  planter  une  croix 
sur  le  littoral,  les  indigènes  lui  avaient  indicpié  |)ar  sipnes  ipi'il 
s'en  trouvait  de  seud)lal)les  sur  tout  leui'  territoire  (1).  Au 
temps  de  Jean  Alphonse  fl.'iil),  leur  lan;;ne  renfermait  encore 
lteaucou|)  de  mots  latins  ('1\ .  Kii  Uti)'!  (Ihaniplain  trouvait 
dans  la  haie  de  Fundy  une  croix  de  hois  couverte  de  mousse  et 
[tresque  pourrie  (3)  ;  et  lesi  ndiffènes  du  voisinage  non  seulement 
faisaient  le  signe  de  la  croix  à  tout  pn»|>os,  mais  encore  la 
portaient  sur  leurs  vêtements  et  (tans  leurs  cahanes.  Aussi 
Lescarhot,  riiistorieu  de  la  Nouvelle-France  (i),  n'Iiésitait-il 
pas  à  écrire  que  <c  ces  peujdes  sont  venus  de  quelque  race  de 
j;ens  (|ui  avaient  été  instruits  en  la  loi  de  Dieu  ». 

Il  serait  facile  de  multiplier  les  preuves  :  mais  ne  sont-elles 
pas  déjà  suffisantes  pour  permettre  d'affirmer  que,  dans  le  pays 
qui  nous  parait  correspondre  à  l'Irland  it  Mikia,  les  indigènes 
avaient  conservé,  jusqu'à  la  lîu  de  xvii'"  siècle,  le  souvenir 
inconscient  mais  persistant  de  leur  origine  européenne  ? 

En  résumé,  la  tradition  est  d'accord  avec  l'histoire  pour 
démontrer  l'existence  en  Amérique,  plusieurs  siècles  avant 
Colomh,  d'une  colonie  fondée  par  des  Irlandais. 

(1)  Relation  du  voyage  de  Cartier  au  Canada  en  l,i3i,  édition  Micliclaiit 
et  Ramé,  p  40-41.  <•  Et  icelle  croix  plaiitasmes  sur  ladite  ponicte  devant  eux.., 
ft  nous  fît  une  grande  liarangue  nous  montrant  ladite  croix  et  faisant  le  signe 
de  la  croix  avec  deux  doycts,  et  puis  nous  nionstroit  la  terre  tout  autour  de 
nous  ». 

(2)  Jeax  Alphonse,  manuscrit  de  1542  :  «  Les  gens  parlent  beaucoup  de 
mots  qui  approchent  du  latin  ». 

(,3)  Les  Voyages  du  sieur  de  Champlain,  édition  Laverdière. 

(4)  Lkscarkot,  Histoire  de  la  Nvuiellc-Fram-e,  édition  Tross,  t.  I,  p.  22, 


! 

I 


■ 


'. 


CHAPITUE  IX 


LES   NORTIIMANS    EN    AMMRlQUK.    --    \.K    VINLAND    lîT    I,A 

NOIIOMBHGA. 


Do  tous  les  peuples  de  l'Kurope,  il  n'eu  est  aucun,  au  moyeii- 
A}fo,  dont  les  expéditions  aventureuses  se  soient  étemlues  à 
autant  de  pays  (pie  les  Northniaiis.  La  nier  fut  [lour  eux  l'élé- 
uient  par  ex('ellence.  Elle  entourait  leur  |»ays  de  toutes  parts, 
elle  oreusait  sur  leurs  côtes  de  noudtreux  fiords  ipii  pénétraient 
fort  avant  dans  l'intérieur  des  terres,  et  l)iU}j;naient  les  sapins 
de  leur  t'orcHs.  La  stérilité  du  sol,  la  fré([uence  des  famines,  la 
difflcidtédesconuinniications  excitaient  leurs  instincts  vagabonds. 
Lii  religion  elle-même  et  surtout  leur  caractère  national  les 
poussaient  vers  l'Océan.  Pour  (;ux  la  pire  des  injures  était  d'être 
appelé  casanier.  Aussi,  par  nécessité  autant  cpie  par  passion, 
les  Norfhmans  tournèrent-ils  de  honne  heure  leur  activité  vers 
la  mer,  et  c'est  sur  la  mer  cpie  se  développa,  exalté  par  l'ému- 
lation, l'héroïsme  des  fortes  races  du  nord. 

Tacite  avait  déjà  remarqué  que  les  Northmans  d'alors,  ceux 
(pi'il  ap|ielle  Suiones,  étaient  redoutables  par  leurs  flottes  (1). 
Les  sauvages  habitants  de  la  Scandinavie  continuèrent  les 
exploits  de  leurs  ancêtres,  et  lirent  de  l'Océan  comme  leur 
domaine.  Leurs  vaisseaux  étaient  solides  et  bien  pontés.  Ils 
avaient  c(»nservé  la  forme  déjà  observée  par  l'historien  romain  : 

(I)  Tacitk,  Gurmnnic,  S  XLIV.  »  Suioiium  liiiic  civitates,  ipso  in  Oceaiio, 
prictcr  viros  armaque,  classibiis  valent  ". 


il  )  ; 


r.llAPlTHE   IX.    —    I.KS    NOHTIIMANS   K.N   AMKHKJI  K. 


i293 


«  leurs  vaisseaux  did'èrent  des  iiùfres  eu  fe  (|U(^  les  deux  extré- 
mités se  terminent  eu  |intue.  et  (|u'ils  se  |»résenteut  dans  uik' 
direction  eoinuinde  pour  toucher  au  rivasre  »  (1),  c'est-à-dire 
(ju'ils  pouvaient  éj;a!euH'nt  s'einharquer  d'un  c(^té  ou  de  l'autre, 
et  tenter  ou  repousser  un  aborda^re  soit  par  l'avant,  soit  par 
l'arrière.  Les  cliefs  teinaieut  à  en  avoir  de  jfrainle.-^  tlitnensions. 
Le  hwf/Srrixnil  d'Olal"  Tryf^^vason  avait  trente-deux  raufis  de 
rauuis  et  portait  cpiatre-vin^'t-dix  liouunes,  le  Dmw-I truffons 
d"Ulaf-le-Saiut  pouvait  porter  deux  cents  honnues.  Des  lifrure» 
d'animaux  t'antasticpies  se  dressaient  sur  la  proue,  et,  (piand  ces 
monstres  paraissaient]sur  les  cAtes,  les  clu'onicpieurs  du  moyen- 
.'^f,'i!  rapportent  (|u'on  croyait  voir  c  une  troupe  de  hêtes  sauvages 
au  milieu  d'une  forêt  •>  {"1).  Les  îs'orthmans  nianiaient  liahile- 
ment  ces  vaisseaux  ;  ils  savaient  profiter  des  variations  de  l'at- 
mosphère, et  prévoir  les  chaufïenients  trop  hruscjues  (3).  Ils 
étaient  donc  aussi  bons  matelots  (pi'intrépides  soldats,  et  mieux 
préparés  (|ue  tout  autre  peuple  aux  lointaines  entreprises. 

La  fausse  interprétation  d'un  texte,  ou  plutôt  lu  maladroite 
interpolation  d'un  copiste  a  été  la  cause  d'une  singulière  erreur 
relative  à  la  date  des  premières  entreprises  des  Northnians  dans 
la  direction  de  l'Américjue.  Le  pape  tirégoire  IV,  lorsqu'il  inves- 
tit le  fameux  Anscharius  du  ncmveau  titre  d'archevêque  de 
Hambourg  (831),  énumera,  dans  la  bulle  d'investiture  (4),  les 


'*1^ 


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II 


lie 


ornai  n 


Oceaiio, 


(1)  Id.  «  Forma  iiaviiim  eo  differt  quod,  iitrinque,  prora  parntam  sempci 
nppiiisui  frontein  agit  ». 

(2)  Depping,  Histoire  des  expéditions  maritimes  des  Normands  et  de 
leurs  expéditions  en  France  au  x«  siècle,  p.  42-45.  —  Jal,  Archéologie 
navale,  p.  131,  132,  139,  144. 

(3)  FoHSTKR,  Hisioire  des  découvertes  et  des  voyages  faits  dans  le  Nord 
(Irad.  Broussonnel),  t.  1,  p.  127-129. 

(4)  RvDBRHO,  Traités  de  la  Suède  (1877),  p.  6,  7.  «  Ipsumquc  flliuni 
iiostrum,  jamdictuin  Ânsgarium  et  succcssnrcs  ejus,  legatos  in  omnibus 
circumquaquc  gentibus  Danorum,  Suenonuni,  Norvegorum,  Farrie,  Gronlan- 
dam,  Halsingolandam,  Islandam,  Scridevindum,  Slavornm,  nec  non  omnium 
scptciitrionalium  et  oricntalium  natioiium,  quocumquc  nomine  nominatarum^ 
dclcgamus  ». 


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Il 


±\)\     l'KKMiKui;  l'Ainii: 


I.KS    l'IlKCI'lisKI'KS    IIK   <:i)l.(IMII. 


p('ii|)l(!s  i'i  la  roiivrrsioii  iI(>si|iii>Ih  «levait  travailler  le  saint  : 
»  Nous  (iélé};iii)iis  in»tre  lils  le  dit  Aiisrliariiis  et  ses  successeurs 
comme  léf;at  chez  foutes  les  nations  des  Danois,  des  Suédois, 
des  .Norvéffieus,  des  l-Vro-yens,  du(iroenland,  du  llelsin^'aland, 
de  l'Islande,  des  liapoiis,  des  Slaves,  ainsi  (\\u\  de  tous  les  pays 
H(!|iteutrionau\  et  orientaux  de  (|U(^l(|ue  nom  «ju'ils  soient  apfte- 


k'j 


Dans   la   pluitart  ties  exeuudaires    du  décret  par  leciuel 


M' 


r*!m|>ereur  Tjouis  le  Débonnaire  r<!Cotuuit  le  nouvel  arclievttché  (  1  ) 
(l.'i  mars  H:ti),  il  est  également  dit  :  «  Nous  notilions  aux  lils  de 
la  sainte  K);lise,  |>résents  ou  futurs,  que  de  nos  jours,  par  la 
grAce  d«'  Dieu  et  à  la  laveiu'  des  prédications  et  des  con«|uétes 
de  l'Kvanfjile,  une  lar^fc  porte  s'est  ouverte  dans  les  pays  sep- 
tentrionaux, à  savoir  chez  les  peujtles  Danois,  Suédois,  Norvé- 
giens, dans  les  Férot^,  (Iroenland,  Islande  et  clie/  les  Lapons  ». 
Des  passages  anal(»gu(^s  se  trouvent  daiis  les  huiles  de  Nico- 
las I"  (8:JH  ou  8t)i)  (-2),  et  de  Jean  X  {'M))  (3).  Kst-ce  donc  «pie 
l(!  (iroenland  a  été  ajouté  après  coup,  |»eut-étre  lors«pie  l«!s  suc- 
cesseurs d'Ansclia'"!'  à  l'archevêché  de  llamhourg  voulurent  se 
donner  desdroit;-  sur  ce  lointain  pays?  Saint  llaudiert  en  ell'ef, 
le  su<;c,esseur  inunédiat  d'Anschaire  (;t  son  historien,  disait  en 
parlant  de  son  ohédience  cprelle  s'étendait  sur  les  Sué<lois,  les 
Danois,  les  Slaves  ett(»ns  les  peuples  du  Nord,  mais  il  ne  citait 
pas  1«  (Iroeidand  (i).  Adam  de  Hrôme  nommait  également  à  ce 
|»ropos  Suédois,  Danois,  Slaves,  et  il  ajoutait,  et  tous  les  peu- 

(1)  Les  Grocnlnnik  ftuloriski'  Minilcs  moerker  (l ,  12,  15),  citent  le  Coi/r.r 
Vdalrici  llabenbcrgensU  :  «  Aquiloiiilm»  in  |iarlil)us,  iii  };eiitibiis  vidclicit 
Danornin,  Gronltindnn,  Islamlos  et  omiiiuui  scpteiilrionaliiim  iialionnni  ».  — 
Codex  Vicelini  :  «  Siieiionimi,  Norweoium,  Karriii.  (Ironlamlaui,  IslaiDiaiii, 
Scridevindam  ».  —  Codex  Lindenbrog  :  «  Norlwcgorum,  Kaniai,  Gronlnii- 
flon,  llalsin^ulanduii,  Islandoii,  Scridcviiidon  >'. 

(2)  Rydbeiio,  ouv.  cité,  I,  |t.  23,  2(>. 
(.'{)  Id.,  ouv,  cité,  I,  p.  32. 

(4)  L.VNCKBKCK,  Scriptorrs  rrriim  Dankanim  (1772-1776),  t.  I.  ji.  iSI  : 
u  Constitutiiiii  legatuui  circuniqiiaqne  gciitibus  Sucnoniim,  sivc  Daiioniiii. 
nec  non  etiani  Slavonini,  aliarumque  in  Aquilonis  partil)us  gcnliuiii  consti- 
tutaruni  ». 


CIIAIMTHK   I\.    —    LES   NOHTIIMANS   EN   AVKniQI'K, 


'iwrt 


|»lt's  voisins,  iiiuIh  sans  niciitiuiitior  les  (îrornliiidiiis  I).  D'ail- 
li>iirs  les  passages  citos  plus  haut  iinuiincnt  l«>  lirnciilaii<l  <•  lui 
nom  punMiK'iit  soandinavf,  du  norn  nii^nic  qui  lui  l'ut  donné  par 
iM'ik  Hauda,  scuicnicnt  à  la  lin  du  \"  siètlf.  iW  n'est  en  elVet 
<pie  par  les  Nortiunaus,  et  assez  tard,  (pie  la  (lurie  romaine  eut 

•  onnaissance  du  (îroerdand  et  elierclia  à  le  plaeer  sous  la  Juri- 
diction de  l'areiievi^que  de  llamltourg.  Les  textes  que  nous  avons 

•  ités  sont  d'ailleurs  conlredils  [tar  d'autres  textes,  (pii,  dans  l'éiui- 
mération  des  pays  du  Nord,  omettent  le  tiroenland.  La  l)iMle 
d'investiture  de  l'arclievtVlié  de  llamlioiu'f;  et  le  capitulaire  de 
Louis  le  Délionnaire,  les  documents  les  plus  sérietix  (pi'ftn  puiss»- 
alléjfiier,  sont  contredits  et  réfutés  par  des  textes  p!us  anci(>ns, 
ipii  |)araiss(>ut  plus  autlienticpies,  et  où  le  nom  d(!  (iroenland 
ne  lifiure  pas  (2),  (ïe  n'est  donc  |)as  au  ix"  siècle,  nuiis  seulement 
au  \'',  connue  nous  le  démontrerons,  ipie  l'ut  découverte  cette 
terre  américaine,  et,  par  consé<juent,  les  Xorthmans  ne  c(»m- 
mencèrent  pas  dès  le  règne  du  lils  de  (îliarlemagne  leurs  auda- 
cieuses expéditions  dans  les  mers  du  Nord. 

Aussi  bien  on  sait  à  ne  pas  en  d(tuter(pie  c'est  surtout  à  la  lin 
du  neuvième  siècle,  |ieu  de  temps  avant  rintroducliou  du  chris- 
tianisme dans  Ui  nord  de  TlCurope,  lorscpie  triompha  dans  la 
péninsule  Scandinave  le  grand  mouvement  d(!  concentration 
monarchi(pie  opéré  par  llarald  Ilaarl'ager  (KC-OUI}),  (pie  l'ex- 
pansion des  races  du  Nord  fut   lu  plus  coiisidérahle  (iJ).    Dans 

Il  AiiAM  i)K  Hitt-MK,  De  situ  Daiiix.  <<  Aliis  coiijaccnlibus  iii  circuilu 
|io|)iilis  ». 

1^2)  l'iiiLii'i'K  G(*:sAR,  Triapostutatus  Septentriotiis,  vila  l't  (icsfa  S. S.  Vil- 
lefiadi,  S.  Ansynrii,  N.  liembcrti  (Cologne,  IGlti),  cIomik;  le  texte  suivant 
pour  la  bulle  d'investiture  :  «  Jani  dictuni  Ansgariuni,  legatuni  in  omnibus 
rircum(]uaquc  gentibus  Sucnoruni,  sive  Danoruni,  ncc  iiuii  ctiarn  Slavorurn  », 
et  pour  le  ciipitulaire  de  Louis  le  Débonnaire  :  u  Id  circo  sanctic  Dei  ecclc- 
siœ  flliis,  prifiscntibus  scilicel  et  fuluris,  ccrtum  esse  volunius,  qualiler  divina 
ordinante  gracia,  nostris  in  dicbus,  aquilonalibus  in  ]iartibus,  in  gente  vidu- 
licct  t)anoruni,  sivc  Sucnonum,  magnum  cœlcstis  gratin  prœdicationis  sive 
acquisitionis  patcfccit  ostium  ». 

(3)  (jEFKitOY,  Histoire  des  Etats  Scandinaves.  —  Id.,  {'Islande  avant  le 
'•liristianismpy  p.  13. 


I 

i 


i96       PREMIÈRR   PAKTIE.   —    LKS    l'RKOUHSEURS   DE  COLOMB. 

l'espoir  do  se  soustraire  à  la  domination  exclusive  d'un  roi  par- 
tout vain(|ueur,  les  Northmans  se  dispersèrent  dans  toutes  les 
directions,  et  se  lancèrent  dans  les  expéditions  les  plus  loin- 
taines et  les  découvertes  les  plus  inattendues.  Les  uns  pillent 
l'Angleterre,  l'Irlande  et  l'Espagne.  Les  autres  ruinent  la  France 
et  s'établissent  dans  une  de  ses  plus  riches  provinces  (1).  Ceux- 
ci  pénétrent  jus{iue  dans  la  Méditerranée,  ceux-là,  comme  Other 
et  Wulfstan,  dont  le  roi  Alfred  nous  a  conservé  les  relations  (2), 
entrent  dans  la  mer  Blanche,  remontent  par  la  Dwina  et  arri- 
vent par  la  Volga  jusqu'à  la  Caspienne,  tandis  que  leurs  com- 
pagnons fondent  Novogorod,  s'emparent  de  Kiew  et  assiègent 
Gonstantinople  (3).  Ils  vont  même  jusqu'au  Pirée  inscrire  leurs 
caractères  runiques  jusque  sur  les  flancs  d'un  des  lions  qui  ornent 
aujourd'hui  l'arsenal  de  Venise  (4).  Vers  le  nord-ouest  enfin, 
poussés  par  le  hasard,  mais  prédestinés  à  de  grandes  choses,  ils 
rencontrent  des  terres  nouvelles,  et  peuplent  des  iles  ou  des 
continents  inconnus  ;  car  il  semble  que,  dans  ces  régions  de 
l'extrôme  Occident,  animés  d'un  esprit  plus  pacifique,  ils  aient 
voulu  réparer  les  pertes  causées  ailleurs  par  leurs  fureurs. 

Dans  la  direction  du  nord-ouest,  la  pèche  et  le  commerce, 
<|u'ils  mêlaient  volontiers  à  la  piraterie,  furent  les  principales 
causes  de  leurs  découvertes.  Les  mers  du  nord  sont  poisson- 
neuses :  on  y  trouvait  des  morses,  des  baleines  et  des  morues. 
Gomme  les  Northmans  se  livraient  à  cette  poche  avec  ardeur, 
à  la  fois  par  plaisir  et  par  intérêt,  ils  rencontrèrent,  les  unes 
après  les  autres,  toutes  les  îles  qui  s'étendent  entre  la  côte  Scan- 
dinave et  la  côte  Américaine.  Ces  îles  devinrent  entre  leurs 
mains  comme  autant  de  stations  intermédiaires,  ainsi  que 
Carthage  servit  jadis  aux  Phéniciens  pour  atteindre  Gadès  et 
(îadès  les  îles  de  l'Atlantique,  L'histoire   de  ces  expéditions 


(1)  Depping,  ouv.  cité. 

(2)  Langebeck,  Scriptores  renim  Danicarum  medii  svi,  t.  II. 

(3)  Rambaud,  Histoire  de  Russie. 

\*)  Rafn,  Inscription  Runique  du  Pirée. 


CHAPITRE   IX.    —    LKS    NoFrrilMANS   KN    AMÉHIOI'K. 


25»: 


occidentales  avait  été  longtemps  néffligée.  Elle  fut,  pour  lu 
première  fois,  exposée  d'une  manière  scientifique  par  (m  érudit 
Islandais,  Thormod  Torfesen  (l(t3()-171î)),  qui  s'appli(|ua  toute 
sa  vie  à  débrouiller  les  anticjuités  du  Nord,  encore  si  peu  étudiées, 
et  obtint,  à  l'aide  des  Sajfas  et  autres  écrits  à  peu  près  inconnus, 
les  résultats  les  [)lus  remar([uab!es.  Mais  ses  deux  principaux  ou- 
vrages, YH'istiùve.  du  Viuland  (l)  et  VHisto'nr  du  (iraunland  ["1), 
écrits  avec  lourdeur  et  peu  lus,  furent  bientôt  oubliés,  C'est 
seulement  de  nos  jours  que  les  descendants  des  ()irates  North- 
nians  se  firent  un  titre  de  gloire  des  exploits  de  leurs  ancêtres, 
et  recherchèrent  pieusement  le  souvenir  et  la  trace  de  leurs 
lointaines  expéditions.  Le  professeur  Karl  Hafn  fut  le  principal 
auteur  de  ce  mouvement  national.  Son  ouvrage  sur  WsA)it}(iiiitcs 
Ainrricaiui's  [',i)  fit  époque  dans  la  science.  Non  seulement  ses 
compatriotes  le  lurent  avec  plaisir,  mais  encore,  à  cause  de  la 
nouveauté  de  ses  aperçus  et  de  la  richesse  de  ses  documents, 
il  fut  traduit,  paraphrase  ou  conmienté  à  peu  près  dans  toutes 
les  langues  de  l'Europe  (4).  Rafn  lui  même  comp(»sa  un  résumé 

(1)  flistoria  V'nilandix  nntiqii.r,  .<eif  parfis  Ameriae  septetttriondiix 
ubi  nottiijiis  ratio  recensetitr,  siiiis  terr.v  ex  dieriiin  ôrumalium  fipatio 
expenditur,  soii  fertiiitas  et  incolartim  fjarharie.i,  peregrinnrum  tempo- 
ravius  incolatiis  et  gesfa.  vicinarum  terrarum  nomina  et  faciès  ex  auti- 
HUitatibus  hlandicis  in  lucem  producta  expommtur.  HaArii.'j.  no.j. 

(2)  Gronlandia  antiqun  sen  veteris  Gronlandi/e  de.icriptio,  ii/ji  cœli 
marisqiie  natura,  ter>;r,  loe.orum  et  villnrum  sitiis,  animalium  terrestrium 
(iquatiliumque  varia  f/enera,  (jentis  origo  et  incrementa,  status  politieuît 
pt  ecdesiasticus,  ge.sta  memoraf)ilia  et  vicissitudine.i,  ex  antiqiii^i  me- 
moriis,  prsecipue  Isl  tndicis,  qiia  fieri  potuerit  indttstrio,  collecta  expo- 
nitntur.  Haviiiae,  170  i. 

(i)  Bafn,  Antiquitates  Amertcan.v,  sive  saiptores  septentrionales  reruui 
ante.  —  Columbianarum  in  America    Hafiiiao,  1837. 

4)  D.  Bliidingii,  Ontdeckinq  van  Amerika  en  herhanlde  Zeereizen 
devmats,  in  de  X,  A7,  M[\  Xll,  XIV,  Lu  Haye,  1838.  —  Hettkma, 
Onldecking  van  America  in  de  10»  eeuw.  Leeuwarden,  1838.  Sjooren,  Saiiit- 
Pétcrbourg,  1839.  —  Graiierg  de  HEMSO,McHi«W«  sulla  scoperta  delV America 
net  lecolo  decimo.  Pise,  1839.  —  Chdadano  de  Venezuela,  Memoria  sobre 
l'I descitttrimiento  de  la  A merica  en  el sigln'derimo,  Caracas ,  1 839. — J .  Tol'l.mi.v 
Smith,  The  Northmen  in  New-England,  or  Amerika  in  the  tenth  Centurtj 


ïï 


,1 

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•lUH       l'HEMIKHK   l'AHTlK. 


Lies    l'UKf.l  IISKIHS    1)K    COLOMH 


II 


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lie  son  ouvi*a}i;(%  «ju'il  [»ul)liîi  «laiis  los  Mrnio'nrs  de  la  Sorh'tr 
di's  AntHinnircs  du  Nord  (l).  (jt'ttc  s(»('i(''t(''  rorma  une  coiii- 
iiiission  spéciale  pour  rétiulc  des  inoiiunients  Scandinaves  de 
l'AnuTique.  lliontôt  en  eHef  turent  [ndiliées  par  elle  les  Sauras 
Islandaises  (pji  n'avaient  été  données  par  llat'n  qu'à  l'état  de 
fragments  ("1).  Dés  ce  moment  les  anticpiités  du  Nord  furent 
sérieusement  étudiées,  et  bon  nond)re  d'ouvrafîes  de  grande 
importance  ont  paru  (3).  Nous  aurons  occasion  de  les  citer  :  il 
nous  suffira  de  nommer  parmi  les  auteurs,  auxquels  nous 
sommes  redevables  des  plus  importants  de  ces  travaux,  en 
Scandinavie  Rafn  et  Finn  Mafrnusen,  en   France  Heauvois  (i) 


Boston,  183!).  -  Uehnaiidino  Hiondkm.i,  Scopprta  deU'Amerikn  f'ittta  wl 
srcolo  X  du  nlctmi  Sanidmiri,  Milano,  1839.— Josk  Pid.m.,  So/ji-e  ri.  descv- 
hrinùento  de  America  en  In  siylo  X  por  los  Escfiudinavon.  —  Ffurkira 
LagOS,  Meuioria  .fohrc  o  deacohrimento  du  AmcrUia  no  seeulo  drrhno,  Hio 
de  Janeiro,  1840.  —  LuDi.ow  Bkamish,  The  tlisroveri/  of  America  by  t/tr 
Northmnn  in  tlie  tentk  centiiri/  with  notiers  o/  tlie  carlij  scttletnents  of 
the  Irixh  in  the  Western  Hemisp/iere,  Londres,  18U.  —  .Michki,  Toth, 
Ertekézes  Amerika  felfiidoz.  Tctcserol  a  tizc/irk  azazadhan,  l'estli,  1842. 
—  W.  vox  Si.NsnEHi,  Island,  Uritranimudand^  (ininland  und  VinUind, 
oder  der  Nornuinner  Leben  niif  Islniid.  und  Griinltind,  nnd  deren  F(dirten 
naeh  America  schon  iiber  500  Jahre  ror  Colutnbu.s,  Ueidelberg,  1842.  — 
A.ioEKso.N,  America  not  dincovered  bi/  Colitinbiis.  A  Ui-itorical  Sketch  of 
the  discocery  of  America  by  the  Nor^emen,  Londres,  18"4. 

(il  Uakn,  Mémoire  sur  la  découverte  de  t  Amérique  au  x»  s/w/e  (Sociéti' 
des  Anlii|uaircs  du  Nord),  1838.  —  2»  édition,  1843.  —  CI".  Recueil  des 
rommunicationn  faites  à  la  Société  d"s  Antiijuuires  du  Nord  au  sujet  de 
ta  publication  de  liafn,  1843. 

(2l  Le  premier  volume  (1813)  contenait  les  Schedx  de  Islandia  par  Are 
Thorgilsson  surnommé  Frode,  et  le  Landnûmûbock  ou  Liber  origijium 
Islandi.e  ;  le  second  les  Snyas  d'f  Kialarnessthiny  et  de  Thveearatin,  etc. 

(3)  Nous  citerons  particulièrement  Hakn  et  Ki  in  Mahmsse.n,  Grœnlands, 
historiske  mindes  moerker,  udyione  of  det  kenejeliye  nordiske  oldskrift, 
Sciskak,  r.openliague,  1838-1845,  et  P. -A.  .MiNcii,  Det  norske  Folks  Historié, 
Christiania,  1853. 

(4)  Beau  vois.  Découvertes  des  Scandituives  en  Amérique  du  x*  au 
xin*  siècle,  1850.  —  La  Découverte  du  Nouveau  Monde  par  les  Irlandais 
et  les  premières  traces  du  christianisme  en  Amérique  avant  l'an  mil 
(Congres  Américaniste  de  Nancy,  1875.  —  Les  Colonies  européennes  du 
Markland  et  de  l'Escociland  au  xiv»  siècle,  et  les  vestiges  qui  en  subsis- 


}y 


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C.llAPlïHE    IX. 


LKS    NdHTIlMANS    EN    AMKHIQl  E 


-2î»i» 


et  (iravier  (l),  aux  Etats-Unis  Khen  Norton  llorsforil  (i), 
li.  F.  de  Costa  (3)  et  Marie  lîrown  i).  llràce  aux  savants,  dont 
nous  venons  de  résunner  les  intéressantes  études,  on  sait 
aujourd'Imi  que  les  Orcades,  les  Slietland  et  les  Hébrides  furent 
tout  d'abord  reconnues  et  conquises  par  les  Nortbmans.  Us  en 
exterminèrent  les  indigènes  (5)  et  firent  de  ces  archipels  stériles 
et  montagneux,  mais  pourvus  d'excellents  ports,  de  vrais  re[>aires 
de  pirates.  L'île  de  Man  et  l'Irlande  furent  ensuite  occupées. 
T/ile  de  Man  devait  même  jusqu'au  xT  siècle  (0)  rester  sous 
l'autorité  spirituelle  de  l'archevêque  de  Nidaros  (Drontheim), 
et  la  domination  Norvégienne  se  maintiendra  à  Limerick  et  à 
Waterford  jusqu'à  l'invasion  d'Henri  11  PlantagenêtC^). 

Dès  l'année  72o  les  Northmans  arrivèrent  aux  Féroë,  et  en 
exterminèrent  les  rares  habitants  (8).  Ces  ibîs  servaient  de 
retraite  à  des  milliers  d'oiseaux  et  nourrissaient  des  troupeaux 

U'vent  jusqu'aux  xvi»  et  xyu"  sii'clc  (Congrès  Ainéricanisle  de  Luxenibourj,', 
1877).  —  Les  Porte-Croix  de  la  Gaspésie  et  de  PAcadic  (Annales  de  plii- 
loso|)hio  cliiéliennc;,  1877.  —  Origines  et  fond(dion  du  plus  ancien  évéclii; 
du  Nouveau  Monde  (Mémoires  de  la  Société  de  Ueaune,  1878i.  —  Les 
Skriieclings,  ancêtres  des  Esquimaux  (Itevue  Orientale  et  Américaine), 
187'J.  —  La  Norambégue  (Congrès  Américaniste  de  Bruxelles),  187!).  —  La 
Vendetta  dans  le  Nouveau  Monde  au  x»  siècle  (Muséon  de  Couvain),  1882. 

it)  Ghavieh,  Découverte  de  l'Amérique  par  les  Normands  au  x«  siècle, 
1874.  —  Les  Norma?ids  sur  la  route  des  Indes  (.\cadémie  de  Uonen,  1880). 

(i)  Ebex  Nohton  Hohsfohd,  Jolin  Cahots  La?id''all  in  1407  and  thc 
site  of  Norutnbega,  Cambridge,  188(>.  —  Discovery  of  America  bg  North- 
men,  Boston,  1888.  —  The  problem  oftUe  Northmen,  Cambridge,  188D. 

|3i  B.-F  DE  Costa,  Découverte  de  l'Amérique  avant  C.  Colomb  par  les 
hommes  du  Nord,  ouvrage  traduit  des  Sagas  de  l'Islande,  Londres,  1869.  — 
.Mémoire  sur  le  même  sujet  dans  le  Bulletin  de  la  Société  de  géographie  de 
New- York  (t.  II,  1868-1870). 

(4)  Mahie  Bbown,  The  Icelandic  Discoverers  of  America,  1888. 

(5;  Adam,  Historia  ecclesiastica.  (édit.  1595),  p.  140.  -  Bahry,  Histori/ 
of  the  Orkney  Islands  (édit.  James  Ileadrik^  18081,  p.  113-114 

(6)  Gekfhov,  Islande  avant  le  christianisme,  p.  14. 

(7)  Id.,  Histoire  des  Etats  scanditiaves,  p.  72. 

(8)  DiCL'iL,  Liber  de  mensura  orbis  terr.v.  (Edition  Walkenaër,  1807), 
p.  30.  Ces  insulaires  étaient  surtout  des  anachorètes  originaires  d'Islande,  o  Nunc 
causa  latronum  Normannorum  vacure  anachoritis  »,  dit  avec  indignation  Uicuil. 


M 


I 


IKK)      l'KKMlKKIC    l'AHTIE.    —   LES    l'RKCUHSEL'RS   Ut   COLOMB. 

de  hrehis.  Le  (iulf  Stream  leur  donnait  un  climat  supportable 
et  leur  apportait  d'énormes  quantités  de  poissons.  Séduits  par 
ces  avantages  les  Nortlimans  s'établirent  en  assez  grand  nombre 
dans  cet  archipel,  mais  bientôt,  emportés  par  leur  esprit  aven- 
tureux, ils  reprirent  la  mer  et  cherchèrent  de  nouveaux  pays 
j\  coloniser  ou  plutôt  à  conquérir  (1). 

En  801  le  pirate  Naddod,  (|ui  allait  aux  Féroë,  fut  poussé 
dans  la  direction  du  nord-ouest,  en  vue  d'une  terre  blanche  de 
neige.  Il  débarqua,  gravit  une  montagne,  mais  n'aperçut  aucune 
trace  d'habitation,  et  ne  put  savoir  s'il  avait  découvert  une  île 
ou  un  continent.  Il  nomma  le  pays  Snoeland  ou  Terre  de 
Neige  {t).  Deux  ans  plus  tard,  en  803,  le  Suédois  (iardar,  ([ui 
s«  rendait  aux  Hébrides,  fut  également  poussé  par  la  tempête 
vers  le  Snoeland.  Il  y  passa  l'hiver,  s'assura  qu'il  avait  trouvé 
une  ile  et  lui  imposa  son  nom,  Gardarsholm  (3).  Un  célèbre 
pirate,  Floki  Rafn,  partit  à  la  recherche  de  Gardarsholm.  Il  la 
retrouva  sans  peine,  en  parcourut  les  côtes  et  en  gravit  les 
montagnes.  Efl'rayé  par  les  feux  intérieurs  qui  la  bouleversaient 
et  par  les  glaces  flottantes  qui  l'entouraient,  il  lui  donna  le  nom 
qui  depuis  a  prévalu,  Iceland,  ou  pays  des  glaces,  dont  nous 
avons  fait  Islande  (i). 

En  874  Ingolf  et  lijorlaf  s'établissaient  définitivement  en 
Islande  (5).  Ils  avaient  emporté  les  colonnes  sacrées  de  la 
maison  qu'ils  abandonnaient  en  Norvège,  et  les  avaient  jetées 
à  l'eau  en  formant  le  vœu  de  se  fixer  dans  le  pays  où  le  flot  les 
porterait.   Ce   fut  à  Faxefiord,   sur   l'emplacement   actuel   de 

{{)  Les  principales  incursions  aux  Féroi-  eurent  lieu  dans  les  années  798, 
807,  815  et  835.  Cf.  Letrohne,  Recherches  géoyfaphiques  et  critiques  sur  le 
livre  de  mensura  orbis  terrie  (1884),  p.  ISf». 

(2)  Scripta  historica  Istandorum  de  rehiis  t/estis  teterum  borealium.  — 
Historia  Olavi  Tryggvii  filii  (Hafniac,  1878),  p.  2(il. 

(3)  lo.,  p.  262. 

(4)  Id.,  p.  262-263. 

(5)  Grimour  Thomson,  The  Northmen  tu  Iceland  ^Mémoires  de  la  Société 
des  Antiquaires  du  Nord,  1850-1860,1  p.  134. 


CUAI'ITKE   IX.    —    Li:s    .NdHTIlMANS    EN   AMKHIQri:. 


301 


Ilcykiawick  (1).  Dès  ce  iiioiiu'iit  l'Islande  fut  consid('in''f'  coinine 
t«'rre  norvôjïieiiue.  De  iioinhroux  colons  s'y  (''tahlironf.  Ils  fon- 
(l»"'r('nt  un»'  sorte  de  ré()ul)li<jue  (jui  se  maintint  jusqu'en  12()1, 
épo(jue  ri  laquelle  elle  fut  ol>lif;ée  de  se  soumettre  aux  rois  de 
Norvèjïe.  C'est  en  Islande  (|ue  se  conservèrent  le  mieux  les 
traditions  de  cette  race  vajrahonde  (;2).  Cette  île  devint  comme; 
la  mémoire  vivante  <les  Northmans.  Non  seulement  les  Islandais 
frardèrent  le  souvenir  de  leur  histoire  primitive,  mais  encore  ils 
la  développèrent  pour  It'ur  |)ropre  compte,  et  en  composèrent 
tout  un  cycle  de  poésies  conservées  d'abord  dans  les  chants 
populaires,  puis  fixées  par  les  lettres  latines  (3). 

La  colonisation  de  l'Islande  conduisit  à  d'autres  découvertes  (■4). 
Dès  S77  un  certain  (iannhjorn  avait  entrevu  les  hlanches  cimes 
ipii  hordent  le  rivajre  oriental  du  Groenland,  mais  i!  ne  s'y  arrêta 
pas,  et,  pendant  plus  d'un  siècle,  nul  n'osa  s'aventurer  sur  ses 
traces.  D'effrayants  récits  ouraient  sur  cette  région  mystérieuse. 
On  racontait  qu'un  certain  llollur  (ieit,  accompagné  d'une 
chèvre,  y  était  allé  de  Norvège  en  sautant  de  glaçon  en  glaçon. 
Il  y  avait  vu  des  chênes  (pii  produisaient  des  glands  gros  comme 
des  honnnes,  des  géants  d'une  taille  iuunense,  et  des  rochers  de 
glace  qui,  pareils  aux  Symplégades  des  Argonautes,  brisaient 
les  vaisseaux  (5)  au  passage.  Ce  dernier  trait  seul  est  vrai,  car, 
aujourd'hui  encore,  les  vaisseaux  pris  entre  ces  îles  flottantes 
sont  écrasés  :  «  J'ai  vu,  écrivait  le  célèbre  baleinier  Sc.oresby, 
un  navire  pris  entre  deux  nun-s  de  glace,  qui  fut  anéanti  instan- 


(1)  GmsioL'R  Thomson,  ji.  266-268.  —  Whkatox,  ///s^o/r'  r/r.s  pruplrs  du 
Nord,  ou  Danois  et  Normands.  iTrad.  Guillot,  1884),  jt.  26-28. 

(2)  X.  Maumieh.  Lettres  sur  l'Islande. 

i.'{)  Curieux  passage  de  Saxo  (Iuammaticls,  lUstoria  Banica  (Eilif.  MuUer, 
1S;{().  p.  7-81  sur  les  Tylenses  ou  Islandais.  «  Cuuctaruni  quippe  natiotiuin  res 
gestas  cognosse  inenioriiPiiue  niandare  voluplalis  loco  repulant,  uon  rninoris 
^loriaî  judicanlcs  aliénas  virtules  disscrcre  (juani  proprias  exliibere  ». 

(V)  Gki'KHoy,  Hisloir"  des  Etats  Scandinaves,  p.  19. 

(o)  TouKAEL's,  Gro7ilandia  antiqua,  olc.  —  Egoéde,  Desci'iption  et  his- 
toire naturelle  du  Groenland  (traduction  française  de  l'î63). 


A&l      l'IUCMIKRK    l'AIVriK. 


Lies    l'HKClKSKinS    llK    COLOMII. 


taïK'iiuMit  (liiiis  leur  ilintc  toriiiidahic.  Seule  la  pointe  du  •;raii<l 
màt  resta  dehout  au-de.ssus  de  eo  toinltoau  flottunt,  coiniiie  un 
runèl)re  si^wial   »  (1). 

Sans  se  laisser  arnUer  par  ces  rétits.  Erick  Rau<ia  ou  le 
Rouge,  lils  de  Thornwald,  forcé  de  (piifter  Tlslande  pour  un 
meurtre,  se  lança  en  1)S;{  dans  la  direction  des  terres  entrevues 
par  (iunnl)jorn.  Il  déc(»uvrit  Itientôt  une  côte  rocheuse  et 
d'énormes  jrlaciers  (pii  d<>scendai<>ut  jiiscpi'à  la  mer.  Kri<k  ne 
s'y  arrêta  |>as.  Il  descendit  au  sud,  doubla  le  ca[>  cpii  depuis 
s'est  appelé  Fareweli,  et  se  fixa  sur  la  côte  occidentale  dans  le 
iîord  d'Ijjalliko,  où  il  connuençu  la  construction  d'un  vaste 
hàtiment,  adossé  contre  un  rocher,  qu'il  nomma  Hrattahilda. 
Le  littoral  était  moins  désolé  que  le  rivage  oriental.  L'herhe 
y  poussait  en  abondance.  De  nombreux  bouleaux  égayaient  le 
paysage  de  leurs  blanches  feuilles.  Les  animaux  domesti(|ues 
supportaient  le  cliinat.  Krick  voulut  donner  au  pays  dont  il 
|>renait  possession  un  nom  de  bon  augure  et  l'appela  (Imenland 
ou  Terre  Verte  :  »  Si  cette  contrée  porte  un  beau  nom,  disait-il, 
les  honunes  se  décideront  plus  facilement  à  la  venir  liabiter  ». 

Ses  pressentiments  ne  le  trompèrent  pas.  Attirés  par  la 
nouvelle  de  la  découverte,  de  nombreux  colons  arrivèrent  au 
(Iroenland.  Dès  985  trente-cinq  navires  islandais  mettaient  à  la 
voile  pour  le  (iroenland,  et  (juatorze  arrivaient  à  destination. 
Les  nouveaux  arrivés  se  constituèrent  en  république,  à  l'image 
de  la  réj)ublique  islandaise,  et  gardèrent  une  sorte  d'iinlépen- 
diyice  sous  la  j)rotection  de  la  Norvège.  Ce  devait  être  la  dernière 
étape  des  Nortbmans  avant  leur  découverte  du  continent 
américain. 

En  !>8(»  partit  de  Norvège  la  première  expédition  à  la  côte 
.Vméricaine  (3).  Elle   fut  conduite  par  un  certain  Biarn,   lils 

(1)  ScoRKsuv  cité  par  L.  Fic.likk,  Terre  et  mer,  y.  Tt. 

(2)  IIafn,  Antif/iiitatcs  Amerkan.v,  93,  95,  207. 

(3)  Les  aventures  d'Erik  Hauda,  de  Biarn  et  de  Leif  ont  été  racontées  par  le 
Codex  Flateyejisis,  ainsi  nommé  de  la  petite  ilo  l<'latcya,  dans  le  tiord  islan- 


r.llAlMTMK    I.V. 


I.KS    NOKTIIMANS    KN    AMKIUQI'E. 


'M):\ 


(l'ilci'iulf,  descfiidaiit  tics  prciiiicrs  tuions  Islaiitlais.  Vaillant 
malin,  hardi  aux  aventures,  et  dt'jà  ctninu  par  plnsionrs  cxpt'- 
ilitit»ns  heureuses,  Miarn  avait  formé  le  projet  de  rejoindre  son 
père,  (pii  avait  suivi  Erik  llauda  au  (îroenl.ind.  Il  didianjua 
d'ahttrd  en  Islande,  puis  apprenant  (prUeriull'  tHait  avee  Erik 
dans  un  pays  inctnuui  situé  à  l'ouest,  il  réstjlut  de  le  suivre,  et, 
sans  seulement  décîharjrer  son  navire,  se  lanea  dans  cette  mer 
inconnue.  Pendant  trt>is  jours  la  navi^'ation  fut  heureuse,  mais 
les  brouillards  survim-enl,  ces  terribles  linmillards  qui,  de  nos 
jours  encore,  arrêtent,  malfrré  tttus  leurs  instruments  de  pré- 
cision, la  marche  de  nt)s  marins.  Hiarn  n'avait  plus  (ju'à  se 
laisser  aller  à  la  dérive.  Au  Itout  de  (juehjues  jours  il  découvrit 
une  terre  couverte  de  hois,  mais  d<»nt  la  description  ne  répondait 
nullement  à  ce  cpi'on  racontait  du  (Iroenland.  Il  la  laissa  à 
haliord,  et  navigua  encore  un  jour  et  une  nuit  avant  d'aper- 
cevoir une  t  ôte  plate  et  hoisée.  Les  matelots  auraient  voulu 
déhanjuer  jxtur  renouveler  leurs  provisions  d'eau  et  de  Ixiis, 
mais  Miarn,  (pii  tenait  à  rejtiindre  son  père  au  plus  vite,  s'y 
ttpposa  et  lit  changer  la  direction  du  vaisseau.  Us  naviguèrt^nt 
pendant  trois  jours,  poussés  par  le  vent  du  sud-tniest,  et  apiM'- 
cureiit  une  terre  élevée  couverte  tie  glaciers  (l'était  une  Ile 
dont  iU  longèrent  lesci')tes.  Ils  s'en  éloignèrent  à  la  faveur  d'un 
vent  propice,  et,  après  (juatre  jours  de  navigation,  arrivèrent 
enfin  au  (Jroenland,  où  ils  trouvèrent  Heriulf. 

IJiarn  ne  tira  point  parti  de  sa  découverte,  car  désormais  il 
ne  (juitta  plus  sa  patrie  adoptive.  Bien  reçu  par  Erik  Hauda, 
estimé  par  tous,  il  parait  avoir  renoncé  à  son  aventureusi'  car- 

tlais  (le  liiL'idliiiC,  où  on  le  fonserva  loiijçtemps.  C'est  un  beau  niorimuent  tic 
calligraphie  Scandinave.  11  fut  cnvoyti  par  1  evèque  tie  Skalliolt  au  roi  de  Da- 
nemark Friidéric  II.  11  est  aujourd'hui  conservé  à  la  Bibliolhc'(|ue  de  Copen- 
hague. Ce  manuscrit,  commencé  en  1387,  fut  terminé  en  1307  ;  ces  deux 
dates  sont  fixées,  l'une  par  une  remarque  interlinéaire  du  copiste,  l'autre  jiar 
une  nt)te  de  Ion  Ilakonson,  pour  tpii  cette  copie  fut  faite.  Le  Codex  Fla- 
tcyensis  a  été  publié  par  IIafn  dans  les  Antiquitates  Amevicanœ.  Non. 
donnons,  d'après  Norton  Horsford,  la  rcproiluction  de  l'uni!  des  feuilles. 


,i 


:{(>î       l'HEMIKHK    l'AHTIK. 


.KS    l'Mftr.l'HSKlHS    l»K   i;OL(»M». 


"ri 


riiMT  ;  m'iiiimMiiissa  rt''|(iifjition  lui  attira  de  nombreux  visifcms, 
aii\(|U('ls  il  aiiiiail  à  rai'oiilcr  ses  voyaffcs. 

On  ne  sait  |ias  au  juste  les  ferres  (léc(»u vertes  par  Hiarn. 
Uieri  n'est  plus  vajjue  ipie  ces  journées  de  navifjation  ;  rien  de 
plus  clian^eant  (pie  la  direction  du  vaisseau.  Le  continent  (pi(> 
les  Nortinnuns  trouvèrent  en  cinjrlant  de  risland(!  droit  vers 
l'ouest  |)ent  tout  aussi  hien  (Hre  la  terre  du  Labrador  ou  celle 
des  Etats-Unis.  Quant  à  l'île,  elle  correspondrait  soit  à  Terre- 
Neuve,  soit  aux  îles  jetées  entre  les  détroits  de  Davis  et  d'Ilud- 
son.  Hiarn  n'avait  donné  de  nom  à  aucune  de  ces  contrées. 
Soyons  aussi  prudent  (jue  lui,  d'autant  plus  que  nous  aurons  le 
droit  d'être  bientôt  plus  arfinnatif". 

(Test  en  î)87  (|ue  Hiarn  avait  peut-être  entrevu  l'Améritpie. 
Kn  l'an  mil,  un  (Jroenlandais,  Leif,  la  découvrit  réellement  (1). 

Leif  était  fds  d'Krik  Hauda  et  de  Tborbilda.  De  liante  taille, 
beau,  robuste,  il  aurait  voulu,  comme  les  rois  de  la  mer, 
(liantes  par  les  poètes  nationaux,  prendre  le  commandement 
d'une  exp(''dition,  et  illustrer  son  nom  par  de  bardies  entreprises. 
L'occasion  se  présenta  pour  lui  d'utiliser  cett(!  ardeur.  Le 
cbristianisme  venait  d'être  introduit  en  Scandinavie.  Le  roi  de 
Norvèfïe,  Ulaf  Try}.^gvasen,  récemment  converti,  avait  tout 
l'entliousiasiiK;  du  néopbyte,  et  demandait  parr(tis  à  l'épée  des 
conversions  (pi'il  ne  pouvait  obtenir  par  la  parole.  Il  venait, 
IfrAce  à  deux  ilp()tres,  (iissur  le  (îrand  et  iljalti  Skegfjeson,  de 
coiupiérir  l'Islande  au  cbristiiuiisme.   Il  cliarj^ea  Leif,  (2)  qu'il 


(1  Voir  le  tout  récent  ouvrage  du  professeur  (tistave  Stoh.m,  Stiidies  of 
thc  Viiu'land  Voi/agcs  (Mémoires  de  la  Société  des  AnIiquaircsduNord,  1888,) 
p.  307-310. 

(2)  Rafn,  ouv.  cité,  p.  117-118.  —  a  Tu  vero  co  cum  niandatis  meis  conce- 
dito,  atque  sic  cln'istianani  rcligioncni  aiinuiitiato  ».  Lcivus  lioc  peues  euia 
tore  dixit,  se  vero  putare  hoc  uegotiuui  no»  sine  difiicultate  in  Gronlendia 
pnrfectum  iri.  Rex  ait  <(  nescire  se  liominem,  eo  ad  hanc  rem  magis  idoneuni, 
atque  tu  iu  perficicndo  furtuna  uteris  ».  —  «  Id  soluminodo  accidet,  res- 
pondit  Leivus,  si  tuo  favorc  sublevatus  l'ucro  ».  —  Groenlands  Historiske 
Minilesmoerker,  I,  384-6. 


L 


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Idia 


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PllOTOTYPIB 


CMKSNAV,   DIJON. 


STATUE    DE    LEIF 
ERICSON 


Il     r         1 


(2) 
Antiq 


CIIAI'ITIU':   IX. 


LKS    NOHTIIMANS   KN   AMKRIQIJK. 


:u»:; 


avait  lui-m(>iii(!  lonverti  à  la  Toi  nouvelle,  do  pri^cher  h;  cliris- 
tianisme  au  Groenland.  «  Je  crois,  lui  dit-il,  qu'il  serait  bon 
(|ue  Hi  te  rendisses  aupn'is  de  ton  pî^re,  avec  mission  de  pro- 
pager le  christianisme  au  (iroenland  ».  «  Vous  n'avez  qu'à 
commander,  répliqua  Lcif,  mais  je  crois  qu'il  sera  difficile  de 
réussir  dans  mon  pays  ».  «  Je  ne  connais  pas  d'homme  plus 
propre  que  toi  à  bien  remplir  cette  mission,  reprit  le  roi,  tu 
feu  acquitteras  avec  succès  ».  ((  Ce  sera  alors  grAce  à  votre 
a[»pui  ».  Leif  partit  en  eiïetdans  l'été  de  l'an  mil,  en  compagnie 
d'un  prêtre  et  de  (juelques  hommes  sucri  07'ditiis  (1).  Il  trouva 
le  terrain  bien  préparé,  sans  doute  par  un  moine  llébridais  qui, 
en  986,  était  parti  avec  Erik  Rauda  à  la  découverte  du  (Iroen- 
land, et  qui,  pendant  la  traversée,  avait  composé  un  poème 
norrain  intitulé  Hnfgpvdhingnr,  le  Ras  de  rtiaràe,  dont  le  re- 
frain a  été  conservé  :  «  Je  prie  celui  qui  soumet  les  moines  à  de 
salutaires  épreuves  de  favoriser  mon  voyage  :  que  le  maître  de 
la  voûte  céleste  me  tende  une  main  secourable  ».  Les  prédica- 
tions de  ce  moine,  qui  sans  doute  appartenait  à  la  confrérie 
de  ces  Papae  Irlandais,  dont  nous  avons  plus  haut  raconté  les 
aventures,  ne  réussirent  qu'à  moitié  ;  car  le  vieil  Erik  Rauda 
resta  toujours  fidèle  aux  vieilles  pratiques  païennes  (2).  Il 
rendait  un  culte  à  l'ours  blanc,  et  accordait  toute  sa  confiance  à 
un  certain  Thorhall,  moitié  sorcier,  moitié  régisseur,  et  prêtre 
à  ses  heures.  Lorsque  Leif  débarqua  au  (Iroenland,  et  lui  com- 
muniqua ses  projets,  Erik  Rauda  fit  la  sourde  oreille.  Il  blâma 
même  son  fils  d'avoir  mené  avec  lui  l'Hypocrite  (Skemadhr), 
comme  il  appelait  le  prêtre,  et  déclara  qu'il  ne  recevrait  pas  le 
baptême.  Leif  fut  plus  heureux  auprès  de  sa  mère  Thorhilda, 


fl! 


(1)  Rafn,  Id.,  p.  18-19.  —  Eadem  navi  veliebatur  vir  Hebridensis  chris- 
tianus  qui  carmen  intcrcalatum  de  Hafgerdiaga  composuit  in  quo  sunt  lii  versus 
intercalares  :  Monachorum  tentatorem,  noxic  expertuin.  —  Oro,  ut  meani  pro- 
fectionem  secundet.  —  Dominus,  terrestris  lacunaris  aulam  —  Tenens,  sua 
me  tueatur  dextra  •..  —  Groenlandx  historiske  Mindesmoœrker,  1, 180, 

(2)  Groenlands  historiske  Mindesmcerker,  1,  40S.  —  II,  224-6.  Rafs, 
Antiquitates  Americanse,  137,  168,  169, 

T,  I,  20 


■  ■  ■ 


'MH\     i'nr.Mii:i«K  I'aiitiic.  —  m:s  I'UKcihskius  w.  c.oi.dMii. 

(«t  (|p  s«'s  deux  frôros  Thorviild  et  TliorsUîiii,  i|ui  t(»us  los  tmis 
reçurent  le  haptAme.  Thurliilda  fil  alors  consfruirc  à  (|iu-l(|iu' 
distance  de  Brattahilda  une  é|,'lise  où  elle  allait  avec  les  autres 
néophytes  l'aire  ses  dévotions.  Elle  poussa  nïénie  si  loin  sou 
/Ole  de  néophyte  qu'elle  ne  voulut  [dus  av(»ir  de  relations  avec 
son  mari  resté  païen  (1). 

Ij<Mf  fut-il  obligé  de  niodérer  son  zèle  à  cause  de  l'opiiosition 
de  son  père,  ou  bien  céda-t-il  à  cet  impérieux  besoin  qui  entraine 
toujours  les  nouveaux  convertis  à  propager  au  loin  la  bonne 
nouvelle,  toujours  est-il  qu'il  songea  bientôt  à  quitter  le  Groen- 
land et  à  retrouver  le  pays  entre  aperçu  par  Hiarn  lleriulfson. 
11  acheta  le  navire  de  ce  dernier,  enrôla  trente-cinq  hommes  et 
pria  son  père  de  commander  l'expédition.  Erik  llauda  ne  se 
décida  qu'avec  peine.  11  avait  pourtant  accepté.  Conformément 
i\  la  croyance  odiniquequi  veut  qu'on  ne  jouisse  dans  le  Valhalla 
que  des  richesses  mises  en  terre,  il  avait  même  caché  son  or  et 
son  argent,  et  se  rendait  à  cheval  au  lieu  de  l'embarquement, 
lorsqu'il  tomba.  Considérant  cette  chute  comme  un  augure 
défavorable,  il  ordonna  à  sa  femme  de  déterrer  ses  richesses  et 
laissa  Leif  partir  tout  seul  (2i. 

Parmi  les  trente-cinq  compagnons  de  l'audacieux  capitaine 
qui  s'aventurait  ainsi  sans  autre  direction  que  les  étoiles  et  les 
souvenirs  déjà  lointains  de  Hiarn,  se  trouvait  un  Allemand,  (ju 
du  moins  un  homme  du  Sud,  Sudrmadr,  comme  disent  les  Sagas. 
dont  la  présence;  à  bord  attestait  la  fréquence  des  rapports  qui 
existaient  entre  la  (iermanie  et  la  Scandinavie  (3).  Peut-être  aussi 
n'était-ce  qu'un  de  ces  aventuriers  mercenaires  du  moyen  âge 
qui  préféraient  à  leur  patrie  les  entraînements  de  la  bataille  et 
les  émotions  de  la  vie  maritime. 

(1)  Rak.n,  40,  119.  Pour  tous  los  détails  de  riiitroductioii  du  chiisliaiiistiie 
au  Groenland,  eotisuUei'  Beacvois  :  <)riiji?ies  et  fondation  du  plii^  (incivil 
évi'ché  du  Noiireait  Monde.  ><  Thjodhilda,  ex  (|ua  (idem  acceptaverat,  milhim 
cum  Eiriko  v-onvicluin  liaberc  voluit,  iina'  rcs  illius  aiiimo  valdeadversabatur". 

(2)  Particula  de  (ironnlandis  (Wafii.  p.  27). 
(3)lD.,  p.  28. 


C.IIAIMTHK    IV.    —    I.KS    NMHTIIMANS    K\    AMKHKM'K. 


:h)7 


IjCS  coiMiKijfuons  (l(^  LeirtrMiivï'n'iit  (l'iiboni  le  pays  que  IJiarii 
avait  si^'iialc.  Kiilrc  la  côte  ot  los  glaciers  (|ui  s'rlevaiciil  plus 
l(»in  dans  rint»>rieur,  le  sol  ('•tait  comme  joiiclié  de  ^Mlets.  Il  n'y 
avait  pas  de  },m/.()11  ot  la  tern>  était  dépour\iie  d'agréments.  "  Au 
moins  ne  i'erons-nous  point  «omme  Hiarn  ipii  a  négligé  de 
visiter  cotte  tern;  dit  alors  Iv-ïf.  Je  veux  hii  duiiiuT  un  nom. 
Je  ra|)[iello  llelluland  ou  pays  rocuilloux   >  il). 

Trois  journéos  do  navigation  contluisirent  ensuite;  les  Nortli- 
mans  à  un  autre  pays,  plat,  couvert  de  bois.  J^a  côte  ne  présentait 
aucun  escar(»emetif.  mais  son  approche  était  rendue  difficile  par- 
des  bancs  de  sable,  heif  l'appella  Maïkland  ou  terre  dos 
Forêts  (2). 

Une  course  de  doux  jours  porta  ensuite  les  Nortluiians  vers 
une  île  séparée  du  continent  par  un  détroit  fort  dangereux  à 
cause  des  bas  fonds  qui  le  parsemaient.  L'eau  était  si  basse 
qu'au  moment  de  la  marée  descendante  le  vaisseau  resta  à  sec. 
Derrière  un  promontoire  ot  sur  le  continent  s'ouvrait  l'estuaire 
d'un  fleuve  sortant  d'un  lac.  Leur  désir  do  prendre  terre  était 
si  grand  qu'ils  n'eurent  pas  la  patience  d'attendre  le  reflux  ot  se 
rendirent  tout  de  suite  au  rivage.  A  peine;  débarqués,  ils  prirent 
possession  du  sol  suivant  l'usage  Scandinave  (II),  les  uns  on 
allumant  à  l'embouchure  du  tlouve  un  grand  feu,  tlont  les  rayons, 
aussi  loin  qu'ils  se  répandaient,  leur  en  soumettaient  les  rives, 
les  autres  en  faisant  le  tour  de  leur  nouveau  domaine,  une 
hache  à  la  main,  dans  la  direction  do  l'ouest  à  l'est,  et  marquant 
leur  passage  par  des  signes  sur  les  arbres  et  les  rochers.  Puis 
ils  construisirent  dos  baraques  en  l)ois,  et  se  disposèrent  à 
prendre  leurs  quartiers  d'hiver.  La  rivière  et  le  lac  nourrissaient 
des  saumons  (i),  le  bois  était  abondant,  le  climat  supportable, 

(1)  Particula  de  Grocnlmulis,  p.  21-28. 

(2)  h).,  p.  29.  «  Hicc  terra  erat  plana  et  sylva  obsita;  inullis  in  locis,  <|uh 
perineabant,  candidte  arenœ,  molli  littoruni  adsensu.  Tuni  Leivius  :  luncc  terra 
ex  rubus,  quibus  maxime  abundat,  nomen  trahct  et  Marklandia  appcllabitur. 

(3)  Gkkkhov,  L'Islande  avant  le  Christianisme,  p.  16. 
(i)  Particula  de  Groenlandis,  p.  32. 


30S       l'KKMIKKK    l'AHTIK. 


LKS    l'RECLHSEl'HS    1)K    COLOM». 


rini'galito  dos  jours  et  dos  nuits  moins  j^rando  qu'on  Islande 
ot  au  Groenland,  puisque,  dans  les  jours  les  plus  courts,  le 
soleil  se  levait  à  sept  heures  ot  demie  et  se  couchait  à  quatre  et 
demie.  Los  Northmans  résolurent  do  se  partager  on  doux  bandes. 
Les  uns  resteraient  à  la  garde  du  camp  qu'on  nomma  Leifs- 
budir,  les  autres  partiront  à  la  découverte.  Un  certain  soir  que 
rAllomand  Tyrkor  s'était  attardé,  Leif,  inquiet  sur  son  sort, 
partit  à  sa  recherche  avec  douze  compagnons.  On  le  trouva 
comme  il  essayait  de  revenir,  appesanti  par  les  fumées  du 
raisin  qu'il  avait  trouvé  et  dont  il  ;iva:c  absorbé  une  trop  grande 
(|uantité.  Go  fut  à  cause  de  Tyrkor  que  Leif,  avant  do  revenir 
au  (Iroenland,  donna  au  pays  qu'il  avait  découvert  le  nom  de 
Vinland  ou  terre  du  vin. 

ÎjO  voyage  de  retour  fut  heureux.  Dans  les  premiers  jours  de 
l'an  1(X)1,  ayant  chargé  son  navire  de  bois,  de  peaux  et  de  rai- 
sins, Leif  mit  à  lu  voile  pour  le  Groenland.  Il  était  en  vue  des 
montagnes  do  cette  région,  (juand  il  fut  assez  heureux  pour 
apercevoir  et  pour  sauver  quinze  naufragés  norvégiens,  qui  lui 
faisaient  des  signaux  de  détresse.  Cette  découverte  et  ce  sauve- 
tage lui  valurent  le  surnom  de  Fortuné  (1). 

Nous  voici  en  présence  de  faits  bien  constatés,  et  qui  n'ont 
pas  été  inventés  pour  les  besoins  de  la  cause,  puisque  les  docu- 
ments qui  les  contiennent  ont  tous  été  composés  avant  l'arrivée 
de  Colomb  aux  Antilles.  Helluland,  Markland,  Vinland,  ce  sont 
là  des  pays  réellement  découverts  et  en  partie  décrits  pa"  !c : 
Northmans  :  Où  donc  les  retrouver  ? 

Helluland  pourrait  bien  correspondre  à  Terre-Neuve.  Cent 
cinquante  milles  en  effet  séparent  cette  île  du  Groenland,  ot 
il  ne  fallut  à  Biarn  que  quatre  jours  pour  franchir  cette  dis- 
tance. En  évaluant  à  trente  ou  trente-cinq  milles  par  jour  la 
distance  parcourue  par  les  Northmans,  on  obtient  pour  les  quatre 
jours  précisément  la  distance  de  cent  cinquante  miller.  De  plus 


(1)  Rakn,  AntiquUates  Americans,  p.  191-192. 


CIIAI'ITRK    IX. 


LKS    .NOHTIIMANS   KN   AMKHIOrK. 


:«){» 


Terre-Nouvo  est  d'un  abord  dangereux,  commf  l'était  le  Hellu- 
land.  Elle  est  découpée  par  des  baies  nombreuses,  les  montagnes 
de  l'intérieur  gardent  la  neige  pendant  six  mois  et  la  végétation 
est  fort  chétive.  C'"st  bien  là  la  description  de  Va  Terra  Petrusa 
des  Sagas  islandaises. 

Markiand  paraît  être  la  presqu'île  de  la  Nouvelle-Ecosse.  Elle 
mérite  encore  l'épithète  que  lui  donnait  Torfaeus,  pass'nn  silvis 
virens,  et  les  bois  de  construction  sont,  aujourd'bui  comme 
autrefois,  une  de  ses  principales  ricbesses.  De  [dus,  la  côte  est 
basse,  dangereuse,  d'un  accès  difficile  à  cause  des  nombreux 
bancs  de  sable  qui  la  défendent. 

Quant  au  Vinland,  ce  ne  peut  être  qu'une  partie  des  Etats- 
Unis  actuels.  Le  jour  le  plus  court  de  l'année  au  Vinland  est, 
d'après  les  Sagas,  de  neuf  beures.  Or,  c'est  dans  les  états  de 
Rhode-island,  New-York  et  New-Jersey  que  le  soleil  ne  reste 
à  l'borizon  que  neuf  beures  dans  le  jour  le  plus  court  de  l'année. 
De  plus  la  côte  de  ces  états,  basse,  sans  rocbers,  formée  par  les 
petites  collines  boisées,  dont  parlent  les  Sagas,  s'accorde  par- 
faitement avec  la  côte  américaine  depuis  le  cap  Sable  jusqiz'au 
cap  God,  Uafn  (1)  pensait  que  l'île,  qui  formait  à  l'est  du  conti- 
nent un  étroit  passage  assez  dangereux,  est  l'île  Nantucket,  en 
face  du  Massachussets.  Les  bas-fonds  existent  toujours  et  le  mais 
passage  est  redouté  par  les  marins  qui  préfèrent  doubler  l'île, 
le  détroit  est  large  de  48  kilomètres,  et  de  plus  Nantucket  n'est 
pas  isolée.  A  côté  se  trouve  l'île  de  Martbas  Vineyard.  La  situation 
de  Long-Island,  beaucoup  plus  rappochée  de  la  côte,  convien- 
drait mieux  à  l'emplacement  de  l'île.  En  ce  cas  Leifsbudir  n'au- 
rait pas  été  bâti,  comme  le  pensait  Rafn,  non  loin  de  Providence, 
à  l'emboucbure  du  Pocasset-River  qui  sort  du  mount  Hamp- 
Hay,  mais  par  une  singulère  coïncidence,  à  la  place  même  de 
la  moderne  capitale  des  Etats-Unis,  New-York  (2).  Sans  doute 


ii 


(1)  Rafs,  Mémoire  sur  la  Découverte,  etc. 

(2)  Un  savant  américain,  le  professeur  Ebeii  Norton  Horsford  de  Cambridge, 
'roil  avoir  retrouvé  remplacement  authentique  des  premiers  établissements 


310       l'REMIÈRR    l'AKTIi:. 


LKS    l'HKCrUSKlHS    l)K    COLDMlt. 


les  fleuves  de  la  cote  en  face  de  Nantucket,  le  Merrimac,  le 
GonDecticut,  sont  poissonneux  et  prennent  leur  source  dans  des 
lacs,  mais  l'Hudson  qui  se  jette  dans  la  mer  en  face  Long-lsland' 
est  également  poissonneux,  et,  de  plus,  il  prend  sa  source  tout 
près  du  lac  Champlain.  Il  n'est  donc  pas  impossible  que,  sur 
les  rives  de  ce  fleuve  prédestiné,  ait  été  élevé  le  premier 
établissement  Scandinave.  D'ailleurs  la  vigne  qui  donna  son 
nom  auVinland,  pousse  encore  spontanément  dans  tout  loMas- 
sachussets  et  une  partie  du  New-York  (1).  Les  voyageurs  con- 
temporains parlent  avec  admiration  des  raisins  sauvages  de 
cette  contrée  et  des  énormes  vignes  naturelles  qui  poussent  sur 
les  bords  de  l'Ohio  (2).  L'île  de  Marthas  Vineyard  doit  môme  son 
nom  à  l'abondance  de  ses  vignes.  L'assimilation  est  donc  aussi 
complète  que  possible,  et  c'est  bien  le  continent  américain  et  la  côte 
des  Etats-Unis  qu'avait  découverts  Leif .  Aussi  bien  ce  voyage  ne 
devait  pas  être  le  seul,  et  de  nouvelles  expéditions  allaient  con- 
firmer et  étendre  les  précédentes. 

Leif  ne  renonça  pas,  comme  Biarn,  aux  bénéfices   de   son 
voyage.  Il  parla  beaucoup  des  pays  nouveaux  qu'il  avait  visités 


Northmans,  et  il  le  fixe  non  loin  de  Boston  sur  les  bords  du  Charles  Hiver. 
Leif  aurait,  d'après  lui,  débarqué  sur  la  rive  gauche  de  ce  lleuve.  11  prétend 
même  que  la  principale  colonie  Scandinave,  la  fameuse  Norombega,  dont  il  sera 
parlé  plus  loin,  se  trouvait  à  Watertowii,  au  conlluent  du  Charles  River  et  du 
Stong-Brook.  De  fait  on  a  retrouvé  sur  ce  point  de  très  anciennes  constructions 
et  des  traces  de  vieilles  habitations.  M.  Horsford  a  mis  au  service  de  sa  thèse 
une  ingéniosité  de  vues  et  une  originalité  d'expressions  fort  remarquable  : 
mais,  en  pareille  matière,  il  faut  se  garder  de  toute  affirmation  tranchante  : 
aussi  n'acceptons-nous  cette  hypothèse  qu'à  titre  d'hypothèse.  Ceux  de  nos 
lecteurs  qui  voudraient  étudier  à  fond  cette  intéressante  question  n'ont  qu'à 
recourir  aux  travaux  de  l'érudit  américain.  Voici  le  titre  des  principaux  : 
John  Cabots  Landful  in  1497  and  the  site  ofNorumbega.  Cambridge,  188(1. 
—  The  problem  oh  the  Northmen.  Cambridge,  1889.  —  The  Discovery  of 
the  ancient  city  of  Norumbega,  Boston,  1890.  —  Watertown,  The  site  of 
the  ancient  city  of  Norumbega,  Boston,  1890. 

(1)  Lettre  de  Fugl  de  Saint  Thomas  insérée  dans  les  Mémoires  de  la  Société 
des  Antiquaires  du  Noi-d  (1840-1843),  p.  8. 

(2)  Rapport  adressé  à  la  Société  des  Antiquaires  du  Nord  par  A.  Ghennk, 
JoHS  Babtlrtt  et  Wkrb  (1840-1844),  confirmant  tous  ces  détails. 


y-"'. 


l'on 


CIIAI'ITRK    IX. 


LES    NORTllMANS   EN   AMERIQUE. 


311 


et  n'eut  pas  de  peine  à  décider  un  de  ses  frères,  Thorwald,  à 
tenter  une  expédition  analogue.  Il  est  étrange  qu'il  ne  l'ait  pas 
accompagné,  mais  ces  hommes  du  Nord,  hardis  et  infatigables 
à  l'œuvre,  se  reposaient  indéfiniment  quand  ils  avaient,  par  leurs 
prouesses,  illustré  leur  nom  ou  acquis  assez  de  richesses.  Ils  ne 
comprenaient  pas  ce  sentiment  tout  moderne  que  le  glorieux 
infant  de  Portugal,  Henri  de  Viseu,  devait  plus  tard  choisir 
comme  devise  :  désir  de  mieux  faire. 

Leif  resta  donc  à  Ikattahilda  dans  la  maison  de  son  père 
Erik  Rauda,  et  se  contenta  de  donner  à  son  frère  des  conseils 
et  un  vaisseau,  le  même  qui  avait  déjà  servi  à  Biarn,  et  qui 
venait  de  le  conduire  au  Vinland  ;  ce  qui  nous  prouve  en  pas- 
sant combien  l'art  des  constructions  maritimes  était  développé 
chez  les  Northmans,  puisque  ce  vaisseau  résistait  depuis  si 
longtemps  aux  affreuses  tempêtes  des  mers  horéales. 

Thorwald  partit  en  1(K)2.  11  arriva  à  Leifsbudir  et  y  passa 
l'hiver.  Au  printemps  de  1003,  il  envoya  une  partie  de  ses 
hommes  vers  le  sud,  que  n'avaient  encore  reconnu  ni  son  frère 
ni  Biarn.  Les  Northmans  parcoururent  une  belle  contrée,  admi- 
rablement boisée.  Ils  n'osèrent  pourtant  s'enfoncer  dans  l'inté- 
rieur et  ne  perdirent  jamais  la  côte  de  vue.  Cette  côte  était 
hérissée  de  rochers.  Des  îles  nombreuses,  mais  toutes  petites, 
s'en  détachaient.  Nulle  part  on  ne  rencontra  de  traces  humaines, 
sauf  une  petite  grange,  dans  une  ile  située  à  l'ouest.  L'explora- 
tion dura  tout  l'été  et  une  partie  de  l'automne.  Les  Northmans 
passèrent  l'hiver  dans  leurs  baraquements  de  Leifsbudir  et 
reprirent  leurs  courses  au  printemps  de  1004,  mais  cette  fois 
dans  la  direction  du  nord.  I  isirant  profiter  des  beaux  jours  qui 
commençaient,  Thorwald,  avec  Mi.c  habileté  toute  pratique,  qui 
dénotait  en  lui  une  profonde  connaissance  des  mers  septen- 
trionales, passa  à  l'est,  puis  au  nord,  jusqu'à  un  cap  fort  remar- 
quable, auquel  il  donna  le  nom  de  Kialarness.  c'est-à-dire  cap 
de  la  Quille.  Ue  là,  il  longea  la  côte  dans  la  direction  de  l'est, 
jusqu'à  ce  qu'il  fut  arrivé  à  un  autre  promontoire.  Jusqu'alors 


''  '  ; 


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312   PREMIÈRE  PARTIE. 


.ES  PRECURSEURS  DE  COLOMB. 


on  n'avait  pas  rencontré  d'indigènes  :  c'est  ii\  que,  pour  la  pre- 
mière fois,  les  Northmans  rencontrèrent  trois  petits  canots  en 
cuir  cousu,  menés  chacun  par  trois  honmies  petits,  laids  et 
couverts  de  fourrure.  Thorwald  monta  à  bord,  mais  ses  compa- 
gnons, au  lieu  de  les  accueillir  avec  bienveillance,  les  tuèrent 
tous,  à  l'exception  d'un  seul  qui  parvint  à  s'échapper.  Les 
Sagas  (1)  ne  donnent  aucune  raison  de  ce  crime  odieux,  qui 
allait  recevoir  sa  punition  immédiate. 

Forts  de  la  supériorité  de  leurs  armes  et  confiants  en  leur 
bonheur  habituel,  les  Northmans  s'étaient  endormis,  quand  ils 
furent  réveillés  par  des  cris  perçants.  C'étaient  plusieurs  cen- 
taines d'indigènes  qui  entouraient  le  navire  et  le  criblaient  de 
flèches.  Ils  n'eurent  pas  de  peine  à  les  mettre  en  fuite,  mais  leur 
ihef  avait  été  mortellement  blessé.  Sentant  sa  fin  prochaine, 
Thorwald  se  fit  débarquer  sur  le  promontoire  et  demanda  à  être 
enterré  en  chrétien.  «  Vous  dresserez,  dit-il,  deux  croix  sur 
mon  tombeau,  l'une  à  la  tête,  l'autre  aux  pieds,  et  vous  appel- 
lerez toujours  cet  endroit  Krossaness,  promontoire  des  croix  ». 
Ses  compagnons  exécutèrent  ses  dernières  volontés  et  retournè- 
rent hivernera  Leifsbudir.  L'année  suivante,  en  lOOo,  après 
avoir  chargé  leur  navire  des  produits  du  Vinland,  ils  reprirent 
le  chemin  du  Groenland. 

A  la  fin  du  xviii"  siècle,  près  de  Hull  et  du  cap  Alderton,  «n 
découvrit  un  tombeau  qui  contenait  un  squelette  et  une  épéo  h 
poignée  de  fer.  Ce  squelette  était  celui  d'un  Scandinave  et  cette 
épée  n'était  pas  de  fabrication  européenne  postérieure  au 
xV  siècle  (2).  On  en  conclut,  peut  être  témérairement,  que  ce 
tombeau  était  celui  de  Thorwald.  En  1840,  dans  des  fouilles 
entreprises  au  Fall  River,  dans  le  Massachussets,  on  découvrit 
un  autre  squelette  (3).  Sa  poitrine  était  couverte  d'un  plastron 

(1)  Rafn,  ouv.  cité,  p.  46-48,  464.  —  Groenlands  historiske  Mindes- 
mœrker,  I,  226-231,  III,  900. 

(2)  Smith,  Société  des  Antiquaires  du  Nord  (1840-3j. 

(3)  Id.,  1845-49,  p.  lOi. 


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r.HAI'ITKK    l.V. 


I.KS    NOHTIIMA.NS    K.N    AMKHIOUK. 


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U'S- 


tle  l)n)nze  autour  duquel  s'enroulait  une  ceinture  faite  avec  des 
tuyaux  de  hronze,  anaIof;ues  aux  ceintures  antiques  déterrées 
en  Danemark  et  en  Islande.  Ces  tuyaux  étaient  attachés  l'un  à 
l'autre  par  des  courroies  de  cuir.  Le  hronze  de  la  ceinture  fut 
envoyé  à  l'illustre  Berzelius,  qui  en  lit  l'analyse  et  reconnut 
que  la  composition  chimique  était  analojjue  à  celle  des  armures 
du  X''  et  xi°  siècles,  conservées  dans  les  musées  du  nord ,  et 
notamment  au  hronze  d'une  armure  découverte  à  Noviing  en 
latland,  et  analysée  }>ar  Forchhammer.  IJès  lors,  on  admit  le 
fait  connue  prouvé.  La  poésie  s'empara  même  de  cette  hypothèse 
scientifique,  et  le  grand  poète  américain  Longfellow  composa 
uni^  hallade  en  l'honneur  de  ce  héros,  qui  aurait  pu  être 
Thorwald  (l). 

Que  l'on  ait  retrouvé  ou  non  le  cadavre  du  second  fds  d'Erik, 
l'expédition  (pi'il  dirigea  n'en  est  pas  moins  fort  authenticpie. 
Dès  lors,  les  Northmans  connaissent  la  route  du  Vinland,  ef 
Leifshudir  devient  pour  eux  un  point  de  relâche  fort  important. 
Les  rivages  découverts  dans  la  direction  du  sud  sont  ceux  du 
New-York,  du  New-Jersey,  de  la  Dela\Nare,  du  Marylaud, 
peut  être  même  de  la  Virginie  et  de  la  Caroline.  Les  forêts, 
!)ien  (ju'exploitées  à  outrance,  s'étendent,  encore  aujourd'hui. 
Jusqu'à  la  mer;  la  cote  est  hasse,  hordée  d'un  grand  nomhrc 
de  petites  iles  qui  seml)lent  en  avoir  été  détachées  par  (pielque 
convulsion  géologique.  Dans  la  direction  du  nord,  les  deux 
promontoires  reconnus  par  Thorwald  paraissent  être,  celui  de 
Kialarness  le  cap  Cod,  le  Nanset  des  Indiens,  à  l'extrémité 
orientale  du  Massachussets,  remanpiahk:  en  efl'et  par  sa  forme 
allongée  et  la  courhe  gracieuse  (pi'il  décrit  ;  celui  de  Krossaness 
le  cap  Sahle  à  l'extrémité  méridionale  de  la  nouvelle  Ecosse,  »»u 
peut  être  encore  le  cap  Garnet.  De  la  sorte  s'ex[)liquerait  la 
route  suivie  par  les  Northmans  en  tournant  la  pointe  Kialarness 


(1)  LoNOKEi.i.o\v,  The  Skelcton  in  .Ivrnern  (Edition   Tauchnitz,  vol.    1, 
p.  15). 


31  i       l'HEMIKKE   PARTIK.    —    I.KS   PHÉOirRSEURS    \)K   COLOMB 


jusqu'à  ce  qu'ils  arrivassent  au  fond  de  la  haie  où  se  trouvaient 
les  indigènes.  Cette  baie  doit  (Hre  la  baie  de  Fundy.  Quant  aux 
indigènes,  ceux  que  les  Sagas  nomment  les  Skroellings,  ce  sont 
les  anc(Hres  directs  des  Ksquirnaux.  11  est  en  effet  prouvé  que 
les  Esquimaux  descendaient  jadis  beaucoup  plus  vers  le  sud  et 
s'étendaient  sur  des  espaces  bien  plus  vastes  qu'aujourd'hui. 
Ils  «itaient  déjà  grands  chasseurs,  mais  peu  hospitaliers.  Leurs 
canots  de  cuir  cousu  montés  par  trois  hommes  ressemblaient 
aux  canots  dont  se  servent  encore  leurs  descendants,  et  dès  le 
premier  jour,  au  contact  des  Européens,  ils  engagèrent  avec  eux 
cette  lutte  tragique,  (jui  les  refoula  peu  à  peu  vers  le  pôle,  et 
ne  se  terminer!'  que  par  l'anéantissement  de  ce  peuple,  (pi  n'est 
déjà  plus  qu'une  peuplade. 

iW  qui  achève  de  démontrer  la  sincérité  du  récit  des  Sagas, 
c'est  la  torpeur  qui  s'empare  des  Nortlimans,  au  moment  où  ils 
ne  devraient  songer  qu'à  se  défendre  contre  les  Skroellings. 
Dans  ces  contrées,  en  (îffet,  l'impression  produite  par  les  pre- 
miers froids,  surtout  par  des  liommes  qui  ne  les  ont  jamais 
bravés,  est  toujours  la  même.  Les  membres  s'engourdissent  et 
les  yeux  se  ferment.  Les  marins  qui  naviguent  pour  la  première 
fois  dans  ces  mers  subissent  tous  l'influence  de  ce  curieux  phé- 
nomène, 'iès  (ju'ils  entrent  dans  les  régions  du  froid. 

Les  Northmans  avaient  donc  découvert  une  partie  du  littoral 
des  Etats-Unis  et  du  Dominion  Canadien  :  il  ne  leur  restait 
plus  qu'à  pnjfiter  de  ces  découvertes  en  y  fondant  des  colonies, 
ou  du  moins  des  établissements  plus  sérieux  que  Leifsbudir  : 
Ce  fut  l'œuvre  de  nouveaux  navigateurs. 

La  famille  d'Erik  Rauda  semble  s'être  assuré  le  monopole 
des  expéditions  au  Vinland.  Après  ses  deux  frères  Leif  et 
Thorwald,  le  troisième  fds  d'Erik,  Thorstein,  se  disposa  à 
partir  à  son  tour.  Il  voulait  surtout  aller  prendre  le  cadavre  de 
Thorwald  afin  de  le  déposer  en  terre  sainte.  Depuis  que  le 
christianisme  s'était  répandu  au  Groenland,  les  Northmans  se 
conformaient  exactement  aux  rites  funéraires  de  leur  nouvelle 


CIIAPIÏHK    IX. 


LliS    .NOHTHMA.NS    K.N    AMKRIOl'l'" 


ai  ri 


religion  (1).  Ils  no  se  contentaient  plus  d'enterrer  les  cadavres 
au  lieu  du  décès  en  plantant  un  pieu  au-dessus  de  la  poitrine  ; 
ils  voulaient  la  bénédiction  du  prêtre  et  l'office  des  morts.  Un 
(iroenlandais,  Lika-Lodhin,  ou  Lodhin  des  cadavres  (2),  se  fit 
Hjéme  une  réputation  en  allant  chercher  jusque  dans  les  régions 
fîlaciales  les  cadavres  des  nombreux  naufragés  qui  périssaient 
dans  ces  tristes  contrées  pour  les  transporter  dans  quelque 
cimetière  consacré.  Thorstein,  poussé  par  sa  famille,  résolut 
donc  de  rendre  les  derniers  devoirs  à  son  frère.  11  partit  avec 
vingt  cinq  hommes  et  sa  femme  (iudrida,  au  commencement  de 
Tannée  lOOG. 

L'expédition  ne  réussit  pas.  Moins  heureux  que  leurs  devan- 
ciers, les  Northmans  errèrent  à  l'aventure  sur  la  mer  pendant 
tout  l'été.  Un  hiver  précoce  les  força  à  relâcher  au  Groenland, 
à  Lysufiord,  sur  la  cùt(;  occidentale  ou  Westerbygd,  sans  qu'ils 
eussent  seulement  entrevu  le  Vinland.  Tous  les  malheurs 
d(!vaient  fondre  sur  eux.  A  peine  avaient-ils  pris  leurs  quartiers 
d'hiver  qu'une  terrible  maladie,  peut-être  le  scorbut,  les  attaqua. 
Thorstein,  atteint  par  l'épidémie,  ne  tarda  pas  à  succomber, 
niais  non  sans  avoir  prédit  à  sa  femme  (iudrida  de  brillantes 
destinées,  qui  devaient  un  jour  se  réaliser  (3). 

La  quatrième  expédition  des  Northmans  avait  donc  échoué, 
mais  (iudrida,  qui  survécut,  revint  au  Groenland.  Sa  nais- 
sance, ses  richesses,  les  dangers  qu'elle  avait  courus,  peut-être 
même  la  prédiction  de  son  mari,  avaient  attiré  sur  elle  l'atten- 
fion.  Elle  passait  en  outre  pour  être  douée  du  talent  poétique. 
Les  Sagas  ont  conserve  le  souvenir  d'une  scène  de  sorcellerie 


W 


■: 


(1)  Groenland.'^  fiistoriskp  Mindesmoerker,  I,  238-8,  392-400.  —  Rakn, 
Antïq.  Amer.  47,  r>a,  123,  130. 

(2)  (ivoenlaJids  hist.  Mind.  II,  239,  656,  638,  662,  666,  777,  253,  847. 

(3)  De  Gudrida  en  efTet  et  de  son  fils  Snorro,  le  premier  Européen  connu 
qui  soit  né  en  Amérique  (1008),  descendirent  des  évéques,  des  jurisconsultes, 
(les  ambassadeurs,  des  savants  (Fina  Magnusen,  Thorlocius,  Grim  Thorkelin) 
et  l'illustre  sculpteur  Thorwaldsen.  (Voir  Rafn,  Atitiquitates  Americano', 
tableaux  généalogiques,  8  e,t  91. 


I  3 


'Mi) 


l'HKMIKHK    l'AHTIi:. 


I.KS    l'HKClHSKLKS    ItK   COLOMIt. 


l! 


OÙ,  malgrô  sa  récente  eonvorsion,  elle  consentit  à  jouer  un 
rcMe.  Il  s'agissait  d'aider  dans  ses  incantations  une  femme 
nommée  Tliorbjarge,  qui  disaitia  bonne  aventure,  et  déchanter 
le  poème  hxiiiuU'V/'Jvocation  des  J'Jspriis  Gard'inns,  Vardlokur, 
«  le  chant  est  de  telle  sorte,  dit  d'abord  (iudrida,  que  je  ne 
|juis  être  d'aucun  secours  ici,  parce  cpie  je  suis  chrétienne  (1)  ». 
«  Pourtant,  répondit  la  sibylle,  tu  pourrais  bien  rendre  ce  ser- 
vice à  l'assemblée  et  tu  n'en  vaudrais  pas  moins  après  qu'avant  ». 
Le  maître  de  la  maison  insista  tellement  auprès  de  (.îudrida 
«{u'elle  finit  par  consentir.  Ijcs  femmes  se  placèrent  donc  en 
cercle  autour  d'une  estrade,  «  et  Gudrida  chanta  si  bien  que  les 
auditeurs  dirent  n'avoir  jamais  entendu  plus  belle  voix  (2)  «>.  La 
devineresse  la  remercia  et  ajouta  :  <<  Ce  poème  a  été  si  agréable- 
ment chanté  qu'il  a  plu  aux  esprits  et  en  a  attiré  un  grand 
nombre  qui  voulaient  se  séparer  de  nous  »,  et,  pour  récom- 
penser (Iudrida  de  son  concours,  elle  lui  annonça  un  prochain 
et  brillant  mariage.  En  effet,  un  Norvégien  de  grande  famille, 
puisqu'il  comptait  des  rois  parmi  ses  ancêtres,  Thorfinn  (){) 
Karisefne,  qui  était  venu  passer  les  fêtes  de  Noël  à  lirattahildn 
près  de  Leif,  vit  Gudrida,  en  devint  amoureux  et  obtint  sa 
main.  Dès  lors  (îludrida  ne  cessa  d'encourager  son  second  mari 
à  tenter  un  voyage  au  Vinland.  Thorfinn  y  consentit,  mais  il 

(1)  Uafn,  Antiquitates  Americana',  p.  104-113  :  «  Hœc  ratio  talis  est,  coi 
nullam  operain  tribueie  statueriin,  nain  femiiia  ciiristiana  sum  ».  —  ThoHi- 
jarga  ait  :  «  Ita  evcnire  possit,  ut  adjuineiito  aliis  sis  liac  in  rc,  nequc  tanicn 
pejus  audias  quam  aiilca  ». 

(2)  Id.,  |).  110.  «  Tuni  Gudrida  caiinen  lain  suaviter  et  perite  cccinit,  ul 
nemo  adstantium  sibi  visus  sit  carnicn  audivissc  suaviorc  voce  cantatuni. 
Fatidica,  actis  ei  pro  carminé  gratiis,  multos  dixit  genios  suavitate  carminis 
tam  eprcgic  cantati  allcctos  eo  jain  advcnisse  ». 

(3)  Sur  Tliorlînn  Karisefne  on  peut  consulter  à  la  bibliothèque  de  l'Uni- 
versité de  Copenhague,  dans  la  collection  Arna-Magnéenne,  le  manuscrit  544. 
Il  est  de  la  fin  du  xiil»  ou  du  commencement  du  xiv  siècle.  Il  n'a  pas  d'autn; 
titre  que  celui  que  lui  a  donné  Arn-Magnœus  :  Hintoria  ThovfinU  Karsefnii. 
Consulter  également  à  la  biblothèque  royale  Danoise  les  manuscrits  13c  (cofiii; 
du  précédent),  768['  <fait  par  l'Islandais  Biarn  Jonas  de  Skardsa  qui  vécut  de 
iri74à  1655),  115«,  769i',  281o,  719h  (tous  postérieurs). 


CIIAIMTRK    IX. 


IK^    NfnnilMANS    EN    AMKKIOL'K. 


:U7 


vonlut  (Ml  assurer  lo  siiccùs  et,  cetto  fuis,  trois  navires  partirent 
(■ns(Mnl)le.  Tliorfînn  et  sa  femme,  avec  Snorre  Tliorbrandson, 
cunimundaient  le  premier;  IJiarn  Crrimolson  et  Thorhall  (luin- 
lason  étaient  les  chefs  du  second  ;  sur  le  troisième  étaient 
Thorliall  et  Tliorward,  ce  dernier  mari  de  Freydisa,  fille  natu- 
relle d'Erik  Uauda,  qui  l'avait  suivi  à  bord.  Un  des  enfants 
d'Krik,  cette  fois  encore,  faisait  donc  partie  de  l'expédition. 

Au  printemps  de  1007  partirent  les  cent  soixante  personnes 
(pi(î  contenaient  les  trois  vaisseaux.  Cette  fois  les  Nortinnans 
cherchaient  à  fonder  une  nouvelle  colonie,  et  leurs  chefs  étaient 
bien  résolus  à  se  tailler  en  Vinland  une  principauté  indépen- 
dante. Ils  furent  d'abord  portés  au  nord  par  les  courants  et 
s'engagèrent  dans  le  détroit  qui  plus  tard  portera  le  nom  du 
navigateur  Davis,  puis,  poussés  par  un  violent  vent  du  nord,  ils 
mirent  le  cap  au  sud,  et  arrivèrent  assez  vite  au  llelluland,  qui 
était  alors  rempli  de  renards.  De  là  ils  passèrent  au  Markiand, 
dont  ils  admirèrent  les  forêts,  et  longèrent  les  côtes  qui 
s'étendent  au  sud.  La  tombe  de  Thorwald  ne  fut  pas  retrouvée, 
bien  que  plusieurs  de  ses  compagnons  dussent  monter  les 
navires  de  Karisefnc  (1).  Les  Northmans  prirent  terre  au  cap 
Kialarness,  où  ils  recueillirent  une  quille  de  vaisseau,  et,  à 
partir  de  ce  point,  virent  de  vastes  déserts,  des  dunes,  de 
longues  et  étroites  plages,  qu'ils  nommèrent  Furdustrandir  ou 
Rivages  merveilleux.  Deux  coureurs  Ecossais  qu'ils  avaient  ii 
bord,  Hake  et  Hekia,  descendirent  à  terre  et  revinrent  bientôt 
avec  des  raisins  et  des  épis  de  blé  sauvage.  Les  Northmans 
arrivèrent  enfin  dans  une  baie  circulaire,  très  profonde,  où  se 
trouvait  une  île  couverte  d'eiders.  Ils  appelèrm  la  baie  Straum- 
fiord  ou  baie  des  Gourants,  l'île  Staumey,  ou  île  des  Courants, 
et  se  décidèrent  à  hiverner  (2). 

Karisefne  et  Gudrida  étaient  les  vrais  chefs  de  l'expédition. 


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il)  Rafn,  p.  139. 
(2)  Rafn,  p.  141. 


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LKS    l'IlKCIHSKLHS    W.   C.OLOMH. 


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11:    \ 


Ils  avaient  fait  les  dépenses  les  plus  considérahles,  et,  en  toutes 
choses,  pris  l'initiative.  A  eux  donc,  revenait  le  commande- 
ment ;  mais,  dans  le  Nord,  à  cette  époque,  l'indépendance  et 
lii  liberté  d'allures  étaient  absolues.  Pendant  (jue  Karlsefnc 
essayait  les  travaux  de  défrichement  et  d'agriculture  avec  les 
])estiau\  qu'il  avait  amenés,  et  envoyait  (juelques-uns  des  siens 
tantôt  pécher  la  baleine  alors  abondante  sur  la  côte,  tantôt 
explorer  les  belles  forêts  d'alentour,  Thorhall  Gandason  et  huit 
hommes  se  séparèrent  du  reste  de  la  troupe.  Thorhall,  un  ami 
d'Erik  llauda,  était  resté  fort  attaché  aux  usages  païens  et  fidèle 
aux  pratiques  étranges  de  l'Odinisme.  11  n'aimait  pas  les  nou- 
veaux convertis  qui  formaient  la  majorité  des  colons,  et,  toutes 
les  fois  que  survenait  un  accident,  ne  manquait  pas  de  le  pré- 
senter conmie  une  punition  des  anciens  Dieux  Scandinaves.  Un 
jour,  ayant  dépecé  et  fait  cuire  une  baleine  d'une  espèce  in- 
connue, qui  venait  d'échouer  à  la  côte,  les  Northmans  furent 
tous  malades.  «  La  Barbe  Rousse  (le  Dieu  Thor)  s'écria  aus- 
sitôt Thorhall  (1),  a  été  plus  secourable  que  votre  Christ.  Voilà 
ce  que  j'ai  obtenu  pour  le  poèifie  (jue  j'ai  débité  en  l'iionneur 
de  Thor,  mon  protecteur,  qui  ne  m'a  jamais  fait  "défaut  »,  et  il 
leur  annonça  qu'ils  trouveraient  bientôt  du  gibier  et  du  poisson. 
Un  autre  jour,  portant  de  l'eau  dans  son  navire,  il  improvisa  un 
couplet  satirique  (2),  car  il  était  poète  à  ses  heures.  «  Les  co- 
lonnes de  fer  de  l'Assemblée  me  disaient  qm;  j'aurais  dans  ci- 
pays  les  vins  les  plus  délicats;  il  me  faut  maintenant  dire  du 


11 


H)  Rakn,  p.  112.  <<  Niinc  Alieiiobarbus  ille  aiixilio  promtior  erat  quani 
Cliristus  vcster  ;  hoc  pnemii  loco  retiili  pro  carminé  quod  de  Thore  patrono 
coinposui  ;  hic  luc  laio  frustratiis  est  ». 

(!2)  Id.,  |).  I4i.  «  Coiivciitus  fcrrci  columina  dixeruiit 

Mo,  liuc  advciiientem,  optinia 

L'suin  fuisse  polione  ;  oportet  me 

Coram  hominibiis  terram  vituperare, 

Nuiic  iiumcn,  (lagitàlor  galeir, 

Situlam  maiiibus  cogitur  vcrsarc  ; 

Sic  vero  res  est,  ut  ad  fontem  procumbam 

Haud  vinum  mca  labia  tetigit». 


CIIAI'ITHK   IX. 


LES    NORÏIIM.WS    K.N    AMKRiyUK. 


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mal  (le  ce  pays.  Lu.  (livinitc!  qui  porte  un  ras(pi('  nie  présoutc  un 
seau.  Je  cours  aussitôt  à  lu  loutiiiue.  et  mes  lèvres  ne  sentent 
pas  le  f,'oùt  (lu  vin  »,  Des  niilleries  <»n  en  arriva  Itientùt  à  des 
discussions  plus   sérieuses.    Une  première    fois  déjà  Tliorliall 
s'était   enfoncé    dans    les   forêts   d(;    l'intérieur    pour   ne    pas 
prendre  part  à  des  cérémonies  qui  le  blessaient.  Il  finit  par 
annoncer  sa  détermination  de  rentrer  au  (Iroenland,  et,  avec 
huit  de  ses  compagnons,  prit  en  «idet  la    ner  avec  le  i>lus  petit 
des  trois  navires.  Voici  la  strophe  railleuse  qu'il  chantait  en 
quittant  le  Vinland  [l)  :  «  Retournons  au  pays  de  nos  ancêtres. 
Faisons  voile  et  que  notre  navire  glisse  rapidement  le  long  de 
ces  rivages  sablonneux.  Que  ceux  dont  les  glaives  bravent  lu 
tempête,  que  ceux  qui  rejettent  les  anciennes  momrs  et  louent 
cette  terre,  restent  dans  le  Furdustraiidir  à  faire  bouillir  'a  ba- 
leine ».  Arrivé  à  la  hauteur  du  Markland,  Thorhall  fut  assailli 
par  une  violente  tempête,   poussé  en  pleine  mer  et  jusque  sur 
les  côtes  d'Irlande,  où  on  le  retint  prisonnier.  Quelques  mar- 
chands rapportèrent  plus  tard  qu'il  était  mort  en  esclavage  {'2). 
Pendant  ce  temps  Karlsefne  et  les  autres  chefs,  avec  cent 
trente  et  un  hommes,  partaient  à  la  recherche  de  Leifsbudir. 
Us  rencontrèrent  un  grand  fleuve  sortant  d'un  lac,  avec  des 
iles   à   son    embouchure.   Dans  la  vallée   de   ce  fleuve,  qu'ils 
remontèrent,  le  froment  et  les  raisins  poussaient  d'eux-mêmes 
dans  les  champs.  Karlsefne  trouva  la  place  bonne  et  fit  immé- 
diatement construire  des  baraques  en  bois,  auxquelles  il  donna 
son  nom,  Thorfinusbudir  (3). 

(1)  Uafn,  p.  li'i.  «  Eo  redciirnus,  ubi  fionterranei 

Sunt  nostri  !  t'aciauius  ulitem, 
Expansi  arenosi  periliini, 
Lata  navis  cxplurarc  ciirricula  : 
Durn  procellam  incitantes  gladii, 
iMora-  impatientes,  (pii  terram 
(îoUaudant,  Fnrdusirandas 
inliabitant  et  co(iuunt  bahnonas  ». 

(2)  ID.,  p.  Ml. 

(3)  11  y  a  deux  versions  de  cet  épisode,  le  premier  est  donné  par  la  Parti- 


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'A'H)    i'iii:.Mii;ni':  i-autii:.  —  ij:s  I'UKCimskius  ih;  cdi.oMU, 

Karisefiit'  t'fait  dans  la  contn^c  depuis  une  (|uiiizaiii(' de  jours 
lorsque  parurent  les  Skroellin^'s.  Les  Norflniiaiis  aperenrent 
tout  à  coup  un  ^rand  nond)re  de  harques  de  cuir  dont  les 
rames  brandies  par  le  soleil  produisaient  le  rnc^rne  bruit 
que  le  V(Mit  lors(|u"il  souffle  dans  luie  botte  de  pailb?  (1).  Les 
hommes  (pii  les  ronduisaient  avaient  le  teint  foncé,  de  jjrands 
veux  «st  la  face  lar;i;e.  Ils  débanpièrent  un  instant,  mais,  aprt^s 
avoir  bien  examiné  les  Noribmans,  montèrent  de  nouveau  sur 
bîurs  barques  et  s'éloifrnèrent  en  ramant  vers  le  sud.  Ils  repa- 
rurent au  printemps  suivant  (1008).  lia  baie  était  toute  noire 
de  canots,  comme  si  l'on  y  eût  semé  du  cliarb(jn  (2).  Cette  fois 
Skroellings  et  Northmans  entrèrent  en  relations.  Les  naturels 
njontraient  une  grande  prédil(>ction  pour  des  étoiïes  rouges 
(|u'ils  roulaient  autour  de  leur  tête.  Ils  cédaient,  pour  s'en 
procurer,  de  précieuses  fourrures.  Lorsque  les  Northmans 
i'ommencèrent  à  couper  ces  éton'es,  dont  ils  n'avaient  plus  îi 
leur  disposition  qu'une  petite  ({uantité,  en  lanières  larges  d'un 
doigt,  les  Skroellings  continuèrent  à  les  acheter  au  uuîme  [)rix 
que  la  pièce  elle-même.  Ils  auraient  aussi  voulu  des  piques  et 
des  épées,  mais  Karlsefne  défendit  de  leur  en  vendre.  S'étant 
avisé  de  leur  ofl'rir  du  lait,  les  Skroellings  se  jetèrent  avec 
avidité  sur  ce  breuvage,  qu'ils  ne  connaissaient  pas,  et  ne 
songèrent  pluK  qu'à  céder  leurs  fourrures  pour  se  procurer  cette 
boisson  délicieuse.  A  ce  moment  un  taureau  sortit  du  bois  et  se 
mit  à  beugler  très  fort  (3).  Les  Skroellings  épouvantés  et  se 

cula  de  Groenlandis  (Raf.n,  p.  58-64.)  et  le  second  par  VHixtnria  Karhefini 
(IUkn,  p.  151-150)  :  ils  ne  diffèrent  que  par  quelques  détails  chronologiques. 
Nous  avons  suivi  de  préférence  Yllistovia  Karlsefini. 

(1)  Rafn  traduit  sonum  cdenlos  instar  culnii  vento  strideutis.  IJeauvois 
pense  qu'il  faut  traduire  :  produisant  le  même  bruit  que  des  tléaux.  Cf. 
Be.mjvois,  Les  Skrxlingx,  p.  12. 

(2)  Rakn,  p.  130.  Tanta  multitudine,  ut  si  carbonibus  ostium  œstuarii 
conspersum  esset. 

(3)  Rafn,  p.  151.  Accidil  ut  taurus,  qui  Karlsffini  fuit,  e  sylva  excurrens 
altum  niugiret. 


cauvois 
IX.    Cf. 

estuarii 

kurrens 


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l^inft[^%  t  ^^«rifo  ni^rU^  Wi)^  e«C  9^AnAr  t^ 

[«p  dtniiftilr ftBtm^  afi*r  l^^tokf ^  ^  ^ . 
m  ^  b^tté«^U^  ^w  a^rnn^  Viiinid  yîttWCton  ^hemw 


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I  inr^  Ifcitt  0«)«a  <^  V  ^aû  ?:|>âi&  Ur  urtr  eptX-E  mâ|  1^ 
Idtn  ^  i^'pif  «Un  <^]mi  bunV  v  )iA  H^mr  ftr^a  t-(btpiâ 


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FAC-SIMILE   DU    CODEX    PLATEYENSIS 


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CIIAPITRK   IX. 


LES   NOHTHMANS   EN    AMERIQUE. 


321 


rroyant  trahis  s'enfuirent  sur  leurs  canots  et  se  dirigèrent  dans 
la  direction  du  sud. 

Trois  semaines  |)Ius  tard  leurs  barques  reparaissaient.  Ei; 
vain  Karlsefne  avait-il  pris  d'hahilos  dispositions  en  dispersant 
ses  compaf.qions  dans  les  hois,  et  en  se  retranchant  lui-même 
(>ntre  un  fleuve  et  une  fonH.  Les  frondes  des  Skroellin^s 
effrayèrent  les  Northmans  qui  battirent  en  retraite  jusque  sur 
un  j)lateau  rocheux,  où  ils  opposèrent  une  vive  résistance.  Ce 
fut  alors  que  Freydisa  se  montra  la  digne  fille  d'Erik  Rauda,  la 
descendante  des  héroïnes  chantées  par  les  Sagas.  Bien  qu'en 
état  de  grossesse  avancée,  elle  saisit  une  épée,  et,  le  sein  nu, 
les  cheveux  épars,  se  défendit  si  bravement  qu'elle  écarta  les 
Skroellings  qui  l'attaquaient,  et  parvint  à  rejoindre  le  camp. 
D'après  une  autre  version  (1),  Freydisa,  n'ignorant  pas  que  les 
Skroellings  ne  savaient  pas  se  servir  des  armes  en  méfal,  se 
serait  elle-même  frappée  de  manière  à  montrer  aux  ennemis 
combien  l'épée  était  tranchante,  et,  en  effet,  les  Skroellings 
épouvantés  prirent  la  fuite.  Du  côté  des  Skroellings  on  remar- 
qua un  homme  grand  et  de  belle  prestance  qui,  ayant  saisi  une 
arme  que  venait  de  jeter  à  terre  un  de  ses  compagnons,  la 
considéra  un  instant,  puis  la  jeta  dans  le  lac,  aussi  loin  (pi'il 
put.  (2)  Malgré  la  bravoure  chevaleresque  de  ce  chef,  les 
Skroellings  furent  vaincus,  et  durent  battre  en  retraite,  laissant 
nombre  d'entre  eux  sur  le  champ  de  bataill(\  Cette  expédition, 
si  bien  commencée,  devait  mal  finir.  Un  grand  nombre  de 
Northmans  avaient  déjà  succombé  sous  les  flèches  ou  les  pierre  s 
des  Skroellings.  Les  survivants  commençaient  à  se  lasser  de 
de  leur  séjour  dans  un  pays  si  lointain.  De  plus  la  présence  de 
([uelques  femmes  semait  parmi  eux  des  divisions  et  des  haines. 
Les   célibataires   réclamaient  en   effet  la   promiscuité   de   ces 


(1)  Rak.n,  p.  \T)i.  >i  Illa  exlractum  e  vestibus  inammam  nudo  gladio  illidit, 
qua  re  perterriti  Skrœllitigi  iii  naves  refugerunt  ». 

(2)  Particuln  de  Grœnlandis  (IUf.n,  p.  63). 

T.  I.  21 


322       PREMIÈFIE    l'ARTlK. 


LKS    PRÉCURSKL'RS   1»K   COLOMB. 


i  ; 


femmes,  que  les  maris  refusaient,  (1^  Karisefne,  pour  éviter  la 
guerre  civile,  qui  devenait  menaçante,  se  décida  à  donner  le 
signal  du  retour  au  (îroenland. 

Il  ne  restait  plus  auv  Norlhmans  que  deux  vaisseaux.  Uiarn 
Grrimolsoii  prit  le  commandement  de  l'un  d'eux  et  Karisefne  de 
l'autre.  Biarn  fut  écarté  de  sa  route  jusqu'à  la  mer  il'Irlande. 
Son  vaisseau  attaqué  par  les  tarets  faisait  eau  de  toutes  parts  et 
allait  somhrer.  L'équipage  n'avait  à  sa  disposition  qu'une  barque 
qui  ne  pouvait  contenir  que  la  moitié  d'entre  eux.  Ils  décidèrent 
qu'on  tirerait  au  sort  pour  savoir  qui  descendrait  dans  la  barque, 
Biarn  fut  au  nombre  de  ceux  que  le  sort  favorisa.  \\  était  sur  le 
point  de  donner  le  signal  du  départ,  quand  un  jeune  Islandais, 
condamné  à  rester,  lui  reprocha  de  l'abandonner  (2).  Emu  de 
pitié,  le  vaillant  capitaine  prit  sa  place,  et  sauva  ainsi  le  jeun(! 
homme,  caria  barque  finit  |)ar  gagner  Dublin,  d'où  les  Northmans 
revinrent  en  Islande. 

Thorfinn  Karisefne  fut  plus  heureux,  car  il  réussit  à  conduire 
son  navire  au  Groenland,  mais  il  signala  son  voyage  de  retour 
par  une  inutih;  cruauté.  En  naviguant  an  nord,  le  long  de  la 
côte,  il  rencontra  cinq  Skroellings  vêtus  de  fourrures  et  (pii 
dormaient  sur  le  rivage  ;  ils  furent  égorgés  (3).  Deux  enfants 
étaient  avec  eux.  Les  Northmans  les  prirent,  leur  donnèrent  le 


(1)  lUi'N,  p.  Kil.  Dissidio  de  nxoribusorto,  quiiin  qui  uxorihns  carcrctil, 
eas  ab  uxoratis  |)ostiilareiit,  qiiii  ex  re  inaximic  tiirbm  exstiteniiit. 

(2)  RAFiN,  p.  IG-i.  Ou  nous  saura  ç;rù  d'avoir  reproduit  ici  le  naïf  récit  de 
la  Sa;;a  «  Qui  quum  in  scapliuin  descendissent,  unus  vir  Islandns,  qui  iii 
navi  erat,  (piique  Biarnium  ab  Islandiu  fiicrat  coniilatus,  infit  :  »  An  tu,  Biariii, 
liio  a  nie  discedere  vis?  »  Biarnius  :  «  Ita  noue  lîeri  necesse  est  ».  111e  : 
"  Aliud  pDllicebaris  patri  mco,  quando  tecuui  ab  Islundia  prolicisccbar,  quant 
ut  ita  a  inc  discedercs,  ([uippe  ijui  i)ollicitus  çis  nos  utrosque  cadein  fortuna 
usuros  ».  Biarnius  respondit  :  «  Neque  sic  erit  ;  tu  in  scapbam  descende,  ego 
vero  couscendain  navcui  ;  video  eniui  te  adeo  vitaî  cupiduin  esse  ».  Cf.  p.  184- 
185. 

(3)  La  saga  de  Tiiorlinn  allègue  pour  excuse  que  les  Northmans  s'imagi- 
nèrent que  ces  Sknclliugs  avaient  été  bannis  de  leur  pays.  Raf.n,  p.  15G.  Hos 
u  terra  externiinatos  esse  Karlsefniani  intelligebant. 


CHAPITRE    IX. 


LKS   NORTIIMANS   RN   AMKRIQL'E. 


323 


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Ibar,  (\uaiu 
am  forluna 
Écenile,  ego 

la  p.i«-i- 

|ns  s'iniagi- 
156.  Ho5 


haptf^iiie  et  les  emmenèrent  avec  eux.  Ils  noimnaieiit  leur  pèrft 
Uvivpe,  et  leur  mère  Yetthilde.  Ils  racontèrent  (jue  deux  rois 
},'ouvernaient  les  Skroelliiifrs,  l'un  apj  ;lé  Avalldania  et  l'autre 
Valldidida.  Il  n'y  avait  pas  do  maisons  dans  leur  pays,  et  on 
couchait  dans  des  cavernes  et  dans  des  trous.  Ce  fut  encore  dans 
le  voyafre  de  retour  cpu;  les  Xorthmans  eurentà  supporter  diverses 
attaques  de  la  part  des  Skrocllin^'S  (1).  Ces  indiiiènes  étaient 
pl"s  l)elli(pieu\  et  d'im  aspect  plus  etîrayant  (pie  ceux  avec 
les(piels  les  Northmans  avaient  jusqu'alors  été  en  contact.  Aussi, 
dans  leur  effroi,  prétendaient-ils  ([u'ils  n'avaient  qu'une  jambe, 
et  s'abîmaient  sous  terre,  quand  on  les  atta([uait.  Un  matelot  du 
bord  composa  même  à  ce  sujet  une  chanson  dont  voici  le 
refrain  (2)  :  <(  Nos  hommes,  c'est  la  vérité  pure,  ont  poursuivi 
sur  le  rivage  un  être  qui  n'avait  qu'une  jambe  :  mais  cet  être 
étrange,  d'une  course  rapide,  s'est  enfui  sur  le  flot.  Entends-tu 
bien ,  Karisefne  ?  »  Ces  étranges  ennemis  tuèrent  même  un 
Nfirthman  nommé  Thorwald,  qu'on  a  confondu  très  à  tort  avec 
le  fils  d'Erik  tué  en  1003  sous  le  cap  Krossaness. 

Karisefne,  malgré  les  Skroellings  et  malgré  les  difficultés  de 
la  traversée  réussit  pourtant  à  rentrer  au  (iroenland.  II  ne  fit 
(|u"y  toucher  barre,  et  se  rendit  presque  aussitôt  en  Norvège 
avec  les  marchandises  ([u'il  rapportait  du  Vinland,  et  les  vendit 
dans  de  bonnes  conditions.  Un  marchand  de  IJrême  lui  oH'rit 
une  demi  livre  d'or  pour  un  morceau  de  bois  qui  lui  servait  dans 
son  temple  de  famille  (3j.  C'était  du  mausur  vinlandais,  proba- 

(1)  UAKN,   p.    158. 

(2)  Voici  la  clianson  du  poète  anonyme  :  (R.\kn,  p.  160)  : 

Inseculi  sunt  viri  ^ 

(Sane  venini  fuit  hoc) 

Unum  unipcdem 

Deorsum  in  littus  ; 

Sed  mirificus  homo 

Cursu  contendit 

Uaplim  per  uequora  ; 

Audi,  Karisefni. 

(3)  II).,  p.  74. 


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:  ! 


U2i       l'HKMlKllK    l'AltTlK.    —    LKS    l'HKCUHSRCHS    DK    C.OLOMIl. 


■I  !■: 


Itlciuciil  (le  rOraltle  bouclr.  D'apirs  la  tradition  jamais  navire 
plus  ridicnient  cliargô  n'otait  revenu  du  (îrocnland.  Aussi  les 
grands  seigneurs  norvégiens  lirent-ils  un  si  bon  accueil  à  Karls- 
efne,  ({u'il  rentra  en  Islanile  fort  riche,  chargé  d  honneurs,  et 
s'y  r.\a  |)nur  ne  phis  en  sortir  jus(|u'à  sa  njort.  Sa  femme  (Judrida 
hii  avait  donné  au  Vinland  un  (ils  Snorro,  Iv  [iremier  Européen 
né  d'une  façon  certaine  en  Améri([ue,  (pii  devint  hi  souche  d'une 
nomi»reuse  postérité.  En  [H',V,i  le  dernier  de  ses  descendants 
directs,  Magnus  Stepiiensen,  vivait  encore  en  Islande.  Quant 
à  (Judrida,  prise  de  la  passion  des  voyages,  elle  se  rendit  à  ll'»me, 
où  elle  fut  très  bien  reçue.  "  Rome  était  très  att'iitive  aux 
découvertes  géographiques  et  collectionnait  avec  soin  les  cartes 
et  les  récits  (jui  lui  parvenaient  (1).  Toute  découverte  seud)lait 
un  agrandissement  rlu  domaine  papal,  un  champ  nouveau  pour  la 
prédication  évangélicpie.  Oe  ce  (ju'ils  n'ont  laissé  dans  l'histoire 
écrite  aucune  trace  appréciable,  les  récits  de  Gudrida  n'en 
exercèrent  pas  moins  une  certaine  influence  sur  les  découvertes 
postérieures.  Il  ne  faudrait  point  s'étonner  (|uand  ils  auraient 
provoqué  ou  confirmé  les  suppositions  des  cosmograplu's  italiens 
relatives  à  la  proximité  des  côtes  orientales  de  l'Asie'». 

Le  voyage  de  Thorfinn  Karisefne  et  de  ses  compagnons  ne 
fut  signalé  par  aucune  nouvelle  découverte.  Les  terres  visitées 
avaient  été  déjà  reconnues  par  Leif  et  par  Thorwald,  mais  les 
côtes  que  ceux-ci  n'avaient  fait  qu'entrevoir,  Karisefne  les  avait 
mieux  explorées  et  décrites  avec  plus  de  précision.  Ainsi  les 
Furdustrandir  ou  rivages  merveilleux  nous  les  retrouvons  en 
Nouvelle-Ecosse.  «  Ces  dunes,  écrit  un  voyageur  moderne  (2), 
attirent  fortement  les  regards  par  leur  caractère  particulier. 
Quand  nous  approchâmes  de  l'extrémité  du  cap,  le  sable  et  la 
stérilité  du  sol  augmentaient,  et,  en  plusieurs  endroits,  il  ne 
manquait  au  voyageur  (jue  de  rencontrer  sur  sa  route  une  horde 


(1)  Gravier,  Découverte  de  V Amérique  par  les  Normnudx,  p.  106. 

(2)  HncHOCii,  Ressort  of  fhe  yeology  af  Massachussets. 


ciiAi'iïiu:  IX. 


LKS    NOHTIIMANS    F.N   AMKHIOl'K. 


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(le  Itédoiiins  \umv  lui  faire  croire  (|u"il  était  dans  les  jtntfondenrs 
d'un  désert  d'Araliie  nu  de  Libye  ».  La  haie  circulaire  reinar- 
(|uahle  f»ar  ses  courants,  le  Strautniiord,  doit  être  la  haie  de 
Buzzard,  où  se  fait  encore  ressentir  l'influenc»!  du  (iulf  Streani. 
Quant  au\  iles  tellement  couvertes  d'eiders  qu'on  écrasait  leurs 
MHifs  en  inarcliant  (1),  nous  les  retrouvons  sin- la  c^jte  de  Massa- 
chussets,  dans  les  rochers  inliahités  (ju'on  nomme  Kgge  Islands, 
et  (jue  les  ciders  choisissent  encore  de  nos  jours  pour  y  jiondre 
et  y  couver  leurs  (cufs. 

Les  Sagas  rapportent  encore  que  Thorfinn  Karisefne  envoya 
ses  compagnons  exploiter  les  forêts,  où  l'on  trouvait  surtout  mi 
certain  arhre  nommé  mausur.  Cet  arhre  est  l'érahle  houclé  qui 
|)euple  encore  les  forêts  de  la  région  et  f>résente  à  l'éhénisterie 
de  si  précieuses  ress(jurccs. 

Les  haleines  ont,  il  est  vrai,  disparu  des  côtes,  et  la  chair  île 
haleine  ne  pourrait  plus  servir  à  l'alimentation  des  populations 
littorales,  mais  il  y  en  avait  jadis.  Dans  la  haie  de  Naragansett 
se  dresse  encore  le  Whal  Rock  ou  rocher  de  la  lialeine,  et  ces 
dénominations,  toutes  populaires,  ne  se  (l<tnnent  jamais  au 
hasard. 

La  vigne  et  le  hié  poussent  naturellement  dans  le  pays.  Le 
climat  y  est  doux,  le  gazon  s'y  flétrit  à  peine.  Les  Northmans 
donnaient  à  la  région  entière  le  nom  de  It-Goda,  ou  la  honne 
contrée  ['■2).  Encore  aujourd'hui  on  l'appelle  le  Paradis  de 
l'Amérique  du  Nord. 

On  s'étonnera  peut-être  de  voir  les  Skroellings  si  avancés 
dans  le  Midi  (3),  Thorwald  les  avait  naguère  rencontrés  en 
Nouvelle-Ecosse.  Karisefne  les  trouvait,  et  luttait  avec  eux  dans 
l'état  actuel  de  New- York.  Les  Skroellings  en  effet  paraissent 
avoir  occupé  im  immense  territoire,  mais  peu  à  peu,  ils  céderont 

(1)  Rak.\,  p   l4l.  '<  Taiitus  in  iiisula  anatuiu  moUissimarutn  iiumerus  eral, 
ut  prae  ovis  traiisiri  fere  non  possel  ». 
("1)  Rakn,  p.  191.  «  Invenit  Vinlandiani  Uonani  (Vinlanil  hit  Godda)  ». 
(3)  Beauvois,  Les  Skroellings,  p.  20-2i. 


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LliS    l'HKCl'IlSKIII.-.    I)K    (.OLOMIt. 


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lu  place  ù  de  nouveaux  erivaliisseurs,  't,  dès  le  xvi"  siècle,  ils 
seront  refoulés  très  avant  dans  le  no'd,  |)res(jue  dans  les  rèfiions 
p(daires,  où  sont  aujourd'hui  cundnés  les  tièhris  de  cette 
race  jadis  si  puissante.  Ceux  avec  lescpiels  luttèrent  les 
Northnians  resseuddent  à  s'y  méprendre  aux  modernes  Kalalis. 
Ils  sont  petits  (1),  comme  l'étaient  les  Skroellin^'s,  ils  ont  la 
face  large,  le  teint  foncé,  ils  sont  vêtus  de  fourrures  et  se  terrent 
dans  des  trous  creusés  dans  le  sol.  Ils  ont  encore  des  canots 
de  cuir.  En  HJOo  le  capitaine  Jame  Hall  ayant  laissé  une  épée 
à  leur  disposition,  l'un  d'eux  se  coupii  la  main  (2j.  Aussi  bien 
les  Kalalis  du  Laltrador  se  servent  encore  aujourd'hui  de 
couteaux  de  pierre.  Les  Skroellings  existent  donc  encore,  mais 
ils  n'occupent  plus  la  même  région. 

Sauf  la  (le  ière,  toutes  les  expéditions  des  Northnians  en 
Amérique  .„  .s  ont,  jus(|u'à  [irésent,  apporté  leur  contingent 
de  données  géographiijues.  Un  nouveau  voyage  allait  être  inutile. 

Kreydisa,  la  vaillante  fille  d'Eric,  la  sirur  de  Leif,  et  de 
Thorwald,  voulut,  elle  aussi,  jouer  un  rôle  important  dans  ce 
nouveau  monde,  où  elle  n'avait  jusqu'alors  ligure  (pi'au  second 
rang.  Maîtresse  absolue  de  l'esprit  de  son  mari,  le  faihle  Thor- 
wald, elle  l'engagea,  malgré  sa  répugnance,  à  retourner  au 
Vinland,  Cherchait-elle  la  richesse  ou  d'autres  aventures  ?  Etait- 
ce  l'avidité  ou  l'amour  de  la  gloire  qui  la  poussaient?  Tout  porte 
à  croire  que  cette  héroïne  songeait  surtout  à  l'argent.  Elle  avait 
traité  avec  deux  Islandais,  Ilcgge  et  Finnborge,  et  convenu  avec 
eux  de  partager  les  dépenses  et  les  profits  de  l'expédition.  Les 
deux  parties   contractantes   s'étaient   engagées  à  ne  conduire 

(1)  RiNK,  De  Dnnske  llandelsidislriker  i  Nordfjroenland,  t  II,  |).  2,  8, 
11.  «  La  plupart  des  Kalalis  sont  de  courte  taille,  et  se  distinguent  par  des 
mains  et  des  pieds  extraordiriairement  petits  ;  la  couleur  du  visage  est  très 
brune...,  leur  face  est  large  et  plate,  le  regard  un  peu  oblique  conune  dans 
la  race  mongole.  Les  cheveux  sont  d'un  noir  de  corbeau,  très  grossiers  et 
hérissés  ». 

(2)  A.  Meyl.vn,  Histoire  de  Cévangélisation  des  Lapons,  et  l'Evangile 
au  Labrador  (18G3),  p.  13i. 


f  1 
1 1 


CHAPITRE    IX.    —    LES    NOHTIIMANS   EN   AMEHIQUE. 


327 


<liacunc  que  trente  liuiiimes,  mais  Frcydisa  en  cacha  cinq  de 
|>lus  dans  la  cale  de  son  navire  pour  assurer  sa  supériorité  en 
cas  de  conflit,  et  ne  les  montra  que  lorsqu'il  n'était  plus  temps 
de  revenir  sur  ses  pas.  A  peine  déharqués  au  Vinland,  les 
associés  entrèrent  en  discussion,  llegge  et  Kinnborge  arrivés, 
avant  Freydisa,s"élaient  installés  àLeifsl)udir(l).  A  peini;  débar- 
quée, la  virago  les  força  de  déloger  sous  prétexte  que  son  frère 
Ijcif  l'avait  autorisée  à  se  servir  de  sa  maison,  et  les  contraignit 
à  construire  un  autre  logis  sur  le  rivage.  Uegge  et  Finnhorge, 
qui  paraissent  avoir  poussé  très  loin  la  longanimité,  essayèrent 
un  rapprochement,  et  organisèrent  des  jeux  et  des  fêtes  pour 
passer  gaîment  l'hier,  mais  des  querelles  éclatèrent,  et  la 
mauvaise  saison  s'acheva  assez  tristement.  Freydisa  qui  n'aurait 
dû  s'en  prendre  qu'à  elle  de  ces  premiers  mécomptes,  jura  de 
se  venger  (2).  Un  matin  elle  sort  du  lit  conjugal,  à  peine  vêtue, 
se  rend  chez  les  deux  frères,  et  leur  propose  d'échanger  leurs 
navires,  llegge  et  Finnhorge,  par  esprit  de  conciliation,  y  con- 
sentent. Aussitôt  Freydisa  va  trouver  son  mari,  le  réveillle,  se 
plaint  d'avoir  été  insultée  par  ses  associés,  et  réclame  une 
punition  exemplaire.  Thorwald,  sans  seulement  soupçonner 
l'artifice,  fait  prendre  les  armes  à  ses  hommes,  et  les  conduit  à 
la  demeure  de  ses  associés.  Ils  sont  saisis  et  égorgés.  Cinq 
de  leurs  femmes  avaient  été  épargnées.  Personne  ne  voulait  les 
tuer.  «  Donnez  moi  une  hache,  »  s'écrie  la  féroce  Freydisa.  On 
la  lui  donne,  et  les  cinq  infortunées  tombent  sous  les  coups  de 
la  Walkyrie  (3).  Gomme  la  contenance  des  Northmans,  vite 
revenus  de  leur  ivresse  sanguinaire,  lui  prouvait  qu'ils  avaient 
horreur  de  ce  massacre  inutile  :  «  Si  la  fortune  nous  accorde  de 
retourner  au  Groenland,  dit-elle,  je  retrancherai  du  milieu  des 


âl   . 


très 
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(1)  Rafn,  p.  67,  Particula  de  Groenlandis. 

(2)  11).,  p.  68-71. 

(3)  1d.,  p.  71.  «  Superstites  vero  erant  inuliercs,  quas  nemo  occidere 
voluit.  Heic  Freydisa  :  «  date  mihi  securim  ni  manum  ».  Ita  factum.  Deinde 
illa  quinque  mulicres,  quie  ibi  erant,  ferro  adgreditur  et  exanimes  relinquit  ». 


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Il  ' 


328      l'HEMIÈRE   l'AHTlE.    —   LES   l'HÉCURSEUHS   DE  COLOMB. 

hoinnu's  ('chii  <nii  dira  ces  cliosos.  Nous  dirons  au  contraire 
(|u'ils  sont  restés  ici  »  (1). 

D<>s  lors  l(!  succès  était  assuré.  Maîtresse  de  deux  vaisseaux, 
et  l'orte  de  la  terreur  (|u'elle  ins|)irait,  Freydisa  explore  tran(|uil- 
lenient  le  pays,  tantôt  loiif^eant  les  côt(!s,  tantôt  s'enfoncant  dans 
les  forêts,  puis,  au  prinleui[)s  dcî  1013,  retourne  au  Groenland. 
Son  assurance  paraît  l'avoir  ahandoniiée.  En  vain  distriltua-t-elle 
i\  ses  compagnons  la  [dus  grande  partie  de  ce  qu'elle  rapportait 
du  Vinland  :  elle  ne  parvint  pas  à  cacher  sou  crime,  et  fut 
dénoncée  à  Leif.  «  Je  ne  puis  punir  ma  so'ur,  dit  ce  dernier  ; 
mais  je  prévois  (|ue  sa  postérité  sera  malheureuse  {"1)  ».  Kn  elfet, 
d'après  les  Sagas,  il  ne  lui  arriva  plus  dès  lors  (jue  des  n'vers. 

Le  2G  avril  1831,  à  l'extrémité  méridionale  du  Fall- River, 
dans  le  Massachussetts ,  à  l'endroit  même  où  Leifshudir  fut 
peut-être  hAti,  on  trouva  divers  squelettes  avec  des  armures  de 
poitrine  en  bronze,  des  fers  de  lance  et  divers  instruments, 
semblables  à  ceux  dont  se  servaient  les  Northmans  au  x"  siècle, 
car  le  bronze  a  été  analysé  et  contient  les  mêmes  éléments  que 
le  bronze  des  objets  similaires  trouvés  en  Jutland.  On  en  a 
conclu,  peut-être  prématurément,  (jue  ces  squelettes  étaient 
ceux  des  victimes  de  Freydisa.  Nous  ne  pouvons  que  relater 
cette  hypothèse  :  ce  n'est  en  effet,  et  jusqu'à  nouvel  ordre, 
qu'une  hypothèse  (3). 

Apartirdecetteépoque,lesrenseignementsdevienncntdemoins 
en  moins  précis.  Les  Sagas  désormais  ne  mentionnent  plus  comme 
une  singularité  les  voyages  des  Northmans  dans  ces  contrées, 
sans  doute  parce  qu'on  les  considérait  comme  un  fait  habituel. 


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H 


(1)  Rak\,  p.  11.  «  Si  nobis  dabit  fortuna,  ut  in  Grœnlandiani  reveniamus, 
hune  ego  virum  de  niedio  tollani,  qui  lias  res  indicaveril  ;  nos  vcro  dicamus, 
eos  heic  remansisse,  postquam  hinc  discessissemus». 

(2)  Id.,  p.  73.  Non  induci  possum  ut  in  sororem  meam  Frcydisam,  proul 
meruit,  animadvertam,  scd  hoc  divinabo,  prolem  corum  parum  successus  habi- 
turam  ». 

(3)  Mémoires  de  la  Société  des  Antiquaires  du  Nord,  1840-1844  (p.  104- 
109,  119-127,  177-178).  184549  (p.  101-102;. 


CIIAI'ITHK    I.V. 


LKS    NOin'IlMANS    KN    AMKHKJUK. 


•.\'2\> 


\)rout 
habi- 


Une  dc'cunvertc  n'M'ciito  vient  de  pruiivcr  mit'  luis  de  plus  (|ii»' 
le  Viiilaiid  (''tiiit  rcf^iirdô  coiiune  lUic  véritaljlc  ctilniiic  par  les 
Nnrflimaiis.  l'ji  ISIîH,  M.  IMiilip|i(' Maisli  tntiiva  en  Islande,  près 
de  l'éfflise  de  Skalliolt,  Italie,  à  ce  (lu'nii  pense,  en  KK'l"  par 
rév(\(pie  Isleif,  nn  niainisci-it.  latin  ipi'il  lési<ina  smis  le  iiuin  de 
Skalliolt  Saga,  et  (pii  l'nt  traduit  en  anglais  par  sir  TlKunas 
Murrav.  (\o  inainiscrit  racontait  les  voyages  des  Islandais  an 
Vinland.  Il  |»arlait  aussi  de  leurs  coinhats  contre  les  Skroellings, 
et  surtout  de  l'expédition  tentée  par  un  certain  llervador,  (|ui 
serait  parti  du  Vinland  pour  se  rendre  dans  les  terres  du  sud, 
sur  les  côtes  de  llritrauianalaiid.  llervador,  voidanf  hiverner 
dans  ce  pays,  remonta  un  fleuve  et  linit  |»ar  s'arrêter  au  pied 
do  cascades  écumantes  qu'il  nonmia  llridsoerk.  ('/est  là  (pie 
périt,  tuée  par  !a  llèclie  d'tni  sauvage,  une  des  i'emmes  de 
rcx|)édition,  Syasi.  Ses  compagnons  l'enterrèrent  à  l'endi'oil 
même  où  elle  était  tombée.  La  Skalliolt  Saga  pntuvait  simple- 
ment, une  l'ois  de  plus,  que  les  Nortliuians  avaient  poussé  leurs 
expéditions  assez  loin  dans  le  sud,  ((u'ils  avaient  peut-être 
connu  la  (lliesapeake,  les  fleuves  qui  s'y  jettent,  ainsi  que  les 
cascades  (|ue  forme  le  Potomae  au-dessus  de  Washington,  l'n 
savant,  Uaninson,  un  géologue,  Letpieureiix,  le  professeur 
Brand  de  Washington  et  le  docteur  Hoyce  de  Hoston  voulurent 
profiter  des  indications  du  manuscrit,  et  retrouver  le  t(jinhean 
de  Syasi.  Ils  réussissent  au-delà  de  leurs  espérances  (l),  et 
môme  trop  complètement  au  gré  de  (piehpies  érudits  qui  les 
accusèrent  d'avoii-  eux-mêmes  préparé  une  mystification  archéo- 
logique. Le  i28  juin  1807,  en  effet,  Raffinson  trouva  une  ins- 
cription runi(jue  à  trois  kilomètres  environ  au-dessus  de 
Washington.  Cette  inscription  avait  été  protégée  par  la  voûte 
que  forme  en  dessus  le  rocher  nommé  Arrou-head  (Tête  de 
flèche),  et  par  le  voisinage  d'un  unti(pie  sapin  au  tronc  tordu. 


104- 


(1)  Tour  du  Monde  (N"  483)  citant  un  numéro  AdVUnion  de  Washint/ton, 
reproduit  par  le  New-Ï^ork  Weekly-Trihune. 


rir 


'.\'M)     i'hi:mik»k  I'autik.  —  i.i:s  i'ukciiiskiiis  dk  cni.o.Mii. 

I']||(>  s(>  nirii|i(isait  ilc  cai'iKitM'cs  de  trois  iiuiiccs  (le  liant,  les  uns 
très  |M'ii  prnfuinls,  icsiiiitrcs  au  contrain'  rrciisés  jiis(|irà  iii)  liiii- 
tit'iiic  (le  iHiucc.  Kllc  fut  ainsi  traduite  :  «  Ici  rcfiosc  Syasi  la 
MIhiuIc,  lie  rislaiuli'(  M'inilalc,  veuve  de  Kjoldr,  s(enrde'rii(tj:r|iar 
snii  |ière,A},'ée(le  viiijj;t-(in(|  ans.  Que  Dieu  lui  lasse  j;ràce(l().')l)  •>. 
fiOs  heureux  areliéoloj^ues  l'ouillèrent  ensuite  le  snl  au-dessous  do 
rinsrri|)tioii.  Ils  trouvèrent  quelques  ossements  (|ui  f(»iul»èrent 
aussitôt  en  |»oussière,  trois  objets  de  toilette  en  l>ron/e  tout  à 
fait  inforines,  percés  d'un  trou  par  où  passait  sans  doute  un 
cordon,  deux  IVajriuents  d'encrinite  servant  peut-être  à  un 
collier,  et  enlin  deux  nioiuiai(<s  du  Has-Kinpire  datant  du 
M''  siècle.  Cette  dernière  trouvaille  n'a  rien  de  sur-prenant  :  ou 
sait  aujourdlnii  «[ue  de  nombreux  Nortlimans  s'enrôlèrent, 
sous  le  nom  de  V'arèjiues,  au  service  des  em[)ereurs  de 
(lonstantiuople  (1^.  Tous  ces  objets  sont  aujourd'hui  déposés  à 
Washiufrton,  au  nuisée  de  l'Institut  Smithsonien.  Ils  semblent 
démontrer  la  présence  des  Northmans  en  Améri<|ue  vers  le 
milieu  du  xi''  siècle. 

Aussi  bien,  à  cette  é|)0(|ue,  la  connaissance  des  colonies 
américaines  semble  avoir  |)énétré  juscju'en  lùu'ope.  Adjun  de 
liréine,  dans  sa  description  des  contrées  du  Nord,  |)arlo  en 
termes  fort  clairs  de  la  Vinlandia(^).  «  Il  est  encore  une  autre  île 
qui,  d'aitrès  le  roi   Suénon  Estritius,  fut  découverte  dans  cet 


iii 


(!)  llAKN,  Antiquités  Hussns  et  Orieiitiila.f  d'oprùs  les  monuments  histo- 
riques des  Ivlanditis  et  des  anciens  Sc(nidi7inves. 

(2)  Adam  de  Urèjik,  Historin  ecclesiastica.  §  24(>,  p.  151.  «  Prictcrea 
iitiiim  iulluic  insulain  recitavit  rex  Daniœ  Suenus  Estritius  a  imillis  repertani 
in  illo  Occaiio,  (|iitr  dicitur  Winlaiid,  uo  quod  ibi  vites  s|)onte  nascantur  ; 
nain  et  frii^cs  il)i  non  ai)unilarc,  non  fabulosa  opiniunc,  sed  certa  Danorum 
rclatione,  conipeiiinus. . ,  Post  (inani  insulani  terra  nulla  iiivenitur  habita- 
bilis  in  illo  Oceano,  sed  omnia,  ipun  rétro  sunt,  glacie  intoleraltili  ac  calijçiiie 
nmensa  plena  sunt  :  Cujus  rei  Marcianus  ita  mcniinerit,  ultra  Thile  inquicns 
navigari  rarius  diei  propter  marc  coneretuni.  Tentavit  hoc  nupcr  experien- 
tissimus  Nordmarnornni  priiiccps  Haraldus,  qui,  latudincni  septentrionalis 
Occaiii  pcrscrulatu^  navibus,  tandeni  caligantibus  ante  ora  dcncicntis  mundi 
t'inibus,  immane  abyssi  baratiirum  retroactis  vertigiis  via  solus  evasit.  » 


(IIAI'ITHK    l\. 


l,i:S    NOHTIIMANS    K.N    AMKaiyii:. 


:i:u 


inquicns 
Uiicricn- 
lilrionalis 
lis  muniii 


ncôan.  On  la  iiiiiiiiiia  Viiilanil  (pays  du  \iii),  iiurcc  (|iit>  los 
\i;,'ii('s  y  |i()iis>H-iit  (l'cllt's-iiK^iiics.  (le  n'est  pus  une  liisf(»ire 
inventée  à  iihiisir  ;  nous  savons  pur  des  n  lalioiis  danoises 
anllienti<|ues  (jin'  lu  réffion  n'est  nuèiv  iortile.  Derrière  le 
N'iniand  on  ne  trouve  ^'uère  dans  cet  océan  auctuu'  terre 
liaitital)le  :  ce  sont  des  iuunensités  couvertes  de  ^Jace  et  pionj;é(!S 
dans  i'(»l>scnrité.  Marcien  s'en  est  souvenu  (piand  il  a  écrit 
(|u'oM  ne  pouvait  navi^'uer  |)lus  d'un  jour  au-delà  de  Thulé. 
Tout  réceuinient  un  prince  northniun,  excellent  inariti,  liarald, 
a  voulu  s'y  ris(juer;  il  s'est  enga}i:é  avec  ses  navires  dans 
rUcéan  se|»tentrional,  mais  le  monde  finissait  et  l«'s  trnèlires 
aiifiuieutaient.  A  f^rand  peine  a-t-il  pu.  pres(|ue  seul,  éviter  les 
altimes  et  les  goullVes  ».  L'n  savant  Suédois,  rpii  a  irussi  à  se 
l'aire  un  nom  par  ses  fantaisies  };éo}:raphi(pies,  Uudheck, 
raiiteiu"  de  l'.Vtlantide,  a  cru  voir  dans  ce  pays  non  pas  U> 
Vinland  mais  la  Finlande  (1).  Or,  la  Finlande  n'est  pas  d.ins  la 
zone  de  la  vi),^ne,  elle  n'est  pas  non  plus  située  dans  l'Océan, 
au-delà  de  Thulé,  et  les  pays  (ju'on  trouve  derrière  ne  sont  ni 
iidiahitahles  ni  inliahités.  Le  Vinland  au  contraire  est  situé 
au-delà  de  Thulé  et  produit  de  la  vigne.  De  plus,  derrière  ce 
pays,  les  glaces  ;'t  les  hrouilliu'ds  durent  éternellement,  et  le» 
voyageurs  (|ui  se  sont  aventurés  a|)rès  liarald  dans  les  mers  du 
pôle  ont  dû  s'estinu'r  fort  heureux  quand  ils  en  sont  revenus, 
(l'est  donc  bien  rAméri(|ue  dont  parlait  à  Adam  de  Hréme  le 
ini  Suénou,  et  c'est  l'Américpu'  dont  le  géographe  historien  a 
conservé  le  souvenir. 

Le  Vinland  était  également  connu  dans  l'archipel  des  Feroi', 
sans  doute  par  suite  des  relations  suivies  (jui  existaient  entre 
les  habitants  de  cet  archipel  et  les  colons  du  Vinland.  On  a 
conservé  un  ancien  chant,  Carmen  horotcum  (i)  , d'après  lequel 
la  belle  Ingeborga,  fille  d'un  roi,  ne  consent  à  donner  sa  main 

11)  RuDBECK,  Atlrmtis,  VII,  part.  VIII,  p.  29. 

(-)  Uaf.n,  Carvieii  heroicum  in  quo  Vinlandix  mentio  fit  {Antiquitate 
Americanx),  p.  320-335. 


'.V.\'l       l'ItlCMlKHK    l'AHTIK.    —    I.ICS    l'Hr.C.I'USIMItS    llK    (■.(M.ilMIÎ. 


mi'î 


I  i* 


m- 


n 


i\n'n\i  jj;ii('rri('r  (|iii  iiiii'.i  nuiili.ittii  et  vaiiicii  trois  rciis  du  Vhi- 
laiid  ;  mais  ih  ••  s(»nt  |»as  iiK's  par  l-'iiiu  Fulcr,  le  li('rns  i|ii('  la 
[M'iiiccssc  avait  clidisi  dans  son  cdMir,  et,  l'orcrc  de  tenir  sa 
promesse,  rinrortimée  meurt  de  cliafirin.  I^a  date  de  ce  chant 
est  incertaine,  et  il  ne  l'andrait  pas  lui  attrihiier  la  valeur  d'un 
«lociiinent  liistori(|ue,  mais,  à  travers  les  ornements  poétirpies 
(pii  le  délij^'urent,  il  est  facile  de  défrafrer  un  fait,  rexislence  de 
rapports  suivis  (intre  les  îles  de  rAtlanti(pie  et  le  Vinland,  et 
mtWne  d'une  navigation  trop  comme  |>our  (jue  les  scaldes  en 
cliantent  en((»re  les  péri|)éties. 

Nous  retrouver<ins  encore  le  Vinland  dans  la  contrée  dont  le 
Normand  (M'der-ic  Vital  (l)  parlait  en  ces  termes  :  <•  Li-s  îles  (  )r- 
cades,  le  Vinland,  risl,..<de  el  le  (îroeiilaud,  an  nord  des(pielles 
on  ne  trouve  plus  juicime  terre,  appartiennent,  ainsi  (|U(!  beau- 
coup d'autres  pays  jus(praii  (Jotlilaud,  au  l'oi  de  Norvéffc,  (jui, 
(lo  tous  les  |)ays  à  la  l'ois,  recoitpar  mer  de  ^^raiides  richesses  m. 
Le  tevte  est  altéré  en  cet  endroit.  On  |ieut  lire  Vinlanda  ou 
Kinlanda,  mais  l'historien,  à  pro|)os  de  la  j^nerrc  soutenue  par 
Ma^iius  III,  roi  de  Noi'vè|j:e,  contre  l'Islande,  nuMitiounait  les 
|)ossessions  de  Si^^urd  I  le  (jnjisé.  Oomhien  est-il  peu  prohalile 
(|u'après  avoir  cité  les  ()rcades,et  étant  sm-  le  point  denonuner 
l'Islande  i>t  le  (îroenland,  il  ait  pensé  soit  à  la  Finlande,  soit  au 
rinmark  de  la  Suède,  alors  (|u'il  était  si  naturel  de  citer  le 
Viidand  parmi  les  terres  océani(|ues  dépendant  de  la  couronne 
do  Norvège,  d'autant  pins  «pie  la  Finlande  fut  toujours  une 
dépendance  de  la  Suède  ou  de  la  llussie,  mais  nullement  de  la 
Norvège. 

Donc,  au  Xi''  et  au  \ii"  siècle,  le  Vinland  est  compté  parmi 
les  possessions  Scandinaves.  Les  évéques  de  Norvège  et  d'Is- 


(t)  Omoeiik;  Vital,  llixtovia  ecclesiasliai,  liv.  x  (('édition  [.e  Piovosl, 
t.  IV,  p.  !2'.l|  :  '<  Orcailcs  iiisiilm  vl  Viiiliiiiila,  Islaiida  r|ii()(|iie  ot  (iiueiilarKla, 
ultra  i|iiaiii  ud  .su|)t(;iiti'i(iiu!iii  terra  non  rL-|icritur,  aliaM|U(;  plants  iisi|ii"  in 
(îuti  'atnlani  itt^^i  Nnrii'ornrn  subjiciuntur,  et  du  tnlo  orlte  divititu  navi^iu  illuc 
udveluinlnr  », 


—  .!•-'"•  — 


r.llAlMTHK   I.V. 


l,i:S    NdltillMA.NS    KN    AMKHIUI  lO. 


:t;t:t 


lundi',  et  Itifiiti'il  !<■  ikhivcI  ('v'  'iic  iiislallt'  ;'i  (laidar,  en  llfncii- 
laiid,  le  roiisidt'rnil  cniiiiiic  une  paroisse  «'•l(ii;;in't'  de  leur 
dincèsc,  et  parCois  vont  rciidi'c  visite  à  leurs  luiiitaiiies  ouailles, 
(l'est  ainsi  «pi'en  KKl!)  j'évi^cpie  Ion  on  Jean,  après  nn  séjour 
de  (piatre  ans  en  Islande,  passe  au  VinlainJ  dans  Tesjjoir  de  con- 
vertir les  peuplades  américaines,  (pii  connneneaieni  à  i'ournir'  des 
compagnes  au\  colons  Nortiunans,  niais  il  y  sidiit  le  niartyre'^l). 
Oiielipies  années  plus  lar<l,  en  llil,  après  diverses  tentatives 
dont  riiist(tire  n"a  coiiservé(prun  va^ue  souvenir  (:2),  rislainlais 
l']rik  l'psi  (le  l^oisson),  ou  plutôt  (lni'ips<in  ilils  de  (înùpi  partit 
pour  le  Viidand,  dont  la  situation  religieuse  lui  inspirait  de 
vives  in(puétndes.  Il  parait  (pie  les  colons  de  \inland  (-taient 
alors  assez  nonil»reu\,  et  (pie  le  nouvel  éviMpie  trouva  sa  mis- 
sion trop  lourde,  car  il  renonça  solennellement  à  son  siè^c  de 
(lardar  poin-  se  consacrer  à  ses  ouailles  du  Vinland  (il).  C'est  du 
moins  ('(>  (pie  semlile  iii(li(piei'  la  nomination  à  l'évéclié  de 
lîardar,  en  ll!2'i,  d'un  cei'tain  .Vrnald,  sur  la  (leman(UH>\|. cesse 
des  cidoiis  (Iroenlandais  réunis  en  diète  fîéiiéraU'  (i). 

Il  eût  été  \\\v\  intéressant  de  cmïiiaitre  dans  ses  détails  la 
prédication  d'iù-ik  l'psi  et  son  lieiireiiv  succès.  La  découverte 
de  (piehpie  niaiiiiserit  islandais  éclaircira  peut-être  un  jour  ce 
curieux  problème,  (le  doit  (Mre  en  l'U'et  la  vipmrense  impulsion 
donnée  par  iM'ik  l'psi  à  la  prédication  clirétienne  au  Vinland 
(pii  e\pli(|ue  la  persistance  des  traditions  et  des  cérénioiiicîs 
reli^Mi!Uses  dans  certains  cantons  île  l'Amériiiue  du  Nord.  N(Jiis 

(I)  /ttdiid^  LnndsunuKiliock,  p.  ItltO.  —  Toni'AKi  s,  IJi^turid  VinlmiiU.v 
iinliifu.e,  p.  71.  —  Bkai'Vois,  Oritjines  et  /hiidiitioii  tlu  ii/its  tmcien  évé./ti: 
du  Souvenu  Monde   p.  lliO. 

{2)  Hkai.vois,  oiiv.  t'il('',  p.  \'M).  —  (iroenliiiids  liislarish'  Mindesiun'vltes, 
III,  ().  -  Ant.  Atnri;  p.  262. 

(J)  IUkn,  Ant.  Auter.  p.  2G1-262,  4;i2-4ÎJ3. 

'V)  l.(!  récit  tirs  (IfUiiilli';  di!  i-ettc!  iMcctitiii  .  ".  Iroiivc;  dims  le  l'M.iteyjarbock 
iinpoitiiiit  iiiaiiiiscril  dont  il  a  i'iù  pai'U;  pins  haut  Cf.  (Iroelimih  /listori^ke, 
\lindi:iin(}')'kes,  t.  Il,  p.  (i80-719.  —  Voir  dans  los  Mémoires  de  lu  Soiùété 
ilrs  Antii/u/lires  du  Noril  (I84I)-I8H|,  .1   inentoir  nf  lunar  Soi-kesou  jxir 

<il  1  HMI  .M).\H«O.N  HkI'I'. 


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I« 


i  -i 


334       PHEMIKRK    PAHTIi:.    —    LES    l'RKC.LHSKCKS    Ï)K   COLOMIl. 

aurons  occasion  de  revenir  sur  cet  intéressant  sujet.  Ainsi  s'ex- 
pliquerait également,  hien  que  l'assertidn  paraisse  au  premier 
abord  paradoxale,  !,t  prédication  de  la  croisade  en  Améri(pie(l), 
mais  seulement  à  une  épocpie  où  elle  commençait  à  ne  plus  être 
dans  l'ancien  monde  qu'un  vain  mot,  un  simple  [)rétoxte  à  lever 
de  l'arpent  plutôt  qu'une  guerre  sainte.  L'Kglise  en  effet,  «pii 
voulait  profiter  de  ses  dernières  ressources,  songe  à  ces  dio- 
cèses él(jignés  qu'elle  ne  connaissait  guère  (pie  de  nom.  I*]n 
12(51  lévéque  (  Haf,  prépare  le  terrain  par  ses  prédications  (2j. 
En  1270  l'archevêque  Ion,  autorisé  par  le  |»ape,  à  cause  de  la 
longueur  du  chemin  et  des  fatigues  du  voyage,  à  ne  pas  aller  de 
sa  personne  dans  ces  lointaines  contrées,  envoie  <<  une  sage  et 
discrète  personne  »  pour  recueillir  en  son  nom  le  produit  dos 
dîmes,  et  des  commutations  de  vanix,  produit  destiné  à  la  croi- 
sade al(jrs  préchée  par  toute  l'Kurope,  et  le  pape  Nicolas  II,  |»ar 
une  lettre  datée  de  Rome  le  31  janvier  1270,  confirme  les  pleins 
pouvoirs  fonférés  par  l'arche vécjue  à  ce  collecteur  anonyme. 
Trois  ans  plus  tard,  en  12S2,  le  mandataire  revenait  en  Nor- 
vège avec  une  riche  moisson  de  dîmes,  mais  les  pauvres  colons 
du  Vinland  connaissaient  peu  les  métaux  précieux  ou  du  moins 
n'aimaient  pas  à  s'en  dessaisir.  Ils  avaient  payé'  le  saint  person- 
nage en  nature  et  ce  n'é;wi  point  de  Wtr,  mais  une  ample  provi- 
sion de  pelleteries,  de  dents  de  morse  et  de  fanons  de  baleine  (pic 
rapportait  ce  dernier.  L'archevêque  loii,  fort  embarrassé,  con- 
sulta le  pape  pour  savoir  ce  qu'il  devait  en  faire  (i  mars  1282i 
et  Martin  IV  lui  donna  le  conseil  tout  pratique  de  vendre  et  de 
réaliser.  Il  est  probable  (pie  l'archevêque  sui^t  ^e  conseil  (3i. 
Vingt-ciu(j  uns  plus  tard,  en  1307,  les  dîmes  du  Yinland 
figuraient  encore  dans  le  produit  des  collectes  (4).  En  1300, 

(1)  Paul  IUkst,  ExpMitions  et  pèlerinages  des  Sca7idinaves  en  Terre-Saint  >■ 
au  temps  (/e.f  Croisades,   p.  36". 

2)  C'est  ce  même  tivênue  qui  sj  chargea  d'oprier,  au  nom  du  roi  de  Nor- 
vège, la  réunion  à  lu  couronne  des  colonies  d'AnKJriquc. 

(3)  IliANT,  CUV.  cité,  p.  365. 

(4)  iD.,  p.  380. 


CIIAIMTHIC    IX', 


LES    NOHTllMANS    K.\    AMIIlUOrR. 


;{;$;) 


re-Saintc 
de  Nor- 


aprc's  le  cijiu'ilc  de  Vioiini'  ot  la  |uilili(  atiou  d'une  levée  de 
subsides  par  Laurent  KarloCsou  et  IJiarn,  révtkjue  de  (lardar 
Ariii  se  rendit  à  sa  résidence  et  orf:anisa  cette  levée  (l).  Il 
n'oublia  pas  ses  paroisses  de  Vinland,  car,  en  131.'),  les  dîmes 
des  colonies  américaines,  consistant  connue  toujours  en  dents 
de  morse  et  en  pelleteries  diverses,  furent  vendues  douze  livres 
et  ((uatorze  sous  tournois  à  lui  flamand,  Jean  du  Pré.  l'Ji  iXil't 
ces  comptes  lurent  définitivement  arrêtés  [tar  Pierre  (lervais  [il). 
Les  possessions  extrêmes  des  Nortbmans  contribuèrent  donc 
pour  leur  part  au  grand  mouvement  religieux,  (jui  est  resté  le 
fait  dominant  du  moyen  ilge.  Trop  éloignés  pour  prendre  à  la 
lutte  une  pîu't  active,  et  d "ailleurs  appelés  trop  tard,  les  [)auvres 
colons  du  Vinland  tlonnèrent  néanmoins  à  l'Europe  cbrétienne, 
qui  soupçonnait  à  peine  leur  existence,  tout  ce  dont  ils  pouvaient 
disp(jser,  c'est-i'i-dire  les  produits  peu  variés  de  leur  industrie. 
Connue  les  détails  sur  l'organisation  et  la  vie  intérieure  de 
ces  colonies  américaines  mancpient  dans  les  documents  islandais, 
on  est  réduit  sur  leur  compte  à  des  conjectures.  Il  est  néanmoins 
probable  qu'il  en  fut  du  Vinland  connne  des  autres  établissements 
fondés  dans  l'extrême  Nord  |)ar  les  N(»rlbmans,  c'est-à-dire 
(ju'il  fut  organisé  en  colonie  liitre.  I^es  clierclieurs  d'aventures 
poussés  par  le  désir  de  lu  nouveauté,  et  les  bannis  toujours 
nombreux  aux  époques  et  dans  les  pays  où  dominent  les  passions 
individuelles,  venaient s<hiIs au  Vinland.  Unesorlede  république 
s'y  était  établie,  sous  le  protectorat  nominal  des  rois  de  Norvège, 
et  probablement  sous  la  direction  de  quelque  descendant  d'iu'ik 
llauda.  Les  colons  entretenaient  avec  la  métropole,  mais  surtout 
avec  le  (Jroenland  et  l'Islande  des  relations  assez  suivies  (3).  Ils 
échangeaient  les  richesses  du  pays,  bois  précieux,  peaux  de 
bêtes,  dents  de  morse,  huile  ou  fanons  de  baleine  contre  le  fer 
et  les  armes  qui  leur  man(|uaient.  C'était  la  pêche  surtout  ([ui 

(1)  lliA,    ,  p.  394. 

(2)  Id.,  |i.  391. 

(y)  ToHKAELs,  Yinlandia  antiqna    p.  "1. 


f  '} 


*{.'{(»       l'IlKMir.HK    l'AItTIK. 


LKS    l'UKClIIlSKUMS    llK   CdLOMIt. 


O' 


t'iiricliissait  les  Nortliiiians  (rAin('ri(|ii('.  Maintes  (ois  ces  hardis 
marins  se  laiicèroiit,  à  travers  les  détroits  qm'  redoutent  atijoiir- 
<riiiii  nos  capitaines,  à  la  [inursuite  de  i|U(>l(|iie  haleine  (|iii  leur 
avait  échappé.  Ainsi  (pie  le  chantait  un  de  leurs  scaldes,  Svenin, 
l'auteur  du  Xiirdrsrliidrupd  (1),  ils  nhésitaient  pas  à  alVronter 
les  M  hideux  lils  de  Forujot  (^)  souillant  sur  le  hiltinient,  et  les 
vafiues  dispersant  leur  écume.  Ils  s'avançaient  au  milieu  des 
tourhillons  iurieiix  de  la  faraude  chaine  (piand  elle  commençait 
à  déchirer  et  à  l'aire  tournoyer  les  lilles  du  p,éant  des  mers 
toujours  ^siies  dans  la  tempête  ».  Les  colons  i\u  (îroenland, 
et  particidiérement  les  Storiiindi,  ou  farauds  [tropriéfaires,  se 
signalaient  par  leur  audace.  Ils  s'étaient  étahlis  sur  tout  le 
versant  oriental  de  la  péninsule  :  (Ireipar  et  Kroksiiardarheidi, 
au  nord  et  au  sud  de  l'île  de  Disco,  ipudcpie  part  diuis  le  f^^olCi^  de 
Mel  ville,  étai(!nt  leurs  principales  stations  d'été  (IJ).  Ils\  trouvaient 
dos  phoipies  et  du  hois  (lotte  apporté  du  continent  parles  courants 
polaires.  Un  chroniipieur  contemporain,  IJiarn  lonoeus,  ('om|itait 
alors  treize  |)aroisses  suhdivisées  en  cent  (juatre-vinf^t-dix  villes 
dans  le  Westerhj^d  et  (piatre  paroisses  suhdivisées  en  (|uatre- 
vinj,^t-dix  villes  dans  ri']sterhyf:çd,  c'est-à-dire  sur  les  deux  versants 
du  (iroeidand.  (le  chill're  seud)le  fort  (exagéré.  (les  villes  n'étaient 
sans  douti!  (pie  des  villajîes,  ou  même  des  maisons  isolées,  et 
ces  éfilises  des  chapelles,  maisixi  chi(rr(î  sup|)ose  une  [)opulation 
relativement  considérahh;  et  une  prospérité  réelle. 

lui  lliK)  trois  (iroenlandais,  entrainés  par  le  f^oùt  dos  aventures 
périlleuses,  voulunnit  s'enfoneer  jusque  dans  la  région,  chanté(! 
par  les  scaldes,  «  où  l'étoile  polaire  était  visii)le  à  nndi  ».  Ils 
.s'enfîag(!rent  dans  les  détroits  nommés  depuis  de  Davis  et  de 


le 

dai 

ve 


(1)  Ce  poi'iiic  (latc!  de;  la  tîii  du  xi"  siècle.  Il  est  cité  par  Hiwnjui.sson. 
Jusqu'où  les  incie}is  Sca?idiiinvcs  ont-ils  pém'tn!  vers  le  pôle  arctù/uc  da7is 
leurs  expéditions  à  ta  mer  (jlaciale  ?  |i.  149. 

(2)  Les  lemp.'.es. 

(;t)  Hakn,  Antiquitates  Americano:,  p.  273-6,  296-300.  Tohkaeus,  Vin,' 
landia  Antiqua,  p.  2!)-3.'j. 


CIIAI'ITIIK    IV. 


I.KS    NOinilMANS    KN    AMKIIlOin:. 


atmn 


litures 


•t  de 


JLSSOS. 

daii'i 


Vin- 


Uariiii,  et  iirrivrfciif  jusqu'il  l'île  Kini^iktorsuak  (ui  dos  Kcriirncs, 
suiis  le  72"  ").""»'  de  lafitiido  horéalc.  Fiers  de  leur  e\|»l(»it,  ils  eu 
î-^ravèreiil  le  souvenir  sur  une  des  piei-res  de  Tile.  ('<eUe  [tierre 
tut  tntiivée  en  ISi'i.  décliillVée  par  le  inissioiinairi'  Kra^di,  et 
dé|tnsée  par  le  capitaine  (Iraali  au  uuisée  de  la  Suciété  des 
anti(|uaires  du  Nnrd  (  I  ).  Vax  voici  la  traduction  :  "  l'-rlin^'«t,  lils  de 
Si^:\vat.  et  Iliarn,  lils  de  'Pliord,  et  lundride,  lils  d'Odd,  ('rifjèrent 
ces  monceaux  de  pierre  le  samedi  avant  le  jour  de  fi:af:udaf:  {"IVi 
a\ril)  et  déhiayèreiit  la  place,  \\X\  »  (ti).  Les  Saj^sis  ne  parlent 
pas  de  cette  expédition,  mais  l'inscription  de  Kin};iktorsoak  est 
autlienti([ue,  et,  depuis  w  moment,  on  a  trouvé  des  insoriptions 
analotiues  à  jieu  près  dans  les  mêmes  parafées,  à  l^^llikko, 
à  Kfie^^eit,  à  ['p|)ernavick,  (pii  n<'  laissent  aucun  doute  sur  la 
réalité  de  ces  voyajres  dans  les  réjrions  Itoréales  ('A). 

Les  Saf;as  ont  conservé  le  souvenir  d'un  voya^ic  entrepris  en 
liCtC»  dans  la  même  direction  par  (piel(|ues  ecclésiasti(pies  du 
diocèse  de  (lardar.  Trois  prêtres,  et  parmi  eux  un  certain 
llalldor',  parfirent  de  Kroksilardarheidi.  Surpris  par  des  Itrouil- 
lards  intenses  et  poussés  par  le  vent  du  sud,  ils  se  laissèrent  aller 
à  la  dérive  à  travers  un  labyrinthe  d'iles  et  lnn;:èrent  des  cotes 
liordées  de  [placiers  à  [lerte  de  vue  (i).  Voici  du  reste  la  relation 
adressée  par  llalldor  à  son  ami  le  (îroeidandais  Arnald,  chapelain 
de  Ma}j:nus  llakonson,  roi  de  Norvè}i;e  (12()l}-li2()S)  :  <>  Les 
prêtres  é(juipèrent  un  vaisseau  destiné  à  une  expédition  vers  le 
n(trd  ayant  jtonr  Itut  d'"xauuner  le  pays  situé  plus  au  nord  (pie 
les  contrées  visitées  jnscpi'alors.  Ils  lirent  voile  de  Kroksliar- 
darheidi  jus([u'à  ce  (pi'ils  perdissent  la  côte  de  vue.  .Mors  un 
vent  du  sud,  aocompaf.'^né  dune  ;;i'an(le  obscurité,  les  attaipia  <'n 


(1)  Raks,  A7it.  Am.,  p.  276-218  citant  llom(i'stelc\i;i  Sl<iil(llii!l},'i;ma. 

12)  Màinnirt'A  de  la  Socirlt'  t/c^  AntiquaircH  dit  Nord,  184.'i-184!t.  p.  :tli. 

(H)  Mi'jnoires  de  la  Sociéti'  des  Atiti'/uairr.s  du  Nurd,  pas.siin. 

{k}  (iri)enlands  liislorilie  Mindcsimvrkrr ,  t.  11  ,  p.  2:t8-2i.'!.  —  UaKN. 
Antiqxnlates  Aiiieriiyni.r,  p.  2(i!)-27H,  Nous  avons  rilr  la  liadiictinn  Itryii- 
jullson,  ouv.  cité,  p    14i^. 


!s  ! 


T. 


22 


1 


X)H       l'HKMlliHK    l'ARTIK. 


LRS    PRKCIHSKLHS    l>K   C.OI.OMIl. 


H.p 


471 


li; 


face,  ot  ils  furent  contriiiiits  do  laisser  aller-  le  vaisseau  selon  le 
vent;  niai>>  lorscjue  la  tempête  se  fut  calriiée  et  (pTil  lii  jour  de 
nouveau,  ils  virent  une  jurande  (|uantifé  d'îles  et  toute  sorte  de 
poissons,  dos  piiocpios,  des  haleines,  et  des  ours  en  jrraiid  nombre. 
Ils  pénétrèrent  jus(|u'au  fond  do  la  baie,  do  sorte  qu'ils  perdirent 
la  terre  do  vue  vers  l<>  midi,  ainsi  que  les  i^laciers,  car,  d'aussi 
loin  que  l'on  pouvait  y  voir  vers  le  sud,  il  n'y  avait  (|ue  des 
placiers.  Ils  y  trouvèrent  des  traees  de  Skroelliuf^'^s ,  mais  ils 
ne  pouvaient  débanpier  à  (  anse  des  ours.  Plus  tard  ils  retour- 
nèrent en  arrièi'o  pendant  trois  jours,  et  étant  arrivés  iKpiebpies 
îles  situées  au  sud  de  Sncofell,  ils  y  trouvèrent  de  nouveau  des 
traces  de  Skroellinjis.  Knsuili'  ils  se  tournèrent  vers  le  sud 
jusqu'à  Kroksiiardarlieidi,  une  longue  journée  à  rames,  le  jour 
même  de  la  Saint  Jacques.  La  nuit  tout  ficlait  alors,  mais  le  soleil 
brillait  cependant  j(tur  et  nuit,  et  ne  s'él(>vait  jamais  plus  haut 
(jue  si  un  homme  se  couchait  transversalement  dans  un  bateau 
à  six  rames,  eu  s'étendant  sur  le  banc,  rond)ro  du  bord  le  plus 
rapproché  du  soleil  lui  tombait  sur  le  visafîe.  Mais  à  minuit  le 
soleil  était  aussi  haut  que  chez  (  u\,  dans  un  jiays  habité,  cpiand 
il  se  trnu\e  au  uord-ouest.  Après  cela  ils  retournèrent  à  (i;irdar  'i. 
(le  passa;j:e.  à  cau<e  de  la  précision  de  certains  détails,  a  frappé 
les  savants  il).  On  a  essayé  de  déterminer  la  latitude  (pi'at- 
teifïnirent  ces  premiers  explorateurs  des  régions  boréales. 
D'après  les  calcids  miiuitieux  de  l'astronoirie  Schumacher  et  de 
l'amiral  Zahrtmaim,  la  hauteur  de  soleil,  au  i.'J  juillet,  jour  de 
la  Saint  .la<ques,  à  minuit,  nous  ramène  au  parallèle  de  7o'  '<('», 
c'est  à  dire  un  peu  au  nord  du  détroit  de  Marrow.  Haildi>r  l't  ses 
compajinons  auraient  donc  précédé  Franklin,  Ross,  Uayos, 
Nares  et  (Ireely.  t(tus  ces  héros  des  réf^ions  boréales,  dans  ces 
mers  lerriitles,  si  fécondes  eu  naufra|i'es  de  tout  j;enre,  et  ils  les 
auraient  bravées  avec  leur  frêles  escjuif-;,  soutenus  seulement 
par  la  ferme  volonté  de  <<  [)ousser  plus  oultre  !  » 

(1)    IUfn,  A)itii/uiti:i  ADtériminv.i,  Introdiiclion,  p.   XXVI.   II».  Memoirr 
sut'  la  Découverte  île.  l'Ainvrit/ue  du  .x"  .'■irclf,  p.  21. 


parle 

(2! 

MiclK 

i'i) 


CIIAI'ITKK    IX.    —    LKS    NOHTIIMANS    K.N    AMKHK>li:. 


:j:j!) 


A  pou  prôs  ù  la  tnôrnc  <'po(|U(\  on  liiHrj  il),  doux  pnHros  Islan- 
dais Atlalln'aixl  ot  Thorwald  llolfrasou,  coniproiuis  dans  los 
Irouhlos  roligioux  do  lilo  s'oird)ar(juoront  pDur  le  Markland  : 
Ils  retroiivôront  sans  peino  lo  pays  aiiquol  ils  dunnôront  lo  nom 
(pi'il  a  depuis  conservô  Nyj<i-Liuid,  ou  Torro-Ncuno.  La  morue, 
alors  counno  aujourdliiii ,  foisonnait  dans  ces  parages  Ou 
trouvait  aussi  beaucoup  de  |)oissons  sur  les  eôtes.  Il  suffisait  do 
creuser  des  fossés  à  l'endroit  baigné  par  la  [)lus  haute  m(îr,  et, 
(piand  Toau  se  retirait,  ils  se  trouvaient  plein  de;  poissons.  Cotte 
pèche  facile  et  lucrative  est  encore  aujourd'hui  pratiquée  par 
les  riverains  de  Terre-Neuve.  Aditllirand  ot  Thtjrwald  décou- 
vrirent ou  du  moins  signalèrent  encore  los  îles  du  Duvet,  ainsi 
nommées  à  cause  du  nombre  extraordinaire  d'oiders  ou  d'autres 
oiseaux  de  mer  qui  y  bAtissaient  leurs  nids.  C'est  une  particu- 
larité (|ue  signalèrent  également  nos  compatriotes  Cartier  et 
Cbamplain,  lorsque,  à  un  siècle  di;  distance,  ils  voyagèrent  au 
Canada,  u  Ces  isles,  écrira  Cartier  (2),  estoyont  plus  remplies 
d'oiseaux  que  ne  serait  un  pré  d'herl)e,  lesquels  faisoyent  là 
leurs  nids,  et  en  la  plus  grande  de  ces  isles  y  en  avoit  un 
monde  do  ceux  que  nous  appelions  margaux  qui  soat  grands 
ot  plus  grands  qu'oysons,  ot  estoijnt  séparez  en  un  canton,  ot 
on  l'autre  part  y  avoit  des  godets,  ...  ».  —  <(  On  y  trouvait, 
lisons-nous  dans  Cbamplain,  une  telle  abondance  d'oiseaux 
(le  difl'érentes  espèces  qu'on  ne  pourrait  se  l'imaginer,  si  l'on  no 
Tiivait  vu,  comme  cormorans,  canards  de  toutes  sortes,  oies, 
niarincttes,  outardes...  et  autres  sortes  lesquels  y  font  leurs 
uids  »  (3). 


aii?^  *'^'> 
k  iU  lo^ 
kilouiont 


Méiiiol 


(l)  Voir  les  Annales  Royales,  ainsi  nommées  parce  (jue  le  manuscrit  en  est 
conserve  à  la  bibliothèque  du  Roi  à  Copenhague.  —  Rai'N,  .1»/.  Atn.  p.  262. 
'<  Kundu  Helgasyim  Nyja  Land  Adhalbraiidr  ok  Tliorwaldr  ».  —  Les  Annales 
tris  anciennes  qui  datent  du  commencement  du  xive  siècle,  et  le  Klateyjarbok 
liHilent  de  cette  découverte,  mais  sans  en  mentionner  les  auteurs.  R.ai'N,  p.  262. 

(2:i  DUanirs  du  voijage  fait  par  le  capitaine  Jaques  Cartier,  édition 
.Michclant  et  Uanié  (1863),  p.  34. 

(li)  C.iiAMi'i.AiN,  édition  Laverdière. 


m 


.•.■?;iit-i. 


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■•  I- 


'A'tO     l'iiKMiKiU':  l'AHTii:.  —  u:s  i'RKccuskihs  hk  colomii. 

La  nouvelle  des  découvortes  d'Adalliriuid  et  de  'Pliurwidd  se 
i'é|(aiidit  en  Nid'vèj^e,  et  excita  un  joyeux  eui|»resseinent.  lui  l^iH*.) 
le  rui  ICric  envoyait  d'almrd  en  IsiaiuUï  pour  y  (tréparer  l'expé- 
dition,  puis  à  la  Tei're-Neuve  un  certain  llolf.  I^es  annales 
Islandaisi's  nous  montrent  ce  lloli'"  parcourant  en  ell'et  l'Islande 
dès  l'année  121)U,  et  en^af^cant  les  lialtilanls  à  faire  le  voyafre 
de  Terre-Neuve  (1)  ».  (Juand  il  mourut  en  lill.'îil  était  connu  sous 
le  surnom  d<'  Uoll'  des  pays,  ou  Uoll'  rKs|)lorateur  :  ce  (pii 
sendderait  indiquer  (ju'il  avait  été  heureux  dans  ses  voyages  ["1). 

\  partir  de  cette  épocjue,  on  n<!  trouve  plus  mentionnées 
dans  les  Sagas  et  dans  les  autres  documents  liist(jri<iues  que  de 
très  rares  expéditions,  soit  au  Vinland,  soit  à  la  Teri'(!-Neuv(^ 
Il  semble  (jue  ces  voyages  sont  devenus  liahiluels,  pres(pie 
réguliers,  et  dès  lors  ils  n'attirent  plus  l'alteation.  Ainsi, 
lors([ui'  Ivar  Hardson  en  1317  sera  chargé  de  visiter  et  de  décrire 
les  étahlissements  des  Northmans  en  Améri(|ue,  il  compo- 
sera son  ouvrage  sans  seulement  faire  remarquer  (|u"il  décrit 
des  régions  à  peu  près  inconnues  (3).  En  1347  nous  trouverons 
une  nouvelle  mention  d'un  voyage  au  Markiand,  mais  sans  le 
moindre  mot  de  surprise  (i).  «  11  vint  alors  en  Islande  un  navire 
du  Groeidand,  ntonté  par  dix-huit  hommes,  et  (jui  avait  visité 
le  Markiand  (5)  ".A  vrai  dire  les  Islandais  ou  les(jroeiilandais, 

Il  Rakn,  Aut.  Arn.  p.  2ti3.  «  For  Rolfr  uni  Island,  ok  Krafahi  menn  lit 
Nyja  Lands  ferdhar  ». 

"Ij  Uakn,  Id.,  Andadhist  Landa  Ilolfr. 

(.'il  On  a  conservé  la  description  du  (îrœnland  par  Ivar  Mradson.  Rai'N  l'a 
publiée  dans  ses  Aiitiijuitates  Americanx,  p.  .302-318.  —  Majou  en  adonné 
une  nouvelle  édition  eu  187;{.  Descnptio  Grwnlandiœ  auctore  Ivare  Bardi 
filio   (i  la  suite  de  Tliu  Voyages  of  Niœlo  aiul  Antonio  Zeno). 

(4)  Voir  la  curieuse  lettre  de  recommandation  donnée  à  Ivar  par  llaknii, 
archevè(iue  de  Bergen,  6  août  1341.  (Mémoires  de  la  Société  des  Antiquaivi'i 
du  Sord,  18451 849,  p.  7). 

(."•)  Um-n,  p.  264-0.  Cf.  p.  207,  extrait  des  annales  de  Skalholt  :  «  Il  vint 
aussi  un  navire  de  (irœnland,  moins  grand  que  les  petits  vaisseau.ic  qui  l'ont 
le  voyage  d'Islande.  Il  aborda  dans  le  Straumfiord  extérieur.  Il  était  saim 
ancres  et  il  portait  dix-sept  lioinnies,  ipii  s'étaient  rendus  dans  le  Markiand, 
mais  qui  avaient  ensuite  été  poussés  ici  à  la  dérive  ». 


OIIAl'ITUi:    l\.    —    l.KS    NOIITIIMA.NS    K\    A.MKRKHi:. 


ail 


menn  lit 


RapN  l'a 
a  donné 


:  Il  11  vinl 

X.  (jui  font  ' 

était  saii» 

Marklanil, 


(lu  froizicmc  au  (|H!itorzi(''iii('  sic'clc,  paraissent  avoir  (Mitretciiii 
(le  fr(''(ju('nt('s  relations  avec  les  établissements  d'Amérique,  (le 
(|u'ils  rliercliaient  siu"  les  côtes  du  nouveau  monde  c'étaient 
surtout  des  poissons  ou  des  aninuiuv  marins,  et  aussi  du  bois 
flotté.  Il  est  en  ell'et  ti'ès  souvent  fait  mention  dans  les  Sa},Ms  d(> 
ce  bois  flotté,  qui,  très  probablement,  était  apporté  par  les  cou- 
rants [»olaires.  .Vinsi,  dans  la  clironicpie  du  préteur  llnnk  Kr- 
lendson,  à  la  date  de  l'.VM,  nous  lisons  :  "  Dans  le  Nordshota 
(partie  du  (îroenland),  il  y  a  ilu  bois  flotté,  mais  il  n'y  croit  |ias 
d'arbres.  Cette  pointe  septeiitriijiiale  du  (îroenland  reçoit  sur- 
tout du  bois  et  toutes  sortes  d'épaves  venant  des  polfes  du 
Markiand  »  (1).  Le  plus  renonmié  de  ces  bois  était  le  uiausur  ou 
érable  bouclé.  On  le  trouve  encore  dans  le  l{bode  Islarul  et  le 
Massacbusscts.  Ses  deux  princij)ales  variétés,  l'acer  rubrum  ou 
birds'efie  (o'il  d'oiseau)  et  l'acer  sacliarimun  ou  curledmaple 
(érable  frisé")  sont  fort  rccberchées  à  cause  de  leurs  belles  cou- 
leurs, de  leur  dureté  et  de  leur  éclat.  Lorsque  les  cours  d'eau 
de  la  côte  Américaine  portent  à  la  merles  troncs arracbés  dans 
les  forêts  qui  bordent  le  littoral,  aujourd'hui  comme  jadis  c'est 
sur  le  rivage  du  Groenland  (|ue  les  (;ourants  rejettent  ces  pré- 
cieuses épaves  (2). 

Malgré  ces  deux  sources  pour  ainsi  dire  intarissables  de 
richesses,  pécdieries  et  bois  flottés,  les  établissements  du  Vin- 
land  et  du  Markiand,  fondés  par  des  métropoles  fort  pauvres 
elles-mêmes  restèrent  fort  chétifs.  D'abord  les  Northnians  ne 
tardèrent  pas  à  tourner  vers  d'autres  contrées  leur  activité 
remuante.  L'empire  d'Orient  (|ui  s'écroulait  et  le  service  rému- 
nérateur qu'ils  prêtaient  en  qualité  de  vvarangi  ou  gardes  du 
corps  au\  empereurs  Byzantins  les  attiraient  bien  plus  que  les 
dangers  de  la  mer  et  les  profits  toujours  précaires  de  ses  redo;i- 


(1)  Ce  passage  a  été  conservé  par  Rjoerh  deSkardsa,  auteur  des  Annales 
(lu  Gtœnland  (Rafn,  p.  27.')). 

(2)  llixccK,  Grœnland,  f.  il,  p.  18. 


I 


'( 


.Tri       l'UKMIKIIK    l'.MITIK. 


LKS    l'HKClUSKIUS    ItK   COUIMU. 


m 


tiiMos  uventurcs.  l^a  iii(';ti'(jp(il<!,  au  lii'ii  de  les  sout(!nir,  semble 
avoir  oublié  ces  lointain  coiuptoirs.  A  jiurtir  ilu  règnii  de  Mar- 
);uerite  de  Waldeiuar,  la  ruuroune  se  réserva  le  monopole  du 
(•ommcrci! ,  et  défendit  à  tout  navire  «  à  moins  de  justifier 
(pi'il  leur  a  été  iiuftossible  de  résistera  la  force  des  vents  et  aux 
inAles  de  gla(;e  ([ui  flottent  sur  les  eaux  »,  déborder  sans  sa 
p(^rmissi»»n  à  ces  colonies  transatlanti(jues  (1)  ;  ce  ijui,  du  jour  au 
lendemain,  diminua  singulièrement  le  nombre  des  armateurs 
ou  des  marins  assez  hardis  pour  s'engager  dans  ces  expéditions 
aventureuses,  et  dont  ils  devaient  partager  les  prollts,  si  profits 
il  y  avait,  avec  la  couronne.  La  liberté  comm«M'ciale  pouvait 
seule  donner  la  vie  à  ces  lointains  établissements.  Klle  disparut. 
Les  colonies  américaines  disparurent  avec  elle. 

Les  attaques  incessantes  des  Skroellings  précipitèrent  cette 
chute.  Il  send)le  (|ue  les  indigènes  se  soient  montrés  réfrac- 
traires  à  la  civilisation  européenne.  Dès  la  pnîmière  heure  ils 
ont  engagé  contre  les  nouveaux  arrivants  une  lutte  pour  l'exis- 
tence, où  ils  furent  d'abord  vainqueurs.  Ce  n'est  i)as  que 
quelques-uns  d'entre  eux  n'auraient  pas  mieux  demandé  que  de 
vivre  en  bonne  intelligence  avec  les  Européens.  Les  Sagas  ont 
conservé  la  touchante  histoire  de  deux  jeunes  Ksquimaux,  le 
frère  et  la  sctur,  qui ,  sauvés  d'une  mort  terrible ,  (ils  étaient 
abandonnés  sur  un  récif  que  commençait  à  couvrir  la  marée 
haute),  par  un  colon  Northman,  Biorn  Einarsson  Jorsolafare, 
lui  prêtèrent  serment  de  fidélité,  et  dès  lors  pourvurent  à  tous 
ses  besoins.  La  jeune  fdie  regardait  comme  une  grande  faveur 
(|ue  sa  maîtresse,  Sohveig,  nouvellement  accouchée,  lui  permit 
de  porter  et  de  caresser  son  enfant.  Le  jeune  homme  allait  à  la 
pèche  et  <\  la  chasse  pour  ses  nouveaux  amis.  Tous  deux  furent 
tellement  désolés  du  départ  de  Biorn  qu'ils  se  tuèrent  en  se 
jetant  à  la  mer  du  haut  d'un  rocher  pour  suivre  le  navire  de 
leur  maître  qui  n'avait  pas  voulu  les  emmener  en  Islande  »  (2). 

(1)  IsAACUs  PoNTANus,  Rerum  Danicarum  hialoria  (1031),  p.  521, 
1^2)  Grœnlands  historiske  mindesmœrker,  t  III,  p.  34,  436-439. 


i  i; 


CllAlMTHi:    I.\.    —    LKS    NdllTIlMANS   KN    AMlOHigilK. 


M'A 


Leurs  cuiiipiitriotcs  ii'rl.iiciif  |>Jis  si  tcmlrcs  à  l'égard  des 
Nurlliiiiaiis.  Ils  les  (•((iisidciMiciihoiiiiiic  dds  cniiciiiis  iiatioiiaiLX, 
et  les  alta(|iiai('iit  sans  iviiiissioii  dès  (|u'ils  se  croyaieiUlcs  plus 
Torts  (l).  Il  |)rati(|uai('iil  iiièiiic,  intii  sans  succès,  l'art  de  faire 
soiniirer  les  navires  Nurllimans.  «  Dans  le  (îroenland,  écrivait 
Olulis  Ma^rnus  (i),  il  y  a  une  espèce  de  pirates  qui  se  servent 
de  canots  de  cuir  et  de  procédés  nautiques  extraordinaires,  en  ce 
([u'ils  attaipient,  non  par  le  haut,  mais  par  le  bas,  les  navires 
de  conuiu-rce,  et  en  percent  la  cale  par  dehors.  Jùi  iriO.'J,  j'ai 
vu  nioi-niéuie  deux  canots  de  ce  genre,  en  cuir,  placés  au- 
dessus  de  la  porte  occidentale,  à  l'intérieur  de  la  porte  de  la 
catliédriile  d'AsIo  (Christiania).  Ils  étaient  suspendus  au  mur 
connue  trophée...  Les  habitants  de  cette  contrée,  en  efTet,  ne 
font  pas  peu  de  gain  en  s'appropriant,  par  ces  artifices  et  d'autres 
send)!al(les,  les  dépoudies  des  navires.  Avec  leur  adresse  de 
larnjiis,  ils  en  percent  sans  bruit  les  planches  inférieures  pour  y 
faire  entrer  l'eau,  et  les  submergent  très  vite  ». 

Ce  n'était  pas  seulement  en  ((ualité  de  [ùrates  queles  Schroel- 
lings  s'étaient  rendus  redoutables.  Ils  n'hésitaient  pas  à  attaquer 
les  Northmans  dans  leurs  établissements,  même  fortifiés.  C'est 
ainsi  que  toutes  les  colonies  du  Westribygdh,  en  Groenland 
occidental,  furent  détruites  les  unes  après  les  autres.  En  1344, 
Ivar  liardson  (3),  chargé  d'une  ex|)édition  dans  cette  région, 
fut  très  surpris  «  de  n'y  trouver  aucun  habitant,  soit  chrétien, 
soit  païen.  Il  n'y  avait  ((ue  du  bétail  deveim  sauvage  et  des 
moutons  ;  ils  se  nourrirent  de  ces  animaux,  en  chargèrent  sur 
leurs  embarcations  autant  ((u'elles  en  pouvaient  porter  et  firent 
voile  pour   leur  pays  ».  Ce  fut  surtout  au  xv"  siècle  que  les 

(1)  (Srœnlands  liistoriske  mindesmœrker,  t.  III,  p.  32. 

(2)  Olaus  Magncs,  De  gentium  scptentvionaliiim  variis  conditionibus 
(1555),  §  'J,  p.  68. 

(3)  IvAR  Hahdson,  Dettcripfio  GrT.nlandix  (édit.  Major,  p.  53).  «  Quo 
(luum  venisseiit,  nuliuin  liomineni,  neque  cliristianum,  nequu  paganuin,  inve- 
nerunt,  tantuininodo  fera  pccora  et  ovcs  depreiicnderunt,  ex  quibus  quantum 
naves  ferre  poterant  in  lioc  dcportato,  domuni  rcdierunt  ». 


IMAGE  EVALUATION 
TEST  TARGET  (MT-3) 


// 


^  A 


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1.0 


1.1 


:  112  12.0 


IL25  III  1.4 


I 

li 

m 


314      PREMIKKK    PAHTIK.    —   LES    l'HÉCt'BSEURS   DE   COLOMIi. 

attaques  des  Skrocllings  furent  riuloutahles.  Nous  nVii  vouluiis 
donner  d'autre  preuve  (jue  le  liref  du  pape  Nirulas  V,  en  date 
du  'M  septeml)re  14-48,  adressé  aux  évoques  de  Skalliolt  et  de 
Hols  en  Islande  (1)  :  «  Il  y  a  trente  ans,  des  l»arl>ares,  sur  une 
flotte  partie  des  cOtes  païennes  les  plus  voisines,  ont  attaqué 
dans  une  sanglante  agression  tout  le  peuple  des  colonies,  ravagé 
par  le  feu  et  le  glaive  le  pays  et  les  édilices  sacrés,  ne  laissant 
subsister  dans  l'île,  qui,  dit-on,  s'étend  dans  des  limites  très 
larges,  que  neuf  églises  jiaroissiales,  au.vpielles  ils  ne  pou- 
vaient avoir  un  accès  facile  à  cause  de  l'escarpeinent  des  mon- 
tagnes. Ils  firent  prisonniers  et  emtnenèrent  dans  leur  pays  les 
malheureux  habitants  des  deux  sexes,  principalement  ceux 
qu'ils  voyaient  vigoureux,  propres  à  supporti-r  le  j<tug  d'une 
captivité  perpétuelle,  et  acconunodés  à  leur  tyrannie  ».  Cette- 
navrante  description  est  si  bien  conforme  à  la  réalité,  et  les 
Skroellings,  encouragés  par  le  succès,  durent  tellement  mul- 
tiplier leurs  atta(|ues,  (jue  bientôt  les  derniers  chrétiens  dispa- 
rurent du  (Iroenland.  On  a  conservé  la  liste  des  évé(jues  de 
Gardar.  Trois  seulement  sont  nommés  après  le  bref  du  pape 
Nicolas  V,  Gregorius,  Jacobus  et  Vincentius,  dont  les  sceaux, 
dat«''s  de  1450,  1487  et  1537,  ont  été  retrouvés  et  publiés  par  la 
Société  des  Antiquaires  du  Nord  (2). 

Une  nouvelle  cause  de  dépérissement  s'ajouta  à  toutes  celles 
qui  existaient  déjà.  La  terrible  peste  noire  (3),  celle  dont  Boc- 


(1)  (irœnlands  historiske  mindesmœrker,  t.  III,  p.  IIO-I.  «  Ex  linitiiiiis 
littoribus  barbaroruin,  nnte  annos  triginta,  classe  navali  barbari  iiisurgcnlcs 
cunctum  habitatorum  ibidem  populuiii  crudeli  iiivasioiic  ag;;ressi,  et  ipsuiii 
patriain  icdesquc  sacras  ignc  et  gladio  dévastantes,  sulis  in  iiisiila  iioveiii 
relictis  ecclesiis  parochialibus,  quœ  latissiinis  dicitiir  extendi  tcnninis,  qua^^ 
propter  crepidines  inoiitiuin  commode  adiré  non  possuiit;  miserandos  utriiistjne 
sexus  indigcnas,  iilos  prœcipuc,  quos  ad  subeundum  perpétua*  onera  semlatis 
aptes  videbant  et  fortes,  tanquam  ipsorum  tyrannidi  accommodâtes,  ad  pro- 
pria venerunt  captives  ». 

(2)  Société  des  Antiquaires  du  Nord,  1845-1849,  p.  432. 

(3)  Heckeh,  Der  Schwarze  Tod  des  viehrzehnten  lahrhunderts,  p.  39. 


ciiAi'iTiii-:  IX. 


I.KS  .\(»IITIIMA\S  i:.\  AMKKiun:. 


:iir; 


cace  il  consorvo  k*  Iu^uIht  souvenir  (I),  après  avoir  ravapé  lAsif 
et  rEuro|H',  s'otcndit  à  rAiiiériquc.  (|iieson  isolciiuMit  aurait  dû 
lirotéger,  et  dépeupla  presque  eiitièn'iiient  le  (Iroeiilaml.  Or, 
coinniu  e'étaieiit  le  (iroeiiiaiid  et  l'Islande  qui  fouriiissaieiit 
prcs((uu  exclusiveuieiit  des  e(doiis  au  Vinlaiid  et  au  Markiaiid, 
les  eoininuiiiratious  furent  interroiupues,  et  la  dépopulation  (|ui 
affligeait  ces  deux  contrées,  s'étendit  aux  colonies  an>érieaines(:i). 

Il  paraîtrait  encore  qu'un  énorme  amas  de  glace,  luie  gigan- 
tes<jue  l>an(|uise,  se  serait  interposé  entre  le  Vinland  et  le  (îroen- 
land  {'.Vj.  Dès  lors  les  colons  d'Américpie,  déjà  peu  nond)reux, 
dispersés  sur  une  immense  étendue  de  pays,  séparés  de  la 
métropole  par  un  obstacle  insurmontaltle,  et  d«>  plus  entourés 
d'ennemis  avec  lesquels  toute  union  était  impossihie,  auraient 
rapidement  disparu,  et  avec  eux,  le  souvenir  de  cette  lointain»' 
colonisation,  (iette  liypothèst;  est  ingénieuse,  mais  non  prouvée. 
Néanmoins  le  (îroenlaiid  était  jadis  couvert  de  forêts  et  de 
prairies,  et,  de  nos  jours,  c'est  à  peine  si,  dans  le  |)rintemps 
boréal,  toujours  si  court,  la  terre  s'y  couvre  de  gazon. 

L'Islande  produisait  jadis  du  Itlé  et  ses  beaux  arbres  étaient 
X'antés  par  les  Sagas  :  elle  n'a  [dus  aujourd'bui  que  des  arbris- 
seaux rabougris.  L'accunndatictn  des  glaces  au  pôle  nord,  dont 
la  science  a  démontré  la  réalité,  peut  donc  avoir  cliangé  les  con- 
ditions de  la  température,  et,  dès  lors,  l'irruption  soudaim» 
d'une  grande  banquise  suffit  pour  détruire  les  établissement>* 
northmans  au  Vinland. 

Les  établissements  du  (iroenland  ne  tardèrent  pas  à  dépérir 
pour  les  mêmes  motifs.  Les  relations  avec  l'Europe  devinrent 


11 


3'J. 


(1)  BoccACK,  Proldffue  du  Décamiiron. 

(2)  PoNTANCS,  ouv.  citô,  III,  8,  p.  1f)7.  H  Siiiit  qui  (radant,  post  cani  epidc- 
iiiicam  lucin,  fuisse  inlcrmissain  ac  negluctani,  cpuR  ail  oras  (îruiilaiidJH) 
soicniiis  antea  et  anniia  fucrat,  incolaruin  Danitr  navi{;ationcm  ». 

(3)  Id.,  id.  «  l)eind(>  immcnsaui  paulatiin  t;x  Trnilcltotis  (;lacieruiii  copiant 
roaccrvalaiu  fuisse,  qutr  nunc  iiiipcdita  umnia  et  diflicilia  rcddat.  Adeo  ut 
vix,  nisi  a  parte  iiisuia^  (\nm  Libaiiotuin  lioiealein  spécial,  terniiii  liodie, 
quuinvis  et  id  subiudc  difliculter,  detur  cunjuiii^cre  ». 


',  » 


M 


3ir>       PREMIÈRE   PARTIK.    —   LES    l'RKClRSEURS   HE   COI-OM». 

si  difficiles  que,  dus  rannée  1383,  on  n'apprenait  en  Norvège 
que  six  ans  après  ses  funérailles  la  mort  d'un  évèque  de  (iar- 
dar  (1),  llenricus  {"2).  Ces  relations  finirent  même  par  »Hre  tota- 
lement interrompues,  à  tel  point  que  le  Groenland  fut  non 
seulement  oublié,  mais  mémo  perdu.  Le  roi  de  Dan'^mark,  Fré- 
déric III  (1048-1070),  appelait  ce  pays  sa  pierre  philoso|»liale  (3), 
parce  qu'on  le  cliercliait  toujours.  Kn  1711,  l'évéque  de  Dron- 
theim  le  confondait  avec  le  Canada.  C'est  seulement  en  1725 
qu'un  prêtre  norvégien,  llans  Eggede  (4),  devint  comme  le 
second  fondateur  de  la  colonie  en  appelant  de  nouveau  l'atten- 
tion de  ses  compatriotes  sur  cette  terre  injustement  délaissée. 

Abandon  de  la  métropole,  attaques  incessantes  des  Skrœllings, 
é|)idémies,  inqxtssibilité  matérielle  des  communications,  tout  se 
réunissait  donc  contre  <'es  malheureux  établissements  des  North- 
mans  en  Amérique.  Les  liistori','ns  du  Nord  ne  les  mentionnent 
plus  dès  le  xiV  siècle;  les  liis.oriens  méridionaux,  (pii  ne  les 
connaissaient  pas,  persistent  dans  leur  silence,  et  c'est  ainsi 
<|ue  l'Amériijue  fut  de  nouveau  perdue  pour  les  Européens. 

A-t-elle  été  tout-à-fait  perdue?  Aucune  relation  n'a-t-elle  été 
conservée  entre  l'ancien  et  le  nou\eau  monde?  Nous  avons  peine 
à  le  (Toire,  surtout  quand  nous  nous  rappelons  la  persistance 
à  travers  l(!s  siècles  d'une  dénomination  géographique,  (pii 
semble  indiquer  quelcjue  vague  connaissance  des  découvertes 
Scandinaves  (5).  Les  cartes,  les  portulans  et  certaines  relations 

1 1 1  ToRFAEis,  Historin  Ovonlmidiae,  p.  241-246.  —  Cf.  Lei.ewei.,  Mé- 
moire suv  les  Zeni,  p.  80. 

it)  Le  sceau  de  l'évoque  Heriricus  a  été  retrouve  et  publié  dans  les  Mé- 
moires de  la  Société  des  Antiquaires  du  Nord  (1845-1849),  p.  432. 

{3i  La  .Motte-Levayer,  G^ogra/thie  du  Prince,  1,2,  p.  49. 

|4)  Toutes  les  tentatives  inrructueuses  pour  retrouver  le  Groenland  ont  été 
énumérées  par  Eu<iÉbE  (ouv.  cité)  |i.  20-27.  Voir  le  très  intéressant  article  de 
M.  Valdemaii  Scii\iiut,  Voyages  des  Danois  au  Groenland  (Congrès  Anic- 
ricanistc  de  Copenhague,  p.  195-236. 

(5)  E.  Beacvois,  La  Noramôégue,  Découverte  d'une  quatrième  colonie 
précolombienne  dans  te  Nouveau  Monde  (Congrès  Américaniste  de 
Bruxelles).  ,  , 


V  •'I 


<:IIA1'1TRK    IX.    —    LK*;    NOHTllMANS    K\   AMKHJQIE. 


:vM 


|d  ont  été 

irticlc  de 
rès  Anic- 

colonie 
linistc    de 


de  voyages,  ù  partir  du  xvï"  sifrle,  placent  en  effet  dans  l'Amé- 
rique du  Nord  un  certain  pays  de  Norohega  ou  Noroinhega, 
qui  pourrait  bien  (Hre  le  Noroen  hydgdh  ou  Norroen  bypdh, 
c'est-à-dire  le  pays  des  Norrains  ou  Norvégiens.  Dans  la  carte 
dressée  par  Jérôme  Verrazano  en  lo29  |l),  et  conservée  aux 
Archives  delà  Propagande,  se  trouve  indiquée  non  pas  précisé- 
ment la  Norambega,  mais  l'Arnbega,  et  cela  au  milieu  de  déno- 
minations païennes  (Olympe),  catholiques  (San  Giorgio,  San 
Severi'io,  etc.),  naturelles  (La  Pescaria,  del  llefugio),  ou  fran- 
çaises (Dieppois,  Angolesmes,   Vendôme,  etc)  :  ce  qui  semble 
démontrer  que  l'Ambega,  dans  laquelle  il  est  facile  de  retrou- 
ver le  mot  tronqué  de  Norand)ega  n'est  pas  un  nom  de  fantaisie, 
Ramusio  dans  sa  liclaiion  de  i^oifagc  du  grand  capitaine  Fran- 
rese  (2),IeDieppoisParmentier,parle  en  ces  termes  du  pays  signalé 
par  Verrazano,  '''est-à-dire  des  côtes  des  États-Unis  et  du  Canada. 
"<  Les   habitants   de  cette  contrée  sont  humains  et  traitables, 
accueillants  et  aimables.  La  terre  abonde  en  productions  de  tous 
genres.  Là,  poussent  des  vignes  sauvages  et  d'autres  arbres 
odoriférants.  Le  pays  est  appelé  par  les  indigènes  Norumbega.  » 
A  cette  relation  Ramusio  avait  annexé  une  carte  dressée  par 
(îastaldi.  La  Norumbega  est  représentée  comme  une  ile  au  sud 
d'un  grand  fleuve  ou  d'un  bras  de  mer,  qui  s'étend  de  l'est  à 
l'ouest  depuis  un  cap  des  Bretons  jusqu'à  un  autre  bras   de 
mer.  On  y  lit  les  noms  de  Port  du  Refuge,  Port  Real,  le  Paradis, 
île  Brisa,  Flora  et  Angoulesme.  Autant  qu'il  est  possible  d'éta- 
blir une  identification  géographique,  cette  Norumbega  paraît 
correspondre  au  Nouveau-Brunswick,  à  la  Nouvelle-Ecosse  et 
au  Maine  jusqu'à  la  rivière  Kennebeck  ou  Chaudière,  c'est-à- 

1,1)  De  Costa,  Verrazano  the  Explorer,  1881.  —  Gaffabbi.,  Les  Décou- 
l'veurs  français  de  C Amérique  du  Nord,  p.  139. 

(2)  Uamusio,  Raccolta  di  Viaggi  (1536),  t.  II!,  p.  423  a  Griiabilato.i 
di  qucsta  terra  sono  gcntili,  trattabili,'  amichevoli,  e  piacevole.  La  terra  c 
abundantissima  d'ogni  frutti,  vi  uascono  arauci,  niandorle,  uva  salvatica  e 
niultc  altre  sorti  d'arbori  odoriferi.  La  terra  e  dctta  da  paisani  Nurum- 
bega  ». 


U 


11 


y 


j 


:M8     i'rkmière  I'autik. 


U:s    l'KKCLHSKlRS    IIK   COLOM». 


dinî  ù  un  pays  jadis  folonist'  parles  Noithiiians,  qui  lui  auraiiMil 
laissé  leur  nom  (Ij. 

Dans  lo  célèbre fîloho  d'Ulpius,  dressé  en  lî)i2  (2),  et  (pii  ap|>ar- 
tientà  l'historial  Society  de  New-York,  la  Norumbcfïa  a  disparu 
pour  être  reiiiplacé»'  par  la  Verrazana  sive  Nova  (iallia,  mais  on  y 
trouve  la  ville  d»»  Norman  villa,  placée  vers  le  iH"  et  le  W  depré 
de  latitude  nord,  qui  paraît  être  la  capitale  du  pays.  Ce  nom  de 
Normanvilla  n'est-il  pas  un  indice  suffisant  de  la  persistance  du 
séjour  des  Northmans  dans  la  contrée? 

Jean  Alfonse,  le  compagnon  de  Cartier  et  de  Rolterval,  le 
célèbre  pilote  réputé  par  ses  connaissances  nautiques  et  par  sa 
hardiesse,  dont  les  conteujporains  vantaient  la  science  et  l'expé- 
rience, avait  condensé,  dans  un  important  ouvrage,  tous  les  ren- 
seignements géograj)liiques  ramassés  dans  sa  longue  et  aventu- 
reuse carrière.  Ij<;  manuscrit  de  cet  ouvrage  existe  encore  (3).  Il 
est  difficile  à  décliilTrer,  car  l'écriture  est  presque  effacée.  Voici 
comment,  dans  cet  important  résumé  des  connaissances  d( 
l'époque,  Jean  Alfonse  parlait  de  la  Norombègue  :  «  Je  ditz  que 
le  cap  de  saint  Jehan,  dit  cap  à  Hreton  et  le  cap  de  la  Francis- 
cane  sont  sous  nord-est  et  sud-ouest,  et  prennent  un  quart  de 
est  à  ouest,  et  y  a  en  la  route  cent  quarante  lieues,  et  icy  finit 
ung  cap  appelé  le  cap  de  Norombègue.  Le  dict  cap  est  par  qua- 
rante et  ung  degré/  de  la  haulteur  du  pôle  arctique.  La  dicte 
coste  est  toute  sableuse,  basse,  sans  nulle  montaigne.  Et  au  long 
laquelle  coste  y  a  plusieurs  isles  de  sable  et  coste  forte  dange- 
reuse de  bancs  et  rochiers.  Les  gens  de  ceste  coste  et  de  cap  à 
Breton  sont  maulvaises  gens,  puissans,  grands  fleschiers,  et 
sont  gens  qui  vivent  de  poissons  et  de  chair,  et  ont  aulcuns 


(1)  De  Costa,  Vetrazano  the  Explorer,  p.  18. 

(2)  Ce  glolx^  est  intitulé  :  Rcgioncs  orbis  tcrrarum  quœ  aul  a  vetcribus 
trnditœ  aiit  nostra  patrumquc  mciiioria  coinperliR  sint  Euphrosynus  L'Ipius 
(lescribebat  aniic  salutis,  1542. 

(3)  Cosmographie  de  Jehan  Allefonse  et  de  Raulin  Secalart,  coxmo- 
graphe  de  Hunnefleur,  1345.  Manuscrit  076  (grand  Tormat)  de  la  Biblio- 
thèqne  nationale  à  Paris. 


CIIAI'ITHK   l\. 


I.KS    MUnilMANS    IC.N    AMmUOl'E. 


:\v.) 


letcribus 
Llpiu» 

coxtno- 
Bibliti- 


iiMit/  et   |iarlcnt  (|iiasi   li'  iik^uic  l<in}.Mf;o  de  ceux  de  Ciiiiada  et 
Sitiit   ^M'aiid  peuple.  I<]|  ceiiK  de  cap  à  Hretoii  vont  doiiiiei'  la 
j:iierre  à  eeulx  de  la  Terre-Neurve  (piaiid  ils  pesriieiit,  et  pour 
nulle  eliose  ne  saulven>\ent  la  vie  à  un^'  lionnne  (juand  ils  le 
peuvent,  si  ce  n'est  jeuiu'  enlant  ou  jeune  lille.  Sont  si  cruels 
que  si  [trennent  xm^i  liomine  portant  harhe,  il/  luy  (-ou|ipent  les 
nii'udires  et  les  portent  à  leurs  l'ennnes  et  enll'ans  afin  d'être 
vengez  en  cela.  Kt  y  a  entre  eux  fitrce  pelleteries  de  foutes  liestes. 
Au  delà  du  cai»  de  Noroinltèfrue  descend  la  rivière  dudit  Noruui- 
bègue,  environ  vinjrt  et  cin(|  lieues  du  cap.  La  dicte;  rivière  est 
large  de  plus  de  quarante  lieues  de  latitude  en  son  entrée,  et  a 
de  largeur  an  dedans  bien  trente  et(piarante  lieues,  et  est  pleine 
d'isles  qui  eutj'ent  liien  dix  ou  d(ju/e  lieues  en  la  uier,  et  est 
fort  dangereuse  de  rochers  et  l»aptures.  La  dicte  rivière  est  par 
quarante  et  deux  degrez  de  la  liauteiu'  du  polie  arctique.  Au 
dedans  île  ladicte  rivière  y  aune  ville  (jui s'appelle  .S'oromhègue, 
et   y  a   en  elle  de  bonnes   gens,    et   y   a  force  pelleteries  de 
toutes  bestes.  Les  gens  de  lu  ville  sont  vestus  de  pelleteries, 
portant  nianteaulx  de  martres.  Je  me  doute  (jue  la  dicte  rivière 
va  entre  à  la  rivière  de  llocbelaga,  car  elle  est  salée  plus  de 
«juarante  lieues  en  dedans,  selon  la  dict  des  gens  de  la  ville. 
Les  gens  parlent  beaucoup  de  mots  qui  approchent  du  latin,  et 
adorent  le  soleil,  et  sont  belles  gens  et  grands  lionuTies.  La  terre 
de  Norombègue  est  haulte  et  bonne  ». 

D'après  la  description  de  Jean  Alfonse  le  nom  de  Norom- 
bègue désignerait  à  là  fois  un  pays,  une  rivière  et  une  ville,  ha  ■ 
pays  est  assez  facile  à  retrouver,  car  les  lit )  lieues  qui  séparent 
le  cap  Breton  et  le  cap  de  la  Franciscane  conduisent  assez  exac- 
tement à  la  hauteur  du  cap  Montauk  à  Long  Island.  La  contrée 
Norumîiega  correspondrait  donc  à  la  côte  actuelle  de  la  nouvelle 
Kcosse,  du  nouveau  Hrunswick,  du  Maine,  de  Nevv-Hampshire, 
du  Massachussctts,  de  Rhode-Island,  du  Connecticut  i.'t  de  New- 
York.  Quant  à  la  rivière  de  Norumbega,  il  ne  faut  pas  |>rendre 
ce  mot  dans  son  sens  rigoureux.  Il  ne  s'agit  pas  en  effet  d'un 


l 


! 


I 


\<âli 


II 


U5()       PREMIÈRE   PARTIE.    —    LES    PRÉCIRSEIRS   1»E   COLOMB. 

cours  d't'iiu  eiitro  deux  Itci-fjos,  mais  d'uni*  rivi/^re  roiiirnc  Ut 
rivit^re,  c/cst-à-diro  la  ctMo,  de  (j<^nes.  Cctt»*  pn'Menduc  rivièn* 
de  N'orumlte^a  ne  peut  (Hre,  avec  les  dimensions  que  lui  donne 
AlFonse,  ni  le  saint  Jean,  ni  la  sainte  (Iroix,  ni  le  Penoliseot, 
ni  m(Hn«>  l'Hudson,  mais  uniquement  la  Iwiie  de  Fundy  qui  a 
IGO  kilomètres  de  prol'ondeur  sur  i.'»  de  large,  et  est  semée 
d'iles,  soit  dans  les  haies  du  Penohscut  et  de  Passimaquoddy. 
soit  au  sud  à  Fentrée  du  },'olfe.  Kniin  la  ville  de  NorumlM'ga  doit 
ùtre  ehercliée  quel(|ue  part  sur  la  côte.  On  aura  remarqué  que 
les  Iiahilants  de  Norumi)ef:a  étaient  de  monirs  relativement 
policées,  «pi'ils  portaient  des  costumes  et  surtout  qu'ils  savaient 
quelques  mots  de  latin,  sans  doute  ce  qu'ils  avaient  retenu  des 
liynmes  sacrés  (pie  chantaient  autrefois  h's  missionnaires. 
Alfonse  n'a,  il  est  vrai,  cité  aucun  de  ces  mots,  mais  Sagard 
Tliéodat(l)  mentionne  un  chant  canadien  que  les  indigènes  n*- 
pétaient  encore  de  son  temps,  c'est-à-dire  en  10.%,  Tameia 
alléluia,  tameia  a  don  vcni,  han  han  héhé.  Le  mot  alléluia  est  il 
vrai  d'origine  héhraique,  mais  il  a  été  en  quelque  sorte  latinisé 
par  l'église  catholique,  et  les  Canadiens  l'avaient  retenu.  Ix*  nom 
de  Jésus  s'était  également  conservé  dans  la  langue  des  AlH*naquis 
qui  l'appelaient  Kiziin,  dans  celle  des  Cliippevvays  qui  rap|>e- 
laient  (lischi,  dans  celle  de  diverses  trihus  de  la  nouvelle  Angle- 
terre «pii  l'appelaient  Késus,  et  par  les  trii)us  Algonquines  qui 
adoraient  le  soleil  et  le  nommaient  Jésus  (2).  N'est-ce  donc  pas 
que  la  Noromhega  avait  autrefois  été  colonisée  par  des  Euro- 
péens convertis  au  christianisme,  et  ces  Européens  ne  sont-ils 
pas  les  Northmans,  dont  nous  avons  raconté  les  expéditions 
au  nouveau  monde? 

.\près  Jean  Alfonse ,  celui  des  écrivains  français  du 
XVI''  siècle  qui  ii  donné  la  description  la  plus  étendue  de  la 
Noromhega  est  André  The  vet  (3),  On  sait  que  cet  éruditcordelier 

(I)  Saoaud  Théodat,  Histoire  du  Canada,  p   311. 

(2j  PÈKE  Chaules  Laulemant,  Relation  de  la  Soiivelle  France  (1626),  p.  4. 

(3j  Thevet,  Singttlaritez  de  la  Fiance  antarctique, édition  GaJIinl  [ilTiS). 


d  1 


CIIAI'ITKK    IX      —    LES   NùKTII.MA.NS    EN   AMKHIOI  K, 


IKW 


avait  voyagé  dans  tout»*  rAin(''ru|in'  alors  coniMic.  Il  lU'  parli- 
pourtant  pas  do  la  Noroinhcga  dans  ses  Siiiffiitnrili-z  ttr  In  h'rtnivi' 
antnrct'uiitr,  hion  nu'il  se  soit  rtrndn  lon^'iicnicnt  sur  le  Canada  : 
c'est  dans  sa  Cosninr/rnpliii'  «»»»•(•/•.<*•//<•  (I)  que  nous  troiivenuis 
les  renseignements  les  plus  t-ompiels  :  <<  De  la  terre  do  Canada 
et  Maeealoos  efde  plusieurs  rivières  »le  la  coste  de  Noreinhégue. 
Ayant  laissé  la  Floride  à  luain  gaulelie  avec  grand  noud)rc 
d'isles,  d'islettes,  goulplies  et  promontoires,  se  présente  la  plus 
helle  rivière  qui  soit  en  t<»ule  la  terre,  nonnnéo  de  nous  Norem- 
hégue  et  des  barbares  Aggoncy  (2)  et  marquée  en  (pielquos 
cartes  marines  Rivière  (îrande.  Il  entre  plusieurs  autres  belles 
rivières  dans  cesto-ey,  et  sur  la(|uelle  jadis  les  François  foirent 
bastir  un  petit  fort,  (piehjuo  dix  ou  douze  lieues  en  icelle,  lequel 
ostoit  environné  d'eau  douice,  qui  se  va  dégorger  dans  icelle. 
<!t  fut  nommé  ceste  place  le  fort  de  Noroud)égue.  Plusieurs 
pilotes  qui  s'estiment  estre  les  plus  acc<»rts  de  l'Kuropo,  discou- 
rant du  privilège,  m'ont  voulu  faire  accroire  que  ce  pays 
Norondiégien  ostoit  le  propre  pays  de  Canada.  Mais  tant  s'en 
fault.  comme  je  leur  dis,  attendu  «pie  cj-slny  ci  est  sur  les 
(piarante  trois  dogrez  et  coluy  de  (îanada  est  sur  les  cincpiante 
et  un  et  cinquante-doux...  Devant  (preii  aborder  la  dite  rivière, 
nous  apparaît  une  îsk  tournée  de  buis»  isleauv  fort  petits,  (pii 
avoisineiit  la  terre  des  Montagnes  Vertes  et  le  caj)  des  Isles. 
De  là  Vous  venez  tousjours  costo\aut  jusques  à  la  boiiclie  do  la 
rivière,  rentrée  de  laquelle  est  daîigereuso  à  cause  de  noudtreux 
et  baults  rocbors  et  forces  batm-es,  et  est  son  entrée  merveil- 
leusement largo.  Quelques  trois  lieues  de  la  dicte  rivière  se 
présente  devant  eux  une  belle  isie,  (|ui  peut  avoir  (piafre  lieues 
de  tour,  et  babitée  seulement  do(pielques  pesoheursetd'oysoaux 


(1)  TiiÉVKT,  Cosmographie  l'nirericUe  M.'j76).  fol.  1008-l00!)-l01O. 

(2)  On  aura  remarqué  ce  mot  rf'Agjjont  y.  Le  pays  vouait  i-n  oflfet  d'être 
agité  par  un  déplacunient  de  triltiis,  cpii  avait  substitué  aux  triltus  Huruniies 
les  tribus  Algonquiries.  Thevcl  avait  con>taté  le  chaiigenieut  et  conservé  le 
nuni. 


:r>:2       l'HKMIKIIi:    l'AHTlK. 


M;s    IMIKLinsKIHS   l»K   COLOMIt. 


1 


i 


<l«'  diverses  csiutcs,  riuiiiiiiéc  ayayiiscoii,  ;'i  caiisi-  ()irt'll«'  esf 
faite  en  rnniie  (rnii  hras  iriiotiiiiie  <|irils  a|)|i(>lleiit  ainsi.  Sa 
lon^iieiii'  est  (lu  iinnl  au  sud  et  la(|uelle  mu  (lourroit  peiipler 
facilenieiit,  aussi  Itieii  (|ue  plusieurs  petites  islettes  (pii  l'avoi- 
sineiit  d'assez  luin,  et  eu  icelle  l'aire  une  ('(irleresse  très  belle 
pour  teuir  en  Itride  *(»ule  la  niste.  Ayant  mis  pied  à  terre,  an 
pays  cirninvoisin,  aperceuuies  un  faraud  nouiltre  de  [leuples  (|ui 
venttit  droit  à  nous  de  toutes  parts  et  en  telle  uudtifnde  (pie 
vous  eussiez  dit  estre  une  voh'e  d'('tonrneau\.  ('.(MI\  (pii  uiar- 
eli('rent  les  premiers  estoient  les  hommes  qu'ils  nomment 
Apuenous;  apr»>s  venaient  les  femmes  (ju'ils  appellent  pera- 
^'ruastas,  puis  les  adejrestes  (jui  sont  les  en  fans,  et  les  derniers 

estoient  les  filles  n<tnmi(''es  aniasgestas Ayant  demeur(''  là 

ein(|  jours  levasmes  les  anchres  et  partismes  d'avec  eulx  avec 

«11  merveilleux  contenteuient  d'une  part  et  d'autre Kn   la 

r(''}rion  donc  plus  voisine  de  la  Floride  (que  aucuns  ont  appeU-e 
Terre  francoyse  et  ceux  du  pays  Noronil)(>gue),  la  terre  (^st  assez 
fertile  en  diverses  sortes  de  fruits  ». 

Thevet  passe  pour  (Mre  (h'pourvu  de  critique  et  s(>s  contem- 
porains contestaient  d(''jà  la  valeur  de  ses  informations.  Les 
mots  qu'il  place  dans  la  bouche  des  Noramht''giens  paraissent 
avoir  c'ti!'  forgt's  par  lui.  Il  ne  faut  donc  lui  accorder  qu'une 
confiance  limitcV,  et,  s'il  (''tiiit  isol('%  nous  devrions  en  bonne 
règle  récuser  son  témoignage.  Uemaniuons  néanmoins  que  sa 
description  correspond  à  peu  près  exactement  à  celle  de  Jean 
Alfonse,  et  que,  sans  trop  fixer  les  identifications,  on  retrouve 
à  travers  ses  lignes,  et  malgré  leur  peu  de  précision,  la  baie  Je 
Fundy  actuelle.  En  outre  bon  nombre  de  cartographes  de  ses 
«îontemporains  ont  assigné  la  même  position  à  la  Norombega. 
Il  est  vrai  (jue  dans  la  Mappemonde  dite  de  Henri  II  (1),  dans 
rAméri(iue  du  nord,  à   l'ouest   d'im  golfe  semé  d'îles  et  qui 

(1)  JoMAHD,  .Vo7»OMtf«/«  Uff  Id  (imi/rapfiip,  feuille  i7.  — GAPKAHEL.ies  dc- 
cvuvreurs  français,  p.  117. 


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CIIAI'ITUK    IX. 


I.KS    NOinilMANS    1;N    AMKHIOl'K 


•>**  •* 
.<.>.} 


pi^nôtn'  |ii'()r()ii(i(''iiiciit  (liiiis  riiitt'rit'ur  Hi's  terres,  iioii  loin 
(rime  ville  surmontée  t\v  deux  tours,  est  nommée  l'Anoro- 
l»a>;a,  niais  n'est-ce  point  là  le  nom  «léfipuré  de  Norom- 
lu'fra?  Noi.s  h>  croirons  d'autant  ftliis  volontiers  (jue,  dans  le 
Ptidémée  de  i.'îiH,  édite  par  Pietro  Ainlrea  (1),  entre  le  LV  et 
le  ,")(>'■  de;;ré  de  latitude  non),  et  sur  le  Ptoléniée  de  1501  édité 
pur  Rus(elli  (2),  entre  la  KIorida  et  la  Tierra  de  Uaccalos  figure 
la  Tierra  de  Norumberi;.  Sur  la  Mappemonde  de  lîiliO  ('.)),  au 
fond  d'un  },'olfe  [irofond  où  se  jette  une  rivière  formée  de  deux 
bras  à  peu  près  égaux,  (iérard  Mercator  a  dessiné  le  littoral  de 
la  Norumhega  avec  une  ville  du  même  nom  couronnée  de  hauts 
édifices.  Ortelius,  dans  son  '/'liralnmi  nrfiis  tiTrarinii,  dont  la 
première  édition  parut  à  Anvers  en  l."i7(),  a  «lans  su  Mappe- 
monde donné  la  forme  générale  de  la  Noramhegi». 

Que:  si  nous  poursuivons  cette  revue  à  travers  les  atlas  de 
l'époque,  nous  aurons  encore  à  enregistrer  la  mappemonde 
présentée  à  Philippe  Sidney  en  1582  par  Michel  Look  (i),  où  la 
Noronibega  est  représentée  comme  une  grande  île  entre  le 
Saint-Laurent  à  l'ouest,  l'île  de  r4ap-Hreton  à  fest,  et  l'île 
Claudia  au  sud,  c'est-à-dire  qu'elle  ré|)(tnd  à  la  presqu'île 
Acadienne.  Sur  les  feuille  20-30  de  l'atlas  composé  en  lî>83 
par  J.-A.  Vaul.x  (5)  non  seulement  la  Norambègue  figure  sur  la 
côte  méridionale  de  la  péninsule  au  sud  du  Saint-Laurent, 
mais  encore  il  est  probable  que  la  baie  de  Norin,  entre  la  Baie- 
Grande  et  la  Grande-Rivière  est  une  abrévation  de  la  Baie 
de  Norambègue.  Philippe  Gallois(r)),  dans  son  Kpitome  J'hmtri, 


j 


,  tes  df' 


,1)  PiETno  Andréa.  Z.»  Geografin  (fi  Claudio  Ptolomeo  Alessam/rino,  Ve- 
nise, 1548. 

(2)  G.  Rlscelu,  Geografia  di  Claudio  Tolomeo,  Venise,  1S61. 

(3)  JoMARD,  Monuments  de  la  Géographie,  feuille  38. 

(4)  Tome  VII  des  publications  de  l'Hakluyt  Society. 

(5)  Premières  œuvres.  Cf.  Cortambkht,  Introduction  aux  Monuments  de 
la  Géographie  par  Jomard  (Bulletin  de  la  Société  de  Géographie  de  Paris, 
juillet  1872). 

(6)  Philippe  Gall(*:us,  Epitome  theatri.  Anvers  1589,  fol.  5. 

T.  I.  23 


H 


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lUJi       l'UKMIKUR    l'AHTIK.    —   LES    PMJ^ICIRSKIHS   IlR  COLOMB. 


I 


(iossiiic  la  N'oraiiilx'^M,  et  toujours  avec  une  ville  du  ni)Wu«' uoui, 
au  sud  du  Saiiit-Lauroiit.  Sur  la  carte  di>  Tliouias  llood  [l]  (|ui 
date  d(;  \'.'}\)'l  la  cité  nii'ridionaltMrAcadic  s'apiudlc  la  Noroudic^'a, 
A.  Mafîiii  ['2),  dans  sa  ^coffrapliic  de  l*iî>7,  di-crit  eu  ces  termes 
la  Norurnhe^a,  (|ue  siu'  sa  nia|(|)enioiide  il  uonune  Noro|ief;a  : 
«'  La  Noruud>e},'a  est  une  contrée  péninsulaire  (|ui  s'étend  dans 
la  nier  du  nord.  Klle  est  appelée  d'a|)rès  une  ville  do  ce  nom,  et 
elle  Jouit  d'un  climat  tempéré  et  d'un  sol  fertile.  Klle  a  «pielcpies 
peuples  dési};nés  de  manière  dillereiile  par  les  Portugais,  les 
Espa}.'nols  et  les  Français,  de  sorte  (pie  Ion  ne  peut  tirer  de  là 
aucune  notion  certaine  ".  D'après  la  carte  annexée  à  l'ouvra^re 
de  W'ytfliet  [,\),  composé  en  l'JMK,  la  Norundiej^a  s'étendrait 
du  iV'  au  i.*)''  de^ré  de  latitude  nord,  et  la  ville  de  Normnhefia 
serait  située  par  i.'l"  '10'  de  latitude,  au  coiilliient  de  dei;  rivières 
qui  f(trment  le  fleuve  de  ce  nom.  «  Plus  outre  («pie  li  Vir};inie) 
vers  le  Soptenlriou,  est  Norumhejra,  latpielle  d'mie  lielle  cité  el 
d'un  f.M'aruI  fleuve  est  assez  connue  ;  encore  (|ue  l'on  ne  trouve 
point  d'où  elle  tire  ce  nom,  car  les  harhares  l'appellent  .\^'},nm- 
cia.  Sur  l'entrée  de  ce  fleuve  il  y  a  ime  ile  propre  pour  la 
pesclierie.  La  réfrion  (pii  va  le  lonj;  de  la  mer  est  ahondaute  en 
poissons  l't  vers  la  .Nouvelle-Krance  a  j:rand  nond)re  de  ht-fes 
sauvages  et  est  fort  conunode  pour  la  chasse,  et  les  liahilans 
vivent  de  mesme  façon  (|ue  ceux  de  la  Nouvelle-France  ». 

Le  témoif^najjre  des  écrivains  du  xvi''  siècle  est  donc  à  peu  près 
uiianlîîie  (i).  Ils  s'accordent  tous  à  n'c<iiinaître  l'existence  d'une 
contrée  qu'ils  nomment  Norumliefra  ou  Nm-andiega  et  ils  la 
placent  au  sud  du  Saint-Laurent,  en  général  dans  le  payscom|)ris 

(1    Kl  NSI  \i.vN.N,  Atlds  fur  E?itdeckuii;fenf/nsicfite  Auivrikia,  feuille  xni. 

(i\  A.  XiviiiN,  (ieoijrap/tix  unii'er^.r  tiitn  vrlens,  htm  iinv/r  af/soliiti-i- 
simiiiii  n/iK^i.  (ioInjçMC,  1Ô'J7. 

(t)  NVvni.iKi',  D'iL-rijiHonis  Ptolemik.e  ftaymeiilum,  lo98.  L'ouvrage  m 
été  traduit  en  IVau<;ais  sous  le  nom  Alli-itoirc  L'iiicfirselle.  (Douai,  1607'. 

(4l  Voir  l'ouvrage  réci'.it  do  15.  F.  !>!•:  C<hta  Ancirn  Noroinhpgn,  or  tin 
voi/ if/i's  of  Simon  Fi^rdin  indo  uiul  John  W'ulk'ir  lo  the  Penoùscot  River. — 
Albaiiy,  1890.  . 


cuAi'iTin-:  IV. 


I.KS   MiHTIlMANS    IvN    AMKIUyt  K. 


•f<).) 


il)ilau^ 


>  (l'une 
t  ils  lii 
■uinpn? 


Mil. 


luiv 


intrc   i» 


ciiln'  rcsiiiairc  de  rc  llciivc  cl  la  liait'  ili'  ImiihIv.  Il  est  \rai  (Hic 
les  n'iisci^iM'iiii'iUs  iii.iii(|ii*'iil  un  |t('ii  «le  iMvcisioii.  cl  i|uo  la 
|>lu|)iii'l  (l('scai'ti)<;ra|(li(s  ne  |)ai'lcut<lc  la  Norainltc^^a  que  par  ouï 
(lire,  niais  la  rcj^imi  fuut  cnticrc  clait  alors  liuiilcvcrscc  par  ^U' 
tcrriltics  ^:ucrn's  entre  lluroiis  et  .\lf;i)ii(|uiiis,  cl  ranciea  nom 
(le  la  r«''},'inn  fendait  à  disparaître  pniirtUrc  rcnipla'  •  par  le  iiorn 
de  la  triiiu  \icloricii-ii' ,  Air^  )n  %  cl  Ajrj.nini-ia .  c'est-à-dire 
Aljriinipiins.  ('/est  sans  diiutc  ce  (pii  c\pli(pic  puinpidi,  an 
sicc|(>  suivant,  n<>n  senlenient  cette  dénomination  ;j:éo^i'aplii(|ue 
touilla  en  dcsuétu»'  nais  encore  on  coatesîa  sou  autlienticité. 
Ainsi  (lliaïuplain,  cpii  avait  vainement  cherclié  dans  la  Norani- 
licfrue  'I)  "  une  firaiide  ville  fort  peuplée  de  sauvaj,'»  s  adroits 
et  lialiiles,  et  ayant  du  fil  de  coton  »  écrit-il  non  sans  déctiura- 
j,'eiueiit  :  '<  je  m'assure  (|ue  la  plupart  de  cenv  (pii  en  out  fait 
mention  ne  l'ont  cru...  ce  ne  sont  les  merveilles  (praucuns 
en  ont  escrites.  »  Il  va  même  justprà  conclure  «  (jue  ceuv  dont 
ils  tenaient  leurs  renseijiiiements  \\\'\i  savaient  pas  plus  (pi'euv  ». 
Lescarhot  après  lui  (:2)  raille  lourdement  ceuv  (pii  ont  parlé'  de 
Noramliega.  »  Si  cotte  lielle  ville  a  ouc(|ues  esté  en  nature,  dit-il, 
je  voudrais  liien  savoir  ([ui  l'a  démolie  ».  Mais  ces  ullé^;ations 
lU'  prouvent  rien.  On  |iouvait  au  dix-septième  siècle  (II)  ou  au 

(1)  CiiAMi'i.MN.  Viif/ar/es.  (Editidc.  Laverilièie),  t.  III,  p.  i:}.";. 

'2  I.F.sr.AitBor,  Histoire  (le  la  Xoiirrllr  Fruncf  {VAlil'um  Tioss),  liv.  vi,  _!^  v, 
p.  015-670 

{;])  N(Uis  sijjiialei'oiis  pourtant,  eu  plein  dix-scptièiiio  siècle,  la  (le!;eii|>lioii  de 
la  Noramb(?i;a  donnée  par  Owity,  dans  .sa  Description  yénërale  dv  l'Aiiic- 
riqiic  (édition  de  KitiO,  p.  32).  «  Le  pays  le  moins  froid  de  tons,  c'est  la  No- 
rainbèjçuc,  ipii  est  meilleure  eu  toute  façon  que  l'Acadie  sa  voisine,  et  plii.s 
lialiitable  et  plantureuse.  Eu  esté  la  chaleur  y  est  autant  ou  plus  insupportable 
(pi'cn  Erauce  :  mais  elle  ne  dure  guère,  parce  que  le  temps  se  brmiilleaussit()t 
et  les  arbres  prennent  feuille  ordinairement  plus  tard  qucu  France.  Au  pays 
des  Etchechemins  ou  de  Norambôgue. ..  ces  brouées  viennent  souvent  en  esté. 
Toutefois  l'air  est  fort  sain  jtar  tout  ce  pays  à  qui  l'ont  accoutumé...  Les 
terres  sont  aussi  bonnes  qu'eu  b'rance,  principalement  en  la  Norambègue, 
comme  ou  cognoist  eu  ce  qu'elles  sont  noires,  et  produisent  des  arbres  hauts 
et  droilii,  et  quantité  d'herbe  et  de  foin,  qui  est  iiuelqucfois  aussi  haut  ([u'un 
homme  «.  Voir  également  l'atlas  de  HoNDius  (Thédtre  des  Gaules,  planche  I 


!$.*■»('•        l'IlKMIKIU:    i'AIITIi:.      -    LKS    l'HKCI'KSKCHS    hK    COLOMH. 

(Ii\-liuifièii!<-'  hU'cU'  (I),  on  avoir  niihlir  lu  Norainltcf;:!,  on  avoir 
penin  sa  trace  :  nous  croyons  |)oiirtaut  (juc  la  NoranilM'p:a  avait 
«'visb'.  (|ir<'ll('  avait  iHc  colonise»'  par  des  Kuropécns,  très 
proliahiciticnt  par  des  Nortliinaiis.  Nous  p(>iisons  en  outre  qu'on 
peut,  en  étudiant  les  nionuuu'iits,  les  traditions,  les  langues, 
les  relifrion  prouver  son  existenre.  Mais  ce  difficile  examen 
ne  peut  (Ml  lit  à  la  léfîère,  et  nous  nous  rés«'rvoiis  d<!  discuter 
ailleurs  c(;t  intéressant  prohlèuie.  Il  nous  suTtlra  |iour  le  rnouieut 
d'avoir  établi  (pie  les  Nortinnaus  ont  déc(tnvert  et  colonisé 
rAniérifpu'  avant  Colonil»,  et  (pie  celui  de  leurs  étaldissenients 
dont  le  souvenir  s'est  longtemps  conservé  s'appelait  la  Noram- 
hega. 


éiiilioii  16.17  .  L:i  Norambi-jçiic  y  est  iinli(|iic(',  à  (leii  pi'cs  sur  l'emplacement 
(le  l'AcaïUe. 

^1;  Même  an  WIU'  sitide,  le  pèie  Chailevoix  (llistoirr  de  lu  SouveUf 
Fnnicp,  l.  I,  p.  IK)  parh-  eneore  dt;  la  Noramliègui!,  mais  d'iiii  ton  liieii  ili-- 
(laij;iieiix  :  «  A  moitié  eliemiii  de  Sainte-Croix  à  la  rivière  de  (.fniiiiheki,  on 
Ironve  celle  de  Pentafjoi'l,  (pii  traverse  par  le  milieu  (;e  (|n'on  apnelait  la  No- 
ranibègne,  dont  on  a  t'ait  si  liingtein|is  une  belle  et  puissante  (trovince,  et  où 
il  n'y  a  jamais  eu  ijue  quelques  villages  d'Hllchemenins,  assez  peu  peui)lés  ». 


(ÎHAPIÏHE  X 


I.K    VOYAKK    DliS    KRKKIIS    /.KM 


A  laiiiidu  mV  sirc.lc,  ^rArc  à  iiin'licrciiti'i'prcii.int,  Zirliniiii, 
ot  à  (Icnv  patrit-iciis  de  Vcnist",  Nicolit  Zcim  cf  Antonio  Zono, 
(\nc  les  liasanls  de  leur  (k'sfinc'c  avaient  amenés  dans  les  mers 
du  Nord,  rAméri(|ne  lut  d(;  nouveau  entrevue.  1/autlientieité  de 
(•«'tte  dé<-()uverte  a  été  fort  discutée  (IK  On   a   prétendu  ijue  la 


(!)  Bl'ac.iik,  Mi-muirr  sur  file  de  Frislfindfi  (Académie  royale  des  sciences, 
il^i).  —  l'"oHSTKii,  Histoire  des  découvertes  et  des  voyaifes  faits  dints  te 
\ord  (liiuhictioii  Uioiissonetl,  178S.  —  Zuiu.a,  [)i  Marro  l'uU,  e  dei/ti  tiltri 
}jiii  iUitstri  dissert/izioni  :,  VLiieziu,  1888.  Dans  le  lume  11,  |i.  I,  est  inséré 
un  mémoire  intitulé  :  l)ri  viaijiji  e  sroperte  settenlrionali  di  Nirolo  ed 
Antonio  Xeni,  pulrizi  Ve7ieti,  dissrrliizione.  —  Dk/<»s  uk  i.a  lloyi  kttk, 
article  .sur  les  Zeni  tiaiis  la  Hioi/rnphie  uni  ver--  lie  de  Micliauil.  —  Lei.F.wei,, 
Mémoit  e  sur  le  royaije  des  frères  Zeni.  —  Zaubtmann,  Sordiscic  Tidsskrift 
for  Oldki/ndii/fied  (iioni'U'.  royale  des  anti(|uaires  du  Nord,  t.  Il,  p.  193-211, 
C(i|ienliaj;ue,  18.ir>.  Ce  mémoire  a  été  traduit  du  ilaiiois  en  l'ranrais  et  inséré 
dans  Itts  nouvelles  annales  des  voyages,  181)0.  —  ItHKOsnoiiKh,  Dissertation 
sur  les  y.eni  [Ciroclundshe  historiskeuiindes  unrrlar,  fiiipenliague,  18i">, 
p.  ,■129-674.  —  Fhéhkiik:  Kmaiilp,  Xi-niernes  lie/se  fil  Sordrn  et  Tolknin;/s 
Forsœg  (Revue  péogralii(|ue  danoise;.  —  C.  Df.simom,  Mémoire  sur  le 
roi/uf/e  fies  frères  Zeni  nu  n^ird  de  l'Europe  ((liornalc  Ligustieo  di  arclia'o- 
logia,  sloria  e  liell'iîrli,  janvier-lévrier.  1878).  —  II».,  /  ria(ji/i,  e  lu  lurtn  dei 
frutelli  Zeno  Veneziani.  i;i90-lto;j.  Arcliivio  Storieo  Italiano,  1885).  — 
—  (îHAViKit,  Déiourerte  de  l'Auiéritfue  par  les  Sonuauds  au  X»  siècle,  1871, 
p.  18;i-2ll.  —  Majoh,  Tlie  roi/uges  nf  tlie  lenetiun  hrothcrs,  Sicoio  et 
Antonio  Zeno,  to  tlie  nortlieni  sens  '187:j).  — GAFfAHKi.,  Les  Voijatjes  des 
frères  Zeni,  explorateurs  Vénitiens  (Hevuc  de  géographie,  t.  Vil,  2it-3i(i. 
~  .Mahkham,  Les  uhords  de  lu  ré()ion  inconnue  (traduction  Gaido/),  p. 
108-106.   —  .Iapeti  s  Steensthl'I'.   Zeniener  Heiser  i  Sordeti  (Mémoires  de 


il 


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•HK  MKHi:    l'AIITIK 


Lies  i'Hi:i;««si:i  IIS  i»i:  coi.omii. 


relation  du  v(»vaL'«'  dos  frèn.'s  Zcni  ne  méritait  aiirunc  rrovaiicf. 
D'antres  écrivains,  moins  ariirmaliCs,  se  sont  r(»nt<'nt<''s  de  s(»u- 
l(!V(!r  des  doutes  sur  ccrlaiiis  |((»ints  ;  d'autres  encore  ont  acreptt'' 
r(;tte  relation  dans  t>>ns  ses  détails.  Il  est  |m>u  de  |)i'o|tlèni(!S 
p''ojrraplii(|ues  (|ui  aient  S()ulevé  de  plus  vils  déiiats.  Aussi  e(! 
voyage  nous  a-t-ii  paru  mériter  un  examen  spécial. 

l'endant  la  plus  ^'rande  partie  du  moyen-à^'e,  la  prépondé- 
rance maritime  appartint  aux  Vénitiens.  Maîtres  des  îles  de 
l'Archipel  et  des  côtes  de  l'Adriatiipie,  tout  puissants  à  (lonstan- 
linople,  à  Smyrne,  à  Alexandrie,  vaimpH'ius  des  (lénois,  leurs 
rivaux,  peu  à  peu  ils  étendent  leurs  coiM|uétes  et  augmentent 
leurs  richesses.  I^a  Méditerranée  leur  appartient  pres(pie  exclu- 
sivement. Ils  vont  même  au-delà.  Marco  Polo,  et,  à  sa  suite,  de 
nondu'eux  et  hardis  né^:ociants,  ses  coni|tatriotes,  s'aventurent 
en  pleine  Asie.  La  m<'r  Noire  et  la  (^'is|)iemie  sont  Iréipiculées 
par  eux.  Ils  avaient  même  réialili  rancienne  roule  de  la  mer 
Uouj;e  et  pénétraient  jusque  dans  la  vallée  su|iérieure  du  Nil, 
où  Mruce  a  retrouvé  leurs  traces  (1).  Ils  n'hésitaient  pas  non 
plus  i\  s(;  lancer  dans  l'Océan  Atiantitpie.  .Aussi  entreprenants 
et  plus  h(!iir(*ux  (pie  les  Phéniciens,  puiscpi'ils  avaient  à  leur 
disposition  un  merveilleux  iiistrum(*nt  de  découv<>rtes,  la  lious- 
sfde,  on  les  voit  navif;u(;r  dès  le  viV  siècle  sur  cette  mer 
inconnue  [%.  Au  xV'sièch',  le  Vénitien  (la  da  Moslo  découvrait 

la  Siiciéti;  (les  Ariti<|iiair(!.s  du  Nnni  (1883|  ÙU:  par  la  Hl-viic  lii.st(irii|uu  dt!  iio- 
veitibri!  188:},  p.  iH.'i.  Cf.  Coii^çn-s  Aiiiriicaiiisli!  .!  •  (litiHMiliagiiir,  \>.  ITiO.  — 
Ukacvoi»,  Di^vourertv  du  Souvrnu-Mrmdc  pur  1rs  Islandais,  etc.  (Conjjrt's 
(les  Ainéric.uiisUjs  de  Nancy,  I.  I,  p.  il -!••'(,  cl  Lps  Voi/ai/i-i  ft/iusti  nlii/iirs 
des  Zeni  (.Muséum,  IS'.IO).  —  .NoitDKNSKioi.!»,  Oui  llioi/i'ruu  Zrnits  rcsnr 
uch  de  aUldtn  Kattov  ofven  Norden.  —  Iiimim.kii,  Zenns  Frisltiudu  /■> 
Icelmid  fdid  nut  f/in  Frrors  (Société  de  j;éo''rapliic  de  Lmidres,  187((i,  el 
Naittical  Hemurks  nliont  t/ir  Zeiii-Voyayes  (doiigrès  de  Copenhague,  188;{;. 

(1)  Sur  le  commerce  des  Vénilicns  ou  peut  consulter  La  I'iiimudaik. 
Etudes  sur  le  runirner-e  tut  uiof/en-tU/i;  —  Zchi.a,  ouv.  cité.  —  Dai .^ol:, 
Histoire  de  Venise,  pa.ssim. 

(2)  (inAviEK,  Hec/ifrcfws  sur  lex  uarif/ations  eurupéeimes  faites  tiu  moijen- 
t)(je  iiiij:  côtes  ot-i  itJejitales  tl'Afrii/ite,  t-ji  tle/iors  tles  ntirit/tifintis  jiortit- 
gaises  du  quinziètne  nii'ele  (tlorigiès  géu|;raplii(|ue  de  Paris  en  1818;. 


L 


r.HAlMTHK    X. 


U;  VOYACK   DES   FRKKKS  /EM. 


:m 


IIO- 


(rsor 


,  et 

DAIK. 

kl  M)i:, 


lortii- 


r.inliipcl  (In  Ciip-Vcrt  cl  s'avaiirait  jusqu'à  r<''(|Uiil('ur.  Il  faut 
rucHnc  i\iu'  sa  n'uutafioii  ait  iui|Htrluii(''  la  vanit»''  ihis  P(»rtu},'ais, 
<ar  ci'ux-ci  iin'tcndi'iif  (|u'il  navi^'uait  au  s<.'rvice  dv  lour  roi.  l^t! 
Vénitien  Andrôa  Miaiicu,  dans  sr»n  l*orlulan  «IclilK»,  inscrivait 
avec  soin  tout(îs  les  n'-centcs  (lôcouvcrtcs  faites  dans  cette  di- 
rectitdi.  D'autres  Vénitiens,  tantôt  au  service  des  princes 
étran};ers,  tantôt  navif.'nant  pour  leur  propre  compte,  allaient 
porter  au  loin  leur  e\péri(;nce  nautiipie  et  leur  activité  mercan- 
tile, et  au};mentaieut  ainsi  le  domaine  maritime  et  les  relations 
couunerciales  de  la  Séréuissime  Ué|iulili(pie. 

La  plus  célèhre  de  ces  expéditions  vénitiennes  dans  l'Atlan- 
li(ju(!  est  celle  des  frères  Nicolo  et  Antonio  Zeno,  ipii  ont  peut- 
être  retrouvé  l'Amériipu!  à  la  fin  du  xiv"  siècle.  Ils  apparte- 
naient l'iui  et  l'autre  à  la  famille  patricienne  des  Zeno,  (pii 
<loniiatautdedo};es  et  tant  de  jjénéraux  à  V(Miise.  I^ein'  trisaïeul 
Marco  Zeno  avait  assisté  à  la  |>rise  de  (^tnstantinople  |iar  les 
(Iroisés  en  liiOi  ;  leur  aïeul  Henieri  Zeno  fut  do^e  «le  l:2o:2  i\ 
litiH;  leur  père  Pi«'tro,  siu'nommé  //  /haffonc,  avait  été  en 
X'AVfl  noHuné  capitaine  jrénéral  dans  une  pucrre  contre  les 
Turcs  ;  huir  frère  aîné  Garlos,  surnouuné  //  Ij'nur,  s'illustra 
dans  la  fruerre  de  Chio},'};ia  ;  Nicolo  et  Antonio  étaient  donc,  de 
>rrande  iiol>l(!ss«^;  mais,  crtmme  tous  les  nobles  Vénitiens  de 
cette  épocpie,  ils  ne  rougissaient  pas  de  fragner  leur  vie  par  le 
travail,  et  demandaient  au  commerce  les  richesses  (pii  leur 
eussjMit  fait  «léfaut  au  l(»}ris  paternel,  car  ils  étaient  dix  enfants. 

Nicol»»  Zeno  (1),  né  vers  l.'Wri  ou  133(5,  était  déjà  c»»nmi 
lorsqu'il  entreprit  le  grand  voyage  cpii  devait  l'innnortaliscT.  Kn 
1305,  il  concourut  avec  (piarante  patriciens  à  l'élection  du  doge 


(1)  Marcolii'i  a  été  le  premier  étljtcur  de  la  relation  des  Zciii.  Haiiiusio  l'a 
reproduite  au  lime  II,  p.  230  de  sa  Racoi.ta  di  Via(ioi  sous  le  litre  de  Dello 
sroprhneud)  i/'H'  isola  Fridandn,  Kxlnndn,  Engrovdandn,  EslntitatiUa  et 
Icarin.  Fatto  prr  due  fratellc  /l'tii  M.  Niroh  il  Cnvalirre  et  M.  Antonio. 
\a  meilleure  cditiou  moderne  est  celle  de  Major  :  Nous  l'avons  constamment 
citée. 


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360   PREMIÈRE  PARTIE. 


LES  PRÉCURSEURS  DE  COLOMI». 


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Marco  Cornaro  ;  en  13G7,  il  fut  au  iioiiihre  des  douze  députés 
envoyés  ù  Marseille  pour  transportera  Rome  le  pape  Urbain  V 
et  sa  cour  ;  en  1379,  il  commandait  une  galère  contre  les  Gé- 
nois; en  1382,  après  avoir  contribué  à  l'élection  du  doge  Michel 
Morosini,  il  se  fit  envoyer  à  Ferrare  connne  ambassadeur;  en 
1388,  il  fixa  les  limites  de  la  principauté  de  Padoue  et  de  la 
République.  H  avait  donc  joué  un  grand  rôle,  et  était  un  des 
patriciens  les  plus  en  vue  de  Venise  ;  mais  il  ne  jugeait  j)as  sa 
tâche  accomplie.  11  voulait  parcourir  le  monde  (1),  et  visiter  les 
régions  baignées  par  rAtlanti(|ue  où  n'allaient  que  rarement 
ses  compatriotes  (1).  C'était  pour  lui  une  occasion  de  satisfaire 
sa  passion  des  voyages  tout  en  rendant  service  à  sa  patrie,  il 
équipa  donc  un  navire  à  ses  frais,  et,  en  1388,  partit  pour  son 
exploration  de  l'Océan. 

Les  débuts  du  voyage  furent  heureux.  Nicolo  traversa  le 
détroit  de  (libaltar,  et  longea  les  côtes  Espagnoles,  Françaises 
et  Flamandes.  Assailli  tout  à  coup  par  une  violente  tempête,  il 
fut  jeté  sur  les  côtes  d'une  île  nommée  dans  la  relation  Fris- 
landa.  Les  insulaires,  habitués  à  maltraiter  les  naufragés  et  à 
se  partager  k  irs  dépouilles,  s'apprêtaient  à  faire  un  mauvais 
parti  aux  Vénitiens,  lorsque  ceux-ci  furent  secourus  très  à 
propos  par  un  certain  Zichmni,  roi  desîL^  Portland  etSorany, 
qui  se  trouvait  alors  dans  le  voisinage,  et  était  justement  occupé 
à  faire  la  guerre  au  Frislandais.  Fort  hîureux  d'associer  à  sa 
fortune  des  auxiliaires  dévoués  et  surtout  un  capitaine  du  talent 
et  de  l'expérience  de  Nicolo  Zeno,  Zichmni  promit  sa  protection 
aux  naufragés  et  les  prit  à  son  service.  En  effet,  grâce  aux  Véni- 
tiens et  à  leur  pratique  de  la  navigation  à  travers  les  détroits  et 
le  long  de  côtes  dangereuses,  il  s'empara  des  petites  îles  qui 
entouraient  Frislande,  Ledovo,  Ilofe,  Sanestol,  et,  malgré  les  dif- 


(1)  Edit.  Major,  p.  3.  «  Or  Nicolo...  entrù  in  graiidissimo  desidcrio  di 
veder  il  rnundo,  e  peregrinare,  et  farsi  capace  di  varii  costumi  et  di  lingue 
de  gli  huoniini,  accio  che  con  le  occasioni  poi  potesse  nieglio  far  servigio 
alla  sua  patria  cd  à  se  acquistar  fama  e  honore  ». 


(, 


CIIAI'ITHIC    X. 


lu:  voYAi.K  i)i:s  khkuks  zem. 


3I>1 


licultés  (|u  ulFraieut  à  la  iiavifcatiun  les  lianes  de  sabli*  et  les  r<i- 
chers,  péïK'tru  jus(ju"à  la  rapitalc  do  l'ilo  et  la  soumit  Unit  entière. 
Les  Vénitiens  furent  cuinhlés  de  présents,  et  Niculo  fait  elteva- 
lier  par  le  prince  et  nouniié  amiral  '!<■  sa  flotte. 

T(jus  ces  détails  étaient  eonteiuis  dans  iine  lettre  cpie  Nicolo 
adressait  à  son  frère  Antonio,  rr  sté  à  Venise,  pour  renf.'a}r'M'  à 
venir  le  rejoindre  en  Frislande.  «  Si  vous  voulez  voir  du  monde, 
pratiquer  diverses  nations,  vous  faire  un  nom  illustre  et  une 
grande  position,  suivez  la  longue  route  que  j'ai  parcourue  au 
milieu  des  dangei-s  dont  je  suis  sorti  sain  et  sauf  ;  je  vous  rece- 
vrai avec  le  plus  grand  plaisir  parce  <|ue  vous  êtes  mon  frère 
par  la  valeur  et  par  le  sang».  Il  lui  donnait  en  même  temps 
des  renseignements  sur  la  nature  du  sol  et  les  productions  du 
[)ays.  Il  lui  apprenait  par  exemple  «|ue  la  principale  industrie 
des  Frislandais  était  le  poisson  salé  (pi'ils  exportaient  en  grande 
quantité  dans  l'archipel  l}rilunni([ue,  en  Norvège,  en  Danemark, 
jusqu'en  Flandre  et  en  Bretagne.  Antonio  reçut  la  lettre  de  son 
frère.  Jaloux  de  marcher  sur  ses  traces  (1),  de  voir  des  pays 
nouveaux  et  d'acquérir  à  la  î  )is  réputation  et  fortune,  il  accepta 
ses  ollVes,  é(|uipa  un  navire,  et,  après  diverses  péripéties,  réus- 
sit à  le  rejoindre.  Fort  bien  accueilli  par  Nicolo  et  par  le  prince 
Ziclmmi,  il  servit  (juatre  ans  sous  les  ordres  de  son  frèn',  et 
pendant  dix  autres  années,  après  la  mort  de  Nicolo ,  au(|uel  il 
succéda  dans  ses  honneurs  et  dignités,  resta  au  service  du  prince 
bienfaiteur  de  sa  famille. 

Zichnmi,  fort  de  l'appui  des  Vénitiens,  avait  résolu  de  conqué- 
rir toutes  celles  des  îles  de  l'Atlantique  ipii  reconnaissaient 
alors  la  suzeraineté  du  roi  de  Norvège.  Une  première  expédition 
contre  TEstland  échoua  (1393-139ij,  ou  du  moins  n'amena 
d'autre  résultat  que  le  pillage  des  sept  îles  Talas,  Broas,  Iscant. 
Trans,  Mimant,  Dambere,  Bres,  et  la  construction  d'une  forte- 

(I  Edit  -Majoii,  |).  10.  «  Pcrclie  egli,  clic  non  nien  era  desideroso  clie  si 
fosse  il  fratelln,  di  vcder  il  iiiiindo  c  pralicar  varie  gcnti,  et  perciô  farsi 
illustre  c  p;rand'  uoino,  comprô  una  nave,  etc.  » 


I 


I    .! 


r*o'' 


'{(5:2     l'HEMiKHK  rAinii:. 


l.i;S    l'UKClHSKlHS    1»K    (.(ll.OMI». 


)\ 


rt'ssc  à  Hrcs  (l'^.  Nicolo,  iKiiiimc'' {gouverneur  de  t-oMo  forfi-rcss*!, 
voulut  |»ro(iterde  son  isolenieut  pom  tenter  d'' nouvelles  décoji- 
vertes.  Il  é(|ui|)ii  done  trois  n.ivires  (|ui,  au  mois  dejiiiili't  l'.VX't, 
iirrivèrenf  en  Knfîroveland  ou  (ïrolandiu.  Les  nouveaux  délmr- 
(|ués  y  trouvèrent  un  monastère  de  frères  prêcheurs  et  une 
é}i:lise  dédiée  à  Saint-Tli(»mas,  près  de  laquelle  coulait  une  source 
d'eau  bouillante,  dont  les  moines  se  servaient  pour  rliauiïer 
leur  église,  leurs  dortoirs,  leurs  réfectoires,  et  même  pour  faire 
leur  cuisine  et  cidtiver  des  fleurs  en  serre  (^).  Un  volcan  peu 
éloigné  leur  fournissait  en  abondance  des  pierres  légères  qu'ils 
façonnaient  en  voûtes  ou  convertissaient  en  chaux.  lN>ndant 
l'été  ils  étaient  en  relations  suivies  avec  Trondon  (Droutheim), 
et  en  échange  du  hois,  des  grains  et  des  draps  qu'ils  recevaient, 
expédiaient  des  poissons  salés  et  des  fourrures  variées. 

Parfois  les  navires  de  Trondon  surpris  par  les  glaces  étaient 
obligés  d'hiverner  devant  le  port  (3).  Une  fl(jttille  de  barques  en 
forme  de  navettes,  recouvertes  de  peaux,  et  par  suite  insubmer- 
sibles et  imperméables,  était  à  leur  disposition.  Les  indigène» 
étonnés  de  leur  industrie  les  prenaient  pour  des  dieux  (i)  et 
leur  fournissaient  en  aimndance  tout  ce  dont  ils  avaient  besoin. 
(jCS  moines  étaient  originaires  de  Suède;  de  Norvège  et  d'autres 
pays  (5).  Le  plus  grand  nombre  d'entre  eux,  venait  d'Islande. 


(1)  Edit.  Major,  p.  12.  •<  Nicolo  rimasu  in  Bres  .si  dclibcro  ù  tuiiipo  ii  jovo 
tli  iiscir  fiiori,  e  sco|)rii-  tenu;  uiiile  arinuti  tru  nuvigli  non  niolto  grandi  dcl 
nicssc  (li  Liiglio  fecc  vcla  verso  Irainontana,  c  giunse  ». 

(2)  Id.,  p.  13.  <<  Et  ci  sono  giardinetti,  coperti  di  verno,  il  qnali  inafiati  di 
qiiell'acqua  si  difcndcno  contra  la  ncve  et  il  freddo  ». 

(:))  Ib.,  p.  16.  u  E  senipre  in  quel  porto  ci  sono  molli  navigli,clic  non  posso- 
no  partirc  per  essere  il  mare  aggiaciato,  ed  aspettano  il  nuovo  tempo,  che  lo 
disgele  ». 

(4)  lu.,  p.  13.  «  Per  le  (|uali  corze  le  genli  di  quei  luoglii,  vcdendo  effeti 
sopra  natura,  tengono  quelli  frati  per  Dei,  e  portano  a  lor  polli,  carne,  c  allre 
c(»se  '1. 

(••>)  II).,  p.  IC.  <i  Ci  concorreorio  in  questo  monistero  frati  di  Norvcgia,  di 
Sucda,  c  di  altri  paesi,  ma  la  maggior  parle  sono  dclle  Islande  ». 


CIIAPITIU:    v. 


I.K    VOYACK    l»i:S    rHKHKS   /KM. 


'M\:\ 


|)OSSO- 

clic  lo 


cffeti 
;  altre 


vcgia. 


Ils  parlaient  le  latin  (I),  tnais  (  «'taicnt  surtout  les  chefs  de  la 
lomniuiiHUté  qui  euiplo'aient  cette  laufrne. 

Nicolo  Zeno  aurait  bien  voulu  continuer  un  voya^re  (|ui  s'an- 
nonçait si  l)i(Mi.  Il  prenait  des  notes  sur  ses  découvertes,  dressait 
la  carte  du  pays  et  utilisait  son  séjour  ;  mais  les  rifïueurs  du 
climat  l'avaient  éprouvé.  Il  dut  retourner  en  Frislande  et  y  mou- 
rut. Antonio  lui  sucéda  dans  la  faveur  de  Ziclmuii.  Non  seule- 
ment il  hérita  de  ses  (Ufrnités,  mais  encore  devint  le  continuateur 
de  ses  projets.  Il  aurait  potu'lant  désiré  retourner  à  Venise, 
mais  il  s'était  rendu  indispensable  et  Zichmni  iw  voulut  jamais 
lui  accorder  cette  aut(»risation.  Enchaîné  par  sa  ^^randeur  et 
prisonnier  volontaire,  Antonio  se  réserva  néanmoins  lo  droit 
d'entretenir  une  correspondance  avec  sa  famille.  Dans  une  de 
ses  lettres  à  son  frère  aîné  darh»  Zeno,  il  donnait  d'intéressants 
détails  sur  une  autre  ile  de  l'Atlanticjue,  la  fameuse  Kstoti- 
landa,  (|ue  nous  avons  déjà  étudiée  à  prop(»s  de  la  colonisation 
de  rAméri(|ue  par  les  Irlandais.  Il  nous  faut  néanmoins 
revenir  à  cette  relation,  ne  serait-ce  que  pour  la  compléter 
et  préciser  certains  détails. 

Quatre  embarcations  de  pêcheurs  Frislandais  avaient  été  jetées 
par  la  tempête  dans  une  île,  nommée  Estotiland,  située  très 
avant  dans  l'ouest.  Le  pays  était  civilisé.  Les  péclieurs  furent 
Itien  accueillis,  mais  on  leur  défendit  <Ie  rentrer  en  ["'rislande. 
Ils  se  soumirent  à  cet  ordre  et  restèrent  cin(j  ans  dans  l'île,  dont 
ils  apprirent  la  langue  et  étudièrent  les  ressources.  Gomme  ils 
savaient  se  servir  de  la  boussole  et  en  apprirent  l'usage  aux 
insulaires  «  ils  furent  très  appréciés  (2).  Aussi  le  roi  les  expédia- 
t-il  avec  douze  naAÎres  vers  le  sud  dans  un  pays  ([u'ils  nomment 
Drogeo.  Mais  en  route  ils  furent  assaillis  par  une  si  violente 

(i)  Édit.  Major,  p.  18.  <  Usaiii  il  piu  d'cssi  la  lingiia  Latiiia,  u  spccial- 
iiicntc  i  superiori  ed  i  grandi  del  nionistero  ». 

(2)  1d.,  p.  21.  «  Per  il  che  qucsti  pescalori  furono  in  grau  pregio,  si 
«lie  il  Rc  li  spedi  con  dodici  navigli  verso  oslro  ncl  pacsc  clic  essi  chianiano 
Drogio  ». 


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'M\\     im(i:mikiii:  l'AirriK.  —  lks  l'KKr.LRSKiKs  i»e  cowmh. 

t(>iii|i<Ho  (|u'ils,  se  croyaient  pcnliis.  Ils  «>vitèr(>iit  |Miiirtaiit  uii«* 
mon  cruollc,  mais  pour  tomber  dans  une  situation  encore  pire, 
parce  qu'à  terre  ils  furent  faits  prisonniers,  et  la  plupart  di'vorés 
pur  les  féroces  habitants  (pii  mandent  de  la  <-liair  humaine  et 
la  tiennent  pour  une  viande  très  savoun-use  •>. 

I^;  pêcheur  et  ses  compagnons  sauvèrent  leur  vie  en  montrant 
la  uiauière  de  prendre  le  poisson  avec,  des  lilets  :  il  |M^<hait 
clia(|ue  jour  en  mer  ou  diuis  les  eaux  douces,  et  prenail  iieau- 
cou|>  de  poisson  (pi'il  donnait  aux  chefs.  Par  là  il  se  mit  si  bien 
eir  '■•ivcur  (|ue  chacun  le  chérissait,  l'aimait  et  l'estimait  fort. 
Sa  l'éputatioii  se  répandit  chex  les  peuples  voisins,  et  un  chef 


peu  pi 


des  environs  éprouva  un  si  j^rand  désir  de  l'avoir  près  de  lui  et 
de  voir  avec  (piel  art  admirable  il  savait  prendre  le  poisson  qu'il 
déclara  la  guerre  à  celui  chez  le(|uel  se  trou\ait  le  Frislandais  : 
il  Huit  par  avoir  le  dessus  parc(>  qu'il  était  plus  puissant  et 
belliqueux,  et  le  |)écheur  lui  fut  envoyé  avec  ses  conipaj;nons. 
Pendant  les  treize  années  do  suite  (pi'il  demeura  dans  ces  con- 
trées, il  dit  (pi'il  passa  de  la  méuie  manière  au  pouvoir  de  plus  de 
viujït-cinq  maîtres;  celui-ci  faisant  totijours  la  {juerre  à  celui-là, 


et  un  tel  à  tel  autre,  rien 


(|ue  poi 


ur  avoir  le  pécheur,  leiiuel  erra 


ainsi,  sans  avoir  jamais  de  demeure  fixe  «ians  le  même  lieu 
bien  longtemps,  de  sorte  (pril  conmit  et  pan-ourut  toutes  ces 
contrées  (1). 

Il  dit  que  ce  pays  est  très  vaste,  et  connue  un  nouveau  monde. 


(i  Eilil.  Majdii,  p.  22.  •<  E  cusi  eiranilo  uniln  senza  liavcr  mai  fenna  liabi- 
latiuiic  in  un  luoj^i)  hiuf^o  (cnipo,  si  rhc  ciinnobè  et  practico  quasi  lutte  quelle; 
parti.  Edice  il  pncsc  (!S!>ei'u  ^rundissinio,  et  quasi  un  nuovn  tiiondo,  sua  {;ente 
roza  c  priva  di  ii{!;ni  bciic,  perche  vunno  nudi  tutti,  che  patiscaiia  frcddi  cnideli, 
ne  sanno  coprirsi  dcile  pclli  degli  anitnali  clic  prundcnu  in  caccia  ;  non  haniio 
nietallu  di  alcuno  .sorte,  vivcno  di  cacciagioni,  c  portano  lancicdi  legno  nclla 
puiila  agiuzxe,  cd  nrchi,  le  curde  *lc  i  quali  sono  di  i>elle  di  aniniali  ».  N"est-<'c 
pas  ainsi  (piu  les  chefs  l'atagons  se  disputaient  la  pos.M!ssioii  de  l'Iicroïquc 
Guinard,  dont  ils  étaient  obligés,  tout  en  le  martyrisant,  d'admirer  la  su|>é- 
riorité  intellectuelle,  et  ipii  ne  parvint  à  se  sauver  de  leur»  mains  que  par  des 
prodiges  d'énerRiu  '!  \'oir  Tour  du  Monr/e,  1861,  Rrlation  du  Voyaije  de 
Guinnvd  en  Pataf/onie. 


CIIAI'ITHi:    \. 


LK    VOY.\i;K    I»KS    F'UKItKS   ZENI. 


3().n 


UMi'iA  (ju«'  la  popnlalion  «'st  },'r<»ssi«^f«'  <'t  priv«'«'  H<»  tout  !>i(Mi  :  Ions 
sfuit  mis  ;  ils  snnIlVcnt  du  froid  rifruun'ux  t't  lU'  sav'>n!  \\»^-  so 
couvrir  des  peaux  il'auiuiaux  «pi'ils  prt'iinciit  à  la  cii:!"^;,*'  ;  ils 
n'ont  auiuuc  sorte  de  métal,  vivent  de  ••liasse,  et  portent  des 
lances  de  bois  aif;uis»''es  d'un  lutut  et  des  ar«'s  dont  les  cordes 
sont  faites  de  cuir.  (!e  sont  des  peuples  d'une  grande  férocité 
<pii  se  coiuhattent  mutuellement  à  mort,  et  se  inaiifrent  l'un 
l'autre.  Ils  ont  des  chefs  et  certaines  lois  lii(>n  dillerentes  d'un 
pays  à  l'autre  :  mais,  plus  on  va  vers  le  siid-»tuest,  [dus  on 
trouve  de  civilisation  à  cause  de  la  douceur  de  la  température  (i)  ; 
de  sorte  (pi'il  y  a  des  cités,  des  tein|iles  pour  les  idoles  où  l'on 
sacrifie  des  victimes  humaines,  (pie  l'on  inanfxe  ensuite.  Dans 
cette  contrée  on  a  (|uelipi(*  connaissance  et  usage  de  l'or  et  de 
l'arpent. 

Le  pécheur,  après  avoir  passé  de  si  nom".. reuses  années  dans 
ce  pays,  résolut  de  regagner,  si  c'était  possible,  sa  patrie.  Ses 
compagnons,  désespérant  delà  revoir,  le  laissèrent  partir  en  lui 
souhaitant  hou  voyage,  et  restèrent  où  ils  étaient.  Leur  ayant 
fait  ses  adieux,  il  s'enfuit  à  travers  les  hois  vers  Drogeo,  et  fut 
très  bien  accueilli  et  choyé  du  eiief  voisin,  (pii  le  connaissait,  et 
était  en  grande  hoslilité  avec  son  ancien  maître.  Il  retourna  ainsi 
de  proche  en  proche  par  \h  même  où  il  avait  passé,  et,  après 
beaucoup  de  temps,  et  assez  de  peine  et  de  fatigue,  regagna 
finalement  Drogeo,  où  il  habita  trois  ans  de  suite.  Jusqu'à  ce  que, 
|»arun  heureux  hasard,  il  apprit  des  haiiitants  qu'il  était  arrivé  :\ 
la  cAte  quelques  navires.  De  là,  ayant  coneu  l'espoir  de  réaliser  son 
désir,  il  se  rendit  vers  la  mer,  et  demanda  aux  navigateurs  de 
(piel  pays  ils  étaient.  Il  apprit  avec  grand  plaisir  qu'ils  Tenaient 
de  l'Estotiland,  «^t,  les  ayant  priés  de  l'emmener,  il  fut  volontiers 
accueilli,  parce  (|u'il  savait  la  langue  du  pays,  et  devint  leur 


(1)  Ed.  MAJon,  p.  2J.  «  Ma  piu  che  si  va  verso  garbino,  vi  ci  Irova  plu  civllilà 
per  r.ierc  tempciali  clic  ù  è  ;  di  maniera,  clic  si  sono  citt'i,  teinpij  agli  Idoli, 
cd  in  sacriflcano  gli  liuomini  c  se  li  mangiaiio  por  ;  liarciido  in  qucstn  parte 
<|ualchc  intelligenza  cd  uso  dcU'oro  c  dcll-argcnto  ». 


V 


.«>((       rilKMIKIlK    l'AHTIi:.    —    LICS   l'UKl.l  MSKI  US    l»K   COLOMH. 

iiitorprôfc.  Kiisiiitt'  il  irlit  avec  eux  ce  voyage,  en  sorte  (jn'il 
devint  très  riclie.  Ayant  iiii-iiH^iiie  citiistniit  vi  armé  un  navire, 
il  revint  en  Frislaïule,  apportant  an  sei^'nein'  de  l'île  la  nouvelle 
de  la  découverte  de;  ce  pays  trôs  riche.  VA  le  tout  est  conlirnié 
pur  les  marins  et  par  lieaucoup  de  choses  nouvelles,  (jui  attes- 
tent la  véracité  de  t<tut  ce  cpi'il  a  ra|tporfé  ■>  (l). 

Antonio  Zeno  racontait  ensuite  (pie  le  prince  Zicinimi,  espé- 
rant de  nouvelles  concpiétes,  et  mis  en  fioùt  par  le  récif  du 
pécheur  Krislandais,  se  décida  à  tenter  une  faraude  expédition. 
Hien  <pie  le  pécheur  (pii  devait  servir  de  },MU(le  fût  mort  trois 
jours  avant  le  départ  de  la  flotte,  il  persista  dans  sa  résolution, 
et  entraîna  avec  lui  Antonio  Zeno  et  un  fjrand  nond>re  d'aven- 
turiers,  descendants  des  anciens  pirates  Northmans,  (ju'exci- 
taient  à  la  l'ois  la  cupidité  et  la  séduction  toute  |)uissante  de 
l'inconnu.  C'est  dans  une  seconde  lettre  à  son  l'rèrc  Carlo. 
qu'.Vntoriio  Zeno  doiiiuiit  tous  ces  détails,  et  racontait  en  même 
temps  l'expédition.  Ziclunni  s'était  réservé  le  conmiandement 
en  chef  de  la  flotte  et  avait  <hoisi  pour  fluides  (juehiues-uns  des 
matelots  cpii  étaient  revenus  d'Estoliland  avec  le  |»écheur  Fris- 
landais.  Après  avoir  visité  (pu'kpies-unes  des  îles  (pii  dépen- 
daient de  la  l'"'rislaiule,  Ijcdovo  et  Ilofe,  les  voya|îeurs  se  lan- 
cèrent droit  devant  eux  dans  la  direction  de  l'ouest  {"2).  Les 
vaisseaux,  à  peine  (mi  |)leine  mer,  furent  dispersés  par  une 
vi(dente  tempête,  mais  ils  se  rallièrent,  et  arrivèrent  en  vue 
d'une  firande  île.  Un  interprète  Islandais  pouvait  seul  com- 
prendre le  lan}i:age  des  insulaires  ['À).  Il  apprit  d'eux  cpie  leur 
pays  se  nommait  Icaria,  leur  roi  Icarus,  et  «pi'il  tenait  son  nom 
de  leur  j)remier  souverain  Icarus,  fils  de  D«edalus.  Les  Icaricns 


(1)  Edit.  .Ma.ioii,  |i.  2.1.  «  E  fiitto  (^d  aiinato  an  navijçlio  del  suo,  se  ne  c 
ritlornato  iii  l'^islanda,  |)ortando  a  ([iicslo  signur  la  iiiiova  dullo  scoprimcrilo 
di  quel  i)ae.so  ricliissiino  ;  od  a  tiitto  se  gli  à  l'udc  pcr  i  marinai,  et  molle 
cosc  nuovc  chc  appruvano  esscre  vero,  (|uanli  egli  lia  rappurlalo  ». 

(2)  Id.,  p.  20-  «  1{  navigando  con  biion  vcnto  scoiuimmo  da  poueute  terra  ». 
(:j)  Id.,  p.  27.  «  Glie  sapovano  parlar  in  dicci  linguaggi,  ne  fu  inteso  alcun 

di  loro,  fuor  ch'un  d'islanda  ». 


1 


ciiAriTiiK  \.  —  LK  vovAdi:  i»i;«  l'iiKUKs  zi;m. 


MM 


m*  Voulaient  ;i\(»ir  aiiriiii  coiiiiiici'ci'  avec  les  ('traii^t'i'H  (1),  ot 
|iirviiii'(>iit  Zirlitiiiii  <|trils  s'upi  nscraiciit  à  smi  ili''liari|ii(>iii(>iil  ; 
r(>|i(>ii<laiil  ils  ruiisciitaiciit  à  et-  (lu'iiii  de  srs  Imiiiiius  ilfsccinlit 
i^i  tci'i'f  |)Miir  a|i|in>ii(li-(>  leur  laii};uc  et  ('■ludit'i*  leurs  couturues. 
Zicltnuii  ne  tint  aueun  cnnipte  de  leurs  nliservations.  Il  f!*  le 
tour  lie  l'ile,  à  la  reclierclie  d'ini  port  où  il  pût  renouveler  ses 
provisions  d'eau  ;  mais  les  insulains  suivaient  les  nutuvenients 
de  la  tlolte.  Ils  ('i)nunuiii(piaient  entre  eux  par  des  si^:naux  de 
l'eu  sur  les  uu>nlagnes,  et,  à  peine  Zichinni  avait-il  déhanpié, 
(pi'il  était  assailli  par  des  forces  supérieures,  perdait  plusieiu's 
de  ses  lioinuies,  et  étiiit  o|ilij;é  de  rej;aj;nei'  pré<ipitauuuent  ses 
vaissciuix.  Piqué  au  jeu,  le  priiu-e  essaya  plusieurs  lois  ik" 
descendre  à  terre,  mais  les  insulaires  le  suivaient  le  loufi:  de  la 
côte,  toujours  en  armes,  ne  voulant  uièiue  pas  entrer  en  pour- 
parlers, et  déterminés  à  vendre  ilièrement  leur  vie,  si  les 
étrangers  [tersistaient  dans  leur  résolution. 

Zicluuni  se  décide  alors  à  poiu'suivre  son  voya^re,  et  cingle 
vers  l'ouest  pendant  six  joins  \'2'i  ;  mais  le  vent  saute  au  sud- 
ouest,  et,  connue  la  mer  était  mauvaise,  les  vaisseaux  se  laissent 
pousser  pendant  (jua.tre  jours  \ent  arriére.  l'iUlin  on  découvre 
la  terri',  mais  ce  n'est  pas  sans  hésitation  tpi'ou  s'en  a|i|)roclie, 
car  la  mer  était  toujours  grosse,  et  nul  ne  connaissait  le  pays 
«pi'on  venait  de  découvrir:  i<  lùiliii,  a\ec  l'aide  de  Dieu,  le  vent 
vient  à  loud»er,  et  les  flots  se  calment.  Quehpies  matelots 
montent  en  Itanpie  et  v(»nf  à  terre.  Ils  reviennent  prescpu; 
aussitôt  et  nous  annoiicentà  notre  ^^rande  satisfaction  cpi'ils  ont 
trouvé  un  pays  admirahle  el  un  port  excellent.  A  celte  nouvelle, 

(1)  Eilit.  Majok,  p.  2;.  «  Non  ricevoviiiio  iilctiii  lores'icii».  (;  (.'lie  peicio 
|>re(;iiv;iiio  il  iKistio  IMiiiciiie,  clie  non  volcssc  roinper  ((uellc  lt'^i;i  clie  li;iV(!ano 
liavuto  dalla  l'clice  nienioiia  di  qnt'l  lie  ». 

(2)  1d.,  |)  :UI.  «  Nuvigaiido  sci  giorni  per  )ionentc  ;  ma  vnltatusi  il  tunipo 
à  garl)ino,  cd  inga<!;liardito$i  pcrcio  il  inan;,  scorse  il'arniala  qnaltro  di  con 
vento  in  popjia,  o  discoprendo  liiialnionle  l(!rra  con  non  iMcciolo  limon' 
si  appi'cssatnnio  a  quelln  pcr  essoru  il  mai'  ^'onfio,  cl  la  Icrra  discopurta  da  noi 
non  conosciiita  ». 


loi 


-li 


w 


'M\H       l'MKMIKHK    l'AHTir..       -    I.KS    l'HKr.lHSKIUS    liK   (IW.OMII. 

nous  n'iin»r(|iioiis  les  vaisscuiix,  et  (Irsccrulniis  à  ItTre.  A  \mui', 
l'iitrés  dans  le  \utr\  inms  a|)('i'c(>V)>ns  à   riinri/oii   une  ^'i'aii<l«> 
iiKintagtic  (l'nii  sort  la  riiiiu'c.  Nous  »'S|)(''ri<»iis  (|ti('  l'ilc  iic  serait 
pas  iiilialtiti'c.  Afin  de  s'en  assiirtT,  Zicliinni  irsoliit  (l'envoyer 
un  (léfarlicnicnt  tic  cent  «le  ses  meilleurs  soldats  |)our  recon- 
naître le  pays  et  dire  (|uels  en  étaient  les  haltitants.  Kn  atten- 
dant, les  nmtelots  firent  leurs  provisions  d'eau  et  de  liois.  Ils 
prirent  lieaueoup  de  poissons  et  de  veaux  marins,  (les  veaux 
mai'ins  étaient  si  nond)reu\,  (pi'ou  était  (;omtne  dégoûté  de  les 
maiifrer.  Sur  ces  entrefaites  arriva  le  mois  de  Juin  ;  la  tempé- 
rature était  douc(',  |)h:.'.  (pi'on  ne  jteut  le  dire.  Oomme  nous  ne 
trouvions  aucun  habitant,  on  finit  par  supposer  «|ue  r-ette  lieile 
il(!  était  déserte.  Nous  doniiAmes  au  port  le  nom  de  Trin,  et  à 
la  pointe  (pii  s'avance  dans  la  mer  le  nom  de  cap  de  Trin  ». 
ÏjCS  soldats,  qu'on  avait  envoyés  en  reconnaissance,  annon- 
cèrent (ju'ils   avaient  enfin   trouvé   des   habitants   (l),    mais 
c'étaient  des  sauvajres,  de  petite  taille,  très  peureux,  <|ui  s'en- 
fuyaient  à  leur  vue  dans  les   cavernes   qui    leur   servent  de 
demeures.  Zichmni  voyant  «|ue  la  contrée  paraissait  riche,  l'air 
salubre,  et  (jue  les  indigènes  ne  lui  opposeraient  aucune  résis- 
tance, résolut  de  tirer  parti  de  tous  ces  avantages  et  de  peupler, 
en  y  bâtissant  une  ville,  s\  nouvelle  acquisition  (2)  ;  mais  l'hiver 
survint,  et  les  fatigues  de  la  colonisation  jetèrent  le  découra- 
gement dans  les  esprits.  Il  fallut  que  Zichmni  permît  à  Antonio 
de  retourner  en  Frislande  et  de  ramener  avec  lui  tous  ceux  qui 
renonçaient  à  leurs  projets.  Quant  à  lui,  attendant  les  secours 
et  les  auxiliaires  que  lui  avait  promis  son  fidèle  amiral,  il  res- 
terait dans    sa  capitale  improvisée.    Antonio    accomplit    son 


(1)  Edit.  Major,  31  <<  K  clic  n'habitavano  molle  genti  intorno  mczzo  selva- 
ticlie  rcparandosi  nclle  caverne  di  picciola  statura  e  molle  panrosc,  perche 
«abilo  chi  ci  videro  fu{Ç(i;irono  nellc  caverne  » . 

(2)  1d..  p.  32.  «  Di  clie  informalo  Zichmni,  vedendo  il  luogo  con  aère  sa- 
lubre e  soltile,  e  con  miglior  terrcno,  e  fiumi^  e  tante  allro  parlicolarilà  cnlrù 
in  pensiero  di  farlo  habitare,  c  di  fabricarvi  una  cilla  ». 


i  > 


lit    son 


IZO 


acre  sa- 
Irità  entra 


(IIAI'ITIIi;    X.    —    LK    V(tV.\(iK   liKS    KHKHKS    ZKNr.  iMJO 

iiiaïKliit,  t't.  luiNciu'il  rrviiit  en  Krislimdc,  il  y  Tuf  inciu'illi  iivcc 
nitliDiisiasiiit'  ;  rar,  (Icpiiis  iiu'oii  n'avait  plus  «le  nouvelles  de 
re\|M'>(iitiun,  mi  n'nvait  titul  perdu,  liuiniiies  et  vaisseaux  (1). 

Aulnnii»  avait  érrit  d'autres  lettres  à  son  fn're.  Il  lui  parlait 
de  ses  derniers  vi.yaf:es  au  pays  ('(dmiise  par  Zirlinuii,  (pii 
avait  fonde  des  villes  et  étendu  ses  coiupuMes  au  loin.  Il  lui 
annoueait  en  iiK^uie  temps  une  des('ri|)lion  de  tous  les  pays 
(pi'il  avait  parcourus,  de  leiu-s  roiitunies.  de  leurs  productions, 
de  leins  pèclienies  ^"2  .  Il  lui  pi'ouiettait  aussi  l'histoire  de  Kris- 
landa,  Islande,  l'iSfland,  Norvèfre,  Kstotiland.  Dro^reo  et 
(iroenland,  (|ii'il  joindrait  à  la  hio^'rapliie  de  leur  l'r^re  Nirolo 
et  à  celle  du  prince  Zichnuii.  Il  avait  l'intention  de  porter  avec 
lui,  tpiand  il  reviendrait  à  Venise,  tous  ces  manuscrits  :  mais 
de  ces  divers  ouvraj^es,  il  ne  reste  malheureusement  (pie 
l'indication,  et  jamais  ju'rte  ne  l'ut  plus  ref:rcttahle,  car  ils  nous 
auraient  éclairés  sur  hien  des  points  restés  douteux,  et  surtout 
ils  nous  auraient  convaincus  ipie  les  l'raf:ments  des  lettres 
parvenues  jus(prà  nous  ne  sont  pas,  connue  on  l'a  prétendu, 
un  ouvrafTO  de  pun»  fiction. 

Telle  est  la  relation  du  V(»ya|:e  des  Zeni.  .lusipi'à  (piel  point 
(h'V(nis-nons  ajouter  foi  à  cette  relation?  Trois  solutions  se 
présentent  :  ou  hien  cette  relation  a  été  inventée  à  jdaisir,  et  on 
ce  cas,  il  fiiut  en  déharrasser  la  science;  ou  hien  elle  est  vraie, 
et,  en  ce  cas,  elle  fournit  d(î  précieux  rensei^MU'uients  ;  ou  i)ien 
la  relation,  vraie  dans  le  fond,  est  fausse  dans  les  détails,  et,  en 

(Il  Edit.  Majok,  p.  33.  u  Dovc  il  pupolu,  chu  crcduvn  di  linvur  pcrduto  il  sun 
Principe  per  si  liinga  diniora  clic  ncl  viaggio  liavcvamo  fado,  ci  raccolsc  con 
se;;ni  di  (^raiidissiina  allcgrc/xa  ». 

(2i  Id.,  p  33.  "  Qiiaiilo  a  sapcie  le  cose,  chc  nii  licercate  de  costumi  de  gli 
hnotnini,  dc^^li  aiiimali,  c  de  pacsi  coiivicini,  io  ho  fatto  di  tutto  un  lihro  dist- 
'.'  'to,  che  piaccndo  a  Dio  portcro  cou  ineco.  ncl  qnalc  lio  descritto  il  paesc,  i 
pCLji  moslruosi,  i  costumi,  le  le^{;i  di  Krislcinda,  di  Islanda,  di  Kstlinula,  del 
ilegeio  di  Norvcgia,  d'Estotilanda,  di  Urogio,  ed  inftne  la  vita  di  Nicolo  il  Cava- 
lière, con  la  discoperta  da  lui  facla,  e  le  cose  di  (îrolanda.  Ho  anco  scritto  la 
vita  c  le  impresse  di  Zichmni  ». 


1 


I  -Il 


T.    I. 


U 


370       l'KEMIÈHK    l'ARTIE. 


LKS    l'KKCLHSKLHS   1)K   COLOM». 


■  1 

l'i      1 


ce  cas,  il  faut  distinguer  les  notions  précises  des  renseignements 
erronés  qu'elle  renferme.  Nous  |>ensons  que  la  troisième 
solution  est  la  plus  juste,  et  nous  allons  essayer  de  le  |)rouver. 
La  plus  grave  ol)je(;tion  (ju'on  ait  dirigée  contre  raullientitité 
de  la  relation  est  qu'on  a  troj»  atteiuiu  pour  livrer  à  la  pulilicité 
des  événements  aussi  curieux,  et  cela  à  une  é|toque  où  les 
esjtrits  se  tournaient  avec  ardeur  vers  tout  ce  (pii  intéressait  la 
science  géographique.  Kn  ellet,  le  récit  des  voyages  des  frères 
Zeni  resta  longtenq)s  inconnu.  Il  ne  fut  [tuhlié  (|u'a|)rès  lu 
découverte  définitive  de  IWmérique  par  les  ICspagnols.  C'est 
seulement  vers  le  milieu  du  .wi*"  siècle  qu'un  des  mendtres  de  la 
famille  des  Zeni,  Nicolo  Calerino  Zeno,  mettant  en  ordre  des 
papiers  domestiques,  (|u'une  coupahle  incurie  avait  ahandtjunés 
retrouva  les  lettres  si  curieuses  de  son  ancêtre,  et  s'empressa 
de  les  faire  connaître,  l-llles  étaient  mallietireusement  iufvom- 
plètes.  Gaterino  Zeno  avait  même  contribué  par  son  étourderic 
à  en  perdre  une  partie,  car  il  s«!  souvenait  (pie,  tout  enfant,  il 
les  avait  tenues  entre  les  mains,  et,  ne  sachant  <'e  (ju'il  faisait, 
les  avait  lacérées  (1).  Les  fragments  cpii  subsistaient  avaient 
néanmoins  une  telle  importance  cpi'il  essaya  de  réparer  sa  faute 
en  les  i)ul»liant  11  y  joignit  une  carte  des  pays  parcourus  (:i. 
carte  également  dressée  par  ses  ancêtres,  mais  ti'llemcnt 
dégradée  (juil  la  corrigea  en  partie  d'après  les  documents  (piil 
avait  à  sa  disposition.  C'est  <'n  l.'i.'iS  cpie  parut  cette  précieuse 
publication,  sous  le  titre  de  Delhi  scuiyiinu'nln  dflV  istiht  Fvix- 
Iniidn,  Eslanda,  Jùifjrori'lfntdn,  haUttilnudn,  et  /rariti,  fnttit 
snlto  il  jiolo  ariicn,  da  due  f'ratfUi  Zrni,  M.  .Xiroln  il  /,•  '■ 
M.  Anloiiiii,  li/jvo  iiiio,  avec  carte,  à  la  suite  de  /h'i  rdiinin'ii- 


(1)  K(l.  Majoii,  p.  U4.  '1  l*crclic  io  aiiCDr  raiiciiillo,  o  jierven'oni  aile  iiiaiii, 
ne  sopciuld  cii)  clio  l'ossei'd,  coiin;  laiiiio  i  laiiciiilli,  le  si|iiarci'i(;ii  c  iiiaiuli'i 
liitle  a  inale,  il  clie  imii  pnsso,  se  iimi  ciiii  ;;raiiili.ssiino  dolore,  ricuidaiiii  liora  ". 

(2)  1d.,  p.  ti  :  '<  iJi  quustc  parti  ili  Trainoiitaiia  in'ù  païuto  di  trame  iiiia 
copia  et  iiJia  caita  da  iiavigare,  rlio  annira  mi  truovo  liaveie  Ira  le  ariticli<- 
cusc  uos'.rc  di  casa...». 


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prouva  les  résuilals  ,(„  v.,v ',.„;'•.   '""'I""'"   <■"■""« 

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'!'■  voya^-os.  """'^''  '"■-  '""«lions  .•|n,„„.,,„„,,, 

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!H".so,,,.,,,it^;::,;:;i;:;l7"™'«.™^'«.: i.,' 

'"•'••'•'■»*,„ls.  ,|„e  de  docu„,é„  .''.''''"""■'•  'I'"'  <li'  in.'.moire, 

'■''-  .'-^f..„.„„„„,,i,e,  „,„„  ,:„, ,   •  "^  '"'"■""^  -■«.-  „.-.,li,e,„,, 
T""'  "•   -■•   l""-Te  le         '.'''■■'''"''*■"'•"'■■■''•'•''" 

'-vcu.e,.„„s-„„„spasdel,.parur„„; 

H)  Rt.scKi.i.i,  Georirafia  ai  Tr^i^ 

'^  Mo,.Kr.,,  P.o/4.;r\:j;:t   ::•  !"f  '  Venise,  1,„. 

'•J)  Livio  Sam  r.>.  cifé  par  Ziirla  Vrr         .?  '*''  '"  '''''"^^'e  xv,. 


II 


i; 
■     i 

i  ' 


t  ? 


'.ili       l'Hl-.MIKHK    l'AHTli;.    —    LKS    l'HKClHSIUHS    ItK    CdLOMIt. 

r.miill»'  |ti»tiitii'iin(!,  i\\u'  Icsadaiirs  |iul>li(|iu's  et  r.uliiiinislnition 
(l'une  firaiido  rorlimc  détounieiif  du  soin  de  ranjrcr  des  papitM-s 
(|ui  ii'iiitt'rcsscnt  (|ue  cos  aniM'trcs  ?  Il  fallait  un  clicnlicur  (»u  un 
(lii^ir,  toi  (juc  Caterino  Zono,  pour  s'aviser  de  rcnuier  tous  ces 
manuscrits  entassés  sous  les  l'omhles  de  sun  palais,  tous  ces 
parchemins  à  demi  rouffés  [)ar  les  vers.  Il  fallait  surtout  uxw 
épo<|ue  d'ardente  curiosité,  telle  (|ue  la  Ilenaissance,  pour  (pie 
pareille  idée  ptMK'tràt  dans  son  esprit.  Peut  (Hre  cliercliait-il 
((uehjue  anti(pie  manuscrit  acheté'  par  ses  aïeuv  dans  leurs 
V(jyajj;e\,  au  Levant  :  il  ne  rencontra  |)as  ce  (pi'il  désirait,  mais 
au  moiiis  p(jssédons-nous  frràce  à  lui  un  très  curieux,  et,  croy(»n!*- 
nous,  un  très  authenti(jue  document  du  xiv"'  siècle. 

On  a  prétendu  (pie  la  relation  et  la  carte  furent  composées 
par  Caterino  Zeno,  et  qu'il  se  servit  pour  se  travail  des  rensei- 
gnements ndatifs  au  (iroenland  qui,  pour  la  première  fois, 
parvenaient  alors  en  Italie.  Nous  admettons  volontiers,  d'autant 
|»lus  (ju'il  l'avoue  lui-même,  (pie  In  carte  i;  été  remaniée  par 
Caterino  Zeno,  mais  le  dessin  primitif  était  si  Itien  une  (Pfivre 
originale,  (pie  toutes  les  cartes  postérieures  des  r(''jrionsdu  Nord 
sont  en  partie  copié-es  sur  la  carte  des  Zeni.  Quant  à  la  relation 
est-il  possihie  (juelle  soit  r(puvre  d'un  faussaire,  puis(jue  son 
éditeur,  Caterino  Zeno,  était  un  des  grands  pers  ^nnages  de  la 
llépuhlique  (l),  qui  n'avait  pas  hesoin,  pour  grandir  sa  répu- 
tation ,  d'attrihuer  à  ses  ancêtres  de  lointaines  découvertes. 
D'ailleurs  sa  vie  tout  entière  protestait  contre  cette  imputation 
de  faux.  Aussi  hien,  si  la  relation  (Hait  nVllement  r(puvre  d'un 
faussaire,  présenterait-elle  tant  d'incohérence,  d'inexactitudes, 
d'omissions?  D'ordinaire  les  auteurs  de  pareilles  impostures 
prennent  mieux  leurs  précautions  et  ne  s'exposent  pas  à  de  pareils 
reproches.  Gomment  admettre  ipie  la  |)uissante  famille  des  Zeni, 
dont  la  postérité  se  perpétua  Jusqu'en  17rj(),  aitun  instant  consenti 


l>      ) 


{{)  Caterino  Zeiio  était  un  des  plus  savants  liommes  de  l'époque.  Son 
portrait,  par  Paul  Véronèse,  fut  placé  dans  la  salle  du  Conseil  des  Dix,  dont 
il  était  membre. 


f^m 


iw^Mm^ma 


CIIAI'IÏHE   X.    —    LK    VdVACK    DKS    KRKHKS   ZK.M. 


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•pu- 
«rtes. 
afutu 

d'un 


iluros 
Zeni, 


hiso 


wli 


le. 


Son 
iloiil 


à  oi'ttt'  aiulacieust'  usurpation  de  s(tu  n«im?  Cumnu'nt,  d'un  autre 
enté,  n'aurait-un  élevé  aucune  réclauiation  contre  eux,  si  ou 
eut  soupçonné  (^aterino  Zeno  de  mensonjîe  ?  Or,  rien  de  seni- 
Idahle  n'eut  jamais  lieu  ui  de  la  part  des  Zeni,  ni  contre  eux. 
il  seudile  donc  cpie  la  relation  présente  tous  les  caractères  de 
l'authenticité. 

Une  autre  preuve  de  l'authenticité  de  cette  relation,  c'est  son 
cachet  de  naiv<'té,  (pi'il  est  dil'llcile  de  niéc<tnnaitre.  (connue 
Ruhru(piis,  connue  Marco  Polo,  les  Zeni  ont  réellement  vu  ce 
qu'ils  décrivent,  entendu  ce  qu'ils  racontent,  souH'ert  du  froid 
et  de  la  tempête  connue  ils  s'en  plaignent;  Caterino  Zeno 
s'excuse  «juelque  part  (1)  de  ne  pas  reproduire  intéfjralement 
une  des  lettres  de  son  ancêtre,  avec  ses  négligences  de;  style  et 
ses  tounmres  vieillies.  La  candeur  de  cette  précaution  oratoire 
ne  démontre-t-elle  [»as  l'ahsolue  sincérité  du  premier  éditeur  de 
la  relation  ? 

(Jn  a  encore  prétendu  (pu;  ce  voyag:e  fut  inventé  par  un 
Vénitien  jaloux  de  tiênes,  et  désireux  de  rabaisser  la  },doire 
du  génois  Colond».  On  n'y  trouve  pourtant  aucune  récrimination, 
ni  même  aucuiu'  allusion  contre  Colomb.  Les  pays  décrits  par 
^'icolo  et  Antonio  Zeno  ne  présentent  aucune  analogie  avec  les 
descriptions  du  navigateur  génois.  Rien  pourtant  n'eut  été  plus 
facile,  si  la  relation  eut  été  apocryphe  et  dirigée  contre  Coloud» 
<|ue  d'y  introduire  la  description  très  reconnaissahle  par  exemple 
d'Ilispaniola,  de  Cuba  ou  de  toute  autre  Antille.  Or,  rien  dans 
la  relation,  ne  sessemble,  de  près  ou  de  loin,  aux  terres  signalées 
par  (lolomb.  L'inventeur  de  la  relation,  quel  (|u'il  soit,  aurait 
donc  bien  mal  exécuté  son  dessein  si  réellement  il  avait  cherché 
à  décrier  Colond»,  et  voulu  le  présenter  comme  le  plagiaire  des 
Zeni. 

il   nous    faudra    pourtant    recîonnaitre ,    et  c'est  ici  (jue  le;* 

(1)  Eilit.  .Majoh,  |i.  l'J  :  «  l.aqual  discoperta  narra  M.  Antonio  in  una  lettcra 
scrilla  a  M.  Carlo  suo  fralello  cosi  |iinitalincnte,  inutate  pero  alcuno  voci 
uDticlie,  u  lo  slile,  c  lasciata  star  nel  suo  essere  la  niatena  ». 


:i  - 


'MA       PHEMIKHK   l'AHTI 


LKs    iiiociRsinns  i»k  colomi». 


objections  devit'niu'ut  sériouscs,  (|ne  lu  relation  du  vcjyaffe  est 
jdeine  de  confusions,  d'invraisemblances,  et  mOme  de  contra- 
dictions. l']st-ce  un  uiotit"  pour  la  rejeter  ?  Assurément  non. 
Supposons  un  voyaj^eur  (pii,  sans  avoir  jamais  entendu  parler 
des  Antilles  oi  'e  tout  autre  archipel,  serait  tout  à  cou[)  transporté 
dans  ces  îles  igerait  de  l'une  à  l'autre.  S'il  cherchait  à  nous 

les  décrire,  su»  quand  ses  souvenirs  ne  seraient  plus  dans 
leur  première  fraîcheur,  souvent  il  confondrait  telle  ou  telle  de 
ces  îles  avec  une  île  voisine,  et  pourrait  commettre  de  ffrossières 
erreurs.  Ainsi  firent  les  Zeni.  Transportés  dans  un  monde 
inconnu,  préoccupés  de  leurs  propres  affaires,  ils  durent  oublier 
bien  des  détails  et  se  tromper  souvent.  Ces  erreurs  prouvent 
leur  sincérité,  car  ce  serait  supposer  un  singulier  raffinement 
à  l'auteur  d'un  ouvrage  apocryphe  que  de  croire  qu'il  aura  fait 
litière  de  son  amour-propre  et  se  sera  exposé  volontairement  au 
reproche  d'avoir  composé  un  livre  rempli  de  fautes. 

H  ne  nous  reste  plus  (ju'à  essayer  de  faire  le  départ  entre  les 
renseignem(>nts  précis  et  les  notions  erronées  de  la  relation.  Cet 
examen  nous  prouvera  (jue,  si  Ton  trouve  dans  cette  relation  t^"* 
points  obscurs  et  des  traits  évidemment  fabuleux,  au  lieu  de  la 
rejeter  en  bloc,  il  est  préférable  de  les  étudier  avec  soin.  Plus 
on  les  étudiera,  mieux  on  les  comprendra. 

Tout  d'abord  quel  est  ce  prince  Zichmni  qui  joue  un  si  grand 
rôle  dans  la  relation?  llorn  a  beau  jeu  pour  se  moquer  jtlus  ou 
moins  spirituellement  de  ce  prince  qu'il  prétend  inventé  pour 
les  besoins  de  la  cause  (l).  Il  est  certain  que  ce  nom  de  Zichnmi 
a  une  tournure  étrange  et  qu'il  a  beaucoup  embarrassé  les  com- 
mentateurs. Afin  d'en  faciliter  la  prononciation,  Pontanus  (2),  un 
des  premiers  historiens  «jui  aient  discuté  ce  problème,  changeait 
l'm  en  in  et  proposait  de  lire  Zichinni.  Wytfliet  écrivait  Zichini. 


(1)  HoRN,  De  Oriijinibus  Americanis,  p.  156. 

(2)  Pontanus,   Rerum  danicarum  historia  {.\inslciilaiii,  1631),  p.  762. 
C'est  encore  Pontanus  qui  cite  VVytfliet  (p.  763). 


I 


(■lIAl'IÏRn    X. 


LK   VOYAGi:   IH:S    FRKRES   ZENI. 


375 


iiiui 
ou 
i»ur 

ni  ni 
)m- 
,uu 

liai. 


Marco  IJarhiivu,  parent  des  Zeni,  qui  connut  les  lettres  d'Antonio 
vin|?t-d(;u\  ans  avant  leur  pulilication  (1),  et  s'en  servit  pour 
composer  son  recueil  des  I)i sce» douze  pnfrhie ,^^0111  7À(:.hno  {'i). 
Or  Zichini  ou  Zichno  est  une  transcription  assez  fidr'le  du  ;ieux 
norrain  Thefrn,  qtu  sij^nifio  le  propriétaire  libre.  Ziclimni  serait 
«lonc  un  titre  et  non  pas  un  nom  de  famille. 

Sans  nous  attarder  dans  cette  discussion  philologique  qui 
nous  paraît  peu  intéressante  et  encore  moins  prohante,  cherchons 
si,  parmi  les  souverains  ou  les  princes  du  nord  à  la  fin  du 
Mv""  siècle,  il  ne  s'en  trouve  pas  un  dont  la  vie  et  les  actes 
répondent  à  ce  que  racontent  de  lui  les  Zeni.  Nous  ne  citerons 
ici  qu'à  titre  de  singularité  l'hypothèse  de  F.  Krarup,  qui  prétond 
reconnaître  Zichmni  dans  Henri  de  Siggens,  maréchal  de  l'armée 
de  llolstein,  (jui  aurait  effectivement  enlevé  le  Nord  Frisland  ou 
Frise  SIeswigeoise,  en  1371,  à  Olaf,  fils  de  Ilaken  de  Norvège 
et  de  Marguerite  de  Waldemar  ;  mais,  si  le  nom  de  Siggens  se 
rapproche,  jusqu'à  un  certain  point,  de  l'italien  Zichmni,  la  vie 
et  les  actes  du  maréchal  ne  ressemblent  nullement  à  ce  que  les 
Zeni  ont  raconté  de  leur  prince.  11  nous  faut  donc  chercher 
ailleurs,  et  peut-être  serons-nous  plus  heureux  dans  nos 
recherches,  lorsque  nous  les  aurons  dirigées  sur  un  certain 
Henri  Sinclair,  baron  de  Roslin,  descendant  d'un  des  compa- 
gnons de  (jruillaume  le  Conquérant,  qui  était  allé  chercher  fortune 
en  Ecosse.  Henri  Sinclair,  déjà  seigneur  de  Caithness  en  Ecosse, 
des  Sthetland,  de  Portland  et  du  duché  de  Sorand,  s'était  fait 
nommer  par  le  roi  d'Ecosse  comte  des  îles  Orcades.  Afin  de 
fortifier  sa  position,  il  avait,  en  1379,  sollicité  et  ob'jnu  du  roi 
de  Norvège  la  confirmation  de  ses  droits  sur  l'a^'^nipel.  Brave, 
habile  marin,  dévoué  aux  intérêts  de  ses  sujets,  il  ne  voulait  pas 
(|u'ils  fussent  rançonnés  par  les  pirates  Danois  ou  Norvégiens, 
alors  nombreux  et  redoutables,  et  dirigeait  contre  ces  insaisis- 


I    . 


762. 


(1)  ZURLA,  Di  Marco  Poli,  etc.,  t.  H,  p.  9. 

{2)  Beauvois,  Le  Markland  et  l'Escocitnnd  (Congrès  des  Amcricanistes  de 
Luxembourg,  t.  i,  p.  200. 


37(1    l'MKMiKHK  l'Airni:.  —  lks  i'Hkclrsiîlrs  I)i:  colomii 

sableseuiu'iiiis (le  rn'(|iu'iit('s expéditions (1). Aussi, (|uaii(l  il  apprit 
l'arrivc'c  (riiii  marin  aussi  exporinicnt»'  et  d'un  ofticier  aussi 
l)rav<'  que  Niroio  Zcnu,  clierclia-t-il  à  se  l'attaclicr  en  (|ualité 
de  capitaine  de  la  (lotte  (|u'il  destinait  à  la  eonipuMe  du  Frisland. 
L'existence  de  Henri  Sinclair,  ses  projets  de  cunquètt!  et  ses 
expéditious  ne  s(»nt  niés  par  personne.  Nous  ne  savons  il  est 
vrai  connniMit,  à  la  lin  du  xiV  siècle,  les  hommes  du  nord 
prononçaient  Sinclair  ou  ses  étpiivalents,  ni  conmientun  Italien 
pouvait  entendre  et  transcrire  ce  nom,  mais  l'identité  d(!  Sinclair 
et  de  Zichinni  nous  send)le  très  probable,  et  (l'ailleurs,  comnje 
nous  allons  ntjus  en  convaincre,  eile  sera  conlirmée  par  la  suite 
du  récit. 

Quels  sont  les  pays  con(|uis,  entrevus  ou  visités  parce  prince 
belliqueux  et  par  les  Vénitiens  qu'il  a  prisa  son  service?  On  en 
compte  jus(|u"à  siv  :  Frislanda,  Estland,  Enproneland,  J-lsto- 
lilanda,  Icaria,  Drogeo.  Etudions-les  successivement. 

On  a  beaucoup  discuté  sur  l'emplacement  de  la  Frislande. 
Certains  auteurs,  radicaux  dans  leurs  affirmations,  ont  souteim 
que  l'ile  décrite  par  les  Zeni  a  bien  existé  jadis,  mais  (pi'elle  a 
aujourd'hui  disparu.  Sur  lu  mappemonde  jointe  par  Ruyscb  à 
son  édition  de  Ptolémée,  la  Frislande  n'est  pas  indiquée.  On  lit 
à  sa  place  :  fnsiila  liaec  anno  1 4ô6  fuit  totaUter  combusta. 
Baudrand  écrivait  en  1682,  dans  son  D'tctvmnmrc  r/rogni- 
pMque{1)  :  «  La  Frislande  est,  d'après  certains  écrivains,  une 
île  très  grande  de  l'Océan  septentrional,  mais  sa  situation,  par 
qui  et  en  quelle  année  elle  fut  découverte,  à  qui  elle  obéit,  ses 
divisions,  ses  villes,  tous  ces  renseignements  sont  contradic- 
toires ;  aussi  est-il  plus  exact  de  dire  qu'il  n'y  a  nulle  part  de 


(Ij  Gravier,  Découverte  de  l'Amérique  par  les  Normandx,  ISl-lS'J.  - 
Barry,  Historij  of  the  Orkney  hlands  (Londoii,  1808),  l.  II,  p.  202. 

(2)  Baudrand,  Dictionnaire  géographique,  I,  414.  <■  I''rislaiidiam  insulain 
esse  pcramplani  Oceani  Seplcntrionalis  quidam  sciipsere,  sed  quœ  sil,  a 
quibus  détecta,  et  quo  aiiuu,  cui  .'ubjaceat^  et  quas  habeat  partes  et  urbes, 
neque  constat  iiiter  ipsos  qui  de  illa  scripsere,  ita  ut  inelius  sit  dicf-  nsulaiu 
Frislandiam  nullani  ». 


art  <lt' 


■m. 


insulani 

liop  sil,  a 

Et  urbcs, 

asulani 


O    -rf- 
'—    5 

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1  '  * 


ClIAriTHE    X. 


LI-:    VOYACK    l>ES    KHKHKS  ZEM. 


:no 


Frislaudo  ».  Piiifrn''  «'t  Honla  (l),  dans  la  relation  du  voyage  qu'ils 
('ntro|)rin'nt  en  1771  et  1772  dans  les  mers  du  Nord,  cher- 
chèrent également  sans  la  trouver  la  Frislande  :  «^  Que  l'île 
Krislandia  ait  existé  ou  non,  disent-ils,  il  est  au  moins  certain 
qu'elle  n'existe  phis  ;  mais  existe-t-il,  sous  le  nom  de  lins,  une 
petite  partie  de  cette  Ile.  nous  en  doutons,  parce  que  nous  ne 
voyons  pas  que  l'existence  de  ilus  ait  été  suffisanunent  cons- 
tatée ».  Tout  récemment,  dans  son  curieux  et  intéressant  ouvrage 
intitulé  Pauvre  hlaiidi'  !  ('2)  M.  Victor  Mev'nan  soutenait  la 
même  théorie  et  affirmait  »pi(!  la  Frislande  avait  disparu  à 
une  épo(|ue  relativement  moderne.  I^a  Frislande  aurait  donc 
été  détruite  par  un  cataclysme  analogue  à  celui  qui  sultmergea 
jadis  l'Atlantide  ou  la  Lyctonie  :  mais  les  effets  de  cette  révo- 
lution géologique  se  seraient  fait  sentir  au  loin,  et  auraient  été 
connus  au  moins  dans  les  îles  voisines  :  or,  de[iuis  l'an  8(K),  on  a 
conservé  les  traces  et  le  souvenir  des  moindres  ravages  exercés 
par  la  mer  à  Heligoland  ;  depuis  le  xii"  siècle  on  connaît,  pour 
ainsi  dire  jour  par  jour,  les  changements  opérés  sur  les  côtes 
de  Norvège,  de  Danemark  ou  de  Hollande,  Se  peut-il  donc(|ue 
la  soudaine  disparition,  à  partir  du  xv"  siècle,  d'une  île  aussi 
grande  que  l'était  la  Frislande  n'ait  laissé  ni  traces  dans  les 
mers  et  les  îles  voisines,  ni  souvenirs  dans  l'esprit  des  hahi- 
tants,  et  cela  dans  une  région  où  les  phénomènes  cosmi(|uc» 
sont  enregistrés  avec  soin,  et  les  traditions  entretenues  avec 
fidélité?  Il  nous  faut  donc  renoncer  à  cette  hypothèse  de  la 
suhmersion,  et  chercher  si  on  ne  pourrait  pas  retrouver,  autre 
part  qu'au  fond  de  la  mer,  la  Frislande  des  Zeni. 

Nous  laisserons  de  côté  l'hypothèse  à  tout  le  moins  singu- 
lière de  Bossi  (3),  qui  entendait  par  Frisland  tous  les  pays 
uhondantsen  poisson,  d'après  l'ancien  teutonique  Frisch  Land, 

(1)  Borda,  Pinohé  et  Verdcx  db  i.a  Crecnk,  Recherches  pour  vérifier  les 
cartes  hydroi/raphigues,  t.  Il,  p,  3o'J. 

(2)  Victor  Meicnan,  Paurrn  Islande,  |i.  31-33. 

(3)  Bossi,  Histoire  de  Christophe  CoiomO. 


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,  i 


.  1 

\    X 


380       l'IlKMIKHK   l'AUTIK.    —    I.KS    l'HKClRSKlHS    HK  (OLOMI). 

pays  (lu  poisson.  Nous  nous  (oiitciitcroiis  aussi  de  iiiciitioiiiici' 
lii  hiziiiTc  [tositioii  i\\w  lui  assi}.Mi('iil,  au  su(l-(»U('st  df  l'Islande, 
frrs  près  du  (Irociiliind,  Oriclius  ( I ),  Mcrcator  (2),  HIacii  ^3), 
iJiidlcy  i)  cl  (loronclli  ('.)),  et  nous  ne  saurons  tro|»  nous 
rtonncr  de  ce  (pic  l)clislc  ((>)  en  I7IH,  et  Laniartinièrc  "jeu 
17(IK,  lui  a\aiciit  conserve  la  même  position.  L'opinion  de 
Steenslrup  (H)  ne  nous  parait  |tas  non  plus  facile  à  sfiutenir 
Cet  écrivain  pense  en  elVcl  «pie  la  l'^rislaiide  correspond  ;i 
rislandc,  cl  il  essaie  tic  le  prouver  en  interprétant  les  noms 
des  lieux  inscrits  sm-  la  carte  des  Zeni.  Il  pense  (pic  ces 
noms  sont  islandais  sous  une  forme  italianisée,  on  Itien  traduits 
textuellement  de  l'islandais  en  italien  :  mais  il  a  ouldic  (pic 
l'Islande  est  nonnuce  dans  la  relation  comme  un  pays  dislincl 
de  la  Frislande  ^0)  et  (pi'il  est  par  consécpient  impossible  de 
confondre  ces  deux  régions.  Un  autre  savant,  Walkenaër  10  . 
a  cru  retrouver  la  Krislande  dans  l'Irlande.  Dans  son  système. 
la  Krislande  ré|»ondrait  au  nord-ouest  de  l'Irlande,  le  jfolfe  de 
Suderoà  la  baie  de  (lulloway,  Sonestol  à  l'embouchure  du  Sliaiir 
non  et  liondendon  à  la  prescjuile  de  Hrandon  dans  le  comté  de 
Kerry.  Quant  à  rem|)laceineiit  de  la  capitale,  il  hésite  entre 
Belfast  et  Dovvn   Patrick.    (les  raccordements  sont    inirénicux 


(1)  OiiTELiLS,  Theafriiin  ur/iis  terrarum  (1573).  caries  1  el  2. 

\2)  Meiic.ator,  Citrte  ilo  156!)  rcpiodnitc  par  Joinanl,  ouv.  citi!',  ji!.  18. 

(3)  Bi.AEU,  Atlas  de  1034. 

(4)  Dl'DI.ev,  Arcano  del  mure  (1630-1661). 

(5)  Cdiio.NKi.i.i,  H  piivtol(ini)  ilella  mure,  1698.  Ce  dernier  publia  une  carlt* 
particulière  du  Frislaiid  smis  ce  titre  :  Frislaiida  sco|)erta  da  Nicole  Zeiin. 
patricio  Veneto,  crcduta  favolosa,  o  nel  mare  sominersa. 

(0)  Delisle,  Atltia  historique  et  f/éoijraphiqtie,  1118. 

(1)  Lamahtimeue  {Dictionnaire  t/tiof/raphii/ue  fie  I768j  la  plaçait  entre  le 
3405'  long.  O,  et  60»  et  63»  lat.  N. 

(8)  Steenstrup,  Congrès  Aniéricaniste  de  Copenhague,  p.  180. 

(9)  Relation,  édit.  Majoh,  p.  11.  «  Ed  vedendosi  pcr  la  ïramontana  vicino 
aile  Islande,  délibère  di  assaltar  Islanda  «.  —  Voir  p.  Il,  16,  20,  33,34. 
«  Le  logge  di  Frislanda,  di  Islanda  ». 

(10)  Wai.kesae»,  Lettre  à  Dezos  de  ta  Roquette,  insérée  dans  la  liioijrti- 
phie  univerelle  de  Michaud  à  rarliclc  des  frères  Zeni. 


ClIAl'ITlIi:    \. 


m:  v«n.\(;i:  i»i:s  iukuks  zkm. 


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liiofir'i- 


siuis  iloiitc,  mais  iniiiiniMit  sii|i|misci-  <|(I('  les  Zciii  iiiciit  duiinr 
lies  iiniiis  hi/iirrt's  et  si  t'(nii|ilt''|('in('Mt  iinniiinis  ;i  des  pays  t(>ls 
(|n<'  rirlaiidc,  (Irpiiis  |iiiifrlciii|is  cxplun'c,  ('niiiiiic  le  |ii'iiiiv(>(it 
les  tarfi's  aiitrricun'S  ?  {{)  l'iit'  hyiintlM'sc  plus  ivcciitc  nous 
parait  moins  suntcnalilc  cncon'  (pir  la  tlH'ui-jc  de  xValkcnai'r  : 
Kn'dt'rirk  Ki'ai'n|>  {"2)  n'a-t-il  pas  sniifcnn  (pTil  l'allaif  «lifrclit'i* 
lit  Krislandc  dans  le  Nord  Krislaud  on  Fiisc  SIcswifjcrdsc  ; 
mais  il  ne  pcnt  (<\|diipici'  une  Inidc  d*>  unms  propres  et  d** 
détails  (pi'il  se  contente  de  passer  sons  silenee,  el.  des  trente- 
neni"  noms  cités  par  les  Zenidans  leni'  carte  de  l-'rislanda,  il  ne 
parvient  à  étaldir  l'identilication  que  de  Sorano  avec  Siehren 
en  Wa^'rie,  de  Sndero  avec  Siideraii,  un  des  liras  de  mer  cpii 
séparent  les  îles  Sle\vif:oises,  et  de  Forlanda  avec  Itordinm  près 
de  Bredstedt  en  SIeswi;;. 

(Jn'est-il  besoin  de  chercher  si  loin  la  position  de  la  Krisliuide? 
Il  est  nn  archi|»el  de  rAtlanti(|ue  dont  la  positicm  et  les  déno- 
minations correspondent  à  peu  |)rès  exactement  à  la  position 
assifrnéo  par  les  Zeni  à  la  Krislande,  et  aux  dénominations  géo- 
j,^ra[)hi(pies  (ju'ils  ont  inscrites  sur  leurs  cartes  :  c'est  l'archipel 
des  Feroi'  {',)).  Sans  doute  le  mot  Feroë  n'est  pas  le  même  que 
le  mot  Frislanda  ;  mais  il  a,  parait-il,  pour  riicine  Fara  ou  Fare, 
(|ui  sifînifle  passage,  détroit  entre  (h's  des,  dont  on  a  fait  succes- 
sivement Far-or,  Faer-oer,  et  Fair-islanri.  Il  se  peut  enc<)reque 
Frislande  signifie  terre  des  Frisons,  Frisa-land,  car  on  sait  par 
une  curieuse  tradition  recueillie  de  ncis  jours  par  le  pasteur 
Schro'ter  (4),  que  des  Frisons  occupèrent  Sudhuroy,  la  plus 
méridionale  des  Feroë,  Quelle  qu'ait  été  la  fortune  de  ce  nom, 

(1)  IIamv,  Les  Orifjinps  de  la  carto'jraphie  ilc  l'Europe  Septentrionale. 
(Bullclia  de  géographie  liistorique  et  scieiitiliiiue,  1888). 

(2)  Krarup,  ouv.  cité. 

(;])  G.  Debes,  Fœr.-B  reserata,  a  (lescription  of  tlie  ialancU,  translateil 
l'rom  the  danish,  Londres,  167C.  —  ToRKours,  Comentatio  de  rébus  Fivre- 
ijensium,  1695. 

(4}  SciiRoETER,  Les  Frisons  à  Ahaberf/  (cité  par  Beal'vois,  Découverte  du 
Nouveau-Monde,  etc.,  p.  90). 


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l'IlKMlKMK    l'AIITIK.     —    LKS    l'IlKCI  HSKI  IIS    W.   (.OMlMIt. 


h  ! 


il  n'eu  est  pus  iiiniiis  vrai  (|iit>  les  Zciii  ut*  rniit  |)<is  iiivciit)-  |iiiiii- 
l(>s  licsniiis  <l<' leur  cause,  rar,  hicii  avant  rii\,  la  llrslaiiila  «le  la 
(M'ofirapliic  d'ivlrisi  (IlTii)  ^l).  la  Vricslaiidia  iriiii  |»laiiis|»ln''rc 
<lti  Wl"  sii'M-lr,  t>ii  t<M(>  <lii  iiiaiiiisirit  i.l:2(>  du  ronds  latin  à  la 
Uihlinf|it''(|iic  iiatidiialf  de  Paris  (2i,  le  W'rislad  de  lu  Map- 
pcniniidc  de  llatudl'  de  lly^'^'cdcii  (l.^t'iO)  ';)),  rappelaient  le 
nnui  de  Krislande,  et  cette  il(>  occupait  déjà  l'eniplacenient  de 
KeroC.  (lel  archipel  est  encore  désij;né  sous  le  nom  de  Frislanda 
dans  les  mappemondes  de  Hianco  (li;M'>)(i)  et  de  Kra  Manro 
(l 'lo'.))  ainsi  (pie  dans  un  atlas  catalan  de  la  fin  du  XV  siècle,  à 
rAinhrosienne  de  Milan  (o).  Ou  le  trouve  éj^alemiMit  dénommé 
dans  les  cartes  de  .liian  ((ij  de  la  dosa,  (l.'KM))  de  Uuscelli  ^7) 
li;')»>l),  de  Mercutor  (i:)(>î>)  (8)  et  de  Si^unl  Steplianius  (l.'iTO). 
ImiIIii  (lliristoplie  (lolomi)  qui  lit  un  voyajre  dans  les  mers  du 
Nord  au  mois  de  lévrier  1  i"",  visita  le  pays  cpi'il  nomme  Kris- 
lande ,!)),  et  déteimina  sa  position  par  le  ~',\°  de  lat  N.  ;  ce  ipii 
correspond  à  peu  |)iès  exactement  à  la  position  des  Teroë. 

Donc,  pendaiK  tout  le  moyen-àfîe,  bien  avant  l'époque  où 
parut  la  relation  des  Zeni,  la  Krislande  est  inarquée  dans  les 
cartes  du  temps  au  même  de;,n'é  de  latitude  quo  les  Keroë.  Les 
loiifiitudes  seules  varient.  Jl  est  vrai  (|ue  la  Krislande  est  c<insi- 
dérée  dans  la  relation  comme  ne  formant  (prune  seule  terre,  et 

il)  KiMiisi,  iratliiolioii  Jaubcrt. 

(2)  (jli'i  [lar  Santaiikm,  Atlas  f(ntii)()sii  de  )>iapiJ"monili.'^,  etc.,  pi.  23. 

{'X,  .loM.viiii,  niiv.  cite. 

[ij  KoiiMAi.KOM,  oiiv.  cité. 

(.j)  l"/iKi.i,i  KT  San  1''impi'o,  Stu//i  fjior/rdfici  mill/i  storia  dclla  geografia 
in  Ila/iu  (1887),  l.  Il,  p.  238,  N»  Hl4. 
fi)  JiiMAiin,  plaiiclie,  .N<"  19.  20. 

(7)  lli  sciii.i.i,  (ié/y/i'ap/iie  ilo  l'folcméc. 

|8)  JoMAHii,  oiiv.  citts,  |il.  76 

(11)  Ili'.MBoi.DT,  Histoire  de  la  géographie  du  nouveau  continent,  t.  Il, 
p.  lOG,  citant  lu  liailc  dos  cini|  zones  liabilablc.s,  coinpos(';  par  Colomb  : 
H  Lorsfiue  je  nie  trouvai  dans  cette  île,  la  mer  n't'tait  pas  gcl(5c,  (|uoi(|ue  les 
niaiées  y  soient  si  fortes  qu'elles  y  montaient  à  vin};t-six  brasses  et  descen- 
daient autant.  Il  est  vrai  ([uc  le  Tile  dont  parle  J'tolemtJe  se  trouve  là  on  il 
le  place  et  se  nomme  aujourd'hui  Frislande  ». 


CIIAI'lTIUv    X.     —    LK   VO>A(iK    llKS    FHKHKS   ZKM. 


:m:{ 


(juc,  «If  plus,  toutes  li's  ciirtcs  du  temps  la  dessinent  eornnie  ne 
riti'iiiiinl  (pi'iine  seule  ile  ;  mais  il  semhle  (pie  ee  l'ut  luii^'temps 
CMiume  (Ui  procédé  des  ('ai't)i};ra|dies  de  ne  di'crire  dans  un  archi- 
pel mal  connu  (pie  liis  simiosilés  extérieures,  en  ne  tenant  md 
compte  des  détroits,  des  caps  et  des  iles  à  l'intérienr.  Il  u'n  a  pas 
loii^Memps,  par  exemple,  (pie  les  nomlireuses  îles  et  les  détroits 
multiples  (pie  les  uavi^'ateui's  rencontrent  à  la  pointe  sud  de 
rAméri(pie,  ont  cessé  d'être  compris  sous  la  dénomination 
uni(pie  de  Terre  de  Immi  (I  ).  F^a  ^irande  étendue  de  la  Frishuide 
dans  la  carte  des  Zeiii  provient  peut-être  aussi  de  ce  (pie  le 
dessin  ori^'iiiiil,  très  delahré  (piand  il  fut  copié,  u'oIVrait  plus 
(pi'une  imaj.fe  coiii'use  des  canaux  (pii  séparent  les  Keroi'.  Aussi 
liieii,  supposons  un  instant  ipie  les  iles  Feroë  ne  forment  (prune 
seule  ile  ;  (jue  si  nous  in'jçli^eons  les  détroits  (pii  les  séparent, 
et  ne  considérons  «pie  les  conllj^urationsdes  c('»tes,  no  is  verrons 
alors,  en  comparant  la  carte  des  Zeni  à  une  cart(î  moderne  de 
l'arcliipel,  (pie  les  mêmes  caps  se  présentent  dans  le  même 
ordre,  eu  suivant  la  même  direction,  et  (pie  les  fiolfes  sont  à 
peu  près  identi(]ues  (2). 

ICiilin  (piel(|ues  dénominations  jiéo^rapliiipies  se  sont  mainte- 
nues juscpià  nos  jours,  presipie  semlilalih  -  à  celles  (pi'indi- 
(piaieiit  les  Zeni.  (Jtii  ne  recoimailrait  dans  Monaco  li'  nom 
italianisé  de  lile  iVIonkers  un  des  Moines,  la  plus  méridio- 
nale des  iles  de  Tarcliipel  ?  Le  c;ip  Spafiia  ne  serait-il  |ias  le 
cap  Stacken,  le  j^olfe  de  Sudero  le  Suderoi'  liord.  licdtivo  Lillle 


vjrufia 


(i)  La  Torce  do  l'tMi  a  îles  |ii'ii|inrlioiis  ^'i^niitcsqucs  dans  ravaiit-doniicre 
carli!  de  l'atlas  d'drteiiiis,  dans  le  ijnrieux  ^lohc  de  Nancy  (Conjurés  Auiéiica- 
nisle  de  Luxeiubonij;,  I,  ;id!)i  el  dans  la  |ilii|iart  des  cartes  du  xvi"  <!t  même  du 
XYii"  siècle,  l'arf.iis  intime  elle  se  confond  avec  les  terres  australes.  Voir  la 
inapiieniondo  de  Henri  11  (Joinard,  onv.  cité),  et  le  Pcn-tulan  de  Malartic  (So- 
ciété ltourj;iii);iionne  de  géo^rapliie  et  d'Iiistoire),  1880. 

(2)  Iteuiai'(|Uoi)s  tontefuis  (|ii(!  Siuilioii  Minch,  la  plus  méridionale  des  [«"eroi- 
(Cl<>2'il  n'existe  pins.  Cette  l'alaise,  de  27  mètres  de  liant,  très  ntile  pour  les 
navires  anxiinels  elle  sijçiialait  des  tonrliilloii»  danjjercux,  a  été  engloutie  le  T 
novembre  US.So.  (I^.Mto.N.NK,  V)i  )ni)i<  i/ii'f<  l'archipel  des  Fœroer,  Tour  ihi 
monde,  1S.S7). 


ï 


38i      PMEMIÈRK    l'ARTIK. 


Li;s  l'RKriHSKnis  dk  coi.omii. 


Dinion,  Sanostol  Saiuloi',  etc.  (1)?  IhiiiclH'  et  surtout  Lt'Itnvel,  (jui 
niit  poussé  l'identificatiou  Jusqu'au  liout,  n'ont  laissa  |)asst'p 
qu'un  seul  des  trcnle-luiit  ni>ms  cités  par  les  Zeni  sans  lui  assi- 
gner sa  position,  mais  (juel(|ues-uns  de  leurs  rapprochements 
sont  à  tout  le  moins  forcés  (îJi.  Les  analofries  sifrnalées  sont 
pourtant  singulières,  car  rien  ne  passe  aussi  difficilement  (|ue 
les  noms  propres  d'une  langue  à  l'autre,  surtout  (piand  ce  sont 
des  étrangers  qui  traduisent  avec  leur  prononciation  les  ;ionis 
des  contrées  qu'ils  parcourent.  Qui  d*»nc  reconnaîtrait,  s'il  n'en 
était  averti,  et  dans  des  pays  voisins,  S'graveniiagen,  Meclieln, 
Luttig,  Kortryck,  Regenshurg,  Diedenhofen,  etc.,  détigurés  sous 
les  noms  de  La  Haye.  Malines,  Liège.  Courtrai,  Ratishonne  et 
Thionville? 

Veut-on  d'autres  preuves  de  l'identification  de  la  Frislandc 
et  des  Feroë?  La  relation  parle  à  diverses  reprises  du  grand 
nond)re  des  poissons  qu'on  trouvait  dans  l'archipel  (3V  Les 
insulaires  le  salaient  ou  le  fumaient  et  l'exportaient  juscpi'en 
Norvège,  en  Flandre  et  en  Rretagne.  C'était  la  grande  produc- 
tion du  pays.  Aujourd'hui  encore  Danois,  Anglais.  Hollandais 
même  fréquentent  ces  parages  à  cause  de  l'énorme  (juantit(> 
de  poissons  qu'ils  y  rencontrent,  et  parfois  y  font  de  véritahles 
pèches  miraculeuses  (4). 

D'après  la  relation  l'abordage  de  la  Frislande  était  difficile 
à  cause  des  écueils,  de  l'escarpement  de  la  côte  et  des  courants. 
Les  mêmes  difficultés  subsistent.  La  mer  qui   environne  les 

(1)  Voir  la  carte  jointe  à  l'ouvrage  cité  ci-dessus  (io.,  p.  399). 

(2)  Ainsi,  d'après  I^elewel  (Ménioiic  cité,  p.  102-103),  les  villes  de  Frisland, 
Godmec  et  Sorand  correspondent  à  Kingshaven,  Thorsliaven  et  Scavernus. 
Portland  est  identitié  à  Sydero.  Laissons  lui  la  responsabilité  de  ces  rappro- 
chements. 

|3)  Helation,  édit.  .Majom,  p.  9.  u  Nel  (|ualc  si  prende  pescc  in  taiita  co|)ia, 
che  se  ne  caricano  moite  navi,  e  se  ne  fornisce  la  Flandra,  la  IJretagna,  l'Iii- 
gtiiltcrra,  la  Scotia,  c  Dannimarcha,  e  di  quel  ne  cavano  grandissime  ric- 
cliezze  ». 

(4)  Lahonne,  Un  mois  dans  l'archipel  des  Faeroer  (Tour  du  monde,  1887). 
Voir  gravure  p.  395  et  4U9  représentant  la  pèche  des  Dauphins. 


1  i 


SEP         NOVA        TABVLA 


ippro- 


I  copia, 

nu- 
lle ric- 


1887) 


»E    RUSCELLI    (1561) 


septentrionAlivm      part 


BRI  D 


,i>ODALIDA  .'•.'•!• 


CARTE    DU    VOYAGE    DES    FRÈRES   ZENO,    o'après    l 


PARTIVM        NOVA        TABVLA 


NT  RIO 


BRI  D 


i   ZENO,    d'après    le   Ptolémée    de   Ruscelu   (1561) 


■•■«■F 


«' 


!     I! 


CIIAI'ITRK   X.    —    LK    VOYACE   DES    FRERES   ZE.M. 


38o 


Feroë  est  IV'coiulc  en  naufrages,  et  les  Itons  mouillages  sont 
rares  dans  l'archipel.  «  Le  brassiage  dans  les  détroits  est 
considérable,  lisons-nous  dans  une  relation  contemporaine,  et 
Ton  rencontre  dans  plusieurs  endroits  des  gouffres  ou  tourbil- 
lons. Celui  de  Sudcro  s'accuse  par  quatre  tourbillons  impétueux 
se  jouant  au  milieu  d'une  spirale  de  récifs  à  fleur  d'eau,  sur 
lesquels  se  briserait  en  mille  éclats  la  barque  du  pécheur 
imprudent  »  (1). 

La  tradition  locale  elle-même  vient  à  l'appui  de  notre  système. 
Un  pasteur,  le  révérend  Schroetter  (2),  a  recueilli  dans  l'île  de 
Sudburoy  une  tradition  d'après  laquelle  les  Férégiens  méridio- 
naux, révoltés  contre  leur  évéque,  furent  secourus  par  un  chef 
frison  d'Akraberg,  qui  leur  amena  <(  deux  embarcations  de 
corsaires  <jui  avaiejit  été  au  sud  ;  elles  leur  furent  d'une  grande 
utilité,  car,  la  veille  du  jour  où  l'on  devait  livrer  bataille, 
elles  firent  voile  pour  diverses  contrées  au  nord  de  l'archipel  et 
menacèrent  de  les  piller.  Aussi  beaucoup  de  Septentrionaux 
restèrent-ils  chez  eux,  n'osant  laisser  les  femmes  seules  en 
présence  des  corsaires.  Le  résultat  fut  que  les  Méridionaux 
remportèrent  la  victoire  et  tuèrent  beaucoup  d'ennemis  ».  Ce 
récit  concorde  avec  la  relation  de  Nicolo  Zeno  qui,  en  effet,  se 
rendit  avec  la  flotte  à  Bondendon,  au  nord  de  l'archipel,  pendant 
que  Zichmni  conduisait  les  opérations  par  terre  (3).  Il  nous 
semble  donc  démontré  que  ce  n'est  pas  ailleurs  que  dans  les 
Feroë  qu'il  faut  chercher  la  Frislande  des  Zeni,  et  que  toute 
eette  partie  de  la  relation  présente  le  caractère  de  l'autiienti- 
cité  la  plus  absolue. 

Après  avoir  soumis  la  Frislande.  Zichmni    aurait   attaqué 


(1)  Lahonxe.  1(1.,  p.  392. 

(2)  ScHBOETTEn,  Traditions  populaires  des  Foeroes  (Société  des  Antiquaires 
<lii  Nord,  18t'J-51,  j.  J45-6). 

(3)  Edit.  .Major,  p.  8.  «  Il  capitaiio,  col  consiglio  di  M  Nicolo,  voile,  clic  si 
facesse  scala  a  uni»  terra  chiamala  Bondcndon  per  intender  i  successi  délia 
guerra  di  Zicliinni...». 


T.    I, 


m 


:J80       l'HEMIÈKE    PAHTlt;.    —    LES    l'HÉCUHSELHS    I»E    COLOMIt. 


l'Estlaïul.  On  a  prétendu  ((uc  (•'(Huit  l'Islande;  mais  aucune  des 
dc'mominations  gÔMjgraphitiues  (;(tnserv(''es  par  la  (•art(!  des  Zeni 
ne  se  retrouve  en  Islande.  De  |ilus  les  annales  islandaises  ont 
toujours  ét(''  rédigées  ave(;  grand  S(jin,  et  elles  ne  parUnit  pas  de 
cette  invasion.  Walkenaër  fait  de  l'Kstland  le  nord  de  l'Ecosse. 
Nous  retrouverons  plus  aisément  l'Kstland  dans  l'archipel  des 
Shetland.  11  était  en  elFet  de  bonne  tactique  pour  Zicliinni, 
(|ui  ne  songeait  à  rien  nmins  (|u"à  la  con(piète  de  toutes  les  lies 
de  rAtlaiiti([ue,  de  commencer  par  les  moins  éloignées.  Or  les 
Shetland  sont  rapprochées  des  Feroi'  et  il  est  dit  expressément 
dans  la  relation  <|ue  l'Estland  est  très  pn'îsde  la  Frislande  (i].  La 
plupart  des  noms  indiqué's  sur  les  cartes  des  Zeni  se  retrouvent 
en  elïet  dans  les  Shetland.  Forster  {'2)  a  essayé  d'applitjuer  à 
cet  archipel  le  même  procédé  ((ue  celui  dont  Huache  et  Lelewel 
se  sont  servis  pour  les  Feroë,  et  il  a  démontré  sans  trop  de 
peine  (jue  les  îles  de  Bres,  Mimant,  Iscant,  Taluo,  IJroas  et 
Trans,  mentionnées  par  les  Zeni,  répondaient  à  Bressa,  Mani- 
land,  Trus,  Teal,  Buras  et  Tronda,  toutes  dans  les  Shetland. 
L'ideiitilication  n(jus  semble  aussi  coin|)lète  que  possible,  et. 
|)ar  c(insé(|uent,  sur  ce  point  encore,  la  relation  des  Zeni  n'a 
pas  été  inventée. 

Le  doute  n'est  guère  permis  pour  l'Eiigroneland  dans  lecpiel 
on  reconnaît  si  facilement  le  (Iroenland.  Seul,  le  parad(j\al 
F.  Kraru|),  si»us  prétexte  que  la  carte  des  Zeni  joint  le  (iroen- 
land à  la  Norv('ge,  a  fait  de  la  pres([u'île  (Iroenlandaise  la 
pres(ju'île  Lapone.  H  a  même  retrouvé  le  cap  Trin  sur  la  vù[i\ 
Terske  au  S.-E.  de  la  Lapouie,  et  le  monastère  de  Saint- 
Thomas  dans  un  des  couvents  russes  de  la  Mer  lUanche,  et 
pourtant  ces   couvents  ont   tous   été  fondés  p(jslérieurenjent. 


(1)  Edit.  Major,  p.  10.  «  AU'  impiesa  di  Eslaiida,  die  è  sopra  la  cosla  tia 
Frislanda  c  Noivegia  ». 

(2)  FoHSTER,  Histoire  des  découvertes  et  des  voyages  faits  dans  le  Nord. 
D'après  Zurla  (ouv.  cité,  p.  15)  l'Estland  lijçdre  (li;jà,  et  à  la  place  des  Shetland, 
sur  la  septième  feuille  de  l'atlas  d'Andioa  IJiamo,  sous  le  nom  de  Stilanda. 


CliAI'lTRK    X. 


LK   VOYACiK    ItKS    KHKHKS    ZKNI. 


:w7 


MllU'l 


loxal 
ruen- 


cni 


liiiiit- 


lii.'. 


Inu'Ut. 


3Sta  tiii 


Nord. 
Hetlaiul. 
klanila. 


F.  Krarup  use  vraiuieiit  de  [troct'dés  par  trop  cominodcs  pour 
justifier  ses  hypothèses.  Kn  efFet  il  ne  tient  aucun  compte  des 
p(»sitions  assignées  et  supprimer  les  détails  ([ui  le  fjéncnt. 
Mentionnons  encore  l'opinion  à  tout  le  moins  sinjîulière  de 
Steenstrup(l),(pii  croit  retrouver  l'Kngroneland  des  Zeni  dans  une 
contrée  marécageuse  des  Frisons  du  Nord,  sans  doute  l'Eidcrs- 
teat,  et  al'lirme  que  les  Zeni  ne  sont  jamais  allés  au  (Iroenland. 
Ne  vaut-il  pas  mieux  revenir  à  l'ojiinion  comnume,  et  recon- 
naître ave(;  tout  le  monde,  même  avec  les  adversaires  des  Zeni, 
que  l'Engroneland  est  le  (Jroenland? 

La  carte  du  pays  est  dressée  avec  beaucoup  de  soin  ;  les 
sinuosités  sont  indi(|uées  exactement,  si  hieu  (|ue  Zahrtmann  (2), 
un  des  contradicteurs  les  plus  résolus  des  Z(!ni,  a  déclaré  que, 
pour  rédiger  cette  carte  de  l'Engroncland,  les  frères  Zeni  durent 
s'adresser  à  d(;s  marins  éclairés  ou  à  de  savants  ecclésiastiques. 
On  aura  en  outre  remarqué  la  grande  précision  avec  laquelle^ 
les  Vénitiens  parlent  du  climat  et  des  ])roductions  locales.  Le 
climat  n'a  pas  varié  :  il  est  toujours  aussi  rude  et  la  température 
toujours  glaciale.  Quant  aux  productions,  ce  sont  les  mêmes,  des 
poissons  salés,  des  pelleteries  et  des  barques  rudimentaires. 
Ces  barques  les  Zeni  les  avaient  décrites  avec  étonnement  (3). 
Tous  les  détails  de  leur  description  sont  encore  vrais  de  nos 
jours,  et  les  (îroenlandais  n'ont  pas  modifié  leurs  procédés  de 
construction  et  de  gréement.  L'ourmiak  d'igalikko  tel  que  le 
décrit  Uayes  dans  son  voyage  à  la  terre  de  Désolation  (4),  c'est- 

(1)  Steenstulp,  Congrès  Arnéricauiste  de  Copenliajîiie,  p.  180, 

(2)  Zaeihtmann,  ouv.  cité  (Nouvelles  Annales  des  Voyages,  1836j. 

(3)  Relation,  édit.  .Majoii,  p.  16.  «  Le  barclie  de  pescatori  si  fanno  corne  le 
navicelle  clie  iisano  le  tessitori  nevfar  la  tcla  ;  et  toUe  la  pelle  de  posci  le  for- 
mano  ;  et  cueite  insieme,  et  poste  in  piu  doppij,  rièscono  à  buone  e  sicuro, 
ch'è  cosa  ceito  niiracolosa  à  scntire,  nella  fortune  vi  si  serrano  dcntro,  o  las- 
ciano  i>ortaisi  dall'  onde  e  da'  ventl  per  il  mare  senza  algun  timoré  o  di 
affogarsi  ». 

(4)  IIayes,  La  terre  de  désolation  (Tour  du  monde),  1873,  t.  Il,  p.  8.  — 
Cf.  H.vYKs,  Vof/age  à  la  mer  libre  du  pAle  arctique  (Tour  du  monde,  1868), 
t.  I.  p.  121. 


i 


!    I 


I 


;JK8       l'UKMlKHi:    l'AlUlK.    —    LES   l'RKCLKSELKS   DE  r.oLOM». 

à-dire  aii  (irocnland,  i'(.'sseml)l('  à  s'y  m<''|)n'n«lr«'  an  raiiot  de 
cuir  des  insulaires  de  I'Kii}i:ntneland.  Ce  ne  sont  point  là  des 
plirases  jetées  au  hasard  et  des  mots  sans  valeur.  A  vrai  dire 
il  n'est  pas  nu  passade  de  la  relation  (|ui,  littéralement,  ne 
s'ap|ili(pie  encore  au  (îroenland  contemporain. 

Il  est  cependant  deux  points  qui  ont  soulevé  d<;  sérieuses 
objections  ;  Le  monastère  de  Saint-Thomas  n'a  pas  été  retrouvé. 
et  le  (îroenland  n'a  pas  de  volcan  en  activité  :  L'i  relation 
Vénitienne  serait  donc  fausse  au  moins  sur  deux  points. 

II  nous  faudra  tout  d'ahord  remarquer  qtie  la  création  d'un 
couvent  au  (iroenland  n'a  rien  d'invraisemhlahle.  On  sait  déjà 
que  l'Evangile  fut  de  honne  heure  prêché  dans  cette  lointaine 
réfîion,  et  même  qu'un  évéché  y  fut  étahli  (I).  Dès  lors  quoi 
d'étonnant  si  des  moines,  lualf^ré  la  ri}:ueur  du  climat,  ont 
songé  à  se  réunir  en  connuunauté  dans  le  (îroenland  ?  Aussi 
hien  nous  savons,  mais  sans  plus  de  détails,  qu'un  couvent  fut 
fondé  au  (îroenland  eu  l'an  l'iH  '2).  D'un  autre  côté  Ivar 
Bradsen,  auteur  d'une  description  du  (îroenland  composée  au 
(juatorziéme  siècle  (3),  dit  expressément  qu'au  fond  d'un  fiord 
est  un  grand  monastère  consacré  à  Saint  Olaf  et  à  Saint  Augustin, 
habité  par  des  chanoines  réguliers,  etdmit  les  domaines  étaient 
considérables.  Est-ce  ce  monastère  (|u'Ortelius,  dans  son  atlas 
de  l'iTS  (i),  indiquait  sur  sa  carte  du  (iroenland  sous  le  nom  de 
luniuisieriurn  Snucii  Jliomœ,  et  que  (jérard  Mercator  (5),  dans 


(l)  Beauvûis,  Origines  et  fondation  du  plus  ancien  érMié  du  Souvenu 
Momie  (Société  d'histoire,  d'arciiéolojçic  et  de  littérature  de  Beaiine),  1878. 
;2)  PoNTAXiis,  ouv.  cité. 

(3)  IvAR  Braosex,  Descriptio  Gronlandiœ,  édil.  Major,  p.  45  :  «  Hnud 
procul  ab  hoc  tractu  iiigcns  inoiiasteriiun  situni  est,  a  Canonicis  re^ularibus 
habilatuni,  sancto  Olavo  et  saiiclo  Augustiiio  consecralum  :  monastcriiirn  a 
parte  iiitcriori  oninia  ad  linem  sinus,  omniaque  exterius  ab  opposito  latcrc 
possidet  ». 

(4)  Ortrlius,  carte  intitulée  Septentrionalium  regionum  dexeriptio. 

3)  G.  Mehcator,  Desct'iptio  cœli  et  terne  :  «  Duœ  tantum  habitationes 
in  extremis  quasi  scptcntrioiiis,  in  (ironiandia  videlicet,  nota;  sunt,  Alba  et 
S.  Thoniœ  cœnobiuin  ••.  —  Cf.  Id.,  Atlas,  planche  22. 


1' 


cihU'iTin:  X. 


LK    VOYACK    l>i:s    THKHKS   ZKM. 


:iso 


sa  description  du  pôle  arctique  ^1578),  décriNuit  en  ces  termes  : 
"  Il  ny  a  (pie  deux  haliitatittns  dans  ces  pays  de  TextiM^me  nord, 
je  veux  parler  du  (îroenland,  Alha  et  le  monastère  de  Saint- 
Tliomas?  »  Ce  <pii  nous  porterait  à  le  croire  c'est  (pie,  quekjues 
années  auparavant,  en  I5()i,  (''po(pie  à  la(|uelle  on  avait  d(''jà  à 
peu  [)r(;s  perdu  de  vu<»  le  (îroeidaud,  ;le  {gouverneur  d'Islande, 
ayant  con(is(pié  les  revenus  du  couvent  d'ilel^'olloël,  trouva 
un  vieux  moine  (|ui,  jadis,  avait  l'ait  partie  du  couvent  de  Saint- 
Thomas  au  (îroenland,  et  en  donna  une  description  conforme 
à  celle  de  Nicolo  Zeno(l).  Le  gouverneur  prt!'para  aussitôt  une 
ex|)édition  au  (îroenland  (mars  15()i).  Les  matelots  islandais 
arriv('rent  en  vue  des  côtes,  mais  furent  arrc't(';  par  des  murs  de 
glace,  (pi'ils  franchirent  avec  peine.  Ils  eurent  à  comhattre  des 
ours  h'ancs,  et  se  remharqui^rent  au  plus  vite  à  cause  du  froid 
qui  devenait  de  plus  en  plus  intense,  (ies  divers  t(!'moignages  ne 
prouvent-ils  pas,  par  leur  concordance  uu^me,  que  jadis  exista 
au  (îroenland  un  couvent  de  Saint  Thomas?  Sans  doute  Ivar 
Bradsen  a  pariti  de  Saint  Olaf  etnon  de  Saint  Thomas,  mais  on 
sait  dt'jà  connnent  les  noms  propres  se  modifient  d'une  langue 
ù  l'autre  et  le  nom  septentrional  d'Olaf  doit  aux  oreilles  miiri- 
dionale  d'un  Y(''nitien  avoir  heaucoup  ressemhic*  à  celui  de 
Saint  Thomas.  Il  est  encore  vrai  qu'on  n'a  pas  encore  retrouva' 
l'emplacement  de  ce  monastère,  mais  la  côte  (jrientale  du  Groen- 
land est  mal  connue  (2).  Uudson  en  1G07,  David  Danell  en  1652, 
OIsen  Wallse  en  17o2-o3,  Lovenhorn,  Egéde  et  Rothe  en  1785-87, 


lio. 
titalioncs 

Alba  et 


(1)  Egéde,  Description  du  Groenland  (1763),  p.  13.  Egùde  cite  encore, 
mais  sous  toutes  réserves,  et  d'après  le  témoignage  de  Uithmarus  Bleskenius, 
un  moine  Groenlandais  qui  vivait  en  Islande  vers  1646,  et  racontait  des 
choses  extraordinaires  sur  un  couvent  de  dominicains  dans  le  Groenland, 
appelé  le  cloître  de  Saint  Thomas,  où  ses  parents  l'iivaicnt  fait  entrer  tout 
jeune.  L'ouvrage  de  Dithmar  est  mtitulé  :  Islandia,  sive  populorum  et  mi- 
rabilium  quse  in  ea  insula  reperiuntur  accuratior  descriptio,  Lugduni 
Batavorum,  1601. 

(2)  Malte-Bbun,  Les  Danois  à  la  côte  orientale  du  Groenland,  décou- 
verte de  la  terre  du  roi  Christian  I\  par  le  lieutenant  Holm  (Société 
normande  de  géographie,  18S6,  p.  129-140). 


]"" 


WM)     l'UKMiKmc  pautik. 


l,i:S    l'UKCLHSKUHS    l»K   <:0UlMI». 


Scoreslty  (mi  182:2,  Saliinc  et  (Uiiveriii};  en  1S:2:{,  Jules  de  HIks- 
s(!vil(;  en  18IJIJ  en  ont  tente  la  reconnaissance,  mais  ilscnit  tous 
échoué  En  1884-1885  le  lieutenant  Danois  llolin  a  été  plus 
heureux.  Il  s'est  avancé  très  au  nord  justiu'à  une  lerre  (ju'il  a 
nouunée  terre  du  roi  Gliristian  IV,  et  à  sa  j;rande  surprise  a 
constaté  la  présence,  sous  ces  hautes  latitudes,  de  peuplades 
indigènes  ayant  un  seinhiaut  de  (civilisation,  (juehpie  autre 
voyageur  plus  entreprenant  on  plus  heureux  pourra  c(»niplétep 
un  jour  ou  l'autre  ces  ohservations,  et  peut  être  retrouver  les 
restes  des  édifices  où  vivaient  autrefois  les  Européens  (|ui 
initièrent  ces  indigènes  à  la  civilisation. 

Un  savant  contemporain,  M.  Major,  croit  avoir  retrouvé 
l'emplacement  du  monastère  sur  la  côte  occidentale,  non  loin 
<le  Rafnfiord.  Il  allègue  le  curieux  téinoignage  d'Ivar  Uradsen, 
(|ui  parle  de  sources  chaudes  situées  au  fond  de  ce  (lord,  près 
du  monastère  de  Saint  Olaf  et  Saint  Augustin.  «  L'eau  chaude 
ahondc  dans  ces  petites  îles  (1).  En  hiver  leur  tein|»ératiu'e  est  si 
élevée  que  personne  ne  peut  s'en  ap[)rocher.  j*]lles  refroidissent 
en  été,  et  peuvent  servir  de  sources  thermales.  Beaucoup  de 
personnes  reviennent  à  la  santé  et  relèvent  de  maladie  lorsqu'elles 
en  font  usage.  »  Ce,  sont  les  sources  d'Onnartok,  auprès  des- 
quelles on  a  en  effet  trouvé  quelques  ruines  d'anciennes  maisons. 
Comme  il  n'y  a  pas  dans  le  Groenland  d'autres  sources  chaudes, 
le  site  de  l'antique  monastère  de  Saint  Thomas  serait  par  là 
même  étahli  d'une  façon  définitive.  Avouons  néanmoins  que 
l'argumentation  de  M.  Major,  hien  qu'ingénieuse,  n'est  pas 
convaincante.  Le  savant  anglais  en  a  pris  fort  à  son  aise  avec 
le  texte  et  la  carte  de  son  auteur.  Le  monastère  de  Saint  Thomas 


(1)  IvAH  Bradsen  (édition  Major,  |).  46)  :  «  In  sinu  intei-iori  inultœ  sunt 
parvœ  insulœ,  quarum  omnium  partem  dimidiam  cœnobium,  alteram  dimi- 
diam  templum  cathédrale  possidet.  Use  parvac  insuUr  calida  aqua  abuadant^ 
(|uœ  hicme  adeo  fervent,  ut  nemini  accedere  prope  fas  sit  ;  acslate  tempc- 
ratïË  sunt,  ut  lavacri  usum  prœstent,  multiquc  sanitati  restituantur  et  ex 
morbis  convalcscant.  » 


<;iiAi'iTnR  X.  —  i>;  voyaoe  hes  krkhks  /.km. 


nnt 


là 

lU' 

»ilS 

'ec 
mas 


et  ex 


se  Irouviiit  sur  la  côto  nrientulc  of  millciiu'Ht  sur  la  côte  occidtMi- 
fale,  et,  de  plus,  à  huit  dojîrrs  au  n<»r<l-ou('st  d'Oruiartok.  Cette 
idcntincatiou  est  donc  ahsolunuMit  arhitrairc. 

M.  Ucauvois  (I)  pense  (pie  Pile  de  Jean  Mayen,  à  l'est  du 
(iroenland,  si  remarquahle  par  ses  volcans  éteints  ou  en  activité, 
avait  été  jadis  colonisée  par  des  Nortinnans,  et  «pi'on  d<»it 
y  clierclier  le  couvent  de  Saint  Thomas  :  mais  cette  île  est  hien 
l'U  dehors  des  voies  de  comuuuiicafioii  ordinaire,  et  il  est  ftlus 
f|ue  probahle  (pie  des  moines  n'ont  jamais  son^'é  à  s'y  établir, 
(le  n'est  donc  pas  Jean  Mayen  (ju'auraient  visité  les  Zeni. 

Serait-ce  qu(;  le  monastère  n'a  existé  (pie  dans  rimaf:ination 
<le  Zeno?  L'a-t-il  inventé,  comme  le  prétendu  volcan  au  pied 
du(piel  il  était  hilti?  (2)  Sans  doute  on  n'a  |»as  plus  retrouvé  le 
volcan  (pie  le  monast(''re,  mais  toute  la  réfjion  (iroenlandaise  est 
sujette  à  l'action  des  forces  volcani([ues.  En  1783,  le  11  juin,  un 
volcan  Groenlandais,  le  Krapta  Syssel,  lançait  trois  énormes 
colonnes  de  flammes  qui  furent  aperçues  de  l'Islande  (3).  Des 
baleiniers  ont  maintes  fois  éprouvé  des  secousses  en  phîine  mer, 
et  découvert  des  amas  de  pierres  ponces  flottantes  qui  parais- 
saient indi(pier  l'existence  de  volcans  (4).  11  se  peut  donc  que 
le  volcan  de  Saint  Thomas  ait  été  en  activité  à  l'époque  des  Zeni, 
et  que  les  Vénitiens,  sur  ce  point  comme  sur  tous  les  autres, 
s(!  soient  contentés  de  décrire  fidèlement  ce  qu'ils  voyaient. 

11  nous  reste  à  déterminer  la  position  de  l'Icaria,  de  l'Esto- 
tiland  et  de  Drogeo.  Là  encore  n(jus  croyons  qu'un  examen 
attentif  de  la  relation  nous  permettra  de  préciser  la  situation 
respective  de  ces  trois  terres. 

(1)  Beau  vois,  Les  Voyages  transatlantiques  des  Zeni,  p.  23-24. 

(2)  Steenstrup  dans  son  explication  paradoxale  de  la  relation  des  Zeni, 
^Congrès  de  Copenhague,  p.  m)  n'a-t-il  pas  affiriné  que  ce  volcan  n'était 
qu'une  tuilerie,  que  les  masses  tirées  du  foyer  et  donnant  un  ciment  blanc 
comme  neige  n'étaient  qu'un  four  ù  chaux,  et  les  réservoirs  des  fosses  à 
chaux.  Il  est  diUicile  de  dépenser  plus  d'ingéniosité  à  soutenir  une  cause  aussi 
détestable  ! 

^3)  HooYEB,  Tour  in  Iceland,  p.  423  cité  par  Gravier,  ouv.  cité,  p.  201. 
(4)  MAi/rE-BauN,  Géographie  universelle,  t.  V,  p.  39,  43,  .'î5. 


'.V,H       l'HKMIKUi;    l'AHTIK.    —    LICS    l'IlKC»  HSKLHS    UK   Cdl.oMIt. 

Icaria  est  la  première  il(!  n'iicontivedaiis  l'Ocraii  par  Ziclirniii 
et  par  Antonio  Zctio,  li»rs(pi"ils  partirent  de  Krislamlr  pour 
leur  ^M'anilc  <>\|i('>(iition.  iW  nom  d'Icaria  inspire  une  inédiocri* 
confiance,  et  le  roi  du  |>ays,  Icarns,  descendant  de  D.edalns, 
ressendde  sin^^nlièreiuent  à  ces  pers(tnua;;es  inia^Mnaires,  in- 
ventés après  coup  pour  les  besoins  d'une  explication  historique, 
tels  (ju'Achoeus,  Ion  ou  Krancus.  Les  Zeni,  on  le  sait,  n'étaient 
pas  de  simples  négociants.  A  Venise,  les  |)atrici(>ns  recevaient 
une  éducation  fort  soipnée.  Inihus  tpi'ils  étaient  des  souvenirs 
de  l'anticpiité,  et  entendant  lui  nom  (|ut  se  rapprocliait  de  celui 
d'Icarus,  les  Zeni,  ou  tout  simplement  leur  premier  éditeur, 
leur  descendant  (^atlierino,  songèrent  tout  de  suite  à  l'infttrtuné 
rejeton  de  Dédale,  et  inscrivirent  le  nom  du  |)ère  et  celui  du 
fils  dans  leur  relation.  Un  utopiste  célèbre,  inspiré  par  je  ne 
sais  quelle  réminiscence  antiijuc,  n'a-t-il  pas  de  nos  jours 
donné  le  même  nom  à  sa  républi(|ue  idéale?  Ce  n'est  pas  à  dire 
que  l'Icarie  des  Zeni  soit  l'ceuvre  de  leur  imagination,  comme 
l'était  l'Icarie  de  Cabet.  Le  nom  seul  est  bizarre,  mais  le  pays 
existait,  et  c'est  à  nous  de  le  retrouver. 

Forster  (1)  plaçait  l'Icarie  dans  le  comté  de  Kerry,  en  Irlande, 
au  sud-ouest  de  cette  grande  ile  (2).  (iaidoz  prétend  même;  (|ue  ce 
mot  se  retrouve  textuellement  dans  cette  partie  de  l'Irlande,  et 
que  les  insulaires  interrogés  par  Zichmni  et  Antonio  Zeno  sur 
le  nom  du  pays  où  ils  venaient  d'aborder  auraient  répondu  : 
I  Giarraigh,  vous  êtes  en  Kerry,  mots  irlandais  que  Zeno 
aurait  traduits  aussitôt  par  Icaria.  L'explication  est  ingénieuse, 
mais  rien  ne  l'autorise,  car  l'Irlande  était  connue  depuis 
longtemps,  et  Zeno  n'aurait  seulement  pas  songé  à  la  présenter 
comme  une  terre  qu'il  venait  de  découvrir. 

Walkenaër  faisait  de  l'Icarie  une  des  Hébrides,  et  Kraruf» 
une  des  Feroi*.  Has  prétexte  qu' Icaria  est  une  mauvaise  leçon 


(i)  FoRL.ER,   ouv.  cité.   Ce  comté  se  trouve   au   sud-ouest  de  Hic  entre 
Clarine,  l'estuaire  du  Sliannon,  Limerik,  Cool(  et  l'Atlantique. 
(2)  Markiiam,  Les  Aborda  de  la  région  inconnue  (traduction  Gaidoz),  p.  112. 


HISC, 


Irarup 
Iccttu 


cnlri' 


m 


i:ilAI'lTIIK    \. 


I.K  VdVAci:  iu;s  i-iti:iii;s  /km. 


M\ 


|Miur    Kariii.    Il   nous  sciiiith    (|ii<'    ricitria  dnil   (Ucc  rlicrtlifc 
lK>aii('oii|)   plus    Iniu,  tlaus    l'Oosin,    *>t   dans    la   iJinMliou   dr 
rAuirriipic.    La   tarie   des  Zcui  la  plan»  très  à  l'nufst  dr  l'Is- 
lande  et    de    la    l''rislau<le,    et   au   sud  du   (îl'oeidand.  C'est  la 
|iuslti(iu  (pie  lui  ont  ^'ardée  Uuscelli   et  (M'Ielius,  et  <pie  nous 
irtntuvttns  eunirc  dans  une  des  cartes  dressées  en   Kiill  par  le 
Dijiinnais  Mnrisnt    I).  Sans  duute.  à  la  latitude  de  la  carte  des 
Zeni,  nnus  ne  trouvons  aucune  ile  (pii  corres|M)nde  à  l'Icaria, 
mais  il  ne  nous  faut  [las  oublier  «pie  la  position  d'un(>  ile  (pii 
n'est  pas  (i\ée  par  des  observations  astronoinitpies,  peut  varier 
de  :2()U  à  i(K>  lieues.  Tel  est  justement  le  cas  pour  les  anciennes 
cartes.    Aussi    les   navigateurs,  même  de   très  hoiiiie  loi,  ont 
cru  découvrir  et  ont   nonnné  des  terres  (|ui  avaient  déjà  été 
découvertes  et  noiinnées,  mais  dont  la  situation  astronomi(pie 
n'avait  pas  été  sullisarumont  déterminée  ['!).   l'ail'ois  aus>i  sy 
commettent  de  f.M'ossières  erreurs.  Lorsipie  le  chevalier  llélierl 
retrouva  en    ITOH  l'île  découverte   par  Tristan    d'Acunlia  dès 
i'J(M),    il   s'en   croyait  à    plus    de  (jualre  cents   lieues  (IJ).    Les 
l'ortu|;ais  ne  comptaient-ils  pas  cent  lieues  d«'  dislance  entre 
les  ilos  de  la  Trinit»'  et  de  Martin    Vas  (i)?  Il  y  eu  a  neuf  eu 
réalité.    Il    se  peut  donc   (pie    nous    devions   cherclier    Icaria 
beaucoup  plus  près  de  la  i  ôte  américaine  (pi'elle  n'est  mar(|uée 
dans  les  cartes  aiiciemies,  soit  dans  le  détroit  et  la  baie  dllud- 
son,   soit  plutôt  dans   le  f^olfe  de  Saint-ljaureijt.  S'af:it-il  de 
Terre-Neuve,  ou   d'Antic(jsti,    ou  de  toute  autr(>  ile  du  {.ndl'e, 

(Il  MORISOT,  0;7y/.s-  marititni  iiistoria,  p.  601. 

(2)  Ainsi  la  Nouvelle  Georjjie  de  ("ook  ii'ol  autic  que  l'île  de  Saint-Pienc, 
sigiialé'e  di'S  1756  |iur  Duclos-liuyot,  eoiimiaiidaiil  le  vaisseau  espajçnol  le 
Léon,  et  probableiiieut  la  terre  de  la  Itotîlie  déjà  vue  au  xvir  siècle.  Les  îles 
Marquises  furent  successivemcut  découvertes  par  Meiidana,  C.ook,  liigraliaui, 
Marchand,  Porter,  Krnsenstern,  Dumont  d'L'rville,  et  changèrent  souvent  de 
nnni,  chacun  de  ces  explorateurs  se  croyant  le  droit  et  le  devoir  de  leur 
imposer  (nie  dénomination  nouvelle. 

(3|  Blac.uk,  Mémoire  sur  Vile  de  Fridande,  p.  435-436. 

i4i  D'AvEZAC,  lies  de  l'Afrique,  p.  21)9. 


il 


il  I 
i 


394       l'HKMIKRK    l'AHTlK.    —    I.KS    l'IlKl.l  KSELRS   DE   «lOLOM». 

<;'est  ce  qu'il  nous  est  imptissihlc  do  dôltM-mincr  ;  nous  pousons 
seulement  que  c'est  dans  ces  paniffes  (ju'il  faut  chenher  Icaria. 

Ce  qui  nous  permet  d'(Hre  aussi  ailirmatif,  c'est  (pie,  sur 
toutes  les  cartes  du  temps,  Icaria  est  dessinée  tout  à  côté  de 
rKstotiland,etque  l'Estotiland,  conune  nous  allons  n(»us  eu  con- 
vaincre, ne  peut  se  retrouver  «pie  sur  le  continent  américain. 
De  plus,  à  l'époque  à  laquelle  les  Zeni  abordèrent  en  Icaria.  le 
pays  était  encore  au  pouvoir  des  Skr(»ellinfïs  ou  Esquimaux. 
Nous  savons  déjà  que  ces  Skroellipf^s  furent  en  lutte  cons- 
tante avec  les  Northmans,  (pi'ils  les  battirent  à  plusieurs  reprises, 
et  (|u"ils  étaient  détermiiu's  à  re|)ousser  toute  nouvelle  descente? 
d'étrangers.  (Test  même  ce  qui  explique  racliarncmeiit  avec 
l(^quel  ils  s'opposèrent  aux  tentatives  de  dél>ar(|uement  de 
Ziclunni.  Beauvois  (1),  un  des  rares  érudits  au\(|uels  sa  con- 
naissance des  langues  du  Nord  donne  une  compétence  toute 
spéciale,  a  même  cru  retrouver  dans  la  langue  parlée  par  les 
Skroellings  rex[)licati(in  du  mot  Icaria.  Ikarirsa  et  lk(!rack 
en  effet  signifiaient  en  es(piimau  golfe,  Ikerdleck  ile  au  milieu 
d'un  golfe.  Ikersaali  grand  golfe,  Ikardiuck  banc  desahie,  etc.; 
dénominations  qui  s'appliquent  toutes  à  la  région  du  Saint-Lau- 
HMit,  et  prouvent  une  fois  de  |)lus  la  véracité  de  la  relation  des 
Zeni. 

Quant  à  l'Estotiland  c'est  de  fous  les  pays  décrits  par  les  Véni- 
tiens <'elui  qui  a  soulevé  le  plus  de  discussions,  et  c'est  |)ourtanf 
celui  dont  il  nous  sera  peut-être  le  moins  difficile  de  déterminer 
la  position.  L'Estotiland  en  effet  a,  pendant  de  longues  années, 
été  comme  adopté  par  la  géographie  courante.  Il  figure  dans 
toutes  les  cartes  du  xvi'"  siècle  (2|  et  ne  disparait  complètement 


(Il  Ukacvois,  Revue  crititfHP,  1880,  N»  60,  p  200.  —  In.,  Voyat/es  truiis- 
Htlantiiiucs  des  Zeni,  |i  ;i.l.  —  Rink,  Orthoyraphe  et  étymologii'  desnom^ 
<lc  lieux  Grœnlatidais. 

(2i  Nous  avons  retrouvé  ce  nom  jusque  sur  un  cltapelel  d'ivoire,  iipparle- 
iiaiil  au  musée  de  Dijon,  et  sur  l'une  des  boules  duquel  est  gravée  une  inia};(i 
inundi.  Voir  Société  bourguignonne  de  géographie  et  ''histoire,  188.'^. 


'm*' 


CIIAI'ITHK    X. 


\.V.    VOYAdK    DES    FMKHKS   ZK.M. 


'M\ 


qu'au  xvni"  siC'olc  ;  et  ciiton'  k;  ;;i'u}ïrjiplio  UoluM't  (I)  dans  sa 
fit'ograitkv!  nntnri'lU\  liistorif/iu',  politique  et  Vdixinnin',  dont 
la  itroniiiTC  éditioii  date  de  1777,  et  (|ui  l'ut  longtemps  eonsidé- 
rée  connue  un  traité  elassuiue,  nonnne-t-il  gravement  Kstoti- 
land  la  répion  du  Labrador  (il). 

Aussi  i)ien,  c'est  dans  le  voisinage  du  Lahrador,  soit  à  Tern»- 
Neuve,  soit  plutôt  au  Nouveau-llrunswick  ou  dans  le  l{as-(4a- 
uada  (|ue  nous  retrouverons  la  région  autrefois  signalée  par  les 
Zeni.  W  ytfliet,  dans  l'atlas  (ju'il  joint  à  son  //isioirc  des  Indes 
(kcidentuks,  inscrit  Laborador  siveEstotilaud,  et  la  description 
(|u'il  en  donne  est  uu^me  assez  conforme  à  celle  des  Zeni  (II)  : 
<(  L'Kstotilaud  est  fort  montaigneuse,  et  pleine  de  forets,  et  de 
toutes  sortes  de  bestes  sauvages,  et  dict-on  mesme  (pii  s'y 
trouvent  aussi  des  grillons.  Les  habitants  sont  assez  dociles  et 
ont  un  langage  i)articulier,  et  diverses  façons  d'escrire  (|ue  les 
autres.  Ils  sont  forts  et  robustes,  toujours  adonnés  à  la  cliasse, 
etc.  ».  Nous  pensons  néanmoins  (|ue  l'Estotiland  ne  correspoiul 
pas  au  Labrador,  attendu  qu'il  est  dit  expressément  dans  la 
relation  des  Zeni  que  l'Kstotiland  est  «  une  ile  un  peu  moins 
grande  (pie  l'Islande..  .  très  riche  et  possédant  en  abondance 
tous  les  biens  du  monde  (4)  ».  Or,  le  Labrador  n'a  jamais  passé 
pour  une  île  et  c'est  une  région  peu  favorisée  de  la  nature. 
<'  Klb;  ne  se  doibt  nommer  Terre-Neufve,  écrivait  Jacqm>s  (Car- 
tier (5),  mais  j)ierres  et  rochers  effrables  et  mal  rabotiez,  car. 


1 


M' 
i! 
\ 

y 

!i 


les  /r;.?is- 
appaile- 


(1)  Gaffaiiei-,  Le  Géoi/raphe  liobert  (Société  bourguignnime  de  goojçrnphie 
et  (l'Iiistoiiei,  1889. 

(2)  Robert,  (léo<jraphie  naturelle,  lii-.toriqiie,  etc.,  m7,  t.  III,  p.  120. 
(31  WvTFMET,  Histoire  des  Indes  occidentales,  carte  xi\,  p.  !>8-!»!1.  —  Cf. 

La  Poi'ELi.isiKUK  [Les  Trois  Mondes,   1582),  liv.  I,  §  8,  p.  20,  qui  marque 
l'Kstotilaiid  à  c(ité  du  Labrador. 

(4)  Edit.  Majoh,  p.  20.  «  Eiiarra  ché  è  ricliissinia  cd  almndaiitissima  di 
tutti  li  heiii  dcl  inuiido,  e  clie  è.  poco  minore  di  Islanda  >>. 

(5)  .Jacques  Cai\tieu,  Relation  du  roijaije  de  13;M,  édition  Mirhelant  et 
llanié,  p.  \\.  —  Cf.  Youi.K  lliso,  Explorations  in  tlie  intrrior  of  the 
Laln-ador  peninsula,  London,  I86;t.  —  Aiuifc  Keri.and,  Le  Lahrador, 
Québec,  1800. 


(f- 


300       l'HEMIÈKK    l'ARTIK. 


Li:S    l'IlKClKSKlHS    DE   COLOMB. 


en  toute  la  dicte  custe  du  Nord,  je  n'y  vy  une  charretée  de 
terre. . .  Fin  j'estime  mieulx  (|ue  aultrement  que  c'est  la  terre 
que  Dieu  donna  à  Cayn  » . 

Terre-Neuve  répondrait  niieu.v  à  la  description,  d'ahoi-d 
parce  qu'elle  est  une  ile  »  un  peu  moins  jrrande  que  l'Islande  », 
et  aussi  parce  que  les  vaisseaux  de  Ziclimni  durent  y  aliord(!r 
plus  facilement  qu'au  Labrador  fl).  Les  restes  de  njursen  pierre 
trouvés  par  les  Anglais  au  nord  de  Saint-Jean  semblent  être 
les  dernières  traces  du  fort  que  Zichmni  fit  bAtir.  On  a  égale- 
ment trouvé  au  même  endroit  des  monnaies  flamandes  (|ui 
y  ont  peut-être  été  apportées  par  les  compagnons  de  Zeno. 
Notons  enfin  qu'il  n'est  pas  impossible  de  trouver  dans  le  nom 
même  d'Estotiland  un  ancien  nom  Scandinave,  East-out-land, 
terre  extérieure  de  l'est,  dénomination  cpii  conviendrait  parfai- 
tement à  la  situation  de  Terre-Neuve  à  l'égard  de  l'Américjue. 
Aussi  Thevet  (2),  Forster  (3)  et  Malte-Brun  (i)  ont-ils  conclu  à 
l'identité  de  Terre-Neuve  et  de  l'Estoliland.  Nous  ferons  pourtant 
reniarqu(!r  qu'on  ne  trouve  pas  dans  cette  île  les  quatre  fleuves 
sortant  de  la  même  montagne  dont  il  est  parlé  dans  la  relation, 
«|u'on  n'y  exploite  pas  non  plus  des  mines  de  métaux  précieux, 
enfin  qu'elle  n'est  pas  très  fertile,  puisque  les  anciennes  Sagas 
la  jugeaient  sans  valeur  (5)  et  que  Jacques  Cartier,  dans  son 
pittoresque  langage,  dit  qu'un  champ  des  iles  de  la  Madeleine 
vaut  plus  que  toute  la  Terre-Neuve  (('»). 

Beauvois  nous  a  semblé  se  rap|>rocher  davantage  de  hi 
vérité  en  assimilant  l'Estotiland  au  nouveau  Brunswick  ou  au 


(I)  F^ACKOix,  //et  (le  l'Océan  (Univers  Piltoiesqucl,  p.  l4i.  —  Bahuow, 
Histoire  chronologique  des  voi/ayet  vers  le  pôle  arctique. 

(2|  Thevet,  dans  les  deux  cartes  d'Europe  et  d'Améritpic  qui  accoinpagneiil 
sa  Cosmographie  universelle,  dessine  Eslotiland  à  la  place  de  Terre-Neuve- 

(III  FoRSTEB,  ouv.  cité,  1,  322. 

(4)  Malte-Brun,  ouv.  cité,  I,  208. 

('j)  Leif  disait  (jue  cette  ile  était  (Galdalandi,  sans  valeur,  et  Biarn  n'y  vil 
rien  de  bon  (Ogagnvacnligt). 

i6)  Relation  'lu  voyage  de  1534.,  édition  Micliclant  et  Ramé,  p.  3.'}. 


\  n 


CIIAI'ITIU:    X. 


LK    VOY.Vr.E   DES   FRERKS   ZEM. 


:vri 


de   la 
ou  au 


lias-Cauailii  (1).  Il  est  vrai  (|U('  ces  pays  no  sont  pas  des  îles,  uiais 
les  anciens  confondaient  volontiers  îles  et  prescju'îles,  et,  quand 
il  s'agit  d'une  presqu'île  hornée  au  nord  par  le  Saint-Laurent, 
un  sud  par  la  baie  de  Fundy,  h  l'est  par  la  mer,  à  l'ouest  p:ir 
les  deux  rivières  Kennelteck  et  Cliaudiènv  dont  les  deux  sources 
sont  tr('vs  rapprochées,  on  comprend  qu'un  étrauper  ait  pu  s'y 
tronqier.  Dans  la  carte  dressée  en  18ii  par  l'ingénieur  lleliii, 
et  annexée  à  VNIsloin'  ffc  In  i\miri'lli'  Frtiurc,  de  Cliarlevoix, 
la  Nouvelle  I<]cosse  est  iJessinée  comme  une  île  vérifaMe,  gràc(! 
à  la  corimumictition  des  deux  rivières  Kénél)e(pii  et  Chaudière. 
Or,  l'île  ou  la  pseudo-île  ainsi  délimitée  correspond  à  lu  des- 
cription des  Zeni.Elle  est  caractérisée  par  ses  forêts  immenses(^) 
et  pur  la  fertilité  relative  du  sol.  Quant  au  mont  élevé  d'où  sor- 
tent (juatre  rivières  (.1),  ce  doit  être  le  mont  natuldin,  duns  l'état 
du  Maine  (lOil  mètres  d'altitude),  d'où  coulent  le  Kenneheck, 
le  P(Mioltscot,  le  Saint-.Jeun  et  lu  Suinte-Croix.  Il  n'est  pas 
jusqu'aux  mines  qui,  d'après  lu  relation,  étuient  ultondantes  (4), 
qui  ne  se  rencontrent  encore  dans  la  région.  On  trouve  en  effet 
de  l'or  près  de  la  rivière  Chaudière,  du  cuivre  dans  les  cantons 
do  l'est,  de  l'argent  massif  dans  le  district  de  Saint-Kruncois,  et 
du  fer  presque  partout  (Ti). 

Quelle  que  soit  la  position  exacte  de  l'Kstotilund,  et  il  est 
difficile  do  lu  préciser  davantage,  nous  croyons  pouvoir  affirmer 
cpje  c'est  uniquement  sur  le  continent  uméricuin  qu'il  fuut 
chercher  ce  pays.  Nous  croyons  également  que  l'Kstotilund 
avait  déjà  été  reconnu  et  en  purtie  colonisé  pur  des  Européens  ; 


W    à 


Barhow, 


^n  n'y  vil 


(1)  Beaivois,  Les  colonies  Eiiropéc-nei  du  Mnrkhmd  et  de  V  Escociland 
(Congrès  Ainéiicaniste  de  Luxembourg,  1877),  t.  I,  p.  171-227. 

(2)  Edition  Majou,  p.  21.  Hanno  bosclii  d'immensa  grandezza. 

i'i]  Id.,  p.  20.  Havendo  nel  mozzo  un  monte  altissimo,  dol  qualc  nascono 
i|uatti-o  flumi,  clic  la  irrigano. 

(41  lu.,  p.  20.  «  E  cavano  metall'  di  ogrii  sorte,  sopra  tutlo  abondano 
di  oro  ". 

(5)  Tac.mk,  Esquisses  sur  le  Cntinda,  p.  fil.  —  AncM.KMW.MLT,  La  province 
lie  Québec,  p.  63. 


398       l'REMIKRE    PARTIE.    —    LES    PRÉCURSEURS    DE    COLOMIl. 


ainsi  s'oxplicjiuMit  plusieurs  détails  de  la  relation,  qui,  auti-e- 
iiiont,  resteraient  incompréhensibles,  et  qui  au  contraire  achè- 
veront de  démontrer  la  parfaite  lutnne  foi  des  Zeni.  Ainsi  lii 
présence  de  livres  latins  dans  la  hihliothèque  du  roi  d'Estoti- 
laiid  est  toute  naturelle,  puisqu'il  y  avait  eu  des  missionnaires 
chrétiens  dans  ce  pays  (1).  Si  les  habitants  ne  les  comprenaient 
plus,  c'est  qu'ils  étaient  séparés  depuis  plusieurs  fiénératious 
de  la  mère  patrie.  Supposons  que  les  couununautés  chrétiennes 
qui  existent  à  l'heure  actuelle  au  fond  du  Yunnam  restent 
sans  communication  avec  les  missionnaires  seulement  pendant 
quelques  années,  sans  doute  ces  corelijrionnaires  éloignés 
garderont  longtemps  les  livres  latins  (pi'on  leur  a  confiés,  mais 
bientôt  ils  ne  les  comprendront  plus.  Les  Estotilandais  avaient 
de  même  oublié  le  latin  qui  leur  fut  autrefois  enseigné.  Dieu 
d'autres  particularités  attestent  uiu'  counnuiiauté  d'origine.  Us 
semaient  des  céréales  et  brassaient  de  la  bière,  comme  leurs 
ancêtres  l'avaient  fait  en  Europe.  Us  construisaient  des  villes 
et  des  châteaux,  ainsi  que  des  navires,  ils  s'habillaient  de 
fourrures,  ils  fondaient  les  métaux,  en  un  mot  ils  pratiquaient 
les  industries  européennes;  seulement  ils  ne  savaient  pas  se 
servir  de  la  boussole.  En  cflet,  l'usage  de  ce  merveilleux 
insfrument  de  découvertes  ne  se  répandit  (|ue  longtemps  iiprès 
que  les  relations  fiu-ent  ÎHterrompues  entre  l'Estotilund  ci  sa 
métropole.  On  n'a  pas,  il  est  vrai,  retrouvé  les  traces  des 
édifices  bâtis  par  eux ,  mais  leurs  maisons  étaient  cons- 
truites en  bois.  L'incendie  ou  le  temps  peuvent  les  avoir  fait 
disparaître.  Les  l<]stotilandais  ne  comprenaient  pas  non  plus  le 
langage  des  nouveaux  arrivants,  mais,  au  bout  de  quelques 
siècles,  il  sopère  de  tels  changements  dans  un  idiome,  surtout 
lors(]ue  un  très  petit  nombre  de  colons  reste  privé  de  toute 
coinnumication  avec  la  métropole,  qu'il  est  naturel  que  l'an- 
cienne langue  fût  devenue  inintelligible  aux  compagnons  de 
Zichmni  et  d'Antonio  Zeno. 

(Il  Voir  plus  haut  le  chapitre  sur  les  migrations  Irlandaises  en  Amériiiiio. 


■  .-■■^fi««-  i,|^,^^^y^.-^,^v|--.y:-^j^.^^-  - 


CIIAPIÏHK    X. 


LK    VOYACK    Mi:S    l'HKRES    ZEM. 


'M) 


Houx 
prî's 

cl  sa 
(les 
ons- 
fiiit 
us  U' 

Uiues 

urtout 
toute 
l'an- 

•ns  (le 

lériqui;. 


Il  n'est  pas  jusciu'uu  eoMlraste  (jue  |)n''sentaieiit  les  Kstotilaii- 
dais  avec  les  peuples  situ(Js  au  suti  de  leur  [»ays,  cjui  ne  d(''montiv 
leur  <)rijj:ine  eurupC'enne.  Les  uns  (Haient  agriculteurs,  les 
autres  chasseurs;  ceux-ci  (Haient  civilis(}s,  ceux-là  ('-taient 
antlirop(»pliages  et  ne  cunnaissaient  ui("'nie  pas  l'industrie  de 
se  couvrir  des  peaux  des  animaux  qu'ils  avaient  tués.  Les  Estoti- 
landais  se  servaient  des  na'tuux,  et  avaient  de  Vur  en  ahondance  ; 
Uîs  sauvages  au  contraire  se  bornaient  à  aiguiser  le  bout  de 
leurs  lances  en  liois.  Ceux-ci  enfin  savaient  se  servir  de  vais- 
seaux et  de  filets,  ceux-là  ne  connaissaient  même  pas  les 
premiers  rudiments  de  la  navigati(m  et  de  la  pê'clie  (1). 

De  (piels  piiys  (Haient  originaires  ces  Estotilandais  ?  Nous 
avons  essayé  d'établir  plus  haut  qu'ils  descendaient  des  anciens 
colons  Irlandais  et  Nortlmians.  Sans  insister  davantage  sur  ce 
point,  car  il  est  bien  difficile  de  résoudre  un  problème  historique 
aussi  compliqué,  qu'il  soit  du  moins  permis  de  conclure  que 
l'Kstotiland  doit  être  cherché  en  Amérique,  (|ue  les  ]*]stotilan- 
dais  étaient  d'origine  européenne,  et,  comme  une  consé(pience 
rigoureuse  de  ces  principes,  que  la  relation  des  Zeni  est  vraie 
dans  <.in[  ensemble  pour  ce  qui  concerne  l'I^sfotiland. 

Une  preuvv  nouvelle  de  l'authenticitf'  de  la  relation  nous  sera 
donnée  par  deux  passages,  qu'on  n'a  peut-être  pas  assez  remar- 
(|ués,  de  la  lettre  adressée  en  octobre  loOl  à  ses  frères  par  Pietn» 
Pas(|ualig(i,  ambassadeur  de  la  République  Vénitienne  à  Lis- 
bonne ;:2i.  lue  des  caravelles  conduites  par  Gaspard  (Icjrlereal  à 
ladécouverte  de  l'Amérique  du  Xord  vena'l  ^l'arriver  à  Lisbonne. 
L'ambassadeur  avait  interrogé  avec  soin  capitaine  et  matelots, 
et  examiné  les  indigènes  ramenés  par  eux  de  ces  terres  loin- 


(ll  Voir  plus  liaut  cliapitre  vu. 

(2i  I.eltic  iJ(!  l'ielro  l'asiiiiitlijto.  dattie  du  !!•  octobre  1,*)0I,  reproduite  par 
llAniiissi:,  Lrs  Cortereal,  appendice  XVlll,  p.  211.  «  Et  cpiiîli  ancliora  liaiino 
porta  de  la  uiio  pezo  de  spada  rotta  dorala  :  la  quai  cerlo  jiar  lacta  iii  Italia  : 
uno  pulo  de  ipiesli  aveva  aie  orechie  dui  lôdirii  de  arzento  :  clie  scnza  dubi(v 
pareiio  sta  l'aoti  a  Veuetia.  " 


11 


J 


'((M)      l'HEMlKHK    l'AHTlK.    —    LKS    l'HKCirHSKl'RS    DK    COLOM». 


tailles.  <<  Ils  ont  apporU"',  <''crivait-il,  un  tronçon  d'rpéc  dorée 
(jui  parait  avoir  été  fabriquée  en  Italie.  XJn  des  enfants  portait 
aux  oreilles  deux  petits  dis([ues  d'arf^'ent  eonfectionnés  certaine- 
ment à  Venise  ».  t^e  saltre  de  fabrication  italienne,  ces  dis(pH's 
darp'iit  de  [trovenance  vénitienne,  (|ui  donc  les  aurait  p(»rtéssur 
le  continent  américain  sinon  des  Vénitiens,  et,  sans  trop  forcer 
la  vraisend)lance,  ces  Vénitiens  ne  seraient-ils  pas  ceux-là 
même  «pii  avaient  suivi  le  prince  Zichmni  jusqu'au  Kstotiland, 
c'est-à-dire  jus(iue  dans  la  région  américainci  qui  correspond  à 
la  terre  découverte  ou  retrouvée  plus  tard  par  (îaspard  Cortereal? 
Nous  aurions  de  la  sorte  un  témoipnag'e  matériel  de  la  i)résence 
sur  le  sol  américain  de  ces  Vénitiens  dont  on  contestait  la  véra- 
cité, et  la  relation  des  Zeni  recevrait  en  quelque  sorte  une  con- 
sécration définitive. 

Quant  à  Drogeo  qui  est  à  peine  indiqué  dans  la  relation,  mais 
dont  il  est  dit  que  c'était,  à  cause  de  sa  grandeui ,  comme  un 
monde  nouveau,  nous  pensons  avec  Leiexvel,  avec  Kolil,  avec 
(Iravier  (l)  qu'il  se  confond  avec  le  Vinland,  ou,  si  l'on  [tréfère, 
avec  la  côte  actuelle  des  Etats-Unis.  Cette  opinion  ne  repose,  il 
est  vrai,  que  sur  la  carte  jointe  à  la  relation  des  Zeni,  mais  elle 
est  soutenahie  si  l'on  admet,  comme  nous  l'avons  fait  jusqu'ici, 
l'autiienticité  de  cette  relation.  Nfius  n'enregistrons  que  pour 
mémoire  la  singulière  hypothèse  de  Krarup  qui  retrouve  Drogeo 
dans  Troki,  l'ancienne  capitale  de  la  Lithuanie.  Il  a  oublié  que 
les  Lithuaniens  n'étaient  pas  des  sauvages  comme  les  indigènes 
de  Urogeo,  qu'ils  étaient  chrétiens,  et  qu'on  les  connaissait  en 
Italie.  Restent  les  peuples  du  sud-ouest,  au  delà  de  Drogeo,  qui 
avaient  des  villes,  des  temples  et  des  idoles,  qui  offraient  à 
leurs  divinités  des  sacrifices  humains,  et  se  servaient  de  l'or  et 
de  l'argent.   11  n'est  pas  besoin  de  longues  recherches  pour 
retrouver  en  eux  soit  les  Mexicains,  soit  même  les  Floridiens, 
(jui  étaient  alors  beaucoup  plus  puissants  et  surtout  plus  civilisés 
qu'à  l'époque  de  la  conquête  espagnole. 

J)  Gbavieh,  ouv.  cité,  p.  211, 


CllAl'lTKK    X. 


LK    VOYACK    DES    FRERES   ZEM. 


401 


pour 
)rogeo 
|iô  que 
ligines 
sait  en 
.>o,  qui 
lient  à 
ror  et 


lidiens, 


En  résumé  l'Amérique  avait  été  de  nouveau  découverte  au 
xiV  siècle,  et  le  prince  Zichmni,  aidé  par  les  Vénitiens,  avait 
fondé  une  colonie  non  loin  de  remplacement  des  anciennes 
colonies  irlandaises  ou  islandaises.  De  plus,  la  relation  véni- 
tienne est  rigoureusement  authentique  et  s'explique  naturelle- 
ment dans  presque  tous  se»  détails. 

Telle  est  du  moins  la  conclusion  qui  nous  semble  la  mieux 
l'ondée. 


T.    i. 


26 


CHAPITRE  XI 

TRACES  DE  LA    PRÉSENCE    DES    EUROPÉENS  EN  AMÉRIQUE 
AVANT    CHRISTOPHE    COLOMB 


Nous  n'avuns  jusqu'à  présent,  àprupos  des  voyages  entrepris 
au  moyen-âge  par  les  Européens  eu  Amérique,  examiné  que 
les  rares  documents  disséminés  dans  les  chroniques  contem- 
poraines ;  mais  si,  comme  nous  le  croyons,  et  comme  nous 
avons  essayé  de  le  démontfer,  ils  ont  réellement.  Irlandais  ou 
Northmaus,  séjourné  dans  le  nouveau  continent,  il  nous  faut 
interroger  l'Amérique  elle-même  pour  voir  si  elle  n'a  pas  gardé 
(juelques  souvenirs  de  leurs  établissements.  Peut-être  quelques 
ruines  indiquent-elles  encore  l'emplacement  de  leurs  anciennes 
demeures?  Peut-être  les  tribus  qui  occupent  aujourd'hui  la  place 
tenue  jadis  par  eux  ont-elles  dans  leurs  langues,  ou  même  dans 
leurs  traditions,  conservé  quelque  trace  de  la  présence  des 
Européens?  Peut-être,  enfin,  la  conformité  de  certains  usages 
religieux  attoste-t-elle  encore  la  présence  de  ces  Européens  en 
Amérique  ?  A  nous  d'examiner  si  les  monuments,  si  les  dia- 
lectes, les  traditions  ou  les  usages  religieux  de  l'Amérique  nous 
perinettront  d'affirmer  avec  plus  de  force  ce  que  nous  n'avons 
avancé  que  sur  la  foi  des  chroniqut'urs  Européens. 

I.  —  LliS    MOMMK.NTS 

Parmi  les  monuments  épars  sur  le  sol  de  l'Amérique  septen- 
trionale, il  en  est  quel<jues-uns  qui  se  rapportent  aux  North- 


CHAI'.  XI.  —  TRACES  DE  LA  PRÉSENCE  DES  EUROF»ÉENS.      MY.i 


lelques 
j;iennes 

a  i>Uii't' 
dans 

ICC  des 
usaties 
ens  en 
eà  dia- 
ue  nous 
navons 


mans.  Leur  nombnî  est  peu  considérable  ;  car,  dans  tout  le 
nord,  on  construisait  en  bois  les  édifices  publics,  et  à  plus  forte 
raison  les  maisons  (1)  ;  or,  toute  construction  de  ce  genre  est 
soumise  à  l)ien  des  accidents,  humidité,  [wurriture,  incendie. 
Il  n'y  a  donc  en  Amérique  aucun  vestige  de  ces  nuiisons  de  bois 
que  les  Sagas  appelaient  des  hudirm  ;  mais  on  trouve  à  Newport, 
dans  le  Ilhode-Island,  c'est-à-dire  dans  l'ancien  Vinland,  les 
ruines  d'un  édifice  connu  sous  le  nom  de  maison  de  pierre,  et 
qui  fut  jadis,  très  probablement,  construit  par  les  Northmans. 
C'est  une  sorte  de  rotonde  en  pierres  de  granit  brut  liées  par 
un  excellent  mortier,  et  jadis  revêtues  d'une  couche  seml)lable, 
aujourd'hui  tombée  :  elle  est  bâtie  sur  Ai'-^  arches  qui  reposent 
sur  huit  colonnes.  Les  premiers  colons  européens  qui  s'établirent 
dans  le  Rhode-Island  n'y  vinrent  qu'en  1G38,  et,  dès  1078,  le 
testament  de  l'un  d'entre  eux,  Benedict  Arnold,  mentionnait 
sous  le  nom  de  moulin  de  pierre,  et  comme  remontant  à  une 
haute  antiquité,  le  monument  en  question.  La  Société  des 
antiquaires  du  Nord  siégeant  à  Copenhague  a  soigneusement 
étudié  ce  monument,  et  affirme  qu'il  avait  été  construit  par  les 
Northmans.  Non  seulement  on  ne  rencontre  do  construction 
semblnbh^  dans  aucune  partie  de  l'Amérique,  mais  encore  de 
frappantes  analogies  existent  avec  des  édifices  Scandinaves  du 
xi^  et  du  xu"  siècle,  .\insi  les  églises  de  Vesterirg  et  de  Thor- 
sager  en  Jutland,  la  crypte  de  la  cathédrale  de  Wiborg,  l'église 
de  Biernede  près  de  Soro  en  Seeland,  et  quatre  chapelles  près 
de  Bornholm  sont  bâties  sur  le  môme  plan  (2).  Ce  monument 
était  un  baptistère,  car  l'usage  régna  longtemps  de  les  cons- 
truire détachés  de  l'égliso,  ainsi  qu'on  pc  »  le  voir  encore  à 
llavenne,  à  Florence,  à  Parme,  à  Pise,  et  tous  justement  à 
l'extrême  Nord,  à  Igalikko  et  à  Katortok  en  Groenland.  Au 


i 


septen- 
^orth- 


(li  (iKKKHOY,  H Utoire  des  peuples  Scandinaves,  p.  9. 
(21  Svciiité  des  Atitiquaires   du  Nord,  1838-1839,  p.  249.  —  1842-1843, 
p.  310-341.  —  1844,  p.  101.  —  1845-1849,  p.  133. 


40 i       l'HKMlKlU:    l'AHTIK. 


LKS    l'UKCnjSKlHS    lue    COI.OMII. 


reste,  [MMi  nous  iiiiportt'  la  (Icstinatioii  du  liàtiineiit,  pourvu  qui* 
uous  SDVDUs  assuré  (|u'il  a  vtc  construit  par  des  Nortlunaus. 

Nous  lie  parlerons  (|u'avec  toute  réserve  d'un  bloc  de  fçranll 
couvert  de  caractères  inconnus,  trouvé  à  Scaticook  sur  It; 
Housatonic  (1),  territoire  de  Kent  dans  le  Connecticut;  d'un  roc 
de  quinze  à  vingt  pieds  de  surface,  cliarjïe  de  figtu'es  d'animaux 
},'rossièreinent  {gravées,  et  qui  avait  été  signalé  en  1789  sur 
l'Alleghany  Hiver  entre  Venango,  le  fort  Pitt  et  le  lac  Erié  ; 
d'une  grande  pierre  couverte  de  caractères  régulièrement  placés 
et  remplis  d'un  mastic  blanc  aussi  dur  que  la  pierre,  (ju'on  avait 
découverte  à  llutland,  dans  le  comté  d(;  Worcester  en  Massa- 
«•Imssets.  Il  est  fAcheux  qu'un  liabile  antiquaire  n'ait  pas  visité 
<!t  décrit  ces  monuments,  ou  pris  un(!  copie  fidèle  des  inscrip- 
tions, car  ils  ont  disparu  sous  l'indifférence  des  indigènes,  et 
peut-être  a-t-on  employé  pour  la  pile  d'un  pont  ou  pour  les  fonda- 
tions d'une  maison  telle  pierre  gravée  dont  l'inscription  aurait 
constitué  le  plus  précieux  des  documents  pour  l'histoire  de 
l'Amérique. 

Même  réserve  pour  diverses  découvertes,  dont  l'authenticité 
nous  parait  insuffisante.  Ainsi  à  Tiverton  dans  le  Massa- 
chussets  (2),  on  aurait  trouvé  une  pierre  de  forme  oblongue  avec 
creux  circulaire,  une  hache  grande  et  lourde  creusée  de  façon  à 
pouvoir  être  adaptée  à  un  manche  fourchu,  trois  coins  polis 
semblables  à  ceux  du  Nord,  des  rondelles  et  des  fragments  de 
chaudière  en  pierre  molle.  Sur  le  Cumberland  près  de  Rock 
Gastle  Greek  et  à  S'.vanzy  dans  le  comté  de  Bristol  auraient  été 
signalés  deux  blocs  de  pierre  posés  verticalement  et  couverts 
d'inscriptions.  Dans  l'île  de  Marthas  Vineyard  (3)  ont  été 
déterrés  et  envoyés  par  M.  Charles  Hammond  au  Musée  des 
Antiquités  du  Nord.  i\  Copenhague,  en  1845,  des  fragments  de 

(i)  Lettre  de  Thomas  Webh  à  C.  Raf'n  [Antiquitates  Americanse,  p. 
373-315). 

(2)  Société  des  Antiquaires  du  Nord,  1845-1849,  p.  177. 

(3)  Société  des  Antiquaires  du  Nord,  Id.,  p.  119. 


inaiH. 
granit 
^ur   If 
un  roc 
limaux 
S9  sur 
Kriô; 
placés 
)n  avait 
Massa- 
is visité 
inscrip- 
ènes,  et 
s  fonda- 
n  aurait 
toire  de 

henticité 
Massa- 
gue  avec 
façon  à 
ins  polis 
ïients  de 
de  Rock 
•aient  été 
couverts 
ont  été 
usée  des 
ents  de 

Iricarise,  p- 


CIIAI'.  M.  —  THACKS  UK  LA  l'HKSK.NCB  IIKS  KUHOI'KK.NS.       iOîi 

vuses  d'argile  avec  des  orncnients  taillés  ou  imprimés  dans  l'ar- 
gile trempée,  ressemblant  im\  vases  tumulaires  du  Nord  iiu 
temps  du  paganisme,  des  houtons  de  pi<'rre  de  la  l'orme  d'un 
(luif  terminés  à  un  Ixnit  par  une  cannelure,  des  ancres  et  îles 
p(»intes  de  flèches.  Dés  18'r2,  le  docteur  Suiitli  di;  Uoslon  avait 
annoncé  la  découverte  d'iiu  squelette  encre  pourvu  d'une  cein- 
ture formée  de  tuhes  ou  de  tuyaux  en  lironze,  scudilables  àccuv 
qu'on  a  fréipu-mment  trouvés,  attachés  par  des  cordons  entre- 
lacés, dans  l'Islande  et  le  Danemark.  Les  découvertes  archéo- 
logiques n'ont  pas  discontinué.  Il  serait  fastidieux  de  toutes  les 
énumérer:  mais,  en  général,  ou  bien  elles  sont  insiguiiiantes, 
ou  bien,  ce  qui  est  plus  grave,  elles  sont  tro|>  [)robantes  Aussi 
'•onq)rend-on  (ju'un  savant  Américain,  M.  W'bitlesey,  ait  na- 
guère composé  un  livre  sur  les  fraudes  archéologiques  de  ses 
compatriotes. 

Le  roc  de  Dighton  fait  peut-être  exception.  Nous  en  avons 
déjà  parlé  i\  propos  des  voyages  réels  et  supposés  des  Phéni- 
ciens en  Amérique.  Il  a  été  présenté  par  (juelques  savants  connue 
un  monument  d'origine  scandina>"o  (1).  Lelewel  y  retrouvait  la 
ligure  deThorfinn  Karisefne  et  de  son  fUs  Snorro,  le  nouveau-né, 
désigné  par  le  signe  S.  Le  chiffre  cxxxi  s'appliquait  au  nombre 
des  hommes  d'équipage,  et  le  bouclier  blanc  était  suspendu  en 
signe  de  paix.  Un  habile  runologue,  Finn  Magnussen,  sur  la 
demande  expresse  de  Rafn,  fit  un  examen  approfoiuli  de  l'ins- 
cription et  affirma  qu'elle  était  islandaise.  11  crut  reconnaître 
le  navire  de  Thorfinn  abrité  contre  le  vent,  (iudrida  tenant  en 
main  les  clefs  de  la  maison  conjugale,  leur  fils  Snorro,  les  131 
Northmans  venus  avec  eux  au  Nouveau-Monde,  et  même  Thor- 


(I)  Wauden,  Recherches  sur  les  antiquités  de  V Amérique  septentrionale 
(Société  de  géographie  de  Paris,  1821).  —  .Miciiaki,  Lokt,  Archxotugia,  Or 
miscellaneoui  tracts  relating  to  antiquity  puhlished  Inj  the  society  of 
Antiquitaries  of  London,  vol.  VIII,  |).  294-295  (1787).  —  Lettre  de  John 
Ilou'land  et  Thomas  WcLô  à  Ha/'n  [Antiquitates  Americanœ,  p.  361-371, 
ligure  IX  de  la  planche  XI I\  183i. 


t 


40r»      l'HKMIKHK    l'ARTIK, 


LKS    l'UKClHSKiaS    I*   CULOMI». 


( 


liiiii  ucc-ourunt  pour  n^Htiisscr  um*  invusiuii  dos  Skr()ellill^s. 
Uafu  voyait  dans  les  personiiaffi's  de  droite  des  Skroellings  et 
(Uns  les  lignes  qui  s'eneli(îV(Hrent  près  d'eux  des  ar's,  des 
Hècii(!s  et  des  projectiles,  mais  ni  lui,  ni  Magiujssen  n'iîssayèrent 
«l'interpréter  la  partie  cryptograplii(|ue  de  l'inscription.  (1  ravier 
«!li  a  traduit  une  partie  :  «  131  hommes  ont  occupé  ce  pays  avec 
Tlioriinn  »  ;  il  reconnaît  dans  le  buste  (ludrida,  dans  le  petit 
personnage  Snorro,  le  premier  Northman  né  en  Améri(jue,  et 
dans  les  deux  personnages  de  droite  Tlioriinn  et  son  ami  Snorro 
Thorbrandson.  Certes  ces  interprétations  sont  ingénieuses, 
mais  elles  ne  prouvent  que  la  grande  imagination  des  interprètes, 
et,  décidément,  jusqu'à  plus  ample  informé,  le  roc  de  Digliton 
restera  une  énigme  indécliin'rable. 

Aussi  bien  il  n'y  a  de  réellement  authentiques  que  les  ruines 
et  les  inscriptions  éparscs  en  (iroenland.  Ces  ruines  forment 
deux  groupes  sur  la  côte  occidentale  (1).  Le  premier  entre  le 
60"  et  le  01°  de  lat.  nord,  non  loin  du  cap  Farcvvell  :  c'est 
l'ancien  Oesterbygd  des  Islandais.  Le  second  est  plus  au  nord 
entre  le  64°  et  le  65".  Dans  l'intervalle  on  ne  trouve  rien.  Le 
plus  important  est  le  premier  de  ces  groupes  :  Les  ruines  sont 
éparses  dans  le  fiord  d'Igalikko  ou  des  maisons  abandonnées, 
à  l'endroit  où  Eric  Ilauda  avait,  aux  approches  de  l'an  mil,  fondé 
le  premier  établissement  Scandinave  au  nouveau  monde.  Ce 
liord,  large  de  trois  à  huit  kilomètres,  ressemble  moins  à  un 
golfe  qu'à  un  fleuve  11  se  ramifie  en  deux  branches  au  dessus 
de  JuUaneshaab,  la  branche  méridionale  conduisant  à  Brattahilda 
et  Gardar,  la  branche  septentrionale  à  Krakortok.  C'est  à  Kra- 
kortok  qu'on  a  signalé  des  ruines  assez  importantes,  sur  un 
terrain  en  pente  fort  accidenté,  mais  dont  les  parties  planes, 
arrosées  par  de  petits  ruisseaux,  produisent  une  végétation 
vigoureuse,  et  spécialement  de  l'angélique,  qui  pousse  jusqu'à 


(1)  Waldemak   Schsudt,  Traditions  des   Groenkindais  (Congrès  Améri- 
l'anisle  de  Nancy,  t.  II,  p.  181-191). 


'  «Jw'KaiBfcj^iruâ.  .4i»  ^fc(".-»i-'^i"*#rr^»:**  •» 


ff^i^fta 


f-i(lV*V,V**l*<*M*** 


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CHAI'.  XI.  —  THACES  IHg  U  l'HKSKNCK  DKS  Kl  HOI'ftENS.       iOT 


illgs  et 
s,  (les 
i\î>ront 
î  ravier 
ys  avec 
le  petit 
ique,  et 
Snorn» 
lieuses, 
r[>rètes, 
Digliton 

;s  ruines 
forineiit 
entre  le 
•Il  :  c'est 
,  au  nord 
rien.  Le 
ines  sont 
données, 
nil,  fondé 
onde.  Ce 
oins  il  un 
au  dessus 
Irattahildu 
est  à  Kra- 
s,  sur  un 
es  planes, 
végétation 
se  jusqu'il 

ijîrôs  Aniéri- 


lui  mètre  de  hauteur,  et  qui  est  la  seul(!  plant(!  spontanée  que 
les  Ks(|uiinaux  utilisent  pour  leur  alimentation.  Jadis  les  céréales 
étaient  cultivées  et  de  clia(pie  maison  dépendait  un  lot  de  terre 
cultivée,  comme  le  prouvent  les  traces  de  clAtures  qui  n'ont  pas 
encore  disparu.  I/église  de  Krakortok  possède  encore  son 
aiuîienne  église,  avec  murs  intacts  jusqu'à  une  liautem-  de 
quinze  ou  dix-huit  pieds.  Cette  église,  dont  l'orientation  est 
parfaite,  a  conservé  sur  toutes  ses  faces,  à  l'excefition  de  la  face 
nord,  les  haies  de  ses  portes  et  de  ses  fenêtres.  Une  ouverture; 
cintrée  du  côté  ouest,  au  dessus  de  laquelle  s'élevait  le  sanctuaire, 
est  à  peu  près  intacte.  Les  murs  sont  construits  en  pierres  plates, 
de  quatre  pieds  et  demi  d'épaisseur.  Ces  pierres  ne  sont  reliées 
entre  elles  que  par  de  l'argile  hieue.  Tout  près  de;  l'église  étaient 
le  cimetière,  où  l'on  a  trouvé  de  nomhreuses  tomhes,  et  plus 
loin  la  maison  du  prêtre  ou  de  l'évéïjue,  dont  les  murs  se 
tiennent  encore  dehout  jusqu'à  la  hauteur  d'un  premier  étage. 
On  signale  encore  dans  un  angle  du  cimetière  des  décomhres 
(jui  furent  jadis  une  aumônerie,  une  hàlisse  circulaire  dont  les 
murs  de  (juatre  pieds  d'épaisseur  sur  sept  à  huit  de  hauteur 
sont  renversés,  mais  dont  on  peut  suivre  le  pourtour,  et  les 
débris  de  cinq  maisons.  Les  maisons  étaient  sans  doute  plus 
nomhreuses,  mais  à  l'exception  des  ruines  décrites,  les  traces 
en  sont  difficiles  à  trouver  à  cause  des  saules,  des  genévriers  et 
des  houleaux  nains  qui  les  recouvrent. 

Les  ruines  de  Krakortok  étaient  connues  depuis  longtemps.  Le 
capitaine  Graah  les  visita  en  1878.  Mathiesen,  Gram,  Motufeld 
et  Vahl  les  étudièrent  de  nouveau  et  prirent  copie  des  inscriptions 
qui  ornaient  le  fronton  de  la  porte  de  l'église  à  la  façade  ouest. 
Le  docteur  Hayes,  qui  en  fit  une  étude  spéciale,  les  décrivit 
avec  soin  dans  son  intéressant  livre  intitulé  la  Terre  de  Désola- 
tion (1).  On  sait  aujourd'hui,  à  ne  plus  en  douter,  que  les 

(1)  Hayes,  La  Terre  de  Désolation  (Tour  du  Monde,  1873). 


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■408      l'REMIÈRK    l'ARTlK.    —   LKS    l'HKC.LHSKlRS   DE   COLOMB. 


Nurtliinans  élevèrent  au  XI"  siècle  tous  ces  édifices,  témoins 
irrécusables  de  leur  établissement  au  Oroenland. 

Tout  autour  de  Krakortok,  des  fouilles,  conduites  avec  intel- 
ligence, ont  amené  la  découverte  dans  le  cimetière  de  Brattahilda 
de  fragments  considérables  d'une  cloche  en  métal,  d'une  pierre 
avec  l'inscription  suivante  :  Vigdis  Mardottir  hviliv  lier  :  gledc 
gup  sol  hennar,  c'est-à-dire  Ci-git  Vigdis,  fille  de  Mar,  que 
Dieu  réjouisse  son  Ame  !  et  de  plusieurs  rangs  de  cercueils  en 
bois  ou  de  tombeaux  en  pierre,  qui  contenaient  encore  des 
squelettes,  avec  diverses  pièces  de  vêtement,  en  général  d'une 
bure  grossière,  de  couleur  brun  foncé,  du  môme  tissu  carré 
que  celui  dont  sont  faites  les  pièces  d'habillement  trouvées  dans 
les  tombeaux  de  Norvège. 

Dans  le  ''imetiôre  de  Kaksiarsuk  (1),  sur  le  bras  méridional 
du  fiord  d  Igalikko,  on  a  encore  trouvé  des  débris  d'habits  de 
bure,  des  fragments  de  fer,  des  instruments  divers  en  bronae, 
un  petit  cheval  en  bronze,  un  peigne  en  os,  une  perle  ou 
mosaïque,  et  des  fusaïoles  en  stéatite.  Tous  ces  objets,  soigneu- 
sement étudiés  et  classés,  enrichissent  aujourd'hui  les  collec- 
tions du  Musée  américain  de  Christiansbourg,  formé  par  la 
Société  des  antiquaires  du  Nord.  Il  serait  trop  long  d'énumérer 
tout  ce  que  ce  musée  renferme  d'intéressant  pour  notre  sujet, 
fragments  de  cloches  d'églises,  pièces  de  plomb  représentant 
Jésus  sur  la  croix,  assisté  de  Marie  et  de  Jean,  vases  de  métal, 
pierres  runiques  en  grand  nombre,  armes,  etc.  Nous  ne  pouvons 
que  renvoyer  aux  bulletins  de  la  Société  des  antiquaires  du 
Nord,  et  surtout  aux  diverses  éditions  du  catalogue  du  Musée, 
rédigées  avec  un  soin  infini  par  l'éminent  professeur  Worsaa;. 

Dans  le  groupe  septentrional  des  ruines  c^roeulandaises  figu- 
rent également  de  nombreux  objets  attestant  la  présence  d(î 
colons  Scandinaves  dans  ces  lointaines  régions  ;  ce  sont  des 

(1)  Voir  Steenstkup,  The  old  Scandinavian  Ruins  in  the  District  of 
Jidianeshaaby  South  Greenland  (Congrès  des  Ainéricanistes  de  Copenhague, 
p.  108)  avec  figure  des  ruines  signalées  à  Uniiansat,  Kingua,  Kaksiarsuk^  etc. 


f.llAP.  XI 


TRACES  HE  LA  PRÉSENCE  DES  ElROl'ÉENS.        'M) 


fragments  d'armes,  de  cloches,  de  vêlements,  et  iiuhne  des 
pierres  avec  inscriptions  runiques.  Nous  avons  signalé  la  plus 
intéressante  de  ces  pierres,  celle  qui  a  été  trouvée  en  lS:2i  sur 
la  partie  la  plus  élevée  de  l'île  Kingiktorsoak,  au  nord  d'Uper- 
nawick,  et  que  Uafii  interprétait  ainsi  (|u'il  suit  :  "  Kriings 
Sighvarti  lilius,  et  Hiarn  Tliordi  lilius,  et  Kindriddi  (  )ddi  lilius 
feria  septima  unte  diem  victorialem  exstruxerunt  metas  liasce  et 
purgaverunt  locum.  MGXXW  ». 

Des  monuments  nombreux,  et  dont  rauthenticité  parait  indis- 
custable,  attestent  donc  la  présence  sur  le  sol  américain  de 
colons  Scandinaves,  plusieurs  siècles  avant  l'arrivée  deColond). 
Nous  serons  beaucoup  moins  at'linnatif  pour  les  preuves  de 
leur  séjour  tirées  des  langues  américaines,  car  ici  nous  nous 
aventurons  sur  un  terrain  si  peu  solide,  qu'd  faut  redouter  de 
nous  heurter  à  chaque  pas  contre  l'inconnu,  ou  bien  alléguer 
c(»mme  raisons  suffisantes  des  hypothèses,  (jui  ne  sont  et  ne 
peuvent  être  longtemps  encore  que  des  hypothèses. 


11. 


Lies    L\.N(UES 


La  philologie  américaine  est,  en  effet,  une  science  tnute  mo- 
derne. Depuis  le  mémoire  de  Duponceau  (1)  en  ISIW  sur  le 
système  grammatical  des  langues  de  (piel(|ues  nations  de 
l'Amérique  du  Xord,  d'importants  travaux  ont  été  entrepris  (2). 
On  a  composé  des  vocabulaires  et  des  granunaires  non  seu- 


lu- 


les 


0/' 


Uc. 


(Il  Ul'HONcK.vc,  Mihnoire  sur  lu  .lystcine  f/rnmmniirat  des  la»;/ues  tie 
quelques  Hdtiom  hidieiuiea  de  l'Amérique  du  Nnrd  (18381. 

(2|  CiiARi.Ks  Lkci.khc,  dans  sa  liiftliotheca  Americana  /'dilioa  1878)  a 
composé  lo  catiilogiii!  lios  ouvrages  aiiciLMis  et  modernes  sur  la  liiijçuisliiiue 
américaine.  Il  a  retrouvé  itS  ouvrages,  dont  (|uel(iues-uns  fort  im|iorlants, 
répartis  en  88  dialectes  (p.  537-043).  Voir  dans  les  Mémoires  du  Coui/rès 
Amériamisfe  de  Herlin  de  1888  (p.  H)8  r)20)  la  liste  des  ouvrages  publiés  sur 
les  langues  de  l'Ainérique  du  midi  depuis  187r)  ;  cette  savante  nomenclature 
est  l'œuvre  de  M.  Adam. 


,1  i 


tlO    i':u:Mii;HK  i'artik.  —  lks  i'hkcirsecrs  de  colomu. 

lenient  des  langues  indigènes  qui  se  sont  maintenues  jusqu'à 
n.J  jours,  mais  même  des  langues  mortes  qui  n'existent  plus 
qu'à  l'état  d'exception.  La  plupart  de  ces  travaux  ont  été  en- 
trepris par  des  spécialistes,  qui  n'ont  rien  négligé  pour  dofiner 
à  leurs  études,  parfois  un  peu  arides,  l'intérêt  de  la  nouveauté 
et  la  garantie  de  la  science.  Nous  avouerons  pourtant  que 
(juelques-uns  de  leurs  systèmes  nous  ont  inquiété  par  l'étran- 
geté  des  aperçus  et  la  hardiesse  des  hypothèses.  A  notre  avis, 
le  temps  n'est  pas  encore  venu  de  bâtir  le  futur  édifice  de  la 
philologie  comparée  américaine  ;  on  ne  peut  encore  qu'en 
assurer  les  fondements  par  d'utiles  et  modestes  publications  ; 
comme  du  reste  ont  eu  le  bon  goût  de  les  entreprendre  la  plupart 
des  savants  qui  se  sont  adonnés  à  ces  études  intéressantes  mais 
difficiles.  Aussi  nous  défierons-nous  des  conclusions  ou  pré- 
maturées ou  tranchantes.  D'ailleurs,  nous  l'avouerons  en  toute 
humilité,  la  compétence  nous  manque,  et  nous  ne  pouvons 
qu'enregistrer,  mais  sous  toutes  réserves,  certaines  opinions. 
L'abbé  Brasseur  de  Bourbourg  (1)  qui,  sur  bien  des  points, 
fut  un  devancier  et  un  initiateur,  écrivait  que  «  ce  qui  lui  avait 
semblé  le  plus  étran^,  ,  c'est  que  dans  ces  langues  Katchikele, 
Quichée  et  Zutigile,  les  mots  qui  n'appartiennent  point  au 
Maya  m'ont  tout  l'air  d'être  d'origine  germanique,  saxons, 
danois,  flamands,  anglais  môme  ».  En  effet,  la  liste  dressée  par 
lui  des  mots  Quiches,  que  l'on  peut  comparer  aux  racines  ger- 
maniques, est  très  considérable  :  Elle  comprend  quatre-vingt 
pages  format  in-octavo  (2).  Assurément  ces  analogies  sont 
étranges.  (J rotins  écrivait  il  y  a  deux  siècles  (3)  que  tous  les 
peuples  Américains  en  deçà  de  l'isthme  de  Panama  avaient  une 
origine  Scandinave  ;  certes,  s'il  avait  seulement  soupçonné  que 
la  comparaison   des  dialectes   américains   et  des   langues   de 

(1)  Brasseur  de  Bourbouro,  Noten  ffun  votjagn  dans  VAmérique  cen- 
trale, p.  29. 

(2)  iD.,  Grammaire  de  la  langue  Quichée,  p.  167-246. 

(3)  Grotius  cité  par  Horn,  De  Originibus  Americanis,  p.  162-165. 


I<i 


CHAI'.  \I. 


TKACES  J)l':  LA  rHKSENCE  DES  EL'ROI'EE.NS. 


Ul 


l'Europe  septentrionale  confirmerait  sa  thèse,  il  n'aurait  pas 
manqué  de  citer  de  nombreux  exemples  à  l'appui  de  son  dire. 
Nous  pensons  toutefois  que  les  affirmations  de  G  rotins  sont 
aussi  hasardées  que  les  hypothèses  de  l'ahbé  Brasseur  do 
Bourbourg  nous  semblent  aventureuses.  Sans  doute  quelques 
mots  Quiches  ou  Danois  se  ressemblent  (1),  Il  se  peut  môme  qu'il 
existe  une  similitude  absolue  entre  ces  deux  langues  pour  la 
formation  du  passif  dans  les  verbes,  mais  a-t-on  le  droit  de 
conclure  (2)  «  que  les  langues  du  Mexique  et  de  l'Amérique 
centrale  ont  puisé  les  éléments  dont  elles  se  composent  aux 
mêmes  sources  que  celles  dites  indo-européennes  »  ?  Nous  ne 
le  pensons  pas  ;  nous  croyons  seulement  que  des  Européens,  et 
surtout  des  hommes  du  Nord,  s'établirent  en  Amérique,  et  que 
la  langue  des  nouveaux  venus,  ainsi  qu'il  arrive  d'ordinaire,  se 
combina,  dans  une  proportion  plus  ou  moins  considérable, 
avec  celle  qu'on  parlait  déjà. 

On  a  récemment  prétendu  (3)  que  la  langue  des  Cheyonnes 
était  étroitement  apparentée  avec  la  langue  Suédoise,  et  on  expli- 
(juait  cette  conformité  par  une  communauté  d'origine  :  «  Un 
Suédois  vint,  il  y  a  quelque  temps  d(\j;i,  de  son  pays  natal,  h 
Leavenworth  ;  mais,  comme  il  ne  savait  pas  un  mot  d'anglais, 
et  qu'il  lui  était  impossible  de  se  faire  entendre,  il  ne  réussit 
pas  à  se  procurer  du  travail.  En  désespoir  de  cause,  il  finit  par 
se  rendre  au  fort  Leavenworth,  où  il  s'enrôla  dans  l'armée  régu- 
lière. Un  jour  que  des  Indiens  avaient  été  amenés  prisonniers, 
notre  homme,  en  se  promenant  autour  de  la  prison,  entendit 
ces  gens  converser  entre  eux,  et  constata  avec  surprise  que  leur 
langue  était  semblable  à  la  sienne.  Il  entra  aussitôt  dans  la 
prison,  causa  avec  plusieurs  d'entre  eux  en  se  servant  de  sa 
langue  maternelle,  et  parvint  à  se  faire  entendre  ».  Certes  le 


(r  Bhasselu  de  BoL'itiioriiii,  (irammaire  de  la  langue  Quicluie,  p.  12. 
(2)  le,  p.  11. 

(3    Arlicle  de  M.  Lf.vkm.v^,  (iommuiiiquc  par  M.  Adam  au  Congrès  Aiué- 
ricaniste  de  Nancy,  t.  1,  p.  8. 


412       l'HKMlÈKt:    l'AHTIK.    —    LKS    l'HKCl'RSiaKS    1)K    COLOMIi. 

renseignement  est  curieux,  mais  il  mérite  confirmation,  Aussi 
l)ien  n'est-il  pas  étrange  qu'aucun  des  savants  qui  s'occupent 
de  philologie  Américaine  n'ait  encore  constaté  cette  ressem- 
blance entre  le  Gheyenne  et  le  Suédois,  et  connnent  na-t-on 
pas  encore  {)rofité  de  l'indication  pour  étayer  un  système,  à  tout 
le  moins  plausible,  de  parenté  entre  ces  deux  races?  Ne  serait- 
ce  point  que  l'anecdote  a  été  inventée  de  toutes  pièces  ? 

C'est  avec  la  même  réserve  que  nous  parlerons  des  nom- 
breuses affinités  constatées  par  un  spécialiste,  José  Pérès,  entre 
les  dialectes  américains  et  le  sanscrit  (1).  Pour  ne  citer  que 
quelques  noms  propres  et  seulement  dans  l'Amérique  du  Nord, 
Canada,  en  sanscrit  Kanada,  signifierait  qui  mange  peu  ; 
Arkansas,  en  sanscrit  Arkança,  rayon  de  soleil;  Missouri,  en 
sanscrit  Sourya,  rayon  de  soleil  ;  Niagara,  en  sanscrit  Ni  agaro, 
sans  demeure  ;  Alabama,  en  sanscrit  Alambania,  support  ; 
Mohicans,  en  sanscrit  Mokaka,  qui  trouble  ;  Chactas,  en  sans- 
crit Schatika,  effrayé;  Pawni,  en  sanscrit  Pouna,  perdu,  etc. 
Comment  expliquer  ces  analogies  ?  Seraient-elles  fortuites?  Ne 
faudrait-il  pas  plutôt  les  attribuer  à  un  peuple  u  origine  indo- 
européenne, aux  Northmans  par  exemple  ?  A  vrai  dire,  nous 
avons  grand  peine  à  nous  prononcer.  Nous  ne  pouvons  que 
constater  ces  singularités,  mais  nous  ne  nous  croyons  pas 
autorisé  à  les  expliquer. 

Pour  être  franc,  dans  l'état  actuel  de  la  philologie  américaine, 
si  on  n'avait  d'autres  preuves  des  colonies  précolombiennes  que 
des  preuves  tirées  des  dialectes  locaux,  mieux  vaudrait  renoncer 
à  notre  thèse.  Nous  ne  trouvons  pas  en  effet  que  ces  analogies 
constatées  suffisent  à  démontrer  que  des  Européens  ont  séjourné 
en  Amérique  avant  Colomb.  Le  seul  et  unique  indice,  à  peu 
près  authentique,  de  leurs  émigrations  en  Amérique,  a  été 
tout  récemment  signalé  par  notre  érudit  compatriote,  M.  E. 
Beauvois  (2)  :  11  s'agit  d'une  chanson  que  les  Souriquois,  ou 


(1)  José  Pérès,  Revue  Américaine  (nouvelle  série,  n'-  T»,  p.  307). 

(2)  BEAtvois,  La  Novamùègue  (Gong.  American,  de  Bruxelles,  1880),  p.  20. 


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^AV- 


r.uAl' 


—  THACKS  1)K  LA  l'HKSrvNCI':  DES  EUROI'KENS. 


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indigènes  de  la  nduvelle  Ecosse,  chantaient  à  la  louange  de 
Poutrincourt,  lorsqu'il  les  avait  régalés.  Lescarbot  (1)  qui  nous 
a  conservé  cette  chanson,  ou  pi  ifôt  ce  refrain,  rpir/ico  ïadm 
t'dico,  rapporte  que  les  Sduriquois  avaient  perdu  le  sens  de  ces 
mots.  Ils  se  rappelaient  seulement  qu'ils  appartenaient  à  un 
vieux  langag(!  tombé  en  désuétude.  Voici  du  reste  le  passage 
de  Lescarbot  :  «  Quand  le  sieur  de  Poutrincourt  leur  donnait  à 
<liner,  ils  lui  (.-hantaient  des  chansons  de  louanges,  disant  que 
c'estoit  un  brave  Sagamos  qui  les  avoit  bien  traités,  et  qu'il 
estoi  leur  bon  ami  ;  ce  qu'ils  comprenoieut  fort  mystiquement 
souz  ces  trois  mots*:  epigico  iaion  edico;  \v.  dis  mystiquement, 
car  je  n'ay  jamais  pu  scavoir  la  propre  signification  de  chacun 
d'eux.  Je  croy  que  c'est  du  vieil  langage  de  leurs  pères,  lequel 
n'est  plus  en  usage  » .  Ces  trois  mots  mystérieux  sont  en  effet 
de  l'ancien  norrain,  plus  ou  moins  défiguré,  soit  par  Lescarbot 
qui  le  transcrivait,  soit  par  les  Souriquois  qui  le  prononçaient 
mal.  Il  faut  lire  œfligii  gàiinn  ciingu,  ce  qui  signifie  :  nous 
avons  fait  un  copieux  festin. 

Lescarbot,  auquel  nous  devons  ce  précieux  renseignement 
ajoute,  en  parlant  des  Souriquois  (2)  :  «  Or,  pour  revenir  à  nos 
sauvages  j'açoit  que  par  le  commerce  plusieurs  de  nos  François 
les  entendent,  néantmoins  ils  ont  une  langue  particulière  qui 
est  seulement  à  eux  connue  » .  Plusieurs  mots  de  cette  langue 
ont  été  conservés  par  le  naïf  historien  de  la  Nouvelle-France, 
et  la  plupart  d'entre  eux  trouvent  leur  explication  dans  l'ancien 
Norrain  :  ainsi  le  nom  même  du  pays  (3)  Norombcga  ou  Nor'ini- 
bcga  peut  se  traduire  par  Nordhan  Vika  golfe  des  Norrains, 
ou  Nordhan  bega  anse  des  Norrains,  ou  Nordhan  bijgdh  contrée 
habitée  par  les  Norrains.  Le  mot  Souriké{^)  ou  Souriquois  cor- 

(t)  Lescahbot,  Hiitolre  de  la  Nouvelle  France,  liv.  vi,  §  7,  p  730 
(édition  Tross). 

(2)  Lescarbot,  ouv.  cité,  p.  699. 

(3)  Beaiivois,  ouv.  cité,  p.  31 . 
(i)  lu.,  p.  32. 


ili        l'HKMIÈRK    PARTIR. 


LKS    l'RKCLRSEl'HS    ni:   COLOM» 


respondrait  ù  Sudh,  qui  s'écrit  su  et  se  prononce  sou,  et  /{i/,'r, 
territoire  ou  province.  Marchhn  vu  Souriquois  ressemble  au 
Norvégien  Varjen,  et  à  l'Islandais  Vargrinn,  et  signifie  dans 
les  trois  dialecte  le  loup.  Tabo,  deux,  peut  se  ramener  à  l'Islan- 
dais foau  et  au  Norvégien  7'«o.  Le  père  Biard,  dans  sa  liehi- 
iion  de  la  Aouvellf  Frnncu  (1),  a  également  conservé  quelques 
mots  indigènes,  qui  ne  s'expliquent  que  par  les  langues  du 
nord  de  l'Europe.  «  Lors  messagers  volent  de  toutes  parts, 
écrit-il,  pour  faire  la  plus  générale  assemblée  qu'ils  peuvent  de 
tous  les  confédérés  (ju'ils  appellent  ricmanen  ».  Or,  en  vieux 
Norrain,  le  mot  rickmenni  signifie  les  grands,  les  chefs.  «  Ils 
sont  de  leur  naturel  peureux  et  couards,  ajoute  le  père  Biard  (2), 
quoy  que  ils  ne  cessent  de  se  vanter  et  fassent  leur  possible 
d'ôtre  censez  et  d'avoir  le  nom  de  grand  cœur,  meskai  canic- 
ramon  ».  Or,  en  Islandais  mest7-  liamm  rammadhr  ou  chammram- 
madhr  sigiiilie  doué  d'un  cœur  de  héros.  Maredo  sang,  et  par 
extension  meurtre,  se  ramènerait  h  l'Islandais  mordh  meurtre, 
ou  à  l'irlandai?^  vmrhliadk,  tuerie,  massacre  (3). 

Ces  étymologies  nous  paraissent  sérieuses  :  comme  les  mots 
indigènes  que  nous  avons  expliqués  par  la  vieille  langue  des 
Northmans  se  sont  justement  retrouvés  dans  le  pays  où,  d'après 
la  tradition,  se  seraient  établis  les  Northmans,  c'est-à-dire  dans 
l'ancienne  Norambega,  n'avons-nous  pas  le  droit  de  conclure 
que  ce  sont  les  débris  de  la  langue  parlée  jadis  par  les  colons 
Européens,  et  que,  sans  en  avoir  seulement  conscience,  les 
indigènes  ont  conservée  et  répétée  ?  N'avons  nous  pas  également 
le  droit  d'espérer  qu'on  pourra  grossir  quelque  jour  ce  vocabu- 
laire Souriquois-Northman,  et  par  conséquent  augmenter,  pour 
ceux  qui  douteraient  encore,  les  preuves  du  si\jour  des  Euro- 
péens en  Amérique  avant  Christophe  Colomb  ? 

,l|  PÈRE  BiAiU),  Relation  de  la  Nouvelle  France  (Relation  des  Jésuites 
publiées  sous  les  auspices  du  gouvernement  Canadien,  Québec,  1858),  t.  I, 
p.  il,  12. 

(2,  iD  ,  p.  12. 

[\ij  Id.,  p.  34. 


••■»JrTsii-T!-/,^^l(Hr 


CHAI'.   XI. 


TIIACKS  l»K  LA   l'UKSKXOK  1>KS  KL'HlH'KKNS. 


tl5 


III. 


Lies   TRAUniONS. 


Nous  aborderons  avor  la  plus  grande  réserve  tout  ce  qui  a 
trait  aux  traditions  communes  aux  peuples  Américains  et  Kuro 
péens.  On  sait  en  effet  avec  quelle  facilité  procèdent  les  fabrlca- 
teurs  de  traditions,  et  nous  avons  tous  présents  à  la  mémoire  de 
retentissants  débats  sur  Tautlienticité  de  prétendus  chants 
nationaux,  inventés  de  toute  [tièce.  Nous  n'ignorons  pas,  d'un 
autre  côté,  que  certaines  traditions  font  poar  ainsi  dire  partie 
de  l'héritage  intellectuel  d'une  nation,  et  que,  transmises  à  travers 
les  siècles,  elle  rappellent  jusqu'à  un  certain  point  les  événements 
passés  :  le  départ  est  donc  malaisé  à  établir  entre  un  fait  réel 
et  les  ornements  dont  il  a  été  surchargé.  Les  traditions  Améri- 
caines ont  été,  plus  (ju'en  n'importe  quel  autre  pays,  ou  bien 
oubliées,  ou  bien  re|)roduiles  fort  inexactement.  Lors(|u'on  les 
étudiera  avec  plus  de  soin,  lorsqu'on  cherchera  à  les  recueillir 
d'après  une  méthode  et  des  procédés  vraiment  scientifiques,  il 
se  pourrait  ([ue  d'autres  traditions  ((mlii-masscnt  la  réalité  de 
ces  relations  anti-colombiennes  ;  mais  le  champ  c- 1  iuunensc  ; 
non  seulement  il  n'a  |)as  été  défriché,  mais  encoiv  a  été  à  peine 
entamé  (l).  Ce  travail  ne  peut  être  entrepris  (jue  par  des 
Américanistes  d'origine  Américaine.  A  eux  seuls  iiicond)e  cette 
tâche  difficile,  mais  intéressante  et  probablement  féconde  en 
résultats  inattendus. 

Ainsi  s'expliquent  les  erreurs  étranges  dans  lesquelles  sont 
tombés  certains  érudits,  (|ui,  mal  conseillés  par  l'amour  propre 

(Il  II  est  pourtant  de  notre  devoir  de  sijçiiiilcr  ici  les  louables  efforts  tentés 
par  \e  Journal  of  American  Folk-horc,  jiublié  à  Hostou  et  à  New- York  par 
la  Société  Américaine  du  Kolk-I  orc.  Mentionnons  éjçalcnient  le  curieux 
mémoire  de  H.  Hkckeh,  Die  Wiilsiini/en  und  Zirilliii</s  sni/e  in  America 
(Leipzig,  I8sy)  et  le  très  intéressant  opuscule  de  Sch.nfxi.k.miacii,  Sur  les 
immi(jratio)is  rfiin  ancien  culte  a'>ia>ii/ue  m  Amérique  (Llcrlin,  1889i. 


jvt.-j,..y=-n7f..-Tï»a 


'(Il» 


l'HKMIKHI';    l'AHTIK.    —    Li;>    ,  .(ICIIISKIHS    l»K   CMl.OMI», 


iiiitioiial,  ont  cIkîitIk'  ;i  tlt-iiioritrcr,  <'ii  s'a|i|)ij%aiit  sur  dt;  pn'lcii- 
fliics  traditions,  (|ii('  l'A  rn(''ri(|U(' fut  décou verte  et  iiu'Iik'  colonisée, 
l)i<>ti  avant  la  fin  du  xV  siècle»,  par  divers  |(eu[tlesSe|ttentrionaux  ; 
mais,  (diiiiiM!  I(!S  dfjciitiietits  sur  lesquels  ils  s'a|i|iuient  ne 
présentent  pas  les  earactères  dc'  l'autlienticité,  nous  n<'  pouvons 
(pTeiireiristrer  ici  leurs  opinions.  Ainsi  llorn  ^1.  prétendait  <|ue 
les  Scythes,  poussés  parles  hasards  de  leur  vie  errante,  étaient 
arrivés  sur  l(!S  hords  de  rAtlantitpK;  et  Tavaifitit  franchi  sur 
d'énormes  glaçons  pour  dél>ar(|uer  au  nouveau  continent.  Il 
croyait  retrouver  entre  l<^s  Fenni  décrits  par  Tacite  rians  sa 
(lermanie  et  l(!s  Huns  dillormes  dont.Annnien  Marcellin  nous  a 
transmis  le  Mdeux  portrait  uiu;  grande  ressemhlaiice  avec  les 
HrésilicMii-  (ùliichimétpies  et  autres  peuplades  Américaines. 

Vie  noma  !(!,  amour  (ht  la  chass(!,  p(!aux  de  hétes  pour  vétcanents, 
prati(pie  du  tatouage,  culture  du  maïs,  mille  usag('S  analogu<-s 
se  retrouveraient  chez  les  deux  peuphis  :  la  langue  ménu!  ne 
varierait  pas  (i2).  N'hésitons  pas  à  reconnaîtr»'  que  ces  hy[(othès<'s 
sont  hien  hasardées,  que  ces  rap[»roc,iiements  sont  p(!U  convain- 
cants, ((t,  jusqu'à  nouvel  ordre,  laissons  les  Scythes  d'autrefois 
dans  leurs  solitudes  glacées. 

Les  prétenti<ms  des  (iertnains  à  la  découverte  de  l'Aniéi-ique 
nous  send)l(;nt  égal(;ment  iuadmissihies.  Poussé  par  un  esprit 
de  patriotisuK!  exclusif,  (irotius  ['.i)  s'évertuait  à  |)enser  qu'il 
existe  entre  ses  coni[)atriotss  et  les  Américains  des  ress(;mhlances 
telles  que,  forcément,  l'uru'  et  l'autre  race  devaient  avoir  la  môrne 
origine.  Il  est  vrai  que  certains  usages  se;  retrouvaient  chez  les 
p(;uplades  (îermaiiH!S  et  Américain(!s  :  ainsi  elles  comptaient  le 
.em[)s  non  par  jours  mais  par  nuits  ;  ell(!S  ph^ngeaient  dans  les 

ilj  lIoHN,  I)/;  Orit/iîii/jus  Amnriranis,  p.  t."i3. 

(2)  Id.,  p.  160.  «  Lin^uu  Itrasiliniia  ciiiii  F<!iiiiic.a  rnaKnam  omniiio  corive. 
nicntium  prœ  .se  l'crt.  Narii,  ut  niliil  rlu  co  dicim  (|iio(l  iilraquc  iin(;iia  caret  F, 
il)  est,  iiiiitaiii  cuiii  lii{iiid()  pcr|)etuo  fii(;it,  illiiil  oiiinino  rnemoral)ilu  est  ((iiod 

<;t  Urasiliaiii  et  Fenni  pnnpositiorics  »uas  scmpcr  noininibus  postponunt , 

idqiic  a|iud  ipsos  ac  prmterea  Fcnnos  tantuni  receptum  est  ». 

C-i)  GnoTius,  De  onyinc  ijentium  Americanarurn  (1642). 


CHAI'.  M. 


THACKS  l»K  LA  l'HKSE.NCK  DKS  KUHOI'KK.NS. 


417 


(jU(! 

|)rit 
lii'il 

les 


les 


lonve- 
(|uod 


<';m\  foiinintcH  les  ('iil";iiil.s  iioiiveaiiv-nés  ;  elles  aiiniiietit  le  jeu 
avec  passion,  an  point  de  perdre  la  lilterfé  ;  elles  prati(|iiaient  la 
runnojrarnie  ;  rllrs  eroyaient  à  l'existence  de  l'ànie  ;  niais  (-es 
Hsaffes  sont  ccnx  de  la  pinparl  des  peuples  sanva^'es,  et  ces 
croyances  sont  partaf.'ées  par  heaiiconp  de  penpies.  Or.  si  l'on 
|ii)He  en  princifie  altsolii  ipu!  les  nations,  dont  les  niuMirs  présentent 
(piel(|ne  analo^'ie,  sont  d(!  la  iiiéine  race,  [(onr(|iioi  ne  pas  étaitlir 
par  exemple  <pn'  les  Australiens  et  les  nègres  de  l'Afrifpie  cen- 
trale sont  frères,  parce  (pi'ils  marchent  é^'alement  nus?  On  no 
poin-rait  s'arnHer  dans  ces  assimilations  forcées.  Aussi  hieii  la 
plupart  de  ces  continues  sont  fort  naturelles  ;  si,  par  hasard, 
ipiehpies  particularités  curieuses  se  r<Mic<)ntrent,  ce  n'est  pas 
iHK!  raison  pour  en  conchn-e  lidentité  d<;  ra(;(!S  uhsolumiîiit  dis- 
semlilahles  siu'  l<iiis  les  antres  ra|(|)orls. 

Lai'l,  (pii  relate  cett<;  sillfriilière  hy[»otlièse  de  (îrolins  (I),  la 
réfute  d'autant  |>lns  aisément  (pie  les  arfruinents  du  savant 
Hollandais  sont  [larfois  hien  puérils.  .Virisi  une  trihu  Klori- 
dieniie  se  nomme  les  Alavardi  :  aussitôt  (Irotius,  (pii  se  sou- 
vient des  lian^'ohardi,  avance,  comme  une  preuve  trioin|diant(; 
de  sa  thèse,  (pie  Lan;.'ohar(li  et  .Mavai'di  sont  identi(pi(;s.  Sans 
insister  sur  ce  ra[)prochernent  à  tout  l<;  moins  hasardé,  (irotius 
avait  donc  ouhlié  ([iw  les  Lan}.^diar(li  se  faisaient  remaivpier 
(lar  leur  petit  nomhn;,  /jUiif/n/nirdox  pancitas  tio/jiUhil  (12),  et, 
par  (;(tnsé(pient,  (pi'ils  ne  furent  jamais  ass(îz  nomhreiix  pour 
envoyer  des  c(»lonies  jiis(pren  .\tnéri(pi(\  Donc,  n'hésitctiis  pas 
à  conclure  (pie  ces  jiypotlièses  ru;  sont  rien  moins  (pie  coii- 
vaincaiitits. 

Nous  rangerons  laicore  au  nomhn^  d(!S  singularités  etlinof.'ra- 
|)lii(pies  la  prétendue  ori},'in(!  Krisonru!  (I(!s  .\méricains.  Ilorn 
en  parhî  en  termes  étraiifres  (3)  :   «  On  a  prétendu,  dit-il,  (ju(! 

(\)  Lakt,  Sot.n   ad.  dmin-tnlionnit    fliti/onis  (irotii  i/e  nviijhn'  r/cntinrn 
Amevicfmariwi,  \>.  2".>. 
(2)  Tacite,  Ccymanie,  §11. 
:{)  IloHN,  p.  1i.  l''ii<;mnt  <|iii  hiniaiios  et  Cliiletiscs  a  l'Visiis  deducerent, 

T.  I.  27 


lU 


il8     i'hi:mii";iik  l'Airrii:.  —  lks  i'HKcihskiirs  hk  «'.olomh. 

I<>8  IV'rii vieil-  et  les  (lliiliens  «'taiciit  issus  des  Frisons  ;  rar  mi 
trouvi'  parfois  dans  le  (]\\\\'\  «les  aij^lcs  à  deux  ftHcs  cf  des  croix 
miriiculciiscs.  |)(>  plus,  (lliili  vent  dire  froid  en  Indien.  Enfin, 
Alon/o  d<>  iM'cilla  rapport**  (pie  (îlauca,  lille  d'un  caciqui^ 
tliiilien,  prise  par  les  Espa^Miols,  coinplait  des  Krisoiis  parmi 
ses  aiiriMres  ».  Nous  avouerons  (pie  ces  aiiiilofries  ne  nous 
paraissent  reposer  sur  aucun  foiideiuent  solide,  et  tpie  ces  j^(''- 
ii('alo;;ies  fantasli(pies  rappellent  les  prétentions  suranné'es  de 
tel  ou  tel  parvenu,  (pii  pr(''teii(lrait  ^:relVersoii  nom  nouveau  sur 
le  tronc  d'une  l'ace  anti(pie.  Il  s'est  pourtant  trouve''  d'autres 
('•crivains  p(jur  s(jutenii',  avec  llorii,  cette  |)r(''teiulue  (»ri};in(!  (hîs 
AnK'ricains.  Vax  KUC»,  Pierre  Sull'ridiis  avait  coinpos*'!  un  ou- 
vra^re  sur  les  c(»lonies  des  l'irisons  eu  dehors  de  ladermanie  (1), 
et  il  insistait  siu-  leurs  voyages  en  Ami''ri(pie.  Kn  I7il,  un 
Brèmois,  .1.  JMiilippi;  Cassel,  écrivait  un  traité  (:J)  sur  ce  même 
sujet,  et  fixait  au  xi"  siècle  la  date  de  lu  venue  des  Krisons  en 
Améri(|ue.  Nous  n'avons  pu  nous  procurer  ces  ouvra^jes,  mais 
nous  pensons  (pie  ces  auteurs  aui'oiit  trop  écoule  leur  imagi- 
nation ou  leur  amour  propri!,  et  (pie  c'est  à  d'autres  (pi'auv 
Frisons  (pi'il  faut  attriluier  l'InMineur  de  la  découverte  du 
U(»uveaii  monde. 

Une    curieuse   tradition    rapportée    par  Pro(;ope    seiiiltlerail 

ittrilnier  cet  liouiieiir  aux  Hériiles.   Les  llériiles,  battus  par  les 

Lombards,  au  (piatrième  siècle  de  l'ère  clirétienne,  se  seraient 

dispersés.  Les  uns  s'élai)lireiit   en  lllyri(;  et  se  joif^Miirent  aux 

envahisseurs  di'   l'empire    romain.    Les  autres   franchirent    le 

iiuod  iu  Chili'  passiin  ai|iiila!  bicipilcs,  et  cnix  iiiiraciilis  rii!^;'i;iis,  i|iii)(l  Cliilc 
Irions  iiidis  si;;uiliciit  ;  Cilaucuin  (|iiui|ii(;,  iiridcipis  Cliiliuii.sis  liliaiii,  ait  llis- 
paiiis  caiitain,  SI!  ex  aiitii|iio  l""risoiiis  saii;j;iiiiie  oriumlam  ilixisse  AU'otiso  île 
Ercialla  rel'erl.  » 

(l)S('iritii>i  s  l»Krni  cité  |)ar  Uiiiii)  Ivmmics  (De  oriijinr  iif.t/uu  (intiquildtihus 
Frisorum  contra  Suffreili  Pétri  et  Hurnardi  Furmerii  /(il)ulas  rt  cruniiiii- 
tioncs,  ]).  117,  à  la  suite  île  sa  llnruia  Frisiac tricin  hintoriu,  Leyile,  li)l(i. 

(2)  J.-P.  Casski,,  De  Frisonitni  nm  ii/atiou"  furtuila  in  Aiu'.riatin  s.vcuti) 
XI  /ïicta,  Magdebourjj,  17*il. 


i|Bi»"««WP 


CHAI'.   Xi. 


ÏUACKS  UK  I.A  l'IlKSK.NCI-;  KKS  Kl  HOI'KK.NS. 


ilO 


ici'iiil 
•aient 


aux 


ut 


Il  Cliilf 
lit  llis- 

■iiisii  lie 


pt 


tilill:< 


[inillKi- 


■,lt). 


Isiccui" 


Daiuilu'  SDiis  la  ((iiKliiilc  de  pliisiciirs  clicrs  issus  du  saufr royal, 
travcrsèn-iil  le  |»iiys  des  Slaves  l),  puis  de  vastes  sujifudes,  |»ai- 
viiireiit  jiis(|u'au  Danemark,  ef,  couniie  ils  étaient  résidus  à  ne 
s'arrêter  (|u'au\  extrémités  de  la  terie,  ils  s'eud»ar(|uèrent  siu' 
l'Océan.  ■'  Arrivés  à  Thnlé,  ils  s'y  lixèrent.  Thulé  est  une  ile 
considérahle.  On  ernit  (lu'eMe  est  dix  fois  plus  ;;rande  (pie  la 
Urelaiiiie.  l'illeest  située  liés  luiu  au  ikunI  de  (■clic  dernière  ile. 
Tliulé  est  pres(pie  tout  entière  inlialiitée.  iJans  la  partie  lialiiléc 
on  eiimpte  trr'iite  ti'ihus  très  iinmhreuses,  ^duveniées  chacune 
|»ar  cent  chefs  ".  Dans  cette  ile,  le  soleil  reste  à  Ihorizoïi  ipia- 
rante  jours,  au  solstice  d'été,  puis,  au  snlstic(î  d'hiver,  il  dis- 
parait |iendant  (piarante  autres  jours,  l'mcdpe  ref^rettait  de  ne 
pas  s'être  rendu  conipt(!  |iar  lui-même  de  ce  phénomène,  mais 
il  eu  avait  demandé  la  cause.  Parmi  l(<s  nations  ipii  liahitont 
Thulé,  les  Saithillniens  ont  conservé  des  uklmu's  harliares.  Ils 
lU"  portent  ni  vêtements  lilés,  ni  chaussures,  mais  des  [(eauxde 
bêtes  tuées  à  la  chasse.  F^es  mères  lu'  nourrissent  pas  lems 
enfants  avec  du  lait,  mais  avec,  la  moelle  des  animaux  féroces. 
Ils  ne  c(»nnaissent  ni  le  vin,  ni  les  céréales.  Ouant  aux  autn's 
hahitants  de  Thulé,  ils  ress(Muhlenl  aux  Kuropéens,  mais  ils 
sont  restés  païens  et  iimnoleut  des  victimes  humaines.  Ils  ont 
d'ailleurs  conservé  des  relations  avec  les  llérules  restés  sm-  le 
continent. 

Malfiré  le  |)eu  de  précision  de  cette  dciscription,  il  nous 
semhie  à  première  vue  ({ue  la  Thulé  (h;  Procope  ressemhie  à 
l'Islande  ou  au  (îroenlaïul.  Sa  position  au  nord  de  la  |{retaj;n(.', 
la  permanenco  et  la  disjiarition  du  soleil  aux  deux  s<dstices,  la 

i|)  Procopk,  De  Bdlo  Got/iico,  II,    15  (Uyziinliiio,  p.  !20.')|.   «   'IvyOs'voi  i; 

Ëjjis'.vav.  "l'i'JT'.  ô:  f|  HouAr,  |j.£y;'îT7j  i;  ayav.  lifcTTavia;  yàp  «JTr.v  -A;ov  j; 
fk/a-Xai'^av    Çu|xf!a;v:'.  aivat,    xîÎTat   o:    ajTfj;   zoÀÀo)   ànoOsv  -po;   noff,àv 

ojaa,  Èv  /';>p*  ^r,  Tfj  ot/.0'j[jic'vrj  Tf'!a  x.al  or/.a  ëOvr,  zoX'javOr w;:c!TaTa  topyTat. 
Ha'j'.Àîî;  ti  lia'.  /.xTa  k'Ovo;  éV.aaTov  ». 


ï'ii)      l'UKMlKHK    l'AIITIi:.    —    I.KS    l'UKCrilSKIIIS    llK    COl-OMII. 

riKicssc  (lu  cliiicit  et  l;i  Itarliarif  (rime  parlii'  des  insulaires, 
Idiis  CCS  détails  se  ra|i|»ni'teiil  assez  evacleiiieiit  à  l'Islande  et  an 
(ii'uenland.  (Jnant  à  rénii^M'atiMii  des  lléi-nles,  elle  ne  nons  est, 
il  est  vrai,  attcsti'c  (|n(^  par  le  tenioijinajre  de  Prucope,  mais  (>lle 
ii'ust  pas  iiivraisenildal)l(!.  Il  se  pourrait  dune  (pi'une  peuplade 
(lerniaine  ait  éinijrré  Jus(pie  ilans  ces  réfîiuns  septentrionales, 
et,  de  là,  se  soit  répaiidiu^  sur  le  eontinent  américain,  (le  n'est 
«pinne  tradition,  mais  elle  est  en  partie  coidirmée  pai-  les  tra- 
ditions americaiiH's,  et  sm'toiit  par  un  curi(Mi\  document  iiidi- 
f-ène,  le  Po|»ol  Viili,  ou  livre  sacré  des  (Jnicliés,  traduit  par  le 
savant  et  ref,M'etté  Mrasseur  de  Hourhourj:  (1), 

Il  paraîtrait  cpi'à  une  époque  (pi'il  est  diflicile  de  déterminer, 
mais  (pii  flotte  entre  le  i\"'  et  le  V  siècle,  im  peuple  envahis- 
seur, les  Tolté(pies  ou  Tliuléfé([ues,  sorti  d'un  pays  septen- 
trional nonmié  Tnlan  .  refoula  devant  lui  toutes  les  tribus 
indifiènes ,  détruisit  le  ^'rand  empire  des  (!lliicliiiuè(pics  ,  et 
fonda  une  domination  (pii  devait  durer  juscpi'à  la  création  de 
rem|)ire  a/,té(pie  au  Mexiciue.  Le  Popol  Vuli  est  le  livre  sacré 
do  ces  Tolté(|ues.  Il  raconte  tout  au  lonfï  leurs  diverses  stations, 
leurs  soufFrancos  et  leur  victoire  finale.  TjCs  trihus  (pii  donne- 
ront plus  tard  naissance  au  peuple  Toltéque  viennent  toutes  du 
Nord-Ouest.  Elles  ont  entraîné  dos  peuples  sur  leur  passape, 
ot  arrivent  enfin  au  bord  de  rOcéaii,  après  plusieurs  stations 
((ui  gardèrent  toutes  le  nom  d<î  la  patrie  {>riniitive,  Tulan.  Ces 
tribus  étaient  misérables  ([uand  elles  se  décidèrent  à  s'aventurer 
sur  mer.  <<  C'est   avec    une  profonde  angoisse    et   un  travail 


(1)  Uhasselb  de  BouKBoi.iKi,  Le  Lirrc  sacn;  et  1rs  tni/t/ien  de  tmitù/iiitr 
Mcxkdine  (1861).  Ce  inanusci'it  .Vinériaiiii  fut  dùcouverl,  dans  les  deriiiènïs 
ai  "ées  du  xYll"  siècle,  par  le  dominicain  Francisco  Ximenez,  an  bourj?  de 
Santo  Tomas  Cliicliicastenango,  à  vingt-deux  lieues  au  nord-ouest  de  Guate- 
mala. Il  fut  traduit  par  lui  eu  Es|)agnol.  Le  docteur  Sclierzer  pultlia  cette 
traduction,  ijui  était  restée  inédite,  à  Vienne,  en  1856.  Brasseur  de  Bourl)ourg 
a  donné,  en  1861,  une  traduction  française  avec  un  commentaire  étendu. 
C'était,  vtans  sa  pensée,  le  premier  de  ces  ouvrages  originaux  qui  devaient 
renouveler  i'iiistoire  de  l'Amérique.  I^a  mort  a  Itrisé  ses  espérances. 


CHAI'.  M. 


THACKS  ItK  I.A  l'HKSICNCK  llKS  KI'HiH'KKNS. 


1-21 


lolis 


<('S 


[ircr 
(Vil  il 


Uliiitfi 

i-<;  (le 
luatô- 

ccttt' 
|liour{; 

;nilil. 

aieiil 


|M'>iiili|(<  qu'ils  piissri'ciit,  l'.'ir  ils  n'.ixaic.it  ni  |iaiii.  ni  aliinciils. 
Ils  se  f(inf«'Mtai('iif  de  siiccr  r<'\(ri'iiiitt'  de  ccrfaiiics  rat'iiics  dr 
lM)isil)iu\,(>tuiiisi  ils  s'inia^Miiaiciit  iiiaiig('i'^l).()ii  ne  ('<)iii|)n>ti(l 
|»as  leur  (ravrisôc  sur  la  nier,  car  ils  arri\»"'ri'nt  par  ici,  CMUtiuc  si 
ce  n'eût  pas  clé  siu"  la  mer,  par  dessus  des   ruchers  aniHiicelés, 


couime   riiules 


ca   et 


A   siu'  le   saule 


N'nilà  donc   un  irraiid 


peuple  (pii,  sorti  de  l'Orient,  et  arrivé  sin-  les  Imnls  de  l'Océan, 
mais  dépourvu  de  toute  ressoiu'ce  et  Inné  de  coiitiiuier  sa 
ituu'clie,  s'eiuhanpie  siu'  des  radeaux  ^:n»ssièreuieiit  construits, 
peut-être  luénie  stu"  d'énormes  jilaeons  et  se  lie  an  iiasard  de  la 
mer.  Diuis  un  autre  passage,  plus  signili<atif  encore,  nous 
voyons  les  Toltécpies  l'rancliir  l'tdistacle  ipii  se  présentait  à  eux. 
«  Alors  nous  arrivâmes  sur  le   liord  de  la  mer.  Là  étaient  ras- 


semitlés  tous    les    "luerriers   de 


il  vill 


es  :  nous   en   vîmes 


)érir  un  irraud  iiomhri 


dévor 


es  |»ar  I  angoisse 


II 


n  y  a  piis  de 


(|Uoi  passer,  disaient  les  guerriers,  et  l'on  n'a  jamais  oui  dire 
qu'on  ait  |)assé  par-dessus  la  mer...  Or,  il  y  avait  une  l'orét 
d'arhres  rouges,  de  ceux  dont  nous  avions  pris  des  hâtons  en 
passant  devant  les  arhres  de  Tulan.  .Avec  les  pointes  de  ces 
hois,  on  se  poussa  loin  du  sahie,  au-dedans  de  la  mer...  alors 
se;  manifesta  l'immensité  au-dessus  et  au-dessous.  Lors(pie 
après  cela  ils  rcivirent  le  suhie  au-dedans  de  la  nu'r,  tous  lurent 
remplis  d'allégresse!  »  Il  est  dillicile  de  mieux  raconter  cette 
émigration  de,  tout  un  peuple.  On  assiste  à  ses  conseils.  On 
voit  comment,  dans  son  inexpérience,  il  se  contente  de  hanpies 
dirigées  par  des  rames,  (le  hois  rouge  ne  s(>rait-il  pas  le  sapin 
si  abondant  dans  les  forêts  septentrionales.  Le  [)ays  (jn'ils 
ahandonnent  ne  répondrait-il  pas  au  nord  de  l'Europe  et  l(>  pays 
où  ils  ahord<;nt  aux  terres  arctiques  d'Amérique? 

En  ell'et,  la  terre  dont  les  Toltéques  ont  pris  possession  i^t 
glacée,  sans  arhres,  sans  rayons  solaires  pour  la  réchaull'er. 
Elle  pénètre  d'effroi  les  malheureux  émigrants.  Mientôt  ils  s'en 


(1)  Poi'oi.  Vcii,  p.  2.3:{  (,3m«  pallie,  S  vni. 


A±l       l'UKr-'-HK    l'AUTIK.    —    UCS    l'HKOlIlSlUHS    l)K    C.OLOMIt. 

liisscnt  et  se  (IrMidciif  ;"i  coiitiiiucr  loiir  iiiiirclic,  iiuii  sans  avnir 
iihiUuloiiiK'  leurs  idoles  et  leurs  cliet's  enterrés  sous  des  collines 
artilicielles.  Mais  le  soleil  se  eache  toujours  et  sou  absence  les 
attriste!,  k  Malheur  à  nous,  disent-ils,  c'est  en  vain  (jue  nous 
sommes  arrivés  ici  |)our  voir  le  lever  du  soleil.  Notre  sort  était 
éfral  dans  la  patrie  d'où  nous  avons  été  exilés.  Notre  c(eur 
|)ourru-t-il  se  consoler  en  voyant  nos  Dieux  réduits  à  se  cacher 
dans  les  hois  et  dans  les  fondrières?  Car  ils  sont  jjrands,  Tohil, 
Awilix  et  (lafjaxvitz  :  leur  puissance  (!st  au-dessus  de  la  puis- 
sance des  Dieux  de  tous  les  peuples  et  leurs  prodifïes  se  sont 
hautement  manifestés  dans  ce  voyajre  au  milieu  de  la  nuit,  du 
froid,  et  dans  les  terreurs  qu'ils  ont  inspirées  au  cteur  des 
hommes  ». 

Les  Tolté(pies  coutitment  leur  marche  à  travers  ces  déserts 
de  glace.  Lors(jue  le  soleil  se  montra  de  nouveau,  il  ne  resta 
(|ne  (juehpies  mimites  au-dessus  de  l'iiorizon.  Sa  face  était 
ardente,  ainsi  (pie  nous  le  voyons  parfois  à  travers  les  nuages, 
seud)lahle  à  un  gigantesque  houlet  rouge,  mais  sa  chaleur  ne 
réciiaufl'ait  pas  encore.  <■  Alors  se  manifesta  les(deil,  semhlahle 

à  un  guerrier  (pii  se  lève c'est  ainsi  (ju'il  sécha  la  terre, 

car,  jusepi'au  moment  de  son  apparition,  tout  était  humide  et 
fangeux.  Mais  sa  chaleur  était  faihie,  (>t  il  ne  fit  (pie  se  montrer 
(piand  il  parut.  Il  ne  resta  que  comme  une  image;  dans  un 
miroir,  car,  véritahlement.  ce  ne  peut  '^*'"e  le  même  soleil  (pu 
luit  aujourd'hui  ".  Nous  n'avons  pas  ,  iious  occuper  ici  du 
mérite  littéraire  des  passages  (jue  nous  avi»ns  cités;  remarquons 
pourtant  que  ce  peuple  ([ui,  semhlahle  aux  Juifs  dv  Moïse, 
suhit  tant  de  soulfrances  sans  jamais  perdre  courage,  et  réussit 
enfin  à  force  d'énergie  à  s'arracher  à  ces  efVroyahles  contrées 
et  à  fonder  un  florissant  enq)ire,  mériterait  d'être  un  peu  plus 
connu.  Aussi  ne  ménagerons-nout;  pus  l'expression  de  notre 
reconnaisf-ance  au  traducteur  du  Popol  Vuh,  [tour  nous  avoir 
conservé  un  ouvrage  douhlement  précieux,  à  titre  de  compo- 
sition poétique  et  de  docum»  nt  historiqi''*. 


-r-,-:<r_:i*  ■•"^.r». .  •■,•*' 


CllAT.  XI.  —  TRACES  IH:  LA  l'RKSKNCK  liKS  KrROPKKNS.       i^lt 

|j(;s  T()lt(''(|U('s,  sortis  du  Labrador  ou  des  environs  do  la  i)ait' 
d'iludsoii,  s'avancent  peu  à  [k'u  vers  le  Sud  et,  toujours,  ils 
traînent  à  leur  suite  leurs  divinités  eî  les  installent  avec  solen- 
nité dans  les  nouvelles  Tulan  qu'ils  hAtissent  sur  leur  passage. 
A  force  de  marcher  dans  la  direclinn  du  Sud,  ils  Unissent  par 
se  heurter  contre  un  grand  l'uipire,  celui  des  Cliichiniècpies, 
et  engagent  tout  aussitVtt  une  lutte  terrihle,  (pii  ne  se  terminera 
(jue  par  rassujettissement  des  anciens  possesseurs  du  sol,  vers 
le  neuvième  siècle  de  l'ère  chrétienne.  Les  Ciiichiniè(pies,  de 
même  (pie  les  Uomains  en  Kuro|)e,  avaient  fonde  un  empire 
tout  éclatant  de  gloire  et  de  civilisation;  mais,  avec  le  triomphe 
des  harhares  Toltéques,  cet  éclat  disparut.  A  j»eu  près  au 
moment  où  la  féodalité  rem|/lacait  en  l']urope  les  anciennes 
monarchies,  les  Toltéques  s'enqiarèrent  enlin  de  ces  belles 
régions  du  Sud,  (jui  ont  toujours  exercé  sur  les  honmies  du 
Nord  un  irrésistible  attrait  (l).  Par  une  singulière  concordance, 
ce  qu'on  est  convenu  d'appeler  le  moyen-Age  s'établissait  en 
même  ten.ps  et  par  les  mêmes  causes  dans  l'ancien  comme 
dans  le  Nouveau-Monde. 

Les  Toltéques  descendent-ils  de  ces  Hernies  dont  Procope 
nous  a  raconté  l'émigration,  et  le  Tulan  du  Popol  Vuh  corres- 
pond-il à  la  Thulé  de  l'historien  Ihzantin?  Certes  les  analogies 
sont  grandes  et  la  concordance  du  nom  est  étrange  C^)  :  mais 
une  simple  tradition  et  un  poème  n'ont  pas  l'autorité  d'un  fait 


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(1)  Les  historiens  du  Mexiciue  sont  unanimes  à  reprûsenler  le  nord  de 
rAniérifiuc  connue  le  pays  ori^çinairc  l'es  envahisseurs  Toltéques.  C'est  encore 
du  nord  que  sortent  les  diviuiti's  .Mexicaines,  et  c'est  dans  le  nord  que  les 
héros  nationaux  accomplissent  leurs  exploits.  Voir  Ixtlii.xocuiïi.,  Histoire 
tlcx  Chir/iitnc(iiies  (Collection  T 'ruanx-donipans,  2«  série,  I.  Il  et  lli).  — 
Sahaocn,  Histoire  générale  des  choses  de  la  Nouvelle  Espagne  (Traduction 
Jourdanell.  —  Ci.avic.f.ho,  Slorin  drl  Messico,  iv,  160.  —  Hiiasski:»  de 
BocKBouiui,  Histoire  des  nations  firilisées  de  l'Améririuc  centrale,  etc. 

(2)  Nous  n'avons  pu  nous  procurer  une  carte  lslandai«c  du  xii"  siècle,  citée 
par  Ckahnat  kt  Violi.et  dk  Dec.  {Cités  et  ruines  Américaines),  montrant 
à  l'est  de  l'Islande  un  continent  nommé  Tila,  dans  lequel  il  est  aisé  de  recon- 
naître Tulan. 


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i»i«*iim  <wi  I  rt-^i  iirMhiiwiiiiiiiiiii  ni  m  l'iiii  iTUiiiini    Vifa.ti>Tia «lA^t^tarj^ja:- jrrg jrjrftfÂ:^^^^?^.:^".;^. 


4:24       PREMIÈRE   PARTIE.    —   LES    PRÉCURSEURS   DE  COLOMB. 

dûment  constaté,  et,  jusqu'à  nouvel  ordre,  nous  ne  [touvons 
prendre  aucune  conclusion  formelle. 

Aussi  bien  a-t-on  retrouv»'  les  traces  des  Tolté(|ues  dans  les 
pays  qu'ils  ont  successivement  occupés,  et  a-t-on  pu  détermine;!* 
par  des  preuves  matérielles  leur  communauté  d'origine  avec 
les  llérules?  (1).  llemanjuons  tout  d'abord  que  les  Toltéques, 
ainsi  que  tous  les  peuples  envahisseurs,  devaient  être  en  fort 
petit  nombre  relativement  à  la  nation  qu'ils  atta(|uaient.  Une 
fois  installés  dans  leurs  conquêtes,  ils  se  fondirent  bientôt 
avec  la  population  vaincue,  de  môme  que  les  Francs,  les  W isi- 
goths  et  les  Lombards  disparurent  promptement  au  uiilieu  des 
Gaulois,  des  Espagnols  ou  des  italiens  (2).  On  ne  pt)uvait  donc 
plus  les  reconnaître,  lorsque,  ([uelques  siècles  plus  tard,  les 
Européens  dél)arquèrent  en  Amérique.  Si  pourtant  ces  Tolté- 
ques étaient  vraiment  de  même  race  que  les  Hérules,  la  couleur 
primitive  et  le  type  originel  n'auraient  pas  complètement  disparu 
par  suite  du  croisement  des  races  et  de  l'action  du  climat.  Ur, 
les  premiers  conquérants  remarquèrent  avec  étonneinent  (jue 
dans  le  pays  de  Gibola,  non  loin  du  Texas,  dans  une  des  c(jntrées 
conquises  par  les  Toltéques,  vivaient  des  américains  presque 
blancs,  et  à  cheveux  clairs  (3).  Les  ethnographes  contemporains 
constatent  encore  la  coloration  pAle  des  tribus  de  ce  canton. 
Brasseur  de  Bourbourg  (4),  dont  le  témoignage  est  précieux, 
puisqu'il  a  longtemps  vécu  dans  le  pays  dont  il  [tarie,  affirme 
(jae  les  indigènes  du  Mechoacan  et  du  Yucatan  sont  beaucoup 
plus  blancs  que  leurs  voisins  des  autres  provinces.  11  paraîtrait 
même  que  les  Indiennes  de  Port-Mulgrave  offrent  le  type  blond 
des  laitières  anglaises.   Serait-ce  donc  que  la  race  blanche, 

(1)  SciiOEDEL,  Etudes  sur  Vantiqidté  Américaine  (Revue  Aniéricaino),  \ii, 
174-197,  287-305. 

(2)  De  Quatrekaoes,  Histoire  nature/le  de  l'homme  (2"'>  j)artie,  §  3,  8). 

(3)  Rakn,  Antiquitates  Americanse,p,2T.~  Bonté,  Recherches  sur  l'ori- 
f/ine  de  la  race  Mexicaine  indigène  (^ey\i&  Américaine,  viii,  309). 

(4)  Bhasseuk  i)e  Boukboukg,  Traduction  de  Landa,  Dissertation  sur  tes 
mythes  Américains,  p.  3. 


ttVÏ  .■wttwmJM»t^»*ûmMjtt'^»*>'«**'  ■**»*■*   '^  l'T""   fciri  T  I     irt  in«i.*nli-i 


C.IIAP.   M.  —  THAC.KS  liK  LA  l'HKSK.NCE  1»KS  EUHOl'KK.NS. 


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Ml, 


jadis  r('|(i'('SL'iil(''('  par  ces  Toltéques-lltTulos.   se  serait,   dans 
ccrtaiiios  réffions  américaines,  j)er|»étuée  jusqu'à  iius  jours? 

A-t-on  du  moins  retrouvé  la  trace  dos  émijrrations  successives 
des  Toltèques?  En  général  les  peuples  l)ari)ares,  surtout  cpiand 
ils  sont  disséminés  sur  de  vastes  espaces,  laissent  d'eux  peu  de 
souvenirs.  Pourtant  la  plupart  des  tribus  Indiennes  de  l'Améritpie" 
septentrionale  n'ont  pas  oublié  l'inviision  depeu[iles  blancs  venus 
du  Nord,  .\insi  les  Indien:;  Savannabs  (|ui,  vers  IT.'iO,  émigrèrent 
de  la  Floride  et  de  l'Obio,  racontaient  que  jadis  leur  pays  fut 
occupé  par  des  blancs  qui  se  servaient  d'instruments  de  fer. 
Toutes  les  tribus  Canadieniu's  avaient  des  traditions  analogues. 
On  a  de  plus  observé  que  les  nombreux  tumuli  épars  dans  la 
vallée  de  l'Oliio  recouvraient  des  scjuelettes  (pii  ne  resseiid)lent 
pas  à  ceux  des  Indiens  d'aujourd'bui  (1,  ;  ipie  les  cbemins  cou- 
verts, si  iioud>reux  dans  rAméri(|ue  du  Nord,  pi-éseutent  la 
même  construction  que  dans  l'Europe  occidentale  ;  eidin  ipie  les 
souterrains  bâtis  en  bricpie  et  les  rocbers  couverts  d'inscriptions 
symboliques  rappellent  une  migration  et  une  station  de  peuples 
de  provenance  étrangère,  et,  en  tout  cas,  septentrionale. 

Il  n'est  donc  pas  im|>ossible  que  les  Toltè([ues  dont  personne 
d'ailleurs  ne  conteste  la  réalité,  descendent  des  Hernies  sortis 
jadis  du  nord  de  l'Europe,  et  «pi'ils  aient  fini  par  s'établir  au 
centre  du  nouveau  monde,  à  j)eu  près  au  moment  où  les  Nortli- 
mans  s'installaient  en  Islande  et  au  (îroenland.  Il  nous  faudra 
pourtant  reconnaître  (jue  le  PopolVuh  n'a  pas  encore  l'authenticité 
des  Sagas  Islandaises,  et  c'est  toujours  à  ces  Sagas  qu'il  î.jus 
faudra  recourir  pour  retrouver  avec  certitude  le  souvenir  du 
passage  et  du  séjour  des  Européens  en  Amérique  dès  les 
premières  années  du  XV  siècle. 

C'est  justement   dans   le  pays   décrit  par  les   Sagas,    dans 
l'ancienne  Norambega  (pi'on  a  retrouvé  une  curieuse  tradition. 


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II 


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(1)  C.iiAnxAY,  Cités  et  ruines  Auuirinaines.  —  Cf.  Viom.et  le  DL'c,  .irliclc 
sur  l'oiivragc  de  Cliarnay,  iiiscrû  dans  le  Journal  des  Savants 


I 


\'H\       l'KKMIKHI-:    PAiniK. 


LKS    IMtKCLRSKl'HS    IlK    COUIMIt. 


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(|ui,  l)ie!i  (■crtaincirR'nt,  est d'origino  scîuulinivc.  Voici  cuniiru'iil 
la  rapporto  Cliam[)l;iin  (1)  :  <i  11  y  a  (Mirorc  une  chose  étrange, 
digne  de  réciter,  que  [)lusieurs  sauvages  m'ont  assuré  estre 
vraie.  C'est  (|ue  proche  de  la  l)aye  des  chaleurs,  tirant  au  su, 
est  une  isle  où  faict  résidence  un  monstre  épouvantahie  (pie  les 
'sauvages  appellent  (iougou,  et  m'ont  dict  (piil  avoit  la  forme 
d'une  femmes,  mais  fort  effntyahle  et  d'une  telle  grandeur  (pi'ils 
me  disoient  <|ue  le  hout  des  masts  de  nostre  vaisseau  ne  luy 
fust  pas  venu  jusques  à  la  ceinture,  tant  ils  le  peignent  grand  1 
et  (|ue  souvent  il  a  dévoré  et  dévore  heaucoup  de  sauvages, 
les(piels  il  met  dans  une  grande  poche  quand  il  les  peut  attraper 

et  puis  les  mange Ce  monstre  faict  des  hruits  horrihles 

dedans  ceste  isle,  (pje  les  sauvages  appellent  le  (iougou  ;  et, 
(|uand  ils  en  parlent,  ce  n'est  qu'avec  une  peur  si  estrang(Mpril 
ne  se  peut  dire  plus  et  m'ont  assuré  plusieurs  l'avoir  veu  ». 
Lescarhot  reproduisit  cette  légende  mais  avec  des  commentaires 
si  saugrenus,  et  de  si  lourdes  i»laisanteries  à  l'adresse  de  (îliam- 
|dain  (;2)  que  ce  dernier,  dans  les  éditions  suhséquentes  de  son 
livre,  supprima  le  passage.  Lescarhot  est  pourtant  ohligé  de 
reconnaiti-e  que  les  sauvages  croyaient  à  la  Gougou  (3).  Dans 
son  poème  sur  la  défaite  des  sauvages  amouchiquois  par  le 
Sagîimos  Mend)ertou,  il  fait  encore  allusion  à  cette  croyance  (i). 

De  quoy  tout  effrayé  le  prince  Meiiibertou, 
Il  se  remet  au  Jeu  du  luonstrucux  Gougou. 

fja  légende  est  donc  hien  réelle,  puisqu'elle  est  localisée  et 
adoptée  par  les  indigènes.  Or,  nous  retrouvons  dans  la  super- 
stition des  Northmans  du  moyen  âge  non  pas  seulement  le  nom  à 


(  1 1  De  'ictuvaffes  ou  voi/age  de  Champlain  de  Brounge  fait  en  la  Nouvelle 
France,  l'an  1603,  p.  61-()2.  —  Eclit.  Lavcrdièie,  p.  125-12G.  —  Cette  fal)le  a 
paru  si  étr.  ijçe  à  l'aima  Cayct  qu'il  l'a  reproduite  intégraloiuenl,  niais  .sans 
citer  son  auteur,  dans  sa  Clironolotjie  septennaiie  de  IGU.'J. 

(2)  Lescahbot,  Histoire  de  la  Nouvelle  France,  édition  Tross,  p.  4. 

(3)  ID.,  p.  376. 

(i)  11).,  Les  Muses  de  la  Nouvelle  France,  édition  Tross,  p.  66. 


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■piapiwm»iiiMP«« 


Il  se  peut  qu'on  ait  exagéré  ('(îs  analogies  entre  les  langues, 
ou  les  traditions.  D'ailleurs  la  question  n'est  pas  encore  suffi- 
samment élucidée  :  mais  comment  expli([uer  les  ressemblances 
plus  frappantes  qui  existent  entre  certaines  croyances  et  certaines 
cérémonies  chrétiennes  et  américaines? 

Hien  qu'elle  soit  fort  étrange,  nous  ne  mentionnerons  que 

(1)  B.  (îHORNDAt-,  Folketro  i  Nordeit  (Aniialer  for  Nordisk  Oldkyiidighed  oj; 
Historié,  ISiiS).  —  xN.  M.  Petersen,  A'orr/« A'  Mi/tfiolof/ic  (Copenhiiiçiie,  1841»). 
—  J.  M.ïiiiELE,  Damnarkt  Folkesag7i {CopaxhA-fUti,  1845),  1. 1,  p.  18U;  t.  Il 
p.  37,  38,  3i),  43,  48.  49,  207,  212,  213,  228.  Tous  ces  ouvrages  sont  cités  par 
Heai'vois  (Lp  Noramhrguf,  p.  41). 


I 


CHAI».   \l.  —  THACKS  1)K  LA   l'HÉSK.NCK  KKS  KIHOI'KK.NS.        '|27 

peine  défiguré  de  la  (îongoii,  (iygur  ou  (ija-gur  (l),  mais  jus(|u'à 
son  sexe,  sa  figure  enVoyable,  sa  taille  gigantesque,  sa  résidence 
dans  les  rochers,  les  bruits  ell'royables  dont  ell(>  fait  retentir  les 
échos,  su  voracité,  etc.  N'est-ce  donc  pas  (jue  cette  tradition 
Scandinave  a  été  apportée  par  les  Northmans  en  Améri(pie,  et 
(pie  les  Américains  ont  concentré  dans  un  type  unique  les  traits 
épars  dans  les  traditions  Scandinaves?  N'est-ce  pas  eu  un  mot 
la  preuve  nouvelle  et  décisive  des  rapports  qui  e\ist«M'ent  avant 
(lolomb  entre  l'ancien  et  le  nouveau  monde? 

D'autres  traditions  américaines,  relatives  à  l'arrivée  et  au 
séjour  dans  l'Amérique  centrale  d'bonunes  blancs  veiuis  de 
l'Kst,  étaient  fort  répandues,  quand  débanpièreut  au  nouveau 
monde  les  Espagnols  :  mais  ces  traditions  se  lient  intimement 
avec  la  recherche  des  ressemblances  existant  entre  les  religions 
américaines  et  le  christianisme  :  nous  en  étudierons  tout  à 
l'heure  l'authenticité  :  il  nous  suffira  d'avoir  établi  que  l'étude 
attentive  des  traditions  américaines  doit  être  entreprise  avec 
une  grande  réserve,  mais  que,  sans  doute,  elle  nous  réserve 
plus  d'une  surprise. 


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IV 


LKS    KELK-.IGNS. 


1! 


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i28       l'HEMIKRK    l'AHTIi:. 


LES    PRECURSiaitS    DK    COI.ÙMIt. 


pour  mémoire  la  friidition  relative  à  la  prédication  du  chris- 
tianisme en  Amérique  par  Saint  Tliouuis.  Cet  apôtre  passait 
pour  ne  croire  que  ce  qu'il  voyait  ou  entendait  :  ses  disciples 
n'ont  pas  imité  sa  prudente  réserve,  car  ils  l'ont  fait  voyaf,'er 
dans  tous  les  pays  connus  et  inconnus.  Nous  ne  voulons  pas 
instituer  ici  à  nouveau  une  controverse  sur  un  sujet  irritant  (1), 
qui  ne  peut  être  résolu  ni  dans  un  sens  ni  dans  l'autre,  et  (|ui 
d'ailleurs  ne  prouverait  rien,  puisque,  même  en  admettant 
l'authenticité  de  la  tradition,  il  nous  faudrait  reconnaître  en 
même  temps  que  la  prédication  de  l'apôtre  n'a  laissé  aucune 
trace  en  Amérique.  Qu'il  nous  suffise  de  rappeler  ici  les  passages 
de  l'écrivain  (jui  paraît  avoir  le  plus  sagement,  c'est-à-dire  avec 
le  plus  de  froideur,  résumé  cette  tradition.  «  La  nation  des 
Manaicas  est  fort  superstitieuse,  écrit  le  père  de  Charlevoix  (2). 
Une  ancienne  tradition  porte  que  l'apôtre  Saint  Thomas  a 
prêché  l'Evangile  dans  leur  pays,  ou  y  a  envoyé  quelques-uns 
de  ses  diseiples  :  ce  qui  est  certain,  c'est  qu'à  travers  les  fables 
grossières  et  les  dogmes  monstrueux  dont  leur  religion  est 
composée,  on  y  découvre  bien  des  traces  de  christianisme.  Il 
paraît  surtout,  si  ce  qu'on  dit  est  vrai,  qu'ils  ont  une  légère  idée 
d'un  Dieu  fait  homme  pour  le  salut  du  genre  humain,  car  une 
de  leurs  traditions  est  qu'une  femme  douée  d'une  beauté  parfaiti' 
conçut,  sans  avoir  jamais  habité  avec  un  homme,  un  très  bel 
enfant  qui,  parvenu  à  l'âge  viril,  opéra  bien  des  prodiges, 
ressuscita  les  morts,  fit  marcher  les  boiteux,  rendit  la  vue  aux 
aveugles,  et,  ayant  un  jour  rassemblé  un  grand  peuple,  s'éleva 
dans  les  airs,  transformé  dans  ce  soleil  qui  nous  éclaire  ». 
Charlevoix  avance  encore,  mais  sous  toute  réserve,  que  ces 
sauvages  croient  à  une  sorte  de  Trinité,  dont  le  père  se  nomme 


(1)  Congrus  Ainéricanisles  de  Luxembourg  et  de  Copentiague.  Longues  et 
stériles  discussions  à  ce  sujet  entre  divers  savants  que  nous  ne  voulons  pas 
citer,  car  c'est  la  seule  et  unique  fois  que  fut  troublée  la  bonne  liarmonic 
entre  les  membres  de  ces  intéressants  et  très  importants  congrès. 

(2)  Chaulkvoix,  Histoire  du  Paraguay,  II,  274. 


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r.iiAl'.  \"i. 


THACKS  ItK  LA   l'nKSKNC.lC  DKS  KlHorKIC.NS. 


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<)ni('(jii<itiun(|ui,  le  jils  Urasiiiia  et  le  Saint  Esprit  L'rapo.  N'a-t-il 
pas  rais(jn  dt;  so  inonfrcr  sceptique,  et  n'est-il  pas  fort  prohahle 
(pie  ces  pieuses  léfieiides  ont  été  inventées  par  des  missionnaires 
désireux  de  se  faire  valoir? 

Ces  missionnaires  n(^  sont  pas  des  inconnus.  (Iharlevoix 
raconte  encore  (1)  que,  en  lOOM,  lorsque  les  [(ères  Cafaldino  et 
Mocefa  s"enf(Jiicérent  dans  les  solitudes  américaines  j)our  tenter 
la  conversion  des  (iuaranis,  u  le  cacique  Maracana  et  (juelques 
autres  des  princi|>aux  (iuaranis  les  assurèrent  (pi'ils  rivaient 
appris  de  leurs  ancêtres  (prun  savant  lionuni',  nommé  Pay 
Zuma,  ou  Pay  Tuma,  avoit  |)ré(lié  dans  leur  pays  la  foi  du  ciel  ; 
(|ue  plusieurs  s'étoient  raiifîés  sous  sa  conduite,  et  qu'il  leur 
avoit  prédit  en  les  quittant  (pi'eux  et  leurs  descendants  ahan- 
donneroient  le  culte  du  vrai  Dieu  qu'il  leur  avoit  fait  connoiti-e  ; 
mais  qu'après  plusieurs  siècles  de  nouveaux  envolés  de  ce  mémo 
Dieu  viendroient  armés  d'une  croix  semhialde  à  celle  (|u'il  portoit, 
et  rétabliroient  parmi  leurs  desc(;ndants  ce  même  culte.  Quelques 
armées  après,  les  pères  de  Montoya  et  Mendo/a  aïant  pénétré 
dans  le  canton  de  Taïati,  les  Indiens  (|u'ils  y  trouvèrent  les 
voiant  venir  avec  une  croix  à  la  main,  les  reçurent  avec  de 
^'randes  démonstrations  de  joie  (pii  les  surprirent  beaucoup,  et, 
(îomme  ceux-ci  s'aperçurent  de  leur  étonnement,  ils  leur 
racontèrent  les  mêmes  choses  que  Maraoana  avait  dites  aux 
pères  Cataldino  et  Moceta.  Ils  apprirent  que  le  saint  homme 
était  aussi  nommé  Pay  Abara,  c'est-à-dire  le  Père  (jui  vit  dans 
le  célibat.  Au  reste  la  tradition  des  Brasiliens  est  conforme 
à  celle  des  Guaranis,  et  elle  porte  encore  que  l'apôtre  prit  terre 
<ui  |(ort  des  saints,  vis-à-vis  de  la  barre  de  Saint  Vincent,  et 
<(u'il  apprit  aux  habitants  à  cultiver  le  manioc  et  à  faire  la 
cassave  » . 

De  ce  Pay  Zuma,  ou  Tuma,  ou  Abara,  on  a  prétendu  faire 
^aint  Thomas  (2).  Nous  croirions  plus  volontiers  qu'aux  premiers 


•il 


'ii 


>^1H 


lionic 


|I)  CiiAni,KVOix,  Histoire  du  Pan 


raguinj,  I,  p.  312. 
(2)  Voir  le  très  curieux  livre  de  G.  Gabci.v,  Historia  ecclesiastica  y  seglar 


VM) 


l'HKMlKHK    l'AnTlIC.    —    I.KS    l'HKCrHSKlKS   W.   COI.OM». 


timw 


jours  (le  lii  (((IkiikHc  du  scizii'iiu*  sirclr'.  iiu  |»nHr»'  csimi,'!!!)! 
!i  cssayr  (l'('>vauf,'('liser  ces  |)eu|ila(l(.'s  iimi'ricaiiu's,  y  a  ivnssi  eu 
partie,  et  (juc  son  souv(>iiir  s'est  [)er|tétué.  Seuleiiieiil.  ((tinuic 
lu  clironol()j,^ie  n'existe  |»as  clie/  les  in(li},'ènes,  ils  ont  eoiit'ondu 
les  années  et  les  siècles  et  reporté  à  une  date  fahideuse  des 
événements  relativement  modernes.  Il  est  plus  vraisendtlahie 
encore  (|ue  ces  léjrendes  n'ont  été  trouvées  que  par  ceux  (pii 
avaient  intérêt  à  les  trouver.  Valdemar  Sclmiidt  raconte  (|uel(pie 
part  (I)  (pie  les  Ksfpiimaux  n'ont  aucune  tradition,  mais  (|u'ils 
cèdent  facilement  iuix  obsessions  des  Kuropéens  (|ui  veulent 
à  tout  prix,  et  partout,  retrouver  leurs  propres  traditions.  Ue 
même  les  missionnaires  Kspa^'nols,  (|ui  s'adressaient  à  des 
néophytes  ne  cherchant  ((u'à  leur  plaire,  leur  ont  fait  répéter 
des  récits  ([u'ils  leur  inspiraient  en  grande  partie,  et,  repnjtluc- 
leurs  inconscients  de  li'urs  [tropres  inventions,  ont  fini  par 
croire  à  la  l'éalité  de  légendes  dont  ils  étaient  les  imiques  auteurs. 
Sans  remonter  aux  siècles  lointains  où  Saint  Thomas  était 
censé  répandre  en  Américpie  la  honne  nouvelle,  nous  examinerons 
avec  la  même  réserve  diverses  traditi<ins  (|ui  nous  ramènent  à  des 
épo(pies  beaucoup  plus  ra[tprochées.  Un  érudit  dont  la  science 
est  aussi  étendue  (pie  la  perspicacité  singulière,  et  (pii  a  su 
déhrouiller  la  confusion  des  vieilles  mytiiologies,  M.  lieauvois  {'!■ 
a  prétendu  (|ue  les  Papae  Irlandais,  ilont  n(»us  avons  raconté 
plus  haut  les  curieuses  [)érégrinations,  avaient  |)énétré  jusque 
dans  r.\méri(pie  Centrale,  et  y  avaient  [irêché  le  christianisme. 
IJaprès  lui  (Juetzalcohuatl  (li),  le  réformateur  mexicain  dont  les 


lie  1(1  Yndid  Oriental  ij  Occidental,  y  predicadon  del  Sancto  Evan/jelii, 
on  clin  pov  los  Ajioxtolos,  lti.6.  I.e  luit  de  l'auteur  est  de  eiierclicr  si 
"  piissii  la  V(i  à  las  Iiidias  occidentales,  antes  que  los  Esjtaiioles  las  descu- 
Ittieseii,  auncpie  lo  mas  que  tiata  es  do  las  Orientales  »,  et  ses  conclusioiis 
sont  (|iic  l(s  Apôtres  ont  prècliii  l'Evangile  au.x  Indes. 

(Ij  Valdemau  Scn.MiDT,  Congrès  A  iniiricaniste  de  Luxemiotuy,  t.  il, p. 341. 

[t]  Beauvois,  liel'ilions  précolombiennes  des  Oaels  avec  te  Merii/io' 
(ConjçrcjsAuiC'ricanisle  de  Copenhague). 

(3j   Sauaisl'.Nj  Histoire  de  la  Nouvelle  Espagne  (traduction  Jourdaneli, 


m 


r.HAI'.  M     —  THACKS  W.  LA  l'HKSKNCK  ItKS  KL'HOl'KKNS. 


:(i 


liistoriciis  iiiitiuiiiiiix  nul  (('h'-hri'  les  vertus,  ii'csl  initrc  (iniiii 
IVipji  Irliiiidiiis.  Il  \ciiiiit  de  l'est,  e'est-à-dii'c  de  riùirn|ie,  et 
y  relniiniii.  Oest  lui  (|iii  iiisliliiii  le  jerine,  les  inaferations,  les 


".1] 


ttii'liires  voldiilitires.  Il  sacriliait  des  railles,  de 


i.iid 


du 


^iltiei'.  et  avait  liori'eiir  des  liécatoinlies  liiiiiiaiiis.  Ainsi  (|ii(>  les 
disciples  de  Saint  (luliiinha,  il  se  montrait  en  rolie  de  coton 
Idanc,  étroite  et  longue,  et  portait  par  dessus  cette  rtdte  une 
niante  parsemée  de  croix  colorié(;s  ,1).  Voici  conuiient  un  des 
historiens  les  plus  dignes  de  loi  du  ^levicpie,  un  des  prcsmiors 
professeurs  de  l'Université  de  Mexico,  où  il  mourut  en  l.'JSl),  le 
père  Duraii,  pai'le  de  nuet/alcoliuatl  (:J'i  :  "  (Iraud  est  le  souvenir 
(|ue  l'on  garde  de  lui.  .le  l'ai  vu  peint  comme  je  vais  le  tiécrinî 
ci-après,  sur  un  vieil  et  antiipie  papier,  d;ins  la  ville  de  Mexico. 
Son  aspect  véiu-ralde  montrait  ([ue  c'était  un  liouuue  d'âge,  avec 
une  l>ari)e  longue,  couleur  roux  clair,  le  nez  un  peu  long,  tuniélié 
ou  un  peu  charnu,  haut  de  cor|)s,  la  chevelure  longue  et  très 
lisse,  le  maintien  plein  de  gravité  II  était  toujours  enlermé  dans 
une  cellule  et  en  prières,  et  se  montrait  rarement.  Il  vivait  dans 
l'ahstinence,  le  jeûne,  la  chasteté,  la  |)enitence.  Son  occu|)ation 
était  d'élever  des  autels  et  des  oratoires  dans  tous  les  ipiurtiers, 
de  placer  des  images  dans  les  nnu's  au-des-iis  des  autels,  de  se 
prosterner  devant  elles  et  de  les  vénérer,  tantôt  en  haisant  la 
terre,  tauti'it  en  les  touchant  avec  la  main.  Il  était  sans  cesse  en 
oraison,  dormait  toujours  au  hord  de  l'autel  qu'il  édifiait  et 
couchait  sur  la  dure.   Il   réunissait  aussi  des  disciples  et  leur 


p.  20!),  217,  G.j'J.  —  Tk/o/ohoc,  Hisfuin-  itu  Mexiijun  (Cdiieclioii  Tenuiux- 
Coiii|iaiis,  II,  ]).  227,  2;t7,  24:').  —  .Mkmhkia, //is/oriV/ ec(7rs(V(.s7/Vv/  Intlianay 
t'ditidii  li';izl)iilcet;i  (IN70),  p.  80. 

(1)  GOMAitA,  ouv.  cilé  (édition  Vediai,  p.  ItlU-S.  —  Toiiqckmada,  Montir- 
ijuia  lyuHdwi,  t.  Il,  p.  55. 

("1)  DiitAN  llutoiir  anciennr  de  la  .\ouuelle  Kspaynr,  ti"  partii,',  |^  I 
(ûditiuii  Kiiii;sboruu^lii.  Il  lui  doniu;  U;  nom  du  Topiltxin,  iiiiiis  iinus  savons 
par  lu  tùmoi;;nap;o  do  Juan  de  Tobar  [IlisUiiro  du  Mcxà/uv,  cilùt;  par  Ueauvois, 
p.  \}i\,  qu'  I'  ou  lui  donnait  trois  noms  appliipiés  à  dos  Dieux,  ol  l'orl  ostiniôs  : 
lu  promior  était  Topiitzin,  le  second  Quulzalcoliuatl,  ut  lo   Iroisioniu  Papa  ». 


V,\'l      l'IlKMlKUK   l'Ainii:. 


Li;s  l'UKci  iisi:rns  ni;  colomh. 


m. 


ciisciffiiait  à  prier  i>t  .'i  pnV^licr On  dit  (ju'il  était  orif^iiiiiirc 

(les  pays  (''traii|;i'rs.  On  sait  avec  ccrlitiitlc  (pic,  après  lUrc  arrive 
(ijnis  ce  pays  et  avoir  coMMiiencé  à  réunir  des  disciples,  et  à  édilier 
des  éjj;lises  et  des  autels,  lui  et  ses  disciples  allèrent  prêcher  dans 
les  lieux  liahités.  Voyant  la  {grossièreté  et  la  dureté  de  ces  ('(j'urs 
terrestres,  ils  (piittèrent  la  contrée  et  retournèrent  au  pays  d'où 
ils  éfiiienl  venus  ... 

Il  est  certain  (pie,  pour  un  lecteur  non  prévenu,  cclt(Mitation 
pourrait  s'ap|»li(|uer  à  la  vie  de  tel  ou  tel  saint  chrétien,  et  par 
consé(|U(Mit  (|ue  ringénieuse  théorie  de  M.  Beauvois  semble  à 
ti»ut  le  moins  vraisend)lal)le.  La  plu[)art  des  historiens  contem- 
porains de  Diu'an  conlirmeiit  l'exactitude  de  ses  renseiî,'nemeiits. 
Ainsi,  l'auteur  anonyme  (1)  de  /titos  Aiilif/iios  de  la  yucra  /i'.s- 
paiia  écrit,   en    parlant   de   Qucîtzalcidiuatl,   que    d  c'était  un 
iionune  honnête  et  modéré,  (jui  mit  en  usage  la  j)éjiitence,  le 
Jeûne,  les  niortilications.  (l'est  lui  qui  commença  à  prêcher  la 
loi  naturelle  et  i\  enseigner  le  jeûne  par  son  exemple  et  ses 
paroles.  11  n'était  pas  marié,  ne  connut  i)as  de  femmes,  et  vécut 
honnêtement   et   chastement.    On    dit   qu'il    fut  le  premier  à 
sacrilier  le  sang  (|u'il  se  tirait  des  oreilles  et  de  la  langue,  non 
p(jur  servir  le  démon,  mais  par  pénitence  ».  Las  Casas  (i)  avait 
d(''jà  parlé  de  QuetzalcohuatI  <<  comme  d'un  hornme  l)lan(%   à 
harhe  touffue,  qui  interdit  les  sacrifices  humains,  enseigna  la 
vertu,  et  aimonça  en  s'en  retournant  (jue  ses  frères,  blancs  et 
harhus,  viendraient  un  jour  de  l'est  pour  gouverner  leMexique». 
Un  moine  chrétien  n'aurait  pas  autrement  agi,  et  il  n'est  pas 
impossible  qu'un  moine  chrétien  soit  en  effet  arrivé  jusque 
dans  lAmérique  centrale,  et  y  ait  prêché  le  Christianisme. 


■VI 


(!)  PiuEUR  DR  Santa  Maria  de  i.a  ('oncki-tion  de  Teozocan,  Hitos  anti- 
t/Hos,  sacrificios  é  idolatrias  de  los  Indios  de  la  Ntieva  Espana  (Kiiigsbo- 
rough,  t.  IX,  p.  9). 

(2)  I^AS  Casas,  Apologetica  historia,  %  122  du  tome  V  de  la  flistoria  de 
ias  Indiaa.  —  Cf.  IxrLiLXOCiiiri.,  Histoire  des  Chichiméques  (coUeclion 
Ternaux-Gonipiuis),  t.  I,  p.  5-G. 


1^ 

m 


:y 


;t  pas 
iisque 


anti- 
liigsbo- 


iria  de 
llcclion 


CIIAI'.  M. 


THACKS  l»K  LA  i'IlKSKNCK  DKS  K IHOI'KK.NS. 


\\Y.\ 


(Juc'l  <''t;iil  ic  iiiuiiK',  et  à  (lucllc  ('idwiiic  a-t-il  ('ssay(''  de  coii- 
vcrfir  les  Aiiu'ricaitis,  c'est  ici  (|U('  iinfi'c  iiifiriiiciix  rompalriot»' 
nmis  parait  trop  ariiriiiatif'.  Ilicii  ne  pruiiNc  en  ('(l'ct  (pic  (Jucf- 
/alcnliiiall  ait  ctc  Irlandais,  cl  mi  cniiiiait  si  mal  la  date  de  sa 
prfMlicatinii  (pic  certains  (''riidits  ont  crn  rcironvcr  en  Ini  un 
IMM'nicicii  nu  lin  .Inif.  Nous  pensons,  pour  notre  part,  cpic  ce 
lut  lin  clin'ticn,  et  (pi'il  vivait  à  une  (''po(pic  relativement  mo- 
derne. liC  l'i'i'c  Diiran  raconte,  en  elVet.  ipie  nnet/alc<diiiatl,  en 
passant  par  Aciiitnco,  avait  laissé  aux  Indiens  un  ^mmikI  livre 
dont  (pie!(pies  lettres  avaient  jusipi'à  (piatre  d(»ints  de  liautenr. 
sans  doute  ipichpie  manuscrit  orm''  de  majuscules  enlnmiiH'es 
comme  on  composaient  an  inoyen-;\^e  justement  les  moines  de 
Saint-Ciolomlta.  Le  Pi're  Diiran  aurait  l»ien  voulu  se  procurer 
ce  manuscrit,  mais  les  Indiens  venaient  de  le  brûler  (I).  <<  J'en 
fus  peiiK',  ajoutc-t-il,  et  je  blâmai  Tort  ceux  ipii  l'avaient  fait 
brûler  ;  peut-être  nous  aurait-il  donne''  satisfaction  sur  un  fait 
dont  je  nie  doutais  :  (pie  ce  pouvait  être  le  Saint  Evanj^^ile  en 
Ian}J:ue  InMiraïque  ».  Si  donc  ce  pivcieux  manuscrit  avait  éti' 
conserv(''  jiisipi'au  seizième  si(''cle,  c'est  sans  doute  (pie  les 
Indiens  ne  l'avaient  en  leur  possession  (pie  depuis  peu.  Ils 
avaient  é^^aleinont  conserve'',  ou  prt'teiidaieiit  avoir  conservé  la 
crosse  é|)iscopalc,  la  mitre  et  les  sandales  des  disciples  de 
Quetzalcoliuatl.  Ils  les  donnèrent  à  Cortès,  (ju'ils  prenaient 
pour  son  descendant.  <<  Un  de  nos  soldats  portiiit  un  casque  à 
demi  doré,  lisons-nous  dans  les  }fi''ino'nrs  de  Hernal  Uiaz  (:2)  ; 
Tedintle  ((;aci(|ue  de  Cotastlan)  vit  le  cas([ue  et  dit  qu'il  res- 
semblait à  d'autres  qui  sont  en  leur  pouvoir  et  que  leurs  an- 
cijtres  leur  avaient  transmis  comme  un  monument  des  races 
dont  ils  étaient  descendus.  Ils  en  ornaient  la  tête  de  leur  di- 
vinité Huicbilobos,  idole  de  la  f^uerre.  Leur  seigneur  Monte- 

(1)  DuRAX,  2»  partie,  §  I. 

(i)  Behxal  Uiaz,  Conquête  de  la  Xouvclle  Ei^pugne  (traduction  Jourdanct), 
p.  87-88.  -  -  Cl".  Sahagc.n,  Histoire  des  choses  de  la  Nouvelle  Espagw 
Ôrad.  Jourdanct),  p.  799-800. 

T.  I.  28 


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140 


X 


A'^^       l'HEMlKRE    l'AHTlK. 


LES   l'HECLHSElRS   I»E   COLOMII. 


zuniu  serait  n'rtaiiieiiu'iit  lieuroiix  di*  le  voir...  Kn  le  voyant, 
Montezuina  fut  saisi  (i'admiratidn  et  (■••nciit  une  î^i-aiide  joie. 
Lorsque  il  compara  le  (-asciue  avec  celui  (|ui  coill'ait  sou  Hui- 
cliilithos,  il  eut  la  certitude  que  nous  ap|»arteni(»iis  à  la  race  de 
ces  lioinnies,  dont  l<'urs  aïeux  avaient  dit  (|u*ils  viendraient 
commander  dans  ces  contrées  ». 

Ces  ressemblances  peuvent  nVtro  (|u'acci(lentelles,  et  il  serai! 
prescpu^  puéril  de  cducliu'e  à  rindentitication  de  (Juetzalcoliualt 
et  d'un  Papa  Islandais  parceque  (jnelques  ornements  s'étaient 
conservés  au  Mexiqu(;  qui  rap|»elaient  les  ttrnements  sacrés  des 
prêtres  chrétiens  :  ce  (|ui  est  beaucoup  plus  sijïuilicatif,  c'est  la 
|)erpétuité  de  certaines  coutumes,  de  certains  rites,  au\(piels  il 
est  difficile  de  ne  |>as  attribuer  une  orifiine  clirétieime,  et  dont 
les  introducteiu's,  d"a[)rès  une  constante  tradition,  furent  des 
étranf.'ers  venus  de  l'est.  .\  Palencpié,  chez  les  T/endales, 
deux  prêtres  |)ontiiient  devant  une  croix ,  dont  l'orifrine 
chrétienne  est  indiquée  par  le  poisson,  placé  à  la  base.  On  sait 
en  elfet  que  le  mot  (irec  î/Oj;  est  l'anagranmi'"  des  noms 
et  (pialités  du  (christ  (1).  Non  loin  de  là,  sur  un  linteau  de 
porte,  à  la  villa  Lorillard,  deux  persoimafies  debi>ut  se  [trésentenl 
nmluellement  une  croix.  N'est-il  pas  évident  (|ue  ces  prêtres 
infidèles  sont  des  adorateurs  de  l'endiléme  du  christianisme,  la 
seule  religion  où  la  croix  soit  l'objet  d'un  culte  et  non  |ias  une 
anudette,  ou  un  ornement  banal?  Aussi  bien  ce  (pion  retrouve 
en  Amérique  ce  n'est  pas  seidement  la  croix  formée  par  l'entre- 
croisement de  deux  liffues  droiti's,  symbole  (pie  l'on  signale  dans 
bien  des  religions,  mais  la  croix  avec  un  personnage  crucifié, 
symbole  ipii  n'appartient  (pi'au  christianisme.  Las  Casas  rup- 
|)orte  qu'une  croix  haute  de  dix  palmes,  emiroii  "i  mètres  TiO 
centimètres,  faite  d-^  ciment  et  de  pierre  se  trouvait  dans  un 
temple  très  fré(pienté  de  l'île  le  (^>zumel  ["1).  Un  des  compagnons 


(1  )  MoRTii.i.KT,  Le  siV/Hf  t/a  la  Croix  nrnnt  le  Christianisme:. 
(2;  Las  Casas,  Hisforia  do  las  Inr/itr^,  t.  v.  ,?   433. 


^'**44» 


CHAI'.  M. 


TRACKS  ItK  LA  l'HKSK.VCK  l»KS  KlMUl'KlvNS. 


135 


voviint, 
(le  joie. 
i>ii  llui- 

race  de 
udra'u'iif 

il  serait 
llcoliuiilt 
s'étuiciit 
icrés  cU's 
',  c'est  la 
A(iuels  il 
,  et  dont 
irent  des 
leiidales, 
r(»nt.'ine 
,  On  sait 
es   noms 
liteau  .le 
résenlent 
s  prêtres 
isiiie,  la 
pas  une 
retrouve 
[■(Mitni- 
ale  dans 
cnu'itié, 
isas  rap- 
iiètrcs  50 
dans  un 
pafinons 


«le  (iitrtes,  André  de  Tapia ,  dit  (preiie  avait  la  taille  d"un 
iionnne^l).  tlette  criiiv  l'ut  plus  lard  tnuisportee  à  Mérida  ,.ins 
le  couvent  des  Franciscains.  «<  Au  inilieii  de  la  cour  l"Mrmée  par 
le  cloître  de  notre  couvent  de  la  ville  de  Mérida,  écrit  en  lt»S8 
riiistoirieii  du  Yucatan,  Cof^'olludo  {"l),  est  une  eroiv  de  [)ierre 
«reiiviroii  une  verjre  de  Iiauteiir,  et  dttnt  cliacini  des  quatre 
côtés  est  dun  sixième  de  verge.  On  a  dit  i|u'elle  a  été  brisée 
dans  le  sens  longitudinal  et  ({u'il  en  inainpie  un  morceau.  La 
figure  d'un  saint  crucifix,  (renviroii  une  demi-verge  de  hauteur, 
est  en  deini-relief  sur  la  UK'ine  pierre  ».  Après  la  destruction 
de  ce  couvent,  la  croix  fut  retirée  ilu  miiiiMi  des  ruines  |)ar  un 
inoine  (|ui  rapporta  le  fait  au  voyageur  Stepliens  (3).  Ce  dernier 
fixa  aussitôt  cette  vénérable  reli«|ue  dans  le  mur  du  premier 
autel  de  gauche  dans  l'Eglise  de  la  Mcjorada.  C'est  une  pierre 
d'aspect  antique  sur  la(|uelle  est  attaché,  pieds  et  mains  cloués, 
un  christ  de  ciment,  en  demi-relief. 

Aussi  bien  le  Christ  de  Mérida  n'est  pas  le  seul  dont  on  ait 
constaté  l'existence  avant  la  conquête  espagnole.  D'  ,)rès  Pierre 
Martyr  les  premiers  Européens  qui  débarquèrent  au  Yucatan 
N  irent  beaucoup  de  croix  (i).  Us  demandèrent  aux  indigènes  d'où 
leur  venaient  ces  croix,  et  on  leur  répondit  qu'ils  vénéraient  cet 
instrument  parce  qu'un  homme  y  était  mort  autrefois,  plus 
brilliuit  «|ue  le  soleil.  Le  Père  Uuran  (5)  raconte  qu'un  Espagnol 


(1)  lCA/itAi.<;ETA,  Documentoa  pnra  la  historia  de  Mexico  (1861),  p.  555  : 
«  Uiia  eriiz  tic  cal  de  altor  de  cstado  y  iiiedio  ». 

(2)  Cocni.LL'DO,  Histoire  du  Yucatan,  p.  201.  "  Tinnes  ucado  de  mcdio  rclieve 
cil  la  inisina  pieiira  iiiia  figura  de  un  santo  rrucilijo,  cnniu  de  média  vaia  de 
lai'i^o  ». 

(!lj  Stki'IIk.ns,  htcidentx  of  travel  in  Yiuathdn  (1843,  p.  .'HS  «  Il  is  ol' 
stoiie,  lias  a  veneiahle  appearancc  of  antiquity,  and  lias  extcndcd  on  it  in  lialf 
relief  an  iinajçe  nf  the  Saviour,  inade  of  plastes,  willi  tlie  liands  and  fcet 
nailcd  ». 

(l  PiKiinE  Mahtvh,  De.  orbe  noio,  Dec.  iv,  f.  290  (édit.  1587).  «  Cruccs 
viderunl.  Lnde  id  liabcant  interrogali  per  interprètes  dicuntobiissc  lucidinrcm 
sole  lioniineni  quemdam  in  co  opiflcio  ». 

(5)  1)1  HAN,  Historia  de  las  Indias  de  Nueva  Espana  (Edition  Kingsbo- 


VM\     l'HEMiKiu:  i'ahtik.  —  li;s  l'iiKcrusEins  i>i:  (.olomii. 


;i. 


|iassaiit  par  la  Za|)otc'<|(i(.>  découvrit  dans  un  ravin  un  <-rucili\ 
taille"'.  A  Topif,  dans  r«''tat  de  Talisco,  un  rruc.ilix  était  sculpti"' 
sur  une  par(»i  de  rucher.  Torqueuiada  parle  d'un  vieux  manuscrit, 
écrit  sur  deux  colonnes,  conservé  chez  les  Utouiis,  et  où  t'tiiit 
i'e|)résenté  le  (Uirist  crucifié.  Il  parait  mênie  (|u'on  a  tn»uvé  à 
Palen<iué  un  moule  à  faire  ces  crucifix  de  terre  cuite  i,  l),  eu 
forme  de  T,  c<»uune  il  y  eu  avait  eu  Hurope  au  moyeu  âge,  uo- 
tauuuent  dans  les  pays  (iaëlitpies.  Enfin  voici  comuKuit  Sahagun, 
témoin  bien  digne  de  foi,  puisqu'il  i\o  parle  (|ue  de  ce  qu'il  a  vu, 
et  c'est  à  son  grand  regret  et  pour  ainsi  dire  malgré  lui  (|u"il 
constate  dos  resseud)lances  qui  le  désolent,  parce  qu'il  y  voit 
l'rt'uvre  du  démon,  voici  comment  il  décrit  de  vieilles  peintures 
sur  peau  de  cerf  trouvées  en  1570  à  Oajaca  par  des  religieux 
qu'il  n'hésite  pas  à  qualifier  de  «  dignes  de  foi  d  (^).  Ces  pein- 
tures représentaient  trois  femmes  :  «  Deux  se  tenaient  ensemhie 
et  la  troisième  se  détachait  en  avant  en  soutenant  une  croix  en 
bois,  attuchée  au  n(eud  de  ses  cheveux.  Devant  elle  un  honnue 
nu  était  étendu  sur  une  c"oix,  à  laquelle  ses  mains  et  ses  pieds 
étaient  attachés  avec  des  cordes.  Gela  me  paraît  se  rapporter  à 
la  Sainte  Vierge  et  à  ses  deux  sœurs  ainsi  qu'à  notre  Seigneur 
crucifié.  Cela  ne  |)ouvait  être  coimu  (jue  par  luie  prédication 
ancienne  ». 

Sahagun  n'était  pas  éloigné  d'attribuer  à  une  intervention 
diabolique  ces  étranges  coïncidences.  Peut-être  n'est-il  pas 
besoin  de  recourir  à  Satan  pour  trouver  une  explication  plausible. 
N'est-il  pas  en  effet  très  probable  qu'une  prédication  chrétienne 
a  eu  lieu,  à  une  époque  «pi'il  est  difficile  de  préciser,  mais  que, 
les  premiers  missionnaires  n'ayant  pas  été   renouvelés,  leur 


rougi),  viK,  266).  u  Quu  el  liabito  visto  un  crucilîgu  entnllado  en  una  pcna  en 
inia  quebrada  ». 

(t)  Be.vi'vois,  Migrations  d'Europe  en  Amérique  au  moyen-Age.  —  Les 
Gai'Is. 

1,2)  S.\ii.\ou>!,  Histoire  dea  Jioses  de  la  Souvelle  Espagne,  Iraduclioii 
Jourdanet,  p.  791 . 


CIIAI'.  XI. 


TRACKS  DE  LA  l'HESK.NCK  DES  EIROI'EE.NS, 


137 


«•nscifîiu'incnt  s'est  peu  à  pcti  iiioilifié,  dôlifrun''  iiièiiu'?  De  \h 
co  fornl  f'hréticii  ot  ces  formes  païennes,  de  là  ces  croyances  <;t 
ees  cén'Mnonies  qui  setnitlent  caUpiées  sur  les  n»Hres,  niais(|u'oii 
est  ohlijïé  de  dégager  des  superstitions  locales  et  des  rites  parti- 
culiers (|ui  les  obscurcissent.  Le  plus  singulier  c'est  (|ue, 
d'après  toutes  les  traditions  indigènes,  ces  croyances  et  ces  rites 
étaient  d'origine  étrangère.  «  Les  disciples  de  ce  saint  lionmie 
(  QnetzalcohuatI  ) ,  écrit  le  père  Dnran ,  allaient  revêtus  de 
longues  rohes  descendant  jus(pi"au\  pieds  (1).  H  avaient  sur  la. 
tétc  des  coiffures  eu  étoffe  (»u  bonnets,  cpie  les  Indiens  cher- 
chaient à  représenter  en  peignant  des  tocpies...  Ce  vieil  Indien 
m'enseigna  en  outre  que  toutes  les  cérémonies,  les  rite*?, 
rédificati(»n  des  temples  et  des  autels,  avec  les  images  qu'on  y 
plaçait,  le  jeûne,  la  coutume  d'aller  pieds  nus,  de  coucher  sm* 
la  dure,  de  monter  sur  les  hauteurs  p<»ur  y  prêcher  îa  ft»i,  de 
baiser  la  terre,  de  jouer  de  la  trompette,  de  la  conque,  de  la 
flùte  dans  les  solennités,  que  tout  cela  se  faisait  ponr  imiter  le 
saint  honune  ». 

Il  ne  faudrait  certes  pas  toml)er  dans  l'excès  des  premiers 
missionnaires,  qui  acceptèrent  aveuglément,  cttnime  articles  de 
foi,  tout  ce  que  voulurent  bien  leur  faire  croire  des  néophytes,- 
empressés  d'établir  des  rapports  entre  eux  et  leurs  conquérants. 
Ainsi  ne  serait- il  [)as  fort  étrange  de  retrouver  dans  les 
hiéroglyphes  mexicains  l'histoire  de  la  conception  d'un  être 
céleste  dans  le  sein  d'une  vierge  (2),  ou  celle  de  la  passion  et  du 
crucifiement  de  Jésus,  ou  bien  encore  a-t-on  le  droit  de  s'ima- 
giner (pie  Mexico  fut  fondée  par  le  Messie,  parc»;  que  ce  fut  un 
certain  Mersi  ouMexi  cpii  conduisit  les  Azté((ues  sur  le  plateau 
de  l'Anabuac  (3)?  Mais  voici  des  analogies  trop  évidentes  pour 
être  dues  au  seul  hasard  :  les  Mexicains  admettaient  un  baptême 


;l 


(!)  DuRAX,  ouvrage  cité.  Voir  plus  haut. 

(2)  ToRQUEMADA,  MoTian/uia  Indiana,  t.  III,  p.  1f)2. 

(3)  Ki.Nosnonoir.n,  (tuv.  cité,  t.  VI,  p.  186.  —  Vkitia  Linagr,  .Vor/e  de  la 
Vontractacion  de  las  Indim  Occidentales,  1,  16,  18. 


t    fl 


p^^ 


I    \ 


;! 


ïl': 


A',\H       l'HKMIKIIK    l'AMTIK.    —    LKS    I-RKCIRSKIRS    l>K   «lOLMMI». 

qui  cfTarait  le  poclu'origincl  (1).  Us  rroyaicnt  à  la  confession  (2) 
ef  sru'pialenu'nt  à  la  «•onfcssion  avant  le  niaria},'('  {'.\).  Ils  prati- 
«|uaient  la  couiinunion  (i).  Ils  se  servaient  d'eau  hénite  (.'i).  Ils 
se  livraient,  par  esprit  de  pénitence,  à  d«'  cruelles  macéra- 
tions (G)   Ils  avaient  des  monastères  d'Iionnnes  et  de  femmes, 

(I)  Sahacun,  (Trad.  Joiinlanel),  p.  iSr).  «  Cela  étant  «lit,  raccoiirlicusw 
donnait  à  rcnfant  de  l'eau  à  goûter,  en  lui  portant  ses  doi(;ts  mouillés  à  la 
bouche,  avec  ces  paroles  :  «  Prends  et  reçois,  voilà  ce  <pii  doit  te  faire  vivre 
sur  la  terre  pour  que  lu  croisses  et  te  fortilîes.  C'est  par  elle  «pie  nous  pos- 
sédons les  choses  nécessaires  à  la  vie  sur  la  terre  ;  reçois  la...».  Apn-s  cela 
elle  lui  touchait  les  seins  avec  les  doigts  trompés  dans  l'eau,  en  disant  :  «  V«)ilà 
l'eau  céleste,  voilà  l'eau  très  pure  <|ui  lave  et  nettoie  notre  c«pur  et  «pii  cnh'vc 
toute  souillure  ;  reçois-la.  Qu'elle  daigne  purifier  et  blanchir  ton  cœur  ».  Elle 
lui  jetait  ensuite  de  l'eau  sur  la  télé  en  prononçant  ces  paroles  :  «  O  mon 
petit-fils,  reçois  et  prends  l'eau  du  Seigneur  du  monde,  qui  «;st  notre  vie,  afin 
que  notre  corps  croisse  et  se  fortifie.  Elle  est  destinée  à  laver  et  à  nettoyer.  Je 
prie  qu'elle  entre  en  ton  corjis  et  qu'elle  y  vive,  cette  eau  céleste  et  azuri'^e 
d'un  bleu  clair  Je  supplie  «prcUe  détruise  et  écarte  de  toi  tout  le  mal  qui  t'est 
contraire,  et  qui  te  fut  donné  avant  le  commencement  du  inonde  ». 

^2)  1d..  Id.,  p.  :i39.  «  De  la  confession  auriculaire  «lonl  ces  indi- 
gents faisaient  usage  une  fois  dans  leur  vie,  au  temps  de  leur  infidélité  ». 
lu.,  p.  23  et  suiv.  Sahagun  fait  inéinc  ce  curieux  aveu  :  <<  c'est  pour  cette 
raison  que  maintenant,  au  tein|is  du  christianisme,  ils  mettent  le  même  zèle  à 
vouloir  se  confesser  et  faire  pénitence  pour  les  péchés  graves  et  publics,  coiiime 
l'homicide,  l'adultère,  etc.,  se  rappelant  «pi'autiefois  ces  crimes  leur  étaient 
pardonnes  par  la  justice  des  hommes,  dès  lors  qu'ils  s'en  étaient  confess«''s  cl 
en  avaient  fait  pénitence  ».  Cf.  Acosta  Histoire  naturelle  de^  Inrlex  (Tra- 
duction Hegiiault,  p.  2u3»,  liv.  v,  S  xxv. 

(.'{)  Hehrf.ra,  Dec.  iv,  liv.  x,  p.  11. 

(4)  Sahacin,  ouv.  cité,  p.  204.  «  On  mettait  en  morceaux  le  corps  de  Uitzi- 
lopochtli,  d'autant  plus  aisément  qu'il  était  fait  de  graines  de  blettes;  le  cirur 
en  était  séparé  pour  être  offert  au  seigneur  ou  roi,  et  tout  le  corps  et  les  mor- 
ceaux qui  en  provenaient,  assimilés  à  la  propre  substance  du  Dieu,  étaient 
répartis,  par  portions  égales,  entre  les  natifs  de  Mexico  et  ceux  de  TIatclolio  >•. 
—  Acosta,  (Traduction  Rcgnault,  p.  258)  :  tout  le  chapitre  xxiv  du  livre  v, 
intitulé  :  «  De  la  façon  que  li;  diable  s'est  efforcé  de  contrefaire  au  Mexique  la 
feste  du  Saint-Sacrement,  et  communion  dont  use  la  sainte  Eglise  ». 

(■j)  Mendikta,  Historin  cclesiastica  Indiana,  11,  1!),  p.  109. 

(6)  Sahacun,  ouv.  cité,  p.  184.  »  Les  Mexicains  n;pandaient  le  sang  comme 
un  acte  de  dévotion,  en  des  jours  cons.icré.?  pour  cela.  Ils  procédaient  de  la 
manière  suivante  :  s'ils  voulaient  se  saigner  la  langue,  ils  se  la  traversaient 
avec  la  pointe  d'un  petit  couteau,  et  ils  faisaient  ensuite  passer  par  le  trou  dtN 


i:iiAi'.  XI.  —  THACKS  m:  i,a  I'KEsknck  hks  imhoi'KENs. 


V.V.i 


et  li's  n'Ii^icux  d»'  ces  intinasU'ivs  gardaioiit  un  célibat  pcr- 
|M'tuel  ^1).  Leurs  [inHrcs  portaient  un  ntstunie  qui  rappelait 
relui  des  pnHres  chrétiens,  prineipalenient  l'elui  des  moines 
de  Saint  Coloiulta,  reconnaissaliles  à  leurs  cheveux  rasés  sur 
le  fn»nt  et  rejetés  en  arrière  (:2l.  Qnehpies-unes  de  leurs  prières 
semblaient  calcpiées  sur  les  prières  du  rituel  chrétien,  et  plus 
d'un  de  nos  moralistes  n'aurait  qu'à  reproduire  les  admi- 
rables leçons  recueillies  par  Saluif^un. 

<  Ml  sait  (pie  Sahafîun  avait  appris  les  iaiifruesdu  pays.  Il  causait 
4-lia(|ue  jour  avec  les  indigènes  et  leur  adressait  des  ipiestions 
auxquelles  ils  répondaient  par  écrit,  ou  du  moins  par  ce  (pii 
leur  servait  d'écriture,  c'est-à-dire  par  des  [u'intures  hiérogly- 
phiques. 11  soumettait  abtrs  ces  peintures  à  d'autres  indiprènes 
élevés  sous  ses  yeux  au  collèpe  «le  Santa  Cruz ,  et  leur 
demandait  une  version  de  ces  hiérofilyphes  en  lanjfuc 
mexicaine ,  puis  en  «lonnait  une  traduction  espa}.'noIe. 
(iette  traduction  présente  donc  toutes  les  garanties  d'exac- 
titude et  de  sincérité.  (JrAce  à  Sahagun.  nous  connaissons  les 
prières  et  les  discours  des  Mexicains  dans  les  circonstances  les 
plus  criticpies  ou  simplement  les  plus  respectables  de  la  vie 
publique  et  privée,  par  exemple  lorscpie  les  enfants  du  souve- 
rain arrivaient  i'i  l'Age  de  raison  (.'l).  lors(|ue  le  souverain 
s'adressait  pour  la  première  fois  à  son  peuple  (-4),  et  «ju'un 
vit'illard   lui  répondait    (ij),    lorsque    le    |>ère  (0)  et   la  mère 

pailles  de  {graminées,  dont  le  nombre  était  en  rapport  avec  le  ilejçré  de  dé- 
votion de  chacun...  ils  se  saij^naient  également  li-s  liras  et  les  jambes...  Ils  se 
faisaient  des  coupures  aux  oreilles,  cf,  aver  le  sanj;  qui  en  découlait,  se 
traçaient  des  raies  rougeàtrcs  sur  la  figure  ».  Acost.v,  ouv.  cité.  j.  237,  238. 

(1)  AcosTA,  ouv.  cité,  §  xv  et  xvi  et  livre  V.  Saliagun,  id.,  p.  2i6. 

(2)  AcosTA,  Id.,  p.  236.  «  Ils  portoient  une  couronne  en  la  teste  comme  les 
l'rércs  de  par  deçà,  les  cheveux  un  peu  plus  longs  qui  leur  tomboycnt  jusqucs 
à  moitié  de  l'oreille,  excepté  que,  au  derrière  de  la  teste,  ils  les  laissoient 
croistrc  quatre  doigts  de  large  qui  leur  dcsrendoient  sur  les  cspaulcs  ». 

(3)  Sahagun,  ouv.  cité,  p.  380. 

(4)  Id.,  p.  365. 
f5)  Id.,  p.  3j8. 
(61  Id.,  p.  385. 


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It: 


iiO      l'UliMIKHK    l'AHTIi:.    —    LKS    l'RKCLKSElHS   HE   COLOMII. 

indiquaient  ù  ioui*  tillo  nuliiic  la  conduite  à  tenir.  1).  I^e  sixième 
livre  qui  contient  tous  ces  disciturs  est  empreint  de  la  morale 
la  plus  pure,  et  nous  rép<>tons  volontiers  la  plus  chrétienne.  Il 
démontre  jusqu'à  l'évidence  que  les  >le.\icains,  soit  par  eux- 
niénies,  soit  à  la  suite  de  prédications  étrangères,  s'étaient 
élevés  jusqu'aux  conceptions  (|ui  ont  h*  plus  honoré  l'esprit 
humain  aux  époijues  les  plus  niémorahles  des  civilis.itions  an- 
térieures. II  nous  inspire  en  m'hne  temps  une  synqiathie  réelle 
pour  ces  indigènes  qui  t»nt  été  punis  des  crimes  d«'  leurs  princes 
par  une  oppression  systématique  et  par  la  perte  de  leur  natio- 
nalité. 

lies  missionnaires  catholiques  du  .xvi'*  siècle,  épouvanti's  par 
ces  ressemblances,  les  attribuaient  à  Satan,  d'autant  plus  (|ue 
les  ahominatioim  païennes  se  mêlaient  aux  observances  les 
plus  orthodoxes  {"1).  Acosta  consacre  tout  le  cinquième  livre  de 
son  Hisloirc  naiurelle  des  Indes  à  démontrer  «<  (pie  le  Diable 
s'est  elTorcé  de  s'esgaller  à  Dieu,  et  d>'  luy  ressend)ler  aux 
façons  de  sacrifices,  religion  et  sacramens  ».  A  la  fin  du 
xvii*  siècle,  Antonio  de  Solis  (3)  croyait  encore  à  la  puissance 
démoniaque  qui  travestissait  les  traditions  juives  et  les  rites 
chrétiens  pour  mieux  entraîner  à  leur  perte  les  tribus  améri- 
caines. N'est-il  pas  plus  raisonnable  de  croire  à  l'intervention 
de  quelque  peuple  chrétien.  Irlandais  ou  Northmans,  ({ui, 
forcés  de  rompre  leurs  relations  avec  la  métropole,  se  sont 
étendus  vers  le  Sud,  attii^és  à  la  fois  par  la  douceur  du  climat 
et  par  la  nécessité  ?  Trop  peu  nombreux  pour  imposer  leurs 
croyances,  ou  bien  encore  trop  peu  éclairés  pour  les  <-onserver 
dans  toute  leur  pureté,  ils  les  auront  sans  doute  adaptées  aux 
cérémonies  et  aux  cultes  qu'ils  trouvèrent  en  usage.  On  ne  sait 
pas  au  juste  à  quelle  époque  ni  qui  donna  aux  Américains  les 


(1)  Sahagun,  id.,  p.  390. 

(2)  Acosta,  ouv.  cité,  p.  209-273. 

(fi)  Antonio  de  Solis,  Conquête  du  Mexique,  traduction  de  Tlioulza,  t.  I, 
.  132. 


|Hi<<o4  -J|^§j)ÉÉ|Mtfl> 


CHAI'.  Xl,   —  THACKS  llK   LA  l'HKSKNCK  KKS  KCHOI'KK.NS. 


iil 


prcniu'i'cs  notions  du  iliristianisinc.  niiiis  assurrnicnt  il  se 
trouva  un  peuple,  ou  tout  nu  moins  ipielipies  iiunnues  cpii, 
avant  Colouih,  avaient  enseij^né  notre  reli^'ion  aux  Américains. 
Saint  François  Xavier  parcourut  les  Indes  en  c(»nverlissant  les 
peuples  sur  son  passa^re  ;  il  passa  de  là  au  Japon,  et  mourut 
en  (Iliine  an  moment  où  il  allait  continuer  les  iriiracles  de  sa 
prédication,  [^e  clirislianisnu;  ne  lui  a  pas  survécu  dans  ces 
contrées  ;  mais  si,  aujourd'hui,  on  reiic<»ntre  encctre  chez  cer- 
tains de  ces  peuples  orientaux  des  traces  évidentes  de  chris- 
tianisme, nous  devons  les  attrihuer  au  saint  Jésuite.  iJe  môme 
firent  en  Américpie  les  chrétiens  anonymes  (|ui  déposèrent  dans 
ces  vastes  contrées  des  ftermes  féconds,  plus  tard  développés  : 
les  néophytes,  privés  de  leur  enseiffuement.  perdirent  peu  à 
peu  le  souvenir  de  ce  (|u'on  leur  avait  appris  et  confondirent 
leurs  croyances  nouvelles  avec  la  religion  précédenunent  étahlie. 
Ue  la  sorte  s'explicjuent  les  singulières  analogies  ipie  nous 
avons  constatées. 

Lu  meilleure  preuve  du  hien  fondé  de  cette  théorie  c'est  cpie 
les  traces  du  (christianisme  ont  été  les  plus  évidentes  et  les  plus 
persistantes  justement  dans  la  région  où  les  Northmans  se  sont 
étahlis,  c'est-à-dire  dans  le  nord  actuel  des  Ktats-Unis  et  dans 
les  provinces  du  Dominion  haignées  par  r.Vtlanticpie.  Il  est 
même  assez  curieux  de  rechercher  à  travers  les  relations  des 
voyageurs,  et  de  siècle  en  siècle,  les  preuves  de  cette  prédi- 
cation antérieure  aux  explorations  du  xvi"  siècle. 

Ainsi  nous  lisiins  dans  le  voyage  de  Jacques  Cartier  (I): 
«  I^  xxnii  du  mois  (juillet  I5IU)  lismes  faire  une  croix  haute  de 
trente  pieds,  et  fut  faite  en  la  présence  de  plusieurs  d'iceux  en 
la  pointe  de  l'entrée  de  ce  port..  .  et  après  la  plantasmes  en 
leur  présence  sur  la  dite  pointe,  et  la  regardoyent  fort,  tant 
lorsqu'on  la  faisait  (pie  quand  on  la  plantait.  Et  l'ayant  levée  en 


i 


r. 


^')  Discours  du  voi/age  fuit  par  le  aipilaine  Jmqms  Cartier  en  lu  terre 
nettfve  de  Canada  (Edition  .Micliclmit  cl  Ititiiié,  p.  55). 


<     l 


l' 


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*V2 


l'HKMIKHE    l'AHTlK. 


I.KS    l'HK(.(  HSKIIIS    1>K   COLOMH. 


liant,  iiniis  nous  agenouillions  tous  aviint  les  mains  jointes, 
Tadorant  à  leur  veiU>,  l't  U'Air  faisions  sijjno  regardant  et  montrant 
le  ciel,  (|ue  d'icelle  dépendoit  nostre  rédemption  ;  de  la(|uell<! 
eh(»se  ils  s'émerveillèrent  beaucoup,  se  tournant  entre  eux, 
puis  regardant  cette  croix.  Mais  estanz  retourné  en  nos  navires, 
leur  capitaine  vint  avt'c  une  barque  à  nous,  vestu  d'une  vieille 
peau  d'ours  noir,  avec  ses  trois  (ils  et  un  sien  frère,  lesipiels 
ne  s'approchèrent  si  près  du  hord  comme  ils  avoyent  aecoustumé 
et  y  fit  une  longue  harangue  montrant  ceste  croix,  et  faisant  le 
signe  d'icelle  avec  deux  doigts.  Puis  il  monstroit  toute  la  terre 
des  environs,  comme  si  il  eut  voulu  dire  (pi'elle  estoit  toute  à 
luy,  et  (jue  nous  n'y  devi(jns  planter  ceste  croix  sans  son  congé  ». 
Nous  pensons  que  le  Canadien  cherchait  plutôt  à  indiquer 
<pi'il  y  avait  d'autres  croix,  déjà  érigées,  dans  toute  la  contrée. 
S'il  l'avait  réellement  C(tnsidérée  comme  un  signe  de  prise  de 
possession,  il  se  serait  opposé  à  son  érectiftn,  ou  l'aurait  renver- 
sée après  le  départ  des  Français.  Or,  non  seulement  il  n'en  fit 
rien,  mais  encore,  d'après  une  res|)ectal)le  tradition,  cette  croix 
était  encore  debout  lors  du  vijyage  de  CJiamplain,  près  d'un 
siècle  plus  tard  (1)  :  «  Kn  l'un  de  ces  [)'»rts  (de  la  baie  de  Kundy), 
lisons-nous  dans  la  relation  de  1(107,  treuvasmes  une  croix  qui 
«'stoit  fort  vieille,  toute  couverte  «le  mousse  et  presque  toutt; 
pourrie,  qui  monstroit  un  signe  évident  qu'autrefois  il  y  avoit 
esté  des  chrestiens  ».  Que  cette  croix  revue  par  (^diamplain  ait 
été  ou  non  érigée  par  Cartier,  le  détail  n'est  curieux  qu'au  point 
de  vue  archéologique.  Ce  (pi'il  importe  davantage  de  c<»nstater, 
c'est  que  les  habitants  de  la  région  avaient  des  habitudes  chré- 
tiennes, qui  ne  trouvent  leur  explication  (jue  si  on  admet  une 
prédication  antérieure.  Voici  par  exemph;  comment  un  des 
compagnons  de  Ghamplain,  Lescarhot,  parle  des  indigènes  entre 
le  cap  Breton  et  Malebarre  (2)  ;   et  son  témoignage  est  d'au- 

(i)  Voyage  de  Champlain,  édition  Laverdière,  l.  III,  p.  135. 

(■1)  Lescaiibot,  Histoire  de  la  Nouvtlie  France,  (édition  Tross,  p.  666-667). 


niAP.  XI.   —  THAI.KS  ItK  LA  l'UKSK.NCK  IH;S  KlHol'KRNS. 


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tant  |>liis  iiii|)urtaiit  i|iril  iic  rroit  pas  à  cctti»  pivclication  <|ii 
(Ihristiaiiisiiii'  et  ne  s'apcn-nit  pas  i|iril  fournit  ainsi  des  arji^u- 
iiH'iits  ('(tiitiv  liii-iiiènu*.  I^('s<'arl)ut  al'lirrnt'  cpi'il  serait  facile 
(le  (•(►rivcilir  ces  indigènes,  «  et  de  ceci,  uj<»ute-t-il,  j'ai  dos 
téiNMi^iiaffes  rcrtains,  pour  ce  (pie  je  les  ai  n'coiiniis  tons 
disposés  à  cela  par  la  coiiinmnication  (pi'ils  avoicnt  avec 
lions  ;  et  il  y  on  a  qui  sont  chrétiens  de  volonté  et  on 
font  les  actions  telles  qu'ils  peuvent,  eiic<»re  rpi'ils  ik^  soient 
haptisés;  entre  lesquels  j»*  iioiiinierai  (îhkoudun  capitaine  (alias 
Sa;;ainos)  do  la  rivière  S.  Jean,  le(piel  ne  iiian^çe  point  un 
morceau  qu'il  ne  love  les  yeux  au  ciel  et  no  fasse  le  signe  de  la 
croix,  pour  ce  qu'il  nous  a  vu  faire  ainsi  ;  même  à  nos  prières 
ils  se  mettent  à  genoux  comme  nous  :  et  |)our  ce  cpi'il  a  vu  une 
grande  croix  plantée  près  de  notre  fort,  il  en  a  fait  autant  chez 
lui  et  en  toutes  ses  cahanos  ;  et  en  porte  une  devant  sa  poitrine, 
disant  qu'il  n'est  plus  sauvage,  et  reconnaît  hien  (pi'ils  s<»nt 
hostos  (ainsi  dit-il  on  son  langage)  mais  qu'il  est  comme  nous 
désirant  ostro  instruit.  Co  que  je  dis  do  celui-là,  je  le  puis 
al'lirmer  presque  de  tous  les  autres  ». 

(le  n'était  pas  seulcinont  le  Sagainos  de  la  Rivière  Saint  .loan 
qui  désirait  ainsi  rossomhlor  aux  Européens.  Tous  les  indigènes 
de  la  région,  Ahonakis,  Souriquois,  Ktchomins,  etc.,  étidont 
à  demi  européanisés  avant  l'arrivée  des  explorateurs  du  x  vr  siècle. 
Kntro  eux  et  les  Français  les  alliances  furent  plus  faciles  et  plus 
fré(|uentos  qu'avec  toute  autre  peuplade  indienne.  On  eût  dit 
qu'il  existait  entre  eux  une  bonne  intelligence  qui  tenait  à  des 
affinités  d'origine  ou  à  toute  autre  cause  liistorique.  Go  fut 
également  chez  eux  que  persista  le  culte  do  la  croix,  déjà  signalé 
par  les  premiers  arrivants.  Voici  ce  qu'écrivait  en  1035  le  Père 
Julien  Perrault,  missionnaire  à  Cap  Breton  (1)  :  «  Ils  font  très 
volontiers  le  signe  de  la  croix,  comme  Ils  nous  voient  faire, 


(I)  P.  PEHnALLT,  Relation  de  quel(/ues  particularités  du  lieu  et  des  ha- 
Intants  de  Cap-Breton  (à  la  suite  de  la  Kelatioa  liistorique  de  ce  qui  s'est 
passé  en  la  Nouvelle  France  en  l'année  163,">  par  le  père  Lejeune). 


) 


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iil       PltlCMIKKK    l'AKTIK. 


LKS    l'HKCI  HSKl'HS    l»K   COUIMH. 


levant  les  veux  au  ciel,  prointiiiaiit  Jésus  Maria  ((inunc  nnus, 
Jus(|U(>-là  (|u'ayaiit  r('nian|U('>  riioiuicur  (|iic  nous  rciidinns  à  la 
croiv,  les  pauvres  ^eus  se  la  |>ei}.'neut  au  visage  et  à  resloiriac, 
aux  liras  et  aux  jarnhes  sans  eu  Olre  priés.  Je  veux  Itieu  (jii'ils 
fasseut  tout  <'ela  eu  ces  couuueiU'ouienls  par  siui|>li(ité  naturelle, 
tpii  les  [Ktrte  à  imiter  tout  ce  (|u'ils  voi(>iit  ».  Au  niénu>  luouieiit, 
en  HVM't,  Saganl  Tlieodat,  l'auteur  d'une  ciu'ieuse  histoire  du 
(.anada,  retrouvait  avec  étonnement  chez  les  Montagnais  l'histoire 
du  dêlufïe  (1),  et  le  dogme  de  la  Trinité  ["l).  Il  constatait  encore 
la  croyance  à  la  Vierge,  et  il  concluait  en  ces  termes  (II)  : 
««  Voilà  des  sentiments  et  des  [lensées  qui  ne  sont  pas  trop 
éloignés  de  la  vérité  de  la  chose  pour  des  sauvages  cpii  n'ont 
Jamais  été  instruits,  car  il  lu;  se  lit  |ioint  (piejanuiis  lesaoùtres, 
leurs  disciples,  ni  aucun  religieux  avant  noiis  aient  passé  »n  ces 
pays-là  pour  leur  prêcher  la  parole  de  Uieu,  ni  autrement  ». 

Un  autre  missionnaire,  le  Père  Leclerc(|,  ipii  arriva  au  Canada 
le  11  octohre  KiTa,  et  y  resta  douze  ans,  dont  huit  passés  à  la 
mission  de  la  rivière  de  Miramichi,  était  heaucoup  plus  aflir- 
mutif  (|ue  Lescarhot,  que  Perrault  ou  (|ue  Sagard.  Dans  sa 
curieuse  description  de  la  Gaspésie  (-4),  il  n'hésite  pas  à  affirmer 
«  que  le  culte  ancien  et  l'usage  religieux  de  la  Croix  (|u'on 
admire  encore  aujourd'hui  parmi  les  sauvages  de  la  rivière  d»' 
Miramichi,  que  nous  avons  honorée  du  titre  auguste  de  la 
Rivière  de  Sainte  Croix,  pourrait  hien  nous  persuader  en 
quelque  fîcon  que  ces  peuples  ont  reçu  autrefois  la  connais- 
sance de  1  Evangile  et  du  christianisme,  qui  s'est  enfin  perdu 
par  la  négligence  et  le  lihertinage  de  leurs  ancêtres  ».  Et  de 
fait  il  cite  à  l'appui  de  son  dire  de  nomhreux  usages  qui  sem- 

(1)  Saoahd  TiiEODAT,  Histoïre  (iu  Canada,  p.  507. 

(2)  iD.,  p.  504. 

(3)  Id.,  p.  506. 

(4)  Père  Leci.ercq,  Nouvelle  relation  île  la  Gaspésie  qui  contient  les 
mœurs  et  la  religion  des  sauvages  Gaspésiens,  Porte-Croix,  adorateurs  du 
Soleil  et  iFautres  peuples  de  l'Amérique  Septentrionale  dite  Canada  (1691). 
p.  40-41. 


CHAI'.  M.    -•    THACKS  l»K  LA  l'HKSKNCK  l»KS  KIHOI'KK.NS. 


**:i 


la 

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les 
'S  du 
691). 


Iilt'iit  tlt'iiiMiitrcr  (|iii'  le  culte  «le  la  ('.i'oi\  riait  ciic/  ti»iis  (•«•«» 
saiivaf^cs  tic  Iniditioti  aïK-iciini*  <>t  coiistaiili'.  Il  est  inOiiic  allé 
au  (levant  des  nliJectiiMis  (|uaii(l  il  a  e\|ili(|iié  les  iiiotifs  tie  son 
insistance  à  parler  <lii  calte  de  la  ()roi\  en  (lasiiésie.  «  (lonune 
j'estime,  dit-il,  (|ue  c<'tte  renian|ne  est  une  des  pins  cunsidé- 
rablus  de  ma  relatrim,  J'ai  cru  (pi'après  la  perquisition  très 
•'vacte  (pie  j'en  ai  faite,  p'eiidaiit  les  douze  anix'es  de  mission 
(pie  j'ai  demeuiv  parmi  ces  peuples,  je  d(>vais  satisfaire  au 
(l(''sir  et  à  la  pri(''re  de  |)lusieurs  |>ersoniies  (pii  m'ont  conjuir 
de  mettre  au  j(n  .  tte  histoire,  aiin  de  faire  connaître  au 
public  l'origine  du  culte  de  la  Croix  chez  ces  infidèles,  son 
interruption  et  son  nHaldisseinent  (1)  ». 

Voici  les  principaux  points  de  son  ar};umeiitati(»n  :  nous 
l(!S  citons  à  cause  de  l'inténU  (pi'ils  pn'sentent,  et  aussi  à  cause 
de  la  rareté  de  l'ouvrafre  :  «  J'ai  trouvé  auprès  de  certains  sau- 
va^res  (pie  n<»us  appelons  P(»rte  Croix,  une  matière  suffisante 
pour  nous  faire  conjecturer  et  croire  même  ipie  ces  piniples 
n'ont  pas  eu  l'oreille  fermée  à  la  voix  des  ap«'»tres,  dont  le  son 
a  retenti  par  toute  la  terre,  puis(prils  ont  parmi  .-ux,  tout  infi- 
dèles (pi'ils  soient,  la  croix  en  f.'rande  vénération,  (pi'ils  la 
portent  fifîurée  sur  leurs  habits  et  sur  leur  chair,  qu'ils  la 
tiennent  à  la  main  dans  tous  leurs  voyages  soit  par  mer,  s(»it 
par  terre,  et  qu'en(in  ils  la  posent,  au  dehors  et  au  dedans  de 
leurs  cabanes,  comme  la  marque  d'Iionneur  (pii  les  distingue 
des  autres  peuples  du  Canada  {"1)  ».  Ce  sentiment  était  si  bien 
enraciné  dans  leur  esprit  qu'un  jour,  aux  objections  du  père 
Leclercq  qui  lui  représentait  qu'il  fallait  choisir  entre  la  croix  et 
le  concubinage,  un  chef  sauvage  répondit  qu'il  abandonnerait 
femmes  et  enfants  «  plut(jt  que  de  quitter  la  croix  que  j'ai  reçue 
de  mes  ancêtres,  en  titre  d'héritage  et  par  droit  d'aînesse,  et  je 
la  veux  conserver  toujours  précieusement  comme  la  marque 


(1)  Péhe  Leclercq,  ouv.  cité,  p.  170. 
(S)  Id.,  ouv.  cité,  p.  169. 


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'HK.MIKUK    l'AHTIK.    —    I.KS    l'UKClHSKIMS    UK    Cdl.OMII. 


(l'Iioiiiioii'  (|iii  (listirif^Mic  le  s<'iiiva|.'(>  de  Miniiiiiclii  de  tuiitcs  li>s 
aiifrcs  nations  lie  lu  Nniivcllc-Fraiirc  »  (11.  l'ii  jniir  (ju'il  iiilcr- 
ntjrcaif  SCS  ouailles  sur  l'ori^'iiic  lio  ce  culte,  les  saiiva^'cs 
i'é|ioii<lii'eiit  au  l'ère  Leclerc(|(|ue  leurs  anc(Mres  étaient  «lécimés 
par  une  épitléuiie,  |ors(|Uf  un  vieillard  vit  en  son^;e  un  heau 
Jeune  linnnue  i|ni  lui  conseilla,  s'il  voulait  guérir,  de  prendre 
la  croi  .1  Conmie  les  sauva[.'es  sont  crédules  aux  son^!;es  jusipi'à 
la  supei'stilion,  ils  ne  né^;lip'rent  pas  c(diii-ci  dans  leur  (>xtrenie 
nécessité  ...  Ils  (irent  luie  assenihlée  jiénérale  de  tout  ce  qih 
restait  d'une  nation  mourante,  et  tous  (>nsendde  condin'ent  d'un 
connnun  accord  (pu;  l'on  rec(^vi'ait  avec  lioinutur  le  sacré  si^:rie 
de  la  cr<*i\,  (ju'on  letu'  présentait  du  ciel  pour  être  la  lin  de  leur 
misère  et  lo  coinnuMicement  de  leur  bonheur.  «  Connue  il  arriva 
en  elVet,  puiscpie  la  maladie  cessa  et  que  tous  les  aftliiiés  ipii 
[tortèreiit  l'espectueusemenl  la  croix  furent  },Miéris  miracultMi- 
sement  (12).  Après  donc  la  résolution  prise  dans  le  conseil  (ii)  pas 
im  sauvajre  n'eût  osé  paraître  devant  les  autres,  sans  av(jirensa 
main,  sur  sa  cliaii-  ou  sur  ses  liahits  le  sacré  si^nede  leur  saint 
en  sorte  «pie  s'il  était  (piestion  de  décider  (piel(|ue  chose  de 
conséipience  touchant  la  nation,  soit  pour  conclure  la  paix  nu 
iléclarei'  la  mn-rre  contre  les  eiuu'mis  de  la  patrie,  le  chel"  con- 
vo<piait  tous  les  anciens,  (pii  se  rendaient  |)oncluellement  au 
lieu  du  conseil,  où,  étant  asseuddés,  ils  élevaient  un(^  croix  de 
neul'  .1  di\  pieds  ;  ils  faisaient  un  cercle  et  prenaient  leur  place, 
avec  chacun  leur  croiv  à  la  main,  laissant  celle  du  conseil  au 
milieu  de  l'assemhléc»  ...  S'a^^issait-il  d'envoyer  une  andtassade, 
le  cacicpie  remettait  avec  solennité  mw  croix  précieuse  au  l'e- 
préseutant  de  lu  nation,  et  ce  dernier  la  rendait,  <piand  il  avait 
Uni  sa  mission  (i).  «  ICnlin  ils  n'(>ntreprenaient  rien  sans  la 
la  croix  ;  le  <hef  la  portait   lui-même  à   la  main,  en  forme  s'e 

(1)  \^P.HK  Lv.a.f.iw),  oiiv.  cit«^,  |).  210. 

(2)  II..,  |).  i72-n:i. 

(3)  II..,  |>.  nc-nv, 

(•i)  lu.,  p    n8-17!l. 


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CIIAP.  XI.  —  TIIACKS  l»i;  LA  IMtKSKNCK  DKS  KrUOI'KF.NS. 


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liàtoii,  (>t  il  lu  |)!.'i(;!iil  (liiiis  le  Ijcii  le  plus  lioiiui'alth'  <l<-  sii 
calxiiic  (I)  ".  S'('iiiliar(|ii.\i('nl-ils  dans  leurs  raïKils  irrcunt',  ils 
y  nicttaiciit  uuc  rroix  «le  rlia(|U('  hout(:i).  L'ii  t'ulaut  vcuaii-ilau 
uiandt',  ses  laiip-s  cl  sou  Ix'i'ccau  élaicuf  aiissitùl  uiai(|U(''S  du 
sijiuc  sa(iv(!l).  Des  rcuuucsi'faicut-cllcsciiccinlt's.cllfs  li^uraicnt 
Icsi^Mii'  de  la  ri'(ii\  stu'  la  CKUNt'rtunMiiii  cacliail  leur  sciii(iK  l^t's 
loudtt'aux  t'fairMt  urut-s  dr  cmiK  (Ti),  cl  iim^uic  dans  leurs  rer- 
encils  ils  étaient  ensevelis  avec  des  croix  a  dans  la  croyance 
(|ue  cette  croix  leur  l'era  coiupa^zuie  dans  l'autre  monde,  et  (pTils 
ne  seraient  |ias  c(Uinus  de  leurs  anct^fres,  s'ils  n'avaient  avec 
eux  la  niar(|ue  et  l<'  caractère  lioiioralde  qui  distin^de  les  l'orte- 
(Iroix  <le  t(tus  les  autres  sauvajics  de  la  Nouvelle-France  (<»)  i . 
Lors(|ue  le  père  l.eclercii  évauf^élisa  ces  (laspi'siens  la  plu- 
part de  ces  coutumes  r>taient  tondiées  en  ilésuétude  ;  mais  il 
n'eut  (pi'à  parler  pom-  remettre  eu  lionneur  le  culte  .le  la  Croix. 
Ktonné  de.  son  succès,  il  voulut  un  Jour  leur  l'aire  avouer  (pie 
d'autres  missioiniaires  l'avaii'iit  précédé.  <.  Ile  ipioi  !  me  dit 
le  chef  (7),  tu  es  patriarche,  tu  veux  que  nous  croyions  tout  ce 
•  pie  tu  pro|»oses,  et  lu  ne  veux  pas  croire  à  ce  (pie  nous  te  dis(»ns; 
lu  II  as  pas  encore  (piaraiite  ans  et  il  n'y  en  a  (pie  iU'ti\  cpie  tu 
demeures  clu'/  les  sanva^^es.  et  tu  Mrélemîs  savoir  nos  Iradilions, 
nos  maximes  et  nos  coutumes  mieux  (pie  n(»s  anci'lres  (pii  nous 
les  ont  enseignées  !  Ne  vois-tu  pas  tous  les  Jouin  (Jiiiondo,  (pii 
a  plus  de  six  vin^'lans?  Il  a  vu  le  premier  navire  (pii  ail  aliordé 
dans  noire  pa\s.  Il  t'a  iw'pélé  liien  soiiV(=iit  (pie  les  sausaj^cs  de 
Mirainiclii  ndnl  pas  reçu  des  étranj;ers  l'iisa^'e  de  la  croix  et 
(pie  ce  (piil  en  sait  lui-même  il  l'a  appris  par  la  tradition  dest>s 
pères,  (pii  ont  vécu  pour  le  moins  autant  (pie  lui.  Tu  |iou\  donc 


'  Il 

!  ; 


(Il  I'kiii;  l.i.c.i.Kiiiij,  iMiv,  cilc,  |i.  IHd. 

i2l  In.,  p    ISI. 

et)  II).,  |i    IKt. 

(4)  l!)..  |i.  182. 

(."il   l!t.,   |i.    IS.'i. 

(li    h.  ,  |i.  I  ST. 

0)  li>  ,  |i.  21-272. 


I 


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iiS       PRKMIKRK    P.VUTIK.    —    LKS    1'HK(UHSKI:KS    DE   COLOMB. 

iiilV'iH'r  (jiie  nous  l'avons  rt'cuc  avant  quo  les  Français  vinssent 
à  nos  côtes  ». 

Comme  Cartier  arriva  au  («mada  en  l.'ilM  et  (|ue  le  père 
Leelenj  éerivait  en  1077,  il  est  peu  prohahie  (jue  ee  Quiondo, 
i\w  aurait  été  iV^o  de  li3  ans,  ait  vu  les  Français  débarquer; 
UHiis  les  (^.anadiens  étaient  unanimes  à  aftlruier  (pi'ils  connais- 
saient la  croiv  de  temps  immémorial,  et  le  père  Leclenj  lie 
pouvait  s'empêcher  de  reconnaître  (pie  sa  prédication  n'aurait 
pas  suffi  à  expli(|ucr  cette  prodigieuse  expansion  du  culte  de  la 
croix.  D'ailleurs  il  n'avait  ([u'ù  jeter  les  yeux  autour  de  lui,  et 
I)artout  il  voyait  dressées  devant  lui  des  croix  dont  il  n'avait 
jamais  ordonné  l'érection  :  «  Les  lieux  de  pêche  ou  de  chasse 
les  plus  considérables,  écrivait-il,  sont  distingués  par  les  croix 
qu'ils  y  plantent,  et  on  est  agréablement  surpris,  en  voyageant 
dans  leur  pays,  de  rencontrer  de  temps  en  temps  des  croix  sur 
le  bord  des  rivières,  à  doubles  et  à  trois  croisées,  comme  celles 
des  patriarches  (1)  ». 

On  a  accusé  le  père  Leclerq  d'avoir  poussé  la  crédulité  jusqu'à 
ses  dernières  limites.  Un  de  ses  collègues,  le  père  Lafitau,  a 
même  prétendu  que  sa  Relation  de  la  (iaspésie  n'était  qu'un 
pieux  roman,  et  le  père  Charlevoix  a  lancé  contre  lui  ce  grave 
rej>roche  :  «  D'ailleurs  ce  religieux  était  le  seul  qui  eût  avancé 
ce  paradoxe  ;  aucun  de  ceux  (jui  avant  lui  avaient  vécu  avec 
ces  sauvages,  et  dont  plusieurs  ont  su  leur  langue  et  étudié 
leurs  traditions  beaucoup  mieux  (ju'il  n  avait  pu  le  faire,  n'y 
ayant  rien  découvert  de  semblable  ».  Que  si  pourta.i.  le  père 
Leclerq  avait  eu  l'audace  de  forger  de  toutes  pièces  je  ne  sais 
quels  contes  en  l'air,  il  aurait  été  réprimandé  ou  démenti  par 
ses  supérieurs  :  or,  non  seulement  il  ne  le  fut  pas,  mais  encore, 
quand  on  le  rappela  en  France  en  1687,  il  fut  nommé  gardien 
ou  supérieur  du  ccaventdes  Ilécollets  de  Lens  en  Artois.  En 


(1)  PÈRE  Leclehq,  ouv.  cité,  p.  186. 

(2)  Lafitau,  Mœurs  des  sutwagps  Amifricaitis,  I,  435. 
(:»)  CuAHLEVoix,  Histoire  de  la  Nouvelle  France,  I,  222. 


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CllAI',  XI.  —  TRACES  DE  U  PRÉSENCE  DES  EUROPÉENS.      449 

outre,  Charlevoix  se  trompe  quand  il  affime  que  [>as  un  de  ses 
contemr)orains  n'a  sig;nalé  le  culte  de  la  croix  dans  la  Nouvelle 
France,  Jean  Baptiste  de  Lacroix  Ghevrières  de  Saint- Vallier, 
(|ui  arriva  au  Canada  en  qualité  de  vicaire  général  de  l'évêque  de 
Québec,  François  de  Laval,  le  30  juillet  1083,  visita  la  mission 
de  Miramichi  en  1686,  et  fut  nommé  évéque  de  Québec  en 
1688,  il  est  par  conséquent  impossible  de  citer  un  téinoiu  [>lus 
compétent  et  plus  autorisé,  a  ci>mj)osé  un   /:st(it  présent  de 
l'Eglise  ci  de  la  colonie  franniisi'  dans  hi  j\'tn(i'rllc  France  (l), 
dans  lequel  il  parle  de  la  rivière  Sainte  Croix  et  des  Porte  Croix 
ou  Gruciantaux.  «■  Ils  conserven*  entre  eux,  écrit-il,  un  respect 
particulier  pour  la  croix,  sans  qu'il  paraisse    aucun    vestige 
d'où  l'on  puisse  conjecturer  (|u"ils  en  aient  jamais  connu  le 
mystère  ;  il  serait  fort  curieux  de  pouvoir  remonter  jusqu'à  la 
première  origine  de  ce  culte  qu'ils  rendent  sans  y  penser  au 
signe  salutaire  de  la  rédemption  des  hommes  ;  mais,  comme 
l'excès  de  la  boisson  d'eau-de-vie,  dont  ils  sont  aussi  passionnés 
que  les  autres  sauvages,  a  fait  mourir  depuis  quelque  temps 
tous  les  vieillards  et  un  grand  nombre  de  jeunes  gens,  il  est 
difficile  de  trouver  parmi  eux  des  personnes  capables  de  nous 
instruire  de  la  vérité  avec  quelque  sorte  de  certitude  »  (2).  Le 
pieux  missionnaire  fait  pourtant  allusion  à  ce  vieillard,  sans 
doute  le  Quiondo  de  Leclcrcq,  qui  avait  vu  la  croix  en  honneur 
dans  son  pays  avant  l'arrivée  des  Français  (3),  et  il  ajoute 
quelques  détails  qui  complètent  les  données  de  son  prédéces- 
seur (A).  ><  Le  capitaine  se  distinguait  du  conmuni  en  ce  qu'il 
avait  une  croix  particulière  sur  les  épaules,  jointe  à  celle  de 
l'estouuic,  et  l'une  et  l'autre  avaient  une  bordure  de  poils  de 
porc-épic,  teinte  en  rouge  du  plus  vif,  couleur  de  feu  ;  outre 
cela  le:?  trois  croix  de  bois  de  deux  pieds  et  demi  de  haut,  d(Uit 


(1)  Paris,  Robert  Pépié,  1688.  —  Réimprimé  à  Québec,  cri  I8j7, 

(2)  Saint-Vallier,  Ksfat  pvo.ioHt  de  /'t'y//>,  clc,  i».  :15-3C. 
(3l  lu  ,  p.  Tt-:iH. 

(4  lu.,  p.  :t!>. 

T.  I.  29 


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450      PREMIÈRE   PARTIE.   —   LES   PRÉCURSEURS   DE  COLOMB. 


il  appliquait  l'une  au  devant  de  son  canot  pour  les  voyages,  et 
dont  il  plantait  les  deux  autres  au  milieu  de  sa  cabane  et  à  la 
porte  contre  les  périls  et  pour  le  conseil,  avaient  chacune  pour 
marque  de  distinction  trois  croisillons  ». 

Une  conclusion  s'impose  :  c'est  que  le  christianisme  a  été 
prêché  dans  l'Amérique  du  Nord,  avant  l'arrivée  des  Européens 
dans  les  premières  années  du  xvi"  siècle,  et  que  le  souvenir  de 
cette  prédication,  bien  (ju'obscuici  pai  des  superstitions  locales, 
s'était  néanmoins  perpétué  avec  assez  de  netteté  pour  que  les 
missionnaires  chrétiens  aient  pu  affirmer,  en  toute  conscience, 
et  sans  arrière-pensée,  (|u"ils  avaient  eu  des  devanciers  sur  le 
sol  américain. 


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v'^rrt- 


TABLE  DES  MATIÈRES 


CHAPITRE  I. 

LES   COMMUNICATIONS    ENTRE  l'AMÉBIQUE   ET  l'ANCIEN   CONTINENT 
ÉTAIENT-ELLES     POSSIBLES    DANS    l'aNTIQUITÉ  ? 

Les  dangers  de  la  mer.  —  R»icits  fanlasliqiies  do  l'anliciuité  sur  les 
dangers  de  la  mer.  —  Théories  scieiitiliiiues  sur  la  forme  de  la  terre.  — 
l'rogrès  delà  navigation.  —  Voisinage  relatif  de  l'ancien  et  du  nouveau 
Continent.  —  Les  trois  étranglements  de  r.\tlanli(|nc.  —  L'Atlantide. 
—  Traces  d'un  grand  bouleversement  géologii|uc  en  .\méri(|ue.  —  Tra- 
ditions Américaines  sur  ce  cataclysme.  —  Les  archipels  de  l'Atlan- 
tique. —  Les  vigies  éparscs  da..s  l'Atlantique.  —  Croyances  anti(|nes 
sur  les  diflicultés  de  la  navigation  dans  l'Atlantique.  —  Les  courants 
nnirins  de  l'Atlantique  et  les  apports  involontaires.  —  F'ossibilité 
des  relations  entre  l'Ancien  et  le  Nouveau  Monde  dès  l'antiquité, 
pages 3ù4l 


CHAPITRE  II. 


LES   PHENICIENS    EN   A.MEUIQUE. 

Hardiesse  des  Phéniciens  dans  leurs  navigations.  —  Los  l'héniciwH 
aux  Canaries.  —  Inscriptions  des  Canaries  —  Les  Phéuicums  à  Ma- 
dère et  aux  Açores.  —  Les  Açorcs  correspondent  aux  Cassitéridcs.  — 
Inscription  des  Aç«res.  —   Les  IMiéniciens  et  la  mer  des  Sargasses. 

—  La  grande  île  d'Aristotc  et  de  Diodore,  —  Les  Phéniciens  sont- 
ils  allés  jusqu'en  Amérique?  —  Traditions  Américaines.  —  Quetzal- 
cohuatl  et  Volan.  —  Prétendues  analogies  entre  les  langues,  les 
religions  et  les  mneurs  des  Phéniciens  et  des  Américains.  —  Procédés 
industriels.  —   La  statue  d'Onondaga.  —  L'inscription  de  Parahyba. 

—  La  galère  de  l'île  Pedra.  —  L'inscription  de  Taunton.  —  L'ins- 
cription de  Gravca  Creek.  —  L'incription  do  Davenport,  pages.. . .     J2à  88 


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452 


TABLE   DES  MATIKRES. 


CMAPIÏHK  Ml 

LES  JUIFS    K.\   AMKniQli;. 

Les  parlisaiis  du  l'mijîiiio  istaiilitc  des  Américains.  —  Les  piopliélies.  — 
Opliir  et  Tarsis.  —  La  Paivaïiii  on  l'aniiiii.  —  Les  Cliaiiaiiéeiis  de 
Procope. —  PirtendiK!  éini^'ralioii  des  Juils  en  Aiiiériijuc.  —  Kxislu- 
t-il  des  ressenitdances  dans  les  traditions,  dans  les  contunics,  dans  lus 
lun{;ues,  dans  les  types  .luirs  et  Américains  ?  pages 89 à  1 1 1 

CHAPITRE  IV 

LKS   (iRECS    ET   LES    UO.MAIXS   ONT-II,>,    CONNU   I/aMÉRIQUE  ? 

Tiadilions,  tliémies  et  voyajçcs.  —  I.  L'Allanlide  de  Platon.  —  Les  scep- 
ticpies  et  les-  croyants.  —  Possibilité  de  l'existence  de  IWtlantide.  — 
On  était  l'Atlantide  ï  —  Le  continent  f'.roriien  de  PIntanpie.  —  La 
Méropide  d'Klien.  —  11.  L'.\nticliton(!  vÀ  les  .\nli|)odes.  —  Les  terres 
à  l'ouest.  —  Sénéipie  et  la  prophétie  de  la  Médée.  —  Les  anciens 
croyaient  à  lu  |iossitiilité  d'nne  cornninnication  entre  l'Atlantique  et 
la  mer  des  Indes.  -  III.  Voyages  anx  ihss  Korinnées  et  anx  Hcspé- 
ridps.  —  Kiiplicnios  de  Carie  aux  îles  Satyrides.  —  Inscriptions  et 
monnaies  j,'réco-latines.  —  .Analojçies  prétendues  entre  les  langues 
ancieimesetles  lanjçnes  Américaines.  —  Les  Indiens  de  Metellus  Celer, 
pages 112  à  17:2 

CHAPITRE  V 

LES   C().\L\!U.MC.\TIOXS    ENTUE   l'a.MÉRIQLM:   ET   l'aNCIE.N   CONTINENT 
ÉTAIENT  ELLES   POSSIBLES   .\U   .M()YEN-A(ÎE  ? 

Ignorance  géograpliicpie.  —  (lauses  de  cette  ignorance.  —  La  croyance 
aux  Antipodes  combattue  connue  sacrilège.  —  Prétendue  inhabitabilité 
de  la  zone  torride.  —  Progrès  des  notions  gèograpliicpics.  —  Croyance 
à  l'existence  d'un  ou  de  plusieurs  ccmtincnts  au-delà  de  l'Atlantique.  — 
Vincent  de  Beauvais.  —  Hoger  Bacon.  —  Albertle-(irand.  —  Saint 
Thomas.  —  Dante  et  la  Croix  du  Sud.  —  Pierre  d'Ailly.—  Pécheurs, 
pirates  et  missionnaires,  pages 173  à  iOX 

CHAPITRE  VI 

LES   ILES   FANTASTIQUES    DE   l'oCÉAN    ATLANTIQUE. 

Le  Paradis  terrestre.  —  L'île  de  Saint  Brandan.  —  Voyages  entrepris 
à  la  recherche  de  l'île  de  Saint-lirandan.  —  L'île  des  Sept  Cités.  - 


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TABLE  DES   MATIERES. 


153 


Diverses  positions  assigiiées  à  cette  ile  prétcndiie.  —  L'Aiitilia.  —  Où 
était  l'Antilia?  —  il.yllo,  L.a  Man  Satanaxio  cl  Tuninar.  —  lie  de 
Uracii  ou  Brazil.  —  ''layda  et  Isla  Verde,  pages  203  à  2â7 

CHAPITRE  VII 

VOYAr.ES    UKS   ARABES    DANS   I.' ATLANTIQUE. 

Grand  rôle  des  Arabc^  dans  l'Histoire  de  la  civilisation.  —  Leurs  con- 
naissances géographiques  sur  l'Atlantique.  —  L'expédition  des  frères 
Maghrurins,  pages 228  à  237 

CHAPITRE  VIII 

l.KTi   inL.\M)AIS    EN   AMKIUQUK   AVANT    COI.O.Mll    u'APnÈS    LA   LÉfiENDE 
KT   l'iiISTOIUE.    —    COLOXIS.VTION    l)K   L'iRL.VM)   IT   MIKLA. 

L'Irlande  est  au  moyen- Age  la  terre  des  saints  et  des  voyageurs.  —  La 
If'gcnde  do  Condla  le  Beau  —  Les  aventures  de  Cuculain. —  Léogairc. 
—  Fionn. —  La  légende  d'Oisin  et  la  fontaine  de  Jouvence.  —  Saint- 
Krandan  et  ses  courses  à  travers  rAtlanti(|ue.  —  Qu'y  a-t-il  de  vrai 
dans  cette  légende? —  Les  fils  de  Conal  IJcagli.  —  Les  voyages  de 
.Mallduin.  —  Traditions  du  pays  de  Galles.  —  L'île  d'Avallon.  —  La 
légende  d'Elie  et  d'Knocli.  —  Voyages  des  Papip  Irlandais  dans 
l'Atlantique.  —  Cormac,  Siiedglius,  Mac-Riaglila.  —  Leurs  stations 
aux  Oreades,  aux  Shetland,  aux  Féroë  et  en  Islande.  —  L'irland  It 
.Mikia.  —  Voyage  de  l'Ishindais  Are  Marsson  en  Irland  It  Mikla  — 
Bjoerii  et  Gudleif.  —  La  saga  de  Thorlînn  Karlsefne.  —  Le  voyage  du 
péciicur  Frislandais  d'après  Nicole  Zeno.  —  Les  triades  Galloises  et 
réniigration  du  prince  Madoc.  —  Persistance  du  langage  Gallois  en 
Amérique.  —  Madoc  a  débarqué  dans  l'irland  It  Mikla.  —  Persistance 
des  usages  chrétiens  dans  l'irland  It  Mikla,  pages 238  à  2'>M 

CHAPITRE  IX 


à -201 


LES  NOHTII.MAN!^    KN    AMÉRIQUE.   —    LE    VINLANI)    ET   LA   NORAMBEliA 

Courses  maritimes  des  Northmans.  —  La  bulle  de  Grégoire  IV. —  Décou- 
vertes et  travaux  modernes. —  Colonisation  de  l'Islande.  —  Gunnbjorn 
et  Erick  Rauda  au  Groenland.  -  Voyage  de  Biarn  Heriulfson.  — 
Leif  Ericson  découvre  le  Hclluland,  le  Markland  et  le  Vinland.  — 
Voyage  de  Thorwald  Ericson  à  Leifsbudir  en  Vinland.  —  Voyage  de 
Thorstein  et  de  Gudrida.  —  Voyage  de  Thorlînn  Karlsefne  —  Les 
SkroPllings.   -   Productions  du  Vinland.—  Voyage  de  Tiiorwald  et  de 


Ab\ 


TABLE   DES   MATIERES. 


Kicydisa.  —  Voyage  de  Hcrvador.  —  Le  Viiiland  cunnu  cii  Europe.  — 
Le  chris'iaiiisme  cl  la  croisade  au  Vinland.  —  Courses  et  voyages  dans 
les  rét^iotis  boi'éales.  —  Découvertes  d'Adhalbrand  <'À  de  Thorvald.  — 
Commerce  de  puissous  et  d«  bois  (lotU*.  —  Décadence  des  colonies  du 
Vinland.  —  Adaqucs  iticcssantes  des  Skioellin{;s.  --  La  |)estc  noire.  — 
On  perd  la  notion  en  Europe  du  Groenland  et  du  Vinland.  —  La 
Norambega.  —  Recherche  de  la  Norambega  à  travers  les  cartes  et  les 
documents  géographiques.  —  Où  était  la  Norambega  ?  pages. . .     292  à  356 

CHAPITRE  X 

LES   VOYAGES   DES    FRÈRES   ZENI. 


î 


Génie  .  .iturcux  des  Vénitiens.  —  Voyage  de  Nicolo  Zciio.  —  Voyage 
d'Antonio  Zeno.  -=-  Expéditions  en  Estland,  en  Engroveland.  —  Les 
pécheurs  Frislandais  en  Estotiland  et  à  Drogeo.  —  Expédition  de 
Ziclimni  dans  la  direction  de  l'ouest.  —  Icaria.  —  Catcrino  Zeno  et  la 
première  édition  de  la  relation.  —  Authenticité  de  la  relation.  —  Le 
prince  Zichmni.  —  La  Frislande  et  les  Feroë.  —  L'Eiigroneland  et  le 
monastère  de  Saint-Thomas.  —  L'Icaria.  —  L'Estotiland  et  les  Esto- 
tilandais.  —  Drogeo,  pages 357  à  M\ 


CHAPITBE  XI 

TRACES    I)E     LA     PRÉSENCE    DES     EUROPÉENS     EN 

CHRISTOPHE  COLO.MB. 


A.MEHIQUE    AVANT 


L  Les  Monuments.  —  Maison  de  pierre  de  Newport.  —  Monuments 
apocryphes.  —  Hoc  de  Dighton.  —  Les  ruines  Groenlandaises.  —  IL 
Les  langues.  —  Prétendues  ressemblances  entre  les  langues  Améri- 
caines et  Européennes.  —  La  chanson  des  Souriquois.  —  La  langue 
Souriquoise.  —  III.  Les  traditions.  —  Prétendues  émigrations  des 
Scythes,  des  Germains,  des  Frisons,  des  Hernies.  —  Les  Toltèqucs  et 
le  Popol  Vuh.  —  La  Gougou.  —  IV.  Les  rcligitms.  —  Saint  Thomas 
en  Amérique.  —  Les  panœ  Irlandais  et  Quetzalcohuatl.  —  Le  Christ 
honoré  en  Amérique.  —  Ressemblances  entre  les  rites  et  les  croyances 
Américaines  et  Chrétiennes.  —  Traces  persistantes  du  christianisme  de 
l'ancien  Vinland.  —  Les  Porte-Croix  de  (îaspésic,  pages ^102  n  450 


Saint-Bricuc.  —  Imprimerie  Francisque  Guyon.  rua  Saint-Gilles.