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Full text of "Biographie universelle ancienne et moderne, ou, Histoire, par ordre alphabétique, de la vie publique et privée de tous les hommes qui se sont fait remarquer par leurs écrits, leurs actions, leurs talents, leurs vertus ou leurs crimes : Ouvrage entièrement neuf"

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BIOGRAPHIE 

UNIVERSELLE, 

ANCIENNE  ET  MODERNE. 
SIIPPLÉME]\T. 


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Imprimé  par  POUPART-DAVYL  et  Cic,  rat  du  Bae,  SO. 


1 


BIOGRAPHIE 

UNIVERSELLE, 

ANCIENNE  ET  MODERNE 
SUPPLÉMENT 

ou 

•UITE  DE  l'histoire,  PAR  ORDRE  ALPHABÉTIQUE,  DE  LA  VIE  PUBLIQUE  IT 
PRIVÉE  DE  TOUS  LES  HOMMES  QUI  SE  SONT  FAIT  REMARQUER  PAR  LEURS 
ÉCRITS,  LEURS  ACTIONS,  LEURS  TALENTS,  LEURS  VERTUS  OU  LEURS  CRIMES, 

OCtKAGB    KNTISKBMIirT    HBOr, 

PAR  UNE  SOCIÉTÉ  DE  GENS  DE  LETTRES  ET  DE   SAVANTS. 


On  doit  des  égards  aux  TiraDts;  oo  ne  doit  aux  mort« 
qoelarérité.  (Volt.,  Première Ltltrt  <ur  OEdipo.) 


TOME  QUATRE-VINGT-CINQUIÈME. 


A  PARIS, 
CHEZ    BECK,    LIBRAIRE, 

EUE   DES   GEàNDS-àUGUSTINS,    3. 


1862  ^--"^-''^vçrTJfJj- 

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17  II 

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SIGNATURES  DES  AUTEURS 


DU  QUATRE-VINGT-CINQUIÈME  VOLUME, 


MM. 

MM. 

B— D— E. 

Badichb. 

D— p. 

DUPEUTT. 

B— RE. 

Barrière. 

M — G — R. 

Garnier  (Maurigi). 

B. 

Bertin. 

G. 

OATTET. 

B— L— u. 

Blonde An. 

L— c. 

Leclerc. 

A.  B— ÉE. 

BOULLÉE. 

Val.  P— t. 

Parisot. 

Ch. 

Chevallier. 

P— s. 

Simonin. 

F— D— L. 

Delécluze. 

L-v. 

Vaucher. 

B — D — L— M. 

Demontal. 

V. 

Vernes. 

D— V. 

Devilletceuve. 

D— w. 

Wap. 

D— M. 

Dumoulin. 

Z. 

Anonyme. 

ERRATA. 


Page  163,  2*  colonne,  dernière  ligne,  article  Vatimesnil,  au  lieu  de  : 
il  sortit  de  Vincennes.  lisez  :  il  sortit  du  Monl-Valérien. 

Page  <76,  4"  colonne,  ligne  40,  article  Vaublanc,  au  lieu  de  :  qui 
l'avait  fait  placer,  lisez  :  qu'il  avait  fait  placer. 

Page  431,  2*  colonne,  ligne  42,  article  Villèle,  au  Ueu  de  :  Villèie 
eût  peu  d'intérêt,  lisez  ;  mil  peu  d'intérêt. 


AVIS   DE   L'EDITEUR. 


M.  MiCHAUD,  fondateur  et  l'un  des  collaborateurs  les  plus  actifs 
de  la  Biographie  universelle,  est  mort  au  moment  où  allait  être 
publié  le  Lxxxiv»  volume  de  cet  ouvrage.  Bien  que  son  nom  ne 
se  présente  pas  dans  l'ordre  alph::l.ét"que  de  ceux  composant  le 
volume  que  nous  publions  aujourd'hui,  nous  croyons  faire  quelque 
chose  d'agréable  aux  nombreux  souscripteurs,  en  plaçant  en  tête 
de  ce  Lxixv*  volume  une  notice  sur  la  vie  et  les  travaux  d'un  homme 
qui  s'est  acquis,  par  cette  vaste  entreprise,  une  juste  célébrité,  et 
dont  ils  ont  été  à  même  d'apprécier  le  mérite  comme  historien  et 
comme  écrivain.  C'est  d'ailleurs  un  hommage  qu'il  nous  paraît 
convenable  de  rendre  à  celui  qui  a  consacré  une  grande  partie  de 
sa  vie  à  l'édification  d'un  monument  littéraire  de  la  plus  haute 
importance. 


NOTICE 


L.   G.   MICHAUD 


PAR   EM.    G. 


Issu  d'une  famille  honorable  de  la  Savoie,  dont  Tun  des  ancêtres, 
Hugues  Michaud  de  Corcelles,  fut  anobli  par  l'empereur  Charles-Quint 
(voir  lonoe  lxxiv,  page  21),  et  qu'un  événement  malheureux  obligea  de 
se  réfugier  en  France  (voir  l'art.  Michaud  (Joseph),  t.  lxxiv,  p.  24), 
Michaud  (Louis-Gabriel)  naquit  le  21  janvier  4773,  à  Villelle,  près  le 
Ponl-d'Ain,  petite  ville  de  l'ancienne  Bresse,  et  aujourd'hui  du  départe- 
ment de  l'Ain.  Élevé,  comme  son  frère  aîné  Michaud  (Louis-Joseph), 
de  PAcadémie  française,  au  collège  de  Bourg,  où  ils  firent  tous  les  deux 
d'excellentes  éludes,  il  venait  à  peine  de  terminer  les  siennes  lorsque 
commençait  à  gronder  l'orage  révolutionnaire  qui  allait  éclater  sur  la 
France. 

L'émigration  de  beaucoup  d'officiers  appartenant  à  la  noblesse  lais- 
sait de  nombreux  vides  dans  les  cadres  de  l'armée  et  rendait  les  emplois 
facilement  accessibles.  Entraîné  par  son  goût  pour  les  armes  et  bien 
qu'à  peine  âgé  de  dix-neuf  ans,  sans  connaissance  aucune  de  l'art  du 
commandement,  le  jeune  Michaud  obtint  le  brevet  de  sous-lieutenant, 
et  entra  avec  ce  grade,  le  15  septembre  1791,  dans  le  régiment  royal 
des  Deux-Ponts,  infanterie.il  fit  ainsi  les  premières  campagnes  de  la  ré- 
volution, et  prit  part,  sous  les  généraux  Dumouriez  et  Kellermann.aux 
batailles  de  Valmy  et  de  Jemmapes,  et  successivement  aux  divers  com- 
bats qui  eurent  lieu  dans  le  Nord.  Forcé  par  des  raisons  de  santé  d'aban- 
donner le  service,  il  quitta  l'armée  en  1797,  avec  le  grade  de  capitaine 
dans  le  402*  régiment  de  ligne. 

A  son  retour  en  France,  Michaud  y  retrouva  son  frère  aîné,  dont  il 
partageait  les  opinions  anti-révolutionnaires,  et  s'associa  à  lui  pour  la 
publication  d'écrits  royalistes  qui  les  exposèrent,  l'un  et  l'autre,  aux 
poursuites  du  gouvernement  républicain. 


—  II  — 

Ils  fondèrent,  en  société  d'un  de  leurs  amis  communs,  le  sieur  Giguei, 
une  imprimerie  qui,  d'abord  clandestine,  servit  à  la  publication  de  ces 
écrits,  et  qui,  plus  tard,  lorsque  le  régime  devint  moins  rigoureux, 
s'exploita  au  grand  jour  et  conserva  toujours  son  caractère  monar- 
chique et  religieux.  Il  s'y  imprima,  entre  autres  choses,  un  écrit  de  la 
main  de  Louis  XVIII,  parvenu  par  l'entremise  de  Royer-Collard,  qui 
attira  sur  eux  les  rigueurs  de  la  police  directoriale  et  leur  valut  un 
emprisonnement  de  plusieurs  mois  à  TAbbaye. 

C'est  de  leurs  presses  que  sortit,  quelque  temps  après,  une  Biographie 
en  quatre  volumes  in-^"  de  tous  les  hommes  morts  et  vivants  ayant  mar- 
qué, à  la  fin  du  dix-huitième  siècle  et  ûu  commencement  de  celui  actuel,  par 
leur  rang,  leur.^  emplois,  leurs  talents,  leurs  écrits,  leurs  malheurs,  leurs 
vertus,  leurs  crimes,  etc.  On  doit  bien  penser  que  dans  cette  galerie  con- 
temporaine, soi-disant  imprimée  à  Breslau  et  à  Leipsick,  bien  qu'elle 
ait  été  composée  et  imprimée  par  les  frères  Michaud ,  les  hommes  de 
la  révolution  furent  traités  selon  leurs  mérites.  Il  est  à  croire  que  cet 
ouvrage,  qui  eut  un  grand  succès,  inspira  à  ses  auteurs  l'idée  d'entre- 
prendre la  Biographie  universelle,  dont  l'un  d(  s  deux,  celui  dont  nous 
nous  occupons  ici,  a  poussé  courageusement  la  publication  jusqu'au 
terme  où  elle  est  aujourd'hui  parvenue. 

Vers  celle  même  époque,  ayant  appris  que  l'abbé  Delille»  réfugié  h 
Londres,  avait  terminé  plusieurs  de  ses  ouvrages  et  était  à  la  recherche 
d'un  éditeur,  Michaud  se  rendit  en  Angleterre;  sa  réputation  ds  roya- 
lisme le  fit  accueillir  favorablement  par  le  célèbre  poêle.  Bien  que  ses 
offjes,  mesurées  sur  la  faiblesse  de  ses  moyens  pécuniaires,  fussent  infé- 
rieures à  celles  de  ses  concurrents,  la  préférence  lui  fui  accordée,  ei  il 
revint  muni  d'un  fonds  qui  donna  à  sa  librairie  une  importance  qu'elle 
n'avait  pas  jusque-là  (i). 

Lu  des  premiers  ouvrages  publiés  fut  le  poème  de  la  Pitié.  Ceux  qui 
vivaient  à  celle  époque  doivent  se  rappeler  à  quel  point  l'esprit  uévo- 
lutionnaire,  qui  dominait  encore  dans  une  partie  de  la  population,  se 
déchaina  contre  la  flétrissure  que  lui  infligeait  cette  admirable  poésie. 
Le  gouvernement  impérial,  qui  venait  d'écraser  le  parti  jacobin,  ne 
pouvait  empêcher  cette  publication;  il  se  contenta  de  faire  retrancher 
par  la  censure  quelques  passages  faits  pour  l'offusquer  (2)  ;  mais  les 


(1)  Michaod  et  Giguet  étaient  inipiimeurs-libraires. 

(2)  Entre  autres,  ces  vers  oii  le  poëte  s'adressant  à  Alexandre,  empereui  de 
Ruti&ir,  lui  dit  : 

Souviens-toi  àc  ton  nom  :  Alexandre,  autrefois, 
Fit  monter  un  vieillard  sur  le  trône  des  rois  ; 
Sur  le  front  de  Louis  tu  mettras  la  courrjnne  ; 
Le  sceptre  le  plus  beau,  c'est  celui  que  l'oti  donne. 


—  III  -— 

adhérenU  encore  fort  nombreux  de  ce  parti  poursuivirent  de  leurs 
injures  et  de  leurs  sarcasmes  celle  œuvre  de  réprobation.  Nous  nous 
rappelons  atoir  vu  les  murs  de  Paris  couverts  d'affiches  où  on  lisait* 
écrit  en  gros  caraclères  :  «  Point  de  pitié  pour  la  Pitié.  » 

Michaud,  en  compagnie  de  son  frère,  qui  bientôt  se  trouva  forcé  de 
l'abandonner,  entreprit  l'œuvre  colossale  de  la  Biographie  universelle, 
dont  il  était  difticile  de  mesurer  retendue  et  de  déterminer  la  longueur 
d'exécution.  A  un  travail  de  celle  nature  et  de  cette  importance  devaient 
nécessairement  concourir  un  grand  nombre  d'écrivains  ;  les  plus  célèbres 
de  l'époque  s'empressèrent  de  répondre  à  l'appel  des  éditeurs.  La  liste 
des  collaborateurs  de  ce  grand  ouvrage,  qu'on  peut  regarder  comme  le 
monument  littéraire  le  plus  considérable  du  siècle,  présente  les  noms 
des  hommes  les  plus  illustres  dans  les  lettres  et  les  sciences,  non-seule- 
ment de  la  France,  mais  de  l'étranger.  Les  Villemain,  les  Guizot,  les 
Baranle,les  Cuvier,  lesDelambre,  lesChaussier,  lesMaltebrun,  les  Hum - 
boldt,  les  Chateaubriand,  les  Delille,  les  Lally-Tolendal,  les  Walcke- 
naer,  les  Villenave,  etc.,  etc.,  apportèrent  à  cette  vaste  publication  le 
tribut  de  leurs  talents;  et  ce  livre,  précieux  parles  notices  qu'il  renferme 
et  par  la  spécialité  des  auteurs  qui  les  ont  écrites,  ne  l'est  pas  moins  par 
les  morceaux,  plus  ou  nioins  étendus,  du  slyln  de  chacun  de  ces  célèbres 
écrivains;  c'est  à  la  fois,  une  galerie  historique,  scienliflque  et  litté- 
raire ,  à  rédification  de  laquelle  on  a  considéré,  depuis,  comme  un  hon- 
neur d'avoir  coopéré. 

On  comprend  que  ces  éléments  divers  d'un  même  ouvrage,  provenant 
de  plumes  si  nombreuses,  devaient  manquer  de  cohésion,  et  que,  pour 
en  faire  un  tout  parfaitement  homogène ,  il  était  indispensable  qu'une 
direction  unique  les  maintînt  dans  l'esprit  qui  avait  présidé  à  la  créa- 
tion de  ce  grand  ouvrage.  C'est  à  ce  soin  que  Louis  Gabriel  Michaud  nt 
cessa  pas  un  seul  instant  de  s'appliquer  avec  un  zèle  et  un  discerne- 
ment qui  ajoutent  au  mérite  de  celte  vaste  entreprise  et  semblent  avoir 
fixé  pour  jamais  la  célébrité  du  laborieux  écrivain  qui  l'a  dirigée.  Le 
premier  volume  avait  paru  en  1811  et  le  dernier  fut  publié  en  1828. 
C'est  donc  dix-sept  ans  que  dura  ce  travail;  mais  pendant  celte  longue 
période  de  temps,  beaucoup  de  personnages  célèbres  et  dignes  de  figu- 
rer dans  celle  grande  galerie  historique  étaient  morts  après  la  publi- 
cation du  volume  dans  lequel  l'ordre  alphabétique  plaçait  leur  nom  ;  i! 
était  donc  indispensable  d'entreprendre  un  supplément,  destiné  en  outre 
à  contenir  les  articles  importants  qui  pouvaient  avoir  été  omis.  Dans 
celle  seconde  partie  de  l'ouvrage,  ce  n'étaient  pins  les  événements  des 
temps  plus  ou  moins  éloignés  qu'il  s'agissait  de  raconter,  mais  ceux  des 
temps  très-modernes,  dont  les  héros  récemment  enlevés  avaient  des 
témoins  encore  virants  de  leur  existence  ,  des  parents,  des  amis  et  aussi 
des  ennemis.  Si  la  tâche  était  moins  difficile,  sous  le  rapport  de  l'txac- 


—   IV  — 

titude  des  faits  à  retracer,  elle  devenait  plus  délicate,  plus  épineuse  en 
ce  qui  touchait  les  jugements  à  porter  sur  des  hommes  dont  la  cendre 
était  à  peine  refroidie,  et,  dans  maintes  circonstances,  il  fallait  un  cer- 
tain courage  pour  écrire  avec  vérité  et  juger  impartialement  les  actes 
de  ces  contemporains. 

Ifichaud  ne  recula  devant  aucun  des  désagréments,  on  pourrait  même 
dire  des  dangers  auxquels  l'exposait  sa  responsabilité  d'éditeur;  il  eut 
dans  plusieurs  occasions  des  luttes  plus  ou  moins  vives  à  soutenir  contre 
les  prétentions  ou  les  susceptibilités  de  personnes  appartenant  à  des 
défunts  qu'on  ne  trouvait  pas  assez  gloriflés  ou  qu'on  trouvait  traités 
trop  sévèrement,  et  toujours  il  sut  maintenir  avec  énergie  les  droits  qu'a 
l'historien  de  raconter  les  faits  auxquels  la  célébrité  des  personnages  a 
donné  de  la  notoriété,  et  de  juger  les  actes  de  leur  vie  publique  ou  leurs 
écrits,  s'appuyanl  sur  cette  sentence  qui  sert  d'épigraphe  à  son  livre  : 
On  doit  des  égards  aux  vivants,  on  ne  doit  aus  morts  que  la  vérité. 
(Voltaire.) 

Il  concourut  personnellement  à  la  rédaction  d'un  grand  nombre  d'ar- 
ticles de  cette  biographie  moderne  pour  laquelle  sa  prodigieuse  mémoire 
des  hommes  et  des  événements  lui  fournissait  d'abondantes  ressources. 
Il  terminait  le  trente-deuxième  volume  de  ce  supplément  (quatre-vingt- 
quatrième  de  l'ouvrage  entier),  lorsque  la  mort  est  venu  l'enlever. 

Michaud  vit  dans  la  Restauration,  le  triomphe  de  la  cause  que,  pendant 
diX'huit  ans,  il  n'avait  cessé  de  servir  avec  un  zèle  et  un  dévouement  les 
plus  dignes  d'éloges.  Dans  les  circonstances  difficiles  qui  accompa- 
gnèrent cette  Restauration,  il  se  joignit  aux  royalistes  qui  n'épargnèrent 
aucun  effort  pour  en  préparer  les  voies  ei  fixer  en  faveur  des  Bourbons 
l'indécision  les  souverains  alliés,  notamment  de  l'empereur  de  Russie, 
arbitre  suprême  de  la  situation.  I.es  commissaires  du  roi,  MM.  de  Sémallé 
et  de  Polignac,  trouvèrent  en  lui  un  puissant  et  courageux  auxiliaire 
pour  l'impression  et  la  propagation  ries  diverses  proclamations  adressées 
aux  Français  par  les  membres  de  la  famille  royale.  Enfin,  lorsque,  après 
l'entrée  des  alliés  dans  Paris,  le  prince  de  Talleyrand,  qui  exerça  à  cette 
époque  un  crédit  momentané  mais  immense  sur  l'esprit  du  czar,  par- 
vint ii  obtenir  de  ce  souverain  uue  déclaration  par  laquelle  ses  allies  et 
lui  se  refusaient  formellement  'i  traiter  avec  Napoléon  ou  tout  autre  per- 
sonne de  sa  famille',  ce  fut  à  l'imprimeur  Michaud  que  le  secrétaire  de  ce 
dip'omale  s'empressa  de  porter  cette  déclaraliou  qu'il  était  essentiel  de 
publier  sans  le  moindre  retard,  afin  d'éviter  que  le  czar  ne  revînt  su:  la 
dr^terminalioii  qu'on  était  parvenu  k  lui  faire  prendre.  Michaud  apporta 
dans  cette  grande  afTaire  tonte  l'aclivit»'  dont  était  capable  son  zèle  plein 
d'ardeur.  Le  soir  même  une  épreuve  rie  la  déclaration  mise  sous  les 
yeux  de  l'empereur  de  Russie  recevait  de  sa  propre  main  une  addition 


des  plus  importantes  (1),  et  le  lendemain  matin,  celt3  déclaration,  pla- 
cardée sur  tous  les  murs  de  Paris ,  engageait  irrévocablement  la  parole 
des  souverains  alliés.  La  cause  des  Bourbons  était  gagnée. 

Quand  on  réfléchit  que  le  sort  de  la  France  se  débattait  en  ce  moment 
entre  les  irrésolutions  d'Alexandre,  les  négociations  pressantes  de  Cau- 
laincourt  et  les  convulsions  du  colosse  impérial,  qui,  profondément 
blessé  mais  non  encore  abattu,  menaçait  de  ressaisir  son  pouvoir  par  un 
suprême  effort,  on  ne  peut  se  dissimuler  que  le  concours  de  l'imprimeur 
royalile  offrait  tous  les  caractères  d'une  héroïque  témérité ,  et  l'on  peut 
afiQrmer  que  cet  acte  de  dévouement,  si  périlleux  dans  les  circonstances 
où  l'on  se  trouvait  alors,  ne  contribua  pas  moins  que  tout  ce  qu'il  avait 
fait  jusque-là  au  succès  de  la  Restauration. 

De  pareils  services  réclamaient  une  brillante  récompense;  mais  au  rai- 
lieu  des  bruyantes  démonstrations  d'attachement  et  de  fldélité  qui  entou- 
raient le  trône  à  peine  relevé,  ils  furent  à  peu  près  perdus  de  vue,  et  le 
courageux  serviteur  reçut  pour  tout  salaire  la  croix  de  la  Légion 
d'honneur  et  le  titre  d'imprimeur  du  roi,  qui ,  depuis  longtemps  déjà, 
lui  était  prorais  par  les  princes  exilés. 

Cette  rémunération  parut,  avec  raison,  insuffisante  à  Michaud;  elle 
ne  lui  sembla  pas  en  rapport  avec  les  périls  auxquels  il  s'était  exposé  et 
les  persécutions  qu'il  avait  endurées. 

Cette  sorte  d'ingratitude  ût  naître  en  lui  des  dispositions  peu  favo- 
rables à  l'égard  du  souverain  pour  lequel  il  avait  sacrifié  son  repos  et 
jusqu'à  sa  vie,  et  dont  il  était  loin ,  d'ailleurs ,  de  partager  les  ten- 
dances libérales.  Dans  son  goût  exclusif  pour  les  anciennes  institutions 
monarchiques  et  pour  le  pouvoir  absolu,  qu'il  considérait  comme  le 
•eul  moyen  de  gouverner  les  peuples,  les  concessions  que  fit  Louis  XVIII 
aux  idées  révolutionnaires  de  89,  et  la  charte  qui  en  fut  la  conséquence^ 
parurent  à  ses  yeux  autant  de  fautes  et  de  faiblesses  qui  devaient  entraîner 
de  nouveau  la  chute  du  règne  des  Bourbons.  Sans  vouloir  jamais  tenir 
compte  des  circonstances  difficiles  au  milieu  desquelles  s'était  opérée  la 
Restauration,  sans  admettre  l'impossibilité  de  rétablir  la  puissance  royale 
sur  des  bases  qui  depuis  longtemps  n'existaient  plus,  et  d'en  revenir  à  un 
système  que  vingt-cinq  ansde  révolution  avaient  rendu  incompatible  avec 
l'esprit  de  la  génération  nouvelle,  Michaud  ne  ce^sa  de  blâmer  les  actes 
de  la  Restauration  et  surtout  la  condescendance  ^a  elie  apportait  dans  le 
choix  de  ses  agents.  Cependant  les  sentiments  monarchiques  et  le  culte 


(i)  La  phrase  ajoutée  de  la  maio  même  de  l'empereur  Alexandre  était  celle-ci  : 
«  Ils  peuvent  même  faire  plus  (les  souverains  alliés),  parce  qu'ils  professent  ton- 
«  jours  le  principe  que,  pour  le  bonheur  de  l'Europe,  il  faut  que  la  France  Mit 
I  grande  et  forte.  ^ 


d€  ta  légitimité  étaient  trop  profondément  gravés  dans  son  cœur  pour 
que  rien  pût  les  détrnire,  et  son  opposition  n'allait  pas  au  delà  de  son 
apprécialion  personnelle  sur  la  marche  du  gouvernement  ;  si  le  salut  du 
trône  eût  exigé  de  lui  de  nouveaux  sacrifices,  il  n'eût  pas  un  senl  ins- 
tant hésité  à  les  faire. 

En  48Î3,  Michaud  fut  nommé  directeur  de  l'imprimerie  royale ,  mais 
les  soins  et  la  surveillance  qu'exigeait  cette  importante  administration 
la  forçant  de  négliger  les  affaires  de  son  commerce  qui  étaient  [pour  lui 
d'une  importance  plus  grande  encore  ,  il  se  démit  de  cet  emploi. 

Sans  avoir  une  supéri<H*ité  de  talent  comparable  à  celle  de  son  illustre 
frère,  Michaud  possédait  un  mérite  littéraire  qui  le  rendait  propre  au 
genre  historique  qu'il  avait  adopté  et  qui  avait  principalement  pour 
objet  les  graiids  événements  qui  signalèrent  la  fin  du  siècle  dernier  et  le 
commencement  du  siècle  actuel,  ainsi  que  la  vie  des  hommes  qui  y  ont 
pris  part,  événements  qui,  in  eux  seuls,  offrent  plus  de  matière  que  ceux 
de  plusieurs  des  siècles  passés.  Témoin  attentif  et  bien  informé  de  ces 
événements,  doué  d'une  mémoire  extraordinaire,  il  en  gardait  Odèleraent 
la  trace,  et  nul  ne  savait  mieux  que  lui  en  préciser  la  date  et  les  circons- 
itnces.  Il  avait  suivi  pas  à  pas  toutes  les  phases  de  la  révolution  fran- 
çaise, en  avait  apprécié  avec  justesse  et  discernement  les  causes  et  les 
conséquences,  et  dissertait  avec  talent  sur  cet  intéressant  sujet.  Sa  con- 
versation vive,  animée  et  peuplée  de  souvenirs  était  alors  des  plus  atta- 
chantes. 

Le  supplément  de  la  Biographie  universelle,  particulièrement  consacré 
ï  la  nécrologie  des  contemporains,  offrait  à  Michaud  un  cadre  favorable 
pour  placer  les  portraits  qu'il  était  dans  sa  spécialité  de  tracer,  et  si, 
dans  la  première  partie  de  cet  ouvrage,  son  nom  ne  figure  que  rarement 
dans  la  liste  des  collaborateurs,  on  le  trouve  au  bas  d'un  grand  nombre 
d'articles  du  supplément.  Quelques-uns  de  ces  articles  sont  très-impor- 
tants, entre  autres  ceux  de  Louis  XVlll,  Ferdinand  VII,  Dumouriez,  le 
prince  Eugène,  Saint-Simon,  Talleyrand  et  surtout  celui  de  Napoléon  Bo- 
naparte, auquel  il  a  donné  un  développement  qui  n*est  plus  celui  d'une 
simple  notice,  mais  bien  d'un  abrégé  historique. 

Il  a  déployé  dans  ces  articles  le  talent  d'un  véritable  historien,  et  les 
faits  sont  retracés  a*  ".  une  clarté  de  style  qui  en  rend  la  lecture 
attrayante.  Ayant  fait  plusieurs  années  la  guerre,  Michaud  était  plus  à 
même  que  bien  des  narrateurs,  de  décrire  les  mouvements  stratégiques 
des  batailles  livrées  par  les  grands  généraux  dont  il  raconte  les  exploits, 
et  d'en  discuter  le  mérili'. 

On  a  néanmoins  reproché  ii  cet  écrivain  d'avoir  un  peu  trop  souvent 
svbordoniié  ï  sa  propre  manière  de  voir,  son  jugement  sur  certains 
hommes  politiques,  et  de  n'avoir  pas  toujours  conservé,  dans  ses  appré- 
ciations, l'impartialité  que  lui  commandait  son  devoir  d'historien.  Son 


—  m  — 

Article  sur  Napoléon  Bonaparte,  le  plas  étendu  de  tous  ceux  qu'il  a  écrits, 
e(  l'on  peat  même  dire  de  tous  ceux  que  reoferme  la  Biographie  um- 
venelle,  t  particulièremeut  donné  lieu  à  ce  reproche. 

Sans  doute,  aux  yeax  des  enthousiastes  et  fanatiques  admirateurs 
quand  même  de  ce  grand  homme,  il  peut  paraître  que  certains  actes  de 
st  Tie  politique  et  de  sa  diplomatie  sont  présentés  ayec  trop  peu  de 
bienveillance,  et  que  les  erreurs  et  les  fautes  commises  dans  le  cours 
d'une  carrière  si  féconde  en  grands  événements  ont  été  jugées  avec 
une  sévérité  qui,  quelquefois,  peut  ressemblera  un  défaut  d'impartialité  ; 
mais  ce  reproche  pourrait  peut-être  aussi  s'adresser  en  quelques  circons- 
tances à  ceux  de  ses  plus  dévoués  partisans  qui  ont  écrit  sur  cet  inté- 
ressant sujet.  Ce  n'est  pas  la  faute  de  l'historien  si  les  faits  qu'il  est 
obligé  de  raconter  tels  qu'ils  ont  eu  lieu,  comportent  en  eux-mêmes  le 
blâme  dont  ils  sont  l'objet  et  prêtent  à  la  critique.  On  ne  peut  nier  d'ail- 
leurs, que,  rendant  justice  entière  au  rare  mérite  de  Napoléon  comme 
législateur,  et  surtout  comme  homme  de  guerre,  l'auteur  ait  manifesté, 
dans  une  foule  de  circonstances,  son  admiration  pour  la  grandeur  de 
son  génie  et  l'héroïsme  de  son  courage.  On  ne  peut  dire  non  plus  que  le 
dernier  acte  et  le  tragique  dénoùment  de  ce  grand  drame  historique  ne 
soient  traités  avec  le  sentiment  d'une  véritable  sympathie,  et  que  le  plus 
grand  hommage  ne  soit  rendu  au  sublime  caractère  qu'a  déployé  cet 
infortuné  monarque  dans  les  derniers  instants  de  sa  vie. 

Il  est  peu  d'hommes  dont  la  carrière  ait  été  aussi  laborieuse  que  celle 
de  Michaud.  Éditeur  d'ouvrages  importants  dont  la  publication  exigeait 
beaucoup  de  soins  et  de  travail,  de  cette  Biographie  universelle  dont  il 
fallait  constamment  diriger  la  marche,  former  les  nomenclatures,  pour 
laquelle  il  fallait  obtenir  le  concours  des  écrivains  les  plus  célèbres,  sti- 
muler leur  zèle,  revoir  avec  eux  leurs  articles  qu'il  importait  de  main- 
tenir dans  l'esprit  général  de  l'ouvrage;  auteur  lui-même  d'un  grand 
nombre  de  notices  dont  quelques-unes  fort  importantes  (1),  la  vie  de 
cet  homme  fut  dévouée  tout  entière  au  travail  et  complètement  privée 
de  distractions.  Malheureusement  cette  existence,  qui  aurait  dû  être  pour 
lui  une  source  de  fortune  ou  au  moins  de  grande  aisance,  s'est  trouvée 
en  plusieurs  circonstances  compromise  par  des  revers,  des  pertes  com- 
merciales (2)  et  par  ces  procès  qui  accompagnent  inévitablement  toute 


(1)  Le  nombre  des  articles  insérés  par  Michaud  dans  la  Biographie  univer- 
selle jusques  et  y  compris  le  lxxxiv»  volume,  est  de  1,320. 

(2)  En  1833,  l'incenJie  d'une  maison,  rue  du  Pot-de-fer,  dans  laquelle  Michaud 
occupait  un  vaste  magasin  rempli  d'ouvrages  en  feuille,  consuma  la  totalité  de 
ces  imprimés,  qu'il  n'avait  pas  eu  la  précaution  de  faire  assur»^r,  et  lui  causa  unt 
perte  immense. 


—  VIII    — 

Yasle  entreprise,  malheurs  qui,  dans  les  dernières  années  de  sa  vie,  le 
réduisirenl  à  un  état  de  gêne  extrême.  Son  travail  était  devenu  son 
unique  ressource,  et  c'est  la  plume  à  la  main,  qu'à  l'âge  de  quatre-vingt- 
trois  ans,  la  mort  est  venue  le  ravir  à  l'affection  d'une  famille  intéres- 
sante dont  il  était  le  seul  appui. 

On  doit  à  cet  écrivain,  en  dehors  de  la  Biographie  universelle ^  une  His- 
toire de  Louis-Philippe,  roi  des  Français,  1  vol.  in-8',  Paris  ;  une  Notice 
historique  sur  lu  princesse  Louise  de  Bourbon^  duchesse  de  Parme^  br.  in-lS. 


BIOGRAPHIE 


UNIVERSELLE 


1SUPPI.ÉMEI1T 


V 


VANDEBERGUE - SÉURRAT 

(Claude)  était  un  actif  et  habile 
négociant  (roricans,  non-senlement 
Irès-experl  clans  l'art  d'acheter  à 
prix  doux  et  de  revendre  à  prix  fort, 
niais  initié,  tant  par  des  études  spé- 
ciales et  par  la  rétlexion  que  par 
la  contemplation  des  faits  et  par  la 
pratique,  aux  théories  administrati- 
ves et  commerciales,  plein  d'initia- 
tive et  au  besoin  sachant  manier  la 
plume  pour  soutenir  une  opinion. 
Il  ne  s'en  avisa  que  tard  cependant. 
Né  vers  1725,  il  approchait  la  cin- 
quantaine quand  il  publia  ses  pre- 
mières lettres  par  la  voie  des  re- 
cueils hebdomadaires  ou  mensuels. 
Il  élaittrès-liéavec  l'abbé  Ameilhon, 
et  plusieurs  de  ses  morceaux  lui 
sont  adressés.  Il  en  est  qui  sont 
des  pièces  intéressantes  pour  l'his- 
toire commerciale  de  nos  provinces; 
il  en  est  où  se  trouvent  formulées, 
cinquante  années  ou  plus  avant 
leur  réalisation,  des  idées  en  har- 
monie avec  le  progrès  actuel,  et  qui 
devaient  se  développer  dès  qu'elles 
r.uraient  été  incarnées  dansles  faits. 
Nul  doute  que  de  nos  jours  cet  es- 
timable représLMitanl  du  commerce 
rwxv 


n'eût  été  promu  par  un  de  nos  cen- 
tres commerciaux  aux  honneurs  de 
la  députation  nationale,  et  qu'il 
n'eût  été  dans  les  commissions  de 
la  Chambre  un  des  membres  fré- 
quemment et  utilement  consultés 
sur  les  matières  économiques.  Mais 
sa  mort  eut  lieu  en  1783,  à  Versailles 
même,  sa  ville  natale.  Tout  ce  qui 
nous  reste  de  lui  est  renfermé  en 
un  volume  unique  dont  voici  le 
titre  (tel  qu'il  se  trouve,  non  dans 
l'approbation  du  livre  donnée  par 
Rayrac,  mais  sur  la  première  page 
naème)  :  Voyage  de  Genève  et  de  la 
Touraine ,  suivi  de  quelques  opus- 
cules par  M"',  1779,  in-lî.  La 
principale  partie  de  cet  ouvrage  est 
le  Voyaqe  à  Genève,  publié  d'abord 
en  dix  lettres  adressées  «  une  femvie 
de  lettres  et  successivement  insérées 
dans  quelques  journaux.  Ensuite 
vient  le  Voyage  en  Touraine,  lequel 
ne  consiste  qu'en  une  lettre  (i 
l'abbé  Ameilhon),  dont  l'apparition 
première  eut  lieu  dans  le  journal 
de  Verdun.  Suivent  les  Opuscules 
au  nombre  de  trois,  savoir  :  1'  Hé- 
flexions  sur  la  nécessité  d'acrorder 
de  la  considération  à  l'étal  de  corn- 

4 


2 


VAN 


VAN 


merçant.li  M.  l'abbé  A**'  (ne  sent- 
on  pas  là  déji  1»*  souffle  et  l'œuvre 
de   ia   révolution,  dont    peu   s'en 
faut   que   les  conseils  ne   se   po- 
sent en  exigences?);  2"   Projet  de. 
création  de  considals  supérieurs  dans 
les  grandes  villes  du  royaume,  avec 
établissement  d'une  chaire  de  droit 
commercial  (toujours    des   aspira- 
tions au  progrès  ou  îi  la  réforme, 
aspirations  en  avant,  sinon  du  siècle 
qui  le  voyait  éclore,  du  moins  d'un 
grand  nombre  de  contemporains); 
3"  Note  sur  le  commerce  d'Orléans^ 
adressée    à    l'abbé    Ameilhon.    — 
Nous  devons  remarquer  1"  que  le 
Voyage  de   Genève  et  de  Touraine 
toujours  avec  les  deux  mentions, 
1779,  in-12,se  trouveindiqué  dans 
Barbier  (n"  <9427)  sous  le  nom  de 
Crignon  d'Auzouer,  ce  qui  doit  être 
une   faute,  à  moins  que  Crignon 
d'Auzouer  n'ait  tenu  la  piume,  Van- 
debergue  n'ayant  que  fourni  les  ma- 
tériaux; 2"  que  sous  le  n°  12577 
du  même  Barbier  s'oflfre  à  nous, 
cette  fois,  avec  une  modilication 
légère  de  titre  et  sous  un  nouveau 
millésime  ,  un   Nouveau  voyage  à 
Genève  par  Crignon-VanUebergue, 
1783.   Est-ce    une    réimpression? 
est-ce,  ce  que  nous  pensons,   un 
pur    et   simple    rafraîchissement? 
Dans   l'une   comme    dans    l'autre 
hypothèse,  la   précédente  solution 
acquiert    un    degré    de    probabi- 
lité   nouveau.  Mais   n'oublions  pas 
que  môme  en  ce  cas  il  reste  tou- 
jours à  Cl.  Vandebergue  la  grosse 
part ,    celle   des   idées    ainsi    (jue 
des    faits ,   et   de   plus ,   que    les 
trois  opusrules  lui  reviennent  tout 
entiers,  puisqu'on    ne   reveiidKiue 
explicitement    pour     personne;    la 
gloire  d'en  avoir  été  soit  le   badi- 
geonueur,     soit    le    leiriturier.  — 
Vandehbehgue  (Georges)  ,    avocat 
du    roi    au    biiilliage    d'Orléans , 


puis  prévôt,  puis  lieutenant  géné- 
ral de  police,  mort  eu  n48  et  au- 
teur d'un  recueil  de  Poésies  qui  ne 
sont  pas  plus  mauvaises,  mais  pas 
meilleures  non  plus  que  tant  d'au- 
tres, était  peut-être,  était  probable- 
ment le  parent  de  notre  Claude 
Vandebergue-Seurrat,  le  négociant 
et  l'économiste;  mais  la  preuve  nous 
manque.  Z. 

VANDELLI  (Dominique),  méde- 
cin et  surtout  naturaliste  souvent 
cité,  naquit  à  Padoue  vers  1732  et 
mourut  peu  de  temps  avant  la  fin 
du  siècle.  Il  aimait  la  locomotion 
et  le  travail;  il  entreprit  des  voya- 
ges scieniifiques  qui  le  conduisirent 
jusqu'en  Portugal;  il  possédait  les 
idiomes  de  la  péninsule  et  surtout 
le  portugais,  au  point  d'écrire  aussi 
couramment  et  aussi  correctement 
la  langue  qu'un  naturel  du  pays. 
Il  séjourna  longtemps  dans  l'un 
comme  dans  l'autre  royaume.  Mal- 
heureusement il  y  prit  ou  du  moins 
il  y  garda  un  peu  de  cette  antipa- 
thie aux  méthodes  rationnelles  et 
au  progrès  que  l'on  peut  sans  in- 
justice reprocher  aux  universités 
hispaniques  :  la  doctrine  de  l'irri- 
tabilité rencontra  en  lui  un  de  ses 
adversaires  les  plus  âpres  et  les 
plus  fougueux,  et  sa  polémique  fut 
entachée,  îi  l'égard  de  Ilaller,  de 
jjersonnalités  regrettables.  Aussi, 
et  malgré  le  bruit  qu'il  essaya  de 
faire  autour  de  son  nom,  est-il  de  • 
meure  pluiôt  fameux  que  célèbre 
en  tant  que  médecin  ;  et  si,  comme 
naturaliste,  il  n'eût  joint  au  zèle  un 
esprit  juste  et  la  persévérance  dans 
l'observation,  il  n'occuperait  dans 
riiistoire  de  la  science  qu'un  rang 
très-inférieur.  Voici  les  litres  de 
ses  ouvrages  dont,  (îomme  on  va  le 
voir,  nous  formons  deux  groupes  : 
l'un  qui  traite  de  physiologie  ou  de 
médecine  (il  se  compose  de  sept 


VAN 


VAN 


morceaux);  l'autre,  où  c'est  d'his- 
toire naturelle  qu'il  entretient  ses 
lecteurs,  en  contient  également  de 
six  i\  huit.  I-II.  Trois  lettres  qui 
touchent   à   la    doctrine  de  l'irri- 
tabilité ,   savoir    :  1^   Epistola   de 
sensibilitate    pericranii ,    periostei^ 
lenduUœ,  dune  meningis,  corneœ  et 
medinum,  Padoue,  1756,  in-8%  fig. 
(c'est  dans  Tordre  des  dates  son 
premier  ouvrage);  2"  Epistola  se- 
cunda  et  tertia  de  sensitivitate  halle- 
riana,  Padoue,  1758,  in-8°.  III-VI. 
Des  Mémoires surquatre  sources  ou 
i^roupes  de  sources    médicinales, 
Mémoires  dont  voici  l'ordre  chrono- 
logique :  1"  De  Aponi  thcnnis ,  en 
tête  d'un  fascicule  mixte  dont  nous 
parlerons  en  fin  de  compte  ;  2"  Ana- 
lisi  d'alcune  acque  medicinali  del 
Modeuese,    Padoue,    1760,    in-S"; 
3^   DeW  acqua  di  Brandola ,  Mo- 
(iène,  1763,  in- 4°;  4-  De  Thcrmis 
agri  patavini,  accedit  apologia  ad- 
venus Hallerum  ,    Padoue,    1761  , 
in-4'';  VII.  Commenlarii  de  rébus  in 
medicina  geslis;  VIII.   Diccionario 
dos  termes  iechnicos  de  historia  na- 
tural  exlrahidos  dos  obras  de  Linneo, 
com  a  sua  explicacion ,  Coimbre  , 
1788,  in-4";  IX.  Florœ  Lusilanicœ 
et  Brasiliensis  spécimen,  Coimbre, 
1788.  in-4''.  X.  Fascicnlus  planla- 
rum^  cum  novis  generibus  et  specie- 
bus,  Lisbonne,  1771,in-4'';  XI.Diss.. 
De   arbore  draconis  seu  dracœna 
(on  reconnaît,  le  sandragon) ,  acce- 
dit diss.  de  studio  historiœ  naturalis 
necessario  in  medicina,  œconomia, 
agricultura,  artibus  et commercio  (ce 
long  titre   à   lui  seul   suffit   pour 
montrer  de  quel  coup  d'œil  large 
et  compréhensif  en  même   temps 
que  passionné  Vandelli  savait  en- 
visjirjer  l'élude  des  sciences  natu- 
turelles):XII.  Epistola  deholothiirio 
et  testudine  coriacea,  Padoue,  <  761 , 
in-4".  C'est  en   (jueique  sorte   la 


seule  monographie  qu'il  ait  consa- 
crée à  la  zoologie,  car  ce  n'est  que 
d  tns  un  volume  de  mélanges  qu'on 
le  retrouve  revenant  à  d(^s  sujets 
analogues.  Voici  le  titre  exact  de 
ce  volume  (qui  pourrait  porter  ici 
le  chiffre  XIII,  mais  qui  date  de 
ses  premiers  pas  dans  la  carrière 
scientifique.  Dissertationes  1res  : 
De  Aponi  thermis  (voy.  plus  haut 
sous  III-VI  1°)  ;  De  nonnullis  insecfis 
terrestribus  et  zoophytis  marinis. 
De  vermium  terrœ  reproductione  at- 
que  tœnia  canis,  Padoue,  <7o8, 
in-8%  5  pi.  Val.  P. 

VA>DEI\  -  BOGAERDE  -  VAi> 
TERBRLGGE  (André-Jean-Louis 
le  baron),  savant  économiste  et 
homme  d'État,  naquit  à  Gand  le  17 
juillet  1787,  de  parents  appartenant 
par  leur  origine  et  leurs  alliances 
aux  fismilles  les  plus  distinguées  de 
la  Belgique  et  de  l'étranger.  Son 
père,  implacable  ennemi  de  la  ré- 
volution, confiason  éducation,  ainsi 
que  celle  de  ses  deux  autres  fils,  à 
nn  prêtre  régulier  qui  refusa  de 
prêter  le  serment  d'abjurer  les  prin- 
cipes monarchiques.  Ce  digne  et 
savant  ecclésiastique  enseigna  à  ses 
élèves  les  langues  latine,  française, 
flamande ,  et  leur  prodigua  les 
bienfaits  d'une  bonne  et  solide  édu- 
cation. Le  jeune  Vanden-Bogaerde 
reçut  en  outre  d'un  artiste  flamand 
en  réputation  des  leçons  de  dessin 
et  de  peinture.  Dès  sa  première 
jeunesse,  il  montra  des  qualités  ai- 
mables et  un  talent  de  plaire  qui, 
plus  iard,  et  pendant  tout  le  cours 
de  sa  vie,  le  firent  chérir  de  toutes 
les  classes  de  la  société.  L'agricul- 
ture, l'industrie,  le  commerce,  et 
surtout  l'économie  politique,  fu- 
rent l'objet  de  ses  études  de  pré- 
dilection. 

Après  un  séjour  de  deux  ans  dans 
la  capitale  d  •  la  Belgique,  Vandeu- 


h  VAN 

Bopr^erde  reTiiu  h  Waes-Miins(or, 
où  (lemeiiraient  ses  paronls.  En 
1816,  il  fut  nommé  nitMnbrc.  des 
États  provinciaux,  puis,  en  1817, 
membre  de  la  sotiété  de  littérature 
et  des  beaux-arts  de  Gand. — Le  roi 
des  Pays-Bas  lui  confia  en  1818 
l'emploi  de  bourgmestre  de  Waes- 
Munster,  et  quand,  deux  ans  après, 
il  alla  à  Saint-Nicolas,  chef-lieu  du 
pays  de  Waes,  occuper  le  poste  de 
commissaire  de  district,  les  habi- 
tants de  sa  commune  lui  exprimè- 
rent par  de  vives  démonstrations 
leursregrets  et  leur  reconnaissance; 
proclamant  que,  pendant  la  trop 
courte  durée  de  son  administra- 
lion,  il  avait  marché  sur  les  traces 
de  son  digne  père,  en  se  montrant 
le  bienfaiteur  du  pauvre  et  le  dé- 
fenseur impartial  des  intérêts  de 
ses  administrés. 

Pendant  9  ans,  Vanden-Bogaerde 
s  acquit,  dans  ses  fonctions  de  com- 
missaire de  district,  la  plus  haute 
considération;  les  communes,  les 
Etals  députés,  et  surtout  le  gou- 
verneur de  la  province  de  Flandre- 
Orientale,  M.  le  baron  Vandoorn- 
Van-Wescapelle,  surent  apprécier 
sesgrandesqualiiésadminislratives. 
En  1828,  il  se  vil  appelé  à  une  plus 
importante  position,  comme  com- 
missaire de  district  et  de  milice 
dans  sa  ville  natale,  la  capitale  de 
la  province  de  Flandre-Orientale. 
Pendant  le  cours  de  sa  précédente 
administration,  il  avait  écrit  sur  le 
pays  de  Waes  un  livre  plein  d'in- 
térêt, dans  lequel  on  peut  voir  tout 
ce  qu'il  lit  pour  le  bien-être  de  ces 
contrées. 

En  venant  s'établir  à  Gand,  Van- 
den-Bogaerde y  lit  construire  une 
vaste  et  belle  maison,  dans  laquelle 
il  réunit  une  précieuse  colleclio  i 
de  tableaux  lenioignant  du  bon 
goûi  de  son  propiiétaire,  dont  tous 


VAM 

les  loisirs  furent  désormais  consa- 
crés à  une  sérieuse  élude  des  scien- 
ces et  des  beaux-arts. 

Au  mois  de  février  1830,  à  la 
veille  des  grands  événements  qui 
amenèrent  le  démembrement  du 
royaume  des  Pays-Bas,  le  roi  Guil- 
laume !"■  le  nomma  gouverneur  de 
la  province  du  Brabanl-Septenlrio- 
nal.  Pendant  les  douze  ans  qu'il 
occupa  ce  poste  de  haute  confiance, 
à  cette  époque  de  trouble  et  de  ré- 
volution, il  entretint  une  corres- 
pondance intime  avec  le  roi  ei  le 
j)rince  royal,  qui  tous  les  deux  ai- 
maient Vanden-Bogaerde  autant  à 
cause  de  ses  excellentes  qualités 
de  cœur,  qu'à  cause  de  son  zèle 
infatigable  comme  fonctionnaire  pu- 
blic. Les  discours  annuels  au  nom- 
bre de  douze,  qu'il  prononça  pen- 
dant le  cours  de  son  administration 
provinciale,  sont  les  meilleurs  do- 
cuments pour  l'histoire  de  celte 
contrée  dans  ces  temps  agités  qui 
virent  expulser  la  maison  d'Orange 
des  provinces  voisines,  alors  que  le 
Brabant  -  Septentrional,  presque 
entièrement  catholique  comme  le 
sud,  resta  inébranlable  dans  sa  li- 
délilé  à  la  royauté  des  Nassau. 
Lorsque  le  roi  Guillaume,  au  mois 
de  novembre  1830,  congédia  tous 
ses  employés  belges,  il  maintint 
Vanden-Bogaerde  dans  ses  fonc- 
tions de  gouverneur.  En  1831,  il 
le  nomma  chevalier  de  l'ordre  du 
Lion  néerlandais;  puis,  en  1832, 
il  lui  conféra  le  tilre  de  conseiller 
dÉlai. 

En  1840,  son  successeur  Guil- 
laume 11  réleva  au  grade  de  coiii- 
mandeur  de  cemêmeordredu  Lion 
néerlandais  et  le  nomma  son  cham- 
bellan. 

En  18-42,  à  l'occasion  du  mariage 
de  S.  A.  R.  la  princesse  Sophie  des 
Pays-Bas  avec  le  grand-duc  héré- 


VAN 

(Jilaire  de  Saxe-Weimar,  ii  obtint 
la  place  de  grand  échanson  de  la 
couronne  et  de  grand  officier  de  la 
maison  du  roi. 

A  son  avènement  au  trône  des 
Pays-Bas,  le  roi  Guillaume  III  vou- 
lant, comme  ses  prédécesseurs,  té- 
moignera Yanden-Bogaerde  le  prix 
qu'il  attachait  à  son  mérite  et  à  ses 
éminentes  qualités,  lui  envoya  (en 
1849)  les  insignes  de  grand'croix 
de  l'ordre  de  la  Couronne  de  chêne, 
et  l'ordre  équestre  du  Brabant-Sep- 
tentrional ,  qui  l'avait  reçu  dans 
son  sein  en  1840,  le  nomma  dix 
ans  après  son  président. 

Nombre  de  sociétés  savantes  des 
Pays-Bas  et  de  l'étranger  l'attachè- 
rent à  leurs  honorables  travaux. 
Toujours  actif  et  rempli  de  zèle 
pour  les  intérêts  de  la  science  et 
des  arts,  il  établit  dans  la  capitale 
du  Brabant-Septentrional  le  siège 
d'un  corps  scientifique,  artistique 
et  littéraire,  lequel  possède,  dans 
l'un  de  ses  vastes  salons,  le  portrait 
(le  son  noble  créateur  peint  par  A. 
N.  Vanderen,  artiste  distingué  de 
Bois-le-l)uc. 

En  1835,  Vanden-Bogaerde  avait 
acheté  la  seigneurie  de  Ileeswijk  et 
Dinther,dontil  lit  rebâtir  l'antique 
chfilea'.i  dansle  style  du  moyen  âge; 
c'est  là  que  dans  un  heureux  loisir 
il  acheva  ses  jours  au  milieu  des 
souvenirs  de  tout  le  bien  qu'il  avait 
eu  le  bonheur  de  répandre  autour 
de  lui  pendant  le  coui's  de  sa  la- 
borieuse carrière.  11  mouriU  le  17 
janvier  18o5,  laissant  trois  fils,  dont 
deux,  lestés  habitants  du  château 
d'IIeeswijk,  y  conservèrent  la  pré- 
cieuse collection  d'antiquités,  de 
tableaux,  de  livres  et  de  curiosités 
qui  font  de  celte  demeure  un  véri- 
table nuisée,  et  sont  un  monument 
de  famille  qui  ne  cessera  de  raj»- 
peler  à  la  postérité  un  liomnie  de 


^^\N  5 

rare  mérite,  dont  le  nom  est  ins- 
crit avec  honneur  dans  les  fastes 
du  pays  qui  l'a  vu  naître,  à  côté  de 
celui  du  souverain  qui  le  combla 
de  ses  faveurs.  Vanden-Bogaerde  a 
publié  plusieurs  écrits  qui,  non 
moins  que  les  actes  de  sa  vie,  sont 
de  nature  à  lui  assurer  un  honora- 
ble et  perpétuel  souvenir  ;  en  voici 
la  nomenclature  : 

1°  Essai  sur  l' encouragement  et 
le  développement  de  la  Tisseranderie 
dans  la  Flandre-Orientale.  (Gand, 
un  vol.  in-12.  Hollandais.) 

2"  Le  District  de  Saint- Nicolas, 
jadis  pays  de  Waes,  dans  la  pro- 
vince de  Flandre-Orientale ^  considéré 
dans  ses  rapports  physiques,  politi- 
ques et  historiques,  suivi  d'une  des- 
cription particulière  de  chaque  ville, 
vilUuje  ou  communauté  de  district. 
(Saint-Nicolas,  1823,  3  vol.  in-8» 
avec  figures.  Hollandais.) 

3°  Rapport  à  la  Société  d'agri- 
culture et  de  botanique  de  Gand,  sur 
la  culture  et  la  manipulation  de  la 
garance.  (Messager  des  sciences  et 
des  arts,  à  Gand,  1828.  Français.) 

4"  Coup  d' œil  rapide  sur  r histoire 
de  la  Belgique  et  de  la  Pologne,  ap- 
pUquéaua;  événementsde i^SO.  (Bois- 
le-Duc,  1831.  Français.) 

■6"  Essai  sur  l'importance  du  com- 
merce, de  la  navigation  et  de  l'in- 
dustrie dans  les  provinces  formant  le 
royaume  des  Pays-Bas,  depuis  les 
temps  les  plus  reculés  jusqu'en  1830. 
(La  Haye  et  Bruxelles,  1845,  i  vol. 
Français  et  hollandais.)     D""  W. 

VAN  DEN  BROÏXK  (Pierre), 
marin  hollandais,  le  fondateur  de 
Batavia,  naquit  à  peu  près  en  même 
temps  que  la  république  des  Pro- 
vinces-Unies, c'est-à-dire  entre  la 
par-ification  de  Gand  (1571)  et  le 
traité  d'union  d'LUrecht  (15S1).  11 
montra  de  bonne  heure  une  grande 
aptitude  et  un  goût  d''s  plus  vifs 


c 


VAN 


pour  le  commerce,  puis  bieulôl  pour 
]à  navigation  commerciale.  L'Éiat 
naissanl    on    favorisait  dès    celte 
époque  le  développement;    et    la 
jt'une  confédéralion    présentait  le 
rare  spectacle  de  la  lutte  sur  place 
pour  l'indépendance  et  de  la  lutte 
au  dehors  contre  les    éléments   et 
les  étrangers  pour  l'expansion  de 
l'industrie  et  de  l'activité  nationales. 
LesPortugais,  les  Espagnols  avaient 
ouvert  la  voie  des  grandes  et  lucrati- 
ves aventures  équatoriales  et  natu- 
rellement s'étaient  taille  la  grosse 
part.  Les  cités  néerlandaises  eurent 
le  mérite  de  comprendre  que  ce  qui 
restait  encore  nétait  pas  à  dédai- 
gner,  et  même    elles   devinèrent 
que  les  uns,  ne  pensant  qu'à  l'or, 
leur  laissaient ,  par  cela  même,  le 
lilon  bien  autrement  fécond  du  tra- 
fic; que  les  autres,  tout  récemment 
tombés  ou  en  train  de  s'atrophier 
sous  le  joug  stérilisateur  de  l'Èscu- 
rial,  |)Ouvaient,  un  peu  plus  tôt,  un 
peu  plus  tard,  se  laisser  spolier  par 
ceux  que  naguère  ils  méprisaient. 
Ces  prévisions,  la  première  moitié 
du  dix-septième  siècle   les  vit   se 
réaliser  ;  et  Van  den  Broeck.  est  un 
de  ceux  qui  préparèrent  ,    et  faci- 
litèrent ce  mouvement.  Sa  jeunesse 
.se  p:issa  eu  ^^rande  partie  sur   les 
côtes  d'Afrique ,  où  nous  le  a  oyons 
se  distinguer  dans  quatre  voyages 
successifs,  le  premier  au  cap  Vert, 
les  trois  autres  au  sud  de  la  Ligne 
et  sur  les  côtes  de  la  Guinée  méri- 
dionale. 11  y  trouva  les  Portugais 
au  royaume  d'Angora,  les  l'ortu- 
gais  encore  lorsciu'il  s'agit,  pour 
ses  compatriotes  cl  lui,  de  remonter 
les  eaux  du  tleuve  Congo  ,  et  tou- 
jours   et    partout    les    Portugais 
lorscprou    ciitrepril  de  pénétrer  à 
l'intérieur   du  Loan^iO.   Les  tirail- 
lements ,  les  conlliUs  qu'amena  ce 
contact   pronièienl     au    voyageur 


VAN 

hollandais  et  lui  donnèrent  l'expé- 
rience en  même  temps  que  l'habi- 
tude des  difficultés  de  toute  espèce, 
épisodes  indispensables  d'un   éta- 
blissement  en   pays   étranger,  où 
non-seulement  le  climat,  les  habi- 
tants, la  nature  dés   choses   sont 
hostiles,  mais  où  viennent  s'adjoin- 
dre à  tant  d'obstacles  les  jalouses 
concurrences    de   rivaux;    et   ses 
compagnons  le  regardaient  en  mê- 
me tempscomme  bon  marin,  comme 
administrateur,  comme  homme  de 
tête    et  de  ressources,  lorsqu'on 
IGl  I,  âgé  de  trente  et  quelques  an- 
nées, il  revint  jouir  d'un  intervalle 
de  quelque  repos  en  sa  patrie.  La 
Compagnie  hollandaise   des  Indes 
était  alors  au  lendemain  d'un  dou- 
ble échec  sur  la  péninsule  de  Ma- 
lacca  et  désespérait  presque  de  ja- 
mais réussir  k  former  aux  Indes, 
comme  le  conseillaient  les  plus  ha- 
biles marins,  un  centre  de   puis- 
sance d'où  tous  ses  établissements 
d'Orient  reçussent  soit  des  vivres  , 
soit  des  secours,   lorsque,    par   un 
heureux  hasard,  l'amiral  Reynst,  mis 
par  les  directeurs  à  la  tôle  d'une  ex- 
pédition nouvelle,  jeta  les  yeux  sur 
l'habitué  des  côtes  d'Afrique  pour  le 
placer  en  qualité  de  premier  com- 
mis à  bord  d'un  de  ses  navires,  le 
Nassau. '^'i  l'amiral,  ni  celui  sur  le- 
quel tombait  son  choix  n'avait  l'idée 
alors   que  les   île.-:  de  la  Sonde  ne 
tarderaient  pas  à  devenir  le  ihéA- 
tre  principal  de  leur  activité.    Ici 
commence  la  période  vraiment  im- 
portante de  sa  vie.    Elle  embrasse 
dix-neuf  ans.  Nous  la  diviserons  en 
trois  phases. 

La  llolte  partit  du  Texel  le  2 
juin  1()13;  et  longtemps  sa  navi- 
gation fut  loin  d'être  jirompte, 
puisqu'on  n'atteignit  la  rade  de  Tile 
d'Anjouan  que  le  ilJjuin  1G14  (un 
an  donc  et  un  jour  après   qu'on 


VAN 


VAN 


i 


avait  appareillé).  La  traversée,  en 
revanche ,  avait  été  des  plus  heu- 
reuses; et  il  faut  remarquer  que 
deux  fois  au  moins  l'on  avait  relâ- 
ché aux  baies  de  Saint-Antoine  et 
de  Saint-Vincent  d'abord,  et  plus 
tard  à  l'ile  d'Annobon,  où,  par  ie 
passé ,  les  Hollandais  avaient  eu 
fort  à  se  plaindre  des  Portugais, 
maisavaientfortementréprimé  celle 
insulte  et  où,  cette  fois,  soil souve- 
nir des  représailles  un  peu  rudes 
qu'ils  avaient  exercées,  soit  crainte 
des  forces  présentes  qu'étalait  l'a- 
miral batave,  ils  purent  se  ravitail- 
ler et  d'eau  et  de  fruits  dé  icieux, 
non-seulement  sans  collision,  mais 
avec  force  civilités  et  force  offres 
de  services  de  la  pari  du  gouverneur. 
Les  navigateurs  ne  s'en  tinrent  pas 
moii)ssurleursgardes(/»/7/um  ?■/«/;('/'- 
turbatœ  rei  diffidere);  s'ils  eussent 
été  tentés  de  négliger  ce  précepte, 
Van  den  Broeck  était  là  qui  ne  leur 
permeitait  pas  de  l'oublier.  Ainsi 
devant  Anjouan ,  Reynst  envoya  le 
premier  commis  du  Nassau  deman- 
der aux  chefs  de  Tile  la  permission 
d'acheter  des  rafraîchissements,  ce 
qu'il  obtint  à  des  conditions  favo- 
rables tant  d'un  roitelet  musulman 
que  l'on  qualifiait  roi  (inélik),  i\\ie 
de  la  veuve  d'un  prince  dont  l'em- 
pire avait  embrassé  tout  l'archi- 
pel des  Comores.etqiii,  soit  comme 
apanage,  soit  autrement,  possédait 
dans  Anjouan  la  ville  peu  connue 
de  Deinonio.  MoUanaPsechora  ^lel 
est  le  nom  qu'il  donne  à  cette 
princesse  et  qui ,  très-déjiguré, 
d(.'vrait  peut-être  s'écrire  Maoulana 
Begham)  lui  fit  un  accueil  qui 
montre  assez  à  quel  point  le  vi- 
siteur avait  la  parole  persuasive 
et  s'enlendail  à  paraître  néces- 
saire, jetant  ainsi  des  jalons  pour 
l'avenir,  obtenant  des  renseigne- 
ments utiles   et  nouant   des  rela- 


tions. Aussi  l'amiral  le  mit-il  de 
nouveau  et  sur-le-champ  à  contri- 
bution pour  explorer  l'ile  de  Ga- 
sisa,  que  sa  proximité  d'Anjouan 
(50  kilomètres  seulement  l'en  sé- 
parent) semblait  désigner  pour  une 
station  avantageuse;  puis  pour 
prendre  connaissance  des  parages 
que  baigne  le  sud  de  la  mer  Rouge, 
e(,  à  cette  occasion,  il  le  promut 
au  grade  de  capitaine-major  du  na- 
vire qu'il  montaii  (toujours  le  Nas- 
sau). Sa  première  mission  fut  cour- 
te, 'Van  den  Broeck  ayant  bien  vite 
reconnu  que  l'île  n'offrait  qu'un 
mouillage  insuffisant  et  des  dangers 
graves  de  la  part  des  belliqueux 
habitants,  qui  s'y  livraient  bataille 
sans  cesse.  L'autre  exploration  fut 
plus  laborieuse.  Il  eut  d'abord  à 
longer  tout  le  littoral  de  Méiuide, 
à  doubler  les  caps  d'Orfoul  et  de 
Guardafoul,  puis,  après  s'être  diri- 
gé quelque  temps  le  long  de  la 
pUige  africaine  et  vers  le  cap  de 
l'Éléphant  ou  Ras-el-Fll,  h  traver- 
ser, vers  le  12"  de  latitude  nord, 
la  manche  de  Bab-el-Mandeb  pour 
aborder  à  l'Arabie  Heureuse,  où 
jusqu'alois  jamais  Hollandais  n'a- 
vait porté  ie  pied,  ni  mémo  fait 
llotler  sur  la  cote  la  voile  d'un 
navire.  Chemin  faisant ,  souvent 
il  avait  marché  très-vite,  et  pen- 
dant qu'il  serrait  les  rivages  de 
Mélinde,  vlngt-qualre  heures  lui 
suffirent  pour  parcourir  de  250  k 
3l)0  kilomètres  ^11  dit  60  lieues).  11 
découvrit  près  du  cap  d'Orfoui  une 
belle  baie  que  ne  portait  encore 
nulle  carte  et  qu'il  dénomma  baie 
de  N.issau  ;  il  reconnut  que  les 
populations  de  tout  ce  pays,  le 
long  de  la  côle  non  arabe  de 
Bal>-el-Mandeb,  étaient  défiantes , 
farouches  et  insociables.  La  cùle 
arabe  atteinte,  il  vint  mouilU;r  d'a- 
bord au-dessous  et  près  d'Aden,  où 


8 


VAN 


le  soin  qu'il  eut  de  présenter  les 
Etals-généraux  et  le  prince  d'Oran- 
ge, ses  souverains,  comme  les  al- 
liés, les  amis  du  padichrih  de  Gon- 
stantinople,  lui  valut  du  p:oHver- 
neur  Iça-Aga  une  réception  gra- 
cieuse, mais  sans  conclusions  déci- 
sives. Il  mil  alors  le  cap  sur 
Chichiri,  port  un  peu  plus  septen- 
trional et  résidence  d'un  pacha  su- 
pt-rieurau  premier,  et  seul  dès  lors 
ayant  pouvoir  d'octroyer  aux  Hol- 
landais l'autorisation  de  commercer, 
soit  à  tout  jamais,  soit  temporaire- 
ment. Van  den  Broeck  eut  quelque 
peine  î»  le  déterminer.  Le  pacha 
partait  d'un  principe  de  défiance  : 
des  marchands  indiens,  persans, 
abyssins,  madécasses  fréquentaient 
la  rade  ,  fort  grande  et  fort  com- 
mode, de  sa  ville  de  Chichiri  ;  il 
craignait  qu'un  peuple  si  dilférenl. 
des  Asiatiques  et  des  Africains  ses 
coreligionnaires  et  ses  hùtcs  habi- 
tuels, ne  s'avisfil  d'attenter  au  pri- 
vilège de  sa  rade.  Finalement, 
l'éloquence  de  l'Européen  triom- 
pha, les  arguments  irrésistibles  ai- 
dant; la  nature  des  choses,  d'ail- 
leurs, et  la  modicité  de  ses  deman- 
des ne  pouvant  laisser  de  doutes  sur 
la  loyauté  de  ses  vues  :  il  ne  sou- 
haitait, pour  commencer  da  moins, 
(ju'un  modeste  comptoir  (pi'habite- 
raient  un  simple  facteur  et  deux 
hommes  de  service  ;  puis  cet  éta- 
blissement, il  le  disait  et  il  disait 
nmi,  ne  devait  être  qu'un  essai;  le 
grand  b:it  de  Claasz  Vischer,  son 
facteur  pendant  ces  premiers  in- 
slanis,  serait  surtout  d'apprendre 
i'arahe,  puis  ,  grAce  ;i  la  connais- 
sance de  l'idiome,  de  s'enquérir 
des  besoins  et  des  goùls  des  habi- 
l.iuls  pour  les  satisfaire  (mi  leur 
portant  les  produits  de  l'Europe, 
tandis  qu'on  les  débarrasserait  du 
superflu    des    leurs.     Lui-même , 


VAN 

ailleurs,  il  ne  voulait  ni';ne  pou- 
vait rester,  il  était  impatient  d'aller 
rejoindre  la  grande  flolte  qui  cin 
glait  vers  l'est  et  qui  devait  avoir 
touché  Java.  En  effet  ,  il  quitta 
bientôt  son  comptoir  naissant  ;  et, 
après  avoir  séjourné  un  moment  à 
Koursini ,  où  ne  purent  le  retenir 
les  démonstrations  affectueuses  de 
Saïd-Bou-Saïdi,trop  ami,  selon  lui, 
des  Portugais,  après  avoir  remarqué 
l'île  d'Engagno,  après  avoir  donné 
commission  au  général  Both,  qu'il 
rencontra  ramenant  en  Hollande 
quatre  gros  vaisseaux  à  riche  car- 
gaison, de  communiquer  aux  direc- 
teurs de  la  Compagnie  le  résultat 
de  ses  investigations  de  la  côte 
méridionale,  tant  à  l'est  qu'au  nord 
du  détroit  de  Bab-el-Mandeb,  il  vint 
jeter  l'ancre  dans  le  port  de  Bantam 
le  30  décembre  1614. 

Il  avait  dix-huit  ans  alors  que 
Houtmann,  le  premier  des  Hollan- 
dais, avait  jeté  dans  cette  ville 
les  fondements  d'un  comptoir,  qu'il 
avait  été  contraint  bientôt  d'aban- 
donner, mais  qui,  rétabli  deux  ou 
trois  ans  plus  tard,  était  devenu  le 
centre  d'où  rayonnaient,  soit  de- 
vers Ceylan  et  l'Inde  cisgangétique, 
soit  devers  lesMoluqueset  Célèbes, 
les  tlottilles  commerçantes  qu'ex- 
pédiait la  Compagnie.  .1.  P.  Coen  y 
commandait  alors  en  chef  au  nom 
de  celle-ci.  Van  den  Broeck  avait  k 
peine  eu  le  temps  d'ailerrer,  qu'il 
reçut  de  lui  commission  d'aller 
chercher  des  vivres  à  Jakatra 
pour  les  transporter  aux  Moluques. 
Jakatra ,  qu'avaient  aperçue  et 
Houtmann  et  Harmanzen  et  Mate- 
lief  et  Verhoeven,  le  premier  sans 
vouloir  y  descendre,  les  deUx  autres 
sans  y  porter  grande  attention,  le 
dernier  avec  assez  d'enthousiabinc 
pour  en  déclarer  dans  un  rapport 
la  situation  bien  autrement  avan- 


VAN 


VAN 


lageuse  que  celle  de  Bantam,  était 
toujours   négligée   par  les   Euro- 
péens, y  coîiiprisles  Hollandais;  et 
ceux-ci  n'y  taisaient  que  des  ap- 
paritions passagères  pour  s'appro- 
visionner, non  de  marchandises, 
mais  d'objets  de  consommation  im- 
médiate. Van  den  Broeck,  tout  en 
ne  s'attardant  point  en  une  ville  où 
sa  seule  atîaire  était  d'opérer  de 
lapides  achats,  s'aperçut  vite,  bien 
qu'il  n'eût  certes  pas  eu  confidence 
des  idées  de  Verhoeven,  qu'il  y 
avait  là  tous  les  éléments  d'une 
station,  d'une  exploitation  centra- 
les, éléments  dont  rien  ne  prouvait 
que  Bantam   présentât   véritable- 
ment la  réunion.  Provisoirement, 
cependant,  il  garda  ses  remarques 
pour  lui  ;  et,  reprenant  la  mer,  il 
lut  bientôt  à  mi-chemin  de  Banda. 
11  y  fit  rencontre  de  lieynst,   au- 
quel, ainsi  qu'à  Both  naguère,  il 
rendit  compte  immédiatement  de 
ce  qu'il  avait  soit  vu,  soit  t'ait,  soit 
projeté   sur   les  cotes  de  la   mer 
Rouge,   et  qui  le   chargea  d'aller 
installer  un  autre  facteur  dans  l'ilo 
(disons  plutôt  dans  les  iles)  de  Bo- 
ton.  Ce  n'était  qu'un  détour  léger. 
Bientôt  il  l'ut  au  lieu  de  sa  destina- 
tion ;   et  Rini ,  le  gouverneur  des 
Moluques,  lui  donna  coup  sur  coup 
diverses  petites  missions,  auxquel- 
les il  dut  de  ne  pas  voir  d'un  bout  à 
l'autre,  et  de  ses  yeux,  tous  les  in- 
succès de  son  amiral  Reynst  dans 
l'ile  de  Banda. 

De  retour  enfin  à  Bantam,  en 
automne,  épo(}ue  à  la(}iielle  nous 
terminons  la  première  phase  de 
son  action  aux  Indes,  il  reçut  de 
Coen  l'ordre  de  revisiter,  en  <jua- 
lilé  de  Président  des  établisse- 
ments qu'il  pourrait  y  former,  ers 
parages  arabiques  dont  nui  Kuro- 
péen,  sauf  lui,  n'avait  de  notion  : 
de  plus,  il  devait  en  passant  don- 


ner un  coup  d'œil  à  Priaman  et 
Tikou  (deux  points  de  l'ile  de  Su- 
matra), et  s'aboucher  avec  le  roi  de 
Cey lan .  Ces  deux  pays  lui  fournirent 
matière  à  quelques  observations 
utiles  ;  mais,  quoiqu'il  eût  mouil- 
lé dans  la  rade  de  Balagama,  le 
temps  lui  manqua  pour  remplir  à 
la  lettre  la  seconde  partie  de  ses 
instructions.  Le  monarque  chin- 
galais  était  alors  loin  du  littoral. 
Du  rtiste,  le  but  qu'avait  en  vue 
Coen,  n'en  fut  pas  moins  atteint. 
Le  11  janvier  suivant  (en  iGIO, 
par  conséquent),  il  jeta  l'ancre  à 
Chicheri,  où  il  retrouva  son  éta- 
blissement en  bon  état;  et,  quatre 
jours  après,  il  fit  voile  pour  Moka, 
où  il  ne  rencontra  que  des  navires 
orientaux;  et,  ce  qui  devait  le 
charmer,  grande  facilité  de  com- 
merce, tant  avec  les  indigènes 
qu'avec  la  caravane  de  Suez  et  de 
lialeb,  qu'amena  le  mois  de  mars. 
Mais  Van  den  Broeck  n'était  pas  de 
ceux  qui  s'endorment  sur  leurs 
lauriei's  :  non  content  du  trafic 
lucratif  et  commode  qu'il  venait 
d'organiser  sur  le  littoral,  il  réso- 
lut de  vérifier  s'il  ne  serait  pas 
possible  de  s'étendre  à  l'intérieur, 
et,  en  tout  cas,  d'explorer  par  lui- 
même  les  richesses  naturelles  du 
pays.  Il  obtint  du  gouverneur  un 
passe-port  pour  se  rendre  à  Scra- 
sia,  le  chef-lieu  du  pachalik  dont 
faisait  partie  Moka,  et  un  firman 
enjoignant  à  tous  les  cheiks  ou 
autres  chefs  dont  il  traverserait  le 
pays,  de  le  défrayer  et  de  l'accueil- 
liravecdistinction.  Van  den  Broeck 
ne  prit  d'auU'es  compagnons  de 
voyage  qu'un  commis  et  un  trom- 
pette. 11  parcourut  ainsi  de  deux 
cents  à  deux  cent  cinquante  kilo- 
mètres tantôt  passant  des  monta- 
gnes dont  une  à  pentes  abruples 
et  presque  inaccessibles  ^à  ()fouz\ 


VAN 


VAN 


!;intO)t  saluant  diMîomhreuses  mos- 
quL't\s  ei  un  tombeau  monumental 
d'une  niagniticence  qui  rétonna,  tan- 
tôt trappe  de  ia  feitilitéd  unsol  où 
loute  l'année,  dit-il,  labours, semail- 
les et  récoltes  marchaient  de  front 
en  même  temps.  C'est  ainsi  qu'il  at- 
teignit Serasia,  d'où  bientôt,  com- 
me ce  n'était  que  le  chef-lieu  no- 
minal, il  diit  pousser  douze  kilom. 
plus  loi»  jusqu'à  Chenna,  pour  y 
rencontrera  sa  maison  de  plaisance 
le  pacha,  dont  l'autorisation   eiit 
consolidé   son    établissement    en 
Arabie.  De  nos  jours   encore,  on 
peut  trouver  de  l'intérêt,  et  même 
quelque  chosede  neuf  auxdétailsde 
cet  itinéraire  et  duséjour  à  Chenna. 
Le  Hollandais  reçut  un  accueil  des 
plus  polis;  on  lui  montra  les  curio- 
sités du  pays;  on  le  fêta  même.  Mais 
il  ne  trouva  chez  le  haut  fonction- 
naire pas  moins  de  réserve  que  de 
civilité.   Soit  que  les   enlours  du 
pacha  eussent   été  froissés  d'en- 
tendre son  trompette  sonnera  l'en- 
trée du  fort  habité  par  leur  maitre 
et  sous  les  fenêtres  du  harem  l'air 
"  Guillaume   de   Nassau,  »  comme 
si  harem  et  fort  étaient  déjà  le  lot  du 
nouveau  venu,  soit  parce  que  pen- 
dant que  Van  den  Broeck  s'enfon- 
çait à   l'intérieur,   son  navire,  au 
lieu  de  rester  à  Moka,  s'était  avan- 
cé au  nord  jus(pràDjeddali,elsem- 
blait  se  préparer  à  pénétrer  plus 
loin   encore,  ses  demandes  n'ob- 
tinrent qu'une  lin  de  non-recevoir 
tout  aussi  impatientante  (}u'un  re- 
fus et  provisoirement  équivalente  au 
refus  le  plus  formel  :  «  D'abord, 
ce  n'est  pas  moi,   pacha,  (jui  puis 
vous  autoriser.  Pour  les  élablisse- 
meiiLs à  demeure,  il  faut  l'a^zrément, 
il  faut  un  lirman  de   Sa  Ilauiesse. 
Ce  n'est  pas  tout  ;  ici,  car  ici  nous 
sommes    voisins  de    la   Mekke  » 
(en  effet,  l'on  n'en  <'st  guère  qu'à 


i  ,200  k.  !),  a  nul  giàour  ne  peut  met- 
tre les  pieds, sans  aller  contre  les  ha- 
tits,  sinon  contre  le  Qoran;  il  vous 
fautunfetwahducheikhou-'I-islàm. 
Attendez  que  notre  kodjah  écrive 
à  Stamboul,  et  surtout  attendez  les 
réponses.  Nous  aurons  le  hatti-ché- 
rif  au  bout  de  l'année,  le  feiwah 
avant  deux  ans,  si  l'on  ne  le  refuse 
pas.  »  Notre  voyageur  n'eut  garde 
d'attendre.  Mauvaise  plaisanterie, 
ou  simplement  mauvais  vouloir, 
c'était  pour  lui  tout  un.  Il  ne  pou- 
vait triompher  de  celui-ci,  se  ven- 
ger de  celle-là  encore  bien  moins, 
— à  moins  que  sa  vengeance  ne  fût 
de  les  laisser  à  leurs  vieux  us,  à  leur 
stagnante  routine,  ne  leur  deman- 
dant rien  de  leurs  produits,  ne  leur 
aj)portantrienderEurope. Aussi,  de 
retour  à  la  côte,  après  l'excursion  iur 
fructueuse,  non  content  de  renon- 
cer à  s'installera  Moka  et  d'exploi- 
ter les  environs,  supprima-t-il  le 
comptoir  de  Chichiri,  au  grand  re- 
gret et  des  habitants  et  de  leur 
prince.  Se  rabattant  alors  sur  l'Inde 
cisgangéiique,  il  vint  mouiller  à 
Surate  ;  et  là,  malgré  des  obsta- 
cles de  plus  d'un  genre,  il  parvint 
à  placer  sur  un  pied  à  peu  près  so- 
lide un  comptoir  à  côté  de  celui 
qu'y  possédaient  les  Anglais.  Il  en 
fonda  même  d'autres  en  des  locali- 
tés, les  unes  déjà  exploitées,  les 
autres  convoitées  par  eux,  telles 
que  Brochia,  Kandaya,  Ahmedabad. 
Il  ne  faut  pas  demander  si  ceux-ci 
l'y  virent  avec  chagrin  :  il  n'est 
pas  de  moyens  qu'ils  n'employè- 
rent pour  le  faire  congédier;  et 
l'on  |)eut  dire  qu'ils  n'épargnèrent 
point  Tarjent  pour  s'acquérir  cette 
chance  de  monopole  à  toute  ou- 
trance... Si  Penjnmd  numviis.  .  ., 
etiam  lus.  1!  y  eut  même  un  instant 
où,  lassé  d'avoir  à  déjouer  tant 
d'intrigues  et  a  se  défendre  de  tant 


VAN 


VAN 


11 


de  chicanes,  Van  den  Broeck  s'a- 
visa du  remède  héroïque,  un  brus- 
que et  complet  déménagement. 
Mais  la  population,  mais  plus  en- 
core les  trafiquants  possesseurs  de 
navires  orientaux,  faisant  le  com- 
merce, soit  que  la  concurrence 
intereuropéenne  leur  portât  pro- 
fit, soit  qu'ils  redoutassent  pour 
leur  cargaison  la  violence  et  la  cu- 
pidité biitanniques,  s'empressèrent 
de  témoigner  leurs  regrets  de  celte 
retraite,  et  supplièrent,  ou  plutôt 
requirent  le  gouverneur  mogol  de 
lui  faire  faire  voile  arrière.  Van 
den  Broeck  donc  resta,  non  plus 
par  pure  tolérance,  mais  sur  les 
instances  des  indigènes,  et  s'il  fut 
stipulé  qu'il  devrait  obtenir,  pour 
que  son  établissement  fût  définitif, 
l'agrément  du  Grand  Mogol  ou  de 
son  durbar,  évidemment  ce  ne  fut 
que  pour  la  forme  :  provisoire- 
ment il  existait ,  provisoirement 
les  calomnies  de  ses  concurrents 
étaient  frappées  de  paralysie,  et 
nul  doute  sérieux  ne  pouvait  s'éle- 
ver sur  le  résultat.  Les  Anglais 
n'en  revinrent  pas  d'élonnement; 
mais  cet  élonnement  ne  démontre 
que  mieux  le  mérite  de  leur  adroit 
adversaire.  Ils  répétèrent  que  son 
départ  n'avait  été  qu'un  simulacre, 

qu'un  vain  jeu Jeu?  soit!  Mais 

vain  jeu?  Le  mol  cesse  d'être  juste  : 
Leur  compétiteur  avait  bien  joué. 
i\ous  glisserons  sur  les  missions 
de  plus  en  plus  laboiieuses  et  dé- 
licales  dunt  l'investit  pendant  les 
douze  ou  quinze  mois  suivants  la 
confiance  toujours  croissante  du 
général Goen,  et  qui  l'amenèrent,  en 
juillet  lG17,sur  lescôles  d'Afrique, 
où  déjà  nous  l'avions  vu.  Aux  en- 
virons des  caps  d'Oifoui  et  Guar- 
dafoui,  son  navire  lut  ballu  par  une 
tempête  des  plus  furieuses  qui  , 
non  seulement  le  poussa  dans  les 


eaux  de  la  manche  de  Bab-el-Man- 
deb,  mais  devant  laquelle  il  fut 
obligé  de  fuir  voiles  arrière  jus- 
qu'à l'Inde,  au  sud  de  la  pénin- 
sule de  Goudjerate;  encore  ful-il 
réduit  à  se  faire  échouer  en  attei- 
gnant la  tôle  de  Daman,  la  der- 
nière ville  importante  que  possé- 
dât au  sud  le  Grand-Mogol,  dont 
alors  la  domination  ne  comprenait 
rien  ou  presque  rien  du  Dekkan. 
Aucun  des  siens  pourtant  ne  périt, 
et  même  il  put  sauver  partie  de  ses 
marchandises,  qu'il  mit  à  couvert 
derrière  un  abri  improvisé;  après 
quoi,  presque  seul,  il  franchit  la 
courte  dislance  qui  le  séparait 
de  Surate ,  comptant  y  trouver 
des  moyens  de  reprendre  la  mer  en 
frétant galiolle  ou  yacht,  prame  ou 
jonque.  Il  espérait  à  tort. Les  moyens 
de  transport,  il  est  vrai,  ne  man- 
quaient pas  :  il  put  compter  jusqu'à 
sept  navires  en  rade  à  Surate. 
Mais  tous  les  sept  étaient  des  na- 
vires anglais,  et  les  sept  capitaines 
furent  unanimes  à  lui  refuser  toute 
aide.  Ils  ne  voulurent  pas  même 
mettre  à  sa  disposition  la  moindre 
chaloupe.  Force  eût  donc  été  d'a- 
cheter et  de  faire  venir  de  localités 
lointaines  quelque  embarcation 
qu'on  n'eût  pas  vue  avant  de  l'ac- 
quérir, et  qui  peut-être  u'eûl  pu, 
chargée  de  son  équipage,  tenir  la 
mer  jusqu'à  Java.  Ne  voulant  ni 
courir  ce  risque,  ni  ruiner  par  des 
frais  disproportionnés  son  comp- 
toir naissant,  l'intrépide  naufragé 
prit  uu  héroïque  parti  :  ce  fut  de 
se  rendre  par  terre,  en  traversant 
toute  l'épaisseur  du  Dekkan,  à  la 
côte  orientale  de  la  péninsule,  d'où 
probablement  il  ne  lui  serait  plus 
diîlicile  de  se  rendre  à  la  pointe 
de  Malakael  aux  ilesmalaisieiuies. 
Des  Hindous  même,  àquehiue  peu- 
plade    (pi'ils  apparlinsseut,    très- 


12 


VAN 


VAN 


peu  acromplissaient  en  lolaliu*  ce 
voyau'e  de  plus  de  mille  kilomètres 
(|ue  rendaient  dos  plus  pi'uibles  les 
inontaj,Mies,  les  rivières,  et  presque 
partout  l'absence  de  routes  pralica- 
l)les,  et  que  hérissaient  de  périls,  ici 
les  bêtes  féroces,  \i\  les  hommes  plus 
léroces  qu'elles,  barbares  à  peine 
échappés  h  la  vie  sauvage,  vivant 
de  la  vie  de  bandits,  et  tantôt  les 
uns,  et  tantôt  les  autres  en  éiat  de 
iîuerre  entre  eux.  Cent  Irenîe-deux 
iiommes,  dont  cent  trois  Hollan- 
dais et  viniït-neuf  Asiatiques,  qui 
naguère  avaient  formé  l'équipage 
(lu  Nassau,  se  mirent  en  route  avec 
lui  pour  partager  ses  aventures  et 
ses  périls.  Des  bœufs  portaient  ses 
bagages  et  ses  marchandises,  et  ses 
hommes  étaient  armés  comme  pour 
enlrer  en  campagne.  Le  dépari  dut 
avoir  lieu  vers  le  commencement 
d'octobre  (IGIT). 

Les  premières  journées  se  pas- 
sèrent paisiblement  îi  parcourir  les 
dépendances  orientales  du  Goud- 
gerale  (Nocherni ,  Gandivi,  Ar- 
maou).  Mais  ils  n'eurent  pas  plutôt 
mis  les  pieds  sur  les  terre?  des  Kad- 
jepoutes  qu'ils  durent  prévoir  et 
même  qu'ils  eurent  des  hostilités  à 
repousser.  A  cinq  kosses  (soit  30  k.) 
d'Armaou ,  les  liabilanis  d'Onvvi 
prétendirent,  en  dé;iit  du  passe- 
port dont  Van  deu  Broeck  s'était 
muni,  lui  faire  payer  un  droit  par 
homme  et  pour  chaque  bœuf  chargé. 
Il  .s'ouvrit  le  passage  cependant 
sans  bourse  délier  ;  mais  20  k.  plus 
loin,  Ji  Kamela,  il  trouva  la  route 
barrée  par  de  ;iros  arbres  et  fut  as- 
.sailli  de  toutes  p:irls.  Vingt-cinq 
coups  de  mousquet  réduisir<;nl  les 
assaillants  à  fuir,  non  sans  perle, 
et  à  se  tapir  dans  les  bois,  d'où  plu- 
rent encore  des  flèches,  auxquelles 
ripostèrent  des  balles  :  un  de  ses 
Tartares,  dan;i  ces  engagements,  eut 


le  dos  fendu  en  deux  par  un  Japo- 
nais au  service  des  Européens.  Le 
lendemain,  il  fallut  marcher  ensei- 
gnes déployées  au  travers  de  hautes 
et  âprt  s  montagnes,  puis  jouer  de 
l'arme  ii  feu  et  de  l'arme  blanche 
au  sortir  du  défilé  contre  le  com- 
mandant d'un  fort  voisin,  à  la  solde 
du  râdjâ  de  Partibassa  (ou  Parla- 
ba?):  trois  colonnes  de  cavalerie 
arrivèrent  successivement  sur  îa 
petite  troupe  hollandaise  aux  cris 
de  «  Mahar  kotta ,  inahar  kotta 
(tue,  lue  ces  chiens,  w  c'est-k-dire 
ces  Infidèles).  Le  gouverneur  était 
en  personne  à  la  tête  de  la  pre- 
mière. Van  den  lîroeck  les  al- 
tendil  de  |)ied  ferme  et  en  bon  or- 
dre, et  ne  donna,  que  lorsqu'ils 
furent  à  la  dislance  par  lai  voulue, 
le  signal  d'un  feu  nourri  qui  cou- 
cha par  terre,  entre  autres  victi- 
mes, le  gouverneur  ;  les  deux  autres 
corps,  en  dépit  de  leur  ardeur,  ne 
furent  pas  plus  heureux.  Et  vaine- 
ment les  fantassins,  embusqués 
dans  les  jongles  le  long  de  la  route, 
décochèrent,  tant  qu'ils  furent  sur 
leurs  terres,  leurs  flèches  et  leurs 
dards  contre  les  voyageurs.  Trois 
seulement  de  ces  derniers  res- 
tèrent morts  sur  la  place...  Il  est 
vrai  que  Ningt-hnit  étaient  blessés. 
-Mais  qu'était-ce  au  prix  des  perles 
qu'avaient  à  déplorer  les  belliqueux 
Kchalriyasde  Parlibassa?  Les  Hol- 
landais en  apprirent  le  nombre 
exact  le  lendemain,  quand  ils  pu- 
rent se  reposer,  iuattaqués  en 
même  temps  ((u'inolfensifs  ,  sur 
les  terres  du  Dekkan.  Quatre-vingt- 
ci[i(i  des  ennemis  étaient  tombés 
sous  leurs  coups;  et  sur  le  bûcher 
du  gouvfTueur  étaient  montés,  pour 
y  périr  dans  les  flammes,  tous  ses 
domestiques,  ses  esclaves  et  son 
harem.  La  population  du  Dekkan 
était   alors   en   guerre    avec   son 


t 


VAN 

voisin  le  râdjâ  de  Partibassa  :  l'é- 
chec que  venait  de  faire  éprouver 
aux  soldats  de  ce  prince  turbulent 
et  inquiet  la  suite  de  notre  Hollan- 
dais ne  putdonc  que  lui  valoir  un  af- 
fectueuxet  parfait  accueil  de  la  part 
des  Dekkanais.  Cependant  il  ne 
put  se  dispenser  de  rémunérer  à 
beaux  réaies  de  huit  comptant  l'es- 
corte armée  qu'on  s'empressa  de 
lui  donner  pour  atteindre  Van- 
dandérin  ;  et  là  encore,  pour  avoir 
le  droit  de  quelquesjours  de  repos 
et  droit  de  passage,  il  crut  sage  de 
composer,  préférant  avec  raison 
perdre  un  peu  de  monnaie  que  du 
temps  et  des  hommes.  Bientôt 
après,  il  eut  franchi  l'espèce  de 
mur  que  forme  la  double  chaîne 
des  Gates,  salua  de  loin  les  deux 
forts  d'Aneque  et  Taneque  sis 
chacun  sur  des  cimes  opposées. 
Laissant  ensuite  ses  malades  à  Pa- 
loda  sous  la  garde  d'un  commis, 
pour  ne  pas  retarder  indéfiniment 
sa  marche,  il  atteignit  un  yaste 
camp  de  16  ou  <8  k.  de  tour,  que 
commandait,  à  la  tête  de  80  000  ca- 
valiers, plus  de  l'infanterie  en  pro- 
portion ,  un  général  abyssin  que 
son  mérite  et  quelque  peu  d'intri- 
gue avaient  investi  d'un  pouvoir 
équivalent  k  celui  de  régent.  Sim- 
ple esclave,  d'abord,  d'un  grand  du 
Dekkan  (qui  l'avait  acheté  20  pago- 
des, soit  80  fr.),  après  la  mort  de 
son  maître,  il  avait  épousé  sa  veuve, 
s'était  fait  chef  de  routiers  qu'il 
porta  successivement  à  5,000,  tous 
cavaliers,  et  après  avoir  longtemps 
levé  la  dime  sur  les  passants  de 
facile  composition,  le  quint  ou  dou- 
ble quint  sur  les  récalcitrants,  avoir 
longtemps  déjoué  les  efforts  de  Ni- 
zam  Djehàn  (le  roi  du  Dekkan)  pour 
s'emparer  de  sa  personne,  il  était 
devenu  le  personnage  le  plus  consi- 
dérable de  sa  cour,  son  génér'ilis- 


VAN 


13 


sime,  son  beau-père,  puis  enfin 
le  gendre  mourant,  comme  de  rai- 
son, le  tuteur,  le  tout-puissant  tu- 
teur du  jeune  fils  de  sa  fille. 
Mélik-Anbâr  (c'était  le  nom,  disons 
plutôt  le  sobriquet  royal  (1),  de  ce 
quasi-monarque)  tenait  tête  alors 
aux  forces  du  Grand-Mogol.  lUe 
montra  plein  de  courtoisie  pour 
Van  den  Broeck,  lui  fit  présent 
d'un  sabre  du  Japon,  d'un  poi- 
gnard de  Java,  d'une  veste  d'or 
et  de  poil  de  chameau,  lui  de- 
manda des  nouvelles  de  ses  malades 
de  Patoda  et  voulut  le  retenir  à 
son  service.  C'est  son  attitude  à 
rencontre  des  Radjapoutes  de  Par- 
tabrissa  qui  lui  valait  ces  égards. 
Il  y  a  plus  :  quelques  députés  de 
ceux-ci  étant  venus  présenter  leurs 
plaintes  contre  le  voyageur,  comme 
leur  ayant  enlevé  leurs  chevaux, 
l'ex-chef  de  héros  de  grandes  routes 
ne  leur  répondit  que  par  des  propos 
de  ce  genre  et  en  riant  :  «  Eh  bien! 
le  voilà  devant  vous,  que  ne  le  pre- 
nez-vous ?  »  ou  bien  :  «  Pourquoi 
vous  laissez-vous  enlever  vos  che- 
vaux?» Le  Hollandais  ayant  décliné 
ses  offres,  Anbàr  n'en  fi[  pas  plus 
froid  visage  à  son  hôte,  et  il  lui 
donna  de  si  main  un  p;isse-port 
pour  les  autres  pays  à  traverser. 
Tous  n'étaient  pas  do  ses  sujets  ou 
de  ses  amis,  et  plus  des  deux  tiers 
(le  la  route  restaient  à  faire.  De 
Djikedon  à  Kafrio  (près  de  60  kos- 
ses  ou  300  k.),  il  fut  presque  coiis- 


[D  On  sait  que  melilc  (ou  melek)  on 
arabe  veut  dire  roi  :  anhar  (on,  comme 
r(''<nt  Vaii  (ien  iJroeck,  ainbaur)  est 
probablement  l'ori-inal  de  notre  mot 
aiubre;  A  c'est  un  de  ces  sobriquets 
par  anliplira.se  [sous,  goul,  yd  out^ 
f/ouhcr,  etc.,  que  d'un  bout  i»'  l'antre 
de  l'Orient  on  donne  à  ces  pauvres  es- 
claves, au  teint  fuligineux. 


Ml 


VAN 


tamment  sur  les  domaines  du  Grand- 
Moiïol  :  on  lui  refusa  l'entrée  de  la 
ville  royale  de  Kaoulas,  et  il  dut 
dresser  ses  tenies  au  village  de 
Chamentapour  ;  il  ne  put  non  plus 
visiter  Goikound,  attendu,  lui  dit- 
on,  que  là  se  trouvaient  nombre 
de  harems,  zénànas  et  antapou- 
ras,  des  grands  du  royaume  ;  à  Bag- 
ganagar,  il  eût  à  subir  une  capti- 
vité de  quelques  jours,  n'ayant  pour 
demeure  qu'une  vieille  grange,  et 
lorsqu'il  redevint  libre,  il  vit,  tou- 
jours à  Bagganagar,  le  gouver- 
neur de  Masulipatan  lui  retenir  le 
sauf-conduit  d'Anbàr,sous  prétexte 
que  donner  passage  à  tant  de 
monde  îi  la  fois  serait  un  acte  de 
haute  imprudence.  «  Prenez,  leur 
dit-il,  par  Pétnpoli,  d'où  vous  vous 
rendrez  à  Paliakate.  »  Tel  fut  en 
eftel  le  chemin  qu'il  prit  d'abord; 
mais,  arrivé  au  gros  bourg  d'Ibra- 
himpatan ,  il  fléchit  vers  Masuli- 
palan,  but  premier  de  son  voyage 
terrestre  et  où  son  plan  avait  été 
de  reprendre  la  mer.  M;iis  là  en- 
core, surgirent  des  obstacles.  La 
police  de  cette  ville  voulait  qu'il  lui 
remît  ses  arme.>  ;  et,  pendant  ce 
(•oiiflit,  il  apprit  que  ses  malades 
avaient  été  séquestrés  à  Normol.  Il 
revint  sur  ees  pas,  tenta  sans  fruit 
de  se  les  faire  reridre,  et,  chaque 
jour,  plus  circonvenu  par  des  pé- 
rils de  toutes  sortes,  tantôt  gagnant 
Péiapoli  j)ar  Badour  sans  pouvoir 
y  entrer,  tantôt  rebroussant  chemin 
jusqu'à  Mout.'pouli,  ici  se  voyant 
refuser  des  vivres  contre  argent,  là, 
faute  d'un  canot,  que  personne  ne 
voulait  lui  louer  ni  lui  vendre,  forcé 
de  passer  à  la  nage,  sa  troupe  et 
ui,  kMM's  armrssur  les  épaules,  les 
flotî- hérissés  de  brisants,  aiiu  d'at- 
ttMudre  le  yacht  d'un  compatriote 
(Hans  de  Haas,  gouveriicu;  eu  ces 
parages),  il  atteignit enlinl*aii:«kate 


VAN 

et  le  golfe  du  Bengale.  C'était  en 
janvier  1018.  Il  eût  pu  dès  lors  ^'-e 
rendre  aux  îles  de  la  Sonde.  Il  se 
laissa  déterminer  par  Hans  de  Haas 
à  prendre  part  à  ses  croisades  contre 
les  Portugais;  et  là,  tout  en  s'ini- 
tiant  à  la  parfaite  connaissance  de 
la  côte  de  Coromandel  où  nous  le 
verrons  reparaître  plus  d'une  fois, 
il  acheva  de  se  familiariser  avec 
les  principes  et  les  habitudes  mili- 
tairos  dont  il  avait  si  fortement 
l'instinct  :  cinq  bâtiments,  dont  trois 
frégates,  composaient  leur  escadre. 
Il  n'est  pas  dit  que  de  très-riches 
ou  très-nombreuses  prises  aient 
récompensé  leurs  excursions. 
Van  den  Broeck  fut  plus  heu- 
reux cà  la  cour  du  roi  d'Achin, 
qui,  tout  fier  qu'il  fût  de  ses  ré- 
cents succès  sur  le  roi  de  Pahan, 
consentit,  grâce  à  l'habileté  du  né- 
gociateur, à  renouveler  son  traité 
avec  les  États.  Vingt  et  un  mois 
s'étaient  écoulés  pendant  ces  cour- 
ses si  multipliées  et  si  périlleuses. 
De  retour  à. lava,  son  point  de  dé- 
parl,il  y  trouva  tout  enagilationet 
en  péril  (7nov.  1618).  Coen  était  en 
guerre  avec  le  roi  de  Banlam,  que 
probablement  avaient  animé  les 
dénonciations  des  Anglais,  et  se  te- 
nait sur  la  défensive.  Ces  mêmes 
Anglais,  au  mois  de  décembre  sui- 
vant (1618),  mettaient  la  niain  par 
trahison  sur  un  navire  batave,  le 
Lionnoir,  qui  venait  de  Pafane.  A 
cette  uouvelle.VandenBroeek,  qui, 
de  Jakatr.i  s'apprêtait,  par  ordro 
sans  doute,  îi  faire  voile  pour  Su- 
rate, prit  tout  à  coup  une  décision 
dont  l'initiative,  en  compromettant 
un  moment  sa  responsabilité,  ne 
peut  que  lui  faire  honneur  aux 
yeux  de  tout  juge  impartial.  Ju- 
geant qu'une  course  toute  com- 
merciale n'ofl'rail  pas  d'urgence  à 
l'heure  d'une  pareille  crise,  il  se 


VAN 


VAN 


15 


dit  que  l'important  était  pour  ors 
de  fortifier  si  bien  la  loge  de  sa 
nation  à  Jakntra  qu'elle  fût  à  l'abri 
de  toute  insulte  anglaise...  ou  au- 
tre..., puisque  les  roitelets  du  pays 
prenaient  tout  Tair  de  passer  à  l'é- 
tat de  marionnettes  anglaises,  et 
puisque,  d'ailleurs,  les  Anglais 
avaient  là,  tout  près  de  l'embou- 
chure du  fleuve,  une  loge  mieux 
située  que  la  leur.  Il  commença 
par  entourer  ses  bâtiments  de  pa- 
lissades et  d'un  rempart  de  terre. 
Les  Jakatrais  répondirent  en  com- 
mençant à  leur  tour  des  foriifica- 
tions.  Van  den  Broeck  n'en  fut  que 
plus  résolu  et  plus  ardent  :  il  ac- 
céléra les  travaux;  les  palissades 
devinrent  enceintes  continues;  les 
pierres  de  taille  remplacèrent  la 
terre  et  le  bois,  et  le  tout  prit  le 
nom  de  Batavia.  Vidourg-Bâm 
(c'était  le  nom  du  potentat  de  Ja- 
katra)  faisait,  pendant  ce  temps, 
construire  sous  la  loge  anglaise 
et  d'après  un  plan  anglais  une  es- 
tacade  qui  barrait  le  fleuve.  Deux 
jours  après,  les  boulets  volaient  de 
part  et  d'autre;  des  Hollandais  et 
des  Anglais ,  voire  des  Jaka- 
trais mordaient  la  poussière  ; 
les  succès  se  balançaient.  La  loge 
anglaise  cependant  recevait  assez 
d'avaries  pour  que  les  Anglais,  à 
Bantam,  demandassent  instam- 
ment au  roi  de  celle  ville  qu'il  exer- 
çât, pour  pux,  des  représailles  en 
incendiant  la  loge  hollandaise.  Ce 
prince,  fin  politique  qu'il  était,  se 
contenta  d'envoyer  à  Vidourg-Ràm 
de  3  à  iOO  hommes,  c'est-à-dire 
juste  assez  pour  n'être  pas  détrôné 
par  ses  nouveaux  voisins,  mais 
trop  peu  pour  les  écraser  eux- 
mêmes.  Le  danger  ne  laissait  pas 
d'être  immense  pour  ceux-ci.  L'ne 
flotte  britannique  de  onze  voiles 
menaçait  de  franchir  le  détroit  de 


a  Sonde  et  pouvait,  d'un  instant 
à  l'autre  mouiller  en  vue  de  Ja- 
katra  :  heureusement  Coen,  bien 
moindre  en  forces  cependant, 
trouva  moyen  de  lui  barrer  le 
passage  et,  sans  combattre,  para- 
lysa tous  ses  mouvements.  Mais 
immédiatement  après  il  s'éloigna 
pour  aller  passer  de  trois  Ix  six 
mois  aux  Moluques.  L'ami  des 
Anglais  en  profita  pour  se  montrer 
de  plus  en  plus  hostile  à  leurs  ri- 
vaux; et,  finalement,  les  voyant 
battre  avec  vigueur  sa  propre  ca- 
pitale, et  k  la  veille  d'y  faire  brè- 
che, il  eut  recours  h  la  trahison 
pour  simplifier  l'imbroglio  :  simu- 
lant la  modération  et  la  fatigue,  il 
signa  un  traité  ou  si  l'on  veut  un 
armistice  avec  Van  den  Broeck, 
qui,  moyennant  6.000  réaies  de 
huit  une  fois  données,  garderait  ses 
fortifications  «  in  statu  quo  »,  nul 
d'une  autre  nation  ne  pouvant  bâ- 
tir à  40  mètres  â  la  ronde;  mais 
une  fois  l'argent  en  ses  mains  et 
Van  den  Broeck  ayant  été,  sur  son 
invitation,  lui  rendre  visite,  il  le 
retint  prisonnieret  voulut  le  forcer 
à  donner  aux  siens  l'ordre  de  ren- 
dre leurs  forts  au  roi,  s'ils  ne  vou- 
laient qu'il  pérît  dans  les  supplices. 
Il  le  fit  môme  mener  la  corde  au 
cou  sur  le  rempart  de  J.ikatra 
pour  que  sa  vue  et  ses  exhortations 
décidassent  les  Holiandais  à  céder. 
Mais,  loin  de  li,  Van  den  Broeck, 
grAce  au  poste  qu'il  occupait,  s'a- 
perçut que,  sur  un  point,  le  rem- 
part ne  pouvait  tenir  longtemps  si 
l'on  continuait  à  bijltre  en  brèche, 
et  il  révéla  tout  haut  devant  ses 
gardiens  celte  particularité  à  ses 
amis,  généreux  a(!te  de  patriotisme 
que  lui  firent  expier  ces  mêmes 
gardiens  par  d'ir.dignes  brutali- 
tés, et  qui,  du  reste,  ne  produisit 
pas    le  résultat  espéré.  Soit  que 


R 


VAN 


VAN 


les  Néerlandais,  ainsi  qu'ils  le  di- 
rent, n'eussent  plus  do  poudre  qus 
pour  un  jour,  soit  qu'en  s'èloif^nanl 
Coen  leur  eût  dit  qu'en  cas  extrême 
mieux  vaudrait  qu'ils  se  rendissent 
aux  Anglais  qu'aux  Javanais,  une 
capitulation  eut  lieu  le  3i  janvier 
(1619),  conforme  au  vœu  de  tous 
les  habitants  de  rétablissement 
nouveau  qui  remettait  les  forts  au 
chef  anglais  Dael,  et  dès  le  lende- 
main  cet  oflicier  se  faisait  livrer 
toute  l'argenterie  du  général  Coen. 
Le  traité  ayant  été  signé  aussi  par 
Vidourg-Rûm,  et  ce  dernier  d'ail- 
leurs n'étant  ici  que  l'instrument  des 
Anglais, il  est  assez  clair  qu'immé- 
diatement Van  den  Broeck  eût  dû, 
selon  les  clauses  de  l'accord,  re- 
couvrer sa  liberté.  C'est  ce  que  les 
deux  dignes  alliés  se  gardèrent  de 
faire,  ne  croyant  leur  victoire  as- 
surée qu'en  tenant  sous  clef 
l'hoa^me  dont  l'activité  leur  était 
surtout  redoutable,  et,  grâce  à 
cette  perfidie,  n'apercevant  plus  nul 
nuage  à  l'horizon,  nul  revers  pos- 
sible à  leur  triomphe.  Il  en  fut  tout 
autrement:  en  présence  de  l'astuce 
indoue,  il  y  a  toujours  place  pour 
linatiendu.  Le  pangoram  ouràdjà 
de  Bantam,  à  la  nouvelle  de  l'inci- 
dent qui  donnait,  et  aux  Anglais 
qu'il  n'aimait  guère,  et  à  son  rival 
de  Jakatra  qu'il  n'aimait  pas , 
un  surcroit  décisif  de  puissance  et 
de  richesses,  rompit  tout  net  avec 
les  demi-mesures  :  2,000  soldais  se 
mirent  en  route  par  ses  ordres, 
sous  le  chelde  toutes  ses  troupes 
et  entrèrent  dans  Jakatra  où  na- 
turellement on  les  prit  pour  des 
auxiliaires.  Admis  au  palais,  cet 
oflicier,  après  avoir  remis  ii  Vi- 
dourji-Uûm  une  lettre  de  son  maiire, 
prolila  bientôt  d'un  moment  de 
lèle-à-lèle  avec  lui  pour  lui  met- 
tre le  poignard  sur  la  gorge,  et  lui 


rendant  perfidie  pour  perfidie, 
faire  occuper  foutes  les  avenues 
du  palais  par  les  forces  qu'il  avait 
amenées.  Les  Anglais  ne  purent 
que  prendre  h  la  hâte  la  roule  de 
leurs  comptoirs,  que  même  ils  se 
virent  bientôt  obligés  de  quitter  et 
qu'enclava  Batavia  sans  cesse 
croissante  ;  les  Hollandais  cessè- 
rent d'être  inquiétés  par  les  ban- 
des de  Jakatra  et  reçurent  des 
vivres  à  la  condition  de  ne  pas 
coniinuer  leurs  fortifications.  Van 
den  Broeck,  sorti  de  sa  prison, 
put  croire  qu'il  allait  devenir  li- 
bre. Mais  provisoirement  il  fut 
conduit  à  Bantam,  où  ensuite  il  fut 
retenu.  Moins  brutalement  traité 
que  naguère,  il  était  cependant 
entouré  d'entraves,  épié,  traqué, 
tandis  que,  par  tous  les  moyens, 
espoir  et  menaces  ou  appel  à  la 
reconnaissance,  on  tentait  de  l'a- 
mener à  rendre  ses  forts,  à  délais- 
ser ses  établissements.  Il  tint  boa, 
ne  dit  ni  oui  ni  non,  et  par  des 
avis  secrets  pressa  ses  compa- 
triotes de  pousser  les  travaux  des 
fortifications  jusqu'à  ce  que  les 
temps  devinssent  plus  favorables 
aux  idées  de  leur  chef  captif; 
ceux-ci  achevèrentleur  enceinte  et 
d'autres  ouvrages,  apposèrent  en 
grosses  lettres  sur  leur  porte  prin- 
cipale le  nom  de  Batavia,  puis  fi- 
nalement se  mirent  en  disposition 
d'éloigner  par  les  armes  tout  sur- 
veillant, tout  assaillanl  qui  préten- 
drait les  rappeler  à  la  lettre  de 
conventions  imposées  par  la  force. 
Cette  politique,  qu'on  ne  dévoila 
que  graduellemeni,  mais  qui  ne 
laissait  pas  que  d'être  assez  dia- 
phane par  instants,  mit  deux  ou 
trois  fois  V.in  den  Bioeck  en  dan- 
ger d'être  poignarde.  Heureuse- 
ment Coen  finit  par  revenir  des 
Moluques  (25  mars  1020), amenant 


VAN 


VAN 


17 


I 


dix-sept  voiles,  mouilla  sous  le 
fort  et  débarqua  douze  compagnies 
qui  bientôt  eurent  franchi  les  trois 
kilomètres  qui  séparent  Jakatra 
de  la  plage.  Trois  jours  après  (le 
29)  la  ville  était  prise,  le  roi  en 
fuite,  tout  ce  qui  restait  de  la  po- 
pulation mâle  et  adulte  passé  au 
fil  de  l'épée,  les  murailles  rasées, 
et  le  nom  de  Jakatra  ne  fut  plus 
qu'un  souvenir.  L'émotion  fut 
grande  à  Bantam  :  le  pangoram 
chercha  pourtant  encore  à  tergi- 
verser. Coen  alors  vint  s'embosser 
devant  Bantam  (8  avril}  et  somma 
le  cauteleux  prince  de  lui  remettre 
sous  vingt-quatre  heures  soixante- 
dix  Hollandais  que  les  Anglais  lui 
avaient  remis  en  dépôt  et  Van  den 
Broeck:  le  Javanais  n'en  remit  d'a- 
bord que  soixante-quatre  et  menaça 
le  fondateur  de  Batavia  de  le  tuer, 
quitte  à  le  livrer  mort.  Finalement, 
s'avouant  que  cette  satisfaction  déri- 
soire ne  passerait  pas  impunie,  il 
consentit  à  s'exécuter  complète- 
ment ;  et  Van  den  Broeck  avec 
sept  autres  fut  remis  en  liberté.  Ce 
dénoùment  forme  la  transition  de 
la  deuxième  à  la  troisième  phase 
des  services  de  ce  zélé  patriote  en 
Orient. 

Nous  le  voyons  à  présent,  im- 
immédiatement  après  la  rupture  de 
ses  fers,  reparaître,  par  ordre  de 
Coen,  devant  Bantam;  mais  cette 
fois  c'est  avec  des  forces  de  terre  et 
de  mer.  Il  vient  retirer  de  la  ville 
du  pangoram  toutes  les  possessions 
de  la  compagnie  hollandaise,  et, 
tandis  que  le  prince  altermoie,  il 
détermine  quantité  de  Chinois,  ha- 
bitants de  Bantam,  à  déserter  leur 
patrie  nouvelle,  à  b'adjoindre  k  la 
for'iune  hollandaise  et  a  venir  ha- 
biter sa  cité  naissaiite.  La  popula- 
tion de  Batavia  est  quintuplée, 
bientôt  elle  touchera  le  décuple..., 

LXXXV 


elle  ne  s'arrêtera  pas  là.  Le  pango- 
ram, auquel,  par  luxe  de  précau- 
tion, il  fait  la  plaisanterie  d'en  sol- 
liciter la  permission,  feint  de  ne 
pas  tenir  à  ces  émigrants  et  lui  dit 
qu'il  n'est  pas  surpris,  puisque,  a  en 
lui  donnant  la  volée,  »  il  s'est  bien 
attendu  «  à  voir  d'autres  oiseaux 
s'envoler  de  la  cage.  »  En  revanche, 
de  moins  en  moins  coulant  sur  le 
retrait  des  marchandises,  il  en  vient, 
d'ajournements  en  ajournements,  de 
subterfuges  en  subterfuges,  à  retenir 
onze  Hollandais  qui  restent  encore 
au  comptoir  pour  le  gérer.  Van 
den  Broeck  ouvre  les  hostilités  le 
2  août,  et,  en  peu  de  temps,  enlève 
neuf  grosses  jonques  ,  trente-trois 
moindres  embarcations ,  quatre- 
vingt-un  Javanais  et  Javanaises  de 
Bantam,  plus  cent  trente-deux  Chi- 
nois dont  maintenant  on  prohibe 
la  sortie  et  qui  n'en  connivent 
que  plus  décidément  avec  lui. 
Force  est  enfin  au  pangoram  non- 
seulement  de  laisser  les  Hollan- 
dais déménager  leurs  biens  sans 
que  rien  n'y  manque,  mais  de  de- 
meurer aux  yeux  de  tous  avec  sa 
honte  et  hors  d'état  de  résister  :  ils 
n'abusent  pas  de  leur  victoire, 
mais  ils  en  usent.  Les  Anglais  aussi 
deviennent  plus  respectueux.  Une 
de  leurs  escadres  paraît,  devers  le 
détroit  de  la  Sonde,  méditer  quel- 
que entreprise  sur  les  établisse- 
ments hollandais;  mais  Van  den 
Broeck  croise  dans  cei  parages 
avec  six  gros  vaisseaux  et  un  yacht, 
et,  par  ses  manœuvres,  il  réduit 
un  d'eux  à  venir  mouiller  sous  pa- 
villon hollandais  :  il  est  avéré  qu'il 

ne  pourra  tenir Le  capitaine 

alors  exhibe  copie  d'un  récent 
traite  de  paix  entre  les  Provinces- 
Unies  et  l'Angleterre,  traite  encore 
inconnu,  et  que  le  fils  d'Albion  au- 
rait sans  doute  garde   encore   en 


18 


VAN 


portefeuille,  s'il  eût  été  de  force  à 
capturer  les  Hollandais.  La  paix 
connue  et  publiée,  ces  mêmes  An- 
glais ,  si  tiers  l'année  d'avant , 
prient  qu'on  leur  accorde  dans  Ba- 
tavia le  terrain  où  jadis  fut  sis  leur 
comptoir ,  à  reifet  d'en  établir  un 
autre.  «  Mon  fort  vous  incommo- 
derait, »  répond  l'ex-captif  de  Vi- 
dourg-Ràm,  «  vous  en  seriez  trop 
voisins.  »  Et  il  leur  assigne  un  au- 
tre point,  on  peut  dire  un  coin  de 
sa  ville ,  à  distance  respectueuse. 
La  même  année  (1020)  le  vit  revê- 
tir du  titre  deChefel  directeur  des 
comptoirs  d'Arabie,  de  Perse  et 
des  Indes.  Ces  fonctions,  qu'il  rem- 
plit pendant  sept  ans  moins  quel- 
ques mois,  ne  furent  pas  une  siné- 
cure pour  le  titulaire,  bien  que  ses 
traverses  n'aient  pas  été  tout  à 
fait  si  grandes.  Il  eut  pourtant  de 
graves  périls  à  conjurer.  Un  na- 
vire hollandais ,  le  Sainsun,  s'étant 
saisi  de  riches  cargaisons  apparte- 
nant à  des  sujets  du  Grand-Mogol, 
ces  façons  cavalières  d  agir  failli- 
rent (les  bons  offices  des  Anglais 
aidant  )  faire  considérer  sérieuse- 
ment à  la  cour  d'Agra  les  Hollan- 
dais comme  des  pirates.  La  compa- 
gnie, dans  les  provinces  soumises 
au  Mogol ,  possédait  plus  de  six 
tonnes  d'or,  sur  lesquelles  il  était 
facile  autant  que  doux  de  faire 
main  basse.  Il  fallut  toute  l'habi- 
leté (le  Van  den  Uroeck  à  retrou- 
ver les  mailles  perdues  pour  rei)ri- 
ser  le  tissu  du  traité  entre  ses  com- 
patriotes et  les  fils  d'Akbar.  Indé- 
pendamment des  comptoirs  que 
lui  (levaient  Ahmedabad,  Kâm- 
dâya,  lirochia.  Surate,  il  en  créa 
d'autres  sur  des  points  habilement 
choisis.  Non  coulent  d'être  rensei- 
gne par  des  rapports,  il  allait  sou- 
vent tout  inspecter  par  ses  yeux  , 
tout  raffermir  par  des  instructions 


et  des  encouragements  person- 
nels. Il  entretenait  auprès  du  Grand- 
Mogol  un  agent  principal ,  dit  chef 
du  commerce,  Wouterlleute.  Lui- 
même  ordinairement  résidait  à 
Surate ,  d'où  partirent  par  ses 
soins  nombre  de  navires  richement 
chargés,  les  uns  pour  la  Hollande, 
les  autres  pour  Batavia.  Il  n'avait, 
du  reste,  pas  négligé  l'Arabie;  il 
avait  revisité  la  mer  Rouge,  et  son 
gouvernement,  ayant  par  voie  di- 
plomatique obtenu  du  Grand  Sei- 
gneur le  firman  ou  haiti-chérif 
qu'affectait  de  réclamer  si  haut  le 
pacha  de  Chenna ,  il  établit  une 
factorerie  dans  Aden.  C'est  sous 
l'administration  de  Van  den  Broeck 
que,  pour  la  première  fois,  des 
navires  se  rendirent  en  droiture  de 
la  Hollande  à  Surate  {le  Schoon 
Hove),  et  de  Surate  en  Hollande 
(  le  Heusden),  les  uns  et  les  autres 
en  1G23.  Remplacé  en  1027  par 
Van  Ilassel,  Van  den  Broeck  ne 
retourna  immédiatement  ni  U  Ba- 
tavia ni  en  son  pays.  A  Surate  se 
trouvait  tout  nouvellement  arrivé 
de  Masulipatam  un  ambassadeur 
persan,  Mouça-Beg,  qui,  sa  mis- 
.sion  achevée  près  du  directeur  des 
établissements  de  la  côte  de  Coro- 
mandel,  avait  voulu  gagner  par 
terre  la  côte  opposée,  mais  qui 
comptait  opérer  par  mer  le  reste 
du  voyage.  C'est  Van  den  Broeck 
qui  fut  chargé  de  le  reconduire. 
Il  profita  de  l'occasion  pour  se 
concilier  les  bonnes  grâces  du  di- 
gnitaire musulman,  et  il  utilisa  le 
séjour  d'un  an  au  moins  qu'il  lit 
en  Perse  (1028),  pour  y  nouer  ou 
y  préparer  des  relations  avanta- 
geuses au  commerce  hollandais. 
De  retour  à  Surate  (1029),  il  fut 
prié  de  remplir  une  autre  et  der- 
nière mission  :  ce  fut  de  recon- 
duire à  Java   une  flotte  dont  la 


VAN 


VAN 


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I 

I 


cargaison  représentait  douze  ton- 
nes d'or.  Il  eut  le  chagrin  de  trou- 
ver la  naissante  colonie  en  im- 
minent danger  de  périr  :  Batavia 
venait  de  voir  80,000  Javanais 
l'investir  (22  août} ,  et  chaque  jour 
rendait  la  situation  plus  critique, 
le  général  Coen,  malade  alors,  ne 
suffisant  point  aux  soins  de  la  dé- 
fense. La  présence  de  Van  den 
Broeck,  le  fondateur  de  la  cité,  ra- 
nima les  courages.  Coen  expira  le 
âO  septembre.  Le  commandement 
appartint  de  f^iit  dès  lors  à  l'ex- 
directeiir  des  comptoirs  d'Arabie, 
de  Perse  et  des  Indes,  lequel  n'é- 
pargna rien  pour  inspirer  son  in- 
domptable résolution  à  tous.  De 
fréquentes  et  heureuses  sorties 
éclaircirent  les  rangs  des  enne- 
mis, en  attendant  que  des  mala- 
dies vinssent  faucher  en  grand,  et 
que  l'impatience  fit  fuir  du  camp 
tant  de  sauvages  indisciplinés (lu'a- 
vait  réunis  l'espoir  d'un  prompt 
succès,  d'un  prompt  pillage.  Ces 
prévisions  ne  tardèrent  pas  à  se 
réaliser.  Le  2  octobre,  le  siège 
était  levé.  Van  den  Broeck,  à  peu 
près  au  même  moment ,  rece- 
vait le  brevet  d'amiral  pour  ra- 
mener en  Hollande  un  convoi  de 
sept  vaisseaux.  Il  les  ramena  sans 
autre  perle  que  celle  d'un  bâti- 
ment /('  Dordrecht,  à  bord  duquel 
se  déclara  le  feu,  et  qui  ne  put 
être  sauvé.  De  retour  au  Texel,  le 
8  juillet  1630,  il  jugea  sa  dette 
payée  à  la  patrie  et  le  moment  du 
repos  venu.  Le  titre  fort  honora- 
ble qu'il  venait  d'obtinir,  et  qu'au 
r('ste,  il  ne  faudrait  pas  confondre 
avec  celui  d'amiral  militaire,  suf- 
Il.ait  à  sr'D  ambition  et  lui  sembla 
clore  convenablement  sa  carrière. 
Il  s'y  joignait  d'ailleurs  une  belle 
pension  et  des  distinctions  honori- 
liques.  Il  passa  les  dernières  an- 


nées de  sa  vie  à  mettre  en  ordre 
les  notes  qu'il  avait  recueillies  à 
l'étranger  pendant  sa  vie  acci- 
dentée. 

Son  ouvrage  dont  voici  l'intitulé: 
Voyage  de  Pierre  Vau  den  Broeck  en 
Afrique  et  aux  Indes-Orientales,  con- 
tient beaucoup  de  détails  intéres- 
sants, mais  qu'il  ne  faut  pas  tous 
adopter  k  la  lettre,  ou  qui  sont  no- 
toirement insuffisants.  Personne, 
par  exemple,  ne  sera  convaincu  que 
les  deux  Banyans  centenaires  qu'il 
vit  à  Bombay,  en  d6-2i,  et  dont 
l'un  était  le  père  et  l'autre  le  fils, 
eussent  le  dernier  150  ans,  le  pre- 
mier 468.  Ils  s'en  donnaient  160 
et  180.  Tout  l'efiorl  de  la  critique 
de  Van  den  Broeck  est  de  remar- 
quer qu'ils  comptaient  apparem- 
ment par  années  lunaires,  de  telle 
sorte  que ,  des  180  ans  du  père  il 
fallait  retrancher  42  ans.  C'est  dire 
trop  et  trop  peu  :  trop  ,  puisque 
400  années  lunaires  équivalent  à 
peu  près  à  97  solaires  ;  trop  peu  , 
puisque  très-probablement  erreur 
ou  mauvaise  foi  viciait  le  for- 
midable total.  Autre  exemple.  En 
rapportant  la  grotesque  opinion 
des  Arabes  qui,  parlant  des  cara- 
vanes ensevelies  sous  les  tourbil- 
lons de  poussière  que  le  vent 
transporte  d'Arabie  sur  la  côte 
orientale  de  la  mer  Rouge ,  pré- 
tendent que  les  corps  qu'on  re- 
trouve conservés  sous  le  linceul 
de  sable  ,  sont  les  véritables  mo- 
mies de  la  région  uiliaqiie,  il  se 
donne  si  peu  la  peine  de  protester 
contre  cette  assertion,  qu'on  est 
tenté  de  croire  qu'il  y  souscrit.... 
Sans  être  Caillaud ,  Gau  ou  Bel- 
zoni.  il  y  avait,  ce  nous  semble  , 
dans  cette  naïveté,  de  quoi  faire 
pousser  un  holii  !  Veut-on  un  au- 
tre échantillon  encore  de  cette 
placidité   avec   laquelle    il    enre- 


20 


VAN 


VAN 


gistre  sur  simple  dire  ou  sur  le 
vu?    Pour  la  première  fois   de  sa 
vie,  il  voit  en   1(316,   i^  Moka,  du 
café  dont  même  il  sait  le  vrai  nom 
arabe  {alliahawd);  même  il  en  dé- 
crit l'infusion  ;    mais   il   imagine 
que  la  couleur  noire,  qui  caracté- 
rise le  grain  torrêlié,  est  celle  du 
fruit  sur  l'arbre  !  Du  reste,  comme 
presque   tous    les   voyageurs  de 
son  époque,  il   n'est  ni   botaniste 
ni   zoologiste;   ce  qui  n'empêche 
pas  que  l'histoire  nalurelie  n'ait 
pu  tirer  de  lui  plus  d'une   indica- 
tion précieuse.  11  est  certain,  par 
exemple,  qu'il   est  un   des  pre- 
miers, sinon   le   premier,  auque 
l'Europe  dut  la   connaissance   et 
l'exploitation  commerciale  de   la 
fève  d'Arabie.  Il  est  attentif  à  re-1 
lever  les  phénomènes  et  les  parti- 
cularités qui,  depuis,  ont  intéressé 
si  vivement  la  science.   Les  flots 
rouges  que  roule  la  mer  aux  en- 
virons d'Aden  ne  passèrent  point 
impunément  sous  sts  yeux,  et  il 
reconnut  que  la   cause  de   cette 
couleur  n'était  autre  que  la  nuance 
des  rivières  cûtières    de  l'Arabie 
qui,  roulanttorrentueusemeut  dans 
des  ravins,  inondent  leurs  friables 
rivages    et    charrient   les   sables 
rouges  qu'elles  en  détachent.  Ces 
eaux,  en   eflet,    et  il  le  signale  , 
déposent,  pour  peu  qu'on  les  gar- 
de,  un   sédiment  arénacé  rouge 
assez  épais  pour  que,  lorsqu'il  est 
en  suspens,  le  liquide  en  offre  la 
teinte;  et  il    émet  l'opinion    fort 
plausible  ,   qu'il  ne  faut  pas  cher- 
cher ailleurs  que   lii  l'origine  du 
nom  de  mer   Uouge.  Ailleurs,    il 
entre  dans   quelques    détails    sur 
une  éruption  du  volcan  de  Goun- 
nepi,  dans  l'île  qui  porte  ce  nom. 
Il  mentionne  les  (•difices,  les   mo- 
numents   et   les  traditions  qui  s'y 
rattachent  :  ainsi ,  à  Chenna,  les 


quatre  mosquées,  dont  une  a  i)lus 
de  U)0 colonnes;  les  bainspublics, 
que    les   hommes    fréquentent  le 
matin  et  les  femmes  l'après-midi; 
le  puits  de  cent  brasses,    que  l'on 
regarde  comme  l'ouvrage   du   pa- 
triarche Jacob;  la  tour  au  haut  de 
laquelle  était  renfermé  un  grand 
lion  dans  une  cage  de  fer.  Somme 
toute,  et  quoique  nous  soyons  bla- 
sés,  nous,  hommes   du  dix-neu- 
vième siècle,  nous,  touristes,  sur 
toutes  les  impressions    de   voya- 
ges, le  journal  de  Van  den  Bro3ck 
est  encore  du  nombre    de   ceux 
qu'on  feuilleterait  avec  plaisir,   et 
parfois  avec  profit,  malgré  les  fau- 
tes que  nous  venons  de  signaler, 
malgré  sâ  fâcheuse    orthographe 
des  noms  propres  orientaux  ,    que 
nous  avons  tâché  d'amender  (Jed- 
dah  pour  Iliddedah,  Begâme  pour 
Psechora,  etc.)-   A  ce  titre  et   à 
deux    autres    encore,    il    mérite 
amplement   la  place    qu'il    vient 
aujourd'hui   prendre  dans  la  Bio- 
graphie universelle^   et  dont,  jus- 
qu'ici, nul  recueil  biographique  ne 
l'avait  honoré.   D'une  part,   il  est 
clair  que,  soit  dans  les  annales  de 
la   Hollande,   soit  dans   l'histoire 
générale  du  commerce  et  des  co- 
lonies, celui-là  ne  peut  sans  injus- 
tice être  oublié  qui,  par  la  création 
de  Batavia,  jeta  les  bases  indes- 
tructibles de  la  puissance  des  Pro- 
vinces-Unies aux  Indes,  et  prépara 
l'assujettissement  de  tout  Java  :  la 
création  de  cette  puissante  cité  ne 
saurait  s'attribuer  à  d'autres  qu'à 
lui,    tout  ce   qui  précède  en  fait 
foi;  et  une  preuve  encore  vient 
s'adjoindre  à  toutes  ces  preuves  , 
c'est  la  jalousie  de  Coen  lui-môme, 
qui,  peu  content  de  riniliative  et 
du  succès  d'un  subalterne,  feignit 
toujours  de  méconnaître  l'impor- 
tance de  la  fondation  navale  et  ja- 


VAN 

mais  ne   voulut  adopter  le  nom 
donné  par  Van  den   Broeck  à  sa 
ville  ;  le  brevet    même   qu'il  lui 
signa  de  Directeur  des  comptoirs 
d'Arabie,  Perse  et  Inde,  il  le  data, 
non  de  Batavia,  sa  résidence,  mais 
de  Jakatra  qui  n'était  plus.  D'autre 
part,  mais  ici  nous  ne  nous  éton- 
nons plus,  les  Anglais  ont  pris  à 
tâche,  dans  tous  leurs  ouvrages  re- 
latifs aux  établissements  européens 
hors  d'Kurope ,    de   laisser    dans 
l'ombre  le  nom  de  Van  den  Broeck  : 
n'ayant  pu  supprimer  l'homme,  ils 
ont  fait  de  leur  mieux  pour  sup- 
primer sa  gloire;   c'était    facile, 
Van  den  Broeck,  dans  son  patrio- 
tisme et  sa  modestie,  n'ayantdonné 
à  la  ville  que  le  nom  de  sa  patrie, 
tandis  que  des  Asiaticiues  l'avaient 
volontiers   nommée  Brouki,   pour 
Ri'oukpatan,  Brouknagar.    Val.  P. 
VAN  DEN  ZANDE  (Jean- Ber- 
nard), bibliophile  belge,  avait  long- 
temps exercé  la  médecine  avec  hon- 
neur à  Anvers,  sa  ville  natale.  Son 
humanité,  son  amour  du  prochain 
l'avaient  rendu  cher  à  ses  conci- 
toyens non  moins  que  sa  science. 
Possesseur  avec  le  temps  d'une  belle 
fortune,  il  l'employa  presquetouten- 
licre  en  livres, et,  ce  que  l'on  ne  sau- 
rait dire  eu  bloc  de  tous  les  ama- 
teurs, en  livres  bien  chois  s.  Sa  bi- 
bliothèque, qui  contenait  plus  de 
six  mille  articles  et  dont  le  cata- 
logue mérite  lui-même  de  figurer 
dans  les  collections  «  ad  hoc,  »  était 
remarquable     à    plusieurs    titres. 
D'une  part,  on  y  trouvait,  outre  les 
grandes   collections   académiques, 
les  meilleurs  ouvrages  s'.ir  l'histoire, 
la  philosophie,  les  sciences,  les  arts, 
les  voyages,  la  critique,  la  polémi- 
que, les  antiquités,  les  liiltiralures 
grecque,  romaine,  française,   ita- 
lienne ,  puis  nombre  d'ouvrages  ou 
curieux  ou  bizarres,  hélérodoxes 


VAN 


21 


et  singuliers;  des  incunables,  tels 
qu'un  Hieronjjmi  eplsîolœ,  de  1488 
(Venise),  un  Eusèbe  de  1480,  un 
De  CivitateDei,  1474;  de  l'autre, sa 
spécialité  de  docteur  s'y  révélait  par 
l'abondance  des  ouvrages  de  méde- 
cine ,  mais  surtout  d'ouvrages  qui 
semblaient  autant  de  pièces  justifi- 
catives de  l'histoire  de  la  médecine  : 
c'est  dans  le  cabinet  de  Van  den 
Zande  qu'un  historien  de  cette 
science  eût  dû  procéder  k  ses  tra- 
vaux: «  Spiritualisme,  vitalisme,hu- 
morisme,  disait  le  Journal  d'Anvers 
du  3i  mai  1834,  depuis  Galien,  es- 
prit vaste,  mais  subtil,  qui  floris- 
sait  au  second  siècle  de  notre  ère, 
jusqu'à  Pinel,  qui ,  de  nos  jours, 
a  apporté  l'ordre  et  la  clarté  dans 
la  pathologie,  et  Broussais,  qui, 
après  Jenner  a  rendu  les  plus  im- 
menses services  à  l'humanité  ;  » 
toutes  les  doctrines  médicales  se 
trouvaient  côte  à  côte  réunies  dans 
celte  riche  collection  digne  d'une 
société  savante,  et  qu'on  pouvait 
s'émerveillerde  rencontrer  chez  un 
simple  particulier.  Van  den  Zande 
mourut  presque  septuagénaire  au 
commencement  de  1834.   Val.  P. 

VAN  DKN  ZANDE,  célèbre 
corsaire.  Voy.  Van  de  zande. 

VANDERIiOURG  (Charles  Bou- 
DENs  de\  philologue  et  littérateur 
français,  tlamand  ou  belge  d'ori- 
gine, naquit  vers  1760  et  de  bonne 
heure  embrassa  la  carrière  na- 
vale. Il  était  officier  de  marine 
lorsque  la  révolution  éclata. 
Ainsi  que  bon  nombre  de  ses 
camarades,  il  émigra  presque 
dès  le  commencement  de  la  crise  ; 
mais,  plus  laborieux  et  plus  sé- 
rieux que  la  plupart  d'enire  eux, 
il  uiilisa  sou  séjour  en  Allemagne 
pour  se  familiariser  avec  la  langue 
il  la  lilleralure  de  ce  pays.  La  pre- 
mière était  d'avance  assez  accès- 


09 


VAN 


VAN 


sible  pour  lui  à  cause  de  l'intime 
connexion  de  l'allemand  classique 
i^ncuhochdeulsch,  haut  aileni.)  avec 
les  idiomes  dérivés  du  plalldenisch 
(bas  al!.,  ail.  des  marais),  et  parmi 
lesquels  figure  la  langue  flamande 
ou  néerlandaise;  mais  la  littérature 
germanique  lui  était  à  peu  près  aussi 
étrangère  qu'à  ses  compatriotes  de 
ce  lemps-là.  Ce  fui  donc  de  sa  part 
un  acte  de  courage  et  l'indice  d'un 
esprit  investigateur  que  sa  réso- 
lution de  conquérir,  pendant  son 
loisir  forcé,  des  connaissances  dont 
il  pressentait  l'utilité.  La  France 
n'est  pas  sans  devoir  quelque  re- 
connaissance à  cette  heureuse  ins- 
piration de  l'ex-maiin;  car  Van- 
derbourg  doit  incontestablement 
L'Ire  regardé  comme  un  de  nos  pre- 
miers initiateurs  à  l'étude  de  la  mo- 
derne littérature  de  nos  voisins 
d'outre-Rhin.  Ce  n'est  pas  qu'en 
ce  genre  il  se  soit  signalé  par  une 
foule  de  labeurs  :  il  ne  nous  a 
transmis  que  quatre  ouvrages  et 
par  voie  de  simple  traduction; 
mais  tous  les  quatre  appartien- 
nent -A  des  sphères  différentes,  et 
trois  d'entre  eux  sont  importants 
k  des  degrés  divers,  soit  comme 
œuvre  d'art,  soit  comme  suscitant 
de  graves  questions  d'art  et  de  phi- 
iosopbie.  Ln  seul,  du  reste,  fut  im- 
prinné  pendant  son  séjour  en  Alle- 
magne :  c'est  le  Woldemav  de  Ja- 
cobi.  en  1790.  Quatre  ans  après, 
Vanderbourg  profitait  de  l'amnistie 
et  des  mesures  réconciliatrices  qui 
suiviient  le  18  brumaire  pour  re- 
voir son  pays. 

11  ne  songea  pas  ii  se  réinféoder 
au  service  naval;  et  il  ne  demanda 
un  supplément  de  ressources  pécu- 
niaires et  le  charme  de  sa  vie  qu'à 
la  littérature  et  à  l'érudition,  pour 
lesquelles  il  avait  contracté  pendant 
les  longues  heures  de  l'exi!  une 


véritable  passion.  D'une  part, 
comme  nous  l'avons  indiqué,  il  fit 
paraître  encore  deux  traductions  de 
l'allemand  (le  Laocoon  et  le  Yoymja 
de  Meyer),  de  l'autre,  il  devint  un 
des  collaborateurs  les  plus  actifs  du 
PublicifUe  et  des  Archiver  litlévaircs. 
deux  recueils  périodiques  éminem- 
ment utiles  et  point  de  départ  d;; 
nos  Revues  actuelles,  dont  nulle, 
quelque  supériorité  qu'elles  aient 
sous  certains  rapports,  n'égale  ces 
estimables  collections,  soit  pour  la 
précision  et  la  multiplicité  des  ren- 
seignements, soit  pour  la  justesse 
de  la  critique.  C'est  qu'alors  on 
avait,  avec  le  goût,  la  conviction 
que  nul, par  cela  même  qu'il  se  fait 
critique,  n'acquiert  la  science  in- 
fuse, laquelle  dispenserait  d'étudier 
et  les  ouvrages  et  les  points  de 
science  sur  lesquels  ils  roulent  ; 
c'est  surtout  qu'on  apportait  de  la 
conscience  à  l'examen  des  produils 
intellectuels,  et  que  nul  ne  se  glo- 
rifiait du  titre,  d'ailleurs  ininventé, 
d'éreinteur.  Les  Archives  littéraires 
disparurent,  au  grand  regret  des 
amis  des  lettres,  avec  le  n°  51. 
Tout  en  se  livrant  à  ces  travaux  di- 
vers, Vanderbourg  mêlait  son  nom 
il  l'incident  littéraire  qui,  dans  les 
annales  de  France ,  rappelle  le 
mieux  les  supercheries  deMacpher- 
son;  nous  voulons  parler  des  Poé- 
sies de  Clotilde  de  Snrville ,  qu'il  fut 
chargé  de  publier  et  publia  en  effet 
en  1803.  P^ous  renvoyons  à  la  par- 
tie bibliographique  de  cet  article  ce 
que  nous  jugeons  utile  ici  d'ajouler 
aux  explications  données  par  Du- 
pelit-Thouars  à  l'art.  Survhj.k 
(Jos.  Ed.).  Nous  n'avons  pour  le 
moment  qu'à  rassembler  les  traits 
biographiques  qui  se  lient  .'i  la  pu- 
blication. Et  d'abord  comment  se 
fit-il  que  Vanderbourg  fut  chargé 
de  cette  tAche?  Il  n'était  en  aucune 


VAN 


VAN 


23 


façon  parent  des  Surville.  Ce  détail 
s'explique  pourtant.  Yanderbourg 
et  les  Surville  appartenaient  aux 
disgraciés  de  la  Révolution.  Yander- 
bourg en  avait  été  quitte  pour  l'ex- 
patriation volontaire,  qui.,  somme 
îout;3,  et  quoi  qu'il  eût  fait  pour  s'en 
consoler,  avait  brisé  sa  carrière  ; 
Joseph-Etienne  de  Snrville  avait  été 
le  martyr  de  son  opinion.  On  sait 
combien ,  à  cette  éclaircie  qu'on 
appelle  le  Consulat,  les  débris  de 
ceux  qu'avait  décimés  la  tourmente 
se  retrouvaient  avec  surprise,  se 
serraient  les  uns  contre  les  autres 
avec  transport,  se  racontaient  les 
mauvais  jours  avec  détails.  Que  des 
membres  de  la  maison  de  Surville 
et  Yanderbourg  se  soient  trouvés 
ensemble  dans  ces  réunions  frater- 
nelles, on  le  conçoit  ;  et  que  dans 
des  cercles  où  Vanderi)Ourg  tenait 
un  rang  il  fût  question  de  littéra- 
ture, c'était  immanquable.  Dequelîe 
branche  de  littérature  maintenant? 
Un  peu  de  toutes  probablement, 
mais  le  pas  dut  être  surtout  aux 
curiosités  littéraires,  aux  décou 
vertes  littéraires ,  aux  exbuma- 
tions  littéraires.  L'Allemagne  vi- 
vait encore  dans  l'enchantement 
de  ses  Niebelungen  et  de  ses 
Minnesinger  retrouvés,  il  y  avait 
alors  quatre-vingts  ans,  dans  les 
cryptes  des  bibliothèques  de  Suisse 
et  de  Souabe.  Yanderbourg  ne  pou- 
vait que  s'intéresser,  et  peut-être, 
dans  certaine  mesure,  pencher  î»  s'é- 
prendre de  ce  qui  ressemblerait  en 
notre  pays  à  quelque  trouvaille  de 
ce  genre.  Or  tel  et  »it  précisément 
C'^  manuscrit  que  Du|)etit-Thouars 
prétend  avoir  vu  dès  1790  à  Paris 
aux  mains  du  comte  Joseph-f^^lienne 
de  Surville,  cl  qui,  selon  le  pro- 
priétaire, aurait  été  le  legs  po/lique 
de  sa  décime-quinte  ou  sextaïpule 
(nous   ne   précisons  pas   numéri- 


quement le  degré)  :  l'infortuné  mar- 
quis, d'ailleurs,  en  partant  pour  l'é- 
chafjud  avait  d'un  geste  recom- 
mandé de  loin  h  sa  veuve  la  cas- 
sette sacrée  qui  contenait  l'œuvre 
si  précieusement  par  lui  couvée 
pendant  des  années,  geste  qui,  se- 
lon nous,  équivalait  à  la  prière,  à 
l'ordre  en  quelque  sorte  de  ne  pas 
laisser  périr  et  dévorer  par  le  tom- 
beau ce  legs  sacré.  Naturellement 
celle-ci  parla  de  cette  dernière  vo- 
lonté de  sonmari  et  consulta  desamis 
sur  les  moyensde  l'exécuter. Yander- 
bourg était  en  liaison,  immédiate- 
ment ou  non,  avec  les  coreligionnai- 
res politiques  de  Surville.  Sur  le  peu 
qui  lui  fut  dit,  il  dut  être  curieux  de 
contempler,  de  feuilleter  cette  épave 
d'un  àgy  lointain...  Le  reste  va  de 
soi ,  —  n'importe  les  détails , 
qu'on  peut  imaginer  très-différents, 
et  n'importe  le  degré  de  conviction 
auquel  put  être  amené  Tex-officier 
de  marine.  Nous  sommes  très- 
portés  à  croire  que  jamais  cette 
conviction  ne  fut  complète  quant 
à  l'authenticité  de  l'œuvre,  la  seule 
question  réelle  aux  yeux  d'un  véri- 
table raisonneur. Mais  en  voltigeant, 
comme  c'est  l'usage  des  dilettanti 
eu  littérature,  de  la  question  d'au- 
thencilé  à  celle  de  la  valeur  esthé- 
tique et  réciproquement,  on  pouvait 
arriver  à  trouver  qu'il  y  avait  à 
faire  quelque  chose  du  manuscrit  : 
un  libraire  potivait  n'y  p:is  perdre; 
un  éditeur, eût-il  été  complètement 
inconnu,  pouvait  NOir  naître  un  peu 
de  bruit  autour  de  son  nom.  Yan- 
derbourg eut  donc  bientôt  pris  son 
l)arti,  et  il  se  fil  le  parrain  de  Clo- 
tildo.  Est-ce  tout?  Et  ne  s'en  fit- 
il  pas  quelque  peu  le  Macpherson, 
le  Chatterton?  Ici,  de  nouveau, 
nous  renvoyons  à  la  bibliographie  de 
notre  article.  Quoi  qu'il  en  puisse 
être,   le  fait  est  que  très-peu   de 


u 


VAN 


VAN 


personnes,  excepté  celles  qui  se 
complaisent  à  se  méprendre,  furent 
dupes  de  l'échafaudage  romanesque 
que  Vanderbourg  mit  comme  pré- 
face en  tète  du  recueil;  mais  il  est 
de  fait  aussi  que  sa  réputation,  loin 
d'y  perdre,  y  gagna,  puisque  sou- 
dain se  lépandil  sur  lui  comme 
une  auréole  de  poète  harmonieux 
et  suave, en  même  temps  énergique 
et  tendre ,  héroïque  comme  le  ly- 
risme de  Pindare  et  badin  comme 
Anacréon.  Vanderbourg  ne  voulut 
pas  que  ses  indulgents  lecleurs  en 
eussent  tout  à  fait  le  démenti;  et  il 
se  mit  à  poétiser ,  tantôt  sur  ses 
propres  idées,  ainsi  que  le  prouvent 
du  reste  les  dix-sept  volumes  des 
Archives  littéraires  (où  se  trouvent 
nombie  de  ses  vers),  tantôt  Horace 
à  la  main.  Il  en  résulta,  mais  quel- 
que neuf  ans  après  la  première 
édition  de  Clolilde,  une  traduction 
en  vers  des  Odes  d'Horace ,  sur  la- 
quelle nous  reviendrons.  Mais,  che- 
min faisant,  il  continuait  à  donner 
en  simple  prose  de  la  copie  aux  im- 
primeurs. Les  Archives  littéraires 
de  l'Europe  avaient  cessé, 


Vno  avulso  non  déficit  aller. 


Le Pu^/icis/ereçutses  articles,  dul" 
mars  1801  au  30  octobre  1810.  Avec 
Langlès.AmauriDuvaletGinguené, 
il  concourait  à  la  rédaction  du  Mer- 
cure étranger.  Et  quand  cette  publi- 
cation fut  abandonnée,  il  eut  l'hon- 
neur et  la  chance  de  devenir,  dès  le 
mois  de  mai  4816,  collaborateur  du 
Journal  des  Savants,  que  relevait  la 
munificence  de  l'État.  Enfin  il  eut 
pied,  à  partir  du  1"  octobre  1820, 
aux  Annales  de  la  liUèrature  et  des 
arts.  Nous  ne  pouvons  passer  sous 
silence  ici  qu'il  fil  aussi  partie  de 
la  rédaction  de  la  Biographie  uni- 
verselle, et  (jue  parmi  les  arlicles 
qu'il  fournit  turent  distingués  ceux 


d'Horace  et  de  Klopstock.  Au  mi- 
lieu de  tous  ces  travaux  se  place 
encore,  en  18i8,  sa  traduction  du 
Craies  de  Wieland. 

Du  reste,  cette  activité  conscien- 
cieuse ,  élégante  et  variée  avait 
trouvé  sa  récompense  même  au 
sein  des  corps  lettrés.  La  troisième 
classe  de  l'Institut  l'avait  admis  au 
nombre  de  ses  membres,  en  181-4, 
en  remplacement  de  Mercier.  La 
date,  peut-être,  donnera  lieu  de 
soupçonner  qu'il  y  eut  en  cette 
nomination  un  peu  d'esprit  courti- 
sanesque.  En  effet,  l'année  suivan- 
te, Vanderbourg,  en  récompense 
de  ses  antécédents  royalistes,  avait 
été  nommé  censeur,  office  scabreux, 
dans  l'exercice  duquel  il  déploya 
autant  de  modération  que  de  tact 
et  de  bon  goùl.  Toutefois,  nous 
ne  pensons  pas  que  ces  motifs 
aient  seuls  décidé  l'élection  de  no- 
tre auteur.  L'Académie  nommait 
un  lettré,  un  philologue,  un  criti- 
que, un  poète  presque;  et,  sans 
dénigrer  Mercier  le  moins  du  mon- 
de, on  peut  dire  pour  le  moins 
qu'elle  ne  perdait  pas  au  change. 
Vanderbourg  mourut  le  10  novem- 
bre 1827.  Daunou  prononça  son 
éloge  funèbre  en  1839.  Nous  allons 
donner  ici,  par  groupes  méthodi- 
quement rangés,  la  liste  de  ses  œu- 
vres, accompagnée  des  indications 
techniques  dont  la  bibliographie  ne 
saurait  se  passer.  I-IV.  Quatre  tra- 
ductions de  l'allemand,  savoir  :  1° 
une  du  philosophe  Jacobi,  celle  de 
Woldemar,  Hambourg,  179G,  2  v. 
in-12;  2°  line  de  l'illustre  critique 
Lessing,  celle  du  Laocoon,  ou  des 
limiles  respectives  de  la  poésie  et  de 
la  peinture,  1802,  in-S";  3"  une  du 
poète  que  l'on  avait  nommé  long- 
temps le  Voltaire  de  l'Allemagne, 
(•elle  de  Craies  et  d'IIipparchie, 
(qui,  comme  ou  sait,  n'est  pas  un 


VAN 


VAN 


25 


poëme,  mais  une  de  ces  études  mi- 
biographiques,  mi- psychologiques , 
où  Tauteiir  s'essaie  si  spirituelle- 
menl  à  compléter  par  l'imagination 
le  peu  que  l'histoire  nous  a  trans- 
mis; à  la  suite,  viennent  les  Py- 
thagoriciens) ;  4°  celle  du  Voyage  en 
Italie,  de  F.  J.  L.  Meyer,  i802,  in- 
8°.  V.  Les  œuvres  d'Horace  en  vers 
français,  avec  des  arguments  et  des 
notes,  revues  pour  le  texte  sur  le 
manuscrit  de  la  Bibliothèque  impé- 
riale, et  avec  le  texte  en  regard, 
Paris,  1812  -  43,  2  v.  in  -  8\  Cet 
ouvrage  est  sans  contredit  ,  abs- 
traction faite  de  l'appoint  que 
purent  jeter  dans  la  balance  les 
motifs  politiques,  ce  qui  décida,  ce 
qui  justifia  son  admission  à  la  sa- 
vante Académie.  En  effet,  il  s'y 
montraitaussi  familier  pour  le  moins 
avec  les  travaux  et  les  procédés  de 
la  philologie,  qu'avec  la  poésie.  Son 
texte  a  quelque  valeur  critique;  et 
c'est,  de  toutes  les  traductions  en 
vers  français  du  lyrique  romain, 
qu'ait  produits  la  France,  la  seule 
qui  possède  ce  mérite.  Les  notes  de 
même,  tant  celles  qui  se  réfèrent  à 
l'interprétation  du  texte,  que  celles 
qui  constituent  l'exégèse  biogra- 
phique, historique,  mythologique, 
archéologique  des  compositions  si 
variées  du  lyrique  de  Vénusie,  se 
recommandent  et  par  le  tact  et  par 
l'abondance  sobre  avec  laquelle 
nous  sont  présentés  les  résultats 
d'une  érudition  curieuse,  d'une  éru- 
dition à  la  Wieland.  Quant  a  la  ver- 
sification, nous  ne  saurions  être  si 
prodigue  d'éloges  :  elle  est  correc- 
te, elle  est  de  bon  aloi;  mais  elle 
est  sèche,  elle  n'olfre  pas  \cteresat- 
^wc/fl<-('/t/m, qu'Horace  recommande 
quelque  part  et  qu'il  pratique  cons- 
tamment. Ce  n'est  pas  le  moel- 
leux et  l'ondoyant,  le  svelte  et  le 
souple  d'où  la  plus  exquise  variété 


de  toutes  ces  stances  élégantes  et 
finement  rhythmées  du  poète  qui 
disait  à  la  pauvre  Néobulé  : 

Tibi  qualum 
Cyihereae 
Puer  aies, 
Tibi  telas, 
Etc.! 

VI.  Poésiesinédites  de  Marie-Clotilde 
de  Surville,  Paris,  1803,  in-8°  et 
in-18,  2^  édition  de  1816,  par  de 
Roujoux  et  Nodier,  in-8°,  4  pi.  et 
vignette;  troisième,  1825,  in-8'* 
et  in-lS.  Le  fait  seul  de  donner 
place  H  ce  volume  dans  une  liste 
des  travaux  de  Vanderbourg,  mar- 
que assez  que  nous  le  regardons 
comme  quelque  chose  de  plus,  ou, 
pour  employer  l'expression  de  Qué- 
riiid  :  «  comme  quelque  chose  de 
mieux  »  que  l'éditeur  de  Clotilde. 
Mais  Quérard  non-seulement  ife 
démontre  rien  ici  (  ce  dont  nous 
n'entendons  pas  lui  faire  un  repro- 
che, démontrer  ne  fait  pas  partie 
de  sa  triche),  mais  il  ne  précise  pas 
ce  qu'il  entend  par*«  quelque  chose 
de  mieux.  »  Le  croit-il  auteur  de 
la  totalité  do  l'œuvre?  ou  pense- 
t-il  que  quelques  pièces  seulement 
lui  doivent  le  jour)?  et,  dans  ce  cas, 
lesquelles?  ou  bien  enfin  voit-il 
poindre  à  l'horizon  quelque  chance 
de  d<3partagement  autre  que  le 
précédent?  Il  faudrait  pour  éluci- 
der ces  questions  déjà  touchées 
par  Raynouard  {Journal  des  Savants, 
1824),  par  Vaulîier  {Mcm.  de  l'acad. 
de  Caen),  par  Nodier  {Quest.  de  lit- 
térature légale,  1814),  et  par  un 
critique  renommé  qu'on  mention- 
nera en  temps  et  lieu,  infiniment 
plus  de  place  que  nous  n'en  avons 
à  notre  disposition...  Nous  n'indi- 
querons donc  que  quelques  points 
dignes,  ce  nous  semble,  de  lat- 
tenlion  des  (•riti(iues.  Laissant  de 
cùté  la  question  fondamenlaled'au- 


26 


VAN 


VAN 


thenticité,  sur  laquelle  il  ne  sau- 
rait exister  qu'une  voix,  la  néga- 
tive, nous  nous  demandons  seule- 
ment comment  les  poésies  de  Glo- 
tilde  se  sont  faitos  ;  et,  en  réponse, 
nous  posons  sur-le-champ  deux  thè- 
ses :  l"Oui,  comme  Taileste  Dupetit- 
Thouars,  un  maiiusciit  contenant 
de  prétendues  «poésiesdeClotilde  » 
existait  en  1790  ou  91  aux  mains 
de  Jos.-Et.  de  Surville;  mais  2°  en 
dépit  de  ce  qu'imagine  avoir  vu  Du- 
peiit-Tliouars,  Nou.cemanuscritne 
contenait  pas  tout  ce  qui  parut  par 
les  soins  de  Vanderbourg.  Jamais 
on  ne  persuadera  au  penseur,  en 
même  temps  psychologue  et  histo- 
rien et  homme  d»^  iioùt,  que  les  vers 
si  profonds  et  si  lucides, 

Pauvre  chier  enfançon,  des  fils  do  ta  pensée 
L'eschevclet  n'est  encor  débroillé, 

soient  venus  avant  le  règne  de  Ca- 
banis, et  que  le  chant  royal  sur  la 
bataille  de  Fornoue  n'ait  été  une 
répercussion  des  merveilleuses  cam- 
pagnes de  1796''et97.  Nous  pour- 
rions citer  encore  d'autres  para- 
chronismes,... qu'il  nous  suffise  de 
ces  deux-ci,  sans  contredit  les  plus 
frappants.  Le  manuscrit  qu'aperçut 
Dupelit  -  Thouars  en  1790,  n'est 
donc  pas  identiquement  !e  même 
que  celui  sur  lequel  furent  impri- 
mées les  poésies  en  1803  ;  et  notre 
ancien  collaborateur  ne  saurait,  à 
notre  avis,  être  entièrement  lavé 
du  reproche  d'avoir  «  outré  »  son  té- 
moignage en  attestant  ou  du  moins 
en  permettant  qu'on  le  regardât 
comme  attestant  plus  qu'il  ne  sa- 
vait et  ne  pouvait  savoir.  Qu'on  y 
réfléchisse,  en  effet,  on  sentira 
qu'il  ne  pouvait  savoir.  ]l  eût  fallu, 
pour  être  certain  de  l'identité,  ou 
(Ollaliou  pied  i\  pied  du  manuscrit 
de  nUO  et  de  la  copie  livrée  à  la 
presse,  ou  mise  pendant  treize  ans 


sous  les  scellés  :  évidemment  le  se- 
cond cas  n'eût  jamais  lieu,  et  la 
possibilité  du  premier  est  exclue 
par  les  termesmémes  du  problème. 
Ceci  posé,  que  reste-t-il?  Tout  au 
plus  la  réalité,  dèsl790  et  aux  mains 
de  Surville,  d'un  manuscrit  plus  ou 
moins  analogue  aux  Poésies.  En- 
core, si  l'on  n'avait  pour  y  croire 
que  la  préface  de  Vanderbourg,  le 
doute  serait-il  possible  !  Mais  il  ne 
peut  l'être  quand  on  pèse  le  té- 
moignage de  Dupetit-Thouars  ;  s'il 
a  dit  un  peu  trop,  ou,  pour  parler 
plus  exactement,  s'il  a  trop  accen- 
tué ces  mots,  «  le  même  manus- 
crit, to  ou  «  dans  le  même  état 
que....  »,  ce  n'est  pas  une  raison 
pour  soupçonner,  de  la  part  d'un 
homme  honorable  et  sérieux,  un 
pur  mensonge.  A  nos  yeux  donc, 
quant  à  l'existence  d'un  manuscrit, 
point  de  départ  de  la  publication 
et  en  offrant  les  éléments  essen- 
tiels, la  preuve  est  faite  «  par 
attestation.  »  Ce  serait  assez,  sans 
doute  !  Mais  ce  n'est  pas  tout  :  la 
«démonstration»  vient  encore  s'y 
joindre  ;  et,  dans  l'article  final  de  son 
Tableau  hist.  et  critique  de  la  poésie 
française  au  xvi'  siècle  (p.  484  etc. 
de  redit,  de  1848),  M.  de  Sainte- 
Beuve  a  mis  en  relief,  non  la  pos- 
sibilité seulement,  mais  bien  «  l'im- 
mancabilité  »  en  quelque  sorled'une 
création  du  genre  de  celle  dont  il 
il  est  question  ici,  et  qui  fut  en 
même  temps  un  labeur  charmant, 
un  délassement  d'élite  et  une  em- 
bellie dans  les  années,  les  unes 
paisibles  et  littéraires,  les  autres 
littéraires  encore,  mais  tourmen- 
tées, du  descendant  de  Clotilde. 
C'est  parcetrae.é  des  phases  diver- 
ses,—  soit  de  l'évolution  d'un  penser 
en  germe,  qui,  chez  Surville,  p:isse 
à  réiat  chronique,  puis  k  l'état  de 
roman,  et  enfin  de  roman  chéri, — 


VAN 


VAN 


27 


soit  de  l'élaboration  de  l'œuvre 
qu'il  prête  à  son  héroïne,  — c'est, 
dis-Je,  par  ce  tracé,  en  quelque 
sorte  liistorique  et  psychologique  à 
la  fois,  que  vaut  surtout  le  travail 
de  l'ingénieux  critique;  et  nous 
trouvons  péremptoire  l'argunienia- 
tion  au  bout  de  laquelle,  au  lieu 
de  dire  avec  Daunou  :  «  J'ai  peine 
«  à  croire  qu'Etienne  Surville  ait  été 
"■  capable  de  les  composer  au  xiir 
«  siècle;  Vanderbourg  doit  y  avoir 
«  eu  la  principale  part  en  1803,  » 
on  s'écriera  :  «  J'ai  peine  à  croire 
«  que  Charles-Boudens  de  Vander- 
«  bourjr  ait  pu  dans  tant  de  pièces 
«  d'une  délicatesse  féminine  avoir 
«  une  part  considérable;  et  le  vent, 
«  pendant  la  seconde  moitié  du 
«  xvnf  siècle,  était  tout  à  fait  aux 

•  pastiches  de  ce  genre.  Favre  d'O- 
«  livet  en  a  bien  donné  vers  le 
a  même  temps!  Pourquoi  pas  d'au- 
«  1res,  quand,    pour  vingt  raisons, 

*  les  autrespeuventet  doivent  avoir 
«  été  pénétrés  des  sentiments  prè- 
«  tés  à  Glotildu?  »  Mais,  une  fois 
hors  de  là,  nous  croyons  que  le  dis- 
cernement, d'ordinaire  si  parfait, 
de  l'argumentaieur  se  trouve  en 
défaut  lorsqu'il  attribue  toutes  les 
pièces  du  recueil,  moins  la  traduc- 
tion de  i'ode  de  Sapho,  à  Surville. 
Outre  ce  morceau  renommé ,  il 
nous  semble,  éminemment  proba- 
ble, si  nous  ne  voulons  pas  dire 
sûr  ,  qu'à  Vanderbourg  doivent 
rtre  rapportés  et  le  Dialogue  d'A- 
pollon et  Clodlde,  et  le  fragment 
du  poëme  sur  la  Nature.  Le  pre- 
mier est,  du  même  coup,  didactique 
et  littéraire;  et  par  l'indépendance 
comme  par  la  couleur  de  l'idée,  il 
émane  du  traducteur  de  Laocoon  et 
du  futur  traducteur  d'Horace,  qui 
hifu  de  fois  unit  en  sa  pensée  à 
VHiimano  capili  ccrvicrm  pirlor 
equinam,  et  à  Vit   piclura  poesis. 


«  les  limites  mutuelles  de  la  poésie 
et  de  la  peinture  ».  Le  second  n'est 
que  didactique  et  semblera  d'abord 
un  reflet  de  Lucrèce;  or,mêmeàce 
titre,  iljure  assez  avec  les  idées  de 
Surville,  tandis  qu'il  n'offre  rien  de 
dissonnanl  avec  celks  de  Vander- 
bourg.  Mais  ce  n'est  pas  encore  le 
mot  de  l'énigme  :  ou  nous  nous 
trompons,  ou  ce  n'est  pas  de  Lu- 
crèce que  relève  ce  fragment,  c'est 
d'un  poëme  didactique  de  Wieland, 
intitulé  la  Nature,  très-peu  connu, 
parce  que  ce  fut  l'œuvre  de  la 
première  jeunesse  du  poète,  mais 
élincelant,  exubérant  de  beautés, 
malgré  ses  fautes  :  Vanderbourg, 
si  démesurément  épris  de  Wieland, 
connaissait  ce  splendide  péché  de 
l'adolescence  du  maître;  et  de  là, 
nous  en  sommes  convaincu,  l'essai 
poétique  qu'on  s'est  trop  hâté  de 
croire  jeté  sur  le  papier  sous  l'ins- 
piration de  Lucrèce.  Voilà  donc 
trois  morceaux  entiers  dont  rien, 
sans  doute,  n'est  à  l'émigré  de 
1791.  Nous  pensons  de  plus  que, 
presque  d'un  bout  à  l'autre,  les 
vers  de  Surville  ont  subi  des  re- 
touches (  par  exemple  :  «  Des  fils 
de  ta  pensée  l'eschevelet...  Voy. 
plus  haut),  et  des  interpolations, 
la  plupart  mythologiques  ou  scien- 
tifiques; et  celles-là  vraiment  sont 
gauches  et  malheureuses  ,  parce 
qu'elles  trancheni  avtc  le  facile 
abandon  de  Surville.  El  qu'on  ne 
dise  pas  que  c'est  contradiction  à 
nous  de  montrera  la  fois  noire  au- 
teur mélodieux  et  chatoyant  d'un 
côté,  sec  et  inharmonique  de  l'au- 
tre. Il  est  l'un  quand  il  ne  fait  que 
retoucher  un  modèle  exquis  déjà  et 
dont  la  morbidesse  le  gagne  ^n'ou- 
Llions  |)as  d'ailleurs  qu'il  est  plein 
de  Wieland)  ;  il  est  l'autre  quand 
il  n'est  plus  accompagné,  quand 
nul  no  lui  donne  le  diapason,  quand 


28 


VAN 


VAN 


il  tente  l'intonation  lui  -  même. 
Somme  toute,  donc,  à  Vanderbourg, 
suivant  nous,  revient  de  dioil  la  pa- 
ternité de  trois  pièces  du  recueil 
de  Surville  ;  et,  comme  d'autre 
part,  si  nous  ne  nous  abusons,  il 
a  fréquemment  excédé  ses  fonc- 
tions d'éditeur,  soit  en  embellis- 
sant, en  enrichissant,  soit  en  défi- 
gurant et  appauvrissant  son  texte, 
nous  ne  balançons  j)as  à  le  déclarer 
en  un  sens,  mais  sens  nettement 
défini,  co-auteur  des  poésies  inédi- 
tes de  Clotilde.  Val.  P. 

VAIVDER  BLUCIÏ  (François), 
un  des  plus  illustres  prédécesseurs 
de  Fénélon  sur  le  siège  archiépis- 
copal de  Cambrai,  naquit  à  Gand  le 
2^  juillet  1567,  c'est-à-dire  préci- 
sément au  moment  où  les  exigen- 
ces ultra-catholiques  de  Philippe  II , 
enferoîé  dans  son  Escurial,  et  dé- 
daignant de  connaître  l'esprit  des 
peuples  sur  lesquels  il  avait  à  ré- 
gner, où  les  cruautés  du  duc  d'Albe, 
son  odieux  ministre,  où  le  vieux 
levain  de  liberté  chez  les  grands 
qui  pensaient  avec  regret  à  l'om- 
nipotence féodale  dont  ils  n'avaient 
plus  que  l'ombre,  et  dans  les  villes, 
qui,  depuis  des  siècles,  avaient  joui 
de  leur  franchise,  venaient  d'allu- 
mer un  incendie  dans  les  dix-sept 
provinces  qu'on  appelait  cercle  de 
Bourgogne.  La  famille  Vander 
Burch,  une  des  plus  considérables 
du  pays,  soit  par  son  ancienneté, 
soit  par  son  opulence,  attirait  né- 
cessairement tous  les  yeux.  Le  chef 
de  cette  famille,  le  père  de  notre 
François,  était  comte  d'Aubersand, 
seigneur  d'Ecaussines  rt  de  Ilaire- 
foniaines,  nous  ajouterions  volon- 
tiers «  et  autres  lieux  » ,  président 
du  conseil  privé  de  Flandres  et  at- 
taché à  lu  maison  du  gouverni;ur 
général  des  Pays-Bas.  Autant  de 
motifs,  sinon  de  raisons  pour  voir 


des  yeux  de  Philippe  II  et  de  ses 
favoris.  Fn  effet,  il  se  déclara  sans 
ambiguilé,  sans  réserve,  contre  les 
opinions  nouvelles,  au  risque  d'en- 
courir îi  un  haut  degré,  par  celte 
ligne  de  conduite,  la  haine  des  mé- 
contents. L'éveniualilé  ne  fut  pas 
vaine  ;  à  peine  le  fils  auquel  nous 
consacrons  cet  article  venait-il  de 
naître  que  l'émeute  rugit  dans  Gand, 
aussi  furieuse,  aussi  sanglante, 
aussi  rapace  que  jamais  on  l'eût 
vue  dans  les  jours  les  plus  troublés 
du  moyen  âge.  On  attaque,  on  en- 
vahit, on  pille  sa  maison  ;  ses  do- 
mestiques tombent  égorgés  ;  il  est 
pris  et  traîné  en  prison;  sa  femme 
a  peine  à  s'échapper,  presque  nue, 
par  une  issue  secrète,  et  l'enfant, 
arraché  de  ses  bras,  suspendu  par 
les  pieds,  allait  périr  si  le  plus 
inattendu  des  hasards  n'eût  amené 
là  quelques  personnes  qui  en  pri- 
rent pitié  :  il  fut  caché,  il  fut 
sauvé.  Ce  ne  fut  pas  la  seule  fois 
qu'il  fut,  pendant  l'enfance,  le  té- 
moin de  ces  scènes  terribles.  Son 
père,  qui  plus  d'une  fois  dès  lors 
avait  subi  la  captivité  pour  la  même 
cause,  ne  tarda  pas  beaucoup  à  voir 
briser  ses  chaînes  par  le  triomphe 
de  ses  amis  politiques  et  religieux. 
Mais  tel  était  alors  le  cours  des 
choses  que  ce  triomphe  à  son  tour 
ne  tarda  pas  à  se  changer  en  dé- 
sastre. Nouvelle  émeute,  nouvel 
assaut  à  l'hôtel  Vander  Burch,  et, 
pour  en  finir  plus  vite,  incendie:  les 
furieux  déchaînés  y  complètent 
l'œuvre  en  ravageant  ses  proprié- 
tés; lui-même  il  ne  voit  pour  lui 
de  salut  que  la  fuite.  Sa  femme 
ne  tarde  pas  à  le  suivre,  emmenant 
son  fils  avec  elle.  Mais  bientôt 
cet  enfant,  leur  unique  rejeton, 
est  envoyé,  pour  ne  pas  avoir  sa 
part  des  périls  de  sa  famille,  pour 
ne  pas  ajouter  aux  difficultés  d'un 


VAN 

voyage  précipité,  auprès  du  savant 
doyen  de  la  cathédrale  d'Utrecht, 
son  oncle.  On  comprend  que  de 
semblables  impressions,  n'eussent- 
elles  pas  été  sans  cesse  entretenues 
et  fortifiées  par  les  conversations 
quotidiennes  de  Toncle,  parle  flux 
et  reflux  des  nouvelles  émouvantes 
qui  variaient  à  chaque  phase  du 
drame  politique,  par  l'attente  fié- 
vreuse des  lettres  maternelles,  ne 
pouvaient  manquer  de  laisser  des 
traces  profondes  sur  une  imagina- 
lion  si  tendre  encore.  Le  jeune 
François  fut  donc,  à  peine  au  sor- 
tir de  l'enfance,  imprégné  d'un 
ineffaçable  zèle  pour  le  catholicisme, 
dont  son  père  était  le  martyr,  et 
dont  il  avait  vu  les  ennemis  semer 
la  ruine  et  faire  le  vide  autour  de 
lui.  Delà  sans  doute  cette  sensibi- 
lité inquiète,  précoce,  qui  dès  lors 
l'éloignait  des  jeux  de  l'enfance,  et 
dont  un  choc  eût  pu  faire  jaillir 
une  maladie.  Le  docte  chanoine, 
tout  pétri  qu'il  fût  de  vertus  théo- 
logales et  tout  commode  qu'il  pût 
sembler  à  d'autres  de  s'en  remet- 
tre à  la  volonté  du  Seigneur,  eut 
le  tact  de  comprendre  qu'il  fallait 
à  cette  jeune  irritabilité,  trop  exal- 
lée pour  être  trop  tendue  toujours 
du  même  coté,  un  dérivatif,  et  il 
crut  que  l'étude  en  serait  un.  il 
avait  deviné  juste  :  bientôt  les  ra- 
pides progrès  du  neveu,  qu'il  diri- 
^^'ait  lui-même  avec  autant  de 
délicatesse  que  de  vigilance,  lui 
prouvèrent  qu'il  avait  trouvé  le 
vrai  remède.  La  santé  de  l'enfant, 
de  l'adolescent,  du  jeune  homme 
allait  toujours  se  fortiliant,  tandis 
qu'en  latin,  en  rhétorique,  en  his- 
toire, l'élève  aurait  rendu  des  points 
aux  lauréats  des  collèges  les  plus 
eu  renom.  Maîtres  et  condisciples 
en  furent  frappés  dès  qu'âgé  de 
dix-huit  ans,  il  se  rendit  à  Tuni- 


VAN 


29 


versité  de  Douai  afin  d'y  terminer 
ses  éludes  en  suivant  d'un  bout  à 
l'autre  le  cours  de  philosophie  qui 
se  répartissait  alors  sur  deux  an- 
nées. Ce  cercle  parcouru,  il  visita 
Louvain,  non  moins  renommé  ou, 
s'il  faut  tout  dire,  plus  célèbre 
encore  et  d'une  célébrité  de  plus 
vieille  date.  Là,  c'est  à  la  science  du 
droit  qu'il  voua  ses  heures  studieu- 
ses qui  souvent  devenaient,  sans 
métaphore,  des  veilles.  Aux  aima- 
bles et  belles  qualités  morales  par 
lesquelles  il  se  recommandait  à  l'es- 
time de  ses  professeurs,  il  n'eut  pas 
de  peine  à  joindre  la  science;  et 
deux  fois  il  fut  décoré  du  titre  de 
doyen  des  bacheliers.  Quelques 
temps  après,  de  Curck,  le  pieux 
évêquede  Ruremonde,  lui  donna  sa 
bénédiction  de  licence.  En  le  sa- 
crant ainsi  légiste,  le  clairvoyant 
et  zélé  prélat  se  prit  bientôt  à  re- 
gretter qu'un  tel  talent  secondé  par 
un  tel  caractère  dût  se  consumer 
en  mesquines  plaidoiries  et  ne  se 
déployer  qu'en  faveur  d'intérêts 
mondains,  tandis  que  l'Église  éprou- 
vait un  si  grand  besoin  de  sa  parole 
pénétrante  et  persuasive.  Il  fit  si 
bien  qu'il  détermina  le  jeune  homme 
déjà  déclassé  par  le  contre-coup  de 
la  révolution  sans  laquelle  il  eûtsuivi 
la  carrière  de  ses  pères ,  les  a?'mes,  à 
passer  du  droit  civil  au  droit  canon, 
puis  à  la  théologie.  Les  progrès  de 
Vander  Burch  y  furent  rapides;  et 
avant  qu'il  eût  ses  vingt-cinq  ans  il 
reçut  les  ordres.  Presque  aussitôt  le 
prince-évêque  de  Liège  voulut  l'a- 
voir près  de  lui,  et  spontanément  il 
le  nomma  chanoine  de  Saint-Lam- 
bert. Si  récent  encore  dans  les 
rangs  du  sacerdoce,  Vander  Burch 
ne  Cl  ut  pas  encore  avoir  mérité 
un  litre  {[ui  dût  être  larécompenso 
des  services  et  il  refusa  péremptoi- 
rement pour  continuer  à  se  livrer  en 


30 


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silence  aux  travaux  dont  Tapostohit 
sort  mieux  armé  pour  la  luUeetàla 
pratique  du  devoir.  Tout  ce  temps 
de  studieuse  et  paisible  retraite,  il 
le  passa  dans  sa  ville  universitaire 
chérie,  à  Louvain,  plein  de  cet 
anapestique  si  chrétien,  quoique 
d'un  poète  païen  : 

Bene  qui  latuit  bene  vixiu 

Heureusement  l'évèque  d'Arras 
(l'Artois  était  encore  une  des  dix- 
sept  provinces)  sut  l'apercevoir  dans 
les  limbes  qu'il  avait  choisis  pour 
asile  ;  et  heureusement  aussi, 
malgré  les  refus  réitérés  par  les- 
quels le  jeune  prêtre  répondit 
d'abord  aux  offres  nouvelles,  son 
père,  dont  les  volontés  le  trouvaient 
toujours  soumis ,  vint-il ,  par 
l'expression  formelle  de  vœux 
sacrés  pour  lui,  déterminer  son 
adhésion.  C'est  ainsi  qu'il  eut 
part,  comme  vicaire  général,  à 
l'administrationdudiocèse  d'Arras. 
Il  n'y  resta  que  peu  d'années,  bien 
qu'il  ne  pensàtpoint  ou  même  qu'il 
répugnât  à  l'abandonner.  iMais  son 
père,  ce  nous  semble,  était  ambi- 
tieux pour  lui.  L'archevêque  de 
Malines  conféra  le  double  titre  de 
doyen  du  chapitre  et  de  vicaire 
général  do  la  métropole  au  fils  du 
comte  d'Aubersand;  et  le  comte 
déclara  que  cette  fois  plus  que  ja- 
mais une  résistance  l'affligerait. 
La  piété  filiale  fut  donc  cette  fois 
encore  la  plus  forte,  et  Vauder 
Burch  alla  cumuler  à  Malines.  Il 
n'y  prit  aucune  part  aux  intrigues 
politiques  dont  ne  se  faisaient 
scrupule  ni  l'un  ni  l'autre  des 
deux  (ou  trois...  ou  quatre)  par- 
tis aux  prises;  mais  ce  qui  lui  res- 
tait de  temps  après  les  lon^uei 
heures  qu'absorbaient  les  devoirs 
de  sa  charge,  il  l'employait  à  se 
perfectionner  dans  toutes  les  bran- 


ches des  études  sacrées,  mais 
principalement  dans  ces  deux 
sciences,  capitales  à  ses  yeux,  et 
antérieurement  déjà  l'objet  de  ses 
efforts,  l'éloquence  de  la  chaire  et 
la  dialectique  anti-protestante.  Le 
silence  et  la  retraite  dont  il  envi- 
ronnait ses  travaux  n'empêchè- 
rent pas  que  ses  supérieurs  et  les 
premiers  du  pays  n'eussent  con- 
naissance et  de  son  érudition  pro- 
fonde, et  de  toutes  les  vertus 
apostoliques  par  lesquelles  il  en 
rehaussait  l'éclat  ;  et  ce  n'était  plus 
aux  dignités  secondaires  d'un  dio- 
cèse que  l'appelait  la  voix  publi- 
que,c'était  aux  rangs  qui  donnentia 
crosse  et  la  mitre.  Mais,  comme 
c'était  l'apostolat,  et  nonla  crosse  et 
la  mitre  que  Vander  Burch  aper- 
cevait dans  ce  haut  rang,  il  était 
loin  de  l'ambitionner,  et  loin  de 
le  voir  avec  ces  yeux  de  convoi- 
tise que  tant  d'autres  fixent  sur  ce 
brillant  joyau,  il  eût  dit  volon- 
tiers, ainsi  que  le  Christ  à  l'idée 
du  calice,  Transeat  a  me.  L'instant 
n'était  pas  loin  pourtant  où  sa  mo- 
destie devait  avoir  aie  dire,  en  vain 
encore  comme  pour  des  positions 
moins  convoitées.  Mais  n'antici- 
pons pas.  Son  père,  l'intrépide 
fugitif,  non  moins  fidèle  aux  aspi- 
rations de  précellence  pour  sa 
maison  qu'à  l'ofthodoxie  et  à  la 
stricte  obédience  dès  que  Rome 
avait  parlé,  fut  emporté  presque 
subitement  et  n'eut  pas  le  temps 
de  faire  promettre  à  son  fils  qu'il 
poursuivrait  sans  broncher  la  voie 
des  honneurs.  Son  hérilier  ne 
tarda  pas  h  se  regarder  comme 
délié  :  il  résigna  son  vicariat  gé- 
néral, son  décaiial  ;  il  ne  voulut 
accepter  qu'un  très-mince  béné- 
fice, un  des  canonicats  de  la  cha- 
pelle de  Sainte-Vaudru,  k  Mons. 
Il  ne  se  croyait  pas  assez  mùr 


VAN 


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31 


pour  les  dignités,  pas  assez  pré- 
paré pour  la  lulte  donl  l'épanouis- 
sement du  protestantisme  faisait  à 
ses  yeux  «  le  plus  saint,  »  mais 
«  le  plus  hasardeux  »  des  devoirs. 
Loin  de  décliner  ces  rudes  joutes 
cependant,  il  s'y  préparait  plus 
énergiquement  que  jamais  dans 
sa  solitude  nouvelle.  Trois  ans 
s'étaient  passés  depuis  qu'il  avait 
quitté  Malines,  quand  l'évêque  de 
Gand  mourut  :  soudain,  et  comme 
on  le  devine,  sur  l'avis  de  l'arche- 
vêque de  Malines,  le  pieux  et 
docte  chanoine  de  Saiute-Vaudru 
fut  nommé  par  l'archiduc  Albert  à 
la  place  du  vénéré  pontife.  Vander 
Burch  eut  beau  s'épuiser  en  sup- 
plications, eu  protestations  sur 
son  impuissance  à  remplir  les 
hautes  fonctions  de  ce  nouveau 
ministère;  ni  protestations,  ni  gé- 
missements ne  trouvèrent  accès 
soit  près  de  l'homme  de  Dieu,  soit 
près  de  l'homme  d'Etal,  qui,  finale- 
ment, imaginèrent,  voulant  frapper 
un  grand  coup,  de  se  faire  en  quel- 
que sorte  aposliller  par  le  Saint- 
Siège.  Un  bref  vint  de  Rome,  enjoi- 
gnant à  celui  que  toutes  les  voix 
demandaient  de  ne  pas  décliner  sa 
mission  apostolique.  Il  fallut  se  ré- 
signer ;  et  bientôt  il  fil  à  Gand  son 
entrée,  au  milieu  des  acclamations 
de  joie  et  d'espoir  de  cette  ville, 
sa  patrie,  remplie  encore  du  sou- 
venir de  ses  pères,  heureuse  et 
lière  maintenant  de  sa  présence, 
et  augurant,  grâce  à  sou  retour, 
le  retour  de  l'harmonie  et  de  la 
concorde.  C'est  effectivement  à 
cette  grande  tâche  que  se  prépa- 
rait le  nouvel  évèiiue,  e;  c'est  ici 
que  nous  devons  nous  prosterner 
devant  sa  sagesse,  hardie  en  môme 
temps  (priKibile.  Il  se  plava  de 
prime-abord  hors  du  cercle  étroit 
et  stérile  des  vulgaires  défenseurs 


du  catholicisme.  Antagoniste  iné- 
branlable des  dogmes  nouveaux, 
tout  en  s'apprêtant  à  battre  en 
brèche  les  doctrines  et  à  pulvéri- 
ser les  arguments,  il  n'avait  pas 
imaginé,  comme  les  catholiques 
tout  d'une  pièce,  que  la  révolution 
religieuse  immense  dont  ils  dé- 
ploraient le  développement,  ou  fût 
sans  causes  ou  n'eût  pour  causes 
que  la  perversité,  l'orgueil,  l'es- 
prit de  désobéissance  et  de  faction  ; 
il  avait  su  voir  que  le  point  de  dé- 
part avait  été  cette  multitude  d'a- 
bus, qui,  comme  une  lèpre, 
avaient  depuis  cinq  siècles  envahi 
l'Eglise  et  ses  membres.  Que  l'hé- 
résie en  fût  un  mauvais  remède, 
c'était  sa  conviction;  mais  qu'elle 
n'eût  pas  été  comme  invincible- 
ment amenée  par  un  mauvais  ré- 
gime, voilà  ce  qu'il  ne  pouvait 
admettre.  Plein  de  cette  idée  fon- 
damentale, et  semblable  au  méde- 
cin qui,  pénétrant  d'un  impartial 
et  lucide  coup  d'oeil  la  source  du 
mal,  s'attaque  à  cette  source  et 
non  au  symptôme,  il  osa  compren- 
dre que  ce  n'était  pas  sur  le  pro- 
testantisme qu'il  fallait  porter  ses 
premiers  efforts,  du  moins  exclu- 
sivement, et  qu'il  était  urgent, 
d'abord,  de  faire  cesser  tout  ce 
que  l'organisation  catholique  avait 
toléré  de  répréhensible  dans  le 
diocèse,  la  vie  mondaine  des  reli- 
gieux, le  luxe  et  même  les  désor- 
dres des  séculiers,  la  violaliou 
souvent  patente  des  vœux  de 
chasteté,  la  i^ubstilution  du  sen- 
sualisme à  l'abslmence,  les  dis- 
putes de  préséance,  le  relâche- 
ment de  la  discipline  ecclésiasti- 
que-Pour  remédiiT  à  tant  di' plaies 
invétérées,  il  commença  par  visi- 
ter à  fond  toutes  les  paroisses  de 
son  diocèse,  partout  prêchant  et 
préparant  ou  corroborant  les  con- 


32 


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versions,  parfois  adressant  les 
admonitions,  les  vertes  censures 
ou  les  menaces,  et  même  plus 
d'une  fois  se  résolvant  à  déposer 
le  prêtre  indigne;  doù  conliance 
en  même  temps  ou  salutaire  ter- 
reur chez  celui  que  n'avait  pas  at- 
teint l'orage,  et  qui  dès  lors  pou- 
vait tenir  pour  sûr  que,  s'il  suivait 
la  droite  voie,  il  était  invulnérable, 
mais  que  des  prévarications  n'é- 
chapperaient ni  à  la  perspicacité 
ni  à  la  sévérité  du  vigilant  apôtre. 
Ces  principes  ainsi  placés  en  relief 
et  démontrés  par  ses  actes,  il  réu- 
nit autour  de  lui,  à  Gand,  les  curés 
et  vicaires  les  plus  éclairés  et  les 
plus  méritants  de  tout  le  diocèse, 
et,  recueillant  leurs  avis,  éclairé 
par  leur  expérience,  il  rédigea, 
d'accord  avec  eux  tous,  des  règle- 
ments ecclésiastiques,  modèles  de 
justice,  de  sagesse  et  de  simplicité. 
Le  résultat  en  fut  aussi  complet 
qu'il  pouvait  le  souhaiter;  Tordre 
refleurit,  la  décence  reprit  ses 
droits,  les  vaines  disputes  cessèrent, 
le  sacerdoce  recouvra  sa  considé- 
ration perdue;  la  jeunesse  vint  en 
foule  repeupler  les  écoles  ortho- 
doxes; les  conversions  s'opérèrent 
par  centaines  et  sans  violence;  la 
paix  renaquit.  Cette  transforma- 
tion porta  au  comble  le  renom  de 
Vander  Burch,  et  l'archevêque  de 
Cambrai  ayant  fermé  les  yeux  sur 
l'entrefaite,  le  chapitre  métropoli- 
tain, en  promenant  les  yeux  autour 
de  lui,  n'aperçut  personne,  pas 
même  en  son  sein,  qui  fût  plus  à 
la  hauteur  de  la  lâche  et  digne  de 
ses  suffrages  que  l'habile  évêque 
de  Gand.  Là,  encore,  ainsi  que  par- 
tout et  toujours,  Yander  Burch  lit 
l'impossible  pour  prévenir,  puis 
pour  faire  révoquer  son  élection. 
On  devine  bien  que  le  chapitre  ne 
se  déjugea  pas;  il  ajouta  môme  à 


sfs  instances  des  considérations 
qui  vainquirent  toutes  les  objec- 
tions du  prélat  élu.  Non-seulement 
le  diocèse  de  Cambrai  était  en 
proie  en  même  temps  aux  scan- 
dales qui  venaient  de  disparaître 
de  Gand,  à  l'hérésie,  à  l'anarchie, 
à  la  misère,  suite  d'invasions  et  de 
pillages  réitérés,  et  à  la  famine; 
mais  nulle  part  plus  que  là  il  n'y 
avait  de  formidables  périls  à  cou- 
rir :  la  peste  était  venue  se  joindre 
à  tant  d'autres  désastres  et  décimait 
les  populations!  Ce  danger,  devant 
lequel  tant  d'autres  pâlissaient,  fut 
l'aimant  dont  l'action,  irrésistible 
en  tin  de  compte,  attira  Vander 
Burch  :  il  accepta  le  poste  d'hon- 
neur ou  sévissait  la  mort!  Belzunce 
du  seizième  siècle,  il  surpassa 
peut-être  Belzunce,  qui  n'eut  pas, 
comme  Van  der  Burch,  à  troquer 
un  troupeau  florissant  et  fortuné 
pour  aller  chercher  à  distance  des 
ouailles  aux  prises  avec  l'agonie 
sous  un  ciel  pestiféré.  Ce  qu'il  y  a 
de  certain,  c'est  qu'au  bout  d'un 
laps  de  temps  très-court,  table  rase 
fut  faite  et  de  l'épouvantable  ma- 
ladie et  de  tous  les  désastres.  Le 
saint  évêque  avait  lui-môme  donné 
l'exemple  du  courage  et  raffermi 
lesiraaginations  ébranlées.  Traçons 
rapidement  le  tableau  desesactes. 
Réunissant  tous  les  grands  et  les 
notables  dans  le  palais  archiépis- 
copal, il  leur  démontra  que  leurs 
calamités  provenaient  surtout  de 
leurs  folles  haines,  de  leur  mor- 
gue, de  leurs  jalousies,  de  leurs 
passions  opiniâtres  et  aveugles,  de 
leur  négligence,  et  que  la  réconci- 
liation, l'union  consciencieuse  de 
tous  les  efforts  était  la  première 
condition  d'un  retour  de  fortune. 
Ses  paroles  véhémentes  et  pleines 
de  feu  louchèrent  les  cœurs  et 
amenèrent  le  résultat  désiré  ;  tous 


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33 


les  habitants  de  Cambrai  se  mirent 
à  suivre  ses  ordres  et   à   lutter 
comme  un  seul  homme  contre  les 
influences  dévastatrices;  toutes  di- 
minuèrent progressivement,  toutes 
s'évanouirent,  et  enfin,  comme  si 
le  ciel  eût  voulu  récompenser  les 
hommes  d'avoir  obéi  à  la  voix  de 
leurpasteur,lesphénomènes  mêmes 
sur  lesquels  les  hommes  ne  peu- 
vent rien,  cessèrent  comme  par 
enchantement,  et  les  pluies  abon- 
dantes, sans  être  excessives,  ame- 
nèrent de  riches  récoltes,  et  il  ne 
resta  plus  dans  tout  le  pays  un  cas 
de  peste.    Ayant  ainsi  pourvu  au 
matériel,  à  ce  qu'on  appelle  «  le 
plus  pressé,  »   le  prélat  porta  ses 
soins  sur  d'autres  objets.  Sachant 
bien  que  «  si  l'homme  ne  vit  pas 
seulement  de  pain,  *>  il  ne  peut 
vivre  exclusivement  non  plus...  de 
la   parole   de   Dieu,   il   s'inquiéta 
en    penseur    non     moins    qu'en 
homme  de  Dieu  de  ce  fait  que  nom- 
bre de  familles  ruinées  manquaient 
d'outils,  d'ouvrage   et   de    pain  : 
d'immenses  aumônes  se  résolvant 
en    distributions   quotidiennes   et 
gratuites  leur  vinrent  eu  aide,    et 
les  mirent  k  môme  d'attendre  le 
retour  du  travail,  retour  qui  fat 
moins   lent  et    plus  animé  qu'on 
n'eût  osé  le  croire  avant  la  charita- 
ble  intervention  de  l'archevêque. 
En  même  temps  s'élevèrent,   en 
partie  à  ses  frais,  en  partie  par 
l'impulsion   qu'il    imprima,  plu- 
sieurs  hospices   et  maisons    de 
charité,  dont  l'administration  fut 
réglementée  et  organisée  par  ses 
soins  sur  les  bases  les  plus  sages. 
L'éducation  ne  fut  pas  négligée 
non   plus  :   on  devine  aisément 
que  l'illustre  pontife  tendit  à  la 
régénérer   surtout  dans   le   scn$ 
religieux;  mais  à  la  religion,  tou- 
jours et  partout  fut  associée  Tin- 

LXXXV 


straction  pratique.  Deux  institu- 
tions éminemment  utiles  et  dignes 
d'être  signalées  durent  l'origine  à 
son   amour   éclairé  du  bien,   et 
même  on  peut  le  dire,  du  moins 
pour  la  première,  à  sa  munificence. 
Ce  furent  «  l'Ecole  dominicale,  » 
dans  laquelle  les  enfants  indigents 
reçoivent  encore  aujourd'hui, avec 
une  éducation  chrétienne,  toutes 
les  instructions  nécessaires  à  la 
profession  pour  laquelle  ils  optent; 
et  la  «  Maison  de  bienfaisance  et 
d'éducation  de  Sainte-Agnès,  «  où 
cent  jeunes  filles  de  familles  hon- 
nêtes mais  peu  aisées  sont,  pen- 
dant six  ans,  de  l'âge  de  douze  à 
dix-huit  années,  nourries,  logées, 
élevées.  Pour  mener  à  bien  ces 
œuvres  de  toutes  les  plus  puis- 
santes pour  moraliser  les  classes 
qui  malheureusement  pullulent  le 
plus  dans  les  sociétés,  il  fallait 
une  longanimité,  une  mansuétude 
dont  nul  ne  peut  avoir  idée  s'il 
n'a  vu  de  près  semblables  entre- 
prises. Obstacles  de  toute  nature  et 
en  tous  sens,    on  le  comprend; 
mais  obstacles  surtout  de  la  part 
des  parents,  récalcitrants  par  dé- 
fiance, récalcitrants  par  routine , 
voila  ce  dont  les  plus  patients  se- 
raient portés  à  s'impatienter.  Van- 
der  Burch  se  voyait  dans  la  néces- 
sité de  donner  le  pain  quotidien, 
de  distribuer  de  l'argent  aux  pè- 
res, afin  d'avoir  le  droit  de  verser 
le  bienfait  de  l'éducation  sur  les 
enfants.  Mais  sa  mansuétude,  son 
inépuisable  charité  ne  faillirent  pas. 
Ainsi  préludait,  dès  le  commence- 
ment du  dix-septième  siècle,  par 
l'Ecole  dominicale,  à  l'instruction 
piofessionnelle  et  primaire,  si  fa- 
vorisée de  nos  jours,  la  féconde 
initiative  du  plus  digne    prédé- 
cesseur de  l'auteur  de  Tclcmaqnc. 
El,  d'autre  part,  fondée  en  1031, 

3 


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sa  maison  de  Sainle-Aguès  passe 
ajuste  titre  pour  avoir  inspiré,  soit 
à  Louis  XIV,  soit  à  madame  do 
Maiutenon,  l'idée  de  Saint-Cyr. 
Celle  création  seule  suffirait  à  la 
gloire  de  Vander  Burch,  n'eùt- 
elle  pas  élé  précédée  et  suivie  do 
cent  autres  labeurs  au  milieu 
desquels  elle  semble  comme  ab- 
sorbée, et  dont  nous  n'avons  re- 
iraci'  que  les  plus  marquants. 
L'illustre  vieillard  poursuivit  tou- 
jours sa  mission  bienfaisante  avec 
la  même  énergie  et  la  même 
activité  jusqu'à  ce  que  ,  dans 
une  dernière  tournée  pastorale, 
en  visite  à  Mons,  il  passât  dans 
un  monde  meilleur,  le  23  mars 
16 i4.  Sou  corps  ,  inhumé  d'a- 
bord en  celte  ville,  dans  l'église 
des  jésuites,  fut  transféré  solen- 
nellement en  1779,  lors  de  l'abo- 
lition de  cet  ordre,  sous  le  maître- 
autel  de  la  cathédrale  de  Cambrai, 
et  reposa  ainsi  quinze  ans  auprès 
des  cendres  do  Fénélou;  njais 
1704  vint  disperser  ces  vénérables 
restes  au  milieu  de  désordres  qui 
rappellent  trop  fidèlement  ceux 
de  la  sanglante  époque  qui  l'avait 
vu  naître ,  comme  s'il  eût  été 
écrit  que  les  mêmes  scènes  envi- 
ronneraient et  son  berceau  et  sa 
tombe.  Val.  P. 

VA^DERBIJCII  (Jàcqocs  Hippo- 
lyte),  peintre  et  lillérateiir,  était 
né  à  Paris  en  i796.  Jacques- 
Edouard  Vanderbuch,  son  père, 
originaire  de  Montpellier,  artiste 
habile,  avait  enrichi  le  musée  de  sa 
ville  natale  d'un  paysage  estimé. 
Dépourvu,  dés  1803,  de  son  appui 
naturel,  sans  crédit,  sans  ressour- 
ces, le  j«*une  Vanderbuch  eut  à 
lultcr,  au  début  de  sa  carrière, 
contre  plus  d'un  genre  de  mé- 
comptes et  (le  privations.  Il  fut  d'a- 
bord élève  de  Mullard,  recul  quel- 


ques leçons  de  David,  et  entra,  sous 
les  auspices  de  Pierre  Guérin,  dans 
l'atelier  de  Victor  Berlin,  l'un  de 
nos  paysagistes  les  plus  renommés. 
Ce  fut  k  cette  école  particulièrement 
qu'il  acquit,  dit  un  de  ses  biogra- 
phes, «  ce  goût  délicat,  ce  style 
élevé,  cette  grâce  des  lignes,  celle 
finesse  de  touche  qui  ont  constitué 
les  caractères  distinclifs  de  son  ta- 
lent. »  La  vie  de  Vanderbuch,  la- 
borieuse et  concentrée,  appartient 
tout  entière  à  l'art.  A  dater  de 
1824  jusqu'à  sa  mort,  ses  œuvres 
ont  figuré  avec  succès,  quelquefois 
même  avec  éclat,  dans  les  exposi- 
tions publiques.  Plusieurs  ^de  ses 
tableaux  décorent  les  palais  des 
Tuileries,  du  Luxembourg  et  de 
Saint-Cloud,  et  ornent  les  musées 
des  départements  et  les  cabinets 
des  amateurs.  Nous  citerons,  parmi 
les  plus  remarquables,  une  vue  de 
la  Cava,  gravée  par  Péringer,  une 
ihi  Golfe  de  Daïa^  une  d'un  Chalet  de 
Meyrinfien,  une  autre  de  la  Vallée 
daGrindehvald,  une  vue  du  Délroii  de 
Mcs-sine (œuvre  éminenle  qui  a  appar- 
tenu à  la  reine  Marie-Amélie),  une  de 
la  Jetée  de  Honfleur,  une  vue  de  Vile 
Barbe  près  de  Lyon ,  œuvre  égale- 
menthorsligne,une  vue  généralede 
h\\illed^Annonay,  plusieurs  autres 
prises  en  Normandie,  dans  le  Dau- 
phinéelsur  les  bords  de  la  Seine,  et 
un  grand  nombre  de  lithographies  et 
d'autres  dessins.  Vanderbuch ,  aqua- 
relliste habile,  excellait  surtout 
dans  la  reproduction  du  ciel  ft 
des  eaux;  il  appliquait  à  cette 
partie  de  ses  paysages  toute  la 
dextérité,  toute  la  vigueur  de 
son  talent,  qualités  dont  on  lui  a 
reproché  d'abuser  quehjuefois  aux 
dépens  d'une  imitation  plus  vraie 
4le  la  nature.  Vanderbuch  avait  re- 
cueilli une  partnolable  dans  les  en- 
couragements accordés  aux  artistes 


VAN 


VAN 


35 


\ 


par  les  divers  gouyernemenls  de  la 
France.  Sept  médailles  ont  honoré 
ses  ouvrages.  Le  21  octobre  1854,  le 
jour  même  où  il  était  enlevé  à  sa 
famille  et  à  ses  amis  éplorés,  il  ob- 
tenait sa  nomination  à  la  chaire  de 
dessin  du  collège  Chaptal,   poste 
qui  faisait  depuis  longtemps  l'objet 
de   sa  légitime  ambition.  Vander- 
buch,  que  distinguaientune modes- 
tie rare  et  des  qualités  aimables, 
écrivait  bien   en   prose  et  rimait 
avec  grâce  et  facilité.  On  a  de  lui 
un  important  ouvrage  iniilulé  :  D# 
la  peinlure  à  l'aquarelle,  trois  fois 
réimprimé,  et  plusieurs  opuscules. 
Il  appartenait  à  la  Société  philo- 
lechiiique,   à  la  Société  libre  des 
Beaux-Arts,  et  à  celle  des  Enfants 
d'Apollon.  M.  Berville,  secrétaire 
perpétuel  de    la    Société    philo- 
tpclmique,  et  M.  Gavet,  membre 
de  la  Société  des  Beaux-Arts,  ont 
publié  d'intéressantes  notices  sur 
ce  paysagiste  distingué.      A.  B-éi. 
VANDEU  CAPELLEN  (le  ba- 
ron  Théodore-Frédéric)    OU    VAIS 
CAPELLEN.    Marin    hollacdais, 
naquit  le  6  septembre  176Î,  à  Ni- 
mègue  en  Gueldre.  Sa  famille  était 
des  premières  du  pays.  Le  baron 
Alexandre  son  père  était  seigneur 
de  Mcdoog  et  sa  mère  joignait  à  ses 
noms  de  Marie-Louise  le  titre  de 
baronne    de  Paigniel.    11  avait  k 
peine  ûh.  ans  qu'il  fut  mis  dans  la 
marine,  en  quali'é  d'aspirant  noble; 
et  comme  tel,  il  fit  plusieurs  voya- 
ges qui  le  familiarisèrent  complè- 
tement avec  la  mer  et  le  service. 
Quatre   années   et  quelques   mois 
s'écoulèrent  dans  le  noviciat  :  au 
bout  de  ce  temps,  en   1777,  vint 
enfin  sa  nomination  de  lieutenant. 
C'était  au  moment  où  la  lutte  pour 
l'émancipation  des  colons  anglo- 
américains  mettait  aux  jirises  sur 
mer  la  Grande-Bretagne  d'une  part, 


de  l'autre  la  France  et  es  puissan- 
ces secondaires,  en  d'autres  termes, 
l'Espagne  et  les  Provinces-Unies. 
Ce  ne  fut  donc  ni  dans  des  stations 
ni  dans  des  excursions  pacifiques 
que  se  déroulèrent  les  premières 
années  de  grade  du  jeune  officier. 
L'escadre  à  laquelle  il  appartenait 
sillonna  l'Atlantique  en  plus  d'un 
sens  et  signala  plus  d'une  fois  sa 
présence  dans  les  eaux  de  l'Améri- 
que soit  par  des  manœuvres  que 
les  anglais  tentèrent  sans  grand 
succès   d'empêcher,   soit   par  des 
hostilités  directes.  Tel  fut  entre  au- 
tres engagements  l'affaire  de  mai 
1780  entre  la  frégate  anglaise  le 
Croissant  et  le  trois-màts  hollan- 
dais la  Brille  {^  de  Briele «)  que  corn- 
maiidait  le  capitaine  Oorshuys.  Le 
bàtinient    britannique    après    un 
combat  opiniâtre  et  des  plus  san- 
glants n'eut  d'autre  ressource  que 
d'amener   sou    pavillon.  Van    Ca- 
pétien, à  cette  époque,  était    se- 
cond (eerst  officier).  La  vaillance, 
le  sang-froid  et  l'intelligence  qu'il 
avait  déployés  du  commencement  h 
la  fin  de  la  lutte  lui  valurent  la  men- 
tion la  plus  honorable  dans  le  rap- 
port officiel  ;  et  très-peu  de  temps 
après  il  reçut  lui-même  avec  le  rang 
de  capitaine  le  commandement  de 
la  belle   frégate   la  Ccrès.  Il   ne 
comptait  pas  encore  vingt  ans.  Il 
serait  sans  intérêt  de  le  suivre  à 
bord  des  autres  navires  que  succes- 
sivement   il    commanda    ensuite. 
Qu'il  nous  suffise   de  les  nommer 
(ce   furent  la  Bellonc,    le  ycps^  le 
Castor,  le  Dclfl),   et  de  dire  que 
chargé  de   missions  très-diverses, 
toutes  iiacifiques  jusqu'il  1793,  il 
s'i'^n  acquitta  constamment  à  la  sa- 
tisfaction de  tous  ses  chefs,  notam- 
ment de  l'amiral  Kinsbergen  et  de 
Meivilie.  Un  des  contre-coups  de  la 
révolution  française  le  ramena  aux 


36 


\^\N 


VAN 


opéralions  guerrières.  Vainqueur 
des  Prussiens  en  France  et  tran- 
quille à  peu  près  du  côté  des  Au- 
trichiens qu'il  avait  paralysés  en 
Belgique,  Dumouriez,  en  février 
4  793,  s'était  avancé  sur  les  fron- 
tières des  Provinces-Unies,  avait 
reçu  sans  coup  férir  la  soumission 
de  trois  villes  et  déjà  croyait  pou- 
voir écrire  à  laConvenlion  qu'Ams- 
terdam allait  ouvrir  ses  portes  aux 
Français.  Les  Hollandais,  il  faut 
l'avouer,  ne  firent  que  peu  d'efforts 
pour  s'opposer  à  la  réalisation  de 
ses  plans;  et  s'ils  échouèrent,  ce  fut 
surtout  par  l'insuffisance  des  dis- 
positions prises  par  Dumouriez  pour 
couvrir  le  siège  de  Maestrichtet  par 
la  subite  réapparition  des  Autri- 
chiens sur  la  Meuse.  Les  Hollandais 
ne  restèrent  pas  tout  à  fait  oisifs  ce- 
pendant, et  le  capitaine  Van  Capel- 
ien  fut  un  de  ceux  qui  se  firent  le 
plus  remarquer  alors  par  la  har- 
diesse et  l'a  propos  des  attaques  con  - 
Ire  les  batteries  du  général  de  la  Ré- 
publique française.  On  sait  que,  par 
suite  de  l'échec  de  Maestricht  et 
d'autres  fâcheuses  circonstances, 
Dumouriez,  dès  le  9  mars,  était  ré- 
duit à  se  replier  sur  la  Belgique. 
H  fut  donné  in  la  Hollande  de  res- 
pirer encore  deux  à  trois  années, 
jusqu'à  ce  que  Pichegru  vînt  en 
accomplir  la  conquête  (1795-1796). 
Van  Capellen  venait  alors  de  se 
marier.  Très-antipathique  au  sys- 
tème français  et  plus  encore  à  l'ab- 
sorption de  sa  piitrie,  il  abandonna 
le  service  et  se  retira  au  fond  de  la 
Gueldre,  étranger  en  apparence 
aux  afi'aires.  Mais  celte  torpeur, 
cette  indifTérence  étaient  jouées  : 
il  guettait  les  événements,  il  n'at- 
tendait que  l'occasion  favorable  de 
se  montrer.  H  crut  la  trouver,  lors- 
qu'en  i799,  l'éloilc  de  la  France 
pâlissant   en  Ilalic,   en  Suisse,  en 


E.piypto,  les  partisans  de  la  maison 
d'Orange  crurent  l'instant  venu 
d'abattre  le  gouvernement  démo- 
cratique, implanté  naguère,  mais 
mal  enraciné  sur  les  rives  du  Zuy- 
derzée.  U  accepta  un  commande- 
ment dans  la  flotte  du  Texel,  sous 
les  ordres  de  l'amiral  Story,  il  prit 
part  à  l'expédition  du  Helder,  il  y 
déploya  des  qualités  supérieures, 
auxquels  les  ennemis  du  Sladhou- 
dérat  ne  firent  que  trop  d'atten- 
tion. En  effet,  la  réaction  n'ayant 
abouti  qu'à  l'insuccès,  et  les  me- 
sures acerbes,  les  poursuites,  pour 
ne  pas  dire  les  persécutions  se  mul- 
tipliant contre  la  marine  batave, 
qui  s'était  très-gravement  compro- 
mise, le  baron  Van  Capellen  prit 
fort  sagement  le  parti  de  chercher 
un  autre  asile  que  sa  province  na- 
tale, et  il  fut  heureux  d'en  trouver 
un  sur  et  paisible  dans  cette  Angle- 
terre d'où  partaient  toutes  les  atta- 
ques contre  nous.  Sa  femme  quitta 
la  Gueldre  pour  aller  i'y  rejoindre. 
Ces  émigrations,  le  séjour  sur  la 
terre  étrangère  ne  manquèrent  pas 
d'entraîner  des  faux  frais,  des  pertes 
d'argent.  Quatorze  années,  les  plus 
belles  de  la  vie  du  marin,  se  pas- 
sèrent ainsi  pour  lui  dans  l'inac- 
tion, car  nous  ne  voyons  pas  qu'u  n 
seul  moment  il  ait  pris  service  à 
bord  des  flottes  britanniques;  et  du 
moins  a-t-il  pu  dire  que  sa  haine 
pour  la  France  ne  l'amena  pas  à 
combattre  la  France  sous  pavillon 
étranger.  Avec  quel  bonheur  il  sa- 
lua de  loin,  d'abord  l'insurrection 
d'Amsterdam  en  décembre  1813 
contre  son  préfet  français  et  ensuite 
l'attitude  hostile  prise  par  tout  l'ex- 
royaume  do  Hollande  contre  l'Em- 
pereur, il  est  inutile  de  le  décrir;;. 
A  peine  les  Nassau  avaient-ils  remis 
les  pieds  dans  leur  j)atrie  à  la  veille 
de  devenir  leur   patrimoine  ,  que 


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VAN 


37 


Vaii  Capellen  y  reparaissait.  Fort 
(le  Tancienneléde  son  dévouement, 
un  si  fidèie  compagnon  d'exil  mé- 
ritait   quelque    chose    de    mieux 
que  son  ancien  grade.   Les  qua- 
torze années  qu'il    avait    passées 
à  faire  son  quart  sur  les  wharves 
de   la  Tamise  et  à   guetter,  soit 
dans  le  journal  de  Pelletier,  soit 
dans  le  Times  ou  dans  le  Nantie 
journal  d'où  soufflait  le  vent,   lui 
furent  comptées  comme  années  de 
service ,  et  lors  de  la  réorganisation 
de  la  marine,  il  fut  nommé  vice- 
amiral;  l'année  suivante (1815),  on 
lui  confia   le   commandement  de 
l'escadre  hollandaise  de  la  Médi- 
terranée et  dans  la  fameuse  jour- 
née du  27  août  <816  il  seconda 
lord  Exmouth  dans  le  hombarde- 
ment  d'Alger,  prélude  trop  certain 
que  méconnurent  lesEarbiiresques 
de  la  prochaine  répression  de  leurs 
déprédations.  Lord  Exmouth  ren- 
dit éclatante  justice  à  la  valeur  et 
aux  habiles  dispositions  de  son  col- 
laborateur; des  remeiciemenis  lui 
furent  votés  par  le  Parlement  bri- 
t.uinique;  le  prince  régent  le  nom- 
ma chevalier  de  l'ordre  du  Bain. 
Satisfait   d'avoir  ainsi  marqué   sa 
rentrée  dans  la  carrière  maritime 
et   n'apercevant  rien   à   l'horizon 
qui  lui  lit  augurer  que  sous  peu  ses 
services  redeviendraient  nécessai- 
res, il  ne  tarda  pas  à  demander  sa 
retraite,  qu'il  obtint  en  1818,  et  il 
alla  vivre  tantôt  ii  La  Haye,  tantôt 
aux  environs,  dans  le  sein  de  sa 
famille.  Toutefois,  ce  n'est  pas  dans 
la    solitude  qu'il  finit  ses  jours  : 
née  en  1771,  la  baronne  Van  Ca- 
pellen n'avait  encore  que  trente- 
sept  ans,  lorsqu'il  se  démit  de  sa 
charge  d'amiral  :  probablement  elle 
ne  fut  pas  pour  rien  dans  les  dé- 
marches qui   lui   procurèrent  pou 
de  temps  après  le  poste  de  grand 


maréchal  du  palais  dti  Guillaume  I". 
Les  deux  époux,  depuis  ce  temps, 
habitèrent  presque  constamment 
Bruxelles;  et  c'est  là  qu'en  1824, 
la  mort  vint  mettre  en  même  temps 
un  terme  à  sa  vie  et  à  de  cruelles 
souffrances  héroïquement  endurées. 
Val.  p. 
VAN  DKR  HAGEN  (Étiennk), 
navigateur  hollandais  ,  était  un 
homme  de  courage  et  d'expérience 
très-apprécié  de  tous  les  marins  ses 
compatriotes ,  lorsqu'il  fut  choisi 
pour  commander  les  trois  premiers 
navires  qui  furent  expédiés  après 
le  départ  de  Van  Nest  et  qui,  por- 
teurs de  poms  les  plus  pompeux  (le 
Soleil,  la  Lune,  enfin  V Étoile  du 
malin),  les  justifièrent  en  quelque 
sorte  par  l'éclat  des  services ,  qu'ils 
rendirent.  Il  partit  le  6  avril  1599. 
Peu  d'incidents  signalèrent  sa  route 
jusqu'à  l'île  Lampon,  dépendance 
du  roi  de  Bantam;  disons  pourtant 
que,  contrairement  à  ce  qu'ont  trop 
répété  les  compilateurs  légers  en 
parlant  des  Hollandais,  il  déploya 
l'humanité  la  plus  généreuse  à  l'é- 
gard d'une  caravelle  portugaise 
dont  il  fit  rencontre  et  qui,  pressée 
par  un  corsaire  français,  était  res- 
tée à  l'ancre  sans  vivres  et  sans 
ressources,  l'équipage  n'ayant  pas 
même  les  moyens  de  s'orienter. 
Van  der  Ilagen  pourvut  noblement 
h  tout.  Peu  de  temps  après  pourtant, 
ayant  relfiché  à  l'ile  de  May  ap- 
paitenant  aux  Portugais,  pour  y 
renouveler  sa  provjsion,  il  y  fut 
disgracieusement  et  hostilement  ac- 
cueilli. Il  en  garda,  et  nul  ne  sau- 
rait l'en  blâmer,  rancune  à  toute 
leur  nation;  aussi,  après  nn  court 
séjour  à  Bantam  (où  l'amabilité  de 
la  réception  ne  l'empêcha  pas  de 
s'apercevoir  vite  qu'on  lui  prodi- 
guait plus  de  be'.les  paroles  «jne  de 
facilités  et  d'avantages  réels  pour 


38 


VAN 


VAN 


le  commerce),  quand  les  Orancases 
(c'esl-ù-dire  les  nobles  du  pays) 
l'invitèrent  à  les  seconder  dans 
leurs  hostilités  contre  les  Portugais, 
il  ne  se  refusa,  ce  nous  semble,  h. 
leurs  demandes  que  pour  la  forme, 
peut-être  pour  être  plus  instam- 
ment pressé  ,  ou  peut-être  parce 
qu'il  ne  se  sentait  pas  très  en  force. 
Finalement,  pourtant,  il  fit  marcher 
4  chaloupes  armées,  puis  son  grand 
navire  le  Soleil,  au  secours  des  in- 
sulaires qui,  de  leur  côté,  devaient 
déployer  de  grandes  forces  contre 
Tantagoniste  commun.  Ceux-ci 
manquèrent  de  parole;  et  vaine- 
ment les  chaloupes  tentèrent-elles 
soit  d'emporter  les  batteries  impro- 
visées par  les  Portugais  en  avant 
de  leur  fort,  soit  de  débarquer  dans 
la  baie  du  Fort;  vainement  aussi  le 
Soleil,  manœuvra-t-il  pour  s'empa- 
rer au  moins  d'une  caraque  chargée 
de  girofle  que  l'on  apercevait  dans 
le  port.  Il  ne  s'obstina  pas  à  dé- 
penser sa  poudre  au  plus  grand 
profit  et  pl.iisir  des  Amboiniens,  et 
il  utilisa  la  reconnaissance  qu'ils 
ne  pouvaient  refuser  à  son  bon 
vouloir,  en  obtenant  d'eux  non- 
seulement  la  permission  de  cons- 
truire, à  l'instar  des  Portugais,  un 
fort  dans  Tiie  ,  mais  encore  leur 
cooj)ération  pour  sa  construction. 
De  plus,  et  c'est  là  le  trait  capital, 
en  s'engageant  à  tenir  le  fort  pourvu 
de  canons,  de  munitions,  de  vivres 
et  d'hommes,  il  eutl'artde  persua- 
der aux  indigènes  que  ces  mesures 
étaient  toutes  prises  surtout  dans 
leur  intérêt,  et,  en  revanche,  il  fit 
signer  par  leurs  chefs  un  traité  por- 
tant, —  article  i**'  ,  que  tout  le 
girofle  de  l'ile  serait  livré  aux  Hol- 
landais seuls,  h  l'exclusion  de  toute 
autre  nation;  —  art.  2,  et  qu'il  serait 
livré  au  prix  constant  de...  Ce  traité, 
riche  d'avenir,    commençait  l'ère 


des  monopoles  hollandais!  Dès  qu'il 
eut  été  dûment  revêtu  detoutesles 
formes  qui  pouvaient  en  assurer  la 
validité,  Van  derHagen,sa  cargai- 
son prise  ou  complétée  à  Bantam, 
se  hâta  de  revenir  en  Hollande,  oîi 
fut  comprise  immédiatement  l'im- 
portance du  service,  en  apparence 
peu  brillant  et  si  fécond  cependant 
en  résultats  matériels,  qu'il  venait 
de  rendre  tant  à  sa  patrie  qu'à  ses 
commettants.  Sa  relation  aussi 
opéra  un  changement  dans  les 
dispositions  de  la  Compagnie  â 
l'égard  des  étrangers.  H  fut  résolu 
qu'on  n'aurait  plus  de  mansué- 
tude en  présence  de  tant  de  vexa- 
tions et  d'inhumanité.  Van  der  Ha- 
gen  était  de  retour  au  Texel  avant 
la  fin  de  IGOl.  Deux  ans  après,  on 
lui  confiait  avec  le  titre  d'amiral, 
une  flotte  de  douze  vaisseaux  jau- 
geant ensemble  quatre  mille  neuf 
cent  cinquante  tonneaux,  et  por- 
tant douze  cents  hommes  d'équi- 
page. Les  Portugais  semblaient 
h  plaisir  provoquer  les  hostilités  : 
la  flotte  ayant  demandé  des  rafraî- 
chissements à  la  hauteur  do 
San  Yago  ,  il  fut  répondu  qu'on 
n'avait  au  service  des  Hollandais 
que  de  la  poudre  et  du  plomb.  Il 
eût  été  facile  à  l'amiral  de  punir 
cette  fanfaronnade  ;  il  ne  s'en 
donna,  pas  le  vain  plaisir  :  ce 
n'eût  été  ni  très-digne  ni  lucra- 
tif. H  espéra  mieux  en  arrivant 
îi  Mozambique,  où,  malgré  le  feu 
de  la  foitcresse,  il  cai)tura  une  ca- 
raque porlug;Hse  assez  pesamment 
chargée  de  d'ents  d'éléphants,  mais 
sans  que  la  prise  remjdit  toute  sou 
attente.  De  même  une  fois  encore 
sétant  saisi  sur  la  côte  de  Goad'im 
bâtiment  arabe  à  bord  duquel  il 
comptait  que  seraient  des  marchan- 
dises portugaises,  il  éprouva  la  dé- 
ception  de  n'en  trouver  aucune: 


VAN 


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il  en  prit  à  l'instant  même  son  parti 
et  s'empressa  de  le  relûcher.  Il  ne 
manquait  pas  d'ailleurs  de  vaisseaux 
portugais  et  dans  la  rade  et  le  long 
du  iiitoral  voisin;  mais  tous  étaient 
sur  leurs  gardes,  et  tant  de  défen- 
seurs armés  bordaient  le  rivage, 
qu'il  eût  été  téméraire  de  vouloir 
les  attaquer.  Évidemment  des  avis 
étaient  venus  aux  ennemis,  et  ils 
veillaient.  Même  impossibilité  d'a- 
gir devant  Cananor.  Le  roi  de  cette 
ville  avait  pris  le  sage  parti  de  ne 
laisser  se  produire  aucun  conflit  en 
ses  États.  Les  Portugais  enlevèrent 
une  chaloupe  aux  Hollandais;  ceux- 
ci  purent  la  reprendre,  le  monarque 
leur  ayant  défendu  qu'on  usât  de  vio- 
lence pour  la  retenir.  En  revanche, 
aux  ouvertures  que  lui  fit  Van  der 
Ilagen,  il  répondit  par  un  décli- 
natoire  formel ,  prouvant  assez  qu'il 
pénétrait  leurs  vues ,  mais  ne  s'y 
prêtait  pas.  «  Vos  mouvements,  dit- 
il,  donnent  lieu  de  soupçonner  que 
vous  en  voulez  au  fort  portugais.  Je 
nevousconseille  pasde  l'attaquer;  il 
est  bien  pourvu  de  tout.  Vous  seriez 
seuls.  Mes  ancêtres  et  moi  sommes 
depuis  102  ans  alliés  et  protecteurs 
des  Portugais.  Amis-  de  ceux-ci, 
nous  ne  demandons  pas  mieux  que 
d'être  aussi  des  vOlres.  A  cet  ctïet, 
je  vous  prie  de  vous  retirer. N'allez 
pas  surtout  dans  vos  courses  insul- 
ter les  Maldives,  qui  sont  à  moi,  ou 
inquiéter  les  navires  de  messujels.» 
La  réponse  de  Van  der  Hagen  fut 
ce  qu'elle  devait  être  :  il  promit  de 
souscrire  aux  avis  et  aux  vœux  du 
prince,  et  il  fit  voile  vers  Calicul, 
où,  de  prime-abord,  il  prit  une  fré- 
gate portugaise,  dont  pnsque  tout 
l'équipage  se  noya  en  voulant  s'es- 
quiver li  la  n:ige  et  où,  dix-neuf  au- 
tres furent  très-incommodés  de  son 
artillerie.  Le  samorin ,  en  quelque 
sorle  le  mahârârijadu  Malabar  était 


en  guerre  avec  les  Portugais  :  il 
s'empressa  de  convier  le  belliqueux 
amiral   à  venir  le  trouver   i\  son 
camp,  lui  prodigua  les  caresses  et 
promit  aux  Hollandais  par  un  traité 
solennel  de  les  laisser  trafiquer  en 
toute   liberté  dans  tous  les  pays  de 
son  obéissance.  Nous  glissons  ici 
sur  diverses  courses  d'importance 
secondaire,  lesquelles  absorbèrent 
le  reste  de  160i  et  janvier  160o. 
Donnant  enfin  ses  soins  à  ce  qui  lui 
tenait  le  plus  au  cœur,  au  couron- 
nement de  son  œuvre,  il  vint  mouil- 
ler le  21  février  Jans  la  baie  d'Ara- 
boine,  et  dès  le  lendemain  il  dé- 
barqua ses  troupes  qui  marchèrent 
immédiatement  sur  le  fort  des  Por- 
tugais, construit  avant  le  sien,  et  qui 
n'en  subsistait  pas  moins    depuis 
qu'il  avait  jeté  les  bases  d'un  fort 
rival.  Le  commandant  lui  dépêcha 
deux  officiers  et  une  lettre  où  res- 
pirait la  jactance  castillane  et  qui 
revenait  à  ces  mots  :  «  Qu'est-ce 
que  vous  prétendez  entreprendre 
contre  un  fort  que  S.  M.  le  roi  de 
toutes  les  Espagnes  m'a  commandé 
de  défendre?  »  —  «  Oui,  dit  Van 
der  Ilagen,  et  que  S.  A.  le  prince 
Maurice  m'a  commandé  de  prendre. 
Eh  bien!  je  prétends  le  prendre.  » 
Il  le  prit  en  elîet ,  ou  plutôt  on  ca- 
pitula sans    attendre  l'assaut;    îei 
premières  volées  d'artillerie  avaient 
modifié  considérablement  la  con- 
fiance des  défenseurs.  Tous  les  Por- 
tugais, moins  3G  familles  qui  prê- 
tèrent le  serment  de  fidélit(%  parti- 
rent de  l'ile  pour  n'y  jamais  remet- 
tre les  pieds,    et  Amboine  devint 
ainsi  le  domaine  exclusif  des  Hol- 
landais. Tournant  ensuite  ses  armes 
cwjtre  Tidor,  il  trouva  là  plus  de 
résistance  et  de  difiicultés,  mais  il 
n'en  triompha  pas  moins,  et  même 
assez  vite,  il  lui  fallut  d'abord  ame- 
ner les  rois  de  Tidor  et  deTernate, 


liO 


VAN 


VAN 


qui  devaient  aider  les  Portugais  de 
leur    concours,   à   la    neutralité; 
ensuite  vint  un  siège   en  règle  ; 
la  brèche  pratiquée,  deux  assauts 
ne  suffirent  pas  à  emporter  la  place, 
bien  que  sept  des  plus  braves  de 
la  flotte  y  eussent  pénétré.  Enfin 
un  boulet  tiré  du  Gucldre  sur  la 
tour  tombe  sur  la  poudre,  et  la  tour, 
lancée  enTair  avec  70  hommes  qui 
la  gardaient,  ouvrit  un  vaste  passage 
aux  Hollandais  victorieux.  Les  Por- 
tugais se  trouvèrent  alors  chassés 
detoutes  lesMoluques;  etTouvrago 
si  judicieusement  commencé  lors 
de  son  premier  voyage,  Van  der 
Ilagen  se  trouva  l'avoir  achevé  de 
main  de  maître  quatre  ans  après, 
bien  avant  de  revenir  en  Europe. 
Le  Gueldre  et  le  Goude,  chargés  de 
dépouilles,  allèrent  annoncer  l'heu- 
reuse   nouvelle  en    Hollande  dès 
i60."j.  Lui-même  y  revint  en  1G08, 
et  ne  reprit  plus  la  mer.    Val.  P. 
VAN  DER   IIECK   (Nicolas), 
peintre,  né  à  Alckmaer  vers  l'an 
1580,  descendait  de  Martin  llems- 
kercke,  et  fut  élève  de  Jean  Neag- 
hel.  H  se  fit  une  réputation  comme 
excellent  peintre  d'histoire,  et  sur- 
tout comme  grand  paysagiste.  Sa 
manière  de  composer  est  savante 
et  grandiose  ;  son  coloris  brillant 
et  solide  annonce  une  entente  par- 
fait-e  du  clair-obscur.  On  conserve 
dans  la  maison  de  vilh;  d'AIckmaer, 
trois  tableaux  de  lui  qui  offrent  des 
beautés  du  premier  ordre.  Les  su- 
jetb  qu'ils  représentent  sont  analo- 
gues à  l'emplacement  qu'ils  occu- 
pent.   Le   i)remicr   représente    le 
Jugement  de  mort  prononcé  par  le 
comte  Guillaume  HI ,  surnommé  le 
Fîon,  contre  le  bailli  du  Ziiyl-Hol- 
laud  qui   fut  décapité   pour   avoir 
volé  une  vache  îi  un   paysan;   le 
second  ^isll(l])un}ti(^n  prononcée  par 
Cambyse  contre  le  jiuje  prcvarka- 


tenr  (1),  et  le  troisième  est  le  Juge- 
ment de  Salomon.  La  ville  d'AIck- 
maer est  redevable,  en  outre,  à 
Vander  Ileck  de  l'établissement  de 
la  Société  de  peinture,  auquel  il 
contribua  puissamment  en  1631. 

P.  S. 

VANDER  KENIS,  missionnaire 
très-recommandable  envoyé  près 
des  Hottentots  et  autres  peuplades 
du  sud  de  TAfrique  par  la  Société 
des  missionnaires  de  Londres,  mou- 
rut au  cap  de  Bonne-Espérance  le 
dS  décembre  1811.  Ayant  été  gra- 
dué à  l'Université  d'Edimbourg  ,  et 
s'étant  adonné  k  l'élude  de  la  mé- 
decine, il  avait  pratiqué  cette  science 
en  Hollande  pendant  plusisurs  an- 
nées et  était  parvenu  à  un  très- 
haut  degré  d'habileté. — Arrivé  à 
l'âge  oi^i  il  est  ordinaire  que  les  in- 
dividus qui  ont  eu  une  carrière  la- 
borieuse et  active  éprouvent  le 
besoin  du  repos,  cet  homme  infa- 
tigable, entraîné  par  des  sentiments 
de  philanthropie,  se  dévoua  îi  toutes 
les  peines  et  à  tous  les  dangers 
d'une  mission  qui  avait  pour  but 
d'importer  les  principes  de  la  civi- 
lisation parmi  les  populations  les 
plus  sauvages  de  l'Afrique.  Ses  ef- 
forts furent  couronnés  du  plus 
grand  succès,  et  il  put,  avant  sa 
mort,  jouir  du  tableau  des  heureux 
effets  qu'avait  produits  sa  mission. 

Z. 

VAN  DER  LINT  (Jacod),  négo- 
ciant, —  banquier  peut-être,  —  U 
Londres,  devait,  ainsi  que  l'indique 
son  nom,  être  d'origine,  sinon  de 
naissance  néerlandaise.  On  manque 
absolument  de  détails  sur  sa  vie  ; 
mais   du   millésime   de    l'ouvrage 


(1)  Ce  tableau ,  apporté  en  France 
lors  de  la  conciuêtc  de  la  Hollande,  fut 
lonj,'temps  exposé  dans  la  grande  gale- 
rie (lu  musée. 


VAN 


VAN 


/il 


dont  le  titre  va  suivre,  on  peut  con- 
clure, sans  hésiter,  qu'il  était  dans 
toute  la  force  de  l'âge,  ou  même 
q'i'il  avait  déjà  passé  l'âge  moyen 
vers  le  commencement  du  second 
tiers  de  l'autre  siècle.  Voici,  en 
français,  les  trois  ou  quatre  lignes 
de  ce  titre,  non  moins  long  que 
ceux  des  gros  traités  qu'élucuhrent 
les  Allemands  :  Le.  numéraire  répon- 
dant à  tous  les  besoins,  ou  Essai  pour 
rendre  une  suffisante  abondance  de 
numéraire  dans  tous  les  ranfjs  de  la 
nation  et  pour  accroître  notre  corn- 
merce  tant  extérieur  qu'intérieur, 
Londres,  1736,  in-8%  et  en  voici 
les  premiers  mots  en  anglais  :  Mo- 
ney  answers  als  ihing,  or...  Non 
content  de  citer  avec  éloge  ce moi- 
ceau  qui  suffit  pour  que  le  nom  de 
Van  der  Lint  échappe  à  l'oubli, 
Dugald  Stewart  dans  sor»  appen- 
dice aux  éléments  d'économie  po- 
litique d'Adam  Smith,  en  cite  des 
passages  qui  mettent  en  relief  avec 
autant  de  netteté  que  de  justesse 
les  avantages  du  commerce,  et  qui 
peuvent  à  tous  égards  soutenir  la 
comparaison  avec  les  plus  décisifs 
arguments  produits  par  Hume  dans 
son  Essai  sur  la  jalousie  commer- 
ciale. Van  der  Lint  termine  par  des 
raisonnements  pour  l'abolition  de 
toute  espèce  de  taxe  commerciale 
et  pour  leur  remplacement  par  un 
impôt  territorial  :  l'idée  du  remède, 
idée  qu'adoptèrent  ceux  que  l'on 
nomma  les  Physiocrates,  était  anté- 
rieure de  quelques  années  au  moins 
à  notre  négociant,  car  Hume,  déjîi, 
s'en  était  fait  l'organe;  mais  quant 
à  la  description,  à  l'analomie  en 
quelque  sorte  du  mal  qu'il  signale 
et  veut  guérir,  il  est  le  premier 
peut-être  qui  le  caractérise  et  l'at- 
taque, et  sous  ce  rapport  on  croit 
déj-:i  sentir  de  loin,  chez  lui,  le 
souffle  du  libre-échange.         Z. 


VAN  DER  VELDE  (Cn.  Franc.) 
car  mieux  vaut  écrire  ainsi  que 
comme  t.  XLVII,  p.  85,  a  donné, 
outre  son  théâtre  et  ses  romans, 
des  ouvrages  qui,  s'ils  ne  sont  pas 
tout  à  fait  des  histoires  ou  des  rela- 
tions de  voyage,  ne  sont  pas  non 
plus,  à  proprement  parler,  des  ro- 
mans. —  On  les  a,  c'est  vrai,  qua- 
lifiés de  romans  historiques,  comme 
Arwcd  Gyllensiierna  et  Naddoctc 
(voyez  la  fm  de  l'article)  ;  c'est  fort 
à  tort,  et  tout  au  plus  méritent-ils,  si 
tant  est  qu'ils  le  méritent,  l'épilhète 
d'histoires-romans.  Quoi  qu'il  en 
soit,  et  laissant  le  lecteur  apprécier 
ce  qu'ils  sont  et  les  nommer  comme 
il  le  voudra,  nous  donnerons  les 
titres  des  trois  suivants  :  I  Ambas- 
sade en  Chine;  H  Conquête  du  Mexi- 
que; Hi  Cfiristian  et  sa  cour  avant  et 
après  son  abdication.  Il  pariit  à 
Dresde,  en  1829,  une  traduction 
française  de  Y  Ambassade  en  Chine, 
suivie  d'un  vocabulaire  ii  l'usage  du 
jeune  âge.  Mais, dès  avant  ce  temps, 
les  trois  ouvrages  avaient  été  tra- 
duits et  publiés  en  français;  les 
deux  premiers  en  1827,  le  dernier 
en  <827  et  1828.  C'est  sur  ces  en- 
trefaites que  commença  le  fracas 
des  réclames  et  prospectus  annon- 
çant la  collection  des  Romans  Jiis- 
toriques  de  Van  der  Velde,  traduits 
en  français  par  Loëve  Yeimars  et  dont 
le  t.  XLVII  de  la  P/iographie  uni- 
verselle (car  son  millésime  est  1829) 
ne  pouvait  indiquer  que  la  première 
livraison.  U  eût  |)U  dire  que  cette 
livraison  était  de  4  volumes,  dont 
deux  pour  Arwed  Gfjllensiierna.  La 
collection  est  terminée  aujourd'hui, 
ou  plutôt  elle  s'est  arrêtée  avant 
d'avoir  fini,  car  ni  \Ylaska  (dont  la 
traduction  première  était  de  Léon 
Astouin) ,  ni  Naddok  le  Noir  n'en 
font  i)artie;  donc,  au  lieu  des  20  vo- 
lumes présumés,  elle  n'en  contient 


42 


VAN 


VAN 


que  <6,  dont  voici  le  contenu  à 
partir  du  .V  :  Paul  de  [.ascaris  suivi 
LVAsjnund  Thyrsklingason  et  de  Gu- 
nima  (2  v.);  Christ iern  el  sa  cour 
(1  V.);  les  Hiissilcs  (1  v.);  Théodore 
le  roi  d'été  on  la  Corse  en  1736  (  !  v.); 
V Ambassade  en  Chine  {[  v.);  la  Con- 
quête du  Mexique  (2  v.);  Contes  et 
Légendes  Jdstoriques  (A  volumes  ou 
6  morceaux  :  1'^  V Horoscope,  his- 
toire tirée  des  guerres  civiles  de 
France:  1°  Alia;;  3"  le  Flibustier; 
4°  les  TataresenSilésie;  5"  h  Guerre 
desservantes, histoire  tirée  des  vieil- 
les chroniques  de  Bohême;  6°  la 
DruUlesse.  La  troisième  de  ces  nou- 
velles a  été  traduite  en  espagnol 
sous  le  titre  d'el  Flibustero,  o  el  Pi- 
rata gencroso,  novella  americana.  Il 
est  juste  de  remarquer  que  si  la 
collection  Loëve-Veimars  n'a  pas 
été  ce  qu'on  appelle  accueillie  et 
acclamée,  elle  s'est  vendue  néan- 
moins, et  que  l'édition  est  bien  et 
dûment  épuisée.  Z. 

VAIVDEUVUE  (Pierri-Prudent), 
né  le  G  avril  1776,  aux  Riceys,  dans 
l'ancienne  Bourgogne,  d'une  fa- 
mille honorable,  débuta  dans  la 
magistrature  le  18  août  1808  par 
les  fonctions  de  magistrat  de  sû- 
reté de  l'arrondissement  de  Bar- 
sur-Seine.  Il  fut  nommé,  le  29  jan- 
vier i8H,  juge  d'instruction  au 
tribunal  de  Troyes,  et  le  26  m.ii  de 
la  même  année,  procureur  impérial 
criminel  à  Reims,  sous  le  titre  de 
Rubstitutdu  prociireurgéiiéral  prèsia 
Couiimpcriale  de  Paris.  Les  procu- 
reurs criminels  ayant  été  supprimés 
aucommencemeiitdel8i6,  Vandeu- 
vre  se  concentra  dans  l'exercice  des 
fonctions  de  substitut  du  procureur 
général,  el  porta  en  celte  qualité 
la  parole,  avec  distinction,  dans 
plusieurs  affaires  politiques,  notam- 
ment (2i  février  IMK;)  dans  la  con- 
spiration  dite  de  VEpingle  noire. 


Le  «"juillet  <818,  il  fut  appelé  au 
poste  (le  procureur  général  près  la 
Cour  royale  de  Dijon,  et  quatre  ans 
plustard,le9janvierl822,àladirec- 
tion  du  parquet  de  la  Cour  de  Kouen. 
Enfin,  le  10  juin  1829,  il  fut  promu 
à  la  dignité  de  premier  président 
de  la  Cour  royale  de  LyoD;  mais  ù 
peine  était-il  installé  dans  ces  nou- 
velles fonctions,. que  la  mort  l'en- 
leva le  43  octobre  1829,  dans  sa 
maison  de  campagne  de  Méry-sur- 
Seine,  à  53  ans.  —  Vandeuvre  était 
un  magistrat  ferme,  honorable  et 
éclairé.  Il  avait* signalé  sa  carrière 
judiciaire  par  plusieurs  traits  d'in- 
dépendance dont  nous  citerons  le 
suivant.  Lorsqu'il  était,  en  1820,  à 
la  tête  du  parquet  de  la  Cour  de 
Dijon,  il  crut  devoir  dénoncer  à 
M.de  Serre,  alors  garde  des  sceaux, 
des  abus  graves  dans  l'administra- 
tion de  la  justice  criminelle,  et  pro- 
posa, de  concert  avec  sa  compa- 
gnie, d'utiles  et  urgentes  réformes. 
Le  ministre  répondit  en  termes  durs 
et  impératifs.  Vandeuvre  renvoya 
à  son  chef  la  dépêche  qu'il  en  avait 
reçue,  en  ajoutantque  «  ce  ne  pou- 
vait être  que  par  distraction  qu'il 
avait  signé  une  semblable  lettre.  ^) 
M.  de  Serre  répondit  immédiate- 
ment par  une  lettre  d'excuses  et  de 
félicitations.  Elu  députa  en  1820 
et  en  1824  par  l'arrondisseraont 
de  Bar-sur-Aube,  Vandeuvre  porta 
dans  sa  carrière  législative  le  même 
esprit  d'indépendance  qui  avait  ho- 
noré sa  carrière  judiciaire.  ^(  Tout 
engagé  qu'il  était  dans  l'adminis- 
tration, dit  un  sage  appréciateur, 
il  ne  montra  pour  le  pouvoir  ni 
complaisance,  ni  faiblesse,  ni  sus- 
ceptibililé,  ni  injustice.  »  On  a  de 
lui,  en  dehors  de  plusieurs  écrils 
inédits,  un  discours  de  rentrée 
prononcé  devant  la  Cour  royale  de 
Dijon,  le  10  novembre  1819,  et  un 


VAN 


VAN 


^3 


autre  prononcé  devant  la  Cour  de 
Rouen,  le  5  novembre  1828,  haran- 
gfues  également  remarquables  par 
le  mérite  du  style  et  par  la  noblesse 
des  sentiments.  Voici,  pour  exem- 
ple, avec  quelle  courageuse  éner- 
gie il  dépeint  et  stigmatise,  dans  le 
second  de  ces  morceaux,  l'esprit 
de  parti  politique  :  «  Qui  dit  parti, 
dit  exclusion  de  toute  liberté,  de 
toute  vérité,  de  toute  justice,  de 
toute  conscience.  Quel  que  soit  le 
voile  dont  ils  se  couvrentetlenom 
dont  ils  se  parent,  tous  les  partis  se 
ressemblent.  Tristes  fruits  du  mal- 
heur des  temps,  de  la  perversité  des 
hommes  et  de  l'impuissance  des 
lois,  le  mal  estdansleur  nature  etle 
bien  hors  de  leur  pouvoir.  Condam- 
nés à  n'exister  et  à  ne  périr  que 
par  leurs  excès ,  malheur  à  qui  so 
trouve  sur  leur  passage!  Rien  ne 
les  arrête  tant  qu'ils  ont  une  ré- 
sistance à  vaincre  ou  un  ennemi  à 
perdre.  Insatiables,  ingrats,  jaloux, 
impitoyables,  la  voix  du  sang,  de 
l'amitié,  du  malheur,  n'arrive  pas 
jusqu'il  eux.  Ce  qu'il  y  a  de  géné- 
reux et  d'humain  dans  les  indivi- 
dus, vient  s'anéantir  devant  ces 
masses  impénétrables  à  tout  autie 
sentiment  qu'àcelui d'une  ambition 
cfTrénée,  où  la  force  est  toujours 
au  plus  fourbe  ou  au  plus  violent, 
où  l'ombre  d'un  retour  à  la  raison 
devient  un  cri  me  irrémissible,  et  où 
il  est  impossible  devoir  autre  chose 
qu'une  conjuration  des  passions 
les  plus  désordonnées  et  des  i)lus 
vils  intérêts  contre  les  droits  de  !a 
société  et  les  lois  de  la  justice.  » 
M.  Nault,  son  successeur  au  par- 
quet de  la  Cour  de  Dijon,  a  publié 
une  notice  pleine  d'intérêt  sur  ce 
magistral  recommandable.  (Dijon, 
1829,  in-8«).  A.  B— ÉK. 

VAN  DE  VELDE  (Jean-Fran- 
çois),théologien  belge,  né  à  Ueveren 


(pays  de  Waes},  le  7  mars  il^'S, 
suivit  à  l'Université  de  Louvain  les 
cours  de  dogme,  d'exégèse,  d'élo- 
quence sacrée  et  de  morale,  reçut 
les  ordres  en  17G9,  et,  bien  vu  de 
tous  les  doctes  membres  de  la  fa- 
culté de  théologie,  devint  immédia- 
tement leur  affilié  en  quelque  sorte 
par  le  titre  de  bibliothécaire  dont 
on  s'empressa  de  le  nantir.  Il  eut 
même  part,  comme  suppléant  du 
moins,  aux  fonctions  de  l'enseigne- 
ment théologique  supérieur  ;  car 
nous  le  trouvons  en  1784  faisant 
soutenir,  c'est-à-dire  inspirant  une 
thèse  sur  la  prétention  qu'a  l'Eglise 
de  statuer  sur  les  empêchements 
dirimants  du  mariage.  Celte  thèse 
allait  directement  contre  le  système 
du  docteur  Leplat,  très-ferme  cham- 
pion des  prérogatives  ecclésiasti- 
ques telles  que  les  avait  léguées  le 
moyen  âge  aux  siècles  modernes  et 
concluait  en  qualifiant  la  préten- 
tion d'usurpatrice  et  d'abusive.  Na- 
turellement elle  fat  très-remarquée  ; 
et  il  était  tout  simple  de  voir  chez 
celui  sous  les  auspices  duquel  elle 
se  produisait,  un  fauteur  des  ten- 
dances auxquels  alors  se  livrait 
l'administration  civile  par  ordre 
exprès  de  Joseph  IL  On  sait  com- 
ment cet  héritier  de  Marie -Thé- 
rèse avait  rompu  d'emblée  avec 
toutes  les  traditions  des  Habsbourg, 
y  compris  celles  de  sa  mère,  plus 
doucereuse,  mais  tout  aussi  tenace 
que  Ferdinand  II,  abolissant  par 
centaines  les  couviMits  ({u'il  décré- 
tait inutiles,  éliminant  de  tons  ses 
Etats  l'intolérance,  octroyant  aux 
juifs  presque  toutes  les  libertés 
et  des  garanties,  nommant  de  son 
cher  un  archevêque  de  Milan,  et  en 
fait  ne  voulant  pas  même  de  l'in- 
duit (c'est-a-dire  de  la  permission) 
du  Saint-Siège,  vu  qtie  permission 
implique,   au    fond,    négation   du 


hll 


VAN 


VAN 


droit  qu'on  a  d'agir.  L'on  ne  fut 
donc  pas  étonné  quand,  pour  faci- 
liter des  réformes  de  discipline  re- 
ligieuse dans  les  Pays-Das  autri- 
chiens, l'administration  civile  en 
vint  à  transporter  à  Bruxelles  l'U- 
niversité de  Louvain,  ne  laissant  à 
l'ancienne  cité  universitaire  qu'un 
séminaire,  séminaire  général,  il  est 
vrai,  unique  pour  tout  le  cercle  de 
Bourgogne,  et  d'où  devaient  sortir, 
pétris  par  le  même  enseignement, 
sous  les  yeux  de  la  même  direction, 
tous  les  jeunes  lévites  de  la  pro- 
vince, l'on  ne  fut,  disons-nous, 
pas  très-étonné  de  voir  le  ci-devant 
•bibliothécaire  devenir  le  directeur 
du  Grand-Gollége  (tel  fat  le  nom 
du  nouvel  établissement)  ;  mais  il 
fut  peut-être  permis  de  l'être,  quand 
insensiblement  il  passa  des  idées 
favorables  aux  errements  de  l'em- 
pereur Joseph  au  camp  des  ultra- 
raontains,  d'abord  en  blâmant  quel- 
ques témérités,  en  formulant  de 
simples  réserve?,  puis  arrivant  à 
des  objections  formelles,  puis  les 
entassant  en  forme  les  unes  sur  les 
autres,  puis  se  dessinant  de  jour  en 
jour  un  peu  davantage,  de  manière 
à  prendre  rang  parmi  les  cham- 
pions, parmi  les  ardents  coryphées 
de  la  prépotence  cléricale  et  de 
l'invariabilité  quand  même  de  tout 
ce  que  comprend  la  discipline  ec- 
clési[istique.  (Voy.  Van  der  Noot.) 

Aucuns,  à  Louvain,  à  Bruxelles 
et  ailleurs,  crièrent  soudain  à  la 
palinodie  ;  les  amis  ne  virent  li 
qu'une  évolution  naturelle  de  la 
pensée.  «  Le  savant  conservateur, 
<'  en  pâlissant  sur  le  dépôt  confié  à 
a  ses  soins,  s'était  pénétré  de  do- 
«  cuments  et  d'arguments  nou- 
((  veaux;  il  avait  étanché  sa  soif  de 
«  science  à  des  sources  plus  pures; 
«  un  peu  d'érudition  rend  gallican, 
tf  plus  d'érudition  vous  ramène  aux 


a  doctrines  de  la  Rote.»  Soit  !  tou- 
tefois ,   nous   remarquerons  que, 
presque  d'un  bout  à  l'autre  de  la 
iîelgique, l'opposition  aux  réformes 
de  l'Empereur,  était  devenue  ré- 
bellion flagrante ,  lorsque  Van  de 
Velde  se  mit  à  suivre  la  carrière 
des  opposants,  et  qu'arrivé,  par  la 
docilité   qu'il    avait  laissé   présu- 
mer   être   dans   son  caractère,  à 
la   direction,   très-honorifique  en 
même  temps   et  très-lucrative,  du 
Grand-Collège,  il  se  trouvait  dans 
le  môme  cas  que  Thomas  Becket, 
une  fois  nanti  de  la  mitre  de  Can- 
terbury.  Du  reste,  il  n'eut  pas  la 
peine  d'aller  si  loin  que   Becket. 
Sitôt  que  le  prince ,  trop  franc  et 
trop  brusque  ami  du  progrès,  eut 
expiré  avant  d'avoir  vu  la  fin  de  la 
révolte  belge  (1790),  le  cabinet  de 
Schœnbrunn,  tant  sous  Léopold  II 
que  sous  François  II,  cervelle  de 
plomb  et  cœur  de  glace,  qui  laissa 
périr  sa  tante  (Marie-Antoinette)  et 
détrôner  sa  fille,  était  retombé  dans 
ta  vieille  ornière  autrichienne;  et 
Van  de  Velde  ,   en   déniant   li    la 
puissance  civile  les  droits  inhérents 
à  la  souveraineté,  trouvait  des  fau- 
teurs et  des  panégyristes  parmi  les 
agents  de  la  puissance  civile.  S'il 
tonnait  donc,  ce  n'était  plus  contre 
les  mesures  impériales,  — loutétait 
de  ce  côté  revenu  au  calme  plat, — 
mais  c'était  centre  les  allures  bien 
autrement  redoutables  d'un  souve- 
rain naissant,  qui  ne  se  laissait  pas 
désarçonner  si  facilement,  et  qui 
n'avait  pas   mine  de  lâcher   prise 
quand  il  se  mettait  à  l'œuvre.  Ce 
souverain  c'était  la  nation  française, 
alors  s'essayant  h  la  vie  politique  et 
représentée    par   la   Constituante, 
qui,  sans  essayer  d'y  mettre  autant 
de  formes  que  Louis  XIV  ou  môme 
Philij)pe  le  Bel,   prétendait ,    sous 
prétexte  de  supprimer  des  rouages 


VAN 


VAN 


ko 


coûteux  en  même  temps  qu'inu- 
tiles et  d'être  maîtresse  chez  elle, 
formuler  une  constitution  ecclésias- 
tique obligatoire  pour  tout  le 
clergé  régnicole;  licencier  toute  la 
milice  religieuse  des  couvents , 
réannexer  au  plus  tOl,  si  l'on  pro- 
cédait hostilement  au  Vatican,  le 
Comtat  Venaissin.  Longtemps,  on 
peut  le  deviner,  les  mauvaises  hu- 
meurs, les  sinistres  prophéties  et 
les  anaihèmes  purent  se  donner 
carrière  dans  Louvain  et  toutes  les 
succursales  belges  de  la  papauté  : 
les  assemblées  légiférantes  par  les- 
quelles s'élaborait  la  rénovation  de 
la  France,  n'entendaient  pas  môme 
gronder  ces  petites  foudres  si  voi- 
sines ;  et  Van  de  Velde  put,  ainsi 
que  ses  amis,  lancer  à  satiété  le 
telum  imbelle  sine  ictusdins  (jue  ses 
traits  revinssent  contre  lui.  Il  n'en 
fut  plus  de  même  quand  enfin  les 
hypocrisies  diplomatiques  de  l'Au- 
triche cédèrent  la  place  aux  bruta- 
lités franches.  La  guerre  fut  décla- 
rée en  apparence  à  la  révolution,  en 
-réalité  à  la  France,  que  de  vieilles 
rancunes  comptaient  dépouiller  , 
soit  de  quelques  lambeaux  de 
Flandre  française ,  soit  de  la  Lor- 
raine et  de  l'Alsace,  et  dont  per- 
sonne à  l'étranger  ne  soupçonnait 
que  la  révolution  allait  doubler  et 
tripler  les  forces.  On  sait  à  quoi, 
(lès  le  commencement,  aboutirent 
les  arrogances  de  l'enuemi  :  hon- 
teuse retraite  des  Prussiens,  savante 
retraite  de  Clerfayi  après  Jemmapes, 
mais  retraite  toujours,  préludèrent, 
dès  92  et  93,  à  la  grande  épopée 
de  vingt  ans. Le  président  du  Grand- 
Collège  de  Louvain  crut  bon  de 
mettre  un  intervalle  entre  les 
Français  et  lui.  Ceux-ci  parcou- 
raient triomphalement  la  Belgique, 
sans  que  les  diversions  du  coté  du 
Rhin    les   inquiétassent  sérieuse- 


ment, important  leur  organisation 
nouvelle  avec  l'ardeur  qui  caracté- 
rise la  foi.  Il  alla  donc,  en  1794, 
chercher  un  refuge  en  Hollande,  et 
il  ne  reparut  à  Louvain  qu'en 
août  179o  ,  un  mois  et  quelques 
jours  donc  avant  le  décret  qui 
réunissait  officiellement  le  Luxem- 
bourg et  la  Belgique  à  la  France. Le 
gouvernement  de  la  Convention 
n'avait  plus  rien  alors  de  la  vio- 
lence et  des  formes  inquisition- 
nelles  qu'il  avait  déployées  na- 
guère. Dientùt,  d'ailleurs,  le  Direc- 
ioire  lui  succéda,  ne  demandant 
qu'à  gouverner  sans  collision. 
Est-ce  à  dire  qu'il  abdiquait  les- 
principes  dont  était  sortie  la  révo- 
lution ,  ou  qu'à  l'excès  d'énergie  il 
allait  faire  succéder  la  mollesse  et 
l'abandon  de  soi-même?  Quelques- 
uns  se  l'imaginèrent  et  Van  de 
Velde  fut  du  nombre.  Il  chuchota 
fort ,  s'il  ne  déblatéra ,  et  fort  sou- 
vent sur  la  constitution  civile  du 
clergé ,  ainsi  que  sur  toutes  les 
plaies  dont  l'Eglise  avait  à  gémir 
par  la  prétendue  logique  avec 
laquelle  l'administration  française 
procédait  en  tout  ce  qui  jadis  était 
du  domaine  religieux.  Naturelle- 
ment ces  murmures  avaient  de 
l'écho;  puis,  comme  d'abord  les 
agents  français  n'y  prirent  pas  trop 
garde,  ils  furent  modulés  en  chœur; 
les  malcontents  ,  les  zélés  se  grou- 
pèrent, la  Faculté  de  théologie  en 
vint  à  faire  des  représentations  for- 
melles, lesquelles  tendaient  h  ce 
que  la  loi  française  fût  lettre  morte 
en  Belgique,  quant  à  tout  ce  (|ui 
regardait  l'Église.  Le  Gouvernement 
français,  sitùt  qu'il  vit  les  répu- 
gnances Il  la  veille  de  se  tiaduire 
en  protestations,  ne  balança  point 
ordre  fut  donne  d'arrêter  Van  de 
Velde  qui  passait  pour  le  promo- 
teur de  la  démarche.  L'ordre   fut 


66 


YA^ 


exécuté  au  mois  d'août  1796.  Il 
n'en  eût  sans  doute  pas  éli3  (luitto 
pour  si  peu,  s'il  eût  eu  le  moindre 
{TOùl  pourle  martyre,  lorsqu'après  le 
triomphe  du  Directoire  au  18  fruct. 
sur  l'opposition  desGinq-Centsetdes 
Anciens,  le  contie-coup  du  coup 
d'étal  se  fit  sentir  en  Belgique 
aussi,  et  que  dès  novembre,  les  pro- 
fesseurs de  Louvain  se  virent  en 
masse  condamnés  à  la  déportation. 
L'ex-président  préféra  se  réserver 
pour  des  temps  plus  heureux  :  il 
s'évada.  Mais  ce  ne  fut  plus  la  Hol- 
lande qu'il  choisit  pour  lieu  de 
refuge  :  il  passa  le  Rhin  et  se  mit, 
en  attendant  que  la  Providence 
nous  ravît  nos  conquêtes  et  nous 
refoulûl  en  nos  foyers,  à  parcourir 
la  Germanie.  Au  moins  ne  fut-ce 
pas,  comme  tant  de  ses  coreligion- 
naires politiques,  pour  ameuter  des 
ennemis  contre  nous;  il  redevint  ce 
quM.l  aurait  dû  rester  toujours  , 
l'homme  de  cabinet,  le  savant  :  il 
alla  explorant  les  bibliothèques,  les 
archives,  pour  y  découvrir  des  mo- 
numents relatifs  à  l'histoire  ecclé- 
siastique de  la  Belgique  ;  et  quand 
enfin,  en  1802,  à  la  suite  des  traités 
de  Lunéville  et  d'Amiens,  le  système 
pacificateur  et  réorganisateur  du 
premier  Consul  rouvrit  aux  expa- 
triés de  bon  sens  et  de  bonne  volonté 
la  libre  entrée  de  la  patrie,  comj)re- 
nant  que  la  réorganisation  s'é- 
tendrait jusqu'à  l'Université  de  Lou- 
vain, dont  la  suppression  datait  de 
plus  loin  que  de  l'invasion  fran- 
çaise, il  se  le  tint  pour  dit,  et  il  ne 
songea  pins,  momentanément  du 
moins,  qu'à  distraire  ses  ennuis  en 
utilisant  les  matériaux  recueillis 
pendant  l'exil.  Huit  iinnées  entières 
s'écoulèrent  au  milieu  de  ces  tra- 
vaux, huit  années  qui,  certes,  ne 
furent  pas  les  moins  heureuses  de 
sa  vie.  Vint  1811,  l'année  du  Con- 


VAN 

elle  do  Paris.  L'évêque  do  Gand, 
M.  de  Broglie,  se  l'attacha  et  l'em- 
mena comme  théologien  en  se  ren- 
dant à  l'assemblée.  Là*  bientôt  il 
lut  en  présence  de  la  Commission 
un  mémoire  qui  fit  sensation,  moins 
peut-être  par  les  arguments  invo- 
qués à  l'appui,  que  par  la  hardiesse  ! 
et  la  véhémence  avec  lesquelles 
s'exprimait  l'argumentateur.  Per- 
sonne ne  crut  que  le  lecteur  de 
cette  pièce  d'éloquence  en  eût  été 
le  rédacteur,  bien  qu'on  y  reconnût 
ses  convictions;  et  personne,  lors- 
que l'Empereur  prit  la  résolution 
de  sévir,  ne  fui  surpris  de  voir 
les  portes  de  Vincennes  s'abattre 
sur  le  théologien  comme  sur  le 
prélat,  et  la  mésaventure  de  l'aco- 
lyte accompagner  la  disgrâce  du 
chef  de  file  :  il  est  probable  que 
Louis  XIV  n'eût  pas  fait  moins. 
Celte  séquestration  se  prolongea 
jusqu'en  1814;  et  il  ne  fallut 
pas  moins  que  la  chute  de  Napo- 
léon pour  briser  les  fers  du  cham- 
pion de  l'évêque  de  Gand.  Rendu 
au  sol  natal,  il  espéra  pendajit  un 
temps  voir  renaître  de  ses  cendres 
l'université  de  Louvain.  Mais  c'é- 
tait là  le  moindre  des  succès  dont 
se  préoccupaient  les  sérénissimes 
et  les  augustes  membres  du  congrès 
de  Vienne  :  la  Belgique,  englobée 
avec  les  ci-devant  Provinces-Unies 
dans  cet  état  de  nouvelle  créa- 
tion, le  royaume  des  Pays-Bas  était 
donné  à  un  prince  protestant,  el 
Guillaume  P'.,  tout  déterminé  qu'il 
fût  à  n'user  d'aucune  mesure acerbf 
à  l'égaid  des  orthodoxes,  ne  l'était 
pas  moins  à  ne  pas  favoriser  tout 
ce  qu'il  leur  plairait  de  prétendre  : 
Louvain  resta  donc ,  en  dépit  des 
restaurations  et  des  contre-révolu- 
tions, ce  qu'il  était  depuis  un 
quart  de  siècle  ;  et  s'il  était  écrit 
que,  moins  de  vingt  années  après, 


VAN 


VAN 


kl 


il  reprendrait  à  peu  près  son  an- 
cienne existence,  ses  anciennes  al- 
lures, VandeVelde  ne  jouit  pas  de 
ce  triomphe*.  Sa  mort  eut  lieu  le  9 
janvier  <8â3,  au  lieu  même  de  sa 
naissance.  Ses  dernières  années 
s'étaient  passées  à  préparer  une 
édition  complète  des  actes  de  tous 
les  conciles  de  Belgique,  et  chemin 
faisant  à  lancer  dans  les  recueils 
religieux  des  dissertations  et  des 
opuscules  théologiques  sur  ces 
sujets  qu'il  aimait  tant  à  traiter.  La 
nomenclature  enserait  des  plus  dé- 
\)VAcécsidJ'Amimème  de  la  Religion 
et  du  Roi  (XL,  p.  84),  bien  qu'il  les 
signale  en  gros,  n'ayant  pas  jugé  à 
proi)Os  d'en  rapporter  les  intitulés. 
11  suflira  dj  mentionner  son  tra- 
vail, de'  beaucoup  le  plus  remar- 
quable et  le  plus  volumineux,  celui 
par  lequel  son  nom  a  chance  d'é- 
chapper à  l'oubli ,  quoique  ce  ne 
soit  qu'un  abrégé  ,  ou  même  en 
quelque  sorte  qu'un  «  programme,  » 
comme  disent  les  Allemands.  II  a 
pour  titre  :  Synopiiis  monumcnlorum 
Ecclesiœ  apnd  Belgas,  etc.,Gand, 
1811,  3  vol.  in-8.         Val.  P. 

VAIS  DE  ZANDE,  habitant  de 
Dunkerque ,  avait  navigué  long- 
temps sur  navires  marchands  et 
passait  pour  un  des  premiers  capi- 
taines au  long  cours,  lorsque  l'An- 
gleterre ,  profitant  des  embarras 
que  la  coalition  amoncelait  autour 
de  la  France,  tomba  sur  notre  ma- 
rine el  nos  colonies.  Des  lettres 
(le  mar([ue  ayant  été  sollicitées-  et 
obtenues  du  gouvernement  français, 
un  des  armateurs  ainsi  muni  de 
l'autorisation  d'aller  en  course  fit 
choix  de  Van  de  Zande  pour  lui 
confier  le  comm:indem  ni  d'un  pe- 
tit sloop  de  douze  canons  et  de 
quatre-vingts  hommes.  Il  était  té- 
méraire peut-être,  avec  ce  mince 
é(iuipage  et  ces  ressources  plus  fai- 


bles encore,  de  se  riscfuer  sur  des 
mers  que  sillonnaient  tant  d'esca- 
dres supérieures.  Mais  telle  était  la 
prestesse  des  manœuvres  de  Van  de 
Zande,  que  jamais  il  ne  se  trouvait 
en  présence  de  forces  qui  fussent 
plus  que  le  quadruple  des  siennes; 
et  telles  étaient  sa  bravoure  et  sa 
justesse  de  coup  d'œil,  tant  comme 
militaire  que  comme  marin,  qu'il 
ne  redouta  jamais  le  combat  ou  l'a- 
bordage un  contre  quatre,  et  que  ja- 
mais il  n'eut  lieu  de  s'en  repentir. 
Toujours,  au  contraire,  il  sortait 
de  la  lutte  vainqueur  en  justifiant 
de  plus  en  plus  le  nom  qu'avait 
donné  le  propriétaire  à  sa  coque 
de  noix.  Ce  nom,  c'était  le  Prodige. 
Secondé  par  la  vaillance  à  toute 
épreuve  de  sesgens,  mais  valant  à  lui 
seul  par  son  expérience,  son  talent 
et  son  art  d'électriser  les  hommes, 
tout  un  équipage ,  Van  de  Zande, 
sur  le  Prodige,  opéra  des  prodiges  et 
compta  ses  captures  par  douzaines. 
Sans  contredit,  il  est  des  quatre  ou 
cinq  corsaires  ou  officiers  de  la 
marine  régulière,  qui ,  pendant  la 
longue  lutte  maritime  presque  inin- 
terrompue de  vingt  ans,  firent  le 
plus  de  mal  au  commerce  britanni- 
que. Enl7iJ8  notamment,  ses  suo 
cèssur  l'ennemi  furentsi  multipliés, 
si  hors  ligne,  que  par  ordre  du  Di- 
rectoire, le  ministre  de  la  marine 
lui  écrivit  pour  lui  témoigner  la  sa- 
tisfaction des  chefs  de  l'Ktat.  Z. 
VAiVU,nOiLlN  (  pour  VA!f  Di 
Horn)  ,  ou  même  Van  Iïorn,  un  des 
flibustiers  les  plus  fameux  du  siècle 
qui  vit  fleurir  les  Pierre  Legrand, 
de  Dieppe,  les  Roc  «le  Brésilien  » 
deGrœningue,  les  David,  les  Gram- 
mont,  les  rOlonnais,  était  natit, 
sans  doute,  d'une  des  dix-sept  pro- 
vinces dont  Charles-Qiiini  lii  le 
cercle  de  Bourgogne  ;  mais  était-ce 
d'une  des  Provinces-Unies  qui  su- 


ks 


VAN 


VAN 


rent  secouer  le  joug  de  l'oppresseur 
Philippe  II,  ou  bien  était-ce  de  ces 
Pays-Bas  catholiques  qui  s'accli- 
matèrent si  docilement  aux  coups 
de  cravache  de  toutes  les  Autri- 
ches?  C'est  ce  que  nous  n'entre- 
prendrons pas  de  déterminer  ma- 
thématiquement ;  nul  ne  le  pour- 
rait, et  tout  au  plus  les  conjectures 
sont-elles  permises.  Aux  yeux  de 
quelques  personnes,  peut-être,  la 
forme  très-néerlandaise  du  nom  et 
la  haine  du  héros  pour  l'Espagne 
militeront-elles  en  faveur  de  la 
première  opinion.  Mais  qui  nous 
empêche  de  répondre  —  à  la  pre- 
mière raison,  que  Liège,  Maes- 
tricht,  Anvers,  sont  pleins  de  De 
Jlorn,  Van  de  Ilorn,  ou  autres 
noms  semblables; —  à  la  seconde, 
que  le  pirate  affiche  plus  la  haine 
qu'il  ne  l'éprouve;  qu'il  la  singe, 
ou  qu'il  se  ligure  la  sentir,  quand 
vient  à  souffler  en  lui  quelque 
bourrasque  de  dégoût  ou  de  honte 
du  métier  ;  que  c'est  un  pavillon 
qu'il  arbore  pour  dissimuler  sa  ra- 
pacité, ses  frénésies  et  ses  crimes. 
Ce  n'est  pas  tout  :  si  c'est  sur  l'Es- 
pagne, à  la  fin ,  que  portèrent  surtout 
Jes  coups  de  Vaiid  llorn  ses  débuts 
avaient  eu  lieu  le  plus  souvent  aux 
dépens  de  la  Hollande  (  donc  com- 
pensation!); puis  diverses  circon- 
stances de  sa  vie  semblent  le  re- 
lier à  la  ville  d'Ostende ,  non  sans 
quelque  nuance  de  prédilection  de 
sa  part.  C'est  donc  poui;  celte  ville 
ou  ses  environs  que  nous  incline- 
rions, s'il  nous  fallait  incliner  d'un 
côté  plulô*.  que  d'un  autre,  ou,  du 
moins,  pour  les  possessions  catho- 
liques e>j)agnoles  (dont  la  Flandre) 
plutôt  (îue  pour  les  Proviuces- 
UniijN.  Quelle  (ju'ait  été,  du  reste, 
la  Tille  ou  la  bourgade  qui  le  vit 
naître,  très-probablement,  il  était 
d'obscure  naissance,   car  il  com- 


meni;a  sa  carrière  maritime  dans 
les  plus  humbles  rangs. 

Môme  incertitude  sur  l'époque 
précise  de  sa  naissance*  que,  toute- 
fois, d'après  les  autres  dates  cer- 
taines de  sa  vie,  nous  croyons 
devoir  porter  par  approximation  à 
1635.  Psul  détail  non  plus  sur  son 
enfance  ,  nul  sur  son  éducation. 
La  première  position  dans  laquelle 
il  s'offre  à  nous,  c'est  celle  de  ma- 
telot. Fut-il  mousse?  Rien  ne  nous 
en  informe.  Est-ce  jeune  qu'il  em- 
brasse la  vie  de  mer?  Nous  le  pré- 
sumons ;  mais  rien  ne  le  prouve. 
Seulement  nous  espérons  ne  pas 
nous  trouver  seul  de  notre  avis,  le 
choix  de  la  profession  de  marin 
ayant  évidemment  été  de  sa  part 
l'explosion  d'une  vocation, 'peu  tar- 
dive sans  doute ,  ce  qu'expliquent 
tout  naturellement,  nous  ne  disons 
pas,  a  taille  athlétique  (il  était  petit 
plutôt  que  grand),  mais  sa  force 
musculaire,  son  énergie,  qualités 
dont  si  souvent  le  marin  trouve 
occasion  de  faire  usage.  Il  n'y  joi- 
gnait qu'à  mince  degré  cette  obéis- 
sauce  passive,  ressort  essentiel  du 
service;  et  il  ne  tolérait  ce  régime 
de  fer  qu'à  la  condition  de  l'impo- 
ser aux  autres,  mais  non  de  le  su- 
bir lui-même.  D'ailleurs  il  se  sen- 
tait la  capacité  comme  le  désir  de 
commander  :  il  avait  la  soif  du 
gain,  la  soif  des  aventures,  la  soif 
du  plaisir;  carguer  la  voile  et 
prendiedes  ris,  faire  une  épissure 
ou  manier  le  gouvernail,  lui  sem- 
blaient des  divertissements  on  ne 
peut  plus  monotones ,  et  il  avait 
plus  goût  à  manier  le  mousqueton 
et  le  sabre  d'abordage.  La  marine 
marchande  ne  pouvait,  on  le  voit, 
oflrir  ni  fruit  ni  perspective  à  sem- 
blables aspirations.  Il  en  résulta 
que  bientôt  il  ne  regarda  plus  les 
pacifiques  navires  des  épiciers  et 


VAN 

marchands  de  harengs,  leurs  ar- 
mateurs, que  de  l'œil  dont  le  vieux 
loup  de  mer  regarde  les  marins 
d'eau  douce.  Plein  de  grands  pro- 
jets, très-vagues  encore,  mais  qui 
tous  revenaient  à  ne  pas,  jusqu'au 
branlebas  final,  boucher  les  écou- 
tilles,  éponger  le  lillac,  grimper 
le  long  des  haubans  et  lorgner  du 
haut  des  huniers  la  plaine  liquide, 
il  comprit  qu'il  devait  d'abord  se 
former  un  petit  pécule.  Sans  lest, 
pas  de  navigation.  Il  amassa  deux 
cents  écus.  En  combien  de  temps, 
et  quel  était  son  âge  quand  il  se 
trouva  muni  de  ce  mince  commence- 
ment de  capital? Ne  risquons  d'hy- 
perbole ni  pour  ni  contre  la  célé- 
rité de  ses  procédés  et  la  dose  de 
bonnes  chances  qui  purent  lui  ve- 
nir en  aide:  nous  admettons  com- 
me vraisemblable  qu'il  s'engageait 
li  vingt  ans  (donc  vers  16:io),  qu'il 
commençait  à  se  voir  en  tonds  à 
vingt-quatre  (soit  1659),  lorsqu'il 
quitta  son  bord  afin  de  réaliser  ses 
plans.  Un  de  ses  camarades,  Fran- 
çais sans  doute,  en  avait,  en  partie 
du  moins,  reçu  communication  et 
devait  les  seconder.  C'est  à  l'heure 
de  l'exécution  qu'on  reconnaît  de 
quelle  trempe  sont  les  hommes. 
Les  deux  matelots  quittèrent  en- 
semble leur  navire,  et  ensemble 
se  rendirent  en  France.  Ensemble 
même  ils  obtinrent  du  gouverne- 
ment une  commission  pour  croi- 
ser. Mais  l'instant  venu  d'user  de 
l'autorisation,  les  deux  amis  ces- 
sèrent de  naviguer  de  conserve: 
soit  pour  garantir  des  hasards  de 
mer  les  épargnes  de  toute  sa  vie, 
soit  pour  se  préserver,  lui,  des 
hasards  de  la  balle,  l'allié  de  la 
veille  préféra  rester  h  la  côte. Plus 
hardi  de  sa  personne  et  de  sa  cas- 
sette, plus  impatient  du  repos,  plus 
raccoleur,  le  Flamand  fil  l'acquisi- 

LXXXV 


VAN 


li9 


tion  d'un  petit  bâtiment  d'allure 
équivoque,  y  plaça  de  vingt-cinq 
trente  hommes  bien  armés,  encore 
plus  résolus,  puis  accoutra  sa  fe- 
louque en  bateau  pêcheur,  pour 
mieux  donner  le  change  sur  ce  qu'il 
était.  Nombre  de  petites  embarca- 
tions hollandaises  y  furent  prises, 
et  en  peu  de  temps.  Toujours  heu- 
reux dans  les  attaques  â  tout  mo- 
ment réitérées,  toujours  adroit  au- 
tant qu'expéditif  à  vendre  ses  pri- 
ses, à  réaliser,  à  partager,  il  en 
vint  à  pouvoir  acheter  un  navire 
de  guerre  dans  les  chantiers  d'Os- 
tende.  Ses  captures  alors  devinrent 
plus  importantes  :  il  ne  craignit 
plus  de  s'attaquer  aux  bâtiments 
du  plus  fort  tonnage  et  même  à 
plusieurs  à  la  fois;  il  devint  Tépou- 
vantail  du  commerce  néerlandais  ; 
et,  capitalisant  sans  cesse,  bien  que 
le  luxe  ni  la  générosité  ne  man- 
quassent pas  chez  lui,  il  sévit  à  la 
tête  d'une  petite  flotte. 

Ici  commence,  en  quelque  sorte, 
une  autre  période  de  la  vie  de 
Vand  Ilorn  ;  la  seconde,  celle  que 
nous  appellerons  la  période  mixte. 
Conliani  en  ses  forces,  il  s'occupa 
peu  de  faire  rafraîchir  son  permis 
de  corsaire;  et  bien  qu'une  paci- 
fication eiit  donné  aux  épées  belli- 
gérantes l'ordre  de  rentrer  au  four- 
reau, il  continua  ses  expéditions 
trop  fructueuses  pour  que  ses  co- 
partageanls  en  perdissent  l'habitude 
au  premier  signe  de  la  diploma- 
tie, et  prétendant  que,  —  qiu^lsque 
fu>sent  les  anachronismes  dont  son 
équipage  pourrait  se  rendre  coupa- 
ble, —  ces  peccadilles,  simples  es- 
comptes sur  l'avenir,  ou  l'en  remer- 
cierait unjour,  la  paix  n'étant  qu'une 
trêve,  et  tous  les  Etals,  d'ailleurs, 
ayant  pour  morale,  engéncral,  que 
tout  est  permis  contre  l'ennemi,  et 
en   |)articulicr,  que  la  course   sur 


50 


VAN 


VAN 


mer  est  aussi  lé?:ale,  aussi  glorieu- 
se, aussi   splendide  que  l'invasion 
sur  terre.  Oui,  l'une  vaut  l'autre; 
c'est  précisément  l'avis  de  tous  les 
penseurs  :  seulenif'nt  ils  demandent 
si  l'autre  est  splendide,   est  noble, 
est  juste.   Vand  Ilorn   n'élait  pas 
un  utopiste  :    la  course  éiait  ad- 
mise  en  principe   et    en   lait,    à 
certaines   réserves   près,    pour  le 
temps  comme   pour  les  lieux  ;    il 
trouva  le  principe  selon  son  cœur, 
puisqu'il  otîrait  un  débouché  à  ses 
qualités  tumultueuses,   un  théâtre 
à  sa  bravoure,  une   perspective  à 
son  ambition   et  à  sa  fièvre  de  ri- 
chesse, et  il  trouvâmes  réserves  trop 
subtiles  pour  lui.  Cependant  les  per- 
missions qui  légalisent   le  pillage 
en  mer  lui  revinrent  d'elles-mê- 
mes, ces  permissions  qu'il  n'ambi- 
tionnait  pas.  Les  gouvernements 
civilisés    rux-mêmes   savaient    ce 
nom  formidable  de  Vand  llorn  ;  et 
le  ministère  de  France,  entre  au- 
tres, crut  faire  un  coup  de  mîiîtie, 
lors  des  hostilités  qui  suivirent  la 
mort  de  Philippe  IV,  en  lui  déli- 
vrant une  commission  îi  l'effet  de 
poursuivre  les  navires   espagnols. 
C'était,   on    le  voit,   en  1006;    et 
l'on  doit  voir  aussi  que  cette  date, 
qui  coïncide  avec  l'apogée,  ou  peu 
s'en  faut,  des  prospérités  de  notre 
pirate  s'harmonise  avec  toutes  cel- 
les  que  nous  avons  placées   plus 
haut  par  conjecture. Vand  Horn  s'en 
acquitta    en    conscience  :  il  fit  la 
chasse  aux  galions  avec  un  entrain 
que  couronna  plus  d'un  facile  suc- 
cès; et  entre  galion  et  galion,  il  ne 
néî;ligea  point  les  cargaisons    les 
moins  opulentes,  les  cacaos  et  les  va- 
nilles, les  cochenilles  et  le  bois  de 
campèche,   bien  qu'il  fût  de  mode 
parmi  ses  pareils,  dansleurssorties 
contre  le  négoce,  de  ne  reconnaî- 
tre comme  gain   valant  la  peine 


d'être  ramassé  que  les  métaux  ou 
monnayables  ou  monnayés  ayant 
cours.  Il  parcourut  ainsi,  toujours 
heureux  et  terrible,  presque  toutes 
les  côtes  de  l'Amérique  et  de  l'A- 
frique ;  il  enrichit  ou  mit  ;i  même 
de  s'enrichir  tous  les  aventuriers 
que   groupait   autour  de   lui  son 
renom  sans  cesse  croissant,  et  lui- 
même  amassa   des  sommes  énor- 
mes. Il  n'eût  tenu  qu'à  lui  de  pren- 
dre jeune  encore   ses  invalides , 
quand  la  signature  du  traité  d'Aix- 
la  -  Chapelle   vint ,  tacitement  au 
moins,  inviter  tous  les  auxiliaires 
de   la  France  à    rengainer.   Mais 
Vand  Horn  trouva  que   cet  ordre 
était  bon  pour  les  épées,  non  pour 
les  anspects,  quelairiagnanimilédu 
roi  se  tenait  pour  suffisamment  ven- 
gée sur  terre,  mais  que  par  mer 
ses  ennemis  avaient  encore  besoin 
de  quelques  coups  de  garcette  ;  que 
de  temps  immémoiial   pirater  était 
licite  au  delà  de  la   ligne...  Pour- 
quoi pas  aux  environs  ?  Pourquoi 
pas,  etc.,  etc.?  Assez  longtemps  il 
mit  en  pratique,  sans  que  l'on  eût 
faif  de  s'en  préoccuper,  ce  système 
commode  et  particulièrement   lu- 
cratif en  ce  que  les  infortunés  na- 
vigateurs,   se  croyant  abrités  par 
les  traités,  négligeaient  de  se  faire 
convoyer.    La  France  se  bornait  à 
désavouer  son  trop  tenace  cham- 
pion. Les  choses  pourtant  en  vin- 
rent à  ce  point,  que  tout  de  bon  et 
même  avec   accompagnement    de 
menaces,  non-seulement  on  lui  si- 
gnilia  le  retrait  de  sa  commission, 
mais  qu'on  le  somma  d'en  remettre 
l'instrument.  Il  ne  répondit  à  ces 
injonctions  (lue  par  des  tergiversa- 
lions  vaincs  comme  celles  dont  on 
a  pu   voir  féchantillon  plus   haut, 
puis    par   des   déprédations     plus 
fréqucntfs  et   plus  ouvertes,   dans 
lesquelles  même  il  lui  advint  de  se 


VAN 


VAN 


51 


tromper  sur  la  nationalité  de  ses 
victimes  et  de  piller  un  navire 
français.  Cette  insulte  eut  du  re- 
tentissement à  Vers?>illes,  et  ordre 
fut  donné  par  le  ministre  de  la  r,  a- 
rine  à  l'amiral  d'Estrées,  qui  com- 
mandait la  flotte  française  dans  les 
eaux  des  Antilles  de  capturer  l'iu- 
discip'inable  Vand  Horn.  L'on  y 
réussit,  et  l'on  n'y  réussit  pas.  En 
d'autres  termes,  tout  fm  voilier 
qu'était  son  brick,  sou  sloop,  ou 
quel  que  soit  le  nom  dont  nous 
décorions  son  trois-màts,  traqué 
par  un  gros  navire  français  plus 
tin  voilier  encore,  qu'avait  détaché 
d'Estrées,  il  se  vit  serré  de  si  près, 
(|ue ,  voyant  l'impossibililé  d'é- 
chapper, soit  par  stratagème,  soit 
à  force  de  voiles,  il  prit  le  i).irti  de 
descendre  dans  sa  chaloupe  et  d'al- 
ler tenter  auprès  du  capitaine,  si- 
non une  apologie  tout  à  fait  ma- 
thématique, du  moins  des  excuses 
qui  pussent  intéresser  un  l>rave  en 
faveur  d'un  brave,  et  l'amener,  en 
vertu  de  ce  que  l'on  appelle  au  bar- 
reau «  les  circonsiancc's  atténuan- 
tes ); ,  à  ne  pas  se  saisir  de  sa  per- 
sonne... Le  voilà  donc  pris!  s'é- 
crieia  chacun.  .  .  Mais  non,  le 
caplureurn'osi  consommer  son  ou- 
vrage. D'abord,  il  est  vj-ai,  l'élo- 
quence de  notre  écumeur  de  mer 
ne  fut  sur  lui  ni  convaincante  ni 
persuasive  :  l'obstiné  Français  ne 
voulut  pas  £6  laisser  démonirer 
que  huit  et  huit  font  cinq;  et,  se 
renlerrrant  dans  la  lettre  <le  ses 
instructions,  il  lui  déclara  qu'il  ne 
pouvait  se  dispenser  de  le  retenir 
et  de  l'amènera  l'amiial,  qui  déci- 
derait s'il  fallait  ou  non  l'expédier 
en  France.  En  effet,  on  était  en 
tra-n  de  lever  l'ancre!  Là,  la  scène 
(hange. —  «  En  France?  »  s'écria 
Vand  liorn,  la  tèle  haute  et  la  lèvre 
frémis-sante  comme  un  Turc  que 


déborde  la  colère.  «  Nous  n'y  serons 
jamais  nous  deux,  capitaine!  Vous 
connaissez  donc  bien  peu  les  dia- 
bles de  Vand  Horn  pour  vous  imagi- 
ner que  ces  vieilles  moustaches 
vont  se  laisser  escamoter  le^r  com- 
mandant comme  une  bli-gue  à  ta- 
bac et  sans  vous  lâcher  un  peu  de 
fumée  par  la  face?  Ou  je  suis  bien 
trompé,  ou  dès  ce  moment  ils  sont 
en  train  de  bourrer  leurs  pipes 
gaillardement  culottées.  Voici  long- 
temps déjà  qu'ils  tiennent  la  lu- 
nette braquée  sur  votre  pont.  Te- 
nez, les  entendez-vous  qui  vous  hè- 
lent, qui  vousredemandent,  d'autres 
diraient  leur  «  parlementaire  »  {cj^r 
c'est  en  parlementaire  que  je  suis 
à  votre  bord,  capitaine,  et  me  gar- 
der c'est  violer  le  droit  des  gens)  ; 
ils  disent,  eux,  «  leur  camarade  », 
auquel  ils  tiennent.  Je  connais  les 
allures  de  mes  vieux  loups  de  mer  : 
quand  ils  hurlent,  c'est  qu'ils  ont 
déjà  aiguisé  leurs  crocs.  N'en  dou- 
tez pas,  le  branle-bas  de  combat 
est  terminé;  voilà  mon  second,  un 
Vand  Ilorn  et  demi,  ceiui-là,  qui 
donne  le  signal.  Gare  la  bordée  ! 
et  ensuite  gare  l'abordage  !  »  Et, 
en  effet,  déjà  le  navire  pirate  était 
en  marche,  déjà  les  aventuriers, 
armés  jusqu'aux  dents  et  la  hache 
à  la  main,  étaient  ranges  sur  le 
pont,  prêts  à  l'abordage  ;  d'autres, 
aux  caronades  et  aux  canons, 
avaient  lancé  les  premiers  boulets. 
Le  capitaine  civilisé,  à  l'aspect  de 
ces  hommes  de;  bronze  et  de  fer, 
qui  tous  semblaient  déterminés  à 
tout  plutôt  qu'à  ne  passe  voir  ren- 
dre immédi;)tement  leur  comman- 
dant, comprit  qu'au  fait,  quoiciuc 
sujM^rieur  par  la  force  de  son  na- 
vire et  par  le  nombre  de  ses  hom- 
mes, la  partie,  s'il  osait  l'engager, 
ne  serait  pas  égale,  vu  qu'il  ne  |)0u- 
vait  compter  de  la  part  des  siens 


52 


VAN 


sur  cette  audace  désespérée  et  sans 
bornes  que  respiraient  les  regards 
flamboyants  des  corsaires.  Il  réflé- 
chit que  ses  ordres  ne  lui  enjoi- 
gnaient pas  de  s'emparer  a  tout  prix 
du  terrible  pirate,  et  d'exposer  à 
des  périls  imminents  un  vaisseau  de 
l'Ëtat.  Il  se  demanda  comment  le 
prendrait  le  conseil  de  guerre  s'il 
revenait  les  mains  vides  et  sur  une 
de  ses  chaloupes,  après  que  les  bri- 
gands, vainqueurs  ou  vaincus,  au- 
raient fait  sauter  son  bâtiment.  Il 
pressentit  l'aphorisme  talleyran- 
desque,  si  cher  à  notre  siècle  et  si 
bien  à  notre  taille  :  «  Surtout  pas 
de  zèle  !  »  Il  écouta  d'un  air  moins 
atrabilaire  les  mielleuses  assurances 
de  l'hétéroclite  orateur,  qui  promit 
plus  de  circonspection  pour  l'ave- 
nir et  un  peu  moins  de  prompti- 
tude à  s'imaginer,  quand  la  cargai- 
son promettait,  que  le  pavillon 
français  était  un  leurre  à  l'aide  du- 
quel se  cachait  l'Espagnol,  et  il  le 
laissa  retourner  à  son  bord ,  heu- 
reux d'être  quitte  à  si  bon  marché 
de  cette  contre-épreuve  de  Louis  XI 
à  Péronne.  On  peut  être  sûr  que 
ce  péril  si  lestement  esquivé  n'a- 
jouta pas  peu  au  prestige  dont  ses 
antécédents  l'avaient  revêtu ,  et 
que  plus  que  jamais  il  fut  regardé 
comme  invulnérable,  comme  inem- 
prisonnable,  comme  ingardable, 
Teût-on  mis  en  prison.  Le  miracle 
cependant  était  bien  simple  :  avant 
de  quitter  son  bord ,  il  avait  com- 
mandé les  dispositions  nécessaires 
à  un  engagement  au  cas  où  il  ne 
serait  pas  de  retour  îi  un  moment 
fixé,  et,  tout  en  semblant  ne  viser 
qu'à  se  justifier,  il  avait  jeté  dans 
l'âme  de  l'officier  quelques  germes 
de  déf-ouragemenl  sur  ce  qu'il  ad- 
viendrait s'il  ne  revenait  qu'avec  de 
la  gloire  et  pas  de  navire. 
De  ce  moment,  où  la  France  se 


VAN 

montre  si  nettement  résolue  et 
prête  à  mordre  (1683),  date  une 
troisième  et  dernière  phase  pour 
Yand  Ilorn  :  c'est  la  dernière  et  la 
plus  courte,  trois  ans  à  peine.  Il  n'est 
plus  que  pirate  ;  il  prend  rang,  sans 
masque  aucun,  parmi  les  flibustiers. 
Il  ne  s'attaque  plus  au  pavillon 
français,  et  il  cingle  sur  cette  ligne 
équivoque  où  l'amirauté  versail- 
lienne  ne  l'avoue  ni  le  désavoue; 
mais  gare  à  tout  ce  que  n'abrite  pas 
notre  pavillon ,  si  la  cargaison  mérite 
le  coup  de  pistolet!  Gare  notamment 
aux  galions! 

Il  ne  peut  être  ici  question  de 
suivre  pied  îi  pied  Vand  Horn  dans 
toutes  ses  expéditions  ;  mais  il  en 
est  deux  que  nous  ne  saurions  pas- 
ser sous  silence. 

La  première  eut  lieu  très-peu  de 
temps  après  l'épisode  qui  nous  l'a 
montré  frisant  de  si  près  la  capti- 
vité, le  jugement.  Informé  que  plu- 
sieurs galions  du  roi  d'Espagne  at- 
tendaient à  Porto-Rico  l'occasion 
d'une  escorte  pour  se  rendre  en  Eu- 
rope, et  attendaient  depuis  long- 
temps, Vand  Ilorn  imagine  de  se 
rendre  droit  à  Tile  et  à  la  capilale 
de  ce  nom  ;  il  entre,  les  voiles  hau- 
tes et  au  son  des  trompettes,  dans 
le  port ,  et  il  offre  au  gouverneur 
ses  services  et  sa  flotte  pour  con- 
voyer les  galions.  Chose  extraordi- 
naire! Que  rofficier  de  S.  iM.  ca- 
tholique eût  l'innocence  de  la  co- 
lombe ou  que  le  pirate  eût  î»  triple 
dose  la  malice  du  serpent,  l'Espa- 
gnol se  laissa  prendre  à  ce  filet. 
Vand  Horn  eut  l'art  de  faire  sonner 
haut  et  par  les  siens  et  lui-même 
ses  prises  récentes  sur  les  Français, 
feignit  contre  eux  une  animosité 
irréconciliable,  et  comme  gage  de 
la  fidélité  qu'il  jurait  au  roi  d'Es- 
pagne, fit  valoir  le  besoin  qu'il  avait 
désormais  d'un  protecteur  si  puis- 


VAN 


VAN 


53 


Hant,  lui  brouillé  à  mort  avec  la 
Grande-Bretagne,  avec  la  Hollande, 
avec  Louis  XIV.  Sans  autres  garan- 
ties que  ces  belles  paroles,  le  gou- 
verneur de  Porlo-Rico  crut  devoir 
saisir  aux  cheveux  la  merveilleuse 
occasion  qui  s'otîrait  ii  lui  d'acqué- 
rir à  son  pays  un  défenseur  intré- 
pide et  laissa  les  galions  quitter  le 
port  sous  la  conduite  de  Vand  Ilorn. 
Il  arriva  ce  qui  devait  arriver. 
Vingl-quatre  et  quelques  heures  à 
peu  près  se  passèrent  sans  événe- 
ments. Survinrent  ensuite  un, 
puis  deux,  puis  trois  bâtiments 
inférieurs,  peu  inquiétants  par  eux- 
mêmes,  mais  qui  tous  étaient  à  Vand 
Horn  et  qui  formaient  comme  une 
flottille.  Une  fois  les  Antilles  Gran- 
des et  Petites  laissées  en  arrière, 
la  flottille,  en  diminuant  son  cercle, 
cerna  l'appétissante  proie  argenti- 
fère ;  uu  engagement  eut  lieu  qui  ne 
dura  que  peu  d'instants  :  quelques 
galéasses  ou  péniches  espagnoles 
sombrèient:  les  navires  les  plus  pe- 
samment chargés  tombèrent  aux 
mains  des  vainqueurs,  qui  même  dé- 
daignèrent de  donner  la  chasse  au 
reste.  On  ne  peut  douter  que  celte 
prouesse  n'ait  valu  de  quinze  cent 
mille  francs  îi  deux  millions  aux 
flibustiers. 

Le  second  fait  d'armes  hors  ligne 
qui  nous  reste  à  conter  est  de  iG83. 
C'est  plus  qu'un  simple  coup  de 
main.  Ce  fut  le  résultat  d'habiles 
calculs  et  de  combinaisons  très- 
heureusement  servies,  c'est  vrai, 
par  le  hasurd,  mais  qui  n'eussent 
pas  sorti  leur  effet  sans  l'excellence 
des  mesures.  Las  de  ne  tomber  que 
sur  des  navires,  il  osa  projeter  de 
prendre  la  ville  marchande  la  plus 
opulente  de  l'Amérique  se|)lentrio- 
nale,  la  seconde  capitale  du  Mexi- 
que, Vera-Cruz,  plus  riche  même 
que  Mexico.   Ce  n'est  pas,  assure- 


1-on,  qu'il'en  voulût  précisémen  taux 
habitants  de  Vera-Cruz  ;  au  con- 
traire, il  est  reconnu  qu'ils  payèrent 
pour  d'autres  dont  il  prétendait 
avoir  à  se  plaindre;  ces  autres,  c'é- 
taient les  colons  de  Saint-Domin- 
gue avec  lesquels  il  avait  voulu  se 
mettre  en  relations  commerciales, 
et  qui  s'étaient  conduits  plus  que 
lestement  la  son  égard ,  vendant 
sous  prétexte  de  représailles  des 
nègres  qu'il  leur  avait  donnés  en 
commission  et  retenant  le  prix. 
Pour  eux,  c'était  aller  sur  ses  bri- 
sées et  trancher  du  forban.  Il  jura 
de  se  venger  n'importe  sur  qui,  ce 
dont  ils  affectèreht  de  beaucoup 
rire  ;  et  Vera-Cruz  fut  victime.  Ses 
moyens  pour  arriver  au  succès  fu- 
rent combinés  avec  un  art  et  un 
raflinement  sans  égal.  D'abord  il 
sut  parfaitement-  et  comprendre  et 
s'avouer  que  seul,  avec  son  équi- 
page ,  il  courait  risque  d'échouer 
dans  son  entreprise.  Par  d'habiles 
suggestions,  il  sut  associer  à  ses 
plans,  en  ne  leur  laissant  cependant 
({ue  le  second  rôle ,  d'autres  chefs 
renommés  aussi ,  impérieux  aussi, 
jaloux  aussi  :  les  Laurent,  les  Mi- 
chel, les  Grammont;  et  là,  il  faut 
le  dire,  quoique  la  perspective  du 
pillage  fût  et  une  amorce  et  un  lien 
commun ,  il  lui  fallut  non  moins 
de  talent  diplomatique  pour  nouer 
ralliance  et  amadouer  les  suscepti- 
bilités, que  plus  lard  il  ne  dut  dé- 
ployer d'asiuce  et  d'esprit  de  res- 
sources pour  consommer  l'œuvre. 
Laui-eul  était  pi((ué  surtout  de  s'être 
vu  comme  couper  l'herbe  sous  le 
j)ied  par  la  capture  du  gros  na- 
viie  espagnol  la  Ilourguc,  dont  il 
convoitait  les  trésors  et  (pie  Vand 
Ilorn  avait  conquis  d'emblée,  tandis 
qu'il  se  morfondait  en  prépar:itifs. 
Vand  Ilorn  n'avait  agi  si  cavalière- 
ment que  pour  abréger  ses  tergi- 


54 


VAN 


VAN 


versations  et  le  décider.  Mais  Lau- 
rent bouda,  Laurent  prit  le  large, 
et  Vand  Ilorn  dut  en  quelque  sorte 
le  poursuivre  jusqu'à  Rotang;  et 
quand  il  l'eut  joint,  dut  subir  ses 
rebuffades,  jusqu'à  ce  qu'enfin  il 
l'eût  convaincu  d'une  part  que  la 
Hourgue  n'avait  rien  contenu  qui 
valûtlapeine  d'être  pris,  de  l'autre, 
que  coopérer  à  ses  plans  contre 
Vera-Cruz  était  le  seul  moyen  pour 
lui  de  s'indemniser  de  ses  perles, 
soit  imaginaires,  soit  réelles,  et  de 
réparer  le  temps  perdu.  Finalement 
l'éloquence  de  Vand  Ilorn  triompha, 
et  l'irascible  Laurent  écoula  la  rai- 
son, mais  non  sans  garder  rancune 
à  celui  dont  l'ascendant  le  domi- 
nait. De  retour  avec  son  allié,  dé- 
sormais son  ennemi  intime,  Vand 
Horn  au  Petit-Goave,  préluda,  par 
la  revue  générale  de  ses  forces,  à 
rexécution  de  l'entreprise  :  douze 
cents  aventuriers  étaient  autour  de 
lui,  tous  hommes  d'élite  quanta  la 
vigueur  et  au  courage,  tous  expé- 
rimentés et  habitués  à  ne  reculer 
devant  aucune  difficulté,  comme  k 
ne  rougir  d'aucun  excès.  La  troupe 
entière  fut  distribuée  sur  deux  vais- 
seaux, pour  ne  pas  donner  l'éveil. 
On  se  dirigea, toujours  par  suite  du 
même  systém  •,  vers  l'emplacement 
de  la  vieille  Vera-Cruz.  Le  débar- 
quement eut  li^u  entre  onze  heures 
et  minuit.  La  garde  sur  ce  point  ne 
consistait  qu'en  une  seule  vigie 
(une  élévation  sur  laquelle  sont  une 
guérili;  et  une  sentinelle).  La  sen- 
tinelle fut  égorgée  ,  et  les  forbans 
n'eurent  plus  qu'à  s'avancer  en  bon 
ordre  et  en  silence  jusque  sous  les 
murs  de  la  ville  convoitée ,  pour  y 
attendre  sans  être  aperçus  l'ouver- 
ture des  portes.  Tout  se  passa 
comme  ils  le  pouvaient  souhaiter  ; 
nul  ne  les  déeouviil,  les  portas 
s'ouvrirent  comme   d'ordinaire    à 


l'aurore;  les  aventuriers  s'y  préci- 
l)itèrent,  et  bientôt,  non  pas  sans 
coup  férir,  non  pas  sans  quelques 
moments  de  violence  et  de  massa- 
cre, se  trouvèrent  virtuellement 
maîtres  de  la  ville.  La  première  ré- 
sistance navait  duré  qu'un  quart 
d'heure  ou  vingt-cinq  minutes ,  et 
celle  qui  devait  se  produire  un  peu 
plus  lard  n'avait  pas  plus  de  chan- 
ces. Le  capitaine  Laurent,  à  la  tête 
de  ce  que  les  aventuriers  nommaient 
eux-mêmes  «  les  enfants  perdus,  » 
marcha  sur  la  citadelle  ,  s'en  em- 
para presque  immédiatement ,  et, 
soit  pour  accroître  l'épouvante,  soit 
pour  célébrer  leur  commune  vic- 
toire, lit  tirer  le  canon.  L'infortu- 
née population  de  Vera-Cruz  dor- 
mait encore  presque  tout  entière. 
Beaucoup  de  ceux  qu'éveilla  le 
bruit  crurent  d'abord  que  le  gou- 
vernement voilait  célébrer  par  des 
salves  d'artillerie  quelque  fête  ex- 
traordinaire. Bientôt  détrompés,  ils 
tentèrent  d'avoir  recours  aux  ar- 
mes et  de  se  défendre.  C'est  alors 
que  commença  la  véritable  lutte, 
c'est  alors  que  les  forbans  se  livrè- 
rent au  carnage  avec  fureur.  Leur 
triomphe  ne  devait  pas  longtemps 
rester  douteux;  ils  avaient  pour  eux 
tous  les  avantages:  le  concert,  l'ha- 
bitude ,  la  position  prise,  l'événe- 
ment accompli.  La  boucherie,  car 
ce  n'était  plus  un  combat,  la  bou- 
cherie neseserait  arrêtée  que  quand 
p:^s  un  des  habitants  n'aurait  été 
vivanî.  Us  consentirent  à  cesser 
des  efforts  inutiles  et  à  se  rendre. 

Leurs  armes  leur  furent  enlevée  s, 
on  les  déclara  prisonniers,  et  pour 
prison  on  leur  donna  la  grande 
églis(^,  de  la  ville;  mais,  comme  leur 
nombre  était  de  beaucoup  supé- 
rieur à  celui  de  leurs  vainqueurs, 
et  (ju'ils  avaient  fait  preuve  de  plus 
debnivouroqueron  n'eût  dû  croire, 


VAN 


VAN 


55 


on  prit  contre  leur  sortie  possible 
une  précaution  décisive  :  à  chaque 
porte  du  saint  édifice  furent  dispo- 
sées des  charges  de   poudre  aux 
quelles  aboutissaient    des  mèches 
avec  des  traînées  de  poudre,  et  des 
hommes  rejoins,  placés  à  chaque 
point  d'où  pariîiit  un  de  ces  cordons 
menaçants,  étaient  chargés  dy  met- 
tre !e  feu  au  premier  instant  d'alar- 
me. Très-convaii^cus  du  sérieux  de 
ces  préparatifs,  les  réfugiés  se  rési- 
gnèrent cl  ne  tentèrent  poini  de 
s'éloigner  de  leur  lieu  d'asile.  Heu- 
reux  s'ils  en  eussent   été  quittes 
pour  la  frayeur,  ou  même  quittes 
pour  le  pillage   de  tout  ce  qu'ils 
avaient  laissé  chez  eux  de  portatif 
et  de  valeur  ou  d'agrément.  Il  ne 
faut  pas  demander  si  tout  fut  raflé 
en  peu  d'heures,  argent  et  or  d'a- 
bord, puis  bijoux,  puis  marchan- 
dises de  défaite  facile,  cochenille, 
rhum,  sucre,  etc.,  etc.  Les  forbans 
ne   pouvaient  songer  à  garder  la 
ville  pour  eux  et  pour  en  faire  le 
chfcf-lieu  de  leur   répubTuiue  na- 
vale ;  ils  ne  pouvaient  même  sans 
danger  imminent  y  rester,  comme 
qu(;lques-uns  d'entre  eux  le  vou- 
laient, un  mois  entier  pour  dévali- 
st»r  plus  à  fond;  car  à  tout  instant 
j)Ouvaient  venir  et  fondre  sur  eux 
les   milices   voisines,    rashcmblées 
sous  quelque  chef  ayant  ou  prenant 
le    droit  de  leur   commander;    et 
maintenant  qu'ils  étaient  nantis,  ils 
avaient  plus  à  perdre  qu'à  gagner. 
Ils  se  décidèrent  donc,  non  sans  un 
immense    regret  à  faire   retraite, 
Mais  auparavant  il  vint  en  pensée 
aux  plus  avises  d'entre  eux  que  t^aus 
doute  les  fugitifs  ne  s'étaient  pas  ren- 
dus du  «  10  home  «  au  pied  des  au- 
tels les  mains  vides,  et  ils  vouluicni 
leur  faire  payer,  comme  le  disaient 
jadis  les  Turcs,  le  «  radial  du  coupe- 
ment  de  latéte.  •  Quatre  prêtres  ou 


religieux  allèrent  porter  leur  de- 
mande, c'est-à-dire  leuis  ordres,  aux 
malheureux  qu'une  imprudence, 
une  tergiversation  même  pouvait 
perdre,  et  leur  prêchèrent,  nous  ne 
savons  sur  quel  texte  biblique,  mais 
très-certainement  en  l'assaisonnant 
du  Beneficium  latronis  non  ocdderc 
de  Cicéron,  la  nécessité  d'en  Unir 
au  plus  vite  avec  leurs  avides  visi- 
teurs. Entre  la  confirmation  et  U 
péroraison  apparurent  les  quêteurs, 
et  chacun  édifié  remit,  qui  ses  pias- 
tres, qui  ses  quadruples...  les  ma- 
ravédis  n'avaient  pas  cours.  On 
recueillit  par  cette  voie  deux  cent 
mille  écus,  glanage  a^sez  modique 
aprèâ  la  moisson  de  six  millions  de 
francs  auxquels  se  montait  le  bu- 
tin ramassé  dans  les  intérieurs  de 
la  ville.  Les  Douze  Cents  cependant 
ne  le  dédaignèrent  pas  et,  chargés 
de  ce  dernier  trophée,  ils  reprirent 
la  mer.  On  eût  dit  que  le  bonheur 
voulait  les  suivre  jusqu'au  bout: 
ils  tombèrent,  à  peu  de  distance  de 
la  grande  cité  qu'ils  venaient  de 
piller,  au  milieu  de  dix-sept  voiles 
espagnoles,  et,  chose  étonnante,  ils 
traversèrent  cette  escadre  sans  être 
inquiétés  et  sans  l'inquiéter  eux- 
mêmes...  Ils  savaient  qu'elle  con- 
tenait presque  exclusivement  des 
marchandises,  et  point  ou  peu  d'ar- 
gent. 

Tel  iut  le  plus  frappant  des  ex- 
ploits de  VandlIorn.On  ne  peut  s'é- 
tonner de  la  populai'itê  sans  bornes 
dont  son  nom  fui  entouré  après  ce 
succès,  d'autant  plus  qu'il  n'y  survé- 
cut guère,  et  qu'aux  simples  récils, 
bientôt  les  Aventuriers  eurent  a 
mêler  des  regrets. 

Voici,  du  reste,  comment  on  ra- 
conïesa  fin.  Suivant  les  uns,  sa  hau- 
teur, s.  morgue,  et  plus  encore  sa 
brusque  iniempeiance  de  langage 
froissaient  ses    rivaux    de  gloire; 


56 


VAN 


VAN 


et  c'est  pour  cela  que,  froissé  do 
quelques  propos  assez  insultanls, 
le  capitaine  Laurent,  sur  la  dé- 
nonciation d'un  Anglais  qui  joue 
un  triste  rôle  en  cette  affaire,  lui  en- 
voya un  cartel.  Aux  yeux  d'autres, 
que  nous  croyons  plus  près  du  vrai, 
le  capitaine  Laurent  avait  toujours 
sur  le  cœur,  si  ce  n'est  la  supério- 
rité qu'avait  déployée  sur  lui  Vand 
Horn  dans  tous  les  détails  de  la 
mise  en  action  de  son  projet,  du 
moins,  le  tour  qu'il  lui  avait  joué 
en  se  levant  plus  malin  que  lui  pour 
tomber  sur  la  Uourcjue.  Inde  irœ... 
Vand  Horn  prit  même  la  peine  de 
démentir  le  propos  que  lui  prêtait 
l'Anglais.  Tout  fut  inutile  :  Laurent 
ne  répondit  qu'en  tirant  Tépée;  et 
le  cartel  eut  lieu  sur  la  baie  du 
Sacrifice,  à  sept  ou  huit  kilomètres 
de  Vera-Cruz.  Vand  Horn  y  fut  bles- 
sé dangereusement  au  bras.  Il  put 
regagner  son  navire  cependant.  Mais 
l'extrême  chaleur  de  celte  zone  tro- 
picale, l'insuflisance  de  la  science 
médicale  de  rempiri(jue  ([u'il  pou- 
vait avoir  îi  bord,  l'irritation,  le 
rhum,  tout  concourait  à  rendre  sa 
blessure  mortelle.  Le  bâtiment  d'ail- 
leurs était  chargé  de  trop  d'esclaves 
et  les  vivres  étaient  insuflisants.  Plu- 
sieurs victimes  d'abord  tombèrent, 
puis  vint  le  typhus,  qui  bientôt  en 
tripla  le  nombre.  Le  commandant, 
fut  emporté  à  son  tour,  le  quin- 
zième jour.  H  fut  inhumé  à  la  baie 
de  Logrelte,  à  près  de  douze  kilo- 
mètres du  cap  de  Catoche,  dans  le 
Yucatan,  et  h  plus  de  huit  cents 
de  Vera-Giuz.  Bien  qu'il  ne  se  re- 
fusât pas  le  luxe  et  (juil  aimût  à 
paraître  en  splendides  costumes, 
toujours,  ou  peu  s'en  faut,  jiortant 
sur  lui  des  rubis  de  dimensions 
extraordinaires  et  une  rivière  de 
perles  digne  d'un  rûdjà  hindou,  il 
laissa  des  richesses  énormes,  dont 


sa  veuve  vint  jouir,  et  jouit  long- 
temps, à  Ostende.  Son  nom  resta 
longtemps  un  épouvanlail  et  faillit 
passer  k  l'état  de  légende  parmi 
les  Espagnols  du  Nouveau-Monde  ; 
et  la  surprise,  le  pillage  de  Vera- 
Cruz  y  furent,  tant  que  les  flibus- 
tiers existèrent,  ce  qu'avait  été  au 
seizième  siècle  le  sac  de  Rome  par 
les  routiers  du  connétable  de  Bour- 
bon, à  ceci  près,  que  les  flibus- 
tiers, comparativement  ^  ceux-ci, 
se  montrèrent  humains,  et,  en  pre- 
nant le  plus  possible,  égorgèrent 
le  moins  possible.  Val.  P. 

VAINDI  (Santo),  peintre  de  por- 
traits, surnommé  Santino  da'  Ritrat- 
Ti,  naquit  J»  Bologne  en  1633,  et 
fut  élève  du  Cignani.  Peu  d'artistes 
de  son  époque  peuvent  entrer  avec 
lui  en  comparaison  pour  le  talent, 
la  grâce,  l'exactitude  avec  laquelle 
il  sut  exprimer  la  physionomie  de 
ses  personnages,  surtout  dans  ses 
portraits  de  petite  dimension  dont 
il  ornait  des  tabatières  et  même 
des  bagues.  Tout  le  monde, jusques 
aux  princes,  recherchaient  ses  ou- 
vrages avecempressement.il  mérita 
l'estime  particulière  du  grand-duc 
de  Toscane  Ferdinand  et  du  duc 
Ferdinand  de  Mantoue,  qui  le  re- 
tint à  sa  cour  où  il  lui  lit  une  pen- 
sion. Après  la  mort  de  son  protec- 
teur, Vandi  retourna  à  Bologne, 
mais  sans  pouvoir  jamais  s'y  fixer, 
étant  sans  cesse  appelé  tantôt  dans 
une  ville,  tantôt  dans  une  autre, 
pour  y  recevoir  de  nouvelles  de- 
mandes. Cette  vie  errante  l'empê- 
cha de  former  des  élèves ,  et 
avec  lui  périt,  dit  le  Crespi,  cette 
manière  de  faire  le  portrait  avec  un 
si  bel  emj)Atemenl  de  couleurs  tout 
de  force  et  tout  de  naturel  à  la  fois. 
Il  mourut  îi  Lorette  en  1716.     Z. 

VAlVI)Vi:K(Ili:Nui-SToi.:),i)0<'le 
anglaisj  qui  sans  encourii-  le  ridi- 


VAN 

cule,  première  et  poignante  puni- 
tion de  qui  se  fai  t  prendre  en  flagrant 
délit  de  titres  usurpés,  put  accoler 
à  ses  noms  la  qualification  d'es- 
quire,  naquit  à  peu  près  à  la  même 
époque  que  Byron  et  ne  lui  survécut 
que  trois  ans.  Une  longue  et  dou- 
loureuse maladie  avait  brisé  tous 
les  ressorts  de  son  être,  quand  la 
mort,  en  1828,  à  Bromplon,  vint 
le  délivrer  d'une  existence  qui  n'é- 
tait plus  qu'un  fardeau.  Il  avait  dé- 
buté dans  la  carrière  littéraire  par 
ses  Portraits  poétiques  qui  firent 
({uelque  sensation.  Il  donna  ensuite, 
en  société  avec  Bowiiig,  V Anthologie 
hatave,  œuvre  d'érudition  élégante 
et  de  goût  plus  qu'œuvrc  d'art,  mais 
indispensable  pour  quiconque  veut 
à  peu  de  frais  et  sur  pièces  pro- 
bantes, se  faire  une  idée  nette  du 
caractère  et  de  la  valeur  d'une  lit- 
térature étrangère  nécessairement 
très-peu  connue  hors  de  la  contrée 
qui  la  produisit.  Divers  recueils, 
entre  autres  le  London  Magazine, 
possèdent  de  lui  des  morceaux  poé- 
tiques. L'année  môme  qui  précéda 
sa  mort,  etdéjà  souffrant,  il  publiait 
encore  la  Gont/o/e  (Londres  1829), 
collection  de  contes  et  d'esquisses 
en  prose,  qu'on  ne  peut  feuilleter 
sans  regretter  le  décès  trop  préma- 
turé du  narrateur.  Z. 

VA>'  ESPEN  (Voyez  Espes,  — 
Biographie,  t.  xiii,  p.  3. 

VANEL.  laborieux  historien,  ii 
qui  Voltaire  a  porté  malheur  en 
omettant  de  porter  son  nom  sur 
l'ample  liste  des  écrivains  et  hom- 
mes de  lettres  par  laquelle  il  ouvre, 
ou  peu  s'en  faut,  son  siècle  de 
Louis  XIV  ,  ne  méritait  vraiment 
pas  cet  oubli.  Ce  dut  être,  s'il  faut 
en  juger  par  le  choix  des  sujets 
qu'il  affectionne,  un  assez  jovial, 
assez  hardi,  on  dirait  volontiers  un 
assez  excentrique  compagnon.  C'é- 


VAN 


57 


tait  pourtant  un  magistrat,  sinon 
un  grave  magistrat  :  la  Cour  des 
comptes  deMontnellier  le  comptait 
parmi  ses  membres.  Cette  qualité 
ne  l'empêcha  pas  de  faire  paraître 
à  Paris,  en  1 683,  en  2  volumes  in-12, 
auxquels  sans  doute  il  se  promettait 
de  donner  des  jumeaux  :  une  His- 
toire du  temps  ou  Journal  galant. 
C'était  sans  doute  un  peu  moins 
scabreux  qu'une  controverse  sur  la 
révocation  de  Tédit  de  Nantes,  mais 
c'était  encore  jouer  un  peu  gros 
jeu.  Le  Grand  Alcandre  s'était  fâ- 
ché tout  rouge  dans  le  temps  contre 
Bussy  ;  l'ancienne  amie  de  Ninon, 
quoique  l'indiscret  ne  drapât  là 
que  d'ex-rivales  ou  d'ex-proteclri- 
ces,  pouvait  se  dire  :  «  Voilà  pour- 
tant comment  je  serai  traitée  di- 
manihe  !  »;  ^t  la  Bastille  avait  tou- 
jours des  loirements  de  reste  à  l'u- 
sagedequine savait,  pour  employer 
l'expression  de  Louis  XIV  dans  ses 
avis  à  Saint-Simon,  «  tenir  sa  lan- 
gue. ■>  Le  conseiller  avait  bien  pris 
la  précaution  de  ne  signer  que  V., 
et  même  il  n'avait  adjoint  à  cette 
iniliiile  que  trois  yu  lieu  de  quatre 
étoiles.  Mais  c'étaient  là  des  voiles 
bien  transparents  pour  l'occurrence. 
Aussi  de  sages  amis  admonestèrent- 
ils  à  qui  mieux  mieux  le  téméraire, 
et  à  leur  instigation  prit-il  le  parti, 
afin  que  l'éponge  put  être  passée 
sur  ses  méfaits,  de  bâcler  au  plus 
vile  quelque  élucubraiion  édifiante 
qui  piU  être  en  harmonie  avec  les 
nouvelles  tendances  de  l'OEil-de- 
Bœuf  et  qui  méritât  les  indulgen- 
ces. Comme  il  s'agissait  d'arriver 
vite  et  que  pourtant  il  fallait  assis- 
ter aux  audiences,  il  se  contenta 
d'abord  du  rôle  de  traducteur.  L'ou- 
vrage dont  il  fit  choix  ne  man(|uail 
pas  d'intérêt,  c'était  V Histoire  des 
conclaves  depuis  Clément  V  (le  pre- 
mier, on  le  sait,  des  poniilés  avi- 


58 


VAN 


VAN 


gnon.iis) ,  Paris,  1689,  in-4".  Écrit 
en  Italie  par  un  Italien,  il  ne  pou- 
vait manquer  de  révéler  quantité 
de  circonstances  peu  connues  de  ce 
cùté-ci  des  Alpes,  du  moins  pour 
tout  ce  qui  suit  la  réini>tal!ation  du 
Saint-Siéi^e  à  Rome  ;  et  quand  on 
se  rappelie  les  perpétuels  démêlés 
de  Louis  XIV  avec  les  successeurs 
de  Chigi,  on  comprend  combien  le 
livre  se  recommandait  par  le  mérite 
de  Tà-propos.Les  réimpressions  se 
succédèrv  ni  rapidement  pour  un 
travail  de  ce  g:enre.  Dès  1694,  la 
seconde  édition  paiaissait  à  Lyon, 
2  vol.  in-12,  augmentée  de  trois  nou- 
veaux conclaves;  et  Fréchot  (ou  sui- 
vant l'opinion  vulgairejadis,  aujour- 
d'hui rép:diée  d'après  Barbier  et 
Quérard,  le  baron  de  Luyssen)  en 
donnaità  Cologne  une  troisième  édi- 
tion en  2  vol.  in-8%  accompagnée 
de  figures.  Notre  intention  n'est 
pas  d'offrir  ici  une  nomenclature 
complète  des  œuvres  de  Vanel.  Mais 
pour  achever  de  donner  une  idée 
nette  et  de  ses  tendances  et  dos  ser- 
vices qu'il  a  pu  rendre  aux  études 
historiques ,  nous  remarquerons, 
d'une  part,  qu'il  a  travaillé  comme 
compilateur  et  abréviateur  le  plus 
souvent  sur  bon  nombre  d'his- 
toires étrangères  [Angleter.  e  ,  Es- 
pagne ,  Turquie,  Hongrie,  en  tout 
de  18  à  20  volumes,  dont  les 
les  six  (ou  sept)  derniers,  relatifs 
à  la  topographie  et  à  la  physiono- 
mie générale ,  non  moins  qu'aux 
troubles  eonlemporains  de  la  Hon- 
grie, ont  été  longtemps  ce  que  la 
France  avait  de  plus  exact  et  de 
plus  complet  sur  ee  pays,  et  qu'il 
avait  été  contraint  d'altérer  par 
prudence]  ;  de  l'autre ,  que  re- 
grettant toujours  le  sujet  de  son 
choix  par  lequel  il  avait  débuté 
dans  l'arène,  et  voulant,  k  l'ins- 
tar  de   Juvénal,  essayer  à  défaut 


des  actualités  interdites  à  sa  verve, 

LiciUun  qnid  adesset  in   illos 

Quorum  Flaminia  tegitiir  civis  atque  latina, 

il  se  rabattit  sur  les  pnecdotes  clan- 
destines et  plus  ou  moins  inaper- 
çues ou  enfouies  des  âges  passés, 
et  finalement  se  trouva  en  état  de 
publier  doux  nouveaux  volumes  qui 
forment  pendant  à  VHisloire  du 
temps,  dont  voici  le  litre  :  Galan- 
teries des  rois  de  France  depuis  le 
commencement  de  la  monarchie,  Bru- 
xelles, 1 094.  On  en  trouve  des  exem- 
plaires qui  portent  pour  nom  de 
lieu  et  pour  millésime  :  Cologne, 
i685-1698,  et  que  nous  regardons 
comme  un  simple  rafraîchissement 
de  l'édition  de  Bruxelles.  Ce  n'est 
pas  que  les  réimpressions  aient 
manqué;  il  s'en  est  fait  une  2*  édi- 
tion en  Hollande,  mais  avec  la  fausse 
indication  :  Paris,  1731,  1738,2  v. 
in-8°,  augmentée  des  Amours  des 
rois  de  France  de  Sauvai ,  —  puis 
une  3«  à  Cologne,  1740,  2  vol.  in- 
42,  sous  le  titre  de  Les  Intrigues 
galantes  de  la  cour  de  France  de- 
puis le  commencement  de  la  monar- 
chie jusqu'à  présent,  —  une  4^  enfin 
sous  le  titre  primitif,  Cologne  (Pa- 
ris), 1653,  3  vol.  in- 12.  Très-pro- 
bablement le  conseiller  en  la  Cour 
des  comptes  de  Montpellier  ne  fut 
pas  témoin  de  tous  les  hommages 
rendus  à  son  idée.  Tout  porte  a 
croire  qu'il  survécut  peu  d'an- 
nées à  Kl  première  apparition  de  ce 
qu'il  regardait  comme  son  Exegi 
monumentum.Ce  monument  ne  brille 
plus  guère  et  n'est  plus  guère  fré- 
quenté depuis  que  Dreux  du  Ra- 
dier a  repris  et  mieux  encadré, 
comme  mieux  traite,  le  même  su- 
jet dans  ses  lleines  et  favorites.  Mais 
il  y  aurait  de  l'iniquité,  de  l'ingra- 
titude à  ne  pas  se  souvenir  qu'à 
Vane!  appartient  la  priorité  comme 


VAN 


VAN 


59 


explorateur  d'un  malheureusement 
trop  riche  fllon  de  l'histoire  na- 
liouiile.  Val.  P. 

VAN-GEER  (Charles).  Vovez 
GEER,  t.  XVIII,  p.  19. 

\AS  IIEEL  (Daniel),  peintre 
hfiige,  souvent  cité ,  n'est  guère 
connu  que  par  ses  œuvres  et  ne  pré- 
sente que  peu  de  tr..its  au  biogra- 
phe, qui,  toutefois,  peut  induire  de 
là  que  sa  vie  ne  fut  pas  accidentée 
comme  celle  de  tant  de  ses  con- 
frères, et  qu'il  la  passa  paisible- 
ment ou  dans  ses  foyers  ou  près  de 
là,  sans  opulence  éclatante,  mais 
loin  aussi  de  la  détresse  et  des  pri- 
vations ou  déceptions  amères.  Son 
caractère  paraît  avoir  été  des  plus 
calmes,  et  son  coup  d'oeil  moral  des 
plus  sages.  Tout  ce  que  l'on  sait  de 
lui  sur  témoignage,  c'est  qu'il  vil 
le  jour  à  Bruxelles  en  1 607,  et  que, 
lorsque,  cessant  de  peindre  sous  un 
maître,  il  se  mit  à  voler  de  ses  pro- 
pi'es  aiies,  provisoirement  il  se  livra 
au  paysage,  et  que  même  il  obtint 
dans  cette  voie  des  succès  qui  pou- 
vaient le  séduire  en  lui  présentant 
la  perspective  duu  heureux  ave- 
nir; mais  que,  récalcitrant  aux  il- 
liisions  et  se  liant  peu  au  prisme 
sous  lequel  les  artistes  voient  trop 
fréquemment  les  faits  les  plus  gra- 
ves de  la  vie  quotidienne,  il  dressa, 
pour  s'éclairer  sur  ce  qu'il  conve- 
nait le  mieux  de  faire,  en  quelque 
sorte  la  stalisticjue  de  lart  en  Bel- 
gique et  dans  les  zones  circonvoi- 
sines,  et  qu'a  la  suite  de  cette  vue 
synoptique  du  présent ,  concluant 
(|u"il  lui  serait,  en  réalité,  ou  im- 
possible ou  dilïicile  au  plus  haut 
degré  d'avoir  la  palme  sur  des  ri- 
vaux dejk  renommés  et  favorisés  de 
la  vo,:;iie  comme  paysagistes,  il  crut 
bon  d'adopter  uiui  spécialité  diffé- 
rente; il  eu  choisit  une  sinj;uliere, 
une  i;ire  du  moins,  et  qui,  cerle>, 


n'était  pas  usée  :  ce  fut  celle  des 
incendies.  Il  se  fit  bientôt  un  public 
d'admirateurs  enthousiastes  et  pas- 
sionnés, autant  qu'il  peut  y  avoir 
de  passion  et  d'enthousiasme  chez 
les  Néerlandais,  par  les  qualités 
qu'il  déploya  dans  le  genre  dont 
on  peut  le  regarder  comme  le  créa- 
teur; non-seulement  sa  louche  est 
vive  et  légère,  il  gradue  merveilleu- 
sement sa  lumière,  il  verse  k  Tin- 
iini  et  avec  imagination  les  détails, 
il  dispose  ses  plans  de  composition 
avec  autant  de  goût  que  de  clarté; 
tout  en  lui  décèle  et  respire  la 
«  maestria.  »  Aussi  la  vérité  poi- 
gnante des  scènes,  la  magie  descou- 
leurs, font-elles  sur  quiconque  con- 
temple ses  tableaux  une  impression 
profonde  ;  on  dirait  que  sa  toile 
flamboie,  que  les  langues  de  feu 
pointent  dans  l'atmosphère,  que  les 
éditices  vont  crouler;  il  ne  manque 
que  le  craquement  et  la  chaleur. 
On  vante  parmi  ses  plus  beaux  ou- 
vrages ,  l'embrasement  de  Sodome 
et  rincendie  de  Troie.  Nous  regret- 
tons qu'il  ne  lui  soit  pas  venu  en 
tète  de  nous  montrer,  s'abîmant 
ainsi  dans  les  flammes,  le  temple 
d'Éphèse  et  le  palais  dePersépolis, 
et  Rome  même,  en  un  mot  ces 
grands  spectacles  au  milieu  desquels 
proémine  dans  les  ruines,  et  mora- 
lement au-dessus  des  ruines,  l'in- 
cendiaire passé  à  l'elat  de  dilettante 
en  incendie.  L'on  pourrait  aussi 
regretter  que  de  nos  jours  cette 
spécialité  se  trouve  comme  aban- 
donnée. Les  sujets  ne  manquaient 
pas  pourtant,  et  les  incendiaires 
non  plus,  à  commencer  par  Moscou 
et  le  prince  Rostopchine.  La  preuve, 
au  reste,  quiî  Van  Heel  aurait  été 
de  toute  manière  n  giaud  peintre, 
et  que  s'il  abandonna  la  spécialité 
paysagi  sque,  ce  ne  fut  pas  faute 
d'y  pouvoir  réussir,  c'est  cet  admi- 


60 


VAN 


VAN 


rable  paysage  qui  formait  un  des 
plus  beaux  ornements  du  cabinet 
du  prince  Charles  de  Lorraine,  à 
Bruxelles,  et  que  les  connaisseurs 
comparaient  à  tout  ce  qu'ont  pro- 
duit de  plus  parfait  les  premiers 
maîtres  en  ce  genre.        Val.  P. 

VAiVHOVE,  acteur  de  mérite, 
plus  estimable  que  brillant,  était 
de  la  Flandre  française,  où  nous 
présumons  qu'il  naquit  entre  1736 
ou  1740.  Il  se  maria  en  Hollande, 
et  quelque  temps  il  habita  La  Haye. 
Bien  qu'étant  très-jeune  encore,  il 
prit  le  parti  du  théâtre;  il  ne  joua 
jamais  en  litre  les  jeunes  premiers, 
et  il  ne  tarda  pas  h  s'accommoder 
de  remploi  de  père  noble,  dont  il 
s'acquittait  à  Lille  avec  assez  de 
succès.  L'idée,  alors,  lui  vint  qu'il 
pouvait  aspirer  à  remplacer  Bri- 
zard,  auquel  en  etfet  il  ressemblait, 
les  uns  se  contentent  de  dire  un  peu, 
les  autres  disent  merveilleusement. 
Son  heureuse  étoile  lui  fit  trou- 
ver des  appuis,  il  obtint  un  or- 
dre de  début,  et  il  fit  son  appari- 
tion sur  la  scène  des  Français  le 
2  juillet  1777:  quelques  applaudis- 
sements récompensèrent  ses  efforts. 
Il  en  obtint  davantage  dans  Bali- 
veau, dans  Eup.liémon  père,  dans 
d'Orbesson  du  Père  de  famille  ^ 
dans  Licidas  du  Glorieux,  aux- 
quels d'ailleurs  &e  joignirent  les 
rôles  tragiques  de  Danaiis  dans 
Hypermneslre  et  de  Zopire.  Fina- 
lement, il  fut  admis  comme  socié- 
taire il  la  clôture  de  177U.Si  quel- 
ques-uns des  votants  conicslorent 
(l'abord,  jamais  depuis  la  compa- 
gnie n'eut  qu'il  se  féliciter  de  son 
acquisition.  Non  -seulement  Van- 
hove  était  le  meilleur  camarade,  le 
plus  égal,  le  plus  doux,  le  plus 
obligeant,  le  plus  exen.pt  de  mor- 
gue et  de  prétention;  mais,  comme 
rouage   d'un  inécani.'^me ,   comme 


pièce  d'un  mouvement,  il  était  le 
plus  consciencieux  et  le  plus  exact 
des  hommes.  Jamais  de  refus,  ja- 
mais d'obstacles,  jamais  de  décli- 
natoires;  jamais,  par  sa  faute,  un 
projet  de  représentation  ne  fut  re- 
mis ou  abandonné;  jamais  un  rôle 
ne  lui  sembla  mesquin,  ingrat,  in- 
digne de  lui  :  qu'il  lui  fût  avanta- 
geux ou  non,  qu'il  mit  l'acteur  en 
lumière  ou  dans  l'ombre,  c'est  ce 
dont  il  ne  s'embarrassait  en  aucune 
façon...  Qu'est-ce  qui  devait  le 
plus  aider  au  succès?  telle  était 
la  seule  question  qu'il  se  posait, 
tel  était  son  principe.  Heureux  se- 
raient les  directeurs  qui,  dans  leurs 
relations  administratives  quotidien- 
nes, ne  rencontreraient  que  des 
Vanhove  !  Mais  trop  souvent  les 
grands  talents  sont  moins  ductiles 
et  moins  pénétrés  de  l'idée  du  de- 
voir. Non  pas  que  nous  voulions 
insinuer  que  le  talent  lui  manquât. 
Gela  s'est  dit  et  redit,  sans  doute... 
On  a  bien  prétendu  aussi  qu'il  était 
trop  grand  et  trop  obèse  !  Ni  l'un, 
ni  l'autre  n'est  vrai.  Sa  taille  ne  dé- 
passait pas  les  huit  cent  trente  ou 
trente-cinq  millimètres  en  sus  du 
mètre;  et  cette  hauteur  modérément 
supérieure  à  la  moyenne,  ajoutait 
à  l'autorité  de  sa  physionomie. 
Quant  ii  l'embonpoint,  tant  qu'il 
ne  laissa  pas  trop  ii  distance  la  se- 
conde jeunesse,  il  pressentit,  il 
cultiva  l'art,  si  recommandé  par 
Brillât,  de  fixer  son  abdomen 
au  majestueux.  Eh  bien  !  ceux-là 
n'ont  pas  vu  plus  juste  au  moral 
qu'au  physique,  qui  se  sont  donné 
le  tort  de  déprécier  Vanhove.  Il 
était  naturel  au  suprême  degré;  il 
avait  de  la  chaleur  et  de  la  sensi- 
bilité; son  émotion,  il  la  commu- 
ni(iuait  au  public  ,  i)arce  qu'elle 
était  vraie.  Qu'il  n'en  résulte  pour 
nous  ni  le  devoir   ni   le  droit  de 


VAN 


VAN 


61 


l'assimiler  à  ces  artistes  qui  furent 
les  maîtres  de  la  scène,  soit  !  Il  n'a- 
vait pas  suffisamment  de  distinction, 
et  la  majesté  qu'il  prêtait  aux  mo- 
narques et  aux  grands  personna- 
ges rappelait  un  peu  trop  celle 
d'un  bourgmestre  néerlandais  ; 
sa  voix  était  empâtée,  sa  diction 
lourde  et  monotone.  Il  pleurait 
trop  aisément,  il  tournait  au  pa- 
terne. Aussi  n'était-ce  pas  dans  la 
tragédie  qu'il  brillait  :  il  aimait,  il 
avait  étudié  à  fond  le  rôle  d'Au- 
guste, mais  à  sa  façon...  Il  ignorait 
qu'Auguste  n'était  pas  du  tout  ma- 
jestueux. Un  poète  du  temps,  en 
caractérisant  les  diverses  notabili- 
tés de  la  comédie  française,  a  dit 
de  lui  : 

Vanhove  plus  heureux,  psalmodie  h  mon  gré.  . 
Oiitl  succès  l'attendait,  s'il  eiU  été  curé  ! 
Sa  petite  paroisse,  au  sermon  réunie, 
Eut  souvent  de  Jésus  partage  l'agonie. 

Le  trait  est  juste  et  bien  touché. 
Somme  toute,  cependant,  ce  n'est 
pas  une  raison  pour  prétendre  que 
«  le  père  Marly  et  lui  faisaient 
la  paire  ».  Vanhove  est  digne  d'ê- 
tre nommé  immédiatement  après 
Brizard  et  Sarrazin ,  et  a  laissé 
un  souvenir  comme  père -noble. 
Il  a  créé  des  rôles,  celui  de 
Courval  notamment  dans  YEcole 
des  Pères,  en  1787.  On  l'admirait 
h  juste  titre,  dans  le  Géronle  du 
Menteur  y  exprimant  son  indigna- 
tion, son  horreur  mêlée  de  mépris 
pour  l'abominable  caractère  du  hé- 
ros de  la  pièce;  il  arrivait  au  pa- 
thétique, et  une  fois  ou  deux  peutr 
Pire  il  atteignit  presqui?  le  sublime  , 
lors(}ue,  diins  Eugénie,  la  douleur 
paternelle  de  Ilarlley  fait  explosion. 
Le  don  Diègue  du  vieux  Corneille 
était  aussi  une  de  ces  ligures  qu'il 
excellait  Ji  représenter,  et  de  même 
le  vieil  Horace.  On  sent  (pi'il  s'i- 


dentifiait de  cœur  avec  ces  nobles 
natures.  Aussi  le  rôle  de  Félix  fut- 
il  un  de  ceux  qu'il  lui  était  le  plus 
pénible  d'aborder  :  il  ne  s'en  con- 
solait en  quelque  sorte  qu'en  sa- 
turant ses  regards  du  spectacle  de 
sa  fille  dans  le  personnage  de  Pau- 
line, antipathique  à  tous  les  vils 
calculs  et  faisant  rejaillir  comme 
une  auréole  de  réhabilitation  sur 
son  père.  Il  allait  le  rejouer  ce- 
pendant; le  Théâtre  Français,  après 
avoir  laissé  longtemps  dormir  le 
chef-d'œuvre,  qui  n'avait  d'autre 
tort  que  d'être  qualifié  de  pièce  sa- 
crée, s'était  décidé  à  le  reprendre, 
lorsque  tout  à  coup  Vanhove  tom- 
ba malade.  On  crut  d'abord  que 
quelques  jours  suffiraient  pour 
guérir,  et  lorsque  enfin,  l'aflection 
ne  cédant  pas,  on  procéda  néan- 
moins à  la  représentation,  on  mit 
sur  l'affiche  ,  à  la  suite  du  nom  de 
l'acteur  seul  chargé'du  rôle  de  Fé- 
lix :  «  Par  indisposition  de  Van- 
hove. »  Mais  le  remplaçant  put 
garder  l'emploi  :  très-peu  dt:  jours 
après,  Vanhove  mourait  sans  avoir 
revu  la  scène  (  3  messidor  an  ii  ). 
Ceux  qui,  soit  au  théâtre,  soit  hors 
du  théâtre,  s'étaient  souvent  per- 
mis de  le  traiter  à  la  légère,  s'a- 
perçurent de  ce  qu'il  valait  alors 
qu'il  ne  fut  plus  là  :  ou  n'entendait 
plus  que  «  le  bon  Vanhove  »  !  et 
«bon,  )»  ici,  ne  désignait  pas  sim- 
plement la  bonhomie  dont  on  rit, 
ou  même  la  bonté.  L'épithète  avait 
le  sens  et  le  saveur  qu'elle  a  chez 
les  épiques  italiens,  quand  ils  di- 
sent «  il  buon  (jOffredOy  il  buono 
Orlando.  »  On  désignait  le  coopé- 
ratei.r  utile,  l'artiste  toujours  sur 
la  brèche,  le  débiteur  qui  ne  nie 
jamais  sa  dette,  ou  plulôt  qui  paie 
ii  première  présentation ,  en  un 
mot,  le  soldat  ou  le  paladin  du  de- 
voir. Très  -  certainement  Vanhove 


62 


VAM 


VAN 


est  un  de  ceux  dont  rhouorabililé 
consiante  et  j)atenle  a  le  plus  con- 
tribué à  détrôner  les  préjugés  ja- 
dis en  vigueur  sur  les  artistes  dra- 
nialiques,  et  auxquels  l'on  ne  dai- 
gnait que  par  grâce  admettre  quel- 
ques exceptions. 

Madame  Vanhove  ,  sa  femme  , 
ouait,  ainsi  que  lui,  au  Théâtre- 
Français,  où  elle  avait  débuté  un 
peu  plus  tard. 

Parmi  leurs  entants,  s'est  distin- 
guée surtout  leur  tille  Caroline 
Vanhove,  dont  l'article  suit.  Val.  P. 

VA^ilIOVE  (la  vicomtesse  dk 
Chalost,  née  Cécile  Caroline), 
actrice  de  renom,  fille  de  l'acteur 
Vanhove,  n'était  qu'une  toute  jeune 
enfant  quand  son  j)ère  fut  appelé 
à  Paris.  La  Haye  était  le  lieu  de 
sa  naissance.  Le  nom  magique 
de  Paris,  plus  d'une  fois  prononcé 
sans  doute  avec  le  brio  naturel  aux 
artistes,  frappa  sa  jeune  imagina- 
lion.  Très-bien  douée,  mais  peu 
studieuse ,  elle  avait  jusqu'alors 
boudé  l'alphabet.  Sa  mère  lui  dit 
fort  sérieusement  :  «  Je  vais  te  lais- 
ser à  Bruxelles,  ma  fille;  on  ne 
peut  entrer  à  Paris  que  quand  on 
sait  lire.  »  Ce  fut  une  transforma- 
lion  subite  :  en  peu  de  jours  elle 
put  assembler  ses  syllabes ,  dé- 
chiisrer  ou  écorcher  les  mois  selon 
leur  deÊ:ré  de  difficulté  ;  et  toutes 
les  cordes  de  rintelligcncc  t'ufan- 
line  entrant  à  la  fois  en  vibration, 
la  voilà  qui, tout  k  coup,  sq  met,  en 
pleine  diligence  et  entourée  d'in- 
connus, à  gazouiller  et  récits  de 
toutes  sortes  et  fables,  avec  un 
entrain,  un  aplomb,  avec  drs  mines 
et  des  intonations  à  captiver  les 
plus  revêchi^s  des  auditeurs.  Chacun 
de  fêler  celle  que  l'on  nomme  la 
petite  merveille  :  l'artiste  en  herbe 
s'est  révélée.  En  eflét,  tres-peu 
d'années  api  es,  la  petite  Vanhove 


paraissait  de  loin  en  loin  dans  des 
rôles  d'enfants  :  la  Louison  du  Ma- 
lade imaginaire  y  par  exemple,  ou 
b;en  la  petite  fille  de  la  Fausse 
Afini's  ;  ou  bien  encore  le  Joas  d'A- 
//ia//c.  Toutefois,  ses  parents  eurent 
la  sagesse  de  ne  pas  abuser  de 
la  facilité  de  son  heureux  naturel; 
et  il  fut  résolu  qu'avant  de  risquer 
une  apparition  définitive  sur  le  théâ- 
tre, on  l'initierait  par  des  études 
sérieuses  et  persévérantes  à  l'art 
des  Dangeville  etdes  Gaussin.  Chose 
extraordin;>ire  et  qu'on  serait  assez 
tenté  de  révoquer  en  doute,  si  ce 
n'était  refuser  de  se  rendre  à  son 
propre  témoignage,  en  dépit  de 
son  incontestable  aptitude  pour  la 
scène,  elle  n'avait  pas  la  vocation, 
et  elle  voulait  se  faire  religieuse. 
Tels  n'étaient  pas  les  plans  de  sa 
mère  qui  l'idolâtrait,  et  qui,  fière  de 
son  mari,  se  berçait  de  l'idée  de 
voir  un  jour  sa  fille  «  la  perle  » 
(on  ne  disait  pas  encore  «l'étoile  ») 
des  Français.  D'ailleurs,  l'attrait  de 
la  gloire  n'était  pas  l'uni/iue  mobile 
de  la  prudente  Hollandaise  :  les 
applaudissements  à  ses  yeux  avaient 
surtout  du  prix  comme  le  chemin 
aux  appointements,  el  ce  qu'elle 
souhaitait,  en  fin  de  compte,  c'é- 
tait que  l'artiste  ,  non  contente 
d'une  vaine  fumée,  joignît  toujours 
k  l'idéal  le  positif,  tilile  dulci.  La 
jeune  fille  dut  prendre  son  parti  de 
renoncer  aux  joies  placides  du 
cloître  ;  et  puisqu'il  le  fallait,  elle  se 
livra  aux  travaux  |)réliminaii'es. 
Elle  se  rendit  familiers  les  chefs- 
d'œuvre  des  maîtres;  finalement, 
elle  aborda  les  mystères  de  la  dé- 
clamation. Son  principal,  ou  plutôt 
son  unique  maître,  après  son  père, 
fut  l'acteur  Doivul,  honnête  et 
correct  artiste  qui  disait  à  la  satis- 
faction des  amateurs  le  récit  de 
Théramène.  Les  sages  conseils  et 


VAN 


VAN 


63 


l'exemple  de  ce  profeî;seiir,  furent 
certainement  pour  beaucoup  dans 
ces  qualités  que  personne  ne  porta 
plusloinàlascènequeM"*Vanhove, 
la  mesure,  la  tenue,  le  tact  exquis, 
qualités  qui  d'ailleurs  n'excluèrent 
jamais  chez  elle  la  sensibilité,  la 
vivacité,  la  grâce.  Une  intelligence 
prompte,  une  rare  facilité,  la  mé- 
moire qui,  quoique  le  moindre  ta- 
lent de  l'actrice  n'est  pas  tout  à 
faif  à  dédaigner,  rendaient  du  reste 
les  études  commodes  et  rapidement 
profitables.  Et  le  maître  et  Vaiihove, 
lui-même  excellent  juge,  ne  tardè- 
rent pas  îi  reconnaître  qu'ils  pou- 
vaient, sansoulrecuidanceaucnne  et 
sans  risque,  la  faire  débuter  à  la 
Comédie  Irançaise,  La  seule  objec- 
tion possible  eût  été  l'extrême  jeu- 
nesse de  l'actrice  :  mais  l'on  se  dit, 
et  l'on  eut  raison  de  se  le  dire,  que 
celte  précocité  avait  un  attrait,  un 
intérêt  de  plus.  En  effet,  le  succès 
fut  complet,  et  tous  les  souhaits, 
tous  les  rêves  de  sa  mère  furent 
dépassés.  Ri-^n  n'y  manqua,  pas 
même  les  vaines  oppositions,  les 
lr;icasseries,  les  jalousies.  Toutes 
les  correspondances  et  les  feuilles 
Méricdiques  du  temps  s'expriment 
avec  chaleur  sur  ces  débuts  qui 
prirent  de  huit  à  dix  mois,  les  six 
derniers  de  1785  et  les  premiers  de 
i786.  a  Tout  Paris  se  porte  eu 
fouie  pour  l'admirer,  »  dit  Bachau- 
monl  {Mém.  \XX,  p.  35),  «  les  aj)- 
plaudissements  se  font  entendre  au 
loin  jusque  dans  !a  rue.  »  Lahaipe 
même  (dans  sa  Correspondance  lillé- 
rairc  avec  le  grand-duc  de  Russie, 
p.  3fS},  dit  de  «  la  p:Mite  Vanhove  » 
(c'est  le  nom  que  l;ii  donnait  Paris); 
«  C'estl'idole  du  public.  »  Beaumar- 
chais, à  peine  sorti  de  Saint-Lazare, 
courut  l'entendre  ie  soir  même 
dans  ie  rôle  d'Eugénie,  qu'elle  ve- 
nait de  créer  avec  tant  de  supério- 


rité. M.-Jos.  Chénier,  pour  lui  té- 
moigner sa  jeconnaissance  de  la 
façon  dont  elle  interprétait  son  hé- 
ros, lui  abandonna  ses  droits  d'au- 
teur lors  de  son  premier  ouvrage 
{Edgar  ou  le  Page  supposé).  Drame, 
tragédie,  comédie,  tous  les  genres 
semblaient  également  de  son  do- 
maine; et,  dans  tous,  les  bravos  de 
l'auditoire  venaient  le  lui  témoi- 
gner, on  ne  la  voyait  jamais  qu'à 
sa  place.  Aspirer  à  toutes  ies  cou- 
ronnes ne  semblait  de  sa  part 
qu'une  excusable,  qu'une  légitime 
ambition.  Une  seule  personne 
n'était  pas  de  cet  avis.,.  On  devine 
que  c'était  une  femme,  que  c'était 
une  artiste  dramatique  :  c'était  ma- 
demoiselle Contât!  Que  l'on  ne  s'é- 
tonne pas  et  surtout  que  l'on  ne  s'in- 
digne pas  trop.  Ce  n'était  pas  pour 
elle-même  que  rillustrecomédienne 
était  jalouse,  c'était  pour  sa  sœur, 
dont  il  se  trouvait  que  les  débuts 
coïncidaient  et  avec  ceux  de  ma- 
demoiselle Candeille  et  avec  ceux 
de  mademoiselle  Vanhove.  Les  dé- 
buts de  la  première  avaient  éié 
suffisamment  brillants,  ils  l'eussent 
sans  doute  été  davantage  si  l'appa- 
rition de  mademoiselle  Vanhove 
n'eût  fait  diversion;  elle  ne  se  plai- 
gnit pas  pourtant,  contente  de  sa 
part  et  sûre  de  l'avenir.  Il  n'en  fut 
pas  ainsi  de  mademoiselle  Contât. 
Soit  zèle  effréné  pour  la  cause  de  sa 
sœur,  soit  exaltation  naturelle  et 
incandescence  impétueuse  à  pro- 
pos de  tout,  soit  qu'elle  prit  pour 
irrévérence  et  injure  à  elle-même 
toute  contrariété,  sitôt  que  son 
nom,  ne  fût-ce  que  par  ricociiet, 
étale  en  jeu,  elle  se  repandit  en 
invectives,  en  menaces  contre  les 
infortunées  Vanhove,  mère  et  fille. 
Son  di'but  fut  une  lettre  à  la  mère, 
lettre  qu'on  peut  lire  dans  les  mé- 
moires plus  haut  cités  (XXX,  p.  41, 


64 


VAN 


43),  mais  dont  on  ne  nous  saura 
pas  mauvais  gré  de  détacher  ici 
quelques   traits.  «  Pouviez -vous, 
«  madame,  dit-elle,  ignorer  les  dé- 
«  buis  de  ma  sœur,  destinée  dès 
«  lors  à  remplir  l'emploi  des  jeunes 
«  amoureuses   dans    la    comédie? 
«  Elle  n'était  rentrée  dans  la  re- 
«  traite  que  pour  se  rendre  par  de 
«  nouvelles  études  plus  digne  d'é- 
«  loges  et  d'encouragements.    Et 
«  c'est  presque  au  même  instant 
«  que,  peu  satisfaite  de  voir  triom- 
«  pher  votre  fille  dans  la  tragédie, 
«  vous  l'incitez  à  marcher  sur  les 
«  brisées  de  ma  sœur  et  à  lui  ravir 
«  ses  emplois  dans  l'autre  genre.  Dé- 
«  pouiller  une  enfant  sans  défense 
«  et  l'écraser!...  Je  vous  déclare 
«  une  guerre  ouverte.  Si  voire  fille 
«  persiste  à  devenir  rivale  de  ma 
«  sœur,  je  l'attaquerai  non-seule- 
«  ment  dans  nos  comités,  je  soule- 
«  verai  contre   elle  les   honnêtes 
•  gens  de  notre  société  et  la  pour- 
«  suivrai  jusqu'au  tribunal  de  nos 
«  supérieurs;  j'irai,  s'il  le  faut,  me 
«  jeter  aux  pieds  de  notre  auguste 
«  souveraine,  et  vous  pouvez  regar- 
«  (1er  d'avance  celte  lettre  comme 
«  un  manifeste.  J'en  fais délivrerdes 
ff  copies  à  tous  mes  amis...,  etj'es- 
«  père  que  le  public  jugera  et  dé- 
■  testera  cette   abominable  trahi- 
«  son.  Paris,  25  octobre  n85.  » 
Que  la  furibonde  signataire  de  ce 
manifeste  eût  ou  non  quelque  lieu 
de  crier  îi  l'envahissement,  à  l'u- 
sur|)ation,  toujours   est-il    qu'elle 
trouva    de    l'écho.    Le    maréchal 
de    Duras,    auquel    incombait    la 
haute  inspection  du  théâtre,  déci- 
da, lorsqu'il  fut  question  de  la  ré- 
ception   des    débutantes    comme 
pensionnaires,   que    mademoiselle 
Vanhove  ne  prendrait  rang  qu'après 
mademoiselle,  l^aurenl  et  Mimi  (c'é- 
tait le  petit  nom,  disons  plutôt l'a- 


VAN 

brévialion  du  petit  nom  de  made- 
moiselle  Emilie    Contât).    Grand 
triomphe  pour  l'aînée  des  Contât, 
mais  qui  ne  fut  pas  longtemps  com- 
plet. »  La  mère  Vanhove,  »  comme 
s'exprimaient    familièrement    nos 
grands-pères,  ne  put  digérer  l'af- 
front et  défendit  à  sa  fille  de  pa- 
raître le  soir  sur  la  scène,  où  pour 
la  troisième  fois  elle  jouait  le  rôle 
d'Eugénie.  Comme,  en  fait,  elle  était 
la  favorite  du  public ,  qui  l'accla- 
mait  du  commencement  à  la  fin , 
et  que  nulle  n'était  en  mesure  de 
jouer  le  rôle,  ou  même  eût-elle  été 
en  mesure,  n'eût  osé  défier  à  ce 
point  un  parterre  plein  d'orages , 
l'aréopage  comique  jugea  prudent 
de  capituler;  et  l'arrêt  du  maréchal 
subit,  aux  dépens  de  l'inoffensive 
mademoiselle  Laurent,  un  amende- 
ment   dont    se    contentèrent    les 
Vanhove.  Celle-ci,  que  chronolo- 
giquement   ses    débuts    devaient 
classer  en  tête,   fut   refoulée   au 
troisième  rang;  mademoiselle  Cé- 
cile monta  d'un  cran,  et  Mimi  resta 
première...  sur  la  liste  des  sociétai- 
res, mais  non  dans  l'estime  et  moins 
encore  dans  la  prédilection  du  pu- 
blic.Ainsi  finit  cet  épisode,  où,  en 
d'autres  temps  qu'alors,  de  beaux 
esprits  eussent  distingué  l'étoffe  d'un 
poème  héroï-comique.  Mais  lèvent 
n'était  plus  à  l'épopée  badine  :  la 
Fulle  journée  avait  achevé  de  se- 
couer et  de  volcaniser  les  têtes; 
et  d'autres  drames  allaient  remuer 
Paris  cl  le  monde  :  quatre  ans  en- 
core, et   rapidement  se   succéde- 
raient le  serment  du  jeu  de  paume, 
l'apostrophe  de  Mirabeau  ,'i  M.  de 
Dreux-Brézé,  la  prise  de  la  Bastille, 
les  journées  des  5  et  (J  octobre.  La 
lionne  d'ailleurss'était calmée;  et  il 
faut  avouer  qu'elle  eut  le  bon  goût 
quoiqu'on  plaisantât  quelquefois  sur 

Des  vains  honneurs  du  pas    le  frivole  avantage 


VAX 


VAN 


65 


ce    qui    revenait   à  plaisanter    du 
privilège    de    Mimi,    non -seule- 
ment   de    ;ie  j)lus    ];oursuivre    li 
guerre,    mais    encoro    tio    I'miîvU.j 
quelque  intérêt  pour  Eugénie,  du 
moins   quand  elle  se  circonscrivait 
auxAtalide,auxAricie,auxMonime, 
en   un  mot   aux  amoureuses   tra- 
giques. C'était  de  la  tactique,  il  est 
vrai  :  plus  elle  la  portait  alors  aux 
nues,    plus    elle    l'inféodait    à   la 
glèbe  des    Atalide.  N'importe,  au 
reste:  ce  n'était  plus  là  désormais 
qu'était  l'obstacle.  Etre  admise  éiait 
bien  quelque  chose  certes,  mais 
cela  ne  détruisait  pas   la  position 
des    chefs   d'emploi;    et  celles-ci 
non-seulement  tenaieni   à  primer, 
mais  pour  être  plus  sûres  de  pri- 
mer s'appliquaient,  moins  à  grand 
biuit,    il    est    vrai,    que    made- 
moiselle Goniat,   à  tenir   la  nou- 
velle  camarade    dans  l'ombre.   Il 
fallut   donc  se  résii^ner  a  doubler 
ces  privilégiées,  et  parfois  même, 
s'il  faut  l'avouer,  à  doubler  les  dou- 
blures. Il  en  résulta  pour  Cécile-Ca- 
roline de  quinze  à  dix-huit  mois  d'é- 
clipse  réelle,  car  c'est  ainsi    que 
(lut  être  nommée  par  ses  amis  cette 
occuitalion  si  désenchantante  pour 
celle  qu'avaient  saluée  tant  d'en- 
thousiastes acclamations.  Cet  inter- 
valle, qu'elle  employa  fructueuse- 
ment en  nouvelles  et  fortes  études, 
éclairées  désormais  par  la  pratique 
scénique,  et  durant  lequel  elle  eut 
le   plaisir  de  s'apercevoir  que    le 
public  ne  l'oubliait  pas,  bien  que 
sa  présence  fût  rare  et  que  la  cul- 
minatioîi  lui  fût  interdite,  corres- 
pond à  l'épotiue  de  son    premier 
Uïariage  :  il  s'en  fallait  encore  qu'elle 
eût  (juinze    ans    accomplis  quand 
elle  épousa   le   chorégraphe  IN'lil, 
alors  en  train  de  se  créer  une  répu- 
lalion.  L'aniu'e  suivante,  un  inci- 
dent, un  simph?  hasard  \int  signi- 

LXXXV 


fier  aux  malveillants  qu'il  faudrait 
sous  peu  compter   avec    madame 
Petit.  C'était  le  31  janvier  1789,  le 
soir  où  l'on   rcpresenuiit  pour  la 
première  fois  la  Fausse  inconstance 
de  la  comtesse  Fanny  de  Beauhar- 
nais.  La  pièce,  au  milieu  d'un  ou- 
ragan de  sifflets,  avait  atteint  le 
troisième   acte.    Trois   encore   ou 
deux  et  demi  restaient  à  traverser. 
Les  comédiens,  qui  plus,  qui  moins, 
étaient  abasourdis  devant  la  fureur 
du  public.  Vanhove  s'avance,  ac- 
compagné de  sa  lille,versla  rampe, 
et   dit  :   «  Messieurs,  voulez-vous 
qu'on  baisse  la  toile...  ou  que  l'on 
vous  joue  autre  chose?  »  Silence 
d'abord.  Il  reprend  :  «  Que  voulez- 
vous?  » —  Nanine!  dit   une   voix. 
Mille   voix  répètent  :  Nanine  !  Na- 
nine! C'était   un    ordre, — il    n'y 
avait  là  pas  d'autre  Nanine  d'hu- 
meur et  de  force  à  payer  comptant 
que  madame  Petit.  Celte  fin  de  soi- 
rée fut  pour  elle  un  triomphe.  De 
sept  à  huit  mois  après  (septembre 
1789},  expirait  la  charmante  made- 
moiselle Olivier,  qui  sous  les  traits 
et  le  costume  de  Chérubin  faisait 
les  délices  des  Parisiens.  Il  fut  re- 
connu par  le  sanhédrin  môme  des 
sociétaires  que  madame  Petit  avait 
été  créée  et  mise  au  monde  pour 
représenter  l'espiègle  page  du  comte 
Almaviva,  pour  chanter  :   <  J'avais 
une   marraine.  »  L'emploi   lui  fut 
donc  conféré.  Mais  plus  d'excur- 
sions dans  la  tragédie?  Mademoi- 
selle Desgarcins  requit,  voulut  (jii'il 
ne  fût  plus,  sous  couleur  d'aptitude 
univciselle,    ini|)iété  sur    ses  do- 
maines, et  il   fallut  en  passer  par 
cette  clause  restrictive  qui  du  reste 
était  du  goût  de  tous,   hormis  de 
celui    du    nouveau    Chérubin.    Au 
total,  ce  n'était  pas  là  le  lieu  de 
répéter  auxechosd'alentour  :  «Ont* 
mon    cœur,  que  mon  cœur  a  de 


66 


VAN 


VAN 


peine!  •>  De  jour  en  jour  sa  position 
devint  plus  stable,  plus  invulnéra- 
ble. Le  parterre  et  les  loges  la 
goûtaient  toujours ,  et  c'est  sans 
exagération  qu'on  a  dit  :  Son  suc- 
cès allait  toujours  croissaiit.  Très- 
peu  d'années  encor;%  et  les  pre- 
miers emplois  devenaient  son  lot. 
Elle  n'en  était  pas  encore  tout  à 
fait  là  quand, àla  Comédie  française 
aussi, les  tempêtes  révolutionnaires 
eurent  leur  répercussion.  De  longue 
main  déjà  l'opinion  avait  signalé 
les  coryphées  de  notre  première 
scène  et  surtout  les  femmes  comme 
aristocrates  effrénées,  comme  ad- 
miiattices  reconnaissantes  de  Ma- 
rie-Antoinette, comme  peu  coiffées 
du  bonnet  phrygien.  La  représenta- 
tion de  l'Ami  des  lois  fit  éclater  la 
bombe. 

Des  lois,  et  uon  du  sang!... 

Celle  juste  mais  vive  réclame  ne 
pouvait  être  du  goût  du  comité  de 
salut  public,  et  un  ordre,  tout  prôt 
d'avance  sans  doute,  vint  clore  le 
théâtre  et  constituer  à  peu  près  tous 
les  acreurs  en  état  d'arreslation. 
Maflame  Petit  dut,  comme  S(*s 
camarades  aller  loger  à  Sainle- 
Pélagie.  (]'esl  à  son  aspect  et  à 
celui  de  ses  comp;ignos  passant 
des  mains  des  gendarmes  à  celles 
des  geôliers,  que  madame  Roland 
s'ficria  :  «  Les  Français  sont  donc 
bien  changés!  »  C'est  quehjue 
temps  après  ce  coup  d'F'lat  non 
moins  puéril  que  tyrannique,  que 
fut  ouvert  le  théâtre  de  la  rue 
Riiheiieu,  seul  en  possession  au- 
jourd'hui du  lilre  de  Théâtre-Fran- 
çais elfpi'on  nomma  d'abord  Ihéâ- 
Ire  de  la  Nation.  Oblif^és  par  la 
force  de  l'opinion  à  rendre  au  pu- 
blic et  à  l'art  les  écroucs  que  les 
héros  de  parades  populaires  ne 
pouvaient  remplacer,   les  dicta- 


teurs du  jour  crurent  leur  fii're 
pièce  en  réorganisant  sur  des  bastîT^s 
nouvelles  et  dans  un  nouveau  lo- 
cal la  troupe  épurée.  De  là  sépa- 
ration du  personnel  dramatique 
en  deux  corps,  l'un  qui  resterait 
à  rOdéon,  l'autre  limitrophe  du 
Palais-Royal  et  recrutement  de 
nouveaux  venus  au  cas  où,  chose 
immanquable,  l'un  ou  l'autre  de 
ces  corps  se  trouverait  incomplet. 
Naturellement  cependant  on  tenait 
à  réunir  pour  le  théâtre  de  la  Na- 
tion le  plus  grand  nombre  possible 
des  artistes  anciens,  aimés  et  con- 
nus. La  liberté  fut  offerte  alors  à 
madame  Petit,  à  condition  qu'elle 
abandonnerait  l'Odéon.  Elle  ba- 
lança, ne  voulant  pas,  dit-elle,  se 
séparer  de  son  père,  qui  restait  à 
ce  théâtre,  et  répugnait,  si  jeune 
encore  et  citée  pour  ses  mœurs 
rares  au  théâtre,  à  vivre  seule  et 
hors  de  l'œil  d'un  défenseur  os- 
tensible. Nous  oserions  penser, 
prosaïque  positiviste  que  nous 
sommes,  qu'elle  n'opposa  de  diffi- 
cultés que  juste  ce  qu'il  en  faut 
pour  se  faire  assurer  les  condiiions 
les  plus  avantageuses.  En  eilèt, 
elle  se  décida  de  bonne  grâce  â  la 
fin;  et  somme  toute,  le  métal  et  la 
«  vaine  fumée  »  additionnés,  elle 
n'eut  pas  à  s'en  plaindre,  car  c'est 
alors  qu'elle  devint  détinilivement 
premier  emploi.  Mais,  quelques 
semaines  ou  ((uelques  mois  après, 
elle  fut  troublée  d'appréhensions 
terribles.  Elle  s'aperçut  que  le  ci- 
toyen Robespierre  était  souvent 
aux  loges  quand  elle  jouaii,  puis 
finalement  qu'il  ne  manquait  plus 
une  seule  de  ses  représeniations. 
i:tait-ce  donc  pour  Molière,  pour 
Regnard,  pour  Marivaux  qu'il  ve- 
nait n»?  Peu  de  femmes  auraient 
été  assez  bénignes  pour  se  payer 
de  cette  idée.  Vers  le  même  temps 


ï 


VAN 

(ce  que  madame  Petit  ne  sut  que 
plus  lard),  le  terrible  Maximilien 
se  prit  à  jalouser  Talraa,  soit  parce 
que  son  tailleur  avaii  vanté,  lui 
présent,  la  coupe  d'un  habit  du 
grand  acteur,  en  ayant  l'air  de 
trouver  h  son  farouche  client  bleu 
moins  gran»!  air  et  bonne  façon, 
soit  parce  que,  sociétaire  du  Théâ- 
tre-Français et  célèbre  déjà,  Talma 
pouvait  tous  les  jours  en  quelque 
sorte  voir  sa  camarade  dans  les 
coulisses  et  subjuguer  son  imagi- 
nation. On  peut  lire  à  ce  sujet 
d'assez  curieux  détails,  pp.  293- 
299  des  Anecdotes  inédites  sur  la  vie 
de  Talma.  (Voy.  plus  bas.)  Très- 
peusoucieu^e  d'un  tel  adorateur  et 
très-peu  rassurée,  madame  Petit 
se  fil  malade,  et  tant  qu'elle  put, 
la  complaisance  du  médecin  ai- 
daut,  elle  usa  du  système  de  Fa- 
bius Cuni-taior.  Mais  sa  tempori- 
sation ne  put  ôlri;  éternelle,  et 
Fabius,  à  lui  tout  seul,  n'eût  pas 
déjoué  délinilivement  Annibal. 
Heureusement  le  9  thermidor  vint 
trancher  le  nœud;  et  probable- 
ment pour  Talma,  peut-être  même 
pour  la  belle  dame,  bien  qu'évi- 
demment elle  n'eùl  point  eu  d'in- 
telligences avec  Pitt  et  Cobourg, 
il  était  grand  temps  que  ce  jour 
luisît  enlin.  Est-ce  à  ce  péril  com- 
mun ou  bien  est-ce  aux  circons- 
lancesci-dessuseftleurées  que  doi- 
\ent  être  allribuees  les  attractions 
dont  quelque  temps  après  l'ex- 
(juise  comédienne  et  l'inimitable 
artiste  commencèrent  à  laisser 
poindre  les  indices  et  dont  le  de- 
noùment,  avec  les  principes  de 
riiérnine,  ne  pouvait  être  qu'un 
second  mariage?  Dans  l'une  ni  dans 
l'autre  de  ces  hypothèses,  k  notre 
srns,i.e  git  le  molde  l'énigme.  La 
tragédienne  mademoiselle  Desgar- 
cins  alla   retrouver  mademoiselle 


VAN 


67 


Olivier;  et  soudain  cessa  de  peser 
sur  madame  Petit  l'embargo  mis 
pour  elle  sur  le  tragique  par  celte 
prêtresse  de  Melpomène.  Ellesere- 
mit  aux  études  tragiques  avec  l'ar- 
deur qu'inspire  aux  filles  li'Ève  le 
fruit  longtemps  défeuiiu.  Elle  ne 
pouvait  que  gagner  à  s'ins|)irer  de 
■Talma.  Danspresque  chaque  œuvre 
du  répertoire,  d'ailleurs,    elle  se 
trouvait  en  face  de  lui.  Agrippine  et 
Néron,  Lanassa  et  le  grand  brah- 
me  joutaient  plutôt  que  jouaient 
ensemble.   On  comprend  qu'a  la 
suite  et  à  la  faveur  de  ces  rela- 
tions nécessaires  et  où  toutes  les  fa- 
cultés tant  intelligentes  que  pas- 
sionnelles sont  mises  en  jeu  soit 
né  l'amour.  Nous  ne  présumons 
pas  qu'il  ait  été  bien  vif  d'abord. 
Talma  dès  lors  et  presque  de  nais- 
sance était  acteur  de  génie,  était 
tragédien  :  très-certainement  il  ne 
regardait  pas  madame  Petit  comme 
tragédienne  née,  et  il  lui  fallut  du 
temps  pour  rendre  complète  jus- 
tice à  ce  qu'elle  avait  de  qualités, 
outre  sa  figure,  pour   pallier  ou 
compenser  le  déficit.  A  plus  forte 
raison  ne  nous  vient-il  pas  en  tète 
que  la  flamme  fût   plus   pétillante 
et  pins  prompte  de  l'autre  cùté  : 
rincandes(ence  était  le   moindre 
défaut  de    Nanine.   Tout   dûment 
pesé,  Ton  peut  sans  être  dupe  tenir 
pour  sûr  que  cet  amour  fut  irès- 
longtemps,  des  deux  parts,  à  se  dé- 
velopper, et  plus  encore  à  se  trahir 
et  à  s'avouer.  A  la  longue  pourtant 
il  devint  le  secret  de  la  Comédie, 
sans  [)eul-ètre  que  rien  encore  eiH 
élé décide  entre  les  intéressés.  Voici 
comment  .M'"'  Talma  raconte  le  dé- 
noûment  (nous  abrégeons)  :  Un  son- 
de représentation,  rhéroïne  (M""" Pe- 
tit) avait  il  recevoir  un  coup  de  poi- 
gnard :  un  peu  trop  aux  transports 
qu'il  feignait,  l'acteur  ("harge  de  ce 


68 


VAN 


VAN 


rôle,  au  lieu  de  donner  de  sa  larae 
dans  les  draperies,  dépassa  le  derme 
et  fit  couler  le  sang.  Grand  tumulte, 
eflroi.  Le  médecin  juge  la  blessure 
des  plus  graves  ;  les  chairs  sont  pro- 
fondément entamées  :  il  n'y  aurait 
qu'un  remède  pour  faire  évanouir 
incessamment  tout  péril,  ce  serait 
de  sucer  vigoureusement  la  plaie! 
Mais  qui  se  chargera  de  l'opération? 
qui  sera  de  force  à  la  réussir?  Une 
femme?  il  n'y  en  a  pas  dans  les 
conditions  de  validité  voulues.  Un 
homme?  mais  notez  que  c'est  la 
région  du  cœur  qu'il  s'agit  de  livrer 
aupsylle.  «Talma!  Taima!  »  s'écrie 
un  des  assistants  avec  lequel,  moi- 
tié riants,  tous  fontchorus.  «Allons, 
Talma,  voilà  une  lâche  qui  vous  ré- 
clame !  ne  reculez  pas.  »  La  suite  va 
de  soi.  La  blessée  ne  pouvait  re- 
fuser un  service  qui  tenait  du  trai- 
tement ;  et,  seul  moyen  de  mettre 
un  terme  aux  rires  sous  cape  ou 
qunsi-patents  de  toute  la  gent  co- 
mique, sa  main  devint  (le  IG  juin 
4802}  le  prix  du  bon  office  de  l'heu- 
reux sauveur,  le  tout  comme  de 
par  l'irrésistible  volonté  du  destin 
et  la  dignité  féminine  suffisamment 
sauvegardée.  Ce  mariage,  qu'eût  en- 
viée une  enthousiaste,  ne  fut  pas 
précisément  la  réalisation  de  son 
idéal.  D'abord,  si  c'eût  été  en  Her- 
mione  et  en  Juliette  qu'elle  eût  ai- 
mé l'illustre  artiste,  elle  eût  eu 
passablement  k  soutîrir  par  le  cœur, 
après,  ou  même  avant  un  an  ou 
deux  révolus  de  mariage;  en- 
suite, c'est  un  bonheur  calme  et 
sans  cahot  qu'elle  ambitionnait,. ..et 
avec  un  budget  en  équilii)re  !  Il  était 
plus  que  difficile  de  l'obtenir,  les 
clefs  de  la  caisse  remises  à  ïalma. 
El  même  Talma  ne  les  possédant 
pas,  qui  pouvait  l'empêcher  de  trou- 
ver des  fournisseurs  k  long  lerm.  , 
des  escompteurs,  et  des  amis  de 


toute  sorte  pour  l'aider  à  faire  des 
dettes  sans  l'aider  à  les  payer?  Et 
pour  comble,  il  bâtissait,  il  avait 
la  manie  de  l'architecture  ;  et  ce 
qu'il  avait  commandé  d'ordre  co- 
rinthien, à  peine  le  chapiteau  posé, 
il  le  lui  fallait  ionique  ou  dorique. 
Que  de  pilastres  métamorphosés  en 
colonnes  torses,  et  vice  versa  !  et 
que  de  quadruples  et  billets  de 
banque,  les  uns  fondus,  les  autres 
en  fumée!  En  présence  de  sembla- 
bles habitudes  et  quelles  que  fus- 
sent soit  la  mansuétude,  soit  l'a- 
dresse de  la  méthodique  et  sage 
épouse,  il  est  clair  que  l'harmonie 
ne  pouvait  être  inaltérable  dans  le 
ménage,  même  quand  la  munifi- 
cence de  l'Empereur  avait  comblé 
les  brèches  béantes  de  la  caisse, 
car  la  caisse  allait  se  lézardant  de 
nouveau.  Bon  an,  mal  an,  pour- 
tant, ils  gagnaient  ensemble,  selon 
le  calcul  de  Talma,  au  moins  cin- 
quante mille  francs  par  an  (ce  qui 
semblait  alors  plus  considérable 
que  de  nos  jours  cent  cinquante 
mille).  Tous  deux  jouissaient  de 
nombreux  congés,  qu'ils  utilisaient 
par  de  longues  et  lucratives  péré- 
grinations dans  les  départements, 
chaque  représentation  leur  étant 
payée  de  sept  à  huit  cents  francs. 
Ils  jouèrent  aussi  en  lic^lgique  ;  en 
Hollande,  ils  donnèrent  en  uneseule 
saison  (1807)  vingt-cinq  représen- 
tations. Ils  avaient  par  an  deux  bé- 
néfices. L'administration  théâtrale 
leur  fournissait  un  appartement 
meublé,  plus  table  bien  servie,  plus 
le  domestique  que  supposait  cet 
élal  de  maison.  Ces  jours  prospè- 
res, sinon  heureux ,  durèrent  à 
peu  près  sans  contrariétés  de  pre- 
mier ordre  jusque  vers  la  fin  de 
4808.  Quand  la  fantaisie  prit  à  Na- 
poléon de  faire  joucrTalma  devant 
le  parterre  de  rois,  naturellement 


VAN 

M""  Talma  suivit,  ainsi  que  l'élite 
(Je  11  troupe,  et  même  elle  joua. 
Mais  elle  ne  parut  qu'une  fois  sur 
cette  scène.  Nous  ne  saurions  dire 
si  ce  fut  sonjeu  qui  déplut,  ou  quel- 
que allusion   trop   accentuée,   ou 
quelque  nuance  allant  encore  plus 
au  coeur  des  augustes  personnages; 
mais  elle  déplut,  et  le  monarque 
en  personne  fit  défense  qu'elle  se 
présentai  lorsqu'il  assisterait.  La 
nouvelle  circula  et  donna  de  l'au- 
dace aux  ennemis  qui  depuis  long- 
temps avaient   usé    de  sourdines. 
Geoffroi  notamment  s'enhardit  :  il 
japait,  il  aboyait.  Il  se  mit  à  pro- 
diguer des  louanges  effrénées  à  la 
très-larmoyante  et  très-mince  tra- 
gédieime  Volney,  que  ni  les  galan- 
teries du   bilieux  critique,  ni   les 
subventions  de  l'effrayant  protec- 
teur dont  marchait  ornée  la  veuve 
d'IIecior,  ne  déterminèrent  jamais 
le    public  à  classer  au-dessus  du 
4'    ou   tout   au  plus   du  S*-*  rang. 
C'était  déclarer  à  l'héritière  de  Des- 
garcins  qu'une  autre  allait  récla- 
mer et  conquérir  un  fleuron  de  sa 
couronne.  Vers  le  même  temps  s'é- 
l)anouissait  de  plus  eu  plus  à  l'ho- 
lizon  un  autre  astre,  splendide  dès 
son  apparition  (1799)  et  qui  n'a- 
vait aucun  besoin  de  cabale  pour 
dessiner  en  traits  de  feu  son  orbite 
lumineuse.   M"  Contât   venait  de 
mourir  (1810),   laissant  en  appa- 
rence  la  place  vacante  à  la  débu- 
tante de  1785;  mais  M"' Contât  res- 
suscitait dans  la  débiilante  sa  lille. 
On  eût  dit  qui  la  maligne  fortune, 
en   faisant  à  point  nommé  surgir 
M''"  Mars,  avait  à  cœur  de    faire 
tout  du   long  dcguster  à  M""  ïal- 
ma   l'amertume   de  la    loi    du  ta- 
lion,   fl  de    la   punir   de    l'éclat 
de  ses  débuts  par  des  débuts  ob- 
jet de  non  moins  de  laveur  et  im- 
pitoyablement surfaits,  atiu  de  la 


VAN 


69 


démoder  dans  l'opinion.  Ne  comp- 
tant pas  encore  quarante  ans,  elle 
s'entendait  comparer   et   préférer 
de    toutes    fraîches    débarquées, 
comme  en  4785  la  vanité   mater- 
nelle aurait  voulu  lui  donner  le  pas 
sur  toutes  pour  le  premier  grand 
prix.  Ces  coups  d'épingle  l'agacè- 
rent,  nous  l'en  blâmons  peu,  au 
point  de  lui  faire  prendre  une  ré- 
solution héroïque,  sinon  violente, 
celle  de  quitter  le  théâtre,  ses  vingt- 
cinq  ans  d'existence  théâtrale  ter- 
minés. Bien  que  les  vingt-cinq  ans 
suftisent  pour  la  retraite  normale, 
l'autorité  ne  souscrivit  pas  immé- 
diatement à  celte  demande,  et  dans 
son   impartialité   bienveillante,    la 
pria  de  finir  ses  trente  ans.  Elle  y 
consentit;  et  l'annonce  de  sa  démis- 
sion à  jour  fixe,  en  comblant  de 
joie  celles  dont  elle  gênait  les  pré- 
tentions, fut  accueillie  par  presque 
toute  la  presse  avec  des  expressions 
de  regret  et  d'honorable  sympathie. 
Sa  représentation    de   retraite  eut 
lieu  le  20  juillet  181(1.  Jusque-là  ou 
avait  espéré  qu'elle  reviendrait  sur 
sa  résolution  :  on  la  jugeait  mal,  per- 
sonne n'était  plus  ferme,  parce  que 
personne  n'était  plus  calme  et  plus 
sensé.  Complètement  rendue  désor- 
mais à  la  vie  privée, elle  ne  connut 
plus,   jusqu'à  son  second  veuvage, 
d'autre  soin  que  d'orner  etd'entourer 
de  distractions  nobles  les  dernières 
années  du  grand  homme  dont  elle 
portail  le  nom.  Son  ton,  son  tact  ex- 
quis,ses  manières  qu'on  citait  comme 
des  modèles,  joints  à  l'irréprocha- 
bilité  de  sa  vie  au  milieu  des  sé- 
ductions  du   théâtre,   la    faisaient 
révérer  et  rechercher  du  plus  grand 
monde.  Aussi  personne   ne    fut-il 
étonné  quand,  le   nom  de  Talma 
l'ayant  laissée  libre  de  rechef,  un 
membre  de  la  noblesse  belge  solli- 
cila  l'hoiuicur  de  sa  main  et  «pie 


70 


VAN 


VAN 


M""  Talma  fit  place  à  la  vicomtesse 
de  Chalost.  C'est  alors  surtout  que 
ses  nobles  amis  la  proclamèrent 
vraiment  à  sa  place.  Dans  celte  nou- 
velle et  dernière  position,  Tex-ac- 
trice  mit  en  ordre  ses  souvenirs, 
systématisa  ses  idées  sur  l'art  et 
livra  sans  faste  comme  sans  fausse 
modestie  au  public  les  utiles  fruits 
de  ses  expériences.  Nous  y  revien- 
drons. Elle  survécut  longtemps  en- 
core;» cette  publication,  car  elle  mou- 
rut presque  nonagénaire.  Son  décès 
eut  lieu  le  iO  avril  18G0;  elle  ha- 
bitait Paris,  et  sa  cendre  rei)0se  au 
Mout-Parnasse.  —  Nos  lecteurs  tien- 
dront sans  doute  à  se  fixer  une  opi- 
nion sur  la  valeur  d'une  femme 
dont  la  destinée  fut,  en  tant  qu'ar- 
tiste, si  variée  et  par  moments  vrai- 
ment enviable  et  brillante.  Voici 
la  nôtre,  basée  sur  l'ensemble  des 
témoignages  comparés.  Evidem- 
M""' ïalma  ne  peut  être  classée  parmi 
les  actrices  de  génie;  c'était  une 
artiste  de  talent,  on  peut  presque 
dire  de  talent  éminent,  mais  rien 
que  du  talent.  Ce  dont  la  fée  l'avait 
douée  par  excellence ,  c'était  la 
souplesse,  la  ductilité  de  la  pen.sée: 

Femma  d'intelligence  et  femme  comme  il  faut, 

voilà  le  vers  qui  serait  sa  devise.  De 
là  sa  tendance  peipétuellc  ii  s'épan- 
dre  dans  les  trois  genres,  tragédie, 
comédie,  drame;  on  aurait  tort  vrai- 
ment de  voir  là  de  sa  part  morgue  et 
injustifiable  vanité,  ambition,  besoin 
de  battre  des  ailes  dans  les  sphères  où 
ses  ailes  ne  pouvaient  la  porter.  Tous 
les  rôles  (jui  n'impliquaient  rien 
d'excentrique,  rien  d'extrême,  elle 
les  réussissait  :  décence,  mesure, 
grâce,  ingénuité,  sensibilité  péné- 
trante sans  Vapa^sionnnnrril,  toutes 
ces  qualités  |»lus  souvent  de  mise 
certes  que  les  paroxismes  méphis- 
tophélétiques,  que  la  «  lu  ri  a  »  de 


Cléopâtre  etdelady  Macbeth,  étaient 
innées  en  elle.  Il  y  avait  en  elle,  non 
pas  de  l'éclair  et  de  la  trombe,  mais 
de  l'arc-en-ciel  après  l'orage.  Les 
mères  pouvaient  mener  leurs  filles 
l'entendre.  Sa  voix  était  mélodieuse 
et  touchante  au  suprême  degré. 
C'est  cette  voix  qui  fit  trouver  à 
Legouvé  son  vera  : 

Yauhove,  autre  Gaussin,  enchante  tous  les  cœurs. 

Ees  vieux  habitués  du  théâtre,  en 
etTel,  déclaraient  que,   lorsqu'elle 
jouait,    ils   croyaient  sinon   voir, 
du    moins   entendre   M""  Gaussin, 
dont,  comme  on  sait,  le  nom   est 
resté  inséparable  de  l'idée  de  Zaï- 
re. La  jeune  Vanhove,  du  reste,  ei 
surtout  M""  Talma,  était  au  moins 
aussi  belle  que  M"^  Gaussin  avait 
été  jolie.  Zaïre  pourtant  n'était  pas 
encore  le  plus  éclatant  de  ses  triom- 
phes. Talma  la  trouvait  plus  con- 
sommée dausMonime;  et  en  réalité 
il  n'y  avait  qu'elle  pour  interpréter 
ces  chastes  et  suaves,  ces  délicieu- 
ses et  pures  créations  de  Racine, 
les  Andromaque,  les  Bérénic,  les 
Iphigénie.  Ètèoclc  et  Polyuicede  Le- 
gouvé   lui    dut   son    succès  :  elle 
y  fiiiurait  Antigone.  Elle  ne  faiblit 
pas  quand  elle  eut  à  faire  vibrer 
dans  VAgamcmnoîi  de  Lemercier  les 
lyricjues  et  déchirantes  inspirations 
de  Cassandre.  On  ne  saurait  dire  que 
de   lai-mes   elle  fit  répandre  au  gai 
Paris  du  xvin*'  siècle  û'àusMélanide 
ou  la  Religieuse,  dont  elle  sauvait 
les  dissoniiarices  et  les  hyperboles, 
car  elle  ne  préludait  pas  à  telle  au- 
tie  qu'on  essaya  de  grandir  en  dé- 
jiréciant  le   vrai  modèle,  et  ne  se 
posait  pas  j)liis  en  saule  pleureur 
qu'en  Furie.  Mais  restreignons  celte 
énumératiou   et  n'ajoutons   qu'au 
trait,   c'est  que   très-souvent   elle 
créa  desrôles.  Ceux-lk  ne  s'en  éton- 
neront pas  qui  daigneront  se  rappe- 


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71 


1er  ce  que  nous  avons  dit  de  cette 
intelligence  déliée,  flexible,  ency- 
clopMique  en  quelque  sorte  et  que 
toujours  escortait  le  bon  se  s.  Ces 
qualités   se    retrou\ent   dans   les 
écrits  desa  vieillesse,  auxquels  nous 
faisions  allusion  plus  haut  et  dont 
voici  les  titres  :  I.  Études  sur  l'art 
théâtral,  Paris,    1836,    in-8«.    Ou 
peut  dire  qu'à  l'époque  où  parut  ce 
volume,  le  livre  manquait  à  notre 
littérature.  11  n'est  pas  complet,  il 
n'est  pas  très-méthodique;  ce  ne 
sontque  des  aperçus  et  des  conseils 
aux  artistes.  Maison  s'y  reconnaît,  il 
se  lit  couramment,    il  initie    aux 
secrets,    il  signale  des  écueiis,  il 
aiguise    l'esprit;    et   des  orateurs 
célèbres,  ministres   pins  tard,  ont 
avoue  qu'ils  lui   devaient  quelque 
chose.  U.  Anecdotes  inédileisur  Tul- 
ina,  suivies  de  quelques  particula- 
rités sur  ma   vie,  Paris.  Le  livre 
tient  la  promesse  du  titre,  ce  n'est 
pas  ur»  mince  éloge  par  le  temps 
qui  court.  111.  Les  deux  Méricourt, 
Ibrl  gracieuse  et  assez   spirituelle 
comédie  en  un  acte  et  en  vers,  dont 
on  peut  lire  l'analyse  dans  le  Jour- 
nal des  Débats  (nov.  1819).  «  On 
désirerait  peut-être,  dit  iecrili(jue, 
des  situations  plus  neuves,  et  sur- 
tout plus  de  développements  et  de 
clarté  dans  celte  intrigue.  Mais  on 
y  a  applaudi  très-justement  des  de- 
iails  atîfeableset  quelques  vers  bien 
tournés,  surtout  ilans  la  scène  où 
les  deux  Méiicoiirt,    se  racontant 
leurs  aventures,  entreprennent  de 
pt  indre  chacun  à  leur  manirre   le 
beau  sexe,  qui  n'est  pas  Ires-flallé 
sous  le  pinceau  du  trère  aine,  mais 
qui,   en   revanche,  s'embfllit  des 
plus   brillantes    couleurs    dans    le 
portrait  de  h  plus  jeune,  fait,  à  la 
vérité,  avant  lemariajrr'.  Kirmin,  le 
plus  jeune  de>  deux  Merieourl,  est 
venu  proclamer,  au  milieu  des  ap- 


plaudissements, le  nom  de  M''*  Va- 
nhove ,  qui  nous  rappelle  des  succès 
d'un  autre  genre  à  ce  même  théâ- 
tre. ))  Nous  ignorons  si  c'est  à  la 
fille  du  bon  Vanhove  qu'il  faut  at- 
tribuer une  autre  pièce  légère  signée 
du  même  nom  que  «c  Les  deux  Mé- 
ricourt. »  N'en  fùl-il  rien,  il  suffi- 
rait de  celle-ci  pour  démontrer  que 
l'actrice  était  apte  îi  quelque  chose 
de  plus  quà  débiter  les  vers  des 
autres;  et  nous  aurions  là,  s'il  en 
était  besoin,  une  preuve  de  plus 
que  le  talent,  comme  nous  définis- 
sons le  talent,  s'étend  à  tout,  s'a- 
dapte à  tout.  Val.  p. 

VAX  IIUTTEM  (Charles-Jo- 
seph), amateur  et  bibliographe  re- 
marquable, était  de  Gand.  Né  le  4 
avril  1764, il  perdit,  n'ayant  encore 
quecinqans,  l'auteur  de  ses  jours; 
mais,  confié  de  bonne  heure  par  sa 
mère  aux  soins  du  peintreReysehott, 
il  reçut  les  com.mencements  d'une 
in.^truition  aussi  soignée  que  va- 
riée, Auprès  de  l'artiste  et  rendant 
de  fréquentes  visites  à  l'atelier,  il 
avait  puisé,  avec  l'amoiu*  aident 
des  arts,  du  dessin,  des  notions 
fondamentales  sur  la  théorie  de  la 
représentation  plane.  Kn  même 
temps  le  collège  des  Auguslins  de 
sa  ville  natale  avait  en  lui  un  de 
ses  plus  laboiieux  élèves.  Malheu- 
reusement l'impatience  de  sa  mère, 
qui,  (juoique  a  la  tète  d'un  bel  avoir 

xcroyail  i[idii>p''nsable  de  le  lancer 
adolescent  dans  les  professions  qui 
donnent  vite  des  résultats  positifs, 
l'arracha  bien  contre  son  gré  aux 
ttudes  classiques  qu'il  avait  abor- 
dées et  continuait  vaillanuiUMii.  11 
en  résulta  (jue  jamais,  en  dépit  de 
tous  les  efforts  qu'il  fit  plus  lard 
pour  suppléer  à  eelle  lacune,  ce 
ne  fut  jamais  un  lettré,  c'est-à-dire 
un  écrivain.  11  n't'ssayaque  peu  de 
temps  cependant  do  cette  carrière 


72 


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commerciale  h  laquelle  on  espérait 
l'inféoder.  Les  semaines,  les  mois 
s  '  passèrent  sans  qu'il  mordît  à 
fond  aux  mystères  de  la  partie  dou- 
ble et  du  compte  courant.  Il  en  sa- 
vourait si  peu  les  cliarmes  que  main- 
tes fois  il  étonna  ses  camarades  et 
scandalisa  le  patron  en  feuilletant 
Tite-Live  au  lieu  de  Barème,  et  un 
microscopique  Martial-Farnahy  au 
lieu  du  grand-livre.  La  mère,  à  qui 
son  correspondant  de  Lille  rendait 
un  compte  fidèle,  en  gémissait;  mais 
elle  tenait  bon,  et  rien  ne  changeait 
dans  la  situation  du  jeune  homme. 
Finalement  il  résolut  de  frapper  un 
grand  coup.  11  avait  de  par  le 
monde  flamand  un  oncle,  un  oncle 
matjrnel,  homme  de  bon  sens,  as- 
sez quinteux,  assez  à  rebours  des 
routiniers  ses  voisins,  assez  aimant 
à  donner  de  temps  en  temps  le 
cou|)  de  boutoir.  C'est  sur  lui  que 
Charles-Joseph  jeta  les  yeux.  I^e 
voila  bâclant  de  la  belle  écriture 
qu'il  ne  prodigue  pas  au  Livre-jour- 
nal et  au  Copie  de  lettres,  un  plai- 
doyer en  forme,  un  vrai  mémoire 
qui  n'a  rien  des  allures  d'un  fripon 
de  neveu  convaincu  qu' 

Un  oncle  pst  un  caissier  donné  par  la  nuturc, 

mais  où,  s'en  rapportant  à  l'expé- 
ripnc(!  et  au  tact  d'un  oncle  qui  ne 
se  méprendra  pas,  il  pose  en  pro- 
blème rà-|)ropos  de  la  contrainte 
que  prétend  exercer  sur  lui  la  ten- 
dresse maternelle  et  discute  habi- 
lement le  pour  et  le  contre.  La 
dialectique  du  neveu  tr.ompha. 
L'oncle,  non-seulement  convaincu, 
mais  charmé,  déclara  qu'il  distin- 
guait dans  le  jeune  commis  l'étoile 
d'un  avocat  consultant  des  |)lus  re- 
tors et  qu'il  fallait  sans  retard  l'en- 
voyer faire  son  droit.  Il  eût  été 
mieux  de  commencer  par  lui  faire 
rapidement  achever  ses  humanités; 


on  a  vu  pap  ce  qui  précède  qu'on 
n'en  fit  rien.  Il  eut  été  plus  du  goût 
de  Gh .-Joseph  d'aller  à  Paris  se  li- 
vrer à  ses  nouvelles  études;  mais 
la  sollicitude  maternelle  stipula 
qu'il  ne  s'écarterait  sous  nul  pré- 
texte du  giron  de  l'université  de 
Louvain.  C'était  en  1783.  Quatre 
ans  plus  tard,  nous  le  retrouvons 
de  retour  en  sa  cité  ,  muni  de 
tous  les  grades  ad  hoc  et  inscrit 
sur  le  tableau  des  avocats  au  con- 
seil de  Flandre.  Mais  il  ne  plaidait 
pas  ;  et  ce  qni  d'abord  peut-être 
n'était  que  manque  d'occasion  (les 
clients  en  etfet  ne  fourmillent  guè- 
res  chez  les  stagiaires  nouveaux 
émoulus)  semble  être  devenu  sys- 
tème chez  notre  débutant.  Il  faut 
avouer  d'ailleurs  que  ce  n'est  pas 
par  la  prestesse  et  la  grâce  de  la 
faconde  que  se  recommandait  le 
jeune  légiste,  que  la  faute  en  ait 
été  au  sang  belge,  ou  qu'il  faille 
s'en  prendre  à  cette  interrup- 
tion des  humanités  mentionnée 
par  nous,  ou  même  qu'on  n'y 
doive  chercher  d'autre  cause  que 
sa  position  pécuniaire.  Héritier 
bientôt  après  sa  sortie  de  Louvain, 
il  n'avait  aucun  besoin  urgent  de 
battre  monnaie,  et  de  rehausser 
par  l'accroissement  de  ses  revenus 
l'auréole  de  patriciat  dont  pou- 
vaient se  targuer  les  Van  Ilutlem; 
nous  disons  de  patriciat  et  non  de 
noblesse  •  Gand  avait  des  nobles  à 
peu  de  chose  près  leurs  homonymes, 
les  Van  lluttem,  à  qui  des  lettres 
patentes  de  Philippe  IV  avaient,  en 
1659,  conféré  le  privilège  nobi- 
liaire ;  et  même  il  s'est  trouvé  bon 
nomi)re  de  gens  qui,  dupes  de  la 
similitude  des  deux  noms,  ont  at- 
tribué il  ccux-lJi  ce  (pii  n'était  exa(tt 
que  de  ceux-ci.  Noble  ou  patricien, 
membre  du  premier  ordre  ou  de 
l'ordre  équestre,  notre  jeune  Belge 


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au  moment  où  la  révolution  belge, 
de  1789  lit  explosion,  siégeait  au 
conseil  de  la  ville  de  Gand.  Les 
passions  mises  en  éveil  par  l'ini- 
lialive  gouvernementale  elle-même 
n'étaient  rien  moins  que  disposées 
à  rentrer  dans  l'assoupissement  dès 
qu'on  se  repentait  en  haut.  Une 
conflagration  donc  était  imminente, 
et  prendre  parti  était  malaisé.  Van 
Huttem  n'hésita  pas;  et  quoique 
en  général  aux  époques  d'efferves- 
cence, la  modération  soit  ce  que 
l'on  tolère  le  moins,  se  renfermant 
dans  la  stricte  sphère  de  ses  fonc- 
tions, il  s'occupa  (ie  faire  échouer 
en  silence  plus  que  de  censurer 
avec  éclat  les  excès  de  quelque  part 
qu'ils  partissent,  et  s'acquit  ainsi 
Teslime,  sinon  de  tous,  au  moins 
des  sages  et  de  ceux  qui  devaient 
en  lin  de  compte  devenir  maîtres 
de  la  situation.  Aussi  fut-il  choisi 
membre  de  ladéputation  queGand 
chargea  de  porter  à  l'archiduchesse 
Marie-Christine  et  au  prince  Albert 
de  Saxe-Teschen,  lors  de  leur  re- 
tour, l'expression  de  sa  joie  et  de 
ses  vœux.  Il  ne  tint  pas  à  lui  que 
cette  restauration  ne  fût  quelque 
chose  de  mieux  (ju'un  replâtrage. 
Des  courses  assez  fréquentes  à  Pa- 
ris où  nul  n'a  plus  chance  de  faire 
bonne  chasse  que  le  furet  de  cu- 
riosités littéraires  lavaient  initié 
aux  modernes  idées  françaises,  et 
il  eût  pu  donner  de  bons  conseils 
aux  meneurs  des  affaires  publiques 
à  Bruxelles.  Mais  les  vigoureux 
écoutent  peu  les  clairvoyants. 
I/Awlriche  lança  ses  boulets  sur  la 
capitale  de  la  Flandre  française  ; 
la  Flandre  aulrichieiuie  subit  hicn- 
lùt  les  représailles  de  la  France.  Uu- 
mouriez  vain([uil  à  Jemmapes;  les 
intrigues  intestines  pullulèrent  à 
Bruxelles  et  dans  tous  le^  grands 
cenli  es  belges  ;  et  maigre  les  elTorts, 


malgré  la  présence  de  François  II 
en  personne,  venu  pour  traiter 
«avec M. de  Robespierre  »  ethaper 
en  eau  trouble,  avec  le  cercle  de 
Bourgogne,  le  moindre  lopin  de 
territoire  que  la  Convention  lui  cé- 
derait (les  génies  du  conseil  auli- 
que  en  étaient  encore  là!)  les  ha- 
biles sentaient  que  le  jour  de 
l'annexion  à  la  France  n'était  pas 
loin.  Van  Huttem,  en  loyal  citoyen, 
fut  un  de  ceux  qui  portèrent  obsta- 
cle de  tous  leurs  faibles  moyens  à 
la  réalisation  de  cette  chute  de  la 
maison  régnante,  et  il  se  lit  assez 
remarquer  |)ar  ses  efforts  en  e(; 
sens  pour  être  quelque  temps 
comme  séquestré  en  France,  bien 
que  l'on  colorât  la  mesure  en  pré- 
tendant ne  ie  garder  qu'à  titre  do- 
tage  jusqu'à  paiement  intégral  de 
la  contribution  de  guerre  frappée 
sur  les  Belges  par  la  conquèti;.  Le 
9  thermidor  brisa  ses  fers.  Rede- 
venu libre,  il  ne  louda  pas  à  toute 
outrance  la  domination  nouvelle. 
Il  sentait  que  le  fait  accompli 
l'année  d'avant  eiait  irrémédia- 
ble, ou  du  moins  qu'une  réparation, 
.s'il  devait  s'en  produire,  se  ferait 
longtemps  attendre;  et  il  cr,m|)rit 
que ,  la  dynastie  parlant,  la  patrie 
restait.  Il  se  voua  donc  corps  et 
âme  au  culte  de  la  patrie,  profitant 
de  la  sécularisation  de  tant  de  cou- 
vents rayés  du  sol  belge  par  l'épée 
pî»ssablemenl  voltairienne  alors  des 
Brennus;  il  réunit  les  dépouilles 
précieuses,  plantes,  livres,  manu- 
scritsqu'enavailéparpillésaux  qua- 
tre vents  le  caprice  de  Vandales 
qui  n'étaient  pas  tous  des  Français. 
Et  la  l)il)liothe(juc  publique  et  le 
jardin  botani(iUe  de  Gajid  lui  doi- 
vent ainsi  leur  naissance;  et  si  h'u'U 
dautres depuis marehèrent, de  près 
ou  (le  loin,  sur  ses  traces,  1  on  n»* 
saurait  oublier  de  qui  partit  l'im- 


Ik 


VAN 


pulsion.  Ses  compatriotes  ne  l'ou- 
blii'rent  pas  ;  les  électeurs  de  Gand 
le  portèrent,  en  1797,  au  Conseil 
des  Cinq-Cents,  puis  rélurent  mem- 
bre du  Tribunal  en  1802,  et  linale- 
ment  le  placèrent  sur  leur  liste  des 
candidats  au  Séiîat  conservateur  en 
1804.  Nul  doute  (jue   la  voix  du 
maitre  n'eùi  sanctionné  cette  pré- 
sentation, si  Van  IliiKem,  en  Pho- 
cion,  en  grand  homme  de  Plutar- 
que,  n'eût  spontanément  déclaré 
qu'il  lui  manquait  trois  ans  pour 
avoir  l'âge  exigé  par  la  Constitu- 
tion. Il  resta  donc  au  Tribunatjus- 
qu'à  la  suppression  de  ce  corps,  en 
1808.  Le   rectorat  de  l'Ecole   de 
droit  de  Bruxelles  lut  ensuite,  soit 
la  récompense  de  ses  travaux,  soit 
a  consolation  de  son  éloignement 
de  la  capitale  de  l'empire.  Est-ce 
même  avec  regret  qu'il  la  quittait? 
bien  qu'il  fût  sincèrement  l'ami  de 
la  France,  on   n'oserait  repondre 
oui  :  se  rapprocher  de   sa    chère 
ville  de  Gand  avait  toujours  été  son 
vœu.  Le  roi  de  Hollande,  en  18i:i, 
lui  continua  l'estime  dont  il  avait 
joui  pendant  la   période  napoléo- 
nienne, et  il  neùt  tenu  t|uà  lui  de 
poursuivre   la    carrière   des   hon- 
neurs. Il  ne  se  |)rèta  que  molle- 
ment à  ce  qu'on  avait  de>sein   de 
faire  pour  lui.  Designé  pour  aller 
reconnaître  et  reprendre   tant  les 
manusciits  que  l(;s  objets  d'ait  ré- 
trocédés par  la  France  à  la  Belgique, 
dont  ces  trésors  avaient  en   partie 
paye  la    rançon,   il   déclina  cette 
mission  inconciliable  avec  les  liens 
qui  l'avaii  ni  uni  au  Paris  intellec- 
tuel et  lit  mieux  que  Canova  qui , 
débutant  comme  lui  par  le  relus, 
liiMt  parmérit(;r  le  sobriquet  d'em- 
balleur de  la  Sainle-Allian(  e.  Peu 
de  temps  après  il  acceptait  le  poste 
(honorable  et  lucratif  autant  (ju'lio- 
•  norable)  de  greflier  de  la  2'  cham- 


VAN 

bre  des  Eitats  généraux.  Toutefois 
il  trouva  bientôt  qui>  les  travaux  de 
cette   place  ,  travaux  auxquels  le 
rendait  éminemment  apte  son  es- 
prit d'ordre  et  d'exactitude  étaient 
aussi   monotones    que    minutieux 
(sur  ce  point  nous  ne  pouvons  nier 
qu'il  eût  trop  complètement  raison), 
etildonnarésolûmenisa  démission, 
au  grand  plaisir  des  concurrents 
pour  lesquels  les  émargements  à  qua- 
tre chiffres    chaque    mois  sont  la 
félicité,  que  dis-je?  sont  la  gloire 
suprême.  On  aurait  pu  croire  du 
moins  que,  secrétaire  perpétuel  de 
l'Académie  des  sciences  et  belles- 
lettres  de  Bruxelles,  il  serait  là  dans 
un  élément  assez  selon  son  cœur, 
pour  passer  par-dessus  les  incon- 
vénients de  la  charge;  il  n'en  fut 
rien  non  |)lus ,  et  celte  fois  encore 
il  laissa  des  dépouibes   opimes  à 
disputer  à  ceux   qui   trouvent  ail 
wcll,  îhaVa  paid  well.  S'il  eût  été 
payé  en  tétradrachmes,  en  hyper- 
pères,  en  nobles  à   la  rose,  peut- 
être  eût-il  gardé  son  poste  jusqu'au 
bout,  car  la  numismatique  le  dis- 
putait en  ses  pensei-s  au  goût  biblio- 
graphique  et  à  celui  des  estampes, 
l.es  liens  administratifs,  au  reste, 
ne  furent  pas  les  seuls  dont  il  s'af- 
franchit pour  n'êtr'e  pas  gêné  dans 
ses  amours  :  il  avait  d'assez  bonne 
heure,  pris  sa  résolution  de  ne  passe 
marier.  Ayant  ainsi  tout  son  temj)sà 
lui,  bon  connaivsseur  et  à  l'alfûl  des 
occasions,  il  emplit  sa  maison  de 
maints  tr(;sor'S,  bien  cpie  nousne  pré- 
tendions pas  qu'il  faille  juger  de  la 
qualité  par  le  chilfie;  et  il  réalisait 
au  milieu  des  livres  et  des  œuvres 
de  la  gravure  ,  cette  vie  contempla- 
tive de   l'intelligence  toute  i»  I  art 
elà  la  science,  qui,  l'on  doit  le  re- 
eonnaitr»!,  était  sotr  idéal  et  qui  plus 
que  toute  autre  a  chance  d  échap- 
per aux  commotions,  aux  déceptions 


VAN 

sérieuses.  Il  finit  cependant  par  en 
éprouver  de  poignantes  et  d'amères. 
Il  eut  le  malh^'ur,  vers  1827  ou  un 
peu  plus  tard,  d'aller,  docile  au  suf- 
frage des  Gantois,  siéger  aux  états 
généraux  ;  et  pour  comble  de  mal- 
heur, en  1830,  lors  de  la  révolu- 
lion  qui  scinda   le    royaume   des 
Pays-Bas,  il  vit  des  mains  sacrilè- 
ges, les  mains  des  volontaires  de 
Bruxelles  transformer  en  caitou- 
ches   ce  qu'il  avait  de  livres   en 
cette  ville.  L'anéantissement  de  tant 
de  richesses  le  plongea  dans  un 
cccablement,  dars  un  marasme  dont 
il  ne  se  remit  jamais  compléiement. 
Il  survécut  quatre  ans  encore  pour- 
tant, mais  ombre  de  lui-même;  et 
personne  ne  fut  surpris,  quand  une 
apoplexie  foudroyanlt"  l'acheva  le 
46  décembre  183:2.  Van   Hutlem  , 
pendant  son  séjour  à   Paris,  culti- 
vait de  préférence  les  savants  et  les 
bibliographes  en  renom,  les  van 
Praét,  les   dom    Dria!,    l'abbé  de 
Saint-Léger,  et  le  bibliothécaire, 
Leblond.   Il  aimait  a  soutenir  des 
jeunes  gens  qui  venaient  se  per- 
fectionner  il    Paris,    plus    libres, 
eux,  de  se  livrer  à  leurs  aspirations 
juvéniles  qu'il  ne  l'avait  été  jadis, 
et  il  secondait,  soit  par  ses  libéra- 
lités ,  soit   par  ses   conseils    leurs 
**tudes  artistiques;  il  les  réunissait 
parfois  à  sa  table  brillamment  ser- 
vie en  ces  jours  de  fête,  et  aux  deux 
services  obligés,  il  annexait  parfois 
des  discours,  toujours  relatifs  aux 
objets  du  culte  commun." Ne  nous 
étonnons  donc  pas  que  van  lluttem 
ait  trouvé  un  biographe,  M.  Voisin, 
le  même  à  qui  nous  devons  et  le 
catalogue  de  sa  bibliothèque,  Gand, 
6  vol.  in-8.  1S36-37,  et  le  Calalo- 
>jue  raisonné  de  dessim  et  d' estampes 
formant  le  cabinet  de  M.  van  lluttem, 
Cand,  1840,  in-8,  x\  et  SÎ>1  pages. 
Ce  cabinet  se  composait  de  près  de 


VAN 


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30,000  pièces.  La  bibliothèque,  in- 
dépendamment   des    manuscrits  , 
formait  à  peu  près   un  total   de 
soixante-dix  mille  volumes,  dont 
beaucoup  avaient  leurs  marges  char- 
géesd'annotationsiustruclives  ayant 
trait,  les  unes  à  la  géographie  et  à 
l'histoire,  les  autres  à  la  bibliogra- 
phie ou  à  la  littérature  de  la  Bel- 
gique.  Les   cartouches    n'avaient 
donc  pas  tout  absorbé!  Le  gouver- 
nement belge  fut  à  même  d'enri- 
chir encore  bien  des  bibliothèques 
publiques  en  acquérant  ce  qui  res- 
tait de  celle  de  van  Huttem.  — Que 
si  l'on  vient  nous  demander  si  les 
œuvres  de  l'ex-propriétaire  de  ces 
myriades  de  livres  en  augmentaient 
beaucoup   la  masse,  nous  sommes 
forcé  de  répondre  par  la  négative. 
ÎN'ous  l'avons  vu  muet  au  barreau: 
muet  il  fut  au  conseil  des  Cinq- 
Cents;  et  il  ne  lut  que  quelques  rap- 
ports,   très-pertinents  du  reste  et 
forts  de  choses  au  Tribunat.  Ecri- 
v:iin,  il  le  fut  tout  aussi  peu  qu'o- 
rateur. S'il  encouragea  les  littéra- 
teurs, ce  ne  fut  pas  par  sou  exemple, 
personne  moins  que  lui  ne  fut  tra- 
vaillé de  ce  que  le  bilieux  Juvénal 
^ommescrihendi  caroethes.  En  cher- 
chant  bien   pourtant,  on  pourrait 
trouver  de  lui  jusqu'à  trois,  peut- 
être  jusqu'à  quatre  discours  tirés  à 
part:  deux  avaient  été  prononcés 
en  I80<i  et  1807,  à  ces  banquets  où 
Tes  jeunes  artistes,  ses  compatriotes, 
portaient  avec  ses  vins  des  toasts 
à  l'art  et  ît  leur  Mécène;  un  autre, 
datant  de  '82G  et  par  lequel  il  ou- 
vrit la  distribution  des  prix  î»  l'A- 
cadémie royale  de  peinture  et  de 
scul|)ture  de  Bruxelles,  peut  être 
cons»dté  par  qui  serait  curieux  de 
constater  le  mouvement  de  l'art  en 
|{elgi(i  le  et    contribuer  à   fournir 
des  éléments  à  son  histoire  ;  mais 
mieux  \aul  encore,  i\  tous  égards. 


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VAN 


VAN 


son  Rapport  sur  Pélal  ancien  et  mo- 
derne de  VagrieuUure  et  de  la  bota- 
nique dans  les  Pays-Bas,  prononcé 
le  29  juin  1817  à  l'Académie  des 
sciences  et  belles  lettres  de  Bruxel- 
les. Ce  nest  pas  écrit;  mais  les  faits 
intéressants ,  fruits  de  conscien- 
cieuses et  laborieuses  recherches, 
s'y  pressent  en  foule  et  démontrent 
sans  réplique  quel  obsei;valeur , 
quel  praticien  même  était  le  fon- 
dateur du  jardin  botanique  de 
Gand.  Val.  P. 

VANIER  (  Victor  -  Augustin), 
laborieux  et  utile  grammairien, 
ap|)arteRjit,  par  la  date  de  sa  nais- 
sance (21  février  J7G9),  à  cette  fa- 
meuse année  pendant  laquelle  la 
nature  semble  s'être  mise,  plus  qu'à 
toute  autre  éj)oque,  comme  en  dé- 
pense de  grands  hommes  futurs  : 
nous  ne  prétendons  pas  leur  com- 
parer Vanier;  mais,  ne  fût-ce  que 
comme  curieux  hasard,  nous  si- 
gnalons la  coïncidence.  Enfant  de 
Surène,  il  fit  ses  études  chez  les 
Bénédictins  de  Saint-Germain-des- 
Prés,  et  s'y  montra  plutôt  studieux 
élève  que  lauréat  brillant  :  il  ne 
fui  pas  héros  de  concours.  Il  n'a- 
vait que  peu  ou  point  de  fortune 
en  perspective  :  il  fut  donc  heureux 
d'entrer  dans  les  bureaux  où  nous 
le  verrons  figurer  durant  dix-neuf 
ù  vinct  ans  (1791-1810).  Il  changea 
fréquemment  de  ministère  pendant 
ces  quatre  lustres  :  après  avoir  dé- 
buté à  la  justice,  k  la  seconde  di- 
vision, qu'on  nommait  aussi  divi- 
sion de  l'envoi  des  lois,  il  dut 
passer  à  l'intérieur  en  qualité  de 
simple  sous-chef  au  conseil  des 
mines,  d'où  finalement  il  fut  re- 
versé sur  le  miiîistère  de  la  guerre. 
Son  premier  litre,  y  fut  celui  de 
contrôleur  du  service  des  vivres. 
Tout  An  ni  bal  que  fût  le  maître, 
il  n'était  pas  toujours  loisible  alors 


aux  employés  de  s'endormir  dans 
les  délices  de  Capoue;  et  Vanier 
non-seulement  quitta  bientôt  Paris, 
mais  vit  bien  du  pays  avant  d'y  re- 
mettre les  pieds.  Il  était,  en  <805, 
à  l'armée  des  Pyrénées-Orientales 
comme  chef  des  équipages.  De  la 
frontière  espagnole,  il  fut  expédié 
(l'année  se  devine  d'elle-même,... 
1809)  à  l'armée  des  provinces  llly- 
riennes,  auprès  de  laquelle  il  re- 
prit son  ancienne  spécialité  de 
contrôleur  du  service  des  vivres. 
Le  contact  des  Dalmates,  Morlaques 
et  autres  Croates  ou  Pandours, 
n'eut  que  peu  de  charmes  pour  lui; 
et,  dès  l'année  suivante,  il  demanda 
sérieusement,  non  un  avancement, 
non  son  changement,  mais  pure- 
ment et  simj)lement  sa  retraite. 
Jouissant  alors  de  tous  ses  moments 
et  ne  dépassant  que  de  |)eu  la  qua- 
rantaine, il  ne  comptait  pas  com- 
me tant  d'autres  stagner  dans  un 
monotone  repos.  Au  temps  même 
où  l'on  ne  pouvait  voir  en  lui  qu'un 
des  rouages  du  grand  moulin  admi- 
nistratif, il  sentait  le  besoin  de  se- 
couer la  poussière  des  bureaux  et  de 
ne  pas  rester,  ainsi  quêtant  de  rap- 
ports mort-nés  et  tant  de  dossiers, 
enseveli  dans  les  cartons  du  mi- 
nistère. Il  lisait,...  et,  chose  assez 
rare,  vu  les  temps  et  les  circons- 
tance, pour  un  quasi-militaire, 
il  ne  lisait  rien  de  la  famille 
des  Barons  de  Felsheim  ou  de 
Caroline  de  Licfitfield.  Condillac 
faisait  ses  délices,  Giraud-Duvi- 
vier  et  le  président  de  Brosses 
étaient  ses  amours;  sans  goûter  plus 
qu'on  ne  la  goûtait  en  ces  années 
de  grâce  1804-1810  la  métaphysi- 
que proprement  dite,  il  se  pas- 
sionnait insensiblement  pour  la  mé- 
taphysique du  langage,  et  natura- 
lisé citoyen  de  la  république  des 
lettres,  c'est  à  la  grammaire  seu- 


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ement,  mais  à  la  grammaire  trans- 
cendante qu'il  voua  ses  veilles.  Il  y 
prit  très-vite  son  rang.  Dès  avant 
la  fin  (le  1810,  il  professait,  auto- 
risé par  le  ministie  de  l'intérieur, 
des  cours  publics  à   TOratoire.  Un 
peu  plus  tard,  il  imagina  de  don- 
ner chez  lui  des  «  soirées  grammati- 
cales »...  elles  ne  laissèrent  pas  d'a- 
voir le  retentissement  un  peu  mo- 
deste que  pouvaient  avoir  des  séan- 
ces si  peu  musicales,  si  peu    dan- 
santes :  des  membres   de   l'Insti- 
tut  s'y    rendaient ,    Mercier    no- 
tamment et  l'abbé  Sicard  ,    dont 
exactitude  à  elle-seuie   était   un 
éloge  pour  celui  qu'ils  visitaient; 
beaucoup  de  membres  de  l'Acadé- 
mie grammaticale,  fondée  en  1807 
par  Domergue,   et  reconstituée  en 
1810  sous  le  titre  de  Société  gram- 
maticalc,  y  assistaient  également.  A 
vrai  dire,  la  société  (comme  l'Aca- 
démie naguère,  après   la  mort  de 
Domergue),  était  tombée   en  lan- 
gueur ;  et  à  la  léthargie  de  la  phase 
précédente,  semblait   devoir  sous 
peu  succéder  la  mort.  On  ne  peut 
nier  que    les   efforts   de   Vanier, 
n'aient,  plus  que  toute  autre  coo- 
pération, ranimé  le  feu  sacré. Grâce 
à  sa  persévérance,  la  savante  com- 
pagnie, en  janvier  <814,  renaquit 
de  ses   cendres,   se  créa  des  res- 
yources  budgétaires,  et  en  vint  à 
publier,  à  paitir   d'avril  1818,  un 
recueil  périodique  {les  Annalea  de 
fjrammaire).  Vanier,  ce  n'était   (jue 
justice,  en    eut  souvent  la  piési- 
dence.  Ce   qui  caractérise   surtout 
Vanier,  c'est,    tout  en  sachant  se 
préserver  de  l'exagération  (jui  com- 
promet tout,  en  se   déclarant,   par 
exemple,  contre  le   radicalisme  de 
la  réforme  orthographique  de  Mar- 
ie (Voy.  plus  bas  à  la  Uibliographie, 
\\°  vin) ,  c'est,  disons-nous,  sa  per- 
pétuelle tendance  à  l'extrême  sim- 


plicité, qu'il  atteint  souvent  et  dont 
il  approche   toujours.  Nul,   mieux 
que  lui,  n'a  compris  que  simplifier 
c'est  perfectionner  ;  que  le  méca- 
nisme qui  prouve  le  plus  de  génie, 
c'est  le  mécanisme  le  plus  simple. 
Son  but  constant,   c'est  donc  de 
renvoyer  sous  la  remise  les  machi- 
nes de  Marly  dont  n'était  que  trop 
encombrée  la  grammaire.  Il  en  a 
brisé    plus  d'une,  loué  en  fin   de 
compte  par  ceux  mêmes  qui  d'abord 
l'avaient  trouvé  mal  fondé  dans  ses 
assertions,  téméraire   dans  ses  as- 
pirations. Longtemps  l'abbé  Sicard 
avait  brillé  à  la   tète  de  ceux  qui 
défendaient  la  voyelle  complexe,  ou, 
si  l'on  veut,  la  diphthongue  oi  con- 
tre ce  qu'on  appelle  fort  gratuite- 
ment  l'orthographe  de    Voltaire  ; 
l'argumenialion  pressante  et  serrée 
en  mèmetemi)squ'émaillée  d'exem- 
ples  choisis,  par   laquelle  Vanier 
soutint  les  ai,  non-seulement  triom- 
pha de  la  résistance  de  son  illustre 
antagoniste,  mais  encore  le  déter- 
mina, séance  tenante,  à  se  recon- 
naître néophyte  de  la  doctrinequ'il 
venait  de  combattre  et  à  s'en  oflVir 
comme  un  futur  champion  à  l'Aca- 
démie française.  Il  a,  sinon  le  pre- 
mier, du  moins    un  des  premiers, 
proclamé  que  les  (juatre  conjugai- 
sons peuvent   se  léduire    à   une 
seule,  et  même  il   a  voulu  y  et;  (|ui 
pourra  sembler  outré,  mais  ce  qui 
ri^au  confirme  pas  moins  ce  que 
nous  avons  dit   de    son  besoin  de 
simplifier  partout  et  toujours^,  que 
le  type  unique  des  quatre  formes 
fût  le  verbe  u  être.  »  La  théorie  des 
participes,  si  compliquée,  si  «har- 
gée  d'exceplions,  et  qui  nécessite 
tant    d'explications  où  Tobscurilé 
le  dispute  à  l'arbitraire,  se  résume 
chez   lui  par  une  seule  règle,  la- 
quelle lient  à   ec  qu'il  croit  (|u'il 
n'existe  en  notre  langue  qu'un  m'uI 


78 


VANT 


VAN 


participe.  Nous   ne   disons    point 
que.  pris  absolument  et  sous  toutes 
ses  faces  sans  réser>es  aucunes,  ce 
point  de  vue  soit  inattaquable  ;  nuiis 
enfin  le  grammairien  le  plus  spiri- 
tuel et  le  plus  rompu  aux  mille  pe- 
tits caprices  du  langage,  tant  chez 
les  anciens   que  chez  nous,  s'ex- 
prime ainsi  dans  son  compte-rendu 
de  l'ouvrage  de  Vanier,  sur  cette 
matière  épineuse.   «  Je  n'ai  point 
vu,  dit  Boissonnade,  de  traité  où  la 
question  des  participes,  si  embrouil- 
lée par   nos  grammairiens  ,    soit 
ramenée  à  des  termes  si  simples.  » 
Ajoutons    d'ailleurs  que    presque 
toutes  les   idées  de  Vanier,   d'une 
part,  ont  reçu  la  sanction  ou  l'é- 
quivalent de  la  sanction  universi- 
taire, de  l'autre,  ont  passé  (qu'on 
l'ait  nommé  ou  non)  dans  les  gram- 
maires les  plus  usuelles.  Des  com- 
pilateurs ont  eu  le  profit  de  ses  ef- 
forts :  qu'au  moins,   et  tout  en  se 
préservant  de  l'exagération,  il  en 
ait  l'honneur.    Nous   terminerons 
par  la  liste  à  ))eu  près  méthodique 
d'S  ouvrages  de    cet  habile  et  con- 
sciencieux   écrivain.  I.    Cours   de 
Grammaire   rmsonnéc  (insérée   en 
partie  dans  la  Bibliothèque  des  pè- 
res de  famille) .  II.  Grammaire  pra- 
tique (adoptée  par  l'Université  de 
France),  Paris,  1824,    in  12.    Un 
critique  a  dit  :  «  L'auteur  y  suit  la 
marche  de  la  nature  ;  il  exerce  les 
elève's  à  la  pratique,  les  règles  ne 
viennent  plus  que  comme  de  sim- 
ples remarrpies  qui  naissent   d'el- 
les -  mêmes  de;  l'observation   des 
faits...  Excellente  méthode...  de- 
puis  lon^tf*m[)S  signalée  i)ar   nos 
grands  maîtres,  Ilollin,    Uousseau 
et  les  solitaires  de  Poi  t-lloyal  », 
III.  Trfiit(^  simplif}f''  des  coujuqaisons 
françaises.  Paris,  iHt'J,  iii-12.  IV; 
Instruction  pour  t'inlelliqence  du  ta- 
bleau synoptique  des  quatre  conjw- 


gaisons  sur  le  seul  paradigme   du 
verbe  être  (extrait  de  la   Gramm. 
pr.  n°  II,   ci-dessus),   Paris,  in-f*, 
gr.  raisin,  avec  ou  sans  le  tableau, 
(lequel   est   imprimé   en  noir   et 
rouge).  Comme  toutes  les  synopsies 
bien  dressées,  celle-ci  est  appétis- 
sante :   par  les  yeux,   elle  parle  à 
l'intelligence  ;et,  rinlelligenceplus 
profondément  imbue,  tous  les  traits 
s'incrustent  et  facilement  et  ineffa- 
çablement  dans  la  mémoire.  V.  La 
Clef  des  participes,  Paris,  1812,  in- 
12,  5'"  éd.  1834.   C'est  l'ouvrage  si 
décisivement  recommandé  par  no- 
tre grand  helléniste  (voy.  plus  haut). 
\l.  Traité  d'analyse  logique  et  gram- 
maticale, Paris,  1726;  2^  éd.  1827. 
VII.  Dictionnaire  grammatical  cri- 
tique et  philosophique  de  la  langue 
française,  Paris,  183G,  in-8".  VIII. 
La  réforme  orthographique  aux  pri- 
ses avec  le  peuple^  ou  le  pour  et  le 
contre  ,   Paris  ,    1829.   in-32,     2" 
édition   1829.    XI.    L'art   d'ensei- 
gnei'  aux  enfants  et    aux  adultes, 
Paris,   1838,  \n-H\  X.  Oraison  fu- 
nèbre de  feu  Achille  FAna   Michal- 
lon,  etc.,  Paris,   1822.  Le  peintre, 
objet  de  cet   opuscule,  était  son 
cousin.  Vanier  avait  piomis,  pour 
compléter   sa  Grammaire  pratique 
trois  autres  traités:  l'un  iVanalyse, 
l'autre   de   syntaxe,  le  dernier  de 
ponctuation.  Il  est  probable  qu'ils 
existent    au  moins  en  manuscrit. 
Il  existe  d'un  autre   Vanieu  (llip- 
polyie),  parent  sans  doute  et  peut- 
être  fils   de   Victor-Augustin,    un 
Cours  de  lecture  sans   épellatiou... 
ou  Méthode  qui  résout  la  difficulté 
de  l'enseignement   et  de  la  lecture 
sans  l élude  préalable  de  l'alphabet, 
Paris,  1838,  in-8%  32  pages  et  24 
tableaux,  ou  in-18,  .3f)   p.  et  1  t. 
Val.  p. 
VAN  KAMPEÎV,  historien  hol- 
landais, naquit.à  Harlem  le  15  mars 


VAX 

1776.  11  reçut  dans  cette  ville  sa 
première  éducation  et  fut  ensuite 
envoyé  à  Leiden  pour  y  apprendre 
le  commerce  de  la  librairie.  Là  il 
se  forma  de  lui-même,  étudia  avec 
succès  les  langues  anciennes  et  mo- 
dernes, particulièrement  l'allemand 
et  le  français.  La  première  institu- 
tion dans  laquelle  il  avait  été  placé 
à  Harlem  était  dirigée  par  un  Fran- 
çais du  nom  de  Desbarrières,  établi 
dans  le  pays.  Ayant  perdu  son  père, 
il  se  rendit  à  Crefeld,  près  d'un 
oncle  pateniel;  il  y  continua  ses 
études  et  s'y  distingua  par  une  ap- 
j)lication  extraordinaire.  Son  int^'l- 
ligence  et  sa  mémoire  étaient  des 
plus  étonnantes;  il  s'adonna  prin- 
cipalement à  l'étude  de  l'histoire 
et  de  la  géographie. 

De  1806  à  1829,  c'est-à-dire 
pendant  l'espace  de  23  ans,  il  ne 
remporta  pas  moins  de  10  médail- 
les dont  2  en  or  et  8  en  argent, dans 
divers  concours  ouverts  par  plu- 
sieurs académies  et  sociétés  savan- 
tes de  son  pays,  sur  des  questions 
scientifiques  et  littéraires  de  tous 
genres. 

Il  fut,  à  l'université  de  Leiden, 
lecteur  de  langue  allemande  jusqu'à 

1829,  époque  à  laquelle  il  devint 
professeur  de  littérature  néerlan- 
daise et  d'histoire  nationale  à  l'A- 
thénée   d'Amsterdam.    Enfin,    en 

1830,  il  fut  élu  membre  de  la  troi- 
.sième  classe  de  l'Institut  néerlan- 
daise. La  vit'  de  cet  homme  célèbre 
fut  des  |)lus  laborieuses;  il  écrivit 
une  foule  d'ouvrages  qui  tous  reçu- 
rent du  public  le  plus  ex«;ellent 
accueil;  les  principaux  sont:  Ik'un- 
tés  morales  de  ïauliqmU.  i  vol. 
in-8M.»'iden  1811.— W/sfoln-  dr  la 
domiu'ition  française  en  Europe,  8 
vol.  in-8°Delfi,  1823.  —  Coup  d'œil 
historique  sur  les  grands  ('vénemenls 
européens  depuis  la  paix  d'Amiens 


VA\ 


79 


jusqu'au  siège  de  Paris,  2  parties, 
grand  in-8°,  Leiden,  1814.  — Essai 
d'une  Histoire  des  Croisades  jusqu'en 
1291,  4  vol.in-8",  Harlem,  1826.— 
Abrégé  de  ÏHistoire  des  Pays-Bas^ 
2  vol.  in-8",  Harlem,  1827.  —  Le 
Globe  considéré  dans  sa  constitution 
naturelle  et  dans  ses  divisions  en 
mers,  rivières,  lacs,  montagnes  et 
déserts,  2  vol.  in-8»,  Harlem,  1824. 

—  Histoire  abrégée  des  lettres  et  des 
sciences  dans  les  Pays-Bas  jusqu'au 
commencement  du  xix*  siècle,  3  vol. 
in-8'',Delft,1826. — Le  caractère  na- 
tional, ou  Esquisses  caractéristiques 
d'époques  et  de  personnages  de  l'His- 
toire des  Pays-Bas,  2  vol.  in-8", 
Harlem,  1826.  —  Histoire  des  Hol- 
landais hors  de  l'Europe,  3  vol.  in-8°, 
4  parties,  Harlem,  1832.  —  Histoire 
de  la  Grèce,! \o\.  in-8%Dclfl,  1827. 

—  Mémorial  du  courage  et  de  la  fidé- 
lité hollandaisependant  la  révolution 
belge.  —  Description  statistique  et 
géographique  du  royaume  des  Pays- 
Bas,  1  vol.  in-8",  Harlem,  1827.— 
Manuel  de  la  littérature  allemande, 
2  vol.  in-8",  Harlem,  1825.  —  Choix 
de  morceaux  de  littérature  française, 
1  vol.  in-8",  Zutphen,  [^M.  — Choix 
de  morceaux  de  prosateurs  néerlan- 
dais du  wr  au  xix'"  siècle,  3  |)ar- 
tics.  —  Manuel  de  l'Histoire  litté- 
raire, des  principaux  peuples  de  l'Eu- 
rnpe,  4  vol.  —  L'Afrique  et  ses 
habitants,  d'après  les  découvertes 
le»  plus  récentes,  3  vol.  in-8»  Har- 
lem, 1829.  —  Le  Levant,  3  vol.  in-8°. 

—  La  Grèce  et  la  Turquie  euro- 
péenne.—  La  Russie  européenne ,  etc. 
De  ^813  à  1S21,  il  édita,  avec  le 
professeur  Tydenian,  10  livraisons 
de  la  Revue  intitulée  Mnémosyne.  De 
IS22  à  1830,  il  fut  chargé  seul  de 
la  rédaction  du  Magasin  des  scien- 
ces, arts  et  lettres,  dont  il  a  paru 
10  volumes  et  qu'il  continua  depuis 
1832  avec  le  professcurJ.de  Vriés. 


80 


VAN 


Plusieurs    des  ouvrages  de  Vau- 
Kampen  ont  été  réimprimés.  Tous, 
sauf  un  seul,  ÏHistoirc  des  Pays- 
Bas^  écrite  en  allemand  pour   la 
collection  de  Hecren  et  Uckert,  sont 
écrits  en  hollandais.  On  peut  lui 
reprocher,  comme  à  tous  les  poly- 
graphcs,  des   inexactitudes;  mais 
son  style  coulant  et  facile,  qui,  dans 
l'occasion,  s'élève  avec  force,  fait 
passer  le  lecteur  sur  de  moindres 
défauts.  Tout  le  monde  reconnaît 
dans  cet  écrivain  une  science  solide, 
une  grande  rapidité  de  conception 
et  une  extrême  facilité.  On  conçoit 
difficilement  comment,  au  milieu  de 
ses  nombreuses  relations  sociales, 
il  a  pu  trouver  le  temps  d'écrire 
tant  de  volumes.  Il  mourut  le  io 
mars  1839   à  Amsterdam,  et   ses 
restes  furent  rapportés  à  Harlem, 
où   ils  furent  inhumés  le  22   du 
même  mois.  Le  professeur  S.  Mul- 
ier,  du  séminaire  mennonite,  pro- 
nonça sur  sa  tombe   une  oraison 
funèbre.  11  appartenait  à  la  commu- 
nion anabaptiste  et  mennonite.    Z. 
VAN  MAANEN  (Cokneille-Fé- 
Lix) ,  l'homme  politique  le  plus  fa- 
meux des  Pa}  s-Bas,  par  sa  versatilité 
d'abord  et  ensuite  par  l'excès  de 
son    zèle    absolutiste.  Il    était    de 
La  Haye  et  né  vers  1770.  Etudiant 
en  droit,  il  suivit  plus  assidûment, 
plus  attentivement  que  le  vulgaire 
de  ses  condisciples,  les  cours  des 
professeurs,  et  passa  ses  examens 
avec  honneur.  Inscrit  bientôt  sur  le 
ableau  des  avocats  de  sa  ville  na- 
tale, il  ne  larda  pas  à  s'y  créer, 
tant  par  ses  consultations  que  par 
ses    plaidoiries,  une  clientèle    de 
bon  aloi  qui  posa  les  fondements  de 
sa  réputation,  mais  (ju'ii  sut  accroî- 
tre en  prenant  une  paît  des  plus 
actives  aux   débats  politiques  p;ir 
lesquels  alors  était  troublée  la  Hol- 
lande. Soit  calcul,  soit  conviction. 


VAN 

soit  ardeur  de   l'Age,  il  grossit  les 
rangs  du  parti  le  plus  à  la  mode  et 
même,  à  vrai  dire,  le  plus  fort;  du 
parti  (jue  soutenait,   par  son  con- 
cours moral  du  moins,  en  atten- 
dant une  coopération  plus  palpable 
encore,  le  cabinet  de  Louis  XVI; 
du  parti  patriote,  hostile  aux  Nas- 
sau et  par  suite  au   stadhoudérat. 
Lafaveur,  aux  moments  de  lutte  et 
de  crise,  étant  toujours  à  celui  qui 
crie  le  plus  fort,  et  notre  jeune 
avocat  ayant  le  verbe  haut,  il  fut 
bien  vite   un   des    coryphées   des 
anti-orangistes  et  l'un  de  ceux  que 
familièrement  on  qualifiait  de  ré- 
publicains et  qui  méritaient  assez 
ce    nom.  Evidemment    il    croyait 
leur  prochain    triomphe   certain  ! 
Mais  tout  à  coup  (1788)  survinrent 
les  gros  bataillons,  non  pas  de  l'Au- 
triche, assez  occupée  alors  de  ses 
propres  affaires  à  Bruxelles,  mais 
de    leur    voisine   la    Prusse,  qui 
conq)tait  bien  pécher  en  eau  trou- 
ble et    ne  pas   tirer   les   marrons 
du    feu    au    profit   des    Nassau , 
sans  en  emporter  sa  part  et  même 
double    et    triple    part.    Le     duc 
de  Brunswick  était  en  tête  de  l'ar- 
mée expéditionnaire.  Ce  môme  duc 
naïf  qui  (juatre  ans  plus  tard,  en- 
vahissait nos   provinces    avec   70 
à  80,000  hommes,  commençait  par 
nous  catéchiser  à  grands  coups  de 
manifeste  et  finissait  par  battre  en 
lelraite  après   Valmy,   les   mains 
]»leiiies  des  dépouilles  des  égorgés 
de  septembre  (Voyez  Dumouriez), 
en  attendant  que   la   catastrophe 
plus  écrasante  et  presque  aussi  dés- 
honorante   de    léna  mît  du  même 
coup  à  néant  et  ce   qu'il  appelait 
ses    lauriers,    et   l'armée   de  son 
maître.   Si    les   diplomates  de   la 
n)onarchic  française,  debout  encore 
alors,  avaient  eu  dans  les  veines, 
quelque  chose  de  la  vigueur  et  de 


VAN 

l'adresse  que  déploya  plus  tard 
contre  ce  Germain  le  comité  de  la 
commune  de  Paris,  nul  doute  que 
la  faction  orangiste  n'eût  été  battue 
à  plat.  Mais  des  ordres  survinrent 
de  Versailles  en  vertu  desquels  les 
troupes  françaises,  réunies  sur  la 
frontière,  durent  se  retirer.  Les  pa- 
triotes abandonnés  ne  purent  son- 
ger à  se  défendre;  et  le  Brunswick, 
grand  enfonceur  de  portes  ou\er- 
tes,  fut  à  l'apogée  de  sa  gloire.  C'est 
même  cette  trop  facile  campagne  qui 
donna  tant  de  confiance  à  ses  ca- 
])oraux  quand  il  envahit  la  Lorraine 
et  la  Champagne,  et  qui  leur 
faisait  dire  pour  exprimer  à  quel 
point  la  guerre  avec  la  France 
leur  semblait  bagatelle  et  niaise- 
rie :  Patrioikrieg.  —  Comique  con- 
fiance qui  n'a  de  pendant  ([ue  dans 
celle  de  ces  jeunes  et  braves  étour- 
dis de  l'émigration,  qui  croyaient 
que  rentrer  en  Franco  était  une 
«  partie  de  chasse,  »  confiance 
dont  nous  ne  saurions  nous  plain- 
dre, puisque,  se  heurtant  immé- 
diatement aux  faits,  elle  n'a  pas 
laissé  d'aider  aux  vingt  ans  de  vic- 
toires de  la  Révolution.  Quoi  qu'il 
en  soit,  les  provinces  néerlandaises, 
|)our  l'heure,  n'avaient  plus  qu'à 
se  courber  silencieusement  sous  la 
prépondérance  de  celui  qui  s'était 
iait  acclamer  stadhouder  général. 
C'estàquoise  résigna  Van  Maaneii. 
mais  il  faut  le  dire,  sans  abjurer 
ses  convictions,  qui,  toutefois,  ne 
pouvaient  le  mettre  en  grand 
péril,  tant  (lu'ellcs  ne  se  tradui- 
saient pas  en  actes  offensifs.  Les 
événements  de  France  donnaient 
d'ailleurs  à  réfléchir  aux  plus  légers. 
aux  plus  téméraires,  et  nul,  en 
voyant  s'accumuler  les  nuages, 
sur  d'en  voir  jaillir  la  foudre,  ne 
pouvait  dire  qui  la  foudre  irait 
frapper.    L'on    atteignit   ainsi  les 

LXXXV 


VAN 


81 


jours  de  Valmy,  de  Jemmapes , 
puis  f794,  1795.  Les  paris  pour 
l'absolutisme  trouvaient  de  moins 
en  moins  d'adhérents.  Le  dictateur 
des  Provinces-Unies  finit  par  n'a- 
voir pas  d'autre  ressource  qu'une 
fugue  des  plus  accidentées,  et  fut 
heureux  de  trouver  un  asile  en 
Angleterre,  où  toute  la  haine  du  bi- 
lieux Pitt  contre  la  France  ne  l'em- 
pêcha pas  de  mourir  stadhouder 
in  partibus  et  ne  léguant  à  son  fils 
que  des  prétentions.  Pendant  ce 
temps,  Van  Maanen  moissonnait 
les  réconq)enses  de  son  enthou- 
siaste adhésion  à  la  cause  des  pa- 
triotes. Il  est  vrai  que  d'abord  on 
ne  lui  donna  rang  dans  le  par- 
quet piès  la  cour  d'appel  de  la 
province  de  Hollande  que  comme 
substitut  de  l'avocat  fiscal.  Mais  ce  % 
grain  de  millet  presque  dérisoire,  à 
force  d'être  insuffisant  pour  son 
appétit,  se  transforma  bientôt  en 
quelque  chose  de  plus  sonore  et 
de  plus  lucratif.  La  même  cour  eut 
à  saluer  en  lui  son  procureur  géné- 
ral, ïl  apporta,  selon  sa  coutume, 
beaucoup  de  zèle ,  quelques-uns 
diraient  beaucoup  d'exagération 
dans  ses  nouvelles  fonctions;  mais 
ses  pas  n'\  furent  pas  tous  signa- 
lés par  des  prodiges.  Ayant  voulu 
|)araitre  en  j)ersonne  dans  l'affaire 
\an  Darel,  il  termina  son  réqui- 
sitoire contre  un  accusé  dont  le 
crime  était  d'a>oir  répondu  à  quel- 
ques lellres  des  réfugiés  ses  amis, 
en  demandant  la  peine  de  mort. 
Le  triitunal  lejela  cette  requête 
sanglante  et  ne  jirononça  (juc 
cinq  années  de  détention ,  ce  que 
même  roi)inion  générale  regarda 
connue  une  peine  sévère.  Enfin, 
quand  la  république  bata\e  devint 
royaume  de  Hollande  sous  Louis 
Bonaparte,  le  procureur  général, 
moulant  encore  en  grade,  de\int 
6 


t^ 


VAN 


minisire  de  la  justice.  Ostensible- 
ment il  ne  tu  rien  là  qui  vaille  la 
peine  d'être  relaté  par  Thistoire.  Il 
fut  comme  les  heureux  sinccurisles 
à(iui  le  sort  propice  donne  des  por- 
teleaillos  quand  les  temps  sont  cal- 
mes et  qu'un  bras  for  t  lient  les  tempê- 
tes enteiniées  dans  routre,émargeur 
fidèle  et  ponctuelle  machine  à  si- 
gnatures. Mais  pouV  qui  voudrait 
pénétrer  au-dessous  de  Técorce 
et  percer  l'aubier ,  il  est  croyable 
que  les  particularités  ne  manque- 
raient pas.  On  sait  combien  l'ex- 
cellent roi  Louis  avait  pris  au  sé- 
rieux le  rôle  auquel  l'avait  élevé  Na- 
poléon ;  ([ue  la  couronne  à  ses  yeux 
n'était  pas  une  préfecture,  et  que  la 
Hollande,  dès  qu'elle  était  censée 
Etat  indépendant,  devait  être  gou- 
*  vernée  dans  l'intérêtdes Hollandais, 
et  non  au  profit  d'un  Etat  voisin  quel- 
conque. C"est  précisément  le  con- 
traire qu'entendait  Napoléon  ;  et 
par  ses  ordres,  Talleyrand  son  mi- 
nistre, avait  les  yeux  sur  tout  ce 
qui  se  passait  à  la  courde  Hollande  : 
les  entours  du  roi,  ses  ministres 
surtout,  étaient  en  butte  tels  à  des 
attaques  plus  ou  moins  ouvertes, 
tels  à  la  séduction.  Quelle  ligne  de 
conduite  suivit  pendant  ce  conflit  le 
ministre  de  la  justice?  Rien  n'est 
démontré;  mais  il  est  certain quele 
roi  Louis  cessa  de  croire  (pïil  avait 

en  lui  un  serviteur  loyal, d'où 

bientôt  une  destitution  masquée  de 
quelques  mots  de  consolation.  Est- 
ce  à  diro  que  le  saire  et  conscien- 
cieux i»rince  était  trompé  soit  par 
son  imagination,  soit  par  des  ca- 
lotnnialciirs?  La  biogr;iphie  Jay- 
Jouy-Norvins  dit  Cxx,  149):  «  L'an- 
cien paliiotismc  de  M.  Van  Maanen 
aurait  du  le  mettre  à  l'abri  d'un 
pareil  souj  con.  v  L'écrivain  veut- il 
dire  par  cette  phrase  que  l'inqjuta- 
tion  tombe  d'elle-même?  ou  bien 


VAN 

indique-t-il  qu'elle  ne  manque  pas 
de  consistance,  puisqu'elle  a  trouvé 
créance  «  en  dépit  des  probabilités 
contraires?  »  Pour  notre  part,  sans 
affirmer  positivement  ce  fait,  nous 
penchons  fort  pour  l'opinion  du  roi 
Louis.  L'empereur ,  lorsqu'il  ne 
trouvait  pas  les  influences  dont 
l'appui  lui  faisait  besoin  au  jour  de 
circonstances  graves,  assez  ductiles 
ou  malléables  et  au  gré  de  son  im- 
patience, avait  as$>(it  Coutume  de 
leur  dénier  les  hautes  vues,  l'intel- 
ligence compréhensive,  et  disait , 
leur  donnant  d'un  mot  leur  brevet 
d'esprits  médiocres  :  «  .le  le  croyais 
plus  homme  d'Etat.  »  Eh  bien  I  il 
nous  semble  que  Van  Maanen  fit 
acte  de  parfait  homme  d'Etat,  comme 
l'entendait  le  prolfîcteur  et  le  mé- 
diateur des  Confédérations.  En 
effet,  lorsque  l'éphémère  royaume 
de  Hollande  eut  été  incorporé  au 
grand  em[)ire,  immédiatement  un 
brevet  de  conseiller  d'Etat  alla  de 
la  part  de  Napoléon  chercher  Van 
Maanen  au  fond  de  sa  retraite  et  lui 
présager  que  sa  période  de  disgrâ- 
ces alla-t  finir.  Le  présage  se  véri- 
fia dès  l'année  suivante  :  il  reçut, 
en  échange  du  siège  qui  n'avait  été 
pour  lui  qu'un  gage  en  attendant 
mieux,  la  première  présidence  delà 
cour  impériale  de  la  Haye.  Plus 
tard  enfin  l'empereur  orna  sa  jtoi- 
trine  des  insignes  de  commandeur 
grand'croix  del'ordrederUnion.  Au 
milieu  de  tous  ces  succès,  tombèrent 
coup  sur  coup  les  événements  de 
1813  et  de  1814.  Tout  autre  aurait 
été  désarçonné  parla  marche  impé- 
tueuse de  la  catastrophée!  de  (hmx 
choses  l'une, ou  serait  tombé  victime 
desa  fidélité  à  sesconvictionselà  ses 
serments  ou  bien  se  serait  désho- 
noré par  sapromptc  conformité  aux 
événements  les  plus  contraires  soit 
à  ses  devoirs,  soit  à  ses  principes. 


VAN 

Van  Maanen  sut  marcher  entre  les 
deux  écueils  :  il  n'avait  aucune  en- 
vie de  faire  le  deuxième  torae  du 
héros  d'Utique  et  de  donner  lieu  aux 
jeunes  humanistes  hataves  de  lire 
ainsi  le  distique  d'Horace: 

El  cuncla  terrariim  subacla 
Praeter  alroccm  anii;uim  Maanon. 

Mais  il  ne  voulait  pas  se  salir 
assez  pour  être  imprésentahle  et 
pour  que  les  plus  déterminés  flat- 
teurs rougissent  de  chanter  ses 
louanges.  Voici  donc  quelle  fut  son 
allure.  D'abord,  malgré  les  sinis- 
tres trop  parlants  et  de  Prague  et 
de  Leipzig,  il  ne  se  hâta  pas  de  dé- 
sespérer de  l'étoile  de  l'empereur, 
dont  il  appréciait,  en  calme  et 
froid  observateur,  l'indomptable 
énergie  et  l'esprit  de  ressources;  et, 
lors  même  que  la  révolution  de 
novembre  à  la  Haye  eût  comme 
sonné  le  glas  de  la  domination 
française  en  Hollande,  il  tint  bon, 
biaisant  un  peu  ou  s'abslenant, 
mais  ne  commettant  pas  et  dans  sa 
sphère  ne  permettant  pas  un  acte 
dont  Napoléon,  s'il  fût  resté  vain- 
queur, eût  pu  lui  faire  un  reproche. 
Il  eût  donc  pu  dire  aux  amis  de 
l'empire  (ju'il  fut  dévoué  à  l'em- 
l)ire,  tant  qu'il  y  eut  un  empire. 
Mais  enfin  voici  la  seconde  [>liase. 
Nous  sommes  au  lendemain  du 
31  mars  1814  ;  nous  avons  atteint 
ce  moment  où  l'empire  a  cessé  d'ê- 
tre, où  tous  h's  rejetons  des  vi-^illos 
souches  princières  surgissent  rede- 
mandant (pii  son  électoral,  (|ui 
son  tiers  ou  quart  de  grand-duché, 
qui  ses  salines  et  qui  son  cncbivc, 
où  sous  les  auspices  de  Casticreagh, 
Wellington,  etc.,  le  tils  du  ci-de- 
vant premier  et  dernier  stadluiuder 
général  des  Provinc(;s-Unies  vient 
les  administrer  j)rovisoirenieht  souk 
l'œil  anglais,  en  attendant  qu'il  de- 


VAN 


83 


vienne,  sous  le  titre  de  roi  des  Pays- 
Bas,  préfet  de  la  Sainte-Alliance  et 
garde-clef  des  citadelles  dont  on 
hérisse  contre  nous  la  frontière 
belge.  Que  va  devenir  et  h  quoi  va 
se  résoudre  dans  cette  débâcle  le  pa- 
triote de  1787  et  1795,  le  haut  di- 
gnitaire des  gouvernements  nés  de 
la  révolution,  l'afrancesado  fidèle 
jusqu'à  la  dernière  minute  à  l'usur- 
pateur français,  on  pourrait  dire 
presque  l'ennemi  personnel  de 
tout  ce  qui  portait  le  nom  de  Nas- 
sau. Il  obtint  audience  de  ce  can- 
didat à  la  couronne  néerlandaise; 
et  lui  prouva  sans  doute  que  nul 
mieux  que  lui  n'était  à  même,  si  le 
roi  savait  se  l'attachei',  de  l'éclairer 
sur  les  personnes  à  redouter  et  sur 
les  menées  hostiles;  il  termina,  ce 
nous  semble,  en  demandant  que 
son  zèle  fût  mis  à  l'épreuve.  Celte 
conversation  n'ayant  été  transmise 
j)ar  Van  Maanen  à  personne,  il  est 
évident  que  nous  ne  donnons  ici 
nos  paroles  ([ue  sous  toutes  réser- 
ves; mais  elles  ressorlent,  à  noire 
avis,  de  la  nature  des  faits  qui 
précèdent  et  qui  suivent.  Les  hom- 
mes d'État,  lorsqu'ils  oui  manié 
pratiquement  les  afiaires  vingt  ans 
durant,  ont  vu  s'égrener  beaucoup 
de  scrupules  au  vent  des  besoins  du 
jour;  et  lorsqu'ils  ont  été  mêles  à 
des  affaires  grandioses,  à  un  en- 
semble gigantesque,  ils  ne  gardent 
plus  qu'un  terne  et  pâle  souvenir 
des  j)etiles  agitations,  des  petite» 
rivalités,  des  j)elites  hyines  de  leur 
jeune  âge  :  il  est  donc  sim|>le  que 
Van  Maan<Mi,  à  moins  que  quelque 
injyiv  nouvelle  eût  ravivé  de  \  ieilles 
plaies,  n'en  lui  plus  à  iinimilié 
avec  la  maison  stadhoudériennesi 
longtemps  enfouie  dans  l'ondji-e  et 
si  nii(;roscopi(pie  en  lac»;  des  gran- 
des commulions  donl  i  Euroj»e  ve- 
nait d'être    le   théâtre.   Quant   au 


H 


VAN 


patriotii?me  et  aux  idées  républi- 
caines, il  y  avait  longtemps  qu'il 
nelait  plus  imbu  du  premier, 
puisque  la  transformation  du 
royaume  indépendant  de  Hollande 
en  huit  départements  du  grand 
empire  ne  l'avait  pas  eflarouché; 
il  y  avait  longtemps  aussi  que  le 
régime  napoléonien  Tavait  désha- 
bitué de  celles-là.  Ceci  posé,  il  de- 
vient clair  que  ce  n'est  pas  de  1814 
qu'il  faut  dater  ce  que  les  uns  ap- 
pellent l'apostasie,  ce  que  nous 
nous  bornons  à  nommer  le  chan- 
gement de  Van  Maanen.  Ce  chan- 
gement est  l'œuvre  graduelle  et 
presque  inaperçue  du  temps.  Répu- 
blicain (ou  si  l'on  veut  patriote) 
en  même  temps  qu'hostile  à  la  fa- 
mille qui  veut  cunuiler  les  stad- 
houdérals  pour  extraire  de  ce  cu- 
mul une  sienne  monarchie,  il  est 
par  cela  même  du  système  fran- 
çais sous  Louis  XVI,  à  ]»lus  forte 
raison  sous  la  convention  ;  ami  de 
la  France,  il  la  sert  et  comme  chef 
du  parquet  quand  la  Batavie  est 
ré[)ubli(iue ,  et  connne  nnnistre 
lorsque  la  Hollande  devient  royau- 
me: ministre  d'un  monarque,  il 
comprend  les  avantages,  la  simpli- 
cité, la  rapidité  du  mécanisme  mo- 
narchique; les  cojivictions  iéj)iibli- 
raines  s'afFaiblissent  d'autant,  les 
prédilections  républicaines  s'attié- 
dissent de  mrme:  les  (luchpics  an- 
nées sous  la  domination  directe  cl 
sous  l'œil  du  génie  qui  régit  l'Eu- 
rope de  rOféaii  au  Niémen  achè- 
vent l'œuvre.  Ambitieux  et  sufti- 
.«arament  jeune  encore,  Van  Maa- 
nen arrive  donc  devant  Oiiillaimie, 
non  pas  i»ur  d'antécédents,  mais 
libre  de  tons  ses  antécédents:  il 
n'a  j»lus  de  tendresse,  j)Ius  de  faible 
pour  la  république,  il  n'a  plus 
d'antipathie  pour  les  Nassau  et 
jamais  il  n'en  a  déployé  contre  le 


VAN 

personnage  auguste  avec  lequel  il 
a    l'hoimeur    de   s'entretenir!    Ce 
n'est  pas  tout,  les  événements  des 
vingt  et  une  dernières  années  l'ont 
convaincu  que  sept  provinces  for- 
mant sept  petits  États  à  part  ne  va- 
lent par  le  quart  de  ce  qu'elles  vau- 
draient fondues  en  un  seul  sous  un 
seul  chef;  et  quel  peut  être  ce  chef, 
si  ce  n'est  un  indigène    d'illustre 
maison  ?  et  quel  sera  cet  indigène 
si  ce  n'est  un  Nassau  ?  Les  Pays- 
Bas  ont  donc  besoin  de  Guillaume. 
Mais  Guillaume,  à  qui  les  anciens 
patriotes  feront  opposition,  a  besoin 
d'un    tacticien    qui   les  sache   par 
cœur,  eux  et  leurs  manœuvres;  ce 
tacticien  c'est  un  des  leurs,  ramené 
par     l'expérience     à     la    résipis- 
cence, tandis  qu'ils  sont  voués,  eux, 
à  l'impénitence  finale  ;  ce  tacticien, 
c'est   Van   Maanen.    Guillaume    a 
donc  besoin  de  Van  Maanen  (on 
doit  être  heureux  de  trouver  sous 
sa  main  un  Van  Maanen} ,  connue 
les  Pays-Bas  ont  besoin  de  Guil- 
laume. Le  ]»rince  déjà  mur  à  ([uï 
nous  supposons  qu'on  tenait  (juel- 
(jue    chose    de   ce    langage,    était 
de  force  à  le  comprendre  et  à  en 
faire  son  prolil;    il   n'avait  point 
horreur, comme  son  voisin  des  Tui- 
leries,   ((  de  se  coucher  dans  les 
draps  (leBonapaile;  »  il  sentait  que 
ce  dominateur  des  trônes  avait  dres- 
sé sescliambell.'iMs  à  faire  comme  il 
faut  le  lit  monarchi(|ue.  V  an  Maanen 
donc,  non-seulement  nv,  perdit  pas 
sa  présidence,  mais  encore  il  fut 
chargé,  à  titre pi'ovisoire  il  eslvrai, 
du  ]»orlefeuille  de  la  justice  ;  et  c'est 
lui  (jui,  (iansTas-^emblée  des  nota- 
bles d'Amsterdam,  en  1814,  porta  la 
parole  ensaqualité  de  ministre,  au 
nom  du  i"oi Guillaume,  pour  ouvrii*  la 
session  dans  kKjuelle  devait  s'éla- 
borer la  nouvelle  loi  fondamentale. 
Un  moment  encore  pourlantl'inccr- 


VAN 


VAN 


85 


titude  plana  sur  les  destins  de  la 
Belgique  et  de  la  Hollande.  Les 
Genl-Joiirs  faillirent  tout  remettre 
en  question,  ou  plutôt  résoudre  au 
profit  de  la  France  et  à  la  confusion 
des  protégés  de  Gastlereagh  la  ques- 
tion remise  soudain  sur  le  tapis.  Mais 
la  jalousie  britannique  triompha  : 
Blucher  aidant,  la  France  fut  réen- 
vahie par  les  Cosaques  ;  la  clause 
des  actes  de  Vienne  qui  créait 
un  royaume  des  Pays-Bas  et  qui 
faisait  des  Nassau  une  dynastie 
sous  laquelle  se  fondraient  et  ces 
ex  -  républicaines  Provinces  -  Unies 
protestantes  et  ces  ex -autrichiens 
Pays-Bas  catholiques,  sortit  du 
pays  des  songes  pour  prendre  place 
dans  le  domaine  des  réalités.  Guil- 
laume I"  d'Orange  fut  proclamé 
roi.  II  continua  quelque  temps  en- 
core les  épreuves  sur  son  ministre 
provisoire,  dont  il  irritait  la  soif  par 
l'attente;  enfin,  le  1 0  novembre  1816, 
fut  signée  sa  nomination  si  forte- 
ment, si  anxieusement  poursuivie. 
Van  Maanen,  au  bout  de  huit  ans, 
retrouva  donc  auprès  de  Guillaume 
le  rang  qu'il  avait  auprès  de  Louis- 
Napoléon.  Mais  sa  mission,  celle 
qu'il  arcepte  du  moins,  n'est  plus  la 
mémo  :  au  temps  de  remj)ire,  il  n'a- 
vait qu'à  travailler  au  développe- 
ment des  ressources  du  royaume, 
soit  au  i)()int  de  vue  exclusif  des  ré- 
gnicolcs,  soit  au  point  de  vue  fran- 
çais; etdansl'un  comme  dans  l'auli-e 
cas,  loyal  ministre  de  Louis,  ou 
clandestin  instrument  de  l'empe- 
reur, il  avait  sa  part  d'une  œuvre 
de  progrès  et  d'expansion.  Mainte- 
nant, qu'on  appelle  ou  non  [>rogrès 
la  modilicalion  ([u'on  projette,  c'est 
décomprimer  et  de  restreindre cpi'il 
s'agit. Ou'il  y  ait  des  instants  dans 
lesqiif'ls  la  restriction  soit  oppor- 
tune et  la  compression  indis|i«'ii- 
sahle  ,     tout    ifiipo|»nlaire    jpi'eile 


puisse  être .  c'est  ce  que  nous  ne 
nions,  ni  ne  recherchons;  mais, en 
adhérant  au  principe,  tout  homme 
d'État  et  tout  sage  se  dira  que,  lors- 
qu'on l'applique, il  faut  savoir  gra- 
duer les  doses,  en  d'autres  termes 
apporter    des   tempéraments,    et, 
somme  toute,  ne  pas  ajouter  au 
nombre  des  ennemis  les  mécontents. 
Pour  ces  juges  impartiaux  et  com- 
pétents, il  ne  s'agit  donc,  en  admet- 
tant le  rôle  nouveau  qu'assume  Van 
Maanen  et  que,  l'on  a  pu  s'en  con- 
vaincre, nous  n'avons  pas  essayé 
de  noircir,  il  ne  s'agit,  disons-nous 
que  d'examiner  s'il  s'y  prit  de  ma- 
nière à  réaliser   son  programme, 
c'est-à-dire  à  brider   malcontenfs 
et  révolutionnaires, et  à  établir  sur 
la  pierre  un  trône  qui   n'était  en- 
core que  sur  le  sable  mouvant.  En 
effet,  il  commença  par  serrer  la 
bride  un  peu  fort.  De  deux  piojets 
de  loi  qu'il  porta  et  soutint  devant 
la    seconde    chambre   en    l'année 
parlementaire  1817-1818,  la  pre- 
mière retranchait  à  la  liberté  de  la 
presse  presque  tout  ce  que  la  lé- 
gislation restrictive  en  laissait  en- 
core debout:  la  seconde,  bien  au- 
trement étonnante  proclamait  que 
la  chasse,  d'un  bout  à  l'autre  du 
royaume,  faisait  partiede  la  préro- 
gative royale;  eu  termes  plus  nets, 
que  les  propriétaires  de  biens-fonds 
n'avaient  pas  droit  de  chasser  sur 
leurs  propres  terres. En  absolutisme 
du  nioius,  c'était  un  i)rogrès.  Tou- 
tefois, ce  ne  fui  pas  son  triomphe  : 
en  dépit  de  ses  exordes  ])ar   insi- 
nuations, de  ses  confirmations  vic- 
torieuses et  de  ses  péroraisons  à  la 
milonienne,  ses  deux  malheureux 
projets  tombèrent  à  plat.  Les  éter- 
nels   ennemis   des  trônes   avaient 
réussi  à  rallier  à   leur  cause  ces 
égoïstes  propriétaires  qui    tenaient 
à  transmettre  int;icl  à  kur^  til<  le 


86 


VAN 


VAN 


«  droit  (lu  sport,  »  et  qui  croyaient 
avoir  acheté  avec  la  terre  le  gibier 
qu'elle  nourrissait.  Ces  mal-inten- 
tionnésl'emportèrent  et  mèmepous- 
sèrent  la  cruauté  jusqu'cà  refuser  au 
vaincu  la  consolation  qu'il  requérait 
à  grands  cris  de  rappeler  à  l'ordre 
le  député  d'Otrange,  qui  l'avait  per- 
cé à  jour,  jiaché  menu  et  orné  d'un 
de  ces  sobriquets  qui  restent  dans 
toutes  les  mémoires.  Ce  double 
échec,  après  lequel  un  ministère  an- 
glais aurait  offerten  masse  sa  démis- 
sion (mais  nous  ne  sommes  pas  en 
Angleterre),  ne  fit  que  pitpier  au 
jeu  Je  ministre  et  probablement 
aussi  son  maître.  Van  Maanen  ima- 
gina, pour  alieindre  plus  sûrement 
les  récalcitrants  et  préparer  les. 
voies  aux  lois  qu'il  avait  surle  mé- 
tier, de  remettre  eu  activité  une 
espèce  de  conseil  ])révôtai ,  ou  tri- 
bunal martial,  établi  temporaire- 
ment et  d'urgence,  sans  formes 
aucunes,  en  1813  et  1814,  quand 
ce  qu'on  nommait  l'ennemi  (c'est- 
à-dire  un  reste  de  l'armée  frajiçaise) 
était  aux  portes,  et  qui  depuis  la 
pacification  générale  était  tombé 
de  lui-môme  :  ce  conseil  était  (jua- 
lifié  de  «  cour  spéciale  extraordi- 
naire; »  il  n'y  eut  d'un  bout  à 
l'autre  du  royaumequ'un  cri  contre 
rette  résurrection.  L'ex-procureur- 
général,  aux  convictions  près,  tou- 
jours Je  même  que  lor.>(pi'il  requé- 
rait des  juî:es  la  tète  de  Van  Driel 
(en  ce  moment  son  collègue)  crut 
qu'il  suffisait,  pour  écraser  les  ré- 
clamants, de  jeter  un  coup  d'œil 
sur  eux  «  de  toute  la  hauteur  de 
son  dédain,  »  et  donna  ])Our  toute 
rai.son  que  «  celle  cour  n'avait  été 
abolie  par  aucun  acte  public  de 
l'autorité,  »  comme  si  la  cessation 
des  circonstanres  essentiellement 
éphémères  qui  l'avaient  fait  naî- 
tre, comme  si   la  loi  fondamentale 


ne  l'avait  pas  de  longue  main 
mise  à  néant!  «  Que  ne  réta- 
blissez-vous donc  aussi ,  répondit 
une  voix  d'accord  avec  le  senti- 
ment intime  de  tous,  le  conseil  des 
troubles  du  duc  d'Albe?  Il  serait 
malaisé  de  produire  l'acte  qui  le 
supprime.  »  Nous  ne  serions  pas 
surpris  que  Van  Maanen  se  fût 
dit  in  pelto  :  «  Eh,  mais  !  c'est 
une  idée.  »  Heureusement  l'on  no 
parachève  pas  tout  ce  que  l'on 
tente  :  on  a  beau  se  promettre  de 
tout  pourfendre  ;  l'épée  s'émousse 
ou  s'ébrèche  en  route,  le  mousquet 
fait  long  feu.  Il  en  fut  ainsi  des 
foudres  de  Van  Maanen.  La  cour 
spéciale  extraordinaire  tint  séance 
plusieurs  semaines,  iJ  est  vrai;  il 
y  eut  des  amendes,  des  emprison- 
nements, des  exils  ;  mais  les  con- 
damnations capitales  ne  restèrent 
qu'à  l'état  de  menaces;  il  y  eut  des 
victimes;  mais,  sauf  un  prêtre  ca- 
tholique (l'abbé  de  Fœre},des  victi- 
mes que  nul  ne  connaissait  avant  le 
coup  qui  les  frappait,  et  qui  ne  fu- 
rent guère  plus  connues  après  leur 
condamnation.  Ladite  cour  ensuite 
rentra  dans  ses  catacombes  pour  n'en 
plus  sortir;  et  ceux  qui  croyaient 
voir  poindre  sous  la  phraséologie 
et  la  simarre  du  pacha  des  vel- 
léités de  terreur,  eurent  droit  de  se 
dire  :  «  Ne  fait  j)as  de  la  terreur 
(|ui  veut.  »  Le  rancuneux  minis- 
tre pourtant  ne  voulut  pas  qu'on 
rît  sur  toute  la  ligne.  La  presse 
])aya  pour  la  galerie  :  quelques 
écrivains,  non  belges  et  belges,  fu- 
rent emprisonnés,  et  les  uns  ban- 
nis, les  autres  mis  sous  elef,  pour 
faire  contre-poids  à  leur  joie  d'avoir 
vu  s'embourber  le  char  orangiste, 
et  d'avoir,  qui  plus,  qui  moins, 
poussé  à  la  roue,  le  tout  sans  juge- 
ment !  Des  gendarmes  suffisaient 
à  la  besogne,  J'ex-anti- orangiste, 


VAN 

cette  fois,  n'avait  plus  de  ciiambre 
sur  les  bras,  et  le  ministre  de  la 
justice  n'avait  pas  besoin  de  juges. 
Jl  se  serait  non  moins  volontiers 
privé  d'avocats,  les  trouvant  beau- 
coup trop  imbus  à  cette  époque  des 
idées  que  lui-mi'me  proclamait  en 
i  789, alors  qu'il  n'était  qu'un  simple 
soutien  de  la  veuve  et  de  l'orphe- 
lin, adjurant  et  implorant,  n'admi- 
nistrant pas  la  justice.  C'est  ce  dont 
les  moins  clairvoyants  s'aperçu- 
rent dans  rafîaire  Yanderetraelen 
(voy.  ce  nom,  t.  XLVII),  en  1819. 
Cet  écrivain  ayant  été  jeté  en  pri- 
son, six  des  plus  habiles  et  des 
plus  honorables  avocats  du  royaume 
signèrent  une  consultation  en  sa 
fiiveur.  Quoique  celle-ci  lïit  aussi 
modérée  dans  la  forme  que  forte 
de  faits  et  de  raisonnements,  le 
ministre  les  fit  incarcérer  tous  les 
six,  avec  l'intention  positive  de 
les  miner  indéfiniment,  par  les 
longueurs  de  la  détention  préven- 
tive et  d'enlever  à  l'accusé,  par 
l'intimidation  universelle  ,  ses 
moyens  de  défense.  Plusieurs  des 
captifs  tombèrent  malades.  En  dé- 
pit de  cette  tactique  profonde,  Van 
Maanen  ne  réussit  qu'à  soulever  de 
plus  en  plus  les  répugnances  contre 
lui,  à  s'aliéner  le  barreau,  à  mé- 
contenter au  dernier  degré  les 
nombreuses  et  puissantes  clientèles 
(les  six  avocats,  à  rendie  sensible 
le  dissentiment  entre  le  monarque 
et  partie  au  moins  des  sujrls,  (juand , 
forcé  de  mettre  ces  six  av(»cals  en  ju- 
gement, à  Bruxelles,  il  vit  les  masses 
accouiirdcLouvain,  dt'fiand. d'An- 
vers, pour  acclamer  les  persécutés, 
et  finalement  à  nobtenir  de  sa 
magistr.iture  amovible  et  chargée 
de  mille  liens,  pas  même  une  seule, 
une  faible  condamnation.  Il  serait 
tiop  long  (le  suivre  Van  Maanen 
dans  tous  les  actes  de  son  ministère; 


VAN 


87 


les  spécimens  qui  précèdent  suffisent 
pour  le  faire  apprécier,  et  peu  de 
mots  désormais  sont  tout  ce  qu'il 
faut  pour  mettre  à  même  de  préci- 
ser ce  que  fut  l'homme,  ce  que  fut 
le  magistrat, ce  que  fut  le  ministre. 
Homme,  d'une  part,  il  outra  toutes 
ses  opinions ,  non-seulement  en 
paroles,  mais  dans  la  pratique;  de 
l'autre,  il  est  clair  qu'il  ne  saurait 
échapper  au  reproche  d"  inconstance, 
et  quoi  que  nous  ayons  dit,  soit 
pour  expliquer  son  apostasie,  soit 
pour  en  préciser  le  moment ,  ce 
n'est  pas  une  apologie  que  nous 
avons  entreprise.  Qu'on  se  conver- 
tisse, soit ,  mais  dans  le  secret  de 
son  cœur,  sans  en  tirer  lucre,  ou 
portefeuille,  ou  grand-cordon;  et 
surtout,  si  l'on  veut  passer  pour 
homme  sérieux,  qu'on  ne  se  con- 
vertisse pas.  après  avoir  paradé  sur 
la  brèche,  tenant  en  mam,  ie  dra- 
peau opposé  à  celui  qu'on  avait 
précédenmient  porté.  Magistrat ,  il 
n'eut  qu'un  mérite,  celui  de  savoir 
son  droit  :  mais  le  droit,  il  en  était 
le  contempteur,  et  il  ne  cherchait 
dans  la  loi  que  le  moyen  d'être 
légalement  injuste,  rapace  et  op- 
presseur ;  rusé  plutôt  qu'adroit, 
retors  plutôt  qu'éclairé,  sans  con- 
science et  sans  entrailles  ,  il  ne 
voyait  dans  le  code  qu'un  réseau 
à  mailles  perfides  et  impalpables 
où  faire  tréhucher  un  ennemi.  Mi- 
nistre, il  savait  manier  la  parole 
devant  les  chambres,  comnie  au- 
trefois au  barreau;  mais  si  l'élo- 
(pience  est  l'art  de  persuader  mal- 
gré les  f(Uids  secrels.il  en  manqua 
souvent;  jires(iue  confnuelJen>ent 
aussi  l'adresse  lui  lit  ael.iut,et  peu 
de  carrières  ministérielles  ont  été 
marquées  par  |ilus  d'insuci^ès. 
«  L'habilele  politique  suprême  , 
avons-nous  dit ,  c'est  de  din.inuer 
h'  nombre  des  ennemis;  u  on  pour- 


88 


VAN 


VAN 


rait    ajouter  :  et    «    d'augmenter 
celui  des   amis.  »  Si    celte    thèse 
est   vraie  ,    que   penser    de    Van 
^laanen?  Il  fit  exécrer  son  maître. 
Il  voulait  solidifier  le  système  mo- 
narchique et  donner  pour  hase  au 
trône  de  Nassau  le  roc ,  le  granit  ; 
on  reconnut  à  la  première  épreuve 
que  cotte  hase  était ,  en  partie,  non 
moins  friahle  que  le  plâtre  de  Paris, 
à  peine  un  mois  après  juillet  1830, 
Guillaume  tomba  comme  Charles  X, 
et  fut  moins  regretté.  La  faute  n'en 
fut-elle  qu'à  ce  monarque?  Aveugle 
qui  se  l'imaginerait  !   Van  Maanen 
y  contribua  certes  pour  moitié,  si 
ce  n'est  pour  davantage.     Val.  P. 
VA^  MARWM  (^Martin)  ,  sa- 
vant néerlandais  des  plus  ingénieux 
et  des  plus  remarquables  par  la  va- 
riété de  ses  connaissances,  était  de 
Deift  et  naquit,  à  ce  qu'on  pense, 
en  1750,  ou  très-près  de  cette  date. 
Fils  d'un  mathématicien  habile  et 
profond,  il  aimonra  très- jeuneencore 
un   goût   des  plus  vifs  et  d'heu- 
reuses dispositions  pour  la  sci(Mice 
cultivée  par  son  père, et  ce  d^i-nier 
ne  les  laissa  pas  dormir  stériles. 
Son  adolescence  s'écoula  entre  les 
sinus  et  les  tangentes,  entre  les 
logarithmes  et  les  séries;  ilintégra, 
et  la  trace  en  est  sensible  dans  ses 
œuvres,  même  (juand  la  grande  S 
et  le  2  n'en   chamarrent  pas  les 
pages.  Les  mathématiques  pnnrlant 
ne   devinrent  point    sa  spécialité; 
son  père,  lorsqu'il  s'agit  de  l'aider 
à  se  choisir  uno  profession,  lui  fil 
préférer  la  carrière   médicale ,  et 
c'est  avec  ses  vues  que   le  jeune 
homme  se  rendit  à  l'académie  de 
Grœningue.  Il   y  suivit  les  cours 
voulus,  mais   d'autres  encore;   et 
d'inscription   en     inscription ,     de 
grade  en  grade,  il  parvint  fl776) 
au  doctorat  de  médecine  d'une  part, 
et  de  l'autre  au  doctorat  de  philo- 


sophie. (On  sait  que  ce  nom ,  dans 
le  vocabulaire  scolastique  de  l'Al- 
lemagne,  indique  l'ensemble    des 
sciences  philosophiques  et  littérai- 
res. H  était  auteur  dès  cette  époque  ; 
car  quelque  temps  avant   de  sou- 
tenir  sa  thèse,   il   avait  fait  im- 
primer  un  traité  sur  l'électricité, 
({ui  contenait  tout  ce  qu'on  savait 
alors  sur  cette  partie  delà  physique 
à  laquelle  les  Hollandais  (témoin  la 
bouteille  de  Muschenhroek) avaient 
fait  faire  de  si   notables  progrès. 
Sa  thèse  elle-même  sortait  complè- 
tement de  la  ligne.  Elle  ne  se  rat- 
tachait à  la  médecine  qu'indirecte- 
ment et  par  l'intermédiaire  de  la 
matière  médicale,  car  elle  roulait 
toute  sur  la  botanique.    Prise  en 
elle-même  ,  elle  est  en  avant  de  la 
science  de  l'époque,  soit  par  les 
observations  exactes  et  fines  dont 
elle  est  remplie ,  soit  par  les  aper- 
çus   nouveaux    qu'il    groupe  au- 
tour des  faits  que  fournit  l'expé- 
rience. Aussi  était-ce   un  des  étu- 
diants   favoris    du    naturaliste   P. 
Camper,   dont    l'honorable   amitié 
le  suivit  hors   de  la   faculté   grœ- 
ningienne.   Muni    du  brevet.   Van 
Marwm  ne  retourna  point  à  Délit  ; 
il  alla  s'établir  à  Harlem,  et  quel- 
que temps  il  y  praticpia.  La  clien- 
tèle ne  lui  manquait  pas  et  gros- 
sissait; mais,   il  faut  l'avouer,   il 
nianquiiit  clja(|ue  jour  un  ])eu  plus 
à   la    clientèle.  La    physique,    ([ue 
peut-être  dans  les  commencements 
il  n'éludiiiit  (pie  pour  en  lirer  des 
applications  à  la  science  de  guérir, 
envahissait  de    plus    en  plus   ses 
heures,  ses  journées,  ses  semaines  : 
l'attrait    devint  un   goût,  le  goût 
une    passion.   Un  jour   vint  que, 
soit  pour  utiliser  des  travaux  pé- 
cuniairement    inuliles    jusque-là  , 
soit  pour  réhabiliter  et  populariser 
ce  dont  des  envieux  lui  faisaient 


VA\ 


VA\ 


89 


un  crime,  il  ouvrit  un  cours  public 
de  physique. 

Le  cours  eut  du  retentissement 
et  de  la  vogue  ;  il  décida  en  quel- 
que sorte  la  spécialité  définitive  de 
Van  Marwm  :  i?a  vocation  était  de 
répandre,  de  régulariser,  de  per- 
fectionner les  idées  scientifiques: 
le  feu  sacré  s'éteignait  en  lui  lors- 
qu'il s'agissait  de  battre  monolo- 
nemenl  monnaie  à  l'aide  d'une 
science  exclusive  de  toutes  les  au- 
tres, tant  que  l'exploitation  durait. 
Il  était  donc  né  professeur,  ou  rap- 
porteur de  travaux  ou  d'incidents 
scientifiques.  11  eut  le  bonheur  de 
rencontrer  presque  aussitôt  ce  qui 
pouvait  le  mieux  cadrer  avec  ses 
aptitudes  :  la  Société  des  sciences  de 
Harlem  le  choisit  pour  secrétaire. 

Mais  elle-même,  il  faut  l'avouer, 
eût  la  main  heureuse  ce  jour- 
là;  et  si  bientôt  son  nom  jeta  un 
grand  éclat  dans  le  monde  savnnt, 
très-certainement  c'est  à  son  illus- 
tre secrétaire  que  revient  la  grosse 
part  de  cet  heureux  état  de  choses. 
Aux  qualités  essentielles  d'un  se- 
crétaire perpétuel,  c'est-à-dire  à  la 
ponctualité,  à  l'aménité  de  ma- 
nières, à  la  facilité  de  travail,  Vnn 
Marwm  joignait  l'activité  dans  le 
cabinet  elle  laboratoire,  l'impulsion 
sur  ses  entours,  l'esprit  d'initiative, 
d'ordre,  d'organisation  et  de  \icv- 
fectioDuement.  Toute  sa  carrière 
depuis  sa  nomination  au  secréta- 
riat de  la  société  do  llarlem  eu  est 
la  preuve.  Titulain*  quelque  temps 
après  delà  chaire  de  physique,  pour 
laquelle  il  avait  si  brilIanmiiMjt 
prouvé  qu'il  était  le  professeur  mo- 
dèle, et  que  presque  aussitôt  il  put 
cumuler  avec  la  direction  du  «'abinct 
(le  ])iiysiqu('  de  Ta\l<'r,  il  sullil  à 
tout;  par  ses  soins  et  par  le  judi- 
cieux emploi  des  sommes  mises  à 
sa  disposition,  il  éleva  cet  établis- 


sement à  un  degré  de  perfection  et 
de  splendeur  qu'atteignent  à  peine 
les  mieux  rentes  et  les  plus  vastes 
de  l'Europe.  On  y  remarque  no- 
tamment les  gazomètres  et  des  ma- 
chines électriques  gigantesques. 
La  grandeur  n'est  pas  d'ailleurs  le 
seul  mérite  que  Van  Marwm  eût  su 
donner  aux  appareils  :  d'un  grand 
nombre  de  perfectionnements  que 
lui  doivent  les  instruments  scienti- 
fiques, il  en  est  trois  surtout  qui 
méritent  ici  mention  spéciale,  ce 
sont  :  l*"  sa  machine  électrique,  qui 
tient  le  premier  rang  entre  toutes 
et  que  de  longtemps  on  ne  surpas- 
sera pas;  2"  sa  machine  pneumatique 
(universellement  désignée  aujour- 
d'hui par  les  physiciens  sous  le 
nom  de  «  machinede  Van  Marw  m  »); 
3"  son  gazomètre  (modification  de 
celui  de  Lavoisier  et  dont  on  peut 
lire  la  description,  tome  VIIl,  Cour- 
rier (les  Aris  cl  Belle  s- Lettre  s.)  A 
ces  titres  que  présentait  Van 
Marwm  à  l'estime  des  savants  de 
tous  les  pays,  ajoutons,  sans  pré- 
tendre les  détailler,  une  multitude, 
c'est  le  mot,  d'expériences  intéies- 
santes  et  très-variées  qui  presque 
toutes  ont  pris  rang  dans  la  science 
ou  dans  la  technologie:  —  car,  et 
c'est  encore  un  trait  <pie  le  bio- 
graphe aurait  tort  de  négliger,  bon 
nombre  de  celles-ci  sont  des  expli- 
cations dont  [)euvent  tirer  parti  et 
industrie  et  la  vie  quotidienne. 
Le  champ,  du  reste,  eu  est  très- 
v.'irié,  la  physi(pie  et  la  chimie, 
la  botanique  et  rh\drostalique 
[\\[\\\[  été  i)lus  familières  à  l'infaii- 
gable  secrétaire  (pie  les  mathé- 
matiques, sofi  étud(»  première  ou 
la  médecine  sa  piofession.  Car  il 
n'était  pas  de  ces  gentilshonunes 
qui,  selon  l'expression  de  Paul- 
Louis.  «  ont  oublié  toutes  leui<  ma- 
thémathi(jues  »  :  et  c'est    an    <m\ 


90 


VAN 


qu'il  eut  de  cultiver  toujours  ces 
notious  de  son  adolescence  qu'il 
dut  cette  connaissance  étendue  de 
la  mécanique  dont  il  fit  preuve 
dans  une  discussion  avec  Hcrselin. 
L'Institut  des  Pays-Bas  l'admit 
parmi  ses  membres,  et  plusieurs 
sociétés  nationales  et  étrangères 
s'empressèrent  de  se  l'associer. 
Trois  fois  il  avait  rem|)orté  le  prix 
de  physique  à  la  société  de  Rotter- 
dam. (Voy.  plus  bas.)  Ne  pouvant 
donner  ici  la  liste  complète  de  ses 
notes,  observations  et  communica- 
tions, son  Courrier  des  Arts  et  Bel- 
les-Lettres de  Harlem,  liste  qu'il 
faudrait  copier  sur  la  table  des 
matières  de  ce  recueil,  nous  nous 
contenterons  de  signaler  ici  les 
cinq  ouvrages  suivants,  lesquels 
sont  tous  non-seulement  de  plus 
longue  haleine,  mais  aussi  de  plus 
haute  importance.  I.  Traité  de  l'é- 
lectricité, Grœningue,  n76,  in-8° 
(nous  l'avons  caractérisé  plus 
haut).  II.  Mémoire  sur  l'élcctricitéy 
couronné  par  la  Société  batave  pour 
la  philo.sophi(3  expérimentale  de 
Rotterdam  (et  inséré  dans  le  tomo 
\l  des  œuvres  de  cette  Société, 
1781).  III.  Second  mémoire  sur  l'é- 
lectricité, également  couroimé  par 
la  même  Société,  également  in- 
séré dans  son  tome  VI,  mais  en 
1793,  en  société  avec  Paets  Van 
Twostwyck,  que  nous  allons  re- 
trouver son  collaborateur  pour 
l'ouvrage  suivant.  \\ .Surla  nature 
des  exhalaisons  nuisibles  des  ma- 
rais, lieux  d aisance,  hù]ntaux,  mi- 
nes, etc.,  et  sur  tes  moyens  de  tes 
corriger  et  de  secourir  les  personnes 
qui  en  sont  atteintes  (tome  VIII, 
Ï7^7,  des  œuvres  de  la  Société 
plus  haut  nommée,  qui  cette  fois 
encore  couronna  les  deux  auteurs). 
V.  Lettre  à  M.  \olla  sur  la  colonne 
électrique    (en    France)  ,    Harleru 


VAN 

1801,  traduite   depuis  et  par  lui- 
même  en  hollandais.       Val.  P. 

VAN  MUSSCHER  (Michel), 
peintre,  né  à  Rotterdam  en  1645, 
fut  successivement  élève  de  Martin 
Zuagmoolen,  d'Abraham  Van  Tem- 
pel,  de  Gabriel  Metzu  et  d'Adrien 
Van  Ostade.  S'il  n'adopta  exclusi- 
vement la  manière  d'aucun  de  ces 
habiles  maîtres,  il  prit  de  chacun 
d'eux  quelques-unes  de  leurs  qua- 
lités éminentes,  et  produis!.!  des 
ouvrages  remarquables  par  l'ex- 
cellence de  la  couleur,  la  délica- 
tesse du  pinceau,  le  fini  et  le  pré- 
cieux de  l'exécution ,  que  l'on 
met  au  rang  des  meilleures  pro- 
ductions des  Mieris,  des  Metzu,  des 
Jean  Steen,  etc.  Avant  de  se  con- 
sacrer exclusivement  à  ce  genre,  il 
cultiva  d'abord  le  portrait  et  y 
excella  par  la  vérité  de  la  ressem- 
blance, qu'il  savait  concilier  avec 
un  peu  de  flatterie,  etpar  la  beauté, 
la  force  et  l'éclat  du  coloris.  La 
nature  était  sans  cesse  le  modèle 
qu'il  étudiait  avec  le  plus  d'assi- 
duité. On  cite  comme  son  chef- 
d'œuvre  le  tableau  de  famille  où  il 
s'est  peint,  lui,  sa  fenuuect  ses  en- 
fants. Ce  n'est  pas  par  l'ordon- 
nance (jue  brille  cet  ouvrage;  le 
dessin  même  manque  de  correction; 
mais  il  est  d'une  vérité  si  frap- 
pante, le  coloris  en  est  d'une  si 
glande  fraîcheur,  que  ces  qualités 
rachètent  bien  tous  les  défauts 
(pi'uiK^  ci-ili(iue  sévère  peut  lui  re- 
procher. A  peine  pouvait-il  suffire 
à  tous  les  travaux  qui  lui  étaient 
demandés  et  cpj'on  lui  |)ayait  fort 
cher.  La  fortune  qu'il  amassa  par 
ses  ouvrages  lui  servit  à  doimer  à 
ses  enfants  une  excellente  éduca- 
tion et  à  leur  procurer  une  exis- 
tence indépendante  après  sa  mort, 
(jui  arriva  à  Amsterdam  le  40  juin 
1705.  P. -S, 


VAN 


VAN 


91 


VA>'  NKK  (Jacques-Corneille)  , 
un  des  liommes  de  mer  auxquels  la 
Hollande  a  dû  la  naissance  de  son 
riche  commerce  et  de  ses  colonies 
en  Orient,  se  distingue  du  grand 
nombre  de  ceux  qui  méritent  part 
de  cette  louange  ,  —  d'un  côté 
comme  successeur  immédiat  de 
Houtman,  en  d'autres  termes  comme 
le  premier  de  sa  nation  après  Hout- 
man, qui  se  soit  montré  dans  les 
mers  (le  la  ]Malaisie,  —  de  l'autre 
comme  ayant  à  deux  reprises  dififé- 
rentes  promené  la  bannière  des 
Provinces-Unies  dans  ces  parages 
lointains.  Le  premier  de  ces  voya- 
ges se  réfère  aux  années  1598 
et  io99,  il  n'excéda  pas  quatorze 
mois;  le  deuxième  dura  un  peuplas 
de  quatre  ans  (de  IGOO  à  1G04). 
L'un  et  l'autre  yjrésentent  quelques 
traits  dignes  d'être  relevés,  l^endant 
le  premier,  il  était  à  la.  tète  de  huit 
navires,  qui,  tantôt  par  suite  de 
tempêtes,  tantôt  d'après  des  consé- 
quences du  moment  et  pour  varier 
les  résultats  ou  faciliter  les  excur- 
sions, formèrent  deux  liotlille>,  dont 
l'une,  conq)tant  le  plus  gi-and  nom- 
bre de  bùliments  ,  avait  pour  chef 
1»;  capitaine  de  Y  Amsterdam,  Wy- 
i)iai)(l  van  Warwick.  Ce  dernier, 
ayant  été  poussé  par  l'orage  sur 
Madagascar,  aperçut ,  après  avoir 
doublé  le  cap  Sainl-.lulien,  une  île 
à  peu  près  inexplorée  à  cette  épo- 
(jue  et  si  fameuse  depuis  sous  le 
nom  d'Ilo-di'-France.  Les  Portugais 
seuls  l'avaient  signalée  et  s'étaient 
liâtes  d(;  bai)tiser  Cerné,  cette 
terres  lointaine,  (pj'un  navire  par- 
tant de  l'Algarve,  atteint  à  peine 
au  bout  de  1,600  kilomètres  de 
marche;  ils  ne  .-i'élaieiit  pas  don- 
né la  peine  d'examiner  s'il  s'y 
trouvait  des  habita iits.  Van  War- 
wick constata  qu'elle  était  dé- 
serte, lui  donna  en  l'honneur  du 


prince  d'Orange  ou  du  vaisseau 
que  montait  Van  Neck  le  nom  de 
Maurice,  que  plus  tard  remplaça 
celui  que  les  Français  aiment  à  lui 
donner,  et  que  les  Anglais  au- 
jourd'hui ses  possesseurs  lui  main- 
tiennent officiellement.  Pour  Van 
Nek,  il  atteignit  Bantam  avec  ses 
trois  navires  un  mois  avant  la  se- 
conde section  de  la  flotte,  mais  il 
en  trouva  toute  la  population,  ainsi 
que  le  roi,  violemment  irrités  des 
excès  auxquels  s'étaient  portés  les 
compagnons  de  Houtman  et  déter- 
minés à  repousser  toute  relation 
commerciale  ou  autre  avec  les  Hol- 
landais. 11  ne  désespéra  pas,  bien 
que  voyant  à  quel  point  les  esprits 
étaient  tendus  et  quels  ])crils  l'on 
eût  courus  si  l'on  eût  été  moins 
fort.  Il  avait  un  pilote  goudjerate  (du 
nom  d'Abdoul),  grand  aventurier, 
estropiant  les  jargons  malais  et 
fort  délié  :  c'est  lui  qu'il  envoya 
d'abord  à  terre  pour  en  préparer 
les  voies.  Ensuite  vinrent  des  pré- 
sents au  roi,  aux  notables.  Les  en- 
voyés qui  les  présentèrent  eurent 
la  permission  de  revenir,  déployant 
les  patentes  des  États-Généraux  et 
du  prince  Maurice,  et  les  velours, 
les  hanaps,  les  miroirs  dorés,  ai- 
dant, parvinrent  à  faire  compren- 
dre à  ceux  {\v\\  les  écoutaient  les 
mains  pleines  et  dont  la  foule  n'a- 
vait qu'à  prendre  les  ordres,  qu'en- 
tre les  projets  de  Houiman  et  ceux 
de  Van  Nek,  il  n'existait  nulle  pa- 
rité, que  ce  dernier  tenait  ses  cais- 
ses largement  chargées  pour  enri- 
chir le  |)eupleetla  \ille  de  Banlam, 
en  même  temps,  soit  [lour  allécher 
l)ar  l'appit  dun  vaste  gain,  soit 
l)our  enq>ècher  qu'il  ne  prit  envie 
d'un  guet-apens  sur  un  écpiipage 
peu  considérable,  Van  Nek  faisait 
soimer  bien  haut  la  très-prochaine 
arrivée  des  cinq  navires  qui  com- 


92 


VAN 


plétaienl  pour  lui  le  nombre  de  huit 
et  que  montaient  de  cinq  à  six  cents 
hommes,  dont  probablement  il  ne  se 
faisait  pas  de  scrupule  de  doubler 
ou  de   tripler  le  nombre.  De  tous 
ces  colloques  très-activement  suivis, 
mais  chaque  jour  un  peu  moins 
hostiles,   surfrit   ])armi   les  gagne- 
petit  de  Banlam,  la  soif  d'un  tra- 
lic  léonin  avec  les  nouveaux  venus  : 
la  demande  abondant  sur  la  {)lace, 
les  prix  de  leuis  poivres  et  autres 
denrées  se  tendirent,  mais  décidé- 
ment ils  avaient  au  moins  autant  le 
désir  de  vendre  que  les  hollandais 
celui  d'acheter.  Tel  était  le  grand 
but  de  Van  Nek  :  il  avait  dès  lors 
iragné    sa   cause,  et  une  cause  qui 
pouvait  sembler  désespérée.  Nous 
laissons   de  côté  les  incidents  ul- 
térieurs    et     très-secondaires    du 
voyage,  nous  bornant  à  rappeler  que 
l'aller  et  le  retour  de  Van  Nek  lui- 
même  neprirentquede13  à  1  imois, 
et  nous  nous  hâtons  de  passer  au 
second.  Il  n'eumienait  celte  fois  que 
f-îix   navires.  Ne  trouvant  que  peu 
de  poivre   à  Bantam,  apiès  avoir 
chargé  un  de  ses  bâtiments,  le  Delf\ 
qu'il  liliepartir  immédiatement  pour 
la  Iloil.'inde.  et  comme  en  doOS,  il 
crut  bon  de  séparer  ses  forces  en 
deux  moiliés,  se  réservant  les  tiois 
meilleurs  \oiliers  avec  lesquels,  en 
f'tïét  il  toucha  le  premier  Java. 

Il  mit  le  cap  sur  les  îles  3IoIu- 
ques,  où  déjà  lors  du  piécédenl 
voyace,  mais  après  son  départ,  la 
division  VN'arwick  avait  inauguré  les 
relations  commerciales.  Elles  se  re- 
nouèrent plus  actives  que  jamais  à 
la  mutuelk;  satisfaction  des  indigè- 
nes et  de  leurs  botes,  en  dépit  des 
calomnies  qu'accimuilait  sur  leur 
compte  la  jalousie  des  Portugais.  Im- 
piété, piraterie,  inceste,  tels  étaient 
les  chefs  d'accusation  prodigués 
contre  eux.  Le  roi  de  Temate  vou- 


VAN 

lut  assister  à  leurs  cérémonies  reli- 
gieuses sur  leur  navire  :  il  en   fut 
édifié  ;   il  tint  à  honneur  d'y  faire 
pour   eux    en  personne  la   police 
pendant   l'office    divin.   Les  hos- 
tilités ayant  éclaté  entre  les  deux 
peuples,  il  voulut  être  le  témoin  du 
combat  naval  que  bientôt  ils  se  li- 
vrèrent; mais  sa  propension  en  fa- 
veur des  Hollandais  ne  fut  ni  dissi- 
mulée, ni  jouée.  Deux  voiles  portu- 
gaises,   dont  l'apparition    eût    ]m 
décider  un  désastre  des  Hollandais, 
étaient  venues  à  poindre  à  l'hori- 
zon ;  il  en  avertit  immédiatement 
Van  Nek  le  priant,  l'adjurant  pour 
l'amour  de  lui  d'opérer  sa  retraite. 
Van  Nek  avait  eu  la  main  em- 
portée pendant  l'action,  mais  con- 
tinuait à  commander,  comme  s'il 
ne  s'apercevait  pas  de  sa  blessure. 
Ayant  ainsi  jeté  les  bases  d'une  en- 
tente cordiaki  et  durable  entre  les 
peuplades    de   ce   fertile    archipel 
et  ses  compatriotes,  il   remit  à  la 
voile,  et  après  une  excursion  dont 
l'unique  fruit  pour  le  moment   fui 
de  familiariser  les  Hollandais  avec 
les  mers  qui  baignent  le  sud  de  la 
Chine  et  de  leur  faire  de  loin  entre- 
voir Makao.il  visita  le  royaume  de 
Patane  (tributaire  du  makarao  de 
Siam)  et  sa  capitale  où,  malgré  les 
Portugais  et  les  Siamois  qui  s'en- 
tendirent  pour   lui  susciter  mille 
entraves,  il    parvint   à   fonder   un 
comptoir,  et  partit  comblé  de  mar- 
ques d'estime   par    la    reine  qui 
gouvernail  presque  souverainement 
ce  pays.  Sa  traversée,  pour  revenir 
en  Europe,  fut  une  série  de  tribu- 
lations  aflreuses.  De  122  hommes 
(jui  formaienll'équipage  de  son  na- 
vire,   20    à  peine   étaient  valirles 
lorsqu'il    atteignit    Sainte-Hélène, 
où  quelques  semaines  de  séjour  lui 
furent  indispensables  pour    remet- 
tre  sur  pied   son   monde.  Mais  à 


VAN 

peine  la  ligue  eut-elle  été  repassée 
que  les  symptômes  fâcheux  repa- 
rurent. L'état  hygiénique  de  l'uni- 
que bâtiment  qu'il  ramenait  était 
encore  plus  triste.  Aussi  ne  vint-il 
qu'après  avoir  encore  fait  relâche 
{k  Portiand},  opérer  son  débarque- 
ment définitif  en  Zélande.  Heureu- 
sement les  trois  voiles,  seconde  di- 
vision de  sa  flotte,  abordèrent  six 
semaines  après  auTexelplus  légères 
de  quelque  cinquante  hommes,  dont 
trente-trois  massacrésd'un  coup  sur 
les  côtes  de  Camboje,  par  l'impru- 
dence des  officiers  et  de  l'équipage, 
mais  pouvant  montrer  de  très-riches 
cargaisons  :  deux  autres  navires 
d'ailleurs  les  accompagnaient  dont 
les  lucratives  aventures  jetaient  sur 
elles  certain  prestige,  vu  qu'ils  ve- 
naient porteurs  d'opulentes  dépouil- 
les enlevées  en  mer  à  des  jonques, 
tartanes  ou  caravelles  portugaises. 
Somme  toute,  donc,  et  par  ce  qu'il 
avait  fait  lui-môme  et  par  le  succès 
de  ceux  mêmes  que,  depuis  An- 
nobon,  il  n'avait  pas  conduits,  et  par 
le  contraste  des  fautes  commises 
à  bord  de  ceux-ci  et  des  sages  me- 
sures par  lesquelles  il  avait  toujours 
amendé  ses  tristes  chances,  il  est 
visible  que  tant  au  point  de  vue  des 
intérêts  immédiats  qu'à  celui  non 
moins  essentiel  de  l'avenir,  ce  deu- 
xième voyage  fut  plus  encore  que 
le  premier  un  des  événements  capi- 
taux do  l'époque  pour  le  commerce 
néerlandais.  Val  P. 

VA>'>ÎI  (^Charles  ,  un  de  ces 
aventuriers  politicjues  dont  l'his- 
toire ne  daignerait  pas  enregis- 
trer le  nom  sans  leur  lin  tragi- 
que et  sans  l'éloquente  et  sévère 
leçon  morale  qu'elle  impli(jiie,  n'ap- 
jiarlenait  sans  doute  pas  plus»MM?c 
([u'à  Sienne,  en  dépit  de  sod  homo- 
nymie avec  les  ([ualre  célèbres 
peintres,  et  semble  bien  en  tout  eus 


\A\  93 

être  né  d'une  famille  depuis  long- 
temps établie  dans  le  royaume  de 
Naples,  qu'elle  en  ait  ou  non  été 
originaire.  Nous  présumons  qu'il 
naquit  vers  1744.  A  peu  près  dé- 
pourvu de  fortune,  il  ne  vit  pour  se 
pousser  que  la  science  de  la  chi- 
cane :  il  a[)prit  la  procédure  et  en 
général  tout  ce  qu'il  faut  pour  don- 
ner de  par  la  loi  échec  au  droit  ;  il 
devint  avocat,  fermant  la  porte  à 
qui  n'avait  pour  lui  que  la  bonne 
cause,  fût-ce  veuve  ou  orphelin,  et 
prêt  à  l'ouvrir  à  deux  battants 
a  tout»  Birbanle,  »  à  tout  gibier  de 
justice  qui  viendraitàlui,  le  dossier 
bourré  de  sequins,  florins,  carlins, 
piastres  ou  quadruples.  3Iais  la 
place  |)Our  lui  n'était  rien  moins 
que  giboyeuse.  Dépité,  famélique, 
pénétré  du  principe  qu'il  faut  avoir 
plusieurs  cordes  à  son  arc,  en  at- 
tendant que  Thémis  lui  devînt  fa- 
vorable, il  passa  de  son  service  à 
celui  de  la  police.  Les  Narcisses  du 
gouvernement  napolitain,  à  cette 
époque,  s'étaient  pris  de  furieuse 
haine  pour  les  fiancs-maeons , 
qu'ils  ([ualifiaient  de  démolisseurs, 
d'ennemis  du  catholicisme,  de  dé- 
trôneurs  de  tous  les  rois  d'abord, 
puis  du  meilleur  des  rois  ^traduc- 
tion officielle,  de  Sa  Gracieuse 
Majesté  Ferdinand  IV  ; — traduction 
libre,  du  plus  parfait  desministres, 
de  Son  Excellence  Acton).  X'altri- 
bD«ns  pas  à  notre  siècle  de  progrès 
l'invention  de  l'agent  provocateur: 
nous  prouverions,  l'hisloiie  à  la 
main,  (ju'il  existait  dès  le  siècle  de 
Tibère  ;mais,  sans  remonter  si  haut 
nous  pouvons  le  montrer  florissant 
en  la  personne  de  Vanni.  Fécond 
en  palabres  retentissantes  et  sin- 
ge.inllepalriotisme,il  «envisciuail  • 
à  la  glu  de  son  enthousiasme  fac- 
tice de  pauvres  jiîunes  gens  qu'en- 
suite   il  faisait  prendre  dans  une 


9li 


VAN 


loge  de  francs-maçons  :  preuve  de 
complot,  s'écriaient  les  sbires,  irrand 
délit  incontestable.  Tel  fat  notam- 
ment le  guet-apens  de  Capodi- 
monte  (en  1778},  qui  plongea  dans 
la  désolation  nombre  de  familles 
honorables,  tandis  que  l'auteur  de 
leurs  maux  venait  pour  prix  de  ses 
trames  perfides  siéger  parmi  les 
magistrats.  Sa  place,  il  est  vrai,  ue 
pouvait  passer  pour  une  place 
d'honneur  :  juge  instructeur,  il 
n'était  en  réalité  qu'un  inquisiteur 
et  l'âme  damnée  d'Acton  et  de  la 
reine  Caroline.  C'était  ainsi  que  tous 
le  regardaient,  même  dans  cette 
cour  corrompue  et  vendue.  Mais 
c'était  aux  yeux  de  celui  qui  na- 
guère était  un  avocat  sans  cause  un 
sort  enviable  et  doux.  Outre  les 
émargements,  il  encaissait  un  assez 
joli  casuel  des  victimes,  qui  pour 
mitiger  les  sévérités  de  la  sentence 
se  décidaient  à  bourse  délier,  et  de 
plus  il  avait  le  plaisir  de  savourer 
les  grimaces  de  ceux-ci, les  terreurs 
et  les  tortures  de  ceux-là.  On  peut 
dire  que  tout  lui  venait  à  souliait  : 

Son  bien  premièrement,  cl  puis  In  mal  d'aulrui. 

On  fut  indigné  surtout  de  l'é- 
trange procédure  qu'il  se  plut  à 
conduire  contre  le  mélencontreux 
prince  de  Tarsia.  Ce  grand  sei- 
gneur, grand-officierde  la  couronne, 
avait  élé  préposé  par  un  caprice  de 
Ferdinand  IV  à  sa  fabi-ique  de 
soieries  de  San-Leucio.  lient  le  mal- 
heur de  déplaire  à  la  camarilla,  ou 
pour  parler  plus  exactement  sa  si- 
nécuie  vint  à  plaire,  à  nous  ne  sa- 
vons (jui  des  maîlros  ou  valets  de 
la  camarilla.  Vile  des  soupçons  de 
malversation  coururent,  in-ossirent, 
pesèrent  sur  le  i)rincc;  on  bâcla 
un  croquis  d'accusation  ;  Vanni  fut 
chaj'gé  d'examiner  la  comptabilité 
de  Tex-di recteur.  Les  formes  acer- 


VAN 

bes  et  insolentes  dont  il  fit  parade 
alors  n'annonçaient  que  trop  de 
quelle  équité  serait  le  jugement. 

Laudauliir  corvi,  vexai  censura  columbas. 

Des  employés  subalternes,  dont  les 
friponneries  n'étaient  un  mystère 
pour  personne,  mais  qui  les  uns 
avaient  servi  comme  espions  par  le 
passé,  les  autres  gagnaient  leurs 
éperons  en  servant  comme  faux 
témoins  contre  leur  ex-chef,  aux 
genoux  duquel  ils  étaient  six  mois 
avant  le  procès,  échappèrent, 
blancs  comme  neige  selon  Vanni, 
gardèrent  leurs  vols  et  sortirent  ri- 
ches de  la  salle  d'audience  ;  l'Ex- 
cellence, qui  n'avait  eu  guère  d'autre 
tort  que  de  se  mêler  de  ce  qu'elle 
n'entendait  pas  et  de  n'avoir  eu  ni 
vigilance,  ni  fermeté  à  temps,  resta 
le  bouc  émissaire  et  fut  à  peu  près 
ruinée,  car  le  jugement  la  déclara 
i-esponsable  de  toutes  les  dilapida- 
tions,... heureuse  encore  d'en  (Mre 
quitte  pour  des  pei-tes  pécuniaires 
et  pour  les  rigueurs  d'une  séques- 
tration préventive,  rigueurs  pous- 
sées si  loin  pourtant  que  l'instruc- 
teur fut  nommé  «  le  bourreau 
plutôt  que  le  juge  »  du  prince  de 
Tarsia  !  Cet  exploit  et  d'autres  de 
même  genre,  quoique  moins  reten- 
tissants, recommandèrent  tellement 
Vanni  au  couple  semi-royal  (nous 
voulons  dire  le  transfuge  français 
et  rAutrichicnne) ,  qu'il  fut  cboisi 
pour  présider  (  i79o)  la  «  junte  de 
sang,  »  en  style  officiel  «  junte 
d'État,  »  chargée  d'enquérir  et  de 
sévir  contre  tous  ceux  qu'on  soup- 
çonnait de  pencher  d'intelligence 
ou  de  cœur  vers  la  révolution  ou 
vers  la  France.  Grâce  aux  extrava- 
gances et  aux  énonnités  du  gou- 
vernement, le  nombre  en  était 
grand  et  dans  la  classe  moyenne  et 
parmi  les  sommités  sociales.  Il  y 


VAN 

avait  donc  là  de  beaux  coups  à 
faire.  Ils  étaient  trois  commissai- 
res, on  peut  dire  trois  limiers,  pour 
rabattre  et  traquer  le  gibier.  Le 
héros  de  Capodimonte  fut  le  plus 
ardent,  et  le  plus  féroce,  sinon  le 
plus  rapace  des  trois,  non  pas  qu'il 
ait  fait  le  Cincinnatus:  il  y  eut,  pen- 
dant les  4  ans  que  dura  ce  terroris- 
me, quelque  chose  de  pis  que  la 
cruauté,  ce  fut  le  progrès  de  l'hy- 
pocrisie, du  servilisrae  et  de  l'es- 
prit de  dénonciation  :  la  peur  d'une 
part,  de  l'autre  les  primes  offertes 
en  appât  à  la  trahison  vulgaii- 
saient  les  infamies,  et  on  peut  le 
dire,  99  pour  100  de  la  population 
de  Xaples  étaient  espions  et  espion- 
nés. Le  reste  du  royaume,  di  quà 
e  di  là  del  Faro,  suivait  de  près  ou 
de  loin,  mais  enfin  suivait.  Il  fallut 
pour  mettre  un  terme  à  ces  excès 
et  à  ces  hontes,  l'approche  des 
Français.  Championnet  n'avait  en- 
core que  franchi  le  Garigliano  que 
le  gouvernement,  à  la  veille  d'être 
expulsé  par  l'émeute,  tardive  tra- 
duction de  la  haine  générale,  adres- 
sait h  la  junte  d'État  et  des  admo- 
nestations mêlées  de  hh\me  et  des 
instructions  nouvelles.  Les  deux 
collègues  de  Vanni  déclinèrent  la 
responsabilité  de  leurs  actes  et  re- 
jetèrent sur  Vanni  toutes  les  cruau- 
tés gratuites  et  tous  les  abus  de 
pouvoir.  Il  essaya  bien  de  fciirc 
tète  à  l'orage  et  tenta,  nous  ne  di- 
rons pas  une  apologie,  mais  quel- 
ques démarches  afin  de  ne  pas  seul 
payer  pour  tous.  Mais  on  l'écoula 
comme  il  écoutait  les  accusés  :  ceux 
mêmes  qui  l'avaient  positivement 
mis  en  jeu  lui  refusèrent  audience. 
Bientôt  il  reçut  sa  destitution,  puis 
un  ordre  d'exil.  Soit  donc,  puisque 
les  Français  allaiententrer,  (tuisque, 
même  toléré  par  eux  dans  Naplcs, 
il  n'était  pas  sûr  de  la  vie  en  une 


VAN 


95 


ville  où  tant  de  voix  lui  redeman- 
daient un  père,  un  frère,  un  fils, 
un  mari  et  où  le  stylet  était  encore 
assez  de  mode.  Mais  Acton  et 
la  reine  ne  pouvaient-ils  donner 
asile  à  leur  fidèle  agent  à  bord  de 
la  lloltequi  les  emmenait  en  Sicile? 
Il  présenta  une  demande  formelle 
à  cet  etiét.  La  réponse,  non  moins 
formelle,  fut  négative.  Ainsi  rebuté 
de  tout  côté,  jeté  à  la  mer  par  tout 
le  monde,  repoussé  comme  un  pesti- 
féré, il  prit  du  moins  sa  résolution  en 
vi€;il  enfant  de  l'Italie  païenne,  et 
tout  aussi  mauvais  chrétien  après 
qu'avant,  aimant  mieux  abandon- 
ner que  traîner  sa  vie,  trouvant 
royal  de  périr  de  sa  main,  ju- 
geant abject  d'attendre  soit  un 
assassin,  soit  le  bourreau,  il  traça 
d'une  main  fébrile  et  ferme,  ce  peu 
de  mots:  «  L'ingratitude  d'une 
cour  i)erfide,  l'approche  d'un  enne- 
mi redoutable,  le  manque  d'asile 
m'ont  porté  à  me  délivrer  d'une 
vie  qui  m'est  à  charge.  Qu'on 
n'accuse  personne  de  ce  crime. 
Puisse  ma  mort  servir  d'exemple 
aux  autres  inquisiteurs  et  leur  ap- 
prendre à  être  sages!  Sorrenle, 
18  janvier  1799.  »  Et  quelques 
heures  plus  tard  on  trouvait  dans 
une  petite  maison  de  la  patrie  du 
Tasse  ce  billet  et  son  cadavre. 
Val.  P. 

VAIN.NOZ  (Philippine  di:  Si- 
VM',  madame  de  ) ,  poêle,  meird)re 
de  l'Académie  des  Arcades  de  Rome 
de  cclh'  de  Goritz,  en  Frioul.  d  de 
l'Acatlémic  de  Lyon,  naquit  en  juil- 
let 177'*)  à  NancN,  où  son  père,  M. 
deSivry,  président  du  i)arlemenl  de 
Lorraine,  secrétaire  jierprliu'i  de  l'A- 
cademie  de  cette  ville,  occupait  un 
rang  distingué  par  sa  naissaïuv  et 
son  savoir,  et  jouissait  de  l'eslinie 
I)articulièrc  du  roi  Stanislas. 

Issue  d'une  famille  où  l'esprit  et 


96 


VAN 


les  talents  étaient  héréditaires,  ma- 
dame de  Vamioz  montra,  dès  sa 
plus  tendre  jeunesse,  qu'elle  était 
appelée  à  prendre  une  large  part 
dans  ce  glorieux  héritage.  Encore 
tout  enfant,  la  ])etite  Philippine 
montrait  une  mtelligence  qui  devait 
faire  pressentir  ce  qu'elle  serait  un 
jour.  Ce  qu'on  observait  d'aussi 
bonne  heure  en  elle,  ce  n'était  pas 
seulement  une  compréhension  ra- 
pide, des  traits  heureux,  des  expres- 
sions originales,  en  un  mot,  l'esprit 
desSivry;  c'était  aussi  l'instinctpas- 
sionné  du  heau  et  celte  j)uissanle 
faculté  d'admirer,  précurseur  de 
celle  de   produire. 

François  de  Neufchàtcau,  lisant  un 
jour  devant  elle  sa  traduction  de  l' A- 
rioste,  remarqua  avec  étonnement  la 
manière  attentivedontl'enfant  écou- 
tait sa  poésie,  et  jugea,  d'après 
r impression  ({ue  paraissaient  faire 
bur  elle  les  beautés  de  certains  pas- 
sages, qu'un  jour  elle  serait  poëte. 
Il  le  lui  dit  en  quelques  jolis  vers,  et 
la  Corinne  de  six  ans  ne  tarda  pas 
à  accomplir  la  piédiclion.  En  elïet, 
des  inspirations  poétiques  se  mani- 
festèrent bientôt  en  elle,  et  on  la  vit 
composer,  lorsqu'il  peine  encore  elle 
savait  écrire  ce  que  lui  dictait  son 
imagination. 

Une  telle  précocité  tenait  du  pro- 
dige et  causait  autant  de  surprise 
(pjc  d'admiration  à  ceux  qui  en 
riaient  témoins.  Celle  adniiralion 
n'eut  plus  de  bornes,  lorsqu'amenée 
à  Paris,  on  \it  celle  nmse  en  bas 
âge  (elle  a\ail  à  peine  huit  ans}  .se 
produire  dans  les  brillants  salons 
(jue  remplissaient  les  grands  esprits 
de  l'époque,  et  y  faire  entendre  ses 
compositions.  Rien  de  semblable  n'y 
avait  jamais  appaiu  et  ne  s'y  nion- 
Iradepuis.  De  nombreux  madrigaux 
lui  furent  adressés,  et  les  charman- 
tes réponses  qu'elle  y  fit  ont  été  con- 


VAN 

servées  connue  un  modèle  de  grâce 
et  d'esprit. 

Tout  ce  qu'il  y  avait  alors  d'hom- 
mes remarquables  ]jar  leur  mérite, 
et  le  nombre  en  était  grand,  émer- 
veillés de  la  justesse  des  observa- 
tions de  cette  petite  fdle,  de  la  viva- 
cité de  ses  reparties  et  de  ses  bril- 
lantes inspirations,  s'empressèrent 
autour  d'elle  et  lui  offrirent  mille 
témoignages  de  leur  satisfaction. 
Delille  lui  lit  hommage  de  ses  Jar- 
dins, et  Roucher  de  son  poëme  des 
Mois;  Marmontel,  Sedaine,  Palissot, 
Lemierre,  mesdames  du  Bourdic  et 
du  Bocage,  le  duc  de  Nivernais,  le 
comte  de  Tressan,etc.,  se  montrè- 
l'cnt  enthousiastes  de  la  petite  de 
Sivry.  La  Harpe  surtout  fut  frappé 
de  ce  phénomène,  et  il  inséra  dans 
le  Mercure  des  vers  fort  remarqua- 
bles qu'elle  venait  de  lui  adresser. 
Il  les  a  réimprimés  dans  sa  Corres- 
pondance russe  à  côté  de  petites 
l)ièces*de  vers  qu'il  lui  avait  lui- 
mônie  adressées  ;  ce  qui  pourrait 
passer  pour  un  acte  de  modestie  de 
la  part  du  Quinlilien  moderne,  car 
la  comparaison  n'est  pa&à  son  avan- 
tage. 

Elnfinlecélèbre  sculpteur  Houdon, 
voulant  payer  aussi  son  tribut  àcette 
merveille,  exécuta  son  buste  en  mar- 
bre, ([u'il  exposa  au  salon  trois  ans 
après. 

S<'s  succès  ne  furent  pas  moins 
grands  auprès  d'un  autre  aréopage  : 
elle  avait  IVappé  d'étonnement  d'A- 
lemberl;  (.'l,  chez  madame  Necker, 
le  baron  de  Grimm  et  les  philoso- 
phes habitués  de  l'hôtel  d'Holbach 
partagèrent  cette  admiration.  M. 
Necker  poussa  plus  loin  que  les  au- 
tres cet  enivrementgénéral:  pendant 
des  heures  entières,  il  se  promenait 
avec  Philippine  dans  le  parc  de  St- 
Ouen,  la  mettait  sur  des  sujets  pro- 
fods  et  se  plaisait  à  voir  jusqu'où 


VAN 


\AX 


97 


pouvait  aller  en  métaphysique  une 
tête  (le  neuf  ans.  L'intérêt  que  lui 
inspirait  cette  enfant  extraordinaire 
était  devenu  chez  lui  une  véritable 
atlection  paternelle  ;  ce  qui  explique 
le  mot  aimable  de  madame  de  Staél 
lorsque,  vingt  ans  après,  à  Goppet, 
montrant  madame  de  Vannoz  à 
Benjamin  Constant  :  «  Vous  voyez. 
monsieur,  lui  dit-elle,  la  seule  femme 
dont  j'aie  jamais  été  jalouse.  » 

Enfin,  la  petite  Lorraine  était  de- 
venue l'idole  du  jour.  Sa  réputation 
parvint  à  la  Cour  ;  on  en  parla  en 
termes  si  élogieux  devant  la  Reine, 
que  celle-ci  témoigna  le  désir  de  la 
connaître  et  demanda  qu'elle  lui  fût 
présentée.  Mais  l'éclat  de  cette  dis- 
tinction ayant  donné  lieu  à  une  es- 
pèce d'intrigue,  M.  et  madame  de 
Sivry  déclinèrent  l'honneur  de  cette 
présentation  et  ramenèrent  leur  fille 
ù  Nancy. 

De  retour  dans  sa  ville  natale,  la 
jeune  de  Sivry  n'y  trouva  pas  cet 
engouement  dont  elle  avait  été  l'ob- 
jet à  Paris  et  à  Versailles,  La  ])ro- 
vince,  et  surtout  la  province  où  vous 
avez  reçu  le  jour,  est  généralement 
moins  portée  que  la  c<ipitale,  quel 
que  soit  votre  mérite,  à  en  admettre 
la  sui)ériorité  et  à  le  combler  d'élo- 
ges; on  l'a  dit  il  y  a  longtemps  : 
«  Nul  nest  prophète  en  son  pays.  » 

La  réalité  de  ce  talent  poétique  si 
vanté  trouva  des  incrédules  :  et, 
chez  madame  la  duchesse  de  Bran- 
cas,  ùFleviile,  des  femmes  énoncè- 
rent des  doutes  l\  ce  sujet.  Il  fallut 
qu'une  épreuve  soudaine,  faite 
en  présence  de  quchiues  hommes 
(le  mérite,  au  nombn^  descjuels  se 
trouvait  Ccrutti,  vengeât  la  jeune 
accusée  du  soupçon  de  charlata- 
nisme. La  suite  démontia  à  quel 
jtoint  la  ré])utation  (  olossale  de  ce 
talent  si  précoce  était  méritée. 
A  mesure  que  mademoiselle  ilc 

LXXXV 


Sivry  avançait  en  âge,  l'amour  de 
l'étude  se  développait  de  plus  en 
plus  en  elle^,  elle  embrassait  tout,  et 
tout  avec  succès.  A  la  connaissance 
des  langues  vivantes,  assez  rare  à 
l'époque  dont  nous  parlons,  elle  vou- 
lut joindre  celle  du  grec,  que  fit  naî- 
tre son  amour  pour  Homère  ;  et, 
comme  on  n'avait  alors  que  des  dic- 
tionnaires avec  interprétation  latine, 
elle  ne  put  se  dispenser  d'apprendre 
la  latin.  Mais  il  n'y  avait  pas  là  de 
quoi  l'effrayer  :  elle  se  souvint  d'ail- 
leurs que  La  Harpe  l'avait  exific 
d'elle. 

Ces  études  sérieuses  n'excluaient 
pas  chez  elle  le  goût  des  arts  :  la 
musique  et  la  danse  occupaient  ses 
loisirs;  et  tandis  que  les  sciences 
historiques  et  naturelles  venaient 
meubler,  sans  confusion,  sa  prodi- 
gieuse mémoire,  déjà  des  romans 
épistolaires,  des  épîtres  en  vers,  des 
pastorales,  voire  môme  des  pièces  de 
théâtre  multii)iiaient  les  preuves  de 
sa  féconde  imagination.  Encore  ado- 
lescente, elle  reparut  à  Paris  ;  et  une 
comédie  en  vers  qu'elle  lut  dans  une 
réunion  d'auteurs,  lui  valut  d' una- 
nimes applaudissements.  Un  drame 
1\  riijue.  Cahjiiso,  lui  ouvrit  à  ([uinze 
ans  les  portes  de  l'Académie  des  Ar- 
cades. 

«  Ce  que  j'avais  de  remarquable 
«  alors,  dit  quelque  part  madame 
Hycle  N'annoz,  c'était  la  faculté  de 
(f  me  juger.  Toutes  les  louanges 
({  dont  me  comblait  une  politesse 
V  exagérée,  ne  m'enqKVhaienI  ])as 
'<  de  mesurer  la  distance  qui  mesc- 
«  parait  des  modèles.  Seulement 
('  mes  espérances  ne  connaissaient 
«  pas  de  bornes:  j'avais  l'idée  d'un 
«  perfectionnement  infini.  Modeste, 
«  (piant  au  présent,  j'étais  orgueil- 
a  leuseen  avenir,  croyant  voir  dan. 
<<  la  vie  assez  de  temps  et  de  force 
«  pour  tout  api>rendrc;  cl  c'est  là 


98 


VAN 


«  une  des  illusions  que  j'ai  le  plus 
«  regrettées.  » 

Ilélas!  tôt  ou  tard  les  réalités  de 
l'evislencc  auraient  détrompé  ma- 
demoiselle de  Siviy  et  terni  devant 
ses  yeux  ce  prisme  séduisant!  Nos 
orages  poliliqucs  le  brisèi'cnt. 

En  un  moment  tout  avait  changé  : 
le  spectacle  de  la  persécuiion  des 
gens  de  bien,  la  dispersion  des  amis 
de  sa  famille,  les  peines  de  l'exil, 
la  mort  d'une  sœur  et  d'un  père 
qu'elle  adorait  furent  le  douloureux 
complément  de  son  instruction  posi- 
tive. Atteinte  d'un  cruel  désenchan- 
tement, elle  ne  put  de  longtemps  re- 
trouver l'inspiration  littéraire.  La 
seule  étude  qui  lui  convînt  encore 
était  celle  des  mathématiques,  dont 
les  difficultés  absorbaient  sa  pensée 
et  l'aidaient  à  s'étourdir. Enlin,  jikis 
calme  et  de  retour  aux  foyers  domes- 
tiques,  l'exemple  et  les  incitations 
d'ilofTnian ,    que  Nancy  possédait 
alors,  la  ramenèrent  peu  à  ])eu  à  sa 
première  inclination  et  bientôt  h  Pa- 
ris, où  sa  mère  lui  fit  faire  un  nou- 
veau voyage,  elle  retrouva  la  vie  in- 
tellectuelle dans  lesencouragements 
de  Marmontel,  dans  les  conseils  de 
Clément  l'Aristariiue    et   dans    la 
fré(iuentalion  de  deux  hommes  ver- 
tueux, dignes    de   la  comprendre, 
Camille  Jordan  et  de  Gerando. Ainsi 
runimée  par  l<!  feu  des  beaux-arts 
et  de  l'amilic,  la  jeune  muse  reprit 
donc  sa  lyre  et  commença,  sous  les 
bosquets  de  Hémicourt,  des  chants 
fortement  médites;  mais  l'âge  était 
venu  où  des   devoirs  d'une   autre 
nature  devaient  réclamer  son  temps 
et  SCS  stjins;   mariée,  en  1802,   à 
M.  deVannoz  et  devenue  mère  un 
an  après,  les  occupations  d'un  mé- 
nage et  bientôt  l'éducation  de   ses 
enfants,    à  laquelle  elle  s'adonna, 
l'empêchèrent  d'apporter  à  ser,  tra- 
vaux  littéraires  cette    parfaite  li- 


VAN 

berté   d'âme  et  de   pensée,   celle 
plénitude  de  verve  qui  en  sont  ie 
premier   besoin.   Toutefois,    mal- 
gré  ces  diverses  occupations.  Ou- 
tre des  élégies  et  des  poésies  fu- 
gitives   en    assez    grand   nombre, 
deux  ouvrages  marquants  sortirent 
de  sa  plume.  Elle  voulait  les  sous- 
traire à  la  publicité;  mais,  grâce  à 
de  vives  instances  qui  réussirent  à 
vaincre  sa  répugnaiice,  ces  œuvres 
virent  le  jour  et  justifièrent  les  no- 
bles espérances  qu'avaient  fait  naî- 
tre les  débuts  de  cette  femme  ex- 
traordinaire. Eloquente  et  sublime 
dans  la  première  de  ces  deux  com- 
positions, gracieuse  et  fine  dans  la 
seconde,    par  l'une    elle  fait  devi- 
ner  son  cœur,  et  par  l'autre  son 
esprit;  on    voit  que  nous  voulons 
parler  de  la   Profanation  des  tom- 
beaux de  Saint- Denis,  poëme  élé- 
giaque  qui,  lors  de   sa  publication 
(1806),  excita  Fadmiralion  générale 
et  l'emporta  de  beaucoup    sur  les 
divers   morceaux    essayés   sur    le 
même  sujet,  et  de  la  Conversation, 
Cfjde  facile  et  judicieux  dont  les 
quatre  chants,  sous  le  litre  modeste 
d'éiûlres,  composent   un  véritable 
poëme  qui   n'a  rien  de   commun, 
sous  le  rap[)ort  de  la   forme,  avec 
celui   de  Delille.   Le  hasard  avait 
déjà    fait ,    plusieurs    années    au- 
paravant, que   madame    de  Van- 
noz   se  rencontrât  avec  l'abbé  De- 
lille   dans   une  même    entreprise, 
(celle   de  traduire  en  vers  français 
le  Paradis  yerdu);  mais  dès  qu'elle 
eut  connaissance   de   ce   concours 
imprévu,  elle  renonça  sans  hésilei" 
à  un  travail  dont    bien  d'autres  à 
sa  place  n'eussent    pas   fait   ainsi 
l'abandon.  Outre  les  deux  ouvrages 
dont  nous   venons   de  parler,  ma- 
dame de   Vaiuioz    publia  diverses 
poésies  fugitives  contenues  dans  un 
seul  volume  in-8",   et  au  nombre 


VAX 


VAN 


99 


desquelles  figure  une  élégie  remai- 
ble  sur  le  21  janvier.  La  Biographie 
universelle  contient  d'elle  plusieurs 
articles  intéressants  sur  les  femmes 
célèbres,  entre  autres  mademoiselle 
Aïssé,  madame  du  Bocage,  mada- 
me de  Caylus,  madame  de  Grafi- 
gny,  Héloïse,  etc.  Les  dernières 
années  de  la  vie  de  celte  femme, 
bien  digne  elle-même  du  titre  de 
célèbre,  furent  empoisonnées  j)ar 
toutes  sortes  de  raallieurs.  En 
1838,  au  moment  où  elle  venait  de 
perdre  son  fils  unique,  objet  de  son 
adoration,  une  des  plus  cruelles 
infirmités  de  lespèce  humaine  vint 
l'atteindre  :  elle  perdit  la  vue;  ce 
qui  lui  faisait  dire  si  poétiquement 
qu'elle  était  assise  dans  les  ténè- 
bres sur  un  tond)eau.  11  lui  restait 
cependant  pour  consolation  dans 
son  malheur  l'aOéction  duti  niari, 
d'une  fille  et  d'un  frère,  qui  entou- 
raient sa  vieillesse  des  soins  les 
plus  louchants,  lorsqu'une  mort 
inopinée  vint  lui  enlever  le  compa- 
gnon fidèle  de  son  existence.  Elle 
survécut  peu  à  cette  nouvelle  cala- 
strophe,  et  ISoi  la  vit  s'éteindre 
sous  ces  ombrages  de  Rémiconrt 
dont  elle  avait  autrefois  chanté  les 
charmes  et  la  fraîcheur.  G. 

VA>'>UC(:ilî  :Antoink-Mahie}, 
né  à  Florence,  le  2  février  1724, 
étudia  dans  cette  ville  les  belles 
lettres  et  la  langue  grcc»|ue,  sous 
le  célèhre  abbé  Lami.  Il  s  appliqua 
ensuite  à  la  philoso|)hie,  aux  ma- 
thématiques, à  la  théologie,  à  la 
juris[»rudence,  et  se  perfectionna 
dans  ces  diverses  sciences,  «^  Pise, 
sous  les  m<'illeurs  maîtres.  —  La 
médiocrité  de  sa  fortune  l'obligtM 
de  prendre,  à  Saint-Miniate,  une 
chaire  dt;  belles-lettres  cl  de  îdiilo- 
sophie.  Il  s'ac(piittaavec  distinction 
de  son  professorat.  De  retour  dans 
sa  ville  natale,    il  s'adonna    plus 


spécialement  à  la  jurisprudence, 
mérita  par  ses  écrits  l'estime  des 
premiers  savants  de  son  époque  et 
fut  nommé  membre  de  l'Académie. 
Appelé,  en  1750,  par  l'université  de 
Pise  pour  y  remplir  une  chaire  de 
législation,  Vannucchi  occupa  cette 
place  jusqu'à  sa  mort,  arrivée  le  12 
février  1792,  et  fut  généralement 
regretté  pour  ses  talents  et  ses  ver- 
tus. Il  a  laissé,  en  langue  italienne, 
quel(]ues  poésies  et  un  ouvrage  sur 
la  jurisprudence.  M.-G.-R. 

VAN  STDDîER  (Tobie},  pein- 
tre et  graveur  en  bois,  naquit  à 
Strasbourg  vers  l'an  15o0,  et  y  ap- 
prit les  principes  de  la  peinture. 
Dénué  de  fortune,  il  se  vit  contraint, 
pour  échaper  au  besoin,  de  passer 
les  plus  belles  années  de  sa  vie  à 
peindre  à  fresque  les  farades  d'un 
grand  nombre  de  maisons,  tant  h 
Strasbourg  qu'à  Francforct  et  dans 
les  environs  de  ces  deux  villes.  Il  se 
[)laisait  à  les  décorer  de  sujets  sa- 
crés ou  profanes.  Le  talent  qu'il 
manifesta  dans  ces  divers  ouvrages 
ne  pouvait  manquer  de  le  faire 
connaître.  Le  margrave  de  Bade 
ayant  vu  (luelques-uns  de  ses  por- 
traits eu  fut  si  frajtpé  (pi'il  appela 
Stimmer  auprès  de  lui  et  le  char- 
gea de  peindre  à  l'huile  elde  gran- 
deur naturelle  les  portraits  des  mar- 
graves ses  ancêtres.  Stimmer  s'ac- 
«uitla  de  cetlt^  grande  etilrrprise 
avec  beauc'jup  de  suf-c'^s.  il  revint 
onsuiteà  Strasbourg,  où  il  s'occupa 
à  dessiner  une  foule  de  sujets  dif- 
férents sur  des  planches  de  bois 
préparées  pour  être  taillées  par  son 
frère.  Outre  une  Amionrinlion  in- 
folio et  san.s  manpie,  (pi'il  a  gra- 
vée, on  lui  doit  une  liihle  puhliée 
àHAle.  en  l.'isC),  par  Thomas  (iurin, 
sous  le  litre  suiNant  :  Snriv  Tohiw 
Stimmer  .%(trrorum  Itibliorum  finmue, 
versibus  latiuis  cl  ijermanicis  cxposi- 


100 


VAN 


VAM 


/«'.  CeUc  Bible,  qui  est  le  principal 
ouvrage  des  deux  frères  Stiiiimcr,  a 
servi  d'étude  aux  plus  grands  pein- 
tres. Rubens,  qui  l'avait  étudiée 
lorsqu'il  commença  à  se  livrer  au 
dessin,  en  faisait  un  cas  extrême 
et  la  regardait  coninie  une  excel- 
lente école  pour  les  jeunes  élèves, 
et  comme  un  trésor  pour  l'art.  — 
Jean-Chuistophe  Van  StimmiîIU, 
frère  et  élève  du  précédent,  naquit  à 
Schafliouse  en  15o2.  Fort  jeune  en- 
core, il  alla  rejoindre  son  frère  à 
Strasbourg  et  se  livra  sous  sa  con- 
duite à  la  gravure  en  bois.  La  plu- 
partde  ses  pièces  sont  de  la  compo- 
sition de  Tobie.  U  a  excellé  dans  ce 
genre  ;  ses  planches  sont  rendues 
avec  des  tailles  larges  et  hardies, 
qui  n'excluent  cependant  jamais  le 
moelleux,  manière  qui  lui  a  mérite 
l'approbation  des  connaisseurs.  A- 
j)rès  la  mort  de  son  frère,  il  vint  à 
Paris,  où  il  fut  connu  sous  le  nom 
du  Suisse.  Ses  principaux  ouvrages, 
la  plupart  d'après  les  dessins  de 
Tobie,  sont  :  i"\e  Nouveau  Testa- 
ment avec  l'Apocalypse,  imprimé  à 
Strasbourg  en  11388,  in-4";  2'  Re- 
cueil de  ])lusicurs  savants  et  théolo- 
fjiens  allemands,  Strasbourg,  Ber- 
nard .I(jbio,  1;)87;  3"  Icônes  affabrœ, 
Strasbourg,  B.  Jobio,  loîii,  in-i"; 
4"  Portrait  historié,  vu  juscpi'aux 
genoux  et  gravé  en  bois,  de  La/are 
Schewende.  Cette  estampe,  du  for- 
mat grand  in-folio,  est  la  pièce  ca- 
pitale de  Stimmer.  Il  laissa  un  lils 
qui,  vers  1601,  grava  en  bois  plu- 
sieurs morceaux  d'après  les  dessins 
de  P'ranrois  (>hau>oaux.  Z. 

VANSTOOl»  (DlHCK-ÏIll-ODORE), 

])einlre  et  graveur  à  l'eau-forle,  na- 
quilen  Hollande, vcrsl'an  1010.  On  a 
peu  de  détails  sur  la  vie  de  cet  ar- 
tiste ;  on  sait  seulement  ((u'il  se  fit 
une  réputation  brillante  comme 
peintre  d^  bataill'.-,  et  que  ses  ta- 


bleaux étaientexlrêmementreclKîr- 
cliés.  Comme  graveur,  on  a  de  lui 
douze  morceaux  à  l'eau-forle,  d'a- 
près ses  propres  compositions,  dans 
lesquelles  on  admire  une  exécution 
facile  et  précise  et  un  effet  très- 
pittoresque.  C'est  une  suite  de  dou- 
ze pièces  numérotées,  dont  les  bon- 
nes épreuves  sont  avant  les  numé- 
ros, et  qui  représentent  des  cav;i- 
liei's  et  des  chevaux  gravés  sur  des 
fonds  de  paysage.  Ce  recueil,  de 
format  petit  in-folio,  a  été  exécuté 
])ar  Stoopen  lOoJ .  — RoDiuauiiVAN 
Stoop,  peintre  et  graveur  à  l'eau- 
forte  ,  na(piit  en  Hollande  vers 
l'an  1612.  Il  prisse  généralement 
pour  être  le  frère  de  Théodore. 
Comme  ce  dernier,  il  montra  un 
talent  réel  comme  peintre  de  ba- 
tailles, et  peignit  en  outre  avec  une 
égale  supériorité  la  marine  et  le 
paysage.  Jeune  encore,  il  passa  en 
Portugal  et  s'y  établit.  L'infante  Ca- 
therine, qui  avait  apprécié  son  mé- 
rite, l'emmena  à  sa  suite  lorsqu'elle 
se  rendit  en  Angleterre,  après  son 
mariage  avec  Charles  IL  11  s'élabit 
à  Londres.  Il  culliva  la  gravure  à 
Teau-forte  et  exécuta  plusieurs  es- 
tampes recherchées ,  d'après  ses 
])ropres  compositions  et  celles  de 
Burlow.  Elles  sont  en  général  e.\é- 
cutées  avec  beaucoup  d'esprit  cl 
dans  le  style  des  peintres.  Lespiiii- 
cijjales  sont  :  1"  une  suite  de  huit 
feuilles,  rejirésentant  diverses  vues 
de  la  ville  de  Lisbonne,  dédiée  à  la 
reineCalherine  d'Angietene ; 2"une 
suite  de  huit  feuilles,  représentant 
la  Procession  de  la  vine  Catherine, 
de  Portsmoulh  n  Uamptoncourt,  111-4", 
avec  la  date  de  1002.  Dans  l'édition 
des  Fables  d'Esope,  par  Gilby , 
publiée  à  Londies,  en  1078,  parmi 
les  jdanche.sdcliollar,  on  en  trouve 
quelques-unes  de  Van  Stoop,  ({ui 
se  font  remar(juer  par  une  exécu- 


VA\ 


VAN 


101 


tion  facile  et  savanlo.    Cet  arlisle 
iiiourat  H  Londres  vers  l'an  168G. 

Z. 
VAN  SUYDERIIOEF  (Jonas), 
ue.-sinatei'.i"  et  graveur,  naquit  à 
Leyde  vers  l'an  1600,  et  fut  élève 
de  Pierre  Soutman,  qu'il  ne  tarda 
pas  à  surpasser.  11  s'attacha  moins, 
dans  l'exécution  de  ses  gravures,  à 
un  arrangement  régulier  des  tailles, 
à  la  délicatesse  des  tons  et  au  fini 
du  travail,  qu'à  leur  faire  produire 
des  effets  })ittoresques  et  piquants. 
Il  a  gravé  un  nombre  considérable 
de  portraits,  d'après  Rubens,  Van 
Dick,  Rembrandt,  liais  et  divers 
autres  maîtres.  On  estime  surtout 
ceux  qu'il  a  faits  d'après  Hais.  Avant 
de  les  terminer  au  burin,  il  commen- 
çait ordinairement  par  les  avancer 
beaucoup  à  l'eau-forte;  il  a  réussi 
dans  ce  genre  de  manière  à  compter 
peu  de  rivaux.  Son  œuvre  se  compose 
déplus  de  cent  pièces,  t<int  portraits 
que  pièces  historiques.  Parmi  les 
premiers,  on  distingue  particuliè- 
i'^*ment  ceux  de  Charles  I",  roi 
d'Angleterre,  et  d' Henriette-Marie 
de  France,  sa  femme,  d'a[irès  Vau 
Dick;  celui  d(;  Dcsrartes,  d'a[irès 
liais,  etc.  Ses  pièces  historiques 
les  plus  admirées  sont  :  1°  Id  Ciiute 
desr('i)roiivés,  d'iiprèsRuljens;  2'  la 
Cl(  :!ise  aux  lions  et  aux  lUjres,  d'a- 
près le  même  maître.  Cette  pièce 
est  très-belle,  et  il  est  fort  rare  d'eu 
trouver  de  bonnes  épreuves;  3"  Vue 
d'une  contrée  sauvatje,  où  Von  voit 
des  satyres  jouant  avec  des  tigres, 
d'après  P.  de  Laar;  les  bonnes 
épreuves  sont  d'une  '.rrande  force; 
A"  Trois  j)aysans  assis,  dont  l'nn 
jonc  du  violon,  d'a[»rès  Van  Osladc; 
b(*lle  pièce  connue  sous  le  nom  de 
.Jean  de  MolV;  o"  hi  Congrès  de 
Munster;  cette  admirable  pièce,  que 
i"ou  peut  regarder  comm»?  U\  chcf- 
d'u'uvrede  Suyderhoef,  a  été  gra- 


vée d'après  le  tableau  de  Terburg, 
dans  lequel  le  peintre  a  introduit 
les  portraits  des  soixante  plénipo- 
tentiaires assemblés  pour  la  conclu- 
sion de  cette  paix.  Ce  tableau  pré- 
cieux fait  partie  de  la  collection  de 
Madame,  duchesse  de  Berri. 

VAN  SWANENÎÎURCH  (Guil- 
laume), graveur  au  burin,  naquit  à 
Leyde  en  lo81,  et  fut  élève  de  Jean 
Suenredam.  Peu  de  graveurs  àl'eau- 
forte  ont  poussé  aussi  loin  que  lui 
la  beauté  et  la  perfection  du  trait,  et 
Abraham  Bosse,  dans  son  traité  de 
la  gravure,  le  présente  aux  artistes 
comme  le  meilleur  modèle  qu'ils 
puissent  suivre  dans  cette  partie  d(3 
l'art.  Si  son  dessin  était  moins 
maniéré,  si  les  extrémités  de  ses  fi- 
gures étaient  renduesd'une  manière 
plus  fine  et  plus  précise,  il  aurait 
peu  de  rivaux  dans  la  gravure. 
Personne  plus  que  lui  n'a  seml.dé 
avoir  l'outil  à  sa  disposiliou.  Il  a 
gravé  également  le  portrait  et  l'his- 
toire. Parmi  les  portraits  les  plus 
remarqual)les,  sont  :  I.  Al>raliam 
Bloemart,  peintre,  dans  une  bor- 
dure historiée.  II.  Dnniel  Ilcinsius. 
m.  Maurice, princed'Orange'Xassau, 
debout,  avec  des  lointains  sur  trois 
difréronls  plans.  IV.  Frtiest-Casimir, 
comte  de  Nassau,  d'après  ]\Iorclseii. 
Parmi  ses  pièces  historiques  on  dis- 
tingue siu'Iout'.I.  Ésail  vendant  son 
droit  d'ainesbc  et  la  Ilésurrection  de 
Jésus-Christ ,  d'après  Morelsen.  II. 
l  ne  féU'  rustique  de  la  vendange  àl  en- 
tn'e  d'un  village,  d'api-ès  W'enken- 
booms;  très-grand  in-f"  en  travers, 
ni.  Lotit  enivré  par  ses  plies  et  Jésus- 
Ciirist  à  table  avec  les  pèlerins  d' Em- 
j//rt/7s, d'après  Rul-ens.  iV.  Letrônede 
ta  Justice,  avec  ce  'itro  :  Thronusjus- 
tiliœ,  hoc  estoptimusjustitiœ  tract  i- 
tus  electissimis  quihusgur  exemplis 
jndiciariis  acri  incisis  itlustratus 
Joach.  Vgtenn'aetp  sculpsit.  (i.  Sica- 


102 


VAN 


VA^ 


ncnburch,  ifiOo-lGOG.  C'est  une  suite 
(le  ^i  feuilles  y  compris  le  titre, 
commentant  par  J.-C.  portant  sa 
croix  et  tinissant  pai'  le  Juirenient 
dernier.  Swanénburch  floiiisait  en 
Hollande  dans  les  premières  années 
du  XYii*"  siècle. 

VANTEMPEL  (Adraham),  ])ein- 
tre,  né  à  Leyde  en  1618,  fut  clève 
de  Georges  van  Schooten  et  se  fit 
une  réputation  brillante  par  ses 
portraits  et  ses  tableaux  d'histoire. 
Il  suivit  d'abord  la  manière  de 
son  maître;  mais  Télude  de  la  na- 
ture lui  en  enseigna  bientôt  une  })Ius 
vraie  et  jjIus  parfaite,  et  ses  ouvra- 
ges furent  recherchés  de  toute  part 
avec  empressement  par  ses  compa- 
triotes. C'est  à  Leyde  en  effet  que 
se  trouvent  la  plupart  de  ses  pro- 
ductions. On  vante  comme  un 
chef-d'œuvre  en  son  genre  le  por- 
trait d'un  homme  et  de  sa  femme 
que  l'on  voit  dans  le  cabinet  d'un 
des  amateurs  de  cette  ville.  La  ma- 
nière dont  il  traite  les  chairs  et 
les  ctollfs  offre  une  peih.'C'ion 
extrêmement  rare.  On  ne  fait  pas 
moins  de  cas  d'un  petit  tableau  al- 
légorique qu'il  a  peint  dans  une 
des  salles  de  la  halle  aux  draps  de 
Leyde,  on  ne  peut  rien  voir  d'un 
pinceau  plus  beau  et  plus  délicat. 
Dans  la  maison  des  orphelins  de  la 
même  ville,  il  a  représenté  dans 
un  grand  tableau  le  porliail  de  tous 
les  administrateurs  en  charge,  et, 
au  sentiment  des  connaisseurs,  la 
resseiublance  en  est  le  moindre 
mérite.  Le  goût  du  dessin  de  ce 
peintre  est  très-bon,  son  coloris  est 
plein  de  force  et  de  vérité,  sa  tou- 
che large  quoique  délicate  ;  ses 
compositions  sont  bien  entendues  et 
les  poses  de  sus  portraits  bien  choi- 
sies et  pleines  de  naturel.  11  eut  uji 
grand  nombre  d'élèves  parnu'  les- 
uels  il  suffit  de  nommer  Michel 


Van  Wusscher,  Charles  de  Moor, 
Ary  de  Voys  el  surloiit  Fraui^ois 
Mieris.  Van  der  Tempel  mourut  <^ 
Amsterdam  en  1672. 

VAN  YSEGHE?^'  (Andronic)  , 
capitaine  hollandais  au  long  cours, 
lié  vers  la  fin  du  siècle  dernier, 
fréquentait  les  parages  des  deux 
grandes  iners  orientales  et  passait 
pour  un  des  marins  les  plus  expé- 
rimentés qui  fissentfiler  six  nœuds 
à  l'heure  des  îles  Mascareignes  à 
l'Australie.  Il  faisait  pour  ses  com- 
me! tan  ts  et  pour  lui  la  traite  des 
noix  de  girofle,  muscade,  poivre  et 
autres  denrées  tant  de  l'Inde  que  de 
la  Chine.  Courant  partout,  c'est  lui 
qui  transmit,  (\\\\  même  éventa  (en 
septembre  1838)  les  premières  nou- 
velles du  meurtre  du  capitaine 
Wilkins,  ce  commandant  du  na- 
vire américain  YEcUpse,  qu'avaient 
assassiné  les  naturels  de  Muokie, 
sur  la  cote  nord-ouest  de  Sumatra. 
«  Ami  VanYseghen,  se  dit-il  alors , 
voilà  pourtant  comment  U\  pourrais 
être  avant  un  an?  »  En  e.'Tel,  moins 
d'un  an  après  (en  avril  1839),  il 
mouillait,  avec  son  navire  VArflaé, 
sur  la  côle  d'Origas,  où  plus  d'une 
fois  il  était  venu  chercher  du  poivre. 
Une  forle  fièvre  le  fatiguait  depuis 
longtemps  et  même  le  clouait  au 
lit,  pendant  que  je  subrécargue 
passait  le  marché.  Mais  ce  n'est 
pas  au  lit  et  ce  n'est  pas  de  mala- 
die qu'il  devait  périr.  Recueillant 
ses  forces,  afin  de  terminer  la 
transaclion,  il  descendit  à  terre, 
suivi  de  trois  matelots,. dont  deux 
blancs.  Il  ne  s'agissait  que  de 
|)rendre  livraison.  Une  altercation 
s'éleva  entre  un  des  chefs  et  lui, 
Andronic  avait  le  verbe  haut  et  le 
ton  brusque;  les  iMalais  ont  la 
main  leste.  Irascible  tous  les  jours 
et  impatienté  ce  jour-là  des  retards 
orrasionnés  par  sa  longue  maladie, 


VAN 

Ton  ne   peut  donc  s'étonner  que 
l'un,  au  lieu  de  déployer  le  flegme 
lioilandais,   se  soit  emporté   à  la 
première   contradiction;    et   il  est 
tout  simple  que  l'autre,  en  homme 
dont  la   patience  est   le  moindre 
défaut,  eût  lait  avec  son  kriss  iiu 
geste   menaçant    sur    la   tète    de 
l'élranger.  «  Frappe,  si  tu  l'oses,  » 
s'écria  l'élranger.  L'insulaire  ne  se 
le  fit  pas  dire  deux  lois  :  seulement 
il   sauta   d'un   bond  derrière  Van 
Vseghen  et  lui   plongea  dans   les 
reins   l'arme    empoisonnée...    On 
sait  que  ce  mode  de  perfectionne- 
ment est  usuel  dans  la  terre  classi- 
que  do   rOupas-Anliar.  Le  capi- 
taine tomba  pour  ne  plus  se  relever; 
les   deux  matelots    blancs    furent 
pris  et  garrottés;  le  soir  seulement 
le  radjà  leur  fit  rendre  la  liberté. 
Instruits  dos  faits  par  eux,  les  offi- 
ciers  de  ÏAglfiè  vinrent  le  lende- 
main,    accompagnés   de    presque 
tout  l'équipage  bien  armé,  recueil- 
lir la  dépouille   mortelle   de    leur 
infortuné  chef,  auquel  furent  im- 
médiatement rendus  sur  ])lace  les 
dernit'rs  devoirs.    Les    Malais    ne 
bougèrent  pas,  ne  se  montrèrent 
mémo    pas  pendatit  la    cérémonie 
funèbre ,   .^auf   un    seul    (pii    vint 
criant   :    «    Je  suis  l'ami  de  Van 
Ysegben  !  «  et  qui  en  elTet,  secrétaire 
d'un  râdjii  voisin,  avait  été  dépêché 
pour  indiquer  au  capitaine  un  autre 
mouillage  ,    et   le    prévenir    d'un 
complot  fosraé  par  les  gens  du  pa.vs 
pour  s'emparer  de  son  navire  eu 
égorgeant  tout  son  monde  :  l'as- 
sassin en   frappant  trop  tôt  avait 
donné    l'éveil   et  fait  manquer  le 
pian  ourdi  à  loisir.  L'émotion   fut 
grande  h  Saint-Denis  lorsque  l'on 
y   sut  et  ces  événements   et   les 
circonstances     qui     les    cfimmon- 
laienl  plus  qu'eloquemmenl  ;  et  le 
gouverneur    envoya  sur-le-champ 


VAR 


10.3 


la  frégate  la  Dordogne  pour  venger 
la  victime  et  faire  mettre  à  mort  le 
meurtrier  par  ses  compatriotes  eux- 
mêmes.  Le  programme  ne  fut  pas 
tout  à  fait  accompli,  le  coupable 
s'était  sauvé;  mais  les  indigènes 
eurent  peur,  et  tous  les  chefs  jurè- 
rent qu'il  serait  poursuivi  sans 
relâche  et  qu'une  fois  pris,  il  serait 
livré  au  premier  navire  qui  le  ré- 
clamerait :  ainsi,  du  moins,  l'atteste 
le  journal  d'un  bâtiment  marchand 
de  Marseille,  qui  ayant  relâché  sur 
la  même  côte  trois  semaines  après 
la  démonstration  du  gouverneur  de 
Saint-Denis,  avait  reçu  l'accueille 
plus  empressé,  le  plus  cordial  et,  à 
sa  grande  surprise,  le  plus  sin- 
cère. Z. 

VAÎlArVNES(VALEUANDE^,  Va- 
laraudiis,    Vnramis  ou  de  Vavanis, 
poète  latin,  florissait  au  commen- 
cement du  seizième  siècle.  Il  était 
né  à  Abbeviile,  et  s'était  fait  rece- 
voir   docteur   en    théologie   à   la 
faculté  de  Paris.  Il  habitait  proba- 
blement cette  ville  et,  probablement 
aussi    il  était  dans  les  ordres.  Les 
dictionnaires  historiques  que  nous 
connaissons    ne    donnent    aucuns 
renseignements    sur    sa    vie.    Le 
Moreri  de  l'-'JO  se  contente  de  le 
nommer  et  de  citer  un  de  ses  ou- 
vrages. Il  en  a  composé  plusieurs, 
qui    tous    respirent  la  pieté  et  un 
véritable  patriotisme.  Ils  prouvent 
(fTie   l'auteur  était    non-seulement 
un   bon  chrétien,  mais  encore  un 
très-bon  Français.  Indépendanmient 
de  leur  mérite  littéraire,  ces  ])0é- 
mes,  aujourd'hui  fort  rares,  ollVenl 
encore  un  certain  intérêt  historiiiue. 
Fn  voici  les  titres  d'après  la  dern. 
édit.  du  Manuel  du  //7'rrt//v,  auquel 
on  pourra  recourir  ])Our  les  détails 
que  ne  comporto  point   le  cadre  de 
cette  biographie  :  l.  De  Foriioiirnsi 
coulUclu,  cormen.  De  domo  Dei  yn- 


10^1 


VAR 


riaieusi,  carmen.  De  pid  sacenime 
cntcis  veneratione,  carmen.  De  piue- 
dnrû  et  insigni  theologorum  pari- 
s'iensi  facultate,  carmen.  Paris  , 
.Jacques  Moerart,  sans  date,  in-l". 
Le  premier  de  ces  ([iiatre  petits 
poèmes  est  dédié  à  François  de 
Melun,  prévôt  de  Saint-Omer,  par 
une  épître  datée  de  !o01,  ce  qui 
fixe  à  peu  près  l'époque  de  Ja  pu- 
])lication  du  volume.  IL  Decertufio 
pdei  et  hœresis  ,  carmen,  Paris , 
Robert  Gourmont ,  loOl  ,  in-i°. 
Dans  ce  poëme,  en  vers  élégia- 
ques,  dédié  aussi  au  prévôt  de 
Saint-Omer,  de  Varannes  a  fait,  dit 
>L  Brunet,  un  magnifique  éloge  de 
Paris,  et  il  a  placé  à  la  suite  de 
l'ouvrage  une  apologie  de  la  même 
ville,  égalenîcnt  en  vers  élégiaquc;. 
IIL  Carmen  de  expugnalione  Ge- 
nuensi  (per  Lndovicum  XII).  Cum 
mnllis  ad  fjaUicam  hhloriam  perli- 
neniibus.  i'aris.XicolasDupré,  i.'iOT, 
in-i".  Deux  lettres  de  l'auteur  pré- 
ciVlent  le  poëme  {\).  IV.  De  {je^tifi 
Johannc  virginis  France egregie  (sic) 
bellatricis  et  Anglorum  expullricis , 
libri  quatuor.  Paris ,  Jean  de  la 
Porte,  sans  dale,  in-i".  En  tète  de 
ces  quatre  chants  se  lisent  encore 


(I)  L'une  (h-  ces  lettres  est  adressée 
à  (ieoffres  d'Ainboise,  archevêque  de 
iJoiieii,  a  qui  il  ilétlic  son  pocnie.  «  Il 
(I  t  en  avoir  puisé  les  éléments  histori- 
ques dyns  un  manuscrit  du  procès  de 
.îe.'iime  d'Arc,  conservé  a  la  hi!;li(>tii(- 
que  de  l'abbaye  de  Saint-Victor,  mais  il 
ajoute  que  plusieurs  de  ses  conlenipo- 
rains  lui  avaient  communiqué  aussi  des 
(lélails  précieux  sur  l'ht-roine  :  «  Sune 
et  m  hanc  usque  diem  siiperslUes  plu.s- 
ruli  qui  virgiiieui  vidcruiit  inlcrsunt 
rivos  a'ieiilcm.  »  Ces  témoins  oculaires 
devaient  avoir  près  de  cent  ans.  Voy, 
le  n»  4j9  du  curieux  CaUiloduo  d'une 
précteufie  coUcrtion  de  livres^  prove- 
nant du  cabinelr  de  M.  Ch.  B...  de  V. 
(Buvignier  de  Verdun.)  Paris,  J.  Tech- 
ner,  18i9,  in-8». 


VAR 

deux  lettres  de  de  Varannes,  datées 
de  novembre  1316.  Ce  poëme  a 
été  réimprimé  tout  entier  dans  un 
recueil  d'ouvrages  sur  les  femmes 
illustres  ,  publié  en  1521  ,  par 
liavisius  Textor.  (Voy.  ce  nom  , 
XXXVII,  lo3.)  Jean  Hordal  a 
inséré  plusieurs  morceaux  du  môme 
poëme  dans  la  compilation  latine 
en  forme  d'histoire  que  ce  juris- 
consulte mussipontain  ,  descendant 
d'un  des  frères  de  Jeanne  d'Arc,  a 
consacrée  à  la  vierge  de  Domremy. 
Hordal  rapporte  aussi  la  jolie  pièce, 
en  quarante-cinq  vers  hendéca- 
syllabes  ,  que  Salmon  Macrin 
adressa  à  de  Varannes  pour  le 
félicilor  d'avoir  entrepris  de  réha- 
biliter la  mémoire  de  cette  jeune  et 
malheureuse  héroïne.  B-l-u. 

VAilANGE  (Le  baron  de),  né  en 
1792,  mort  le  24  avril  1852,  avant 
d'avoir  atteint  sa  soixantième  an- 
née, joignait  à  la  naissance  et  à  la 
fortune,  non-seulement  toutes  les 
({ualilés  aimables,  mais  le  goût  et 
jusqu'à  certain  point  le  culte  prati- 
que des  lettres  et  des  arts.  Il  était 
membre  de  la  Société  des  sciences 
historiques  et  natui  elles  de  l' Vonne. 
Amateur  et  connaisseur  distingué, 
il  avait  réimi  par  l'habileté  de  ses 
recherches  non  moins  que  par  la 
largeur  avec  laquelle  il  rémuîiérait 
et  l(\s  travaux  des  artistes  et  les 
trouvailles  de  ceux  qu'il  employait, 
une  colleclion  de  tableaux  remar- 
(juable,  nolanmiciit  ])ar  ce  qu'elle 
contenait  (réchantillons  des  écoles 
italienne  et  hollandaise.  Il  avait 
résolu  d'en  faim  hommage,  dil-on, 
de  son  vivant  même  à  la  ville 
dAuxerre;  et  déjà  le  représentant 
de  cr'ltc  ville  à  la  chambre  avait 
aimoMcé  à  l'édilité,  par  une  lettre 
spéciale  et  positive,  l'envoi  prochain 
de  cette  belle  galerie,  quand  le  do- 
nateur  fut    soudainement   attaqué 


VAR 

d'une inflammationd'entrailles.  Peu 
de  jours  suffirent  pour  le  mettre  à 
l'extrémité.  Les  Auxerrois,  par  cette 
brusque  mort  d'un  honorable  com- 
patriote, se  virent  frustrés  d'un  don 
que  tout  commissaire-priseur  au- 
rait évalué  à  trente  mille  francs  et 
dont  la  valeur  artistique  était  supé- 
rieure de  beaucoup.  Val.  P. 

VARAiXGE  (Fklix  de},  neveu 
du  précédent,  du  maréchal  duc 
de  Valmy  et  de  l'amiral  do  Mac- 
kau  ,  et  fils  du  receveur  géné- 
ral de  la  Marne,  n'avait,  en  dépit 
«le  sa  naissance,  de  la  richesse 
au  milieu  de  laquelle  il  avait  été 
élevé  et  de  la  perspective  d'un 
avancement  aussi  facile  que  brillant 
dans  la  carrière  qu'il  lui  plairait  de 
choisir,  aucune  propension  àdevenir 
un  des  coryphées  de  la  jeunesse  do- 
rée. Un  caractère  au-dessus  de  son 
âge,  sans  être  allier  ou  morose,  un 
espritsérieux,  deslectures  immenses, 
que,  toutes,  il  faisait  la  plume  à  la 
main,  extrayant  et  annotant,  et  des 
convictions  assez  énergiques  pour 
sembler  inébianlablcs  à  quiconque 
connaissait  cette  àn»e  d'acier,  fai- 
saient augurer  aux  uns  un  homme 
de  mer  ou  un  diplomate  distingué; 
à  d'autres,  ]»lus  près  du  vrai  peut- 
être,  une  des  futures  lumières  de 
l'Église,  quand  un  accident,  iin}»révu 
s'il  en  fut,  le  ravit  à  ses  parents  et 
k  ses  amis, le  30  juillet  1843, avant 
qu'il  eût  accompli  sa  vingtième 
année.  Ayant  voulu  mener  baigner 
un  chien  de  Terre-Neuve  que  ve- 
nait de  lui  doimer  l'amiral  son 
oncle,  l'envie  lui  prit  de  se  mettre 
à  l'eau  lui-même;  une  crampesans 
doute  survint ,  il  se  noya,  malgré 
les  ellbrts  désespérés  que  nudliplia 
son  compagnon  pour  l'arracher  au 
péril,  (juand  son  corps  eut  été  tiré 
de  l'étang, on  aperçut  son  bras  tout 
déchiré  des  coups  de  dents  du  filêle 


VAR 


105 


animal ,  qui  vainement  avait  fait 
l'impossible  afin  de  sauver  son  jeune 
maître.  Cette  fin  si  peu  prévue  el 
si  tragique  impressionna  doulou- 
reusement les  hautes  régions  de  la 
société  parisienne ,  d'autant  plus 
que,  par  une  triste  coïncidence, 
presque  au  môme  instant  se  succé- 
daient les  trépas  également  pré- 
maturés ,  également  inattendus 
du  fils  de  l'avocat  général  Laplagne- 
Barris,  et  de  la  fille  de  M.  Odilon 
Barrot.  Val.  P. 

VARCOLLIER  (Oscar),  jeune 
peintre  parisien,  naquit  en  1820. 
Bien  que  la  position  administrative 
fort  avantageuse  dont  jouissait  son 
père  h  la  préfecture  de  la  Seine  (il 
était  chef  de  division  au  secrétariat) 
jmt  être  et  eût  été  pour  bien  d'au- 
tres une  incitation  à  la    carrière 
des  emplois,  rien  ne  ])hI  triompher 
de  la  vocation  artistique  d'Oscar. 
Enfant,  la  plume  à  la  main,  il  cro- 
quait déjà  les  maisons,   les  petits 
paysages  et  ses  maîtres  ;  adolescent, 
il  n'eut  de  repos  que  lorsqu'à  l'é- 
tude du  latin  et  du  grec,  de  l'his- 
toire et  de  la  philoso])hie,  il  lui  fui 
permis  de  joindre  la  pratique  du 
dessin.  A  peine  ses  classes  finies, 
il  déclara  ([u'il  voulait  être  artiste; 
v.l  aveo^l'agrément  de  son  père  il 
entra  dans  l'atelier  de  Paul  Dela- 
roche.    Ses    rapides    progrès    lui 
conquirent  bientôt  l'estime  dumai- 
tre""  et    celle    de   ses  condisciples, 
el  le  labeur  opiniâtre  venant  se- 
conder  ses    heureuses    aptitudes, 
ses  dispositions  brillantes,  tout  lui 
présageait    un     glorieux     axenir. 
Malheureusemeni  la  vigueur  phy- 
sique n'allait  |»as  chez  lui  de  paii- 
avec  l'ardeur  de  l'àme.  Ainsi  (pi'il 
arrive  souvent  pour  les  intelligences 
les  mieux  douées ,  la  lame   usa  le 
fourreau  longtemps  avant  l'Age,  et 
une  bruscjue  mort  vint  l'arracher  à 


106 


VAR 


sa  famille  et  à  ses  amis  au  com- 
moiiceiiieiU  de  mars  1840.  Il  venait 
de  terminer  un  tableau  qu'avait 
comblé  d'éloges  non-seulement  son 
maître,  mais  le  patriarche  de  l'art, 
l'austère  Ingres,  qu'on  sait  ne  pas 
avoir  été  des  j)lus  prodigues  en  fait 
d'encens.  Ce  tableau  fui  admis  par 
le  jury  d'exposition  de  celte  même 
année  d84(>  aux  honneurs  du  Salon, 
et  les  sulirages  du  public ,  en  s'a- 
joutant  à  ceux  des  deux  illustres 
maîtres  et  des  juges,  ajoutèrent, 
en  même  temps  qu'ils  leur  aj)por- 
tèrent  une  consolation,  aux  amers 
et  justes  regrets  de  ses  parents. 
Val.  p. 
VARÉ  ( Louis- Prix ) ,  un  des 
officiers  généraux  les  plus  prisés 
de  l'armée  impériale  aux  premiers 
jours  de  l'Empire,  était  de  Versail- 
les et  comptait  de  23  à  24  ans 
lorsque  la  Révolution  éclata.  Bien 
qu'il  eût  reçu  quelque  éducation, 
il  n'avait  encore  alors  que  les  ga- 
lons de  sergent,  et  il  lui  aurait 
fallu  sans  doute  ambitionner  long- 
temps en  vain  l'épiiulette,  si  l'émi- 
gration et  ce  ([ui  suivit  l'émigration, 
le  concert  des  puissances  contre 
nous,  et  la  double  invasion,  autri- 
clnenne  en  Flandre,  prussieime  en 
Lorraine  et  en  Champagne  ,  n'a- 
vaient changé  tout  cela.  Varé  fit 
toutes  les  campagnes  de  la  Répu- 
blique sans  interruption,  moiil;i  de 
grade  en  grade  jusqu'au  comman- 
dement de  la  î)4^  demi-brigade  de 
ligne,  et  j)artout  dé[)loya  non  moins 
de  sang-froid  que  de  vaillance,  non 
moins  d'intelligence  que  de  sang- 
froid.  On  le  rfimarcpia  notamment 
lors  de  la  descente  des  Anglo-Russes 
sur  les  cotes  de  la  Hollande  septen- 
trionale, où  son  intrépide  et  habile 
concours  aida  puissamment  h  l'ex- 
pulsion de  l'ennemi,  mais  d'où  il 
revint  blessé. Sa  promotion  au  rang 


VAR 

de  général  de  brigade  et  la  croix 
de  commandeur  de  la  Légion 
d'honneur  furent  la  récompense 
de  son  dévouement.  L'avenir  cor- 
taincmcntlui  réservait  les  premiers 
grades,  les  premières  dignités  de 
l'armée  ,  s'il  n'eût  en  quelque 
sorte  porté  défi  au  sort  par  son 
audace  à  la  bataille  d'Eylau.  Il  s'y 
couvrit  de  gloire,  mais  les  projectiles 
prussiens  et  russes  le  couvrirent 
de  blessures;  il  fallut  le  rapporter 
du  champ  do  bataille  et  on  l'évacua 
sur  Thorn  ,  où ,  malgré  les  soins 
qui  lui  furent  prodigués,  il  expira 
le  14  mars  1807.  Né  le  19  janvier 
1760,  il  comptait  quarante  et  un 
ans  à  peine.  Val.  P. 

VAREÏLLES  (le  comie  niî),  une 
des  victimes  de  l'émeute  pendant 
la  période  orageuse  du  règne  de 
Louis-Philippe,  et  celle  dont  la  mort 
fiappa  le  plus  le  public ,  parce 
^qu'elle  était  prématurée  et  quei)lus 
qu'à  toute  autre  elle  arrachait  la 
perspective  d'une  vie  pros])ère.  Et 
par  sa  fortune  et  par  sa  naissance, 
le  jeune  comte  appartenait  à  la 
classe  des  heureux.  Né  en  1811  ,  il 
était  en  1834,  c'est-à-dire  à  vingt- 
trois  ans ,  auditeur  au  conseil 
d'ï^^lat,  officiel'  d'état-major  de  la 
garde  natioiude,  chevalier  de  la 
Légion  d'honneur  et  bien  en  cour 
près  de  son  ministre,  le  ministre 
de  rinlérieiu*...,ti-opbienpeul-ôlre, 
car  s'il  eût  été  moins  dans  son  in- 
timité, il  ne  se  serait  sans  doute 
j)as  trouvé  dans  la  nuit  du  Li  au 
14  avril  à  coté  du  haut  fonclion- 
naire,  au  milieu  et  au  plus  fort  de 
la  lulle.  Ou  allait  enlever  une 
bari'icade  opiniâirément  défendue, 
quand  un  coup  de  feu,  destiné 
jieut-ètre  au  ministre ,  atleignit 
le  jeune  homme  aux  environs  du 
sternum.  Bien  que  la  blessure  fût 
grave  ,    on    conserva    longlemps 


VAR 


VAR 


107 


néanmoins   l'espoir  de   sauver  le 
blessé.  Mais  finalenienl,   après  de 
six  à  sept  semaines  de  souffrances 
aiguës,   on  dut  cesser  de  s'aban- 
donner aux  illusions  :  une  infdtra- 
lion  avait  eu  lieu  dans  les  pou- 
mons; le  jeune  comte  de  Vareilles 
fut  ravi  ù  ses  parents,  à  ses  amis 
le  6  juin.  Mort  ainsi  martyr  de  la 
cause  do  l'ordre,   après  avoir  été 
fraj)pé  au  champ  d'honneur,  si  ce 
mot  peut  s'employer  quand  il  est 
question  de  guerres  civiles,  le  comte 
avait  rallié   bien  des  sympalhies  ; 
un  nombieux  concours  se  pressait 
à  ses  obsèques;   la  ville  de  Paris 
avait  voulu  Taire  don  d'un  lorrain 
au  cimetière  du  Père-Lachaiso  ;  le 
préfet  de  la  Seine  prononça  sur  la 
losse  une  allocation  animée,  où  l'on 
put   remarquer  les  traits  qui  sui- 
vent :  «  Puisse    celle   tombe    qui 
«  vient  de  se  fermer  sur  un  jeune 
«  homme  si  plein  d'avenir  n'avoir. 
0  pas  de  comiagnesl   Puissent  les 
«  partis   abjurer  leurs   sanglantes 
a  querelles!  Puissent-ils  coniprcn- 
K  dre...,  elc.  Espérons  que  ilésor- 
«  mais  le  sang  français  ne  coulera 
«  plus  par  des   mains   IVançaises, 
c  et  qu'il  sera  réservé  pour  défen- 
«  dre  i'mdépendanc^i  et   la  gloire 
«  de  noire  pairie  !  »        Val.  P. 

VARiv\A<:Kî<:U  (Jean},  fut  un 
des  premiers  professeurs  de  la  cé- 
lèbre université  de  Louvain.Né  au 
bourg  de  Kuysselède,  près  de  ïilly, 
dans  le  diocèse  de  (land,  il  entra 
dans  l'étal  eccléhiasli([ue.  Sa  capa- 
cité le  fil  choisir  pour  enseigner  la 
philosophie  dans  le  collé^'e  du  L\s, 
\ers  le  lemps  de  rétablissement  de 
l'université  de  Louvain.  Il  parvint 
depuis  au  grade  (\r  dortenr  en 
ihéologie.  En  14i3,  il  fut  noinnie 
pléban,  c'est-à-dire  curé  de  Saint- 
Pierre,  et  cependant  il  ('(iiiliiuia  les 
fonrlions  de  professeur;  nj.iis  j'i- 


gnore s'il  continua  d'enseigner  la 
philosophie ,   ou   si  on  lui  donna 
une  chaire  de  théologie,  comme  les 
ouvrages  qu'il  a  laissés  pourraient 
le    faire    supposer.    Ce   laborieux 
ecclésiastique    mourut  à  Louvain 
en  1475.  Varenacker  n'a  rien  pu- 
blié, et  ses  compositions  restèrent 
toutes  manuscrites.  Depuis  sa  mort 
on  a  imprimé,    d'alîord  en  1012, 
puisa  Paris  en  1544,  et  dans  le 
format  in-4°.  deux  questions  quod- 
libéliques.    La    première    de    ces 
questions  est  posée  ainsi  :   l'truni 
cleriri  et  ecclesiarum  prelati  inor- 
talifer  peccent ,  si  quod  eis  de  prœ- 
beudh  supercst,  in  eleemosynam  non 
elaraimitur.  —  La  seconde  :  Ulrum 
ab  iiomine  possit  dispemari  in  prœ- 
ccptis    jnris   nalurcdis   mit  divini. 
Les  œuvres  manuscrites  de  Varc.i- 
ackersont  un  traité  des  sacrements  : 
Lecturn  in  psahnum  H8  ,  Beati  im- 
innculali  in  Librum  Sapientiœ  et  in 
quatuor    Evcnufclislas  ;     un    autre 
traité  intitule  :  Monotessaron ,  con- 
servé autrefois  dans  le  collège  des 
Théologiens  à  Louvain,    mais  qui 
a  peul-èlue  été  égaré  par  suite  des 
mouvements  révolu lionnain;s.  Va- 
lère-André  a  consacré  un  article  à 
Varenacker   dans  sa    Bibliothèque 
bclijiquc;  mais  Uupin  et  la  plupart 
des    dictionnaires     biographicpies 
n'en  ont  point  parlé.  R-d-k. 

-^VAKhNMCS  (AiMK  de),  (|ui  en 
1  Tbh  composa  en  vers  français oclo- 
s>llabi(pies  le  roman  ou  poëme  de 
Florimont,  était  resté  à  jieu  près  in- 
coniui  jusqu'à  ces  derniers  temps. 
Ni  KauchiM'.  ni  La  (j-oix  du  Maine 
n'en  avaient  dit  mot.  Du  Verdier 
cite  bien  le  roman,  mais  sans  au- 
cuns détails  et  en  nommant  l'auteur 
Aymon  ou  Aymé  de  Chàtillon. 
Galland  parle  fort  inexactement  et 
de  lauteur  et  de  l'ouvrage  dans  son 
dixcnurssuv  q'ieltjucs  uncii'iis  pacte 


108 


VAR 


VAR 


insén^  au  lomc  II  des  Mémoires  de 
IWcudémie  des  inscriptions.  Le  ré- 
dacteur du  Catalogue  (en  3  vol.) 
des  livres  du  duc  de  la  Vallière, 
Giiill.  de  Bure,  en  décrivant,  sons 
le  numéro  2,706,  un  manuscrit  du 
roman  de  Florimont^  a  copié  les  er- 
reurs des  précédents.  Les  nouveaux 
critiques,  Moncliet,  P^xpiefort,  Gin- 
guené  et  Amanry-Duval  ont  aussi 
commis  de  grandes  inexactitudes 
dans  les  courts  articles  qu'ils  ont 
consacrés  à  Aimé  de  Varennes  (1). 
Il  était  réservé  à  M.  Paulin  Paris, 
le  savant  historien  des  manuscrits 
français  de  la  Bibliothèque  impé- 
riale, de  mieux  faire  connaître  le 
poêle  du  douzième  siècle.  D'une 
lecture  attentive  du  poëme,  il  a  re- 
cueilli tousles  renseignements  qu'on 
pouvait  avoir  sur  l'auteur.  Il  nous 
permettra  de  les  résumer  en  quel- 
ques lignes.  Aimé  devait  être  Grec 
de  naissance;  cela  résulte  d'une 
foule  d'endroits  de  son  livre.  Il  sé- 
journa longtemps  à  Galiipolis  en 
Thrace;  il  visita  Damiclle,  Ii)sala, 
Andrinople  et  Philippopolis.  Ce  fut 
dans  cette  dernière  ville,  à  ce  qu'il 
nous  apprend,  quil  entendit  i)our 
la  première  fois  raconter  en  grec 
les  aventures  de  Floi-imont  et  de 
Philippe,  le  i)isaïeul  d'Alexandre. 
Par  quel  motif  ahandonna-t-il  la 
contrée  où  il  avait  vu  le  jour?  On 
l'ignore;  mais  ce  qu'ily  a  de  certain, 
c'est  qu'il  vint  en  France,  s'arrêta 
dans  If   Lyonnais  et  choisit  pour 


(ij  Les  ailiclis  de  Ginj^umé  et  d'A- 
niaiiry-Diivalsc  Hionldaiis  les  toiiiesXV 
et  XIX  do  VJIisloirc  littéraire  de  la 
France.  —  Aim6  do  Varcnufs  n'est 
pas  mémo  iiomFii«'  dans  les  tables  qui 
suiit  à  la  lin  de  la  iiii-diocrc  (tornpila- 
tion  qu'Auguis  a  intilulik"  :  Les  Poè- 
tes français  du  xn«  siècle  jusqu'à 
Malherbe,  etc. 


demeure  la  petite  ville  de  Chàtiilon , 
située  sur  la  rivière  d'Azergue,  à 
quelques  lieues  de  Lyon.  «  Peut- 
être  est-ce  lui  qui  construisit  le  châ- 
teau de  La  Varenne,  dont  envoyait 
encore  les  ruines  il  y  a  peu  d'an- 
nées entre  Tile  Barbe  et  Chàtilion.  )> 
On  ne  sait  si  Aimé  passa  le  reste  de 
sa  vie  dans  ce  pays,  ni  h  quelle 
époque  il  termina  sa  carrière.  Quoi 
qu'il  en  soit,  dans  sa  seconde  par- 
tie, il  se  ressouvint  des  aventures 
de  Florimont,  et  il  résolut  d'enri- 
chir de  leur  récit  la  littérature  de 
ses  concitoyens  d'adoption.  Comme 
nous  l'avons  dit,  il  exécuta  ce  pro- 
jet en  1188.  M.  Paulin  Paris  a  fait 
une  longue  et  très -intéressante 
analyse  du  roman  ou  poëme  de 
Florimont,  et  il  en  a  extrait  de 
nombreux  passages  qui  en  donnent 
l'idée  la  plus  avantageuse  {Manu- 
scrils  franrais,  \lï,  9-l)S).  «  Flori- 
mont, dit-il  en  finissant,  est  double- 
ment remarquable  et  par  sa  date 
ancienne  oi  par  un  véritable  talent 
de  versification  et  de  composition.  » 
Il  serait  donc  à  désirer  que  ce 
poème  trouvât  un  éditeur  conscien- 
cieux tel  que  M.  Paulin  Paris  lui- 
même.  La  publication  de  cet  ou- 
vrage en  vers  corrects  et  élégants, 
plein  de  mouvement,  d'imagina- 
tion et  quelquefois  de  poésie,  ferait 
bien  vile  oublier  la  méchante  tra- 
duction on  plutôt  imitation  en 
j)rose  (pi' un  inconnu  en  fit  dans 
le  xv'^  siècle,  et  qui  a  été  imprimée 
sous  ce  litre  :  Histoire  et  ancienne 
crouicqnc  de  l'excellent  roy  Flori- 
mont, fils  du  noble  Mataquas,  duc 
d'Albanie,  etc.,  Paris,  pour  Jehan 
Longis,  11)28,  in-4",  fig.  en  bois, 
caract.  goth.,  léimprimée  l'année 
suivante,  à  Lyon,  par  Olivier  Ar- 
noullel,  qui  en  a  encore  fait  pa- 
raître une  édit.  en  lo;3o.  Il  en 
existe  deux  autres  de  Rouen,  sans 


VAR 


\  AB 


i09 


dalc,  la  première  de  Nicolas  Mulot, 
el  la  seconde  de  Richard  Le  Prévost. 
\?ov.Y  les  détails  bibliojiraphiques, 
consulter  le  Manuel  du  libraire^  au 
mot  Florimont). Toutes  ces  éditions 
10-4"  sont  aujourd'hui  rares  et 
chères,  surtout  celles  de  Paris  et 
de  Lvon.  Le  prince  d'Essling  n'a- 
vait dans  sa  magniGque  collection 
que  celle  de  Le  Prévost,  de  Rouen. 
Elle  n'a  été  vendue  que  10  fr.  B-l-u. 
VAÏ\E.»EDE  FEMLLE  (Jean- 
Charles-Bénigne],  fils  d'un  agro- 
nome justement  renommé  ^ voyez 
tome  xLvii,  page  500),  naquit  à  Paris 
le  25  novembre  1780.  Il  perdit  à 
treize  ans  son  père,  mort  à  L}Ou 
sur  l'échafaud  révolutionnaire,  et 
se  trouva  livré  ])ar  l'émigration  de 
sa  mère  à  un  isolement  absolu 
dans  la  ville  de  Bourg-en-Bresse, 
où  sa  famille  était  depuis  long- 
temps établie.  11  lut  généreusement 
recueilli  par  un  professeur  de  ma- 
thématiques appelé  M.  Salles,  ([ui 
lui  enseigna  celte  science,  et  le  mit 
eu  état  d'enlrer  à  l'école  polytech- 
nique. En  1810,  le  jeune  de  Va- 
renne  fut  admis  comme  auditeur 
au  conseil  d'Etat,  et  nommé  l'an- 
née suivante  sous-préfet  de  l'ar- 
rondissement de  Lyon.  Il  se  démit 
de  ses  fonctions  au  20  mars  1815. 
Cet  acte  de  dévouement  au  régime 
de  la  Restauration  fixa  sur  lui  les 
sulîrages  des  électeurs  royalistes 
qui,  quelques  mois  plus  lard  (août 
1815),  l'envoyèrent  à  la  chambre 
dite  introuvable.  Varenne  vota 
constanmient  avec  le  parti  modéré. 
Il  ne  fut  |)oint  réélu  après  l'ordon- 
nanc»'  de  dissolution  du  .i  septoin- 
bre  et  fut  nommé,  en  181  G,  sccré- 
laire  général  do  la  préfecture  de 
l'Ain,  fonctions  ([u'il  exerra  jusqu'à 
l.i  révolution  de  1830.  Il  s'y  lit 
ivinanpier  par  sonéquilé.  par  l'ex- 
îième  courtoisie  de  ses  rapports  el 


par  son  expérience  dans  les  matières 
administratives.  Rendu  h  la  vie  pri- 
vée, Varenne  de  Eenilie  lut  à  la 
Société  d'agriculture  de  l'Ahi,  dont 
il  faisait  parlie,  un  grand  nombre 
de  mémoires,  doji  [  la  plupart  sont  de- 
meurés inédit::.  Nous  citerons  ceux 
sur  la  destruction  des  fougères,  sur 
la  distillation  des  i)ommes  de  terre, 
ceux  sur  la  plantalion  des  pins  et 
des  mûriers,  etc.  Ce  modeste  el 
utile  administrateur  mourut  aux 
environs  de  Bourg  dans  les  senti- 
ments d'une  haute  piété,  le  6  jan- 
vier 1848.  Son  éloge  a  été  prononce 
à  la  Société  d'émulation  et  d'agri- 
culture de  l'Ain,  par  M.  Pelletier.  Z. 
VARET  (Alexandre  Louis),  na- 
quità  Paris  en  l'année  1632.  Il  était 
fils  d'un  avocat  d'une  probité  re- 
connue, et  sa  famille  fut  vraisem- 
blablement une  des  premières  à 
s'attacher  à  ce  parti  qui  divisa 
d'abord  les  théologiens  et  troubla 
bientôt  l'Etat  et  l'Eglise;  tout  dans 
l'histoire  de  sa  vie  m'autorise  à 
émettre  ce  jugement  qui  se  trou- 
vera justifié  par  les  faits  consignés 
dans  cette  notice.  A  l'âge  de  vingt 
ou  vingt  el  un  ans,  le  jeune  Varet  (il 
le  voyage  de  Rome.,  en  la  comjMgnic 
d'une  personne  d'une  condition  éle- 
vée, sans  autre  dessein  (jue  de  con- 
tenter une  légitime  curiosité.  L;i. 
Diuu  lui  inspira  une  forte  résolu- 
tiiiii  de  ne  plus  \ivre  que  selon  les 
n)aximes  de  la  piété.  Le  Sëcroloijc 
des  plus  cHcbres  défenseurs  de  la 
vérité  dit  que  a  la  magnificence 
aussi  bien  (pie  le  débordement  de 
cette  grande  ville  J(ome)  lui  inspi- 
rèrent un  si  grand  mépris  du 
inonde,  qu'à  son  retour  à  Paris...  •> 
On  comprend  tout  de  suite  dans 
(piel  espril  l'auteur  janséniste  a 
écrit  ces  deux  lignes  de  criticpie 
sur  Home.  Le  yérrolofie  de  Port- 
iioyal ,   quoicpie    rédi'.'é    dans    les 


110 


VAR 


VAË 


mêmes  sentiments  dit  :  w  Dieu  qni 
avait  des  desseins  de  miséricorde 
?(ir  son  âme...  lui  lit  voir  le  néant 
du  monde  dans  la  magnificence  de 
celte  grande  ville,   el  reconnaître 
les  périls  dont  on  y  est  environné, 
par  un  piège  ([ue  lendit  à  sa  chas- 
teté un  inlàme  miséraiiie  à  qui  il 
demandait  le  chemin,  après  s'être 
égaré  on   sn  dérol)ant  à  ses  amis 
])0ur  aller  seul  prier  Dieu  dans  une 
église  ([u'il  cherchai!.  Son  premier 
mouvement,  malgré  sa  modération 
naturelle,  fut  de  charger  cet  homme 
de  coups  d'épée;  mais  Dieu  l'ayant 
retenu,   le  préserva  de  ce  second 
danger.  »  De  retour  à  Paris,  Yaret 
se  relira  de  toutes  les  compagnies 
du  monde  pour  se  livrer  à  l'étude 
et  à  la  prière.  Il  consacra  ïcpt  ans 
à  cette  occupaiion,  ne  cherchant  de 
récréation  que  dans  le  service  des 
malades  à  l'hospice  de  la  Gliarité 
(jui  existe  encore  actuellement.  Le 
directeur  qu'il  avait  choisi  d'une 
manière  extraordinaiîc,  l'ohligea  à 
j)rendre  les  ordres  sicré^.  11  avait 
à  cet  engagemenl   la   répugnance 
([u'afTeclaient  ceux    de   son   parti, 
mais  (pli  venait  en   lui  d'un  véri- 
table sentiment   de    frayeur   reli- 
gieuse, car    rim|»rc'ssion  (pi'il    en 
ressentit,  le  rendit  malade  pendant 
cinq  mois.  H  garda  tous  les  inters- 
tices [trcscrits  par  les  saints  canons 
et  ne  lut  ordonné  prêtre  qu'à  l'âge 
d'environ   trente  ans;  celte  éléva- 
tion   ne   produisit   en  lui    d'autn; 
prétention  (ju'unc  plus  grande  af- 
fection au   désintéressement  et  un 
plus  grand  attrait  p'our  la  retraite. 
il  s'élail  ajjpliqué  à  l'élude  de  l'E- 
criture sainlcet  des  œuvres  de  saint 
Augustin,   (|u'il   lut  ])lusieurs  fois 
tout   entières.  ^Malheureusement  il 
portait  à  celle  élude,  si   utile   en 
elle-mônie,   l'esprit  de  i>révention 
et  d'opposition  qui  régnait  dans  le 


parti  de  Port-Royal,  auquel  lui  et 
les  siens  étaient  fortement  attachés. 
Quand  on  exigea  la  signature  du 
formulaire,  Alexandre  Varet,  qui 
n'était  point  dispose  à  la  donner, 
quitta  Paris  et  se  retira  à  Provins, 
oii  il  habita  dans  une  petite  cham- 
bre du  collège  desoraloriens,  pau 
vrement  meublée,  n'ayant  qu'un 
lit,  qu'il  partageait  môme  avec  une 
personne  (pii  s'était  retirée  avec 
lui  prohablcnienl  pour  les  mêmes 
motifs,  et  qu'il  servit  seul  pendant 
deux  mois,  donnant  ainsi  l'exemple 
(l'une  humble  simplicité.  11  demeura 
pendant  un  an  dans  cette  pauvre 
maison,  qu'il  aida  à  subsister  [lav  sa 
pension  etcelle  de  son  compagnon. 
Dans  celle  retraite,  Varet  s'occupa 
à  la  composition  de  quelques  ou- 
vrages. H  avait  deux  sœurs  reli- 
gieuses dans  la  communauté  de  la 
congrégation  de  N.-D.  de  celte 
ville.  C'est  peut-être  pour  celle 
raison  qu'il  choisit  Provins  pour  le 
lieu  de  son  exil  volontaire.  Il  n'a- 
vait porté  avec  lui  que  sa  Bible. 
Louis  Henri  de  Gondrin  (roir  Gon- 
DRiN  (I},  xvni,  36),  archevêcpic  de 
Sens,  lo  choisit  pour  grand  vicaire 
et  trouva  dans  ce  nouveau  coopé- 
rateur  des  dispositions  conformes 
aux  siennes;  tous  deux  voulaient 
sans  doute  établir  le  bien  dans  le 
diocèse,  cl  ny  mirent  que  le  trouble 
par  leur  exagération  jansénienh(;. 
Varet  y  donna  du  moins  l'exemple 


'1)  U  ost  priidc-nt  de  lire  cet  Jiitithî 
avec  prc'cnilion  conttc  ios  c'l()i,'cs  que 
rdiiteiii',  l'ahln';  Lr(  iiy,  fait  do  G.-ii- 
driii,  dont  il  n'a  point  fait  cnnnaitrç  Ut 
c.araclèro.  Il  vante  :iV(;c  jaison  ses  (pi;i- 
liU's;  niais,  par  ij^noianco  ou  p;ir  cal- 
cul, il  a  omis  plusieurs  circonstances 
qui  niontrcraicnt  dans  Gondrin  un /èlc 
qui  n'était  ni  scloîi  la  science,  ni  selon 
la  priulcncc. 


■ 


VAR 


VAR 


111 


d'un  parfait  désintéressement.  Il  ne 
voulut  jamais  recevoir  les  béné- 
fices qu'on   lui  offrit  :    il  refusait 
même  les  droits  utiles  inséparable- 
ment attachés  à  ses  fonctions.  Ega- 
lement éloigné  de  recevoir  aucun 
présent,  il   faisait  à   ses  frais  les 
visites  qu'il  devait  à  plusieurs  mo- 
nastères,   et   défendait   même   au 
domestique  qui   le  suivait  de  rien 
accepter.  Gondrin  étant  mort,   en 
1674,  à  l'abbaye deChaulmes,  qu'il 
avait  gardée  avec  son  archevêché, 
Varet,   qui  n'aurait  pu  d'ailleurs 
convenir  à  son  successeur,  se  retira 
à    Port-Royal,   où   il    faisait   des 
voyages   de   temps   en   temps,   et 
pour  lequel  il  avait  les  plus  vives 
sympathies.  II  n'y  vécut  pas  long- 
temps; il  y  était  venu  le  29  juillet 
1G76  avec  Arnauld,  dans  le  dessein 
d'y    faire  quelque  séjour,  mais  il 
paraît  qu'il  n'y  avait  jamais  eu  de 
demeure  dcdnitive.  II  y  mourut  le 
premier  août  de  la  même  année,  à 
1  âge  de  ii  ans.  De  la  3Ionnoye, 
dans  ses   notes  sur  les  Jugements 
des  savants  de  Baillet,  tome  iv,  se 
trompe   en    reculant   la   mort   de 
Varet  à  l'année    1685.  Le  31oreri 
de  ilo'J  dit  que  Du  Pin  s'est  trompé 
aussi  en  la  fixant  à  l'année  168G. 
Je  ne  sais  où  il  a  vu  cette  erreur. 
Du  Pin,  qui  n'a  point  consacré  à 
Varet  d'article  particulier  dans  son 
histoire  ecclesia.stique  du  xvii''  siè- 
cle, mais  qui  indique  une  partie  de 
ses  pubif  nations  dans  son  intéres- 
sante table  méthodique  des  ouvra- 
ges de  l'époque,  marcpie  le  jour  de 
sa  mort   au   7   août,    il    est  vrai, 
mais  bien  en  l'année  1076.  Varet 
laissa  aux  religieuses  de  Port-UoNul 
son  calice  en  vermeil  et  niille  livres 
en  aumO)ne;  il  voulut  être  enterre 
dans  leur  église,  où  il  eut  en  effet 
sa   sépulture  au   bas-côlé  gauche 
du  chœur.  Une  huigue  inscription 


louangeuse  couvrait  sa  pierre  tom- 
bale, et  y  avait  été  placée  par  les 
soins  de  sa  mère  touchée  de  douleur, 
mais  soutenue  par  une  ferme  expé- 
rience du  bonheur  de  ce  cher  fils, 
disait  répitai)he.  Cette  mère  avait 
pris  soin  de  son  éducation  avec  une 
conscience  timorée,  qui  lui  dicta 
un  fait  qui  doit  être  consigné  ici 
et  qui  lient  à  f  histoire  de  Varet. 
Lorsque  celui-ci  était  encore  dans 
les  basses  classes,  son  aïeul  obtint 
pour  lui  la  nomination  à  un  béné- 
fice simple  de  quatre  à  cinq  cents 
livres  de  revenu.  Tout  était  tlisposé 
pour  son  entrée  en  possession,  mais 
la  mère  y  mit  opposition,  ne  vou- 
lant pas  que  le  jeune  Alexandre 
reçût  la  tonsure;  parce  que,  le 
destinant  à  suivre  la  profession  de 
son  père,  elle  disait  avec  raison 
qu'il  n'était  pas  équitable  de  lui 
faire  prendre  un  bénéfice  ecclésias- 
tique en  attendant.  Lors  donc  qu'il 
eut  fini  ses  études,  il  se  fit  recevoir 
avocat,  et  suivit  le  barreau  pen- 
dant deux  ans.  Mais  il  s'en  dé- 
goûta en  voyant  que  l'exercice  de 
cette  ])rofession  exposait  souvent 
à  parler  contre  la  vérité.  Ce  fut 
alors  qu'il  fil  le  voyage  de  Rome 
mentionné  au  commencement  d-; 
cet  article. 

Varet  a  composé  plusieurs  ouvra- 
ges.—  l.  Lettred' un  ecclésiastique  à 
jTTx  Morel,  théolofjil  de  Paris,  sur 
trois  sermons  de  ce  théoUujnt,  in-i'*, 
1 00  i.  —  H.  Miracle  arrivé  à  Provins  fl 
approuvé  par  ta  sentence  des  grands 
vicaires  de  Sens  ^  le  14  décemln'e 
lOoG,  in-4".— IIL  Lettre  d'un  théo- 
logien ioucliant  la  censure  de  la  fa- 
culté de  théologie  de  Poitiers  sur  lu 
probabilité.  —  IV.  Traité  de  la  pre- 
mière éducation  quon  doit  procurer 
auc  enfants,  etc.  Varet  était  encore 
dans  les  écoles  deSorbonne  (piand, 
en    1661),  à  la  j)rière  d'une  de  se;* 


112 


VAH 


VAR 


sœurs,  mariée,  il  publia  ce  trailé 
qui  est  le  meilleur  de  ses  ouvrages. 
II  y  donne  des  maximes  excellentes 
et  la  manière  de  conduire  les  en- 
fants depuisqu'ilssontsortisdu  sein 
de  la  nourrice,  jusqu'à  ce  qu'ils 
passent  à  l'étude  des  belles-lettres. 
Ce  livre  utile  aux  gouvernantes  et 
aux  premiers  maîtres  de  la  jeu- 
nesse a  eu  j)lusieurs  éditions. 
—  V.  Facium  pour  les  Ermites  du 
Mont-Valêrieu  contre  les  Jacobins. 
De  graves  discussions  et  procédures 
avaient  eu  lieu  entre  les  solitaires 
ermites  du  Mont-Valérien  et  les 
Dominicains,  qui  avaient  des  pré- 
tentions et  s'étaient  même  établis 
sur  cette  montagne.  —  VI.  Facium 
pour  les  religieuses  de  Sdinte-Calhe- 
rine-lès- Provins,  \n-i2.  Ce  facium 
«'idcva  la  direction  des  religieuses 
aux  Cordeliers  de  Provins,  contre 
lesquels  il  était  écrit.  —  VU.  Dé- 
fense de  la  paix  de  Clément  L\, 
'2  vol.  in- 12.  —  Mil.  Facium  de 
l'archevêque  de  Sens  contre  son 
chapitre.  Les  écrits  de  Yaret  pour 
l'archevêque  lurent  combattus  dans 
la  dissertation  intitulée  :  De 
jure  presbylerorum  jiar  Fonte- 
nius,  pseudonyme  ridicule  qui  ca- 
ciiait  l'abbé  Boilc^au.  —  IX.  Les 
Constitutions  reli(jieuses  de  la 
congrégation  de  Notre-Dame,  dont 
le  successeur  d"  (jondrin  défendil 
l'usage.  —  X.  Défense  de  la  disci- 
pline qui  s'observe  dans  le  diocèse 
de  Sens ,  louchant  l'imposition  de  la 
pénitence  publique  pour  les  pechc'^ 
publics  ,  imprimé  par  l'ordre  de 
Monseigneur  l'illustrissime  et  Hévé- 
rcndissime  Arclœvesque  de  Sens  , 
Prussurot,  1673,  in-8.  C'est  un 
volume  où  l'auteur  fait  étaiago  d'é- 
rudition sur  l'histoire  et  la  pratique 
de  la  pénitence  publique,  pour  en 
venii'  à  juslifier  ce  qui  se  faisait 
dans  le  diocèse  de  Sens,  et  qui  n'a- 


vait })as  le  sullrage  de  tout  le 
monde.  Il  y  a  des  détails  curieuN. 
surtout  dans  les  5*",  6"=  et  7^  chapi- 
tres.—XI.  Lettres  spirituelles,  3  vol. 
in-12(l).  —  XII.  Yaret  est  auteur  de 
la  première  préface  du  livre  de  la 
Morale  des  Jésuites  ,  imprimé  à 
Mons,  en  1667  et  de  celle  qui  est  au 
commencement  de  leur  prétendue 
Morale  pratique,  La  2''  préface  de  la 
Morale  pratique  passe  pour  être  de 
Pontchàteau,  qui,  avec  Claude  de 
Sainte-Marthe  et  Baudry  de  Saint- 
Gilles-d'Asson,  est  le  principal  au- 
teur de  cet  ouvrage.  On  a  inséré 
jdusieurs  des  lettres  de  Yaret  dans 
le  Recueil  des  pièces  qui  n'ont 
point  encore  paru  sur  le  formulaire, 
tes  Bulles,  etc.;  imprimé  en  1754, 
in- 12.  Yaret  avait  aussi  composé 
un  mémoire  manuscrit  contre  un 
plaidoyer  de  M.  Yalon  ,  en  consé- 
quence duquel  plaidoyer  intervint 
arrêt  du  Parlement,  portant  sup- 
})ression  d'une  lettre  de  M.  l'évoque 
d'Alet  (Pavillon)  au  roi,  du  20  août 


(I]  Dans  les  lettres  de  Nicole  (letti-e 
34')  on  tmiivri  une  comparaison  qu'il 
lait  enlie  celles  de  Sacy  et  celles  de 
«  Yaret.  «  Ces  iettics  (de  Sacy),  dit-il, 
<{  sont  beaucoup  plus  noblement  écrites 
0  que  celles  de  M.  Varet,  et  elles  don- 
«  nent  même  une  plus  grande  idée  de 
((  sa  personne  et  de  son  esprit,  que 
<•(  M,  Varet  n'en  donne  de  lui  par  les 
«  siennes.  (Cependant,  celles  de  M.  Va- 
<i  ret  (tut  aussi  certains  avantages  (pii 
«  ne  sont  pas  peu  considérables.  11  y  a 
«  bcaucoiqt  plus  de  matières  traitées 
<(  avec  étendue  qui'  dans  celles  de  M.  de 
'<  Sacy.  Il  entre  beaucoup  plus  dans  le 
«  détail  de  quantité  (le  dispositions  ti'è.s- 
'<  communes,  et  néanmoins  tiès-néccs- 
«  saires  a  régler,  de  sorte  que  M.  Va- 
«  ret  païaît  être  un  directeur  de  per- 
n  sonnes  imparfaites,  bizarres,  S'-rupu- 
'  leuses,  et  que  M.  de  Sacy  semble 
«  n'êîrc  que  poin-  des  Ames  solides,  in- 
«  telligentrs  et  éclairées.  Or,  le  nombre 
<r  (les  premières  est  bien  plus  grand 
«  que  celui  des  autres.  » 


I 


VAR 

1664.  touchant  la  signature  du 
fonnulaire.  Il  est  à  regretter  qu'un 
homme  comme  Varet,  si  distingué 
par  son  instruction  et  des  qualités 
nombreuses,  ait  grossi  le  parti  qui 
depuis  deux  siècles  a  causé  tant  de 
mal  et  jeté  partout  l'esprit  de  ré- 
volte et  d'opposition.  Ces  opinions 
étaient  en  lui  une  apanage  de  fa- 
mille, et  elles  se  sont  maintenues 
dans  les  branches  qui  lui  ont  ap- 
partenu ,  telles  que  les  familles 
Pépin  ,  Tartarin.  Ce  parti  n'est  pas 
éteint.  On  a  gravé  le  portrait  de 
Varet  et  on  le  voit  en  tète  du  pre- 
mier volume  de  ses  lettres  spiri- 
tuelles, avec  ces  vers  dus  à  la 
plume  d'un  ami  : 

For  et  simple  en  ses  mœurs,  modeste  de  visage, 
Des  vérités  «lu  ciel  épris  dès  scn  -eune  âge, 
Varet  jusqu'à  leur  source  alla  s'en  abreuver; 
Kt  de  son  grand  savoir  sun  iiumililé  saiule 

I  empreinte,] 
l'itbion  voir  qu'en  un  r^ur  où  la  grâce  est 
Les  vapeurs  de  l'orgueil  ne  sauraient  s'élever. 

On  peut  consulter  sur  Varet 
^Alexandre)  quelques  dictionnaires 
historiques,  le  Nécrologe  des  défen- 
seurs de  la  vérité...  Les  Mémoires 
historiques  et  chronologiques...  sur 
l' abbaye  de  Porl-Hoyal-des-Champs, 
etc.,  etc.  B-D-E. 

VARET  (François)  ,  frère  du 
précédent,  partageait  ses  erreurs 
religieuses.  Il  a  publié  une  traduc- 
tion franraise  du  catéchisme  du 
concile  de  Trente,  et  est  auteur  de 
la  longue  épitaphe  (|iii  se  vovait  sur 
la  tombe  d«'  son  frère  et  qu'on 
trouve  dans  le  Nécrologe  de  Porl- 
lloyul.  B-n-E. 

VAUliAS  ou  l«AU(iAS  ^Martin 
dk),  réformateur  «le  l'ordre  de  Ci- 
leaux,  en  Espagne.  n;upiit  à  la  lin 
«iuquatorziènuî  siècle,  dans  le  Ixnirg 
de  Xérès  de  la  Frontera,  province 
d'Andalousie.  Après  avoir  fait  avec 
un  grand  succès  des  études  solides 

LXXXV 


VAR 


113 


et  variées,  il  résolut   d'embrasser 
la  vie  religieuse.  L'auteur  des  an- 
nales de  l'ordre  de   Gîteaux,  Ange 
Manriquez,  dit  qu'il  fit  d'abord  pro- 
fession dans  l'ordre  des  Ermites  de 
Saint-Jérôme  d'Italie,  et  qu'il   s'y 
concilia  une  si  grande  estime,  que 
le  pape  Martin  V  le  choisit  pour  sou 
confesseur  et  son  prédicateur.  Mais 
Vargas  revint  en   Espagne  pour  y 
vivre  dans  une  plus  grande  retraite, 
et  fixa  sa  demeure  dans  le  royaume 
d'Aragon ,  où  avec  la  permission 
du  Souverain  Pontife,  il  s'agrégea 
à  l'ordre  de  Cîteaux,dans  l'abbaye 
de  Notre-Dame-de-la-Pierre  ou  de 
Piedra.    Quel   dessein    avait-il  en 
faisant   cette    démarche?   On    ne 
peut  croire  qu'il  cherchât  à  suivre 
une    observance    plus    régulière  , 
puisque  les  commandes  avaient  larT 
gement  contribué  à  ruiner  la  dis- 
cipline   monastique   en    Espagne  . 
comme  elles  le  firent  plus  tard  en 
France.  Il  est  probable  qu'il  y  fut 
conduit  par  une  disposion  spéciale 
de  la  Providence  pour  établir  la  ré- 
forme. Ce  qui  l'anima  à  entrepren- 
dre cette  réforme,  c'est  qu'il  trouva 
dans  le  monastère  dix  ou  douze  re- 
ligieux qui  gémissaient  sur  les  dé- 
sordres dont  ils  étaient  témoins,  et 
qui  approuvèrent  le  dessein  de  res- 
tauration qu'il  leur  avait  commu- 
niqué. Accompagné  d'un  seul  con- 
frère. Michel   de    Cuença,   Vargas 
alla  à  Rome.  <>ù,  après  s'être  pré- 
paré pendant  quelque  temjjs  de  re- 
traite au  monastère  de  Sainte-Cé- 
cile, il  alla  se  jeter  aux   pieds  du 
pape  Martin  V,  pour  lui  demander 
les  autorisations  nécessaires  h  l'exé- 
rution  de  son  projet  de   réforme. 
Au  lieu  de  trouver  la  résistance  ou 
les  épreuves  méritoires,  ordinaires 
en    pareilles    entreprises,   Vargas, 
qui  était  si  connu  et  si   eslinu*  du 
pape,  rerut  un  accueil   favorable. 

8 


116 


VAR 


VAR 


Le  Souverain  Pontilo  rencouragea 
à  poursuivre  une, si  pieuse  entre- 
prise, et,  par  des  lettres  datées  du 
24  octobre  4i25,illuî  accorda  ce 
([u'ii  demandait,  dont  le  principal 
était  la  fondation,  dans  les  royau- 
mes de  Castille  et  de  Léon,  de  deux 
monastères,  ou  comme  s'exprimait 
Vargas,  de  deux  ermitages,  dans 
lesquels  les  constitutions  de  ۔teaux 
seraient    observées    littéralement. 
Ces  lettres  donnaient  aussi  à  cette 
réforme    nouvelle    des    privilèges 
étendus,  et  môme  l'exemptait  de  la 
juridiction  de  l'abbé  de  Cîteaux  et 
du  chapitre  général  de  l'ordre.  C'é- 
tait en  quelque  sorte  les  détacher 
de  l'institut;  mais  il  ne   faudrait 
pas  se  hâter  de  blûraer   les  déci- 
sions de  Rome  à  ce  sujet;  sa  sa- 
gesse sait  ce  qui  convient  le  mieux 
aux  sociétés  religieuses,  comme  à 
l'Eglise  tout  entière,  et  l'on  sait  que 
plusieurs  branches    des  frères-mi- 
neurs ont  des  généraux  particuliers, 
sans  cesser  d'appartenir  à  l'ordre 
de  Saint-François.  Toute»  ces  dis- 
positions et  celle  du  régime  parti- 
culier de  la    congrégation    furent 
confirmées  par  une  nouvelle  déci- 
sion datée  du  7  juin  1426,  sur  le 
rapport  du  cardinal  de  Séville,  abbé 
de  Salos, chargé  d'étudier  et  d'exa- 
miner cette  atl'aire.  Les  religieux 
de    Fiedra,  confidents  de  ses  des- 
seins et  associés   à   ses    projets, 
avaient  trouvé  longue  l'absence  de 
Vargaiî,  incertains  surtout  de  son 
sucr».'^.  Ils  apprirent  avec  joie  l'is- 
sue de  cette  ailaire  importante,  et 
bientôt  ils   allèrent  bâtir,  près  de 
Tolède,  avec  des  branches  d'ari)res, 
un  humble  monastère,  sur  un  fonds 
que    leur    procura    un    généreux 
chanoine  ,      lldefonsc      M;irtiiiez. 
Vargas  donna  le  nom  de  Monl-de- 
Sion  à  ce  nouveau  monastère,  bâti 
sur  le  bord  du  T?ge,  et  fut  élu 


prieur  avec  la  dénomination  de  Ré- 
formaleur,    qui   resta,  jusqu'à   la 
suppression,  aux  généraux  de  cette 
congrégation,  désignée  elle-même 
sous  le  vocable  du  premier  mona- 
stère. La  réforme  de  la  congréga- 
tion du  Mont-de-Sion  imposait  des 
austérités  et  une  régularité  sévère, 
surtout  par  la  retraite  que  les  reli- 
gieux devaient  garder  dans  le  mo- 
nastère (1).  Néanmoins,  ils  sortaient 
pour  se  livrer,  dans  les  localités  où 
on  les  appelait,  à  l'œuvre  de  la  pré- 
dication et  au  ministère  de  la  con- 
fession. Soumis,  d'abord,  pour  les 
difficultés  majeures  qui  pourraient 
surgir  entre  eux,  aux  décisions  de 
l'abbé  du  monastère  de  Poblette , 
ils  furent  plus  tard  rendus    à   la 
juridiction   de  l'abbé  de  Cîteaux, 
qui    devait  visiter  leurs  maisons, 
lui-môme    et   non    par    délégués. 
Après  la  mort  de  Martin  de  Vargas, 
la  nouvelle  réforme  prit  beaucoui» 
d'extension  et  produisit  des  hom- 
mes distingués  par  leur  savoir  et 
par  leur  vertu.  On  peut  consulter 
l'histoire  de  ceVQ  congrégation  dans 
Uéliot.  tome  V;  dans  le  Dictionnaire 
des  ordres  reliijienx^  édité  par  l'au- 
teur de  celte  article;  et  surtout  dans 
les  annales  de  l'ordre  de   Cîteaux, 
spécialement    dans   le    Fasciculus 
sanctorum  ordinis  Cislerciemis,  de 
Henriquez,  membre   Ini-mômo    de 
cet  édifiant  institut,  que  les  récentes 
révolutions  d'Espagne  ont  détruit 
avec  tant  d'autres.  Quant  au  ])ieux 
réformateur,    Martin    de    Vargas, 
persécuté  et  éprouvé  comme  le  sont 
presque  toujours  ceux  qui  entre- 
prennent d'S  œuvres  de  ce  genre, 
payé  d'ingratitude  même  par  ses 


(1)  Don  Vîirga.s  fut,  ou  le  premier  ou 
l'un  (les  premiers  a  étabin-  la  tricnnalité 
dans  l'élection  du  supérieur. 


VAR 


VAR 


115 


propres  religieux,  il  fut  mis  en  pri- 
son dans  le  monastère  de  Mont-de- 
Sion ,  et  mourut  dans  cette  capti- 
vité, l'an  1446.  B — d — e. 

VARICLERY  (Laurentio  de), 
né  à  Monbrison  en  1472,  était  de 
l'illustre  et  puissante  maison  de 
Carrare,  souverain  de  Padoue  au 
xiV  siècle.  Les  chefs  de  sa 
branche  avaient  abandonné  Gè- 
nes, après  la  fin  malheureuse  des 
Carrares,  assassinés  par  les  Véni- 
tiens, et  s'étaient  retirés  en  France 
011  ils  tinrent  longtemps  un  rang 
proportionné  à  l'éclat  de  leur  nais- 
sance. Variclery  sut  également  se 
servir  de  la  lyre  et  de  l'épée:  il 
suivit  Charles  Vlll  dans  son  expé- 
dition de  Naples ,  et  s'y  distingua 
par  sa  bravoure,  il  fut  l'un  des 
premiers  qui  entrèrent  dans  Naples; 
le  roi  pour  le  récompenser  l'arma 
chevalier,  et  lui  donna  le  collier  de 
son  ordre.  Variclery  accom])a£;na 
Louis  XII  dans  ses  guerres  d'Italie, 
toujours  conservant  la  pensée 
chimérique  de  rentrer  dans  l'héri- 
tage de  ses  pères.  Ses  poésies  gra- 
cieuses sont  presques  toutes  écrites 
en  italien;  onen  trouve  une  grande 
partie  dans  la  bibliothèque  de  Flo- 
rence, et  dans  celle  de  Naples.  Il 
épousa  une  Espagnole  d'une  nais- 
sance illustre,  et  mourut  en  1554, 
laissant  des  enfants  ,  dont  l'un 
s'établit  à  Saint-Félix,  diocèse  de 
Toulouse,  où  sa  famille  existe  en- 
core. B.  E.  M.  L. 

VARICOrRT  (Pii:niu>.MAiuN- 
Roupu  de), évèrpie  d'Orléans,  frère 
de  la  célèbre  niarqiiise  de  Villelle, 
fille  adoptive  de  Voltaire  (voyez 
lom.  XLix,  p.  87), était  né  àOex,  le 
9  mai  17r):>,  d'une  famille  anglaise, 
naturalisée  (mi  Franco,  où  elle  avait 
d'abord  embrassé  la  religion  calvi- 
niste. Pierre  de  Varicourt  se  des- 
tina de  boime  heure  à  l'elat  ecclé- 


siastique. Voltaire,  qui  appréciait  le 
voisinage  d'une  famille  peu  fortu- 
née, mais  universellement  considé- 
rée ,  admit  le  jeune  abbé  dans  son 
intimité,  et  le  recommanda  à  son 
amie  madame  de  Saint-Julien.  Va- 
ricourt fit  de  brillantes  études  au 
séminaire    de    Saînt-Sulpice  ,   fut 
pourvu  bientôt  après  d'un  canonicat 
dans  le  chapitre  de  Genève,  d'une 
charge  d'oflicial  dans  le   diocèse 
d'Annecy,  et,  peu  après,  de  la  cure 
de  Gex.  Ce  fut  dans  ce  poste  que 
les  élections  du  clergé  le  députèrent 
aux  États-généraux  de    1789.  Sa 
conduite  à  l'Assemblée  constituante 
ne  démentit  pas  les  principes  reli- 
gieux et  monarchiques  depuis  long- 
temps héréditaires  dans  sa  famille, 
et  son  courage  se  montra  au  niveau 
de  ses  sentiments.  Varicourt  refusa 
de  pnMerle  serment  constitutionnel, 
et  cet  acte  de  résistance  entraîna 
la  spoliation  de  son  bénéfice,  malgré 
les  réclamations  les  plus  vives  et 
les  plus  pressantes  de  ses  fidèles 
paroissiens.  Lors  de  la  séparation 
de  l'Assemblée,  le  pasteur  dépos- 
sédé se  montra  momentanément  à 
Gex,  mais  il  en  fut  bientôt  ciiassé 
par  la  fureur  du  parti  révolution- 
naire et  chercha  un  asiîe  ?i  Paris, 
où  il  échappa  avec  peine  aux  mas- 
sacres de  septembre.  Il  prévint  les 
clTets  du  décret  ([ui  frappait  de  dé- 
portation  les  prêtres  insermentés 
en  se  rendant  en  Angleterre;  mais, 
au  bout  de  sept  mois ,  le  mauvais 
état  de  sa  santé  le   contraignit  à 
repasser   sur   le   continent,  où  il 
vint  attendre  des  jours  (dus  calmes. 
Après  le   9    thermidor,   Varicourt 
espéra  pouvoir  reparaître  avec  sé- 
curité sur  sa  terre  natale;  il  revint 
h  Gex  ;  mais  les  ])assions  révoln- 
liormaires  étaient  loin  d'être  apai- 
sées, et  il  dut  renoncer  de  nouveau 
au  désir  de  se  réunir  ?i  ses  an- 


116 


VAR 


ciemics  ouailles.  11  traversa  la  Sa- 
voie, résida  successivement  à  Turin 
et  à  Milan,  puis  se  rendit  à  Venise, 
pour  y  assister  à  l'éleclion  du  pape 
Pie  Vil.  Le  vénérable  pontife  l'ac- 
cueillit  avec  les  égards  dus  à  son 
mérite  et  à  son  caiactère ,  et  l'em- 
mena à  Rome  où- vint  le  surprendre 
Iheureuse  nouvelle  de  la  révolution 
du  18  brumaire.  Bientôt  après,  le 
concordat    de     1802    rouvrit    les 
églises  de  France ,  et  Varicourt  fut 
enfin  rendu  à  l'empressement  de 
ses  paroissiens.  Les  biens   de  sa 
famille  avaient  été  mis  sous  le  sé- 
questre pendant  la  tourmente  ré- 
volutionnaire ;   mais  la  sollicitude 
des  Gessiens  en  avait  empêché  l'a- 
liénation, et  ce  témoignage  de  dé- 
vouement, si  rare  dans  les  épreuves 
que  l'on  venait  de  traverser,  res- 
serra encore  les  liens  qui  unissaient 
le  pasteur  à  son  troupeau.  La  con- 
sidération  que  Varicourt  avait  si 
justement  acquise  attira  bientôt  sur 
lui  l'œil    du  gouvernement  impé- 
rial ;  on    tenta    son  ambition    par 
l'olfrc  d'un  évêché  ;  mais  ces  sé- 
ductions échouèrent  devant  l'invin- 
cible   répugnance    qu'il    éprouvait 
pour  le  pouvoir  qui  avait  hérité  de 
la  révolution,  et  le  régime  i-oyal  put 
seul  triompher  de  son  attachement 
au  poste  modeste  qui  semblait  avoir 
captivé  toutes  ses  affections.  Vari- 
court fut  nommé  à  l'évèché  d'Or- 
léans peu  de  temps  après  la  pio- 
mulgalion  du  concordat  de  1817.  Il 
écrivit  à  plusieurs  reprises  au  car- 
dinal de  Talleyrand  ,  grand  aumô- 
nier de  France,  pour  décliner  cet 
honneur  ;  il  ne  céda  qu'avec  peine  et 
(juitla   Gex   au    mois  de   novem- 
bre 1829.  Lorsqu'il  j)rf'la  entre  les 
mains  de  Louis   XVIll  le  serment 
épiscopal,  a  Soyez,  lui  dit  ce  prince, 
le  digne  frère  d  un   martyr  1  >,  Le 
jiouvel  évèque  fut  accueilli  à  Or- 


VAR 

léaiis  avec  une  vive  satisfaction.  11 
inaugura  son  avènement  par  plu- 
sieurs  actes,  de    bienfaisance    au 
nombre  desquels,   en  résurrection 
d'un  ancien  usage,  figura  la  libéra-, 
lion  des  prisonniers  pour  dettes, 
dont  la  présence  répandit  sur  son 
cortège  d'entrée  un  intérêt  touchant 
et  original.  L'administration  de  Va- 
ricourt ne  démentit  point  ces  favo- 
l'ables  débuts.  Egalement  doué  de 
douceur  et  de  dignité,  fort  d'une 
expérience  précieuse  des  hommes  et 
des  choses,  il  réussit  à  maintenii-  la 
discipline  sans   altérer  sa  renom- 
mée de  bienveillance,  et  sans  s'alié- 
ner aucun  de  ceux  auxquels  il  eut 
à  faire   sentir  la  fermeté  de  son 
ministère    :    tâche    d'autant   plus 
difficile  que,  depuis  1809,  le  pouvoir 
épiscopal  n'avait  été  exercé  dans  ce 
diocèse  que  par  des  pasteurs  dé- 
pourvus de  l'institution  canonique, 
et  dont  l'action ,    docile   aux    in- 
fiuences  du  régime  im))érial ,  avait 
sensiblement  relâché  l'aclion  de  la 
subordination     ecclésiastique.    Au 
bout  de  trois  ans  d'une  administra- 
tion zélée,  vigilante,  teconde  en  in- 
stitutions  utiles,    Vaiicourt   sentit 
ses  forces  subir  une  altération  (l'Oj) 
expliquée  d'ailleuis  |)arleséi)reuves 
qui  avaient  sillonné  sa  laborieuse 
vie.  Il  parut  i)Oui'  la  dernière  fois 
dans  ses   fonctions   épiscopales  le 
16  octobre  1822,  jour  du   service 
anniversaire  de  la   reine   dont  le 
dévouement  de    son    frère   avait 
prolongé  *  la  déplorable  existence, 
(voyez  l'art,  suivant;  et  s'occupa 
activement  dès  lors  de  mettre  ordre 
à  ses  affaires  temporelles.  Par  son 
testament,  qu'accompagna  un  écrit 
rempli  des  sentiments  religieux  et 
monarchiques   qui  n'avaient  cessé 
d'inspirer  sa  vie,  il  distribua  sa  for- 
tune presque  entière  en  œuvres  de 
bienfaisance.    Le   dernier  chagrin 


VAR 


VAR 


117 


i 


qui  lui  était  réservé  fut  de  ne  pou- 
voir recueillir  les  einbrassernents 
de  la  marquise  de  Villette,  sa  sœur, 
frappée  de  mort  au  moment  où  elle 
se  disposait  à  le  rejoindre.  Pierre 
de  Varicourt  expira  dans  la  nuit  du 
8  au  9  décembre  1822,  au  milieu 
des  regrets  universels  de  la  popu- 
lation orléanaise.  Son  corps  fut  dé- 
posé dans  un  tombeau  que  ce  pieux 
évoque  avait  désigné  derrière  le 
sanctuaire  de  la  cathédrale ,  et  son 
cœur  dans  un  mausolée  élevé  contre 
le  mur  de  la  chapelle  du  séminaire, 
selon  le  vœu  qu'il  en  avait  lui-même 
témoigné.  L'abbé  Chaboux,  direc- 
teur de  cet  établissement,  ami  par- 
ticulier du  défunt,  prononça  son 
oraison  funèbre  dans  l'église  de 
Sainte-Croix  ,  et  M.  Boscheron- 
Desportes,  président  honoraire  à  la 
cour  royale  d'Orléans  et  membre  de 
la  Société  des  sciences  et  belles- 
lettres  de  cette  ville,  y  lut  dans  la 
séance  publique  du  29  août  182:>, 
un  Éloge  hisloriqiie  et  hiogruphiqite 
de  ce  vertueux  prélat,  qui  fui  dédié 
à  S.  A.  R.  Madame  la  duchesse 
d'Angoulèrae,  et  imprimé  :  Orléans, 
1823,  in-8.  Enfin,  M.  Tabbé  Dé- 
pery,  aujourd'hui  évéque  de  Gap, 
lui  a  consacre  en  1840  une  notice 
étendue  dans  le  2"  volume  de  sa 
Uiographie  des  hommes  célèbres  du 
département  de  l'Ain. 

A.   B— KK. 

VAIUCOUUT  (François-Rouph 
dk),  frère  du  précédent,  garde-du- 
corps  de  Louis  XVI,  n'a  du  sa  cé- 
lébrité qu'au  trépas  héroïque  qu'il 
r«M'ui  en  défendant  à  Versailles  les 
jours  de  la  malheureuse  reine  Marie- 
Antoinette,  dans  la  matinée  du  6  oc- 
tobre 1789.  eonlre  les  assassins  qui 
avaient  forcé  les  iK»rtes  de  son 
palais  et  de  son  apparlemenl.  Né  à 
(Je\,  le  .'■>  juillet  I7f)0.  Franeojs  de 
Varicourt,  lils  d'Etienne  Houph  de 


Varicourt,  maréchal-des-logis  des 
gardes -du -corps  ,  était  entré  à 
19  ans  dans  la  compagnie  deBeau- 
vais.  Il  se  trouvait  de  faction  à  la 
porte  de  la  chambre  de  la  reine, 
lorsque  les  sicaires ,  ayant  réussi  à 
pénétrer  dans  l'intérieur  du  châ- 
teau, se  dirigèrent  avec  fureur  de 
ce  côté,  et  ne  laissèrent  par  leurs 
imprécations  et  leurs  menaces 
aucun  doute  sur  l'atroce  projet 
qu'ils  avaient  conçu.  «  Sauvez  la 
Reine  !  »  s'écria  Varicourt,  et  ses 
paroles  attirèrent  sur  lui  un  groupe 
d'assassins  contre  lesquels  il  défen- 
dit avec  intrépidité  le  seuil  de  la 
porte  dont  la  garde  lui  était  confiée. 
Il  succomba  bientôt  percé  de  coups  ; 
mais  la  résistance  de  ce  nouveau 
d'Assas ,  de  des  Huttes  et  de  Mio- 
mandre-Sainte-Marie  avait  donné 
à  l'infortunée  princesse  le  temps  de 
fuir  en  désordre  dans  l'appartement 
du  roi,  et  son  lit  s'offrit  vide  et 
encore  chaud  à  la  rage  des  meur- 
triers. Ils  revinrent  bientôt  à  Vari- 
court, déjà  expiré.  Ils  tranchèrent 
sa  tôte  et  la  fixèrent  au  bout  d'une 
])ique,  de  même  que  celles  de  ses 
deux  braves  compaiinons.  On  porta 
ces  débris  à  la  multitude,  et  le  soir 
Paris  vit  arriver  au  milieu  de  cris 
de  joie  féroces,  ces  sanglants  tro- 
phées de  la  victoire  populaire. 
Deux  frères  de  F'ranrois  de  Vari- 
court fui-ent  lues  à  l'armée  de 
Condé.  L'un  d'eux  avait  été  admis 
])armi  les  gardes  -  du -corps  ,  le 
10  octobre  1789,  par  l'ordre  exprès 
du  roi,  en  considération  du  dévoù- 
ment  de  son  frère.  Ce  fut  probable- 
ment une  des  dernières  réconq^cnses 
que  Louis  XVI  fut  libie  d'accorder 
à  la  fidélité  de  ceux  qui  s'immo- 
lèrent pour  le  salut  de  la  cause 
royale,  déjà  si  gravement  compro- 
mise. Le  nom  de  Varicourt  eut 
la  gloire  d'ouvrir  ee  long  marlyro- 


118 


VAR 


loge  de  défenseurs  et  de  victimes, 
(jiie  la  Vendée  allait  bientôt  grossir 
de  son  formidable  et  héroïque  con- 
tingent. A.  B— i':e. 

VAUIX  (Jacques-Pierre),  géné- 
ral de  brigade,  né  à  Gaen,  le  26  fé- 
vrier 174îi|  commença  par  être 
simple  soldiat  au  régiment  d'infan- 
terie du  roi,  en  1764.  La  révolution 
le  trouva  officier  :  les  guerres  qui 
bientôt  mirent  en  question  l'indé- 
pendance et  l'intégrité  de  la  France 
lui  fournirent  l'occasion  de  se  si- 
gnaler; il  arriva  par  degrés  rapides 
au  grade  de  général  de  brigade,  en 
récompense  de  sa  conduite  dans  h 
guerre  de  Vendée ,  puis  il  fut 
chargé  du  commandement  du  dé- 
partement de  la  Manche.  Après  un 
an  à  pe:j  près  entier  j)a3sé  dans  ce 
poste,  il  futdirigéau  commencement 
de  Tan  m,  sur  l'armée  de  Brest  et 
de  Cherbourg.  En  l'an  iv  (1796)  et 
l'année  suivante,  il  fit  partie  de 
l'armée  d'Italie,  où  nous  le  voyons 
surtout  dépiover  son  activiîé  lors 
des  opérations  relatives  au  siège  de 
Mantoue,  —  d'abord  sous  Mantoue 
même,  tant  que  le  général  pour  af- 
faiblir Wurmser,  lui  laissa  la  fa- 
culté d'eflectuer  des  sorties  (28 
fructidor  an  iv,  c'est-à-dire  14  sep- 
tembre 1796  et  jours  suivants,  — 
puis  quand  le  siège  ayant  pris  forme 
de  blocus,  les  troupes  françaises 
furent  lancées  vers  Trente  et  tout 
le  sud  du  Tyrol  pour  intercepter 
les  secours  qui  pourraient  venir  des 
Etats  héréditaires  autrichiens.  Va- 
rin  manœuvra  donc  quelque  temps 
dans  ces  abruptes  contrées  (vendé- 
miaire et  biumaire  an  v,  automne 
1796),  jusqu'à  ce  que  l'armée  nou- 
velle, avec  laquelle  arrivait  Alvinzi, 
pour  débloquer  la  place  assiégée, 
eût  forcé  les  Français  de  se  replier 
sur  l'Adige  :  il  fut  alors  chargé  de 
commander  la  place  forte  de  Pes- 


VAR 

chiera,  importante,  on  le  comprend, 
pour  couvrir  le  blocus.  Un  emploi 
d'un  genre  tout  différent,  car  il  est 
absolument  paisible,  l'appela  le  1*^' 
vendémiaire  an  ix  au  commande- 
ment de  la  succursale  des  Invalides 
établie  à  Louvain.  Le  26  prairial  an 
XII  il  reçut  la  croii  de  la  légion 
d'honneur.  Val.  P. 

VAlllIN'  (Brice-Marie)  ,  un  des 
membres  de  nos  premières  assem- 
blées législatives,  était  Breton  de 
naissance  et  faisait  partie  du  bu- 
reau de  Rennes,  lorsque  la  convo- 
cation des  états  généraux  ouvrit  de 
toutes  parts  des  horizons,  soit  à 
l'ambition,  soit  au  patriotisme  et  au 
talent.  On  sait  de  quelle  indépen- 
dance la  magistrature  bretonne 
s'était  montrée  animée  pendant  les 
dernièresannéesdeLouisXVetsous 
Louis  XVI.  Député  du  tiers-état  de 
la  sénéchaussée  de  Rennes  aux  as- 
sises générales  de  la  nation,  Varin 
n'hésita  pas  à  se  prononcer  dans  le 
sens  le  plus  progressif.  Il  était  in- 
struit, exijcrt  et  laborieux  :  on  le  vit 
fréquemment  à  Tœuvre  dans  les 
commissions,  et  fréquemment  il  eut 
à  tenir  la  plume  pour  ses  collègues. 
C'est  lui  qui  rédigea  le  rapport  à  la 
suite  duquel  il  fut  décrété  (11  août 
1790)  ([u'il  n'y  avait  lieu  à  suivre 
contre  de  Toulouse-Lautrec.  De 
mèmf^  (juand  l'assemblée  résolut  de 
rechercher  et  d(^  mettre  en  accusa- 
tion les  auteurs  des  troubles  d'In- 
grande,  ce  fut  encore  d'après  un 
rapport  de  Varin  et  conformément 
à  ses  conclusions.  De  même,  lorsque 
le  ciirdinal  de  La  Rochefoucauld  se 
vit  mettre  en  accusation  comme 
«  auteur  d'écrits  fanaticjues  ».  De 
même,  quand  furent  votées  les  ac- 
tions de  grâces  et  autres  récompen- 
ses, tant  aux  citoyens  qu'aux  com- 
munes, parqui  s'était  opérée  l'arres- 
tation deLouisXVÏ.  Varin  était  alors 


\ 


VAR 

secrétaire  du  comité  des  rapports. 
Bien  que  les  deux  dernières  de  ces 
mesures  soient  de  celles  qui  soulè- 
vent la  désapprobation  des  esprits 
honnêtes  et  monarchiques,  il  faut 
reconnaître  que  l'orateur,  dans  l'une 
et  l'autre  occasion,  nétait  que  logi- 
que et  fidèle  à  ses  principes.  La 
qualification  qu'il  donnait  à  la  po- 
lémique de  La  Rochefoucauld,  il  est 
probable  que  La  Ghalotais,  en  sem- 
blable occasion ,  s'en  fût  servi  ;  et 
quant  à  la  fuite  de  Louis  X\l,  en 
la  considérant,  ainsi  qu'elle  le  fut 
alors,  comme  une  trahison  et  com- 
me un  moyen  d'obtenir  un  secours 
de  l'étranger,  la  répression  de  cette 
tentative  malencontreuse  ne  pou- 
vait qu'être  hautement  approuvée. 
Malgré  les  gages  ainsi  donnés  à  la 
révolution,  Varin  ne  plut  pas  long- 
temps au\  coryphées  de  la  régé- 
nération radicale  de  la  société  fran- 
çaise. Il  avait  voulu  fonder  l'éga- 
lité devant  l'impôt,  devant  la  loi; 
il  souhaitait  quele  roi  fût  loyalement 
le  premier  citoyen  du  royaume, 
mais  que  le  monarque  fût  dépos- 
sédé, que  la  monarchie  fût  renver- 
sée, c'est  ce  qu'il  ne  croyait  ni  j  uste , 
ni  sage,  ni  sûr,  et  avec  cette  téna- 
cité armoricaine,  apanage desa  pro- 
vince, il  refusait  de  marcher  du 
même  pas  que  les  téméraires  elles 
passionnés,  et  persislaitdans  sa  voie. 
Vint  la  Convention,  survint  la  ter- 
reur...la  révolution,  désormais  an- 
thropo|)hage,  se  mit  à  dévorer  ses 
propres  enfants. Varin  n'était  homme 
ni  à  se  cacher,  ni  à  trouver  grâce 
devant  les  bourreaux;  il  était  trop 
en  vue  pour  esquiver  le  regard ,  il 
portait  et  la  tète  et  le  verbe  trop 
iiaut  pour  qu'on  ne  voulût  pas  faire 
taire  celui-ci  et  faire  tond)er  celle- 
là.  11  périt  sur  l'échafaud  en  17U3. 
—  Un  de  ses  frères,  après  avoir 
été  conservateur  des  hypotlièqucs. 


VAR 


119 


fut  envoyé  par  le  déparlement 
d'IUe-et-Vilaine  au  Conseil  des 
Cinq-Cents,  et  après  le  18  bru- 
maire devint  substitut  du  procu- 
reur impérial  près  le  tribunal  civil 
de  Rennes,  place  qu'iloccupa  jusqu'à 
la  réorganisation  des  tribunaux, 
en  18U.  —  Un  troisième  Varin, 
neveu  de  ce  dernier  et  fils  de  Brice- 
Marie,  le  constituant,  a  longtemps 
été  avocat  général  près  la  cour 
impériale  de  Rennes  :  sa  nomina- 
tion remontait  aux  derniers  temps 
de  l'empire;  la  restauration  ne  son- 
gea pas  à  le  révoquer  :  au  contraire 
l'ordonnance  du  roi  du  3  janvier 
1816  le  confirma  solennellement 
dans  ses  fonctions;  et  en  1824,  il 
passa  de  ce  poste  à  celui  de  procu- 
reur général.  C'est  par  erreur  que 
la  première  Biographie  des  con- 
temporains, celle  de  Michaud,  a 
confondu  ces  trois  homonymes  , 
si  voisins  du  reste  [)ar  le  sang. 
C'est  d'une  autre  famille  proba- 
blement qu'était  issu  Varin  d'Ain- 
ville,  mort  en  1844,  président  ho- 
noraire de  la  cour  royale  de  Be- 
sançon. Val.  p. 

VAI\I>'  (Pierre-Joseph),  très- 
savant  historien,  ou  plutôt  cher- 
cheur de  matériaux  historiques, 
était  de  Brabant-le-Roi  (Meuse),  et 
naquit  le  19  septembre  1802.  Les 
études  universitaires  alors  se  com- 
pliquaient fort  peu  de  grec  ;  cl  le 
eune  hounne  ne  conq)ensa  ])oint 
l)ar  sa  vocation  ,  par  sa  .soif  pliil- 
hellénique,  l'absence  des  soins  que 
iml  régent  devers  l'Ornain,  et  mê- 
me devers  la  Meuse,  n'était  alors 
en  état  de  donner  à  celle  partie  de 
son  éducation.  11  n'eut  donc  ja- 
mais du  grec  (jue  quelques  notions 
des  plus  élémentaires.  En  revan- 
che, il  profila  de  tout  ce  qui  s'en- 
seignait autour  rie  lui  ;  et  puisa  dans 
la  lecture  d'un  grand  nombre  d  ou- 


120 


VAR 


VAR 


vrages  les  connaissances  dont  il 
était  avide  (de  là,  lors  même  qu'il 
était  adolescent  à  peine,  un  noyau 
déjà  solide  de  notions  historiques, 
et  de  là  aussi  l'intime  familiarisa- 
tion avec  les  formes  sveltes,  les 
tours  variés  et  l'opulente  synony- 
mie de  notre  idiome"^  ;  aussi  le  vit- 
on,  presque  de  lui-même,  après  sa 
rhétorique,  manier  la  phrase  fran- 
çaise avec  autant  d'élégance  que  qui 
que  ce  soit.  11  n'essaya  pas  d'entrer 
à  l'Ecole  normale,  et  il  est  un  des 
exemples  dont  les  ennemis  de 
l'Ecole  peuvent  se  targuer,  lors 
qu'il  leur  arrive  de  prétendre 
qu'une  monnaie  peut  être  de  hon 
aloi  sans  avoir  été  frappée  au  ba- 
lancier de  la  rue  d'Ulm  ,  ou,  si 
nous  voulons  nous  reporter  aux 
années  1818-1820,  au  balancier  de 
la  rue  des  Postes  (1).  N'étant  ainsi 
ni  sous  la  férule,  ni  sous  les  ailes 
de  l'Université  pour  commiencer, 
il  fit  ses  premières  armes  com- 
me professeur  à  l'école  des  pages 
de  Charles  X,ii  Versailles  ;  el,  dans 
ce  milieu,  fort  didérent  atout  pren- 
dre de  celui  des  collèges,  il  se  fit 
de  l'urbanité,  de  la  grâce  des  ma- 
nières, de  la  distinction  du  langa- 
ge et  du  tact,  une  habitude  el  un 
besoin.  Mais,  soit  inconstance,  soil 
désir  de  ne  pas  rester  éternellement 
aux  études  superficielles,  les  seules 
qui  fussent  nécessaires  poui-  l'en- 
seignement qu'il  avait  à  donner, 
.soit  autres  causes  encore  plus  pro- 
saïques ou  [dus  délicates  et  plus 
intimes,  il  se  résolut  à  courir  la  car- 
rière universitaire.  11  avait  commis 
l'imprudence  de  se  marier,  beau- 
coup plus  tôtqu'il  n'eût  été  sage  d'y 


(1)  L'école  normale,  actuellement 
rue  dX'lm,  était  précédemment  rue  îles 
Postes. 


penser,  aussi  peu  riche  et  peu  ré- 
tribué qu'il  l'était  et  ne  pouvant 
compter  sur  nul  apport  pécuniaire 
de  la  part  de  sa  femme  ;  la  famille 
s'accrut  bientôt,  et  les  appointe- 
ments restaient  les  mêmes.  On 
sait  combien  il  est  fréquent  que  ces 
défauts  d'équilibre  entre  le  budget 
des  recettes  et  celui  de  la  dépense, 
soit  gros  d'orages  ou  même  de  ré- 
volutions en  ménage  comme  dans 
l'administration  d'un  Etat  :  Ver- 
sailles devint  intenable  à  Varin, 
et  il  fut  heureux  d'aller  à  Reims 
remplir,  à  titre  provisoire,  la  chaire 
d'histoii-e  au  lycée.  Le  fixe,  grossi 
de  l'éventuel,  ne  composait  encore 
qu'un  tout  des  plus  modiques  ;  il 
sut  un  peu  le  grossir.  Gomme  son 
talent  se  révéla  bien  vite,  et  com- 
me il  était  fort  insinuant,  il  eut 
l'art  d'intéresser  assez  à  lui  les 
notabilités  de  la  ville  pour  que 
l'autorité  municipale  l'adjoignît  au 
conservateur  de  la  bibliothèque  pu- 
blique avec  le  litre  de  sous-biblio- 
thécaire aux  manuscrits  et  archi- 
ves, avec  des  honoraires  de  douze 
cents  francs.  Varin,  à  coup  sûr,  fit 
plus  que  les  gagner  par  la  mis- 
sion (juil  se  donna  de  cataloguer 
et  de  classer  cartulaires,  pouillés, 
diptyques  el  tant  de  pièces  admi- 
nistratives relatives  à  la  ville  du 
sacre,  et  pièces  probantes  de  son 
histoire.  SL'iis  il  ne  travailla  [)as 
(\ue  pour  la  cité  :  tandis  que  tous 
ces  documents  passaient  à  tour  de 
rôle  sous  .ses  yeux,  il  en  prenait 
note,  il  en  tenait  registre,  il  les 
copiait,  les  uns  par  simple  extrait, 
les  autres  m  extenso  ;  il  prenait  la 
résolution  de  les  livrer  à  la  publi- 
cité un  jour,  si  l'Etat  lui  venait 
en  aide;  puis  de  rédiger  sur  cette 
masse  de  documents  irréfragables 
autant  que  variés  et  contenant  né- 
cessairement beaucoup  de  détails  in- 


VAR 

connus,  une  Histoire  de  la  commune 
de  Reims,  qui  laisserait  bien  derrière 
elle  l'estimable  essai  de  Digault. 
Ces  travaux,  au  moyen  desquels  il 
devenait  de  jour  en  jour  paléogra- 
phe plus  expert  et  archéologue  plus 
consommé,  il  les  faisait  marcher 
de  front  avec  l'étude  approfondie  de 
l'histoire  universelle,  sinon  sur  les 
sources  elles  -  mêmes  quand  ces 
sources  étaient  étrangères  {c'est 
alors  qu'il  maudissait  son  igno- 
rance des  langues)  ,  mais  sur  les 
ouvrages  puisés  iinmédiatementaux 
sources,  et  dont  les  auteurs  avaient 
su  joindre  à  l'érudition  le  discer- 
nement, la  longue  vue  et  la  ré- 
serve du  crilique.  Plusieurs  années 
s'écoulèrent  pour  lui  au  milieu  de 
ces  fortes  et  fructueuses  études, 
({ui,  dès  la  fin  de  1832,  lui  méritè- 
rent un  avancement  sur  place  (il 
devint  censeur),  etqu'ilsemitbien- 
lot  à  spécialiser  dans  le  but  de  se 
présenter  pour  l'agrégation  des 
classes  d'histoire.  L'institution  des 
censeurs  était  récente  alors,  et 
n'avait  encore  donné  que  des  ré- 
sultats, satisfaisants  sans  doute, 
mais  transcendants?  non!  et  reten- 
tissants? encore  moins  !  Mais  l'éclat 
avec  lequel  Varin  ijurut,  surtout 
au\  épreuves  oraiss  lors  de  ce  con- 
cours d'histoire  de  1833,  auquel 
nous  voici  parvenus,  fit  sensation  : 
concurrents  et  juges  furent  aba- 
sourdis de  cette  facilité,  de  cette 
lucidité,  de  celte  vivacité  de  j);i- 
roie,  de  cette  variété  de  con- 
naissances historiques ,  de  cette 
originalité  do  rapprochements  et 
de  celte  sùrete  d'aj)précialiou  ([u'il 
déploya  eu  même  temps.  Il  y  avait 
lit  des  élèves  de  l'Hcole  norinal<* 
exercés  dej)uis  dix  mois  sur  les 
questions  du  concours  par  quel- 
((ues-uns  mêmes  de  ceux  qui  sié- 
geaient  comme   juges  et  qui    ex- 


VAR 


121 


posaient  les  solutions  données 
par  eux-mêmes.  Varin  venait  de 
la  province,  et  n'avait  jamais  pas- 
sé par  le  moule  de  l'enseigne- 
ment sacramentel.  Il  fut  proclamé 
par  le  jury  le  premier  des  six  ad- 
mis, et  l'opinion  unanime  de  l'au- 
ditoire, complétant  le  verdict  du 
jury,  le  proclama  «  le  premier  et 
hors  ligne.  » 

Il  n'eût  tenu  qu'à  lui ,  après  ce 
beau  succès,  d'aller  avec  un  titre 
définitif  occuper  une  des  premières 
chaires  de  collège  royal  en  pro- 
vince. Mais  il  se  garda  d'en  accep- 
ter une  ;  il  en  avait  plus  que  suffi- 
samment de  l'enseignement  secon- 
daire •  c'est  aux  Facultés  qu'il  as- 
pirait. Il  avait  raison  ;  et  c'est  à 
paraître  sur  ce  théâtre  que  la  na- 
ture de  son  talent  le  conviait.  Mais 
ce  n'est  pas  tout;  avec  l'impatience 
un  peu  fébrile  et  la  foi  un  peu  ro- 
buste du  jeune  âge,  c'est  une  des 
chaires  de  la  capitale  qu'il  con- 
voitait ,  ne  fût-ce  qu'à  titre  provi- 
soire. Mais  ces  titres  provisoires 
mêmes  étaient  courus  avec  achar- 
nement, et  toutes  les  chaires,  tant 
(le  la  Sorbonne  que  du  collège  de 
France  ,  étaient  à  des  titulaires, 
les  uns  s'acquittant  de  leur  charge 
(c'était  le  petit  nombre),  les  autres, 
sinécuristes  de  longue  date,  réso- 
lus à  ne  se  laisser  arracher  leur 
sinécure  qu'avec  la  vie.  Il  solli- 
cita donc  en  attendant,  et,  sa- 
chant (ju'il  faut  être  à  Paris  pour 
obtenir  Paris,  une  place  secondaire 
à  la  bibliothèque  de  la  Sorbonne. 
Puis  enfin  s'impalicnt.uit  de  ])alien- 
Icr  et  coni()renanl  combien  il  était 
impossible  de  prendre  d'assaut  celte 
loricresse,  il  envisagea  moins  dédai- 
gneusement la  perspective  (ju'ou- 
vrail  aux  jeunes  docteurs  ès-letlres 
la  création,  jiar  Salvandy,  de  trois 
facultés  de  cet  oiiire,  se   hAta   de 


122 


YAR 


bâcler  les  deux  thèses  exigées 
(1838),  et  très-peu  de  temps  après 
obtint  cVemblée,  non-seulement  un 
titulariat  (la  chaire  d'histoire)  à  la 
faculté  de  Rennes ,  mais  encore, 
comme  bague  au  doigt  qui  n'est 
pas  donnée  à  tous,  le  décanat.  Il 
paraîtrait  même  que  le  choix  lui  fut 
donné  par  le  minisire  entre  les  trois 
villes  qu'on  érigeait  en  chèfs-lieux 
de  faculté  (Lyon ,  Rennes ,  Bor- 
deaux). Il  opta  pour  Rennes.  Nous 
tenons  ce  détail  pour  éminemment 
probable  ;  mais  nous  sommes  loin  de 
prendre  de  même  à  la  lettre  un  autre 
détail  dont  lui  seul  nous  a  donné 
connaissance  :  c'est  qu'à  deux  re- 
prises au  moins,  soit  alors,  soit  un 
peu  plus  tard,  il  put  devenir  de 
doyen  recteur  à  Bennes  même.  Quoi 
qu'il  en  puisse  être,  le  fait  est  que, 
soit  comme  doyen,  soit  comme  pro- 
fesseur, Varin  à  Rennes,  en  dépit 
de  fâcheuses  impressions  qu'on 
trouva  moyen  de  faire  prévaloir  chez 
un  haut  et  très-puissant  employé 
du  ministère ,  se  montra  constam- 
ment à  la  hauteur  de  son  rôle.  Ni 
l'initiative,  ni  la  responsabilité  d'un 
doyen  de  P'aculté  n'est  grande 
pour  l'ordinaii'c  :  il  prend  les  or- 
dres de  son  recteur.  Varin  prouva 
qu'il  était  capable  d'autre  chose 
que  de  prendre  et  d'exécuter  des 
ordres.  Dans  le  conflit  regrettable 
qui,  vers  1842,  43  et  années  sui- 
vantes s'éleva  entre  l'académie  et 
l'évêché,  il  sut  garder  une  attitude 
modérée  autant  que  grave,  tint  la 
Faculté  dans  des  limites  qui  ne 
pouvaient  alarmer  les  susceptibili- 
tés religieuses,  et  malgré  l'animosité 

^^que  dès  lors  laissa  percer  le  recteur 
"ît  qui  bientôt  se  changea  (justement 

— arce  que  Varin  ne  commettait  au- 
une  faute)  en  haine  outrée,  ilper- 
Uéra  dans  une  voie  qui  finit  par 


rue 


Postt^   louée    de  tous   ceux  qui  ne 


VAR 

jugent  pas  d'après  les  opinions  des 
autres.  Des  trois  collègues  aux- 
quels longtemps  sa  Faculté  fut 
réduite,  tous  obtinrent  l'estime  à 
divers  degrés;  mais  Varin,  dès  le 
commencement ,  se  fit  classer  à 
part  et  fut  l'objet  constant  d'un 
enthousiasme  prodigieux,  il  faut 
le  dire,  si  l'on  tient  compte  de  la 
nature  et  de  l'esprit  du  pays. 

Sans  doute,  il  faut  dans  cette  vo- 
gue faire  la  part  de  la  spécialité 
à  laquelle  il  s'était  voué  et  qui 
par  la  nature  môme  des  choses, 
tout  restant  égal  d'ailleurs,  attire 
et  captive  plus  que  les  quatre  au- 
tres chaires  ensemble.  L'anec- 
dote, le  portrait,  le  feuilleton  en 
quelque  sorte  y  trouvent  leur  place 
et  prohibent  l'ennui;  les  hautes 
vues,  la  controverse  récapitulée  par 
les  traits  saillants  ,  les  lointaines 
perspectives  d'avenir  satisfont  les 
intelligences  plus  compréhensibles 
et  plus  profondes.  Mais  n'attribuer 
qu'à  la  nature  même  de  la  chaire,  les 
applaudissements  dont  fut  comhlé 
Varin,  ce  serait  plus  que  del'iniquité, 
ce  serait  de  la  mauvaise  foi.  Tout 
ce  que  nous  avons  dit,  et  de  son 
élocution  et  de  sa  science,  se  re- 
trouve plus  exact  que  jamais  à 
l'instant  auquel  nous  sommes  arri- 
vés :  toutes  ses  qualités  se  sont 
mûries ,  et  le  plaisir  môme  de  son 
succès,  en  excitant  son  émulation 
(rare  conséquence  ([ui  n'existe  pas 
chez  tous),  le  rendait  de  jour  en 
joursui)érieurà  lui-môme.  »I1  était 
pathétique  en  lem^is  et  lieu,  coloré 
parfois,  fleuri  toujours,  sans  vous 
aspiiyxier  sous  les  fleurs;  et  son 
style  exhalant  un  parfum  de  poé- 
sie, avait  l'allure  du  poète,  sans  en 
emprunter  le  langage.  Il  n'afi'ectait 
pas  plus  l'éloquence  :  il  semblait  sen- 
tir (sans  que  jamais  nous  l'ayons  en 
tend  u  émettre  cette  théorie)  que  l'éio- 


VAR 

quence  n'est  de  mise,  n'est  de  bon 
goût  qu'en  cas  de  lutte,  et  réelle  et 
grandiose.  Mais  tout  ce  que  l'élo- 
cution  (c'est  autre  chose  que  l'élo- 
quence) peut  posséder  de  trésors  et 
de  grâces,  il  le  prodiguait  à  pleines 
mains  et  comme  en  se  jouant. 
Qu'on  ajoute  à  ces  qualités  de  l'o- 
rateur académique  le  plus  sédui- 
sant un  débit  parfait,  un  geste  qui 
n'excède  ni  ne  reste  en  arrière,  et 
une  coupe  dévisage,  des  pommettes 
et  des  lignes  qui  rappellent  à  s'y 
méprendre  les  traits  de  Voltaire, 
on  aura  l'idée,  un  peu  terne  peut- 
être,  mais  exacte,  de  ce  qu'était 
Varin  en  sa  chaire.  A  son  époque, 
nul  assurément  ne  l'a  surpassé,  bien 
que  quelques-uns  aient  eu  leurs 
jours  de  succès  ;  et  quiconque  ne 
sait  comment  se  brassent  les  avan- 
cements dans  les  ministères  spiri- 
tuahstes,  adroit  de  trouver  incon- 
cevable qu'il  n'ait  pas  été  accordé  au 
titulaire  de  Rennes  de  donner 
l'essor  à  ses  ailes  oratoires  dans 
l'atmosphère  parisienne.  Longtemps 
du  reste,  il  y  compta  pleinement 
lui-même.  Le  successeur  de  Nar- 
cisse-Achille «  avait  ,  »  dit-il  , 
«  donné  sa  parole.  »  en  lui  pro- 
mettant qu'il  le  rappellerait  à  Paris 
à  la  première  occasion.  Enfin  la 
mort  de  Nodier  (1844)  ayant  pro- 
duit un  mouvement  dans  le  per- 
sonnel de  la  l)ibliolhè(iue  de  l'Ar- 
senal, le  Ministre  s'attachant  à  la 
lettre  de  sa  parole,  lui  (it  ofTre  de  la 
plus  belle  position  u  laquelle  il  pou- 
vait le  nommer  dans  ladite  officine 
bibliograj)hi(iue  ;  c'était  la  seconde 
seulement,  le  baron  de  Cayx  s'é- 
tait abattu  sur  la  première,  l'Excel- 
lence ayant  trop  petite  main  pour 
lui  faire  lâcher  prise  ;  c'étaient 
trois  mille  francs,  plus  son  loge- 
ment (qui  par  parenthèse  ne  se  trou- 
va disponible  qu'au  bout  de  plus  de 


VAR 


123 


deux  ans).  Varin  hésite  jusqu'aux 
vacances  ,  il  s'agissait  pour  lui  de 
délaisser  le  double,  net;  finalement 
il  accepta,  et  le  voici  à  Paris,  avec 
sa  femme  (qu'il  venait  de  rappeler 
près  de  lui  après  douze  ans  ou 
plus  de  séparation)  ,  avec  ses  trois 
mille  francs,...  et  l'espérance!  Il 
est  douloureux,  et  profondément 
instructif,  de  suivre  tout  ce  que 
pendant  les  cinq  laborieuses  an- 
nées qu'il  avait  à  vivre  encore  ,  il 
lui  fallut  de  persévérance  ,  on 
dirait  presque  d'héroïsme  ,  pour 
subvenir  d'une  part  aux  exigences 
de  la  vie  parisienne,  de  l'autre  à  la 
suite  des  travaux  qu'il  avait  sur  le 
chantier.  Pour  ceux-ci  en  dépit  de 
la  faiblesse  de  sa  vue ,  en  dépit  du 
délabrement  de  sa  santé,  à  l'Arse- 
nal comme  à  Rennes,  il  quittait  le 
lit  longtemps  avant  l'aurore  ,  et  à 
neuf  heures  il  y  en  avait  six  qu'il 
compulsait,  écrivait ,  sarclait  ses 
épreuves,  etc.,  etc.  Quant  à  celles- 
là,  son  seul  espoir  étant  la  bonne 
humeur  du  ministre,  il  était  sans 
cesse  en  course  du  secrétariat  géné- 
ral aux  bureaux  et  des  bureaux  au 
secrétariat  général,  au  guet  de  toute 
nouvelle  qui  pouvait  ouvrir  un  ho- 
rizon et  distillant  les  cajoleries  de 
toutes  sortes,  au  bout  desquelles 
on  lui  lâchait  assez  de  centimes 
additionnels  pour  doubler  et  même 
pln*i  que  doubler  son  fixe  trop 
faible  :  c'étaient  des  missions  pour 
ins[)ecter  les  bibliothèques  de  pro- 
vince au  point  de  vue  surtout  des 
archives  et  autres  manuscrits  ; 
c'étaient  des  jetons  comme  mem- 
bre du  jury  d'agrégation  pour 
l'histoire.  Ce  n'était  pas  la  vie  en- 
viable; c'était  toujours,  sous  d'au- 
tres formes,  la  lutte  laborieuse  par 
huiuelle  avait  débuté  sa  jeunesse 
rivée  â  la  chaîne  d'un  mariage 
prématuré  en  même  temps  qu'indi- 


12^1 


VAR 


genf.  II  marchait  pourtant  ,  et 
quoique  un  peu  moins  vite  que  no 
l'eussent  voulu  les  amis  de  l'his- 
toire originale  et  sérieuse,  il  élevait 
un  étage  nouveau  du  grand  monu- 
ment qu'il  voulait  ériger  à  sa  patrie 
adoplive,  la  commune  de  Reims, 
et  il  se  recommandait  à  la  pha- 
ange  religieuse  de  rAcadémie  des 
inscriptions.  Évidemment  le  temps 
approchait  où  le  docle  corps  allait 
le  considérer  comme  c^andidat  des 
plus  sérieux,  et  où,  en  mettant  les 
choses  au  pis,  après  avoir  été  dis- 
cuté vivement  en  deux  ou  trois 
élections  successives,  il  réunirait 
la  majorité  dos  voix.  Être  memhre 
de  l'Institut,  était  la  plus  chère  des 
espérances  qu'il  nourrissait  ,  et 
peut-être  la  seule  depuis  qu'il 
revoyait  de  plus  près  et  collège  de 
France  et  Sorbonne  et  qu'il  sentait 
sa  voix  s'éteindre.  Cette  consola- 
tion suprême  lui  fut  refusée.  Nous 
avons  dit  nn  mot  de  l'état  déplo- 
rable do  sa  santé.  C'était  peu  dire  : 
la  débilité  do  tout  son  être,  l'im- 
pressionnabililédeson  organisation, 
sa  puissance  pour  la  douleur  , 
puissance  qui  n'avait  été  que  trop 
exercée,  ne  sauraient  se  rendre. 
La  révolution  de  JSi8  avait  en- 
core exagéré  cos  dispositions  fa- 
tales. Survint,  l'année  suivante, 
le  choléra  :  cotte  apparition  le 
frappa  d'un  effroi  sans  égal;  il 
l)rédit  qu'il  en  mourrait.  On  ne 
peut  dire  tout  à  fait  que  ce  fut  une 
panique  ;  nn  mois  à  peine  après 
que  s'était  manifesté  le  fléau,  s'é- 
tanl  rencontré  sur  le  boulevard 
avec  un  convoi,  il  lut  comme  fou- 
droyé d'une  do  ces  atteintes  (jui  ne 
])ardonnont  [jas  :  peu  d'heures 
suffiront  ))0ur  le  rendre  comj)léte- 
menl  insensible,  et  le  troisième  jour 
'\2  juin  1849;,  il  expirait.  Sa 
femme  non  moins  impressionnable 


VAR 

que  lui,  et  'qui  dans  cette  affreuse 
agonie  ne  l'avait  pas  quitté  d'un  ins- 
tant, éperdue  de  douleur,  sous  l'é- 
treinte de  l'excessive  émotion  et  en 
veiilant  aux  apprêts  d'un  embau- 
mement, dont  bien  des  fois  il  avait 
exprimé  le  vœu,  afin  que  ses  dé- 
pouilles mortelles  fussent  transpor- 
tées à  Bar-le-Duc,  ne  tarda  pas, 
à  ressentir  les  mêmes  symptô- 
mes que  lui ,  et  quinze  jours 
après  elle  le  suivait  au  tombeau. 
Le  vœu  de  l'époux  avait  été  pieu- 
sement rempli.  Leur  fille  obtint 
immédiatement  par  l'intervention 
spontanée  de  M.  Naudet  une  pen- 
sion du  ministère.  Ce  fut  la  seule 
récompense  un  peu  hors  ligne  par 
laquelle  l'Administration  universi- 
taire reconnut  le  mérite  d'un  de 
.ses  plus  brillants  et  plus  dignes 
enfants,  d'un  de  ceux  qui  mis  à 
leur  place,  auraient  jeté  sur  le 
corps  entier  l'éclat  qu'il  devrait 
avoir  et  qu'il  n'a  pas.  —  Voici  la 
liste  dos  princii)alos  productions 
ou  publications  de  Varin.  I.  Archi- 
ves communales  de  Reims,  Paris, 
j  V.  in-i°.  C'est  une  œuvre  hercu- 
léenne, ou  comme  il  est  à  la  mode 
de  dire  aujourd'hui,  une  œuvre  de 
Bénédictin.  Pour  comprendre  que 
l'autour  ait  pu  y  suffire  quand  on 
sait  combien  il  donnait  de  temps 
soit  aux  relations  de  société,  soit 
aux  visites  d'entregent  et  d'am- 
bition sans  lesquelles  il  n'eût  peut- 
être  pas  même  eu  au  banquet  uni- 
versitaire la  i)lace  un  ])0u  secon- 
daire qu'il  finit  par  conquérir,  on 
a  besoin  do  se  reporter  à  ces  veilles 
matinales  indiquées  plus  haut  et 
(\[ù  pour  lui  commencèrent  dès  le 
chant  du  coq.  Commencées  dès 
le  temps  de  son  séjour  à  Reims, 
poursuivies  sans  relAche  à  Rennes, 
non  sans  une  subvention  du  minis- 
lèro    (jui    les    avait    admises    au 


VAR 

nombre  de  ses  Documenis  relatifs 
à  Vkistoire  de  France^  continuées 
encore,  mais  avec  diverses  inter- 
ruptions pendant  les  quatre  ans  et 
demi  de  1844  à  1849,  les  Archives 
communales  de  Reims  dévorèrent, 
on  peut  le  dire,  la  vie  de  l'intrépide 
ex-archiviste.  Il  n'a  pas  même  eu 
le  temps  de  les  mener  entièrement 
à  fin.  Aux  quatre  volumes  publiés 
et  qui  ne  contiennent,  avec  des 
notes,  la  plupart  précieuses,  que 
des  textes  de  pièces  soitpar  extraits 
soit  in  extenso  ou  l'indication  de 
ces  pièces  par  leur  titre,  il  voulait 
en  ajouter  au  moins  un  cinquième 
de  même  nature  et  nous  aim-ons  à 
le  penser,  un  index  indispensable 
pour  se  retrouver  dans  ce  laby- 
rinthe de  richesses:  et  de  plus, 
après  cet  ensemble  colossal  de  do- 
cuments irréfragables  il  eût  rédigé 
(sur  pièces,  comme  on  le  voit,  et 
uniquement  sur  pièces)  cette  His- 
toire de  la  commune  de  Reims  dont 
nous  avons  vu  surgir  chez  lui  le 
plan  bien  avant  le  concours  de 
1833.  Nous  n'avons  pas  besoin  d'in- 
sister sur  la  valeur  qu'aurait  pré- 
sentée semblable  travail  exécuté 
sur  de  tels  matériaux  par  une  telle 
main.  Il  serait  à  désirer,  mais  l'on 
ne  saurait  guère  Tespérer,  qu'un 
continuateur  vienne,  grâce  aucjuel 
l'on  ne  dira  pas  éternellement  : 

.  . .  Pendent  opéra  interrupto. . . 

\[.  La  vérité  sur  les  Arnauld, 
Paris,  1847,  2  vol.  in-8''.  C'est  un 
coin  de  la  vérité,  ce  n'est  pas  toute 
la  vérité.  Encore  sur  bien  des  points 
peut-on  douter  que  ce  soit  elle. 
Les  faits  mêmes,  quand  il  ne  nous 
donne  que  des  faits,  sont  exacts 
(^mérite  réel,  quoiqu'ils  n'y  joignent 
pas,  autant  que  l'imagine  l'auteur, 
celui  d'être  comjjlétemenl  inédits 
ou  entièrement  ignorés) ,  mais  l'a  • 


VAR 


125 


geucement  des  faits,  mais  les  con- 
jectures surtout  qu'il  en  tire  et  la 
portée  qu'il  attribue   à  leur  inten- 
tion,  entre    dans    le   domaine  de 
l'hypothèse,  parfois  de  l'hypothèse 
perfide,  et  ne  peuvent  prendre  rang 
de  vérités  acquises  qu'après  nou- 
veau contrôle.  L'ouvrage  du  reste 
est   piquant  pour   qui  n'a  pas  de 
parti  pris  ;   il  nous   fait   envisager 
une  face  trop  peu  connue  d'un  épi- 
sode   important   du    dix-septième 
siècle  ;  il  tend  à  faire  reviser  un 
procès  qui  fut  célèbre  et  rembourre 
le  dossier  de  ceux  auxquels  l'opinion 
du  lendemain  a  donné  tort  tandis 
que  le  pouvoir  du  jour  leur  donnait 
raison  ;  il  est  à  lire,  il  est  à  médi- 
rer  après  le  Port-Royal  de  M.  Sainte- 
Beuve.  Le  livre  d'ailleurs  est  écrit 
avec  certaine  sincérité,   bien  que 
passionné  :  Variii,  très-hautement 
religieux,  penchait  un  peu  plus  que 
de  raison,  ce  nous  semble,    vers 
l'ultramontanisme;  mais  c'était  de 
très-bonne  foi,  et  chez  lui   c'était 
logique  :  il  n'aimait  pas   plus  les 
rouagesdu gouvernement  parlemen- 
taire que  les  conciles  de  Constance 
et   de   Bàle,   qui   morigénaient  et 
dé])osaient   des    papes.    Il   savait 
trop  bien  l'histoire  pour  ne  pas  re- 
connaître sur  quelles  bases  ver- 
moulues ou  mensongères  avait  re- 
posé au  moyen  âge   l'omnipotence 
du  Saint-Siège  ;  mais  jamais  à  ses 
yeux  le  Saint-Siège  n'avait  eu  tort: 
les  fausses  décrétâtes,  il  le  soutint 
un  jour  en  chaire,  avaient  été  ré- 
digées au  profit  et  par  l'ordre  de 
(^harlemagne!  Charlemagne  com- 
manda le  faux!!  bref  Charlemagne 
est  le  véritable  faussaire  11! 

in.  Les  deux  thèses  à  la  suite 
desquelles  lui  fut  conféré  le  grade 
de  docteur  et  (jui  portaient  pour 
titre:  la  française.  Dellnfluonci'  des 
questions  de  race  sous  les  derniers 


126 


VAR 


VAR 


Caiioi'iufjiens,  Var'is,  1838,  in-S»  : 
la  latine,  De  quibusdam  Ilcrberli 
opusculis  et  de  gallicananim  doclri- 
narnm  originibus,  même  date  et 
inèine  iorinat.  Ce  dernier  travail 
parut  en  français  presque  au  môme 
instant  dans  la  Revue  française. 
On  trouverait  aussi  de  lui  quelques 
articles  dans  la  licrue  nonvelle  et 
dans  le  Correspondant.  Il  en  avait 
promis  de  même  et  il  en  fournit 
deux  ou  trois  au  Dictionnaire  iiis- 
torique  et  géofiraphique  de  Bretagne 
par  O.L'é,  dont  il  laissa  dire  qu'il 
était  directeur  ou  co-dirccteur.  Mais 
nous  croyons  savoir  que  cette  direc- 
tion fut  un  mythe.  Val.  P. 

VARIi\  (JosEPH-DÉsmiî),  reli- 
gieux de  la  Compagnie  de  Jésus, 
fut  un  de  ceux  qui  contribuèrent  le 
plus  au  rétablissement  de  son  or- 
dre en  France,  et  lors  même  qu'il 
n'appartenait  pas  encore  à  cette 
célèbre  Compagnie,  il  avait,  avec  de 
généreux  amis,  cherché  les  moyens 
d'assurer  sa  restauration  légale 
dans  l'Église.  Sa  vie  accidentée  est 
à  la  fois  curieuse  et  édifiante.  Né  à 
Besançon,  aujourd'hui  chef -lieu 
du  département  du  Doubs,  le  7  fé- 
vrier 1769,  Varin  sortait  d'une  fa- 
mille distinguée  par  ses  sentiments 
religieux  et  sa  position  sociale.  Son 
père  était  conseiller  au  parlement 
de  PVanche-Comté.  Le  jeune  Vaiin, 
(jue,  dana  sa  famille,  on  appelait 
(le  Solinon,  du  nom  d'une  ferre  si- 
tuée sur  les  fionliôres  de  la  Suisse, 
montra  dè«  son  enfance  un  cceur 
excellent,  mais  en  même  temps  un 
naliuel  ardent  qui  le  poussait  quel- 
quefois à  une  impétuosité  exces- 
sive. Il  était  Êurlout  passionné  pour 
la  chasse,  ft  même,  étant  sémina- 
riste, n'étant  |»as  encore,  il  est 
vrai,  engagé  dans  les  ordres,  il  cé- 
dait quelquefois,  malgré  les  conve- 
nances et  ses  résolutions,  à  l'attrait 


de  ce  plaisir  bruyant  et  interdit 
aux  ecclésiastiques.  Il  joignait  à 
cet  entraînement  un  grand  attrait 
pour  l'état  militaire.  Nous  allons 
voir  bientôt  que  la  Providence  l'a- 
mena à  cette  profession  par  des 
voies  et  des  circonstances  qu'il  n'a- 
vait guère  prévues.  Mais  élevé  chré- 
tiennement et  encore  plus  poi'té  à 
la  piété  qu'à  toute  autre  jouissance, 
il  éprouva  de  bonne  heure  le  désir 
de  se  consacrera  Dieu.  Ilcommença 
dans  la  maison  paternelle  et  conti- 
nua au  collège  de  Besançon  des 
études  solides  et  dans  lesquelles  il 
obtint  des  succès.  Après  avoir  reçu, 
dès  l'àgc  de  quinze  ans,  la  tonsure 
et  les  ordres  mineurs,  il  vint  à  Pa- 
ris et  entra  au  séminaire  de  Saint- 
Sulpice  pour  y  redoubler  son  cours 
de  philosophie  et  étudier  ensuite  la 
théologie.  Le  nouveau  séminariste 
gagna  bientôt  l'affection  des  supé- 
rieurs et  des  élèves,  et  se  lia  à  une 
association  composée  des  plus  fer- 
vents de  ses  condisfiples,  de  la 
quelle  faisaient  partie  les  jeunes 
princes  de  Broglie,  Charles  et  son 
frère  Maurice,  depuis  évoque  de 
Gand  ;  de  Villèle,  depuis  archevê- 
que de  Bourges,  les  abbés  de  Sam- 
bucy ,  de  Tournèly  et  de  Grivcl. 
Ces  trois  derniers,  comme  nous 
allons  le  voir,  devaient  plus  tard 
s'unir  -X  lui  par  des  liens  encore 
plus  étroits.  Tous  ces  jeunes  zéla- 
teurs étaient  sous  la  direction  spé- 
ciale do  M.  Tassin,  un  des  plus 
vertueux  sulpiciens,  mort  sainte- 
ment sous  l'habit  de  trappiste  (4), 


(!)  On  peut  apprécier  ce  saint  reli- 
gieux par  U)  note  historique  assez  éten- 
due que  je  lui  ui  consacrée  à  la  il'  co- 
lonne de  la  page  2zo  du  tome  LXXXIV. 
Dans  cette  note,  on  a  inq)nmé  deux 
fois  par  erreur  le  nom  La  Pavsse,  il 


VAR 


VAR 


127 


Le  jeune  de  Solmon  terminait  sa 
deuxième  année  de  théologie  lors- 
que la  révolution  française  l'obligea 
à  abandonner,  du  moins  pour  le 
moment,  la  carrière  oii  il  était  en- 
tré; il  quitta  Paris  le  jour  même 
de  la  prise  de  la  BaslillO;  et  re- 
tourna dans   sa   famille.   L'année 
suivante    il    émigra   avec  elle  en 
Suisse,  où  bientôt  sa  santé,  grave- 
ment compromise  par  une  affection 
de  poitrine,  porta  les  médecins  à 
lui  prescrire  une  vie  plus  active  et 
surtout   l'exercice  de  l'équitation. 
A  l'exemple  et  surtout  à  l'invitation 
de  plusieurs  gentilshommes  de  la 
Franche-Comté,   il   alla   rejoindre 
l'armée  des  princes  français  à  Co- 
blentz,  et  entra  dans  un  régiment 
de  dragons  commandé  par  le  ma- 
réchal de  Broglie,  père  de  ses  deux 
anciens  condisciples.  La  veille  de 
son  déj)art  sa  mère  vint  le  trouver 
à  sa  chambre  lorsqu'il  était  déjà 
couché,  et  lui  dit  avec  une  sorte  de 
vivacité  presque  solennelle  :  Omon 
enfant^  je  t'en  covjure,  ne  pei'ds  ja- 
mais la  crainte  de  Dieu.   Il  ne  de- 
vait plus  revoir  cette  mère,  victime 
de  la  révolution,  et  ces  paroles,  les 
dernières  qu'il  ait  entendues  de  sa 
bouclie,  ne  s'ellacèrent  jamais  de 
sa  mémoire,  et  eurent  une  grande 
influence  sur  le  reste  de   sa   vie. 
Yarin  ht  avec  distinciion  les  deux 
campagnes  de  1792  et  de  1793,  et 
quoiqu'il  eût  pris  une  part  active  à 
plusieurs  batailles    sanglantes,    il 
échappa  aux  plus  grands  dangers. 
En  novembre  1793,  persuadéqu'au- 
cune  action  n'aurait  lieu  avant  le 
printemps,  il   demanda   un    congé 
pour  aller  voir  le  reste  de  sa  fa- 


faut  lire  La  Samse;  et  cVst  sous  co 
nom  qu'on  trouvo  Tartitlc  de  ce  Sulpi- 
cieii  au  tumc  L\X,  page  319. 


mille,  retirée  en  Suisse,  à   Esta- 
vayer.  Si  l'innocence  de  ses  mœurs 
avait  été  exposée  dans  les  deux 
années  passées  dans  les  camps,  où 
les  émigrés  n'étaient  pas  tous  édi- 
fiants, elle  le  fut  encore  plus  à  Es- 
tavayer,  dans  le  loisir  et  au  milieu 
d'une  jeunesse  dissipée,  qui  avait 
apporté  dans  l'exil  la  légèreté  du 
caractère  français.  Varin  prit  goût 
aux  divertissements  de  ses  compa- 
triotes, et  il  faillit  être  victime  de 
son  imprudence.  Un  soir,  il  s'était 
abandonné  avec   plus  de  laisser- 
aller  à  l'entraînement  du  plaisir,  et 
son  âme  vertueuse  en  était  agitée 
et  luttait  contre  la  grâce.  Sa  sœur, 
qui  le  voyait  disposé  à  retourner  le 
soir  dans  cette  société  où  la  veille, 
elle  avait  remarqué   ses  manières 
un  peu  trop  légères,  lui  dit  avec 
bonté  :  «  Prends  garde,  mon  ami; 
rappelle-toi  la  gravité  de  tes  pre- 
mières années.  »  Ces  paroles,  tout 
en  le  contrariant,  le  forcèrent  à  ré- 
fléchir. Rentré  à  sa  chambre,    il 
jette  par  hasard  les  yeux  sur  un 
livre  dont  la  première  page  lui  pré- 
sente le  Memorare  qu'il  avait  à  peu 
près  oublié.  11  le  répète  une  troi- 
sième   fois    avec  émotion.   Alors, 
une  lutte  nouvelle  s'élève  dans  son 
âme,  il  renonce  à  la  réunion  proje- 
tée, et  le  jour  mrme  il  (luitla  Esta- 
vaycr.   11  aurait  voulu  dès  ce  mo- 
ment se  donner  à  Dieu  dans  un 
nouveau  genre  devio,  mais  il  était 
retenu  par  un  motif  plausible  en 
apparence.    Contre   sa   prévision , 
(jurl([ues  jours  après  son  départ  de 
rarniée  dcCondé,  un  combat  meur- 
trier avait  été  livré,   et  la  plupart 
(le  ceux  avec  qui  il  se  fût  trouvé 
dans  la  mêlée  étaient  restés  sur  le 
champ  de  bataille.  Si,  d'un  coté,  il 
étiiit  reconnaissant  envers  la  Pro- 
vidence qui  lui  avait  consené  la 
vie,  de  l'autre,  son  auiour-proprc 


128 


VAK 


VAR 


souffrait,  et  il  voulut  lui  donuer 
satisfaction,  au  moins  pour  un  an, 
espérant  trouver  dans  cet  intervalle 
une  occasion  de  se  si^rnaler.  N'o- 
sant plus  néanmoins  demeurer  dans 
l'armée  de  Condé,  il  voulut,  malgré 
le  cri  de  sa  conscience  qui  l'appe- 
lait déjà  à  un  autre  genre  de  vie, 
prendre  du  service  dans  le  corps 
autrichien  commandé  par  le  prince 
de  Cobourg,  qui  était  alors  avec  son 
armée  sur  les  frontières  de  la  Hol- 
lande. Variii.  pour  le  rejoindre,  se 
mit  en  route  pour  la  Weslphalie  et 
voulut,  en  chemin,  voir  ses  anciens 
amis,  les  abbés  de  Broglie  et  de 
Tournély  (1),  qui  vivaient  ensemble 
avec  quelques  compagnons,  dans  le 
dessein  de  fonder  une  Société  nou- 
velle sous  le  vocable  ou  le  nom  du  Sa- 
cré-Cœur de  Jésus,  et  derélablir,  au- 
tant qu'ils  le  pourraient,  l'institut 
des  jésuites.  Il  voulait  aussi  obte- 
nir de  Charles  de  Broglie  des  lettres 
pressantes  pour  les  joindre  à  celles 
que  le  maréchal  de  Broglie  avait 
déjà  écrites  depuis  quelques  se- 
maines en  sa  faveur,  au  duc  de 
Choiseul ,  car  Varin  désirait  en 
même  temps  obtenir  une  place  de 
cadet  dans  leshouzards,  qui  avaient 
ce  duc  à  leur  léte.  Il  les  trouva  à 
Venloo,  prêts  à  partir  pour  Munich 
en  Bavière,  où  les  forçait  de  se  re- 
tirer les  succès  des  armées  de  la 
république  française,  qui  les  obli- 
geait à  changer  d'asile.  Cette  heu- 
reuse rencontre  causa  une  joie  mu- 
tuelle, mais  la  Providence  attendait 
là  notre  jeune  homme,  qui ,  après 
(juelques  luttes  et  ((uelques  résis- 
tances, vaincu  j)ar  leurs  raisons  et 
leurs  in.stances ,  abandonna  ses 
projets  et  se  joignit  à  eux.  Il  se 


(1)  Voir  TotRNÉLV,  lonic  LXXXIV, 
|)dgc  22o. 


trouvait  le  sixième  dans  celte  com- 
pagnie naissante,  et,  comme  il  me 
le  disait  un  jour  lui-même ,  tous 
excepté  deux ,  avaient  été  mili- 
taires; deux  seulement,  les  abbés 
de  Broglie  et  de  Tournély,  étaient 
prêtres.  Ces  pieux  jeunes  gens  con- 
tinuaient leur  voyage  à  pied,  le  sac 
sur  le  dos,  partageant  leurs  jour- 
nées entre  la  messe,  l'oraison,  le 
bréviaire,  le  chapelet  et  des  con  - 
versations  édifiantes.  A  Augsbourg, 
Varin  trouva  une  lettre  de  son  frère 
qui  lui  apprenait  la  mort  de  sa 
mère,  laquelle,  rentrée  en  France 
en  1793  ,  fut  arrêtée,  passa  une 
année  en  prison  et  périt  sur  l'écha- 
faud  le  19  juillet  de  l'année  sui- 
vante, précisément  le  lendemain  du 
jour  où  lui-môme  avait  pris  la  gé- 
néreuse résolution  de  mourir  au 
monde.  Sa  douleur  fat  profonde 
mais  pleine  de  résignation  chré- 
tienne. Arrivés  à  Augsbourg,  les 
jeunes  voyageurs  remirent  la  lettre 
de  recommandation  de  l'abbé  Pey 
à  l'abbé  Beck,  conseiller  aulique 
de  l'évêque  d' Augsbourg.  Cet  ecclé- 
siastique leur  dit  que  les  ordres 
sévères  du  duc  de  Bavière,  inter- 
disant l'entrée  des  Français  dans 
ses  États,  devait  les  arrêter,  et  les 
engagea  à  se  fixer  au  diocèse 
d' Augsbourg,  où  il  leur  promit  la 
])rotection  de  l'Électeur,  qui  les 
accueillit  avec  faveur;  ils  trouvè- 
rent aussi  des  sentiments  de  cor- 
dialité dans  les  anciens  jésuites  qui 
dirigeaient  le  collège  de  la  ville. 
Les  voyageurs  virent  un  trait  de  la 
bonté  de  Dieu  dans  toutes  ces  cir- 
(;onstances,  et,  grâce  surtout  à  l'in- 
térêt que  leur  témoigna  M.  Baziocki, 
riche  banquier  d' Augsbourg,  chré- 
tien zélé,  ils  purent  aller,  au  mois 
d'août  1794,  s'établir  à  deux  lieues 
(le  la  ville,  à  Leutershofen,  où  ils 
reprirent  leurs  exercices  et  virent 


VAR 


VAR 


129 


bientôt  leur  nombre  s'augmenter. 
C'estlà  que  commença,  à  le  prendre 
rigoureusement,  la  société  du  Sacré- 
Cœur  ;  et  les  premiers  fondateurs 
de  celte  œuvre,  le  1')  octobre  de  la 
même  année,  près  du  tombeau  de 
saint  Ulrich,  dans  l'église  des  Bé- 
nédictins d'Augsbourg,  se  livrèrent 
par  vœu,  au  maintien  deleurentre- 
prise;  ils  y  ajoutèrent  le  vœu  d'o- 
béir au  souverain  pontife,  et  d'al- 
ler se  jeter  à  ses  pieds  pour  se 
mettre  à  sa  disposition.  Forcés,  par 
la  vente  de  la  maison  qu'ils  occu- 
paient, à  quitter  Leutershofen  en 
novembre  1795,  ils  furent  recueillis 
par  l'électeur  Clément  Wencslas 
dans  une  petite  maison  que  possé- 
dait ce  prélat  généreux  au  village 
de  Gogingen,  à  une  lieue  et  demie 
d'Augsbourg,  où  la  Providence  leur 
jirocura  des  bienfaitetu-s  ,  entre 
autres  l'archiduchesse  Marie-Anne 
d'Autriche.  Dès  lors,  ils  tirent  des 
etTorIsponrentrerdans  la  compagnie 
de  Jésus,  qui  ne  crut  pas  devoirles 
admetire  et  leur  conseilla  de  con- 
tinuer leur  genre  •<le  vie.  Le  jeune 
Varin  fut  élevé  au  sacerdoce  le  12 
mars  1796.  L'approche  des  armées 
de  la  république  française  les  força 
encore  à  émigrer.  Ils  se  retirèrent 
d'abord  à  Passau,  en  Bavière,  puis 
à  Vienne,  en  Autriche,  où  ils  arri- 
vèrent à  la  fin  de  septembre  de  la 
même  année  179(),  et  où  le  crédit 
du  P.  de  Broglie  leur  avait  procuré 
la  protection  du  ministre  de  la  po- 
lice; ils  trouvèrent  un  asile  dans  une 
partie  du  couvent  des  Grands-Au- 
gustins.  Le  cardinal  Migazzi,  ar- 
chevêque de  Vienne,  les  prit  sous 
sa  protection,  et  ils  [)urentsc  livrer 
de  nouveau  à  l'étude  et  aux  exer- 
cices de  la  vie  religieuse.  Hélas! 
ils  ne  purent  jouir  une  année  de 
celte  vie  tranquillt»!  Les  négocia- 
tions pacifiques  entamées  entre  la 

LXXXV 


France  et  rAutiiche  ayant  été  rom- 
pues, la  guerre  se  ranima.  Buona- 
parte  parut  dans  le  Tyrol  à  la  tète 
d'une  armée  nombreuse  et  s'a- 
vança rapidement  vers  la  capitale 
de  l'Autriche,  qui  lut  déclarée  en 
état  de  siège,  et  d'où  les  étrangers 
durent  s'éloigner  à  une  distance  de 
quarante  lieues.  Le  comte  de  Sau- 
ren,  ministre  de  la  police,  obtint 
de  l'empereur  un  adoucissement  en 
faveur  de  ses  protégés,  et,  à  sa  de- 
mande, Tabbé  des  chanoines  régu- 
liers de  Glauster-Neubourg,  otl'rit 
à  la  petite  société  une  de  ses  mai- 
son?, située  à  Haguebrunn,  dis- 
tante seulement  de  trois  lieues  de 
la  ville  de  Vienne.  Le  Père  A'^arin- 
et  ses  amis  s'y  installèrent  le  mardi 
de  Pâques  1797.  A  peine  avaient- 
ils  repris  leurs  pieuses  habitudes, 
qu'ils  se  virent  éprouvés  de  nou- 
veau, mais  d'une  manière  bien  plus 
dure  et  plus  dangereuse  pour  leur 
société  naissante.  Le  9  juillet  de  la 
même  année,  leur  supérieur,  le 
P.  de  Tournely,  mourut  à  la  fleur 
de  l'âge,  après  neuf  jours  de  ma- 
ladie. La.  petite  communauté,  com- 
posée déjà  de  seize  personnes, 
élut  à  l'unanimité,  pour  lui  succé- 
der, le  P.  Varin,  que  le  défunt  lui- 
même  avait  désigné  comme  le  plus 
propre  à  prendre  sa  place  dans  des 
circonstances  aussi  difficiles.  Varin 
voulut  décliner  ce  fardeau,  mais  les 
instances  de  ses  frères  l'ohligèient.à 
s'en  charger,  et  ce  fut  sous  son  admi- 
nisUatioii  que  l'Institul  du  Sacre- 
Cœur  entra  dans  une  phase  nouvelle, 
et  finit  par  se  fondre  dans  la  conq)a- 
gnie  de  Jésus.  Ne  pouvant  aller  se 
jeter  aux  pieds  du  Souverain-Pon- 
tife, détenu  à  Florence,  le  nouveau 
supérieur,  muni  de  reconmianda- 
tions  de  plus  de  vingt  évèqucs  fran- 
çais émigérs,  et  surtout  de  celles  de 
l'archevêque  de  Vienne  et  du  c;udi- 

U 


130 


VAR 


nal  Rul'fo,  nonce  dans  cette  ville, 
lui  adressa,  au  nom  de  ses  con- 
frères, une  lettre  dans  laquelle  il  le 
priait  de  statuer  sur  leur  sort.  Le 
Pape  leur  répondit  une  lettre  de 
louanges  et  d'encouragement,  les 
engageant  à  la  persévérance  et  les 
mettant  provisoirement  sous  la  dé- 
pendance absolue  du  cardinal  Mi- 
gazzi,  archevêque  de  Vienne.  On 
ne  peut  exprimer  la  joie  que  ce 
bref  causa  à  la  petite  Société,  qui 
fit  bientôt  des  progrès  tels  que  le 
nombre  des  confrères  fut  plus  que 
doublé  et  que  l'on  fit  un  second  éta- 
blissement à  Prague;  l'archidu- 
chesse Marie-Anne  fournit  aux  dé- 
penses de  cette  nouvelle  maison. 
On  commença  aussi  dès  lois  à  Ila- 
genbrunn  un  pensionnat  pour  la 
jeunesse,  et  on  se  livra  aux.  exer- 
cices du  ministère  ecclésiastique. 
Bientôt  la  Société  du  Sacré-Cœur, 
qui  tendait  uniquement  à  se  réunir 
aux  Jésuites,  fil  une  autre  fusion 
qu'elle  n'avait  ni  prévue  ni  désirée, 
toujours  néanmoins  dans  le  dessein 
de  parv(.'nir  à  son  premier  but.  Ce 
but  était  aussi  celui  d'une  Société 
qui  s'était  formée  à  Rome  vers 
1795,  et  qui  avait  pour  chef  Pacca- 
nari  (Voyez  Paccauari,  tome  lxxvi, 
page  190).  Celte  Société  naissante 
portait  le  nom  de  Sociélé  de  la  Foi 
de  Jésus.  Les  personnes  les  plus  éle- 
vées et  les  plus  influentes,  le  Pape 
Pie  VI  lui-même,  pensaient  quedeux 
Sociétés,  s'élablissant  simultané- 
ment dans  les  mêmes  intentions  et 
tendant  aux  mêmes  fin.s,  devaient 
se  réunir  «;t  doubler  ainsi  les  forces 
de  leur  action  et  les  cliances  de  leur 
succès;  Paccanari  désirait  surtout 
celte  réunion,  et,  encouragé  par  le 
Souverain  Pontife,  qu'il  avait  vu 
deux  fois,  muni  de  recommandations 
élogieusos  pour  le  nonce  à  Vienne, 
et  raème   pour   l'empereur  d'Au- 


VAR 

triche,  il  arriva  à  Vienne  le  3  avril 
1799,  et,  dès  le  7  du  même  mois,  il 
se  rendit  à  Hagenbrunn.  Il  y  fut 
reçu  avec  joie,  mais  aussi  avec 
réserve.  11  était  muni  de  tant  de 
témoignages,  de  l'archevêque  de 
Vienne,  du  Nonce,  du  Pape  lui- 
même,  qu'il  était  comme  nécessaire 
de  faire  une  union,  qui  s'effectua 
en  effet,  après  dix  jours  de  confé- 
rences, auxquelles  prirent  part  tous 
les  profès  du  Sacré-Cœur.  Le  Père 
Varin,  qui  désirait  aussi  peu  la  su- 
périorité que  Paccanari  semblait 
l'attendre,  se  soumit  à  ce  dernier 
avec  tous  ses  associés.  Paccanari 
vit  donc  ainsi  son  modeste  troupeau 
triplé  par  cette  agrégation;  et,  su- 
périeur général  des  deux  branches 
fondues  dans  la  seule  Société  de  la 
Foi  de  ,Iésus,  il  nomma  le  Père  Si- 
néo  délia  Torre  provincial  de  cette 
Société  en  Allemagne,  et  le  père 
Varin  recteur  du  collège  d'Hagen- 
brunn,  qui  lui  était  soumis  avant  la 
fusion,  effectuée  le  18  avril  1799. 
Le  père  Paccanari  resta  quelque 
temps  en  Allemagne  ;  sous  son  gou- 
vernement, la  petite  communauté 
d'Hagenbrunn  changea,  sinon  d'es- 
prit, du  moins  de  conduite  et  de 
pratiques.  Elle  donna  moins  aux 
exercices  de  piété,  et  beaucoup  plus, 
et  peut-être  trop,  à  l'étude  et  aux 
récréations,  et  tout  cela  sous  le  pré- 
texte qu'ils  étaient  destinés  à  pro- 
fesser la  vie  religieuse  au  ser- 
vice du  j)rochain  et  non  dans  un 
cloître.  La  princesse  Marie-Anne, 
à  qui  le  père  Varin  recommanda  le 
père  Paccanari,  conçut  pour  celui- 
ci  beaucoup  d'estime,  et  lui  accorda 
l'attachement  bienfaiteur  qu'elle 
avait  pour  les  [>ères  de  la  Société  du 
Sacré-Cœur.  Elle  fit  ])lus,  cav  elle 
se  lia,  ainsi  que  les  demoiselles 
Naudet,  ses  dames  de  compagnie, 
par  un  vœu  spécial,  à  l'obéissance 


VAR 


VAR 


131 


à  ce  nouveau  général.  Paccanari 
n'était  encore  que  tonsuré,  mais,  au 
retour  de  ce  voyage  de  Prague,  il 
reçut  du  nonce,  à  Vienne,  les  or- 
dres mineurs  et  sacrés  jusqu'au  dia- 
conat, et,  après  tant  de  succès,  il 
reprit  la  direction  de  la  commu- 
nauté d'Hagenbrunn,  où  l'on  crut 
s'apercevoir  bientôt  de  quelques  dis- 
positions douteuses  dans  son  esprit. 
De  concert  avec  le  père  Varin,  les 
anciens  membres  de  la  Société  du 
Sacré-Cœur  lui  demandèrent,  dans 
une  occasion  favorable,  une  décla- 
ration franche   sur  ses   désirs  de 
réunion  avec  la  compagnie  de  Jésus. 
Le  H  août  1799,  Paccanari  donna 
une  réponse  qui  ne  satisfit  point,  et 
qui  fut  loin  de  détruire  les  préven- 
tions qui  commençaient  à  naître 
contre  lui.  Il  donna  bientôt  un  dou- 
ble essor  à  ses  disciples:  il  les  li- 
vra aux  travaux  du  saint  ministère 
et  envoya  des  colonies,  non-seule- 
ment en  divers  lieux  de  l'Allema- 
gne,   mais    aussi   dans   les  États 
étrangers,  en  Hollande,  en  Italie, 
en  Angleterre,  en  Suisse,  en  France, 
etc.  Ce  fut  en  ce  pays  que  le  père 
Varin  fut  envoyé  en  qualité  de  clief 
de  cette  nouvelle  mission,  et  le  19 
mars   1800,    accompagne  du  père 
Roger,  et,  peu  après,  d'un  second 
compagnon,  le  père  Halnat,  du  dio- 
cèse de  Rennes,  il  prit  le  clicmin 
de  sou  ancienne  patrie,  marchant  à 
pied,  revêtu  de  l'habit  de  jésuite, 
demandant  l'aumône  dans  les  pres- 
bytères et  dans  les  abbayes  qui  se 
trouvaient  sur  sa  route.  Eu  passant 
à  Augsbourg ,  il  visita  monseigneur 
de  .luigné,  archevêque  do  l*aris,qui 
leur  donna  des  renseignements  pré- 
cieux et  d'amples  pouvoirs.  A  la 
frontière  de  la  France  ils  purent,  à 
la  faveur  de  l'habit  laï(iue,  entrer 
sans  ôlrc  arrêtés,  quoiqu'ils  n'eus- 
sentpoiut  de  passe-port.  Néanmoins 


dès  lors  commencèrent  les  dangers 
les  plus  sérieux  de  leur  voyage  ;  ils 
parvinrent  pourtant  jusqu'à  Paris, 
où,  avec  ses  deux  compagnons,  le 
père  Varin  entra  le  16  juin.  Tous 
trois  commencèrent  leur  ministère 
par  le  service  des  hôpitaux  ;  le  père 
Varin  envoya  le  père  Halnat  à  Bi- 
cêlre,  et  lui-même  se  consacra  aux 
six  mille  malades  de  l'hospice  de  la 
Salpétrière,  où  aucun  prêtre  n'avait 
paru  depuis  dix  ans  !  Mais  il  avait 
aussi  mission  de  soutenir  et  d'éten- 
dre la  Société  des  Pères  de  la  Foi  ; 
six  mois  s'étaient  à  peine  écoulés 
depuis  son  arrivée,  qu'il  reçut  plu- 
sieurs jeunes  prêtres  au  noviciat. 
La  Providence  lui  ménagea  plu- 
sieurs moyens  de  faire  des  œuvres 
de  zèle  et  de  soutenir  en  même 
temps  son  œuvre  principale.  Il  fit 
surtout  la  connaissance  d'une  de- 
moiselle distinguée  par  sa  position 
sociale,  et  encore  plus  par  sa  cha- 
rité et  les  qualités  les  plus  pré- 
cieuses. Celte  demoiselle  était  ma- 
demoiselle Champion  de  Cicé,  nièce 
de  Cicé,  archevêque  de  Bordeaux. 
(Voir  Champion,  tome  m,  page  26.) 
Elle  s'intéressa  vivement  à  la  pe- 
tite Société  du  père  Varin,  lui  mé- 
nagea des  protecteurs  parmi  des 
personnages  élevés,  et  lui  donnait 
aussi  des  secours  en  argent.  Le  père 
Varin,  par  reconnaissance  et  par  les 
mêmes  motifs  qui  animaient  sa 
bienfaitrice,  la  secondait  de  tout 
son  pouvoir.  La  Providence  leur 
ménagea  un  autre  genre  de  mérite 
dans  une  épreuve  cruelle,  à  laquelle 
elle  les  .soumit  l'un  et  l'autre.  Ma- 
demoiselle de  Cicé  était  d'origine 
bretonne,  bien  pensante  et  vouée 
aux  œuvres  de  charité,  qui  multi- 
pliaient ses  rapports;  elle  fut  donc 
soupçonnée  par  la  police,  qui  cher- 
chait partout  des  complices  dans  la 
conspiration  de  la  machine  in  for- 


13-2 


VAR 


VAR 


nale.  On  Hl  une  perquisition  clicz 
elle  et  l'on  trouva  un  rouleau  de 
pièces  de  monnaie  dont  elle  avait 
indiqué  la  destination  ])ar  cette 
inscription  :  Pour  ces  Messieurs.  On 
s'imagina  facilement  que  les  Mes- 
sieurs destinataires  de  cet  argent 
étaient  les  personnages  arrêtés.  Elle 
n'avait  donne  qu'une  réponse  em- 
barrassée à  ce  sujet,  dans  la  crainte 
de  compromettre  ses  protégés,  et 
son  embarras  la  compromettait  en 
un  sens  elle-même.  Le  Père  Varin, 
instruit  de  cet  incident,  ne  balança 
])oint  à  courir  la  chance  q'ue  pou- 
vait faire  craindre  son  intervention 
[jcrsonnelle  ;  il  se  présenta  accom- 
pagné du  Père  Halnat,  et  Dieu  per- 
mit que  leur  explication  naïve  et 
simple  contribuât,  sans  désagré- 
ment pour  eux,  à  la  justification 
de  mademoiselle  de  Cicé,  qui  fut 
absoute  avec  éclat  et  rendue  à  la 
liberté  (1),  Cependant  la  colonie 
française  des  Pères  de  la  Foi  se 
consolidait  et  s'étendait  en  nmlti- 
j)Iiaut  ses  œuvres  et  en  augmentant 
le  nombre  de  ses  membres.  J/en- 
trée  de  l'abbé  Barat  fournit  au 
Père  Varin  l'occasion  d'une  entre- 
prise (ju'il  nourrissait  dans  son 
esprit  depuis  longtemps,  et  que  le 
I*ère  de  Tuurnely  et  le  Pèie  Pac- 
canari  avaient  eux-mêmes  conçue, 
celle  d'une  société  de  femmes  des- 
tinées à  opérer  parmi  les  personnes 
de  leur  sexe  ce  que  les  Pères  de  la 
Foi  faisaient  pour  les  jeimes  gens. 
Pendant  quelque  tem|»s  on  s'était 
pcTsuadé  en  Allemagne  que-  la 
pieri-e  fondamentale  de  cet  édifice 
religieux  serait  la  princesse  Louise 
de   Condé   (  Voy.    Condé   t.  lxi, 


p.  2()1))  (4),  puis  la  princesse  Marie- 
Anne.  Dieu  ne  le  permit  pas.  En 
entrant  dans  la  société  du  P.  Varin, 
l'abbé  Barat  lui  parla  dune  sœur 
dont  il  avait  soigné  l'instruclion  et 
qui  avait  alors  vingt-deux  ans  ou 
un  peu  plus;  il  la  lui  offrit  pour 
être  la  première  religieuse  de  l'ins- 
titut ({u'il  projetait.  Le  Père  Varin 
fut  enchanté  et  édifié  de  tout  ce 
qu'il  vit  dans  cette  jeune  personne. 
C'était,  m'a-t-il  dit  à  moi-môme  en 
vantant  ses  qualités,  c'était  une 
rhétoricienne!  Il  fut  donc  enchanté 
de  celte  heureuse  rencontre  et 
commença  alors  sa  petite  commu- 
nauté, et  bientôt  plusieurs  jeunes 
personnes  se  réunirent  à  la  mère 
Barat,  qui  est  encore,  au  moment 
où  nous  écrivons  ceci  (1861),  supé- 
rieure générale  de  l'institut  nou- 
veau. Le  P.  Varin  leur  fit  un  règle- 
ment, les  réunit  en  communauté, 
d'abord  à  Paris,  puis  à  Amiens. 
C'est  dans  cetteville  qu'elles  prirent, 
ou  plutôt,  comme  me  l'a  dit  le  Père 
Varin  en  accentuant  et  répétant 
son  expression,  qu'on  leur  donna... 
qu'on  leur  donna  le  nom  de  Dames 
de  la  Foi.  Leur  institut  porte  le 
nom  de  société  de-  Dames  du  Sacré- 
Cœur,  et  le  Père  Varin  en  est  donc 
le  fondateur.  Dieu  n'a  pas  agréé, 
disait-il.  pour  commencer  son  œu- 
vre, des  instruments  grands  selon 
le  monde;  mais,  afin  (jue  la  gloire 
en  revînt  à  lui  seul,  il  a  voulu  que 
la  base  de  fédilice  fût  posée  sur  la 
siinj)licité,  la  ])elitesse,  le  rien.  En 
effet,  la  première  supérieure  sortie 
d'une  famille  peu  avantagée  du 
côté   de  la  fortune,   est  à  la  tête 


{\)  On  peut  consulter  «^^iir  la  conspi- 
nitioii  (!^-  la  i)ia<'!ii!io  inroin.ile  rarticlc 
Hainl-Bajonl,  lyiiie  lxx\,  p.  3'J9. 


(i)  Lorsque  la  princesse  de  Condé  fut 
béncdictiiic,  elle  porta  le  nom  (\i'Maric- 
.fos(;})h  (le  In  Miséricorde,  et  non  celui 
d<:  Maric-Louisc,  connue  jp  fai  écrit 
par  erreur,  lUid.  page  :271. 


VAR 

d'une  société  qui  se  croit  appelée  à 
faire  exception  entre  les  ordres 
religieux  et  à  exercer  uniquement 
8on  zèle  sur  les  jeunes  personnes 
des  hautes  classes  de  la  société. 
Non-seulement  la  société  des  Pères 
de  la  Foi  multipliait  ses  bonnes 
œuvres  et  voyait  croître  le  nombre 
de  ses  frères,  comme  on  vient  de  le 
dire,  mais  elle  fit  aussi  de  nouveaux 
établissements ,  d'abord  à  Lyon, 
puis  à  Amiens  et  en  divers  lieux, 
quand  elle  devint  l'objet  des  inquié- 
tudes de  la  police,  étonnée  de  la 
correspondance  si  souvent  répétée 
entre  liome  et  ces  prêtres  français. 
Fouclié  possédait  des  copies  des  let- 
tres qu'on  avait  ouvertes  et  les  com- 
muniqua au  Père  Yarin,  qu'il  fit  com- 
paraître devant  lui,  eri  lui  deman- 
dant le  niotiC  et  le  sens  de  ces  réti- 
cences, de  ces  expressions  énigmati- 
ques  trouvées  dans  les,  lettres  qu'on 
lui  présentait.  Le  père  Varin,  qui 
n'avait  aucun  soupçon  de  la  super- 
cherie dont  sa  société  était  victime, 
fut  d'abord  surpris  et  déconcerté  ; 
niais  il  crut,  avec  raison,  que  le 
meilleur  parti  à  prendre  était  celui 
d'un  aveu  prudent,  et  il  prit  ce  par- 
ti; et,  connue  monseigneur  Spina, 
archevêque  de  Gorinlhe,  nonce  en 
France,  rendit  de  lui  un  témoignage 
avantageux,  il  fut  laissé  en  liberté  ; 
mais  les  préventions  de  Fouché 
demeurèient  dans  son  esprit.  11  Tant 
se  rappeler  (pie  ce  chef  de  la  police 
était  un  cx-oratorien,  hostile  k  la 
religion.  Nécessairement  d'ailleurs 
des  bruits  et  des  opinions  défavora- 
bles et  ennemis  couraient  sur  ces 
ecclésiastiques  (pion  ne  CDMiprtjiiait 
pas;  quehjues  personnes  savaient, 
il  est  vrai,  ce  (pi'était  la  congréga- 
tion des  Pères  de  la  foi,  mais  le 
grand  nombre  n'y  voyait  ou  que 
desjésuilcs  déguisés,  ou  une  société 
nouvelle.  Ces  jugements,  ces  récits 


VAR 


133 


occasionnèrent  encore  d'autres  per» 
sécutions  contre  la  société,  qui  dès 
lors  ne  fit  que  chanceler  sur  le  sol 
de  la  France.  Ailleurs,  elle  n'était 
pas  mieux  assise;  à  Rome,  par 
exemple,  elle  ne  se  consolida  pas 
longlemps.  Le  P.  Varin  fit  un 
voyage  en  cette  ville,  où  il  était 
appelé  par  le  P.  Paccanari  pour  une 
sorte  de  chapitre  général.  De  retour 
en  France  au  mois  d'octobre  1802, 
il  vit  supprimer  le  pensionnat  de 
Lyon,  et  forma  peu  après  le  col- 
lège de  Belley,  qui  fut  peut-être  le 
plus  important  de  tous  ceux  que  ses 
associés  dirigèrent.  Mais  il  fallut 
parer  à  un  orage  terrible  qui  me- 
naçait tout  l'institut.  Un  décret  de 
suppression  de  tous  les  établisse- 
ments français  fut  rendu  par  Buo- 
naparte,  pi*emier  consul  !  Le  P.  Va- 
i-in  accourut  à  Paris,  et  agit  avec 
tant  de  bonheur,  que  ce  décret  fut 
suspendu  par  le  crédit  de  Portails, 
ministre  de  l'intérieur,  et  du  car- 
dinal Fesch,  tous  deux  amis  et  pro- 
tecteurs des  Pères  de  la  Foi.  Non- 
seulement  la  nouvelle  société  se 
livrait  à  l'enseignement,  mais,  en 
1804,  le  P.  Varin  organisa  aussi  un 
corps  démissionnaires,  dont  il  par- 
tagea lui-même  les  travaux,  qui 
commencèrent  par  la  ville  de  Tours, 
où  le  vertueux  cardinal  de  Boisge- 
lin  les  avait  appelés,  et  où  le  préfet 
le  trop  fameux  Pommkiilul,  voir 
tome  XXXV,  p.  281}  leur  suscita  d'é- 
tranges obstacles,  sans  arrêter  leur.^; 
fructueux  succès.  Peua[)rès,  il  con- 
tribua à  la  formation  du  premier 
établissement  des  vcl'Kiieuscs  de  la 
conipuUjalion  de  .%'ûlri'-D(niu\  dont  il 
est,  avec  la  sœur  Julie,  le  véritable 
fondateur.  Cet  institut,  formé  d'a- 
bord à  Amiens,  a  Irausléré  son  prin- 
cipal établissement  en  Belgicjue. 
Lors  de  son  séjour  à  Rome,  le  P. 
Varin  avait  eu   de  frécpioiits  rap- 


iSh 


VAR 


VAR 


ports  avec  la  princesse  Marie- 
Anne,  et  surtout  avec  le  P.  Pac- 
canari,  son  supérieur  général.  Il 
trouvait  en  cet  homme  une  grande 
facilité  d'élocution,  me  dit-il  un 
jour,  et  s'il  avait  eu  des  études  et 
de  l'instruction,  il  eût  été  un  sujet 
vraiment  remarquable.  Mais  il  s'a- 
percevait en  même  temps  qu'il  n'a- 
vait ni  les  vertus,  ni  les  qualités 
nécessaires  à  sa  haute  position,  et 
même  à  un  simple  religieux.  Son 
compagnon  de  voyage,  le  P.  Roza- 
ven,  supérieur  de  la  maison  d'An- 
gleterre, avait  été  aussi  dominé 
par  cette  préoccupation.  Tous  deux 
se  tinrent  néanmoins  dans  une 
prudente  réserve.  Mais,  en  1804,  le 
P.  Rozaven  écrivit  au  P.  Varin  que 
la  plupart  de  ses  compagnons  et 
lui  partaient  pour  rejoindre  les  jé- 
suites de  Russie;  que  même,  à  son 
retour  deRome,il  avait  appris  que  ses 
confrères  avaient,  yiendant  son  ab- 
sence, obtenu  du  vicaire  général  de 
la  compagnie  leur  admission,,  et 
que,  partageant  leurs  sentiments, 
il  avait  averti  Paccanariquela  mai- 
son d'Angleterre  ne  faisait  plus  par- 
tie de  sa  société.  Cette  nouvelle  jcla 
le  P.  Varin  dans  l'anxiété.  Devait- 
il  faire  la  même  démarche  qui  lui 
souriait  beaucoup?  Il  pria;  il  s'a- 
dressa au  cardinal  Spina,  légat  en 
France,  qui  lui  répondit  de  se  sé- 
parer de  Paccanari  ;  que  le  Saint- 
Père  ne  manquerait  pas  d'aj)prou- 
ver  sa  conduite,  puisqu'il  ne  recon- 
naissait nullement  l'esprit  de  Dieu 
dans  ce  supérieur.  Il  ajoutait  que  le 
moment  de  s'agréger  aux  jésuites 
de  Russie  n'était  pas  encore  venu, 
et  qu'il  ne  fallait  pas  priver  la 
France  du  secours  de  leur  petite  so- 
ciété dont  elle  avait  besoin.  Il  fit  en 
conséquence délivrerlui  ciie-.  siens 
du  vœu  d'obéi^bance  fait  à  Pacca- 
nari.  et  obtint  encore  du  légat  la 


conservation  des  privilèges  dont 
ils  avaient  joui  jusqu'à  ce  moment. 
Les  associés  du  P.  Varin  reçurent 
alors  de  lui  communication  de  ses 
démarches  et  de  leur  résultat.  Tous 
y  applaudirent  et  le  reconnurent 
pour  supérieur.  Néanmoins  il  faut 
convenir  qu'il  aurait  dû  légalement 
les  consulter  avant  d'obtenir  pour 
eux  des  dispositions  qui  changeaient 
tout  à  fait  leur  existence  religieuse. 
Il  lui  restait  à  lui-même  au  fond  de 
r*âme  un  petit  trouble  qu'il  bannit 
plus  tard.  Le  résultat  dont  il  est  ici 
question  date  du  21  janvier  1804; 
aussitôt  le  P.  Varin  en  fit  part  au 
P.  de  Rozaven,  déjà  rendu  en  Rus- 
sie, et  notifia  sa  séparation  au  P. 
Paccanari  et  à  l'archiduchesse  Ma- 
rie -  Anne.  'Lors  du  séjour  que 
Pie  VII  fit  à  Paris,  où  il  était  venu 
pour  le  sacre  de  l'empereur,  le  P. 
Varin  obtint  de  lui  une  audience  et 
une  ratification  empressée  de  tout 
ce  qu'avait  fait  son  légat.  Le  pape 
approuvait  spécialement  la  déter- 
mination de  rester  en  France,  en 
engageant  les  associés  à  attendre  le 
moment  marqué  par  la  Providence 
pour  la  réunion  aux  jésuites,  et  à  se 
résigner  aux  sacrifices  et  aux  per- 
sécutions (jue  leur  œuvre  trouverait 
dans  leur  propre  pays.  L'œuvre 
continua  donc  toujours  sous  le  nom 
de  Sociclé  de  la  Foi,  et,  plus  libre, 
prit  un  nouvel  essor,  fit  plusieurs 
établissements.  Néanmoins  Fouché 
restait  indisposé  contre  eux,  et,  en 
1807,  le  l*""  novembre,  au  milieu 
de  rassemblée  de  plusieurs  souve- 
rains de  l'Europe,  qui  se  trouvaient 
à  Fontainebleau ,  il  porta  Buonaparte 
à  interpeller  tout  haut  le  cardinal 
Fesch  sur  la  protection  qu'il  ac- 
cordait à  ces  Pères  de  la  Foi,  qui 
étaient  ses  ennemis  jurés,  et  lui- 
mênie  réful.i  le  cnnlinal  qui  vou- 
lait 1ns  défendre,    f.e  Ir-ndemain, 


VAR 


VAR 


135 


Buonaparte  montra  à  Fesch  les  écri  ts 
fournis  par  Fouché,  et  donna  im- 
médiatement ordre  aux  pères  de  se 
retirer,  sous  quinze  jours,  dans 
leurs  diocèses  respectifs,  sous  peine 
d'être  transportés  à  la  Guyane.  Le 
P.  Varin,  quoique  plusieurs  de  ses 
frères  purent  ne  pas  suivre  rigou- 
reusement l'ordre  brutal  qui  avait 
été  donné,  fut  renvoyé  à  Besançon 
par  Fouché,  qui  le  mit  sous  une 
surveillance  rigoureuse  du  préfet, 
dont  il  devait  avoir  l'autorisation 
pour  sortir  de  la  ville  et  même  pour 
prêcher.  Son  exil  et  sa  disgrâce 
durèrent  sept  ans  ;  mais  le  temps 
avait  adouci  la  rigueur  du  préfet, 
qui  avait  pu  d'ailleurs  apprécier  la 
valeur  du  P.  Varin.  Celui-ci  se  li- 
vrait avec  ardeur  au  ministère  ec- 
clésiastique et  à  la  composition  des 
règles  définitives  de  la  congrégation 
des  religieuses  du  Sacré-Cœur,  et  il 
contribua  largement  à  consolider 
une  autre  congrégation  naissante, 
celle  des  sœurs  de  la  Sainte-Famille, 
destinées  à  l'enseignement  des  en- 
fants du  peuple.  Son  zèle,  en  ce 
genre,  peut  être  comparé  à  ce- 
lui de  saint  Vincent  de  Paul.  La 
restauration  de  la  légitimité  vint, 
en  1814,  ranimer  en  France  tant 
d'espérances,  hélas!  non  réalisées! 
Libre,  comme  le  furent  toutes  les 
victimes  de  l'arbitraire,  le  P.  Va- 
rin vint  à  Paris,  rejoindre  ceux  de 
ses  confrères  qui  s'y  trouvaient.  Il 
les  réunit,  ainsi  nue  ceux  des  lieux 
plus  ra|)prochés.  dans  une  sorte 
de  chapitre  général,  et  leur  de- 
manda s'ils  pensaii^nt  qu'on  dût 
continuer  l'œuvre  sur  le  pied  où  l'on 
était  en  1807,  ou  faire  de  nouvelles 
démarches  pour  se  réunir  aux  jé- 
suites de  Russie.  î^ur  celte  ques- 
tion, le  P.  Varin  sfutit  de  nouveau 
ces  inquiétudes  qui  l'avaient  tour- 
menté (piand  il  se  sépara  de  Pac- 


canari.  La  pensée  générale  fut 
qu'il  fallait  écrire  au  P.  Orzozows- 
ki,  général  de  la  compagnie  en 
Russie,  et  lui  demander  d'être  ad- 
mis de  la  manière  qu'il  jugerait 
la  plus  convenable.  Quoiqu'il  se 
sentît  porté  à  prendre  ce  parti,  Va- 
rin voulut  néanmoins  consulter  le 
P.  Picot  de  Glorivière  et  deux  pré- 
lats romains  qui  se  trouvaient  à 
Paris;  l'un  de  ces  prclats  était 
monseigneur  délia  Genga,  depuis 
pape  sous  le  nom  de  Léon  XIL 
Tous  trois  réj)ondirent  que  les 
membres  de  la  Société  de  la  Foi  de- 
vaient rester  en  France  ety  travail- 
ler comme  auparavant,  jusqu'à  ce 
que  Dieu  manifestât  plus  clairement 
sa  volonté  à  l'égard  de  la  réunion 
avec  lesjésuites  de  Russie.  On  pour- 
rait demander  ici  ce  qu'on  enten- 
dait par  une  manifestation  plus 
claire,  et  pourquoi  cette  manifes- 
tation devait  être  plus  claire  pour 
les  associés  de  France  qu'elle  ne 
l'avait  été  pour  ceux  de  Londres 
et  deBelgique.  qui  avaient  pris  cette 
résolution  et  ce  parti  conveim  sans 
tant  de  difficultés.  Le  P.  Paccanari 
avait  inspirédes  méfiances  en  mon- 
trant toujours  une  sorte  d'éloigne- 
ment  à  la  fusion  aveclacom[»agiiie 
de  Jésus;  n'aurait-on  pas  pu  regar- 
der avec  suspicion  tous  les  dila- 
toires du  P.  Varin,  si  l'on  n'avait 
connu  sa  profonde  j)iété  et  sa  sin- 
cérité? Aussi,  eu  Belgique  où  ce 
père  s'était  rendu  pour  se  concer- 
,ter  avec  les  confrères  de  ce  pays, 
vit-il  exprimer  une  grande  surprise 
sur  une  telle  décision,  surtout  de 
la  part  du  P.  de  Glorivière.  Ce  re- 
ligieux était  un  ancien  profès  de 
la  compagnie  de  Jcsus,  avec  lequel 
le  P.  Varin  avait  fait  connaissance 
en  rentrant  en  France  et  qu'il  vou- 
lait demander  pour  suj)éneur,  tant 
était  grande  lu  conti  'uce  qu'il  avait 


136 


VAR 


VAR 


en  lui.  (V.  Clorivière  tome  l\i, 
p.  143.)  Au  milieu  de  tant  d'incer- 
titudes, le  P.  Varia  se  décida  h 
aller  en  Russie  prendre  les  ordres 
du  général,  et  se  disposait  à  ce 
long  voyage,  quand  il  apprit  que  le 
P.  de  Clorivière  venait  de  recevoir  du 
P.  Orzozowski,  général,  une  com- 
mission qui  le  nommait  supérieur 
de  la  compagnie  en  France  et  le 
chargeait  de  s'entendre  avec  les 
anciens  Pères  encore  vivants  pour 
travailler  à  la  reconstituer.  Il  re- 
vint aussitôt  à  Paris,  et,  le  19  juil- 
let, le  P.  Clorivière  le  reçut  dans 
l'ordre  des  jésuites  et  mit  ainsi  le 
comble  à  ses  vœux  en  finissant  ses 
perplexités.  Il  fut  imité  dans  celte 
démarche  par  le  plus  grand  nombre 
des  Pères  de  la  Foi,  qu'il  avait  eus 
sous  son  obédience.  Au  mois  sui- 
vant, le  pape  Pic  VU  publia  la 
bulle  SoUicitudo,  qui  rétablissait 
canoniquement  la  compagnie  de 
Jésus  dans  tous  l'univers.  Le  P. 
Varin  fit  le  noviciat  ordinaire  de 
deux  ans  et  prononça  les  premiers 
vœux.  Il  fut  nommé  secrétaire  du 
P.  de  Clorivière.  qu'il  acconqjagnait 
dans  ses  voyages  et  qu'il  aidait 
dans  le  gouvernement  de  la  compa- 
gnie en  France.  En  <818,  par  une 
faveur  spéciale  du  général,  faveur 
d'ailleurs  bien  justifiée  par  tous  les 
antécédents  et  les  services  du  P. 
Varin,  il  fut  admis  à  la  profession 
solennelle  des  (jualre  vœ.ux,  et,  de- 
puis lors,  sa  vie  fut  soumise  à  l'ob- 
scurité de  l'obéissance.  Ses  emplois 
les  plus  importants  furent  le  gou- 
vernement de  la  maison  de  Paris  et 
la  direction  du  collège  de  Dole,  dans 
le  Jura.  Mais  il  n*;  cessa  jamais  de 
se  livrer  avec  le  plus  grand  zèle  et 
le  plus  grand  fruit  à  la  direction 
des  âmes.  Les  circonstances  avai<iiit 
bien  varié  dans  une  vie  si  acci- 
dentée! Il  en   faisait,  me  dit-il,  la 


réflexion  lui-même  lorsqu'un  jour, 
au  parloir  de  la  Visitation,  à  Metz, 
il  rappelait  tout  son  passé  avec  une 
des  religieuses  de  cette  maison, 
qu'il  avait  connue  près  de  la  prin- 
cesse Marie-Anne.  Ileut  encore  une 
épreuve  terrible  à  soutenir  lors  de 
la  révolution  de  juillet  1830;  il 
était  alors  supérieur  de  la  maison 
de  Paris.  Sa  santé  alla  toujours 
déclinant,  et  cependant  il  n'aban- 
donna point  les  travaux  du  minis- 
tère de  la  direction.  Dans  le  prin- 
temps de  l'aimée  1850,  le  R.  P. 
de  Uavignan,  son  supérieur,  crut 
lui  procurer  du  soulagement  en 
l'envoyantà  Mantes  (Seine-et-Oise), 
passer  quelque  temps  dans  une 
maison  amie.  La  Providence  en 
avait  décidé  autrement.  Comme  il 
s'atlaiblissait  déplus  en  plus,  on  le 
fit  revenir  à  la  communauté  de  Pa- 
ris, 011  il  mourut  dans  les  plus  vifs 
sentiments  de  pitié,  le  19  avril  1850; 
il  avait  82  ans.  Le  P.  Varin  était 
un  homme  de  taille  ordinaire;  les 
années  elles  infirmités,  sans  doute, 
l'obligeaient  depuis  quelque  temps 
à  tenir  la  tète  et  une  épaule  pen- 
chées d'un  coté.  Il  n'a  rien  publié 
que  je  sache;  mais  sa  corres- 
l)ondance,  i-:i  elle  était  imprimée, 
présenterait  un  recueil  fort  curieux 
et  fort  utile.  Les  éléments  princi- 
paux de  cet  article  ont  été  pris  dans 
la  Vie  du  H.  P.  Joseph  Varin,  reli- 
(jieiijc  de  la  compagnie  de  Jésus,  an- 
cien supérieur  général  des  Pères  du 
Sacré-Cœur  en  Allemagne,  et  des 
Pères  de  la  Voi  en  France,  suivie 
de  notices  sur  quelque  s -U7is  de  ses 
confrères,  par  le  P.  Achille  Guidée 
de  la  méniecomp<ignic.  1  vol.  in-12, 
Paris,  veuve  Poussielgue-Uusand, 
1854.  B.— D.— i:. 

VAIUSCO  (Camille,  le  père), 
né  en  1735,  se  distingua  dès  sa 
plus  tendre  enfance  par  soji  appli- 


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137 


cation  à  l'étude  et  [nnr  l'amour  de 
la  lelraite.  Devenu  membre  de  ia 
congrégation  des  Somasques,  où  il 
vécut  près  d'un  demi-siècle,  il  puisa 
dans  la  lecture  habituelle  des  livres 
Bdinls  une  candeur,  une  douceur  et 
une  humilité  qui  jamais  ne  s'alté- 
rèrent en  lui,  et  qui  s'alliaient 
néanmoins  à  une  vaste  érudition. 
Après  avoir  professé  avec  éclat 
l'éloquence  et  la  théologie  à  Lodi, 
Camerino,  Rome,  Xaples  et  Venise, 
il  devint  directeur  du  collège  natio-» 
nal  de  Modènc  et  ensuite  prévôt  du 
collège  de  Pavie,  où  il  obtint  1  ami- 
tié du  savant  d'Allegro,  évêque  de 
celte  ville.  Bien  que  très-capable 
de  composer  debonslivres,  Varisco 
se  borna  à  traduire  en  italien  divers 
ouvrages  de  choix  concernant  la 
religion  et  les  sciences  théologiques, 
dans  lesquelles  il  était  profondé- 
ment versé.  Il  mourut  à  Milan  W. 
S  mars  1808,  Agé  de  73  ans. 

M.-G.-R. 
VAU>'ER  (François-Antoine), 
né  à  Paris  en  1789  et  mort  en  1854, 
fit  ses  études  au  collège  de  Sainte- 
Barbe.  Il  y  eut  dans  toutes  ses 
classes,  au  concours  général,  des 
succès  flatteurs  et  nombreux.  En 
cessant  d'être  élève,  il  fut  quelque 
temps  professeur,  et  quand  la 
conscription  raltcignit,  après  avoir 
fouiiii  deux  remplaranls,  il  entra 
soldai  dans  un  régiment  de  dragons. 
Pres(iue  aussitôt,  à  la  recomman- 
dation de  rexcelienl  M.  di:  Lanncau, 
le  général  Mathieu  Dumas  lo  pla*  .i 
dans  l'adminisiralion  de  la  guerre. 
L'expédition  de  Uussiiî  se  préparait. 
Varner  lit  la  célébn.'  campagne  de 
1812  comme  adjoint  aux  commis- 
saires de  guerres,  (lommenl  échap- 
pa-t-il  aux  désastres  de  celle  i  cirai  le 
(tù  l'on  n'avait  pas  moins  à  icmIou- 
ler  la  faim  que  le  froid? — En  sortant 
de  .Moscou  en  llammes,  et  <l<int  tous 


les  habitants  s'étaient  éloignés,  il 
vit  d'une  boutique  incendiée  tomber 
à  terre  un  pain  de  sucre.  11  ramassa 
et  jela  dans  sou  chariot  ce  pain  de 
sucre  qui,  sagement  ménagé,  le 
Boulint  dans  les  moments  où  toute 
autre  ressource  lui  manquait.  On 
ne  pouvait  l'entendre  sans  émolion 
quand  ilc  sa  parole  si  vraie,  si  sim- 
ple, il  racontait  le  perfide  sommeil 
dont  on  se  sentait  saisi  sur  la  route, 
le  périlleux  passage  de  la  Bérésina, 
puis,  à  Smolensk ,  les  quelques 
instants  insensés  d'un  excès  de 
bien-être  plus  destructeur,  en  quel- 
que sorte,  que  le  canon,  les  Cosa- 
ques elle  froid, 

Varner  ne  quitta  point  l'armée, 
même  après  la  retraite.  11  était 
fannée  suivante  à  Dresde,  et  fut 
après  Leipsick  eiifermé  dans  ïor- 
gau,  où  vingt-deux  mille  hommes 
mouraient  en  proie  h  la  famine  et 
à  la  peste.  Il  }  vit  succonibor  le 
comte  de  Yosbonne,  qui  comman- 
dait dans  la  place  et  dont  le  cou- 
rage bravait  tous  les  genres  de 
périls.  A  son  retour  en  France, 
Varner  trouva  la  restauration  peu 
favorable  aux  anciens  serviteurs  de 
lempire.  Des  réformes  avaient  eu 
lieu  au  ministère  de  la  guerre.  Les 
plus  capables,  comme  toujours  dans 
les  temps  de  partis,  avaient  été 
d'abord  éloignés.  Plus  d'emploi , 
point  de  fortune,  mais  heureuse- 
ment un  mérite  qui  lui  rendait 
toutes  carrières  accessibles.  Il  eut 
djibord  recours  aux  lettres,  et  les 
lettres,  comme  dans  ses  jeunes 
années,  raccueillirent  avec,  faveur. 
Un  honnne  d'un  esprit  vif,  ingé- 
nieux et  fertile  en  ressources, 
M.  Imbert,  avait  élé  comme  lui 
r<!fornjé;  ils  publièrent  ensendjie. 
en  un  volume,  \\\rl  il'oblcnir  des 
places,  eux  à  (jui  l'on  venait  de 
ravir  les  leurs  ;  ensemble  encorq, 


138 


VAR 


VAR 


et  toujours  avec  succès,  ils  donnè- 
rent au  théâtre  le  SoUiciteur,  et 
plus  tard,  le  Précepteur  dans  l'em- 
barras. Un  auteur  dramatique  déjà 
bien  célèbre,  M.  Scribe,  que  Varner 
avait  eu  déjà  pour  camarade  de 
classe  et  pour  brillant  émule  au 
collège,  l'admit  en  collaboration 
dans  un  charmant  ouvrage,  le 
Mariage  de  raison.  Celte  nouvelle 
camaraderie  resserra,  pour  l'un  et 
pour  l'autre,  les  liens  de  la  pliîs 
noble  et  de  la  plus  profitable  amitié. 
Désormais  le  nom  de  Varner 
prenait  place  parmi  ceux  des  au- 
teurs les  plus  chers  à  la  scène. 
Quelles  circonstances  le  rattachè- 
rent à  l'administration  qui  dut  s'en 
féliciter? — La  campagne  de  Russie 
l'avait  mis  en  rapport  avec  M.  Bus- 
che,  auditeur  au  Conseil  d'État,  qui, 
envoyé  vers  l'empereur  en  mission 
jusqu'à  Moscou,  en  revint  faisant 
au  besoin,  comme  tout  le  monde, 
le  coup  de  fusil  flans  les  champs. 
Ouand,  sous  la  restauration,  Paris 
réalisa  l'idco  impériale  d'un  appro- 
vif^ionnement  de  réserve,  iM.  de 
Chabrol,  excellent  juge  en  quoi  que 
ce  soit,  en  confia  la  direction  à 
M.  Busche,  qu'il  avait  connu, 
croyons-nous,  à  l'école  Polytechni- 
que, et  M.  Buscliefit,  à  cette  occa- 
sion, entrer  Varner  à  l'Hôtel  de 
Ville  et  fit  bien.  Varner  était  doué 
d'un  grand  sens  :  sa  raison  ferme 
et  souple  à  la  fois  pouvait  arrêter 
aussi  sûrement  les  bases  d'une 
mesure  administrative  i\uii\e scéna- 
rio d'un  vaudeville.  Quelques  an- 
nées après,  sous  le  roi  Louis-Piii- 
lippc,  le  bureau  des  élections  avait 
pris  une  grave  importance.  Elles 
étaient  dans  leur  indépenflance  en- 
tière, et  devant  la  presse  libre, 
l'objet  d'une  foule  de  suspicions, 
de  luttes  et  d'attaques.  M.  del'am- 
butean  plaça  Varner  à  la  tète  de 


cet  épineux  service,  et  le  nouveau 
chef  de  bureau  y  porta  tant  de  régu- 
larité, de  droiture,  avec  une  fer- 
meté si  calme  et  si  polie,  que  tous 
les  intérêts  lui  rendirent  une  égale 
justice.  En  s'ai)plaudissant  de  son 
choix,  le  bienveillant  M.  de  Hambu- 
teau  sollicita,  obtint  pour  Varner  la 
croix  d'honneur,  et  de  loyales  mais 
paisibles  occupations  lui  acquirent 
ainsi,  avec  l'aide  d'un  juge  éclairé, 
cette  décoration  qu'il  avait  déjà  dix 
fois  méritée  dans  les  campagnes  les 
dIus  meurtrières.  Quel  homme  fut 
jamais  plus  modeste  et  plus  désin- 
téressé ! 

Les  réactions  hostiles  et  les  vils 
intérêts  qui,  en  '1848,  éloignèrent  à 
la  fois  de  l'IIotel  de  Ville  quatre 
chefs  de  division  et  cinquante-neuf 
employés  supérieurs,  n'eurent  garde 
d'oublier  Varner.  C'était  la  pre- 
mière fois  qu'une  retraite  lui  mé- 
nageait un  peu  de  repos.  Que  ce 
repos  devait  peu  durer!  L'adjoint 
aux  commissaires  des  guerres  avait 
eu  les  pieds  gelés  par  40  degrés  de 
froid  en  Russie.  Sa  bonne  consti- 
tution ,  son  extrême  tempérance 
avaient  ajourné  mais  non  détruit  le 
principe  du  mal.  Une  opération 
cruellement  douloureuse  n'eût  pré- 
senté que  des  résultats  incertains  : 
il  avait  assez  souffert!  Sa  mort 
fut  calme,  résignée,  courageuse, 
comme  l'avait  été  la  vie  la  plus 
honorée  de  tous  et  la  plus  chère  à 
ses  amis.  B — ri:. 

VARNEY  (J.-B.),  littérateur 
estimable,  mort  professeur  de  rhé- 
torique au  collège  de  Reims  dans 
les  premiers  mois  de  1819,  laissa 
dans  cette  ville  les  regrets  les  plus 
vifs  et  les  plus  honorables.  La  Hevîie 
encyclopédique  lui  a  consacré  quel- 
cpies  lignes  dans  son  numéro  d'avril 
de  ladite  année;  mais  cette  courte 
notice  n'indique  ni  le  lieu  ni  l'épo- 


- 


VAR 


VAR 


139 


que  de  la  naissance  de  Varney.  Elle 
nous  apprend  seulement  qu'après 
de  brillantes  études  faites  à  Paris 
au  collège  des  Grassins,  il  obtint 
dans  cet  établissement  une  chaire 
qu'il  quitta  au  commencement  de  la 
révolution  pour  voler  à  la  défense 
de  la  patrie  en  qualité  de  simple 
grenadier.  Bientôt  parvenu  au  grade 
d'officier,  il  abandonna  la  carrière 
militaire,  lors  de  la  formation  des 
écoles  centrales,  et  il  fut  nommé 
professeur  de  grammaire  générale, 
puis  professeur  de  rhétorique  à 
Chaumont,  d'où  il  passa,  en  1812, 
au  collège  de  Reims.  La  Revue  ne 
cite  qu'un  seul  ouvrage  de  Varney. 
Il  en  a  publié  quatre  dont  voici  les 
titres  :  I.  Le  Paresseux,  traduit  du 
docteur  San.  Johnson,  Paris,  1790, 
2  vol.  in-S";  II.  Lettres  de  Junius, 
trad.  de  l'aniïlais.  Paris,  Gueffier 
et  Voland,  1791,  2  part.  in-8\  Var- 
ney est  le  premier  qui  ait  fait  coh- 
naître  en  France  ces  lettres  célèbres 
dont  le  véritable  auteur  n'est  pas 
encore  bien  connu.  Sa  traduction, 
qu'il  publia  sous  le  voile  de  l'ano- 
nyme, est  loin  d'avoir  l'énergie  et 
le  mordant  de  l'original  ;  elle  n'est 
pas  toutefois  sans  mérite,  mais  elle 
a  été  effacée  parcelle  que  l'on  doit 
à  M.  J.-T.  Parisot  (Paris,  Béchet, 
1823,  2  vol.  in-S").  111.  Histoivi'  de 
Miss  Nelson,  trad.  de  l'anglais, 
Neuwied  sur  le  Rhin  (  se  vendait 
chez  Garnery),  1792,  4  vol.,  non 
pas  in-S",  comme  on  le  dit,  par 
erreur,  dans  la  France  littéraire  de 
M.  Quérard,  mais  pfîtit  in- 12  d'en- 
viron 2o0  pages  chacun.  Barbier 
aurait  pu  comprendre  cet  ouvrage 
dans  son  Dictionnaire  des  anony- 
mes, car  le  titre  ne  porte  (jue  ce» 
Iroi^  lettres  du  nom  du  trailuctj^ur 
V.-]^  V.  La  Feuille,  de  rorn's'/ïOM- 
dance  du  libraire,  journal  d»  ré[)0- 
(juc,  s'exprime  ainsi  en  aiiFioncant 


ces  4  vol.  :  «  C'est  l'histoire  de  la 
vie,  ou  réelle  ou  fictive,  peut-être 
réelle  et  fictive  de  plusieurs  per- 
sonnes oisives ,  par  conséquent 
amoureuses.  Elles  finissent  par 
sacrifier  à  l'hymen,  comme  c'est 
l'usage.  Le  roman  est  assez  agréa- 
ble :  l'auteur  a  pris  la  forme  épis- 
tolaire;  et,  selon  que  nous  en  pou- 
vons juger,  il  intéressera  les  per- 
sonnes qui  aiment  beaucoup  les 
événements  qui  peignent  la  scélé- 
ratesse humaine.  »  IV.  Les  Commen- 
taires de  César,  traduction  novvelk 
avec  des  notes  militaires,  Paris, 
Délerville,  1810,  in-8''.  Par  une 
longue  et  consciencieuse  étude , 
Varney  avait  acquis  une  parfaite 
intelligence  du  texte;  aussi  sa  tra- 
duction est  exacte  et  fidèle,  mais, 
suivant  un  habile  critique  (1\  le 
style  pourrait  en  être  plus  facile  et 
plus  élégant.  B.  L.  U. 

VARVAKI  (Jean\  en  romaïke 
BAPBARH2,  patriote  grec  modem»-, 
était  de  l'île  d'Ipsara  et  naquit  en 
1744.  Ses  parents  l'avaient  laissé, 
jeune  encore,  maître  de  richesses 
qui  lui  permettaient  de  s'abandon- 
ner aux  plaisirs.  Il  ne  se  donna  que 
le  temps  de  les  connaître  assez  pour 
n'être  pas  étranger  au  courant  de 
la  vie  usuelle,  et  au  premier  cli- 
quetis d'armes  qui  pouvait  avoir 
pour  résultat  l'indépendarsce  de 
sa  patrie,  eu  d'autres  termes  dès 
que  les  hostilités  suspendues  par 
cette  trêve  que  l'on  qualifiait  de 
paix  do  Belgrade  éclatèrent  de  re- 
chef entre  la  Russie  et  la  Porte,  il 
vendit  la  totalité  de  ses  biens,  arma 
un  bAtimcnt  cl  courut  sus  aux 
musulmans,  auxquels    il    ])rit    et 


(1^  Terri  de  Saint-Constant,  liudi- 
ment  de  In  tradurUDn,  S-  rdil.,  t.  1", 
p.  XXVf 


uo 


VAR 


VAR 


coula  plusieurs  navires.  Ces  succès 
en  un  coin  de  l'Egée  pouvaient  à  Ja 
longue  devenir  le  point  de  départ 
d'une  diversion  puissante,  et  même 
on  peut  dire  qu'ils  le  furent;  car 
nuldoule  que  ce  soit  à  l'impression 
causée  par  les  courses  de  Varvaki 
et  de  ses  imilaleurs  qu'est  due  l'idée 
de  l'expédition  russe  dans  l'Egée 
en  1790,  1791,  expédition  où  l'ap- 
])oint  des  Grecs  l'ut  si  décisif  pour 
le  succès  de  Rouinanssoi".  Mais  loi 
ne  fut  pas  le  résultat  à  l'époque  de 
la  guerre  lurco-jjolono-russe  :  la 
})aix  de  Kutchuk-Ivaïiiardji  la  ter- 
mina tout  à  coup,  et  les  infortunes 
(irecs,  après  avoir  couru  aux  armes 
à  l'instigation  de  Catherine  II,  furent 
abandonnés  sans  pitié  à  la  ven- 
geance des  Ottomans.  Varvaki  savait 
quel  sort  l'attendait,  s'il  fût  resté 
à  la  portée  des  infidèles  aigris  en- 
core par  leurs  désastres  contre  «ces 
chiens  de  chrétiens.  »  Il  se  h;\ta 
de  mettre  la  frontière  entre  eux  et 
lui,  puis  il  se  rendit  à  Pétersbourg 
où,  moyennant  ce  (jui  lui  restait 
d'iirgcnt,  il  trouva  des  protecteurs 
([ui  firent  valoir  ses  droits  très-réels 
il  quelque  faveur  de  la  part  du 
gouvernement  russe.  Le  phiidoyer 
eut  son  eflet  ;  et  Varvaki  fut  en- 
voyé intendant  des  finances  dans  le 
gou  vernement  d'Astrakhan. On  nuiis 
assure  qu'il  y  donna  l'exemple,  fort 
rare  en  Russie,  d'une  j)rohité  par- 
fait('  toujours  et  [uutout  au-dessus 
du  soupr.on  ;  et  pour  notre  part  nous 
crtjyons  (jiie  du  moins  il  ne  suivit 
que  de  h)in  et  dijccumicnl  les  traces 
des  Russes.  Ce  dont  on  ne  saurait 
douter,  c'est,  d'une  part,  ([u'il  re- 
rul  plus  dune  fois  les  témoigna- 
ges de  satisfaction  du  gouverne- 
Fueiil,  c'est,  de  l'autre,  qu'il  était 
d'une  générosité  iuéj)uisable.  On  le 
regardait  comme  le  père  des  jjau- 
vres   el   l'appui   des   malheinrjux. 


Passionné  pour  la  prospérité,  pour 
la  future  délivrance  de  sa  patrie,  il 
y  faisait  périodiquement  passer  de 
l'argent  pour  la  fondation  des  éco- 
les publiques  où  s'enseignaient  le 
grec  ancien  et  l'histoire,  avec  des 
notions  sur  l'état  actuel  de  l'Europe. 
C'étaient autantde  moyens  d'émeute 
pour  l'avenir,  et  les  sommes  qu'en- 
voyait Varvaki  n'étaient  ni  les  seules 
ni  les  plus  importantes  qui  passas- 
sent des  caisses  moscovites  dans  les 
succursales  de  la  propagande.  Tout, 
au  reste,  n'était  pas  absorbé  parles 
établissements  d'instruction:  on  cite 
entre  autres  l'agrandissement  du 
port  d'Ipsara  connue  le  résultat  de 
la  munificence  de  Varvaki  ;  l'on 
appréciera,  en  pesant  bien  ce  fait, 
{|ue  plus  de  300,000  piastres  (à  peu 
près  72,000  fr.)  furent  consacrés  à 
cet  objet.  Mais  il  ne  faudra  pas  per- 
dre de  vue  non  plus  que,  malgré  la 
délicatesse  dont  il  avait  toujours 
fait  preuve  dans  le  maniement  des 
deniers  publics,  son  revenu  n'était 
j)as  moins  d'un  million  de  piastres, 
quand  eut  lieu  la  levée  de  boucliers 
d'Vpsilanti.  A  cette  nouvelle,  il  fail- 
lit mourir  de  joie,  et  sans  attendre 
que  le  cabinet  russe  se  dessinât,  il 
multiplia  ses  envois  pécuniaires  ; 
finalement,  en  dépit  d(î  son  grand 
Age  ;il  était  octogoiiaire),  en  dépit 
do  .ses  infirmités,  il  se  fit  transpor- 
ter à  Zant(;  avec  ses  trésors  en 
I82i.  Il  eut  le  temps  devoir  les  trois 
juiissances  assurer  par  la  victoire 
di;  Navarin  le  triomphe  de  la  cause 
greccpie;  mais  il  ne  vit  pas  la  (Irèce 
transformée  en  monarchie  et  le 
pays  desThémislocIe  el  des  Epami- 
noudas  devenir  la  légitime  d'un  ca- 
det de  la  maison  de  Witlelsbach  : 
il  mourut  en  1830.  Val.  P. 

VAUY  ou  VAUUY  Ui:  IJJCY, 
prieur  de  Flavigny,  seigneur  de 
Dombasle  en  partie,  de  Crévic,  etc. 


VAR 


\\[{ 


141 


par  le  bon  usage  qif  il  fit  de  sa  for- 
tune, a  mérite  la  reconnaissance  de 
ses  contemporains  et  un  souvenir 
de  la  postérité.  Cet  homme  de  bien 
apparlenaitàune  famille  distinguée 
de  l'ancienne  Chevalerie  de  Lor- 
raine, famille  aujourd'hui  éteinte, 
qui  tirait  son  nom  du  village  de  Lucy 
(Meurthe)  dont  elle  possédait  la  sei- 
gneurie, ainsi  que  celle  de  plusieurs 
autres  lieux  (l).  Ses  armes  étaient 
d'argent  à  trois  lions  de  sable,  ar- 
més, lampasscti  de  gueules,  couron- 
nés d'or,  2  et  1.  Elle  avait  pour  de- 
vise :  Fraus  inimica  Luci.  Né  dans 
la  ])remière  ou  la  seconde  année  du 
seizième  siècle,  Vary,  sans  doute 
cadetde  sa  maison,  embrassa  l'état 
ecclésiastique  et  entra  dans  l'ordre 
de  Saint-Benoît.  Par  un  abus  trop 
commun  alors,  dès  l'âge  de  neuf 
ans,  il  fut  pourvu  du  prieuré  de 
Flavigny,  bénéfice  en  commende 
d'un  revenu  assez  considérable,  et 
qui  dépendait  de  l'abbaye  de  Saint- 
Vanne  de  Verdun.  11  succéda  dans 
ce  Prieuré  à  Barthélémy  de  Lucy, 
probablement  son  proche  parent 
i,quelques-uns  disent  son  oncle), le- 
quel avait  été  en  même  temps 
jM'ieur  de  Saint-Nicolas-du-Port  et 
abbé  deSaint-Ainoult  de  Metz.  Plus 
tard  Varry  eut  le  titre  de  protono- 


(l)  La  seigneurie  de  Donihasle  lui 
<  tuit  cclnie,  en  I  i:20,  pur  le  mariage  de 
Jean  de  Lucy,  lils  (1(;  Miihcu  de  Lucy, 
avec  .Marguerite  de  DoiuIkisIc,  dernière 
héritière  de  cett;-  niaisoii.  Ce  Jean  de 
Lucy  et  Henri  de  Lucy,  son  frère  ou  du 
moins  son  parent,  comptaient  parmi  les 
(luatie-viiigl  el  (pielques  eliev;iliers  (juc 
Cliarles  11  assembla,  en  I  l"2.i,  pour!-  ur 
faire  de  larer,  dans  ri.'itiiôl  de  .ses 
fill'  s,  qu'a  défaut  de  mâles  les  femmes 
pouvaient  hériter  du  duelu'  de  Lorraine. 
lu  secon  1  Maheu  de  l.ucy  fut  mailre 
«l'htjtel  du  due  Antoine,  et  Pernelte  de 
Luev  mourut  abbesse  de  Vcryaville  en 
15l)j. 


taire  apostolique.  Le  premier  em- 
ploi de  ses  richesses  fut  con.sacré  à 
son  église,  lien  fit  bâtir  ou  recons- 
truire le  chœur,  qu'il  orna  de  su- 
perbes vitraux,  eximiis  vitris  iGalL 
Christ. ,\\\\,  col.  1351),  siiremcntles 
mêmes  que  ceux  dont  on  admire  en- 
core les  restes ,  et  que  nous  avons  déjà 
signalés  dans  une  note  de  l'art. 
Ruyr  (lxxx,  216).  Après  Dieu,  le 
seigneur  de  Dombasie  songea  aux 
êtres  qu'il  affectionnait  le  plus,  c'est- 
à-dire  aux  pauvres  de  ses  domaines. 
Outre  les  bienfaits  journaliers  que 
sa  charité  leur  prodiguait  à  tous  de 
son  vivant,  il  voulut  encore  procu- 
rer à  un  certain  nombre,  après  lui, 
les  moyens  de  s'instruire  etde  s'éta- 
blir. Il  plaça  une  forte  somme,  dont 
la  rente  devait  servir  à  marier  tous 
les  ans  cinq  à  six  filles  choisies  parmi 
les  plus  indigentes  et  les  plus  ver- 
tueuses des  villages  et  hameaux  de 
Dombasie,  Crévic,  Grandvezin,  Fla- 
vigny, Anthelupt,  lludivilcr,  Lucy 
et  Vathimont.  Ensuite,  moyennant 
3,300  francs  barrois  qu'il  délivra  à 
l'abbaye  de  Ilemiremoat,  le  Chapi- 
tre contracta  l'obligation  de  faire 
apprendre  chaque  année  un  métier 
à  six  garçons  des  mêmes  villages. 
L'apprentissage  durait  trois  ans, 
pendant  lesquels  on  soignait  aussi 
l'éducation  de  ces  jeunes  gens.  En- 
fin, par  acte  du  3  mai  loiO,  le 
digne  prieur  donna  au  collège  de 
La  Marche  à  Paris,  treize  cents  écus 
d'or  au  soleil,  |)Oury  fonder  à  per- 
pétuité deux  bourses,  dont  jouiraient 
pétulant  les  7  ou  ^  années  du  cours 
d'études,  deux  jeunes  clercs  tonsu- 
rés de  Dombasie  et  lieux  circonvui- 
sins.  Cette  fondation,  si  avantageuse 
au  pays,  a  eu  son  effet  juscjuà  la 
révolution  de  8i).  Suivant  le  Call. 
Christ,  {lac.  d/.),  Vary  termina  sa 
carrière  en  1537.  Le  7  dccenihrc, 
ajoute    dom    Calme t    {Liste    des 


U2 


VAS 


VAS 


l'riL'urs  de  Fiavigny,  dans  le  t.  vu 
de  son  Histoire  de  Lorraine.)  D'après 
cela,  il  est  étonnant  que  le  savant 
abbé  de  Senonesdise,  à  l'art.  Dom- 
BASLEde  sa  iVo//fcdc  laraôme  pro- 
vince, que  le  prieur,  pour  assurer 
ses  fondations,  les  fit  approuver  et 
autoriser  par  le  duc  Gliarles  III,  par 
lettres  du  25  janvier  1564.  Si  une 
autorisation  (juelconque  a  été  de- 
mandée à  cette  époque,  ce  ne  put 
être  que  par  les  villages  intéressés, 
etc.  Vary  fut  inhumé  dans  l'église 
de  son  prieuré,  au  milieu  du  chœur 
où,  en  1605,  vint  prendre  place  à 
ses  côtés  Antoine  dllaraucourt , 
son  successeur  imm  diat.  B.-L.-U. 
VASCO  (Jean-Baptiste)  ,  un  des 
princes  de  la  science  économique  en 
Italie,  naquit  en  1733  à  Mondovi,  où 
ses  parents  jouissaient  de  quelque 
aisance  et  d'une  certaine  considé- 
ration. Mais,  cadet  de  famille,  il  fut 
de  bonne  heure  voué  à  l'église.  Ces 
vocations  par  avis  de  parents  tour- 
nent rarement  à  bien.  L'adolescent 
se  laissa  mettre  au  séminaire,  le 
jeune  homme  se  laissa  conférer  les 
ordres.  Mais  c'est  après  ces  ser- 
ments qui  l'enchaînaient  pour  la  vie 
que  sa  tiédeur  pour  la  carrière  clé- 
ricale devint  de  l'antipathie  et  que 
la  liberté  de  langage  avec  laquelle  il 
s'exj)rimait  sur  des  vicesqui  n'étaient 
pas  l'apanage  exclusif  des  laïques 
et  sur  des  abus  qui  rapj)ortaient  à 
la  caisse,  le  rendirent  suspect  à  son 
cvèque.  Les  admonestations  ne  ser- 
viront à  rien  :  il  ne  se  laissait  ni 
terrasser  par  les  arguments  du 
grand  vicaire,  ni  séduire  par  -  lés 
prosopopées  du  professeur  d'élo- 
quence sacrée.  Après  des  tiraille- 
ments sans  nombre;  après  des  tra- 
casseries intolérables  par  leur  mes- 
quinerie même,  il  se  vil  obligé  de 
renoncer  à  rexcrcice  de  sa  profes- 
sion, et  comme  banni  de  fait.  Heu- 


reusement, car  sans  cette  circons- 
tance il  se  fût  trouvé ,  pendant 
un  temps  du  moins,  dépourvu  de 
tout  moyen  d'existence,  un  de  ses 
amis,  le  marquis  de  .  ,  .  .  ,  le 
recueillit  en  son  château,  et  par 
les  preuves  d'estime  dont  il  l'en- 
toura publiquement,  empêcha  qu'il 
ne  succombât  sous  les  attaques  dé- 
nigrantes de  ses  persécuteurs.  C'est 
dans  celte  honorable  et  paisible  re- 
traite que  Vasco,  réduisant  en  quel- 
que sorte  en  théorie  ce  dont  il  avait 
le  sî)ectacle  sous  les  yeux  dans  les 
domaines  de  son  sage  protecteur, 
publia  sa  Félicité  publique  considé- 
rée chez  les  cnllivatenrs  de  leurs 
propres  terres  ,  1769  ou  1770. 
L'ouvrage  trouva  presque  immédia- 
tement un  traducteur  français  et 
jouit  d'un  certain  retentissement 
non-seulement  en  Italie,  mais  à 
Paris,  centre  de  l'école  des  physio- 
crales,  et  en  Suisse.  Vasco  n'était 
pas  homme  à  se  reposer  sur  ses 
lauriers.  La  même  année,  1771,  il 
remportait  le  prix  proposépar  la 
Société  libre  d'économie  de  Saint- 
Péterh?bourg  ;  et  en  1772  il  envoyait 
à  l'Académie  de  Turin  son  Essai  po- 
litique sur  la  monnaie.  Cinq  ans 
après,  ayant  résolu  de  concourir 
pour  un  prix  que  proposait  l'Acadé- 
mie de  Vérone,  il  n'envoya  son  mé- 
moire que  Irop  lard  pour  être  lu  en 
temps  utile;  mais  l'Académie,  sur  le 
rapport  que  lui  fit  sa  commission, 
lui  témoigna,  ne  pouvant  déro- 
ger aux  conditions  de  son  pro- 
gramme, sa  satisfaction  de  voir  la 
question  si  bien  résolue  en  l'admet- 
tant, de  son  propre  mouvement, 
parmi  ses  membres.  Nous  le  re- 
trouvons encore  en  1788  menantde 
front  la  solution  de  deux  problèmes 
de  première  importance,  ou  pour 
l'humanité  tout  entière,  ou  pour 
l'Italie,  posées  par  l'Académie  de 


VAS 


VAS 


U3 


Turin,  l'un  sur  la  mendicité,  l'autre 
sur  les  moyens  de  pourvoir  à  la 
subsistance  des  employés  à  la  fila- 
ture de  la  soie.  Sa  réputation  alors 
avait  franchi  l'horizon  primitif  : 
l'Allemagne  même,  si  aveugle,  si 
féroce  ennemie  de  l'Italie,  pronon- 
çait son  nom  avec  respect  :  Jo- 
seph II  (il  est  vrai  que  ce  dernier 
était  un  monarque  philosophe)  le 
consultait  sur  les  matières  écono- 
miques et  financières,  et  s'il  n'eût 
été  ravi  trop  tôt  à  ses  peuples,  nul 
doute  que  V'asco  appelé  à  sa  cour 
n'eût  joui  près  de  lui  d'unhautcré- 
dit,  et  n'eût  été  revêtu  de  fonctions 
importantes.  Mais  dès  1790,  l'aîné 
des  fils  de  Marie-Thérèse  laissait  le 
trône  à  d'ineptes  collatéraux  ,  et 
l'habile  économiste  le  suivit  de  près 
au  tombeau.  Toutes  ses  œuvres  , 
après  avoir  été  la  plupart  imprimées 
séparément,  se  trouvent  dans  la  Bl- 
bliothèquedeH  économistes  italiens  (en 
italien,  bien  entendu)  de  Guslodi. 
Outre  celles  que  nous  avons  nom- 
mées dans  le  cours  de  cet  article, 
il  faut  distinguer  encore  sa  Liberté 
de  l'intérêt  (  Viisura  libéra ,  tel 
est  le  titre  italien).  Cet  ouvrage 
aujourd'hui  n'apprendrait  plus  rien 
aux  adeptes  consommés  de  l'écono- 
mie politique.  Tous  savent  {\\\'usura 
en  latin  (d'où  Fon  sens  en  italien) 
ne  veut  dircqu'?>i/^r<?/et  n'exprime 
nullement  ce  que  le  français  entend 
par  a  usure;  »>  tous  savent  qu'en 
fait  l'intérêt,  tout  réprouvé  qu'il 
fui  lon^'temps  par  l'Eglise  (il  ne 
l'est  plus  aujourd'hui),  n'a  jamais, 
tant  qu'il  ne  devient  pas  tyrannique 
et  oppresseur,  froissé  les  conscien- 
ces délicates  et  même  est  entré 
dans  lesmreuis,  l.uidiscju'en  droit  il 
est  la  rémunération  d'un  sci-vice 
rendu  (la  disponibilité  d'un  capi- 
tal) «'t  la  compensation  d'un  risque 
(la  perle)  ;  tous  savent  enfin  (lue  le 


taux  de  l'intérêt  varie  suivant  l'im- 
portance du  service  ou  bénéfice  que 
procurera  ceserviceet  suivant  lagra- 
vité  du  risque.  Mais  ces  vérités  po- 
pulaires aujourd'hui  et  que  ne  con- 
testent plus  que  les  adhérents  quand 
même  aux  vieilles  routines  ou  des 
utopistes  qui  prétendent  ne  rencon- 
trer que  des  constantes  dans  leurs 
calculs,  étaient  alors  des  nou- 
veautés en  tout  pays  et  des  hardies- 
ses entre  les  Alpes  et  le  Phare. 
Vasco  mérite  donc  notre  admiration 
pour  être  un  de  ceux  qui  par  leurs 
propres  forces,  ont  le  mieux  élucidé 
ces  questions  si  mal  comprises 
alors,  si  controversées  depuis  :  il  les 
a  prises  et  reprises  sous  toutes  les 
faces,  il  les  a  simplifiées  par  degrés, 
il  a  merveilleusement  faitsorlirdes 
connues  les  inconnues  ;  et  après 
avoir  tracé  l'origine,  analysé  les 
conditions,  classé  les  diverses  espè- 
ces de  prêt,  il  conclut,  en  arrivant 
au  dernier  problème  (le  taux  de  l'in- 
térêt), que,  pour  contenir  l'intérêt 
dans  les  limites  les  plus  discrètes, 
le  meilleur  moyen  c'est  la  liberté  de 
transactions  la  plus  grande  possi- 
ble, relativement  aux  circonstan- 
ces particulières  dans  lesquelles 
chacun  se  trouve.  Nous  ne  termi- 
nerons pas  cette  esquisse  sans  indi- 
quer les  sujets  des  autres  grands 
mémoires  de  Vasco.  La  question  de 
la  Société  libre  d'économie  de  Saint- 
Pétersbourg  roulait  sur  le  phéno- 
mène de  l'extension  à  la  classe  des 
paysans  du  droit  d'avoir,  en  pleine 
propriété,  des  biens  fonciers.  En 
voici  les  termes:  «  Est-il  plus  utile 
au  bien  public  queles  paysans  [)03- 
sèdent  des  terres  en  propriété  où 
seidemonl  des  biens  meubles  ?  VX 
jusqu'oùdoivent  s'étendre  les  droits 
des  paysans  sur  les  terres  pour  que 
le  public  en  retiie  le  i)his  grand 
avantage?  »  La  question  de  lAca- 


Ikli 


VAS 


demie  de  Vérone  avait  pour  ob- 
jet les  corporations  d'arts  et  mé- 
tiers :  Vasco  montra  combien  ces 
institutions  du  vieil  âge  non-seule- 
ment étaient  devenues  inutiles  en 
même  temps  que  vexatoires,  mais 
s'opposaient  à  tout  progrès,  soit 
comme  perfectionnement  des  pro- 
grès, soit  comme  abaissement  des 
prix.  L'on  a  pu  voir  plus  baut  les 
sujets  proposés  par  Turin,  soit  en 
1785  soit  en  J772.  Voici  le  titre  de 
ce  dernier  en  italien  :  Delta  moneta, 
sdfjgio  politico.  Les  opuscules  et 
Iragments  de  moindre  importance, 
lesquels  ne  se  trouvent  que  dans  la 
collection  Custodi,  sont  réunissons 
le  titre  général  de  :  Annanzi  et 
Eslratti.  Disons  entiu  que  le  tra- 
ducteur de  la  Félicité  publique  est 
Bréard  de  l'Abbaye.       Val.  P. 

VASSAL  (Jacques-Claude-Ro- 
man) ,  banquier  et,  à  la  chami)re  des 
députés  de  1829,  l'un  des  deux  cent- 
vingt  et  un,  était  de  Lyon  et  d'une 
famille  des  plus  honorables  :  il  na- 
(juit  vers  1765.  Primitivement  on 
avait  compté  le  vouer  à  la  carrière 
sacerdotale,  et  ses  premières  études 
terminées,  il  avait  été  placé  au 
grand  séminaire  de  sa  ville  natale, 
quand  survint  la  révolution.  Im- 
médiatement la  vocation  du  jeune 
Koman,  si  vocation  il  y  avait , 
s'évapora  devant  la  nouvelle  pers- 
pective qui  s'ouvrait  pour  tous  ; 
et  comme  il  n'avait  point  encore 
reçu  les  ordres,  ses  parents  ne 
génèrent  par  nulle  objection  ses 
nouvelles  tendances.  L'essayer  , 
d'ailleurs,  neût  j)as  été  raisonna- 
ble. De  longlenq)S  l'Eglise  en  France 
ne  pouvait  offrir  de  d('boucliés  sé- 
duisants ou  j)roductifs  à  l'ambition. 
Mais  à  quelle  prolession  se  livnîrau 
milieu  de  l'étourdissante  confusion 
dont  les  proportions  allaient  crois- 
sant de  jour  en  jour?  lin  attendant 


VAS 

mieux,  il  se  délenninapour  Padmi- 
nistralion,  et  il  fit  ses  débuts  <à 
Gbâions  en  qualit(^N.de  chef  du  bu- 
reau des  émigrés,  (s'^'était  {\  coup 
sûr  une  de  ces  position^?  où  le  titu- 
laire pouvait,  selon  son  hx)^^  vouloir, 
faire  ou  beaucoup  de  mal  6»>u  beau- 
coup de  bien.  Vassal  n'hésit^a  pas 
sur  le  parti  à  prendre.  Quoique}-  P'^" 
triote,  il  n'était  pas  des  patriolo^^ 
furibonds  ;  quoique  respectant  e'ii- 
appliquant  la  loi,  il  n'en  outrait 
point  les  sévérités.  Sa  modération, 
sa  générosité  permirent  à  bien  des 
tètes  en  péril  de  se  soustraire  k 
la  mort  .qui  les  menaçait.  Ces 
services  essentiels  étaient  d'au- 
tant plus  méritoires  qu'en  écartant 
des  autres  le  danger,  il  l'attirait 
sur  lui-môme  et  qu'il  le  savait. 
Bientôt  il  se  vit  l'objet  des  défian- 
ces, des  suspicions,  des  persécu- 
tions môme  :  il  ne  put  y  tenir,  et, 
soit  dégoût,  soit  sentiment  d'un  dé- 
noûmenl  plus  formidable,  il  dispa- 
rut de  la  capitale  de  Seine-et- 
Marne,  et  vint  chercher  refuge  à 
Paris.  Heureusement  il  avait  un 
])elit|)éculede  7,000  francs  :  nepou- 
vantplusse  présenter  pour  deman- 
der le  moindre  emploi  au  gouver- 
nement dont  il  lui  fallait  au  con- 
traire esquiver  ou  dépister  le 
ref-'ard  ,  il  résolut  de  se  créer 
un  établissement  de  commerce. 
De  quel  commerce  ?  On  ne  le 
devinerait  pas,  vu  l'exiguïté  du 
capital.  Ce  n'était  ni  plus  ni  moins 
qu'une  niaison  de  banque.  11  com- 
mença, comme  on  le  devine,  fort 
petitement;  il  escompta  fort  pru- 
demment, il  ne  se  laissa  pas  aveugler 
ou  endormir  parle  succès;  au  con- 
traire il  redoubla  de  vigilance  et  de 
circonspection.  P(;titàpetit  ses  opé- 
lations  s'étendirent,  sa  maison  fut 
citée  comme  des  plus  solides  de  la 
cai)itale,  sa  capacité  linancière  fut 


VAS 

vantée  ,  sa  piobilé  sur  laquelle 
clients  et  concurrenls  n'avaient 
qu'une  voix,  porta  au  comble  sa 
réputation.  L'estime  ])ubliquc  le 
porta  successivement  à  tous  les 
sièges  (le  la  magistrature  consu- 
laire; en  d'autres  termes,  on  le  vit 
successivement  suppléant,  juge, 
président  du  tribunal  de  commerce. 
Il  y  déploya  constamment  une  sa- 
gacité, une  profondeur  de  science 
tant  juridique  que  commerciale,  une 
netteté  d'appréciation  et  en  même 
temps  un  vif  esprit  de  progrès  qui 
firent  de  ses  paroles  comme  aulant 
d'oracles.  Ajoutons  qu'il  était  la 
bienveillance  môme  cl  qu'il  se  plai- 
saità  patronner  les  fiiibles,  pourpeu 
qu'il  vît  en  eux  quckiue  talent  et 
de  la  prol)ité,  et  so:î  appui  ne  lit 
jamais  défaut  à  qui  [our  réussir 
n'avait  besoin  que  de  crédit.  Aussi 
le  commerce  moyen  et  bas  mit-il 
un  rare  empressement  à  lui  donner 
des  milliers  de  voix  pour  le  porter 
à  la  députation  de  Paris,  tant  en 
1829  qu'après  la  dissolution  de  la 
Chambre  en  1830.  Défenseur  éclairé 
des  droits  du  peuple  sans  donner  le 
moins  du  monde  dans  la  démagogie, 
sans  même  souhaiter,  lui,  la  chute 
des  Bourbons,  il  avait,  comme  nous 
ravonsindiquéenr.onuncnoant,  voté 
l'adresse  des  deux -cent- vingt-et- 
un.  La  ri'volution  des  27,  28  et  29 
juillet  vint  donner  raison  à  la  ré- 
sistance et  donner  à  ceux  qui  vou- 
laient arrêter  la  monarchie  sur  celte 
pente  qui  la  conduisait  au  précipice 
un  triomphe  plus complctque  beau- 
coup ne  l'eussent  souhaité.  Vassal 
fut-il  de  ceux-là  au  moment  même 
où  s'accomplissait  ledésarroi"'  Nous 
inclinons  à  le  penser.  l"^n  tout  cas, 
il  ne  fut  lias  longtomps  à  le  deve- 
nir, car  il  fut,  connncrcialement  par- 
lant, une  des  premières  victimes  de 
la  crise  qui  suivit  la  chuie  de  Ghar- 

LXXXV 


VAS 


l/i5 


les  X.  Nombre  d'établissements 
qu'il  avait  étayés  de  sa  caisse,  et 
avec  lesquels  il  était  à  découvert 
pour  des  sommes  considérables, fu- 
rent ruinés  par  l'interruption  des 
afifaires  commerciales  que  provoqua 
la  bouderie  de  l'aristocratie  légiti- 
miste, qu'augmenta  et  prolongea 
l'altitude  plus  qu'ambiguë  de  laRus- 
sie  et  à  laquelle  les  cris  d'une 
opposition  trop  généralement  et 
trop  souvent  furibonde  n'étaient 
pas  faits  pour  porter  remède.  A'as- 
sal,  à  son  tour,  ne  pouvant  parer  h 
tant  de  sinistres  qui  venaient  le 
frapper  coup  sur  coup,  fut  forcé  de 
suspendre  ses  paiements  et  de  dépo- 
ser son  bilan.  Energique  et  intrai- 
table sur  l'honneur,  il  ne  se  crut 
pas  le  droit  de  marcher  la  tète 
haute,  son  concordat  signé.  Il  forma 
la  résolution  de  réparer  intégrale- 
ment les  pertes  dont  avaient  à  se 
plaindre  ses  créanciers,  et  désor- 
mais n'assignant  d'autre  but  à  sa 
vie,  il  dit  adieu  pour  jamais  à  tout 
rôle  politique,  lldéserlalemonde,  et, 
avec  les  ressources  exiguës  que  lui 
laissait  le  malheur,  il  rejiril  les  affai- 
res avec  autant,  avec  peut-èlre  plus 
d'ardeur  qu'au  temps  de  sa  jeunesse 
et  de  ses  succès.  Il  avait  fait  bien 
des  pas  déjà  dans  celte  voie  et 
avanoé  la  solution  du  problème  qui 
lui  tenait  tant  au  conir,  (piand  1 1 
mort  vint  le  frapper  le  13  octobre 
\S:ik.  On  a  prétendu  que  cette  fin 
avait  été  volontaire  et  qu'il  s'élait 
îioyé.  A  ses  funérailles  se  pressè- 
rent presque  toutes  les  sommités 
financières  et  ony  remarqua  surtout 
ses  ex-collègues  de  la  magislralure 
consulaire,  i[u'\  tinrent  à  honneurdc 
prouver  par  leur  présence  (piiis 
savaient  distinguer  entre  le  n)alheur 
et  la  faute,  et  en  quelle  estime  ils 
tenaient  l'honorable  naufragé. mal- 
gré son  naufnige.  Un  d'eux,  (lan- 

10 


l/i6 


\AS 


iicroii,  dans  une  notice  qu'on  peut 
lire  dans  le  MouUeitr  du  17  octobre 
(même  année),  paya  le  tribut  à  sa 
mémoire  ,  et  il  ne  fut  personne  qui 
n'applaudit  aux  paroles  par  les- 
quelles se  terminent  ces  simples  et 
pieuses  li.cnes  :  «  Si  un  tort  réel 
peutlui  être  rcprocbé comme  homme 
d'afï\\ires,  celui  d'une  faiblesse  qui 
a  été  la  cause  de  son  infortune,  il 
est  certain  pour  tous  ceu.\  qui  ont 
été  à  même  de  l'apprécier  que  cette 
faiblesse  môme  prenait  sa  source 
dans  |r'STi]!i>f:énf''roux  sentiments.» 

Val  p. 

VASSEL'R    (MlGHEL-FllANÇOls)  , 

né  à    Polincovc,   dans  l'arrondis- 
sement de  Saint-Omer,  le  16  mars 
1740,  et  mort  dans  cette  dernière 
ville,  le  20  août  1833,  plus  que  no- 
nagénaire par  conséquent,  était  un 
des  hommes  de  France  qui  connais- 
sait le  plus  à  fond  l'ancienne  légis- 
lation de   notre  pays;   ses  conci- 
toyens l'en  regardaient  comme  le 
répertoire  vivant.  Ayant  prùlc  ser- 
ment comme  procureur  à  la  cour 
échevinale  le  Kl  janvier  1771 ,  ayant 
ensuite  continué  ses  fonctions  sol;s 
le  nouveau  régime  avec  le  titre  d'a- 
voué licencié,  il  ne  céda  sa  charge 
qu'au  bout  de  cinquante  ans  d'exer- 
cice et  daus  la  quatre-vingt-onziè- 
me année  de  son  âge.  Il  y  en  avait 
quatre  alors    qu'il  cumulait   avec 
les  soins  de  son  étude  le  jioste  de 
juge  au  tribunal  civil...,  juge  suj)- 
pléanl.  i!  est  vrai,  et  dès  lois  ne 
siégeant  ]!as  en  permanence,  mais 
ne  demandant  qu'à  siéger,  insatia- 
ble des  cas  épineux,  imbrisable  à 
la  fatigue,  et  en  dépit  de  l'assour- 
dissante et  monotone  éloquence  qui 
pérore  sur  les  déviations  des  cours 
d'eau  et  sur  le  mur  mitoyen,  inac- 
cessible au  sommeil.  Il  s'était  aussi 
laissé  entraîner  dans  l'administra- 
tion des  hospices,  qu'il  gérai  ta  la  sa- 


VAS 

tislaction  de  tous,  triomphant  dans 
le  contentieux  j)ar  sa  longue  habi- 
tude des  affaires  et  par  son  aplomb, 
lia,  connue  l'auraient  eu  les  hauts 
barons  de  jadis,  son  mausolée  en 
beau  marbre  dans  l'église  de  Polin- 
cove,  et  sur  le  marbre  se  lisent  plu- 
sieurs épitaphes  peu  poétiques,  bien 
qu'écrites  en  vers.  X. 

VASSILLACClîî   (  ANToiNii  ) , 
surnommé  TAliense,  peintre,  na- 
quit dans  l'île  de  Milo,  qn  1556,  et 
puisa  sous  le  beau  ciel  de  la  Grèce 
un  génie  fait  pour  les  beaux-arts 
et  surtout  pour  les  vastes  compo- 
sitions qui  exigeaient  de  l'imagina- 
tion. PaulVéronèse  fut  sou  maître, 
mais  lorsqu'il  eut  vu  briller  les  pre- 
miers rayons  du  talent  de  son  élève, 
il  en  devintjaIoux,l(i  renvoya  de  son 
école  en  lui  conseillant  de  ne  pein- 
dre qu'en  petit.  L'Aliense,  voyant 
que  Paul  renouvelait  envers  lui  la 
conduite  que  le  Titien  avait  tenue 
il   l'égard  de  Tinloret,  résolut  de 
suivre  à  son  tour  l'exemple  de  ce 
dernier  peintre.  Il  étudia  les  plâ- 
tres moulés  sur  l'antique,  ne  ces- 
sant de  les  dessiner  nuit  et  jour;  il 
se  rendit  familière  la  connaissance 
du  corps  humain,  il  modela  en  cire, 
copia  assiduement  le  Tintoret,  et, 
comme  pour  oublier   tout  ce  qu'il 
avait  appris  de  Paul  Veronèse,  il 
vendit  juscju'aux  dessins  qu'il  avait 
faits  dans  son  école.  Mais  il  ne  sut 
pas  si  bien  en  perdre  la  mémoire  que, 
dans    ses  premiers  ouvrages,  qui 
subsistent  dans  l'église  des  Vierges, 
on  ne  reconnaisse  les  traces  de  l'é- 
cole  de  Paul,  et  un  artiste  formé 
j)our  ce  style.    Les  historiens   lui 
font  un  reproche  d'avoir  abandonné 
cette  route  poin-  en  suivre  une   au- 
tre moins  conforme  à  son  propre 
talent;   ils  le  blâment  surtout  de 
s'être   laissé  bientôt  aller  au  tor- 
rent  des  maniéristes.  Quelquefois 


VAS 


VASi 


U7 


il  peignait  avecbeaucoup  de  soin, 
comme  VÉiHphanie,  qu'il  fit  pour  le 
conseil  des  Dix  ;  mais  le  plus  sou- 
vent il  abusait  de  la  facilité  de  sou 
génie,  sans  craindre  que  cet  abus 
put  diminuer  son  crédit,  puisque  le 
Palma  et  le  Corona,  qui  étaient  ses 
rivaux,  suivaient  le  même  exem- 
ple. Il  s'appuya  contre  le  Viltoria, 
son  ennemi,  d'un  artiste  en  grande 
vogue,  Jérôme  Campagna,  élève  du 
Sansovino,  et  il  jouit  de  toute  la 
faveur  du  Tintoret.  C'est  on  se 
conduisant  ainsi  qu'il  fut  chargé 
de  nombreuses  peintures  dans  le 
palais  du  Sénat  et  dans  les  diver- 
ses églises  de  Venise,  et  qu'il'  ob- 
tint même  de  vastes  travaux  dans 
d'autres  villes  d'Italie  et  notam- 
ment à  Pérouse,  dans  régUs!»  de 
Saint-Pierre.  Cependant,  il  ne  put 
atteindre  à  celle  réputation  élevée 
à  laquelle  l'appelait  son  heureux 
génie.  Parmi  ses  élèves  et  ses  ai- 
des, on  cite  Thomas  Dolabella,  de 
Bellune,  peintre  habile,  et  qui  fut 
fort  bien  accueilli  à  la  cour  du  roi 
de  Polo^Mie,  Sigismond  IH,  au  ser- 
vice duquel  il  resta  longtemps  ;  et 
le  Flamand  Pierre  Mera,  qu'il  aima 
particulièrement,  et  dont  il  Ht  le 
portrait  par  amitié.  L'Aliense  mou- 
rut à  Venise  en  1529,  et  fut  enterré 
en  l'église  de  Saint- Vital.  Le  che- 
valier Ridolfi,  qui  fut  son  ami,  a 
inséré  sa  vie  parmi  celles  des  il- 
lustres peintres  de  Venise  et  de 
l'Etat.  Tome  ii,  p.  209.      P. -S. 

VASTKY  Je  baron  de),  chan- 
celier du  roi  d'Haïti,  membre  de 
son  conseil  privé,  maréchal  de  camp 
de  ses  armées,  chevalier  ile  l'ordre 
royal  et  militaire  de  Saint-Henry, 
Haïtien  noir  de  nation,  com- 
mença sa  carrière  iioliliciui; ,  en 
1806,  comme  principal  secrétaire 
d'André  Vcrnet  (ensuit»'  prince  des 
Gonaivesjau  département  deslinan- 


ces  et  de  l'intérieur,  et  passa  avec 
lui  au  service  du  roi.  Lorsqu'en 
1811  le  roi  composa  la  conimissiou 
législative  chargée  de  présenter  les 
projets  de  lois  pour  le  Gode  Henry, 
M.  Vastey  fut  nommé  l'un  des 
secrétaires  de  celte  commission. 
Après  la  mort  du  prince  desGonai- 
ves  (1813},  M.  Vastey  fut  nomnié 
secrétaire  du  roi,  créé  baron  et 
chargé  de  l'instruction  du  prince 
royal.  Il  remplit  son  emploi  avec 
autant  de  zèle  et  de  succès  que  de 
talent.  En  môme  temps  M.  de  Vas- 
tey commença  à  prouver  son  pa- 
triotisme en  auteur  publiciste,  et  à 
combattre  pour  son  pays  avec  au- 
tant de  gloire  que  de  zèle,  faisant 
preuve  d'une  instruction  digne  de 
toute  notre  admiration.  Lorsc^ue, 
en  avril  1815,  les  députés  du  roi 
étaient  de  retourdu  Port-au-Prince, 
il  publia,  pour  accompagner  une 
lettre  du  comte  de  Limonade,  une 
brochure  intitulée  :  Le  Cri  de  la 
patrie^  où  il  commençait  à  dévoiler 
la  turpitude,  la  trahison  et  l'exces- 
sive ambition  de  Pétion.  Quelques 
mois  plus  tard,  il  publia  une  nou- 
velle brochure  sous  le  titre  :  Le 
cri  de  la  Conscience ,  où  il  ac- 
cusa le  général  Pétion  du  crime 
de  haute- trahison,  de  complicité 
avec  Daurion-Lavaysse,  de  com- 
plots et  d'intelligence  criniiiicîlc 
avec  les  ennemis  d'Haïti  pour  ren- 
verser l'Etat,  et  i)longer  la  po- 
pulation dans  l'esclavage  et  les  pré- 
jugés de  1789.  Toujours  prêt  h 
défendre  les  droits  de  sa  race  et  de 
son  roi,  il  a  écrit  en  1817  un  ou- 
vrage a\ant  pour  litre  :  Ihflexions 
politiques  sur  quelques  ouvrages  et 
journaux  français  concernant  liiuii. 
Le  roi,  pour  récompenser  autant 
de  mérites,  le  nomma  chevalier  de 
Tordre  royal  et  militaire  de  Saint- 
Henry,  maréchal  de  camp  ^2'^  umùI 


168 


VAT 


181'J),  et  ciirm  chancelier.  M.  de 
Vastey  a  composé,  j)Our  couronner 
ses  travaux  liléraires  et  poliliciues, 
un  ouvrage  qui  porte  ce  titre  :  Es- 
sai sur  les  causes  de  la  révolution  et 
des  guerres  civiles  d'Haïti,  ù  Sans- 
Souci,  de  l'iniprinicrieroyale,  1819, 
rempli  de  notices  très-intércssan- 
les.  H  y  parle  de  sa  carrière  polé- 
mique et  s'en  exprime  ainsi  :  «Nous 
n'avons  jamais  aimé  les  discussions 
polémiques;  elles  répugnent  à  no- 
tre cœur  et  à  nos  principes;  nous 
les  avons  toujours  évitées  avec 
soin,  de  crainte  d'être  agresseur,  et, 
si  quelquefois  nous  nous  sommes 
élancé  dans  celte  arène,  c'est  mal- 
gré nous,  et  contre  noire  propre 
volonté,  que  nous  y  avons  été  cn- 
Iraîné;  mais  alors,  provoqué  par 
une  juste  et  légitime  défense,  nous 
n'avons  pas  hésité  à  monter  à  la 
brèche  pour  combattre  les  ennemis 
de  notre  pays  et  de  notre  gouver- 
nement ,  sous  quelque  forme  ou 
quelque  couleur  qu'ils  aient  pu  se 
montrer  ».  J.  B. 

VATAll,  juriste  de  Rennes,  où 
il  vit  le  jour  en  4773,  cl  où  sa  mort 
eut  lieu  le  21  octobre  1842,  a\ail 
débuté,  après  de  très- fortes  études 
en  droit,  au  barreau  de  cette  ville, 
où  son  élocution  facile  et  nette,  et 
plus  encore  son  érudition  en  ma- 
tière légale  et  la  sagacité  avec  la- 
quelle il  en  faisait  l'application  aux 
alîaiies  litigieuses,  lui  valurent  sou 
grand  renom.  Le  ministère  public 
s'empressa  de  s'adjoindre  son  la- 
lent  duquel  on  j)Ouvait  se  promet- 
tre tant  de  services  ,  et  indubita- 
blement Vatar,  s'il  l'eût  voulu,  fût 
arrivé  dans  cnitc  voie  au  poste  le 
plus  boîiorable  et  le  plus  envié, 
pour  n'en  sortir  que  premier  pré- 
sident. Mais  il  apportait  dans  l'exer- 
cice de  FBS  fonctions  une  indépen- 
dance  d'esprit  que    ne  pouvaient 


VAT 

supporter  ses  supérieurs,  ni  pallier 
SCS  amis,  et   (jui  n'était  pas  tous 
les  jours  du  goût  du  pouvoir.  Priu- 
clpibus  placuisse  vires  était  la  de- 
vise d'Horace  ;    ce  n'était  pas  la 
sieiuie,  et  il  croyait  qu'elle  était  de 
mise  tout  au  plus  en  poésie.   Il  en 
résulta  que,  sans  môme  qu'il  y  eût 
collision  entre  son  procureur  géné- 
ral et  lui  ,  on  s'alarma  dans  les 
régions  supérieures,    et  sa  révo- 
cation lui  fut  signifiée.  Naturelle- 
ment il  revint  alors  au  barreau,  où 
plus  que  jamais  il  jouit  de  cette 
haute   considération,    apanage  du 
talent  qu'accompagne  le  caractère. 
Ses   consultations    étaient  surtout 
regardées  comme  très-profondes  et 
comme  élucidant  les  cas  même  les 
plus  controversés.  Sa  pensée  fécon- 
dait ce  que  presque  tous  auraient 
trouvé  stérile;  il  élargissait  les  su- 
jets les  plus  mesquins  en  saisissant, 
en  établissant  leur  connexion  avec 
losprincii  es;  sous  sa  main  le  déve- 
loppement d'une  «  espèce  »  ,  pour 
[)arler    le   langage    technique    du 
droit,    devenait  la   démonstration 
d'une  vérité  mal  connue,  et  cette 
vérité,  naguère  voilée  de  nuages, 
jjrennit  i-ang  d'axiome  ou  d'apho- 
risme. Aussi  Toulier,  qu'il  comptait 
])armi   ses  amis  avec  Malherbe  et 
Carné,  disait-il,  sans  se  laisser  le 
moins  du   monde  aveugler  par  l'a- 
mitié :  <'  Quand  j'ai  pour  moi  Mei- 
jin  et  Vatar,  il  ne  me  leste  [dus de 
doute  ».  l,e  courage  civique  de  Va- 
t.'ir  se  numifesta  glorieusement  en 
ISU;  ,   quand    le   général    Travot 
traduit  devant  le  conseil  de  guerre 
de   la    VV  division,  que  présidait 
le   général   Canuel ,    fut  condam- 
né à  mort  ;   le  barreau  de  Ren- 
nes eut  l'honneur,  lorsqu'il  appela 
l'atTaire,  de  fournir  treize  avocats 
pour  s'gncr  une  consultation  en  fa- 
veur de  l'appelant;  non-seulement 


VAT 

Valar  fut  un  des  lieize  ;  mais  l'é- 
nergie de  ses  efforts  détermina 
quelques-uns  des  signataires,  et 
presque  toute  la  rédaction  du  mé- 
moire est  son  ouvrage.  On  sait  que 
LouisXVIII,  sans  permettre  un  se- 
cond procès,  commua  la  'peine  on 
vingt  années  de  détention.  11  est 
permis  de  penser  que  la  puissante 
argumentation  des  treize  réunis, 
bien  qu'elle  n'ait  pas  été  soumise  à 
des  juges  nouveaux^  fut  pour  beau- 
coup dans  ce  résultat.  Quoique 
ainsi  champion  décidé  des  libertés 
nationales,  le  sage  nvocat  ne  tomba 
pas  dans  l'exagération  si  fréquente 
à  celte  époque,  et  qui  sans  cesse 
alla  grossissant  à  mesure  (ju'on 
avançait ,  de  M.  de  Richelieu  à 
M.  dé  Villèle,  de  M.  de  Villèle  à 
M.  de  Polignac  :  il  sentit  et  com- 
prit les  fautes,  mais  sans  faire  de 
vœux  pour  la  chute  des  Bourbons, 
sous  lesquels,  du  reste,  il  devint, 
après  concours ,  professeur  sup- 
pléant à  la  P'aculté  de  droit.  Vin- 
rent les  journées  de  juillet  :  il  fut 
replacé  immédiatement  dans  la  ma- 
gistrature, mais  comme  juge,  et  il 
consentit  à  faire  partie  de  la  com- 
mission provisoire  qui  maintint 
l'ordre  dans  la  cité.  Ses  amis  disent 
que  le  ministre  de  l'instruction  pu- 
blique lui  fit  offrir,  en  ce  temps,  le 
rectorat  de  l'Académie  de  Renues, 
qu'il  refusa.  Ce  dont  on  ne  i)eul  dou- 
ter, c'est  que,  presque  à  la  même 
époque,  fut  créée  dans  la  Faculté 
de  Rennes  une  chaire  d(î  droit  com- 
mercial, et  (pie  Vatar  en  obtint 
d'emblée  le  titre  en  échange  de  sa 
suppléance.  Le  cumul  répugnait  à 
sa  délicatesse;  il  se  démit  en  même 
temps  de  son  sié;:e  au  IriJjunal. 
C'est  donc  lui  qui  fui,  à  Rennes,  le 
premiiîr  professeur  de  droit  com- 
mercial, (hiaiid  la  mort  de  Carré 
laissa   vacant  le  déi'aiiat,  e'est   lui 


VAT 


1A9 


qui  fut  nommé  pour  régir  la  Fa- 
culté. Il  mourut  comme  il  avait 
vécu  dans  les  sentiments  de  la  plus 
haute  piété.  Val.  1\ 

VATKR  (âbuaiiam},  le  célèbre 
disci[)le  et  imitateur  deRuyscb.  ne 
fut  pas,  comme  le  prétend  l'article 
auquel  nous  allons  tenter  de  faire 
quelques  corrections,  «  nommé  en 
1710  à  la  première  chaire  de  méde- 
cine de  l'académie  de  \Yittemberg.M 
NôàWittemberg  en  1684,  il  n'était 
que  simple  élève  en  1710;  et  ce 
n'est  qu'en  1717,  au  retour  de  son 
voyage  scientifique,  qu'il  lui  fut 
donné  de  paraître  en  sa  ville  na- 
tale dans  une  chaire  publique  :  en- 
core ne  fut-ce  que  comme  profes- 
seur «extraordinaire,»  c'est-à-dire 
comme  suppléant  ou  comme  chargé 
par  intérim.  Qu'est-ce  ensuite  que 
la  première  chaire  de  médecine? 
Rien,  pour  nous  Français,  de  moins 
clair  que  cette  épithète  :  précisons- 
la  donc.  C'était  la  chaire  de  théra- 
peutique, à  laquelle  était  attaché  le 
décanat.  Vater  en  fut  pourvu,  en 
d'autres  termes  il  fut  et  professeur 
de  thérapeutique,  ce  qui  n'était 
dit  qu'ambigument  et  doyen  (ce 
qui  n'est  pas  dit  du  tout).  Mais  ce 
double  fait  n'eut  lieu  qu'en  17iC, 
vingt-neuf  ans  donc  aNant  sa  pre- 
mière nomination  et  trente-six  après 
l'époque  donnée  pour  celle  de  son 
entrée  en  fonctions.  Ce  n'est  pas 
tout:  de  1717  à  1710,  quelques 
particnlarités  se  présentent  à  nous 
qu'on  ne  saurait  négliger:  c'est  en 
l7l9  qu'il  devint  lilulain;  de  la 
chaire  d'analoinie  et  de  botani- 
(pie  (ce  n'était  pour  lui  qu'un 
troc,  accompagné  de  la  stabilité 
([ue  ne  possède  pas  encore  le  j)ro- 
fesseur  extraordinaire;  C(\  n'était 
pas  un  cumul);  à  partir  de  1737, 
il  cunnda  son  anati-mie  et  botani- 
(pie  avec   la   ehaiiv'  df  palhnl.iirie. 


150 


VAT 


Quant  à  la  proraolioii  de  1740, 
elle  n'ajouta  rien  à  rexoeplionnalité 
de  la  situation;  en  passant  à  la 
thérapeutique,  Vater  dut  abandon- 
ner la  pathologie;  il  ne  jouit  que 
des  avantages  du  simple  cumul  ;  il 
ne  tricumula  pas  (si  tant  est  qu'on 
puisse  ris(|ucr  cette  expression}, 
à  moins  qu'on  ne  cote  ledécanat  à 
plus  que  sa  valeur. — A  la  suite  des 
neuf  ouvrages  ou  mémoires  cités, 
on  trouvera,  nous  le  présumons, 
quelque  intérêt  h  trouver  les  inti- 
tulés suivants,  qui  tous  éveillent 
l'attention  et  nous  jettent  sur  la  voie 
soit  de  phénoiïiènos,  soit  de  décou- 
vertes graves.  Le  Dictionnaire  his- 
torique de  Dcseymeris  n'en  énu- 
mère  pas  moins  de  cent  dix  ;  c'est 
donc  rester  dans  les  limites  d'une 
stricte  sobriété  que  d'en  ajouter  à 
peu  pr^s  la  douzaine.  Presque  tou- 
tes nos  indications,  on  le  remar- 
quera, se  réfèrent  à  l'histoire  natu- 
relle, notanimcuLà  la  bol;tnique,  et 
plus  spécialement  à  la  face  phylo- 
graphique  de  celle  science.  Nous 
continuons  la  numérotation  de  l'ar- 
ticle, notre  point  de  départ.  X-XII. 
Trois  pièces  sur  le  jardin  botanique 
de  Witteuberg,  savoir  :  1"  Calalo- 
fjus  plantarnni  inprimis  exodcanim 
horli  acadcinici  vilehcrfjcnsis,  AVitL, 
1721,  in-i";  2"  Supplemcnluni  cata- 
lo(ji  planfanim  sislens  accessinnea 
novas  horli  av.  vileh.,  Witt.,  1721, 
in-i";  Stjllabns  planlar.  potissimiim 
exol.  qnœ  in  Iwrlo  medico  academiœ 
viteh.  alnntur,  AVilt.,  n.'H,  in-i**. 
Xllï.  Jti.  curvi  Scmmedi  Viv.uAMi 
«KRiM  iNDicARiM.  quo  covipreken- 
dilur  liistorid  lariorum  .uimplicitm 
ex  India  orienlali,  America  aliisque 
lerranim  part  ib  un  alla  forum,  anlchac 
lingua  Imitanica  exaratus  ,  nu^c.,. 
hUmLlaU'(lonitu^y...\yi{lA12j,iu-'y'. 
XIV.  Disn.  deraiaejiiadeuuiue  virluli- 
/;?/.»,  Wilt., 173').  in- V'.XV-XVf./;/.s'<». 


VAT 

de  laurocerasiindolevenenata,  exem- 
ptis  hominiim  et  cralerum  ejm  aqna 
essecatorumconfirmala, 'WiiL,  1737, 
in-4°;  et  Progr.  de  olei  animalis  ef- 
ficacia  conîrà  lujdrophobiam  et  vene- 
num  laurocerasi,  Witt.,  1740,  in-4" 
(ce  n'est  pas  le  même  opuscule, 
tant  s'en  faut,  que  le  VII  de  l'arti- 
cle).  XVIÏ.  Diss.  de  efpcacia  admi- 
randa  chinchivœ  ad  gangrœnam  sis- 
tendamin  Anglia  obs.,  Witt.,  1735, 
m-'t".  XVIII.  De  fonte  medicato  vi- 
teb'ergensi,  Witt.,  1748,  in-4".XiX. 
Programma  de  vitrioli  ejasque  sul- 
phuris  et  tincturœ  indole  atqueprœs- 
tantia,  Witt.,  1750,  in-4".  XX  (à 
rapprocher  du  nMX).  Catalogus  va- 
riorumej:oticoruMvarissimor.,m(ixi' 
mam  partcm  incognitor.  et  nullibi 
descriptor.,  parlimmedicinœ,  partim 
curiof<ifati  inservientium ,  quce  in 
Muaeo  suo  poasidet,  Witt.,  1726, 
in-8°.  HW.  Progr.  de  laboribus  suis 
auatomicis  et  botanicis  per  trede- 
cim  annos...  susceptis,  prœmissum 
orationi  inaugurali  de  felici  anato- 
mes  ad  botanicam  applicatione...^ 
Witt.,  1733,  in-4».  Val.  I'. 

VATIMF.SNIL  (Antoixe,-Fkan- 
ç()is-nKMii-Li:n:avRK  m:),  magis- 
trat, député,  ministre  del'instruction 
publique,  offlcierde  laLégion  d'hon- 
d'honncur.  naquit  à  Rouen  le  10  dé- 
cembre 1789.  Son  père,  conscillerau 
parlement  de  Normandie,  confia  sa 
première  éducation  à  un  ecclésiasti- 
que dont  les  piéceptes  et  les  exem- 
ples portèrent  d'heureux  fruits.  Le 
jeune  élève  y  puisa  les  germes  d'une 
iiiélé  solide  à  laquelle  il  se  montra 
conslamment  fidèle,  etdontla  prati- 
queéclairéc  répandit  sur  les  années 
de  sa  retraite  un  relief  el  dt;s  satis- 
factions qui  ne  l'accompagnèi-entpas 
toujours  dans  les  brillantes  sphères 
du  pouvoir.  Il  vint  terminer  ^es  étu- 
des à  Pariset  suivit  le-  hrons  de  rhé- 
torique de  Liicf  <lo  Ivancival,  qui  le 


VAT 

regardai  t  comme  un  de  ses  meilleurs 
élèves.  Valimesnil  fut  inscrit  comme 
avocat  au  barreau  de  Paris;  mais  il 
exerça  peu  et  dirigea  bie:»  tôt  ses  vues 
du  côté  delà  magistrature.  Il  y  entra 
par  une  place  de  conseiller-auditeur 
à  la  cour  impériiile,  le  23  janvier 
1812,  au  moment  oîi  il  venait  d'at- 
teindre l'âge  de  vingt-deux  ans  re- 
quis pour  sa  nomination.  Le  jeune 
magistrat  se  prononça  avec  ardeur 
plus  tard  en  faveur  de  la  Restaura- 
tion, et  fut  nommé,  le  15  octobre 
1815,  substitut  du  procureur  du  roi 
au  tribunal  de  la  Seine.  Ainsi  que 
la  plupart  des  officiers  du  ministère 
public  de  talent  et  de  valeur,  ce  fut 
dans  les  procès  de  la  presse  qu'il 
posa  les  fondements  de  sa  renom- 
mée» et  il  acquit  bientôt  en  ce  genre 
de  débat  une  inronlcstable  supé- 
riorité. Il  fit  ses  premières  armes 
dans  TafTaire  correctionnelle  du 
lieutenant-colonel  Bernard,  pré- 
venu d'émission  de  fausses  nou- 
velles, délit  (jualteignit  une  con- 
damnation légère,  et  qui  fournit  au 
jeune  magistrat  l'occasion  de  louer, 
avec  moins  de  goût  (juc  d'emphase 
dans  Louis XVllI,  ce  roi  «  qui  n'eut 
jamais  de  préjugés,  qui  est  sans 
passion,  h  moins  qu'on  ne  donne 
ce  nom  au  sentiment  sublime  qui 
se  peint  dans  son  regard  et  qui 
rayonne  sur  sa  figure  quand  il  parle 
du  bonheur  de  son  peuple,  a  Va- 
timesnil  porta  la  parole  quelques 
mois  après  dans  le  procès  on  diffa- 
mation inîenlé  par  (jueUjues  baiils 
fonctionnaires  du  Lot  à  MM.  La- 
chèze-Murel  et  Sirieys  de  Mayrin- 
hac,  au  sujet  des  dernières  éhtr- 
tions,  et  ses  conclusions,  légèrement 
empreintes  de  l'cspiit  de  rcarlion, 
dont  l'ordonnance  du  5  .=e|!l(Mnbre 
avait  donné  le  Fignal,  enlrainèrent 
des  peines  correc  ionnclh^s  contre 
les  inculpés.  Vers  la  même  éjoque, 


VAT 


151 


il  défendit  des  attaques  de  l'impri- 
meur Paris  l'ordonnance  d'flm//ts/te 
rendue  par  Louis  XVIII  en  faveur 
des  émigrés  royalistes,  et  fit  con- 
damner son  libelle  comme  injurieux 
pour  le  roi.  Il  provoqua  et  obtint 
une  condamnation  sévère  contre  le 
nommé  Rioust,  auteur  d'une  apo- 
logie séditieuse  de  Carnot,  et  ftt 
apjdiquer  des  peines  pécuniaires  à 
MM,  Chevalier  et  Dentu,  auteur  et 
imprimeur  d'une  lettre  ou  (rageante 
contre  M.  Decazes.  Un  procès  plus 
important  fut  celui  que  le  minis- 
tère public  intenta,  au  moisde  juil- 
let i81"î,  à  MM.  Comte  et  Dunoyer, 
rédacteursdu  Censeur  européen,  pré- 
venus d'offense  au  gouvernement  du 
roi  à  l'occasion  de  ce  glorieux  captif 
de  Sainte-Hélène  dont  la  renommée, 
habilement  exploitée  par  un  trop  cé- 
lèbre chansonnier,  commençait  à 
prendre  rang  parmi  les  instruments 
deguerre  de  l'opposition  libérale.  On 
remarqua  généralement  avec  quelle 
mesure  Vatimesnil  s'exprima  sur 
le  compte  a  d'hommes  dont  il  dé- 
sapprouvait hautement  les  princi- 
pes, tout  en  estimant  leur  personne 
et  leurs  talents,  »  et  sur  la  liberté 
de  la  presse  «  chargée  de  former 
l'opinion  publique,  »  sur  cette  li- 
berté <(  qu'il  fallait  respecter  à 
cause  de  son  utilité,  aimer  comme 
une  institution  noble  et  généreuse, 
digne  du  caraclère  de  franchise  et 
de  courage  propre  à  notre  nation; 
qu'il  fallait  encouragera  demander 
la  révision.  Pabrogation  môme  deë 
lois  inbuffisanl(îs  et  défectueuses, 
mais  avec  les  égards  commandés 
aux  citoyens  lorsqu'ils  porlent  des 
lois  et  de  la  volonté  du  prince;  » 
Les  conclusions  du  magistrat  ac- 
cusateur furent  néanmoins  sévères, 
et  les  prévenus  subirent  la  condam- 
nation exorbitanle,  il  cette  époqur, 
d'un   an  d'enjpiisonuemenl   et  de 


«52 


VAT 


10,000  fr.  d'amende.  Le  zèle  et  les 
talents  de  Yatimesni!  eurent  bien- 
tôt à  s'exercer  sur  un  |»lus  grand 
théâtre.  Il  fut  noaimc,  le  22  juillet 
1818,  substitut  au  ].arquet  de  la 
cour  rovale  de  Paris.  Ce  fut  en 
cette  qualité  qu'il  soutint  au  mois 
de  juillet  1819,  devant  la  cour  d'as- 
sises de  la  Seine,  l'accusation  por- 
tée contre  Maurice  Lefèvre,  éditeur 
de  la  Bibliollièque  historique,  au- 
leur  d'un  véhéuicnt  article  contre 
les  soldats  suisses,  «^  propos  d'actes 
de  brutalité  commis  sur  un  mal- 
heureux enfant  par  un  de  ces  mi- 
litaires. C'était  la  première  affaire 
correctionnelle  sur  laquelle,  d'après 
la  nouvelle  législation,  le  jury  était 
appelé  à  prononcer.  Valimesnil  dé- 
veloppa cette  idée  que  le  jugement 
parjurés  appliqué  aux  délits  de  la 
presseserait  éminemment  salutaire, 
si  les  jurés,  dédaignant  toute  con- 
sidération d'un  ordre  inférieur,  sa- 
vaient se  placer  à  la  hauteur  de 
lours  fonctions,  «  car  le  sort  d'une 
institution,  obsorvait-il,  dépendait 
à  beaucoup  d'égards  du  ])rcmier 
CHsai.  En  purifiant  la  liberlé  de 
la  presse,  ajoutait  Valimesnil,  vous 
Ja consoliderez,  car  l'efTet  de  la  li- 
cence serait  de  la  détruire  après 
avoir  ruiné  tous  les  autres  fonde- 
ments de  l'ordre  social.  »  Ces  sages 
exhortations  ne  prévalurent  ])oint 
sur  limpopularité  dont  ces  mili- 
taires étrangers  étaient  frappés; 
Maurice  [.efèvre  fut  acquitté  du  dé- 
lit d'olTcnse  envers  la  personne  du 
roi.  et  ce  résultat  s'étendit  bientôt 
après  à  un  autre  écrivain  libéral, 
Ciignel  de  Montarlot ,  qui  avait 
glissé  sous  rrnvolo|ij»e  inofîensive 
d'un  calembour  popidaire  la  thèse 
de  l'extermination  de  la  garde  hel- 
vétique. Valimesnil  soutint,  au  mois 
d'août  1820,  l'accusation  plus  grave 
portée  par  le  ministère  public  contre 


VAT 

l'ancien  archevêque  de  Matines,  ce 
fameux  abbé  de  Pradt,  dont  le  sort 
semblait  être  d'égayer  par  ses  fanfa- 
ronnades tous  ceux  qu'il  ne  révoltait 
pasparraudaceefTrénéedesesécrils. 
Cetecclésiastiqueétait  inculpé  du  dé»- 
lit  de  provocation  à  la  désobéissance 
légale  et  d'attaque  contre  l'autorité 
du  roi  et  des  Chambres  par  la  pu- 
blication d'un  pam|)hlet  intitulé  :  De 
l'affaire  de  la  loi  des  élections.  On 
sait  au  prix  de  quels  efforts,  à  Ira-  ' 
vers  les  insurrections  qui,  dans  le 
courant  de  juin  4820,  ensanglantè- 
rent Paris,  le  germe  de  vie  monar- 
chique avait  été  préservé,  à  la  ma- 
jorité de  cinq  voix  dans  la  nouvelle 
loi  électorale.  Ce  triomphe  si  chè- 
rement acquis  avait  inspiré  à  M.  de 
Pradt,  l'un  des  promoteurs  de  la 
Restauration  de  <814,  les  prédic- 
tions les  plus  sinistres,  les  provo- 
cations les  plus  violentes  et  les  plus 
subversives.  Le  fougueux  i»rélatqua- 
liliait  d'infâme  guet-apens  contre  la 
représentation  nationale  les  mesures 
de  résistance  prises  par  le  gouver- 
nement pour  proléger  la  liberlé  des 
d'abats  parlementaires,  et  compa- 
rait aux  dragonnades  et  aux  scènes 
les  plus  atroces  de  la  révolution 
française  les  précautions  militaires 
déployées  pour  la  défense  du  châ- 
teau des  Tuileries.  A  ces  encoura- 
gements manifestes  à  la  révolte 
contre  une  léi^islation  née  dans  de 
telles  conditions  M.  de  Pradt  avait 
ajouté  une  diatribe  amère  contre 
la  Restauration,  à  laquelle  il  repro- 
chait ingénument  de  ïavoir  éloigné 
des  affaires, ci  oii  il  s'emportait  jus- 
qu'à ])rélendreque/o?i^  bonheur  avait 
fui  depuis  six  ans  de  celle  France, 
qui  se  relevait  chaque  jour  des  rui- 
nes accumulées  sur  son  territoire 
par  la  révolution,  le  régime  impé- 
rial et  linvasion  des  Cent -Jours. 
Dans  une  argumentation  méthodi- 


VAT 


VAT 


153 


que,  pressante  elmodérée,Vàtimes- 
iiil  insista  à  deux  reprises  sur  le 
danger  de  cette  publication  pas- 
sionnée ;  laissant  de  côté  le  carac- 
tère personnel  et  les  antécédents  du 
prévenu,  il  exhorta  les  jurés  à  tenir 
exclusivement  ciupte  de  leurs  pro- 
jircs  impressions  et  à  se  demander 
si  a  l'efTet  combiné  delà  haine,  du 
ressentiment,  de  la  frayeur  de  l'a- 
venir, du  mécontentement  contre 
l'autorité  et  de  la  croyance  à  de 
grands  malheurs,  n'était  pas  d'ex- 
citer à  la  guerre  civile.  »  Mais  la 
France  de  1820  était  livrée  à  un 
deces  courantsd'anarchie  moraleoù 
les  peuples  se  préoccupent  médio- 
crement du  souci  de  fortilier  le 
pouvoir.  En  cette  circonstance, 
comme  en  plusieurs  autres,  la  sol- 
licitude du  jury  ne  justifia  point  la 
confiance  du  législateur,  et  l'abbé  de 
Pradt  l'ut  acquitté  au  bout  d'une 
demi-heure  de  délibération.  Les 
troubles  de  juin  ramenèrent  quel- 
ques mois  plus  lard  Janvier  1821} 
devant  la  môme  juridiction  l'infa- 
tigable athlète  du  ministère  public, 
qui  obtint,  celle  fois,  diverses  con- 
damnations, à  la  suite  desquelles  il 
lut  nommé  (22  février)  premier  subs- 
titut du  procureur  général  chargé  de 
jioursuivre  devant  la  cour  des  pairs 
la  répression  du  complot  militairedu 
19  août.  Valimesnil  n'excéda  point 
dans  cet  immense  procès  le  rôle 
secondairequi  lui  était  attribué,  lise 
borna  à  la  discussion  des  incidents 
d'audiencecl,au  résumé, des  charges 
produilescontieles  inculpés, excepté 
toutefois  au  sujetdu  colonel Maziau, 
contre  lequel  il  développa  l'aceusa- 
tion  avec  son  talon  t  accoutumé, et  que 
la  courcondanmacpirlipies mois  plus 
lard  à  cinq  ans  d  enq)risonnement. 
(.le  rulégaIementVatim<'snil  qui  porta 
la  parole  contre  le  jxx'te  Barthéle- 
u\\,  accuté  de  provocations  sédi- 


tieuses à  l'occasion  de  la  mort  ré- 
cente de  Napoléon,  dont  il  voulait 
que  le  gouvernement  français  ré- 
clamât les  cendres.  L'orateur  dé- 
voila facilement  l'intention  coupa- 
ble qui  se  cachait  sous  l'apparente 
nationalité  de  ce  vœu,  et  s'éleva 
avecforceàce  propos  conlre l'hypo- 
crisie politique,  ce  produit  moderne 
de  l'esprit  révolutionnaire  :  «  Des 
hommes,  dit-il,  qui  avaient  juré 
haine  implacable  aux  rois  et  aux 
nobles,  oubliant  tout  à  coup  leurs 
serments,  ont  fléchi  le  genou  devant 
le  despote  qui  les  chamarrait  de 
cordons  et  qui  déguisait  sous  les 
titres  de  l'Empire  des  noms  trop 
célèbres  dans  les  annales  de  l'anar- 
chie.» Ce  procès,  qui  se  termina  par 
l'acquittement  du  prévenu,  fut  le 
dernier  débat  important  dans  lequel 
Yatimesnil  porta  la  parole.  La  sphère 
politique  allait  s'ouvrir  pour  lui  par 
son  entrée  dans  la  première  admi- 
nistration que  le  coté  droit  eût 
donnée  au  pays.  Le  ministère  Vil- 
lèle  venait  d'être  constitué.  Une  or- 
donnance du  3  janvier  1822  nomma 
Yatimesnil  secrétaire  général  du 
ministère  de  la  justice,  sous  les 
ordres  de  ce  même  M.  de  Peyron- 
net  dont  il  avait  été  le  principal 
auxiliaire  dans  l'accusation  portée 
devant  la  cour  des  pairs.  Il  fut  bien- 
tôt après  désigné  pour  soutenir  à 
la  môme  Chambre,  en  qualité  de 
commissaire  du  roi,  le  projet  de  loi 
relatif  à  la  répression  des  déliti^ 
commis  par  la  voie  de  la  presse  ou 
par  tout  autre  moyen  de  publica- 
tion. Yatimesnil  combattit  avec  in- 
sistance, mais  sans  succès,  l'amen- 
dement qui  limitait  la  qualifica- 
tion de  délit  aux  attaques  portées 
contre  l'autorité  conalilutionnelle 
du  roi;  mais  il  réu-^sil  ci  souslraiir 
la  plupart  des  infraction^  de  la 
presseàcettejuiidictiondujur\  dont 


154 


VAT 


il  avait  tant  tie  fois  éprouvé  l'in- 
firmité.  Appelé  quelques  mois  plus 
tard  à  défeiuiro  le  budget  de  la  jus- 
tice à  la  Chambre  des  députes,  il 
appuya  avec  chaleur  la  proposiliou 
d'augmetiter  le  traitement  des  ma- 
gistrats de  première  instance  et 
exposa  des  observations  utiles  sur 
le  fonds  de  retenue  applicable  aux 
pensions  de  retraite.  Au  mois  de 
juin  I82i,  il  prit  une  part  active  h 
la  discussion  de  la  loi  sur  la  mise 
i\  la  retraite  i\es  magistrats  intirmes, 
et  démontra  sans  pein('  combien 
elle  garantissait  mieux  le  principe 
tutélaire  de  l'inamovibilité  que  le 
décret  arbitraire  d'octobre  1807.  Il 
participa  aussi  au  débat  sur  les 
modificatidus  atlénuatives  propo- 
sées à  divers  articles  du  code  pénal. 
Ces  travaux  parlementaires  ne  re- 
tranchaient rien  à  l'activité  inces- 
sante que  déj)loyait  Vatimcsnil  dans 
la  vaste  direction  qui  lui  était  con- 
fiée. Il  secondait  puissamment  les 
vues  du  chef  de  la  justice  en  faisant 
régner  l'ordre  dans  le  dédale  des 
bureaux  ,  en  simplifiant  tous  les 
rouages  de  l'administration,  et  sur- 
tout en  coopérant  par  une  sollici- 
tude quchiuerois  excessive  à  la 
bonne  composition  du  personnel  de 
la  magistrature.  Ce  fut  à  lui  spé- 
cialement (ju'on  dut  la  création  des 
surimméraiies  au  ministère  de  la 
justice,  pépinière  excellente  et  dans 
laquelle  l'ordre  judiciaire  a  sou- 
vent été  depuis  lors  en  possession 
de  se  recruter  avantageusement. 
Ces  services  essentiels  furent  re- 
compensés  le  6  août  1824  p;ir  la 
place  d'avocat  général  ii  la  cour 
de  cassation.  Vatiinesnil  fut  nommé 
en  môme  temps  conseiller  d'J^Ltat 
en  serMce  ordinaire,  et  attaché  au 
comité  du  contentieux.  Il  fut  in- 
stallé à  la  cour  suprême,  le  \H  août, 
parle  vénérable  Desèze,qui  le  féli- 


VAT 

cita  «  d'avoir  fyit  oublier  sa  jeunesî** 
par  ses  talents,  »  et  jamais,  il  faut 
le  dire,  plus  haute  approbation  ne 
fut  mieux  justifiée.  Indépendam- 
ment de  son  mérite  comme  orateur 
et  comme  administrateur,  Vatimcs- 
nil s'était  montré  jurisconsulte 
plein  de  savoir  et  d'habileté  dans 
la  première  pbase  de  sa  vie  judi- 
ciaire. C'est  de  ce  genre  de  capacité 
qu'il  allait  surtout  avoir  à  faire 
preuve  dans  l'exercice  des  fonctions 
calmes  et  austères  qui  lui  étaient 
dévolues.  Vatimesnil  soutint  digne- 
ment, devant  la  chambre  criminelle 
et  devant  la  chambre  civile  de  la 
cour  de  cassation,  auxquelles  il  fut 
successivement  attaché,  la  brillante 
réputation  qu'il  s'était  acquise.  Le 
baireau  a  conservé  le  souvenir  de 
son  argumentation  toujours  savant** 
sans  cesser  d'être  claire  et  métho- 
dique, et  toujours  dominée  par  cCs 
hautes  considérations  morales  et 
religieuses  dont  la  source  était 
dans  l'àme  de  l'émincnt  magistral, 
et  dans  le  caractère  indélébile  de 
sa  première  éducation.  Plus  solide 
(pi'éclatante  et  dénuée  d'ailleurs 
d'intéiêt  historique,  cette  seconde 
période  de  la  carrière  judiciaire  de 
Vatimesnil  fut  encore  marquée  par 
d'imi)orlants  travaux  administra- 
tifs et  parlementaires,  il  fut  atta- 
ché, le  tO  novembre  1825,  au  en- 
mité  de  l'intérieur  du  conseil  d'fclaf, 
et  fit  partie  d'une  commission  ap- 
pelée à  dresser  un  projet  de  loi  sur 
la  propriété  littéraire.  Il  appartint 
également  à  la  commission  char- 
gée (20  août  1824)  de  colliger  et 
de  vérifier  les  arrêtés,  décrets  et 
règlements  rendus  sous  la  Répir- 
blique  et  l'Hmpire,  et  de  préparer 
les  projets  d'ordonnances  pour  rem- 
placer ceux  dont  les  dispositions 
paraîtraient  utiles  à  conserver.  Il 
défendit  à  la  Chambre  des  députés 


VAT 


\ÀT 


155 


le  budget  des  affaires  ecdésiasli- 
ques  en  (juaîité  de  commissaire  du 
roi  ;  il  féconda  du  tribut  de  ses  lu- 
mières et  de  son  expérience  la  dis- 
cussion de  plusieurs  articles  du 
projet  de  code  militaire.  Lors  des 
élections  générales  de  4827,  Viili- 
rnesnil  l'ut  appelé  à  présider  le  col- 
lège départemental  de  l'Eure ,  et 
celui  de  la  Corse  l'élut  député  au 
mois  de  janvier  1828;  mais  il  ne 
put  accepter  ce  mandat,  parce 
que  quelques  mois  lui  manquaient 
pour  atteindre  l'iige  légal.  —  (]e- 
pendant  une  révolution  impor- 
tante se  préparait  dins  sa  destinée. 
A  la  carrière  paisii)le  et  uniforme 
de  la  magistrature,  vocation  vérita- 
ble de  son  talent  et  de  son  rsprif, 
allaient  succéder  les  agitatioîisdela 
vie  politique,  pour  laquelle  était 
lieu  faite  sa  nature  droite,  impres- 
sionnable, déponi*vue  i\  la  fois  de 
souplesse  et  de  fixité.  La  florissante 
administration  de  M.deYillèleavait 
succombé  à  la  fin  de  1827,  sous  les 
attaques  cumulées  de  l'opposition 
libérale  et  de  la  contre  opposition 
royaliste,  La  situation  des  esprits 
appelait  l'avènement  d'un  cabinet 
dans  la  luiance  du  centre  droit  de  la 
Chambre,'  et  MM.  Portails  et  de 
Martignac  furent  placés  à  sa  tête. 
Quelques  jours  plus  tard,  Vatimes- 
nil  y  entra  ({"'  février)  sous  le  litre 
de  grand  maître  de  l'Université,  et, 
le  10  février,  il  fut  promu  au  mi- 
nistère de  l'instruclion  ])iibliqui.'.  A 
l'exemple  de  M.  dcVillèle,  il  refusa 
noblement  l'indemnité  qui  lui  reve- 
nait pour  ses  frais  d'installation,  et 
déclara  que  son  trailctneat  suffirait 
à  tout.  La  promotion  de  Vatimesnil, 
bien  justifiée  par  sa  haute  intelli- 
gence, son  instruction  solide,  la  fa- 
cilité de  son  élocuUon  et  l'éclat  de  ses 
.«services,  avait  dans  l'esprit  d"  Char- 
les \  une  signification  spéciale.  Kn 


introduisant  dans  le  nouveau  cou-, 
seil  réiiergi({ue  antagoniste  de  lâ'I 
presse  révolutionnaire,  l'auxiliairô'J 
fidèle  et  zélé  de  M.  de  Pevronnet,  le 
roi  se  proposait  d'y  l'orlitier  l'élé- 
ment royaliste,  d'atténuer  le  sacri- 
lice  qu'il  avait  subi  en  se  séparant 
de  M.  de  Viilèle,  et  de  ménager  le 
retour  d'une  administration  plus 
conforme  à  ses  vues.  La  conduite 
ministérielle  de  A^atimesnil,  il  faut 
le  reconnaître,  ne  réalisa  pas  ces 
espérances.  Soit  que  les  séductions 
du  pouvoir  eussent  exercé  sur  son 
imagination  ardente  et  mobile  leur 
dangereuse  fascination,  soit  quil 
regardât  le  cabinet  du  4  janvier 
comme  l'expression  réelle  et  réflé- 
chie de  l'opinion  publi(iue,  il  parut 
rompre  brusqueinent  avec  son  passé 
et  entrer  sans  ménagement  dans  le 
système  de  concessions  que  le  nou- 
veau ministère  venait  d'inaugurer. 
Vatimesnil  adressa  aux  recleurs 
d'académie  une  circulaire  conçue 
dans  cet  esprit.  Il  y  présentait  la 
Charte  comme  •  le  plus  grand  bien- 
fait que  jamais  la  royauté  eût  con- 
cédé à  la  France.  »  M.  Guizot  fut 
équitablement  rappelé  à  sa  chaire 
d'histoire  par  celui  qui,  quelques 
années  avant,  allait  jusqu'à  exiger 
des  billets  de  confession  des  aspi- 
rants h  la  magistrature,  et  l'on 
remarqua' dans  son  attitude  et  fou 
langage  une  intention  visible  de 
rapprochement  avec  ceux  dont  jus- 
qu'alors il  n'avait  cessé  de  com- 
Kjllre  les  tendances  ou  les  doctri- 
nes. Le  parti  libéral  salua  comme 
une  défection  cclatanie  cette  dé- 
viation moins  considérable  en  fait 
qu'apparente  et  inattendue;  les 
royalistes  s'en  irritèrent;  clleindis- 
|)0*a  fortement  Charles  X,  etn- 
J)arrassa  les  collègues  de  Vatimcsail 
t'lalarmaleclergé,qui  avait toiijoin-s 
compté  le  jeune  ministre  parmi  ses 


156 


VAT 


plus  formes  appuis.  Vatimesnil  no 
prit  toutefois  aucune  part  active 
aux  ordonnances  du  16  juin,  dont 
l'objet  fut  de  soumettre  au  l'égime 
universitaire  les  établissements  des 
jésuites,  et  de  limiter  aux  propor- 
tions légales  le  nombre  des  écoles 
secondaires  ecclésiastiques.  Ces 
ordonnances  furent  l'œuvre  spéciale 
de  MM.  Portalis  et  Feu  trier;  mais 
il  les  défendit  avec  chaleur  et  talent 
à  la  Chambre  élective  contre  les 
attaques  de  l'extrême  droite,  et 
s'efforça  d'établir  qu'elles  ne  vio- 
laient aucune  des  garanties  consa- 
crées par  la  Cliarte.  «  En  cette  ma- 
tière comme  en  toute  autre,  dit-il, 
il  faut  accorder  non  pas  une  liberté 
illimitée,  qui  est  une  chimère  dans 
l'ordre  civil,  mais  la  mesure  de 
lihei'ti';  qui  est  compatible  avec 
l'ordre  public  et  le  bien  de  l'ensei- 
gnement. Si  la  législation  ne  com- 
porte pas  encore  celle  mesure  de 
liberté,  il  faut  s'en  rapprocher  pru- 
demment, progressivement,  sans 
léser  aucun  intérêt  et  sans  hasarder 
des  expériences  qui  sont  toujoius 
dangereuses,  surtout  quand  il  s'agit 
de  l'intérêt  de  l'enfance.  »  Son  ar- 
gumentation ramena  à  la  tribune 
M.  de  La  Bourdonnaye,  qui  expli- 
(jua  par  la  désertion  des  collèges 
les  entraves  apportées  à  l'ensei- 
gnement ecclésiastique,  et  ajouta 
([ue,  livré  à  lui-même,  le  ministre 
n'eût  jamais  provoqué  de  sem- 
blables mesures.  Vatimesnil  i-épli- 
(piacjuc  les  établissements  de  lUni- 
versilé  ne  conjplaient  pas  moins 
de  o4  mille  élèves,  et  que  le  noni- 
])rc  de  vingt  mille  séminaristes, 
auquel  l'ordonnance  limitait  l'ins- 
truction ecclésiastique,  était  suffi- 
sant j)0ur  les  b'-boins  du  sacerdoce. 
Le  nou>eau  ministre  signala  d'ail- 
leursson  avfuemeiîl  pai- urif  aciivité 
léconde  et  éclairée.  (]ha(iue  degré  de 


VAT 

l'enseignement  public  reçut  sous  son 
impulsion  les  perfectionnements 
indiqués  par  l'expérience.  Il  dota 
(28  mars)  les  établissements  uni- 
versitaires de  chaires  de  langues 
vivantes  et  de  philosophie  en  langue 
française,  et  créa  à  la  faculté  de 
droit  de  Paris  deux  chaires  nou- 
velles pour  l'étude  du  droit  admi- 
nistratif et  du  droit  des  gens.  Il 
eut  l'heureuse  idée  d'intéresser  les 
professeurs  des  collèges  à  la  pros- 
j)érité  des  maisons  universitaires 
en  attribuant  à  ceux  qui  comptaient 
cinq  ans  d'exercice  dans  un  collège 
le  tiers  de  Lexcédant  des  recettes 
sur  les  dépenses.  Cette  gratification, 
qui  a  continué  d'exister  jusqu'en 
i850,  fut  appelée  le  hom-Yatimes^ 
nil  (1).  L'instruction  primaire  fixa 
spécialement  sa  sollicitude.  Dans 
un  rapport  au  roi  sous  la  date  du 
21  avril  1828,  il  provoqua  une 
réorganisation  presque  totale  de 
cet  enseignement,  auquel  il  avait 
été  pourvu  dans  un  esprit  divers 
par  les  ordonnances  de  1816,  de 
1824  et  de  1828.  Des  comités  de 
surveillance,  où  le  clergé  figurait 
dans  une  proportion  convenable, 
furent  établis  sur  tous  les  points 
du  royaume,  et  des  certificats 
d'instruction  religieuse  furent  exi- 
gés des  aspirants;  les  évoques  en- 
trèrent en  possession  d'un  droit 
permanent  de  surveillance  des 
écoles,  et  la  condition  des  institu- 
teurs reçut  des  garanties  de  stabilité 
qui  lui  avaient  manqué  jusqu'alors. 
(>es  j)rcscri plions,  marcjuées  de  l'es- 
piit  libéral  (pii   a\ait   inspiré  les 


(1)  Correspondant  du  Vô  mnrs  ISfîO. 
Le  souvenir  (U-  ceUc  hicrivcilhnite  me- 
sure fut  porpéliié  \)i\v  une  ni^rdaille  que 
les  insliUUeurs  tirent  rr;q*per  en  l'Iion- 
neiu'  du  îi'inistre  (pii  eu  tut  l'auteur. 


\AT 


\.\T 


157 


ordonnances  de  181 6  et  de  1820  (l\ 
furent  étendues   aux   écoles   pri- 
maires des    filles,    exclusivement 
placées  auparavant   sous  la  direc- 
tion des  préfets.  L'ordonnance  du 
21  avril,  que  le  ministre  accompa- 
gna d'une  instruction  raison  née,  fut 
complétée  postérieurement  (14  fé- 
vrier 1830)  par  les  soins  éclairés 
du    sage    successeur  de  Vatimes- 
nil  (2),   et  toutes  deux   devinrent 
plus  tard  les  éléments  de  la  mémo- 
rable loi  à  laquelle  M.  Guizot  at- 
tacha l'autorité  de  son  nom  et  de 
son    expérience.    Indépendamment 
de  ces  travaux  administratifs,  Va- 
limesnil  monta  plusieurs  fois  à  la 
tribune  pendant  la  session  de  1828. 
Dans  la  discussion  du  projet  de  loi 
sur   la  révision  des  listes  électo- 
rales, il  fit  écarter  un  amendement 
de  M.  Busson,  qui  tendait  à  auto- 
riser un  électeur  repoussé  par   le 
préfet,  au  mépris  d'une  décision 
régulière,  à  se  faire  inscriie  d'of- 
fice par   le  président    du  collège, 
amendement   difficile  à  défendre, 
mais  qui  témoignait  de  l'incurable 
défiance  que   l'administration  ins- 
pirait à  un  grand  nombre  d'esprits. 
Dans  le  discours  qu'il  prononça  le 
19  août  à  la  distribution  des  prix 
du  concours  général,  il  parla  de  la 
nécessité  de  l'union  indissoluble  de 
la  légitimité  et  des   libertés  jjubli- 
(pies,  et  rappela  «  que  le  bonheur 
j)ublic  était  inséparable  de  la  dignité 
des  trônes  et  de  la   stibilité    des 
inslilulions.  •   Vatimesnil  défendit 
avec  chaleur,  à  la  session  de  1829, 
le  projet  de  loi  sur  l'administration 
départcmonlale.  Il  répondit  pjirticu- 
lièrement  aux  objections  des  ora- 
teurs de  l'extrême  droite,  qui  prélcn- 


(1)  Mémoires  de  M.   Guizot,  t.   lit, 
p.  :;8. 

(2)  M.  le  comte  de  Giiernon-Ranville. 


daient  que  les  conseils  de  départe- 
ment envahiraient  l'administration 
et  qu'ils  rendraient  insupportable  la 
condition  des  agents  de  l'autorité  ; 
il  repoussa  justement  le  reproche 
fait  aux  ministres  d'avoir  témoigné 
une  défiance  injurieuse  aux  élec- 
teurs  à   300   fr.,  à   ces  citoyens, 
dit-il,  «  vers   lesquels   devait    se 
reporter  une  partie  de  la  recon- 
naissance que  méritaient  les  amé- 
liorations progressives  apportées  à 
la  situation  du  pays,  puisque  leurs 
votes   produisaient  l'un    les    pou- 
voirs qui  aidaient  la  sagesse  royale 
à  opérer  ces  améliorations.  J'ignore, 
dit-il,  en  terminant  son  discours, 
quelle  sera  l'issue  de  cette  discus- 
sion ;  mais  ce  que  je  puis  affirmer, 
c'est  qu'en   descendant   dans  nos 
consciences  nous  les  trouvons  pures 
de  tout  reproche,  c'est  qu'elles  ne 
nous   rendent  d'autre   témoignage 
que  celui  de  notre  fidélité  à  notre 
double  devoir,  comme  ministres  et 
comme  citoyens.  «  Vatimesnil  dé- 
fendit encore  la  légalité  et  la  com- 
position du  conseil   d'État   contre 
M.  Dupin  aîné  et  M.  Gaétan  de  La 
Rochefoucauld.    Enfin,  lors   de   la 
discussion  du  budget  de  son  dépar- 
tement ,    il   réfuta    les   objeetions 
dirigées  par  MM.  de  Lépine  et  de 
Conny  contre  le  système  actuel  de 
rinslruction  primaire  ;  au  reproche 
d'être  organisé  dans  un  esprit  irré- 
ligieux il  opposa  avec  chaleur  les 
justifications    préalables    imposées 
nux  aspirants  instituteurs    par  la 
dernièreordonnan<'e,et,  combattant 
une  ol)jection  souvent  reproduite, 
il  lit  judicieusementobserver  qu'imr 
méthode     d'enseignement     n'était 
«  qu'un  instrument  destiné  à  pro- 
duire de  bons  ou  de  mauvais  rer-nl- 
tats  selon  les  mains  auxcpielles  on 
en  confiait  l'emploi.  »  Ce  discours, 
justement  remarqué ,  fut  le  chant 


158 


\AN" 


du  cvgnciuiiuslciicUle  Valiiuesnii. 
Le  cabinet  auquel  il  avait  apporîé 
l'appoint  cl"un  zèle  ardent  et  Jal)o- 
ricux  et  d'une  valeur  incontestable 
expirait  d'impuissance  entre  les 
attaques  anarchiques  de  la  gau- 
che (1)  et  la  systématique  et  cou- 
pable indifférence  de  la  cour  et  du 
côté  droit.  Avec  les  intentions  les 
plus  pures  et  les  ressources  ora- 
toires les  plus  émincntcs  ,  cette 
administration  n'avait  réussi  qu'à 
affaiblir  la  royauté  sans  profit  pour 
son  avenir-  Le  succès  n'avaiî  cou- 
ronné aucune  des  concessions 
pai"  lesquelles  elle  s'était  flattée 
de  calmer  l'irritation  })lus  ou  moins 
justiiiée  des  esprits.  Les  ordon- 
nances du  16  juin  avaient  provoqué 
le  mécontentement  du  clergé,  sans 
désarmer  ropposition  irréligieuse 
ou  libérale  ;  la  Joi  sur  la  révision 
des  listes  électorales  constituait, 
en  quelque  sorte  ,  tous  les  pouvoirs 
publics  en  état  de  suspicion  i>er- 
manentc  ;  l'adoucissement  des  lois 
sur  la  prerse  n'en  avait  ]»oiut  affai- 
bli rboslilité  ;  un  simple  dissen- 
timent de  détail  ,  en  excitant 
l'incurable  susceptibilité  du  côté 
gauche,  privait  le  pays  du  bienfait 
d'une  organisation  communale  si 
impatiemment  réclamée.  La  situa- 
tion devenait  plus  forte  que  les 
jiommes.  L'esprit  démocratiijue, 
momentanément  comprimé  par  l'is- 
sue de  la  guerre  d'Espagne  et  par 
l'habile  administration  de  M.  de 
Villèlc.  reprenait  son  dangereux 
essor.  Qui  pouvait  se  flatter  d'en 
assigner  les  limites,  et  répondre 
qu'il  ne  rcvélirail  pas  avant  peu  un 
caractère  ouverteinenl  révolution- 
naire? N'avait-on  pas  l'exemple  des 
progrès   effrayants    (jne    l'opinion 


(1)  Expression  de  M.  de  Marlignac. 


VAÏ 

libérale,  abandonnée  à  elle-même, 
avait  faits  de  lSi7  à  1820  ? 
Dans  ces  circonstances  critiques, 
Charles  X  demanda  à  M.  Uoyer- 
Collard,  président  de  la  Chambre, 
quels  hommes  y  dis{)Oseraient 
d'une  majorité  suffisante  pour  pou- 
voir vaquer  librement ,  au  moins 
pendant  quelque  temps,  j\  f admi- 
nistration du  pays.  Le  fidèle  con- 
seiller repondit  que  a  personne,  à 
son  avis,  ne  possédait  cette  in- 
fluence ,  et  que  le  roi  pouvait 
choisir  tel  ministère  qu'il  jugerait  à 
propos,  sans  crainte  d'avoir  à  se 
dire  qu'il  eût  pu  mieux  choi- 
sir (i).  »  Charles  X  recula  devant 
le  parti  périlleux  d'une  dissolution, 
et,  se  confiant  au  dévouement  plus 
qu'à  l'habileté,  il  appela  à  la  for- 
mation d'un  nouveau  conseil  un 
des  hommes  les  plus  loyaux  ,  mais 
les  plus  inexpérimentés  et  les  plus 
impopulaires  de  la  France.  Le 
ministère  Polignac  fut  constitué  le 
8  août.  Lorsque  Yatimesnil  alla  à 
Saint- Cloud  déposer  sou  jjorle- 
feuille  entre  les  mains  de  Charle.«  X, 
il  en  fut  accueilli  avec  froideur  et 
même  avec  sévérité.  Le  roi  lui 
reprocha  l'abandon  de  sa  ligne 
politique,  et  se  montra  surtout  fort 
blessé  des  encouragements  symjja- 
thiquos  qu'il  avait  reçus  de  la  pressie 
libérale  (2).  Cependant,  Charles  X 
adoucit  ces  témoignages  de  mécon- 
tentement par  le  don  d'une  pen- 
sion de  douze  mille  francs,  mais 
sans  y  joindre  ,  conmie  d'usage  , 
le  titre  de  ministre  dKtat,  faveur 
et  exception  auxquelles  Vatimesnil 
parut  moins  sensible  qu'à  la  ri- 
gueur inaccoutumée  dont  le  vieux 


(!)  IJiilletin  iiKidit  (1rs  sèancns  <lii 
conseil  «les  ministres.  (Sénncc  du  10 
mars  IS.'iO.) 

(2)  Documents  inédits. 


VAX 


\AT 


IjU 


monarque  avait  accompagné   son 
renvoi.  L'évèque  de  Beauvais  fut 
traité  moins  favorablement  encore, 
et  survécut  peu  de  temps  à  cette 
disgrâce  ou  aux  causes  qui  l'avaient 
occasionnée.  Au  bout  de  dix  mois 
de  retraite  (juin  1830),  Vatimesnil 
fut  rendu  à  la  vie  publique  par  le 
collège  électoral  de  Valenciennes  (1) , 
qui  l'envoya  à  la  Chambre  après  la 
dissolution  qu'avait  motivée  la  trop 
fameuse  Adresse  des  221.  La  date 
de  son  élection  épargna  à  l'hono- 
rable disgracié  l'épreuve  d'un  vole 
si  fatal  à  la  monarchie  héréditaire  , 
mais   elle   ne    l'empôcha    pas    de 
prendre  une  regrettable  part  aux 
actes   qui  suivirent  la  Révolution 
de  juillet.  Vatimesnil   assista,  le 
31  juillet,   à  la  réunion   des  dé- 
putés   qui    reçut    la    déclaration 
par    laquelle     le    duc    d'Orléans 
annonçait     son     acceptation     du 
titre    de    lieutenant    général    du 
royaume,  et  il  concourut   par  sa 
présence  à    la    proclamation  que 
l'Assemblée  adressa  au  peuple  par 
suite  de  cette  déclaration.  Bien  que 
rédigé  avec  réserve,  ce  manifeste 
parlementaire  félicitait  liautement 
la  poi)ulation  parisienne  «  d'avoir 
abattu    le    drapeau    du    pouvoir 
absolu,  »    et  se  terminait  par  ces 
mots,   si    souvent    répétés   :   «  La 
Charte  sera  désormais  une  vérité.  » 
Cette  adhésion,  dans  laquelle  il  ne 
fut  imité  par  aucun  des    députés 
du  côté  droit,  entraîna  l'an^^ien  mi- 
nistre de  Charles  \  à  une  démarche 
moins  excusable  encore  ;  ce  fut  de 
se  joindre  aux  députés  qui  portèrent 
cette  AdresseàM.  leducdOrléans, 
et  qui  l'encouragèrent  ainsi,  parleur 
concours  personnel,  à  recueillir  un 

(1)  Vytimc.snil  avait  été  ùhi  m  mr-mc 
temps  par  rarroiulisspnicnt  de  Sauil- 
Flour;  mais  il  opta  pour  rôiecli'jii  ilu 
Nord. 


pouvoir  que  le  roi  n'avait  point  abdi- 
qué. Les    premières    délibérations 
parlementaires  eurent  pour  objet  la 
Charte  de  1830.LaChambre  repous- 
sa à  une  majorité  de  21 9  voix  contre 
33  ce  principe  tutélaire  de  légiti- 
mité, dont  l'abandon  devait  rejeter 
la  France  dans  de  nouvelles  et  san- 
glantes oscillations.  Vatimesnil  ne 
prit  aucune  part  à  ce  débat  ;  mais 
il  assista  à  la  remise  qui  fut  faite 
de  sa  résolution  au  successeur  de 
Charles  X  par  les  députés  réunis, 
et  fut  témoin  de  ces  empressenjonts 
qui  saluent  toujours  paimi  nous  l'i- 
nauguration  des   nouveaux    pou- 
voirs. Il  ne  tarda  pas  d'ailleurs  à 
prendre  dans  l'Assemblée  la  place 
que  lui  assignaient  naturellement 
l'étendue  de  ses  lumières,  son  ar- 
deur pour  le  travail  et  la  diversité 
reniarijuable    de  ses   aptitudes.  Il 
fut  nommé  membre  de  la  comnns- 
sion  appelée  à  proposer  des  réfor- 
mes dans  l'organisation  du  conseil 
d'Etat,  puis  chargé  du  rapport  sur 
le  projet  de  loi  relatif  à  la  réforme 
électorale.  Vatimesnil  combattit  et 
fit  abolir  ce  double  vote  dont  l'a- 
doption avait  sauvé     en   1820  la 
monarchie  de  périls  imminents,  et 
qu'il  avait  en  d'autres  temps  dé- 
fendu contre  les  violences  do  l'abbé 
de  Pradt.  Lors  du  débat  sur  le  sort 
des  victimes    de   l'insurrection  de 
juillet,  il  demanda  que  les  ori)he- 
lins  délaissés  par  elles  fussent  éle- 
vés aux   frais   de  l'Etat  dans  les 
-établissements  d'instruction  publi- 
que. Il  s'opposa  vivement,  en  1831, 
i\  la  réduction  du  nombre  des  ma- 
gistrats des  cours   d'assises,    soit 
dans  rinlérèlde  la  dignité  de  celte 
juridiction,  soit  à  raisonidel'inijior- 
lanee  des  questions  qui   pouvaient 
lui  être  déférées;  mais  son  opposition 
demeura  sans  succès.  Aux  «-lections 
générales  de  la  même  année,  Vali- 


160 


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mesLiil  lut  renvoyé  à  la  Chambre 
par  l'arrondissement  de  Valencien- 
nes,  et  l'on  retrouve  son  nom  dans 
une  assez  grande  partie  des  débats 
qui  remplissent  celte  nouvelle  lé- 
gislature. Il  se  prononça  à  diverses 
reprises  contre  le  rétablissement 
du  divorce,  prit  la  parole  sur  les 
modilications  proposées  à  plusieurs 
articles  du  code  pénal,  et  fut  chargé 
d'un  rapport  spécial  sur  le  budget 
de  la  justice  pour  1832.  On  s'étonna 
généralement  du  silence  qu'il  garda, 
à  la  différence  de  MM.  Berryer  et 
Marlignac,  sur  la  proposition  du 
bannissement  de  la  branche  aînée 
des  Bourbons  (1832),  et  ce  fut  avec 
peine  aussi  que,  dans  la  discussion 
du  ])rojet  de  loi  sur  l'ancienne  liste 
civile,  on  l'entendit  qualifier  de 
violation  de  la  fol  jurée  les  ordon- 
nances de  juillet,  dont  mieux  que 
personne  il  avait  pu  apprécier  le 
véritable  caractère.  Rapporteur  spé- 
cial pour  la  seconde  fois  du  budget 
de  la  justice,  Yatimesnil  combattit 
hautement  les  réductions  proposées 
sur  le  traitement  du  ministre  ainsi 
que  des  chefs  de  la  coui-  de  cassa- 
lion  et  des  cours  royales.  Lors  de 
l'examen  du  budget  de  l'instruc- 
lion  publique,  il  donna  de  grands 
éloges  à  l'administration  universi- 
taire ;  mais  il  rappela  la  promesse 
d'une  loi  sur  la  liberté  d'enseigne- 
ment consignée  dans  l'art.  GO  de  la 
nouvelle  Charte,  et  nous  verrons 
plus  tard  cette  idée  devenir  le  thème 
et  Tapplicalion  dominante  des  der- 
niers edorls  de  sa  vie.  Dans  le  cours 
de  la  session  de  1833  il  fit  plu- 
sieurs observalifins  sur  le  ])rojet  de 
loi  relatif  à  l'expropriation  jtubli- 
que,  exprima  quelques  considéra- 
tions nouvelles  sur  le  système  uni- 
versitaire et  sur  l'inslrurtion  |)ri- 
maire;  il  insista  pour  que  la  loi 
spéciale  à  cet  enseignement  main- 


tînt dans  les  comités  communaux 
la  proportion  que  lui-même  avait 
assignée  au  clergé  par  l'ordonnance 
de  1828,  et  cette  insistance  fut  cou- 
ronnée de  succès.  Enfin  il  présenta 
quelques  idées  utiles  sur  le  budget 
des  travaux  publics,  sur  l'état  des 
théAlres,  etc.  Ce  fut  le  couronne- 
ment de  cette  seconde  phase  de  sa 
vie  parlementaire.  Les  élections  gé- 
nérales de  1834  ne  le  ramenèrent 
pas  à  la  Chambre.  Mais  les  senti- 
ments de  Vatimesnil  inclinaient 
de  plus  en  plus  vers  la  monarchie 
qui  avait  captivé  ses  premières  af- 
fections, et  l'on  peut  croire  qu'il 
se  sépara  sans  peine  d'une  Assem- 
blée dont  res[)rit  général  tran- 
chait si  ouvertement  avec  les 
principes  politiques  et  religieux  de 
la  Restauration,  11  s'était  fait  ré- 
inscrire depuis  la  Révolution  de 
juillet  parmi  les  avocats  du  bar- 
reau de  Paris;  la  cessation  de  son 
mandat  législatif  le  rendit  sans  par- 
tage à  l'exercice  de  sa  première 
profession.  Yatimesnil  conquit  bien- 
tôt au  barreau  le  rang  qui  lui  ap- 
partenait, et  se  livra  avec  un  grand 
succès,  pendant  les  années  qui  sui- 
virent, aux  travaux  de  l'audience 
et  de  la  consultation.  Un  incident 
fâcheux  ^inl  l'enlever  à  ces  luttes 
oratoires  dans  lesquelles  sa  parole 
facile,  pénétrante,  fortement  ac- 
centuée, se  déployait  avec  tant  de 
supériorité.  Le  30  janvier  1838,  il 
venait  d'obtenir  de  la  cour  royale 
de  Paris  un  arrêt  en  séparation  de 
corps  do  la  dame  Hausse  contre 
son  mari,  avec  autorisation  de  gar- 
der ses  enfants.  Le  sieur  Dausse, 
])résent  à  l'audience,  se  récria  vio- 
lemment contre  cette  disposition,  et, 
s'élançant  sur  les  pasde  Vatimesnil, 
il  l'apostropha  en  termes  injurieux 
et  s'emporta  jusqu'à  le  frapper  au 
visage.  A  cette  insulte,  qui  produi- 


VAÎ 


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161 


sit  une  émoliou  inexprimable,  l'a- 
vocat offensé  répondit  avec  calme  : 
"  Ne  craignez  rien,  monsieur,  je 
n'ai  pas  besoin  de  vengeance;  vous 
avez  delà  religion,  j'en  ai  aussi.  » 
Et  comme  le  président  ordonnait 
de  saisir  l'agresseur  et  de  le  tra- 
duire à  la  barre  :  «  Que  la  cour  use 
d'indulgence,    s'écria    Yatimesnil; 
quant  à  moi,  je  fais  remise  de  l'ou- 
trage. »  M.  Berville,  avocat  géné- 
ral, lit  noblement  valoir,  comme 
circonstance  atténuante,  ce  géné- 
reux pardon  «  d'un  des  membres 
les  plus  bonorés  du  corps  le  plus 
bonorable.    »    L'inculpé    fut    con- 
damné à  deux  mois  d'emprisonne- 
ment. Mais  la  cour  affecta,  dans  son 
arrùt,  de   n'envisager  le  délit  que 
comme  une  injure  à  la  majesté  de 
l'audience;   elle   s'abstint    de  tout 
témoignage  de  considération   per- 
sonnelle envers  un  bomme  recom- 
mandablc  à   tant  de  titres,  et  qui 
donnait  en  ce  moment  même  un  si 
éclatant  exemple  du  pouvoir  de  la 
religion  sur  une  nature  fougueuse 
et  passionnée.  Vatimesnil  sentit  ce 
que  ce  silence   avait  de   blessant 
pour  son  caractère,  et  se  concentra 
exclusivement  désormais  dans  les 
travaux  du  cabinet.  Sa  haute  expé- 
rience,  ses  notions  pratiques  au- 
tant que  l'étendue  de  son   savoir 
l'appelèrent  naturellement  à  unir 
au  rôle  d'avocat  consultant  l'office 
d'arbitre  ou  de  conciliateur  dans  la 
plupart  des  débats  qui  s'élevaient 
au  sein  des  plus  hautes  familles  de 
la  capitale,   et  ce  pacifique  minis- 
tère, accepté  par  la  confiance  et  la 
gratitude  universelles  dans  le  dé- 
partement   auquel    il  ajjparlcnait, 
tarit  à  leur  source  d'innouïbiables 
procès.  Un  trait  de  désintéresse- 
ment, récemment  ivvélé.  entre  plu- 
sieurs autres.  j)arnndes('s  plus  énjj- 
nenls  auxiliaires,  complétera  celle 

LXXXV 


esquisse  du  caractère  personnel  de 
Yatimesnil.  11  avait  été  consulté  par 
écrit  dans  une  question  importante 
de  juridiction  ecclésiastique  qui  lui 
était  soumise  par  un  évèque.  Lors- 
qu'on vint  quelques  jours  plus  tard 
le  prier  de  fixer  ses  honoraii-es,  il 
répondit  par  un  affectueux  refus. 
«  Depuis  que  j'ai  eu  le  malheur, 
contre  mes  intentions,  dit-il,  decon- 
trister  l'Eglise,  je  me  suis  promis 
de  ne  jamais  rien  recevoir  pour 
tout  acte  de  mon  ministère  qui  au- 
rait trait  aux  intérêts  de  la  reli- 
gion (1).  »  Ces  intérêts  devinrent 
bientôt  la  préoccupation  dominante 
et  presque  exclusive  des  dernières 
années  de  Yatimesnil.  Il  avait  mo- 
destement  accepté   la   vice-prési- 
dence du  comité  électoral  de  la  li- 
berté   religieuse    fondé   en    1844, 
sous  la  direction  de  M.  de  Monta- 
lembert,  et  ne  cessa  dès  lors  de  se 
signaler  par  une  ardeur  tout  juvé- 
nile dans  cette  association  si  fé- 
conde en  résultats.  Lors  des  atta- 
ques dirigées   en    1845   contre  les 
jésuites,   il  mit  à  leur  disposition 
toutes   les  forces  de  son   dévoue- 
ment, et  ce  fut  lui  qui  leur  traça  la 
marche  qu'ils  avaient  à  suivre  pour 
se  défendre  sans  excéder  les  voies 
constitutionnelles,  qui  leur  étaient 
ouvertes  comme  à  tous  les  autres 
citoyens.  Après  avoir  réuni  autour 
de  lui  tous  les  défenseurs  des  or- 
dres   religieux,    il   consigna  leurs 
yioyens  de  résistance  dans  un  Mé- 
inîïire    soigneusement    élaboré   et 
qui    subsistera  comme   un  témoi- 
gnage méniorable  de  ce  que  peut 
une   foi   vive  et  sincère  combinée 
avec  les  ressources  de  la  science  et 


(1)  Soticc  sur  M.  de  \'(itimcsnil,  p:ir 
y\.i  HeiM'l  di'  Riaiicev,  l'nion  du  17  dé- 
cembre 18G0. 

11 


162 


VAT 


les  armes    de   la  dialectique  (1). 
«  On  le  retrouvait,   ajoute  l'écri- 
vain que  nous  avons  déjà  cité,  dans 
toutes  les  œuvres  «le  la  foi  chré- 
tienne;  on  l'écoutait  dans   toutes 
les  délibérations  destinées  à  proté- 
ger ou  à  maintenir  les  droits  de  l'é- 
piscopat  et  les  droits  de  l'autorité 
paternelle  ;  on  saluait  sa  présence 
dans  toutes  les  réunions  qui  se  for- 
maient  pour  la    revendication  de 
l'enseignement  libre,  pour  les  pro- 
grès de  la  foi  catholique,   pour  le 
développement  des  hautes  études 
chrétiennes  dans  la  jeunesse  de  la 
capitale.   »   Le   gouvernement    de 
Juillet  ne  vit  pas  sans  ombrage  ces 
actes   d'opposition  légale.    Cepen- 
dant,  bien  que   stimulé   par   des 
Chambres  peu  favorables  aux  idées 
religieuses,  il  ne  chercha  point  à  les 
contrarier  (2).  Il  avait  offert  à  Va- 
timesnil,  en   1841,  un   siège  à  la 
Chambre  des  pairs  par  l'cntremiso 
d'un  de  ses  successeurs  au  minis- 
tère de  rinslriictioii  publique.  Vali- 
mes[iil  ne  crut  pas  devoir  accepter. 
Mais  ce  gouvernement  ne  tarda  pas 
à  être  entraîné  dans  la  réaction  du 
principe  môme  qui   l'avait  établi. 
La  révolution  de  4848,  ce  sanglant 
corollaire  de  l'insurrection  de  1830, 
rendit  momentanément  Vatimesnil 
à  la  vie  publique.  Il  fut  élu,  au 
mois  de  mai  1849,  membre  de  l'As- 
semblée législative  par  le  départe- 
ment de  l'Eure,  et  compta  bientôt 
])armi  les  plus  notables  rei)résen- 
tanls  du    grand    parti    de   l'ordre 
dans    celle   réunion    si   riche    en 
homnifî.s  iiilèpres  et  éminents.  Va- 
lirncsnil  appliqua  à  l'exercice  de  ce 


(1)  Il  ost  intitulé  :  Mémo're  Sur  Te- 
lal  lc'f]al  en  France  des  associations 
reWfieuses  non  autorisées. 

(2)  Vie  du  P.  de  H'ivignan^  par  le  P. 
de  Ponlevoy,  Paris,  1800,  t.  i,  p.  322. 


VAT 

nouveau  mandat  le  zèle  infatigable 
dont  il  avait  fait  preuve  dans  sa  pre- 
mière législature.  Plus  libre  de  ses 
mouvements,  plussympathiqueà  ses 
collègues  que  dans  les  Chambres  de 
1830  et  de  1831,   il  prit  une  part 
influente  à  la  plupart  des  délibé- 
rations de  l'Assemblée,  et  détermina 
par  son  ascendant  personnel  quel- 
ques résolutions  importantes.  Or- 
gane  de   la   commission    chargée 
d'examiner  la  demande  en  abroga- 
tion des  articles  du  code  pénal  sur 
les  coalitions  d'ouvriers,  il  fit  pré- 
valoir le  maintien  de  ces  articles 
en  démontrant  l'étroite  et  infail- 
lible affinité  des   coalitions  indus- 
trielles avec  les  coalitions  politiques, 
et  provoqua  l'aggravation  des  pei- 
nes qu'ils  édictaient.  Il  présida  la 
commission  chargée  d'examiner  les 
difficultés  qui  dérivaient  de  l'attri- 
bution de  la  propriété  des  terrains 
conquis  sur  le  lit  des  fleuves  navi- 
gables par  suite  des  travaux  d'en- 
diguement.  Il  proposa  un  projet  de 
loi  sur  la  naturalisation  des  étran- 
gers et  sur  le  séjour  des  réfugiés  en 
France.  Dans  le  débat  du  projet  de 
loi   relatif  à  l'usure,  il  signala  ce 
délit  ft  parmi  les  plus  odieux  au  point 
de  la  morale  publique   comme  de 
la  morale  religieuse.  »    11  prit  la 
parole  sur  les  modifications  proje- 
tées à  la  loi  électorale,  ainsi  (jue 
sur  le  projet  de  loi  organique  de  la 
garde  nationale.  Enfin,  il  fut  rap- 
porteur du  projet  de  loi  sur  l'admi- 
nistration connnunale,  et  participa 
très-activement  à  la  discussion  de 
cette    loi,  qu'interrompit    le   coup 
d'État  du  2  décembre.  Mais  de  tous 
les  actes  législatifs  auxquels  con- 
courut   Vatimesnil,    trois    surtout 
méritent  une  mention  particulière, 
par   la  double   importance   de   sa 
participation  et  des  résultats  qu'ils 
ont   amenés  ou  promis  au  pays. 


VAT 

Nous  voulons  parler  de  la  loi  sur 
l'assistance  judiciaire,  et  de  ses  sa- 
vants rapports  sur  le  régime  hypo- 
thécaire et  sur  l'expropriation  for- 
cée, rapports  que  le  cours  des  évé- 
nements a  maintenus  à  l'état  d'é- 
bauches ,  mais  dans  lesquels  la 
législation  puisera  des  matériaux 
précieux,  lorsqu'il  lui  sera  donné  de 
reprendre  un  jour  le  débat  de  ces 
grandes  questions.  La  loi  sur  l'as- 
sistance judiciaire  peut  être  regar- 
dée comme  l'œuvre  capitale  et  per- 
sonnelle de  Valimesnil,  et  son  nom 
en  demeurera  à  jamais  inséparable. 
Organe  de  la  commission  cliargée 
d'en  examiner  le  projet,  il  constata 
(13  nov.)  les  obstacles  presque  in- 
surmontables que,  dans  l'organisa- 
tion actuelle  de  la  société,  les  indi- 
gents rencontraient  à  faire  valoir 
leurs  droits  en  justice.  <«  A  moins 
qu'ils  ne  trouvent  des  hommes  gé- 
néreux qui,  par  humanité  ou  par 
cet  intérêt  qu'inspire  le  bon  droit, 
consentent  à  venir  à  leur  secours, 
disait-il,  les  portes  des  tribunaux 
ne  s'ouvrent  pas  pour  eux,  et  l'éga- 
lité devant  la  loi  est  à  leur  égard 
un  mot  vide  de  sens.  »  Valimesnil 
exposait  ensuite  l'état  de  la  légis- 
lation ancienne  et  moderne  sur 
cette  matière,  et  les  louables  cfTorts 
que  la  condition  des  plaideurs  indi- 
gents avait  inspirés  dans  tous  les 
temps,  soit  à  l'assistance  publique, 
soit  aux  membres  des  corporations 
judiciaires.  Mais  il  démontrait  l'in- 
suftisance  de  ces  secours  et  propo- 
sait de  donner  à  l'assistance  judi- 
ciaire,  étendue  à  tous  les  ordres  (le  ju- 
ridiction, les  formes  d'une  inslilution 
dont  la  permanence  et  l'organisalion 
garantissent  la  pleine  efficacité.  Pas- 
sant à  des  considérations d" une  autre 
nature,  l'éminent  ra{)i»orleur  voyait 
dans  l'assistance  judiciaiie  le  moyen 
d'ouvrir  une  nouvelle  carrière  aux 


VAT 


163 


hommes  qu'un  zèle  légitime  et 
désintéressé  portait  à  se  dévouer 
aux  intérêts  généraux  de  leur  pays. 
«  La  plaie  des  Étals  modernes  et  de 
la  France  en  particulier,  ajoutait- 
il  judicieusement  ,  est  la  sura- 
bondance des  emplois  payés  par 
le  trésor.  L'éducation  de  l'enfance 
et  les  vocations  de  la  jeunesse, 
au  lieu  de  se  diriger  vers  l'in- 
dustrie agricole  ou  manufactu- 
rière, ont  pour  but  presque  exclusif 
les  fonctions  salariées  dans  les- 
quelles chacun  croit  apercevoir  un 
avenir  plus  assuré  et  une  exis- 
tence moins  laborieuse.  De  là 
naissent  l'esprit  d'intrigue  pour 
atteindre  l'objet  de  son  ambition, 
et,  lorsqu'on  n'y  est  pas  parvenu, 
l'esprit  de  faction  pour  bouleverser 
la  société  et  conquérir  par  le  désor- 
dre et  la  violence  la  situation  dési- 
rée. y>  Valimesnil  suivit  avec  une 
sollicitude  religieuse  et  en  quelque 
sorte  paternelle  toutes  les  phases  de 
cette  discussion  mémorable,  dont 
le  résultat  fut  de  doter  le  pays  d'une 
des  meilleures  lois  qui  aient  jamais 
honoié  une  réunion  délibérante.  Il 
comballit  hautement,  au  mois  d'a- 
vril 1851,  la  résolution  manifestée 
par  M.  Dupin,  de  quitter  le  fauteuil 
de  la  présidence,  et  lit  à  celle  occa- 
sion un  vif  éloge  de  sa  justice  et  de 
sa  fermeté.  Le  2  décembre  survint. 
L'impartiale  histoire  jugera  à  son 
heure  les  causes,  les  nécessités,  les 
conséquences  de  celte  révolution. 
Valimesnil  fut  du  nombre  des  dépu- 
tés qui  protestèrent,  à  la  mairie  du 
10*  arrondissement,  contre  la  disso- 
luli-n  violente  de  l'Assemblée,  et 
subit  comme  eux  ces  rigueurs  d'un 
autre  temps,  qui,  dans  le  laps  d'un 
demi -siècle,  inauguraient  pour 
la  seconde  fois  parmi  nous  la  des- 
truclion  du  régime  parlementaire. 
Il  sortit  de  Vincennes  après  (juel- 


164 


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ques  heures  de  captivité,  et  reprit 
ses  paisibles  travaux,  mais  en  les 
concentrant  dans  un  foyer  plus 
étroit.  Lorsque  parurent  les  dé- 
crets du  22  janvier  4852,  qui  con- 
fisquaient au  profit  de  l'Etat  une 
partie  des  biens  de  la  maison  d'Or- 
léans, il  démontra  dans  une  c.on- 
suilation  fortement  conçue  l'illéga- 
lilé  de  ces  actes  et  la  compétence 
exclusive  des  tribunaux  pour  en 
apprécier  la  valeur.  Quatre  juris- 
consultes éminents,  MM.  Berryer, 
Dufaure,  0.  Barrot  et  Paillet,  s'as- 
socièrent à  SCS  conclusions.  Quel- 
ques années  plustard,  l'administra- 
tion domaniale  ayant  contesté  à 
M.  le  comte  de  Chambord  et  à  ma- 
dame la  duchesse  de  Parme,  sa 
sœur,  la  propriété  de  leurs  forets 
de  Champagne,  ce  fut  encore  Va- 
timcsnil  qui,  dans  un  admirable 
mémoire,  défendit  les  droits  de  ces 
augustes  proscrits,  et  en  prépara 
la  consécration.  Eu  1859, il  adhéra 
par  sa  signature  aux  principes  ex- 
posés par  M.  le  comte  d'Hausson- 
vijle,  dans  une  énergique  lettre  au 
Sénat,  sur  la  liberté  de  la  presse  et 
le  droit  de  pétition.  Cruellemrnt 
atteint,  quelques  mois  avant,  par  la 
perle  de  sa  femme,  mademoiselle 
Duchesne,aprèsuneunion  de  trente- 
six  ans,  ce  généreux  athlète  du  droit 
et  du  devoir  assista  avec  résigna- 
tion à  la  décadence  graduelle  de  sa 
santé,  et  parut  concentrer  toutes 
ses  préoccupations  sur  les  doulou- 
reux mécomptes  que  la  succession 
ra|)ide  des  événements  politiques 
faisait  subir  ii  srs  sentiments  les 
plus  chers.  Il  se  |)répara  au  passage 
suprême  par  un  exercice  plus  fer- 
vent encore  des  pratiques  religieu- 
ses, auxquelles  il  était  toujours  de- 
meuré fidèle,  et,  réunissant  autour 
de  lui,  quelques  jours  avant  sa 
mort,  sa  famille  et  ses  domesti- 


ques, il  s'exprima  en  ces  termes 
sur  une  circonstance  mémorable 
de  sa  carrière  publique,  nous  vou- 
lons dire  sa  participation  aux 
ordonnances  de  juin  1828  :  «  Si 
j'ai  pu  agir  alors  contre  les  droits 
et  les  intérêts  de  l'Eglise,  je  ne  l'ai 
pas  voulu;  j'ai  consulté,  )'ai  éclairé 
ma  conscience;  si  je  me  suis  trom- 
pé, j'en  demande  pardon  à  Dieu  et 
aux  hommes;  mais  je  ne  le  crois 
pas,  et  je  n'ai  voulu  en  cela  que 
servir  les  intérêts  de  la  religion  et 
ceux  de  mon  vieux  roi,  le  bon  et 
loyal  Charles  X  (1).  »  Il  mourut  le 
10  novond)re  4860,  laissant  deux 
fils,  dont  l'aîné  avait  épousé  made- 
moiselle Lanjuinais,  etune  fille,  ma- 
riée cà  M.  def^estrade.  Indépendam- 
ment des  nombreux  travaux  que 
nous  avons  énumérés.  on  doit  à 
Vaiimesnil  une  traduction  estimée 
de  (a  Clémence  de  Séncque,  |)ubliée 
en  1832,  dans  la  Bibliothèque  la- 
line-française  de  Panckouke,  avec 
des  notes  hisloriques  et  philologi- 
ques. Ce  travail  est  précédé  d'une 
préface  Où  le  traducteur  combat 
l'opinion  de  Diderot,  qui  voyait 
dans  ce  traité  une  énergique  pro- 
testation contre  -les  cruautés  de 
Néron,  au  lieu  d'une  flatterie  à  l'a- 
dresse de  cet  empereur  «  dont  Ro- 
me avait  déjh  désespéré  »,  débat, 
au  fond,  de  peu  d'importance;  car, 
soit  qu'on  regarde  l'œuvre  de  Sé- 
nèque  comme  une  protestation  cou- 
rageuse, ce  qui  est  peu  probable, 
soit  qu'on  la  considère  comme  une 
leçon  indirecte,  qu'il  avait,  a-t-on 


(i)  Ces  paroles  sont  extraites  dii  texte 
littéral  de  ralloeiition  prononcée  par 
M.  (le  Vaiimesnil  a  son  lit  de  mort,  tel 
qu'il  a  clé  arrêté  par  sa  fdmiUe.  Elles 
se  trouvent  a  peu  i)rc.s  rcprodnitcs  aussi 
dans  son  testament,  dont  un  extrait 
nous  a  été  communiqué. 


VAT 

dit,  «  le  torl  de  donner  à  genoux,» 
cette  œuvre  n'en  est  pas  moins  es- 
timable. Vatlmesnil  est  encore  au- 
teur de  plusieurs  articles  recueillis 
dans  le  Correspondant,  notamment 
sur  .V.  Hijde  de  Neuville,  sur  ma- 
dame de  Créqiiy,  sur  l'Action  du 
christianisme  sur  les  lois,  et  d'un 
fragment  posthume  intitulé:  Les  in- 
térêts religieux  de  la  politique  fran- 
çaise. Dans  le  premier  de  ces  mor- 
ceaux, publié  en  1857,  on  distin- 
gue cette  appréciation  de  la  Charte 
deiSU:  «  La  Charte  avait  le  carac- 
tère de  concession  et  non  de  con- 
trat. Cette  firme,  inconsidé.fément 
critiquée  par  des  logiciens  étroits, 
était  précisément  ce  qui  en  faisait 
l'excellence.  Les^contrats,  par  leur 
nature  même,  poussent  aux  dis- 
cussions et  aux  arguties.  Ils  abou- 
tissent presque  fatalement  li  des 
résultats  contentieux.  La  Charte 
octroyée  par  Louis  XVIII, en  vertu 
de  ses  droits  traditionnels,  avait 
de  meilleures  et  de  plus  nobles  ba- 
ses; d'un  côté,  l'honneur  et  la  foi 
du  monarque,  qui  l'avait  donnée 
en  moditiant  les  prérogatives  anté- 
rieures de  sa  couronne  ;  de  l'autre, 
la  reconnaissance  des  peuples.  » 
Appréciation  digne  de  remarque, 
et  qui  témoigne  surabondamment  îi 
quel  point  était  devenu  complet  et 
sincère,  dans  les  dernières  années 
de  sa  laborieuse  vie,  le  retour  de 
Vatimesnil  aux  principes  et  aux 
sentiments  politiques  qui  en  avaient 
marqué  les  débuts.        A.  B.-ée. 

VATLN.  Doyen  des  notaires  de 
France  îi  l'époque  à  laquelle  il  mou- 
rut (i  ou  5  novembre  1841),  ayant 
se3  quatre-vingt-dix  ans  accomplis, 
avait  fait  preuve  de  présence  d'es- 
prit et  de  courage  pendant  les  tem- 
pêtes révolutionnaires.  Olficier  mu- 
nicipal à  Seiilis,  sa  ville  natale,  de 
1700  à  4793,  il  fut  pour  beaucoup 


VAT 


165 


dans  l'attitude  calme  et  sage  que 
sut  garder  la  municipalité  au  mi- 
lieu de  l'âprelé  sans  cesse  crois- 
sante des  partis,  et  jusqu'à  la  crise 
qui  précipita  les  Girondins.  On 
comprend  que  ce  refus  de  s'asso- 
cier, même  par  de  simples  vocifé- 
rations, sans  coopération  réelle  à 
la  marche  inhumaine  des  événe- 
ments, ait  été  taxé  d'incivisme  par 
les  frénétiques  des  clubs.  A  leurs 
instigations,  sans  doute,  Collot- 
d'Herbois,  dans  unede  ses  tournées 
déparlementales,vint inspecter  Ser.- 
lis  et  tenta  d'y  réchauffer  le  feu  sacré. 
I!  fut  effrayé  de  la  tiédeur  des  uns, 
de  l'esprit  aristocratique  des  autres, 
et,  sans  biaiser  davantai^e,  il  bris  i 
la  municipalité  ,  avec  laquelle  il 
déol;^rait  que  le  char  de  la  révolu- 
tion ne  pouvait  marcher,  et  donna 
l'ordre  d'arrêter  les  municipaux. 
Presque  tous  le  furent,  en  ellet,  et 
Valin  n'esquiva  la  détemion  que 
pour  être  gardé  h  vue  quinze  jours 
durant  dans  son  domicile.  Finale- 
ment, comme  même  sous  la  répu- 
blique il  fallait  des  notaires,  les 
rigueurs  s'adoucirent  insensible- 
ment en  présence  de  son  caractère 
inolTiMisif.  Il  exerçait  depuisdix  ans, 
lorsque  la  confiance  de  ses  conci- 
toyens l'avait  investi  des  fonctions 
politiques  locales  :  après  ce  court 
passage  aux  affaires  publiques,  il 
exerça  trente-sept  ans  encore  (en 
tout  cinquante).  Sadc'licatesse  litail 
égale  ù  sa  probité.  Lu  de  ses  amis, 
iir.mensémeiil  riche,  avait  dessein 
de  lui  laisser  sa  fortune  entière  : 
il  dressa  un  testament  en  faveur 
des  héritiers  du  sang  qu'on  voulait 
dépouiller,  et  trouva  moyen  de  faire 
signer  le  fantasque  et  irascible  mil- 
lionnaire. Il  inspirait  une conliance 
immense;  Lucien  et  Joseph  lloiia- 
parte  d'abord,  eusuilfla  reiue  ilor- 
tensc,   |)uis  le  duc  de  Valmy.  les 


166 


VAT 


VAT 


Boissy-d'Anglas,  etc.,  etc.,  ne  vou- 
laient que  lui  pour  gérer,  régler  et 
débattre  leurs  intérêts.  Il  n'eût  tenu 
qu'à  lui  déjouer  en  ce  sens  le  plus 
grand  rôle  près  de  Napoléon.  Plus 
d'une  fois  Joséphine  lui  lit  faire  des 
ouvertures  en  ce  sens;  mais  il  dé- 
clina invariablement  toutes  les  of- 
fres, ne  connaissant  rien  de  supé- 
rieur à  l'indépendanci  et  à  la  paix 
de  son  élude,  au  sein  de  laquelle, 
en  effet,  il  lui  fut  donné  de  voir 
passer,  sans  qu'elles  eussent  prise 
sur  lui,  tant  de  vicissitudes  désas- 
treuses. A  peine  eut-il  quitté  le  no- 
tariat, que  le  vœu  unanime  de  ses 
concitoyens  fil  en  quelque  sorte  loi 
au  chef  de  l'Élat  de  le  nommer 
maire  de  Senlis.  11  s'acquitta  de  ces 
dernières  fonctions  avec  le  même 
zèle  et  la  même  loyauté  que  des 
autres,  et,  malgré  son  grand  âge,  il 
rendit,  par  sa  fermeté,  par  sa  vigi- 
lance, autant  de  services  qu'on  au- 
rait eu  droit  d'en  attenilre  d'un 
homme  plus  jeune  de  quarante  ans. 
Val.  p. 
VATOUT  (Jkan),  né  ù  Villefran- 
che,  en  1792,  eut  longlemps  une 
destinée  fort  heureuse,  qu'expli- 
quaient et  que  justifiaient  son  ca- 
ractère, son  mérite  et  les  dons  in- 
telligetïts  qu'il  avuit  reçus  en  par- 
tage. Sous-p.'éfet  de  Saumur  sous 
la  Ilestaunition,  ses  opinions  un 
peu  trop  libérales  lui  firent  perdre 
sa  place,  et  sa  disgrâce  fut  encore 
un  bonheur,  car  M.  le  duc  d'Or- 
Jéans  lui  confia  le  soin  de  sa  bl- 
blioihèque.  Le  prince  y  vennii  sou- 
vent :  la  conversation  de  Valout  fut 
goûtée.  Bientôt,  son  style  ingénieux 
et  piquant  le  fut  davantage.  Il  pu- 
blia 1820j  les  Aventures  de  la  fille 
d'un  rioi.C'élait,  sons  un  voile  trans- 
parent, l'histoire  de  la  Charte  oc- 
troyée par  ï,ouis  XVill,  avec  les  in- 
cidcnls  nombreux  ri  singuliers  qui 


s'y  1  attachent.  Vatout  eut  son  pre- 
mier succès  :  on  voulut  bien  lui 
reconiiaître  beaucoup  de  légèreté 
dans  l'esprit;  on  loua  ses  chansons, 
on  cita  ses  réparties  :  toutes  pré- 
cautions prises  pour  lui  contester 
un  jugement  solide,  une  littérature 
étendue.  Ces  bons  amis  ne  savaient 
donc  pas  que  Vatout  avait  fait  les 
plus  brillantes  études  à  Sainte- 
Barbe  en  concurrence  avec  Scribe 
et  Varner  :  les  concours  géné- 
raux en  grec,  en  latin,  l'atteste- 
raient au  besoin  dans  leurs  fastes. 
De  son  côté,  Vatout  gardait  à  la 
mémoire  de  M.  de  Lanneau,  le  di- 
recteur de  Sainte-Barbe,  le  respect 
le  plus  filial,  et  quant  aux  souvenirs 
de  collège  ils  revivaient  pour  nous 
et  pour  lui  dans  ses  plus  gais  cou- 
plets. On  ne  peut  en  disconvenir, 
Valout  donnait,  quand  il  voulait,  à 
ses  paroles  un  tour  gracieux  et  fin  : 
ce  genre  d'agrément  surprenait 
d'autant  plus  alors  qu'il  semblait 
moins  en  rapport  avec  sa  taille 
haute  et  puissante.  —  M.  le  duc 
d'Orléans,  qui  n'était  pas  encore  le 
roi  Louis-Philippe,  avait  désiré  pu- 
blier les  mémoires  de  son  frère, 
M.  le  duc  Montpensier.  Vatout,  le 
princeetl'hommedeletlresqu'il  dé- 
sirait charger  de  cette  publication, 
causaient  dans  un  des  salons  de 
Neuilly.  «  J'ai  aussi  mes  mémoires, 
«  d:lM.  le  duc  d'Orléans,  et  il  ajou- 
«  ta  :  M.  Vatout,  allez,  je  vous  prie, 
«  en  prendre  le  manuscrit  dans  le 
«  tiroir  à  droite  de  mon  grand  bu- 
«  reau.  »  Vatout  sortit;  revint  cinq 
minutes  après,  et  dit  d'un  ton  demi- 
sérieux  :  «  Monseigneur,  il  faut 
a  iivoir  le  courage  de  dire  la  vérité 
a  aux  grands;  cette  clet-là  n'est  pas 
«  celle  de  voire  grand  bureau.  » 
C'était  vrai.  Je  ne  veux  pas  dire  que 
ses  couplets, souvent  lori  gais,  que 
les   anecdole>,  qu'il  coulait  bien  , 


VAT 

fussent  toujours  d'aussi  bon  goût. 
Quant  h  ses  titres  d'académicien, 
ceux  qui  ont  été  si  indulgents  pour 
tant  d'autres  aurair-nt  pu  se  dis- 
penser de  l'être  à  son  égard,  pour- 
vu que  leur  sévérité  conseillât  con- 
sciencieusement leur  justice. 

Vatout,  homme  de  lettres, s'essaya 
quelque  temps,  comme  tous  ceux 
qui  arrivent  avant  d'avoir  marqué 
leur  place.  Ses  notices  sur  la  gale- 
rie d'Orléans  n'ont  guère  d'autre 
recommandation  que  celle  d'être 
exactes.  Le  progrès  est  déjà  sensi- 
ble dans  VHistoire  du  Palaia-Rnyal 
(1830);  les  recherches  sont  faites 
avecsoin,et]es  autorités,  en  p:  ose, 
en  vers,  citées  avec  goût.  Dans  la 
Conspiration  de  Cellamare,  le  style 
manque  encore  de  celle  malicieuse 
élégance  dont  les  Anecdotes  sur  la 
Russie,  par  Rhulières,  son!  le  plus 
parfait  moiéle.  .Mais  les  Souvenirs 
des  résidences  royales^  six  vo'umes 
in-8%  seront  toujours  recherchés  et 
lus  avec  plaisir,  avec  fruit.  Les 
noms  seuls  de  ces  résidences,  les 
personnages,  hommes  et  femmes, 
qui  s'y  montrèrent  ,  les  scènes 
galantes  ou  tragiques  dont  elles 
furent  le  théâtre  permettaient  de 
mêler ,  au  ton  grave  des  inté- 
rêts politiques  et  religieux  ,  des 
portraits  et  des  récits  moins  sé- 
vères. M.  Vatout  a  parfaitement 
rempli  cos  conditions  variées  de 
l'ouvrage,  et  comme  on  trouverait 
tout  naturel  que  l'homme  du  monde 
raconte  avec  a;;rément,  nous  (ité- 
rons une  pîige  cpii  fera  nucux  coti- 
naîire  le  Ion  noble  du  narrateur  : 
nous  rfîiuprnutons  :iux  souvenirs 
du  château  d'Aïubùis"  : 

«  Que  de  fois,  dit  l'auteur  nos 
«  rois  ne  sont-ils  pas  venus,  sur 
»  les  rives  enchantées  de  la 
«  Loire,  chercher  un  asile  contre 
«  les  dangers    ou    les  ennuis   de 


VAT 


i67 


«  la  couronne!  On  n'y  peut  faire 
t  un  pas  sans  retrouver  leurs  traces 
«  dans  ces  ruines  ou  dans  ces  mo- 
«  numents  qui  se  recommandent 
«  aux  regards  des  voyageurs  et  aux 
«  méditations  de  l'hisiorien.  Les 
«  remparts  démantelés  du  vieux 
«  château  de  Chinon  attestent  les 
«  combats  que  Charles  VII  eut  à 
»  soutenir  avant  le  jour  i;!orieux  où 
«  il  chassa  les  Anglais;  on  montre 
«  au  château  de  la  Cour  le  chiffre 
•  de  ce  prince,  entrelacé  avec  celui 
«  d'Agnès  Sorel,  sur  des  rideaux  de 
«  soie  qui  ont  voilé  de  plus  doux 
a  souvenirs  ;  on  s'arrête  avec  effroi 
'(  devant  l'ombre  sanglante  du  Ples- 
«  sis-les-Tours;  on  cherche  à  Blois 
«  le  boudoir  oii  madame  de  Noir- 
»  moulier,  le  cœur  plein  des  plus 
«  tristes  pressentiments  et  lesyeux 
«  humides  des  plus  belles  larmes, 
«  suppliait  Henri  de  Guise  de  ne 
«  point  se  rendre  aux  ordres 
(c  d'Henri  III  ;  on  se  rappelle,  à  Che- 
«  nonceaux,  Diane  de  Poitiers,  for- 
«  cée  de  quitter,  âla  voix  de  Cathe- 
«  rine,celtedélicieuse  résidence  sur 
«  le  pontmême  qu'elle  avait  fait  con- 
«  struire  pour  rassurer  sa  tendresse 
0  contre  les  Ilots  et  les  orages.  » 

C'est  ainsi  qu'un  agréable  lan.uage 
mêle  l'histoire  et  l'anecdote  à  la  des- 
cription des  vieux  châteaux,  dans 
les  six  volumes  dont  nous  parlons. 
Peu  d'académiciens  pounaiont  ci- 
ter des  titres  plus  littéraires.  Nous 
croyons  que  Vatout  tenait  à  ces 
études,  parce  qu'elles  plaisaieut  îi 
ses  goùls,  comme,  dans  une  autre 
carrière,  il  obéit  b'  aucoup  plus  îi 
ses  opinions,  !i  ses  affections,  qu'à 
ses  iiiterêis.  Dès  1831,  la  Côte-. l'Or 
s'élaii  honorablement  rappelé  le 
sous-ptéfel  de  Saiimuretle  nomma 
depué.  Il  fut  cuu>lammeiil ,  jus- 
qu'en 48,  membre  de  la  Chambre 
élective,  et  dans  l'ordre  du  mandat 


168 


VAU 


VAU 


que  Valout  y  avait  à  remplir,  le  roi 
le  nomma  successivement  conseil- 
ler d'Etat,  puis  directeur  des  bûli- 
ments  civils.  Valout  savait  fort  bien 
que,  sous  tous  les  gouvernements, 
ceux  que  distingue  la  faveur  ont 
incontestablement  les  qualités  pro- 
pres à  leur  emploi.  Il  en  plaisan- 
tait en  fort  bons  termes;  à  lui  per- 
mis, car  il  pouvait  sans  présomp- 
tion, quant  à  lui.  se  croire  à  la 
hauteur  des  fonctions  qu'on  lui 
connaît,  et  s'en  acquitta  toujours 
de  manière  à  mériter  des  élo- 
ges. Hélas!  une  révolution  nou- 
velle lui  préparait  des  devoirs  bien 
plus  cliers  à  son  cœur.  Louis-Phi- 
lippe venait  de  quitter  la  France. 
Nulle  considération  n'y  put  retenir 
Valout  après  lui. 

Les  événements  le  pénétrèrent 
d'un  chagrin  bien  plus  amer  que 
s'ils  n'avaient  atteint  que  lui  seul. 
Il  se  reprochait  le  moindre  retard, 
et,  courtisan  du  malheur,  il  alla 
mourir  en  Angleterre  (année  48), 
auprès  de  la  royale  famille  exilée. 

Cet  homme,  qu'on  disait  léger, 
frivole  même,  avait  la  délicat(.'ss(; 
«le  sentiment  la  plus  vive,  et  si; 
montrait  constant  à  toutes  ses  af- 
fections. D'un  discernement  rare 
dans  le  choix  de  ses  amis,  il  ne 
souffrait  pas,  ami  dévoué  lui-mêni'î, 
que  la  malignité  essayât  de  leur 
porter  d'injustes  atteintes.  La  le- 
connaissance  était  un  des  plus  doux 
besoins  de  son  cœur,  et,  comme  il 
avait  gardé  religieusement  la  mé- 
moire de  Sainte-liarl;.-;  et  de  M.  de 
Lanneau,  il  devança,  dans  sa  dou- 
leur profonde,  la  mort  du  roi  qu'il 
avait  eu  pour  bienfait(!ur.    F.  IL 

VAIJBAX  '  PiEr.nE-FnANç  .is  le 
PitESTRE,  comte  de,,  !ieu:cn:int-co- 
lonel,  chevalic  r  des  oidres  de  Malle 
et  de  Saint -Louis,  était  rim  des 
derniers  descendanis  de  l'illustre 


maréchal  qui,  par  ses  actions  et  ses 
travaux,  a  contribué  si  puissam- 
ment à  l'éclat  du  nom  français.  Fils 
du  marquis  de  Vauban,  arrière-ne- 
veu de  ce  grand  homme,  grand'- 
croix  de  Saint-Louis  et  gouverneur 
de  Châtillon-en-Dombes,  Pierre  de 
Vauban,  né  à  Dijon,  le  13  août 
L757,  entra  au  service  militaire,  îi 
10  ans,  dans  le  régiment  de  Colo- 
nel-général ,  et  partagea  plus  lard 
les  fatigues,  les  soins  et  les  revers 
de  .celte  armée  de  Condé,  qui,  par 
la  constance  inébranlable  de  son 
dévouement  à  la  cause  royale,  ex- 
cita l'admiration  de  l'Europe  en- 
tière. Le  jeune  de  Vauban  conquit 
dans  ses  rangs  le  grade  de  lieule- 
nant-colonel  et  la  croix  de  Saint- 
Louis.  Après  la  dissolution  des 
corps  qui  la  composaient,  il  fit  par- 
tie d'un  régiment  de  nobles  émi- 
grés à  la  solde  du  gouvernement 
anglais,  et  passa  sept  ans  à  Lis- 
bonne avec  le  grade  de  simple  ca- 
l)itaine.  Il  rentra  en  France  dans 
le  courant  de  l'an  XL  Possesseur 
d'une  fortune  minime,  le  comte  de 
Vauban  fut  contraint  d'exercer  à 
Cliàlon-sur-Saône,  pendant  quel- 
ques années,  les  modestes  fonctiors 
de  contrôleur  de  radministration 
des  postes.  Cependant  le  gouver- 
nement royal,  auquel  il  avait  si 
noblement  dévoué  ses  efforts,  ne  le 
vit  jamais  au  nombre  de  ses  solli- 
citeurs. Le  comte  de  Vauban  moi:- 
rut  à  Paris  le  7  février  18i;i,  ne 
laissant  de  son  mariage  qu'une  lllle, 
madame  la  baronne  de  Rivoire. 
femme  d'un  esprit  distingué.  Cet 
estimable  gentilliomme  était  le  frère 
j)uîné  du  comte  de  Vaubaj!,  auteur 
du  curieux  ouvrage  iniitulé  Mé- 
moires pour  servir  à  l'Histoire  de  la 
(j lierre  de  la  Vendée.  Z. 

VAL'IÎKRT  (Luc),  auteur  ascé- 
tique fort  estimé,  naquit  à  Noyon, 


VAU 

en  Picardie,  le  8  octobre  <6-i4.  Se 
destinant  à  l'état  religieux,  il  entra 
chez  les  Jésuites,  le  21  septembre 
4G62,  touchant  à  sa  dix-huitième 
année,  et  fit  son  noviciat  à  Paris. 
Suivant  l'usage  général  de  la  com- 
pagnie, on  l'employa  ii  renseigne- 
ment, et,  après  avoir  enseigné  les 
humanités,  il  fut  nommé  profes- 
seur de  rhétorique,  puis  de  philo- 
sophie. Vaubert  fut  admis  à  lu  pro- 
fession solennelle  des  quatre  vœux, 
et  les  prononça  le  2  lévrier  1678. 
Alors  il  se  livra  à  la  prédication, 
et  remplit  dans  son  ordre  plusieurs 
emplois  importants  ;  ainsi,  il  fut 
recteur,  puis  préfet  des  pension- 
nairesau  collège  de  Louis-le-Grand, 
à  Paris.  Il  employa  ses  talents  et 
son  zèle  à  composer  des  ouvrages 
(le  piété.  Il  mourut  à  Paris,  le  5 
avril  1710.  On  a  de  lui  :  I.  Screnis- 
simo  duci  Enguinensium  post  captum 
Limborgum  et  liberatam  obsidione 
Iliigcnsam  Carmen.  Parisiis,  lG7li, 
in-l».  Le  P.  Vaubert,  avait  aimé  et 
cultivé  la  poésie;  néanmoins  l'ou- 
vriige  que  je  viens  de  citer  est  le 
seul  qu'il  ait  publié  en  ce  genre. 
Tous  les  autres  témoignent  de  sa 
piété  envers  l'eucharistie.  H.  Exer- 
cices de  piété  pour  les  associés  de 
l'adoration  perpétuelle  du  Saint-Sa- 
crement, y.  1,  p.,  in- 12.  Paris,  1699 
ibid.  1704-171  l.Nouv.  édition,  in- 
18.  Paris,  Edme  Couterot,  1720. 
III.  Exercices  de  piété  pour  les  as- 
sociés de  l  adoration  perpétuelle  du 
Saint-Sacrement ,  avec  la  manière 
d'assister  déiotement  à  la  procession 
du  TrèS'Saint-Sacrement ,  des  re- 
lierions et  considéralions  utiles,  par 
le  P.  Vaubert  (sic),  de  la  compa- 
;:uie  de  Jésus,  in-16.  Nanry,  v. 
lîalthasard,  in- 10,  17-47.  L'ai^pro- 
baiion  est  de  Paris,  G  septembre 
1703.  Réimprimé  plusieurs  fois  avec 
les  ouvrages  suivants,  on  juut  vo'r. 


VAU 


169 


par  le  titre,  les  rapports  et  lesdif* 
férences  qu'il  a  avec  l'ouvrage  pré- 
cédent. IV.  Traité  de  la  communion^ 
ou  Conduite  })onr  communier  sain^ 
tement.  Gros  vol.  in-12.  Paris,  Ur- 
bain Coustelier,  170  i.  V.  Instruc- 
tion sur  II  fréquente  communion. 
Réimprimé  à  la  suittîdes  entretiens 
avec  Jésus-Christ,  par  le  Père  Du 
Sault,vol.  in-12, 1836.  Cet  ouvrage 
a  été  réuni  îi  l'ouvrage  intitulé  ; 
Sacramentalische,  etc.,  en  1728. — 
VI.  La  dévotion  à  Notre  Seigneur 
Jésus-Christ  dans  l'Eucharistie.  2 
vol.  in-12,  2'^  édition.  Paris,  Edme 
Couterot,  1706.  Cette  édition  était 
augmentée  d'un  tome  entier,  lequel 
contenait  le  Traité  de  la  Sainte 
Messe,  une  Méthode  pour  visiter  te 
Samt-Sacrement ,  et  huit  médita- 
tions pour  l'octave  du  Saint-Sacre- 
ment. Paris,  1711,  ^'  édition  aug- 
mentée du  tome  V'".  Conduite  pour 
la  communion,  i*'  édition  angm.,  2 
vol.  in-12.  Paris,  17 lo.— Puis,  en 
1739,  nouv.  édition.  Paris,  Berlon, 
1752,  2  vol.,  nouv.  éd.  de  1778, 
qui  contient  une  p:jrtic  des  ouvra- 
ges précédents.  —  Plusieurs  réim- 
pressions. —  Edit.  nouvelle  à  Mar- 
seille, Massy,  1825.  Cet  ouvrage  a 
été  traduit  en  ilaiir;u  par  le  P.  Rer- 
tolli,  Servite.  VII.  Le  saint  exercice 
de  la  présence  de  Dieu,  divisé  en  3 
l)arlies:  \'%  Dieu  présent  partout; 
2",  ce  que  c'est  que  l'exercice  de  la 
présence  de  Dieu;  3%  méthode 
pour  converser  avec  Di-'U.  Ci  ou- 
vrage a  eu  plusieurs  éditions;  les 
pfîis  récentes  sont  celles  de  Lyon. 
Ru-and,  1829.  —  Puis,  1833.  for- 
mat in-2i.  Il  a  été  aussi  traduit  en 
italien.  Ee  P.  Vaubert  a  corrifré 
avec  soin  les  Entreliens  avec  Jésus- 
Christ,  du  P.  Du  Sault.  Dans  le  l- 
vol.  de  leur  Bibliothèque  des  écri- 
vains de  la  compagnie  de  Jésus,  ou 
.\otices  bibliographiques,  etc..  in-'». 


170 


VAU 


les  P.  P.  Aug.  et  Al.  De  Backer, 
ont  indiqué  les  titres  et  toutes  les 
éditions  des  œuvres  du  P.  Vaubert, 
principalement  d'après  M.  Quérard. 

B.-D-E. 

VAUBLANC  (Vincent -Marie 
VIÉNOT,  comte  de),  membre  de 
TAssembiée  législative,  du  Conseil 
des  Cinq-Cents  et  de  la  Chambre 
des  députés,  préfet,  minisire  de 
l'intérieur  sous  la  Restauration, 
membre  de  Tlnstitul,  etc.,  naquit  à 
Saint-Domingue,  le  2  mars  1756, 
d'une  famille  noble,  originaire  de  la 
Bourgogne.  Il  vint  en  France  à 
l'âge  de  sept  ans,  fut  admis  k  l'E- 
cole de  La  Flèche,  qui  venait  d'ê- 
tre récemment  annexée  k  l' Ecole 
royale  militaire,  et  entra  dans  ce 
dernier  établissement  au  bout  de 
quelques  années.  Il  y  forma  des 
liaisons  plus  ou  moins  étroites  avec 
divers  personnages  qui  figurèrent 
avantageusement  plus  tard  sur  la 
scène  du  monde,  tels  que  le  comte 
de  Champagny,  le  général  Ilédou- 
villeJegénéralMarcscot  et  plusieurs 
autres.  Vaublanc  fut  admis  comme 
sous-lieutenant  dans  le  régiment 
de  la  Sarre,  que  commandait  le  duc 
de  La  Rochefoucauld,  et  dont  un 
de  ses  oncles  était  lieutenant-co- 
lonel. Il  tint  successivement  garni- 
son à  Meiz,  à  Rouen  iH  à  Lille; 
puis  il  obtint  des  lettres  dn  service 
pour  Saint-Domingue,  où  l'appe- 
laient quelques  affaires  de  famille, 
et  partit  pour  celte  colonie.  Il  ren- 
contra îi  bord  du  vaisseau  qui  l'y 
transportait  madame  de  Fontanelle, 
dont  le  mari,  gentilhomme  nor- 
mand, avait  été  attaché  comme 
aide  de  camp  au  maréchal  de  Saxe. 
Des  rapports  afTcciueux  sétablirent 
bientôt  entre  Vaublanc  et  celte 
dame,  qu*accomp;ignai('ni  ses  deux 
filles  ;  le  jeune  oltic/ier  demanda  la 
main  de  la  cadette  ;  il  l'épousa,  et  la 


VAU 

ramena  en  France,  en  1782,  avec 
une  fille  âgée  de  deux  ans.  Peu  de 
temps  après,  Vaublanc  acheta  une 
propriété  sur  les  bords  de  la  Seine, 
près  de  Melun,  avec  l'intention  de 
s'y  consacrer  exclusivement  à  l'a- 
griculture, aux  lettres  et  aux  arts, 
lorsque  la  convocation    des  états 
généraux  vint  donner  un  autre  cours 
k  ses  desiinées.  Elu  secrétaire   de 
la  noblesse  au  bailliage  de  Melun, 
il  ie  fit  remarquer  par  l'énergie  de 
son   caractère,  et  fut  appelé  aux 
fonctions  de  membre,  puis  de  pré- 
sident du  conseil  général  de  Seine- 
et-Marne  et  de  président  du  direc- 
toiie  de  ce  département.  Un  esca- 
dron  de    dragons   en    garnison  à 
Nemours  s'étant,  vers  cette  époque, 
révolté  contre  ses  chefs,  Vaublanc 
s'y  rendit  avec  le  lieutenant-colonel 
du  régiment,  il  convoqua  la  muni- 
cipalité de  la  ville  et  le  directoire 
du  district  ;  et,  aidé  du  concours  de 
ces  autorités  et  de  l'officier  supé- 
rieur qui  l'avait  accompagné,  il  ré- 
prima la  rébellion,  fit  mettre  aux 
fers  ou  en  prison  dix  des  pius  mu- 
tins, et  rétablit  les  officiers  dans  la 
plénitude  de  leur  commandement. 
Au  mois  de  septembre  1791,  Vau- 
blanc fut  élu  député  à  l'Assemblée 
législative.  Au  moment  de  son  élec- 
tion ,    il    promit   solennellement , 
non-seulement  d'être    fidèle  îi   la 
Constitution  acceptée    par    le  roi, 
mais  encore  de  combattre  de  tou- 
tes ses  forces  les  opinions  dange- 
reuses qui   menaçaient  la    France 
d'une   entière  subversion.  Il    prit 
plac»^  parmi  les  royalistes  constitu- 
tionnels tels  que  Pastoret,  Quatre- 
mère  de  Qiiiney,  Mathieu    Dumas, 
Ramond,  Hec(|uey,  Beugnol,  etc., 
et  son  énergie  ne  se  démentit  point 
sur  la  scène  périlleuse  où  i!  était 
appelé  à  figurer.  Il  dénonça  cou- 
rageusement le  despotisme  dés  ad- 


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VAU 


171 


ministratioiis  municipales  et  s'op- 
posa à  ce  qu'il  fût  dressû  une  liste 
des  officiers  émigrés  qui,  plus  tard, 
dit-il,  deviendrait  pour  eux  une 
table  de  proscription.  Il  s'efforça 
également  de  garantir  les  prêtres 
insermentés  des  persécutions  diri- 
gées contre  eux.  Ces  actes  de  fer- 
meté n'empêchèrent  point  toutefois 
Vaublanc  de  payer  tribut  au  lan- 
gage et  aux  passions  du  temps. 
Il  insista  vivement  et  à  plusieurs 
reprises  pour  que  l'Assemblée  votât 
des  mesures  rigoureuses  contre  les 
princes  émigrés:  «  Si  vous  ne  faites 
pas  une  loi  particulière  contre  les 
princes,  dit-il  le  8  octobre  1791,  il 
faut  renoncer  k  faire  des  lois  con- 
tre les  simples  émigrés;  mais  je  ne 
vois  pas  sans  indignation  que  les 
princes,  nourris  si  chèrement  par 
la  patrie,  trament  sa  ruine  dans 
l'impunité.  »  Il  fut  élu  le  i4  no- 
vembre à  la  présidence  de  l'Assem- 
blée législative,  et  se  trouva  char- 
gé, en  cette  qualité,  de  rédiger  un 
message  au  roi  pour  lui  faire  reti- 
rer, en  l'intimidant,  le  veto  qu'i! 
avait  apposé  au  décret  du  9  de  ce 
mois  sur  les  émigrés.  Le  but  secret 
de  Vaublanc,  en  prêtant  son  con- 
cours à  celte  démarche,  était,  dit- 
on  ,  de  provoquer  la  formation 
d'une  armée  royaliste,  capable  de 
contenir  le  parti  jacobin,  dont  lu 
forciî  augmentait  de  jour  en  jour, 
et  l'on  ajoute  qu'il  eut,  dans  cet 
intérêt,  plusieurs  conférences  |)ar- 
ticulièros  avec  les  ministres  de 
Louis  XVI.  Quoi  (pTil  en  soit,  l'As- 
semblée fut  tellement  satisfaite  de 
son  travail,  que,  i)ar  une  déro- 
gation formelle  k  ses  usages,  elle 
voulut  qu'il  en  fût  donné  lecture 
au  roi  par  V;uil)lanc  lui-même. 
Le  ton  (le  ce  nriuil'este  elaiî  sec  et 
impérieux  :  «  La  nation,  disait-il; 
attend   de   vous    des  déclaralious 


énergiques;  qu'elles  soient  telles, 
que  les  hordes  des  émigrés  soient  à 
l'instant  dissipées.  »  l]n  rendant 
compte  à  l'Assemblé  de  la  récep- 
tion de  son  message,  Vaublanc 
eut  soin  de  faire  remarquer  que  «  le 
roi  s'était  incliné  le  piemier,  et 
qu'il  n'avait  fait  que  lui  rendre 
son  salut.  »  Amené  vingt-cinq  ans 
plus  tard  à  s'expliquer  sur  cet 
incident  àla  Chambre  des  députés, 
Vaublanc  motiva  sa  conduite  par 
le  désir  de  calmer  la  faction  déma- 
gogique qu'exaspérait  toute,  espèce 
de  prévenance  envers  l'infortuné 
monarque:  «Deux  mille  personnes, 
dit-;l,  assistaient  à  nos  séances;  les 
factieux  nous  entouraient,  la  fu- 
reur les  animait,  et  les  poignards 
étaient  dans  leurs  mains.  »  Il  con- 
vient d'ajouter  que  Vaublanc  ne 
fut  d'ailleurs  en  cette  circonstance 
que  l'organe  de  la  députation  qu'il 
pré.-idait.  Dans  un  rapport  qu'il  Ot 
au  nom  du  comité  d'instruction 
publique  sur  les  récompenses  na- 
tionales, le  28  janvier  4792,  on 
remarque  encore  celle  concession 
»  étrange  aux  préjugés  de  l'époque  : 
«  Longtemps  les  Français  ont  été 
de  grands  et  faibles  enfmts;  ils 
ne  sont  des  hommes  que  depuis 
la  révolution.  »  L'impartialité  nous 
fait  une  loi  de  reconnaître  que  Vau- 
blanc effaça  ces  faiblesses  par  des 
actes  d'un  dévouement  inébranla- 
ble à  Ja  cause  de  l'ordre.  Il  défen- 
dit énergiciuement,  mais  sans  suc- 
rées, le  ministre  de  Lessarl  contre 
les  attatiues  de  l'abbé  F.iuchet,  et 
contribua  à  empêcher  que  Bertrand 
de  Moileville  ne  fût  décrète  d'aecu- 
sation  par  l'Assemblée.  H  repoussa 
vivement  aussi  l'amnistie  proposée 
en  faveur  de  JoMrd.m  cl  des  auires 
assiissins  de  la  glacière  d'.V\ignon; 
mais  ses  elforls  échouèreni  contre 
ia  tolérance  systématique  du  parti 


172 


YAU 


girondin,  et  son  impuissance  lui 
arracha  celte  exclamation  piophé- 
tique,  qui  excita  une  vive  rumeur  : 
«  Vous  accordez  l'impunité  aux  as- 
sassins; je  vois  la  glacière  d'Avi- 
gnon s'ouvrir  dans  Paris.  «  Vau- 
blanc  s'éleva  avec  force,  à  cette  oc- 
casion, contre  l'existence  des  clubs, 
auxquels  il  imputa  tous  les  malheurs 
de  la  France  et  la  compression 
qui  pesait  sur  l'Assemblée  elle- 
même.  Peu  de  jours  après,  il  de- 
manda et  ohiint  un  décret  d'accusa- 
tion contre  Marat.  Quand  les  Giron- 
dins, de  plus  en  plus  fidèles  à  leur 
tactique,  accusèrent  le  général  La- 
l'ayette  d'avoir  violé  la  constitution 
et  compromis  la  sûreté  de  l'Etat, 
Yaublanc  lit  preuve  d'un  grand  sens 
politique  en  défendant  en  lui  le 
dernier  obstacle  qui  s'opposait  aux 
débordements  de  l'anarchie.  11  ex- 
posa avec  beaucoup  de  détail  et 
d'exactitude  les  mouvements  de  sou 
armée  et  de  celle  du  muréchal 
Luckner ,  rétablit  la  vérité  des 
faits  (1),  et  démontra  pleinement 
que  la  conduite  de  Lafayelle  avait 
été  en  tout  point  conforme  aux  ins- 
pirations de  la  prudence  et  du  pa- 
triotisme. Son  discours  (8  août)  jjro- 
duisit  un  grand  effet  sur  l'Assem- 
blée, qui  en  ordonna  l'impression. 
Au  sortir  de  cette  séance,  Vaublanc 
fut  poursuivi  par  les  huées  et  les 
menaces  de  la  multitude,  à  laquelle 
il  sut  imposer  par  son  courage  cl 
son  sang-froid.  Il  parvint,'  avec 
quelques  autres  députés,  m(!nacés 
comme  lui,  à  se  réfugier  au  corps- 
de-garde  du  Palais-Uoyal,  d'où  ils 
s'évadèrent  par  une  fenêtre  (2).  Le 
lendemain,  il  signala  cet  attentat  à 


(1^   ^ouicniis  (la  çjé.icrd!  Mathieu 
Dumas,  t.  Il,  [)    :2I  i. 
(-2)  lUid.,  p.  4:ji 


VAU 

l'Assemblée,  en  demandant  l'éloi- 
gnement  immédiat  des  fédérés  et 
des  Marseillais,  qui  servaient  d'ins- 
truments à  cet  odieux  système  d'in- 
timidation ;  mais  les  Girondins  fi- 
rent encore  écarter  sa  proposition. 
Dans  la  journée  du  10  août,  Vau- 
blnnc,  signalé  particulièrement  aux 
fureurs  des  anarchistes,  courut  de 
nouveaux  dangers  ;  un  coup  de  sa- 
bre dirigé  contre  lui  fut  détourné 
par  un  jeune  officier  du  génie.  Ce 
jeune  militaire  portait  un  nom  qu'il 
a  illustré  depuis  par  son  dévoue- 
ment il  une  éclatante  infortune;  il 
s'appelait Berlrand.  L'établissement 
de  la  Convention  fut  le  signal  de  la 
dispersion  de  tous  les  partisans  du 
gouvernement  royal.  Yaublanc  n'é- 
chappa qu'à  la  faveur  d'une  vie  er- 
rante, au  milieu  de  privations,  d'an- 
goisses et  de  périls  sans  nombre,  aux 
proscriptions  révolutionnaires,  qui, 
jusqu'au  9  thermidor,  ne  cessèrent 
de  menacer  ses  jours.  Cependant  il 
ne  voulut  point  quitter  la  France. 
Les  circonstances  l'appelèrent  bien- 
tôt à  reparaître  sur  la  scène  politi- 
que. Lors  du  mouvement  insuri'cc- 
tionncl  des  sections  de  Paris  contre 
la  Convention,  il  présidait  la  sec- 
lion  Poissonnière;  il  y  remplit  un 
rô!e  actif  et  fut  condamné  à  mort 
l)ar  contumace,  ainsi  que  MM.  De- 
lalotet  Quatremcre  de  Quincy,  par 
la  commission  militaire  que  la 
Convention  avait  instituée  pour  ju- 
ger les  chefs  du  parti  vaincu.  Pre.s- 
(pie  au  même  instant,  le  département 
(le  Seiiie-et-Marne  relisait  ()éputé 
au  conseil  des  Cinq-Cents;  mais  ce 
ne  fut  qu''i  la  lin  d'août  1790  que 
s'.îs  amis  Uorne  et  Pasloret  réussi- 
rent à  faire  annuler  le  jugement 
rendu  contre  lui.  Aussitôt  aj)rès,  il 
vint  siéger  îi  l'Assemblée.  Lors- 
qu'il alla  prêter,  selon  l'usage  , 
le  serment  de  haine  à  la  royauté, 


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VAU 


173 


tous  les  assislanis  furent  attentifs; 
Tun  d'eux,  au  moment  où  il  pro- 
nonçait la  sinistre  formule,  lui 
ayant  crié:  «  Plus  haut!  —  Et 
vous,  plus  bas!  »  répondit  Vaublanc 
sans  se  déconcerter.  Sa  conduite  et 
ses  discours,  éclairés  par  une 
i;mère  expérience,  ne  furent  qu'une 
longue  et  vive  opposition  aux  idées 
démagogiques  et  à  l'administration 
corrompue  du  Directoire.  Le  club 
des  Jacobins  ayant  entrepris  de  se 
reformer,  il  profita  de  celte  occa- 
sion pour  demander  la  dissolution 
de  toutes  les  sociétés  de  ce  genre, 
et  l'obtint  par  un  décret  que  sanc- 
tionna le  Conseil  des  Anciens.  —  II 
dénonça  le  ministre  de  la  marine 
comme  accordant  des  subventions 
nu  liépublicain  des  colonies,  journai 
d'une  démagogie  etîrénée.  —  Le 
21  juillet  1797,  il  se  prononça  avec 
une  extrême  énergie  contre  ce  qui 
restait  encore  des  institutions  révo- 
lutionnaires, et  lit  un  éloquent  ta- 
bleau de  toutes  les  calamités  que  la 
révolution  française  avait  décliaî- 
nées  sur  la  France.  Quelques  jours 
aj)rés, il  défendit  les  droits  des  Con- 
seils contre  les  empiétements  du 
Directoire,  et  fut  nommé  membre 
de  la  commission  des  inspecteurs 
chargés  d'opposer  des  mesures  de 
résistance  aux  entreprises  du  pou- 
voir exécutif.  Il  eut  une  grande 
j)art  aux  résolutions  malheureuse- 
ment irisuftisantes  qui  furent  con- 
certées dans  cet  intérêt.  —  On  voit 
aussi,  par  ses  Mémoires,  qu'il  noua 
vers  cette  époque  des  négociations 
secrètes  avec  Carnot  pour  le  ratta- 
cher îi  la  cause  royaliste,  et  qu'elles 
échouèrent  surtout  |)ar  la  crainte 
qui  obsédait  ce  général  de  ne  pou- 
voir se  faire  pardonner  son  vote 
régicide.  —  Il  en  fallait  moins  sans 
doute  pour  que  Vaublane  fût  com- 
pris dans  la  grande  proscription  du 


18  fructidor.  C'était  la  quatrième 
dont  il  était  atteint;  il  échappa  par 
la  fuite  à  la  déportation  qui  le  me- 
naçait, passa  en  Suisse,  puis  en  Ita- 
lie, et  ne  reparut  en  France  qu'après 
la  révolution  du  18  brumaire.  —  Il 
fut  à  cette  époque  élu  membre  du 
Corps  législatif  par  le  Sénat  conser- 
vateur; il  y  remplit  les  fonctions 
de  questeur.  Le  collège  départe- 
mental de  Seine-et-Marne  le  dési- 
gna comme  candidat  au  Sénat. — 
Un  liomme  d'un  caractère  aussi  for- 
tement trempé  que  Vaublane  ne 
pouvait  être  négligé  p^  le  gouver- 
nement de  Napoléon.  Le  1"  fé- 
vrier 1803,  il  fut  nommé  préfet  du 
département  de  la  Moselle,  puis 
décoré  du  litre  de  comte  et  du 
grade  de  commandant  de  la  Légion- 
(l'Honneur.  Vaublane  justifia  ces 
faveurs  par  soîi  zèle  pour  le  régime 
impérial  (1)  et  lit  aimer  son  admi- 
nistration par  la  droiture  qu'il  y  dé- 
ploya et  par  l'expérience  intelli- 
gente dont  tous  ses  actes  furent 
empi'einls.  Il  fit  l'épreuve  de  cet  in- 
térêt dans  une  conjoncture  critiqua 
de  sa  vie.  Vers  la  fin  de  1813,  l'ar- 
mée de  Mayence  s'élant  repliée  à 
l'intérieur  par  suite  du  désastre  de 
Leipzig,  la  ville  de  Me!z  se  trouva 
encombrée  de  soldais  blessés  et 
malades  (2\  et  ne  larda  pas  ù  de- 
venir un  foyer  d'infection.  L'actif 
administrateur  établit  plusieurs  hô- 
pitaux, les  visita  régulièrement  plus 
d'une  fois  par  jour,  et  ressentit 
bientôt  les  atteintes  du  fléau  qu'il 
s^fjppliquait    à    conjurer.    Il  fut  à 


(I)  Mémoires  du  comte  Miot.  t.  n, 
p.  ±1\. 

{'!)  Ces  malheureux,  dans  l'excès  de 
leurs  soiilTry lires,  dit  Vimhlanr  liii- 
iiiéinc,  demandaient  où  était  la  Lou- 
iherie  de  Napuléon.  i^/t'm.,  t.  in, 
p.  168.) 


Il  h 


VAU 


tor.te  extrémité.  La  ville  entière  lui 
prodigua,  à  celte  occasion,  des  té- 
uioigniiges  de  la  plus  honorable 
sympathie.  Vaublanc  recouvra  la 
santé,  et  le  gouvernement  de  la 
Restauration,  dont  il  embrassa  la 
cause  avec  ardeur,  le  mainiint  dans 
ses  fonctions.  Le  27  décembre  181  i, 
Louis  XVIil  le  créa  grand-officier 
de  la  Légion  d'honneur.  Frappé, 
dès  les  premiers  mois  de  1815,  d'un 
mouvement  inaccoutumé  parmi  le 
régiment  de;  grenadiers  de  Tex- 
garde  impériale  qui  tenait  garnison 
dans  la  vilk  de  Metz,  il  crut  devoir 
se  rendre  à  Paris  pour  faire  part  de 
ses  observations  à  l'abbé  de  Mon- 
tesquiou,  alors  ministre  de  l'inté- 
rieur; mais  il  n'obtint  de  lai  et  de 
Louis  XVIII  qu'une  attention  dis- 
traite, et  ces  utiles  avis  furent 
malheureusement  négligés.  —  A  la 
nouvelle  du  débarquement  de  Na- 
poléon, Vaublanc  exhorta  la  garde 
nationale  de  Metz  à  demeurer  fidèle 
au  roi,  et  il  prit,  de  concert  avec 
le  brave  maréchal  Oudinot,  gou- 
verneur de,  la  division,  toutes  les 
mesures  propres  à  retenir  la  popu- 
lation dans  le  devoir.  La  ville  de 
Metz  fut  déclaré  .  en  état  de  siège, 
et Icb habitants  reçurent  l'initation 
de  s'approvisionner  pour  trois  mois. 
On  a  prétendu  que  les  dispositions 
de  Vaublanc  s'étaient  modifiées  à  la 
suite  du  20  mars,  et  qu'il  avaitécrit 
à  Garnol,  ministre  de  l'intérieur, 
pour  demander  à  être  maintenu 
dans  .-a  |)réfeciure  de  la  Moselle. 
Celle  supposition  a  paru  accrédi- 
tée j)ar  une  lellre  de  Carnot,  que 
Vaublanc  lui-même  cite  dans  ses 
Mémoires,  et  où  ce  ministre  lui  fait 
entrevoir  le  relour  prochain  de  la 
faveur  impériale,  dans  l'espoir, 
ajoule-t-ii,  que  son  dévouement  à 
Napoléon  "  sera  bientôt  aussi  pur, 
aussi  entier   qu'il  1  était  pour  les 


VAU 

Bourbons.  »  Mais  cette  lettre,  bien 
que  regrettable,  ne  saurait  sembler 
suffisante  pour  autoriser  une  telle 
imputation.  Ce  qu'il  y  a  de  certain, 
c'est  que  les  dispositions  favorables 
de  Carnot  n'existaient  point  dans 
les  hautes  régions  du  pouvoir.  Une 
note  hostile  à  Vaublanc  fut  insérée 
dans  le  Moniteur^  et  un  aide  de 
camp  du  ministre  de  la  guerre  par- 
tit pour  Metz  avec  ordre  de  s'as- 
surer de  sa  personne.  Informé  à 
temps,  Vaublanc  sortit  furtivement 
de  la  préfecture,  monta  sur  un  che- 
val tout  sellé  qu'on  tenait  à  sa  dis- 
position, et  se  rendit  à  Luxembourg, 
où  il  fut  accueilli  avec  beaucoup 
d'égards  par  les  chefs  de  l'armée 
autrichienne.  Il  partit  ensuite  pour 
Gand,  où  s'était  retiré  Louis  XVIII. 
Vaublanc  prédit  à  ce  monarque 
qu'il  serait  de  retour  à  Paris  avant 
deux  mois,  et  il  lui  remit  plusieurs 
mémoires  sur  la  situation  intérieure 
de  la  France.  Il  rentra  à  sa  suite, 
après  la  chute  du  gouvernement 
impérial,  et  fut  nommé  successive- 
ment conseiller  d'Etat,  puis  préfet 
des  Bouches-du-llhône.  Vaublanc 
inaugura  sou  arrivée  à  Marseille 
par  un  acte  de  courage  et  dhuma- 
nilé.  Cinq  à  six  cents  individus,  si- 
gnalés comme  bonapartistes  ou  ré- 
volutionnaires ,  (talent  détenus 
dans  les  prisons,  et  l'autorité  n'o- 
sait les  metire  en  liberté,  dans  la 
crainte  de  les  (exposer  aux  violen- 
ces populaires.  Vaublanc  prononça 
leur  libération  en  présence  des 
principaux  fonctionnaires  du  dé- 
partement, et  cette  mesure,  hardie 
dans  les  circonstances,  s'accomplit 
sans  le  moindre  désordre.  Le  nou- 
veau préfet  se  fit  également  remar- 
quer par  l'énergie  pleine  de  di- 
gnité avec  laquelle  il  résista  aux 
prétentions  inconsidérées  des  trou- 
pes étrangères.  Lorsque  Louis  XVllI 


VAU 


VAU 


175 


put  rompre  avec  le  ministère  que  le 
parti  révolutionnaire  lui  avait  im- 
posé, par  rentremise  des  alliés,  il 
appela  (23  septembre),  k  la  tête  de 
son    conseil,   le  duc  de  Richelieu 
avec    le    portefeuille    des  affaires 
étrangères,  et  confia  celui  de  l'in- 
térieur au  comte  de  Vaublanc.  Ce 
choix,  qui   lui  fut  inspiré  surtout 
par  Monsieur,  comte  d'Artois,  fit 
naître  d'assez  vives  répulsions  dans 
le  parti   constitutionnel,  et  M.  de 
Richelieu  (lonn;i,  dit-on.  Tordre  de 
surseoir  à  l'expédition  de  la  dépêche 
qui  mandait  à  Paris  le  nouvel  élu  ; 
mais  il  était  trop  tard  (1),  et  Vau- 
blanc ,    accouru   sans    perdre   de 
teini)s,  prit  possession  de  son  por- 
tefeuille.  Des   dissentiments   très- 
vifs  ne  tardèrent  pas  à  éclater  au 
sein  de  ce  cabinet ,  dont  les  vues 
politiques  étaient  loin  d'être  homo- 
gènes. Le  comte  de  Vaublanc  et  le 
ducdeFelire,  ministre  de  la  guerre, 
marchaient   ouvertement   dans   le 
sens  de  la  Chambre  des  députés  ;  le 
duc  de  Richelieu,  influencé  par  les 
insinuations  de  Pozzo  dlBorgo  et  du 
parti  constitutionnel,  ne  s'avançait 
qu'avec  une  extrême  réserve  sur  un 
terrain  qui  lui  était  imparfaitement 
connu,  et  iM.  Decazos  commençait 
à  pratiquer  celte  politique  mobile 
et  indécise  qui  ne  cessa  depuis  lors 
de  le  rendre  suspect  au  parti  roya- 
liste.   Le   comte   de  Vaublanc  fit 
preuve  d'une  grande  activité  dans 
son  administration  ;  mais  toutes  les 
mesures  dont  il  en  marqua  le  cours 
n'exercèrent  pas  une  influence  éga- 
lement heureuse  sur  l'opinion  pu- 
blique.   Ou    lui  reprocha  d'avoir 
réorganisé  l'Institut  sur  des  bases 
tout  k  fait  arbitraires,  pour  en  éloi- 


(1)  Uislotre  de  la  henlatiration,  par 
un  humiuc  U'Etat,  t.  m,  p.  13o. 


gner  ceux  de  ses  membres  qui  s'é- 
taient  compromis   dans  les  Cent- 
Jours  par   leur  conduite  ou  leurs 
discours,  et  pour  leur  substituer  des 
hommes  plus  connus  par  leur  dé- 
vouement au  gouvernement  royal 
que  parleurs  titres  scientifiques.  Cet 
acte  d'absolutisme  n'empêcha  pas 
que  Vaublanc  ne  fût  élu  plus  tard 
membre  libre  de   l'Académie    des 
beaux-arts,  dont  il  avait  exclu  le 
conventionnel  David.  On  lui  fil  éga- 
lement   un  grief  d'avoir    licencié 
l'Ecole  polytechnique,  dont  les  élè- 
ves, par  la  turbulence  de  leurs  opi- 
nions politiques  et  l'indiscipline  de 
leur  conduite,  donnaient  de  l'om- 
brage au  gouvernement.  Mais  ceite 
mesure    n'eut   qu'un   eifet  tempo- 
raire :  TEcole,  licenciée  le  13  avril 
1810,  fut  réorganisée  le  4  septem- 
bre suivant.  Le  premier  discours 
que    Vaublanc     prononça     à     la 
Chambre  des  déuutés  eut  pour  ob- 
jet la  défense  du  projet  de  loi  sur  la 
liberté  iuiiividuelle;  on  y  remarqua 
le    passage  suivant,   qui  excita  de 
vifs    applaudissements   :    «    L'im- 
mense majorité  de   la  France  veut 
son  roi...   Ces  acclamations    sont 
universelles  en  France,  »  reprit  l'o- 
rateur, «  mais  il  se  trouve  une  mi- 
norité   factieuse,    ennemie   d'elle- 
même, qui  ne.  peutvivre  queilansle 
trouble  :  c'est  cette  minorité  si  fai- 
ble, et  pourtant  si  dangereuse,  qu'il 
faut  surveiller  sans  relûehe  et  com- 
primer par  de  fortes  lois.  »  La  cor- 
respondance politique  de  Vaublanc 
uvec  les  préfets  était,  en  tout  point, 
conforme  à  son  langage.  11  ne  ces- 
sait de  leur   prêcher  l'action,    ti 
Louis  XVII 1  appelait  son   dévoue- 
ment un  dévouement  à  perdre  ha- 
lehic.  Remarquons,  loulelois,  que 
l'esprit  de  réaction,  dont  Vaublanc 
se  constituait  ainsi  l'apôtre  le  plus 
déclaré,  fut  exempt  de  toute  animo- 


176 


VAU 


site  personnelle,  e.{  que,  à  la  diffé- 
rence de  quelques  autres,  il  ne  dés- 
honora par  aucune  passion  haineuse 
ou  vindicative  l'ardeur  de  ses  senti- 
ments royalistes.  Lors  de  la  discus- 
sion de  la  loi  d'amnistie,  il  contri- 
bua à  faire  limiter  le  nombre  des 
proscriptions  et  à  préserver  de  la 
conflscation  les  biens  des  régicides 
et  des  fauteurs  du  20  mars  :  modé- 
ration d'autant  pluslouable,que  le 
rétablissementde  cette  odieuse  peine 
avait  été  un  des  premiers  actes  du 
pouvoir  éphémère  de  Napoléon. 
«■  Après  tant  de  révolutions  faites 
si  facilement  depuis  quarante  ans.» 
écrivait-il  quelques  années  plus 
tard,  «  nous  devrions  les  regarder 
comme  des  jeux  politiques  où  on 
est  tantôt  heureux,  tanlùl  malheu- 
reux, en  parler  froidement  avec 
nos  adversaires  comme  de  chances 
de  la  vie  humaine,  el,  après  avoir 
été  amis  liilèles  cl  ennemis  géné- 
reux, n'avoir  de  ressentiment  que 
pour  les  crimes  (1).  ^>  On  a  fait  la 
r«îmarque  que,  pendant  toute  la  du- 
rée de  son  administration,  ce  mi- 
nistre si  ardemment  noté  comme 
réactionnaire  par  le  parti  libéral 
ne  déplaça  que  vingt-deux  préfets, 
proportion  bien  inférieure  aux  des- 
titutions que  ce  parti  devait  opérer 
(juinze  ans  plus  tard  dans  le  même 
ordre  de  fonctionnaires.  Vaublanc 
fut  moins  heureux  dans  la  suite  de 
sa  carrière  législative,  et  ne  con- 
serva de  crédit  sur  la  Chambre  des 
députés  que  par  l'appui  de  Mon- 
sieur, q'ji  l'avait  fait  placer  à  la 
tête  des  gardes  nationales  de 
France,  et  à  qui  il  communiquait 
tous  les  actes  importants  de  son 
administriition.  Ce  fut  à  l'occasion 
d'une  de  ces  luttes  parlementaires 


(i)  Mémoires,  t.  m,  p.  207. 


VAU 

qu'il  prononça  ces  paroles  souvent 
répétées  depuis  :  «  Je  sais  fort 
bien  que  le  gouvernement  repré- 
sentatif n'a  pas  été  inventé  pour  le 
repos  des  ministres.  »  Son  élocu- 
culion,  généralement  ampoulée  et 
dogmatique,  manquait  de  précision 
et  de  netteté.  Les  débats  qui  s'é- 
levèrent au  sujet  de  la  loi  électo- 
rale furent  le  prétexte  ou  l'occa- 
sion de  sa  disgrâce.  A  la  suite  d'un 
exposé  de  motifs  assez  embarrassé, 
Vaublanc  présenta  h  la  Chambre 
des  députés  un  projet  qui  établis- 
sait deux  degrés  d'élection  :  les  col- 
lèges cantonaux,  composés  de 
fonctionnaires  publics  et  des 
soixante  plus  imposés,  nommaient 
des  candidats,  parmi  desquels  choi- 
sissait définitivement  le  collège 
électoral  du  département,  également 
formé  des  principaux  fonctionnai- 
res publics,  des  soixante-dix  plus 
forts  contribuables,  et  d'un  supplé- 
ment d'électeurs  désignés  par  les 
collèges  de  canton  parmi  les  ci- 
toyens payant  300  francs  et  plus 
de  contributions  directes.  Ce  pro- 
jet divisait  les  députés  en  cinq  sé- 
ries déterminées  par  le  sort,  dont 
chacune  cessait  ses  fonctions  d'an- 
née en  année.  Malgré  l'esprit  mo- 
narchique qui  respirait,  pour  ainsi 
dire,  dans  chacune  de  ses  disposi- 
tioiis,  la  majorité  de  l'assemblée 
accorda  peu  de  faveur  h  ce  projet, 
que  le  nipporteur,  M.  de  Villèle, 
battit  en  brèche  sur  tous  les  points  ; 
il  y  substitua  le  renouvellement 
quinquennal  el  intégral,  et  des 
collèges  il  deux  degrés  avec  des 
électeurs  à  2.'5  francs.  Son  plan, 
beaucoup  moins  conven;ible  à  l'ad- 
ministration, mais  infiniment  plus 
fivorable  à  la  grande  propriété 
obtint  une  assez  forte  majorité  à  la 
chambre  élective.  Mais  la  Chambre 
des  pairs  vit  dans  l'œuvre  du  mi- 


VAL' 


VAL 


77 


uislère  une  violation  formelle  des 
droits  consacrés  par  la  Charte ,  et 
dans  le  système  de  la  commission 
le  dessein  de  constituer  une  sorte 
d'aristocratie  au  profit  exclusif  de 
la  propriété,  et  repoussa  Tune  et 
l'autre  proposition.  Cependant, 
comme  une  loi  d'élection  était  in- 
dispensable, M.  dcVillèle  fut  invité 
parle  ministère  à  proposer  un  nou- 
veau projet.  Il  se  borna,  dit-on,  à 
demander  que,  pour  le  prochain 
renouvellement  quinquennal,  on  fit 
usage  des  listes  électorales  qui  a- 
vaicnt  servi  à  la  formation  de  la 
Chambre  actuelle,  et  Vaublanc  fut 
chargé  de  présenter  cette  proposi- 
tion; mais  le  côté  droit  se  plaignit 
vivement  qu'îiucune  précaution  n'y 
eût  été  spécifiée  contre  le  renouvel- 
lement partiel  de  l'Assemblée  jus- 
qu'à la  prochaine  session.  M.  de 
Viiléle,  rapporteur  du  nouveau  pro- 
jet, combla  celte  lacune,  qui  n'était 
pis  saiiS  imporlame  dans  l'état 
d'antagonisme  où  se  trouvaient  la 
Chambre  et  le  ministère.  Il  proposa 
par  forme  d'amendement  de  décla- 
rer que  les  collèges  électoraux  ne 
pourraient  être  appelée  à  aucune 
autre  élection  qu'à  celles  qui  se- 
raient nécessitées  par  une  disso- 
lution de  la  Chambre.  Cet  amen- 
dement, qui  excluait  le  renouvel- 
lement partiel  f  l  (piinquennal,  fut 
repoussé  p;jr  M.  Dtc;izes  connue 
inconstitutionnel;  mais  il  fut,  au 
grand  étounemeni  de  la  Chambre, 
appuyé  par  Vaublanc,  et  prévalut 
à  une  très-forte  majorité.  Celle  dé- 
fection éclatante  aigrit  encore  les 
dissentiments  qui  existaient  depuis 
longtemps  entre  Vaublanc  et  quel- 
ques-uns de  ses  collègues,  et  qui 
avaient  fini  par  dégénérer  eu  hos- 
tilités déclarées.  Il  quitta  le  minis- 
tère le  7  mai  4 81 G  avec  M.  de 
Barbé-Marbois,    dont    la    retraite 

LXXXV 


avait,  dit-on,  été  demandée  parM.  le 
comte  d'Artois  comme  une  com- 
pensation à  ce  sacrifice,  et  fut 
remplacé  par  M.  Laine.  Il  reçut  le 
titre  de  ministre  d'Etat  et  celui  de 
membre  du  conseil  privé.  Vaublanc 
ne  reparut  plus  qu'en  <820  à  la 
Chambre,  où  il  fut  envoyé  par  le 
collège  départemental  du  Calvados, 
à  la  suite  des  modifications  qu'a- 
vait subies  la  loi  électorale.  Il  ne 
cessa  de  siéger  à  l'extrême  droite, 
de  défendre,  par  ses  discours  et  ses 
votes,  les  principes  monarchiques, 
et  de  combattre  le  côté  gauche 
comme  en  état  d'hostilité  perma- 
nente contre  la  royauté.  A  la  ses- 
sion de  1821,  il  vota  pour  les  six 
douzièmes  provisoires,  et  repoussa 
vivement  l'insinuation  de  Stanislas 
de  Girardiu,  tendant  à  faire  consi- 
dérer l'offre  du  château  de  Cham- 
bord  au  duc  de  Bordeaux  comme 
un  témoignage  officiel  sollicité  par 
les  agents  du  gouvernement.  A 
propos  de  la  discussion  de  la  loi 
sur  les  donataires,  il  insista  pour 
que  l'on  songeât  à  indemniser  les 
émigrés,  et  rappela  la  proposition 
formulée  en  1814,  â  ce  sujet,  par 
le  maréchal  Macdonald.  Il  fit  re- 
jeter aussi  une  réduction  de  20,000 
francs  demandée  par  la  commission 
du  budget  sur  les  encouragements 
destinés  aux  lettres  et  aux  arts.  Le 
20  jijiii  1821,  il  lit  un  rapport,  au 
nom  d'une  commission  spéciale, 
sur  la  prorogation  de  la  censiire 
des  joiu'uaux,  qu'il  combattit 
cdunne  inconstitutionnelle  et  arbi- 
traire, et  conclut  contre  le  projet, 
qui  fut  néanmoins  adoplé.  A  la 
session  de  i822,  il  fut  élu  l'un  des 
vice-présidents  de  la  Chambre,  et 
oblint  le  même  honneur  dans  la 
plupart  des  sessions  suivantes,  il 
fut  encore  nommé  rapporteur  du 
|)rojet  de  loi  sur  la  |)rorogalion  de 

12 


178 


VAU 


la  censure,  mais  ce  projet  fut  retiré 
par  le  ministère  Villèle,  peu  de 
jours  après  son  installa  ion.  Lors 
de  la  discussion  de  la  loi  des  doua- 
nes, qui  eut  lieu  à  la  session  sui- 
vanie,  Vaublanc  prit  la  parole  avec 
chaleur  dans  l'intérêt  de  la  pros- 
périté coloniale,  vrai  moyen,  dit-il, 
d'avoir  une  marine  bonne  ei  impo- 
sante, et  insista  pour  la  diminution 
des  droits  imposés  aux  sucres  des 
colonies.  A  l'exemple  de  quelques- 
uns  de  ses  collègues,  il  combattit 
la  proposition  de  traduire  à  la 
barre  de  la  Chambre  le  procureur- 
général  Mangin,  pour  ses  accusa- 
lions  prétendues  calomnieuses 
contre  plusieurs  députés  du  côté 
gauche,  accusations  dont  la  réalité 
n'a  été  que  ti  op  bien  établie  depuis. 
L'année  d'après,  à  propos  du  bud- 
get des  douanes,  Vaublanc  attaqua 
assez  vivement  le  système  d'admi- 
nistration agricole,  commercial  et 
industriel  du  ministère,  et  profita 
de  cette  occasion  pour  demander 
l'établissement  d'un  entrepôt  dans 
les  Antilles  françaises.  Le  14  mars 
1823,  il  déposa  une  proposition  tt^n- 
danl  à  faire  nommer  par  la  cham- 
bre un  comité  spécial  chargé  d'exa- 
miner l'état  du  commerce  et  de 
l'industrie,  etd'en  faire  un  rapport. 
Cette  propositionne  fuipas.idmise  ; 
mais  les  idées  que  Vaublanc  déve- 
loppa \ï  cette  occasion  obtinrent  une 
certaine  faveur  et  ne  furent  pas 
sans  influence  sur  la  création  pos- 
térieure du  conseil  du  commerce  et 
des  manufactures.  Aux  élections 
générales  de  <824,  Vaublanc  fut 
réélu  par  le  collège  d. -parlementai 
du  Calvados  :  il  parla  dans  cette 
session  pu  faveur  du  projet  de  loi 
sur  la  seplennaliié,  et  soutint  que 
celle  mesure  était  cgalemenl  favora- 
ble aux  libertés  publiques  el  à  l'au- 
loritéroyalc.  L'avénementde  Char- 


VAU 

les  X  n'apporta  aucun  changement 
notable  dans  sa  situation  politique. 
11  fut  rapporteur  di  projet  de  loi  sur 
la  liste  civile  de  ce  prince,  et  se 
prêta  volontiers  à  l'inspiration  con- 
ciliante qui  porta  le  nouveau  roi  à 
y  assurer  par  des  dispositions  spé- 
ciales une  position  de  fortune  in- 
commutable  au  duc  d'Orléans  el  à 
sa  famille.  Vaublanc  pril  part,  en 
qualité  de  commissaire  du  roi,  à  la 
discussion  de  la  loi  sur  l'indemnité 
des  émigrés.  On  le  vit  avec  inlérêt, 
dans  celte  ciiconstance,  s'unir  à  un 
député  de  la  gauche, M.  Basterrèche, 
pour  glorifier  le  courage  civil,  vertu 
bien  autrement  rare  et  estimable 
que  la  valeur  militaire,  cet  objet 
presque  exclusif  des.hommages  de 
la  multitude.  Dans  la  discussion  du 
budget  de  1827,  il  répondit  k  B. 
Constant,  qui  réclamait  l'inamovi- 
bilité pour  le  conseil  d'Etat,  que  si 
ce  principe  était  admis,  la  respon- 
sabilité ministérielle  ne  serait  plus 
qu'un  vain  mot,  qu^î  les  conseillers 
d'Elal  se  croiraient  à  l'abri  de  la 
direction  des  ministres,  et  que  ceux- 
ci  ne  pourraient  être  raisonnable- 
ment engajîés  par  leurs  avis.  Le  re- 
trait du  projet  de  loi  sur  la  police 
de  la  presse  ayant  donné  lieu  à  la 
proposition  La  Boëssière,  dont  l'ob- 
jet était  de  veiller  k  ce  que  l'hon- 
neur de  la  Chambre  ne  fût  pas  at- 
taqué impunément ,  il  fut  noinmé 
rapporteur  de  celte  malencontreuse 
proposition  et  membre  de  la  com- 
mission qui  en  devint  le  produit; 
mais  son  maiidaf,  terminé  par  la 
dissolution  de  la  Chambre  en  1827, 
ne  fut  pas  renouvelé.  Le  comte  de 
Vaublanc  avait  perdu  de  son  crédit 
auprès  de  Charles  X,  durant  l'ad- 
ministraliou  de  M.  de  Villele.  Ce 
ministre,  avec  leqm  l  il  était  de- 
puis longtemps  en  opposition  ou- 
verte, avait  obtenu  du  roi  la  suppres- 


VAU 


VAL' 


179 


sion  des  libres  entrées  dont  jouissait 
Vaublanc,  ainsi  que  quelques  autres 
conseillers  intimes.  Maigre  celte 
apparente  détaveur,  le  bruit  courut 
plusieurs  fois  de  son  retour  aux  af- 
faires, où  les  exhortations  du  prince 
deTalleyraiid,  dit-on,  inclinaient  à 
le  porter.  On  prétendit  queCharlesX 
lui-même  en  témoigna  plus  d'une 
fois  l'intention,  et  que, au  milieu  des 
embarras  qui  l'assaillaient,  il  re- 
gretta souvent  que  !e  système  élec- 
toral de  Vaublanc  n'eût  pas  été 
adopté.  Nés  avec  la  Restauration  et 
grossis  dans  son  cours,  ces  embar- 
ras avaient  sollicité  dès  longtemps 
la  prévoyance  politique  de  l'ancien 
ministre.  «  Depuis  sept  ans,  disait- 
il  en  1822  «le  gouvernement  n'a 
travaillé  qu'à  s'affaiblir,  et  c'est 
une  vérité  incontestable,  que  tous 
les  gouvernements  faibles  doivent 
périr.»  Quelques  mois  avant  les  or- 
donnances de  juillet  1 830,  Vaublanc 
avait  adressé  à  Charles  X,  par  l'en- 
tremise de  M.  deChabrol,  ministre  de 
la  marine,  un  mémoire  où  se  trou- 
vaient indiquées  diverses  mesures 
propres^  détourner  la  crise  qu'il  ap- 
préhendait. Les  plus  imj)ortantes 
consistaient  en  une  convoi  ation  ex- 
traordinaire des.  principales  notabi- 
lités de  la  France  pour  délibérer  sur 
les  conjonctures  actuelles,  et  l'éta- 
blissement du  gouvernement  dans 
une  ville  forte  du  Noi  d,  où  l'on  eût 
attendu  que  Texallation  des  esprits 
de  la  capitale  vint  a  se  calmer.  Tout 
porte  îi  croire  que  ce  mémoire  ne  fut 
pas  remis  au  roi.  H  est  douteux,  au 
surplus,  que  les  mesures  proposées 
par  Vaublanc  eussent  réussi  à  con- 
jurer les  périls  qui  menaçaient  la 
monarchie,  et  dans  lesquels,  on  doit 
le  reconnaître,  il  cniraii  encore  plus 
de  malentendu  cl  d'inexpérience 
politique  que  d'hostilité  décidée. 
Vaublanc  fut  rendu  momentanément 


à  la  vie  publique  par  une  des  ordon- 
nances du  25  juillet,  qui  l'appelait 
à  participer  aux  délibérations    du 
Conseil  d'État  avec  MM.  Franchet, 
Delaveau,  Forbin  desIssarts,Castel- 
bajac  et  plusieurs  autres  royalistes, 
que  l'ardeur  de  leurs  opinions  en 
avait   fait  écarter   précédemment. 
11  ne  fut  point  d'ailleurs  dans  la  con- 
fidence   du    coup   d'Etat   projeté, 
et  ne  devina  l'emploi  de  mesures 
extraordinaires   qu'à  la  physiono- 
mie   préoccupée    de    Charles   X , 
qu'il  vit   à  Saint -Cloud   quelques 
instants   avant    radoi)tion    défini- 
tive de  cette  grave  détermination. 
La  révolution  de  1830  devint  pour 
le    comte    de    Vaublanc  le  signal 
d'une  retraite  absolue.  Mais  cette 
retraite  fut  laborieuse,  comme  l'a- 
vait été  la  vie  entière  de  cet  homme 
d'Etat.  Malgré  ses  infirmités ,  qui 
croissaient  avec  l'Age,  il  en  consa- 
cra les  loisirs  à  d'utiles  études  sur 
des  questions  d'économie  politique 
et   d'administration.  Ce    fut   ainsi 
qu'il  publia,  en  1833,  un  Essai  sur 
V  instruction     et    l'éducation    cVuu 
prince  au  dix-huitième  siùcle,  ou- 
vrage écrit  pour  Mgr  le  duc  de  Bor- 
deaux, plein  de  vues  estimables  et 
de  considérations  judicieuses,   et 
plusieurs    autres    opuscules    poli- 
tiques. Vaublanc  chercha  de  nobles 
délassements  dans  l'art  de  la  pein- 
ture, qu'il  cullivail  non  sans  succès, 
et  se  livra  avec  ardeur  à  !-on  goût 
passionné  pour  l'équilalion,  exer- 
cice auquel    il   n'avait  jamais  re- 
noncé ,  même    pendant   la  courte 
durée  de  sa  carrière  ministérielle.  11 
donna  également  l'essor  à  son  pen- 
chant inné  pour  la  poésie,    et  fil 
paraître  successivement  le  Dernier 
des  rjsnrs  (181U-30>,  épopée  où  le 
mérite  d'une  noble  conception  est 
rehaussé  parune  versification  pure, 
animée,  abondante  en  images  ;  el 


180 


VAU 


VAQ 


des  tragédies  dont  les  principales 
ont  pour  titre  :  Soliman  II,  Attila, 
Aristomène,  etc.  Ces  essais  drama- 
tiques, qui  présentent  des  qualités 
analogues  au  poème  épique  dont 
nous  venons  de  paiier,  ont  été 
^  recueillis  en  1839  en  un  volume 
in-8°,  tiré  seulement  à  200  exem- 
plaires. En  1833,  Vaublanc  publia 
des  Mémoires  sur  la  Révolution  de 
France  (Paris,  A  volumes  in-8°),  et 
en  1838,  deux  volumes  de  Souvenirs 
dans  lesquels  il  reproduisit  un 
grand  nombre  de  faits  et  d'aperçus 
empruntés  à  la  j)rcmièr(î  de  ces 
publications.  Le  comte  de  Vaublanc 
est  tout  entier  dans  ces  deux  ou- 
vrages, où,  à  travers  un  sentiment 
exagéré  de  personnalité,  on  distin- 
gue des  vues  hautes  et  utiles,  des 
particularités  intéressantes  et  bien 
observées,  et  quelques  vérités  po- 
litiques fortementexprimées.  Parmi 
b'S  sentences  qu'ilsrenferment, nous 
citerons  la  suivante,  qui  résume  avec 
autant  de  fidélité  que  de  concision  la 
tactique  trop  constasite  des  moder- 
nes pai  lis  :  «  Tout  l'art  des  lactieiix 
consiste  à  se  faire  un  droit  puissant 
de  toutes  les  concessions  qu'on  leur 
accorde,  et  leur  logique  consiste  à 
regarder  le  refus  de  nouvelles  con- 
cessions comme  une  atteinte  cri- 
minelle portée  aux  premières  (1).  » 
Bien  que  le  système  gouvernemen- 
tal de  l'auteur  se  résume,  en  der- 
nière analyse,  à  un  emploi  intelli- 
gent mais  inflexible  de  la  force,  il 
faut  reconnaître  que  cette  politi- 
que, vulg.jire  en  apparence,  s'en- 
noblit par  les  développemerits  qu'il 
lui  prête,  et  (jue,  d^ns  sa  pensée, 
l'énergie  du  pouvoir  n'a  aucun  des 
caractères  de  celte  compression  à 
la  fois  violente  et  artilicieuse  qui 


(1)  MémoircSy  t.  iv,  p.  169. 


humilie  les  peuples  sans  les  sou- 
mettre ,  etqui  ne  préserve  l'ordre  ma- 
tériel qu'auxdépensdel'ordre  moral. 
Vaublanc  se  montre  favorable  en 
toute  circonstance  à  la  liberté  de  la 
presse,  qu'il  regarde  comme  entrée 
dans  nos  habitudes  et  dans  nos 
mœurs,  et  ne  cesse  de  recomman- 
der la  modération  et  la  tolérance 
envers  les  pariis  même  dont  il  veut 
qu'on  réprime  avec  vigueur  les  en- 
treprises ou  les  écarts:  dispositions 
qu'on  ne  saurait  trop  honorer  chez 
un  homme  que  l'animosité  contem- 
poraine s'est  plue  à  signaler  comme 
un  partisan  outré  du  pouvoir  ab- 
solu, et  dont  la  qualité  la  plus 
incontestable  fut  un  grand  courage 
personnel,  accompagne  d'une  foi 
opiniâli'c  et  souvent  excessive  dans 
les  idées  et  les  impressions  qui  lui 
étaient  propres.  Le  comte  de  Vau- 
blanc mourut  à  Paris,  presqu'eu- 
tièremenl  aveugle,  le  21  août  1845, 
dans  sa  quatre-vingt-dixième  an- 
née, sans  laisser  aucune  fortune. 
De  son  mariage  avec  Mlle  de  Fon- 
tanelle, il  n'avait  eu  qu'une  tille, 
mariée  en  premières  noces  ii 
M.  Segond,  officier  du  génie  dis- 
tingué, qui  pirit  au  siège  de  Sara- 
gosse.  Un  tils  unique,  qu'il  avait 
laissé,  succéda  plus  tard  au  nom  et 
aux  titres  de  son  grand-père;  mais 
il  ne  lui  survécut  quequelques  mois. 
La  veuve  de  ce  militaire  a  épousé 
en  secondes  noces  M .  Potier,  gentil- 
homme anglais,  dontia  famille  s'est 
fait  honorablement  remarquer  dans 
l'Église  et  dans  les  lettres.  A.  B-le. 

VAUBLANC   (JEAN-BAPflSTE-BKR- 

NAiw)  VIÉNOT,  chevalier  de),  frère 
du  précédent,  naquit  à  Saint-Do- 
min;-'ue  le  < 7  septembre  17G1.  Il 
fut  élevé  à  l'École  militaire  de  Paris 
et  retourna  sous  les  tropiques,  où 
il  fit,  à  seize  ans,  sa  première  cam- 
pagne. 11  prit  part  à  la  guerre  de 


VAU 

l'Indépendance,  et  reçut  du  gou- 
vernement américain  des  conces- 
sions territoriales  en  reconnais- 
sance de  son  concours.  Il  revint  en 
France  en  1793,  fut  nommé  adju- 
dant généra!  par  Picliegru,  et  fit 
partie,  en  cette  qualité,  de  l'armée 
du  Rhin.  Napoléon  lui  conféra  le 
grade  de  général  de  brigade.  Lors 
(le  la  création  des  inspecteurs  aux 
revues,  le  duc  de  Feltre  le  proposa 
au  gouvernement  pour  remplir  ces 
fonctions,  et  ce  choix  fut  justifié 
par  l'intégrllé  sévère  et  la  remar- 
quable activité  que  Vaublanc  dé- 
ploya dans  leur  exercice.  Il  fut 
employé,  en  1808,  dans  la  guerre 
d'Espagne  et  de  Portugal,  et  ren- 
dit, à  l'aide  de  ces  qualités  pré- 
cieuses, de  grands  services  h  l'ar- 
mée française  et  aux  populations. 
En  1812,  Vaublanc  fut  appelé  à 
faire  partie  de  l'expédition  de  Rus- 
sie, et  se  mit  en  route  sans  tenir 
compte  des  instances  de  sa  famille 
et  des  exhortations  du  maréchal 
Kerlhier,  qui  le  pressaient  vivement 
de  prendre  quelques  semaines  de 
repos.  Il  organisa  avec  zèle  la 
vaste  administration  qu'il  était 
appelé  à  diriger.  Vaublanc  pénétra 
dans  Moscou  à  la  suite  des  victoires 
de  la  grande  armée;  mais  le  succès 
de  nos  armes  nelui  faisaient  pas  il- 
lusion sur  le  caractère  aventureux 
de  celle  gigantesque  expédition  : 
«  Quelle  serait  ma  folie  d'être  venu 
jusqu'ici,  écrivait-il  en  France,  si 
les  motifs  les  plus  légitimes  ne  m'y 
avaient  conduit!  »  Quelques  ta- 
bleaux précieux  qui  ornaient  son 
salon,  sauvés  de  l'Incendie  de  celle 
capiiale,  restèrent  quelques  jours 
après  ensevelis  sous  les  neiges,  et 
cette  désastreuse  rdraile  anéantit 
aussi  les  matériaux  d'un  grand 
ouvrage  où  Vaublanc  avait  déposé 
les  fruits  de  sa  longue  expérience 


VAU 


181 


dans  l'administration  militaire. 
Mais  elle  devait  lui  couler  plus 
encore.  Parvenu  aux  portes  de 
Wilna  à  travers  mille  périls  et  des 
souffrances  infinies,  Vaublanc  suc- 
comba le  11)  décembre  1812,  ayant 
partagé,  dit  un  biographe,  les  en- 
treprises et  les  désastres  de  l'Em- 
pire, mais  jamais  sa  gloire  ni  son 
opulence.  Il  laissa  plusieurs  en- 
fants; l'un  d'eux  écrivain  distin- 
gué, auteur  de  la  France  au  temps 
des  Croisades  (Paris,  1844-49,  4  v. 
in-S"),  après  avoir  été  auditeur  au 
conseil  d'État  pendant  la  Reslau- 
ration,  occupe  aujourd'hui  le  posle 
de  grand-maître  de  la  maison  do 
S.  M.  la  Reine  de  Bavière.  A.  Bée. 
VAUBRIÈRES  (de),  écrivain 
du  xvii''  siècle,  que  nous  ne  trou- 
vons mentionné  dans  aucun  de  nos 
dictionnaires  historiques,  fut  d'a- 
bord professeur  à  l'université  de 
Ileidelberg,  et  ensuite  maitre  de 
mathématiques  des  pages  de  Jean- 
Isidore,  cardinal  de  Bavière,  évê- 
que-prince  de  Liège.  Il  occupait 
cet  em|)loi  lors  de  la  publication 
de  son  premier  ouvrage,  intitulé  : 
Principes  d'cdiualion  pour  la  no- 
blesse, concernant  les  bonnes  mœurs 
et  la  reliQion,  etc.,  Liège,  B.  Co- 
lette, 1751,  petit  in-8  dédié  à 
Messeigneurs  les  trois  États  du  pays 
de  Liège  et  comté  de  Looz.  A  la  fin 
du  vol.,  qui  a  près  de  (00  |)aQ:es 
et  qui  n'est  guère  qu'une  compi- 
lalion,  l'auteur  dit  :  «  Je  me  borne 
pour  le  présent  aux  matières  que 
je  viens  de  traiter...  Je  suis  bien 
aise  de  pressentir  le  goût  du  pu- 
blic. Si  ces  prémices  de  mon  tra- 
vail n'ont  pas  le  bonheur  de  lui 
plaire,  je  respecterai  son  jugement 
et  me  tairai  :  s  il  enjuge  autrement, 
je  me  disposerai  à  produire  un  se- 
cond ouvrage  dans  lequel  je  dé- 
velopperai  le    Troisième  objet   de 


\S2 


VAU 


l'édtLcation  de  la  jeunesse,  qui  est 
l'étude  des  sciences,  etc.  »  11  paraît 
que  le  livre  eut  un  certain  succès, 
puisque,  en  1761,  il  en  parut,  aussi 
à  Liège,  une  nouvelle  édition  en 
3  vol.  in-8°,  dans  laquelle  de  Yau- 
brières  développa  sans  doute  son 
troisième  objet.  On  a  encore 
de  lui  :  Dissertation  succincte  et 
méthodique  sur  lepoëme  dramatique , 
concernant  la  tragédie  et  la  comédie, 
où  l'on  fait  pré.céd4',r  le  poëme  épi- 
que et  succéder  différents  autres 
(lenres  de  poésie  qui  ont  rapport  au 
drame.  Nuremberg,  J.-A.  l.okner: 
17C7,  2  vol.  in-8^  Pour  une  dis- 
sertation succincte,  deux  vol.  de 
ce  format,  c'est  beaucoup.  Au  reste, 
nous  ne  connaissons  celte  produc- 
tion que  par  la  citation  qu'en  fait 
la  France  liltér.  de  M.  Quérard; 
mais  il  ne  nous  semble  pas  que  de 
Vaubrières  ait  été  très-capable  de 
parler  pertinemment  d'aucune  es- 
pèce de  poésie,  à  en  juger  du 
moins  par  une  pièce  de  sa  façon 
insérée  dans  ses  Principes  d'éduca- 
tion et  qui  a  pour  litre  :  Le  Paga- 
nisme tourné  en  ridicule.  Elle  se 
compose  de  treize  quairains,  dont 
les  deux  suivants  donneront  une 
idée  : 

Voici  lei  dieux  veotez  (sic)  que  cUtz  vous  ou 

révère, 
L'ÏDcet'.ueux  Jupiter;  un  dieu  Mars  adultère; 
L'iofàme  dieu  l'riape:  un  Ncptiinfe  masson  ; 
Une  Diaoe  accoucheuse;  uu  Vukain  forgeron; 

Un  dieu  nacchut  yvrogoe ,  Apollon  musicien; 
Eftculape  »on  fiU  et  fameux  utodccin; 
Une  Venu»  impudique;  un  Mercure  voleur, 
Sont  pour  voua  lea  objets  d'une  t<  ndre  ferveur. 

Quand  on  mettrait  sur  le  compte 
du  proie  liégeois  les  fautes  contre 
la  mesure,  et  quand  on  supposerait 
qu'il  y  avait  dans  la  copie  l'inces- 
tueux Jupin,  Diane  t' accoucheuse, 
l  impudique  V<^ni/«, etc.,  les  vers,  pour 
en  être  moins  irréguliers,  en  vau- 


VAU 

draient-ils  beaucoup  mieux?  Nous 
ne  pouvons  dire  en  quelle  année 
mourut  de  Vaubrières.     B — l — u. 
VAUDCÏLVMP  (Jeanne),  l'An- 
tigone,  ou,  pour  revenir  de  la  poésie 
à   la  simple  vérité,  la  Xantippede 
Delille,  avait  pour  père  un  musi- 
cien  de  salon  de   la  petite  ville 
de  Saint-Dié,  en  Lorraine;  lequel, 
chargé  de  famille  et  courant  le  ca- 
chet, n'avait  pas  plus  le  temps  que 
la  ferme    voionlé    d'exercer  une 
stricte  surveillance  sur  ses  filles. 
Jeanne,  son  aînée  (qui  dut  nalire  , 
de  1765  h  1767),  apprit  un  peu,  très- 
l)eu  de    musique;    mais   bientôt, 
trouvant  sa  ville  natale  un  théâtre 
trop  étroit  pour  son  humeur  aven- 
tureuse ,    elle    prit   son   vol   vers 
cette   capitale   que   la  renommée 
lui  présentait  comme  un  Eldorado 
où   chaque   jour  il    pleuvait   des 
quadruples,  des  louis  et  des  écus 
autour  de  la  beauté  nécessiteuse 
que   sa   bonne   étoile   amène   en 
ces  parages.   Son  entrée  dans  la 
brillante  et  bruyante  cité  ne  fut  pas 
très-triomphale,    elle  n'y  trouva 
pas  la  moindre  place  à  demeure  ; 
la  pluie    métallique   ne  ruisselait 
pas  pour  elle,  bien  qu'elle  se  tînt 
sous  la   gouttière  et  bien  qu'elle 
cùl  à  celte  époque  quelque  chose 
du  physique  de  son  emploi  ;  si  bien 
que,  faute  de  mieux,  Danaé  tou- 
jours expectante,  la  voiUt  réduite  à 
prendre  au  bras  la  modeste  guitare, 
et  plus  modeste  encore  en  sa  pa- 
rure, à  courir  les  rues  et  places  de 
Paris,  éveillant  de  ses  chants  les 
échos  d'alentour,  brodant  de  pi- 
rouettes et  gambades  ses  roulades, 
cl  alerte  à  ramasser  la  menue  mon- 
naie qu'on  lançait  des  fenêtres  ou 
que   lui  jetaient  les  passants  (1). 


CI)  L'on  nous  a  même  dit,  mais  nous 


VAU 

Elle  se  livrait  à  ce  triple  exer- 
cice un  jour  de  tiède  soleil  et 
de  quasi-printemps,  entre  la  co- 
lonnade du  Louvre  et  la  façade  de 
Saint-Germain-l'Auxerrois,  quand 
Delille  vint  à  passer.  C'était  en 
automne,  cependant,  en  l'au- 
tomne de  1786,  et  peu  de  temps 
s'était  écoulé  depuis  qu'il  était  re- 
venu de  Conslantinople ,  où  Ton 
sait  que  l'avait  emmené  l'ambas- 
sadeur, comte  de  Clioiseul-Gou- 
fier.  Il  avait  encore  la  tète  pleine 
des  fantaisies  et  des  réalités  de 
l'Orient,  des  houris  et  des  aimées. 
L'architecture  byzantine  de  l'église 
ne  fut  donc  pas  ce  qui  lui  fit 
ralentir  le  pas,  ni  même,  bien 
que  la  chanteuse  eût  une  assez 
jolie  voix,  le  timbre  de  sa  voix  tt 
la  pureté  de  sa  méthode  :  il  s'ar- 
rêta comme  nous  nous  ariêterioiis 
à  Séville  devant  des  castaiiuettes 
ou  des  tambours  de  basque,  et 
s'arrêta  plus  longtemps;  la  siiene 
l'eût  peu  touché,  peut-être,  la 
bayadère  l'affola;  la  célérité  des 
enirechals  en  harmonie  avec  des 
traits  mutins  plutôt  que  beaux, 
avec  une  physionomie  provoquante 
et  décidée,  qui  promettait,  le  fit 
mordre  à  l'hameçon.  Bref,  le  leu- 
demain,  mademoiselle  Vaudchamp 
venait,  franchissant  le  seuil  du 
Collège  de  France,  achever  \i  loi- 


n'oserioiis  lo  garantir,  que  ce  n'est  pas 
il  la  daiiso  pure  et  simple  a  la  danse 
clior.'giaphiqiie  qu'ellf  se  hvrait  ainsi 
sur  la  place,  niiiis  bien  a  la  danse  du 
paillasse,  au  saul  de  carpe,  a  la  marche 
sur  les  mains,  et  h  toiilos  les  contor- 
sions de  rc(piilit>iiste.  Kt  l'on  appuyait 
le  faitd'iu)  n:ot  (pron  lui  l'ait  luonoiicer 
en  passant  sur  la  i)l;:c('  Saint-(u'rmain- 
l'Auxi'truis:  «  Cha(|ue  fois  que  je  revois 
cette  coldnnadt',  ce  p;)rlail,  vdilà  mon 
eieur  qui  lait,  comiui'  autrefois  mes 
iambes,  le  saul  de  carpe.  » 


VAU 


183 


sir  près  de  racadémicien  la  con- 
versation   ébauchée   la    veille    au 
soir.   Elle   se  renoua,  cette   con- 
versation,  avant  la  semaine  écou- 
lée. On  vit  encore  revenir  l'infa- 
tigable    interlocutrice      quelques 
jours  après,  et  on  ne  la  vit  plus  res- 
sortir que  de  loin  à  loin  et  comme 
de  chez  elle.  Elle  avait,  en  ce  peu 
de  temps,   conquis  au  Collège  le 
droit  de  cité  :   le  poêle  l'avait  fait 
consentir   (traduction    libre,   mais 
exacte:  elle  avait  fait  consentir  le 
poète)  à  la  prendre  pour  ;^êrer  sa 
maison.  On  demandera  :  Qu'est-ce 
que  c'était,  en  ce  temps-lk,  que  la 
maison   d'un    poète?   Voici  la  ré- 
ponse •  Sans  être  fermier  général, 
Delille,  avant    la  révolution,  était 
fort   bien   rente,   assez  du  moins 
pour   vivre    et   faire    vivre    toute 
femme    qui    ne    serait    pas   trop 
dépensière  :  il  unissait  aux  émolu- 
ments de  sa  chaire  ses  jetons  de 
l'Académi  '    et  ses  rentes  comme 
titulaire  de  l'abbaye  de  Saint-Sé- 
vérin,  qu'il  devait  à  la  délicate  in- 
tervention du  con.le  d'Artois.   Ici 
peut-être     nouvelle     question    : 
tt  Comment  l'abbé  de  Saint- Sé- 
verin,   puisque   c'est   à   cette  ap- 
pelliiion  que  répondait  le  traduc- 
teur des  Géorgiques,  eut-il  l'audace 
d'introniser  en  son  logis  une  ména- 
gère  d'âge  si  peu  canonique, sausap- 
|)rèhenderles  censures  de  sou  évo- 
que? »    C'est   d'abord  que  les  évè- 
ques  alors  se   (hoijuaicnl  peu  ûeb 
ptM;;cadilles  d'un  brillant  bénéficier, 
bien  en  cour  et  du  reste  bien  pen- 
sant; c'est  ensuite  que,  tout  abbé 
di  Saint-Sèveriu   que  fiil  Delisle, 
il  n'avait  jamais  dit  la  messe  et  ne 
s'était  môme  pas  vu    conférer    le 
moindre  des  quatre   mineurs.  Le 
se.andale  donc  n'était  pas  très-effréné 
pour  le  siècle  des  Louis  XV  et  ties 
Catherine  11;  et  nulle  anecdote  du 


W4 


VAU 


VAU 


temps  (Laharpe  ou  Grinim  n'eût  pas 
manqué  d'en  embellir  sa  correspon- 
dance) n'indique  que  qui  que  ce  soit 
ait  vu  pour  lors  une  excentricité 
blâmable  dans  le  caprice  du  Virgile 
moderne.  Ce  caprice  dura,  et  c'est 
parce  que,  passant  à  l'état  chroni- 
que, il  influa  notablement  sur  l'illus- 
tre écrivain,  que  donner  place  dans 
la  Biographie  universelle  a  celle  qui 
l'inspira  n'est  pas  du  luxe.  L'édi- 
teur de  ce  vaste  répertoire  des 
célébrités  de  tout  genre  comptait 
bien  lui  consacrer  un  article,  té- 
moin le  renvoi  par  lequel  il  l'an- 
nonce plus  que  suffisamment  (t. 
Lxxxiv,  p.  177).  Il  savait  que  Pro- 
cope  aurait  manqué  la  physionomie 
de  Justinien,  s'il  n'eût  gardé  un 
coin  du  tableau  pour  y  loger  Théo- 
dora.  Remplissant  aujourd'hui  la 
tâche  pour  laquelle  il  était  mieux 
renseigné  que  nous,  nous  tâche- 
rons, en  revanche,  d'être  plus  com- 
préhensif  et  moins  acerbe  que,  cer- 
tes, il  ne  l'eût  été,  sans  toutefois 
reculer  devant  le  devoir  de  relater 
les  faits. 

Delille    n'est    pas   remarquable 
seulement  par    la    perfection    de 
quelques-uns  de  ses  ouvrages,  et 
principalement  du  premier,  il  l'est 
aussi  par  la  célérité  de  la  produc- 
tion, et,  quelque  vrai  qu'il  soit  de 
dire  que  ce  ne  sont  pas  les  gros  ba- 
gages qui  font  aller  un  poêle  à  la 
postérité,  il  n'en  est  pas  moins  cer- 
tain que  la  fécondité  de  la  veine  poé- 
Ktique,  pour  peu  qu'elle  n'aboutisse 
^■asà  l'insignilianceou  au  ridicule, 
"^oute  a  l'idée   que  l'on  se  fait  de 
^crivain.  Voltaire,  si  Ton  suppri- 
jyait  quinze  des  seize  volumes  de 
ij^'Oésies  qu'où  lui  doit,  ne  serait  pas 
qV^oltaire.    b?i    même   Delille  ;  mais 
Delille,  au   nv^meDi  où  nous  som- 
mes, ne  se  doutait  pas  encore  de  sa 
force  productive.  Soii  conviction 


que  c*èst  moins  la  quantité  que  la 
qualité  que  l'on  cote  au  Parnasse, 
soit  invincible  amour  du  «  niente 
far,  »  (car  tout  vierge  qu'il  fût  des 
quatre  mineurs,  il  avait  ceci  des 
abbés  de  l'ancien  régime  qu'il  pré- 
férait à  tout  le  repos,  et  aurait  vo- 
lontiers, comme  Lafuntaine,  fait 
deux  parts  de  son  temps 

. . .  Dont  il  soûlait  passer 
J/une  k  dormir,  et  l'auire  k  ue  rien  faire.) 

il  n'avait  encore  fait  suivre  sa  tra- 
duction de  l'Hésiode  romain  que  des 
Jardins  ou  l'art  d'embellir  les  pay- 
sages (1780),  et,  se  reposant  avec 
un  calme  tout  philosophique  sur  ses 
lauriers,  il  attendait  sans  impatience 
l'heure  de  l'inspiration.  Tout  au 
plus,  l'idée  d'un  troisième  poëme  se 
dessinait-elle  vaguement  en  son 
cerveau.  L'intérêt  qu'y  prit  ou  fei- 
gnit d'y  prendre  son  Egérie  stimula 
son  indolence  et  fit  sortir  un  chant, 
deux  chants,  etc.,  des  limbes  où 
sans  elle  ils  fussent  restés  long- 
temps encore  ensevelis.  Lui-môme 
l'a  dit  beaucoup  plus  tard  dans 
cette  épîlre  charmante  en  tête  du 
poëme  de  V Imagination  où,  con- 
templant sa  divinité  au  travers  du 
prisme,  il  s'écrie  : 

Le  sujet  t'avait  plu,  ma  muse  l'embrassa 
Et  cet  ouvrage  commença 
(Que  cette  époqu'i  m'inlércsse!  ) 
Le  jour  même  oii  pour  toi  commença  ma  ten- 
dresse 
(le  jour,  un  seul  regard  siffit  pour  m'eiiUammer. 
r,ar  te  moutrer  c'est  plaire,  et  le  voir  c'est  l'ai- 
mer. 

Toutefois,  nous  devons,  en  chrono- 
logisle  fidèle,  distinguer  les  époques 
et  ne  pas  plus  brusquer  le  narré 
des  événements  que  Delille  ne 
brusque  la  Muse.  «  Ce  poiîme,;)  dit- 
il  lui-même  en  tête  de  la  préface  de 
\  Imagination ,  «  a  été  commencé 
dans  l'année  1785  et  fini  en  1704.  » 


VAU 


VAU 


185 


C'est  bien  le  cas  de  s'écrier  que 
l'auteur  se  montra  stricte  observa- 
teur  du  précepte  de  Boileau, 

Hàtez-Tous  lentement. . . 

plus  que  des  incitations  de  la  nym- 
phe qui  l'inspirait,  et,  comme  un 
laps  de  temps  plus  considérable  en- 
core sépare  1794  du  millésime  delà 
publication,  on  peut  ajouter  qu'il 
observa  de  même,  disons  mieux, 
qu'il  outrepassa  celui  d'Horace, 

. .  .Nonumque  prematur  in  annum. 

«  L'intervalle  de  ces  deux  dates,  » 
écrit  ensuite  le  poète,  parlant  tou- 
jours de  1785  et 94  «  a  été  maïqué 
par  de  grands  événements.  »  Ainsi 
que  l'état  poliîique  de  la  France,  la 
vie  intérieure  de  Delille  avait  subi 
des  révolutions.  Dès  1789  et  90,  les 
sourds  rugissements  de  l'orage  effa- 
rouchèrent les  Muses,  à  bien  plus 
juste  titre  encore  la  Muse  inoffen- 
sive  et  tendre  du  poète,  pour  qui  la 
gratitude  était  le  plus  doux  des  de- 
voirs; puis  vint  le  temps  où,  cha 
que  jour,  grondant  plus  effrayante, 
la  foudre  Huit  par  tomber,  non  une 
fois,  mais  cent,  mais  mille,  laissant 
partout,  en  signe  de  son  passage, 
des  traces  de  sang  et  des  ruines.  A 
moin.-,  d'avoir  le  robur  et  œs  tri- 
plex que  mentionne  et  que  ne  s:î 
vante  |)as  do  posséder  le  lyrique 
latin,  il  était  diflicile  d'élucubrer 
des  rhinls  didactiques  au  milieu 
de  semblable  tourmi-ntc.  D'ailleurs, 
il  en  viul  a  ne  pas  être  sans 
courir  lui-même  «fuelqucs  ris- 
ques. Déjà  il  avait  dû  comparaître 
devant  le  tribunal  révolutionnaiie, 
et  il  n'avait,  dit-on,  dû  son  salui 
qu'à  la  saillie  d'un  citoyen  com- 
pagnon maçon.  Le  refus  qu'il  avait 
fait  d'un  hymne  pour  la  fêle  de 
l'Llre  suprême,  imaginée  par  Ko- 
bi'spierre,  devait  sembler   au  fa- 


rouche dictateur  un  crime  de  lèse- 
nation.  Le  dithyrambe  «  sur  l'im- 
mortalité de  l'âme,  »  qui  vint  en- 
suite ,  loin  de  raccommoder  les 
choses,  était  de  l'huile  sur  le  feu. 
A  vrai  dire,  rien  alors  ne  retenait 
Delille  à  Paris  :  le  Collège  de  France 
n'existait  plus,  même  de  nom; 
l'Académie  française  avait  été  ba- 
layée comme  tout  le  reste.  De  cette 
société  parisienne  exquise,  polie, 
qui  donnait  jadis  le  ton  à  l'Eu- 
rope ,  pas  une  trace  n'était  res- 
tée ou  n'eût  osé  se  produire.  Les 
fonds,  d'ailleurs,  allaient  baissant, 
l'abbaye  de  Sainl-Séverin  était  à 
l'état  de  mythe,  et,  dussent  les 
combinaisons  de  Vérone  être  plus 
heureuses  que  celles  de  Coblentz,  il 
fallait  en  attendant  vivre  économi- 
quen;ent.  En  cette  extrémité  donc, 
ce  fut  un  bon  conseil  donné  à  l'ex- 
hénélicierparrex-sauteuse,  qui,  de 
jour  en  jour,  s'était  rendue  plus  in- 
dispensable, que  celui  d'aller  cher- 
cher un  asile  en  de  lointaines  et 
paisibles  contrées ,  au  fond  des 
vallées  ou  sur  le  versant  de  monta- 
gnes peu  fécondes  en  clubs,  à  portée 
des  ombrages  où  le  poète  pût  rêver 
sans  entendre  les  aboyeurs  de  Fou- 
quier-Tinville.  Il  eût  été  naturel 
que  le  poète  d'Aigueperse  5ongeât 
à  la  verte  Linr.agne,  à  l'Auvergne, 
sa  pittoresque  et  agreste  patrie. ..Il 
y  songea  peiit-êlre;  mais  s'il  pro- 
posa, sa  conseillère  disposa.  Par- 
tant de  deux  points  «pii,  plus  que 
jamais  étaieiulabase  de  sa  conduite, 
ne  pas  le  quitter  et  ne  pas  se  laisser 
quitliT,  elle  le  détermina  (et  lui  lit 
croire  qu'il  se  déterminait  de  son 
chef,  et  presque  en  depil  d'elle)  pour 
les  Vos-<'s,  et  dans  les  Vosges,  pour 
Saint-Dié,  et  dans  Sainl-Dié,  pour 
la  maison  qu'habitaient  encore  sa 
mère  ei  ses  sœuis.  C'était  ajouter  à 
ses  autres  liens  celui  de  la  recoîi- 


186 


VAU 


naissance;  c'était,  de  son  obscure 
et  besoigneuse  famille,  faire  en 
quelque  sorte  la  famille  du  poète  ; 
c'était  se  créer  des  panégyristes  et 
des  appuis  en  ca.s  de  besoin.  Mais 
il  faut  l'avouer,  ce  besoin  ne  devait 
jamais  venir.  Au  bout  d'un  an  ainsi 
passé  loin  des  agitations,  au  grnd 
profll  et  de  Thomme  et  du  poëte, 
car  c'est  alors  non- seulement  qu'il 
teiMiiiua  if  huiiième  chant  de  Y  Ima- 
gination, mais  qu'il  se  pénétra  du 
sujet  et  (lu  plan  de  la  Pilié,  l'ange 
de  Saiut-Dié  fut  décidément  l'irtem- 
plaçable  et  l'inséparable.  Elle  fut 
présente  à  toules  les  phases  du  pè- 
lerinage de  Child-IIarold.  Quand 
de  la  Lorraine  il  passa  en  Suisse, 
elle  l'accompagna  (1796);  quand 
de  Bâle  il  se  lendit  ii  Brunswick, 
elle  le  suivit  à  Brunswick  (1798); 
et  lorsqu'enfin  Londres  lui  sem- 
bla le  séjour  préférable  à  tous, 
celui  qu'il  n'abandonnerait  que 
pour  rentrer  en  France  à  la  suite 
de  ses  rois ,  les  rivages  de  la  Ta- 
mise la  virent  comme  l'avaient  vue 
les  plages  du  Rhin  et  les  bords  de 
rOckcr.  Kl  tous  les  amis,  tous  les 
protecteurs  de  Delille  devaient,  s'ils 
tenaient  à  garder  leurs  relations 
avec  le  poëte,  s'habituer  à  la  voir, 
k  la  mettre  de  leur  conversation. 
L'urbanité  parfaite,  le  tact  de  toute 
cette  société  de  l'émigration  et  des 
quelques  étrangers  d'élite  qui  bri- 
guaient l'honneur  d'être  présentés 
au  grand  poète,  leur  rendaii  la  tâche 
légère,  en  même  temps  qu'elle  sau- 
vait à  peu  près  l'inconvenance. 
Quelques  visiteurs  ,  cependant  , 
avaient  parfois  l'épine  dorsale 
moins  flexible  .ou  tenaient  moins 
bi<  n  leur  langue  ;  et  tout  Wesl-Knd, 
tout  Piccadilly  répétèrent  le  propos 
de  l'abbé  deTressan  qui,  peu  char- 
mé des  airs  de  sa  prcscpie  compa- 
triote,  assaisonna   ses  adieux    de 


VAU  . 

cette  petite  flèche  de  Parthe  : 
«  Quand  on  choisit  ses  nièces, 
l'abbé,  on  les  choisit  mieux  que 
cela.  »  Le  mot  nous  est  précieux,  et 
nous  le  relevons  à  deux  titres.  Il 
prouve  d'abord  que,  vers  1800  et 
1801,  l'inséparable  n'était  encore 
passée  qu'à  l'état  de  nièce  (1).  Il 
nous  remet  ensuite  eu  mémoire  ce 
petit  détail,  qu'auprès  de  Jeanne 
éi;iit  une  de  ses  sœurs,  la  plus 
jeune,  qui  rendait  le  triple  ser- 
vice de  rajeunir  ^un  peu  la  mai- 
son, de  faire  bonne  garde  en  cas 
de  collatéraux,  et  d'être  un  peu  de- 
moiselle de  compagnie,  un  peu  pre- 
mière ou  même  unique  domestique. 
Elle  ne  pouvait  d'ailleurs,  par  ses 
charmes  ou  par  ses  talents,  porter 
ombrage  à  la  sultane,  ce  qui  ne 
V(;ut  pas  dire  qu'elle  fût  disgraciée 
d;î  la  nature.  Nous  présumons  que 
son  nom  était  Odile,  elle  répondait 
au  diminutif  de  Dilette.  Delille  ne 
l'a  pas  ahsolument  oubliée  dans  ses 
vers,  et  sans  l'idéaliser  à  beaucoup 
près  autant  que  celle  à  laquelle  il 
dit: 

El  si  jamai*  tu  te  reposrs 
Dans  ce  séjour  de  p.iix,ile  tendresse  et  de  deuil, 

Dt's  j)lt'urs  vcr'rés  sur  mon  cercweil, 
Ciiaquc  gcutlo  en  toinbi^nt  fera  naître  des  roses. 

Il  nous  intéresserait  presque  pour 
Dilette,  quand  il  la  caractérise  par 
ces  lignes  simples  et  senties 

De  notre  humble  ménage  elle  fait  les  douceurs, 

i'ar  8>  s  vertus  nous  rappelle  sa  mère, 
Met  sa  félieiié  dans  celle  de  ses  sœur», 
Et  s'embelliides pleurs  qu'elle  donnehson  përe. 


(1  )  Aussi  ne  sonunos-nous  pas  encore 
revenu  de  rétonnemeut  (|u'a  fait  ii;d- 
ire  en  nous  cette  assertion  liasanKe  par 
l'auteur  de  larticle  Delille  dans  VEii- 
cjjclop(Ulie  (les  Gens  du  moiidc^  t.  vu, 
que  le  poëte  était  déjà  niari<';  lorsqu'il 
s'expatria  de  Paris  pour  l(!S  Vosges, 
('■poqiie  où  visiblement  Delille  voulut  uf- 
lieicllcmcnt  eu  quelque  sorte  déguiser 
le  vrai. 


VAU 

C'est  sur  ces  entrefaites  que,  la 
paix  de  Lunéville  ayant  ouvert  les 
voies  à  la  pacification  européenne 
et   le  traité  d'Amiens   étant  à   la 
veille  de    se    signer  ,   la   maison 
Giguet-Michaud   eut  tout   à   coup 
l'idée  (le  faire  en  même  temps  une 
belle  affaire     commerciale   et   de 
rendre   peut-être  un   service   à  la 
cause  royaliste,   en  s'inféodant  la 
muse  d'un  poète   qu'investissaient 
de  l'éclat  d'une  double  auréole  son 
génie  d'abord  et  ensuite   l'invinci- 
bililé   de    sa    ligue   politique.   Le 
plus  jeune  des  deux  associes  (l'on 
devine   M.   Michaud,  le  futur  bio- 
graphe),   vint  à   Londres   dans  ce 
but  (1801).   Il  avait  eu  soin  de  se 
faire  expliquer  de    point  en    point 
la  carie  de   celte   mer  semée  d'é- 
cueils   où  avait  jeté  l'aniTC  le  joii 
sloop  Delille,  capitaineYaudchamp; 
aussi  n'est-ce    pas  au  poète  même 
qu'il   s'adressa  poui-   commencer. 
H  noua  d'abord   des   intelligences 
dans  la  place.  iMimi  des  pleins  pou- 
voirs de  celui  que  Chénier  nomme 
quelque  part,  à  propos  d'Esménard 
et  du  poème  de  la  Navigation  : 

. . .   Gip;uet  l'armateur, 

et  porteur  d'î\-compte  de  poids  à 
l'effet  d'acheter  la  cargaison  la  Pi- 
tié, c'est  avec  la  dame  et  maîtresse 
du  lieu  qu'au  préalable  il  négocia, 
laissant   éclater   son    intime    per- 
suasion que  nul  traité  ne  vaudrait 
sans  sa  ralillcaliou,  lui  prodiguant 
ces  déférences  délicates  dont  elle 
était    d'autant     plus    flattée    que 
rarement  elle  les  recevait  de  per- 
sonnes   distinguées.    Non  -seule- 
ment le  manuscrit  fut  obtenu,  mais 
encore   Delille  ,    qui  jusiju'alors 
avait   résisté   aux    ouvertures   du 
ministre  François  de  Nrufchâ'^'au, 
aux  instances  des  amis  qui  l'appe- 
laient en  France  et  même,  ce  qui  lui 


VAU 


187 


devait  coûter  davantage,  aux  vœux 
connus  des  académiciens  jadis  ses 
collègues,   se   laissa  déterminer  à 
franchir  le  ^.hennal  et  à  revoir  ce 
Paris  qui  n'était  pas  encore  revenu 
à  ses  maîtres  et  où  le  premier  con- 
sul allait  sans  cesse  se  consolidant. 
Telle  fut  la   force  des  arguments 
irrésistibles  et  autres  avec  lesquels 
l'ex-officier  du  régiment  de  Deux- 
Ponts  (1)  battit  la  place  en  brèche. 
La  commandante,  en  capitulant,  ne 
fit  pas  mauvaise  mine  à  l'assiégeant 
vainqueur;  et,  comme  ces  pléni- 
potcnliaiies   qui    regagnent     leur 
chancellerie  native  tout  chamarrés 
ou  tout    chargés   des   dons  de  la 
tour  avec  laquelle  ils  viennent  de 
passer  un  accord,   le   négociateur 
revint,    sa   cravate    retenue    par 
une  petite   épingle  en   or,    vergis 
mein  nicht  donnée  par  la   dame, 
autour  du    chaton  de  laquelle  se 
lisait  :  «  Je  pique,  mais  j'attache.» 
Matériellement,     Delille   certes 
n'eut  pas  à  se   plaindre  de  son  re- 
tour. D'ahord  sa  chaire  au  Collège 
de  France  lui  fut  rendue  d'emblée 
(ce    dont  sans   doute   nous  n'en- 
tendons pas   attribuer   le    mérite 
à    sa   compagne);    puis  celle-ci, 
ne  laissant  pas  passer  la  fortune 
sans   la  saisir   aux  cheveux,    sti- 
mula  sa  verve   poétique,   lui   fit 
secouer  la  paresse  ses  délires  et 
trouva  moyen  par  là  de  quintupler 
au  moins  par  anses  appointemenîs 
du  collège  de  France.   Plus  d'une 
feis   à   nos  questions  sur  ce  sujet 
M.   Michaud  a  répondu,   et    nous 
n'avons  nul  sujet  de  mettre  sa  vé- 
rarilé  en  problème,  que    pour  la 
Pillé,  pour  r/vn<*/(/c, pour l'  Millon, 


(1)  L'iniprimoar  Michaiiil  avait  été 
capitaine  dans  le  nV  iiiuMit  (U^s  DciiK- 
Poiits,  depuis,  102'  de  liiîn.'.  (Voir  la  no- 
tice placée  eu  tète  du  prcseiil  volume.) 


188 


VAU 


pour  Vlmagination,  pour  hConver- 
saiion,  pour  les  Trois  règnes,  pour 
les  Poésies  fugitives  et  |)ourhi  pro- 
priété des  autres  œuvres  antérieu- 
rement livrées  au  public,  plus  de 
deux  cent  mille  francs  passèrent 
de  sa  caisse  dans  celle  de  Deliîle.ll 
ne  regrettait  pas  cet  argent  que  le  pu- 
blic d'alors  lui  rendait  avec  usure. 

Ce  doit  donc  être  un  fait  acquis 
à  rhistoire  littéraire  et  aussi  à  l'his- 
toire de  Delille,  si  quelque  jour 
on  venait  à  l'écrire  avec  détail  à  la 
façon  des  Anglais,  que  Tinfluence 
décisive  de  la  sœur  de  Dilelte  sur 
la  rapide  fécondité  qui  caractérisa 
sa  vieillesse. 

Pourquoi  faut-il  que  nous  soyons 
obligé  de  convenir  que  trop  sou- 
vent celle  influence  dégénérait  en 
tyrannie?  Et  encore  est-ce  ici  le  cas 
dédire  :  «  Il  y  a  tyrannie  et  tyran- 
nie. »  Delille  (qu'on  nous  passe  uu 
blasphème  qui  n'enlève  rien  à  sa 
couronne  de  poète,  puisque  selon 
l'antique  sagesse,  il  n'est  pas  de 
grand  homme  pour  son  valet  de 
chambre)  Delille  était  un  grand 
enfant  et  avait  besoin  d'être  do- 
miné. Mais  il  eût  pu  l'être  plusaca- 
deraiquement,  plus  moëlleusement. 
C'est  précisémentlkcequ'insinuait  le 
spirituel  abbé,  fils  du  gouverneur  de 
la  Lorraine  française.  Rien  n'était 
moins  académi(|ue,  moins  moelleux 
que  Mme  Delille,  puisque  finalement 
voila  le  nom  de  guérie  de  made- 
moiselle Vaudchamp,  h  partir  de 
1801  et  surtout  de  1806.  .  .  (Nous 
expliquerons  celte  incertitude  ap- 
parente plus  lard.)  Elle  l'enfer- 
mait lorsque,  par  exemple,  il  tar- 
dait à  livrer  la  copie,  contre  la 
remise  de  laquelle  le  libraire,  obli- 
gé parfois  de  faire  la  sourde  oreille 
aux  demandes  incessantes  d'argent, 
lâchait  le  billet  de  cinq  cents. 
Comme  à  l'écolier   en   retard   on 


VAU 

impose  cent  lignes,  elle  imposait 
au  rival  de  Virgile,  h  rinterprète 
de  Milton,  au  chantre  des  Trois 
règnes,  cent  vers  avant  déjeuner, 
deux  cents  vers  avant  dîner;  com- 
me des  assiégés  qui  tardent  trop  à 
se  rendre,  s'il  n'arrivait  qu'aux  deux 
tiers,  qu'aux  trois  quarts  de  sa  tâche, 
elle  le  prenait  par  les  vivres,  elle 
le  privait  d'un  plat;  ce  qu'elle  lui 
ôtaitde  meringues,  elle  le  passaità 
Dilette.  Le  pauvre  Delille,  dont  la 
friandise  était  fabuleuse,  apprenait 
par  expérience  ce  que  c'était  que 
le  supplice  de  Tantale;  si,  tentant 
de  se  révolter,  il  supportait  vail- 
lamment le  martyre  des  martyrs,  le 
jeûnependantquelquesheures,etse 
refusait  carrément  à  lâcher  la  pa- 
cotille commandée,  elle  le  battait. 
Nous  n'insistons  pas  sur  ces  tristes 
scènes  qu'achevait  de  dépoétiser 
un  langage  trop  voisin  de  celui  des 
halles,  et  l'antipode  soit  des  belles 
périodes  qu'on  savoure  à  l'Acadé- 
mie, soit  de  ce  que  jadis  elle  rou- 
coulait en  ces  romances  qui,  join- 
tes aux  ronds  de  jambe,  avaient 
féru  le  cœur  de  l'abbé  devant  le 
portail  de  Sainl-Cermain-l'Auxer- 
rols.  Mais  nous  ne  pouvions  nous 
dispenser  de  soulever  un  coin  du 
rideau,  quand  c'est  d'elle,  et  non 
de  Delille,  que  nous  esquissons  la 
vie.  El,  fùl-ce  celle  de  Delille, 
n'est-ce  pas  même  un  trait  de  plus 
à  joindre  à  ceux  qui  composent  la 
physionomie  du  poêle,  que  la  sé- 
rénité, la  mansuétude  par  lesquel- 
les il  répondit  constamment  aux 
injurieuses  boutades  de  son  irasci- 
ble compagne?  Plus  il  avançait  en 
âge,  plus  il  l'idéalis.iil  eu  chaque 
coin  de  ses  œuvres,  et  par  cela  mê- 
me la  recommandait  aux  respects 
de  tous.  En  prose,  et  dans  le  lan- 
gage familier  de  tous  les  jours,  c'é- 
tait son  Anligone!  Ce  nom  est  de- 


VAU 


VAU 


189 


meure î...  N'est-il  pas  bon  que  Toa 
sache  U  quel  point  il  était  mérité? 
Delille,  il  est  vrai,  avait  iini  par 
devenir  complètement  aveugle 
après  son  retour  en  France  ;  une 
Antigone  eut  été  pour  lui  la  plus 
heureuse  des  trouvailles;  il  la  rêva, 
ne  pouvant  la  trouver,  il  prouva 
une  fois  de  plus  qu'il  était  plein  de 
ce  qu'il  avait  si  bien  chanté,  d'ima- 
gination. 

Heureux,  au  reste,   fut  Delille 
d'être  aveugle!  Au  moins  ses  yeux, 
habitués  à  l'élégance,  à  l'ordre,  au 
comfort   des     intérieurs   seigneu- 
riaux, ne  furent  pas  affligés  comme 
ils  l'eussent  été  s'il  eùl  été  témoin 
de  l'indescriptible    chaos   que    sa 
compagne  appelait  son   iniérieur. 
Il   ne    vit    que    des    yeux    de    la 
pensée,   c'est-U-dire  tout  au   plus 
soupçonna -t- il   les  trop  diapha- 
nes moyens   par   lesquels    Tissot 
s'introduisit  auprès  de  lui,  et  finit 
par  arracher  à  sa  faiblesse  la  sup- 
pléance de  sa  chaire  au  collège  de 
France.  On  peut  en  lire  toute  l'his- 
toire rédigée  de  visu ,    non  sans 
un  reste  de  vieille  irritation,   par 
celui  qui  s'était  laissé  donner   le 
«  je  pique,  mais  j'attache,  »  et  sous 
lu'syeux  (!e  qui  c'était  pour  un  au- 
tre qu'on  se  mettait  en  frais  d'at- 
tacher. Ainsi  ,   l'amie   de  Delille 
acheva  de  se  montrer  l'émule  de 
cette   ignoble   Thérèse  que  Jean- 
Jacques  nommait  sa  femme. Si  l'on 
buspectiiit  sur  ce  point  le  trop  fi- 
dèle rapport  M.   Micaud,  connnent 
ne  pas  se  rmdre  au  témoignage  du 
chevalier  de  Lengeac,  à  qui  le  fait 
n'importait    pas ,   et   qui    l'atteste 
plus  Cl  ùmeni  encore  dans  celle  vi- 
laine t'pigramme,  non  moins  irré- 
cusable que  celle dOclave  ii  propos 
de  Fulvie, 

Qnod...  Glaphyron  Anloniui,  htnc  mihi  po-nam 
FuUia  coDttUuit,  elc. 


et  dont,  plus  sobre  que  feu  notre 
collaborateur  (lxxxiv,  168},  nous  ne 
rappellerons  que  la  terminaison  : 

...   En  son  bo  ge. 

Sou  époux  en  bonnet  carré, 

Lt  son  amant  en  bonnet  rouge. 

«  En  son  bouge  »  est  de  la  couleur 
locale  et  prouve  que  nous  n'avons 
pas  outré  en  parlant  du  ménage  de 
Delille  ;  le  reste  s'explique  et  parle 
de  soi. 

A  la  longue,  en  dépit  de  toutes 
ces  ombres  au  tableau,  en  dépit 
des  notes  d'Herbault,  en  dépit  de 
ce  que  le  poète  impute ,  avec  jus- 
tesse probablement ,  si  l'on  sait 
traduire,  à  madame  Delillel: 

...   L'insouciance 
De  l'impénétrable  avenir, 

celle-ci,  à  force  de  mettre  son  époux 
en  coupe  réglée,  avait  amené  la 
caisse  dontelle  tenailla  clé, à  un  état 
de  rotondité  tellement  satisfaisant, 
qu'il  futquesiionde  l'achat  d'un  im- 
meuble. Mais  trop  d'amis  s'en  mê- 
lèrent, trop  d'avis  se  croisèrent;  un 
moment  aussi  Ton  eut  des  projets 
trop  ambitieux  :  en  fin  de  compte, 

La    montagne   en    travail  accoucha    d'un    chou 

blanc. 

L'on  ne  pouvait  acquérir  un  châ- 
teau ,  pourquoi  s'affubler  d'un 
chalet?  Ft,  après  avoir  eu  quelques 
mois  le  plaisir  de  se  rêver  grande 
piopriélaire,  la  dame  en  revint  à 
l'idée  très-sage  ,  Mi  sa  position, 
que,  lorsqu'il  peut  surgir  n'importe 
d'où,  ne  fût-ce  ni  de  Normandie, 
ni  d'Auvergne,  des  prétendants  co- 
hiritiers,  il  est  bon  de  ne  pas  avoir 
de  magot  au  soleil.  Depuis  le  poème 
de  la  ConrtTiïffio/nrailleurs,  le  tra- 
vail devenait  de  moins  en  moins  fa- 
cile; évidemment  la  source  allait  ta- 
rir, la  santé  baissait,  les  attaques  de 
paralysie  se  présentaient  plus  for- 


190 


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VAU 


midablos.  Il  fallait  se  tenir  sur  ses 
gardes. Elle  s'en  trouva  bien, quand 
vint  edfin  l'inévitable  dénoûment 
(1"  mai  1813). 

Tandis  que  les  amis  du  poète  vé- 
néré veillaient  ii  la  construction  du 
monument  sur  lequel  devait  se  lire 
celle  simple  inscription  :  Jacques 
Delille,  elle  avait  à  se  défendre 
de  quelques  Auvergnats.  Leurs 
réclamations  et  menaces  furent  peu 
fructueuses;  ils  n'eurent  juste  que 
leur  part  de  ce  qui  ne  pouvait  se 
dissimuler;  une  donation  entre  vifs 
etde  bonnescoupessombresavaient 
mis  le  reste  en  sûreté. 

Ce  qui  pourrait  nous  rester  à 
dire  de  Jeanne  Vaudchamp  après  la 
mort  de  Delille  n'importe  plus  à 
l'histoire  et  ne  saurait  offrir  d'in- 
térêt. C'est  donc  ici  le  lieu  de  ter- 
miner par  quelques  mois  sur  le 
nomde madame  Delillequenous  lui 
voyons  porter,  à  partir  pour  ainsi 
dire  de  noire  siècle,  tandis  que, 
dans  tout  le  dix-huitième  el  quel- 
ques mois  encore  après,  c'estmade- 
moiselle  Vauchamp,  ou,  pour|)laire 
aupoëte,  deVauchamp,  qu'on  l'ap- 
pelait. A  quel  instant  se  produisit 
celte  mélonomasie  ?  Evidemmentau 
retour  d'Angleterre  ;  car  la  nature 
même  des  choses,  1801,  se  trouve 
IJi  merveilleusement  placée  pour 
souder  deux  phases  entre  les- 
qut'lles  s'olTre  une  solution  de  con- 
tinuité :  sept  ans  alors  s'étaient 
écoulés. 

Depuis  le  d  p.irl  de  Paris  que 
de  choses  peuvent  avoir  changé 
en  sept  ans,  sur  lesquelles  il  se- 
rait héiéioclile  d'établir  un  in- 
terrogatoire en  règle  et  en  face! 
Mjis  jusqu'il  180G  ,  peut-être 
le  public  pouvait  ou  feindre 
d'ignorer  ou  ignorer  tout  de 
bon  la  dénomination  nouvelle . 
Ceci  posé,    on   peut   regarder   en 


quelque  sorte  comme  lettre  de 
faire-part  du  poète  cette  épîlre  à 
laquelle  déjà  nous  avons  emprunté 
trois  citations,  et  qui  parut,  nous 
l'avons  dit,  en  tête  de  la  première 
édition  de  ['Imagination.  Qu'à 
cette  lettre  de  part  se  soient  bor- 
nées toutes  les  formalités  matri- 
moniales, c'est  ce  qui  résulte  et  de 
tout  l'ensemble  des  faits  avérés  et 
des  affirmations  que  nous  ont  réi- 
térées des  familiers  bien  informés. 
A  coup  sûr,  l'union  légale  n'eut 
pas  lieu  en  France,  et  quant  à  la 
Grande-Bretagne,  c'est  en  vain 
qu'on  eu  eût  cherché  des  traces 
sur  les  registres  mêmes  du  forge- 
ron de  Gretna-Green,  alors  que 
Gretna-Green  florissait.  Bornons - 
nous  donc  à  dire  qu'il  la  sacra 
madame  Delille  par  ses  vers. 

Si  maintenant  nous  voulons 
résumer  en  peu  de  mots  la  physio- 
nomie morale  de  celle  que  Drlille 
finit  par  décorer  de  son  nom,  nous 
venons  de  connaître  que,  dès  le 
premier  moment,  à  quoi  (prait  pu 
tenir  la  fascination,  elle  exerça 
sur  son  être  une  espèce  de  fasci- 
nation; que  dès  le  premier  moment 
elleprit  sur  lui,  sinon  l'empire,  du 
moins  un  ascendant;  l'empire  vint 
ensuite.  Il  avait  cru  se  donner  une 
maîtresse,  il  s'était  donné  un  maî- 
tre! On  peut  croire  que  longtemps 
cet  empire  ne  fut  pas  tyranniquc  ; 
et  quand  il  eut  dégénéré  en  tyran- 
nie, longtemps  encore  ce  ne  fut  pas 
la  tyrannie  hargneuse,  égoïste  et 
méchante.  Il  serait  téméraire  et 
probablement  inique  de  dire 
qu'elle  n'eut  jamais  pour  lui  d'at- 
tachement réel  ;  que  le  calcul  s'en 
soit  mêlé,  nul  doute  ;  mais  quand 
les  beaux  jours  de  178:;  l\  1791  fu- 
rent envolés,  loin  de  déserter,  elle 
se  cramponna  en  quelque  sorte  à 
celui  dont  l'étoile  s'occultait;  et  s 


VAU 


VAU 


191 


ce  fut  parce  qu'elle  comprit  qu'é- 
clipse n'est  pas  éternelles  ténèbres, 
on  peut  lui  tenir  compte  d'avoir 
vu  si  juste  et  d'avoir  eu  foi  en  son 
poète.  Quant  au  ton  et  aux  maniè- 
res si  décidés  dont  fut  choqué 
l'abbé  de  Tressan,  peut-être  sera- 
t-on  dans  le  vrai  en  pensant  qu'il 
n'en  a\ait  pas  toujours  été  ainsi. 
L'éduc;:tion  première  avait  man- 
qué, c'est  clair.  Mais  ce  n'est  pas 
impunément  que  l'on  passe  des 
années  dans  une  intimité  d'élile 
comme  celle  de  Delille.  Tant  que 
l'inséparable  n  eut  pas  assis  sa  do- 
mination sur  le  granit,  tant  qu'à 
toute  force  il  y  eut  répudiation 
possible,  elle  dut  se  mouler  sur 
celui  qui  jouait  encore  le  rôle 
supérieur,  elle  dut  se  modifier  en 
bien.  Quand  la  domination  lui 
sembla  indestructible,  et  ce  fut 
lorsqu'elle  put  croire  avoir  rendu 
des  services  eu  l'arrachant  à  la 
capitale  de  la  Terreur,  lorsque 
des  infirmités  toujours  crois'-antes 
nécessiiètent  autour  de  lui  des 
soins  incessants,  lorsqu'enfin  l'im- 
minence de  la  cécité,  puis  la  cé- 
cité, le  lui  livra  pifds  et  poings 
liés,  oh!  alors  la  confiance  im- 
mense, l'orgueil,  l'impatience  lui 
montèrent  à  la  tête  :  on  la  quali- 
fiait Aniigone,  elle  se  qualifiait 
victime  et  «jeune  victime,  »  s'exa- 
gérani  la  sénilité  du  vieillard,  se 
croyant,  à  son  huitième  lustre, 
encore  dans  son  printemps ,  et 
sVxhalanl  en  élégies  sur  la  triste 
condition  de  ^^arde- malade. 

Quant  aux  autres  faits  plus 
graves,  il  nous  suffit  de  les  avoir 
relates,  nous  les  livrons  sans  com- 
mentaires à  l'appréciation.  Made- 
moiselle Vauchampsurvi'cul  encore 
di.\  ans  à  Delille,  loin  de  l'opu- 
lence, m  .is  loin  de  la  gène.  Elle 
semblait  avoir  senti  l'honneur  du 


nom  que  l'illustre  mort  l'avait 
autorisée  à  porter  en  l'incorporant 
à  son  œuvre;  sa  vénération  pour 
celle  ^l'ande  mémoire  devint  un 
culte.  En  approchant  du  dernier 
jour,  elle  exprimait  souvent  le 
vœu  qui  avait  été  celui  du  poète, 
de  repoer  auprès  de  sa  cendre. 
Ce  vœu  fut  exaucé;  les  deux  tom- 
bes s'aperçoivent  l'une  près  de 
l'autre. 

Ce  qu'il  y  avait  de  curieux 
dans  la  soi-disant  madame  Delille, 
c'est  qu'elle  se  montrait  infatuée 
elle-même  du  mérite  de  son  soi- 
disant  époux,  se  figurait  probable- 
ment être  de  moitié  dans  ses  glo- 
rieuses pioductions  et  semblait 
prendre  sa  part  des  éloges  qu'on 
en  faisait  devant  elle. 

Elle  disait  un  jour  en  parlant  de 
l'empereur  Napoléon  :«  Cet  homme- 
là  n'aura  jamais  un  hémistiche  de 
nom.  ))  Le  fait  est  que  c'est  elle 
seule  qui  a  empêché  le  célèbre  poète 
de  céder  aux  inspirations  que  de- 
vaient nécessairement  faire  naître 
en  lui  les  glorieux  exploits  du 
héros,  et  si,  aux  yeux  de  certaines 
personnes,  celte  abstention  a  pu 
passer  pour  un  mérite ,  c'est  à 
madame  Delille  qu'il  appartient 
entièrement.  Val.  P. 

VAL'CIIER(Jean-Pierre-Etienne) 
botaniste  distingué ,  instituteur 
d'un  rare  mérite,  prédicateur  élo- 
quent, naquit  le  17  avril  i7<i3,  à 
Genève,  où  il  est  mi)ri  le  5  janvier 
1841.  Son  péri ,  originaire  du  Val- 
de-Travers,  dans  la  pi  incipaulé  de 
Neuchûtel,  maître  charpentier  et 
entrepreneur  de  bâtiments,  jouis- 
sait de  quehiue  aisance,  ce  qui 
permit  à  Vaucher  de  suivre  la 
carrière  des  études,  où  il  entra 
après  avoir  travaillé  (juelque  temps 
à  l'atelier,  rt  où  il  ne  tarda  pas  à 
se  distinguer.  Il  embrassa  la  voca- 


19-J 


VAU 


tioiî  pastorale  et  fui   consacré  au 
saint  ministère  en  1787.  Mais  bien- 
tôt survinrent  les  secousses  politi- 
ques qui  ébranlèrent  tant  de  posi- 
tions, et  Vaucher  dut  soutenir  sa 
famille  en  se  vouant  à   l'éducation 
de  la  jeunesse.  C'est  ainsi  qu'il  fut 
mis   eu  rapport  avec    un    jeune 
Zuricois,  qui  fat  plus  tard  le  célè- 
bre Escher  de  la  Lintli,  dont   il 
devint  l'ami  après  avoir  été  l'ins- 
tituteur.   11    ouvrit    bientôt    une 
maison  d'éducation,    comme   il  y 
en  avait  plusieurs  à  Genève  pen- 
(lijut  les  années  de  sa  réunion  à  la 
France  et  depuis  sa  restauration, 
alors  que  tant  de  jeunes  Français, 
Allemands,  Russes,  Polonais,  Ita- 
liens, Sui^ses,  Anglais,  Américains, 
vinrent  chercher  dans  celliî  ville 
une  instruction  solide,  des  mœurs 
pures  et   simples  et   des  relations 
de  société    faciles    et    agréables. 
Parmi  les  élèves  de  Vaucher,  dont 
plusieurs  occupèrent  plus  tard  des 
postes  honorables,  il  y  en  eut  deux 
qui    furent   appelés,    par   la  suite 
des  événements,  à  de  hautes  desti- 
nées,  et  qui,   dans  leur   position 
élevée,  lui  onttémoigné  une  sincère 
reconnaissance  ;  je  veux  parler  de 
S.   M.  Charles-Albert,  roi  de  Sar- 
daigne,  et   de  S.   Exe.    le  comte 
Alexandre  Valew.ski,  entré  depuis 
1830  dans  la   carrière  diplomati- 
que, où  il  a  joué  dès  lors  et  joue 
encore  aujourd'hui  un  rôle  si  im- 
portant. Malgré  lessoins  qu'il  don- 
nait a  ses  élevés,  Vaucher  remplis- 
sait (  ncoreles  fonctions  de  pasteur 
dans  l'église  réformée,  où  il  se  dis- 
tingua par  la  chaleureuse  autorité 
de   ses   prédications,    et   celles  de 
professeur  d'histoire  ecclésiaslique 
à  l'Académie,    dont    il  fut  recteur 
de  1818  k  1820.  Enfin,  dès  sa  jeu- 
nesse, Vaucher  cultiva  avec  ardeur 
la  botanique,   à  laquelle  il  dut  ses 


VAL' 

plus  douces  jouissances,  qui  char- 
mait ses  loisirs  durant  sa  vie  ac- 
tive et  qui  fut  sa  consolation  dans 
les  années  de  la  vieillesse.  Il  fit  de 
bonne  heure  des  recherches  sur 
les  plantes  cryptogames,  et  publia 
en  1803  son  Histoire  des  Conferves 
d'eau  douce,  Frémellisjiosloes,  etc., 
1  vol.  in- 4°,  accompagné  de  gra- 
vures dues  au  burin  de  sa  femme, 
ouvrage  qui  obtint  les  suffrages  des 
naturalistes  les  plus  éminents;  il 
inséra  divers  mémoires  relalils  à 
quelques  inFusoires,  aux  tubulaires, 
aux  équisélacées,  à  la  salvinie,  à  la 
chute  des  feuilles,  à  la  sève  d'août, 
à  d'autres  points  de  physiologie 
végétale,  aux  sèches  du  lac  Léman, 
etc.,  dans  le  Journal  de  Physique, 
le  Bulletin  philomalhique,  les  An- 
nales du  Muséum,  les  Mémoires  de 
l'Académie  de  Munich,  ceux  de  la 
Société  de  physique  et  d'histoire 
naturelle  de  Genève.  Il  composa 
pour  la  Bibliothèque  universelle  de, 
Genève  des  notices  nécrologiques 
intéressantes ,  où  il  rappelle  les 
travaux  scientifiques,  la  vie  active 
et  désintéressée,  les  nobles  qualités 
de  son  illustre  ami  Escher  de  la 
Linth  et  du  professeur  Marc-Au- 
guste Piotet.  Il  j)ublia  en  182G  une 
Mono(jraphie  des  Orobanches,  accom- 
pagnée de  planches  coloriées  des- 
sinées aussi  par  sa  femme,  qu'il  eut 
le  malheur  de  perdre  la  même 
année.  Dès  lors,  il  renonça  k  ses 
fonctions  de  pasteur  et  îi  sa  car- 
rière d'instituteur,  afin  de  se  consa- 
crer uniquementà  la  rédaction  d'un 
ouvrage  considérable  pour  lequel 
il  avait  rassemblé  de  nombreuses 
observations,  et  où  il  se  proposait 
d'exposer  la  vie  des  végétaux,  les 
phénomènes  successifs  qu'ils  pré- 
sentent dans  leur  germination,  leur 
floraison,  leur  fécondation,  la  dé- 
nomination des  graines,  etc.    Cet 


VAU 

ouvrage,  dont  un  premier  volume 
avait  paru  en  1830,  fut  publié  plus 
complet  à  Valence  ,  chez  Marc 
Aurel  frères,  en  1841,  en  4  vol. 
grand  in-S",  sous  le  titre  ^'Histoire 
physiologique  des  plantes  d'Europe  ; 
il  renferme  une  foule  de  remarques 
nouvelles  sur  un  sujet  qui  n'a  pas 
encore  suffisamment  attiré  l'atten- 
tion des  botanistes.  Un  choix  des 
sermons  de  Vaucher  publié  par  les 
soins  de  ses  fils,  sous  le  titre  de 
Souvenirs  d'un  Pasteur  genevois,  et 
précédé  d'une  notice  biographi- 
que, a  paru  à  Genève,  en  1842, 
in-8-.  L.  V. 

VAUDONCOURT  (  Frédéric- 
François-Guillaume)  (baron  de), 
général  français  qui  s'est  fait  un 
r.om  dans  les  lettres  comme  dans 
la  carrière  militaire,  était  de  Vien- 
ne en  Autriche  :  ce  n'est  pas  que 
ses  parents  fussent  Aile  mands  ;  mais 
Lorrains  tous  deux,  ils  voyageaient 
en  Allemagne,  et  d'étape  en  étape 
ils  étaient  arrivés  dans  la  capitale 
de  l'Autriche  quand  force  fut  de 
s'arrêter  pour  donner  le  jour  (2i 
septembre  1772)  au  futur  officier 
auquel  est  consacré  ctît  article. 
Le  père  lui-même  était  un  officier 
de  mérite.  Tout  naturelle  ment  donc 
le  jeune  Guillaume  fut  coi  nme  bei  ce 
d'idées  militaires.  Ses  études  clas- 
siques ne  furent  point  ec  ourlées  ce- 
pendant; il  les  poussa  jusqu'en 
philosophie,  et  la  trace  resta  tou- 
jours visibie  de  cette  élégante  et 
forte  éducation  premi  ère.  Cepen- 
dant ses  idées  na!iv(;s,  d'accord 
avec  ses  propensions,  ne  perdirent 
pas  un  poure  de  terrain.  C'est  à 
Metz  d'ailleurs,  ville  militaire  s'il 
en  fut,  qu'il  terminait  ses  cours  de 
collège.  Il  avait  dix-sf:pt  ans  alors, 
la  révolution  éclatai  t.  Après  un 
court  passage  à  l'écc  «le  d'artillerie 
de  cette  ville,  il  fut  e  nvoyéàParis, 

LXXXV 


VAU 


103 


où  bientôt  il  fut  nanti  d'un  poste 
très-subalterne  .  au  comité  de  la 
guerre.  Mais  il  n'y  resta  que 
quelques  mois;  et  dès  qu'en  1791 
il  fut  procédé  k  l'organisation  des 
bataillons  de  volontaires,  il  se  pré- 
senta, fut  incorporé  dans  le  batail- 
lon de  la  Moselle,  et  peu  de  temps 
après  (19  septembre)  il  recevait 
Tépaulette  de  lieutenant.  On  voit 
qu'il  n'avait  pas  encore  dix-neuf 
ans  accomplis.  li  passa  l'année  sui- 
vante au  premier  corps  franc  de  la 
Moselle  qu'était  en  train  d'organi- 
ser son  père,  et  il  en  reçut  le  com- 
mandement en  second.  Ce  corps  ne 
resta  pas  longtemps  inerte  :  les 
événemenls  marchaient;  les  Prus- 
siens, un  peu  moins  prompts,  fini- 
rent aussi  pourtant  par  se  mettre 
en  route  et  passèrent  la  frontière. 
Thionville  fut  menacé,  tandis  que 
le  gros  de  l'armée  sous  le  généra- 
lissime ennemi  s'avançait  vers  Ver- 
dun et  l'Argonne.  Le  corps  franc 
de  la  Moselle  fut  chargé  du  ravi- 
taillement de  la  place  attaquée;  et 
quand,  le  succès  ayant  couronne 
ses  efforts,  il  eut  fait  son  entrée 
dans  la  ville,  il  prit  part  k  la  dé- 
fense, qui,  comme  ou  sait,  fut  bien 
conduite  et  aboutit  à  la  levée  du 
siège.  Guillaume  de  Vaudoncourt, 
dans  cette  partie  de  sa  première 
campagne,  se  fil  remarquer  dans 
deux  sorties  où  c'e^t  lui  qui  joua 
ie  premier  rôle  :  dans  l'une  il  dé- 
truisit aux  environs  de  Caitenom 
un  convoi  de  vivres  qui  allait  al- 
leindiele  camp  ennemi;  la  seconde, 
qui  fut  poussée  jusqu'àSierck  où  se 
trouvaient  les  émigrés,  amena  la 
destruction  d'un  autre  convoi  plus 
impoi  tant  encore  îi  faire  disparaî- 
tre.... c'étaient  (les  boulets  et  delà 
poudre.  Le  siège  levé,  le  corps 
franc  revint  à  Metz,  où  la  recon- 
naissance publique  lui  vota  une 
13 


9/i 


VAU 


couronne  civique.  Il  repartit  bien- 
tôt pour  rendre  aux  Prussiens  in- 
vasion pour   invasion;  et  il  fit  la 
campagne  deia  Sarre  (toujours  en 
iT92,  ou  plutôt  pendant  l'hiver  de 
1792  à  1793).  Il  alla  se  joindre  en- 
suite à  l'armée  de  Cuslinc  qui  ma- 
nœuvrait le  long  du  Rhin,  et  prit 
une  i)art  des  plus  vives  k  l'affaire 
d'Allsladt.     Vd ,  Vaudoncourt,  au 
milieu  de  rengagement  eut  à  pren- 
dre le  commandement  à  la  place 
de  son   père,  qu'un  coup  de  feu 
venait  d'atteindre;  et  il  se  maintint 
devant  des  (brces  ennemies    fort 
supérieures  dans  une  position  très- 
im|)ortante,  couvrant  deux  ponts  à 
la  conservation  desquels  l'avait  pré- 
posé Custine.  La  même  année  le 
vit  passer  au  corps  des  Vosges  sous 
le  général  Sully,  qui  le  mit  k  la 
tôle  de   l'avant-garde.   Le  jeune 
officier  y  déploya  plus  brillamment 
que  jamais  le  sang-froid  et  l'intré- 
pidité  qui  ne  l'abandonnaient  ja- 
mais. Il  surprit  au   mois   de  juin 
louie    la    ligne    des  avant- postes 
prussiens  devant  Deux-Ponts,  les 
refoula  dans  la  ville  et  réduisit  le 
général   prince     de   Hohenlohe  à 
s'établir  en  arrière.  En  juillet  et  en 
août,  Ilombourg,  la  forte  position 
du   Karisberg  et  Landstahl,  furent 
enlevés    par    Vaudoncourt,  toutes 
opérations  de  nature  à  ouvrir  aux 
armées  de  la  Moselle  et  des  Vosges 
la  route  de  Mayence  bloquée   par 
l'ennemi  et  h  faciliter  la  délivrance 
de  la  place.  KnOn  en  septembre,  le 
14,  fut  livrée  la  bataille  de  Pirma- 
sens.  C'est  Vaudoncourt  qui,  m;ir- 
chant  en  lète  de  son  avant-garde, 
ouvrit  le  passage  à  toute  l'armée 
ce  jour-là;  il  fut  jirodiguc  de   sa 
personne  et  ne  reçut  uas  moins  de 
six  blessures  :  aussi  f;illui-il  le  re- 
lever du  champ  di^  bataille;  encore 
n'est-ce  pas  par  des  concitoyens 


VAU 

quMI   fut  relevé,  ce    fut  par  des 
mains  prussiennes,  et  il  resta  plus 
d'un  an  prisonnier  de  guerre.  La 
perspective  de  la  paix  de  Bûle  en- 
fin amena  la  reddition  des  prison- 
niers (179o).  A  peine  eut -il  remis 
le  pied  sur  notre  sol,  qu'immédia- 
tement il  reprit  du  service,   non 
plus  dans  le  corps  des  Vosges,  il 
était  dissous,  mais  dans  la  nouvelle 
armée  qui  cherchait  -d  se  réempa- 
rer de  Mayence  :  il  y  figura  comme 
capitaine  d'état-major.  Nous  ne  le 
retrouvons  après   cela  qu'à    l'ar- 
mée dltalie  en  1796  et  1797.  Là 
s'ouvre  pour  lui  une  sphère  d'ac- 
tivité nouvell3  :  une  stratégie  plus 
brillante  et  plus  savante  accuriiule 
comme  par  enchar.tement  victoires 
sur  victoiies  et  le  fait  plus  rapide- 
ment avancer  de  villes  en  villes  : 
il  s'initie  pratiquement  à  la  carie 
de    cette    Italie   supérieure    qu'il 
connaîtra  si  bien  un  jour  et  dont 
l'histoire  contemporaine  sera  re- 
tracée de  sa  main.  Le  général  en 
chef  l'avait  distingué,  il  avait  re- 
connu de  pi.'ime-abord  en  lui  et  la 
science  de   l'orficler  d'artillerie  et 
le  talent  de  l'organisateur,  en  quel- 
que sorte  hérité  de  son  père.  Lors 
donc  qu'après  les  pi'éliminairesde 
Léoben  il  jugea  l'instant  venu  de 
donner  un  e  organisation  régulière 
et  permanente  à  l'armée  cisalpine;, 
VaudoncotiM  fut  un  de  ceux  sur 
lesquels  il  jeta  les  yeux  pour  coo- 
pérer à  la  réalisation  de  ce  plan  : 
il  le  nomma  (le  23  fructidor  an  v, 
8  seplembie  1797?)  ...encore  sep- 
tembre!)   major    d'artillerie;    et 
quelques  moi  s  après  (en  1798  donc) 
il   avait  sous    ses   ordres   comme 
commandanr»,  en   chef  tout  le  j)er- 
sonnel  ei  le  matériel  de  l'artillerie 
de  cette  armne.  Sa  vaillance  et  son 
zèle  ne  f.iibl  irent  pas  pendant  les 
mauvais  jour  s  qui  suivirent  :  il  ne 


VAU 


VAU 


195 


tint  pas  à  lui  que  la  bataille  de 
Aïagnano  ne  fût  un  succès  éclatant; 
et  quand,  après  l'événement  il  se 
fut  rabattu  sur  Peschiera,  où  il 
s'enferma,  toujours  commandant 
l'artillerie,  son  exemple  et  ses  ha- 
biles dispositions  contribuèrent  à 
la  vigoureuse  défense  de  la  place 
et  certainement  la  prolongèrent  : 
il  ne  put  l'impossible  cependant,  et 
la  majorité  du  conseil  de  guerre,  au 
bout  de  quarante  jours,  décida  que 
l'on  se  rendrait  :  non-seulement 
Yaudoncourt  opéra  en  sens  con- 
traire, mais  il  rédigea  une  protes- 
tation, qui  fut  rendue  publique, 
contrôla  reddition.  C'était  en  1799. 
L'année  suivante,  il  se  chargeait 
pendant  le  siège  Je  Gènes, 
où  Masséna,  numériquement  très- 
inférieur,  avait  sur  les  bras  les 
Autrichiens  du  côté  de  la  terre  et 
de  l'autre  la  flotte  britannique, 
d'une  délicate  et  périlleuse  mis- 
sion de  scivice,  et  il  réussissait  eu 
plein,  filant,  i;lissant,  i  l'idleret  au 
retour,  aii  milieu  des  croisières, 
des  God  save  ihe  king  et  des  Rule 
Britannia,  etc.,  rendant  sain  et  sauf 
au  premier  consul  un  rapport  écrit 
(\c  Masséna.  La  victoire  de  Marengo 
vint  bientôt  après  trancher  le  nœud 
gordien  des  gi  andes  questions  eu- 
ropéennes,et  l'Italie  put  r(spirer,dc- 
barrassée  du  cauchemar  autrichien. 
Yaudoncourt  venait  alors  de  rece- 
voir sa  nomination  de  colonel.  Le 
Tainqueiir  le  désigna  pour  l'expé- 
dition complémentaire  en  Toscane, 
où,  (juelque  simpliliés  que  fussent 
alors  les  problèmes,  il  fallait  en- 
core pourtant  se  donner  la  ptine 
d'aller  tirer  les  corollaires  du  syl- 
logisme si  bien  décoché  sur  les 
rives  de  la  Borniida.  C'est  donc  1^ 
qu'il  acheva  sa  campngnc  de  1800, 
comme  commandant  en  chef  de 
l'ariillerie  cisalpine  ;  dès  septem- 


bre, au  reste,  il  n'y  eut  plus  même 
ombre  de  conflit.  La  paix  signée 
l'année  suivante  à  Lunéville  ne 
le  rendit  pas  à  la  France  :  le  pre- 
mier consul  trouvait  bon  qu'il  de- 
meurât en  Italie,  où  le  gouverne- 
ment cisalpin  le  nomma  directeur 
général  du  matériel  de  l'artillerie, 
ce  qui  mettait  en  ses  mains  d'une 
part  l'étabissement  des  arsenaux, 
des  fonderies,  des  manufactures 
d'armes,  de  l'autre  la  direction 
supérieure  de  l'armement  des  pla- 
ces. Tout  fut  organisé  sur  le  pied 
français:  la  république  cisalpine 
allait  devenir  une  autre  France,  et, 
quels  que  pussent  être  ses  destins 
ultérieurs,  elle  s'initiait  par  cette 
rapide  assimilation  à  la  vie  admi- 
nistrative, et,  par  suite,  à  la  vélo- 
cité de  pensée,  aux  habitudes,  aux 
idées  même  de  la  France  lenou- 
velée,  toutes  modiflcations  qui 
portaient  en  germe  sa  palingénésie, 
Sun  indépendance  nationale  et  en- 
fin son  unité.  Pour  consolider  l'œu- 
vre préparatoire,  le  premier  consul, 
qui  jamais  ne  s'endormait  sur  ses 
lauriers  et  qui  ne  pensait  pas  que, 
toute  battue  à  plate  couture  qu'elle 
eut  été  dans  deux  luttes  à  toute 
outraiice,  l'Autriche  ne  reprit  fan- 
taisie de  tomber  sur  l'Italie,  pensa 
dés  4802  à  se  tenir  sérieusement 
en  garde  devers  le  Pu  et  l'Adige. 
Yaudoncourt  eut  part  ii  toutes  les 
mesures  prises  en  ce  sens,  mesures 
dont  l'initiative  parlait  de  Paris; 
et  on  le  vil  successivement  ou  si- 
multanément membre  de  la  com- 
mission de  défense  (1802),  membre 
du  comité  de  législation  militaire 
(1803)  t'i  directeur  organisateur  du 
dépùt  de  la  guerre  établi  à  Milan. 
Les  prévisions  d'en  haut  étaient 
justes  :  Tannée  même  où  l'empe- 
reur des  Français  (c'était  la  nou- 
velle qualification  du  premier  cou- 


196 


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sul)  recevait  la  couronne  de  fer, 
l'Autriche ,   toujours   à    la   solde 
de  l'Angleterre  en    même  temps 
qu'agiiée  par  ses  vieilles  ambitions 
et  ses  vieilles  rancunes,  non-seu- 
lement déclarait   la  guerre   à   la 
France,  mais  réenvahissait  la  Ci- 
salpine. Bien  que  les  événements 
décisifs  aient  eu  lieu  en  Allemagne 
d'abord  (Ulm,  etc.),  puis  dans  les 
États  héréditaires,  cette  arche  sa- 
crée   des    prétendus    Habsbourg, 
les  frontières  de  la  Vénétie  furent 
le  théâtre  de  quelques  petites  péri- 
péties guerrières.  L'archiduc  Jean 
y  commandait  les  ennemis;  ce  n'é- 
tait pas  un  prince  Eugène,  mais  il 
conduisait   de   bonnes    troupes  : 
la  diversion  n'était  pas   mal  ima- 
ginée. Elle  n'aboutit  pas,  comme 
on  sait,  et  l'armée  franco-italienne, 
après  avoir  culbuté  ses  adversaires, 
franchit    les    Alpes    Juliennes   et 
planta  ses  drapeaux  sur  les  hau- 
teurs  du  Sœmmering.    Comman- 
dant de  l'artillerie  italienne  et  di- 
recteur général  des  parcs  de  l'ar- 
tillerie française,  Vaudoncourt  eut 
sa  pari  de  gloire  et  parfois  de  dan- 
gers d'un  bout  à   l'autre  de  cette 
campagne,  au  delà  comme  en  deçi» 
des  monts;  il  eut  ensuite  à  com- 
mander l'artillerie  du  siège  de  Ve- 
nise (au  commencement  de  180G) , 
et  c'est  lui  qui  fui  chargé  de  pren- 
dre possession  de  la  place.  La  paix 
rétablie,  on  supprima  la  direction 
générale   de   l'artillerie  cisalpine; 
mais    le    gouvernement  ne    cessa 
d'utiliser  le  talent  organisateur  de 
Vaudoncourt.   C'est  'à  lui  que  fut 
confiée  l'orî^'anisation  de  l'artillerie  îi 
cheval,  cett«-  création,  l'objet  de  tant 
de  sarcasmes  de  la  part  de  Courier, 
plusspiritu<;l celte  foisfjue  raisonna- 
ble,s'il  estvrai  qu'on  puisse  vraiment 
avoir  de  l'esprit  lorsque  Ion   n'a 
pas  raison.  11  eut  ensuite  le  com- 


mandement de  ce  corps  qu'il  ve- 
nait d'organiser,  et  à  cette  position 
il  joignit  le  commandement  de  l'é- 
cole d'artillerie  et  la  d  rection  de 
l'arsenal.  Jusqu'ici  Vaudoncourt  ne 
s'est  fait  voir  à  nous  que  comme 
militaire  :  1807  va  nous  le  montrer 
sous  une  autre  face.  C'est  l'année 
où  la  Prusse,  écrasée  dans  ses  pro- 
vinces allemandes,    va  traîner  la 
lutte  dans  ses  provinces  slaves,  et 
où  FriedIand  va  parfaire  léna.  Mais 
avant  d'en  arriver  là,  il  faudra  se 
mesurer  avec  les  Russes;  Frédéric- 
Guillaume  était  seul  en  1806;  en 
1807  Alexandre  I"  l'appuie.  Alexan- 
dre, bien  conseillé,  avait  formé  le 
plan,  pour  opérer  une   diversion, 
de  dirigersur  la  Calabre  un  noyau  de 
Moscovites  qui  provoquerait  l'insur- 
rection du  pays.  Malheureusement 
pour  la  réussite  de  l'entreprise,  Na- 
poléon enfui  instruit,  et  par  ses  or- 
dres, que  lui  transmit  le  prince  Eu- 
gène,  Vaudoncourt  alla  par  delà 
les  limites  de  la  chrétienté  chercher 
les  moyens,  les  éléments  d'une  di- 
version contre  la  diversion  proje- 
tée; il  parcourt  la  Bosnie  dont  il 
voit,  les  unsaprès  les  autres,  les  di- 
vers beys  et  les  fait  entrer  dans  ses 
vues  ;  il  amadoue  le  pacha  de  Scu- 
tari;il  excite,  ce  n'était  pas  difficile, 
par  l'espoir  d'un  territoire  de  |)lus 
et  par  la  certitude  d'une  proie  fa- 
cile, le   fameux   Ali-Pacha,  disons 
plutôt  l'obscur  Ali-Pacha,  dont  la 
célébrité  comme  les  relations  avec 
l'Europe  ne   datent  vraiment  que 
de  l'époque  de  celte  mission.  Pa- 
chas et  beys  fondent  tout  à  coup 
sur  Corfou,  sur  Sainte-Maure  ;  les 
fils  d'Albion  et  de  Tlngrie,  qui  se 
préparaient   à  venir  charger  de  la 
laine  dans  les  Calabres,  s^perçoi- 
vent  que  d'antres  plus  prestes  sont 
en  train  do  la  tondre  chez    eux  et 
y  courent.  Eylau  et  FriedIand  met- 


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197 


tent   sur   l'entrefaite  Français  et 
P russo-Russes   aux  prises  ;    puis, 
sur  le  radeau  de  Tilsilt,  s'embras- 
sent les  deux  autocrates,  entre  qui 
désormais  se  partage  l'Europe  chré- 
tienne. L'épisode  italique  de  la  guer- 
re de  Prusse  est  terminé:  l'ambas- 
sadeur Vaudoncourt  ^ambassadeur 
botté,  on  le  voit,  comme  il  n'en 
manquait  pas  à  celle  époque,  du 
moins  de  noire  côlé)   a  joué  au 
mieux  son  rôle   dans  celle  petite 
pièce,  inséparable    de  la  grande. 
Aussi  l'année  suivante  est-il  nom- 
mé adjudant-général,   soit   en  ré- 
compense de  ses  récents  services, 
soit  surtout  parce  qu'une  nouvelle 
guene,  jjarce  qu'une  quatrième  at- 
taque de  l'Autriche  est  déjà  prévue 
par  l'empereur.   Le    printemps  de 
1809  réali.-e  la  prévision.  C'estdans 
celle  mémorable  année,  marquée  en 
traits  ineffaçables  pour    l'Autriche 
par  le  désastre  de  Wagram,  que 
Vaudoncourt,  placé  déjà  très-haut 
dans  l'estime  de  tous,   acheva  de 
déployer  tout    ce  qu'il   possédait 
d'activité,  de  sang-froid,   de    lact 
militaire.   Il  remplissait  les  fonc- 
tions de  chef  d'élal-major  de  l'ar- 
mée d'Italie.   Le  22  avril  un  pont 
de  bateaux  ayant  été  jeté  sur  l'A- 
dige  par  ses  ordres,  il  força,  non 
sans  opiniâtie  résistance  de  l'en- 
nemi, le  passage  du  fleuve,  et  s'éta- 
blit avecquinze  cents  hommes  sur  la 
rive  droite,  donnant  ainsi  l'exemple 
à  d'autres  corps  qui  s'empressèrent 
derimiier,d'oùrésulta,  pourleslla- 
liens  et  les  Français,  un  avantage 
important.    Quand,   uu   peu   plus 
tard,  il  fut  clair  que  l'on  ne  pour- 
rait le   conserver,   l'affluence    des 
Autrichiens  augmentani  sans  cesse 
et  même  élanl  au  momeril  de  met- 
tre les  noires  en   dauger,  Vaudon- 
court engagea  deux   fois  la    lutte 
avec  la  division  autrichienne  Gold- 


schraidt,  que,  chaque  fois,  il  refoula 
en  lui  tuant  beaucoup  de  monde  ; 
et,  par  ce  double  succès,  il  couvrit 
la  position  capitale   de  Rivoli,  la- 
quelle  mettait  à  l'abri  de  danger 
les  colonnes  en   retraite,   c'est-à- 
dire  toute  l'aile  gauche.  Le  mou- 
vement rétrograde  ne  pouvait  du- 
rer.  La   marche   en   avant   reprit 
bientôt.  Vaudoncourt   prit  part  à 
celle  foule  de  petites  affaires  quoti- 
diennes de  la  Brenla,    de  Tarvis, 
de  Malboighetto,  de  Saint-Michel, 
préludes  de  la  bataille  de  la  Piave 
et  de   l'entrée    dans   l'archiduché 
d'Autriche.  Il  se  couvrit  de  gloire 
surtout  à  la  bataille   de  Raab  ;  et 
quand  Raab  nous  eut  ouvert  ses 
portes,  il  en  fut   nommé  gouver- 
neur. L'archiduc  Jean  vint  mettre 
le  siège  devant  la  place,  il  la  dé- 
fendit avec  succès.  Le  vice-roi  d'I- 
talie, ou  l'empereur,  lui  témoigna 
sa  satisfaction  de  cette  utile  série 
de  beaux  faiis  d'armes  par  le  bre- 
vet de  général  de  brigade,  par  le 
titre  de  baron  du  royaume  d'Italie, 
et  par  une  dotation  en  Tyrol,  Les 
paisiblesannéesISlOet  1811,  bien 
que  vides  de  guerres  italiennes,  ne 
furent  pas  pour  lui  des  périodes  de 
repos  :  diverses  missions  d'organi- 
sation, d'inspeeiion,  de  comman- 
dement se   partagèrent  toutes  ses 
semaines,  toutes  ses  heures.  Vint 
1812  :  celle   fois,  après  la  ni  d'an- 
nées, pendant  lesquelles  nous  l'a- 
vons vu,  à  peu  de  chose  près,  in- 
féode à  la  Péninsule,  il  s'éloigne  de 
riialie  avec  le    prince   Eugène  et 
son  armée,  qui  va  former  le  qua- 
trième eorps  de   la  grande  armée 
napoléonienne,  qui   va  vaincre  à 
l'.orodino,   Slagno,    à   Moskou,  et 
périr  dans  les  neiges  qui  sép'.renl 
le    Kremlin  du  Niémen.    Vaudon- 
court, toujours  avec  le  prince  Eu- 
gène,  qui  pendant  la  désastreuse 


198 


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retraite  mérita  si  bien  de  la  France 
et  de  l'armée,  avait,  à  la  suite  de 
tant  de  fatigues  et  au  milieu  de 
tant  de  malades,  puisé  lesgermes  du 
typlius;  il  s'alita  dès  qu'on  fut  à 
Vilna,  et  il  fallut  l'y  laisser.  Les 
Russes  ne  tardèrent  pas  à  s'empa- 
rer ûd  sa  personne,  et  il  resta  pri- 
sonnier jusqu'à  la  paix.  De  retour, 
en  1814,  il  fut  compris  parmi  les 
généraux  mis  en  non-activité.  Aus- 
si, pendant  les  Cent  Jours,  il  fut 
prompt  à  reprendre  du  service.  De 
général  de  brigade,  il  passa  général 
de  division;  et  Metz  le  revit  chargé 
cette  fois  d'organiser  la  garde  na- 
tionale. Il  se  tira  de  celte  mission 
avec  la  même  célérité,  avec  le  mê- 
me bonheur.  La  confiance  et  l'af- 
feciioLi  de  ses  concitoyens,  heureux 
d'avoir  dans  leurs  murs  un  de  leurs 
pluis  nobles  enfants,  avaient  d'ail- 
leurs singulièrement  facilité  pour 
lui  le  travail.  Ils  se  plurent  notam- 
ment à  le  lui  témoigner  par  leurs 
acclamations  à  la  grande  revue  de 
juillet  1815,  et  bientôt  ils  le  por- 
tèrent à  la  |)résidence  de  la  conté- 
dération  de  la  Moselle.  Recom- 
ma[jdé  par  ce  choix  même  et  j)ar 
ses  convictions  au  courroux  des 
adiiérenls  chaleureux  do  l'ancien 
régime,  il  eut  bientôt  des  risques 
sérieux  ii  courir.  Il  fut  mis  en  ju- 
gement dès  l'année  qui  vit  revenir 
les  Bourbons  :  nous  ignorons  ce 
qu'eût  été  le  jugement  s'il  so  fût 
présenté  au  tribunal,  mais  il  fut  de 
l'avis  d'un  de  nos  amis  qui  termi- 
nait ainsi  je  ne  sais  plus  quel  apo- 
logue, au  temps  où  il  ne  s'était  pas 
encore  attaché  à  la  glèbe  de  la 
rime  riche  : 

Ceci  fait  tôt  qu'en  mainte  cirrsrisUncc 
L'agilité  tant  mieux  que  1  éloqueuce. 

et  il  crut  bon  de  mettre  la  fron- 
tière entre  la  cour  prévolale  ellui  : 


ses  juges  le  condamnèrent  à  mort 
par  contumace  ;  faible  consolation 
quand  on  le  savait  en  liberté,  et 
faible  moyen  de  réconcilier  la 
France  nouvelle  avec  la  dynastie 
revenue  à  la  suite  de  Waterloo. 
Les  replâtrages  qu'avait  bâclés  la 
Sainte-Alliance  ne  tardèrent  pas  à 
se  lézarder  de  plus  d'un  côté  :  l'é- 
tincelle partie  de  l'île  de  Léon 
avait  mis  le  feu  à  Naples  dès  1820, 
au  Piémont  dès  1821.  Les  révolu- 
tions opérées  en  un  clin  d'œil  sur 
ces  deux  théâtres  donnaient  l'éveil 
non  seulement  à  la  Péninsule  as- 
servie, mais  à  toute  l'Europe;  on 
s'attendait  à  voir  ce  que  nous 
voyons  en  train  de  s'accomplir  au- 
jourd'hui :  l'Italie  ou  partie  de  l'Ita- 
lie ressaisir  son  indépendance.  Vau- 
doncouri  était  alors  depuis  cinq 
ans  auprès  du  nrince  Eugène  à 
Munich,  où  il  s'était  rendu  après 
un  court  séjour  en  Angleterre.  Il 
fut  choisi  par  le  prince  (ou  plutôt 
c'est  lui  ([ui  plus  que  tout  autre 
avait  donné  au  prince  l'idée  de  ce 
j)lan)  pour  aller  se  mettre  à  la  tête 
des  forces  militaires  du  nouveau 
gouvernement  piémontais  et  ten- 
ter le  rétablissement  du  ci-de- 
vant royaume  d'Italie  en  faveur  du 
vice-roi,  dont  le  nom  était  en  ces 
parages  plus  populaire  que  jamais. 
Alexandre  adhérait  positivement  k 
ce  premier  remaniement  des  traités 
de  1815,  et  en  temps  et  lieu  aurait 
déclaré  son  adhésion.  Le  moinent 
était  favorable  :  le  prince  de  Cari- 
gnan  par  sa  défection  s'était  placé 
dans  l'impossibilité,  eùl-il  eu  et 
lui  eùt-on  cru  des  talents,  de  con- 
duire une  entr(3prise  hostile  à 
l'Autriche.  Vaudoncourt  se  rendit 
donc  muni  des  pleins  pouvoirs  du 
prince  à  Turin,  et  un  j)remier  suc- 
ces  sembla  d'abord  en  garantir 
d'autres;  il  obtint   le  commande- 


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ment  gênerai  de  i'armée  piémon- 
laise.  Malheureusement  cette  armée 
était  trop  faiblement  numérique  et 
d'une  orjranisation  impossible,  vu 
le    peu  de  temps  qu'on  avait;  les 
Autrichiens     fiient    éprouver   un 
échec  au  génér;il  qui  commandait 
la  colonne  de  Novare.  Mais  ce  n'est 
pas  tout  :  l'échec  de  Novare  sans 
doute  était  fâcheux;   toutefois  ce 
n'était  pas  un  mal  irrémédiable. 
Mais  les  membres  du  irouvernement 
n'avaient  ni  cette  intrépidité  per- 
sévérante qui  fatigue  la  mauvaise 
fortune,  ni  cet  esprit  de  ressources 
qui  la  dompte, ni  l'accord  de  vues: 
ils   désespérèrent   un   pou  vite,  à 
notre  avis,  bien  que  nous  sachions 
à  quel  point  l'on  joue  gros  jeu  et 
l'on   engage  sa  responsabilité   en 
s'obstinant  à  la  lutte  sans  forces 
qui  soient  au  moins  du  quart  de 
celles  qu'il  s'agit  de  combattre;  ils 
se  dispersèrent;  l'armée  fut  iicen- 
ciée.  Vaudoncourt,    sans   soldats, 
n'avait  plus  qu'à  se  retirer.  Ce  ne 
fut   pas  chose  facile;  on   tenait  à 
l'avoir  eu  main,  et  le  tribunal  de- 
vant lequel  on  l'eût  nmené  (si  l'on 
eût  daigné  s'astreindre  à  la  forma- 
lité d'un  tribunal)  n'eût  pas  mon- 
tré beaucouj)  plus   de  commiséra- 
tion ou  d'intelligence  que  la  cour 
prévôiale française.  Apres  beaucoup 
de  fatigues  et  de  dangers  pourtant, 
et  à  force  de  j)résence  d'esprit,  il 
put  atteindre  Gènes,  et  de  là  il  lit 
voile    pour  l'Kspagne.   11    y  resta 
jus(|u'ii      l'expédiiiou       française 
(1823);  mais  quoique  n'eu  pouvant 
voir  le  but  qu'avec  répuliion,  il  ne 
recher(  ha  ni  n'accepta  de    porter 
les  armes  contre  le  drapeau  fran- 
çais. Après  le  rétablissement  de  la 
monarchie,  il  reprit  encore  le  cours 
de  ses  péréj;rinalions,  et  il  revit 
l'Augleterre.  Celle  expatriation  du 
reste  allait  désormais  n'èire  que  de 


XM 


199 


courte  durée.  L'amnistie  du  28  mai 
4825  le  mit  à  même  de  rentrer  en 
France  dès  qu'il  le  voudrait;  il  se 
hâta  d'eu  profiter.  Toutefois  il  fut 
radié  des  contrôles  de  l'armée  et 
mis  à  la   réforme.  On  comprend 
qu'il  n'en  devint  pas  plus  enthou- 
siaste des  Bourbons.  Mais  du  moins 
s'il  fut  réduit  à  l'inertie  à  l'âge  où 
des  hommes  de  son  étoffe  peuvent 
rendre  encore  tant  de  services,  il 
eut  le  plaisir  de  voir,  à  partir  sur- 
tout de  l'année  qui  suivit  la  mort 
de  Louis  XVIII,  l'infortunée  dynas- 
tie s'aliéner  de  jour  en  jour  les 
sympathies,   attiédir    ou   offenser 
ses  propres  amis,  perdre  dans  la 
presse,    perdre   dans  la  chambre 
des  pairs,   perdre  dans  l'opinion 
des    chancelleries    étriingères   et 
marcher  visiblement  de  |)lus  en 
plus  vite  vers  sa  ruine.   On  dirait 
qu'il  se  tenait  prêt  pour  cet  ins- 
tant, sans  toutefois  être  infidèle  à 
ce  désintéressement,  le  plus  beau 
fleuron    de    la    conronue     d'un 
homme    politique.    La    lutte   des 
trois  jours  n'était  pas  encore  ter- 
minée, en  1830,  qu'on  vitsonnom. 
ligurcr  sur  la   liste  des   généraux 
qui  se  ralliaient   au  mouvement. 
La  démarche  n'était  pas  sans  ris- 
que encore;    il   commandait    les 
quartiers     des    Tuileries    et    du 
Roule  à  l'avant-garde  de  l'armée 
jiarisienue.  La  branche  aiuee   dé- 
liniiivemenl  mise   hors  de  cause, 
mais  la  branche  d'Orléans  prenant 
enfin  la  phtce  si  longtemps  et  si 
studieusement  guellée,  il  se  trouva 
tout    naturellement  que    Vaudou- 
court   ne  se   sentit  pas  plus  d'at- 
trait pour  le  raailre  nouveau  que 
le  nouveau  maître  n'en   é|)r(UiviMl 
pour  lui.  La  première  conséquence 
de    ce   manciue  de  sympathie  fut 
qu'il  ne  garda  point  de  coinmau- 
demenl  à  Paris  :   on   l'exila    en 


200 


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quelque  sorte,  sous  d'assez  grotes- 
ques prétextes,  dans  les  départe- 
ments du  Finistère  et  de  la  Cha- 
rente :  il  s'agissait  d'oiganiser  eu 
ces  lointaines  provinces  la  garde 
nationale.  11  eut  le  temps  d'en 
mettre  sur  pied  une  des  plus  bel- 
les à  Brest.  Mais  la  monarchie  de 
fraîche  date,  qui  n'avait  pas  plus 
de  goût  que  Charles  X  pour  la  mi- 
lice citoyenne,  bien  qu'elle  ne  fût 
pas  issez  naïve  et  mal  avisée  pour 
froisser  les  susceptibilités  natio- 
nales en  la  cassant,  ne  le  seconda 
que  mollement  après  qu'il  eût  trop 
bien  réussi  parmi  les  Bretons,  puis 
lui  signifia  d'ajourner,  et  ensuite, 
quand  il  eut  obtempéré  à  l'ordre 
reçu,  remit  de  jour  en  jour  à  l'em- 
ployer, de  telle  sorte  qu'en  fait  il 
ne  fut  pas  même  mis  en  disponibili- 
té ;  il  fut  derechef  mis  à  la  retraite. 
L'histoire  contemporaine  doit  à 
cet  honorable  et  habile  officier 
général  plusieurs  productions  qui 
prouvent  sans  doute  quelques  ha- 
bitudes heureuses  de  rédaction  et 
même  de  style,  si  l'on  veut,  mais 
que  recommandent  surtout  l'abon- 
dance et  l'exaciitude  des  rensei- 
gnements de  visu.  Ce  sont  quatre 
monographies  des  campagnes  fi- 
nales de  la  période  impériale  et 
une  monographie,  monument  en 
même  temps  de  reconnaissance  et 
de  talent  historique.  En  voici  les 
titres:  I.  Mmoires  pour  servir  à 
l' histoire  de  la  fjuerre  entre  la  France 
et  laliussie  en  t8l2,  Londres,  1816, 
in-4%  pi.,  auxquels  il  faut  joindre 
sa  tn\s-remarquable/?e/r7/W7i  impar- 
tiale du  pnsHarje  de  la  llérésinn  par 
l'armée  française  en  i8l2,  Paris, 
1 8  f  5 .  i n-8  ' .  If.  Histoire  de  la  gueire 
soutenue  par  les  Français  en  Alle- 
mafjne  en  1813,  2  v.  in-i.  JII.  !\fé~ 
moires  sur  la  campofine  du  vice-roi 
en  Italie  en  1813  et  18U,  Londres, 


1817,  in-4*,  atlas.  IV.  Histoire  des 
campagnes  de  1814  et  1815  en 
Fmnrc,  etc.  Paris,  1826,  5  v.  in-8*». 
V,  Histoire  politique  et  militaire  du^ 
prince  Eufjène  Napoléon,  vice-roi' 
d'Italie.  Paris,  1827  et  1828,  in-8\ 
A  ces  ouvrages,  qui  tous  rouleut 
sur  des  sujets  presque  de  notre 
ûge, puisque  la  génération  entrain 
de  s'éteindre  les  a  tous  vus,  doit 
s'en  ajouter  un  d'un  tout  autre 
genre,  non  moins  curieux  quoiqufr 
moins  palpitant  d'actualité,  presque 
actuel  du  reste  en  ce  qu'il  fut  ré- 
digé sous  la  pression  des  grands 
faits  d'armes  du  jour  et  avee  l'idée 
secrète  de  comparer  à  la  façon  de 
Plutarque  dans  ses  vies  parallèles 
les  plus  célèbres  campagnes  dont 
l'Italie  antique  ait  été  le  théâtre 
avec  les  plus  célèbres  campagnes 
modernes.  C'est  V Histoire  des  cam- 
pagnes d'Annibal  en  Italie  pendant 
la  seconde  guerre  punique,  suivie  de 
l'Abrégé  de  la  tactique  des  Romains 
et  des  Grecs,  etc.,  Milan,  1812,  3v, 
in-4°,  atlas.  Val.  P. 

VAUDREUIL  (Jean -Louis  de 
BICAUD,  vicomte  de)  était  le  cou- 
sin issu  germain  du  comte  Joseph- 
François  de  Paule,  le  pair  de 
France  et  gouverneur  du  Louvre, 
dont  l'article  peut  se  lire,  XL VIII, 
de  la  Biographie.  C'est  dire  qu'il 
avait  pour  aieul  paternel  le  mar- 
quis de  Vaudreuil,  si  connu  comme 
gouverneur  général  du  Canada, 
sous  Louis  XIV  et  Louis  XV,  de 
169S  -à  i72:>.  De  ses  deux  lils  les 
plus  remarquables,  l'un  aussi  a 
déjîi  son  article  biographique  h  la 
suite  de  celui  de  son  père  (même 
vol.),  c'est  lui  qui  mourut  en 
1802.  L'autre,  dit  vicomte  de  Vau- 
dreuil, se  distingua  pareillement 
dans  la  carrière  militaire,  il  vit  la 
guerre  de  la  succession  d'Autriche 
et  la  guerre  de  sept  ans.    Lieute- 


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nant  générak,   il  remplit  les  fonc- 
tions de  major  général  de   l'armée 
pendant  les  campagnes  de  Flandre, 
sous  les  ordres  des  maréchaux  de 
Saxe,  Bellisle  et  de  Brog!ie;il  reçut 
en  récompense  de  ses  services  la 
grande  croix   de  l'ordre  de  Saint- 
Lazare;  comme  dignitaire  de  l'or- 
dre  il    eut  rhonneur  de  recevoir 
Monsieur,   depuis  Louis  XVIII;  au 
moment  ou  S.  A.  R.  prit  l'ordre  sous 
sa  protection,   il  en   fut  déclaré  Je 
grand-maître.  Jean-Louis,  son  fils, 
l'objet  de    cet   article,  naquit  en 
1762,  et  dès  l'entance  fut  destiné  à 
la  carrière  des  armes.  Dès  quinze 
ans  en  effet  il  entra  au  service  dans 
le   régiment  de  Dragons-Dauphin, 
que  commandait  son   cousin   plus 
haut  nommé,    lequel,  ainsi   qu'on 
peut   le  voir,   était  son   aîné   de 
vingt-deux  ans.  C'était  au  moment 
où  Louis  XVI,  obéissant  aux  géné- 
reuses inspirations  qui  furent  tou- 
jours son  premier  mouvemeni,  et 
jaloux  de  compenser  les  ignominies 
de  Louis  XV  en    humiliant  à  son 
tour  l'implacable   ennemie   de   la 
France  sous  tous  les  régimes,  allait 
prouver,    autrement  que  par   des 
paroles,  sa  sympathie  ii  l'égard  des 
colonies  anglo-améiicaines  en  ré- 
volte contre  l'arrogante  métropole. 
Le  jeune  officier    partit  avec  les 
troupes  françaises  envoyées  au  se- 
cours de  là  cause  de  l'indépendance 
et  servit  en  (jualité  d'aide  de  camp 
du  chevalier  de  ClKisteliux;    il  eut 
part  à  bon  nombre  d'engagements 
importants  et  partout  sa   bravoure 
fut  celle  de  sa  naliou  et  de  sa  race. 
Il  fut  décoré  de   l'ordre  de  Cincin- 
natus.  Peu  de  temps  après  son  re- 
tour, il  fut  nommé  colonel  (1705); 
il  n'avait  alors  qu(3  vingl-lrois  ans. 
On   voit   quel   magnifique    ;jvenir 
militaire  se  développait  devant  lui  ; 
et  nul  doute  que  la  France  n'eût  eu 


VAU 


201 


en  ce  jeune  militaire  un  de  ceux 
qui  devaient  ajouter  à  ses  gloires, 
si  des  circonstances  de  force  ma- 
jeure ne  fussent  venues  'à  la  tra- 
verse. La  révolution  éclata  en 
1789;  bien  avant  qu'elle  eût  été 
poussée  à  ses  graves  excès,  et 
quoiqu'il  n'eût  pas  impunément 
respiré  l'atmosphère  américaine,  il 
avait,  à  l'instardes  ennemis  préma- 
turés et  systématiques  de  la  réno- 
vation, émigré  en  Allemagne,  et 
de  longtemps  il  ne  pouvait  échap- 
per à  ce  dilemme,  ou  tirer  l'épée 
contre  la  France  (triste  gloire,  eût- 
il  vu  les  siens  vainqueurs!)  ou 
laisser  l'épée  au  fourreau  (com- 
plète absence  de  gloire...  militaire 
du  moins!)  Le  jeune  émigré  eut  ces 
deux  malheurs.  Il  fut  de  ceux  qui 
en  1792  envahirent  la  France  à  la 
queue  des  Prussiens,...  nous  disons 
à  la  queue,  puisque  la  jalousie 
prussieiine  ne  permit  jamais  qu'un 
corps  français  fût  à  l'avaut-garde, 
et  que  les  pauvres  émigrés  armés 
étaient  ii  Sterk,  tandis  que  le  duc  de 
Brunswick  s'avançait  dans  l'Ar- 
gonne;  cruelle  leçon  pour  ceux 
dont  la  foi  robuste  croit  aux  sym- 
pathies chevaleresques  des  chan- 
celleries et  des  coiuloltieri.  Vau- 
dreuil  à  cette  époque  était  aide  de 
camp  de  Monsieur;  ce  général  i)eu 
belliqueux  ne  l'envoya  pas  porier 
beaucoup  d'ordres  au  travers  des 
escadrons;  et  tel  est  le  résultat  des 
folles  alliances  ,  ils  virent  leurs 
minces  forces  subir  le  même  sort 
que  leurs  avides  et  sournois  adver- 
saires,... s'ils  plièrent  ce  ne  fut 
pas  sous  le  poids  des  lauriers;  seu- 
lement nous  nous  plaisons  à  re- 
marcpuT  qu'ils  ne  furent  pas  bat- 
tus. Deux  ans  et  plus  ensuite  se 
passèrent  sans  ()ue  l'émigration  pût 
donner  signe  de  vie  par  les  arm<'s. 
Enfin  les  braves  d'entre  eux  purent 


202 


\A\] 


VAU 


lever  la  lète  :  l'expédition  de  Qui- 
beron  fut  comblTiée  plus  vaillam- 
ment qu'^  sagement,  on  le  sait.  Il 
n'y  avait  pas  de  Machiavel  parmi 
ces  confiants  gentilshommes  qui 
s'embarquaient  sur  la  foi  de  l'An- 
gleterre, il  y  en  avait  au  ministère 
britannique,  toujours  en  déliance 
des  Français,  mf^ne  quand  ils  se 
préparaient  à  (D\re  du  mal  à  la 
France.  Les  meneurs  de  Paris  fu- 
rent doue  sinon  renseignés  ,  du 
moins  mis  sur  la  voie,  et  de  là  sur- 
tout, plus  que  de  toute  autre  cause, 
l'issue  désastreuse  de  l'entreprise. Le 
vicomte  de  Vaudreuil  avait  été  dans 
l'intention  d'y  prendre  part,  et  dans 
ce  but  il  avait  fait  voile  d'Allema- 
gne en  Angleterre,  accompagné  du 
régiment  de  Choiseul  ;  mais  le  mi- 
nistère anglais  fit  surgir  des  entra- 
ves à  leur  prompt  départ,  et  le 
coup  de  foudre  qui  mit  brusque- 
ment fin  à  l'expédition  rendit  inu- 
tile autant  qu'impossible  tout  mm- 
vement  ultérieur. Le  vicomte,  af)rès 
cet  échec,  qui  pour  si  longtemps 
ajournait  les  espérancss  des  cham- 
pions de  la  légitimité,  alla  rejoindre 
Louis  XVIII  en  Kcosse,  où  déjà  se 
irouvaieiït  plusieurs  des  autres 
menabres  de  sa  famille  et  notam- 
ment son  cousin.  Jeune  encore. 
puis(iu'il  ne  comptait  pas  encore 
trente-cinq  ans,  il  avait  le  regret 
de  n'être  guère  plus  actif  de  ses 
jambes  que  son  maître  et  de  ne  pas 
se  sentir  en  possession  de  toute 
celle  force  et  cette  vivacité  mentale, 
apanagt;  usuel  de  l'âge  viril  et  qu'il 
eût  été  heureux  de  mettre  au  ser- 
vice (le  son  prince.  Une  maladie 
cruelle,  et  qui  déjoua  l'art  des  plus 
habiles  praticiens,  l'atrophia  de 
plus  en  pius  au  physique  et  au  mo- 
ral, en  le  conduisant  au  tombeau 
par  un  lent  dépérissement  et  par 
des  souffrances  aigiies  comme  l'a- 


gonie. Le  rétablissement  des  Bour- 
bons ,  en  1814  ,  fut  comme  un 
rayon  de  soleil  au  milieu  de  ces 
ombres  épaissies  sur  sa  vie.  Il  vît 
de  même,  après  la  courte  éclipse 
des  Cent  Jours,  la  légitimité  re- 
brîller  sur  le  trône  de  tout  l'éclat 
que  peut  avoir  un  succès  dû  à 
tant  de  pertes  de  sang,  de  pro- 
vinces et  de  millions;  mais  il  ne 
survécut  que  peu  de  temps  à  ce 
dernier  événement,  et  il  alla,  beau- 
coup plus  jeune  que  la  plupart 
d'entre  eux,  rejoindre  ses  ancêtres 
dans  le  caveau  de  famille,  le  20 
avril  1816.  Voy.  l'article  suivant. 

Val.  p. 
VAUDREUIL  (Alfred,  vicomte 
de),  deuxième  fils  du  précédent, 
né  le  l'^' janvier  1799  en  Ecosse,  où 
nous  avons  vu  son  père  passer  les 
dix-sept  ou  dix-huit  dernières  an- 
nées de  l'émigration,  profita  re- 
m.arquablement  des  soins  donnés  à 
la  partie  sérieuse  de  son  éducation, 
et  se  familiarisa  de  bonne  heure, 
tant  par  la  conversation  de  son 
père,  qui  n'avait  |)oint  oublié  les 
beaux  jours  de  l'Amérique  indé- 
pendante, que  par  l'air  même  qu'on 
respire  dans  cette  île,  la  terre 
classique  des  idées  constitution- 
neiles,  avec  des  idées  moins  abso- 
lutistes que  celles  de  la  plupart 
des  expatriés  de  sa  castç.  De  re- 
tour en  France  à  la  suite  de  l'im- 
mense chute  dont  le  30  mars  1814 
avait  été  le  résumé,  il  se  décida 
provisoirement  à  suivre  comme 
ses  ancêtres  la  carrière  militaire, 
et  entra  de  prime-abord  aux  che- 
vau-légers,  puis  a|)rès  les  Cent- 
Jours  (^pendant  lesquels  il  avait 
quitté  le  sol  français  pour  revoir 
Albion),  il  passa  des  chevau-légers 
dans  les  hussards  de  la  garde 
royale  (octobre).  Mais  il  n'y  resta 
pas  non  plus  longtemps.  Soit  qu'il 


\'AU 

eùtrhumeur  moins  belliqueuse  que 
sesaïeux  ^soD père,  en  effet, étaitdéjii 
maladif  el  réduit  à  la  vie  casanière 
k  l'époque  de  sa  naissance),  soit 
qu'après  les  traités  de  Vienne,  qui 
semblaient  avoir  réglé  pour  long- 
temps l'équilibre  de  l'Europe,  sa 
carrière  militaire  fût  loin  d'offrir, 
en  France  du  moins,  la  brillante 
perspective  et  le  prestige  dont  elle 
eut  longtemps  le  privilège,  soit  en- 
fin que  les  études  et  les  prédilec- 
tions sérieuses  dont  plus  haut  nous 
avons  touché  un  mot,  se  fussent 
brusquement  mises  en  recrudes- 
cence, soit  par  suite  de  quelque 
autre  raison  inutile  à  chercher,  il 
déclara  qu'il  se  sentait  de  la  voca- 
tion pour  la  diplomatie.  Un  nom 
comme  le  sien,  classé  parmi  les 
plus  beaux  noms  de  France,  étiiit 
le  «  Sésame,  ouvre-loi.  »  Il  ne  larda 
pas  à  prendre  pied  à  l'étrier  en 
qualité  d'attaché.  Naples  fut  le  lieu 
(Je  son  début  (1816).  Nommé  en- 
suite secrétaire  de  légation,  il  ré- 
sida successivement  à  La  Haye  et 
il  Cassel.  Plus  tard,  nouvel  avan- 
cement :  le  secrétaire  d(!  légation 
devint  secrétaire  d'ambassade ,  à 
Londres  d'abord,  où  l'on  élaborait 
;i  coalition  dont  le  résultat  fut  la 
grande  victoire  de  Navarin,  ensuite 
à  Lisbonne  (en  1827),  où  par  in- 
térim il  remplit  les  fonctions  de 
chargé  d'affaires.  Uien  de  moins 
facile  à  démêler  et  plus  encore  à 
mener  à  bonne  fln  que  les  négo- 
ciations alors  pendantes  entre  dun 
Miguel,  alors  le  inailre  de  fait  du 
Portugal,  et  la  France  qui  ne  de- 
mandait qu'à  r.ippuyer  contre 
l'Angleterre  et  les  leonistes,  mais 
qui  souhaitait  voir  son  absolutisme 
marcher  dans  des  voies  plus  con- 
formes à  l'esprit  moderne  el  qui 
n'aliénassent  pas  de  lui  ses  sujets 
les  plus   fidèles.   S'il   n'y   reu>sil 


VàU 


203 


qu'en  partie,  le  ministre  des  affaires 
étrangères  n'en  apprécia  pas  moins 
le  talent  d'observation,  la  justesse 
de  jugement,  la  finesse  de  vues, 
la  solidité  de  plan,  enfin  la  netteté  en 
même  temps  que  la  grâce  de  rédac- 
tion dont  le  jeune  diplomate  offrait  le 
modèle.  Il  fut  admis  dès  lors  que 
nulle  mission  n'était  trop  h:iute 
pour  ses  capacités,  et  qu'un  temps 
viendrait  bienlot  où  les  positions 
diplomatiques  les  plus  enviables 
seraient  de  droit  pour  lui.  C'est  en 
ce  moment  qu'il  épousa  mademoi- 
selle Collo',  la  fille  aînée  du  di- 
recteur général  de  la  Monnaie  de 
Paris... Fortune  et  beauté  du  même 
coup  lui  échurent  en  partage.  Il  se 
rendit  ensuite  à  Londres,  en  1828, 
avec  le  litre  de  premier  secré- 
taire de  l'ambassade  française;  et 
comme  tel,  il  eut  part  aux  ma- 
nœuvres, parfaitement  de  bonne 
guerre,  par  lesquelles  furent  endor- 
mies en  partie  lesdéliances  anglai- 
ses relativement  à  noire  première 
expédition  en  Algérie.  Assez  long- 
temps les  ministres  anglais  et  leurs 
convives  ou  auiies  champions  de 
(|uioonque  tient  la  feuilU;  aux  si- 
nécures, se  laissèrent  dire  ou  ima- 
ginèrent naïvement  qu'il  ne  s'a- 
gissait là  (jue  de  tirer  vengeance 
du  coup  d'éventail  ou  d'en  tinir 
avec  l'affaire  Bakri;  puis,  quand 
la  grandeur  des  préparatifs  eut 
prouvé  (luil  se  brassait  ^ous  ro- 
che quelque  chose  de  plus,  ils  se 
!al:  sèrenl  convaincre  que  la  France 
n'allait  conquérir  ([ue  pour  rendre 
cl  que,  après  avoir  installé  quel- 
ques échelles  ou  comptoirs  sur  la 
cote  mediterraiiéemu',  elle  s'em- 
presserait de  restituer  le  pays  ;in 
dey  légitime.  Vint  iinniédialemenl. 
après  la  coniiuèie  la  révolution 
des  trois  journées  (1830).  La  po- 
sition de  Vaudreuil  se  trouva  subi- 


204 


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VAU 


tement  des  plus  incommodes  et  des 
plus  tausses;  d'une  part,  il  est  visi- 
h\e  que  Tinstant  approchait  où  le 
ministère  britannique  nllait  sommer 
la    France    de    réaliser  les    pro- 
messes explicites  ou  implicites  en 
vertu  desquelles  on  Tavijit  laissée 
se  mettre  en  possession  d'Alger  et 
de  ses  entours;  de  Taulre,  le  fils 
d'un  des  fidèles  de  la  dynastie  bour- 
bonienne et  de  la  monarchie  sem- 
blait  ne  pouvoir  seconder  de  sa 
coopération  un  gouvernement  qu'on 
ai)pelait  usurpateur  et  subreptice. 
L'embarras  de   notre  premier  se- 
crétaire ne  fut  pas  long  :  il  venait 
à  peine  de  prendre  la  résolution  de 
continuer  àservirtoujoursia  France, 
sans  examiner  quel  principe  et  quel 
homme  la  gouvernait,  d'autant  plus 
que  la  monarchie  restait  debout  et 
quil  n'y  avait  changement  que  de 
branche  et  non  de  dynastie  (toutes 
considérations  que  nous  avouons  ne 
pas  émaner   d'un    royalisme  bien 
fervent),  lorsque  Talleyrand   vint, 
muni  du  titre    d'ambassadeur  ex- 
traordinaire, le  relayer  et  le  dépos- 
séder. Il  fallait  en  effet  celte  archi- 
machiavélique  expérience  des  vieux 
complots  éventés  de  i816  et  autres 
pour  aborder  le  traité  morganatique 
en  vertu  duquel  le    Foreing-Office 
allait  devenir   le   patron   compro- 
mettant de  Louis-Philippe  et  l'ar- 
rogant allié  de  la  France.   Le  vi- 
comte Alfred,  cependant,  ne    fut 
pas  évincé   de  la  liste  des  agents 
diplomatiques;  il  s'était  rallié  trop 
vite  et  trop  haut  pour  ôtre  suspect 
d'arrière- pensée  :  il  fut  chargé  de 
la   légation  de   Weimar,  création 
récente  alors  et  où  tout  était  encore 
k  faire.  Il  s'y  remlit  sans  retard  et 
réussit  dans  sa  mission  an-delîi  de 
tout  ce  qu'il  devjiit  espérer.  Bien 
qu'aussi  étranger  naguère  à  l'Alle- 
magne   qu'il   était    fr<miliarisé   de 


longue  main  avec  la  Grande-Breta- 
gne, il  se  sentit  Ui  comme  en  son 
élément.  Une  ville  dite  avec  raison 
l'Athènes  du  Nord,  une  cour  éprise 
de  toutes  les  élégantes  et  initiée 
au   culte  de  l'art  sous   lotîtes  les 
formes,   ne  pouvait  que   charmer 
un  des  représentants,    un  des  di- 
gnes héritiers  de  cette  vieille  aris- 
tocratie française,  le  point  de  dé- 
part et  le  type  de   tout  ce  qu'il 
y  avait  d'urbanité,  de  grâce  exquise, 
de  formes  charmantes  d'un  bout  à 
l'autre  de  l'Europe.  Tout   lui  plut 
dans  cette  atmosphère  parfumée  de 
science  du  monde  et  de  poésie  de- 
venue presque  chez  des  courtisans 
seconde  nature;  il  plut  lui-même, 
tant  par  lui  que  par  ses  entours, 
non-seulement  aux  oisifs  de  la  cour 
et  aux  étoiles  de  seconde  classe, 
mais  aux  sommités  officielles,  non- 
seulement  aux  sommités  officielles, 
mais  à   toute  la  ville.  Les  lettrés 
et  les  penseurs  se  pressaient  à  ses 
soirées;  Goethe,  malgré  son  grand 
âge  et  SCS  infirmités,  Goethe,  dont 
la  tin  dès  lors  était  imminente,  ai- 
mait à  passer  des  heures  entières 
à  s'entretenir  avec  le  couple  char- 
mant que   le  monarque  de  France 
semblait   avoir    trié   tout  exprès 
pour  la  délicatesse   des  habitudes 
et  (les  mœurs   weimariennes.   Le 
vicomte  Alfred  ne  s'endormait  pas 
dans  cette  Capoue,  et  l'on  nous  as- 
sure que  d'une  part  la  perfection 
avec  laquelle  il  s'acquittait  de  tous 
les  détails  de  son  emploi,  de  l'au- 
tre,   les  rares  qualités  de   sa  ré- 
daction  coulante,  nette  et  sensée 
avaient  provoqué  àdiverses  reprises 
l'admiration  en  haut  lieu.  La  preu- 
ve ne  s'en  lit  pas  longtemps  atten- 
dre :  l'ambassade  de  Munich  étant 
venue  h  vaquer  en  1832,  c'est  lui 
qui  fut  désigné  pour  aller  en  rem- 
plir les  fonctions  en  qualité  de  mi- 


VAU 


VAU 


205 


nistre  plénipotentiaire.  11  n'arriva 
qu'en  décembre  de  celte  année;  et 
déjà,  réussissant  en  cette  nouvelle 
résidence  non  moins  quà  Weimar, 
ayant  eu  l'arl  de  captiver  l'affec- 
tion et  la  confiance  du  souverain 
de  !a Bavière,  sans  compromellreen 
quoi  que   ce   fût  soit  les  intérêts, 
soit  la  dignité  de  la  France,  très- 
instruit  d'ailleurs  de  tout  ce   qui 
touchait  à  TAUemagne,  tant  par  ses 
études  récentes  depuis  son  séjour 
à    Weimar,    que   par    les    voya- 
ges qu'il  avait  faits  en  celte  région 
penc/ant  les  moments  de  relâche 
qu'il  savait  se  créer,  il  avait  aplani 
il  la  satisfaction  du  cabinet  de  Pa- 
ris   les  principaux    obstacles   qui 
nuisaient  à  l'entente  des  Tuileries 
avec  Munich,  lorsqu'une  maladie, 
dont  la  la  gravité  ne  fut  pas  immé- 
diatement aperçue,  le  contraignit  à 
prendre   le  lit,   puis   à   suspendre 
tout  travail.  Le  péril  devint  bientôt 
sensibh  ;  parents,  amis  accoururent 
et  lui  prodiguèrent  leurs  soins,  mais 
en  vain.  Il  mourut  après  avcijr  lan- 
gui trois  mois  le  3  novembre  4834, 
les  laissant  dans  le  deuil  et  dans  les 
larmes.  Val.  P. 

VAUGEOIS  (Gabriel)  ,  anîi- 
quaire  de  mérite,  naquit  à  Laigle 
eu  17o2,  mourut  à  Laigle  en  1839, 
mais  ne  s'infcodapos quatre-vingt- 
sept  ans  durant  à  Laigle.  Au  con- 
traire, il  s'arrangea,  sans  aspirer 
précisément  à  faire  le  tour  du 
monde,  pour  voir  du  pays.  Au  sor- 
tir du  collège,  où,  parmi  ses  con- 
disciples, il  avait  compte  Hrissot  et 
Pélion,  il  étudia  les  lois  et  coutu- 
mes (on  n'en  était  pas  encore  alors 
au  Code  Napoléon),  et  il  entra  dans 
la  magistrature.  La  révolution  in- 
terrompit momentanément  sa  car- 
rière; mais,  dès  (|n'un  commence- 
ment d'ordre  fut  rétabli,  la  carrière 
se  rouvrit  pour  lui  sans  difticulté  ; 


elle  s'améliora  même,  et,   finale- 
ment, nous  le  retrouvons,  au  temps 
de  l'Empire,  président  de  la  cour 
criminelle  de  Namur.  Sous  la  Res- 
tauration, il  fut  quelque  temps  dé- 
puté. Nous  ignorons  vraimentpour- 
quoi,   car   jamais   il  n'y  brilla  ni 
n'eut  chance  d'y  briller  :  il  n'avait 
depuis  longtemps  nul  penchant  pour 
la  politique.   Et  même  ,    on  peut 
ajouter  que  s'il  donnait  des  soins 
aux  fonctions  juridiques,  et  si,  par 
des   éludes  suivies,  il  se  tenait  au 
courant,  soit  de  la  législation,  soit 
de  la  jurisprudence  nouvelle,  c'é- 
tait par  conscience  plutôt  que  par 
goût.  Son  goût  était  pour  des  tra- 
vaux d'un  tout  autre  genre  et  très- 
variés  qui  dénotent  une  rare  acti- 
vité  intellectuelle.    11   cultivait   la 
physique  et  la   chimie,  la  géologie 
et  la  minéralogie,  et,  pour  se  per- 
fectionner dans  ces  sciences,  ou  du 
moins  d<ins  les  deux  dernières,   il 
voyageait  loin  et  de  sa  résidence  et 
de  son  pays  :  en  Auvergne,  en  Vi- 
varais,  en  lieux  divers  qii  conte- 
naient des  volcans  éteints.  Il  visita 
aussi  la  Suisse  et  la  Savoie  (1820). 
Plus  tard,  la  passioii  de  l'archéolo- 
gie  à   laquelle,  dès  les  pramiers 
temps,  il    avait  sacrifié,    dom.ina 
celle  des  sciences, 'que  jamais,  bien 
entendu,  il  n'abandonna  ou  n'oublia 
complètement.  Ce  changement  eut 
lieu  surtout  après  qu'ayant  atteint 
l'Age  nécessaire  pour  obtenir  une 
pension  convenable,  il  prit  le  parti 
6?  la  retraite.  Membre  de  l'acadé- 
mie de  Caen,  et  pendant  longtemps 
un  des  plus  assidus  aux  nssembl  -es 
pèriodi(|ues,  il  y  fut  souvent  chargé 
de  rapports  sur  les  questions  rt'lati- 
ves  soit  à  l'une,  soit  à  l'aulnr  de  ses 
spécialités.  Il  fut  aussi  de  l'Acadé- 
mie celtique,   au   moins  à  titre  de 
correspomlant.  Son  caractère  doux 
et  liant,   éloigné  de  tout  excès  et 


206 


VAU 


de  toute  outrecuidance,  l'avait  ren- 
du cher  à  tout  ce  qui  l'entourait, 
même  à  ce  genus  irrilabile,  non  de 
poètes,  mais  d'archéologues  qu'il 
avait  sans  cesse  en  face  de  lui  pen- 
dant son  long  séjour  îi  Caen.  Tel  le 
virent  alors  les  savants  et  dilet- 
tanti,  tel  l'avaient  trouvé  jadis  dans 
une  tout  autre  sphère,  ses  amis  et 
condisciples,  Pélion  et  consorts, 
qu'il  égala  bien  en  patriotisme,  mais 
dontjamais  il  nimiia,  soit  les  exa- 
gérations, soit  les  prostrations  et 
les  faiblesses.  Parmi  les  Mémoires  et 
Notices  qu'on  doit  à  sa  plume,  nous 
citerons  de  préférence  :  I.  Sa  Lettre 
à  M.  Eloi  Johanncau  sur  la  pierre 
du  diable^  à  Namur,  et  sur  l'élymo- 
logie  du  nom  de  cette  ville,  avec  la 
réponse  de  M.  E.  Johanncau  (dans 
\es  Mém.  de  ï Acad.  celtique,  i.  m, 
180U).  II.  Son  Mémoire  sur  les  pier- 
res couplées  de  la  forêt  de  Sainl-Se- 
ver  (dans  les  Mém.  de  lasoc.des  an- 
tiquaires de  Normandie,  t.  ii,  J825). 
III.  Son  coup  d'œil  sur  quelques-unes 
des  voies  romaines  qui  traversent 
l'arrondissement  de  Mortagne  (mê- 
mes Mémoires,  i830).  IV.  La  rela- 
tion de  la  tournée  mi-scientifique, 
mi-archéologique  mentionnée  plus 
haut,  et  qu'il  donna  sons  cet  inti- 
tulé modeste,  :  Notice  abrégée  du 
journal  d'un  voyage  archéologique  et 
géologique,  fait  en  1820  dans  les  Al- 
pes de  la  Savoie  et  dans  les  départe- 
ments méridionaux  de  la  France 
(dans  les  Mém.  de  la  Société  des  an- 
tiquaires franc.,  t.  ni,  1821).  — 
Un  romancier  de  l'ancienne  école, 
du  même  nom  de  Vaugeois  (Ilippo- 
lyte;a  publié,  sans  y  mettre  son 
nom  et  avec  un  collaborateur  éga- 
lement anonyme,  le  Brigand  de 
Langerooge.  ou  les  ruines  mysté- 
rieuses, par  les  deux  ermites  de 
Langerooge,  (Paris,  1814,  ;}  vol. 
iri-12}.    Tout   se   débitait   à    cette 


VAU 

époque,  quoique  la  révolution  dé- 
terminée par  la  plume  de  Scott 
commençât  à  se  dessiner  ;  et,  en- 
couragé par  un  semi-succès,  Vau- 
geois, seul  cette  fois,  publia  l'année 
suivante  le  Brigand  saxon  ou  les 
Souterrains  du  comte  de  Honstein  (le 
vrai  nom  est  Hohnstein,  mais  l'on 
n'y  regardait  pas  de  si  près),  aven- 
tures d'un  jeune  officier  revenant  des 
prisons  de  la  Bohême,  Paris,  1825, 
2  vol.  in-12.  Après  ce  second 
chef-d'œuvre,  Vaugeois  et  son  col- 
laborateur anonyme,  qui  s'appelait 
Pigoreau,  sentirent  qu'il  fallait  être 
plus  habiles  marins  qu'eux  pour 
reprendre  la  mer,  et  ils  prirent 
leurs  invalides.  Val.  P. 

VAUGIIAN  (Jean),  légiste  an- 
glais, et  l'auteur  de  l'illustration  de 
sa  maison,  naquit  au  commen- 
cement du  dix-septième  siècle,  aux 
environs  de  Transcoed,  très-mince 
bourgade  du  comté  de  Cardigan,  au 
pays  de  Galles,  où,  depuis  deux  ou 
trois  générations,  sa  famille  jouis- 
sait de  quelque  considération.  Ses 
parents  le  vouèrent  au  droit,  et  il  y 
mordit.  De  bonne  heure,  il  passa 
pour  jurisconsulte  très-docte  et 
pour  avocat  très-retors,  ce  qui  ne 
veut  pas  dire  (ju'il  brillait  par  l'é- 
loquence. Le  barreau  en  général  se 
privait  alors  de  ce  luxe.  Il  eût  été 
de  mise  dans  une  autre  arène  qu'a- 
va  it  ouverte  à  l'habile  suppôt  de 
Thémis  cet  entregent  qui  lui 
faisait  gagner  tant  de  causes.  Il 
avait  eu  l'art  de  se  faire  élire 
membre  de  la  Chambre  des  com- 
munes pour  1G40.  On  sait  comment 
les  caries  ne  tardèrent  pas  h  se 
brouiller  entre  Charles  toujours  be- 
soigneux,  toujours  enclin  aux  pro- 
cédés par  lesquels  il  avait  gouver- 
né onze  ans  sans  Parlement,  et  la- 
dite chambre  qui  tenait  les  cordons 
de  la  bourse.   Vaughan  se  plaça 


VAU 

d'emblée  parmi  les  fauteurs,  sinon 
parmi  les  champions  de  l'omnipo- 
tence monarchique,  et,  comme  s'il 
se  fût  agi  de  stricte  légalité  en  un 
moment  que  Ton  pouvait  regarder 
comme  le  quart  d'heure  de  Rabe- 
lais d'une  royauté  que  ses  illégali- 
tés maladroites  avaient  conduite  à 
l'impuissance  et  à  l'isolement,  il  vit 
dans  toutes  les  garanties  que  la 
juste  défiance  des  parlementaires 
faisait  souscrire  au  prince,  autantde 
crimes  de  lèse-majesté;  puis,  la 
collision  engagée,  il  se  sépara  de 
ses  collègues.  Il  fit  plus,  et  protes- 
tant à  sa  façon  contre  le  régime 
triomphant,  il  ferma  son  cabinet 
pendant  Pinterrègne,  c'est-à-dire 
pendant  que  Cromwell  régnait.  Le 
Protecteur  ne  fut  point  ébranlé  par 
ce  défaut  de  concours  et  n'en  fut 
pas  moins  respecté  sur  terre  et  sur 
mei-,  pas  moins  craint  des  frégates 
et  corvettes  hollandaises,  pas  moins 
courtisé  de  Mazarin,  pas  moins 
maître,  en  fin  de  compte,  et  de  la 
Jamaïque,  que  perdirent  les  Espa- 
gnols, et  de  Dunkerque,  que  lui 
conquit  Turenne  (1058).  Heureuse- 
ment pour  les  nations  étrangères, 
les  Sluarls  recouvrèrent  leur  trône 
deux  ans  après.  Les  prospérités 
britanniques  s'arrêtèrent  soudain; 
mais  Vaughan  reprit  son  siège  au 
Parlement,  en  même  temps  que  le 
roi  sa  couronne,  et  de  plus,  jiour 
l'indemniser  de  ce  que,  par  sa  lon- 
gue abstention,  il  avait  manqué  de 
gagner,  le  gouvernement  de  la  res- 
tauration lui  passa  au  doigt  la  ba- 
gue de  (i  lordchief-justice  »  (à  peu 
près  premier  président}  aux  «  com- 
mon  pU'as.  »  Cette  position,  belle, 
enviée  et  lucrative,  ne  fut  dune  pas 
pour  Vau|zhan  la  récompense  de 
longs  services  :  c'est  le  nienlc  far 
qui  la  lui  valut.  Avis  à  ceux  (jui 
déploient    leur    activité ,   courant 


VAU 


207 


après  la  fortune,  se  levant  matin, 
se  couchant  tard!  Tout  vient  à  bien 
à  qui  sait  l'attendre...  dans  son 
lit.  Rendons  pourtant  au  membre 
de  Cardigan  un  hommage  qu'il  mé- 
rite. S'il  fut  un  exemple  de  l'avan- 
cement facile,  il  ne  !e  fut  pas  de 
l'avancement  déplorable.  On  ne  lui 
demanda  que  l'office  d'un  légiste, 
et  non  celui  d'un  politique  à  toute 
outrance.  Il  ne  fut  point  et  il  n'au- 
rait été  jamais  un  Jefferies.  L'his- 
toire doit  le  lui  compter.  Sa  mort 
eut  lieu  en  1774,  précisément  à  mi- 
distance  du  retour  et  de  la  seconde 
expulsion  de  la  dynastie  antipa- 
thique aux  Anglais.  De  son  fils 
Edouard,  qui,  lui  non  plus,  ne  vit 
pas  tomber  les  Stuarts  (car  il  mou- 
rut en  1683,  avant  même  que  le 
gauche  Jacques  H  montât  sur  le 
trône  pour  en  tomber)  ,  naquit 
Jean  II,  qui  fut  le  premier  lord 
Vaughan  (1095),  en  même  temps 
que  baron  de  Fethers  et  vicomte  de 
Lisburne,  au  comté  d'Anirim  (Ir- 
lande), et  dontles  deux  fils,  Jean  m 
etWilmot,  portèrent  successivement 
ces  titres.  Le  vicomte  Wilmot  II 
(le  fils  de  Wilniot;  devint  comte  en 
1776.  C'est  probablement  à  cette 
famille,  mais  comme  cadets  ou  is- 
sus de  cadets ,  que  se  rattachent 
et  l'économiste  B.  Vaughan  et  l'his- 
toriographe Ch.  Richard  Vaughan. 
Lt;  premier  était,  s'il  faut  s'en  rap- 
porter aux  assertions  du  titre  d'un 
de  ses  ouvrages,  membre  du  Parle- 
ment. L'on  a  de  lui  :  l.  Z>t'.s  princi- 
j)es  du  commerce  entre  les  nations, 
traduit  in  fiançais  par  Gérard  de 
Payni'val,  Paris,  178'J,iu-8".  IL  Un 
ouvrage  non  imprimé  en  anglais, 
mais  qui,  traduit  d'abord,  à  ce  qu'il 
parait,  en  allemand,  passa  ensuite 
de  l'allemand  en  français  par  les 
soins  du  ministre  protestant  Bla- 
chon,  et  dont  voici  le  titre  :  De  l'é- 


208 


VAU 


tat  polilique  et  économique  de  la 
France  sous  la  conslitutionde  Van  III, 
Strasbourg  et  Paris,  an  iv  (1796), 
in-8".  Quant  à  Ch.  Richard  Val- 
GHAN,  c'était  un  membre  distingué 
de  l'université  d'Oxford,  sur  les  re- 
gistres de  laquelle,  non-seulement 
il  figurait  (en  sa  qualité  de  mem- 
bre do  collège  «  d'Ail  Soûls,  »  ou 
de  Tous  les  saints,  comme  on  pré- 
férera le  nommer),  mais  il  émar- 
geait comme  «  travelling  fellow  » 
(membre  voyageur)  appointé  sur  la 
fondation  du  docteur  Richard.  Il  ar- 
pentait ainsi  le  nord  de  l'Kspagne, 
touriste  payé  au  milieu  de  tant  de 
touristes  payants,  au  printemps  de 
1808,  au  moment  où  commençait 
la  lutte,  qui  suivit  l'entrevue  de 
Bayonne.  Il  passa  de  cinq  à  six  se- 
maines à  Saragosse,  jouant  souvent, 
sinon  sans  cesse,  de  la  fourchette 
chez  Palafox  (c'est  lui  qui  nous 
l'affirme  :  «  introduced  to  D.  Joseph 
Palafox,  at  whose  table  I  lived),  et 
s'enquit  avec  un  soin  spécial  de  tous 
les  détails  du  siège  de  Saragosse, 
ce  qui  lui  fut  d'autant  plus  facile 
que  son  ami  le  brigadier-général 
Doyle  lui  remit  force  notes  sur  cet 
événement,  et  que,  d'ailleurs,  il 
accompagna  deux  fois  comme  vo- 
lontaire les  petites  razias  de  Pala- 
fox sur  les  frontières  de  la  Navarre. 
Il  eut  pourtant  bientôt  assez  de 
la  guerre,  et  nous  le  trouvons  car- 
rément assis  à  Londres,  «  January, 
25  th.,  1809,  »  sabre  rengainé, 
idiime  rèaiguisée,  et  vociférant  con- 
tre les  ambitieux  Français  par  la 
publication  de  sa  Relation  du  siège 
de  Saragosse,  Londres,  in-8",  dont 
il  eut  grand  soin  d'annoncer  que  la 
vente  se  ferait  au  bénéfice  des  in- 
fortunes Aragonais  et  qui  compta 
dans  l'année  même  au  moins  six  édi- 
tions. Du  reste,  il  faut  reconnaître 
que,  quoique  émanant  visiblement 


VAU 

de  cet  esprit  jaloux  duquel  ont  tant 
de  peine  à  se  départir  les  Anglais 
quand  ils  voient  la  France  pros- 
père, bien  plus  que  d'une  vraie 
sympathie  pour  l'Espagne,  à  la- 
quelle ils  ne  rendent  pas  Gibraltar, 
la  narration  de  Vaughan  contient 
desfaits  plus  que  des  déclamations, 
et  qu'il  se  montre  appréciateur 
calme  des  probabilités  de  l'avenir 
en  terminant  sa  préface  par  ces 
mots,  en  parlant  des  Espagnols  : 
«  Qu'ils  puissent  tomber,  ce  n'est 
pas  improbable;  mais  tant  qu'ils  ne 
désespéreront  pas  d'eux-mêmes, 
les  vrais  amis  de  l'Espagne  doi- 
vent ne  pas  en  désespérer;  ar- 
rive que  pourra  comme  dénoû- 
ment,  c'eet  justice, il  faut  l'avouer, 
que  de  perpétuer  le  souvenir  de 
celte  énergique  leçon  sur  ce  qu'of- 
frent de  ressources  le  patriotisme 
et  le  courage.  »  —  Edouard-Tho- 
mas Val'Ghan,  septième  fils  du  ba- 
ronnet sir  Henry  Ilalford,  membre 
de  la  Chambre  des  communes  pour 
Leicester,  parfit  ses  études  au  col- 
lège de  la  Trinité  de  Cambridge, 
prit  des  grades  en  1796  et  années 
suivantes,  fut  présenté  par  lessoins 
du  chancelier  à  l'église  de  Saint- 
Martin  de  Leicester  en  1802  et  à 
celle  de  Foston  en  1812,  et,  nanti 
de  ce  double  rectorat,  ne  se  mit 
en  frais  d'éloquence  que  sobre- 
ment, ne  fit  gémir  la  presse  que 
rarement,  et  cependant  ne  voulut 
pas  plus  pousser  à  l'excès  la  so- 
briété oratoire  ou  littéraire  que  le 
reste.  Lors  donc  qu'il  eut  à  rece- 
voir son  prélat  faL^ant  la  visite  de 
l'archidiaconat  de  Leicester,  il  mit 
quelques  dentelles  et  quelques 
fleurs  de  plus  à  l'homélie  du  jour; 
puis,  quelque  neuf  ans  après,  ravi 
de  l'effet  qu'il  avait  cru  produire 
en  prêchant  sur  cette  thèse  toute 
neuve  «  qu'en  Christ  seul  réside 


VAU 

chance  de  salut,  »  il  réunit  ces 
deux  spécimens  de  sa  parole  évan- 
gélique  en  un  volume  in-8",  grand 
papier,  encre  supérieure,  marges 
seigneuriales.  Or,  en  ce  temps-là, 
un  autre  ministre  était,  ainsi 
que  lui,  recteur  de  Ribworth, 
donc  du  même  rang  que  lui,  et  por- 
tant un  assez  beau  nom,  James  Be- 
resford  (nousne  savonss'il  était  ne- 
veu,cousin  ou  simplehoraonymede 
l'ex- ambassadeur  britannique  en 
Portugal),  lequel  voyait  un  nom- 
breux auditoire  sepresserautour  de 
sa  chaire  ;  Vaughan  ne  pouvant  lui 
contester  le  talent  de  l'élocution, 
l'attaqua  sous  le  rapport  du  dog- 
me, qui,  dit-il,  n'était  pas  celui 
des  maîtres  de  la  sagesse  ;  et,  pour 
éclairer  la  religion  des  fidèles,  il 
mit  au  jour  deux  opuscules  ayant 
pour  titre,  l'un  :  Ce  que  c'est  que 
le  clergé  calvinisie  (The  calvinist 
clergy  defined)  ;  l'autre  :  La  doc- 
trine de  Calvin  mainteuue  ou  lettre 
à  James  Beresford^  etc.  Enfin  l'on 
trouve  encore  de  lui,  en  tête  des 
œuvres  complètes  du  rév.  Thomas 
Robinson  (vicaire  de  Sainte-Marie 
de  Leicester),  I8I0,  une  Helation 
(Memoirs)  de  la  vie  et  des  écrits 
de  ce  personnage.  Toutes  ces  pro- 
ductions se  lisent  en  peu  d'heures 
quand  on  les  lit;  mais  reliées  cha- 
cune à  part,  elles  tiennent  de  la 
place  sur  les  rayons  d'une  biblio- 
thèque; si  la  bibliothèque  esl  rangée 
suivant  un  ordre  méthodique, elles 
vont  se  caser  dans  divers  compar- 
timents. Sic  itur  ad  astra^  sic  ou 
petit  ii  petit  on  se  crée  parmi  des 
amis  complaisants  la  triple  répu- 
tation d'orateur,  de  conlrovcrsiste 
et  d'historien.  Tel  fut  le  lot  d'E- 
douard-Thomas Vaughan  ,  et  il  en 
jouit  assez  longtemps,  sa  mort 
n'ayant  eu  lieu  qu'en  1829. 

V'AULAliKLLIÙ  (  Éléonore-Te- 

LXXXV 


VAL 


2U'J 


NAiLLE  bE  )  dont  le  père ,  officier 
d'état  major  à  farmee  d'Espagne, 
fut  tué  dans  la  campagne  de  1808, 
et  le  grand-père,  Jean-Baptiste  de 
Vaulabelle,  fut  maréchal  des  logis 
de  la  2*  compagnie  des  gardes  du 
corps  du  roi  Louis  XVI,  naquit  à 
Chatel-Censoir  (Yonne),  le  12  oc- 
tobre 1801.  Après  avoir  fait  d'ex- 
cellentes études,  il  embrassa,  très- 
jeune,  la  carrière  des  lettres  et 
débuta  par  sa  collaboration  avec  le 
poëte  Méry  dans  une  épître  en 
vers  à  l'empereur  Sidi-Mahmoud, 
qui  fut  publiée  sous  le  nom  seul  de 
ce  dernier.  Il  travailla  ensuite  à  la 
rédaction  de  plusieurs  journaux: 
le  yain,  le  Courrier  de  la  Jeunesse, 
le  Journal  des  Enfants,  dont  il  fut 
un  des  fondateurs  ,  le  Fiqaro,  r Eu- 
rope littéraire,  ainsi  (pi'à  celle  de 
plusieurs  journaux  politiques,  dont 
la  partie  littéraire  lui  fut  confiée. 
Deux  romans:  Un  Enfant  (3  vol., 
1833),  les  Femmes  vengées  (2  vol., 
1834),  et  un  recueil  de  contes  mo- 
raux pour  les  enfants,  intitulé  les 
Jours  heureux  ^1  vol.,  183(5),  furent 
successivement  publiés  par  lui  et 
furent  remarqués.  Le  genre  drama- 
tique fut  en  même  temps  abordé 
par  cet  écrivain,  et  devint  bientôt 
l'unique  objet  de  ses  travaux  ;  dans 
l'espace  de  vingt-six  ans,  de  1833  à 
1850,  il  composa  soixante-dix  piè- 
ces, dont  quelques-unes  en  collabo- 
ration de  différents  auteurs,  qui, 
pour  la  plupart,  eurent  un  grand 
bdccès.  Nous  citerons,  parmi  les 
plusa|)plauùies,(;/t/mfrt//«t',  les  trois 
Dimanches,  l^Ami  de  la  Maison  (au 
ThéAlre-Krançais),  le  Mari  de  ma 
Fille,  le  Mari  à  l'essai,  la  Polka  eu 
province,  Colvmbe  et  Perdreau,  i'n 
Petit  de  la  mobile,  la  Propriété 
t'est  le  vol,  les  Grenouilles  qui  de- 
mandent un  roi,  les  lieprèscnlantsen 
vacances,  le  Uourgeois  de  Paris^  la 
14 


210 


VAU 


Dot  de  Marie,  Vénus  à  la  frainc,  les 
Coules  de  la  mère  l'Oie,  Turlututn, 
Florian,  etc.  Éli'onore  de  Vaula- 
belle  tint  un  rang  distingué  parmi 
les  écrivains  les  plus  remarquables 
de  l'époque  de  1830.  Son  talent, 
comme  journaliste,  comme  roman- 
cier et  comme  auteur  dramatique, 
aurait  attiré  sur  lui  une  certaine 
célébrité,  si,  caractère  libre  et  fier, 
son  dédain  de  la  foule,  son  aver- 
sion pour  le  bruit,  son  amour  pour 
la  retraite  et  le  travail,  ne  l'avaient 
porté  à  fuir  la  publicité  avec  au- 
tant de  soin  que  d'autres  en  met- 
tent Il  la  rechercher;  il  a  vécu  so- 
litaire elsilencieux.  Son  recueil  des 
Jours  heureux  est  le  seul  livre  peut- 
être  qui  lait  signé  de  son  nom. 
Ses  romans  furent  publiés  sous  le 
pseudonyme  ô'Ernesl  Desprez ,  et 
toutes  ses  pièces  de  théâtre  sous 
celui  de  Jules  Cordier.  Esprit  élevé 
et  profondément  libéral,  nat  ire 
généreuse  et  tolérante,  il  ne  mon- 
trait de  passion  qu'envers  Tiinpio- 
bité,  la  persécution  ou  l'abus  delà 
force,  et  répondait  habituellement 
à  qui  lui  demandait  quel  parti  po- 
litique il  avait  adopté: «Le parti  des 
vaincus. w  Uij  des  journaux  les  plus 
répandus  et  les  plus  accrédités  di  - 
sait,  enaiiionçant  la  mort  de  Vau- 
labelle:  «  Cet  homme  de  bien,  dou- 
«  blé  d'un  homme  d'esprit,  ce  phi- 
«  losophe  content  de  peu,  ce  vrai 
«  sage,  a  compté  les  succès  écla- 
«  lants  par  douzaine,  sans  vouloir 
«  jamais  que  son  nom  fût  jeté  au- 
«  public. C'est  à  lui  principalement 
«  que,  depuisdix  ans,  les  Parisiens 
«  ont  (lù  tant  de  joyeuses  soirées: 
«  La  PvDjiriéle  cest  le  vol,  une  sa- 
«  tire  si  spirituelle,  le  Bourgeois  de 
«  Farin.  une  comédie  si  comique; 
a  et  ce  vaudevilliste  mordant,  «e  gai 
0  conteur  était  aussi  un  érudit,  et 
«  même  un  véritable  savant,  mais 


VAU 

«  avec  tant  de  modestie,  avec  si 
'<  peu  d'envie  de  faire  paraître  ce 
«  savoir,  qu'il  a  échappé  au  plus 
K  grand  nombre.  Disons  encore,  à 
«  son  honneur,  que  cet  excellent 
«  esprit ,  aussi  peu  soucieux  de  la 
«  fortune  que  de  la  renommée,  re- 
«  poussa  toujours  leurs  avantages 
«  en  homme  satisfait  de  son  lot  et 
«  qui  s'en  contente.»  Éléonore  de 
Vaulabelle,  dont  l'érudition  était 
en  efléi  profonde  et  peu  commune, 
ne  bornait  pas  ses  travaux  aux  pro- 
ductions légères,  dont  la  nomen- 
clature précède  ;  des  objets  plus 
sérieux  occupaient  son  esprit.  De- 
puis longtemps  il  amassait  les  ma- 
tériaux d'un  dictionnaire  historique 
de  tous  les  mo!s  de  notre  langue, 
devant  présenter  leur  origine,  leur 
élymologie  et  leur  transformation 
à  travers  chaque  siè<;le.  Il  se  pro- 
posait de  consacrer  les  dernières 
années  de  sa  vie  à  la  composition 
de  cet  intéressant  ouvrage,  mais 
la  mort  est  venue  interrompre  une 
entreprise  aussi  utile  et  aussi  pré- 
cieuse. Il  n'a  laissé  qu'uneimmense 
quantité  de  notes  dont  lui  seul  pou- 
vait faire  usiigc.  C'est  îi  tort  que  cer- 
taines biographies  contemporaines, 
entre  autres  inexactitudes,  le  pré- 
nomment Matlhieu.  Son  acte  de 
naissance  comporte  le  seul  prénom 
d'Eléonore.  11  a\ait  pour  frère  aîné 
Achille  de  Vaulabelle,  auteur  de 
iJJisluire  des  deux  Reslauralions , 
représentant  du  peuple  et  ministre 
de  l'instruction  |)ublique  en  1848, 
existant  encore;  et  pour  frère  ca- 
det Ilippolyle  de  Va  labelle,  tué 
par  accident  le  12  janvier  1856,  le- 
quel, d'un  esprit  é^ialemenl  distin- 
gué, n'a  rien  publié.  Par  une  sin- 
gularité fort  remar(piab!e,ces  deux 
fieres,  Ilippolyte  et  Eléonore, sont 
morts,  l'un  et  l'autre,  le  jour  du 
mois  où  ils  étaient  nés.  Le  dernier, 


VAU 


VAU 


211 


comme  il  est  dit  au  commencemeiU 
de  cet  article,  né  le  12   octobre 
1801,  est  mort  le  12  octobre  1839. 
VAUME  (Jean-Sébastien),  l'anti- 
vacciiiiste,  était  natif  de  la  petite 
ville  d'Arlon.    Un  sien  onde   ou 
cousin,  suivant  que  nous  parlons  à 
la  mode  de  Bretagne  ou  à  la  fran- 
çaise, et  qui  figurait  à  la  cour  com- 
me médecin  du  roi   (  Louis  XV  ), 
n'eut  pas  de  peine  à  persuader  à  sa 
famille  que  le  jeune  homme  avait, 
aurait,  et  devait  avoir  la  vocation 
médicale.  Donc  Jean-Sébastien  fut 
expédié  sur   Paris,   et   l'oncle  à 
la  mode  bretonne  aidant,  il  y  sui- 
vit les  cours  des  maîtres  les  plus 
habiles;  il  travailla  sous  Moreau  à 
l'Hôtel-DJeu,  et  sous  Sabatier  aux 
Invalides;  et  finalement,  avant  d'a- 
voir pris  tous   ses  grades,  il  fut 
placé,  d'abord  en  qualité  d'élève, 
puis  comme  chirurgien  aide-major 
0773),  à  ce  qu'on   nommait  l'ar- 
mée de  Corse ,  sous  Marbeuf.    Ce 
gouverneur,  ou  si  lori  vrut  ce  gé- 
néral, eut  à  faire  campagne  pour 
conquérir  son  gouvernement.  Vau- 
me  se  signala  par  son  activité  pen- 
dant celte  première  péiiode  de  la 
domination     française     dans  l'île 
génoise  jadis,  et,   en  récompense, 
il  échangea  son  modeste  titre  d'ai- 
de-major  contre   l;i    position   de 
chirurgien  en  chef  de  l'hûpital  mi- 
litaire   d'Ajaccio.    L'Étal     voulait 
qu'en  dehors  des  fonctions  inhé- 
rentes à  sa  place,  le  chef  de  la  santé 
propageât  l'inoculation   de  la  pe- 
tite vcroh'.    Vaunie   s'acquifa    de 
cette  tâihe  suréro-ialoire  avec  au- 
tant de  succès  que  de  zèle.  Il  est 
curieux  de  remarquer,  et  on  le  Ht 
assez  sonner  plus  tard,  (jue  la  fa- 
mille Dunaparie   fournit  à  la  liste 
des  inoculés  de  Vaume  un  noiable 
contingent.  Malgré  les  charnifs  du 
climat  italien,  ce  dernier  sentit  le 


besoin  de   revoir  le  continent,  ne 
fût-ce  qu'alin  de  régulariser  sa  po- 
sition en  se  faisant  recevoir  doc- 
teur. Il  dit  donc  adieu  aux  Corses 
en  1776,   après  avoir   passé  chez 
eux  de  six  à  sept  ans.  Né  en  1746, 
il  e:î  comptait  alors  trente.   Pour 
quelle  raison  est-ce   qu'il  alla  pas- 
ser ses  derniers   examens  à  Lou- 
vain?  On  en   fut  un   peu   étonné, 
mais  l'étonnement  diminua  quand 
on  le  vit  proclamé  docteur   dans 
celte  ville,  moins  renommée  comme 
école  médicale   que  comme   pépi- 
nière  théologique ,    s'attaeher   au 
prince  de  Ligne  comme  chirurgien- 
major  de  son  régiment  et  faire  avec 
lui  la  campagne  de  1778.  La  fièvre 
putride  (tel   était"  encore   à    cette 
époque,  et  môme  tel  fui  encon;  qua- 
rante ans  après  le  nom  des  fièvres 
adynamiques  ou  typhoïdes)   sévis- 
saitalors  dans  toute  l'armée.  Ce  fut 
le  beau  moment  de  Vaume  :  il  imagi- 
lîaun  traitement  plus  rationnel,  plus 
suivi,  plus  complet,  et  cependant 
plussimplede  l'affection  dont  on  dé- 
plorait les  ravages.  C'est,  à  quelques 
perfeclionnements  près,  celui  qu'on 
suit  aujoui'd'hui.  Classé  dès  lors  par 
l'estime  publique    parmi  les  prati- 
ciens les  plus  experts,   il  put  trou- 
ver à    Bruxelles  une     nombreuse 
clientèle,  et  il  s'y  fixa,  probablement 
avec  l'idée  de  ne  jamais  le  quitter. 
Aussi  le  trouve-l-on  souvent  men- 
tionné avec  le  titre  de  membre  du 
collège  de  médecine  de  Bruxelles. 
La   révolution  des   Pays-Bas   vint 
èhanger  sa  résolulio^j,  et,  en  171)2, 
on  le  vil  reparaître  à  Paris  et  s'y 
établir.  Il  avail  au  préalable  assez 
dexirement     manœuvré    pour    se 
faire  nantir  du  titre  de  médecin  de 
rhôpital  du   Uoule.  Cette  po  ition 
assurait  le  débil  de  tout  ce  qu'il 
publierait.  Il  commença  par  mettre 
au  net  le  résultat  de  ses  observa- 


'212 


VAU 


VAU 


lions  de  17*8,  augmentées  et  cor- 
roborrées  de  tout  ce  que  quinze 
ans  ou  plus  de  pratique  avaient  pu 
lui  fournir,  et  il  en  forma  celui  de 
tous  ses  ouvrages  dont  la  science 
même  contemporaine  peut  encore 
lui  savoir  le  plus  de  gré,  le  Traite 
de  la  fièvre  putride.  (Voy.  plus  bas.) 
S'exagérant  ensuite  un  peu  les  dan- 
gers de  l'initiative  particulière  dans 
ia  thérapeutique,  etc.,  important 
en  pleine  science  le  despotisme  de 
la  consigne  et  l'aveugle  docilité  de 
la  caserne ,  il  imagina  qu'il  fallait 
contraindre  en  quelque  sorte  les 
praticiens  à  n'employer  que  des 
modes  curatifs  uniformes,  et  il  eut 
le  malheur  de  divulguer  dans  son 
Code  médical  les  utopies  qui  ten- 
daient à  transformer  le  médecin  en 
manivelle  à  ordonnances.  Cette  lé- 
gislation n'était  pas  faite  pour  en- 
lever un  assentiment  universel , 
•aussi  le  bill  ne  put-il  passer  et 
même  n'eùt-il  pas  les  honneurs  de 
la  seconde  lecture.  Cet  insuccès  dé- 
teignit, ce  nous  semble,  sur  l'hu- 
meur (le  Vaume ,  et  c'est  surtout 
au  dépit  qu'il  en  ressentit  que 
nous  attribuons  l'esprit  hostile , 
systématiquement  hostile,  qu'il  op- 
posa depuis  à  tout  progrès  médi- 
cal, qui  ne  consistait  point  en  mo- 
(lilications  insigniiiaules  et  toutes 
de  détails.  C'est  ainsi  que,  lors- 
que la  grande  découverte  de  Jenner 
vint  détiuire  radicalement  le  iléau 
qui  par  sa  fréquence  et  sa  conti- 
nuité a  sans  conliedit  décimé  le 
plus  à  fond  la  race  humaine  de- 
puis douze  siècles  (jue  les  Arabes 
Pavaient  apporté  à  l'Europe,  opiniâ- 
trement claquemuré  dans  son  vieux 
procédé  de  l'inoculation,  qui  cer- 
tes avait  rendu  des  services  es- 
sentiels, cl  regardant  apparemment 
comme  insulte  personnelle  à  ses 
états  de  servicelapparilion  et  l'em- 


ploi d'une  proj)hylactique  bien  au- 
trement héroïque,  et  qu'on  a  pu 
croire  souveraine,  après  avoir  suivi 
les  premiers  essais  du  comité  de 
vaccine,  il  serefroidità  mesure  que 
la  supériorité  de  la  nouvelle  mé- 
thode semblait  à  ses  collègues  plus 
péremptoirement  décisive.  Il  ne 
s'en  tint  pas  là,  et  s'animant  par 
ses  torts  mêmes,  par  la  défaveur 
même  qu'il  rencontrait  chez  tous 
les  esprits  en  même  temps  éclairés 
et  impartiaux  qui  n'identifiaient 
pas  le  conflit  de  l'inoculation  et 
de  la  vaccine  à  la  lutte  de  l'ancien 
régime  et  de  la  révolution  ,  il  en 
vint  à  déclarer  la  nouvelle  pratique 
des  plus  périlleuses,  et  quelque 
temps  il  soutint  une  acerbe  polé- 
mique en  ce  sens.  Enfin,  pourtant, 
il  s'aperçut  bien  qu'il  ne  lui  restait 
de  partisans  que  ceux  aux  yeux 
desquels  «  vacciner,  c'est  tenter 
Dieu  »  ;  et  comme,  après  tout,  ce 
n'étaient  pas  lîi,  lui-même  le  sentait, 
des  suffrages  scientifiques,  il  se  re- 
posa de  guerre  las.  Il  bouda  de  mê- 
me, mais  moins  ostensiblement  et 
moins  longtemps,  la  thérapeutique 
issue  du  système  de  Broussais.  Il 
fut  plus  heureux,  et  tout  le  monde 
se  lit  un  devoir  de  rendre  justice  à 
ses  ellorts,  lorsque,  à  force  de  va- 
rier les  préparations  d'hydrargire, 
dans  le  but  d'en  obtenir  qui  sortis- 
sent tous  leurs  effets  sans  produire 
d'inconvénients,  il  arriva  aux  dra- 
gées mercurielles,  dont  l'emploi 
s'est  popularisé  si  généralement  et 
si  vite.  Voici  la  liste  méthodique 
des  publications  petites  ou  grandes 
du  docteur  Vaume:  1-IV  (sur  la  vac- 
cine), 1"  liéjlexions  sur  la  nouvelle 
méthode  d'inoculer  la  petite  vérole 
avec  le  virus  des  vaches.  Paris,  an  VIII 
(1800),  in-8".  2"  ï.es  dangers  de  la 
vaccine  démontrés  par  des  faits  au- 
thenliqves  consignés  dans   quelques 


VAU 


VAU 


213 


mémoires  et  dans  différentes  lettres 
adressées  au  comité  médical  et  cen- 
tral établi  à  Paris,  pour  faire  des 
épreuves  sur  le  nouveau  genre  d'ino- 
culation. Paris,  an  IX  (1801), in-8». 
3°  Nouvelles  preuves  des  dangers  de 
la  vaccine,  pour  servir  de  supplé- 
ment et  de  conclusion  à  tout  ce  qui 
a  été  publié  contre  ce  nouveau  genre 
d'inoculation.  V:ms,  an  IX,  in -8°, 
4'»  Traité  de  l inoculation  de  la  va- 
riole et  méthode  pour  faire  cette  opé- 
ration avec  facilité  et  avec  un  succès 
constant.  Paris,  1825,  in-8°.  (  Ce 
n'est  qu'une  brocli.  de  48  pag.)  V. 
(Dernier  ouvrage  de  polémique,  mais 
sur  un  sujet  tout  autre.)  né\\exions 
sur  la  canthavi-sangsues-mause.  Pa- 
ris, 18 -'3,  in-8^  (  Ce  n'est,  comme 
le  précédent,  qu'un  opuscule;  il 
n'excède  pas  16  pages.)  VI  et  VII. 
Traité  de  la  fièvre  putride,  précédé 
d'une  dissertation  sur  les  remèdes 
généraux,  et  d'un  plan  pour  former 
un  code  complet  de  médecine  et  de 
chirurgie  pratique,  d'après  l'obser- 
vation et  l'expérience,  dont  l'ulililé 
est  circonscrite  aux  habitants  qui 
sont  entre  les  i3'  et  60'  degrés  de  la- 
titude nord  et  les  T  et  40*  de  longi- 
tude de  notre  hémisphère.  Paris, 
1790,  in-8».  2'  Traité  de  médecine 
pratique  sur  les  remèdes  généraux 
et  sur  la  fièvre  putride.  Paris,  1799, 
in-8".VIIIet  IX.  Rapport  sur  la 
société  d' agriculture  de  Tours  et  sur 
Vensvignement  public,  <793  ;  et  Ta- 
bleau élémentaire  d'histoire  natu- 
relle à  l'usage  de  l'école  centrale  du 
département  d'Indre-et-Loire.  Paris, 
an  VII,  1799,  in  8".  X.  Dissertation 
sur  le  mercure,  ses  préparations  et 
ses  effets  sur  le  corps  de  l'homme. 
Paris,  1812,  in- 12.  La  pensé'  de  ces 
vingt-quatre  jx^itcs  pages,  qui,  du 
resU%  contiennent  un  rapide  aperçu 
des  faits  en  même  temps  concis  et 
certains  sur  les  propriétés   el  les 


manipulations  du  mercure,  c'est, 
on  le  devine,  l'espèce  de  prospectus 
par  lequel  elles  se  terminent  ad 
majorent  gloriam  des  célèbres  dra- 
gées pour  lesquelles  il  se  plaisait 
à  prévoir  de  l'autre  côté  du  Chen- 
nal  une  importante  «  and  well 
paying  »  clientèle.  Vas  P. 

VACQUELÎN  (Louis-Nicolas)  , 
célèbre  chimiste,  naquit  le  IG  mai 
1 7G3,  à  St-André-d'IIébertot,  village 
de  la  Normandie,  de  parents  hono- 
rables mais  pauvres,  travaillant  pour 
vivre  et  nourrir  leur  nombreuse  fa- 
mille. Il  passa  le.-,  premières  années 
de  sa  jeunesse  près  de  son  père 
qu'il  aidait  dans  le  travail  des 
champs,  autant  que  pouvait  le  lui 
permettre  son  jeune  âge. 

Il  existait  à  Ilébertot  une  école 
publique  pour  les  enfants  du  vil- 
lage, fondée  par  le  petit-fils  du 
chancelier  d'Aguesseau,  seigneur 
de  l'endroit.  Vauquelin  fréquenta 
cette  école  et  ne  tarda  pas  à  s'y 
distinguer  par  son  application  et  sa 
facilité  à  comprendre  et  retenir 
tout  ce  qu'enseignait  le  magister, 
au  point  que  celui-ci,  s'apercevani 
bientùlque  son  élève  en  savait  au- 
tant et  peut-être  même  plus  que 
lui,  en  lit  son  répétiteur  et  lui  con- 
fia la  direction  de  sa  classe. 

Ses  progrès  dans  l'instruction 
religieiise  ne  furent  pas  moins  ra- 
pides, et  le  curé  du  village,  duquel 
il  recevait  cette  instruction,  frappé 
delà  haute  intelligence  de  son  dis- 
ciple, conçut  pour  lui  une  alTection 
dont  il  ne  cessait  de  lui  prodiguer 
journellement  les  témoignages. 

Parvenu  h  l'âge  de  U  ans,  V^au- 
quelin  quitta  ses  parents  et  vint  à 
Houen,  où  il  entra  chez  un  phar- 
macien comme  garçon  de  labo- 
ratoire. Ce  pharmacien  faisait  un 
cours  de  chimie  auquel  il  »'nlrait 
dans  les  fonctions  du  jeune  garçon 


21 A 


VAU 


d'assister,  et,  tout  en  rinçant  et 
essuyant  les  vases  qui  servaient 
aux  expériences,  il  écoutait  atten- 
tivement les  leçons  du  professeur 
et  en  faisait  son  profit.  C'est  ainsi 
que  se  manifesta  en  lui  un  goût 
prononcé  pour  une  science  à  la- 
quelle il  devait,  par  la  suite,  faire 
faire  de  si  grands  progrès. 

Mécontent  de  quelques  procédés 
de  son  patron  et  encouragé  par 
quelques-uns  de  ses  élèves  dont  il 
avait  su  se  fiiire  des  amis,  il  se  dé- 
cida à  venir  à  Paris  avec  la  recom- 
mandation du  curé  d'IIébertol,  qui, 
l'adressant  au  prieur  de  l'ordre  des 
Prémontrés  auquel  appartenait  ce 
même  curé,  faisait  de  son  mérite 
le  plus  grand  éloge.  Il  fut  très- 
favorablement  accueilli  par  ce  vé- 
nérable ecclésiastique,  et  trouva 
également  une  bienveillante  pio- 
tection  chez  madame  d'Aguesseau, 
dans  les  propriétés  de  laquelletra- 
vaillait  habituellement  son  père. 

Pendant  les  trois  ijremières  an- 
nées de  s^n  séjour  à  Paris,  Vau- 
quelin  fut  employé  dans  plusieurs 
pharmacies,  et,  en  dcruier  lieu, 
chez  M.  Cheradame,  où  l'un  de  ses 
camarades,  nommé  Prempain,  lui 
donna  des  leçons  de  langue  latine, 
dont  il  sut  profiter  avec  celte  faci- 
lité qu'il  apportait  dans  tous  les 
genres  d'études.  Il  trouva  aussi 
dans  un  M.  Dubuc,  qu'il  avait 
connu  à  Rouen  et  qui  a:ors  habi- 
tait Paris,  un  savant  herborisateur 
dont  les  connaissances  en  botani- 
que lui  furent  très-|)rofitables. 

M.  (vheradame  avait  pour  cousin 
le  célèbre  Fourcroy,  qui  venait 
fréquemment  ch<'z  lui  et  y  voyait 
l'élève  Vauqufîlin  dont  il  entendait 
souvent  faire  un  grand  éloge.  L'idée 
lui  vint  de  s'attacher  ce  jeune 
homme,  et  après  s'être  assuré  de  sa 
vocation   bien  déterminée  pour  la 


VÀU 

chimie,  il  l'engagea  à  venir  de- 
meurer avec  lui  pour  le  seconder 
dans  ses  travaux. 

Vauquelin  accepta  celte  offre 
avec  empressement  et  quitta  la 
maison  Cheradame  pour  venir  ha- 
biter chez  Fourcroy,  dont  il  ne 
tarda  pas,  par  son  zèle,  son  assi- 
duité et  la  douceur  de  son  caractère, 
k  gagner  l'estime  et  l'amiiié,  ainsi 
que  celle  des  sœurs  de  ce  savant, 
dont  une  demeurait  avec  lui.  Dans 
une  f^rave  maladie  qu'iUit  alors  il 
reçut  de  ces  dames  les  soins  les 
plus  empressés. 

Pendant  le  cours  de  ses  études 
en  chimie,  Vauquelin  ne  négligea 
pas  de  poursuivre  celles  de  la  phy- 
sique et  de  l'histoire  naturelle  , 
qu'il  poussa  à  un  très-haut  degré  ; 
il  trouva  même  le  temps  de  faire, 
sous  la  direction  d'un  ancien  prê- 
tre, une  année  de  philosophie  et  se 
fit  recevoir  viafire  ès-arts. 

Cependant  le  jeune  élève  de 
Fourcroy.  devenant  de  plus  en  plus 
l'ami  de  son  maître,  devenait  aussi 
son  émule,  et  celui-ci  le  jugeant 
fort  ea  état  de  le  suppléer  dans  le 
cours  qu'il  faisait  à  l'Athénée,  l'en- 
gagea à  faire  ce  cours;  mais  Vau- 
quelin se  défiant  de  son  extrême 
timidité,  n'osait  aborder  cette  re- 
doutable épreuve.  Enfin  sur  les 
inslances  pressantes  de  son  protec- 
teur, il  s'y  détermina  et  se  ])ré- 
senta  tout  tremblant  devant  son 
auditoire. 

Cette  première  leçon  de  celui  qui 
devait  un  jour  devenir  un  habile 
professeur,  fut  pleine  de  trouble, 
d'hésitation,  et  ce  n'est  qu'en  bal- 
butiant, qu'il  put  exprimer  les  cho- 
ses les  meilleures  el  les  mieux 
conçues. 

Du  reste,  ceux  qui  ont  connu 
Vauquelin  savent  que  toute  sa  vie 
i!  a  cor'servé  ce  caractère  de  timi- 


VAU 


VAU 


215 


dite  qui  le  gênait  pour  parler  en 
public.  Lorsqu'il  commençait  un 
cours,  il  éprouvait  un  pénible  em- 
barras qui  ne  se  dissipait  enlière- 
menl  qu'après  quelques  leçons  et 
lorsqu'il  s'était  un  peu  familiarisé 
avec  ses  auditeurs. 

Ce  premier  pas  fait,  et  se  voyant 
soutenu  par  les  marques  d'appro- 
bation et  d'enconr.igement  que  lui 
donnait  l'assemblée,  Vauquelin 
continua  ses  débuts  et  devint  tout 
à  fait  le  remplaçant  de  Fourcroy 
dans  son  cours  de  chimie  à  l'A- 
thénée. 

L'iniimiié  de  ces  deux  savants 
s'accrut  de  jour  en  jour,  ils  ne  tra- 
vaillaient plus  qu'ensemble,  et  les 
résultats  des  recherches  auxquelles 
ils  se  livraient  étaient  publiés  (!ans 
des  mémoires  sons  le  riom  collectif 
de  Fout  croy  et  Vauquelin. 

En  1792,  V;iuquelin  qui  s'était 
Aiit  recevoir  pharmacien  et  diri- 
geait la  pharmacie  de  M.  Goupil, 
rue  Ste-Anne,  fut  a^•sez  heureux  et 
l'on  peut  même  dire  assez  coura- 
geux pour  sauver,  au  risqne  de  sa 
propre  vie,  celle  d'un  pauvre  soldat 
suisse  qui,  éch.jppé  au  massacre  des 
Tuileries,  était  parvenu  à  se  sous- 
traire à  la  fureur  populaire. 

En  1703,  par  suiie  des  événe- 
ments révolulionnaiiesqui  l'avaient 
forcé  de  quitter  P.iris,  Vauquelin 
fut  nommé  pharmacien  de  rhôi)ital 
militaire  de  Melun,  et  l'année  sui- 
vante (179i)  ayant  été  appelé  à 
Paris,  il  fin  nommé  professeur  de 
chimie  adjoint  à  Vécole  centrale  des 
iravaux  puhlicfi  (\m,  en  septembre 
1705,  prit  le  iiom  ô'ècole  pohjlech- 
niquc.  Les  professeurs  titulaires 
étaient  Fourcroy  et  Guilou  de  Mor- 
veau. 

A  peu  près  îila  même  époque  on 
réorganisa  l'école  des  mines,  pro- 
jetée  par  le  cardinal    Fleury,  et 


instituée  en  1"83.  Vauquelin  reçut 
le  titie  d'inspecteur  des  mines  et 
fut  chargé  de  faire  dans  cette  école 
un  cours  de  docimasie;  il  fut  logé 
dans  l'établissement. 

Pour  la  première  fois,  Vauquelin 
qui  avait  toujours  demeuré  chez 
les  autres,  eut  un  logement  à  lui, 
et  ,  plein  de  reconnaissance  des 
bontés  qu'avaient  eues  pour  lui  les 
sœurs  de  Fourcroy,  il  disposa  de  la 
plus  grande  partie  de  son  apparte- 
ment en  faveur  de  ces  deux  dames, 
qui  vinrent  demeurer  avoc  lui  et 
ne  le  quittèrent  qu'à  leur  mort. 

En  celte  même  année  (1793), 
Vauquelin  fut  nomm;''  membre  de 
l'Institut  national  dans  ia  classe  qui 
porte  aujourd'hui  ie  nom  d'Aca- 
démie des  sciences. 

Eu  1804,  lorsque  l'ordre  de  la 
Ltgion-d'hoiincur  ,  créé  en  1802, 
reçut  l'extension  que  lui  donna 
l'Empereur  Napoléon,  Vauquelin 
en  reçut  la  décoration,  et  vers  la 
même  époque,  il  fut  nommé  direc- 
teur de  l'école  spéciale  de  pharma- 
cie qui  venait  d'être  orgar)isée. 

En  ce  même"  temps  cm  ore,  il  fut 
afiaché  à  la  Mouuai;»  de  Paiis  en 
qualité  d'essayeur  de  la  garantie 
des  bijoux  d'or  et  d'arg^^nt. 

A  la  mort  de  M.  Darcet  (1801), 
Vauquelin  avait  été  nommé  profes- 
seur de  chimie  au  Collège  de  France, 
mais  bientôt  a|)tès,  M.  Droiigniart 
père,  membre  de  l'Institut  et  pro- 
fesseur au  J  rdin  des  plantes  pour 
Ja  chimie  ap|)liijué(^  aux  arts,  étant 
décédé,  il  obtint  cette  chaire  sur 
la  prést'utaliou  unanime  de  l'Insti- 
tut, de  l'administration  et  des  ins- 
pecteurs des  études.  Cette  nomina- 
tion le  força  d'abandonner  la  chaire 
du  Collège  de  France  qui  fut  occu- 
pée par  un  de  sCs  élèves.  Ce  cours 
de  cliimie  appliquée  aux  arts,  au- 
quel le  iiouvau  professeur  ap|)oria 


210 


VAU 


le  tribut  des  connaissances  étendues 
que  lui  avaient  fait  acquérir  ses 
longues  études  et  ses  savantes  re- 
cherches, et  dans  lequel  on  recevait 
de  sa  bouche  un  enseignement 
qu'on  ne  trouvait  dans  aucun  ou- 
vrage connu,  avait  une  durée  de 
trois  ans  et  offrait  le  plus  grand 
intérêt  aux  personnes  instruites  qui 
le  suivaient  assidûment.  Il  est  à 
regretter  pour  les  manufacturiers 
et  les  chefs  d'ateliers  auxquels  ces 
enseignements  eussent  été  de  la 
plus  grande  utilité,  que  ce  cours 
n'ait  pas  été  publié. 

En  18H,  Fourcroy  ayant  suc- 
combé à  une  attaque  d'apoplexie, 
et  la  place  de  professeur  de  chimie 
«1  l'école  de  médecine  se  trouvant 
par  là  vacante,  Yauquelln  se  pré- 
senta pour  l'obtenir  au  concours 
qui  fut  ouvert  à  cette  école,  mais  il 
eut  sans  combattre  la  gloire  de 
triompher,  car  tousses  concurrents 
connaissant  le  mérite  supérieur  de 
leur  adversaire  et  convaincu  que 
lui  seul  était  digne  de  cette  honora- 
ble position,  se  retirèrent  du  con- 
cours. Il  fut,  peu  de  temps  après  sa 
nomination,  reçu  docteur  en  méde- 
cine sur  le  développement  dune 
thèse  ayant  pour  objet  l'analyse  des 
matières  entrant  dans  la  composi- 
tion du  cerveau  de  l'homme  et  de 
(telui  des  animaux.  Vauquelin  con- 
serva cet  emploi  jiisqu'en  <822, 
époque  à  laquelle  il  fut  révoqué 
conjointement  avec  plusieurs  de  ses 
illustres  confières,  MM.deJussieu, 
Dubois,  Pelletan,  Pinel,  Desgenet- 
les,  Cliaussier,  L;jlleman,  Le  Houx 
elMoreau.  Celte  disgrâce,  si  peu 
méritée,  que  rien  ne  justifie  et  qui 
ne  peut  être  attribuée  (\uix  des  in- 
trigues favorisées  par  l'esprit  réac- 
tionnaire qui  dirigeait  alors  les 
actes  (îu  gouvernement  ,  affecta 
profondément  Vauquelin,  mais  elle 


VAU 

affecta  peut-être  plus  encore  celui 
qui  en  avait  été  la  cause,  car,  au 
dire  de  quelques  personnes,  le  cha- 
grin qu'il  en  ressentit  altéra  sa  santé 
au  point  de  hâter  l'instant  de  sa 
mort  qui  précéda  cellede  Vauquelin. 

Lors  de  la  création  de  l'Académie 
royale  de  médecine  (1820),  Vau- 
quelin en  avait  été  nommé  membre 
(section  de  pharmacie),  et  souvent 
celte  docte  assemblée  eut  à  s'ap- 
plaudir de  cette  nomination.  En 
1827,  le  roi  lui  conféra  le  cordon 
de  St-Michel.  Enfin,  en  1828,  le 
département  du  Calvados  le  choisit 
pour  l'un  de  ses  députés.  Il  fut  un 
des  membres  de  cette  chambre  qui 
se  distinguaient  par  leur  assiduité  ; 
il  n'était  point  orateur,  mais  son 
esprit  droit  et  éclairé,  son  désir  ex- 
trême de  voir  le  progrès  s'accom- 
plir sans  désordre  et  sans  anarchie, 
son  dévouement  sans  borne  aux 
intérêts  de  son  pays  en  faisaient  un 
digne  et  loyal  député. 

Cet  homme  si  supérieur  et  si 
recommandable  par  son  mérite  et 
ses  talents,  était  simple  et  modeste; 
sa  vie  était  celle  d'un  patriarche. 
La  lecture  et  le  travail  occupaient 
tous  ses  instants;  cependant  l'a- 
mour de  la  science  n'avait  pas  ab- 
sorbé toutes  les  facultés  de  son 
esprit,  et  la  littérature  ancienne  et 
moderne  lui  offrait  des  charmes. 
Horace  et  Virgile  étaient  ses  auteurs 
favoris;  il  les  possédait  compléte- 
mefit  et  souvent  en  faisait  les  cita- 
tions les  plus  heureuses;  il  avait 
également  pour  la  bonne  musique 
un  goût  prononcé  que  son  ami  et 
compatriote  Boieldieu  n'avait  pas 
peu  contribué  à  lui  donner. 

De  retour  dans  son  pays  naial, 
il  fut  atteint  d'une  grave  maladie  à 
laquelle  il  succomba  le  V  octobre 
1829,  emportant  les  regn'tsde  tous 
ceux  qui  avaient  eu  le  bonheur  de 


VAU 


VAU 


217 


le  connaître  et  surtout  de  ses  nom- 
breux élèves  qui  l'aimaient  comme 
un  père.  Il  en  est  peu  qui  n'aient 
trouvé  en  lui  un  appui  et  un  pro- 
tecteur. Nous  citerons  à  cette  oc- 
casion une  anecdote  à  laquelle  le 
personnage  qui  y  donna  lieu  ajoute 
un  certain  intérêt. 

En  ^808,  Bonaparte,  après  le 
désastre  de  Baylen,  ordonna  que 
les  Espagnols  résidant  à  Paris  et 
qui  pouvaient  inspirer  des  craintes 
fussent  arrêtés  et  conduits  dans 
divers  dépôts.  L'exécution  suivit 
l'ordre  de  près  et  environ  60  Espa- 
gnols furent  conduits  à  la  préfec- 
ture de  police  pour  être  de  là  diri- 
gés sur  différents  points.  L'un 
d'eux,  qui  était  venu  a  Paris  pour 
étudier  la  chimie  et  qui  suivait  le 
cours  de  Yauquelin,  n'ayant  dans 
la  capitale  aucun  protecteur  sur 
lequel  il  put  compter,  réclama  l'ap- 
pui de  son  professeur.  Dès  le  len- 
demain matin,  avant  six  heures, 
Yauquelin,  en  costume  de  membre 
de  l'Institut,  était  à  la  préfecture 
pour  réclamer  et  se  porter  garant 
du  jeune  Espagnol,  qui  fut  immé- 
diatement rendu  à  la  liberté.  Sans 
cet  empressement  que  mit  le  géné- 
reux professeur  à  s'occuper  du 
jeune  étranger  qui  réclamait  son 
assistance, la  France  aurait  peut-être 
compté  un  savant  de  moins;  car  le 
jeune  Espagnol  dont  il  s'agit  élait 
Orfila,  (jui  s'est  acquis  depuis  une 
réputation  européenne. 

Vau(}ueliu  appartenait  à  un  grand 
nombre  de  sociétés  savantes  de 
France  et  de  l'étranger  et  particu- 
lièrement à  la  société  royale  de 
Londres,  à  la  sociélé  de  pharmacie 
de  Paris,  à  la  société  philomalique 
dont  il  fut,  en  i78.s,  l'un  des  fon- 
dateurs, à  la  société  d'agriculture, 
à  CL'Ue  d'encouragement  et  enlin  a 
la  société  de  «chimie  médicale  ;  il  a 


fait  un  grand  nombre  d'élèves  dis- 
tingués, parmi  lesquels  plusieurs 
ont  acquis  une  haute  renommée, 
entre  autres,  MM.  Eouchardot, 
Caventou,  Chevreul,  d'Arracq,  Des- 
cotie,  Grimm,  Guerard,  Kulmann, 
Lodibert,  Mercadieu ,  Meyrac, 
Payen,  Pelletier,  Quenesville,  Ro- 
biquet,  Robinet,  Lassaigne.  L'au- 
teur du  présent  article;le  sieur  Che- 
vallier, futlui-même  un  desélèves  les 
plus  assidus  de  cet  illustre  profes- 
seur. Yauquelin  avait  été  aussi  le 
maître  du  célèbre  Humboldt.  Yoici 
ce  que  ce  savant  écrivait  le  29  sep- 
tembre i8o8  à  M.  Chevallier  : 
«  Ayant  {ravaillémoi-vicme,  dans  des 
«  temps  auté-diluviens,  conjointe- 
«  ment  avec  Thénard,  dans  le  laho- 
«  ratoire  de  votre  maître  commun 
«  Yauquelin,  j'aurai  doublement  de 
«  plaisir  à  recevoir  M.  Chevallier  à 
«  Berlin  demain,  ^0  du  mois,  à  midi, 
V  et  à  lui  renouveler  Hwmma(je  de 
«  mes  sentiments  affectueux.  »  Il  est 
peu  d'hommes  dont  la  carrière  ait 
été  aussi  fructueusement  remplie 
que  l'a  été  celle  du  savant  dont 
nous  racontons  la  vie;  il  en  estpeu, 
surtout,  dont  les  recherches  et  les 
travaux  aient  autant  contribué 
aux  progrès  d'une  science  sur  la- 
quelle repose  le  succès  d'une  foule 
d'industries.  Quand  on  considère 
l'étendue  de  ces  travaux,  leur  im- 
portance et  les  résultats  immenses 
de  leur  application,  on  se  demande 
comment,  dans  un  espace  de  cin- 
quante ans,  un  homme  sorti  d'une 
chaumière  a  pu,  par  la  seule  force 
de  son  génie,  acciuérir  une  éducation 
com|)lète,  se  livrer  avec  le  plus 
grand  succès  à  l'élude  de  la  chimie 
eldesseiencescjui  s'y  rattachent, puis 
s'élancer  au  premier  rang  de  la 
sociélé,  en  dotant  son  pays  de  dé- 
couvertes qui  contribuent  a  sa 
gloire.    Ce    savant    n'a    pas  laissé 


218 


VAU 


d'ouvTages  complets  sur  la  science 
fi  laquelle  il  a  consacré  sa  vie  en- 
tière; il  n'a  publié  ex  professa,  que 
le  Manuel  de  l'essayeur  (1812,  1 
vol.  in-8').niais  il  doit  sa  haute  ré- 
putation aux  belles  analyses  qu'il  a 
faites  soit  en  collaboration  de  Four- 
croy,  soit  isolément,  à  ses  expé- 
riences publiques,  à  plusieurs  dé- 
couvertes d'une  haute  importance 
et  aux  mémoires  qu'il  a  publiés 
dans  les  Annales  de  cidmie,  dans 
le  Journal  des  mines,  dans  les  An- 
nales du  Muséum,  dans  le  Journal 
de  physique  et  dans  VEncyclopédie 
méthodique,  ou  qu'il  a  lus  à  l'Aca- 
démie des  sciences.  Ces  mémoires 
sont  très-nombreux.  Nous  riterons 
les  titres  des  plus  remarquables  : 
I.  Sur  la  nature  de  l'alun  (Annales 
de  chimie  1797).  II.  Sur  la  nou- 
velle substance  métallique  contenue 
dans  le  plomb  rouge  de  Sibérie  dé- 
couverte par  lui  et  à  laquelle  il  a 
donné  In  nom  de  chrome.  (Annales 
de  chimie  1798.)  III.  Sur  In  terre 
de  Brésil  (qlucine) ,  substance  in- 
connue jusqu'à  lui.  (ibid.  1798.) 
IV.  Deux  mémoires  sur  l'urine,  en 
collaboration  avec  Fourcroy.  (li)id. 
1799.)  V.  Sur  l'eau  de  l'annios  du 
fumier  de  vache,  (ibid.  1800.)  VJ. 
Sur  le  verre  d' antimoine.  (Ibid.  1800  ) 
VII.  Observations  sur  l'identité  des 
acides  pijromuqueux ,  purotartreux, 
pijrolirjnmx,  et  sur  h  nécessité  de 
ne  plus  les  particulariser,  en  colla- 
boration de  Fourcroy.  (Annales 
de  chimie.)  VIÏI.  Sur  les  pierres 
dites  tombées  du  ciel.  {\h\d.  1803.) 
IX.  Sur  le  platine,  en  collaboration 
de  Fourrroy.  (Ibid.  1804.)  X.  Sur 
la  présence  d'un  nouveau  sel  phos- 
phorique  terreux  dans  les  vs  des 
animaux,  en  col'abor  ation  de  Four- 
croy. (Ibid.  1803.)  XI.  Examen 
chimique  pour  servir  à  l'histoire  de 
la  laite  rfepoïsson,  en  collaboration 


VAU 

de  Fourcroy.  (Ibid.  1807.)  XII.  A- 
nalyse  de  la  matière  cércbrale  de 
ïhomme.  (Thèse  soutenue  pour  le 
doctorat  en  médecine,  1812.) 
XIII.  Expériences  sur  le  daphné- 
alpina.  (Annales  de  chimie.)  XIV. 
Analyse  de  l'urine  d'autruche  et  ex- 
périences sur  les  excréments  de 
quelques  autres  familles  d'oiseaux, 
en  collaboration  de  Fourcroy. 
XV.  Annales  du  Muséum  d'histoire 
naturelle.  Paris,  18H.  XVI.  Ana- 
lyse d'une  matière  .  bleue  produite 
accidentellement  dans  les  fours  de 
la  fabrique  des  glaces  de  St-Gobin, 
concluant  à  ce  que  cette  matière 
n''est  autre  que  l'outremer  factice, 
susceptible  de  remplacer  avec  une 
immense  économie  l'outremer  de 
lapis-lazuli.  A  cette  nomenclature 
des  premiers  travaux  de  V,mquelin, 
on  doit  en  ajouter  d'autrt'S  encore, 
faits  postérieurement,  et  qui  pré- 
sentent une  moins  e^rande  impor- 
tance, savoir  :  Analyse  du  salsoda- 
veda.  Observations  sur  une  maladie 
des  arbres  analogue  à  un  ulcère  et 
qui  attaque  spécialement  Forme. 
Nouvelle  méthode  d'analyser  les  fers 
et  aciers.  Analyse  du  laiton,  précédée 
de  quelques  réflexions  sur  la  préci- 
pitation des  métaux  les  uns  par  les 
autres  et  leur  dissolution.  Combus- 
tion des  végétaux;  fabrication  du 
salin  et  de  la  cendre  grnvelée.  Ex- 
périences sur  les  alliages  de  plomb 
et  d'étain  avec  le  vinaigre,  le  vin  et 
l'huile.  Analyse  cfe  la  gadotinite; 
exposé  sur  quelques  propriétés  de 
l'ythia  qu'elle  contient.  Expériences 
relatives  à  l'action  de  l'hydrogène 
sulfuré  sur  le  fer,  par  laquelle  on 
prétend  qu'il  se  forme  de  l'acide 
muriatique.  Note  sur  les  eaux  sures 
des  amidonniers.  Exjiériences  qui 
démontrent  la  présence  de  l'acide 
prussique  presque  tout  f>rmé  dans 
quelques  substances  végétales. -Ex- 


VAU 


UÀU 


219 


périencessur  le  suint ,  suivie  de  quel- 
ques considérations  sur  le  lavage 
et  le  blanchissaqe  des  laines.  Expé- 
rience sur  la  cérite  dans  laquelle  on 
a  trouvé  un  métal  nouveau.  Note  sur 
l'existence  du  platine  dans  les  mines 
d'arqent  du  Guadalcamil.  Mémoire 
sur  la  meilleure  méthode  pour  dé- 
composer le  chromate  de  fer,  obte- 
nir l'oxyde  de  chrome,  préparer  ra- 
cide  chromique,  et  sur  quelques 
combinaisons  de  ce  dernier.  Table 
exprimant  les  quantités  diacide  sul- 
furique  à  06'  contenues  dans  les 
mélanges  d'eau  et  de  cet  acide  à 
différents  degrés  de  Varéomèlre. 
Instruction  sur  les  moyens  de  dis- 
tinguer les  différentes  sortes  d'étain 
qui  se  trouvent  dam  le  commerce. 
Mémoire  sur  le  palladium  et  le  ro- 
dium.  Mémoire  sur  l'iridium  et  l'os- 
mium. Description  d'un  effet  des- 
tructeur de  l'urine  sur  le  fer  et  ré- 
sultais utiles  de  la  connaissance  de 
cet  effet.  Examen  d'un  procédé  pour 
faire  servir  de  nouveau  la  potasse 
employée  dans  la  lessive.  Sur  (acide 
benzol  que  contenue  dans  les  urines 
des  quadrupèdes  herbivores,  sur  le 
moyen  de  t'en  extraire.  Expériences 
sur  la  congélation  des  différents 
liquides  par  un  froid  artificiel  de 
iQ"  au-dessous  de  zéro,  Héaumur. 
Découverte  de  liode  dans  le  règne 
minéral.       ^  Cii. 

VATTRÉ  (Victor,  baion  de), 
maréch;il  de  camp,commun(leur  de 
la  Légion  d'honneur,  etc.,  naciuil  le 
12  mai  1770,  à  Dompaire,  dans 
l'ancienne  l,orrainc,  d'une  famille 
honorablement  placée.  Il  eniia  à 
vingt-un  ans  dans  la  compagnie  de 
pi(|net  des  gariles-dn-corps  du  roi, 
et  fut  le  10  août  un  des  défenseurs 
duchàteaii  des  Tuileriesconirc  l'al- 
laqn»;  des  'nandt  s  n'voliitionnaires. 
Il  survécut  au  massacre  des  batail- 
lons royalistes,  mais  il  ne  put  s'é- 


vader de  Paris  et  fut  arrêté  le  13  et 
conduit  k  la  Force  où  il  occupa  un 
cachot  situé  immédiatement  au- 
dessous  de  la  chambre  qu'habitait 
l'infortunée  princessede  Lamballe. 
Vautré  fut  assez  heureux  encore 
pour  échapper  k  la  hache  des  sep- 
tembriseurs. On  se  borna  à  lui  faire 
prêter  serment  de  fidélité  à  la  Ré- 
publique sur  un  monceau  de  cada- 
vres gisants  à  l'extrémité  de  la  rue 
Saint-Antoine,  et  il  fut  enrôlé  dans 
l'église  de  Saint-Paul  pour  se  rendre 
aux  frontières.  Il  obiint  successive- 
ment legrade  de  lieutenant  et  celui 
de  capitaine  dans  une  compagnie 
formée  des  volontaires  de  sa  section, 
et  prit  part  en  celte  (lualité  aux 
campagnes  de  Champagne  et  de 
Belgique,  et  aux  sièges  de  Namur 
et  de  Viviers-l'Agneau.  Après  la 
défaite  de  Nerwinde,  il  fut  embri- 
gadé dans  le  régimentde  Piouergue 
et  chargé  provisoirement  du  com- 
mandement de  trois  compagnies. 
Vautré  fut  blessé  par  un  boulet  au 
siège  de  Quesnoy  et  lait  prisonnier 
de  guerre.  Il  revint  en  France  à  la 
reddition  de  celle  place,  en  novem- 
bre 1793,  cl  fut  nommé  aide  de  camp 
du  général  Veza,  puis  employé  à 
Marseille  en  1796  et  1797,  dans  l'é- 
tal-majordu  général  Willol,  d'où  il 
passa  en  1799  ii  celui  de  l'armée 
dlialie.  Le  24  sep'embre  1801 ,  il  fut 
nommé  ch-'f  (le  bataillon  par  le  géné- 
ral en  chef,  puis  aide  de  camp  du 
général  Charpentier,  et  revul  le 
commandement  d'un  bataillon  du 
Ih'"  régiment  de  lign'e.  Vautré  prit 
unoi)art  honorable  aux  campagnes 
de  ISO'i  et  de  1806,  et  se  distingua 
nol;imment  h  la  batailled'Austerlitz, 
où  soB  régiment  enleva  le  plateau 
de  Siikolnitz  au  pas  de  charge  et  en 
pervanl  plusieurs  fois  les  lignes 
russes.  Il  reçut  la  croix  d'honneur 
à  cette  occasion.  L'année  suivante. 


220 


vAy 


à  Eylaii,  son  bataillon  fut  littérale- 
ment écrasé  par  l'ennemi,  et,  peu 
de  mois  après,  au  combat  d'Heils- 
berg,  il  eut  un  cheval  tué  sous 
lui  et  fut  blessé  de  deux  coups  de 
feu.  Ayant  reçu  l'ordre  de  chasser 
les  Russes  d'unbois  occupé pareux, 
il  exécuta  ce  mouvement  avec  in- 
trépidité, et  réussit  à  rejoindre  sou 
régiment  en  traversant  à  la  tête  de 
250  hommes  seulement,  les  postes 
ennemis,  qui  s'élevaient  à  plus  de 
45,000  hommes.  Lors  de  la  grande 
revue  que  passa  Napoléon  le  d2 
juillet  1807,  Vautré  fut  présenté 
honorablement  par  le  maréchal 
Soult  à  l'empereur,  qui  le  nomma 
major  Ix  la  suite.  Deux  ans  plus 
tard,  par  décret  impérial  du  29 
janvier  1809,  il  reçut  une  dotation 
de  2,000  francs  en  Westphalie.  Le 
prince  Eugène,  qui  commandait 
l'armée  d'Italie,  plaça  Vautré  à  la 
tête  d'un  régiment  composé  de  24 
compagnies  de  voltigeurs.  Il  justifia 
ce  témoignage  de  confiance  par 
riutrépidité  dont  il  fit  preuve  au 
passage  de  la  Piave,  où  ses  volti- 
geurs protégèrent  presqu'àeuxseuls 
le  passage  de  toute  l'armée.  Il  se 
distingua  également  aux  combats 
de  Saint-Daniel  et  des  montagnes 
de  Malborghetli,  et  fut  cité  avanta- 
geusement dans  les  rapports  du 
général  Dessaix.  Ces  exploits  furent 
récompensés,  le  17  août  1809,  par 
le  grade  de  colonel  da9"  régiment 
d'infanterie  légère,  par  la  croix 
d'officier  de  la  Légion  d*honneur 
(22  août  1812),  et  plus  tard  par  le 
litre  de  chevalier  de  l'Empire  avec 
une  dotation  de  2,000  francs.  Au 
combat  de  Wit^psk,  Vautré  eut 
deux  chevaux  tués  sous  lui  ;  c'est 
avec  son  régiment  que  le  prince 
Eugène,  à  la  bataille  de  laMoskowa, 
enleva  la  grande  redoute  russe  qui 
tenait  en  échec  l'armée   française. 


VAU 

Vautré,  k  son  entrée  dans  la  re- 
doute, fut  blessé  d'une  balle  qui 
lui  ouvrit  le  péricrâne,  il  eut  l'é- 
paule droite  traversée  par  un  bis- 
caien,  et  fut  renversé  de  son  cheval 
par  un  boulet  qui  lui  causa  une  forte 
contusion  à  la  tête.  Cette  brillante 
action  fut  la  dernière  k  laquelle  il 
prit  pan.  Il  fut  fait  prisonnier  le 
8  décembre  1812,  au  passage  delà 
Bérézina,  et  ne  rentra  en  France 
qu'au  mois  de  septembre  181 4. — Les 
princes  de  la  maison  de  Bourbon 
accueillirent  Vautré  comme  un 
vieux  serviteur;  il  fut  replacé  k  la 
tête  de  son  ancien  régiment,  qui 
prit  le  nom  de  Bourbon,  et  alla  te- 
nir garnison  à  Calvi,  où  il  se  trou- 
vait lors  de  la  fatale  réapparition  de 
Napoléon  sur  le  sol  français.  Vau- 
tré demeura  fidèle  au  gouvernement 
royal,  et  réussit,  par  la  fermeté  de 
ses  dispositions,  à  garderie  drapeau 
blanc  jusqu'au  20  avril.  Celte  con- 
duite courageuse  lui  attira  une  vio- 
lente dénonciation  de  la  municipa- 
lité de  Calvi,  par  suite  de  laquelle 
il  fut  arrêté  à  son  débarquement  à 
Toulon  et  conduit  à  la  citadelle  de 
Grenoble,  où  il  demeura  soumis 
pendant  plusieurs  jours  au  secret  le 
plus  rigoureux.  Sa  captivité  ne  prit 
fin  qu'à  l'entrée  des  troupes  alliées 
à  Grenoble.  Il  fut  immédiatement 
nommé  au  commandement  de  la 
légion  de  l'Isère,  ets'api)liqua  sans 
relâche  à  l'organisation  (lececorjis 
dont  il  dut  prendre  les  éléments 
dans  une  ])0pulation  généralement 
hoslile  au  gouvernement  restauré. 
De  graves  et  sanglantes  épreuves 
attestèrent  bientôt  à  quel  point  il 
avait  réussidanscetle  mission  d'hon- 
neur et  de  fidélité.  Exalté  par  les 
déceptions  personnelles  que  lui 
avait  fait  éprouver  le  gouverne- 
mont  des  Bourbons, Didier  (voy.  ce 
nom,  tome  LXII  ,  page  4G5),  avait 


VAU 


VAU 


221 


réussi  à  organiser  dans  le  départe- 
ment de  risère  une  vaste  conspira- 
tion dont  le  succès,  soit  qu'il  eût  le 
duc  d'Orléans  ou  Napoléon  II  pour 
objet  (car  ce  point  est  demeuré  en- 
core incertain),  était  fondé  sur  une 
circonstance  habilement  calculée. 
Les  légions  de  l'Isère  et  de  l'Hérault, 
qui  tenaient  garnison  à  Grenoble, 
devaient  se  porter  à  la  lin  d'avril 
sur  le  passage  de  la  princesse  Caro- 
line de  Naples,  qui  traversait  la 
France  pour  épouser  le  duc  de 
Berry,  et  cette  évacuation  momen- 
tanée allait  dégarnir  d'une  partie 
de  ses  forces  l'une  des  régions  de 
la  France  où  l'Empire  et  la  Révolu- 
lion  comptaient  le  plus  de  parti- 
sans. La  garnison  actuelle  de  Gre- 
noble se  composait  de  700  hommes 
environ,  y  compris  20  artilleurs  et 
60  chevaux.  Didier  s'était  ménagé 
de  nombreuses  intelligences  dans 
l'intérieur  de  la  ville  et  parmi  les 
officiers  à  demi-solde  qui  habitaient 
le  département  (i).  Une  partie  de 
lagarde  nationale  devait  se  déclarer 
en  sa  faveur,  et  les  douaniers  eux- 
mêmes,  corps  influent  chez  les 
habitants  des  campagnes  et  géné- 
ralement composé  d'anciens  mili- 
taires, étaient  pour  la  plupart  enga- 
gés dans  l'insurrection  ,  dont  la 
consistance  eût  été  puissamment 
grossie  par  un  premier  succès.  Ce 


(I)  Ginvanini,  ancion  commandant  de 
la  gcmlaniierie  de  l'Isère,  remplissait 
les  foiiclioiis  ila  chef  (i'éUit-iiiajor  de 
Didier.  Il  fut  tué  a  la  première  ren- 
contre sur  la  route  d'Kybens.  (»ii  trouva 
a  sa  bouche  la  moitié  d'une  liste  des 
conjurés,  (lu'il  n'avait  p;!S  »u  le  temps 
d'avaler.  Kllc  était  tellement  nom- 
breuse que  le  colonel  Vautre  crut  de- 
voir la  détruire  dans  l'intérêt  des  fa- 
milles qu'elle  t;ompromcttail  et  dans 
rintcrèt  même  de  la  cause  ton  aie. 
(Documents  inédits.) 


mouvement  pouvait-il,  dans  lescon- 
ditions  môme  les  plus  favorables, 
susciter  une  nouvelle  révolution  et 
mettre  sérieusementen  péril  le  gou- 
vernement royal?  Pouvait-il  surtout, 
comme  on  l'a  supposé,  affranchir  le 
sol  français  des    trois   cent  mille 
étrangers  que  le  20  mars   y  avait 
attirés?  Ces  illusions  n'étaient  guè- 
re permises  en  présence  des  troupes 
coalisées  qui  occupaient  les  fron- 
tières du  nord  et  qui,  à  défaut  même 
des  forces  nationales,  encore  mal 
organisées,  auraient  facilement  de- 
vancé autour  du  trône  les  bandes 
tumultueuses     de     l'insurrection. 
Mais  elles  furent  entretenues  chez 
Didier  par  la  facilité  avec  laquelle 
il  était  parvenu  à  recruter  ses  batail- 
lons, et  surtout  par  l'inconcevable 
mystère  à  la  faveur  duquel  il  avait 
pu,  pendant  trois  mois,  organiser 
librement  ses  moyens  d'attaque,  ex- 
pédier ses  ordonnances,  entretenir 
ses  partisans,  former  ses   listes  et 
parcourir  les  campagnes,  mystère 
qui  ne  pouvait  s'expliquer  que  par 
la  connivence  de   la  plus  grande 
partie  de  la  population.  Cependant 
ses  plans  furent  traversés   par  un 
fâcheux  contre-temps.  Vers  l'épo- 
que marquée  pour  leur  exécution,  le 
passage  de  la  princesse  éprouva  un 
retard   inattendu.   Mais,    soit  que 
Didier  jugeât  son  entreprise  im- 
manquable, soit  qu'il    craignit  de 
déranger  sa  petite   armée  par  uc 
contre-ordre,    il   ne    voulut  riai 
chr.nger  Ji  ses   dispositions,   etia 
nuit  du  ^  au 5 mai  i<Sif>  fut  déliii- 
tivement  fixée  pour  la  prise  d'annes 
des  insurgés.  A  Vizille,  à  Eylens, 
à  Ilourg-d'Oisans   et  surtout  à  La 
Mure,  foyer  principal  de  l'infurrec- 
lion,  tout  se  mit  en  mesun  dès  la 
pointe  du  jour;  les  lemme*  surtout 
se  faisaient  remarquer  pa  l'ardeur 
de  leurs  excitations  :  on  ^e  plaisait 


222 


VAU 


VAU 


dans  la  lépélition  de  ce  jeu  de 
mois  sanguinaire,  «  qu'il  y  au- 
rait le  lendemain  15  mille  joueurs 
de  boules  sur  la  grande  place  de 
Grenoble.  «^  Le  sens  de  ces  sinis- 
tres pronostics  parut  surabondam- 
ment fixé  par  la  remarque  qui 
fut  faite  le  lendemain  de  l'êchauf- 
fourée,  de  certaines  traces  blan- 
ches crayonnées  sur  les  maisons 
des  royalistes  les  plus  signalés,  et, 
dans  les  casernes  mêmes,  sur  la 
porte  des  logements  de  plusieurs 
ofliciers. — Cependant^  durant  la 
même  journée,  une  inquiétude  va- 
gue et  générale  régnait  dans  Gre- 
noble. Les  autorités  civiles  el  mi- 
litaires manquaient  d'informations 
précises,  mais  cha(|ue  moment  leur 
apporlaitquelquesdemi-coufidences 
dont  la  répétition  croissante  faisait 
pressentirune  explosion  imminente. 
L'adjoint  de  La  Mure,  qui  s'était 
dirigé  par  les  montagnes  pouraver- 
tir  le  préfet,  avait  rencontré  les 
colonnes  insurgées,  et  le  hasard  le 
plus  extraordinaire  venait  de  livrer 
au  général  Donnadieu, commandant 
la  division. mililaireaident,  brutal, 
mais  feime  et  capable,  l'un  des 
chefs  du  complot,  dans  les  rues 
mêmes  de  Grenoble.  Un  autre  ha- 
sard ,  également  inespéré ,  celui 
d'un  dîner  chez  le  général,  avait 
préservé  le  colonel  Vautré  du  pé- 
ril d'ôire  arrêté  par  les  insurgés 
du  dedans,  au  moment  même  où 
devait  éclater  l'agression  du  dehors. 
L"  gt'iiéial  Donnadieu  coiiceulra 
ses. forces  sur  la  place  Grenelte, 
|)iil  «l'babiles  dispositions,  v.\.  fit 
marcher  un  dél.chement  d'environ 
dOO  Sommes  des  voltigeurs  de 
risero  el  de  la  lé^^ion  de  Tllérault 
àlareg(Onlre  des  insurgés,  dont 
la  pr  euiière  colonne  s'avançait  dans 
la  direction  de  la  porte  de  lionne. 
Mais  ce  tfvlacheiuenl,  intimide  par 


la  bonne  contenance  de  l'ennemi, 
se  replia  bientôt  en  désordre,  et  le 
général  prescrivit  au  colonel  Vautré 
de  se  porter  de  suite  au-devant  des 
rebelles.  Vautré  ne  se  trouvait  que 
depuis  quelques  minutes  en  me- 
sure d'exécuter  cet  ordre  par  suite 
du  retard  fortuit  ou  calculé  apporté 
à  la  délivrance  des  cartouches 
nécessaires.  Il  disposait  au  plus  de 
80  hommes  ;  mais,  dans  le  nombre 
se  rencontraient  30  grenadiers, 
soldats  éprouvés,  résolus,  intrépi- 
des, commandés' par  un  brave  ca- 
pitaine appelé  Friol.  Ces  militaires 
s'ébranlèrent  au  pas  de  course  et 
se  trouvèrent  à  la  porte  de  Bonne 
en  face  des  insurgés  enhardis  par 
la  retraite  des  chasseurs.  Lecolonel 
Vautré  poussa  le  cri  de  Vive  le  roi! 
et  s'élança  à  leur  tête  sur  les  mon- 
tagnards au  nombre  de  4  ou  5cents, 
les  culbuta  et  les  mit  en  fuite  en 
leur  tuant  7  hommes.  A  quelque 
distance,  sur  la  route  d'Eybeus,  la 
cohorte  fidèle  rencontra  Didier  lui- 
même  qui,  sansparaitredéconcerté 
de  l'échec  de  son  avant-giwde,  en- 
gagea un  nouveau  combat  à  la  tête 
d'e[iviron  300  hommes.  Cette  co- 
lonne, qu'il  avait  négligé  de  gariiir 
ou  (!e  faire  précéder  de  tirailleurs, 
fut  promplement  dispersée  en  lais- 
sant quelques  morts.  Ace  moment, 
Vautré  fut  rallié  par  un  détache- 
ment de  dragons  de  la  Seine  que  le 
général  Donnadieu  avait  envoyé 
pour  le  soutenir;  une  troisième 
colonne,  qu'ils  rencontrèrent  à  peu 
près  à  une  demi-lieue,  eut  le  même 
sort  que  les  deux  précédentes.  Le 
colonel  remarqua  ({ue  les  feux  de  si- 
gnaux allumés  sur  plusieurs  points 
des  moniagnes  voisines  avaient  in- 
sensiblement disparu.  A  la  pointe 
du  jour,  il  entra  à  Eybens,  d'où  il 
se  rendit  presipic  immédiatement 
au  village  de  La  Mure,  dont  il  dés- 


VAU 


VAU' 


223 


arma  les  habitants.  Celte  répression 
énergique,  opérée  si  promptement 
avec  le  concours  d'un  si  faible  dé- 
tachement, dans  une  contrée  ou  le 
gouvernement  royal  comptait  tant 
d'ennemis,  et  sur  le  lieu  même  où, 
quinze  mois  avant ,  le  colonel 
Labédoyère  avait,  par  sa  défection, 
prépare  le  fatal  succès  des  Cent- 
Jours,  fit  un  grand  honneur  au 
zèle  et  à  la  résolution  du  colonel 
Vautré,  et  préserva  la  ville  de  Gre- 
noble et  la  contrée  entière  d'une 
imminente  conflagration.  Sa  ren- 
trée à  Grenoble,  le  6  mai,  à  la  tète 
de  sa  troupe,  eut  tous  les  caractè- 
d'une  véritable  ovaiion.  Un  grand 
nombre  de  personnes  notabli^s  vin- 
rent à  sa  rencontre  ;  la  joie  d'une 
partie  de  la  population  fut  portée 
jusqu'au  délire;  la  plupart  des 
maisons  furcLit  pavoisées  de  dra- 
peaux blancs,  etces démonstrations 
s'étendirent  à  tous  les  militaires 
composant  le  faible  gioupe  qui  avait 
donne  l'exemple  d'une  si  éclatante 
et  si  salutaire  répression  (1).  Ce 
triomphe  fut  l'apogée  de  la  vie 
jusqu'alors  si  martiale,  si  inépro- 
chable  de  ce  brave  militaire.  L'his- 
toire doit  envisager  avec  moins  de 
faveur  les  événements  qui  restent  à 
rapporter.  Le  colonel  écrivit  le 
lendemain  une  lettre  répandue  à 
profusion  par  la  voie  de  la  presse, 
où  il  racontait  avec  exaltation  son 
siu  ces  de  la  porte  de  lionne  et 
s'applaudissait  d'avoir  «  ordonné  à 
ses  braves   grenadiers    d'égorger 


(I)  Tous  les  faits  qui  précèdent  sont 
exlnits  do  notes  idélites  rédii^ôes  par 
le  C(donel  d-  Vautré  a  l'époque  leOiiie 
dos  cvéueuients  de  (jrennlile.  Le  liip- 
port  eoiilidfiiliel  dans  lequel  ces  fjjts 
se  ti'ouvaieiit  (Oiisignés  fui  mh  >oiis  les 
yeux  du  roi  Louis  XVIII  par  M  le  duc 
de  Uuras. 


celte  canaille  à  coups  de  baïonnet- 
tes et  aux  cris  de  vive  le  roi!  » 
Puis,  arrivant  aux  détails  de  son 
expédition  de  La  Mure  :  «  J'ai  fait 
venir,  disait-il,  une  partie  du  peu- 
ple sur  la  place,  et  j'ai  dit  que  je 
ne  savais  pas  si  je  ne  les  ferais  pas 
tous  fusiller  et  brûler  leur  ville... 
Pensez-vous,  ai-je  ajouté,  que  j'aie 
eu  besoin  de  ces  90  hommes  pour 
exterminer  les  brigands  qui  ont 
marché  sur  Grenoble?  Il  ne  m'a 
fallu  que  22  grenadiers.  Eh  bien  I 
vos  pères,  vos  enfanis,  sont  pour  la 
plupart  morls  aux  portes  de  Greno- 
ble. Ailez-y  voirleurs  cadavres.  »  A 
celle  triste  publication,  qui  accusait 
moins  les  passions  personnelles  de 
son  auteur  que  celles  d'un  temps 
de  réaction  et  de  vengeance,  le 
colonel  Vautré  unit  un  tort  plus 
grave,  celui  d'accepter  la  prési- 
dence du  conseil  de  guerre  formé 
pour  juger  les  rebelles  qu'il  avait 
combattus  et  dispersés.  Cette  fausse 
position  devait  amener  de  déplora- 
blrs  incidents.  Les  avocats  des  ac- 
cusés se  plaignirent  du  peu  de 
faveur  avec  lequel  ils  furent  en- 
tendus, et  des  entraves  que  des 
juges  naturellement  prévenus  ap- 
portèrent à  la  liberté  de  la  défense. 
Suivant  une  relation  accréditée  et 
qui  ne  parait  pas  avoir  été  dé- 
mentie, le  président  du  conseil 
troubla  plusieurs  fois,  par  de  vé- 
hémentes et  injurieuses  apostro- 
phes, les  expl. cations  présentées 
au  nom  des  30  malheureux  que  le 
hort  des  armes  avait  fait  tomber 
entre  ses  mains,  et  dont  la  vie, 
dévouée  à  une  immolaiion  prochai- 
ne, réclamait  ce  re.4e  d'égards  que 
riuimanile  commande  même  aux 
plus  implacables  ennemis.  Vingt-un 
accuses  lurent  condamnes  ix  mort; 
sur  ce  nombre,  cukj  lurent  recom- 
mandes à  la  clémence   royale   par 


±lk 


VAU 


VAU 


le  conseil  lui-même,  avec  un  em- 
pressement auquel  nous  aimons  à 
rendre  hommage.  Mais  le  ministère 
repoussa  îi  la  majorité  de  cinq  voix 
contre  deux  (celles  de  M.  de  lUclie- 
lieu  et  de  M.  Laine)  la  recomman- 
dation des  juges  militaires,  et  les 
mursde  Grenoble  furent  ensanglan- 
tés à  trois  reprises  de  vingt  et  une 
exécutions  capitales.  Didier  ,  qui, 
après  avoir  combattu  avec  courage 
sur  la  route  d'Eybens,  avaitété  sur- 
pris et  saisi  sur  le  territoire  sarde, 
expia  à  son  tour,  le  18  juin,  la  con- 
ception criminelle  qui  était  devenue 
fatale  à  tant  d'infortunés.  —  Le 
conseil  général  de  l'Isère  reconnut 
les  services  du  colonel  Vautré 
par  le  don  d'une  épée  portant  ces 
mots  :  Fidéiitéj  courage,  nuit  du  i 
au  5  mai  1 816.  Le  roi  les  récompensa 
le  12  mai,  par  le  titre  de  baron; 
deux  mois  plus  tard,  le  17  juillet, 
Vautré  fut  promu  au  grade  de  ma- 
réchal de  camp  et  nommé  au  com- 
mandement du  département  de 
l'Aveyron,  d'où  il  passa  successive- 
ment à  ceux  de  l'Ain  et  du  Morbi- 
han. Au  mois  de  novembre  1820, 
il  cessa  d'être  employé  dans  un  ser- 
vice actif  et  fut  porté  sur  la  liste  des 
inspecteurs-généraux  d'infanterie. 
En  remettant  le  30  de  ce  mois  à 
Bordeaux,  en  cette  qualité,  au  M" 
régiment  de  ligne  le  drapeau  de  ce 
corps,  il  lui  dit  «  qu'après  l'amour 
de  tous  les  Français  pour  leur  roi, 
les  baïonnettes  étaient  le  premier 
soutien  du  trône  des  Bourbons,  la 
garantie  de  la  tranquillité  publique 
et  de  la  prospérité  du  royaume.  » 
Vautré  tint  un  langage  semblable 
en  s'adressani,  dans  une  solennité 
analogue,  peu  de  temps  après,  à 
Toulouse,  au  49'  régimentde  ligne, 
qu'il  y  avait  organisé.  Il  reçut,  le 
i"  mai  1821,  le  cordon  de  com- 
mandeur de  la  Légion  d'honneur; 


mais  il  n'obtint  pas  le  grade  de 
lieutenant-général,  et  ce  mécompte 
lui  causa  une  irritation  profonde. 
C'est  dans  cette  disposition  d'esprit 
que  le  surprirent  les  événemenli» 
de  juillet  1830.  Le  caractère  du 
baron  de  Vautré  ne  se  montra  point 
à  la  hauteur  de  cette  formidable 
épreuve.  On  vit  avec  étonnement 
le  loyal  militaire,  dont  le  presti- 
gieux retour  de  Napoléon  n'avait 
pu  ébranler  la  fidélité,  l'intrépide 
adversaire  de  l'insurrection  de 
1816,  oftrir  son  épée  à  l'insurrec- 
tion victorieuse  de  1830,  et,  par 
un  contraste  étrange ,  solliciter 
d'un  pouvoir  qui  comptait  le  fils 
même  de  Didier  parmi  ses  hauts 
fonctionnaires,  l'avancement  qu'il 
n'avait  pas  obtenu  de  la  Restaura- 
tion. Il  adressa  au  maréchal  Soult 
et  à  Casimir  Périer,  président  du 
conseil,  et  publia  en  1831  plusieurs 
lettres  dans  lesquelles  il  s'expri- 
mait sansménagenientsurle  régime 
qu'il  avait  si  vaillamment  servi,  et 
s'aliéna  ainsi  les  sympathies  du  parti 
royaliste,  sans  se  concilier  la  fa- 
veur du  nouveau  gouvernement.  Le 
général  de  Vautré  fut  mis  à  la  re- 
traite en  1832,  et  mourut  à  Paris  le 
8  mai  1849,  à  79  ans,  laissant  avec 
le  souvenir  d'un  salutaire  exemple, 
celui  d'une  regrettable  défaillance, 
dont  le  caractère  même  de  ses  ser- 
vices passés  eût  dû,  de  lui  plus  que 
tout  autre,  ce  semble,  écarter  le 
péril.  A.  B — ée. 

VAUX,  général  français,  était 
depuis  des  années  sous  les  dra- 
j)eaux,  quand  se  dessina  la  révolu- 
lion  française,  d'où  bientôt  l'émigra- 
tion, et,  à  la  suite  de  l'émigration, 
la  guerre.  Immense  danger  pour  la 
France  que  deux  puissances  colos- 
sales et  nombre  de  petites,  entraî- 
nées dans  le  mouvement  général,  se 
préparaient  à  ravager,  mais  perspec- 


VAL" 


V.W 


225 


live  aîtraviintt'  pour  le  brave  qui 
necleniaiidaitqu'à  faire  ses  preuves, 
qu'à  verserson  sang  et  qui  savait  que 
tant  d'épaulettes,  désertées  par  les 
privilégiés  auxquels  toutes  étaient 
dévolues  sous  le  régime  déchu,  de- 
viendraient la  récompense  de  qui 
saurait,  par  son  dévouement  et  son 
talent,  les  conquérir.  Patriote  et 
ne  manquant  pas  d'ambition,  Vaux 
saisit  avec  empressement  toutes  les 
occasions  de  se  montrer  aux  postes 
où  le  i)éril  était  le  plus  grand,  et, 
au  bout  des  quatre  premières  cam- 
pagnes de  la  république,  il  était 
adjudant  général.  C'tst  en  cette 
qualité  qu'il  servit  en  <796  à  l'ar- 
mée dltalie  et  qu'il  se  signala  par 
un  tel  héroïsme,  à  la  bataille  de  la 
Favorite,  que  Bonaparte,  si  con- 
naisseur en  hommes  ainsi  qu'en 
manœuvres  habiles,  fit  choix  de 
lui  pour  aller  présenter  au  Direc- 
toire son  rapport  sur  la  journée;  il 
demandait  en  même  temps  pour 
lui  le  grade  de  général  de  brigade. 
La  demande  eut  immédiatement 
son  effet .  L'année  suivante  Vaux  par- 
tit pour  l'Egypte  avec  l'expédition 
française,  puis,  quand  l'armée  passa 
en  Syrie,  il  fut  de  ceux  qui  tentè- 
rent cette  nouvelle  aventure.  Le 
siège  de  d'Acre  faillit  lui  devenir 
funeste,  il  y  fut  blessé  (le  25  avril 
1799)  très-dangereusement  et  il 
dut  être  évacué  sur  la  France.  Nou- 
vel épisode  malheureux  lorsque 
rexécution  de  cit  ordre  fut  tentée  : 
les  Français,  débordés  depuis  Abou- 
kir,  n'étaient  rien  moins  que  maî- 
tres de  la  mer;  le  brick  la  Ma- 
rianne, qui  le  ramenait,  fut  capturé 
par  une  corvette  anglaise  (1800). 
Rendu  bientôt  et  bien  avant  la  paix 
d'Amiens  à  sa  i)atrie  par  un  cartel 
d'échange,  et  rétabli  de  sa  blessure, 
il  manœuvrait  au  mois  de  décf'mbre 
de  la  mèm?.  ann?e  dans  le  pays  de.» 

LXXXV 


Grisons.  Les  trois  ou  quatre  an- 
néesde  paix,  continentale  du  moins, 
qui  succédèrent  (180i-l804),  sem- 
blent avoir  commencé  poui-  Vaux 
une  phase  nouvelle.  S'il  ne  prit 
pas  sa  retraite,  il  s'accommoda  de 
postes  paisibles  à  l'intérieur,  tant 
que  les  prospérités  Je  l'Empire 
durèrent.  Mais  après  la  retraite  de 
Russie,  ce  n'est  pas  en  vain  qu'il  vit 
son  ancien  général  îaire  appel  à  tout 
ce  que  la  France  renfermait  de  bras 
fermes  et  de  cœurs  héroïques  :  il 
accourut  redemander  du  service  et 
inscrire  de  nouveau  son  nom  parmi 
les  plus  dignes  dans  cette  navrante 
et  mémorable  campagne  oij  suc- 
comba l'héroïsme  de  la  cause  im- 
périale. Val.  p. 

VAYSSEDE  VILLIERS(Regis- 
Jean-François),  laborieux  membre 
de  l'administration  des  postes,  était 
de  Rodez. Sa  famille,  bien  posée  dans 
la  magistrature,  le  destinait  naturel- 
lement à  la  même  carrière;  et,  bien 
qu'avantraèmo  de  quitter  le  collège, 
il  eût  donné  quelques  signes  d'une 
vocation  que  quelques  juges  au- 
raient nommée  poétique  (voy.plus 
bas,  à  la  partie  bibliographique  de 
l'article),  il  dut  partir  pour  Tou- 
louse, afin  d'y  suivre  les  cours  de 
droit.  Né  en  1767,  il  n'était  pas  en- 
core étudiant  de  troisièpir;  année, 
quand  la  révolution  vint,  dès  1789, 
sinon  interrompresespaisiblesexer- 
cices  de  l'école,  du  moins  y  porter 
la  perturbation  et  l'incertitude.  Bien 
qu'éi)ris  des  grands  principes  qui 
chaque  jour  gagnaient  du  lerrain  et 
se  réalisaient  dans  la  pratique,  il 
n'y  trouva  pas  prétexte  pour  déser- 
ter lei  bancs;  il  tint  bon  vaillam- 
ment un  an  encore,  jusqu'à  ladésor- 
gauisatioti  de  l'école  el  il  .subit 
des  examen.^,  il  cor.quit  des  diplô- 
mes qui,  sous  toute  autre  organi- 
sation que  celle  d'alors,  î;e  l'cus- 


226 


VAY 


sent  point  rendu  habile  à  plaider, 
mais  qui,  certes,  suffisaient  à  cette 
époque  pour  qu'il  portât  la  parole 
au  barreau.  Très-probablement  il 
n'aurait  pas  eu  de  peine,  s'il  l'eût 
voulu,  à  faire  partie  d'un  parquet 
quelconque;  il  paraîtrait  même,  si 
l'on  s'en  rapportait  à  l'article  bio- 
graphique  de  Rabbe    (Supplém., 
p.   848),  lequel  est  un  peu  em- 
preint d'autobiographie,  que  sem- 
blables   propositions     lui     turent 
faites,  puisque,  nous  observe-t-on , 
il  les  déclina  constamment  tant  que 
domina  la  Terreur.  La  vue  de  tant 
de  supplices  illégaux  autant  qu'in- 
humains ou  ne  présentant  qu'un  si- 
mulacre dérisoire  de  légalité,  l'a- 
mena rapidement  à  faire  voile  ar- 
rière, peut-être  un  peu  plus  loin 
que  ne  l'eût  fait  un  de  ceS  esprits 
logiques  et  fermes  qui  n'excèdent 
pas.Q.andnousle  voyons,  à  l'exem- 
ple de  son  compatriote  Flaugergue, 
défendre   la  tête   de   malheureux 
royalistes  voués  à  Téchafaud,  nous 
i>e  pouvons  que  le  louer,   et  nous 
trouvons  tout  eimple  qu'après  ce 
trait  de  courage  il  cherchât  un  peu 
l'ombrcMais  quand,  aprèsle3i  mai, 
il  s'efforce  d'engager  les  royalistes 
à   s'unir  aux  Girondins   proscrits, 
nous  avons  de  la  peine,  sur  quel- 
que terrain  que  nous  nous  placions, 
a  ne  pas  voir  dans  de  si  bizarres 
idées  des  puérilités  ou  des  chimères. 
C'esl  pourtant  la  même  plume  qui 
nous  atteste  le  lait,  et  certes  avec 
une  intention  d'éloges.  On  nous  le 
montre  encore,  au  plus  fort  de  la 
Terreur,  répondant   îi  la  délation 
d'un  jacobin  qui  requiert  son  ex- 
pulsion immédiate  de  l'assemblée 
populaire  de  Rodez  par  une  éner- 
gique profession  de  foi,  dont  tous 
les  articles  sont  en  opposition  fla- 
grante avec  les  maximes  du  parti 
triomphant,  soutenant   au  même 


VAY 

lieu  et  le  même  jour,  «  avec  autant 
d'esprit  que  de  courage, en  quelque 
sorte  corps  h  corps  avec  un  com- 
missaire de  la   Moniagne,  »  une 
lutte    où  l'argumentateur   courait 
risque  de  demeurer   court  autre- 
ment que  de  la  langue,   et  quand 
le  Midi  résolut  d'envoyer  un  ba- 
taillon par  département  contre  les 
Montagnards,    il  apposa  sa  signa- 
ture  à  la   résolution   au  bas  de 
celle  de  Flaugergue.  Il  en  résulta 
que,  quand  ce  dernier  fut  mis  hors 
la  loi,  son  acolyte   fidèle  crut  bon 
de   se  cacher.  Heureusement   les 
poursuites   contre   lui   ne   furent 
point    poussées   avec   le    dernier 
acharnement,  ou  du  moins,  la  tour- 
mente perdit  bientôt  pour  lui  de  sa 
violence;  seulement  il  s'aperçutque, 
s'il  ne  voulait  la  réveiller,  son  pre- 
mier soin  devait  être  d'évitersa  ville 
natale,  où  trop  de  monde  avait  les 
yeux  fixés  sur  lui,  et  il  vint  se  ta- 
pir à  Paris,  où  probablement  ni  Ro- 
bespierre, ni  membre  quelconque 
du  comité  ne  songea  qu'il  existait 
un  citoyen  Vaysse  de  Villiers,  leur 
ennemi   capital,   au    repos   pour 
l'instant,  mais  aiguisant  sa  bonna 
lame,  nous  voulons  dire  sa  plume 
pour  le  jour  où  il  pourrait,  sans 
danger,  la  tremper  dans  l'encre. 
Ce    jour   vint  :  ce   fut   le  9  ou, 
si  l'on  veut,  le  10  thermidor.   Le 
lendemain  de  l'arrestation  de  Ro- 
bespierre, les   colporteurs  distri- 
buaient dans  les  rues,   aux  por- 
tes mêmes  du  club  naguère  tout- 
puissant,  le  ConIre-poisoH  des  Jaco- 
bins,   par  le   citoyen   Vaysse   de 
Villiers,  feuille  périodique  au  moyen 
de  laquelle,  sans  doute,   l'auteur, 
toujours  friand  d'influence   et  de 
renom,  comptailse  créer  l'un  et  l'au- 
tre :  hélas!  au  bout  de  deux  autres 
numéros,  ses  chants  avaient  cessé. 
Nous  disons  ses  chants,  car  le  jour- 


VAY 

naliste  poétisait  à  ses  heures;  l'on 
trouve  de  lui,  dans  un  troisième 
et  dernier  numéro,  une  épitaphe 
du  parti  jacobin  que  les  thermi- 
doriens vantèrent  fort,  et  qu'au- 
rait pu  suivre  immédiatement  celle 
du  Contre-poison...;  mais  personne 
ne  se  donna  la  peine  d'enregistrer 
au  Parnasse  le  décès  du  poétique 
journal.  Une  consoiation  du  moins 
fut  octroyée  à  Vil!iers,et,  si  la  vaine 
fumée  qu'on  nomme  la  gloire  lui  fit 
défaut,  le  solide  vint  l'en  dédom- 
mager ;  ses  amis,  au  pouvoir  alors, 
lui  procurèrent  une  bonne  nomina- 
tion d'inspecteur  des  postes.  Lais- 
sant là  la  politique,  il  ne  donna  plus 
de  soins  qu'à  ses  fonctions  ou  à  des 
travaux  que  hii  facilitaient  ses 
fonctions,  les  entremêlant  de  délas- 
sements littéraires  à  sa  portée  et 
selon  son  cœur.  Il  atteignit  ainsi 
la  fin  de  l'empire,  époque  à  la- 
quelle sa  retraite  lui  fut  donnée, 
bien  qu'il  fût  encore  dans  l'âge  de 
l'activité,  bien  qu'il  eût  à  grand 
peine  vingt  ans  d'exercice  (1794- 
1814).  Il  n'en  vécut  que  plus  dé- 
voué de  jour  en  jour  au  culte  des 
lettres  et  de  la  science,  et  sa  ré- 
putation de  littérateur  et  d'homme 
de  goût  devint  sérieuse  et  incon- 
testée, après  avoir  été  de  celles 
qu'on  sait  un  peu  sujettes  ii  con- 
testation. Du  reste,  jouissant  de 
plus  de  loisirs  qu'il  n'en  eût  sou- 
haité, du  moins  pendant  les  pre- 
mières années  de  sa  retraite,  très- 
mobile  d'intelligence  et  enclin, 
par  conséquent,  à  se  porter  tour 
à  tour  sur  des  objets  très-variés, 
joignant  a  l'expérience  une  indé- 
pendance d'esprit  que  sa  position 
de  bonne  heure  acquis*  près  du 
camp,  sinon  au  cœur  du  camp 
royaliste,  lui  permettait  de  laisser 
voir  à  nu,  il  se  donna  !e  passe- 
temps  de  revenir  de  loin  à  loin 


VAY 


227 


aux  excursions  sur  le  terrain  poli- 
tique, mais  sans  formes  acerbes, 
sans  arrière-pensée  ambitieuse  et 
sans  \iser  à  faire  grand  fracas, 
quoiqu'il  se  gonflât  toujours  un 
peu.  Somme  toute,  il  eût  été  fort 
uii!e  à  la  légitimité  de  savoir 
écouter  des  conseillers  tels  que 
Vaysse  de  Villiers.  Il  survécut  à  la 
chute  de  ce  trône  qu'il  avait  espéré 
ne  pas  voir  pour  la  troisième  fois 
s'écrouler  sous  la  dynastie  des  Bour- 
bons. Voici  la  liste  -à  peu  près  com- 
plète des  productions  de  Vaysse  de 
Villiers.  I.  Description  routière  et 
géographique  de  l'empire  français, 
Paris,  6  v.  in-S",  2'  édition  avec 
additions  qui  la  complètent,  sous 
le  titre  de  :  Géographie  complète  de 
la  France.,  par  ordre  de  routes,  Pa- 
ris (chez  Renouard),  1829,  in-8«. 
C'est  un  des  ouvrages  les  plus  uti- 
les, les  plus  exacts  que  l'on  pos- 
sède sur  le  sujet;  on  le  consulte 
encore  tous  les  jours  avec  avantage, 
bien  qu'évidemment  la  révolution 
introduite  par  les  noies  ferrées 
dans  l'ensemble  du  système  rou- 
tier de  la  France  en  ait  dû  res- 
treindre l'usage.  C'est  le  fruit  d'un 
travail  de  vingt  années  pendant 
lesquelles  l'inspecteur  des  postes 
usait  de  sa  position  pour  voyager 
six  mois  par  an,  consacrant  les  six 
autres  au  dépouillement  et  à  la  ré- 
daction de  ses  i.oles.  Aussi  le» 
journaux  et  surtout  les  recueils 
scieuliliques  se  firent-ils  tous  un 
devoir  de  signaler  et  de  recom- 
Imander  ce  beau  monument  de  st.v 
tislique  en  mémt'  temps  que  de 
géographie.  11.  lie  eue  il  complet  des 
groupes^  statues,  bustes,  thermes, 
perspectives  monumentales  de  Yer- 
sailles,  etc.,  etc.  Paris,  1828-1829, 
in-i"  oblong,  faisant  suite  à  la 
Géographie  complète  de  la  France, 
p.  0.  d.  r.  III.  Plusieurs  brochures 


228 


VEA 


anonymes,  contemporaines,  ainsi 
que  leur  litre  l'indique,  de  l'un  ou 
•'nuire  règne  de  la  restauraiion, 
par  exemple,  sous  Louis  XVIII  : 
l Opinion  impartiale  d'un  capitaliste 
sur  la  réduction  des  rentes,  in-8"; 
sous  Charles  X,  la  Lettre  confiden- 
tielle à  un  journalisie,  par  lui  ami 
du  roi  y  de  la  charte^  du  repos, 
in-8°.  etc.  IV.  Des  poésies  dont 
bsaucoup,  ce  semble,  sont  restées 
manuscrites  et  dont  plusieurs  au 
contraire  ont  été  tirées  à  part,  telles 
que  :  1»  Ode  sur  les  tremblements  de 
terre  de  la  Sicile  et  de  la  Calahre 
arrivés  en  1789,  Paris,  1821,  in-8^ 
2"  Ode  sur  les  inondations  de  l'an  X, 
Paris,  1822,  in-8";  3"  Ode  à  lUinti- 
que  Rome,  Paris,  1822,  in-8°;4°0(ff 
au  soleil,  Paris,  1823,  in-8".  Il  se 
proposait,  en  1836,  de  publier  in- 
cessamment ses  poésies  fugitives 
en  un  volume. 

vi:au  di:  launay  (Pierre- 

Louis- Athanase)  ,  docte  polYgra|)he, 
nnlif  de  Tours,  s'était  promis  de 
suivre  la  carrière  du  droit,  et  reçu 
licencié  fit  dûment  son  stage,  fut 
inscrit  sur  le  tableau  des  avocats  en 
sa  ville  natale  et  plus  d'une  fois 
porta  la  parole,  tantôt  gagnant  les 
mauvaises  causes,  tantôt  perdant 
ses  bonnes  :  tels  étaient  en  ce 
temps  les  caprices, 

De  mibs 
Tbémi», 

qui,  comme  on  sait,  n'en  a  jamais 
^Ic  pareils  aujourd'hui.  La  révolu- 
lion  le  déclassa,  ainsi  que  tant 
d'autres  et  lui  fil  des  loisirs,  qu'il 
ntiTsa  en  les  portant  sur  tout  ce 
qui  ne  sentait  ni  les  Jnstilutes  ni 
Cojas.  El  il  en  résulta  que,  lors- 
que furent  établies  les  écoles  cen- 
trales, il  se  fit  très-facilement  donner 
k  celle  d'Indre-et-Loire  la  chaire 
d'histoire     naturelle    qu'il     rcm- 


VEÂ 

plit  plusieurs  années.  Ces  écoles 
îi  leur  tour  ayant  été,  sinon  abolies, 
du  moins  soumises  à  un  mode  d'or- 
ganisation tout  nouveau  qui  ne 
souriait  plus  à  ses  idées,  il  ne  se 
décontenança  pas  etse  trouva  sur-le- 
champ  avoir  une  autre  corde  à  son 
arc  :  ce  fut  la  science  médicale.  Il 
ne  la  professa  pas,  il  la  pratiqua, 
et  il  ne  fut  pas  plus  médeein  sans 
malades  qu'il  n'avait  été  avocat 
sans  causes.  Le  soin  de  sa  clien- 
tèle cependant  ne  l'absorbait  pas 
â  tel  point  qu'il  n'eût  du  temps, 
beaucoup  de  temps,  à  donner  aux 
sciences  physiques,  h  l'archéologie, 
à  la  littérature,  qu'il  avait  aimée 
d'un  amour  plus  que  platonique 
du  temps  même  où  son  cabinet 
d'affaires  aurait  dû  l'absorber,  et 
de  lire  ou  d'envoyer  des  mémoires 
à  plusieurs  sociétés  savantes.  Il 
était  membre  d'à  peu  près  toutes 
celles  de  Tours,  la  Société  du  Mu- 
sée, la  Société  d'agriculture,  la 
Société  des  sciences  et  belles-let- 
tres, laquelle  avait  en  lui  le  plus 
exact  comme  le  plus  infatigable 
des  secrétaires.  De  i)lus,  il  était 
membre  du  Lycée  des  arts  de  Paris. 
Il  vit  la  première  et  la  seconde  res- 
tauration, il  n'en  vit  pas  la  fin,  la 
mort  l'ayant  frappé.  Voici,  à  deux 
ou  trois  interversions  près,  la  liste 
en  môme  temps  chronologique  et 
méthodique  des  productions  de  ce 
savant  dont  l'intelligence  s'était 
lancée  en  tant  de  sphères  variées. 
I-III.  Pièces  relatives  au  droit  : 
1"  Discours  prononcé  au  bailli a( je  de 
Tours;  2°  Mémoires  et  plaidoyers; 
3"  Fragments  d'un  Commentaire  sur 
la  coutume  de  Tours,  Tours,  1787, 
in-8".  IV-VI.  Travaux  relatifs  aux 
sciences  :  <"  Tableau  élémentaire 
d'histoire  naturelle  à  l'usage  de  l'é- 
cole centrale  d'Indre-et-Loire, 
Tours,  1790,  in-8";  2»  Manuel  d'é- 


lectricité,     1809,    in-8%     figures; 
3"  Lettre  sur  l'usage  de  l^ilcali-ftuor. 
VI. -VII.   Opuscules  achéologiques 
(tous  deux  insérés  au  tome  IV  des 
Mémoires  de  l'Académie   celtique)  ; 
i"  Notice  sur  la  pile  de  Mars  (mo- 
nument antique  attribué  aux  Ro- 
mains et  situé  sur  la   rive  droite 
de  laLoire  entre  Tours  et  Langeais;; 
2"  Notice  sur  un  dolmen  appelé  pierre 
de    minuit    (monument   druidique 
situé  à  trois  myriamètres  sud-ouest 
de  Blois).   Vli-X.  OEuvres   litté- 
raires, les  deux  premières,  drama- 
tiques et  en  prose,  les  deux  autres, 
poétiques,  ou  du   moins  en  vers  : 
1"  Le  corps  de  garde  national  (co- 
médie en  un  acte),  Tours,  1790, 
in-S**;  2"  Stéphanin  ou  le  mari  sup- 
posé   (opéra-comique  ,    un   acte) , 
Tours,  1791,  in-S";  3"  Voltaire,  et 
autres  poésies,    Tours,    1780;    i" 
Épîlre  d'un  père  à  son  fils  sur  le 
bonheur  (présentée  à  l'Athénée  de 
Toulouse,  en  pluviôse,  an  xi),  Pa- 
ris, 1816,  in-8\  Z. 

VECCIIIA  (Pierre),  issu  d'une 
famille  noble  de  Padouo,  embrassa 
la  vie  religieuse,  et  se  fit  bénédic- 
tin à  l'abbaye  du  Monl-Cassin,  le 
30  novembre  1G46.  Après  avoir  fait 
des  études  solides,  il  se  livra  à  la 
prédication,  et  le  fit  avec  le  plus 
grand  sucrés  dans  toutes  les  villes 
d'Italie.  Il  jouissait  aussi  d'une 
grande  considération  dans  sa  con- 
grégation, qui  le  lit  abbé  du  mo- 
nastère de  Casino.  Le  pape  Inno- 
cent XI  réleva  à  la  dignité  épis- 
copale,  (t  lui  donna  le  titre  de 
l'évèché  de  Citla-Nova,  en  Is- 
trie  (1).    i.e   (\  mars  16^)0,   il  fut 


VEC 


220 


(1)  Je  m'expriino  ainsi  dans  la  pen- 
sée que  peut-tHic  ne  fut-ce  (lu'ini  titre 
honoriîique ,  ddiit  le  pupo  voulait  ré- 
«  unipenser  Vecchi.i,  car,  d^ipns  Hi- 
cliard  :    Dictionnaire    des     Sciences 


transféré  k  Andria,  dans  la  Fouille, 
par  Alexandre  VIII;  puis,  l'année 
suivante,  le  pape  Innocent  Xïl  le 
transféra  à  Melfi  (2).  Vecchia  mou- 
rut à  Naples   le   7  juin    1695.  Cet 
évêque,  savant  et  zélé,  a  beaucoup 
écrit;  mais  comme  Dupin  dans  sa 
Bibliothèque  des  écrivains  du   xvn« 
siècle  ,  et  Legipout   dans   Historia 
rei   litterariœ,  0.  S.  B,    ainsi  que 
les  dictionnaires  historiques,  n'ont 
parlé  ni  de  lui,  ni  de  ses  œuvres, 
je  donnerai  la  liste  de  ses  produc- 
tions littéraires  d'après  dom  Fran- 
çois, qui  malheureusement  ne  met 
presque  jamais  le  titre  des  ouvrages 
qu'il  indique.  I.  Méthode  jwur com- 
poser et  bien  parler.  Venise,  1622. 
II.     Idée    de    l'éloquence.,    Venise, 
1663.   III.   Explication  de    l'épître 
aux  Romains,    Venise.   1664.    IV. 
Discours  d'un  supérieur  à  ses  reli- 
gieux. 2  vol.,  Padoue,  1664.  V.  Pa- 
négyrique de  Saint-Maur,  in-4*,  Ve- 
nise, 1608.  VI.  Traité  de  la  divine 
Providence,  Padoue,  1670.  VII.  Le 
temple  de  la  Paix,   B  rescia,   1670, 
2-^  édition  1678.  VIII.  Uhomme  de 
compagnie,  ou  la  manière  de  vivre 
en  bon  politique  et  en  bon  chrétien, 
Brescia,  1670.  IX.  Traité  de  l'Église 
militante  et  triomphante,  Bologne, 
1680,  2'édit.,  Rome,  1683.  X.  Ma- 
nuel des  prélats,  ou  directoire  des 
pasteurs,  in-4%  Venise,   1684.  XI. 
Panégyriques,  in-i",  V<>nise,  IG82. 
XII.  Traité  de  la  doctrine  chrétienne, 


ccrk'siasliques,  depuis  Marc,  vingt- 
deuxi^^^o  evêque  de  CitUi-Nov:i.  trans- 
féré enTarentaise,cn  ]A'Xi,  il  n'y  a  plus 
eu  d't'vt^que  sur  le  siège  de  CiUa'-Nciva. 
(Ji  UiciiAnD,  Luco  citalOj  qui  dit  que 
Vtcchia  était  de  Venise, donne  en  effet 
ce  prélat  pour  le  trente-neuvième  évo- 
que d'Andria,  et  ajoute  lui-même  que 
piu  après  il  (ut  Ironsfcrcà  Mrlfi.  Or, 
a  l'article  Melli  il  no  parle  point  de 
Vccchia,  et  sa  nomenclature  contredit 
ce  qu'il  avance  ici. 


230 


VED 


VED 


Bologne,  1683.  XIII.  Exhortation  à 
l'étude  des  sciences  divines,  avec  un 
remerciraent  au  pape  Innocent  XI 
de  l'érection  du  collège  de  Saint- 
Anselme,  nimini,  1G87.  XIV.  Rè- 
gles pour  bien  vivre,  traduites  en 
italien  du  latin  de  saint  Bernard  (c'est 
le  Irai  lé  De  modo  benè  viveudi)^ 
Bergame,  1674.  XV.  Modèle  de  l'édi- 
fice intérieur,  traduit  du  môme  saint 
Bernard,  Brescia,  1673.  Vecchia 
avait,  en  outre,  traduit  et  publié  k 
Brescia,  en  1677,  un  ouvrage  de 
saint  Jean-Chrysostome.  La  biblio- 
thèque du  MoQt-Cassin  fait  mention 
de  plusieurs  autres  ouvrages  en 
tous  genres  que  Vecchia  a  laissés 
manuscrits.  B— d-e. 

VEDEL  (  Dominique  -Honoré- 
Marie-Antoine),  général  français, 
remarquable  à  titres  divers,  no- 
tamment parce  qu'il  fut  mêlé  au 
désastre  du  général  Dupont,  na- 
quit le  2  juillet  1771  (et  non  com- 
me \edit\3i Biographie  S.-S.-T.Nor- 
vins,  le  2  février  1731)  à  Monaco; 
mais  il  appartenait  à  la  France  par 
son  origine,  et  sa  famille,  long- 
temps hdbilanlo  de  cette  partie  du 
Languedoc  qui  devint  le  départe- 
ment du  Gard,  avait  fourni  des  mi- 
litaires ;  aussi  prit-il  du  service  dès 
sa  treizième  année  (le  6  mars  i  786), 
et  fut-il,  des  1787,  gratifié  de  Té- 
paulette,  malgré  son  âge,  qui,  pro- 
bablement, fut  un  peu  dissimulé. 
Lieutenant  en  1791,  capitaine  en 
179Î,  il  fit  en  celte  qualité,  sa  pre- 
mière campagne  du  Nord  contre 
les  Autrichiens.  Il  eut  l'occasion  de 
s'y  rompre  un  peu  vite  aux  inci- 
dents de  la  vie  militaire.  A  l'affaire 
de  Winton,  où,  pour  la  première 
fois,  il  vit  le  feu,  rintrépidilé  lui 
tint  lieu  de  cet  aplomb  qu'ordi- 
nairement donnent  l'expérience  et 
l'habitude.  Mais,  quelque  temps 
après,  des  faits  surgirent  qui  de- 


mandaient du  sangfroid  en  même 
temps  que  la  vaillance  ;  encore 
eùt-il  fallu  tous  les  deux,  à  double 
ou  môme  à  triple  dose;  son  régi- 
ment s'insurgea,  et  l'on  ne  peut 
dire  ce  qui  fût  arrivé,  si  Mas- 
séna,  chef  de  bataillon  à  cette  épo- 
que, ne  fût  venu  le  délivrer,  et 
peut-être  lui  sauver  la  vie.  De  l'ex- 
trême Nord,  il  saula  Tamiée  sui- 
vante à  l'extrême  Sud,  non-seule- 
meni  de  la  France  continentale, 
mais  de  tout  le  territoire.  Toujours 
friands  de  la  Corse,  cette  île  qui 
leur  serait,  «  si  commode  »  ,  et 
jaloux  de  l'annexion  consentie  par 
la  république  de  Gônesà  LouisXV, 
les  Anglais  avaient  saisi  l'occasion 
de  la  révolution  française  pour  y 
débarquer,  et  s'arrangeaient  pour 
prendre  les  places  et  n'en  pas  être 
débusqués  de  sitôt.  Le  comité  de 
salut  public  montra  que,  pour  lui, 
le  programme  qui  qualifiait  la  Ré- 
publique française  «d'une  et  indivi- 
sible »  était  une  vérité  ;  il  envoya 
des  renforts, non  des  négociateurs. 
Le  capitaine  Vedel  partit  à  la  tête 
d'une  compagnie  franche  ;  et  bien- 
tôt il  fut  investi  du  commande- 
ment de  tout  ce  qu'il  y  avait  dans 
l'ile  de  compagnies  semblables.  Le 
service  était  des  plus  actifs.  Sa 
troupe  fut  chargée  de  servir  l'artil- 
lerie des  villes  dont  l'Anglais  for- 
mait le  siège.  Vedel  et  les  siens 
se  distinguèrent,  surtout  à  Caivi, 
par  l'habileté  comme  par  l'opiniû- 
trelé  de  la  défense.  Les  ennemis 
avaient  fait  brèche  ;  et,  comble  de 
mal,  non-geulement  la  brèche  était 
praticable,  maisnos batteries  étaient 
démontées.  L'assaut  eut  donc  lieu; 
mais  les  lils  d'Albion  furent  ac- 
cueillis de  manière  à  ce  qu'ils  ne 
reprirent  pas gaîment  le  chemin  de 
leurs  tentes,  et  qu'après  un  simu- 
lacie  d'attaque  nouvelle,  ils  tour- 


4 


VED 

nèrent  leurs  efforts  sur  d'autres 
points  de  l'île,  coramençant  à  s'a- 
percevoir qu'ils  pourraient  nous 
disputer  plus  ou  moins  longtemps 
notre  possession,  mais,  qu'en  défi- 
nitive, elle  ne  deviendrait  pas  pour 
eux  un  second  New-Foundiand. 
Nous  retrouvons  ensuite  Yedel  en 
Italie,  lors  des  magnifiques  campa- 
gnes de  1796  et  97,  qui  changent 
tout  l'aspect  de  l'échiquier  politi- 
que de  l'Europe.  Il  y  déploya  sa 
vaillanee  et  son  intelligence  accou- 
tumées au  passage  du  Pô,  à  celui 
de  l'Adda,  aux  deux  affaires  de  Lo- 
nado  et  de  Salo.  De  plus,  il  fut 
chargé  de  plusieurs  missions  impor- 
tantes: h  lui  seul  incomba,  preuve 
de  la  confiance  qu'avait  en  lui  l'il- 
lustre général  en  chef,  la  tâche 
d'aller  eu  Tyrol,  à  la  recherche  de 
In  division  Augereau.  Cela  ne  se 
pouvait  qu'eu  s'enfonçant  à  l'inté- 
rieur de  la  partie  orientale  de  la 
provrace,et  après  avoir,  ou  forcé  le 
passage,  ou  i)assé  à  la  sourdine 
entr«  des  colonnes  autrichiennes. 
Les  ciroonstauces  l'amenèrent  au 
premier  parti.  Un  gros  détache- 
ment d'Autrichiens  voulut  lui  bar- 
rer le  passage;  infanterie  et  ca- 
valerie furent  culbutées  en  peu 
d'instants  ;  il  enleva  de  plus  leur 
poste  de  réserve,  et  de  tous  les  an- 
tagonistes, 400 restèrent  prisonniers 
de  guerre  en  ses  mains.  Poussant 
plus  loin  après  ce  succès,  il  arbora 
le  drapeau  français  à  Feltre , 
puis  sur  les  murs  d'Udinc,  où 
nul  n'avait  encoie  pénétré.  La 
division  Augereau,  à  laquelle  il  s'é- 
tait ainsi  mis  à  mémt^  de  donner  la 
main,  ayant  debouch'  du  Tyrol,  il 
se  rabattit  sur  le  gros  de  l'armée. 
On  sailcpiels  événements  suivirent 
tant  de  liants  faits  d'armes,  dont, 
il  est  aisé  de  le  voir,  Ve<iel  eut  uoe 
bonne  part.   Les  préliminaires  de 


VED 


231 


Campo-Formio  donnèrent  d'abord 
l'espoir  de  la  paix  ;  puis,  à  peine 
Bonaparte  pjrti,  Bonaparte  en  E- 
gypte,  l'Autriche  fit  massacrer  les 
plénipotentiaires  français ,  et  la 
guerre  recommença.  Le  11  sep- 
tembre 1798,  il  opérait  sur  Sangui- 
netto,  n'ayant  avec  lui  que  vingt- 
cinq  chasseurs  à  cheval,  une  di- 
version favorable  au  mouvement 
généraldel'armée.et  il  atteignait  ce 
village  après  avoir,  avec  des  forces 
numériquement  si  faibles,  combattu 
trois  escadrons  échelonnés  sur  la 
route.  La  bataille  de  Kivoli  suivit 
bientôt.  Vedel  y  commanda  l'artil- 
lerie de  la  septième  demi-brigade 
légère,  et,  par  ses  manœuvres  har- 
dies et  savantes,  il  s'empara  de  la 
chapelle  San-Marco,  poste  impor- 
tant, cief  de  j)Osition,  donlle  géné- 
ral autrichien  sentità  l'instant  com- 
bien la  perte  éiait  grave  pour  ses 
plans,  mais  dont  en  vain  il  es- 
saya de  se  remettre  en  possession. 
Toutes  ses  attaques  échouèrent 
contre  la  solidité  de  la  défense; 
Vedel  était  partout,  donnant,  va- 
riant, proportionnant  les  ordres  se- 
lon les  circonstances  ;  il  fut  atteint 
grièvement,  mais,  nous  l'avons  dit, 
il  maintint  sa  position.  C'était  sa 
première  blessure,  mais  ce  ne  fut 
pas  la  seule  dont  il  put  s'Iionorer 
dans  cette  campagne. Chargé,  quel- 
que temps  après  la  granile  journée 
de  Kivoli,  d'aller, à  la  tête  des  gre- 
nadiers de  la  division  Grenier,  at- 
taquer les  retranchements  autri- 
chiens, à  la  gauche  de  Bussolengo, 
il  déploya,  dans  l'exécution  de  cet 
ordre,  l'eîitrain  le  plus  vif,  la  va- 
leur la  |)lu>  opiniâtre  et,  par  sa  vi- 
gueur décisive  comme  par  l'intel- 
ligence de  tous  ses  mouvements,  il 
mérita  d'èire  mentionne  dans  l'or- 
dre du  jour  de  l'armée  :  en  revan- 
che, balles  et  boulets  l'avaient  tou- 


232 


VED 


VRI) 


ché;  so.T  cheval  avait  été  tué  sous 
lui,  lui-mênie  avait  une  jambe  cas- 
sée, et  il  fut  laissé  des  heures  pour 
mort  sur  le  champ  de  bataille.  On 
le  releva  cependant,  et  le  grade  de 
chefdedemi-brigade  (tel  était  alors 
le  titre  officiel)  fui  la  recompense  du 
dévouement  et  du  courage  qu'il  ve- 
nait défaire  éclater.  Ici  se  termine, 
en  quelque  sorte,  la  première  par- 
lie  de  U  carrière  militaire  de  Ve- 
del.  Le  voilà  colonel  ;  huit  ans  se 
sont  passés  depuis  qu'il  a  reçu  son 
brevet  de  lieutenant;   huit  autres 
années  (de  .1799  à    1807)  vont  le 
porter  au  grade  de  général  de  di- 
vision. Pendant  les  premiers  mois 
de  1799,  il  est  encore  en  Italie, 
avec  l'armée  d'Italie.  Un  peu  plus 
tard,  il  passe  avec  sa  demi-brigade 
à  l'armée    des   Grisons,   dont  les 
mouvements   se   lient   toujours  à 
ceux  de  l'armée  d'Italie,  mais  qui 
n'en  forment  pas  moins,  poiT  le 
moment,   un     corps  à   part.    I^es 
événement  marchent,    le  ccnéral 
en   chef  d'Egyple  a  fait  sa  réap- 
parition en  Europe,    Paris  a  vu  le 
48brumaireetritalieavecMarei)go. 
Vedel,   le  10  novembre  1800,  est 
un  des  quatre  cents  hommes  d'élite 
(jui,  sous  les  ordes  du  général  de 
brigade  Veaux,  marchent  sur   les 
redoutes    autrichiennes    au    mont 
Tonal,   et   défendent   les  passages 
de    Val-di-Sole.     Après     l'inexé- 
cution de  la  clause  du  traité  d'A- 
miens,    par    laquelle  le    cabinet 
de    Saint-James   avait    promis   de 
rendre  Malte  h  la  France,  et,  quand 
les  Anglais  ne  plaisantaient  que  du 
bout  (Ihs  lèvres  des  j)lans  de    des- 
cente en  Angleterre,  il  fit  partii^ 
du  camp  de   P.oulogne,  el  il  n'eût 
pas  été  des  moins  charmés  de  re- 
nouer connaissante,    en  leur   île, 
avec  les  habits  rn';ges  qu'il  avait 
canonnéb  dans  l'île  de  Coi  se.  Le 


destin  en  ordonna  autrenieni.  Les 
insulaires,  moyennant   bmknoles 
et  livres  sterling,  détournèrent  l'o- 
rage sur  d'autres  bords,  et  déter- 
minèrent les  naïves  tètes  fortes  de 
Schœnbrunn,  à  tirer  pour  eux  les 
marrons  du  feu.  L'Autriche,  pour 
la  troisième  fois  depuis  treize  ans, 
déclara  la  guerre  à  la  France.  Com- 
me  nous  ne  nous   étions  encore 
avancés  (en  1797  et  en  1800)  qu'à 
quelque    vingt   lieues  de  Vienne, 
l'héritier  des  Habsbourg  tenait  ap- 
paremment à  ce  que  les  hussards 
français  lui  rendissent  visite  dans 
la   capitale.  Vedel,  sitôt  que   les 
hostilités  devinrent  inévitables,  fut 
compris  dans  le  cinquième  corps 
d'armée  que  commandait  Lannes.  Il 
eut  part  à  la  prise  d'Ulm;  c'est  lui 
qui  s'emparades  redoutes  avancées, 
parmi  lesquelles,  notamment ,  celle 
de  Frauensberg  était  un  point  d'ex- 
trême importance  pour  le  succès  de 
la  journée.  Ce  succès,  il  est  vrai, 
il  faillit  le  compromettre  en  vou- 
lant le  pousser  trop  loin,  sans  assez 
tenir   compte    des   circonstances. 
Voyant  les  défenseurs  de  la  re- 
doute opérer  la  retraite,  il   lança 
ses  artilleurs  ;  en  changeant  la  re- 
traite en  déroule,  ceux-ci  purent, 
avec  les  fuyards,  franchir  les  por- 
tes de  la  place,  et,  secondés  parles 
tirailleurs  du   Til'  de  ligne,  faire 
douze  cents  prisonniers,  qu'on  dé- 
sarma sur-le-chamj)  et  dont  les  ar- 
mes furent  disposées  sur  place  en 
faisceaux.  Tout  cela  eût  été   fort 
bien  si  les  bastions  n'eussent  pas 
encore  contenu  de  sept  à  huit  mille 
hommes,    ou  si  du  gros   de  l'ar- 
mée on  fût  venu  donner  appui  aux 
quatre  cents  de  Vedel  et  aux  quel- 
ques tirailleurs,  ses  compagnons 
de  péril.  Il  n'en  fui  rien.  H  en  ré- 
sulta que,  ne  voyant  rien  venir  et 
protégés,  virtuellement  du  moins, 


VED 


VED 


233 


par  les  nombreux  camarades  dont  il 
vient  d'être  parlé,  les  prisonniers 
revinrent  bientôt  de  leur  stupéfac- 
tion,  se   comptèrent,  et  soudain, 
tombant    sur   leurs   armes  qu'ils 
avaient  à  deux  pas  d'eux,  recom- 
mencèrent la  lutte  avec  l'avantage 
du   nombre    et   l'assurance    d'un 
prompt  renfort  au  cas  où  le  be- 
soin s'en  ferait  sentir.   Cerné  de 
toutes  paris,  Vedel   resta  prison- 
nier. Heureusement  il  fut,  au  bout 
de  quelques  jours,  compris  dans  un 
cartel  d'échanges,  et  il  ne  tarda  pas 
à  coopérer  derechef  à  l'exécution 
des  grands  plans  de   l'empereur. 
Le  30  novembre  (trois  jours  donc 
avant  Austerlitz),  il  tint  seul  avec 
son  régiment  la  campagne  en  pré- 
sence de  toute  l'armée  russe,   qui 
venait  s'adjoindre  aux  Autrichiens. 
Le  jour  même  de  la  grande  ba- 
taille, il  fut  chargé  d'aller  se  pos- 
ter à    Santon,  point  singulier  de 
la  ligne   stratégique,   où  il  devait 
servir  de  pivot  à  la  gauche  de  l'ar- 
mée. Il  eut,  soit  pour  en  prendre 
possession,  soit  pour  s'y  maintenir, 
une  force  de  cinq  àsix  milleRusses 
îi  contenir.  Il  fit  mieux,  il  les  re- 
poussa, et  l'empereur  fut  si  charmé 
de  la  façon  dont  il  s'était  acquitté 
de  sa  tfiche,  qu'il  le  nomma  géné- 
ral de  brigade.  C'est  en  cette  qua- 
lité que  nous  allons  le  voir  à  pré- 
sent  porter   deux  ans   les    armes 
contre  la   monarchie  prussienne. 
Pendant  la  campagne  au  sein  des 
provinces   allemandes,  il  a  part  à 
la  bataille  de  Saaifeld;  le  10  octobre 
1806,  il  se  signale  dans  les  plaines 
d'Iéna.  L'empereur,  «mi  ce  jour  où 
la  lutte  devient   capitale,   a  voulu 
retenir  sous  ses  ordres  immédiats 
et  comme  partie  de  sa  réserve    la 
brigade    de    Vedel,    en   attendant 
que    sa    garde     arrive    conduite 
par  Lefrbvre,    et,    quand     celte 


dernière  est  là,  Vedel,  par  ses  or- 
dres, va  renforcer  successivement 
plusieurs  points,  ou  menacés,  ou 
trop  peu  garnis  dans  les  commen- 
cements ;  Vedel  enlève  plusieurs 
positions  à  la  droite  de  l'ennemi, 
lui  fait  nombre  de  prisonniers  et  le 
poursuit  au  galop  jusqu'aux  portes 
de  Weimar.  Le  26  décencbre  sui- 
vant, à  l'affaire  si  chaude  de  Pul- 
tusk,  l'k-propos,  la  prestesse,  la 
multiplicité  des  attaques  signalent 
de  raf'me  la  brigade  Vedel,  qui, 
lancée  par  son  chef,  exécute  plu- 
sieurs charges  brillantes,  enfonce 
les  deux  premières  lignes  russes  et 
finit  par  rester  maîtresse  d'une  bat- 
terie de  12  canons.  Ce  ne  fut  pas 
sans  payer  son  succès  de  quelques 
pertes:  Vedel  lui-même  fut  atteint 
de  deux  blessures,  l'une  au  genou 
gauche,  en  dépit  de  laquelle  il  con- 
tinua de  donner  ses  ordres  avec 
la  môme  sérénité,  toujours  sur  le 
champ  de  bataille,  l'autre  par  un 
coup  de  biscaien,  qui  le  renversa 
sur  le  sol  :  heureusement  la  fu- 
sillade et  la  canonnade  allaient  fai- 
blissant ;  la  vicloireavait  prononcé, 
comme  d'habitude,  en  faveur  des 
Français.  Celte  fois  d'ailleurs  il  ne 
fut  pas  laissé  pour  mort  parmi 
les  cadavres,  et  sa  guérison,  mar- 
cha vile.  .  .  ,  moins  vile  pourtant 
qu'un  nouvel  appel  du  mailre  à  sa 
capacité  toujours  en  haleine.  Il  fui 
nommé  gouverneur  de  Nogat  et  de 
la  place  de  Marienbourg,  ce  qui,  vu 
les  circonstances  et  l'imminence 
d'hostilités  nouvelles,  li'élaii  rien 
moins  qu'une  sinécure.  Grâce  à  des 
mesures  lubilemenl  combinées,  il 
sut  en  peu  de  lemps  relever  les 
forlilii-alions  de  la  |)lace  et  pour- 
voir à  l'approvisionnejneiil  de  l'ar- 
mée cantonnée  aux  en\irons  après 
la  journée  d'Kylau;— de  telle  sorte 
«pie.  n'eùl-il  rien  fait  de  plus,    san 


23/1 


VED 


VED 


exagération  aucune,  il  peut  être 
affirmé  que  son  concours  pen- 
dant la  campagne  au  sein  des  pro- 
vinces slaves  (1807)  ne  fut  guère 
moins  utile  à  la  cause  commune 
qu'en  1806.  Mais  l\  ces  opérations 
d'adminislrateur  ne  se  bornèrent 
passes  services  en  cejte mémorable 
année.  Relayé  k  Marienbourg,  où, 
dorénavant,  l'essentiel  étant  ac- 
compli, les  difficultés  étaient  de- 
venues minimes,  il  reprit  un  com- 
mandement actif  et  fut  chargé  d'or- 
ganiser et  commander  par  intérim 
la  seconde  division  du  corps  de 
réserve  qu'avait  sous  ses  ordres  le 
maréchal  Lannes.  On  le  vit,  à  la 
bataille  de  Gustad,  poursuivre  les 
Russes  à  la  tête  de  cette  division, 
dont  toutefois  il  dut  bientôt  aban- 
donner le  commandement  ;;u  gé- 
néial  Verdier,  venu  de  Naples, 
mais  en  conservant  celui  de  sa  bri- 
gade, qui  comprenaitle  3' de  ligne 
et  le  12'  léger,  l.e  W  juin,  un  beau 
fait  d'armes  le  rocoinmanda  de 
nouveau  à  la  faveur  im;)ériale  :  un 
ordre  lui  vient,  le  10,  à  dix  heures 
du  soir,  d'après  lequel  il  faut 
qu'il  chasse  les  Russes  de  leurs 
redoutes,  où  tout  le  jour  ils  ont 
tenu  contre  toutes  les  attaques;  il 
part  au  plus  vite,  se  trouve  le  ma- 
tin devant  les  redoutes,  et,  après 
un  court  intervalle  de  repos,  pro- 
cédant à  l'attaque,  il  emporte,  non 
sans  peine,  non  sans  perle,  non  sans 
deux  blessures  encore,  mais  enfin 
il  emporte  îï  la  baïonnette  toutes 
les  Ii;.'nes  et  fous  les  forts  des  Mos- 
koviies,  qui,  trop  d^^cimés  pour  te- 
nir Longtemps,  prennent  le  parti 
d'évacuer  Heilbour  .  Ce  mouve- 
ineiil  et  ce  succès  furent  un  des 
préliminaires  de  la  décisive  bataille 
de  Friedhnd,  qui,  quatre  jours 
a})res,  acheva  de  dissoudre  l.»  puis- 
sance prussienne,  et  fil  penser  au 


Tzar  que  mieux  valait  être  l'ami  que 
l'ennemi  de  la  France,  et  qu'au 
moins  il  fallait  feindre  l'amitié, 
puisque  le  colosse  ne  pouvait  tom- 
ber que  par  l'imprévu  ou  par  la 
trahison.  Ve'del  eut  bonne  part 
aussi  de  l'honneur  de  cette  san- 
glante journée;  chargé  d'aller  ren- 
forcer le  cent!'e,  il  fit  plusieurs  ma- 
nœuvres décisives,  il  tint  la  ligne 
d'attaque  depuis  l'aurore  jusqu'à 
onze  heures  du  soir,  et  h  diverses 
reprises  il  fut  félicité  par  l'empe- 
reur en  j)ersonne,  dont  l'œil  avait 
suivi  tous  ses  mouvements.  Nul, 
après  cela,  ne  fut  étonné  de  sa 
promotion  au  grade  si  bien  mé- 
rité de  généra!  de  division,  et  mê- 
me Ton  fut  unanime  à  reconnaître 
qu'elle  constituait  en  ce  moment 
une  distinction  d'autant  plus  flat- 
teuse, qu'à  l'issue  de  cette  seconde, 
si  rapide  et  si  terrifiante  campagne 
contre  les  héritiers  de  Frédéric  If, 
Napoléon  fut  loin  d'en  être  prodigue  : 
deux  offîcitrs  généraux  seuls  l'ob- 
tinrent, Rutfen  et  Vedel.  Il  reçut 
en  même  temps  les  insignes  de 
commandeur  de  la  Légion  d'hon- 
neur* Il  avait  été  créé  comte  de 
l'Empire  lors  de  l'institution  des 
majorats.  Voilà  de  tout  point  certes 
un  commencement  de  superbe  exis- 
tence militjiire,  et  nous  n'avons 
encore  traversé  que  deux  périodes 
de  la  vie  de  Vedel,  abstraction  faite 
de  ces  premières  années  d'adoles- 
cence sur  lesquelles  il  a  fallu  glis- 
ser. La  troisième  va  tout  changer 
de  face.  Mais,  on  le  pressent,  c'est 
iei  que  l'on  court  risque,  lors- 
que l'on  a  pris  ftarti  d'avance, 
de  se  m<'prendre  sur  les  faits  en 
les  déplaçi^ni  et  en  outrant  le  ap- 
préciations f;jvorables  ou  contrai- 
res. Dépouillé,  (juant  à  nous,  de 
toute  idée  préconçue,  nous  allons 
retracer  des  détails  exacts,  et  nous 


VED 

énoncerons  ce  qui  nous  semble  en 
lésulter  inconteslableraent.  Le  traité 
de  Tiisiit  avait  rendu  la  paix  à  T. Eu- 
rope septentrionale  et  orientale;  là 
Jurande  armée  sétail  dissoute,  Ve- 
del  était  de  retour  en  France.  Mais 
à  peine  assoupie  au  delà  de  l'Oder, 
la  guerre  allait  sévir  au-delà  des 
Pyrénées.  Du  Nord,  où  momenta- 
nément nos  troupes  n'avaient  que 
peu  de  chose  ou  rien  à  faire,  Vedel 
avait  été  avec  sa  division  dirigé  sur 
l'Espagne  immédiatement  après  la 
fameuse  entrevue  de  Bayonne  (2 
mai  1808),  et  il  faisait  partie  du 
corps  central,  qui,  sous  Moncey  et 
Murât,  occupait  la  Nouvelle-Cas- 
tille.  Du  15  au  20  mai,  ordre  vint 
d'aller  s'assurer  du  midi  de  l'Espa- 
gne, où  tout  éiait  encore  tranquille 
à  la  surface,  bien  que  l'incendie 
fermentât  dans  les  flancs  du  volcan, 
et  de  s'établir  k  Cadix .  précaire 
asile  des  débris  de  notre  flotte  tra- 
hie parla  forluiie  à  Trafalgar. Trois 
divisions,  sous  un  général  de  divi- 
sion faisiiiil  e:i  quelque  sorte  les 
fonctions  de  commandant  d  un 
corps  d'armée,  devaient  former  le 
noyau  de  la  force  d'opérc.lion  à 
laquelle  on  comptait  que,  d'une 
part,  vii;ndraient  se  joindre  au 
moins  les  trois  régimenls  suisses 
échelonnés  à  Torlose,  à  Carlha- 
gène,  à  Malaga  ;  que,  de  l'autre, 
Kellennann,  de  son  quartier  d'El- 
va,  serait  à  même  de  prêter  la 
main.  C'e.-i  Dupont  qui  comman- 
dait ainsi  :  Vedel  n'avait,  sauf  le 
cas  de  circonstances  exception- 
nelles, qu'à  suivre  ponclut-llemeut 
des  ordres  donnés.  Dupont  partit 
eu  tète,  n'emmenantiiuelauivision 
lîarbou,  laqutilf,  se  composant  de 
douze  mille  hommes  au  plus,  sur- 
passait en  nombre,  à  elle  seule,  le 
total  des  deux  autres,  Vedel  n'en 
comptait  que   six  mille,  et  Frère, 


VED 


235 


le    troisième    divisionnaire ,    que 
quatre  milie  ;  et  il   enjoignit  (de 
concert  sans  doute  avec  le  quar- 
tier   général    de    Madrid)     à   ses 
subordonnés    de    rester,   le  pre- 
mier  à   quatre-vingts  ou   quatre- 
vingt-dix   kilomètres    de    Madrid, 
en    deç^  pourtant  de   la    chaîne 
marianique   (à  Tolède),  le  second 
au  nord  de  Vedel  et  tout  près  de 
la  capitale.  De  quelque  part  que 
vînt  l'ordre  et  quel  que  put  en  être 
le  mérite  au  point  de  vue  mili- 
taire, il  est  cbiir  que  Vedel  ne  pou- 
vait qu'obéir.  La  disposition, d'ail- 
leurs, eût  été  irrépréhensible,  si  la 
guerre  qui  se  préparait  eût  été  la 
guerre  normale  ,  si   les  insurrec- 
tions ne  se  fussent  à  chaque  heure 
succédé  de  proche  en  proche,  et  si 
les  trois  régiments  suisses  n'eussent 
non-seulement  abandonné  le  dra- 
peau fiançais,   mais  passé  à  l'en- 
nemi. Voilà  ce  dont  il  eût  été  à 
souiiaiter    que    se   fût   douté,   au 
moins  comme  éventualité  à  toute 
force   possible,  soit  Dupont,   soit 
le    haut     état-major    paradant    à 
Madrid.  Mais  comme  jamais,  depuis 
quinze  ou  seize    ans   de   guerre, 
pendant   lesquels  la   France  n'a- 
vait   eu   que   des  gouvernements 
et  ieurs  troupes  à  combattre,  rien 
danaiogue  n'avait  eu  lieu  et  comme 
la  dernière  tentative  avait  été  ré- 
primée immJ'dialemenl,  il  nevenait 
à  l'idée  de  personne,  à  Vedel  pas 
plus  qu'aux  autres,  que  des  rustres, 
""des  boutiquiers  et    des  piliers  de 
sacristie  pussent  atta(|uer  les  vain- 
queurs   d'Austerlitz    et    d'Eylau. 
D'jill-'urs,  ce  n'e>t   pas  à  lui  sur- 
tout qu'il  incombait  ici  de  jjrevoir. 
Nul  ordre  nouveau  ne  survenant 
de  (pieUpie  part  que  ce  fût,  il  resta 
près  d'un  nmis  immobile  dans  sa 
position,     tandis    qu'au  delà    des 
monLs  il  eût  par  le  fait  seul  do  son 


230 


VED 


VED 


apparition  jelé  un  poids  inappré- 
ciable dans  la  balance  des  desti- 
nées. Dupont,  tandis  que  les 
onze  ou  douze  mille  hommes  de 
ses  deux  divisions  supplémentaires 
étaient  retenus  dans  l'inertie,  ne 
s'emparait  que  péniblement  de 
Cordoue,  ne  recevait  de  tout  côté 
que  des  nouvelles  alarmantes  au 
plus  haut  degré  ;  puis,  il  le  fallait 
bien,  se  résolvait  à  regagner  la 
chaîne  Létique  :  il  eût  mieux  fait 
de  se  replier  à  30  kilomètres  encore 
plus  loin  au  nord,  jusqu'à  Baylen, 
vrai  clef  de  toute  la  i)Osilion,  au 
lieu  de  s'en  tenir  aux  partis  mi- 
toyens, qui  perdent  tout,  et  de 
prendre  pour  station  Andujar. 
Tout  en  opérant  ce  mouvement 
rétrograde,  il  demandait  à  Madrid 
ce  qu'il  ne  devait  pas  demander  là, 
des  renforts,  car  il  eût  fallu  que, 
réputés  en  principe  sa  réserve  et 
son  arrière-garde,  Vedel  et  Frère 
fussent  directement  en  communi- 
cation avec  lui.  Soit  sur  ses  ins- 
tances, soit  spontanément  et  d'a- 
près ce  qu'il  avait  aperçu  et  ouï  le 
long  de  la  route,  Savary,  qui  venait 
d'arriver  à  Madrid,  enjoignit  aux 
deux  divisions  d'avancer,  pour 
opérer  leur  jonction  avec  Dupont, 
ou  pour  communiquer  par  aides 
de  camp  et  concerter  les  mouve- 
ments. Vedel  s'acquitta  merveil- 
leusement de  sa  part  d'action , 
tandis  que  la  division  Gobert, 
substituée  à  celle  de  Frère,  venait 
bivouaquer  à  San  Clémente.  Parti 
de  Tolède,  il  s'avançait  hardiment 
dans  les  anfracluosilés  de  la  sierra 
Morena,  ripostait  éiiergiquetnent 
k  la  fusillade  de  quatre  mille 
Espagnols  embusqués  au  milieu  des 
rochers,  com.me  si  ses  tirailleurs 
n'eussent  fait  d'autre  métier  d« 
leur  vie  que  celui  de  contrebandiers 
montagnards  et  de  Uabuc.iyres.  Il 


n'avait  pourtant  que  mille  hommes 
de  plus  qu'eux  et  que  onze  canons! 
C'était  bien  peu,  certes,  pour  com- 
penser le  désavantage  delà  position 
et  l'ignorance  des  lieux.  Cet  enga- 
gement si  bien  conduit  eut  lieu  le 
20  juin  ;  le  lendemain  Vedel  dé- 
houcha  sur  Baylen,  où,  comme  on 
l'a  dit  plus  haut  et  comme  il  le  de-  • 
venait  de  plus  en  plus  urgent,  Du- 
pont aurait  dû  se  rendre  à  l'instant 
en  bon  ordre,  heureux  d'avoir 
ainsi  autour  de  lui,  au  lieu  de 
onze  mille  soldats  qui  n'étaient 
pas  tous  valides  et  pas  tous  sûrs, 
seize  mille  concentrés  que  bientôt 
la  division  Gobert  (elle  ne  tarda  pas 
en  effet)  allait  porter  k  vingt  mille 
et  qui,  par  le  fait  seul  de  leur 
nombre,  se  garantissaient  mutuel- 
lement leur  fidélité  !  Il  est  vrai  que 
les  récentes  instructions  de  Savary 
à  Dupont  semblaient  exprimer  la 
confiance  qu'il  garderait  la  vallée 
du  Guadalquivir.  Mais  évidemment 
c'était  là  un  de  ces  vœux  qu'il  faut 
savoir  interpréter:  Savary,  no  sa- 
chant encore  à  quel  point  les  affaires 
étaient  malades  dans  le  Sud,  croyait 
possible  encore  ce  qui  ne  l'était 
plus;  il  ne  fallait  donc  voir  dans 
cette  phrase  de  sa  lettre  (lu'un 
«  ojalà  »  (1),  comme  disent  les  Es- 
pagnols, et  non  un  ordre.  Mais 
revenons  à  Vedel.  Il  s'installe 
solidement  à  Baylen  et  il  a  ses 
avant-postes  en  avant  de  celte 
ville  au  bac  de  Menjibar.  Maître  de 
tous  ces  points  le  21  juin  au  ma- 
tin, il  l'était  encore  le  15  juillet 
suivant.  Ce  jour-là,  pour  la  pre- 
mière fois  depuis  vingt-trois  jours 
que  les  vingt  mille  Français  étaient 
tous  dans  l'Andalousie,  mais  mal 
liés  entre   eux   et  trop  à  dislance 


(1)  Invitation,  conseil 


VED 


VED 


287 


les  uns  des  autres,  les  Espagnols 
attaquèrent  :  ils  n'avaient  pas  per- 
du le  temps  de  ce  long  intervalle 
d'inaclion  apparente:  ils  arrivaient 
au  nombre  de  trente-cinq  mille,  dont 
vingt  sous  Castanos,  et  quinze 
sousReding,  et  ils  purent  as>saillir 
en  même  temps  et  Andiijar  et  le 
bac  de  Menjibar.  Vedel  repoussa 
vigoureusement  ceux  qui  lui  tom- 
bèrent sur  les  bras  et  se  main- 
tint, comme,  de  son  côté,  Dupont 
tint  tout  le  jour,  plus  laborieu- 
sement, il  est  vrai;  car  sous 
Andujar  surtout  "se  portaient  les 
grands  coups.  Mais  le  soir  le  com- 
mandant en  chef  requérant  des  ren- 
forts, Vedel  se  met  en  route  avec 
toute  sa  division  à  peu  près,  n'en 
laissant  à  Gobert,  déjà  le  moindre 
de  tous  en  forces,  que  trois  ou 
quatre  compagnies.  C'était  trop  peu 
au  cas  où  Reding  renouvellerait 
ses  attaques  sur  les  avant-postes 
de  Baylen,  Et  c'est  ce  qui  ne  man- 
quapas;tandisque,  devers  Andujar, 
Castanos  était  refoulé  par  les 
16,000  hommes  de  Dupont  secondé 
par  Vedel,  les  traîtres  Suisses  de 
Reding,  flanqués  d'un  gros  d'insur- 
gés, jouaient  de  bonheur  à  Menji- 
bar.  Un  coup  de  fusil  à  bout  por- 
tant avait  abattu  le  brave  Gobert, 
qui,  loin  de  rompre  d  une  semelle, 
commençait  à  voir  plier  les  bandes 
hostiles.  De  là  un  moment  de  tré- 
pidation. Dufour,  qui  avait  pris 
soudain  le  commandement  à  la 
place  (lu  mort,  mais  que  l'ennemi, 
encouragé  par  ce  qui  venait  d'avoir 
lieu,  pressait  derechef,  ne  put  que 
rétablir  l'ordre  d.jFis  ses  rangs,  et 
s'attacher  à  couvrir  Dayleu  même. 
Quant  au  bac  de  Menjibar,  il  dut 
se  résoudre  à  l'abandonner,  [)Our  se 
consolider  sur  un  espace  moindre. 
Au  total,  c'était  un  échec  pour  les 
Erançais,    mais   de    fort   minime 


importance,  Reding    n'ayant  osé 
poursuivre  et   sc    contenta  m   d.; 
rester  en  observation.   Malheureu-  *' 
sèment  Dupont  toujours  mal  ren- 
seigné, vu  l'éloignement,  apprend, 
dans  celte  journée    du  16,    que 
des    insurgé::   battent   la   monta- 
gne   (devers  Berça  et  Liiiares),  et 
il  ne  sait  rien  des   événements  de 
Menjibar;  il  expédie  à  Gobert  i'or- 
dre  de  se  porter  sur  eux.   Qu'ar- 
rive-t-il?  Dufour,  qui  naturellement 
prend   l'injonction  pour   lui ,    ne 
laisse  qu'un  assez    faible   détache- 
ment à  Baylen  et  court  du  coté  de 
la  Caroline.  Ce  n'est  pas  tout,  bu- 
pont  averti  entin  de  l'atlaire  de  Men- 
jibar renvoie  Vedel  à  Baylen  ;  mais 
là  Vedel,  qui  ne  trouve  ^le  H  au  ma- 
tin) qu'un  mince  noyau  de  troupes 
et  à  qui  la  panique  générale  certifle 
que  l'insurrection  occupe  tous   les 
défilés  voisins  et  que  Defour,  parti 
afin  de  nettoyer  la  montagne,  doit 
être  lui-môme  en  péril,  se  porte  de 
même   hors   de  Baylen  afin  de  le 
sauver.  Baylen  est  donc  découvert, 
et  Dupont  n'en  sait  rien  ou  ne  le 
saura  que  trop  tard.  Le  18,  en  effet. 
Reding  revient   à  la  charge   avec 
force,  et  cette  fois  c'est  Baylen  qu'il 
attaque,   tandis  que  Castanos  fait 
mollement  et  uniquement  comme 
diversion  une    démonstration   sur 
Andujar.  Baylen,  ainsi  qu'on  pou- 
vait et  devait  le  prévoir,  est  emporté; 
et  18,000  Espagnols,  tous  de  trou- 
pes   régulières,    s'y    agglomèrent. 
y,edel,  en  lai>sant  ce  point  essen- 
tiel de  l'itinéraire  à  suivre,  si  mal 
garni  de  défenseurs  [)Our  couriroù 
des  informations,  au  moins  légères, 
lui  signalaient  un  plus  grave  péril, 
est-il  hors  de  reproche?  Nousn'af- 
lirraons  ni    ne  contestons  :  l'on 
appréciera.  Toutefois  qu'on  oofe 
bien  ceci  :  force  est  bientôt  rîe  rr- 
connaitrc  que  la  montagne  ne  re- 


238 


\ED 


cèle   rien    d'extraoïuiiiane  ,   \vàs 
d'embuscade,   pas  d'organisation; 
Ja  population  est  hostile,  mais  c'est 
tout;  elle  est  éparse,  sans  armes  et 
à  ses  travaux;  on  Ta  trompé.    Mais 
ses  troupes  sont  harassées,  mais  il 
ne  s'avoue  que  tard  son  erreur.  Il 
ne  se  hûte  pas,  dès  le  18  et  quand 
Reding  n'a  rien  parfait  encore,  de 
regajrniT  Baylen.   Il  ne  s'y  décide 
que  le  19,    et  quand  Dupont,   qui 
s'est  enfin  déterminé  le  18  au  soir 
à  se  concentrer  sur  ce  point,  mais 
qui,  lorsqu'il  arrive  le  19  au  matin, 
n'y  trouvant  que  des  Espagnols  en 
forces  au  lieu  de  Vedel  et  Dufour, 
non-seulement  a  engagé  contre  ces 
masses  uu  combat  dcplorablemenl 
inégal,  mais  encore,  sur  l'annonce 
véridique  que  Castanos    approche 
et  va   fondre  sur  ses  derrières,  est 
entré  en  pourparlers  avec  les  deux 
généraux  ennemis.  A  Vedel  ici   !e 
mérite  de  s'être  décidé  sur  la  sim- 
ple audition  du  canon  dont  le  bruit 
vient  de  Baylen!  C'est  tard,  sans 
doute,  mais  ce  serait  ici  le  cas  d'ap- 
pliquer le  célèbre  adage  :  <«  Mieux 
vaut,    etc.,  »     s'il    n'avait    pas 
perdu  de  temps!  Mais  il  en  perdit... 
Les   débuts    seuls     emportent  la 
louange.  Dès  qu'il  a  le  pied  sur  les 
hauteurs  de  Ba  y  1.  n  (à  cinq  heures  du 
soir),  Vedel  prend  toutes  les  dispo- 
sitions pour  recommencer  la  lutte, 
et  à  la  communication  que  viennent 
lui  faire  d'une  suspension  d'armes 
deux  parlementaires  de  Reding,  il 
répond  qu'il  n'en  sait  rien  et  con- 
tinue  SCS    préparatifs.    Pourquoi 
faut-il  que,  lorsque  ceux-ci  insis- 
tent et  d«;maiidrnt  que  du  moins  un 
olficitT  vienne  de  sa  paît  au  quar- 
tier-général de  Reding  et  s'assure 
parses  yeux  qu'un  parlemeniaire  de 
Dupont  est  là,  chargé  de  négocier 
et  porteur  de  conditions  qui  s''  dis- 
cutent, il  cède  ii  cette  ouverture  et 


VED 

envoie  en  effet  un  aide  de  camp  s'as- 
surer du  fait?  Ne  blâmons  qu'avec 
mesure  néanmoins  :  ou  dirait  que 
Vede!  flaire  soit  un  piège,  soit:  un 
déloyal  calcul.  Son  aide  de  camp 
tarde  à  revenir;  il  se  hâte  de  donner 
le  signal  de  l'attaque;  bientôt  ses 
troupes  sont  maîtresses  de  toutes  les 
hauteurs;  il  a  pris  trois  canons,  deux 
drapeaux  et  quatre  cents   prison- 
niers sont  tombés  en  ses  mains;  il 
touche  au  moment   d'emporter  la 
position  de  l'Ermitage, quand  arrive 
un  aide  de  camp  de   Dupont  lui- 
même:  ordre  à  sqn  sibordonné  de 
ne   rien  tenter  jusqu'à    nouvelle 
instruction.  Judaïquement  parlant, 
Vedel  ne  peut  se  dispenser  d'obéir; 
son  chef  n'est  pas  encore   tout  à 
fait  au   pouvoir  de   l'ennemi:  ce 
n'est  pas  un   prisonnier  de  guerre 
contraint  qui  prétend  lui  dicter  sa 
conduite.  Vedel  ne  veut  pas  courir 
le  risque  qu'on  l'accuse  de  trop  de 
zèle;  il  ne  se  renseigne  pas  catégo- 
riquement près  de  Tenvoyé  de  l'état 
des  choses;  il  se  plait  peut-être  à 
croire  qu'il  existe  entre  son   com- 
mandant et  Castanos  (bien  moins 
fuîibond  que  ceux  qu'il   conduit) 
un  commencement  d'accord, à  l'aide 
duquel  tout  sera  sauvé.  Aussi  per- 
plexe, il  forme  en  conseil  ses  offi- 
ciers supérieurs   et  leur  demande 
leur  avis  :  des  24  qu'il  a  réunis,  4 
seulement  sont  pour  qu'on  ne  tienne 
aucun  compte  de  prescriptions  ex- 
torquées par  la  contrainte  et  pour 
qu'on  reprenne   le  feu.  Vedel  ac- 
cède au  vœu  de  la  majorité,  il  se 
laisse  paralyser.   La  reiponsabilité 
sans  doute  est  sauve,  mais  sa  divi- 
sion ne  l'est  pas,  un  trait  do  plnmc 
de  Dupont  peut  la  sacrilier.  Quel- 
ques chances  de  salut  restiMjt  ce- 
pendant; et,  iiprès  toute  la  journée 
du  20  passée  en  stérik'sou  funestes 
discussions  entre  Reding,  Castanos 


VED 


VED 


239 


et  Dupont,  Vedel,  instruit   enfin 
delà  vraie  situation,  fait  offrir  à  son 
chef  de  reprendre,  lui,  les  hostilités 
le  lendemain,   puisque   rien  n'est 
encore  signé  et  qu'à  coup  sûr  rien 
encore  n'oblige  son  second. Dupont, 
que  prostrent    en  quelque    sorte 
lesenùment  et  la  honte  d'un  insuc- 
cès, serefuse  d'abord  à  cette  héroï- 
que proposition   qui,  réalisée,  ou 
le  dégageait  ou  lui  valait  de  plus 
douces  conditions.   Un   peu  plus 
tard   pourtant,   homme   de  demi- 
mesure   toujours,  et  cherchant  à 
rendre  vaine  en  partie  la  capitula- 
tion qu'il  va  signer  et  en  vertu  de 
laquelle  trois  divisions   françaises 
vont  rendre  leurs  armes,   il  écrit  à 
Vedel  de  se  mettre  en  retraite  sur 
Madrid.  C'est  du  moins  une  proie 
qu'il  arrachait  à  l'ennemi.   Vedel, 
s'il  faut  en  croire  ses  amis,  lesquels 
nous  st^mhlent  avoir  au  moins  exa- 
géré, se  hâte  d'obéir  à  Tordre  qui 
lui   permet  d'aller  couvrir  Madrid; 
en  armes  toute  la  nuit,  il  dérobe  sa 
marche  à  l'ennemi,  il  impose  par 
sa  ferme  contenance   aux   hordes 
qui  voudraient  lui  barrer  la  route. 
Déjà    l'on   a  dépassé   la  Caroline, 
déjà  l'on  louche  Ste-IIélèue  ;  mais 
déjà  aussi,    par  suite  des  menaces 
faites  à  Duponi   de  l'égorger  ainsi 
que  tous  les  siens,  un  contre  ordre 
est  surveiui;  plein  de  peur  que  la 
colonne  qui  s'éloigne  n'obtempère 
pas  assez  vile,  une  injonction  plus 
impérative  encore  prescrit  de  sus- 
peuilre  la  marche  et  rend  le  général 
responsable  de  tout   ce   qui  peut 
s'ensuivre.  11  faut  l'avouer,  l'aller- 
nalive  était  emb.irraosante  ;   déso- 
béir et  rendre  inévitable  à  peu  près 
le  massacre  de  li  a  i  mille  Français, 
ou,  superstitieusemenl     lidèle    au 
principe  de    lobeissance,   ajouter 
aux  perles  déjà  certaines  celle  des 
4,000 houimes  sous  SCS  ordres  immé- 


diats !  Quelques  militaires,  ce  nous 
semble,  auraient  à  leurs  risques  et 
périls,   dissimulant  le   teneur  des 
ordres,   choisi   le  premier    parti; 
l'honneur  en  tout   cas   n'en  aurait 
pas  souffert,  plusd'hommes seraient 
restés  à  la  France,   l'effet  moral 
eût   été   moins  préjudiciable  ,   et 
peut-être  la  position  de  l'armée  y 
eût-elle  quelque  peu  gagné.  Cette 
fois  encore,  comme   le    18,  Vedel 
n'osa  décider   par   lui-même  :   il 
consulta  ses  officiers;  le  parti  de 
l'obéissance    l'emporta  ,    et    par 
l'humiliante  capitulation  de  Bay- 
len,    non  -  seulement   la     division 
Barbou   que    guidait  Dupont    en 
personne    et  qui  se  trouvait  cer- 
née demeura  prisonnière  de  guerre  ; 
les  deux  autres  à  peu  près  intactes 
encore,    rendirent   leurs  armes  et 
furent  dirigées  sur  Cadix,  où,  sui- 
vant les  conventions,  elles  devaient 
être  embarquées  pour  Rochefort 
Mais,  honteuse  violation  du  droit 
des  gens,  la  junte   de   Séviîle,  à 
l'instigation  des  Collingwood,  des 
Hew  Dalrymple,  déclara  nulles  les 
promesses  de  Castanos,    en  partie 
désavouées;  les  soldais  de  Vedel,  de 
Dupont,  quin'avaient  été  ni  cernés 
ni  battus,  sauf  l'échec  léger  du  20 
à    Àienjibar,   demeurèrent,  contre 
loule  foi  et  toute    raison,   prison- 
niers de  guerre,  ce  ([ui  veut   dire 
allèrent  périr  de  soif  et  de  faim   à 
Cabrera  ou  pourrir  sur  les  pontons 
de  l'Angleterre,  et  rAngleterre  ne 
pendit  pas  Gibraltar  aux  amis  qui 
servaient  SI  bien  sa  cause.  Les  trois 
généraux    n'éprouvèrent  pas  celle 
atroce  rigueur,    et  bieuiùl  furent 
reconduits  k  Toulon.  Mais  les  mé- 
n;igeuienl.>>  mêmes  doiU  ils   furent 
l'objet  achcvaienl  d'aigrir  encore 
Napoléon,  et  Vedel  faillit   passer 
devant  le  conseil  d'(  luiuête  qui,  le 
n  février  1812,  s'assembla   pour 


2liO 


VED 


juger  Dupont.  L'empereur  dans  les 
premiers  moments  de  iiireur  (août 
1809)  n'avait  parlé  de  rien  moins 
que  de  faire  fusiller  tous  les  géné- 
raux a  complices  »  de  l'acte  de 
Baylen,  Ces  explosions  d'un  trop 
légitime  courroux  cédèrent  avec  le 
temps  devant  les  faits;  et  certaine- 
ment les  2%  3°  et  6'  chefs  d'accu- 
sation qu'articula  le  grand  procu- 
reur-général (Regnault  de  St-Jean- 
d'Angely)  contre  Dupont  n'étaient 
que  l'expression  de  l'opinion  finale 
du  maître,  plus  calme  et  mieux 
instruit.  Ils  imputaient  au  malheu- 
reux vaincu  de  Baylen  d'avoir,  le 
J  9  juillet,  «  exercé  sur  Vedel  une 
autorité  qui  ne  lui  appartenait  plus, 
et  paralysé  ce  général  qui  eût  sauvé 
ses  troupes  ;  >y  d'avoir  «  flotté  du  \  9 
au20dans  une  honteuse  incertitude, 
ordonnant  aux  divisions  Vedel  et 
Dufoiir  tantôt  la  reddition,  tantôt 
la  retraite  ;»  d'avoir  «  (le  iy)  étendu 
à  deux  divisions  libres  et  victo- 
rieuses la  trêve  conclue  avant  leur 
arrivée  ;  »  enfin  d'avoir  «  notifié  le 
21  aux  généraux  de  celles-ci  un 
traité  signé  le  22.  »  Admettre  tous 
ces  faits  (et,  nous  le  répétons,  il 
est  clair  que  Napoléon  les  admet- 
lait),  c'était  acquitter  Vedel  de 
toute  imputation  de  trahison,  d'in- 
capacité, d'inertie.  Dupont  fut  donc 
injuste  lorsque,  dans  sa  défense,  il 
accusa  Vedel  de  nombreuses  déso- 
béissances et  en  vint  îi  dire:  «J'ai  trop 
longtemps  ménagé  le  général  Vedel , 
les  fautes  du  général  Vedel  sont 
rorij,'ine  de  tout.»  L'origine  de  tout 
doit  être  cherchée  dans  le  décousu 
des  démarches  par  lesquelles  on  se 
renseignait,  dans  les  indignités  du 
sac  de  Cordoue,  dansle  manque  de 
concentration  et  de  communication 
rapide.  Une  autre  rrcriminalionde 
Dupont,  un  peu  moinsfausse  peut- 
être,  ne  doit   être  elle-même  ac- 


VhD 

cueillie  qu'avec  réserve;  elle  se 
réfère  aux  faiis  du  21 .  «  La  capi- 
tulaiion  eût  été  avantageuse,  »  dit 
h  commaudiiut  en  chef...,  «  si  la 
division  Vedel  eût  mis  à  profit  rt'c^ 
l'ordre  de  départ  que  je  lui  avais 
donné  k  temps.  »  L'on  n'a  qu'à 
relire  les  détails  donnés  plus  haut 
sur  cette  phase  des  opérations  ;  et, 
que  Vedel  ait  mis  ou  non  le  plus 
de  célérité  possible  au  départ  pour 
!a  Caroline,  on  verra  qu'il  faudrait 
ajouter  à  la  phrase  de  Dupont  ces 
deux  lignes  :  «  Et  si  mes  aides  de 
camp  porteurs  successifs  de  con- 
tr'ordres  ou  ne  l'eussent  pas  rejoint 
ou  l'eussent  trouvé  récalcitrant.  » 
En  effet,  ou  esquiver  par  un  galop 
à  fond  de  train  ou  méconnaître  par 
une  fin  de  non  recevoir  le  malen- 
contreux contr'ordre,  tels  étaient 
les  seuls  moyens  de  mettre  l'ordre 
précédent  «  à  profit  réel.  »  Vedel 
1  a-t-il  pu?  le  pouvant,  en  stricte 
règle,  en  stricte  équité,  le  devait- 
il?  Telles  sont,  à  notre  avis,  les  seu- 
les questions  à  poser  ici.  Les  dé- 
battre n'est  ni  de  notre  ressort,  ni 
d'un  simple  article  de  biographie. 
Toutefois  nous  ne  prétendons  pas 
laisser  dans  l'ombre  notre  opinion, 
que  du  reste  on  peut  avoir  déjà 
pressentie.  En  droit  strict,  Vedel, 
échappant  U  la  condamnation,  n'é- 
chappe pas  de  même  au  blâme  ;  il 
a  fait  tout  ce  que  réglementaire- 
ment ,  hiérarchiquement  il  était  tenu 
de  faire,  et  même  un  peu  plus;  s'il 
n'a  pas  fait  tout  ce  qu'il  était  pos- 
sible de  faire,  il  n'a  pas  commis  de 
grosses  fautes,  mais  il  en  eût  pu 
réparrr  de  commises  par  autrui,  et 
il  ne  les  a  pas  réparées.  Le  génie 
ou  l'opiniâtre  intrépidité  niorale  lui 
a  manqué.  Dupont  entouré  n'a  pas 
su  mourir,  Vedel  n'a  pas  su  déso- 
béir, n'apassu  enfreindre  la  règle: 
c'est,  â  quelque  palliatif  qu'on  ait 


VED 


VED 


U\ 


recours  pour  le  déguiser  un  peu  oe 
faiblesse  dans  une  crise  décisive. 
Cette  part  faite  au  blâme  et  le  tort 
de  Vedel  en  un  moment  W\i 
pour  embarrasser  les  plus  ha- 
biles, réduit  à  sa  juste  valeur, 
nous  ne  nous  étonnerons  pas  pour- 
tant qu'il  n'ait  point  été  désigné 
pour  l'expédition  de  Russie.  [On 
sait  à  quel  point  Napoléon  ré- 
pugnait à  réemployer  ceux  qui 
n'avaient  pas  triomphalement  pro- 
menéses  aigles  au  sud  des  Pyrénées 
et  qui  lui  semblaient  importer, 
inséparable  d'eux  désormais,  leur 
guignon  d'Espagne];  mais  nous 
sommes  un  peu  surpris  que  la  dis- 
grâce ait  été  jusqu'à  la  destitution. 
Ce  n'était  plus  là  de  la  justice, 
c'était  de  l'arbitraire  politique. 
Toutefois,  pour  Napoléon  aussi, 
l'étoile  fatale  surgit  à  l'horizon 
avant  la  fin  de  cette  année  où  les 
calamités  de  Baylen  avaient  été 
appréciées  si  durement;  et  à  n'éva- 
luer que  les  pertes  matérielles,  un 
seul  mois  put  faire  équilibre  à  plu- 
sieurs Baylen.  Soit  que  le  grand 
homme,  en  cessant  d'être  invulné- 
rable, eût  appris  l'indulgence,  soit 
qu'il  se  sentît  besoin  de  tous  en 
cette  grande  année  1813  oii  tous 
allaient  faire  défection,  Yedel  fut 
réintégré  honorablement  et  alla 
commander  une  division  en  Italie. 
De  retour  en  France,  au  commen- 
cement de  1814  il  fut  détaché  avec 
4,000  hommes  pour  aller  renforcer 
Desaix,  lequelluttait  en  brave  mais 
péniblement  contre  les  Autrichiens, 
que  favorisait  l'inconcevable  mol- 
lesse d'Augereau,  en  vain  stimulé 
par  les  véhémentes  adjurations  de 
l'Empereur,  et,  sans  trahir  ,  plus 
sympathique  aux  ennemis  qu'aux 
défenseurs  du  sol.  Tel  ne  fut  pas 
Vedel  ;  il  tint  aussi  longtemps  qu'il 
fat  possible  de  tenir.  Il  défendit 

LXXXV 


energiquement,     avec  des  forces 
inégales,  le  passage  delà  Durance: 
un  peu  plus  tard,  il  livra  aux  Au- 
trichiens, à  Romans,  un  combat 
qu'on  pourrait  presque  dénommer 
bataille,  tant  il  y  coula  de  sang,  et 
tant  chefs  et  soldats  y  déployèrent 
la  bouillante  intrépidité  des  beaux 
jours  de  la  république.  Le  souvenir 
en  vit  encore  parmi  les  paysans  de 
Romans,   et,  selon  eux,  c'est  aux 
Français  que  demeura  la  victoire. 
Le    fait    est   que   nous   perdîmes 
moins  de  monde  que   les  Autri- 
chiens, mais  ils  en  pouvaient  per- 
dre davantage.  Cependant,  à  Paris, 
les  événements  arrivés  le  30  mars 
avaient  précipité    le    dénoûment. 
Malgré  son  récent  dévouement,  on 
comprend  que  Vedel  n'ait  pas  vu 
de  très-mauvais  œil  la  restauration. 
Il  ne  s'inféoda  pas  pourtant  à  la 
politique   de    l'ultramonarchisme. 
Louis  XVIII  ne  l'en  créa  pas  moins 
chevalier  de  Saint-Louis,  et  Du- 
pont devenu    ministre    efifaça   du 
moins  ses  torts  envers  Vedel,  torts 
auxquels  nous  aimons  à  penser  que 
l'avaient  réduit  les  nécessités  de  la 
défense,  en  le  nommant  inspecteur 
général  delà  S"  division  militaire 
et  un  peu  plus  lard,  à  la  suite  d'un 
remaniement  du  personnel,  en  lui 
donnant  le  commandement  du  dé- 
partement de  la  xManche  (:2' subdi- 
vision de  la  14'  division   militaire, 
chcf-licu  Caen).  C'est  en  celte  po- 
sition que  le   trouva  Napoléon  au 
retour  de  l'iled'Elbe.  Vedel,  malgré 
ses  vieux  griefs,  voyant  dans  l'Em- 
pereur l'homme  delà  patrie,  se  ral- 
lia sans  longs  délais  et  accepta  le 
commandement  de  la  division  en- 
tière. Caen  devint   alors  sa  rési- 
dence. Toute   cette  division  alors 
était  des  premières  en  importance, 
vu  son  accessibilité  par  mer  et  sa 
proximité  relative  de  Paris.  Pour 

16 


2/i2 


VED 


VED 


mille  raisons  donc  il  ne  put  pren- 
dre part  à  la  campagne  de  Belgi- 
que. Jusqu'à  la  nouvelle  de  la  ba- 
taille de  AVaterloo,  il  maintint  la 
Normandie  et  particulièrement  le 
Calvados  dans  Tobéissance.  Mais, 
quelques  jours  après  le  grand 
désastre,  des  royalistes  débarquè- 
rent à  Bayeux  :  le  duc  d'Aumont 
était  à  leur  tète;  Vedel  y  courut 
ayec  deux  mille  hommes ,  plus 
six  pièces  de  canon,  et  quelques 
coups  de  feu  furent  échanijés, 
quelques  prisonniers  furent  faits  de 
part  cl  d'autre,  puis  Ton  s'observa. 
Le  duc  eut  l'art  de  persuadera  son 
adversaire  que  les  Anglais  allaient 
débarquer  en  forces  et  il  lui  fit 
ainsi  souscrire  une  convention  par 
laquelle  il  s'engageait  à  laisser 
l'armée  royale  entrer  h  Bayeux,  à 
se  retirer  à  deux  lieues  à  l'intérieur 
et  à  rendre  les  officiers  qu'il  avait 
pris.  Celte  convention  était-elle 
ferme  ou  conventionnelle?  Nous 
l'ignorons.  Ce  qu'il  y  a  de  sûr, 
c'est  que  Vedel  n'avaiiaucuneenvie 
de  se  laisser  escamoter  ses  avanta- 
ges sur  de  simples  paroles.  11  com- 
mença par  ne  faire  que  lentement 
ses  j)réparalifs  d'évacuation;  puis 
bientôt,  ne  voyant  ni  babils  rouges 
à  la  côte  ni  voile  anglaise  k  la  mer, 
il  dénonça  la  convention  au  duc 
d'Aumont  et  lui  signifia  que,  s'il  ne 
s'embarquait  au  plus  vile,  il  allait 
tomber  sur  lui  avec  ses  hommes  et 
sonarlillerie.il  n'est  pasimprobable 
qu'il  l'eût  battu,  mais  qu'en  eût-il 
résulté?4.es  événements  marchaient 
plus  vile  que  les  hommes,  les  roya- 
listes levaient  la  lêie  de  tout  côté, 
l'on  eût  trouvé  barbare  un  général 
du  parti  vaincu  qui  eût  donné  le 
signal  de  la  guerre  civile  et  qui 
n'avait  chance  de  traîner  la  résis- 
tance qu'en  sacrifiant  des  villes. 
D'Aumont  put  doue  à  son  aise  et 


sûr  qu'il  parlait  sans  risque,  ré- 
pondre par  cette  bravade  :  «  El  moi, 
je  somme,  au  nom  du  Roi  mon 
maître  et  le  sien,  le  général  Vedel, 
de  mettre  bas  les  armes.  »  Presque 
au  même  instant  une  dépulation  des 
notables  de  Bayeux  conjurait  le 
général  d'ouvrir  les  portes  au  duc 
s'il  voulait  éviter  une  collision  et  des 
malheurs  :  la  population  en  ébulli- 
lion  depuis  la  veille  étant  décidée 
à  les  ouvrir  elle-même.  Bientôt  en- 
fin survint  la  nouvelle  que  le  dra- 
peau blanc  flottait  h  Caen,  dont  était 
sortie  la  garnison.  Ilélaittrop  clair 
que  rien  d'utile  ne  pouvait  sortir 
des  efforts  auxquels  manquaient  l'o- 
pinion locale  et  un  centre  d'action. 
Vedel  ne  s'occupa  donc  plus  que  de 
mettre  obstacle  aux  désordres  qui 
tendent  toujours  à  se  produire  à  la 
faveur  d'une  révolution  et  à  laisser 
le  pays  en  bon  ordre  au  successeur 
dont  il  prévoyait  la  prochaine  ve- 
nue. En  effet, il  fut  révoqué  au  mois 
de  juillet  suivant,  et  bientôt  après 
il  vil  son  nom  sur  la  fameuse  liste 
des  généraux  mis  en  disponibilité 
par  une  ordonnance  royale.  Il 
prit  sans  grande  peine,  ii  ce  qu'il 
paraît,  son  parti  des  loisirs  obscurs 
que  cette  mesure  lui  faisait.  Il  ne 
songea  pas  à  se  faire  nommer 
membre  de  la  Chambre,  où  brillè- 
rent IcsFoy  et  tant  de  ses  anciens 
compagnons  d'armes.  Il  est  presque 
superflu  de  dire  que  ni  complot  de 
Béfori,deSaumur  ou  de  la  Rochelle, 
ni  lenlalive  sur  Niort  et  Thouars, 
ne  le  compta  parmi  ses  affidés.  II 
sentait  à  merveille  que  la  poire 
n'était  pas  mûre;  et  même,  calcul  à 
part,  son  tempérament  ne  se  por- 
tail pasauxexirêmes.  Cette  altitude 
invariablement  inoffensive  n'em- 
pêcha pas  que,  bien  qu'il  fût 
loin  encore  de  ses  soixante  ans, 
le  gouvernement  de  Charles  X  ne 


VEG 


VEG 


243 


changea  sa  disponibilité  en  re- 
traite. On  peut  donc  tenir  pour  sûr 
qu'il  ne  porta  pas  plus  le  deuil  des 
Bourbons  après  juillet  1830,  qu'il 
n'avait,  en  1814,  versé  de  larmes 
sur  Napoléon.  Il  le  porta  d'autant 
moins  que  presqueaulendemain  des 
grandes  journées,  il  fut  compris 
dans  le  cadre  de  réserve  que  créa 
l'ordonnancedu  15  novembre  1830. 
Il  y  figura,  si  nous  ne  nous  trom- 
pons, jusqu'en  1841,  c'est-à-dire 
jusqu'à  sa  soixante-dixième  année 
exclusivement.  Il  lui  était  réservé 
de  voir,  après  la  chute  de  tant  de 
gouvernemenls,  celle  de  la  brunche 
cadette  aussi,  puis  après  tant  de 
résurrections,  celle  de  la  républi- 
que. Il  ne  mourut  qu'en  1848. 

Val.  p. 
VEGA  (Christophe  de},  médecin 
espagnol,  dont  le  nom  a  survécu 
tant  dans  l'histoire  politique  que 
dans  celle  des  sciences  médicales, 
avait  été  médecin  de  don  Carlos,  ce 
fils  de  Philippe  11  dont  la  fin  dé- 
plorable est  encore  voilée  de  nua- 
ges, et  il  fut  un  de  ceux  qui  mirent 
cette  mort  sur  le  compte  d'uue 
fièvre  chaude,  que  compliquaient 
souvent  du  moins  des  accès  de 
frénésie.  C'est  lui  sans  doute  aussi 
qui  l'avait  guéri  des  suites  de  la 
chute  qu'il  avait  faite  dans  l'escalier 
de  l'Escurial,  mais  qui  n'avait  guéri 
que  le  corps,  témoin  (s'il  faut  en 
croire  les  récits  vulgaires)  l'alTai- 
blissement  mental  qui  fut  toujours 
depuis  ce  temps  l'apanage  du  prince. 
Les  amateurs  de  chroniques  se- 
crètes et  de  mémoires  regretteront 
sans  doute  qu'il  ne  nous  ait  pas, 
transmis  sa  relation  de  la  mala- 
die et  de  la  mort  de  don  Carlos  : 
celle  relation  probablement  ne 
coïnciderait  pas  de  tout  point  avec 
celle  que  fit  courir  l'autorité  d'a- 
lors; el,  quelle  qu'elle   put  être, 


nous  serions  plus  sûrs  d'approcher 
de  la  vérité  sur  le  fond  et  sur  les 
détails  du  fait.  Quant  au  point  de 
vue  scientifique,  nous  nous  conten- 
terons de  remarquer  que,  profes- 
seur à  l'université  d'Alcala  de  Hé- 
narez,  il  est  regardé  comme  un  des 
restaurateurs  de  la  médecine  des 
Grecs.  Il  connaissait  à  fond  leurs 
usages,  dont  il  se  constitua  en  par- 
lie  le  commentateur,  et  peut-être 
est-on  fondé  à  lui  reprocher  de  les 
avoir  trop  fidèlement  suivis  et  d'a- 
voir trop  peu  donné  à  l'indépen- 
dance et  à  l'initiative  des  idées. 
C'est  du  moins  le  caractère  trop 
constant  de  ses  ouvrages,  qui  sont 
au  nombre  de  cinq,  savoir  :  I.  Com- 
mentaria  in  Hippocratis  Prognos- 
tica,  addilis  annotationibus  in  Ga- 
Uni  commentarios  ,  Salamanque , 
4552,  in-fol.;  Alcala  de  L.,  1553, 
in-8°;  Lyou,  1558,  in-8°;  Turin, 
1569,  in-S";  Venise,  1579,  in-S". 
11.  De  curalione  carulacurum.  Sala- 
manque, 1552,  in-fol.,  Alcala,  1553, 
in-8''.  m.  Commentaria  in  libros 
Galeni  de  difj'ereniiisfebrium,Xh:i\\'àt 
1553,  in-8°.  IV.  Depulsibiis  et  mh- 
nis,  Alcala,  1551,  in-8°.  V.  De  me- 
thodo  viedendi  libri  1res ,  Lyon , 
1565,  in-fol.,  Alcala,  1580,  in-fol. 
Un  autre  Vlga.  fleurit  de  même  au 
xv'  siècle,  fut  de  même  nanti  d'une 
chaire  de  médecine,  joignit  de  mê- 
me la  réputation  de  savant  à  celle 
de  praticien  expérimenté ,  com- 
menta de  même  Galien.  Mais  il  se 
nommait  Thomas -Kodrigne  de 
Yéga,  mais  natif  d  Kvera,  il  pro- 
fessa dans  Coimbre  (toujours  en 
Portugal),  mais  il  ne  laissa  rien  sur 
Uippocrate,  témoin  la  liste  suivante 
et  ce  nous  semble  complète  de  ses 
œuvres.  1.  Commentarios  inGalenum 
tomus  piimus^  in  quo  compltrsus  est 
interprétai ionem  Arlis  mcdicœ  et  li^ 
brorum  sex  de  locis  afleclis^  Anvers, 


2/j/» 


VFX 


1564,  in-fol.  II.  Covunentaniin  li- 
bros  duos  Galeni  de  dif  fcbhum, 
Coïrabre,  1577,  in-4^  III.  Practica 
viedica  :  acccdit  tractatus  de  fonta- 
iielUs  et  cauteriis.  Lisbonne,  1578, 
in-8°.  D.  V. 

VELLÈXE  (Joseph-Marie -Fré- 
déric), jeune  acteur  de  grande  es- 
pérance, mais  que  moissonna  la 
mort  avant  qu'il  eût  eu  le  temps 
d'inscrire  son  nom  sur  la  liste  des 
grands  artistes,  avait  débuté  le 
4  septembre  1765  à  la  Comédie- 
Française  (alors  à  TOdéon)  dans 
les  rôles  de  Darviane  et  dOlinde, 
appartenant  l'un  à  Mélanide,  l'au- 
tre à  Zénéide.  Il  avait  de  l'intelli- 
gence, du  feu;  seulement  son  or- 
gane était  un  peu  faible.  Son  suc- 
cès, sans  exciter  d'enivrement  et 
de  transport,  fut  assez  marqué, 
assez  sérieux  pour  que  la  petite 
république  dramatique  l'admit  en 
qualité  de  pensionnaire  pour  l'an- 
née suivante.  Loin  de  s'endormir 
sur  ces  premiers  succès,  il  poussa 
ses  études  avec  la  plus  louable  ac- 
tivité, il  gagna  sans  cesse  en  no- 
blesse, en  vigueur,  en  vérité,  en 
expression  dramatique,  il  créa  des 
rôles  (Waiter  Fursl  dans  Guillaume 
Tell  et  sir  Charles  dans  Eugène}^  il 
s'attacha  surtout  à  suivre  les  traces 
de  Mole.  Aussi,  pendant  une  lon- 
gue maladie  dont  fut  attaqué,  ce 
grand  maître,  est-ce  sur  Vellène 
que  se  portèrent  les  yeux  pour 
:»uppléer  à  son  absence.  Infatiga- 
ble en  même  temps  qu'éleclrisé 
par  l'idée  de  ne  pas  laisser  sentir 
au  public  le  vide  laissé  par  l'inimi- 
lable,  il  lit  vraiment  merveille,  il 
joua  presque  tous  les  rôles  du  ré- 
pertoire de  son  chef  d'emploi,  et  il 
eut  le  plaisir  d'entendre  de  vieux 
amateurs  affirmer  que  Mole  aurait 
à  peu  de  chose  près  un  successeur. 
La  prédiction,  oii le  voit  par  ce  que 


nous  avons  dû  plus  haut,  ne  devait 
pas  se  vérifier.  Toutefois,  la  Compa- 
gnie, appréciant  et  ses  progrès  et 
les  services  qu'il  était  en  mesure 
de  rendre,  lui  témoigna  sa  satisfac- 
tion en  l'admettant  lel"avril  1769 
au  nombre  de  ses  sociétaires.  Il 
avait  été  trois  ans  pensionnaire.  Il 
ne  jouit  pas  même  trois  mois,  pas 
même  trois  semaines  de  sa  nou- 
velle position.  Dès  le  20  avril  sui- 
vant, la  mort  le  surprenait  au 
Bourg-la-Reine.  L.  C. 

VENAILLE,  conventionnel,  un 
de  ceux  qui  ne  marchaient  que  for- 
mules et  sentences  à  la  bouche,  plai- 
dait avec  un  médiocre  succès  au 
bailliage  de  Romoranlin  quand  l'au- 
rore de  la  révolution  se  leva  sur 
la  France.  Il  fut  des  premiers 
à  saluer  ce  jour  nouveau;  et, 
comme  presque  tout  le  barreau,  il 
adopta  chaleureusement  les  princi- 
pes à  la  veille  de  triompher  :  il  ne 
tarda  même  pas  à  les  outrer.  Tou- 
tefois, il  faut  dire  qu'il  se  maintint 
dans  des  bornes  raisonnables,  tant 
qu'il  n'eut  h  s'acquitter  que  des  di- 
verses fonctions  municipales  dont 
le  revêtirent  ses  concitoyens,  car  ni 
pour  la  Constituante,  ni  pour  la  Lé- 
gislative il  n'avait  été,  il  n'aurait  pu 
être  question  de  lui.  Mais,  après  le 
10  août,  mais  quand  les  plus  ar- 
dents et  les  plus  résolument  logi- 
ques eurent  pris  le  dessus  et  se  mi- 
rent k  brûler  leurs  vaisseaux,  alors 
le  temps  vint  où  le 

...  Vacuis  tcdilis  ulubris, 

devint  le  législateur;  le  district  de 
Romorantin  l'envoyasiégerà  la  Con- 
vention. Une  s'y  fit  remarquer  que 
par  les  paroles  dont  il  accompagna 
son  vote  de  mort  dans  le  procès  de 
Louis  XVI.  Voici  la  substance  de 
ce  vote  :  «  Trois  questions  ont 
été  posées  :  —  sur  la  première, 


VEN 

juré,  je  déclare  Louis  coupable 
de  trahison ,  —  sur  la  seconie, 
juge,  j'applique  la  loi,  et  politi- 
que, je  prends  une  mesure  de  sù- 
'reté,  la  mort; —  sur  la  dernière, 
je  me  refuse  à  tout  sursis.  >;  Du 
reste,  au  milieu  des  luttes  à  mort 
qui  se  succédèrent  quand  la  tête 
de  Louis  XVI  fut  tombée  et  qui  ra- 
virent le  pouvoir  et  la  vie  aux  Gi- 
rondins d'abord,  aux  Cordeliers 
ensuite,  enfin  à  Robespierre  et  à 
ses  acolytes,  il  sulmanœurrer  avec 
assez  de  prudence  pour  n'être  ja- 
mais des  plus  avancés  et  jamais  des 
distancés,  de  telle  sorte  qu'il  es- 
quiva jusqu'au  bout  le  sort  fatal 
de  tant  de  ses  collègues.  La  Con- 
vention dissoute,  soit  qu'il  ne  se 
fût  pas  senti  à  l'aise  dans  les  crises 
au  milieu  desquelles  ont  à  se  dé- 
battre les  sommités  politiques,  soit 
que  les  électeurs  solognots  de  Loir- 
et-Cher  ne  lui  fussent  pas  suffisam- 
ment dévoués,  il  ne  quitta  plus 
Komorantin  et  son  district  et  se 
contenta  d'y  remplir  le  rôle  mo- 
deste de  commissaire  du  Directoire 
jusqu'à  la  révolution  du  18  bru- 
maire. Il  eût  volontiers  ensuite 
repris  son  existence  de  barreau, 
lors  de  l'organisation  nouvelle  qui 
se  produisit.  Mais  s'il  est  toujours 
facile  de  fermer  un  cabinet,  il  ne 
l'est  pas  autant  de  le  rouvrir  ou  du 
moins  de  l'emplir.  Sous  l'empire 
donc,  il  s'accommoda,  sans  autre 
souci  que  d'arriver  en  temps  et 
lieu  U  la  position  immédiatement 
supérieure,  des  fonctions  de  substi- 
tut au  tribunal  de  première  instance 
de  sa  ville  natale.  Ce  t('mj)s  ne  de- 
vait point  arriver  pour  lui  :  18 li 
ne  le  tiouva  que  substitut,  en  mê- 
me temps  que  membre  du  conseil 
d'arrondissement  de  Komorantin; 
et  sa  conduite  pendant  les  Ccnt- 
Jours  l'ayant  placé  dans  la  situation 


VEN 


2/i5 


fâcheuse  frappée  d'ostracisme  par 
la  loi  sur  les  régicides,  1816  le  vit 
contraint  de  s'expatrier.  La  Suisse, 
cette  collection  de  petites  républi- 
ques dont  le  point  de  départ  fut 
la  résistance  à  l'oppression  autri- 
chienne, fut  le  lieu  d'exil  qui  lui 
sourit.  Ils'ytrouvait  encore  neuf  ans 
après,  c'est-à-dire  en  1823.  L.  V. 
VEIVDEL  -  IIEYL  (  Louis -An- 
toine^ ,  dont,  abréviativement  et 
vicieusement  peut-être,  l'usage  a 
fait  Vandéle,  helléniste  de  mérite 
et  professeur  distingué,  naquit  à 
Paris,  en  1791,  mais  évidemment, 
ainsi  que  l'indique  son  nom,  était 
d'origine  hollandaise.  Deux  ou 
trois  volumes,  émanés  de  la  cé- 
lèbre école  hollandaise  de  Henster- 
huys,  Lennep  etScheid,  en  lui  tom- 
bant sous  la  main,  non -seule- 
ment lui  donnèrent  le  goût  de 
la  langue  grecque,  mais  firent  naî- 
tre en  lui  la  ferme  résolution  de 
l'apprendre  à  fond  et  de  suivre  en 
cette  étude  d'autres  voies  que  cel- 
les dont  s'était  contentée  l'uni- 
versité au  dix-huitième  siècle  :  il 
s'imposa  l'obligation  d'écrire  en 
grec,c'est-h-dire,  tout  euphémisme 
mis  de  côté,  qu'il  imagina  de  s'exer- 
cer au  thème  grec.  Naturellement, 
l'adolescent  pour  qui  semblable 
gymnastique  avait  des  charmes, 
ne  pouvait  manquer  d'avoir  du 
goût  pour  l'enseignement  public. 
Il  fut  admis,  en  1812  au  plus  tard, 
comme  répétiteur  h  l'école  Sainte- 
Karbe,  qui,  par  le  nombre  et  la 
force  des  études,  était  au  niveau  de 
bien  des  lycées?  Il  était  très-sympa- 
thiijue  à  ses  élèves;  et  par  l'affection 
que  leur  inspiraient  sa  parole  et  son 
zèle  pour  leurs  progrès,  non  moins 
que  i)ar  son  talent,  il  les  Dt  en  as- 
sez bon  nombre  participi-r  à  ses 
prédilections;  il  les  vit  mordre  au 
thème  grec  :  il  fut  ainsi  de  ceux 


266 


VEN 


VEN 


qui  rallumèrent  le  feu  sacré,  qui 
contribuèrent  à  ressusciter  l'étude 
de  cette  langued'Homère  et  de  Pé- 
riclès  si  délaissée  naguère.  D'au- 
tres vinrent,  quelques  années  après 
lui,  qui,  mieux  placés,  qui,  par- 
lantde  plus  haut,  firent  faire  large 
place  sur  toute  la  ligne  universi- 
taire au  thème  grec. Qu'on  lesloue, 
ou  qu'on  les  blâme,  qu'on  les  pré- 
conise, ou  qu'on  les  honnisse  (car 
l'un  et  l'autre  est  possible ,  l'un  et 
l'autre  s'est  fait),  toujours  est-il 
qu'à  Vendel-Heyl  appartient  l'ini- 
tiative de  ce  moyen  de  se  familia- 
riser avec  les  ressources  et  la 
beauté  de  l'idiome  proprement  dit 
classique  par  excellence.  L'uni- 
versité ne  tarda  pas  à  s'approprier 
Vendel-Heyl.  En  1816,  iifutenvoyé 
au  collège  royal  d'Orléans,  et  il  y 
resta  trois  ou  quatre  ans.  Sa  soli- 
dité d'instruction,  sa  clarté  de  pa- 
role n'y  furent  pas  moins  appré- 
ciées qui\  Sainte-Barbe.  Il  fut  re- 
connu par  ses  supérieurs  que  sa 
place  vériiable  était  la  Paris.  La 
création  du  collège  Saint- Louis 
ayant  eu  lieu  sur  l'entrefaite,  de 
douze  à  quinze  chaires  se  trouvè- 
rent à  donner;  il  en  eut  une,  la 
quatrième  d'abord,  plus  tard  la 
troisième  et  quelque  temps  la  se- 
conde. Personne  ne  nous  deman- 
dera de  retracer  ici  les  phases  de 
cette  vie  d'enseignement  à  Saint- 
Louis.  Deux  remarques  seulement 
présenteront  peut  -  être  quelque 
intérêt.  L'une,  c'est  que  Vendel- 
Heyl,  dans  sa  chaire,  ne  fut  pas 
exclusivement  un  héros  de  grec, 
c'était  aussi  un  homme  de  goût,  et 
les  traits,  soit  historiques,  soit  ar- 
chéologiques, dont  il  émaillait  ses 
leçons  étaient  pour  beaucoup  dans 
Kattr^il  auquel  près  de  lui  se  lais- 
sait aller  son  jeune  auditoire;  l'au- 
tre c'est  qu'il  ne  fut  pas  agrégé 


titulaire  avant  l'adoption  de  ce 
mode  de  recensement  auquel  l'u 
uiversité  nouvelle  doit  tant; 
était  tout  naturellement  dispensé 
de  l'épreuve.  La  commotion  intel- 
lectuelle à  laquelle  donnèrent  lieu 
les  suites  de  juillet  1830,  dérangea 
cette  existence  si  paisible.  Beau- 
frère  de  Boblet,  le  libraire  des 
saint  -  simoniens  ,  non-seulement 
Vendel-Heyl  s'était  pénétré  des 
idées  du  saint-simonisme,  mais  en- 
core quand,  après  la  secousse  des 
grandes  journées  ,  ses  disciples, 
qui  jusque-là  n'avaient  été  que  de 
libres  penseurs  isolés  et  pacifiques, 
ne  sortant  de  leur  cabinetque  pour 
méditer  entre  frères,  crurent  le  mo- 
ment venu  de  se  mettre  à  l'action 
et  de  déployer  un  drapeau  mis- 
sionnaire un  peu  trop  ardent,  il 
crut  pouvoir  et  devoir  en  sa  chaire 
môme  proférer  des  maximes,  déve- 
lopper des  points  de  vue,  qui  pré- 
pareraient les  jeunes  esprits  confiés 
4  heures  par  jour  à  sa  tutelle  à  de- 
venir un  jour  les  adeptes  de  la  doc- 
trine naissante.  Ces  inopportunes 
excursions  hors  du  strict  domaine 
des  langues  anciennes  élaientassez 
du  goût  des  écouiants,  ne  fût-ce 
qu'i^  titre  de  hors-d' œuvre  et  d'en- 
torses à  la  monotonie;  et,  soit  ma- 
lice, soit  vénération  pour  un  pro- 
fesseur qu'on  aimait,  ou  commen- 
cement de  foi,  il  en  fut  beaucoup, 
il  en  fut  trop  parlé  hors  de  classe. 
Mais  ces  excursions  alarmèrent 
singulièrement,  et  non  sans  cause, 
il  faut  l'avouer,  proviseur  et  cen- 
seur. Il  en  fut  référé  au  minis- 
tre. Grand  scandale  :  admones- 
tation ,  récidives,  petites  intrigues 
épisodiques,  huile  sur  le  feu,  et 
finalement  incompatibilité  décla- 
rée, et  démission  de  rhellénisle, 
qui  n'avait  pas  d'autre  voie  pour 
échapper  à  la  révocation.  On  peut 


VEN 


VE\ 


2/i7 


regretter  que  l'autorité  n'ait  pas 
su  trouver  un  biais  pour  n'aller,  à 
l'égard  de  Vendei-Heyi,  que  jus- 
qu'à la  mise  en  disponibilité,  ou 
pour  lui  créer  une  disponibilité 
tolérable.  Les  mesures  prises  à  son 
égard  eurent  pour  résultat  d'enle- 
ver à  l'université  de  France  un  de 
ses  plus  honorables  membres,  un 
de  ceux  qui  pouvaient  encore  lui 
rendre  le  plus  de  services.  Accé- 
dant h.  des  propositions  liées  à  des 
idées  d'enseignement  plus  origi- 
nales, plus  sages  et  plus  fécondes 
que  celles  auxquelles  jusqu'ici 
s'est  enchaîné  l'Etat,  il  s'embar- 
qua, en  <839,  en  qualité  de  profes- 
seur particulier  d'histoii-e,  à  bord 
du  vaisseau  Y  Oriental,  qui  partait 
de  Nantes  comme  allège  flottant, 
pour  faire  le  tour  du  monde.  Nous 
ne  pouvons  dire  s'il  l'acheva.  Ce 
que  nous  savons,  c'est  qu'il  traversa 
l'Atlantique,  c'est  qu'il  vint  dou- 
bler heureusement  le  cap  florn,  et 
qu'il  débarqua  au  Chili,  soit  avant, 
soit  après  toute  la  traversée  ac- 
complie :  il  est  à  parier  que  ce 
fut  avant.  Il  est  certain  aussi  qu'au 
Chili  les  recommandations  dont  il 
se  trouvait  porteur,  ou  dont  il  fut 
l'objet  sur  place,  décidèrent  sur-le- 
champ  le  gouvernement  à  l'atta- 
cher k  ses  établissements  d'ins- 
truction publique.  Il  fut  pourvu 
d'une  chaire  à  Valparaiso,  sa  capi- 
tale. Est-ce  aux  antiquités  et  îi 
l'histoire  ,  est-ce  au  grec  qu'il  dut 
initier  les  jeunes  Chiliens?  On  n'a 
pu  nous  satisfaire  \\  cet  égard  ,  et 
nous  laissons  la  réponse  à  l'appré- 
ciation de  nos  lecteurs,  qui,  pro- 
blablemcnt,  apprécieroîit  de  môme 
que  nous.  Mais  l'on  nous  a  cerlilié 
que  sa  position  lui  rapportait  au 
moins  de  six  à  huit  mille  francs 
vers  1853.  Vendel  Iloyl  \\&  devait 
pas  revoir  sa  pairie  :  ses  os  repo- 


sent à  Valparaiso,  où  11  s'éteignit 
très-peu  d'années,  nous  dit-on, 
après  avoir  reçu  les  nouvelles  de  la 
dernière  collision  de  Nicolas  avec 
la  Turquie,  c'est-à-dire  évidemment 
de  18o3  à  1856.—  Vendel-Heyl  a- 
t-il  fourni  quelque  lustre  de  litté- 
rature ou  d'enseignement  à  la  presse 
américaine  ?  Nous  avouons  l'igno- 
rer, comme  tant  d'autres  particu- 
larités de  sa  vie  sur  lesquelles  nous 
avons  dû  confesser  notre  indigence 
de  documents.  Mais  en  France  il  a 
beaucoup  produit,  dans  une  seule 
spécialité,  il  est  vrai,  dans  celle 
qu'il  possédait  si  bien.  Le  plus 
gros  ouvrage  auquel  il  ait  mis  son 
nom,  c'est  la  révision  du  diction- 
naire de  Planche,  intitulé  •  Dic- 
tionnaire grec  -  français  ,  nouvelle 
édition,  sur  un  plan  entièrement  nou- 
veau, augmenté  de  plus  de  quinze 
mille  notes,  d'après  les  travaux  de 
la  critique  moderne,  et  formant  un 
dictionnaire  complet  de  la  langue 
grecque,  par  L.-A.  Vendel-Heyl  et 
Alexandre  Pillon.  Paris,  1836,  in- 
8°.  Toutefois,  comme  il  est  un  fait 
que  la  presquetotalité  des  additions 
et  des  réformes  est  due  au  collabo- 
rateur, et  que  l'idée  de  la  refonte 
provint  du  libraire,  dont  le  Plan- 
che était  la  propriété,  propriété 
bien  singulièrement  démonéti- 
sée depuis  qu'un  rival  avait  pris 
le  haut  du  pavé,  nous  ne  pou- 
vons on  réalité  coter  très-haut 
l^s  mérites  de  Vendel-Heyl  quant 
a  cette  publication.  A  coup 
sûr,  il  avait  tout  ce  qu'il  fallait  et 
de  science  préalable  et  de  vigueur 
laborieuse  pour  mener  sa  lâche  h 
lin,  eût-il  été  seul;  mais  on  ne  lui 
demandait  que  son  nom,  ou  tout 
au  plus  et  pour  la  forme,  quehiucs 
j)ages  et  quelques  conseils  avec  son 
nom...;  il  trouva  doux  de  n'en  faire 
pas  plus  qu'on   n'en  demandait;  il 


2hS 


VEN 


VEN 


pratiqua  l'aphorisme  du  prince  de 
Bénévent:«Pas  de  zèle!  »  et  il  fut 
payé,  c'est  simple,  en  raison  in- 
verse du  carré  de   la  besogne  ac- 
complie. Nous  ne  nous  en  éton- 
nons ni  ne  nous  exclamons;  mais, 
biographe,  et  en  celte  qualité  jus- 
ticier sincère,  nous  devions  signa- 
ler le  fait  :  la  capacité,  nous  la  re- 
connaissons,  même   dans   les  cas 
d'inertie  et  d'apathie;  mais  «  à  cha- 
que capacité  selon  ses  œuvres.  » 
La  révision  du  Planche  ainsi  biffée 
du   nombre  des  vrais  travaux  de 
Vendel-IIeyl,    l'ouvrage   qui   reste 
réellement  son  titre  d'honneur  et 
le  livre  caractéristique  de  l'aptitude 
qui  le  recommande  à  la  mémoire 
des   hommes   de    l'enseignement, 
c'est  un  Cours  de  thèmes  grecs  en 
deux  parties  qui  parurent  successi- 
vement et  qui  chacune  eurent  plu- 
sieurs éditions  :  la  première  partie 
surtout,  comme  la  plus  facile,  en 
comptait   déjà  cinq  dès   1830;  la 
seconde  en  avait  trois  en  1831.  Ce 
n'est  cependant   ni  la   mieux  tra- 
vaillée  ni  la   mieux  réussie.  Mais 
c'est  celle  qui  embrasse  et  la  syn- 
taxe et  les  idiotismes:  actuellement 
on  ne  l'aborde  que  la  dernière  et 
beaucoup  même  ne  l'abordent  pas 
du  tout.  Les  deux  parties,  du  reste, 
présentent  au  plus  haut  degré  ce 
dont  les  élèves  ont  le  plus  besoin, 
une   gradation  parfaite   de  toutes 
les  difficultés  à  vaincre  et  un  choix 
appétissant   de    phrases   typiques, 
de  sentences  et  d'anecdotes,  débar- 
rassé  de   la   vieille  rouille  et  des 
inélégances  dont  étaient  hérissés  les 
manuels  ii  thème  latin  de  l'ancien 
régime.  En  tête,  du  cours  de  Van- 
del-IIeyl  était  un  Abrégé  de  gram- 
maire grecque  qui,  même  après  Bur- 
nouf,  avait  sa  raison  d'être,  sinon 
pour  la  lexicologie,  du  moins  pour 
la  syntaxe;  ce  que  nous  n'oserions 


pas  affirmer  de  tant  d'autres  qui 
comme  lui  tentèrent  de  refaire  l'œu- 
vre grammaticale  de  celui  qui  di- 
sait :  «  Nous  savons  mieux  le  latin, 
le  grec,  depuis  que  nous  savons 
le  sanscrit,  »  sans  avoir  pris  au 
préalable  la  précaution  d'apprendre 
ce  que  le  traducteur  de  Tacite  sa- 
vait à  l'époque  où  il  s'exprimait 
en  ces  termes  et  ne  savait  pas  lors- 
qu'il commençait  à  supplanter  les 
élucubrations  de  Furgault  et  de  Gail. 
Vendel-Heyl  fut,  tant  qu'elle  dura, 
une  des  colonnes  de  la  Bibliothèque 
grecque-latine- française  que  com- 
mença, mais  que  n'acheva  pas  la 
maison  Poilleux,  et  dont  la  spé- 
cialité consistait  à  présenter  réunis 
en  un  même  volume  texte  original 
et  traduction  française  sur  la  page 
de  gauche,  traduction  interlinéaire 
sur  celle  de  droite,  le  tout  suivi  de 
quelques  notes  indispensables.  Une 
concurrence  surgit,  qui,  moyennant 
une  modification  insignifiante,  s'em- 
para de  l'idée  mère;  et  les  gros  ca- 
pitaux écrasèrent  les  petits.  Des 
vingt  et  quelques  volumes  que  com- 
prend la  collection,  douze  sont  de 
Vendel-IIeyl,  savoir  :  deux  latins 
(le  Cornélius  Nepos)  et  dix  grecs, 
lesquels  exhibent  chacun  une  tra- 
gédie. Eschyle  ii  lui  seul  en  emplit 
sept,  il  est  complet  ;  les  deux  au- 
tres grands  tragiques  sont  repré- 
sentés, l'un  par  le  Philoctète  et  l'E- 
lectre ,  l'autre  par  Viphigénie  en 
Aulide.  U Eschyle  (1834-1836)  nous 
offre  ceci  de  particulier  qu'il  porte 
à  sa  suite  un  petit  lexique  des  mois 
jusqu'ù  ce  temps  inexpliqués  qu'on 
rencontre  dans  cet  auteur.  Tout 
mince  qu'il  est,  cet  appendice  est 
important;  il  tient  lieu  de  longues 
notes  ou  les  abrège;  il  était  néces- 
saire. Quant  J»  la  traduction,  comme 
sens  elle  est  fidèle;  mais  ce  n'est  pas 
Vendel-IIeyl  qui  pouvait  rendre  la 


YEN/ 

sombre  énergie,  le  mouvement  et 
la  couleur  du  vieux  brave  de  Ma- 
rathon. Il  est  plusk  la  hauteur  avec 
ses  deux  rivaux.  Nous  indiquerons 
encore  deux  livresque  recommande 
le  nom  de  Vendel-Heyl.  L'un  est  le 
Conciones  grec,  annoté  pour  le  bac- 
calauréat es  lettres,  avec  traduction 
très-littérale  en  regard  du  texte^  Pa- 
ris, 1836-1839,  13  livraisons  grand 
in-18.  L'autre  est  un  Narrationes 
dont  voici  le  titre,  non  tout  au  long, 
maisdans  ce  qu'il  a  d'essentiel  :  Nar- 
rations choisies  des  meilleurs  auteurs 
latins ,  Valèrc- Maxime,  A  ulurGelle. . . , 
Velleius  Pater culus...,  Suétone^  Ta- 
cite, précédées  de  sommaires  et  ac- 
compagnées d'analyses,  Paris,  1833, 
in-12;  ou,  avec  traduction  française, 
2  V.  in-12,  même  année.  Nous 
laissons  de  côté  nombre  d'opuscu- 
les encore,  mais  qui  présentent  de 
plus  en  plus  le  caractère  non-seu- 
lement scolaire,  mais  élémentaire 
et  compilatoire,  ii  plus  forte  rai- 
son quelques  bagatelles  ou  feuilles 
volantes,  telles  que  son  discours 
sur  la  tombe  de  Ch.  Boblet,  son 
beau-frère,  le  20  mai  1832,  etc.,  etc. 
Val.  p. 
VENERI  (Augcstin),  savant  bé- 
nédictin du  seizième  siècle.  Hélait 
Napolitain,  embrassa  la  vie  reli- 
gieuse et  fit  profession  en  l'abbaye 
de  Cava  ou  Cave,  le  12  septembre 
1595.  11  s'était  livré  surtout  à  l'é- 
lude de  l'anliquilé,  et  y  avait  ac- 
quis des  connaissances  fort  éten- 
dues. Cet  érudil  était  aussi  un  écri- 
vain laborieux,  et  il  a  laissé  un 
grand  nombre  d'ouvrages,  dont  je 
ne  puis,  malheureusement,  qu'in- 
diquer le  sujet  sans  en  donner  les 
litres.  Lel*''  est  un  recueil  des  pri- 
Tiléges  de  son  abbaye  de  Cave,  en 
cinq  volumes  in-folio.  II.  Mémoi- 
res sur  plusieurs  familles  du  royau- 
me de  Naplcs,  3  vol.  111.  Histoire 


V^ 


2/t9 


des  villes  et  provinces  d'Italie,  de 
ses  peuples  et  de  ses  rois.  IV.  Un 
petit  livre  des  donations  faites  à 
l'abbaye  de  Cave  par  les  princes 
dB  Salerne,  et  du  droit  de  patro- 
nage qu'elle  a  sur  plusieurs  Eglises, 
avec  l'histoire  de  leur  fondation. 
Tous  ces  ouvrages  sont  en  latin. 
Dans  la  troisième  partie  de  son 
Historia  rei  litterariœ  ordinis  S.  Be- 
nedicti  {pars  biographica),  Longi- 
pont  n'a  point  consacré  d'article 
spécial  à  Veneri.  Il  le  nomme  seu- 
lement dans  sa  liste  supplémen- 
taire, page  549,  et  renvoie  à  Marian 
Armelin.  Ce  dernier  (voy.  ce  nom, 
tome  II,  p.  479  )  a  effectivement 
parlé  de  notre  religieux  dans  sa 
Bibliotheca  Benedictino-Cassinensis, 
sive  scriptorum  Cassinensis  congre- 
gationis,  alias  sanctœJustinœ  Pata- 
vinœ,  qui  m  ed  adhuc  usquè  tempora 
floruerunt,  operum  ac  gestorum  no- 
titiœ,  imprimée  à  Assise,  dans  le 
format  in-folio;  mais  cet  ouvrage 
est  rare  en  France.  Veneri  était  de 
cette  congrégation  de  Sainte-Justine 
de  Padoue.  Ce  religieux,  qui  jouis- 
sait d'une  grande  estime,  mourut 
en  1638.  B.-d.-e. 

VENTURA  (JoACHiM)  naquit  à 
Palerme,  en  Sicile,  le  8  décembre 
1792,  de  don  Gaud  Ventura,  baron 
de  Raulica,  et  de  dona  Catherine 
Galinelli. Douéd'une grande  facilité 
et  d'une  vive  intelligence,  il  com- 
mença SQS  études  de  très-bonne 
heure,  et  il  les  termina  à  l'âge  de 
quinze  ans.  Elevé  chrétiennement, 
il  résolut  dès  lors  de  renoncer  au 
monde,  et  il  entra  dans  la  compa'- 
gnie  de  Jésus,  qu'un  bref  de  Pie  VII 
avait  rétablie  pour  le  royaume  de 
Naples  seuleme^il.  Une  no^e  sur 
Ventura  a  dit  qu'il  ejitra  chez  les 
jésuites  par  déférence  pour  le  dé- 
sir de  sa  mère.  Cette  obscnalion, 
qui  parait  avoir  été  faite  sous  son 


250 


VEN 


influence,  a  peut-être  sa  portée; 
quelques  circonstances  de  sa  vie 
pourront  engager  le  lecteur  k  pen- 
ser dans  quel  esprit  elle  a  été  faite. 
Quoi  qu'il  en  soit,  Ventura,  après 
être  entré  chez  les  jésuites  de  Pa- 
lerme,  s'y  attira  la  considération 
de  ses  supérieurs,  qui  lui  confiè- 
rent aussitôt  la  chaire  de  rhétori- 
que. Les  révolutions  qui  amenè- 
rent le  règne  passager  de  Murât, 
bouleversèrent  le  royaume  de  Na- 
ples  tout  entier;  la  maison  des  jé- 
suites fut  fermée.  Ventura,  qui  avait 
goûté  le  bonheur  de  la  vie  reli- 
gieuse, et  gardé  toute  sa  candeur, 
ne  voulut  pas  res'er  dans  le  monde, 
et  entra  dans  l'ordre  des  théatins. 
Il  ne  pouvait  choisir  un  institut 
qui  fût  plus  conforme  à  celui  qui 
venait  d'être  éprouvé  de  nouveau. 
Ventura  n'était  pas  encore  prêtre, 
mais  il  fut  ordonné  après  son  en- 
gagement chez  les  théatins,  et  se 
livra  à  la  prédication  avec  un  suc- 
cès remarquable.  L'ordre  auquel  il 
venait  de  s'attacher  était  comme 
tous  les  autres,  même  en  Italie, 
dans  une  sorte  de  nouvelle  création 
et  avait  plusieurs  difficultés  à  vain- 
cre. Ventura  y  fut  bientôt  remar- 
qué comme  un  sujet  distingué,  et 
on  lui  donna  les  fonctions  impor- 
tantes de  secrétaire  général.  Apte 
à  la  composition  comme  au  minis- 
tère de  la  chaire,  il  se  donna  donc 
aussi  aux  travaux  du  cabinet,  et  se 
fit  bientôt  connaître  du  public  par 
des  ouvrages  utiles.  Le  premier  qui 
sortit  de  SI  plume  fut  un  plaidoyer 
en  faveur  de  son  ordre  et  mr^mede 
tous  les  instituts  religieux,  car  il 
parlait  pour  tous  dans  La  Causa  dei 
liefjolari  al  tribunnle  del  bon  senso. 
Dès  lors  il  fut  remarqué  dans  le 
monde  savant  comme  publiciste  et 
comme  orateur.  On  publiait  à  Na- 
ples  une  Encyclopédie  rccléniasli- 


VEN 

que,  dont  les  feuilles  religieuses  en 
France  parlèrent  avec  éloge  ;  le  P.'' 
Ventura  en  était  l'âme,  ou  du  moins 
un  des  plus  actifs  collaborateurs. 
Il  fut  nommé  censeur  de  la  presse 
et  membre  du  conseil  royal  de  l'in- 
struction publique  du  royaume  de 
Naples,  malgré  la  loi  qui  défendait 
aux  Siciliens  d'exercer  de  telles 
fonctions  hors  de  la  Sicile.  Quoi- 
que son  caractère  et  ses  fonctions 
semblassent  le  livrer  uniquement 
par  goût  et  par  devoir  aux  travaux 
de  l'administration  et  aux  compo- 
sitions purement  littéraires,  il  était 
pourtant  entraîné  aux  méditations 
plus  sérieuses  des  sciences  et  de  la 
métaphysique,  et  il  compta  bien- 
tôt parmi  les  philosophes  religieux 
les  plus  distingués  de  l'époque.  A 
la  paix  continentale  (1814),  la  res- 
tauration, en  France  et  ailleurs, 
amena  une  sorte  de  révolution  dans 
les  idées  et  même  dans  les  esprits. 
Bientôt  quelques  hommes  parurent 
dominer  par  la  puissance  de  leur 
intelligence.  Entre  ces  hommes  on 
doit  en  citer  un,  tombé  aujourd'hui 
dans  l'oubli,  mais  qui,  alors,  non- 
seulement  en  France,  mais  aussi 
dans  toute  l'Europe,  semblait  voir 
l'admiration  extasiée  devant  son 
génie.  En  faisant  la  part  de  l'exa- 
gération, on  peut  convenir  que 
cette  admiration  lui  créa  une  sorte 
de  culte,  et  bientôt  lui  procura 
des  disciples.  Ce  n'était  pas  d'abord 
une  école  ;  on  ne  voyait  on  cette 
plume,  à  la  fois  énergique  et  élo- 
quente, qu'un  instrument  dont  se 
servait  la  Providence  pour  signaler 
et  réveiller  l'indifTérence  qui  s'en- 
dormait sur  les  intérêts  les  plus  sa- 
crés de  l'individu  et  de  la  société 
tout  entière.  Quand  bientôt  le 
philosophe  prit  la  place  de  l'apôtre , 
il  fut  suivi  pardesjeunes  gfns  d'é- 
lite, âmes  ardentes,  qui,  ne  cher-™ 


VEN 


VEN 


251 


chant  que  Dieu  et  la  vérité,  ne  pou- 
vaient croire  qu'on  s'égarât  en 
écoutant  une  voix  qui  avait  éclaté 
si  haut  pour  l'un  et  l'autre.  On  peut 
le  dire  assurément ,  un  nombre 
considérable  des  partisans  du  sys- 
tème philosophique  de  l'abbé  de 
La  Mennais  n'adopta  ce  système 
que  par  enthousiasme.  Il  était 
comme  nécessaire  que  le  P.  Ven- 
tura partageât  cet  enthousiasme, 
qui  était  dans  sa  nature  et  dans  ses 
dispositions  d'esprit.  C'était  d'ail- 
leurs alors  une  satisfaction  pour 
l'amour-propre  que  de  se  dire  ou 
être  dit  disciple  de  l'abbé  de  La 
Mennais.  Ventura  avait  assurément 
des  connaissances  plus  variées  , 
plus  de  science  que  La  Mennais, 
mais  il  ne  rougissait  pas  alors  de 
suivre  un  horame  qui  avait  une  ré- 
putation si  brillante.il  devint  donc 
un  des  adeptes  du  nouveau  maître; 
on  ne  l'ignora  point  en  France  et 
on  lai  en  sut  gré.  Ventura,  philo- 
sophedistingué  lui-même, adopta-t-il 
le  témoignage  de  l'autorité  générale 
comme  uniqie  base  des  preuves  de 
la  vérité?  Je  ne  l'assure  pas,  mais 
il  n'est  peut-être  pas  opportun  de 
l'examiner  ici.  Cependant  il  esti- 
mait cette  preuve  k  la  haute  valeur 
qu'elle  a  en  effet,  sans  peut-être  la 
regarder  comme  crilcrium  exclusif. 
Ardent  propagateur  de  celte  nou- 
velle philosophie  éclose  en  France, 
et  qu'il  qualifiait  de  philosophie 
catholique,  il  contribua  largement 
à  l'importer  en  Italie,  et  il  encou- 
ragea la  traduction  de  V Essai  sur 
L'indifférence  en  matière  de  religion. 
Dominé  par  les  dispositions  que 
je  viens  de  signaler  ,  il  était 
également  rempli  d'admiration 
pour  des  hommes  tels  que  M.  de 
Bonald,  Joseph  de  Maisire  ,  etc.  Il 
traduisit  en  italien  l'ouvrage  de  ce 
dernier,   intitulé  :  Du  Pape,  et   le 


livre  si  profond  du  premier  sur  la 
Législation  primitive.  Il  était  par- 
venu aux  fonctions  de  procureur 
général  de  son  ordre,  qui  condui- 
saient ordinairement  à  la  première 
dignité.  Le  pape  avait  voulu,  dit-on, 
lui  confier  la  direction  du  Journal 
ecclésiastique  de  Rome.  Il  consenlit 
seulement  à  être  collaborateur  de 
cette  excellente  feuille,  à  laquelle 
il  ne  donna  ,  a-t-on  écrit,  que 
quelques  articles  sur  l'action  civili- 
satrice de  la  France.  Cette  petite 
remarque  restrictive,  écrite  dans 
notre  pays,  et  à  laquelle  il  n'était 
peut-être  pas  étranger,  n'est  point 
juste.  Ventura  donna  au  Journal 
ecclésiastique  d'autres  matériaux, 
entre  autres,  en  1825,  un  article 
fort  remarquable  sur  la  disposition 
actuelle  des  esprits  en  Europe  par 
rapport  à  la  religion.  Ce  titre  mon- 
tre la  relation  du  sujet  avec  celui 
que  traitait  un  ouvrage  si  célèbre 
'i  son  apparition.  Cet  article  parut 
aussi  en  divers  recueils,  fut  tiré  à 
part,  et  révélait  dans  son  auteur 
un  rare  esprit  d'observation.  Après 
la  mort  de  Pie  VII,  le  P.  Ventura 
prononça  son  é!oge  funèbre;  mis- 
sion fort  honorable  ,  mais  tâche 
fort  difficile,  puisqu'il  fallait  une 
hauteur  de  vue  bien  remarquable 
pour  envisager  sans  prévention  les 
positions  délicates  où  ce  pape  s'é- 
tait trouvé.  Ventura  réussit  en  ha- 
bile orateur  et  en  sage  publiciste, 
puisqu'il  parla  au  goût  de  tout  le 
monde;  ce  qu'on  peut  conclure  des 
éditions  de  son  discours,  qui  se 
montèrent  à  vingt  et  peut-être  da- 
vantage. Il  y  a  des  passages  qui 
m'ont  paru  d'une  grande  énergie. 
Léon  XII  le  nomma  à  la  chaire  de 
droit  public  ecclésiastique  dans 
l'archi-gymnase  romain  ,  et  par 
une  distinction  ou  exception  inli- 
niment  honorable,  due  aux  écrits 


262 


VEN' 


VEN 


que  le  savant  religieux  avait  déjà 
publiés,  il  le  dispensa  de  la  loi  du 
concours.  On  lui  confia,  en  outre, 
une  mission  habituelle  et  très-ho- 
norable, en  le  nommant  membre 
d'une  commission  de  censure  avec 
Orioli  et  le  capucin  Micara ,  tous 
deux  devenus  ensuite  cardinaux,' 
et  avec  le  camaldule  Maure  Capel- 
Jari,  qui  fut  plus  lard  le  pape  Gré- 
goire XVI.  Ventura  fut,  après  cela, 
SLumônierde  l'Université.  Il  se  dé- 
mit du  professorat,  amené,  dit-on, 
à  cette  mesure  par  d'odieuses  ac- 
cusations. En  quoi  consistaient  ces 
accusations,  si  elles  ont  existé,  et 
en  quoi  étaient-elles  odieuses?  Je 
l'ignore.  N'était-ce  pas  déjà  le  fruit 
de  quelques  préventions  contre  lui 
à  cause  de  son  affection  marquée 
pour  le  parti  mennaisien  qui  com- 
mençait à  vouloir  tout  soumet- 
tre à  sa  direction?  Ventura  a 
passé  pour  un  des  rédacteurs  du 
Mémorial  catholique  ;  je  n'en  pour- 
rais donner  aucune  preuve;  mais  ce 
journal  était  l'organe  savant  de  la 
nouvelle  école,  et  Ventura  avait  la 
satisfaction  de  s'y  voir  exalté.  11 
donnait  aussi  déjk  prise  k  la  criti- 
que par  des  formes  singulières 
dans  ses  écrits.  Lorsqu'il  publia  le 
premier  volume  de  l'ouvrage  inti- 
tulé :  De  methodo  philosophandi,  il 
le  dédia  à  Chateaubriand,  dont  il 
latinisait  le  nom  en  l'appelant 
le  vicomte  Caslribriantii^  et  lui  di- 
sait naïvement  que  c'était  lui  qui 
avait  relevé  dans  sa  nation^  par  ses 
écrits,  la  religion  abattue ,  et  qu'il 
travaillait^  par  ses  efforts  politiques^ 
à  la  faire  fleurir  de  plus  en  plus. 
Chateaubriand,  qui  se  donnait  vo- 
lontiers ce  témoignage  k  lui-même, 
n'aura  rien  trouvé  d'hyperbolique 
dans  le  compliment  du  P.  Ventura. 
Si  le  P.  Ventura  perdit  sa  chaire 
au  collège  de  la  Sapience,  il  ne 


perdit  pas  la  considération  dont  il 
jouissait  k  Rome;  on  dit  même 
que  deux  cardinaux  allèrent  chez 
lui  pour  le  détourner  de  se  démet- 
tre ;  on  a  ajouté  que  le  pape,  n'ayant 
pu  vaincre  sa  résistance,  voulut  du 
moins  que  le  mot  spontané  fût  mis 
dans  la  dépêche, etqueVentura  jouît 
k  titre  de  pension  de  la  moitié  de  ses 
appointements.  Il  venait  d'être  nom- 
mé consulteur  (1828)  de  la  congré- 
gation des  Rits  quand  il  publia  le 
cours  de  philosophie  dont  je  viens 
déparier.  Le  souverain  pontife  lui 
confia  des  commissions  politiques  : 
il  réconcilia  avec  le  saint-siége 
Chateaubriand ,  ambassadeur  de 
France,  dont  les  imprudences  ou 
les  prétentions  avaient  mécontenté 
le  saint-père  ,  qui  ne  voulait  plus 
le  voir.  Ce  fut  j)ar  son  influence 
que  fut  conclu  le  concordat  de 
Rome  avec  le  duc  de  Modène ,  et 
même,  k  la  prière  de  celui-ci,  il 
fut  question  de  promouvoir  k  l'épis- 
copat  le  P.  Ventura,  mais  Léon  XII 
voulut  le  garder  près  de  lui.  Dans 
le  corps  religieux  auquel  il  avait  le 
bonheur  d'appartenir,  il  jouissait 
toujours  de  la  même  considéra- 
lion,  et  les  théatins  l'élurent  à 
l'unanimité  général  de  l'ordre,  le 
25  février  1830,  dans  la  session  du 
chapitre  général  qui  eut  lieu  alors 
sous  la  présidence  du  cardinal 
Albani,  secrétaire  d'Etat.  Il  s'occu- 
pait toujours  k  des  compositions 
sérieuses  qui  le  faisaient  placer, 
depuis  longtemps  déjk, au  rang  des 
plus  remarquables  écrivains  de 
son  siècle,  et  il  faisait  un  cas  spé- 
cial lui-même  de  ceux  dont  la 
France  avait  droit  de  s'enorgueillir. 
Il  l'avouait,  et  il  le  prouvait  d'ail*- 
leurs  par  sesœuvres.  Ainsi  le  traité 
De  jure  ecclesiastico,  qu'il  avait 
édité  à  Rome  en  1826,  n'était  pas 
strictement  un  manuel  de  droit  ec- 


VEN 


VEM 


253 


clésiastique ,  mais  on  pouvait  y 
voir  aussi  un  manuel  de  philoso- 
phie religieuse  ,  car  il  y  avait  réuni 
et  classé  en  ordre  les  doctrines  de 
De  Maistre,  de  Bonald ,  de  l'ahbé 
ilobert  de  La  Mennais,  de  Haller, 
de  Saint-Victor.  Les  discussions 
philosophiques  avaient,  en  effet, 
un  attrait  particulier  pour  lui  et  il 
était  un  des  panégyristes  et  même 
un  des  apôtres  de  ce  qu'on  appe- 
lait, ou  plutôt  qu'ils  appelaient 
la  philosophie  catholique.  Néan- 
moins on  ne  pourrait  peut-être  pas 
dire  qu'il  se  soit  fourvoyé  dans  son 
enseignement  ou  dans  ses  disserta- 
lions.  Ainsi,  dès  1825,  il  développa 
dans  une  séance  de  V Académie  de 
la  religion  catholique  cette  proposi- 
tion :  La  raison  humaine  n'a  pu  et 
ne  pourra  jaiMis  avoir  une  paifaite 
connaissance  de  la  religion  hors  dn 
catholicisme.  Voilà  un  sujet  qui  a, 
de  nos  jours,  poussé  quelques  hom- 
mes bien  intentionnés  à  des  con- 
clusions extrêmes;  maison  ne  peut 
pas  dire ,  ce  me  semble ,  que  Ven- 
tura partage  les  erreurs  des  tradi- 
tionalistes imprudents  et  exclusifs, 
puisqu'il  dit  une  parfaite  connais- 
sance, ce  qui  est  vrai,  et  non  une 
connaissance  quelconque.  On  ne 
peut  douter  qu'en  s'attachantk  cette 
école  qu'il  voyait,  en  France,  agi- 
ter quelques  esprits  et  parler  avec 
tant  d'ardeur  en  faveur  des  préro- 
gatives de  l'Eglise,  de  la  liberté  du 
catholicisme, Ventura  n'ait  été  ani- 
mé des  intentions  les  plus  louables. 
A  la  distance  où  il  se  trouvait,  il 
n'avait  pu,  peut-être,  comme  les 
hommes  plus  réfléchiset  plus  sages, 
s'apercevoir  des  excès  où  un  zèle 
présomptueux  avait  déjà  entraîné 
lesnouveauxdocteursqu'il  admirait. 
Aussi,  quelles  que  fussent  ses  dispo- 
sitions naturelles ,  dont  on  verra 
plus  tard  les  tristes  effets,  il  ne  parta- 


ge» ipoint  teni*  grossière  et  fune^e 
illusion  après  la  révolution  de|tiîl- 
let  1830.  Au  contraire  ,  voyant  les 
dangers  de  la  situation  et  les  possi- 
bilités de  l'avenir,  i4  ne  put  lire 
sans  étonnement  et  sans  scandale 
tout  ce  que  la  démocratie  catholique 
prétendue  de  l'abbé  Robert  de  La 
Mennais  et  de  son  escorte  insérait 
dans  l'Avenir,  journal  religieux  de 
la  nouvelle  école.  On  y  disait  qu'il 
fallait  faire  une  croisade  contre  les 
rois,  qui  sont  des  barbares, ôesim- 
pies^  des  souverains  conjurés...  Mcd- 
heitr,  écrivait-on  en  effet,  à  Tfm- 
bécile  qui  ne  le  comprend  pas!..\. 
Sous  le  régime  de  la  restaurât!^ 
des  Bourbons,  nous  vivions, suivant 
eux,  sous  une  oppression  stnpide... 
c'était  une  tyrannie  sans  échafauds. 
«  I>ans  l'enfer  qu'on  nous  avait 
fait,  disait  encore  le  journal  de 
l'abbé  Robert  (n°  23),  nous  ressem- 
blions à  ces  malheureux  que  Dante 
a  peints  se  traînant  et  haletani  sous 
des  chapes  de  plomb ,  et  comme 
eux,  nous  n'apercevions  devant 
nous  que  cette  éternité.  ♦  Et  le 
même  journal  parlait  ainsi  le  28  dé- 
cembre 1 830  ;  «  Nous  ne  sommes  que 
d'hier,  et  déjà  notre  cri  d'aftran- 
chissement  religieux  a  volé  au  delà 
de  nos  frontières...  L'Italie  pensive 
et  souffrante  le  cache  en  son  sein 
profond  comme  une  espérance.  » 
Le  père  Ventura  était  alors  de 
ces  heureux  imbéciles  qui  ne  com- 
prenaient pas.  Heureux  toujours  lui- 
même  si  l'aveuglement  et  l'ambition 
ne  l'eussent  pas  porté  à  comprendre 
autrement!  Quoiqu'il  en  soit,  il  vil 
alors,  comme  toutes  les  âmes  hon- 
nêtes, ce  qu'il  y  avait  d'odieux  dans 
la  révolution  de  juillet ^  ce  qu'il  y 
avait  à  craindre  de  la  part  des  hom- 
mes méprisables  qui  l'avaient  faite, 
ce  qu'il  y  avait  d'insensé  et  d'illo- 
gique dans  les  enthousiartcs  qui  s'é- 


25ii 


YEN 


VEN 


taient  déclarés  les  apôlres  du  libé- 
ralisme chrétien,  comme  Us  l'appe- 
laient. Au  mois  de  janvier  1831  ou 
plus  tôt,  il  faisait  la  visite  des  maisons 
de  son  ordre.  De  retour  ^  Rome,  il 
se  hâta  de  lire  les  premiers  numé- 
ros de  V Avenir,  et  dans  son  indi- 
gnation il  ne  put  s'empêcher  d'é- 
crire aux  rédacteurs  les  impressions 
qu'il  avait  éprouvées.  Ils  ne  jugè- 
rent pas  utile  ou  prudent  d'insérer 
la  lettre  d'un  homme  qui  avait  pour- 
tant été  exalté  dans  le  Mémorial 
catholique,  revue  produite  par  leur 
école,  mais  elle  se  trouve  dans  la 
Gazette  de  France  (1).  La  biogra- 
phie de  Ventura  exige,  pour  plu- 
sieurs motifs,  que  j'en  donne  ici 
quelques  ciialions.  L'auteur  com- 
mence par  des  ayeux  et  des  com- 
pliments; il  dit  qu'il  a  lu  le  jour- 
nal avec  un  véritable  plaisir,  car 
n'aimant  pas  plus  le  despotisme  que 
l'anarchie,  l'esclavage  de  l'Eglise 
pas  plus  que  l'hérésie,  il  a  cru  trou- 
ver dans  l'Af  d/iir,  à  quelques  excep- 
tions près,  l'expression,  sinon  de 
toutes  ses  doctrines,  au  moins  de 
tous  ses  sentiments.  11  a  admiré  le 
noble  courage  avec  lequel  il  (V Ave- 
nir) réclame  en  faveur  de  la  reli- 
gion la  protection  qu'on  accorde  à 
toutes  les  sectes...,  la  liberté  de  la 
presse  que  l'on  accorde  k  toutes  les 
erreurs.  «  Enfin  j'ai, dit-il, béni  les 
efforts  pénibles  qu'il  a  faits  pour 
affranchir  la  juridiction  et  l'ensei- 
gnement ecclésiastiques  de  toute 
influence  d'un  pouvoir  que  des  cir- 
constances fâcheuses  ont  obligé  de 
se  placer  en  dehors  de  l'Église...  Je 
n'étais  pas  le  seul  qui  eût  conçu  une 
si  belle  idée  de  VAvenir.,..  car, 
quand  on  parle  de  liberté  véritable, 


(1)  Numéro  du  lundi  7  février  1831, 
•i  )•  ne  m»  trompe. 


de  liberté  fondée  sur  la  justice  et 
soumise  aux  lois ,  on  est  sur  de 
trouver  k  Rome  des  échos,  même 
dans  les  rangs  les  plus  élevés,  à 
Rome,  où  la  liberté  est  un  fait,  tan- 
dis qu'ailleurs  elle  n'est  qu'une  for- 
mule, et  les  foudres  du  Vatican  ne 
frapperont  jamais  les  théories  de 
liberté  et  d'affranchissement  dont  la 
philosophie  ne  se  serait  jamais 
doutée,  avant  que  Rome  chrétienne 
ne  les  eût  proclamées.  Mais,  tout  en 
rendant  justice  aux  doctrines  qui 
dominent  dans  V Avenir ^  je  dois  à  la 
franchise  et  k  l'indépendance  de 
mon  caractère,  je  dois  à  M.  de  La 
Mennais,  dont  l'amitié  m'honore, 
je  dois  h  la  vérité  qui  m'est  encore 
plus  précieuse  que  l'amitié ,  de 
protester,  comme  je  proteste  en  ef- 
fet ,  contre  la  mauvaise  tendance 
que  ['Avenir  semble  avoir  prise  de- 
puis un  mois.  »  Après  celte  intro- 
duction ,  il  entre"»  dans  le  détail  de 
certains  griefs,  détail  où  je  ne  puis 
le  suivre,  mais  dont  je  vais  indiquer 
quelques  sujets.  «  Tandis  que  vous 
gémissiez,  par  exemple,  sur  le  sort 
des  contrées  catholiques  qu'une  po- 
litique imprévoyante  a  assujetties 
îàdes  gouvernements  protestants... 
tandis  que  vous  avez  dit  aux  gou- 
vernements égarés...  qu'ils  n'ont 
pas  de  plus  fort  rempart  contre  l'a- 
narchie qui  les  menace  eux-mêmes 
que  les  catholiques  libres  dans 
l'exercice  de  leur  religion ,  vous 
avez  été  au-dessus  de  tout  blâme  et 
de  toute  injure.  Mais  depuis  que 
vous  avez  invité,  excité,  poujsé  les 
peuples  avec  toute  la  puissance  de 
la  parole,  approuvé,  loué  toutes  les 
révolutions  faites,  applaudi  d'a- 
vance k  toutes  les  révolutions  à 
faire,  vous  avez  dû  soulever  contre 
vous  les  amis  de  l'ordre,  tous  les 
hommes  véritablement  catholiques  ; 
car  tout  cela  n'est  rien  moins  que 


VEN 


VEN 


255 


catholique.  Voire  tort  devient  en- 
core plus  grand  que  vous  paraissez 
prêcher  la  révolution  au  nom  de  la 
religion,  et  que  depuis  un  mois 
vous  en  faites  l'expression   d'une 
pensée  catholique.  En  cela,  vous 
tombez  dans  l'excès  contraire  à  ce- 
lui que  vous   avez  reproché  aux 
gallicans;  s'ils  font  de  la  religion, 
dites-vous,  l'alliée  du  despotisme, 
vous  en  faites  l'alliée  de  la  révolu- 
tion. » «  Je  ne  saurais  par- 
donner à  y  Avenir  l'article  intitulé  : 
La  souveraineté    de  Dieu    exclue- 
t-elle  la  souveraineté  du  peuple  (1)? 
Cet    article  me    paraît  renfermer 
tous  les  principes  subversifs  des 
trônes,  de  la  société,  de  la  religion 
même  que  vous  défendez;  car  de 
la  souveraineté  du  peuple  en  poli- 
tique à  la  souveraineté  des  fidèles 
en  religion,  il  n'y  a  qu'un  pas  bien 
glissant  et  bien  facile  à  faire.  Aussi 
ces  deux  principes  marchent  tou- 
jours ensemble,  et  conjurant  amicè; 
je  ne  m'arrête  pas  à  relever  tout 
ce  que  cet  article  contient  de  faux, 
d'absurde,  de  ruineux.  Je  remarque 
seulement  que  dans  le  langage  des 
Pères  et  des  auteurs  qu'on  y  cite  et 
dont  on  fait  de  véritables  révolu- 
tionnaires, le  mot  peuple  ne  signi- 
fie pas  la  canaille,  mais  l'ordre  des 
patriciens  de  chaque  cité,  auxquels, 
en  cas  de  déchéance  ou  de  défaut 
du  monarque,  le  pouvoir  est  né- 
cessairement et  naturellement  dé- 
volu. J'observe  aussi  qu'en  pareil 
cas  le  patriciat  n'agit  pas  comme 
mandataire  du  peuple,  mais  comme 
représentant  le  fondateur  de  la  so- 


(I)  C'est  dans  le  numéro  GO  de  l'Ave- 
nir que  se  trouve  cet  article.  Je  suis 
étonné  que  le  P.  Ventura  ne  cite  pas 
les  jansénistes,  par  exemple,  en  preuve 
de  ce  qu'il  dit  si  sagement  dans  la 
phrase  qui  suit. 


ciéié,  et  comme  l'organe  naturel  de 
ses  volontésprésumées,etqu'ainsi, 
indépendammment  de  la  souverai- 
neté de  Dieu,  qu'on  ne  peut  mettre 
en  question  sans  abjurer  la  loi, 
tout  pouvoir,  même  humainement 
parlant,  vient  d'en  haut.  » 

Ventura  dit  ensuite:  De  ce  que  le 
patriciat  doit,  en  certains  cas,  dési- 
gner le  souverain,  il  ne  s'ensuit  pas 
que  la  souveraineté  soit  à  lui.  De 
mêmeque.danslecasd'un  schisme, 
les  évêques  réunis,  et  pendant  le 
siège  vacant  les  cardinaux  dési- 
gnent ou  choisissent  le  pape,  mais 
ils  ne  sont  pas  pour  cela  papes  eux- 
mêmes.  Il  avertit  judicieusement 
l'auteur  de  l'article  auquel  il  ré- 
pond que  la  souveraineté  ne  peut 
pas  être,  comme  la  liberté,  le  par- 
tage de  tous,  et  que  la  placer  dans 
la  multitude  c'est  la  tuer,  que  le 
peuple  n'est  pas  plus  souverain 
dans  l'Etat  que  les  enfants  ne  le 
sont  dans  la  famille  et  les  fidèles 
dans  TEglise  ;  que  la  théorie  de  la 
souveraineté  du  peuple  n'a  été  in- 
vcquée  et  exploitée  qu'au  profit 
des  ambitieux,  des  intrigants,  et  au 
préjudice  du  peuple,  etc. 

Je  vais  encore  citer  textuelle- 
ment un  passage  où  Ventura  peint 
assez  bien  l'état  de  la  société  et  de 
la  souveraineté  en  France,  à  l'épo- 
que où  il  écrivait  sa  lettre. 

«  J'aime  la  France,  je  prends  un 
vif  intérêt  à  ses  destinées  ;  car  le 
sort  des  pays  catholiques  et  le  repos 
du  monde  en  dépend.  Aussi  je  sou- 
haite de  tout  mon  cœur  que  le 
pouvoir  s'y  établisse  sur  des  bases 
solides  (  qu'on  remarque  ces  désirs 
de  Ventura);  mais  en  attendant  ce 
résultat  qu'appellent  tous  mes 
vœux,  qu'est-ce  que  vous  voyez? 
Le  pouvoir  errant,  incertain,  pas- 
sant successivement  du  ministère 
aux  Chambres,  des  Chambres  à  la 


256 


rm 


garde  nationale,  de  la  gafde  na- 
tionale aux  écoles.  Vous  le  retrou- 
verez tantôt  chez  M.  Laffitte,  tan- 
tôt chez  M.  Soult,  tantôt  chez  le 
préfet  de  police,  tantôt  chez  le  pré- 
fet de  la  Seine.  Quelquefois  vous 
le  rencontrerez  dans  les  bureaux 
des  journaux,  dans  les  magasins 
des  négociants,  dans  les  ateliers 
des  industriels,  et  rien  ne  vous 
assure  qu'un  beau  matin  il  ne  vous 
faudra  pas  le  chercher  dans  les  ca- 
barets et  plus  bas  encore.  Vous 
l'avez  vu,  vous  pouvez  le  voir  par- 
tout, excepté  au  Palais-Royal  (1),  où 
il  viendra  peut-être  un  jour,  mais 
les  napoléoniens,  le  parti  de  la  ré- 
sistance et  celui  du  progrès  se  dis- 
putent ce  pouvoir  sans  maître 
comme  sans  règle,  car  vous  devez 
convenir  au  moins  que  tout  cela 
n'est  pas  d'un  bon  augure  pour 
vous  faire  espérer  qu'un  jour  le 
peuple  remplisse  lui-même  son  rôle 
de  peuple,  et  ne  le  laisse  pas  remplir 
à  une  coterie  d'intrigants  ou  à  une 
poignée  de  monstres...  Je  ne  puis 
non  plus  pardonner  à  l'Avenir  de 
s'extasier  devant  la  révolution  de 
juillet.  Je  ne  suis  ni  carliste  ni 
philippin...  mais  je  ne  puis  passera 
l' Avenir  celle  expression  :  Lanation 
a  recouvré  ses  droils.  Que  les  libé- 
raux tiennent  ce  langage,  on  Je 
conçoit  bien,  et  ils  ont  raison  ;  car 
les  libéraux  sont  la  nation,  sont  le 
pays,  sont  la  France,  sont  l'opinion 
publique,  sont  le  genre  humain,  et 
tout  le  reste  ne  vaut  pas  la  peine 
qu'on  s'en  occupe.  Mais,  dans  vo- 
tre bouche,  qu'est-ce  que  cela  si- 
gnifie? quels  droits  avez-vous?  La 


(1)  Excepté  au  Palais- Royal..... 
Ventura  veut  clin-  excepté  dans  Louis- 
Philippe,  qui  résida  longtemps  au  Pa- 
lais-Hoyal  avant  d'aller  habiter  les 
Tuîlertés,  demeure  des  rois. 


Hberlé  de  la  presse?  Vous  sur  les- 
quels pèsent  deux  procès  (<)?  La 
liberté  de  la  religion?  tandis  qu'on 
brise  ses  croix,  qu'on  incarcère  ses 
prêtres,  qu'on  expulse  ses  curés, 
qu'on  régente  ses  évoques?  La  li- 
berté d'enseignement?  tandis  qu'on 
pousse  le  despotisme  universitaire 
au  delà  des  bornes  posées  par 
MM.  Frayssinous  et  Feutrier?  Ah! 
je  crains  bien  que  vous  n'ayez 
recouvré  d'autre  droit  que  le  droit 
de  vous  débarrasser  au  roi  que  vous 
vous  étiez  fait,  pour  en  cré'èr  tiri 
autre  qui  ne  serait  pas  plus  ïiéu- 
reux;  d'autre  droit  que  celui  de 
vous  révolter.  »  Comme  on  le  voit, 
Ventura  faisait  un  portrait  fidèle  dte 
la  situation  et  se  montrait  pro- 
phète; ce  dernier  point  était  fa- 
cile. «Mais...  venir  froidement, 
ajoutait-il,  louer  l'héroïsme  du  peu- 
ple qui  a  jugé  à  propos,  comme 
vous  le  dites,  de  faire  une  autre 
charte,  une  autre  dynastie,  un  au- 
tre roi;  vanter  la  révolution  pen- 
dant qu'on  est  environné  des  ruinés 
qu'elle  a  accumulées,  c'est  vanter 
les  bienfaits  de  la  guerre  dans  un 
camp  couvert  de  cadavres;  c'est 
mentira  soi-même,  à  la  conscience 
publique,  et  j'avais  lieu  de  m'at- 
tendre  à  tout  autre  langage  dans 
un  journal  présidé  par  M.  de  La 
Mennais...  Vous  verrez  que  le  pro- 
grès de  la  liberté  pour  les  autres 
sera  pour  vous  celui  de  la  servi- 
tude. C'est  que  le  principe  dé  la 
révolution  est  essentiellement  an- 
ti-catholique, et  que  toute  révolu- 
lion  dans  ce  siècle  sera  et  doit  être 
toujours  au  préjudice  de  la  reli- 
gion et  au  plus  grand  profit  de 
l'impiété...  »  Il  dit  qu'il  est  absurde 

-^  ^■■""''  ^  -'-'  '"  " "'  "'ff'T^ 

(1)  Louis-Philippe  avait  dît  :  a  Mais 
il  n'y  aura  plus  de  procès  db  pteisè  !  » 


VEN 


VEN 


257 


devoirdca  catholiques...  qui,  avec 
une  joie  féroce,  applaudissent  à  la 
chute  des  trônes  et  au  malheur  des 
rois.  On  peut  se  faire  une  juste  idée 
de  l'impression  désagréable ,  du 
mécontement  que  causèrent  à  la 
vaniteuse  coterie  ces  remontrances 
importunes.  Prenons  patience,  la 
réconciliation  ?e  fera  bientôt.  Mais 
il  eût  été  bon  de  remettre  ces  lignes 
sous  les  yeux  de  Ventura  à  une 
époque  malheureuse  de  sa  vie, 
dont  j'aurai  à  parler  aussi.  On  vient 
de  voir  que  Ventura  se  flattait  de 
n'être  point  philippin  ;  il  vient  de 
dire  q\i'H  désire  que  le  pouvoir  s'é- 
tablisse en  France  sur  des  bases  so- 
lides. Le  désire-t-il,  abstraction 
faite  de  la  personne  en  qui  le 
pouvoir  résidait  trop  peu  à  son 
gré?  Or,  cette  personne  était  Louis- 
Philippe,  duc  d'Orléans,  dont  les 
intrigues  et  les  bassesses  avaient 
réussi  à  faire  expulser  la  branche 
aînée  des  Bourbons,  et  à  lui  faire 
déférer  la  couronne  par  une 
chambre  des  députés  illégale,  com- 
me si  une  chambre  des  députés, 
même  légalement  constituée,  pou- 
vait faire  un  roi!  Il  sut  vaincre  les 
effets  du  mépris  qu'on  ressentait  à 
Rome  pour  ce  prince  félon  et  usur- 
pateur, et  il  a  fait  écrire  que  la 
reconnaissance  de  Louis-Philippe  par 
la  cour  de  Rome  comme  roi  de  fait, 
sinon  de  droit  fut  due  à  son  influence. 
Comme  je  viens  de  le  dire,  la  ré- 
conciliation de  Ventura,  sinon  avec 
V Avenir,  dévergondage  éphémère, 
du  moins  avec  l'abbe  Robert  de  La 
Mennais,  se  lit  bientôt.  Il  avait  été 
attaqué,  néanmoins,  dans  l'Avenir, 
parl'abbéde  La  Mennais  lui-même, 
et  les  articles  étaient  vigoureux. 
Ventura  conseilla,  dit-il,  au  sou- 
verain pontife  de  ménager  cet 
homme  or^ueilleuxct  aigri.— loule 
autre  conduite,  disait-il,  pourrait 

LXXXV 


changer  l'apologiste  de  Rome  en 
fléau  de  Rome  (1).  »  Ce  conseil  pou- 
vait être  bon  ;  mais,  appuyé  sur  de 
telles  raisons,  il  ne  faisait  guère  l'é- 
loge des  convictions  et  du  désinté- 
ressement de  l'abbé  Robert,  qui  se 
fâcha  en  effet  et  laissa  voir  sa  co- 
lère, comme  si  l'Église  avait  été 
tenue  à  suivre  les  mouvements  et 
les  variations  de  son  esprit.  Ven- 
tura calma  ses  premières  colères 
et  s'est  flatté  de  lui  avoir  suggéré 
ridée  d'un  livre  sur  les  Maux  de 
l" Église  et  leurs  remèdes,  dont  trois 
chapitres,  dernières  lignes  catho- 
liques d'une  plume  qui  avait  tant 
rendu  de  services  à  la  religion, 
chapitres  «compos^'s  sous  l'inspi- 
ration du  ciel  et  presque  dans  le 
ciel  même,  »  écrivait  Ventura  dans 
son  enthousiasme,  se  gardent  au 
dépôt  des  archives  de  Rome.  On 
voit  dans  ces  expressions  à  quelle 
hauteur  s'élevait  son  admiration 
pour  M.  Robert  de  La  Mennais,  et 
combien  peu  il  lui  gardait  rancune 
des  attaques  qu'il  en  avait  reçues 
dans /'Arenir.  Ses  rapports  avec  un 
homme  alors  si  peu  estimé  lui  at- 
tiraient à  Rome  des  désagréments 
qu'il  regarda  à  la  fin  comme  des 
persécutions,  et  le  mirent  dans  le 
cas  de  quitter  la  cour  pontificale 
pour  vivre  libre  dans  la  retraite. 
Celte  retraite  fat  fort  fructueuse 
pour  un  homme  aussi  travailleur  et 


^  (l)Ces  lignes  étaient  déjà  imprimées 
quand  un  article  foi  t  reinar.inal)le  de 
M.  de  Montalenibei-t,  (ians  le  Corres- 
pondant^ m'a  appris  que  li'  V.  Veniura 
avait  hlàme  le  P.  Lacordaire  d'avoir 
c'cril  ses  Cousidérolwns  surlc^nsicmc 
jihilosopltiinw  de  M.  de  La  }Liinais; 
«  Veidura,  dit  rartirlc,  qui  avait,  lui, 
.<  tant  à  se  repioiln-r  les  encuuraj^e- 
"  meiil^  quil  avait  pHtiligués  a  M.  de 
«  La  ?>lcniiais pi  ndanllosdernicr> temps 
«  de  son  séjour  ii  Itomc.  » 

17 


258 


VEN 


aussi  capable  que  l'était  Ventura. 
Il  se  livra  à  rétude  de  rÉcriture- 
Sainte  et  des  saintsPères  ;  il  lut  sur- 
tout S.  Tiiomasd'Aquin,  et  il  donna, 
en  1839,  le  fruit  de  tant  de  lectures 
dans  un  ouvrage  intitulé  :  Beautés 
delà  Foi,  et  formant  3  vol.  in-8".  Il 
ne  se  bornait  pas  aux  occupations 
du  cabinet,  car  ce  fut  dans  le  même 
temps  qu'il  fit  avec  succès  des 
prédications  solennelles  à  Saint- 
Pierre  de  Rome,  à  l'église  Saint- 
André  délia  Valle.  Dans  cette  der- 
nière église,  qui  appartient  à  son 
ordre,  il  prêcha  onze  ans  de  suite 
l'octave  de  l'Epiphanie.  Préoccupé 
de  ridée  qui  a  été  partagée  par 
tant  de  personnes,  celle  du  danger 
de  voir  dominer  l'esprit  païen  par 
l'usage  exclusif  des  auteurs  païens 
dans  l'enseignement  des  collèges,  il 
entreprit  aussi  à  Rome,  et  à  l'épo- 
que dont  je  parle,  une  publication 
d'un  choix  d'extraits  des  ouvrages 
des  Pères  de  l'Église  et  des  poètes 
sacrés,  qu'il  donna  sous  le  titre 
de  :  Dibliolheca  parva,  seu  graliosa 
et  elegantiora  opéra  veterum  SS. 
Ecclesiœ  Palrum,  ad  usumjuventutis 
chrisUanarum  litterarum  studiosœ. 
Imitée  en  France,  cette  tentative 
a  excité  une  polémique  trop  ar- 
dente entre  des  hommes  respecta- 
bles, tous  animés  des  meilleures 
intentions,  et  même  tous  d'accord 
pour  le  fond  de  la  question.  L'é- 
Iccliofl  du  piipe  Pie  IX,  le  l"  juin 
1840,  fut  une  époque  doublement 
remarquable  pour  toute  l'Europe. 
On  sait  tout  ce  que  les  intentions 
généreuses  du  nouveau  pontife  le 
portèrent  à  tenter  pour  ie  bonheur 
(lelÉglise;  on  sait  aussi  comment 
il  a  été  ajiprécié  et  quelle  recon- 
naissance il  a  trouvée  dans  ceux  qui 
l'avaient  d'abord  pxalté  avec  l'ap- 
parence de  l'enlhousiasme.  Le 
nouveau  règne  fut  une  phase  nou- 


VEN 

velle  dans  la  vie  du  P.  Ventura, 
qui  trouva  dans  le  pape  un  ami  et 
un  protecteur,  et  qui  eut,  dit-on, 
l'honneur  de  lui  donner  des  con- 
seils. J'ai  mentionné  ci-dessus  les 
prédications  réitérées  que,  pendant 
plusieurs  années,  le  P.  Ventura  fît 
à  l'église  de  sa  communauté  durant 
l'octave  de  l'Epiphanie.  Un  jour  il 
eut  un  suppléant  illustre,  qui  n'a- 
vait pas  choisi  peut-être  sans  mo- 
tifs personnels  la  chaire  de  Saint- 
André  délia  Valle.  Le  mercredi,  \3 
janvier  1847,  clôture  des  exercices 
spirituels  qu'il  présidait,  Ventura 
voyait  un  auditoire  nombreux  au- 
tour de  la  chaire  qu'il  devait  occu- 
per, lorsqu'il  se  fit  un  mouvement 
extraordinaire...  Pie  IX,  désirant 
se  faire  entendre  des  fidèles,  ve- 
nait remplir  la  place  du  célèbre 
théatin!  Celui-ci  fut  encore,  sans 
doute,  la  cause  du  choix  du  Pon- 
tife, quand  il  ordonna  que,  pendant 
trois  jours  (du  24  au  27  du  même 
mois),  il  y  eût  des  exercices  de 
prédication  et  de  prières  en  faveur 
de  la  nation  irlandaise,  qui  fut  en 
ce  temps-l:i  fort  éprouvée.  L'année 
1847  vit  toute  l'Italie  en  fermenta- 
tion. Les  conspirateurs  avaient 
plusieurs  mots  d'ordre  et  partout 
faisaient  répéter:  Union  de  l'Italie, 
—  occupation  étrangère ,  —  vive 
Pie  IX,  —  esprits  et  projets  rétro- 
grades, etc.,  etc.  Les  masses  étaient 
impressionnées;  les  esprits  ne  rê- 
vaient que  création  de  garde  na- 
tionale, projets  de  constitution, 
concessions  des  souverains  à  leurs 
infortunés  sujets.  Les  hommes  sa- 
ges prévoyaient  la  fin  que  pour- 
raient amener  toutes  ces  ruses  et 
ces  prétextes.  Le  P.  Ventura  fut-il 
de  ces  hommes  sages?  Il  est  cer- 
tain qu'avec  des  intentions  géné- 
reuses, sans  doute,  il  embrassa  ar- 
demment le  parti  du  mouvement, 


YEN 


YEN 


259 


auquel  rengageaient  les  idées  qui 
depuis  quelques  années  dominaient 
en  lui.  Ses  allures,  ses  prédica- 
tions l'avaient  rendu  populaire,  et 
il  sut  un  jour  tirer  un  parti  avan- 
tageux de  ces  dispositions  des 
masses  en  sa  faveur.  Le  lundi, 
17  juillet  1847,  une  multitude  de 
ces  hommes  de  désordre  qu'on  re- 
connaît dans  les  révoltes  populai- 
res, était  assemblée  auprès  d'une 
maison  voisine  de  l'église  Saint- 
André  ;  dans  celte  maison  on  sup- 
posait être  caché  l'agent  de  police 
Minardi,  contre  lequel  s'élevaient 
des  ressentiments  dont  on  avait  tout 
à  craindre.  Le  gouverneur,  Mgr. 
Morandi,  se  rendit  sur  les  lieux  et 
ne  put  rien  obtenir  pour  la  dis- 
persion de  la  foule.  Quelques  per- 
sonnes s'empiessèrent  alors  d'aller 
chercher  à  son  couvent  le  P.  Ven- 
tura, qui  fait  ouvrir  les  portes  de 
l'église;  on  allume  les  cierges,  il 
expose  le  saint  sacrement,  monte 
en  chaire,  et  sa  prédication  élo- 
quente à  une  telle  heure  (il  était 
onze  heures  du  soir),  produisit  un 
effet  magique  sur  l'effervescence 
de  cette  muUitiide,  qui  fut  dès  lors 
calmée.  Remarquons  en  passant 
qu'un  tel  succès  n'eût  pas  été  peut- 
être  ausi  facile  ailleurs,  et  même 
aujourd  hui  le  serait-il  sur  le  peu- 
j)le  romain?  Un  événement  remar- 
quable de  Tannée  est  eiu'ore  lié  à 
la  vie  du  P.  Ventuta,  la  mort  du 
célèbre  agitateur  de  l'Irlande, 
O'Gonnell,  enlevé  lorsqu'il  se  ren- 
dait à  Ro;ne.  Cette  perte,  sensible  à 
tous,  le  fut  iTinc'palement  h  un 
certain  parti,  (jui  voulut  montrer 
ses  sympathies.  On  sait  qu'en 
France,  M.  AfTr( ,  archevêque  de 
Paris,  après  avoir  refusé  à  un  haut 
personnage  de  laisser  f.ire  (lan3 
nos  églises  l'éloge  funèbre  tie  l'il- 
lustre défunt,  l'usage  des  panégy- 


riques étant  tombé  en  désuétude 
parmi  nous,  accorda  néanmoins 
cette  permission  à  une  députation 
de  plus  de  cent  jeunes  gens.  L'o- 
raison funèbre  fut  prononcée  à  la 
métropole  de  Paris  par  le  P.  La- 
cordaire,  dominicain.  Ceux  qui 
l'entendirent  purent  savoir  si  l'o- 
rateur répondit  à  l'attente  des  au- 
diteurs accourus  de  tous  côtés.  Le 
P.  Ventura  l'avait  déjà  prononcée 
à  Rome,  et  il  devait  être,  plus  quii 
tout  autre,  choisi  pour  une  telle 
mission.  Il  paraît  qu'il  s'éleva  à 
une  grande  hauteur  et  qu'il  obtint 
un  véritable  succès.  Il  en  voyait  et 
en  citait  lui-même  la  preuve  dans 
le  produit  de  la  quête  qui  se  flt  à 
cette  occasion  et  qui  s'éleva  à 
100,000  francs.  Entre  les  témoi- 
gnages flatteurs  qu'il  put  recevoir, 
il  convient  peut-être  ici  de  signaler 
celui  d'un  prélat  français.  M.  Si- 
bour,  évêque  de  Digne,  avait  eu, 
comme  on  sait,  des  sympathies  pour 
la  rédaction  de  r Avenir,  dans  lequel 
on  trouve  des  preuves  écrites  de 
ses  sentiments;  mais  on  sait  aussi 
avec  quel  empressement  il  se  sou- 
mit à  l'encyclique  de  Grégoire  XVI, 
qui  réprouvait  les  doctrines  du 
parti  mennaisien.  Il  avait  donc  la 
manière  de  voir  du  P.  Ventura  et 
partageait  ses  idées  dans  les 
circonstances  actuelles;  il  était 
d'ailleurs  son  ami.  Lors  de  son 
dernier  voyage  à  Rome,  il  avait  eu 
des  rapports  avec  le  célèbre  théa- 
tin  dans  sa  maison  de  Saint-André, 
et  tous  deux  s'étaient  communiqué 
leurs  pensées  sur  Us  maux  de  la 
religion  ci  de  la  patrie,  et  tous  deux 
s'étaient  entendus.  M.  Sibour  se 
hàla  de  féliciter  l'orateur  sur  son 
paiiégyriqued'O'Counell.Il  a  laissé 
publier  sa  lettre,  et  un  de  ses  pas- 
sages trouve  n  .turelhmcnt  ici  sa 
place  :  "  Cette  grande  et  sainte  po- 


I 


260 


YEN 


litique  (1),  mon  révérend  Père, 
vous  l'avez  formulée  avec  autant 
d'éloquence  que  d'exactitude  dans 
votre  belle  oraison  funèbre  d'O' 
Connell.Ge  fut  plus  qu'un  discours, 
ce  fut  uu  événement.  Votre  parole 
puissante  a  allumé  dans  le  cœur 
des  Romains  les  flammes  du  plus 
pur  patriotisme;  elle  a  réveillé 
dans  la  ville  éternelle  des  échos 
depuis  des  siècles  endormis.  iMais 
bénie  par  le  Pontife  suprême,  elle 
a  franchi  les  limites  du  temple  et 
de  la  cité,  et  des  hauteurs  du  Va- 
tican, elle  a  pu  se  faire  entendre 
non-seulement  de  l'Italie,  mais  du 
monde  entier.  Nous  y  avons  tous 
lu  le  manifeste  d'une  pensée  su- 
prême, qui  ne  cherche  pas  à  s'en- 
vironner de  mystères  et  qui  veut 
être  éclatante  comme  la  vérité. 
Oui,  il  faut  que  désormais  on  ne 
puisse  plus  dans  les  âmes  semer 
entre  la  reliijion  et  la  liberté  des 
divisions  funestes  k  l'une  et  à  l'au- 
Ire.  Il  faut  qu'on  sache  que  les 
peuples  comme  les  individus  gran- 
dissent, que  les  conditions  de  la 
vie  et  de  la  prospérité  des  nations 
changent  selon  leur  âge,  et  qu'il  y 
a  une  émancipation  légitime  que  la 
religion  sait  bénir  et  consacrer... 
Voilà,  mon  révérend  Père,  les  sen- 
timents qui  naissaient  dans  mon 
cœur  à  mesure  que  je  lisais  celte 
oraison  funèbre  d'O'Connell,  si 
digne  du  grand  homme  qu'elle  cé- 
lébrait, des  circonstances  qui  l'in- 
spiraient, et  des  hautes  vérités  dont 
elle  allait  devenir  une  des  plus 
magniliques  expressions...»  Grâce 
à  Dieu  !  tous  n'avaient  pas  lu  comme 


YEN 

M.  Sibour,  et  il  en  donne  lui  même 
la  preuve  en  ajoutaut  :  «  Mais  la 
préface  que  vous  venez  de  joindre 
â  la  seconde  édition  de  votre  dis- 
cours, en  m'apprenani  que  votre 
œuvre,  et  aussi  sans  doute  la  sienne 
(1),  a  trouvé  des  contradicteurs, 
me  force  en  quelque  sorte  de  rom- 
pre le  silence,  et  de  vous  exprimer 
le  plus  hautement  que  je  puis  mes 
vives  sympathies  et  l'adhésion  que 
je  donne,  non-seulement  comme 
ami,  mais  comme  évoque,  aux 
principes  que  vous  avez  si  élo- 
quemment  développés  comme  ora- 
teur. »  A  Iiome,  Ventura  était  de- 
venu l'homme  des  révolutionnaires 
modérés.  Quelque  temps  après  qu'il 
eut  obtenu  ce  succès  populaire  dans 
le  panégyrique  d'O'Connell ,  ils  le 
prièrent  de  parler  dans  un  service 
funèbre  en  l'honneur  des  victimesdu 
siège  de  Vienne.  Il  le  fit  à  leur  sa- 
tisfaction, et  il  y  parla  aussi  de 
manière  à  intéresser  la  foule  en 
faveur  du  pape.  Quoiqu'il  avançât 
dans  le  chemin  glissant  où  il  se 
fourvoya  malheureusement,  il  te- 
nait toujours  à  être  prêtre  lidèle  à 
la  religion  et  au  digne  pontife  qui 
l'attachait  j)ar  tant  de  liens.  J'ai  la 
satisfaction  de  rapporter  ici  un  des 
plus  beaux  traits  de  sa  vie.  Plu- 
sieurs croyaient,  et  personne  ne  se 
trompait  peut-être,  que  l'abbé  Ro- 
bert de  La  Mennais  vivait,  sinon 
dans  le  remords,  au  moins  dans  le 
trouble,  et  ne  jouissait  pas  de  la 
sérénité  de  l'âme.  Ventura  crut 
amicalement  et  charitablement  aux 
bruits  qui  en  couraient,  et  par  at- 


(I)  M.  Sibour  venait  de  parler  d'une 

•  politique  «ulrée  qui,  dans  la  régéné- 
«  ration  d'un  peuple,    pose    les   bases 

•  de  la  règ)  riérution  de  tous,  i 


(!)...  E(  aussi  sans  doute  de  la 
sienne...  c'fst-a-dire  de  Pie  1\.  Quoi 
que  M.  Sibour  ait  écrit  sans  doute,  sa 
phrase.  Dieu  merci,  est  dans  un  sens 
dubitatif,  qui  est  encore  trop  peu  pour 
les  hommes  rélléchis. 


VEN 


VEN 


261 


tachemenl  et  par  zèle,  il  lui  avait, 
au  mois  d'août  de  celte  même  an- 
née 1847,  adressé  la  lettre  qui 
suit;  elle  est  courte  et  ne  fera 
qu'embellir  les  quelques  pages  que 
je  consacre  à  sa  mémoire.  «  Mon 
très-cher  ami  et  frère,  le  livre  que 
je  vous  envoie  vous  appartient; 
c'est  le  résumé  de  ces  grandes  et 
magnifiques  doctrines  que  vos  an- 
ciens écrits  ont  développées  dans 
mon  esprit.  De  malheureuses  cir- 
constances ont  pu  faire  croire  que 
vous  aviez  oublié  ces  doctrines  qui 
ont  fait  votre  gloire  et  votre  bon- 
heur, ainsi  qu'elles  font  encore  le 
mien.  Mais  rien  n'a  pu  me  per- 
suader qu'elles  se  soient  effacées 
de  votre  noble  cœur.  La  preuve  de 
cela  est  que  vous  n'êtes  pas,  k  ce 
qu'on  me  dit,  si  heureux  que  je 
veux  que  vous  le  soyez  et  que  vous 
méritez  tant  de  l'être.  J'ai  aussi 
une  grande  ambassade  à  vous  faire. 
C'est  de  la  part  de  l'ange  que  le  ciel 
nous  a  envoyé,  de  Pie  IX,  que  j'ai 
vu  ce  matin.  Il  m'a  chargé  de  vous 
dire  qu'il  vous  bénit  et  vous  at- 
tend pour  vous  embrasser.  C'est 
le  bon  pasteur  qui  cherche  sa 
brebis;  c'est  le  père  qui  va  à  la 
recherche  de  son  enfanl.  Ainsi,  je 
ne  désespère  pas  de  vous  voir  re- 
venir à  l'ancien  drapeau,  pour 
combattre  ensemble  comme  nous 
l'avons  fait  déjà  îi  la  gloire  de  la 
religion  et  au  bonheur  de  la  pau- 
vre humanité.  Dans  cet  espoir, 
que  je  vous  prie  de  ne  pas  ébran- 
ler en  moi,  je  suis  pour  la  vie 
votre  très-affectionné  ami  et  frère, 
Ventura.  »  DiLS  quelles  disposi- 
tions une  lettre  si  tou(  hunle  trouva- 
l-elle  l'abbé  de  La  Menuais?  La  ré- 
ponse qu'il  fit  et  qui  désola  sans 
doute  celui  qui  l;i  reç  it  doit  être 
connue,  puisqu'elle  complète  ce 
que  commençait  celle  de  Ventura. 


Cette  réponse  est  datée  du  3  no- 
vembre 1847.  «  Comme  après  les 
preuves  si  nombreuses  que  vous 
m'avez  données,  mon  cher  ami,  je 
n'ai  jamais  douté  un  seul  instant 
de  vos  sentiments  à  mon  égard, 
vous  ne  pouvez  non  plus  douter 
de  ceux  que  je  vous  ai  voués  de- 
puis si  longtemps  et  qui  ne  s'é- 
teindront qu'avec  moi.  Mais  tou- 
jours amis  par  le  cœur,  nous  avons 
cessé  de  l'être  complètement  par 
les  convictions  de  l'esprit.  Celles 
que  vous  savez  être  les  miennes  et 
que  vous  ne  pouvez  partager,  je  le 
comprends,  sont  mou  être  même, 
ma  foi,  ma  conscience,  et  j'y  trouve 
plus  de  paix  et  de  bonheur  que  je 
n'en  goûtai  jamais  en  aucun  temps 
de  ma  vie.  Elles  me  consolent  des 
maux  présents  par  l'espérance, 
certaine  à  mes  yeux,  de  l'avenir 
digne  de  lui,  de  sa  puissance  et  de 
sa  bonté,  que  Dieu  prépare  au 
monde.  Il  s'agite  et  se  transforme 
sous  sa  main.  Nous  assistons  à  une 
grande  mort  et  à  une  grande  nais- 
sance :  seulement  nous  voyons 
clairement  la  tombe,  et  le  berceau 
est  encore  voilé.  Je  prie  de  tout 
mon  cœur  celui  qui  dispose  souve- 
rainement des  choses  humaines  de 
bénir  les  desseins  qu'il  inspirera 
lui-même  au  pontife  vénérable  dont 
les  peuples,  en  ce  moment,  encou- 
ragent les  efforts  par  leurs  accla- 
mations unanimes.  La  mission  que 
la  Providence  a  coutiée  k  son  zele 
est  immense.  Il  ne  restera  point 
en  arrière;  il  marchera  jusqu'au 
bout  avec  fermeté  dans  la  roule 
glorieuse  ouverte  devant  lui.  Veuil- 
lez mettre  à  ses  pieds  mes  vœux 
et  mes  respects.  Le  petit  livre 
qu'on  m'a  remis  de  votre  part  mé- 
rite toutes  les  louanges  (ju'il  a  re- 
çues universellement.  Je  garderai  le 
portrait  comme  un  souvenir  pré- 


262 


VEN 


VEN 


cieux  de  l'ami  cher  et  tendre  à  qui 
je  suis  heureux  de  redire  avec 
quelle  sincère  et  vive  affection  je 
lui  serai  toujours  dévoué.  »  Je  ne 
sais  de  quel  livre  il  est  question 
dans  ces  deux  lettres,  mais  ie  por- 
trait que  l'abbé  Robert  promet  de 
garder  comme  un  souvenir  précieux 
était  celui  de  Pie  IX  et  non  de  Ven- 
tura. A  la  lin  de  Tannée  1847,  les 
événements  les  plus  graves  appro- 
chaient aussi.  La  France  ne  rêvait 
que  les  banquets  réformistes,  l'Ita- 
lie commençait  ses  soulèvements. 
Combien  d'écrivains  parlaient  sur  le 
royaume  de  Naples,  sur  les  princi- 
pautés du  centre  de  la  péninsule  ita- 
lienne, avec  une  imprudence  et  une 
prévention  qu'ils  regretteraient  au- 
jourd'hui !  On  peut  croire  que  le 
père  Ventura  n'était  pas  de  ceux 
qui  gardassent  le  plus  de  modéra- 
lion  dans  leurs  opinions  ou  de 
retenue  dans  leurs  paroles.  Il  est 
important  de  l'apprendre.  Ce  que 
je  pourrais  en  dire  n'égalerait  point 
le  récit  d'un  journal  français  qui 
ne  doit  pas  être  suspect  en  cette 
circonstance.  Le  Journal  des  Débats 
contenait  une  correspondance  de 
Home,  en  date  du  28  février,  dont 
un  extrait  nous  apprendra  ce  qu'é- 
tait déjà  le  père  Ventura,  et  l'idée 
qu'on  avait  de  lui  :  «  L'événement 
de  ces  dix  derniers  jours  a  été  la 
publication,  à  quelque  intervalle 
l'une  de  l'autre,  de  deux  brochures 
politiques  du  fameux  père  Ventura. 
Né  Sicilien,  jésuite  (juelques  an- 
nées, puis  théatin,  ancien  profes- 
seur de  droit  civil ,  enfin  prédica- 
teur célèbre  et  justement  célèbre  ; 
de  plus,  ancien  général  de  son 
ordre  et  cardinal  en  expecta- 
tive, le  père  Ventura  ambitionne 
maintenant  la  gloire  d'homme  po- 
litique. C'e.sl  toujours  une  tentative 
hasardeuse   pour    une    popularité 


déjà  faite  que  celle  de  se  lancer 
dans  une  nouvelle  voie.  Le  moins 
à  quoi  elle  puisse  s'attendre,  c'est 
de  se  voir  entamée  et  compromise  : 
voilà  précisément  ce  qui  arrive  à  la 
popularité,  si  vieille  déjà,  du  cé- 
lèbre théatin.  La  première  de  ces 
publications  porte  pour  titre  :  La 
Question  sicilienne  résolue  suivant 
les  vrais  intérêts  de  la  Sicile,  dz 
Naples  et  de  Vltalie,  et  est  dédiée  à 
don  Roggieri  Seltimo  ,  chef  du 
mouvement  palermitain.  L'auteur 
se  prononce  ouvertement  pour  la 
séparation  totale  de  la  Sicile.  Cette 
opinion  a  été  relevée  par  la  presse 
romaine  comme  compromettante 
pour  la  cause  générale  de  l'Italie; 
maiscomme  le  débat  n'intéresseque 
très-secondairement  l'État  pontifi- 
cal, et  que,  d'ailleurs,  il  a  été  com- 
plètement effacé  par  la  seconde 
brochure, qui  entre  dans  le  fond  de 
la  situation  romaine,  je  crois  inu- 
tile d'y  insister.  Le  pape,  entraîné 
par  l'exemple  de  Naples,  de  la  Tos- 
cane et  du  Piémont,  a  promis  une 
constitution  ou  quelque  chose  qui 
ressemble  à  une  constitution.  Mais 
s'il  a  suffi  aux  souverains  de  ces 
divers  Etats  de  faire  traduire  plus  ou 
moins  la  Charte  française  pour 
avoir  des  constitutions  locales,  à 
Rome,  où  la  souveraineté  se  base 
sur  deux  principes  de  nature  diffé- 
rente, natures  distinctes  en  droit, 
tandis  qu'en  fait  elles  sont  le  plus 
souvent  mêlées,  enchevêtrées,  fon- 
dues l'une  sur  l'autre  ;  k  Rome, 
dis-je,  la  rédaction  d'une  constitu- 
tion présentait  trop  de  difficultés 
pour  être  ainsi  improvisée  en  quel- 
ques heures.  Les  masses  ont  com- 
pris elles-mêmes  cet  état  de  choses 
à  part  et  s'en  sont  préoccupées. 
Une  commission  a  commencé  des 
études  sur  ce  sujet.  Le  projet  de 
Statut  se  formait  peu  à  peu  ;  mais 


VEN 

la  difficulté  majeure  qui  le  domine 
n'a  pas  encore  été  abordée  :  je  veux 
parler  de  la  position  du  sacré  col- 
lège dans  le  nouvel  ordre  de  choses. 
C'est  le  thème  de  la  brochure  du 
père  Ventura  ,  lancée  pour  sonder 
l'opinion.  Elle  est  intitulée  :  Opi- 
nicn  sur  une  chambre  des  pairs  dans 
les  Etats  pontificaux.  Puisque  au- 
jourd'hui on  ne  conçoit  plus  une 
constitution  sans  une  chambre  des 
pairs,  comment  se  devra  consti- 
tuer la  chambre  des  pairs  dans  les 
Etats  pontificaux  ?  Trois  opinionsse 
débattent  autoiT  de  cette  question: 
la  première  veut  qu'elle  soit  formée 
purement  et  simplement  par  les 
laïques  ;  c'est  celle  qui,  par  esprit 
d'imitation  ou  par  antipathie  cléri- 
cale, voudrait  enlever  à  l'État  tout 
élément  ecclésiastique  ;  la  seconde 
est  celle  des  amalgamistes  oj  paci- 
fiques, qui  veulent,  disent-ils,  con- 
cilier tous  les  intérêts  et  tous  les 
amours-propres,  et  qui  introdui- 
raient dans  la  chambre  haute  un 
certain  nombre  de  prélats  et  de 
cardinaux;  la  troisième  opinion, 
enfin  ,  dit  qu'une  chambre  des 
pairs,  proprement  dite,  dans  l'Etat 
pontifical,  «  serait  non-seulement 
(c  inutile,  mais  un  danger,  et  que, 
«  voulant  un  corps  intermédiaire 
«  entre  le  souverain  et  les  fcpré- 
«  sentants  du  peuple ,  il  n'y  a  rien 
0  de  mieux  à  faire  qu'à  rétablir  le 
«  sacré  collège  dans  ses  anciennes 
«  attributions  et  d'en  faire  le  pre- 
«  mier  corps  de  l'État.  »  Cette 
opinion,  contrairement  à  toutes  les 
prévisions,  car  le  célèbre  écrivain 
n'a  pas  toujours  ,  comme  prédica- 
teur, ménagé  la  pourpre,  est  celle 
soutenue  et  préconisée  par  l'au- 
teur; et,  selon  moi,  elle  n'a  qu'un 
tort,  celui  d'arriver  trop  tard.  Aussi 
l'écrit  dont  je  m'occupe  a-l-il  été 
accueilli  par  une  réprobation  gé- 


VTEN 


263 


nérale.  On  ne  le  discute  pas,  on  le 
siffle,  et  le  père  Ventura,  tant 
aimé,  tant  choyé  par  les  progres- 
sistes jusqu'à  ce  jour,  n'est  plus 
qu'un  moine  comme  les  autres.  » 
On  voit  par  cette  remarque  :  contre 
toute  prévision,  l'idée  que  le  parti 
révolutionnaire  s'était  formée  déjà 
du  père  Ventura.  La  première  de 
ces  deux  brochures  n'aura  peut- 
être  pas  été  sans  influence  sur  la 
détermination  que  la  Sicile  prit 
bientôt  après.  Des  bâtiments  an- 
glais, dirent  les  journaux  de  l'é- 
poque ,  sillonnaient  ses  mers  et 
longeaient  ses  bords;  elle  poussa 
son  cri  de  liberté  et  d'afl"ranchisse- 
ment,  leva  l'étendard  de  la  révolte 
et  se  sépara  de  la  mère-patrie.  On 
peut  s'exprimer  ainsi.  En  effet,  le 
parlement  de  cette  île  ,  séant  à  Pa- 
lerme,  rendit,  le  13  avril  1848,  un 
décret  ainsi  conçu  :  «  Ferdinand 
de  Bourbon  et  sa  dynastie  sont  pour 
toujours  déchus  du  trône  de  Sicile. 
Art.  2.  La  Sicile  sera  régie  par  un 
gouvernement  constitutionnel.  Elle 
appellera  au  trône  un  prince  italien 
dès  qu'elle  aura  revisé  sa  constitu- 
tion (i).  B  On  peut  se  figurer  de 
quel  œil  Ventura,  Palermitain,  vit 
tous  ces  mouvements  dans  sa  pa- 
trie. Le  nouveau  gouvernement  qui 
avait  et  qui  connaissait  toutes  ses 
sympathies  ,  le  nomma  ministre 
plénipotentiaire  et  commissaire 
extraordinaire  à  la  cour  de  Rome. 


(I)  Cette  constitution  éphémère  fut 
eficctivcmcnt  rodigce  quelque  temps 
iiprès.  Elle  portait  du  moins  connue  ar- 
ticle fonilynicntal  que  la  rcIii;ion  ca- 
tholique serait  la  religion  de  l'Etat,  que 
le  roi  de  Sicile  la  professcniit  néces- 
sairement, et  que  le  fait  de  la  profes- 
sion d'un  autre  culte  serait  une  abiti- 
cation!  Que  ferait-on  aujourd'hui  dans 
Cftte  malheureuse  ile  subjuguée  par  Ij 
traiusoD? 


264 


VEN 


11  n'accepta,  dit-on,  cette  mission 
d'un  gouvernement  insurrectionnel 
qu'avec  le  bon  plaisir  du  pape  II 
est  bien  vrai  que  Ventura  accepta 
ces  étranges  fonctions  ;  mais  est-il 
bien  vrai  que  Pie  IX  ait  sanctionné, 
en  quelque  sorte,  par  son  appro- 
bation, la  révolte  d'un  peuple  égaré 
contre  un  souverain  son  allié,  au- 
quel il  alla  bientôt  demander  un 
asile  à  Gaéte  ?  Plus  d'un  lecteur 
partagera  mes  doutes.  Pendant 
quelques  mois,  Ventura  sembla  se 
tenir  à  l'écart  ou  dans  le  silence, 
mais,  vers  le  milieu  du  mois  de 
fccpiembre,  le  bruit  courut  à  Rome 
qu'il  allait  publier  un  écrit  sur  la 
Sicile.  Ce  fut  peut-être  alors  qu'il 
publia  un  mémoire  sur  Vlndépcn- 
dance  de  la  Sicile,  et  un  autre  sur 
la  Légilimilé  des  actes  du  Parlement 
sicilien;  jjuis  un  gros  volume  inti- 
tulé :  Mensonges  diplomaliqiies.  Si 
Ventura  avait  gardé  le  silence  du- 
rant les  mois  précédents,  il  n'avait 
pas,  néanmoins,  été  dans  l'inacti- 
vité, ce  que  d'ailleurs  ses  idées  et 
sa  nature  ne  lui  auraient  pas  per- 
mis dans  de  telles  circonstances. 
On  a  dit  que,  d'accord  avec  le  cé- 
lèbre abbé  Rosmini  (1)  et  d'illustres 
représentants  des  divers  Etats  ita- 
liens, il  préparait,  vers  le  mois  de 
mai,  une  confédération  italienne, 


(l)  L'abbé  Hosmini,  mort  il  y  a 
quehincs  années,  était  un  iioninie  dis- 
tinijuc  piir  ses  talents,  et  suitout 
coninift  philosophe  profond.  Ses  écrits 
juslilicnt  cette  opinion.  Distingué  aussi 
par  sa  piété  et  son  zèle,  il  a  londé  une 
société  religieuse  sous  le  nom  de  la 
Charxlc,  qui  s'est  déjà  étabiii-.  en  An- 
gleterre, et  qui  avait  essayé  un  établis- 
sement en  France.  Il  doïina  trop  aux 
idées  qui  égareront  l'ilahe  en  18 i8, 
niai^  il  se  soumit  avec  un  empressement 
édiliant  au  jugement  (pie  Home  avait 
porté  contre  une  de  ses  productions. 
(Voir  ci-après.j 


VEN 

laquelle  eiit  eu  le  pape  pour  prési- 
dent, et  il  a  prétendu  que  l'aveu- 
glement de  l'abbé  Gioberli  et  l'am- 
bition du  roi  de  Piémont,  Charles- 
Albert,  firent  échouer  ce  projet.  Il 
avait  poussé  le  pape  {\  donner  une 
constitution  au  peuple  romain, mais, 
suivant  lui ,  le  pape  s'y  décida  trop 
tard.  D'autres  pourront  croire  que 
le  pape  s'y  décida  trop  tôt,  et  qu'il 
eût  été  heureux  de  ne  s'y  décider 
jamais.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  régime 
constitutionnel  fut  établi  -a  Rome, 
et  on  sait  tous  les  malheurs  qu'il  y 
amena.  Le  pape  n'eut  d'autre  res- 
source que  de  s'échapper  et  d'évi- 
ter la  cruauté  de  sujets  ingrats;  il 
partit  furtivement  de  Rome  le 
24  novembre  1848,  et  se  retira  à 
Gaéte,  ville  fortifiée  du  royaume  de 
Naples,  et  située  assez  près  des 
limites  de  l'État  pontifical.  On  sait 
que  les  cardinaux  et  la  partie  saine 
de  la  diplomatie  étrangère  alla  l'y 
rejoindre.  Ventura  resta  à  Rome, 
tandis  que  Teslimable  abbé  Ros- 
mini, avec  lequel  il  s'honorait  d'a- 
voir des  rapports  ,  alla  aussi  à 
Gaële.  Rosmini  refusa  le  ministère 
de  l'instruction  publi(iue  dans  le 
nouveau  gouvernement ,  et  Ven- 
tura, de  son  côté,  refusa  la  candi- 
dature à  l'Assemblée  constituante, 
quoiqu'il  ait  prétendu  être  autorise 
par  le  pape  à  l'aocepler,  ce  qui, 
pour  moi,  reste  fort  douteux.  Tout 
ce  qui  se  passait  alors  d'étrange  et 
d'indigne  sous  ses  yeux,  ne  les  lui 
ouvrit  guère  apparemment.  Il  crut 
pouvoir,  dans  de  telles  circon- 
stances, imprimer  le  discours  fu- 
nèbre qu'il  avait  prononcé  en  l'hon- 
neur des  viclimes  de  Vienne,  et  dont 
j'ai  parlé  ci-dessus.  Il  y  joignit  une 
préface  et  une  noie  sur  la  fuite  du 
pape,  mais  il  semblait  craindre  le 
jugement  du  public,  et  ne  se  hâtait 
pas  de  les  lui    livrer.  Néanmoins 


VEN 

l'opuscule  parut,  mais  il  avait  eu 
auparavant  le  suffrage  du  Contem- 
poraneo ,  journal  révolutionnaire 
qui  avait  sans  cloute  son  estime.  Je 
ne  dirai  donc  rieu  de  suspect  à  la 
mémoire  du  père  Ventura,  en  em- 
pruntant à  une  feuille  amie  les 
expressions  et  le  jugement  sur 
celui  de  i^es  ouvrages  que  je  dois 
faire  connaître  plus  que  tous  les 
autres.  Le  titre  est  caractéristique  : 
Paroles  du  père  Ventura  sur  les 
événements  actuels.  «  Nous  avons 
déjà  rapporté  les  libres  et  élo- 
quentes paroles  par  lesquelles  l'il- 
iuslre  P.  Ventura  terminait  le  dis- 
cours qu'il  a  lu  dans  l'église  de 
Saint-André  délia  Valle,  pour  les 
funérailles  des  martyrs  de  la  liberté 
à  Vienne.  Aujourd'hui,  en  l'impri- 
mant, il  y  a  mis  une  savante  pré- 
face, dont  nous  prenons  quelques 
extraits  très-remarquables  et  rela- 
tifs aux  affaires  actuelles  de  Rome 
et  de  l'Italie.  »  Après  avoir  débuté 
ainsi  ,  le  journal  cite  plusieurs 
phrases  d'inie  violence  extrême  à 
l'adresse  de  ceux  que  le  père  Ven- 
tura appelle  imbéciles  et  stupidcs 
obscurantistes^  et  auxquels  il  dit  : 
«  Vous  avez  envié  à  Pie  IX  l'hon- 
«  neur  de  donner  son  nom  à  son 
«  siècle...  De  Guelfe  qu'il  devait 
«  être  pour  être  fort,  vous  l'avez 
«  fait  paraître  Gibelin.  Italien  par 
«  son  origine  terrestre,  vous  l'avez 
a  fait  paraître  impérial  ;  de  popu- 
«  laire  vous  l'avez  fait  royal...  Vous 
a  en  avez  fait  le  prisoimier  de  la 
«  diplomatie  (voyez  la  note  de  la 
«  fin),  le  jouet  de  l'absolutisme.  » 
Cette  parenthèse  :  Voyez  la  note... 
n'est  pas  ds  moi,  elle  est  bien  du 
père  Ventura,  et  pour  répondre  à 
ses  désirs,  pour  entrer  dans  ses 
vues,  je  vais  en  donner  les  princi- 
paux passages  :  «  Pie  IX  n'avait 
«  pas  la  moindre  idée  de  quitter 


VEN 


265 


«  Rome  ;  c'est  l'intrigue  absolutiste 
«  qui  la  lui  a  inspirée,  en  lui  fai- 
«  sant  croire  que  sa  personne  et  sa 
«  dignité  comme  chef  de  l'Église 
«  n'étaient  plus  en  sûreté  à  Rome. 
«  Une  certaine  diplomatie  voulait 
a  avoir  le  pape  entre  ses  mains 
«  pour  en  tirer  parti  dans  un  inté- 
«  rêt  purement  politique...  La  pri- 
«  son  de  Pie  IX  à  Gaéte  est  certai- 
«  nement  plus  splendide  que  celle 
«  de  Pie  VII  à  Fontainebleau.  Elle 
«  n'est  ni  plus  sage  ni  plus  sûre... 
«  Le  pape  n'est  pas  libre,  ou  au 
«  moins  il  est  sous  une  contrainte 
«  morale.  Le  parti  autrichien  obs- 
ff  curantiste  travaille  à  obtenir 
«  une  déclaration  de  principes 
«  ami -libéraux.  Nous  espérons 
«  qu'il  ne  l'obtiendra  pas,  et  que 
«  Pie  IX  ne  se  mettra  pas  en  con- 
«  tradiction  avec  lui-même.  Oh  ! 
«  quelle  confusion  quand  cette  hor- 
«  rible  intrigue  sera  connue  !  En 
«  attendant,  les  journaux  étrangers 
«  ne  cessent  pas  de  déclamercontre 
((  la  prison  que  Pie  IX  ^iubissait  à 
«  Rome  comme  prince  et  comme 
«  pontife.  Ils  sont  trompés  sans  pu- 
«  deur  par  leurs  correspondants 
a  légitimistes,  philippistes,  obscu- 
«  rantistes,  fourbes  ou  imbéciles. 
«  Ces  journaux  sont  dans  une  igno- 
«  rance  complète  de  la  vraie  siiua- 
a  tion  des  affaires  à  Rome.  Ils 
«  croient  que  la  question  est  entre 
«  une  poignée  de  démagogues  qui 
«  veut  la  licence  et  l'anarehie,  et 
u  Pie  IX  qui  s'y  oppose,  quand, 
«  au  contraire,  la  question  est  :  Si 
«  la  constitution  donnée  par  Pie  IX 
«  doit  ou  non  être  détruite  ;  la 
a  question  est  entre  l'absolutisme 
«  et  la  liberté.  »  Ainsi  écrivait 
Ventura  vers  la  On  de  l'année 
4848  ;  nous  allons  voir  bieulùt 
comment  il  agira  en  18i9.  Qu  on  se 
rappelle,  eu  lisant  ceci ,  ce  que  j'ai 


266 


VEN 


VEN 


cité  de  la  lettre  aux  rédacteurs  de 
V Avenir,  et  ce  que ,  l'année  précé- 
dente, Ventura  adressait  à  l'abbé 
Robert  de  La  Mennais,  sur  ses  dé- 
fections et  les  remords  qu'il  devait 
éprouver.  Ventura,  en  face  de  sa  con- 
science, de  Dieu  et  des  souvenirs  des 
bontés  de  Pie  IX,  pouvait-il  avoir 
l'àmetranquille!  Un  homme  qui  pou- 
vait tracer  de  telles  lignes, méritait 
bien  l'affection  et  les  préférences 
d'un   démagogue   tel  que  Lucien 
Bonapaite,  prince  de  Canino.  Aussi 
ce  prince  avait-il  proposé  de  faire 
entrer  le  P.  Ventura  dans  la  junte 
de  gouvernement,  destinée  à  rem- 
placer le  pape  !  Le  jour  de  Pâques 
1849,  les  nieml)res  du  gouverne- 
ment révolutionnaire  de  Rome  or- 
donnèrent   la    célébration    d'une 
messe  solennelle,  à  laquelle  trium- 
virs, fonctionnaires  civils  et  mili- 
taires, durent  tous  assister.  A  l'au- 
tel réservé  au  pape  seul,  dans  la 
basilique  Saint-Pierre ,  un   prêtre 
nommé  Spola,  qu'on  dit  du  diocèse 
de  Verceil,  osa  célébrer  et  se  subs- 
tituer à  la  place  de  Pie  IX ,  assisté 
du  père  Gavazzi  et  du  père  Ven- 
tura.  Le    père    Ventura   était   \h 
quand  les  colonels,  généraux  et  offi- 
ciers prêtèrent,  devant  l'autel,  ser- 
ment à  la  République  romaine  !  Il 
accompagna  encore,  avec  Gavazzi, 
l'abbé  Spola  se  rendant  procession- 
nellement  'd  la  façade  de  l'église 
Saint-Pierre,  djoii  le  pape  a  cou- 
tume  de  bénir  solennellement  la 
ville.  Celte  parodie  sacrilège  se  ter- 
mina par  la  bénédiction  du  Saint- 
Sacrement.  Je  cherche  à  me  per- 
suader que  Ventura  n'a  pas  eu  une 
part  si  large  à  celte  profanation, 
quoique  j'en  trouve  le  récit  avec  ces 
circonstances,  dans  une  feuille  alors 
si  justement  accréditée,  ÏAvii  de  la 
Heligion.  Le  même  journal  dit  ail- 
leurs, d'après  une  correspondance 


de  Rome  :  «  Les  places  d'honneur 
«  occupées  autrefois  par  les  mem- 
«  bres  du   sacré   collège    étaient 
«  remplies   par    les  triumvirs   et 
«  l'Assemblée  constituante.  Le  mal- 
ce  heureux  père  Ventura  était  éga- 
«  lementlà  pourreprésenter,  comme 
«  envoyé  de  Sicile,  tout  le  reste  du 
«  corps  diplomatique  qui  était  ab- 
«  sent.  »  Ventura  se  serail-il  borné 
ii  ce  rôle,  ne  serait-ce  pas  déjà  une 
prévarication  inconcevable  de   sa 
part?  Effrayé  cependant  de  la  situa- 
tion de  Rome,  Ventura  quitta  cette 
ville  le  4  mai.  En  passant  à  Palo, 
il  demanda  à  voir  Oudinot,  général 
en  chef  de  l'armée  envoyée  par  la 
république  française  pour  délivrer 
Rome   de  ses    oppresseurs   et   la 
rendre    au  souverain    pontife.   Il 
était  chargé  par  les  triumvirs  Mazzi- 
ni,  Armellini  et  Safli  de  dire  au 
général  que  la  journée  du  30  avril 
n'était  qu'un  malentendu  (1),  qu'il 
était  peut-être  encore  possible  de 
concilier   les   choses,   si  Oudinot 
consentait  à  faire  une  déclaration 
établissant  d'une  manière  nette  et 
précise  que  la  France  n'imposerait 
aucun    gouvernement    aux    États 
romains.    Oudinot    répondit  qu'il- 
croyait  avoir  assez  fait  connaître  la 
pensée  de  son  gouvernement,  pen- 
sée toute  libérale.  Qu'après  ce  qui 
avait  eu  lieu  (le  ôlO  avril)  il  avait,  à 
coup  sûr,  le  droit  de  se  montrer 
sévère  ;  que  cependant  il  était  en- 
core prêt  à  entrer  à  Rome  en  ami, 
comme  intermédiaire  entre  l'anar- 
chie et  le  despotisme  (2)  qui  me- 


(1)  Dans  cette  journée  du  30  avril 
i8i9,  des  Français  avaient  été  attirés 
dans  un  guet-apens  par  la  foiirbciie  des 
républicains  romains,  qui  en  avaient 
tue  et  blessé  quelques-uns,  et  arrêté 
les  autres. 

(-2)  Despotisme  !  !  !  de  qui?...  On  voit 
de  qui  il  veut  parler. 


VEN 


VEN 


267 


nacent  les  populations.  Il  ajouta 
qu'en  agissant  ainsi  il  croyait  agir 
dans  le  véritable  intérêt  du  peuple 
romain.  Oudinot  indiqua  ces  parti- 
cularités dans  sa  dépêche  au  mi- 
nistre des  affaires  étrangères.  Ven- 
tura se  rendit  à  Civita-Vecchia. 
Quoiqu'il  partît  alors  pour  une  sorte 
d'exil  volontaire,  il  n'avait  pas  ou- 
vert les  yeux  sur  l'abîme  qu'il  avait 
aidé  à  creuser,  et  quelque  temps 
'dpT(is]e  Monilore  romano  contenait 
les  lignes  étranges  que  je  vais  rap- 
porter, et  qui  sont  extraites  d'une 
lettre  de  sa  naain  :  «  Qaaiit  au  pape, 
«  j'ai  soutenu,  il  est  vrai,  à  une  cer- 
«  taine  époque  comme  moyen  de 
«  résoudre  la  question,  la  répu- 
«  blique  avec  la  présidence  du 
a  pape  pro  tempore.  Mais  l'homme 
«  d'État,  prudent  et  sincère  doit 
ff  savoir  faire  le  sacrifice  de  son 
«  opinion  quand  il  la  voit  en  oppo- 
«  sition  avec  le  vœu  public  du 
«  peuple.  Or,  dans  les  États  ro- 
«  mains,  le  vote  libre  du  peuple  s'est 
«  catégoriquement  prononcé  pour 
a  une  séparation  absolue  entre  le 
«  spirituel  et  le  temporel  ;  pour- 
«  rais-je  avoir  la  folie  de  faire 
a  triompher  une  opinion  contraire 
ff  à  ce  vote  ?  Il  y  a  quelques  mois 
a  la  chose  était  possible  ;  mainte- 
«  nant  elle  ne  l'csten  aucune  façon; 
«  il  n'y  faut  plus  songer.  Ceux-là 
a  même  qui  auraient  dû  la  vouloirne 
a  l\mt  pa.H  voulue;  tant  pis  pour  eux. 
a  Aujourd'hui  le  clergé  doit  renou- 
er cer  absolument  ii  toute  parlicipa- 
i<  tion,  même  indirecte,  au  gouvcr- 
«  nement  temporel  de  l'État. 
<f  Aujourd'hui  sa  seule  occupation 
0  doit  être  de  prêcher  au  peuple 
«  libre,  et  par  la  parole  et  par 
«  l'exemple,  la  vraie  doctrine  de 
a  l'Éj^Mise ,  alin  de  prévenir  tout 
«  égarement,  afin  d'empêcher  le 
rt  grand  mouvement  qui  ébranle j  qui 


«  renverse  tout,  et  qu'aucune  force 
«  humaine  ne  saurait  arrêter,  de 
«  devenir  protestant  ou  voltairien,  de 
«  chrétien  qu'il  a  été  et  qu'il  est 
«  encore.»  La  presse  s'occupait  de 
lui  de  temps  à  autre,  en  France 
comme  en  Italie.  Il  trouvait  des 
sympathies,  dont  on  lui  donnait  des 
preuves  fort  peu  honorables  pour 
lui,  telles  que  celles  fournies  par 
ces  lignes  de  l'abbé  Anatole  Le- 
ray  (l),  qui  mettait  Ventura  «  au 
«  nombre  de  ces  hommes  d'élite  qui 
«  défendent  la  cause  démocratique 
«  et  sociale.  Il  cherche  à  délivrer  la 
Œ  papauté  de  la  servitude  des 
a  alliances  avec  les  gouvernements 
a  et  les  dynasties,  pour  l'unir  à  la 
«  cause  et  à  l'idée  des  peuples. 
«  C'est  lui  qui  a  inauguré  à  Rome 
«  la  politique  de  la  franchise,  et 
a  frappé  de  mort,  en  la  dépoi)ula- 
a  risant,  la  diplomatie  de  la  ruse  et 
a  du  mensonfje.  Il  a  tout  fait  pour 
a  délivrer  lu  papauté  de  celte  in- 
a  fhience  (jui  la  paralyse,  de  ces 
«  intrigues  qui  l'avilissent....  Le 
«  zèle  de  la  vérité  le  dévore  !...  Le 
«  père  Ventura  est  la  personnifica- 
a  tion  vivante  de  la  pensée  catho- 
«  lique...  Et  si  un  concile  général 
«  a  lieu  prochaitiement,  c'est  lui 
«  qui  en  sera  l'âme  et  la  parole 
V  puissante.  >>  Ventura  reçut  l'hu- 
miliation de  cet  éloge,  mais  on  dit 
qu'il  le  réprouva,  peut-être  l'en- 
tend-on  de  cette  repaobation  indi- 
recte, mais  positive,  qui  résulte  de 
îa  soumission  dont  je  vais  parler 
tout  à  l'heure.  11  connaissait  lui- 
même  Anatole  Leray  ;  je  voudrais 


(1)  L'abbé  Anatole  Leray  était  un 
jeune  prîtUo,  du  (liol•^sc  do  Saint- Urieuc, 
passionne  jus(|u'a  la  lolic  pour  k^  ulccs 
(|ui  doiiiiiiaiciit  cil(ir>.  Ou  dit  qu'il  uiou- 
rut  dans  ccb  scntiujculs  peu  de  lumps 
après. 


268 


VEN 


douter  de  l'existence  d'une  lettre 
dont  je  n'ai  pas  vu  le  texte,  qu'il 
lui  écrivit  pour  Tencourager,  disant 
que,  pour  lui,  il  n'était  plus  d'un 
âge  à  pouvoir  soutenir  une  lutte. 
Dans  un  manifeste  aux  prêtres  ita- 
liens, Mazzini  donnait  à  Ventura 
im  témoignage  dont  celui-ci  n'au- 
rait pas  voulu  s'applaudir  partout. 
«  Prêtres  italiens,  s'écrie-t-il,  mes 
paroles  sont  graves  :  si  le  salut  du 
monde  et  de  vos  croyances  vous  est 
cher,  écoutez-nous.  Nous  pourrions 

—  UN  DES  VÔTRES  l'a  DIT,  et  qUC  CC 

soit  pour  vous  une  preuve  de  l'es- 
prit qui  nous  anime,  nous  pour- 
rions vaincre  sans  vous,  mais  nous 
ne   le  voulons  pas.  »  Si  de  sem- 
blables  compliments    étaient   peu 
flatteurs,    et    probablement    alors 
moins  agréables  au  père  Ventura,  il 
avait  reçu  des  remontrances  aux- 
quelles  son    amour-propre  ,    et , 
croyons- le,   sa  conscience  aussi, 
avaient  dû  être  fort  sensibles.  Son 
ordre,  désolé  et  humilié  de  la  chute 
si  lourde  faite  par  un  homme  qui 
en  avait  été  le  chef,  lui  fit  écrire 
après  l'assemblée  générale,  au  mois 
d'août  1849,  une  lettre  charitable, 
grave  et  môme  sévère  ,  remplie  de 
reproches  fondés  et  de  bons  sou- 
haits. Après  l'entrée  des  Français  et 
le  retour  du  pape  h  Home,  la  posi- 
tion de  Ventura  eût  été  fort  gênée 
dans  cette  ville.  Sa  place  naturelle 
était  une  retçaite  dans  l'une  des 
maisons  de  son   institut.   Il  avait 
toujours  aimé  la  FYance,  il  en  fit  le 
lieu  de  son  exil  volontaire,  et,  muni 
probablement  de  la  permission  de 
ses  supérieurs,  il  vint  habiter  la 
ville   de    Montpellier ,    où    il    fut 
accueilli  par  M.  Thibaut,  qui  en 
était  alors  évêque,  et  où  il  passa 
deux  ans.  Peu  après  son  arrivée,  il 
y  apprit  que  son  Discours  funèbre 
pour  les  morts  de  Vienne  était  coa- 


VEN 

damné  à  Rome.  Cette  nouvelle  dut 
lui  causer  plus  de  peine  que  de 
surprise  ;  mais  il  se  soumit  aussitôt 
au  jugement  porté,  et  il  le  fit  en  des 
termes  si  édifiants  que  cette  pièce 
forme  encore  une  des  plus  belles 
pages  de  sa  vie,  et  que,  nonobstant 
son  étendue  je  crois  devoir  la  don- 
ner ici,  après  avoir  fait  des  cita- 
tions   assurément    moins    impor- 
tantes.  «  Je  soussigné ,  n'ayant  su 
qu'aujourd'hui  seulement,   par  le 
moyen  à\x  Journal  romain ^  que  mon 
Discours  pour  les  morts  de  Vienne, 
débité  et  imprimé  à  Rome  k  la  fin 
de  novembre  1848,  a  été  mis  par 
décret  de  la  sainte  congrégation  de 
l'Index,  au  nombre  des  livres  pro- 
hibés ;   n'ignorant  pas  ce  qu'en  de 
semblables  circonstances  l'Église  a 
le  droit  d'exiger  d'un  de  ses  enfants 
docile  et  soumis,  surtout  s'il   est 
ecclésiastique,   et  voulant  pleine- 
ment m'y  conformer,  me  croyant 
obligé    en  conscience  envers   les 
âmes  que  j'ai  dirigées,  envers  le 
peuple  que  j'ai  évangélisé,  de  leur 
donner  l'exemple,  et  que  j'ai  con- 
stamment recommandé  dans  mes 
discours,  ayant  toujours  déclaré  et 
protesté  vouloir  soumettre  au  juge- 
ment dudit  saint-siége  apostolique 
et  du  souverain  pontife  toutes  mes 
actions,  et  ayant  par  \k  contracté 
l'engagement   solennel    envers  le 
public  chrétien,  de  lui  prouver  par 
des  faiis,  le  cas  échéant,  la  loyauté 
de  mes  déclarations  et  protestations, 
et  la  sincère  volonté  que  j'avais  de 
les  mettre,  au  besoin,  en  pratique; 
sans  y  être  ni  contraint,  ni  con- 
seillé par  personne,  mais  n'écou- 
tant que  mes  propres  sentiments, 
qui  sont  ceux  d'un  vrai  catholique 
dont,  grâce  à  la  divine  miséricorde, 
mon  cœur  n'a  jamais  dévié  ;  libre- 
ment et  de  mon  propre  mouvement, 
je  déclare  que  j'entends  accepter 


VEN 


VEN 


269 


comme  j'accepte,  en  effet,  le  susdit 
décret  qui  condamne  mon  opus- 
cule ci-dessus  indiqué,  et  que  je  le 
condamne  sans  restrictions  ni  ré- 
serve, mais  dans  toute  l'étendue  du 
sens  dans  lequel  il  a  été  condamné 
par  l'autorité  légitime;  je  réprouve 
encore,  rejette  et  condamne  toutes 
et  chacune  des  doctrines,  maximes, 
expressions  et  paroles  qui,  dans 
mondit  livre  ou  tout  autre  de  mes 
écrits,  se  trouvent  ou  pourraient  se 
trouver  en  contradiction  avec  l'en- 
seignement de  la  sainte  Ëglise  ca- 
tholique, apostolique  et  romaine,  la 
seule  véritable.  Je  proleste,  en  ter- 
minant ,  que  c'est  dans  cette  sainte 
Église,  qu'avec  l'assistance  de  Dieu 
j'entends  et  espère  mourir,  quoi 
qu'il  m'arrive  et  au  prix  de  quelque 
sacrifice  que  ce  soit.  Montpellier, 
8  septembre;  signé  D.  Joachim 
Ventura,  de  l'ordre  des  RR.  PP. 
théatins  ;  je  l'atteste,  je  proleste  et 
déclare  comme  ci-dessus.  »  Il  au- 
rait pu,  peut-être,  faire  cet  acte  de 
soumission  en  moins  de  mots  et 
étendra  sa  rétractation  plus  loin. 
Quoi  qu'il  en  soit,  à  partir  de  ce 
temps ,  sa  conduite  et  ses  doctrines 
n'offrirent  aucune  prise  à  la  cri- 
tique. Il  y  eut,  toutefois,  un  petit 
incident,  pencianlsonséjour  à  Mont- 
pellier, qui  doit  être  encore  men- 
tionné. La  Gazette  du  Midi  publia 
l'analyse  d'un  sermon  de  Ventura, 
d'après  laquelle  le  prédicateur  n'au- 
rait pas  craint  de  se  vanter  du  haut 
de  la  chaire,  devant  un  nombreux 
auditoire,  d'avoir  une  fois  reçu  en 
confession  les  secrets  de  la  con- 
science du  souverain  pontife!  Oa 
fut  fort  afleclé,  à  Rome,  de  cet 
oul)li  descouvenances.  »  La  pénible 
impression  produite  à  Rome  a  celle 
occasion,  écrivait  quelqu'un,  me 
rappelle  qu'il  y  a  quelques  mois  un 
diplomate    accrédité     auprès    du 


saint-siége  faisait  des  démarches 
pour  obtenir  un  démenti  à  certain 
article  publié  dans  son  pays,  sous 
la  rubrique  :  RomCy  et  où  il  faisait 
sensation.  Voici  la  réponse  qui  lui 
fut  faite  :  Des  journaux  français  ont 
annoncé,  il  y  a  quelque  temps,  que  le 
saint-père  avait  envoyé  au  R.  P. 
Ventura  des  facultés  pour  accorder, 
par  une  bénédiction  spéciale,  des  in- 
dulgences aux  fidèles  qui  suivaient  le 
cours  de  ses  prédications  à  la  cathé- 
drale de  Montpellier.  Le  saint-père 
n'a  pas  fait  démentir  cette  nouvelle, 
quoiqu'elle  fût  complélement  fausse; 
voyez  par  là  s'il  entre  dans  les 
usages  de  la  cour  romaine  de  jamais 
rectifier  les  erreurs  que  peuvent 
commettre  les  journaux.  »  Et  on 
ajoutait  :  «  Puisse  le  compte  rendu 
du  dernier  sermon  du  R.  P.  Ven- 
tura être  aussi  peu  véridique  que 
l'histoire  des  indulgences  accordées 
àses  auditeurs  de  l'année  dernière.» 
A  Montpellier,  Ventura  ne  se  livra 
pas  seulement  au  ministère  de  la 
chaire,  il  composa  aussi  un  ouvrage 
sur  le  séjour  de  saint  Pierre  à 
Rome.  H  est  intitulé  :  Lettres  à  un 
ministre  protestant,  1  vol.  in-<2, 
4859.  Il  y  répond  à  un  ministre  de 
Genève,  qui  avait  renouvelé  celte 
banale  objection  si  souvent  présen- 
tée par  les  siens  ,  et  qui  consiste  à 
nier  le  séjour  et  l'episcopat  de 
saint  Pierre  dans  la  capitale  du 
monde.  En  1851  ,  Ventura  vint 
s'établir  à  Paris,  où  l'on  peut  croire 
que  se  portaient  ses  projets  et  ses 
désirs.  Il  u'eut  aucune  humiliation 
à  subir;  tout  le  monde  parut  igno- 
rer ou  avoir  oublié  son  passe.  On 
raconte ,  sur  l'obtention  de  ses 
pouvoirs  ecclésiastiques,  une  anec- 
dote (jui  ne  semble  pas  aSvSez  sé- 
rieuse jiour  trouver  sa  place  ici. 
Sous  l'adminisiralion  de  M.  Affre, 
qui  avait  accordé  le  celebrct  au  trop 


270 


YEN 


fameux  Vincent  Gioberli,  peut-c(re 
aurait-il  trouvé  qu(-lque  difficulté; 
car,  au  souvenir  des  actes  des  der- 
nières années,  se  serait  peut-être 
joint  le  souvenir  de  la  différence 
de  sentiments  sur  certains  points. 
C'était  à  M.  Affre,  alors  grand- 
vicnire  d'Amiens,  que  Ventura  fai- 
sait répondre  par  ses  amis,  ou  ré- 
pondait sur  l'équivoque  du  mot. ç|J07j- 
iiinée,  présentée  par  celui-là  d'une 
manière  piquante,  à  l'occasion  de  la 
démission  du  professorat  dont  j'ai 
parlé  au  commencement  de  cet  ar- 
ticle. Mais  Ventura  trouva  M.  Si- 
bour  archevêque  de  Paris,  et  sous 
la  juridiction  de  cet  ancien  ami, 
sa  position  était  naturellement  toute 
différente.  C'est  à  dater  de  son  sé- 
jour dans  la  capitale,  je  crois,  qu'il 
signa  son  nom  Ventura  de  Raulica. 
Sa  science  et  ses  connaissances 
étendues  le  mirent  en  relation  avec 
les  hommes  les  plus  distingués,  avec 
les  mathématiciens  comme  avec  les 
littérateurs.  Pendant  les  dix  derniè- 
res années  de  sa  vie,  qu'il  a  passées 
à  Paris ,  il  s'est,  comme  à  Mont- 
pellier, uniquement  donné  à  la 
composition  d'ouvrages  nombreux 
et  à  la  prédication.  Il  fut  bien- 
tôt appelé  à  exercer  ce  ministère, 
et  il  devait  prêcher  à  la  métropole, 
aux  exercices  de  l'Adoration  perpé- 
tuelle, le  2  déc(!mbre1851,  lorsque 
les  troubles  occasionnés  par  le  coup 
d'Klat  de  ce  jour,  lirenl  momenta- 
nément fermer  l'église.  11  a  occupé 
souvent  les  chaires  de  Saint-Louis 
d'Anlinet  de  la  Madeleine,  où  quel- 
ques incorrections  d'expression  et 
de  langage  n'empêchaient  pas  qu'il 
fût  goûté.  Il  a  même  prêché  une 
station  à  la  chapelle  impéride  des 
Tuileries,  où  il  montra,  dil-on  alors, 
une  certaine  hardiesse  ou  énergie. 
Comme  ses  sermons  sont  imprimés, 
OD  peut  juger  de  ce  qu  il  y  a  de 


VEN 

vrai  dans  celte  persuasion.  Ventura 
paraît  avoir  rompu,  dans  tout  ce 
temps-là,  avecles  opinionsde  l'abbé 
Robert  de  La  Mennais,  qu'il  n'y  avait 
d'ailleurs  plus  de  gloire  ou  d'inté- 
rêt à  suivre;  il  l'a  vu  cependant 
quelquefois,  mais  ils  étaient  loin 
de  s'accorder  sur  tout.  —  L'huma- 
nité est  grosse  d'un  grand  avenir, 
d'une  religion  nouvelle,  lui  disait  La 
Mennais  vers  1852.  —  Vous  vous 
trompez,  lui  répondit  Ventura  :  je 
lui  ai  tûié  le  pouls,  à  l'humanité, 
elle  n'est  pas  grosse,  elle  est  atteinte 
d'une  hydropisie.  D;ins  la  préface 
de  quelques-uns  des  livres  de  Ven- 
tura, et  notamment  dans  celle  de  ses 
Conférences^  on  lit  quelques  traits 
sur  sa  propre  histoire.  On  y  verra, 
par  exemple,  que  le  pape,  à  qui  l'on 
demandait  quel  homme  il  regardait 
comme  le  plus  savant,  après  un  in- 
stant de  réflexion,  répondit  que  c'é- 
tait le  père  Ventura,  etqu'ilnecon- 
naissait  personne  plus  instruit  que 
lui  et  l'abbé  Rosmini.  Ces  aveux  ou 
ces  révélations  s'écrivaient  sous  les 

yeux  de  Ventura  et  peut-être 

Une  notice  biographique,  rédigée 
par  lui-même  et  confiée  à  un  ami 
pour  un  certain  journal,  fut  insé- 
rée avec  des  modifications.  Depuis 
lors,  Ventura  ne  voulut  plus  voir 
cet  ami  auquel  il  avait  cependant  des 
obligations  littéraires,  et  qui  n'était 
pas  l'auteur  des  mutilaiions  de  l'au- 
tobiographie. Depuis  quelques  an- 
nées, Veptura  allait  se  délasser  et 
chercher  quelques  loisirs  à  Versail- 
les; c'est  là  qu'il  a  été  atteint  de  la 
maladie  dont  il  est  mort,  le  2  août 
IHOI,  après  avoir  reçu,  avec  une 
piété  édifiante,  les  derniers  sacre- 
ments. Ses  obsèques  eurent  lieu  le 
5,  au  milieu  d'un  concours  assez 
nombreux,  vu  l'heure  matinale  (  il 
n'elait  que  huit  heures  ).  et  qui  se 
grossit  de  l'église  cathédrale,  où  le 


VEN 

corps  fui  d'abord  porté,  jusqu'à  l'é- 
glise des  pères  capucins,  auxquels 
il  fut  confié.  L'évêque  de  Versail- 
les célébra  lui-même  la  messe , 
et  il  avait  témoigné  un  dévoue- 
ment admirable  au  célèbre  défunt 
pendant  tout  le  cours  de  sa  mala- 
die. Dans  le  cortège  funèbre,  on 
voyait  plusieurs  hommes  distingués. 
Italiens,  Polonais,  etc.,  et  parmi 
eux  M.  Méglia,  internonce  du  saint- 
siège  à  Paris,  ainsi  que  le  révérend 
père  Girino,  procureur  général  de 
l'ordre  des  théatins,  qui  était  dé- 
puté pour  assister  son  ilbistre  con- 
frère, auquel  le  pape  Pie  IX  en- 
voyait une  indulgence  plénière  dans 
cette  extrtmité.  Le  Père  Cirino  a 
reporté  à  Rome  le  corps  de  Ven- 
tura, qui  reposera  définitivement 
au  milieu  de  ceux  qu'il  n'aurait  ja- 
mais dû  quitter  (1).  Qu'il  a  été  mal- 
heureux pour  ce  religieux  savant  de 
joindre  tant  de  faiblesses  à  tant  de 
qualités!  Ses  écarts,  les  circons- 
tances auxquelles  il  s'est  prêté  d'une 
manière  si  répréhensible,  ont  trou- 
blé son  repos  et  brisé  tout  l'avenir 
que  la  Providence  lui  préparait,  car 
on  ne  peut  douter  que,  s'il  eût 
suivi  une  voie  p!us  droite,  il  ne  fût 
parvenu  aux  plus  hautes  dignités  de 
l'Église,  même  au  cardinalat.  Ce 
qu'il  y  a  eu  de  condamnable  dans 
sa  conduite  n'efface  pas  entière- 
ment ce  qu'il  y  a  eu  de  louable  en 
lui,  et  je  crois  pouvoir  employer 
ici  l'expression  d'un  savant  prélat 
sur  une  autre  célébrité  malheu- 
reuse :  «  La  faute  d'un  jour  ne  peut 
faire  oublier  les  inspirations  de 
toute  une  vie.  »  Les  journaux 
français  ont  dit  peu  de  chose  sur 
Ventura  après  sa  mort;  on  trouve 
néanmoins  dans  le  Monde  (numéro 

(1)  Il  est  Inhumé  au  pied  de  la  chaire 
de  l'oylise  Saint-André. 


VEN 


271 


du  9  août  1 861  )  un  article  intéressant 
fourni  par  M.  A',  de  Fontaines,  qui 
fait  bien  connaître  les  opinions  ji:- 
dicieuses  du  savant  théatin  sur  les 
matières  religieuses,  politiques,  so- 
ciales, etc.  Il  nous  rappelle  en  pre- 
mier lieu  que  ses  profondes  connais- 
sances théologiques  lui  donnaient 
une  aversion    prononcée  pour   le 
gallicanisme,  qui,  disait-il,  n'estau 
fond  que  la  négation  de  la  souverai- 
neté spirituelle  du  pape  dans  l'É- 
glise. Il  est  vraisemblable  qu'une 
vie  telle  que  celle  de  Ventura,  qui 
a  touché  si   fortement  à  tant  de 
points  divers,  trouvera  un  écrivain 
capable  de  la  faire  apprécier.  Je 
me  suis  empressé  de  recueillir  les 
faits  dont  est  composé   cet  article, 
qui  était  d'urgence,  pour  que  le  cé- 
lèbre théatin  occupât  dans  la  Bio- 
graphie universelle  la  place  méritée 
à  tant  de  titres.  Outre  les  ouvrages 
que  j'ai  mentionnés  ci-dessus,  on 
connaît  encore  du  père  Ventura  : 
La  Femme  chrélienne  ou  Biographie 
de  Virginie  Bruni,  écrite  par  le   r. 
R.  P.   Venlura  de    Raulica,  ancien 
général  des  théatins,  consulteur  de 
la    sacrée  congrégation  des  Rites^ 
examinateur  des  évéques  et  du  clergé 
romain,  traduite   par   madame  de 
B"*,  in-12.  Paris,  1851.—  La  Rai- 
son philosophique  et  la  Raison  ca- 
tholique, in-S',  1852.  Cet  ouvrage 
est  précédé  d'une  Introduction,  par 
M.  l'abbé  Ilippolyte  Barbier.  — Les 
Femmes  de  l'Évangile,  in-12,  1853. 
—  La    Femme   catholique,    3    vol. 
iii-8",  1851.  —  De  la  vraie  et  de  la 
fausse   philosophie,  en    réponse  à 
une  lettre  de  M.  le  vicomte  Victor 
de  Donald,  in-8".  —  Essai  sur  l'o- 
rigine des   idées,  fc-S",    1853,  — 
École  des  miracles  ou  les   OEuvrcs 
de  la  puissance  et  de  la  grandeur  de 
Jésus-Christ,   3  vol.    in-18,   1854- 
1858.  —  La  Tradition  et  les  semi- 


272 


VEN 


pélagiens  de  la  philosophie  ou   le 
Semi- Rationalisme  dévoilé^  ouvrage 
renfermant  de  nouveaux  et  amples 
développements  sur  la  nature  et  les 
forces  de  la  raison  ;  sur  les  prin- 
cipes des  connaissances  humaines  ; 
sur  la  loi  naturelle  ;  sur  la  néces- 
sité de  la  tradition  et  delà  révélation 
divines,  et  sur  les  funestes  effets  de 
l'enseignement   philosophique  ac- 
tuel dans  les  établissements  dirigés 
par  les  rationalistes  soi-disant  ca- 
tholiques, in-8\  G'estencevohime 
surtout  que  le  père  Ventura  montre 
clairement  à  quelle  école  philoso- 
phique et   religieuse  il  appartient. 
Plus  d'un  lecteur  y  trouvera  peut- 
être  qu'il  est  allé  plus  loin  que  je 
ne  l'ai   supposé  dans  la  remarque 
que  j'ai  faite  ci-dessus  en  parlant 
du  discours  qu'il  prononça  en  4  825 
îi  VAcadémie  de  la  religion  catholi- 
que sur  la  puissance  de  la  raison 
humaine.  —  Le  Pouvoir  politique  et 
chrétien,  discours  prononcés   à   la 
chapelle  impériale  des  Tuileries  pen- 
dant le  carême  de  Vannée  18.j7,  pié- 
cédéd'une  Introduction,  parM.  I.ouis 
Veuillot,  in-8°.  —  Essai  sur  le  pou- 
voir public,    pour    faire  suite   au 
Pouvoir  chrétien,    in-8°,    1857.  — 
Traité  sur  le   culte    de    la  sainte 
Vierge,  la  mère  de  Dieu,  mère  des 
hommes,    in-12,    Lyon,    18o2.  — 
Gloires  nouvelles    du   catholicisme, 
ou  Eloges  funèbres,  Vies  et  Exem- 
ples   de  quelques  grands    catholi- 
ques décédés  dans  la  première  moi- 
tié  de  ce   siècle^   ouvrage   traduit 
de   l'iliilien   sous   la  direction   de 
l'auteur,  in-8°.   —   Eûoposition  des 
lois  naturelles  dans  l'ordre  social, 
iii-8'.  L'ouvrage  intitulé  :  La  Bai- 
son  philosophique  et  la  raison  catho- 
lique a  eu  depuis  deux  autres  vo- 
lumes, contenant,  comme  le  pre- 
mier, une  suite  de  conférences  reli- 
gieuses. Aucun  des  ouvrages  de  cet 


VER 

écrivain  fécond  n'a  subi  les  censu- 
res de  l'Eglise,  si  ce  n'est  lopus- 
cule  qu'il  publia  sur  les  morts  de 
Vienne,  et  dont  voici  le  titre  tout 
entier  :  Discorso  funèbre  per  morti 
di  Vienna,  recitato  il  giorno  27  no- 
vembre 1848,  sulla  insigne  chiesa  di 
S.  Andréa  delta  Valle,  dal  R.  P.  D. 
Gioacchino  Ventura,  con  Introduzione 
e  Protesta  dell  autore.  Le  décret  de 
V Index  est  du  30  mai  d849  (1), 
mais  il  ne  fut  approuvé  par  Pie  IX, 
à  Gaëte,  et  promulgué  que  le  6  juin 
suivant.  On  a  dit,  mais  à  tort,  ce 
me  semble,  que  Ventura  avait  écrit 
contre  le  pouvoir  temporel  du 
pape  (2)  dans  son  Journal  de  Gê- 
nes. Le  portrait  du  célèbre  théatin 
a  été  gravé;  on  le  trouve  en  tête 
du  volume  intitulé  :  le  Pouvoir  po- 
litique et  chrétien.  B — n — e. 

VÉRAC  (le  marquis  Charles- 
Olivier  DE  Saint-Georges  de), 
railitaire  et  diplomate  français,  plus 

(1)  Il  est  k  remarquer  que  c'est  le 
même  jour  et  par  le  uiême  décret  que 
furent  condanuiés  l'ouvraj^e  de  Ven- 
tura :  La  Coiistituzione  seconda  la 
Guistizia  sociale,  con  unu  appendice 
sulla  unila  Italia,  d'Antoine  Kosmini 
Sfîrbati  ;  —  il  Gesuita  moderno  ,  de 
Vincent  Gioberti.  Rosmini  se  soumit 
de  suite,  et  sa  soumission  est  louée 
dans  le  décret.  Ventura  se  soumit  au 
mois  de  septembre,  des  que  le  décret 
lui  fut  connu...  Gioberti  ne  se  soumit 
pas  du  tout. 

(-2)  L'abbé  Passaglia,  après  sa  dé- 
fection, s'était  retire  ii  Gênes  (1861),  et 
devait, suivant  la  Ferseverenza,  feuille 
de  Milan,  a  devenir  un  des  plus  assi- 
«  dus  et  des  principaux  écrivains  du 
c  journal  VAmico,  de  Gênes,  journal 
c  du  clergé  libéral  italien...  M.  Passa- 
«  glia  succédera,  disait-elle,  dans  cette 
f(  œuvre  ii  un  autre  grand  écrivain,  qui 
<  vient  de  mourir,  le  P.  Ventura,  qui, 
€  avec  Toinniaseo,  Ainori  et  d'autres 
«  savants  du  premier  ordre,  défendait 
fl  dans  ce  journal  les  intérêts  de  la  li- 
c  berté  et  de  la  nation  italienne,  en 
a  cherchant  à  les  concilier  avec  la  re- 
«  ligion  catholique.  » 


VER 


VER 


273 


grand  seigneur,  mais  moins  écla- 
tant météore  dans  Thistoire  que  le 
militaire  diplomate  Dumouriez,  son 
contemporain,  mérite  pourtant  une 
place  dans  notre  Biographie  et  de- 
vraildéjàlavoir  obtenue,  t.  XLVIII. 
Il  naquit  le  10  octobre  1743  au  châ- 
teau de  Couhé-Vérac,  en  Poitou. 
Son  bisaïeul  avait  été  lieutenant 
général  de  la  province  de  Poitou; 
lieutenant  général  de  la  province  de 
Poitou  devint  son  aïeul;  lieutenant 
général  de  la  province  de  Poitou  se 
trouvait  son  père,  quand  venait  au 
monde  l'espoir  de  la  dynastie  de 
Couhé...  L'on  ne  s'étonnera  donc 
pas  qu'en  vertu  du  principe,  déjà 
connu  des  Romains , 

Nati  Metelli  fiiint  consnles  Rorr.îe, 

le  jeune  Charles-Olivier,  bien  qu'il 
ne  comptât  encore  que  «  deujc  lus- 
trcfi  romplels  »  ait  été  pareillement 
investi  de  ce  titre.  Quatre  ans 
après,  (1757),  il  mettait  le  pied 
à  rélrier  dans  les  mousquetai- 
res, vie  commode  et  paisible  mal- 
gré la  guerre  de  sept  ans  qui 
rugissait  en  Allemagne  et  dont 
souffrait  cruellement  la  France. 
Trois  ans  environs  se  passèrent 
sans  que  les  pimpants  mousque- 
taires du  corps  de  Vérac  culti- 
vassent autre  chose  que  les  bou- 
doirs et  la  parade.  En  1761  la  scène 
changea  :  Charles-Olivier  fit  cam- 
pagne comme  aide  de  camp  du  duc 
d'Havre,  second  éjjoux  de  sa  mère, 
et  le  Kl  juillet  il  eut  part  à  la  san- 
glante rencontre  de  Willinghaustn, 
où  il  faillit  laisser  un  bras.  D'IIuvré 
fut  tué  d'un  coup  de  canon;  le 
même  boulet  blessa  au  bras  l'aide 
de  camp.  Avouons  que  l'elTel  de 
cette  blessure  fut  des  plus  heureux  : 
en  17G7,  sans  action  d'éclat  qu'on 
ait  citée,  Vérac  derenait  colonel  au 
corps  des  grenadiers  de  France;  en 

LXXXV 


1770,  il  recevait  le  grade  de  mestre 
de  camp,  l'épaulette  de  lieutenant 
du  régiment  royal-dragon  et  la 
croix  de  chevalier  de  Saint-Louis. 
Ainsi  comblé  militairement,  comme 
on  lui  reprochait  de  n'avoir  pas 
beaucoup  couché  sur  la  terre,  beau- 
coup placé  de  batteries,  beaucoup 
bravé  de  fusillades  et  vu  crever 
beaucoup  de  bombes,  il  répondit, ne 
contestant  pas  des  vérités  trop  clai- 
res malgré  sa  blessure  de  1761: 
«  J'étais  né  pour  la  diplomatie,  »  et 
il  se  trouva  des  ministres  peur  le 
nommer  de  prime  abord  à  des  pos- 
tes diplomatiques,  sans  le  faire  pas- 
ser par  ces  grades  intermédiaires 
d'attaché ,  de  secrétaire ,  où  du 
moins  l'on  apprend  les  éléments 
de  la  science  ou  de  l'art  qu'on  as- 
pire à  pratiquer.  Il  est  vrai  qu'il 
lui  fallut  dans  les  commencements, 
tout  en  arrivant  d'emblée  chef  de 
légation,  se  contenter  du  simple 
titre  de  plénipotentiaire.  C'est  en 
cette  qualité  qu'il  vint  résider,  en 
1772,  à  la  cour  de  Hesse-Cassel 
(  où  sa  mission  n'était  guère  qu'une 
sinécure),  en  177-i  auprès  du  roi 
de  Danemark,  en  1779  à  Saint- 
Pétersbourg.  En  1784  enfin  il  de- 
vint de  plénipotentiaire  ambas- 
sadeur ;  mais ,  traiisplanté  des 
quais  et  des  îles  de  la  Neva  aux 
rivages  du  Zuyderzée,  il  no  trouva 
pas  la  tiuhe  si  facile  entre  les  deux 
nuances  gouvcrnemeniales  qui  di- 
visaient les  Provinces-Unies  cju'au- 
près  de  l'autocratie  à  laquelle  nul 
ne  rési'>lait  depuis  (juo,  grâce  ;'i 
Mikhelson,  Pougatchef  avait  cessé 
de  la  faire  pâlir.  Le  plus  fâcheux, 
il  faut  le  dire,  c'est  que  son  gou- 
vernement même  ne  savait  |)as  très- 
bien  ce  qu'il  voulait,  ou  du  moins 
à  quels  moyens  il  comptait  avoir 
recours  pour  obtenir  ce  qu'il  vou- 
lait. Ainsi  l'on  eût  pu  croire  (|iie, 

is 


21li 


VER 


VER 


contrairement  à  l'Angleterre  et  à 
la  Prusse,  le  cabinet  de  Versailles 
s'opposerait  à  l'agrandissement  ou 
du  moins  à  la  consolidation  de   la 
maison  d'Orange.  Vérac  pourtant 
fut  désapprouvé  pour  avoir  con- 
seillé  aux  États   de  Hollande  de 
retirer  au  stadhouder  le  gouverne- 
ment de  la  Haye;   et  son  minis- 
tre  le  rappela  fort  cavalièrement. 
Nous  trouvons,  nous,   cette  dis- 
grâce honorable,  et  nous  pardon- 
nons de  tout  notre  cœur  à  l'envoyé 
français  de   n'avoir  pas  voulu  ti- 
rer les  marrons  du  feu  pour  le  roi 
de  Prusse.  Pendant  quatre  à  cinq  ans 
Vérac  resta  ainsi  dans  l'ombre.  Il 
ne   revint  sur   l'eau  qu'en   1789, 
pour  aller  toujours,  avec  le  titre 
et  les   appointements  d'ambassa- 
deur ,    continuer    la    mission    de 
Vergennes  en  Suisse.  Mais  un  peu 
plus  ou  un  peu  moins  de  Suisses 
autour  de   la  personne  du  roi  de 
France,  et  un  peu  moins  ou  un  peu 
plus  de  haute  paie  pour  aviver  le 
feu  sacré  du  dévouement  en  train 
de  s'éteindre,  ce  n'étaient  plus  là 
les  questions  vitjdcs  auxquelles  te- 
nait le  salut  de  la  monarchie.  Celait 
à  Pavie,  c'était  à  Mentoue,  en  at- 
tendant Pilniz,  c'était  dans  les  trois 
capitales  hostiles  (Vienne,  Berlin, 
Madrid)  qu'étaient  en  ébullition  les 
{ïrands  projets  pour  l'annihilation 
des  nouvelles  idées  qui  prenaient 
racine  en  France.  C'était  sur  une 
autre  frontière  que  celle  du  Jura 
que  devait  s'effectuer  l'évasion  de 
Louis  XVI.  Nul  doute,  au  reste, 
que  Vérac  ne  fûtdejjuis  longtemps 
informé  do  celte  mesure  décisive 
arrêtée  en  principe  à  la  cour  au 
moins   six    mois   auparavant  (dès 
décembre  1700),  et  qui,  remise  en 
question  un  moment  par  les  tergi- 
versations de  Léopold  II,  fut  hrns- 
qaement  déterminée   par  l'ambi- 


tion  personnelle  du  marquis    de 
Breteuil.  Les  fameuses  journées  du 
21   au  25  juin  (1791),  en  rivant 
désormais  le   souverain   fugitif  à 
Paris  et  en  entourant  l'Assemblée 
de  ce  prestige,  de  ce  surcroît  de 
puissance  que  donne  aux  gouver- 
nants toute   insurrection   vaincue 
ou    toute    conspiration    déjouée, 
montraient  assez  qu'à  l'avenir  ce 
n'était  plus  par  des  voies  régulières 
et  correctes  qu'un  ami  du  roi  pou- 
vait lui  prouver  son  dévouement, 
et  que  pour  le  moment  il  ne  fallait 
plus  songer  à  servir  du  même  coup 
la   nation   et   le    monarque.    Son 
choix  fut  prompt,  et  ce  fut  celui 
de  presque  tous  les  membres  de  sa 
caste.  Il  envoya  sa  démission,  et 
au  lieu  de  revenir  en  sa  patrie,  il 
partit  pour  Landau,  d'où  successi- 
vement il  se  rendit   à  Venise,  à 
Florence,  et   finalement,  revint  à 
ce  Nord,  centre  et  point  de  départ 
des  coalitions,  à  Ratisbonne,  la  ville 
des  diètes  sempiternelles,  la  serre 
froide  des  conclusions  qui  ne  con- 
cluent rien.  En  France,  où  l'on  est 
moins  long  k  conclure,  l'on  n'at- 
tendit pas  ce  retour  aux  parages 
germaniques,  l'on  n'attendit  môme 
pasle  commencementdu  [)èlerinage 
pour  porter  Ghild  Ilarold  sur  la 
liste  des  émigrés, —  d'où  virtuelle- 
ment  et  ti'op  souvent  réellement 
les  domaines   étaient  vendus,   les 
titres   lacérés,  le  mobilier  au  pil- 
lage, —  de  sorte  que  nulle  remise 
n'arrivait  de  la  part  des  intendants 
aux  expatriés  volontaires,  dont  les 
ressources  s'épuisaient  vite  dans  les 
pou  confortables  hôtels  de  l'Alle- 
magne. Véraceut, ce  semble,  sa  part 
et  plus  que  sa  part  de  ces  déboires. 
Aussi,  malgré  sa  fidélité  à  ses  rois, 
ne  persévéra-t-il  dans  l'émigration 
que  tîMit  qu'il  y  eut  risque  à  reve- 
nir. Mais  sitôt  que  le  premier  con- 


VER 


VER 


275 


sul    eut    décrété   l'amnistie  et   la 
permission  de  rentrer  h  tous  émi- 
grés, sauf  les  princes  de  la  famille 
prétendante,  il  ne  s'opiniàtra  pas  à 
végéter  sur  la  terre  étrangère  (1 801). 
Il  n'était  peut-être  pas  sans  espoir 
de   se  remettre  en  possession  de 
quelques  débris  de  sa  fortune.  Il 
est  permis  de  penser  qu'il  en  fut 
ainsi,  soit  que  tout  n'eût  pas  trouvé 
d'acquéreur,  soit  que  des  intermé- 
diaires ou  que  de  fidèles  amis  eus- 
sent racheté  sous  main  une  par- 
tie de  ses  biens  pour  les  lui  re- 
mettre,   car    évidemment  il  ne  re- 
vint pas  gros  capitaliste  de  la  terre 
d'exil,  et  l'Empire  ne  le  pourvut 
d'aucun  office.  Toutefois,  personne, 
quand  1811  ramena  les  Bourbons, 
ne  cria  plus  haut   que  lui  sur  les 
toits  que  la  Révolution  l'avait  cora- 
j)létement  dépouillé,  que  ses  terres 
avaient  été  vendues,  ses  titres  (de 
propriété  sans  doute?)  jetés  au  vent, 
ou  au  feu,  ses  meubles  rais  Ji  sac,  ses 
châteaux   démolis,   ses  bois   cou- 
pés, etc.,  etc.  L'>uis   XVIII,  pour 
lui  témoigner  sa  reconnaissance  de 
sa  tidélité  de  dix  ans,  s'était  em- 
pressé, dès  18i4,  de  faire  revivre 
pour  le  marquis  les  grandes  entrées, 
puis   après  son    deuxième    retour 
et  après  avoir  fait  quelque  temps  la 
sourde  oreille, comprenant  qu'on  a 
beau   avoir    été   un   parangon  de 
fidélité,  ou  ne  vit  pas  de  pain  sec  et 
d'honneur,   en    1816,    il   l'investit 
de  quelque  chose  de  plus  solide,  et 
qui  se  résolvait  en  emargemtînts  : 
il  le  promut  au  ran?  de  lieutenant 
général,  vu  qu'en  1770  il  avait  été 
mestre  de   camp.  Du   reste,   n'é- 
lait-ce  pas  un  des  vétérans  de  l'ar- 
mée selon  le  cduir  de  la  dyna'^tic? 
En  parlant  de  Mol  ou  1758  {l'épo- 
que de  son  début  comme  mousque- 
taire), et  comptant  ses  vingt  et  une 
anuées  d'exercice  ou  de  di.^ponibi- 


lité  diplomatique  (1770-1791),  plus 
l'intérim,  qui  pour  un  fidèle  servi- 
teur avait  été  le  plus  saint  des  de- 
voirs pendant  le  triomphe  de  l'a- 
narchie et  de  l'usurpaiion,  c'était 
comme  cinquante  huit  ou  cinquante- 
neuf  ans  de  services!  De  tous  les 
officiers  à  services  cinquantenaires, 
on  peut  tenir  pour  certain  que  pas 
un  ne  comptait  moins  de  campagnes. 
Toutefois  il  n'eut  pas  longtemps  à 
jouir  de  celte  étonnante  preuve  de 
la  reconnaissance  de  son  royal  maî- 
tre, lequel,  ce  me  semble,  aurait 
mieux  fait,  puisque  Ton  voulait  qu'il 
y  eût  une  pairie  dans  la  maison,  de 
donner  la  pairie  à  l'ex-diplomate,  et 
de  faire  de  l'ex-carabinier  son  fils 
(voy.un  peu  plus  bas)  un  lieutenant 
général.  Quoi  qu'il  en  puisse  être, 
le  lieutenant  général  marquis  et  non 
pair, Charles-O.  de  Vérac,  mouiut  la 
même  année.  Il  n'aurait  pas  vu  toute 
une  session.  —  Né  vers  1770,  Ar- 
mand-Maximilieu-Erançois-Joseph- 
Oiivier,  son  fils  aîné,  entra  fort  jeune 
au  service,  et,  officier  dans  les  ca- 
rabiniers royaux  au  moment  delà 
Révolution,  émigra,  plus  tôt  peut- 
être  que  son    père  ne  quitta  son 
poste  diplomatique  en  Suisse.  11  le 
suivitlors  de  son  retour  en  France, 
dans  les  commencements  du  gou- 
vernement consulaire  ;  mais  il  de- 
meura étranger  pendant  l'Empire  à 
tout  service  civil    et   militaire,  et 
vécut  dans  ses  biens  paraphernaux, 
avant  d'obtenir  la  main  d'une  fille 
du  vicomte  de  Noailles.  Eouis  XVIII 
non-seulement  le  nomma  chevalier 
de  Saint-Louis  en  1814,   mais,  lui 
conféra  la  pairie  le  17  août  1815 
(donc  bien   avant  la  mort  de  son 
père).   Son  nom,    en   elTet,    nous 
saute  aux  yeux  à  l'ouverture  <le  la 
session  de  1818,  où  nous  le  trou- 
vons un  des  (juatrc  socrélaires  de  la 
noble   chambre.  En  rSi'J,  il   fut 


276 


VER 


VER 


Danli  par  ce  prince  d'une  autre  si- 
nécure, le  gouvernement  du  châ- 
teau de  Versailles.  Il  était,  de  plus, 
président  du  conseil  général  du  dé- 
partement de  Seine-et-Oise,  et  de- 
puis la  session  de  1818  inclusive- 
ment, il  présida  le  plus  souvent  le 
collège  électoral  de  ce  département. 
Val.  p. 
VERDIER  (le  comte  Jean-An- 
toine), un  des  lieutenants  généraux 
français  par  qui  fut  le  plus  vaillam- 
ment, le  plus  fréquemment  payé  la 
dette  à  la  patrie  pendant  les  lon- 
gues luttes  de  la  République  et  de 
l'Empire,  vit  le  jour  à  Toulouse  le 
i"^'  mai  17G7.11  n'attendit  pas  pour 
s'engager  que  sa  dix-huitième  an- 
née fut  écoulée,  et,  en  1785,  dès 
le  18  février,  il  entrait  au  régiment 
de  La  Fère.  L'émigration,  en  lais- 
sant des  places  vacantes  dans  l'ar- 
mée, puis  l'imminence  de  la  guerre 
étrangère,  qui  commandait  de  rem- 
plir au  plus  vite  ces  lacunes  en  con- 
férant aux  plus  dignes  ce  qui  na- 
guère était  aux  mieux  nés,  lui  va- 
lurent, en  171)2,  le  grade  de  sous- 
lieutenant.  Deux  ans  après,  il 
devenait  capitaine  au  second  ba- 
taillon des  volontaires  de  Haute- 
Garonne  (1794),  et  bientôt  Auge- 
reau  le  choisit  pour  son  aide  de 
camp.  L'armée  des  Pyrénées-Orien- 
tales, à  laquelle  il  appartenait, 
opérait  en  Catalogne,  mais  en  vue, 
pour  ainsi  dire ,  des  frontières 
françaises  et  sans  avoir  encore  rem- 
porté d'avantage  signalé.  Verdier, 
se  plaçant  à  la  tête  d'un  bataillon  de 
chasseurs  de  la  Drome,  se  préci- 
pita l'épée  à  la  main  sur  le  camp 
retranché  de  Llers,  que  défen- 
daient 4,000  Espagnols  et  80  bou- 
ches à  feu;  et,  par  le  succès  de 
celle  attaque  audacieuso,  décida  la 
prise  de  Figuières  (automne  179o). 
A  la  suite  de  ce  fait  d'armes,  il  fut 


nommé  adjudant  général  chef  do 
brigade.  Une  se  distingua  pas  moins 
les  deux  années  suivantes  en  Italie, 
h  la  suite  du  jeune  vainqueur  de 
Colli  et  de  Beaulieu,  de  Wurmser 
et  d'Alvinzi.  En  1796,  il  assaillit 
et  prit  avec  un  rare  et  magnifique 
entrain  la  redoute  de  Meledano  ; 
puis,  toujours  faisant  partie  de  la 
division  Augereau ,  il  concourut 
puissamment  à  la  mise  en  déroute 
du  centre  de  l'armée  autrichienne 
à  la  journée  de  Castiglione,  et  fut 
créé  général  de  brigade  sur  le 
champ  de  bataille  ;  en  1797,  il  était 
à  cette  longue  et  rude  affaire  d'Ar- 
cole  où  si  longtemps  les  héroïques 
tentatives  pour  passer  la  chaussée 
sous  le  feu  d'une  artillerie  écrasante 
avaient  été  impuissantes,  et  une 
blessure  le  mit  hors  de  combat.  A 
peine  guéri,  l'armée  active  le  vit 
reparaître,  n'ambitionnant  que  les 
postes  les  plus  difficiles  et  les  plus 
périlleux.  Il  fit  ainsi  toute  la  cam- 
pagne de  l'hiver,  1796-1797,  et  prit 
part  à  tous  les  combats  jusqu'aux 
préliminaires  de  Léoben.  Bonaparte 
ne  manqua  pas  de  l'emmener,  lors- 
qu'il mit  à  la  voile  pour  l'Orient  ; 
et,  tour  à  tour,  l'Egypte,  la  Syrie 
furent  le  théâtre  de  ses  exploits. 
En  Egypte,  il  eut  sa  part  à 
peu  près  de  tous  les  faits  d'ar- 
mes de  quelque  importance  :  à  la 
batailles  des  Pyramides,  il  avait 
sous  ses  ordres  une  des  brigades 
de  la  division  Kléber.  En  Syrie,  il 
commandait  les  grenadiers  et  les 
cclair(;urs  au  siège  d'Acre;  et,  s'il 
n'eût  dépendu  que  de  lui,  la  place, 
certes,  aurait  été  emportée.  Il  faillit 
y  pénétrer  le  jour  de  l'iissaut  :  il 
fut  des  premiers  à  l'escabide,  sur- 
prit un  poste  ennemi  et  atteignit 
l'en  droit  que  le  plan  général  arait 
désigné  à  ses  efforts  et  oij  l'on  devait 
se  rejoindre  ;  malheureusement  les 


VER 


VER 


277 


essais  sur  d'autres  points  ne  furent 
pas  aussi  heureux,  et  VerJier  eut 
l'amer  chagrin,  après  avoir,  quant 
à  lui,  mené  raffaire  à  bien  avec  ses 
braves,  de  recevoir  l'ordre  de  re- 
venir aux  tentes,  non  sans  le  fatal 
pressentiment  que  jamais  l'occasion 
ne  se  représenterait  aussi  propice, 
et  que  bientôt  il  faudrait  abandon- 
ner,  non-seulement  Saint -Jean - 
d'Acre,  mais  encore  la  Syrie  pour 
courir   à   la  défense   de   l'Egypte 
conquise.  Il  ne   se  trompait   pas. 
L'Angleterre  avait  retrempé,  avait 
pourvu  de  tout  le  matériel  qui  lui 
manquait  le  vieil  esprit  domina- 
teur des  Ottomans,   et   se  prépa- 
rait à    les   seconder  par  terre  et 
par  mer.  Le  général  en  chef,  quand 
cette  douloureuse  nécessité  se  fit 
sentir, et  quand  d'ailleursil  songeait 
à  revenir  en  France,  choisit  Verdier 
pour  gouverneur  de  la  province  de 
Damiette.  C'était  le  poste  de  l'hon- 
neur, c'était  l'avant-garde,   c'était 
par  là  que  l'ennemi  devait  parailre. 
Bientôt,  en  effet,  se  montre  l'énor- 
me  escadre   conduite   par  Sidney 
Smith,  et  à  laquelle  les  Français 
n'ont  pas  un  navire  qu'on   puisse 
opposer.   Empêcher   le  débarque- 
ment est  impossible:  déjà  8,000  ja- 
nissaires sont  sur  le  rivage  avec  un 
matériel  considérable,  au  Boyau  de 
Damiette,  cnlre  la  rive  droite  de  la 
Méditerranée  et  le  lac  de  Menzaleh. 
Maison  peut  les  faire  repentir  de  leur 
audace.  Verdier  avec  un  élan,  une 
résolution  et  une  vigueur  dont  l'his- 
toire, si  l'on  en  excepte  l'histoire  de 
France,  offre  peu  d'exemples,  s'é- 
lance sur  eux  avec  mille  hommes 
qu'il  a  sous  la  main  ;  il  ne  se  donne 
pas  même  la  peine  d'attendre  De- 
saix  qui  vient  avec  drs  renlorls: 
c'est  toujours  l'ollicier  (pii  fond  sur 
le  camp  de  Llers,   en  CalalogQc  : 
deux  mille  (ou  a  même  dit  cinq 


mille)  janissaires  restent   sur  le 
champ   de  bataille,  huit  cents  de- 
meurent prisonniers;  trente-deux 
drapeaux ,   dix    pièces  de   canon 
sont   encore  les    trophées    de   la 
victoire.  Kléber,  qui  se  connais- 
sait en   bravoure,   fut   émerveillé 
de  ce  fait  d'armes  et  lui  décerna  en 
mémoire    du  combat  de  Menzaleh 
un   sabre   d'honneur.   Malgré   ces 
prodiges   de   résistance,    l'attaque 
anglo-turque,  dont  sans  cesse  les 
forces   allaient  grossissant,  tandis 
que  la  minime  phalange  française 
était  coupée  du  reste  du   monde, 
avançait  irrésistiblement.  C'est  l'in- 
térieur du  pays  qu'il  fallait  défen- 
dre :  les  coalisés  parurent  devant 
le  Caire.  Verdier  était  du  nombre 
des  officiers  qui  se  renfermèrent 
dans  la  ville.  Il  s'y  distingua  non 
moins  qu'en    rase   campagne,    et 
c'est  alors  qu'il  fut  promu  au  rang 
de  général  de  division.  Cependant 
Bonaparte  devenu  le  premier  con- 
sul, et  qui,  la  seconde  coalition 
virtuellement  anéantie  par  les  suites 
du   coup  de  foudre  de  Marengo, 
voulait  encrer  la  France    en   Ita- 
lie, le    rappela  avant   que  l'éva- 
cuatiin   générale  de  l'Egypte  fût 
consommée.    Les    croisières    an- 
glaises auraient  pu  rendre  cet  or- 
dre nul  :  Verdier  leur  échappa.  De 
retour  à  Paris,  il  fut  toute  l'année 
1801 ,  avec  la  division  qu'il  comman- 
dait, employé  à  diverses  missions 
toutes  concourant  à   l'objet  prin- 
cipal: il  fut  d'abord  sous  les  or- 
dres   de   Murât.    Passant    ensuite 
en  Etrurie,  il  y  fut  chargé  du  com- 
mandement de  toutes  les  troupes 
françaises  qui  s'y  trouvaient  en  cet 
instant.  De  là  il  eut  à  se  rendre 
dans  l'Italie  méridionale  pour  aller 
occuper  la  i'ouille,  sous  Gouvion 
Saint-Cyr.  Enfin  il  fut  de  nouveau 
donné  pour  chef  au  corps  français 


278 


VER 


VER 


de  rÉtnirie,  royaume  tout  nouveau 
où  l'installation  d'une  dynastie 
nouvelle  réclamait  ou  du  moins 
justifiait  la  présence,  soit  du  pro- 
tecteur, soit  de  ses  délégués.  Sauf 
quelques  très-courtes  absences, 
Verdier  y  passa  tout  le  temps  qui 
s'écoula  jusqu'à  la  rénovation  de  la 
guerre  avec  l'Autriche ,  en  iSOo. 
Il  eut  le  plaisir  de  faire  d'un 
bout  à  l'autre  cette  magnifique 
campagne  qui  nous  ouvrit  Vienne, 
tant  de  fois  menacée,  tant  de  fois 
épargnée,  et  qui  finit  par  la  bataille 
d'Auslerlitz.  Verdier  faisait  alors 
partie  du  corps  de  Masséna.  Le 
petit-fils  de  Marie -Thérèse  ainsi 
réduit  à  résipiscence,  ce  fut  le  tour 
de  son  allié,  ce  Ferdinand  IV  ou 
Ferdinand  I''  qui,  toujours  le  jouet 
de  son  impure  compagne,  croyait 
qu'un  trône  est  inébranlable  et 
qu'un  prince  est  inamovible  quand 
il  a  pour  lui  l'archiduc  des  archi- 
ducs, en  d'autres  termes  le  Hetman 
des  Szeklers  et  des  Pandours  ;  et 
le  parterre  européen  eut  à  contem- 
pler la  petite  pièce  après  la  grande. 
On  devine  qu'il  s'agit  de  cette 
fuite  nouvelle  du  Rourbon  de  Na- 
ples,  quittant  sans  coup  férir  non- 
seulement  Naples  et  son  royaume 
continental,  mais  ce  qui  lui  tenait 
le  plus  au  cœur,  son  Parc-aux- 
Cerfs  de  San-Lcucio,  que  lui  per- 
mettait la  reine  moyennant  que  le 
royal  époux  lui  permit  Acton.  Ver- 
dier, revenu  des  bords  du  Danube, 
prépara  et  détermina  ce  départ. 
Après  un  court  séjour  en  Toscane, 
au  retour  de  la  campage  de  Mora- 
vie, il  avait  été  désigné  pour  aller 
(devers  ce  pays  qu'il  avait  parcouru 
sous  Gouvion  Sainl-Cyr)  seconder 
le  général  Re},Miicr  chargé  de  châ- 
tier le  roitelet  si  heiireux  naguère 
des  calamités  de  la  France.  Il  s'ac- 
quitta comme  k  l'ordinuire  de  celte 


mission,  qui  pour  lui  n'était  qu'un 
jeu;  et  après  n'avoir  que  posé  le 
pied  dans  la  capitale,  marchant 
toujours  en  avant,  de  concert  avec 
le  chef  du  corps  français  de  Naples, 
il  atteignit  Reggio,  le  fond  de  la 
botte,  et  vit  ces  fuyards,  qui  ne  va- 
laient pas  la  peine  d'être  faits  pri- 
sonniers, s'embarquer  pour  rejoin- 
dre au  delàdudétroitleurmonarque 
1  in  partibus  iy  (1806).  Pendant  ce 
temps  beaucoup  des  anciens  cama- 
rades de  Verdier.  cueillaient,  au 
cœur  de  l'Allemagne  septentrionale 
et  contre  la  Prusse  entrée  en  lice 
à  la  dernière  heure,  des  lauriers  plus 
opiniâtrement  disputés,  et  dont  il 
eût  certes  préféré  les  périls  à  la 
piomenade,  l'arme  au  bras,  qu'il 
avait  été  chargé  de  faire  le  long 
de  la  riante  péninsule.  Mais  sa  soif 
de  drames  militaires  un  peu  plus  ac- 
cidentés fut  bientôt  satisfaite.  Bien 
que  la  victoire  d'Iéna  eût  ouvert 
à  l'empereur  des  Français  les  portes 
de  Berlin,  la  Prusse  avait  encore 
ses  provinces  slaves,  et  Napoléon, 
pour  se  faire  demander  la  paix, 
allait  y  lancer  ses  bataillons  vain- 
queurs des  provinces  allemandes 
et  qu'il  nommait  déjà  la  grande 
armée  de  la  Vistule.  Commençant 
par  la  remettre  au  complet  et  plus 
même  qu'au  complet,  car  il  n'igno- 
rait pas  qu'il  allait  avoir  les  Russes 
aussi  sur  les  bras,  il  n'oublia  pas 
le  second  de  Régnier.  Verdier  at- 
teignit le  théâtre  de  la  guerre,  juste 
à  temps  pour  donner  avec  son 
monde  au  grand  combat  de  Hcils- 
berg,  où,  suivant  son  usage,  il  fit 
beaucoup  de  prisonniers.  A  la 
décisive  et  sanglante  journée  de 
Friedland,  il  contribua  si  puissam- 
ment par  la  célérité,  par  l'aplomb 
de  ses  manœuvres  au  triomphe  des 
Français,  qu'ils  eurent,  sa  division 
et  lui,  l'honneur  d'uiie  mention 


VER 

spéciale  au  bulletin  du  jour,  ou- 
vrage propre  ou  peu  s'en  faut  de 
l'empereur.  Ce  n'est  pas  d'ailleurs 
à  de  stériles  hommages  que  se 
borna  le  maître  :  la  même  année 
Verdier  reçu  le  titre  de  comte  de 
Tempire.  La  même  année  aussi  le 
vit  partir  pour  l'Espagne,  qu'il 
n'avait  guère  qu'entrevue  lors  de 
ses  débuts  sous  la  République  et 
qu'il  allait  apprendre  à  connaître. 
C'est  à  lui  d'abord  que  fut  confié 
le  commandement  du  corps  chargé 
d'opérer  au  nord.  En  Galice,  où 
bientôt  débarquèrent  des  Anglais, 
il  eut  à  livrer  le  combat  de  Lo- 
grono,  où  matériellement  la  vic- 
toire nous  fut  fidèle,  mais  qui 
n'anéantissait  en  aucune  façon  l'in- 
surrection dans  des  régions  toutes 
montagneuses,  qu'on  eût  dites 
créées  pour  laguerre  de  guérillas.  Il 
n'en  dut  pas  moins  se  replier  sur 
TÈbre,  et  même  sur  la  Navarre  où 
Parapelune  était  à  nous,  mais  d'où 
l'on  pouvait  voir  l'esprit  de  soulève- 
ment gagner  de  proche  en  proche 
et  tendre  à  couper  les  communica- 
tions entre  la  frontière  française 
et  Madrid  où  commandait  Murât. 
Pour  rendre  impossible  le  plan  du 
cabinet  de  Saint-James,  il  fallait 
avant  tout  être  plus  solidement  éta- 
bli qu'on  ne  Tétait  en  Aragon  et  en 
tenir  la  capitale  hors  d'état  de  bou- 
ger. Neuf  mille  hommes  donc, 
parmi  lesquels  neuf  cenis  de  cava- 
lerie, se  mirent  en  marche  de  Para- 
pelune pour  Saragosse  :  Verdier 
était  à  leur  tète.  C'était  au  com- 
mencement de  juin.  II  était  bien 
temps  de  prendre  sérieusement  les 
mesures  vigoureuses.  Dès  Tudela, 
l'on  aperçut  de  grosses  bandes  de 
paysans  qu'avait  rassemblés  li  la 
hâte  le  marquis  de  Luzan  (frère 
aîné  de  Palafox)  et  qui  n'auraient 
pas  mieux  demandé  (lue  de  barrer 


VER 


279 


le  passage.  Ils  n'osèrent  et  ils  al- 
lèrent prendre  position  dans  un 
bois  d'oliviers  entre  le  canal  d'A- 
lagon  et  le  village  de  Ilalden.  II 
fallut  les  en  débusquer.  Un  peu 
plus  tard,  après  avoir  dépassé  Ala- 
gon,  l'on  vit  apparaître  des  cita- 
dins de  Saragosse  qui,  spontané- 
ment ou  non,  s'étaient  levés  avec 
ce  qu'ils  avaient  pu  se  procurer 
darmes  et  avaient  demandé  à  Pa- 
lafox de  les  conduire  à  l'ennemi, 
en  plaine!  Indisciplinés  et  mal  ar- 
més, ils  ne  tinrent  pas  longtemps: 
les  uns  furent  taillés  en  pièce,  les 
autres  ne  durent  leur  salut  qu'à 
l'intervention  de  deux  cents  régu- 
liers et  de  quelques  fusiliers  que 
leur  général  avait  gardé  pour  ré- 
serve. Lelendemain(14)  un  petit  dé- 
tachement de  cavaleiie  française  s'é- 
tant  hasardé  dans  un  des  faubourgs 
de  la  place,  comme  cela  semblait 
possible  et  facile  dans  une  ville  ou- 
verte, paya  de  quelques  morts  sa 
témérité.  Verdier  comprit  bien  vite 
que  l'émeute  désormais  ne  pouvait 
être  prise  pour  un  caprice  et  qu'il 
faudrait  un  siège  en  règle.  Il  s'y 
résolut  sur  le  champ';  mais,  ayant 
vu  les  Aragonais,  tout  irrégulières 
que  fussent  leurs  manœuvres,  non- 
seulement  fermer  passage  à  coups 
de  canon  au  gros  des  forces  fran- 
çaises qui  voulaient  forcer  la  porte 
Portelle ,  mais  exterminer,  avec 
transport  et  sans  pitié  jusqu'au 
dernier,  les  quelques  braves  qui, 
plus  ardents  que  les  autres,  avaient 
pénétré  dansles  rues,  il  crut  à  pro- 
pos de  se  placer  provisoirement  à 
dislance  un  peu  plus  respectueuse 
de  l'artillerie  aragonaise  (au  vil- 
lage d'Epila),  pour  revenir  sous 
peu  moins  faible  quant  au  nombre 
et  mieux  ap[)rovisonné  quanta  l'at- 
tirail de  siège,  puisque  évidemment 
il  ne  falUil  plus  compter  sur  les  ra- 


280 


VER 


VER 


pides  coups  de  main  et  les  triomphes 
au  galop.  Palafox  profila  de  ce  répit 
pour  réunir  ,  lui  aussi ,  quelques 
troupes  de  plus,  pour  ajouter  aux 
ressources,  en  vivres  et  en  muni- 
tions, d'une  ville  qui  n'avait  jamais, 
depuis  des  siècles,  été  considérée 
comme  place  de  guerre,  et  pour 
organiser  la  résistance  indéfinie 
par  tout  TAragon,  par  tout  le 
royaume, au  cas  mèmeoùlagrande 
cité  aragonaise  tomberait.  Il  eut 
même  Tidée  d'anéantir  le  corps  de 
Verdier  par  un  grand  coup  en  se 
portant  à  la  Muela,  ce  qui  devait  pla- 
cer le  général  français  entre  sa  pe- 
tite mais  intrépide  armée  et  les  mi- 
lices de  Saragosse.  Déjà  il  avait  at- 
teint les  environs  d'Epila,  et  une 
marche  peu  longue  allait  le  con- 
duire au  point  souhaité.  Mais  Ver- 
dier voyait  clair,  Verdier  devinait. 
Tandis  que  les  hommes  de  Pala- 
fox se  préparaient,  par  le  repos 
et  le  sommeil,  à  la  marche  du 
lendemain ,  Verdier  ,  à  la  tête 
de  ses  tr  oupes  bien  éveillées , 
avançait  de  nuit  jusqu'à  leurs 
grand -gardes  négligemment  po- 
sées, les  surprenait  et,  eu  dépit 
d'une  résistance  si  belle  de  la  part 
de  dormeurs  si  brusquement  ré- 
veillés, les  contraignait  à  prendre 
la  roule  de  Catalogne,  d'où  ce  ne  fut 
pas  sans  peine  qu'ils  purent,  eux 
et  leurs  chefs,  regagner  Sara- 
gosse. Presque  en  même  temps  les 
Français  arrivaient  sous  les  murs, 
plus  forts  qu'en  commençant, 
non  moins  impétueux  et  plus  sur 
leurs  gardes.  Chaque  jour  nou- 
velle attaque,  circonspecte  et  su- 
bordonnée à  un  plan  systématique, 
et  chaque  jour  un  pas  en  avant. 
Le  28,  un  tiers  de  la  ville  était  en 
la  possession  des  Français,  qui,  de 
plus,  s'étaient  rendus  raaîires  de 
l'importante  position  de  Torrero, 


défendue  par  cinq  ceuts  hommes  et 
de  l'artillerie.  Le  commandant,  en 
rentrant  à  Saragosse  ,  fut  déclaré 
traître  immédiatement  et  subit  le 
supplice  de  la  hart.  Verdier  n'en 
vint  pas  moins  à  bout  d'investir 
complètement  la  ville,  dont  long- 
temps on  n'avait  pu  empêcher  les 
communications  avec  le  dehors; 
les  vivres  y  devinrent  rares,  1,200 
bombes  et  plus  qu'il  y  jeta  en- 
combrèrent les  rues  et  les  places  de 
cadavres  que  la  paresse  des  Espa- 
gnols,non  moins  grande,  il  faut  le 
dire,  que  leur  courage  et  leur  per- 
sévérance, ne  faisaient  pas  dis- 
paraître avec  assez  de  rapidité 
pour  empêcher  le  typhus.  Enfin, 
le  3  août,  furent  complétées  les 
batteries  sur  la  Guerva,  et  le  A, 
après  que  le  feu  de  celles-ci  eut 
réduit  en  ruines  le  splendide  cou- 
vent de  Sainte-Engracie ,  maître 
de  la  rue  de  Cozo  et  du  centre  de 
la  ville,  il  put  se  croire  à  la  veille 
de  dicter  des  lois.  Avec  d'autres 
que  les  descendants  de  la  race  de 
Sagonte  et  de  Numance,  il  eût  été 
dans  le  vrai.  Aussi  fut-ce  généro- 
sité plus  qu'outrecuidance  de  sa 
part  d'envoyer  aux  assiégés  un  par- 
lementaire avec  ces  deux  lignes: 
«  Quartier  général  de  Sainte-En- 
gracie :  Capitulation,  «et  fut-ce  avec 
surprise  que  tous  ses  officiers  lurent 
la  réponse  espagnole  :  «  Quartier  gé- 
néral de  Saragosse:  «Guerre au  cou- 
teau. »  Les  efforts  énergiques  d'un 
cùté,  désespérés  de  l'autre,  conti- 
nuèrent donc  avec  plus  d'intensité 
que  jamais.  Nul  doute  qu'enfin 
Verdier  n'eût  vu  les  siens,  à  la  lon- 
gue, couronnés  par  le  succès,  si 
des  événements  de  force  majeure 
n'eussent  fait  tourner  la  chance. 
Mais  la  vérité  nous  force  ii  dire 
que,  quelque  sages  et  savantes  que 
fussent   les    dispositions   du   gé- 


! 


VER 


VER 


281 


néral  français,  du  5  au  i'3  août, 
les  Espagnols,  non-sealemcnl  ne 
perdirent  plus  un  pouce  de  ter- 
rain, mais  pouce  à  pouce  rega- 
gnèrent,  chose  incroyable!  sur 
rintrépidité  française,  partie  de  ce 
qu'ils  avaient  perdu.  Dix  jours 
durant  l'on  se  battit  de  maison  en 
m.'iison,  de  rue  en  rue,  de  place 
en  place  ;  et  finalement  la  ban- 
nière française,  après  avoir  plané 
au  centre  de  la  cité,  ne  flottait 
plus  que  sur  les  faubourgs.  A  lui 
seul,  certes,  ce  raourement  rétro- 
grade, dû  surtout  à  trois  mille 
hommes  de  renfort  qu'on  n'avait 
pu  empêcher  de  rejoindre  les  com- 
pagnons de  PaUfox  et  qui  refluaient 
du  sud  où  le  drapeau  de  l'indé- 
pendance était  levé,  ne  pouvait  rien 
pour  l'avenir.  Mais  ce  que  faisait 
pressentir  la  disponibilité  de  ces 
trois  mille  hommes  vint  presque 
sur  le  champ  à  se  réaliser.  Madiid 
aussi  s'était  prononcé  contre  les 
Français,  Murât  opérait  sa  retraite, 
la  junte  de  Valence  envoyait  six 
mille  hommes  au  secours  des  Ara- 
gonais,  ordre  vint  à  Verdier  de 
lever  immédiatement  le  siège  pour 
prendre  la  roule  de  Pampelune, 
base  des  opérations  ultérieures.  Le 
1  i  au  matin  donc,  après  que  toute 
la  nuit  un  feu  terrible  de  la  part 
des  assiégeants  avait  remis  en 
question  tous  les  avantages  récents 
des  assiégés,  ceux-ci  virent,  en 
se  levant,  les  abords  de  leurs  fau- 
bourgs inoccupés  et  l'ariière-garde 
même  des  Français  loin,  bien  loin 
déjà,  sur  la  route  qui  conduisait 
en  Navarre.  Tel  fut  ce  premier 
siège  de  Saragosse,  si  fécond  en 
péripéties  inattendues  et  en  épi- 
sodes émouvants,  parmi  lesquels 
on  cite  l'héroisme  d'Augustiue 
ei  le  bataillon  de  la  comtesse 
Burita.  Si  Verdier,  en  deux  mois 


à  peu  près  qu'il  passa  sous  et  dans 
les  murs  de  celle  cité,  ne  triompha 
pas  de  sa  résistance,  d'une  part  il 
appert  des  délails  qu'on  vient  de 
lire,  et  nul  ne  songe  à  le  nier,  que 
l'insuccès  ne  doit  être  regardé  que 
comme  une  interruption  et  que  l'in- 
terruption trop  absolument  qualifiée 
de  levée  du  siège  ne  fut  pas  de  son 
fait;  de  l'autre,  il  est  connu  que  le 
second  siège  avant  d'aboutir  coûta 
bien  plus  de  temps,  de  dépenses 
et  de  sang,  usa  au  physique  et  au 
moral  plus  d'un  des  illustres  de 
l'Empire,  et  en  aboutissant  ne  mit 
au  pouvoir  du  vainqueur  que  des 
décombres  et  non  une  ville.  Pie- 
prenonsle  fil  des  événements.  Dès 
que  les  renforts  considérables,  dont 
Napoléon  avait  soudain  senli  la 
nécessité,  eurent  réorganisé  l'ar- 
mée portée  au  double  et  bien- 
tôt au  triple,  au  quadruple,  Ver- 
dier marcha  des  premiers  avec 
les  troupes  redevenues  agressives, 
il  arriva  devant  Madrid,  non  en 
qualité  de  général  en  chef,  et 
après  avoir  été  témoin,  aux  por- 
tes de  cette  grande  capitale,  d'une 
faible  résistance ,  y  fit  son  en- 
trée avec  sa  division  et  le  reste 
du  corps  (1809).  Comme  ce  n'était 
pas  la  que  se  portaient  les  grands 
coups,  il  fut  bienlùt  jugé  utile  ail- 
leurs, et  fut  redirigé  sur  l'Èbre, 
mais  l'Èbre  inférieur,  puis  plus 
loin  que  l'Èbre,  daui  la  haute 
Catalogne ,  infectée  de  guéril- 
las, puis  finalement  chargé  du 
siège  de  Girone,  le  tout  avec  ce 
sans-façon,  ce  ton  insouciant  et 
superficiel  des  petits  génies  qui 
croient  prouver  ainsi  leur  supé- 
riorité de  coup  d'œil  et  qui  se 
frayent  la  voie  à  riugratilude.  C'est 
Augorcau  qui  lui  expédiait  ces 
ordres.  Quelques  jours  après  les 
premières  opérations,  il  veut  voir 


282 


VER 


VER 


«où  l'on  en  était»  et  si  «l'affaire  mar- 
chait.» Il  ne  manqua  pas  de  dé- 
clarer que  Girone  n'était  qu'une 
bicoque,  incapable  d'opposer  une 
résistance  sérieuse.  A  quoi  pensait 
Verdier  de  demander  tant  de  pro- 
jectiles, tant  d'ingénieurs,  et  d'em- 
ployer à  pareille  misère  «  toutes  les 
herbes  de  la  Saint-Jean»?  Ah! 
son  ex-aide  de  camp  s'était  «  bien 
rouillé  »  depuis  qu'il  ne  l'avait 
plus  à  ses  côtés!  Il  ne  faut  pas  de- 
mander s'il  rit  de  son  rire  le  plus 
épais,  quand  il  sut  que  les  habi- 
tants de  Girone  avaient  élu  pour 
général  saint  Narcisse.  Mais  pour 
pour  commander  sous  saint  Nar- 
cisse, ils  avaient  leur  gouverneur 
Alvarez  ;  et,  pour  exécuter  les 
ordres  d'en  haut,  ils  avaient,  indé- 
pendamment de  l'exemple  de  Sara- 
gosse,  leur  foi  robuste  au  bienheu- 
reux patron,  leur  courage, leur  ar- 
deur pour  le  martyre,  et  la  haine  de 
l'étranger,  et  l'horreur  plus  grande 
encore  de  l'hérétique,  du  voltai- 
rien  et  de  l'athée.  Verdier  était 
loin  de  se  les  représenter  comme 
invincibles  pour  cela,  mais  il  pré- 
voyait qu'il  en  aurait  pour  long- 
tempsavec  ces  royalistes  et  qu'il  fau- 
drait jouer  serré.  L'intrépidité,  l'o- 
piniûtretê  gironaises,  furent  celles 
de  Saragosse.  Prêtres,  femmes, 
enfants  combattirent  et  déployèrent 
tous  la  même  vaillance,  partici- 
pant chez  les  uns  du  paroxisme  et 
de  la  frénésie,  calme  et  accom- 
pagnée de  sang-froid  chez  les  au- 
tres. Soixante  mille  boulets,  vingt 
mille  bombes,  tombèrent  sur  la 
ville  avant  qu'il  fût  possible  d'y 
pénétrer;  les  murailles  ouverte»  et 
franchies,  il  fallut  prendre  presque 
une  à  une  les  maisons.  Enfin,  au 
bout  de  sept  mois,  Verdier  put  re- 
mettre, et  la  place  soumise  et  la 
Catalogne  entière  un  peu  moins 


récalcitrante, à  l'altier  duc  de  Cas- 
tiglione,  qui  trouvait  tout  facile, 
mais  dont  la  gloire  personnelle 
dans  tout  le  cours  de  la  lutte  d'Es- 
pagne n'éclipse  celle  de  personne. 
Tout  défavorable  qu'était  Napo- 
léon aux  officiers  supérieurs  qui 
n'avaient  pu  lui  conquérir  l'Es- 
pagne en  un  tour  de  main  et  rendre 
llbérie  malléable  au  premier  con- 
tact, à  la  veille  de  la  colossale  ex- 
pédition de  Russie,  il  appela  Ver- 
dier pour  le  mettre  de  la  grande 
armée,  et  il  lui  donna  une  des 
divisions  du  deuxième  corps , 
que  commandait  le  maréchal  Ou- 
dinot.  Nul  peut-être  de  tout  le 
corps  ne  se  distingua  plus  que  lui  : 
il  eut  part  à  tous  les  combats,  à 
Javabovo,  à  Kliaslisti,  à  la  Driffa,à 
Svolna,à  Polotsk,  où  blessé  griève- 
ment, il  continuait  de  promener  sa 
lunettes  sur  les  positions  de  l'en- 
nemi et  de  donner  ses  ordres  avec 
le  même  sang-froid  que  pour  un 
dîner,  sous  une  pluie  de  mitraille,  et 
soutenu  par  le  capitaine  Lebrun- 
Rebort!  C'était  au  moins  la  troi- 
sième fois  qu'il  acquittait  ainsi  le 
tribut  auquel  n'échappent  que  par 
miracle  si  peu  de  braves.  Il  est 
étonnant  que  nul  de  nos  peintres 
n'ait  saisi, pour  le  fixer  sur  la  toile, 
ce  beau  moment  de  la  vie  mili- 
taire du  général  toulousain.  C'est 
tandis  qu'il  remplissait  ou  plutôt 
outre-passait  ainsi,  impassible  et 
simple  comme  les  héros  de  Plu- 
tarque,  ses  devoirs  d'officiers,  que 
le  j)rince  Eugène  passant  au  galop 
arrêta  son  cheval  pour  lui  jeter  ce 
mot  où  se  confondent  la  sympathie, 
l'affection  et  l'estime  :  «  Eh  quoi! 
cher  général,  c'est  donc  toujours 
votre  tour!  »  Aussi,  ce  prince,  h  qui 
tous  les  partis  ont  rendu  justice, 
tint-il  à  l'avoir  dans  sonarmre  fran- 
co-italienne en  1813,  quand  l'irapi- 


VER 


VER 


283 


loyable  coalition  redoublait  ses 
armements.  On  connaissait  la  mai- 
son de  Lorraine  et  les  héritiers 
des  Thugut  :  on  n'était  pas  sans 
augurer  que  sous  peu  le  beau-père 
allait  trahir  le  gendre  et  tomber 
sur  le  royaume  d'Italie.  Le  génie 
des  généraux  autrichiens  ne  brilla 
pas  d'un  vif  éclat  dans  leur  pre- 
mière campagne.  Verdier,  entre 
autres,  leur  livra  sur  les  bords  du 
Mincio  un  combat  dont  ils  ne  se 
rantèrent  guère  et  dont  les  glorifi- 
cateurs  de  l'Autriche  atténuèrent 
à  qui  mieux  mieux  Timportance. 
En  effet,  il  n'y  avait  là,  tout  compte 
fait  des  deux  armées,  que  vingt- 
trois  mille  hommes,  mais  les  autri- 
chiens étaient  au  nombre  de  dix- 
huit  niiile,  donc  trois  et  demi  contre 
un;  ils  avaient  franchi  le  Mincio, 
et, plein  de  jactance,  ils  allaient  pré- 
cipiter les  Italiens  et  les  Français 
des  hauteurs  de  Mozembano,»oùle 
général  les  avait  solidement  établis. 
Toute  la  journée  ils  revinrent  à  la 
charge,  toute  la  journée  ils  redes- 
cendirent plus  vite  qu'ils  n'a- 
vaient grimpé;  puis  le  soir,  au  lieu 
de  coucher,  comme  ils  l'espéraient, 
dans  le  camp  des  adversaires,  ce 
furent  leurs  adversaires  qui  prirent 
l'offensive,  qui  les  poursuivirent,  et 
ils  furent  heureux,  repassant  le 
Mincio,  de  voir  celte  barrière  entre 
la  furia  frauccHC  et  eux.  L'effet 
matériel  et  moral  de  cette  victoire 
fut  considérable;  et  le  vice-roi, 
digne  appréciateur  de  tout  grand 
acte,  non-seulement  le  nomma 
commandeur  de  lu  Couronne  de 
Fer,  mais  ne  balança  pas  à  de- 
mander pour  lui  le  grand  cordon  de 
la  Légion  d'honn»urà  l'Empereur. 
Napoléon  le  promit.  Que  ni  l'un 
ni  l'autre  n'ait  trop  fait,  c'est  ce 
«pi'au  besoin  dénionlrcr.sient  les 
propoiilions  que   conseillèrent  de 


faire  au  prince  Eugène  les  fortes 
têtes  du  conseil  aulique  après  la 
bataille  du  Mincio,  et  qui  lui  furent 
effectivement  adressées.  On  faisait 
luire  à  ses  yeux  la  couronne  de 
Milan  à  condition  qu'il  aban- 
donnerait Napoléon.  On  sait  le 
noble  dédain  avec  lequel  furent 
constamment  rejetées  les  ouver- 
tures du  machiavélisme  autrichien; 
mais,  pour  qu'elles  fussent  faites, 
même  avec  l'intention  de  manquer 
de  parole,  il  fallait  qu'on  se  fût 
aperçuqu'entre  les  Alpes  et  l'Adria- 
tique, et  même  quand  Napoléon 
n'était  plus  là,  le  génie  napoléonien 
animait  toujours  les  cœurs  de  ses 
soldats.  La  bataille  de  Mincio  était 
l'épisode  auquel  ils  devaient  cette 
conviction.  La  récompense  toute- 
fois n'exista  que  sur  le  papi^îr.  Mal- 
gré les  merveillfs  de  la  résistance, 
la  faialité  marchait,  le  glas  de 
l'Empire  sonnait.  Absorbé  par  tant 
d'autres  soins,  Napoléon  ne  donna 
pas  officiellement  le  décret  de  no- 
mination :  il  est  tout  simple  que  la 
Restauration  ne  s'en  sftit  pas  fait  un 
devoir.  Il  est  trop  clair  d'ailleurs 
que  ni  Verdier  ni  qui  que  ce  soit 
pour  lui  ne  fit  de  réclamation. 
Louis  XVllI  donc  pour  le  moment 
se  contenta  de  conhrmer  les  déco- 
rations françaises  réelles  du  géné- 
ral et  de  le  déclarer  (8  juillet  I8U), 
comme  presque  tous  les  ofliciers- 
généraux  français  ,  chevalier  de 
Saint-Louis.  H  lit  plus  l'année  sid- 
vanie  (l'j  janvier},  et  il  le  nomma, 
sinon  au  grand  cordon,  du  moins 
grand-croix  de  la  Légion  d'hon- 
neur. En  revanche  il  l'avait  mis  en 
non-aclivitc,  bien  qu'il  eût  à  peine 
47  ans.  Survinrent  les  cent  jours. 
Verdier  n'avait  pas  eu  de  sernuMit  à 
prêter  au  drapeau  des  lis;  Verdier 
ne  crut  pas  pouvoir  refuser  sa  coo- 
pération -À  son  ancien  général,  li 


28/i 


VER 


VER 


celui  que  la  nation  acclamait,  à 
celui  par  qui  la  France  avait  été  si 
grande,  à  celui  que  détestait  l'étran- 
ger, non  pour  son  usurpation  pré- 
tendue, mais  parce  qu'il  avait  fait 
la  France  grande.  Il  se  laissa  nom- 
mer membre  de  la  Chambre  des 
pairs,  et  il  sollicita  du  service  dans 
l'armée  avec  laquelle  l'Empereur 
allait  reprendre  la  grande  lutte 
contre  la  coalition  plus  implacable 
que  jamais.  Mais  l'Empereur  savait 
qu'il  lui  serait  plus  utile  à  Tinté- 
rieur,  et  surtout  dans  le  Midi,  où 
les  éléments  hostiles  et  même  traî- 
tres à  la  patrie  n'étaient  pas  rares. 
En  conséquence,  il  lui  confia  le 
commandement  de  la  seconde  divi- 
sion, chef-lieu  Marseille.  Il  s'y  con- 
duisit bien  et  jusqu'au  20  juin,  par 
un  habile  mélange  de  modération 
et  de  vigilance,  il  vint  à  bout, 
adresse  rare!  de  maintenir  le  calme 
dans  une  ville  populeuse ,  turbulente 
et  passionnée,  sans  avoir  recours 
aux  mesures  de  rigueur.  Egale  fut 
sa  sagesse  quand  arrivèrent  les  pre- 
mières rumeurs  de  Waterloo;  mais 
différentes  furentles  mesures,  quand 
enhardis  par  les  sinistres  nouvelles, 
les  fauteurs  de  l'étranger  arborè- 
rent la  cocarde  blanche  et  que 
du  manteau  de  la  cheminée  les 
cris  «  A  bas  Napoléon!  »  descendi- 
rent dans  la  rue.  Il  tint  d'abord 
tête  à  l'orage  et  commanda  quelques 
arresti.tions;  mais  l'agitation  deve- 
nant de  l'exaspération,  des  éner- 
gumcnes  étant  tout  prêts  à  s'atta- 
quer aux  fusils  chargés,  observa- 
teur habitué  î»  ne  pas  circonscrire 
sa  vue  au  seul  point  de  l'horizon 
qui  fût  à  ses  pieds,  il  comprit  qu'il 
avait  quelque  chose  de  mieux  à  faire 
que  d'user  de  roideur,  que  d'es- 
sayer une  compression  impossible, 
que  de  retarder  de  quelques  heures 
uu  déQûùmeiit  k  peu  prcb  infaillible 


en  faisant  mitrailler  des  Français 
par  des  Français.  D'une  part  il  fit 
sortir  nuitamment  de  Marseille  pres- 
que tout  ce  qu'il  avait  de  troupes, 
ne  laissant  que  ce  qu'il  fallait  pour 
maintenir  la  police  ;  de  l'autre,  il 
alla  s'établir  en  force  à  Toulon,  à 
rébahissement  et  au  désappointe- 
ment de  l'escadre  anglaise  qui 
stationnait  devant  le  port  de  cette 
ville  pour  en  prendre  possession, 
«  pour  Louis  XVIII!  »  comme  au 
temps  de  M.  de  Robespierre.  Pour 
peu  que  quelque  collision  éclatât 
dans  la  province,  et  même  sans 
qu'il  y  eût  de  collision  du  tout, 
le  marquis  de  Rivoire  se  pré- 
parait à  leur  remettre  le  port 
et  l'arsenal  «  provisoirement.  » 
Grâce  à  cette  conduite  du  général 
Verdier,  à  vau-l'eau  toute  collision 
de  Buonapartiste  et  de  Verdets,  à 
vau-l'eau  toute  chance  de  surpren- 
dre forts,  chantiers  ou  arsenal.  Nos 
amis  n'ont  i)lus  occasion  de  sauver 
la  caisse,  la  flotte  ou  l'artillerie,  en- 
traînant l'une  à  la  remorque,  etchar- 
geantles  autres  sur  quelques  navires 
marchands.  Toute  leur  campagne 
se  réduit  à  parader  en  rade,  à  dis- 
tance: puis,  dûment  remerciés  de 
leur  dévouement,  ils  remeitent  le 
cap  au  sud.  Malheureusement,  tan- 
dis que  les  suites  du  grand  sinistre 
étaient  atténuées  de  ce  côté,  un 
épouvantable  désastre  se  produisait 
sur  le  point  que  venait  de  quitter 
Verdier.  Le  peu  de  troupes  qu'il  lais- 
sait avait  été  impuissant  devant  la 
croissante  animosité  de  la  réaction, 
l'assassinat  ayant  éié  mis  subite- 
ment comme  à  l'ordre  du  jour.  Six 
centsvictimesavaientsuccombésous 
les  coups  des  Trestaillonsde  l'efl'er- 
vescenle  cité,  parmi  lesquelles  d'an- 
ciens et  braves  militaires  habitués 
aux  luttes  du  champ  de  bataille  et 
qui  ue  &'altendaicnl  pub  u  trouver  des 


VER 

Croates  et  des  Szeklers  dans  leurs 
concitoyens.  Plus  d'un  historien  a 
fait  des  reproches  à  Verdier  de  ce 
résultat,  et  l'on  a  même  osé  impri- 
mer que  sa  retraite  nocturne  s'ef- 
fectua dans  le  plus  grand  désordre. 
De  telles  expressions,  même  en  les 
dépouillant  de  l'évidente  exagéra- 
lion  qu'on  a  prise  pour  vigueur  de 
style,  ne  prouvent  que  l'ignorancô 
de  ce  que  c'est  que  l'émeute,  et 
l'émeute   dans  une  ville  de   cent 
m.ille  âmes  où  fourmille  la  popula- 
tion qui  ne  croit  qu'à  la  force  du 
poignet;  dans  une  ville  où  bouillon- 
nent en  même  temps  et  passions 
politiques,  et  inimitiés  privées.  On 
nous  dira  que  Verdier,  méridional 
lui-même,  aurait  dû  prévoir   les 
elietsde  la  fermentation  des  masses 
que  justement  il  avait  pour  mission 
de  contenir;  c'est-à-dire  qu'il  lui 
fallait  à  la  fois  conserver  Toulon 
et   contenir  Marseille,  ce  qui  lui 
était  impossible.  Verdier  était  Tou- 
lousain :    tout  diflicile  à  contenir 
que  soit  Toulouse,  laCannebièreest 
bien  autre  chose  encore.  Tout  ce  que 
l'on  a  droit  de  dire,  c'est  que  Ver- 
dier ne  lit  pas  tout  îi  fait  l'impos- 
sible. Mais  qui  l'eût  fait?  qui,  parmi 
les  sommités  soit  des  hommes  d'État, 
soit  des  hommes  de  guerre  les  plus 
vaillants  de  l'époque,  aurait  été  à  la 
fois  assez  énergique  et  assez  habile 
pour  suflire  à  cette  double  tûche? 
Quoi  qu'il  en  soit,  les  vrais  Fran- 
çais, s'ils  regrettent  qu'il  n'ait  |)as 
fait  davantage,  ne  peuvent  que  lui 
savoir  gré  de  ce  qu'il  lit,   mince 
titre  d'ailleurs   aux  yeux    du  sou- 
verain rétabli  qui,  par  son  ordon- 
nance du  l"août  1817,  In  mit  î'i  la 
retraite.  Il  ne  fût  pas  mêFne,en  1823, 
question  de  lui,  bien  (|ue  son  expé- 
rience eût  pu  rendre  des  servicps 
en  celte  occasion.  Il  n'est  pas  sûr; 
c'est  vrai,  qu'il  eût  accepte  de  dc- 


VER 


285 


venir  ainsi  le  soldat  de  la  Sainte- 
Alliance;  ou  plutôt,  il  est  sûr  qu'il 
n'eût  pas  accepté;  toujours  est-il, 
et  nous  le  devons  remarquer,  qu'il 
n'eût  pas  la  peine  de  refuser.  Un 
des  premiers  actes  du  gouverne- 
ment issu  de  Juillet  fut  de  le  réta- 
blir sur  les  cadres,  mais  seulement 
(et  rien  de  plus  simple,  vu  son  âge) 
sur  le  cadre  de  réserve.  Le  système, 
du  reste,  n'était  pas  assez  belli- 
queux pour  que  le  vétéran  de 
Liers,  de  Polotsk  et  du  Mincio  se 
flattât  de  repasser  de  la  réserve  U 
l'activité.  Il  vécut  assez  longtemps 
pour  espérer  que  la  doctrine  des 
faits  accomplis  et  la  longanimité 
quand  même  en  présence  des  inso- 
lences de  l'étranger  auraient  enfin 
un  terme  ;  il  vit  de  loin  la  tentative 
de  Strasbourg  en  183G,  il  vil  de 
prés  en  1838  le  procès  Laity  à  la 
cour  des  pairs,  et  il  put  se  dire  que 
tout  n'était  pas  dit  encore  îi  l'égard 
de  la  dynastie  qu'on  s'était  flfittée 
d'étouffer  en  4815.  S'il  rendit  le 
dernier  soupir  avant  sa  prévision 
accomplie,  il  le  rendit  certairi  que 
l'accomplissement  n'en  était  pas 
loin. 

M'"^  Verdier,  femme  de  ce  géné- 
ral, ne  mérite  pas  moins  que  son 
époux  de  survivre  dans  l'histoire. 
Bien  des  hommes  ont  su  verser  leur 
sang  sur  le  champ  de  bataille,  et  à 
la  bravoure  et  au  dévouement  pour 
la  patrie  unir  le  coup  d'œil,  la  ra- 
pidité de  pensée,  les  combinaisons 
stratégiques;  mais  peu  de  femmes 
ont,  au  même  point  que  M""  Verdier, 
belle, jeune,  adulée,  pouvant  ne  vi- 
vre que  pour  les  plaisirs  et  les 
fêles,  trouvé  le  bonheurdans l'abné- 
gation et  le  dévouement,  non-seule- 
ment en  suivant  son  époux  au  camp, 
au  delà  des  mers,  au  lieu  d'atlen- 
dre  tranquillement  de  ses  nouvelles, 
mais  s'exposanl,  par  humanité,  par 


286 


VER 


VER 


patriotisme  sublime,  à  des  dan- 
gers parfois  aussi  grands  que  les 
siens.  Telle  fut  M"""  Verdier  :  tout 
le  camp  la  vit  en  Syrie  se  multi- 
plier pour  sauver  les  blessés.  Ce 
n'est  pas  de  la  charpie  qu'elle  con- 
fectionnait, qu  elle  appliquait  aux 
infortunés  :  elle  allait  les  recueillir 
sur  le  champ  de  bataille,  et  même, 
quand  on  se  battait  encore,  sous 
les  balles  et  la  mitraille;  elle  allait 
à  cheval  en  chercher  jusqu'au  dé- 
sert, et  en  arracha  plus  d'un  aux 
arabes  prévenus  de  quelques  se- 
condes par  la  célérité  de  fécuvère. 
Ce  n'est  pas  qu'elle  dédaignât  celles 
qui  n'avaient  pas  le  même  indomp- 
table courage,  le  même  mépris  des 
boulets  :  elle  s'asseyait  aussi  comme 
elles  au  chevet  des  malades,  elle 
leur  donnait  des  soins,  elle  retrem- 
pait leur  moral.  L'effet  que  sa  vue, 
que  le  rôle  d'amazone  bienfaisante 
exerçait  sur  le  soldat  est  inimagi- 
nable. Nous  doutons,  que  cette  cé- 
lèbre impératrice,  usurpatrice  des 
Gaules,  Aurélia  Victoria,  qui  donna 
la  pourpre  k  deux  fils  et  qui  la  ra- 
vit à  Loilien,  ait  jamais  mérité 
mieux  qu'elle  ce  litre  qu'on  lit  au- 
tour de  ses  médailles,  «  Mater  txEu- 
ciTULM.  »  Nous  avons  plus  haut,  en 
parlant  de  ce  premier  sicgo  de  Sa- 
ragosse,  mémorable  îi  tant  do  titres, 
cité  le  nom  de  la  comtesse  iJurila 
et  de  son  bataillon,  tout  composé 
de  femmes,  formé  par  elle  et  (jui, 
tandis  ({ue  les  éj)0ux  cl  les  frères 
se  battaient ,  allait  de  rang  en 
rang,  conduit  par  elle,  ramasser  les 
blessés  elles  porter  à  l'ambulance. 
Mais  qui  sait  si  l'héroique  comtesse 
n'avait  pas  ouï  |)arler  de  l'héroïsme 
déployé  en  Syrie  par  la  compaj^ne 
du  général  qui  les  assiégeait,  et  si 
ce  n'est  pas  une  généreuse  émula- 
tion plus  qu'une  iniliativ(!  véritable 
qui  donna  l'idée  à  la  noble  Arago- 


naise  d'une  création  Imitée  depuis, 
au  sein  de  crises  semblables,  par 
d'autres  opprimées ,  par  les  polo- 
naises en  1831?...  Ainsi  partout  où 
il  faut  le  rappeler,  on  retrouve  la 
France!  Valp. 

VERDIER  (Marcel),  peintre  dis- 
tingué, naquit  en  1818.  Elève  d'In- 
gres, dont  il  est  facile  de  reconnaî- 
tre chez  lui  les  qualités  solides,  il 
sut  pourtant  ne  pas  s'inféoder  à  sa 
manière.  Très-indépendant,  non  de 
cette  indépendance  qui  jette  la  jeu- 
nesse dans  tant  d'écarts  intellec- 
tuels et  moraux,  mais  de  celle  qui 
naît  de  la  défiance  des  traditions  et 
des  règles  arbitraires  et  qui  va  cher- 
chant le  vrai,  le  beau  dans  toutes 
les  voies;  il  avait  compris  de  bonne 
heure  qu'épris  d'un  maitre,  fût-ce 
Raphaël,  fût-ce  l'immortel  Vecelli, 
on  tombe  en  servage;  on  passe,  d'ar- 
tiste, fabricant  d'imitations  ternes 
et  incolores,  on  tourne  autour  d'un 
moulin  comme  le  cheval  aveugle..., 
car  même  on  devient  aveugle,  on 
s'étrécit  chaque  jour  un  peu  l'esprit, 
on  arrive  à  l'inintelligence.  II  réso- 
lut donc,  au  lieu  de  jeter  en  passant 
un  coup  d'ceil  superficiel  aux  pro- 
ductions des  écoles  qui  se  sont  suc- 
cessivement fait  place  au  soleil,  de 
s'imprégner  successivement  des  pro- 
cédés et  des  traditions  du  plus  grand 
nombre  possibh;  d'entre  elles,  pres- 
que avec  autant  d'amour  que  s'il 
comptait  se  vouer  à  l'une  d'elles, 
sans  toutefois  s'y  vouer  jamais 
exclusivement.  Point  d'exclusiviié 
donc,  telle  fut  sa  devise.  Ce  point 
de  vue  si  riche,  si  neuf  et  si  juste 
amenait,  comme  corollaire,  des  étu- 
des éclectiquesnéccssairem(int  très- 
vastes  :  Verdier  les  entama  hardi- 
ment, les  poursuivit  vaillamment, 
nous  n'oserions  dire  jusqu'il  ce  qu'il 
eut  épuisé  tous  les  horizons  qui  s'uu- 
vraient  k  lui,  mais  assez  pour  que 


VER 


VER 


287 


rien  de  capital  n'échappût  à  ses  ex- 
plorations toujours  pratiquées  le 
pinceau  à  la  main.  Il  devint  ainsi 
peut-être  l'artiste  qui,  de  tous  ses 
contemporains,  a  le  mieux  j)Ossédé 
l'histoire  de  l'art,  du  moins  quant  à 
la  peinture;  et,  incontestablement, 
11  s'acquit  une  manière  qui  lui  est 
propre.  On  reconnaît  dans  presque 
toutce qu'il  a  fait,mèmeensejouant, 
de  l'énergie  sans  exagération,  de  la 
grâce  sans  mollesse  :  il  entend  à 
merveille  le  coloris,  et,  à  la  préci- 
sion du  dessin,  à  la  justesse  des  con- 
tours, il  joint  la  magie  des  teintes 
qui  séduisent  et  parlent  soit  au 
cœur,  soit  à  l'imagination  rêveuse. 
Idéaliste  en  même  temps  qu'exact 
reproducteur  des  réalités,  il  excel- 
lait dans  le  portrait  :  c'est  qu'etfec- 
tivement  il  transfigure  et  néanmoins 
il  laisse  toujours  reconnaissables  ses 
personnages;  de  plus,  il  les  fait  vi- 
vre et  respirer  :  on  croit  voir  leurs 
impressions  du  moment, leurs  aspi- 
rations de  toujours  se  répercuter 
sur  leurs  physionomies;  la  toile  est 
une  révélation,  le  visage  est  une  épo- 
pée où  le  spectateur  lit  avec  le  pré- 
sent le  passé,  presque  l'avenir  de 
l'homme  d'Etat,  du  magistrat,  du 
guerrier,  de  la  jeune  fille  ou  jeune 
femme  qu'il  représente.  L'on  ad- 
mire sa  Madeleine  repentante;  évi- 
demment, ce  n'étaient  pas  là  encore 
les  derniers  mots  du  peintre  :  tou- 
jours cherchant  le  mieux,  son  ta- 
lent gagnait  tous  les  jours.  iMais  il 
n'en  était  pas  ainsi  de  sa  santé  :  l'ex- 
cès du  travail,  ou,  pour  nous  expri- 
mer plus  exactement,  le  trop  penser 
le  minait.  Il  succomba  le  20  août 
1850, laissant  (les  regrets  universels, 
d'autant  plus  vifs  qu'il  n'avait  pas 
encore  donné  sa  mesure.     I).  M. 

VEUDUIN  (  PiEnuE-AoniEx  )  , 
d'Amsterdam,  exerçait  la  chirurgie 
ivec  honneur  àlanndudi.x-septième 


siècle  et  au  dix-huitième.  C'est  à  lui 
qu'on  attribue  l'invention  de  l'am- 
putation à  lambeaux,  perfectionnée 
sans  doute  après  lui  par  Rémond 
de  Vermales,  mais  dont  l'idée  n'en 
constitue  pas  moins  un  pas  im- 
mense. C'est  lui  qui,  recourant  sou- 
vent à  ce  mode  de  traiter  les  bles- 
sés, le  popularisa  non-seulement  en 
son  pays  mais  fort  au  delà.  L'opé- 
ration qu'il  effectua,  selon  sa  mé- 
thode, sur  le  réfugié  français  Ver- 
gnol,  qui,  lui-môme,  avait  exercé  la 
chirurgie,  n'y  contribua  pas  peu. 
Vergnol  même  se  rendit  le  traduc- 
teur de  l'ouvrage  dans  lequel  le  re- 
nommé praticien  décrivait  sa  mé- 
thode, et  dont  voici  le  titre  :  Dis- 
sert,  ejiistolaris  de  nova  artnum  de- 
cuntandorum  ratione^  Amst.,  1696, 
in-8'.  Il  n'en  est  du  reste  pas;  et 
même,  on  peut  le  dire,  on  préfère 
celle  de  son  rival  (Massuet),  Paris, 
1756,  in-8'  :  Il  est  entendu  que 
l'une  et  l'autre  sont  en  français. 

D.  V. 
VERGAINI  (Ange),  grammairien 
italien,  était,  suivant  les  uns, du  Pié- 
mont même  ou  des  environs  de 
Gênes  ,  selon  les  autres  ,  d'Avi- 
gnon ,  où  l'italien  avait  non 
moins  cours  qu;^  le  français,  et 
qu'habitaient  quantité  de  familles 
italiennes.  Celle  de  Vergani,  la  fi- 
nale l'indique  assez,  était  de  ces 
dernières.  Il  était  assez  fréquent 
alors  que  des  jeunes  gens  mal  dotés 
<le  la  fortune,  mais  ayant  reçu  le 
bienfait  d'une  éducation  scolaire 
dont  le  point  de  départ  était  l'élude 
des  deux  langues,  allassent  utiliser, 
hors  de  leur  cité  natale,  en  France 
surtout,  ce  qu'ils  savaient  et  pou- 
vaient apprendre  à  d'autres  mieux 
que  personne.  Telle  fut  la  voie  (jue 
suivit  Vergani.  Nous  ne  le  suivrons 
pas  dans  ses  diverses  pérégrinations 
(à  Lyon,  en  Lorraine  et  ailleurs), 


288 


VER 


VER 


pas  plus  que  dans  ses  situations  dis- 
tinctes, tantôt  à  la  veille  de  com- 
mencer ou  commençant  une  éduca- 
tion particulière,  tantôt  retenant 
aux  leçons  en  ville.  S'exprimant 
parfaitement  en  notre  langue,  lu- 
cide, bref,  s'entendant  ù  merveille 
à  simplifier  les  difficultés  en  saisis- 
sant toujours  le  point  où  le  néces- 
saire n'est  plus  qu'utile,  où  l'utile 
ne  l'est  plus  que  pour  le  maître  ou 
pour  le  savant,  mais  ne  l'est  plus 
pour  l'étudiant,  il  formait  rapide- 
ment des  élèves,  et  à  son  école  l'ap- 
prentissage de  la  langue  était  de 
bonne  heure  attrayant,  au  lieu  de 
n'offrir  que  ronces  et  épines.  La 
renommée    de   cet   enseignement 
simplificatif,   s'il  nous  est  permis 
d'user  du  terme  le  plus  apte  à  pein- 
dre la  chose,  le  fit  admettre  à  don- 
ner des  leçons  d'italien  à  qui  vou- 
lait les    prendre  au  collège  de  la 
Marche.  La  Révolution,  en  dislo- 
quant l'Université   de  Paris   ainsi 
que  tant  d'autres  institutions  du 
passé,  les  plus  essentielles  comme 
les  plus  abusives,  dérangea  l'exis- 
tence si  paisible  de  Vergani  :  l'on 
n'avait    plus    guère   le   temps   en 
France  de  roucouler    le  Piccini. 
L'on  nous  assure  que,  sans  préten- 
dre émigrer  le  moins  du  monde, 
l'ex-professeur  du  collège  de  la  Mar- 
che passa  le  détroit  et  qu'il  ne  repa- 
rut en  France  que  lorsque  la  réor- 
<^ganisation    du    pouvoir,    au    18 
tlt^rumaire  ,  et  les  suites  de  la  vic- 
taiiire  de  Marengo  eurent  fait  renai- 
se     le  culte  de  Cimarosa  et  de  Paë- 
rang,'o.  Le  collège  de  la  Marche  exista 
bless(;iemps  encore  après  la  chute  du 
Mais  le;  seulement  il  changea  de  nom 
n'ava  appela  Collrgedes  ColonicH.  On 
dépl(peupla  de  négrillons  que  l'on  fit 
du  gJr  d'Amérique,  pour  prouver  que 
ce  n'tifférence  de  couleur  n'avait  au- 
tion  p,  influence  sur  les  capacités  in- 
qui  d 


iellectuelles.  L'ex-professeur  d'ita- 
lien fut  gardé    comme  professeur 
d'anglais.  Mais  ce  que  nous  croyons 
tout  à  fait  indubitable,  c'est  que  c'est 
à  la  nécessité  de  parer  au  déficit 
des    leçons   qu'est  due  l'idée  qui 
vint  alors  à  Vergani  de  publier  des 
ouvrages  d'enseignement.  Il  com- 
mença modestement  en  4804  par 
un  remaniement  de  la  vieille  et  in- 
finiment trop    vantée    grammaire 
de  Veneroni.  Bientôt,  comprenant 
que  l'indigeste  et  pesante  gram- 
maire (car  elle  pèse  brochée  très- 
près  du  demi-kilo,)  n'était  pas  de 
vente  facile  et  courante,  ou  s'aper- 
cevant  de  plus  en  plus,  a  mesure 
qu'il  essayait  de  la  retoucher,  de 
tout  ce  qu'elle  présentait  d'exubé- 
rant et  d'insuffisant,  de  superficiel 
et  d'erroné,  il  donna  d'autres  Elé- 
ments en  son  propre  et  privé  nom. 
Puis,  ce  nom  ayant  conquis  dans  sa 
sphère  une  certaine  renommée,  vint 
l'ère  des  compilations,  un  peu  plus 
lucratives  pour  lui  et  fort  lucratives 
pour  les  libraires.  Il  lui  fut  môme 
demandé  (car  il  possédait  l'anglais 
et  il  avait  enseigné  sinon  l'anglais 
ii  des  compatriotes,  du  moins  l'ita- 
lien a  des  anglais,  sans  l'intermé- 
diaire du  français,)  d'élaborer  ou 
plutôt  de  décorer  de  son  nom  des 
Eléments  de  grammaire   anglaise 
analogues  à  ceux  de  sa  grammaire 
italienne.  La  rémunération,  toléra- 
blement  grossissante,  bien  que  par- 
cimonieuse toujours,  de  ces  divers 
travaux,  argenta  quelque  peu  les 
dernières  années  de  Vergani,  qui 
mourut  vers  1813  à  Paris.  Voici  la 
liste  des  publications  qu'on  lui  doit, 
et  dont  il  serait  inutile  ou  fastidieux 
de  détailler  au  grand  complet  toutes 
les  réimpressions  ou  contrefaçons, 
les  unes  pures  et  simples,  les  autres 
avec  modifications  :  il  faudra  bien 
pourtant  en  citer   quelques-unes, 


VER 


VER 


289 


car  beaucoup  de  tard-venus   ont 
brouté  le  Vergani,   ont   vécu  des 
miettes  de  sa  grammaire,  se  sont 
taillé  des  rentes  dans  son  bagage. 
1.  Grammaire  de  Vcneroni, simplifiée 
et  rédnHc  à  viiujl  leçons  avec  dea  thè- 
mes, des  dialogues  et  un  petit  recueil 
de  traits  historiques  en  italien,  à  l'u- 
sage des  commençants,  Paris,  an  VIJI, 
in-12,  2'-  édit.,  an  IX,  etc.,  etc. 
Bientôt  il  ne  fut  plus  nécessaire, 
pour  la  vente,  de  garder  inscrit  en 
tête  le  nom  du  pseudo-florentin  de 
Verdun,  et  ildisparut  du  frontispice  : 
c'était  justice.  A  Vergani  reviennent 
de  droit  toutes  ces  menues,  mais 
appétissantes  améliorations  qui  ca- 
ractérisent son  livre,  et  qui  décè- 
lent un  esprit  de  trempe  contraire 
il  celui  du  charlatan  lorrain  :  —  la 
réduction  à  vingt  leçons,    c'est-à- 
dire  à  vingt  heures  consciencieu- 
sement et  vaillamment  consacrées  à 
l'étude  des  éléments,  la  suppression 
de  tout  l'inutile  et  de  tout  l'ajour- 
nable,  la  méthode,  la  lucidité,   la 
justesse  parfaite,  à  bien  peu  d'ex- 
ceptions près,  de  toutes  les  formu- 
les, le  choix  des  exemples  caracté- 
risent le   mérite  de  cet  ouvrage. 
Vergani  peut  être  nommé  le  Lho- 
mond  de  la  grammaire  italienne; 
mais  ici  c'est  à  Lhomond  que  l'as- 
similation   fait  honneur.    Si  Lho- 
mond est  simple,  pratique  et  court 
ainsi  que  Vergani,  il  n'est  pas  com- 
me lui  méiaphysiquement  irrépro- 
chable et  liop  souvent   il  n'a  de  la 
clarté  (jue    l'apparence  (qui    veut 
creuser  ne  rencontre  qu'inexactitu- 
des et  ténèbres)  tandis  (jue  Verjjiini, 
diaphane  comme    l'eau  de  roche, 
peut  être  fouillé  m/ii-ff/  in  cute.  Pt r- 
reili  donnait  vers   le  même  temps 
une  grammaire  à  coup  sur  i»lus 
minutieuse  ,     plus    philologique  ; 
Riagioli,  un  peu  plus  laril,  (  n  cla- 
borait  une  plus   opulentu,  et  que 

LXXXV 


certes  l'appendice  prosodique  met 
hors  de  pair.  Mais  il  s'agissait  de 
savoir  grâce  auquel  des  trois  gram- 
mairiens un  élève  au  bout  d'un 
temps  donné  saurait  le  plus  d'italien 
et  s'acquitterait  le  moins  mal  soit 
d'un  thème, soitd'uneversion;il  nous 
semble  que  l'avantage  ne  resterait 
ni  à  l'un  ni  à  l'autre  des  deux  ri- 
vaux de  Vergani.  Ce  qui  le  prouve, 
c'est  qu'il  ne  s'annonce,  nous 
l'imaginons ,  ni  seconde  édition 
de  Perretti,  ni  troisième  de  Bia- 
gioli,  malgré  leur  mérite  incon- 
testable à  nos  yeux;  c'est  sur- 
tout que  personne  parmi  les  li- 
braires n'a  fait  main  basse  sur 
eux  pour  se  parer  des  plumes  du 
paon,  tandis  que  partout  vous  ren- 
contrez des  Vergani  augmentés  ou 
corrigés  avec  des  noms  d'arran- 
geurs, et  quatre  au  moins  à  ce  mé- 
tier ont  gagné  un  renom  et  quel- 
que chose  de  plus  que  le  renom. 
11.  Grammaire  anglaise  simplifiée  et 
réduite  à  vingt  et  une  leçons,  nom- 
breuses éditions  dont  seulement 
les  premières  par  Vergani  lui-mê- 
me, les  4%  D"  et  beaucoup  d'autres 
par  Ilamonière,  1814,  1820,  25, 
2U,  3:3,  36  et  les  dernières,  depuis 
1843,  par  Salder  qu'on  pourrait 
qualilier  de  Briccolani  du  Vergani 
aiiglais. — V.  (Trois  petites  chreslo- 
malhie.^  italiennes,  savoir:)  {"Uac- 
conti  istorici  messi  in  lingua  ita- 
liana,  etc.,  bien  moins  pâteux  que 
les  nouvellesde  Franc. Soave,  etc., 
très-fréquemment  réimprimées,  réé- 
ditées, rëamplitices  ('*'"  éd.,  par  Pe- 
ranesi,  en  18 il  ;  auire  encore  par 
Zirardini  en  18i9,  (le  tout  in-12); 
2  Innova  scrlta  di  favole,  norclle 
tcticree  poésie  ilaliAne,con  unlral- 
lalo  delta  poesia  ilal.,  (poésie,  eu 
celle  occasion,  ne  signifie  guèr»^ 
qu'art  de  ver>.ilier)  ;  \rrgani  com- 
pense ici  la  langue  que  quelques 
19 


290 


VER 


juges  seraient  tentés  de  reprocher 
à  son  premier  livre  en  le  mettant 
en  parallèle  avec  la  grammaire  de 
Biagioli; 3" Bellezze délia  poesiaita- 
liana,  truite  dai  pin  cclehrc  et  pos- 
thume; avec  un  traité  de  la  poésie 
italienne  et  de  courtes  notes  à  l'u- 
sage des  étrangers,  par  Pianesi, 
1818,  in  \±.  VI.  (Une  chrestoma- 
thift  anglaise,  une  seule  :  )  l'Euglisli 
iruflitutor,  or  iisiifiil  and  inlcrsaining 
passage  in  prose  selectcd  from  the 
mosl  eminent  english  ivriters  and  de- 
signed  for  ihe  use  and  improvemenl 
of  those  wlio  lean  thaï  language, 
Paris,  an  IX  (1801),  in-J2,  et  2^  ou 
3«  éd.  1812. 

VERGAM  (Paul)  ,  écrivain  et 
penseur  italien ,  dut  naître  vers  \  7b3 
dans  le  Piémont.  Sa  famille  tenait 
de  loin,  et  dans  un  rang  un  peu  in- 
férieur, à  l'organisation  judiciaire 
du  pays.  Il  fut  voué  de  bonne  heure 
à  l'état  ecclésiastique  ;  mis  au  sémi- 
naire, il  étudia  plus  attentivement 
qu'on  ne  le  fait  d'ordinaire  et,  pour 
nous  exprimer  à  la  façon  des  ita- 
liens, avec  amour,  l'histoire  d'abord, 
le  droit  canon  ensuite,  mais  non 
rhistoiredel'Kglisetoutsimplemcnt, 
car  il  y  joignit  l'histoire  profane,  et 
non  le  droit  canon  tout  seul,  car 
avec  la  science,  essentielle  aux  yeux 
de  ses  chefs  spirituels,  il  fil  marcher 
parallèlement  la  science  de  luxe,  le 
droit  civil.  Il  eût  donc  pu,  nous  ai- 
mons à  le  croire,  être  déclaré  doc- 
teur7jn//ro7y(?;  mais,  soit  que  ce  dou- 
ble examen  coûtât  double  prix,  soit 
humilité  chrétienne,  soit  tout  autre 
raolif,  il  se  contenta  d'un  seul  titre, 
celui  de  docteur  en  théolo^'ie.  Déjà 
il  avait  reçu  les  saints  ordres,  ses 
travaux  lui  faisant  souhaiter  d'habi- 
ter une  grande  capitale,  et  son  sa- 
voir ayant  été  connu  du  sacré  col- 
lège, il  reçut  du  Saint-Père  la  dignité 
de  chanoine  de  Saint-Jean-de-La- 


VER 

Iran.  C'est  dans  cette  position  mo- 
deste, mais  sûre,  qu'il  composa  les 
trois  premiers  des  ouvrages  dont 
l'on  va  trouver  la  note  un  peu  plus 
bas,  et  qui  lui  donnent  un  rang  dans 
celte  école  de  moralistes  el  légistes 
philosophes  grâce  auxquels  l'Italie, 
au  dix-huitième  siècle,  n'a  guère 
moins  contribué  que  la  France  à  la 
réforme  de  la  jurisprudence.  Les 
deux  premiers  furent  très-goûtés, 
et  tous  eurent,  comme  on  le  verra, 
les  honneurs  de  la  traduction  fran- 
raise.   Il  s'ensevelit  ensuite,   bien 
qu'approfondissant  toujours,  dans 
un  long  silence  de  trente  ans;  tan- 
dis que  les  idées  de  la  scienza  nuova 
germaient,  prenaient  racine  et  for- 
maient en  s'épanouissanl  cette  ma- 
gnifique forêt  de  haute  fulaic  à  l'om- 
bre de  laquelle  finira  par  être,  heu- 
reuse de  s'asseoir,  l'Europe  enfin 
éclairée.  Les  événements  de  1811 
et  1812,  en  déterminant,  à  la  suite 
de  l'enlèvement  de  Pie  VII,  la  dis- 
peision   des  chanoines   de  Sainl- 
Jean-de-Lalran ,  amenèrent  à  Paris 
l'abbé  ou,  comme  le  porte  souvent 
le  titre  de  ses  livres,  le  docteur  Paul 
Vergani;  il  reprit  la  plume,  aidé 
parfois  par  son  ami,  notre  collabo- 
rateur, Tabaraud  ,  et  il  s'éteignit 
vers  1820,  sans  avoir  revu  l'Italie. 
Voici  la  liste  chronologique  de  ses 
écrits  :  I  et  IL  Traité  de  la  peine  de 
?»or/,  2"  édit.,  Milan,  1780,  (traduit 
par  l'avocat  Cousin,  avec  un  Dis- 
cours svr  la  justice  criminelle,  Paris, 
1782,  in-12.)  III.  De  rénormifé  du 
duel,  (  également  traduit  par  Cou- 
sin, qu'on  reconnaît  sous  son  ini- 
tiale C...  et  à  son  titre  dn  Membre 
des  Arcades  de  Rome.  )  IV.  La  lé- 
gislation de  Napoléon  le  Grand  con- 
sidérée dans  ses  rapports  avec  l'Agri- 
culture,   Paris,    1812.    in-8".    V, 
Essai  historigue  sur  la  dernière  persé- 
cution de  l'Église,  revu  par  Tabaraud, 


VER 


VER 


291 


Paris,  1814,  in-S".  VI.  Discussion 
historique  sur  un  point  de  la  vie  de 
Henri  IV,  Paris,  1818,  in-8  . 

VERGER  (Jexn-Lolis),  assassin 
de  l'archevêque  de  Paris,  a  droit 
à   un    article  dans   la   Biographie 
universelle,  puisqu'elle  donne  Yhis- 
toire  des   hommes  qui  se  sont  fait 
remarquer  non  seulement  par  leurs 
écrits  .    leurs    vertus ,     mais  aussi 
par  leurs  crimes.  Fils  de  Jean  Ver- 
ger, tailleur,  et  de  Marguerite  Fre- 
rain ,   il  naquit  h  Neuilly-sur-Seine, 
banlieue  de  Paris,  le  22  août  1826. 
Après  avoir  fréquenté  l'école  mu- 
tuelle de  sa  commune,  et  travaillé 
quelque  temps  du  métier   de   son 
père,  qui  voulait  en  faire  un  garçon 
boucher,  il  eut  le  bonheur  d'être 
recommandé  par  un  jeune  abbé  à 
la  supérieure  des  filles  de  la  Cha- 
rité, sœur  Mclanie,  dans  le  monde 
marquise  de  Hochefort,  femme  ar- 
dente, qui  aimait  à  agir.  Eprise  de 
ridée  de   faire  un  prêtre,   elle  se 
sentit  disposée  à  exercer  sa  charité 
pour  cet  enfant  qui  lui   paraissait 
digne  d'intérêt.  Comme  elle   était 
chargée  de  distribuer  dans  la  pa- 
roisse les  aumônes  de  la  princesse 
Amélie,  épouse  du  duc  d'Orléans, 
alors  chef  du  gouvernement,  elle 
fit  les  frais  des  éludes  de  Verger, 
qui  fut  placé  au  petit  sérninuir(;  de 
Paris,  d'abord  à  la  succursale,  puis 
dans  la  ville  même.  Les  premiers 
débuts   du    jeune    écolier    furent 
très-sntisf;iisanls,   sinon  du    côté 
des  études,  du  moins  du  côté  de 
la  conduite,    qui   n'offrait   aucune 
prise    à    la    réprimande   et    était 
même    édi liante.    Ou    remarquait 
néanmoins   déjà   une    j)ropcnsion 
à    ce    caractère    sournois    qui    se 
montra  si   sensible    plus   tard,  et 
qui  était  vraisemblablement  le  fruit 
d'un   amour  -  propre    déjà    froissé 
au   milieu   de   tant  d'élèTcs   d'un 


autre  âge,  et  d'une  position  so- 
ciale   plus    élevée.    A   Saint -Ni- 
colas -  du  -  Chardonnet ,    où   était 
alors   le    séminaire ,     aujourd'hui 
transféré  dans  la  rue  Noire-Dame- 
des-Champs,   il  continua  de  mon- 
trer un  caractère  singulier,   et  les 
idées  se  modifièrent,   s'éclaircirent 
bientôt  sur  son  compte.   Le  supé- 
rieur du  séminaire  était  M.  Dupan- 
loup,  devenu  depuis  évèque  d'Or- 
léans, qui,  bientôt,  crut  s'aperce- 
voir que  le  nouveau  venu  ne  méri- 
tait pas  toute    confiance.  On   lui 
représenta   en   vain  que  son    opi- 
nion  était  peut-être  précipitée,  il 
resta  persuadé  et  il   disait  que  ce 
jeune  homme  ne  ferait  point  hon- 
neur à   l'état  ecclésiastique.   Une 
circonstance    amena   un    dénoue- 
ment qui,  s'il   ne  fut  pas  la  suite 
d'une  indélicatesse,    fut  du  moins 
l'effet  de  l'étourderie  et  de  la  pré- 
somption. Il  en  sera  question  dans 
lesdébatsdu  procès  de  Verger,  dont 
M.  Dupanloup  crut  devoir  se  débar- 
rasser dans  cette  circonstance.  Ver- 
ger, congédié  au  mois  de  septembre 
1814,  trouva  un  prolecteur  dans  le 
vicaire  de  Neuilly,    qui  le  recom- 
manda à  M.  Vervost,  chef  d'insti- 
tution à  Paris.  Ce  respectable  ec- 
clésiastique  reçut  Verger,  t't  dès 
lors,  comme  depuis  que  son  établis- 
sement fut  transféré  à  Auleuil,  il  n'a 
jamais  cessé  de  lui  être  attaché, 
sans  txcuser,    bien  entendu,  tous 
les  écarts  dans  lesquels  il  a  donné. 
Le  22  juin  1840,  en  le  faisant  ad- 
mettre    au    grand     séminaire    de 
Meaux,  il  le  recommandait  comme 
un  excellent  jeune  homme,  dont   il 
voulait  faire  un  collaborateur  dau^ 
sa  maison.  Celte   maison   fut  son 
asile  pendant  ses  vacances.    Dans 
le  cours  de  ses  dernièrei    étuilfs, 
Verper  offrit  bien  quelques  sujets 
à  la  répréhension,  mais  ces  sujets 


292 


VER 


élaienl  sans  gravité  majeure,  et, 
quoiqu'il  eût  commencé  à  étudier 
étant  déjà  dans  radolescence,  il  fut 
ordonné  prêtre  avec  dispense  d'âge, 
ie25  mai  1850.  Sa  première  messe 
fut,  àNeuilly,  une  sorte  d'ovation, 
mais  son  orgueil  fut  blessé  de  voir 
que  le  curé  ne  l'eût  point  invité  k 
prêcher.  G'étailun  jour  non  chômé; 
mais  la  manie  de  Verger  a  tou- 
jours été  la  prédication,  pour  la- 
quelle il  n'était  point  fait.  On  pour- 
rait se  demander  comment, ni  alors 
ni  depuis,  il  n'alla  point  professer 
à  la  pension  d'Auteuil,  Les  supé- 
rieurs ecclésiastiques  du  diocèse  de 
Meaux,le  nommèrent  aussitôt  curé 
de  la  succursale  de  Guercheville, 
mais  il  n'avait  rien  pour  s'établir 
dans  son  presbytère,  et  M.  l'abbé 
Sibon,  qu'il  paya  bientôt  de  tant 
d'ingratitude,  confident  des  cha- 
grins que  lui  causait  sa  détresse, 
lui  procura,  deshabitants  deNeuil- 
ly,  de  l'argent  et  du  linge.  Bientôt 
Verger  manqua  de  prudence  en 
toutes  choses,  et  donna  déjà  des 
j)rcuvesd'uncaractère  qui  annonçait 
de  la  folie;  il  lit  porter  ses  meubles 
k  Nemours,  les  vendit  le  dimanche, 
à  l'encan,  et  quitta  sa  paroisse  sans 
adieux.  L'évêquc  de  Meauxle  i)laça 
en  qualité  de  vicaire  à  Jouarre,  où 
il  porta  son  air  sournois,  et  resla 
peu  de  temps,  car  il  fut  bientôt 
nommé  curé  à  la  succursale  de 
B;»illy-Carrois,  près  de  Molun.  Là, 
ses  extravagances  continuèrent  ;  il 
perdit  un  procès,  et  voulant  échap- 
per aux  frais  de  sa  condamnation., 
il  traversa  sa  paroisse,  déguisé  et 
vêtu  d'une  blouse,  suivant  le  char- 
retier qui  emmenait  ses  meubles, 
passa  la  nuit  dans  une  écurie,  et 
vint  à  Paris.  11  est  utile  de  racon- 
ter tous  ces  inj.idcnls  pour  peindre 
l'homme  «|ui  sj'  livra  depuis  à  un 
ii  grand  crime.  Que  va-t-il  devenir? 


VER 

Après  avoir  passé  quelques  jours 
chez  l'abbé  Deleau,  curé  de  Ncuil- 
ly,  qui  n'eut  point  à  se  louer  de 
ses  procédés,  il  partit  pour  l'An- 
gleterre, disposé  à  tout,  dit-on,  à 
rester  catholique,  k  se  faire  pro- 
testant et  même  domestique.  Il  ob- 
tint un  celebret^  mais  le  cardinal 
Wisemann  ne  pouvait  employer  un 
prêtre  qui  avouait  ne  pas  savoir  la 
langue  anglaise  ;  Verger  revint 
donc  à  Paris,  où  la  sœur  Mélanie, 
qui  lui  portait  toujours  de  l'inté- 
rêt, le  fit  recevoir  dans  le  clergé  do 
Saint-  Germain -l'Auxerrois,  dont 
elle  avait  connu  le  curé,  M.  Le- 
grand  ,  lorsqu'il  était  vicaire  k 
Neuilly.  Ce  curé,  qui  avait,  pour 
cette  mesure,  pris  les  conseils  et 
l'autorisation  de  l'archevêché,  fit 
un  accueil  charitable  à  Verger, 
fit  môme  des  avances  pour  payer 
ses  dettes,  et  pria  l'un  de  ses  prê- 
tres de  recevoir  le  nouveau  venu 
au  nombre  de  ses  commensaux. 
Ce  prêtre  était  précisément  M.  l'ab- 
bé Sibon,  à  qui  Verger  devait  déjà 
beaucoup,  et  qu'il  paya  d'une  noire 
ingratitude.ïout  alla  bien  d'abord, 
et  Verger  fut  même  employé  à  des 
fonctions  subalternes  au  service  de 
la  chapelle  des  Tuileries,  confié 
alors  au  clergé  de  Sainl-Germain- 
l'Auxerrois.  Mais  au  bout  de  quel- 
ques années,  dominé  par  son  or- 
gueil et  ses  idées  extravagantes,  il 
revint  à  ses  anciennes  impruden- 
ces, et  je  dois  en  signaler  une  que 
le  lecteur  sera  curieux  de  connaî- 
tre. La  fille  d'un  épicier  de  village, 
qui  se  confessait  à  Verger,  lui  fit 
croire  qu'elle  était  comtesse  d'Ar- 
gentville;  et  dés  lors,  pour  l'aider 
k  rentrer  dans  ses  biens,  dont  il 
devait  lui-môme  recueillir  une  part, 
il  di'essa  un  mémoire,  et  alla  tiou- 
verM.  Roulland,  alors  procureur 
général,  aujourd'hui   (1802)    mi- 


VER 


VER 


293 


nistre,  pour  l'engager  ù  prendre 
les  intt'rôts  de  la  prétendue  héri- 
tière. M.  Rouland  lui  dit  avec  gra- 
vité qu'il  n'aimait  pas  à  voir  les 
prêtres  se  jeter  légèrement  dans 
les  procès;  puis,  sans  écouter  da- 
vantage Verger,  il  sonna  son  do- 
mestique et  lui  dit  :  «  Demain,  la 
guillotine  pour  les  huit  heures  du 
matin.  »  Cette  parole,  que  Verger 
aurait  pu  regarder  comme  prophé- 
tique, fit  sur  lui  une  si  grande  im- 
pression, qu'il  ne  put  la  taire  à  son 
hôte,  rabl)é  Sibon.  Le  curé  de 
Saint-Germain,  mécontentde  lui  de 
plus  en  plus ,  commença  par  lui 
retirer  le  ministère  de  la  confes- 
sioii,  selon  qu'il  était  convenu  avec 
l'autorité  diocésaini^  Verger,  de 
son  côté,  irrité  et  vindicatif,  prit 
des  résolutions  extrêmes,  déchira 
cruellement  les  mœurs  du  curé  |)ar 
les  plus  odieuses  calomnies,  quitta 
le  presbytère,  alla  demeurer  avec 
son  frère  pour  exploiter  avec  lui 
un  certain  procédé  j)0ur  l'étamage 
des  glaces,  reprit  l'habit  laie  et 
laissa  pousser  sa  barbe.  Au  bout 
de  quelque  temps,  il  fit  des  mena- 
ces de  veugeaiice  à  l'abbé  Sibon,  qui 
n'en  fit  de  cas  autrement  (lu'en  lui 
envoyant  seci  clément  une  aumône. 
Il  vit  bientôt  que  son  commerce  de 
glaces  était  une  illusion.  Il  chercha 
à  intimider  le  curé  de  Saint-Ger- 
main, qu'il  avait  dénoncé  au  par- 
quet, îi  l'archevêché,  au  public,  et 
menaçait  de  f;iire  de  l'éclat,  si  on 
ne  lui  rouvrait  son  église,  avec  un 
traitement  qu'il  fixait  lui-même  h 
2,300  francs.  S'enhardissant  dans 
ses  idées  diaboliques,  il  avait  com- 
posé, sur  les  mœurs  du  clergé,  un 
libelle  qu'il  alla  faire  imprimer  en 
Belgique  (1,\  je  ne  sais  par  quels 


moyens;  mais,  vraisemblablement, 
vers  ce  temps-là,  je  ne  sais  par 
quels  moyens  aussi,  il  trouva,  en 
novembre  1853,  un  emploi  dans 
une  pension  dejcunesgens,àMonti- 
viiliers,  dans  le  département  de  la 
Seinc-Tuférieure,  qu'il  fut  bientôt 
obligé  de  quitter,  sa  qualité  de  prêtre 
ayant  été  connue.  De  retour  à  Pa- 
ris, il  alla  reprendre  le  modeste  lo- 
gement qu'il  avait  occupé  rue  de 
Savoie.  C'était  aussi  dans  le  même 
temps  qu'il  projetait  de  se  faire 
ministre  calviniste  et  qu'il  se  pré- 
sentait pour  cela  au  ministre 
Montandon.  Mais  un  autre  acte 
de  folie  tout  à  fait  caractérisé , 
fut  la  scène  ridicule  que,  dans  lo 
même  temps.  Verger  iïi  dans  l'église 
de  la  Madeleine.  Le  dimanche  8  fé- 
vrier 1850,  il  s'y  présenta  portant 
sur  la  poitrine  une  petite  pancarte 
sur  lafiuelie  étaient  écrits  en  latin 
ces  mots  imités  de  l'Evangile.  «  J'ai 
«  froid  et  lis  ne  m'ont  pas  vêtu  ; 
a  j'ai  faim  et  ils  ne  m'ont  j)as  donné 
fi  à  manger;  •  puis  en  français:  «  Je 
«  ne  suis  ni  suspendu,  ni  interdit, 
«  copcndaut  on  ine  laisse  mourir  de 
«  faiîîi.  »  La  police  s'émut  avec 
raison  de  cette  démonstration  sin- 
gulière,  lit  arrêter  l'individu,  et 
le  relaxa  après  qu'on  eut  constaté 
qu'il  n'était  pas  fou,  mais  le  laissa 
sous  une  surveillance  spéciale,  qui 
ne  Huit  que  lors  de  sa  réintégration 
ecclésiasti(|ue.  Verger  eut  cet 
avantage  le  <2  mars  1850,  ayant 
été  nommé  curé  de  Scrris,  suc- 
cursale du  canton  de  Crécy.  Il 
n'y  demeura  pas  longtemps  sans 
montrer  son  caractère  étrange  et 
donner  des  preuves  d'une  sorte 
d'aliénation.  Dès  le  mois  de  novem- 


un  iniprinu'ur  qui  voulût  so  c'lijrb''"r  île 
(1)  Il  n'avait  pu  Irouvrr  en   France      ce  paiM[ililct  scandaleux. 


294 


VER 


VER 


bre,  il  fil  un  libelle  contre  la  cour 
d'assises  de  Melun,  à  roccasion  d'un 
épicier  nommé  Lamy,  accusé  et  con- 
damné comme  assassin  de  sa  femme. 
Sans  connaître  l'individu,  sans 
être  guère  plus  au  fait  de  sa  cause, 
Verger  s'établit  son  défenseur  et 
adressa  au  préfet  de  Seine-et- 
Marne  un  écrit  composé  contre 
l'institution  du  jury  et  qu'il  intitula 
Colin-Maillard.  L'autorité  ecclésias- 
tique fut  avertie  du  scandale;  Ver- 
ger en  donna  bientôt  un  autre  plus 
coupable  encore,  puisqu'il  attaquait 
Ja  religion.  Lorsqu'il  était  attaché 
à  la  paroisse  de  Saint-Germain 
l'Auxerrois,  Verger  professait  une 
dévotion  qu'on  peut  dire  enthou- 
siaste, envers  le  mystère  de  l'Im- 
maculée Conception.  Avant  même 
qu'il  fut  proclamé ,  il  avait  prêché 
d'une  manière  et  avec  des  expres- 
sions imprudentes  ;  puis  il  reçut 
fort  mal  les  observations  qu'on  lui 
en  fit.  A  quelque  temps  de  là,  et 
sans  que  la  cause  en  soit  bien  con- 
nue, il  changea  loutk  fait  d'opinion 
ou  du  moins  de  langage.  Le  30  no- 
vembre ,  il  adressa  au  rédacteur 
d'un  journal  religieux  intitulé  le 
lioHier  de  Marie,  une  lettre  injurieuse 
au  culte  de  la  Sainte  Vierge,  et 
dans  l'église  d(3  son  village  il  prê- 
cha contre  le  dogme  do  l'Immaca- 
lée  Conception,  décrété  par  TKglise. 
Le  12  décembre  1857,  l'évêque  de 
Meaux  interdit Veiger,  et  comme  il 
prévoyait  que  celui-ci  allait  retour- 
ixT  d;jns  la  capitale,  il  prévint 
l'Archevêque  de  Paris  de  la  mesure 
qu'il  avait  prise,  et  de  laquelle  il 
donnait  trois  motifs:  l'affaire  scan- 
daleuse du  libelle  injurieux  à  la 
cour  d'assisps  de  Mf'Iun;  les  pré- 
dications contre  l'Immaculée  Con- 
ception; et  enfin  la  découverte 
d'un  écrit  intitulé  :  Testamenl,  rem- 
pli de   diatribes  violentes  contre 


les  dogmes  de  la  religion,  contre 
l'autorité  et  la  discipline  ecclésias- 
tique. Verger  revint  effectivement 
à  Paris,  et  de  là  écrivit  à  l'évêque 
de  Me;àux,  cherchant  à  l'amener  à 
changer  de  détermination  sur  ce 
qui  le  regardait,  usant  de  menaces 
et  disant  qu'il  se  marierait,  etc.  Une 
personne  respectable  le  vil  de  la 
part  de  l'évêque,  chercha  à  le  cal- 
mer et  lui  fit  entendre  que  les  me- 
sures que  l'on  avait  prises  à  son 
égard  l'étaient  saris  retour.  Verger 
demanda  une  audience  à  l'arche- 
vêque de  Paris,  qui  nécessairement 
dut  la  refuser.  Alors  l'idée  d'assas- 
siner ce  prélat,  déjà  conçue  l'année 
précédente,  lui  revint  au  cœur  et  se 
changea  en  résolution.  Sous  l'in- 
fiuence  funeste  de  cette  pensée,  il 
acheta  un  couteau  et  se  disposa 
à  frapper  l'archevêque  quand  il 
en  trouverait  l'occasion.  Le  same- 
di 3  janvier  1857,  monseigneur 
Sibour,  archevêque  de  Paris,  était 
allé,  dans  l'après-midi,  malgré 
le  temps  froid  et  pluvieux  et  une 
santé  indisposée,  célébrer  la  fête 
patronale  de  sainte  Geneviève,  à 
Saint- Ëiienne -du -Mont ,  où  le 
tombeau  de  la  sainte  attire  depuis 
soixante  ans  un  concours  con- 
sidérable de  pèlerins  pendant  toute 
la  neuvaine  qu'on  y  fait  chaque 
année  à  pareille  épofpuî.  L'occa- 
sion parut  favorable  au  dessein 
pervers  de  Verger.  Il  se  munit  de 
son  couteau,  qu'il  tint  d'avance 
ouvert,  etserendilàSaint-Étienne, 
où  il  entra  dans  la  nef  pendant  le 
Maqnifirat.  Son  premier  projet 
éia;i  d'aller  se  placer  près  du  banc- 
d'oiuvre,  afin  de  frapper  l'arche- 
vêque au  momei'l  où  il  y  entrerait 
pour  entendre  le  sermon,  mais 
craignant  d'être  reconnu  des  ecclé- 
siastiques, il  s'éloigna  et  alla  se 
placer  dans  la  nef,  où  il  entendit 


VER 

le  sermon  de  monseigneur  Lacarriè- 
re,  ancien  évèque  (le  laBasse-ïerre 
(sermon  sur  la  prière,  qu'il  trouva 
hérétique !).Lorsqu'eui  lieu  la  pro- 
cession, qui  devait  précéder  le  sa- 
lut, et  à  laquelle  ofliciait  l'arche- 
vèque,  le  prélat  rentrait  dans  la 
nef  du  milieu,  pour  retourner  au 
chœur,  quand  Verger,  placé  à  l'en- 
trée et  aux  premiers  rangs  des 
chaises,  du  coté  gauche,  se  releva, 
tournant  le  dos  à  l'autel,  saisit 
monseigneur  Sibour  par  le  bras  et 
le  frappa  de  son  couteau,  qu'il 
avait  su  tenir  caché  1  !  !  Une  femme 
aperçut  néanmoins  l'instrument 
fatal,  au  moment  où  le  coup  était 
porté,  et  voulant  l'arrêter,  fut  lé- 
gèrement blessée.  5f,  l'abbé  Su- 
rat,  vicaire-général ,  qui  assistait 
le  prélat,  et  soutenait  sa  chape, 
frappa  de  la  main  l'assassin,  qu'il 
croyait  coupable  seulement  d'a- 
voir battu  l'archevêque.  En  im- 
molant sa  victime,  Verger  s'écria  : 
Pas  de  déesaes,  à  bas  les  déesses! 
Il  était  revêtu  d'un  paletot,  et  ne  se 
débarrassa  pasde  son  fer  meurtrier. 
«  Je  n'ai  pas  frappé  une  seconde 
fois,  a-t-il  dit  depuis,  car  j'avais  la 
certitude  que  mon  premier  coup 
avait  porté.  »  Il  a  dit  aussi  à 
M.  l'abbé  Ilugon,  aumônier  du  dé- 
pôt des  condamnés,  qu'il  avait  res- 
senti, après  le  coup,  comme  cette 
espèce  de  s;itisfaction  qu'on  éprou- 
ve après  une  œuvre  qu'on  devait 
accomplir.  Néanmoins,  en  re(  evant 
le  soufflet  que  lui  donna  M.  Surat, 
l'assassin  chancela  en  répétant  son 
inconcevablfi  exclamation  :  Pas  de 
déesses!  A  basiesdéi'sses !  On  peut 
se  faire  une  idée  du  tumulte  qu'oc- 
casionna cette  attaque  subite,  et  du 
trouble  où  elle  jeta  tous  les  esprits. 
On  croit  à  un  accident,  à  une  in- 
sulte, mais  personne  ne  soupçonne 
un  tel  crime!  Pendant  qu'on s'em- 


vsa 


^95 


presse  de  rassurw  38-:prfelat,'  on 
voit  ses  yeux  s'étei  ^ùrB  é^sMuNet 
s'attacher  sur  le  cri  Me'     -■•  -  'Ht^ 
vrcs  murmurent:  «Onl^L;.  u ;  nterr^- 
Dieu  !  le  malheureux   ai^^  i  «Quel 
malheur!  «  car  sa  voix^.aRv3if».«Mf, 
peut  laisser  distinguer  sisflte.  Hea^ 
les  derniers  mots  qu'il  arf.  (ifei^Vn-j       l 
ces!!  Tout  à  coup  son      )•  i  >.  Vj^^ife»       m 
soutenait  seulement  le  p^iU.  *Jc  «eo       9^- 
chape,  s'affaisse  violemmenli^*-»-:        ^\ 
rière  et  retentit  sur  les  dall8$;;:!tJï}. 
se  précipite,  on  relève  Monseiinœiîrvt 
on  le  transporte  dans  la  saciliâwp 
on  essaie  de  le  faire  revenir  dmitt'- 
qu'on  pense   être  un  évanouiss»^" 
ment.    La   syncope    pei-sisie,    ofd 
étend  le  corps  du  prélat,  et  un  méV. 
decin,  qui  s'était  trouvé  à  réglisei 
découvre   l'horrible  vérité.  Après 
avoir  soulevé  la  chape  et  l'étole,  il 
reconnut  une  plaie  large  elprofonde 
entre  la  cinquième  et  la   sixième 
côte.  Le  sang  s'en  échappe*  avec 
abondance,  les  paupières  du  mou- 
rant frémissent  encore,  mais  déjà  le 
pouls  a  disparu.   M.  Surat  donna 
une  dernière  absolution  à  l'arche- 
vêque, qui  mourut  à  l'instant.    Le 
bruit  de  cette  affreuse  catastrophe 
se  répand  aussitôt  dans  une  partie 
de  la  ville,  et  produit  un  etfet  in- 
dicible. On  ne  peut  se  résoudre  à 
croire  à  cette   nouvelle  :  Monsei- 
gneur   est   assassiné!    Par   qui  et 
pour  quel  motif,  dans  un  temps  où 
les     émotions     populaires      sem- 
blaient assoupies!  L'indignation  est 
générale.  Le  chef  du  gouvernement 
s'abstient  du  spectacle,  où  il  se  dis- 
posait à  se  rendre.  L'auteur  de  cet 
article  n'oubliera  jamais  la  scène 
lugubre  et  majestueuse  qu'offrait  le 
presbytère    de     Saint-Etienne-du- 
Mont.  Instruit  par  hasard  du  mal- 
heur qui  venait  d'avoir  lieu,  il  s'y 
rendit   des    premiers.    Le    prélat 
était  étendu,   revêtu  d'une  partie 


296 


VER 


VER 


de  ses  lial>its  ecclésiastiques,  un 
pie<l  vSOrti  Ju  soulier,  tombé  au 
pied  Ju  Ut,  ce  lit  n'était  qu'un 
matelas  pesé  par  terre,  sur  lequel 
l^archevùqiic.V  paraissait  endormi  ; 
son  m^Dteau  recouvrait  la  plaie. 
Prosfct'Hé.près  de  sa  tète,  son  se- 
crôtrire  particulier,  M.  Tabbé  de 
Ctt»*)li,  serrait  une  de  ses  mains 
et  restait  en  silence,  presque 
•iiii'anli?  Monseigneur  Lacarrière, 
quelques  ecclésiastiques  du  pres- 
bytère et  autres,  n'échangeaientque 
quelques  mots  à  voix  basse,  et  la 
stupeur  était  sur  tous  les  traits! 
Tandis  que  ceci  se  passait  au  pres- 
bytt're,  une  autre  scène  se  passait 
à  quelques  mètres  de  là,  dans  Thô- 
tel  delà  mairie  (alors du  xu"  arron- 
dissement). Lorsque  M.  l'abbé  de 
Rorie,  curé  de  Saint  -  Etienne  , 
cherchait,  dans  son  illusion  sur 
la  réalité  du  malheur,  à  rassu- 
rer les  fidèles  et  voulait  conti- 
nuer l'office,  un  assistant  qui  avait 
compris  ce  qui  se  passait,  avait 
saisi  l'assassin  par  derrière  ;  un 
sergent  de  ville  le  désarma  et  l'ar- 
rêta. On  le  conduisit  au  milieu  do 
la  foule  saisie  d'horreur  au  poste 
de  la  mairie.  M.  Piétri,  préfet  de 
police,  M.  de  Cordui-n,  procureur 
impérial,  M.  le  substitut  Moignon, 
M.  Treilhard,  juge  d'instruction, 
s'y  rendent  en  toute  hâte,  et  pro- 
cèdent à  une  première  instruction. 
Verger  dit  que  ce  n'est  point  la 
personne  de  Monseigneur  l'arche- 
vêque qu'il  a  voulu  frapper,  mais 
en  sa  personne  le  dogme  de  l'Im- 
maculée Conception.  Que  signilie, 
lui  demande-t-on,  ce  cri  que  vous 
avez  proféré  :  Pas  de  dresses!  à  brnt 
iet  déesses!  Il  répond  que  par  là  il 
entendait  protester  (1)  contre  l'Im- 


(1)  La  société  des  dames  de  Saiate- 


maculée  Conception  et  contre  la 
confrérie  des  Génovéfaines.  H  avoue 
et  donne  des  détails  avec  un  sang- 
froid  qui  laisse  douter  s'il  a  la  cons- 
cience de  son  crime.  Un  moment  ce- 
pendant, vers  la  lin  de  l'interro- 
gatoire, comme  on  lui  représente 
la  grandeur  d'un  tel  forfait,  il  sem- 
ble le  comprendre.  Quelques  lar- 
mes coulent  de  ses  yeux  et  il  s'écrie  : 
«Oui,  c'estaffreux  !  »  Mais,  conduit  à 
ia  prison  de  Mazas,  Verger  a  bien- 
tôt recouvré  son  calme.  Il  demande 
à  manger,  parce  que,  dit-il,  il  est  à 
jeun  depuis  !e  malin,  par  précaution 
pour  ne  pas  avoir  la  main  tremblante. 
Comment,  lui  dit-on,  vous  qui  êtes 
prêtre,  avez-vous  pu  commettre  un 
crime  semblable?  «  La  faute  en  est 
au  célibat  des  prêtres,  répondit-il; 
pourquoi  ne  voulez-vous  pas  que 
les  prêtres  se  marient  comme  les 
autres  hommes?  «Réponse  insensée, 
qui,  comme  celles  qu'il  a  faites  à 
la  mairie ,  prouverait  que  le  mal- 
heureux est  victime  non-seulement 
de  sa  scélératesse,  mais  aussi  de 
son  orgueil  ou  de  sa  folie.  Quels 
rapports,  en  etVet,  peut-il  y  avoir 
entre  les  raisons  qu'il  donne  et  l'as- 
sassinat de  Mgr  Sibour?  L'instruc- 
tion commença  et  marcha  promp- 
tement  ;  on  saisit  chez  le  frère  de 
Verger,  avec  lequel  il  demeurait 
au  moment  du  crime,  et  à  son  pro- 
pre domicile  à  Sarris;  on  lit  les  in- 
formations au  séminaire  de  Meaux, 
et  dès  le  10  janvier,  le  parquet  de 
la  Cour  impériale  de  Paris,  par 
l'organe  du  procureur  général , 
M.  Vaïsse,  déclarait  que  Jean-Louis 
Verger  était  accusé  d'avoir,  le  3 
janvier   18o7,  commis  volontaire- 


Geneviève,  établie  par  Monseigneur  Si- 
bour, a  son  autel  [>rés  du  tombeau  de 
sainte  (ienevièvi-,  et  se  réunit  à  Saint- 
Etienne-du-Mont. 


VER 

ment,  avec  préméditation  et  guet- 
apens,  un  homicide  sur  la  personne 
de  Mgr.  Sibour,  archevêque  de  Pa- 
ris, crime  prévu  par  rarticie  302  du 
code  pénal.  Pendant  ces  opérations 
préIiminaires,Verger  semblait,  dans 
sa  prison,  être  à  l'aise  et  dans  une 
position  qui  pourrait  le  grandir. 
Ceux  qui  pouvaient  l'approcher 
étaient  curieusement  interrogés.  II 
se  montrait  calme,  vantard,  discu- 
teur.  Il  n'était  préoccupé  que  de 
l'idée  de  se  former  un  piédestal 
aux  yeux  de  l'opinion  publique,  de 
poser  y  de  faire  de  l'efiet.  Il  péro- 
rait sur  les  questions  de  dogme, 
avançait  froidement  de  vieilles  hé- 
résies, qu'il  donnait  comme  les  pro- 
ductions de  son  cerveau,  mêlait  à 
toutes  ces  divagations  religieuses 
les  questions  les  plus  étroites  d'in- 
térêt personnel,  calomniait  gros- 
sièrement tous  ceux  qu'il  avait  pu 
connaître  dans  sa  carrière  ecclé- 
siastique, et  principalement  il  écri- 
vait, il  écrivait  sans  cesse,  surtout 
et  à  propos  de  tout.  Transporté 
quelques  jours  après  à  la  Concier- 
gerie, il  montra  les  mêmes  disposi- 
tions; il  semblait  n'avoir  pas  cons- 
cience de  sa  situation ,  parlait 
froidement  de  l'avenir,  et  récla- 
mait bonnement  une  couverture 
pour  passer  l'hiver.  ,Quand  on  lui 
annonçait  (juelque  visite,  quelque 
démarciie  de  curiosité,  sa  figure 
rayonnait  ;  «  !\Ia  cause  est  une  nou- 
\clle  cau^e  célèbre,  disait-il,  on 
en  parlera  longtemps.  »  Étrange 
satisfaction  de  l'orgueil ,  qui  ne 
pouvait  se  trouver  qu'en  Ver- 
ger! Aussi,  ful-il  et  panil-il  vive- 
ment contrarié  ({uand  l'autorité  se 
refusa  îi  laisser  reproduire  ses 
traits.  Ooirail-on  (lu'il  avait  fait 
venir  à  sa  prison  son  frère  accom- 
pagné d'un  pholograpbe,  pour  faire 
son  portrait!  Tout  semblait  révéler 


m 


897 


chez  ce  malheureux,'! cet** rfnçiWyi^- 
ble  fatuité  du  crim  ,  qin  s.'ftrii}>are 
de  quelques  intellit,  rnôàH  jidj'vcr»^ 
ses.  Il  laissait  entr»  -^h  ^^e'qui'iJ 
aurait  voulu  faire,  (  ■  ,a\U^ 
on,  du  désir  qu'il  avait  i,  Ir-e 

à  Rome,  de  façon  à  lais.>-  ,^uia>o»< 
ser  le  regret  monstrueux  ci.  a^avoip 
pu  frapper  une  autre  et  ploRk^  ' 
tre  tête.  On  chercha  à  lui  yt/y^ 
comprendre  combien  il  s'abWi^ 
sur  la  situation  des  esprits  ;u;bo^. 
égard  ;  on  n'aura  point  réussi.  T^U» 
le  9  janvier,  le  rapport  surson  alTaitîè 
avait  été  présenté  à  la  chambra 
des  mises  en  accusation  par  M.  J'a- 
vocat  général  Salle.  La  cbambre 
prononça  immédiatement  l'arrêt 
par  lequel  elle  renvoyait  Verger 
devant  la  Cour  d'assises  de  la  Seine. 
Ce  même  jour,  à  quatre  heures. 
Verger  reçut  notification  de  l'arrêt, 
il  avait  dès  lors  cinq  jours  pour  se 
pourvoir  en  cassation  contre  celte 
décision.  M.  le  président  Ronniol  do 
Salignac  lui  nomma  d'offlce  pour 
défenseur  un  avocat  conim  par 
son  beau  talent,  31.  Nogent-Saint- 
Laurens.  Ce  choix  parut  faire  plai- 
sir à  l'accusé,  que  l'avocat  trouva 
à  la  Conciergerie  feuilletant  avec 
ardeur  les  pièces  de  procédure  qui 
lui  avaient  été  sij^niliées.  Verger 
se  leva,  fit  quelques  pas  au-devant 
de  lui,  et  du  geste  lui  indiqua  un 
siège,  le  remerciant  d'avoir  ac- 
cepté sa  défense.  «  C'est,  lui  dit-il, 
«  une  véritable  satisfaction  pour' 
«  moi  que  de  ujc  voir  assisté  par  un 
«  avocat  que  j'ai  déjà  eu  tant  de 
((  plaisir  à  entendre  à  Alelun.  » 
Néanmoins  il  manifesta  l'intention 
de  se  défendre  lui-même.  Il  dit  que 
l'examen  de  toutes  les  pièces  et  la 
préparation  de  sa  défense  nécessi- 
taient un  temps  plus  long  que  celui 
qui  lui  était  donné,  et  qu'il  ne 
croyait  pas  pouvoir  être  prêt  [iour 


298 


\'ER 


VER 


le  17  Janvier,  jour  fixé  pour  les  dé- 
bals de  l^affairtt  Le  14,  il  informa 
ofûciftllefiieâtale  sa  résolution  le 
direcleur  delà  ('.onciergeric, et  après 
qu.il  e^t  \u  libeller  et  qu'il  eut 
sïgmVA'ng^  consiatant  sa  diciara- 
liOH(^,.&irvoi  ,il  se  remit  avec  une 
a^yitèmivreuse  à  classer,  à  rédiger 
sesiDioyeiis  de  défense.  Le  15,  la 
€9<ir  du  cassation  fut  saisie  du 
iwurvoi ,  que  Verger  n'avait  fait 
soMiriiir  par  aucun  avocat.  Comme 
allô  trouva  que  la  procédure  avait 
été  régulière ,  etc. ,  elle  rejeta  le 
pourvoi.  Par  suite  decette  décision, 
.Taflaire  fut  maintenue  au  rôle  des 
assises  pour  le  samedi  17  janvier. 
Lecture  de  cette  décision  fut  faite 
à  Verger,  dans  la  Conciergerie,  par 
M.  le  premier  président  Delangle, 
qui,  sollicité  par  Verger  de  recu- 
ler le  jour  de  l'audience,  et  ne 
croyant  pouvoir  l'accorder,  vit  l'ac- 
cusé ne  pas  faire  d'insistance  et 
dire  qu'il  serait  prêt  pour  le  17 , 
jour  fixé.  On  conçoit  que  de  son 
côté  le  public  se  préoccupait  de 
l'affaire ,  qui  faisait  le  sujet  des 
conversations.  Mgr.  Allou,  évf'que 
de  Meaux,  eut  la  charité  de  visiter 
le  coupable  dans  sa  prison  ;  les 
journaux  rendirent  publique  une 
lettre  que  M.  l'abbé  Jlenard,  supé- 
rieur du  séminaire  de  Meaux,  avait 
cru  devoir  écrire,etqui,en  donnant 
des  explications,  comme  pour  sol- 
liciter ou  présenter  une  sorte  de 
justilicalion,  assurément  bien  inu- 
tile ,  accusait  dans  ce  respectable 
ecclésiastique,  une  sorte  de  peine 
ou  d'embarras.  Tout  le  monde  at- 
tendait avec  une  sorte  d'anxiété 
l'ouveriiiredes  débats,  qui  eut  lieu, 
en  effet,  le  17  janvier  18:i7.  Jamais 
pareil  spectacle  ne  s'était  offert 
dans  l'enceinte  de  la  Cour  crimi- 
nelle. Le  crime  él^it  inoui  ;  la  foule 
qui  se  pressait  dans  ce  trop  étroit 


prétoire  de  la  Cour  d'assises,  com- 
posait une  de  ces  assemblées  d'élite 
dont  on  peut  dire  qu'elles  représen- 
tent tout  Paris.  La  plupart  des  il- 
lustrations s'y  trouvaient  réunies; 
notabilités  administratives  ,  judi- 
ciaires,artistiques,  militaires  ;lesda- 
mes  étaient  en  très  petit  nombre.  Dès 
cinq  heures  du  matin  une  longue 
file  d'avocats  en  robe  se  pressait  à 
la  grande  grille  d'honneur  du  pa- 
lais; sur  plus  de  deux  cents,  une 
trentaine  réussit  à  obtenir  le  droit 
d'entrée.  Quanta  la  foule  du  public 
elle  était  compacte,  mais  les  décep- 
tions avaient  été  nombreuses,  car  le 
plus  grand  nombre  des  places  était 
réservé,  et  personne  n'entrait  sans 
être  muni  d'un  billet  signé  par  le 
premier  président.  Vers  dix  heures, 
on  expose  les  pièces  k  conviction, 
les  habits  pontificaux  de  Mgr.  Si- 
bour,  la  chape  souillée  d'une  large 
tache  de  sang,  le  couteau  terrible, 
dont  la  lame  damasquinée  n'a  pas 
moins  de  10  centimètres  de  lon- 
gueur, et  son  acier  est  terni  par 
|)laces;  on  reconnaît  en  frémissant 
qu'il  est  terni  par  le  sang  de  la 
victime.  Peu  après,  l'accusé  est 
introduit  et  attire  les  regards  d'une 
curiosité  avide.  L'impression  géné- 
rale est  celle  du  désappointement. 
On  avait  attendu  un  homme  à  l'al- 
lure féroce,  au  regard  sombre,  on 
voit  entrer  un  jeune  homme  insi- 
gnifiant, ï.oin  de  reconnaître  en  lui 
un  assassin,  à  la  pâleur  mate  de 
son  teint  on  se  persuaderait  facile- 
ment (pi'on  a  sous  les  yeux  un  de 
c(;s  jeunes  gens  en  qui  l'étude 
éteint  les  passions  en  éclairant  et 
en  développant  l'intelligence.  Il  est 
vêtu  de  noir;  une  cravate  de  méri- 
nos noir,  sans  col  de  chemise,  fait 
ressortir  l'extrême  pâleur  de  son 
teint,  sa  voix  est  à  la  fois  duuce  et 
sonore;  l'Impresion  qu'il  produit 


VER 


VER 


299 


d'abord  est  presque  favorable.  Un 
seul  mouvement  dans  sa  physiono- 
mie peut  inspirer  quelque  défiance  : 
il  passe  sans  cesse  la  langue  entre 
ses  lèvres  légèrement  contractées. 
Verger,  entré  avec  calme ,  jette 
un  regard  rapide  sur  l'auditoire, 
et  concentre  toute  son  attention 
sur  une  liasse  de  notes  qii'il  met  en 
ordre.  Dans  cet  article,  rédigé  avec 
toute  la  simplicité  possible,  je 
n'ai  rien  dissimulé  de  ce  qui  pou- 
vait faire  apprécier  Verger,  et  s'il 
se  trouvait,  dans  les  voies  ora- 
geuses qu'il  a  suivies,  quelque 
éclaircie  qui  semblât  le  montrer 
dans  le  chemin  du  retour,  je  ne  l'ai 
point  voilée  à  l'œil  du  lecteur;  mon 
récit  suffirait  absolument  à  le  faire 
connaître.  Néanmoins,  on  peut 
dire  qu'il  ne  s'est  entièrement  ré- 
vélé à  tout  le  monde  que  dans  les 
débats  de  son  procès.  Il  n'est  ni 
dans  la  nature  ni  dans  la  mesure 
de  notre  travail  de  les  reproduire. 
La  Gazette  des  Tiibunaux,  le  Droit 
et  les  autres  annales  judiciaires, 
ont,  dans  le  temps,  rapporté  les 
scènes  scandaleuses  auxqutMles  ont 
donné  lieu  ces  déplorables  débats, 
ainsi  que  les  actes  de  violence  et 
de  fureur  qui  exi^'èrent  l'expulsion 
de  l'accusé.  Ainsi  qu'il  n'était  pas 
permis  d'en  douter,  le  résultat  fut 
une  condamnation  à  mort  pronon- 
cée à  la  suite  de  la  courte  et  una- 
nime délibération  des  jarés.  Le 
lendemain,  Verger  s'empressa  de 
faire  savoir  qu'il  entendait  se  pour- 
voir en  cassation  et  adresser  à 
l'Empereur  une  demande  en  grâce. 
Son  père  vint  le  visiter  en  présence 
du  directeur  de  la  prison.  L'émo- 
tion ne  fut  pas  très-vive.  Son  père 
lui  dit  :  Ton  affaire  m'a  causé  bien 
des  dérangements,  enfin  te  voilà 
condamné  \  mort.  «  Tout  n'est  pas 
ff  fini,  répondit  Vergrr,  oh  !   non, 


«  tout  n'est  pas  fini.  »  Une  inquié- 
tude secrète  agitait  cependant  le 
condamné,  malgré  sa  tranquillité 
apparente;  il  mangeait  peu,  dor- 
mait mal,  et  alors  il  reçut  volon- 
tiers la  visite  de  M.  l'abbé  Notclet, 
aumônier  de  la  Conciergerie.  Sa 
plus  grande  privation  était  de  ne 
pouvoir  écrire,  car  on  l'avait,  sui- 
vant l'usage,  revêtu  de  la  camisole 
de  force.  L'arrêt  avait  été  prononcé 
le  17  janvier  ;  le  19  à  quatre  heures, 
on  procéda  à  la  translation  de 
Verger  de  la  prison  de  la  Concier- 
gerie à  celle  de  la  Roquette.  Lors- 
qu'il monta  dans  la  lugubre  voilure, 
il  était  morne,  abattu;  pendant  le 
trajet,  il  manifesta  à  plusieurs  re- 
prises la  crainte  qu'on  ne  le  con- 
duisît au  supplice.  Ses  gardiens 
cherchaient  en  vain  à  le  rassurer; 
il  ne  se  calma  qu'en  .^e  voyant 
rentrer  dans  une  autre  prison. 
Pendant  les  quelques  jours  de  dé- 
lai que  lui  laissait  son  pourvoi, 
Verger  se  livra  à  l'espérance.  Il 
avait  obtenu  qu'on  lui  laissât  la 
main  droite  libre,  et  il  en  profitait 
pour  écrire  incessamment.  L'or- 
gueil reprenait  le  dessus.  M.  l'abbé 
Hugon,  aumônier  de  la  maison 
du  dépôt  des  condamnés,  a  rendu 
public  le  récit  que  Verger  lui  lit  de 
son  acte  coupable  et  des  impres- 
sions qu'il  avait  ressenties  quand 
il  eut  frappé  ce  pauvre  Monse'ujncur\ 
il  parlait  presque  comme  un  héros, 
disoiis  du  moins  un  artiste, qui  fait 
la  relation  satisfaisante  de  son  oeu- 
vre. 11  paraissait  aussi  compter 
beaucoup  sur  sa  demande  en  grâce 
et  attendre  tout  au  plus  un  noble 
exil.  Néanmoins  il  calculait  avec 
émotion  le  moment  où  serait  jugé 
son  pourvoi  en  cassation.  Ce  fui 
le  2'J  janvier  que  la  cour  suprême 
fut  appelée  à  l'examiner,  sous  la 
présidence  de  M.  Laplagne-Rarris. 


300 


VER 


VER 


•  Une  foule  considérable  se  pressait 
dans  l'auditoire  pour  assister  à 
l'audiçncequi  ouvrit  à  onze  heures. 
M.  Morin  était  l'avocat  chargé  par 
l'accusé  de  soutenir  son  pour- 
voi, et  il  présenta  trois  moyens  de 
cassation,  qui  furent  discutés  par 
le  procureur  général,  M.  de  Royer, 
qui  conclut  au  rejet  en  montrant 
aussi  la  régularité  de  la  significa- 
tion de  l'arrêt  faite  au  condamné. 
La  Cour,  après  délibéré,  rejeta  le 
pourvoi.  En  même  temps  le  chef 
de  rh'tat,  usant  de  son  suprême 
privilège,  faisait  appel  ù  une  com- 
mission de  médecins  pour  cons- 
tater, une  fois  de  plus,  d'après  les 
faits  du  procès,  l'état  mental  du 
condamné.  Le  rapport  de  M.  le  doc- 
teur Conneau  conclut  que  Verger 
jouissait  du  libre  exercice  de  sa 
raison.  L'ordre  d'exécution  fut 
donné  pour  le  lendemain,  vendredi 
30  janvier  1857.  M.  l'abbé  Hugon, 
aumônier,  avait  eu  plusieurs  en- 
treliens avec  Verger  depuis  l'en- 
trée de  celui-ci  dans  la  prison  du 
dépôt,  dite  la  Roquette;  il  n'avait 
pu  rien  gagner  sur  ce  malheureux, 
qui  disait  toujours  qu'il  ne  voulait 
pas  de  prêtre,  et  entendait  mourir 
comme  il  était,  n'ayant  rien,  di- 
sait-il, à  se  reprocher.  Le  diman- 
che 25  janvier,  ou  avait  admis 
Verger  à  entendre  la  messe.  L'au- 
mônier prêcha  sur  les  châtiments 
que  l'on  subit  dans  la  vie,  sur  les 
moyens  de  les  rendre  utiles  pour 
le  temps  et  réternitél  Verger  l'in- 
lerrorapii  par  des  vociférations, 
criant  :  Analhème  !  erreur  !  malé- 
diction, et  soutenant  que  l'enfer 
n'est  pas  ce  qu'on  dit  qu'il  est. 
Comme  on  ne  pouvait  le  faire  taire, 
on  fut  réduit  ti  l'emporter  de  force. 
Dans  la  nuit  du  jeudi  au  vendredi, 
quoique  ignorant  tout  eu  qui  se 
j)assait,  il   avait  eu  un   sommeil 


agité.  A  sept  heures  du  matin,  le 
vendredi  29,  il  dormait  lorsqu'en- 
Irèrentdans  sa  chambre,  M.  l'abbé 
llugon,  d'abord  seul,  j)uis  aussitôt 
après  M.  le  directeur,  suivi  d'une 
dizaine  de  personnes.  M.  Hugon, 
qu'il  avait  refusé  de  voir  depuis  le 
dimanche,  lui  dit  qu'il  n'avait  plus 
à  attendre  que  la  justice  et  la  mi- 
séricorde de  Dieu,  dans  les  bras 
duquel  il  le  suppliait  de  se  jeter. 
Verger  ne  voulait  rien  entendre. 
Au  directeur,  qui  lui  donnait  com- 
munication des  ordres  reçus,  il  de- 
manda la  permission  de  prendre 
une  heure  ou  deux  pour  écrire 
à  l'Empereur,  et  il  reçut  nécessai- 
rement un  refus.  M.  l'aumônier 
lui  faisait  de  douces  instances  en 
lui  montrant  le  crucifix  ;  il  répon- 
dit qu'il  voulait  mourir  tel  qu'il 
était  et  qu'il  ne  voulait  ni  prêtres, 
ni  reliques,  et  il  en  revenait  à  la 
demande  d'écrire  h  l'Empereur.  Il 
entra  en  fureur,  disant  qu'il  ne 
voulait  point  aller  à  l'échafaud,  et 
qu'on  ne  le  tirerait  de  son  lit 
qu'en  pièces;  son  air  était  hébété, 
sou  œil  atone,  et  sa  face  décom- 
posée! Il  s'enroula  dans  ses  cou- 
vertures et  dans  ses  draps,  qu'il 
tenait  entre  ses  bras  crispés  com- 
me dans  un  élau.  Il  fallut  le  vêtir 
(le  force,  et  on  ne  put  lui  mettre 
(jue  son  pantalon  ;  il  se  déballait 
violemment ,  «t  criait  avec  une 
voix  éliange.  «  Au  meurtre!  au  se- 
cours! à  l'assassin  !  »  On  ne  put, 
le  faire  entrer  dans  la  chapelle 
pour  y  prier  un  instant  comme 
c'est  l'usage,  et  l'aumônier  fut  le 
premier  à  conseiller  de  passer 
outre.  Une  fois  arrivé  dans  l'avant- 
greffe,  où  se  fait  la  toilette  des  exé- 
cutions, dès  qu'il  sentit  le  froid  de 
l'acier  des  ciseaux  dont  se  servaient 
h.s  aides  de  l'exéeuteur  pour  lui 
couper  les  cheveux,   il   fut   saisi 


VER 


\ER 


301 


comme  d'un  frisson.  Sa  face,  rouge 
de  colère,  se  couvrit  d'une  pâleur 
effrayante  ;  5a  fureur  se  changea  en 
uu  profond  abattement  :  «  Point 
«  d'amis,  point  de  parents!  dit-il 
«  bientôt  avec  désespoir,  mourir 
«  ainsi,  c'est  affreux!  »  M.  l'aumù- 
nier,  qui  se  tenait  en  face  de  Ver- 
ger et  épiait  le  moment  de  tenter 
un  nouvel  effort,  crut  que  le  mo- 
ment était  venu,  et  lui  présenta  le 
crucifix,  que  Verger  ne  repoussa 
point.  Alors  il  lui  parla  avec  bonté 
et  lui  dit  que  parle  repentir  et  le  re- 
cours àDieuilpouvaitencores'assu- 
rer  une  éternité  heureuse.  La  grâce 
triomphait,  et,  gagné  par  elle, Verger 
répondit  :  «  Monsieur  l'aumônier, 
«  mon  frère,  mon  ami,  je  ne  vous 
«  ai  que  trop  longtemps  résisté.  Je 
«  ne  résiste  plus.  Je  me  remets  en- 
a  tièrementenire  vos  mains.  Dites- 
«  moi  ce  qu'il  faut  que  je  fasse.  » 
M.  l'aumônier  lui  dit  qu'il  fallait, 
devant  toutes  les  personnes  présen- 
tes, rétracter  et  abjurer  toutes  ses 
erreurs,  toutes  les  calomnies  pro- 
pagées par  ses  écrits,  ses  prédica- 
tions, ses  propos  avant  et  pendant 
sa  détention,  et  Verger  se  levant 
alors  de  l'escabeau  où  il  était 
accroupi,  les  mains  déjà  liées,  les 
pieds  retenus  par  une  courroie, 
s'adressa  k  l'assemblée  avec  un  ac- 
cent à  la  fois  humble,  ferme  et 
digne:  «  Messieurs,  dit-il,  je  rougis 
«  maintenant  de  la  scène  de  vio- 
«  lence  dont  je  vous  ai  rendus  té- 
«  moins,  et  je  vous  en  demande 
«  pardon.  Je  demande  pardon  à 
«  Dieu  et  aux  hommes  du  crime 
«  horrible  que  j'ai  commis;  je  ré- 
«  tracte  et  j'abjure  toutes  les  er- 
•  reurs,  toutes  les  c.ilomnies  que 
«  j'ai  propag(ies.  J'offre  h  Dieu  ma 
«  vie  en  expiation  de  tout  le  mal 
«  que  j'ai  fait.  Dans  toute  la  plé- 
«  uilude  de  ma  raison,  je   déclare 


ft  et  je  vous  prends  à  témoins  que 
«  je  veux  mourir  en  chrétien,  en 
*  catholique ,  en  prêtre  ,  autant 
«  qu'il  dépend  encore  de  moi.  >» 
M.  l'aumùnier  l'entraîna  dans  un 
angle  de  la  pièce.  Verger  le  com- 
prit, se  mit  k  genoux  et  fit  sa  con- 
fession... confession  hâtée  sans 
doute!...  mais  enfin!  !  Puis  l'aumô- 
nier récita  les  prières  des  agoni- 
sants, que  Verger  écouta  avec  re- 
cueillement, faisant  lui-même  les 
réponses  en  latin  ;  puis,  les  larmes 
aux  yeux,  il  demanda  pardon  à  tous 
les  employés  de  la  maison.  Il  mar- 
cha vers  l'échafaud  dressé  sur  la 
place  en  face  de  la  prison,  soutenu 
d'un  côté  par  l'aumônier,  de  l'au- 
tre par  l'exécuteur,  et  témoignant 
sans  cesse  publiquement  de  son  re- 
pentir. Alors  il  ne  disait  plus  sim- 
plement comme  les  protestants  et 
les  jeunes  écrivains  de  nos  jours  : 
le  Christ,  il  savait  dire  Jésus-Christ 
et  répétait  de  la  voix  que  lui  per- 
mettaient ses  forces  épuisées  :  Vive 
Notre  Seigneur  Jcsus^Christ  !  A'jneau 
de  DieiL  (ijjez  pitié  de  moi!  Vivent 
Jésus  el  Marie!  Vive  la  mère  de  Dieu, 
notre  bonne  mère  à  tous!  Arrivé  sur 
l'échafaud,  il  se  mit  spontanément 
à  genoux.  Il  chargea  i'aumônierde 
faire  amende  honorable  à  ses  su- 
périeurs, et  puis,  comme  dans  une 
sorte  d'extase  et  les  yeux  levés  vers 
le  ciel,  il  s'écria  :  a  Dieu  d'amour 
«  et  de  miséricorde,  prends  pitié 
«  (le  ma  malheureuse  famille;  j)ilié 
"  pour  mon  vieux  père;  protège 
('  la  France  que  j'ai  tant  aimée! 
X  protège  l'Église;  pitié  pour  tout 
«  l'univers  entier;  protcge  l'Em- 
«  pereur,  fais  la  France  grande  ei 
«  prospère!')  Assurément  il  y  avait 
encore  dans  ces  exclamations  quel- 
que chose  du  caractère  de  Verger, 
et  peut-être  aurait-on  préféré  , 
puisqu'il    voulait    parler   sur   l'c- 


302 


VER 


VER 


chafaud  .  entendre  une  nouvelle 
rétractation  de  ses  calomnies  et 
une  invocation  h  la  sainte  Vierge, 
que  ces  expressions  de  tendresse 
pour  la  France,  qui  n'y  a  trouvé 
ni  édification  ni  sujet  de  recon- 
naissance. Vergfer  baisa  une  der- 
nière fois  le  crucifix  avec  une  ar- 
dente effusion,  puis,  s'abaudonnant 
doucement  à  l'exécuteur,  il  reçut  la 
mort  avpc  toute  l'apparence  des 
dispositions  qui  auront  frappé  vi- 
vement les  dix  mille  spectateurs. 
Le  Droit,  journal  des  matières  ju- 
diciaires, dans  un  article,  donna 
des  allégations  qui  tendaient  ci  nier 
la  sincérité  et  môme  la  réalité  de 
la  conversion  de  Verger.  Le  Journal 
des  Débats  et  celui  de  la  Presse  les 
reproduisirent,  les  autres  feuilles 
publiques  furent  plus  équitables. 
Son  Em.  iMgr  le  cardinal  Morlot, 
venait  d'être  nommé  à  l'archevê- 
ché de  Paris.  M.  Hugon  crut  de- 
voir l'instruire  des  circonstances 
que  je  viens  de  décrire,  et  se  hâta 
de  lui  en  adresser  à  Tours  les  dé- 
tails. Le  cardinal  lui  répondit  dès 
le  31  janvier.  La  science  a  décidé 
que  Verger  jouissait  de  toutes  ses 
facultés  et  la  justice  l'a  frappé  d'une 
peine  méritée.  On  eût  été  assuré- 
ment consolé  si  on  eût  pu  prouver 
que  la  démence  seule  avait  pu  le 
conduire  à  un  pareil  forfait.  Le 
minislè.'-e  sacré  du  prêtre  est,  dans 
l'opinion  publique,  d'un  ordre  si 
él(!vé,  qu'il  semble  à  quebpies-uns 
que  les  misères  et  les  crimes  de 
l'humanité  ne  doivent  jamais  mon- 
ter assez  haut  j)Our  l'atteindre. 
D'autres,  trop  vivement  frappés  de 
la  faute  d'un  seul  homme,  en  re- 
portent trop  légèrement  la  respon- 
sabilité à  l'ordre  tout  entier,  ou- 
bliant, pour  un  qui  s'égare,  les  ver- 
tus infinies  de  tous  ceux  qui  pas- 
sent ignorés  en  faisantlc  bien.  Mais 


enfin  s'il  est  vrai,  comme  on  ne 
peut  le  nier,  que  Verger  avait  la 
conscience  de  ses  actions  et  agis- 
sait avec  préméditation  et  raison- 
nement, ne  pourrais-je  dire  que 
l'ensemble  de  sa  vie,  dans  le  peu 
que  j'en  ai  montré,  prouve  aussi 
ce  qu'il  y  avait  d'étrange  dans  son 
cerveau,  de  déficit  dans  ses  facul- 
tés? J'ajouterai  que  ces  dispositions 
si  singulières  étaient  peut-être  dans 
son  sang.  Sa  mère  se  donna  la 
mort  en  se  jetant  dans  un  puits;  un 
de  ses  frères  est  mort  en  se  jetant 
dans  la  Seine  ;  une  de  ses  sœurs 
s'est  jetée  dans  un  puits  à  Saint- 
Denis,  mais  elle  en  fut  retirée  par 
ses  voisins.  Son  frère  Frédéric,  qui 
se  porta  à  quelques  excentricités, 
et  chez  lequel  il  demeurait  lors- 
qu'il assassina  l'archevêque,  avait 
été  exilé  pour  ses  folies  politiques. 
B.  D— i:. 
VERGEZ  (Jean-Marie),  lieute- 
tenant-général  français,  né  le  11 
janvier  1757,  à  Saint-Pé  (Hautes- 
Pyrénées),  et  sous  les  drapeaux  de- 
puis 4778,  avait  porté  onze  ans, 
sur  mer  et  sur  terre,  le  havre-sac 
du  soldat  ou  quelque  humble  épau- 
lette,  quand  la  prise  de  la  Bas- 
tille fit  prendre  la  fuite  à  presque 
tous  ces  gentilshommes,  lieutenants 
ou  capitaines,  chefs  d'escadrons 
ou  colonels,  lesquels  en  quiltant 
leur  poste  crurent  livrer  l'armée  à 
la  désoiganisation,  et  n'y  semèrent 
qu'une  émulation  immense.  Ils 
laissaient  partout  des  vides,  «  A 
nous  de  remplir  les  vides!  »  s'é- 
crièrent les  i)lu5  alertes,  les  plus 
braves  et  les  plus  capables.  Le 
temps  de  Vergez  était  enfin  venu. 
Il  passa  comme  simple  fusilier  à 
la  garde  nationale  mobilisée.  Nous 
ne  savons  s'il  fut  de  ceux  qui  se 
déployèrent  et  qui  combattirent 
à  Valmy  (voy.  Dumouriez)  ;   mais, 


VER 


VEH 


303 


dès  cette  même  année  1792,  nous 
l'apercevons   coopérant  à  la  cam- 
pagne sur  la  frontière  septentrio- 
nale. Le  9  février  1793,  il  est  nom- 
mé capitaine  au  premier  bataillon 
de  chasseurs  des  montagnes.  Bien- 
tôt, dirigé  sur  l'armée  des  Pyrénées 
occidentales,  il  est  chargé  par   le 
général    du    commandement    des 
éclaireurs  de  la  colonne  ;  et  il  jus- 
tifie  sa   confiance,  non-seulement 
en  enlevant  deux  drapeaux  à  l'en- 
nemi le  jour  de  la  prise  de  Marsa, 
mais   en  éteignant   deux  mèches 
allumées  par  les  vaincus  pour  faire 
sauter   le  fort   qu'ils   évacuaient  : 
c'était  sauver  partie  du  corps  vain- 
queur qu'effectivement  l'explosion 
aurait  détruit.   Même  légèreté   de 
mouvements,    même  réussite  k  la 
prise  de   Tolosa:   l'ennemi   en  se 
retirant   emmenait  son  artillerie: 
Vergez,  avec  les  siens,  tombe  com- 
me la  foudre  sur  le  cortège  fugi- 
tif, met  la  main  sur  les  mulets  et 
reste  maître  des   bouches  à  feu, 
canons,  obus  et  couleuvrines  (1795). 
Même  année,   à  l'automne,  (ven- 
démiaire an  m,   disent   les   rap- 
ports), lorsque  la  valeur  française 
enlève   Llambery,   Vergez ,    cette 
fois  encore,  comme  s'il  y  avait  en 
lui  une  facullédi\  inatrice  spéciale  à 
•l'effet  d'éventer  les  éléments  explo- 
sibles,   avise   quatre   mèches   qui 
brûlent  sournoisement  au  fond  de 
barils    défoncés    à    quelques   pas 
d'un  énorme  magasin  de  poudre, 
et  conserve  ainsi  le  dépôt  à  l'ar- 
mée  victorieuse  et  la  vie    ù    des 
centaines  i)eut-être  de  ses  camara- 
des.   L'année   suivante,   il    était, 
sous  Hoche,  à  l'armée  de  rv)uest 
dite  des  côtes  de  l'Océan,  et  mis  k 
la  tête  (les  {'arabiniers,  il  eut  une 
part  décisive  à  l'achèvement  de  la 
première   guerre    de  la    Vendée. 
C'est  luiqui  fit  prisonnier  l'indomp- 


table Cliaretle.  après  avoir  tué  de 
sa  main  les  deux  chefs  qui  l'accom- 
pagnaient et  l'avoir  blessé  d'un 
coup  de  pistolet  d'abord,  d'un  coup 
de  sabre  ensuite.  On  sait  que  Cha- 
relte  s'était  défendu  comme  un  iion. 
Cet  exploit  valut  à  Vergez,  le  18 
thermidor  suivant  (o  août  179G)  le 
grade  de  chef  de  bataillon.  L'Ouest 
tranquille  pour  l'instant,  c'est  en 
Italie  que  Vergez  reçut  ordre  de 
se  rendre:  il  y  passa  la  fin  de  Tan- 
née et  les  deux  années  suivantes, 
moitié  dans  l'inaction  amenée  par 
la  paix  de  Campo-Formio  et  ces 
vaines  négociations  de  Rastadt 
que  l'Autriche  dénoua  par  l'as- 
sassinat des  plénipotentiaires  fran- 
çais, moitié  dans  les  expéditions 
de  Rome  et  du  royaume  de  Naples. 
Mack,  par  une  audacieuse  viola- 
tion de  la  foi  des  traités  et  avec 
des  forces  quintuples,  avait  con- 
traint les  16,000  Français  du  patri- 
moine de  Saint-Pierre  à  quitter  la 
capitale,  où  bientôt  (5  frim.an  VII 
ou  2onov.  1798)  crût  bon  de  faire 
son  entrée  triomphale  ce  grotes- 
que époux  de  la  reine  de  Naples, 
ce  Ferdinand  IV,  qui,  trente-deux 
jours  plus  tard  (7  nivôse  ou  27  dé- 
cemb.)  devait,  chassé  de  Naples 
après  l'avoir  été  de  Rome,  s'em- 
barquer pour  Palerme  avec  ladite 
épouse  et  l'indispensable  Acton. 
(Voy.  Caroline,  au  supplément 
L...)  C'est  surtout  dans  l'inlervalle 
d^  cette  entrée  à  celle  fuite  que 
Vergtz  avec  le  reste  des  forces 
françaises  trouva  l'occasion  de  se 
signaler.  Il  faisait  partie  de  cette 
rolonnc  de  renfort  si  impatiem- 
ment attendue  de  Terri  par  Macdo- 
nald,  lorsque  les  Napolitains  s'é- 
taient portés  de  Caivi  sur  Otricoli 
pour  intercepter  les  communica- 
tions de  l'armée  française,  e(  (|ui, 
dès  qu'elle  déboucha,  fut   dirigée 


\ok 


VEK 


VER 


sur  Osleria:  là  et  sur  vingt  points 
aux  environs  (l'Osteriadi  Vaccone, 
rOsleria  di  Corezze,  etc.)  fut  livrée 
ce  qu'on  appelle  la  bataille  de 
Cataiupo,  dont  les  résultats  furent 
la  retraite  ou  plutôt  la  fuite  de 
Mack,  la  rentrée  victorieuse  des 
Français  dans  Rome  et  onze  mille 
prisonniers  (25  frim.  ou  15  déc). 
Vcrgez,  dans  cette  journée,  à  la 
tête  d'un  détachement,  s'empara 
de  deux  pièces  de  canon  sur  la  co- 
lonne napolitaine  qu'il  avait  à 
combattre.  Moins  de  cinq  mois 
après  (17  floréal  ou  5  mai  1799), 
Macdonald  le  nommait  provisoire- 
ment aux  fonctions  de  chef  de  bri- 
gade. Mais  en  ce  moment  les  affai- 
res militaires  tant  d'Allemagne  que 
d'Italie  avaient  cessé  d'être  en  Toie  de 
prospérité, lesdangers  de  nosarmées 
au  contraire  étaient  immenses  et 
croissaient  tous  les  jours.  L'attentat 
sans  nom  de  llasladt  avait  été  com- 
mis, l'Autrrche  avait  jeté  le  masque 
et  ne  se  bornait  plus,  comme  lors- 
que Mack  allait  infatuer  le  manne- 
quin de  San-Lucio  (voy.  Ferdi- 
nand iv,  au  supplém.  L.)et  galvani- 
ser les  lazzaroni,  k  faire  la  guerre 
indirecte  et  subreptice,  elle  atait 
envoyé  son  archiduc  Charles  avec 
soixante  mille  hommes  rejoindre 
et  commander  ce  qui  lui  restait  de 
forces  entre  les  Treize  Cantons  et 
l'Adriatique;  la  machiavélique  Ca- 
therine II  avait  souscrit  à  ses  sup- 
plications qu'appuyait  la  Grande- 
Bretagne  ,  et  quatre-vingt-dix  mille 
Russes  descendaient  avec  Souvarof 
de  l'Adige  vers  les  Alpes.  Il  ne 
faut  pas  demander  si,  dans  cette 
crise,  Vergez  payait  vaillamment 
de  sa  personne.  Le  24  prairial  (tou- 
jours en  Tan  VII),  il  fut  blessé 
d'un  coup  de  feu  à  l'épaule  droite 
îi  la  prise  de  Modéne  ;  puis,  le  9 
fructidor,  pendant  la  bataille  de 


Chiavari,  ce  fut  le  tour  de  la  han- 
che droite,  qu'atteignit  également 
un  coup  de  feu.  Il  se  rétablit  del'un 
et  de  l'autre  accident;  et  le  15  bru- 
maire an  VIII  il  exécutait  devant 
Novi,  à  la  tête  d'un  escadron,  une 
charge  non  moins  vigoureuse  que 
brillante  dont  l'effet  était  de  couper 
en  deux  la  ligne  de  l'ennemi,  et 
prenait  toute  leur  artillerie  (cinq 
canons  et  six  caissons)  :  ce  succès 
partiel  devint  général,  et  l'avantage 
de  la  journée  resta  aux  Français, 
grâce  au  mouvement  si  vivement 
conduit  par  Vergez.  Trois  jours 
après  avait  lieu  la  révolution  du 
18  brumaire,  et  bientôt  (15  floréal 
ou  4  mai  1800)  le  premier  consul, 
en  train  de  combiner  la  campagne 
d'Italie,  que  devait  signaler  la  vic- 
toire de  Marengo,  le  confirmait 
dans  son  grade  de  chef  de  bataillon. 
Plus  tard,  il  le  fit  colonel  du  12*^^ de 
ligne  et  officier  de  la  Légion  d'hon- 
neur. Il  l'employa  ensuite  à  la  troi- 
sième division  du  camp  de  Bruges, 
puisàla  première  campagne  contni 
les  Prussiens.  Là  il  se  couvrit  d'une 
gloire  nouvelle,  mais  il  fut  blessé 
pour  la  troisième  fois  en  chargeant 
à  la  tète  de  son  régiment.  Napoléon 
reconnut  ses  services  en  le  nom- 
mant l'année  suivante  (1807)  géné- 
ral de  brigade.  Ce  fut  le  terme  de 
son  avancement  sous  l'Empire,  bien 
qu'il  eût,  depuis  ce  temps,  fourni 
plus  d'une  fois,  notamment  en  1810 
et  dans  la  guerre  d'Espagne,  la 
preuve  qu'il  était  toujours  l'agile  et 
intrépide  officier  de  la  République  : 
ainsi  le  siège  et  la  prise  de  Lérida 
(14  mai)  eurent  en  lui  un  vigou- 
reux auxiliaire;  ainsi  le  10  juin, 
attaqué  par  1,800  Espagnols,  il 
en  tue  400  et  fait  217  prisonniers 
dont  10  of/iciers;  premier  succès 
dont  le  résultat  fut  la  prise  de  Te- 
ruel.  Mais  on  suit  k  quel  point  Nu- 


VER 

poléon  se  montra  fréquemment,  si- 
non injuste  du  moins  tiède  à  l'é- 
gard des  desdichados  qu'il  envoyait 
se  consumer  en  Espagne  où  le  sol 
était  si  peu  propice  à  nos  lau- 
riers; et  même  depuis  4810  on  ne 
le  voit  pas  figurer  sur  les  cadres. 
Nous  ne  l'en  trouvons  pas  moins, 
chose  singulière,  promu  sous  Char- 
les X,  en  1823,  au  grade  de  lieute- 
nant-général ;  mais,  évidemment, 
ce  ne  fut  qu'un  gracie  honorifique. 
Le  lieutenanl-géneral  Vergez  mou- 
rut peu  de  temps  après.  Val.  P. 
VERGMAUD  (Henri), parent  du 
célèbre  girondin,  naquit  à  Limoges 
en  17G0OU  tout  au  commencement 
de  1 761 ,  et,  reçu  avocat,  il  exerça  au 
barreau  de  celte  ville.  11  n'eut  au- 
cune part  aux  événements  de  la 
première  ni  même  de  la  seconda 
phase  de  la  Révolution;  mais  il 
commença  vers  1794  à  se  mêler 
i  la  vie  politique,  et  fut  députe 
par  Saint-Domingue  au  conseil  des 
Cinq-Cents.  On  ne  saurait  dire  qu'il 
se  lit  remarquer  pendant  le  cours  de 
sa  législature  par  celte  faconde 
dont  semble  inséparable  le  nom  de 
Vergniaud,  il  se  distingua  plutôt 
par  son  silence.  Mais  il  utilisa  son 
passage  à  Paris  en  contractant  des 
liaisons  qui  ne  demeurèrent  pas 
infructueuses  :  il  s'acquit  notam- 
ment dans  Lucien  Bonaparte  un 
ami  qui,  plus  tard,  aurati  été,  s'il 
l'eûlvoulu,  sonprotecieur.il  ne  pro- 
fila, ostensiblement  du  moins,  de 
cette  bonne  volonté,  que  pour  l'airo 
ériger  sa  ville  natale  en  chef-lieu 
de  cour  d'appel,  faveur  qui  certes 
eût  pu  lui  man(pier  sans  quel- 
que appui  d  en  haut.  Depuis,  ces 
précédents  ont  constamment  sor- 
ti leur  etîet,  et  Limoges  n'a  cessé 
de  s'appeler  cour  d'appel  que 
pour  être  (lualiliée  cour  impériale. 
Pour  lui,  il  ne  demanda  ni  simple 

LXXXV 


VER 


305 


bonnet  de  conseiller,  ni  place  quel- 
conque au  parquet,  encore  moins 
de  présidence.  Psous  ne  croyons  pas 
non  plus  qu'il  ait  ambitionné  les 
titres  de  maire  ou  d'adjoint  :  il  trou- 
vait que  c'était  bien  assez  d'assister 
aux  sessions  du  conseil  municipal. 
Il  avait  beaucoup  de  celte  ataraxie 
philosophique  que  quelques-uns 
qualifièrent  de  paresse  chez  son 
éloquent  homonyme.  Il  n'en  vécut 
ni  moins  vénéré,  ni  moins  Iran- 
quille,  ni  moins  longtemps  :  il  était 
dans  sa  quatre- vingl-lroisième  an- 
née lorsqu'il  dit  adieu  au  monde  le 
13  juin  1844. 

VERIILELL-  DE-SAVEi\AER 
(l'amiral,  comte  Charles-Henri), 
marin  renommé  que  se  disputent 
la  Hollande,  sa  patrie  de  fait,  et  la 
France,  sa  patrie  adoplive,la  patrie 
de  .son  cœur  et  de  sun  choix,  na- 
quit le  11  février  1764  à  Dœlli- 
chem,  au  pays  de  GuelJre.  Sa  fa- 
mille était  des  mieux  posées  de  la 
province,  et  cela  depuis  des  siècles , 
soit  dans  la  magistrature,  soit  dans 
les  armées  de  terre  et  de  mer.  Son 
aïeul  maternel  était  commandeur 
de  l'Ordre  leutoni([ue.  11  avait  un 
frère  aine  dam  la  marine,  lequel 
parvint  a  la  position  de  capitaine 
de  haut-bord,  et  dont  il  sera  dit 
encore  un  mot  plus  tard.  La  voca- 
tion maritime  n'était  pas  moindre 
chez  lui;  mais,  probablement,  par 
avis  de  parents  et  pour  que  les 
jeunes  gens  ne  se  nuisissent  pas 
l  un  à  l'autre  en  se  faisant  concur- 
rence, on  lui  lit  prendre  parti  d'a- 
bord dans  le  service  de  terre  eu 
qualité  de  cadet.  11  méritait  ce  titre 
à  tous  égards.  Il  était  peu  de  ses 
camarades  dont  il  ne  lût  le  ca- 
det :  il  n'avait  alors  que  onze  ans 
(1175).  Quatre  années  après,  ses 
idées  s'étaient  (ixees,  et  ses  instan- 
tes prières  pour  obtenir  sa  transla- 
•  20 


306 


VEH 


VEIÇ 


tion  du  régiment  à  n'importe  quel 
navire  de  l'État  eurent  pour  résul- 
tat son  embarquement  comme  élève 
sur  une  frégate  de  quarante-quatre 
que  commandait  le  célèbre  capi- 
taine, depuis  amiral,  Ringsbergen 
(1779).  Il  ne  pouvait  être  à  meil- 
leure école.  Dès  1781,  sa  frégate 
fut  employée  à  diverses  croisières 
dans  la  mer  du  Nord,  et  il  lit  en 
quelque  sorte  en  arrivant  son  pre- 
mier apprentissage  de  la  guerre,  la 
Hollande  s'étant  alliée  à  la  France 
en  faveur  des  colonies  anglo-amé- 
ricaines, et  toute  voile  hollandaise 
dès  lors,  étant  sans  cesse  sur  le 
qui  rive.  Le  5  août  1781  il  fut  ac- 
teur en  cette  sanglante  affaire  de 
Doggerlbauk,  en  vain  livrée  par 
Parker  à  Zoutman,  et  qui  ne  prit 
fin  que  parce  que,  de  part  et  d'au- 
tre, les  amiraux  virent  leurs  navires 
désemparés  hors  d'état  d'exécuter 
les  manœuvres  qu'ils  commande- 
raient. La  frégate  sur  laquelle  se 
trouvait  Verhuell  avait  constam- 
ment figuré  sur  la  ligne  de  bataille, 
et  les  traces  n'en  étaient  que  trop 
visibles.  Presque  toutes  les  œuvres 
vives  avaient  été  labourées  par  la 
pluie  de  boulets ,  et  deux  mâts , 
sinon  trois ,  avaient  été  ou  mis 
hors  de  service  ou  renversés;  tou- 
tefois le  feu  avait  pris  aux  voiles 
et  aux  cordages,  et,  pour  l'étein- 
dre, il  avait  fallu,  de  la  part  de  trois 
matelots  et  ofliciers  une  énergie 
plus  que  surhumaine,  et  dont  eux- 
mêmes  osaiiut  à  peine  espérer  le 
fuccès;  les  deux  tiers  de  l'équipage 
étaient  ou  tués  ou  blessés,  Verhuell 
lui-même  avait  sa  blessure,  mais 
combattait  et  commandait  toujours, 
remplissant,  vu  l'urgence,  les  fonc- 
tions de  second.  Lui  seul  et  le  ca- 
pitaine, après  le  combat,  se  trou- 
vaient assez  valides  pour  continuer 
k  présider  le  service.  Zoutman  so 


hâta,  en  conséquence,  de  le  nom- 
mer provisoirement  à  cette  place  de 
lieutenant  de  frégate  dont  il  deve- 
nait indispensable  qu'il  continuât  à 
remplir  l'office;  et  comme  il  n'a- 
gissait qu'eu  vertu  de  pouvoirs 
préalables,  le  gouvernement,  sur 
son  rapport,  ne  balança  pas  à  re- 
connaître sa  nomination,  et,  de 
plus,  le  décora  de  la  médaille  que 
reçurent  tous  les  ofUciers  signalés 
pour  leur  participation  à  ce  grand 
fait  d'armes  naval,  La  guerre,  on 
le  sait,  ne  prit  fin  qu'en  1783  par 
le  traité  de  Versailles  ;  si  les  deux 
années  qui  séparent  de  cet  événe- 
ment la  terrible  collision  de  la  mer 
Baltique  furent  moins  fécondes 
pour  Verhuell  en  périls  imminents, 
elles  n'en  exigèrent  pas  moins  de 
vigueur  et  d'activité  ;  il  ùnt  la  mer 
presque  sans  interruption,  et  fit  par- 
tie de  maintes  croisières;  dans  une 
de  celles  auxquelles  il  prit  part  au 
nord  de.  l'Ecosse,  il  eut  à  conduire, 
'à  commander  la  corvette  qu'il  mon- 
tait, le  capitaine  étant  tombé  ma- 
lade. La  paix  signée  et  les  bonnes 
relations  rétablies  avec  la  Grande- 
Bretagne,  assez  longtemps  il  eut 
l'air  (le  ne  faire  que  des  campagnes 
pacifiques,  tout  au  plus  un  peu  la- 
borieuses, dont  quatre  dans  la  Mé- 
diterranée, deux  dans  la  mer  du 
Nord.  L'on  serait  loin  du  vrai  pour- 
tant, si  l'on  s'en  tenait  à  ces  qua- 
lifications. Il  est  en  pleine  paix  des 
incidents  tout  aussi  redoutables  que 
ceux  de  la  guerre  déclarée,  et  cha- 
que instant  peut  les  voir  surgir, 
alors  même  que  Ton  a  droit  d'y 
compter  le  moins...  Ce  ne  sont  pas 
les  tempêtes  et  les  risques  de  nau- 
frage, ce  ne  sont  pas  les  volcans 
sous-marins...  ce  sont  les  révoltes 
à  bord.  Verhuell,  en  cette  première 
période  de  sa  vie  maritime,  en  vit 
une,  mais  qui  ne  servit  qu'à  mettre 


VER 


VER 


307 


dans  tout  son  jour  ses  qualités 
supérieures.  Ce  n'était  pas,  du 
reste,  sur  sou  navire  qu'avait  eu 
lieu  l'acte  d'insubordinution  dont 
il  et  parlé,  mais  c'est  sur  lui 
que  l'on  jeta  les  yeux  lorsqu'il  fut 
question  de  le  réprimer.  L'insur- 
rection durait  dé,à  depuis  plusieurs 
jours,  et  elle  était  triomphante; 
tous  les  officiers  avaient  été  em- 
prisonnés; heureusement  ils  n'a- 
vaient été  privés  que  de  la  liberté, 
carsilesrei)elle5  avaient  poussé  leur 
attentat  plus  loin,  nul  doute  que  la 
répression  eût  été  plus  difficile, 
l'impossibilité  d'un  pardon  fermant 
la  porte  à  l'hésitation  et  au  repen- 
tir. Même  dans  la  position  actuelle, 
pourtant,  la  mission  de  Verhuell 
était  scabreuse.  Il  s'en  tira  comme 
si  de  sa  vie  il  n'eût  eu  qu'à  domp- 
ter des  émeutes.  Deux  officiers, 
quelques  matelots  dévoués,  une 
compagnie  d'élite,  voilà  ses  com- 
pagnons; une  chaloupe,  voilà  son 
moyen  de  transport;  un  silence 
profond,  voilà  son  auxiliaire...  Il 
s'approche  inaperçu,  donne  en  s  é- 
iançant  le  premier  sur  le  navire  le 
signal  de  l'abordage,  et  sur-le- 
champ  entime  la  lutte  avec  les 
rebelles  qu'il  trouve  sur  le  pont 
et  que  d'autres  viennent  joindre  : 
l'engagement  se  généralise,  mais 
bientôt  il  est  visible  que  les  assail- 
lants vont  l'emporter,  la  démorali- 
sation gagne  les  insurgés,  eu  moins 
d Une  demi-heure  force  est  restée 
à  lajuslice  et  ceux  des  meneurs  qui 
survivent  attendent  à  leur  tour  dans 
les  fers  ce  qui  sera  ultérieurement 
décidé  de  leur  sort.  La  rapidité 
d'exccution,  la  nelli  té,  lasùrete  de 
coup  d'œil  dont  tout  porte  \/\  l  em- 
preinte furent  hautement  appré- 
ciées et  par  les  marins  et  par  l'ad- 
ministration de  la  marine.  Mais 
l'estime  ne  se  traduiikit  que  par  des 


missions  nouvelles  :  tantôt  c'est  un 
corps  de  canonniers  qu'il  est  chargé 
a'organiser,  tantôt  ce  sont  les  côtes 
de  la  Guyane  qui  doivent  être  l'ob- 
jet d'une  exploraiio[i  de  sa  part  ; 
puis,  l'exploration  finie  et  comme 
corollaire,  comme  complément  de 
l'œuvre  dont  il  a  si  bien  jeté  les 
bases,  ce  sont  des  croisières  qu'il 
s'agit  d'échelonner  dans  le  voisi- 
nage des  colonies  hollandaises  de 
l'Amérique.  Au  milieu  de  tous  ces 
travaux  l'avancement  n'arrivait  pas 
ou  n'arrivait  guère.  On  assure,  il 
est  vrai,  qu'au  commencement  de 
1795,  il  fut  nommé  capitaine  de 
vaisseau,  mais  le  brevet,  ou  ne  fut 
pas  signé  à  temps  par  qui  de  droit, 
ou  ne  lui  fut  pas  expédié  :  le  fait 
qui  ne  peut  se  nier,  c'est  qu'en 
ladite  année  1795  il  n'avait  d'autre 
position  officielle  que  celle  de  1784, 
et  qu'il  était  simple  lieutenant  de 
marine  lorsque,  comme  la  plupart 
de  ses  camarades,  il  donna  sa  dé- 
mission, bien  que  par  cette  bou- 
tade il  interrompit,  ei  faillît  com- 
promettre sa  carrière.  C'était  le 
moment  où,  sous  la  pression  de  la 
République  française  naturellement 
et  fortement  antistadhoudérienne, 
les  Provinces-Unies  devenaient  ré- 
publique balave,...  et  même  quel- 
que chose  de  plus;  démagogie  ba- 
lave  (1795;.  Et:iit-ce  donc  que  le 
jeune  marin  lùtpariisanenthousias- 
tede  la  maison  de  Nassau?  hntiiou- 
siasle  !  c'est  plus  que  douteux  ;  mais 
>^  convaincu  que  le  personnel  dont  se 
composait  le  gouvernement  nouveau 
serait  loin  d'ollrir  les  garanties 
de  l'ancien...,  c  est  plus  que  pos- 
sible. Choqué  d'ailleurs  dans  sfs 
habitudes  de  régularité  militaire  et 
de  discipline,  il  devait  ne  se  sentir 
que  peu  de  foi  en  l'avenir  do  la 
Batavie  trop  lestement  régénérée. 
Il  se  retira  donc  quelque  temps  à 


308 


VER 


la  campagne;  et  il  ne  reparut  même 
pas,  quand,  fait  capital  pour  ses 
conrictioiis  et  ses  tendances,  la 
révolution  du  12  juin  1798  vint, 
enrayant  le  principe  démocratique, 
substituer,  dans  la  république  ba- 
tave,  aux  furibonds  les  modérés, 
aux  hommes  de  club  les  hommes 
d'Etat.  11  ne  resta  pas  même,  ce 
qui,  nous  le  pensons,  aurait  été 
bien  plus  dans  sa  nature,  dans  sa 
situation  expectante;  et  quand  sur 
les  côtes  de  la  Hollande  septen- 
trionale débarquèrent  les  Austro- 
Russes  en  1799,  croyant  trop  vite 
que  le  récent  édifice  allait  crouler, 
il  se  rendit  auprès  du  prince  héré- 
ditaire d'Orange,  dont  la  réussite 
des  étrangers  ne  pouvait  que  servir 
plus  ou  moins  les  intérêts.  L'en- 
treprise manqua,  et  les  attaquants 
purent  se  tenir  heureux  de  pou- 
voir s'en  retourner  avec  capitu- 
lation. Verhuell,  après  ces  insuc- 
cès de  la  cause  à  laquelle  il  s'était 
rallié,  ne  put  que  s'enfoncer  plus 
avant  dans  la  retraite  et  se  vouer, 
comme  s'il  ne  devait  jamais  re- 
prendre la  vie  active  du  marin  et 
du  guerrier,  ^  Texploitation  et  aux 
solijs  domestiques.  Ce  ne  dut  pas 
être  absolument  sans  regret.  Sa- 
gace  et  froid  observateur,  il  venait 
de  s'apercevoir  bien  neliemeul, 
que  l'heure  du  retour  n'était  pas 
prés  de  sonner  pour  les  ÎN'assau, 
et  il  devenait  probable  qu'après 
les  deux  crises  qu'elle  avaU  sur- 
montées, la  révolution  qu'avait  en- 
gendrée dans  les  Provmces-Uiiies 
le  cou  Ire-coup  du  mouvement  fran- 
çais de  8'J  à  92,  avait  désormais  de 
grandes  chances  de  survivre  dans 
tout  ce  quelle  avait  d'essentiel. 
C'est  donc  volontiers  qu'il  eût  re- 
pris du  service.  Mais  quand?  com- 
ment? Sur-le-champ,  c'était  en 
quelque   sorte   se  démentir.   Plus 


VER 

tard,  c'était  se  laisser  par  trop 
distancer;  déjà  son  absence  avait 
laissé  libre  à  d'autres  le  champ  de 
l'avancement;  puis  quelle  serait  sa 
position?  Ici  l'élément  litigieux  se 
dressait  redoutable.  Nommé  par 
un  acte  à  la  dernière  heure,  il  ne 
pouvait  exhiber  de  brevet.  Au 
temps  même  du  slathoudérat,  avec 
la  conscience  qu'il  avait  de  sa  va- 
leur, il  répugnait  à  mendier  ce 
qu'il  lui  croyait  dû;  il  fréquentait 
moins  les  bureaux  que  son  port, 
il  sollicitait  peu,  il  ne  pétitionnait 
pas  du  tout,  bien  que  convaincu 
que  ce  n'est  pas  ainsi  qu'où 
gravit  l'échelle  des  grades.  11 
hésitait  bien  autrement  sous  un 
ordre  de  choses  qu'il  avait  com- 
battu à  se  poser  en  solliciteur. 
Grand  donc  était  son  embarras 
pour  regagner  le  temps  perdu,  et 
il  en  perdit  encore Heureuse- 
ment l'inattenau,  —  qu'il  attendait 
peut-être,  qu'il  guettait,  car  doré- 
navant nul  mieux  que  lui  n'excella 
dans  l'art  du  guet, — vint  linalement 
le  tirer  de  sa  perplexité.  En  1804, 
une  fois  avérée  la  résolution  prise 
parle  cabinet  britannique  de  laisser 
inexécuté  le  traité  d'Amiens,  Na- 
poléon n'eut  plus  qu'un  projet,  la 
descente  en  Angleterre;  mais  dé- 
termine à  n'agir  qu'après  avis  pris 
de  tous  les  juges  compétents  et 
qu'avec  des  forces  navales  hollan- 
daises comme  auxiliaires,  il  requit 
le  grand -pensionnaire  Schimmel- 
penninck  de  lui  envoyer  un  ancien 
oUicicr  de  la  marine  avec  lequel  il 
put  entrer  en  coiilércnccs,  et  qui 
commanderait  le  contingeni  balave. 
Le  clioix  du  grand-pensionnaire 
tomba  d'abord  sur  le  capitaine 
Verhuell,  ce  frère  aîné  mentionne 
plus  haut.  Mais  le  capitaine  déclina 
cet  honneur,  en  ajoutant  que  Char- 
les-Henri son  frère  tout  exigu,  tout 


VER 


VER 


309 


contesté,  ou  tout  récent  quf»  fïït  son 
grade,  s'acquitterait  l)ien  mieux  que 
lui  de  la  lâche  dont  on  prétendait  le 
charger  et  répondrait  amplement 
à  l'objet  qu'avait  en  vue  le  souve- 
rain de  la  France.  La  recomman- 
dation eut  pleinement  son  effet,  et 
d'ailleurs  le  frère  ne  disait  du  frère 
que  ce  que  depuis  longtemps  tous 
les  marins  en  pensaient.  Napoléon, 
de  son  côté,  au  premier  contact  de 
Verhuell,  sentit  bientôt  de  quel 
rare  et  précieux  collaborateur  U 
république  amie  lui  faisait  don,  et  il 
se  bàla  de  l'attacher  i  la  France 
en  le  revêtant  sur-le-champ  du  ti- 
tre de  contre-amiral.  Les  événe- 
ments ne  lardèrent  pas  à  justifier 
celte  élévation  par  laquelle  d'un 
bond  étaient  franchis  tant  d'éche- 
lons. Dans  les  conférences,  soit 
avec  le  ministre  de  la  marine, 
Decrès,  soit  avec  l'empereur  lui- 
même,  Verhuell  se  montra  cons- 
tamment à  la  hauteur  dcs  circons- 
tances, à  la  hauteur  des  exigences. 
Prudence,  hardiesse,  fécondité  de 
ressources,  vues  d'ensemble,  par- 
faite  connaissance  des  moindres 
détails,  il  réunissait  tout  ce  qui 
pronostique  et  souvent  assure  le 
plein  succès.  Les  destinées  de  l'ar- 
mement de  Boulogne  cependant 
ne  furent  point  aussi  splendides 
qu'une  imagination  méridionale 
l'aurait  rèvc  ;  mais  il  faut  ne  pas 
perdre  de  vue,  d'une  part,  qu'avant 
le  moment  auquel  les  actes  décisifs 
allaient  avoir  lieu,  survint  la  troi- 
sième levée  de  boucliers  de  i'Au- 
iriche,  celle  que  remit  si  magis- 
tralement au  néant  la  victoire 
d'Auslerlitz;  levée  de  boucliers  que 
suscita  seule  l'Angleterre  profon- 
dément épouvantée  de  l'armement 
de  Boulogne  et  détournant  ainsi  la 
foudre  de  Middiesex  sur  Schœn- 
brunn  ;  —  de  l'autre,  que  la  dispro- 


portion de  forces  navales,  puisque 
c'était  le  colosse  britannique  qu'on 
avait  en  face,  était  immense. 
Somme  toute,  aux  yeux  de  tous 
les  sages  esprits,  il  demeura  plus 
humiliant  pour  l'Anglelerre  de 
ne  pas  nous  avoir  fait  payer  par 
quelque  grand  échec  les  terreurs 
dont  elle  avait  été  contrainte  à 
s'avouer  émue  pendant  plusieurs 
mois,  que  pour  la  France  de  ne  pas 
avoir  planté  son  drapeau  à  Ca- 
rlton-House.  L'expédition  n'eut 
pas  lieu,  vu  la  diversion  conti- 
nentale ;  mais  ses  éléments  pa- 
rurent tous  à  l'appel,  capitaux, 
génie  de  constructions  navales, 
talent  stratégique,  d'où  toujours 
des  pas  en  avant,  des  pas  mena- 
çants et  sans  faute  aucune.  Et  cette 
appréciation  des  sages,  ce  fut  aussi 
l'idée  dominante  de  John  Bull,  qui, 
lorsqu'on  cessa  de  l'un  comme  de 
l'autre  côté  de  la  Manche  de  se 
préoccuper  du  débarquement  des 
«  présomptueux  flibustiers  fran- 
çais, »  se  pl.iignit  amèrement  que 
«  les  coquilles  de  noix  ennemies  » 
n'eussent  pas  été  détruites.  Com- 
ment! des  croisières  anglaises 
avaient  tenu  bloquées  les  côtes  de 
Hollande  ainsi  que  celles  de  Flan- 
dre, et  toutes  les  embarcations 
néerlandaises  avaient ,  conduites 
par  Verhuell,  quitté  le  port  où  l'on 
s'imaginait  le  tenir  paralysé.  Puis, 
quand  Kleilh,  un  amiral  anglais, 
>avec  sa  double  et  triple  escadre  de 
frégates  et  de  vaisseaux  de  7i,  de 
DO,  dri  120,  les  ratlra|)ail,  il  laissait 
de  rechef  ledit  Verhuell  le  mysti- 
fier. Il  avait  eu  la  maladresse  de 
laisser  échapper  les  neuf  dixièmes 
de  ces  guêpes  flottantes,  lesquelles 
avaienldoublé  le  cap;  ilavaiteul'c'U- 
lanlillage  de  s'acharner  à  tirer  des 
bordées  sur  le  dixième  restant,  dont 
les  aiguillons  l'avaient   passable- 


310 


VER 


YER 


ment  piqué  lui-même.  Si  bien  qu'à 
présent  les  deux  côtes  de  l'Armada 
redoutée,  que  divisaient  naguère 
plus  de  cent  milles,  av;iient  cessé 
d'être  disjointes,  et  que  Napo- 
léon, l'homme  des  gros  bataillons, 
pouTait  manier  les  sept  ou  huit 
cents  galiolles  comme  un  seul 
homme.  Si  bien  aussi  que  si 
U  fière  Albion  pour  le  moment  en 
était  quitte  pour  la  peur,  c'est 
parce  qu'un  autre,  moyennant  ar- 
gent, recevait  les  coups  à  sa  place, 
se  faisait  rogner  les  ongles  à  sa 
place,  payait  les  frais  de  la  guerre 
à  sa  place!  en  d'autres  termes,  c'est 
parce  que  les  troupes  françaises  de- 
venues nécessaires  en  Allemagne, 
avaient  manqué  àlaflotille;  et  non 
parce  que  la  flotille  avait  manqué 
aux  troupes  ou  avait  été  mise,  par 
la  supériorité  britannique  dans 
l'impossibilité  de  débarquer  sur  les 
plages  britanniques  une  armée 
d'invasionl  Ce  n'étaient  donc  pas 
des  forces  anglaises  qui  tenaient 
sauve  l'Angleterre!  Pendant  ce 
temps  Verhuell  passait,  par  dé- 
cret de  Napoléon,  du  grade  de 
contre-amiral  à  celui  de  vice-amiral; 
et  Schimnielpennincklui  décernait 
le  même  titre,  le  même  rang  dans 
la  marine  hollandaise.  Très-peu  de 
temps,  en  effet,  après  la  jonction 
des  deux  flotilles,  l'impossibilité 
d'agir  en  même  temps  au  cœur  de 
l'Allemagne  et  dans  les  mers  de 
l'archipel  britannique  ayant  amené 
l'ajournemfnt  de  Tcutreprise,  il 
regagnait  son  pays;  et  maintenant 
nous  allons  le  voir  de  l'arène  mi- 
litaire passer  sur  la  scène  poliliciue. 
Très-piohablemeni  il  ne  partait 
pas  de  France  sans  avoir  k  l'a- 
vance reçu  des  ouvertures  sur  ce 
qui  s'élaborait  avec  sourdines  en- 
core au  printemps  de  4  8ÛO,  un  peu 
moins  silencieusement  ^  l'automne 


suirant  et  tout  haut  en  <806.  Les 
républiques  improvisées  à  l'instar 
et  à  la  lueur  de  la  république  fran- 
çaise,ne  pou^aientdurer,  depuis  que 
le  souffle  républicain  avait  fait  dé- 
faut aux  poumons  de  la  mère  com- 
mune; la  république  batave  devait 
donc  se  transformer  en  royaume... 
Quand?  Comment?  Au  profit  de 
qui?  Telles  étaient  les  seules  ques- 
tions réelles.  Toutefois  il  fallait 
bien  faire  semblant  de  ne  pas  avoir 
résolu  avant  discussion  la  conversion 
en  monarchie,  et  la  Balavie  étant 
censée  malade,  on  devait  étudier  la 
situation  pathologique  avant  de 
formuler  le  remède.  Schimraelpen- 
ninck  (comme  on  peut  s'en  assurer 
à  son  article,  LXXXI,  288),  n'était 
rien  moins  que  favorable  à  cette 
façon  d'opérer.  Mais  il  n'était  pas 
(le  force  à  s'y  opposer.  Unedéputa- 
tion  hollandaise  fut  chargée  d'aller 
rechercher,  de  concert  avec  le  sou- 
verain de  la  France,  les  moyens  les 
plus  aptes  à  sauvegarder  les  inté- 
rêts, à  développer  les  éléments  de 
prospérité  du  pays.  Les  négocia- 
tions durèrent  quatre  mois,  pen- 
dant lesquels  un  principe  nouveau 
se  fit  jour,  c'est  que  les  provinces 
néerlandaises  avaient  besoin  d'un 
monarque  pour  recouvrer  partie  au 
moins  de  leur  ancienne  puissance 
et  de  leur  éclat,  et  au  bout  des- 
quels la  question  de  personnes 
suite  indispensable  de  Ja  question 
de  choses  ayant  été  agitée,  il  fut 
prononcé  que  le  monarque  serait 
le  second  des  frères  cadets  de  Na- 
poléon, le  prince  Louis.  Les  dé- 
putés allèrent  ensuite  en  audience 
solennelle  communiquer  à  l'Empe- 
reur des  Français  le  résultat  de 
leurs  travaux  et  lui  demander  de 
condescendre  à  leur  vœu  et  d'as- 
surer la  félicité  de  la  Hollande  en 
permettant  un  second  trône  à  sa 


VER 


VEH 


311 


dynastie.  C'est  Verhuell  qui  porta 
la  parole  en  cette  occasion.  Nous 
n'avons  pas  besoin  de  dire  quelle 
tut  la  réponse  de  l'Empereur.  Nous 
croyons  qu'il  serait  également  su- 
perflu d'avertir  qu'à  la  harangue  of- 
ficielle, ne  se  borna  pas  dans  cette 
grande  affaire  le  rùle  de  Verhuell. 
C'est  lui  sans  contredit  qui,  plus  que 
tous  les  membres  ses  collègues,  dé- 
termina l'événement  voulu  d'avance 
par  Napoléon,  longtemps  décliné 
par  Schimmelpenninck  et  pour  le- 
quel la  plupart  des  délégués,  quoi- 
que n'arrivant  à  Paris  que  par 
suite  d'influences  napoléoniennes, 
n'éprouvaient  pas  plus  de  vives 
sympathies  quede  répulsions  invin- 
cibles. On  sait  du  reste,  et  l'his- 
toire s'est  complue  à  rendre  justice 
à  l'honorable  élu,  que  peu  de  mo- 
narques plus  consciencieux,  plus 
dévoués  à  leurs  sujets  occupèrent 
rarement  un  trône.  Verhuell  donc 
usa-t-il  de  quelque  pression  sur 
ses  collaborateurs,  que  dominait  un 
peu  sans  doute  l'ascendant  de  sa 
position,  de  ses  services  et  de  son 
caractère,  nous  ne  saurions  rien 
voir  là  qui  fasse  tache  à  sa  vie  et 
dont  il  faille  justifier  sa  mémoire. 
Nous  irons  un  peu  plus  loin,  et 
nous  soumettrons  une  considéra- 
tion à  nos  lecteurs.  On  a  répété 
cent  fois  qu'en  plaçant  son  frère 
Louis  sur  le  trône  de  Hollande, 
Napoléon  avait  prétendu  sacrifier 
la  Ilollande  à  la  France,  et  que  le 
frère,  qui  se  croyait  quelque  chose 
de  plus  qu'un  préfet,  eut  raison 
mille  fois  pour  une  de  défendre  les 
intérêts  de  ses  sujets  qui  n'étaient 
pas  simplement  ses  administrés. 
A  notre  avis,  ces  assertions  con- 
tiennent un  peu  de  vrai,  beaucoup 
de  faux; — du  vrai  quant  au  prin- 
cipe, du  faux  quanta  l'appiicalion. 
Or,  la   politique   consiste    surtout 


en  applications:  c'est  un  art,  ce 
n'est  pas  uniquement  une  science. 
Que  le  roi  de  Hollaiide  ait  eu  le  droit 
d'agir  comme  il  agit,  nul  doute; 
qu'il  ait  cru  que  pour  lui  c'était  un 
devoir,  nul  doute  non  plus.  Mais 
était-ce  vraiment  un  devoir?  et  ne 
se  méprenait-il  pas  fondamentale- 
ment sur  les  intentions  de  son 
frère  ?  ici  commence  l'incertitude. 
Sacrifier  la  Hollande  à  la  France 
n'est  qu'un  de  ces  gros  mots  faciles 
à  trouver  et  qu'on  jette  en  pâture 
aux  niais,  mais  que  l'on  oublie  de 
prouver  et  dont  on  se  garde  d'en- 
tamer l'analyse.  Ce  que  voulait 
Napoléon  n'était-ce  pas  tout  sim- 
plement sacrifier  le  présent  pour 
assurer  l'avenir?  Ce  qu'il  demandait 
à  la  Hollande  son  alliée,  réduite 
au  troisième  ou  quatrième  rang 
par  la  spoliatrice  et  inassouvissable 
Angleierre,  n'était-ce  pas  un  peu 
d'abnégation  dans  le  présent  pour 
en  être  un  p^-u  plus  tôt,  un  peu 
plus  tard,  récompensée  au  cen- 
tuple par  l'annihilation  ou  la  pros- 
traîion  de  l'ennemie  commune,  an- 
nihilation que  certes  eût  facilitée 
une  résignation  de  courte  durée 
^  l'abandon  des  gains  au  jour  le 
jour.  Ces  gains,  il  est  vrai,  sont  pal- 
pables et  la  perle  en  est  posi- 
tive, les  brillants  résultats  de  l'ave- 
nir ne  sont  qu'à  l'état  de  pro- 
blème; puis  la  vie  à  mener  tant 
que  se  prolongent  l'intérim,  la  vie 
de  chômage  et  de  privations,  est 
dure.  Soit!  mais  quels  grands  ré- 
sultats s'obtinrent  jamais  sans  dé- 
vouement? et  quels  immenses  di- 
videndes sans  quelques  risques? 
C'est  ici  qu'involontairement  l'on 
s'écriera  qu'il  est  deux  politiques. la 
petite  par  laquelle  on  vivote,  la 
grande  par  laquelle  on  se  déve- 
loppe et  s'élève.  Celle-ci,  incontes- 
tablement,  fut  toujours   celle    de 


312 


VER 


Napoléon;  elle  le  fut  notamment 
dans  ses  relations  avec  la  Hollande, 
et  les  seuls  torts  qu'il  eut  avec  cei 
ex-républicains  furent  ces  impa- 
tiences, ces  brusqueries,  ces  formes 
un  peu  tranchantes  et  trop  peu 
parlementaires  de  l'homme  qui 
veut  que  tout  marche  comme  au 
pont  de  Lodi.  Celles-ci  furent 
pour  quelque  chose  sans  doute 
dans  ce  «  défaut  de  confiance  » 
que  nous  reprochons  ài  h  Hol- 
lande. Mais  l'égoïsme  national  et 
un  patriotisme  à  gauche  y  furent 
pour  bien  plus.  De  quelque  ma- 
nière donc  qu'on  l'envisage , 
Verhuell,  en  aidant  à  porter  le 
prince  Louis  sur  le  trône  de  la 
Flollande.  agissait  en  ami  de  ses 
concitoyens  ;  il  leur  donnait,  en 
fait,  un  roi  qui  devait  ne  pas  son- 
ger moins  qu'eux-mêmes  aux  in- 
térêts directs,  présents,  positifs  et 
palpables  du  nouveau  royaume; 
éventuellement,  il  les  associait  au 
système  qui,  sans  les  folles  ja- 
lousies et  rineplie  du  reste  de 
l'Europe  continentale,  aurait  dé- 
truit le  monopole  britannique  et 
fait  justice  de  la  sangsue  gorgée 
des  deux  mondes.  On  ne  séton- 
nera  pas  qu'après  une  participa- 
tion si  prépondérante  au  nouvel 
état  de  choses,  Verhuell  ait  fait 
partie  du  |)rcrnier  ministère  du  roi 
Louis.  On  devine  quel  poitefeuille 
lui  fut  donné  :  ce  fut  celui  de  la 
marine.  Dans  cette  position,  la  plus 
apte  à  ses  goûts,  à  ses  antécédents, 
son  r61e  fut  double  :  tantôt,  se  ren- 
fermant dans  les  fondions  pro- 
pres à  son  département,  il  ne  songe 
qu'à  développer  les  forces  na- 
vales de  son  |)ays,  utile  en  cela  du 
même  coup  à  son  pays  et  à  la 
France;  mais  i-n  loiit  cas,  et  la 
France  même  n'eûl-elie  plus  nul 
intérêt  commun  et  nul  rapport  av«c 


VER 

sa  voisine  du  nord,  incontestable- 
ment utile  au  pays;  tantôt,  en  con- 
seil de  ministres  ou  dans  ses  con- 
versations avec  le  roi  Louis,  il  lui 
déconseillait  sa  politique  exclusive- 
ment au  point  de  vue  étroit  de 
l'égoïsme  hollandais.  Il  n'en  était 
pas  moins  personnellement  agréa- 
ble au  roi  et  même  au  couple 
royal.  A  son  grade  de  vice-amiral, 
il  joignit  la  dignité  de  maréchal  de 
Hollande.  Quant  fut  créé  Tordra 
de  la  Réunion,  il  en  fut  le  premier 
nommé  grand-croix.  Il  ne  venait 
jamais  trop  au  palais.  Vers  la  fin 
de  1809,  cependant,  il  dut  donner 
sa  démission  de  ministre,  et,  soit 
à  titre  de  consolation,  soit  pour 
tout  autre  motif,  il  fut  chargé  de 
Tambassade  de  Paris.  Les  rensei- 
gnements qu'il  put  donner  en  per- 
sonne sur  l'élat  matériel  et  moral 
de  la  contrée  qu'il  venait  de  quit- 
ter ne  furent  sans  doute  pas  sans 
influence  sur  les  événements  qui 
suivirent.  Mais  ce  qui,  sans  con- 
tredit, contribua  plus  que  tout  le 
reste  à  les  précipiter,  ce  fut  l'attaque 
anglaise  aux  bouches  de  l'Escaut, 
connue  sous  le  nom  d'expédition 
de  Walcheren.  L'instant  avait  été 
choisi  comme  savent  le  choisir  les 
Anglais  avec  autant  d'astuce  que 
de  haine.  Le  successeur  de  Pitt 
avait  commencé  par  resubvenlion- 
ncr  le  toujours  besogneux,  le  tou- 
jours bilieux,  le  toujours  malen- 
contreux et  orgueilleux  François  II, 
par  la  grâce  de  Dieu  ex-duc  de  Mi- 
lan, ex-maîire  des  Él;jt»-Véniiiens, 
ex-empprcur,  de  ce  qu'on  nommait 
encore  en  1803  le  Saint-Empire,  le- 
quel bercé  de  sa  chimère  de  deve- 
nir le  chef  de  file  d'une  quatrième 
coalision  ,  avait  derechef  jeté  le 
gant  au  roi  d'Italie;  et  Napoléon, 
forcé  d'aller  lui  donner  une  (jua- 
trierae  leçon  au  cœur  de  ses  Ëtats 


VER 

héréditaires,  était  alors  ^  plus  de 
neuf  cents  kilomètres  de  sa  capitale, 
à  plus  de  mille  des  bouches  de  TEs- 
caut.  Toujours,  on  le  voit,  la  même 
manière  d'opérer,  à  Timproviste, 
sans  déclaration  de  guerre,  et  de  se 
ménagerun  débarcadère  sur  laterre 
d'ciutrui,  comme  Gibraltar,  comme 
en  <793TouIon,  si  la  Convention  les 
eût  laissé  faire  !  Heureusement,  au 
moment  où  nous  sommes  arrivé, 
la  décision  d'esprit  dont  fit  preuve 
immédiatement  le  duc  d'Otrante, 
mit  promptement  un  terme  aux 
espérances  d<^s  ennemis  deTEmpire. 
C'est  à  Bernadotte  et  à  Verhuell  qut, 
sau:,  hésiter  et  avec  ce  coup  d'œil 
qui  jauge  et  dise 'rne  les  capacités, 
Fouché  remit  le  soin  de  renvoyer 
les  insulaires  en  leurs  foyers  et* de 
faire  que  l'histoire  ne  donnât  à  leur 
invasion  d'autre  nom  que  celui 
d'éihaiiffourée  de  Walcheren.Xo:is 
renvoyons  à  l'article  Charles-Jean 
(dans  la  2^  édit.)  ceux  qui  seraient 
curieux  de  voir  de  quelle  manière  le 
béarnais  se  lira  de  la  partie  de  sa 
lâche  ;  il  ne  doit  être  ici  question 
que  de  Verhuell.  Sa  commission  le 
nommait  commandant  de  toutes  les 
forces  navales  de  la  Zélande,  de 
l'Escaut  et  de  la  Meuse,  et  le  rele- 
vait provisoirement  de  ses  lonc- 
lions  d'ambassadeur.  Transmettre 
immédiatement  et  même  avant  d'à  • 
voir  quitté  l'hôtel  de  l'ambassade 
des  01  dits  préalables  à  tous  les 
capitaines  ou  commandants  ou  • 
chefs  d'escadre,  voler  avt  c  la  ra- 
pidité de  l'edair  à  rexlrémilé 
septentrionale  de  l'Empire,  at- 
teindre Anvers,  puis  Ilotterdam, 
planter  son  pavillon  à  boid  du 
lioynl-HoUnndais  do  (pialr^-vingls 
canons,  et,  par  une  savante  distri- 
bution de  navire.-),  soit  le  l(»ng  du 
littoral,  soit  dans  les  nombreux  ca- 
naux des  deux  Delta,  fermer  d'a- 


VER 


313 


bord  à  l'ennemi  l'accès  des  îles  qui 
n'étaient  encore  que  menacées  et 
les  mettre  ^  couvert  de  toute  sur- 
prise, puis  faire  passer  les  appré- 
hensions du  côté  des  envahisseurs, 
les  réduire  presque  ^  la  possession 
de  Walcheren,  resserrer  le  cercle 
autour  d'eux  en  les  mettant  k  la 
veille  d'être  eux-mêmes  enveloppés 
et  bloqués,  tels  furent  les  moyens 
devant  lesquels  force  fut  aux  An- 
glais de  battre  en  retraite.  Ils 
avaient  à  leur  tête  cependant  un 
prince  du  sang,  le  duc  d'York, 
comme  les  Autrichiens,  sur  deux 
points  importants  du  théâtre  de  la 
guerre, avaient  l'honneur  d'être  cora- 
mandéspar  deux  archiducs, le  prince 
Jean  et  le  prince  Régnier.  De  part  et 
d'aulrela  masse  des  lauriers futégale 
et  les  altesses  impériales  se  consolè- 
rent de  leur  déconvenue  en  sa- 
vourant la  relation  des  triomphes 
de  l'altesse  britannique  morale- 
ment fustigée  plus  que  jamais  valet 
de  pied  anglais  ne  le  fut  par  le 
Horse-Whip.  Ce  qu'admirent  sur- 
tout les  juges  compétente  dans  cette 
campagne  de  Verhuell,  c'est  que 
toutes  les  opérations  à  peu  près 
furent  celles  d'un  tacticien,  d'un 
stratégiste,  d'unorgaiiisdteur.  C'est 
en  quelque  sorte  sans  coup  férir 
que  les  frais  débarqués  se  rembar- 
quèrent pour  leur  ile.  Nai)Oléon, 
au  relourde  la  campagne,  que  dé- 
noua Wa  ram,  témoigna  toute  sa 
s;^li..faclion  à  l'habile  marin  dont 
la  modestie  et  la  simplicité  d«ns 
cette  crise  avaient  égale  la  vigueur 
et  l'aplomb.  Dès  que,  pour  évi- 
ter les  malentendus  et  les  tirail- 
lements auxcpiels  avait  donné  lieu 
la  trop  complète  identification  du 
roi  Louis  aux  méticuleuses  ten- 
dances hollandaises,  la  Hollande 
eût  été  déclarée  partie  inlégrjule 
de   l'Empire   français,    non-seule- 


316 


VEB 


VER 


ment  il  reconnut  à  Verhuell  le  li- 
tre de  vice-amiral  qu'il  avait  dans 
le  ci-devant  royaume,  mais  encore 
il  le  nomma  commandant  général 
de  toutes  les  forces  navales  de 
l'Empire  et  dans  la  mer  du  Nord 
cl  dans  la  Baltique  depuis  l'embou- 
chure de  l'Emsjusqu'îi  Dantzig.  L'ac- 
tivité, la  sûreté  de  coup  d'ceil  qu'il 
déploya  dans  l'inspection  de  ces  pa- 
rages auraient  porté  bien  d'autres 
fruits  si  l'Empire  n'était  tombé  pré- 
maturément avant  d'avoir  doté 
l'Europe  de  toutes  ces  heureu- 
ses transformations  où  les  nationa- 
lités parvenues  et  aveugles  s'ob- 
stinèrent à  voir  l'oppression  de  la 
conquête.  G;s  déploiements  du  gé- 
nie de  la  France  ne  demeurèrent 
pas  sans  résultat  néanmoins.  C'est 
sous  l'œil  et  sur  les  plans  de  Ver- 
huell, importateur  des  idées  nées 
aux  Tuileries  que  ces  ingrates 
villes  de  Brème,  de  Lubeck,  de 
Hamboing  ont  vu  naître  les  chan- 
tiers de  construction,  féconds  ins- 
truments de  toute  haute  prospérité 
pour  le  commerce  maritime  et  dont 
jamais  leurs  administrations  natio- 
nales n'avaient  môme  commencé 
à  les  doter.  Ces  belles  créations, 
mieux  jugées  par  le  grand  homme 
de  Tilsilt  que  par  ceux  auxquels 
elles  profitaient,  valurent  en  1812a 
leur  auteur  la  dignité  de  grand  of- 
ficier de  l'Empire  et  le  titre  d'ins- 
pecteur-général  des  côtes  de  U 
mer  du  Nord.  Bientôt  après  mou- 
rait le  regrettable  amiral  Dewin- 
ler.  Mais  du  moins  nous  fut-il  per- 
mis dr;  dire  que  le  service  naval  de 
l'Empire  ne  perdit  rien  au  change 
quand  le  commandement  de  l'es- 
cadre duTexcl  passa  aux  n:ains  de 
Verhuell,  avec  celui  des  flottilles 
échelonnées  depuis  les  bouches  de 
la  Meuse  jusqu'à  œs  lointains  dé- 
parlements, bouches  de  l'Yssel  et 


bouches  del'Ems!  La  tâche  qui  n'a- 
vait pas  laissé  d'être  laborieuse  pour 
Dewinler,  pendant  ces  années  rela- 
tivement pacifiques  qui  coururent 
de  ia  paix  de  Vienne  à  la  retraite  de 
Russie  (1809-1812),  devint  bientôt 
des  plus  lourdes  pour  le  successeur. 
Lorsque  tant  de  trahisons  succes- 
sives, dont  celle  des  Saxons  en 
pleine  bataille  ne  fut  que  l'apogée 
et  le  couronnement,  eurent  amené 
la  retraite  des  aigles  françaises, 
Amsterdam  leva  la  tête  et  se  pro- 
nonça, plus  marchande  que  cheva- 
leresque, contre  un  gouvernement 
qui  ne  satisfaisait  pas  comptant  les 
vœux  des  débitants  de  denrées  co- 
loniales, et,  par  ce  déplorable  en- 
couragement donné  si  vite  aux  coa- 
lisés, détermina  le  passage  du  Rhin 
du  31  décembre,  par  ces  hordes  si 
longtemps  battues,  si  surprises  en- 
core de  leur  triomphe  de  quatre 
contre  un  et  qui  comptaient  ne 
nous  envahir  qu'au  printemps.  L'a- 
gonie de  l'Empire  commençait.  C'est 
ici  que  nous  devons  de  vifs  éloges  et 
une  profonde  reconnaissance  à  Ver- 
huell. Il  fut  fidèle  au  drapeau,  il  fut 
fidèle  à  la  France.  D'autres  au  mi- 
lieu de  soldats  dévoués  jusqu'à  la 
mort,  ou  lâchaient  pied,  ou  trahis- 
saient; Verhuell,  au  milieu  d'é- 
quipages désaffectionnés,  ou  fran- 
chement hostiles,  tint  bon.  Tout 
son  monde,  moins  quelques  offi- 
ciers, voulait  déserter  à  l'instant  et 
aurait  laissé  sloops,  corvettes,  fré- 
gates, vai>seaux  de  guerre  à  la 
merci  de  l'ennemi.  Après  de  sté- 
riles tentatives  pour  ramener  la 
masse  opiniâtre,  sentant  limpossi- 
bililé  d'user  de  force,  l'illustre  ma- 
rin, par  son  ascendantpersonnelel 
par  un  appel  chaleureux  à  ce  qui 
restait,  soit  d  honneur,  soit  de  dé- 
férence et  d'affection  pour  lui,  soit 
plutôt   de    routines  disciplinaires 


VER 


VER 


315 


chez  ces  hommes  exaltés,  parvint 
du   moins  à  les  retenir  jusqu'à  ce 
qu'avec  leur  concours  il  eût   fait 
rentrer  tout  ce  qu'il   avait  de   na- 
vires dans  le  Nieuw-Dsep   et  mis 
ainsi  son  escadre  en  sûreté.  Ce  but 
atteint,    et   la   résolution   daban- 
donner  le  grand  Empire  au  nau- 
frage étant  toujours  la  même  chez 
les  siens,  il  les  congédia  en  forme, 
épargnant  à  ses  compatriotes  d'a- 
bord la  délébile  honte  de  trahir  le 
drapeau,  d'abandonner  le  général 
et  de  livrer  un  dépôt,  puis  le  tort 
réel  de  rompre  avec  un  gouverne- 
ment dont  tout  le  tort  était  de  voir 
de  hrr.;i  el  de  saisir  des  ensembles. 
Il   s'orcupa  ensuite  de  mettre  en 
état  de  défense  les  forts  qui  proté- 
geaient l'entrée  du  port,  asile  (ie 
son  escadre.  L'un  fut   pourvu  par 
ses   soins  de  tout   ce  qui  pouvait 
prolonger  la  défense,  hommes  et 
approvisionnements  (c'était  le  fort 
Morland);  il  s'enferma  dans  l'autre 
(le  fort   Lasalle)    avec  l'équipage 
d'un  vaisseau  de  haut  bord  français 
et  toute  la  garnison   française  de 
Helder.  Bie-ntùt  paradèrent  aux  en- 
virons   les    navires  britauniq;ies; 
bientôt    vinrent    les    sommations 
de   se  rendre....    L'on  ne    se  fit 
pas  faute  non  plus  d'autres  tenta- 
tives,celles  qiiô  proverbiale. lient  ou 
désigne  par   la   périphrase  «  d'ar- 
guments  irrésistibles.  »  La  séduc- 
tion ,   nos  lecteurs  en  sont    con- 
vaincus k  l'avance,   n'eut  pas  sur 
lui  plus  de  prise  que  l'intimidation. 
Albion  ie  sut  bientôt  inaccessible  à 
toute  séduction;  et  telle  fut,  à  ce 
qu'il  semble,  la   persuasion   à    cet 
égard,  aidée  par  la  furce  des  me- 
sures défensives  qu'il  avait  prises, 
que  les    corps  alliés    chargés  de 
cerner  les  forts  renoncèrent  à  l'idée 
des  embossages,  après  lesquels  on 
eût  lancé  la   bombe  ou  battu  en 


brèche,  puis  donné  l'assaut,  et  qu'ils 
se  bornèrent  au  blocus.  Ce  blocus 
fut  long   :  les  deux  forts  tenaient 
encore   leurs  portes   fermées  que 
Paris  avait,    non   pas   ouvert   les 
siennes,  mais  été  livré   par   ceux 
qui  devaient  le  défendre,  et  que 
l'abdication  de  Fontainebleau  avait 
frappé   d'inopportunité   toute   ré- 
sistance   indéfiniment    prolongée. 
Pourtant,  au  commencement  d'avril 
encore ,    Verhuell    se    refusait   à 
capituler,   seulement  il  consentait 
à  quitter  ses  forts  sur  un   ordre 
émanant   de    l'autorité    française. 
Cet  ordre  vint  enfin,  signé  de  l'al- 
tesse royale,  lieutenant  général  du 
royaume.  Il  accomplit  donc,  comme 
c'était  son  devoir  et  son  habitude, 
un  ordre  du  chef  de  l'État,  il  n'en 
passa   pas  par  les  ordres  de   l'é- 
tranger,   il  ne  capitula  pas.   Pre- 
nant passage  ensuite  sur  U!ie  cor- 
vette f  ançaise  avec  tout  son  état- 
major,  il  aborda  au  Havre ,  tandis 
que   tous    les    autres    défenseurs 
français,  équipage  de  haut  bord  et 
garnison ,  regagnaient  par  terre  la 
France.  Louis  XVIII,  il  faut  ie  dire, 
comprit    ce    que  la    conduite    de 
Verhuell  avait  de  digne  et  de  no- 
ble :  il  lui  témoigna  sa  considéra- 
tion et  sa  bienveillance  ;  il  lui  con- 
serva ses  litres,  son  grade;  charmé 
de  le  voir,  quand  définitivement  la 
Hollande  et  la  France  allaient  ap- 
partenir k  deux  dynasties  différen- 
l€s,  préférer  à  la  patrie  de  naissance 
It   patrie   d'adoption.    Non-seule- 
ment il    lui  lit  délivrer  les  lettres 
de  grande  naturalisation,  mais  en- 
core, dès  18i.\ille  comprit  dans  U 
chambre  des  pairs.  Si  Louis  XVI II 
n'avait  jamais    marché   que    sur 
cette  ligne  de  civilisation  et  d'im- 
partialité,   si,  comprenant   ce  que 
c'est  que  gouverner,  il  eût  eu  l'art 
de  grouper  autour  de  lui,  de  lier 


316 


VER 


VER 


savamment  à  sa  cause  les  forces 
vives  et  si  bien  disciplinées  que  lui 
laissait  l'empire,  forcés  de  suivre 
ses  traces  ou  de  s'en  écarter  peu, 
ses  héritiers  jouiraient  de  ses 
droits,  et  l'Europe  ne  les  ap- 
pellerait pas  les  Stuarts  de  la 
France.  Verhuell,  à  la  chambre  des 
pairs,  se  montra  ce  qu'il  avait  été 
pendant  sa  vie  navale  et  politique, 
ce  qu'il  avait  été  comme  homme  (\e 
guerre  et  comme  ambassadeur, 
consciencieux  et  courageux,  ou- 
vert aux  idées  et  antipathique  aux 
excès,  patriote  et  calme.  Il  vota, 
sans  système  à  toute  outrance, 
pour  chaque  mesure  libérale,  et  i! 
fit  partie  de  cette  noble  opposition 
de  la  chambre  haute  sous  Charles  X, 
opposition  qui  retarda  de  quelques 
années  le  iies  irie,  dies  illa  de  la 
branche  aînée,  opposition  qui  l'eût 
sauvée  si  la  Camarilla  n'eût  eu  des 
oreilles  pour  ne  point  entendre  et 
des  yeux  pour  ne  point  voir.  Il  fut 
souvent,  ou  plutôt  il  fut  toujours 
consulté  utilement  dans  les  com- 
missions relatives,  soit  k  l'organisa- 
tion, soit  à  la  comj)t;ibi!ilé  de  la 
marine.  Il  assistait  très-régulière- 
ment à  la  chambre  maigre  son  âge  ; 
et  ce  ne  fut  que  lorsqu'il  allait  de- 
venir octogénaire  qu'il  adressa  i 
ses  collègues  des  demandes  de  con- 
gés un  peu  longi.  Aux  travaux  poli- 
tiques de  la  chambre,  il  joignait 
comme  disliaclion  divers  patro- 
nages de  sociétés  ou  d'oeuvres 
utiles.  Chrétien  fervent  et  con- 
^ain(•u,  mais  non  catholique  (s'il 
avait  renoncé  à  la  patrie,  il  n'avait 
pas  répudié  la  foi  de  ses  pères),  il 
fut  un  des  fondateurs  de  la  société 
prolesl;<nte  des  missions  chez  les 
peuples  non  chrétiens.  Sa  mort  eut 
liru  le  25  octobre  ISi'i  au  bout  de 
quelques  jours  de  maladie.  Si;s 
obsèques  furent  simples,   il    l'avait 


formellement  ordonné  par  testa- 
ment, simples  et  touchantes...  :nul 
appareil,  soit  militaire,  soit  civil, 
quelques  amis  parmi  lesquels  des 
frères  d'armes,  des  sommités  intel- 
lectuelles et  administratives  et  plu- 
sieurs des  ministres  de  sa  religion, 
qui  chacun  se  firent  un  devoir  de 
jeter  sur  cette  tombe  vénérée  des 
éloges  qui,  contrairement  à  ceux  de 
tanld'oraisons  funèbres,  avaientleur 
écho  dans  tous  les  cœurs.  M.  Pelet 
de  la  Lozère  en  prononça  une  autre 
à  la  chambre  des  pairs.     Val.  P. 

VERnULST  (  Philippe- LoDis), 
tils  d'un  médecin  de  Gand,  naquit 
en  celte  ville  à  la  lin  duxvii*  siècle 
ou  au  commencement  du  siècle  sui- 
vant. Il  embrassa  l'état  ecclésiasti- 
que, mais  ne  fut  point,  croyons- 
nous,  promu  au  sacerdoce.  Doué 
d'une  mémoire  heureuse  et  appli- 
qué au  travail,  il  acquit  une  érudi- 
tion variée  qui  engageait  un  de  ses 
confrères  et  collaborateurs,  le  fa- 
meux janséniste  Leiiros  (voyez  Le- 
GRos,  t.  xxni,  p.  586)  à  l'appeler 
une  bibliothèque  vivante.  Jeune  en- 
core, il  fut  placé  à  la  tête  d'un  nou- 
veau collège  fondé  dans  la  ville  de 
Disth  en  Hrabant.  Son  opposition  à 
la  bulle  Vnigenilus  lui  lit  perdre  cet 
emploi.  Il  se  retira  à  Louvain,  où 
il  se  livra  à  l'étude.  Mais  toujours 
dominé  par  ^on  affection  pour  le 
jansénisme,  dont  il  devint  un  des 
plus  ardents  zélateur  s  dans  ces  con- 
trées, il  se  lia  intimement  avec 
deux  hommes  célèbres  dans  le 
parti,  Opstraét  et  Van  Espen  (voyez 
ces  noms,  xxxn,  38  et  xm,  321) 
et  publia  de  concert  avec  eux  une 
partie  de  ses  écrits.  Il  avait  les  pré- 
ventions les  plus  vives  contre  les 
jésuites.  Eu  l'année  1729,  sans  y 
être  obligé  à  ce  (pi'il  par.iit,  et  uni- 
quement par  enthousiasme,  il  signa 
avec  neuf  autres  Louvanistes  une 


VER 


VER 


317 


déclaration  sur  la  bulle  Vnigenitus 
et  sur  le  formulaire,  déclaration 
équivalente  à  un  acte  d'appel  ;  et,  la 
même  année,  il  s'était  retiré  en 
Hollande,  ainsi  que  plusieurs  mem- 
bres de  l'Université  de  Louvain  et 
du  clergé  des  Pays-Bas.  On  lui 
donna,  au  séminaire  d'Amersfort, 
la  place  de  profesbeur  de  théologie, 
qu'il  occupa  avec  zèle  pendant  plus 
de  vingt  ans;  et,  pendant  quelques 
années,  il  l'exerça  conjointement 
avec  l'abbé  Legros.  H  ne  discon- 
tinuait pas  néanmoins  ses  composi- 
tions, et  ses  travaux  littéraires  épui- 
sèrent sa  santé,  il  mourut  dans  cet 
emploi  au  mois  de  mai  1753,  disent 
Richard  et  Moreri,  mais  au  mois 
d'a\ril,  disent  les  Nouvelles  ecclé- 
siastiques, que  nous  croyons  mieux 
inlormees.  Dès  1711,  il  avait  com- 
mencé à  écrire,  exerçant  sa  plume 
surtout  contre  les  jésuites;  et,  pen- 
dant quarante  ans,  il  n'a  cessé  de 
soutenir  sa  polémique  théologique 
et  littéraire,  il  a  donc  putlié  : 
1°  Inipostura  et  errores  jesuitarum. 
Lovanieiisium  contra  IV  thèses  PP. 
Martin  et  Leonardi  Grisven,  anno 
1711.  C'est  un  iii-4'  de  quatre  pages 
seulement.  Ces  IhèbCs  furent  cen- 
surées par  M.  de  Coriache,  grand- 
vicaire  de  Maiiiids,  sede  vacante. 
2°  Grivenius  mate  defensus  ab  crro- 
rïbus  et  impostura,  etc.,  1712.  Ca- 
hier de  10  pages  hi-4'.  ;J"  La  Vérité 
qui  se  plaint  du  relâchement  des  jé- 
suites, ni3.  Cit  ouvrage  est  en  Ûa- 
mand.  4°  La  chaire  déshonorée,  eic, 
1714;  ausbi  en  llamaiid.  5"  Epistolœ 

doctoruni ,    eloqucntiuni viro- 

runi,  ad  varia  viembra  et  supposita 
facuttalis  Coloniensis^  17 il».  G'  Lin 
écrit  contre  le  docteur  Delvaux  (de- 
puis évèque  d'YprcN),  au  sujet 
d'une  harangue,  etc.,  en  Uamaiid. 
7"  Traduction  llamandedUiNouveau 
Testament,  imprimée  ù   Gand   en 


1717.  Verhulst  y  a  eu  la  part  prin- 
cipale. S^  Avertissement  touchant  les 
prétendus  avis  salutaires  à  MM.  les 
protestants  et  délibérants  avec  un 
avis  aux  censeurs  et  un  aux  jésuites, 
1719,  in-4"  de  8  pages.  9^  Lettre  aux 
RR.  PP.  jésuites  de  Flandre  au  su- 
jet d'un  feuillet    qui  a  pour  titre  : 

POKTRAIT    DU  JANSÉNISTE.    10"  De   aUC- 

toritate  Romani  Pontificis  disser- 
taiio  tripartila,  1719.  11'  Deman- 
des proposées  à  A/.  Jean-Baptiste 
DeSmet,  etc.,  1719-1720,  en  Oa- 
mand.  12"  Réponse  d'un  juriscon- 
sulte des  Pays-Bas  à  un  avocat  de 
Paris,  au  sujet  de  quelques  calomnies 
avancées  par  M.  Govarli,  vicaire 
apostolique  de  Bois-le-Duc  et  par 
M.  le  cardinal  de  Bissy  contre  M.  Van 
Copen,  docteur  en  droit,  à  Louvain, 
ni4,  in-4'de  35  pages.  13'  Lettre 
à  un  avocat,  etc.,  ou  Remontrances 
à  M.  D.  B.  D.  et  Th.,  à  l'occasion  de 
la  visite  de  l  abbaye  de  Ulierbeeck  en 
1725,  in-4°.  14°  Échantillon  des 
fautes  renfermées  dans  le  livre  du 
P.  Dujardin,  1724,  2'  edil.  augmen- 
tée en  1725,  en  flamand.  15"  Con- 
futatio  orationis  de  dugmatica  buUa 
IJNjGEMTus,  habita  24  auyusti,  per 
Hermannum  Damen,  S.  T.  doctorem, 
etc., juin  1725,  in-4°  de  39  pages. 
16'  ^Quinque  Epistolai)  De  cunse- 
cralione  urchiepiscopi  lUrajectensis, 
etc.,  ab  uno  episcopo,  adversùs  doc- 
torem Damen,  1725-1720,  in-4'  de 
64  pages.  17°  Consideratiunes  ad 
epistotam  sextam  D.  lioyinek  Van 
Papendreyt,  etc.,  1730, lévrier  473i. 
18"  Prœfatio  ad  Acia  quidam  Eccle- 

SliE  CLlRAJE(.TENSlS,elC.,  1737.19^1^5 

fondements  solides  de  la  loi  catholi- 
que touciianl  le  i:iaint-Sac renient  de 
L'autel,  en  irois  parties, 6  vol,  in-12, 
publies  en  1739-1741,  en  flamanu, 
sous  le  pseudonyme  de  Zeelandcr. 
20"  Lettres  de  M.  Vlamng  contre 
Picrman,  avec  une  longue  préface, 


M8 


VER 


1739,  1740,  nil,3  vol.  in-12.  On 
y  traite  du  Formulaire,  de  la  Cons- 
titution ijnigenitus,  et  des  droits  de 
l'Eglise  catholique  d'UlreclU.21'' fie- 
flexions  sur  les  maximes  de  Salomon, 
4732,  en  flamand.  22°  Traité  sur 
le  titre  d'évêque  universel,  1752, 
en  flamand.  23"  Expostulatis  super 
edicto  Academiœ  Lovaniensis,  dato 
20décemb.  1730,  février  < 731,  iu-4". 
Presque  tous  ces  ouvrages  ne  sont 
que  des  élucubrations  du  cerveau 
janséniste  de  Verhuist;  mais  il  faut 
en  excepter  les  six  volumes  indiqués 
sous  le  n"  19.  Celle  œuvre  a  été  com- 
posée contre  Van-Den-Iionerl(l),et 
elle  parut  si  solide,  même  aux  pro- 
testants, qu'ils  furent  contraints 
d'avouer  que  Verhuist  avait  trop 
terrassé  son  adversaire.  Verhuist  a 
en  outre  fourni  en  diflerents  temps 
divers  Mémoires  pour  la  défense  de 
l'Eglise  janséniste  d'Ulrecht.  11  a 
eu  la  pari  principale  aux  ouvrages 
de  Vander-Cioon,  imprimés  en  1737, 
sous  le  tiire  de  Acta  quœdam  eccle- 
siœ  UltrajectensiSy  etc.  On  trouve 
la  liste  des  ouvrages  de  Verhuist 
dans  les  Mémoires  historiques  sur 
l'affaire  de  la  bulle  Unigenitus  dans 
les  Pays-Bas  autrichiens,  etc.,  et 
lui-même  a  obtenu  l'honneur  bien 
mérité  d'un  article  spécial  dans  le 
Supplément  au  nécrologe  des  plus 
célèbres  défenseurs  et  confesseurs  de 
la  vérité,  publié  par  l'abbé  Cerveau. 

B.— U— E. 
VEilWA  (Jean  -  Marie  -  Victor  - 
Dauphin  de),  premier  adjoint  muni- 
cipal de  la  ville  de  Lyon,  député  du 
Rhône,  naquit  d'uni*  famille  noble 
et  ancienne  du  Dauphiné  au  châ- 


(1)  Van-ben-Uonert  était  un  fameux 
miDi^lre  protestant  de  Leyde,  proba- 
blemeDt  de  la  famille  des  llonert,  dont 
il  est  parlé  daos  la  biographie  imi- 
versellCf  t.  xx,  p.  bili. 


VER 

teau  de  Verna,  le  28  juin  1775^  Il 
sortit  honorablement  à.  dix-sept  ans 
de  l'Ecole  royale  de  marine,  et  lit, 
en  qualité  d'élève,  le  voyage  de 
Constantinople.  iMais  la  révolution 
de  1789  vint  l'arrêter  au  début 
même  de  sa  carrière  ;  il  rentra  dans 
ses  foyers  jusqu'au  moment  où  le 
général  de  Précy,  appelé  par  les 
Lyonnais  pour  organiser  leur  ré- 
sistance contre  la  Convention,  s'a- 
dressa au  dévouement  de  tous  ceux 
qui  aspiraient  ù  secouer  le  joug  ty- 
rannique  et  sanguinaire  de  cette 
assemblée.  Le  jeune  de  Verna  avait 
eu  la  douleur  de  voir  son  père  im- 
molé par  le  tribunal  révolution- 
naire, et  l'extrême  générosité  d'in- 
tercéder avec  succès  pour  son  dé- 
nonciateur, menacé  d  un  sort  sem- 
blable. 11  ne  fut  pas  des  derniers  à 
répondre  à  l'appel  de  Précy  ;  il  ser- 
vit avec  honneur  dans  l'arlillerie 
lyonnaise,  et,  demeuré  prisonnier 
des  assiégeants,  fut  assez  heureux 
pour  être  sauvé  par  un  ollicier  ré- 
publicain dont  il  était  personnelle- 
ment connu.  Après  le  siige  de  Lyon, 
Verna,  fugitif  et  proscrit,  chercha 
un  asile  dans  l'armée  des  Alpes  où 
il  remplit  pendant  quelque  temps 
les  fonctions  d'aide-medecin.  11 
quitta  la  vie  des  camps  lors  du  ré- 
tablissement momentané  de  la  paix, 
et  épousa  en  1806  mademoiselle 
Ferrusde  Vandranges,  sa  cousine, 
dont  le  père  avait  péri  comme  le 
sien  sous  la  hache  révolutionnaire. 
Pendant  vingt  ans,  Verna  partagea 
sa  vie  entre  ses  devoirs  de  famille, 
les  douceurs  de  l'étude  et  la  prati- 
que des  bonnes  œuvres,  qui  en  con- 
sumait la  plus  grande  portion.  Rien 
n'égalait,  à  cet  égard,  la  constance 
de  son  zèle,  si  ce  n'est  l'intelligence 
et  la  délicatesse  avec  lesquelles  il 
l'exerçait,  mêlant  toujours  des  con- 
solations religieuses  aux  distribu- 


VER 


VER 


349 


lions  inépuisables  de  sa  charité,  et 
non  moins  occupé  de  l'âme  que  du 
corps.  Des  vertus  aussi  éminentes, 
unies  à  une  instruction  solide  et 
variée,  fixèrent  sur  lui  l'attention 
un  peu  tardive  des  dépositaires  du 
pouvoir.  En  1826,  il  fut  nommé 
aux  fonctions  de  premier  adjoint  de 
la  mairie  de  Lyon,  et  se  vit  souvent 
appelé  à  diriger  l'admiiiistration 
municipale  en  l'absence  du  maire, 
M.  de  Lacroix-Laval,  que  retenaient 
à  Paris  ses  devoirs  de  député.  C'est 
à  son  initiative  ou  à  son  concours 
que  la  classe  ouvrière  fut  en  grande 
partie  redevable  des  établissements 
du  Dispensaire,  de  la  Solitude  de 
Sainte-Madeleine,  des  Sourds-et- 
Muets,  des  Frères  des  Ecoles  chré- 
tiennes, de  l'œuvre  de  Saint-Fran- 
çois Régis,  etc.  Deux  ans  plus  tard, 
ses  concitoyens,  qui  avaient  appré- 
cié le  mérite  de  ses  services,  le  dé- 
putèrent à  la  Chambre  à  une  forte 
majorité.  Verna  prit  une  part  ac- 
tive aux  travaux  législatifs;  mais, 
naturellement  timide  et  plein  de 
déliance  de  lui-même,  il  monta  ra- 
rement à  la  tribune,  et  ne  parla 
guère  que  sur  les  questions  où  lin- 
dustric  nationale  était  intéressée. 
En  rapportant  une  pétition  par 
laquelle  une  dame  dénuée  de  res- 
sources sollicitait  de  l'Etat  une  in- 
demnité au  nom  de  son  père,  fon- 
dateur d'un  établissement  d'horlo- 
gerie dans  la  ville  de  Resançon, 
Verna  s'exprimait  ainsi  :  «  Il  résulte 
de  cette  deinande  deux  faits  égale- 
ment certains  :  la  prospérité  d'une 
branche  de  commeriL*  national  par 
le  père  de  la  dame  Clermoni,  la  gène 
et  le  malaise  de  la  lille  du  fonda- 
teur. Il  est  digne  de  nous,  Mei- 
sieurs,  de  faire  cesser  ce  contraste 
afQigeaul  qui  blesse  en  quelque 
sorte  l'honneur  national;  il  est 
d'ailleurs  avantageux  pour  le  pays 


d'accorder  des  encouragements  aux 
hommes  intelligents  qui  importent 
en  France  une  industrie  nouvelle.» 
Ces  judicieuses  conclusions  furent 
couronnées  de  succès.  Lors  de  la 
discussion  du  projet  de  loi  sur  la 
dotation  de  la  pairie,  Verna  déve- 
loppa un  amendement  qui  avait 
pour  but  de  mettre  à  la  disposition 
du  roi,  pour  être  transmise  jusqu'à 
concurrence  de  13,000  francs  par 
an,  au  pair  dont  la  fortune  serait 
insufflsante,  la  pension  qu'un  suc- 
cesseur à  la  pairie  n'aurait  pas  ré- 
clamée, ou  dont  il  n'aurait  pas  de- 
mandé la  transmission  dans  les  six 
mois  :  «  Je  voudrais,  dit-il  à  cette 
occasion,  que,  semblable  à  l'astre 
qui  servait  d'emblème  au  grand 
roi  son  aieul,  sa  lumière  éclatante 
vint  se  réfléchir  sur  ceux  qui  l'en- 
tourent. Ce  n'est  pas  assez  pour 
moi  d'adopter  cette  maxime  de  no- 
tre gouvernement  constitutionnel  : 
Tout  bien  vient  dwroi,  je  veux  encore 
que  le  bien  lui  soit  possible.  »  L'a- 
mendement de  Verna  ne  fut  point 
accueilli.  —  Ce  digne  mandataire 
s'était  prononcé  tropouvertementen 
faveur  de  ia  prérogative  royale  pour 
être  compris  dans  la  réélection  gé- 
nérale de  1830.—  Le  gouvernement 
de  Charles  X  répondit  à  l'Adresse 
des  221  par  le  coup  d'Etat  du  25  juil- 
let, qui  convertit  en  une  crise  re- 
doutable une  situation  dont  la  lan- 
gueur et  les  incertitudes  préoccu- 
paient depuis  longtemps  tous  les 
esprits.  Verna  remplissait  alors  les 
fonctions  de  maire  de  Lyon  en 
l'absence  de  M.  de  L;icroix  Laval. 
Son  caractère  aussi  ferme  que  bien- 
veillanib'honora  par  lexempled'un 
courage  civil  rare  à  une  époque  où, 
déconcerte  par  la  formidable  tem- 
pête qu'il  venait  de  déchaîner,  le 
pouvoir,  muet  et  immobile,  semblait 
avoir   abdique  toute  direction  sur 


320 


VER 


ses  propres  agents.  La  première 
nouvelle  des  mouvements  de  la 
capitale  excita  à  Lyon  une  vive 
et  menaçante  fermentation.  Le 
31  juillet,  le  préfet  et  les  autori- 
tés militaires  se  réunirent  à  l'Hô- 
tel-Ue-Ville  atin  de  concerter  les 
mesures  les  plus  propres  à  combat- 
tre Tinsurreclion  qui  se  préparait. 
Un  des  chefs  de  la  garde  nationale 
qu'elle  avait  improvisée  vint  som- 
mer le  conseil  de  reconnaître  le 
corps  insurrectionnel  rassemiblé  sur 
le  quai  de  Retz,  et  d'admettre  qua- 
rante hommes  de  cette  garde  à  par- 
tager avec  la  ligne  le  service  de 
l'hôtel -de -ville.  Varna  repoussa 
hautement  cette  sommation,  et  dé- 
clara quil  ne  consentirait  à  la  reu- 
nion d'une  garde  nationale  orga- 
nisée par  le  préfet  qu'après  la  dis- 
persion immédiate  du  bataillon 
insurrectionnel.  Le  préfet,  long- 
temps indécis,  consentit  à  l'admis- 
sion demandée,  moyennant  le  li- 
cenciement de  ce  corps.  Le  négo- 
ciateur de  la  sédition  se  présenta  à 
la  tête  des  quarante  hommes  cou- 
venus,  mais  il  trouva,  k  sa  grande 
surprise,  les  portes  de  l'hôtel  fer- 
mées. Introduit  seul,  il  se  plaignit 
vivement  de  l'iiitidélité  du  pretet; 
et,  posant  sa  montre  sur  la  table, 
autour  de  laquelle  étaient  groupées 
les  autorités,  il  déclara  que.  si  dans 
une  demi-heure  la  porte  n'était 
pas  ouverte  à  sa  compai^nic,  sos 
amis  s'empareraient  de  vive  force  de 
l'hôtel.  Le  général  Rouget,  qui  com- 
mandait le  département  (1),  lui  ré- 
pondit avec  beaucoup  de  fermeté; 
Verna  l'exhorta  a  se  retirer,  et  le 
préfet  remit  au  commandant  divi- 
sionnaire l'autorisation  de  repous- 


(1)  Ce  général  était  le  frère  de  1' 
teur  Ue  la  MametUaise. 


au- 


VER 

ser  la  force  par  la  force.  Un  conflit 
paraissait  imminent,  mais  il  fut  dé- 
tourné par  la  défection  d'un  régi- 
ment de  chasseurs,  dont  la  fidélité 
avait  été  ébranlée  par  ces  tergiver- 
sations et  ces  conférences.  Les  qua- 
rante insurgés  furent  introduits; 
ils  justifièrent  les  détiances  de  l'au- 
torité en  soumettant  tous  les  actes 
de  l'administration  à  une  surveil- 
lance rigoureuse  et  en  s'attribuant 
presqu'exclusivement  l'exercice  de 
la  police  locale.  Dans  la  nuit  arriva 
de  Paris  au  commandant  de  la  di- 
vision l'ordre  de  faire  prendre  aux 
troupes  la  cocarde  tricolore  et  de 
reconnaître  le  duc  d'Orléans  comme 
lieutenant  général  du  royaume. 
Celte  circonstance  encouragea  le 
parti  insurrectionnel  à  s'emparer 
ouvertement  de  l'administration. 
Une  commission,  représentée  par 
le  docteur  Prunelle,  vint  demander 
au  premier  adjoint  un  local  à 
l'hôtel-de-ville  pour  y  tenir  ses 
séances.  «  Les  circonstances  sont 
pressantes,  dit  M.  Prunelle  d'une 
voix  altérée ,  les  autorités  de 
Charies  X  n'inspirent  plus  de  con- 
fiance au  peuple;  il  peut  se  porter 
ii  tous  les  excès,  nous  venons  nous 
interposer  entre  vous  et  lui.  —  Je 
ne  sais,  répondit  Verna  avec  calme, 
si  j'ai  perdu  la  confiance  du  peuple; 
ce  que  je  sais,  c'est  que  rien  ne 
pourra  me  déterminer  k  aban- 
donner ni  môme  à  partager  l'auto- 
rité que  je  tiens  du  roi...  Si  vous 
pouviez  lire  dans  mon  cœur,  vous 
verriez  que  je  suis  prêt  adonner  ma 
vie  pour  sauver  la  ville  des  mal- 
heurs dont  elle  est  menacée.  Comme 
individus,  je  vous  engage  à  user 
de  toute  votre  influence  pour  pré- 
venir des  désordres  dont  nous  se- 
rions tous  les  victimes;  mais,  ne 
vous  reconnaissant  pas  comme 
corps  légalement  constitué,  je  ne 


VER 


VER 


321 


puis  accéder  à  votre  demande.  » 
Ce  langage,  si  courageux  en  pré- 
sence des  événements  accomplis, 
imposa  aux  délégués  de  la  com- 
raission,  l'autorité  de  Verna  fut 
respectée,  et  la  garde  nationale, 
réunie  déjà  au  nombre  de  près  de 
deux  mille  hommes,  retourna  pai- 
siblement sur  la  place  d'armes.  Le 
lendemain,  la  commission  renou- 
vela ses  instances.  Verna  crut 
devoir,  en  considération  des  désor- 
dres qui  menaçaient  la  ville,  con- 
céder le  local  demandé,  mais  sous 
la  double  condition  que  ce  comité 
ne  s'occuperai-t  que  de  Torganisa- 
lion  de  la  garde  nationale  et  que  le 
drapeau  blanc  ne  cesserait  pas  de 
flotter  sur  Ihôtel  de  ville.  Comme 
la  multitude,  animée  par  le  succès 
général  de  l'insurrection,  commen- 
çait à  détruire  les  emblèmes  de  la 
royauté,  le  vigilant  m^igistrat  prit 
la  précaution  de  serrer  avec  soin 
les  clefs  du  beffroi  sur  lequel  ils 
étaient  déployés.  Mais  les  chefsmili- 
taires,  perdant  tout  espoir  de  con- 
server Lyon  à  l'autorité  du  roi,  et 
déjà  taxés  de  retard  par  le  nou- 
veau gouvernement,  se  décidèrent 
h  arborer  les  couleurs  de  la  révo- 
lution. Cette  soumission  entraîna 
la  retraite  de  Verna;  mais  il  ne 
quitta  l'hôtel  de  ville  qu'après  atoir 
signé  une  énergique  protestation 
contre  la  violence  de  celte  substi- 
tution, et  emporta  enserelirantrcs- 
time  et  le  respect  des  adversaires 
mêmes  auxquels  il  avait  opposé  une 
si  persistante  lidélité.  «  Attaché 
consciencieusement,  dit  une  rela- 
tion révolutionnaire  du  tem|)s,  aux 
principes  et  aux  chois  du  gouver- 
nement qui  succombait ,  il  s'ef- 
força de  les  défendre  avec  tout  le 
zèle  et  le  dévouement  d'un  homme 
d'honneur,  et  sans  l'arrière-pensée 
d'obtenir  le  pardon  ou  la  faveur  du 

LXXXV 


gouvernement  qui  allait  lui  succé- 
der. Une  pareille  conduite  et  de 
tels  sentiments  sont  trop  rares  de 
la  part  des  hommes  de  la  congré- 
gation pour  ne  pas  mériter  l'appro- 
bation de  ceux  mêmes  qui  les  ont 
combattus  (1).  »  L'injurieuse  apos- 
tille qui  termine  cette  citation  était 
un  hommage  involontaire  à  la 
vertu  des  principes  qui  avaient  ins- 
piré Verna  dans  cette  circonstance 
capitale  de  sa  vie.  Homme  de  de- 
voir parce  qu'il  était  homme  de 
foi,  il  portait  une  de  ces  consciences 
dont  la  pureté  peut  toujours  af- 
fronter sans  trouble  l'épreuve  du 
passage  suprême.  Que  pouvaient 
sur  une  âme  ainsi  préparée  les  vo- 
ciférations de  l'émeute  et  les  me- 
naces de  la  Révolution?  La  mo- 
deste sérénité  du  vaincu  défiait  le 
bruyant  orgueil  des  vainqueurs. 
Complétons  par  un  rapprochement 
cet  intéressant  épisode  de  nos  ré- 
volutions contemporaines.  Quel- 
ques mois  plus  lard,  ce  môme 
docteur  Prunelle,  organe  de  la  sé- 
dition de  juillet,  assailli  à  son  tour 
dans  cet  hôtel  de  ville  d'où  il  avait 
banni  le  maire  de  Charles  X,  se 
voyait  réduit  à  disputer  sa  vie  à  une 
populace  ameutée,  et  l'insurrection 
lyonnaise  de  1830  devait  servir  de 
préface  aux  sanglantes  colli>ions 
de  1831, de  1834,  de  I8i9!  —Éloi- 
gné des  fonctions  publiques,  Victor 
de  Verna  se  dévoua  avec  une  nou- 
velle ardeur  aux  actes  de  bienfai- 
sance dont  l'exercice  avait  rendu 
son  nom  si  recommandablo  aux 
classes  indigentes,  et  déploya  un 
zèle  en  quel(iue  sorte  apostolique 
dans  la  dillusion  des  doctrines 
|)ropres  à  combattre,  dans  tous  les 


(l)  Une  semaine  de  révolution,  ou 
L<jon  en  1830,  par  M.  Murn.nul. 

21 


322 


VEK 


VER 


rangs  de  l'ordre  social,  les  débor- 
denientvS  de  la  licence  et  de  l'im- 
piété. L'admirable  société  de  la 
Propagation  de  la  Foi  destinée  à 
faire  pénétrer  les  lumières  et  les 
bienfaits  d\\  christianisme  dans  les 
contrées  les  plus  reculées  de  l'uni- 
vers, dut  à  son  zèle  et  h  ses  con- 
seils des  perfectionnements  salu- 
taires, et  Lyon  ne  compte  aucune 
institution  charitable  où  il  n'ait 
laissé  des  traces  intelligentes  et 
durables  de  sa  coopération.  La 
bienfaisance  et  la  loyauté  du  carac- 
tère de  Vema  ne  le  mirent  point  à 
l'abri  des  suspicions  ombrageuses 
de  la  police,  lors  de  l'agitation 
que  produisit  en  1832  le  débarque- 
ment delà  duchesse  de  Berry.  Une 
perquisition  eut  lieu  dans  son  do- 
micile; mais  cette  stérile  épreuve 
tourna  à  la  confusion  de  l'autorité 
qui  l'avait  ordonnée,  et  souleva  une 
réprobation  générale.  —  Ce  pieux 
citoyen,  peu  fait  pour  le  siècle  où 
il  vécut,  s'éteignit  le  17  juin  1841, 
après  avoir  béni  ses  nombreux  en- 
fants, et  reçu  quelques  jours  avant, 
de  l'un  d'eux,  récemment  ordonné 
prêtre,  le  sacrement  de  la  (  ommu- 
nion.  La  population  entière  assista 
à  ses  obsèques  par  des  représen- 
tants tirés  de  tous  les  rangs  de  la 
société.  Toutes  les  préoccuj)ations, 
toutes  les  divisions  furent  un  ins- 
tant suspendues  dans  un  sentiment 
universel  de  douleur  et  de  respect; 
«  le  peuple  en  foule  s'était  porté 
au-devant  du  cortège,  et,  par  ses 
larmes,  témoignait  de  sa  vénéra- 
lion  et  de  sa  reconnaissance  pour 
celui  qui  avait  été  le  bienfaiteur  do 
tant  de  malheureux  (1).  »  Victor 
de  Vema,  cultivait  avec  un  goût 
éclaire  les    arts    ei  les  lettres,  et 


(1)  Notice  biographique,  par  M.  Hcz. 


possédait,  dans  son  château  de 
Chaintré,  près  de  Màcon,  une  col- 
lection curieuse  de  livres  et  de  ma- 
nuscrits du  w  siècle  et  de  meu- 
bles d'une  haute  antiquité.  Le  musée 
et  le  cabinet  d'hiatoire  naturelle  de 
Lyon  furent  redevables  à  son 
crédit  momentané  de  plusieurs  ac- 
quisitions importantes.  Il  avait 
reçu  de  Charles  X  la  croix  de  la 
Légion  d'honneur,  et  le  pape  Gré- 
goire XVI  avait  récompensé  par  la 
décoration  de  Saint-Grégoire  son 
zèle  pour  les  missions  étrangères. 
Parmi  les  productions  consacrée» 
k  la  mémoire  de  ce  grand  homme 
de  bien,  nous  citerons  la  Notice 
l/'iographique  publiée  li  l'époque  de 
sa  mort  par  iM.  l'abbé  Bez,  cha- 
noine de  Sainl-Dié  (Lyon  1841),  et 
l'article  inséré  dans  la  Revue  géné- 
rale de  Pâscallet,  par  M.  H.  de 
Lestrées,  Paris,  avril  184G. 

A.  B  —  ÉET. 

VERINEÏLII  DEPUYRASEAU 

(le  baron  Charles-Joseph  de)  homme 
politique  et  historien,  était  de  no- 
blesse périgourdine  et  naquit  aux 
environsdeNontron.il  titdeboimes 
éludes  humanitaires,  suivit  ensuite 
des  cours  de  droit,  prit  ses  grades, 
mais  ne  se  fit  pas  inscrire  au  ta- 
bleau des  avocats  et  se  passa  de 
stage  :  il  voulait  sans  doute  passer 
d'emblée  magistrat.  Survint,  hélas! 
la  révolution  qui  d'un  coup balayasé- 
néchaussces  et  parlements,  lise  con- 
tenta d'être  maire  de  sa  commune, 
d'abord,  puis  de  devenir  membre 
du  conseil  général  de  son  déparle- 
ment (la  Dordogne).  Les  relations 
qu'il  eut  occasion  de  nouer  en  va- 
quant h  ses  nouvelles  fonctions  lui 
procurèrent  bientôt  après  la  prési- 
dence du  tribunal  de  Nontron.  Il 
avait,  on  le  voit,  de  très-bonne 
grAce  pris  son  parti  de  l'ordre  de 
choses  qui  commençait  à  s'installer 


VËK 


VER 


323 


enFranee.  Aussi,  quand  approchè- 
rent les  élections  pour  l'assemblée 
législative  destinée  à  remplacer  la 
constituante,  se  mit-il  sur  les  rangs 
pour  la  députation.  11  fut  un  des 
élus,  et  alla  s'asseoirsur  les  bancs 
de  la  droite,  où,  du  reste,  il  ne  fit  pas 
parier  de  lui.  La  modération  était 
le  fond  de  son  caractère  :  il  ne  re- 
présentait pas  le  royalisme  rétro- 
grade, mais  il  appuyait  d'un  vote 
loyal  la  constitution,  y  compris  la 
royauté.  On  devine  aisément  qu'il 
ne  fiicura  pas  dans  la  convention  : 
évidemment,  en  septembre  1792, il 
n'aurait  pas  trouvé  ce  qu'il  lui  fal- 
lait de  suffrages  pour  continuer  de 
représenter  ses  concitoyens,  mais 
il  ne  les  mendia  pas  non  plus.  11 
se  hâta  de  se  retirer  en  sa  com- 
mune; et  mettant  de  plus  en  plus 
en  pratique  la  devise  du  sage,  hene 
qui  laliiit^  hene  vïxH^  il  traversa  sans 
encombre  la  période  delà  Terreur. 
Lorsque  le  simoun  eut  passé,  il  re- 
leva la  tète  et  alla  remplir  k  Bus- 
sières-Badis  l'office  de  juge  de 
paix,  lequel  ne  fut  pour  lui  qu'un 
intérim,  car  dès  les  premiers  jours 
du  Directoire  nous  le  retrouvons  h 
Paris  même,  au  ministère  de  l'inté- 
rieur, chargé  d'un  bureau  spécial. 
Bientôt  après,  ilsiégeen  qualité  de 
haut-juré  à  la  haute  cour  de  Ven- 
dôme chargé  de  juger  Babeuf.  La 
capacité,  la  fermeté,  le  tact  dont  il 
fit  preuve  en  cette  affaire  lui  furent 
comptés  par  le  gouvernement,  qui 
le  revêtit  en  1799 d'une  présidence 
plus  en  vue  que  celle  de  Nou- 
tron,  la  présidt;nce  du  tribunal 
civil  du  chef-lieu  de  la  Dordo- 
gne.  Cette  preuve  d'estime  du  Di- 
recloire  ne  lui  fut  pas  nuisible  au- 
près de  Tauleur  du  18  brumaire. 
Loin  de  là,  dès  1800  le  premier 
consul  le  fit  prcIVtde  la  Corrèze,  et, 
reconnaissant  en  lui  le   talent  de 


l'organisateur  en  même  temps  que 
l'aptitude  et  l'habitude  adminis- 
trative, dès  que  la  Savoie  devint, 
sousle  nom  de  départementdu  Mont- 
Blanc,  partie  intégrante  de  la  Ré- 
publique française,  c'est  Vcrneilh 
de  Puyraseau  qui,  nommé  préfet 
de  la  récente  acquisition,  alla  la 
régir  et  l'initier  aux  institutions 
françaises,  dont  jamais,  même  aux 
jours  de  Téclipse  de  notre  puis- 
sance, les  fruits  n'ont  été  stéri- 
les et  les  traces  inaperçues  en 
pays  qui  fut  à  nous.  11  y  resta  sept 
ans  de  suite,  et  plus  bas  il  sera  dit 
de  quelle  manière  notamment  il 
mit  «on  séjour  à  profit.  En  1809  il 
retournait  à  Nontron  pour  y  prési- 
der le  collège  électoral  de  cette 
ville.  Ses  concitoyens  le  renommè- 
rent, comme  en  1791,  leur  repré- 
sentant législatif.  Investi  de  nou- 
veau de  ce  mandat  qui  conférait 
si  peu  de  puissance  réelle  alors, 
il  ne  fit,  dans  la  docile  et  muette 
assemblée,  tant  que  persistèrent 
les  prospérités  impériales,  ni  moins, 
ni  plus  que  ses  collègues.  Mais 
quand  la  fortune  abandonna  nos 
drapeaux,  moins  tenace  optimiste 
que  d'autres,  sans  être  traître,  il  se 
rangea  des  premiers  du  côté  de 
ces  politiques  dont  le  peu  do 
foi  dans  l'éloile  de  l'Empire  n'an- 
nonçait pas  un  dévouement  j^i 
toute  outrance  :  il  vota  pour  l'im- 
pression, pour  la  publicité  du  rap- 
portun  peu  tiède, un  peu  sombre, un 
peu  louche,  présiiité  par  Laiué  à  la 
commission  extraordinaire.  On  sait 
la  suite.  La  Restauration  ne  trouva 
diDUc  pas  en  Verneilhde  Puyraseau, 
un  eimemi,  au  contraire,  mais  son 
royalisme  n'était  pas  l'enthousiasme 
brùlautde  ceux  qui  venaient,  après 
vingt-quatre  ans  d'absence,  con- 
danmer  en  bloc,  comme  illégi- 
time, tout  ce  qui  s'était  fait  eu  leur 


2li 


VEK 


absence.  Il  n'avait,  lui,  ni  émi- 
gré ni  coiffé  le  bonnet  rouge; 
il  n'avait  jamais  boudé  1rs  régi- 
mes réguliers  et  calnjes  :  consul 
ou  empereur,  le  grand  homme 
l'avait  toujours  trouvé  prompt 
h  le  comprendre  et  à  le  ser- 
vir. Choisi  derechef  par  les  élec- 
teurs de  >'ontron  pour  siéger  à  la 
Chambre  des  députés,  Verneilh  de 
Puyraseau  s'y  montra,  plus  peut- 
être  que  ne  l'eût  voulu,  soit  l'une, 
soit  l'autre  des  deux  opinions 
qui  divisaient  alors  la  France, 
l'homme  de  la  conciliation  et 
des  tempéraments.  Selon  les  pané- 
gyristes et  champions  de  l'an- 
cien régime,  il  fallait  ne  pas  per- 
dre un  instant  pour  décréter  l'an- 
nulation en  principe  de  toutes  les 
ventes  de  biens  nationaux,  et  le 
gouvernement  de  Louis  XVIII  dé- 
sertait sa  mission  et  trahissait  sa 
faiblesse  en  se  contentant  d'offrir 
au  vole  de  la  Chambre  un  projet 
qui  n'accordait  aux  émigrés  que  la 
restitution  des  biens  non  vendus. 
Verneilh  de  Puyraseau,  après  avoir 
discuté  les  diverses  dispositions  du 
projel(28  octobre;,  demandaqu'aux 
anciens  propriélnires  revinssent  en- 
core, outre  les  immeubles  inven- 
dus, les  biens  cédés  soit  à  la  caisse 
d'amortissement,  soit  aux  hospices, 
mais  que,  moyennant  ces  retours,  il 
AU  bien  entendu,  il  fût  bien  stipulé, 
pour  tranquilliser  à  l'avenir  les  dé- 
tenteurs des  biens  nationaux,  qu'à 
partir  de  ce  moment  nulle  récla- 
jiation  ne  serait  admise,  nulle  pos- 
liôf.'^"  «léserait  attaquée. La  même 
celui''"  'e  vit  encore  à  diverses  fois 
tant  (^*^  .''*  Parole.  Ainsi,  le  2isep- 
dc  Ve^'  ''  ^'"^'^  '^*'^  remarques  fort 
éclairé'^^^^"'''^P''oJet  de  loi  relatif 
jturalisatiod  :  ainsi,  le 27  dé- 

re,  il  défendit  un  amendement 

e  la  commission  au  projet  de  loi 


VER 

sur  la  Cour  de  cassation.  Dans  l'une 
et  l'autre  occavsion,  l'on  peut  dire 
qu'il  se  montra  sinon  brillant  ora- 
teur (ce  n'eût  pas  été  le  cas  d'ail- 
leurs), du  moinsjuriste  délié,  sagace 
et  plein  d'expérience.  Il  faut  croire 
qu'à  l'œuvre  les  amés  et  féaux  des 
Bourbons  lui  semblèrent  de  bien 
chétifs  ouvriers,  car  lors  des  cent 
jours  il  ne  balança  point  à  se  por- 
ter sur  les  rangs  pour  la  Chambre 
dont  la  session  s'ouvrit  en  mai.  Il 
s'y  distingua,  ainsi  que  toujours, 
par  sa  modération.  Le  30  juin, 
donc  quinze  jours  après  Waterloo, 
il  prit  la  défense  de  Malleville  atta- 
qué par  Gareau.  La  seconde  chute 
de  Napoléon  consommée,  et  en  ce 
moment  où  l'exaspération  des  légi- 
timistes triomphants  laissait  présa- 
ger !a  Chambre  introuvable,  il  ju- 
gea peu  prudent  et  fort  inutile 
d'aller  poser  sa  candidature  de- 
vant des  électeurs  de  la  Dor- 
doghe;  et  il  profita  des  loisirs  que 
lui  faisait  la  tension  des  partis  pour 
se  livrer  ii  des  travaux  de  cabinet 
qui  le  consolaient  du  présent  par 
la  contemplation  plus  approfondie 
du  passé.  L'ordonnance  du  5  sep- 
tembre vint  changer  la  face  de 
l'horizon  politique.  Le28aoùtl819, 
l'ancien  préfet  de  la  Corrèze  et  du 
Mont-Blanc,  le  collaborateur  des 
législatures  de  1790,  de  1810-1813 
et  4815  présidait  le  collège  électo- 
ral de  Dordognc,  ce  qui,  comme  à 
l'époque  impériale,  impliquait,  de  la 
part  du  gouvernement,  une  faveur 
avouée  pour  la  candidature  du  prési- 
dent. Du  reste,  il  n'eut  besoin,  près 
des  électeursà  300  francs,  d'aucune 
manœuvre  pour  voir  sortir  son  nom 
de  l'urne  électorale,  il  en  sortit 
d'emblée;  c'élaientd'anciennescon- 
naissances  qui  votaient,  et  l'on  ne 
faisait  que  revenir  à  des  habitudes 
prises,  et,  ajoutons-le  sur-le-champ, 


VER 


VER 


325 


prises  une  fois  pour  toutes.  En  ef- 
fet, il  fit  partie  de  toutes  les  légis- 
latures suivantes  sous  Louis  XVIII 
sous  Charles  X,  et  on  le  revit  môme 
sous  Louis-Philippe,  dont  il  faut 
avouer  d'ailleurs  que  les  allures  et 
la  ligne  politique  étaient  bien  plus 
selon  son  cœur.  Les  siennes  furent 
un  peu  embarrassées  dans  le  com- 
mencement (1819,  etc.},  et  il  ne 
satisfit  pleinement  aucun  des  par- 
tis extrêmes  :  la  gauche  ne  pou- 
vait avoir  très-haute  confiance  en 
celui  qui  se  prononçait  en  prin- 
cipe pour  le  système  électoral  con- 
çu en  haine  du  5  septembre  et 
arraché  au  ministère  que  chaque 
jour  débordaient  un  peu  davan- 
tage les  torys  du  Conservateur; 
en  revanche,  la  droite,  peu  charmée 
déjù  qu'il  eût  voté  contre  les  deux 
lois  d'exception,  fut  bien  autrement 
scandalisée  qu'il  se  ralliAt  à  l'amen- 
dement Boin  qui  maintenait  en 
partie  l'élection  directe.  11  n'échappa 
donc,  pas  à  l'injure  de  celte  quali- 
fication alors  prodiguée  par  les 
absolutistes  pur  sang,  c'est  un  mi- 
nistériel. La  preuve  pourtant  que 
son  entente  d'alors  avec  les  minis- 
tres n'était  rien  moins  que  ser- 
vile,  c'est  qu'il  fut  de  moins  en 
moins  ministériel,  à  mesure  que 
les  amis  du  comte  d'Artois  et  les 
membres  du  gouvernement  occulte 
prirent  le  haut  du  pavé.  Sous 
Charles  X,  il  tut  dans  les  rangs  de 
l'opposition,  excepté  pendant  l'in- 
terrègne Marlignac.  Son  nom  fi- 
gure sur  la  liste  des  deux  cent 
vingt- un.  Nous  avons  tu  plus 
haut  qu'il  siégea  pareillement  sous 
Louis-Philippe.  Il  fui  de  ceux  qui 
lui  décernèrent  la  couronne  per- 
due, k  la  suite  des  ordonnances,  par 
la  branche  ainée  ;  et,  comme  on  le 
pressent  de  reste,  il  vola  constam- 
ment avec  le  parti  conservateur. 


Ce  n'était  que  rester  fidèle  aux  fer- 
mes convictions  de  toute  sa  vie.  Sa 
mort  eut  lieu  en  1839.  Voici  la 
liste  des  ouvrages  sortis  de  sa 
plume  et  dont  les  titres  suffiraient 
seuls  à  mettre  en  relief  la  variété 
de  ses  connaissances  et  la  sou- 
plesse de  son  esprit ,  très-orné, 
très-lettré  ,  quoique  ne  sacrifiant 
qu'au  solide  et  à  l'utile.  L  Projet  de 
Code  rural,  revu  et  augmenté  d'après 
ks  observations  des  commissions  con- 
sultatives. Paris,  1814  in -4".  Nous 
n'avons  pas  besoin  d'insister  sur 
l'importance  dont  serait  pour  notre 
pays  la  codification  ccmplète  de 
toutes  les  dispositions  qui  régissent 
les  campagnes.  C'est  à  l'heure 
même  où  nous  écrivons,  une  des 
préoccupations  majeures  du  Chef 
du  gouvernement,  et  le  Conseil 
d'État  a  reçu  mission  spéciale  d'é- 
laborer ce  travail  législatif  qui  fut 
une  des  idées  de  Napoléon  P'  avant 
d'être  celle  de  Napoléon  IIL  Ce 
n'est  pas  un  médiocre  honneur  pour 
Verneilh  de  Puyraseau  de  s'être 
voué  pieusement  à  la  réalisation 
d'un  des  projets  du  grand  homme 
et  d'avoir  préparé  des  éléments  à 
ceuxauxquelsilest  réservé  de  com- 
pléter l'œuvre.  IL  Statistique  du  dé- 
partement du  Mont-Blanc,  Paris, 
1809,  in-4',  573  pages.  Des  deux 
cents  statistiques  départementales, 
publiées  la  plupart  h  l'instigation 
de  circulaires  impériales  et  qui 
parurent  en  divers  formats,  celle 
du  Mont-Blanc  était,  suivant  les 
amis  de  Verneilh,  la  meilleure  ; 
les  juges  compétents  n'hésileront 
pas  à  la  certifier  une  des  meilleures; 
c'était  une  des  plus  ardues  îi  con- 
struire, vu  la  multitude  des  détails 
topographiques.  On  comprend  assez 
que  l'honneur  ne  saurait  en  reve- 
nir à  Verneilh  seul  ;  mais  il  pro- 
voqua, il  dirigea,  il  coordonna  les 


320 


VRK 


VER 


recheiohes.  Il  lui  fallut  Ue  plus  re- 
chercher nombre  de  docunients 
anciens,  explorer  des  archives,  tra- 
duire ou  faire  traduire.  Enfin  c'est 
lui  qui  méthodisa,  qui  rédigea 
tout.  De  là,  en  somme,  un  ouvrage 
net,  exact,  riche  en  faits, en  rensei- 
gnements, on  résultats  curieux,  neuf 
lorsqu'il  parut,  presque  neuf  en- 
core de  nos  jours,  surtout  pour  la 
France,  et  auquel  la  récente  réan- 
nexion de  la  Savoie  prête  un  inté- 
rêt tout  particulier.  III-IV.  Deux 
ouvrages  historiques,  l'un  et  l'autre 
enfants  d'une  même  idée,  l'un  et 
l'autre  traitant,  mais  sous  des  faces 
différentes,  le  même  sujet,  celui 
qui  tenait  le  plus  au  cœur  de  Ver- 
neilh,  les  destinées  de  sa  patrie. 
Ce  sont  :  1°  V Histoire  politique  et  sta- 
tistique de  ï Aquitaine  ou  des  pays 
compris  entre  la  Loire  et  les  Pyré- 
nées, VOcéan  et  les  Cevennes,  Paris, 
1823-1827,3  vol.,  in-8^;  2'>  Histoire 
de  France,  on  l'Aquitaine  depuis  les 
Gaulois  jusquà  la  fin  du  règne  de 
Louis  ,l'V7, Paris,  1843,3  vol.,  iu-S*», 
L'idée  du  second  écrit  ne  laisse 
pas  d'être  piquante,  quoique  ap- 
partenant à  la  famille  des  puradoxes 
insoutenables;  l'Aquitaine  est  seule 
au  premier  plan,  le  reste  de  la 
France  reste  sur  le  second;  la 
France  n'est  en  quelque  sorte  que 
l'Aquitaine  ornée  d'un  certain 
coefficient.  C'est  trop  girondin  I 
mais  cela  réveille,  et  nous  par- 
donnons... La  Dordogne  est  si 
voisine  de  la  Gironde.  Quant  h  la 
précédente  production,  tirée  en 
majeure  partie  de  la  grande  Hist.  du 
Laufjuedof-  de  dom  Vaisselte,  elle 
a  été  dépassée,  partantéclipsée  par 
Fauriel  ;  elle  n'en  reste  pas  moins 
une  tentative  et,  on  peut  le  dire 
hardiment,  plus  qu'une  tentative, 
éminemment  honoiable  pour  son 
auteur.  V.  Mém^jires  historiques  sur 


la  France  et  sur  la  révolution,  de- 
puis la  fjuerre  de  la  Fronde^  jusqu'à 
la  mort  de  Louis  AT/,  avec  un 
supplément  jusqu'à  la  restauration, 
Paris,  1831,  in-8^  A  toutes  les 
phases  de  notre  histoire  Verneilli 
retrouvait  la  personnalité  de  sa 
chère  Aquitaine.  Nous  ne  par- 
lons pas  de  l'Aquitaine  de  Ca- 
ribert  II  et  de  Waïfre,  de  celle 
d'Assénor  de  Guyenne  et  du  Prince 
Noir.  Mais,  sous  la  régence  d'Anne 
de  Médicis,  c'est  en  Aquitaine  que 
la  princesse  de  Condé  opère  en 
armes  sa  diversion  pour  la  déli- 
vrance de  son  époux  ;  sous  la  Con- 
vention, c'est  de  l'Aquitaine  que 
Charles  IV,  es|)ère  voir  roi  son 
cousin  Louis  XVII;  en  18U,  pres- 
que de  nos  jours,  c'est  de  l'Aqui- 
taine que  part  le  signal  du  retour 
des  Bourbons  et  le  dernier  fait 
d'armes  des  braves  de  Napoléon  ; 
le  maire  Lynch  arbore   les   lis  ii 

Bordeaux,  le  181i;  Soult  bal 

encore  Wellington,  le  10  avril  1814 
à  Toulouse.  Val.  P. 

VERiNKS  (François),  ou  Vernesde 
Luze,  lils  du  célèbre  pasteur  de  ce 
nom  (Uioiiraphie,  t.  xLvni,  p.  238), 
qui,  lui-même,  descendait  d'une  fa- 
mille frani^aisc  protestante  sortie  de 
France,  à  la  suite  de  la  révocation 
de  redit  de  Nantes,  naquit  à  Ge- 
nève le  10  janvier  1705,  lit  au 
collège  de  cette  ville  de  bonnes 
études,  ety  remporta  plusieurs  prix. 
Il  se  voua  de  bonne  heure  à  la 
culture  des  lettres,  ci  ne  tarda  pas 
à  devenir  un  écrivain  distingué.  A 
une  flexibilité  d'esprit  remarquable, 
Vernes  joignait  la  profondeur  du 
moraliste.  Tous  ses  ouvrages  sont 
empreints  d'un  désir  sincère  et 
persévérant  de  concourir  au  pro- 
grès de  l'humanité  et  au  dévelop- 
pement des  saines  doctrines  reli- 
gieuses et  philosophiques.  A  l'âge 


VER 


\ER 


327 


de  11  ans,  il  composa  la  fable  du 
Coq  et  du  Miroir,  qui  lui  valut  la 
faveur  d'être  présenté  à  Voltaire  et 
d'en  recevoir  des  encouragements. 
Le  voya/jenr  sentimental  à  Yverdou, 
qu'il  publia  à  vingt  ans,  est  l'ou- 
vrage qui  a  le  plus  contribué  à  sa 
réputation.  Cet  ouvrage,  qui  a  eu 
plus  de  dix  éditions,  a  été   traduit 
en  plusieurs  langues.  Laurent  de 
Bruïelles   lui  a  donné  une    place 
dans  sa  collection  des  classiques,  et 
le  comte  Ro^derer,  alors  rédacteur 
du  Journal  rf^Prtns.a  consacré  dans 
ce  journal  nu  long  article  ù  cette 
production.  Lié  avec  tous  les  amis 
de  son   père,    Vernes,   dans   ses 
voyages  à  Paris,   fut  accueilli  avec 
empressement  par  les  personnages 
de  la  plus  haute  distinction.  Le  duc 
d'Albon,  la  duchesse  d'Anvilie,  le 
duc  d'Aumont,  l'abbé  Delille,  La- 
harpe,  Raynouard,  d'autres  encore, 
lui     ouvrirent   leur   salon.    Aussi 
bien  reçu  à  Coppet  qu'à  Paris,  où 
M.  Neckerse  fit  un  plaisir  de   l'at- 
tirer, il   fut  honoré  de  l'amitié  de 
madame  de  Staël,  chez   laquelle  il 
retrouva  Charles  de  Sismondi,  son 
parent,   Catrufîo,   le  compositeur, 
Benjamin  Constant, le poéleWerner, 
etc.  Ses  relations  avec  la  baronne 
de  Montaulieii,  Jean-Baptiste  Say, 
Etienne  Dumont  el  Louis  Simon, 
auteur  du  Voyaae  d'un  français  en 
Awjleterrc,  contribuèrent  a  étendre 
sa  réputation.  Vernes   est  mort  à 
Verjoix  prés  Genève,  le  6  avril  1834, 
laissant  deux  fils  :  l'un,  M.  Vernes 
(François),  est   le  traducteur  des 
Avis  aux  jeunes  gens,  de   William 
Cobbet;  l'autre,  M.  Vernes  ,  Théo- 
dore), auteur  de  Saples  et  Ijs  i\'a- 
poiilains,'à  été  élu  en  IHolJ,  membre 
du  consistoire  de  l'église  réformée 
de  Paris.  M.  le  professeur  M  un icr, 
dans  soQ  rapport  sur  l'instruction 
publique  dans  le    canton   de  Ge- 


nève, a  lu,  le  lo  juin  <83o,  dans  la 
cathédrale   de   Saint-Pierre,    à  la 
cérémonie    des     promotions,    les 
lignes  suivantes  consacrées  à   la 
mémoire  de  Vernes  :  «  Je  ne  puis 
«  pas  omettre  de  payer  un  t'ibut 
a  à  la  mémou'e  d'un  de  nos  com- 
«  patriotes,  dont  les  ouvrages  sont 
«  moins  connus  el  moins  appréciés 
«  chez  nous  qu'à  l'étranger.   Irai- 
«  tateur  heureux,  dans  sa  jeunesse 
a  du  profond  et   spirituel  Sterne, 
«  M.  Vernes,  excita  l'attention  pu- 
ce bliqiie  par  son    Voyageur  seuii- 
«  mental  qui  lui  a  attiré    des   cri- 
«  tiques ,    mais     où     des    traits 
«  piquants  et  originaux  lui  valurent 
'.(  les  encouragements  de  quelques 
«  bonsjuges.il  tourna  plus   tard 
«  ses  méditations  sur  des  questions 
«  d'un  ordre  élevé,  et  eut  ii  cœur 
«  de  les  approfondir.  Fermement 
«  convaincu  de  bonne  heure,  et  il 
«  le  devait  sans  doute  à  son  habile 
«  et  respectable  père,  de  la  vérité 
«  de  la  religion,  et  pénétré  de  l'im- 
«  possibilité  d'asseoir  la  morale  et 
«  la  société  sur  aucune  base  plus 
a  solide,  il  consacra  ses  veilles  à 
«  la  démonstration  de  ces  grands 
«  théorèmes,  et  il  a  publié,  dans 
((  les  dernières  années  de  sa  vie, 
«  trois  ouvrages  sur  les  rapports  de 
«  la  morale  et  de  la  politique  avec 
«  la  religion,  qui  sont  des  services 
«  rendus  à  la  cause  qu'il  avait  em- 
u  brassée.  Ces  ouvrages  portent  le 
«  cachet  d'un  esprit  qui  se  com- 
a  plaisait  dans  les  spéculations  les 
«  plus  graves,  d'un  Ciouv  ieli4,ieu\ 
a  et  siMisible,  occupé  du  bonheur 
«  de  l'humaiiiié  et  avide  d'y  con- 
<(  Iribuer.  A  tous  ces  titres,  et  dans 
«  une  époque  où  les  écrivains  de 
«  celte  tendance  sont  rares,  M .  Ver- 
«  nés  n'a  t-il  pas  droit  à  ce  que 
«  nous  déposions  sur  sa  tombe  un 
a  hommage   et  un  regret?  *  Les 


328 


VER 


ouvrages  publiés  par  cet  écrivain 
sont  :  1"  Eloge  de  Jacob    Vernes, 
placé  en  tcte  du  2'  volume  des  Ser- 
mons. Lausanne,  n92.  2"  Adélaïde 
de  Clarence,  2  vol.  in-8o.  3"  Almed, 
3  vol.  in- 12.  Paris,  1815.  4°  Almed, 
ou  le  Sage  dans  Vadversité.  Paris, 
1816.  5°  Les  Aveugles  de  Francon- 
ville,  comédie  en  1  acte  et  en  prose. 
Paris,    1807.   fi"  Nouveaux  Contes 
moraux  en  prose  et  en  vers.  Paiis, 
2  vol.  in-12.  7"  La  Création  ou  les 
premiers  fastes  de  Vhomme  et  de  la 
nature,  poëme  en  six  chants,  1  vol. 
in-18.  Paris,  1804.  8"  la  Deicée  ou 
Méditations   nouvelles    sur    l'exis- 
tence et  la  nature  de  Dieu,  sur  ses 
perfecUons,  ses  œuvres  et  la  desti- 
née de  l'homme,  suivie  à'Elvina, 
tragédie  chrétienne,   1  vol.  in-S». 
Paris,  1823.  9"  La  Duchesse  delà 
Valiière,  tragédie  eu  5  actes  et  en 
vers.  Paris,  1807.  10°  Etrennes  à 
mes  enfants,  conseils    moraux    en 
vers,  suivis  d'un  Théâtre  de  société, 

2  vol.  in-18.  Paris,  1816.  il«  La 
Franciade,  ou  l'Ancienne  France, 
poème  en  seize  chants,  2  vol.  in-18. 
Lauzanne,  1789.  12*^  L'Homme  reli- 
gieux et  moral,  ou  Exposition  des 
principes  et  des  sentiments  les  plus 
nécessaires  au  bonheur  (1),  1  vol. 
in-8o.  Paris,  1829.  13"  Idamora, 
ou  les  Sauvages  civilisés,  3  vol.in-i 2. 
Pai'is,  1827.  U"  Mathilde  au  mont 
Carmel,  continuation  de  Mathilde 
de  madame  Cottin,  2  vol.  iri-12  ou 

3  vol.  in-18.  Paris,  1832.  Une  tra- 
duction en  langue  russe.  15«  Sclin 
AdheloMatilda  en  et  monte  Carmelo, 
traduction  par  I).  Manuel  Antonio 


(1)  A  l'époque  de  la  publication  de 
ce  livre,  un  père  de  famille  se  présenta 
chezl'édit-iir  en  lui  en  demandant  cinq 
exemplaires,  et  en  ajoutant  :  <  J'ai 
quatre  enfants,  et  je  veux  que  chacun 
d'eux  ait  ce  livre  entre  les  mains.  » 


V€R 

Gabat.  P^ris,  1816,  2  vol.  iii-18. 
10°  Odisco  et  Felicie,  ou  la  Colonie 
des  Florides.  Paris,  1803,  2'^  édit., 
1807.   17°  Poésies  fugitives,  1   vol. 
in-8°.  Neuchatel,  1782.  Autre  édit. 
à  Londres,  Cazin,  1786.  18°  Rose 
blanche.  Princesse  de  Nemours,  nou- 
velle historique,  suivie  de   contes 
moraux,  2  vol.  in-12.  Paris,  1826. 
19«  Seymour,  ou  Quelques  mots  du 
secret  du   bonheur,   2   vol.   in-8", 
Paris,  1834..  20°  Théâtre  de  ville  et 
de  soci(^^^, précédé  des  Contesmoraux 
et  dos  Novateurs  gascons,  ou  Préser- 
vatif contre  lamaniedes  révolutions, 
facétie,  2  vol.  in-8".  Paris,  1820. 
21"  Voyage  épisodique  et  pittoresque 
aux  glaciers  des  Alpes,  suivi  de  la 
Duchesse  de  la  Vallière,    tragédie 
en  o  actes  et  en  vers  et  des  Aveugles 
de   Franconville,  comédie,  1    vol. 
in-12.  Paris,  1807.  2^  édit.,  1808. 
22"  Voyage  sentimental    en  France 
sous  Robespierre.   Genève,  i   vol. 
in-12.  23"  Le  Voyageur  sentimental, 
ou  Ma  promenade  à  Yverdon.  Lau- 
zanne, 1786,  un  vol.  in-12.   Lon- 
dres, 1780.  Dresde,  1787.  Bruxel- 
les. Autre    édition   augmentée    et 
suivie  du  deuxième  voyage  fait  par 
l'auteur,  quarante  ans  après,  2  vol. 
in-<2.  Paris,   1825.  24"   V Homme 
politique  et  social,  ou  Exposition  des 
principes  fondamentaux  de  l'état  so- 
cial et  des  devoirs  qui  en  dérivent, 
\  vol.  in-8".  Paris,  1831.  V. 

VERNET  (Garle),  peintre  d'his- 
toire, né  à  Bordeaux  en  1758  et 
mort  à  Paris  en  1835,  a  soutenu 
par  son  grand  talent  l'illustration 
acquise  ii  son  nom  j)ar  son  père 
Joseph  Ver[)et,  célèbre  peintre  de 
marine.  Les  dispositions  de  cet  ar- 
tiste pour  le  dessin  et  la  peinture 
se  manifestèrent  de  si  bonne  heure 
et  avec  un  tel  éclat  que,  dès  son 
enfance,  on  le  regardait  comme 
devant  être   un  grand   artiste.    Il 


VER 


VER 


329 


avait  bien  dans  l'œil  et  dans  la 
main  les  qualités  propres  ii  justi- 
fier ces  espérances  ;  mais  sa  légè- 
reté, la  bizarrerie  de  son  caractère, 
furent  des  obstacles  au  dévelop- 
pement sérieux  de  son  talent.  De 
très-bonne  heure,  des  dispositions 
d'esprit  contraires  paraissent  avoir 
altéré  l'équilibre  de  son  caractère. 
Ainsi,  dans  sa  jeunesse,  aimable, 
élégant,  rechercha  de  la  haute  so- 
ciété où  l'avait  introduit  son  père, 
il  s'y  faisait  particulièrement  re- 
marquer par  le  talent  futile  qu'il 
avait  déjî),  et  qu'il  a  conservé  jus- 
qu'à ses  derniers  jours,  de  faire  des 
calembours,  ainsi  que  par  son 
goût  pour  l'équitalion  et  la  chasse. 
Puis,  en  opposition  à  ces  goûts  pu- 
rement mondains,  ce  jeune  artiste, 
dont  le  talent  était  déjà  apprécié, 
devint  d'une  dévotion  presque  exa- 
gérée, qu'il  a  cependant  trouvé 
moyen  de  concilier,  pendant  toute 
sa  vie,  avec  son  goût  pour  les  plai- 
sirs du  monde.  Avec  un  esprit  ob- 
servateur et  un  œil  qui  retenait 
bien  ce  qu'il  avait  vu,  au  fond, 
Carie  Vernet  était  un  homme  léger, 
ne  tendant  ni  dans  sa  vie  ni  dans 
son  art  vers  un  but  fixe,  et,  par 
cela  mêmn,  ayant  été  entraîné  h 
disséminer  lesefTorts  de  son  talentau 
lieu  de  les  concentrer.  En  effet,  la  va- 
riété des  sujets  qu'il  a  traités  justifie 
véritable  cette  observation,  et  le 
grand  nombre  des  spirituelles  cari- 
catures qu'il  a  produites  avec  une 
incroyable  facilité,  est  peut-être  la 
portion  de  toute  son  œuvre  où  se 
développe  avec  le  plus  de  verve  io 
caractère  de  son  talent.  11  se  fit 
connaître  cependant  par  un  ouvrage 
d'un  caractère  sérieux.  Obéissant 
au  goût  qui  régnait  vers  178S,  il 
entreprit  une  vast(!  composition,  le 
Triomplw  de  Paul  Emile,  qui  lui  ou- 
vrit les  portes  de  l'Académie.  Dans 


ce  tableau,  que  l'on  verrait  encore 
avec  plaisir,  on  remarqua  surtout 
l'art,  en  quelque  sorte  nouveau  à 
cette  époque,  avec  lequel  les  che- 
vaux y  sont  traités.  Aux  formes  con- 
ventionnelles que  les  peintres  d'his- 
toire avaient  données  jusque-là  k 
ces  animaux,  le  jeune  G.  Vernet 
substitua  celles  qu'en  sa  qualité 
d'écuyer  il  avait  observées  sur  lana- 
ture.  Au  nombre  des  autres  ou- 
vrages d'un  style  sérieux,  nous 
mentionnerons  seulement  les  Cour- 
ses de  chars  pour  les  funérailles  de 
Patrocle,  une  suite  de  fort  bons 
dessins  représentant  les  principaux 
faits  d'armes  de  la  fameuse  cam- 
pagne de  1797  en  Italie,  et  la  Morl 
d'Hippoljjte.  Mais  le  tableau  capital 
de  C.  Vernet  est  la  Bataille  de  Ma- 
rengo,  exposée  au  salon  de  180i, 
aujourd'hui  l'un  des  ornements  des 
galeries  historiques  de  Versailles. 
L'ordonnance  de  cette  fameuse 
composition  est  très-pittoresque, 
et  ce  qui  relève  cette  qualité  est  le 
soin  qu'a  pris  l'artiste  de  ne  négli- 
ger aucun  des  détails  qui  se  rap- 
portent il  la  stratégie,  en  sorte  cpie 
tous  les  sjiectateurs,  simples  cu- 
rieux ou  militaires  instruits,  sont 
pleinement  satisfaits  en  le  voyant. 
En  1804,  l'heureuse  alliance  du  pit- 
toresque et  de  la  stratégie  dans  un 
tableau  de  bataille  était  une  inno- 
vation, et  c'est  à  Carie  Vernet  qu'on 
la  doit.  Ce  tableau  est  son  chef- 
(•'(euvre  dans  le  genre  sérieux,  et 
sera  toujours  mis  au  nombre  des 
bons  ouvrages  de  cette  époque. 
QuRut  îi  la  partie  familière  et  comi- 
que de  son  (luivre,  elle  est  bien 
plus  considérable  et  plus  variée.  La 
passion  de  cet  artiste  pour  les  che- 
vaux, ré(|uitation  et  la  chasse  lui 
ont  fait  imj)roviier  une  suite  de  ta- 
bleaux et  de  dessins  dont  les  gra- 
vures recherchées  avec  empro^e- 


330 


VER 


ment  lorsqu'elles  parurent,  sont 
soip:neusement  conservées  aujour- 
d'hui par  les  amateurs.  Ce  sont  des 
courses  de  chevaux  et  de  chars  au 
Champ-de-Mars  sous  le  Directoire, 
des  calèches  remplies  de  dames 
élégantes  et  entourées  de  jeunes 
cavaliers.  Puis  des  chasseurs  au  tir, 
des  trains  d'artillerie  légère,  des 
lendez-vous  de  chasse  et  les  exer- 
cices de  Franconi,  le  tout  accompa- 
gné d'une  multitude  de  dessins  de 
chiens  de  chasse,  dont  le  caractère 
et  les  allures  sont  saisis  de  la  ma- 
nière la  plus  vraie  et  la  plus  spiri- 
tuelle. Mais  C.  Vernet  a  une  |)lace 
à  part  parmi  les  dessinateurs  et 
peintres  de  caricatures.  11  s'est  par- 
ticulièrement adonné  k  ce  genre  à 
deux  époques  :  sous  le  Directoire 
et  en  1815,  lorsque  les  Anglais  vin- 
rent en  foule  à  Paris.  Ces  carica- 
tures ont  presque  un  caractère 
historique,  car  pour  ceux  qui  ont 
vécu  à  ces  époques,  les  gravures 
des  Incroyables  et  des  Merveilleuses 
ne  sont  que  des  portraits;  ce  sont 
les  originaux  qui  fournissaient  la 
caricature.  Celui  des  deux  Incroya- 
bles, vu  de  protil  et  tenant  son  cha- 
peau à  la  main,  est  la  ressemblance 
exacte  de  Carat,  également  célèbre 
sous  le  Directoire  par  ses  ridicules 
et  par  la  perfection  de  son  chant. 
Quant  aux  Anglais  et  Anglaises  de 
1815,  c'est  la  vérité  même.  Ce  pein- 
tre, C.  Vernet,  est  également  vrai 
et  pins  plaisant  encore  dans  des  ca- 
ricatures animées  par  son  imagi- 
nation. Rien  n'est  plus  drôle 
qu'une  des  dernières  qu'il  a  pein- 
tes. C'est  le  trouble  que  cause  le 
fracas  d'une  diligence  traversant  la 
rue  étroil<*  d'un  petit  village.  Les 
chiens  qui  aboient,  les  oies  qui 
s'enfuient,  les  enfants  et  les  fem- 
mes qui  risquent  de  se  faire  écraser 
pour  satisfaire  leur  curiosité,  tous 


VER 

ces  détails  sont  exprimés  de  main 
de  maître.  Il   faut  en  dire  autant 
des  scènes  d'animaux  et  de  chiens 
savants  qu'il  représente  avec  leurs 
costumes    grotesques,     et    d'une 
foule  d'autres  sujets  analogues  qu'il 
jetait  sur   le  papier  avec  une  faci- 
lité extrême,  et  que  l'on  s'empres- 
sait de  reproduire  par  la  gravure. 
Son  œuvre  gravée  etlithographiée, 
qui  se  trouve  à  >la  bibliothèque  de 
la  rue  Richelieu  est  considérable  et 
présente  les  scènes  les  plus  graves 
ainsi  que  les  plus  comiques  qui  ont 
en  lieu  pendant  l'existence  de  l'ar- 
tiste. Si  cet   homme,   d'une   rare 
habileté,  ne  se  fût  pas  trouvé  placé 
entre  son  père  Joseph  et  son  lils 
Horace,  ses  ouvrages  auraient  sans 
doute  donné  plus  d'éclat  à  son  nom, 
si  ce  n'est  par  leur  perfection,  du 
moins  par  leur  originalité.  La  vie 
de  Carie  Vernet  a  été  calme  ;  il  l'a 
passée  en  cultivant  agréablement 
son  art,  en  fréquentant  le  monde, 
en  satisfaisant  son  goût  pour  l'équi- 
tation,  entremêlant  toutes  ces   oc- 
cupations de  pratiques  religieuses, 
qu'il  a  observées  pendant  tout  le 
cours  de  son  existence.  Comme  sa 
vie,  sa  mort  a  été  douce.  Sans  am- 
bition, il  s'est  trouvé  heureux  d'être 
le  fils  d'un  artiate  célèbre  et  le  père 
de  M.  Horace  Vernet,  dont  il  a  vu 
avec  bonheur  se  développer  le  ta- 
lent  qui    lui  a    fait  acquérir  une 
gloire  solide.  Les  dernières  paroles 
prononcées  par  C.  Vernet  quelques 
heures  avant  sa  mort  donnent  une 
idée  juste  de  son  caractère  et  résu- 
ment  en    quelque    sorte    sa    vie. 
Admirateur  du  talent  de  son  père 
et   de   celui   de  son    /Ils  :   «  C'est 
singulier,    dit-il,    près   de   rendre 
l'esprit,  comme  je   ressemble   au 
grand  dauphin,  fils  de  roi^  père  de 
roi...  el  jamais  roi.  »     E.-J.  D.  L. 
VERiMÈUES,  général  français. 


VER 


VER 


331 


était  au  service  dès  avant  la  Révo- 
lution. Lorsque  la  coalition  faillit 
s'ouvrir  nos  frontières,  il  fut  de 
ceux  qui  ne  crurent  pas  l'armée 
désorganisée,  parce  que  neuf  offi- 
ciers sur  dix  avaient  délaissé  le 
drapeau  qui  devenait  celui  d'un 
peuple.  Sa  bravoure,  qu'accompa- 
gnaient d'autres  qualités  non  moins 
essentielles,  eut  alors  maintes  oc- 
casions de  se  déployer,  et  son 
avancement  fut  rapide.  Il  comman- 
dait un  bataillon  d'artillerie  en 
1706,  au  siège  de  Mantoue.  Nous 
le  retrouvons  général  en  1799,  et, 
comme  tel,  il  fît  partie  de  laseconde 
expédition  en  Irlande.  Passant  en- 
suite d'une  mer  ù  l'autre,  de  l'ar- 
chipel britannique  aux  iles  Ionien- 
nes, il  rendit  des  services  au  siège, 
bientôt  suivi  de  la  prise  de  Corfou. 
Vers  la  fin  de  1800,  il  alla  ensuite 
tirer  les  corollaires  de  la  campagne 
de  Marengo,  non  en  Italie  même  et 
dans  les  belles  plaines  entre  l'Olona 
et  l'Adriatique,  ce  qui  n'eût  été 
pour  lui  qu'un  intermède  agréable 
sinon  un  délassement,  mais  dans 
les  montagnes  des  Grisons  et  du 
Tyrol,  où  ses  opérations  étaient  des 
plus  pénibles.  Il  s'y  distingua  de 
nouveau,  et  nul  doute  qu'il  n'eût 
atteint  ii  la  longue,  et  peut-être 
sous  peu  d'années,  les  premières 
dignités  militaires,  s'il  n'eût  été 
prématurément  emporté  vers  le 
commencement  de  l'Empire.     B. 

VKllNIN  '1*ierre-Jea>\  membre 
de  nos  j)remières  assemblées  déli- 
bérantes, était,  avant  la  Uèvoluiion, 
lieutenant  général  du  présidial  de 
Melun,  sa  ville  natale.  Le  temps 
venu  où,  pour  remédier  an  déficit, 
Louis  XVI  convoqua  les  états  géné- 
1  aux  en  iiccordiuil  duuble  représen- 
lalion  au  tiers,  il  l'ut  un  des  élus  de 
ce  dernier.  Rien  de  surprenant  donc 
li  ce  qu'il  ait  voté  des  deux  mains 


tout  ce  qui  devait  rendre  à  îa  mo- 
narchie décrépite  sa  verdeur,  à  la 
monarchie  obérée  des  caisses  bie». 
remplies  et  du  crédit,  k  la  monar- 
chie sans  cesse  bridée  par  ses  par- 
lements ,  par  l'aristocratie  terrienne 
et  par  de  vieilles  routines  dites  li- 
bertés provinciales,'^  la  franchise 
d'allures  sans  lesquelles  il  n'est  pas 
de  gouvernement,  en  d'autres  ter- 
mes qu'il  ait  volé  la  fusion  des  trois 
ordres,  la  péréquation  de  l'impôt, 
l'abolition  des  privilèges  et  finale- 
ment la  constitution,  y  compris  la 
constitution  civile  du  clergé.  Mais 
il  n'entendait  point  aller  au  delà, 
et  il  se  tint  parole  k  lui-même. 
Lorsque  des  élections  nouvelles 
eurent  lieu  pour  remplacer  la  Cons- 
tituante par  la  Législative,  il  ne  se 
mit  point  sur  les  rangs,  la  loi  dé- 
fendant atout  constituant  de  figurer 
à  la  seconde  assemblée.  Encore 
moins  en  fut-il  tenté,  bien  que  nulle 
interdiction  ne  l'ècartât,  lorsque  la 
législative  s'effaça  pour  faire  place 
il  la  Convention.  Il  eût  été  plus 
chevaleresque  peut-être  de  revenir 
alors,  afin  de  contenir  les  passions 
qui,  chaque  jour  plus  incandescen- 
tes, menaçaient  de  réduire  en 
cendres  tout  l'édifice  social.  Mais 
on  ne  pouvait  s'attendre  à  trouver 
un  ci-devant  lieutenant  au  présidial 
très-chevaleresque,  et  il  faut  avouer 
que  Vernin,  non-seulement  aurait 
échoué,  mais  aurait  échoué  sans 
'gloire.  Loin  de  manier  la  parole  avec 
le  brio  et  la  facilité  des  Girondins, 
il  n'avait  jamais,  pendant  ses  deux 
ans  dp  la  constituante,  abordé  la 
tribune,  non  qu'il  en  fût  incapable 
de  tout  point,  mais  sou  talent  ora- 
toire demandait  une  température 
un  peu  moins  vesiivienne,  et  une 
atmosphère  un  peu  plus  calme. 
Telle  fut,  relativement  au  passe  du 
moins,  la  période  qui  suivit  la  chute 


,332 


VER 


VER 


de  Robespierre.  Vernin  alors  recher- 
cha de  nouveau  les  suffrages  de 
ses  compatriotes,  et  de  nouveau  les 
obtint.  11  alla  siéger  trois  ans  au 
conseil  des  Anciens;  il  y  parla  même, 
mais  sur  des  sujets  qui  ne  passion- 
nent point,  sur  des  matières  de 
judicature.  Le  11  février  1797  il 
vota  le  rejet  de  la  résolution  qui 
soumet  à  la  cassation  les  déclara- 
tions opposées  des  juges  sur  les 
mêmes  faits.  Désigné  par  le  sort 
pour  sortir  du  conseil  le  20  mai 
1798,  il  se  rejeta  sur  la  carrière 
judiciaire.  Sous  l'Empire,  il  passa 
comme  conseiller  à  la  cour  impé- 
riale de  Riom,où  plus  tard  il  devint 
président  de  chambre.  Sa  mort  eut 
lieu  en  d84o.  L.  C. 

VERMNAC  (Jean)  ,  religieux  bé- 
nédictin de  St-Maur,  qu'on  ne  con- 
fondra point  avec  les  deux  Verninac 
de  St-Maur,  dont  il  est  parlé  tome 
XLviii,  pages  255-2S7  (1),  naquit  à 
Souillac,  diocèse  de  Gahors,  le  1^' 
mars  1090.  Se  destinant  k  la  vie  re- 
ligieuse, il  entra  dans  la  congréga- 
tion de  Saint-Maur,  et  j)rononça  ses 
vœux  dans  rabbayedeSainl-Allire 
de  Clermont,  le  20  décembre  1708. 
11  fit  d'abord  le  cours  d'études  usité 
dans  la  congrégation,  puis  les  su- 
périeurs lui  donnèrent  ou  lui  per- 
mirent le  séjour  du  monastère  dit 
les  RIancs-Manteaux,  dans  le  quar- 
tier du  Marais,  à  Paris,  pour  y  co- 
opérer il  une  entreprise  littéraire. 
J'ignore  qu'elle  était  la  nature  de 
cette  entreprise;  mais  il  est  plus 
que  probable  qu'elle  favorisait  le 
jansénisme,  car  lui  et  ses  compa- 
gnons furent  obligés  à  quitter  la 
maison  des  Blancs-Manteaux,  qui 
était,  dans  le  dernier  siècle,   un 


(1)  Ils  étaient  du  moins  ses  compa- 
rlotes  et  probablement  ses  parents. 


des  foyers  les  plus  ardents  de  la 
secte,  et  même  a  quitter  Paris.  On 
l'envoya  au  colline  de  Saint-Ger- 
mer,  et  ensuite  à  l'abbaye  d'Vvry 
pour  enseigner  la  jeunesse.  Les 
supérieurs  le  nommèrent  en  172G 
à  la  place  de  bibliothécaire  du  mo- 
nastère de  Bonne-Nouvelle,  îi  Or- 
léans, place  qu'il  a  occupée  pen- 
dant vingt-deux  ans,  h  la  grande 
satisfaction  du  public.  Ses  connais- 
sances étendues,  surtodt  en  his- 
toire, lui  concilièrent  l'estime  des 
hommes  savants.  Les  religieux  de 
sa  congrégation,  qui  travaillaient 
sur  la  métropole  de  Paris,  pour  le 
nouveau  Gallia  christiana^  le  priè- 
rent de  leur  fournir  des  mémoires. 
Verninac  se  rendit  volontiers  à 
leurs  désirs;  il  employait  le  temps 
des  vacances  de  sa  bibliothèque  à 
visiter  lei  archives  des  cathédrales 
de  Chartres,  de  Blois  (2)  et  d'Or- 
léans, et  des  abbayes  situées  dans 
ces  diocèses.  Il  prenait  des  notes 
exactes  et  les  mettait  en  ordre  pour 
les  envoyer  aux  auteurs  du  Gallia 
Chrisliana,  mais  il  tirait  plus  d'un 
parti  de  ses  investigations;  rien 
n'échappait  à  ses  recherches,  et 
jusqu'à  la  destruction  des  monas- 
tères, on  conserva  dans  le  sien  ces 
extraits  de  titres  avec  des  réflexions. 
Ces  matériaux  curieux  sont  peut- 
êtreâujourd'hui  il  la  bibliothèque  pu- 
blique d'Orléans.  En  récoltant  pour 
le  GalUa  chmtiana,  il  s'aperçut  que 
quelques-uns  des  titres  qui  lui  pas- 
saient sous  les  yeux  pouvaient  être 
utiles  à  des  familles  nobles,  pour 
éclaircir  leurs  généalogies,  et  il 
leur  en  fit  la  remarque.  La  manière 


(1)  L'église  de  Blois  ne  pouvait  lu 
être  d'un  grand  s^ccours  en  tant  que 
cathédrale,  car  le  siège  épiscupal  de 
cette  ville  était  d'institution  récente. 


VER 

dont  il  leur  en  rendît  compte,  leui' 
lit  connaître  combien  il  était  pro- 
pre lui-même  à  cette  science  spé- 
ciale. Le  premier  qui  l'apprécia  fut 
M.  d'Oriéans  de  Villechauve,  avec 
lequel  il  était  lié  d'amitié,  et  au- 
quel il  accorda  volontiers  de  se 
charger  de  mettre  en  ordre  les  ti- 
tres de  sa  famille.  Tl  le  fit  en  effet 
avec  tant  de  soin  et  de  talent, 
qu'il  mit  cetie  généalogie  en  état 
d'être  imprimée  dans  le  troisième 
registre  de  l'Armoriai  fjénéral.  Par 
attrait  el  par  le  désir  d'être  utile, 
domVerninac  se  livra  presque  tout 
entier  à  ce  genre  d'étude  ;  il  exa- 
mina les  titres  de  plusieurs  familles, 
les  mit  en  ordre,  et  fixa  l'antiquité 
de  plusieurs  maisons  nobles,  anti- 
quité qu'elles  n'avaient  connue  jus- 
que alors  que  par  tradition.  Ce 
goût  et  celte  préférence  d'éludé 
pour  l'éclaircissement  des  généalo- 
gies se  sont  vus  en  plusieurs  reli- 
gieux. On  apprécie  les  utiles  tra- 
vaux du  père  Anselme;  cependant 
quelques  personnes  blâmèrent  dom 
Verninac  de  porter  là  ses  soins  et 
son  application  ;  mais  leur  critique 
était  à  la  fois  déplacée  et  injuste, 
puisque  sa  régularité  monastique 
n'en  souffrait  en  rien.  Déjà  des 
j)articuliers  avaient  d'eux-mêmes 
publié  de  grandes  histoires  de  pro- 
vinces ou  de  villes  particulièces, 
tels  que  le  [)ère  Lobiueau,  par 
exemple,  qui  avait  donné  V Histoire 
de  Drelagiie.  La  congrégation  d* 
Saint-Maur  comprit  l'avantage  (ju'il 
y  auraità  publier  riiistoire  spéciale 
de  chaque  province,  et  on  eu  forma 
le  |)rojet.  Connaissant  combien  l'é- 
rudition de  dom  Verninac  pouvait 
être  utile  pour  seconder  ce  projet, 
elle  le  chargea  de  l'histoire  du 
Herri.  Verninac  accepta  avec 
obéissance  et  peut-<'tre  avec  joie 
cet  ordre    des  supérieurs  ,  mais 


VER 


333 


comme  il  connaissait  l'étendue 
de  la  mission  qu'on  lui  confiait 
et  se  voyait  déjà  avance  en  âge,  il 
se  fit  associer  un  de  ses  confrères, 
dom  Guillaume  Gerou  (1), religieux 
très-apte  à  ce  genre  de  travail.  11 
fit  plusieurs  voyages  dans  le  Berri, 
pour  y  recueillir  les  maîériaux  qui 
lui  étaient  nécessaires.  En  1746,  il 
fut  saisi,  à  Bourges,  d'une  fièvre 
maligne  qui  le  conduisit  jusqu'au 
tombeau;  il  n'eut  depuis  qu'une 
santé  chancelante  et  mourut  le 
29  février  1748,  muni  des  sacre- 
ments de  l'Eglise.  Dom  Verninac 
était  fort  abstrait;  c'était,  dit-on, 
l'application  à  l'étude  et  aux  exer- 
cices de  piété  qui  l'avait  rendu 
tel.  A  beaucoup  de  pénétration  il 
joignait  la  justesse  d'esprit  et  une 
excellente  mémoire,  qui  lui  servait 


(l]  Dom  Gcrou  était  natif  d'Urlcaub, 
et  fit  profession  à  l'âge  de  dix-sept  ans, 
dans  l'abbaye  de  Vendôme,  le  i20  juil- 
let 1718.  Après  ses  études,  il  alla  pro- 
fesser à  Pout-Levoy.  A  la  mort  de  dom 
Verninac,  il  resta  seul  charge  de  VHis- 
tuire  du  Berri.  Quoiqu'il  eut  du  goût 
pour  ce  genre  de  recherches  et  qu'il  eût 
amassé  des  matériaux  pendant  plu- 
sieui*s  années,  se  défiant  de  ses  forces, 
il  se  borna  à  perfectionner  la  BibliO' 
thcque  des  auteurs  du  Berri,  conmien- 
cée  par  dom  Méry.  Les  matériaux  de 
cette  BiljliolhèqHC  et  Us  autres  recueil- 
lis par  (ierou  passèrent  aux  mains  de 
dom  Turpin,  religieux  de  Saint-(Jer- 
main-des-Prés.  Gerou  fut  aussi  charge 
de  mettre  en  ordre  la  liibliothèquc  de 
TuJirainCf  (oniposée  par  dom  Liron.  11 
composa  ensuite  en  quatre  ans  la  /^»- 
bliothdque  dc^  auteurs  de  VOrlêanais 
Aucune  de  ces  trois  Bibliothèques  n'a 
de  imprimée,  croyons-nuus.  Il  travailla 
a  la  Collection  des  Charles,  entreprise 
par  les  bénédictins  de  Saint-Maur,  en 
vertu  d'un  ordre  du  ministre  llertin. 
Dom  (ierou,  distingué  par  sou  amour 
du  tiavail  et  s;i  régularité,  mourut  à 
l'abbaye  Saint-Benolt-sur-Loire  (aujour- 
d'hui département  du  Loiret),  le  27 
avril  17G7. 


33/r 


VEH 


beaucoup,  surtout  dans  ses  éludes 
généalogiqnes.  Il  était  en  relation 
avec  plusieurs  savants, entre  autres 
avec  racadémicien  Foncemagne 
(Voy.  Foncemagne,  XV,  162),  au- 
quel il  adressa  une  dissertation  où 
il  prétend  prouver  que  la  seconde 
et  la  troisième  race  des  rois  de 
France  descendent  de  la  première. 
Il  adressa  au  célèbre  abbé  Lcbeuf 
une  autre  dissertation  pour  mon- 
trer que  le  Gebamim^  dont  parle  Cé- 
sar dans  son  Commentaire,  est  la 
ville  d'Orléans,  et  non  pas  la  ville 
de  Gien,  comme  le  prétendait  son 
adversaire.  Ces  deux  dissertations 
étaient  restées  manuscrites  au  mo- 
nastère de  Bonne-Nouvelle,  à  Or- 
léans. Quelque  temps  avant  de 
mourir,  A.  Verninac  lit  imprimer  le 
supplément  au  Catalogue  de  la  bi- 
bibliothèque  publique  d'Orléans. 
Dom  Tassin,  dans  son  Histoire  lit- 
téraire de  la  congrégation  de  Saint- 
Maur^  dom  François,  dans  sa  Biblio- 
thèque générale,  vantent  les  quali- 
tés de  dom  Verninac  et  sa  tendre 
piété.  Mais  il  y  a  un  point  sur 
lequel  ils  gardent  le  silence  :  Ver- 
ninac était  janséniste,  et  lorsque, 
après  le  chapitre  tenu  eu  1733,  et 
dans  lequel  la  congrégation  prit 
des  mesures  pour  réprimer  les  ef- 
forts et  les  intrigues  de  la  secte 
qui  la  minait  et  finit  par  la  perdre 
presque  tout  entière,  dom  Sarrazin 
eut  été  nommé  visiteur  de  Bourgo- 
gne, 'd}d  visite  qu'il  fit,  en  n3o, 
au  monastère  de  Bonne-Nouvelle, 
à  Orléans,  Verninac  fut  un  de  ceux 
qui  ue  voulurent  point  reconnaître 
son  autorité  et  protestèrent  contre 
ses  actes.  Au  reste,  il  avait  des 
formes  polies  et  vraiment  religieu- 
ses qui  lui  conciliaient  le  respect  et 
raffeclion.  H  a  beaucoup  étudié  et 
jreu  publié;  il  mérite  une  place 
dans  la  Biographie  universelle  pour 


VES 

rappeler  une  fois  de  plus  qu'il  y  a 
des  milliers  d'hommes  érudils  et 
savants,  surtout  de  la  classe  des 
religieux  et  du  clergé,  dont  le  nom 
est  resté  obscur,  et  quelquefois 
tout  à  fait  inconnu  dans  la  républi- 
que des  lettres,  à  laquelle  ils  ont 
été  pourtant  si  utiles.      B. — d— e. 

VERVOOllT  (adrien),  avocat  à 
la  cour  royale  de  Paris,  était  belge 
de  naissance,  et  très-religieux  en 
même  temps  que  très-éclairé.  H 
fut  plus  remarqué  comme  consul- 
tant que  comme  orateur,  et  comme 
écrivain  habile  que  comme  prati- 
cieu.  Sa  mort  eut  lieu  en  1840.  On 
a  de  lui  l' la  Liberté  religieuse  se- 
lon la  charte,  Paris,  1830,  in-8,  — 
très-estimable  ouvrage  dont  l'ins- 
piration fut  due  au  concours  pro- 
posé par  la  Société  de  la  miorale 
chrétienne,  sur  la  législation  rela- 
tive à  l'exercice  de  la  liberté 
religieuse  en  France,  et  qui  valut 
uue  mention  honorable  a  l'auteur; 
2"  les  Tarifs  en  matière  civile  y  com- 
merciale et  criminelle  expliqués  el 
commentés  par  A.  Vervoort;  Paris, 
1829,  in-8.  L.  G. 

VES TUIS  -  ALLARD  (  marie- 
auguste),  nommé  plaisamment 
Vestris  II,  était  le  fils  du  Vestris 
de  Florence,  celui  qui  ne  re- 
connaissait en  Europe  que  trois 
grands  hommes,  Frédéric,  Voltaire 
et  lui,  et  de  la  brillante  et  spiri- 
tuelle danseuse  Allard,  pour  la- 
quelle l'aifection  de  Vestris  se  sou-  ^m 
tint  vive  et  tendre  jusqu'au  terme  ^B 
de  sa  vie,  quoique  (ou  parce  que)  il 
se  garda  de  l'épouser.  Né  en  quel- 
que sorte  dans  les  coulisses  de 
l'Opéra,  et  bercé  sur  les  genoux  de 
Terpsichore,  Marie-Auguste  fut, 
dès  sa  première  enfance,  initié  ii 
tous  les  mystères  de  l'art  auquel 
les  auteurs  de  ses  jours  devaient  et 
leur  renommée  européenne  et  de 


VES 

fort  enviables  revenus.  Il  pratiqua 
la  pirouette  avant  Ta-b-c  ;  les  en- 
trechats,   les  jetés-battus  lui  fu- 
rent démontrés  avant  les  principes 
de  l'écrilure.  Il  avait  d'ailleurs  au 
plus  haut  degré  les  dons  naturels 
et  la  vocation   du  danseur.  Né  le 
27  mars  1760,  il  débutait  le  18  sep- 
tembre   1772,   c'est-k-dire    avant 
d'avoir  atteint   onze   ans  et  demi, 
dans  la  chaconne  du  divertissement 
'e  la  Cinquantaine.  Des   applau- 
sements  accueillirent   le    père 
nd,  avec  triple  révérence  so- 
Mie  et  suppliante,  il  apparut 
scène,    présentant  à  sa  ma- 
e  public  son  plus  jeune   et 
^-„..  ^..3r  élève;  les  applaudisse- 
ments, à  mesure  que  la  représen- 
tation avançait ,    éclatèrent    plus 
multipliés  et  plus  vifs,  et  cette  fois 
c'était  bien   l'exécutant,  ce  n'élait 
plus   l'introducteur  qu'on    accla- 
mait. Encouragé  par  les  marques 
d'une  sympathie  méritée,  le  père 
et   la  mère   le   firent  reparaître  à 
plusieurs  reprises,  mais  de  loin  à 
loin,  et  toujours  avec  succès.  Des 
deux  artistes,  d'ailleurs,    chacun 
était  jaloux  d'accaparer  le  rejeton, 
soit,   ont  dit   des  ennemis,    pour 
exploiter  son  jeune  talent,  soit  plu- 
tôt par  soif  d'encens  et  pour  cumu- 
ler double  ration  de  gloire.  Quoi 
qu'il  en  soil,  on  comprend  qu'il  ré- 
sulta, de  cette  rivalité  des  auteurs 
de  ses  jours,  un  assaut  de  soins 
donnés  à  son  éducation  chorégra- 
phique, et  qu'avec  les  dispositions 
si   rares  que    nous  avons  signa- 
lées plus  haut,  il  dut,  sous  la  pres- 
sion de  l'atmosphère  des  trois  mai- 
sons entre  lesquelles  se  partageait 
exclusivement  son  existence,  celle 
de  sa  mère,  celle  deVestris,  et  l'O- 
péra, faire  de  rapides  progrès.  Aussi 
n'était-ce  plus  un  élève  que  de  nom 
lorsqu'il  fut  reçu  élève  d'M'Ecolo  de 


VES 


335 


danse,   en  1775.  Dès  l'année  sui- 
vante, le  noviciat  pour  la  forme 
avait  pris  fin,  et  il  entrait  à  l'Opéra. 
Toutefois  ce  n'était  pour  lui  qu'un 
premier   pas,    et   quatre   ans,  (de 
1776  à  4779),  il  se  désola  de   ne 
figurer  que  parmi  les  doubles,  bien 
que    pour  le   talent,  l'opinion   le 
classât  parmi  les  premiers  sujets, 
d'abord,   et,  plus   tard,  au-dessus 
des  premiers  sujets.  Son  père  lui- 
même,    tout  hyperbolique    admi- 
rateur qu'il  fût  de  sa  propre  per- 
sonne, et  bien  que  souvent  il  s'ad- 
ministrât, sans  sourciller,  le  brevet 
de  génie   créateur,    se  plaisait  h 
reconnaître  que  s'il  était  supérieur 
pour     rinvenlion,     en    revanche, 
pour    l'exécution ,    son   lils  était 
sans  égal.   Enfin    le  titre  de  pre- 
mier   danseur  devint   la    récom- 
pense des  services  essentiels  qu'Au- 
guste  rendait   à   l'Opéra    et    qui 
ne   furent  pas  un  mince  élément 
de    la    constante    prospérité    de 
ce  théâtre  (sous  Louis  XVI,  sous  la 
République     et    sous    l'Empire). 
VestrisII  garda  ce  titre  trente^six 
ans,  toujours  goiiié   du  public,  et 
longtemps  son    favori.  L'idolâtrie 
(car  pendant  longtemps  ce  fut  de 
l'idolâtrie)  ne  fit  place  qu'après  le 
commencement  du    siècle    actuel 
à  des  sentiments  moins  exaltés.  Ce 
n'est  pas  qu'il  eût  perdu,  au  con- 
traire; mais  il  n'émerveillait  plus, 
il   n'étonnait    plus.    Eminemment 
supérieur  à  son  père  pour  la  vi- 
gueur et   l'élaslicité,   il  eut  droit, 
non  moins    que  lui,  au  renom  de 
créateur:  S!  Veslris  I"  avait  porté 
â  son  apogée  la   danse  noble   et 
majestueuse,  Vestris  II  avait  ima- 
giné un   autre  style   animé,   vif, 
(fui,  sans  exclure  soit  la  correc- 
tion, soit  la  grâce,  exigeait  la  sou- 
plesse, l'infaligabilité  de  l'acteur. 
L'on   eût  pu  le   qualifier,   comme 


336 


VKS 


les  Arabes  et  les  Berbersqualilient 
leurs  chevaux  pur-sang,  de  «  roi  du 
jarret.»  Telle  était  sa  légèreté  que, 
du  fond  de  l'iminense  scène  de  l'O- 
péra, deux  enjambées  l'amenaient 
à  la  rampe.  De  haute  taille,  mais 
surtout  prompt  à  réagir,  comme 
le  ressort  d'acier,  prompt  à  rebon- 
dir, comme  le  volant  sur  la  ra- 
quette, il  semblait,  en  frappant  les 
planches,  aller  se  perdre  dans  les 
frises;  ce  qui  faisait  dire  plaisam- 
ment à  son  père  :  «  Si  Auguste  ne 
«  reste  point  en  l'air,  c'est  pour  ne 
«  pas  humilier  ses  camarades.  »  De 
plus  il  avait  porté  la  pantomime  îj  un 
degré  de  perfection  qu'elle  n'avait 
encore  jamais  atteint  et  qui  n'a  pas 
été  dépassé,  de  sorte,  qu'aux  yeux 
de  tous,  il  resta  le  maître  du  genre, 
lors  même  que,  comme  danseur,  il 
eût  trouvé  des  rivaux  tels  que  Laho- 
rie,  Deshayes,  Didelot,  ou  même  un 
vainqueur,  si  vraiment  Dufort  mé- 
rite ce  nom,  que  s'est  hâté  peut-être 
un  peu  trop  de  lui  donner  Berchoux 
dans  son  poëme  de  la  Danse  ou 
lea  Dieux  de  l'Opéra.  Outre  ses 
émoluments  à  l'Opéra ,  Auguste 
Vestris  utilisait  parfois  des  congés 
que  ne  lui  refusait  pas  l'adminis- 
tration. Son  voyage  de  178U  fut 
particulièrement  fructueux.  Malgré 
les  sommes  énormes  qu'il  gagnait, 
trop  souvent,  il  était  à  court  ou  aux 
expédients.  Dans  les  premières  an- 
nées suriout(iui  suivirent  sa  promo- 
tion k  remj)loi  de  premier  danseur, 
croyant  sans  doute,  parce  que  son 
fixe  et  ses  feux  lui  valaient  de  huit  à 
dix  fois  au  iant  que  les  maigres  hono- 
raires du  simple  danseur,  sa  caisse 
inépuisable,  il  menait  la  vie  à 
grandesguidesetdépensait  en  grand 
seigneur,  l'argent  des  autres  en 
même  temps  (|ue  le  sien.  C'est  U 
cette  occasion  que  Vcsiris  le  père,  ri- 
gide sur  l'honneur  (et  doal ,  au  reste , 


VES 

la  maison  était  admirablement  tenue 
par  son  frère  le  cuisinier),  s'écriait, 
pour  couronner  ses  reproches  : 
«Vois-tu,  Auguste,  je  ne  veux  point 
de  Guéménée  dans  ma  famille!  » 
C'était  le  moment  où  le  prince  de 
Rohan-Guéménée  venait,  au  grand 
scandale  de  tout  ce  qui  pensait 
noblement,  de  ruiner  des  centaines 
de  familles  par  une  banqueroute 
de  plusieurs  millions.  Sous  bien 
d'autres  rapports  encore,  Auguste 
Vestris  aurait  fait  sagement  de 
suivre  les  inspirations  paternelles. 
Il  ne  se  bornait  pas  comme  son  père 
à  vénérer  l'art,  il  en  avait  l'infatua- 
tion  en  y  mêlant  celle  de  son  indi- 
vidualité propre.  Il  lui  prenait 
fréquemment  les  plus  grotesques 
accès  d'orgueil.  Le  roi  et  la  reine 
de  Suède,  étant  venus  à  Paris  en 
1789,  il  refusa  péremptoirement, 
en  dépit  des  instance»  qui  lui  fu- 
rent faites,  de  danser  en  leur  pré- 
sence. En  vain  son  père,  avec  le 
bon  sens  et  le  savoir-vivre  qui  le 
caractérisaient,  lui  répétait,  se 
plaçant  sur  son  propre  terrain  : 
«  Voyons,  Auguste,  la  reine  a  fait 
son  devoir^  elle  t'a  prié...,  fais  le 
tien,  danse.  »  L'opiniâtre  artiste 
tint  bon,  prétextant  un  mal  de 
pied  subit...  Il  venait  de  gam- 
bader, plus  leste  et  plus  frais  que 
jamais,  dans  le  foyer.  L'esclandre 
fut  énorme.  Le  grand  -  vizir  de 
l'Opéra,  baron  de  Breteuil,  l'en- 
voya au  For-l'Evôque.  11  fallut 
(juc  Vesiris  remuât  ciel  et  terre, 
suppliât,  importunât  le  baron  et 
lui  déclaîâl  qu'il  mourrait  si  Au- 
guste ne  lui  était  rendu,  pour  que 
le  captif,  nous  ne  disons  pas  lui 
fût  rendu  sur-le-champ,  mais  vît 
réduire  le  temps  de  sa  peine. 
On  ne  sera  pas  très-surpris  que 
longtemps,  enfant  gâté  du  succès, 
aussi  léger  au   moral  qu'au  phy- 


VES 

sique,  vain,  comme  nous  TavoDs 
dépeint,  irascible  et  tout  de  feu, 
fort  bien  enfin  de  sa  personne,  il 
ne  se  soit  jamais  beaucoup  piqué 
d'être  bon  mari.  Sa  femme,  Anne- 
Catherine  Augier,  très  -  jolie  et 
svelte  personne,  née  en  1777  et 
qui  débuta  en  1793  à  l'Opéra, 
sous  le  nom  d'Aimée ,  l'avait 
épousé  par  inclination  ,  et  quelque 
temps  l'inclination  avait  été  par- 
tagée. Un  jour  vint  pourtant  oî  se 
riant  des 

Non  più  andeai  farfalloue  amoroso 

thème  favori  de  sa  femme,  Auguste 
reprit  ses  allures  de  papillon  vo- 
lage. La  douce  artiste  n'eutd'abord 
que  de  vagues  soupçons,  puis  des 
probabilités,  puis  des  certitudes  : 
elle  avait  passé  par  degrés  des 
premières  appréhensions  aux 
pleurs  amers  ,  aux  spasmes  de 
la  jalousie  ;  elle  s'exalta  presque 
jusqu'à  la  lolie,  et  se  porta  deux 
coups  de  poignard.  L'on  s'aperçut 
assez  à  temps,  il  est  vrai,  de  son 
hémorragie  pour  poser  un  appa- 
reil sur  ses  plaies,  et  pour  le  mo- 
ment on  lui  sauva  la  vie,  mais  elle 
ne  recouvra  jamais  la  santé  ;  elle 
dépérit  des  suites  de  tant  de  se- 
cousses et  mourut  de  langueur,  en 
1809:- elle  n'avait  que  trente-deux 
ans.  Auguste  Vestris  en  avait  alors 
très-près  de  cinquante.  11  en  passa 
encore  sept  à  l'Opéra  d'où  suc- 
cessivement soit  par  mort,  soit 
par  expatriation  volontaire,  il  vit 
disparaître  tous  ses  rivaux.  Satis- 
fait d'avoir  ainsi  repris  possession 
de  ce  sceptre  de  la  dantie  qu'il 
avait  porté  si  longtemps ,  et  ne  vou- 
lantplus  s'exposer  îi  se  le  voir  ra- 
vir par  de  jeunes  talents,  en  ISIG, 
il  demanda  sa  retraite.  Il  comptait 
alors  quarante  années  de  services 
dont,  comme   nous    l'avons  dit, 

LXXXV 


VES 


337 


trente-six  à  titre  de  premier  sujet. 
Sa  requête  fut  accueillie,  et  la 
représentation  pour  sa  retraite  fut 
à  son  bénéfice.  Il  ne  se  laissa  du 
reste  pas  oublier,  quoique  à  la 
retraite.   Nous  le   retrouvons ,  de 

1819  à  1820,  professeur  de  grâce 
et  de  perfectionnement  au  Con- 
servatoire. Il  faut  avouer  qu'on  ne 
pouvait  mieux  choisir.  En  1826, 
Taministration  de  l'êpéra  lui  fit 
encore  la  galanterie  de  donner  une 
représentation  à  son  bénéfice,  et 
il  y  parut  dans  le  rôle  du  nègre 
Domingo  de  Paul  et  Virginie.  Ce 
fut  sa  dernière  apparition  sur  la 
scène  ;  il  avait  dépassé  de  six  ans 
la  soixantaine,  celui  dont  on  avait 
salué  le  début  dans  la  chaconne  de 
la  Cinquantaine  ,  et  les  applaudis- 
sements des  pelits-fils  faisaient 
écho,  en  quelque  sorte,  aux  bravos 
des  aiwils.  Il  survécut  seize  ans 
encore  à  cette  curieuse  solennité, 
sa  mort  n'ayant  eu  lieu  qu'en  1842. 
—  Les  annales  de  l'Opéra  présen- 
tent encore  deux  autres  Vestris, 
tous  deux  de  la  même  dynastie 
d'artistes,  mais  qui  n'y  figurèrent 
pas  longtemps.  L'un,  Auguste-Ar- 
mand, était  le  fils,  l'autre,  Charles, 
était  le  neveu  de  celui  qui  fait 
l'objet  de  cet  article.  L'un  et  l'autre 
avaient  été  ses  élèves,  l'un  et 
l'autre,  mais  surtout  le  second, 
promettaient  des  successeurs  re- 
marquables il  leurs  père  et  aieul. 
Auguste-Armand  débuta  le  l"mars 

1820  dans  le  troisième  acte  de  la 
Carafane;\c  début  de  Charles  §ut 
lieu  le  3  octobre  1809.  Mais,  une 
fois  leurs  mérites  reconnus  par  le 
public  parisien,  cet  aréopage  de 
l'Europe  élégante,  les  deux  cou- 
sins, voyant  la  place  occupée  pour 
longtemps  à  l'Opéra,  prirent,  sur 
l'avis  même  de  leurs  grands  pa- 
rents, le  parti  d'établir  leurs  pé- 

22 


^38 


VÈV 


veV 


na'tèsà  l'elranger.  Auguste-Armand 
passa  les  Alpes,  Charles  ne  fran- 
chit que  le  Cliennai  (vers  IsiS)  et 
lut,  pendant  de  longues  années, 
premier  danseur  à  l'Opéra-Gomi- 
que   de   Londres.  Val.  P. 

VEYRAT  (PiEuuE-IluGUKs),  un 
des  plus  recomiiiandables  inspec- 
teurs qu'ait  possédé   l'administra- 
lion  de  la  police,,    avait   Genève 
pour  patrie.  Né  en  1756,  il  avait 
été  longtemps  négociant  en  horlo- 
gerie cl  joaillerie  lorsque  la  révolu- 
tion éclata  en  France.  La  Suisse  en 
ressentit  le  contre -coup,  et  le  com- 
merce de  luxe  surtout  se  vit  subi- 
tement paralysé  par  la  suppression 
d'un  de  ses  principaux  débouchés. 
Veyrat,  après  avoir  iongteirips  lutté 
contre  ce   qu'on  j)eut  nommer  la 
force   majeure,   céda  la   suite   de 
ses  affaires  et  vint  chercher  for- 
tune à  Paris.  Ses  efforts  ne  furent 
pas  absolument  infructueux,  et,  ad- 
mis avec  un  humble  titre  dans  les 
bureaux   de  la   police,  dos  1795, 
il  devenait  inspecteur  général,  et 
bientôt  son  instruction,   son  habi- 
leté qu'accompagnait  une  honora- 
bilité  sans   tache,   furent  comme 
proverbiales  dans  radroinisiralion. 
Tout  appréciateur   compétent  eut 
cru  qu'en  tout  état  de    cause  ,    et 
.sous  quelque  gouvernement  que  ce 
fàl,  Veyrat,  aux  yeux  de  (jui  l'uni- 
que devoir  élaitde  servir  la  France, 
<iuel  que  fût  le  maître  donné  par 
l;i    Providence,    devail    être    non 
moins  inamovible  qu'irremplaçable. 
Il  n'en  fut  pas  précisément  ainsi  : 
pendant  les  vingt  ans  qui  séparent 
.sa  proMiotion  de  sa  retraite,  il  fut 
cinq   foi^   éloigné;    mais,  chaque 
fois,  au  bout  de  peu  de   mois,  ou 
mcnio  de  peu  de  semaines,  le  be- 
soin de  sts  lumières  et  de  .son  action 
.se  faisait  sentir  à   tel  point  qu'il 
faillit  le  rappeler.  Bonaparte,  dès 


qu'il  porta  son  attention  sur  Teii- 
semble  de  la  police,  lui  conféra  par 
décret  spécial  l'inspection  spéciale 
du  qûalriëme  arrondissement,  dans 
lequel  Paris  se  trouvait  compris. 
Dans  celte  haute  position,  où  toute- 
fois le  dominait  uii  chef  non  moins 
redoutable  que  tous  ses  prédéces- 
seurs ,  Veyrat,  sévei-e  et  ferme, 
mais  plein  de  tâci   et  de  hiesuré, 
mérita  constamment  la  reconnais- 
sance des  victimes  dés  troubles,  en 
usant  de  modération  aussi  souvent 
que  sa  modération  n'offrait  aucun 
danger,  et  plus  souvent  certes  que 
ne  ï'àiirait  jugé  à   propos  Fouché 
laissé  à   iiji-même.   Il    iie   mérita 
pas  moins  bien  du  maître  en  met- 
tant constamment  la  conciliation  à 
la  place  des  rigueurs  impolitiques. 
Cette  ferrfletéjointeàl  humanité  qui 
ne  l'abandonnait  jamais,  la  plèbe  de 
Paris  en  eût  la  preuve  au  31  rriars 
1814,  et  la  capitale  lui  dut  d'être 
préservée  du  si)eclaclé  d'un  crime 
dont  !a  honte  aurait  ruj ail li  sur  elle. 
Deux  officiers  russes,  un  peu  trop 
pressés  de  venir  visiter  les  rués  dé 
Paris,  s'élaieni  lancés  plus  que  té- 
mérairement à  l'intérieur  de  la  ville, 
mais  bientôt  avaient  été  environnés, 
renversés,   dévalisés,  garrottés... 
Trois  minutes  encore,  et  s'ils  sa- 
vaient  nager ,    ils    eusseht   eii  k 
déployer     leur    talent     daris     la 
Seine.  Les  cris  par  lesquels  il.<;'in- 
voquaient   la   capitulation   n'exci- 
taient  que   la  fureur  des  uns   et 
le  rire    des  autres.   Tout  à  coup 
Veyrat  arrive,   feint  de  s'inforiiler 
(il  savait  parfaitement  ce  qui  se  pas- 
sait), réclame  les  deux  imprudents, 
et,  par   un   geste   rapide    que  les 
émeuiiers  n'ont  pu  prévenir,  s'en 
empare,  les  remet  à  ses  agents  qui 
l'ont   rejoint  au  galop,  déclare  à 
la    foule,  interdite    et   incertaine, 
qu'ils  sont  désormais  sous  la  garde 


VÈY 

dé  l'honneur  français,  et  dans  tous 
les  cas,  sous  la  sienne  ,  puis,  com- 
me enfin  leilt"  proie  leur  est  échap- 
pée et  qu'àHen  ne  servirait  de  vou- 
loir la  ressaisir,  il  profite  de  leur 
stupéfaction  du  moment  pour  leur 
faire  (entendre  la  voix  de  la  sagesse, 
(Calme  ainsi  l'orage  par  degrés,  et 
enfin  fait  arrêter  quelques  récalci- 
ti^nts  qui  grondent  eilcoré.  Les 
Moscovites  l'avaient  échappé  belle  ; 
Veyrat  avait  en  même  lempi  rempli 
son  dévoir,  sauvé  des  fous  et  prou- 
vé qu'en  France,  alors  môme  que 
l'indignation  a  pu  iiiônter  à  son 
t)ai^6xysme,  la  générosité  demeure 
encore  et  l'emporte.  La  conduite 
de  Veyrat  fut  encore  remarquée  en 
une  autre  occasion,  ei  fut  louée, 
non-seulement  par  les  légitimistes, 
mais  par  les  esprits  impartiaux  de 
toutes  les  nuances.  Les  circons- 
tances, du  reste,  n'offraient  pas  de 
difficultés  graves,  et  nous  ne  pré- 
tendons en  aucune  façon  les  com- 
parer à  l'anecdote  du  31  mars 
18l4.  Nous  voulons  parler  de  l'af- 
faire Fauche-Borel,  en  1816.  On 
sait  quellfe  accusation  vint  k  dé- 
cocher uri  jour  contfë  un  des  fidè- 
les servants  de  la  cause,  par  lui 
si  platement  trahie,  I^erlet,  cet  ex- 
commis -  libraire  ignare  ,  après 
avoir  simulé  le  journaliste,  après 
avoir  profité  de  la  folle  confiance  de 
Louis  XVlIl  et  de  quelques  émi- 
grés en  Angleterre,  pour  leur  ten- 
dre des  pièges,  après  avoir  été 
l'espion  de  la  police  impériale, 
(c'est-à-dire  de  Veyrat  lui-même) 
près  des  autres  libraires  ses  con- 
frères. Veyrat  fut  un  des  té- 
moins appelés.  Sadéposition  nette, 
exacte,  feime,  sans  passion,  mais 
sans  rélicence,  o(i  vibrait  l'accent 
de  la  vérité,  produisit  un  effet 
sans  égal.  L'acte  d'accusation  ne 
sUbsistiilt  plus,  les  plaidoiries  dii 


"( 


EY 


339 


défenseur  devenaient  superflues; 
Perlet,  démasqué,  s'évanouit  com- 
me par  enchantement.  C'est  peu 
de  temps  après  cet  épisode  qui 
fixa  sur  lui  les  yeux,  et  qui  dé- 
montra que  tout  n'est  pas  taré 
dans  ces  ténébreuses  régions  de 
la  police,  c'est  en  1817,  que  Vey- 
rat demanda  et  obtint  sa  retraite. 
Il  était  plus  que  sexagénaire  alors. 
Il  pouvait,  si  les  interruptions  du 
service  n'étaient  pas  trop  judaïque- 
raent  supputées,  arguer  de  quelque 
vingt  ans  de  service.  Il  fut  traité 
selon  ses  désirs.  Il  survécut  vingt- 
deux  ans  encore  à  cette  fin  de  sa 
carrière  active  et  ne  mourut  qu'en 
1839.  Son  fils,  François  Veyrat, 
qu'il  avait  fait  entrer  dans  son  ad- 
ministration, y  fut,  ainsi  que  lui, 
inspecteur  général,  mais  seize  ans 
seulement;  et  quand  il  dit  adieu  à 
la  police,  se  fil  commerçant,  finis- 
sant par  où  son  père  avait  com- 
mencé. 

Un  autre  VEYRAT  (J.-P.)  n'est 
connu  que  comme  homme  de  let- 
tres. Il  acquit  un  moment  de  no- 
toriété, lorsque,  la  Némésis  ayant 
cessé  de  paraître,  il  crut  pouvoir 
remplacer  l'absent  ,  prétention 
qu'au  reste  un  autre  au  moins  eut 
comme  lui.  L'œuvre  de  Veyrat  a 
pour  titre  :  l'Homme  Itouge,  salive 
liebdomadairey  else  compose  de  2"! 
livraisons  de  8  pages  chacune,  à 
partir  du  31  mars  1833.  11  faut  y 
joindre  48  pages  iu-8',  et  les  lla- 
liennes,  poésies  politiques  deCamille 
Sainl-Htiènc,  Paris,  1832;  et  un 
autre  morceau  de  la  dimension  a 
jicu  près  d'une  double  livraison 
de  «  VUommc  Routic  «,  A  sa  Ma- 
jesté le  roi  de  Sar daigne,  de  Chypre 
et  de  Jérusalem,  duc  de  Savoie, 
prince  de  Piémont,  Paris,  1838,  IG 
pag.  in-8'.  Ou  doit  de  plus  à 
Veyrat  trois  vaudevilles,  plus  un 


oUO 


VEY 


drame-vaudeville ,  plus  une  folie- 
vaudeville.    Il    mourut   en  1844. 

Val.  p. 
VEYSIE  (Daniel),  théologien  et 
grammairien  de  quelque  renom, 
natif  du  comté  de  Devon,  suivit  les 
cours  de  haut  enseignement  à  TU- 
niversité  d'Oxford,  prit  ses  grades 
de  maître  ès-arts  et  de  docteur,  en 
1783,  et  finit  par  obtenir  le  rectorat 
de  Plymtrée,  ce  qui  lui  fut  d'abord 
agréable,  parce  que  c'était  à  peu  près 
son  pays.  Mais  il  ne  tarda  pas  à  s'a- 
percevoir qu'il  n'est  pas  facile  d'être 
pro|)hcte  en  son  pays.  Ses  parois- 
siens, tout  ses  compatriotes  qu'ils 
fussent,  le  trouvèrent  un  peu  strict, 
et  ensuite  un  peu  rapace  dans  la 
levée  de  ses  dîmes,  si  bien  qu'ils 
en  vinrent  à  les  lui  contester.  Un 
procès  s'engagea  :  il  fut  fort  long, 
il  y  eut  appel  et  réappel,  des  années 
s'écoulèrentavant  qu'enfin  laCham- 
brc  des  lords  y  mît  un  terme  par 
son  arrêt.  C'est  le  décimaieur  qui 
l'emporta.  L'animosité  des  conten- 
dants  avait  attiré  sur  l'affaire  cer- 
taine attention,  et  par  suite  avait 
valu  certaine  notoriété  à  Veysie, 
qui  d'ailleurs  maniait  la  parole  et 
surtout  la  plume  avec  facilité.  L'on 
a  de  lui  des  sermons,  des  ouvrages 
de  controverse  et  un  autre  livre 
encore.  Les  sermons  ont  pour  titre: 
i"  La  Doctrine  de  saint  Jean  et  la 
foi  des  premiers  chrétiens,  Oxford, 
ITîil,  in-8".  (L'auteury  touche,  ou 
plutôt  y  «  frise,  »  qu'on  nous  par- 
donne la  familiarité  de  l'expression, 
celle  grave  question  :  «  l'identité 
du  Messie  et  du  Verbe  fit-elle  par- 
lie  des  croyances  primitives  de 
l'Eglise?  fut-ce  une  idée  juive  d'o- 
rigino,  ou  ne  se  produisit-elle 
qu'après  le  contact  des  apôtres 
juifs  avec  les  gentils,  du  messia- 
nisme avec  le  platonisme?  Faut-il 
la  faire  remonter  à  saint  Paul ,  en 


VIA 

y  voyant  le  caractère  dislinclif  de 
l'école  de  saint  Paul,  par  opposi- 
tion à  l'école  de  saint  Pierre?  ») 
2°  la  Doctrine  de  l'exinalion  (huit 
sermons  qui  se  font  suite  et  qui 
tous  furent  prononcés  aux  séances 
dites  Bampton  Lectures),  Oxford, 
1791,  in-8''.  Les  ouvrages  de  con- 
troverse sont  au  nombre  de  trois  : 
1°  Examen  de  l'hypothèse  de  Marsh 
sur  les  trois  premiers  évangiles  ca- 
noniques, 1808,  in-8°.  (On  voit  assez 
que  le  traité  doit  être  mis  à  côté  du 
premier  sermon);  2°  Préservatif 
contre  lesocinianisme,  1809,  in-8°; 
3°  Défense  du  préservatif  contre 
VUnitarisme  en  réponse  à  L.  Carpen- 
îer,prédicateurdecettesecteàExetcr, 
I8l0,in-18".  En  dehors  de  ces  tra- 
vaux, tous  essentiellement  afférents 
à  son  ministère  sacré, l't-ndoitaussi 
à  Veysie  une  Dissertation  grammati- 
cale sur  r article  prépositif  grec 
(1810,  in-8"),  qui  décèle,  en  même 
temps  qu'une  connaissance  assez 
profonde  de  la  langue  de  Thu- 
cydide, l'acuité  du  coup  d'œil  et 
l'aptitude  aux  études  de  grammaire 
générale.  L.  C. 

VIAL  (Honoré),  général  fran- 
çais, natif  d'Amibes,  avait  reçu  le 
jour  en  1766.  Antérieurement  à 
la  révolution,  il  figura  sur  les  ca- 
dres de  la  marine.  L'imminence 
des  guerres  dont  nous  menaçait  la 
coalition  européenne  en  herbe 
dès  1701,  et  l'immense  carrière 
dont  elle  laissait  entrevoir  la  pers- 
pective, le  détermina  de  bonne 
heure  à  se  rapprocher  de  l'armée 
de  terre.  Il  était,  en  1702,  attaché 
au  ving-sixième  d'infanterie  de 
ligne  ,  en  quelle  qualité,  nous 
l'ignorons;  mais  bientôt  il  rece- 
vait l'épaulette  de  lieutenant,  et, 
dirigé  sur  la  Corse,  il  prenait  part 
k  la  défense  de  Bastia.  De  cette 
île  il  passa,  en  1794,  à  l'armée  de 


VIA 


VIA 


3A1 


Hollande  comme  officier  d'état- 
major,  et  il  fit  preuve  détalent  non 
moins  que  d'ardeur  guerrière  ù  la 
prise  du  fort  de  Harlem.  La  récom- 
pense ne  tarda  point  à  couronner 
sa  bravoure  :  dès  le  mois  d'octobre 
suivant  (exactement  le  23  vendém. 
de  l'an  II1\  il  était  nommé  capi- 
taine an  premier  régiment  de  cava- 
lerie. Traversant  rapidement  en- 
suite les  grades  intermédiaires, 
tous  conquis  par  quelque  service 
ou  quelque  action  d'éclat,  il  se  trou- 
vait adjudant  général  au  commen- 
cement de  cette  fameuse  campagne 
de  1796  qui  commença  l'ère  des 
prodigieuses  et  longtemps  inces- 
santes victoires  et  conquêtes.  H 
eut  le  bonheur  d'être  désigné  pour 
l'armée  d'Italie.  Entre  autres 
preuves  d'intrépidité  qu'il  y  donna, 
on  le  vit ,  le  i  G  novembre  (2G  brum . 
an  V),  au  milieu  des  manœuvres 
préparatoires  de  la  giande  journée 
d'Arcole,  après  le  passagedel'Adige 
à  Ronco,  et  quand  il  fut  avéré  que 
la  vivacité  du  courant  ne  permet- 
tait pas  de  fixer  les  fascines,  à  l'aide 
desquelles  le  général  en  chef  lui- 
même  avait  compté  qu'on  pourrait 
franchir  l'Alpon  (vulg.-irement  on 
dit  le  canal)  qui,  bordant  le  village 
d'Arcole, empêchait  de  le  tourner, 
on  le  vit,  disons-nous,  s'élancer 
dans  cette  rivière,  ayant  de  l'eau 
jusqu'au  cou,  et  à  l'effet  de  la  pas- 
ser à  gué,  donner  l'exemple  à  la 
colonne,  en  tête  de  laquelle  il 
marchait:  personne,  il  est  doulou- 
reux de  l'avouer,  ne  se  sentit  de 
force  à  le  suivre,  et  il  fut  obligé, 
après  de  vaines  incitations,  de 
revenir  sur  ses  pas.  Malgré  l'in- 
succès de  celle  courageuse  en- 
treprise, Bonaparte  lui  sut  gré 
de  son  élan ,  et  le  lui  témoignu 
sur-le-champ  en  le  nommant  gé- 
néral de  brigade.  C'est  en  celle 


qualité  que  Vial  eut  part  à  la 
bataille  de  Rivoli,  qui  signala 
le  commencement  de  l'année  sui- 
vante, et  qui,  livrée  par  d'AIvinzi 
pour  faire  lever  le  siège  de  Man- 
loue,  eut  pour  suite  de  rendre 
mathématiquement  certaine  et 
prochaine  la  reddition  de  la  place. 
Elle  capitula  en  effet  quinze  joui's 
après  (le  30  juillet  1797;;  il  y  dé- 
ploya le  môme  entrain  que  devant 
Arcole,  et  non  content  de  s'être 
multiplié  sur  le  champ  de  bataille, 
il  se  siguala  encore  plus  dans  la 
poursuite.  Les  Autrichiens,  en  se 
décidantàla  retraite,  avaient  compté 
arrêter  les  vainqueurs  aux  gorges 
de  Callione,  qu'ils  avaient  cru 
transformerenun  poste  inexpugna- 
ble, en  en  augmentant  considérable- 
ment les  défenses.  Vain  espoir! 
quand  ils  les  atteignirent,  déjà  les 
Français  les  avaient  emportées,  et 
Vial  qui  les  poursuivait,  les  refou- 
lant sur  Trente,  entre  dans  celte 
ville  en  même  tem|)s  qu'eux,  puis 
les  en  chassant  immédiatement,  fa- 
cilite au  général  Joubert  la  prise 
de  leurs  magasins,  qu'ils  n'eurent 
pas  le  temps  d'évacuer,  et  de  leurs 
hOpilaux,  qui  ne  contenaient  pas 
moins  de  deux  mille  blessés  ou 
malades  :  lui-même,  il  poussa  jus- 
qu'aux rives  de  l'Arisso,  et  leur 
lit  huit  mille  prisonniers.  Deux 
mois  après,quandraii;hiduc  Charles, 
envoyé  pour  remplacer  d'AIvinzi, 
comme  d'.Vlvinzi  avait  remplacé 
Beaulieu,  venait  de  voir  deux  de 
ses  colonnes  battues  aussi,  l'une 
entre  Klagenfurlh  etVillach,  l'autre 
sur  le  Lavis,  Vial  gêna  considérable- 
ment les  mouvements  de  l'ennemi 
qui, franchissant  lehaul  Adige  après 
sa  défaite,  avait  résolu  de  s'y  dé- 
fendre et  de  se  retirer  à  Boizen 
(Bolzano),  s'il  était  force  :  il  s'ctait 
emparé,  lui,  du; pont  de  Neumarck, 


3/i2 


VIA 


et  avait  pareillement  passé  TAdige, 
pour  empêcher  les. Autrichiens  de 
lilersur  Boizen.  Il  n'y  parvint  pas 
seul  ;  et  si  le  général  Dumas,  en  se 
jetant  k  la  tète  de  sa  cavalerie 
dans  le  village  de  Tramin,  n'eût 
déterminé  la  déroute  de  leurs  an- 
tagonistes communs,  l'avantage  se- 
rait probablement  resté  douteux. 
Mais  enfin  c'est  lui,  c'est  sa  ma- 
nœuvre savamment  conçue  et  con- 
duite qui  mit  les  Autrichiens  dans 
la  nécessité  de  tenter  le  passage 
par  les  armes,  puisqu'il  avait  su 
s'emparer  des  issues;  et  sachant 
que  d'autres  Français  étaient  à 
portée,  il  avait  bien  droit  de  comp- 
lersur  la  coopération  décisive  qu'ils 
-•q)portèrent  k  la  réussite  de  son 
plan.  C'est  donc  ^  juste  litre  à 
lui,  non  moins qu'k  Dumas,  et  même 
lin  peu  plus  qu'il  Dumas,  que  doit 
être  attribué  le  succès  de  Tramin 
(22  mars  1707,  2  germ.  ;in  V).  Le 
commencement  de  l'anné/^  suivante 
(1798,  niv.  an  VI)  le  vit  chargé 
du  commandement  de  Rome,  à  la 
suite  du  tumulte  au  milieu  duquel 
avait  péri  le  général  Duphot,  vic- 
time du  zèle  avec  lequel  il  défen- 
dait l'inviolabilité  du  palais  de 
l'ambassade  française.Vial  lit  preuve 
en  ce  poste  difficile  d'autant  de 
tact  que  d'énergie:  les  deux  qua- 
lités étaient  de  même  nécessité.  II 
n'y  resta  cependant  que  jusqu'au 
moment  de  l'expédition  d*Égyptc. 
Son  ancien  général  en  chef  tint  ii 
l'avoir  près  de  lui  et  l'emmena.  Il 
combattit  aux  Pyramides,  il  con- 
tribua au  gain  de  l'affaire  devant 
Chouarii  (20  septembre  1708,  qua- 
trième jour  complémentaire  de 
Tan  VI),  il  enleva  l'admiration  et 
les  éloges  de  tous  par  sa  conduite 
au  siège  infructueux  do  Saint-Jean- 
d'Acre,  notamment  les  20  et  30 
mars,  les  7  et  1Î5  avril  1798  (6,  10, 


VIA 

IS,  26 germ.  an  VU),  lors  des  vi- 
goureuhes  sorties  de  l'ennemi.  Il 
fut  de  ceux  qui  restèrent  en  Orient 
après  le  départ  dyi  général  en  chef, 
et  quoique  le?  lauriers  alors  de- 
vinssent plus  rares  que  les  périls 
et  les  épreuves,  il  y  moissonna  du 
moins  de  la  gloire  jusqu'à  son  em- 
barquement pour  la  France,  qu'il 
revit  le  15  brumaire  an  IX.  Le 
26  floréal  an  X,  le  premier  consul 
le  nommait  piénipotentiaive  près 
Tordre  de  Malle.  Il  y  réunit  le 
titre  d'ambassadeur  près  la  répu- 
blique helvétique,  intérim  lucra- 
tif, mais  non  bague  i)u  doigt,  comme 
tant  des  légations  et  cons.ulats  de 
nos  jours.  La  diplomatie  cependant 
ne  le  rendit  point  inlidèle  àl'épée, 
ou  plutôt  l'empereur  (ce  n'est  plus 
le  premier  consul  que  nous  devons 
dire)  s'aperçut  qu'il  pouvait  lui 
rendre  encore  plus  de  service  en 
campagne  que  dans  les  catacombes 
d'une  chancellerie.  Il  le  rendit 
donc  à  l'atmosphère  militaire,  aux 
bivouacs,  aux  charges  brillantes. 
Austerlilz,  léua,  Friedland,  le  vi- 
rent agir  avec  la  même  inlréjûdité 
qu'aux  jours  d'Arcole  et  des  Pyra- 
mides. Vint  entin  la  période  des 
calamités:  Vial  dans  ces  nouvelles 
épreuves  se  montra  ce  qu'il  avait 
toujours  été,  le  premier  au  danger, 
le  dernier  à  la  retraite  :  il  périt  à  la 
bataille  de  Leipzig,  en  y  donnant 
l'exeuiple  du  plusbeau  dévouement. 

Z. 
VIAINÎNEY  (1)  (Jean-IUptiste-Ma- 
rie),  a  joui,  même  pendant  sa  vie, 
d'une  si  haute  réputation  de  sainteté, 
(pi'il  faudrait  peut-être  remonter  à 
Saint-François  d'Assise  ou  à  Saint- 


(1)  Nous  croyons  suivre  ici  l'ortho- 
graphe de  son  nom,  qu'on  a  écrit  de 
différentes  manières. 


VIA 

Bernard,  pû\ir  trouver  un  homme 
qui  ait  é(é  placé  aussi  haut  dans 
l'opinion,  et  qui  ait  reçu  des  preu- 
ves aussi  nombreuses  de  vénération 
et   dç    confiance.    Ajoutons  que, 
par  un  privilège  presque  unique,' 
cette  réputation  si  méritée  n'a  |^oiut 
été  altérée  par  ces  soupçp^is,  ces 
alternatives  dont  la  vertu  la  plus 
solide  n'est  pas  toujours  exempte. 
Né  le  8  mai  1786,  au  village  de 
Dardilly,   aujourd'hui  du  départe- 
ment du  Rhùne,  le  jeune  Vianney 
passa  ses  premières  années  h  garder 
les  troupeaux.  Ses  parents,  simples 
cultivateurs,  rélevèrent  dans  Va- 
mour  et  la  pratique  de  la  religion; 
il  répondijit  si  bien  à  leurs  soins, 
que.  dès  l'ûge  le   plus  tendre,  il 
montrait  une  grande  inclination  à 
la  piété  et  même  à  l'amour   de  la 
.solitude.  Inquiète,  un  joqr,  de  son 
absence,  sa  mère  le  cherchait  et  fut 
tout  attendrie  en  le  trouvant  dans 
la  grange,  agenouillé  et  Joignant 
ses  petites  mains  dans  l'attilude  de 
la  prière.  Ajoutons,  pour  montrer 
mieux  son  caractère  et  expliqi]cr  ce 
qu'il  deviendra,  que  déjà  aussi  sa 
piété  envers  la  sainte   Vierge  se 
manifestait  par  des  actes  qu'on  voit 
souvent  dans  les  jeunes  pnfants,m^is 
qui  avaient  un  caractère  singulier  : 
en  allant  aux  champs,  il  porlait  avec 
lui  de  petites  images  de  Marie,  les 
plaçait  dans  le  creux  d'un  arbre  ou 
les  fixait  à  l'extrémité  d'un  bâton 
(ju'il  plantait  en  terre,  et  autour  de 
cet  autel  improvisé  il  réunissait  ceux 
de  son  âge,  les  prêchait  sur  la  Ste^ 
Vierge  et  priait  avec  eux.  Avec  de 
tels  préliminaires,  il  fit  sa  première 
communion  dans  les  heureuses  dis- 
positions  qu'on    peut    concevoir; 
l'impression  qu'il  en  reçut  influença 
le  reste  de  sa  \ie.  A  dater  de  ce 
jour,  il  cessa,  pour  ainsi  dire,  d'être 
un  enfant.  Dès  lors,  en  effet,  et  tout 


YIA 


343 


le  temps  qu'il  passa  encore  dans 
son  village,   il  fut  un  modèle  à  la 
maison,  i^  l'église  et  partout.  A  Tâge 
de  dix-huit  ans,  il  n'avait  fait  au- 
cunes études,  cependant  il  sentait 
un  grand  attrait  pour  l'état  ecclé- 
siatiqiie,  et  souvent  il  demandait  k 
Dieu'  la  faveur  de  devenir  prêtre  : 
cette  faveur  a  été,  en  effet,  accor- 
dée J^  ses  pieux  désirs,  à  la  pureté 
de  ses  mœurs,  à  la  religion  de  ses 
parents  qui  secondèrent  de  tout  leur 
pouvoir  sa  vocation.   Le  curé  de 
Dardilly,  frappé  de  la  conduite  de 
son  jeune  paroissien ,  s'offrit  pour 
lui  enseigner  les  premiers  principes 
de  la  langue  latine.  C'était,  comme 
on  le  voit,  à  l'époque  où,  l'exercice 
de   la    religion    devenu    légal    en 
France,  après  le  concordat,  plu- 
sieurs bons  prêtres,  sur  les  divers 
points  de  l'empire,   cherchèrent  à 
développer  les  vocations  naissantes, 
pour  réparer  les  brèches  que  la  ré- 
volution avait  faites  au  corps  sacer- 
dotal. Le  jeune  Vianney  était  desti- 
né, dans  le  cours  de  ses  études,  à 
des  é[)reuves  de  plus  d'un  genre. 
Il  passa  bientôt  à  l'école  d'un  an- 
cien chartreux,  qui  lui  apprit,  avec! 
les  sciences  humaines,   la  science 
de  la  pénitence  et   de  l'austéiité, 
qui  sont  devenues  le  caractère  dis-^ 
tinclif  de  toute  sa  vie.  Ce  chartreux, 
si  fidèle  à  l'esprit  de  son  orilre,  était 
l'abbé  Balley,  curé  d'Ecully,  près 
de  Dardilly.  Il  reçut  dans  son  pres- 
bytère le  bon  jeune  homme,  (pii  y 
fnt   heureux   et  semblait  devoir  V 
faire  toutes  ses  études  ;    mais  ses 
parents  jugèrent  ix  propos  de   l'en 
retirer  pour  le  faire  entrer  au  petit 
séminaire  de  Verrières.  Le  bon  re- 
ligieux pleura  en   se  séparant  de 
son  élève,  le  benilet  lui  dit,  comme 
par  une  sorte  de  previsidii  Mirnatu- 
relle  :  «  Allez,  mon  enfant,  où  Dieu 
vou^  appelle ,  et  puissiez-vous  un 


3A/i 


VIA 


jour  revenir  près  de  moi;  c'est  vous 
qui  me  fermerez  les  yeux.  »  Yian- 
ncy  entra  au  séminaire  de  Verrières 
en  l'année  1807  et  y  fut  tout  de  suite 
un  modèle  admirable  pour  toute  la 
maison.  Si  sa  conduite  excita  l'ad- 
miration, elle  amena  aussi  quelques 
jalousies  :  un  mauvais  écolier  fit  de 
de  notre  jeune  homme  l'objet  de 
ses  railleries  et  en  vint  jusqu'à  le 
frapper;  mais  il  ne  lassa  jamais  sa 
yertu.Vianney  craignait  davantage 
une  autre  persécution,  celle  de  la 
conscription  qui  venait  l'atteindre, 
car  il  n'y  avait  point  d'exemption 
pour  lui.  Il  allait  terminer  son  cours 
de  latin,  et  sa  vocation  se  fortifiait 
de  plus  en  plus;  la  voyant  exposée, 
il  prit  un  parti,  que  je  fais  connaître 
sans  prétendre  approuver  ou  juger 
sa  démarche...  11  crut  devoir  se  ca- 
cher et  se  réfugier  dans  les  mon- 
tagnes des  Alpes!  Aprèsune  longue 
course,  il  arriva  près  de  Gap,  au 
village  d'Eourrès,  et  fut  reçu  en  qua- 
lité de  valet  dans  une  ferme,  sous 
le  pseudonyme  de  Jérôme.   On  a 
comjjaré  au  .séjour  de  Joseph  chez 
Putiphar  le  séjour  de  Jérùme  chez 
le  métayer  d'Eourrès  :  il  fit  tout 
prospérer  dans  celte  maison  par  ses 
travaux  consciencieux  et  assidus; 
le  soir  il  donnait  des  leçons  aux  en- 
fants de  son  maîlre,  faisait  à  haute 
voix  une  lecture  pieuse  qu'il  expli- 
quait ^  la  famille  attentive,  et  ter- 
minait par  la  prière  faite  en  com- 
mun. Celte  désertion,  qui  l'exposait 
à  tant  de  chances,  ne  fut  pas  très- 
longue;  l'enrôlement  de  son  frère, 
qui  alla  mourir  dans  la  folle  camj)a  • 
gne  de  Kussic,  le  rendit  libre  du 
service  militaire  et  de  .sa  personne. 
Après  avoir  rempli  pendant  quel- 
ques mois  les  fonclions  d'institu- 
teur dans  le  village  desNoës,  il  en- 
tra au  grand  séntinaire  elful  tonsuré 
le  i28  mai  181  l.Vianney n'avait  pas 


VIA 

beaucoup  de  facilités  naturelles  ;  ses 
études,  commencées  tard,  interrom- 
pues comme  nous  venons  de  le  voir, 
ne  le  mettaient  guère  en  état  de 
vaincre,  en  répondant,  sa  grande» 
timidité.    Pendant  quelque  temps, 
les    supérieurs  du    séminaire    de 
Lyon  doutèrent  s'il  était  capable 
d'être  admis  aux  ordres.   Le  bon 
jeunehomme  supporta  cette  épreuve 
avec  soumission,  mais  ne  se  décou- 
ragea point;  il  redoubla  d'applica- 
tion li  l'étude ,  et  il  s'adressa  à  la 
sainte  Vierge  pour  obtenir  la  grâce 
d'apprendre  et  de  réussir.  Sa  con- 
fiance fut  récompensée  :  un  prêtre 
éminent,  voyant  la  solidité  de  juge- 
ment et  surtout  l'angélique  vertu 
deViaimey,  réponditde  sa  vocation. 
Vianney  futdonc  admis;  et,  à  l'ûge 
de  trente  ans,  il  reçut  la  prêtrise, 
le  9  août  18 15.  On  avait  mis  la  con- 
dition qu'il   ne   confesserait   per- 
sonne,  exception  fort  rare  de  nos 
jouis.  Nous  allons  voir  bientôt  si  la 
Providence  en  avait  disposé  ainsi  sur 
son  futur  ministre.   Le  bon  char- 
treux, qui  avait  assisté  avec  tant  de 
bonheur  et  d'édification  î'i  la  pre- 
mière messe  de  son  ancien  élève, 
le  demanda  et  l'obtint  pour  vicaire 
à  Ecully,  où  Vianney,  après  quelque 
temps,  l'assista  à  la  mort,  comme 
Dom  Bdlley  le  lui  avait  prédit  onze 
ans  auparavant.  Les  habitants  d'E- 
cully,  enchantés  de  leur  vicaire,  dé- 
siraient l'avoir  pour  pasteur ,  et  le 
voyant  nommé  ailleurs,  ils  allèrent 
le  supplier  de  consentir  à  une  dé- 
marche qu'ils  voulaient  faire,  dans 
ce  dessein,  auprès  de  l'autorité  dio- 
césaine. H  répondit  avec  modestie; 
que  la  paroisse  d'EcuIly  était  trop 
importante  pour  ses  faibles  talents, 
et  que  d'ailleurs  la  volonté  de  son 
évoque  était  pour  lui  un   ordre  du 
ciel.   Pour   épargner   do  pénibles 
adieux,  il   partit  au  milieu   de   la 


VIA 


VIA 


3/i5 


nuit  et  se  rendit  à  Ars,  cure  qui 
lui  était  assignée.  Ars  est  une  petite 
paroisse  de  400  habitants,  située 
sur  le  versant  d'un  coteau,  dont  le 
pied  est  arrosé  par  la  Saône.  Elle 
est  dans  le  département  de  TAin, 
arrondissement  et  canton  de  Tré- 
voux, aujourd'hui  du  diocèse  de 
Beiiey.  Sa  distance  de  Villefranche 
est  de  huit  kilomètres;  elle  esta 
trente-cinq  kilomètres  de  Lyon. 
L'abbé  Vianney  y  fut  installé  en  fé- 
vrier 1818.  C'est  dans  ce  lieu  jus- 
qu'alors inconnu,  mais  rendu  par 
lui  si  célèbre,  qu'il  passa  toute  sa 
vie  dans  l'exercice  des  actes  édi- 
fiants dont  je  vais  donner  quelque 
connaissance  dans  le  reste  de  cet 
article.  Vianney  s'aperçut  bientôt 
qu'il  avait  à  défricher  une  terre  in- 
grate et  négligée  :  les  sacrements  y 
étaient  abandonnés, et  il  y  avait  une 
i.^norance  générale.  Quoique  petit, 
levillage  était  peuplé  de  cabarets 
où  les  habitants  employaient  au  jeu 
et  à  la  débauche  la  partie  du  di- 
manche qu'ils  ne  donnaient  point 
à  destravauxdéfendus.  Le  nouveau 
curé  mit  la  main  h.  l'œuvre  avec 
énergie;  comprenant  que  la  source 
du  mal  était  le  défaut  d'instruction, 
il  ouviit  pour  les  adultes  un  cours 
de  catéchisme,  qu'il  sut  rendre  in- 
téressant, et  il  eut  le  bonheur  de 
le  voir  suivi  et  fructueux.  Ne  j)0U- 
vant  entrer  dans  le  détail  de  tout 
ce  que  lui  inspirait  son  zèle,  je  vais 
me  bornera  citer  quelques  faits.  A 
la  fête  patronale,  celle  de  Sainl- 
Sixle,  le  0  août,  les  habitants  étaient 
dans  la  coutume  de  déserter  l'église 
el  de  passer  la  journée  dans  la 
danse,  rivrogneric  el  le  liberti- 
nage. Déjeunes  niais,  ridiculement 
déguisés,  se  présentaient  dans  cha- 
que maison,  escortés  de  musiciens, 
et  faisaient  une  quête  dont  ils  con- 
sacraient le  produit  à  de  malhon- 


nêtes amusements.  Ces  désordres 
étaient  reproduits  k  Ars  quatre  fois 
dans  l'année,  car  ils  avaient  lieu 
aussi  le  jour  de  Saint-Blaize,  3  fé- 
vrier, le  premier  jour  de  mai  et  le 
mardi  gras.  Le  nouveau  curé,  qui 
fut  toujours  ennemi  de  la  danse  et 
finit  parl'abolir,  eut  recours,  le  jour 
de  Saint-Sixte,  à  un  stratagème  bien 
simple  et  qui  réussit  néanmoins  à 
une  époque  où  il  avait  assez  d'in- 
fîuence,  et  qui  n'aurait  pas  le  même 
succès  dans  tous  les  tempi  et  dans 
tous  les  pays.  Les  hommes  s'étaient 
promenés,  musique  en  tête  et  avec 
des  rubans  à  leurs  chapeaux.  Si 
tout  s'était  borné  à  cela,  assuré- 
ment le  curé  n'aurait  rien  dit,  mais 
il  condamnait  les  suites  :  «  Je  crois, 
dit-il  en  chaire,  le  dimanche  sui- 
vant, que  les  hommes  de  ma  pa- 
roisse sont  mécontents  de  leurs 
femmes  et  qu'ils  veulent  se  vendre, 
car  ils  avaient  des  rubans  à  leurs 
chapeaux  comme  les  domestiques 
qui,  un  jour  de  marché,  veulent  se 
louer.  «  Cette  plaisanterie,  qui  mit 
les  rieurs  contre  les  promeneurs, 
produisit  son  etîet  sur  eux  et  sur 
les  autres.  —  Un  aubergiste  était 
chargé  des  préparatifs  de  la  voque, 
nom  bizarre  donné  au  bal  dune 
fête  du  lieu.  —  Le  curé,  par  l'inter- 
médiaire d'un  paroissien,  lui  fait 
demander  ce  qu'il  espère  gagner 
de  cette  vogue,  et  l'aubergiste  rap- 
pelle le  chiffre  des  années  pu-cé- 
dentes.  —  Eh  bien  !  dit  le  visiteur,  si 
on  vous  assurait  relte  somme,  em- 
pêcheriez-vous  que  l'on  fil  la  vogue 
cette  année?  Sur  sa  réponse  affir- 
mativ«\  M.  Vianney  donna  l'argent  ; 
l'aubergiste  déconvia  les  musiciens, 
la  vogue  n'eut  point  lieu  à  Ars  celte 
annéo-là,  ni  même  dans  la  suite, 
car  les  jeunes  gens,  qui  comnieu- 
çaient  à  comprendre  el  à  étudier 
leur  pasteur,  ne  firent  aucune  dé- 


346 


VIA 


marc}]p  pour  rétablir  la  fêle.  Di- 
sons d'ailleurs  tout  de  suite  que 
l'influence  acquise  par  le  pasteur 
sur  le  troupeau  eut,  comme  le  reste, 
quelque  cl^ose  d'extraordinaire , 
sinon  de  miraculeux.  11  a  amené 
son  Yjllage  H  n'aypjr  plus  de  caba- 
rets, et  on  n'y  trouve  que  quel- 
ques auberges  convenables  pour 
recevoir  |es  pplerjns,  qui  y  vien- 
nent de  tous  cOlés.  Les  habitants 
devinrent  unis  comme  une  famille, 
et  la  plqs  grande  partie  assistait 
tpus  les  jours  à  la  messe,  et  même, 
le  soir,  à  la  prière  commune,  que 
précédait  la  récitation  du  chapelet. 
L'église  était  restée  presque  à  l'état 
de  dénûment  où  l'avait  mise  la 
révolution  de  la  fin  du  dernier 
siècle;  Viannoy,par  ses  sacrifices, 
secondé  ^ussi  par  les  dons  de  quel- 
ques personnes  généreuses,  et  sur- 
tout de  M.  le  marquis  d'Ars,  qui 
voulut  voir  de  près  si  les  qualités 
de  ce  prêtre  répondaient  à  sa  ré- 
putation ,  parvint  à  la  réparer  à 
rpxlérieur  et  4  l'enrichir  à  l'inté- 
rieur. Pî^r  les  mêmes  moyens,  ce 
pauvre  curé  ç|e  village  est  parvenu 
à  établir  dans  sa  paroisse  une  mai- 
son de  Frères  pour  l'instruction 
des  jeunes  garçons  ;  une  niaison 
dite  la  Providence,  où  jes  jeunes 
filles  pauvres  sont  nourries,  ha- 
billées, instruites,  dressées  au  tra- 
vail, et,  ce  qui  est  encore  plus 
su.j,renant  dans  sa  position,  une 
communauté  de  missionnaires.  Mais 
une  autre  œuvre,  complément  de 
cette  dernière,  qui  surpasse  tout 
ce  qu'on  aurait  pu  attendre  de 
Vjanpey,  est  celle  de  quatre-tingt- 
dix  missions,  qu'il  a  fondées  dans 
le  diocèse  de  Bellcy,  pour  i-tre 
prêchées,  chaque  dix  ans,  h  per- 
pétuité, dans  les  campagnes  les 
plus  abandonnées.  Les  curés  de 
son  ypisjnage  l'invitèrent  à  évan- 


VIA 

géliser  leurs  ouailles,  et  il  donna 
plusieurs  missions  et  retraites,  qui 
produisirent  des  fruits  touchants 
de  conversion.  Les  pécheurs  qu'il 
avait  rarpenés,  les  justes  qu'il  avait 
affermi*  dans  ces  exercices,  conti- 
nuèrent k  venir  le  trouver  jusqu'à 
Ars,  afin  de  profiter  de  sa  pieuse 
direction.  Les  personnes  éprou- 
vées par  des  tentations  ou  par  le 
malheur  venaient  df^mander  se^ 
conseils  et  s'en  retournaient  con- 
solées ou  fortifiées.  Plus  tard,  des 
malades  crurent  devoir  à  ses 
prières  leur  soulagement  et  mêmç 
leur  guérison.  Le  nombre  des  vi- 
siteurs s'accrut  quand  le  bruit  se 
répandit  qu'il  faisait  des  miracles, 
et  cette  réputation  de  haiite  sain- 
teté se  répandit  de  côté  et  d'autre, 
et  attira  à  Ars  un  tel  concours  de 
peuple,  qu'il  fallut  prendre  des 
moyens  pour  le  seconder.  L'admi- 
nistration s'occupa  d'améliorer  les 
chemins  ;  un  service  de  voitures 
s'établit,  et  depuis  l'établissement 
de  la  voie  ferrée  de  Paris  à  Lyon,* 
des  prix  réduits  furent  créés  de 
Lyon  à  Ars,  et  des  omnibus  cor- 
respondaient à  Villefranche  avec 
tous  les  trains.  On  a  calculé  que, 
pendant  vingt-cinq  ans,  le  nombre 
des  étrangers  attirés  à  Ars  par  l^ 
réputation  du  curé  s'est  élevé,  en 
moyenne,  à  cent  mille  chaque  an- 
née. Pour  se  faire  upe  idée  de  la 
physionomie  qu'avait  prise  le  vil- 
lage, il  fç^ut  savoir  qu'un  grand 
nombre  de  ces  étrangers  séjour- 
naient six,  huit,  neuf  jours  et  même 
un  mois,  pour  y  faire  desneuvaines 
et  des  retraites  spirituelles  ;  qup 
tous,  excepté  les  prêtres,  étaient 
obligés  a  attendre  au  moins  qua- 
rante-huit heures  avant  d'arriver 
h  leur  tour  auprès  de  l'homme  de 
Dieu,  et  que  la  moitié  des  habitants 
avaient  transformé  leurs  maisons 


vu 

en  magasins,  où  se  vendaient  cha- 
pelets, médailles,  livres  pieux,  et 
surtout  des  portraits  et  des  biogra- 
phies de  l'abbé  Vianney.  Ce  bon 
curé  était  partagé  entre  les  dispo- 
sitions de  sa  charité  et  de  sa  mo- 
destie. 11  était  heureux  d'être  utile, 
mais  son  humilité  souffrait  de  cette 
affluence,  et,  pour  la  décourager, 
il  avait  obtenu  qu'aucun  de  ses 
paroissiens  ne  tiendrait  auberge, 
inutile  prépaution!  Il  fallut  bientôt 
tenir  jusqu'à  cinq  hôtels  constam- 
ment occupés ,  sans  compter  un 
nombre  considérable  de  maisons 
où  Ton  donnait  seulement  à  loger. 
Le  plus  bel  ordre  régnait  ordinai- 
rement dans  cette  multitude.  Pour 
ce  qui  concernait  l'accès  près  du 
curé,  l'arrivée  de  chaque  personne 
déterminait  son  rang.  Mais  s'il  y 
avait  des  privilégiés,  c'était  sou- 
vent les  plus  grands  pécheurs.  On 
dit  que  le  curé  les  distinguait  quel- 
quefois au  milieu  de  la  foule,  et 
les  appelait  lui-même.  Cette  invi- 
tation imprévue  a  été  pour  plu- 
sieurs un  coup  de  foudre  de  la 
grâce.  Quelques-uns  avaient  été 
conduits  à  Ars  par  des  pensées 
d'indifférence,  de  curiosité  et  même 
de  critique  hostile ,  car  on  peut 
croire  que  sur  une  telle  af- 
fluence il  n'en  pouvait  être  autre- 
ment; il  était  rare  qu'ils  ne  s'en 
retournassent  pas  convertis.  Pour 
donner  un  tableau  plus  frappant 
encore  de  ce  qui  se  passait  à  Ars, 
je  vais,  en  quelques  lignes,  mon- 
trer la  conduite  des  pèlerins,  car 
on  peut  leur  donner  celle  qualifi- 
cation, et  exposer  un  piécis  du 
règlement  de  vie  du  curé.  Les 
étrangers  passaient  la  journée  dans 
l'église,  et  y  restaient  souvent  jus- 
qu'à une  heure  bien  avancée  de  la 
nuit.  Quelques-uns,  et  je  le  sais 


VIA  34f7 

fait,  quelques-uns  ne  se  couchaîpfll 
pas,  de  peur  d'être  devancés  à  1^ 
por^e  çle  l'église,  où,  plusieurs 
heures  avant  l'aurore,  se  pressait 
une  foule  de  péqitenls.  Dans  les 
premières  années,  ces  pénitent^ 
généreux  restaient  à  l'air  pour  at- 
tendre, mais  le  bon  curé  fit  consr 
truire  un  vestibule  garni  de  sièges 
où  ils  pussent  attendre  à  l'abri  du 
mî^uvais  temps.  Si  les  fidèles  mon- 
traient (iu  zèle  et  de  la  constance, 
le  bon  curé  n'en  montrait  pas 
moins;  qu'on  en  juge  par  ce  prépis 
de  son  règlement  de  la  journée  :  il 
se  levait,  siiivant  la  saison,  à  une 
heure  ou  à  deux  heures  après  mi- 
nuit. Dès  qu'il  sortait  de  son  pres- 
bytère, qui  n'est  séparé  de  l'église 
paroissiale  que  par  la  largeur  d'un 
chemin ,  il  était  assailli  par  le§ 
étrangers,  qui  réclamaient  la  faT 
veur  de  passer  avant  les  autres, 
par  le  motif  qu'ils  étaient  là  depuis 
((uatre  ou  cinq  jours.  A  son  entrée 
dans  l'église,  il  trouvait  la  nef  déj^ 
lemplie  de  femmes;  les  hommes 
occupaient  le  sanctuaire  ;  ils  ét^ipnt 
toujours  préférés  et  avaient  leurs 
heures  réservées.  Il  faisait  la  prière 
du  matin  à  haute  voix,  puis  entrait 
au  coiifessionnal,  et  là  montrait  pe 
qu'il  était  dans  l'ordre  de  la  Pro- 
vidence. On  d't  qu'il  devinait  en 
quelque  sorte  l'état  des  âmes,  et, 
à  la  surprise  du  pénitent,  il  com- 
plétait lui-même  certaines  confes- 
sions que  la  honte  laissait  inache- 
vées. A  six  heures  tl  demie,  il 
célébrait  la  messe  qu'entendait 
une  assi'^lance  nombreuse  chaque 
joui-  comme  le  dimanche,  puis  il 
bénissait  divers  objets  que  les 
étrangers  se  trouvaient  heureux 
d'emporter  aux  quatre  coins  de  la 
France,  et  enfin,  dans  ce  moment, 
quelques  personnes  pouvaient  ob- 
le^ii'  pe  parole  d'avis  ou  unp  ré- 


us 


VIA 


ponse  sur  une  affaire  douteuse. 
Vers  huit  heures,  rentré  au  pres- 
bytère, il  prenait  son  déjeuner, 
composé  de  deux  onces  de  pain 
trempé  dans  une  tasse  de  lait,  et 
aussitôt  il  retournait  à  son  con- 
fessionnal ,  qu'il  quittait  à  onze 
heures  pour  faire  le  catéchisme. 
Quoique  ce  catéchisme  fût  fait  avec 
toute  la  simplicité  de  sa  position 
et  de  son  instruction,  avec  une 
voix  si  affaiblie,  qu'elle  était  pres- 
que insaisissable,  l'auditoire  était 
comme  suspendu  à  ses  lèvres,  et 
cependant  quelquefois,  dans  cet 
auditoire,  on  voyait  des  person- 
nages distingués,  des  magistrats, 
des  évêques,  etc.  Tant  d'exercices 
avaient  pu  exciter  l'appétit  du  bon 
curé,  qui  allait  en  effet  prendre  son 
dîner,  lequel  consistait  en  une 
nouvelle  tasse  de  lait  avec  quel- 
ques onces  de  pain  !  Sa  récréation 
consistait  à  dépouiller  son  courrier, 
et  il  recevait  des  lettres  de  tous 
les  pays;  il  en  a  reçu  jusqu'à  trente 
ou  quarante  dans  un  jour.  Sa  mo- 
destie l'a  porté  a  les  détruire  pres- 
que toutes!  Elles  eus.sent  été  les 
meilleurs  mémoires  pour  sa  vie 
apostolique,  car  on  le  consultait 
sur  toutes  sortes  de  difficultés;  on 
l'interrogeait  sur  toutes  sortes  de 
matières  :  une  agitation  de  con- 
science, une  affaire  de  famille,  une 
vocation,  etc.  ;  il  chargeait  le  plus 
souvent  un  de  ses  auxiliaires  de 
répondre  pour  lui.  Vers  une  heure, 
il  iiilail  visiter  sa  maison  des  Sœurs, 
ou  celle  des  Frères,  ou  celle  des 
missionnaires,  qu'il  avait  fondées 
pour  seconder  son  ministère  à  Ars. 
Il  consacrait  aussi  un  quart  d'heure 
à  se  di'iionrdir,  ainsi  nommait-il 
l'indispensable  délassement  qu'il 
prenait  dans  une  conversation 
agréable  par  son  angélique  gaité. 
Après  ces  courts  instants  de  dis- 


vîl- 

traction,  il  récitait  la  suite  de  son 
bréviaire,  visitait  les  malades  de 
sa  paroisse,  s'il  y  en  avait,  puis 
rentrait  au  confessionnal  où  il  res- 
tait jusqu'à  la  nuit,  excepté  qu'il 
en  sortait  encore  momentanément 
vers  cinq  ou  six  heures,  pour  ré- 
citer publiquement  le  chapelet  et 
la  prière  du  soir.  11  rentrait  ordi- 
nairement chez  lui  à  neuf  heures, 
restait  absolument  seul  dans  sa 
chambre  jusqu'à  onze  heures,  et 
alors  il  se  couchait.  Cette  vie  si 
uniforme,  déjà  par  là  même  si  mé- 
ritoire et  si  saintement  occupée, 
est  celle  qu'il  a  menée  pendant  de 
longues  années  dans  la  petite  pa- 
roisse d'Ars,  qu'il  a  rendue  à  ja- 
mais célèbre.  Voilà  quelle  fut  la 
vie  ecclésiastique  de  celui  qu'on 
n'avait  reçu  aux  saints  ordres  qu'à 
la  condition  qu'il  ne  confesserait 
personne,  et  il  confessait  plus  de 
pénitents  qu'aucun  prêtre  de  France 
et  peut-être  de  tout  l'univers!  Le 
talent  qu'il  avait  de  toucher  les 
âmes  et  même  de  les  éclairer,  ne 
pouvait  venir  que  d'un  don  gratuit 
et  de  la  grâce,  car  il  n'avait  guère 
le  temps  de  réparer  le  défectueux 
de  son  instruction,  si  je  puis  m'ex- 
primer  ainsi,  et  ses  moyens  natu- 
rels étaient  très-bornés.  Lui-même 
reconnaissait  et  avouait  avec  sin- 
cérité et  modestie  son  peu  de  sa- 
voir. 11  pouvait,  dans  les  deux 
heures  de  solitude  absolue  qu'il 
passait  dans  sa  chambre  avant  de 
se  mettre  au  lit,  se  livrer  à  la  lec- 
ture, et  on  a  su  du  moins  qu'il 
avait  de  l'attrait  pour  la  lecture  de 
la  vie  des  saints  dans  les  BoUan- 
distes.  Une  pieuse  femme  voulut 
le  servir  lorsqu'il  arriva  à  Ars; 
mais,  voyant  son  genre  de  vie,  elle 
le  quitta  au  bout  de  huit  jours,  di- 
sant qu'il  n'avait  pas  besoin  de. 
servante.  Ses  paroissiens  lui  four- 


VIA 


3/i9 


nissaient  son  austère  ordinaire,  et 
vraisemblablement  quelqu'un  fai- 
sait son  modeste  ménage.  Surpris 
par  une  visite  inattendue  de  l'évê- 
que  de  Belley,  il  fut  fort  embar- 
rassé, et  voulut,  en  exprimant  sa 
reconnaissance  et  ses  excuses,  se 
mettre  en  étal  de  traiter  de  son 
mieux  le  premier  pasteur.  Celui-ci 
n'y  consentit  jamais,  et  voulut  ab- 
solument partager  avec  lui  sa  ra- 
tion de  lait  et  son  pain  grossier, 
sans  qu'on  changeât  ou  qu'on 
ajoutât  rien.  Les  curés  du  canton 
de  Trévoux  se  résignaient  à  cette 
maigre  pitance  ,  en  voulant  une 
fois,  pour  lui  faire  pièce  et  mettre 
son  hospitalité  à  l'épreuve ,  se 
donner  la  récréation  de  fixer  le 
lieu  de  réunion  de  la  conférence 
théologique  dans  son  presbytère. 
Quelle  fut  leur  surprise  en  trouvant 
un  (lîuer  largement  et  délicatement 
servi,  dont  il  fit  les  honneurs  avec 
une  grâce  toute  cordiale  I  On  a 
écrit  que  ce  fut  peut-être  le  seul 
jour  où  le  foyer  du  presbytère 
sentit  un  peu  de  feu.  On  voit,  dans 
cette  phrase  exagérée,  l'idée  qu'on 
avait  de  l'ordinaire  du  pieux  curé. 
On  l'avait  obligé ,  à  la  fin ,  de 
prendre  un  peu  de  viande.  Les 
choses  étant  ainsi,  il  est  vraisem- 
blable que  son  vicaire  ne  parta- 
geait point  sa  demeure.  Quand  il 
paraissait  dans  les  rues  de  son  vil- 
lage, les  étrangers  quittaient  tout 
pour  le  voir.  Voilà  le  6ain(  qui  passe  ! 
disait-on;  on  se  pressait  sur  ses 
pas ,  on  l'environnait  de  toutes 
parts,  de  sorte  qu'il  avait  peine  à 
marcher.  Un  homme  le  suivait  en 
étendant  les  bras  pour  le  protéger 
contre  l'empressement  parfois  im- 
portun de  la  multitude.  Cela  ne  rap- 
pclle-t-il  pas  les  courses  de  saint  Ber- 
nard en  Italie,  en  Allemagne,  et 
dans  ses  prédications  contre  l'héré- 


tique Henri  ?  Eh  bien  !  le  curé  d'Ars 
craignait  extrêmement  la  mort  et 
les  jugements  de  Dieu!  Plusieurs 
fois  il  demanda,  sans  l'obtenir  de 
son  évêque,  la  permission  de  se 
retirer  k  la  Chartreuse  ou  à  la 
Trappe,  et  il  faut  placer  ici  un 
trait  édifiant  de  sa  part  et  de  celle 
de  ses  paroissiens.  Il  prit  active- 
ment la  résolution  de  se  soustraire 
à  la  vénération  publique  et  de  s'en- 
sevelir dans  un  monastère.  On  s'en 
douta,  et  on  monta  la  garde  autour 
du  presbytère.  A  minuit  on  aperçut 
de  la  lumière  dans  sa  chambre; 
quelques  minutes  après  on  le  vit 
sortir  portant  son  bréviaire  et  un 
petit  paquet  de  linge.  Les  Frères 
de  son  école  font  tous  leurs  efforts 
pour  le  décider  à  rester  ;  efforts 
inutiles.  Alors  ils  vont  sonner  les 
cloches.  Les  habitants  se  lèvent  en 
foule  comme  pour  un  incendie,  se 
précipitent  sur  ses  traces  et  l'attei- 
gnent sur  les  bords  de  la  rivière 
du  Foubleins,  qui  coule  au  fond 
d'un  ravin.  On  se  met  à  genoux 
sur  la  planche  qui  seit  de  passe- 
relle, espérant  le  fléchir;  il  fallut 
le  laisser  passer!  Alors  on  recourut 
h  la  ruse.  La  nuit  était  sombre,  et 
le  bon  curé,  qui  sortait  rarement, 
ne  connaissait  guère  les  chemins 
qui  avoisinent  Ars  ;  on  lui  fit 
prendre  un  chemin  tortueux  et 
ombragé  qui  conduisait  au  village, 
de  sorte  qu'après  avoir  marche 
pendant  une  demi-heure  et  se 
croyant  très-éloigné,  il  fut  fort 
surpris  de  se  trouvei"  dans  sa  pa- 
roisse. Croyant  voir  en  tout  cela 
une  manifestation  de  la  volonté  de 
Dieu ,  il  abandonna  son  projet. 
Mgr  Chalandon,  évêque  de  Helley, 
le  fit  chanoine  honoraire  et  lui 
imposa  lui-même  de  force  la  mo- 
zelte  sur  les  épaules.  Celle  mo/.eilc, 
il  ne  la  porta  jamais,  et  il  la  vendit 


èèD 


m 


înirriécltàteniëril  au  profit  A'es  pau- 
vres. Il  en  fut  de  même  de  la  croix 
dé  la  Légion  d'honneur,  dont  il 
ne  voulait  point,  parce  qu'elle  ne 
lui  rapporterait  rien  pour  eux.  Il 
là  vendit  immédialement  pour  la 
somme  de  cinquante  francs  qu'il 
leur  consacra. —Les  fortes  chaleurs 
de  juillet  1839  avaient  cruellement 
éprouvé  le  bon  curé;  il  avait  eu 
plusieurs  défaillances.  On  l'avait 
Vu  souvent  se  tordre  de  douleur 
dans  son  confessionnal.  Il  souffrait 
d'ailleurs  d'iine  toux  sèche  depuis 
vingt-cinq  ans.  Le  vendredi  29 
juillet,  il  fit,  comme  à  l'ordinaire, 
son  catéchisme,  ses  seize  ou  dix- 
sept  heures  de  confessionnal  et  la 
prière  du  soir.  En  rentrant  chez 
lui,  il  s'affaissa  sur  une  chaise,  en 
disant  :  Je  n'en  peux  plus!  Il  resta 
seul  dans  sa  chambre  jusqu'à  une 
heure  du  malin.  Quand  il  voulut  se 
lever  pour  aller  à  l'église,  il  res- 
sentit une  insurmontable  faiblesse, 
el  appela.  On  viut  à  lui,  mais  il  ne 
voulut  pas  qu'on  allât  chercher 
quelqu'un.  Le  joUr  venu,  il  com- 
mença à  condescendre  à  tous  les 
soins  qu'il  avait  déjà  repoussés. 
Quand  on  ne  le  vit  point  le  matin 
venir  célébrer  la  messe,  la  coiis- 
ternation  fut  générale.  Dès  lors 
on  dut  mettre  des  gardes  à  la  porté 
du  presbytère,  pour  empêcher  la 
foule  qui  "demandait  à  le  voir.  Dans 
la  nuit  du  29  au  30  juillet,  il  en- 
voya chercher  son  confesseur;  il 
i-eçut  les  derniers  sacrements  avec 
ia  ferveur  dont  on  peut  se  faire 
Une  idée.  Averti  des  progrès  du 
mal,  Mgr  de  Langallerie,  évêque 
de  tielley,  arriva  en  hâte,  priant  à 
haute  voix,  fendant  la  foule  agfe- 
liouillée  sur  soti  passage,  6t  vit  son 
vétiérable  curé  à  ses  dernières 
heures.  La  nuit  suivante,  à  deux 
heures  du  malin,  le  3  août  18Ô9, 


Via 

après dé  cruelles  souffrances,  Vian- 
ney  expira  sans  secousse,  sans 
agonie,  à  l'âge  de  soixante-quatorze 
ans.  Pendant  deux  jours  et  deux 
nuits,  une  foule  incessamment  re- 
nouvelée accourut  de  plusieurs 
points  de  la  France  voir  les  restes 
vénérés  du  saint  prêtre,  exposés 
dans  une  pauvre  salle  basse  du 
presbytère,  qu'on  avait  du  moins 
décorée  de  tentures  blanches  se- 
mées de  fleurs.  Deux  Frères  se 
tenaient  auprès  du  lit  de  parade, 
protégé  par  une  forte  barrière,  et 
leurs  bras  se  lassaient  à  présenter 
les  divers  objets  que  les  fidèles 
voulaient  faire  toucher  aux  mains 
du  saint  défunt.  Les  funérailles 
furent  faites  lé  6  août  par  l'évêque 
diocésain,  au  milieu  de  plus  de  huit 
mille  étrangers  el  de  trois  cents 
prêtres,  et  le  corps  fut  inhumé  au 
milieu  de  la  nef  de  son  église,  sous 
une  pierre  qu'entoure  aujourd'hui 
une  balustrade  en  fer.  Les  pèleri- 
nages continuent  à  Ars.  On  parle 
de  miracles  opérés  avant  et  après 
la  mort  du  vénérable  curé  ;  ils  ne 
peuvent  êlrfe  discutés  dans  cet  ar- 
ticle. L'Eglise  jugera  en  cette  ma- 
tière, et  déjà,  en  décembre  1859, 
lors  de  son  voyage  à  Rom«,  Mgr  De 
Langallerie  a  fait,  pour  la  béatifi- 
cation dé  Viauney,  une  demande 
qui  a  reçu  un  aécueil  biehveillant. 
On  a  un  livre  do  prières  publié 
sôùs  le  norti  de  Vianney,  cl  le  por- 
trait de  (;é  sâirit  cul-é,  décharné 
par  la  pénitence,  a  été  gravé  eh 
plusieurs  formats.  On  annonce  aussi 
une  histoire  de  sa  vie,  donnée  en 
deux  volumes.  B— d— c. 

VICTOR  dit  PEniim  (Claude), 
Dtc  Dk  Bellune,  maréchal  et  pair 
de  France,  chevalier  du  Saint-Es- 
prit, grand'croix  des  ordres  de 
Saint-LoUis  et  de  la  Légion  d'hon- 
neut,  etc.,   naquit  le  7  décera- 


Vl 

bre  1764  (1)  à  La  Marche,  petite 
ville  de  rancien  duché  de  Dar,  oii 
son  père,  Charles  Perrin,  exerçait 
la  profession  d'huissier.  Il  entra 
comme  simple  soldat,  le  < 6  octo- 
bre 1781,  au  4*  régiment  d'artil- 
lerie ,  où  il  demeura  jusqu'au 
10  mars  1791.  A  cette  époque,  il 
obtint  son  congé  absolu  et  s'éta- 
blit à  Valence,  où  il  fit,  partie 
de  la  garde  nationale  jusqu'au 
21  février  1792.  Il  fut  nommé 
alors  adjudant  sous -officier  au 
3*=  bataillon  des  volontaires  de  la 
Drôme  et  fut  promu  le  A  août 
adjudant  -  major  capitaine  dans 
le  3"  bataillon  des  Bouches-dli- 
Rhône;  le  15  septembre  suivant,  il 
obtint  le  grade  de  chef  de  bataillon 
du  même  corps.  Ce  fut  dans  ce 
grade  qu'il  alla  rejoindre  l'armée 
d'Italie,  avec  laquelle  il  fit  les  cam- 
pagnes de  1792  et  1793.  Victor 
occupait  avec  son  bataillon,  fort 
d'environ  600  hommes,  Coaraza 
dans  le  comté  de  Nice,  quand  il  y 
fut  attaqué  par  un  corps  d'environ 
3,000  Piémontais;  il  se  défendit 
courageusement,  et  parvint  à  les 
forcer  à  la  retraite.  Ce  remarqua- 
ble fait  d'armes  mérita  d'être  mis 
à  Tordre  du  jour  de  l'armée.  Victor 
fut  envoyé  au  siège  de  Toulon 
sur  la  On  de  1793;  de  là  datèrent 
ses  rapports  avec  Napoléon,  qui, 
sans  avoirjamais  présenté  un  grand 
caractère  d'intimité,  ne  demeurè- 
rent pourtant  pas  sans  influence  sur 
lï'clat  de  sa  carrière  militaire. 
Victor  se  signala  tout  d'abord  à 
Tattenlion  du  jeune  commandant 
de  l'arlillene  pa^  la  vigueur  avec 


(1)  iMusiriirs  l)ioi;r;tplies  assignent  à 
la naissanc»'  du  rnariHhal  la  date  de  1766 
ou  17«7.  Cilhî  qiio  j'ai  inditjiu'eîs  est 
extraite  de  sou  dosbier  con?>orNe  aux 
archives  du  ministère  de  la  guerre. 


y\k 


35i 


acfdellé,  dans  la  nuit  dû  30  hovértl- 
bre,  il  enleva  les  redoutes  et  les 
retranchements  de  la  montagne  de 
Faron;  mais,  le  lendemain,  il  sou- 
tint Un  combat  fort  inégal  contre 
6,000  assiégeants,  et,  mal  souletiu 
pat'  des  soldats  nouvellement  re- 
crutés (1),  il  ne  put  conserver  sa 
position.  Ces  actes  d'intrépidité  lui 
valurent  le  grade  d'adjudant  géné- 
ral chef  de  brigade.  Victor  prit 
ensuite  le  commandement  de  la 
division  de  droite  de  l'armée  de 
siégé;  ce  fut  en  cette  qualité  qu'il 
organisa  l'attaque  du  fort  de  l'Ai- 
guillette, surnommé  \e  petit  Gibral- 
tar, redoute  anglaise,  siir  laquelle 
il  marcha,  le  18  décembre,  à  la  télé 
de  ses  gi'enadiers,  et  qu'il  emporta, 
après  y  avoir  essuyé  deux  coups  de 
feu,  dont  l'un  l'atteignit  assez  gra- 
vement au  bas-ventre.  Ce  succès 
contribua  beaucoup  à  la  prise  de 
Toulon,  qui  eut  lieu  le  lendemain. 
Les  représentants  du  peuple  nom- 
mèrent provisoirerlient  Victor  jré- 
néral  de  bHgade,  et  le  Directoire 
confirma  sa  nomination  le  13  julti 
1794.  Au  commencement  de  cette 
aiînèe,  il  fut  envoyé  l'i  l'armée  des 
Pyrénées,  et  concourut  à  la  plu- 
part des  affaires  importantes  qui 
s'accomplirent  pendant  les  deux 
années  suivantes.  11  dirigea  avec 
habileté  une  fausse  attaijue  sur  Es- 
polla  par  le  col  de  Banyuls,  pen- 
dant que  Dugommier  forçait  les 
lignes  ennemies  à  la  Montagne- 
Noire,  prit  part  aux  sièges  du  fonf 
Saint-Elmc  et  de  Collloure,  et  com- 
manda une  brigade  à  celui  de  Ro- 
ses; puis  il  passa  à  l'armée  d'Italie, 
dont  il  fit  partie  sans  interruption 
depuis  les  derniers  mois  de  1795, 


(1)   Mémoires  du  duc  de   Bellune, 
\).  36. 


352 


VIG 


jusqu'après  la  paix  de  Campo-For- 
mio.  Victor  prit  le  commandement 
de  la  première  division  de  droite. 
Il  concourut  au  succès  de  la  ba- 
taille de  Loano  (23-27  novemlire), 
en  investissant  par  cidre  d'Auge - 
reau  le  mamelon  appelé  le  Grand- 
Caslcllaro,  défendu    par  le  brave 
Roccavina,  tandis  que   100  grena- 
diers et  200  chasseurs,  placés  en 
observation,  empêchaient  l'ennemi 
de  recevoir  des  renforts.  Ses  trou- 
pes s'élancèrent  ensuite  dans  les 
retranchements,  et  tuèrent  tout  ce 
qu'elles    rencontrèrent.    L'année 
suivante,  Victor  prit  une  part  ac- 
tive à  l'attaque  dirigée  contre  Pro- 
veïa  au  château  de  Cossaria,  à  la 
déroute  de  Wukassowich ,  et  surtout 
au  second  combat  de Dego  (15 avril), 
où,  à  la  tête  de  la  89^  demi-brigade, 
il  seconda  vaillamment  les  efforts 
du  général  Bonaparte.  Il  se  signala 
également  au  combat  de  Peschiera 
par  l'intrépidité   avec  laquelle   il 
dirigea  la  18''  demi-brigade  dans 
l'attaque  entreprise  jjar   Masséna 
contre  le  camp  retranché  au-devant 
de  cette  place;  il  battit  les  Autri- 
chiens sur  tous  les  points,  et  leur 
prit  18  canons.  Le   4   septembre 
1790,  au  combat  de  Saint-Marco, 
il  perça  la  ligne  ennemie  après  un 
engagement  fort  acharné,  et  entra 
dans  Roveredo  au  pas  de  charge; 
quelques   jours   plus  tard,  il  fut 
chargé  de  compléter  l'investisse- 
ment de  Porto-Legnago  sur  la  rive 
droite  de  l'Adige.  Cette  place  capi- 
tula le  13  septembre.  Le  surlende- 
main, Victor   culbuta  les  troupes 
qui  couvraient  le  fort  Saint  Geor- 
ges, où  il  entra  pêle-môleavec  elles. 
A  Cerea,  où  l'armée  française  était 
vivement  pressée   par  AVurmser , 
Victor  rétablit  le  combat  avec  un 
bataillon  de  grenadicMs,   dégagea 
l'armée,  repoussa  l'ennemi,  et  re- 


Vie 

prit  l'artillerie  dont  il  s'était  em- 
paré.  Il  concourut,  le  15  janvier 
1797,  au  combat  de  Saint-Georges, 
faubourg  de  Mantoue,  qu'il  enleva 
en  marchant  droit  aux  Autrichiens, 
à  la  tête  de  sa  demi-brigade,  en 
colonne  serrée  par  bataillon  à  hau- 
teur de  division.  Il  fut  blessé  dans 
celte  action,  qui  mit  2,000  prison- 
niers et  25  pièces  de   canon  au 
pouvoir  de  l'armée    républicaine, 
et  dont  l'effet  immense  fut  de  refou- 
ler Wùrmser  dans  Mmtoue,  dont 
il  avait  voulu  opérer  la  délivrance. 
Victor  ne  prit  pas  une  part  moins 
active  à  la  bataille  de  la  Favorite, 
qui  eut  lieu  le  lendemain  de  ce 
beau  fait  d'armes.   La   veille    au 
soir,   le   général   Bonaparte  avait 
établi  son  quartier-général  à  Uo- 
verbella,  où  toutes  les  troupes  de 
Masséna  et  de  Victor  s'étaient  ren- 
dues à  marches  forcées  pour  con- 
courir à  l'action  qui  se  préparait. 
Dans  la  nuit  du  15  au  16,  Victor 
reçut  l'ordre  de  se  porter  sur  la 
Fcjvorite  avec  les  IS'^  et  51''  de  li- 
gne et  le  âo"  de  chasseurs,   afin 
d'attaquer  l'ennomi  à  la  poiiilc  du 
jour.  Le  16,  à  cinq  heures  du  ma- 
tin, ProveraetWurmser  assaillirent 
la  Favorite  et  Saint-Antonio,  dont 
ce  dernier  parvint  h  s'emparer  à 
la  tôte  de  troupes  qu'il  avait  fait 
sortir  de  Manioue  ;   mais   Viclor, 
avec  la  57''  demi-brigade,  et  le  gé- 
néral Serrurier,  qui  commandait  le 
sié;,^e,    repoussèrent   vivement  le 
vieux  maréchal.  etViclor, marchant 
contre   Provera  avec  les  brigades 
P>on  et  (iiyeux,  réussit  bientôt  à 
acculer  au  faubourg  Saint-Georges 
la  colonne  autrichienne,  dont  les 
généraux  Miolliset  Augcreau  com- 
plétèrent le  désordre  et  bientôt  la 
déroute  par  des  attaques  simulta- 
nées sur  son  flanc  droit  et  sur  ses 
derrières.  Entamé  de  tous  côtés, 


vie 

abandonné  de  Wurmser,  qui  s'était 
renfermé  dans  Mantoue,  privé  de 
son  pont  sur  l'Adige,  Provera  se 
vit  obligé  de  mettre  bas  les  armes 
et  de  se  constituer  prisonnier  avec 
les  6,000  hommes  qui  lui  restaient. 
Plusieurs  généraux,  un  parc  d'ar- 
tillerie et  un  grand  nombre  de  dra- 
peaux tombèrent  entre  les  mains 
des  vainqueurs.  La  capilulaiion  de 
Mantoue  fut  la  conséquence  pres- 
que immédiate  de  ce  succès.  Le 
général  en  chef  reconnut  la  bril- 
lante coopération  de  Victor  en  lui 
conférant  sur  le  champ  de  bataille 
le  grade  de  général  de  division,  et, 
le  10  mars  1797,  le  Directoire  con- 
firma celle  promotion.  On  sait  que 
le  pape  Pie  VI,  cédant  à  des  insii- 
gaîions  mal  inspirées,  avait  cru  de- 
voir prendre  part  à  la  lutle  en- 
gagée entre  la  monarchie  autri- 
chienne et  la  republique  française. 
Une  division  de  l'armée  pontificale, 
forte  d'environ  0,000  hommes,  as- 
semblés à  la  hâte  au  son  du  locsin, 
après  avoir  coupé  les  ponts  du  Sé- 
nio,  s'était  retranchée  à  Castel- 
Bûlognese,  sur  la  rive  droite  de 
cette  petile  rivière  qu'on  a\ ail  gar- 
nie de  canons.  Le  4  février,  la  di- 
vision Victor,  ayant  îi  sa  lète  le 
général  en  chef  lui-même,  se  mit 
en  mouvement  par  Imola.  Son 
avant-garde,  commandée  par  le 
général  Lannes,  passa  la  rivière  à 
gué,  coupant  à  leimemi  sa  retraite 
sur  Faenza;  au  bout  de  (quelques 
instants  d'un  feu  bien  dirige,  la 
troupe  romaine  >e  débanda,  aban- 
donnaiiisoQariiilerieelbon  nombre 
de  prisonniers.  L'armée  française 
occupa  Faenza,  dont  le  général  en 
chef  réussit,  par  des  mesures  ha- 
biles,à  calmer  l'exaspération,  sur- 
excitée par  les  jjrjdicalions  de 
quehjues  fanatiques.  Luc  seconde 
division  pontilicale,  sous  les  ordres 

LXXXV 


Vie 


353 


du  général  autrichien  Colli,  com- 
posée d'environ  irois  mille  hommes, 
était  campée  devant  Ancône  ;  mais, 
à  l'approche  des  Français,  que 
commandait  Victor,  ce  général 
allégua  quelque  prétexte  pour 
quitter  le  service  du  pape,  et  se 
relira  avec  les  officiers  autrichiens. 
Victor  fit  cerner  cette  troupe,  qui 
occupait  une  position  assez  forte  ; 
elle  se  rendit  sans  coup  férir.  Le 
général  entra  dans  la  ville  et  s'em- 
para de  la  citadelle.  Ce  résultat 
était  d'une  haute  importance, 
parce  que  Ancône  renfermait  le  seul 
arsenal  de  l'Étal  romain.  Il  déter- 
mina le  traité  de  Tolenlino  (19  fé- 
vrier 1797)  qui  inaugura  les  pre- 
miers rapports  pacifiques  du  Saint- 
Siège  avec  le  gouvernement  répu- 
blicain. La  sollicitude  du  général 
en  chef  ne  larda  pas  à  se  porter  sur 
les  États  vénitiens,  où  venait  d'é- 
clater une  insurrection  formidable 
contre  les  Français.  Cette  répu- 
blique qui,  à  l'origine  de  la  coali- 
tion, avait  refusé  de  faire  cause 
commune  avec  les  puissances  eu- 
ropéennes, s'était  trouvée, peu  à  peu 
entraînéedans l'orbite  de  l'Autriche 
par  aversion  pour  les  princij)fcs 
révolutionnaires;  roccu|)alion  de 
Bergame  par  l'armée  française 
acheva  de  développer  ces  germes 
de  division.  Cependant,  le  gouver- 
nement veniiien  promit  sa  neutra- 
lité au  général  en  chef  qui,  peu 
conlianl  dans  celte  assurance,  réu- 
nit un  corps  de  troupes  assez  con- 
sidér.ible  pour  lui  en  faire  expier 
évcntuellenienl  la  violalion.  L'évé- 
nement ne  larda  pas  à  juslifier  celte 
précaution.  Sur  le  bruit  accrédite 
de  prétendus  revers  éprouvés  par 
les  Français,  l'aristocraiie  véni- 
tienne encouragea  hautement  les 
excitations  des  émi.^^saircs  autri- 
chiens,  et,    dans  la  journée   du 

2;{ 


35& 


vid 


9  avril,  à  la  suite  d'une  révolte  po- 
pulaire, tous  les  Français  établis  à 
Vérone  ou  dans  les  environs  furent 
impitoyablement  massacrés.  Les  ef- 
forts réunis  des  généraux  Balland 
et  Chabran  prévinrent  l'extension 
de    ce   mouvement;   mais  la  ville 
demeurait  dans  une  atfreuse  con- 
fusion, lorsque   la  division  Viciot* 
reçut  l'ordre    de    se  joindre  aux 
troupes  du  général  Kilmaine  pour 
attaquet*  les    rassemblements  in- 
surgés sur  tous   les  points  où  ils 
s'étaient   manifestés.    En   peu    de 
jours,  le  Véronais  fut  complètement 
pacifié.  Victor  se  porta  ensuite  sur 
Rovigo   et  Vicence,    puis  sur   les 
bords   de    l'Adige,    où  il  prit  po- 
sition. I.e  tn)ité  de  Campo-Formio 
(47  octobre   1797)  vint,  quelques 
mois  plus  lard,  consommer  le  dé- 
membrement de  l'ancienne  répu- 
blique vénitienne,  dont  les  États 
servirent  à   indemniser  l'Autriche 
de   la  perte  de  Mantoue  et  de  la 
Lombanlie.  —  Le  général  Victor 
s'associa  avec  ardeur,  comme  toute 
l'armée,  au  coup  d'É';itdii  18  fruc- 
tidor, réaction  de  la  force  bri-tale 
coiurfî   les    progrès    de  l'opinion 
publique.   En  sa    qualité  de  com- 
mandant de  la  H"  di.ision,  il   en- 
voya  au    Directoire   une  adresse 
k  cette  occasion  :  «   Les  vertueux 
patriotes  persécutés,  assassinés,  » 
ydi>ait-il  dans  le  siyiedutemps(l), 
«  les  prêtres  pro'.égés,  sonnant  par- 
loulle  tocsin  de  la  discorde  et  de  la 
guerre,  les  ♦•migres  dégouttant  en- 
core dusang  de  nos  frères  d'armes, 
rentrant   en    foule  pour    partager 
des  crimes  dont  l'horreur  fait  fré- 
mir, sont   des  atrocités  q  le  ceux 
qui  combaiieiit  depuis  six  ans  pour 
conquérir  leurs  droits,  ne  peuvent 
plus  tolérer....  Plus  d'Indulgence, 


(1)  Moniteur  du  26  tbenuidor  an  v. 


plus  de  demi-meslires  :  la  Républi- 
que ou  la  mort!  »  Victor  rentra  eil 
France  après  le  traité  de  Campo- 
Formio,  et  fut  appelé  le  17  mars  1798 
au  commandement  de  la  \2^  divi- 
sion militaire,  dont  le  siège  était  à 
Nant-es.  Il    y  reçut  une   lettre  du 
général    Bonaparte   qui  ,   prêt   à 
s'embarquer  à  Toulon  pour  l'expé- 
dition   d'Egypte,    lui    témoignait 
le    regret    de   ne  pas  l'emmener 
avec  lui.  Victor,  retourna  au  bout 
de  quelques  mois  dans  la  Péninsule 
italique,  où   de  nouveaux   événe- 
ments réclamaient  sa  coopération. 
Après  de  longues  et  orageuses  né- 
gociations, le  Directoire  s'était  dé- 
cidé à  déclarer  la  guerre  au  Piémont, 
dont  la  capitale  était  déjà  occupée 
et    surveillée    par    une   garnison 
française.  Victor  passa ,  dans  les 
premiers  jours  de   décembre,   le 
Tessin  à  Buffarola,  avec  la  division 
Dessolles,  et  rentra   à  Novare  et 
à  Veroeil  ;  Su2e,  Coniel  Alexandrie 
furent    surpris   et    les    garnisons 
faites    prisonnières.    Ces   mouve- 
ments   déterminèrent  l'abdication 
du  roi  de  Piémont ,  dont  les  Ëtals 
furent    réunis    à    la    république 
française.  Au  mois  de  février  1799, 
les   hostilités  entre   la   France   et 
l'Autriche,  suspendues  par  le  traité 
de  Campo-Formio,  se  rallumèrent, 
et  le  commandement    de    l'armée 
d'Italie  fut  confié  à  Schérer,  mili- 
taire infirme,  usé,  et  qui  n'inspi- 
rait aux   soldats  qu'une  confiance 
irès-limilée.  Victor  fut  placé,  avec 
le  général  llatry,  sous  les  ordres 
directs   de   Moreau,  au  centre  de 
l'armée  ;    ces  deux  divisions  réu- 
nies   se    composaient    de   14,450 
combaitants.  Le  26  mars  1799,  au 
combat   de   Véro  le ,    son   avant- 
garde  s'engagea    vivement  contre 
les  avant-posies  de  Liplay,  qu'elle 
rejeta  sur  Sauta-Lucla,  et  le  surplus 


vie 

de  sa  division  se  déployant  pour 
secourir  la  légion  polonaise,  qui 
pli;;ir  devant,  une  charge  de  lius- 
sarris  impériaux,  consomma  la  dé- 
faite du  régiment  de  Furstemberg, 
qui  fut  presque  f-ntlèrpincnt  détruit. 
A  la  bataille  de  Mîignano  (o  avril), 
si  funeste  à  l'armée  française,  la 
division  Victor  fit  ét^alemei  t  preuve 
de  bravoure  et  'le  résolution.  Elle 
rencontra,  entre  Raldon  et  San- 
Giovanni,  la  colonne  dirigée  par 
le  général  autrichien  Mercantin,  et 
ses  efforts,  combinés  avec  ceux  delà 
division  Greni<M',  l'accablèient  en 
quelques  instants  et  lui  détruisirent 
deux  régiments.  Mais  ces  deux 
divisions  se  trouvèrent  arrêtées  ù 
la  hauteur  de  Tomba  par  une 
colonne  composée  de  plusieurs  ba- 
taillons sortisde  Vérone.  La  division 
Grenier  fut  attaquée  la  première 
parle  général  Krav;  Victor  s'élança 
poui'  l;i  soutenir,  mais,  chargé  lui- 
même  par  les  régiments  de  Nadasiy 
et  de  Reisky,  il  ne  put  lui  porter 
un  secours  efticace;  elle  eut  son 
centre  enfoncé  et  fat  contrainte 
à  se  retirer;  assaillie  dans  sa  re- 
traite parle  corps  deRiay,  qui  avait 
rallié  environ  12  mille  hommes,  et 
criblée  parla  mitraille  et  la  mous- 
queterie,  elle  se  replia  néanmoins 
€n  bon  ordre  sur  Maz/.agaita.  Les 
Français  se  letirèrenl  sur  l'Adda, 
et  Schérer  ne  pouvant  plus  suffire 
aux  exigences  de  la  siiuaiiou,  re- 
mit à  Moreau  U;  commandement 
tie  ratmée.  La  division  Victor  fut 
ch^irgée  de  défendre  Lodi.  La  coa- 
lition euroj  éenne  venait  dî*  se  re- 
cruter d'un  allié  redoutable  dans 
le  czar  Paul  P',  le  seul  souverain 
peut-être  qui  ne  portât  qu'un  intérêt 
de  principe  à  cette  croisade  contre 
la  révolution  fiançaise,  mais  dont 
raiiimosiié,  très-vive  néanmoins, 
était   partagé*  par   ses    généraux 


Vie 


355 


Souwarow  et  Korsakow,  lesquels 
avaient  commencé  à  pénétrer  dans 
la  haute  Italie.  La  jonction  entre 
l'armée  autrichienne  et  les  pre- 
mières coloimes  russes  s'était  opé- 
rée le  24  avril,  derrière  le  Mincio. 
Le  lendemain  même,  2."),  eut  lieu, 
à  la  tête  du  pont  de  Lecco,  le  pre- 
mier choc  entre  les  Français  et  les 
Russes.  Ceux-ci  furent  repoussés  ; 
mais  Moreau  fut  moins  heureux  le 
27,  à  Cassano,  contre  le  baron  de 
Mêlas.  Il  perdit  près  de  cinq  mille 
hommes  et  beaucoup  d'artillerie, 
et  ce  revers  fut  encore  aggravé 
par  la  capitulation  de  Serrurier 
qui,  abandonné  sans  secours  à 
Verderio,  ne  put  tenir  contre  Wu- 
kassowich ,  et  se  vit  obligé  de 
mettre  bas  tes  armes.  L'arrière- 
garde  française  était  infailliblement 
perdue,  si  le  feld-maréchal  Souwa- 
row, commandant  général  des 
forces  austro-russes,  eût  songé  à 
devancer  au  passage  du  Tessin  le 
général  Grenier,  qui  la  comman- 
dait. Privé,  par  la  capitulation  de 
Serruiier,  de  toute  possibilité  de 
tenir  la  ligne  du  Tessin,  Moreau 
divisa  en  deux  colonnes  son  ar- 
mée fort  affaiblie  ,  et  dirigea 
l'une,  cumpoiîèe  des  divisions 
Victor  et  Laboissière,  vers  Alexan- 
drie, afin  d'être  j'i  portée  d'y  re- 
cueillir larmée  de  Naples,  (jui  de- 
vait venir  le  renforcer.  Victor,  dont 
la  division  était  demeurée  intacte, 
prit  position  entre  Alexandrie  et 
la  Rormida,  où  Moit'au  ne  larda 
pas  à  le  rejoindre  avec  le  gros 
de  ses  forces.  j)our  y  surveiller  le 
passage  du  Vo  par  l'armée  ausiro- 
russp.Le  genér.ij  Rosembergext'cuta 
cetleopeialioudanslanuitdu  H  au 
12  mai  à  Borgo-Franco ,  avec  un  seul 
bataillon  que  soutenait  la  brigade 
Dalheim.  Moreau  songea  aussitôt  à 
tirer  avantage   de  cet  acte  de  lé- 


356  • 


Vie 


ni('ri(i',et  Victor  eut  ordre  de  se  por- 
ter rapidement  par  les  hauteurs 
vers  le  point  du  passage,  alin  de 
couper  toute  retraite  à  l'ennemi. 
La  division  Grenier  et  la  brigade 
Quesnel  préparèrent  le  succès  de 
ce  mouvement  par  une  attaque  vi- 
goureuse contre  les  Russes,  dont 
tous  les  efforts  se  concentrèrent 
sur  les  hauteurs  de  Pezetti,  qu'ils 
enlevèrent  d'abord,  mais  dont  ils 
furent  bientôt  délOizés  par  Moreau 
et  le  chef  de  brigade  Gardanne. 
Pendant  ce  temps,  les  bataillons  de 
Victor  débordaient  par  le  flanc 
gauche  de  l'ennemi,  qui^  près  d'être 
enveloppé,  se  forma  en  carrés. 
Mais  cette  manœuvre  demeura  sans 
succès;  il  fut  rejeté  avec  perle  sur 
le  village  de  Bassignano,  et  con- 
traint de  regagner  l'île  la  plus  voi- 
sine, où  il  essuya  toute  la  journée 
un  leu  de  mitraille  qui  lui  fit  beau- 
coup de  mal.  Les  coalisés  pei'dirent 
dans  cette  affaire  tous  leurs  bagai^es, 
quatre  pièces  de  canon,  et  ils  eu- 
rent 1,500  hommes  mis  hors  de 
combat.  Lorsque,  quelques  jours 
plus  tard,  l'insui  reciion  du  Piémont 
coniiaignit  Moreau  à  se  retirer  sur 
Turin  et  Coni,  Victor  seconda  uti- 
lement ce  mouvement  en  marchant 
sur  la  rivière  de  Gènes  par  Ac(|ui, 
Spigno  et  Dego,  village  où  les  insur- 
gés tentèrent  de  l'arrêter,  et  qu'il 
incendia;  puisilse  réunit  le  liimai 
au  général  Pérignon  qui  occupait 
les  débouchés  du  côté  de  Plaisance 
et  le  col  de  la  Bocchetta.  La  jonction 
de  l'armée  de  Naples,  commandée 
par  Macdonald,  avec  les  troupes  de 
Moreau,  eut  lieu  sur  la  fin  de  mai 
dans  les  plaines  du  Pô.  Les  deux 
généraux  conrerlcrent  leur  plan 
d'action,  que  devait  exécuter  une 
armée  d'environ  ;iO,000  combat- 
tants. Celle  arme»;  présentait  le 
grand  avantage  de  former  une  masse 


vu: 

compacte  et  homogène,  tandis  que 
les  forces  austro-russes  étaient  dis- 
séminées sur  une  foule  de  points. 
Comme  dans  cette  campagne  la 
tâche  la  plus  forte  incombait  à  Mac- 
donald, il  fut  convenu  que  la  divi- 
sion Victor,  débouchant  sur  Parme, 
passerait  sous  ses  ordres,  et  que  la 
division  Lapoype  descendrait  la 
vallée  de  la  Trebbia  pour  lier  la 
communication  entre  les  deux  corps. 
La  marche  de  Victor  fut  secondée 
par  une  alt^tque  du  général  polo- 
nais Dombrowsky  contre  le  général 
Morzin,  qu'il  rejeta  sur  Poniremoli, 
et  la  division  Victor,  forte  de  7,000 
hommes,  put  s'avancer  sans  obsta- 
cle dans  le  val  Taro.  Macdonald, 
ayant  cette  division  à  Tavant-garde, 
s'établit  le  15  juin  entre  la  petite 
rivière  du  Tidone  et  la  ïrebbia , 
qui,  pour  la  seconde  fois, 
après  l'intervalle  de  plusieurs  .siè- 
cles (1),  allait  aitacher  son  nom  à 
une  mémorable  scène  militaire.  Il 
appela  à  lui  les  divisions  Olivier  et 
Montrichard  ,  qui  couvraient  la 
droite  et  les  derrières  de  l'armée, 
et,  décidé  à  accabler  le  corps  au- 
trichien de  Ott,  qui  venait  d'être 
repoussé  au  delà  du  Tidone,  il  or- 
donna à  Victor  de  l'attaquer  dès  le 
17.  Victor  passa  le  Tidone,  ^t,  sou- 
tenu par  les  généraux  Dombrowski 
et  Rusca,  il  aborda  avec  impétuo- 
sité le  corps  ennemi  au  secours 
duquel  Souwarow  s'avançait  à  mar- 
che forcée.  Oit  plia  et  fut  rejeté 
en  désordre  sur  San  Giovcinni  ;  mais 
Chasteler,  avec  l'avant- garde  de 
Mêlas,  et  Bagration,  à  la  tête  de 
l'infanterie   russe,    rétablirent    le 


(1)  La  preniiérc  bataille  de  la  Tré- 
bie,  entre;  Ariiiibal  et  los  consuls  Sci- 
pion  et  Somproiiius,  avait  eu  lieu  l'an 
218  avant  l'ère  chrétienne. 


vie 

combat.    L'armée    de    Macdonald 
débouclia  sur  trois  colonnes  par  la 
grande  route  et  les  chemins  de  Ve- 
rato  et  de  Motla-Ziana,  et,  quoi- 
que inférieure  en  nombre,  elle  ob- 
tint des  avantages  marqués,  lors- 
que  l'arrivée    de    Souwarow  vint 
apporter  à  l'ennemi   de  puissants 
renforts.  La  division  polonaise,  qui 
flanquait  la  gauche  d(^s  Français, 
fut  mise  en  désordre  par  le  prince 
Gortschakoff,  et  repoussée  derrière 
le  Tidone.  La  droite  avait  réussi  à 
contenir   le   corps   de  Bagration, 
quand  les  bataillons  du  général  en 
chef  russe  la  contraignirent  égale- 
ment à  la  retraite.  Apres  avoir  battu 
la  légion  polonaise,  la  cavalerie  de 
Gortschakotîviiit  prendre  en  flanc 
la  brave  division  Victor  qui,  malgré 
des  efforts  inouïs,   fut  rejetée  au 
delà  du   Tidone.  Victor,  avec  le 
reste  de  son  corps,  repassa  la  Treb- 
bia,  suivi  des  Russes,  auxquels  il  fit 
essuyer  un  eu  meurtrier.  L'ayant- 
garde  française  s'établit  à  la  nuit 
sur  la  rive  gauche  du  fleuve,  occu- 
pant par  une  chaîne  de  postes  tout 
le  territoire  d'Imento  à  Grigiiano. 
Les  divisions  Victor,  Dombrowski 
et  Rusca  restèrent  sur  la  droite. 
Macdonald  attendait,  pour  lenren- 
dre  l'offensive,  les  division^  Mont- 
richard  et  Olivier;  mais  il  fut  pré- 
venu par  Souwarow,  qui  se  mit  eu 
mouvement  dè.>  ie  malin  du  18  juin. 
Informe  de  celte  manœuvre,  Victor, 
qui  commun  iait   en  l'absence  de 
Macdonald,  rtU^nu  au  quartier  gé- 
néral par  une  blessure,  rassembla 
à  la  hâte  son  infanterie,  et  résista 
d'abord  à  la  principale  aUaquL*  con- 
duite par  Kosemberg;  mais  il  se 
vit  contraint  de  céder  à  la  pression 
croissante  des  bataaioiis  russes,  el 
de  se  replier  vers  la  nuit  sur  la 
droite  de  la  Trobbia.  Les  deux  di- 
visions   auxiliaires   s'elaieul    oré- 


VIC 


357 


semées  vers  deux  heures  sur  le 
théâtre  du  combat,  où  elles  avaient 
fait  bonne  contenance  ;  mais  la  re- 
traite de  Victor  décida  Montrichard 
à  repasser  la  Trebbia,  où  il  s'établit 
sur  le  prolongement  de  la  division 
Victor.  La  nuit  même  n'apporta  au- 
cun repos  aux  combattants.  Trois 
bataillons  français,  entrant  inopi- 
nément dansle  lit  de  la  rivière  pour 
assaillir  les  postes  ennemis,  provo- 
quèrent une  mêlée  qui  devint  bien- 
tôt générale,  et  qui,  sans  résultats 
importants,  couvrit  le  lit  du  fleuve 
du  sang  et  des  cadavres  des  deux 
armées.  Incertain  des  mouvements 
de  Moreau,   qui  s'était  porté   par 
Tortone  avec  son  corps  de  troupes, 
en  détachant  par  liobbio  la  division 
Lapoype,  Macdonald,  qui  avait  re- 
pris le  commandement,  résolut  de 
livrer  aux   Russes   une    troisième 
bataille,  et  de  tourner,  en  divisant 
ses  forces,  les  ailes  de  l'armée  de 
Souwarow.  Victor  et  Rusca  furent 
chargésd'aitaquer  l'ennemi  de  front, 
tandis   que    les   divisions  Watrin, 
Dombrowski,  Olivier  et  Montrichard 
opéreraient  sur  ses  flancs  dans  la 
direction   de   Pavie  et  de  Xiviano. 
L'armée  française  passa  la  Trebbia 
le  19  juin,  à  dix  heures  du  malin. 
Une  attaque  heureuse  du  corps  de 
Dombi  owski  sur  Rivalla  ayant  forcé 
le  général  en  chef  ii  romprii  l'unité 
de  sa  colonne,  Victor  et  Rusca  s'é- 
lancèrent précipitamment  par  celle 
trouée  de   quelques   centaines   de 
toises,  el  culb. itèrent  la  droite  du 
général  russe  Schweikow>ky,  qu 
fut  rejeiée  sur  Casaliggio.  Mais  ce 
mou>emenl  ayanl  ele  mal  soutenu 
par   les  Polonais,   Bagraiion    put 
prendre  ii  revers  lesd.^ux  divisions, 
(jue   Soiiwarow    lui-mènie  aliaipia 
vivement  de  front,  et  eUes  furent 
ramenées  Aur  la  Trebbia,  dont  elles 
dispulerent  vicluiieiiscment  le  pas- 


358 


Vie 


sage  à  l'ennemi.  Cet  échec,  qui 
coûta  environ  l,iOO  hommes  à 
chaque  parti,  annula  les  avantages 
qu'avaient  d'abord  obtenus  sur 
d'autres  points  les  divisions  Watrin 
et  Montrichard,  car  il  permit  au 
généralissime  russe  de  j)orler  des 
renforts  k  son  extrême  gauche  ;  la 
5*  légère,  qui  précédait  hi  division 
Montrichard,  ayant  été  simultané- 
ment assaillie  de  Iront  et  de  flanc, 
s'enfuit  en  désordre,  et  cette  cir- 
constance fâcheuse  livra  les  divi- 
sions Victor  et  Rusca  à  des  forces 
supérieures,  qui  les  obligèrent  de 
repasser  la  Trebbia.  Affaiblie  par 
ses  pertes  accumulées,  démoralisée 
par  ses  revers,  privée  de  munitions 
et  d'artillerie,  dépourvue  de  la  plu- 
part de  ses  chefs  blessés  et  hors  de 
combat,  l'armée  de  Macdooald  dut 
songer  à  la  retraite.  Elle  se  mit  en 
marche  dans  la  nuit  du  19  juin. 
Victor  s'avança  sur  San  Giorgio 
avec  les  trois  divisions  de  l'aile 
gauche.  Informé  de  la  désorganisa- 
tion de  l'armée  et  de  la  direction 
de  sa  retraite,  Souwarow  fit  de 
promptes  dispositions  pour  la  pour- 
suivre. Son  avant-gaids  atteignit, 
sur  les  bords  de  la  Nura,  près  de 
San  Giorgio,  Victor  qui  défendit 
le  gué  pendant  quelques  instans  à 
la  tête  de  six  escadrons  français 
appuyt's  d'une  tres-faible  artillerie. 
Menacé  par  Bagralion  qui  survint 
avec  des  renforts,  Victor  se  dispo- 
sait k  évacuer  San  Giorgio,  lors- 
qu'il fut  assailli  sur  tous  les  points 
par  des  forces  supérieures,  il  lutta 
avec  intrépidité;  mais  deux  nou- 
velles divisions  russes  passant  la 
Nura  enveloppèrent  celle  demi- 
brigade  et  la  forcèrent  k  mettre 
bas  les  armes,  après  des  prodiges 
de  valeur  qui  firent,  dit-on,  l'admi- 
ration de  Souwarow  lui-même.  Cet 
échec  amena  la  dispersion  de  la 


Vie 

colonne  de  Victor,  dont  les  débris 
ne  se  lal lièrent  que  dans  les  mon- 
tagnes de  Gastel-Arquato.  Ce  géné- 
ral fut  chargé  de  garder  les  gorges 
de  Pontremoli  et  du  val  Taro,  d'où 
il  se  replia  avec  Montrichard  sur 
Florence  et  sur  Gènes.  Par  suite  de 
la  mort  de  Joubert  et  de  la  promo- 
tion de  Moreau  au  commandement 
de  l'armée  du  Rhin,  Championnet 
fut  nommé,  au  mois  de  septembre 
1799,  général  en  chef  de  l'armée 
d'Italie.  Un  de  ses  premiers  efforts 
tendit  à  débloquer  Coni,  occupé  par 
3,000  Français,  que  les  Autrichiens 
convoitaient  avec  ardeur  comme 
la  clef  du  Piémont.  Il  dirigea  sur 
Mondovi,  dans  cet  objet,  en  le  fair 
sanl  appuyer  par  des  forces  con- 
venables, le  centre  de  son  armée  , 
qui  se  composait  des  divisions  Vic- 
tor et  Lemoine,  et  le  premier  de 
ces  généraux  eut  ordre  de  s'empa- 
rer de  cette  place;  mais  son  avant- 
garde  seule  parut  à  l'entrée  du 
faubourg;  le  gros  de  la  division 
ayant  été  obligé  de  rétrograder  k 
Villa-Nova,  faute  de  vivres.  Atta- 
qués sur  ce  point,  le  2  octobre, 
par  la  brigade  aulricliienne  Laur 
don,  les  deux  généraux  la  repous- 
sèrent avec  perte  ;  mais  Victor  fut 
moins  heureux  ,  quelques  jours 
plus  tard,  au  combat  de  Beinette, 
village  dont  le  général  russe  Mi- 
trowski  s'(!mpara  après  un<i  dé- 
fense opiniâtre.  Victor  déploya  la 
même  intrépidité  à  la  bataille  de 
Genola,  le  4  novembre,  dans  un 
engagement  meurtrier  avec  Elsnilz, 
sous  le  canon  de  Fossano.  La  vic- 
toire paraissait  prête  à  se  déclarer 
en  sa  faveur,  quand  l'arrivée  de 
Mitrowski  vint  égaliser  les  chan- 
ces du  combat.  Cependant  Victor 
tenait  ferme;  mais,  par  suite  de  la 
retraite  du  général  Grenier,  il  re- 
çut du  général  en  chef  l'ordre  de 


VÎC 

quitter  le  champ  de  bataille  et  de 
se  replier  sur  Murazzo,  où  il  ne 
put  tenir  contre  l'attaque  de  Mê- 
las; et,  après  avoir  été  séparé  de 
son  arrière-garde,  il  gagna  le  camp 
de    Madona-del-OImo    avec  une 
perte  de  quatre  cents  prisonniers. 
Le   29   novembre,  au  combat  de 
Santa-Anna,  Victor  défendit  vaih 
lamment  contre  les  Autrichiens  la 
position   de   Monastero  ;   mais,   à 
l'approche  des   renforts  ennemis, 
il  se  replia  sur  Vico,  puis  sur  Ga- 
ressio.  La  capitulation  de  Coni  et 
la  prise  d'Ancône  terminèrent  celte 
succession  de  désastres,  à  laquelle 
la  fortune  gardait  une  éclatante  et 
prochaine   compensation.  —  Une 
des  premières  pensées  du  général 
Bonaparte,  parvenu  au  pouvoir  su- 
prême, fut  de  reprendre  à  l'Autri- 
che ce  territoire  italien  qui  avait 
été  le  berceau  de  sa  gloire.  Pen- 
dant que   Masséna  luttait  pénible- 
ment pour  y  conserver  les  derniè- 
res traces   de   l'occupation    fran- 
çaise, le  premier  consul  organisait 
avec  autant  de  mystère  que  d'in- 
telligence et  d'activité  une  armée, 
de   réserve   assez  puissante  pour 
reconquérir  par  un  coup  de  main 
hardi  tout'  ce  que   les  fautes  de 
Scbérer,  l'impéritie  du  directoire, 
les  revers   de    Macdonald  et  un 
concours   fatal    de    circonstances 
avaient  fait  perdre  k   la   France. 
La  réunion  des  corps  de  celte  ar- 
mée devait  former  une  masse  de 
67  mille  combattants .  Les  divisions 
étaient  commandées  par  les  géné- 
raux Mural,  Lannes,  Viclor,  Mon- 
cey,   Loison,  Walrin,    Houdet  el 
ChambarIhac.La  première  colonne, 
forte  de  36  mille  hommes,  sous  les 
ordres  du  général    en  chef,  avait 
franchi   le    grand   Saint-13eruard, 
tourné  le  fort  de  Bard,  pris  Ivrée  et 
débouché  eD  Italie,  sans  que  le  gé- 


Vie 


35ft 


néral  Mêlas  eût  ajouté  foi  à  cette  au- 
dacieuse entreprise,  d  int  il  ne  pér 
nétrait  pas  le  véritable  but.  La  pre 
mière  action  à  laquelle  prit  part  U 
division  Victor,  fut  la  iDataille  de 
Montebello  (8  juin),  où  l'interven 
tion  de  la  division  Ghambarlhac, 
qui  faisait  partie  de  son  corp§, 
secondant  la  bravoure  du  général" 
Lannes,  qui  commandait  l'avant- 
garde  de  l'armée,  décida  la  victoire; 
3,000  mille  hommes  tués,  6,000 
prisonniers  furent  les  résultats  de 
cette  brillante  affaire  dans  laquelle 
l'armée  autrichienne  avait  engagé 
18,000  hommes  de  ses  meilleures 
troupes,  et  notamment  lesgrenadiers 
de  Ott,  l'élite  de  cette  armée.  Le 
premier  consul  se  porta  dans 
l'après-midi  du  12juinsurlaScrivia, 
où  les  divisions  Gardanne  ei  Gham- 
barlhac, commandées  par  Viclor  et 
formant  l'aile  gauche  de  l'armée 
française,  s'établirent  en  avant  de 
Tortone,  soutenant  l'avant-garde  de 
Kellermann.  Le  lendemain  il  passa 
a  Scrivia  et  ordonna  à  Victor  de 
se  porter  sur  le  village  de  Marengo 
et  de  pousser  des  coureurs  jusque 
vers  la  Bormida,  afin  de  s'assurer 
si  l'ennemi  avait  jeté  quelque  pont 
sur  cette  rivière.  Viclor  trouva 
Marengo  occupé  par  une  arrière- 
garde  de  4,000  Autrichiens;  il  cul- 
buta ce  corps  et  prit  possession 
du  village,  où  il  établit  ses  deux 
divisions,  fortes  d'environ  9,000 
hommes,  en  plaçant  un  peu  en 
arrière  le  général  Kellermann  avec 
trois  régiments  et  un  escadron  de 
cavalerie.  Les  éclaireurs,  légère- 
ment informes,  annoncèrent  que 
l'ennemi  n'avait  fait  aucune  dispo- 
siiion  de  passige  et  ne  purent 
donner  aucune  nouvelle  ihi  corps 
de  Mêlas.  Ce  général,  menacé  à  la 
fois  par  l'armée  de  réserve  ei  sur 
»es  derrières  par  celle  de  Sucliei, 


360 


Vie 


s'était  décidé,  après  de  grandes 
perplexités,  à  livrer  bataille  au 
premier  consul  et  ù  rouvrir,  en  lui 
passant  sur  le  ventre,  ses  commu- 
nications avec  le  conseil  aulique. 
Le  11,  à  la  pointe  du  jour,  les 
Autrichiens  traversèrent  la  Bor- 
raida  sur  trois  ponts  et  attaquèrent 
vivement  le  village  de  Marengo, 
qu'ils  empoi  tèrent  à  la  suite  d'ef- 
forts répétés,  et,  après  avoir  obligé 
la  division  Chambarlhac,  décou- 
ragée et  épuisée  de  munitions,  à 
se  replier  pour  attendre  les  renforts 
annoncés  au  général  Victoi'  (1).  Il 
fallut  toute  rintrépiditédes  800 gre- 
nadiers à  pied  de  la  garde  consu- 
laire pour  arrêter  et  contenir  Fen- 
nemi.  Ce  fut  h  cet  instant  seulement 
que  le  général  en  chef  parut  sur  le 
chamj)  de  bataille,  où  sa  présence 
ranima  sur  tous  les  points  le  cou- 
rage et  l'espoir.  Les  fuyards  se 
rallièrent  peu  à  peu  sur  San-Giu- 
liaiio,  ù  la  pauche  de  Lannes,  qui 
concourut  avec  Victor  à  supporter 
pendant  plusieurs  heures  le  choc 
d'une  armée  de  40,000  hommes, 
servie  par  la  mitraille  de  80  pièces 
d'artillerie.  Personne  n'ignore  que 
la  bataille  paiaissait  perdue  et  que 
Mêlas  blessé,  accablé  de  fatigue, 
ét:iit  rentra'  dans  Alexandrie,  lais- 
sant à  son  cht'f  d'étal-major  le  soin 
de  poursuivre  l'armée  française. 
L'intervention  de  Desaix ,  avec 
G, 000  hommes  de  troupes  fraîches, 
changea  la  déroute  commencée  en 
une  victoire  décisive.  Victor  rap- 
pela ses  batiiilioiis  dispersés,  l'ar- 
mée reforma  ses  rangs,  les  habiles 
manœuvres  du  premier  consul  et 
les  chaînes  irrésistibles  de  la  cava- 
lerie de  Keliermann  firent  le  reste. 


(i)  Mémoires  du   duc  de    Ikllune, 
p.  ITi. 


Vie 

L'armée  autrichienne  fut  jetée  en 
une  épouvantable  confusion,  ;\  la- 
quelle contribua   puissamment  la 
division  Victor  par  la  reprise  de 
son  champ  de  bataille ,  en  avant 
du  village   de   Marengo.    Le  pre- 
mier consul  retourna  à  Paris,  e 
les    divisions    composant    l'armée 
de  réserve  furent  réunies  *:i  l'ar- 
mée   de    Ligurie    sous    le    com- 
mandement général   de  Masséna, 
à  qui  son  immortelle   victoire  de 
Zurich  avait  as-igné  le  plus  haut 
rang  parmi  les  lieutenants  de  Na- 
poléon. Victor,  désigné  le  premier 
dans  le  bulletin  du  généi-al  en  chef, 
en  reçut  un  sabre  d'honneur  pour 
récompense  de   la   brillante   part 
qu'il  ;ivait  prise   à.  la   bataille  de 
Marengo.  Il  fut  nommé  le  25  juillet 
lieutenant  du  commandant  supé- 
rieur de  l'armée  de  Batavie,  puis 
capitaine  général  du  corps  destiné 
à  une  exj)édition    en    Louisiane. 
Mais  cette  expédition  ne  put  avoir 
lieu,  par  suite  du  blocus  établi  par 
les  Anglais  sur  les  ports  de  la  Hol- 
lande. Cependant  Victor  demeura  à 
LaHaye,dontiI  r,onservalecomman- 
dement  jusqu'à  la  paix  d'Amiens. 
A  la  suite  de  ce  traité,,  Victor  fut 
nommé   ministre   plénipotentiaire 
de  France  en  Danemark.  Il  y  reçut 
successivement  la  croix  de  grand- 
officier  (14  juin  1804)  et  celle  de 
grand-aigle  (6  mars  1805)   de  la 
Légion  d'tionneur.  Le  général  Vic- 
tor ne  prit  aucune  part  îi  la  guerre 
d'Allemagne,  en  1805;  mais,  lors  de 
la  campagne  contre  la  Prusse,  l'an- 
née suivante,  il  fut  désigné  pour 
remplir  les  fonctions  de  chef  d'<!tai- 
major  du  5"  corps,  commandé  par 
le   mnréchal    Lannes.  Il   partit  de 
Copenhague  sur  lu  fin  de  septem- 
bre, et  figura  le  10  octobre  au  com- 
bat de  Saalteld,  qui  coula  la  vie  au 
prince  Louisde  Prusse,  1,600  hom- 


vie 

mes  tués  ou  pris  à  l'ennemi,  et 
30  pièces  de  canon.  Il  se  signala 
par  l'exactitude  de  ses  dispositions 
à  la  bataille  d'Iéna,  dont  le  succès 
dépendit  en  grand"  partie  de  la 
bravoure  du  corps  d'armée  auquel 
il  appartenait,  et  qui  porta  k  la 
monarchie  prussienne  une  atteinte 
dont  elle  fat  longtemps  à  se  rele- 
ver. Dans  cette  sanglante  action, 
Victor  reçut  une  eoniusion  violente 
causée  par  un  hiscaïen  ;  mais  il 
n'en  continua  pas  moins  de  vaquer 
avec  zèle  à  l'exercice  de  ses  fonc- 
tions. Ce  fut  lîii  qui,  comme  fondé 
de  pouvoirs  du  maréchal  Lannes, 
signa,  le  25  octobre,  la  capituiaiion 
de  Spandau.  Le  26  décembre,  il 
prit  une  part  honorable  au  combat 
de  Puitusk,  où  ies  Russes,  bien  re- 
tranchés, se  défendirent  avec  ach,ar- 
nemeni.  Quelques  jours  plus  tard, 
Victor  reçut  de  l'empereur  la  mis- 
sion d'i.'.'Sjjeeterlestravauxdessiég^'S 
de  Colberg  et  de  Dantzig.  Il  par- 
courait dans  cet  objet,  au  mois  de 
janvier  1807,  ies  environs  de  Stet- 
tin,  en  voilure,  avec  son  aide  de 
camp  et  un  domestique,  lorsqu'il 
fut  enlevé  par  un  parti  de  chasseurs 
prussiens;  mais  Napoléon,  qui  ne 
pouvait  se  priver  d'un  tel  auxiliaire, 
le  fit  bientôt  échanger  contre  quel- 
ques prisonniers  prussiens.  La  mis- 
sion de  Victor  n'eut,  du  reste, 
aucune  suite,  et  il  revint  immédiate- 
ment participer  aux  périls  et  aux 
exploits  de  la  grande  armée.  La 
bataille  de  Frie.lland,  livrée  le  sep- 
tième anniversair»'  de  la  journée  ne 
Marengo,  lui  fournit  une  uouvt-lle 
occasion  de  montrer  sa  bravouie  et 
sa  solidité.  Il  commandait  le  pre- 
mier corps  de  cette  formidable 
phalange,  enrempl'.cementde  ber- 
nadotte.  «îrievemenl  bles.sé  quelques 
jours  avant  au  combat  de  Spandau, 
et  fut  chargé  de  se  porter  sur  la 


Vie 


361 


villedeFriedlând,àlasuitedeNapo- 
léon  et  de  la  garde  impériale.  Sa  di- 
-vision  dut  former  avec  cette  garde 
le  corps  de  réserve.  Le  maréchal 
Ney,qui  occupait  la  droite  de  l'ar- 
mée, s'étant  ébranlé  pour  marcher 
à  l'ennemi,  ce  fut  le  corps  de  Vic- 
tor qui  reçut  ordre  de  lui  succéder 
dans  sa  position ,  et  de  soutenir  cette 
attaque  par  fe  feu  de  sa  redoutable 
artillerie.  Le  général  Dupont,  chef 
de  l'une  des  divisions  de  ce  corps, 
s'apercevant  que  la  division  Bisson, 
qui  formait  la  gauche  du  maréchal, 
commençait  ^  plier  sous  le  choc  de 
la  garde  impériale  russe,  marcha 
spontanément  à  son  secours.  Cette 
garde  fut  à  son  tour  chargée  avec 
une  impétuosité  qui  força  toute  la 
gaii.'he  de  l'nrmée  ennemie  à  se 
précipiter,  dans  une  inexprimable 
confusion,  sur  la  ville  de  Fried- 
land.  Il  s'ensuivit  un  affreux 
carnage.  Les  quatre  divisions  de 
Gortschakotf  furent  littéralement 
anéanties  par  le  fer  et  le  feu,  ou 
noyées  dans  les  eaux  de  Lalle. 
L'empereur  récompensa,  le  13  juil- 
let 1807,  l'utile  coopération  de 
Victor  par  le  bâton  de  maréchal,  et, 
plus  tard,  par  le  litre  de  duc  de 
Bellune.  Après  le  traité  de  Tilsit, 
il  fut  nomme  gouvernei-r  de  Berlin, 
et  remplit  ces  fonctions  avec  une 
intégrité  et  un  esprit  de  modération 
qui  lui  concilièrent  l'estime  et  la  re- 
connaissance des  habitants.— Lors- 
que Napoléon,  aveug'.Ji  par  sa  for- 
tune, eut  médité  d'accomplir  par 
la  trahison  et  la  violence  l'usurpa- 
tion de  la  couronne  d'Kspagne,  il 
n'employa  point  immédiatement  le 
concours  du  nouveau  dignitaire.  Ce 
ne  fut  qu'au  mois  d'août  4808, 
quelques  jours  après  le  désastre  de 
Baylen,  qu'il  confia  à  Victor  le 
commandement  du  premier  corps 
de  la  grande  armée.  Victor  se  diri- 


362 


Vie 


gea  sur  Bayonne  dans  le,  courant 
de  septembre  1808.  Lors  de  son 
passage  à  Paris,  il  fut  reçu  à  la 
barrière  de  Pantin  par  le  préfet  de 
la  Seine  qui  le  complimenta,  et 
remit  à  son  corps  des  couronnes 
d'or  destinées  à  orner  les  aigles  des 
régiments  dont  il  se  composait.  Le 
commandement  de  Victor  en  Es- 
pagne fut  marqué  à  son  début  par 
quelques  fautes  de  stratégie  qui  lui 
ont  été  sévèrement  reprochées.  Il 
eut  le  tort  de  disséminer  ses  forces, 
lors  de  sou  arrivée  à  Viltoria,  et 
d'envoyer  en  Biscaye,  sur  la  de- 
mande assez  mal  motivée  du  roi 
Joseph,  la  divison  Vilatte  qui  en 
faisait  partie,  et  que  le  maréchal 
Lefebvre  employa  à  des  opérations 
prématurées,  qui  contrarièrent  le 
plan  de  campagne  de  Napoléon.  Ce 
grand  capitaine  s'appliqua  promp- 
tement  à  rectifier  la  partie  mal  en- 
gagée. Victor  eut  ordre  d'appuyer 
le  maréchal  Lefebvre  dans  son 
mouvement  sur  Orduna,  et  de  ral- 
lier ensuite  le  centre  de  l'armée. 
Mais  cet  ordre  ne  reçut  qu'une 
exécution  imparfaite.  Le  chef  du 
î*"  corps  se  contenta  iie  flanquer 
son  collègue  de  la  brigade  La- 
bruyère,  qui  ne  fit  aucun  mouve- 
ment sérieux,  et  qu'il  rappela  bien- 
tôt a  lui,  laissant  k  Balmeceda  la 
division  Vilatte  exposée  au  choc 
(lu  généial  Blake,  fort  supérieur 
en  nombre.  Les  deux  maréchaux  y 
opérèrent  le  10  novembre  unejonc- 
lion  momentanée,  puis  le  duc  de 
Belluiiese  trouva  vers  le  milieu  de 
la  journée  devant  la  petite  ville 
d'F^spinosa,  .;n  présence  de  Blake, 
qui  y  occupait,  a  la  tète  de  ;i(J,000 
hommes  avec  G  pièces  de  canon, 
une  position  suftisammeut  retran- 
chée. Le  géneial  VilaiiL*,  qui  avait 
réintégré  son  corps  d'armée,  aborda 
résolùDient  les  Espagnols,  ei,  ma|- 


VIG 

gré  l'infériorité  du  nombre,  il  par 
vint  à  les  faire  j)lier;  un  brouillard 
épais  suspendit  le  mouvement  des 
deux  armées;  mais,  le  lendemain 
11,  à  la  pointe  du  jour,  Victor  re- 
commença la  bataille  ;^  la  tête  de 
17.000  hommes  d  infanterie,  et, 
aidé  des  efforts  du  général  Maison 
et  du  colonel  Moulon-Duveruel,  il 
finit  par  repousser  l'ennemi  sur 
tous  les  points  .Ma  fois,  et  par  l'en- 
traîner dans  une  eff'royable  déioute 
qui  lui  fit  perdre  son  artillerie,  ses 
bagages,  et  lui  mit  près  de  20,000 
hommes  hors  de  combat.  Cette  ac- 
tion, dont  la  conséquence  fut  de 
désorganiser  entièrement  l'armée 
de  Blake,  fit  honneur  à  l'intelli- 
gence militaire  de  Victor  qui,  au 
lieu  d'aborder  un  bataillon  carré 
dans  lequel  Blake  avait  concentré 
ses  meilleures  troupessur  sa  droite, 
vis-à-vis  d'un  coude  formé  par  la 
petite  rivière  de  la  Trueba  près 
d'Esi)inosa,  s'était  rendu  maître  des 
hauteurs  où  la  gauche  des  Espa- 
gnols avait  pris  position.  Celte  ma- 
nœuvre habile  avait  décidé  le  suc- 
cès,quecompléta  le  maréchal  Soult 
parla  dispersion  des  débris  du  gé- 
néral espagnol.  Le  maréchal  Victor 
vint  remplacer  son  collègue  au 
centre  de  l'armée,  pendant  qu'il 
achevait  celte  expédition.  L'empe- 
reur, après  la  bataille  de  Tudela, 
s'éiant  déterminé  à  marcher  droit 
sur  Madrid,  prit  avec  lui  le  corps 
du  maréchal  Victor,  la  garde  im- 
périale et  une  partie  de  la  réserve 
de  cavalerie.  Le  30  novembre , 
Victor  précéda  Napoléon  devant  le 
défilé  de  Somo-Sierra  garde  par  un 
corps  de  13,000  hommes  et  l(i  piè- 
ces de  canon.  Le  maréchal  culbuta 
promptement  cette  troupe,  et  l'em- 
pereur, s'eluul  rendu  eu  personne 
au  pied  du  défilé,  ordonna  à  un 
esc;^(|ron  de  chevau-légers  polQr. 


vie 

nais  de  le  gravir  au  galop.  Cet 
acte  de  témérité,  accompli  avec  un 
élan  irrésistible,  fut  couronné  d'un 
plein  succès.  Il  amena  la  disper- 
sion du  corps  espagnol  avec  de 
grandes  pertes,  et  l'armée  fran- 
çaise put  s'avancer  jusque  sous 
les  murs  de  Madrid ,  dont  les 
troupes  de  Victor  investirent  les 
abords.  Le  -4  décembre,  celte  ville 
ouvrit  ses  portes.  Vers  le  milieu 
de  ce  mois.  Napoléon  s'éloigna  de 
Madrid  pour  marcher  sur  l'armée 
anglaise  ;  il  confia  au  maréchal 
Victor  la  garde  de  celte  capitale, 
avec  les  divisions  Ruffin  et  Vi- 
latte,  la  division  allemande  Levai, 
et  les  dragons  de  Latour-Mau- 
boui'g.  Mais  celte  expédition  ayant 
avorté  par  la  letraite  de  ces  deux 
auxiliaires,  l'empereur  se  décida  à 
retourner  à  Paris  et  ordonna  à 
Victor  de  s'acheminer  sur  Cuenca 
pour  y  culbuter  les  débris  de  l'ar- 
mée de  Castanos,  qui,  dispersés 
raoraentanément  à  Tudela,  étaient 
parvenus  à  se  rallier  et  semblaient 
méditer  quelque  mouvement  offen- 
sif. Le  13  janvier  1809,  le  maré- 
chal partit  de  Tolède,  où  se  trou- 
vait son  corps  d'armée ,  pour 
combattre  le  {rénéral  Vénegas  et 
le  duc  de  l'infantado,  qui  avaient 
réuni,  dans  la  direction  de  Madrid, 
les  débris  de  l'armée  d'Andalousie. 
Seconde  par  les  généraux  Vilatle 
ctRutlin,  il  les  batlitcompléteraent, 
coupa  leur  retraite  sur  Alcazar,  où 
il  fit  mettre  bas  les  armes  à  six 
mille  hommes;  rartilierie  du  gé- 
néral Seiiarmont  acheva  celte  dé- 
route, qui  coûta  à  l'ennemi  dix 
mille  prisonniers,  quaiante  pièces 
de  canon el  lreiile-f|u;ttre drapeaux. 
Lors  de  l'invasion  du  Foiiugjl,  le 
duc  de  Bellune  fut  désigne  pour 
pénétrer  dans  ce  royaume,  par.ille- 
iement  au  maréchal  Soult,  en  des- 


VIC 


363 


cendapl  le  Tage  et  en  traversant  1^ 
Haule-Estramadure.  Maisle  passage 
du  fleuve  lui  ^yant  été  disputé  par 
le  général  Cuesta,  Victor  s'était  vu 
obligé  de  faire  rétablir  le  pont 
d'Almaras  que  les  Espagnols  avaient 
détruit,  «t  de  débusquer  préala- 
blement l'eimemi  de  tous  les  points 
qu'il  occupait  sur  le  littoral.  Cette 
opération  accomplie,  l'armée  ira- 
ver^a  le  Tage  el  s'avança  sur  U 
Guadiana,  yis-à-vis  de  Medelin, 
qu'il  occupa.  Le  maréchal  rencontra 
sur  ce  point,  le  28  mars,  le  géné- 
ral Cuesta,  qui  avait  pris  une  forte 
position  entre  la  rivière  Mingabrib 
et  don  Benito.  L'aile  droite  fran- 
çaise était  formée  de  la  division 
des  dragons  de  Latour-Maubourg, 
l'aile  gauche,  de  la  division  Lasalle, 
et  le  centre, de  la  division  Levai;  à 
la  réserve  se  trouvaient  les  divi- 
sions Vilalie  et  Ruffin,  en  tout 
vingt-trois  à  vingt-quatre  mille 
hommes  ;  mais  il  n'y  eut  en  réalité 
que  douze  mille  combattants  enga- 
gés contre  des  forces  triples.  L'at- 
taque, commencée  par  le  centre, 
fut  mal  secondée  par  les  dragons  de 
Latour-Maubûurg;  mais  la  division 
Vilatte  rétablit  le  combat;  Latouf- 
Manbourg  reforma  ses  régiments, 
et  la  cavalerie  légère  de  Lasalle 
contint  les  assauts  dirigés  contre 
l'aile  gauche  par  quelques  batail- 
lons d'infanterie  et  une  partie  de 
la  cavalerie  espajinole;  puis  il  rq- 
prit  inopinément  l'offensive,  el  ce 
mouvement,  habilement  conçu  et 
conduit  avec  vigueur  par  le  maré- 
chal lui-même,  décida  le  gain  de 
la  bataille  qui  fut  très-meurlrière, 
et  priva  l'ennemi  de  vingt  mille 
homnie>,  y  compris  huit  mille  pri- 
sonniers, et  de  dix-neuf  bouches  à 
feu.  Ce  brillant  succès  ne  décida 
point  le  duc  de  Belliuie  à  fraiK  hir 
la  Guadiana  et  a  pénétrer  en  Pw- 


36/j 


Vie 


tugal,  où  les  Anglais  avaieut  con- 
centré des  forces  imposantes.  Il 
craignit  que  des  rassemblements 
formés  sur  ses  derrières  ne  vinssent 
à  couper  ses  communications  avec 
la  capitale  par  W  pont  d'Almaras. 
Il  était  sans  nouvelles  des  progrès 
qu'avait  pu  faire  le  maréchal  Soult, 
et  ne  pouvait,  dans  cette  incerti- 
tude, s'aventurer  k  travers  un  pays 
ennemi  et  soulevé.  Il  se  cantonna 
dans  la  Haute-E^lramadure,  entre 
le  Tage  et  la  Guadiana,  et  sa  pru- 
dence fut  pleinement  justifiée  par 
les  événements  qui  suivirent.  Le 
maréchal  quitta  son  cantonnement 
à  l'approche  de  l'armée  anglo-por- 
tugaise, qui  envahit  l'Estramadure 
pour  menacer  Madrid,  et  il  se  porta 
vers  le  Tage,  dans  la  direction  de 
Talavera.Leroi  Joseph  manœuvra 
pour  le  joindre,  avec  l'espoir  que 
le  quatrième  corps,  commandé  par 
Sébast  ani,  aurait  le  temps  de  se 
rallier  à  eux  avant  l'attaque  de  l'ar- 
mée coalisée,  et  que  ces  bataillons 
rassemblés  profiteraient  des  mouve- 
ments ordonnés  au  maréchal  Soult 
dans  une  autre  direction.  Celle  es- 
pérance ne  devait  pas  se  réaliser. 
Attaqué  à  Tahivera  le  22  juillet, 
le  duc  de  Bellune,  trop  inférieur 
aux  forces  qui  venaient  l'assaillir, 
quitta  sa  position  pour  se  porter 
d'al>ord  sur  Torrijos  et  de  là  sur  la 
rive  franche  de  la  Guadarrama,  k 
deux  lieues  de  Toiéde,  où  il  lut  rallié 
par  Sébastiani.  Lestrois  corps  réu- 
nis formaient  à  p^in(^  40,000  com- 
balta:jis.  Ce  fut  à  la  lùle  ù>:  ces  di- 
visions que  Joseph  entreprit,  le  28 
juillet,  sur  le  conseil  de  Victor,  et 
contre  l'avis  de  Jourdan,  leur  chel 
d'état-major,  d'affronter  une  armée 
de  7.*>,00()  honjujHs,  campée  dans 
une  position  formidable  et  fortifiée 
|)ar  des  ouvrages  de  campagne 
pratiqués  avec  soin  sur  tous  les 


accidents  du  terrain,  et  commandée 
par  lord  Wellesley,  depuis  duc  de 
Wellington,  en  personne.  Le  ma- 
réchal Victor,  dans  l'nrdeur  de  son 
zèle,  essaya,  à  la  faveur  de  l'obscu- 
rité, de  s'emparer  d'un  mamelon 
où  s'appuyait  la  gauche  de  l'armée 
ennemie;  mais  celte  attaque,  opé- 
rée simultanément  par  les  géné- 
raux Ruffln  et  Lapisse,  échoua  par 
une  insuffisance  de  forces  que  com- 
pliquèrent quelques-uns  de  ces 
contretemps  si  fréquents  à  la 
guerre,  et  ne  servit  qu'à  signaler 
aux  Anglais  l'importance  de  ce 
point,  dont  ils  retranchèrent  soi- 
gneusement les  approches.  Le 
1"  corps,  commandé  par  le  duc 
de  Bellune,  avec  deux  divisions  de 
cavalerie,  occupait  la  droite  de 
l'armée  française  ;  le  4"  corps,  aux 
ordres  de  Sébastiani ,  avec  une 
division  de  dragons,  formait  la 
gauche  ;  au  cenire  et  en  troisième 
ligne  était  la  réserve,  commandée 
parle  général  Dessolles.  La  gauche 
ennemie  ayant  été  regardée  comme 
le  point  le  plus  vulnérable,  les 
généraux  Ruffin  et  Barrois  eurent 
ordre  de  renouveler  Totlaque  de 
la  veille  contre  le  mamelon  ;  mais 
ce  fut  sans  plus  de  succèa.  Vers 
trois  heures,  le  roi  Joseph  se  décida 
à  tenter  un  assaut  général  sur  tout 
1b  front  de  l'armée  ennemie.  La 
division  Levai,  qui  s'avança  la  pre- 
mière, fut  repoussée  par  15,000 
Anglais,  auxquels  elle  résista  vail- 
lamment en  se  formant  en  bataillon 
carré.  Les  i"'  et  A"  corps  eutierent 
à  leur  tour  en  ligne;  la  division 
Lapisse  tenta  encore  d'escalader 
la  redoutable  éminence  ;  elle  y 
réussit,  mais  sans  pouvoir  s'y 
maintenii'.  Pendant  que,  mieux 
avisé,  le  maréchal  Victor  essayait 
de  la  tourner,  deux  légimenls  de 
cavalerie  anglaise  vinrent  charger 


vie 

les  bataillons  français;  un  de  ces 
régiments  s'élança  sur» la  brigade 
Strollz;  le  10'  de  chasseurs  à  cheval 
ouvrit  ses  rangs  pour  les  refermer 
sur  ce  régiment,  qui  fut  taillé  en 
pièces.  Les  Anglais  paraissaient 
ébranlés,  leur  artillerie  était  dé- 
montée, leur  feu  presque  éteint. 
Encore  quelques  efîorls,  et  la  vic- 
toire allait,  selon  toute  apparence, 
se  fixer  sur  nos  drapeaux,  lorsque 
le  roi  Joseph,  troublé,  irrésolu,  crut 
devoir,  malgré  l'heure  peu  avancée, 
remettre  au  lendemain,  contre  les 
instances  pressantes  du  duc  de 
Bellune,  une  lutte  que  de  nouveaux 
conseils  et  d'alarmants  rapports  lui 
tirent  abandonner.  Il  jugea  plus 
prudent  de  se  rapprocher  de  sa 
capitale,  dont  laccèsavait  été  rendu 
libre  à  l'ennemi  par  la  jonction  de 
Victor  et  de  Sébastiani,  et  il  or- 
donna la  retraite.  Le  duc  de  "Bel- 
lune  se  porta  à  Casalejas  sur  l'Al- 
berche  ;  Sébastiani  suivit  le  roi 
qui  partit  avec  sa  garde  et  la 
division  de  réserve  pour  dégager 
Tolède,  menacée  par  le  gén:'ral  Ve- 
negas.  Lorsque,  dans  les  premiers 
jours  de  1810,  encouragé  par  quel- 
ques avantages  plus  ou  moins  con- 
sidérables, le  roi  Joseph,  contre 
le  sentiment  du  maréchal  Soult, 
décida  l'expédition  d'Andalousie, 
l'aile  dioite  de  l'armée, commandée 
par  le  duc  de  Bellune,  reçut  l'ordre 
de  se  diriger  sur  Almaden,enmême 
temps  que  l'aile  gauche,  sous  les 
ordres  de  Sébastiani ,  remonterait 
sur  Linarès,  et  que  le  centre,  com- 
posé du  corps  du  maréchal  Mortier, 
et  de  la  réserve  confiée  au  général 
Dessolles,  suivrait  la  grande  route 
de  Madrid  à  Cadix.  Le  maréchal 
Victor  fut  spécialement  chargé  de 
forcer  le  délilé  de  Despena-rcrros, 
qui  passait  pour  inexpugnable,  et 
dont  l'ennemi  avait  essayé  de  faire 


Vie 


365 


un  obstacle  inévitable  en  hérissant 
de  retranchements  et  d'artillerie 
les  deux  voies  parallèles  qui  con- 
duisaient dans  l'Andalousie.  Les 
corps  des  divisions  Cazan  et  Des- 
solles parvinrent  toutefois  à  tourner 
ce  défilé,  et  forcèrent  l'armée  espa- 
gnole à  en  abandonner  la  défense; 
ils  pénétrèrent  dans  l'Andalousie 
après  avoir  mis  l'ennemi  en  une 
déroute  complète,  et  le  maréchal 
Victor  y  déboucha  de  son  côté  par 
Cordoue,  à  la  suite  d'un  engage- 
ment heureux  aux  environs  de 
Bel-Alcazar,  Le  maréchal  se  pré- 
senta le  29  janvier  devant  Séville, 
qui  capitula,  et  se  dirigea  aussitôt 
sur  Cadix,  qu'il  bloqua  par  terre, 
en  distribuant  les  trois  di\isions 
de  son  corps  d'armée  sur  les  points 
les  plus  importants  du  littoral.  Il 
occupa  Rota,  Santa-Maria,  Puerto- 
Piéal  et  Chiclaua,  mit  en  état  de 
défense  les  forts  élevés  sur  la  côte, 
pri[icipalement  à  l'embouchure  du 
Guadalquivir  et  des  rivières  de 
San-Pédro  et  de  San-Pétri,  et  ferma 
aux  bâtiments  ennemis  l'accès  de 
l'arsenal  de  constructions  mari- 
times établi  au  nord  de  l'ile  de 
Léon.  Le  premier  incident  remar- 
quable de  ce  blocus  fut  la  prise 
du  fort  de  Matagorda,  situé  à  la 
pointe  la  plus  méridionale  de  la 
terre  ferme,  au  nord-ouest  de  Ca- 
dix. Ce  fort  fut  évacué  le  23  avril, 
après  avoir  essuyé  pendant  douze 
jours  le  feu  de  dix  mille  coups  de 
canon,  et  ne  livra  à  l'armée  assié- 
geante qu'un  monceau  de  ruines. 
Ce  résultat  procura  au  maréchal  la 
satisfaction  précieuse  de  sauver  la 
vie  à  plusieurs  centaines  d'officiers 
et  de  soldats  français  que  les  Espa- 
gnols avaient,  à  la  suite  et  au  mé- 
pris de  la  capitulation  de  Davien, 
renfermés  dans  deux  pontons  de- 
vant Cadix,  et  qui  proruèrenl  du 


366 


VIG 


Vie 


voisinage  de  leurs  frères  d'îirmes 
pour  chercher  leur  saliil  dans  l'éva- 
sion la  plus  périlleuse.  Le  duc  de 
Bellune  envoya  deux  barques  pour 
recueillir  les  fugitifs,  et  leur  fit  pro- 
diguer tous  les  soins  d'une  affec- 
tueuse hospitalité.  Dix  mois  plus 
tard,  dans  le  courant  de  tVvrior  1811, 
le  maréchal  reçut  avis  qu'un  corps 
ennemi  s'organisait  dans  l'inten- 
tion de  débloquer  Cadix  et  de  dé- 
livrer l'Andalousie  en  prenant  k 
revers  toutes  les  lignes  des  Français, 
tandis  que  la  garnison  de  Cadix  les 
attaquerait  de  fiont,  et  que  les 
vaisseaux  el  les  chaloupes  canon- 
nières menaceraient  tous  les  points 
de  débarquement.  Ce  corps,  com- 
posé de  12,000  Espagnols  et  de 
0,000  .Anglais,  fut  embarqué  le  20 
février  dans  la  rade  de  Cadix,  et 
réuni  à  Tarifa  sous  les  ordres  du 
général  La  Pena.  Il  se  mit  en 
marche  le  28  sur  Chiclana,  siège 
du  quartier  général  et  des  maga- 
sins de  l'armée,  et  se  trouva  le 
4  mars  en  vue  des  avant-postes 
français.  Réduit  à  des  forces  extrê- 
mement restreintes  par  l'indépen- 
dance réciproque  des  généraux 
qui  coopéraient  à  la  guerre  d'Es- 
pagne, le  maréchal  Victor  jugea 
prudent  d'attendre  l'attaque  des 
coalisés,  dont  le  premier  détache- 
ment «ssaya  sans  succès,  dans  la 
matinée  du  5,  d'emporter  les  lignes 
de  San-Pétti.  A  l'approche  de  la 
colonne  ennemie,  il  se  con(tenlra 
dans  Chidana,  où  il  avait  établi  sa 
réserve,  composée  de  deux  bri- 
l^des.  H  se  décida  bientôt  néan- 
moins h  marcher  à  sa  fencorilre 
avec  un  corps  de  6,000  hommes  et 
deux  batteries  d'arlillerie.  Les  Es- 
pagnols, abusés  sur  rinfcriorité  de 
ses  forces ,  plièrent ,  furent  mis 
en  déroule  el  accolés  à  la  mer. 
Mais  ïib  corps  nombretix  de  coa- 


lisés occupait  l'importante  position 
de  BarrosafLe  maréchal  tit  enlever 
celte  hauteur  au  pas  de  charge 
par  le  général  Ruffin,  qui  se  porta 
rapidement  ensuite  sur  le  flanc 
de  l'ennemi,  tandis  qu'une  brigade 
de  la  division  Vilalte,  après  s'être 
emparée  de  la  tête  du  pont  de 
San-Péiri,  menaçait  la  tête  de  sa 
colonne^  Le  général  anglais  Gra- 
ham ,  averti  de  l'occupation  de 
Barrosa,  marcha  à  la  tête  de  12,000 
hommes  pour  le  reprendre.  Le 
maréchal  Victor,  perdant  tout  es- 
poir d'envelopper  un  ennemi  aussi 
supérieur  en  nombre,  fit  évacuer  la 
hauteur,  et  rappela  sur  sa  droite  et 
sur  sa  gauche  les  brigades  avancées. 
Mais  le  corps  de  Ruffin  était  déjà 
aux  prises  aVec  les  Anglais,  et  ce 
général  ayant  été  blessé  mortelle- 
ment dans  ce  choc  acharné,  sa  bri- 
gade ne  put  rallier  que  tardivement 
la  gauche  du  corps  d'armée.  Après 
deux  ou  trois  attaques  inutiles,  les 
Anglo-Espagnols  rentrèrent  dans 
l'ile  de  Léon, laissant  sur  le  champ 
de  bataille  3,500  hommes  tués 
ou  prisonniers,  trois  drapeaux 
et  quatre  pièces  de  campagne.  La 
mésintelligence  qui  se  glissa  entre 
les  deux  corps  des  coalisés  les 
empêcha  de  tirer  parti  de  leur 
nombre  et  de  leui' position  (1).— Il 
n'était  pas  donné  au  duc  de  Bellune 
de  conduire  à  leur  terme  les  Oj)éra- 
tions  du  siège  de  Cadix.  La  gigan- 
tesque expédition  de  Russie  se 
préparait,  et  Napoléon  réclamait 
le  concours  d'un  de  ses  plus  braves 
et  de  ses  plus  solides  lieutenants. 
Le  3avril  1812,  le  maréchal  Victor 
fut  appelé  au   commandement  du 


(Ij  Jniroductionà  l'Histoire  de  Vex- 
pédUion  de  Huasie^  par  le  marquis  de 
Chambray. 


vie 


vie 


367 


neuvième  corpsdela grande-armée, 
qui  se  composait  de  la  division 
française  Partouneaux,  de  la  divi- 
sion allemande  Daendels  et  d'une 
division  polonaise  sous  les  ordres 
de  Gérard.  Ce  corps,  dont  la  con- 
sistance était  de  trente-huit  ou 
trente-neuf  mille  combattants, avec 
soixante  bouches  à  feu.  fut  chargé 
d'occuper  l'espace  compris  entre 
l'Elbe  et  l'Oder.  L'empereur  dé- 
signa en  outre  le  maréchal  pour 
commander  Berlin  dès  que  l'armée 
active  aurait  dépassé  celte  capitale. 
Il  y  reçut,  sur  VSl  fin  de  juin,  l'avis 
du  passage  proch  sin  du  Niémen, 
Tordre  d'arra.^r  Spandau  et  celui 
de  surveiller  avec  soin  la  conduite 
de  la  Prusse  pendant  les  événe- 
ments qui  allaient  avoir  lieu.  Quel- 
ques jours  plus  tard,  le  maréchal 
eut  ordre  de  s'avancer  sur  Danfzig 
et  Kœnigsbeig,  puis  de  se  porter 
sur  Tilsit  et  de  là  sur  Wilna,  qu'il 
vint  occuper  au  mois  d'août.  Il  y 
reçut  de  nouvelles  instructions 
(26  août)  qui  lui  enjoignaient  de 
quitter  la  rive  gauche  du  Niémen 
pour  se  diriger  en  hâte  sur  Smo- 
iensk.  L'empereur,  plaçant  sous  sa 
direction  toutes  les  troupes  qui  se 
trouvaient  dans  les  gouvernements 
de  Mohilow,de  Witep^k  et  de  Smo- 
lensk,  aimonçail  au  maréchal  sa 
marche  sur  Moscou,  et  lui  recom- 
mandait de  lier  soigneusement  ses 
communications  avec  la  grande 
armée.  Le  4  septembre,  Victor  tra- 
versa le  Niémen  à  Kowno,  et  arriva 
le  21  à  Smolensk,  où  l'empereur  le 
destinait  à  soutenir,  en  casd'cchec, 
le  maréchal  Saint-Cyr  ou  le  prince 
de  Schwarlztnberg.  Un  avis  posté- 
rieur l'obligea  bientôt  à  se  rappro- 
cher (!e  Polutzk  et  de  Minsk,  et  de 
modiiier  lu  distribuiicui  primitive 
de  ses  divisions.  Il  laissa  à  Smo- 
lensk la  division  Baraguay-d'Hil- 


liers, qu'il  venait  d'organiser, dirigea 
sur  Baliinowiczi  celle  de  Daendels, 
et  cantonna  les  divisions  Gérard  et 
Partouneaux  avec  la   cavalerie    à 
Senno  el  à  Orsza,.où  il  établit  sou 
quartier  général.    La    désastreuse 
retraite  de  l'armée  fiançaise  était 
commencée  !  Informé  que  le  maré- 
chal rus^e  Wittgen.stein  approchait 
avec  des  forces  supérieures,  Victor 
détacha  la  division  Daendels,   soit 
pour   inquiéter  le   maréchal,  soil 
pour   détendre  Witepsk,    en   cas 
d'attaque  ;    mais,  lorsqu'il   apprit 
l'évacuation  de   cette  ville,  il  ne 
songea  plus  qu'à  secourir  Gouvion 
Saint-Cyr,  dont  le  corps  d'armée 
avait  éprouvé,  le  lî)  octobre,  un 
échec  assez  grave  à  la  bataille  de 
Poloizk,  et  se  porta  sur  Czasniki  à 
la  tète  de  toutes  les  forces  dont  il 
disposait.  Son  armée,  réunie  aux 
corps   des   généraux   Legrand   e  t 
Merle,    présentait  un   etîectif    de 
trente-deux  miHo  hommes  de  pied 
et    de    quatre  mille  ciievaux.  Les 
deux  maréchaux  français  et  russe 
se  rencontrèrent,  le  30  octobre, sur 
les  bords    e  la  Lukmolia.  Le  dessein 
du  duc  de  Bellune  était  d'attaquer 
Willgenstein  avec  vigueur.  Mais  il 
fut  obligé  d'y  renoncer  par  suite 
d'un    contretemps   qui    le    privait 
d'une  partie  de    ses   troupes.  Le 
général  ennemi,  qui  s'aperçut  de 
ce  mécompte,  prit  biusquemment 
l'orténsive,  rejeta  sur  la  rive  droite 
du  ruisseau  les  troupes  qui  bordaient 
la  rive   gauche,  el,  garnissant   le 
centre  de  sa  colonne  d'une  forte 
arlillerie,   obligea    le  maréchal   à 
faire  recuiér  celle  qu'il  avait  sur  ce 
point.  Une  forte  canonnade   sans 
résultats  sensibles  se  prolongea  jus- 
qu'à la  nuit,  et  le  lendemain  le  duc 
de  Bellune  se  retira  sans  èire  pour- 
suivi  sur  Senno,  oii  il  concentra 
ses  deux  corps.  Celte  conceniraiioo 


368 


Vie 


Vie 


ne  lui  permit  pas  de  secourir 
Minsk,  qui  fut  pris  par  les  Russes, 
quelques  jours  plus  lard.  Après 
avoir  passé  deux  jours  à  Senno,  le 
maréchal  se  porta  sur  Czéréia,  où 
Napoléon,  ignorant  la  véritable  po- 
sition des  généraux  Kuiuzow  et 
W'iltgenstein,  lui  lit  passer  l'ordre 
de  rejeter  ce  dernier  au  delà  de  la 
Dwina.Mais  il  différa  avecOudinot, 
qui  commandait  le  deuxième  corps, 
sur  la  manière  d'exécuter  cet 
ordre,  et  sou  opinion  comme  plus 
ancien  en  grade  ayant  prévalu,  il 
fit  ses  préparatifs  pour  tourner  la 
position  du  feld-maréchal,  au  lieu 
de  l'attaquer  de  front  comme  le 
voulait  son  collègue,  et  les  deux 
corps  se  miient  en  marche  avec 
la  division  Parlouneaux  pour  avant- 
garde.  A  deux  lieues  de  Smo- 
liany,  cette  division  fut  arrêtée  par 
une  colonne  russe  embusquée  dans 
des  bois  qui  traversent  la  roule. 
Parlouneaux  surmonta  vaillamment 
cet  obstacle,  et  le  14  novembre,  les 
deux  armées  se  trouvèrent  en  pré- 
sence devant  Smoliany,  qui  fut 
disputé  avec  acharnement,  et  qui 
demeura  au  pouvoir  des  Fran- 
çais. Le  raarécljâl  russe  reprit  der- 
rière la  Lukmolia  la  positiou  qu'il 
y  occupait  ie  31  octobre.  Le  duc 
de  Bellune,  comprenant  la  néces- 
sité de  ménager  des  troupes  qui 
devenaient  l'unique  ressource  de 
la  grande  armée,  n'essaya  point  de 
l'en  déposter,  et  il  porta,  le  17, 
sonquartier  général  à  Krasnogura, 
où  il  resta  quelques  jours.  Il  y  reçut 
des  instructions  de  l'empereur  qui 
lui  recommandaient  de  masquer 
avec  soin  le  mouvement  que  le  duc 
de  Reggio  devait  exécuter  sur 
Minsk,  de  prendre  position  entre 
Borizow,\Vilna  et  Orsza  et  l'armée 
ennemie,  cnOn  de  couvrir  la  ligne 
entre  Borizow  et  Nacra  contre  les 


entreprises  du  corps  de  Witfgcn- 
stein,  et  d'arriver  à  Borizow  le  25 
ou  le  26,  de  manière  à  prendre 
l'arrière-garde  de  l'armée.  Quand, 
queîquesjours  plus  tard,  Napoléon, 
modifiant  ces  dernières  instructions, 
lui  prescrivit  de  se  retirer  sur  Ba- 
ron pour  occuper  la  route  condui- 
sant de  Lepel  à  Borizow  et  à 
Weselowo,  Victor  avait  déjà  com- 
mencé son  mouvement  de  retraite 
sur  Borizow,  par  Batury  et  Chicha- 
Yruy. Son  arrière-garde, commandée 
par  le  général  Delaître,  réussit  à 
arrêter  dans  le  voisinage  de  la  Bé- 
rézina  une  partie  des  troupes  de 
Wiîtgensiein,  assez  de  temps  pour 
permeilre  au  gros  du  corps  d'ar- 
mée d'arriver,  et,  le  23,  l'héroïque 
général  Éblé  put  jeter  sur  le  fleuve 
ces  ponts  dont  la  traversée  devait 
sauver  les  débris  de  cette  armée, 
naguère  si  nombreuse  et  si  for- 
midable. Victor  prit  position  à 
Ratuliczi,  pour  couvrir  le  prince 
Eugène  et  le  maréchal  Davout.  Il 
quitta  ie26au  matin  cette  position, 
atteignit  Loznilza,  puis  il  se  rendit 
le  même  jour  à  Borizow,  où,  par 
une  précaution  vaine  et  barbare, 
l'empereur  lui  prescrivit  de  laisser 
ladivision  Parlouneaux,  afin  d'abu- 
ser l'amiral  Tchitchakotf  sur  le  vé- 
ritable point  du  passage.  Le  27, 
avec  ses  deux  autres  divisions  Gé- 
rard et  Daendels,  il  arriva  de  bonne 
heure  à  Studianka,  dont  il  investit 
et  fortifia  les  abords.  Quand  le  maré- 
chal vint  occuper  Studianka,  la  ma- 
jeure pariie  de  l'armée  française 
avait  effectué  son  passage ,  pres- 
que inopinément  et  sans  exciter  la 
vigilance!  des  Russes,  répandus  sur 
les  deux  rives  du  fleuve.  Mais,  dans 
la  soirée  du  27,  leur  surveillance 
avait  cessé  d'être  eu  défaut,  et 
chaque  heure  aggravait  les  difli- 
cultés  et  les  périls  de  cette  opéra- 


vie 


vie 


369 


lion.  Uu  désastre  facile  à  prévoir 
était  venu  les  compliquer  encore  : 
c'était  )a  perle  de  la  division  du 
générai  Partouneaux  qui, se  voyant 
coupé  du  gros  de  son  corps,  avait 
cherché  vainement  à  se  frayer  une 
voie  de  salut  à  travers  les  bataillons 
de  Wittgenslein.  Le  duc  de  Bellune, 
dont  la  colonne  sensiblement  ré- 
duite par  ce  revers,  ne  dépassait 
guère  6  mille  fantassins  et  7  h  800 
chevaux  (I},  lutta  toute  la  journée 
du  28  sur  la  rive  gauche  du  fleuve, 
contre  des  forces  quintuples,  avec 
une  énergie  désespérée.  Les  Rus- 
ses s'étant  momentanément  empa- 
rés d'un  bois  à  la  droite  de  Slu- 
dianka,  le  général  Diébitch  dirigea 
de  celle  hauteur,  sur  la  foule  des 
traînards,  hommes  et  femmes,  ac- 
cumulée autour  des  ponts,  le  feu 
de  plusieurs  batteries  qui  produi- 
sirent dans  ces  masses  compactes 
un  effroyable  ravage.  Victor,  com- 
prenant la  nécessité  d'écarter  à 
tout  prix  ces  redoutables  assaillants, 
jeta  une  partie  de  son  infanterie 
dans  un  ravin  assez  large  qui  des- 
cendait jusqu'à  la  Bérézina,  et  le 
séparait  de  l'ennemi.  Puis  il  fit 
exécuter  par  le  général  Fournier 
plusieurs  charges  vigoureuses  de 
cavalerie  qui,  apj)uyani  ce  mouY3- 
ment  offensif,  en  décidèrent  le  suc- 
cès. Les  Russes  reculèrent,  et  leur 
nombreuse  artillerie  cessa  de  vomir 
la  mort  dans  nos  rangs.  Diébitch, 
parvint  toutefois  à  ramener  la  co- 
lonne française  au  bord  du  ravin, 
mais  sans  le  franchir.  La  nuit  sur- 
vint à  point  i)Our  séparer  les  com- 
battants épuisés  et  pour  mettre  fin 


à  celle  lutte  inégale  dont  la  durée 
eût   infailliblement     anéanti     les 
tronçons  du  O*"  corps.  Le  maréchal 
laissa  une  arrière-garde   en  pré- 
sence de  l'ennemi,  et  traversa  le 
fleuve  le  28  au  soir.  Le  lendemain 
matin,    il   fît    passer  son  arrière- 
garde  et  retira   ses  avant-postes. 
Ce  ne  fut  que  vers  huit  heures  que 
le  général  Eblé,  à  l'aspect  des  co- 
saques qui  accouraient  au  galop, 
put  se  résoudre  h  sacrifier,  par  la 
destruction    des   ponts,    quelques 
milliers  de  retardataires  que  leur 
insurmontable  apathie  avait  empê- 
chés  de   le.^  franchir.  Napoléon  , 
sauvé  d'un   désastre   complet    ou 
même  d'une  honteuse  captivité  par 
la  mollesse  ou  l'impérilie  des  gé- 
néraux russes,  se  mit  en  marche, 
suivi  à  quelque  dislance  des  restes 
de  la  colonne  de  Victor.  Exaspéré 
par  la  i)erte  de  la  division  Partou- 
neaux dont  lui-même  était  le  prin- 
cipal auteur,  il  ne  craignit  pas  de 
la  reprochera  l'intrépide  maréchal 
et  de  blâmer  amèrement  l'incerti- 
tude de  ses  dernières  manœuvres, 
incertitude  à  laquelle  la  versatilité 
de  ses  propres  instructions,  comme 
on  l'a   vu   plus  hau!,   n'avait  que 
trop  contribué.  Victor  s'éloigna  le 
cœur  navré  (l).  L'empereur  arriva 
le  6  décembre  à  ^Vilna,  et  ne  dut 
qu'à    l'industrie    artificieuse    des 
rapports  du  duc  de  Rassano  la  fa- 
veur presque  inespérée  de  traver- 
ser impunément  le  territoire  ger- 
manique,   où  régnait    contre   lui 
une  irritation  universelle    (2).  Le 
maréchal  Victor  conduisit  jusqu'à 
Smorgoni,  non   sans  obstacles,  la 


(I)  M.  Thiersdomc  mv  de  Vllisloire 
de  l'Kmpire)  cVcw  ce  nonibro  a  9  ou 
10,000  soldîtt-s.  M.  de  Chambniy  (t.  ut, 
p.  03)  le  rabaisse  a  4,800  hoiiiiiics. 


LXXXV 


(1)  Thicrs,  tome  xiv^  livre  to. 

(2)  Chambiay,   Hisl.  de  l'expéd.  de 
liussie,  liv.  IV. 

24 


370 


VIG 


Vie 


faible  colonne  qu'il  traînait  à  sa 
suite.  Lîi,  commencèrent  à  se  dis- 
soudre  les    débris    dont    elle    se 
composait,  et   celte   dernière  ar- 
rière-garde de  la   jirande   armée 
acheva    de    disparaître    dans   les 
plaines  glacées  de   la  Lilhuanie  ! 
—  Lorsque  Timpulsion  féconde  du 
génie  de  Napoléon  eut  fait  éclore 
en  quelques  semaines  une   nou- 
velle armée,  Victor  reçut  le  com- 
mandement du  2''  corps  et  la  mis- 
sion de  Torganiser  en  Westphalic, 
"où  il  demeura   jusqu'à   ce   qu'un 
ordre  de  l'empereur  lui  pret^crivît 
de  se  porter  à  l'entrée  des  gorges 
de  Bohème,  au  dcfdé  de   Ziitau, 
passage  important  qu'il  fut  chargé 
de  garder  avec  le  corps  de  Ponia- 
lowski.  Napoléon  ayant  profité  de 
Tarmistice  de  Pleiswitz  pour  aug- 
menter Teffectif  de  ses  troupes,  le 
corps  du  maréchal  fut  porté  à  seize 
régiments,    et     l'armée    coalisée 
ayant   débouché    par    Péterswald 
sur  lesdeirières  de  Dresde,  Victor 
eut  ordre  de  se  replier  sur  l'Elbe 
en    laissant    Poniatowski    seul    à 
Ziitau,  et  distribua  une  partie  de 
ses  troupes  autour  de  Stolpen  pour 
appuyer  éventuellement  les  opéra- 
tions prescrites  à  Vandamme    en 
cas  de   retraite  de  l'ennemi.  A  la 
bataille  de  Dresde  (27  août),  le  duc 
de  Bellune  fut  placé,  sous  les  or- 
dres de  Murât,  à  l'aile  droite  de 
l'armée,  avec  injonction  de  tourner 
les  Autrichiens  par   leur  gauche, 
et  de  les  pousser  à  outrance  vers 
la  vallée  de  Plauen,   dont  le   gé- 
néral Teste    vint  garder   l'entrée 
avec    huit     bataillons.    Victor   se 
forma    en    colonne    au    pied   des 
hauteurs  (pii  la  dominent,  et,  sur 
le  signal  donné  à  Murât,  il  entre- 
prit de  lc>  gravir  pour  enlever  les 
villages  de  Tollschcn,  de  Pioslhal 
et  de  Corbitz.  Ce  mouvement,  exé- 


cuté au  sabre  et  à  la  baïonnette, 
réussit  complètement;  l'infanterie 
autrichienne  fut   précipitée   dans 
le  ravin  de  Plauen,  et  la  division 
Meszko  gravement  entamée  ;  à  deux 
heures,  l'aile  gauche   de  l'armée 
combinée  était  détruite,  presqu'au 
même  instant  où  le  général  Moreau 
tombait   aux  côtés  de  l'empereur 
Alexandre,    mortellement    frappé 
d'un  boulet  français!    Le  duc  de 
Bellune,  dont  la   manœuvre  avait 
puissamment  contribué  au  succès 
de  la  journée,  fut  chargé  de  pour- 
suivre  les  coalisés  à   travers  les 
montagnes   de  la   Bohême,  pour 
les    livrer   ii   l'étreinte    puissante 
de  Vandamme  ;    mais    quand    le 
désastre  de  Kulm  eut  fait  échouer 
celte  combinaison  (Voyez  Vandam- 
me, t.  Lxxxiv,  p.  443),  il  fut  rappelé 
à  Freyberg  pour  y  concourir  h.  la 
conservation  de  Dresde,  en  veillant 
à  la  fois  sur  la  grande  chaussée  do 
celte  ville   et  sur  le    chemin  de 
Tcepliiz  par  Altenberg.  Vers  la  fin 
de  septembre,  la  grande  armée  en- 
nemie, abandonnant  enfin  sa  tac- 
tique évasive,  se  disposa  à  passer 
l'Elbe  et  à  déboucher  en  Saxe  par 
tous  les  défilés   aboutissants.  Na- 
poléon enjoignit  à  Victor  de  se  re- 
plier aux  environs  de  Chemnilz,  où 
il  se  lierait  avec  les  corps  de  Mac- 
donald  et  de  Lauriston,  de  façon  à 
présenter  à  l'ennemi  une  première 
barrière  de  -40  mille  hommes,  tan- 
dis que  lui-même  se  porterait  dans 
la  direction  de  Leipzig  pour  atta- 
quer   isolément     l'une   et    l'autre 
des    trois    armées     coalisées.    La 
sanglante  bataille  de  Leipzig  fut  le 
résultat  de  la  concentration  de  ces 
masses  opposées.  La  veille  de  cette 
trop  mémorable  action,  Victor,  sou- 
tint avec  intrépidité,  dcviint  le  vil- 
lage de  Wachau,  le  choc  du  prince 
Eugène  de  Wurlemberg,  à  la  lête 


VIG 


Vie 


371 


de  son  infanterie  russe  et  de  la  di- 
vision Klux.  Ce  village  fut  pris  et 
repris  cinq  fois  en  deux  heures.  A 
midi,  l'empereur  envoya  au  maré- 
chal deux  divisions  de  la  jeune 
garde  avec  quelques  autres  trou- 
pes, et  lui  ordonna  de  reprendre 
l'offensive.  Les  ducs  de  Bellune  et 
de  Reggio  repoussèrent  le  prince 
sur  le  village  de  Gillden-Gossa;  il 
revint  à  la  chaige  soutenu  par  les 
cuirassiers  russes,  mais  les  deux 
maréchaux  tinrent  ferme,  et  la  di- 
Tision  Dubrelon,  du  corps  de  Vic- 
tor, emporta  à  la  baïonnette  la 
bergerie  d'Avenhayn,  où  le  prince 
s'était  retranché.  Malgré  le  succès 
du  combat  de  Wachau,  Napoléon 
se  vit  obligé  de  réunir  toutes  ses 
forces  autour  de  Leipzig,  et  Victor 
reçut,  comme  la  plni)art  des  chefs 
des  corps  qui  y  avaient  pris  part, 
1  ordre  de  rétrograder  d'une  lieue 
et  de  formel-  sur  le  plateau  de 
Probstheyda  un  cercle  plus  com- 
pacte et  plus  resserré.  La  mission 
spéciale  de  défendre  cet  angle  sail- 
lant, sur  lequel  devaient  s'acharner 
les  efforts  de  l'ennemi,  fut  confiée 
à  Victor,  et  l'empereur  lui  recom- 
manda de  s'y  maintenir  opiniâtre- 
ment. L'infanterie  du  maréchal  et 
l'artillerie  de  Drouot  arrêtèrent 
toute  la  journée  les  efforts  de  Blii- 
cher  et  de  Bernadolte,  qui  toutefois 
occupèrent  momentanément  ce  re- 
doutable plateau.  Malgré  l'épuise- 
meni  de  leurs  lioupes,  les  maré- 
chaux Victor  et  Laurision  fondirent 
de  nouveau  à  !a  baïonnette  sur  les 
Russes  et  les  Prussiens  réunis,  cl 
les  rejetèrent  hors  du  village  avec 
des  pertes  immenses.  Tous  ces 
avantages  s'anéantirent  dans  le  dé- 
sastre de  Leipzig,  effroyable  ex- 
plosion des  ressentiments  (juc  tant 
d'années  d'iiumilialion  avalent  ac- 
cumulés au  cœur  de  l' Allemagne. 


Cette  journée  à  jamais  lamentable 
abaissait  les  barrières  de  la  vieille 
France  devant  ces  peuplades  vin- 
dicatives que  le  conquérant  était 
allé  affronter  dans  leurs  propres 
foyers.  L'armée  impériale  fut  con- 
trainte de  chercher  dans  une 
prompte  évacuation  le  salut  de  ses 
débris,  et  ce  furent  les  corps  de 
Victor  et  d'Augereau  qui  ouvrirent 
cette  lugubre  retraite  sur  laquelle 
les  lauriers  de  Ilanau  projetèrent 
un  suprême  mais  stérile  éclat.  Le 
2  novembre,  Napoléon  repassa 
pour  la  dernière  fois  ce  Rhin  dont 
les  bords  avaient  salué  si  souvent 
ses  aigles  victorieuses,  et,  par  une 
vigoureuse  résistance  à  l'invasion 
étrangère,  il  se  prépara  h  briser  du 
même  coup  les  hostilités  mena- 
çantes que  le  déclin  de  sa  fortune 
commençait  à  soulever  autour  de 
lui.  Les  maréchaux  Ney,  Macdo- 
nald,  ()udinot,Saint-Cyr,  Marmont, 
Mortier  furent  chargés  de  couvrir 
les  abords  de  la  capitale.  Victor 
couronna  sa  vie  militaire  en  pre- 
nant part  à  cette  glorieuse  campa- 
gne, où  la  puissance  de  la  stratégie 
tint  en  échec  durant  trois  mois 
toutes  les  forces  d  '  l'Kurope  coa- 
lisée. Trop  faible  pour  lutter  contre 
les  masses  compactes  qui  avaient 
franchi  le  ileuve  à  Strasbourg,  il 
essaya  de  ralentir  leur  marche  par 
les  combats  d'Épinal  et  de  Saint- 
Dié;  mais  il  ne  put  se  maintenir 
dans  les  Vosges,  et,  craignant  d'être 
coupé  du  reste  de  l'armée  par  les 
colonnes  ennemies,  il  se  replia 
sur  N.incy,  puis  sur  Chàlons-sur- 
Marne,  après  avoir  opéré  sa  jonc- 
tion avec  le  maréchal  Ney.  Le  ^9 
janvier,  à  la  bataille  de  Hrienne, 
il  entra  en  ligne  à  trois  heures,  et, 
(luoi(|ue  son  corps  d'armé»^  fût  fati- 
gué d'une  marche  de  plusieurs 
heures,  la  division  Duhesme   qui 


372 


Vie 


en  faisait  parlio  engagea  un  feu 
très-vif  contre  reuncmi  embusqué 
dans  de  larges  fossés  et  dans  les 
jardins  qui  entouraient  la  ville, 
dont  il  était  maître.  Cette  attaque, 
longtemps  infructueuse,  fut  secon- 
dée par  le  général  Ghataux,  gendre 
du  maréchal,  qui  gravit  rapidement 
les  terrasses  du  chAteau  et  réussit 
h  s'en  emparer  au  moment  même 
où  le  maréchal  Bliicher  qui  l'oc- 
cupait, allait  se  meilre  à  table  av^c 
son  état-major.  Bliicher  réunit  aus- 
sitôt les  corps  russes  Sacken  et 
AIsuflefi,  et  tenta  par  trois  fois, 
mais  vainement,  de  reprendre  ce 
point  culminant.  L'ennemi,  chassé 
des  rues  de  la  ville,  entretint  de 
l'intérieur  des  maisons  un  feu  vio- 
lent de  mousqueterie  dont  la  nuit 
seule  interrompit  les  ravages.  Les 
Russes  se  retirèrent  en  bon  ordre 
par  la  route  de  Bar-sur-Aube,  après 
avoir  subi  et  fait  éprouver  de 
grandes  perles.  Cette  snnglante 
échaulîourée  n'aida  nullement  au 
succès  du  plan  de  Napoléon,  le- 
quel consistait  à  manœuvrer  isolé- 
ment contre  chacune  des  deux 
grandes  armées  ennemies,  dont  il 
ignorait  la  jonction  récente.  Les 
effets  de  cette  jonction  devinrent 
trop  manifestes  trois  jours  après, 
à  La  Iloll)ière,où  remi)ereur  ne 
craignit  point  d'allronter,  à  la  tète 
de  oG  mille  hommes,  les  forces 
coalisées  s'élevant  à  106  mille 
combattants.  Victor,  qui  comman- 
dait la  gauche  de  l'armée,  repoussa 
énergiqueraent  les  allaques  du 
prince  royal  de  Wurlemberg;  mais 
le  général  bavarois  de  Wrède  ob- 
lint  contre  le  duc  de  liaguse  des 
avanta^M's  marqués  que  Napoléon 
essaya  de  neutraliser  par  une  di- 
verMon  sur  le  village  de  La  Ilothic- 
re,  qui  demeura  sans  effet.  Victor 
lui-même,  chargé  de  nouveau  par 


ViC 

le  prince  qu'avaient  renforcé  trois 
divisions,  fut  contraint  de  céder 
au  nombre,  et  de  se  retirer  entre 
Petit-xMesnil  et  Chauménil,  vive- 
ment poursuivi  par  l'ennemi,  qui 
s'empara  du  premier  de  ces  villa- 
ges. Les  Français  se  retirèrent  en 
bon  ordre,  laissant  sur  le  champ  de 
bataille  6  mille  hommes  tués  ou 
prisonniers  et  ;)i  canons.  Le 
combat  de  Champaubert  où  Napo- 
léon, culbutant  complètement  le 
corps  du  général  Alsufiefï,  partagea 
par  le  centre  l'armée  de  Silésie,  et 
la  bataille  de  Montmirail,  signalée 
par  la  destruction  presque  entière 
de  celui  de  Sacken  ;  la  journée  de 
Vauxchamp,  qui  acheva  de  mettre 
hors  de  combat  les  divisions  de  Blù- 
cher,  relevèrent  lesespérancesetle 
courage  de  l'armée  française.  En  se 
portant  sur  la  iMarne,  que  le  feld- 
maréchal  prussien  se  préparait  à 
franchir.  Napoléon  confia  aux  ma- 
réchaux Oudinot  et  Victor  la  dé- 
fense des  passages  de  la  Seine 
contre  la  grande  armée  austro- 
russe,  dont  ils  devaient  arrêter  la 
marche  sur  Paris.  Victor,  qui  était 
en  position  à  Nogent,  rétrograda 
lentement  et  laissa  dans  cette  ville  le 
général  Bourmont,  qui  prit  ses  dis- 
positions pour  sy  maintenir.  L'en- 
nemi tenta  plusieurs  attaques  qui 
furent  repoussées;  mais  le  maréchal, 
ayant  appris  que  les  Bavarois  pas- 
saient la  Seine  à  Bray,  envoya  l'or- 
dre d'évacuer  Nogent  dont  on  dé- 
truisit le  pont.  Cependant  l'armée 
du  général  Schwarzenberg,  k  la- 
quelle les  Bavarois  servaient  d'a- 
vant-garde, s'avançait  sur  Nangis; 
le  prince  de  Wurtemberg  avait  en- 
levé S'us,  et  Blanchi  menaçait 
Fontainebleau.  Le  16  mars  au  ma- 
lin. Napoléon  quitta  Meaux  pour  se 
diriger  sur  Guignes,  dont  la  vallée 
était,  depuis  midi,  le  théâtre  d'une 


vie 

1  tte  acharnée.  Les  ducs  de  Bel- 
lune  et  de  Reggio  disputaient  à 
l'ennemi,  toujours  plus  pressant, 
la  route  de  Chaulnes,  par  laquelle 
l'empereur  avait  promis  d'arriver. 
Lorsque  ses  têtes  de  colonnes  y 
débouchèrent,  ce  chemin  était  oc- 
cupé par  des  tirailleurs  ennemis. 
Les  corps  français  réunis  arrêtèrent 
devant  Guignes  la  marche  des 
Austro-Russes, et  l'on  se  hala  d'expé- 
dier des  courriers  à  Paris,  qu'a- 
vait grandement  alarmé  le  bruit  de 
leur  approche.  L'armée  française 
se  reporta  en  avant.  Le  maréchal 
Victor  qui  marchait  en  létr\  sou- 
tenu par  les  corps  de  cavalerie  de 
Kellermann  et  de  Miihaud,  ren- 
contra près  de  .Mormaut  un  corps 
russe  (le  huit  mille  hommes,  qui 
se  replia  aussitôt,  mais  que  le  ma- 
réchal lit  attaquer  de  Iront  pendant 
que  la  cavalerie  le  tournait  par  ses 
flancs.  Ce  corps,  pressé  en  outre 
par  l'artillerie  de  Drouot,  fut  mis 
en  déroute  complète  et  entièrement 
dispersé.  Vers  trois  heures,  le  duc 
de  Bellune,  à  la  hauteur  de  Val- 
jouan,  se  trouva  en  présence  de  la 
division  bavaroise  Lamotie,  qud 
l'échec  de  l'avaut-garJe  russe  obli- 
geait à  rélro^irader  sur  Monte- 
reau.  Ce  corps,  attaqué  aussitùt 
par  les  généraux  Gérard  et  LJor- 
desoulle,  fut  débusqué  de  Ville- 
neuve, occupée  par  une  partie  de 
ses  troupes,  et  chargé  avec  tant  de 
vigueur  qu'il  dut  chercher  son 
salut  dans  la  formation  de  son  in- 
fanterie en  bataillon  carré.  Mais 
ce  bataillon  fui  bientôt  rompu  par 
une  nouvelle  charge  à  la  liaion- 
nette  qui  le  mit  dans  le  plus  grand 
désordre,  et  si  le  duc  de  Bellune 
eût  fait  appuyer  ce  mouvement  par 
la  cavalerie,  c'rn  était  fait  proha- 
blemiiît  de  la  division  entière. 
Le  maréchal  ne  voulut  jjoinl  ini- 


VIC 


373 


poser  cet  effort  aux  troupes  fati- 
guées. Accablé  lui-même  de  lassi- 
tude, il  s'aiTêta  pour  coucher  à 
Salins,  et  ce  fâcheux  retard  per- 
mit aux  Bavarois  d'arriver  avant 
les  Français  aux  jionis  de  Monte- 
reau.  Ce  point  devint,  le  18  mars, 
le  théâtre  d'une  attaque  dirigée, 
sous  la  conduite  de  Napoléon  en 
personne,  par  les  généraux  Gérard 
et  Pajol,  qui  culbutèrent  les  avant- 
postes  ennemis.  Victor  ne  parut 
qu'à  neuf  heures  devant  Montereau, 
dont  les  hauteurs  et  les  deux  ponts 
étaient  occupés  par  le  prince  de 
Wurtemberg,  dans  l'espace  com- 
pris entre  Villaron  et  Saint-Martin. 
Impatient  de  réparer  le  relard  que 
l'empereur  était  en  droit  d'imputer 
à  son  beau-père,  le  général  Chataux 
enleva  vigoureusement  la  position 
de  Villaron,  mais  sans  pouvoir  s'y 
maintenir.  Il  chercha  alors  î»  tour- 
ner la  hauteur  de  Surville  pour 
s'avancer  jusqu'iju  pont  sur  la 
Seine,  et  touchait  à  ce  but,  quand, 
atteint  morteilemcnt  par  un  coup 
de  feu,  il  tomba  sous  les  yeux 
mêmes  du  maréchal,  à  la  tête  de 
sa  troupe,  qui  piia.  Gérard  fut 
aussitôt  appelé  à  conduire  les  ba- 
taillons engagés;  il  réussit  à  neu- 
traliser l'arLilierie  wurtembei- 
geoise  par  l'action  de  soixante 
batteries  françaises  dont  le  général 
Daring  tenta  vainement  de  s'em- 
parer, et  le  i)rince  royal  ayant  été 
en  même  temps  dcbusqué  des 
hauteurs,  les  coalisés  s'enfuirent 
dc'.ns  un  affreux  désordre  auquel 
succéda  bientôt  le  carnage  le  plus 
meurtrier;  huit  mille  hommes, dont 
ein(j  mille  prisonniers,  quatre  dra- 
peaux elsix  bouches  i*  feu  couvrirent 
Itf-champ  de  bataille.  Napoléon,  vi- 
vement in(lisj)0sé  contre  le  duc  de 
Bellune,  lui  envoya  lapermission  de 
(luilter  l'armée,  et  donna  ^on  cum- 


37A 


VIG 


Vie 


mandement  J\  Gérard.  Informé  de 
cet  ordre,  le  maréchal  monta  p''é- 
cipitamraent  à  Surville,  où  se  trou- 
vait l'empereur,  et  vint,  les  larmes 
aux  yeux,  en  solliciter  la  révoca- 
tion. Napoléon,  donnant  un  libre 
cours  à  son  mécontentement,  re- 
procha à  son  lieutenant  de  servir 
de  mauvaise  grâce,  de  fuir  le  quar- 
tier général,  et  môme  de  mani- 
fester une  opposition  plus  déplacée 
dans  les  camps  que  partout  ail- 
leurs. Vivement  blessé  de  ces  re- 
proches, qui  n'épargnèrent  pas 
même  la  maréchale,  dame  du  palais 
impérial,  Victor  parvint  à  peine  k 
rappeler  à  son  maître  qu'il  avait 
été  l'un  de  ses  plus  fidèles  compa- 
gnons d'armes,  et  qu'à  ce  titre  il 
ne  pouvait  quitter  l'armée  sans 
déshonneur.  Ces  souvenirs  ayant 
adouci  le  ton  de  l'entretien,  Napo- 
léon ne  parla  plus  au  maréchal  que 
des  droits  que  six  blessures  et  ses 
services  lui  donnaient  au  repos, 
et  insinua  que  ces  ménagements 
pouvaient  jusqu'à  un  certain  point 
compromettre  les  exigences  d'une 
campagne  aussi  active  que  celle 
qui  était  imposée  à  l'armée.  Ces 
derniers  mots  réveillèrent  la  sus- 
ceptibilité militaire  du  vieux  guer- 
rier; il  voulut  justifier  sa  lenteur 
de  la  veille  pai'  son  concours  du 
lendemain,  mais,  au  nom  du  géné- 
ral Chataux,  les  sanglots  étouf- 
fèrent sa  voix,  et  Napoléon  témoi- 
gnant à  son  tour  une  vive  émotion  : 
«  Je  vais  prendre  un  fusil  !  s'écria 
le  maréchal;  je  n'ai  point  oublié 
mon  ancien  métier;  Victor  se 
placera  dans  les  rangs  de  la  garde.  » 
Vaincu  par  cet  excès  de  dévoue- 
ment :  "  Ueslez,  lui  dit  alors  Napo- 
léon en  lui  tendant  la  main,  je  ne 
puis  vous  rendre  votre  corps  d'ar- 
mée, puisque  je  l'ai  donné  îi 
Gérard,  mais  prenez  deux  divisions 


de  ma  garde,  et  qu'il  ne  soit  plus 
question  de  rien  entre  nous.  » 
Le  mécontentement  de  l'empereur 
s'étendit  au  général  Guyot,  auquel 
il  reprocha  publiquement  le  peu 
de  soin  qu'il  avait  pris  de  son 
artillerie,  et  surtout  au  général 
Digeon,  dont  il  ordonna  la  traduc- 
tion devant  un  conseil  de  guerre 
pour  avoir  laissé  ses  batteries  man- 
quer de  munitions  sur  les  hauteurs 
de  Surville.  Napoléon  dissimulait 
mal  sous  ces  rigueurs  impuissantes 
la  clairvoyance  de  sa  situation.  En 
dépit  d'efforts  presque  surhumains, 
le  cercle  de  la  lutte  se  rétrécissait 
chaque  jour.  Les  coalisés  pous- 
saient leurs  masses  compactes  sur 
la  métropole  des  révolutions  mo- 
dernes, et  la  défaveur  progressive 
de  leurs  propositions  de  paix  té- 
moignait irrécusablement  du  peu 
d'illusion  qu'ils  s'étaient  fait  sur  la 
valeur  réelle  de  nos  derniers  suc- 
cès. Avec  quelle  amertume  ne  dut 
pas  s'ofiVir  alors  à  Napoléon  le 
souvenir  de  ces  honorables  propo- 
sitions de  Prague  dont  le  criminel 
refus  coûtait  tant  de  sang,  de 
larmes  et  de  sacrifices  à  la  France  ! 
Quoi  qu'il  en  soit,  le  dévouement 
de  Victor  ne  fut  pas  soumis  îi  une 
longue  épreuve.  Le  7  mars,  à  la 
bataille  de  Craonne ,  au  moment 
où  il  venait  de  s'emparer  de 
l'abbaye  de  Vauclerc  après  des 
prodiges  de  valeur,  il  fut  frappé 
iur  la  lisière  du  bois  d'Aillés  d'une 
balle  qui  lui  traversa  la  cuisse,  et 
quitta  le  champ  de  bataille  pour 
n'y  plus  reparaître.  Le  duc  de 
Bellune  ne  se  montra  point  parmi 
les  maréchaux  qui  sollicitèrent 
avec  une  insistance  si  indécente,  à 
Fontainebleau,  l'abdication  de  leur 
ancien  chef,  mais  il  fut  un  des 
premiers  à  offrir  sa  soumission  au 
gouvernement  royal.   Il    fut    ac- 


vie 


vie 


375 


cueilli  avec  bienveillance  par 
Louis  XVIII,  reçut  la  croix  de 
Saint-  Louis  le  2  juin  1814 ,  et  fut 
nommé  le  6  décembre  suivant  au 
commandement  de  la  deuxième  di- 
vision militaire.  En  1813,  à  la 
première  nouvelle  du  débarque- 
ment de  Napoléon,  le  duc  de  Bel- 
lune  adressa  de  Sedan  (10  mars) 
aux  troupes  de  sa  division,  un 
ordre  du  jour  où  il  rappela 
les  mesures  prises  pour  réprimer 
«  le  nouvel  attentat  de  Bonaparte 
contre  la  paix  et  le  bonheur  dont 
les  Français  jouissaient  sous  le  gou- 
vernement de  leur  souverain  légi- 
time et  justement  chéri, «etexhortait 
«  tout  homme  d'honneur  à  prendi  e 
les  armes  contre  l'homme  qui  avait 
tyrannisé, désolé  et  trahi  la  France, 
ainsi  que  contre  les  satelliies  qui 
l'assistaient  dans  ses  brigandages.» 
Le  maréchal  Victor  ne  se  borna  pas 
il  cette  véhémente  proclamation. 
Il  vint  à  Chàlons  le  16  mars  pour  y 
rassembler  un  corps  de  troupes 
deslinéà  marcher  contre  Napoléon  ; 
puis  il  partit  pour  Paris,  d'où  il 
adressa  à  tous  les  colonels  de  son 
corps  d'armée  l'invitation  de  réunir 
les  officiers  et  sous-ofliciersde  leur* 
régiments  et  de  leur  faire  connaître 
«  la  position  affreuse  où  Bonaparte 
voulait  réduire  la  France  pour  satis- 
faire ses  passions  violentes  aux 
dépens  de  la  fortune, de  la  tranijuil- 
litéetdu  sang  des  Français...  Cette 
guerre,  ajoutait  le  maréchal ,  est 
celle  de  la  trahison  contre  la  fidé- 
lité, de  l'iniquité  contre  la  justice, 
de  la  honte  contre  l'honneur.  » 
Victor  repartit  pour  Châlons.  où  il 
arriva  1«"î  !20,  et  où  il  trouva  reunies 
toutes  les  troupes  de  son  comman- 
dement. 11  ordonna  sur  le  champ 
diverses  dispositions  pour  s'avancer 
à  la  rencontre  de  Napoléon, dont  il 
ignorait  l'arrivée  à  Paris  ;  mais  ses 


troupes  lui  témoignèrent  un  mau- 
vais vouloir  marqué  ;  elles  arbo- 
rèrent les  couleurs  impériales,  et 
Victor, appréhendant  poursa  propre 
sûreté,  s'éloigna  rapidement  et  alla 
rejoindre  à  Gand  le  monarque  au- 
quel il  venait  de  donner  des  gages 
si  éclatants  de  sa  fidélité.  Napoléon 
exaspéré,  le  punit  par  une  mesure 
sans  exemple  encore  ,  même  dans 
les  fastes  de  l'arbitraire  impérial  : 
il  i)riva  Victor  de  son  titre  de  ma- 
réchal, et  frappa  du  même  anathème 
les  maréchaux  Oudinot  et  Gouvion 
Saint-Cyr, coupables  au  même  chef. 
Le  duc  de  Bellune  tint  peu  de  compte, 
comme  on  l'imagine,  de  cet  acte 
d'impuissante  vengeance.  Il  fitpartie 
avec  la  plupart  des  autres  maré- 
chaux du  cortège  de  Louis  XVIII  à 
sa  rentrée  dans  Paris,  et  ne  tarda 
j)âs  à  recevoir  des  témoignages  mul- 
tipliés de  la  bienveillance  royale.  H 
fut  nommé  le  :26  juillet  président 
ducoUége  électoral  de  Loir-et-Cher, 
et  pair  de  France  le  17  août  sui- 
vant. Le  6  septembre,  une  ordon- 
nance du  roi  l'appela  à  l'une  des 
quatre  places  de  major  général  de 
la  garde  royale.  Le  12  octobre,  le 
duc  de  Bellune  reconnut  ces  faveurs 
en  acceptant  la  présidence  de  la  com- 
mission chargée  «  d'examiner  la 
conduite  des  ofiiciers  de  tous  grades 
qui  avaient  servi  pendant  l'usurpa- 
tion; i)  tâche  délicate  à  remplir  par 
un  vétéran  des  armées  impériales 
à  l'égard  de  ses  ancieus  frères 
d'armes,  et  dont  l'exercice  fut  en- 
core compliqué  par  la  subtilité  et  la 
bizarrerie  des  instructions  ministé- 
rielles destinées  i  le  régler. «Ces  ins- 
tructions étaient  conçues  de  telle 
façon,  dit  un  historien  grave,  que 
-leshommeslesplus  éminculsde l'ar- 
mée, ceux  qui  en  faisaient  la  gloire 
et  la  force,  se  trouvaient  eu  grande 
partie  relégués  dans  les  dernières 


370 


Vie 


VIG 


catégories  qu'elles  établissaient,  et 
marqués  ainsi  eu  quelque  sorte 
d'un  stigmate  de  flétrissure(l).»Au 
bout  dft  deux  ans  de  travail,  la 
commission  se  sépara  sans  laisser 
dans  l'armée  d'autre  trace  qu'une 
irritation  profonde  contre  le  pou- 
voir qui  l'avait  instituée.  Le  10  jan- 
vier 1810,  le  maréchal  Victor  fut 
appelé  au  commundemeni  de  la 
Indivision  militaire  ;  le  3  mai  sui- 
vant ,  il  fat  promu  au  grade  de 
commandeur  de  l'ordre  de  Saint- 
Louis,  et  la  24  août  à  la  dignité  de 
grand-croix  de  cet  ordre;  enfin,  à 
la  formation  du  ministère  de  droite 
du  14  décembre  1821,  le  départe- 
ment de  la  guerre  fut  confié  au  duc 
de  Dellune. Comme  valeur  politique, 
le  maréchal  n'apportait  aucune 
force  au  cabinet  ;  mais  son  passé 
militaire,  l'éclat  du  grade  dont  il 
était  revêtu,  son  esprit  conciliant,  et 
par-dessus  tout,  le  dévouement  in- 
défectible dont  il  avait  fait  preuve 
pour  la  cause  des  IJourbons,  justi- 
Jièrent  surabondamment  ce  choix, 
qui  fut  accueilli  avec  beaucoup  de 
faveur  par  le  parti  royaliste.  Peu 
familier  avec  les  débals  parlemen- 
taires, le  ducdeBellune  n'aborda  la 
tribune,  e:rl 822,  que  pour  défendre 
à  la  chambre  desdépulcs  le  budget 
de  son  département.  11  combattit 
spécialement  les  réductions  pro- 
posées par  la  commission  sur  le 
traitement  des  officiers  généraux 
et  des  officiers  d'état-major  en  non- 
activité,  et  réfuta  la  supposition 
que  plusieurs  d'entre  eux  seraient 
conduits,  p;ir  l'amélioration  de  leur 
sort,  il  prélércr  l'inaclion  k  l'acti- 
vité, a  L'armée,  dit-il,  à  cette  occa- 


(l)  Ilisloire  lïc  la  lieslduraliou, 
par  M.  L.  de  Vicl-Castel,  tome  iv , 
p.  2oL 


sion  (28  mars) ,  existe  pour  être  le 
salut  et  l'appui  des  honnêtes  gens, 
le  désespoir  et  l'elTroi  des  rebelles;» 
conclusion   qui   excita   d'ardentes 
clameurs  au  côté    gauche    de    la 
chambre.  Le  maréchal  écrivit  à  la 
même  époque  (22  avril)  une  lettre 
par  laquelle  il  donnait  de  grands 
éloges  aux  officiers  qui  avaient  re- 
poussé la  proposition  de  s'affilier  aux 
sociétés  secrètes  dont  l'armée  su- 
bissait vivement  la  pernicieuse  in- 
fluence. Trois  mois  plus  tard,   le 
28    juillet ,    en   présentant   à  la 
chambre   le   budget  de    1823,    il 
repoussa     les    attaques     dirigées 
contre   le   ministère   au  sujet  de 
l'arrestation   du   capitaine  Lafon- 
taine,  et  soutint  qu'elle  avait  été 
motivée  par  sa  conduite  séditieuse, 
etnon  par  le  sens  politique  de  son 
vote  aux  élections  de  la  Cote-d'Or. 
Il  combattit  énergiquement  aussi 
les  reproches  adressés  par  les  ora- 
teurs du  cOté  gauche  aux  régiments 
qui  avaient  réprimé  les  complots  de 
Béfort  et  de  Saumur,  et  s'étonna 
que  «  de  telles  erreurs  pussent  être 
le  partage  d'un  député  français.  »> 
Le  maréchal  manifesta  néanmoins 
d'une  manière  éclatante  sa  répul- 
sion pour  les  instigateurs  de  la  dé- 
monstration insidieuse   à  laquelle 
s'étaient  prêtés  les  deux  régiments 
de  chasseurs  de  Colmar  et  de  Neuf- 
Brisac,  démonstration  dont  le  but 
avait  été  de  démasquer  les  mili- 
taires engagés  dans  les  complots 
révolutionnaires.  Un  lieutenaut-co- 
lonel,  principal  promoteur  de  cet  in- 
qualifiable guet-apens,  sollicita  vai- 
nement du  loyiil  ministre  l'avance- 
ment qu'il  croyait  avoir  mérité.  Le 
maréchal  ne  jugea  pas  (|u'une  pro- 
motion militaire  dût  être  la  récom- 
pense   d'un    pareil    dévouement. 
Parmi  les  actes  de  l'administration 
du  duc  de  liellune,  nous  citerons 


vie 

rordonnance  du  3  juillet  1822,  sur 
l'inspection  des  troupes  de  toutes 
armes,  et  celle  du  18  seplembrede 
la  même  année,  sur  la  réorganisa- 
tion de  l'intendance  militaire.  Lors- 
que, dans  les  premiers  jours  de 
1823,1e  gouvernement  pourvut  aux 
préparatifs  delà  guerre  d'Espagne, 
le  maréchal  témoigna,  dit-on,  un 
vif  désir  de  faire  partie  de  celte 
expédition  en  qualité  de  major- 
général  de  l'armée.  Le  général 
Guilieminot  lui  fut  préféré.  Mais  la 
police  ayant  découvert  une  conspi- 
ration militaire  dans  laquelle  le 
chef  d'escadron  de  Lostende,  pre- 
mier aide-de-camp  du  général,  se 
trouvait  compromis,  le  comteGuil- 
leminot  ne  put  conserver  ses  fonc- 
tions: le  17  mars,  le  duc  de  Bel- 
lune  fut  appelé  cl  le  remplacer,  et 
l'intérim  de  son  ministère  fui  confié 
au  général  Digeon.  Ces  arrange- 
ments, qui  causèrent  beaucoup 
d'omi)rage  au  duc  d'Angoulême, 
généi'alissime  de  l'exfjédition,  ne 
devaient  être  que  momentanés. 
M.  de  Losiende  ,  complètement 
disculpé,  fut  renvoyé  à  l'armée  des 
Pyrénées,  et  le  général  Guiliemi- 
not reprit  ses  fonctions.  Le  ma- 
réchal, après  un  court  séjour  à 
Dayonne,  revint  prendre  posses- 
sion de  son  ministère.  Mais  cette 
réintégration  ne  fut  que  provisoire. 
Le  duc  de  Dellune  s'attira  la 
disgrâce  du  dauphin  par  la  mol- 
lesse de  ses  dispositions  et  la 
négligence  qu'il  avait  apporiee 
dans  la  transmission  des  ordres  du 
prince  à  l'intendance  militaire, 
chargée  de  l'équipement  et  des  sub- 
sistances du  corps  expéditionnaire. 
Ce  contretemps,  si  fâcheux,  à  la 
veille  d'une  entrée  en  cam|)agne, 
avait  obligé  le  duc  d'Angoulême 
à  souscrire  l'onéreuse  convention 
si  connue  sous  le  nom  de  marchés 


Vie 


377 


Ouvrard.  M.  de  Villèle,  président 
du  conseil,  sacriQa  à  regret  un 
homme  qu'il  aimait  et  estimait , 
et  peu  de  jours  avant  le  glo- 
rieux retour  de  M.  le  dauphin 
à  Paris  (19  octobre),  le  maréchal 
dut  résigner  définitivement  le  por- 
tefeuille de  la  guerre.  Cepen- 
dant le  vainqueur  du  Troca- 
déro  n'obtint  qu'une  satisfaction 
incomplète.  Le  candidat  de  son  af- 
fection, le  général  Guilieminot,  ne 
fut  point  agréé,  et  le  duc  de  Bel- 
lune  eut  pour  successeur  le  baron 
de  Damas,  l'un  des  choix  les  plus 
propres,  non  sous  le  rapport  de 
l'illustration  militaire ,  mais  sous 
ceux  de  la  droiture  et  de  la  fidélité 
monarchique,  à  indemniser  le  parti 
royaliste  du  sacrifice  qui  lui  était 
imposé.  Le  30  novembre,  le  roi 
nomma  le  ducdeBellune  ambassa- 
deur de  France  en  Autriche,  et 
accompagna  celte  promotion  d'une 
lettre  conçue  dans  les  termes  les 
plus  flatteurs;  mais  le  duc  n'accepta 
|)Oint  et  se  concentra  exclusivement 
dès  lors  dans  ses  fonctions  de  ma- 
jor-général de  la  garde  royale. 
Lors  du  sacre  de  Cbarles  X,  il  reçut 
le  commandement  du  camp  de 
Reims,  et  fut  compris,  b  l'occasion 
de  cette  solennité,  parmi  les  cheva- 
liers de  l'ordre  du  Saint-Esprit. 
Enfin,  le  17  février  1828,  le  maré- 
chal Victor  fut  nommé  membre  du 
conseil  supérieur  de  la  guerre.  Ce 
fut  le  dernier  emploi  qu'il  remplit 
sous  la  Restauration,  mais  non  le 
terme  de  son  dévouement.  Le  29 
juillet  1830,  lorsque  l'insurrection 
de  Paris  commença  à  menacer  la 
sûreté  de  la  famille  royale,  le  vieux 
guerrier  alla  offrir  ses  services  au 
duc  de  Raguse ,  et  lui  proposa 
de  servir  sous  ses  ordres,  (|uoi 
qu'il  fût  son  ancien  en  grade.  Soit 
«spril  de  rivalité, soit  que  le  mare- 


378 


Vie 


chai  Marmont  se  crût  assuré  alors 
de  dompter  ou  de  pacifier  le  mou- 
Yemenl  révolutionnaire,  ses  ottVes 
ne  furent  point  accueillies,  et  le 
dauphin,  assez  malheureux  pour 
n'avoir  pas  perdu  le  souvenir  de 
ses  anciens  griefs,  se  montra  peu 
sensible  à  ce  généreux  empresse- 
ment. Le  duc  de  Bellune  quitta 
Saint-Clouil,  péniblement  affecté. 
Il  préla  serment  au  roi  Louis-Phi- 
lippe, mais  il  demeura  entièrement 
à  l'écart  et  s'abstint  même  de  sié- 
ger à  la  Chambre  des  pairs.  Cette 
réserve  n'empêcha  pas  que  son  nom 
ne  fût  plusieurs  fois  mêlé  aux  com- 
plots formés  par  le  parti  légitimiste 
en  1831  et  1832,  moins  sans  doute 
par  l'effet  d'une  participation  réelle, 
qu'à  raison  de  son  attachement  si 
prononcé,  si  persévérant  à  la  cause 
des  princes  exilés.  Le  duc  de  Bel- 
une  mourut  le  1"  mars  1841,  lais- 
sant un  nom  recommandable  par 
de  grandes  qualités  militaires  que 
rehaussait  une  rare  modestie  de 
caractère,  jointe  à  une  loyauté 
irréprochable.  Le  maréchal  Vic- 
tor, diTorcé  d'une  première  femme 
qu'il  avait  épousée  à  Valence  en 
1791,  s'était  remarié  en  Hollande 
en  l'an  IX,  à  l'époque  où  il  com- 
mandait l'armée  de  Batavie,  à  ma- 
demoiselle Julie  Vosch  de  Ave- 
saat,  qui  fut  dame  du  palais  im- 
périal. Il  en  eut  deux  (ils  et  une 
fille,  mariée  au  général  Chataux, 
tué  en  1814  sur  le  champ  de  ba- 
taille de  Montereau.  Son  fils  aîné, 
e  marquis  de  Bellune,  membre 
du  Sénat,  mort  au  mois  de  dé- 
cembre 18.-)3,a  publié,  sous  le  titre 
û'ExIraits  des  Mémoires  inédits  du 
dur  de  lU'llune  (Paris,  18  Uj,  in-8°), 
un  volume  (jui  contient  le  récit  des 
premières  campaj^nes  du  maréchal, 
et  (jue  termine  une  réfutation  cir- 
constanciée des  inexactitudes  dans 


VID 

lesquelles  l'historien  du  Consulat  et 
de  l'Empire  est  tombé  à  son  égard. 
On  a  de  plus,  du  maréchal,  un  Mé- 
moiresurles  marchés  Ouvrard  (Paris, 
1826,  in-8"),  précis  destmé  à  com- 
battre les  inculpations  d'incurie  ou 
d'imprévoyance  qui  lui  avaient  été 
faites  ù  l'occasion  de  la  seconde 
guerre  d'Espagne.  A.  B— ée. 

VIDAL  (DoM  Pierre),  issu  de 
parents  distingués,  né  vers  1G08, 
à  Joigny,  au  diocèse  de  Sens,  en 
Bourgogne,  se  destina  à  la  vie  reli- 
gieuse. Ayant  embrassé  la  règle  de 
saint  Benoit,  dans  la  congrégation 
de  Saint-Maur,  il  fil  profession,  à 
l'âge  de  dix-huit  ans,  dans  l'abbaye 
de  la  Trinlté-de-Vendôme,  le  jour 
des  apôtres  saint  Simon  et  saint 
Jude  de  l'année  171  G.  Lorsqu'il 
eut  fini  ses  cours  de  philosophie  et 
de  théologie,  qu'il  fit  avec  distinc- 
tion, on  le  nomma  professeur  de 
ces  deux  sciences  élevées,  pour  les 
enseigner  aux  jeunes  religieux.  Il 
demeura  longtemps  dans  l'abbaye 
de  Sainl-Germain ,  Ji  Auxerre , 
dans  l'obédience  de  sous-prieur, 
et  il  jouit  de  la  bienveillance  et 
même  de  la  confiance  de  M.  de 
Gaylus,  évêque  de  cette  ville.  Ces 
dispositions  d'un  évêque,  ardent 
janséniste,  à  son  égard,  feraient 
seules  présumer  des  opinions  de 
Dom  Vidal.  Il  était  en  effet  forte- 
ment attaché  à  ce  malheureux 
|)arti  qui  a  tant  fait  de  ravages 
dans  ri^glise,  et  même  dans  la 
congrégation  de  Saint-Maur  en 
particulier.  On  sait  que  l'illustre 
saint  Germain,  après  son  voyage 
dans  la  Bretagne  armoriquc,  alla 
îi  Ravenne,  en  Italie,  et  y  mourut 
le  ai  juillet  4't8;  on  sait  aussi  que 
l'impératrice  Placidie  lit  renfermer 
son  corps  dans  un  coffre  de  bois 
de  cyprès ,  et  le  fit  reporter  à 
Auxerre,  où   il   arriva  cinquante 


VID 

jours  après  sa  mort.  Au  dernier 
siècle,  on  découvrit  des  ossements 
dans  un  coffre-fort  de  l'abbaye 
Saint-Marien,  dans  la  même  ville. 
Le  célèbre  abbé  Lebeuf  crut  et 
voulut  persuader  au  public  que  ces 
ossements  étaient  les  véritables 
reliques  de  saint  G'^rmain.  Dom 
Vidal,  qui  ne  partageait  point  celte 
persuasion,  \)ub\h:  Leltrescritiques, 
dans  lesquelles  on  fait  voir  le  peu  de 
solidité  des  preuves  apportées  par 
ceux  qui  poursuivent  la  vérification 
des  prétendues  reliques  de  saint 
Germain,  évoque  d'Auxerre,  avec 
cette  épigraphe  :  Adhug  sub  jcdice 
LIS  EST.  Ces  lettres,  qui  furent 
publiées  sans  indication  de  lieu, 
mais  à  Auxerre,  dans  le  format 
in- 12,  parurent  anonymes  (1)  et 
sont  au  nombre  de  sept.  On  y  ré- 
pondit par  trois  lettres  imprimées 
à  Auxerre,  chez  Fournier,  en  1753. 
Dom  Vidal  y  répliqua,  et  comme 
c'est  assez  l'usage  dans  les  duels, 
même  littéraires,  il  eut  des  adver- 
saires et  des  j)arlisans.  Après  la 
mort  de  Caylus,  Dom  Vidal  fut 
obligé  à  quitter  la  ville  d'Auxerre. 
Les  supérieurs  l'envoyèrent  dans 
Tabbaye  de  Saint-Bénigne,  de 
Dijon,  pour  y  administrer  le  tem- 
porel. Plus  tard ,  il  revint  à 
Auxerre,  dans  l'abbaye  de  Saint- 
Germain,  où  il  mourut  le  10  sep- 
tembre 17()0.  Outre  l'ouvrage  que 
j'ai  indiqué,  Dom  Vidal  avait  eu 
part  à  quelques  écrits  polémiques 


(I)  Barbier,  qui  inonlioune  ces  lettres 
dans  le  troisit'ine  voIuiir'  de  son  IHc- 
tionudirc  des  Anonymes,  mais  en  don- 
nant 1753  pi)iir  date  de  celte  édilinii, 
indiipu'  qu'il  b  b  attribue  h  dom  Viilal, 
d'a|très  lecataloj,'ue  manuscrit  de  l'abbé 
(î()uj(!t.  Il  est  étoiiiiaiit  ((u'il  i^uoiàttiue 
dom  Tassin  les  a  données  a  dom  Vidal, 
dans  le  petit  article  qu'il  lui  a  consacré. 


VID 


379 


gur  les  affaires  du  temps,  c'est-à- 
dire  sur  et  pour  le  jansénisme. 
Néanmoins  son  zèle  n'a  pu  lui  faire 
obtenir  de  l'abbé  Cervau  une 
place  dans  son  Nécrologe  des  plus 
célèbres  défenseurs  de  la  vérité. 

B.— D— E. 

VIDERÏC  ou  VIDRIC,  ou,  selon 
d'autres,  AVIDRIC,  en  latin  Vin- 
drius  et  Vindericus,  est  le  nom  d'un 
pieux  et  savant  religieux  du  xr  siè- 
cle. Il  embrassa  la  vie  monastique 
dans  l'abbayé  de  Saint-Èvre-les- 
Tûul,  sous  la  règle  de  Saint-Benoît. 
Le  monastère,  fondé  au  \*^  siècle, 
avait  d'abord  suivi  la  règle  d'A- 
gaune,  ou  plutôt  celle  de  saint 
Colomban. Gauzlin,  évêque  de  Toul 
au  x"  siècle,  y  introduisit  le  ré- 
gime des  bénédictins,  jusqualors 
inconnu  en  Lorraine.  Videric  de- 
vint abbé  de  ce  monastère,  qui, 
avant  la  révolution  française,  ap- 
partenait à  la  congrégation  Je 
Saint-Vanne.  On  connaît  peu  les 
actions  de  ce  religieux,  qu'on  sait 
pourtant  avoir  été  distingué  par 
son  savoir  et  sa  haute  i)iété.  On 
ignore  môme  l'époque  de  sa  mort, 
mais  on  sait  qu'il  vivait  encore  en 
106j(i  j,  puisqu'on  trouve  son  nom 
à  la  fin  d'un  titre  de  l'évèque 
Odon,  pour  l'égiise  de  Saint-Gen- 
goul,  de  Toul.  Comme  auteur,  Vi- 
deric est  connu  seulement  par  ce 
quil  a  écrit  sur  saint  Gérard,  évê- 
que de  Toul.  11  a  :  1"  écrit  sa  vie, 
à  la  prière  de  Léon  IX,  qui,  avant 
d'être  pape,  avait  été  évêque  de 
Toul.  Cette  vie,  d'après  laquelle 
Baillet  a    composé    la  sienne,   se 


(Il  Alors  que  penser  de  la  date  091, 
"Xloiinée  par  Lmgipont,  dans  la  nomen- 
clature qui  termini'  le  8"-  volinnc  de  >on 
JJisluire  litlérairc  de  l'ordre  de  S(iiut- 
Itcnoit?  Dom  Fran(.M)is  dit  aussi  que 
Viiicric  a  Yécu  dans  les  x»  et  xr  siècles. 


380 


VID 


VID 


trouve,  comme  on  doit  le  penser, 
dans  le  recueil  des  Bollandistes. 
Elle  est  fort  édifiante,  dit  Godes- 
card,  et  très-bien  écrite.  L'édition 
la  meilleure  et  la  plus  complète 
que  nous  en  ayons,  est  celle  qu'ont 
donnée  dom  Martenne,  tome  IIl  du 
Thésaurus  Anecdotonim ,  p.  lOiS, 
et  dom  Calmet,  dans  les  Preuves  de 
son  hisloire  de  Lorraine,  App.  mon. 
tome  IV,  part.  2,  p.  137.  Le  P. 
Benoît  Picard,  capucin,  publia  le 
même  ouvrage  en  français  avec  de 
longues  notes,  1700,  vol.  in- 12.  Il 
le  fit  reimprimer  en  1707,  dans  son 
Histoire  ecclésiastique  et  civile  de 
Tout.  Outre  la  Vie  de  saint  Gérard, 
Videric  a  2"  donné  et  dédié  h  Udon, 
évêque  de  Toul,  V Histoire  de  la 
canonisation  et  de  la  translation 
du  même  saint  Gérard,  faite  par  le 
pape  saint  Léon,  en  lOoO  ou  105J, 
dont  lui,  Videric,  dit  avoir  été 
témoin.  Enfin,  3*  notre  auteur,  tou- 
jours hiérophante  de  saint  Gérard, 
a  aussi  mis  en  vers  la  vie  de  ce 
saint  évêque.  Son  style  est  simple, 
dit  Dom  François,  et  sa  poésie 
n'est  pas  relevée;  mais  l'ouvrage 
respire  la  sincère  piété  de  celui 
qui  l'a  écrit.  L'estime  et  la  répu- 
tation dont  jouissait  Videric  sont 
bien  prouvées  par  l'épitaphe  qui 
se  lisait  autrefois  au  chapitre  de 
Saint-Evre,  et  qui  donne  quelques 
indices  sur  sa  vie  : 

UJc  tegitiir  tomba  mouachorum  lucida  gemma, 

Excmpluiu  vita-,  maxima  lux  patrifi-, 
Alibas  Oifitio  Videricus,  (termine  claro, 

Kxiinius  mundo,  c^egius  Domino. 
Dum  rcvebit  cursiu,  per  senas  Marlius  ides, 

Taie  decus  terris,  livida  mors  rapuit, 
Nos  petimu>  vidui,  miserd  sab  sorte  relicli, 

Sil  dit'iius  re^no  Tirere,  Cbrisle.  tuo. 

Le  père  Mabillon,  au  tome  IV,  des 
AJinales  de  son  ordre,  a  aussi 
parié  de  Videric.         B.— d. — e. 

VIDOCQ  (François-Euglne)  doit 
U  une  uoloriélé  plus  populaire  que 


recommandable  l'honneur  de  figu- 
rer dans  ces  colonnes  ouvertes  à 
des  hommes  et  à  des  actions  plus 
dignes  d'intéresser  la  postérité.  Il 
naquit  le  23  juillet  177o  i\  Arras, 
où  son  père  était  boulanger.  Ses 
inclinations  vicieuses  se  révélèrent 
de  bonne  heure  par  quelques  lar- 
cins commis  dans  la  maison  pa- 
ternelle, lesquels  grossirent  de 
proche  en  proche,  jusqu'à  un  dé- 
tournement de  deux  mille  francs 
qu'il  effectua  à  l'aide  d'effraction  ; 
puis  il  s'enfuit  à  Ostende  avec  le 
projet  de  s'embarquer  pour  l'Amé- 
rique; mais  des  malfaiteurs  l'ayant 
attiré  dans  un  lieu  suspect  le  dé- 
pouillèrent à  son  tour  des  produits 
de  son  vol,  et  Vidocq  se  vit  obligé, 
pour  vivre,  d'entrer  au  service 
d'un  saltimbanque  du  plus  bas 
étage  qui  l'assujettit  aux  traite- 
ments et  aux  exercices  les  plus 
humiliants.  Dégoûté  bientôt  de  cette 
existence  abjecie,  il  revint  à  Arras 
solliciter  le  consentement  de  son 
père  pour  s'engager  dans  le  régi- 
ment de  Bourbon  et  l'obtint  sans 
peine;  mais  s'étant  pris  de  que- 
relle avec  son  sergent-major,  il 
déserta  dans  un  régiment  de  chas- 
seurs d'où  l'exila  bientôt  la  crainte 
d'être  traduit  à  un  conseil  de 
guerre  pour  son  dernier  méfait. 
Ce  fut  sous  un  drapeau  étranger 
que  Vidocq  alla  cette  fois  chercher 
un  abri  contre  la  vindicte  militaire 
de  son  pays;  il  se  lit  incorporer 
dans  les  cuirassiers  de  Kiiiski; 
mais  les  rigueurs  de  la  schlague 
ne  tardèrent  pas  à  lui  rappeler  sa 
qualité  de  Français.  11  repassa  la 
frontière,  reparut  dans  son  ancien 
régiment  de  chasseurs,  et  quitta 
momentanément  le  service  par 
suite  d'une  blessure  qu'il  avait 
reçue  i\  la  jambe.  11  profita  de  co 
répit  pour  épouser,  à  dix-huit  ans, 


VID 

la  sœur  «l'un  aide  de  camp  de  Jo- 
seph Lebon,  appelé  Chevalier;  mais 
il  la  quitta  à  la  suite  d'une  mésa- 
venture conjugale,  reprit  sa  vie 
errante,  et  profita  du  dérèglement 
de  la  discipline  militaire  pour  par- 
venir rapidement  au  grade  nomi- 
nal de  lieutenant,  et  même  à  celui 
de  cjipitainc  de  hussards.  Une 
dame  de  qualité  chez  laquelle  il 
était  logé,  s'intéressa  assez  yivc- 
ment  à  lui  pour  le  gratifier  d'une 
somme  de  quinze  mille  francs. 
Vidocq  vint  à  Paris  au  commen- 
cement de  179G,  dépensa  rapide- 
ment cette  somme  en  compagnie 
de  joueurs  et  de  femmes  perdues, 
et  se  rendit  k  Lille  où  il  ne  tarda 
pas  à  subir  un  emprisonnement 
correctionnel  pour  voies  de  fait 
exercées  sur  un  officier  du  génie, 
avec  qui  il  s'était  trouvé  en  rivalité. 
Cette  détention  fut  l'occasion  de  la 
seule  sentence  criminelle  qui  pa- 
raisse avoir  été  prononcée  contre 
lui  :  Ciile  de  huit  ans  de  fers  pour 
complicité  dans  !a  fabrication  du 
faux  ordre  de  mise  en  liberté  d'un 
cultivateur  condamné  pour  vol  de 
blé.  Vidocq  fut  conduit  Ix  Brest 
d'où  il  s'évada  après  une  semaine 
de  séjour  :  mais  il  ne  put  se  sous- 
traire îi  la  surveillance  de  la  gen- 
darmerie, et  essaya  seulement  d'a- 
méliorer son  sort  en  se  faisant 
passer  pour  déserteur  de  la  marine. 
Traduit  à  Ponianion  dans  la  mai- 
son de  détention  destinée  aux  ma- 
rins, il  parvint  encore  à  s'évader 
sous  le  costume  d'une  religieuse. 
A  la  suite  de  diverses  aventures 
sans  intérêt,  Vidocq  fut  reconnu, 
et  dirigé  de  nouveau  sur  Brest, 
d'où  il  s'échappa  pour  la  seconde 
fois  déguisé  eu  mal»'lot.  Il  fut  de 
nouveau  livré  à  la  justice  sur  la 
dénonciation  d'un  faux  frère  et 
conduit  dans  les  prisons  de  Douai, 


VID 


381 


dont  l'enceinte  fut  aussi  impuis- 
sante à  le  retenir  que  l'avait  été  la 
surveillance  des  gardes-chiourmes 
de  Brest.  Il  Tint  à  Paris,  fit  la  con- 
naissance de  la  femme  d'un  che 
d'escadron  nommée  Annelte,  et 
entreprit  un  petit  commerce  qui 
eût  prospéré,  sans  les  saignées  ré- 
pétées qu'il  lui  fallait  faire  subir  à 
sa  caisse  pour  rétribuer  la  discré- 
tion de  ses  anciens  compagnons 
de  captivité.  Ce  fut  alors  que  Vi- 
docq, à  bout  de  voies,  prit  le  parti 
d'aller,  dans  les  premiers  jours  de 
1809,  offrir  son  concours  à  la  po- 
lice de  sûreté,  sous  la  seule  condi- 
tion de  subir  le  restant  de  sa  peine 
dans  la  maison  de  force  qu'on 
voudrait  lui  désigner.  Son  offre  fut 
agréée  après  quelque  hésitation,  et 
voilà  Vidocq  enrôlé  dans  les  rangs 
et  bientôt  à  la  tête  de  cette  fameuse 
bande  d'agents  secrets,  dont  l'in- 
dustrie, aussi  nécessaire  que  mé- 
prisable, consiste  à  appliquer  à  la 
recherche  des  malfaiteurs  les  res- 
sources que  la  plupart  ont  dé- 
ployées précédemment  pour  pré- 
parer le  succès  de  leurs  méfaits. 
Cette  seconde  phase  de  sa  vie  ne 
présente  ni  plus  d'intérêt,  ni  sur- 
tout un  intérêt  plus  attachant  que 
la  première.  Des  ruses  de  police, 
d'astucieux  déguisements,  d'igno- 
bles perfidies,  toutes  les  formes  de 
langage  employées  dans  les  lieux 
les  i)lus  infimes;  tels  sont  les  ta- 
bleaux nauséabonds  que  nous  dé- 
roule Vidocq  lui-même,  historien 
de  ses  propres  turpitudes,  et  qui, 
sous  le  nom  fastueux  de  Mémoires, 
ont  joui,  pendant  plusieurs  années, 
du  triste  privilège  de  désennuyer 
l^s  oisifs  de  la  capitale  et  de  la 
province.  Cette  existence  dégradée 
cl  périlleuse  dura  jus(}u'eu  1827, 
et  il  faut  constater,  pour  être  juste, 
que  Vidoc(i  signala  son  exercice 


Qso 


82 


VID 


VID 


par  quelques  coups  de  main  habiles 
cl  par  quelques  services  essenliels. 
On  conçoit  toutefois  qu'un  tel  per- 
sonnage ait  été  peu  sympathique  à 
M.  Delaveau  qui,  dans  le  rêve 
d'une  belle  âme,  avait  imaginé  de 
moraliser  la  police,  et  d'en  purger 
le  personnel  de  cette  foule  d'êtres 
dangereux,  dont  les  services  équi- 
voques lui  paraissaient  propres 
surtout  à  jeter  un  irrémédiable 
discrédit  sur  une  institution  des- 
tinée par-dessus  tout  i^i  protéger 
l'honneur  et  la  sûreté  des  citoyens. 
Vidocq  s'alarma  sérieusement  de 
l'invasion  des  jésuites  dans  la  rue 
de  Jérusalem,  et  donna  sa  démis- 
sion. Il  se  retira  à  Saint-Mandé, 
dans  une  maison  modeste  qu'il 
avait  fait  construire  dt  puis  peu,  et 
dirigea  ses  vues  et  son  intelligence 
du  côté  de  l'industrie.  Préoccupé 
de  l'avantage  de  secourir  par  le 
travail  ceux  des  repris  de  justice 
auxquels,  malgré  un  repentir  sin- 
cère, cette  flétrissure  fermait  tout 
accès  à  un  emploi  utile,  il  fonda 
une  manufacture  de  papier  et  de 
carton  destinée  à  recevoir  exclusi- 
vement des  libérés  des  deux  sexes, 
moyennant  une  rétribution  déter- 
minée. Mais  cette  idée,  bonne  en 
soi,  échoua  soit  par  le  défaut  d'ap- 
pui du  gouvernement,  soit  |)ar  la 
répugnance  des  détaillants  de  Paris 
à  employer  des  produits  d'une 
origine  aussi  impure,  et  Yidocq 
fut  contraint,  au  bout  de  quelques 
années,  ù  une  liquidation  onéreuse. 
Cependant  l'ouragan  de  1830  ve- 
nait de  balayer  le  régime  qui  avait 
soulevé  ses  susceptibilités.  Vidocq 
se  décida  à  rentrer  dans  la  police 
sans  caractère  officiel ,  comme  en 
1809  ;  mais  ce  fut,  cette  fois,  à  la 
police  politique  surtout  qu'il  offrit 
le  tribut  de  son  intelligence  et  de 
son  dévouement.  On  le  vil  (igurer 


dans  ces  bandes  dites  A'assommetirs 
chargées  d'intimider  les  ennemis 
du  nouvel  ordre  de  choses;  et  les 
services  qu'il  rendit  à  la  cause  de 
l'ordre,  lors  de  l'insurrection  des  5 
et  G  juin  1832,  sont  établis  par  une 
lettre  du  préfet  de  police  au  mi- 
nistre de  l'intérieur,  en  des  termes 
qui  ne  permettent  pas  d'en  contes- 
ter l'importance.  Il  fut  même  pré- 
senté au  roi  Louis-Philippe  à  cette 
occasion,  et  lui-même   reproduit 
dans  ses  Mémoires  le  fait  de  cette 
entrevue,  mais  avec  des  détails  tel- 
lement excentriques,  qu'ils  empê- 
chent d'y  ajouter  une  foi  absolue.  . 
Il  ne  paraît  pas  d'ailleurs  que  la 
gratitude  de  l'autorité  se  soit  exer- 
cée avec  beaucoup  de  munificence 
\x  l'égard  de  Yidocq,  car,  au  mois  de 
juin  1833, on  le  voit  ouvrira  Paris 
un  bureau  de  renseignements  pour 
éclairer  le  commerce  sur  les  fai- 
seurs de   dupes  dont   celte   ville 
abonde,  et  mettre  en   œuvre  plu- 
sieurs autres  i)rocédés  industriels 
dont  il  parait  avoir  tiré  un  certain 
profit.  Quant  à  l'agence  commer- 
ciale ,   elle   prospéra   assez   long- 
temps, bien  que  troublée  par  deux 
actions  en  police  correctionnelle, 
pour  escroquerie,  (jui  n'amenèrent 
aucune    condamnation     définitive 
contre  le  prévenu.  Toujours  en- 
thousiaste des  gouvernements  nou- 
veaux, Vidocq  mit  ses  services  à  la 
disjiosition    de  M.   de  Lamartine 
après  la  révolution  de  18^8,   et  se 
montia  l'un    des   fervents  adora- 
teurs du  pouvoir  qui  s'éleva  sur  ses 
ruines.  On  le  vit  saluer  du  litre  de 
Messie  et    de  réycnéraleur   de  la 
France  le  promoteur  du  2  décembre 
dans  un  magnifique  transparent  ex- 
posé aux  fei)êtr(!S  de  rap|)artement 
qu'il  occupait  jur  le  boulevard  Beau- 
marchais.   Ce    dévouement    banal 
avait  peu  profité  à  sa  fortune.  Vidocq 


VIE 


VIL 


383 


mourut  dans  un  état  de  détresse  ab- 
solue, le  28  avril  1857,  après  avoir 
demandé  et  reçu  avec  une  ferveur 
édifiante  les  secours  de    l'Eglise. 
Le  langage  qu'il  tint  à  ses  derniers 
moments  fut  en  harmonie  avec  ce 
retourtardif  mais  sincère  aux  idées 
religieuses.  «  J'étais  sur  le  bord  de 
l'abime...  Depuis  soixante-quinze 
ans  je  n'étais  pas  entré  dans  une 
église...   Dieu,  qui  est  la  miséri- 
corde infinie,  n'a  plus  de  motif  pour 
ne  pas  me  pardonner...  Trente  fois 
je  me  suis  battu  pour  des  prêtres 
qu'on  voulait  insuiier  dans  la  ter- 
reur de   93...   On    ne    meut  pas 
quand  on  a  un  pied  dans  la  tombe 
et  qu'on  vient  de  recevoir  le  saint 
viatique...  f>  M.  B.  Maurin  a  publié, 
en  <838,  une  très-intéressante  no- 
lice  sur  celle  naluie  énergique,  for- 
tementdouée,  originairement  hon- 
nête, mais  dégradée,  comme  tant 
d'autres,  par   l'absence    de  toute 
éducation  religieuse  et  dévoyée  par 
cette  dépendance  où  jette  une  pre- 
mière faute  que  l'historien  latin  a 
si  bien  caractérisée  facililas  prio- 
rum  {lafjiliorum.  A.  B — et. 

VIEU VILLE  (Marquist'.  de  la). 
Elisabeth     Montt^ommi'ry,     de    la 
branche  française    des  Monigom- 
mery,  qui  montra  tant  d'enthou- 
siasme pour  la  religion  prétendue 
réformée,  naquit  probablement  au 
milieu  du  xvn""  siècle.  Elle  épousa 
le  marquis  de  La  Vieuville,  qui  lui 
môme  prof-ssait  là  protestantisme, 
et  dont  la  famille  était  le  soutien 
de  la  réforme  d.ms  le  pays  de  Fou- 
gères, en    Bn.tagne,  pays  où    les 
apostasies  avaient  clé  rares,  tandis 
qu'à  Vitré  l'hérésie  avait  fait  des 
progrès  sensibles.  •  Le  calvinisme 
«  fil  peu  de  progrès  à  Fougères, 
a  dit   Pomiiuriul,    à   l'article    de 
«  celle    ville  dans   le  biclionnaivc 
c(  de  Uretagne;  les  seigneurs  de  la 


«  Vieuville  avaient  un  temple  dans 
a  leur  château  (l),  et  il  devint  le 
a  rendez-vous    des  protestants  de 
a  ce  canton.  »  Restée  veuve,  Eli- 
sabeth Montgommery  demeura  en- 
core quelque  temps  dans  ses  er- 
reurs, mais  enlin,  ouvrant  les  yeux 
à  la  vérité,  elle  abjura  et  fit  pro- 
fession de  la  religion  catholique, 
en  1699.  Elle  eut  l'avantage  d'é- 
teindre probablement  le  reste  du 
brandon  de  schisme  qui  pouvait  en- 
core exister  en  ces  contrées,  et 
mérita  ainsi  une  place  honorable 
dans  l'histoire  de  son  pays.  L'an- 
née suivante  ,  elle  voulut  rendre 
compte  elle-même  au  public  des 
motifs  de  sa  conversion  ,  dans  un 
volume  intitulé  :  Motifs  de  la  con- 
version de  madame  la  marquise  de 
La  Vieuville,  en  Bretagne,  diocèse  de 
Rennes.  \o].   in-li2,  Paris,  Jean  et 
Michel  Guignard,  1700.     B— d— e. 
VÏGÉE.    Voijez   LEBRUN,   Bio- 
graphie universelle,  l.  lxxi,  p.  3. 

VILLA-ALBA  (Marc  de),  célè- 
bre religieux  cistercien,  édifia  l'Es- 
pagne au  xvi*"  siècle,  par  sa  science 
et  sa  grande  vertu.  Il  embrassa  la 
vie  monastique  dans  le  monastère 
de  Mont-Sion,  près  de  Tolède,  où 
sa  piété  et  sa  doctrine  lui  conciliè- 
rent la  vénération  de  tout  le  monde. 
Il  fut  choisi  |)Our  général  de  la 
coniirégalion  d'Espa^^^ne,  à  laquelle 
appartenait  son  monastère,  et  dans 
l'exercice  de  celte  liante  fonction, 
il  se  montra  si  soigneux  des  inté- 
rêts divers  de  ses  religieux,  qu'ils 
avaient  tous  pour  lui  autant  d'af- 
fection que  de  respect.  Le  roi  d'Es- 
pagne, qui  l'estimait  à  cause  de  sa 
sainteté  et  de   la  sa^resse  de  son 


(I)  Le  cliàteaii  (h  Vieuville  est  situé 
sur  la  coinmuiic  de  Chàttlier,  anoii- 
dibsouient  de  Fougères  (llle-ct-Vilaiiie}. 


384 


VIL 


VIL 


gouvernement,  le  nomma  abbé  de 
Fitero.  Ce  monastère  est  une  abbaye 
(le  l'ordre  de  Citeaux,  appartenant 
aussi  à  la  congrégation  dite  de 
l'Observance  en  Espagne,  fondée 
par  Martin  de  Vargas  (voyez  Var- 
GAs,  ci-dessus).  Villa-Alba  sut  y  af- 
fermir et  y  maintenir  la  plus  ré- 
gulière observance ,  et  rarement 
il  s'abstenait  d'assister  à  l'office 
du  chœur ,  comme  le  religieux 
le  moins  empêché.  En  un  mot, 
il  était,  dans  sa  nourriture,  dans 
sa  cellule,  etc.,  comme  tous  les 
pères  de  la  maison.  Chaque  an- 
née, il  donnait  un  exemple  de  mo- 
destie qui  louchait  jusqu'aux  lar- 
mes tous  les  frères  qui  en  étaient 
témoins.  Le  vendredi  saint,  après 
une  courte  exhortation,  il  deman- 
dait humblement  pardon  ù  tous  ses 
moines  des  fautes  dans  lesquel- 
les il  était  tombé.  Tous  les  ab- 
bés de  la  réforme  en  faisaient  au- 
tant, il  est  vrai ,  ainsi  le  portaient 
les  constitutions;  mais  ce  qu'elles 
ne  prescrivaient  pas  et  ce  qu'il 
ajoutait,  c'estqu'ilcommandaitàson 
prieur  de  lui  infliger  une  punition 
pour  ce  qu'il  avait  vu  de  repré- 
hensible  en  lui ,  et  de  lui  remon- 
trer ses  fautes  sans  dissimulation. 
Pour  obéir,  le  prieur,  qui  sa- 
vait que  par  là  il  lui  serait  agréa- 
ble, le  reprenait  ^évèrement  pour 
des  défauts  qui  à  peine  auraient 
été  sensibles  en  d'autres,  et  lui  fai- 
sait infliger  une  cruelle  discipline 
par  deux  religieux.  Villa  -  Alba 
mourut  dans  son  abbaye,  en  1590. 
Celle  abbaye,  située  au  diocèse  de 
Pampfîlune  ,  dans  la  Navarre,  était 
dans  un  village,  dont  on  fille  tour 
avec  le  corps  du  défunt,  aumilieu 
d'une  foule  d'habitants,  et  surtout 
de  pauvres,  qui  pleuraient  un  bien- 
faiteur. On  vénérait  son  tombeau, 
et  au  bout  de  sept  ans  ,  les  reli- 


gieux ayant  eu  la  curiosité  de  l'ou- 
vrir, on  trouva  son  corps  aussi  en- 
tier et  aussi  intègre  que  le  jour  de 
l'inhumation.  On  le  confia  de  nou- 
veau Il  la  terre,  et  dans  le  même 
endroit,  prenant  la  précaution  de 
remplir  de  chaux  le  sépulcre,  pour 
que  du  moins,  par  ce  m.oyen,  les 
chairs  fussent  consumées.  Précau- 
tion inutile!  Quand,  dans  la  suite, 
ce  sépulcre  fut  ouvert  de  nouveau, 
le  corps  du  vénérable  religieux 
était  resté  dans  le  même  état  de 
conservation.  Cette  circonstance, 
dans  laquelle  on  ne  pouvait  dissi- 
muler qu'il  y  avait  du  prodige,  fit 
que  les  moines  de  Fitero  honorè- 
rent encore  davantage  Villa-Alba, 
persuadés  qu'il  était  au  nombre 
des  saints.  L'illustre  abbé  ne  se 
bornait  pas  à  la  direction  de  sa 
maison  et  il  trouvait  encore  le 
temps  de  se  rendre  utile  par  ses 
écrits.  Ainsi  I,  en  lo84,  il  publia  à 
Salamanque  un  recueil  des  défini- 
tions des  chapitres  généraux  de  la 
congrégation  de  Mont  de  Sion. 
II,  en  1588,  il  écrivit  une  lettre  de 
consolation  à  Philippe  II,  après  le 
naufrage  de  la  flotte  formidable 
que  ce  roi  avait  envoyée  en  Angle- 
terre. III.  Il  a  laissé  dix  livres  de 
commentaires  sur  les  prophéties 
d'Isaie.  Divers  auteurs  ont  fait  l'é- 
loge de  Villa-Alba,  entre  autres 
Bucelin,  dans  son  Ménologc  de 
l'ordre  de  Saint-Benoît.  Henri- 
quez,  dans  son  Fasciculus  satide- 
rum  ordinh  cislerciensis ,  etc. 

B— D— E. 

VILLAGUT  ou  yiLLMlUm 

(Alphonse),  savant  canonislp.  du 
wr  siècle,  était  natif  dij  Naples. 
Né  avec  d'heureuses  dispositions 
pour  l'étude,  il  les  cultiva,  apprit 
le  grec  et  1  hébreu,  pénétra  avec 
avantage  dans  toutes  les  sciences, 
et  surtout  dans  celle  du  droit  ca- 


ML 


VIL 


385 


1)011,  et  il  obtint  le  grade  de  doc- 
teur en  celte  faculté.  Il  s'était  fait 
bénédictin,  le  9  juillet  4366,  à  l'ab- 
baye de  Sainl-Séverin  ,  dans  sa 
ville  natale,  et  la  considération 
dont  il  jouit  dans  celte  maison  re- 
leva à  la  première  dignité.  Devenu 
abbé  de  Saint-Séverin,  il  y  bâtit 
avec  goût  et  enrichit  la  bibliothè- 
que d'un  grand  nombre  d'ouvra- 
ges, tant  imprimés  que  manuscrits. 
Son  attrait  pour  la  vie  de  cabinet 
était  contrarié  par  la  nécessité  de 
remplir  les  charges  principales  de 
sa  congrégation  ;  mais  il  déposa  ce 
fardeau,  pour  ne  s'occuper  qu'à  la 
lecture  et  à  la  composition.  Il  était 
encore  dans  la  force  de  l'âge,  puis- 
qu'il n'avait  que  37  ans,  quand  la 
mort  l'enleva,  en"  1623.  Quoique 
livré  à  tant  d'obédiences,  il  avait 
beaucoup  écrit  et  a  laissé  I.  Prac- 
tica  canonica  criminalis.  etc.  Vol. 
in-4,  Bergame,  1583;  2''  édition, 
Francfort,  1388.  U.  De  usuri.s,  etc. 
Traclatus divisas  in  quesiiones XXXV. 
In-fol.  Venise,  1389.  III.  Consulta- 
iiones  decisivœ  ad  varios  casus  tam 
in  PoNTiFicio  quant  in  CiESAREo  jure 
in  praxi  tract atos,  etc.  In-fol.  ïré- 
vise,  1601.  IV.  spéculum  visitaio- 
ruffi,  seu  commissariorum ,  seu  Me- 
thodus  procedendi ,  processusque 
formandi  in  causis  criminalïbus  con- 
tra clericos  per  sœculares.  ln-4,  Ve- 
nise, KiOl.  V.  De  cxtensionelegum^ 
tam  in  génère  ,  quam  in  specie 
Tractatcs  amplissimus,  etc.  ln-4, 
1602.  VI.  Altegutioiies  in  jure,  Trac- 
TATLs  de  rébus  Ecclesiœ  mate  aiie- 
natis  restituendis,  etc.  In-i,  Naples, 
1C03.  2'  éd.  liolo-ne,  1600.  3'  éd. 
Cologne,  1609.  Vil.  En  langue  ita- 
lienne, un  traité  ascétique,  divisé 
en  3  volumes,  dont  le  premier  pa- 
rut, formai  in- 12,  'd  Venise,  en 
l'année  1387,  et  les  deux  autres  en 
1389.  Vlll.  Propuijnaculum  inejrpu- 

LXXXV 


rjuabile  ecctesiarum  pro  sibi  reinte- 
grandis  bonis  stabitibus,  etc.  IX. 
Propugnaculum  impenetrabile  totius 
libertatis  et  immunitatis  Ecclesiœ 
sanctœ.  X.  Propugnaculum  exemp- 
tionis     Monachorum    cassinensium. 

XI.  Thésaurus  actuum  criminalium. 

XII.  Défense  des  dogmes  de  la  re- 
ligion chrétienne    contre   les  juifs. 

XIII.  Discours  sur  les  mystèi'es  du 
Sauveur.  Ces  six  derniers  ouvrages 
n'avaient  point  été  imprimés ,  et 
étaient  gardés  en  manuscrit  dans 
l'abbaye  Saint-Séverin.  Mais  après 
tant  de  bouleversements  dont  Na- 
ples  a  été  victime,  on  peut  douter 
que  la  bibliothèque  des  bénédic- 
tins, si  elle  existe  encore,  soit  dans 
le  même  état.  Dom  François  a  parlé 
de  Villagutli  dans  la  Bibliothèque 
générale  des  écrivains  de  l'ordre  de 
Saint-Benoit,  mais  les  dictionnai- 
res historiques  de  Richard  et  de 
Ladvocat  etc.,  n'en  disent  rien,  et 
Longiponl,  dans  sa  grande  histoire 
littéraire  n'a  mentionné  ce  ju-. 
riste  érudit  ni  dans  le  corps  de 
l'ouvrage,  ni  dans  Ylndeéc  omisso- 
rum,  etc.  B — d — e. 

VILLAROEL  (Emmanuel  de), 
célèbre  bénédictin  espagnol,  acquit, 
au  commencement  du  dernier  siè- 
cle, une  grande  réputation  comme 
prédicateur.  Il  était  membre  de  la 
congrégation  de  Valladolid.  Ce  re- 
ligieux possédait,  dit-on,  une 
grande  variété  de  connaissances, 
et  il  avait  non-seulement  le  talent 
de  la  parole,  mais  aussi  celui  d'é- 
crire. En  1702,  il  donna,  dans  le 
format  in-^" ,  des  panégyriques, 
au  nombre  desquels  se  trouve  l'o- 
raison funcbre  du  cardinal  Saenz 
d'Aguerre,  (jui  avait  été  aussi  bé- 
nédictin. 11  a  fait  imprimer  sept 
volumes  in-fol.  de  comm<  iitaires 
sur  l'Ecriliire  sainie,  dont  i(;  pre- 
mier parut  à  Madrid  eu  1703,  et 

25 


386 


VIL 


les  autres,  les  années  suivantes.  Cet 
ouvrage,  dit  dom  François,  a  été 
;iccueilli  du  public;  il  est  érudit, 
et  peut  être  fort  utile  aux  prédica- 
teurs. Ce  jugement  est  aussi  celui 
des  journalistes  de  Trévoux,  expri- 
mé dans  leur  volume  du  mois 
d'août  1707.  Ils  avaient  parlé  du 
premier  ouvrage  de  Villaroél,  dans 
le  volume  d'octobre  1702.  On  peut 
également  consulter,  sur  le  même 
auteur,  la  page  1004  du  II'  tome 
de  la  Bibliothèque  sacrée  du  P.  Le- 
long.  B— D— E. 

VI LLEBOIS  (  Etienne  -  Marie- 
Louis-MicHEL  baron  de),  inspecteur 
général  des  tinances,  né  à  Brest  le 
\6  janvier  1777,  suivit,  dès  Tàge  le 
plus,  tendre,  son  père  M.  Michel  de 
Villebois,  commissaire  général  de 
marine,  à  Bordeaux,  où  il  fit  ses 
études  et  traversa  péniblement  les 
cruelles  épreuves  que  la  tourmente 
révolutionnaire  fit  subir  à  sa  fa- 
mille. Resté  jusqu'à  Tâge  de  32  ans 
étranger  aux  affaires  publiques, 
ce  ne  fut  qu'en  1809  qu'il  entra 
dans  la  carrière  administrative,  où 
il  n'a  cessé  de  rendre  les  services 
les  plus  utiles  et  où  il  s'est  acquis, 
dans  ses  différents  emplois,  la  ré- 
putation d'un  fonctionnaire  aussi 
capable  qu'intègre.  Nommé  d'a- 
bord sous-inspecteur  du  trésor 
et,  comme  tel,  chargé  de  la  sur- 
veillance du  mouvement  des  fonds 
des  caisses  de  l'armée  d'Espagne,  il 
fut,  (jualre  ans  après,  promu  au  grade 
d'inspecteur.  En  1819,  il  lut  nommé 
inspecteur  général  des  finances  ;  en 
4822.  maiire  des  requêtes  au  con- 
seil d'Eiai,  et,  en  1824,  directeurde 
l'Imprimerie  royale.  C'est  princi- 
palement dans  cef.e  haute  position 
que  M.  de  Villebois  montra  la  supé- 
riorité de  son  intelligence  et  de  ses 
conuaissanceb  aUminisiratives,  en 
introduisant  dans  le  régime  de  l'Im- 


VIL 

primerie  royale  de  sages  et  utiles  ré- 
formes. La  comptabilité  établie  par 
cet  habile  administrateur  n'a  pas 
moins  contribué  à  la  prospérité  de 
cet  important  établissement.  Cette 
comptabilité  a  été  plusieurs  fois 
citée  avec  éloges  et  offerte  comme 
modèle  à  suivre  dans  les  autres  ad- 
ministrations qui,  comme  l'inipri- 
merie  royale,  ont  leur  budget  par- 
ticulier. Rentré  dans  la  vie  privée 
après  les  événements  de  1830, 
M.  de  Villebois  se  retira  à  Ver- 
sailles où  il  mourut  le  26  février 
1837,  profondément  regretté  de  sa 
famille  et  des  nombreux  amis  que 
lui  avaient  acquis  l'améniié  de  son 
caractère  et  la  supériorité  de  son 
esprit.  Z. 

VILLEGONTIER  (Louis-Spiri^ 
dionFrain,  comte  de  la).  Si  la  vie 
ducomtede  La  Villegontiernenous 
faisait  connaître  qu'un  administra- 
teur instruit,  zélé  ;  un  homme  dis- 
tingué par  un  rare  ensemble  de 
belles  qualités  et  de  vertus  privées, 
peut-être  mériterait-elle  une  mono- 
graphie étendue,  mais  assurément 
elle  ne  pourrait  prétendre  à  grossir 
la  nomenclature  des  hommes  cé- 
lèbres que  renferme  la  Biographie 
universelle.  Mais  le  comte  de  La 
Villegontier  a  touché  à  tant  de 
points  divers  des  choses  de  son 
temps,  que  sa  vie  est  un  des  traits 
épisûdiquesde  l'histoire  contempo- 
raine ;  le  lecteur  verra  qu'elle  ré- 
clamait les  quelques  pages  que 
nous  lui  consacrons  ici.  11  naquit  U 
Fougères  (llle-et-Vilaiue),  le  26  jan- 
vier 1776.  Son  père(l)Heaé-Joseph 


(1)  «  Issu  (l'une  fauiillc  parleincu- 
taire,  dit  le  Dictiunnuirc  UiSloiique  de 
Brclagiie,  anoblie  par  Louis  Mil,  en 
iCdi,  dans  la  pciv)nn(;  de  Sébastien 
Frain.  >  (Voyez  Frain,  tome  xv,  page 
423.) 


YIL 


VIL 


387 


Frain,  membre  du  parlement  de 
Bretagne,  avait  épousé  Mélanie- 
Louise-Renée,  fille  du  comte  Four- 
nier  de  Pellan.  Ce  mariage  fut  in- 
fluencé par  le  duc  de  Penihièvre, 
qui  présidait  alors  les  Etats  de  Bre- 
tagne, et  qui  promit  d'être  le  par- 
rain du  premier  enfant  que  le  ciel 
donnerait  aux  nouveaux  époux.  Cet 
enfant,  celui  dont  nous  parlons  ici, 
fut  tenu  sur  les  fonts  de  baptême 
par  le  vertueux  prince  et  son  in- 
fortunée belle-fille,  la  princesse  de 
Lamballe.  Quoique  né  dans  une  po- 
sition sociale  qui  devait  lui  faire 
goûter  de  bonne  heure  les  dons  de 
la  fortune  avec  les  joies  de  la  fa- 
mille, le  jeune  Spiridion  ne  jouit 
pas  longtemps  de  ces  avantages  ; 
la  Providence  le  destinait  îi  passer 
une  partie  de  son  enfance  et  de  sa 
jeunesse  dans  lesépreuves  et  même 
les  privations.  Son  père  mourut  en 
1782,  sa  mère,  l'année  suivante.  Il 
restait  l'aîné  de  trois  autres  orphe- 
lins, unesœuretdeux  frères.  Tandis 
que  leurtuteur,M.de  la Bigne  Ville- 
neuve, confiait  au  pensionnat  des 
religieuses  de  la  Miséricorde  de 
Jésus,  à  Saint-Nicolas  de  Fougères, 
l'éducation  de  la  jeune  personne, 
il  plaça  les  trois  garçons  au  collège 
de  Vendôme,  où  ils  suivirent  toutes 
les  classes;  et  chaque  année  le  frère 
aîné  remporta  les  premiers  prix  de 
la  sienne.  Lk  il  connut  le  duc  De- 
cazes  et  son  frère,  et  forma  arec 
eux  des  relations  d'amiiié  qu'au- 
cune circonstance  n'a  jamais  al- 
térée. Au  sortir  du  collège  il  entra, 
en  1794,  à  l'école  polytechnique, 
qui  venait  d'être  créée,  et  il  y  ob- 
tint les  mêmes  succès  ([u'ù  Ven- 
dôme. Admis  au  premier  ou  au 
deuxième  rang  ,  il  sortit  aussi ,  en 
1797,  le  premier  ou  le  second  de 
l'école.  On  lui  proposa  de  prendre 
pari  à   l'expédition   d'Egypte  ;  sa 


santé,  faible  alors ,  et  surtout  ses 
principes,  le  portèrent  à  refuser. 
Libre  de  lui-même  et  -à  la  tête  de  sa 
famille,  il  revint  habiter  Fougères, 
d'où  il  faisait  de  temps  en  temps  des 
voyages  à  la  capitale.  Après  avoir 
établi  sa  sœur,  qui  demeurait  avec 
lui,  il  se  maria  lui-même  en  1806. 
Il  épousa  M"^  Adélaïde-Marie-Claire 
deLaviefvilledeBoisgelinKerdu{l). 
N'ayant  rien  voulu  sous  le  premier 
empire,  il  ne  commença  sa  vie  pu- 
blique qu'à  la  restauration  des 
Bourbons.  Libre  d'accepter  la  sous- 
préfecture  de  St-Denis-en-France 
ou  celle  de  Versailles,  il  préféra 
cette  dernière,  et  y  fut  nommé  le 
2  août  181 5.  Le  séjour  des  troupes 
alliées  (Prussiens  et  Anglais)  av;;it 
amené  la  nécessité  de  dépenses,  dont 
la  li(juidation  demandait  des  fonds 
et  une  aptitude  spéciale.  Le  comte 
de  La  Villegontier,  quoique  débu- 
tant, montra  qu'il  était  capable  de 
faire  tout  ce  que  demandaient  des 
circonstances  difficiles;  de  celle-ci 
il  eut  tout  le  fardeau  et  tout  le  mé- 
rite. Le  préfet  était  mal  avec  le 
ministre.  Le  comte  de  La  Villegon- 
tier obtenait  plus  facilement  que 
lui  de  l'administration  l'argent  né- 
cessaire (2).  On  sentait  si  bien  l'u- 
tilité de  sa  coopération ,  que ,  le 
l""janvierl816,  les  sous-préfectures 
de  chef-lieu  de  déparlement  ayant 
été  supprimées,  le  préfet  demanda 


(!)  Fille  lie  Toussaint-Marie  de  Boit»- 
ijelin,  aspirant  de  marine  sons  Sutlren 
(voyez  ce  nom,  xliv,  p,  150),  et  qui,  a 
l'ûge  de  dix-huit  ans,  avait  reçu  la  croix 
de  Saint-Louis,  pour  une  action  d'éclat 
dans  la  mer  des  Indes.  La  noble  Tamille 
de  Hoisgclin,  distinguées  dans  réiilisc, 
dans  l'armée,  etc.,  l'est  aussi  dans  la 
république  des  lettres.  (Voyez  lioisge- 
lin,  tome  v,  page  18,  et  tome  Lviri, 
pagca  MîO,  461.) 

(2)  La  liquidation  s'éleva  a  quinze  mil- 
lions et  plus  pour  le  départonicnl  ! 


388 


VIL 


VIL 


qu'on  maintînt  dans  ses  fonctions 
jusqu'au  1°'  mars  le  conite  de  La 
Villegonlier,  parce  que  tel  était  le 
vœu  de  la  commission  des  subsis- 
tances, commission  dont  le  comte 
de  La  Villegonlier  était  membre 
zélé;  elle  retirait  un  grand  secours 
de  sa  présence.  Il  était  impossible 
au  minisire  de  faire  dans  la  sup- 
pression une  exception  en  faveur 
du  sous-préfet  de  Versailles,  il  l'au- 
torisa du  moins  à  continuer  de 
siéger  dans  celte  commission  pour 
la  seconder  par  ses  travaux  et  l'é- 
clairer par  ses  lumièr  es.  JeWes  étaient 
les  expressions  du  ministre  ,  qui 
ajoutait  ces  mots  tlalteurs  :  «  Le  zèle 
«  et  le  dévouement  dont  vous  avez 
«  fait  preuve  dans  la  place  de  sous- 
«  préfet,  me  font  espérer  que  vous 
«  continuerez  avec  plaisir  d'être 
«  utile  à  un  arrondissement  que 
«  vous  avez  si  bien  administré.  »  Le 
comte  de  La  Villegonlier  refusa  la 
place  de  secréiaire  général  du  dé- 
parlement de  la  Seine,  et  son  refus 
mécontenta  le  ministre  Taublanc  ; 
mais  (  e  ministre  ayant  eu  alors  un 
successeur,  le  comte  de  La  Ville- 
gonlier fut,  dès  le  15  mai  de  la 
même  année  ,  nommé  préfet  de 
l'Allier,  dont  le  chef-lieu  est  Mou- 
lins. Admis  à  remercier  le  roi  dan» 
une  audience  particulière,  il  reçut 
encore  de  Sa  Majesté  le  témoignage 
le  plus  flatteur  sur  sa  gestion  à 
Versailles.  Il  n'arriva  à  sa  nouvelle 
destination  que  le  13  juin,  parce 
que  son  prédécesseur  (le  comte  de 
La  Vieuville),  nommé  à  la  préfec- 
ture de  la  Somme, désirait  recevoir 
à  Moulins,  avant  de  partir,  la  prin- 
cesse Caroline  de  Naples  ,  qui  ve- 
nait épouser  le  duc  de  Berry.  Dès 
le  lendemain  de  son  arrivée  ,  le 
comte  de  La  Villegonlier  écrivit  aux 
maires  et  aux  sous-préft'ts  une  cir- 
culaire qui  découvrait  l'esprit  de 


conciliation  dont  il  voulait  s'ins- 
pirer dans  l'administration  du  dé- 
partement. Celte  lettre  plut  beau- 
coup à  Louis  XVIII  et  à  ses  minis- 
tres; mais  je  dois  dire  qu'elle 
trouva  beaucoup  moins  de  fa- 
veur i^  la  cour  et  dans  le  départe- 
ment. On  semblait  y  voir  que  le 
nouveau  préfet  voulait  pactiser  avec 
la  révolution  et  les  révolutionnaires. 
Aujourd'hui  on  est  déjk  loin  de  ce 
temps,  et  la  plupart  ignorent  quelles 
étaient  les  susceptibilités  de  l'é- 
poque. Quelques-uns  trouvaient 
ces  circulaires  fort  sages  et  fort 
prudentes  ;  d'autres  les  regardèrent 
comme  rétrogrades  et  intempes- 
tives, Parmi  ces  derniers  comp- 
taient les  sous-préfets  des  trois  ar- 
rondissements, de  Sulau,àGannes; 
Martin  des  Islets,  à  Montluçon  ;  de 
Conny,  àlaPalisse.  Celui-ci,  roya- 
liste plein  d'ardeur,  regardait  le 
comte  de  La  Villegonlier  comme  un 
honnête  homme  trompé ,  et  tous 
trois  cependant  lui  restèrent  atta- 
chés d'estime  et  d'afleclion.  Si  tous 
n'approuvaient  pas  entièrement  le 
préfet,  tous  étaient  charmés  de  la 
préfecture;  et  la  réception  cordiale 
qu'on  y  trouvait ,  le  ion  à  la  fois 
grand ,  poli  et  aisé  ,  que  madame 
de  La  Villegonlier  savait  faire  I  égner 
habituellement  dans  les  salons  de 
son  hôtel,  y  attirait  beaucoup  de 
monde  presque  tous  les  jours.  On 
en  vint  bientôt  à  connaître  l'esprit 
de  fermeté  et  de  sagesse  du  préfet; 
on  passa  pour  lui  à  des  sentiments 
encore  plus  élevés  durant  la  disette 
qui  affligea  l'Allier  à  la  lin  de  Tan- 
née 1816  et  pendant  une  moitié  de 
l'année  suivante.  Avant  d'en  parler, 
je  veux  du  moins  indi(iuer  un  trait 
curieux  qui  montrera  quelles  élaient 
les  maximes  du  coinle  de  La  Ville- 
gonlier. Un  bonapartiste  exalté  cl 
fougueux,  Gautier  Labertière,  qui 


VIL 


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389 


élait  sous  le  coup  d'une  condamna- 
tion, et,  par  décret,  exilé  à  Bourges, 
n'avait  pu  être  saisi.  Tombé  entre 
les  mains  du  sous-préfet  de  La 
Palisse,  il  fut  conduit  au  comte  de 
La  Villegontier  .  qui ,  loin  d'agir 
avec  rigueur,  le  traita  avec  une 
sorte  de  générosité,  s'en  rapporta  à 
sa  bonne  foi,  et  n'eut  pas  lieu  de 
s'en  repentir.  Labertière  tint  sa 
parole  et  Sv3  rendit  volontairement 
au  lieu  de  son  exil  ;  il  est  yrai  qu'il 
n'avait  guère  d'autre  parti  àprendre, 
et  il  est  douteux  qu'il  ait,  pour  cela, 
changé  de  sentiments. Lell  juillet, 
le  préfet  reçut  la  duchesse  d'An- 
goulême,  qui  se  rendait  aux  eaux  de 
Vichy,  et  cette  princesse,  qui  revint 
pourle  même  sujet, l'année  suivante, 
lui  témoigna  toujours  beaucoup  de 
bonté,  et  lui  donna ,  ainsi  que  le 
prince  son  époux,  des  preuves  de 
son  estime  et  d'une  amitié  presque 
familière.  A  la  fin  de  cette  année 
et  la  moitié  de  l'année  suivante,  le 
département  de  l'Allier  fut,  comme 
je  l'ai  déjà  dit,  éprouvé  par  une 
famine  cruelle,  qui  donna  au  préfet 
bien  de  la  tablature,  mais  lui  four- 
nit aussi  l'occasion  de  montrer  son 
activité  et  la  sagesse  de  ses  vues. 
Il  regarda  avec  raison  comme  son 
devoir  de  venir  au  secours  de  ses 
administrés.  A{)rès  réflexion,  il  prit 
une  ri'solution  qui  lui  parut  la  plus 
prudente, et  ne  s'en  départit  pas, 
résistant  même  aux  injonctions  que 
les  difficultt's  de  la  position  avaient 
arrachées  à  Laine,  ministre  de  l'in- 
térieur, car  h'S  concessions  lui  pa- 
raissaient injustes  et  inopportunes. 
Le  ministre  lui  en  sut  gré  plus  tard, 
et  l'en  remercia  de  vive  voix  et  par 
écrit.  Voici  en  abrégé  ces  résolu- 
lions  et  ces  mesures  :  libre  circula- 
tion des  grains  au  dehors  et  au 
dedans  du  département..;  point  de 
réquisition..;  point  de  taxe..;  pro- 


tection aux  commerçants..;  recher- 
che et  saisie  des  spéculateurs  non 
commissionnés  et  non  patentés...; 
activité  continuelle  de  lagendarme- 
rie  pourempêcher  les  désordres...; 
punition  immédiate  quand  néan- 
moins les  désordres  sont  arrivés...; 
partout  du  secours,  surtout  en  tra- 
vaux, et  aussi  appel  au  concours  et 
à  la  générosité  des  propriétaires..; 
espérance  dans  les  dons  et  la  pro- 
tection du  gouvtrnemeut.  Or,  le 
gouvernement  ne  manqua  pas  à  se 
montrer,  pendant  neuf  mois,  com- 
patissant ,  secourable ,  mais  éner- 
gique dans  la  répression.  Le  comte 
de  La  Villegontier  recourut  aussi  au 
zèle  et  à  l'influence  des  personnes 
haut  placées,  des  maires,  des  curés 
surtout,  dont  la  parole  comme  les 
bienfaits  ne  tirent  jamais  défaut  en 
pareilles  circonstances.  Ils  se  mon- 
trèrent admirables.  Le  préfet  se 
rendait  sur  plusieurs  points  du 
département,  où  son  apparition 
était  une  fête  ,  et  il  y  portait  cette 
habitude  de  générosité  dont  il 
s'était  fait  un  devoir ,  et  qui  lui 
servit  beaucoup,  sans  cependant 
être  onéreuse  ;  il  gagnait  tous  les 
cœurs  par  ses  bonnes  manières (1). 
Au  nombre   des  réformes    et   des 


(1)  Les  hauts  fonctionnaires,  les  ma- 
gistrats, les  administrateurs  sont  expo- 
sés «)  recevoir  des  deniaiules  étranges, 
et  il  donner  des  refus  pénibles,  mais 
nécessaires.  Peu,  grâces  a  Dieu  !  sont 
du  genre  d'une  faveur  sollicitée  un  jour 
du  comte  de  La  Villegontier,  et  qu'il  ne 
put  accorder.  Cette  aventure,  si  je  puis 
la  qnalitier  ainsi,  lui  arriva  lors  de  sa 
visite  à  Montluçon.  Il  allait  monter  en 
voilure  pour  partir,  quand  un  ecclésias- 
tique, venu  de  l'Auvergne,  lui  fit  de- 
mander une  audience.  Le  préfet  le  pré- 
vint et  alla  le  trouver  dans  la  chambre 
d'auberge  où  il  raltcndait.  g  -.elle  fut 
sa  surprise  quand  il  vit  un  prêtre  lui 
demander  la  permission  (il  s'exprimait 
ainsi)  de  prêcher  a  Moulins,   avouant 


390 


VIL 


améliorations  qu'il  procura  au  dé- 
parlemeiude  T Allier,  on  doitcomp- 
ter  ce  qu'il  fit  pour  les  fameux 
bains  de  Néris.  Il  y  trouva  une 
mauvaise  administration;  il  y  por- 
ta remède  par  ses  remontrances, 
car  on  en  vint  h  un  mode  plus  dé- 
cent... Mais,  là,  il  dut  céder,  après 
avoir  satisfait  à  sa  conscience,  à 
des  intluences  très-hautes,  qui 
maintinrent  le  médecin  des  bains, 
dout  il  avait  demandé  la  destitu- 
tion. Il  n'y  avait  guère  qu'un  an 
que  le  comte  de  La  Villegontier  se 
dévouait  avec  tant  de  conscience, 
j'ajoute,  et  de  bonheur  aux  inté- 
rêts de  ses  administrés,  lorsqu'il  se 
vit  dans  la  nécessité  de  les  quitter. 


que  prêcher  était  sa  passion.  Ce  prêtre 
était  M.  Lcgroing  de  la  Romagcrc,  âgé 
alors  d'enviros  oo  ans,  frère  d'un  ad- 
joint au  maire  de  Montluçon.  I.e  préfet 
eut  beau  lui  répondre  poliment,  mais 
nettement,  qu'il  n'aviut  aucun  droit  k 
s'immiscer  dans  cette  alfaire  ;  qu'il  de- 
vait s'adresser  au  grand  vicaire  (Mou- 
lins n'étant  pas  évêché  alors)  ou  au 
curé  de  Notre-Dame,  puisque  c'était  à 
.Notre-Dame  qu'il  voulait  prêcher;  le 
piètre  lui  demanda  du  moins  d'écrire  â 
ces  messieurs  qu'il  désirait  l'entendre, 
et  reçut  encore  un  refus.  Le  pré  (et  con- 
sentit pourtant  a  aller  l'entendre  s'il  prê- 
chait. De  retour  à  Moulins,  le  comte  de 
La  Villegontier  reçut  la  visite  du  grand 
vicaire  de  Clermont  et  du  curé,  qui  lui 
représentèrent  qu'il  les  mettait  dans 
l'embarras,  la  prédication  étant  interdite 
à  M.  de  laRomagère  dans  le  diocèse,  où 
il  aurait  mis  le  feu  ;  qu'il  avait  fallu  écrire 
à  l'évêché,  et  qu'un  l'aurait  refusé  si  on 
n'avait  pas  craint  de  déplaire  k  lui,  pré- 
fet. —  Vous  ne  m'auriez  pas  déplu  du 
tout,  répondit  celui-ci, et  il  expliqua  les 
choses.  Enfin  il  entendit,  le  lendemain,  * 
le  discours  le  plos  décousu,  le  plus  im- 
prudent. Le  pndicateur  vint  le  remer- 
cier, et  vamcniroi  jo  pp-fet  chercha  à 
lui  faire  poliment  comprendre  ses  im- 
prudencc''  politiques.  Le  mcnie  abbé 
devint  évêque  de  Sainl-FJricuc,  où,  avec 
d<'  bonnes  qualités,  il  resta  singulier  et 
garda  sa  manie  de  prêcher. 


VIL 

Le  8  octobre  1817,  il  fut  appelé  à 
la  préfecture  d'Ille-el-Vilaine.  On 
put  croire  qu'il  n'était  pas  sans 
avoir  coopéré,  d'une  manière  plus 
ou  moins  dirtxte,  à  celte  mutation, 
qui  le  conduisait  dans  son  pays 
natal.  Il  n'en  était  rien  néanmoins, 
et  il  fit  des  efforts  jiour  en  chan- 
ger les  dispositions.  Le  17  octo- 
bre, M.  Decazes  lui  écrivit  qu'il 
n'avait  pu  obtenir  ni  du  ministre 
de  l'intérieur.  Laine,  ni  de 
Louis  XVIII,  qu'il  n'allât  point  à 
Rennes,  où  il  devait  se  rendre  im- 
médiatement. Il  vit  du  moins  avec 
consolation,  les  preuves  de  sympa- 
thie que  lui  attira  sa  circulaire  d'a- 
dieux, et  les  regrets  qu'excitait  son 
départ,  qui  eut  lieu  le  16  du  même 
mois.  En  passant  par  Paris,  il  eut, 
le  18,  une  audience  bienveillante 
du  roi,  qui  lui  recommanda  de 
suivre  à  son  nouveau  poste  la 
même  ligne  politique  qu'à  Moulins. 
Il  lui  parla  des  Bretons  et  de  leurs 
idées  qu'il  n'approuvait  point,  et, 
chose  étrange!  il  signalait  parmi 
les  noms  qu'il  frappait  d'une  sorte 
d'index,  celui  de  Corbière,  dont  il 
lit  plus  tard  son  ministre!  Le  duc 
d'Angouléme  faisait  alors  une  tour- 
née en  Normandie  et  devait  se 
rendre  dans  plusieursdéparlements 
de  l'Ouest.  Il  était  muni  d'instruc- 
tions qu'il  devait  suivre  également 
à  Rennes.  Louis  XVIII  voulut  que 
M.  Decazes  les  communiquât  au 
comte  de  La  Villegontier,  qui  osa 
dire  au  roi  qu'il  les  Irouvaitun  peu 
sévères.  Pour  faire  comprendre  ce 
dont  il  est  ici  question,  il  est  né- 
cessaire d'entrer  dans  quelques 
détails  qui  révéleront  des  circons- 
tances d'une  haute  importance, 
lesquelles  sont  généralement  in- 
connues et  se  lient  intimement  à 
l'histoire  d".  la  Restauration.  Le 
nouveau  préfet    devait  se    rendre 


VIL 


VIL 


391 


promptement  à  Rennes,  pour  y 
recevoir  le  duc  d'Angoulême  qui 
allait  y  arriver  en  quittant  la  Nor- 
mandie. Comme  je  l'ai  déjà  fait 
remarquer  ci-dessus,  le  duc  d'An- 
goulême,  en  parcourant  les  provin- 
ces de  l'Ouest  était  muni  d'une 
instruclionsur  l'esprit  des  départe- 
ments, et  avait  une  consigne  sur 
la  manière  dont  il  devait  être 
reçu  !  1  Les  maires  et  les  munici- 
palités ne  devaient  aller  au-devant 
de  lui  que  jusqu'à  l'entrée  des 
villes;  les  préfets  et  les  sous-pré- 
fets ne  devaient  pas  s'avancer  au- 
delà  de  l'entrée  de  leur  hôtel  !  !  !  Il 
n'était  pas  permis  d'annoncer  par 
le  canon  l'arrivée  du  prince  I 
Enfin,  les  garnisons  ne  devaient 
pas  montrer  plus  d'empressement 
ni  suivre  un  autre  cérémonial!.. 
C'était  donc  pour  recevoir  le  prince 
dans  ces  conditions  que  le  comte 
de  La  Villegontier  devait  se  hâter 
de  se  rendre  à  Hennés,  où  il  arriva 
le  25  octobre  1817.  Le  même  jour 
on  lui  fit  les  visites  officielles,  qu'il 
rendit  le  lendemain.  Ayant  déjà 
une  connaissance  de  l'actualité  ad- 
ministrative, il  partit  le  29  pour  la 
ville  de  Saint-M;ilo,  où  le  duc 
d'Ang'iulême  devait  arriver  le  30; 
il  laissait,  en  partant,  à  M.  de  La 
Villebrunne,  secrétaire  général,  le 
soin  de  meubler  l'hôtel  de  la  pré- 
fecture, qui  était  à  peu  près  nu. 
Dès  qu'il  fut  arrivé,  il  se  concerta 
avec  Dupeiit-Thouars,  sous-préfet 
de  cet  arrondissement,  sur  la  me- 
sure qu'ils  auraient  à  prendre  pour 
suivre  l'étrange  prescription  du 
ministère.  Le  lendemain  il  alla  au- 
devant  (lu  prince,  qu'il  rencontra 
a  Paramé,  bourg  situé  à  deux  ou 
trois  kilomètres  de  Saint-Malo.  11 
eut  un  quart-d'heure  d'entretien 
avec  lui  à  la  portière  de  sa  vor- 
lure,  lui  remit  une  lettre  autogra- 


phe (0  dont  l'avait  chargé  le  roi, 
lui  accordant  une  audience,  lors  de 
son  passage  à  Paris.  11  essaya  au- 
tant que  possible  de  modifier  les 
instructions  que  Son  Altesse  avait 
reçuessurles  répréhensions  ou  ré- 
primandes qu'elle  avait  à  adresser 
aux  individus,  et  sur  la  réception 


(1)  Le  due  d'Angoulême  laissa  voir 
dès  lors  les  inconcevables  préventions 
qui  l'égaraient  sur  les  Bretons,  et  dit  au 
comte  de  La  Villegontier  qu'ils  avaient 
une  mauvaise  tête!  Q'ii  eût  pu  soupçon- 
ner dans  la  foule  enthousiaste,  accou- 
rue de  fort  loin  pour  voir  le  prince, 
qu'il  venait  remplir  une  semblable  mis- 
sion î  Qui  aurait  pu  s'imaginer  que  les 
instructions  dont  il  était  chargé  citaient 
avec  blâme  des  noms  tels  que  ceux  de 
Vioménil,  O'Mahony,  Laboissière,  La- 
bourdonnaye,  Dupîessis  de  Grene- 
dan,  etc.;  qu'elles  flétrissaient  les 
entreprises  militaires,  pour  former  une 
troupe  dévouée,  du  wolonel  de  Busnel! 
On  blâmait  celui-ci  de  connaître  un 
honnt'te  oivrier  de  Vitré,  Hubert,  ma- 
réchal ferrant,  qui  a  sacrifié  toute  son 
existence  à  la  cause  royale.  Monsei- 
gneur Vévéque  (Enoch)  est  bon  et  nage, 
ce  qui  est  encore  fort  heureux,  ctait-il 
dit  en  toutes  lettres!  Mais  on  ne  se 
trouvait  pas  si  heureux  dans  les  dispo- 
sitions du  clergé.  Les  missionnaires  ont 
propa()é  les  confréries.  H  est  pru  de 
communes  dans  le  département  d'Ille- 
ct-Vilaine  qui  n'en  ait  nu  moms  une. 
On  en  comptait  troia  à  lîennos  vers  la 
fin  de  1816.  Je  suis  persuadé  qu'on  vou- 
lait dire  congrégation.  Sera-t-il  iton- 
nant  alors  que  l'opposition  libérale  ait 
tant  déclamé  contre  la  congrégation  ? 
Sur  quelques  points  de  la  liretaqne, 
les  missionnairefi  ont  porté  l^exalia- 
tion  jusqu'à  frapper  d'analhèmes  les 
prêtres  conslttuttcnneh,  les  époux 
qu'ils  ont  mariés...  les  pécheurs  qui 
ne  viennent  pointa  leur  tribun  d  faire 
,unc  confession  iiénérale.  A  Hennés, 
M.  Vabbé  Deudnst  a  prêché  dans  ce 
sens,  et  monseigneur  révéque  Ca  for- 
tement improuréH!  Je  demanderai, 
qui  a  connu  îi  Hennés  M.  raldtc  Diu- 
dast,  et  si  des  ministres  du  roi  pduv.iipnt 
signaler  de  telles  choses,  et  si  on  ric'vait 
les  contier  au  portefeuille  du  dur  d'An- 
goulême!!!! 


392 


VIL 


qu'on  voulait  lui  faire  à  elle-même. 
Le  pauvre  prince  laissait  quelques 
fois  deviner  lacontrainte  qu'il  éprou- 
vait. Dans  la  circonstance  pré- 
sente, il  ne  voulait  rien  prendre  sur 
lui-même,  et  il  laissa  au  comte  de 
La  Villegontier  la  responsabilité  de 
rinfraction  aux  instructions  bizar- 
res et  perfides  des  ministres.  Celui- 
ci  l'assuma  volontiers,  et,  selon 
qu'il  était  convenu,  il  fit  partir  au 
galop  un  gendarme  pour  prévenir 
le  sous-préfet.  Quelques  instants 
après  le  duc  d'Angoulême  fut  reçu 
magnifiquement,  à  la  joie  et  à  la  sa- 
tisfaction des  habitants  de  Saint- 
Malo.  Il  n'en  fut  pas  de  même  à 
Rennes,  où  le  préfet  se  hâta  de  re- 
tourner. Néanmoins  il  y  reçut  le 
prince  à  l'entrée  de  la  ville,  et  non 
à  la  porte  de  la  préfecture  seule- 
ment. L'entrée  se  fit  à  cheval,  par 
la  rue  de  Brest;  les  fenêtres 
étaient  pavoisées,  mais  pas  d'en- 
thousiasme ni  d'air  de  fête.  Le 
prince  en  parut  bit  ssé,  mais  fit 
bonne  contenance.  Le  général  Du 
Breton,  commandant  de  la  division 
militaire  (alors la  treizième),  avait 
ététellemeni  contrarié  de  l'inconce- 
vable consigne,  qu'il  voulait  don- 
ner sa  démission  et  briser  son  épée. 
Les  troupes  brûlaient  d'ardeur  et 
souffraient  de  contradiction.  Quand 
le  prince  passa  sur  la  place  de  la 
Motte  (1),  les  officiers  de  la  garni- 
son le  saluèrent  avec  respect,  mais 
leur  tenue  témoignait  d'un  vif  mé- 
contentement. Dans  la  préfecture, 
la  réception  fut  d'abord  brillante, 
mais  bientôt  se  passa  une  scène 
pénib'e.  Le  géuéral  Du  Breton,  en* 
saluant  le  prince,  vonlul  exprimer 
le  regret  d'avoir  vu  son  élan  com- 


(1)  La  plîice  de  l;i  Motte  est  devant 
riiritel  (le  la  Pn^erlure. 


VIL 

primé  par  une  mesure  sévère...  Le 
prince  impatienté  lui  dit  :  Général, 
vous  feriez  bien  d'aller  soigner  votre 
santé.  Le  général  fut  blessé,  sans 
doute,  mais  non  abattu;  il  voulut 
continuer;  mais  le  prince  lui  dit 
brusquement  :  Non,  non,  vous  êtes 
malade,  vous  feriez  bien  d'aller 
soigner  votre  santé...  Le  général, 
avec  un  air  d'affliction  fort  digne, 
salua  et  se  retira  à  son  hôtel,  où  il 
se  constitua  aux  arrêts...  Le  lec- 
teur aura  peine  à  croire  îa  la  véra- 
cité d'uue  pareille  relation,  et  l'au- 
teur de  cet  article,  fort  jeune  alors, 
spectateur  enthousiaste  comme 
presque  tout  le  monde,  était, 
comme  presque  tous,  bien  loin  de 
soupçonner  de  tels  faits,  qu'il  ne 
s'attendait  guère  à  raconter  un 
jour!  Je  veux  dire  néanmoins  tout 
de  suite  que  le  duc  d'Angoulême, 
souffrant  sans  doute  des  folies  aux- 
quelles on  l'obligeait,  et  dont  les 
apparences  retombaient  sur  lui, 
réfléchit  bientôt  sur  cet  acte  im- 
prudent, et  en  ouvrit  son  cœur  au 
comte  de  La  Villegontier.  Celui-ci, 
qui  avait  souffert  de  ce  cruel  inci- 
dent, mit  avec  empressement  un 
baume  salutaire  sur  les  plaies  res- 
senties par  ces  deux  hommes,  qui 
avaient,  l'un  sa  vénération,  l'au- 
tre son  estime.  11  ne  dissimula  pas 
au  prince  sa  pensée.  Le  lendemain 
le  général  fut  rappelé,  pressé  dans 
les  bras  du  duc  d'Angoulême,  et 
mangea  k  sa  table.  Il  y  eut,  pendant 
trois  jours,  déjeuner  et  dîner  d'éti- 
quette, ce  qui  donna  facilité  d'in- 
viter beaucoup  de  monde.  Mais 
certaines  invitations  étonnèrent, 
scandalisèrent  même  les  hommes 
bien  pensants.  Je  citerai,  par 
exemple,  Malherbe,  jurisconsulte 
distingué,  mais  ancien  membre 
des  premières  assemblées  législati- 
ves et  de  la  Chambre  des  représen- 


^■i 


VIL 


VIL 


393 


lants  dans  les  cent-jours.  Cette 
invitation  avait  été  commandée!  11 
n'est  pas  sans  importance,  peut- 
être,  de  faire  remarquer  ici  que  le 
prince  vculul  payer  partout  ses 
dépenses,  et  que  ses  dépenses  ne 
montèrent  qu'a  quatre  mille  francs 
pour  son  séjour  de  trois  journées. 
Le  comte  de  La  Villegoiitier  suc- 
cédait au  comte  d'AllonviJle,  dont 
l'administration  était  dans  le  sens 
du  ministère,  mais  qui  avait  mal 
pris  à  Rennes  avec  l'autorité  mili- 
taire. Le  comte  de  La  Villegontier 
paraissait  devoir  être  dans  de  meil- 
leures conditions.  Il  venait  dans  son 
pays,  où  iljouissailde  l'estimegéné- 
rale.  Il  tenait  parle  sang  à  des  noms 
vénérés  dans  le  département,  tels 
que  le  comte  de  La  Belinaye,  le 
marquis  de  La  Rouerie,  De  Farcy 
de  Montavallon,etc.;safamilleélait 
alliée  à  celle  de  Chateaubriand. 
Tout  lui  donnait  donc  l'espérance 
de  trouver  partout  des  sympathies 
et  une  coopération  facile.  Il  n'en 
fut  pas  néanmoins  absolument  ainsi 
à  son  début.  On  peut  juger,  d'après 
ce  que  j'ai  déjà  dit  et  d'après  ce 
(|u'ou  a  vu  de  sa  gestion  à  Moulins, 
de  la  marche  qu'il  avait  à  suivre, 
et  du  plus  ou  moins  de  sympathie 
qu'y  donnaient  ses  sentiments  per- 
sonnels. Louis  XVJII  avait  voulu, 
comme  je  l'ai  rappelé  aussi,  que 
le  ministre  Decazes  communiquât 
au  comte  de  La  Villegontier  les 
instructions  données  au  duc  d'An- 
gouléme.  Le  fond  de  ces  notes  se 
réduisait  à  distinguer  deux  sortes 
d'oppositions  au  gouvernement  du 
roi  :  l'une,  dans  les  buonapartisles 
el  les  républicains;  l'autre,  dans 
ceux  que  rirjslruciion  appelait  roya- 
listes exagérés.  On  signalait  aussi 
le  clergé  et  les  missionnaires;  on 
signalait  enfin  une  associalion  Ven- 
dée.   Les    menées   démocratiques 


étaient  aussi  signalées,  mais  dans 
un  cadre  beaucoup  plus  restreint. 
Voilà  le  thème  des  indications 
données  par  M.  Decazes  à  son  an- 
cien ami,  pour  lui  servir  de  gou- 
verne, comme  on  dit  dans  le  lan- 
gage familier.  On  lui  classait,  dans 
la  première  division  des  opposants, 
les  légistes,  à  Rennes;  et  pour  les 
buonapartistes,  moins  nombreux 
et  moins  dangereux,  les  anciens 
officiers  en  retraite,  etc.  Dans  celte 
division  figuraient  les  hommes  qui 
avaient  fait  partie  de  la  fédération 
bretonne,  dont  Rennes  fut  le  ber- 
ceau et  le  centre.  (En  cela  les  ins- 
tructions me  paraissent  avoir  été 
dans  le  vrai.)  Les  royalistes  exa- 
gérés se  subdivisaient  aussi  en  deux 
classes,  celle  des  anciens  nobles  et 
d'ecclésiastiques,  désormais  peu  à 
craindre.  Le  seul  mal  qu'elle  fil 
encore  était  de  prolonger  les  in- 
quiétudes des  acquéreurs  de  biens 
nationaux,  par  la  chimère  de  la 
restitution.  L'autre  fraction  roya- 
liste était  vraiment  redoutable;  si 
elle  avait  eu  l'avantage,  disaient 
les  instructions,  <»  elle  nous  entraî- 
nerait infailliblement  dans  la  route 
où  l'Assemblée  constituante  nous 
avait  perdus.  »  Il  est  certain,  du 
moins,  peut-on  lui  répondre,  qu'elle 
ne  nous  eût  pas  laissés  dans  la  voie 
où  la  monarchie  s'est  à  la  lin 
perdue  elle-même.  On  rappelait  la 
résistance  du  peit  séminaire  pen- 
dant dix  mo'is,  et  son  succès  contre 
l'Université  ;  on  signalait  comme 
anlimonar chique  l't'sprit  qui  avait, 
le  iO  avril  181",  dicté  à  la  cour  de 
Rennes  un  arrêt  en  faveur  de  cette 
maison!!!  Ou  en  disait  autant  du 
conseil  général  du  départemen!, 
où  les  ordonnances  universitaires 
avaient  été  attaquées,  en  particu- 
lier par  MM.  Corbière  et  Duporzou, 
qu'on   nommait!...  Le  duc  d'An- 


394 


VIL 


goulême  portait  aussi  dans  sa 
poche  l'indication  d'un  foyer  d'op- 
position royaliste  :  L'hôtel  de  Cuillc, 
où  logent,  disait  la  note,  tous  les 
amis  de  M.  Corbière,  et  d'oii  partent 
habituellement  les  plus  violentes  dé- 
clamations... contre  tout  ce  qui  cons- 
titue le  gouvernement  du  roi  (le 
gouvernement  nu  roi  !  !  )  Tout  ce 
qui  est  exagéré  trouve  appui  dans 
cette  maison...  C'était  dans  cette 
maison,  était-il  dit  encore,  qu'en 
mai  1817  se  rassemblait  un  conci- 
liabule oii  étaient  MM.  Corbière  et 
Sesmaisons,  pour  désigner  d'avance 
ks  députés  de  celte  année.  Quel 
danger  pour  la  monarchie  (1)!  Ces 
élections ,  quoi(|ue  faites  avant 
l'arrivée  du  comte  de  La  Villegon- 
tier,  furent  une  cause  de  contra- 
diction pour  lui,  au  commencement 
de  son  administration.  Longtemps 
avant  qu'elles  eussent  lieu,  le  gou- 
vernement de  Louis  XVIII  (des 
ministres)  fixa  une  attention  par- 
ticulière sur  le  département  dille- 
et-Vilaine,  où  il  voulait  des  députés 
dans  son  sens  et  non  dans  celui 
des  Bretons.  Cette  année,  pour 
présider  le  collège  électoral,  le 
roi  nomma  le  comte  de  Boisgelin. 
Ce  nom  respectable  devait  plaire  à 
tous  les  partis,  mais  celui  qui  le 
portait  avait  le  malheur  d'être  ho- 
noré d'une  mission  et  de  passer 
pour  être  dans  le  sen*?  du  gouver- 
nement. Il  eut  mille  désagréments. 
Les  libéraux  vinrent  à  lui,  les  roya- 
listes  lui   tournèrent   le  dos.  De 


(1)  Cette  maison  était  soupçonnée  de 
servir  d'asiU!  ou  d'atelier  k  d'autres 
forfaits.  A  l;i  môme  époque,  des  t>on- 
nets  rouges  furent  mystérieusement  en- 
voyés au  préfet,  au  maire,  au  premier 
président  de  la  Cour  royale.  On  pensa 
qu'ils  éUiient  expédiés  de  l'hôtel  de 
CuiMé. 


vrti 

quarante  personnes  invitées  à  un 
dîner  officiel,  une  seule  s'y  rendit; 
les  autres  n'envoyèrent  même  pas 
leur  carte.  Le  préfet  avait  placé  a 
la  porte  du  comte  de  Boisgelin 
une  sentinelle  d'honneur,  prise 
dans  la  compagnie  départementale 
sous  ses  ordres.  Le  général 
O'Mahony,  commandant,  contes- 
tant ce  droit,  la  fit  ôter.  Néanmoins 
le  nom  de  Boisgelin  sortit  le  pre- 
mier de  l'urne  électorale,  celui  de 
Corbière  ne  sortit  que  le  troisième. 
Je  n'ai  pas  pu  omettre  le  récit  de 
ces  agitations,  qui,  du  reste,  se  re- 
produisaient ailleurs ,  mais  peut- 
être  avec  moins  d'entraînement  de 
cœur.  On  voyait  la  voie  où  s'éga- 
rait la  monarchie.  Quelques  mani- 
festations exprimaient  les  senti- 
ments, les  regrets  des  hommes  qui 
depuis  longtemps  la  servaient  avec 
dévouement ,  et  jusque  dans  les 
chants  populaires  on  s'animait  à 
défendre  la  bonne  cause  ;  sur  l'air 
du  Serment  français  on  répétait  ce 
refrain  • 

Jurons  d'être  à  Louis  fidèles, 

El,  malgré  lui^  de  défendre  ses  droits. 

Ou  peut  donc  se  faire  une  juste 
idée  des  difficultés  que  trouvait  le 
comte  de  La  Villegontier  en  arri- 
vant. Il  sut  néanmoins  dans  cette 
position  difficile  mériter  l'estime 
des  honnêtes  gens,  et  les  libéraux 
virent  bientôt  ses  tendances.  Tou- 
tefois il  conserva  la  faveur  du  gou- 
vernement, et,  dès  le  5  mars  1819, 
il  fut  élevé  ii  la  dignité  de  pair  de 
France,  tout  en  restant  préfet 
d'Ille-et-Vilaine.  Sa  nomination 
avait  été  vue  avec  plaisir.  A  Fou- 
gères, surtout,  sa  première  visite 
ofticielle  fut  une  véritable  ovation. 
La  garde  nationale  alla  au-devant 
de  lui  jusqu'il  Romagné  (5  kil.  de 
la  ville).  Une  garde  d'honneur  fut 


VÏL 

placée  à  sa  porte,  des  illuminations 
signalèrent  sa  présence.  Dans  les 
cérémonies  auxquelles  les  circons- 
tances.ou  ses  fonctions  l'appelaient, 
ii  plaisait  à  tous  par  sa  grâce,  ses 
discours,  son  affabilité.  Cette  affa- 
bilité, il  la  montrait  même  aux  plui 
simples,  et  en  général  à  tous  ceux 
qui  avaient  avec  lui  quelques  rap- 
ports, ou  demandaient  son  appui  ; 
et  ce  qui  n'eît  point  à  omettre  en 
énumérant  les  accessoires  d'un 
homme  tel  que  lui,  son  salon  offrait 
à  ceux  qui  s'y  présentaient  une 
réception  gracieuse,  digne  des  deux 
nobles  personnes  qui  en  faisaient 
les  honneurs.  Un  mérite  qui  n'est 
pas  moindre,  et  qu'il  garda  dans 
toutes  les  positions  de  sa  vie,  est 
celui  d'une  bienfaisance  de  cœur, 
bien  différente  de  l'assistance  offi- 
cielle, qui  le  portait  à,  se  montrar 
généreux  et  véritablement  chari- 
table envers  ceux  qui  recouraient 
à  lui  ,1).  Les  sympathies  générales, 
on  peut  le  dire,  lui  étaient  de  plus 
en  plus  acquises.  Mais...  il  avait 
une  faute  originelle  et  ineffaçable 
devaiit  quelques  personnes.  La  fa- 
veur de  M.  Decazes'...  En  arrivant 
à  Reunes,  je  l'ai  déjà  fait  remar- 
quer, il  avait  trouvé  Corbière  à  la 
tête  des  royaliste >  purs,  et  ils  for- 


VTL 


395 


fl)  Je.  pourrais  rapporter  plusieurs 
traits  de  sa  bienfaisance,  je  nie  borne 
à  un  seul.  Se  trouvant  dans  un  ctat  de 
gêne  extrême,  un  boulanger  de  Hennés 
était  aux  expédients  et  ne  savait  a  qui 
recourir.  Il  fmit  par  pi-nser  qu'il  pour- 
rait s'adresser  an  préfet,  et  le  besoin 
lui  donnant  du  couiai^c,  \1  va,  sans  être 
connu  ni  reconiinanité,  dire  sa  position 
au  comte  de  La  Villcgonticr,  qui  lui 
avan(^a  deux  niilb;  francs  î  Cet  hitrinrte 
conimert^ant  a  rendu  la  somme  prêtée, 
et  ce  n'est  que  par  l'indiscrétion  de  sa 
reconnaissance  que  la  famille  du  comte 
de  La  Villei;ontier  a  connu,  plus  tard, 
cet  acte  généreux. 


maient,  grâces  à  Dieu!  la  grande 
majorité.  Corbière  était  aussi  l'àme 
et  le  gouvernail  du  conseil  général; 
partout  ses  sentiments  et  son  esprit 
supérieur  lui  donnaient  une  grande 
influence.  Le  préfet,  qui  sut  l'ap- 
précier, fit  tout  ce  qu'il  put  pour 
garder  avec  lui  l'harmonie,  et  même 
pour  gagner  son  affection.  Aux 
hommes  réfléchis,  il  eût  élé  facile 
de  voir  que  ces  deux  personnages, 
quoique  placés  si  diversement, 
étaient  faits  pour  s'entendre,  et 
avaient,  non-seulement  les  mêmes 
opinions,  mais,  au  fond,  les  mêmes 
sympathies  ;  les  nuances  étaient 
légères.  Il  fallait  faire  la  part  de 
la  position  du  préfet.  Les  libéraux 
ne  s'y  trompaient  pas,  et  bientôt 
ils  devinèrent  et  signalèrent,  dans 
dans  leurs  petits  journaux  de  la 
localité,  \ps  tendances  et  les  actes 
du  comte  de  La  Villegonlier.  Celui- 
ci  cherchait  à  se  montrer  sympa- 
thiqueà  Corbière  ;  il  avait  demandé 
pour  lui  la  décoration  de  la  Légion 
d'honneur  ;  il  avait  secondé  sa  no- 
mination aux  élections  d-  -ÎSSO  et 
de  1822,  qui  l'envoyèrent  h  la 
Chambre  des  députés,  où  il  eut 
bientôt  gagné  la  faveur  du  gouver- 
nement et  se  lia  avec  Villèle 
(voyez  ce  nom  dans  ce  volume),  et 
dès  1822  il  était  ministre  de  l'inté- 
rieur. Dans  leurs  rapports  ils 
avaient  gardé  les  convenances  et 
de  grandes  réserves  politiques. 
Mais  le  préfet  l'avait  toujours  re- 
îrardé  comme  son  antaîioniste,  et 
avec  lui  G.  du  F.,  qui  fut  député 
aux  mCmes  élections,  et  qui  con- 
tribua autant  qu'il  put  à  obtenir  sa 
destitution.  Corbière  ministre  s'é- 
loi:,'na-t-il  de  la  voie  qu'il  avait  tant 
blûmée  dans  Decazesel  Laine?  Vit- 
on  plus  de  liberté  pour  l'Église,  plus 
d'éloignement  des  pr-ncipes  révo- 
lutionnaires  dans    la   marche  du 


396 


VIL 


VïL 


goiivernenieiit,  plus  de  solidité  de 
la  monarchie?  Hélas!  on  put  dire 
alors,  comme  l'écrivait  judicieuse- 
ment l'abbé  Robert  de  Lamennais 
avant  d'avoir  perdu  le  sens  commun  : 
*.  Des  ministres  ont  succédé  à  d'au- 
«  très  ministres,  ceux-là  on  dit  : 
t  Tout  est  bien,  voilà  la  révolution 
«  finie!  »  Il  était probablementplus 
facile,  et  peut-être  plus  agréable, 
d'atteindre  les  hommes  que  de 
chercher  à  améliorer  les  choses. 
Etre  ami  de  Decazes,  cette  flétris- 
sure ou  cet  avantage  du  comte  de 
La  Villegonlier  ne  pouvait  sortir 
de  l'esprit  de  Corbière.  Une  ordon- 
nance du  7  avril  1824  donnait  au 
préfet  d'Ille-et-Vilaine  un  succes- 
seur dans  la  personne  du  comte  de 
Yandœuvre.  On  donna  pour  pré- 
texte l'incompatibilité  des  fonctions 
simultanées  de  préfet  et  de  pair  de 
France.  L'ordonnance  le  rappelait 
donc  à  la  Chambre.  Sa  destitution 
fut  vue  avec  un  chagrin  véritable 
dans  le  département.  De  tous  les 
points  et  de  toutes  les  administra- 
tions, il  reçut  des  lettres  de  regrets 
le  plus  touchantes,  les  plus  hono- 
rables, les  plus  sympathiques.  Ce 
futpour  lui  assurément  une  grande 
consolation;  il  en  eut  une  autre 
bien  sensible  dans  l'audience  que 
lui  accorda  le  roi  et  dans  l'accueil 
qu'il  lui  lit.  Il  y  entendit  cependant 
de  la  bouche  du  Souverain  cette 
phrase  textuelle  :  «  Je  suis  content 
«  de  mes  ministres,  ils  me  mènent 
«  bien.v  Louis  XVIII  n'avait  plus 
que  quelques  mois  k  vivre.  Eùt-il, 
dans  l'audience  qu'il  avait  accordée 
au  même,  en  1817,  t^nu  le  même 
lanj,'age,  et  justifié  d'avance  cet 
adage  ou  proposition  de  M.  Thiers  : 
Le  roi  règne  el  ne  gonverne  pas  y  Je 
n'en  crois  rien.ei  cependant  il  au- 
rait dit  la  vérité!  Il  éiait  des  con- 
venances et  même  de  la  justice  que 


le  comte  de  La  Villegontier  trouvât 
une  compensation  au  procédé  dont 
il  était  victime  dans  une  nomina- 
tion au  conseil  d'État,  ou  au  moins 
dans  un  grade  plus  élevé  de  la 
Légion  d'honneur.  Il  n'en  fut  rien. 
Le  comte  de  La  Villegontier  se 
retira  à  Paris;  le  changement  de 
règne  n'en  amena  point  à  sa  posi- 
tion, il  fut  néanmoins  un  des  douze 
pairs  qui  assistèrent  au  sacre  de 
Charles  X.  Bientô  intra  dans 
une  phase  nouvelle  de  sa  vi«  pri- 
vée et  même  de  sa  vie  publique. 
En  1826,  madame  de  Ghabanne 
vint  lui  faire  les  premières  ouver- 
tures de  son  entrée  chez  son  Al- 
tesse Royale,  le  duc  de  Bourbon,  en 
qualité  de  premier  gentilhomme. 
Le  comte  de  La  Villegontier  avait 
plus  d'un  motif  de  réfléchir  avant 
d'accepter  cette  position  honorable. 
Il  demanda  trois  mois  avant  de 
donner  sa  réponse .  Il  consulta  ;  de 
son  côté,  madame  de  La  Villegon- 
tier consulta  sa  famille  ;  tous  con- 
clurent à  l'acceptation,  d'autant 
plus  qu'ils  espéraient  que  leur  in- 
fluence et  leur  zèle  trouveraient  le 
moyen  d'expulser  madame  De  Feu- 
chères  de  la  maison  du  prince. 
(Voyez  GoNDÉ,  LXI,  p.  25i  etsuiv.) 
Le  comte  de  La  Villegonlier  passa 
donc  près  du  duc  de  Bourbim  les 
quatre  années  qui  précédèrent  la 
mort  de  ce  malheureux  prince, 
avec  le  titre  de  premier  gentil- 
homme; fonction  honorable,  mais 
nullement  lucrative,  et  qui  faisait 
îibsorber  en  dépenses  de  convenan- 
ces dans  la  maison,  les  cinq  mille 
francs  qui  y  étaient  attachés. 
«  Lorsque  le  duc  de  Bourbon  me 
*  fit  l'honneur  de  m'attacher  à  lui 
«  en  qualité  de  premier  gentll'- 
u  homme,  a  écrit  M.  de  La  Ville- 
«  gonlier,  et  que  j'eus  été  initié  à 
«  un    intérieur     qui    auparavant 


VIL 

«r  m'était  inconnu,  je  m'attendais  à 
((  quelque  froideur  de  la  part  de 
«  Madame  (la  dauphine),   à    cette 
«  altitude  de  réserve  digne  d'elle 
«  et  qu'elle  rendait  si  significative... 
u  Eh    bien  !    non  ,     Madame    fut 
«  bonne...  »  Jamais  il  n'a  eu  un 
quart-d'heure  d'entretien  avec  ma- 
dame de  Feuchères.  Madame  de  Là 
Villegoniier  fut  priée  par  le  prince 
de  faire  les  honneurs  de  son  salon 
pour  les  dames  qui  y  étaient  reçues. 
A  table,  le  comte  de  La  Villegon- 
iier était  toujours  en  face  du  prince  ; 
il  le  représentait  partout,  car  le 
prince  n'allait  à  aucune  cérémonie. 
Il    y   avait    néanmoins  une   cir- 
constance où  il  ne  pouvait  faire  au 
nom  du  duc  de  Bourbon  que  des 
excuses.  Ce  prince  était  premier 
gentilhomme  du  roi.  Dans  i'ariicle 
excellent  qu'il  lui  a  consacré,  no- 
tre judicieux    collaborateur   Duro- 
soir  dit  {ibidem,  p.  2t>7).  //  (  le  due 
de  Bourbon)  ne  paraissait  jamais  aux 
Tuileries  qu'au  jour  de  l'an  et  dans 
de  grandes  solennités.  Il  se  trompe 
peut-être,  ou  du  moins  le  prince 
avait  cessé  celte  habitude.  Il  s'ima- 
ginait qu'il  était  peu  convenable  à 
un  Condé  d'aller  se  tenir  derrière 
le  roi,  et  de  lui  présenter  sa  ser- 
viette. Peut-être  avait-il  aussi   un 
autre  motif  qui  Tintimidail  devant 
ses  augustes  parents.  La  veille  des 
joursoù  ildevait  se  rendre  à  la  cour,  il 
venait,  appuyé  sur  sa  canne  et  alors 
marchant  assez  difficilement,  trou- 
ver son  premier  gentilhomme,  et  le 
charger  d'aller  l'excuser  auprès  du 
roi.  Charles  X  n'était  pas  plus  dupe 
du  message  que  le  messager  lui- 
même,  et  disait  en  souriant  :  «  Mon- 
sieur de   La  Villegoniier,  je  devine 
la    commission   que    vous    venez 
me  faire.  »Ce  fut  dans  une  de  ces 
circon.^iances  que  la  duchesse  de 
Berry,  qui  n'avait  pas  pour  le  comte 


VIL 


397 


de  La  Villegontier  la  même  ouTer- 
ture  que  la  dauphine,  quoiqu'il  allât 
régulièrement  aux  Tuileries,  ce  fut, 
dis-je,  dans  une  de  ces  circonstan- 
ces qu'elle  reçut,  avec  une  petite 
moue  toute  rieuse,  le  compliment 
du  messager,  qui  ne  pouvait  non 
plus  garder  son   sérieux;  lui  de- 
mandant des  nouvelles  du  prince, 
le  chargeant  de  l'assurer  de  leur 
sympathie,  de  lui  recommander  le 
soin  de  sa  santé...  et  surtout  de  ne 
pas   chasser,   elle  appuya   sur  ce 
mot  :  chasser.  Ici  se  place  naturel- 
lement un  fait  qui  modifie  un  peu 
ce  qu'on  a  imprimé  si  souvent  sur 
les  instances  delà  famille  d'Orléans 
près  de  madame  de   Feuchères,  et 
de  celle-ci  près  du  prince,  pour 
obtenir  le  fameux  testament  en  fa- 
veur du  duc  d'Aumale  (1).  Tout  le 
monde  sait  que  le  duc  de  Bourbon 
s'y  refusait  et  destinait  sa  succession 
au  duc  de  Bordeaux.  Le  comte  de 
La  Villegontier  ne  voulut  prendre 
aucune  part  h  celte  affaire  ;  et  ma- 
dame de  Feuchères,  qui,  repoussée 
des  Tuileries,  entrevoyait  pour  elle 
la  porte  ouverte  chez  les  d'Orléans 
(ce  qui  ne  surprendra  personne), 
refusait  d'en  parler  directement  au 
duc  de  Bourbon  si  madame  de  La 
Villegontier  ne  se  joignait  à  elle. 
Celle-ci  n'y  vouliitconsentirqu'après 
avoir  pris  les  ordres  du  roi  et  de 
madame  la  Dauphine.  Non-seule- 
ment toutes  deux  le  trouvèrent  bon, 
mais  la  Dauphine  dit  quelle  le  dé- 
sirait l!!  Ce  trop  malheureux  testa- 
ment fut    donc   décidé   dans    un 


(1)  Voir  surtout:  Plaidoyer  de  M.  Ilen- 
iiequin^  avocat,  pour  MM.  les  princes 
iti-  Rohan  contre  S.  A.  I{.  monseigneur 
le  duc  d'Aumale,  représenté  par 
M.  liorel  de  Bretizel,  et  contre  ma- 
dame la  baronne  de  Feuchères.  Paris, 
VVarée,  1832,  in-8. 


598 


VIL 


VIL 


déjeuner  que  partagèrent  avr c  le 
prince  madame  de  La  Villegontier 
et  madame  de  Feuchères.  Celle-ci, 
pour  amener  le  prince  à  avantager 
le  duc  d'Aumale,  faisait  valoir 
la  considération  de  conserver  et 
de  perpétuer  le  titre  vénérable 
de  prince  de  Cond^.  A  cette  pro- 
position, le  duc  de  Bourbon  se 
(eva  avec  vivacité,  et  dit  en  ges- 
gesticulanl  :  Oh! cela,  jamais...  ja- 
mais le  nom  ou  le  titre  de  prince  de 
Condé  ne  sera  porté  par  un  d'Or- 
léans!... Vint  la  révolution  de 
juillet  1830.  On  croira  sans  peine 
qu'  elle  n'eut  pas  les  sympathies  du 
comte  de  La  Villegontier,  et  quel- 
ques-uns de  ses  amis  auront  été 
surpris  de  ne  pas  le  voir  rompre 
avec  le  pouvoir  usurpé.  Lui-même 
l'a  compris  et  a  écrit  qu'on  pourra 
le  soupçonner  d'ingratitude,  après 
surtout  les  bontés  que  lui  témoi- 
gnait la  Dauphine.  Je  dois  ici  don- 
ner deux  lignes  d'explications.  Il 
était  en  Bretagne  lors  des  malheu- 
reux événements;  il  accourut  vite 
près  du  duc  de  Bourbon,  et  dé- 
clara sa  résolution  de  ne  pas  re- 
connaître le  gouvernement  impro- 
visé. «  Vous  voulez  donc  me  faire 
égorger!  »  lui  dit  le  prince,  qui  l'o- 
bligea à  changer  de  résolution,  et 
qui  subis.s-ait  sans  doute  d'autres 
influences.  Du  moins  le  comte 
ajourna  l'adhésion  personnelle  du 
prince  à  ce  gouvernement  nouveau, 
et  finit  par  l'empêcher,  en  sorte 
qu'elle  n'eut  pas  lieu.  Il  empêcha 
aussi  d'arborer  au  palais  le  drapeau 
tricolore  que  voulait  faire  placer  le 
prince,  ou  plutôt  madame  de  Feu- 
chères.  Voilà  donc  une  des  causes 
qu  déterminèrent  le  comte  de  La 
Villegontier  k  garder  sa  place  à  la 
Chambre  des  Pairs.  Le  duc  de  Bour- 
non  ne  pouvait  plus  soullrir  la  do- 
mination ni  même  la  présence  de 


1 


madame  de  Feuchères  ;  son  absence 
le  laissait  respirer;  son  retour, 
malgré  les  apparences,  était  pour 
lui  un  supplice.  La  révolution, 
d'ailleurs,  lui  déplaisait,  et  il  avait 
résolu  de  se  soustraire  à  cet  escla- 
vage; les  mesures  étaient  prise» 
pour  son  départ  dans  la  nuit...  Le 
27  août  1830,  ses  gens  le  trouvè- 
rent pendu  par  sa  cravate  à  l'espa- 
gnolette d'une  fenêtre  de  sa  cham- 
bre ,  lui  impotent,  et  dans  la 
position  que  le  public  a  sue!  !  (Voir 
Ibid.,,\i.  260  etsuiv.)  Le  comte  de 
La  Villegontier  n'était  pas  au  châ- 
teau de  Saint-Leu  quand  ,  vers 
huit  heures  du  matin,  l'événement 
tragique  fut  découvert  ;  il  était  au 
village  de  Saint-Leu,  où  un  col- 
porteur avait  insulté  le  curé,  et  il 
voulait  prendre  information  de  cet 
outrage...  Mais,  averti  aussitôt,  il 
accourt,  et  sur  les  apparences  des 
choses,  sous  l'influence  des  rap- 
ports, sa  première  impression  fut  de 
croire  au  suicide.  Mais  il  ne  fut  pas 
longtemps  dans  cette  erreur,  et 
quand  on  lui  eut  montré  l.\  manière 
facile  dont  une  personne  placée  en 
dehors  pouvaittirer  en  dedans  lever- 
roudela  porte,  il  changea  bien  vite 
de  sentiment  !  La  réflexion  lui  mon- 
trait, d'ailleurs,  le  suicide  impossi- 
ble; l'assassinat  devint  pour  lui  une 
conviction  qu'il  a  longuement  expli- 
quée et  moUvée  dans  un  de  ses 
écrits.  On  peut  se  faire  une  idée 
de  la  commotion  qti'il  éprouva,  et 
des  embarras  de  plus  d'une  sorte 
auxquels  il  fut  livré.  Il  fallait  diri- 
ger les  cérémonies  de  l'expusilion  i 
du  corps  du  prince  dans  la  cha-  >» 
pelle  ardente,  préparer  celles  des 
funérailles.  Il  y  avait  là  une  éti- 
quetleà  garder  plus  que  des  usages 
à  suivre  ;  il  les  chercha  néanmoins 
autant  qu'il  put;  ces  circonstances 
étaient  toutes  particulières  et  nou- 


VIL 

velles  pour  lui,  mais  les  détails  ne 
sont  plus  du  ressort  de  celte  notice. 
Comme  je  l'ai  déjà  dit,  le  comte  de 
La  Villegontier  n'ignorait  pas  que 
la  noblesse  de  ses  sentiments  et  de 
sa  position  étant  connue,  son  adhé- 
sion   au    gouvernement    nouveau 
pourrait  surprendre...  Il  a  laissé 
par  écrit  les  motifs  qu'il  crut  avoir 
de  prendre  le  parti  qu'il  a  suivi.  Il 
conlinuadoncdesiégeràlaChambre 
des  Pairs    et  prêta  son  serment. 
L'article  4  du  testament  du  duc  de 
Bourbon  portait  qu'il  laissait...»  A 
ceux  qui  auraient  plus  de  cinq  ans 
des  ervice,  le  quart  desdits  appoin- 
tements ou  î;ages  attachés  à  leur 
place.  »  Le  comte  de  la  Villegon- 
tier, n'ayant  pas  cinq  ans  de  ser- 
vice,ne  fut  donc  point coii.pris  dans 
le  bénéfice  de   celle   disposition. 
Qu'eût-il    été    d'ailleurs    sur   des 
appointements  de  cinq  mille  francs! 
Mais  il  continua,  ainsi  que  toutes 
les  personnes  attachées  au  service 
du  malheureux  prince,  d'habiter  le 
Palais-Bourbon   pendant   dix  ans. 
Il  continua  aus^i  de  prendre  part 
aux  séances   et  aux  travaux  de  la 
chambre  des   pairîj.  Plusieurs  fois 
il  aborda  la  tribune  ,  soit  pour  des 
opinions  particulières,  soit  comme 
rapporteur   des  commissions.    En 
général,  par  goût  et  par  caractère, 
il  s'est  toujours  moins  occupé  des 
choses  politiques,  que  des  allaires 
proprement  dites,  lesquelles  lui  ont 
souvent  valu  des  marques  de  bien- 
veillance   et    d'estime.    Ses    votes 
étaient  pour  lui  une  affaire  d'hon- 
neur et  de  conscience  ;  je  veux  donc 
rappeler  ici  qu'il  vola  pour  lacquil- 
tement  complet  des  ministres  de 
Charles  X  ,  traduits  deviinl  la  cour 
des  pairs,  et  menacés  de  mort  par 
la  plèbe,  composée  alor»  de  plus  de 
gens  qu'on  ne  le   croirait  aujour- 
a'hui.  Plus  tard ,  il  vola  coulre  les 


VIL 


399 


fortifications  de  Paris;  mais  ce  qu 
fut  à  la  tribune  son  pricipal  mérite, 
se  trouve  consigné  au  Moniteur  ren- 
dant compte  de  la  séance  dul4 jan- 
vier 1832.  Ce  jour  là,  lorsque  tant 
d'hommes  politiques  restaient  en- 
core retranchés  dans  les  plusétroites 
limites  de  la  prudence  ou   de   la 
pusillanimité,    il  osait    monter   à 
la  tribune    et  élever  la  voix  de- 
vant ses  collègues   et  devant    la 
France ,     pour    blâmer    le     pro- 
jet de  loi  relatif  au  bannissement 
de  Charles  X  et  de  sa  famille.  La 
révolution   de   février   1848   vint 
enfin  briser  sa  carrière  politique. 
Tout  en   gardant  son  domicile  à 
Paris,  il  se  retira  au  château  de  La 
Villegontier,  près  de  Fougères.  Lk, 
les  dernières  années  de  sa  vie  se 
sont  passées  au  sein  d'une  famille 
chérie.  Fidèle  aux  pratiques  de  la 
religion  et  livré  aux  exercices  de 
la  charité,  il  allait  visiter  les  pauvres 
dans  leur  demeure,  et  les  soignait 
de  ses  mains  en  les  aidant  de  ses 
aumônes!  Il  s'attirait  de  plus  en 
plus  la  vénération  et  l'attachement 
de  tout  le  monde.  Atteint  depuis 
deuxansd'une  maladie  douloureuse, 
dont  il  ne  pouvait  se  dissimuler  la 
gravité,  il  voyait  approcher  sa  fin 
avec  le  courage  du  gentilhomme 
et  la   résii^nation  du   chrétien.  11 
régla  tout  les  intérêts  de  sa  famille 
et  ceux  de  ses  serviteurs;  après 
avoir  rempli  tous  ses  devoirs  reli- 
gieux, et  résumé  ses  nobles  senti- 
ments dans  ces  lignes  de  son  testa- 
ment: «  Dieu  a  prolongé  ma  vie: 
«  je  meurs  en  adoianl  sa  patience 
«  et  sa  honte,  et  en  espérant  dans 
«  sa  miséricorde,  »  il  termina  une 
viesi  bien  remplie  le  1*' juin  18ia, 
à  l'âge  de  73  ans.  Le  U  mars  IHIfi 
il  avait  été  décoré  de  la  croix  tl«'  la 
Légion  d  honneur;  le  17  aoùi  1823, 
il  fut  créé  officier  du  même  ordre; 


40O 


VIL 


U 


et  le  30  avril  1838,  élevé  au  grade 
de  commandeur ,  avec  la  faveur 
spéciale  d'en  porter  la  décoration 
avant  d'avoir  reçu  son  brevet.  Le 
comte  de  La  Villegontiern'était,que 
je  sache,  membre  d'aucune  société 
littéraire  ouscientiûque. Cependant, 
non-seulement  il  avait  des  connais- 
sances variées  et  étendues,  mais  il 
aimait  l'étude  et  s'y  livrait  au  milieu 
des  soins  qu'exigeaient  ses  hautes 
fonctions.  Dans  ses  visites  officielles 
il  recueillait  en  passant  des  notions 
sur  l'histoire  naturelle  des  localités, 
etc., etc. Un  jour  il  visilaitle  célèbre 
industriel  Oberkampf;  un  autre  jour 
le  poëte  Ducis  ;  et  dans  les  pages 
qu'il  écrit  pour  en  garder  le  sou- 
venir, il  révèle  sur  l'un  et  sur  l'autre 
des  faits  que  n'ont  point  mention- 
nés leurs  biographes ,  et  montre 
qu'il  savait  se  mettre  au  niveau  de 
deux  hommes  d'une  position  si 
différente.  Dans  son  cabinet  il 
variait  ses  jouissances  ,  tantôt  en 
analysant  la  tragédie  de  Polyeude, 
tantôt  en  écrivant  les  réflexions  les 
plus  sensées  sur  la  bataille  de  Na- 
varin, ou  sur  le  groupe  dont  est 
déshonoré  le  fronton  de  Sainie-Ge- 
neviève  de  Paris,  etc.  Il  n'a  rien 
publié,  si  ce  n'est  quelques  articles 
de  journaux  et  quelques  discours 
de  circonstance,  par  exemple  ce- 
lui qu'il  prononça  à  l'installation 
du  comte  de  Lorgeril,  maire  de 
Rennes;  ceux  qu'il  lit  entendre  aux 
distributions  de  prix  de  l'école  de 
sculpture  et  de  peinture.  Mais  il 
laisse  plusieurs  manuscrits,  sur  di- 
verses matières.  Son  célèbre  aïeul, 
Frain,rarrêlisle,  n'avait  pas  publié 
lui-même  ses  nombreux  travaux 
écrits;  ils  furent  mis  au  jour  et 
commentés  par  Pierre  Hévin  (voy. 
lltviN,  l.  XX,  p.  343).  Les  mé- 
moires du  comte  de  La  Villegon- 
lier,  quoiqu  écrits  principalement 


pour  sa  famille,  seraient  d'un  grand 
intérêt  pour  tous,  si  elle  les  livrait 
à  l'impression;  et  ce  d'autant  plus, 
que  tous,  môme  les  détails  auto- 
biographiques, sont  des  révélations 
ou  des  traits  relatifs  à  l'histoire  de 
la  Restauration  et  de  sa  politique. 
Dans  un  autre  écrit,  il  donne  des 
détails  qui  sont  presque  des  révé- 
lations sur  la  mort  du  duc  de  Bour- 
bon, et  ces  détails  sont  pour  ainsi 
dire  nécessaires  à  ceux  qui  voudront 
éclairer  ce  drame  trop  fameux,  et 
dire  comment  s'est  éieinte  la  mai- 
son de  Gondé.  J'ignore  si  le  burin 
nous  a  conservé  les  traits  du  comte 
de  La  Villegontier.  Cet  homme  si 
recommandable  avait  une  taille  as- 
sez élevée,  un  port  gracieux  et  un 
abord  prévenant,  qui  gagnaitla  con- 
fiance et  disposait  à  lui  donner  la 
vénération  que  ses  autres  qualités 
gagnaient  tout  à  fait.  —  Fernand 
Frain  de  La  Villegontier,  son 
fils  aîné,  né  à  Paris  en  1807,  fut,  à 
l'âge  de  huit  ans,  placé  au  petit 
collège  de  Saint-Cyr,  d'où  il  devail 
aller  à  l'école  de  La  Flèche.  Mais, 
après  quelque  temps  de  séjour  à 
La  Villegontier,  il  entra  dans  les 
pages  de  Louis  XVIII,  puis  dans 
ceux  de  Charles  X,  et  fut  un  des 
doiize  qui  assistèrent  au  sacre  de 
ce  souverain.  A  l'âge  de  dix-huit 
ans,  il  sortit  des  pages  et  entra 
sous-lieutenant  dans  le  8"  régiment 
de  chasseurs ,  que  commandait 
M.  de  Boisgelin,  son  oncle.  A  la 
révolution  de  Juillet,  ce  noble  jeune 
homme  donna  sa  démission  ;  mais 
son  colonel  ne  voulut  pas  la  rece- 
voir, puisque  son  père  n'avait  pas 
donné  la  sienne.  Il  la  donna  pour- 
tant de  nouveau  étant  lieutenant, 
et  épousa  M"'  Louise- Noémi  de 
Malboz,  dont  il  a  eu  deux  fils.  Fer- 
nand mourut  à  La  Villegontier,  le 
15  octobre  18i9.  —  Edouard,  se- 


VIL 


VIL 


ZiOl 


cond  fils  du  comte  de  La  Villegon- 
tier,  né  à  Paris  en  1821,  fit  ses  étu- 
des à  la  célèbre  pension  Poiloup,  à 
Vaugirard,  et  mourut  célibataire  à 
La  Villegonlier,  le  3  janvier  1853. 
Les  deux  fils  sont  inhumés  près  de 
leur  père  à  Parigné,  arrondisse- 
ment de  Fougères.  Une  sœur  leur 
a  survécu.  B — d— e. 

VILLEGO>TIER  (Charles-Ma- 
rie Frain  de  La),  frère  de  Louis- 
Spiridion,  naquit  à  Fougères  (Ille- 
et-Vilaine),  le  27  avril  1777  (1),  et 
fut,  dès  ses  premières  années,  pla- 
cé au  collège  de  Vendôme ,  avec 
ses  frères,  et  y  fit  d'excellentes 
études.  Il  avait  su  s'attacher  tout 
le  monde  par  les  belles  quaiilés 
qu'on  avait  remarquées  en  lui ,  et 
surtout  par  sa  candeur  et  sa  grande 
piété.  Cette  piété  le  porta  dès  lors 
Ji  consacrer  presque  exclusivement 
à  des  sujets  religieux  l'aUrfiitet  les 
disposilions  heureuses  qu'il  avait 
pour  la  poésie  française.  Savant 
dans  l'histoire  et  liliérateur  ins- 
truit, possédant  bien  les  meilleurs 
auteurs  classiques,  cet  intéressant 
jeune  homme  avait  principalement 
étudié  sa  religion.  Il  avait  lu  avec 
fruit  les  ouvrages  des  plus  célèbres 
apologistes ,  s'adonnant  à  l'étude 
des  livres  sacrés;  et  pour  les  lire 
dans  leur  texte  original,  il  avait  ap- 
pris le  grec  et  l'hébreu.  Au  sortir 
du  collège,  il  habita  d'abord  la  ville 
de  Fougères,  puis  celle  de  Rennes, 
où  il  se  livra  à  l'étude  de  la  méde- 
cine. Il  est  probable  que  les  cir- 
constances le  déterminèrent  à 
prendre  celte  profession  qu'il  n'au- 
rait peut-être  pas  choisie  en  d'au- 
tres temps.  Celte  |)roression  devint 
toute  son  occupation  et  son  prin- 


(1)  Sa  vie  imprimée  porte  le  28  mars 
4777  ;  la  date  que  je  donne  ici  est  celle 
de  son  acte  de  baptême. 

LXXIY 


cipal  mérite.  Il  fréquentait  les  hô- 
pitaux ;  chargé  d'y  faire  des  panse- 
ments, il  s'acquittait  de  cette  fonc- 
tion pénible  avec  tant  de  douceur 
et  de  précautions  délicates,  que  les 
malades  enviaient  le  bonheur  de 
lui  être  confiés.  Naturellement  il 
n'avait  point  d'attrait  pour  ces  opé- 
rations, mais  il  était  animé  par 
des  pensées  élevées.  A  ces  soins 
matériels  il  joignait  l'aumône,  et 
sa  fortune  lui  procurait  la  jouis- 
sance de  fournir  à  ses  malades  tous 
les  secours  par  lesquels  il  croyait 
pouvoir  adoucir  leur  situation,  Sps 
bienfaits  continuaient  en  dehors  de 
l'hôpital,  et  il  s'employait  de  toutes 
les  fiiçons  pour  être  Uiilc  à  ses 
nombreux  protégés.  Il  les  visitait 
chez  eux,  les  recevait  et  les  pan- 
s  lit  chez  lui.  Il  est  facile  de  conce- 
voir que ,  dans  ces  temps  malheu- 
reux, les  ecclésiastiques  ne  jouis- 
sant d'aucune  liberté,  le  jeune  de 
La  Villegonlier  faisait  tout  pour 
procurer  les  secours  religieux  à  ses 
malades.  C'était  aussi  à  ses  yeux 
un  acte  méritoire  que  de  visiter 
dans  leur  retraite  les  prêtres  ca- 
chée, et  d'alléger  leurs  peines  par 
tous  les  moyens  qui  dépendaient 
de  lui  ;  il  trouvait  d'ailleurs  dans 
ces  courses  secrètes  l'avantage  de 
remplir  lui-même  ses  devoirs  reli- 
gieux, il  faut  ;ijouter  qu'à  tant  de 
mérites  il  joignait  celui  de  soigner 
les  prisonniers,  auxquels  son  pro- 
fesseur, qui  savait  l'apprécier,  l'en- 
voyait de  préférence.  Tous  ceux 
qui  l'entouraient  avaient  pour  sa 
vertu  une  coubidéralion  unanime, 
et  ils  en  donnaient  un  témoignage 
bien  significatif  en  l'appelant  tout 
naïvement  le  bon  Charles,  et  tirant 
de  sa  modestie  en  tous  lieux,  de  sa 
réserve  en  ses  discours,  une  con- 
clusion bien  significative,  en  disant 
qu'il   était  sage   et  timide  comme 

26 


/i02 


VIL 


une  jeune  vierge.   Celte  modestie 
ne  l'empèchiit  pas  néanmoins  de 
profiler  de  ses  connaissances  éten- 
dues  pour  réprimer  de   vains  so- 
phismes  ou  de  sottes  railleries  sur 
la  religion.  Il  savait   encore  une 
manière  noble  de  faire  le  bien,  en 
soutenant,  à  ses  frais,  les  études 
de  plusieurs  amis,  et  en  confiant  à 
d'autres    l'exéculion   des  œuvres 
charitables  dont   ils  lui  parlaient, 
préférant,  ce  qui  n'est  pas  commun, 
que   Taumùne    fût   en   apparence 
sortie  de  leur  main  plutôt  que  de 
la  sienne.  Il  retourna  à  Paris,  sans 
discontinuer  pour  cela  ses  bonnes 
œuvres  à  Fougères  et  à  Rennes,  et 
il  en  embrassa  d'autres  dans  la  ca- 
pitale. Il  est  étonnant  que,  même 
avec  les  ressources  de  sa  fortune, 
il  pût  suffire  à  tant  d'actes  géné- 
reux, car  il  souscrivait  k  de  nom- 
breuses  entreprises   philanihropi- 
ques  ;  mais  il  vivait  avec  une  stricte 
écononaie,  s'imposait  dans  le  ca- 
rême un  jeûne  rigoureux,  et  croyait 
devoir  aux  pauvres  ce  qu'il  se  re- 
fusait à  lui-même.   Reçu   docteur 
en  1804,  il  vint  à  Fougères  pour  y 
passer  l'été.  Cette  ville  fut  alors  af- 
fligée d'une    épidémie.    La  fièvre 
pernicieuse  qui  y  régnait  attaqua 
les  deux  seuls   médecins  qu'il  y 
eût  alors   dans  la  localité;   il  se 
multiplia  pour   tous  les  malades, 
qui  le  réclamaient  de  tous  les  cô- 
tes, obtint  de  nombreux   succès, 
mais  éprouva  beaucoup  de  fatigues 
et  même  des  affections  très-péni- 
bles. Ce  fut  peut-être  là  qu'il  con- 
tracta le  germe  de  la  maladie  qui 
l'enleva  bieniôt  après.  Il  allailquil- 
ter  Fou^îcres  pour  n'y  plus  revenir. 
Non  content  d'y  avoir  si  utilement 
paye  de  sa  personne,  il  \ouiuL  en- 
core prouver  pars(  s  1  a rge-.scs ratta- 
chement qu'il  portait  à  celte  chère 
contrée.  Il  remit  au  recteur  (curé) 


VÎL 

de  la  ville,  et  à  celui  de  Louvigné- 
du-Désert,  où  se  trouvait  située  sa 
terre  la  plus  considérable  (la  Ge- 
lousière),  une  somme  de  800  francs 
pour  être  distribuée  aux  pauvres. 
A  Paris,  il  vint  se  réunir  de  nou- 
veau à  tant  de  dignes  confrères  et 
de  pieux  amis,  qui  la  plupart  fai- 
saient, comme  lui,  partie  de  cette 
congrégation  de  la  Sainte-Vierge, 
qui  s'est  toujours  bornée  à  faire  le 
bien  en  silence,  et  contre  laquelle 
l'impiété  et  l'opposition  politique 
ont  jeté  tant  de  clameurs.  Arrivé 
dans  la  capitale  avec  une  santé 
mal  assurée,  il  fut,  huit  jours  après, 
attaqué  d'une  maladie  aussi  cruelle 
que  rapide.  Son  esprit  fut  frappé 
du  pressentiment  de  sa  fin  pro- 
chaine, et  il  disposa  son  âme  au 
terrible  passage.  La  mort  l'enleva 
en  effet  à  ses  amis ,  à  sa  famille,  à 
un  avenir  si  beau  en  apparence,  le 
samedi  20  octobre  1804.  Ses  obsè- 
ques se  firent  à  Saint- Jacques-du- 
Haut-Pas,  sa  paroisse.  Le  jeune  de 
La  Villegoutier  n'avait  que  27  ansi 
Il  n'avait  embrassé  la  médecine 
que  par  dévouement,  et  n'avait 
pour  elle  aucun  attrait,  tant  s'en 
fallait  1  II  est  rare  qu'on  fasse  beau- 
coup de  progrès  dans  une  science 
qu'on  ne  cultive  ni  par  nécessité 
ni  par  goût.  Guidé  par  la  religion, 
La  Villegontier  travailla  avec  une 
application  soutenue,  comme  si 
cette  élude  avait  eu  pour  lui  des 
charmes.  Il  recueillit  les  fruits  de 
cette  victoire  vraiment  sublime; 
ses  condisciples  avaient  recours  îx 
ses  lumières,  et  tous  les  médecins, 
qui  avaient  de  fréquentes  occa- 
sions de  l'entretenir,  reconnais- 
saient en  lui  des  talents  distingués. 
Il  a  laissé  quelques  manuscrits  ;  je 
ne  suis  point  en  étal  d'en  contrô- 
ler le  mérite  ;  ils  ne  seront  pro- 
bablement jamais  publiés.  Ils  sont 


VIL 

d'ailleurs  sténographiés  en  partie, 
et  peut-être  lui  seul  en  avail-il  la 
clef.  Le  vénérable  abbé  Carron  a 
publié  sa  vie  dans  le  livre  intitulé  : 
Modèles  d'une  tendre  et  solide  dévo- 
tion à  la  Mère  de  Dieu  dans  le  pre- 
mier âge  de  la  vie,  ouvrage  qui  a 
eu  plusieurs  éditions. 

B— I) — E. 
VILLÉLE       (  Jean-Baptiste - 

GuiLLAUME-SÉRAPHIN-JoSEPH,  com- 
te de),  ministre  des  finances  et  pré- 
sident du  conseil  des  ministres  sous 
la  Restauration,  chevalier  de  l'or- 
dre du  Saint-Esprit,  officier  de  la 
Légion  d'honneur,   chevalier    de 
Saint-Louis,  etc.  etc., naquit  à  Tou- 
louse le  U  août  1773,  d'une  famille 
noble  et  ancienne.  U  lit  ses  études 
au  collège  royal  de  cette  ville,  puis 
à  celui  d'Alais,  et  fut,  à  la  suite 
d'un  brillant  examen,  admis  dans 
le  corps  royal  de  la  marine  et  em- 
barqué à  Brest,  le  16  juillet  1788, 
sur  une  corvette  d'instruction.  Ln 
an  plus  tard,  il  fut  reçu  élève  de 
seconde  classe,  et  dirige  sur  Saint- 
Domingue.   Il   revint    en   France 
l'année  suivante,  mais  il  se  rem- 
barqua bientôt  avec  le  contre-ami- 
ral de  Saint-Félix,  ami  de  sa  fa- 
mille, qui  venait  d'être  appelé  au 
commandement   des   forces  fran- 
çaises   dans  les  mers  des  Indes. 
M.  de  Saint-Félix  ayant  été  promu, 
deux  après,  au  grade  de  vice-amiral , 
le  jeun»;  de   Villèle   devint  aide- 
major  de  la  division.  11  se  trouvait 
à  rile-de-France  lorsque  les  évé- 
nements de  1793  amenèrent  dans 
cette   colonie    des   désordres  par 
suite  desquels  M.  de  Saint-Félix  dut 
abandonner    son  commandement. 
Villèle  donna  aussitôt  sa  démission 
et  suivit  son  chef  à  l'île  Bourbon ,  où 
il  s'était  vu  réduit  à  chercher  un  asile 
contre  les  violences  des  révolution- 
naires. Sa  sécurité  ne  tarda  pas  a 


VIL 


403 


être  troublée  par  les  recherches  et 
les  menaces  de  ses  persécuteurs;  sa 
tête  fut  mise  à  prix,  et  ce  ne  fut 
qu'à  l'aide  d'efforts  multipliés  et  à 
travers  mille  dangers  qu'il  parvint 
à  se  soustraire  pendant   quelque 
temps  aux  proscriptions  du   parti 
jacobin.  Villèle,  dont  la  sollicitude 
active  n'avait  cessé  de  protéger  ses 
jours,  fut  mis  en  arrestation;  mais 
ni  les  promesses,  ni  les  menaces, 
ni  les  mauvais  traitements  ne  pu- 
rent lui  arracher  un  renseignement 
sur  le  lieu  de   retraite  du  vice- 
amiral,  lorsque  enfin  ce  dernier, 
livré  au  dénûment  le  plus  absolu, 
se  remit  lui-même  entre  les  mains 
de  ses  ennemis;  il  y  resta  jusqu'à  la 
fia  de  la  Terreur.  Devenu  libre  au 
bout  de  trois  moisde  captivité,  Villèle 
jugea  prudent  d'ajourner  son  retour 
en  France  et  de  se  fixer  provisoi- 
ment  dans  la  colonie.  Deux  de  ses 
compatriotes  lui  procurèrent   les 
moyens  d'ac<juérir  une   propriété 
dont  il  entreprit  l'exploitation.  Cet 
établissement  prospéra  rapidement 
sous  l'inflaence    d'une    direction 
équitable   et  éclairée,    et   Villèle 
acheva    d'améliorer    sa    position 
personnelle  par  son  mariage  avec 
mademoiselle  Fanon    Desbassyns, 
dont  la  famille  jouissait  à  Bourbon 
d'une  considération  justement  ac- 
quise. De  périlleuses  circonstances 
le  mirent  bientôt   en   mesure  de 
rendre  d'importants  services  à  celte 
terre  d'adoption.  Menacée  à  la  fois 
du   sort  de   Saint-Domingue   par 
les  lois  de  la  métropole,  et  d'une 
invasion    anglaise,    l'île   Bourbon 
recouNra    l'indépendance    de    ses 
mouvements  par  la  destruction  du 
parti   révoluiioimaire;  l'assemblée 
coloniale  reconquit  la  plénitude  de 
son  autorité,  et  Villèle  qui,   dans 
celte  crise  décisive,  avait  fait  preuve 
de  fermeté,  de  droiture  et  d'iulel- 


tiOh 


VIL 


ligence,  fut  choisi  par  uue  partie 
notable  de  la  population  pour  la 
représenter  à  celte  assemblée.  Il  y 
obtint  bientôt  un  ascendant  mar- 
qué et  en  usa  pour  faire  repousser 
la  proposition  mise  en  avant  par 
quelques  membres  de  déclarer 
l'ile  indépendaule,  proposition  in- 
sidieuse et  dont  le  but  seci\  t  était 
de  la  livrer  aux  Anglais,  qui  n'a- 
vaient cessé  de  convoiter  cette 
riche  proie.  La  faciion  vaincue 
essaya  de  recourir  à  l'insurrection. 
Vilièle  se  mit  à  la  tête  de  la  garde 
nationale,  et,  aidé  du  concours 
des  principaux  habitants,  il  parvint 
à  rétablir  l'ordre  et  à  conserver  la 
colonie  à  la  France,  qui  ne  la  per- 
dit quelques  années  plus  tard  que 
pour  la  recouvrer  délinitivement 
par  le  traité  de  paix  de  1814.  Vil- 
ièle revint  en  France  au  mois  de 
juin  1807,  et  se  confina  dans  sa 
propriété  de  Morville  près  de 
Toulouse.  Exclusivement  partagé 
entre  la  vie  de  famille  et  les  occu- 
pations agricoles,  il  n'entretenait 
avec  l'adminislraiiou  impériale 
d'autres  rapports  que  ceux  aux- 
quels l'appelait  sa  qualité  démem- 
bre du  conseil  général  de  la  Haute- 
Garonne,  qui  lui  avait  été  conférée 
peu  après  son  retour.  Ces  rapports 
se  signalèrent,  au  commencement 
de  48j3,  par  un  acte  d'opposition 
qui  fera  apprécier  le  caractère  de 
Vilièle.  Ayant  été  mandé  à  la  pré- 
fecture avec  les  principaux  pro- 
priétaires du  département  pour 
recevoir  la  notilication  des  chilTres 
de  l'emprunt  forcé  auxquels  ils 
devaient  être  soumis:  «  Je  ne  sais, 
leur  du- il,  ce  que  vous  comptez 
faire  ;  (juaiit  à  moi,  je  suis  très- 
résolu  a  ne  pas  acquitter  un  denier 
d'une  conlribuiiou  complétcraenl 
illégale,  et  je  vaib  signifier  ma  ré- 
solution à  M.  le  préfet.  »  Celte  ré- 


VIL 

sistance  inattendue,  dans  laquelle 
Vilièle  fut  imité  par  les  autres 
contribuables,  déconcerta  telle- 
ment le  préfet  qu'il  n'osa  employer 
la  force  pour  la  surmonter  (I). 
C'est  dans  cette  disposition  d'esprit 
que  les  événements  de  18U  sur- 
prirent l'intrépide  conseiller.  Per- 
sonne n'ignore  les  longs  débats  qui 
précédèrent  l'octroi  de  la  Charte 
constitutionnelle  et  les  opinions 
diverses  qui  se  produisirent  soit 
sur  le  principe  môme  de  cet  acte 
fondamental,  soit  sur  la  forme 
dont  il  convenait  de  le  revêtir. 
Vilièle,  qui  avait  salué  avec  en- 
thousiasme la  restauration  du  gou- 
vernement royal ,  crut  devoir 
émettre  un  avis  sur  ces  importantes 
questions.  Dans  une  série  d'obser- 
vations adressées  aux  députés  de 
son  département  peu  de  jours 
après  la  déclaration  de  Saint-Ouen, 
il  se  prononça  contre  les  proposi- 
tions que  cette  déclaration  royale 
empruntait  au  projet  du  Sénat,  et 
manifesta  ouvertementson  vœu  pour 
un  reiourcomplet  à  «  la  constitution 
de  nos  pères,  à  celle  qui  avait  rendu 
si  longtemps  la  France  heureuse  et 
florissante,  à  celle  qui  était  con- 
forme k  notre  caractère  national, 
qui  était  dans  le  sens  de  nos  opi- 
nions, et  qui  était  gravée  en  traits 
ineffaçables  dans  le  cœur  de  tous 
les  Français.  »  La  censure  de  son 
écrit  s'exerçait  principalement  sur 
la  difficulté  de  constituer  d'une 
manière  satisfaisante  une  Chambre 
haute  assortie  aux  fonctions  et  aux 
privilèges  que  lui  attribuait  le  pro- 
jet royal,  sur  l'iusuflisance  des  ga- 
ranties assurées  au  vote  de  l'impôt 
et  à  la  liberté  de  la  presse,  et  sur 


(1)   Souvenirs  de  la  Restauration, 
par  M.  Nettement,  page  2i)3. 


VIL 


VIL 


/i05 


l'iniquité  de  la  consécration  ac- 
cordée aux  propriétés  nationales. 
Ces  opinions,  que  Vilièle  modifia 
plus  tard  à  la  lueur  d'une  sage 
expérience,  étaient  énoncées  d'une 
manière  spécieuse;  elles  apparte- 
naient, il  faut  le  reconnaître,  à  un 
grand  nombre  d'esprits  défavora- 
blement frappés  de  l'origine  séna- 
toriale de  ces  formules  constitu- 
tionnelles et  de  la  précipitation 
avec  laquelle  elles  avaient  été  con- 
çues. Mais  son  écrit,  peu  distingué 
parmi  les  nombreuses  productions 
que  fitéclore  la  récente  émancipa- 
tion de  la  presse,  avait  le  double 
tort  d'invoquer  une  constitution  à 
peu  près  imaginaire  et  de  provo- 
quer la  résurrection  d'un  passé 
impossible,  depuis  la  destruction 
violente  des  trois  ordres  sur  les- 
quels reposait  l'antique  monarchie 
française.  Toutefois,  ce  début  de 
Vilièle  dans  la  vie  politique  mé- 
rite d'être  remarqué,  et  c'est  un 
fait  digne  d'observation  qu'une 
thèse  aussi  chimérique  ait  servi  de 
point  de  départ  à  l'un  des  esprits 
tes  plus  sensés  et  les  plus  prati- 
ques de  l'époque  contemporaine.  Il 
n'est  pas  sans  intérêt  non  plus 
d'entrevoir,  dans  la  chaleur  de  ses 
objections  contre  le  maintien  des 
conflscations  révolutionnaires,  le 
germe  de  la  grande  mesure  répa- 
ratrice dont  il  deviendra  dix  ans 
plus  tard  le  promoteur  équitable 
et  l'habile  régulateur.  Vilièle  ne 
joua  aucun  rôle  public  pendant  la 
première  Restauration.  A  la  nou- 
velle du  débarquement  de  Napo- 
léon en  1815,  il  courut  à  Toulouse 
pour  le  joindre  aux  volontaires 
royalistes  qui  se  groupèri;nt  sous 
les  drapeaux  du  duc  d'Angoulême, 
et  contribua  pour  une  somme  de 
vingt  mille  francs  aux  nécessités 
d'une  situation  dont  sa  sagacité  lui 


dévoilait  tous  les  périls.  Le  conseil 
général  auquel  il  appartenait  cher- 
cha à  organiser  des  éléments  de 
résistance;  elle  baron  de  Vitrolles, 
parti  de  Paris  le  25  mars  avec  le  titre 
de  commissaire  du  roi,  s'efforça 
d'établir  à  Toulouse  le  centre  de  l'ad- 
ministration des  provinces  demeu- 
rées fidèles.  Mais  ces  tentatives,  dont 
le  succès  eût  préservé  la  France  de 
tant  de  calamités,  échouèrent  de- 
vant la  révolte  de  la  garnison  et 
devant  les  démonstrations  mena- 
çantes des  fédérés,  qui  mirent  obs- 
tacle à  la  marche  des  volontaires 
et  en  massacrèrent  plusieurs.  Ces 
excès  amenèrent  un  vif  mouvement 
de  réaction  lorsque  la  nouvelle  des 
revers  de  Napoléon  se  répandit 
dans  le  Languedoc,  et  le  meurtre 
d'un  jeune  homme  qui  avait  pris 
la  cocarde  blanche  acheva  d'exas- 
pérer la  population.  Des  com- 
pagnies royalistes  s'organisèrent 
spontanément  sous  le  nom  de  Ver- 
dels,  avec  l'intolérable  prétention 
de  ne  relever  d'aucune  autorité 
légale  et  de  faire  justice  par  elles- 
mêmes  des  atteintes  portées  au  ré- 
gime royal.  Ce  fut  dans  ces  cir- 
constances critiques  que  le  duc 
d'Angouièrae  désigna  Vilièle  (24 
juillet)  pour  remplir  provisoirement 
les  fonctions  de  maire  de  Toulouse. 
Son  premier  soin  fut  de  mettre  en 
sûreté  leï»  auteurs  des  violences 
exercées  pendant  les  Cent-Jours,  et 
il  n'y  réussit  qu'en  les  faisant  con- 
duire dans  les  prisons  de  la  ville, 
d'oii  on  les  laissait  sortir  secrète- 
ment pendant  la  nuit.  Mais  ces 
mesures  de  conciliation  furent  con- 
trariées par  les  mauvais  effets  que 
produisirent  certains  choix  parmi 
les  pouvoirs  supérieurs,  et  de  ces 
germes  de  mécontentement  na- 
(}uil  la  déplorable  catastrophe  qui 
coûta  la  vie  au  général  Hamel,  que 


liOà 


VIL 


le  gouvernement  royal  avait  main- 
tenu dans  le  commandemenl  de  la 
Haule-Gironne.  Cet  officiel  général 
était  le  même  qui,  aprèsavoir  rempli 
un  rôle  assez  équivoque  dansle  com- 
plot royaliste  de  La  Vilieheurnois. 
sous  le  Directoire  (1),  avait  échoué 
dans  la  défense  des  conseils  contre 
le  coup  d'Etat    du    18   fructidor, 
dont  il  était  devenu  l'une  des  vic- 
times, flarael  était   depuis  long- 
temps suspect  aux  Verdets,  auxquels 
il  avait  toujours  refusé  de  délivrer 
le  mot  d'ordre,  conformément  aux 
règles  de   la  discipline  militaire. 
Ce  général  ayant  été  insulté  par 
quelques  inconnus  dans  la  soirée 
du  15  août,  en  rentrant  chez  lui, 
mit  l'épée  à  la  main  pour  se  frayer 
un  passage  à  travers  la  foule;  il 
atteignait  ù  peine  le  seuil  de  son 
hôtel,  quand  un  coup  de  feu  fut 
dirigé  contre  lui  ;  le  bruit  se  ré- 
pandit aussitôt  qu'il  avait  tiré  sur 
le  peuple.  Sur  celte  fausse  rumeur, 
qu'il  devint  impossible  de  déti  uire, 
le    peuple    s'attroupa ,    assiégea 
l'hôtel,  pénétra  jusqu'à  Rarael  qui, 
blessé  au  bas-ventre  d'un  second 
coup  de  feu,  eut  assez  de  force  pour 
SL'  traîner  j  usque  daus  un  grenier,  où 
ses  meurtriers  raohevèrent  à  coups 
de  sabre  etde  baïonnette.  Il  expira 
sans  avoir  voulu  signaler  aucun  de 
r.es  misérables.  La  foule,  qui  obs- 
truait les  abords  de  l'hôtel,  était  tel- 
lement compacte  et  animée,  que  les 
autorités  civiles  et  militaires  ne  pu- 
r- ni  pénétrer  jusqu'Ji  lui.  Villèle  dut 
se  borner  kfaire  rendre  à  l'infortuné 
général  les  honneurs  réclamés  par 
son  rang,  et,  dans  une  proclama- 
lion  où  respirait  plus  d'affliction 
que  d'énergie,  il  déplora  un  attentat 


(1  )  Voyez  l'art,  [lanicl,  tome  xxxvii, 
page  35  de  la  Biographie  unive*'selLe» 


VIL 

qui  traversait  si  cruellement  les 
dispositions  conciliantes  qu'il  avait 
manifestées  (1).  Les  élections  gé- 
nérales eurent  lieu  dans  ces  cir- 
constances orageuses.  Villèle  fut 
élu  député  à  la  modeste  majorité 
de  deux  ou  trois  voix,  après  quatre 
jours  d'épreuves  fort  passionnées. 
L'esprit  ultra-monarchique  de  son 
premier  écrit,  habilement  exploité 
par  le  parti  libéral ,  avait  dé- 
tourné de  lui  un  grand  nombre  de 
suffrages  qui  semblaient  acquis  à 
ses  services  et  à  son  incontestable 
capacité.  Cependant  il  recueillit, 
lors  de  son  départ  pour  Paris,  un 
témoignage  remarquable  d'estime 
et  de  considération.  Villèle  avait 
déclaré  l'intention  de  se  démettre 
des  fonctions  municipales,  qui  lui 
paraissaient  incompatibles  avec  sa 
nouvelle  qualité.  Le  vœu  presque 
unanime  de  ses  concitoyens  lutta 
contre  sa  détermination,  et  ce  fut 
revêtu  du  double  mandat  de  maire  et 
de  député,  qu'il  entra  dans  cette  car- 
rière législative  qu'il  devait  bientôt 
parcourir  avec  tant  de  supério- 
rité. Les  élections  de  1815,  accom- 
plies sous  l'influence  de  l'irritation 
qu'avaient  développée  sur  tous 
les  points  de  la  France  le  coup  de 
main  du  20  mars  et  les  maux  in- 
calculables qui  en  étaient  résultés, 
avaient  produit  une  Chambre  en- 
tièrement dévouée  à  la  monarchie 
de  1814;  c'était  la  contre-partie 
exacte  de  la  Chambre  des  repré- 


(1)  Ce  crime  odieux  demeura  mal- 
heureusement presqu'impuni,  par  suite, 
dit  uu  écrivain  bien  informé,  de  la  pro- 
tection accordée  aux  assassins  par  des 
hommes  trôs-haut  placés,  et  qui  trou- 
vèrent le  moyen  de  faire  disparaître  les 
pièces  les  plus  importantes  de  la  pro- 
cédure. {Ilisloire  du  (jouverncmcnt 
parlementaire  y  par  M.  Duvergier  de 
llauranne,  tome  iv,  page  166.) 


VIL 


VIL 


407 


sentants.  Mais  elle  empruntait  aux 
circonstances  de  sa  composition  une 
autorité  qui  manquait  à  celle-ci. 
«  Soit  par  calcul,  dit  un  écrivain 
qui  n'est  pas  suspect  de  partia- 
lité royaliste,  soit  par  timidité, 
soit  par  Indifférence,  beaucoup 
d'électeurs  s'étaient  abstenus,  et 
rarement  le  chiffre  des  votants 
avait  atteint  la  moitié  du  nom- 
bre total  des  électeurs  ;  dans  quel- 
ques départements  du  Midi,  l'abs- 
tention avait  même  été  presque 
complète,  et  l'on  citait  un  dépar- 
tement, celui  des  Bouches-du- 
Rhône,  où  six  députés  avaient  été 
nommés  par  treize  électeurs  »  (1). 
Formée  dans  des  conditions  bien 
différentes  ,  la  Chambre  de  1815 
représentait  fidèlement  les  besoins 
et  les  intérêts  de  la  France  d'alors; 
mais  elle  en  représentait  aussi  les 
passions  Vt  les  rancunes.  La  plu- 
part des  députés  arrivaient  à  Paris 
pleins  des  ressentiments  qui  fer- 
mentaient dans  leurs  provinces. 
Cette  exaspération  était  d'autant 
plus  vive,  que  le  retour  de  Tile 
d'Elbe  passait  généralement  à  cette 
époque  pour  le  résultat  d'une  cons- 
piration tramée  de  longue  main 
par  de  nombreux  complices.  Il 
fallait  n'y  voir  en  réalité  qu'une 
tentative  désespérée,  dont  l'impé- 
ritie  du  gouvernement  royal  et  les 
imprudences  du  parti  royaliste 
n'avaient,  on  doit  le  reconnaître, 
que  trop  encouragé  la  témérité  : 
l'indifférence  des  populations  (2) 
et  l'entraînement  de  l'armée,  hu- 
miliée et  mécontente ,  tels  avaient 


(1)  Hist.  du  goiivcrn.  parlement. 
par  M.DuvergicrdeHauraunc,  tome  m, 
pa^'i-  2. 

(2)  «  Ils  iii'ont  laisse  arriver  comme 
ils  les  ont  laissés  partir. )i>(Mullien,i/c- 
rnoires  d'un  ministre  du  Trésor.) 


été  les  véritables,  les  seuls  com- 
plices de  Napoléon.  Mais  ce  point 
de  vue  échappait,   par  sa  simpli- 
cité même,  à  l'appréciation  d'une 
majorité  éblouie  de  sa  proportion 
et  de  son  triomphe,  et  qui,  dans 
son  zèle  honnête,  mais  outré  pour 
la  destruction  de  l'esprit  révolution- 
naire, menaçait  d'un  égal  anathème 
les  susceptibilités  les  plus  légitimes 
et  les  conquêtes  les  plus  irréprocha- 
bles de  la  France  nouvelle.  Cette  dis- 
position étaitd'autant  plus  fâcheuse, 
qu'un  des  effets  les  plus  déplora- 
bles de  l'interrègne  des  cent-jours 
avait  été  d'établir  entre  le  p^rti  li- 
béral et  le  parti  bonapartiste  une 
alliance  qui,   bien  que  coatre  na- 
ture, ne  laissait  pas  d'être  dange- 
reuse pour  h  monarchie  restaurée, 
et    qu'on    ne    pouvait    se   flatter 
de  dissoudre   qu'à  force  de   prn- 
denceet  d'habileté. — C'est  dans  ces 
conjonctures  difficiles  que  se  réu- 
nit la  Chambre  de  1815.  Villèle  ne 
prit  aucune    part    ostensible  aux 
premiers  débats  de  celte  assemblée. 
Quoiqu'il   s'associât  généralement 
aux  impressions  qui  y  dominaient, 
la  patience  et   la    circonspection 
h^ibiiueiles  àson  caractère h:i  com- 
mandaient d'étudier  avant  tout  le 
terrain  sur  lequel  il  aurait  bientôt 
à  figurer.  Mais  il  se  faisait  dès  lors 
remarquer  dans   les  bureaux  par 
un  talent  de  discussion  calme,  plein 
de  précision  et  de  lucidité  et  qu'il 
ne  passionnait  d'aucune  question 
irritante  ou   personnelle.    Ce   fut 
dans  la  séance  du  8  novembre  que 
Villèle  (il  sa  première  apparition 
a  la  tribune,  pour   combattre    le 
projet  de  loi  qui  rL-creait  les  com- 
pagnies dépailementales  destinées 
^   la  garJe   des    hôtels   de    pré- 
fecture  et    lies    auln-s    élahlissc- 
meuls  d'utilité    publique   el  à   la 
transmission  des  actes   de  l'auto- 


/i08 


VIL 


VIL 


rite.  Villèle  démontra  facilement 
que  des  corps  de  cent  à  cent  cin- 
quante hommes,  disséminés  dans 
des  villes  populeuses  par  les  be- 
soins de  leur  service,  étaient  in- 
suffisants pour  maintenir  l'ordre 
public  ;  que  rinslitution  des  com- 
pagnies départementales,  excel- 
lente sous  l'Empire,  qui  portait 
toutes  ses  armées  au  d(!hors,  était 
sans  motif  à  une  époque  où  la  paix 
venait  (\t\  rendre  au  gouvernement 
la  libre  disposition  de  ses  forces 
militaires;  qu'elle  était  d'ailleurs 
incompatible  avec  Texistence  de 
la  garde  nationale.  Ce  premier 
discours  de  Villèle,  sur  une  ma- 
tière de  peu  d'intérêt,  n'offre  de  re- 
marquable que  le  morceau  suivant, 
extrait  d'un  programme  politique 
que  nous  le  verrons  développer 
plus  tard  avec  plus  d'étendue. 
«  La  nation  découragée,  flétrie 
par  une  longue  oppression  ,  ne 
peut  être  rappelée  à  la  vie  que  par 
des  institutions  qui  la  fassent  parti- 
ciper à  ses  propres  intérêts,  qui 
rendent  à  son  administration  dé- 
partementale et  communale  l'ac- 
tion libre  dont  elles  ont  besoin, 
qui  leur  rendent  la  disposition  des 
débris  de  leur  fortune  et  le  droit  de 
veiller  sur  les  intérêts  locaux.  » 
L'opposition  presque  isolée  de  Vil- 
lèle n'empêcha  pas  l'adoption  du 
projet  de  loi;  mais  l'expérience 
vériûa  bientôt  la  valeur  de  ses  ob- 
jections, et  l'insliiution  des  gardes 
départementales  s'éteignit  au  bout 
d'un  an  d'existence.  H  critiqua 
également  le  projet  qui  portait 
que  les  quatre  premiers  douzièmes 
des  conlribulions  seraient  recou- 
vrés sur  les  rôles  de  1815,  et  si- 
{ii^ala  vivement  î»  ce  propos  les  fA- 
cbeux  elTci^.  d.;  la  c.;niralis;iiion, 
qui  absorbait  tellement  tout  le 
temps  des  ministres  qu'ils  n'avaient 


plus  celui  de  concevoir  et  de  com- 
biner aucune  amélioration.  Il  rap- 
pelait que  le  gouvernement  royal , 
sentant  le  besoin  d'un  pouvoir  mo- 
teur dans  les  départements,  s'était 
adressé,  au  moment  du  péril,  au 
mois  de  mars,  aux  administrations 
locales;  mais  le  ressort  était  brisé, 
et  pour  sauver  la  France  ,  il  eût 
fallu  à  la  représentation  locale  une 
influence  que  la  Restauration  avait 
négligé  de  lui  attribuer.  Le  mo- 
ment approchait  où  cette  session, 
jusqu'alors  paisible  en  apparence, 
allait  se  passionner  au  contact  des 
questions  de  personnes  et  de  partis. 
Personne  n'ignore  que  par  une  or- 
donnance rendue  sous  le  précédent 
ministère,  les  principaux  fauteurs 
du  20  mars  avaient  été  classés  en 
deux  catégories  dont  la  première 
se  composait  des  individus  que  le 
gouvernement  se  proposait  de  dé- 
férer aux  tribunaux;  dans  la  se- 
conde flguraient  les  personnes 
frappées  d'exil.  Alarmé  par  diver- 
ses propositions  qui  tendaient  à 
aggraver  inconsidérément  les  ri- 
gueurs de  cette  ordonnance,  le  8 
décembre ,  le  lendemain  même  de 
l'exécution  du  maréchal  Ney ,  le 
nouveau  cabinet  présenta  une  loi 
qui  limitait  ses  rigueurs  en  met- 
tant hors  de  cause  tous  les  autres 
acteurs  de  la  dernière  révolution, 
et  Villèle  lit  partie  de  la  commis- 
sion dont  elle  provoqua  l'examen. 
Les  commissaires  insistèrent  pour 
que  ses  dispositions  s'étendissent 
à  un  plus  grand  nombre  de  cou- 
pables; ils  réclamèrent  vivement 
surtout  l'expulsion  des  régicides 
qui  avaient  acce|)té  des  fonctions 
publiques  pendant  les  cent-jours; 
mais  le  ministère  repoussa  tous  ces 
amendements.  Ce  fut  dans  cet  état 
que  la  Chambre  eut  à  se  prononcer. 
Le    rapport    avait    été    confié    k 


VIL 

M.  Corbière,  député  dllle-et-Vil- 
laine,  qu'une  amitié  étroite,  née 
de  la  conformité  de  leurs  senti- 
ments politiques,  commençait  à 
unir  au  personnage  qui  fait  le  sujet 
de  cette  notice.  La  discussion,  à 
laquelle  Villèle  ne  prit  d'abord 
qu'une  part  inostensible,  fut  tu- 
multueuse et  animée,  et  MM.  de  La 
Bourdonnaye,  de  Bouville,  Ghiffiet, 
de  Salaberry,  firent  entendre,  dans 
Tardeur  de  leur  zèle  réactionnaire, 
des  paroles  qui  ont  été  amèrement 
et  injustement  reprochées  à  la 
masse  du  parti  royaliste.  Villèle 
crut  devoir  enfin  s'élever  contre  la 
disposition  qui  exceptait  de  l'am- 
nistie les  personnes  poursuivies  ou 
condamnées  avant  la  promulgation 
de  la  loi;  il  en  signala  avec  une 
louable  préToyance  le  vague  et  le 
danger.  Son  opposition  demeura 
impuissante.  La  Chambre  écarta  à 
une  faible  majorité  la  plupart  des 
additions  aggravantes,  mais  {'amen- 
dement relatif  à  l'expulsion  des 
régicides  fut  admis  par  le  minis- 
tère et  passa  presque  sans  contra- 
diction. Cependant ,  des  débats 
moins  irritants  allaient  bientôt 
fixer  la  véritable  importance  de 
Villèle  dans  cette  Chambre,  formée 
d'éléments  à  la  fois  si  purs  et  si 
inflammables.  Le  48  décembre, 
le  ministre  de  l'intérieur  avait 
présenté  un  projet  de  loi  sur  l'or- 
ganisation électorale  dont  l'écono- 
mie réalisait  le  dessein  assez  hau- 
tement avoué  d'ailleurs,  de  mettre 
les  élections  entre  les  mains  de 
l'administration.  Ce  projet  établis- 
sait deux  degrés  d'élection,  dont 
le  canton  et  le  département  de- 
vaient être  successivement  le  siège. 
Indépendamment  des  électeurs 
créés  par  le  chilïre  d('s  imposi- 
tions, un  assez  grand  nombre  de 
fonctionnaires  publics  étaient  ap- 


VIL 


li09 


pelés  à  prendre  part  au  vote, 
mais  cette  opération  ne  constituait 
qu'une  simple  aptitude  électorale; 
le  choix  des  électeurs  définitifs 
était  réglé  par  le  roi  et  ne  pouvait 
comprendre,  en  moyenne,  au  delà 
de  200  volants.  Enfin,  la  Chambre 
se  renouvelait  par  cinquième  d'an- 
née en  année.  Villèle  fut  nommé 
rapporteur  de  la  commission  char- 
gée d'examiner  cet  étrange  projet, 
et  dans  la  séance  du  6  février 
4816,  il  lut  un  travail  qui  battait 
en  brèche  sur  tous  les  points 
l'œuvre  ministérielle.  Son  plan 
écartait  formellement  les  électeurs 
de  droit  pour  ne  maintenir  que 
ceux  qui  seraient  élus  par  des  as- 
semblées cantonales,  composées  de 
tous  les  Franç^iis  âgés  de  vingt-cinq 
ans  et  payant  50  francs  de  contri- 
butions. Les  électeurs  âgés  égale- 
ment de  vingt-cinq  ans  et  payant 
un  cens  de  300  francs  au  moins, 
nommaient  les  députés  d'arrondis- 
sement et  formaient  une  liste  sur 
laquelle  le  roi  choisissait  les  dé- 
putés de  département.  Le  rappor- 
teur repoussait  d'une  manière 
absolue  le  renouvellement  par  cin- 
quième, et  maintenait  l'élection 
quinquennale  établie  par  l'art.  37 
de  la  Charte,  et  le  nombre  actuel 
des  députés,  qui  était  de  2G2.  Un 
avait  objecté  contre  le  renouvel- 
lement intégral  l'inconvénient  de 
réunir  à  la  fois  tous  les  collèges 
'électoraux;  Villèle  répondait  à  celle 
objection  par  l'exemple  des  der- 
nières élections,  accomplies  dans 
les  circonstances  les  plus  agitées, 
à  la  suite  de  la  crise  révolution- 
naire la  plus  grave,  de  l'aniniùbité 
la  plus  violente  des  partis,  sans 
avoir  donné  lieu  k  aucune  rixe,  à 
aucun  tumulte,  sans  avoir  même, 
chose  bien  plus  remarquable  en- 
core, occasionné  une  seule  récla- 


410 


VIL 


inatioD  cionlre  la  validité  des  opé- 
rations électorales.  Le  système 
proposé  par  le  rapporteur  subs- 
tituait, comme  on  le  voit,  une 
combinaison  toute  nouvelle  îi  la 
conception  gouvernementale,  con- 
ception qui  n'avait  obienu  aucune 
faveur  à  la  Chambre,  malgré  l'es- 
prit ultra-monarchique  qui  en  avait 
inspiré  toutes  les  dispositions, 
en  écartant  les  électeurs  de  droit 
pour  ne  laisser  subsister  que  les 
électeurs  élus.  Le  projet  de  la 
commission,  de  l'avis  d'un  des  plus 
fermes  amis  de  nos  libertés  consti- 
tutionnelles (1),  offrait  le  mérite 
a  de  poser  les  véritables  principes 
du  gouvernement  parlementaire  ;  » 
et  ce  mérite  était  d'autant  plus 
appréciable,  que  M.  Royer-CoÛard 
lui-même  contestait  à  la  Chambre 
son  caractère  représentatif,  pour  la 
réduire  à  un  simple  pouvoir  de 
l'Etat.  Les  débats  qui  s'ouvrirent 
peu  de  jours  après  sur  la  première 
partie  du  rapport  ne  furent  pas 
sans  confusion;  les  amendements 
et  les  propositions  se  croisèrent 
en  tous  sens.  Un  second  rapport 
fut  lu  dans  la  séance  du  <6  février 
par  Villèle,  qui  fit  valoir,.  îi  l'appui 
de  son  système,  plusieurs  considé- 
rations importantes.  Il  présenta  les 
droits  consacrés  par  la  Charte  au 
profit  des  citoyens ,  «  comme  un 
dédommagement  des  garanties  que 
trouvaient  leurs  intérêts  et  leurs 
franchises  dans  les  institutions 
qu'avait  renversées  la  révolu- 
tion. »  Il  repoussa  le  privilège  ex- 
clusif accordé  par  la  Charte  aux 
censitaires  d.;  ;{00  francs  de  nom- 
mer seuls  les  députés,  comme  en 
dehors  de  i.Ob  mœurs  actuelles  et 

(I)  M.  DuviM-gier  (le  Hîjurinnc,  Hist. 
(lu  (jouvern.  parleynail'iire^  tome  m. 


VIL 

en  désaccord  avec  le  système  re- 
présentatif que  la  Chambre  était 
appelée  à  fonder,  et  comme  tendant 
à  perpétuer  sous  le  roi  le  système 
d'avilissement  où  le  Corps  législatif 
était  retenu  sous  le  régime  impé- 
rial. Il  concluait  «  qu'un  système 
d'élection  libre  et  étendu  aurait 
pour  effet  de  ranimer  l'opinion 
publique,  de  calmer  l'irritation  des 
partis,  de  donner  des  garanties  à 
tous,  et  de  faire  jouir  la  France  du 
repos  et  de  la  confiance  qui  étaient 
ses  plus  pressants  besoins.  »  Il 
s'éleva  surtout  avec  force  contre  le 
renouvellement  par  cinquième,  qui 
lui  paraissait  en  opposition  di- 
recte avec  le  droit  constitutionnel 
de  dissolution  intégrale  réservé  à  la 
couronne,  et  dont  l'effet  serait  d'en- 
tretenir une  mobilité  perpétuelle 
dans  l'administration  du  pays. 
La  commission  réussit  générale- 
ment à  faire  prévaloir  son  système 
sur  celui  du  gouvernement;  cepen- 
dant elle  succomba  sur  les  chefs 
relatifs  au  nombre  des  députés,  à 
l'établissement  des  collèges  canto- 
naux, et  se  crut  obligée  de  céder 
sur  un  point  plus  essentiel  encore: 
elle  admit  que  le  roi  aurait  la  fa- 
culté d'adjoindre  aux  électeurs  de 
département  des  électeurs  du  son 
choix,  dans  une  proportion  faible 
à  la  vérité  (un  dixième  sur  le 
nombre  total),  mais  qui  altérait 
sensiblement  l'économie  et  surtout 
la  théorie  du  nouveau  projet.  Les 
doux  projets  furent,  par  un  calcul 
évident  d'opposition  du  cabinnl,  pré- 
sentés simultanément  à  la  Chambre 
des  pairs.  Ce  corps  vil  dans  r(cuvre 
ministérielle  une  violation  formelle 
des  droits  consacrés  par  la  Charte, 
et,  dans  1'.'  système  de  la  commis- 
sion, le  dessein  de  constituer  une 
espiîce  d'aristocratie  :i;i'  piofiL  ex- 
clusif de  la  propriété,  et  rejeta  l'un 


VIL 

et  l'autre.  Ce  résultat  inattendu 
produisit,  au  sein  de  h  Chambre 
élective,   une    perturbation    pro- 
fonde. Dans  un  comité  secret,  le 
4  avril,  Villèle  monta  à  la  tribune, 
et  proposa  à  l'Assemblée  de  for- 
muler une  Adresse  au  roi  pour  lui 
signaler  les  dangers  graves  que 
faisait  courir  à  la  paix  publique  la 
résolution  des  pairs.  Cette  propo- 
sition fut  accueillie  avec  faveur,  et 
le  développement  en  fut  ftxé  au 
lendemain.  Mais,  dans  l'intervalle, 
le  roi  exprima  son  improbation 
d'une  démarche  aussi  extrême,  et 
M.  Decazes,  comprenant  le  besoin 
de  composer  avec  les  chefs  de  la 
majorité,  manda  chez  lui  l'hono- 
rable rapporteur,  qui  se  rendit  à 
cet  appel.  Le  ministre  lui  commu- 
niqua un  projet  tendant  à  donner 
force  de  loi  aux  ordonnances  des 
13  et  21  juillet,  c'est-à-dire  à  main- 
tenir les  collèges  électoraux  ac- 
tuels, avec  engagement  de  ne  pro- 
céder à  aucune  élection  partielle; 
il  lui  demanda  de  se  désister  de  sa 
proposition,  sous  la  promesse  de 
soumettre  le  lendemain  même  ce 
projet  au  vole  de  la  Chambre.  Vil- 
lèle y  consentit,  moyennant  quel- 
ques modifications  de   détail.   Le 
lendemain  5,  le  comte  de  Vaublaric, 
ministre  de  l'intérieur,  apporta  à 
la  séance  le  projet  convenu,  mais 
avec  cette  lacune  essentielle,  que 
rien  n'y  était  spécifié  quant   au 
renouvellement    intégral     de    la 
Chambre  jusqu'à  la  prochaine  ses- 
sion.   Ce   qui  constituait  l'impor- 
tance de  celle  omission,  c'est  que 
le  côté  droit,  jup^eani  la  Chambre 
pleinement    à    l'abri   d'une    dis- 
solution,   cooceulraii    toutes   ses 
appréhensions  sur  l'usage  des  re- 
nouvellements  partiels  qui  pou- 
vaient a;iérer  l'opinion  de  la  ma- 
jorité. Ce   manque    de   foi,   ou, 


VIL 


liU 


plus  probablement,  ce  malenten- 
du fâcheux,  émut  vivement  la 
fraction  ultra-royaliste  de  l'Assem- 
blée. Une  commission  fut  sur-le- 
champ  nommée  dans  un  sens  hos- 
tile au  ministère,  et  Villèle  accepta 
cette  fois  encore  les  fonctions  de 
rapporteur.  Il  monta  le  8  avril  à 
la  tribune;  mais  M.  Laine,  prési- 
dent de  la  Chambre,  lui  refusa  la 
parole,  sur  le  motif  qu'au  mépris 
des  prescriptions  du  règlement, 
l'orateur  avait  négligé  de  le  pré- 
venir vingt-quatre  heures  à  l'a- 
vance. D'irritantes  explications 
s'engagèrent.  A  la  suite  d'un  débat 
personnel  entre  le  président  et 
M.  Forbin  des  Issarts,  un  des  mem- 
bres les  plus  fougueux  de  l'extrê- 
me droite,  la  majorité  s' étant  pro- 
noncée pour  l'audition  immédiate 
du  rapporteur,  M.  Laine  quitta 
aussitôt  le  fauteuil  et  la  Chambre, 
et  ue  reprit  ses  fonctions  que  quel- 
ques jours  après,  sur  un  ordre 
formel  du  roi.  Villèle  prit  la  parole 
au  milieu  de  celte  agitation,  et  lut 
un  rapport  très-habilement  conçu, 
dans  lequel  il  établit  que  la  loi 
soumise  à  la  Chambre  devait  dé- 
cider «  si  le  gouvernement  institué 
par  la  Charte  serait  une  apparence 
ou  une  réalité,  ■  et  prouva  très- 
bien  «  qu'en  essayant  de  créer  un 
corps  électoral  dépendant  et  subor- 
donné, le  projet  tendait  à  annuler 
la  Chambre  et  a  anéantir  la 
Charte.  »  La  commission  admettait 
le  nouveau  projet,  mais  en  main- 
tenant provisoirement  toutes  les 
di^posiiious  de  l'ordonnance  du 
i3  juillet,  et  en  interdisant  aux 
collèges  provisoirement  conservés 
toute  autre  élection  qu'une  élec- 
tion générale  nécessitée  par  la 
dissolution  de  la  Chambre.  Le  tra- 
vail de  ViUclesc  faisait  remarquer 
par  un  grand  nombre  de  considé- 


M2 


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rations  Judicieuses    et    élevées; 
nous  n*eu  extrairons  que  le  pas- 
sage suivant  qui  résumait  fidèle- 
ment la  situation  que  le  gouver- 
nement royal  faisait  k  la  France 
actuelle  :  «  La  France,  disait-il, 
vient  de  naître  pour  ses  institu- 
tions ;  toutes  sont  à  créer.  Seul 
au  centre  de  tant  de  ruines,  l'hé- 
ritier de  nos  rois  avait  deux  routes 
ouvertes  devant  lui  :  gouverner 
par  sa  pleine  puissance  ;  dix  ans 
d'asservissement  avaient  façonné 
laFranceàcejougJa  continuation 
du  même  système  n'eût  éprouvé 
peut-être  aucune  résistance;  créer 
autour  de  lui  de  nouvelles  institu- 
tions, donner  des  garanties  et  des 
droits  ik  tous  les  intérêts,  telle  fut 
la  roule  contraire  et  plus  sûre  que 
la  sagesse  et  la  bonté  du  roi  le  por- 
tèrent à  suivre.  »  La  discussion 
qui  s'ouvrit  le  lendemain  n'offrit 
qu'une  particularité  digne  de  re- 
marque. M.  de  Vaublanc,  porteur 
du  projet  de  loi  sur  le  renouvelle- 
ment partiel,  se   prononça,  à  la 
grande  surprise  de  ses  collègues, 
dans  le  sens  des  conclusions  du 
rapport,  conclusions  qui,  malgré 
l'opposition  de  M.  Decazes  et  de 
M.  Becquey,  commissaire  du  roi, 
réunirent  une  forte  majorité.  Cette 
volte-face  imprévue  faisait  pres- 
sentir dans  le  sein  du  conseil  une 
scission  qui  ne  tarda  pas,  en  effet, 
à  éclater.  La    résolution    de    la 
Chambre  déplut  vivement  au  roi, 
dont    elle    blessait    la    préroga- 
tive, et  lui  arracha,  dit-on,  la  pre- 
mière désiipprobalion    énergique 
qu'il  eût  fait  entendre  contre  l'es- 
prit de   la  majorité.  Un  résultat 
non  moins  regrettable  de  la  pré- 
cipitation du  parti  ultra-royaliste 
fut  de  créer  un  ardent  antagonisme 
entre  la  Chambre  et  M.  Laine,  ce 
serviteur  courageux  et  tidele   de 


la  monarchie  de  1814,    le   seul 
homme  peut-être  qui,  par  l'auto- 
rité de  sa  parole  et  de  son  dévoue- 
ment, eût  pu  conjurer  la  dissolu- 
tion dont  elle  était  déjà  menacée 
dans  un  certain  nombre  d'esprits. 
C'était  une  faute  que  ne  rachetait 
point  le   motif  de  cette  précipi- 
tation   inconsidérée.    Ce    motif, 
fondé  surla  défiance  qu'inspiraient 
à  la  droite  plusieurs  membres  du 
ministère,  était  de  subordonner  le 
vote  du  budget  à  l'adoption  d'une 
loi  qui  garantît  cette  fraction  de  la 
Chambre  contre  le  péril  d'un  renou- 
vellement partiel.  Mais  celte  tacti- 
que condamnable   échoua  devant 
l'intervention  personnelle  de  Mon- 
sieur (1),  qui  craignit  le  méconten- 
tement du  roi,  et  le  budget  fut  voté, 
comme  on  le  verra  plus  tard,  sans 
que  la  dernière  résolution  de   la 
Chambre  élective  eût  reçu  la  con- 
sécration légale.  La  discussion  de 
cette  importante  loi  fut^précédée 
d'un  rapport  dans  lequel  M.  Cor- 
bière proposait  de  rembourser  en 
rentes  5  p.  100  au  pair,  c'est-à-dire 
avec  une  banqueroute  de  40  p.  400, 
les  créanciers  de  la  Révolution  et 
de    l'Empire,   au   lieu    d'aliéner, 
comme  l'avait  demandé  le  ministre 
des  finances,  en  vertu  d'une  loi  du  23 
septembre  1814,  les  biens  restants 
du  clergé  et  des  communes.  Cette 
combinaison  infidèle  souleva  la  mi- 
norité de  la  Chambre  ;  mais  la  ma- 
jorité, dans  son  aveugle  esprit  de 
rancune    contre    les    fauteurs   du 
ÎO  mars,  se  prononça  en  faveur  du 
rapport,  et  le  cabinet,  après  d'in- 


(1)  Hist.  du  gouvern.  parlement. ^ 
etc.,  par  M.  Duvcrgier  de  Hauranne, 
tomo  III,  page  410.  — Histoire  de  la 
lieiitauration^  par  M.  de  Viel-Cablcl, 
tome  IV,  page  184. 


VIL 

fructueux  efforts,  n'eut  d'autre  res- 
source pour  masquer  son  échec  que 
le  retrait  de  la  loi  du  23  septembre, 
en  reculant  l'échéance  des  paye- 
ments, et  en  offrant  aux  créanciers 
de  l'Etat  un  intérêt  de  5  p.  <00.  Ce 
succès,  dont  le  côté  droit  ne  com- 
prit pas  d'abord  la  portée  (1),  et 
auquel  Villèle  prit  une  part  regret- 
table, fut  le  dernier  triomphe  de 
la  majorité  de  1815.  La  session  lé- 
gislative fut  close  le  2o  avril,  et 
Villèle  revint  le  14  mai  à  Toulouse, 
où  l'attendait  une  brillante  récep- 
tion;  la  garde  nationale  en  uni- 
forme et  une  partie  considérable  de 
la  population  se  portèrent  au  de- 
vant de  lui  ;  le  soir,  des  feux  de  joie 
furent  allumés  sur  plusieurs  piaces, 
et  les  théâtres  retentirent  de  cou- 
plets improvisés.  Quinze  jours  plus 
tard,  il  lut  conflrmé  définitivement 
dans  ses  fonctions  de  maire.  On  re- 
marqua avec  quelque  surprise  qu'il 
refusa  de  prendre  part  aux  travaux 
de  la  commission  chargée  de  pré- 
parer le  budget  pendant  l'intervalle 
des  deux  sessions.  Ce  refus,  inspiré, 
dit-on,  par  les  conseils  du  pavillon 
Marsan,  fit  sensation  sur  l'esprit  de 
Louis  XVIII;  mais  l'effet  en  dispa- 
rut bientôt  devant  la  grande  me- 
sure qui  allait  influer  si  puissam- 
ment sur  les  destinées  de  la  France 
et  de  l'Europe.  L'ordonnance  du 
6  septembre  prononça  la  dissolu- 
tion  de   la  Chambre,   et  déclara 
quaucun  article   de  la  Charte  ne 
serait  révise.   Cette    ordonnance, 
prétextée  surle  danger  d'un  système 
d'innovation  contraire  «  aux  vœux 
et  aux  besoins  »  des  populations, 
et  sur  la   nécessité  de  réduire  la 
Chambre  des  députés  au  nombre 


VIL 


M  3 


déterminé  par  le  pacte  constitu- 
tionnel, était  le  résultat  de   plu- 
sieurs mois  de  négociations  con- 
duites dans  un  profond  mystère  par 
M.  Decazes,  qui  en  avait  été  le  princi- 
pal promoteur,  avec  ses  collègues, 
avec  le  roi,  qui  ne  s'y  était  prêté 
qu'après  une  longue  résistance  (1), 
et  les  ministres  étrangers,  dont  les 
représentations    et  les    instances 
avaient  fortement  contribué  à  fixer 
ses  irrésolutions.  —  Quarante-cinq 
ans  écoulés  depuis  l'ordonnance  du 
5  septembre  permettent  d'apprécier 
cette  grave  détermination  avec  le 
double  avantage  d'une  expérience 
chèrement  acquise,  et  de  l'impar- 
tialité que  comporte  l'apaisement 
des  passions  qu'elle  avait  soulevées. 
Nous  n'avons  point  atténué  les  torts 
de  la  Chambre  de  1815.  Nous  n'a- 
vons dissimulé  ni  la  tendance  sub- 
versive  de  ses  procédés  envers  la 
couronne,  ni  les  obstacles  suscités, 
par  le  langage  irritant  de  ses  prin- 
cipaux orateurs,  à  l'esprit  de  con- 
ciliation que  le  gouvernement  royal 
s'efforçait  d'établir  entre  les  par- 
tis. Mais,  à   côté  de  ces    empor- 
tements qui  furent  généralement 
plus  individuels  que  collectifs,  cette 
Chambre  s'était  signalée,  de  l'aveu 
même  de  ses  plus  ardents  adver- 
saires,  par   quelques  inspirations 
estimables  dont  il  paraissait  juste 
de  lui  tenir  compte.  «  Formée  en 
grande  majorité,  dit  l'un  d'eux,  de 
propriétaires,  simples   contribua- 
bles, gens  passiounés  mais  probes, 
el  qui  apportaient  une  sorte  de  re- 
ligion dans  l'accomplissement  de 
leur  mandai  de   censeurs  des  dé- 
penses publiques,  sa  composition 


(1)  Hist.  du   gouvern.  parleTnent., 
tome  ni. 


(1)  Mémoires  de  M.  Guizot^  tome  i, 

Èagc  131.  Hist.  de  la  liestaur.,  par 
[.  de  Viel-Castd,  t.  v,  ch.  29. 


!i\li 


VIL 


exceptionnelle  imprima  à  ses  tra- 
vaux financiers  une  reclitude  et 
une  rigidité  qui  les  ont  fait  survivre 
même  à  la  chute  de  la  Restaura- 
tion (1).  »  M.  Duvergier  de  Hau- 
ranne  la  loue  hautement  «  d'avoir 
rompu  avec  les  traditions  de  la  ser- 
vilité impériale,  et  d'avoir  notable- 
ment contribué  à  raffermissement 
et  au  développement  du  système 
parlementaire.  (2)  »  «  Il  y  avait  dans 
cetteassemblée,adit  récemment  un 
homme  d'État,  grand  jurisconsulte, 
il  y  avait  de  l'inexpérience,  mais  des 
sentimenîs  d'un  ordre  élevé.  Ces 
cœurs  religieux,  monarchiques  et 
désintéressés  étaient  pleins  de  no- 
bles libres,  qu'il  fallait  savoir  metirn 
,en  mouvement.  Elles  auraient  ré- 
pondu au  tact  d'une  main  qui  leur 
eût  été  sympathique.  On  trouva  plus 
simple  de  dissoudre  cette  Chambre 
et  de  frapper  de  suspicion  les  mem- 
bres qui  en  composaienliamajorité. 
Ce  fut  un  malheur(3).  »  M.Guizot, 
après  s'être  associé  à  quelques-uns 
de  ces  éloges,  justifie  catégorique- 
ment la  Chambre  du  reproche  puéril 
d'avoir  travaillé  à  abolir  la  Charte 
et  à  rétablir  l'ancien  régime.  «C'é- 
tait surtout,  ajoute-t-il,  la  victoire 
qu'elle  voulait,  pour  l'orgueilleux 
plaisir  de  la  victoire  même,  pour 
l'affermissement  définitif  de  la  Res- 
tauration, pour  sa  propre  domina- 
lion  au  centre  de  l'État  p:ir  h',  gou- 
vernement, dans  chaque  localité 
par  l  administration  (4).  j»  Eu  re- 


(1)  Histoire  des  deux  liestauralions, 
par  Acii.  (le  Vaulabeile,tûme  iv,  p.  09. 

(2)  Jlist.  du  gouvern.  parlement., 
tome  iri,  page  420. 

(3)  A/.  Hyde  de  Neuville,  par  M.  de 
Vatimesnil,  Correspondant  du  25  juin 
1857. 

(4)  Mémoires  pour  servir  à  ihis- 
loiredemon  temps,  iomc  i,  page  114. 


VIL 

gard  de  cette  opinion  autorisée,  il 
convient  de  placer  le  témoignage 
auguste  de  Louis  XVIII  lui-même 
qui,  dans  une  occasion  solennelle, 
avait  qualifié  à.' introuvable  celte 
Chambre  «que  la  Providence,  ajou- 
tait -il,  s'était  plu  à  former  des 
éléments  les  plus  purs.  »  Enfin, 
voici  en  quels  termes  l'organe  alors 
le  plus  accrédité  du  pavillon  Mar- 
san formulait  le  programme  politi- 
que de  la  Chambre  de  1815,  dans 
un  mémoire  secrètement  adressé 
aux  ministres  des  principales  cours 
étiangères  :  *  La  Chambre,  disait 
M.  de  Viiîoiles ,  ne  veut  point  dé- 
truire la  Charte  (1),  mais  elle  veut 


(1)  Cette  thèse  capitale  était  accom- 
pagnée de  dévcloppci.Mcnts  énoncés 
(l'une  manière  si  précise  et  si  catégo- 
rique que  nous  croyons  devoir  en 
reproduire  un  fragmeni  étendu  :  «  Quelle 
violence  ne  faudrait-il  pas  pour  arra- 
cher aujourd'hui  à  la  France  les  con- 
cessions qu'elle  a  reçues  du  roi!  Elles 
ont  été  consacrées  par  les  puissances 
qui  le  replaçaient  .sur  le  trône,  par 
l'usage  qu  un  en  a  l'ait,  par  les  garan- 
ties qu'on  y  a  trouvées,  en(in,pa;*  leur 
adoption  jranclie  et  entière  de  la  part 
de  ceux  inôines  qui  y  étaient  le  moins 
préparés.  —  On  ne  pourrait  pas  réta- 
blir ce  qu'on  appelle  l'ancien  régime; 
tous  les  éléments  en  sont  brisés,  et  la 
poussière  même  en  est  dispersée.  Nous 
ne  retrouverions  pas  môme  le  fantôme 
de  ces  grands  corps  de  l'Etat  qui,  à  la 
fois  défenseurs  des  droits  de  la  cou- 
ronne et  des  privilèges  des  j)euples,  se 
balançaient  noblement  dans  le  cercle 
qui  leur  était  tracé,  et  gardiitissaient  à 
la  fois  les  libertés  de  la  nation  et  l'in- 
violabilité du  trône.  Ce  serait  donc  un 
despotisme  nu  et  hideux  qu'il  faudrait 
metire  a  U  place  de  ces  belles  cl  incom- 
parables institutions  des  temps  anciens  : 
un  despotisme  >ans  force,  sans  institu- 
tions, sans  garanties;  un  despotisme  tel 
que  la  France  ne  l'a  jamais  connu  et 
ne  pourrait  jamais  le  supporter;  un 
despotisme,  enlin,  qu'il  fauurail  main- 
tenir par  la  force  des  armes,  et  qui 
attacherait  a  la  léi^itimité  tous  les 
inconvénienls  et  tous  les  malheurs  de 


VIL 

que  la  Chambre  des  pairs  devienne 
la  source  d'une  noblesse  indépen- 
dante, que  le  clergé  soit  proprié- 
taire et  non  salarié,  que  des  as- 
semblées provinciales  règlent  les 
intérêts  locaux,  et  que  les  arts  et 
métiers  soient  soumis  à  une  incor- 
poration régulière  (1).»  De  telles 
conclusions,  il  faut  le  reconnaître, 
n'avaient  rien  de  bien  excessif,  et 
l'on  a  vu  que  les  torts  de  la  Chambre 
consistaient  surtout  en  un  senti- 
ment outré  de  sa  prérogative,  et  en 
certaines  tendances  plus  ou  moins 
arrêtées  vers  quelques-unes  des  ins- 
titutions secondaires  qui  apparte- 
naient au  régime  antérieur  à  1789. 
Ces  entreprises  n'étaient  pas  sérieu- 
sement à  craindre  dans  l'état  de  la 
société  moderne  ;  l'avènement  au 
pouvoir  des  chefs  de  la  majorité 
eût  suffi  pour  contenir  ses  préten- 
tions ultra-parlementaires,  et  il  est 
naturel  de  supposer  que  les  pas- 
sions qui  fermentaient  dans  son 
sein,  se  seraient  calmées  à  mesure 


l'usurpation...  Et  en  faveur  de  qui  pré- 
tendrait-on exécuter  une  pareille  sub- 
version ?  Ce  ne  serait  pas  dans  les  inté- 
rêts du  pays,  qui  ne  trouverait  plus 
dans  le  gouvernement  légitime  aucun 
gage  de  stabilité;  ce  ue  serait  pas  dans 
les  intérêts  de  l'Europe,  qui  s'engage- 
rait à  soutenir  par  la  force  le  gouver- 
nement qu'elle  aurait  imposé  par  la 
force;  ce  ne  serait  donc  que  dans  l'in- 
térêt de  quelques  noms  propres,  qui 
croiraient  ainsi  se  maintenir  plus  forte- 
ment au  pouvoir Il  restera  donc 

démontré  a  tout  esprit  judicieux  que 
le»  formes  constitutionnelles  sont  les 
mieux  adaptées  aux  circonstances  oii 
la  France  se  trouve  placée;  qu'elles 
conviennent  à  l'esprit  des  hommes  et 
des  temps,  quelles  sont  un  parti  rai- 
sonnable entre  les  institutions  ancien- 
nes, qu'on  ne  pourrait  rétablir,  et  les 
théories  de  la  révolution,  qu'il  est  si 
essentiel  de  détruire.  » 

(1j  Hist.  du  gouvern.   parleinent.^ 
tome  m. 


VIL 


415 


qu'on  s'éloignait  davantage  des  évé- 
nements qui  les  avaient  fait  naître. 
«  Le  flot  de  la  réaction  grondait 
toujours,  dit  M.  Guizot,  mais  il  ne 
montait  plus  (1).»  Mais,  en  politi- 
que surtout,  les  arguments  qui  re- 
posent sur  une  base  purement  hypo- 
thétique ne  peuvent  conduire  à 
aucune  démonstration  solide,  et 
c'est  surtout  par  son  caractère  et 
ses  conséquences  que  l'ordonnance 
du  5  septembre  veut  être  jugée. 
Or,  le  caractère  d'une  réprobation 
infligée  à  la  seule  Chambre  sincè- 
rement dévouée  aux  intérêts  re- 
ligieux et  monarchiques  que  la 
France  ait  librement  élue,  ne  pou- 
vait être  que  celui  d'un  appel  aux 
idées  révolutionnaires, et  l'on  com- 
prend quels  effets  devait  produire 
ce  haut  encouragement  dans  un  pays 
aussi  docile  que  le  nôtre  aux  im- 
pulsions du  pouvoir,  et  si  bien  pré- 
paie  d'ailleurs  à  accueillir  de  telles 
excitations  (2).  Dans  une  note  re- 
mise au  roi  peu  de  temps  avant  la 
dissolution,  M. Laine,  tourmenté  de 
justes  scrupules  sur  les  suites  de 
cette  mesure  extrême,  avait  proposé 
d'essayer  un  renouvellement  par- 
tiel de  la  Chambre,  en  n'y  appe- 
lant que  des  députés  de  quarante 
ans  (3).  Ce  plan  était  sage  et  n'en- 


(1)  Mémoires,  etc.,  t.  i,  p.  138. 

{'2)  Dans  la  notice  de  M.  de  Vati- 
mesnil  sur  M.  Hyde  de  Neuville,  que 
nous  avons  citée  plus  haut,  on  lit  la  re- 
marquable observation  qui  suit  :  c  S'il 
se  trouve  jamais  un  homme  laborieux 
qui  ait  la  patience  de  tirer  de  la  pous- 
sière des  grotles  et  de  dépouiller  les  pro- 
cès politiques  de  cette  époque,  il  acquerra 
la  conviction  que  ce  fut  à  dater  du 
5  septembre  1810  que  les  projeti  des 
ennemis  de  la  mouarchie  et  l'organisa- 
Lioii  des  sociétés  secrètes  prirent  de  la 
consistance.  >» 

^3)  Mémoires,  etc.,  par  M.  Guizot, 
tome  I.  M.  Guizot  reproduit  cedocimierit 
m  extenso. 


Aie 


VIL 


VIL 


gageait  que  dans  des  limites  dis- 
crètes l'avenir  politique  du  pays. 
Mais  il  ne  put  prévaloir  sur  les  ob- 
sessions persévérantes  du  conseiller 
intime  de  Lous  XVIII.  Nous  ne  fe- 
rons point  à  la  tombe  récemment 
fermée  de  ce  bienveillant  ministre 
l'injure  de  le  défendre  d'une  in- 
digne trahison  envers  le  monarque 
qui  l'honorait  de  sa  confiance.  Mais, 
nous  croyons  que  son  ambition  per- 
sonnelle et  son  patriotisme  (1)  l'ins- 
pirèrent mal  dans  cette  circonstance, 
et  qu'il  négligea,  par  une  précipita- 
tion inconsidérée,  l'occasion  su- 
prême, unique  peut-être  d'asseoir  le 
régime  de  la  Restauration  sur  une 
base  solide  par  l'alliance  à  jamais 
souhaitable  de  la  monarchie,  de  la 
religion  et  de  la  liberté.  L'ordon- 
nance du  5 septembre  encouragea  le 
développement  de  cet  esprit  démo- 
cratique qui,  dans  son  fatal  essor,  à 
peine  ralenti  par  six  ans  d'un  pou- 
voir afîaibli  et  contesté,  parcourant 
rapidement  tous  les  degrés  de  la 
licence,  après  avoir  expulsé  deux 
dynasties  royales ,  a  ébranlé ,  en 
4848,  tous  les  fondements  de  l'ordre 
public,  pour  aboutir  à  l'installation 
d'un  régime  sans  contrepoids  dans 
une  société  sans  croyances,  en 
laissant  TEurope  profondément 
troublée,  et  la  France  livrée  à  des 
divisions  plus  tranchées ,  plus  ar- 
dentes, plus  irréconciliables  que  ja- 
mais. —  L'esprit  de  l'ordonnance 
du  5  septembre  ne  tarda  pas  'd  se 
manifester  par  les  efforts  que  dé- 
ploya le  ministère  pour  écarter  les 
principaux  membres  de  la  majo- 
rité; mais  il  n'obtint  à  cet  égard, 
surtout  d;iiis  les  départements, 
qu'un  succès  partiel.  La  plupart 


(1)  Ibid.,  t.  I,  p.  \4S, 


des  chefs  de  la  Chambre  dissoute 
furent  réélus;  Villèle  et  les  trois 
autres  députés  de  la  Haute-Garonne 
étaient  du  nombre,  et  la  session 
s'ouvrit  le  4  novembre  en  présence 
d'un  groupe  fort  diminué  sans 
doute  (Villèle  n'avait  obtenu  que 
80  voix  pour  la  vice-présidence), 
mais  beaucoup  plus  compacte  et 
plus  homogène  que  le  parti  mi- 
nistériel. Celte  minorité  mécon- 
tente agita  un  moment  l'idée  d'an- 
nuler la  session  par  une  retraite 
collective  ;  elle  en  fut  détournée 
par  de  sages  conseils  auxquels 
Villèle,  devenu  le  chef  de  l'oppo- 
sition royaliste,  ne  demeura  pro- 
bablement pas  étranger.  On  voit 
par  la  correspondance  intime  qu'il 
eutrelenaii  alors  avec  sa  famille, 
combien  rexpéricncc  des  hommes 
et  des  choses  avait  modifié  ses 
premières  impressions:  «Je  ne  puis 
dire,  écrivait-il,  que  mon  parti  aime 
beaucoup  la  Charte,  dont  il  connaît 
les  imperfections  et  les  laïuines;  mais 
nous  nous  y  attachons  de  plus  en 
plus,  comme  au  seul  titre  qui  nous 
autorise  à  nous  occuper  des  inté- 
rêts de  notre  pays.  »  Ces  débris  de 
la  turbulente  assemblée  de  1815 
comprirent  bientôt  le  besoin  de  se 
réunir  pour  donner  plus  d'ensemble 
et  d'autorité  à  leurs  résolutions. 
M.  Piet,  l'un  d'eux,  leur  ouvrit  ses 
salons,  et  ce  fut  surtout  dans  ces 
réunions  préparatoires  que  l'illustre 
député  de  la  Haute-Garonne  et 
son  fidèle  ami  M.  Corbière,  réélu 
comme  lui,  acquirent  sur  leurs  col- 
lègues cet  ascendant  qu'ils  no  de- 
vaient perdre  que  dans  les  épreuves 
périlleuses  du  pouvoir.  Villèle 
commença  son  rôle  d'opposition 
en  attaquant  les  élections  du  Pas- 
de-Calais  comme  entachées  de  pres- 
sion ministérielle,  et  déposa  une 
lettre  du  préfet  de  ce  département 


VIL 

tjui  avait  engagé  les  électeurs  à 
repousser  tous  les  députés  «  de 
l'ancienne  majorité  opposée  au 
gouvernement.  »>  Ces  objections, 
qui  impliquaient  la  plupart  des 
dernières  opérations  électorales, 
tirent  naître  un  violent  tumulte  au 
sein  duquel  elles  expirèrent  sans 
succès.  Il  appuya  sans  plus  d'avan- 
tage la  pétition  de  la  dame  Robert, 
qui  se  plaignait  de  l'arrestation  de 
son  père  et  de  son  frère,  et  de  la 
suppression  d'un  journal  qu'ils 
avaient  fondé  pour  la  défense  des 
doctrines  monarchiques.  Mais  ces 
escarmouches  n'étaient  que  le  pré- 
lude de  l'agression  plus  sérieuse 
que  Villèle,  dans  la  séance  du  26 
décembre,  dirigea  contre  le  projet 
de  loi  électorale  présenté  par 
M.  Laine,  ministre  de  linlérieur, 
projet  qu'on  dut  considérer  comme 
le  premier  corollaire  de  la  nou- 
velle politique  du  cabinet.  Dans  ce 
projet,  qui  attribuait  le  droit  d'élec- 
tion ,  indistinctement,  à  tous  les 
censitaires  de  300  fr. ,  avec  le 
renouvellement  par  cinquième , 
M.  Roycr-Collard,  par  une  illusion 
étrange,  avait  vu  le  moyen  d'ex- 
tirper (f  ce  qui  restait  des  doctrines 
révolutionnaires.  »  Villèle,  qui  lui 
succéda  à  la  tribune,  avait  le  grand 
avantage  de  défendre  le  même  sys- 
tème électoral  qu'en  1816;  mais  il 
devait  craindre,  en  soutenant  les 
assemblées  primaires,  de  réveiller 
les  souvenirs  de  1792  et  de  1793, 
et,  en  se  déclarant  favorable  à  la 
grande  propriété ,  de  repousser 
l'appui  du  parti  libéral,  qui  en  re- 
doutait Tinfluence.  L'orateur  fran- 
chit assez  heureusement  ce  double 
écueil.  «  Pour  avoir,  dit-il  en  dé- 
butant, les  avantages  du  gouverne- 
ment représentatif,  il  faut  néces- 
sairement supporter  les  épines  de 
l'indépendance  des  élections  et  les 

LXXXV 


VIL 


417 


embarras  d'un  système  électoral 
plus  éiendu  que  celui  qu'on  vous 
propose.  ))  Après  avoir  reproché 
au  gouvernement  de  placer  trop 
haut  ou  trop  bas  la  limite  électo- 
rale, Villèle  insista  pour  l'élection 
à  deux  degrés,  avec  des  censitaires 
au-dessous  de  300  fr.  ;  le  choix  des 
électeurs  était  confié  à  tous  les 
hommes  qui  cherchaient  dans  le 
travail  ou  l'industrie  une  augmen- 
tation à  leur  modeste  aisance,  et 
qui,  par  conséquent,  devenaient 
des  auxiliaires  naturels  de  la  grande 
propriété.  Il  voulait  que  les  col- 
lèges fussent  réunis  par  sections 
dans  les  chefs-lieux  d'arrondisse- 
ment, au  lieu  d'être  convoqués 
intégralement  au  chef-lieu  du  dé- 
partement; enfin,  il  demanda  que 
les  préfets  et  les  commandants  mi- 
litaires ne  pussent  être  élus  dans  les 
départements  où  ils  exerçaient  leurs 
fonctions.  Cette  dernière  proposi- 
tion, qu'il  défendit  avec  beaucoup 
de  sens  et  d'énergie  contre  MM.  de 
Serre  et  Royer-Collard,  fut  plutôt 
ajournée  que  rejetée;  mais  tous  les 
autres  amendements  furent  écartés 
par  la  question  préalable.  Cepen- 
dant le  principe  de  l'élection  direct 
n'obtint  que  12  voix  de  majorité, 
et  la  loi  entière  ne  passa  à  la 
Chambre  des  pairs  qu'à  18  voix. 
Villèle  combattit  également  le 
projet  de  loi  sur  la  sûreté  générale 
et  celui  qui  étendait  les  attributions 
du  ministre  de  la  police  en  re- 
nouvellement des  dispositions  de 
la  loi  de  1815.  Il  établit  que  les 
motifs  de  la  loi  d'exception  du  29 
octobre  avaient  cessé  d'exister,  et 
invoqua,  à  l'appui  de  son  affirma- 
tion, les  paroles  mômes  du  ministre 
qui  proclamait  le  retour  do  l'ordre 
et  de  la  tranquillité  sur  tous  les 
points  du  royaume.  11  combattit 
aussi  le  projet  qui  assujettissait, 

27 


/il8 


VIL 


VIL 


jusqu'au  1"  janvier  18i8,  les  jour- 
naux à  ne  paraître  qu'avec  l'auto- 
risation du  roi,  et  dans  lequel  il  ne 
voyait  qu'un  accroissement  de  l'ar- 
bitraire ministériel  au  préjudice  de 
Tautorité  royale.  «  Si,  disait-il, 
le  gouvernement  représentatif  est 
notre  seul  refuge  contre  de  nou- 
Telles  révolutions  et  la  seule  garan- 
tie que  nous  puissions  avoir  contre 
les  abus  destructeurs  des  empires, 
maintenons  le  gouvernement  re- 
présentatif que  nous  a  donné  la 
Charte  en  lui  conservant  les  appuis 
qu'elle  a  reconnu  lui  être  né- 
cessaires, et  j'ai  pensé  que  la 
liberté  des  journaux  était  le  plus 

indispensable Garantissons  la 

société  des  dangers  de  la  licence 
des  journaux,  mais  ne  livrons  pas 
à  l'arbitraire  l'arme  utile  et  puis- 
sante dont  ils  sont  dépositaires, 
car,  pour  éviter  un  danger,  nous 
nous  précipiterions  dans  un  abime. » 
Mais  le  discouis  le  plus  remar- 
quable que  Villéle  prononça  dans 
la  session  de  1817  eut  lieu  à  pro- 
pos du  budget.  Dcins  ce  travail, 
qu'un  écrivain  a  appelé  ï Évangile 
financier  du  parti  royaliste  (i),  il 
offrit  un  tableau  malheureusement 
trop  fidèle  de  la  situation  obérée 
de  la  France;  et, rappelant  l'exem- 
ple de  Sully, qui  dans  de  >  conjonc- 
tures également  difliciles,  avait 
triomphé  par  l'économie  de  tous 
les  embarras  dont  on  était  assiégé  : 
«  C'est  k  la  Chambre,  ajoula-t-il, 
de  jouer  le  rôle  de  Sully,  en  défen- 
dant le  monar(iu<'  contre  l'impor- 
tunité  des  demandes  et  la  facilité 
de  les  accorder.  »  Puis,  examinant 
successivement  toutes  les  branches 
de  l'adminisiration   publique  ,   il , 


(1)  Hisl.  du  qouijern,  parletn.^  par 
iM.  DuTergier  de  Uauranne,  tome  iv. 


censura  les  Irailenients  sans  fonc- 
tions tels  que  ceux  des  ministres 
d'État,  signala  comme  inconstitu- 
tionnelle   l'existence    du    conseil 
d'État,  blâma  comme  insullisante 
la  dotation  du  clergé,  sans  épar- 
gner la  subvention  universitaire, 
attribuée,  disait-il,  à  un  corps  «  qui 
n'inspirait  aucune   confiance  aux 
pères  de  familles;  »  mais  il  s'éleva 
surtout  contre  l'excès  de  la  centra- 
lisation  administrative    et   contre 
l'abus  dispensions,  «devenues  de- 
puis la  Restauration  une  véritable 
plaie  de  l'État,  »  et  proposa  divers 
moyens  propres  à  réaliser  rexercice 
d'un  contrôle  sérieux  sur  les  dé- 
penses publiques.  Remontant  des 
effets  aux  causes,    Villèle  n'hésita 
point  à  rapporter  aux  développe- 
ments excessifs  du  système  impé- 
rial l'élévation  des  charges  dont  il 
provoquait  la  réduction  :  «  Notre 
domination  sur  l'Europe,  disait-il, 
a  fait  naître  au  milieu  de  nous,  non 
une  nation    nouvelle,    mais   une 
réunion  de  quelques  milliers  d'in- 
dividus pour  lesquels  les  spécula- 
tions   financières    et    politiques, 
l'habiiude  des  places  lucratives,  la 
nécessité  de  pourvoir  à  de  grandes 
dépenses  par  de   grands  profits  et 
de  forts  émoluments,  ont  fait  long- 
temps regarder  l'Europe  comme  un 
vaste  champ  d'exploitation,  et  de- 
puis,   les  revenus   de  la  France 
comme  son  patrimorne.  »  Ce  dis- 
cours  fort   éiendu  produisit  une 
vive  sensation  dans   la  Chambre 
qui  en  vola  unanimement  l'impres- 
sion. M.  de  Barante,  commissaire 
du  roi,  accepta  la  tâche  difficile  d'y 
répondre  le  lendemain  même,  et 
s'en  tira  avec  habileté.  11  opposa 
spirituellement  au  tableau  des  abus 
de  l'administration   moderne  l'es- 
quisse des  désordres  et  des  dilapi- 
dations de  l'ancien  régime,  et  dé- 


VIL 


VIL 


li\9 


montra  que  le  chiflre  des  économies 
réclamées  par  Torateur  était  au- 
dessous  même  de  celui  auquel  s'é- 
levaient les  réductions  proposées 
par    la    commission    du   budget. 
Villèle  ne  cessa  pendant  la  session 
de  prendre  une  part  active  à  la 
discussion   de  la  loi  de  finances; 
il  concourut  fortement  à  l'établis- 
sement de  la  commission  annuelle 
chargée  de  vérifier  la  conformité 
des   dépenses   publiques   avec   le 
texte    des    prescriptions   légales; 
mais  il  échoua  dans  tous  les  amen- 
dements qu'il  présenta.  Cette  insis- 
tance lui  attira  quelques  personna- 
lités, parmi  lesquelles  figurait  lira- 
putation  de  recevoir  un  traitement 
de  six  mille  francs  comme  maire 
d'une  ville  de  second  ordre.  L'op- 
position avait  mal  choisi  son  ter- 
rain. Villèle  convint  du  fait,  mais  il 
ajouta    qu'il    avait    constamment 
abandonné  cette  somme  à  son  pre- 
mier  adjoint  pour  être  distribuée 
aux  pauvres.  La  dette  extérieure, 
occasionnée   par   les   événements 
de  1815,  avait  été  fort  grossie  par 
les  créances  particulières  des  an- 
ciens pays  conquis,  créances  dont 
le  chiffre  s'était  trouvé  fort  supé- 
rieur à  ce  qu'on  attendait.  Pour 
fairo  face  Ji   ces  charges  exorbi- 
tantes, le  ministère  se  détermina  à 
conclure  avec  des  banquiers  étran- 
gers un  emprunt  de  30  millions  de 
rentes.  Informé  l'un  des  premiers 
de     cet  engagement,    jusqu'alors 
secret,  Villèle  le  dénonça  à  la  tri- 
bune  comme   onéreux  au  trésor 
royal;   il   établit  que  les  clauses 
auxquelles  il   était  consenti   e;re- 
vaient  l'État  d'un   intérêt  annuel 
de  10  pour  cent  avec  rembourse- 
ment d'un  capital  double,  et  de- 
manda que  la  Chambre  n'accordAt 
que  20  millions,  saus  augmenla- 
tiOQ  de  capital.  Mais  cet  amende- 


ment, combattu  par  M.  Laffitte, 
échoua  devant  une  inéluctable  né- 
cessité. La  Chambre  se  sépara  le 
26  mars,  après  l'adoption  du  bud- 
get, contre  laquelle  protestèrent  88 
voles  de  la  droite,  procédé  consti- 
tutionnel, mais  extrême,  et  qui  au* 
torisait  de  dangereuses  représailles 
envers   le   parti   qui    en   donnait 
l'exemple.  Villèle  retrouva  Tou- 
louse en  proie  -a  toutes  les  angoisses 
de  la  disette  que  l'insuffisance  des 
récoltes  de  1816  faisait  peser  sur 
la  population.  La  confiance  géné- 
rale,   qu'il    commandait   par  son 
zèle  et  son  désintéressement,  vint 
en  aide  à  ses  efforts.  Son  exemple 
détermina  tous  les  grands  proprié- 
taires du  département  h  mettre  à 
la  disposition  de  l'autorité  munici- 
pale, jusqu'il  la  prochaine  récolte, 
une  bonne  partie  de  la  précédente, 
et  d'en  faire  le  transport  aux  mar- 
chés de  la  ville,  à  mesure  qu'ils  en 
seraient  requis,  (i)  Cet  acte    de 
prévoyance   assura   l'approvision- 
nement  public   sans   occasionner 
aucun  sacriflcfi  au  département,  ni 
même    aucune  perte  notable  aux 
propriétaires  qui   y  prirent   part. 
—  Cependant,  l'ordonnance  du    3 
septembre    avait    divisé    le    parti 
royaliste,  jusqu'alors  si  puissant  et 
si  homogène,  saus  faire  cesser  les 
embarras   du   ministère.   Loin  de 
calmer  les  passions  politiques,  cet 
acte   n'avait  fait   que  les  exaspé- 
rer sur  plusieurs  points  du  royau- 
me,  et   notamment  ii  Lyon,  où 
le  sang  avait  coulé  pour  réprimer 
une  sédition  moitié  réelle,  moitié 
fomentée  par  l'un  des  dépositaires 
les  plus  considérables  du  pouvoir. 
Le"  renouvellement  partiel  de   la 


(l,  i\oticc  sur  M.  le  vomie  de  Vil- 
lèUt  par  M.  de  Neuville,  p.  40. 


420 


VIL 


Chambre  avait  renforcé  la  majorité 
ministérielle  ;  mais  la  réapparition 
sur  la  scène  politique  des  ennemis 
les  plus  déclarés  du  gouvernement 
royal,  tels  que  Lafayette,  Manuel, 
Benjamin  Constant,  révélait  sura- 
bondamment les  périls  attachés  à 
cette  loi  électorale  qui  avait  inau- 
guré avec  un  éclat  si  aventureux 
la  voie  ouverte  par  le  manifeste 
du  5  septembre.  «  Le  mouvement 
d'opinion   qui  s'était  produit  dans 
presque  tous  les  départements,  dit 
un    parlisau     très -prononcé    de 
cette  mesure,  montrait  quelle  in- 
fluence   exerçaient    les    ennemis 
de  la  Restauration ,  quelle  action 
leurs   comités,     leur   correspon- 
dance et  leurs  pamphlets  pouvaient 
avoir  sur  cette    classe    moyenne 
à  laquelle  on  avait  accordé  tant  de 
conflance  (1).  »  L'ordonnance  du 
13  novembre    1816,  qui   n'avait 
pas   craint  d'amnistier  la  lidélité 
des  compagnons  du  dernier    exil 
de  Louis  XVlII,  avait  blessé  le 
parti  monarchique  sans  exciter  la 
reconnaissance  du  parti  libéral.  Une 
disgrâce  éclatante  venait  de  frapper 
dans  M.  de  Chateaubriand,  l'organe 
le  plus  éloquent  et  le  plus  vindi- 
catif de  l'opposition  royaliste.  En 
échange  des  adversaires  implaca- 
bles qu'il  s'était  créés,  le  ministère 
n'avait  acquis  que  des  alliés  dou- 
teux, exigeants,  et  dénués  en  géné- 
ral de  ces  fermes  convictions  qui 
fortifient  puissamment  les  causes 
qui  savent  les  employer.  Sa  poli- 
tique, dépourvue  de  franchise   et 
d'unité,  commençait  Ji  se  résumer  à 
ce  vulgaire  système  de  basciUe  qui 
repousse  le  dévouement  sans  con- 
tenir l'esprit  de  faction.  Ce  fuldans 


VIL 

ces  tristes  conjonctures  que  se  rou- 
vrit la  session  législative.  M.  De- 
cazes  avait  essayé  sans  succès  d'in- 
troduire dans  le  discours  du  trône 
un  paragraphe  favorable  aux  liber- 
tés publques;  la  condescendance 
de  Louis  XVIII  ne  put  aller  jusque- 
là  (1).  Lors  de  la  discussion   de 
l'Adresse,  M.  Royer-Collard  pro- 
posa un  amendement  qui  renfer- 
mait un  éloge  indirect,  mais  vif  de 
la  loi  électorale;  Villèle  en   de- 
manda la  suppression,  en  promet- 
tant à  ce  prix  l'unanimité  des  votes 
de  son  parti.  M.  de  Serre,  qui  pré- 
sidait la  Chambre,  fit  adopter  l'a- 
mendement (2);  l'Adresse  ne  passa 
qu'à  une  faible  majorité.  Le  minis- 
tère présenta  bientôt  un  projet  de 
loi  restrictif  des  entraves  auxquelles 
la  presse  était  demeurée  soumise 
dans  l'état  actuel  de  la  législation. 
Moins  touché  de  ces  concessions 
secondaires  que  de  la  prolongation 
de   ces  mesures  exceptionnelles, 
Villèle,  dans  un  discours  fort  déve- 
loppé, combattit  (12  déc.)  la  pro- 
position ministérielle.  «  Dans  les 
circonstances  graves  où  se  trouve 
notre  pays,  il  n'est  pas  indifférent, 
dit-il,  que  des  hommes,  dont  les  in- 
tentions sont  pures  et  le  dévoue- 
ment à  la  cause  royale  connu,  vo- 
tent ici  pour  ou  contre  le  système 
politique  du  gouvernement...  Si  le 
système  est  conforme  aux  intérêts 
de  la  France  et  du  roi, notre  aveu- 
glement est  déplorable,  et    notre 
opposition  un  acte  de   folie.  Mais 
si  par  l'effet  de  ses  conséquences 
nécessaires  l'autorité  royale  s'af- 
faiblit, si   Ton  voit   chaque  jour 
augmenter    les  moyens  d'attaque 


(i)  La  Vie  politique  de  Royer-Col- 
lardf  par  M.  de  Barantc,  t.  i,  p.  333. 


(Ij   Hist.   du   (jouv.   parlem.,   par 
M.  Diiv.  de  Hauraùne^  tome  iv,  p.  238. 
(2)  Ibid. 


VIL 


VIL 


421 


dirigés  contre  elle  et  disperser 
ceux  qui  doivent  la  défendre,  nous 
ne  sommes  ni  aveugles  ni  insensés 
en  combattant  la  cause  de  ces  fu- 
nestes résultats.  Fidèles  à  la  France 
et  au  roi,  nous  devons  avertir  des 
dangers  de  la  route  dans  laquelle 
on  s'égare;  chaque  pas  en  avant 
doit  rencontrer  notre  opposition  ; 
elle  doit  exister  jusqu'à  l'abandon 
du  système  ou  jusqu'au  dénoue- 
ment fatal  que  nous  aurons  re- 
tardé de  tout  notre  pouvoir,  mais 
ffu'il  n'aura  pas  dépendu  de  nous 

d'épargner  au  pays Tenter  de 

substituer  l'arbitraire  au  règne  de  la 
Charte,  essayer  sous  les  Bourbons 
des  moyens  usés  sous  Bonaparte, 
c'est  méconnaître  à  la  fois  les 
Français  et  les  Bourbons.  La  France 
ne  peut  éviter  de  nouvelles  con- 
vulsions, le  trône  de  nouvelles  ca- 
tasirophes,  que  par  la  réunion  de 
tous  les  Français  autour  du  roi  lé- 
gitime. La  liberté  de  la  j)resse 
avec  une  forte  et  juste  répression 
de  ses  abus,  est  la  compagne  insé- 
parable de  la  liberté  nécessaire  à 
cette  tribune  dans  un  gouverne- 
ment représentatif.  L'immense  ma- 
jorité des  Français  veut  la  légiti- 
mité et  la  Charte,  dont  l'exécution 
formelle  et  complète  peut  seule 
calmer  toutes  les  méfiances,  réunir 
toutes  les  opinions  et  sauver  notre 
pays.  »  Celte  argumentation  con- 
quit à  l'opposition  une  imposante 
minorité  de  111  voix,  qui  rédui- 
sit à  onze  le  triomphe  ministé- 
riel. Ce  résultat,  joint  à  quelques 
apparences  de  rapprochement  en- 
tre les  royalistes  et  les  libéraux  de 
la  gauche,  donna  à  penser  au  mi- 
nistère, il  ouvrit  avec  les  chefs  du 
côté  droit  des  négociations  qui 
tendaient  à  aboutir,  quand  la  pré- 
sentation du  projet  de  loi  de  re- 
crutement fit  évanouir  tout  espoir 


de  conciliation  (1).  Villèle  attaqua 
ouvertement  Qanv.  i8<8),le  prin- 
cipe du  projet,  qui  lui  paraissaitbles- 
ser  l'égalité  légale,  et  dans  lequel 
il  trouvait  la  conscription  impériale 
déguisée  sous  d'autres  formes.  «  A- 
t-on,  dii-il,  assez  essayé  du  sys- 
tème des  enrôlements  pour  pro- 
noncer définitivement  sur  leur  in- 
suffisance ?  Si  la  défense  du  pays 
est  un  impôt,  on  n'est  en  droit  de  le 
faire  supporter  à  personne  en  dé- 
charge des  autres.  En  levant  cet 
impôt  en  nature,  un  homme  paie 
la  dette  de  cinquante,  ou  même  de 
cent,  qui  ne  paient  rien  du  tout,  et 
plus  la  durée  du  service  est  obligée, 
plus  longtemps  on  est  injuste...  Il 
y  a  quelque  chose  de  répugnant 
dans  ce  matérialisme  politique  qui 
considère  les  hommes  comme  une 
matière  imposable,  et  une  généra- 
tion brillante  de  jeunesse  et  de 
force  comme  une  coupe  de  boii 
livrée  à  la  cognée  du  bUicheron . 
Jadis,  Tenrôlement  forcé  ne  tom- 
bait guère  que  sur  la  classe  des 
artisans  qui,  ne  trouvant  plus  d'ou- 
vrage, trouvait  au  moins,  dans  la 
carrière  des  armes,  une  noble  res- 
source. La  conscription  tombera 
principalement  sur  la  population 
des  campagnes,  la  plus  nombreuse, 
mais  aussi  la  plus  utile,  sur  celle 
où  les  bras  manquent  toujours,  et 
où  la  guerre  a  fait  le  plus  de  ra- 
vages. »  Villèle  attaqua  avec  la 
même  énergie  la  disposition  du 
projet  qui  mutilait  la  prérogative 
royale  louchant  le  droit  d'avance- 
ment, et,  faisant  allusion  aux  né- 
gociationsébauchées  entre  lesroya- 
lisles  et  le  ministère,  il  déclara  que 
«  tout  rapprochement  fondé  sur  la 
violation  du  pacte  constitutionnel, 


(1)  Hist.  du  gouv.  parlcm.y  t.  iv. 


^22 


Ml 


perdrait  le  roi,  la  France  et  ceux 
qui  l'auraient  consenti.  »  Cette  dé- 
claration attira  à  l'orateur  et  ù 
ses  amis  une  réplique  violente 
de  M.  Courvoisier,  maiiislrat  alors 
inféodé  à  la  politique  ministé- 
rielle, et  qui  ne  craignit  pas  de 
siéger  quelques  années  plus  tard 
dans  un  conseil  composé  en  majo- 
rité de  ceux  mêmes  dont  il  blâ- 
mait si  amèrement  la  conduite. 
La  discussion  du  budget  de  1819, 
ramena  bientôt  (3  avril)  Villèle  à 
la  tribune.  Il  saisit  cette  nouvelle 
occasion  de  s'élever  contre  le  sys- 
tème de  la  centralisation  adminis- 
trative, cet  instrument  de  l'arbi- 
traire impérial  conservé  par  une 
étrange  contradiction  au  sein  d'un 
régime  constitutionnel;  il  insista 
avec  force  sur  le  rétablissement  des 
institutions  provinciales  et  munici- 
pales, dont  la  France  élaitseule  pri- 
vée entre  toutes  les  nations  de  l'Eu- 
rope.«Tant  qu'on  voudra  maintenir 
le  système  actuel,  ajouta  le  prophé- 
tique orateur,  il  faut  s'attendre 
à  rester  exposé  a  toutes  les  révo- 
lutions que  des  audacieux  pourront 
tenter  h  Paris;  car,  lorsque  rien 
ne  peut  se  faire  d'un  bout  de  la 
France  k  l'autre  que  d'après  la 
direction  et  les  ordres  de  Paris, 
la  faction  ou  l'usurpateur  qui  se 
rendent  maîtres  de  Paris  devien- 
nent, par  ce  seul  fait,  maîtres  de 
toute  la  France.  »  Il  vola,  quel- 
ques jours  après,  pour  la  suppres- 
sion des  fonds  secrets  de  la  police, 
«  comme  profondément  affecté, 
dit-il,  des  funestes  effets  sur  toutes 
les  |)arties  du  service  public  de 
l'influence  exjigérée  de  la  police  gé- 
nérale, 9  et  signala  son  action  dans 
la  plupart  des  procès  politiques 
portés  devant  les  tribunaux  de- 
puis l'afiaire  d<'s  patriotes  de  ISKJ; 
mais  il  signala  en  mAme  temps  le 


Vit 

danger  de  supprimer  un  ministère 
quelconque  en  refusant  les  fonds 
nécessaires  h  son  existence,  et  dé- 
clara que  le  retranchement  pro- 
posé ne  pouvait  être  «  qu'une 
transition  à  un  meilleur  ordre  de 
choses,  un  acte  plus  conforme  aux 
droits  de  la  Chambre  el  plus  res- 
pectueux pour  la  couronne.  »  Vil- 
lèle contribua  beaucoup  h  faire 
adopter  l'amendement  de  la  com- 
mission du  budget  qui  consacrait 
le  principe  capital  de  la  spécialité 
dans  les  dépenses,  «  moyen  de 
plus,  dit  un  historien  compétent, 
de  faire  respecter  ses  volontés  (1),  » 
et  ce  fut  sur  sa  propositon  formelle 
que  la  Chambre  imposa  aux  minis- 
tres l'obligation  de  soumettre  aux 
Chambres,  chaque  année,  le  compte 
des  exercices  antérieurs  pour  y 
être  approuvés  et  clos  par  une  loi. 
Cependant  la  scission  du  côté  droit 
avec  le  ministère  se  prononçait  de 
plus  en  plus.  Villèle  s'était  démis, 
au  mois  de  février  1818,  des  fonc- 
tions de  maire  de  Toulouse.  Quel- 
ques semaines  avant,  ^lonsieuravait 
fait  remettre  à  Louis  XVlll  une 
note  où  il  exprimait  ses  vives 
alarmes  sur  les  conséquences  du 
système  politique  suivi  par  le  cabi- 
net et  sur  les  progrès  mennçants 
des  doctrines  révolutionnaires  ; 
Louis  XVIII  avait  répondu  (29  jan- 
vier) par  une  lettre  habilement 
conçue,  mais  dans  laquelle  domi- 
nait la  conviction  d'avoir  agi  dans 
le  sens  le  plus  conforme  aux  inté- 
rêts de  la  France  et  de  la  royauté, 
et  le  ferme  dessein  de  persister  dans 
la  ligne  tracée  par  l'ordonnance 
du  5  septembre.  Ces  démarches  ne 
furent  que  le  prétexte  d'une  ten- 
tative moins  irréprochable  à  quel- 


(1)  Hist.  (ht  goHV.  parlcm,,  t.  iv. 


VIL 


V[L 


423 


ques  égards,  et  qui  a  défrayé  long- 
temps les  accusations  de  la  France 
libérale  contre  le  parii  ultra-roya- 
liste. Nous  voulons  parler  de  la 
Note  secrète  par  laquelle  Monsieur 
conjurait  (voyez  Vitrollis)  l'empe- 
reur Alexandre  de  profiter  de  la 
libération  du  territoire  français, 
dont  on  s'occupait  activement  alors 
juillet  1818  pour  persuader  le  roi 
de  modifier,  par  le  renvoi  de  son 
cabinet,  une  politique  si  ouverte- 
ment favorable  aux  intérêts  révo- 
lutionnaires. Le  parti  qui  n'avait 
obtenu  l'ordonnance  du  5  septem- 
bre que  par  l'intervention  vivement 
sollicitée  du  cabinet  russe  ne  pou- 
vait faire  un  grief  bien  sérieux  au 
pavillon  Marsan  d'avoir  provoqué 
une  semblable  médiation  ;  mais  il  y 
avait  dans  la  Note  aeci'cie  une  por- 
tée d'insinuation  évidemment  ré- 
préhensible  et  très-propre  à  irriter 
le  monarque  qui  attachait  un  si 
juste  intérêt  à  la  prompte  déli- 
vrance du  pays.  Hâtons-nous  tou- 
tefois d'ajouter  que  dans  ce  mé- 
moire, comme  dans  la  communica- 
tion qui  l'avait  précédé,  on  ne 
découvrait  aucune  arrière-pensée  de 
renversement  des  institutions  con- 
stitutionnelles :  circonstance  qui 
tirait  à  notre  avis  un  haut  degré 
d'importance  du  caractère  essen- 
tiellement confidentiel  de  ces  deux 
documents,  mais  qui  ne  sauva  pas 
Monsieur  de  sévères  représailles. 
Le  30  septembre,  une  ordonnance 
du  roi  enleva  à  ce  prince  le  com- 
mandement de  la  garde  nationale 
pour  le  déférer  à  l'autorité  civile, 
et  cette  mesure  extrême  acheva  de 
détruire  le  peu  de  concorde  qui  ré- 
gnait entre  les  doux  frères.  Cepen- 
dant, bien  qu'affaiblie  par  li's  alar- 
mes exagérées  dont  on  s'était  ap- 
pliqué à  l'eniourer,  la  Note  secrète 
n'avait  pas  laissé  de  faire  impres- 


sion sur  l'esprit  du  czar.  Quoi- 
qu'il eût  pris  une  part  généreuse 
et  active  à  l'affranchissement  du 
territoire,  ce  souverain  et  ses  alliés 
ne  dissimulèrent  pas  au  duc  de  Ri- 
chelieu qu'en  cas  de  nouvelles  ré- 
volutions, les  puissances  signataires 
du  traité  du  20  novembre  se  re- 
garderaient comme  liées  par  ses 
stipulations.  M.  de  Richelieu  rap- 
porta d'Aix-la-Chapelle  la  résolu- 
tion de  modifier  profondément  la 
loi  électorale,  dont  les  derniers 
produits  n'avaient  fait  que  confir- 
raerses appréhensions,  que  M.  Laine 
partageait  entièrement.  De  nou- 
veaux pourparlers  furent  entamés 
avec  les  honimes  influents  du  parti 
royaliste;  mais  leurs  prétentions, 
que  Villèle  s'était  en  vain  efforcé 
de  modérer,  parurent  excessives.  Ils 
demandaient  le  renvoi  immédiat  de 
M.  Decazes,  le  double  degré  d'é- 
lection et  le  rapport  des  disposi- 
tions relatives  à  l'avancement  mi- 
litaire. Il  fut  impossible  de  s'en- 
tendre, et  Louis  XVIII  ayant  déclaré 
en  plein  conseil  rintenlion  de 
«  planter  fermement  son  drapeau  sur 
l'ordonnance  du  5  septembre,  »  on 
ne  songea  plus  qu'à  de  nouvelles 
luttes.  Le  noble  duc  de  Rii  helieu, 
regardant  sa  mission  comme  ter- 
minée par  la  rentrée  de  la  France 
dans  le  concert  européen,  déposa 
sou  portefeuille  malgré  les  vives 
instances  du  roi,  et  fut  remplacé 
par  le  général  DessoUes  qui  ac- 
cepta de  plus  la  présidence  nomi- 
nale du  conseil,  dont  M.  Decazes, 
ministre  de  l'intérieur  par  la  re- 
traite de  .M.  Laine  et  la  suppres- 
sion du  ministère  de  la  police, 
d*^venait  le  véritable  chef.  Le  dé- 
parlement de  la  marine,  vacant  par 
l'éloignement  de  M.  Dubouchage, 
avait  éli'  proposé  h  Villole  ;  mais 
diverses  circonstances  fin-nt  t-va- 


IM 


VIL 


VIL 


nouir  cette  combinaison ,  que  n'a- 
vaient pas  vue  sansombrage  certains 
chefs  avancés  de  l'opinion  roya- 
liste, et  notamment  le  fougueux 
comte  de  LaBourdonnaye.  «  Il  fal- 
lait, suivant  lui,  faire  du  ministère 
la  conquête  commune  des  roya- 
listes, ou  rester  ensemble  dans  une 
opposition  qui  conserveraitla  pureté 
des  doctrines  (1).  »  La  session  s'é- 
tait ouverte,  le  19  décembre,  par 
un  discours  qui  se  ressentait  des 
oscillations  de  la  crise  ministé- 
rielle. Après  avoir  annoncé  avec 
un  légitime  orgueil  la  fin  de  l'oc- 
cupation étrangère,  le  roi,  dans 
une  phrase  fort  remarquée ,  y 
signalait,  avec  énergie  «  les  prin- 
cipes pernicieux  qui ,  sous  le 
masque  de  la  liberté,  attaquaient 
l'ordre  social,  conduisaient  par 
l'anarchie  au  pouvoir  absolu, 
et  dont  le  funeste  succès  avait 
coûté  au  monde  tant  de  sang  et  de 
larmes.  »  Cependant  l'esprit  gé- 
néral de  ce  manifeste  n'avait  pas 
paru  déplaire  au  parti  constitu- 
tionnel. La  session  ne  commença 
réellement  qu'à  la  tin  de  décembre, 
par  la  discussion  du  projet  de  loi 
qui  autorisait  la  perception  provi- 
soire des  six  premiers  douzièmes 
des  contributions  directes  sur  les 
rôles  de  1818,  et  l'ouverture  d'un 
crédit  de  200  millions  pour  les  be- 
soins du  service.  Un  des  orateurs 
les  plus  accrédités  de  la  gauche, 
Dupont  (de  l'Eure),  avait  proposé 
de  limiter  cette  autorisation  à  trois 
douzièmes.  Villèle  combattit  cet 
amendement  et  fil  remarquer  que, 
par  le  refus  de  la  loi,  on  porterait 
une  évidente  atteinte  à  la  plus  im- 
portante   prérogative   de    !a   cou- 


(1)  Ilial.  de  France  depuis  la  Res- 
taur,  par  M.  Lacretelle,  t.  ii,  chap.  13. 


ronne,  celle  de  la  dissolution  de  la 
Chambre,  puisque  dans  trois  jours 
expirait  le  terme  de  tout  impôt. 
Quelques  jours  plus  tard  (H  jan- 
vier), le  ministère,  comprenant  la 
nécessité  de  régulariser  une  posi- 
tion anormale,  soumit  à  la  Chambre 
un  nouveau  projet,  tendant  à  faire 
voter  dix-huit  mois  d'impôt,  seul 
moyen  d'épargner  aux  Chambres 
l'examen  précipité  de  la  loi  de 
finances,  ou  de  prévenir,  par  le 
refus  de  cette  loi ,  la  désorganisa- 
tion des  services  publics.  L'oppo- 
sition libérale  n'apporta  pas  d'obs- 
tacles à  cette  combinaison;  mais  le 
côté  droit  la  combattit  avec  force, 
et  Villèle  prononça,  à  cette  occa- 
sion, un  de  ses  plus  remarquables 
discours.  Il  fit  observer  que  la 
nécessité  du  provisoire  demandé  ré- 
sultait uniquement  de  ce  que  les 
Chambres  étaient  convoquées  trop 
tard  et  arriérées  d'une  session,  et 
réfuta  les  considérations  secon- 
daires invoquées  à  l'appui  de  cette 
manière  de  procéder,  pour  insister 
exclusivement  sur  les  inconvé- 
nients attachés  à  la  violation  fla- 
grante de  la  Charte,  dont  on  solli- 
citait la  consécration.  «  De  cette 
violation  de  la  règle  qu'on  demande 
aujourd'hui,  ajouta-t-il,  à  celle  qui 
assure  votre  liberté  individuelle,  à 
celle  qui  interdit  les  tribunaux 
d'exception,  q-ii  garantit  la  pro- 
priété, qui  abolit  la  confiscation, 
il  y  a  moins  de  distance  que  ne 
paraissent  le  prévoir  ceux  qui  la 
proposent...  Lorsque  Bonaparte, 
à  la  tête  de  quelques  soldats,  dit-il 
en  terminant,  vint  disperser  les  t 
membres  des  Conseils  d'alors,  ils  " 
invoquèrent  les  droits  qu'ils  te- 
naient de  la  constitution.  Il  leur 
répondit  :  «  Vous  l'avez  violée!  » 
Redoutez  pour  vous-mêmes  cette 
effrayante   réponse.    Kedoulez-la, 


VIL 


VIL 


425 


soit  que  notre  position  et  rotre 
aveuglement  vous  conduisent  à  voir 
encore  la  démagogie  triomphante 
vous  demander  le  renversement  du 
trône  et  la  dissolution  de  la  Chambre 
des  pairs,  soit  que  quelque  nou- 
veau soldat  tente  encore  de  faire 
consacrer  dans  cette  enceinte  la 
violation  du  principe,  saFutaire  et 
vital  pour  la  France,  de  la  légiti- 
mité !  »  La  Chambre  des  députés 
vota  la  loi  à  32  voix  de  majorité, 
mais  elle  fut  repoussée  par  la 
Chambre  des  pairs,  dont  l'opposi- 
tion se  signida  bientôt  avec  plus 
d'éclat  encore  par  la  prise  en 
considération  de  la  proposition 
faite  par  M.  Barthélémy  pour  mo- 
difier la  dernière  loi  électorale. 
La  résolution  de  la  Chambre  haute 
fut  portée  à  la  Chambre  élective 
au  commencement  de  mats,  peu  de 
Jours  après  que  le  ministère,  par 
une  promotion  nombreuse,  eut  en- 
trepris de  neutraliser  cette  majorité 
hostile.  La  discussion,  à  laquelle  Vil- 
lèle  ne  prit  qu'une  part  incidente, 
fut  aigrr!  et  passionnée.  La  loi  exis- 
tante fut  défendue  avec  chaleur 
par  les  dangereux  auxiliaires  que 
les  dernières  élections  avaient  pro- 
curés au  ministère,  avec  talent  par 
M.  de  Serre,  garde  des  sceaux,  au- 
quel il  ne  manipjait  qu'un  an  d'ex- 
périence pour  se  ranger  parmi  ses 
plus  éloquents  antagonistes,  et  la 
proposition  fut  repoussée  à  une 
forte  majorité.  Villèle  ne  participa 
point  aux  déb;Us  sur  les  lois  de  la 
presse  qui  furent  portées  à  la 
même  session,  mais  il  développa, 
sur  la  dette  flottante  de  l'Etat  et 
sur  le  dégrèvement,  les  doctrines 
qu'il  devait  pratiquer  plus  lard;  il 
établit  que  la  Chambre  pouvait 
employer  37  millions  d'excédant  à 
réduire  de  2,800,000  fr.  les  re- 
tenues    sur    les  traitements  ;    de 


4,740,000  fr.,  ou  37  cent,  la  con- 
tribution des  portes  et  fenêtres; 
qu'elle  pouvait  appliquer  0,900,000 
francs  de  dégrèvement  au  principal 
de  la  contribution  foncière  des 
départements  surchargés,  et  dimi- 
nuer de  il  millions  ou  10  centimes 
additionnels  la  charge  de  tous  les 
départements.  Mais  la  Chambre 
n'accorda  que  20  millions  de  dé- 
grèvement sur  les  contributions 
directes.  —  Cependant  la  position 
politique  se  tendait  de  plus  en  plus. 
Le  dernier  renouvellement  partiel 
de  la  Chambre  avait  fortifié  le  parti 
hostile  à  la  royauté  de  quelques 
noms  tristement  expressifs,  parmi 
lesquels  la  France  monarchique 
avait  eu  la  douleur  de  lire  celui 
de  Grégoire  (1).  L'industrie  révo- 
lutionnaire couvrait  le  royaume  de 
vastes  associations  qui ,  sous  des 
litres  plus  ou  moins  inoffensifs, 
préparaient  à  l'esprit  de  sédition 
de  formidables  instigateurs  :  le 
clergé,  de  son  côté,  s'elïorçait  de 
propager  les  démonstrations  reli- 
gieuses par  des  missionnaires  dont 
les  prédications  iiassionnées,  ac- 
cueillies avec  ff  rveur  par  une  partie 
de  la  population,  développaient, 
dans  l'autre,  un  sentiment  très-vif 
d'hostilité  et  d'irritation.  D'affli- 
geants désordres  avaient  éclaté 
sur  plusieurs  points  du  royaume, 
et  répandu  partout  le  trouble  et  l'a- 
gitation. Le  roi  se  fil  lui-même  l'in- 
terprète de  cette  situation  alarmante, 
lorsquen  ouvrant  la  session  légis- 


(Ij  L'élection  de  Grégoire  fut  détor- 
miiiéepar  lui  appoint  systématique  deii- 
viron  cent  voix  royalistes;  mais  rlle 
ivvait  été  très-prétiieditee,  très-calculée 
par  If  parti  révoliitioiiiiaire,  selon  les 
expressions  de  M.  Giii/.ot  [Mcm.,  t.  n\ 
dans  le  départ-ment  où  le  réj^im''  r'»yal 
comptait  Incontcstablenient  lopins  d'en- 
nemis. 


426 


ML 


VÏL 


lative,  le  29  novembre  4819,  il 
constata  «qu'une  inquiétude  vague, 
mais  réelle,  préoccupait  tous  les 
esprits,  et  que  chacun  demandait 
au  présent  des  gages  de  sa  durée.  » 
Neuf  jours  avant,  les  ministres, 
frappés  de  la  gravité  des  circons- 
tances, et  mus  par  les  représenta- 
tions pressantes  du  corps  diploma- 
tique (1),  s'étaient  décidés  enfin  à 
proposer  des  modifications  à  la  loi 
électorale  ;  par  suite  de  cette  dé- 
termination, MM,  Pasquier,  Roy  et 
de  Latour-Maubourg  avaient  pris 
place  dans  le  cabinet  reformé  sous 
la  présidence  de  M.  Decazes.  Ce 
remaniement  établit  bientôt  entre 
les  membres  modérés  de  la  droite 
et  le  centre  un  rapprochement,  par 
suite  duquel  Villcle  fut  élu  l'un 
des  vice-présidenls  de  la  Chambre. 
Le  projet  de  loi  pour  la  per- 
ception des  six  douzièmes  provi- 
soires fut  présenté  le  20  décembre, 
et  vivement  combattu  par  M.  de  La 
Bourdonnaye  et  par  les  royalistes 
exaltés,  qui  voulaient  à  tout  prix 
renvt^rser  M. Decazes;  mais  Villèle, 
appréhendant  par  dessus  tout  de 
jeter  le  ministère  dans  les  bras 
des  libéraux  (2}  au  moment  où  il 
semblait  incliner  vers  les  idées 
moniirchiques,  se  sépara  d'eux  et 
vota  pour  le  projet  de  loi,  qui 
réunit  une  forte  majorité.  —  Ce- 
pendant M.  Decazes,  tour  à  tour  en 
butte  aux  attaques  des  partis  extrê- 
mes de  la  Chambre,  mollement 
appuyé  par  les  centres ,  ne  se 
maintenait  au  pouvoir  que  par  la 
faveur  personnelle  du  roi.  Une 
catastrophe  k  jamais  fatale  préci- 
pita brusquement  la  ruine  du  sys- 


(1)  Vaiilabellc,  llisl.  des  deux  Res- 
tour.^  t.  IV,  p.  iî)". 

(2)  Nolicc  historique,  etc.,  i»ar  M.  lo 
comte  fie  Npuvillo,  p.  5.3. 


lème  politique  qu'il  suivait  depuis 
quatre  ans  avec  une  si  pernicieuse 
ténacité.  M.  le  duc  de  Berri  suc- 
comba, le  13  février,  sous  le  poi- 
gnard d'un  fanatique  égaré  dans 
l'irrésistible  débordement  des  pas- 
sions révolutionnaires.  Louvel  n'eut 
pas,  si  l'on  veut,  de  complices 
directs;  mais  il  eut  pour  instiga- 
teurs tous  ceux  qui,  à  des  degrés 
divers,  prêchaient  l'incompatibilité 
absolue  des  Bourbons  avec  l'exis- 
tence de  cette  société  nouvelle 
qu'ils  avaient  si  généreusement 
émancipée.  «  J'ai  vu  le  manche  du 
couteau,  écrivait  Charles  Nodier; 
c'est  une  idée  libérale!  »  Ce  ne  fut 
pas  sans  une  vive  résistance  que 
Louis  XVllI  sacrifia  son  favori  aux 
supplications  de  sa  famille  éplorée, 
k  l'inflexible  répulsion  des  roya- 
listes, etsurtoutau  refus  deconcours 
du  centre  gauche  de  la  Chambre  (1); 
mais  enfin  il  céda,  et,  le  20  février, 
un  nouveau  cabinet  se  constitua 
sous  la  présidence,  sans  portefeuille, 
duducde  Richelieu,  à  qui  Monsieur, 
avec  plus  de  sincérité  que  de  ré- 
flexion, promit  le  concours  des 
royalistes.  Devenu  depuis  long- 
temps, par  sa  prudence  et  son 
dévouement,  un  des  conseillers  les 
plus  rapprochés  du  prince,  Villèle 
s*«mpressa  de  faire  honneur  h  sa 
parole.  Il  entra  en  rapport  avec  le 
nouveau  chef  du  conseil,  dans 
l'intention  commune  d'amener  un 
rapprochement  complet  entre  le 
gouvernement  ,  la  droite  et  les 
centres,  afin  de  former,  pendant 
qu'il  était  temps  encore,  une  ma- 
jorité qui  arrêtât  l'envahissement 
de  la  Chambre  par  le  parti  libéral, 
en  modiliant  la  loi  électorale,  et  qui 


(1)  La  y'ie  politique  de  Royer-Col- 
lard,  par  M.  de  Barante,  tome  ii,  p.  4. 


VIÏ. 


VIL 


427 


accordai  au  cabinet  les  moyens 
nécessaires  pour  franchir  la  crise 
dans  laquelle  la  monarchie  se  trou- 
vait engagée  (i).  Il  fut  puissam- 
ment secondé  par  le  concours  fidèle 
de  M.  Corbière,  cet  inséparable 
compagnon  des  prospérités  et  des 
traverses  de  sa  vie  entière.  Villèle 
défendit  la  loi  suspensive  de  la 
liberté  individuelle  par  des  argu- 
Uients  tirés  de  la  Charte  môme 
qu'on  invoquait  contre  le  projet 
ministériel,  a  Le  despotisme  se 
prend  et  ne  se  demande  pas,  » 
dit-il  judicieusement  à  ceux  qui 
découvraient  dans  la  loi  proposée  le 
germe  sérieux  d'un  régime  de  ty- 
rannie (2\  Mais,  ce  qu'il  faut 
remarquer  surtout  dans  son  long 
et  substantiel  discours ,  c'est  la 
péroraison, où,  lépondant  aux  dé- 
clamations hypocrites  des  uns,  aux 
aveugles  appréhensions  des  autres, 
il  s'écriait  avec  une  clairvoyance 
prophétique  :  «  Malheureux  pays, 
qui  voit  reproduire  depuis  trente 
ans  les  mômes  sophismes ,  les 
mêmes  déclamations,  les  mêmes 
principes,  les  mêmes  doctrines 
subversives  de  tout  ordre  social, 
aniipaihiques  de  toute  liberté  pu- 
blique, avec  lesquels  on  l'a  trainé 
de  l'anarchie  au  despotisme,  avec 
lesquels  on  tente  encore  de  l'arra- 
cher à  la  véritable  liberté!  A  quelle 
époque  en  avez-vous  joui  comme 
aujourd'hui,  provocateurs  insensés, 
de  cette  liberté r/ue  voua  appelé::,  mm 
cesse  quand  vous  iavei,  et  qui  ne  vous 


(i)  Notice,  etc.,  page  îw. 

{-2)  Un  fait  utile  k  constater,  c'est  que 
1(1  loi  sur  la  liberlc  individuelle  ne 
donna  pas  li-u  à  une  seule  arreita- 
lioii  exira-judtciairc,  niêiiie  îiprès  les 
troub'es  de  juin.  Les  m  tins  ai  itHés  ne 
lurent  qur  laibleiuent  ponisuivis  et  lé- 
gfîreinonl  condamnes.  (//i.sL  de  la 
/<e«(<iur.,parM.  LacretelU',t.ii,  p.  433. 


trouve  plus  quand  vos  folies  nous 
l'ont  fait  perdre!  «  Ce  discours  pro- 
duisit une  vive  sensation.  Cepen- 
dant le  projet  ne  passa  qu'à  \9  voix 
de  majorité. — Villèle  prêta  bientôt 
son  appui  au  ministère  dans  une 
circonstance  plus  décisive  encore. 
Cinq  jours  avant  sa  chute,  le  io  fé- 
vrier, M.  Decazes  avait  présenté  à 
la  Chambre  un  projet  de  loi  d'élec- 
tion qui  affaiblissait,  sansle  détruire, 
le  principe  de  la  loi  de  1817.  Ce 
projet  fut  retiré,  et  deux  mois  plus 
tard,  le  17  avril,  M.  Siméon  lui  sou- 
mit une  nouvelle  proposition  qui 
consacrait  l'élection  à  deux  degrés  et 
limitait  la  faculté  d'élire  aux  dix  ou 
douze  mille  propriétaires  les  plus 
imposés  du  pays.  Cette  combinaison 
monarchique,  si  hardiment  substi- 
tuée à  l'économie  libérale  de  la 
législation  existante,  souleva  d'im- 
menses orages  au  sein  et  au  dehors 
de  la  Chambre.  Plusieurs  députés 
de  la  gauche  furent  insultés  et 
menacés  par  des  officiers  roya- 
listes déguisés;  le  parti  démocra- 
tique, de  son  côté,  visé  au  cœur 
dans  l'instrument  électoral  qui  avait 
rétabli  sa  prépondérance,  s'eflorça 
d'intimider  les  volontés  de  la  Cham- 
bre par  des  démonstrations  j)opu- 
laires  emprunlées  aux  plus  mauvai* 
jours  de  nos  fastes  révolutionnaires. 
Le  sang  coula  dans  quelques  enga- 
gements, et  l'on  put  craindre  un 
instant  qu'une  révolution  immi- 
nente ne  sortit  d'un  choc  inévitable. 
Mais  ces  tumultueuses  démonstra- 
tions exercèrent  sur  l'issue  de  la 
discussion  une  inlluence  contraire 
il  celle  qu'en  attendaient  les  insti- 
gateurs. Le  ministère  admit  une 
ti  ausaction  qui  laissait  intact  le  prin- 
cipe de  l'élection  directe  dans  les 
collèges  d'arrondissement  et  de 
département,  moyennant  l'exorbi- 
taute  conc*^ssion  d'un  double  vote 


'4  28 


VIL 


VIL 


aux  électeurs  de  la  seconde  caté- 
gorie. Cette  transaction  sauva  le 
projet  d'une  ruine  imminente;  l'ar- 
ticle qui  la  consacrait  ne  fut  adopté 
qu'îi  la  majorité  de  cinq  voix. 
Villèle  avait  défendu  avec  chaleur, 
dans  un  de  ses  discours  les  plus 
étendus,  la  combinaison  primitive, 
empruntée,  comme  on  l'a  vu,  au 
projet  présenté  par  lui  en  1815,  et 
rejeté  par  la  Chambre  des  pairs.  Il 
s'était  attaché  surtout  à  détruire 
l'argumentation  qui  consistait  à 
considérer  la  loi  du  5  février  comme 
tellement  inhérente  à  la  Charte, 
qu'il  fût  hors  des  pouvoirs  législa- 
tifs d'en  examiner  et  d'en  modifier 
les  dispositions;  puis,  examinant 
le  fond  du  système  des  adversaires 
du  projet,  il  en  avait  montré  le 
péril  dans  l'invocation  même  d'un 
ministère  composé  d'hommes  spé- 
ciaux pour  lutter  contre  les  obsta- 
cles qui  en  découlaient.  «  Je  suis 
trop  pénétré,  avait-il  dit,  de  la 
fécondité  de  la  loi  du  5  février  en 
fait  d'obstacles  à  la  marche  du 
gouvernement ,  pour  contester  la 
nécessité  d'hommes  supérieurs  à 
la  tête  d'une  administration  à  la- 
quelle serait  imposa'  son  maintien. 
Mais,  où  sont  donc  ces  homme» 
supérieurs  auxquels  nous  pourrions 
sans  danger  imposer  une  telle 
tâche?  J'avoue  que  je  ne  les  vois 
nulle  part,  et,  jusqu'à  ce  qu'ils  se 
montrent  à  nous,  précédés  de  ces 
signes  imposanls  auxquels  on  est 
heureux  de  les  reconnaître,  je  suis 
d'avis  que  nous  cherchions  à  mettre 
dans  nos  institutions  celle  pré- 
voyance, cette  sagesse,  celte  mo- 
dération qui  permet  aux  hommes 
de  tous  les  iem|>s  de  les  faire 
marcher  sans  ruine  as  développe- 
ment plus  énergique  qu'elle  reçoi- 
vent des  génies  dont  la  Providence 
est  sagement  avare Qu'on  ne 


croie  pas ,  dit-il  encore ,  pouvoir 
avec  succès  nous  détourner  de  U 
grande  question  que  nous  devons 
approfondir  en  lui  substituant  des 
considérations  passionnées,  en  rap- 
pelant des  institutions  abolies! 
C'est  une  institution  que  nous  cher- 
chons Ji  fonder,  et  non  un  privilège 
ou  une  arme  que  nous  ayons  l'in- 
tention d'accorder  à  une  classe  ou 
à  un  parti.  Nous  ne  voulons  })as, 
plus  que  vous,  ressusciter  une  aris- 
tocratie morte  depuis  plus  long- 
temps que  vous  ne  croyez peut-êlre; 
mais  vous  ne  devez  pas,  plus  que 
nous,  vous  refuser  à  l'application, 
dans  notre  mode  d'élection,  des 
principes  sur  lesquels  la  distribu- 
tion des  droits  politiques  a  été 
opérée  dans  tous  les  temps  et  dans 
tous  les  lieux.  L'arislocratie,  con- 
cluait l'orateur,  est  tout  à  fait 
étrangère  à  la  question  que  je  traite; 
c'est  un  épouvantait  avec  lequel  on 
peut  exciter  quelques  passions; 
mais  nous  ne  pouvons  nous  sup- 
poser, ni  les  uns  ni  les  autres,  assez 
simples  pour  y  croire.  Il  ne  s'agit  ici 
que  de  la  propriété  sans  privilège, 
telle  que  nous  la  possédons  tous, 
telle  que  tout  le  monde  peut  l'ac- 
quérir et  la  posséder.  »  Ces  judi- 
cieuses considérations  n'empêchè- 
rent point  Villèle  de  se  prêter  aux 
rapprochements  dont  l'amendement 
de  M.  Boin  fut  l'expression.  La  loi 
passa  îi  59  voix  de  majorité,  après 
vingt-sept  jours  d'un  débat  qui 
ava't  offert  celle  particularité  re- 
marquable, que  la  loi  du  5  février 
fut  attaquée  par  deux  de  ses  prin- 
cipaux promoteurs,  MM.  Laine  et 
de  Serre,  et  défendue  par  deux  des 
hommes  les  plus  signalés  pour 
leur  long  attachement  à  la  cause 
royile,  MM.  Royer-Collard  et  Ca- 
mille Jordan  :  trop  fidèle  expres- 
sion de  l'incertitude  et  de  la  con- 


VIL 


VIL 


l^29 


fusion  qui  régnaient  alors  dans 
les  meilleurs  esprits!  Celte  ora- 
geuse session  fut  pour  Villèle  le 
texte  (l'un  succès  personnel  que 
son  biographe  ne  saurait  passer 
sous  silence.  Une  circonstance  for- 
tuite l'avait  appelé  pendant  quatre 
jours  au  fauteuil  de  la  présidence, 
en  remplacement  de  M.  Ravez.  Les 
membres  de  la  Chambre,  et  parti- 
culièrement ceux  de  l'opposition, 
furent  frappés  des  qualités  qu'il 
déploya  dans  ce  court  exercice,  et 
surtout  de  Timpartialité  dont  il  y  fit 
preuve.  «  Vous  ne  sauriez  croire, 
écrivit-il  à  une  personne  de  sa  fa- 
mille, comme  mes  quatre  jours  de 
présidence  ont  réussi.  J'en  reçois 
des  compliments  de  tous  cùtés; 
mais  particulièrement,  je  l'avoue  à 
ma  honte,  du  côté  gauche,  que  je 
n'ai  pas  cependant  ménagé.  //* 
s'attendaient  sans  doute  à  être  man- 
gés tout  vifs  par  un  ultra...  Si  on 
nommait  un  président  maintenant, 
j'aurais  la  presque  totalité  des  voix 
de  la  Chambre...  Quant  à  moi,  il  ne 
me  coùie  rien  d'être  impartial;  je 
ne  vois  que  la  réussite  des  affaires 
dont  je  suis  chargé,  et  n'y  mets  pas 
la  moindre  passion  contre  les  indi- 
vidus ;  je  suis  né  pour  la  fin  des  ré- 
volutions (1).  »  Villèle  ne  prit  qu'une 
part  secondaire  à  la  discussion  du 
budget  de  1821.  Il  déclara  à  cette 
occasion  que  son  opinion  avait  d'a- 
bord été  favorable  à  la  spécialité 
des  crédits  financiers,  mais,  qu'a- 
près avoir  mùremeot  réfléchi  sur 
cette  grande  question,  il  avait 
abandonné  son  premier  sentiment, 
et  qu'il  n'admeltiit  pas  qu'une 
Chambre  pût  s'arroger  le  droit  de 
supprimer  telle  ou  telle  partie  du 
service  sans  usurper  une  attribution 


(1)  Notice  historique,  etc.,  f.  59. 


administrative  que  la  Charte  réser- 
vait au  roi  seul.  Ces  observations, 
appuyées  parle  ministre  des  finan- 
ces, ne  furent  pas  contredites.  Vil- 
lèle partit  avant  la  fin  de  la  session 
pour  séjourner  une  ou  deux  se- 
maines à  Bagnères  de  Luchon,  dont 
les  eaux  avaient  paru  nécessaires 
à  l'amélioration  de  sa  santé.  A  son 
passage  à  Toulouse,  il  reçut  un  ac- 
cueil dont  la  faveur  contrastait 
avec  les  démonstrations  injurieuses 
qui  saluèrent  le  retour  de  plusieurs 
de  ses  collègues.  Il  revint,  quelques 
jours  avant  l'ouverture  des  Cham- 
bres, dans  cette  capitale  agitée  où, 
pendant  son  absence,  le  sinistre 
complot  militaire  du  19  août  s'était 
croisé  avec  l'heureux  accouche- 
ment de  madame  la  duchesse  de 
Berri.  Les  élections  accomplies  sous 
l'impulsion  de  ce  grand  événement 
et  d'après  la  législation  nouvelle, 
avaient  considérablement  fortifié 
le  côté  droit  de  la  Chambre.  Des 
rapports  plus  multipliés  s'établirent 
entre  le  cabinet  et  les  chefs  de  ce 
parti.  Il  fut  d'abord  question  de 
démembrer  l'administration  du  tré- 
sor du  département  des  finances 
pour  la  confier  à  Villèle,  avec  le  rang 
et  le  titre  de  ministre  ;  mais  cette 
idée,  à  laquelle  il  se  montra  peu 
favorable,  n'eut  aucune  suite.  Une 
combinaison  postérieure  ouvrit  à  lui 
et  à  M.  Corbière  l'entrée  du  conseil 
avec  la  qualité  de  ministres  d'Etat; 
mais  eux  et  leurs  amis  furent  d'avis 
d'attendre  les  garanties  politiques 
promises  par  le  ministère,  et  ce  ne 
fut  que  le  surlendemain  du  discours 
du  lrône(2i décembre)  que  cesdeux 
persdimages  firent,  avec  M.  Laine, 
définitivement  partie  du  cabinet 
sous  le  titre  de  ministres  secrétaires 
d'Ltat  sans  portefeuille.  M.  Cor- 
bière, par  une  ordonnance  précé- 
dente, avait  été  placé  à  la  léie  du 


'i,S«i 


VII 


conseil  de  riiistrurlion  publlqui'. 
Villèle,  qui  n'avait  pas  de  fonctions 
à  remplir,  refusa  le  traitement  at- 
taché à  son  titre  (1  ). Désireux  de  faire 
cesser  cette  anomalie ,  le  duc  de 
Riclielieu  proposa,  quelques  jours 
plus  tard,  îi  Villèle,  de  former  îi  son 
intention  un  déparlement  spécial 
de  l'administration  de  la  guerre; 
mais  cette  offre  ne  |)Ul  être  ac- 
ceptée. La  position  incomplète  des 
deux  chefs  du  parti  royaliste  n'em- 
j)êchait  point  toutefois  Louis  XVIH 
de  leur  témoigner  de  grands  égards. 
Ce  prince  commençait  à  com- 
prendre qu'il  puiserait  dans  leurs 
conseils  et  leur  direction  la  véri- 
table force  de  son  gouvernement. 
Villèle  avait  eu  une  communication 
préalable  du  discours  royal ,  et 
M.  Decazes,  alors  ambassadeur  à 
Londres,  ayant  du  faire  à  cette  épo- 
([ue  un  voyage  à  Paris,  Louis  XVIII 
avait  eu  soin  de  rassurer  les  deux 
ministres  sur  les  conséquences 
politiques  de  ce  retour  momentané. 
Quoique  les  royalistes  eussent,  en 
général,  accueilli  l'avènement  de 
leurs  chefs  comme  un  gage  des 
bonnes  dispositions  du  cabinet,  la 
plupart  étaient  loin  de  lui  accorder 
une  confiance  absolue.  Sa  compo- 
sition leur  paraissait  peu  homo- 
gène, et  les  anciens  membres  de 
la  Chambre  de  1815,  ramenés  par 
la  loi  du  double  vote,  ne  voyaient 
point  sans  ombrage  dans  son  sein 
quelques-uns  des  promoteurs  de 
l'ordonnance  qui  les  avait  éliminés. 
Ces  sentiments  hostiles  éclatèrent 
lors  de  la  présentation  du  projet 
de  loi  des  six  douzièmes  provi- 
soires, et  le  général  Donnadicu  s'en 
rendit  l'organe  dans  un  discours 
auquel  Villèle  opposa  tme  réponse 


(I)  Notice,  etc.,  p.  9i. 


VIL 

qui  sembla  timide  et  circonspecte. 
Le  fougueux  général  renouvela 
ses  attaques  dans  la  discussion  de 
ia  loi  sur  les  comptes  de  1819; 
faisant  allusion  aux  mouvements 
révolutionnaires  dont  le  Piémont 
venait  d'être  le  théâtre,  il  accusa 
hautement  les  ministres  d'être 
les  premiers  provocateurs  de  ces 
explosions ,  et  s'étonna  qu'ils 
pussent  rester  au  timon  des  affaires 
au  milieu  des  orages  qu'ils  avaient 
suscités  par  une  politique  aussi 
malhabile  que  déloyale.  La  Cham- 
bre, toulefois,  refusa  l'impression 
de  cette  philippique,  à  laquelle 
Villèle  lit  une  réponse  pleine  de 
sens  et  de  modération.  Il  adjura  la 
Chambre  d'écarter  du  débat  tout 
ce  qui  se  rapportait  aux  divisions 
passées,  et  les  royalistes  de  ne  pas 
oublier  que  c'était  par  les  minis- 
tres actuels  qu'avait  été  présentée 
cette  loi  d'élection  qui  leur  don- 
nait la  majorité.  «  La  Révolution, 
continua  Villèle,  n'est  pas  encore 
vaincue,  elle  s'agite  toujours;  le 
parti  royaliste  doit  donc  rester  uni; 
ce  serait  une  honte  pour  lui  que 
de  se  débander  en  présence  du 
danger  commun.  »  Ce  discours  fut 
d'autant  plus  approuvé  qu'il  tran- 
chait avec  le  ton  hargneux  et  pas- 
sionné des  débats  qui  marquèrent 
cette  session ,  moins  féconde  que 
tumultueuse.  Le  parti  démocrati- 
que, fort  réduit  par  les  dernières 
élections,  sui)pléait  à  son  inTériorité 
numérique  par  l'audace  et  la 
véhémence  de  ses  invectives.  Leurs 
adversaires  ne  gardaient  guère  plus 
de  mesure,  et  l'enceinte  parle- 
mentaire devenait  une  arène  où 
se  croisaient  les  provocations  les 
plus  injurieuses,  les  plus  propres  à 
augmenter  l'irritation  générale  des 
esprits.  Quelques  jours  plus  tard, 
Villèle  ût  entendre   un   discours 


VIL 

remarquable  à  d'autres  litres  dans 
la  discussion  du  projet  de  loi  pré- 
senté pyr  le  ministère  pour  modi- 
fier, dans  l'iulérèt  de  l'iigricullure 
méridionaledela France,  le  tableau 
du  j)nx  des  gra-ns  annexé  à  la  loi 
du  10  juillet  1810.  Enfin  il  appuya 
la  demande  en  prorogation  de  la 
censure  des  feuilles  publiques  et 
déclara  à  cette  occasion  que  lui  et 
ses  amis  avaient  toujours  voulu  la 
liberté  des  journaux,  mais  avec  des 
garanties  suffisantes  pour  qu'elle 
ne  dégénérât  pas  en  licence,  comme 
sous  la  loi  de  1819.  Il  ajouta  que 
«  la  cen>ure  était  un  fardeau  pour 
les  ministres  »  et  que  ce  qui 
leur  convenait  le  mieux,  c'était 
«  une  loi  répressive  dont  l'exé- 
cution ,  confiée  aux  tribunaux, 
n'imposât  au  ministère  aucune  res- 
ponsabilité. »  Vivement  combattue 
par  les  trois  principaux  athlètes  de 
l'opposition  de  gauche,  MM.  Girar- 
din,  Manuel  et  de  Corcelles,  et  par 
plusieurs  orateurs  de  la  droite,  la 
loi  ne  passa  qu'au  prix  d'un  amen- 
dement qui  en  circonscrivait  la 
durée  et  imposait  aux  ministres  la 
présentation  prochaine  d'une  loi 
répressive.  Cet  amendement  avait 
été  vote  par  le  concours  des  deux 
partis  extrêmes  de  la  Chambre, 
prélude  d'un  accord  qui  devait  être 
funeste  au  cabinet.  1/altitude  des 
conseillers  delà  couronne  s'effaçait 
de  plus  en  plus  sous  les  coups  de 
la  majorité  et  des  incriminations 
croisées  auxquelles  ils  se  Irou- 
yaient  en  butte.  Le  puni  royaliste 
pur,  faiblement  représenté  parmi 
eux  par  deux  ministres  inpartibus, 
cessait  de  faire  honneur  à  la  parole 
de  Monsieur  et  leur  rtliraii  insen- 
siblement son  appui.  Celle  impuis- 
sance gouvernementale  ranimait  le 
courage  des  révolutionnains,  dé- 
routés par  le  résultat  des  dernières 


VIL 


m 


élections.  Partout  se  formaient  des 
luttes  ou  s'organisaient  des  com- 
plots contre  les  gouvernements 
établis,  et  ces  entreprises  conqué- 
raient des  adhérents  jusque  parmi 
les  députés,  les  officiers  généraux, 
les  magistrats,  que  poursuivait  le 
fantôme  d'une  contre-révolution 
impossible  dans  l'état  de  la  société. 
Le  duc  de  Richelieu  voulut  remé- 
dier à  cette  situation  grave  en  for- 
tifiant le  parti  monarchique,  et  il 
offrit  le  portefeuille  de  la  marine  à 
Villèle,  qui  refusa.  De  nouvelles 
négociations  eurent  lieu  pour  faire 
entrer  au  conseil  le  duc  de  Bel- 
lune  comme  ministre  de  la  guerre; 
mais  ces  négociations  n'ayant  point 
abouti,  les  trois  minisires  sans 
portefeuille  se  démirent  de  leur 
litre,  malgré  les  instances  de 
Louis  XVIIl,  et  Villèle  revint  à 
Toulouse.  Il  y  présida,  comme 
l'année  précédenle,  le  collège  dé- 
partemental, après  avoir  été  réélu 
par  celui  de  Viilefranche,  et  défera 
aux  instances  du  duc  de  Richelieu 
en  se  rendant  ii  Paris,  où  il  trouva 
ses  amis  de  plus  en  plus  indisposés 
contre  le  ministère.  Quelques 
députés  do  l'extrême  droite  prê- 
chaient la  nécessité  d'une  opposi- 
tion générale  et  systématique;  Vil- 
lèle inclinait  au  contraire  pour 
qu'on  évitât  les  questions  person- 
nelles et  qu'on  s'abstint  de  repous- 
ser l«is  propositions  sages  et  utiles, 
en  gardant  une  attitude  de  surveil- 
lance et  d'expectative.  Mais,  soit 
que  ces  ménagements  parussent  en 
arrièrii  du  courant  des  esprits,  soit 
qu'au  fond  Villèle  eût  peu  d'intérêt 
à  les  faire  prévaloir,  ils  ne  furent 
point  écoutes,  et  la  question  minis- 
térielle s'engagea  vivement  aussi- 
tôt après  la  constitution  du  bureau 
de  la  Ch<4mbre,  où  Villèle  réunit  133 
voix  pour  la  présidence.  Le  j)rojel 


432 


VIL 


VIL 


d'Adresse  en  réponse  au  discours 
du  trône,  rédigé  par  M.  Delalot, 
renfermait,  k  l'occasion  des  rapports 
extérieurs  de  la  France,  une  insi- 
nuation pertide  et  désobligeante; 
on  crut  y  découvrir  de  plus  une 
allusion  injurieuse  à  la  condescen- 
dance reprochée  au  duc  de  Riche- 
lieu par  rapport  à  l'importation 
des  blés  d'Odessa  dans  le  midi  de 
la  France.  La  première  de  ces  in- 
culpations fut  soutenue  avec  vigueur 
par  MM.  Delalot,  de  Gastelbajac  et 
de  La  Bourdonnaye,  et  par  plu- 
sieurs orateurs  du  côté  gauche. 
Villèle ,  qui  avait  refusé  d'entrer 
dans  la  commission  de  l'Adresse, 
blâma  ouvertementlestermes  de  ce 
document;  mais  il  ne  prit  aucune 
part  au  débat,  qui  se  termina  par 
le  maintien  du  paragraphe  à  une 
très-faible  majorité.  Consterné  de 
ce  revers,  le  ministère  reprit  quel- 
que courage  par  la  réponse  ferme 
et  digne  de  Louis  XVIII,  et  il  ne 
laissa  pas  de  venir  solliciter  de  la 
Chambre  un  >ote  de  confiance  en 
demandant  pour  cinq  ans  la  pro- 
longation de  la  censure  des  jour- 
naux. Cette  proposition  intempes- 
tive, à  laquelle  il  joignit  un  projet 
de  loi  sévèrement  répressif  des 
délits  de  la  presse,  fut  le  signal  du 
déchaînement  des  deux  partis  coa- 
lisés. MM.  Donnadieu,  Delalot,  de 
La  Bourdonnaye,  de  Gastelbajac,  de 
Chauselin,  B.  Constant  renouvelè- 
rent leurs  attaques  contre  le  cabinet, 
dont  la  situation  devint  bientôt  in- 
tolérable. Le  43  décembre,  Villèle 
et  Corbière  furent  mandés  chez 
Monsieur,  et  ce  fut  de  la  bouche 
même  de  ce  prince  qu'ils  apprirent 
que  le  ministère,  après  avoir  vaine- 
ment sollicité  la  dissolution  de  la 
Chambre,  venait  de  se  retirer  en 
masse,  et  que  le  roi  les  attendait 
pour  les  charger  de  la  formation 


d'un  nouveau  cabinet.  Les  d.^ux 
chefs  royalistes  se  rendirent  immé- 
diatement aux  Tuileries  ;  ils  com- 
battirent l'idée  émise  par  le  roi  de 
confier  la  présidence  du  conseil  au 
duc  de  Blacas,  et  parlèrent  d'y 
maintenir  le  duc  de  Richelieu  ;  il 
fut  question  de  conserver  le  comte 
Roy  à  la  tête  des  finances,  en  ap|)e- 
lant  Corbière  à  la  justice  et  Villèle 
à  l'intérieur.  Mais  Louis  XVIII  lui- 
môme  ayant  déclaré  que  ni  M.  Roy, 
ni  M.  de  Richelieu,  ni  M.  de  Serre 
ne  consentaient  à  faire  partie  de 
la  nouvelle  administration,  Villèle 
accepta  le  portefeuille  des  finances 
et  son  ami  celui  de  l'intérieur; 
M.  de  Peyronnet,  qui  avait  récem- 
ment signalé  son  zèle  dans  les 
fonctions  de  procureur  général 
près  la  Cour  des  pairs,  fut  appelé 
à  la  justice;  M.  Mathieu  de  Mont- 
morency aux  affaires  étrangères,  le 
duc  de  Bellune  à  la  guerre,  et 
M.  de  Clermont- Tonnerre  à  la 
marine. — A  part  l'immoralité  de  la 
coalition  parlementaire  qui  avait 
renversé  le  cabinet,  coalition  à 
laquelle  Villèle,  comme  on  l'a  vu, 
n'avait  pris  aucune  part,  l'avéne- 
ment  du  chef  de  la  droite  n'était 
pas  seulement  une  conséquence 
du  mécanisme  constitutionnel  :  il 
était  de  plus  dans  la  logique  de  la 
situation.  Il  appartenait  à  l'homme 
qui  depuis  sept  ans  dirii^eait  son 
parti  avec  tant  de  modération  et  de 
sûreté,  de  le  représenter  dans  la 
combinaison  qui,  pour  la  première 
fois  depuis  1815,  le  portail  au  pou- 
voir. Etranger  aux  passions  et  aux 
intrigues  qui  avaient  préparé  la 
chute  du  ministère  de  Richelieu, 
Villèle  entrait  aux  affaires  par  le 
seul  ascendant  de  sa  bonne  re- 
nommée et  sans  blesser  le  roi 
qu'avait  offensé  le  manifeste  parle- 
mentaire. Mais  il  y  entrait  dans 


VIL 


VIL 


633 


des  circonstances  dont  les  diffi- 
cullés  ne  pouvaient  échapper  à  la 
pénétration  deson  esprit.  Enhardie 
par  une  longue  tolérance,  l'oppo- 
sition avait  pu  organiser  avec  soin 
ses  moyens   de  résistance  et    au 
besoin  d'agression,  et  ses  princi- 
paux chefs  ne  faisaient  plus  mys- 
tère du  dessein  de  détruire,  soit 
par  les  voies  parlementaires,  soit 
par  la  voie  des  complots,  l'ordre 
monarchique   restauré    en    18<4. 
Le  parti  libéral  avait  repris  son  vé- 
ritable caractère,  et  substituait  à 
l'hypocrisie  du  langage  cette  rude 
franchise  des  factions  qui  marchent 
ouvertement    au   but   qu'elles  se 
croient  sûres  d'atteindre.  L'esprit 
public,  perverti  graduellement  par 
le  travail  incessant  de  cette  presse 
que  les  Bourbons  avaient  éman- 
cipée, prêtait  à  ces  tendances  sub- 
versives, par  son  indifférence  ou  ses 
sympathies,  des  encouragements 
qu'il  lui  a  continués  depuis  sous 
d'autres  noms    et   sous    d'autres 
régimes.  A  ce  formidable  système 
d'hostilité,  la  Restauration  oppo- 
sait l'action  d'un  parti  affaibli  par 
ses  luttes  contre  l'esprit    révolu- 
tionnaire et  par  ses  propres  divi- 
sions, mis  au  ban  de  1  opinion  do- 
minante    par     le    gouvernement 
même  dont  il  s'était  constitué  le 
défenseur,  et  que  l'industrie  de  ses 
ennemis,  l'exagération  de  ses  auxi- 
liaires et  jusque  la  sincérité  dt;  son 
principe    avaient    marqué    d'une 
défaveur  que  le  temps  et  l'expé- 
rience ont  atténuée  sans  l'affacer. 
C'est  dans  de  telles  conditions  que 
le  parti  royaliste  pur  reprenait  les 
rênes  du  pouvoir  avec  l'appui  pré- 
caire  d'un  roi   i)his   faii^'ué    que 
convaincu,  trop  éploré  encore  du 
sacrifice  de  son  favori  pour  ne  pas 
regretter  un  peu  le  rt'jjime  aucjuel 
ils'étîiildôvoué,  et^ous  lesau^pices 

LXXXV 


d'un  prince  frappé  d'une  longue  et 
incurable  impopularité.  Qu'on  joi- 
gne à  ces  obstacles  ceux  qui  déri- 
Taientde  la  situation  profondément 
troublée  de  l'Europe  méridionale, 
et  l'on  appréciera  la  somme  de^ 
désavantages  que  la  nouvelle  ad- 
ministration avait  à  surmonter  pour 
s'établir    régulièrement    dans     le 
pays.  Le  premier  soin  du  ministère 
fut  de  s'entourer  d'hommes  choisis 
dans  la  nuance  modérée  du  parti 
royaliste.  Deux  nominations  seu- 
lement présentèrent  une  significa- 
tion plus  marquée  :  ce  furent,  aux 
plus  hautes  fondions  de  la  police, 
MM.Franchet  et Delareau,  signalés 
à   la  prévention  publique   comme 
affiliés  à  ce  qu'on  nommait  alors  le 
parti  de  la  congrégation.  La  plu- 
part des    auxiliaires    du  cabinet 
précédent,  tels  que  MM.  Portails, 
Mounier  etRayneval,  conservèrent 
des  positions   analogues  à  celles 
qu'ils  occupaient;  M.  de  Serre  fut 
nommé  ambassadeur  à  Naples,  sur 
les  instances  personnelles  de  Vil- 
lèle,   et  le  vicomte   de   Chateau- 
briand remplaça  le    duo   Decaies 
dans  l'ambassade  de  Londres.  Un 
des  premiers  projets  de  loi  présen- 
tés par  le  cabinet  eut  pour  objet  la 
police  de  la  presse  périodique  ;  la 
censure,  tant  décriée  par  le  parti 
libéral,   y   était  supprimée    et  ne 
pouvait  être  rétablie  dans  l'inter- 
valle des  sessions,  en  cas  de  cir- 
constances graves,   que  par  une 
ordonnance  royale    contre-signée 
de    trois    minislrts  ;   mais   aucun 
journal  ne    pouvait    paraître  sans 
l'autorisation  du  roi,  et,  dans  le  cas 
où    la    tendance     d'esprit    d'une 
fe'.iille  périodique  paraîtrait  dange- 
reuse  à   l'ordre    public,  la   cour 
royale  ,   en  audience    solennelle, 
avait  le  droit   d'en   prononcer  la 
suipension  cl  môme    ullerieure- 

28 


h3i 


VIL 


VIL 


ment  iai  suppression.   Un  second 
projet,  relatif  à  la  répression  des 
délits  de  la  presse,  augmentait   la 
mesure  des  peines  édictées  par  la 
loi  de  1819,  en  étendant  la  défini- 
tion des  faits  incriminés,  retran- 
chait i'épithète  de  constitutionnelle 
attachée  par  cette  loi  à  l'autorité 
du  roi,  attribuait  aux  Chambres  le 
pouvoir    exorbitant    de   réprimer 
les  offenses  qui  leur  seraient  adres- 
sées, et  saisissait  la  magistrature 
exclusivement  au  jury   de   toutes 
les  infractions  qui  y  étaient  pré- 
vues. Dans  le  débat  du  premier  de 
ces  projets,  Villèle  repoussa  l'ac- 
cusation banale  de  sacrifier  cette 
liberté  de  la  presse,  qu'il  avait  si 
chaudement  défendue  contre  la  loi 
de  1817,  en  signalant  Téconomie 
différente  des  deux  combinaisons. 
Ses  efforts  tendirent  surtout  à  mo- 
tiver la  disposition  nouvelle   qui 
attribuait  à  la  magistrature  le  pou- 
voir de  sévir  contre  les  journaux 
signalés  par   la  tendance  dange- 
reuse de  leur  esprit  ;  cette  iiiflic- 
tion  exorbitante  ne  s'adressait  point 
à  un  ou  plusieurs  articles  isolés  ou 
particuliers,  mais  à  un  ensemble 
de   faits  appréciables;  elle  n'était 
point  dévolue  au  jury  qui,  composé 
temporairement  par  l'autorité,  n'of- 
frait que  des  garanties  illusoires, 
mais  à  un  corps  grave,  permanent, 
inamovible,  constitué  dans  toutes 
les  conditions  d'impartialité  dési- 
rables. Cependant  le  ministre  con- 
cluait que,  par  une  conséquence 
logique  de  nos  institutions  repré- 
sentatives,  la  juridiction  du  jury 
deviendrait  un  jour  la  compétence 
naturelle  des  procès  de  la  presse; 
mais  ce  progrès  ne  pouvait  se  réa- 
liser du  premier  coup;  l'Angleterre 
n'en  availconquislapléniiu(l<î  ([u'en 
1796,  bien  qu'elle  fût  déjà,  depuis 
de  longues  années,  en  possession 


du  régime  parlementaire.  La  Cham- 
bre discuta  ensuite  le  projet  répres- 
sif, que  le  parti  libéral,  dans  l'excès 
d'une  sollicitude  à  laquelle  il  ne  fut 
pas  toujours  fidèle,  signalait  comme 
la  confiscation  de  la  presse.  Villèle 
déclara  qu'il  avait  regretté  la  ra- 
diation du  mot  consiilulionneUe  ap- 
pliqué à  l'autorité  du  roi,  mais  qu'il 
avait  dû  céder  devant  la  crainte 
d'exposer  à  l'impunité,  par  un  sub- 
terfuge, les  offenses  adressées  au 
pouvoir  royal  préexistant  à  l'octroi 
de  la  Charte  constitutionnelle.  At- 
taqué personnellement  dans  le  cours 
du  débat  pour  s'être  prononcé,  en 
181 4.,  en  faveur  d'une  restauration 
pure  et  simple  et  sans  condition,  il 
se  justifia  de  ce  reprochiî  par  la 
date  de  la  délibération  du  conseil 
général  qui  avait  accueilli  son  opi- 
nion,   et  qui  portait  un  jour  de 
moins  que  la  célèbre  déclaration 
de  Saint-Ouen,  ce  berceau  du  pacte 
constitutionnel.  Les  deux  projets 
passèrent  à  une  faible  majorité, 
mais  I'épithète  litigieuse  fut  réta- 
blie dans  le  second  par  la  voie 
d'un  amendement  auquel  le  minis- 
tère donna  son  adhésion.  La  dis- 
cussion du  budget  de  1822,  présenté 
par  le  dernier  cabinet  avec  une 
augmentation  de  12  millions  sur  le 
département  de  la  guerre,  n'offrit 
aucun  incident  remarquable.  Vil- 
lèle se  prononça  ouvertement  con- 
tre le  système  de  spécialité  que  le 
côté  gauche  aspirait  à  faire  préva- 
loir dans  le  règlement  des  dépenses 
publiques.  M.  Laffitte  ayant  articulé 
que  le  crédit  actuel  datait  de  l'or- 
donnanco  du  5  septembre,  le  mi- 
nistre lui  répondit  qu'à  cette  époque 
les  rentes  sur  l'Klat  n'étaient  qu'à 
56  francs,  taudis  qu'elles  s'élevaient 
:iujo;n(rhiii  à  90  francs.  Mais  l'in- 
térêt de  ces  débats  fut  prompte- 
ment  absorbé  par  une  succession 


VIL 


VIL 


/i5; 


d'événements  plus  propres  à  émou- 
voir.   Nous    voulons   parler    des 
mouvements   insurrectionnels    qui 
se   déclarèrent  dans  le  cours  de 
cette  année,  sous  la  double  impul- 
sion d'encouragements  puissants,  et 
de  la  perturbation    profonde   qui 
régnait  dans  les  esprits.  Le  premier 
de  ces  mouvements,  organisé  dans 
la  garnison  de  Béfort,  sous  les  aus- 
pices de  la  charbonnerie,  par  les 
soins   de  MM.   Kœclilin   frères  et 
Voyer  d'Argenson,  avec  le  concours 
postérieur  du  général  Lafayette  et 
de  son  fils,  de  Dupont  (de  l'Eure), 
de  Manuel  et  de  quelques  fanatiques 
subalternes,  devait  éclater  dans  les 
premiers  jours  de  janvier.  Un  inci- 
dent purement  fortuit  donna  l'éveil 
à  l'aulorilé  militaire,  qui  lit  saisir 
quelques  affiliés  secondaires,  mais 
sans  pouvoir  établir  la  participation 
des   principaux  conjurés,  que  de 
pressants  messages  avaient  avertis 
à  temps  utile  de  l'avortement  du 
complot.  Le  succès  de  l'information 
judiciaire    à   laquelle  donna  lieu 
celte  tentative,  fut  loin  de  répondre 
à    son    importance.    Dénuée    de 
preuve»  suffisantes,  elle  se  résuma 
en  une  répression  purement  cor- 
rectionnelle. Peu  de  jours  avant, 
deux  officiers  supérieurs  du  46"  de 
ligne,  frappés  des  développements 
de  l'esprit   révolutionnaire    parmi 
les  corps  militaires,  avaient  entre- 
pris de  l'extirper  par  une  provoca- 
tion collective,  dont  l'arlitice,  digne 
de  blâme  à  tous  égards,  a  clé  re- 
proché sans  preuves  au  ministère 
par  un   historien   Icgèrem.eni  in- 
formé (1).  On  imagina  de  faire  sor- 


(1)  Hist.  (le  France  depuis  la  Rcs- 
taur.,  par  M.  Lacrelelle,  t.  m, p.  '2il. 

Le  vcnlauli;  pntiiiulcur  de  ccllf  dc- 
monslralion,  d'après  des  iul"t)rmaliuns 
que  j'ai  lieu  de  croire  exactes,  fut  un 


tir,  le  30  juillet,  des  villes  de  Col- 
mar  et  de  Neuf-Brisach,deux  esca- 
drons de  chasseurs  en  uniforme, 
sous  la  conduite  des  maréchaux- 
des-logis  Thiers  et  Gérard,  dans  la 
direction  de  Mulhouse,  aux  cris  con- 
venus de  :   Vive   l'empereur!  avec 
l'espoir  de   dévoiler  et  de  ramas- 
ser tous  les  mécontents  dont  ce  cri 
flatterait   les    instincts    séditieux. 
Celte    inqualifiable   démonstration 
ne  réussit  qu'en  partie.  Deux  mili- 
taires seulement,  qu'elle  avait  sur- 
tout en   vue,  le  lieutenant-colonel 
Caron  et  le  lieutenant  Roger,  se 
joignirent  aux  prétendus  rebelles; 
la    population     entière    demeura 
calme.  Caron,  saisi  et  garrotté,  fut 
traduit  devant  le  conseil  de  guerre 
de  Strasbourg,  et  paya  de  sa  vie 
l'imprudence    qui    l'avait   conduit 
dans  cet  odieux  guet-apens;  Roger, 
acquitté  pour  le  même   fait,  subit 
une  autre  condamnation  poli;ique. 
La    tentative    révolutionnaire    de 
Béfort   était  à  peine  comprimée, 
lorsqu'un  département  de   l'ouest 
du  royaume  devint  le  théâtre  d'une 
nouvelle  entreprise,  dont  le  carac- 
tère et  les  circonstances  préoccu- 
pèrent plus  vivement  encore  l'at- 
tention publique.  Le  général  Ber- 
ton,  signalé  depuis  longtemps  pour 
l'activité  de  ses  trames  contre  le 
gouvernement  royal,  leva,  le  2i  fé- 
vrier, l'étendard  de  la  révolte  dans 
la  petite  ville  de  Tiiouars,  que  II 
garde  nationale  lui  livra  sans  résis- 
tance.   Il   se   dirigea   ensuite  sur 
Saumur,  à  la  tête  d'environ  IdO 
hommes,    espérant    s'emparer   du 


lieiileii.iut-rolonel  dont  je  ne  livrerai 
que  1  iuili;ile  K...,  par  égard  pour  les 
descendants  qui  lui  survivent.  1. 'auto- 
rite militaire  supérieure  denieur.i  étran- 
gère non-seulement  a  l'organisatinn, 
mais  même  a  la  connaissance  de  ce  guel^ 
a-pens. 


436 


VIL 


VIL 


chileau,  el  recevoir  pour  renfort 
recelé  de  cavalerie  où,  peu  de  mois 
avant,  avait  éclaté  un  soulèvemoût 
très-sérieux.  Mai§  celte  espérance 
fut  déconcertée  par  la  bonne  con- 
tenance des  élèves,  ctBerlon,  ayant 
usé  dans  de  stériles  pourparlers 
avec  le  maire  le  prestige  de  son 
audacieuse  agression,  se  vit  aban- 
donné de  la  plupart  de  ses  adhé- 
rents; il  fut  livré  misérablement  à 
la  police  quelques  mois  plus  tard 
par  la  trahison  du  maréchal-des- 
logis  Woëlfel,  au  moment  où  il 
cherchait  à  organiser  de  nouveaux 
complots  au  sein  d'un  régiment  en 
garnison  à  La  Rochelle.  Le  public 
apprit  en  mémo  temps  la  tentative 
deBerlon  et  l'avorte. iient  dont  elle 
avait  été  suivie.  Mais  cette  échauf- 
fourée,  sans  consistance  appa- 
rente, était  destinée  à  produire 
un  grand  retentissement  au  sein  de 
la  Chambre  des  députés,  par  suite 
du  zèle  qu'un  magistrat  courageux, 
le  procureur  généralMangiu,  avait 
mis  à  signaler  dans  l'acte  d'accu- 
sation ceux  de  ses  membres  qui 
paraissaient  avoir  eu  des  rapports 
avec  les  conjurés.  Cette  inculpation 
souleva,  le  l""août,  quelques  jours 
avant  l'ouverture  des  débats,  une 
véritable  tempête  dans  laquelle  le 
général  Lafayelte,  le  plus  compro- 
mis de  tous,  voila  sous  une  aisance 
aristocratique  et  presque  agressive 
!e  trouble  réel  de  sa  situation.  (Voy. 
Lafayette,  tome  Lxix,  page  385  et 
386.)  Le  général  Foy,  étranger  au 
complot,  quoique  désigné  dans  le 
manifeste  de  M.  Mangin,  sollicita 
une  enqu('le  qui  fut  repoussée  avec 
beaucoup  d'esprit  j)arM.  de  Marti- 
gnac,  avec  beaucoup  de  mesure  et 
de  fermeté  parle  ministère.  «  Vous 
navez  pas  été  mis  en  accusation, 
dit  Yillele  aux  inculpés,  parce 
qu'il  ne  résultait  pas  de  la  procé- 


dure la  possibilité,  la  nécessité, 
le  devoir  pour  le  gouvernement 
de  vous  rèilamer  auprès  de  la 
Chambre;  maisdedeuxchosesl'une  : 
ou  les  faits  allégués  par  les  témoins 
et  par  les  accusés  seront  prouvés, 
lorsque  viendra  le  procès,  et  alors 
on  verra  si  nous  n'oserons  pas  vous 
poursuivre!  ou  bien  il  en  résultera 
que  ces  faits  sont  dénués  de  tout 
fondement;  alors  les  députés  qu'on 
a  nommés  recevront  un  témoi- 
gnage éclatant  de  leur  innocence.» 
Les  débats  devant  la  cour  d'assises 
de  Poitiers  n'ajoutèrent  rien  aux 
présomptions  recueillies  contre 
MM.  Laffitte,  B.  Constant,  La- 
fayette, Demarçay,  Voyer  d'Argen- 
son,  etc.,  et  la  Chambre  ne  fut 
saisie  d'aucune  demande  en  auto- 
risation de  poursuites.  Des  révéla- 
lions  postérieures  ont  établi  sura- 
bondamment la  réalité  de  la  co- 
opération factieuse  reprochée  aux 
membres  du  côté  gauche;  mais, 
dans  l'opinion  de  plusieurs  hom- 
mes graves,  les  charges  de  l'infor- 
mation étaient  suflisantes  pour 
motiver  une  action  judiciaire  k 
leur  égard,  elle  procureur  général 
Mangin  répondit  à  celte  idée  lors- 
que dans  son  réquisitoire  il  déplora 
aiisez  ouvertement  l'incompétence 
qui  enchaînait  l'exercice  de  son 
ministère.  L'inaction  du  gouver- 
nement dériva-t-3lle  d'un  défaut  de 
conviction  ?  Faut-il  y  voir  une  triste 
manifestation  de  son  impuissance 
contre  de  tels  rebelles,  ou,  suivant 
une  supposition  accréditée,  sa  po- 
litique voulut-elle  ménager  secrè- 
tement, dans  des  inculpés  aussi 
considérables,  un  principe  de  résis- 
tance et  de  contrepoids  aux  entraî- 
nements toujours  redoutés  du  parti 
ultra  royaliste?  L'historien  hésite 
entre  ces  conjectures.  Quoi  qu'il 
en  soit,  l'impunité  des  principaux 


VIL 


VIL 


437 


complices  de   Berton  n'eut  point 
les  conséquences  fâcheuses  qu'où 
pouvait  en  appréhender.  La  cons- 
piration de  ce  général  fut  la  der- 
nière affaire  dans  laquelle  des  par- 
lementaires se  trouvèrent  engagés, 
et  nulle  trace  sérieuse  de  leur  par- 
ticipation n'apparut  dans  le  procès 
de  La  Rochelle,  dont  nous  parlerons 
sommairement.    Parmi    les    régi- 
ments infectés  de  la  lèpre  du  car- 
bonarisme, le  45'  de  ligne,  récem- 
ment envoyé  deParisàLa  Rochelle, 
était  un  de  ceux  où  la  contagion 
avait  fait  le  plus  de  progrès.  L'au- 
torité militaire,  voulant  mettre  un 
terme  à  ce  désordre,  prescrivit  de 
nombreuses  arrestations,  et  vingt- 
cinq  prévenus  furent  traduits  de- 
vant la  cour  d'assises  de  la  Seine, 
qui  procéda  à  leur  jugement  vers 
le  même  temps  où  les  complots  de 
Béfort  et  de  Saumur  étaient  défé- 
rés aux  cours  de  Colmar  et  de  Poi- 
tiers. L'intérêt  public  se  concentra 
sur  quatre  sergents,  qui,  par  leur 
jeunesse,  leur  simplicité,  la  fran- 
chise de  leurs  manières,  plus  que 
par  leurs  dénégations  mêmes,  sem- 
blaient protester  contre  l'accusa- 
tion capitale  dont  ils  étaient  l'objet. 
Ils  convinrent  de  leur  affiliation  à 
la  secte   des  carbonari,  mais  ils 
repoussèrent  toute  coopération  à 
des   faits  légalement   punissables. 
Ce  système  de  défense,  combattu 
par    l'avocat    général    Marchangy 
dans  un  éloquent  et  courageux  ré 
quisitoire,    ne   fut  point  accueilli 
par  le  jury,   et  les  quatre  accusés 
furent  frappés  d'une  condamnation 
capitale    dont  le  président   de   la 
cour,  M.  Monmerqué,  s'efforça  vai- 
nement de  faire  adoucir  la  rigueur. 
Les  condamnés  eux-mêmes  décon- 
certèrent ses  démarches  en  lui  dé- 
clarant que  la  vie  leur  serait  ôtéc 
par  leurs  propre»  complices,  s'ils 


consentaient  ii  la  racheter  au  prix 
des  révélations  qui  leur  étaient  de- 
mandées. Mais  l'expiation  fut  géné- 
ralement jugée  hors  de  proportion 
avec  le  crime,  et  le  supplice  des 
quatre  sergents  de  La  Rochelle  est 
un  des  actes  qui  ont  été  le  plus 
amèrement  reprochés  au  ministère 
du  14  décembre.  Cette  sanglante 
exécution   fut  la  dernière   qu'or- 
donna le  gouvernement  de  la  Res- 
tauration, et  les  ventes  du  carbo- 
narisme prirent  fin  elles-mêmes  peu 
iprès  l'expiration  de  cette  tumul- 
tueuse année.  Mais  cette  abdication 
ne  fut,  comme  on  le  verra  bientôt, 
qu'une  transformation  du  système 
d'opposition  dirigé  contre  la  mo- 
narchie légitime  avec  une  si  im- 
placable persévérance. En  présence 
d'un  tel  spectacle,  au  bout  de  qua- 
rante ans  de  distance,  on  se  de- 
mande avec  un  illustre  publiciste, 
«  quels  motifs  suscitèrent  des  colè- 
res si  ardentes  et  des  entreprises  si 
téméraires...  L'ordre  légal  n'avait 
reçu  aucune  grave  atteinte,  les  in- 
térêts qui  se  croyaient  menacés  ne 
couraient  aucun  vrai  péril,  le  pays 
prospérait  et  grandissait  régulière- 
ment... Mais,  de  1820  à  LS23,  les 
conspirateurs  ne    songeaient   pas 
seulement  à  se  demander  si  leurs 

entreprises    étaient    légitimes 

C'étaient  de  vieilles  haines  et  de 
vieilles  alarmes  que  celles  qui  s'at- 
tachaient aux  mots  d'émigration, 
régime  féodal,  ancien  régime,  aris- 
tocratie, conire-rcvolution;  mais 
ces  alarmes  étaient  aussi  sincères 
et  aussi  chaudes,  dans  bien  des 
cœurs,  que  si  elles  se  fussent  adres- 
sées ù  de  vivants  et  puissants  enne- 
mis (1).  »  A.  la  voie  désormais  im- 


(n  }fém.  de  M.  Guizot,  t.  i,  p.  234 
et  8uiv. 


&S8 


VIL 


puissante  des  complots  armés  suc- 
céda la  tactique  plus  redoutable 
des  hostilités  parlementaires,  tac- 
tique dont  le  succès  devait  plus 
qu'aucune  autre  cause  contribuer, 
quelques  années  plus  tard,  ii  la 
ruine  de  nos  institutions  constitu- 
tionnelles. D'après  la  résolution 
dès  longtemps  annoncée  de  régu- 
lariser par  une  session  supplémen- 
taire le  vote  annuel  de  l'impôt,  et 
de  soustraire  ainsi  le  gouvernement 
à  la  dépendance  des  Chambres, 
les  dix-sept  collèges  électoraux  de 
la  première  série  avaient  été  con- 
Yoqués  dans  le  courant  de  mai; 
leurs  opérations  furent  générale- 
ment favorables  au  ministère, 
excepté  à  Paris,  où  l'opposition 
triompha  dans  six  arrondissements. 
La  session  s'ouvrit  le  4  juin  par  un 
discours  où  le  roi  félicita  les  magis- 
trats de  leurzèle  etlessoldatsde  leur 
fidélité  dans  la  répression  des  com- 
plots qui  avaient  signalé  le  cours 
de  cette  année,  et  déclara  «  qu'il  ne 
souffrirait  pas  que  la  violence  arra- 
chât au  pays  les  biens  dont  il  jouis- 
sait. I.  Lors  de  la  vérification  des 
pouvoirs,  le  parti  libéral  essaya  de 
venger  sa  défaite  en  dénonçant  une 
circulaire  par  laquelle  le  ministre 
des  finances  avait,  disait-on,  con- 
trairement à  ses  antécédents,  exer- 
cé une  pression  inconstitutionnelle 
sur  les  élections.  Villèle  répondit 
que  sa  circulaire  s'était  bornée  à 
tracer  aux  fonctionnaires  publics 
électeurs,  sans  contrainte  et  sans 
menaces,  leurs  devoirs  envers  le 
trône  et  la  patrie;  mais  il  ajouta 
Irès-judicieusemenl  qu'un  gouver- 
nement (jui  resterait  sous  le  poids 
des  oppositions  qu'appelaient  les 
institutions  actuelles,  sans  u^er  des 
moyens  que  ces  institutions  i)la- 
çaient  dans  ses  mains,  serait  un 
gouvernement  qui  marcherait  ii  sa 


VIL 

destruction.  Le  côté  gauche  cen^ 
sura  vivement  aussi  la  destitution 
du  baron  Louis,  ministre  d'État, 
pour  avoir  pris  part  aux  désordres 
qui  avaient  accompagné  les  élec- 
tions de  la  Seine;  mais  cette  mesure, 
sur  laquelle  le  garde  dessceaux  refu- 
sa toute  explication,  ne  parut  pas  de 
nature  à  infirmer  la  validité  de  l'o- 
pératiou.  Quoique  la  session  dût  être 
spécialement  consacrée  à  des  débats 
financiers,  elle  ne  laissa  pas  d'ôtre 
orageuse.  Un  projet  de  loi  sur  nos 
tarits  des  douanes  avait  été  présenté 
dans  la  session  précédente  par  le 
ministre  des  finances,  qui  monta 
plusieurs  fois  à  la  tribune  pour  en 
soutenir  les  dispositions,  notam- 
ment celles  qui  avaient  trait  ù  la 
question  des  sucres  et  à  la  taxe 
concernant  l'introduction  des  bes- 
tiaux étrangers.  A  cette  loi,  discu- 
tée avec  calme  et  matuiiié  dans 
l'une  et  l'autre  Chambre,  succéda 
la  présentation  du  budget  de  1823. 
Ce  budget  se  soldait  par  un  excé- 
dant de  receltes  de  plus  de  8  rail- 
lions :  résultat  fort  satisfaisant  sans 
doute  après  l'acquittement  de  toutes 
les  charges  que  l'occupation  étran- 
gère avait  imposées  au  pays.  Néan- 
moins ses  divers  articles  fournirent 
aux  orateurs  de  l'opposition  pres- 
que autant  de  textes  de  violentes 
attaques  contre  le  ministère.  Villèle 
répondit  particulièrement  aux  re- 
proches d'arbitraire  adressés  Ix  l'ad- 
ministration. Il  fit  remarquer  que 
la  répression  des  nombreux  com- 
plots qui  avaient  éclaté  dans  le 
cours  de  l'année,  n'avait  coûté  au- 
cune excursion  hors  des  limites 
légales.  Sans  excuser  ni  désavouer 
les  manœuvres  pratiquées  en  Al- 
sace par  l'autorité  militaire  pour 
éprouver  les  dispositions  des  habi- 
tants, il  déclara  que  les  soldats 
n'avaient  eu  d'autre  tort  que  de 


m 

repousser  les  insinuations  sédi- 
tieuses qui  leur  étaient  faites;  il 
constata  que,  depuis  la  formation 
du  cabinet  actuel,  à  la  différence  de 
tous  ceux  qui  l'avaient  précédé,  le 
gouvernement  n'avait  eu  recours  à 
aucune  loi  exceptionnelle,  et  qu'il 
avait  laissé  à  la  France  la  jouis- 
sance de  toutes  les  institutions  qui 
lui  avaient  été  promises.  La  session 
fut  close  le  17  août,  et  le  même 
jour,  le  roi  donna  aux  trois  prin- 
cipaux membres  du  cabinet  un  té- 
moignage marqué  de  sa  satisfaction, 
en  leur  conférant  le  titre  hérédi- 
taire de  comte.  Celte  faveur  n'était 
pour  Villèle  que  le  prélude  d'une 
distinction  plus  éclatante;  mais 
c'est  aux  événements  extérieurs 
qu'il  est  nécessaire  d'emprunter  le 
récit  des  circonstances  importantes 
qui  la  préparèrent.  —  Lors  de  i'a- 
vénement  du  ministère  du  14  dé- 
cembre, la  révolution  d'Espagne, 
née  d'une  conjuration  militaire  dans 
rile  de  Léon,  dès  les  premiers  jours 
de  1820,  avait  parcouru  la  plu- 
part des  phases  ordinaires  à  ces 
grandes  perturbiitions.  Roi  consti- 
tutionnel malgré  lui,  Ferdinand 
avait  paru  subir  de  bonne  grâce  la 
violence  qui  lui  était  faite  ;  mais  les 
partis  exaltés  s'étaient  enflammés 
à  l'ombre  même  de  cette  modéra- 
tion, le  sang  avait  coulé,  et  le  roi 
avait  espéré  maîtriser  l'efferves- 
cence du  parti  républicain  par 
l'exil  de  Riégo,  le  principal  pro- 
moteur du  mouvement  révolution- 
naire. Mais  les  Cortès  réunies  pour 
la  seconde  fois,  s'écartèrent  insen- 
siblement de  la  modération  qu'elles 
avaient  d'abord  témoignée,  et  la 
malheureuse  Espagne  ne  taida  pai 
hêtre  livrée  à  lOiJtes  les  convulsions 
de  la  guerre  civile.  Ferdinand  qui, 
au  double  aspect  des  dangers  qui 
'environnaient,  et  des  chances  de 


VIL 


439 


salut  que  lui  offrait  sa  garde  de- 
meurée fidèle,  avait  repris  tous  ses 
instincts  de  pouvoir  absolu,  Ferdi- 
nand venait  de    succomber   dans 
cette  lutte  inégale  ;  le  7  juillet  avait 
été  pour   lui   un  10   août  mitigé; 
mais  il  avait  perdu,  dès  ce  jour,  la 
liberté  de  ses  résolutions,  et  n'était 
plusqueie  timide  et  docile  instru- 
ment du  parti  révolutionnaire.  En 
présence  de  ces   complications  si 
menaçantes  pour  l'Europe  entière, 
un  nouveau  congrès  fut  convoqué 
il  Vérone,  et  le  roi  Louis XVIII,  in- 
vité à  s'y  faire  représenter,  proposa 
au  comte  de  Villèle  de  remplir  celte 
mission.  Mais  le  ministre,  par  un 
sentiment   louable  de  délicatesse, 
conseilla  au  roi   d'en  charger  le 
Ticomte  Mathieu  de  Montmorency, 
à  qui  elle  paraissait  naîurellement 
dévolue.  On  lui  adjoignitcomme  plé- 
nipotentiaires trois  ambassadeurs, 
MM.   de   Caraman ,    de    Chateau- 
briand et  de  La  Ferronnays.  M.  de 
Montmorency  partit  pour  Vienne  le 
Î6  août,  près  d'un  mois  avant  l'ou- 
verture des  conférences.  Huit  jours 
plus  tard,  le  A  septembre,  le  comte 
de  Villèle,  qui  avait  été  chargé  par 
intérim  du  portefeuille  des  affaires 
étrangères,   fut   nommé   président 
du  Conseil  des  ministres.  Ainsi  se 
trouva  sanctionnée  par  un  litre  offi- 
ciel la  haute  direction  que,  depuis 
ion  avènement  aux  affaires,  il  n'a- 
vait cessé  dimprimer  à  la  marche 
du  gouvernement.  «  Ce  n'était  pas 
précisément  par  vanité  ni  par  am- 
bition, dit  M.  de  Baranle,  que   le 
comte  de  Villèle  avait  désiré  celle 
présidence  ;  mais,  dans  ses  rapports 
habituels  et  dans  la  discussion  des 
affaires,  il  se  sentait  gêné,  et  n'a- 
vait pas  toute  sa  valeur,  lorsqu'il 
avait  l\  traiter  avec  des  personnes 
qu'il  fallait  ménager...  Sans  avoir 
beaucoup  d'orgueil,  il  était  porté  à 


uo 


VIL 


VIL 


dédaigner  non-seulement  ses  ad- 
Tersaires,  mais  ses  amis  et  ses  par- 
tisans. Il  aimait  à  parler  sans  être 
contredit,  et  à  mener  les  affaires  k 
sa  manière  (1).  *  Un  de  ses  pre- 
miers actes  fut  de  convertir  en 
corps  d'obseryation  le  cordon  sa- 
nitaire établi,  sous  prétexte  de  la 
fièvre  jaune,  le  long  de  la  frontière 
des  Pyrénées,  et  d'augmenter  de 
50  mille  hommes  Teffectif  de  l'ar- 
mée. Ainsi  mis  en  garde  contre  le» 
premières  éventualités  qui  pour- 
raient survenir,  il  attendit  avec 
plus  de  sécurité  les  résolutions  du 
congrès  de  Vérone,  dont  l'ouver- 
ture officielle  eut  lieu  le  20  octobre. 
L'idée  d'une  intervention  armée  de 
la  France  en  Espagne  n'était  point 
jusqu'alors  entrée  dans  son  esprit; 
il  n'y  voyait  aucune  nécessité  im- 
médiate, et  craignait  qu'elle  n'ab- 
sorbât des  forces  qui  pourraient 
être  utiles  à  la  France  dans  le  cas 
où  les  affaires  d'Orient  amèneraient 
de  nouvelles  complications  euro- 
péennes (2).  Les  instructions  con- 
fidentielles remises  au  noble  vi- 
comte, instructions  tracées  de  la 
main  même  de  Villèle,  lui  prescri- 
vaient en  substance  d'obtenir  l'é- 
yacuation  du  Piémont  et  de  Naples 
par  les  Autrichiens,  de  surveil- 
ler avec  soin  les  vues  ambilieuseï 
de  l'Autriche  sur  la  couronne  de 
Sardaigneet  d'empêcher  k  tout  prix 
une  rupture  intempestive  entre  la 
Porte  et  la  Russie.  Quant  k  la  ques- 
tion d'Espagne,  le  ministre  devait, 
autant  qu'il  serait  en  lui,  la  sous- 
traire k  la  discussion  du  congrès, 
en  annonçant  que  la  France  se 
chargeait  exclusivement  d'éteindre 


(I)  La  Vie  politique  de  M.  lioyer- 
Çollard^  etc.,  t.  ii,  p.  177. 

(-2;  Lt'ttn-  au  vicomte  de  Chateau- 
briand, du  b  mai  1822. 


ce  foyer  de  révolution;  en  cas  de 
velléité  déclarée  d'intervention  de 
la  part  des  puissances  continenta- 
les, le  représentant  du  cabinet  de- 
vait refuser  péremptoirement  tout 
passage  de  leurs  troupes  sur  le  ter- 
ritoire français,  et  tirer  seulement 
de  ces  intentions  belliqueuses  une 
garantie  efficace  contre  toute  assis- 
tance que  le  cabinet  anglais  pour- 
rait prêter  k  l'Espagne  révolution- 
naire. Enfin,  un  dernier  article  lui 
recommandait  d'appeler  l'altentîon 
des  souverains  sur  l'état  de  désordre 
et  d'anarchie  dans  lequel  languis- 
saient les  colonies  espagnoles  (1). 
M.  de  Montmorency  avait  rencon- 
tré k  Vienne,  où  se  trouvaient  l'em- 
pereur Alexandre,  le  roi  de  Prusse 
et  leurs  principaux  ministres,  des 
dispositions  fort  animées  contre  les 
oppresseurs  du  roi  Ferdinand,  et 
ces  dispositions,  favorisées  par  le» 
prévenances  personnelles  du  czar, 
avaient  facilement  entraîné  le  plé- 
nipotentiaire français  à  excéder  ia 
mesure  de  ses  instructions.  Prenant 
le  rôle  de  rapporteur  des  affaires 
d'Espagne,  qui  lui  avait  été  for- 
mellement interdit,   il  soumit  au 
congrès  plusieurséventualités,  dont 
chacune  impliquait  la  conséquence 
d'une  guerre  k  laquelle  les  puis- 
sances alliées    étaient    invitées    à 
fournir  sinon  un  concours  maté- 
riel et  militaire,  au  moins  une  as- 
sistance diplomatique  commune  et 
solidaire.  La  réponse  des  plénipo- 
tentiaires étrangers  se  fit  attendre 
pendant  près  d'un  mois.  L'Autriche 
et  la  Prusse,  en  cas  de  guerre  en- 
tre la  France  et  l'Espagne,  promi- 
rent k  la  première  leur  appui  mo- 


(I)  Notice  sur  M.  de  Villèle^  etc., 
p.  83.  —  Conqrès  de  Vérone,  par  M.  de 
Chateaubrianii,  eh.  20. 


VIL 


VIL 


hli\ 


rai,  et  même,  au  besoin,  un  secours 
matériel  gradué  suivant  les  néces- 
sités intérieures  de  leur»  États 
respectifs;  l'Autriche  seule  ajouta 
que  l'étendue,  la  quotité  et  la  di- 
rection de  ce  secours  devaient  être 
réglées  par  une  nouvelle  délibéra- 
tion commune  des  cours  alliées. 
Plus  explicite  et  plus  loyale,  la 
Russie  répondit  par  une  affirmative 
sans  réserve  à  toutes  les  questions 
posées.  Le  duc  de  Wellington,  re- 
présentant du  gouvernement  bri- 
tannique, tint  un  autre  langage,  et 
se  prononça  nettement  contre  l'ex- 
pédition projetée.  Dans  une  note 
où  respirait,  dit  Chateaubriand, 
«  toute  l'animosité  du  cabinet  de 
Saint-James  contre  la  France  (1),  » 
le  vainqueur  de  W^aterloo  accumula 
les  sophismes  pour  détourner  le 
coup  qui  menaçait  la  révolution 
ibérique;  et  celte  doctrine  mons- 
trueuse de  la  non  -  intervention 
qui  était  destinée  à  rencontrer, 
trente-huit  ans  plus  tard,  d'autres 
organes  dans  le  même  pays,  il  la 
proclama  avec  autant  d'aplomb  que 
si  l'Angleterre  ne  s'en  fût  pas  cons- 
tamment écartée  dans  toutes  les 
phases  de  son  histoire  moderne. 
Le  noble  duc  ne  posait  à  son  prin- 
cipe qu'une  limite  :  c'était  le  cas 
où  les  intérêts  essentiels  des  sujets 
britanniques  se  trouveraient  lésés 
par  l'ordre  de  choses  actuel  en 
Espagne:  distinction  fort  arbitraire 
sans  doute,  mais  qui  justifiait  du 
moins  l'attitude  prise  par  le  gou- 
vernement français,  car  c'était  un 
intérêt  asser  essentiel  pour  nous 
d'empêcher  une  nouvelle  révolu- 
tion et  de  «  nous  replacer  au  rang 
des  nations  qui  tirent  d'elles-mêmes 
leur  force,  leur  puissance  et  leur 


(1)  Congrès  de  Vérone,  ch.24. 


dignité  (<}.  ■  Le  duc  de  Wellington 
refusa  donc  de  signer  les  procès- 
verbaux  des  conférences, lesquelles 
se  réduisirent  en  définitive  au 
projet  d'envoyer  aux  représentants 
des  alliés,  à  Madrid,  des  dépêches 
comminatoires,  avec  ordre  de  rappel 
si  le  gouvernement  révolutionnaire 
n'en  tenait  pas  de  compte.  La  po- 
litique anglaise  acheva  de  se  carac- 
tériser par  un  fait  grave  :  celui  de 
la  négociation  d'un  traité  de  com- 
merce avec  l'Espagne,  traité  qui, 
dans  l'état  d'abandon  et  d'anarchie 
de  la  péninsule,  offrait  k  son  gou- 
vernement un  appui  moral  et  ma- 
tériel (2)  dont  l'importance  n'avait 
pu  être  achetée  qu'au  prix  d'énor- 
mes sacrifices.  Vers  le  même  temps, 
le  duc  de  Wellington  remit  au 
congrès  un  Mémorandum  sur  les 
colonies  espagnoles  en  Amérique, 


(1)  Congrès  de  Vérone,  etc,  eh.  24. 
—  A  l'exeiiiple  d'un  grand  nombre  de 
diplomates  anglais,  le  duc  de  Welling- 
ton, personnellement,  n'abondait  pas 
toujour-s  dans  le  sens  de  ses  communi- 
cations ofliciellrs.  On  en  jugera  par 
l'anecdote  suivante,  que  je  tiens  de 
source  sûre.  Lorsqu'à  son  retour  d3 
Vérone  il  passa  par  l'aris,  il  vit  plusieurs 
fois  le  comte  de  Yillèle  qui,  dans  une 
de  ces  entrevues,  lui  objecta  qu'ils  ne 
s'entendraient  jamais  sur  la  (luestion 
d'Espacme,  parce  (lue  l'intérêt  du  gou- 
vernenrent  trançais  était  de  consolider 
l'ctablissement  de  Louis  XIV,  tandis  qjc 
tous  les  efforts  de  l'Angleterre  devaient 
s'appliquer  a  le  détruire.  —  Cela  est 
vrai,  repondit  le  duc;  eh  bien,  dépo- 
sons tout  caractère  public,  et  causons 
en  liomines  privés.  Vous  irez  en  Espa- 
gne ;  j'ai  fait  assez  longtemps  la  guerre 
dans  ce  pays,  pour  le  bien  connaître. 
N'ayez  qu'une  armée  de  100,000  hom- 
mes, mais  portez-y  dû  l'argent,  beau- 
coup d'argent,  et  vous  réussirez. 

;2)  Ces  secours,  d'après  les  informa- 
tions recueillies  par  Ouvrard,  ne  s'éle- 
vaient il  rien  moins  qu'à  200  millions 
comptant,  avec  la  promesse  de  -400  mil- 
lions a  diverses  échéances.  [Lettre  de 
M.  de  Chateaubriand,  du  28  nov.) 


hli2 


VIL 


VIL 


dans  lequel  il  iniinuait  qne  l'Àn- 
gleterre  pourrait  être  conduite,  par 
la  marche  des  événements,  ii  la 
reconnaissance  de  ces  Etats  «  de 
propre  création.  »  Cette  insinua- 
tion n'était  qu'une  menace  déguisée 
contre  l'intervention  de  la  France 
en  Espagne;  «lie  était  de  plus  un 
acte  d'intimidation  à  l'adresse  des 
cours  alliées,  par  la  perspective 
d'une  rupture  entre  les  cabinets 
de  Saint-James  et  des  Tuileries. 
Les  quatre  plénipotentiaires  s'en- 
tendirent pour  répondre  que  leurs 
jourernements  ne  reconnaîtraient 
jamais  l'indépendance  des  colonies 
espag^DOles,  tant  que  Sa  Hajesté 
Catholique  n'aurait  pas  librement 
abdiqué  ses  droits  de  souveraineté 
à  leur  égard.  Quant  au  pacte  com- 
mercial projeté  entre  l'Angleterre 
et  l'Espagne,  il  émut  la  juste  sus- 
ceptibilité du  ministère.  Le  comte 
de  Villèle  fît  remettre  au  cabinet 
anglais  une  note  par  laquelle  il 
demandait  des  explications  caté- 
goriques sur  ce  point.  «  Les  rai- 
nistrec  de  Sa  Majesté  Britannique, 
y  était-il  dit,  reconnaîtront  que 
dans  la  situation  où  se  trouve  la 
France  yis-k-vis  de  l'Espagne,  une 
décision  immédiate  de  la  France  doit 
résulter  de  ces  explications,  »  Un 
langage  aussi  ferme  fit  reculer  le 
cabinet  britannique,  et  le  traité  ne 
fut  point  conclu  (i)!  Il  n'est  pas 
hors  de  propos,  pour  l'intelligence 
des  événements  postérieurs,  d'ob- 
server rapidement  quelle  était,  aux 
•temps  où  nous  sommes,  la  situation 
respective  des  deux  représentants 
les  plus  considérables  du  gouver- 
nement français.  La  liaison  de  Vil- 
lèle et  de  Chateaubriand  datait  de 
1816,  époque  où  ils  s'étaient  ren- 


contrés dans  les  salons  royalistes 
de  M.  Piet,  et  où  ils  avaient  fondé 
ensemble,  contre  le  système  du 
5  septembre ,  le  Conservateur ^ 
journal  royaliste, destiné  à  balancer 
l'influence  de  la  Minerve,  et  dont 
Chateaubriand  devint  bientôt  l'écri- 
vain le  plus  brillant  et  le  plus  au- 
torisé. Membres  de  deux  assem- 
blées différentes,  doués  d'aptitudes 
fort  diverses  employées  au  service 
de  la  même  cause,  une  intimité 
sans  trouble  avait  pu  s'établir  entre 
eux,  et  cette  intimité  subsistait 
tout  entière  au  moment  des  confé- 
rences de  Vérone.  Le  président  du 
conseil  avait  cédé  aux  vives  ins- 
tances de  M.  de  Chateaubriand  en 
l'adjoignant  au  vicomte  de  Mont- 
morency; peut-être  comptait-il  sur 
lui  pour  modérer  ses  entraînements, 
hypothèse  qui  n'est  pas  sans  vrai- 
semblance, à  raison  du  peu  d'intel- 
ligence qui  régnait  entre  ces  deux 
hommes  d'Etat.  Mais  la  conduite 
du  mobile  et  ardent  écrivain  ne 
répoLidil  qu'imparfaitement  à  la 
confiance  de  son  puissant  ami.  Il 
abandonna  M.  de  Montmorency  à 
son  initiative  belliqueuse,  en  affec- 
tant la  réserve  officielle  d'un  rôle 
secondaire;  mais  il  ne  cessa  de  se 
prononcer  pour  une  intervention 
exclusivement  française  dans  ses 
conversations  privées  avec  les  sou- 
verains et  leurs  ministres,  et  tra- 
vailla à  conquérir  le  comte  de  Vil- 
lèle à  cette  idée,  en  prêtant  au 
czar  et  ià  ses  alliés  toute  l'exaltation 
dont  il  était  animé.  «  Quant  à 
nous,  dit-il  lui-même  (1),  nous  lais- 
sions du  doute  sur  notre  détermi- 
nation ;  nous  ne  voulions  pas  nous 
rendre  impossible;  nous  redoutions 
qu'en  nous  découvrant  trop,  le  pré- 


(1)  Congrèt  do  Vérone^  etc.,  ch.  29.  (1)  Conqrès  de  Vérone,  etc.,  cb.  29. 


; 


VIL 

sident  du  conseil  ne  voulût  plus 
nous    écouler.   »  Ces  manœuvres, 
auxquelles    M.  de   Chateaubriand 
attribue  la  résolution  qui  prévalut 
plus  tard,  exercèrent,  à  ce  qu'il 
semble,  peu  d'influence  sur  l'es- 
prit (lu  ministre.  Il  démêla  facile- 
ment la  politique  tortueuse  et  ma- 
«hiâfélique  du  cabinet  anglais  sous 
son    masque    de    libéralisme ,   et 
manda  à  son  illustre  correspondant 
que  ce  ne  serait  qu'en  <*.  traitant 
les  questions  ayec  force  et  netteté 
qu'on  cesserait   de   rester  enlacé 
dans  les   filets   de    ces    insulaires 
marchands.  »  La  guerre,  ajoutait-il, 
est  repoussée   «  par   l'opinion   la 
plus  saine  et  la  plus  générale,  »  et 
aurait  un  efifet  désastreux  sur  nos 
fonds,  notre  commerce  maritime  et 
notre  industrie.  Le  ministre  expri- 
mait tout  le  regret  qu'il  aurait  à  se 
séparer  de  la  Russie,  de  l'Autriche 
et  de  la  Prusse  pour  imiter  la  seule 
puissance  dont  on   avait  tant  de 
raison  de  se  méfier,  mais  il  regar- 
dait l'envoi  des  notes  dressées  par 
c«s  puissances  comme  le  moyen  le 
plus  infaillible  de  préparer  à  l'An- 
gleterre, dans  une  expédition  pé- 
ninsulaire ,  un   rôle    profitable   à 
leurs  intérêts,   et  exhortait  vive- 
ment Chateaubriand  à  conjurer  ce 
péril.    Yillèle    proposait   que    les 
alliés   consentissent   i  ne   retirer 
leurs  ambassadeurs  que  lor;}qu'une 
nouvelle  réunion   des  plénipoten- 
tiaires,    tenue     à    Paris,     aurait 
adhéré    à   ce    parti,    en   laissant 
à    la    France    le    moment    et   le 
soin  de  son   exécution.    «   Qu'on 
se  pénètre  bien,  observait  le  mi- 
nistre,   que    nous    sommes    plus 
intéressés  que  i)ersonne  à  la  des- 
truction de  la  révolution  d'Espa- 
gne,  et  qu'on    ne    nous    impose 
pas  des  mesures  qui  vont  directe- 
ment contre  le  but  qu'on  u  pro- 


VIL 


US 


pose  (1).  »  M.  de  Montmoreney  rê« 
partit  pour  Paris  le  21  nov.  Quel- 
ques jours  après,  le  duc  de  Welling- 
ton y  arriva,  et,  désireux  par-dessus 
tout  d'éviter  un  conflit,  il  offrit  au 
cabinet  français  sa  médiation,  qui 
fut  repoussée  à  la  suite  de  quelques 
conférences.  Ses  instances  déter- 
minèrent toutefois  le  président  du 
conseil  ^  un  dernier  effort  en  fa- 
veur d'une  solution  pacifique.  Mais 
au  moment  même  où  parlait  pour 
"Vérone  le  courrier  porteur  de  sa 
dépèche,  M.  de  Chateaubriand  ar- 
rivait à  Paris,  apportant  la  nourelle 
de  l'expédition  des  trois  notes  au 
cabinet  de  Madrid.  D'un  autre  cùlé, 
la  régence   d'Urgel   venait  d'être 
contrainte,  après  un  grave  échec, 
de   se   réfugier    sur   le  territoire 
français.  Ces  circonstances  décidè- 
rent le  comte  de  Yillèle  à  soumettre 
au  Conseil  la  question  importante 
de  savoir  si  la  France  s'unirait  à 
ses  alliés  dans  leurs  démonstrations 
contre  la  révolution  espagnole,  et 
dans  la  rupture  de  leurs  rapports 
avec  le  gouvernement  des  Cortès. 
La  discussion  fut  vive  et  animée. 
Le  président  du  Conseil  défendit 
avec  force  sa  politique  d'expecia- 
tion,  et  proposa  des  modifications 
à  la  note  concertée  à  "Vérone  entre 
M.  de  Montmorency  et  les  ministres 
des  puissances  continentales.  Pen- 
dant ce  débat,  il  plaça  ostensible- 
ment sa  démission  sur  son  porte- 
feuille (2).  M.  de  Montmorency,  de 
son  côté,  soutint  que  son  honneur 
était  engagé  ^  repousser  toute  mo- 
dification au  manifeste  qu'il  avait 
dressé  et  signé,  bien  qu'il  y  eût 
réservé  expressément  l'approbation 


(i)  Lettre  du  5  décembre  18-2-2. 
(2)  Notice  sur  IccovUede  Villèl4,Qtc.t 
par  M.  d«  Neuville,  p.  89. 


h!ih 


VIL 


VIL 


de  son  fouvernemenl.  Louis  XVIII, 
qui  présidait,  trancha  le  différend, 
en  disant  qu'il  «  ne  laisserait  pas 
relcTer  les  Pyrénées  abattues  par 
Louis  XIV,  et  que  son  ambassadeur 
ne  devait  quitter  Madrid  que  le 
jour  où  cent  mille  Français  s'avan- 
ceraient pour  le  remplacer.  »  Le 
Ticomie  de  Montmorency  donna 
immédiatement  sa  démission,  et 
Villèle  écrivit  au  vicomte  de  Cha- 
teaubriand, prêt  ^  retourner  k 
Londres,  pour  lui  proposer,  de  la 
part  du  roi,  le  portefeuille  des 
affaires  étrangères.  M.  de  Chateau- 
briand manifesta  quelques  scru- 
pules, et  parut  n'accepter  que  sur 
l'ordre  formel  de  Louis  XVIII.  Il 
fut  nommé  le  28  décembre.  M.  de 
Montmorency  se  retira  avec  le 
titre  de  duc  que  le  roi,  en  récom- 
pense de  ses  services,  lui  avait 
conféré  le  jour  même  de  son  re- 
tour à  Paris.  Trois  jours  avant  son 
remplacement,  le  comte  de  Villèle 
avait  adressé  à  l'ambassadeur  fran- 
çais à  Madrid  une  dépèche  où  il 
déclarait  l'intention  formelle  du 
gouvernement  du  roi  de  «repousser 
par  tous  les  moyens  les  principes 
«t  les  mouvements  révolution- 
naires, »  mais  en  ajoutant  qu'il  se 
joignait  à  ses  alliés  dans  les  vœux 
que  ceux-ci  formaient  pour  que  la 
noble  nalion  espagnole  trouvât 
elle-même  un  remède  à  ses  maux.  » 
Le  ministre  subordonnait  le  rappel 
de  la  légation  au  cas  où  l'Espagne 
continuerait  i  être  déchirée  par 
les  factions  et  à  répudier  les  avan- 
tages d'une  sage  liberté  en  s'abste- 
nant  d'améliorer  la  constitution 
qui  la  régissait.  Le  zèle  monar- 
chique du  ministère  avait  été  puis- 
samment stimulé  par  le  résultat 
des  électioni  p;jriielles  qui  s'étaient 
accomplies  dans  le  courant  de  no- 
vembre, et  qui  avaient  pleinement 


consacré  la  marche  nette  et  décidée 
de  la  nouvelle  administration.  Sur 
Si  députés  ^  nommer,  l'opposition 
libérale  n'en  obtint  que  6  ou  7  dans 
les  collèges  d'arrondissement,  et 
pas  un  seul  dans  les  collèges  de 
département.  Cependant  la  ques- 
tion de  paix  ou  de  guerre  conti- 
nuait à  tenir  tous  les  esprits  en 
suspens.  Le  discours  d'ouverture 
des  Chambres  (28  janvier)  fixa 
l'indécision  publique,  en  annon- 
çant que  le  roi  avait  rappelé  son 
ministre  et  que  «  cent  mille  Français 
se  tenaient  prêts  à  marcher  pour 
conserver  le  trône  d'Espagne  à  un 
petit- fils  de  Henri  IV,  à  préser- 
ver ce  beau  royaume  de  sa  ruine 
et  à  le  réconcilier  avec  l'Europe.  * 
Après  quelques  efforts  suprêmes 
pour  le  maintien  de  la  paix,  le 
président  du  Conseil  crut  avoir 
suflisamment  établi  l'indépendance 
de  kon  opinion  personnelle,  soit 
par  rapport  à  la  pression  exté- 
rieure, soit  en  vue  des  excitations 
et  des  impatiences  de  la  majorité 
parlementaire.  Tout  sembla  dès 
lors  se  disposer  pour  une  entrée 
en  campagne  immédiate.  Le  Moni- 
teur publia  dès  le  lendemain  la  liste 
des  officiers  généraux  appelés  à 
diriger  les  corps  d'armée  sous  le 
commandement  suprême  de  Mgr  le 
duc  d'Angoulème,  et,  quelques  jours 
plus  tard,  les  Adresses  des  deux 
Chambres  s'associèrent  énergique- 
ment,  et  k  d'énormes  majorités,  aux 
sentiments  exprimés  dans  le  dis- 
cours du  trône.  Ces  résultats  toute- 
fois furent  vivement  disputés,  sur- 
tout à  la  Chambre  élective,  où  les 
principaux  orateurs  du  parti  libéral 
accusèrent  le  ministère  de  n'inter- 
venir en  Espagne  que  dans  un 
intérêt  de  fanatisme  et  sur  l'impul- 
iion  «  des  Prussiens  et  des  Cosa- 
ques, y>  tandis  que  les  orateurs  de 


VIL 

l'exlrêmc    droite    blâmèrent   avec 
amertume  sa  longanimité  envers 
la  révolution  espagnole.  A  ces  exa- 
gérations contradictoires,  le  prési- 
dent du  conseil   opposa   des  ré- 
ponses   dont    la    modération    fut 
généralement  remarquée.  Mais  il 
termina  son  discours  à  la  Chambre 
des  députés  par  une  phrase  qui, 
inexactement  interprétée,  produisit 
au  dedans  et  au  dehors  de  celte 
enceinte  une  assez  vive  sensation. 
«  Le  système  qui  nous  est  conseillé 
par  quelques   orateurs,  dit-il,  ne 
saurait  nous  épargner  la  guerre, 
puisque  nous  serions  dans  l'alter- 
native de  combattre  pour  la  révo- 
lution espagnole  sur  les  frontières 
du  Nord,  ou  de  faire  la  guerre  à 
cette  révolution  en  Espagne.»  Celle 
phrase   avait    le    tort    d'exprimer 
obscurément  une  contre-vérité  ma- 
aifesle,  à  savoir,  que  la  guerre  était 
imposée  à  la  France  par  le  congrès 
de  Vérone  :  or,  on  a  vu  par  ce  qui 
précède,    qu'à    l'exception   de    la 
Russie  seule,  les  puissances  conti- 
nentales ne  s'étaient  prêtées  à  ce 
conflit  armé  qu'avec  répugnance, 
et  que  la  France,  en  l'entreprenant, 
agissait  dans  la  plénitude  de  son 
libre  arbitre.  Bien  plus,  k  l'heure 
même  où  ces  débals  avaient  lieu,  le 
chef  du  Conseil  négociait  encore 
avec  l'Espagne  par  l'entremise  de 
la  légation  anglaise  demeurée  ^  Ma- 
drid, et  CCS  négociations  n'échou- 
aient que  par  l'impérilie  du  gou- 
vernement des  Cortès  et   par  les 
exigences  menaçantes  de    la    ma- 
jorité parlemeniaire  (1).  Le  comte 
de  Villèle  eut  bientôt  occasion  de 
rectifier    l'impression    qu'il    avait 
produite,  dans  le  débat  du  projet  de 


VIL 


kkb 


loi  qui  demandait  un  crédit  extraor- 
dinaire de  100  millions,  destinés 
k  défrayer  l'entrée  de  nos  troupes 
en  Espagne.  Celte  discussion  se  fit 
remarquer  par  un  caractère  de  vio- 
lence  qu'aucun   débat   parlemen- 
taire n'avait  encore  présenté.  Les 
libéraux     sincères     envisageaient 
avec  effroi  une  expédition  dont  le 
succès  devait  rendre  au  moins  in- 
téressant des  monarques,  dans  la 
personne  de  Ferdinand,  la  pléni- 
tude de  sa  puissance  absolue  ;  les 
révolutionnaires  purscomprenaient 
toute  la  portée  d'une  campagne  qui 
aurait  pour  effet  de  retremper  tous 
les  ressorts  de  l'ordre  monarchi- 
que et  de  ravir  à  l'esprit  de  désor- 
dre et  de  démocratie  sa  suprême 
espérance.  M.  Royer-CoUard  con- 
testa dans  un  savant  discours  l'ap- 
plication du  droit  d'intervention, 
et  le  général  Foy ,  oubliant  que, 
selon  la  parole  d'un  ancien,  les 
bons  citoyens  ne   doivent  mani- 
fester que  de  bonnes  espérances  , 
prédit  à  l'armée  française  tous  les 
revers  dont  il  avait  menacé  naguère 
l'expédition  qui  avait    réprimé  la 
révolution    napolitaine.  Le  prési- 
dent du  Conseil  ne  dissimula  pas 
que  c'était  à  regret  que  le  cabinet 
s'était  décidé  à  la  guerre,  mais  que, 
dans  la  situation  actuelle  de  l'Es- 
pagne, le  maintien  de  la  paix  avait 
paru  impossible  ;  il  désavoua  d'ail- 
leurs toute  idée  de  pression  exer- 
cée   sur    la  Péninsule   quant   au 
choix  de  ses  institutions  k  venir, 
et   n'eut   pas  de  peine  à   réfuter 
l'assimilaiion  (|ue  quelquesorateur» 
avaient  prétendu  établir  entre  l'in- 
Yasion  de  1808, ^dont  l'objet   était 
de  détrôner  Ferdinand  pour  une 
ambition  purement  individuelle  (1), 


(1  )  Ilisloirc  des  deux  Restaurations, 
par  Ach.  de  Vaulabelle,  t.  vi,  p.  :24. 


(1)  La  guerre  impie  de  1808,  une  des 


6&6 


VIL 


HL 


el  l'inlervenlion  qui  avait  pour  but 
de  l'afTrancliir  de  Toppression  ré- 
volutionnaire. Enfin  il  repoussa 
avec  une  énergie  toute  patriotique 
l'insinuation  d'avoir  cédé  îi  une 
puissance  occulte  dans  l'unique 
intérêt  de  la  conservation  de  son 
portefeuille,  et  déclara  que  «  si  un 
lâche  sentiment  de  persoiinalilé 
avait  pu  s'insinuer  dans  son  cœur, 
sa  Téritable  ambition  eût  été  de 
se  réfugier  dans  la  vie  privée,  en 


plus  condamnables  assurément  des  en- 
treprises modernes,  avait  obtenu,  qui 
le  croirait!  l'approbation  et  les  encou- 
ragements de  l'ununimité  ù\i  Sénat  im- 
périal. Ne  craignons  pas  de  rappeler, 
pour  rédiflcation  de  la  postérité,  quel- 
ques fragments  de  l'Adresse  délibérée 
par  ce  corps,  le  10  septembie  1808,  à 
cette  occasion.  «  Vous  croyez  à  la  paix 
du  continent,  sire  ;  mais  vous  ne  voulez 
pas  dépendre  des  erreurs  et  des  faux 
calculs  des  cours  étrangères  ;  wws  voul- 
iez défendre  des  traités  solennels, 
iibrement  consentis ,  briser  la  hache 
d'une  anarchie  féroce  qui  menace  nos 
frontières,  assurer  aux  vérilables  Es- 
pagnols le  bonheur  délre  gouvernés 
par  un  frère  de  Votre  Majesté...  ga- 
rantir la  sécurité  de  la  France  et  la 
tranquillité  de  nos  neveux...,  déployer 
votre  immense  puiss;uice  pour  diminuer 
les  calamités  de  la  guerre.»,  La  volonté 
du  peuple  français  est  la  même  que  celle 
de  Votre  Majesté.  La  ijuerre  d'Espagne 
est  politique;  elle  est  juste,  elle  est  né- 
cessaire, etc.  »  Six  ans  plus  tard,  ce 
même  Sénat  ne  rougissait  pas  de  repro- 
cher a  Napoléon  celte  mcme  guerre  à 
laquelle  il  l'avait  encouragé  par  ses 
basses  adulations.  Le  héros  vaincu  n'é- 
tait donc  que  trop  fondé  a  lui  ré|)ondre, 
comme  il  le  fit  alors  (Ordre  du  jour  du 
5  avril  18ti)  «  (ju'un  sijine  était  un  or- 
dre pour  le  Sénat,  qui  toujours  faisait 
Î)lus  qu'on  ne  désirait  de  lui.  »  Napo- 
éon  lui  niénie  sendilail  avoir  prévu  cet 
excès  de  condes(  enflunce,  lorsqu'à  l'é- 
poque de  fion  avènement  k  l'empire,  il 
disait  a  son  frère  Joseph  :  «  qu'il  était 
assuré  d'oliteiiir  di:  la  servilité  des  Fian- 
çais tout  ce  qu'il  voudrait  en  exiger.  » 
{Mémoires  du  romlc  Miol  de  MélUOy 
t.  Il,  p.  230.) 


laissant  à  d'autres  toutes  les  diffi- 
cultés du  présent  et  de  l'avenir,  et 
en  emportant  dans  sa  retraite  toute 
la  faveur  et  presque  toute  la  popu- 
larité d'un  ministre  pacifique.  »  Ce 
débat,  où  Chateaubriand  porta  toute 
l'autorité  d'une  conviction  rehaus- 
sée par  l'éclat  du  talent,  donna  lieu 
à  un  acte  d'oppression  que  l'his- 
toire, cette  inflexible  vengeresse 
des  abus  de  pouvoir,  celle  protes- 
tation suprême  du  droit  contre  le 
fait,  ne  saurait  rappeler  sans  le 
condamner.  Le  député  Manuel,  de- 
puis longtemps  en  butte  i\  l'inimitié 
du  parti  royaliste  par  l'ardeur  de 
sa  répulsion  contre  les  Bourbons, 
fut  arbitrairement  exclu  de  la 
Chambre  pour  avoir  fait  une  apo- 
logie indirecte  du  meurtre  juri- 
dique de  Louis  XVL  Le  ministère 
refusa  de  se  prononc  r  sur  ce  coup 
d'Etat  parlementaire,  qu'il  aurait 
pu  conjurer,  et  qui  entraîna  la 
retraite  de  rextrême  gauche  pen- 
dant le  reste  de  la  session.  La  dis- 
cussion fut  plus  calme  et  plus 
élevée  à  la  Cham!  re  des  pairs,  où 
le  ministre  des  affaires  étrangères 
servit  seul  d'organe  au  cabinet,  et 
la  plupart  des  questions  que  sou- 
levait l'intervention  française  y 
furent  agitées  de  nouveau  i\  propos 
de  l'appel  de  la  classe  de  <823. 
M.  de  Montmorency  confirma,  dans 
un  discours  noble  cl  développé,  les 
faits  que  nous  avons  exposés  plus 
haut,  et  exprima  le  vœu  que  le 
gouvernement  anglais  ne  se  vit 
jamais  appliquer  par  les  radicaux 
vainqueurs  les  principes  dont  ses 
organes  avaient  fait  profession  au 
congrès  de  Vérone.  Mais  la  for- 
tune s'était  déjà  prononcée  ;  le 
premier  coup  de  canon  de  l'cxpé- 
dition  avait  dispersé  ces  bandes 
de  révolutionnaires  français  qui 
8'étaieat   flattés  d'entraîner  dans 


VIL 

les  rangs  de  la  rébellion  l'avant- 
garde  d'une  armée  désormais  fidèle; 
la  Bidassoa  avait  été  franchie  aux 
cris  de  Vive  le  Roi;  nos  soldats 
étaient  reçus  en  libérateurs  plutôt 
qu'en  ennemis,  et  Chateaubriand 
ayail  pu  résumer  avec  justesse  ce 
long  et  tumultueux  débat  par  ces 
paroles  qui  caractérisaient  si  bien 
une  époque  de  foi  et  d'espérance  : 
«  Un  roi  qui,  après  nous  avoir 
rendu  la  liberté,  nous  rend  la 
gloire;  un  prince  qui  est  devenu, 
au  milieu  des  camps,  l'idole  de 
cent  mille  Français,  n'ont  rien  à 
craindre  de  l'avenir.  L'Espagne 
délivrée  de  la  révolution,  la  France 
reprenant  son  rang  en  Europe  et 
retrouvant  une  armée;  la  légitimité 
acquérant  la  seule  force  qui  lui 
manquât  encore  ;  voilà  ce  qu'aura 
produit  une  guerre  passagère  que 
nous  n'avons  pas  voulue,  mais  que 
nous  avons  acceptée.  »  —  Le  mi- 
nistre des  finances  avait  obtenu 
l'autorisation  d'émettre  en  bons 
du  Trésor  partie  des  iOO  millions 
Totés  par  les  Chambres  pour  les 
frais  de  la  guerre;  mais,  pour  ne 
pas  augmenter  la  dette  flottante,  il 
préféra  recourir  îi  un  emprunt  qui 
fut  adjugé  ^iO  juillet)  à  la  maison 
Rothschild  au  taux  de  89  fr.  55  c. 
Celle  opération  eut  pour  effet 
d'eionénir  la  France,  à  un  taux 
raisonnable,  des  exigences  d'une 
dette  considérable  pi  ovenant  sur- 
tout des  reconnaissances  de  liqui- 
dation de  l'arriéré  du  régime  im- 
périal. Elle  releva  puissamment  le 
crédit,  et  contribua  ainsi  à  préparer 
la  réduction  à  -i  p.  100  de  l'intérêl 
d'i  la  dette  publique.  Au  milieu 
de  ces  circonstances  prospères,  le 
ministère,  et  particulièrement  le 
président  du  Conseil,  était  loin  de 
joair  d'une  sécurité  sans  mélange. 
La  ratraite  du  côté  gauche  n'avait 


VIL 


hlil 


fait  que  déplacer  les  difficultés  de 
la  situation.  «  On  a  plus  de  peine, 
dans  les  partis ,  dit  le  cardinal  de 
Retz,  à  vivre  avec  ceux  qui  y  sont 
qu'à  agir  contre  ceux  qui  y  sont 
opposés.  »  Cette  vieille  vérité  allait 
bientôt  recevoir  une  nouvelle  et 
triste  démonstration.  Une  des  fa- 
talités de  ces  temps  difficiles,  le 
comte  de  La  Bourdonnaye,  s'était 
emparé  de  la  place  abandonnée 
par  l'opposition  libérale  pour  con- 
tinuer contre  le  chef  du  cabinet 
une  lutte  qui,  née  dans  leurs  pre- 
miers rapports  parlementaires, 
datait  surtout  de  la  première  en- 
trée de  Villèle  au  conseil  des  mi- 
nistres en  1820,  et  qui  avait  pris 
progressivement  tous  les  caractères 
d'une  hostilité  déclarée.  La  vie 
politique  de  M.  de  La  Bourdon- 
naye n'offrait  point  l'esprit  d'unité 
que  pouvait  faire  supposer  la  ri- 
gueur de  ses  théories  (1).  Ce  chef 
exalté  du  parti  ultra- royaliste 
avait  commencé  par  être  un  impé- 
rialiste décidé.  Président  en  1813 


(I)  Indépendamment  des  motifs  de 
rivalité  qui  éloignaient  M.  de  la  Bour- 
donnaye du  comte  de  Villèle,  des  rai* 
sons  personnelles  que  l'nistoiro  dévoile 
avec  regret,  déterminaient  la  constance 
de  son  hostilité.  Peu  de  jours  après  Ta- 
vénement  définitif  du  nilnistre,  M.  d« 
Chateaubria.'id  lui  lit  part,  dans  une  let- 
tre pressante  cl  précise,  dos  conditions 
auxquelles  son  fougueux  adv.-rsaire 
consentait  a  signer  la  paix.  Ces  condi- 
tions, dont  M.  Cliaieaubriund  vantait  la 
modération ,  était  nt  l'ambassade  des 
Pays-Bas  pour  lui-mC'nie,  et  la  pairie 
pour  son  tils.  Le  comte  de  Villèle  eut 
la  générosié  de  ne  faire  aucun  usage 
de  cette  pièce,  dont  sa  famille  n'a  eu 
connaissance  qu'après  sa  niurt.  Les 
let'rcs  de  l'illustre  ècnvain,  au  prisi- 
dent  du  Conseil,  consignées  par  M.  de 
Cbaloaubiiand  lui-même,  dans  le  f'on- 
grcs  de  Vérone^  rcpetent  à  satiolc  la 
recommandation  de  s'occuper  de  M.  de 
La  iiourdoDDaye. 


as 


VIL 


du  conseil  général  de  Maine-et- 
Loire,  il  s'était  distingué  par  sou 
lèle  à  provoquer  les  sacrific'is 
d'hommes  et  d'argent  destinés  à 
prévenir  ou  à  relarder  la  chute  du 
trône  de  Napoléon.  Orateur  élo- 
quent, élevé,  mais  absolu,  intrai- 
table et  dépourvu  de  toute  capacité 
pratique,  M.  de  La  Bourdonnaye 
ne  néglig«'ait  aucune  occasion  de 
hai  celer  l'administration  du  comte 
de  Villèle,  et,  soit  passion  person- 
nelle, soit  impatience  de  caractère, 
il  ne  tenait  nul  compte  des  len- 
teurs et  des  ménagements  qui  lui 
étaient  imposés  par  la  complica- 
tion des  circonstances.  La  discus- 
sion du  budget  de  1824  servit  cette 
fois  de  texte  à  ses  attaques.  Après 
avoir  entrepris  d'opposer  sur  di- 
vers points  le  ministre  de  1823  au 
député  de  1818  et  de  1819,  il  ca- 
ractérisa sa  politique  avec  une 
véhémence  presque  injurieuse , 
l'accusa  de  préparer  de  redou- 
tables catastrophes  par  une  cir- 
conspection intempestive,  de  bles- 
ser tous  les  intérêts,  toutes  les 
convenances  du  gouvernement  re- 
présentatif, et  de  forfaire  à  ses 
engagements  antérieurs, en  s'abste- 
nant  de  proposer  les  institutions 
royalistes  sans  lesquelles  la  Charte 
ne  pouvait  exister.  Cette  philip- 
pique,  dont  M.  de  Vaublanc  et 
M.  Delalot  appuyèrent  plusieurs 
conclusions,  provoqua  une  réponse 
immédiate  du  ministre,  réponse 
satisfaisante  en  ce  qui  arait  trait 
aux  allégations  matérielles,  mais 
qui  révi'la  l'affligeante  étendue  des 
divisions  auxquelles  était  livré  lo 
parti  royaliste,  et  qui  put  faire 
pressentir  dès  lors  que  la  contre- 
opposition  de  droite  serait  plus 
funeste  à  la  monarchie  que  la  véri- 
table opposition  à  laquelle  elle 
s'était   substituée.   A  l'égard  des 


VIL 

institutions  municipales  dont  on 
invoquait  la  promesse,  Villèle 
répondit  avec  raison  que ,  dans 
l'état  actuel  de  la  société,  ces 
questions  soulevaient  d'immenses 
obstacles,  et  que  ses  adversaires, 
en  s'abstenant  d'user  à  cet  égard 
de  leur  droit  d'initiative,  véri- 
fiaient eux-mêmes  la  justesse  de 
celle  objection.  La  présentation 
du  budget  ne  rencontra  à  la  Cham- 
bre des  pairs  qu'un  opposant  sé- 
rieux,  dans  M.  Barbé-Marbois, 
premier  président  de  la  cour  des 
comptes.  Il  contesta  surtout  l'opi- 
nion émise  par  le  ministre  des 
finances,  qu'en  acquittant  les  dé- 
penses ordinaires  sur  le  produit  de 
l'impôt,  il  fallait  pourvoir  aux  dé- 
penses extraordinaires  par  la  créa- 
tion des  rentes,  et  blàraa  vivement 
«  le  danger  de  cette  malheureuse 
facilité  d'augmenter  la  dette,  et  de 
donner  à  des  banquiers,  surtout  à 
des  banquiers  étrangers,  l'exploi- 
tation de  la  fortune  publique.  » 
Le  comte  de  Villèle  répliqua  que 
le  ministère  actuel  n'avait  pas  créé 
mais  seulement  employé  le  système 
des  emprunts,  et  que  la  France 
n'avait  pas  eu  d'autre  moyen  d'ef- 
fectuer sa  libération,  lorsqu'il  avait 
paru  impossible  de  demander  de 
nouveaux  sacrifices  aux  ressources 
ordinaires  du  pays.  Ces  observa- 
tions, appuyées  par  M.  Roy,  der- 
nier ministre  des  finances,  n'ame- 
nèrent aucune  contradiction.  Le 
comte  de  Villèle,  qui  mesurait  l'im- 
mense difficulté  de  doter  la  France 
actuelle  d'un  bon  régime  munici- 
pal, avait  cherché  à  suppléer  du 
moins  à  rim|)erfection  de  nos  ins- 
titutions financières.  Uien  ne  gênait 
sur  ce  terrain  la  liberté  de  ses 
mouvements.  Pénétré,  dès  son  ac- 
cès au  pouvoir,  du  besoin  de  con- 
tenir l'entraînement  habituel   des 


VIL 


VIL 


[ik9 


ordonnateurs  des  dépenses  publi- 
ques, il  avait  entrepris  de  soumet- 
tre leur  gestion  au  joug  de  l'ordre 
et  à  la  garantie  du  contrôle  (1).  Ce 
fut  l'objet  de  l'ordonnance  du 
14  septembre  1822,  mûrement  éla- 
borée dans  plusieurs  commissions 
réunies  sous  sa  présidence,  et  par 
laquelle  le  caractère  et  la  durée 
de  l'exercice  furent  rigoureusement 
définis ,  et  les  dispositions  des 
ministres  strictement  renfermées 
dans  la  limite  des  crédits  votés  par 
les  Chambres;  les  ordonnateurs  de 
tous  les  degrés  y  furent  astreints  à 
des  règles  de  comptabilité  sévères, 
dont  l'observation  trouvait  son  con- 
trôle dans  un  mécanisme  tracé  avec 
une  grande  précision.  «  Ces  dispo- 
sitions salutaires,  dit  l'habile  finan- 
cier auquel  j'emprunte  ces  détails, 
ont  tari  pour  toujours  la  source  de 
l'arriéré,  en  réduisant  chaque  année 
la  comptabilité  desbudgets  à  l'exer- 
cice qui  commence  et  à  celui  qui 
s'achève,  ont  fait  pénétrer  la  lu- 
mière et  la  méthode  dans  l'admi- 
nistration publique,  et  ont  intro- 
duit dans  ses  opérations  variées 
cette  féconde  économie  qui  fait  que 
rien  ne  se  perd,  et  que  les  fonds 
du  trésor  reçoivent  leur  destina- 
tion légale,  sans  déviation  ni  retard. 
On  tenterait  vainement  d'apprécier 
en  chiffres  les  heureuses  consé- 
quences de  l'ordonnance  de  1822 
pour  la  répression  des  désordres, 
pour  la  disparition  des  abus,  ainsi 
que  le  meilleur  emploi  des  ressour- 
ces du  budget.  »  Vd  ne  se  bornè- 
rent pas  les  efforts  du  vigilant  mi- 
nistre. Pour  préparer  un  contrôle 


(1)  Tous  ces  détails  sont  tirés  de 
l'excellent  travail  publié  en  IBoo  sur 
riidniinislralion  lin.inciLTi'  de  M.  le 
ronite  de  Villèle,  par  M.  le  marquis 
d'AudifTrct. 

LXXiV 


public  et  complet  de  la  cour  des 
comptes  sur  la  fortune  nationale, 
il  fit  rendre,  le  10  décembre  1823, 
une  ordonnance  qui  instituait  une 
commission  de  membres  des  deux 
Chambres,  du  conseil  d'État  et  de 
la  cour  des  comptes,  chargée  de 
vérifier  et  d'arrêter  annuellement 
les  écritures  et  les  comptes  des 
ministres,  avec  obligation  de  pu- 
blier des  rapports  détaillés  de  leurs 
opérations,  afin  de  constater  aux 
yeux  de  tous  l'enchainemenl,  la 
concordance  et  la  régularité  de  ces 
comptabilités  cent  raies. — L'expédi- 
tion en  Espagne  touchait  à  un  dé- 
noùment  prochain.  L'armée  fran- 
çaise, en  moins  de  six  mois,  s'était 
rapidement  avancée  des  bords  de 
laBidassoa  à  la  baie  de  Cadix,  après 
avoir  livré  des  combats,  entrepris 
des  sièges  que  le  succès  avait  cons- 
tamment couroiinés,  et  faisant  ad- 
mirer sa  discipline  autant  que  sa 
valeur.  Au  seul  bruit  de  son  ap- 
proche, les  Certes  s'étaient  hâtées 
d'abandonner  Madrid  et  de  con- 
duire à  Séville  le  monarque  captif. 
Mais  ni  les  intentions  ouvertement 
pacifiques  du  cabinet  français,  ni 
l'esprit  de  sagesse  et  de  générosité 
déployé  en  toute  rencontre  par  le 
prince  généralissime,  ne  purent  les 
disposer  à  la  moindre  condescen- 
dance envers  le  gouvernement  de 
Louis  XVIIL  Cependant  M.  le  duc 
d'Angoulème,  qui  approchait  pré- 
cipitamment, avait  contraint  les  op- 
presseurs de  Ferdinand  à  chercher 
leur  dernier  abri  sous  les  remparts 
de  Cadix  et  de  l'ile  de  Léon.  11  fal- 
lut faire  violence  au  roi  pour  le 
décidera  ce  nouveau  départ.  Knfin, 
la  prise  du  Trocadéro,  la  reddition 
du  forldeSanli-Pietri,  la  défaite  et 
l'arreslaliou  de  Riego ,  tous  ces 
événements  auxiiuels  était  \cmw. 
s'ajouter  la  conire-révoiutiou  opé- 
29 


450 


VIL 


VIL 


réc  en  Portugal,  consommèrent  le 
découragement  des  constitution- 
nels; la  révolution  espagnole  expi- 
rait aux  lieux  mêmes  où  elle  avait 
pris  naissance,  et,  le  1"  octobre, 
le  roi  et  la  famille  royale  débar- 
quèrent libres  au  port  Sainte-Marie, 
où  le  généralissime  eut  à  la  fois  la 
joie  de  les  recevoir  et  la  douleur 
de  n'en  obtenir  aucune  concession 
profitable  à  l'avenir  de  la  Pénin- 
sule. (V.  Valdès,  tome  LXXXIV, 
p.  390).  Le  prince  avait  rendu  à 
Andujar,le  8  août,  une  ordonnance 
qui  interdisait  aux  autorités  espa- 
gnoles toute  arrestation  non  auto- 
risée par  les  commandants  des 
troupes  françaises,  qui  prescrivait 
l'élargissement  des  personnes  dé- 
tenues arbitrairement,  et  plaçait 
sous  la  surveillance  des  autorités 
militaires  les  journaux  et  les  jour- 
nalistes. Cette  ordonnance  avait 
soulevé  contre  le  généralissime 
toutes  les  colères  de  la  faction 
apostolique  à  laquelle  l'invasion 
française  venait  de  livrer  l'Espagne, 
et  le  ministère,  la  jugeant  contraire 
aux  engagements  pris  par  le  chef  su- 
prême de  l'armée  à  sou  entrée  en 
campagne,  n'avait  pas  cru  devoir  la 
soumettre  à  l'approbation  du  roi. 
Ces  divisions  n'étaient  que  le  pré- 
lude des  déchirements  auxquels  la 
malheureuse  Espagne  allait  se  trou* 
ver  bientôt  en  proie.  Mais  on  ne 
dut  songer  alors  qu'au  succès  mi- 
litaire de  l'expédition,  et  le  duc 
d'Angoulême,  qui  l'avait  conduite 
avec  autant  de  bravoure  que  de 
prudence,  recueillit  a  son  retour  à 
Paris  de  sincères  et  d'unanimes 
hommages.  Toute  la  France  roya- 
liste applaudit  à  cette  réconcilia- 
tion de  la  légitimité  et  de  l'armée, 
consommée,  en  d'pii  do3  manœu- 
vres et  des  bravades  de  l'Angle- 
terre, sous  les  auspices  de  la  vic- 


toire et  sur  les  ruines  d'une  révo- 
lution qui  avait  menacé  d'embraser 
l'Europe  entière.  Le  ministère 
s'était  amoindri  le  <9  octobre  par 
la  retraite  du  fidèle  duc  de  Bellune, 
auquel  avait  succédé  le  baron  de 
Damas,  sacrifice  fait  aux  exigences 
du  généralissime,  et  que  n'avait 
pas  compensé  la  nomination  du 
prince  de  Polignac  à  l'ambassade 
de  Londres.  Le  cabinet  crut  de- 
voir renforcer  sa  majorité  à  la 
Chambre  des  pairs  par  la  pro- 
motion (22  décembre)  de  ringt- 
sept  nouveaux  titulaires,  dont  il 
emprunta  la  plupart  aux  députés 
de  la  droite  les  plus  considérables 
par  leur  position  sociale  et  leur 
influence  personnelle.  Ce  fut  une 
faute,  ou  plutôt  un  malheur.  Il  se 
priva  ainsi,  sans  utilité  suffisante, 
de  zélés  auxiliaires  dont  la  fidélité 
éprouvée  lui  eût  été  précieuse  plus 
tard,  au  milieu  des  affligeantes  dé- 
fections qui  se  déclarèrent  dans  le» 
rangs  de  ses  auciens  amis.  Cepen- 
dant, les  conditions  générales  de 
son  existence  s'étaient  évidemment 
raffermies  par  la  répression  des 
complots  intérieurs  et  surtout  par 
l'issue  favorable  de  la  guerre  d'Es- 
pagne. Le  ministère  songea  à  i)ro- 
fiter  de  celte  situation  pour  garan- 
tir sa  stabilité  contre  les  oscillations 
auxquelleselle  était  périodiquement 
exposée  par  le  renouvellement  par- 
tiel de  la  Chambre  élective.  A  ce 
système,  que  consacraiU'arlicle  37 
de  la  Charte  constitutionnelle,  on 
substituait  l'établissement  d'une 
Chambre  septennale  intégralement 
rééligible.  M.  de  Chateaubriand 
servit  cette  idée  conservatrice  du 
secours  puissant  de  sa  plume  et  de 
son  influence.  L'exécution  du  plan 
miiiislérici  fut  préparée  par  la  dis- 
solution de  la  Ciiambre  aclueilc, 
dont  le  résultat  fut  de   réduire, 


VIL 

dans  la  nouvelle  assemblée,  l'op- 
position de  gauche  k  un  faible 
noyau  de  seize  ou  dix-sept  mem- 
bres. Entraînés  dans  ce  naufrage 
universel,  Lafayeite  se  vit  réduit 
à  exiler  sur  un  autre  hémisphère 
plus  sympathique  son  impuissance 
momentanée,  et  Manuel  alla  ex- 
pier les  stériles  agitations  de  sa  vie 
dans  un  délaissement  (1)  qui  n'eut 
d'autre  terme  que  la  mort.  Ce  ré- 
sultat s'expliquait  suftisamment  par 
la  déroute  des  révolutions  de  Na- 
pies ,  de  l'Espagne  et  du  Portu- 
gal. Il  s'y  mêla ,  toutefois ,  des 
actes  d'intimidation,  des  pratiques 
de  séduction  et  des  manœuvres 
artilicieuses ,  qui  soulevèrent  de 
justes  et  énergiques  protestations. 
Le  ministère  aigrit  encore  l'a- 
mertume de  ces  réclamations  par 
les  encouragements  qu'il  décer- 
na aux  fonctionnaires  publics  qui 
avaient  chaleureusement  secondé 
son  impulsion.  Les  services  les 
plus  zélés  furent  récompensés  par 
des  promotions  plus  ou  moins  im- 
portantes et  par  des  décorations 
dont  la  valeur,  déjà  dépréciée  par 
une  prodigalité  sans  mesure,  reçut 
de  celte  distribution  abusive  un 
nouvel  et  fâcheux  discrédit.  La 
monarchie  légitime  était  devenue 
assez  puissante  pour  dédaigner  de 
tels  moyens  qui  usaient,  au  préju- 
dice de  l'avenir,  tous  les  ressorts 
de  l'autorité.  A  ces  motifs  de  mé- 
contentement se  joignaient  ceux 
qui  dérivaient  des  imprudences 
d'une  partie  du  clergé,  trop  portée 
à  voir  dans  le  triomphe  des  idées 
monarchiques  celui  de  ses  propres 
prétentions,  qu'elle  ne  prenait  plus 


{\)  La  Vie  polilique  de  M.  Roijer- 
CoUard^  etc.,  par  M.  de  Barante,  l.  n, 
p.  33-i. 


VIL 


Ub\ 


soin  de  dissimuler.  Le  ministère 
composé  en  majorité  d'esprits  li- 
bres et  sans  ferveur,  n'avait  aucun 
penchant  pour  ce  genre  de  domi- 
nation; mais  il  la  tolérait  par  égard 
pour  les  sentiments  religieux  du 
futur  héritier  de  la  couronne,  et 
cette  tolérance  se  traduisait  en  con- 
cessions de  choses  et  surtout  de 
personnes  qui  excitaient  une  vive  ir- 
ritation dans  les  rangs  du  parti  li- 
béral. Dénoncé  avec  exagération 
par  les  uns,  indignement  exploité 
par  d'autres,  le  pouvoir  congréga- 
niste,  cette  forme  la  plus  palpable 
et  la  plus  impopulaire  de  la  prépo- 
tence sacerdotale,  était  devenu  dans 
ce  siècle  sceptique  le  grief  capital 
de  l'opposition  et  le  levier  le  plus 
puissant  de  l'esprit  de  désordre  et 
de  faction.  La  volonté  maladive  du 
monarque  impotent,  subjuguée  par 
d'astucieuses  obsessions,  était  sans 
résistance  contre  ce  courant,  dont 
la  pernicieuse  influence  semblait 
compromettre  tous  les  avantages  de 
la  situation.  Telle  était  la  disposi- 
tion des  esprits  quand  Louis  XVIII 
ouvrit,  pour  la  dernière  fois,  le 
23  mars  1824,  la  session  législative, 
dans  un  discours  où  il  faisait  pres- 
sentir, avec  le  projet  de  loi  sur  la 
septennalilé ,  deux  autres  mesures 
capitales  depuis  longtemps  conçues 
dans  l'esprit  du  chef  du  Conseil  :  la 
conversion  en  rentes  3  p.  0/Udes ren- 
tes créées  par  l'Etat  à  ri  p.  0/0,  elle 
dessein  d'a|)pliquer  le  bénelice  de 
cette  opération,  soit  à  réduire  les 
charges  publique.s,soit  à  indemniser 
les  victimes  des  conliscations  révo- 
lutionnaires. Les  deux  premiers 
projets  furent  simultanément  pré- 
ciuLes,  l'un  à  la  Chambre  des  pair^ 
par  le  comte  Corbière,  l'autre  à  la 
Chambre  des  députés  par  le  minis- 
tre des  linances.  Ce  dernier  aban- 
donna à  son  collègue  et  a  son  ami 


652 


VIL 


VIL 


tout  le  faix  du  débat  sur  la  loi  sep- 
tennale à  la  Chambre  haute,  et  ne 
prit  qu'une  fois  seulement  la  parole 
pour  défendre  celte  loi  à  la  Cham- 
bre élective.  Il  attribua  au  mouve- 
ment électoral  annuel  la  versatilité 
des  résolutions  du  gouvernement 
et  des  Chambres,  et  n'eut  pas  de 
peine  à  démontrer  que  si,  sous  le 
régime  impérial,  le  renouvellement 
partiel  n'avait  pas  été  un  obstacle 
aux  grands  travaux  législatifs,  ce 
résultat  tenait  à  ce  que  la  France 
n'avait  alors  que  les  apparences  et 
non  la  réalité  du  système  représen- 
tatif. Le  ministre,  s'expliquant  sur 
les  reproches  qu'avaient  motivés 
les  dernières  élections,  blâma  assez 
timidement  le  zèle  excessif  des 
agents  de  l'administration,  et  dé- 
clara que  c'était  rendre  un  vrai  ser- 
vice à  un  candidat  que  de  ne  pas 
garder  une  juste  mesure  dans  les 
attaques  dirigées  contre  lui.  Tous 
les  efforts  du  comte  de  Villèle  se 
concentrèrent  sur  la  discussion  de 
la  loi  de  réduction  des  rentes,  au 
succès  de  laquelle  il  attachait  un 
yérilable  amour  -  propre  de  pa- 
ternité, et  qui  devait  remplir  un 
rôle  si  considérable  dans  sa  vie 
publique.  En  présentant, le 5 avril, 
cette  loi  à  la  Chambre  élective,  il 
constata  d'abord  que  la  rente  avait 
dépassé  le  pair,  et  qu'elle  s'élève- 
rait plus  haut  encore,  si  le  minis- 
tère n'avait  loyalement  laissé  péné- 
trer ses  intentions  de  rembourse- 
ment. La  fortune  publique  éprouvait 
un  double  dommage  de  cet  état  de 
choses,  par  le  rachat  des  rentes  à 
un  taux  supérieur  au  pair  imposé 
i  la  caisse  d'amortissement,  et  par 
le  surcroît  d'un  intérêt  de  5  p.  dOO 
imposé  'à  l'h^iat,  tandis  que  le  cours 
de  ses  rentes  en  abaisserait  le  taux 
pour  ceux  qui  les  achèteraient.  Le 
devoir  de  l'administration,  dans  ces 


circonstances,  était  d'offrir  aux 
porteurs  de  rentes  le  rembourse- 
ment de  leur  capital  ou  la  conver- 
sion de  leurs  titres  à  un  intérêt 
plus  modéré.  Le  ministre  annonçait 
qu'il  s'était  mis  en  mesure  d'opé- 
rer le  remboursement  s'il  était  ré- 
clamé; à  l'égard  de  la  réduction, 
il  proposait  de  la  limiter  Ji  3  p.  iOO 
au  capital  de  75  francs.  Le  bénétice 
de  cette  opération  était  une  dimi- 
nution de  28  à  30  millions  sur  les 
dépenses  actuelles  de  l'Etat,  sans 
affaiblir  la  puissance  de  l'amortis- 
sement, sans  aggraver  la  condition 
des  emprunts  à  venir,  en  opérant 
dès  ce  moment  la  réduction  des 
intérêts  de  la  dette  publique  à 
4  p.  100,  et  en  émettant  des  titres 
qui  pouvaient  s'améliorer  en  capi- 
tal jusqu'à  ne  plus  porter  qu'un 
intérêt  de  3  p.  <00,  sans  qu'ils  fus- 
sent contenus  dans  cette  voie  d'a- 
mélioration par  la  crainte  d'un 
nouveau  remboursement.  Le  mi- 
nistre consacra  ses  derniers  déve- 
loppements à  démontrer  que  l'Etat 
était  en  droit  de  se  libérer,  et  k 
faire  ressortir  les  avantages  de  l'a- 
mortissement, que  ménageait  avec 
soin  le  projet  en  discussion.  La 
vive  sensation  que  ce  projet  fit 
naitre  dans  toutes  les  classes  de  la 
société  contrasta  avec  l'indifférence 
presque  générale  qui  avait  accueilli 
la  proposition  de  la  septennalité.  Ja- 
mais, sans  doute,  depuis  le  fameux 
système  de  Law,  mesure  financière 
n'avait,  surtout  à  Paris,  passionné 
à  ce  point  les  esprits.  La  loi  pré- 
sentée, bonne  et  avantageuse  en 
soi,  rencontrait,  dès  l'abord,  trois 
sortes  d'adversaires  :  les  rentiers, 
auxquels  elle  enlevait  un  cinquième 
de  leur  revenu,les  antagonistes  déjà 
nombreux  du  ministère  de  Villèle, 
qui  entrevoyaient  la  chute  du  mi- 
nistre à  travers  le  rejet  de  ses  plans, 


VIL 


VIL 


/i53 


enfin  le  parti  libéral,  que  f-oissait 
vivement  l'attribution  faite  aux 
émigrés  dans  le  produit  éventuel 
de  la  conversion.  De  ces  intérêts 
coalisés  sortirent  des  objections 
plus  ou  moins  puissantes  contre  le 
projet,  auquel  on  reprocha  tour  à 
tour  la  brusquerie,  l'obscurité  de 
ses  dispositions;  les  mots  de  ruine 
et  de  banqueroute  furent  pronon- 
cés par  allusion  aux  souvenirs  ré- 
volutionnaires, sans  tenir  compte 
de  l'alternative  avantageuse  offerte 
aux  porteurs  de  rentes.  On  contesta 
l'assertion  qui  présentait  comme 
inférieur  à  5  p.  dOO  le  chiffre  cou- 
rant de  l'intérêt  en  France;  on 
qualifia  la  loi  d'infraction  ouverte 
au  pacte  constitutionnel.  Enfin,  on 
se  demanda  comment  le  Trésor 
réunirait  les  fonds  nécessaires  au 
remboursement  intégral  du  capital 
des  rentes  remboursables;  mais  le 
ministre,  dans  la  prévision  de  cette 
éventualité,  avait  fait  signer  aux 
principales  maisons  financières  un 
traité  par  lequel  elles  mettaient  à 
sa  disposition  les  sommes  suffi- 
santes pour  l'exécution  de  la  loi. 
Les  partisans  de  l'opération  oppo- 
saient de  leur  côté  les  charges  ex- 
cessives qui  frappaient  la  propriété 
territoriale,  en  présence  de  l'im- 
munité absolue  dont  jouissait  la 
propriété  mobilière;  ce  surcroît 
d'avantages  avait  pour  effet  de  dé- 
tourner une  partie  de  la  rente  des 
capitaux  qui  pouvaient  êtrt;  utile- 
ment appliqués  à  l'agricullure  ou  à 
l'industrie;  le  résultat  naturel  de 
la  conversion  devait  être,  au  con- 
traire, de  provoquer  le  retour  de 
ces  r-apiiaux  dans  les  départements, 
et  de  mettre  un  frein  a  l'usure 
en  amenant  une  diminution  salu- 
taire dans  l'intérêt  de  l'argent. 
L'infatigable  ministn*  ajouta  i\  la 
puissance  de  ces  considérations  par 


une  argumentation  approfondie 
adressée  tour  à  tour  à  l'une  et  à 
l'autre  Chambre,  et  qui  attesta  éga- 
lement l'étendue  de  ses  connais- 
sances financières  et  l'inépuisable 
fécondité  de  ses  ressources.  Devant 
la  Chambre  élective,  il  réfuta  parli- 
culièrementla  proposition  de  M.  Hu- 
mann,  qui  préférait  au  plan  minis- 
tériel la  création  d'une  rente 
4  p.  0/0,  et  celle  qui  consistait  à 
réduire  le  fonds  d'amortissement; 
il  démontra  que  sa  destination  était 
moins  d'anéantir  la  dette  publique 
que  de  ménager  aux  contribuables 
les  moyens  de  l'accroître  sans  trop 
de  dommage  dans  les  temps  de  né- 
cessité. Divers  amendements  en 
faveur  des  petits  rentiers  furent 
combattus  par  le  ministère  et  écar- 
tés par  la  Chambre,  qui  adopta  la 
loi  à  93  voix  de  majorité.  La  dis- 
cussion à  la  Chambre  des  pairs 
n'eut  lieu  que  trois  semaines  plus 
tard.  Ici  se  rencontrèrent,  dans 
MM.  Roy,  Pasquier,  Mollien ,  et 
surtout  dans  Mgr  de  Quélen,  arche- 
vêque de  Paris,  des  adversaires 
d'autant  plus  dangereux  qu'aucun 
soupçon  de  passion  personnelle 
n'infirmait  l'autorité  de  leur  oppo- 
sition. Le  vénérable  prélat  plaida 
la  cause  des  petits  rentiers  pari- 
siens avec  une  onction  persuasive 
qui  ne  fut  pas  sans  influence  sur 
le  sort  du  projet.  Quelques  conces- 
sions tardives  ne  purent  conjurer 
une  défaite,  et  la  loi  fut  rejetée  le 
3  juin,  à  la  majorité  de  'Si  voix, 
résultat  grave  sous  une  apparence 
purement  financière,  et  dont  la 
première  et  la  plus  fatale  consé- 
quence fut  la  rupture  des  deux 
hommes  qui  avaient  le  plus  acli- 
vement  concouru  à  la  prospérité 
de  la  Restauration. —  Les  premiers 
symptômes  de  refroi  iissemeiit  en- 
tre Villèle  et  Chateaubriand  dataient 


A5/i 


VIT. 


de  l'issue  de  la  guerre  d'Espagne. 
L'empereur  Alexandre  avait  en- 
voyé au  dernier  la  grand'croix 
de  Saint-André ,  à  Texclusion  du 
président  du  Conseil,  auquel  il  gar- 
dait quelque  rancune  de  sa  tié- 
deur sur  la  question  espagnole.  Le 
comte  de  Villèle  n'était  pas  demeuré 
insensible  à  cette  affectation  d'oubli, 
et  Louis  XVIIÏ,  vivement  blessé,  lui 
•vail  dit  :  «  Pozzo  et  La  Ferron- 
nays  viennent  de  me  faire  donner 
un  soufflet  sur  votre  joue  par  l'em- 
pereur Alexandre  ;  mais  je  vais  lui 
donner  chasse  et  le  payer  e-n  mon- 
naie de  meilleur  aloi  :  je  vous 
nomme,  mon  cher  Villèle,  chevalier 
de  mes  ordres  (30  déc.)  ;  ils  valent 
mieux  que  les  siens  (1).  »  Cette 
distinction  avait  causé  une  incura- 
ble piqûre  à  l'ombrageux  amour- 
propre  de  M.  de  Chateaubriand  (2), 
et  la  blessure  n'avait  fait  que  s'enve- 
nimer sous  l'action  d'une  rivalité 
que  tout  concourait  à  développer. 
Tous  deux  aspiraient  à  la  prédo- 
minance gouvernementale  ;  mais 
sur  ce  terrain  la  lutte  était  ouver- 
tement inégale  entre  le  génie  élevé, 
lumineux,  mais  fantasque  et  vani- 
teux de  l'auteur  des  Martyrs,  et 
l'esprit  pratique,  avisé,  le  bon  sens 
exquis  de  son  collègue,  auquel 
le  roi  et  les  princes  accordaient 
d'ailleurs  une  confiance  que  M.  de 
Chateaubriand  ne  leur  avait  jamais 
inspirée(3). L'illustre  écrivain  s'était 


VIL 

montré  peu  favorable  à  la  conver- 
sion des  rentes,  et  le  chef  du  Con- 
seil avait  accru  sa  mauvaise  humeur 
en  lui  dérobant  la  communication 
du  traité  qu'il  avait  éventuellement 
conclu  avec  les  banquiers  de  la  capi- 
tale (1).M.  de  Chateaubriand  s'était 
renfermé  en  public  dans  un  si- 
lence affecté  à  l'égard  du  projet  de 
loi  ;  il  avait  eu  le  tort  plus  grave 
de  manifester  son  opposition  à  ses 
amis ,  et  cette  tactique  déloyale 
avait  achevé  d'ébranler  la  majorité 
de  la  Chambre  haute,  où  il  exerçait 
une  grande  influence.  Informé  au 
sortir  même  de  la  séance,  par  le 
président  du  Conseil,  du  rejet  de  la 
loi,  Louis  XVIII  en  manifesta  une 
vive  émotion.  «Villèle,  lui  dit-il,  ne 
m'abandonnez  pas  à  ces...  je  vous 
soutiendrai.  »  Le  dimanche  suivant 
6  juin,  jour  de  Pentecôte,  le  comte 
de  Villèle  étant  entré  le  matin  dans 
le  cabinet  du  roi,  «  Chateaubriand, 
lui  dit  Louis  XVIII,  nous  a  trahis 
comme  un...  Je  ne  veux  pas  le  voir 
ici  après  la  messe  ;  rédigez  l'ordon- 
nance de  renvoi ,  et  qu'on  la  lui 
remette  à  temps  ;  je  ne  veux  pas  le 
voir.  »  Le  ministre  essaya  quelques 
observalionsauxquelles  Louis  XVIII 
n'eut  pas  égard  ;  il  fallut  écrire  sur 
le  bureau  même  du  roi  l'ordon- 
nance de  destitution,  qui  fut  aussi- 
tôt expédiée.  M.  de  Chateaubriand 
ouvrit,  aux  Tuileries  même,  à  l'issue 
de  la  messe,  la  lettre  qui  accompa- 


(1)  Notice  sur  M.  le  comte  de  Vil- 
lèle, etc.  p.  103. 

(2)  M.  de  Cliateaubriand  fut  également 
décoré  du  crdon  bleu,  quelques  jours 
après. 

(3)  Cette  opinion  est  aussi  celle  de 
M.  Sairitc-Bf'uvc,  dans  son  curieux  ou- 
vrage intitulé  :  Chaleaubriaud  et  son 
groupe  litléi  aire,  t.  ii,  p.  42i.  «  Cha- 
teaubriand, dit-il,  n'avait  ni  la  patience, 
ni  la  dextérité,  ni  le  ménagrnienl,  et  la 


souplesse,  cette  suite  de  petites  cho- 
ses, qui  sont  souvent  la  condition  des 
grandes,  et  les  rendent  possibles.  Pre- 
mier ministre  avec  l'un  ou  l'autre  des 
deux  rois  avec  qui  il  eût  fallu  s'enten- 
dre et  coinj)ter,  on  ne  se  ligure  pas 
qu'il  'Ji\tpn  y  tenir  longtemps;  il  serait 
arrivé  un  matin  quelque  aventure.  M. 
de  (hateaubriand  aime  les  croix,  dirait 
M.  Canning.  » 
(1)  Congrès  de  Vérone,  t.  n,  eh.  20. 


I 

I 


VIL 

gnait  cet  acte,  lettre  dont  la  sé- 
cheresse n'était  autorisée,  ni  par  le 
procédé,  ni  par  la  situation.  Il  ré- 
pondit au  chef  du  Conseil  «  que  le 
déparlement  était  à  ses  ordres,  » 
et  fit  bruit  de  son  renvoi  comme 
d'un  triomphe.  Le  soir  même 
M.  Berlin  deVaux,  son  ami,  proprié- 
taire du  Journal  des  Débats,  vint 
déclarer  au  président  du  Conseil 
qu'il  commencerait  dès  le  lende- 
main une  guerre  incessante  au  ca- 
binet, si  M.  de  Chaleaubriaud 
n'obtenait  l'ambassade  de  Rome 
pour  compensation  de  sa  disgrâce. 
Villèle  ayant  décliné  l'initiative  de 
cette  ouverture  :  «  Souvenez-vous, 
lui  dit  le  journaliste,  que  les  Débats 
ont  déjà  renversé  les  ministères 
Decazes  et  Richelieu,  ils  sauront 
bien  aussi  renverser  le  nainislère 
Villèle.  —  Vous  avez  renversé 
les  premiers,  répondit  le  ministre, 
en  faisant  du  royalisme  ;  pour 
renverser  le  mien ,  il  vous  faudra 
faire  de  la  révolution  (1).  »  Trop 
judicieux  pronostic,  dont  l'accom- 
plissement devait,  par  une  pente 
inévitable ,  faire  descendre  en 
quelques  années  l'interprète  des 
rancunes  de  MM.  de  Chateau- 
briand et  Berlin  jusqu'aux  théories 
les  plus  outrées  de  la  politique  ré- 
volutionnaire! —  En  somme,  la  sé- 
paration de  M.  de  Chateaubriand 
était  un  événement  considérable. 
Elle  appauvrissait  d'un  membre 
élo(iuent  et  renommé  le  cabinet 
déjà  atteint  dans  son  élément  aris- 
tocratique par  la  retraite  du  loyal 
duc  de  Montmorency,  dans  sou 
expression  militaire,  par  le  sricri- 
fice  du  modeste  duc  de  Bellime. Elle 
impliquait  l'ambition  toujour's  haïs- 


VIL 


A55 


sable  d'une  suprématie  sans  par- 
tage chez  l'homme   d'État   réputé 
jusqu'ici  le  moins  accessible  aux 
enivrements  du  pouvoir,  celui  dont, 
la  contradiction  même  la  plus  ar- 
dente n'avait  jamais  désarmé  l'im- 
passibilité. Elle  affaiblissait  ce  p.res- 
tige  de  modération  et  de  simplicité 
dans  la  direction  des  afifair^-s,  qui 
ajoutait  tant  de  poids  à  sa  valeur 
personnelle.  La  brusquerie  du  pro- 
cédé surtout  rencontra   une   im- 
probation  générale.  En  accordant 
quelques  jours  à  la  juste  irritation 
de  Louis   XVIII,    le  président   du 
Conseil   eût    négocié   sans   peine 
l'éloigneraenl  de  son   rival  k  des 
conditions  honorables  qui  auraient 
pacifié  ce  redoutable  conflit.  Mais, 
«  contre  sa  couVume,  dit  très-bien 
M.  Guizoï,  il  eut   plus    d'humeur 
que  de  sang-froid  et  de  prévoyance; 
il  y  a  des  alliés  nécessaire  quoi- 
que  très-incommodes,   et   M.  de 
Chateaubriand  était  moins  dange- 
reux comme  rival  que  comme  en- 
nemi. Il  devint,  continue  M.  Guizot, 
un  chef  d'opposition    brillant  et 
puissant,    ralliant  à  lui  d'anciens 
adversaires  destinés  à  le  redevenir 
un  jour,  mais  momentanément  at- 
tirés par  le  plaisir  et  le  profit  des 
coups  qu'il  portait  à  leur  ennemi 
commun  (V.  »  L'éclatante  rupture 
des  deux  principaux  membres   du 
cabinet  avait  captivé  sans  f  absor- 
l)er  l'attention  publique.  Cette  ses- 
sion  la    plus    féconde   depuis   la 
Restauralion,  fut  marquùe  par  la 
présentation  (Vm\  projet  de  loi  ré- 
pressif des  vols  commis  dans  les 
églises,  projet  qu'adopta  la  dura- 
bre  des  pairs,  mais  dont   les  dis- 
positions parurent  incomplètes   h 
la   Chambre    élective ,   et   que   le 


(1)  Notice  hist.  sur    V^  Iç  comte  de 
Vtitèie,  etc.,  p,  113. 


(1)  Mémoiresy  etc.,  t.  im. 


A  56 


VIL 


VIL 


ministère  relira  pour  le  repro- 
duire plus  tard  sous  une  autre 
/orme.  Plusieurs  lois  de  linances 
/urent  proposées  par  le  comte  de 
V'.Ulèle,  qui  les  défendit  avec  son 
expérience  et  sa  lucidité  acroutu- 
mée.s;  telles  furent  celle  sur  le 
monopole  des  tabacs,  celle  qui,  en 
vue  à*.*,  remédier  au  morcellement 
de  la  propriété  territoriale,  rédui- 
sait au  droit  fixe  de  5  francs  Té- 
change  di^s  terres  contiguës ,  la 
loi  sur  les  boissons,  celle  enfin  du 
budget  de  1825.  La  discussion  de 
cette  dernière  loi  se  fit  remarquer 
par  un  caractère  d'indépendance  et 
de  généralité  dont  aucun  autre  dé- 
bat analogue  n'avait  peut-être  of- 
fert l'exemple.  M.  Ferdinand  de 
Berthier,  organe  de  la  contre-oppo- 
sition de  droite,  traça  un  pro- 
gramme détaillé  de  réformes  ira- 
praticables,  pour  la  plupart,  dans 
une  société  issue  du  mouvement 
de  4789.  M.  de  La  Bourdonnaye, 
rappelant  le  mot  de  saturnales  po- 
litiques, que  le  président  du  Con- 
seil avait  appliqué  aux  élections, 
prétendit  que  «  c'était  sans  doute 
parce  qu'il  eût  voulu  n'y  voir  figu- 
rer que  des  esclaves,  »  et  accusa  le 
ministère  d'attaquer  à  la  fois  toutes 
les  libertés  publiques;  le  marquis 
de  Noaiiles  s'indigna  de  la  préten- 
due dépendance  de  la  France  vis- 
à-vis  des  Ëiats  étrangers;  M.  de 
Lézardières  se  plaignit  de  la  situa- 
tion malheureuse  de  la  propriété 
sur  tous  les  points  du  royaume,  et 
M.  de  Vaublanc  présenta  des  cal- 
culs peu  rassurants  sur  l'état  de  la 
balance  commerciale  du  pays.  Le 
comte  (le  Villèle  se  mit  peu  en  souci 
de  ces  doléances,  qui  n'ébranlèrent 
point  sa  majorité  habituelle,  et,  en 
présenlaiit  le  budg«tt  à  la  Chambre 
des  pairs,  il  se  contenta  de  faire 
remarquer  la  limitation   salutaire 


qu'il  apportait  dans  l'émission  des 
bons  royaux,  dont  l'abus  avait  sou- 
levé jusqu'alors  tant  de  réclama- 
lions.  Après  un  débat  sans  intérêt 
et  partant  sans  véhémence,  le  bud- 
get ne  rencontra  que  trois  oppo- 
sants. Mais  le  ministère  se  trouva 
bientôt  appelé  sur  un  terrain  plus 
difficile  par  l'obligation  de  sou- 
mettre à  la  Chambre  les  crédits 
supplémentaires  dont  la  guerre 
d'Espagne  avait  nécessité  l'emploi. 
Rappelons  en  peu  de  mots  ce  qui 
s'était  passé  à  cette  occasion.  Le 
corps  d'armée  destiné  à  l'invasion 
de  la  Péninsule  avait  été  longtemps 
retenu  sur  la  frontière  des  Pyré- 
nées par  les  incertitudes  qui  ré- 
gnaient au  sein  du  Conseil.  La 
même  cause  n'avait  pas  permis  à 
l'administration  militaire  de  s'oc- 
cuper sérieusement  des  préparatifs 
d'une  entrée  en  campagne.  C'est 
dans  cet  état  d'imprévision  et 
d'insuffisance  qu'était  survenu  au 
quartier  général  l'ordre  de  mettre 
sans  retard  les  troupes  en  mouve- 
ment. La  situation  était  critique. 
Quels  périls  n'avait-on  pas  k  re- 
douter du  défaut  de  subsistances 
sur  une  terre  ennemie,  pauvre, 
mal  peuplée,  épuisée  par  trois  ans 
de  guerre  civile,  et  dans  la  con- 
duite d'une  armée  dont  les  dispo- 
sitions n'étaient  pas  à  l'épreuve 
d'un  sujet  moins  grave  de  mécon- 
tentement! Un  spéculateur  plus 
habile  que  considéré,  Gabriel  Ou- 
vrard,  entreprit  de  surmonter  ces 
obstacles.  Il  vint  à  Bayonne  se  pré- 
senter au  prince  généralissime, 
interrogea  quelques  réfugiés  espa- 
gnols sur  les  ressources  des  pro- 
vinces que  l'armée  aurait  à  traver- 
ser, et,  le  5  avril,  il  déclara  au  duc 
d'Angoulême  qu'il  était  prêt  k 
mettre  l'armée  en  mesure  de  fran- 
chir immédiatement  la  Bidassoa; 


VIL 


VIL 


457 


mais  il  fit  dépendre  ce  concours  de 
conditions  onéreuses,  comme  on 
devait  SA'  attendre;  il  exigea  que 
les  onze  douzièmes  du  montant  de 
ses  fournitures  lui  fussent  payés 
par  avance,  et  qu'on  tint  à  sa  dis- 
position tous  les  approvisionne- 
ments existant  dans  les  divisions 
militaires  de  Toulouse  et  de  Bor- 
deaux, etc.  Ces  stipulations,  si 
connues  sous  le  nom  de  Marchés  de 
Bayonne,  furent  signées  dans  la 
nuit  même,  et  soumises  quelques 
jours  plus  tard  à  l'approbation  du 
gouvernement,  qui  la  donna  sans 
hésiter.  Ce  premier  traité  fut  mo- 
ditié  par  des  conventions  postérieu- 
res du  2  mai  et  du  26  juillet  qui 
accrurent  encore  l'exagération  des 
clauses  primitives,  et  ce  fut  sur 
l'ensemble  de  ces  stipulations  que 
M.  de  Martignac,  qui  avait  rempli 
avec  tant  de  distinction  les  fonc- 
tions de  commissaire  civil  près  de 
l'auguste  généralissime,  eut  à  s'ex- 
pliquer deva[it  la  Chambre  en  qua- 
lité de  rapporteur.  Sans  dissimuler 
tout  ce  qu'avait  d'exorbitant  la 
pression  exercée  par  M.  Ouvrard 
sur  l'intendance  militaire,  il  estima 
que  la  sanction  législative  ne  pou- 
vait être  refusée  aux  crédits  em- 
ployés à  solder  l'expédition.  Cette 
opinion  fut  vivement  combattue  par 
le  général  Foy,  qui  n'eut  pas  de 
peine  à  démontrer  combien  le  Tré- 
sor public  avait  été  lésé  par  un  dé- 
sordre administratif  «sans  exemple, 
dit-il,  pendant  les  vingt-cinq  ans 
des  guerres  de  la  Kévolution;  » 
mais  Villèle  monta  à  la  tribune 
pour  la  soutenir  ,  ei  revendiqua 
hautement  la  responsabilité  de  la 
partie  onéreuse  de  l'expédition, 
dont  il  ((.  laissait  tout  l'honneur  au 
prince  généralissime  et  à  la  brave 
armée  qu'il  commandait.  »  Il  fit 
remarquer  qu'une  semblable  cam- 


pagne ne  pouvait  réussir  que  par 
des  moyens  extraordinaires,  et 
qu'on  avait  dû  sacrifier  de  l'argent 
pour  épargner  des  hommes, et  pour 
se  libérer  plus  tôt  des  charges  que 
la  continuation  de  la  guerre  au- 
rait imposées  au  pays.  Ces  considé- 
rations n'empêchèrent  pas  le  comte 
Alexis  de  Noailles  d'infliger  à  l'ad- 
ministration un  blâme  sévère,  que 
M.  de  La  Bourdonnaye  aggrava  de 
quelques  hostilités  personnelles 
contre  le  président  du  Conseil.  Mais 
l'inflexible  nécessité  domina  de 
trop  justes  objections,  et  les  crédits 
extraordinaires  furent  votés  à  une 
forte  majorité.  Cependant  le  minis- 
tère ne  crut  pas  devoir  refuser  à 
l'opinion  publique  la  satisfaction 
d'une  enquête,  et  une  commission, 
composée  du  maréchal  Macdonald, 
de  MM.  de  Villemanzy,  Daru,  de 
Vaublanc,  Halgan  et  La  Bouille- 
rie,  fut  chargée  d'apprécier  les 
causes  et  l'urgence  des  crédits 
supplémentaires  que  la  Chambre 
venait  de  sanctionner.  Cette  cir- 
constance fit  perdre  au  débat  de- 
vant la  Chambre  des  pairs  une  par- 
tie de  son  intérêt;  mais  ce  débat 
révéla  une  particularité  honorable 
pour  le  prince  généralissime,  qui 
non-seulement  avait  refusé  toute 
espèce  de  traitement,  mais  avait  en 
outre  réalisé  sur  les  dépenses  se- 
crètes de  l'armée  une  somme  de 
plus  de  500  mille  francs,  qu'il  s'é- 
tait empressé  de  mettre  à  la  dispo- 
sition du  ministre  de  la  guerre  : 
résultat  remar(|uable  surtout  eu 
égard  aux  bruits  de  corruption 
qu'avait  accrédités  la  prompte 
reddition  de  quelques  -  unes  des 
places  assiégées.  Pour  terminer 
sur  ce  désagréable  incident  du 
ministère  Villèle,  nous  dirons  que 
la  commission  d'en(iuête  déposa, 
au     commencement     de    l'année 


458 


VIL 


VIL 


182;),  un  rapport  qui  signalait 
des  divisions  tellement  tranchées 
parmi  les  membres  dont  elle  se 
composait,  que  l'organe  d'une  com- 
mission spéciale,  M.  Fadatle  de 
Saint-Georges,  crut  devoir  mettre 
la  Chambre  dans  la  confidence  do 
ces  débats  intérieurs.  En  substance, 
ce  document  déversait  le  blAme  le 
plus  absolu  sur  la  conduite  du  mu- 
niiionnaire  général,  en  dégageant 
de  toute  responsabilité  le  ministre 
de  la  guerre,  antagoniste  constant 
du  système  qui  a'^ait  causé  ces  di- 
lapidations, et  concluait  à  ce  que 
l'examen  des  manœuvres  employées 
à  cette  occasion  fût  déféré  aux 
tribunaux;  ce  qui  fut  prescrit  par 
une  ordonnance  du  9  février  4825. 
Le  rapporteur  se  prononça,  toute- 
fois, pour  l'adoption  définitive  des 
suppléments  de  crédit.  Mais  cette 
opinion  fut  vivement  attaquée  par 
M.  de  La  Bourdonnaye,  qui  se  pré- 
valut avec  avantage  de  l'opposition 
qui  avait  existé,  au  sujet  des  mar- 
chés de  Bayonne,  entre  le  ministre 
de  la  guerre  et  l'intendant  militaire 
Joinville,  porteur  des  instructions 
secrètes  du  président  du  Conseil,  et 
demanda  que  la  conduite  de  cet 
agent  supérieur  fût  sévèrement 
scrutée.  Le  général  Foy,  de  son 
cMé,  rappela  les  éloges  que  le  mi- 
nistre des  finances  avait  donnés 
l'année  dernière  à  ces  marchés  de 
Bayonne,  objet  aujourd'hui  d'un 
décri  si  universel,  et  censura  l'u- 
surpation manifeste  qu'il  s'était  at- 
tribuée sur  les  fonctions  du  minis- 
tre de  la  guerre.  Villcle  n'opposa 
à  ces  reproches  et  ii  ces  irrégulari- 
tés que  le  défi  de  formuler  contre 
lui  aucune  iniputalion  précise  (1), 


(1)  Le  ministre  qui  répondait  en  ces 
termes  aux  agressions  envenimées  de 


et,  après  six  jours  de  débats  ani- 
més et  approfondis,  où  des  hosti- 
lités de  personnes  et  de  partis  se 
mêlèrent  trop  souvent  aux  ques- 
tions financières,  les  comptes  de 
1823  furent  décidément  réglés  d'a- 
près les  propositions  ministérielles, 
à  une  très-grande  majorité.  Ce  ré- 
sultat numérique  fut  plus  éclatant 
encore  à  la  Chambre  des  pairs,  où 
vingt  voix  seulement  protestèrent 
contre  ces  propositions.  Quant  aux 
poursuites  judiciaires,  elles  n'abou- 
tirent, après  de  nombreux  inci- 
dents, qu'à  la  condamnation  cor- 
rectionnelle de  deux  agents  du 
munllionnaire  général,  convaincus 
de  tentatives  de  corruption  envers 
des  employés  de  l'intendance  mili- 
taire :  misérable  dénoùment  d'un 
système  d'inculpation  qu'avait  dé- 
moli la  puissance  irrésistible  des 
faits  accomplis,  bien  plus  que  l'as- 
sentiment libre  et  consciencieux 
des  pouvoirs  de  l'Etat.  La  laborieuse 
session  de  1824  fut  close  le  4  août. 


M.  de  La  Bourdonnaye  et  du  général 
Foy,  possédait  un  moyen  bien  plus  victo- 
rieux de  confondre  leurs  insinuations. 
Il  avait  écrit  peu  de  jours  avant  l'ou- 
verture de  la  campagne,  le  7  avril  1823, 
il  M.  le  duc  d'Angoulôme  pour  le  pré- 
munir contre  les  démarches  et  les  spé- 
culations de  M.  Ouvrard,  etconservait  la 
lettre  que  le  prince  généralissime  lui* 
avait  faite  le  13  avril,  en  réponse  k  cet 
avertissement  méconnu.  Lors  des  atta- 
ques diiipées  contre  le  chef  du  Conseil, 
le  prince  l'autorisa  à  faire  usage  de 
cette  lettre  :  «  Non,  Monseigneur,  ré- 
pondit noblement  Villèle,  il  en  arrivera 
ce  qui  plaira  a  la  Providence,  mais  je 
croirais  commettre  un  crime  envers  la 
France  si,  pour  me  dégager  d'une  ac- 
cusation, quelque  grave  qu'elle  pût  être, 
je  compromettais  le  nom  de  Monsei- 
gneur. »  Le  prince  insista,  mais  sans 
vaincre  la  résistance  du  ministre,  lequel 
ne  laissa  jamais  échapper  une  seule 
parole  qui  put  divulguer  ce  fait.  {Notice 
sur  M.  de  Villèle,  etc.,  p,  130.) 


VIL 


VIL 


659 


Le  même  jour,  le  baron  de  Damas 
passa  du  ministère  de  la  guerre  à 
celui  des  affaires  étrangères,  et  fut 
remplacé   par    M.    de   Clermont- 
Tonnerre,  qui  eut  pour  successeur 
à  la  marine  M.  de  Chabrol-Crouzol, 
administrateur  éprouvé.  M.  le  duc 
de  Doudeauville  succéda  au  maré- 
chal Lauriston  comme  ministre  de 
la  maison  du  roi.  Ces  changements 
maintenaient  l'unité  du  ministère, 
mais  ils   ne  lui  prêtaient  pas  la 
force  dont  il  avait  surabondamment 
besoin  pour  résister  aux  attaques 
combinéesde  l'opposition  degauche 
et  de  la  contre-opposition  de  droite. 
L'hostilité  des   journaux  qui  leur 
servaient  d'organes  avait  redou- 
blé de  violence  depuis  la  retraite 
de  M.  de  Chateaubriand,  et  la  ma- 
gistrature, trompant  l'espérance  que 
le  pouvoir  avait  mise  en  elle,  répon- 
dait le  plus  souvent  par  une  encou- 
rageante absolution  aux  poursuites 
du   ministère   public.  Le    cabinet 
songea  à  amortir  cette  action  per- 
turbatrice   par    des    manœuvres 
moins  directes,  et  un   fonds,  que 
quelques  évaluations  portèrent  à 
deux  millions,  fut  consacré  à  cor- 
rompre ou  à  supprimer  quelques- 
unes  de  ces  feuilles.  Mais  ces  ten- 
tatives, qui  suscitèrent  de  nouvelles 
clameurs,  vinrent  se  briser  contre 
d'insurmontables  résistances,  et  les 
ministres,  se  fondant  «  sur  l'insuf- 
fisance des  moyens  de  répression 
établis  contre  la  presse  »  provo- 
quèrent, le  lijaoùt,  une  ordonnance 
suspensive  de  la  liberté  des  jour- 
naux (l).  Cette  mesure,  à  laquelle 
l'affaiblissement  marqué  de  la  santé 
du  roi  avait  une  part  non  avouée. 


(I)  Louis  XVIII  entrevit  trop  bien  le 
présage  de  sa  tin  prochaine  dans  cette 
précaution  niinistéi  iolle,  car  il  chargea 
expressément  le  comte  de  Villèle  d'aller 


excita  une  exaspération  telle  qu'au- 
cun homme  de  lettres  ne  voulut  se 
charger  personnellement  des  fonc- 
tions de  censeur ,  lesquelles  fu- 
rent confiées  à  une  commission 
secrète, placée  sousia  présidence  du 
directeur  général  de  la  police.  Le 
vindicatif  auteur  du  Génie  da  Chris- 
tianisme  figura  au  premier  rang 
des  antagonistes  du  cabinet.  La 
susceptibilité  de  l'opposition  s'a- 
larma, quelques  jours  plus  tard 
(20  août),  de  la  création  d'un  mi- 
nistère des  affaires  ecclésiastiques, 
auquel  fut  appelé  le  sage  et  tolérant 
évêque  d'Hermopolis.  Cette  excel- 
lente institution,  que  tous  les  ré- 
gimes postérieurs  ont  maintenue, 
fut  représentée  comme  une  conces- 
sion servile  à  l'esprit  congréganiste. 
On  ne  manqua  pas  de  rappeler  îi 
cette  occasion  la  ténacité  récente 
et  hautaine  avec  laquelle  une  par- 
tie de  l'épiscopat  avait  repoussé  la 
déclaration  du  clergé  de  1682, 
comme  base  d'enseignement  dans 
les  écoles  ecclésiastiques,  et  le  gou- 
vernement ne  réussit  pas  à  tempé- 
rer cet  impression  par  le  choix  qu'il 
fit  du  baron  Cuvier  pour  la  direc- 
tion des  cultes  dissidents.  La  mort 
du  roi  Louis  XVIÏI  (16  septembre) 
vint  donner,  pendant  qut;lque  temps 
du  moins,  un  autre  cours  aux 
préoccupations  des  esprits.  Re- 
marquable par  la  finesse  et  la  lu- 
cidité de  son  intelligence,  et  par 
ce  sentiment  du  caractère  royal 
qui  l'avait  soutenu  et  grandi  dans 
ses  longues  épreuves,  Louis  XVIII 


l'annoncer  à  son  frère.  «  Ah  !  Villèle, 
quelle  faute!  »  s'écria  le  futur  héritier 
du  trône.  Mot  remarquable  par  le  dé- 
menti qu'il  donne  à  l'opinion  générale- 
ment accréditée  que  rien  dcja  ne  se 
faisait  plus  que  d'accord  avec  ce  prince. 
{Notice  sur  M.  de  Villcley  etc.,  p.  118.) 


&60 


VIL 


VIL 


conciliait,  îi  un  haut  degré,  deux 
dispositions  assez  diverses:  àsavoir 
l'orgueil  inné  de  son  titre  et  de  ses 
prérogatives  avec  un  besoin  domi- 
nant de  quiétude  et  de  bien- 
être,  qui  le  prédisposait  natu- 
rellement à  subir  le  joug  du  favo- 
ritisme. Livré  longtemps  à  de  vifs 
regrets  par  l'éloignement  de 
M.  Decazes,  ce  n'est  que  graduel- 
lement qu'il  s'était  abandonné  à 
Viilèle,  dont  la  haute  raison,  l'es- 
prit dépourvu  de  culture ,  mais 
plein  de  ressources  et  de  dextérité, 
l'invariable  modération,  avaient 
fini  par  dissiper  ses  préventions 
contre  le  parti  de  l'extrême  droite. 
En  retour  de  ses  témoignages  de 
confiance,  l'habile  ministre  avait 
répandu  sur  les  derniers  jours  du 
vieux  monarque  une  impression 
de  paix  et  de  sérénité  qui  préparait 
d'heureux  auspices  au  nouveau 
règn3.  Contre  tant  de  prédictions 
sinistres,  Charles  X  succéda  sans 
opposition  et  sans  secousse  à  ce 
frère  dont  ses  imprudences  avaient 
plus  d'une  fois  contrarié  le  systè- 
me gouvernemental,  et  ce  ne  fut 
pas  le  moindre  bienfait  de  l'admi- 
nistration du  14  décembre  que  ce 
rapprochement  entre  tous  les  mem- 
bres de  la  famille  royale,  opéré  en 
vue  de  la  Révolution  menaçante, 
sur  le  terrain  de  la  Charte  consti- 
tutionnelle. «  Le  nouveau  roi,  dit 
un  judicieux  historien,  n'étaitpoint 
un  prince  doué  de  génie,  mais  de 
sagesse  et  de  bon  sens;  il  avait  la 
dignité  de  sa  vieille  race,  avec  l'a- 
menité  qui  lient  à  la  grandeur. 
Apres  avoir  laissé  aller  sa  jeunesse 
dans  b;s  plaisirs  d'une  société 
habituée  aux  vices  comme  à  une 
partie  de  l'élégance,  il  avait  été 
ramené  au  sérieux  de  la  vie  etkia 
la  gravité  des  vertus.  Mais  son 
austérité  était  clémente  ;   sévère 


envers  lui-même ,  il  n'avait  retenu 
d'indulgence  que  pourlesautres(i)» 
Charles  X  estimait  personnelle- 
ment le  comte  de  Viilèle  et  s'était 
toujours  montré  plein  de  déférence 
pour  ses  avis.  Mais  le  ministre,  qui 
connaissait  mieux  que  personne 
la  droiture  des  intentions  du  prince, 
la  loyauté  chevaleresque  de  son 
caractère  personnel,  n'avait  pas 
la  même  foi  dans  sa  portée  politi- 
que. Il  n'ignorait  pas  que  Charles  X, 
sans  conserver  contre  le  système 
représentatif  cet  esprit  de  préven- 
tion et  de  défiance  qu'il  avait  fait 
paraître  dans  les  premiers  temps 
de  la  Restauration,  tenait  au  parti 
de  l'émigration,  dont  il  avait  été  le 
chef  et  le  promoteur,  par  ces  enga- 
gements qui  entravent  l'action  du 
pouvoir  et  déconcertent  les  meil- 
leures combinaisons  de  ses  con- 
seillers. Viilèle  savait  k  quel  point 
les  affinités,  les  prétentions,  les 
tendancesde  l'ancien  régime  étaient 
antipathiques  à  la  société  nouvelle  ; 
il  redoutait  les  conflits  que  les 
exigences  de  certains  courtisans 
de  Charles  X  soulèveraient  infail- 
liblement sous  un  règne  que  leurs 
illusions  caressaient  depuis  long- 
temps comme  l'idéal  du  régime 
contre-révolutionnaire.  Il  les  re- 
doutait jusqu'à  dire  que  les  ses- 
sions les  plus  occupées  et  les  plus 
difficiles  étaient  pour  lui  des  ses- 
sions de  repos,  parce  qu'au  moms 
il  voyait  ses  ennemis  en  face,  tandis 
que  dans  les  entr'actes  de  sessions 
il  était  attaqué  par  derrière  (2). 
L'intention  des  deux  chefs  de  l'an- 
cienne droite  était  donc  de  quitter 
le    ministère    à   l'avénemeut  du 


(Ij  Jlist.  de  France,  par  M.  Lau- 
rentie,  t.  vuf,  ch.  7. 

(â)  Souv.  de  la  Reslaur.,  par  M. 
Nettement. 


VIL 

nouveau  règne,  et  ils  n'attendaient 
pour    la  réaliser  sans  dommage 
pour  la  royauté,  que  l'appel  aux 
affaires  de  quelqu'un  des  conseil- 
lers  intimes    du    successeur   de 
Louis  XVIII.  Mais  Charles  X  ayant 
déclaré  qu'il  voulait  maintenir  le 
cabinet  que  lui  avait  légué  son 
frère  (i;,  Villèle   et  Corbière  ne 
crurent  pas  devoir  donner  suite 
à    leur  résolution.  Les    premiers 
mois  de  rétablissement  du  nou- 
veau règne   furent  marqués  par 
une    impression    d'espérance    et 
de   satisfaction  dont  nos  annales 
modernes  offrent  peu  d'exemples. 
L'ivresse  populaire  qui  accueillit 
Charles  X  à  sa  rentrée   à  Paris, 
quatre  jours  après  les  obsèques  de 
son  frère,    rappela  les   premiers 
transports  d'allégresse  qui  avaient 
signalé   le  retour  des  Bourbons. 
«  Le  comte  de  Villèle,  dit  M.  Guizot, 
profita  avec  un  art   infini  de  sa 
position  près  de  Charles  X  pour 
mettre  dans  sa  bouche  une  infinité 
de  mots  modérés,  généreux,  pro- 
pres à  tempérer  la  réputation  de 
fougue  de  son  parti  (2).  »  Toutes  les 
opinions  semblaient  réconciliées, 
toutes  les  hostilités  semblaient  dé- 
sarmées; l'un  des  coryphées  les 
plus  ardents  du  parti  libéral ,  cé- 
dant à  l'entraînement  général ,  se 
surprenait  à  crier  Vive  le  Roi!  et 
la    presse     révolutionnaire    elle- 
même  était  réduite  au  silence  de- 
vant   celte    chaleureuse    récipro- 
cité de  sentiments.   Le   frère  de 
Louis  XVIII  répondit  par  des  actes 
de  clémence  et  de  bonne  politique 
à  la  cordialité  de  cet  accueil.  Des 
commutations  de  peines  furent  ac- 
cordées   aux   transfuges   français 


11)  Notice  sur  M.  de  Villèle,  p.  12:2. 
{"2)  Mémoires j  cfc,  t.  iv. 


VIL 


m 


condamnés   pour  avoir  porté   les 
armes  contre  la  France  lors  de  la 
guerre  d'Espagne  ;   les  déserteurs 
des  armées   de   terre  et   de   mer 
obtinrent    une    entière    amnistie. 
Charles  X   voulut    introduire   un 
grand  principe  d'apaisement  et  de 
conciliation  entre  les  deux  bran- 
ches longtempsdivisées  de  sa  propre 
famille,  en  accordant  au  duc  d'Or- 
léans, à  sa  sœur  et  à  ses  enfants 
le   titre    d'Altesse   royale   que   ce 
prince  avait  fait  demander  vaine- 
ment à  la  méfiance  ombrageuse  de 
Louis  XVIII.  La  Faculté  de  droit 
de  Grenoble,  supprimée  par  suite 
de  quelques  troubles  auxquels  les 
élèves  avaient  pris  part,  fut  rétablie, 
et  de  nombreuses  promotions  eu- 
rent lieu  dans  l'ordre  civil  et  mili- 
taire. Mais  de  tous  les  actes  de  la 
bienvenue  royale,  aucun  ne  pro- 
duisit une  sensation  plus  favorable 
que  le  rapport  (29  septembre)  de 
l'ordonnance  qui  avait  rétabli  la 
censure  dans  les  derniers  jours  de 
la  vie  du  feu  roi.  On  vit  avec  sa- 
tisfaction   le    nouveau    monarque 
s'abandonner  généreusement  à  cette 
puissance  formidable  et  capricieuse 
que  le  maitre  de  l'Europe  n'avait 
osé  affronter,  et  à  laquelle  les  con- 
seillers de   Charles  X   espéraient 
opposer  avec  fruit  le  contrepoids 
salutaire  de  la  légitimité.  L'excel- 
lent effet  de  ces  mesures  fut  mal- 
heureusement    affaibli     par    une 
ordonnance  qui  limitait  à  150  lieu- 
tenants-généraux et  à  300  maré- 
chaux de  camp  le  cadre  de  iétat- 
major.  Celte  ordonnance,  calquée 
sur  les  réformes  économiques  qu'a- 
vaient votées  les  Chambres, appelait 
il   !a    retraite    un    grand    nombre 
d'officiers  généraux,  et  Topposilioa 
fit  remarquer  avec  amertume,  mais 
avec  raison,  que  la  réforme  attei- 
gnait   surtout    K-s    mililairos   des 


hÇ>2 


VU 


anciennes  armées  royalistes  qui 
avaient  dû  leurs  grades  à  la  ren- 
trée des  Bourbons.  De  nombreuses 
réclamations  s'élevèrent;  le  mi- 
nistre de  la  guerre  en  accueillit 
plusieurs,  et  parmi  les  officiers- 
généraux  favorisés,  on  remarqua  le 
général  Exelmans,  Tun  des  enne- 
mis les  plus  actifs  et  les  plus  cons- 
tants de  la  Restauration. —  Depuis 
que  le  comte  de  Villèle  avait  abdi- 
qué toute  idée  de  retraite  du  mi- 
nistère ,  une  grande  pensée  le 
préoccupait  tout  entier  ;  celle  de 
préparer  le  projet  de  loi  destiné  à 
indemniser  les  émigrés  dont  les 
biens  avaient  été  confisqués  en 
vertu  des  lois  révolutionnaires.  11 
voyait  dans  ce  projet  le  triple  avan- 
tage de  fermer,  par  un  grand  acte 
d'équité,  une  des  dernières  plaies 
de  la  révolution,  de  faire  disparaî- 
tre une  inégalité  fâcheuse  entre  les 
propriétés  territoriales  du  même 
pays,  et  de  tarir  une  source  per- 
manente d'inquiétudes  et  d'irrita- 
tion f.iïire  les  partis.  Villèle  ne 
négligea  rien  pour  concilier  d'a- 
vance à  celte  mesure  réparatrice, 
par  d'imposants  suffrages,  l'assen- 
timent de  l'opinion  publique.  Ce 
projet  de  loi,  discuté  dans  le  Con- 
seil des  ministres,  et  dans  des 
réunions  d'hommes  spéciaux,  fut 
en  outre  communiquéaux  membres 
les  plus  influents  des  deux  Cham- 
bres, et  le  roi  en  annonça  la  pré- 
sentation dans  son  discours  d'ou- 
verture de  la  session,  le  22  décem- 
bre, en  ajoutant  que  a  ce  grand 
acte  de  justice  et  de  politique 
s'accomplirait  sans  entraîner  au- 
cune augmentation  d'impôts,  sans 
nuire  au  crédit  et  sans  retran- 
cher aucune  partie  des  fonds  des- 
tinés aux  divers  vservices  publics.» 
Quehiue?  jours  après,  le  président 
du  Conseil  présenta  à  la  Chambre 


VIL 

des  députés  un  projet  de  loi  qui 
fixait  à  25  millions  le  montant  de 
la  liste  civile  comme  sous  le  règne 
précédent,  et  réduisait  de  deux  mil- 
lions, par  la  suppression  de  la  mai- 
son de  Monsieur,  le  chiffre  de  la 
dotation  affectée  aux  princes  de  la 
famille  royale.  L'article  Â  de  ce 
projet  consacrait  d'une  manière  ir- 
révocable la  restitution  faite  en  1814 
aux  princes  d'Orléans  de  l'apanage 
constitué  à  leur  profit  par  les  édits 
de  1661,  1672,  et  1692.  Cette  in- 
tercalation  avait  pour  but  de  sous- 
traire la  clause  additionnelle  aux 
critiques  du  cOié  droit  de  la  Cham- 
bre qui,  peu  favorable  en  général 
à  la  maison  d'Orléans ,  n'eût  pro- 
bablement pas  manqué  de  repous- 
ser, isolée,  une  disposition  qui  ten- 
dait à  consolider  son  indépendance 
politique.  Cette  bienveillante  pré- 
caution n'empêcha  pas  qu'elle  ne 
fût  en  butt,e  à  de  vives  attaques. 
MM.  Bazire,  Bourdeau,  Dudon  et 
de  La  Bourdonnaye  s'élevèrent 
avec  force  contre  celte  abrogation 
brusque  et  intempestive  de  la  loi 
de  1791. Cependant,  malgré  l'adhé- 
sion formellement  exprimée  du 
côté  gauche  ,  dont  le  général  Foy 
se  rendit  l'organe,  l'article  proposé, 
défendu  avec  force  par  les  ministres 
des  finances  et  de  l'intérieur,  réunit 
une  assez  grande  majorité,  que  les 
instances  personnelles  de  Charles  X 
contribuèrent  puissamment  à  déter- 
miner. On  dit  avec  esprit,  à  celle 
occasion,  que  le  ministère  avait  fail 
la  contrebande  dans  les  carros,ses  de 
la  cour.  Les  Chambres  discutèrent 
successivement  les  projets  de  loi 
relatifs  aux  salines  de  lEst,  aux 
communautés  religieuse.,  et  à  la 
lépression  du  sacrilège.  Ces  deux 
derniers  projets  avaient  subi  l'é- 
preuve d'un  débat  à  la  Chambre 
des  pairs, à  la  suite  duquel  le  second 


VIL 


VIL 


463 


avait  été  retiré  comme  incomplet, 
et  l'autre  rejeté  à  la  majorité  de 
deux  voix  seulement.  Le  ministère 
reproduisit  le  projet  de  loi  sur  les 
communautés  de  femmes  avec  des 
modilications  graduées  sur  les  ob- 
jections qu'il  avait  précédemment 
essuyées.  IS'ulle  congrégation  de  ce 
genre  ne  pouvait  être  admise 
qu'après  la  vérification  et  l'appro- 
bation de  ses  statuts  par  l'évèque 
diocésain  et  le  conseil  d'État;  l'au- 
torisation était  accordée  par  ordon- 
nance royale;  les  acceptations  de 
donations,  les  acquisitions  à  titre 
onéreux  et  les  aliénations  de  rentes 
ou  d'immeubles  étaient  soumises  à 
l'autorisation  royale  ;  nul  membre 
d'une  congrégation  autorisée  ne 
pouvait  disposer  en  sa  faveur  que 
d'un  quart  de  ses  biens;  en  cas 
d'extinction  ou  de  suppression 
d'une  communauté  religieuse,  les 
biens  acquis  à  titre  gratuit  faisaient 
retour  aux  donateurs;  ceux  acquis 
à  titre  onéreux  étaient  attribués 
aux  établissements  hospitaliers  ou 
ecclésiastiques  du  département.  Le 
principal  amendement  proposé  à 
la  Chambre  haute  consista  à  récla- 
mer l'inteivention  du  pouvoir  lé- 
gislatif pour  l'établissement  des 
communautés.  Il  fut  combattu  par 
le  président  du  Conseil,  qui  objecta 
que  la  disposition  ministérielle  ne 
projugeait  rien  i)Our  le  mode  d'au- 
torisation éventuelle  des  commu- 
nautés d'hommes  ;  mais  cette  expli- 
cation ne  put  prévenir  l'adoption  de 
l'amendement.  Villèle  défendit  avec 
plus  d'efficacité  l'aUribulion  faite 
au  conseil  d'Kiat  du  droit  de  véri- 
fication des  statuts,  et  lit  remarquer 
qiie  ce  conseil,  quoique  la  Charte 
ne  le  compiil  pas  nommément  au 
nombre  de  nos  institutions,  exer- 
çait déjà  des  prérogatives  |)lus  im- 
portantes encore  que  celle  dont  on 


proposait  de  l'investir.  En  repré- 
sentant, le  4  janvier,  ^  la  Chambre 
des  pairs  le  projet  de  loi  sur  le  sa- 
crilège qui  avait  été  retiré  l'année 
précédente,  M.  de  Peyronnet  ex- 
pliqua que  l'intention  première  du 
cabinet  n'avait  été  que  d'atteindre 
le  sacrilège  par  cupidité,  et  qu'en 
étendant  aujourd'hui  les  disposi- 
tions du  projet,  il  ne  faisait  que 
céderaux  réclamations  nombreuses 
émanées  de  tous  les  points  des  deux 
Chambres  pour  combler,  par  la  ré- 
pression du  crime  de  profanation 
religieuse,  un  vide  immense  de 
notre  législation  actuelle.  D'après 
le  nouveau  projet,  où  ce  qui  était 
l'année  dernière  le  principal  deve- 
nait aujourd'hui  l'accessoire ,  le 
sacrilège  proprement  dit  était  puni 
de  mort;  la  môme  peine  atteignait 
en  certains  cas  le  vol  sacrilège,  au- 
quel, dans  le  plus  grand  nombre 
de  circonstances,  la  loi  décernait 
des  peines  temporaires  et  même 
simplementcorrectionnelles.Levice 
de  ce  projet  était  de  menacer  de 
rigueurs  exorbitantes  un  attentat 
dont  le  ministre  lui-même  recon- 
naissait l'extrême  rareté,  et  l'oppo- 
sition s'emparant  habilement  de  cet 
aveu,  signala  la  conception  minis- 
térielle comme  un  sanglant  hom- 
mage rendu  à  l'influence  sacerdo- 
tale (.l),objetii'alarmessi  exagérées, 
mais  si  générales.  Ces  considéra- 
lions  réduisirent  à  quatre  voix 
la  majorité  qui  repoussa  la  subs- 
titution de  la  peine  des  travaux 


{\)  M.  de  Barantc,  [La  Vie  polilique 
de  Hoyer-Collard^l.  ii,  p. 212)  racoutc 
que  le  jour  oii  le  garde  des  sceaux  piv- 
sci.ta  ce  projet  de  loi,  un  magistrat  lui 
ayant  témoigné  quelque  étoniiement  de 
cette  démarche  :  •<  Nous  soiiniies  iieu- 
reux,  lui  répondit  M.  de  Pcynuinel, 
d'avoir  échappé  à  une  loi  contre  le 
blasphème.  » 


m 


VIL 


perpétuels  à  celle  de  mort  pour  le 
crime  de  sacrilège;  mais  le  projet 
rencontra  plus  de  faveur  à  la 
Chambre  élective,  dont  la  plupart 
professaient  une  répulsion  outrée 
pourloutesleslracesque  l'esprit  phi- 
losophique et  révolutionnaire  avait 
laissées  dans  la  société  française,  et 
la  loi  y  fut  accueillie  à  une  forte 
majorité.  Le  président  du  Conseil 
fit  j)reuve  d'habileté  en  s'abslenant 
de  prendre  part  à  ce  débat,  dont 
le  caractère,  les  tendances  et  le 
résultat  fournirent,  dans  un  siècle 
sceptique,  de  nouvelles  armes  aux 
ennemis  de  la  Restauration  (1). — 
Toutes  les  préoccupations  du  comte 
deVillèle  étaient  alors  concentrées 
dans  le  débat  d'un  projet  de  loi 
qui,  après  avoir  quelque  temps  par- 
tagé fort  injustement  l'impopularité 
du  précédent,  a  mérité  depuis  de 
prendre  une  place  glorieuse  dans  la 
législation  moderne  de  la  France. 
Nous  voulons  parler  de  l'indemnité 
des  émigrés.  L'équitable  idée  de 
désintéresser  ces  victimes  de  la 
tyrannie  révolutionnaire  n'avait 
point  échappé  à  Napoléon,  consul 
et  empereur.  «  Il  y  a  en  France, 
disait-il  au  conseil  d'État  en  1806, 
quarante  mille  émigrés  sans  moyens 
d'existence...;  ils  demandent  la 
restitution  de  leurs  biens  ou  une 
indemnité;  il  faudra  bien  un  jour 
faire  (juelque  chose  pour  ceux  à 
qui  il  ne  reste  que  \0  mille  francs 
de  rente  de  cent  qu'ils  avaient  au- 


(1)  La  loi  sur  le  fait  de  sacrilège 
proprement  dit  ne  reçut  aucune  appli- 
cation et  fut  une  des  premières  dispo- 
sitions qu'abrogea  presque  sans  discus- 
sion la  législature  de  4830.  Par  une 
regrettable  réaction,  un  amendement 
qui  proposait  d'assimiler  les  vols  com- 
mis dans  les  églises  a  ceux  (■(tmmisdans 
les  maisons  habitées,  ne  pût  môme  pas 
£tre  accueilli. 


VIL 

trefois...  Les  émigrés  du  dehors, 
ajoutait  Napoléon,  sont  plus  inté- 
ressants que  les  hommes  de  la 
même  classe  qui  ne  sont  pas  sor- 
tis; car  ils  ont  eu  le  courage  de 
faire  alors  la  guerre,  et  de  faire 
aujourd'hui  la  paix  (1).  »  Mais 
l'Empire,  absorbé  par  des  guerres 
continuelles,  avait  passé  sans  ac- 
complir cette  grande  réparation, 
dont  l'initiative  appartenait  natu- 
rellement au  régime  qui  lui  succé- 
dait. Dès  les  premiers  moisde  1814, 
une  loi  fut  proposée  et  votée  pour 
remettre  les  anciens  propriétaires 
en  possession  des  biens  non  ven- 
dus, et,  dans  la  séance  du  3  décem- 
bre, un  des  chefs  les  plus  illustres 
des  armées  impériales,  le  maréchal 
Macdonald  demanda  qu'une  rente 
annuelle  de  12  millions  fiit  inscrite 
au  budget  de  1816,  pour  être  ap- 
pliquée aux  émigrés  dont  les  pro- 
priétés avaient  été  aliénées  révo- 
lutionnairement.  Cette  proposition 
obtint  une  adhésion  unanime  à  la 
Chambre  des  pairs,  et  tout  faisait 
espérer  qu'elle  allait  être  convertie 
en  projet  de  loi,  lorsque  l'événe- 
ment du  20  mars  vint  entrave  rcette 
mesure  de  conciliation.  La  pensée 
d'une  indemnité  fut  plusieurs  fois 
reprise  depuis  lors  et  suspendue, 
soit  par  les  embarras  incessants 
que  causaient  au  gouvernement  les 
attaques  des  factions,  soit  par  les 
sacrifices  qui  lui  furent  imposés 
par  la  guerre  d'Espagne.  L'heu- 
reuse issue  de  cette  guerre,  l'état 
prospère  des  finances  et  la  tran- 
quillité relative  du  pays  permet- 
taient enfin  de  songer  sérieusement 
à  réaliser  ce  grand  acte  de  politique 
et  d'équité,  et  M.  de  Martignac  vint, 


(t)  Opinion  de  Napoléon,  recueillie 
par  un  membre  du  conseil  d'Mtatf 
p.  272. 


! 


VIL 

le  3  janTier  i82o,  exposer  à  la  tri- 
bune de  la  Chambre  des  députés 
les  motifs  du  projet  de  loi  destiné 
à  le  consacrer.  iM.  de  Martignac 
justifia  ayer  une  noble  simplicité 
le  principe  de  réparation  qui  en 
faisait  la  base,  et  écarta  le  reproche 
de  restreindre  à  une  seule  classe 
des  victimes  de  la  Révolution,  l'in- 
demnité pécuniaire  dont  le  minis- 
tère provoquait  l'application. Parmi 
tous  les  maux  qu'elle  avait  faits, 
la   préférence   du    gouvernement 
envisageait   les   plus   graves,    les 
plus  odieux,  ceux  dont  l'origine 
consîiluait  une  atteinte  aux  droits 
les   plus  saints,   et  la  trace  une 
causepermanentede  divisions  etde 
haines;  seuls,  de  tous  les  Français 
atteints  par  la   spoliation  révolu- 
tionnaire, les  émigrés  avaient  tout 
perdu   à  la  fois  ;  la   confiscation 
lancée  contre  eux  ne  fut  pas  une 
peine  établie,  mais  une  vengeance 
exercée;  il  importait  ({uun  exem- 
ple mémorable  apprit  que  les  gran- 
desinjusticesdoivent  avec  le  temps 
obtenir   de   grandes   réparations. 
M.  de  Martignac  entraitensuite  dans 
quelques  détails  sur  la  partie  ma- 
térielle du  projet.  Pour  arriver  à 
une  évaluation  fidèle  du  préjudice 
causé,  le  gouvernement  avait  cru 
devoir  en  général  prendre   pour 
base  le  revenu  de  171)0,  réguliè- 
rement constaté.  Celte  base  d'esti- 
mation avait  dû  être  modifiée  pour 
les  immeubles  vendus  antérieure- 
ment à  la  loi  du  12  prairial  an  111, 
et  l'administration  s'en  était  tenue, 
pour  apprécier  la  valeurde  ces  im- 
meubles, au  prix  même  d'adjudi- 
cation. Quoi  qu'il  en  soit,  le  chiffra 
total  de  l'indemnité  présumée  s'é- 
levait Ik    987  millions   et   tant  de 
francs,    dont    le    gouverueinenl 
allouait  l'équivaleui   en   rentes  à 
3  p.  1 00,  en  sollicitant  l'aulorisation 

LXXXV 


VIL 


A65 


d'émettre,  en  conséquence,  trente 
millions  de  rentes  à  ce  taux,  par 
cinquième,  en  cinq  ans.  Tels  étaient 
l'esprit  et  l'économie  du  nouveau 
projetde  loi,  auquel  la  commission, 
par  l'organe  de  M.  Pardessus,  ne 
fit  subir   que    des   modifications 
sans   importance.    Elle   proposait 
d'appliquer  l'excédant  des  30  mil- 
lions de  rentes  à  réparer  les  iné- 
galités   inévitablement    attachées 
au  mode  d'évaluation  des  immeu- 
bles, de  restreindre  au  capital  des 
créances  les  oppositions    formées 
par  les   créanciers   des  indemni- 
taires, en  réservant  à  ces  derniers 
la  faculté  de  se  libérer  par  le  trans- 
fert d'un  capital  égal  au  montant 
de  la  dette  ;  la  commission  pro- 
posait enfin  de  restituer  les  biens 
d'émigrés  provisoirem:*nt  aflfectés 
aux  hospices,  et,  quant  à  ceux  dé- 
finiiivement  concédés,  elle  assu- 
jettissait l'ancien  propriétaire  ou 
ses  ayants  cause    à  conférer  aux 
établissements  détenteurs  de  ces 
biens  une  rente  égale  au  revenu 
net  de  la  propriété  réclanire  par 
eux.  La  discussion  du  projet  de 
loi    s'ouvrit,  peu  de   jours  après 
ce  rapport,   par   un   discours  de 
M.   Labbey    de    Pompières,    qui 
l'attaqua  sous  le  triple  point  de  vue 
(le  son  piincipe,de  son  opportunité 
dans  l'état  obéré  des  finances  et 
des  esprits  à  l'intérieur  du  royau- 
me, et  de  son  opposition  aux  pro- 
messes et  à  l'esprit  de  la  Charte. 
Ce  manifeste,  danslequeU'orateur, 
soulevant  les  questions  les    plus 
irritantes,  fit  en  termes  amers  le 
procès  à   l'cmigralion  et  ne  crai- 
gnit point   de  défendre  jusqu'au 
principe  même  de  la  confiscation 
politique,  put  faire  pressentir  com- 
bien le  débat  serait  passionné,  et 
k  quel  prix  le  ministère  obtii-n. Irait 
le   triomphe   de    sa    proposition. 

30 


/i66 


VIL 


M.  de  Lézardière,  abordant  ouver- 
lemenl,  de  son  côté,  i'apologie  de 
rémigialion,  qualifia  de  «  décla- 
nijtioii  appuyée  sur  le  dogme  usé 
de  la  souveraineté  du  peuple,  » 
l'inculpation  absolue  de  s'allier  à 
l'étranger  pour  repousser  de  son 
pays  l'oppression  et  l'anarchie,  et 
rappela  le  récent  exemple  du  ba- 
ron d'Eroles  s'unissant  à  Tarmée 
de  Louis  XVlll  pour  rendre  au 
roi  d'Espagne  son  sceptre  et  sa 
liberté.  Un  des  membres  de  la  gau- 
che, M.  Bastenèche,  se  fit  remar- 
quer parla  fermeté  avec  laquelle, 
heurtant  de  front  les  exagérations 
modernes  de  l'esprit  militaire ,  il 
entreprit  l'éloge  du  courage  civil, 
celte  qualité  si  estimable  et  si  dé- 
daignée de  nos  jours.  «Ces  hom- 
mes, dit-il,  qui  portaient  sur  Té- 
chafaud  la  dignité  de  leur  carac- 
tère d'honneur  et  de  probité,  qui, 
avant  de  sortir  delà  vie,  lançaient 
sur  leur  passage  ce  noble  dédain, 
celte  explosion  de  mépris  qui  finit 
par  exciter  une  salutaire  compas- 
sion, le  remords  et  jusqu'à  la  ter- 
reur dans  l'ûme  des  terroristes 
eux-mêmes;  c'est  à  cette  classe  de 
victimes  et  à  l'indignation  que 
provoqua  leur  belle  contenance 
parmi  la  multitude  jusque-là  trop 
indiiférente,  que  l'on  doit  le  châ- 
timent des  assassins,  la  fin  des 
massacres  et  le  retour  de  l'ordre 
public.  Ce  n'est  pas  le  courage 
militaire  qui  a  seul  contribué  à 
nous  sauver;  c'est  bien  plus  le 
courage  civil  qui,  au  dedans  de  la 
France,  arrêta  le  torrent  dévasta- 
teur, et  qui  le  premier  renversa 
\t  monstre.  Honorons  avant  tou- 
tes choses  cette  indomptable  fer- 
meléde  caractère,  qui  a  ses  racines 
dans  l'âme,  el  qiii  n'a  p.is  be;  oin 
d'être  excitée  par  la  fermentation 
du  sang  et  par  la  chaleur  monien- 


VIL 

lanée  de  quelque  passion;  le  cou- 
rage civil  est  si  rare  parmi  leâ 
hommes  de  notre  époque,  même 
dans  cettp  France  féconde  en  toute 
autre  espèce  de  courage  et  de 
dévouement  !  »  Exa^jéranl  au  niveau 
de  ses  passions  personnelles  le 
principe  de  réparation,  M.  de  La 
Bourdonnaye  accusa  le  projetd'ètre 
conçu  «  dans  un  système  de  dé- 
ception,» et  lui  reprocha  de  n'avoir 
pour  objet  que  d'investir  un  seul 
homme  du  pouvoir  immense  et 
arbitraire  de  disposer  sans  respon- 
sabilité, sans  surveillance  et  sans 
appel,  de  là  fortune  publique  com- 
me des  fortunes  privées.  Deux  au- 
tres orateurs  de  l'extrêmo  droite, 
MM.  de  Beaumont  et  Bacot  de 
Itomans  compromirent  le  sort  de 
la  loi  en  lui  reprochant  l'insufll- 
sance  de  sa  libéralité  et  la  consé- 
cration implicite  du  préjudice  de 
l'expropriation.  Enfin, un  troisième 
opinant,  M.  de  Laurencin  voulait 
qu'on  obligeât  les  propriétaires  ac- 
tuels de  biens  nationaux,  à  tenir 
compte  de  la  plus-value  que  l'a- 
doption de  l'indemnité  procurerait 
néc'îssairement  à  leurs  immeubles. 
Lej)résidentduConseilcompritrur- 
gente  nécessité  de  retirer  le  débat 
de  cette  direction  périlleuse,  et  dé- 
clara en  termes  formels  que  toute 
adhésion  donnée  par  la  Chambre  à 
des  amendements  contraires  h  la 
Charte,entraîneraitle  retrait  immé- 
diatduprojetde  loi. L'opposition  se 
récria  vivement  contre  cette  me- 
nace; M.  de  La  Bourdonnaye  affecta 
d'y  voir  une  atteinte  grave  aux 
convenances  et  aux  droits  de  la 
Chambre;  le  minisire  persista  et  la 
discussion  continua.  Le  général 
Foy  attaqua  le  projet  de  loi  dans 
.son  pi'ii;cipe  ei  dans  ses  consé- 
quences, mais  avec  plus  de  mesure 
et  de  dignité  que  les  orateurs  qui 


VIL 

l'araient  précédé.  11  contesta  au 
projet  ministériel  le  caractère  de 
conciliation  qu'on  s'accordait  gé- 
néralement à  lui  reconnaître,  et 
signala  rindemnilé  proposée  com- 
me ouvrant  une  ère  de  vexations 
incessantes  contre  les  détenteurs 
actuels  des  propriétés  nationales; 
pronostic  dont  l'avenir  tint  peu  de 
compte,  mais  qui  répandit  dans 
l'assemblée  une  afçitation  assez 
vive  pour  amener  à  la  tribune  le 
ministre  promote;ir  de  la  grande 
mesure  qui  soulevait  tant  d'oppo- 
sition. Villèle  posa  d'abord  le 
principe  immuable  de  l'irrévoca- 
bilité  des  ventes  nationales,  et  dé- 
clara que  tous  les  efforts  qui  ten- 
draient à  les  iîivalider  échoueraient 
égalementdevanllesdeux  Chambres 
et  devant  la  puissance  et  la  volonté 
royale.  Il  s'attacha  ensuite  à  réfuter 
l'objection  que  l'indemnité  était 
consentie  au  profit  exclusif  d'une 
seule  classe  et  à  démontrer  que 
cetteconcession,  quelquesoin  qu'on 
prît  pour  lui  donner  une  assiette 
équitable,  serait  évidemment  infé- 
rieure à  la  valeur  réelle  du  capital 
dont  les  émigrés  avaient  été  dépos- 
sédés; puis,  transiortant  la  question 
sur  son  véritable  terrain/il  présenta 
l'indemnité  comme  lecomplément 
naturel  de  la  Restauration,  comme 
une  garantie  donnée  à  tous  contre 
le  retour  de  la  confiscation  et  des 
discordes  civiles  <  dont  elle  était 
souvent  le  but  et  toujours  raliment 
le  plus  actif.  ■  L'orateur  affaiblit 
sans  peine  la  valeur  de  l'assimila- 
tion qu'on  sefforç.'iit  d'établir  avec 
les  exemples  nombreux  de  confis- 
cations exercées  sous  l'ancien  ré- 
gime, €n  rappelant  (pie  ces  iniqui- 
tés n'avaient  fait  que  des  victimes 
particulières,  tandis  que  la  confis- 
cation révolutionnaire  avait,  par 
sa    généralité,   affecté   ITvtat   tout 


VIL 


467 


entier.  Aux  détracteurs  acharnés 
de  l'émigration  de  1789,  il  répondit 
par  un  argument  personnel  qui 
produisit  une  assez  vive  sensation  : 
«  Les  émigrés  ont  eu  tort,  dites- 
vous,  de  s'éloignerdusol  brûlant  de 
la  Révolution;  et  que  sont  devenues 
des  victimes  désignées  et  néces- 
saires au  mouvement  révolution- 
naire qui  n'ont  pas  émigré?  Et 
si  l'auguste  monarque  fondateur 
de  la  Charte,  si  le  roi  qui  règne 
sur  nous  n'avaient  pas  émigré?... 
Sans  l'émigration  do  nos  princes, 
qu'aurions-nous  eu  en  48U  et 
après  lesCent-Jours  à  opposer  aux 
armées  de  l'Europe  établies  dans 
la  capitale?  On  n'asservit  pas,  on 
ne  divise  pas  un  État  comme  la 
France,  je  le  sais  et  je  le  pense; 
nous  aurions  fini  par  rejeter 
l'étranger  au  dehors,  je  n'en 
fais  aucun  doute.  Mais  au  prix 
de  combien  de  sang,  de  com- 
bien de  dévastations?...  Notre  af- 
franchissement de  l'étranger  sans 
convulsion  et  sans  honte,  nos 
libertés  publiques,  le  retour  de  la 
paix  générale,  la  prospérité  et  le 
bonheur  dont  nous  jouissons,  nous 
le  devons  à  l'émiiiration  (jui  nouf 
a  conservé  nos  princes.  >  Une  dé- 
claration auâsi  monarchique  ne 
désarma  point  l'insistance  passion- 
née de  l'extrême  droite.  M.  Du- 
plesBis-Grénédan  s'éleva  avec  une 
ardeur  excessive  contre  la  nou- 
velle loi,  qu'il  accusa  de  commettre 
une  iniquité  nouvelle;  l'avènement 
«eul  du  pouvoir  légitime,  dans  son 
opinion,  frappait  de  nullité  les 
ventes  nationales,  cl  l'article  0 
de  la  Charte,  en  déclarant  les  prn- 
nrielés  inviolables,  devait  être  en- 
tendu  des  propriétés  légilimenicnt 
acquises,  etnon  de  celles  qui  avaient 
("{é  rolée.'i ;  «la  justice  eU'intiTéide 
l'État,  concluait  le  fougueux  ora- 


A68 


VIL 


leur.se  dressaient  contre  cette  spo- 
liation;les  héritages  vendusdevaient 
être  appelés,  comme  le  champ  du 
potier //flfWdrtmrt,  le  prix  du  sang.  ■ 
Cette  opinion,  dont  la  Chambre 
refusa  d'entendre  les  développe- 
ments, se  résumait  à  demander 
pour  les  propriétaires  dépossédés, 
non  une  indemnité,  mais  une  resti- 
tution. Elle  attira  le  lendemain  à 
M .  Duplessis-Grénédan  une  violente 
réplique  du  général  Foy,  qui  se 
prononça  énergiquement  en  faveur 
de  la  validité  des  ventes  nationales 
et  des  droits  des  acquéreurs.  «  Lei 
l)0ssesseurs  des  biens  nationaux, 
dit-il,  sont  presque  tous  les  fils  de 
ceux  qui  les  ont  achetés.  Qu'ils  se 
souviennent  que,  dans  cette  dis- 
cussion, leurs  pères  ont  été  appelés 
voleurs  ei  scélérats!  Qu'ils  sachent 
que  transiger  avec  les  anciens  pro- 
priétaires, ce  serait  outrager  la 
mémoire  de  leurs  pères  et  com- 
mettre une  véritable  lâcheté.  Et  si 
l'on  essayait  de  leur  arracher  par 
la  violence  les  biens  qu'ils  possè- 
dent légalement,  qu'ils  se  sou- 
viennent qu'ils  ont  pour  eux  le 
roi  et  la  Charte,  et  qu'ils  sont  vingt 
contre  un.  »  Trois  autres  opinants, 
-MM.  Raudel-Mariinet,  Martin  de 
Villiers  et  Ferdinand  de  Berthier, 
en  approuvant  le  principe  de  la  loi, 
critiquèrent  le  mode  d'exécution 
et  de  répartition,  dont  l'effet  serait 
déconcentrer  à  Paris,  dans  le  seul 
ministère  des  finances,  quarante 
mille  affaires,  et  de  dévorer,  pour 
beaucoup  d'émigrés  de  province,  le 
bienfait  de  l'indemnité.  Dans  un 
di.scours  remarquable  par  l'espiit 
de  conciliation,  M.  Alexis  de 
Noailles  exprima  seulement  le  re- 
gret que  radministralion  n'eût  pas 
adopté  l'impôt  actuel  pour  base 
(i'éraluation,  cl  que  la  répartition, 
n'eût  |)as  été  confiée  pour  tous  les 


VIL 

déparlemenis  à  une  commission 
tirée  du  sein  des  deux  Chambres. 
M.  Benjamin  Constant,  au  contraire, 
attaqua  avec  vivacité  le  principe 
politique  de  l'émigration,  et  celte 
agression  détermina  une  nouvelle 
réplique  du  ministre,  qui  déclara 
que  le  cabinet  n'avait  été  entraîné 
ii  sa  proposition  que  par  le  senti- 
ment du  devoir  et  r»Hat  prospère 
du  pays.  Il  assura  que  le  sacrilice 
demandé  n'exercerait  aucune  in- 
fluence défavorable  sur  la  force  du 
crédit  ni,  par  conséquent,  sur  la 
sûreté  extérieure  et  la  dignité  de  la 
France,  répondit  à  quelques  objec- 
tions de  détail  sur  le  mode  de  li- 
quidation et  les  procédés  d'exécu- 
tion de  la  loi,  et  la  Chambre,  après 
le  résumé  du  rapporteur,  passa  à 
la  discussion  des  articles.  Elle 
ajouta  'A  l'article  1"  un  paragraphe 
qui  déclarait  l'indemnité  définitive, 
et  modifia  la  disposition  suivante 
en  adoptant  comme  base  d'esti- 
mation, pour  les  biens  compris 
dans  la  premièrecalégorie,  dix-huit 
fois  au  lieu  de  vingt  fois  le  revenu 
de  4790.  Parmi  les  autres  amende- 
ments adoptés  par  la  Chambre,  on 
remarqua  celui  qui  prescrivait  la 
distribution  annuelle  aux  Cham- 
bres des  états  détaillés  de  liquida- 
tion, un  autre  qui  abaissait  pen- 
dant cinq  ans,  au  taux  fixe  de  trois 
francs,  le  droit  d'enregistrement 
des  actes  de  rétrocession  des  biens 
confisqués  entre  les  possesseurs 
actuels  et  les  anciens  propriétaires 
ou  leurs  héritiers.  Ce  dernieramen- 
demeiit,  combattu  avec  chaleur  par 
MM.  Foy  ft  Benjamin  Constant, 
comme  offrant  un  encouragement 
indirect  à  réintégrer  les  émigrés 
dépossédés,  comme  une  proposi- 
tion qui  «  démasquait  le  véritable 
caractère  de  la  loi  d'indemnité,  » 
fut  admis  à  une  forte  majorité.  Les 


VIL 


VIL 


hÇ>9 


ministres  s'abstinrent  de  prendre 
pari  au  vole.  LVnsemble  du  projet 
réunit  239  voix  contre  424.  Le 
chiffre  élevé  de  celte  minorité 
s'expliquait  par  l'excès  déraison- 
nable des  prétentions  et  des  doc- 
trines de  l'extrême  droite,  dont 
l'impolilique  eût  gravement  com- 
promis le  but  de  la  loi,  sans  la 
prudence  et  la  fermeté  du  minis- 
tère. Le  lendemain  même,  la  réso- 
lution de  la  Chambre  élective  fut 
porlée  à  la  Chambre  des  pairs  par 
le  président  du  Conseil,  et  M.  le 
comte  deVaublanc,  l'un  des  com- 
missaires du  gouvernement,  en 
exposa  de  nouveau  les  motifs.  Il 
insista  d'une  manière  particulière 
sur  l'amendement  qui  avait  pour 
but  de  faciliter,  par  la  réduction 
du  droit  d'enregistrement,  les  tran- 
sactions entre  les  anciens  et  les 
nouveaux  propriétaires  :  «  Aucune 
contrainte  matérielle  ni  morale, 
dit-il  à  celte  occasion,  ne  peut  ni 
ne  doit  résulter  de  l'exception 
proposée.  »  Le  ton  général  de  son 
discours  fut  également  conciliant. 
«  La  France  entière ,  conclut 
M.  de  Vaublanc,  connaît  le  senti- 
ment pieux  et  paternel  qui  inspira 
au  roi  qu'elle  pleure  la  résolution 
qui  s'txécule  aujourd'hui.  Le  be- 
soin de  réparer  une  grande  injus- 
tice et  le  désir  peut-être  plus  pres- 
sant encore  de  dissiper  toutes  les 
inquiétudes,  d'éteindre  tous  les 
souvt^nirs  amers,  de  ramener,  de 
reunir,  de  réconcilier,  ti*'  fut  son 
but;  tel  est  aujourd'hui  l'esprit  qui 
anime  l'héritier  de  son  pouvoir 
et  de  ses  atlections.  i  Le  6  avril, 
M.  le  comte  Porialis,  oij^ane  de 
la  commission  de  la  haute  Cham- 
bre, lut  un  remiircjuable  rapport,  où 
il  s'attacha  surtout  a  dissiper  les 
alarmes  de^  possesseurs  actuels  des 
biens  vendus  révolutionnairemenl. 


Tel  était  aussi  l'esprit  du  principal 
amendement  proposé  par  la  com- 
mission, lequel  tendait  à  valider 
toutes  les  décisions  aniérieures  de 
la  justice  ou  de  l'administration 
touchant  les  biens  ou  les  droits 
spécifiés  dans  la  loi  proposée. 
M.  Portails  termina  son  rapport  eu 
adressant  «  à  la  mémoire  du  dernier 
roi  et  à  son  auguste  successeur  le 
témoignage  de  la  reconnaissance 
publique  pour  une  loi  qui  portait 
le  double  caractère  d'un  acte  de 
conciliation  et  d'un  actede  justice.» 
M.  le  duc  de  Broglie,  qui  repous- 
saitlaloi,seprévalut  habilement  des 
amendemenlsqui  en  avaient  changé 
le  principe,  et  prélendit  que,  dès 
que  l'indemnité  était  considérée 
comme  une  dette,  elle  devait  re- 
monter au  temps  de  la  déposses- 
sion, et  que  riniérèt  était  dû  comme 
le  capital;  l'indemnité  offerte  coub- 
lituait  une  espèce  de  fonds  d'amor- 
tissement concédé  aux  émigrés  pour 
racheter  des  biens  dont  la  loi 
même  dépréciait  la  valeur;  elle 
impliquait  la  reconnaissance  des 
doctrines  de  l'émigration  et  soulè- 
verait les  esprits  au  lieu  de  les  cal- 
mer. M.  de  Chateaubriand  défen- 
dit avec  chaleur,  au  contiaire ,  la 
cause  des  émigrés,  et  se  prononça 
même  assez  ouvertement  en  faveur 
de  la  loi.  Mais  il  criticiua  amère- 
ment les  détails  du  projet  et  l'ac- 
cusa de  reposer  sur  des  fictions 
propres  à  en  atténuer  le  bienfait, 
telles  que  l'infériorilé  des  évalua- 
tions, l'absence  d'hypothèque  du 
milliard  alloue,  lequel,  dans  son 
opinion,  ne  devait  pas  excéder  un 
cliitlre  de  531  raillions  à  partager 
eulre  les  coinléressés  ;  il  reprocha 
à  l'ancienne  propriété  de  la  France 
de  ressusciter  en  papier,  et  it  la 
conception  ministérielle  d'échanger 
des     biens    nalionaux    contre   des 


470 


VIL 


bons  nationaux  qui  seraient  bientôt 
ntteints  de  la  défaveur  dont  celte 
épithète  a  frappé  les  propriétés 
qu'ils  représentent.  «  Il  serait  dur, 
conclut-il,  que  la  Providence  eût 
ébranlé  le  monde,  précipité  soui 
le  glaive  l'héritier  de  tant  de  rois, 
conduit  nos  armées  de  Cadix  à 
Moscou,  amené  à  Paris  les  peuples 
du  Caucase,  rétabli  deux  fois  le  roi 
légitime,  enchaîné  Bonaparte  sur 
un  rocher,  et  tout  cela  afin  de 
prendre  par  la  main  quelques  obs- 
curs étrangers  qui  viendraient  ex- 
ploiter à  leur  profit  une  loi  de  jus- 
tice et  faire  de  l'or  avec  les  débris 
de  notre  gloire  et  de  nos  libertés.» 
MM.  Cornudet,  Mole,  le  duc  de 
Choiseulel  de  Barante  combattirent 
à  divers  points  de  vue  l'esprii  de 
la  proposition  ministérielle,  dont 
MM.  de  Marcellus,de  Malleville,  d« 
Villefranche  et  de  Bouald  se  cons- 
tituèrent hautement  les  défenseurs, 
et  ce  dernier,  exagérant  par  l'ex- 
pression les  doctrines  développées 
dans  l'autre  Chambre,  voulut  con- 
sidérerl'indemnité  comme  «  une  me- 
sure de  grâce  »  pour  les  acquéreurs. 
Le  président  du  Conseil  entreprit 
de  répondre  à  la  fois  à  toutes  ces 
objections;  mais  il  s'attacha  sur- 
tout à  écarter  les  reproches  for- 
mulés par  M.  de  Chateaubriand 
contre  les  fondements  du  pro- 
jet de  loi  et  à  démontrer  que  les 
données  d'évaluatioFi  proposées 
étaient  les  plus  rapprochées  de 
la  valeur  réelle  des  propriétés, 
les  seules  admissibles,  puisque  la 
discussion  n'avait  fourni  aucun 
autre  système  sérieux  d'estimation 
ni  dans  les  Chambres,  ni  en  dehors 
des  Chambres.  Quant  aux  rentes  ^ 
3  p.  iOO,  qu'on  affectait  de  consi- 
dérer comme  une  valeur  fictive,  il 
n'était  pas  douteux  qu'elles  ne 
prissent  une  existence  réelle  aus- 


VIL 

siiut  que  la  loi  aurait  été  promul- 
guée. Le  ministre  fit  observer  que 
l'émission  d'une  quantité'  de  rentes 
aussi  considérable  que  celle  qui 
était  réprésentée  par  un  capital 
d'un  milliard,  entraînait  dans  notre 
système  financier  des  combinai- 
sons telles  que  le  meilleur  moyen 
d'éviter  toute  confusion  était  d'af- 
fecter à  ce  service  un  effet  d'une 
espèce  différente,  en  lui  appliquant 
toute  la  puissance  de  l'amortisse- 
ment, afin  d'en  accélérer  le  rem" 
boursemeut  sans  trop  augmenter 
les  charges  des  contribuables;  par 
ce  moyen,  ajoulait-il,  on  parvien- 
drait, sans  nuire  à  la  force  du  cré- 
dit, i  racheter,  dans  le  cours  de 
cinq  ans,  la  moitié  des  rentes  émi- 
ses; que  si,  durant  ce  laps  de  temps, 
des  circonstances  extraordinaires 
amenaient  d'autres  besoins,  on 
trouverait  dans  le  crédit  combiné 
avec  l'extension  de  l'amortissement 
toutes  les  ressources  nécessaires 
pour  que  l'opération  ne  fût  ni  en- 
travée ni  suspendue.  Le  comte  de 
Villèle  combattit  énergiquement 
d'ailleurs  toute  idée  de  substituer 
le  5  p.  100  au  3  p.  iOO  comme 
fonds  d'indemnité,  ou  de  prélever 
dans  cet  objet  30  millions  sur  la 
dotation  actuelle  de  l'amortisse- 
ment; la  conséquence  infaillible 
d'une  telle  mesure  serait  d'abais- 
ser ces  valeurs  à  un  taux  qui  ré- 
duirait de  beaucoup  le  capital  ac- 
cordé aux  indemnisés;  elle  con- 
damnerait les  contribuables  à  sup- 
porter directement  toutes  les  char- 
ges que  pourraient  entraîner  des 
circonstances  extraordinaires,  et, 
en  forçant  la  France  k  renoncer 
pour  l'avenir  ^  toute  réduction 
d'intérêt,  elle  la  placerait  dans  une 
infériorité  fâcheuse  à  l'égard  des 
autres  puissances.  Malgré  une  ré- 
pulsion aussi  catégorique,  M.  Roy 


VIL 


VIL 


hl\ 


reprit  et  soutint  l'amendement  qui 
tendait  à  la  substitution  [iressenlie, 
et  prétendit  qu'elle  aitribuerait  aux 
indemnisés  un  avantage  supérieur 
à  celui  qui  résultait  de  l'économie 
de  la  loi.  Le  ministre  s'éleva  avec 
une  nouvelle  énergie   contre  cet 
amendement,  et  rappela  à  cette  oc- 
casion que  le  premier  exemple  d'un 
emprunt  souscrit  avec  concurrence 
et  publicité  appartenait  à  l'admi- 
nistration actuelle,  qui  avait  par  Ik 
porté  une  atteinte  salutaire  au  fléau 
de   l'agiotage;   la  proposition  dé- 
battue ébranlait  le  crédit  en  dimi- 
nuant l'amortissement,  tandis  que 
le  projet  de  loi  laissait  au   crédit 
toute  sa  puissance.  «  Vainement,  ob- 
jectait en  finissant  le  ministre,  op- 
pose-t-on    l'exemple  de    rAngl«î- 
terre  :  elle  n'a  diminué  l'amortis- 
sement qu'après  t-u.  avoir  tiré  tous 
les  fruits  qu'elle  pouvait  en  atten- 
dre ;  la  France  n'en  est  pas  encore 
à  ce  point;  en  mutilant  la  dotation 
de  son  amortissement,  elle  fixe  in- 
variablement* l'intérêt  de  sa  dette 
publique  et  s'interdit  toute  faculté 
d'emprunter  à   un    taux  plus  mo- 
déré.» Ces  considérations,  dévelop- 
pées par  le  président   du  Conseil 
avec  autant  de  compétence  que  de 
lucidité,  entraînèrent,  mais  k  une 
faible  majorité,  le  rejet  de  l'amen- 
dement de  M.  Roy,  et  la  loi,  sauvée 
de  cet  écut'il,  le  plus  grave  peut- 
être  qui  eût  menacé  son  existence, 
réunit,  le  20  avril,  139  voix  contre 
63.  Il  s'agissait  maintenant  de  réa- 
liser aux  meilleures  conditions  pos- 
sibles pour  le  Trésor  public  et  les 
contribuables,  la  grande  réparation 
qu'elle    venait  de    consacrer.   Le 
président  du  Conseily  avait  pourvu 
par  la  présentation  d'un  projet  de 
loi   qui   introduisait  dans  la  dette 
publique  la  création  des  rentes  à 
3  p.  100,  avec  l'intention  déclar^ 


d'affecter  ce  nouveau  fonds  au  ser- 
vice de  l'indemnité  proposée.  Ce 
projet  de  loi  fut  porté  à  la  Cham- 
iDre  des  députés, le  3  janvier,  parle 
comte  de  Villèle  lui-même,  qui  en 
développa  longuement  les  motifs. 
Après  avoir  énoncé  les  considéra- 
tions déjà  connues,  qui  ne  permet- 
taient pas  de  toucht^r  à  la  dotation 
de  l'amortissement,  le  ministre  ex- 
posa que  le  gouvernement  s'était 
arrêté  à  une  combinaison  mixte 
qui  appellerait  les  fonds  généraux 
à  servir  les  intérêts  des  nouvelles 
rentes,  et  qui  laisserait  à  la  caisse 
d'amortissement  la  charge  de  pour- 
voir au  service  de  l'autre  partie 
des  intérêts,  et  le  moyen  de  ra- 
cheter annuellement  la  moitié  des 
rentes  affectées  à  l'indemnité.  On 
espérait  amortir  ou  racheter  ainsi, 
chaque  année,  3  millions  de  rentes 
à  3  p.  100,  et  l'on  se  flattait  que 
l'augmentation  progressive  des  pro- 
duits suffirait  pour  acquitter  les 
3  autres  millions  affectés  au  paie- 
ment de  l'indemnité.  L'article  4 
du  projet  constituait  la  différence 
essentielle  de  cette  combinaison 
avec  celle  qui  avait  échoué  l'année 
précédente:  les  porteurs  d'inscrip- 
tions de  rentes  à  5  p.  100  avaient 
la  faculté  de  faire  convertir  leurs 
litres  en  inscriptions  de  rentes 
3  p.  100  au  taux  de  75;  et,  jus- 
qu'au 22  septembre,  celle  de  re- 
quérir cette  conversion  en  4  J/2 
p.  100  au  pair,  avec  garantie  de 
toutreniboursementjusiju'au  22  sep- 
tembre 1833.  Il  y  avait  lieu  de 
supposer  que  les  créanciers  de 
l'État  se  prêteraient  à  ce  sacrifice 
d'intérêts  par  la  perspective  de 
l'ajgmentation  de  leur  capital,  et 
l'intention  du  gouvernement  était 
d'appliquer,  dès  l'année  1826,  le 
bénéfice  de  cette  réduction  d'inté- 
rêts, évalué  à  30  millions,  2i  la  di- 


/i72 


VIL 


niinulion  des  contributions  direc- 
tes, en  proportion  du  soulagement 
(jue  le  Trésor  éprouver*»it  par  l'a- 
doucissement graduel  du  service 
des  intérêts  de  la  dette  publique. 
La  commission  nommée  par  la 
Chambre  donna  un  plein  assenti- 
ment au  projet  ministériel;  elle  en 
outra  même  les  conséquences  à 
quelques  égards,  et  lit  remarquer 
surtout  la  différence  tranchée  qui 
existait  entre  la  proposition  primi- 
tive d'une  conversion  obligée  de 
la  part  des  rentiers,  et  d'une  con- 
version facultative  qui  leur  était 
demandée,  et  dont  le  désavantage 
était  atténué  par  la  sollicitude  que 
respiraient  toutes  les  dispositions 
de  la  nouvelle  loi.  La  commission 
se  prononça  catégoriquement , 
d'ailleurs,  pour  le  maintien  inté- 
gral de  la  dotation  du  fonds  d'a- 
mortissement, et  produisit  à  l'ap- 
pui des  affirmations  du  ministre 
des  calculs  qui  établissaient  qu'en 
dépouillant  l'amortissement  de 
30  millions,  son  action  s'atl'aiblirait 
dans  une  proportion  double  de 
celle  qu'amènerait  l'augmentation 
de  la  dette.  La  discussion  s'ouvrit 
le  il  mars.  La  proposition  minis- 
térielle fut  très  -  sérieusement 
attaquée  par  M .  Bourdeau,  qui .  dans 
un  discours  fort  étendu,  eu  repassa 
successivement  toutes  les  disposi- 
tions, et  porta  sur  leur  ensemble 
un  jugement  sévère.  11  accusa  la 
loi  d'être  moins  claire  et  moins 
franche  que  le  projet  de  1824, 
d'exercer  une  violence  morale  sur 
la  conversion  de  la  renie,  de 
favoriser  raj.4olage  dans  d'elfrayan- 
tes  proporiions,  et  de  porter  un 
préjudice  considérable  aux  intérêts 
du  Trésor.  Le  résultat  de  la  pro- 
position sera  indubitablement  de 
déobaigcr  la  dette  [jublique ,  dit 
l'orateur,  de  28  millions  d'intérêts; 


VIL 

mais  le  capital  s'élèvera  de  deux 
cents  millions,  et,  au  lieu  d'étein- 
dre la  dette  actuelle  en  22  ans,  il 
faudra  plus  de  43  ans  pour  amortir 
la  dette  convertie.  Les  mêmes  ob- 
jections furent  développées  avec 
chaleur  dans  la  séance  du  lende- 
main par  M.  Ferdinand  deBerthier, 
qui  contesta  sans  exception  tous 
les  avantages  dont  le  gouverne- 
ment et  la  commission  avaient 
présenté  la  perspective.  Le  minis- 
tère ne  pouvait  garder  le  silence 
en  face  d'une  contradiction  aussi 
puissante,  quelque  inégale  que  fût 
d'ailleurs  la  valeur  des  arguments 
employés  par  ses  adversaires.  Le 
président  du  Conseil  combattit 
l'objection  déjà  réfutée  sur  le  taux 
actuel  de  l'argent,  et  fit  remarquer 
que  puisque  l'option  était  désor- 
mais facultative  de  la  part  des 
rentiers,  il  n'y  aurait  pas  de  con- 
version, si  l'intérêt  n'était  pas  in- 
férieur au  cours  de  5  pour  100. 
Mais  ce  qui  démontrait  l'infériorité 
de  cet  intérêt,  c'était  le  maintien 
de  la  rente  au-dessus  du  pair,  mal- 
gré la  crainte  du  remboursement. 
Le  ministre  reconnut  le  fondement 
des  reproches  adressés  au  déve- 
loppement de  l'agiotage,  mais  il 
contesta  que  la  rente  favorisât  plus 
que  toute  autre  valeur  ce  dévelop- 
pement, qu'il  fallait  tout  simple- 
ment attribuer  à  «  la  rage  de  cu- 
pidité »  dont  la  société  entière 
était  tourmentée.  «Cet  agiotage, 
continuait-il,  est  un  mal  auquel 
vous  ne  porterez  pas  remède  par 
des  o  ou  des  3  pour  cent.  «  Vous 
ne  te  déracinerez  quen  travaillant  à 
épurer  les  viœurs,  en  faisant  en  sorte 
que  l'argent  ne  soit  pas  tout  dans  te 
pays,  cnptaçani  au-dessus  de  ta  for- 
tune quelque  chose  qui  attire  plus 
quelle  la  considération  ci,  tes  désirs.» 
Lii  des  griefs  les  plus  vifs  articulés 


VIL 

par  ropposition  contre  le  .projet 
ministériel,  fut  de  prétendre  qu'il 
n'avait  été  conçu  que  pour  sauver 
de  la  ruine  à  laquelle  elles  se 
trouvaient  exposées  les  compagnies 
financières,  qui  l'année  précédente 
avaient  prèle  leur  concours  au  plan 
de  remboursement,  et  qui,  en  vue 
de  celte  entreprise  colossale,  s'é- 
taient chargées  d'une  masse  de 
rentes  5  pour  cent,  dont  elles  sol- 
licitaient l'écoulemenl.  Cette  ob- 
jection personnelle  fut  développée 
avec  beaucoup  de  chaleur  et  d'in- 
sistance par  MM.  Casimir  Périer  et 
Dudon,  et  surtoui  par  M.  Berlin 
de  Vaux,  qui  résuma  son  discours 
parcelle  conclusion  piquante:  «Si 
la  loi  passe,  on  sortira  de  cet  em- 
barras non-seulement  sans  perle, 
mais  avec  bénéfice  ;  si  elle  est  re- 
jelée,  que  voulez-vous  que  je  vous 
dise?  Le  deuil  sera  dans  Jérusa- 
lem. »  Ces  révélations,  dont  la  gra- 
vité ne  pouvait  èire  méconnue, 
n'exercèrent,  comme  on  le  verra 
plus  lard,  aucune  influence  sur 
le  sort  de  la  loi,  et.  après  ces  dé- 
bats généraux  sur  l'ensemble  du 
projet ,  on  passa  à  ia  discussion 
des  articles.  Le  ministre  repoussa 
avec  force  un  amendement  de 
M.  Boucher  qui  proposait  de  ré- 
duire ii  la  dotation  primitive  de 
40  millions  le  fonds  d'amortisse- 
ment destine  au  rachat  des  renies 
5  pour  cent,  et  d'appliquer  le  sur- 
plus partie  au  rachat  de  3U  mil- 
lions de  renies  pour  l'indemnité  des 
émigrés,  partie  à  la  réduction  du 
montant  des  contributions  publi- 
ques. Un  seul  amendement  pré- 
valut, avec  l'appui  du  ministre: ce 
fut  celui  de  M.  Pavy,  qui  établissait 
des  conditions  de  publicité  tt  de 
concurrence  pour  les  achats  de  la 
caisse  d'amortissement.  L'ensemble 
de  la  loi  passa  à  une  majorité  d« 


VIL 


/i73 


118  voix,  et  le  président  du  Conseil 
porta  aussiiot  cette  résolution  à  la 
Chambre  des  pairs,  en  faisant  res- 
sortir le  caractère  des  ditférences 
qu'elle  présentait  avec  le  projet 
que  la  noble  Chambre  avait  écarté 
l'année  précédente.  «Nous  avons, 
dit -il,  substitué  une  conversion 
libre  et  facultative  à  une  combi- 
naison unique  qui  entraînait  la 
diminution  d'un  cinquième  des 
intérêts...  Cette  réduction  est  limi- 
tée aujourd'hui  à  un  dixième,  et 
donne  une  garantie  de  dix  ans 
contre  une  nouvelle  réduction. 
Nous  avons  remis  à  l'avenir  et  à 
des  mesures  nécessairement  gra- 
duelles et  divisées  en  plusieurs 
années  l'exercice  du  droit  de  rem- 
boursement, si  la  faculté  de  con- 
version n'offrait  pas  des  résultats 
tels  qu'il  nous  soit  permis  d'y  re- 
noncer complètement....  Enfin,  la 
réduction  aura  lieu  sans  l'inter- 
médiaire d'aucune  compagnie  fi- 
nancière, j)ar  conséquent  sans  la 
crainte  d'agioiage  qu'inspirait  l'ap- 
parition de  nouvelles  valeurs  entre 
les  mainsde  capitalistes  réunis  dans 
un  iniérét  commun...  Vous  appré- 
cierez à  leur  juste  valeur,  disaiten 
terminant  le  minisire,  les  contra- 
dictions des  adversaires  du  projet 
de  loi  et  les  vues  du  gouverne- 
ment... Vous  consullerez  la  loi  du 
crédit  public  dans  les  autres  pays, 
et  vous  jugerez  si  celui  de  la 
France,  après  tous  les  sacrifices 
qu'elle  a  laits  pour  le  fonder,  et 
qu'elle  continue  pour  le  soutenir, 
ne  vous  autorise  pas ,  ne  vous 
commande  pas  même  de  chercher 
à  en  rendre  les  conditions  moins 
pesantes  aux  contribuables,  moins 
contraires  aux  iulcrèts  agricoles, 
commerciaux  et  industriels  du 
pays.  »  La  commission  nommée 
pour  l'examen  du  projet  en  pro- 


klll 


VIL 


posa  l'adoption  sans  amendement, 
par  rorg;ane  du  duc  de  Lévis.  Le 
noble  pair  rappela  que  la  répulsion 
de  la  Chambre, Tannée  précédente, 
s'était  moins  adressée  au  principe 
incontestable  du  droit  de  rembour- 
sement, qu'aux  moyens  d'exécu- 
tion, qui  avaient  paru  peu  d'accord 
avec  les  formes  du  gouvernement 
représentatif.  Pour  répondre  au 
reproche  fait  au  nouveau  projet 
d'entraîner  l'augmentation  du  ca- 
pital de  la  dette  publique,  le  duc 
de  Lévis  invoqua  raulorité  du  cé- 
lèbre géomètre  Laplace,  qui,  par  un 
calcul  irréfutable,  établissait  que 
chaque  rente  acquise  par  la  caisse 
d'amortissement  rendrait  à  l'État, 
par  sa  réduction  de  5  à  4  pour 
cent,  plus  que  l'excédant  de  capital 
qui  était  soldé  par  la  caisse,  et 
qu'en  dirigeant  convenablement 
l'artiou  de  l'amortissement,  le  gou- 
vernement pouvait,  dans  tous  les 
cas,  conserver  une  partie  considé- 
rable du  bénéfice  de  la  réduc- 
tion de  la  rente.  Ces  recomman- 
dations ne  mirent  point  le  pro- 
jet à  l'abri  de  nouvelles  attaques. 
M.  Roy  combattit  par  une  suite 
de  calculs  et  de  raisonnements 
plus  ou  moins  spécieux  l'emploi 
médité  de  l'amortissement,  et  posa 
en  fait  que  l'augmentation  du  ca- 
pital de  la  dette  rendrait  le  rem- 
boursement impossible.  M.  de  Ker- 
gorlay  considéra  le  refus  du  mi- 
nistère de  s'expliquer  sur  l'action 
de  l'amortissement  par  rapport  au 
Ij  p.  4 00.  comme  une  menace  desti- 
née a  forcer  les  délenteurs  à  cette 
conversion  qu'il  leur  présentait 
comme  f;icullative.  Mais  l'adver- 
saire le  ])liis  ardent  du  nouveau 
projet  fut  M.  de  Chateaubriand, 
qui  blâma  amèrement  le  cabinet  de 
venir  demander  la  convprsion  des 
rentes  à  la  première  session  d'un 


VIL 

nouveau  règne,  et  dans  l'état  d'in- 
certitude où  flottaient  les  limites, 
les  inslituUons,  les  principes  de  la 
société  europ'^enne. L'éloquent  écri- 
vain fit  apparaître  aux  yeux  des  ren- 
tiers et  des  contribuables  la  pers- 
pective alarmante  du  système  de 
Law  et  des  réductions  de  l'abbé 
Terray,  et  conjura  les  dépositaires 
du  pouvoir  «  de  ne  pas  dédaigner 
des  prévoyances  salutaires  parce 
qu'elles  leur  sembleraient  sortir 
d'une  bouche  suspecte,  »  Le  comte 
de  Villèle  répondit  à  ces  appréhen- 
sions par  un  discours  dans  lequel 
il  s'efforça  de  restituer  au  projet 
son  véritable  caractère,  et  déclara 
qi>e  la  Chambre,  en  l'adoptant,  «ne 
compromettrait  ni  la  paix  intérieure 
ni  la  sûreté  extérieure  de  la 
France.  »  Les  derniers  débats  s'é- 
tablirent sur  un  amendement  du 
comte  Mollien,  qui  demandait  que 
le  fonds  d'amortissement  fût  appli- 
qué, par  une  disposition  spéciale,, 
aux  fonds  publics  constitués  en  5, 
en  4  1/2  et  en  3  p.  100,  proportion- 
nellement à  la  portion  qu'il  repré- 
senterait dans  le  capital  total  de  la 
dette  publique.  Le  ministre  des 
finances  admit  en  principe  le  par- 
tage réclamé,  mais  il  soutint  que 
le  but  de  l'amendement  était  at- 
teint plus  complètement  dans  la 
disposition  du  projet.  Elle  ne  con- 
tenait aucune  exclusion,  et  l'indé- 
pendance de  la  direction  de  la 
caisse  d'amortissement  ne  permet- 
tait pas  de  supposer  qu'elle  |)ût 
favoriser  l'agiotage  ou  les  spécula- 
tions de  quelques  maisons  de  ban- 
que, de  préférence  aux  intérêts 
généraux  de  l'Ktat.  L'amendement 
de  M.  Koy  fut  rejeté  à  une  faible 
majorité,  et  la  loi,  affranchie  de  ce 
dernier  obstacle,  passa  k  L'U  voix 
contre  02.  Ainsi  se  termina  cette 
longue  et  épi neu.se  discussion  qui 


VIL 


VIL 


475 


conslilue,  avec  celle  de  l'année 
précédente  et  le  débat  de  la  loi 
d'indemnité,  une  trilogie  parlemen- 
taire à  laquelle  nous  avons  dû  con- 
sacrer quelques  dt-tails,  soità  cause 
de  l'importance  des  questions  qui 
y  furent  débattues,  soit  à  raison  du 
talent  incontestable  que  Villèle  y 
déploya.  Quand  on  parcourt  au- 
jourd'hui les  phases  diverses  de  ces 
mémorables  délibérations,  il  est 
difficile  de  n'être  point  frappé  de 
celte  droiture  et  de  cette  sûreté  de 
dialectique  que  ne  déconcertent  ni 
les  chicanes  les  plus  spécieuses  ni 
les  attaques  les  plus  vives,  de  cette 
lucidité  de  perception  qui  éclaire 
les  points  les  plus  obscurs  des 
questions  les  plus  arides,  enfin  de 
cette  fécondité  de  ressources  qui 
ne  laisse  jamais  l'orateur  au  dé- 
pourvu, et  qui  témoigne  combien 
le  mouvement  de  son  intelligence 
avait  été  activement  stimulé  par  le 
contact  des  affaires  publiques.  Mais 
l'événement  ne  justifia  que  très- 
imparfaitement  les  prévisions  finan- 
cières de  Villèle.  Le  5  p.  100,  alors 
au-dessus  du  pair,  au  lieu  de  s'é- 
lever comme  il  l'avait  espéré,  tomba 
par  une  décroissance  continue  à 
99  fr.  50  c,  et  ce  discrédit  boule- 
versa tout  le  succès  d'une  concep- 
tion essentiellement  fondée  sur  la 
faculté  d'appliquer  au  nouveau 
fonds,  à  l'exclusion  de  tout  autre, 
la  puissance  de  l'amortissement. 
Le  3  p.  100,  de  son  côté,  subit  une 
baisse  de  4  francs  (i).  Vainement 
le  ministre  déploya  toute  son  in- 
dustrie, toutes  les  ressources  même 
de  son  autorité  pour  lutter  contre 


(1)  Cette  dcpréciation  ne  fut  que  pas- 
sagère. Cinq  ans  plus  tard,  W  3  p.  100, 
confornit^mcnt  aux  espérances  du  mi- 
nistre, atteignait  le  taux  élevé  de  86  fr. 


celte  dépréciation;  vainementcons- 
titua-t-il  une  association  des  rece- 
veurs généraux  de  soixante-dii- 
huit  départements  dans  l'objet  spé- 
cial de  soutenir,  par  dos  opérations 
appropriées  «  de  banque  et  de 
finance,  »  le  crédit  des  deux  va- 
leurs. Ces  efforts  ne  purent  arrêter 
la  baisse  des  nouveaux  titre». 
L'opposition  mit  en  œuvre  tous  les 
moyens  dont  elle  put  disposer  pour 
entraver  l'effet  des  combinaisons 
ministérielles.  Elle  fut  puissamment 
secondée,  d'ailleurs,  par  l'état  de 
gène  qu'avaient  amené  sur  la  place 
de  Londres  les  entreprises  exagé- 
rées auxquelles  ces  opulents  insu- 
laires t'étaient  livrés  dans  les  co- 
lonies espagnoles  insurgées,  et  qui 
détournèrent  leurs  capitaux  de 
l'emploi  qu'aurait  pu  leur  fournir 
la  réduction  de  ia  dette  française. 
La  conversion  facultative,  contra- 
riée par  ces  obstacles,  produisit 
néanmoins  un  dégrèvement  annuel 
de  plus  de  6  millions  dans  les 
charges  du  pays.  Mais  les  rentier? 
perdirent  un  cinquième  de  leur 
revenu  sans  aucun  accroissement 
de  leur  capital  :  résultat  regretta- 
ble, sans  doute,  et  qu'on  ne  sau- 
rait, toutefois,  mettre  en  balance 
avec  les  bienfaits  politiques  de  la 
grande  et  belle  loi  dont  l'adminis- 
tration de  Villèle  avait  doté  U 
France.  —  La  discussion  du  bud- 
get de  <826  présenta  à  la  Chambre 
des  députés  un  intérêt  assez  mar- 
qué. Le  crédit  demandé  excédait 
de  16,571,319  fr.  celui  qui  avait 
été  alloué  en  1825.  Le  ministre  des 
finances  expliqua  que  cette  aug- 
mentation portait  principalement 
sur  le  budgetde  la  dette  consolidée 
régie  en  prévision  du  payement  de 
l'indemnité  qui  serait  votée  en  fa- 
veur des  émigrés,  de  celui  du  mi- 
nistère de  la  justice,  où  les  frais  de 


476 


VIL 


VIL 


justice  criminelle  n'avaient  été 
soldés  jusqu'ici  qu'au  moyen  de 
crédits  supplémentaires,  et  qui  re- 
cevait maintenant  une  allocation 
fixe  et  déterminée,  enfin  du  budget 
des  affaires  ecclésiastiques,  où  figu- 
rait la  création  de  quatre  cents 
nouvelles  succursales  et  de  six  cent 
soixante-quinze  bourses  dans  les 
séminaires  ,  etc.  Villèle  constata 
que,  même  avec  ces  augmentations, 
et  bien  que  la  plupart  des  services 
eussent  reçu  une  dotation  supé- 
rieure à  celle  de  ^82^  (i),  le 
budget,  amélioré  par  un  grand 
nombre  de  réformes  sagement  en- 
tendues, présentait  un  excédant  de 
recettes  de  8  millions,  même  sans 
tenir  compte  «  de  l'accroissement 
probable  de  prospérité  nationale, 
d'activité  et  de  richesse  indi- 
Tiduelle  dont  les  accroissements 
progressifs  des  reyenus  publics 
étaient  la  conséquence  et  la  dé- 
monstration. »  La  faveur  de  celte 
situation,  c-onûrmée  par  les  rappor- 
teurs de  la  Cliambre,  ne  préserva 
point  l'ensemble  du  système  gou- 
vernemental des  vives  critiques 
de  la  double  opposition.  M.  Bacol 
de  Komans  s'éleva  contre  la  cen- 
tralisation, et  censura  amèrement 
cette  partialité  dans  la  distribution 
des  emplois  publics  qui  fut  et  sera 
dans  tous  les  temps  la  plaie  de 
l'administration  française.  M.  Lâb- 
bey  de  Pompières  affirma  que  la 
prétendue  prospérité  de  l'Etat  n'é- 
tait u  que  dans  la  bouffissure  d'un 


(1)  Parmi  ces  améliorations,  on  re- 
marquait l'abaiidoii  de  3  millions  de 
retenues  établies  sur  les  traitements, 
un  dcgrévemciit  de  13,500,000  fr.  sur 
la  conlribulioii  foncière,  une  augmen- 
tation de  (>31,7io  Ir.  sur  les  traite- 
ments des  magistrats  de  première  iis- 
taiice,  etc. 


crédit  que  la  secousse  la  plus  lé- 
gère faisait  chanceler.  »  Le  géné- 
ral Foy,  prenant  ombrage  d'un 
voyage  accidentel  que  M.  le  prince 
de  Mellernich  venait  de  faire  à 
Paris,  insinua  qu'il  se  rattachait 
au  bruit  de  certaines  tentatives 
dirigées  contre  nos  libertés  pu- 
bliques. Le  président  du  Conseil 
lui  répondit  que  nos  formes  gou- 
vernementales était  respectées  de 
<out  le  monde,  que  jamaisla  liberté 
de  la  presse  n'avait  joui  d'une 
pareille  latitude,  et  que  ceux  qui 
réclamaient  le  plus  vivement  l'u- 
sage de  cette  liberté  étaient  ceux 
qui  semblaient  travailler  avec  le 
plus  d'ardeur  à  la  faire  craindre 
de  la  société  entière.  Villèle  réfuta 
avec  la  même  autorité  un  autre 
grief  du  même  orateur,  qui  repro- 
chait au  ministère  de  n'avoir  pas 
retire  de  l'expédition  d'Espagne 
l'avantage  de  remplacer  l'inlluence 
anglaise  dans  les  colonies  espa- 
gnoles; il  fit  remarquer  que  l'ins- 
tallation de  cette  influence  était  un 
des  fruits  de  la  déplorable  guerre 
de  4808,  et  que  tous  les  etîorls  du 
gouvernement  royal  tendaient  à 
participer  avec  la  Grande-Bretagne 
au  commerce  de  ces  colonies  ;  que 
pour  obtenir  davantage  il  eût  fallu, 
à  son  exemple,reconnaitre  leur  in- 
dépendance, mais  que  l'honneur  in- 
terdisait celte  démarche  au  chef 
de  la  maison  dont  un  membre  était 
assis  sur  le  Irone  d'Espagne. 
La  loi  de  finances  réunit,  sur  339 
votants,  286  sutfragcs,  et  fut  adop- 
tée à  lu  presque  unanimité  par 
la  Chambre  des  pairs.  —  Le  sacre 
de  Charles  X  suivit  de  près  la  clô- 
ture de  la  session  législative.  Cette 
imposante  consécration  avait  man- 
qué à  Louis  XVIII,  confiné  dans 
son  palais  par  de  douloureuses 
infirmités.  Son  successeur  voulut 


VIL 

lui  rendre  le  caractère  de  pompe 
et  de  dignité  qu'elle  avait  depuis 
longtemps  cessé  d'offrir.  Une  com- 
inission  présidée  par  le  comte  de 
Villèle  fut  chargée  de  régler  les 
détnils  de  la  cérémonie;  d'habiles 
architectes  furent  envoyés  à  Reims 
pour  restaurer  Tanlique  basilique 
qui,  depuis  Clovis,  avait  conservé 
le  privilège  de  recevoir  le  sermeni 
des  rois  de  France.  Les  chroniques 
contemporaines  ont  recueilli  les 
détails  de  cette  majestueuse  so- 
lennité, où  toutes  les  pompes  de 
la  religion  chrétienne  s'unirent 
aux  prestiges  de  l'art  pour  régé- 
nérer aux  yeux  des  peuples  cette 
royauté  qu'un  quart  de  siècle  à 
peine,  séparait  de  tant  d'humilia- 
tions et  d'outrages.  Charles  X 
reçut,  dans  la  journée  du  30  mai, 
les  chevaliers  nouvellement  pro- 
mus dans  l'ordre  du  Saint-Esprit. 
Le  hasard  appela  simultanément 
au  pied  du  trône  le  comte  de 
Villèle  et  le  vicomte  de  Chateau- 
briand. Ce  dernier  avait  essayé  de 
ménager  son  retour  aux  affaires 
par  un  écrit  vivement  monar- 
chique, sur  la  solennité  du  sacre; 
mais  il  n'obtint  de  Charles  X  que 
quelquesparoles  courtoises,  et  cette 
circonstance  ne  changea  rien  à  ses 
rapports  envers  son  ancien  collè- 
gue, nienvers  la  cour.  Larentréedu 
roi  à  Paris  excita  moins  d'enthou- 
siasme que  sa  première  apparition 
dans  la  (•a[)itale  après  la  mort  de 
Louis  XVIIL  Cette  circonstance  fut 
expliquée  soit  par  la  mobilité  trop 
connue  des  impressions  du  peuple 
parisien, soit  par  l'espèce  d'ombrage 
que  lui  avait  inspiré  la  préférence 
traditionnelle  donnée  U  la  ville  de 
Reims  pour  une  cérémonie  qui  af- 
fectait également  sa  curiosité  et  ses 
intérêts.  Toujours  prêt  à  déverser 
rinsulte  et  le  sarcasme  sur  !<  s  cho- 


VIL 


[ill 


ses  les  plus  augustes,  le  poète  Bé- 
ranger,  dans  sa  verve  impie,  n'é- 
pargna ni  le  cérémonial  de  Reims, 
ni  les  vertus  du  monarque  qui  l'a- 
vait inauguré.  Mais  cette  période 
d'éclat  et  de  clémence  inspira  à 
MM.  de  Lamartine  et  Victor  Hugo, 
des  cantates  pleines  de  senti- 
ment et  d'élévation.  Un  incident 
fâcheux  vint  témoigner  toutefois 
de  l'affaiblissement  progressif  de 
l'esprit  conservateurdans  les  hautes 
sphères  de  la  société.  Deux  jour- 
naux bien  connus  pour  la  tendance 
irréligieuse  de  leur  doctrines,  le 
Constitutionneleik  Courrier  Français 
furent  traduits  sous  cette  préven- 
tion devant  la  cour  royale  de  Paris. 
MM.Dupinei  Mérilhou,  chargés  de 
la  défense,  soutinrent  que  ces 
feuilles  n'avaient  attaqué  que  les 
abus  qui  déshonoraient  la  religion, 
et  que  leurs  agressions  n'étaient 
dirigées  que  contre  l'introduction 
illicite  d'ordres  religieux  dont 
l'existence  menaçait  l'indépen- 
dance du  trône  et  des  liliertés 
publiques.  Docile  en  cette  circons- 
tance, comme  en  tant  d'autres,  au 
courant  des  idées,  sensible  peut- 
êlre  à  l'ambition  de  ressaisir  ce 
rôle  d'athlèie  deslibertés  gallicanes 
qui  avait  appartenu  aux  parle- 
ments, la  cour  acquitta  les  deux 
journaux  (3  et  5  déc.}  et  se  borna 
ingénument  à  recommander  plus 
de  circonspection  à  leurs  rédac- 
teurs. Ce  résultat,  dont  les  consé- 
quences se  développèrent  succes- 
sivement, excita  une  grande 
sensation.  La  mort  du  général  Foy 
fournit  au  pouvoir  un  autre  ensei- 
gnement. L'éloquent  orateur  ne 
laissait  d'autre  patrimoine  qu'un 
nom  honorable  et  le  souvenir  d'un 
talent  plein  d'éclat,  parfaitement 
assorti  surtout  à  ce  mélange  d'i- 
dées impérialistes  et  libérales  qui 


i78 


VIL 


constituait  pour  lors  le  thème  d'une 
partie  notable  de  l'opposition.  Une 
souscription  ouverte  pour  élever 
un  mouumentàsa  mémoire  et  pour 
assurer  à  sa  famille  une  existeiice 
convenable,  s'éleva  rapidement  à 
un  million.  Ses  funérailles,  qu'es- 
corta une  foule  innombrable, eurent 
également  lieu  aux  frais  de  la  mu- 
nificence publique.  On  remarqua 
que  M.  le  duc  d'Orléans  qui,  par 
la  médiation  de  Charles  X  lui- 
même  (1),  avait  été  compris  pour 
un  chiffre  très-élevé  dans  l'indem- 
nité accordée  aux  émigrés,  sous- 
crivit personnellemcni  pour  une 
somme  de  dix  mille  francs.  La  mort 
du  czar  Alexandre,  qui  survint  à 
cette  époque  (1"  déc),  n'exerça 
aucune  influence  sur  notre  politi- 
que extérieure.  Ce  prince  s'était 
montré  en  1814  peu  favorable  au 
rappel  des  Bourbons;  mais  il  n'a- 
vait pu  contrarier  le  seul  vœu  qui 
eût  été  formé  en  cette  circonstance 
par  les  classes  indépendantes  du 
pays,  le  seul  aussi  que  l'exclusion 
de  la  dynastie  napoléonienne  per- 
mît raisonnablement  de  conce- 
voir (2).   La  France   n'avait  pa« 


(1)  Il  régnait  encore  à  cette  époque 
une  certaine  confusion  dans  la  liquida- 
tion non  achevée  de  l-i  fortune  de  M. 
le  duc  d'Orléans,  ce  qui  entraînait  quel- 
que incertitude  dans  la  lixation  de  sa 
part  d'indemnité.  Ce  prince  s'adressa 
à  Charles  X  lui-même,  qui  lit  rendre  au 
conseil  d'Etat  un  avis  favorable  aux 
intérêts  de  son  cousin,  par  suite  du- 
quel, contre  l'opinion  du  comte  de 
Viilèlc ,  son  indemnité  fut  réglée  dans 
un  sens  conforme  aux  prétentions  qu'il 
avait  élevées.  Sa  pari  fut  de  dix-sept 
millions. 

(2)  Personne  n'ignore  que  lorsqu'à  la 
seconde  invHj^ion  dis  étrangfirs  en  1815, 
Lafayetlc,  Voyer-d'Argcuson,  Poni.»;- 
coulant,  LaforCt  et  Sébasliani  sollicitè- 
rent de  l'empereur  Alexandre,  k  I!a- 
gucneau,  une  audience  pour  en  obtenir 


VIL 

oublié  la  modération  de  sa  con- 
duite à  sa  première  entrée  h  Paris, 
ni  sa  bienveillante  entremise  en 
isn,  auprèsdu  duc  de  Wellington, 
pour  aplanir  l'exécution  de  l'o- 
néreux traité  du  20  novembre. 
Deux  mois  après,  le  31  janvier,  le 
roi  ouvrit  la  session  législative 
par  un  discours  où  il  annonçait  que 
le  développement  de  la  prospérité 
publique  permettait  d'améliorer 
la  dotation  de  plusieurs  services, 
et  d'ajouter  un  nouveau  dégrève- 
ment de  19  millions  à  celui  qui 
avait  été  obtenu  l'année  dernière 
sur  les  contributions  directes.  Deux 
points  de  ce  discours  fixèrent  plus 
particulièrement  l'attention  publi- 
que. Charles  X  annonçait  la  pré- 
sentation d'un  projet  de  loi  sur  la 
répartition  de  l'indemnité  stipulée 
antérieurement  par  suite  de  la 
reconnaissance  de  Saint-Domingue 
comme  État  indépendant,  et  celle 
d'un  autre  projet  destiné  à  arrêter 


qu'il  exclût  formellement  du  trône  de 
France,  de  concert  avec  ses  alliés,  tout 
prince  appartenant  à  la  maison  de 
Bourbon,  ils  ne  purent  être  admis. 
Circonstance  qui  indique  assez  que  le 
czar,  malgré  les  fautes  qu'avait  com- 
mises la  première  Restauration,  regar- 
dait le  gouvernement  de  Louis  XVIII 
comme  le  seul  rompatible  avec  les 
vrais  intérêts  de  la  nation  française  et 
de  l'ordre  public  européen  <  La  mort 
inattendue  de  l'empereur  Alexandre, 
dit  M.  de  Neuville,  fournit  au  comte  de 
Villcle  une  nouvelle  occasion  de  mon- 
trer avec  quel  soin  il  évitait  tout  ce  qui 
pouvait  amener  l'abus  des  dépôcbes 
tcIcgraphiqucR.  Celle  qui  annonçait  la 
mort  (le  ce  prince  était  parvenue  an 
président  du  Conseil  après  l'iicurc  où 
elle  pouvait  être  utilement  arilchée  ii  la 
Bourse. Non-seulementle  ministre  gai'da  i 
à  cet  épard  le  secret  le  plus  absolu,  ^< 
mais  il  pria  instammcrit  le  roi  de  vou- 
loir bien  agir  de  même.  Grâce  à  ces 
précautions,  il  n'y  cul  .uicun  mouve- 
ment dans  les  cours  du  jour.  »  {Nolico) 
sur  le  comte^e  Villèle,  p.  13i  et  133. 


il 


VIL 

le  morcellement  progressif  de  la 
propriété  foncière.  Le  roi,  en  ter- 
minant, exhortait  les  pairs  et  les 
députés  à  ne  pas  s'émouYOir  plus 
que  lui-méma  «de  ces  inquiétudes 
irréfléchies    qui   agitaient    encore 
quelques  esprits  malgré  la  sécurité 
générale,  et  promettait  de  concilier 
ce  qu'exigeait  l'exercice  des  liber- 
tés  légales  avec   le  maintien   de 
l'ordre  et  la  répression  de  la  li- 
cence. »  La  première  question  sur 
laquelle  le  président  du  Conseil 
eut  à  prendre  la  parole  fut  celle  de 
la  traitedes  noirs,  donlune  pélition 
adressée  à  la  Chambre  des  députés 
réclamait  la  répression  efficace.  Le 
comte  âe  Villèle  s'exprima  avec 
énergie  à    cette  occasion   sur  le 
droit  de  visite,  et  déclara  que  le 
gouyernement  n'admettrait  jamais 
qu'il  s'exerçât  sur  les  bâtiments 
français ,  «  et  qu'ils  pussent  êtia 
traités  comme  pirates  sous  le  bou 
plaisir  des   gouvernements  étran- 
gers. »  Quelques  jours  plus  tard, 
le  chef  du  ministère  présenta  à  la 
Chambre  le  projet  de  loi  qui  réglait 
la  répartition  des  150  millions  for- 
mant l'indemnité  applicable   aux 
anciens  colons  de  Saint-Domingue, 
d'après  l'ordonnance  du   17  avril 
précédent.    Le   comte    de   Villèle 
exposa  que,  par  le  traité  du  30  mai 
48U,  les  puissances  européennes 
avaient  reconnu  au  roi  de  France 
le  droit  de  ramener  sous  son  obéis- 
sance, même  par  la  voie  des  armes, 
la  populationde  cette  colonie,  mais 
que  l'intérêt  de  riiumanilé,  celui 
du  commerce  français,  celui  des 
colons  dépossédés,  celui  des  ha- 
bitants actuels   de   l'Ile  avait  dû 
faire  préférer  à  la  voie  des  armes 
le  parti  d'une  transaction.  Aux  ter- 
mes de  l'article  i-i  de  .a  Ch.irte, 
la    convention   intervenue    avec 
l'Lial  de  Haiii  rentrait  eiclusive- 


VIL 


479 


ment  comme  traité  dans  les  pré- 
rogatives du  pouvoir  royal;  mais 
plusieurs    de     ses    conséquences 
appartenaient  à  l'examen  du  pou- 
voir législatif,   et  le  projet  avait 
pour  base  de  fixer  ces  conséquen- 
ces, sur  lesquelles  les  délibérations 
de  la  Chambre  s'ouvrirent  peu  de 
jours    après.    La    discussion    fui 
longue  et  animée.  MM.  Agier,  Ba- 
cot  de  Romans,  de  Beaumont,  de 
La  Bourdonnaye,    de    Berlhier , 
tous  orateurs  de  la  contre-opposi- 
tion royaliste  ,    contestèrent    au 
gouvernement  le   droit  d'aiiéuer 
une  portion  du  territoire  apparte- 
nant à  la  France;  ils  blâmèrent 
comme  dépourvue  de  toute  dignité 
celte  reconnaissance  faite  au  nom 
de  la  maison  de  Bourbon,  «  d'une 
république  d'esclaves  révoltés.» et 
comme   illusoires    les   conditions 
pécuniaires  imposées  à  l'Éiat  dont 
on  proclamait  l'émancipation.  Le 
président  du  Conseil  répondit  que 
les  anciens  colons,  les  seuls  lésés 
dans  la  répartition  proposée,  n'a- 
vaient pu  exiger  que  le  roi  entre- 
prît pour  eux  une  expédition  dont 
les  chances  jiouvaient  gravement 
compromettre  les  intérôis  du  tré- 
sor; il  soutint,  ce  qui  était  fort 
contestable,  que  sous  l'anciendroit 
les  rois  de  France  avaient  toujours 
pu  céder  des  portions  du  sol  colo- 
nial sans  le  concours  des  états  gé- 
néraux ou  des  parlements,  et  ras- 
sura ses  contradicteurs  sur  l'éten- 
due des  ressources  financières  de 
notre  ancienne  colonie;  enlin  il  in- 
sista sur  l'avantage  de  soustraire  à 
jamais  Haïti,  par  la  reconnaissance 
(le  son  gouvernement,  aux  influen- 
ces des  fauteurs  de  guerre  et  de 
discorde.  Un  amendement  de  Ben- 
jamin Constant, qui  voulait  (]Uo  la 
Chambre  saisit  cette  occasion  de 
proclamer  le  principe  fondamental 


m 


VIL 


de  l'inaliénabilité  du  territoire 
français  hors  du  concours  des 
Chambres  (1),  ramena  à  la  tribune 
Villèle.  qui  fit  remarquer  que  l'ora- 
teur, sous  une  forme  incidente,  ne 
demandait  rien  moins  qu'une  yé- 
ritable  addition  au  pacte  constitu- 
tionnel ;  l'amendement  fut  écarté, 
et  le  projet  admis  à  une  majorité 
de  i7o  voix.  La  résolution  des 
députés  éprouYa  quelques  contra- 
dictions assez  sérieuses  à  laCham- 
bre  des  pairs.  Le  i)rincipe  en  fut 
attaqué  par  MM.  de  Montalembert, 
de  Chateaubriand,  de  Lally-Tolen- 
dal  et  de  Filz-James,  et  la  Cham- 
bre parut  hésiter  sur  un  amende- 
ment de  la  commission  qui  inter- 
disait aux  créanciers  des  colons 
toute  action  pour  le  paiement 
d'intérêts  jusqu'au  jour  où  avait 
cessé  l'effet  des  sursis  accordés 
|)arles  lois.  Le  ministre  des  finan- 
ces fit  repousser  cet  amendement 
à  la  majorité  d'une  seule  voix,  en 
déclarant  que  le  gouvernement 
était  dans  l'intention  de  continuer 
des  secours  à  ceux  des  colons  que 
l'indemnité  ne  mettait  pas  en  me- 
sure de  s'en  passer.  Mais  les  con- 
clusions du  rapport  du  baron  Mou- 


tl)  La  proposition  de  Benjamin  Cons- 
tant était,  il  faut  le  reconnaître,  fondée 
sur  Tancign  droit  public  français.  L'as- 
semblée réuniea  Cognac, en  1526,  après 
la  captivité  de  PYançois  I",  refusa  ou- 
vertement de  ratifier  le  traité  par  lequel 
ce  monarque  avait  cédé  la  Bourgogne  à 
l'empereur  Charle^-Quint  comme  ran- 
çon de  ba  lll)erté.  Cette  assemblée  pro- 
clama nettement  que  «  le  roi  de  France 
n'avait  pas  le  droit  d'aliénei-  une  por- 
tion (lu  territoire  soumis  d  son  scrp- 
tre,  s;ins  le  double  consentement  des 
états  généraux  et  de  la  province  frap- 
pée de  cette  distraction.  »  Nous  dou- 
tons que  le  comte  de  Villcle  eût  pu  jus- 
tifier par  des  raisons  solides  la  distinc- 
tion qu'il  essayait  d'établir  entre  le  sol 
patrimouiul  elle  territoire  colonial. 


VIL 

nier,  entièrement  conformes  d'ail 
leurs  au  projet  ministériel,  obtin- 
rent 135  suffrages  sur  loi  votants. 
L'ordonnance  du  17  avril  1825  et 
la  loi  qui  en  lut  la  conséquence 
sontdemeurées  aunombre  des  actes 
les  plus  généralement  approuvés 
du  régime  de  la  Restauration.  Un 
des  détracteurs  les  plus  acharnés 
de  ce  régime ,  les  qualifie  eu  ces 
termes  :  «  Avantageuse ,  dit-il  à 
toute  une  population  de  proprié- 
taires dépossédés  qui  luttaient 
contre  la  misère  depuis  trente-cinq 
ans,  et  à  qui  elle  donnait  150  mil- 
lions à  partager,  favorable  à  notre 
commerce  maritime  et  à  la  produc- 
tion nationale  ,  à  laquelle  elle 
assurait  le  monopole  d'un  riche 
marché,  cette  transaction  fut  une 
œuvre  de  bonne  administration, 
autant  que  de  politique  intelligen- 
te (1).  />  La  faveur  accordée  par  le 
parti  libéral  à  l'émancipation  de 
Saint-Domingue  n'était pasexemp- 
te  sans  doute  de  l'espoir  de  voir 
étendre  cette  reconnaissance  aux 
nouveaux  États  de  l'Amérique 
méridionale.  Le  ministère  crut 
devoir  y  répondre  en  introduisant 
des  hommes  de  toutes  les  nuances 
politiques  dans  la  commission 
formée  pour  la  répartition  de  l'in- 
demnité. Il  est  de  notre  impartia- 
lité d'ajouter  que  l'avenir  ne  jus- 
tifla  qu'en  partie  les  prévisions 
ministérielles,  et  que  plusieurs 
esprits  sages  et  éclairés  condam- 
nèrent, dès  lors  et  plus  tard,  la 
transaction  proposée  par  le  cabi- 
net et  sanctionnée  par  les  Cham- 
bres. Voici  notamment  en  quels 
termes  un  des  plus  honorables 
serviteurs  de  la  Restauration,  l'a- 


(1)  Hisi.  des  deux  fiest.,  par  A.  de 
Vaulabclle,  t.  vi,  p.  393. 


VIL 

miralJurien- Lagravièrft»  s'exprime 
à  ce  sujet  dans  ses  Souvenirs  ré- 
cemment publiés  :  «  Le  recouvre- 
ment de  Saint-Domingue,  dit-il, 
eût  été  une  entreprise  facile,  si  ou 
l'eût  fait  précéder  d'une  recon- 
naissance absolue  et  solennelle  de  la 
liberté  dps  noirs...  Le  gouverneur 
général  des  Antilles  françaises,  le 
comte  Donzelot,  répugnait  à  cette 
transaction.  Il  connaissait  mieux 
que  le  cabinet  des  Tuileries  la 
situation  fmancière  de  notre  an* 
cienne  colonie,  et  prévoyait  qu'on 
n'en  obtiendrait  jamais  que  des 
promesses,  tandis  que  si  Ton  savait 
attendre  quelques  années  encore, 
la  force  des  choses  nous  rendrait 
nécessairement  une  possession  sur 
laquelle  nos  droits  étaient  demeu- 
rés incontestés  (1).  «  Il  serait  in- 
juste toutefois  de  mettre  entière- 
ment sur  le  compte  de  l'impré- 
voyance du  ministère  la  caducité 
des  résultats  de  la  loi  qu'il  avait 
provoquée.  Les  engagements  res- 
pectifs des  deux  gouvernements 
furent  bientôt  méconnus  à  la  suite 
de  la  révolution  de  1830;  l'in- 
demnité stipulée  fut  réduite  au 
tiers  environ  des  150  millions  qui 
avaient  été  promis,  et  les  autres 
conditions  du  contrat  de  1825  fu- 
rent abandonnées  (2).  La  présen- 
tation du  projet  de  loi  sur  le  droit 
d'aînesse  et  les  substitutions  vint 
bientôt  fournir  aux  préoccupations 
publiques  un  nouvel  et  dangereux 
aliment.  Celle  mesure,  moiiiée  par 
la  progression  du  morcellement  de 


(1)  Revue  des  Deux-Mondes^  1"  avril 
1860. 

(2)  Souvenirs  de  radminisl ration 
financière  de  M.  de  Villele,  par  .M.  le 
marquis  d'Audifiet,  p.  310  Le  traité 
portant  rt'Jacliun  de  l'indemnité  priini- 
tiyemenl  stipulée  est  du  12  février  1838. 

LXXXV 


VIL 


hSl 


la  propriété  foncière,  avait  pour 
but  de  donner  à  la  royauté  happai 
d'une  aristocratie  territoriale  con- 
tre les  envahissements  chaque  jour 
plus  manifestes  de  l'esprit  démo- 
cratique. Elle  tendait  aussi  à  ravi- 
ver l'esprit  de  famille  atteint  par 
l'égalité  des  partages,  et  à  y  rame- 
ner des  habitudes  de  respect  trop 
effacées  par  les  mœurs  modernes. 
Ces  vues  étaient  louables,  mai» 
le  succès  politique  de  la  conception 
ministérielle  reposait  sur  une  vé- 
ritable illusion.  Une  aristocratie 
fondée  sur  un  point  d'appui  aussi 
fragile,  aussi  éphémère  que  celui 
du  paiement  de  l'impôt,  ne  pou- 
vait constituer  une  assistance  sé- 
rieuse. En  prévision  d'un  succès 
douteux,  et  sans  tenir  compte  des 
difficultés  pratiques,  le  projet  ten- 
dait à  faire  revivre  un  privilège 
éteint  depuis  trente-six  ans,  et 
à  créer  entre  les  deux  sexes, 
entre  les  membres  d'une  même 
famille,  entre  les  citoyens  d'un 
même  pays,  une  inégalité  ouverte- 
ment opposée  aux  mœurs  actuelles. 
«  On  a  pu  dire  souvent,  observe  à 
cette  occasion  M.  de  Barante,  que 
la  nation  française  ne  sait  pas  bien 
ce  qu'elle  veut  ;  mais,  à  tort  ou  i 
raison,  elle  sait  parfaitement  ce 
qu'elle  ne  veut  pas,  et  l'on  est  as- 
suré de  la  trouver  ombrageuse  et 
récalcitrante,  dès  qu'elle  croit  voir 
la  moindre  apparence  d'un  retDur 
à  l'ancien  régime  (l).  »  Cette 
inspiration  malheureuse  rencontra 
en  effet  dans  les  diverses  classes  de 
la  société  une  répulsion  univer- 
selle. De  tous  les  points  de  la 
France  affluèrent  à  la  Chambre 
des  pairs,  où  le  projet  de  loi  fut 


{\)  La   Vie  politique  de  M.  Hoyer- 
CoUard,  etc.,  t.  ii,  p.  265. 

31 


i82 


VIL 


VIL 


d'abord  porté,  des  réclamations 
auxquelles  l'esprit  départi  demeura 
le  plus  souvent  étranger,  et  qui  ne 
furent  pour  le  plus  grand  nombre 
qu'une  honorable  expression  des 
susc;-ptibiliîés  publiques.  Ce  fut 
sous  ces  râchrux  auspices  que  s'ou- 
vrit le  débat  de  cette  !oi  qui,  dans 
toute  succession  déférée  à  la  ligne 
ascend:uitc  et  payant  300  fr.  d  im- 
pôt foncier,  aliribuail  la  quotité 
disponililrf  au-prem.er  né  du  dé- 
funt, en  cas  de  silence  de  sa  part. 
Le  projet  permettait  en  outre  à 
cha(iuc  citoyen  de  donner,  par 
acie  entre  vifs  ou  testamentaire, 
avec  !a  c'narge  de  les  rendre  à  un 
ou  plusieurs  enfants  du  donataire, 
les  biens  dont  les  articles  913,  91S 
et  9 1 6  du  Code  civil  lui  réservaient  la 
libre  disposition.  Le  président  du 
Conseil  ne  prit  qu'une  part  secon- 
daire à  celte  discussion  dont  l'iui- 
tiativH  et  le  poids  appartinrent 
presque  exclusivement  au  garde  des 
sceaux.  Malheureusement  ce  mi- 
nistre !ui-mè(ne  n'avait  aucune 
conlianee  dans  le  mérite  ef  l'effi- 
cacité de  U  mesure  qu'il  et. il 
chargé  de  soutenir.  Il  a  d(  claré 
plus  tard,  dans  une  circonstaiice 
soiemielle,  qu'il  n'avait  fait  que 
céder,  en  la  proposant,  au  vœu  des 
Chambres,  ce  qui  était  vrai,  et  que 
le  moment  d'une  pareille  loi, 
«  était  {)assé  (1).  >;  Le  comte  de 
Villele  ne  parla  qu'une  fois  dans 
cette  disiîussion,  el  s'attacha  surtout 
à  jus'ilier  la  partie  m.:térielle  du 
projet  [)iiv  la  production  des  docu- 
ments capables  d'établir  les  pro- 
grés du  inorceliemeiit  terriiorial. 
Il  résulta  t  de  ces  documents  la 
preuve  irrécusable  de  l'auguienta- 


(!)  Discours  prononcé  devnnt  l.a  cour 
des  pairs,  séance  de  19  dér.  1830. 


tiou  générale  des  cotes  et  de  la 
réduction  de  celles  qui  étaient  in- 
férieures à  1,000  francs;  mais  le 
ministre  convint  que  ces  variations 
pouvaient  dépendre,  de  causes  di- 
verses, et  que  lopération  avait  em- 
brassé un  nombre  d'années  trop  res- 
treint pour  offrir  des  résultats  con- 
cluants. Il  nppuyaun  amendement 
de  la  commission  qui  réduisait 
dans  une  forte  proportion  le  nom- 
bre des  fortunes  sur  lesquelles 
porterait  l'insiitulion  du  préciput 
légal,  et  insista  d'ailleurs  avec 
force  sur  les  inconvénients  de  la 
division  indéfinie  et  sur  les  avan- 
tages de  la  grande  culture.  La 
Chambre  des  pairs  écarta  à  une 
faible  majorité  le  principe  du  pré- 
ciput légal,  et  rarlicie  3,  relatif  à 
la  faculté  de  substitution,  demeuré 
seul  soumis  au  débat,  fut  adopté 
par  1(30  sulTrages  sur  213  votants. 
La  loi,  ainsi  mutilée,  fut  portée  à 
la  Chambre  des  députés,  où,  à  la 
suite  d'une  délibération  à  laquelle 
Villèle  ne  prit  aucune  part,  elle 
obtint  une  approbation  formulée 
par  2GI  voix  contre  76.  Ce  succès 
Damériquen(îpaia(îaiblir  l'atlcinte 
que  le  ministère  avait  reçue  ù  la 
Chambre  des  pairs.  Celle  atteinte 
s'aggrjva  de  quelques  démonstra- 
tions populaires  qui,  faibles  en- 
core, servirent  néanmoins  à  eonsta- 
ler  la  vitalité  de  l'esprit  de 
perturbation  et  d'anarchie.  On 
s'étonna  généralement  que  le 
cabinet  se  lilt  décidé  à  saisir  la 
Chambre  des  députes  de  la  dispo- 
sition unique  à  laquelle  le  vote  de 
l'autre  Chambre  avait  léduit  le 
projet.  Fui-ce  inspiration  d'amour- 
propre  ou  répugnance  à  sacrifier 
une  conquéic  importante  sur  le  do- 
maine de  l'opinion  démocratique? 
Qiioï  qu'il  en  soit,  entière  ou  mu- 
tilée, la  tcnlalive,  rnal  à  propos 


VIL 


VIL 


h^: 


qualifiée  de  loi  du  droit  d'aînesse, 
fuL  une  des  conceplluns  les   plus 
impopulaires  du   règne  de  Char- 
les X  (l),  une  de  celles  qui  onl  été 
le  plus  reprochées  au  ministère  du 
14  décembre,  et  qui  contribuèrent 
le  plus  à  donner  un  corps  à  ce  fan- 
tôme coîitre-révGlutionnaire,  dont 
révocation  él  :ii  d'un  effet  toujours 
si  puissant  sur  les  classes  moyennes 
de  la  socit'té.  En  dehors  de  q'iel- 
ques  esprits  arde  4s  ou  chiméri- 
ques, rien  de  plus  pratuit  assuré- 
ment que  cette   intention    prêtée 
aux  royalistes  rie  ramener  la  France 
au  régime  d'avant   89,    et    per- 
sonne n'en  était  plus  convaincu 
que  ceux  qui  mettaient  tant  d'in- 
sislmce  a  l'accréditer.  Mais,  depuis 
longtemps,  le   parti   libéral    avait 
aba[idonué  i'arme  lente  et  émoussée 
de   la  controverse  pour   ne  plus 
■faire  appel  qu'aux  aveugles  pas- 
sions de  la  multitude.  — Le  dévelop- 
pement des  institutions  rcli^îieuses 
vint  bieniùt  fournir  de.   nouveaux 
aliments  a  son  plan  d'agre-sion  et 
Tajeunir  la  caducité  de  ses  thèmes 
politi<iues.   Il  faut  ici  jeter  un  re- 
■g;ird  en  arrière  et  esquisser  lapi- 
dement  l'origine  et  les  caractères 
de   ce    mysiér  eux   pouvoir  (ji:i, 
sous  le  nom  de  Cnujrcgalion,  de- 
vait occuper   une   si  l.irge   pl.ice 
datis  notre  histoire  conlempor.iine. 
Cette  œuvre  avait  commencé,  sous 
l'Empire,  par  la  réunion  de  quel- 
ques  jeunes   hommes    qui ,    sans 
Ostentation,   sans    arrière -pi'usée 
poli  II  que,  s'encourageaient  sous  les 
eihoriations  d'un  modeste  prêtre, 


(I)  Il  est  reniar.piable,  toutefois,  que 
la  loi  sur  les  siih.>tuul.<iris  fui  niaiiiiOMiic 
pciidaiil  toute  la  tiiu'ée  ilu  giiuvemc- 
ni»;i'l  de  Loiiis-lMiilippe,  et  ne  dut  t-on 
abolition  (lu'au  ré^iiuf  transitoire  de  la 
RépublKiue,  leOmai  18i9. 


l'abbé   Le,?ris-Dnval,  à  pratiquer 
en  commun  d^'s  actes  de  piété,  à 
une  époque  <■<  où  la  raligion  était 
tolérée  comme  une  néce^sité,  mais 
où  l'exercice  de  ses  devoirs  était 
dédaigné  commeunefaii)lesse(i).» 
Cette  association,  purement  reli- 
gieuse, n'avait  guère  que  ce  point 
d'afflnité  avec  les  aftiliations  roya- 
listes qui,  formées  à  l'époque  où 
Napoléon  avait  persécuté  le  sainl- 
siége,  s'étaient  développées  plus 
tard  sous  l'influence  de  la  Restau- 
ration,eidonirindi  visible  cohésion 
avait  plusieurs  fois,  en  1813,  em- 
barrassé la  marche  du  pouvoir.  Soit 
calcul,  soit  ignorance,  ces  deux 
associations  furent  facilement  con- 
fondues, et  cette  confusion  fut  ac- 
ceptée et  propagée   avec  ardeur 
par  les  ennemis  collectifs  du  trône 
et  de  l'autel.  Ceux-ci  ne  manquè- 
rent pas  de  présenter  la  congréga- 
tion comme  une  espèce  de  franc- 
maçonnerie  dont  l'objet  était  d'as- 
servir   l'État    au    clergé    et    de 
coucenirer  entre  ses  seuls  adeptes 
ces  emplois  publies  et  ces  faveurs, 
dont   la   disir.bulion  fut  de  tout 
temps  en  Fr.ince  un  des  ressorts 
les  plus  actifs  du  gouvernement. 
Une  ciiconstaiice  aida  singulière- 
ment au  succès   de    ces    manœu- 
vres.   L'ordre    des    jésuites   dont 
riiltîlise,  d'accord  en  ce  point  avec 
le  ch  'f  de  l'iùnpire,  avait  laissé  les 
débris  se  réunir  au  commencement 
de  ce  siècle  .  ous  les  noms  divers 
de  Pacanarislex ,  (\e  Pères  de  la  foi, 
avait  été  publiquement  rétabli  par 
le  pape  Pie  Vil,  à  soii  retour  dans 
ses  Étals.  «  Cet  ordre,  dit  l'écrivain 
auquel  nous  empruntons  ces  dé- 
tails, avait  aussitôt  retrouvé  1  éner- 


(I)  Jlht.  do  France,  par  M.  Lau- 
riiitie,  1857,  t.  vin,  p.  :30. 


hSk 


m 


g\e  de  sa  Tocation,  et,  en  peu 
d'années,  s'était  révélée  eu  France 
la  fécondité  de  son  prosélytisme. 
Des  écoles  et  des  œuvres  s'étaient 
formés,  double  action  sur  la  so- 
ciété par  l'éducation  et  la  cha- 
rité (1).  »  On  conçoit  aisément 
quel  parti  sut  tirer  la  presse  libé- 
rale de  cette  résurrection  d'un  ordre 
dont  l'existence  avait,  de  tout  temps 
en  France, suscité  laut  d'ombrages, 
et  combien  il  lui  fut  facile  de  pré- 
senter, comme  une  vaste  conspi- 
ration ourdie  contre  la  société  mo- 
derne, cet  ensemble  d'institutions 
religieuses,  dont  la  puissance  était 
encore  accréditée  par  l'austérité 
personnelle  et  les  pratiques  pieuses 
du  successeur  de  Louis  XVllI.  l.a 
célébration  des  cérémonies  du  ju- 
bilé, qui  avait  lieu  pour  la  première 
fois  depuis  l'ouverture  du  xix*  siè- 
cle, vint  prêter  une  nouvelle  force 
à  ses  accusations.  Ces  solennités 
(février),  auxquelles  assistèrent  le 
roi,  les  princes,  les  maréchaux,  un 
clergé  immense  et  une  foule  plus 
nombreuse  que  recueillie,  furent, 
dans  plusieurs  villes  des  départe- 
ments et  notamment  à  Lyon,  à  Brest 
et  2i  Rouen,  l'occasion  de  quelques 
désordres  causés  ou  prétextés  par 
les  prédications  des  missionnaires. 
On  répandit  des  caricatures  où  la 
majesté  royale  était  insultée  par 
les  travestissements  les  plus  gro- 
tesques. Des  pièces  de  5  francs 
circulèrent  avec  l'effigie  de  Char- 
les X  surmontée  d'une  calotte  de 
jésuite.  Cl  des  esprits ,  éclaires 
d'ailleurs,  accréiJilèrenl  de  bonne 
foi  un  bruit  populaire  bien  digne 
de  cette  époijue  d'astuce  et  de  cré- 
dulité :  c'est  que  le  roi  de  France 


(\)  Hisl.  (le  France,  i>ar  M.  Lauren- 
tic,  1857,  t.  MM,  p.  -':iO. 


VIL 

avait  obtenu  du  ])ape  la  permission 
de  dire  lui-même  la  messe  dans  ses 
appartements.  Cette  industrie  sub- 
Tersive  s'enrichit  bientôt  d'une 
arme  puissante  dans  la  publication 
du  Mémoire  à  consuUer  sur  «n  sys- 
tème religietis  et  politique  tendant  à 
renverser  la  religion,  la  société  et  le 
trône,  par  le  comte  de  Montlosier. 
L'auteur,  ancien  constituant  rentré 
sous  l'Empire,  dont  il  était  pen- 
sionné, s'était  fait  remarquer  jus- 
qu'alors par  l'exaltation  de  son 
attachement  aux  traditions  reli- 
gieuses (1)  et  féodales,  et  le  Code 
civil  lui-même  n'avait  pas  été  mé> 
nagé  dans  la  vivacité  de  sa  polé- 
mique. Depuis»  soit  méconlente- 
ment  individuel,  soit  abus  d'un 
esprit  paradoxal,  inconséquent  et 
chimérique,  Montlosier  s'était  pro- 
gressivement péné:ré  d'une  incu- 
rable aversion  pour  ce  q.i'on  appe- 
lait alors  le  parti  prêtre,  et  le  besoin 
d'en  dénoncer  les  écarts  avait  at- 
teint chez  lui  tous  les  caractères 
d'une  véritable  monoraanie.  Le  ma- 
nifeste de  Montlosier  avait  été  pré- 
cédé d'une  série  d'articles  publiés 
dans  un  journal  royaliste  avec  l'as- 
sentiment tacite  au  moins  du  minis- 
tère, et  suspendus  par  son  injonc- 
tion (2).  M  de  Montlosier  signalait 
ik  la  France  la  congrégation  comme 
une  secte  qui,  par  l'envahissement 
successif  des  principales  positions 
de  l'État,  par  un  système  d'espion- 
nage pratiqué  sur  une  vaste  échelle. 


(1)  Lorsque  le  ministère,  en  1824, 
avait  présenté  sa  première  loi  sur  le 
vol  sacrilège,  le  comte  de  Montlosier 
s'était  plaint  très-vivemrnl  par  écrit  au 
garde  des  sceaux  de  ce  qu'elle  ne  con- 
tenait aucune  disposition  contre  le  blas- 
phcmf.  (Discours  de  M.  de  l'eyronnet  à 
la  cour  des  pairs,  19  déc.  1830.) 

(2)  Hist.  (te  France,  parM.Lauren- 
tio,  \H:H),  t,  VIII,  p.  232. 


VIL 


VIL 


hSb 


menaçait  la  société  d'une  domina- 
tion absolue.  A  l'en  croire,  ce 
corps  étendait  sur  la  France  entière 
un  réseau  dont  les  mailles  envelop- 
paient toutes  les  classes  de  la  po- 
pulation. La  magistrature,  l'armée, 
le  parlement,  l'administration,  les 
rangs  inférieurs,  tout  relevait  do 
cette  puissance,  d'autant  plus  re- 
doutable que  l'origine  de  son  action 
demeurait  en  quelque  sorte  imper- 
ceptible, et  qu'elle  n'était  appré- 
ciable que  par  ses  effets.  Il  allait 
sans  dire  que,  dans  le  système  de 
l'auteur,  l'ordre  des  jésuites,  uni  à 
la  congrégation  par  une  étroite  affi- 
nité, lui  rendait  tout  lappui  qu'il 
en  recevait,  et  que  ces  deux  corps 
marchaient  de  concert  à  la  con- 
quête des  pouvoirs  établis.  Tels 
étaient  les  périls  dénoncés  par  M.  de 
Montlosier.  Ce  mémoire,  qui  prê- 
tait l'autorité  d'un  nom  monarchi- 
que et  d'un  savoir  incontestable  k 
des  allégations  presque  sans  con- 
sistance jusqu'alors,  produisit  une 
grande  sensation.  Sept  ou  huit  édi- 
tions furent  enlevées  en  quelques 
.semaines,  et  lapluparl  des  barreaux 
de  France  encouragèrent  l'auteur 
à  saisir  de  sa  dénonciation  les  cours 
de  magistrature  (1).  iM.  Agier,  pré- 
sident à  la  cour  royale  de  Paris, 
ayant  reproduit  ^  la  tribune  une 
partie  des  imputations  qui  y  étaient 
consignées,  les  organes  du  gouver- 
nement ne  crurent  pas  devoir  gar- 
der plus  longtemps  le  silence. 
M.  Frayssinous,  ministre  des  affai- 
res ecclésiastiques,  entra  dans  des 


(<)  M.  de  Montlosier  fut  rayé  de  l'é- 
tat des  écrivanis  politiques  attachés  au 
dépaitement  des  uffaircs  étrinnères; 
mais  il  conserva  la  pension  qu'il  avait 
obtenue  on  1801,  en  indenniitc  de  sa 
renonciation  au  Courrier  de  Londres, 
qu'il  rédigeait  alors  on  Angleterre. 


explications  étendues  sur  les  griefs 
invoqués.  Il  ne  dénia  point  l'exis- 
tence de  la  congrépaiion,  et  avoua 
celle  des  jésuites.  Mais  il  s'attacha  k 
réduire  à  leur  juste  valeur  les  exa- 
gérations des   accusateurs.  Ce  fut 
surioui  par  la  pureté  de  son  origine 
qu  il  chercha  2»  justifier  la  société 
attaquée.  M.  Frayssinous  ne  con- 
testa pas  d'ailleurs  que  l'avantage 
d'appartenir  à  une  affiliation    re- 
commandable  par  ses  vertus  et  ses 
œuvres  n'eût  pu  sans  injustice  con- 
courir  aux    préférences  du  gou- 
vernement avec  d'autres  titres  d'ap- 
titude.   Quant  à  la  domination  si 
redoutable  des  jésuites,  le  ministre 
la  réduisait  à  la  direction  de  tept 
petits  séminaires,  où  la  théologie 
u'é:ait  pas  même  enseignée,  et  de- 
mandait quels  périls  une  existence 
aussi  précaire,   aussi  dépendante, 
pouvait  faire  courir  à  la  sécurité 
publique.  Ces  explications  péremp- 
toires  et  trop  différées  avaient  le 
tort  de  s'adresser  à  des  adversaires 
sans  conviction  et  sans  bonne  foi. 
La  plupart  des  censeurs  du  pouvoir 
théocratique    étaient    trop    avisés 
pour  redouter  sérieusement  la  do- 
mination des  jésuites  dans  un  siècle 
de  scepticisme  et  de  corruption,  et 
la  suite  a  surabondamment  démon- 
tré que  l'extension  de  leur  impor- 
tance   était    de  nos    jours    sans 
danger   pour  les  peuples   comme 
pour  les  rois.  Il  y  avait,  de  plus, 
quelque  chose  de  frivole  et  même 
de  dérisoire  dans  ces  alarmes  sur 
la    propagation   de   l'uliramonla- 
nisme  affectées  par  des   hommes 
ouvertement  indifférents,  pour  la 
plupart,  aux  dogmes   fondamen- 
taux de  la  foi  catholique,  et  celles 
qu'ils  témoignaient  sur  l'envahis- 
sement   des    congrégations    reli  - 
gieuses  n'étaient  ni  plus  sincères, 
ni  mieux  fondées.  M.  Frayssinous 


hSÇ> 


VIL 


avnil   défié  ses  contradicteurs  de 
prouver     qu'aucune     promoiion 
importante     dans    l'ordre    ecclé- 
siastique el  dans  l'ordre  civii  et 
militaire   eût  éié  le    pro<liiit    de 
leur  entremise,  et  cet  appel  était 
demeuré  sans  réponse.  Et  de  qui 
partaient  la  plupart  de  ces  cris  de 
fureur    ou    d'alarme    conire    da 
pai^bles  corporations  relij,neuses? 
D'un  parti    qua     n'avait    jamais 
ému  l'existence  des  sociétés  se- 
crètes ni  la  révélation  des  com- 
plots que  l'esprit  révolutionnaire 
ne  cessait  d'y  fomenter.  Pourquoi 
tant  d'indifférence  sur  des  danj^ers 
pressants  el   réels,  tant  de  souci 
pour  des  périls  éloignés  ou  imagi- 
naires? Ce    n'est   pas   cepemiant 
que  tout    fût  inoxi'ct  ou  exc-igéré 
dans  les  assertious  du  comte   de 
Montlosier.  En  opposant  l'inlluence 
des  idées  et  des  corps  reli'jieux 
au  débordement  de   l'impiété   et 
des  idées  révolutionnaires,  Char- 
les X  avaii  été  raù  par  un   senti- 
ment honorable  ;  mais  il  n'avait  pas 
prévu  quel  champ  vaste  cette  pro- 
tection  excessive  ouvrait  à  l'es- 
prit d'intrgue,  combien  il  serait 
facile  à  la  malveillance  d'en  déna- 
turer le  caractère  et  de  faire  tour- 
ner contre  la  religion  même  les 
moyens  mis  en  œuvre  dans  son 
intérêt.  Ce  double  oidre  de  consé- 
quences n'avait  pas  tardé  à  se  pro- 
duire.   En    dehors  des    hommes 
sérieux  que  la  congrégation  comp- 
tait   à   sa  tèle,   eu   dessous    des 
Monlmarency ,  des    Rivière,  des 
Damas  el  de  plusieurs  autres,  une 
foule    d'intrigants   de    bas    étage 
avaient  cherché  dans  cette  affilia- 
tion recommandable  des  moyensde 
fortune  et  d'élévation.  La  médiocri- 
té, le  vice  même  s'éiaient  affublés  du 
manteau  de  la  riligion  pour  dissi- 
mulerleur  insuffisance  ou  leurs  d if- 


VIL 

formités,  et  les  billets  de  confes- 
sion avaient  plus  d'une  fois  servi 
de  passeport  pour  arrirer  aux 
emplois  publics.  Au  bout  de 
plus  d'un  siècle,  les  moralités  sati- 
riques de  T/r/u/'e  semblaient  avoir 
retrouvé  un  intérêt  d'à-propos  (1). 
L'ambition  individuelle,  celle  pas- 
sion dominante  de  nos  joirs, 
s'était  livrée  avec  ferveur  au 
courant  des  idées  en  crédit.  Nous 
l'avons  vue  plus  tard  se  faire 
avec  la  même  industrie  des  ti- 
tres moins  innocents  de  ses  actes 
d'agre.-sion  contre  la  monarchie 
de  Charles  X,  ou  de  ses  sympa- 
thies pour  le  glorieux  oppres- 
seur des  libertés  publiques.  Flallé 
de  ce  retour  d'influence,  le  clergé 
de  son  côté,  ne  s'était  montre  que 


(1)  Quelques  fonctionnaires  publics 
eux-mêmes  crurent  devoir  signaler  cette 
exploitation  coiidaiiinahle  des  pratiques 
religieuses  dans  rintérêt  des  an  bitions 
individuelles.  Dans  sa  mercuriale  de 
rentrée  de  1826,  Al.  Morgan  de  Betliune, 
procureur  généial  a  la  cour  d'Amiens, 
s'exprimait"  il  ce  sujet  dans  ces  lernies  : 
«  Nous  n'ignorons  pas  qu'il  est  des  as- 
pirants à  la  magistrature  qui  trompent 
etïroiilément  Dieu  et  les  bununes  par 
une  hypocrisie  sacrilcgi', dont  les  exem- 
ples se  sont  multipliés  sous  nos  yeux 
d'une  manière  révoltante....  ilci  l'ora- 
teur plaidait  la  peinture  fort  piquante 
d'un  de  ces  faux  dévots,  et  ajoutait)  : 
Mais  les  démarches  affectées  de  cet  hy- 
poî-rite  no  nous  déduiront  point;  nous 
le  ferons  suivre  dans  l'obscurité  dont 
il  va  se  couvrir  :  on  lui  arrachera  son 
masque  sur  le  seuil  même  du  vice  au- 
quel il  doit  sacritier.  »  M.  de  Vaula- 
belle,  qui  rapporte  ce  fragment  dans 
le  t.  VI  de  son  IJist.  des  deux  Resiau' 
m  lions,  aurait  dû  aj(uiter  qm^  cette 
véhémente  sortie  ne  fui  la  source  d'au- 
cune disgrâce  piiur  le  magistrat  amovi- 
ble qui  se  l'était  permise  :  circonstance 
qui  implique  <iu  une  certaine  toléiance 
du  part;  congréganisle,  ou  ime  exagé- 
ration nianifeste  dans  la  supposition  de 
son  influence.  Nous  pourrions  citer  un 
grand  nombre  d'exemples  analogues. 


VIL 


VIL 


487 


trop  enclin  à  en  abuser.  Cette  dis- 
position l'avait  entraîné,  dans  plu- 
sieurs localités,  à  des  actes  regret- 
tables d'intolérance  et  d'usurpa- 
tion. Propagés  et  grossis  par  la 
malignité  publique,  tous  ces  faits 
avaient  encore  accru  la  haine 
populaire  pour  le  pouvoir  sacer- 
dotal et  pour  le  r.'gimedont  il  s'en- 
courageait. Conséquence  fâcheuse 
sans  doute,  mais  insuffisante  tou- 
tefois pour  juslifii^r  une  révolution 
comme  celle  dont  la  pensée  entrait 
dans  un  grand  nombre  d'esprits. 
L'apparition  du  mémoire  deMont- 
losier  fut  bientôt  suivi  de  deux 
procès  également  lies  à  l'influence 
des  idées  qui  passionnaient  alors 
l'aîieniion  publique  :  l'un  intenté 
par  les  hL^ritiers  du  procureur 
général  La  Chalotaisà  l'ediieur  de 
['Etoile,  qui  avait  qualifié  d'uue 
manière  injurieuse  le  célèbre  ré- 
quisiioire  de  ce  magistrat  contre 
les  jésuitfts;  l'autre  dirigé  coure 
l'abbé  de  Lamennais,  inculpé  d'at- 
taque envers  le  gouvernement  et 
les  loisdel'État,  po  iravoircombat- 
tu  leséi.lil->qui  ivaieut  prescrit  l'en- 
seignement de  ladérlaration  de  1682 
dans  les  écoles  ecclésiasiiq  les.  Le 
trib  inalcorrec;ionueldelaSeiueac- 
quitla  le  journaliste  par  une  tin  de 
iion-recevoiriiréedusilencedelalol 
sur  la  transmission  héréditaire  du 
droit  de  plainte  eu  diffamation  (1), 


(I)  On  sait  que  la  coar  de  cassation, 
dans  '.ni  arrêt  n-cent  iii  mai  1800).  a 
adopti;  une  jurisprudence  conlraue. 
Mais  il  y  a  de  furies  raisons  de  douter 
de  la  slabililé  de  celle  jurisprudencf, 
qui  a  soulevé  beaucoup  d'objections 
tjravcs,  et  qui  limiterait  en  certaines 
circonstances  ii  un  rôle  parement  pas- 
sif le  privdége  et  1.;  devoir  des  liislo- 
ricns.  M.  liirville,  président  honoraire 
il  la  cour  impériiiU'  de  Paiis  et 
M.   IL  de    Uiancey,  ancien   député    à 


et  condamna  l'abbé  de  Lamennais 
à  une  peine  légère  sur  le  second 
chef    seulement     de    la    préven- 
tion dont  il  était  l'objet.  Soit  de 
leur   propre   mouvement,   soit  à 
l'instigation  du  ijouver-iement,  les 
cardinaux  elles  évèques,  alors  réu- 
nis k  Paris,  entreprirent  de  calmer 
les  esprits  par   une    démarche  k 
laquelle  ou  ne  peut  qu'applaudir. 
Elle  consista  à  dresser  collective- 
ment une  profession  de  principes, 
qui,  sans  reproduire  le  texte  ni  le 
tiire  de   la  Déclaration  de   1682, 
rappelait  les  maximes  de  ce  docu- 
ment mémorable  et  condainnait  la 
îeméi  ité  avec  laquelle  on  cherchait 
«  à  faire  revivre  une  opiuiou  née 
autrefois  du  sein  de  l'anarchie  et 
de  la  confusion  où  se  trouvait  alors 
lEurope,    opinion    constamment 
repoussée  par  le  clergé  di  France 
et  tombée  dans  un  oubli    presque 
universel.»  Cemanifeste,  dont  l'ini- 
tiative appartint  à  Mgr.  de  Latil, 
archevêque    de    R'ims,    un    des 
membres  les  plus  impopulaires  de 
l'ordre  ecclésiastique,  ce  manfeste 
auquel  adhérèrent  la  presque  tota- 
lité des  prélats  franc t.is,  n'adiucil 
point  lin  iiaiion  (lu'avait  fait  nai're 
la  publication  du  Mémoire  à   con- 
suiler.  Avant  d'en  dire  les  suites, 
il  convient  de  retracer  sommaire- 
ment les  derniers  travaux  qui  mar- 
quèrent la  session  léi;islative.  Le 
comte  de  "Villèle  eut  à  s'expliquer, 
dans  la  discussion  de  li  loi   des 
douanes,  sur  le  traité  de  naviga- 
tion   conclu   avec  l'Angleterre   le 
20  janvier  précédent,  et  il  établit, 
en  repoussant  un  amendement  de 
Casimir  Périer,   que   ce  traité  ne 


l'Assemblée  h^gislative,  ontconiballu  la 
docrine  de  la  cour  suprême  dans  des 
argumentations  é<ablie>>  avec  beaucoup 
de  talent  et  de  solidité. 


i88 


VIL 


grevant  le  commerce  français  d'au- 
cun impAl,  la  Chambre  des  dépu- 
tés ne  pouvait  s'élever  contre  celte 
conveniion  sans  excéder  la  limite 
de  ses  droits  constitutionnels.  A 
Toccasion  du  débat  sur  les  crédits 
supplémentaires,  le  même  député 
proposa  de  nommer  une  commis- 
sion chargée  «  d'examiner  si  les 
rachats  faits  par  la  caisse  d'amor- 
tissement et  qui  avaient  lieu  uni- 
quement en  trois  pour  cent ,  ne 
constituaient  pas  une  infraction 
matérielle  aux  lois,  surtout  à  celle 
duf'mai  1825.» Cette  proposition, 
appuyée  par  MM.  de  La  Bourdon- 
naye  et  HydedeNeuville,ne  faisait 
guère  que  reproduire  lesobjections 
présentées  à  l'autre  Chambre  par 
MM.  Roy,  de  Broglie  et  de  Baranie, 
contre  la  préférence  exclusivement 
accordée  au  fonds  du  3  pour  cent 
par  l'amorlisiement.  Le  ministre 
la  combattit  en  motivant  celte  pré- 
férence sur  la  dépréciation  impré- 
vue qui  affectait  cette  valeur,  et 
en  fit  écarter  la  prise  en  considé- 
ration à  une  forte  majoriié.  En 
présentant  à  la  Chambre  élective 
le  budget  de  i827,  le  comte  de 
Villéle  constata  un  excédant  de 
4,200  mille  et  quelques  francs  sur 
les  dépenses  prévues  au  précédent 
budget;  mais  il  évalua  à  20  mil- 
lions l'acroissemenl  des  recettes 
de  l'année  courante,  et  porta  à  plus 
de  19  millions  le  dégrèvement 
qu'obtiendraient  sur  cet  exercice 
les  contribuables,  lequel,  réuni  à 
celui  déjà  opéré  sur  les  rôles  de 
i82G,  produirait  un  total  de  près  de 
Î6  millions  (1).  Ce  résultat  était 


(1)  En  résumé,  les  budgets  de  1821  à 
182'.)  présentaient,  par  voie  de  compa- 
raison, les  résuMals  suivants  :  45  millious 
d'accroissement  fournisà  divers  servic»is; 
45  millions  de  détjrèvement accordés  aux 


VIL 

d'autant  plus  appréciable  que  la 
dotation  de  la  plupart  des  services 
publics  recevait  un  notable  accrois- 
sement. En  se  félicilant  de  cet  élal 
de  choses  «  qui  donnait  un  écla- 
tant démenti  aux  assertions  men- 
songères prodiguées  depuis  quel- 
ques mois  sur  la  situation  de  la 
France,»  le  ministre  ne  dissimu- 
lait pas  l'insuccès  des  mesures  fi- 
nancières dont  il  avait  provoqué 
l'adoption;  mais  il  cherchait  à  l'ex- 
pliquer par  la  crise  qui  avait  affecté 
tous  les  marchés  de  l'Europe,  et 
démontrait  que  le  crédit  de  la 
France  avait  été  moins  ébranlé  que 
celui  des  autres  Étals.  De  judicieu- 
ses considérations  sur  l'impôt  qu'il 
convenait  de  dégrever  de  préfé- 
rence formaient  la  substance  de  ce 
discours,  un  des  plus  approfondis 
que  le  comte  de  Villèle  eût  encore 
prononcés.  Il  établissait  avec  rai- 
son que  cet  allégement  devait  por- 
ter sur  les  contributions  directes 
de  préférence  aux  impôts  sur  les 
douanes ,  l'enregistrement  et  la 
loterie,  parce  que  des  réductions 
de  celte  dernière  nature  ne  pou- 
vaient s'opérer  qu'avec  la  certitude 
de  n'être  plus  désormais  dans  la 
nécessité  de  les  révoquer,  a  Les 
motifs  les  plus  puissants  comme 
les  plus  généreux,  disait-il  en  ter- 
minant cet  exposé,  servent  aujour- 
d'hui de  garantie  à  la  conservation 
de  la  paix  générale;  elle  repose  à 
la  fois  sur  l'expérience, les  besoins, 
les  dispositions  des  peuples  et  des 
souverains  :  aussi  se  mainlient-elle  . 
en  dépit  des  prédictions  sinistres      ^i 


contribuables;  70  millions  d'augmenta- 
tion dans  les  services  publics;  :25  mil- 
lions de  diminution  des  dépenses  publi- 
ques dépendantes  de  l'administration, 
sur  la  liste  civile  et  sur  les  pensions 
payées  par  l'Etat. 


! 


VIL 


VIL 


i89 


de  ceux  qui  cherchent  e-D  vain,  dans 
le  besoin  qu'ils  semblent  avoir  de 
troubles  et  de  malheurs,  des  mo- 
tifs d'espérer  le  renversement  d'un 
ordre  de  choses  dont  il  ne  leur  est 
pas  donné  de  comprendre  le  fon- 
dement et  la  solidité.  »  La  plupart 
des  critiques  soulevées  contre  le 
budget  ou,  pour  mieuxdire,  contre 
l'administration  générale  du  royau- 
me, partirent  du  sein  de  la  contre- 
oppolilion  royaliste.  M.  Agier,  en 
se  montrant  favorable  au  sort  des 
ecclésiastiques  inférieurs,  qu'il  ap- 
pela a  les  vrais  consolateurs  du 
pauvre,  les  vrais  soutiens  de  la 
religion,»  signala  avec  énergie  les 
envahissements  de  la  congrégation , 
et  le  joug  qu'elle  faisait  peser  sur 
le  ministère  par  son  influence  sur 
la  distribution  des  emplois  publics. 
«  Après  les  illusions  de  4791  et  les 
horreurs  de  1793,  disait-il,  nous 
avons  eu  la  corruption  du  Direc- 
toire; cellr-là  était  de  boue;  nous 
avons  eu  la  corruption  du  gouver- 
nement d<'  Bonaparte;  celle- Ik  était 
recouverte    de    gloire    militaire; 
nous  avons  eu  la  corruption  de  ce 
système  de  bascule  qui  a  failli  per- 
dre  la    monarchie    et   que    nous 
avons  tous  combattu  ;  si  par-des- 
sus tout  cela,  nous  avions  la  cor- 
ruption de  l'hypocrisie,  devenue 
moyeu  d'avancement,  le  carac- 
tère de  loyauté  qui  appartient  à  la 
nation    française    s'altérerait,    et 
par  suite  la  religion  serait  com- 
promise et  la  monarchie  menacée  ; 
car,  n'en  douions  point,  la  France 
qui,  éblouie  par  l'éclat  des  armes, 
a  pu  supporter  le  despotisme  mi- 
litaire, ne  pourrait  tolérer  celui  de 
l'hypocrisie.  «  L'orateur  conjurait 
en  terminant  le  ministère  de  «  bri- 
ser décidément  le  jou^  de  cette 
puissance  occulte  qui  ne  tarderait 
pas  à  le  renverser  lui-même.  » 


MM.  de  Beaumont  et  Bacot  de  Ro- 
mans s'élevèrent  contre  les  excès 
de  la  centralisation,  reprochèrent 
au  chef  du  Conseil  d'avoir  oublié 
la  promesse  de  doter  la  France 
d'insiilutions  municipales  si  sou- 
vent réclamées,  et  M.  de  Lézar- 
dières  accusa  les  ministresde  s'être 
séparés    des    royalistes    qui    les 
avaient   portés    au    pouvoir.    Le 
comte  de  Villèle  ne  crut  pas  devoir 
laisser  sans  r»^ponse  des  imputa- 
tions aussi  sérieuses.  Il  écarta  le 
reproche  de  déviation  des  voies 
constitutionnelles  en  soutenant  que 
jamais  la  Charte  n'avait  été  mieux 
exécutée,  que  toutes  les  lois  pré- 
sentées étaient  dans  l'esprit  de  ce 
pacte  fondamental,  que  jamais  la 
liberté  n'avait  été  mieux  assurée, 
la  prospérité  plus  évidente,  ce  qui 
était    matériellement  vrai.  Il   se 
montra  moins  précis  dans  «^es  ex- 
plications au  sujet  de  l'influence 
des  corporations  religieuses,  cette 
grande   question  du  jour,   et  se 
borna  à  établir  que  la  religion  ca- 
tholique n'avait  aucun  dogme  qui 
fût  incompatible  avec  la  Charte; 
il  ajouta  fort  sensément  que  «  la 
religion   de  nos  pères   était  bien 
plus  d'accord  avec  un  gouverne- 
ment doux  et  tempéré  comme  le 
nôtre,  qu'avec  un  gouvernement 
absolu  par  lequel  la  religion  pour- 
rait être  contrariée  et  comprimée.» 
Le  ministre,  s'expliquant  sur  l'ab- 
sence  d'administrations   départe- 
mentales et  communales, regretta, 
comme  ses  contradicteurs, la  lacune 
de  ces  institutions.  Mais  le  cabinet 
avait  toujours  reculé  devant  des 
difficultés    pratiques  ,   notamment 
devant    le    mode   d'élection   des 
membres  appelés  ià  les  composer, 
et  surtout  devant  l'incertitude  des 
ressources  à  l'aide  desquelles  on 
pourvoirait   aux   besoins  de   ces 


h90 


VIL 


administrations.  Voulait -on  en 
défrayer  la  dépense  avec  les  fonds 
appiutenant  en  propre  aux  loca- 
lités? Mais,  les  dotations  par  les- 
quelles les  administrations  pro- 
Yinciales  subvenaient  autn^fois  à 
leur  exercice  avaient  disparu,  et 
cet  état  de  choses  ne  poiivait  re- 
naîire  aujourd'hui.  Un  le!  obstacle 
n'était  pas  insurmoniable ,  sans 
doute,  mais  il  était  assez  grave  pour 
absoudre  le  miiiisli'rc  de  sa  résis- 
tance à  un  vœu  généralement  ex- 
primé el  favorable  d'ailleurs  aux 
intérêts  des  populations.  En  t!T- 
minau;  cette  apologie  plausible 
sinon  péremptoire  de  la  conduite 
du  cabinet,  le  président  du  Conseil 
ne  put  contenir  l'expression  d'un 
sentiment  d'amertume:  «  Le  rôie 
des  ministres,  dil-ii,  n'est  pas  un 
rôle  qui  doive  produire  de  l'eni- 
vrement. Non,  messieurs,  est  eni- 
vrement du  pouvoir  ne  saurait 
exister;  nous  céderions  plutôt  au 
dégoût  el  à  la  lassitude  que*doi- 
venl  cnirainer  d'aussi  injustes 
attaques  au  milieu  de  nos  pénibles 
fondions.»  Et  comme,  après  ces 
paroles  le  ministre  descendait  de 
la  triLune.  il  y  fui  ramené  par  une 
interpellation  de  C.  Périer  qui  lui 
objectait  le  rétablissement  de  la 
censure  :  «  Une  seule  fois,  se  hàta- 
t-11  de  répondre,  la  France  a  joui 
de  la  liberté  la  plus  complète  de  la 
presse,  d'une  liberté  qui  a  dégé- 
néré peut  être  en  licence  :  cette 
époque  est  celle  qui  s'est  écoulée 
dep.is  quii  l'ad  ninislralion  ac- 
tuelle a  été  appelée  par  le  roi. 
On  vient  de  témoigner  des  craintes 
surle  rétablissement  de  la  censure. 
Je  m'expli<<uerai  sur  ce  point  avec 
.franchise.  Si  la  c»'n>ure  n'est  pas 
nécessaire  au  rcjios  du  pays,  elle 
n'aura  pas  lieu;  si  elle  lui  est 
nécessaire,  nous   ne   balancerons 


VIL 

pas  à  la  proposer.  >»  Cette  déclara- 
tion provoqua  de  nouvelles  invec- 
tives de  Benjamin  Constant  qui 
défia  le  ministère  de  rei'oncer  ainsi 
à  «la  seule  bonne  mesure  dont  il 
eût  le  droit  de  se  vanter.  »  La  dis- 
cussion approfondie  des  articles  du 
bud;j;et,  qui  ne  dura  pas  moins  de 
vingt-six  jours,  rappela  plusieurs 
fois  encore  Villèl^>  sur  le  terrain 
parlementaire.  M.  Royer-ColLvrd, 
s'armant  des  bienfaits  mêmes  de 
l'administration,  reprochaau  dé- 
grèvement proposé  de  conduire  à 
la  limitation  successive  du  droit 
électoral  el  par  suite  Ji  la  destruc- 
tion du  régime  représentatif  (1)  ; 
il  inculpa  le  ministère  «  d'emprun- 
ter au  moyen  âge,  aux  temps  d'i- 
gnorance et  d'anarchie,  le  peu  de 
lois  poiiti(iues  qu'il  soumettait  aux 
délibérations  des  Chambres.  »  Le 
ministre  répondit  que,  môme  en 
admettant  le  dégièvement,  l'impôt 
direct  excéderait  encore  le  taux 
où  il  s'élevait  à  l'époque  de  la  ^ 
promulgation  de  la  Charte;  que 
celui  des  patentes  avait  produit 
depuis  lors  une  augmentation  de 
8  millions  répartis  sur  un  million 
de  contribuables,  et  qu'ainsi  ce 
plan  dé  réduction  ne  faisait  que 
mettre  en  harmonie  rintervenlioa 
du  corps  électoral  dans  le  vote  de 
l'impôt  avec  le  poids  de  cet  impôt. 
M.  Hoyer-Collard  navaii  pas  borné 


(I)  Les  élections  du  mois  de  novem- 
bre \HH  démontrèrent  bientôt  K;  défaut 
absolu  de  fondenient  de  celte  accusa- 
tion. On  remarqua  que,  malgré  l'effet 
des  déîîrcveiiUMils,  auquel  il  faut  ajouter 
les  relus  d'inscriptions  faits  par  ladmi- 
nistraiiou  a  un  grand  nnitibre  d'élec- 
teurs plus  ou  moms  en  droit,  de  se  faire 
inscrue,  les  collèges  électoraux  furent, 
en  général,  presqu'atis^i  nombreux 
qu'aux  préce  lentes  élections.  {Annuaire 
historique  de  1H-^.7,  p.  2î>9.) 


VIL 


VIL 


491 


son  système  d'opposition  à  cen- 
surer amèrement  les  actes  du  mi- 
nistère; il  n'avait  pas  craint  de  se 
constituer  l'écho  de  lamalveillance 
la  moins  éclairée  en  lui  pi  étant, 
sans  aucun  fondement,  l'intention 
d'un  projt  t  de  loi  sur  1-^  mariage, 
où  les  droits  de  Tautoriié  civile 
seraient  indignement  sîicrifiés  au 
pouvoir  spirituel ,  ei  qui  a  ft  rait 
fléchir  la  souveraineté  royale  de- 
vant la  souveraineté  ecclésiasti- 
que. »  Le  présiùenl  du  Conseil  fit  à 
celte  insinuation  une  réponse  aussi 
judicieuse  que  catégorique  :  «  On 
parie  toujours,  dit-il,  d'une  légis- 
lation du  raariag'  qui  ferait  fléchir 
l'autorité  royale,  et  qui  compro- 
mettrait la  liberté  des  citoyens  par 
rapport  ii  leur  état  civil.  Je  ne 
balance  pas  à  dire  ma  pensée  tout 
entière  sur  ce  point.  Comment 
l'état  civil  élail-il  avant  la  Révolu- 
tion entre  les  mains  du  clergé? 
Il  y  était  avec  l'appel  comme  d'a- 
bus d- vaut  les  parlements,  comme 
conséquence  nécessaire  pour  ga- 
rantir l'état  civil  des  ciloyens.  Je 
crois  que  c'en  est  assez  pour  que 
les  personnes  qui  connaissent  ces 
maiièrt's  el  qui  pounaient  conce- 
voir encore  quelque  inq.jiéliide, 
d'après  celles  qu  on  cherche  à 
propajjer  chaque  jour,  s'apt'rçoi- 
veni  enfin  de  l'erreur  dans  laquelle 
elles  étiienl,  et  restent  convaincues 
que  ceux-là  même  qu'on  suppose 
très-désireux  de  soiliiitcr  «e  qu'on 
craint  de  leur  voir  contier,  s'ils 
étaient  consultés,  si'raient  les  pre- 
miers à  n'eu  pas  vouloir  aux  con- 
ditions sans  lesquelles  on  ne  peut 
jamais  les  leur  ailrihuer.  »  Le 
budget,  adopté  à  24  i  voix  de  ma- 
jorité, fut  soumis  à  la  Chambre 
des  pairs.  Ses  principaux  organes 
réclamèrent  avec  plus  d'insistance 
qu'on  n'a*,  ait  fait j  u^qu'alors  contre 


cette  présentation  tardive  qui,  par 
la  séparation  de  fair  de  l'autre 
Chambre,  rendait  son  e,onirô;e  il- 
lusoire et  tendait  à  concentrer  dans 
une  îjssemblée  unique  toute  la 
puissance  financière.  Le  ministre 
des  financt-s  ne  put  rien  opposer 
de  concluant  à  ces  judicieuses  ob- 
jections. Il  combattit  avec  moins  de 
désavantage  les  accusations  portées 
dans  cette  Chambre  comme  au  Pa- 
lais-Bourbon contre  l'attiiude  prise 
par  le  cabinet  à  l'occasion  de  la 
guerrr  du  Levant,  qui  commençait 
à  préoccupe:  vivemeni  les  esprits. 
La  brivoure  des  Grecs  appliquée 
à  la  défense  de  leur  terri:oire  et 
de  leur indéj^endance,  c'est-à-iîire,  à 
la  plus  juste  des  causes,  n'avait  pu 
conjurer  la  chute  de  Missoionghi, 
et  cette  catastrophe  avait  excité 
dans  l'Europe  entière,  un  doulou- 
reux retentissement.  Plusieurs 
royalistes,  entrés  dans  l'opposition 
i»  la  suite  de  M.  de  Chateaubriand, 
tels  que  MM.  Alexis  de  No.^iiles  et 
Hyde  de  Neuville,  s'étaient  pro- 
noncés, à  son  exemple,  pour  que 
la  France  intervint  activement  en 
faveur  des  opprimés,  et  le  général 
Sebastiani  availdémoniré  quencus 
étions  direciemenl  intéresses  à  ce 
qu'il  s'établit  entre  l'Europe  et  ix 
Syrie  un  empire  iudépentiant  qui 
contint  l'Asie  et  ùvkl  des  bornes  à 
l'ambition  de  la  Russie.  Le  prési- 
dent du  Conseil  n'estimait  pas  qu'il 
fût  opportun  pour  la  France  de 
prendre  couleur,  quant  à  présent, 
dans  la  lutie  engagée  enire  les 
Hellènes  el  leurs  oppresseurs,  et 
de  subsîituer  ia  diplomatie  isolée 
de  la  France  à  •  la  diplomatie  de 
tou>»  :  un  tel  syslèiue  allircrailsur 
les  victimes  de  plus  grands  maux 
eneore,  et  a  outeraii  aux  malheurs 
aclU'ls  des  chrétiens  itiUles  les 
calamités  qui  résulteraient  d'un« 


hn 


VIL 


couOâgration  générale  entre  les 
peuples  chrétiens.  Le  comte  de 
Villèle  se  borna  donc  à  rappeler 
les  services  individuels  rendus  par 
uos  flotlesaux  Grecs  fugitifs,  cons- 
tata que  les  canons  devant  les- 
quels avaient  succombé  les  Sou- 
lioles  de  Missolonghi ,  n'étaient 
pas  des  canons  français;  qu'aucun 
officier  de  notre  nation  n'avait 
coopéré  aux  travaux  du  siège , 
et  que  «  le  pavillon  français  pou- 
Tait  toujours  se  présenter  dans 
ces  contrées  avec  l'éclat  et  la  pu- 
reté de  sa  couleur.  »  La  question 
hellénique  n'était  point  encore 
arrivée  au  point  où,  dégagée  des  élé- 
ments révolutionnaires  qui  avaient 
altéré  son  origine,  elle  apparaîtrait 
à  l'Europe  monarchique  sous  son 
irérilable  aspect.  —  Peu  de  jours 
après  la  clôture  de  la  session,  le 
^8  août,  la  cour  royale  de  Paris, 
toutes  les  chambres  assembiéei  , 
prononça  sur  la  Dénonciation  portée 
par  le  comte  de  Montlosier.  Après 
cinq  heures  de  délibération,  la 
compagnie ,  aux  deux  tiers  des 
voix,  se  déclara  incompétente  par 
le  motif  que,  d'après  la  Charte 
constitutionnelle,  il  n'appartenait 
qu'à  la  haute  police  du  royaume 
de  supprimer  ou  de  défendre  les 
congrégations  ou  autres  établisse- 
ments de  ce  genre  «  qui  étaient  ou 
seraient  formés  au  mépris  des 
lois.  »  L'arrêt  rappelait  à  celte  oc- 
casion les  édits  opposés  au  réta- 
blissement des  jésuites,  a  comme 
fondés  sur  une  incompatibilité  re- 
connue entre  les  principes  profes- 
sés par  celte  société  et  l'indépen- 
dance de  tout  gouvernement;  prin- 
cipes bien  plus  incompatibles 
encore  avec  la  Charte  constilu- 
tionnelle  qui  faisait  aujourd'hui  le 
droit  public  des  Français.  »  On 
verra  plus  tard  quel  parti  le  comte 


VIL 

de  Montlosier  tira  de  cet  arrêt  qui, 
sans  ordonner  aucuue  poursuite 
immédiate,  formulait,  toutefois,  la 
condamnation  la  plus  directe  du 
rétablissement  de  l'ordre  des  jé- 
suites. La  session  se  rouvrit  dans 
ces  circonstances  agitées,  le  12  dé- 
cembre, par  un  discours  où  le  roi 
annonçait  plusieurs  projets  de  loi, 
et  notamment  un  projet  répressif 
des  abus  de  la  presse,  dont  la  men- 
tion produisit  un  sentiment  univer- 
sel de  sollicitude  et  d'émotion.  Les 
Chambres  délibérèrent  immédiate- 
ment sur  les  Adresses  en  réponse 
au  manifeste  du  trône.  Ces  débats 
eurent  surtout  pour  objet  la  poli- 
tique exiérieure,  et  les  derniers 
événements  qui  s'étaient  accomplis 
dans  la  péninsule  ibérique, et  qu'on 
pouvait  résumer  ainsi.  Lors  de 
l'entrée  en  Espagne  de  l'armée 
française,  en  1823,  lé  gouverne- 
ment anglais  avait  obtenu  de  U 
France  la  promesse  qu'aucune  hos- 
tilité ne  serait  commise  envers  le 
Portugal,  et  l'Angleterre  promit 
alors  et  depuis  de  veiller  ^  ce 
qu'une  paix  exacte  fût  maintenue 
entre  les  deux  Etats.  Cependant, 
une  irruption  nombreuse  de  réfu- 
giés portugais,  auxquels  s'étaient 
réunis  plusieurs  absolutistes  espa- 
gnols, venait  d'avoir  lieu  sur  le 
littoral  portugais,  et  cette  entre- 
prise, motivée  par  le  désir  de  dé- 
truire la  constitution  libérale  de 
dom  Pedro,  avait  provoqué  l'em- 
barquement immédiat  pour  le  Por- 
tugal de  quinze  2à  dix-huit  régiments 
anglais,  sur  la  demande  expresse 
de  l'Etat  envahi.  Le  cabinet  des  Tui- 
leries, qui  pressentait  qu'une  rup- 
ture entre  les  deux  royaumes  de 
la  Péninsule  ne  tournerait  qu'au 
profil  de  l'influence  anglaise,  déjà 
si  puissante  dans  cette  partie  de 
l'Europe,  s'était  empressé  de  con- 


VIL 


VIL 


493 


damner  la  connivence  du  cabinet 
espagnol  par  le  retrait  de  son  am- 
bassadeur. Mais  sa  conduite  n'a- 
vait pu  empêcher  que  M.  Canning, 
secrétaire  d'Etat  des  affaires  étran- 
gères, n'eût  tenu  au  parlement  an- 
glais un  langage  hautain  contre  la 
France  ;  les  orateurs  de  l'opposition 
se  prévalaient  de  ce  langage  pour 
accuser  le  ministère  et  les  troupes 
anglaises  d'occuper  le  Portugal,  et 
de  nous  obliger  ainsi  à  une  occu- 
pation indéfinie  de  l'Espagne. 
M.  de  Chateaubriand  fit  entendre 
à  la  Chambre  des  pairs  une  élo- 
quente protestation  contre  la  phi- 
lippique  du  ministre  anglais  (1), 
et  la  Chambre  vota,  à  la  presque 
unanimité,  une  Adresse  conforme 
aux  es|>érances  pacifiques  que  le 
discours  du  roi  avait  exprimées. 
Le  comte  de  Villèle  affirma  à  la 
Chambre  dès  députés  que  toutes 
les  puissances  s'étaient  accordées 
à  reconnaître  que  l'Angleterreavait 
tenu  en  Portugal  la  conduite  la 
plus  propre  au  maintien  de  la  paix. 
Mais  cette  explication  ne  sauva 
pas  le  cabinet  du  reproche  de  cou- 
descendance  envers  l'intervention 
du  ministère  britannique,  cette  re- 
vanche préméditée  de  la  campagne 
française  de  1823  (2),  et  surtout 


(!)  Quelques  jours  après  la  pronon- 
ciation de  son  discours,  M.  Cunning, 
obéissant  à  un  seutiment  de  convenauce, 
fit  disparaître  ou  adoucit,  dans  une  re- 
lation ofticielle,  1(  s  passaijes  qui  avaient 
blessé  la  susceptibilité  des  orateurs 
français. 

(2)  Le  prévoyant  baron  Hyde  de  Neu- 
ville écrivait  a  son  gouvcrniinent,  dès 
les  premiers  mms  de  1H24  :  <«  Si  on 
n'aide  pas  'e  roi  de  Portugal  a  donner 
une  loi  monarchique  a  sts  peuples, 
avant  dix-tiuit  mois,  on  verra  a  Li>buiine 
une (  hartc  r«publiraine donnée  par  dom 
Pedro,  et  des  habils  rouges  pour  la 
soutenir.  >» 


envers  Ferdinand,  pour  n'avoir  pas 
exigé  qu'il  donna  à  ses  peuples 
des  institutions  propres  a  rétablir 
la  paix  en  Espagne  et  la  confiance 
de  ses  alliés.  M.  Hyde  de  Neuville, 
ambaisadeur  en  Portuga  len  1824, 
dont  la  belle  conduite,  justement 
récompensée  parle  minisière,  avait 
fauve  cette  monarchie  d'une  révo- 
lution imminente,  se  montra  l'un 
des  plus  véhéments.  «  Il  faut,  s'é- 
cria-t-il,  par  allusion  à  une  des 
récriminations  les  plus  blessantes 
de  M.  Canniog,  il  faut  que  l'An- 
gleterre sache  que,  si  nous  avons 
un  fardeau  quelconque,  nous  n'a- 
vons en  aucune  manière  besoin 
qu'on  nous  aide  à  nous  eu  débar- 
rasser. Il  faut  que  l'Angleterre  sa- 
che que  nous  ne  craignons  pas  la 
guerre,  et  qu'il  n'y  a  plus  cher 
nous  de  mécontents  quand  il  s'agit 
de  venger  l'honneur  du  pays.  »  Le 
président  du  cabinet  fit  observer 
que  le  ministère  français  n'avait 
pas  dû  prendre,  dans  l'affaire  de 
Portugal,  l'initiative  d'une  démar- 
che qui  ne  pouvait  appartenir  qu'à 
l'Angleterre,  son  alliée  particu- 
lière; plusieurs  amendements  pro- 
posés par  la  contre -opposition 
royaliste  pour  improuver  la  con- 
duite du  cabinet  furent  écartés,  et 
la  Chambre  vota  ég  ilement,  à  une 
grande  majorité,  une  Adresse  favo- 
rable au  système  politique  formulé 
dans  le  discours  du  trône.  —  La 
préoccupation  publique  fut  bientôt 
ramenée  sur  la  situation  intérieure 
de  la  France  par  les  débats  que 
suscitèrent  deux  objets  importants: 
la  dénonciation  du  comte  de  Mont- 
losier  et  le  projet  de  loi  sur  la  po- 
lice de  la  presse.  Fort  du  point 
d'appui  qu'il  avait  rencontré  dans 
l'arrêt  de  la  cour  royale  de  Paris, 
Moiitlosier  consigna  tous  les  griefs 
de  son  premier  mémoire  dans  une 


uu 


VIL 


VIL 


pélilion  à  la  Chambre  des  pairs,  dont 
M.  le  comie  Porlalis  fut  nommé 
rapporteur.  Son  travail,  fort  déve- 
loppé d'ailleurs,  se  concentra  prin- 
cipalement sur  la  qiiesiion  légale 
envisaiîée  dans  ses  rapports  avec 
l'existence  des  jésuites.  Cette  exis- 
tence ayant  été  formellement  re- 
connue i  la  tribune  par  le  mi- 
nistre même  des  alTaires  ec',;lésias- 
tiques,M.  Portails  eut  peu  de  peine 
à  démontrer  qu'elle  blessait  les 
prescriptions  des  éilits  spéciaux 
rendus  sous  Louis  XV  ei  sous 
Louis  XVI  contre  1.1  Société  de  Jésus, 
et  des  lois  générales  postérieures 
qui  avaient  interdit  toutes  les  as- 
sociations religieuses  d'hommes 
non  autorisées.  Le  rapporteur  con- 
clut en  conséquence  ti  ce  que  la 
pétition  flil  renvoyée  au  président 
du  Conseil,  «  non  pour  réclamer 
la  sévérité  des  lois,  mais  le  main- 
lien  de  l'urdre  légal.  »  A  ces  con- 
clusions, rigoureusement  fondées 
en  droit,  le  cardinal  de  La  Fare,  le 
tluc  de  Fitz- James  et  l'évêque 
d'Hermopolis  opposèrent  vaine- 
ment la  quuiité  tout  individuelle 
des  membres  de  la  Société,  les 
tendances  ouvertement  irréligieu- 
ses et  anarchiques  de  leurs  persé- 
cuteurs, l'incontestable  supériorité 
des  jésuites  pour  l'éducation  de  la 
jeunesse,  leurs  succès  prodigieux 
dans  Ifs  missions  étrangères,  i'ir- 
réprochablepuretédeleurs  mœurs; 
trois  des  personnages  les  plus  con- 
sidérables de  la  Chambre,  MM.  Lai- 
né,  P^squier,  de  B.iranle  ne  virent 
dans  l'introduction  d'un  ordre 
prohibé  qu'une  infraction  aux  lois 
du  royaume,  et  ia  Chambre  pro- 
nonça le  renvoi  demandé  à  la 
majorité  notable  de  113  suffrages 
«;ouire  73.  Le  comte  de  Vilièle  ne 
prit  aucune  pari  ostensible  ii  ce 
débat,  mais  il  eut  ii  s'expliquer,  à 


la  Chambre  des  députés,  it  propos 
d'une  autre  pétition,  sur  un  inci- 
dent étrange  et  inattendu.  IL  s'a- 
gissait du  refus  manifesté  par  Tam- 
bassadeurd'Autriche  de  reconnaître 
les  litres  de  grands  fiefs  donnés  à 
des  Français  par  le  gouvernement 
impérial  sur  des  villes  ou  des  pro- 
vinces passées  ou  rentrées  sous 
la  domination  autrichienne.  L'op- 
position n'eut  garde  de  négli- 
ger celte  inconvenance  qui  avait 
vivement  blessé  la  susceptibilité 
nationale,  et  affecta  de  1 1  considé- 
rer comme  une  conséquence  de  la 
faiblesse  du  ministère  dans  ses 
rapports  extérieurs.  Le.  président 
du  Conseil  répondit  avec  plus  de 
fondement  que  de  fierté  *  que  la 
France  ne  pouvait  obliger  per- 
sonne, après  les  événements  de 
1814,  à  qualifier  tel  ou  tel  de  ti- 
tres qui,  appartenant  à  une  loca- 
lité retranchée  de  la  France,  pou- 
vaient être  contestés  par  ceux  qui 
étaient  actuellement  m  possession 
de  celte  localité.  »  Contraint  k  de 
nouvelles  explications  par  l'insis- 
tance de  MM.  Méchin,  Hyde  de 
Neuville  et  Sébasiiani,  le  ministre 
établit  une  distinction  entre  les 
titres  donnés  par  suite  d'une  vic- 
toire, et  ceux  de  fiefs  sur  une  pro- 
vince ou  sur  uue  ville;  il  conclut 
en  annonçant  que  le  maréchal  dont 
le  nom  motivait  ce  débat,  avait 
obtenu  satisfaction  complète  sur 
l'objet  de  sa  réclamation.  Le  pro- 
jet de  loi  qiii  assurait  à  la  dis- 
tribution des  lettres  sur  tous  les 
points  de  la  France  le  bienfait 
d'un  service  quotidien,  souleva, 
entre  le  ministère  et  l'opposi- 
tion, quelques  escarmouciies  du 
grand  combat  qui  allait  se  livrer 
sur  la  question  de  la  presse.  Plu- 
sieurs orateurs  censurèrent  la  sur- 
taxe imposée  aux  journaux  comme 


VIL 

uci  entrave  apportée  à  la  iilterté  de 
•publication,  ei  M.  Ilyde  de  Nea- 
yille,  s'inspirant  de  l'irritalion  ex- 
trême que  lui  avait  causée  ia  dis- 
grâce de  M.  de  Chateaubriand,  qui- 
lifia  l'esprit  du  ministère  de  «  délire 
qui  poussait  ies  Français  vers  l'a- 
bîme et  les  plaçait  sous  l'influence 
de  quelques  pygmées.  ..  Moi  aussi, 
ajoulaii-il,  par  allusion  à  un  mot 
bien  connu  de  Villèle,  je  joue  car- 
ies sur  table,  mais  je  joue  toujours 
avec  de  bonni^s  cartes...  L'homme 
du  despotisme  elde  la  gloire  disait: 
«  Sauvons  au  moins  la  république 
des  lettres.  »  Si  le  ministère  per- 
siste dans  son  funeste  système, 
que  sauvera-t-il  du  naufrage?  » 
Le  projet  de  loi  sur  la  police  de 
la  presse  avait  été  présenté  le 
29  dt  cambre  à  la  Chambre  des 
députés  par  le  garde  des  sceaux, 
à  la  suite  d'un  long  exposé  où  le 
minibire  sij:nalaii  avec  trop  de  vé- 
rité les  abus  croissants  de  ce  nou- 
veau pouvoir  qui,  institué  pour 
garantir  les  libertés  publiques, 
avait  tourné  contre  ces  libertés 
elles-mêmes,  et  «  qui  était  devenu 
pour  les  gpns  de  bien  un  instru- 
ment de  crainte  et  d'oppression.» 
Les  principales  dispositions  du  pro- 
jet consistaient  diins  Tobligaiion 
de  déposer  tous  les  écrits  de  vingt 
feuilles  et  au  dessous,  les  uns  cinq 
jour>  et  ies  autres  dix  jours  avant 
la  publication  ;  une  forte  amende 
et  la  suppression  de  l'ouvrage  at- 
teignaient le  délinquant.  Les  im- 
primeurs ttaicnt  rendus  responsa- 
bles, et  iiivcstis  en  conséquei-.ce 
d'un  droit  de  censure  sur  les  écri- 
vains. La  loi  limitait  à  cinq  le  nom- 
bre d<  s  propriét^ii  es  des  journaux, 
écartait  IfS  femmes  et  \e^  mineurs 
etannalaiireffeldescODlre-leiires, 
«  môme  entre  les  parties  (on- 
traclanles;    »  les  cautionnements, 


VIL 


/i95 


les  amendes,  les  peines  d'empri- 
sonnement étaient  élevées  beau- 
coup au-dessus  des  proportions 
actuelles;  les  écrits  de  cinq  feuille» 
et  âu-de5sous  étaient  assujettis  au 
timbre.  Enfm,  le  délit  de  diffama- 
maiion,  arbitrairement  caractérisé 
et  sévèrement  puni,  pouvait  être 
poursuivi  d'office  par  le  ministèrô 
public  sans  leconcours  ni  la  plainte 
de  la  personne  insult^^e  :  disposi- 
tion dont  la  consécration  parut 
exorbitante  (1),  et  qui  ne  con- 
tribua guère  moins  ^  dépopulari- 
ser le  projet  que  cet  ensemble  de 
rigueurs  qui  affectait  tout  à  coup 
un  si  grand  nombre  d'intérêts.  Le 
comte  de  Villôle  avait  montré,  dit- 
on,  peu  de  goût  pour  cette  con- 
ception pénale  à  laquelle  il  aurait 
préféré  l'exercice  de  la  censure  fa- 
cultative ;  les  orages  qu'elle  devait 
sou  ever  n'avaient  point  é(  happé  à 
sa  prévoyance  eii'anim;it:ondes  dé- 
bats q'i'rlle  venait  de  susciter  au  con- 
seil d'État  n'avait  pu  que  fortifier 
ses  pressentiments  a  cet  éirard.  Il 
céda  en  cette  occasion  à  l'influence 
de  !a  majorité  du  côté  droit  de  la 
Chambre,  et  parut  se  reposer  sur 
l'habdeté  de  M.  de  Peyronnel  du 
salut  d'niîe  lentcitive  fortement 
stimulée,  on  peut  le  croire  ,  par 
les  exhortations  du  clergé.  L'agita- 
tion que  produisit  un  système  de 
répression  aussi  absolu,  aus»i  om- 
brageux ,  dépassa  en  rffei  l(jut  ce 
qu'on  pouvait  attendre  d  une  po- 


li On  peut  jiii^er  parle  soulèvement 
qu'rxcita  cet  arUelc,  du  travail  qui  s"c- 
taii  opéré  datis  les  e:^p;ib.  l.a  poursuite 
d'uriice  et  sans  l'avou  de  la  partie  lé- 
sec^  en  cas  (le  dilTaiiiallon,  existait 
avant  la  loi  de  ISIO,  cl  n'avait  jam  :is 
soiitTiTt  de  diflicuite.  (>e  pcuiil  fut  éta- 
bli >ans  conlradiction  par  M.  de  Marti- 
giiac  dans  le  disfours  qu'il  prou'jnea 
sur  le  projet  de  loi. 


A96 


vir 


pulaiion  profondément  lésée  dans 
ses  habitudes,  dans  ses  passions  et 
ses  inlérêts,  el  à  laquelle  il  fut  fa- 
cile de  représenter  i'œuvre  minis- 
lérielle  comme  un  instrument  de 
destruction  pour  la  pensée  humai- 
ne. Les  pétitions  collectives  et 
particulières  affluèrent  à  la  Cham- 
bre, et  l'Académie  française,  cé- 
dant à  l'entraînement  universel, 
dé$i(;na  une  commission  composée 
de  MM.  de  Chateaubriand,  Ville- 
main  el  Lacretelle,  pour  adresser 
de  respectueuses  représentations 
au  roi ,  protecteur  de  la  Compa- 
gnie. Mais  le  bureau  de  TAcadémie 
ne  fut  point  admis  îi  présenter  cette 
supplique,  et  MM.  Villemain,  Mi- 
chaud  el  Lacretelle  furent  destitués 
des  fonctions  qu'ils  remplissaient; 
mesure  également  injuste  et  im- 
politique, et  qui  ne  fil  qu'accroître 
rimpopularité  du  projet  qui  en 
fut  l'occasion.  Le  gouvernement, 
de  son  côté,  s'appliquait  à  justifier 
son  œuvre  dans  les  journaux  dont 
il  disposait;  mais  les  feuilles  du 
pouvoir  étaient  peu  lues  par  la 
multitude,  dont  TindifTérence  four- 
nissait ainsi  un  des  arguments  les 
plus  puissants  contre  la  liberté 
illimitée  de  la  presse.  Ce  fut  dans 
un  de  ces  articles  que  l'auteur  eut 
la  malencontreuse  idée  déqualifier 
de  loi  de  justice  et  d'amour  ïti  texte 
de  tant  de  plaintes  et  d'incrimina- 
tions,qualification  à  laquelle  M.  de 
Chateaubriand  riposta  par  celle  de 
loi  vandale,  qu'elle  garda  commo 
un  stigmate  ineffaçable.  Organe  de 
la  ci)mmission  de  la  Chambre,  un 
estimable  jurisconsulte,  M.  Bonnet, 
lut  hî  7  février  un  travail  étendu 
dans  lequel,  adoptant  les  bases  et 
les  motifs  du  projet  ministériel,  il 
le  modifiait  pourtant  sur  plusieurs 
points  importants.  La  commission 
écartait  la  mesure  extrême  de  la 


VIL 

suppression  des  écrits  déposés  hors 
des  délais  légaux,  et  refusait  d'éle- 
ver le  taux  du  timbre  pour  les  jour- 
naux; elle  repoussait  d'une  mi- 
nière absolue  l'obligation  d'y  soa- 
mettre  les  publications  au-dessous 
de  20  feuilles  et  d'un  format  au- 
dessous  de  rin-18;  mais  elle  assu- 
jettissait ces  publications  au  visa 
préalable  de  l'autorité.  Enfin,  la 
poursuite  du  ministère  public,  en 
cas  de  diffamation,  était  subordon- 
née à  l'assentiment  de  la  personne 
intéressée,  et  les  tribunaux  con- 
servaient le  droit  d'affranchir  les 
imprimeurs  de  la  responsabilité  qui 
leur  était  attribuée.  Ces  amende- 
ments n'a\aient  point  été  adop- 
tés par  le  ministère  :  circonstance 
qui  livra  le  projet  primitif  ^  tous 
les  coups  de  l'opposition.  La  dis- 
cussion s'ouvrit  le  13  février  par 
un  discours  violent  de  M.  de  Sala- 
berry  en  faveur  du  projet ,  que 
M.  de  La  Bourdonnaye  attaqua  avec 
sa  passion  accoutumée,  et  M.  Royer- 
Collard,  avec  l'autorité  de  sa  parole 
sentencieuse,  agressive  et  fortement 
accentuée.  A  l'en  croire,  cette  loi, 
dont  lesrigueurs  ont  été  bien  aggra- 
vées depuis  sans  arrêter  un  instant 
les  progrès  de  l'esprit  humain,  cette 
loi  tendait  inévitablement  à  rame- 
ner la  France  ii  la  barbarie,  et  l'ora- 
teur combattait  sérieusement,  sous 
le  régime  pacifique  des  Bourbons, 
l'imminence  d'un  régime  despoti- 
que auquel  le  bras  puissant  de 
Napoléon  n'avait  pu  imprimer  le 
sceau  de  la  durée  :  <  Conseillers 
de  la  couronne,  s'écriail-il,en  di- 
rigeant f^on  geste  vers  le  banc  mi- 
nistériel, qu'avez-vous  fait  jusqu'ici 
qui  vous  élève  2i  ce  point  au-dessus 
de  vos  concitoyens,  que  vous  soyez 
en  état  de  leur  imposer  la  tyran- 
nie ?  Dites-nous  quel  jour  vous  êtes 
entrés  en  possession  de  la  gloire, 


VIL 


(U. 


k91 


quellessontvosbatailles  gagnées?... 
Obscurs  et  médiocres  comme  nous, 
il  nous  semble  que  vous  ne  nous 
surpassez  qu'en  lémérué...La  loi 
que  je  combats  annonce  donc  la 
présence  d'une  faction  dans  le  gou- 
vernement, aussi  certainement  que 
si  cette  faction  se  proclamait  elle- 
même  et  si  elle  marchait  devant 
Dous  enseignes  déployées.  Je  ne  lui 
demanderai  pas  qui  elle  est,  d'où 
elle  vient,  où  elle  va,  elle  menti- 
rail!...  Je  ne  saurais  adopter  les 
amendements  que  voire  commis- 
sion vous  propose ,  la  loi  nen  est 
ni  digne  ni  susceptible...  Je  la  re- 
jette purement  et  simplement  par 
respeci pour  l'humanité  qu'elle  dégra- 
de, poi.r  la  justice  qu'elle  oulrage.» 
A  ces  exagérations,  li  ces  déclama- 
tions si  puissantes  sur  une  société 
prévenue,  le  président  du  Conseil 
opposa  quelques  arguments  de 
fait  d'une  valeur  incontesiable.  Il 
rappela  que  son  administration 
était  la  première  qui,  depuis  <814, 
avait  spontanément  accordé  et  sou- 
tenu pendant  cinq  ans  la  libenéde 
la  presse;  mais  il  ajouta  qu'elle 
rej^ardait  comme  un  devoir  sacré 
de  ne  pas  exposer  le  p;<ys  à  de 
nouvt-aux  déchirements  en  laissant 
prendre  trop  d'intensité  à  l'action 
dissolvante  dune  puissance  dont  la 
France  n'avait  pu  à  aucune  époque 
supporter  le  libre  usjige  sans  que 
iegouvtrnement  ne  l'eût  comprimée 
ou  n'eût  été  renversé  par  elle. 
Au  reproche  de  corruption  diri;.^é 
contre  le  cabinet,  il  objecta  que  le 
ministre  de  l'intérieur  était  jusqu'à 
présent  le  seul  qui  eût  fait  annu- 
ler des  crédits  ouverts  pour  les  dé- 
penses secrèlesde  la  police,  quand 
il  lui  aurait  été  si  facile  de  les  ab- 
sorber et  de  les  distraire  de  b'ur 
destii.alion;  que  s'il  était  vrai  que 
la  servilité  fût  la  conscquen'-e  de 

LXXXV 


ce  mode  de  corruption  qui  s'exerce 
parla  nomination  aux  emplois  pu- 
blics, jamais  il  n'avait  dû  être  moins 
pratiqué,  car  jamais  il  n'y  avait 
moinseu  d'instabilité  dans  les  em- 
plois que  depuisdeuxans.  Le  minis- 
tre,s'expliqu.'int  sur  rinsiilution  des 
jésuites,  fit  observer  que  leur  exis- 
tence dataitd'une  époque  cù  deux 
de  ses  contradicteurs,  MM.  Royer- 
Collard  et  Bourdeau  remplissaient 
l'un  les  fonctions  de  procureur-gé- 
néral, rai:tre  celles  de  chef  de  l'u- 
niversité. «  Nous  ne  voulons  pas 
plus  que  vous,  dit-il,  le  rétablisse- 
ment de  cette  corporation,  mais 
pas  plus  quevous,  nous  ne  croyons 
devoir  user  du  pouvoir  pourpersé- 
cuierdes  individus  sous  le  [jrétexte 
d'opinion  religieuse...  Le  gouver- 
nement du  roi  n'est  asservi  à  au- 
cune fyclion,  et  c'est  pourquoi  tou- 
tes se  coalisent  pour  l'attaquer  et 
l'accuser  de  l'agitation  et  des  dé- 
sordres qu'elles-mêmes  provoquent 
dans  les  esprits,  quoique  tout  soit 
libre,  heureux  et  prospère  dans  le 
pays...  On  nousa  accuses  de  vouloir 
établir  la  tyrannie,  et,  en  parlant 
du  ridicule  d'une  pareille  tentative, 
on  n'a  pas  vu  que  ce  ridicule  s'é- 
tendait à  ^accu^ation  elle-même. 
La  tyrannie!  M.  Royer-Collard  a 
gémi  sur  elle  comme  nous  tous,  et 
il  sait  fort  bien  que  des  tyrans  ne 
se  laissent  pas  dire  en  face  les 
choses  qu'il  nous  a  forcés  d'en- 
tendre. Oui,  la  France  est  sous  le 
poids  d'une  tyr:!nnie  qui  insulte  et 
voudrait  opi)rinier  les  pouvoiis  lé- 
g. ux, tyrannie  qui atiaquelout pour 
tout  dissoudre,  pour  tout  détruire, 
car  il  lui  est  interdit  de  rien  fotider; 
mais  celle  tyrannie,  messieurs, 
c'est  la  tyrannie  de  la  presse!  » 
Villèle  défendit  avec  moins  d'avan- 
tage les  articles  du  projet  de  loi, 
et  notamment  celui  qui  avait  trait 
32 


/t98 


VIL 


au  limbre  des  petits  journaux,  dout 
il  r.'commanda  sans  succès  l'ad- 
mission. Ce  ne  fut  pas  s;m3  quel- 
que surprise  qu'on  le  vil  combattre 
un  amendement  qui  interdisait  la 
circulation  de  tout  écrit  pendant 
les  cinq  jours  qui  suivraieiit  le  dé- 
pôt prévu  par  la  loi  du  21  octobre 
1814.  Il  foûda  son  opinion  sur  le 
motif  que  cet  am.'ndement  consti- 
tuait un  système  préventif  contraire 
à  la  Charte,  une  censure  perma- 
nente inconcili;;ble  avec  les  insti- 
tutions données  au  pays  :  «  Ce  se- 
rait, dit-il,  sacrifier  la  liberté  à  la 
crainte  de  l'abus,  et  nous  n'en 
sommes  pas  arrivés  au  point  de  sa- 
crifier la  liberté  pour  vous  préser- 
ver de  la  licence.  »  Ce  memon^ble 
débatso  prolongea  jusqu'au  < 2  mars 
^  travers  une  exirêrae  confusion; 
et  il  apparut  clairement  qu'un  assez 
grand  nombre  de  dcpulés  de  la 
droite  ministérielle  elle-même 
étaient  peu  favorables  ^  l'aiJoption 
du  projet.  Aussi,  la  majorité  qui  le 
convertit  en  résolution  fut-elle  nu- 
mériquement faible. Elle  n'atieignil 
pas  100  voix  dans  une  Chambre  où 
le  cabinet  avait  disposé  pendant 
plusieurs  années  d'un  nombre  tri- 
ple de  suffrages,  et  constitua  le 
premier  symptôme  d'une  décadence 
que  devaient  r.ipidf-ment  accélérer 
les  événements  po.^térieurs.  Ainsi 
mutilé  et  dénaturé  dans  ses  dispo- 
sitions les  plusessentielles,  le  projet 
fut  présenté  à  la  Chambre  des  pairs 
par  M.  de  Peyroniiet,  qui  en  mo- 
tiva les  dispositions  maintenues 
avec  une  modération  de  lang.ige 
où  perçait  la  crainte  d'un  nuuvel 
et  plus  ^é^ieuxéehec.  Le  clioi.\  des 
commissaires  chargés  de  l'exami- 
ner était  propre  a  fortilier  ces  ap- 
pnhensions,  lorsqu'un  incident 
douloureux  cl  injjjiévu  vint  dé- 
tourner momentanémeni  l'attention 


VIL 

de  la  Chambre  et  surexciter  encore 
l'agitation  des  esprits.  Un  homme 
qui  conciliait  les  sentiments  d'une 
grande  bienveillance  personnelle 
avec  une  hostilité  très-prononcée 
contre  la  marche  du  gouvernementr 
le  duc  de  la  Rochefoucauld-Lian- 
court,  venait  de  mourir  à  Paris, 
dans  un  âge  avancé.  La  faveur  de 
l'opposition  libérale  s'éiaii  attachée 
à  lui  depuis  que,  par  la  destitution 
de  tous  ses  emplois  gratuits,  le  mi- 
nistère avait  voulu  punir,  en  1823, 
l'indépendance  de  ses  opinions. 
Ses  obsèques,  fixées  au  30  mars, 
avaient  attiré  une  foule  considé- 
rable; des  jeunes  gens  sortis  de 
l'école  des  arts  et  métiers  de  Châ- 
lons,  dont  il  était  le  protecteur, 
portèrent  îi  bras,  sans  opposition 
de  sa  famille,  son  cercueil  jusqu'à 
l'église  où  l'office  funèbie  fut  célé- 
bré, lisse  disposaient  à  reprendre 
leur  vénérable  fardeau,  lorsqu'un 
commissaire  de  police,  excipanl 
d'un  ordre  de  son  supérieur,  pres- 
crivit de  replacer  le  corps  sur  le 
char  qui  devait  le  conduire  au 
château  de  Liancourt.  Une  lutte 
scandaleuse  s'engagea  entre  les 
élèves  et  la  force  armée,  et,  dans 
la  confusion  de  ce  débat,  le  cercueil, 
arraché  des  mains  des  jeunes  gens, 
tomba  à  demi  brisé  sur  le  pavé; 
les  insignes  qui  avaient  appartenu 
à  l'illustre  défunt  furent  étalés  dans 
la  boue,  et  il  fallut  passer  une 
partie  de  la  nuit  qui  précéda  l'inhu- 
mation k  replacer  ses  membres 
endommagés!  Cet  acte  de  profana- 
tion excita  une  indignation  géné- 
rale. La  Ch.imbre  des  pairs,  à  qui 
a|)parienait  le  duc  de  la  Uoch(îfou- 
cault,  chargea  sou  grand  référen- 
daire de  prendre  des  informations. 
Le  rapport  de  M.  de  S  moiiville 
ramena  les  esprits  à  une  apprécia- 
tion plus  calme  ci  plus  équitable. 


VIL 


VIL 


/i99 


11  en  résulta  que  l'autorité  publique 
avait  agi  en  cette  occasion  dans  la 
limite  rigoureuse  de  ses  devoirs, 
et  que  le  seul  re[)rociie  qui  lui  fût 
applicable  était  de  s'être  départie 
de  cette  inflexibilité  dans  des  cir- 
constances beaucoup  moins  favo- 
rables. Quoique  étranger  aux  débats 
de  la  glande  question  qui  s'agitait 
alors,  cet  incident  sembla  comme 
nn  augure  défavorable  au  sort  du 
projet  ministériel.  Dans  ces  cir- 
constances, le  cabinet  crut  prudent 
d'aller  au  devant  d'une  défaite  en 
retirant,  le  17  avril,  ce  projet  de 
loi.  Cette  reculade  fut  un  événe- 
ment politique  dont  l'exaltation 
populaire  révéla  les  véritablis  pro- 
portions. Jamais,  depuis  longues 
années,  les  manifestations  publi- 
ques ne  s'étaient  montrées  si 
bruyantes.  Des  bandes  d'ouvriers 
imprimeurs  parcoururent  en  tu- 
multe les  rues  de  la  capitale  et 
occasionnèrent  sur  quelques  points 
des  désordres  qu'il  fallut  répiimer. 
Les  mêmes  démonsti'ations  se  pro- 
duisirent avec  moins  d'éclat  dans 
plusieursgrandes  villes  du  royaumf'. 
Le  petit  nombie  d'hommes  qui 
conservaient  leur  liberté  d'esprit 
au  milieu  des  fascinations  .  de 
l'époque,  entrevirent  avec  eUVoi 
la  portée  de  ce  nouvel  encou- 
ragement donné  .  par  la  conni- 
vence ou  l'aveuglemenL  des  corps 
de  l'État,  au  débordemcntdes doc- 
trines irréligieuses  et  révolution- 
naires. Le  mini:>iére  était  loin  assu- 
rément (i'èire  sans  reproche  dans 
•la  conception  d'un  projet  qui  avait 
soulevé  une  hostilité  si  universelle. 
Hais  ks  hommes  monarchiques 
commirent  une  faute  à  jam;iis  re- 
grettable en  repolissant  d'une  ma- 
nière aussi  absolue  cette  bairiere 
suprême  que  la  sollicit  nie  du  pou- 
voir Icnlail  d'opi'oser  aux  pro-'iès 


continus  de  la  licence.  Q.ie  de  mal- 
heurs eût  conjurés  une  loi  de  répres- 
sion sagement  entendue,  feimeiiient 
pratiquée!  La  France  de  1830  ne  fût 
point  devenue  le  théâtre  et  la  vic- 
time de  ce  sanglant  conflit  où  de- 
vait s'abîmer  une  royauté  de  qua- 
torze siècles;  l'existenee  même  de 
la  so  iété  n'aurait  pas  été  jouée 
dix-huit  ans  plus  tard  au  j(>u  d'une 
collision  civile  ;  le  pays  n'eût  pas 
été  contraint  de  chercher  dans  les 
rigueurs  de  la  dictature  u:i  refuge 
contre  Us  excès  de  l'anarchie,  et 
le  monde  catholique  ne  stT.iit  pas 
réduit,  de  nosjours,  à  implorer  de 
la  prudenci!  ou  de  la  commiséra- 
tion des  puissances  européennes  la 
conservation  du  dernier  asile  de 
son  vénérable  chef!  — Les  députés 
demeurés  fidèles  au  minis;ère  es- 
sayèrent de  venger  eux-mêmes  et  le 
ministère  de  cet  échec  par  la  prise 
en  considération  d'une  mesure 
proposée  quelques  jours  avant  par 
M.  le  marquis  de  LaBoëssiere  pour 
sauvegarder  la  dignité  de  la  Cham- 
bre contre  les  attaques  incessantes 
de  la  presse.  Il  s'agissait  de  la  for- 
mation d'un  comité  chargé  de  lui 
signaler  les  écrits  ou  comptes 
rendus  qui  paraîtraient  devoir  pro- 
voquer l'exercice  du  pouvoir  ré- 
pressif dont  elle  était  armée  par  la 
loi  du  25  mars  1822.  L.i  double  op- 
position se  recria  vivement  contre 
cette  mesure  que  Benjamin  Constant 
qualifia  ■  d'appendice  à  la  loi  des- 
tinée à  tuer  les  journaux  et  la 
publicité  de  la  tribune.  »  Mais  elle 
fut  appuyée  par  le  président  du 
Conseil ,  qui  parla  plutôt  comme 
député  que  comme  ministre,  rt 
àfiul  le  discours,  dit  Al.  de  Da- 
ranlc,  «  lut  conveniblc  et  b  en 
écoulé,  »  et  admise,  après  une 
discussion  Irès-vive  et  trè.-.suiméo, 
à  une  faibo  n:a  orilé  d?  -■'  >oix. 


50O 


VIL 


Celle   esjîèce  de    levanohe   d'une 
irié|)arab!e  défaite  lui  une  faute  de 
plus.  Frappée  de  défaveur  dès  son 
origine,  la  commission  La  Boëssière 
ne  fonciionna  jamais,  et  son  exis- 
tence, purement  nominale,  ne  fit 
qu'ajoaier  àrirritaiiondjs  esprits. 
Une  oi-casion  qui  devait  enfanter 
de  déplorables  suites  fut  offerte  k 
la  population   parisienne  de  faire 
éclater   ses  senlimenis.     On   sait 
combien  Charles  X,  î\  l'exemple  de 
rainé  de  ses  frères,  était  jaloux  des 
hommages   de    la   multitude.    La 
décroissance  marquée  de  l'empres- 
sement populaire  l'affectait  sensi- 
blement,   et  il   recherchait    avec 
avidité    louies    les    occasions  de 
constater  le  retour  de  sa  capitale  à 
de  meilleures  dispositions.  Le  12 
avril,  jour  anniversaire  de  sa  pre- 
mière entrée  à  Paris,  était  une  de 
CCS  circonstances  où  cet  excellent 
prince  aimait  à  laisser  monter  jus- 
qu'à lui  ce  parfum  de    la   faveur 
pubiique  dont  le  mensonge  a  égiiré 
tant  de  rois.  Ce  jour  là,  Charles  X 
reconnaissait  les   témoignages  de 
déout-ment  qu'il  avait  reçus  alors 
de  la  garde  nationale  en  lui  con- 
fiant le  service    exclusif  de   son 
palais.  Le  IG  avril,  jour  auquel  ce 
service  avait  été  remis  à  cause  des 
solennités   de   la  semaine  sainte, 
des  détachements  de  chaciue  légion 
furent  réunis    dans   la  cour   des 
Tuileries;    le     roi  ,     accompagné 
du  dauphin  et  d'un  nombreux  état- 
m^ijor,  en  passa  la  revue  aux  cris 
répétés  de  Vive  le  roi!  Vivement 
touché  de  cet  accueil,  Charles  X 
exprima   le  regret  que  les  légions 
eiilières  n'eussent  pas  été  conviées 
^  celle  Eûlennilé  militaire,  et  que  la 
célébration  de  ce  mémorable  anni- 
versaire se  fût  r»'  duite  à  une  simple 
parade.  Les  encouragemenlsdes  of- 
iiiiers   supérieurs  qui  entouraient 


VIL 

le  monarque,  ceux  surtout  du  ma- 
réchal Oudinot,  commandant  supé- 
rieur(l),  eurent  bientôt  transformé 
ce  regret  en  un  engagement  formel 
de  passer  la  revue  de  la  garde  na- 
tionale, réunie  au  Champ-de-Mars, 
le  29  avril  suivant.  Cependant  cette 
résolution  occasionna  quelques  dé- 
bats au  Conseil  des  ministres.  Le 
projet  de  loi  sur  la  presse  avait  été 
retiré  le  17,   et  les  démonstrations 
excitées  par  celle  mesure  présa- 
geaieniunp  réception  au  moins  équi- 
voque au  roi,  qui  allait  se  trouver 
face  à  face  avec  la  population  de  sa 
cipitale.  Ci's  considérations  ébran- 
lèrent Charles  X,  et  ce  prince  se 
montra  disposé  a  ajourner  ou  même 
à  abandonner  sa  résolution.   Mais 
le  comte  de  Villèle,  persuadé  qu'il 
valait   mieux  encore  affronter   les 
conséquences  de  celte  réunion  hau- 
tement annoncée,  engagea  le  roi  à 
ne  témoigner  ni  regret  ni  méliance, 
et  k  passer  la  revue  (2).  Cet  avis  pré- 
valut, et  le  29,  par  un  temps  ma- 
gnifique, 20,000  gardes  nationaux 
se  dirigèrent  dans  le  plus  bel  ordre 
vers  le  Champ-de-Mars,  dont  près 
de  300,000  spectateurs  bordèrent 
la  vaste  enceinte.  Le  roi  parut,  ac- 
compagné  du  dauphin,  des   ducs 
d'Orléans  et  de  Chartres;  les  prin- 
cesses suivaient  le  cortège  en  ca- 
lèche découverte.  Charles  X,  à  son 
arrivée,  fui  salué  de  nombreuses  et 
vives  acclamations,  et  tout  sembla 
d'abord  devoir  infirmeries  fâcheux 
pronostics  quo  celte  journée  avait 
inspirés.  Mais  lorsque  le  roi  com- 
mença la  revue,  des  cris  de  :  A  bas 
les  ministres!  A  bas  les  jésuites  !  se 


(i)  Lettre  (lu  comte  de  Viliolc,  du 
(>  mai  1827. 

(2)  f^olicG  sur  le  covUe  de  Villèle ^ 
par  M.  de  Ncuvi'lo,  p.  M9. 


VIL 


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501 


mêlèrent  à  ceux  de  Vive  le  roi!  Soit 
calcul  politique,  soit  esprit  de  con- 
venance, plusieurs  officiers  blâ- 
mèrent ouvertement  ces  maniffsta- 
lioiis,  que  des  avis  distribués  à 
profusion  dans  les  rangs  avaient 
cherché  ïi  prévenir.  Arrivé  devant 
le  front  de  la  1"  légion,  le  roi  y  fut 
accueilli ,  dit  un  historien,  «  par 
des  cris  de  Vive  la  charte!  proférés 
avec  tant  de  force  et  avec  une  per- 
sistance si  marquée,  que  ses  traits 
prirent  l'expression  du  méconten- 
tement; un  garde  national  quittant 
alors  les  rangs,  s'avança  près  du 
monarque  et  lui  dit  :  —  Voire  Ma- 
jesté irouve-t-elle  donc  mauvais  que 
sa  garde  nationale  crie  Vive  la  charte! 
—  Je  suis  venu  ici  pour  recevoir 
des  hommages,  et  non  des  leçons, 
répondit  Charles  X  avec  l'accent  de 
la  dignité  offen-ée.  Un  cri  una- 
nime de  Vive  le  roi!  éclata  aussitôt 
dans  tous  les  rangs  de  la  légion, 
et  le  roi  continua  sa  marche  (I).  » 
Après  iri  i  evue,  Charles  X  manifesta 
sa  satisfaction  de  l'ensemble  de 
cette  journée,  et  consentit  à  ce 
que  le  maréchal  Oudinot  en  con- 
signât l'expression  dans  l'ordre 
du  jour  qu'il  se  proposait  de  pu- 
blier le  lendemain.  Mais  des  in- 
cidents imprcvus  devaient  donner 
à  sa  volonté  un  autre  cours.  Quel- 
ques compagnies  qui  retournaient 
dans  ieurs  quartiers  respeclils  en 
passant  par  la  rue  de  Rivoli  et  la 
place  Vendôme,  (irent  entendre 
avec  violence,  sous  les  fenêtres  du 
ministère  des  finances  et  de  lachan- 
cellerie,  les  cris  de  répulsion  que  le 
roi  avait  si  dignen^ent  réprimés. 
Avertis  de  ces  démonstrations  lios- 
tiles,   les  ministres,   alors   réunis 


(1)  Uist.  (h  fi   (u'ux   He^slauralion^i. 
par  A.  de  Vaulabelk',  t.  vi,  p.  '8:2. 


chez  l'ambassadeur  d"Auiri(:he,  se 
rendirent  au  ministère  de  l'intérieur. 
Où  le  préfet  de  police  leur  transmit 
successivement  les  rapports  qui  lui 
furent  présentés  sur  ces  événements. 
Le  Conseil  se  prolongea  assez  avant 
dansia  soirée.  La  majorité  fut  moins 
touchée  du  sens  littéral  des  excla- 
mations qui  avaient  été  proférées 
que  du  caractère  révolutionnaire 
sous  lequel  elles  s'étaient  produites. 
Sur  ces  entrefaites,  le  comte  de  Vil- 
lèle  fut  mandé  aux  Tuileries  et  in- 
terrogé par  le  roi  sur  le  parti  qu'il 
convenait  de  prendre.  Le  chef  du 
cabinet  conseilla  sans  hésiter  la 
dissolution  immédiate  de  la  garde 
citoyenne.  Cet  avis  fut  adopté  par 
CharlesX,  etreportépar  le  ministre 
à  la  réunion  de  ses  collègues  qui  y 
adhérèrent,  à  l'exception  de  MM.  de 
Chabrol,  Frayssinous  et  le  duc  de 
Doudeauville,  qui  donna  sa  démis- 
sion peu  de  jours  après.  L'oitlon- 
nauce  de  dissolution  remplaça,  dans 
le  Moniteur,  l'ordre  du  jour  que  le 
roi  avait  d'abord  autorisé.  Cette 
mesure,  sèchement  formulée,  et  que 
n'adoucissait  la  promesse  d'aucune 
réorganisation  future ,  excita  une 
grande  rumeur  dans  Paris.  Elle 
blessa  auNif  les  officiers  de  la  garde 
nation  lie,  flattés  de  l'importance 
de  leur  position  et  dont  la  plupart 
étaient  demeurés  sincèrement  at- 
taclies  au  régime  de  la  Restaura- 
tion. Elle  provoqua  les  clameurs 
affectées  de  celte  partie  de  la  popu- 
lation i^our  liKjaelle  le  service  n'avait 
jamais  été  qu'une  corvée  sans  com- 
pensation. C»itte  mesure  élailinjuste 
en  ce  qu'i  lie  faisait  porlerau  corps 
entier  la  peine  de  quelques  vocifé- 
rations individuelles;  impolitique. 
en  proclamant  un  divorce  absolu 
entre  le  gouvernement  cl  la  popu- 
lation de  sa  capitale.  Eutin,  elle 
était  insuffisante,  pui-^que  la  garde 


002 


VIL 


licenciée  conservait  ses  armes,  cft 
qui  rendait  sa  dissolution  illusoire 
et  même  dangereuse.  Ces  consé- 
quences se  produisirent  plus  tard 
avec  trop  d'évidence  dans  les  fu- 
nestes journées  de  juiUet,  et,  de 
touies  les  fautes  qui  contribu^Tent 
à  la  chute  du  trône  de  Charles  X, 
aucune  n'eut  une  portée  plus  fâ- 
cheuse et  pius  regreUable.  —  Cette 
session  législative,  si  constamment 
agitée,  fui  marquée  néanmoins  r.ar 
d'importants  travaux. La  confusion 
des  anciens  et  des  nouveaux  règle- 
ments sur  l'adminisiralion  fores- 
tière avait  fait  de  celle  partie  de 
notre  économie  publique  un  véri- 
table chaos,  et  l'extrême  latitude 
accordée  .--lUX  propriétaires  pr.r  la 
légis'ation  moderne  pour  la  dispo- 
sition de  leurs  biens,  avait  amené 
un  dépérissement  sensible  dans  l'a- 
ménagement de  ce  genre  d'immeu- 
bles. Le  projet  d'un  code  complet 
sur  la  m.itière,  élaboré  par  des 
hommes  (ompét  nls  et  soumis  aux 
observations  préalables  des  corps 
judiciaires,  fui  présenté  à  li  Cham- 
bre des  députés,  puisa  la  Chambre 
des  paiis  par  M.  de  Martignac,  el 
adoplé  par  elles  à  la  piesque  una- 
nimité. Les  deux  Chambres  eurent 
également  à  s'occuper  d'un  projet 
sur  rorgaiiisalion  du  jury,  ou  plu- 
tôt sur  la  formation  des  listes  élec- 
torales, qui  jusqu'alors  avait  été 
abandonnée,  ou  à  peu  près,  à  l'ar- 
bitraii  e  de  i  administration.  Le  plan 
miniblér  el,  qui  restreignait  aux 
seuls  électeurs  l'exercice  des  fonc- 
lions  de  juré,  subit  un  remanie- 
ment romplet,  malgré  les  efforts  de 
Villele,  dont  ce  résultat  signala  le 
discrédit  prot;ressil  ii  la  Chamhre 
despair*,  qui  en  prit  Tinilialive.  La 
discussion  du  budget  se  ressentit 
de  cette  disposition  des  esprits  : 
«  Comme  on  pouvait  y  parler  de 


VIL 

tout,  dit  un  écrivain  grave,  les  op- 
posants de  la  droite  saisirent  toutes 
les  occasions  de  blâmer  le  minis- 
tère sans  nui  ménagement,  et  avec 
des  paroles  plus  agressives  que  les 
orateurs  de  la  gauche  (1).  »  On 
pourra  juger  de  la  violence  de  leur 
langage  par  ce  fragment  d'un  dis- 
cours de  M.  dePreissac:  «Ministres 
du  roi,  s'écriail-il,  il  vous  reste  un 
grand  service  ^  rendre  au  trône  et 
au  pays,  le  seul  qui  puisse  réparer 
le  mal  que  vous  avez  fait  :  c'est  de 
vous  retirer.  Vous  êtes  destitués  de 
toute  force  morale;  toutes  les  su- 
périorités vous  effrayent,  le  cri  de 
Vive  le  roi  vous  accuse  ;  vous  voulez 
effrayer  par  des  coups  d'État  :  per- 
sonne ne  vous  craint;  vos  destitu- 
tions sont  des  litres  d'honneur.  » 
A  de  telles  déclamations,  le  prési- 
dent du  Conseil  ne  pouvait  opposer 
que  le  tableau  de  la  prospérité  ma- 
térielle du  pays,  dont  les  revenus 
cro'ssaient  dans  une  proportion  no- 
table, et  le  spectacle  de  la  sécurité 
extérieure  que  rien  ne  troublait 
d'une  manière  sérieuse.  «  Dieu  n'a- 
bandonne pas  la  Fiance,  disait-il,  et 
s'il  veut  nous  affliger  par  le  désordre 
qu'il  laisse  pénélrer  dans  quelques 
esprits,  du  moins  il  pourvoit  avec 
largeur  aux  besoins  de  ceux  qui, 
par  leurs  travaux,  élèvent  le  pays 
à  un  haut  degré  de  développement 
dont  chaque  jour  les  bornes  re- 
culent devant  nos  efforts.  »  La  sin- 
cérité même  des  chitfres  du  budget 
fut  violemment  lataquée  par  M.  Laf- 
fitte,  qui  alla  jusqu'à  menacer  le 
ministère  d'une  accusation  directe, 
dont  MM.  Labbey  de  Fompières, 
Mechin,  B.  Constant,  Pêtou  et  de 
Thiard  se  portèrent  les  auxiliaires, 


(1)  La  Vil',  politique  de  M.  Rayer - 
Collard,  par  M.  d"  n;»rantc,  t.  ii,  p.  329. 


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503 


mais  qui  n'eut  aucune  suite  immé- 
diate. Attaqué  à  deux  reprises  au 
sujet  de  la  dissolution  de  la  garde 
nationale,  le  comte  de  Villéie  re- 
vendiqua  hautement  la  resp  nsa- 
bilité  de  celte  mesure  «  comman- 
dée par  l'intérêt  du   pays  qui  ne 
devait  pas  retomber  dans  les  révo- 
lutions par  la  timidité  des  conseil- 
lers de  la  couronne.  »  Non  moins 
agressif  à  la  Lhambre  des  pairs  que 
l'avaient  été  à  la  Chambre  élective 
AIM.  Laffitte    et  Constant,   M.  de 
Chateaubri;ind  écarta  d'avance,  par 
quelques  considérations  sévères  et 
menaçmtes,  les   moyens  de  salut 
que  le  cabinet  pouvait  tirer  d'une 
augmentation  du  nombre  des  pairs 
ou d'iine prolongation  piusou moins 
étendue  de  la  censure,  et,  par  une 
prophétie  que  les  événements  pos- 
térieurs  devaient   se    charger   de 
démentir,  il  proclama   hautement 
€  Pamour   de  la   France  pour  la 
liberté  de  la  presse.  »  M.  de  Cha- 
teaubriand  déclara   quil   voterait 
contre  le  bii<'gei,  et  exhorta  vive- 
ment les  Chambres  à   user  de  ce 
moyen  extrême,  déclaration   que 
qualifia  avec  sévéïilc  M.  deLally- 
Tollendal,  et  qui  ne  détermina  qi;e 
rimperceplibie  minorité    de  onze 
votes  nr^^atifs.  Ce  futd.mscet  état 
d'agi; alion  que,   le  22  juin,  le  roi 
pronon(;a   la  clôture  de    la    der- 
nière session  à  laquelle  le   comte 
de   Villèle    devait    prendre   part. 
Deux  jours  après,    une    seconde 
ordonnafue    prescrivit    le-    réta- 
blissement de  la  censure,  et  l'on 
put   dès   lors   pressentir    le  com- 
raencemeut  dune   crise  sérieuse. 
Le  ministère,  en  effet,    se  trouvait 
tal:<iemeiit  <  onduit  à  la  dissolution 
de  laChdmbre.La  majoriicdt^  cette 
Chami)re  était  devenue  de  plus  en 
plus  douteuse, et  celle  de  la  Cham- 
bre haute  ne  lui  appartenait  plus. 


L'adoption  de  la  S'^plennalité,  votée 
par  des  mandataires  élus  pour  une 
législature  quinquennale,    soule- 
vait en  outre  certaines  oppositions 
de  conscience  ou  de  calcul  dont  la 
solution  pouvait  devenir  périlleuse. 
Plusieurs  préfets  doimèrent  au  gou- 
v(!rnement  des  espérances  favora- 
bles  en  cas  d'élections  générales, 
et  la   sécurité    personnelle  du  roi 
fut  encore  entretenue  par  le  succès 
d'un  voyage  dans  les  riches  dépar- 
tements du  Nord,  où  de  bruyantes 
acclama.ions  avaient  éclaté  partout 
surson  passage.  Enfin,  au  train  dont 
alhiit'nt  les   choses  et    en   tenant 
compte  du  progrès  inconltstûble  des 
idées  révolutionnaires,  qui  pouvait 
répondre  que  dans  deux  ans  le  re- 
nouvellement intégral  de  la  Cham- 
bre s'opérât  sans  danger  pour  la 
monarchie?  N'était-il  pas  prudent 
de  tenter  cette  rdoutable  épreuve 
alors   qu'on   pouvait  en   attendre 
encore  une  majorité  qui  ne  serait 
pas   trop  décidemeiit  hostile?  La 
dissolution  de  la  Chambre  fut  donc 
résolue.  Mais,  il  fallait  déjilaccr  la 
majorité   de   l'autre  Chambre  par 
une  promotion  dont  les  éléments 
devaient  être  empruntés  forcement 
à  la  portion  la  plus  influente  et  la 
plusdivouée  de  cet:e  assemblée. 
Celte  liste,  composée  d'abord   de 
cent  noms,  fut  réduite  à  soixante- 
seize  pur  le  roi  et  le  dau|)hin.  La 
double  mesure  de  la  dissolution  de 
la  Chambre  et  de  la  promotion  des 
nouveaux  pairs  fui  promulj^uée  le 
5  novembre;  la  même  ordonnance 
prononça  l'abolition  de  la  censure, 
laquelle    avait    clé   généralement 
exercée  dans  un  esprit  rigoureux, 
T'-'xaton-e  et   irès-propre    à  ;iug- 
me;!l»'r  l'irritation  universelle,  [.es 
élections   générales   furent   lixées 
au  19  et  au   24  du   même  mois, 
terme  dont  la  brit;velé  accusait  l'in- 


bOli 


VII. 


VIL 


tenlion  évidente  de  surprendre 
l'opposition  au  dépourvu  et  de 
rendre  illusoires  les  réclamations 
des  électeurs  dont  l'autorité  se  croi- 
rait intéressée  à  contester  les  droits. 
Mais  ces  expédients  d'une  admi- 
nistration défaillante  manquèrent 
complètement  leur  elTet.  Par  suite 
de  la  nouvelle  loi  sur  l'organisation 
du  jury,  les  listes  électorales  se 
trouvaient  dressées  depuis  plusieurs 
mois.  Peu  de  jours  sui'îirent  aux 
meneurs  du  parti  libéral  pour  s'en- 
tendre sur  leurs  candidats,  dont 
plusieurs  furent  adoptes  par  la 
conlre-oppo.siiion  de  droite.  Les 
libéraux,  de  leur  côté,  s'engagè- 
rent à  porter,  sous  l'étiquette  men- 
teuse de  candidats  constUiitionnels, 
certains  noms  designés  depuis  de 
longues  années  à  leurs  défiances 
et  à  leurs  antipathies,  mais  qui 
trouvaient  grâce  à  leurs  yeux  par 
la  chaleur  de  leur  animosité  contre 
le  ministère,  objet  dun  ressenti- 
ment si  universel.  Ce  fut  le  pre- 
mier exemple  de  ces  coalitions 
électorales  dont  l'immoralité  perni- 
cieuse devait  être  si  largement  ex- 
ploitée quelques  années  plus  tard 
par  les  ennemis  du  régime  parle- 
mentaire. A  ces  maiiœuvres  con- 
damnables, l'administration  se  crut 
fondée  i  opposer  un  luxe  de  séduc- 
tions ou  de  rigueurs  qui  n'était 
guère  moins  repréhensible.  Tous 
les  moyens  furent  mis  en  usage 
pour  faire  triompher  les  candidats 
présentés  par  le  gouvernement. 
Divers  écrits  anonymes,  sans  nom 
d'imprimeur,  tirés  à  un  nombre 
considérable  d'exemplaires,  aux 
frais  de  l'État,  furent  distribués 
soit  sous  le  couvert  des  préfets, 
soit  même  sous  celui  des  journaux 
de  ro|. position.  Tous  les  ordres  de 
fonctionnaires  publics,  seule  classe 
dévouée  sans    incertitude  k   tous 


les  régimes  qui  depuis  soixante 
ans  se  sont  succédé  en  France, 
furent  requis  de  coopérer  dans 
la  sphère  de  leur  influence,  au 
succès  de  l'administration.  L'ar- 
deur intéressée  de  leur  concours  ne 
fit  pas  déf  lUt  à  ce  pressant  appel. 
Mais  la  puissance  gouvernemen- 
tale qui,  dans  notre  système  de 
centralisation  moderne,  louche  à 
tant  d'iutérèls,  dispose  de  taul 
d'action,  fléchit  celte  fois  devant 
l'indépendance  du  sentiment  pu- 
blic ,  surexcitée  par  l'émancipa- 
tion récente  de  la  presse  périodi- 
que. Les  noms  les  plus  irréconci- 
liables non-seulement  avec  le  sys- 
tème ministériel ,  mais  avec  la 
Restauration  elle-même,  sortirent 
de  l'urne  électorale,  et  le  gouver- 
nement obtint  à  peine  le  tiers  des 
candidats  qu'il  avait  présentés 
comme  présidents  des  collèges 
d'arrondissement.  La  proportion 
de  l'opposition  coalisée  s'était  éle- 
vée au  chiflre  énorme  de  6,690 
voix  contre  4,1  iO  suffrages  donnés 
au  parti  gouvernemental.  Ce  pre- 
mier succès  répandit  une  joie  uni- 
verselle dans  tous  les  rangs  de 
l'opinion  libérale.  A  Paris,  dans  ce 
vaste  foyer  d'opposition,  un  grand 
nombre  d'habitants  des  quartiers 
Saint-Denis  et  Saint-Martin  illumi- 
nèrent, dans  la  soirée  du  19  no- 
vembre, les  façades  de  leurs  mai- 
sons, et  l'air  retentit  du  bruit  de 
pétards  et  des  cris  de  Vive  laCharte! 
Vivent  nos  députés!  auxquels  vinrent 
se  mêler  les  cris  plus  inattendus 
de  Vive  Napoléon  !  Vive  l'empereur  I 
Ces  démonstrations  ne  tardèrent 
pas  à  porter  leurs  fruits.  Vers  sept 
heures,  une  bande  composée 
d'hommes  et  d'enfants  de  la  lie 
du  peuple,  parcourut  plusieurs 
points  de  la  capitale  en  sommant 
les  cilovens  d'illuminer  et  en  lan- 


VIL 


VIL 


505 


çant  des  pierres  contre  les  croisées. 
On  remarqua  que  les  agitateurs 
ne  furent  inquiéiés  nulle  part,  si 
ce  D'est  par  un  poste  militaire  de 
la  place  Vendôme  qui  en  arrêta  uiie 
centaine  environ;  mais  ils  furent 
Lieniôl  rc'lâohés.  La  rue  Saint- 
Denis  était  au  même  instant  le 
théâtre  de  désoidres  plus  graves. 
Des  bandes  de  vocifôrateurs  y  iu- 
sullaif  nt  les  citoyens  paisibles,  bri- 
saient les  vitres  des  maisons  et 
couvraient  de  pièces  d'artifice  les 
voilures  qui  circulaient  sur  la  voie 
publique.  Vers  neuf  heures,  parut 
un  détachement  de  gendarmerie 
qui,  assaili  k  coups  de  pierres,  re- 
foula la  multitude  dans  la  direc- 
tion de  l'église  de  Saint-Leu  et 
vers  le  passage  du  Grand-Cerf. 
Là,  les  plus  échauffés  imaginèrent 
de  barrer  la  ciiculaiion  k  l'aide  de 
charrettes  renversées,  d'ouiils  de 
maçon,  de  moellous  et  de  pierres 
de  taille  empruntés  à  des  mai- 
sons en  construction.  Ce  fut  l'o- 
rigine de  c<^s  modernes  barricades 
qui  devaient  jouer  un  si  grand 
rôle  dans  les  destinées  futures  de 
la  France.  Les  ptriuibaieuis  cri- 
blèrent à  coups  de  pierre  une 
patrouille  de  gendarmes  du  haut 
de  ces  retranchements  improvisés, 
qui  ne  furent  détruits  que  très- 
avant  dans  la  nuit  par  l'emploi 
successif  de  plusieurs  colonnes  for- 
mées de  troupfs  de  la  garde  et  de 
la  ligue,  et  à  la  suite  d'un  feu  bien 
nourri  qui  fil  plusieurs  victimes. 
Le  lendemain, 20, les mémesscènes 
se  répétèrent  aux  nièmes  heures, 
sur  les  mêmes  lieux,  et  la  plupart 
des  spectateurs  qu'elles  avaient  at- 
tirés parurent  surpris  de  la  longue 
inaction  danr>  Lquelle  l'auturilé 
publique  assista  à  ces  désordres. 
Ce  ne  fui  que  vers  dix  heures  que 
des  forces  suffisantes  vinrent  occu- 


per les  boulevards  Saint-Denis  et 
Saint-Martin.  Les  trois  barricades, 
reconstruites  sur  les  mêmes  points 
que  la  veille,  lurent  emportées  k 
la  suite  d'une  résistance  opiniâtre, 
qui  coula  la  vie  à  quelques  citoyens 
inoffensifs,  et  qui  amena  l'arresta- 
tion d'un  grand  nombre  d'anar- 
chistes. Dans  la  soirée  de  ce  jour, 
trois  députés  nouvellement  réélus, 
MM.  B.  Constant,  Laffite  et  de 
Schonen  se  présentèrent,  chez  le 
président  du  Conseil,  qui  refusa 
de  les  admettre  autrement  que 
comme  simples  individus,  parce 
que  la  Chambre  n'avait  encore  au- 
cune cOîisiitulioQ  légale.  Benjamin 
Constant  insinua  que  les  dé- 
sordres qui  affligeaient  la  capitale 
pouvaient  être  attribués  au  parti 
vaincu  dans  les  élections  ei  pressa 
le  ministre  d'y  apporter  un  terme. 
Cette  thèse  fut  soutenue  par  M.  de 
Schonen  avec  l'emportement  pro- 
pre â  son  caractère;  M.  Laflittese 
borna  à  regretter  le  licenciement 
de  la  garde  nationale,  dont  il  de- 
manda la  réorganisation.  Le  comte 
de  Villele  répondit  â  B.  Constant 
que  le  parti  qui  regrettait  la  disso- 
lution de  la  iiarde  nationale  était 
encore  plus  intéressé  à  fomenter 
les  troubles  de  Paris  que  celui  qu'il 
qualifiait  de  vaincu;  que  d'ailleurs 
les  tribunaux  auraient  bientôt  à 
prononcer  sur  le  caractère  de  la 
sédition  ;  qu'au  surplus  15,000  hom- 
mes de  troupes  étaient  mis  à  l'heure 
même  en  mouvement  |)Our  la  répri- 
mer. B.  Constant  ayant  objecté  que 
ces  mesures  répressives  auraient 
dû  être  prises  plus  lot,  le  ministre 
lui  répliqua  que,  si  la  rébellion 
n'avait  pas  été  mise  en  demeure 
par  des  sommations  réitérées, 
on  n'eût  pas  manqué  d'attribuer 
aux  troupes  la  provocation  det 
désordres  et  l'exaspération  des  ci- 


500 


VIL 


VIL 


toyons,  mais  que  les  actes  d'agres- 
sion matérielle  auxquels  elle  avait 
eu  recours  all'ranchissaient  dès  à 
présent  le  pouvoir  de  toute  respon- 
sabilité. La  sensation  qu'avaient 
produite  les  événements  de  la  rue 
Saiul-Denis  à  t*aris  et  dans  les  dé- 
parlements fui  très-vive.  C'était, 
depuis  la  journée  du  13  vendé- 
miaire, la  première  collision  sé- 
rieuse qui  eût  ensani^lanlé  les  rues 
de  la  capitale.  Celle  impression 
exerça  une  action  marquée  sur  les 
élections  des  grands  collèges,  qui 
n'ava-ent  point  encore  voté,  et  dé- 
termina de  leur  part  une  réaction 
sensible  en  faveur  du  ministère. 
La  plupart  de  ses  candidats  furent 
nommés  à  de  fortes  majorités,  et 
ce  résultat  accrédita  la  supposition 
que  ces  troubles  avaient  été  excités 
ou  soudoyés  par  la  police  pour  ef- 
frayer les  électeurs  et  détourner 
des  choix  hostiles  au  gouverne- 
ment. Cette  inculpalioii  parut  au- 
torisée par  la  longanimité  suspecte 
afcc  laquelle  la  police  était  de- 
meurée spectatrice  des  premiers 
mouvements  :  mais  elle  ne  saurait 
être  léiièrement  admise.  Que  quel- 
ques zélés  subalternes  eussent 
pensé  servir  les  intérêts  du  minis- 
tère en  favorisant  par  une  tolé- 
rance calculée  le  développement 
de  l'insurrection,  cette  supposition 
n'a  malheureusement  rien  que  de 
possible,  et  l  histoire  de  nos  trou- 
bles civils  est  pleine  de  manœuvres 
de  celte  nature.  Mais  inférer  de 
celte  coFijecture  que  la  police  eût 
provoqué  une  deraonslralion  si 
conforme,  .-iprès  tout,  aux  prati- 
ques révolutionnaires,  c'est  une 
coLcIusion  que  la  raison  repousse, 
et  (jui  ne  SdUraii  être  jusliliee  que 
par  des  témoignages  précis  et  irré- 
cusables. Or,  les  évi  iiements  des 
19  et  20  novembre  donnèrent  lieu 


U  une  information  approfondie  et, 
de  cette  enquête,  qui  se  termina 
sous  le  ministère  le  plus  constitu- 
tionnel peut-être  (|ue  la  France  ait 
possédé,  il  ne  ressortit  aucun  grief 
sérieux  contre,  les  agents  de  l'au- 
torité. L'agitation  des  esprits  fut 
encore  surexcitée  par  une  publica- 
tion qui  n'accusait  que  trop  le 
désordre  des  idées  et  la  décadence 
du  pouvoir  de  Charles  X.  Un  écri- 
vain libéral,  condamné  en  1821 
pour  écrit  sédiiieux,  M.  Cauchois- 
Lemaire,  imprima  une  lettre  par 
laquelle  il  exhortait  M.  le  duc  d'Or- 
léans à  profiter  de  la  faveur  des 
circonstances  pour  prendre  posi- 
tion dans  la  monarchie  battue  en 
brèche  par  tant  de  passions 
conjurées.  «  Le  peuple  français, 
lui  disait-il,  est  un  grand  enfant 
qui  ne  demande  pas  mieux  que 
d'avoir  un  tuteur;  soyez-le....  afin 
que  le  char  si  mal  conduit  ne  verse 
pas;  nous  avons  fait  de  notre  côlé 
tous  nos  etîorts,  essayez  du  vôtre, 
et  saisissons  ensemble  la  roue  sur 
le  penchant  du  précipice.  »  Malgré 
la  transparence  de  légèreté  dont 
l'écrivain  s'était  plu  it  le  voiler, 
personne  ne  s'abusa  sur  la  portée 
de  cet  appel  fait  au  rejirésentant 
le  plus  éminent,  sinon  le  plus  dé- 
cidé, de  l'esprit  de  1789.  L'insinua- 
tion parut  assez  directe  pour  (jue  le 
prince  s'empressât, par  lui  et  surtout 
par  ses  amis,  de  répudier  cette  es- 
pérance intempesiive  dont  la  réa- 
lisation devait  lui  procurer,  moins 
de  trois  ans  plus  tard,  une  domi- 
nation seraéede  plusd'orJiîesencore 
que  celle  de  Charles  X,  pour  abou- 
tir comme  elle  à  l'exil  et  à  la  pros- 
cription :  destinée  trop  commune 
aux  pouvoirs  modernes,  et  que  les 
excès  de  la  force,  la  droiture  des 
intentions,  les  habilclés  de  la  con- 
duite semblent  également  impuis- 


VIL 


^7L 


507 


sants   à  conjurer.   Loin  d'ailleurs 
d'avoir  été  concertée  avec  le  pre- 
mier prince  du  sang,  comme  on  l'a 
cru    el   répété,    la   sommation    si 
tranchée  de  M.  Cauchois  l'avait  ri- 
vement  contrarié.    Toujours   sus- 
pect au  parti  royaliste  par  son  ori- 
gine et  parson  entourage,  M.  It  duc 
d'Orléans  n'avait  rien  tantk  cœur 
que  de  s'effacer,  ostensiblement  au 
moins,  de  la  scène  politique  et  de 
se  maintenir  en  bonnes  relations 
personnelles  avec  le  roi  Charles  X. 
Moins   ambitieux    poi:r   lui-même 
qu'on  ne  l'a  généralement  supposé, 
ce  prinne   n'était    p?.s   insensible 
sans  doute  à  l'idée  de  faire  entrer 
dans  sa  belle  et  nombreuse  famille 
l'une  des  plus  brillantes  couronnes 
de  l'univers;  mais  cette  séduction 
était  balancée  chez  lui  par  le  sen- 
timent des  avantages  et  des  jouis- 
sances de  sa* florissante  situation. 
«  Le  soin  qu'il  apportait  à  ménager, 
à  se  concilier  tous  les  partis,    dit 
un    rigoureux   appréciateur,    pre- 
nait sa  source  autant  dans  son  ca- 
ractère,  où  manquaient  la   fran- 
chise et  l'élévation,   que   dans  !a 
pensée  de  se  réserver  une  position 
distincte  de  celle  de   ses  parents 
dans  les  éventualités  d'une  nou- 
velle catastrophe  dont  il   avait  la 
prévision  co{:fuse(l}.  »  La  condam- 
nation prono  céc  contre  M.  Cau- 
chois -  Lem.wre,     quelques    jours 
après,  ajouta  peu  d'éclat  k  la  po- 
pularité du  duc  d'Orléans,   aiors 
fort  restreinte  et  coiicenirée,  pour 
ainsi  dire,  entre  quelques  sommi- 
tés du  parti  libéral  i,2}.  La  politique 


(1)  Jlisl.  (les  deux  Restaurations^ 
par  A.  <lc  Vaulabelie,  t.  vu,  p.  2«<;. 

(2)  Un  des  chefs  secondai le.^  de  ce 
parti,  M.  de  U;iiiibuleau,  d  puis  préfet 
de  la  Sciuc,  appliquait  faïuilioriiiunl  au 
prince    celte  phrase  devenue  prover- 


étrângère  vint  apporter  une  direr- 
sion  momentanée  à  la  vivacité  des 
débets  intérieurs.  Depuis  six  ans, 
la  Grèce  disputait  sa  liberté  avec 
une  énergie  dont  |e  triomphe  n'é- 
tait suspendu  que  par  le  contact 
empoisonné  des  passions  révolu- 
tionnaires. Cependant  une  conven- 
tion avait  été  signée  ù  Londres,  le 
6  juillet  1827,  entre  la  France,  la 
Russie  et  l'Angleterre,  el  un  ulli- 
matum  fut  envoyé  à  Conslantinnple, 
soutenu  par  les  flottes  combinées 
de  ces  trois  puissances.  îilais  .'e  sul- 
tan se  persuada  qu'une  coalition  for- 
mée d'élr'ments  aussi  hétérogènes 
se  dissoudrait  avant  d'agir,  et  que 
ces  Etats  reculeraient  devant  l'idée 
d'ouvrir,  par  ladestructionoumême 
par  l'alfaiblissemenl  del'enipire  ot- 
toman, une  série  de  complications 
périlleuses.  Il  fit  construire  dans  le 
port  d'Alexandrie,  sous  la  direction 
même  d'ingénieurs  européens,  une 
nombreuse  flottedesiinée  à  attaquer, 
dans  l'iled  H}dra,le  principal  bou- 
levard de  l'insurrection  hellénique. 
Les  coalisés,   de    leur  cùté,    en- 
voyèrent dans  les  eaux  delà  Médi- 
terranée des  forces  suffisantes  pour 
neutraliser  l'i^clion  des  deux  Klats 
belligérants.  Les  trois  amiraux  pri- 
rent position,  le  18  octobre,  dans  le 
port  de   Navarin,  où  leurs  mouve- 
ments ne  furent  point  inquiétés  par 
la  flotte  îurco-cgypiiennt*.  Mais  un 
parlementaire  anglais,  dépêché  au 
vaisseau  amiral  turc,  ayant  été  tué 
par  une   balle  partie    de  ce  bâti- 
ment, ce  fut  le  signal  du  combat. 
Il  dura  trois  heures  et  demie  et  se 
termina  [)ar  la  destruction  presque 
entière  de  laûolte  ennemie.  Quel- 


bialc,  à  propos  de  (iaston  d'Orlcans, 
€  qu'il  n'ctaii  propre  (pi'a  donner  la 
mam  a  ses  amis  pour  les  faire  monter 
h  recliafaud.  d 


508 


VII. 


VIL 


que  populaire  que  dût  être  un  tel 
événement  en  France,  où  la  cause 
hellénique  avait  généraler^ienl  pas- 
lionné  les  esprits,  l'opposition, 
dans  son  injustice,  ne  put  se  ré- 
soudre à  en  fdire  honneur  au  mi- 
nistère. On  prélendit,  non  sans 
quelque  fondement  peut-être,  que 
l'amiral  de  Higny  et  l'amiral  Co- 
drington,  t'e  derniersurtout,  avaient 
excédé  leurs  inslrucli<  ns  (1).  On 
ignorait  d'ailleurs  combien  étaient 
vives  en  faveur  de  la  Grèce  les  sym- 
pathies personnelles  de  Charles  X, 
et  avec  quelle  ardeur  il  se  prêtait  à 
toute  démonstration  utile  à  son  in- 
dépendance. La  victoire  de  Navarin 
n'apporta  donc  aucune  force  au 
cabinet,  et  il  fallut  aviser  sérieuse- 
ment, en  regard  de  la  formidable 
majorité  qui  s'avançait.  Les  comtes 
de  Villèle  et  Corbière  avaient  été 
réélus  par  leurs  collèges;  mais 
M.  de  Peyronnet  avait  succombé 
dans  une  double  candidature.  Lors- 
que le  résultat  général  fut  connu, 
Charles  X  réunit  ses  minisires  et 
leur  demanda  s'ils  pensaient  pou- 
voir avec  quelques  chances  de  suc- 
cès affronter  l'opposition  de  la  nou- 
velle  Chambre.    On  lui   répondit 


v'I;  Voici,  bur  cet  événement,  une 
anecdote  peu  connue,  et  dont  on  m'a 
garanti  ryiiliienticité.  Les  trois  puissan- 
ces avaient  donné  a  leurs  amiraux  l'or- 
dre de  s'iiiti'idire  tout  acte  d'agression 
contre  la  fluUe  turco-cgyplieiine.  Mais 
le  duc  de  Clarencc,  grand-aniinil  d'An- 
jileierre,  ne  l'entendit  pas  ainsi;  et, 
après  avoir  signé,  en  sa  qualité,  les 
instructions  qtie  son  gouvernement  lui 
prcsciivait  d'iidrcsser  a  l'amiral  Co- 
dhngtoii,  (lui  commandait  la  station,  il 
écrivit  au-dessous  de  sa  signature  ces 
trois  mots:  «Itdvcat  Ihcm  (tombez des- 
sus). »  Codrini^loii,  qui  ne  demandait 
{»as  mieux,  s'enundit  avec  ses  deux  col- 
ègues,  et  la  llolle  /'gyptiennc  fut  anéan- 
tie. 


que  la  session  s'ouvrirait  proba- 
blement par  la  demande  du  renvoi 
des  ministres;  mais  que  si  cette 
demande  était  écartée  par  un  refus 
péremploire,  il  y  avait  chance 
d'obtenir  la  majorité  pour  toutes 
les  lois  d'intérêt  général  conformes 
à  l'esprit  qui  avait  présidé  aux  élec- 
tions. Les  membres  du  cabinet  ac- 
compagnèrent leur  réponse  de  l'of- 
fre immédiate  du  dépôt  de  leurs 
portefeuilles;  mais  ils  déclarèrent 
qu'ils  étaient  prêts  à  engager  la 
lutte  si  le  roi  le  jugeait  utile  aux 
intérêts  de  la  monarchie  et  du  pays. 
Lft  roi  entretint  ensuite  particu- 
lièrement Villèle  de  diverses  com- 
binaisons ministérielles  proposées 
pour  satisfaire  l'opinion  publique; 
Villèle  insista  surtout  sur  la  néces- 
sité de  fixer  l'incertitude  des  es- 
prits par  une  prompte  détermina- 
lion  dans  un  sens  ou  dans  l'autre. 
Au  fond ,  il  n'avait  aucun  es- 
poir de  maintenir  l'intégriié  de 
son  ministère  en  présence  de  la 
nouvelle  Chambre  :  mais  il  pou- 
vait se  flatter  encore  d'apparte- 
nir k  une  administration  qui  ral- 
lierait le  centre  droit  et  la  défection, 
et  divers  plans,  comme  on  va  le 
voir,  furent  mis  en  avant  dans  cet 
objet;  mais  aucun  ne  put  aboutir. 
Le  lendemiin,  après  la  séance  du 
Conseil,  le  roi  déclara  au  comte  de 
Villèle  l'intention  de  remplacer  son 
ministère,  et  le  consultasur  le  choix 
d'un  nouveau  cabinet.  Mais  Villèle 
déclina  toute  responsabilité  à  cet 
égard  et  consentitseulemenl  à  man- 
der à  Paris  le  marquis  de  Talaru, 
alors  ambassadeur  à  M-idrid;  il  pro- 
mit aussi  de  l'informer  de  l'inten- 
tion où  était  Charles  X  de  lui  con- 
fier la  désignation  et  la  présidence 
du  nouveau  Conseil.  M.  de  Talaru 
vint,  mais  il  répudia  tout  concours 
dans  la  distribution  de  l'héritage  du 


VIL 


VIL 


509 


comte  de  Villèle.  Le  roi  fil  appeler 
M.  de  Chabrol,  ministre  àe  la  ma- 
rine, serviteur  fidèle,  administra- 
teur caj)able  et  modéré.  M.  de  Cha- 
brol accepta  latâchequi  lui  était  im- 
posée; ii  présenta  une  liste  dont  Char- 
lesX  effaça  sansbésiterle  nomdeM.- 
de  Chateaubriand  pour  le  rempla- 
cer par  celui  de  M.  do  Laferronnays. 
MM.  Portails,  de  Martignac,  Roy, 
deCaux,  furent  appelés  aux  dépar- 
tements de  la  justice,  de  l'intérieur, 
des  finances  et  de  la  guerre;  M.  de 
Chabrol  conserva  le  njinistère  de  la 
marine,  M.Frayssinouscelui  de  l'in- 
struction publique  et  des  cultes,  et 
l'on  créa  un  ministère  du  commerce 
pour  le  confier  à  M.  deSaini-Cricq. 
Cette  combinaison   laborieuse   ne 
s'était  réalisée  que   le    À  janvier 
1828.   Trois   semaines   avant,    le 
comte  de  Villèle  écrivait  confiden- 
liellt^menl  'à  son  fils  une  lettre  où  on 
lisait  les  passages  suivants  qui  ré- 
fléchissent ai  vif  les  embarras  réels 
de  la  situation  :  «  Mon  honneur  et 
mon  devoir  m'interdisent  d'aban- 
donner le  roi  et  me  prescrivent  de 
l'aider  à  sortir  de  l'embarras  pres- 
que inextricable  où   il  se   trouve, 
soit  en  restant  pour  combattre  l'en- 
nemi... soit  en  facilitant  en  tout  ce 
qui  dépend  de  moi  les  arrang«'menls 
nécessaires  pour  notre  remplace- 
ment, si  c'est,  comme  tout  me  porte 
à  l'espérer,  le  p;irii  qu'il  (inita  par 
adopter.  Cependant  les  choses  sont 
bien  dilltrentes  de  ce  que  tu  te   fi- 
gures;  cha(jue  jour  des  proposi- 
tions me  sont  faites  de  la  part  des 
deux   sections  de  la  coalition,  (jui 
m'olTrcnt  leur  alliance  el  la  majo- 
rité, à  la  ronnilion  de  partager  avec 
quelques-uns  des   leurs  les  postes 
ministériels;  le  public  est  dupe  par 
les  journaux  de  la  manière  la  plus 
honteuse;  toutes  ces  intrigues  me 
font  pitié.  Le  lendemain  du  jour  où 


je  ne  serai   plus  ministre,  tout  le 
monde  viendra  me  complimenter, 
car  ce  n^est  pas  à  .\f.  de  Villèle  quon 
en  veut,  c'est  à  lautorité;  c'est  ce 
que  le  roi  et  madame  la  dauphine 
surtout  sentent  à  merveille  (1),  el 
ce  qui  retarde  la  décision  après  la- 
quelle nous  soupirons...  L'affaire 
d'Orient  lire  à  sa  fin,  celle  du  Por- 
tugal est  arrangée,  celle  d'Espagne 
terminée,  le  tout  pour  le  plus  grand 
intérêt  du  pays.  La  France  est  plus 
prospère  qu'elle  ne  l'a  jamais  été. 
On  peut  quitter  sans  regret,  et  sur- 
tout sans  remords  ni  crainte,  une 
administration  sous  laquelle  ontété 
amenés  de  tels  résultats,  o  Le  3  jan- 
vier, veille  de  la  promulgation  du 
nouveau  ministère,  il  fut  teiiu  aux 
Tuileries  un  dernier  Conseil  où  s'a- 
gita la  promotion  ^   la  pairie  des 
comtes  de  Villèle,  Corbière  et  dô 
Peyronnet.  Villèle  résista  beaucoup, 
pour  sa  part,   à  cette  mutation  qui 
privait  Charles  X  de  son  influence 
dans  la  Chambre  élective.  Le  roi 
lui  écrivit  secrètement  pendant  le 
Conseil  que  ce  refus  l'obligerait  à 
lui  conserver  son  portefeuille,  cha- 
cun des  nouveaux  minisires  ayant 
fait  de  ^a  promotion  la  condition 
absolue  de  >on  entrée  au  cabinet; 
Villèle  ayant  persisté,  Chant  s  X  lui 
écrivit  de  nouveau  :  «  Vous  voulez 
donc  vous  imposer  à  moi  comme 
ministre?  »  Villèle  répondit  aussi- 
tôt :  «  Le  roi  sait  bien  le  contraire; 
mais  puisqu'il  a  pu  l'écrire,   qu'il 
fasse  (Je  moi  ce  qui  lui  pl.iira;  Dieu 
veuille  qu'il  n'ait  pas  à  s'eu  repen- 


'  I)  Loivquc  ccUc  princesse  eut  appvjs 
ile>a  lioii!  lie  nii-nie  de  Charles  X  la  ré- 
solution qu'il  avait  prise  de  renvoyer 
sou  iiiuii>lère,  el  e  lui  dit  :  «  En  aban- 
donnant M.  de  Villèle,  vous  d.smdtv. 
la  pr.  iiiiere  marche  de  votre  irône.  • 
{i\otice  de  M.  de  Neuville,  p.  lU-.) 


510 


VIL 


VIL 


lir!  »  Lorsque  le  nouveau  pair  vint 
prendre  congé  de  M.  le  dauphin,  ce 
prince  lui  témoigna  les  regrels  qu'il 
éprouvait  de  sa  retraite  :  «  iMais, 
ajoula-l-il ,  vous  étiez  devenu  si 
impopulaire'  —  Monseigneur,  ré- 
pondit l'ex-minislre,  Dieu  veuille 
que  ce  soit  moi!  »  Le  lendemain 
même  de  l'ordonnance,  le  comte  de 
Villèle  écrivit  à  sou  fiis  :  «  Mon  cher 
ami.  Dieu  soit  loué!  Me  voilà  déû- 
Ditivonicni  ariivé  au  terme  de  ma 
carrière  politique,  me  voilà  débar- 
rassé du  ministère!  On  a  jugé  à 
propos  de  m'enterrera  la  Chambre 
des  pairs;  je  me  soumets  et  je  m'en 
console  par  la  considération  que 
celle  mesure  m'assure  la  plus  com- 
plète j'ouissance  de  ma  liberté.  Je 
viens  de  faire  remise  du  ministère 
à  M.  Roy.  Je  le  laisse  en  bon  état» 
tout  à  jour  et  dans  une  situation 
assez  prospère  pour  rester  honoré 
de  l'adminislraiion  qui  m'a  été  con- 
fiée pendant  six  ans  (1).  L'abandon 


(1)  Voici  dans  quelle  situation  le 
comte  de  Villèle,  d'après  M.  d'Aiidiffret, 
laissnit,  au  4  janvier  1828,  soi)  adminis- 
tration. «  Toutes  les  créances  anté- 
rieures à  son  exercice  avaient  été  pres- 
qu'entiéremcnt  soldées,  par  suite  de  la 
célérité  que  rordonnance  du  14  sep- 
tembre 182:2  avait  imprimée  à  l'acquit- 
.tenacnt  des  dé[>enses  publiques.  —  La 
dette  flotiante  ne  s'élevait  pas  alors  au 
deià  (le  1G7  millions  de  capital;  nous 
pos«-cdioiis,  enoutrc,  un  t,Mge  de  plus  de 
100  Dullion  sur  le  gouvernement  espa- 
gnol.— Le  budget  de  l'Ktat  n'avyit  point 
atieii.t  le  cbillrc  de  900  millioi/s;  sa 
liaianee  ;iniiuellc  présenlail  un  excédant 
do  reeetle  sur  chaque  exercice,  en  ré- 
servant encore  un  accroissement  pro- 
gressif df  |dus  de  80  millionsau  rac  hat 
journalier  de  la  dette  imblique.  —  Le 
poids  des  eng:igemei.tr>  du  passé,  si 
lourdement  aj^gravé  par  les  gouvernc- 
meiils  anlérieiir>  a  ISll,  jusqu'à  concur- 
rence de  lO.'i  millidns  d'inréra^es,  avait 
été  allégé  de  'M  millions,  et  .se  trouvait 
réduit,  avant  la  n  volulion  de  IHéfO,  a 
162  millions  de  renies,  pendant  que  les 


de  la  vie  active  ne  procura  point  à 
Villèle  cette  tranquillité  d'esprit  et 
de  corps  après  laquelle  il  soupirail. 
L'importance  du  rôle  qu'il  venait  de 
remplir  dans  la  sphère   politique 
l'avait  rendu  l'arbitre  naturel  d'une 
foule  de  questions  sur  lesquelles  il 
étaitincessamment  consulté  soit  par 
les  nouveaux  ministres,  soil  par  le 
roi,  soit  par  les  députés  mêmes  dont 
il  avait  éprouvé  l'hosiililé.Deuxdo 
ceux-ci,  MM.  de  La  Bourdonnaye 
et  de  Lalot  eurent  recours  à  son 
influence  pour  rétablir  l'union  par- 
mi le  côté  droit  de  la  Chambre.  II 
leur  répondit  qu'il  coopérerait  fran- 
chement à  celle  œuvre  sous  la  seule 
condition  qu'elle  aurait  pour   but 
imique«ladéfensede  Taulorilé  mo- 
narchique, et  pour  point  de  départ" 
la  rupture  complète  des  royalistes 
avecles députés  révolutionnaires.  » 
Enfin,  il  fut  averti  que  l'ouverture 
prochaine  de  la  session  léi;islative 
allait  être  marquée  par  une  attaque 
directe  contre  son  administration, 
et  dut  demeurer  à  Paris  pour  faire 
tels  au  pé.'il.  Le  vériiable  objet  de 
celle  attaque  était  de  placer  Villèle 
sous  le  coup  d'une  suspicion  légale 
qui  écartât  de  l'esprit  du  roi  toute 
possibilité  de  le    rappeler  aux  af- 
faires, j)  Elle  eut  son  prélude  dans 
l'Adresse  de  la  Chambre  élective,  qui 
contenait  cette   phrase,  votée  par 
187  contre  173  voix  :  t  Les  vœux 
de  1.1  France  ne  demand<  ni  aux  dé- 
positaires de  votre  pouvoir  que  la 
vérité  de  vos  bienfaits;  ses  plaintes 
n'accuseni  que  le  syslme  déplorable 
qui  les  rendit  trop  souvent  illu- 
soires. ■  Ce  témoignage  d'improba- 


fonds  du  :')  p.  100,  du  i  et  du  4  1/2  se 
maintenaient  au-dessus  du  pair,  et  que 
le  'A  p.  100  aUeignait  dija  le  taux  de 
8G  Ir.  »  (Souvenirs  de  radministration 
financière,  etc.,  p.  312  ctsuiv.) 


VIL 

tion  ne  permettait  plus  à  MM- 
Frayssinous  et  de  Chabrol  ôc  gar- 
der leurs  sièges  dans  le  nouveau  ca- 
binet, lisse  retirèrent  etfurent  rem- 
placés parMM.Feutrieret  Hydede 
Neuville.  Quelques  jours  avant  la 
présentation  de  l'Adresse,  le  comte 
de  Villèle  écrivait  à  son  fils:  «Loin 
de  redouter  Taccusaiion  dont  on 
me  menace,  je  la  provoquerais  de 
tout  mon  pouvoir,  si  dans  tout  ceci 
c'était  en  effet  de  moi  qu'il  s'agît; 
mais  on  ae  cherche  par  toutes  ces 
menaces  et  par  l'acte  lui-même,  si 
on  l'exécute,  qu'à  lancer  la  Cham- 
bre dans  une  voie  de  violence  et 
qu'à  forcer  le  roi  à  faire  des  con- 
cessions destructives  de  son  auto- 
rité et  fatales  au  repos  du  pays.  • 
Ce  système  de  concessions,  si  dan- 
gereuxsurla  pente  révolutionnaire 
où  se  trouvait  la  France,  se  réali- 
sait en  eiïet  avec  une  progression 
de  plus  en  plus  alarmante.  Le  pou- 
voir perdait  dans  la  suppression  des 
procès  de  tendance,  de  la  censure 
facultative  et  du  droit  de  refuser  la 
créaiiûu  de  tout  nouveau  journal, 
ses  armes  les  mieux  trempées  con- 
tre les  attaques  suJverMves  de  l'or- 
dre public,  et  les  e>prits  sages 
purent  prcvoir  des  lors  qu'il  ne 
reco:;querrait  un  jour  ces^aranlies 
qu'au  prix  de  violences  déplorables 
et  d'une  réaciiou  outrée  contre  les 
libertés  politi(pies.  Le  4  juin,  M.  Lab- 
bey  de  Pompières  déposa  sur  le 
bureau  de  la  Chambre  une  demande 
conçue  en  i  es  termes  :  «  Je  propose 
d'accuser  les  précédents  mi[iii?trcs 
de  trahison  envers  le  roi  q  l'ils  ont 
isolé  du  pays,  et  de  trahison  enver's 
le  peuple  qu'ils  ont  isolé  de  la  con- 
fiance du  roi;  je  les  accuse  d'avoir 
atit'utc  à  la  constitution  du  pays  et 
aux droiisdes citoyens;  je  les  accuse 
de  concussion  pour  avoir  perçu  des 
taxes  non  volées  ei  dissipe  les  de- 


VIL 


5H 


Diers  de  l'État.  »  Cette  proposition, 
combattue  pour  la  forme  [)arM.  de 
Marliiînar,  ministre  de  l'intérieur, et 
pour  le  fond  parM.deMonibel.ami 
particulier  du  comte  de  "Villèle,  fut 
réduite  aux  crimes  de  trahison  etde 
concussion,  et  renvoyée  i  l'examen 
d'une  commission  composée  en  ma- 
jorité de  membres  du  parti  libérai 
et  de  la  défeciion(l),  m.'^is  où  l'on 
fit  entrer  M.  de  Montbel  et  le  co- 
lonel de  Laraezan,  parent  de  l'an- 
cien chef  du  Conseil.  «  I!  paraît  cer- 
tain, écrivait  le  26  juin  l'illustre 
accusé,  que  le  but  est  de  me  placer 
dans  une  situation  telle,  que,  pen- 
dant l'absence  des  Chambres,  le  roi 
ne  puisse  me  reprendre  pour  mi- 
nisiie.  On  a  bien  de  la  bonté  :  il 
le  voudrait  en  vain;  pour  rien  au 
monde  je  n'y  consentirais,  et  cer- 
tainement il  n'y  pense  pas  plus  que 
moi.  »  Au  bout  de  cinq  semaines 
de  recherches  et  de  débats,  le  rap- 
porteur de  la  commission,  M.  Grod 
.de  l'Ain),  présenta,  le  21  juillet, 
son  travail  à  la  Chambre.  Il  an- 
nonça que  les  mini:;lres  ayant  cru 
de\oir  refuser  la  communication 
des  dO(  uments  relatifs  aux  laits  in- 
criminés contreleursprédéces-eurs, 
la  commission  s'était  vue  réduite  ii 
chercher  les  éléments  de  sa  con- 
viclio:;  dans  les  notions  générairs 
ou  particulières  qu'elle  avait  pu  re- 
cueillir. L'accusation  se  trouvait 
ainsi  réduite  aux  incriminations  ba- 
nales que,  durant  une  administra- 
lion  dont  le  plus  grandtort  était  d'a- 
voir >éi'u  six  ans, l'opposition  n'avait 
cessé  d'adiessrr  aux  dernier's  con- 
seillir>  de  la  couronne  :  la  guerre 


(1)  Les  neuf  membres  de  cette  con)- 
missiun  étuient  M.  Maupnm,  Cir-o  I  ('le 
r\in),  de  Monll>i'l,Haui:ot,Diitcrir(\  B. 
Con.4;«nt,  de  Lalol,  ue  L:iniczan,  Agicr. 


512 


VIL 


(l't^spagne,  la  tolérance  accordée  au 
retour  des  jésuites,  les  deslilu- 
lions  moiivées  par  les  voles  élec- 
toraux, le  rétablissement  de  la  cen- 
sure, la  dissolution  de  la  garde 
naiionale  de  Paris,  tels  furent  les 
griefs  consignés  dans  le  rapport  de 
M.  Girod,  qui  conclut  au  nom  de  la 
majorité  de  la  commission  à  ce  qu'il 
fût  déclaré  par  la  Chambre  «  qu'il 
y  avait  lieu  à  instruire,  sur  Taccu- 
sation  de  trahison  proposée  contre 
les  membi  es  du  dernier  ministère.  » 
M.  de  Montbel  repoussa  avec  force 
celte  espèce  d'ajournement  caché 
sous  une  formule  aggravante ,  et 
demanda  que  la  discussion  eût  lieu 
sans  retard.  Mais  sa  proposition, 
appuyée  par  la  droite  tout  entière, 
ne  put  prévaloir,  et  le  débat  fut  re- 
mis jusqu'après  la  discussion  du 
budget.  M.  Royer-Collard,qui  pré- 
sidait la  Chambre,  ayant  à  celle 
séance  appelé  auprès  de  lui  M.  de 
Montbel,  qui  s'était  fait  inscrire 
pour  parler  le  premier  sur  le  rap- 
port, lui  dit  :  «  Non,  monsieur, 
vous  ne  parlerez  pas  le  premier 
pour  ddfendre  M.  de  Villèle  ;  ce 
sera  moi  !  Je  lui  suis  trop  redevable 
pour  ne  pas  me  réserver  cet  avan- 
tage; je  lui  dois  la  conservation  de 
ma  fortune;  il  l'a  oublié,  lui,  sans 
doute,  mais  moi,  je  m'en  souviens, 
veuillez  le  lui  dire  (l).>La(lispersion 
des  membres  de  la  Chambre  après 
le  vote  du  budget,  lit  subir  un  nou- 
veau rela'd  à  laccusalionde  M.  de 
Pompières,  qui  commentait  à  s'éva- 
nouir dans  l'impuissance  et  le  ridi- 
cule, a  Dieu  donne  au  roi  cl  au  pays, 
écrivaii  Villèle  le  26  juillet,  des 
scrviienrs  plus  habiles  et  plus  heu- 
reux 1  Noîis  nouvons  sans  présomp- 


(h  iV'jf/cj,  etc.,  par  M.  de  Neuville  . 
p.  181. 


VIL 

lion  dire  qu'ils  n'en  auront  jamais 
de  plus  dévoués  ni  de  plus  probes: 
c'est  ce  que  personne  ne  nous  con- 
teste. En  somme,  tout  ce  que  nos 
ennemis  ont  tenté  a  tourné  à  leur 
honte;  nous  avons  été  tourmentés, 
mais  désormais  on  nous  laissera 
tranquilles...  Je  pars  le  lœur  moins 
centriste  depuis  que  j'ai  la  preuve 
qu'en  certain  lieu  on  veut  bien  en- 
core se  souvenir  des  efforts  que  je 
n'ai  cessé  de  faire  pour  bien  servir. 
J'étais  vivemenlaffligé  de  l'oubli  dans 
lequel  les  apparences  ont  semblé 
quelque  temps  avoir  placé  mes  bon- 
nes intentions  et  mon  dévouement... 
Vous  ne  sauriez  croire  àquel  point 
l'opinion  se  rectifie  à  mon  égard  et 
à  celui  de  Corbière;  nos  plus  grands 
ennemis  sont  obligés  de  dire  :  «  Oh! 
pour  ceux-lh,  ce  sont  d'honnêtes 
gens. «Ces  dernières  lignes  avaient 
trait  sans  doute  à  quelque  indiffé- 
rence de  Charles  X  envers  ces  gé- 
néreux serviteurs  de  la  monarchie, 
et  nous  trouvons  dans  une  publi- 
cation récente  la  confirmation  de 
cette  conjecture.  «Depuis  le  licen- 
ciement de  la  garde  nationale,  dit 
M.  de  Barante,  le  roi  avait  com- 
mencé à  se  dégoûter  d'un  ministre 
par  qui  lui  venaient  des  contrariétés 
et  des  embarras;  il  le  voyait  en 
butte  à  l'opinion  publique,  et  ne 
voulait  point  parlagerson  impopu- 
larité (1).  »  M;»is  une  telle  impres- 
sion ne  pouvait  être  que  passagère 
dans  l'âme  d'un  prince  au'^si  éqm- 
lable  que  Charles  X  ;  elle  fit  bientôt 
place  aux  sentiments  qui  depuis  si 
lon;;tempsunissaientle  monarque  k 
son  ministre.  On  en  jugera  par  cette 
lettre  écrite  le  2  août  1828,  trois 
jours  avant  le  départ  du  comte  de 


(1;  La  Vie  polit,  de  M.  lloyer-Col- 
lard,  etc.,  par  M.  <1e  Darantc,  t.  ii, 
p.  351. 


VIL 


VIL 


513 


Villèle  pour  retourner  en  Langue- 
doc:» Accoutumé  depuis  longtemps, 
mon  cher  VilIèle,  lui  disait  le  roi, 
à  écouter  des  conseils  dictés  par  un 
sincère  attachement,  j'ai  renoncé 
à  mon  désir  de  vous  voir  et  de  cau- 
ser avec  vous  avant  votre  départ. 
Vous  devez  me  savoir  gré  de  ce 
sacrifice.  M.  de  Monlbel  a  pu  vous 
dire  que  je  lui  ai  témoigné  haute- 
ment ma  satisfaction  de  la  conduite 
sage  et  noble  qu'il  a  tenue  dans  la 
sale  affaire  de  la  prétendue  :!ccu- 
sation.  Elle  s'est  terminée  aussi 
convenablement  qu'on  pouvait  s'y 
attendre,  et  je  suis  convaincu  que 
personne  n'osera  y  revenir.  Je  ne 
vous  dirai  rien  sur  ce  que  vous 
savez  aussi  bien  que  moi.  Voilà  la 
session  finie ,  et  si  on  s'y  prend 
Lien,  je  crois  que  l'on  pourra  tirer 
parti  des  Chambres  Tannée  pro- 
chaine. Parlez  en  paix,  mon  cher 
Villèle;  je  sais  que  vous  ne  vous 
tourmentez  jamais  inutilement  ; 
aussi  jp,  suis  tranquille  pour  vous, 
et  j'espère  que  le  repos  de  la  cam- 
pagne consolidera  votre  santé. 
Dites  mille  choses  pour  moi  à  ma- 
dame de  Villèle;  il  faut  que  son 
âme  soit  en  paix  comme  la  votre. 
Comptez  pour  la  \ie  sur  tous  mes 
sentiments  d'estime  ,  d'affection  et 
de  confiance.  »  Villèle  partit  le 
5  août  pour  sa  terre  de  Iforville, 
où,  malgré  les  instances  de  ses 
amis,  il  persista  à  demeurer  pen- 
dant la  session  législative  de  18i9. 
Après  la  présentation  des  projets 
de  loi  sur  l'organisation  communale 
et  départementale,  .M.  de  Salverle 
prit  la  parole  et  développa  l'accu- 
sation portée  contre  le  dernier  mi- 
nistère. Mais  il  fut  entendu  avec 
inattention  et  indifférence ,  et  ce 
fut  à  peine  si  l'on  put  recueillir  la 
conclusion  de  son  discours,  auquel 
M.  de  Martiguac,  minisire  de  l'in- 

LXXXY 


térieur,  opposa  une  fin  de  non-rece- 
voirtirée  de  ce  que  la  clôture  de  la 
session  avait  amené  la  péremption 
nécessaire  de  l'action  intentée.  La 
question  préalable  fut  adoptée  k 
une  majorité  considérable,  et  30  ou 
40  membres  de  la  Chambre  seule- 
ment se  levèrent  pour  la  combat- 
tre. Mais  l'auteur  de  la  proposition 
primitive,  M.  Labbey  de  Pompières, 
ne  put  se  décider  à  lâcher  prise  : 
il  déclara  qu'il  se  réservait  de  re- 
prendre sa  proposition  lorsque  la 
Chambre  paraîtrait  disposée  à  l'en- 
tendre. Ce  droit  d'ajournement, 
défendu  par  MM.  Benjamin  Cons- 
tant et  Dupin  aîné,  lui  fut  contesté 
par  le  président,  et  M.  de  Montbel 
s'éleva  avec  force  contre  ce  déni 
de  justice  qui  consisterait  à  laisser 
planer  sur  la  tête  des  inculpés  la 
menace  d'une  accusation  dont  la 
prompte  solution  importait  égale- 
ment h  tous  les  intérêts.  M.  de 
Pompières  fut  réduit  à  masquer  sa 
défaite  en  se  réservant  de  repro- 
duire plus  tard  sa  proposition.  Cette 
déconvenue  fut  un  premier  pas  vers 
la  réhabilitation  de  ce  ministère, 
objet  naguère  d'un  décri  si  uni- 
versel. Mais  ce  succès  mêi!  e  réveilla 
les  alarmes  que  la  perspective 
seule  de  son  retour  ne  cessait  d'in- 
spirer à  toutes  les  nuances  de  l'op- 
position. Ces  alarmes  étaient  d'au- 
tant plus  vives  que  le  cabinet  de 
1828,  mal  voulu  du  côté  droit,  peu 
sympathique  àCliarlesX,  faiblement 
soutenu  par  le  côté  gauche,  dont 
ses  concessions  n'avaient  pu  désar- 
mer les  tendances  anarchiques. 
perdait  de  plus  en  plus  ses  condi- 
titins  de  viabilité.  Le  retrait  des 
pj^ojets  de  loi  sur  les  communes  et 
les  départements  venait  de  consom- 
mer sans  retour  sa  scission  avec  la 
majorité  de  la  Chambre.  Les  ad- 
versftircsduderiiier  ministère,  bat- 

33 


514 


VIL 


ML 


lus  dans  leur  première  lentatiTc, 
cherchèrent  un  nouveau  prétexte  à 
leurs  hostilités,  et  ce  fut  une  légère 
irrégularité  dans  l'usage  des  crédits 
supplémentaires  alloués  au  dépar- 
tement de  la  justice  qui  le  leur 
offrit.  Le  dernier  minisire,  M.  de 
Peyronnet,  avait  tixcédé  de  quel- 
ques milliers  de  francs  ce  crédit 
spécial,  par  des  frais  d'installation 
intérieure,  appliques  à  Triôlel  de  la 
chaucellerie,  qui  ne  présentaient 
pasuncardctère  suffisant  d'urgence; 
la  commission  de  la  Chambre,  par 
l'orgjne  de  M.  Le  Peletier  d'xVunay, 
conclut  a  rallocaliou  provisoire  du 
crédit,  mais  à  charge  par  le  minis- 
tre des  linances  d'exercer  une  ac- 
tion en  indemnité  contre  le  minis- 
tre ordonnateur.  Ces  conclusions 
tirent  naitre  un  débat  animé.  Les 
grands  mots  d'abus  d:.'  pouvoir  et 
même  de  concussion  furent  pro- 
noncés à  propos  d'un  excédant  de 
dépense  dont  le  chilîre  modeste  et 
ï'em|)loi  désintéressé  provoquentau- 
jourd'hui  le  sourire,  et  M.  Etienne 
rappela  gravement  que  «  la  simpli- 
cité était  de  bon  goût  dans  l'habi- 
tation  d'un  ministre  de  la  justice.» 
M.  liourdeau  ,  garde  des  sceaux, 
n'eut  pas  de  peine  à  démon- 
trer qu'il  n'y  avait  eu  de  la  part 
de  son  prédécesseur,  ni  concus- 
sion, ni  dilapidation,  et  que  le  fait 
incriminé  ne  pouvait  donner  lieu 
qu'à  riiiflictiond'un  simple  blâme. 
M.  Hyde  de  NeuTille,  ministre  de 
la  marine,  s'exprima  dans  le  même 
sens.  M.  Sirieys  de  Mayrinhac  fit 
remarquer  que  l'ancien  garde  des 
sceaux  n'avait  point  excédé  le  cré- 
dit eu  masse  qui  lui  avait  été  alloué 
pour  1827;  que  l'iliéô'alité  repro- 
chée ne  poriait  que  sur  un  crédit 
de  détail,  et  que  M.  de  Piyronnet 
eût  facilement  régularisé  celte  dé- 
pense si  «on  existence  minisiériplle 


se  fût  prolongée  un  an  de  plus; 
enfin  le  ministre  des  finan<*,es  ob- 
jecta l'incompétence  évidente  des 
tribunaux  pour  juger  une  question 
de  haute  administration.  Cette  ar- 
gumentation ne  put  prévaloir  sur 
l'esprit  de  la  Chambre  élective.  A 
la  Chambre  des  pairs,  M.  de  Durante 
se  prononça  avec  plus  de  dévelop- 
pements, dans  le  même  sens  que 
M.  Roy,  et  conclut  à  écarter  l'ou- 
verture d'une  action  en  indemnité, 
en  réservant  toutefois,  éven'.ueile- 
ment,  la  responsabilité  prévue  par 
la  loi  du  2o  mars  1817,  Celli;  sorte 
de  transaction  ne  fut  point  admise, 
mais  la  Chambre  repoussa  la  réso- 
lution de  la  Chambre  des  députés, 
et  termina  ainsi  ce  misérable  débat. 
Le  ministère  Martignar  fut  congé- 
dié, mais  ce  ne  fut  pas  les  membres 
de  la  précédente  administration  qup 
le  roi  rappela  au  pouvoir.  Frappe 
de  cette  sentence  de  M.  Uoyer- 
Collard,  qu'il  n'y  avait  dans  la 
Chambre  aucun  point  d'appui, 
aucune  majorité  pour  aucun  mi- 
nistère, quel  qu'il  put  ôire,  Char- 
les X  préfera  chercher  le  salut  de 
la  monarcbie  dans  les  voies  péril- 
leuses d'un  dévouement  ab.-olu  , 
plutôt  que  de  l'abandonner  aux 
inspirations  d'uiie  habileté  patiente 
et  éprouvée.  L'avenoment  du  cabi- 
net du  8aoùi,  composé  du  j)rincede 
Polignac,  de  MM.  de  La  Bourdoii- 
naye,  de  Bourmont ,  Courvoisicr, 
d'Haussez,  de  Montbel,de  Chabrol, 
fut  accueilli  avec  une  impression 
universelle  d'élonnemenl  et  d'in- 
quiétude. Charles  X,  dont  cotte 
combinaison  était  le  produit  per- 
soimel  et  spontané,  répéta  plusieurs 
fois, alors  et  depuis(l),que*Villèle 


(1)  Notice,  etc.,  par  M.  le  .onile  de 
Neuville,  p.  187. 


VIL 


VIL 


515 


était  trop  précieux,  trop  ludispeii- 
sabîe  à  son  service  »  pour  vouloir 
le  commettre  avec  des  circonstan- 
ces aussi  difficiles,  et  parut  se  sou- 
cier médiocrement  de  le  revoir  et 
de  prendre  ses  conseils.  L'ancien 
chef  du  cabinet,  de  son  côté,  ne 
témoigna  aucun  empressement  à 
triompher  de  cette  indifférence,  et 
résista  aux  instances  réitérées  de 
ses  amis  qui  l'exhortaient  à  se  ren- 
dre à  Paris:  «  On  s'aperçoit  chaque 
jour,  lui  mandait  M.  de  Montbel , 
qu'un  homme  seul  aurait  la  vigueur 
nécessaire  pour  lutter  avec  avan- 
tage, et  cet  homme  dont  on  recon- 
naît l'immease  capacité,  la  sagacité 
merveilleuse,  la  discussion  écrasante 
pour  ses  adversaires,  cet  hommi^ 
non-seulement  n'est  pas  repoussé 
par  ses  anciens  ennemis,  mais  ils 
disent  hautement  qu'ils  b'eslime- 
raient  heureux  de  le  voir  reprendre 
les  rênes.  »  Quelques  jours  plus 
tard,  lorsque  la  déroluiion  à  M.  de 
Polignac  de  la  présidence  du  Con- 
seil eût  amené  Téloignement  de 
M.  de  La  Bourdonnaye,  M.  de 
Monlbel  invoqua  auprès  de  son 
illustre  ami  la  parole  autorisée  de 
M.  Courvoisier  :  «Un  seul  homme, 
disait  l'ancien  coryphée  du  centre 
gauche,  peut  soutenir  le  système 
et  lui  donner  dans  l'opinion  une 
consistance  qui  lui  i)ermetie  de  se 
maintenir.  Je  sais  les  inconvénients 
qu'il  peut  y  avoir  à  son  rappel 
dans  le  monieni,  mais  c'est  la  seulo 
possibilité,  et  mon  idée  à  ce  .sujet 
est  si  bien  arrêtée,  que  moi  qui 
depuis  trois  mois  subis  le  minisiere 
sans  contiance,  sans  espoir,  je  re- 
prends espoir  el  coniiaiice,  je  re- 
garde le  succès  coajnie  u^biirc... 
Le  roi  tombe  d'accord  de  cette  né- 
cessité et  indique  que  lii  est  sa  con- 
fiance. M.  de  i'o.igiiac  dit  de  môme; 
ils  examinent   sfulement  quel  est 


le  moment  le  plus  favorable.  Le 
plus  tôt  c'est  le  mieux,  disons-nous  ; 
nous  sommes  par  conséquent  d'ac- 
cord  qu'il   faut  que   la  chose  ait 

lieu Le  temps  est  venu,  vous 

jtouvez  faire  un  bien  immense  à  la 
monarchie.  Le  chef  compte  qm 
vous  serez  bientôt  ici.  Mes  collè- 
gues m'ont  prié  de  vous  écrire  pour 
vous  demander  si  vous  accepteriez 
de  rentrer  au  ministère  lorsque  le 
roi  vous  appellerait.  *  Le  comte 
de  Villèle  répondit  que  rien,  dans 
le  moment  actuel,  ne  pouvait  auîo- 
riser  son  retour  aux  alîaires,  que, 
quant  à  l'avenir,  la  mesure  de  l'u- 
tilité dont  il  pourrait  êlre  dicterait 
sa  réponse.  Ce  qui  perce  surtout 
dans  cetle  correspondance,  c'est  un 
profond  regret  d'avoir  éié  sé|)aré 
de  la  Chambre  sur  laquelle  il  exer- 
çait une  utile  influence,  pour  êlre 
relégué  dans  une  assemblée  «  sans 
action  sur  roj)inion;  réduit  à  des 
vœux,  ajoutait-il,  ils  sont  pour  le 
triomphe  de  la  cause  à  laquelle  est 
lié  le  salut  de  la  France  ;  vous  sa- 
vez que  ceux  qui  la  défendront 
peuvent  être  sûrs  de  me  trouver 
toujours  dans  leurs  rangs.  «  Villè'e 
blâma  1  Ai!re>se  des  221  comme  in- 
convenante, et  la  j)roiogaLion  de 
la  Chambre  comme  insuffisante, 
impoIili(iue,  et  faite  pour  aecroilre 
plutôt  que  pou;  diminiier  les  dan- 
gers de  la  siiuatiou.  Ce  fut  à  cette 
époque  (23  mars}  que  des  intérêts 
de  famille  ramenèrent  à  Paris.  Se» 
amis  accoururent  autour  de  lui  et 
se  montrèrent,  comme  on  pense, 
très-t  iBpresses  ùe  coijuaitje  son 
avii  sur  les  conjonctures  criticjues 
où  la  njyauté  .se  trouvait  engagée. 
^Le  coiate  de  Peyroimel  lui  dit  qu'il 
se  commettait  tant  de  fautes  qu'on 
le  soup(;onnjii  de  les  inspirer  pour 
avoir  l'occasion  de  se  remlre  im'co- 
saire  et  de  se  ménager  commr  uj> 


516 


VIL 


VIL 


moyen  de  salul.  u  Vous  me  con- 
naissez bien  mal,  lui  répondit  Vil- 
lèle,  si  vous  me  croyez  capable  de 
jouer  .'nnsi  le  rôle  de  Mazarin ,  et 
si  vous  me  supposez  doué  d'une 
ambition  assez  aveugle  pour  désirer 
de  revenir  aux  affaires  après  l'é- 
preuve que  nous  avons  faite  de  la 
faiblesse  de  caractère  du  roi,  après 
l'abandon  de  tous  les  moyens  de 
défense  qui  restaient  II  la  couronne.» 
Villèle  ajouta  qu'il  plai^'uait  vive- 
ment les  conseillers  de  Charles  X 
qui  seraient  contraints  de  recourir 
à  des  f;oups  de  force  pour  repren- 
dre les  garanties  dont  l'industrie 
révolutionnaire  avait  dépossédé  le 
pouvoir,  et  confirma  la  sincérité  de 
ses  appréhensions  en  détournant 
M.  de  Peyronnet  d'entrer  dans  un 
ministère  «  où  il  ne  pouvait  que  se 
perdre.  »  Le  comte  de  Villèle  parut 
un  soir  au  jeu  du  roi,  où  il  avait 
été  invité.  Quoiqu'il  afTeclàt  de  se 
tenir  à  l'écart,  Charles  X  l'aperçut 
et  lui  dit  en  l'abordant:  «Pourquoi 
se  faire  si  petit  quand  on  est  si 
grand?  »  Quelques  paroles  furent 
échangées  entre  eux,  puis  leroi  lui 
dit  avec  affectation:  Vous  aurez  vo- 
tre audience  pour  mercredi  à  midi. 
Villèle,  qui  n'avait  demandé  aucune 
audience,  comprit  facilement  que 
Charles  X  voulait  le  recevoir  sans 
inspirer  d'ombrage  aux  amis  du 
prince  de  Polign;ic.  Il  se  rendit  au 
jour  indiqué  chez  le  roi,  qui  l'ac- 
cueillit avec  une  graiido  bonté,  non 
sans  îibsence  toutefois  d'une  cer- 
taine contrainte  ,  et  ne  l'enlrelint 
d'ailleurs  que  de  questions  vagues 
et  insigniliaules.  A  la  suite  de  cette 
entrevue,  la  dernière  que  devaient 
avoir  le  faible  monarque  et  son 
fidèle  conseiller,  1h  comte  de  Vil- 
lèle trouva  chez  lui  deux  députés 
(lu  centre  gauche*,  MM.  llimiann  et 
Dumaralhar.  cui  venaient  lui  faire 


une  communication  importante. 
Ils  offraient  de  lui  rapporter  l'en- 
gagement souscrit  par  un  grand 
nombre  de  députés,  de  voter  le 
prochain  budget  moyennant  l'appel 
d'un  nouveau  ministère  formé  sous 
sa  direction,  et  la  promesse  de  se 
borner  à  cette  seule  loi  pour  la 
session  prête  à  se  rouvrir.  Assuré 
d'un  an  d'existence,  le  cabinet 
aviserait  aux  moyens  de  calrner 
l'opinion  et  de  rétablir  l'harmonie 
entre  le  gouvernement  et  la  Cham- 
bre. Les  deux  délégués  exprimèrent 
de  vifs  regrets  d'avoir  voté  la  der- 
nière Adresse  d'où  pouvait,  par  l'ob- 
stination de  M.  de  Polignac,  sortir 
une  révolution  funeste,  et  la  né- 
gociation qu'ils  tentaient  en  ce  mo- 
ment, et  sur  le  caractère  de  laquelle 
le  roi  ne  pouvait  se  méprendre, 
n'avait  pas  d'autre  objet  que  d'en 
conjurer  les  conséquences.  Le  comte 
de  Villèle  refusa  péremptoirement 
de  se  rendre  auprès  de  Charles  X  le 
médiateur  d'une  démarche  qui  n'a- 
boutissait qu'à  l'imposer  au  roi  et 
au  payscomme  unique  moyen  d'ob- 
tenir le  budget  ;  il  promit  de  garder 
le  secret  sur  leurs  bonnes  disposi- 
tions, eten  les  engageante  chercher 
quelque  autre  moyen  de  les  utiliser, 
il  ajoutaque,  pour  sa  part,  il  verrait 
avec  joie  cesser  des  divisions  dont 
la  durée  pouvait  causer  la  perte  de 
la  France.  MM.  de  Monthel ,  de 
Chabrol  et  le  prince  de  Polignac 
lui-même  cherchèrent  à  vaincre  la 
ré.sistance  de  l'ancien  chef  du  Con- 
seil, mais  sans  succès.  Villèle  ré- 
pondit à  ce  diîrnier  que  le  roi,  en 
le  rappelant  aux  affaires,  aurait 
l'air  de  reculer  devant  l'Adresse  de 
la  Chambre;  que  le  pays  n'y  verrait 
qu'une  «  combinaison  fallacieuse 
et  éphémère  d'intérêts  |)ersonnels, 
sans  aucun  principe  commun  ni 
pucune  chance  de  durée,  »  et,  pour 


VIL 


VIL 


517 


ne  laisser  au  prince  aucun  cloute 
sur  la  fermeté  de  ses  intentions ,  il 
lui  annonça  son  départ  pour  une 
époque  fixe  et  rapprochée.  Dans 
un  dîner  chez  M.  Olivier,  ancien 
député  de  la  Seine,  alors  pair  de 
France,  où  se  trouvaient  plusieurs 
personnagf^s  politiques,  M.  de  Pey- 
ronnet  renouvela  ses  instances  k 
son  ancien  collègue,  et  signala  sa 
résistance  comme  pouvant  être  fa- 
tale aux  intérêts  de  la  monarchie. 
Le   comte   de  Villèle   opposa   de 
nouveau  les   difficulté?    radicales 
d'une   situation  où  le  bien  était 
devenu  impossible  ,  maintint  son 
refus  et  conquit  à  son  opinion  la 
presque  totalité  des  assistants.  Il 
exhorta  le  comte  de  Montbel ,  'în 
partant,  ^  quitter  une  administra- 
lion  évidemment  disposée  à  risquer 
le  sort   de  la  France^ dans  le  jeu 
périlleux  des  coups  d'État,  et  revint 
à  Toulouse  profondément  attristé 
de  tout  ce  qu'il  ayait  vu  et  entendu. 
Interrogé  par  ses  amis  sur  la  situa- 
tion :  «C'est,  leur  dit-il,  une  i)lace 
minée  dans  tous  les  sens  que  la 
moindre  étincelle  fera  sauter.  »  Il 
mandait  li  h\  même  époque  à  ma- 
dame de   Villèle:  «Je  n'avais  que 
deux  leviers  avec  lesquels  j'ai  été 
et  je  pouvais  être  de  quelque  utili- 
té :  la  confiance  des  royalistes  et 
celle  du  roi;  les  premiers  sont  en 
décomposition,  le  roi  s'est  livré  ii 
ceux  qui  nous  ont  fait  le  plus  de 
mal,  et  ses  faveurs  répandues  sur 
eux  améuent  dans  nos  rangs  de 
nouvelles   défections....   Je    n'ai 
qu'une  position  honorable  dans  de 
telles   circonstances,   elle  est    ici. 
et  j'y  resterai.  »  A  l'approche  du 
coup   de   foiulro   (|ui   allait  briser 
la  monarchie  et  livrer  à  de  nou- 
velles oscillations    l'avenir  et   la 
sécurité  de  la  France,  de  vifs  éclairs 
s'échappaient  de  cette  intelligence 


si  lucide  et  si  exercée  :  «  Nous  mar- 
chons,  écrivait-il ,  à  une  débâcle 
dans  laquelle   personne   ne    con- 
servera les  moyens  de  nous  remet- 
tre à  flot....  »  Et  un  peu  plus  tard: 
«Ce  qui  est  déplorable,  c'est  que, 
conduit  par  deux  tèt^^s  de  cette  es- 
pèce (1),  ce  malheureux  prince  va 
être  entraîné,  et  le  pays  avec  lai, 
dans  des  coups  d'État  mal  préparés, 
mal  conçus,  mal  reçus  et  mal  sou- 
tenus, et  qu'il  y  a  de  quoi  compro- 
mettre la  légitimité,  notre  honneur 
et  notre  salut.  »  La  catastrophe  de 
1830, trop  prédite  parle  clairvoyant 
ministre  d^*  Charles  X,  le  concentra 
dans  une  retraite  de  plus  en  plus 
absolue.  Son  nom,  cependimt,  ne 
tarda  pas  à  repr»Mtdre  de  la  publi- 
cité à  l'occasion  d'un  débat  rétros- 
pectif entre  la  Gazette  de  France  et 
plusieurs  organes  des  principes  ou 
des  intérêts  que   la  révolution  de 
juillet  avait  fait  prévaloir.  La  feuille 
royaliste  ne  cessait  d'oppo  er  an 
nouvel  établissement,  comme  une 
infirmité  de  son  origine,  le  petit 
nombre  de  censitaires  dont   était 
i^isue  la  Chambre  qui  l'avait  pro- 
clamé, et  d'invoquer  ce  vole  uni- 
versel que  devaient  adopter,  quel- 
ques années   plus  lard,  dans  un 
autre  ordre  d'idées,  les  constitutions 
de  1848   et  de  1852.  La  Gazette 
réclamait  avec  la  même  insistance 
la  décentralisation  et  l'émancipa- 
tion des  commu;;es,  et  soutint  que 
les   chefs    de   la   droite    de   1815 
avaient  con>tainment  d'^fendu  cette 
thèse,  que  la  chute  du  ministère  de 
1827  les  avait   empêchés  de  réali- 
ser. A  l'appui  de   son  langage,  la 
Gazette  produisit  un  plan  d'ori^aul- 


(1)  MiM.  de  Polignac  et  de  Pi'vroii- 
!iet.  Tous  ces  détails  sont  extraits  de 
la  i\olivj  do  M.  le  comte  de  Neuville, 
p.  187  et  suiv. 


518 


VIL 


sation  municipale,  cantonale,  dé- 
partementale et  provinciale,  que  le 
chef  du  Conseil  se  proposait  de 
mettie.à  eiéciilion  avec,  une  Cham- 
bre des  pairs  reconstituée  dans  le 
courant  de  l'année  1828.  On  se 
sou\ient  de  l'insistance  que  les  ad- 
versaires de  Villèle  avaient  mise, 
sous  son  ministère,  à  réclanier  sur 
ce  point  rexécution  de  ses  engage- 
ments antérieurs.  L'organisation 
conçue  par  Villèle  paraissait  dé- 
couler de  ce  grand  priïicipe  posé 
et  dévelo.npé  par  Portails  (1)  et  par 
d'autres  publicistes,  que  les  hom- 
mes ne  jouissent  d'une  véritable 
liberté  que  «  dans  les  contrées  où 
chacun  d'eux  est  compté  pour  quel- 
que chose,  et  a  l'opinion  fondée  et 
confiante  de  sa  sécurité,  »  Tous  les 
intéressés  étaient  appelés  à  élire 
leurs  conseillers  municipaux  et 
cantonaux.  Cesfonclionnaires  jouis- 
saient des  attributions  les  plus 
étendues;  leurs  délibérations,  en 
certains  cas,  étaient  soumises  à  l'ap- 
probation des  conseils  provinciaux 
ou  généraux  et  à  la  sanction  du 
roi.  La  circonscription  départe- 
mentale était  conservée  et  les  pré- 
fets maintenus  dans  la  gestion  des 
iulérèii  locaux,  mais  avec  la  créa- 
tion d'un  intendant  supérieur  pour 
chaque  province  formée  d'un  groupe 
decinqou  six  départements,  et  d'un 
conseil  d'intendance  auquel  seraient 
portés  les  appels  des  ariêtés  rendus 
par  les  conseils  de  préfecture  de 
la  province.  Les  tribunaux  d'arron- 
dissement disparaissaient  pourfaire 
place  i  un  seul  tribunal  pai-  dé- 
parlement. Le  clergé,  la  magistra- 
ture et  les  tribunaux  consulaires 
jouibkaient  du  droii  de   présenter 


VIL 

périodiquement  au  roi  ou  aux  ordre 
supérieurs  les  demandes  ou  les  ob- 
servations qu'ils  jugeaient  utiles 
sur  les  objets  de  leur  compétence. 
L'innovation  la  plus  considérable  du 
projet  consistait  dans  la  substitu- 
tion d'une  Chambre  des  pairs  non 
hcrédilaire  îi  la  Chambre  existante, 
et  dans  le  remplacement  de  la 
Chambre  des  députés  par  des  États 
généraux  organisés  d'après  un 
projet  sj^écia!,  et  éligibles  à  des  de- 
grés divers  par  tous  les  contri- 
buables. Le  budget  de  l'État,  par 
suite  de  cette  organisation,  se  se- 
rait trouvé  réduit  îi  69  millions,  la 
liste  civile  supprimée  ;  la  royauté 
aurait  reçu  une  dotation  immobi- 
lière, et  le  traitement  du  clergé  eût 
été  remplacé  piir  des  rentes  sur 
l'État.  Ce  projet  était  conforme  à 
plusieurs  égards  aux  vœux  consi- 
gnés dans  l'ensemble  des  cahiers 
dressés  en  1789,  et  nous  voyons 
dans  une  histoire  contemporaine 
accréditée  que  la  duchesse  de  Berri 
se  proposait  d'en  faire  la  base  fon- 
damentale de  la  constitution  desti- 
née à  régir  la  Fraiice,  dans  le  cas 
où  l'entreprise  tentée  par  elle  en 
1832,  dans  l'intérêt  des  droits  de 
son  fils,  aurait  été  couronnée  de 
succès  (<).  Malgré  les  affirmations 
de  la  Gazette,  il  y  a  de  fortes  rai- 
sons de  douter  que  ce  plan  d'orga- 
nisation intérieure  fût  sérieuse- 
ment arrêté  dans  l'esprit  de  Villèle. 
Il  ne  constituait  rien  moins,  en 
effet,  qu'une  révolution  complète 
dans  l'ordre  politique  du  royaume, 
révolution  U  laquelle  les  esprits 
n'étaient  nullement  préparés;  et, 
dans  l'état  de  discrédit  où  se  trou- 
vait le  ministère  de  1827,  en  prô- 


(I I  DcCVsagecl  de  Cabus  Je  l'esprit  m)  //i.sf.  de  Dix  Ans,  par  M.  Louis 

phtlosuphique,  ch.  xxrx.  jj,^n;.^  ^   ,„^  p.  2(iL 


VIL 


VIL 


519 


^ence  d'une  législature  hostile,  il 
n'y  avait  aucune  chance  de  le  faire 
prévaloir  sans  recourir  a  des  me- 
sures extra-légales.  Or,  on  sait 
combien  l'emploi  de  pareilles  me- 
sures répugnait  au  cnractère  du 
chef  de  ce  cabinet.  Mais,  à  ne  con- 
sidérer- ce  document  rétrospectif 
que  comme  un  simple  projet,  il 
mérite  d'être  consulté  pour  la  pré- 
voyance remarquable  des  disposi- 
tions dont  il  se  compose.  Il  faut  y 
voir  en  outre  un  témoignage  non 
équivoq'ie  des  aspirations  de  Vil- 
lèie  vers  un  ordre  de  choses  qui 
donnât  plus  d'essor  à  l'élément  pro- 
vincial par  l'abaissement  de  ce  pou- 
voir exorbitant  que  la  révolution 
et  l'empire  av;:ient  élevé  ,  et  qui 
concentrait  dans  la  capitale  toute  la 
vie  politique  du  pays.  En  1839  et 
en  1840,  la  Gnzetle  du  Latifiuedoc 
publia  et  la  Gazette  de  France  re- 
produisit, sous  la  signature  de  Let- 
tres d'un  contribuable,  quatre  arti- 
rles  du  comie  de  Villèle,  sur  la  si- 
tuation flnancière  de  la  France. 
L'ancien  minisire  y  établissait  qu'au 
bout  de  dix  ans,  en  tenant  compte 
des  économies  introduites  dans  les 
divers  services  et  des  diminutions 
opérées  par  les  extinctions  person- 
nelles, la  charge  de  l'impôt  public 
.s*était  accrue  de  217  millions,  et 
n'hésitait  pas  à  attribuer  cet  ac- 
croissement à  l'extension  du  mo- 
nopole représentatif  et  administra- 
tif contre  lequel  il  s'était  si  souvent 
élevé.  Ces  lettres,  habilement  con- 
nues et  pleines  de  faits  substantiels, 
produisirent  une  assez  vive  sensa- 
tion, mais  bientôt  absorbàe  par  la 
marche  des  éNéucmenls,  qui , 
pour  les  yeux  clairvoyanis,  ten- 
daient déjà  à  converger  plus  ou 
moins  prochainemenla  une  nouvelle 
révolution  politi(iue.  — Ces  circons- 
tances  furent  les  dernières  aux- 


quelles le  nom  de  Villèle  se  trouva 
mêlé.  Celte  existence  naguère  si 
éclatante  acheva  de  s'éteindre  dans 
un  oubli  complet.  De  douloureuses 
infirmités  amenèrent  graduellement 
l'altération  de  ses  facultés  intellec- 
tuelles. 11  mourut  le  13  mars  1854, 
à  Toulouse,  à  l'âge  de  81  ans  et 
onze  mois.  De  son  marir)ge  avec 
mademoiselle  Fanon  Desbassins, 
qui  lui  survécut,  étaient  nés  quatre 
enfants,  un  fils  et  trois  filles,  dont 
r;iînéea  épousé  M.  le  comte  Rioult 
de  Neuville,  ancien  député,  auteur 
de  la  notice  la  plus  importante  qui 
ait  été  publiée  sur  le  comte  de 
Villèle.  M.  Henri  de  Villèle,  fils 
du  ministre,  conseiller-auditeur  à 
la  cour  royale  de  Paris,  se  démit 
en  1827  de  ces  fonctions,  et  n'a 
plus  appartenu  depuis  lors  à  au- 
cune carrière  publique. —  Il  ne  nous 
reste,  pour  compléter  cette  notice, 
qu'à  achever  ce  que  nous  avons  dit 
ailleurs  des  travaux  d'organisation 
financière  de  cet  habile  et  infati- 
gable ministre.  Ce  fut  dix-huit  mois 
avant  sa  sortie  des  affaires  que 
Villèle  couronna,  par  une  ordon- 
nance du  9  juillet  1826,  la  grande 
œuvre  de  la  comptabilité  française. 
Cette  ordonnance  ajoutait  aux 
comptes  individuels  des  receveurs 
et  des  payeurs  déjà  soumis  à  la 
cour  des  comptes,  un  résumé  gé- 
néral de  toutes  les  modifications 
apportées  par  les  virements  d'écri- 
tures de  la  com{)tabililé  centrale 
des  finances  aux  résultats  dif- 
féremment exprimés  par  les  pré- 
posés du  trésor.  «  Coucession  gé- 
néreuse faite  par  la  couronne  au 
libre  examen  de  l'opinion  publiïjue, 
dit  un  excellent  juge,  et  que  les 
gouvernements  antérieurs  avaient 
constamment  refusée,  autant  par 
les  appréhensions  du  pouvoir  que 
par  l'insuffisance  et  par  la  lenteur 


520 


VIL 


VIL 


des  formes  descriptives  et  juslifica- 
lives  de  la  recelie  et  de  la  dépense 
de  l'État  (1).  »  L'ordonnance  de 
4826  fut  précédée  d'un  rapport  au 
roi,  dans  lequel  VillèJe  proclamait 
avec  raison  qu'à  aucune  époque 
et  chez  aucun  peuple,  l'adminis- 
tration ne  se  serait  livrée  elle-même 
à  une  épreuve  aussi  Jifficile,  si  elle 
n'était  pis  le  mcillci.r  témoignage 
de  la  loyauté  de  ses  principes  et 
de  la  régularité  de  son  action. 
Quelques  mois  plus  tard,  le  1"  sep- 
tembre 1827,  il  s'appliqua  à  ren- 
fermer dans  de  justes  limites  le 
principe  de  la  spécialité  législative, 
qui  tentait  d'envahir  l'action  ad- 
ministrative ,  en  opposant  à  ces 
envahissements  une  nomenclature 
réglementaire  qui  divisait  en  gran- 
des sections  la  dépense  totale  de 
chaque  département  ministériel. 
Le  même  règlement  assujettit  les 
comptes  annuels  des  ordonnateurs 
à  justifier  par  des  explications  pu- 
bliques toules  les  déviations  des 
crédits  ouverts,  en  attendant  qu'ils 
fussent  approuvés  par  les  Chambres 
à  titre  de  Crédits  complémentaires: 
double  combinaison  égalem.ent  fa- 
vorable à  la  libre  action  du  pou- 
voir et  au  contrôle  de  la  législature, 
qui  trouvait,  dans  l'ordonnance  de 
réparliiion  rendue  avant  Touver- 
>re  de  chaque  exercice,  un  terme 
invariable  à  !a  comparaison  pres- 
crite par  1rs  lois  antérieures  (2). 


(1)  Souven.  de  VAdmin.  ftnanc.  de 
M.  le  comte  de  Villèle,  par  M.  le  Hiar- 
quisd'Au:iiffret,  p.  29i. —  Sysl.  financ. 
de  la  France^  t.  m,  p.  10. 

(2)  <v'fsl  avec  surprise  que  nous  avons 
vu  le  plus  habile  tliéorieieii  du  régime 
actuf  l.M.'lroplonji,  président  du  Sénat, 
dans  un  rapport  r6c(;nt  a  ce  corps,  qua- 
lifier l'ordonnanic  du  1"  novembre  1827 
de  concession  faite  par  le  comte  de  Vil- 
lèle pour  conjurer  les  mol»ilit<'s  de  l'op- 


Ges  sages  dispositions,  destinées  Si 
influer  si  puissamment  sur  l'ordre, 
l'économie  et  la  bonne  direction 
de  l'administration  publique,  fu- 
rent complétées  par  des  réforme» 
de  détr<il  dont  la  suite  révéla  l'in- 
telligence et  le  prix.  Villèle  sup- 
prima le  directeur  des  dépenses 
en  réunissant  ses  attributions  aui 
travaux  de  la  comptabilité  générale 
des  finances  et  au  service  d'un  seul 
payeur  central  du  trésor  chargé  de 
l'acquittement  des  ordonnances 
payables  à  Paris.  Il  centralisa  l'in- 
dépendance des  directeurs  géné- 
raux des  régies  financières,  par  la 
suppression  de  leurs  habitations 
séparées  (-4  nov,  1824),  et  par  la 
réunion  de  leurs  bureaux  dans 
l'hôtel  de  son  ministère.  Il  réalisa 
dans  le  seul  département  des  fi- 
nances plus  de  30  millions  d'éco- 
nomie annuelle,  en  simplifiant  les 
rouages  de  son  administration,  et 
en  réduisant  les  frais  du  personnel 
de  ses  bureaux  de  i 3,423,245  fr. 
k  6,055,750  francs,  et  le  nom- 
bre de  ses  employés  de  4,502  à 
2,137.  L'essor  imprimé  par  sa  di- 
rection habile  aux  produits  indi- 
rects ajouta,  dit  M.  d'Audiffrcl,  au 
budget    de   chaque   exercice  une 


position ,  k  la  veille  du  renouvellement 
de  la  chambre.  Il  suffit,  ce  nous  sem- 
ble, de  comparer  exactement  l'état  de 
choses  institué  par  la  loi  du  25  mars 
1817,  avec  le  nouveau  droit  établi, 
pour  reconnaître  que  le  comte  do  Vil- 
lèle avait  entendu  fortifier  plutôt  que 
désariiier  la  counmne.  Ainsi  en  a  jugé 
l'homme  le  plus  propre  a  faire  autorité 
en  celte  matière,  M.  d'AudlIfret,  et  l'on 
peut  croire  que  si  la  spécialité  créée 
par  le  ministère  de  1827  eût  présenté 
le  caractère  d'une  concession  aussi  éten- 
due, M.  Tro[)loi)g  eut  été  moins  disposé 
il  la  substituer  aussi  brusquement  au 
régime  établi  par  le  sénatus-consulte  du 
25  décembre  1852. 


VIL 

augmentation  progressive  de  re- 
cette qui  s'éleva  jusqu'à  200  mil- 
lions :iu  terme  de  sa  trop  courte 
carrière  rairiistéiielle.  Les  progrès 
de  cetie  prospérité  nouvelle  furent 
surtout  favorisés  par  l'inslitulioD 
d'un  conseil  supérieur  de  com- 
merce (6  janv.  1823),  que  le  minis- 
tre composa  des  membres  du  ca- 
binet, ainsi  que  des  hommes  les 
mieux  accrédités  dans  l'opinion 
publique  (1),  pour  la  défense  des 
intérêts  nationaux,  et  qu'il  dirigeait 
lui-même  de  son  expérience  et  de 
ses  lumières.  Par  là  furent  fécon- 
dées toutes  les  sources  de  la  ri- 
chesse el  de  la  puissance  du  pays. 
On  vit  dès  lors  s'élever,  avec  une 
étonnante  rapidité,  la  valeur  des 
propriétés  mobilières  et  immobi- 
lières, el  se  préparer  la  renaissance 
de  notre  uavigaiion  marchande  el 
de  nos  possessions  coloniales.  Les 
modilications  successives  appor- 
tées au  tarif  des  douanes  ten- 
daient sans  cesse  à  encourager 
les  fertiles  entreprises  du  génie 
commercial  et  industriel  de  nos 
populations,  en  les  préservant,  par 
l'autorité  du  savoir,  de  la  pratique 
et  de  l'observation,  des  témérités 
du  libre-échange.  C'est  également 
à  l'esprit  d'analyse  et  de  vérifica- 
tion de  cet  habile  ministre  que  la 
France  fut  retlcvabie,  pour  la  pre- 
mière fois,  de  la  publication  des 
tableaux  com|)aratifs  détaillés  des 
droits  fixés  |)ar  les  divers  tarifs, 
avec  les  produits  des  impôts  et 
des  autres  revenus  de  l'État:  docu- 
ments qui  ont  été  complétés  pins 
tard   par  tous  les  renseignements 


VIL 


521 


relatifs  au  commerce  et  à  la  navi- 
gation. Enfin,  par  un  règl  ment  en 
date  du  19  novembre  1826,  Villèle 
coordonna  les  principes,  les  règles 
et  les  procédés  applicables  aux 
diflerentes  parties  de  la  gestion  des 
comptables  chargés  des  services  de 
la  perceplion  de  l'impôt  direct  des 
virements  de  fonds  du  Trésor  et  de 
la  comptabilité  des  communes  el 
des  hospices.  Il  compléta  ce  règle- 
ment par  une  instruction  générale 
du  15  décembre  de  la  même  année, 
qui  réauma  pour  la  première  fois, 
dans  un  seul  code,  toutes  les  dis- 
positions en  vigueur  (1).  —  Joseph 
de  Villèle  n'annonçait  par  au- 
cun avantage  extérieur  les  quali- 
tés éminentes  dont  la  nature  l'avait 
poursu.  Sa  taille  était  petite  et  grêle, 
sa  physionomie  moins  agréable  que 
fine  et  intelligente;  son  organe 
était  nasillard  et  empreint  d'une 
forte  accentuation  méridionale;  son 
geste  n'avait  rien  d'oîatoire,  et  sa 
diction  manquait  d'éloquence,  dans 
l'acception  ordinaire  de  ce  terme. 
Mais  ces  désavantages  étaient  am- 
plement rachetés  par  un  talent  de 
discussion,  par  une  netteté  d'argu- 
mentation qui  faisaient  pénétrer  la 
lumière  dans  les  questions  les 
plus  compliquées,  par  une  supé- 
riorité de  raison  et  une  liberté 
d'esprit  qui  déconcertaient  les  ob- 
jections les  plus  captieuses  et  les 
interpellations  les  plus  passion- 
nées. Nu!  ne  posséda  à  un  plus 
haut  degré  le  pouvoir  de  maîtriser 
ses  impressions  personnelles  en 
présence  du  tumulte  des  assem- 
blées et  de  marquer,  sans  le  perdre 


(1)  Ce  furent  .MM.  le  comte  de  Syjnt- 
Cricq,  le  duc  d(>  Levis,  le  comte  de 
Vaublaiic,  le  comte  Mollien,  le  comte 
Chaptal,  le  baron  PortMJ.  Olivier  («le  la 
Seine},  etc. 


(I)  Ce  travail  a  servi  de  base  à  une 
seconde  édition,  publiée  en  1810,  ilit 
M.  d'Audiffret,  à  qui  nous  :ivons  em- 
prunté la  presque  totalité  des  di'lails 
ci-dessus. 


590 


VIL 


de  vue,  le  véritable  point  du  débat 
au  sein  des  divagations  les  plus 
agitées.  Quoique  doué  dans  une 
certaine  mesure  dataient  d'écrire, 
son  improvisation,  parfois  incor- 
recte, se  distinguait  pnr  des  formes 
hardies,  par  des  tours  heureux  qui 
la  rendaient  souvent  préférable  à 
ses  préparations  oratoires.  Sa  con- 
versation familière,  bien  qu'entre- 
coupée de  nombreux  à  parle,  était, 
selon  un  excellent  juge,  éminem- 
ment spirituelle  (1).  La  modéra- 
tion du  caractère  n'excluait  chez 
lui  ni  la  fermeté  du  langage,  ni  la 
vivacité  de  la  réplique.  Plein  de 
ménagements  pour  les  personnes, 
il  repoussait  intraitablement  toute 
transaction  avec  l'esprit  révolu- 
tionnaire, sous  toutes  ses  formes, 
et  ne  voulut  jamaisdevoir  à  aucune 
composition  de  ce  genre  l'exercice 
ou  la  prolongation  du  pouvoir.  Vil- 
lèle  ne  s'inspirait  [las  moins  à  cet 
égard  des  intuitions  de  l'avenir 
que  des  impressions  du  passé.  Sa 
haute  clairvoyance  pressentait  tout 
ce  (jue  la  France  et  l'Europe  de- 
vaient attendre  des  débordements 
du  parti  démocratique,  quand  il 
aurait  renversé,  dans  le  principe 
de  la  légitimité,  la  borne  respec- 
table qui  séparait  le  domaine  du 
fait  de  celui  de  Tordre  Uioral,  et  le 
droit  de  l'usurpation.  La  séduc- 
tion personnelle  du  comte  de  Vil- 
lèle  était  dans  une  simplicité  de 
manières  qui,  rapprochée  d'un  mé- 
rite émineut,  dictait  k  M.  Canning 
ceiti;  sentence  connue  :  «  C'est 
une  lumière  qui  brille  à  peu  de 
frais.  >  Il  possédait  le  grand  art 
découler  et  de  concentrer  5»on  at- 
tention sur  les  moindres  afiaires, 
comme  sur  les  questions  de  l'in- 


(Ij  Madame  Swet'.hinc,  t.  i,  p.  22i. 


VIL 

térôt  le  plus  élevé.  Un  des  plus 
implacables  adversaires  de  la  cause 
royaliste,  le  marquis  de  Chauvelin, 
au  sortir  d'une  audience  particu- 
.  Hère,  où  il  avait  été  vivement  im- 
pressionné par  l'accueil  du  minis- 
tre,  ne  put  s'empêcher  de  dire 
avec  un  accent  de  dépit  :  «  Quel 
homme!  Heureusement  son  parti 
n'en  comprendra  jamais  la  valeur.» 
L'intégrité  persounelle  de  Villèle 
est  demeurée  en  quelque  sorte 
proverbiale  :  mérite  peu  louable 
sans  doute  à  une  époque  où  la 
corruption  dans  les  hauts  postes 
de  l'État  eût  passé  pour  une  hon- 
teuse anomalie.  Mais  il  portait  cette 
qualité  jusqu'à  un  désiniéressement 
rare  dans  tous  les  temps,  et  dont 
les  actes  n'ont  été  bien  connus  que 
longtemps  après  sa  disparition  de 
la  scène  politique.  Il  ne  voulut  ac- 
ceptiT  aucun  traitement  pendant 
son  ministère  sans  portefeuille;  il 
refusa  les  25,000  francs  de  frais 
d'installation  alloués  aux  minis- 
très  titulaires,  et,  plus  tard,  le  sup- 
|)lément  de  ^0,000  francs  auquel 
il  avait  droit  comme  présideFil  du 
Conseil;  enlin  il  renonça,  en  1830, 
à  la  pension  de  ministre  d'État  que 
Charles  X  lui  avait  assignée  lors 
de  sa  sortie  du  ministère.  Il  ne 
voulut  devoir  l'amélioration  de  son 
modeste  patrimoine  qu'à  cet  esprit 
d'intelligence  et  d'économie  qu'il 
appliqua  avec  tant  de  fruit  à  la  ges- 
tion des  intérêts  publics.  C'est  à  cet 
ordre  de  qualités  sans  doute  plus 
qu'à  des  vues  vraiment  supérieures 
qu'il  faut  demander  compte  de  la 
renommée  de  Villèle  et  de  la  faveur 
progressive  qui  s'est  attachée  à  sa 
mémoire.  Administrateur  habile, 
plutôt  que  ministre  éminent,  et 
doué  u  de  plus  de  savoir-faire  que 
de  vigueur,  »  son  mérite  consista 
surtout  à  «  se  placer  toujours  au 


VIL 

point  de  vue   des  choses    possi- 
bles (1^.  »  L'esprit  de  conduite  et 
le  talent  d'organisation  lui  tinrent 
lieu  de  cet  esprit  d'initiative  dont 
l'emploi,  fortement  dirigé,  consti- 
tue les  véritables  hommes  d'État. 
«  La  génération  actuelle,  écrivait-il 
à  l'un  des  esprits  les  plus  honnêtes, 
mais  les  plus  chimériques  de  nos 
jours,  ne  ^e  mène  pas  par  des  consi- 
dérations aussi  éloignées  du  temps 
qui  lui  appartient...  L'égoisme  est 
partout...  Je  ne  veux  pas  dire  qu'il 
ne  faille  rien  faire  pour  améliorer 
cette  triste  situation,  mais  je  pense 
qu'à  une  société  aussi  malade,  il 
faut  beaucoup  de  t^mps  et  de  mé- 
nagements pournepas  perdre  enun 
jour  letravail  et  lefniit  de  tant  d'an- 
nées. ^)    On  poi'.rrnit  reprocher  îi 
Villèle  d'avoir  pris  plus  de  souci 
du  bien-être  matériel  que  de   l'a- 
mélioration morale  de  cette  société 
dont  il  connaissait  si  bien  les  plaies. 
Mais  il  fiiut  tenir  compte  des  con- 
ditions désavantageuses  de  son  avè- 
nement.  La  conllancc  tardive  de 
Louis    XVIII    ne    lui    avait    livré 
qu'un  pouvoir  affaibli  sur  une  gé- 
nération pervertie  par  six  ans  de 
prédications    révolutionnaires.     A 
ces  obstacles  inhérents  à  la  date 
et  k  la  qualité  de  son  pouvoir,  il 
faut  joindre  les  contradictions  aux- 
quelles sa   courte  domination    ne 
cessa  d'être  en  butte,  et  qui  ne  lui 
permirent  pas   même   de   réaliser 
les   plans  d'organisation  générale 
auxquels    il    avait    rêvé    toute    sa 
vie.   C'est    le    sort   des  réformes 
immatérielles    de    ne   s'accomplir 
qu'au  prix  d'une  sage  lenteur,  et  nul 
régime,  depuis  soixante-dix  ans, 
n'eut  assez  de  durée  pour  suffire  ^ 
celte    importante    destination.    Il 


;1)  IIisl.de  la  ResUiur.,  par  M.  Net- 
tement, t.  Il,  p.  22G. 


VIL 


523 


manqua  d'ailleurs  de  la  plupart  de 
ses  auxiliaires  nature's  par  l'aban- 
don dans  lequel  le  parti  royaliste 
«  usa  le  seul  homme  sorti  de  ses 
rangs  qui   eût  su  lui  faire  con- 
quérir  légalement  et    exercer   le 
pouvoir   (l).    »  Nous  honorerons 
volontiers,  avec  M.  Guizol,  le  comte 
de  Villèle  d'avoir  répondu   à  cet 
inqualifiable  abandon  par  la  noble 
et  persistante  fixité  de  ses  attache- 
ments politiques.  Mais  ce  que  nous 
louerons  surtout  en  lui,  c'est  d'a- 
voir fait  entrevoir  à  la  France  et 
au  monde  à  quel  point  le  régime 
monarchique   pouvait  se  combiner 
avec  les  conditions  et  les  progrès 
d'une  véritable  liberté.  Ministre  de 
la  royauté  constitutionnelle  à  une 
de   ces  rares  époques  où,  depuis 
tant   d'années,  la   puissance  s'est 
trouvée   du   côté  du  droit,  il   sut 
désarmer   l'esprit  de  faction    sans 
imposer  aucun  sacrifice  aux  liber- 
tés publiques,  élever  au  plus  haut 
degré  de  prospérité  une  situation 
obérée  par  deux   invasions  étran- 
gères, doter  la  France  d'un   sys- 
tème financier  dont   les  bienfaits 
ont   surNécu   i    trois   révolutions, 
maintenir  la  paix  extérieure  sans 
amoindrir  l'honneur  national,   et, 
par  une  loi  ce  haute  moralité  po- 
litique,    effacer    une    distinction 
odieuse  entre  les  propriétés  terri- 
toriales d'un  mémo   pays.    Quelle 
république  ,    quel    gouvernement 
absolu  enfantèrent  jamais  en  aussi 
peu  de  temps  de  tels  résultats  ?  Et 
qui  |)eut  dire  à  quelle  limite  se  fût 
arrêtée  cette  salutaire  progression 
sans  le  concert  insensé  qui  préci- 
pita du  pouvoir  l'intelligent  régu- 
lateur de  ce  régime  d'oidre  et  de 
réparation!  Les  inimitiés  qu'accu- 


(I)  Mon.  de  M.  Cui-ot,  t.  i,  p.  : 


8U. 


r>2/i 


VIL 


mule  toujours  un  long  exercice 
(le  l'autorité  ne  manquèrent  pas, 
comme  on  l'a  vu,  au  comte  de  Vil- 
lèle,  et  jamais  peut-être  adminis- 
tration plus  calomniée  ne  disparut 
sans  laisser  après  soi  la  trace  d'une 
impopularité  plus  universelle.  II 
est  des  temps  difficiles  où,  pour  le 
redire  après  Tacite ,  une  grande 
réputation  n'est  guère  moins  péril- 
leuse qu'une  mauvaise  (1).  A  ces 
détractioDs  passionnées  succédè- 
rent bientôt  des  impressions  moins 
irréfléchies.  Les  premiers  mouve- 
ments de  réaction  en  faveur  de 
Villèle  se  manifestèrent  dans  l'im- 
puissance de  ses  accusateurs  et 
dans  les  instances  qui  lui  vinrent, 
en  1830,  de  tous  les  camps  politi- 
ques, pour  reprendre  la  direction 
des  affaires.  Mais  ces  premières  im- 
pressions s'évanouirent  dans  les 
agitations  qui  remplirent  les  an- 
nées suivantes,  et  l'opinion  publi- 
que conserva  la  plupart  des  pré- 
ventions (pi'elle  avait  reçues.  C'est 
il  notre  époque,  mieux  éclairée  par 
d'amères  ex[)érien(:es  sur  la  valeur 
des  gouvernements  honnêtes  et 
modérés,  qu'il  était  réservé  de  ju- 
ger plus  sainement  ce  ministère  de 
<821,  qualifié  de  déplorable  par  l'é- 
garement des  partis,  et  on  peut 
dire  'avec  exactitude  que  le  nom 
de  Villèle  est  un  de  ceux  qui  ont 
le  plus  jjagné  dans  leur  contact 
avec  la  postérité.  Parmi  les  promo- 
teurs de  cette  réhabilitation  qui 
ne  deyait  s'adresser  qu'a  la  mé- 
moire de  lancien  conseiller  de 
Charles  X,  nous  aimerons  à  citer 
l'émiiienl  historien  de  la  Civilisa- 
lion,  doni  nous  avons  souvent  in- 
voqué l'autorité  dans  le  cours  de 
cet  article,  et  M.  le  manjuis  d'Au- 
difîret,  à  qui  sa  double  qualité  de 

(I)  Yila  Agricvlœ,  iv. 


VIL 

financier  distingué  et  de  coopéra- 
teur  assidu  du  comte  de  Villèle 
donnait  toute  compétence  pour  par- 
ler dignement  de  ses  travaux  et  de 
son  caractère.  Parmi  les  autres 
écrits  publiés  sur  le  même  per- 
sonnage, nous  mentionnerons  la 
notice  que  M.  le  comte  de  Neu- 
ville lui  a  consacrée  en  4835,  et 
qui,  bien  que  tracée  par  une  main 
partiale, subsistera  comme  un  docu- 
ment utile  pour  l'histoire  contem- 
poraine, à  raison  du  grand  nombre 
de  particularités  intéressantes  et 
pour  la  plupart  inédites  qui  y  sont 
consignées.  Enfin,  l'Académie  des 
Jeux  floraux  vient  de  mettre  au 
concours,  pour.  1862,  l'éloge  de 
l'administrateur  le  plus  habile  et  le 
plus  probe  de  la  France  moderne. 
—  Lorsqu'un  auguste  exilé,  M.  le 
duc  de  Bordeaux,  apprit  la  mort  de 
ce  serviteur  si  dévoué  de  sa  famille 
et  de  la  France,  il  consigna  l'ex- 
pression de  ses  regrets  dans  quel- 
ques lignes  que  nous  reproduisons 
comme  le  témoignage  le  plus  exact, 
le  plus  complet  et  le  plus  concis 
qui  ait  été  rendu  à  sa  mémoire. 
«  Après  avoir  rempli  avec  im  éclat 
et  une  supériorité  incontestables 
les  fonctions  auxquelles  l'avait 
appelé  la  juste  confiance  des  rois 
Louis  XVllI  et  Charles  X,  le  comte 
de  Villèle  a  su  quitter  dignement 
les  affaires,  fidèle  aux  convictions 
et  aux  sentiments  de  sa  vie  entière, 
faisant  des  vœux  pour  la  prospérité 
du  pays  qu'il  avait  si  noblement 
servi,  et  toujours  disposé  it  donner 
dans  l'occasion,  quand  on  les  lui 
demandait,  les  conseils  de  sa  haute 
raison  et  de  sa  longue  expérience.» 
A.  B— ÉE. 
VILLÈLE  (GuiLLALMK-AuniN  dk), 
archevêque  de  Bourges,  pair  de 
France,  grand-cordon  do  l'ordre  de 
Charles  III ,  cousin  du  précédent, 


VIL 


VIL 


525 


naquit  à  Caraman,  dans  l'ancien 
Languedoc,  le  21  février  1770.  Son 
père  avait  suivi  avec  honneur  la 
carrière  des  armes.  Guillaume  de 
Villèle  enibrassa  de  bonne  heure 
l'étal  ecclésiastique, et  alla  àquinze 
ans  compléter  au  séminaire  de 
Saint-Sulpice  son  instruction  clas- 
sique par  l'étude  de  la  philosophie 
et  de  la  théologie.  Le  supérieurgé- 
néral  de  cette  institution,  le  véné- 
rable abbé  Emery,  ne  larda  pas  à 
distinguer  el  à  prendre  en  affec- 
tion le  jeune  séminariste,  el  son 
avenir  s'annonçait  sous  les  plus 
heureux  auspices,  lorsque  la  Révo- 
lution vint  traverser  ces  favorables 
espérances.  La  situation  déjà  si 
difficile  du  clergé  empira  progres- 
sivement par  suite  de  sa  résistance 
à  la  constitution  civile  qui  lui  avait  été 
imposée,  et  les  affreuses  journées 
de  septembre  1792  révélèrent  toute 
rétendue  des  périls  qui  menaçaient 
ceux  de  ses  membres  qui  étaient 
demeurés  attachés  à  l'antique  dis- 
cipline de  l'Eglise.  Villèle,  non  en- 
core engagé  dans  les  ordres,  s'ex- 
patria dés  qu'il  put  franchir  la 
frontière  sans  danger,  et  fut  or- 
donné prêtre  à  Dusseldorf,  d'où  il 
alla  attendre  à  Vienne  que  des 
jours  meilleurs  vinssent  k  luire  sur 
sa  patrie.  Parmi  les  liaisons  hono- 
rables qu'il  avait  formées  dans  l'é- 
migralion,  il  coiHplait  celle  du  car- 
dinal de  Montmorency,  évèque  de 
Metz  et  grand  a  <monier  de  France. 
Ce  prélat,  (}ui  avait  apprécié  les 
veitus  et  les  talents  de  Villèle,  lui 
conféra  le  titre  de  vicaire  gcncral  de 
son  ancien  diocèse.  C'est  sous  celle 
qualité  purement  nominale  qu'il 
rentra  en  France  dans  le  courant 
de  1802.  Il  reparut  Ji  Toulouse, 
mais  il  eut  la  douleur  d'y  perdre 
son  pcre  et  sa  mère  peu  de  jours 
après  son  retour.  H  se  rendit  alors 


à  Paris  et  s'y  adonna  avec  zèle  et 
avec  fruit  au  ministère  de  la  pré- 
dication. La  Restauration  de  1814, 
objet  des  longues  espérances  de 
l'abbé  de  Villèle,  n'apporta  aucune 
interruption  à  ses  travaux.  Trois 
ans  plus  tard,  i  la  suite  du  concor- 
dat de  1817,  il  fut  nommé  évêqua 
de  Verdun;  mais  cette  convention 
n'ayant  pas  été  approuvée  piir  les 
Chambres,  le  nouveau  prélat  con- 
tinua de  résider  à  Paris.  Le  i4  sep- 
tembre 1820,  le  roi  Louis  XVUI, 
devant  qui  il  avait  prêché  la  sta- 
tion du  carême,  l'appela  à  l'évêché 
de  Soissons,  et,  le  21  mars  1824  il 
fut  promu  au  siège  archiépisco|)al 
de  Bourges,  avec  le  litre  de  primat 
des  Aquitaines.  Villèle  porta  dans 
son  administration  pastorale  le  ca- 
ractère de  douceur,  de  tolérance  et 
de  simplicité  qu'il  avait  déployé 
dans  le  cours  de  sa  mission  aposlo- 
liquc.  Sa  parole,  rarement  véhé- 
mente et  dépourvue  d'action  ora- 
toire, se  faisait  remarquer  par  une 
onction  à  la  fois  digne  et  péné- 
trante et  d'autant  plus  persuasive 
'qu'elle  était  dans  un  rapport  con- 
stant avec  la  conduite  personnelle 
de  ce  Terlueux  prélat.  Les  deux 
diocèses  qu'il  administra  successi- 
Yement  ont  conservé  la  tradition 
des  nombreux  actes  de  charité  qu'il 
y  exerça  el  des  sentiments  dalla- 
chement  el  de  vénération  qu'il  n'a- 
vait cessé  d'y  inspirer  aux  membres 
de  son  clergé.  Villèle  jouit  du  pri- 
vilège rare  d'y  traverser  des  foiic- 
tions  délicates  en  des  temps  diffi- 
ciles, sans  laisser  aucune  inimitié 
sérieuse  dans  les  rangs  des  ecclé- 
siastiques subordonnés  à  sa  direc- 
tioi;  et  à  sa  surveillance.  On  jugera 
de  leurs  impressions  îi  son  ég:ird  par 
ht  citation  suivante,  empruntée  au 
discours  d'adieu  qui  lui  fut  a'iressc 
lors  de  son  départ  de  Soissons,  par 


526 


VIL 


VIL 


imjeune  prêtre  de  ce  diocèse:  «  Rien 
n'est  slablr  ni  solide  ici-bas,  pas 
même  les  liens  de  Tamoiir  le  plus 
sacré.  Autrement,  ô  mon  Dieu,  vous 
laisseriez  un  père  à  ses  enfants,  un 
bon  pasteur  h  son  troupeau,  un 
sage  conducteur  ^  son  peuple,  et 
vous  ne  nous  forceriez  pas  à  pro- 
clamer nous-mêmes  que  tout  est  af- 
fliclion  sous  le  soleil,  jusqu'aux  lu- 
mières et  aux  vertus  qui  nous  de- 
viennent aujourd'hui  une  source 
inépuisable  de  i^grels.  »  Étranger 
aux  débats  et  aux  agitations  de  la 
vie  politique,  Villèle  dut  à  sa  bonne 
renommée  plus  encore  qu'au  crédit 
de  son  éminent  cousin,  l'honneur 
d'être  compris  dans  h  promotion 
de  pairs  du  5  décembre  J  824,  pro- 
motion dont  le  caractère  fui  exclu- 
sivement ecclériaslique.  Il  parut 
régulièrement  à  la  Chambre ,  mais 
ne  prit  b  parole  qu'en  une  seule 
occasion  :  ce  fut  pour  appuyer,  en 
1828,  une  pétition  relative  à  l'ob- 
servation légale  du  dimanche  et  des 
lèies.  La  révolution  de  juillet,  qu'il 
vit  avec  douleur,  Téloi^na  pour  ja- 
mais d'une  capitale  où  ne  le  rame- 
naient plus  l'alfection  ni  le  devoir.  Le 
pieux  archevêque  se  concentra  de 
plus  en  plus  dans  l'administration 
de  son  diocèse,  et  n'entretint  avec 
le  nouveau  gouvernement  que  des 
rapports  purement  officiels.  Le 
îi  mai  1839,  une  lettre  de  M.  Girod 
(de  l'Ain),  ministre  de  la  justice  et 
des  cultes,  lui  apprit  que  le  roi 
Louis-Philippe,  à  l'occasion  de  sa 
fèle,  l'avaii  nommé  chevalier  de  la 
Légion  d  honneur.  Quelques  jours 
plus  tard,  Villeli'  accusa  au  ministre 
réceplion  dt;  sa  lettre,  |)uis  il  ajouta 
ayec  une  noble  simplicité  :  «  J'ai 
dû  examiner,  avant  tout,  si  cette  dé- 
coration me  rendrait  plus  utile  au 
bien  de  la  religion  dans  mon  dio- 
cèse, cl  je  me  suis  convaincu  qu'elle 


me  placerait  dans  une  situation 
moins  favorable  au  succès  de  mon 
ministère;  d'après  celle  considéra- 
lion,  je  supplie  S.  M.  de  me  per- 
mettre de  ne  point  accepter.  »  Vil- 
lèle se  montra  meilleur  courtisan 
des  royautés  proscrites  que  des 
royautés  de  fait.  Après  une  lutte 
sanglante  et  opiniâtre  entre  la  ré- 
gente Marie-Christine  d'Espagne  et 
son  beau-frère  don  Carlos,  ce  pré- 
tendant, affaibli  par  la  mort  de 
Zumalacarreguy  et  vaincu  par  la 
trahison  de  Maroto,  fut  contraint, 
au  mois  de  juillet  de  cette  année, 
de  cher-cher  un  asile  sur  le  terri- 
toire français,  où  il  ne  trouva  que 
des  fers.  La  Providence,  qui  n'avait 
pas  épargné  les  épreuves  à  cette 
malheureuse  famille,  lui  gardait 
cei)endani  une  faveur  précieuse. 
Le  gouvernement  assigna  aux  pros- 
crits Bourges  pour  résidence.  Tou- 
ché de  respect  pour  une  si  haute 
infortune,  l'archevêque  entoura  de 
ses  attentions  et  de  ses  égards  les 
augustes  captifs  et  n'épargna  rien 
pour  adoucir  l'inclémence  de  leur 
situation.  11  leur  offrit  son  palais 
et  ses  équipages;  mais,  s'ils  pré- 
férèrent une  hospitalité  plus  mo- 
deste ,  ils  n'en  furent  pas  moins 
pénétrés  de  gratitude  pour  an  ac- 
cueil aussi  cordial  et  aussi  em- 
pressé. Le  4  mai  IS-iO,  Villèle 
reçut  du  prétendant  le  grand  cor- 
don de  Charles  III,  distinction  que 
ce  prince  accompagna  d'une  lellr(3 
pleine  de  témoignages  d'esiime,  et 
quelques  jours  plus  tard,  la  piin- 
cease  Marie-Thérèse  offrit  au  véné- 
rable prélat  une  mitre  brodée  par 
ses  mains,  en  affeclanl  à  ce  riche 
présent  une  destination  toute  per- 
sonnelle (1).  Celle  réciprocité  de 


;i)  Cette  iiitciilion  j  été  resj>ectée,  et 


VlLr 


VIL 


527 


bons  sentiments,  à  laquelle  le  gou- 
vernement eut  la  sagesse  de  lais- 
ser un  libre  cours,  devait  avoir  un 
terme  rapproché.  Le  24  novembre 
1841,  de  violents  symptômes  d'al- 
tération se  manifestèrent  tout  à 
coup  dans  la  saïUé  de  Villèie;  ils 
s'aggravèrent  rapidement;  le  ma- 
lade perdit  la  parole  et  la  vue,  et  le 
lendemain  même,  25,  k  cinq  heures 
du  matin,  il  expira  dans  sa  soixante- 
douzième  année,  en  présence  de 
son  chapitre  épioré ,  laissant  un 
deuil  universel  sur  tous  les  points 
du  diocèse  qu'il  avait  administré 
pendant  dix-sept  ans,  et  partout 
ailleursje  souvenir  d'une  vie  aussi 
pure,  aussi  irr^^prochable  qne  pré- 
cieuse à  la  religion  ei  à  iliuraa- 
niîé.  Les  obsèques  de  l'illustre 
prélat  eurent  lieu  le  4  janvier  1842, 
et  son  oraison  funèbre  lut  pro- 
noncée par  M.  l'abbé  Duhou- 
chat,  chanoine  honoraire,  en  pré- 
sence d'un  auditoire  étroitement 
rassemblé  dans  la  vaste  basilique 
de  Bouiges.  Les  princes  espaijnols 
s'y  firent  remarquer  par  leur  pro- 
fonde émotion  ,  et  honorèrent  jus- 
qu'au tombeau  la  mémoire  de  celui 
qui,  selon  les  expressions  de  leur 
auguste  chtf ,  s'était  montré  pour 
eux  a  le  représentant  d'une  Provi- 
dence consolatrice  ,  le  type  des 
cœurs  nobles,  loyaux  cl  géné- 
reux (1).  »  A.  B — ÉE. 

VILLENAVE  (Mattiiieu-Guil- 
LAUME-TiiKRÈst:),  littérateur  dis- 
tingué, un  des  principaux  collabo- 
rateurs de  la  Diographie  universelle. 


la  mitre  brodée  par  l'auguste  exilée  ap- 
parlieiii  auiourd  hiiiii  rii()ii(>r.iliU'((»mic 
Kufe'énedt'  Villélc.sL'iil  dcscciiiliiMtcol  a- 
téral  de  rarclievôque  do  Unurijcs. 

A)  Lrtlre  inédite  de  M.  \p  comte  de 
Moulbel,  d»  '.i  septcîubre  \>i{'.K 


chevalier  de  la  Légion  d'hon- 
neur, etc.,  était  né  le  13  avril  176Î 
d'une  fîimille  honorable  mais  peu 
fortunée,  à  Saint-Féiix-iie-Cara- 
man,  dans  raucien  Languedoc. 
Frère  aîné  de  sept  autres  enfants, 
et  possesseur  d'un  bt  néfice  attaché 
au  litre  patrimonial,  il  fu/  d'abord 
destiné  à  l'état  ecclésiastique,  et 
reçut  la  tonsure  à  Tâge  de  neufans. 
Il  fit  de  brillantes  études  au  collège 
de  Sorèze,  et  montra  pour  la  car- 
rière des  lettres  un  p^^nchaiit  pré- 
coce que  ses  parents  favorisèrent 
en  l'envoyant  à  Paris  au  savant 
abbé  Ricard,  traducteur  de  Plu- 
larque,  ami  de  sa  famille.  Ricard 
procura  à  son  jeune  protégé  l'em- 
ploi de  précepteur  des  enfants  du 
comte  de  Pontgibaud.  Trois  ans 
après,  le  duc  de  Richelieu  lui  confia 
l'éducation  de  set  deux  fils,  les  ducs 
d'Aumont  et  de  Pienne.  Il  forma 
dans  cette  maison  d'utiles  et  hono- 
rables relations,  entre  autres  avec 
madame  de  Staël,  dont  il  aimait  à 
raconter  dps  traits  curieux  et  pleins 
d'originalité.  Villenave  obtint  la  fa- 
veur d'être  présenté  h  la  reine  Marie- 
Antoinette  par  sa  gracieuse  amie, 
la  duchesse  de  Polignac,  et  il  espé- 
rait être  attaché  au(]aui»hiu  en  (jua- 
lité  de  précepteur,  quand  éclata  la 
rcvolution  française.  Il  quitta  l'ha- 
bit eccbsiastique,  qu'il  avait  porté 
jusqu'alors,  etvintépouserà  ÎN'anies, 
en  1791,  une  jeune  Anglaise,  mi^s 
Tasset,  dont  il  s'était  épris  sur  la 
simple  lerturedesa  correspondance 
avec  une  amie  commune.  LIevé  par 
celle  alliance  i  une  jiosilion  plus 
indépendante, Villenave  se  fixa  dans 
la  patrie  adoptive  de  sa  femme,  em- 
brassa la  profession  d'avocat,  et  s'\ 
fit  remarquer  surtout  par  une  élo- 
cutiou  facile  el  animée.  Les  rap- 
ports plus  ou  muins  suivis  qu'il  en- 
irelenailavec  plusieurs  personnages 


:^28 


VIL 


de  la  cour  de  Versailles  ne  l'avaient 
point  empêché  de  s'associer  avec 
ardeur  au  rnouvement  de  4789  ; 
mais  celle  elTervescence  de  son  âge 
et  de  son  imagination  se  calma 
bienlôt  en  présence  d«*s  excès  révo- 
lutionnaires, et  fit  place  ^  des  im- 
pressions tout  opposées.  Lorsque, 
▼ers  le  milieu  de  1792,  l'infortuné 
Bailly  vit  ses  jours  menacés  par  la 
faction  démagogique,  ce  fut  dans 
la  maison  de  Villenave  qu'il  ren- 
contra son  abri  le  plus  sur;  il  passa 
plusieurs  mois  sous  ce  toit  hospi- 
talier, uniquement  appliqué  à  trom- 
per par  de  frivoles  lectures  les  trop 
justes  appréheusions  qui  assié- 
geaient son  esprit.  Villenave  était 
demeuré  dépositaire  d'un  grand 
nombre  d'écrits  du  savant  astro- 
nome, qui  fournirent  plus  lard  à 
M.  Arago  de  précieux  matériaux 
pour  la  composition  de  son  éloge. 
Cependant  rattilude  contre-révolu- 
tionnaire de  Villenave  et  de  sa 
femme  ne  larda  pas  h  attirer  sur 
eux  lanimadversion  des  terroristes. 
Tous  deux  furent  arrêtés  au  mois 
de  septembre  1793.  On  renferma 
madame  Villenave  au  château  de 
Luzancey,  sur  les  bords  du  fleuve 
qui  seryait  de  théâtre  aux  ef- 
froyables exécutions  de  Carrier,  et 
son  mari  fut  dirigé  sur  Paris  avec 
cent  trente  et  un  Nantais,  suspects 
aussi  d'incivisme,  et  soumis  comme 
eux  k  la  surveillance  la  plus  étroite 
et  la  plus  inhumaine.  Plusieurs 
d'entre  eux  périrent  dans  le  trajet 
ou  dans  les  prisons;  les  autres  com- 
parurent, au  bout  d'un  an  de  dé- 
t'.Mition,  devant  le  tribunal  révolu- 
oni.'air^.  Tous  furent  acquittés, 
grficc  aux  généreux  efforts  de  To- 
pino-Lebrun,  l'un  des  jurés,  le 
mémo  qui,  quelques  années  après, 
!se  trouva  impliqué  dans  un  com- 
plot contre  la  vie  du  premier  con- 


VIL 

sul,  ctpérilsurl'échafaud.Au  mois 
d'octobre  suivant, Villenave,  mupar 
un  sentiment  d'humanité,  coopéra 
arec  Real  (voyez ce  nom,  t.  lxxviii, 
p.  380),  depuis  préfet  de  police,  et 
Tronson-Ducoudray,  à  la  défense 
des  membres  du  comité  révolution- 
naire de  Nantes,  que  le  tribunal 
acquitta  également.  Villenave  re- 
parut dans  cette  ville,  où  son  mi- 
nistère eut  bientôt  à  s'exercer  au 
profit  d'accusés  plus  intéressants. 
Appelé  à  défendre  devant  les  com- 
missions militaires  la  plupart  des 
chefs  vendéens  que  le  sort  des 
armes  avait  livrés  au  parti  répu- 
blicain, il  remplit  cette  tâche  avec 
zèle  et  réussit,  à  en  sauver  plu- 
sieurs. Ce  furent  les  derniers  dé- 
bats mémorables  auxquels  Ville- 
nave attacha  son  nom.  Il  ne  s'oc- 
cupa plus  que  de  réunir  les  débris 
de  sa  fortune,  très-endommagée 
par  les  événements  politiques,  et 
vint  avec  sa  femme  habiter  Paris, 
aussitôt  que  l'ordre  et  la  sécurité 
commencèrent  à  renaître.  L'exis- 
tence de  Villenave  appartint  exclu- 
sivement dès  lors  à  la  littérature. 
Il  accepta  la  direction  du  Journal 
des  Curés,  feuille  périodique  fondée 
par  le  gouvernement  impérial  dans 
un  esprit  conforme  aux  principes 
du  concordat,  mais  qui  ne  put  four- 
nir une  longue  carrière.  Trois  ans 
plus  tard,  Villenave  publia  une  tra- 
duction en  prose  des  Métamorphoses 
d'Ovide,  précédée  d'une  vie  du 
poi'ie  (Paris,  180G.  4  vol.  in-8'), 
celui  de  ses  ouvrages  qui  a  le  plus 
contribué  à  fixer  sa  réputation 
comme  latiniste  et  comme  érudit. 
Celle  versit^A'  sans  décourager  de 
nouvelltfclenlaiivfts,  conserve  au- 
jourd'hu  (uccre  une  grande  va- 
leur, elles  critiques  ont  générale- 
ment adopté  l'opinion  du  biographe 
sur  les  causes    tJsouvent  conlro- 


I 


VIL 


VIL 


529 


versées  de  la  disgrâce  de  l'illustre 
exilé.  Villenave  traduisit  plus  tard, 
non  sans  mérite,  mais  avec  moins 
de  succès,  les  huit  premiers  livres 
de  l'Enéide  pour  !a  Bibliothèque  la- 
tine-française àe  Panckoucke.  Pas- 
sant du  profane  au  sacré,  il  fit 
suivre  ses  Métamorphoses  d'une  Vie 
des S«?n/s (Paris,  1812,  7  vol.  in-8°), 
compilation  pleine  dutileset  labo- 
rieuses recherches.  Il  enrichit  suc- 
cessivement d'annotations  criti- 
ques et  biographiques  les  éditions 
des  œuvres  de  la  princesse  de 
Salm,  (le  Duclos,  de  Marmonîel, 
de  Barthélémy,  de  Thomas  et  de 
plusieurs  autres  écrivains  du  wuv 
siècle,  et  publia  des  notices  plus  ou 
moins  étendues  sur  madame  de  Car- 
cado.  fondatrice  de  l'institution  en 
faveur  des  enfants  délaissés,  sur 
madame  Talma,  sur  le  pasteur  Jean- 
Jacques  Goepp,  sur  saint  Eloi,  pa- 
tron des  ouvriers,  sur  Boiirdalo.ie, 
sur  Garât,  ministre  de  la  justice,  sur 
l'académicien  Michaud  ,  etc.,  une 
histoire  intéressanled'IIéîoïseeld'A- 
bélard,ei  lesElojcesdu  comiedeLa- 
cépède,  du  cardinal  de  Cheverus, 
avec  lequel  il  était  uni  d'amitié.  Il 
écris it  en  outre  une  foule  d'articles 
d'économie  politique  dans  \e  Jour- 
nal de  la  Société  de  la  morale  chré- 
tienne.modelé  qu'il  présida  pendant 
près  d'un  quart  de  siècle  et  dont  il 
fut  l'historiographe  le  plus  zélé.  Vil- 
lenave appartenait  encore  au  coniité 
de  lapaix,  au  comité  grec,  àl'œuvre 
du  comité  des  orphelins,  à  l'asso- 
ciation des  ouvrieri  et  des  arti- 
sans,elù  la  plupart  di  s  inslilutions 
de  bienfaisance  établies  dans  la 
capitale.  Il  était  menibre  et  fut  plu- 
sieurs années  secrétaire  ^^uieral  de 
la  société  philotechni(}ue,  dont  il 
animait  les  séances  pubTniues  pur 
lintérèt  de  ses  couimunicalions 
que  rehaussait  le    doubl''  prestige 

LXXXV 


d'une  accentuation   sonore,  d'une 
belle  et  imposante  physionomie.  Il 
professa   pendant  sept  ans  «i  l'A- 
thénée un  cours  d'histoir^^  littéraire 
delaFrancequi  attirait  de  nombreux 
auditeurs,  parmi   lesquels  on  re- 
marquait   plusieurs    des    notabi- 
lités de    la   littérature    moderne. 
Après  avoir  été  plusieurs  années 
rédacteur  de  la  Quotidienne,  Ville- 
nave, qui  ne  se  piquait  pas  d'une 
très-gr;indp  fixité  dans  ses  doctri 
n'^s  politiques,  concourut  avecM.'i 
Barante  et  M.  Guizot  à  U  créatio 
du  Courrier  français ,  par  sncces- 
iion  aux  Annales  politiques  et  litté- 
raires. Ami  particulier  de  Michaud, 
foridateur  de  la  Biographie  univer- 
selle, il  avait  pris  part  dès  le  prin- 
cipe à  la  composition  de  cette  vaste 
galerie  où  figurent,  sous  son  nom, 
k  travers  près  de  300  autres,  les 
articles  Real,  Socl,  Egerton,  Garât, 
Ovide,  Ricard,   les  derniers  ducs 
d'.Aumon/,  madame  d'Angiviiler,  An- 
drieux.  etc.,  etc.  Un  autre  recueil, 
V Encyclopédie  des  gens  du  vionde 
(1833-44),  lui  dut  ceux  de  Louvois, 
de    Fénelon ,    de    Nicole,  de  saint 
Vincent  de  Paul ,  df  Dannou,  ù'Hé- 
lolse,  de  Pierre  Corneille,  etc.,  et 
le  mol  InUitut  de  Fraucc.  Cet  infa- 
tigable écrivain,  sur  les  dernières 
années  de  sa  vie,  chercha  plus  d'une 
fois  dans  la  culture  de  la   poésii» 
des  délassements  }»  ses  doctes  et 
miles  travaux.  On  a  de  lui  de  longs 
fragments  d'un  poème  sur  \\  Vie 
future,  où  brillent,  parmi  quelques 
négligences,  des  beaurs  d'un  ordre 
élevé  ,    d'autres     fragments    d'un 
poème   sur    VAmour,  un  morceau 
intitulé    les  Deux  genres,  quehjnes 
stances       ()leines     d'onciion      et 
de  poùl   sur  Vlmitation  de  Jésus- 
Christ,  etc.   Villenave,  chargé  de 
présenter    au    roi   des   Franv-ais , 
quelque  temps  après  la  révolution 

3t 


530 


VIL 


VIL 


de  1830,  l'Adresse  de  la  société 
américaine  des  Amis  de  la  paix, 
reçut  de  ce  prince  nn  gracieux  ac- 
cueil, et  fut  tardivement  décoré  de 
?a  croix  d'honneur  sous  le  minis- 
tère de  M.  de  Salvandy.  Son  sa- 
lon, tenu  avec  cette  politesse 
exquise  et  affectueuse  qu'il  avait 
contractée  dans  les  relations  de 
ses  j)remiéres  années,  était  insen- 
siblement devenu  le  rendez-vous 
de  totit  ce  que  Pai  is  comptait  de 
plus  considérable  dans  les  lettres, 
l'Église  et  la  politique.  La  biblio- 
thèque de  Villenave,  fruit  de  qua- 
rante-six ans  d'épargnes  et  de  re- 
cherches, constituait,  parliculière- 
menl  pour  les  autographes,  les 
livres  rares  et  les  dessins  originaux 
des  grands  maîtres,  une  des  collec- 
tions les  iîius  curieuses  de  l'Europe. 
Elle  renfermait  environ  23,000  vo- 
lumes, et  son  possesseur  avait  tou- 
jours refusé,  par  esprit  de  patrio- 
tisme, de  distraire,  au  profit  des 
collecteurs  étrangers,  aucun  des 
trésors  dont  elle  se  composait,  mal- 
gré les  offres  les  plus  séduisantes. 
Ce  vénérable  doyen  des  lettres 
françaises  mourut  le  10  mars  1846, 
a  quatre-vingt-quatre  ans,  dans  les 
^entiments  religieux  qu'il  avait 
professés  toute  sa  vie.  Il  a  laissé  un 
fils,  auteur  de  la  tragédie  de  Wals- 
tein,  imitée  de  Schiller,  jouée  à 
rodéon,  et  d'autres  opuscules  poé- 
tiques; (t  une  fille,  madame  Méla- 
iiie  Waldor,  femme  également  dis- 
tinguée comme  poète,  comme  ro- 
mancière et  comme  auteur  drama- 
liqui'.  A.  U—KE. 

V!LLi:Ni:UVE  -  BARGEMO.\ 
XriRiSToi'Uh:,  comte  de),  conseiller 
d'État,  préfet  des  Bouches-du- 
ithùne,  commandeur  de  la  Légion 
dlionneur,  e'.c,  nc.(iuit  au  château 
de  IJargemon,  dans  l'ancienne  Pro- 
vence, le  3  mars  177 ) ,  au  teiii  d'une 


famille  qui  sîî  glorifiait  de  compter 
parmi  ses  fondateurs  un  connétable 
grnnd  sénéchal  de  Provence  (Rome 
de  Villeneuve,  ino),  et  un  grand- 
maître  de  Tordre  de  Saint-Jean  de 
Jérusalem  (Hélion  de  Villeneuve, 
4370).  Le  jeune  Christophe  fut 
élevé  à  l'école  militaire  de  Tour- 
non,  et  entra  à  seize  ans,  en  qualité 
de  sous-lieutenant,  au  régiment  de 
Royal-Roussillon  infanterie,  com- 
mandé par  son  cousin  deVilleneuve- 
Trans,  premier  marquis  de  France. 
En  1792,  lors  de  la  formation  de  la 
garde  constitutionnelle  du  roi , 
Christophe  de  Villeneuve  fut  admis 
dans  ce  corps  d'élite,  destiné  à  dé- 
fendre les  jours  de  Louis  XVI,  et 
dont  les  réclamations  de  l'Assem- 
blée nationale  firent  bientôt  pro- 
noncer le  liceneiement.  Mais  plu- 
sieurs de  ces  serviteurs  dévoués 
refusèrent  de  s'éloigner  du  palais 
où  le  malheureux  monarque  était 
confiné  dans  la  plus  étroite  et  la 
plus  humiliante  captivité,  et  de  ce 
nombre  fut  Villeneuve.  Échappé 
avec  peine  aux  massacre»  du  10 
août,  il  alla  attendre  à  Bargemon 
que  des  jours  plus  heureux  vins- 
sent à  se  lever  sur  la  France.  Lors  de 
l'établissement  du  Consulat,  il  fut 
nommé  successivement  inspecteur 
des  poids  et  mesures  dans  les  dé- 
partements méridionaux,  puis,  en 
1804,  sous-préfet  de  l'arrondisse- 
ment de  Nérac.  Il  profita  de  son 
séjour  dans  cette  ville,  berceau  de 
Henri  IV,  pour  recueillir  sur  la 
jeunesse  de  ce  grand  roi  plusieurs 
particularités  intéressantes  qui 
avaient  échappé  à  l'histoire,  et 
publia  ces  documents  sous  ce  ti- 
tre :  Notice  sur  la  ville  de  Nérac  ; 
fAgen,  1808.)  Villeneuve  publia  plus 
tard  un  Voyage  dans  la  vallée  de 
liarcelonnetie,  dédié  à  Mouseigneur 
le  duc   d\\7igoHléme   (Agen,   1815, 


VIL 


VIL 


531 


în-8"^;  puis  un  antre  irayail  inté- 
ressant sur  Id  géographie  ancienne 
et  les  antiquités  du  département  des 
Bassps-Alpes.  En  4806,  Christophe 
de    Villeneuve    fut   nommé  préfet 
de  Lol-Pt-Garonue.  Il  administrait 
ce  département  en  iS14.  lors  de 
l'entrée  de  M.  le  duc  d'Angoulême 
sur  le  territoire  irançais,  et  fui  un 
dts  premiers  prétets  qui  portèrent 
à  ce  prince,  pendant  son  séjour  à 
Bordeaux,  l'hommage  de  leur  dé- 
Tonement.    Le    duc   d'Angouléme 
distingua  ce  fonctionnaire   et   ne 
larda  pas  à  lui  accorder  une  entière 
conflance.  A  la  nouvelle  du  débar- 
quement de  Napoléon  sur  les  côtes 
de  Provence,  Villeneuve  publia  une 
proclamation  vehémenie  contre  lui 
et  se  démit  quelques  jours   plus 
tard  du  poste  qu'il  occupait.  li  re- 
prit ses  fonction^  a  la  chute  détini- 
tive  duréijime  impérial, etsuccéda, 
le  8  octobre  1815,  comme  préfet 
des  Bouches-du-Hhône,  au  comte 
de  Vaublanc,  qui  venait  d'être  ap- 
pelé au  miîiistère  de  l'intérieur.  Les 
soins   d'une   vaste   adminihtraiion 
et  la  sollicitude  consciencieuse  avec 
laquelle   il  ne  cessait  d'en  diriger 
les   détails,    n'empêchèrent  point 
Villeneuve  oe  n'preîidre  le  cours 
de  ses  travaux  lilteriiires.  il  pubiiji 
un   Précis  historique  sur  la  vie  de 
René  d'Anjou,  roi  de  Saples,  comte 
de  Provence  (Marseille,  1819,  in-8); 
puis  il  entreprit  la  statistique  de  la 
belle  contrée  qu'il  était  appelé  à 
régir,  dans  des  proportions  incon- 
nues jusqu'alors  et  qui  lut  permi- 
rent d'y  comprendre  tous  les  faits 
de  nature  à  intéresser  cette  localité 
àun  litre  (|uelconque.  Cet  immense 
travail,   précède  d'un   abrégé    de 
rhi.->loire  de  Provence  et  accompa- 
gné dun  volume  de  caries  cl  de 
pians,  fut  imprime  d  ;ipres  le  vœu 
du  conseil  gênerai  en  (jualre  vo- 


lumes in-folio  (Marseille,  1824 >,  et 
a  été  regardé  par  un  critique  éclai- 
ré (1)  comme  «la  meilleure  statisti- 
que qui  ait  été  publiée  en  France.» 
Le  comte  de  Villeneuve  administra 
le  département  des  Bouches-du- 
Rhone  jusqu'il  sa  mort.  Il  succomba 
le  ^  octobre  <829,  objet  des  regrets 
universels  de  tontes  les  classes  de 
citoyens  dont  il  s'étaitconcilié  l'es- 
time et  l'affection  par  la  simplicité 
de  ses  mœurs,  la  droiture  et  la 
bonté  (le  son  caractère,  l'élévaiioD 
incontestable  de  ses  talents  admi- 
nistratifs, et  qui  érigèrent  quelques 
mois  plus  tard,  par  voie  de  sous- 
cription, un  monument  \  la  mé- 
moire sur  une  des  places  publiques 
de  Marseille.  Indépendamment  des 
ouvrages  que  nous  avons  mention- 
nés, on  doit  îi  ce  savantadministra- 
teur  un  Rapport   sur  des  fouilles 
faites  à  Frcjus,  en  1803:  une  Notice 
sur  Théopolis^  ville  des  Basses-Alpes 
(1811);  une  Dissertation  sur  le  lieu 
qu'occupait  dans  F  Aquitaine  le  peu- 
ple désigné  par  César  sous  le  nom 
de  Sotiates;  une  Notice  sur  la  peste 
de  Marseille  en  1720  et  1721    (Mar- 
seille 1819,  in-8);  Adèle  ou  la  jeune 
Turque  à  Marseille,  nouvelle  histo- 
rique^ {Marseille,  1823,  in-8},  etc. 
Le  (  omte  de  Villeneuve  éiait  che- 
valier de  Saint-Maurice  de  Savoie, 
et  il  avait  clé  décoré  do  l'ordre  de 
Charles  III,  le  1"  janvier  1815,  par 
Ferdinand  VII,  en  reconnaissance 
des  senicrs  qu'il  avait  rendus  aux 
Espagnols    prisonniers   de  guerre 
ou  exilés  en  France.       A.  B— ée. 
VILLE>ELVE  -  BARGEMON 
(  EMMANUEL-Ft:ni)iNAND ,    marcjuis 
de)  frère  puîné  du  i)recédent,  préfet 
de'Ia  Somme,  député,  officier  delà 
Légion  d'honneur,  naquit  îi  Carge- 


;i)  Quoranl,  France  littéraire. 


532 


VIL 


VIL 


mon  le  25  décembre  1777;  Il  entra 
dans  Tordre  de  Malte  et  servit  dans 
la  marine  française  jusqu'à  la  ré- 
volution de  1789.  La  conscription 
l'incorpora  dans  les  armées  répu- 
blicaines, où  il  fit  plusieurs  campa- 
gnes à  la  suite  desquelles  il  se  re- 
tira dans  ses  foyers.  11  fut  nommé, 
par  le  gouvernement  royal,  sous- 
préfetde  Castellane,  etavaitàpeine 
pris  possession  de  son  poste  lorsque 
survinrent  les  événements  de  mars 
48i;>.  Aussitôt  qu'il  apprit  le  dé- 
barquement de  Napoléon,  Ville- 
neuve se  mil  à  la  tète  de  la  garde 
nationale  de  son  chef-lieu  et  entre- 
prit d'arrêter  sa  marche  sur  Parii  ; 
mais  il  n'jtteignit  que  quelques 
traînards  qu'il  lit  prisonniers.  Cette 
tentative  courageuse  fixa  sur  lui 
raltention  du  ducd'Angoulêmo,  qui 
l'appela  à  la  préfecture  des  liasses- 
Alpes;  mais  il  ne  put  occuper  ce 
poste  qu'au  second  retour  des 
Bourbons.  Villeneuve  lut  ensuite 
nommék  la  préfecture  des  Pyrénées- 
orientales,  d'où  il  passa  successive- 
ment à  celles  d(^  la  Nièvre  et  de  la 
Somme.  Ce  fut  dansée  dernier  dé- 
partement que  la  révolution  de 
1830  vint  terminer  sa  carrière  ad- 
ministrative. Il  avait  siégé  comme 
député  dt-s  Basses-Alpes  j)endant 
une  grande  partie  du  régime  de  la 
Restauration  et  laissé,  dans  tout  le 
cours  de  ses  fonctions  publiques, 
la  réputalion  d'un  administrateur 
aussi  intègre  que  conciliant  et 
éclairé.  Le  marquis  de  Villeneuve 
mourut  le  20  jaiivier183.j  à  Gi  as^e, 
ou  il  s'était.retiré.  11  avait  é|)0usé, 
en  1800,  mad(;moiselle  Pauline  de 
Colomb-Scillou,  dont  il  a  eu  deux 
enfanti  qui  lui  ont  survécu. 
A.  B-tE. 
VILLE>El  Vi:  -  IîARGEMO> 
(Jkan-Paul-Alhan,  viromie  de), 
préf"î,   conseiller  d'fial,  député, 


membre  de  l'Inslilnt,  commandeur 
de  la  Légion  d'honneur,  chevalier 
de  Saint-Jean  de  Jérusalem,  frère 
des  précédents,  naquit  au  château 
deSaint-Auban  (Var)  le8  août  1784. 
La  protection  du  comte  de  Cessac, 
son  parent,  lui  ouvrit,  très-jeune 
encore,  la  carrière  de  l'administra- 
tion publique  par  une  place  d'au- 
diteur au  conseil  d'État.  Son  ins- 
truction et  sa  capacité  l'y  firent 
bientôt  remarquer.  Il  fut  appelé  aux 
fonctions  de  sous-préfet  à  Zicrik- 
zée,  petite  ville  du  département  des 
Bouches- de-l'Escaut,  puis  à  la 
préfecture  de  Lérida,  en  Catalogne, 
et  plus  tard  k  celle  de  Namur.  Per- 
sonne assurément,  pur  l'équilc  de 
ses  actes  et  l'aménité  de  ses  ma- 
nières, n'était  plus  propre  que  le 
jeune  intendant  k  tempérer  dins 
ces  pays  conquis  les  rigueurs  du 
régime  impérial.  Villeneuve  re- 
cueillit partout  des  témoignages  de 
l'estime  et  de  la  confiance  de  ses 
administrés.  Il  fut  nommé  pré- 
fet de  Tarn-et-Garonne  k  la  res- 
tauration du  gouvernement  royal, 
qu'il  salua,  ainsi  que  ses  frères, 
avec  un  vif  empressement.  Ville- 
neuve conserva  ces  fonctions  jus- 
qu'au débarquement  de  Napoléon 
et  ne  les  reprit  (ju'après  la  chute 
de  ce  j)Ouvoir  dont  la  résurrection 
éphémère  avait  attiré  tant  de  ca- 
lamités sur  notre  pays.  Il  fut  char- 
gé successivement  de  l'adminis- 
tration des  départements  de  la 
Charente,  de  la  Meurthe,  de  la 
Loire-Inférieure  et  du  Nord,  et 
laissa  dans  chacun  d'eux  des  tra- 
ces d'une  direction  éclairée  et  d'un 
esprit  intègre  et  bienv(;illant.  Par- 
mi les  intérêts  confiés  à  sa  sollici- 
tude, les  institutions  de  bienfai- 
sance aviiien!  toujours  tenu  le 
premier  rang,  et  l'amélioration 
du    sort    des    classes    indigentes 


VIL 

n'avait  cessé  de  préoccuper  sou 
alteniion.    Il  étudiait  avec  activité 
les  moyens  de  coloniser  le»  indi- 
gents et  les  mendiants  du  départe- 
ment du  Nord,  et  ses  plans  étaient 
à  la  veille  de  recevoir  la  sanction 
du  gouvernement,   lorsque   la   ca- 
tastrophe de  1830  vint  en  détour- 
ner le  cours.  Ce  fut  i  Lille  que  le 
surprirent   les  événements  qui  la 
préparèrent.   La  proclamation  des 
ordonnances   de  juillet   y   donna 
lieu   à   plusieurs   rassemblements 
que  la  cavalerie   dissipa   par    des 
démonstrations    énergiques.    Les 
principaux  négociants,  encouragés 
par  les  dispositions  bienveillantes 
du  préfet,  parvinrent  à  calmer  l'a- 
gitation populaire,  et  les  nouvelles 
de    Paris    achevèrent    d'éluigner 
toute  apparence  de  collision.  Atta- 
ché de  cœur  et  de  conviction  au 
régime  paternel  de  la  Restauration, 
Villeneuve  ne  crut  pas  devoir  con- 
tinuer ses  services  au  gouverne- 
ment qui  lui  succédait.  Député  du 
Var  aux  élections  de  1830,  il  cessa 
d'apj)artenir  à  laChambre  renouve- 
lée en   1831,  et  rentra  d.ins  la  lie 
privée.  Lorsqu'en  1832,  Madame, 
duchesse  de  Berri,  encouragée  par 
les  dispositions  d'un  grand  nombre 
d'habitants  des  contrées  de  l'Ouest 
et  du  Midi ,   médita  son  projet  de 
débarquement  sur  les  cotes  de  Pro- 
vence (i),  le  vicomte  de  Villeneuve 
fut  pressenti  sur  Tacceptation  éven- 
tuelle du  titre  de  commissaire  royal 
dans   le  département    du  Var;    il 
répondit    affirmaiirement ,     mais 
sans  dissimuler  ses  incertitudes  sur 
le  succès  de  celte  entreprise.  Ce 


VIL 


533 


(1)  Tous  les  détails  qui  vont  suivre 
sont  cnipruntts  :uix  notes  iiKiiiuscrites 
et  inédites  du  vicomte  de  Villeneuve, 
qui  m'ont  été  communiquées  par  sa  fa- 
mille. 


brevet   lui    fut  expédié   quelques 
jours  plus  t.ird  signé  de  la  princesse 
«  au  nom  de  Henri  V.  »  Villeneuve 
parcourut  plusieurs  villes  du  Var 
el   des  Bouches-du- Rhône,    afin 
d'étudier    Pélat    des    esprits  ,   et 
celte  exp'.oiation  ne  releva  point 
ses  espérances.  11  consigna  ses  ob- 
servations   et    ses    appréhensions 
dans  un  mémoire  qui  fut  remis  ^ 
la  princesse  k  son  arrivée  a  Massa. 
Villeneuve  l'y  conjurait  de  ne  pas 
compromettre  l'avenir  de  son  fils 
par  une  précipitation  funeste ,   el 
lui  demandait  de   borner  son  rôle 
à  celui  d'un  serviteur  fidèle  résolu 
à  la  «  défendre  au  péril  de  sa  vie.» 
La  duchssse  fit  répondre  à  Ville- 
neuve que  ses  propres  idées  étaient 
conformes  aux  conclusions  de  son 
mémoire  ;  mais  elle  dut  céder  aux 
impatiences  de  son  entourage,  et 
débarqua,  le  '29  avril,  à  proximité 
de  Marseille,  où  le  vicomte  de  Vil- 
leneuve s'était  rendu  de  son  côté. 
La  répulsion  des  troupes  pour  le 
drapeau  blanc,  el  une  discrétion 
malentendue  envers  la  population 
marseillaise, généralement  favorable 
à  la  dynastie  déchue,  firent  échouer 
cette  première  tentative.  Villeneuve 
revint  à  Aix  le  1'^  mai,  san^  rap- 
porter aucune  information  sur  le 
lieu    où   Madame    s'étuii    retirée. 
Mais  il  reçut  bientôt  l'avis  secret 
de  se  rendre  auprès  du  duc  dEs- 
rars,  dans  un  endroit  situé  îi  peu 
de  distance  de  cette  tillo,  et  là,  il 
apprit  (pie  Ion  comptait  sur  son 
dévouement  j)0ur  accompagner  la 
princesse  en  Vendée,  où  elle  avait 
résolu  d'essayer  un   nouvel  appel 
aux  royalistes  de  l'Ouest.  Le  loyal 
gentilhomme  n'hésita   point  i»  ac- 
cepter celte  mission  périlleuse.  11 
fut  convenu  qu'il  se  trouverait  le 
lendemain,  à  minuit,  enir-  Lam- 
bescel  lePonl-Royal,  |)Oini  duquel 


53/i 


VIL 


Madame  untreprendrait  de  traverser 
la  France  îi  i'aide  d'un  passe-port 
que  Villeneuve  s'était  fait  délivrer 
récemment  en  donnant  à  sa  femme, 
qoi  y  liguiait,  l'âge  et  le  signale- 
ment de  la  princesse.  Ces  arranje- 
meuts  furent  approuves  et  secon- 
dés par  la  duchesse  de  Vicence, 
mère  de  madame  de  Villeneuve, 
qui  conseilla  toutefois  de  ne  rien 
tenter  en  Vendée,  le  temps  n'étant 
pas  encore  venu,  et  s'offrit  même, 
dans  le  cas  où  Madame  suivrait  ce 
conseil,  à  la  ramener  en  Italie,  en 
la  faisant  passer  pour  sa  fille.  iMais 
le  sort  en  était  jeté.  Le  3  mai,  à 
neuf  heures  du  soir,  Villeneuve 
partit  d'Ail  avec  un  de  ses  cou- 
sins, et,  après  avoir  passé  Lara- 
besc  et  Saint-Cannat,  ils  s'arrêtè- 
rent à  un  point  de  la  route  où 
aboutissait  un  sentier  ombragé 
d'arbres  touffus.  C'était  le  lieu  con- 
venu. Ils  descendirent  de  voilure, 
et  le  compagnon  da  Villeneuve, 
ayant  prononcé  k  haute  voix  le  nom 
Aq  Laurent,  il  se  présenta  un  groupe 
de  huit  personnes,  dont  six  étaient 
vêtues  en  bergers,  mais  armées  de 
pistolets,  et  de  ce  groupe  se  déta- 
cha utie  jeune  feiuine  enveloppée 
d'un  manteau  rayé  de  noir  coiffée 
d'un  chapeau  de  paille  noire  couvert 
d'un  voile  blanc.  C'était  la  mère  du 
duc  de  Bordeaux.  Villeneuve  parut, 
«  baisa  respectueusement  la  main 
de  la  piincesse,  et  se  déclara  prêt  à 
la  suivre  au  bout  du  monde.  »  Cet 
acte  de  dévouement  était  d'autant 
plus  appréciable  que  sa  santé,  na- 
turellement débile,  subissait  en  ce 
moment  même  de  pénibles  attein- 
tes. Madame  lui  annonça  qu'elle  se 
rendiiil  au  château  du  marquis 
Aymar  de  D.impierre,  dans  la 
Saintonge,  à  qui  sa  visite  n'était 
point  annoncée.  Villeneuve  laida  à 
monter  dans  une  voiture  préparée 


VIL 

par  le  zèle  indéfectible  de  M.  de 
VitroUes,  et  remit  au  duc  de  Lor- 
ges  une  redingote  de  livrée  dont  il 
se  revêtit  aussitôt.  Madame  fit  as- 
seoir le  comte  de  Mesuard  à  côté 
d'elle,  Villeneuve  en  face,  et  jeta 
ces  mots  à  son  cortège  pour  dernier 
adieu  :  En  Vendée!  Plusieurs  fois, 
durant  ce  périlleux  trajet,  le  fidèle 
compagnon  de  S.  A.  R.  lui  fil  part 
des  objections  et  des  offres  de  la 
duchesse  de  Vicence.  La  princesse 
déclara   qu'elle  ne   quitterait  pas 
la   France  après  y   avoir  mis  le 
pied.  «  Vous  verrez,  lui  avait-elle 
dit   en   partant,   combien  je   suis 
commode    en   voyage;    je  dors  à 
merveille  en  voilure,  et  de  i'eau  et 
du  pain  me  suffisent.  «  Il  y  avait 
dans  son  accent  quelque  sentiment 
d'une  mission  divine  auquel  se  mê- 
laient les  hallucinations  ardentes 
d'une   imagination   italienne.   Les 
quatre  voyageurs  déjeunèrent  fru- 
galement au  petit  village  de  Bar- 
beyra,  près  de  Narbonne.  «  Ce  qu8 
c'est,  dit  la  duchesse  à  ses  compa- 
gnons, qu'une  conscience  pure  et  la 
certitnded'accomplir  un  devoir!  Ja- 
mais je  ne  fis  undéjeuner  meilleur; 
je  suis  sûre  que  je  ne  mangerais  pas 
d'aussi  bon  cœur  aux  Tuileries!» 
En  passant  près  de  Villefranche, 
on  découvrit  le  château  de  Mor- 
ville,  habitation  de  M.  de  Villèle. 
«   Quelle   excellente    tête!    dit   la 
princesse;  ah!  si  je  conquière  le 
trône  démon fils,il aura  une  grande 
prépondérance  dans  les  affaires... 
Il  n'approuverait  pas  notre  entre- 
prise; cependant,  c'est  de  son  ami 
M.  Corbière  que  j'ai  reçu  le  plus  d'en- 
couragements. ■  En  détaillant   les 
espérances  dont  il  lui  avait  fait  part, 
«  ses  yeux  brillaient,  dit  le  fidèle 
narrateur, sespetitesmainsserraient 
convulsivement  ses  pistolets...  Ah! 
pourquoi  toute   la  France  n'était- 


VIL 


VIL 


535 


elle  pas  Ik  pour  l'eulendre!...  Et 
pourtant,  i  travers  mon  éaiolion, 
je  pressentais  trop  que  cette  entre- 
prise ne  serait  qu'un  illustre  mal- 
heur (le  plus!  »  A  Toulouse,  où 
Ton  mit  pied  à  terre,  le  duc  de 
LorjiCs  fui  rencontré  et  reconnu 
par  un  de  ses  anciens  frères  d'ar- 
mes, M.  de  Puylaroque,  qu'il  fallut 
mettre  daus  le  secret.  M.  de  Puy- 
laroque supplia  Madame  de  s'arrê- 
ter à  Toulouse  ei  d  y  encourager, 
dans  une  retraite  sûre,  les  disposi- 
tions favorables  de  la  population, 
dispositions  qui  promettaient,  dit-il, 
un  plein  succès  à  son  entreprise. 
La  princesse  ne  Youiut  point  se 
laisser  fléchir.  Tour  à  tour  en  proie 
à  de  douloureux  saisisseaients  ou  à 
de  vives  espérances,  coiitinue 
notre  narrateur,  son  sommeil  était 
agité  par  des  rêves  auxquels  se  mê- 
lait toujours  le  nom  de  ses  e.ifants. 
Ce  trajet,  dont  la  sécurité  dut  beau- 
coup ii  l'opinion  générale  où  l'on 
était  de  rarresiaiiou  de  la  prin- 
cesse, fut  marqué  par  un  de  ces 
piqua:its  épisodes  qui  manquent 
rarement  aux  incognito  des  princes. 
Ce  fut  la  courte  excursion  que  les 
voyagrUF:»  firent  au  château  de 
Dampierre,  sur  les  bords  de  la  Ga- 
ronne, pour  s'y  informer  de  la  pré- 
sence à  Plassac  de  celui  dont  ils 
allaient  bientôt  réciam(;r  l'hospita- 
iité.  Ils  passèrent  le  fleuve  à  La 
Magistère,  et  s'arrêtèrent  dans  le 
manoir  habité  par  le  cousin  du 
marquis,  qui  fixa  leurs  incertitudes. 
Mad;ime  la  comtesse  de  Darnpierre 
accueillit  gracieusement  l'auguste 
étrangère,  sans  aucun  soupçon  de 
ce  qu'elle  pouvait  être,  la(Onduisit 
à  la  messe  du  village,  s'inforraa 
avec  une  pieuse  anxiété  de  tout  ce 
qu'elle  avait  pu  apprendre  sur  le 
sort  de  la  duchesse  de  Berri,  et, 
après  avoir  fait  servir  aux  visiteurs 


un  élégant  déjeuner,  elle  ne  les 
quitta  que  lorsqu'elle  les  eut  vus 
remonter  en  voilure,  lis  traversè- 
rent, sans  incident,  Agen,   Ville- 
neuve, Bergerac,  Castillon,  Saint- 
André-de-Cubzac,Blaye  enlin,oùla 
fortune  gardait  ses  derniers  coups 
à  l'intrépide   héroïne,  et  ce  fut  le 
7mai,danslanuit,  que  ienoblecor- 
tége  s'arrêta  à  Plassac,  devant  la 
porte   du  château  de    Darnpierre. 
«  Cher  chûtelain,  ouviezl  s'écria  le 
vicomte  deVilleneu.e,c'cs/ /a /br/untf 
de  la  France.  *  Le  marquis  de  Darn- 
pierre reçut  la  mère  duduc  de  Bor- 
deaux avec  un  mélange  indescripti- 
ble de  surprise,  de  joie  et  d'emolion 
«et  comme  un  rêve  depuis  longtemps 
lorge  dans  son  imagination.  »  L'in- 
stallation de  Madame  sous  ce  toit 
hospitalier    soulagea    d'un    poi'Js 
immense  la  responsabilité  du  fidèle 
historien  de   cet   épisode   de  nos 
révolutions    modernes.     Interrogé 
par  la  iiriucesse  sur  ses  intentions 
ultérieures,  Villeneuve  lui  répondit 
qu'il  était  entièrement  ^  ses  ordres, 
mais  qu'il  croyait  sa  présence  plus 
utile  aux  intérêt;,  royalistes  dans  le 
Midi  que  dans    la    Bretagne,   et, 
toujours    convaincu  de    l'impuis- 
sance des  efforts  qu'elle  allait  tenter, 
il  s'occupa  seciètement  de   faire 
préparerua  passe-port  pour  assurer 
sa  retraite  en  cas  de  revers.  Le  len- 
demain, il  prit  congé  de  la  prin- 
cesse, e  Monsieur  de  Villen.'uve,lui 
dit-elle  d'un  ton  pénétre,  vous  êtes 
deceshomm'S  auxquels  on  ne  doit 
pas  parler  de  reconnaissance;  mais 
si  jamais  nous  nous  revoyons  ..ux 
Tuileries,  je  veux  que  vous  soyez 
biiMi  près  de  nous.   »  Le   vicomte 
de  Villeneuve  sortit  de  celle  entre- 
vue, qui  devait  être   la  dernière, 
emportant,  a-t-il    dit,    «    la  plus 
hante  idée  de  son  noble  couraij'û  et 
de  sa  haute  raison  réunis  à  l'esprit 


5S6 


VIL 


le  piusgracieux  et  le  plus  aimable.» 
Après  quelques  mois  de  séjour  en 
Provence,  Villeneuve  se  fixa  irré- 
vocablement il  Paris  et  s'y  adonna 
avec  assiduité  à  l'élude  de  rérono- 
mie  politique, science  dont  l'appli- 
caîioniuiavailoffertlantderésuitats 
utiles  dans  le  cours  de  sa  longue 
carrière  administrai ivf.  Tl   publia 
en  J834  (l-'aris,  3  vol.  in-8")  V Eco- 
nomie polilique  chrétienne,  ou  Re- 
cherches sur  la  nature  el  les  causes 
du  paupérisme,  etc.,  avec  cette  épi- 
graphe tirée  de  Burke  :  «  Il  faut 
recommander  la  patience,  la  fruga- 
lité, le  travail,  la  sobriété  et  la  re- 
ligion ;  ie  reste  n'est  que  fraude  et 
mensonge.  »  Ce  livre  fixa,  dès  son 
apparition,  l'intérêt  el  l'attention 
de  tous  les  esprits  sérieux.  Il  mé- 
rita au  vicomte  de  Villeneuve  un 
des  prix  Montyon,  et  lui  ouvrit  plus 
tard  les  portes  de  l'Académie  des 
sciences  morales  et  politiques.  Vil- 
leneuve y  fait  observer  que  le  vé- 
ritable paupérisme,  c'esl-à-dire  la 
détresse  permanente  et  progressive 
des  populations  ouvrières,  a  pris 
naissance  en  Angleterre,  d'où  il 
s'est  répandu  sur  le  reste  de  l'Eu- 
rope. La  source  du  mal  est,  suivant 
lui,  dans  la  concentration  des  capi- 
taux, du  commerce,  de  l'industrie, 
dans  le  remplacement  du  travail 
humain  par  les  machines ,   dans 
l'excitation  perpétuelle  des  besoins 
physiques  et  la  dégradation  morale 
de  l'iiomme.  Le  système  de  l'auteur 
consiste  à  comballre  tous  ces  élé- 
ments perturbateurs.  Il  est  fondé 
sur  une  juste  et  sage  distribution 
des  produits  de  l'industrie,  sur  l'é- 
quitable rémunération  du  travail, 
sur  le  développement  de  l'agricul- 
ture, sur  une  industrie  appliquée 
aux  produits  du  sol,  sur  la  iégéné- 
ratijii   religieuse  de  l'homme,  et 
enfin  sur  le  grand  princijie  de  la 


\1L 

charité.  La  charité  cin-étienne  mise 
en  action  dans  la  politique,  dans 
les  lois,  les  institutions  el  les  mœurs, 
peut  seule  ,  conclut  l'auteur,  pré- 
server l'ordre  social  des  eiîroyables 
dangers  qui  le  menacent.    Quel- 
ques années  plus  tard  (1841),  Al- 
ban  de  Villeneuve  publia,  en  deux 
volumes  in-8%  une  Histoire  de  l'é- 
conomie politique,  à  laquelle  il  donna 
pour  second  titre  celui   à'Eludes 
historiques ,  philosophiques  et  reli- 
gieuses sur  l'économie  politique  des 
peuples  anciens  et  modernes.  Dans 
cet  ouvrage,  destiné  à  compléter 
le  premier  ou  à  lui  servir  de  base, 
l'auteur  parait  h'êire  proposé  sur- 
tout de  restituer  à  la  science  éco- 
nomique le  caractère  moral  et  re- 
ligieux dont  certains  penseurs  de 
î'iOs  jours  ont  essayé  de  la  dépouil- 
ler. Telle  est  la  vue  dominante  de 
son  livre.  Les  esprits  judicieux  y 
remarquèrent  le  mérite  d'une  mé- 
thode qui  permet  d'en  saisir  sans 
efforts,  .sans  contention  d'esprit, 
l'ensemble  et   les   détails.   Ville- 
neuve   y  analyse  successivement 
l'état  de  l'économie  politique  chez 
les  peuples  primitifs,  chez  les  Hé- 
breux, les  Perses,  les  Phéniciens, 
les  Chinois,  les  Athéniens  et  les 
Romains,  el  décrit  ensuite  h  grands 
traits  l'influence    que   l'établis.se- 
mcntdu  christianisme,  et  plus  lard, 
l'introduction   de  la  réforme  ont 
exercée    sur    ses    destinées.    Des 
considérations  hibloriques  el  poli- 
tiques développées  avec  l'aulorité 
d'une  haute  expérience,  une  argu- 
mentation claire  etempieinte  d'une 
onctueuse  modération  ,  un    style 
constamment  pur  et  élégant,  ache- 
vèrent de  fixer  le  succès  de  ce  li- 
Yre,  appelé  k  figurer  honorable- 
ment parmi'  les  ouvrages  inspirés 
par  la  belle  science  à  la(juelle  l'au- 
teur avait  voué  les  dernières  an- 


VIL 

nées  de  sa  vie.  Vers  la  même  époque, 
Alban  de  Villeneuve  fil  paraître  le 
Livre  des  Affligés  (2  vol.  in-12), 
monunaent  remarquable  des  senti- 
ments religieux  de  l'auteur  et  de 
son  amour  ardent  de  l'humanité. 
Dans  cet  écrit,  véritable  physiolo- 
gie de  la  souffrance  morale  ,  le 
pieux  analyste  sonde  d'une  main 
pénétrante  toutes  les  ^plaies  du 
cœur  de  l'homme  et  leur  oppose 
la  résignation  chrétienne  comme 
l'unique  fondement  de  toute  cou- 
>Oiation  solide  et  durable.  Celte 
édifiante  thèse  n'est  point  neuve, 
sans  doute,  mais  on  doit  recon- 
naitie  que  Villeneuve  réussit  jus- 
qu'à ceitain  point  à  la  rajeunir 
par  l'intérêt  des  développements, 
par  des  exemples  heureusement 
choisis  et  par  le  charme  d'une  dic- 
tion qui  n'affecte  pas  plus  les  va- 
gues, aspirations  du  mysticisme 
que  les  froides  abstractions  de  l'é- 
cole philosophique.  I/homme  du 
monde  et  le  gentilhomme  se  retrou- 
vent frcquiMumcnt  sous  i'apùtre, 
et  les  exhortations  de  l'auteur  sont 
d'autant  plus  sympathiques  qu'elles 
reposent  sur  une  observation  au.ssi 
délicate  {[u'a|)profondie  de  la  nature 
humaine.  \x  LivrédesAflUgés.  pu- 
blié pour  la  première  fois  en  I8i0, 
obtint  rapidement  plusieurs  édi- 
tions,et  a  pris  place  dans  la  plupart 
des  bibliothèques  relii^ieuses.  Le  vi- 
comte de  Villeneuve  avait  été  élu  en 
i  840  député  de  l'arrondissement  de 
Hazebrouck,  qui  lui  continua  à 
plusieurs  reprises  son  mandat  jus- 
qu'il la  révolution  de  1818.  Sa  mo- 
destie, la  faiblesse  de  sou  organe, 
l'état  constamment  précaire  de  sa 
santé  ne  lui  permir>  nt  que  très-ra- 
rement (l'aborder  la  Iribuue.  Ce- 
pendant il  fit  violence  à  ces  obsta- 
cles dans  une  discussion  (jui  inté- 
ressait vivement  ses  éludes  et  ses 


VIL 


.537 


inclinations  spi'ciales.  Il  s'agissait 
du  projet  de  loi  destiné  à  régle- 
menter le  travail  des  enfants  dans 
les  manufactures.  Villeneuve  pro- 
nonça k  cette  occasion  (22  déc^-m- 
bre  18i0)  un  discours  où  il  repro- 
duisit avec  une  onction  persuasive 
la  [)Iupart  des  considérations  qu'il 
avait  développées  dans  son  pre- 
mier ouvrage  sur  la  nécessité  d'une 
alliance  étroite  entre  l'industrie  et 
la  charité  chrétienne;  il  y  adjura 
le  gouvernement  de  s'occuper  sans 
relâche  de  ramôlioration  des  clas- 
st3s  ouvrières,  et  regretta  que  la 
prévision  des  pratiques  religieuses 
n'entrât  pas  pour  une  plus  forte 
part  dans  le  projet  essentiellement 
moralisateur  du  minislèi  o.  Ce  dis- 
cours, conçu  dans  un  ordre  d'i- 
dées étranger  depuis  plusieurs 
années  aux  débats  législatifs,  pro- 
duisit une  sensation  vive  et  favora- 
ble.—  La  révolution  de  1848  amena 
le  terme  de  la  vie  parlementaire 
d'Alban  de  Villeneuve  ,  comme 
celle  de  1830  avait  marqué  la  lin 
de  sa  carrière  administrative.  De- 
puis celte  époque,  sa  santé,  natu- 
rellement faible,  ne  cessa  de  dé- 
cliner. Il  mourut  à  Paris  le  8  juin 
1850,  laissant  dans  l'Académie  des 
sciences  morales,  à  laquelle  il  ap- 
partenait comme  membre  ordi- 
naire, un  vide  diflicile  a  combler, 
et  là,  comme  partout  ailleurs ,  la 
réputation  d'un  immense  amour  du 
bien  public  servi  par  un  profond 
savoir  et  par  une  intelligence  pé- 
nétrante et  exercée.  Il  avait  re- 
commandé que  ses  restes  fussent 
transfères  à  Bargemon  et  déposés 
sans  aucun  appareil  dans  le  caveau 
de  ses  ancêtres.  Alban  de  Ville- 
neuve avait  épousé  en  première 
noces  mademoiselle  de  Frègose, 
dont  il  eut  deux  filles,  et  eu  se- 
condes noces  mademoiselle  de  (2a- 


538 


VIL 


ViL 


nisy,  belle-fille  du  duc  de  Vicence; 
il  en  a  eu  un  fils  et  une  fille,  ma- 
riée au  comte  L-nncs  de  iMoiiie- 
bello,  iroisième  (Us  du  maréchal. 
—  M.  Jules  Nollet,  archiviste  de  la 
Société  lorraine  de  l'Un  ion  des 
Arts,  a  publié  à  Nancy,  en  1851, 
une  notice  étendue  sur  la  vie  et 
les  travaux  du  vicomte  de  Ville- 
neuve. M.  le  comte  de  Marseille- 
Civry  en  a  entretenu  les  lecteurs 
du  Monilcur  de  l'Avenir  dt  Bruxel- 
les, et  M.  de  Godefroy-Mesniî-Glaise 
lui  a  consacré  un  intéressant  arti- 
cle dans  les  Annales  de  la  Charité. 
A.  B— ÉE. 
VILLEINEm  E  -  BARGEMON 
(Louis-François  de),  marquis  de 
Trans,  frère  jumeau  du  précédent, 
gentilhomme  de  la  chambre  du  roi 
Charles  X,  membre  de  l'Iuslitul, 
chevalie:-  de  Saint-Jean  de  Jérusa- 
lem, etc.,  naquit  au  château  de 
Saint-Auban,  le  8  août  1784.  La 
faiblesse  de  sa  santé  et  son  pen- 
chant marqué  pour  la  littérature  et 
les  arts  hî  délournèreni  de  la  car- 
rière des  emplois  publics,  que  ses 
frèresavaient  embrasséeavec éclat. 
Il  consacra  sa  jeunesse  à  des  études 
fortes  et  variées,  et  publia  en  1824, 
sans  nom  d'auteur,  un  roman  his- 
torique intitulé  :  Lyonnel,  ou  la 
Provence  au  xiu" siècle  (Paris,  4  vol. 
in-12).  L'année  suivante,  Ville- 
neuve fit  paraître  une  Hisloire  de 
liené  d'Anjou,  roi  de  Naples,  duc  de 
Lorraine  (Paris,  3  vol.  in-8").  Cet 
ouvrage,  qui  se  distingue  par  un 
mérite  louable  d'exactitude  et  de 
recherches,  obtint  du  succès  et  fut 
particulièrement  bien  accueilli 
dans  la  pairie  de  l'auteur,  où  le 
nom  du  roi  René,  mort  en  1480, 
avait  conservé  une  populaiité  ira- 
dilionnclle.  Lu  1829,  le  laborieux 
écrivain  fil  imprimer  une  Histoire 
des  monuments  des  grands -mai  1res 


de  SauU-Jeau  dcJcrusaleniàRliodes 
et  à  Malle,  avec  gravures  et  por- 
traits. (Paris,  2  vol.  grand  in-îol.) 
Bel  et  capital  hommage  îi  la  gloire 
d'un  ordre  auquel  sa  propre  fa- 
mille avait  donné  plusieurs  grands- 
maîtres,  cl  dont  l'existence  n'avait 
pas  embrassé  moins  de  sept  siècles 
de  durée.  Il  publia  en  1836  l'His- 
toire de  Sainl-Louis,  roi  de  France. 
(Paris,  3  vol.  in-8*.)  Ce  fut  à  la 
suite  de  ce  dernier  ouvriige,  résu- 
mé sobre  et  soigneusement  com- 
posé des  nombreux  documents  qui 
nous  restent  sur  un  des  règnes  les 
plus  glorieux  de  nos  annales,  que 
Villeneuve  entra  à  l'Institut.  Il  fut 
élu  le  10  janvier  1840,  membre 
libre  de  l'Académie  des  inscriptions 
et  belles-lettres,  en  remplacement 
du  duc  de  Blacas.  Villeneuve  ap- 
pari  nait  depuis  1821  à  l'Académie 
de  Nancy,  ville  où  l'avait  attiré  la 
présence  de  son  frère  Alban,  pré- 
fet du  département  delà  Meuithe, 
et  où  l'avait  fixé  définitivement 
son  mariage  avec  mademoiselle  de 
Montureux-Fiquelmon,  issue  d'une 
des  familles  les  plus  distinguées 
de  la  Lorraine.  Cette  province,  si 
riche  en  souvenirs  historiques , 
fournit  au  marquis  de  Villeneuve 
de  nouveaux  sujets  d'exercer  son 
goût  pour  l'énidilion.  11  avait  pu- 
blié on  1826  et  1827,  sous  le  titre 
de  Chapelle  ducale  de  Nanoj,  une 
notice  pleine  d'intérèi  sur  les  ducs 
de  Lorraine.  En  1838  il  lut  à  l'a- 
cadémie de  Stanislas  une  autre 
notice  également  curieuse  sur  la 
tapisserie  de  Charles  le  Téméraire, 
conservée  à  la  cour  royale  de  Nancy, 
qui  fui  imprimée,  et  en  1831J  un 
mémo'wc  sur  lestombeaux  de  Charles 
le  Tenter  aire  à  Nancy  et  à  Druyes, 
mémoire  qui  a  été  égaleuient  pu- 
blié. Indépendammiuil  de  ces  ou- 
vriJges,  on  porsèdc  encore  de  Ville- 


VIL 


VIL 


539 


neuve-Traas  un  Précis  de  l'histoire 
en  général  jusqu'à  nos  jours.  (Paris, 
1821,  io-S".)»  (les  notice»  sur  René 
d'ADjoii  et  sur  le  sire  de  Joinville, 
insérées  au  Plularque  français,  et 
plusieurs  discours  prononcés  par 
lui  comme  président  du  congrès 
scientifique  réuni  à  Metz  en  1837. 
Enfin,  il  se  proposait  de  doter  sa 
patiie  adoptive  d'une  histoire  gé- 
nérale de  ces  ducs  de  Lorraine  dont 
la  valeur  et  la  haute  mine  faisaient 
dire  a  Brauiùme  que  t<'Usles  autres 
princes  paraissaient  peuple  auprès 
d'eux,  lorsque  l'affaiblissenient  gra- 
duel de  sa  santiî  le  contraignit  d'in- 
terrompre ses  recherches.  La  mort 
du  vicomte  Alban  de  Villeneuve, 
son  frère  jumeau,  auquel  il  était 
tendrement  uni,  détermina  dans  sa 
situation,  à  la  suite  de  plusieurs 
années  do  lansueur.  une  crise  fa- 
tale. Trois  muis  et  demi  après  ce 
douloureux  événement,  le  19  sep- 
tembre 1850,  François  de  Ville- 
ncuTf  s'éteignit  à  GG  ans,  dans  jes 
sentiments  religieux  qu'il  avait  pui- 
sés au  sein  d'une  famiile  d'élite  et 
auxquels  il  n'avait  cesbé  d'èire  fi- 
dèle durant  le  cours  de  sa  vie.  M.  du 
Haldat,  au  nom  de  rAcadémie  de 
Nanty,  prononçi  sur  sa  tombe  une 
allocution  da:.s  laquelle  il  rappela 
sommairement  ses  principaux  litres 
à  la  renomnice  historique.  Ce  sa- 
vant distingué  ne  se  recommandait 
pas  moins  par  sou  extrême  mo- 
destie que  par  retendue  de  ses  con- 
naissances. Doué  d'une  instruction 
moins  spéciale  que  son  irére  Alban, 
il  présentait  avec  lui  d'autres  traits 
de  similitude  dont  la  biographie 
ne  saurait  négliger  robserv;4lion. 
Tous  deux,  décores  des  mêmes  or- 
dres ,  appartenaient  aux  mêmes 
corp^  lillérairefe,  professai;  ut  avec 
une  égale  tolérance  les  même  sen- 
timents religieux   et  jtolitiques,  et 


se  faisaient  remarquer  par  l'exquise 
aménité  de  leurs  formes.  Lnfin,  il 
existait  entre  les  deux  frères,  sur- 
tout dans  leur  première  jeunesse, 
une  ressemblance  physique  telle- 
ment complète  que  les  membres 
de  leurs  famille,  et  jusqu  à  leur 
propre  mère,  s'y  trompaient  eux- 
mêmes  et  les  confondaient  fré- 
quemment l'un  avec  l'autre.  Le 
marquisat  de  Trans,  qi^c  Fran- 
çois de  Villeneuve  avait  acqui?  par 
la  cession  du  titulaire,  était  le 
plus  ancien  de  France  et  apparte- 
nait de  temps  immémorial  à  l'une 
des  branches  de  lafamil  e  de  Ville- 
neuve. François  de  Villeneuve 
avait  eu  de  son  mariage  deux  tUles 
et  un  fils  qui  fera  le  sujet  d'un 
des  articles  suivants.  A.  B— ée. 
VILLKNELVE  -  BARGEMOiX 
(Jean-Baptiste,  vicomte  de",  frère 
des  précédents,  capitaiiie  de  vais- 
seau, chevalier  de  Saint-Louis,  of- 
ficier de  la  Légion  d'honneur, 
chevalier  des  ordres  de  l'Eperon 
d'or  et  de  Saint-Ferdinand,  un  des 
marins  de  nos  jours  dont  la  car- 
rière a  été  la  plus  honorable  et  la 
mieux  remplie,  naquit  à  Bargemon 
le  28  novembre  1788.  Il  entra  au 
service  maritime  à  quinze  ans,  en 
qualité  de  simple  matt.lot,  et  fut 
admis,  après  s-^pl  mois  d'embarque- 
ment dans  la  rade  de  Toulon,  au 
grade  d'aspirant  de  2'  classe.  1/a- 
miril  de  Villeneuve- Valensole,  son 
parent,  étant  venu  prendre  le  cora- 
mandeni:  ntde  l'escadre  de  Toulon, 
le  jeurie  de  Villeneuve  fut  aliache 
à  son  étal-majt)!',  et  fit  sur  le  liu- 
ceuîaure,  qui  portait  sou  pavillo!), 
une  campagne  aux  Antilles.  Il 
coopéra,  dans  les  embarcations  de 
ce  vaisseau,  k  la  prise  et  à  la  des- 
truction du  fo;t  le  Diamant,  où  les 
Anglais  s'étaient  établis  pre^  de  la 
Martinique,  et  assista  lu  2:2  juillet 


oiO 


VIL 


iSOU  au  combat  du  Finistère,  dout 
les  résultats  furent  à  peu  près  in- 
signifiants de   part  et  d'autre.  Le 
21  octobre  de  la  môme  année,  Vil- 
leneuve prit  part  à  la  sanglante  et 
désastreuse  bataille  de  Trafalgar, 
que  ramirai  Nelso:],  en  personne, 
livra,  à  la  tête  de  33  voiles,   aux 
flottes  française  et  espagnole  com- 
binées, sous  les  ordres  des   ami- 
raux de  Villeneuve  et  Gravina,  et 
qui  se  composaient   d'un  nombre 
égal  de  vaisseaux  de   ligne,  dont 
quinze  espagnols,  armés   pour  la 
plupart   d'équipages  peu   expéri- 
mentés. L'amiral  anglais  fut  frappé 
mortellement  d'une  balle  presque 
au  début  de  l'action  ;  mais  le  vice- 
amiral  Collingwood,  qui  prit  aus- 
sitôt le  commandement,   exécuta 
avec  autant  de   vigueur  que  d'a- 
dresse la    manœuvre    audacieuse 
conçue   par  son  chef,  et  par  suite 
de  laquelle  la  ligne    française    se 
trouva  coupée  sur  plusieurs  points. 
Au  bout  de  trois  heures  et  demie 
de  combat,  l'amiraf  de  Villeneuve, 
qui   n'avait  cessé  de   déployer  la 
plus  ferme  intrépidité,   voyant  son 
vaisseau  totalement  démâté  et  dé- 
semparé, et  reconnaissant  l'impos- 
sibilité   de   passer  sur    un    autre 
bord,  donna  l'ordre  d'amener  son 
pavillon.  Il  fut  reçu  par  la  frégate 
r£î/r?/a/oMs,  chargée  de  le  conduire 
en  Angleterre,  et  sur  laquelle,  par 
une  destinée  trop  commune  dans 
la  vie  militaire,  se  trouvait  égale- 
ment le  corps  inanimé  de  Nelson, 
séparé  de  son  captif  [)ar  un  simple 
rideau  de  serge!  L'amiral  espagnol 
Gravina,  grièvement  blessé,  mourut 
un   mois  après    cette    déplorable 
journée,  qui  coûta  également  la  vie 
au  contre-amiral  Magon  et  à   dix 
capitaines    de    vaisseau.   L'armée 
comiiinée  y    perdit  dix-sept  vais- 
seaux ;  mais  !a  plupart  coulèrent 


ML 

bas   par  suite  de  leurs  avaries,  et 
les  vainqueurs  ne  purent  faire  en- 
trer  dans  le   port  de    Gibraltrar 
qu'un  seul  navire  français  et  trois 
bâtiments  espagnols.  Le   jeune  de 
Villeneuve    sollicita  vivement    de 
son   parent   et  de  son  bienfaiteur 
la    permission   d'aller  partager   sa 
captivité  sur  le  sol  anglais.  Mais  le 
généreux   amiral    refusa  obstiné- 
ment d'associer  l\  sa  mauvaise  for- 
tune un  officier  plein  d'espérance; 
il  souhaita   au  jeune    marin    un 
«  avenir  plus  heureux  que  le  sien,  » 
puis  ilsseséparèrent  pour  ne  plus  se 
revoir.  Ou  sait  que  l'infortuné  Vil- 
leneuve, accablé  du  sentiment  de 
son  revers,  et  redoutant  les  sévé- 
rités   du  gouvernement    imj)érial, 
mit  fin  à  ses  jours  quelques  mois 
plus  tard,  dans  un  hôtel  de  Rennes 
où  il  était  descendu,  au  retour  de 
sa  captivité.  Après  diverses  campa- 
gnes au  Sénégal ,  à  Cayenne  et  à 
la  Martinique,    Baptiste   de  Ville- 
neuve  fut  admis  le  22  décembre 
1806  au  grade  d'aspirant  de  pre- 
mière classe,   et  obtint  tiois  ans 
plus  tard  celui  d'enseigne  de  vais- 
seau, à  la  suite  de   la  part   qu'il 
avait  prise  à  la  capture  (28  fév.  1 809) , 
delà  frégate  anglaise  la  Proserpine, 
dans  les  parages  de  La  Ciotat.  Ce 
coup  de  main  hardi,  conçu  et  exé- 
cuté par  le  capitaine  Dubourdieu, 
marin  plein  d'énergie  et  d'activité, 
appauvrit  la  marine  anglaise  d'un 
bâtiment  de  quarante-deux  canons 
et  d'une  trentaine  de  combattants. 
Tout  en  applaudissant  à  ce  fait  d'ar- 
mes, Villeneuve  observa,  dit-il,  avec 
un    sentiment  d'humiliation   l'em- 
pressement par  lequel  la  population 
loulonnaise   vint  témoigner   com- 
bien étaient  rares  à  cette  époque 
nos  succès  maritimes.  Les  Anglais 
bloquaient  toujours  étroitement  le 
port  de  Toulon,  et  s'efforçaient  en 


VIL 

vain  d'enirainer  nos  vaisseaux  au 
large    par   d'impuissantes    escar- 
mouches. L'occasion  s'offrit  enûn 
pour  Villeneuve  d'échapper  à  cette 
vie  dénuée  de  gloire  et  de  périls. 
Dubourdieu  fut  appelé  vers  le  mi- 
lieu  de    1810  au   coranii^ndement 
des  forces  uavales  de  la  mer  Adria- 
tique. Il  purlii  immédiatement  pour 
Venise  et  demanda  au  ministre  pour 
aide  de  camp   le  jeune   enseigne 
qui  l'avait  si  bien  secondé  ap  com- 
bat de  La  Ciotat.  Villeneuve  rejoi- 
gnit son  chef  au  mois  de  décem- 
bre 1810,  avec  un  de  ses  amis,  le 
jeune    Armand     dr    Chateauville. 
Tous  deux  virent  en  passant  à  Sa- 
vone  le  pape  Pie  VII ,  qui  y  était 
exilé,  et  dont  ils  fareiit  traités  avec 
une  bienveillance  particulière  ;  ils 
arrivèrent  à  Venise,  où  Villeneuve 
séjourna  jusqu'au    mois  de    mars 
18M,  époque  lixée  par  Duiiourdieu 
pour  une  importante    expédition 
sur  Tile  de  Lissa.  Cette  petite  ile, 
située  au  milieu  de  l'Adriatique, 
entretenait,  sous  la  protection  des 
Anglais,  une   foule    de    corsaires 
qui  portaient  un  préjudice  notable 
au  commerce  de  ces  contrées.  L'in- 
Irépide     Dubourdieu    pioposa   au 
vice-roi  d'Italie  d'autoriser  une  at- 
taque dont  l'objet  serait  d'enieverce 
poste  à  la  domination  biilannique, 
et  d'en  prendre  délinitivement  pos- 
session au  nom  de  la  Fiance.  Plu- 
sieurs frégates  françaises  et  italien- 
nes, deux  corvettes,  un  brick  et  une 
goélette  furent  réunis  à  Aucune  à 
la  fln  de  février  1811,  avec  quel- 
ques troupes  de  débarquement.  Le 
13  mars,  le  combat  s'engagea  vive- 
ment  conire  quatre   frégates  an- 
glaises qui   couvraient  l'enlrée  du 
port;  peu  d'instants  a|)res,  le  hravr 
capitaine,  mortellement  alieinl  d'un 
bisi-aïtMi  (pli  lui  avait  fracassé  la 
poitrine,  tomb^ùt  dans  les  bras  en- 


VI L 


5/il 


sanglantes  de   son    aide  de  camp. 
Le  feu  continua   néanmoins   avec 
acharnement;    mais  la   mort  suc- 
cessive des  principaux  officiers  de 
l'escadre  frani^'/ise  et  l'echouement 
de  la   Favorite,   frégate  du  com- 
mandement, déterminèrent   la  re- 
traite   d'ime   partie   de    nos  bâti- 
ments et  la  prise  de  quelques  au- 
tres; plus  d'un  tiers  de  réquij)age 
fut  mis  hors  de  combat;  les  ofli- 
ciers  survivants  de  la  Favorite,  re- 
çus à  bord  d'une  embarcation  de 
secours,  n'osèrent  ramener    avec 
eux  la  dépouille  mortelle   de  leur 
infortuné    commandant,   dans    la 
crainte    qu'elle    ne    tombât    aux 
mains  des  Anglais;  ils  préférèrent 
lui  donner  la  sépulture  des  flots  de 
l'Adriatique ,  où  elle  s'abîma  dans 
les  flancs  incendiés  de  sa  propre 
frégate.  Villeneuve  et  ceux  de  ses 
compagnons  qui  avaient   échappé 
à  ce  grand  désastre,  débarquèrent 
dansl'ile,  et  conçurent  un  moment 
l'idée  de  s'y  établir  et  d'en  défendre 
l'accî's     aux    bâtiments    anglais  ; 
mais  cette  témerilé  (il  place  it  la 
paisible  occupation  de  quelques  bû- 
timents  amarrés  au  quai  du  bourg 
Saint-Oorges,  capitale  de  l'ile,  sur 
lesquels  ils  franchirent  létroit  pas- 
sage qui  sépare  Lissa  de  la  côte 
d'illyrie.  Réduit  au   dénùment  le 
plus  absolu,  Villeneuve  atteignit  à 
travers  des  dillicultés  inlinie?,  au 
bout  de  trois  jours  de  marche,  le 
port  de  Trieste,  où  quehpies  per- 
sonnes qu'il  connaissail  lui  procu- 
rèrent  les   moyens  de  se    rendre 
commodément   îi  Venise.  H  y  ap- 
prit qu'un  décret  impérial   du   1" 
avril    1811    le   nonunail   chevalier 
de  la  Lésion  d'honneur,  distinc- 
tion  fort  enviée  à  cette  époque, 
parce  iju'elle  n'élait  pas  prodiguée, 
et  d'autant  plus  llalteuse  pour  Vil- 
leneuve, alors  ii^é  de  vingt-deux 


562 


VIL 


VIL 


ans,  qu'il  se  trouvait  le  seul  luariu 
de  son  gracie  qui  en  fût  revtMu. 
Villeneuve  fui  accueilli  avfc  une 
bienveillance  marquée  par  le  ^ice- 
roi,  qui  lui  offrit  d'entrer  dans  la 
marine  italienne  avec  cie  l'avance- 
mcnt;  niais  il  résista  h  cette  offre 
(.  t  retourna  àToulon,  où  il  fit  partie, 
jusqu'en  18i4.de  l'escadre  com- 
mandée par  l'amiral  Émériau.  Ce 
fut  à  Monaco  que  Villeneuve,  em- 
barqué comnne  second  sur  le  brick 
le  Faune,  apiril  les  événements 
qui,  en  préparant  la  conc  usion 
de  la  paix  générale,  allaient  r  iidre 
Ja  liberté  aux  mers.  La  population 
de  ces  contrées,  violemment  exas- 
pérée contre  le  régime  impérial 
par  de  iongr.es  souffrances,  exigeait 
que  les  officiers  du  l);i  k  arboras- 
sent le  draoeau  blanc,  et  Ville- 
neuve, signalé  comme  bonapar- 
tiste, Il  raison  du  i  uhan  rouge  qu'il 
portait  iï  sa  boutonnière,  courut 
p.rsonnellcmenl  de  grands  dan- 
gers. Il  fallut  ubtr  (Je  beaucoup  de 
prudence  pour  prévenir  de  san- 
gla»:t<  conflits.  Villeneuve  se  ren- 
dit il  ïouion  et  y  fut  témoin  des 
iûches  et  nombreuses  apostasies 
qui  se  produisirent  parmi  les  au- 
lorilés  ci-.iles  et  militaires  de  ce 
port  de  mer,  à  l'occasion  de  la 
chute  du  gouvernement  de  Napo- 
léon. ^  Combien  de  chefs  dévoués 
la  veille  à  la  fortune  de  l'Empe- 
reur, écrivait- il,  le  Iraitjient  au- 

jourd  Uui  d'tw/fîmtf  usurpateur! 

La  frénésie  avait  atteint  toutes  les 
classes  de  la  société.  Les  dames 
les  plus  considérables  de  la  ville 
figuraient  aux  fjrandoles,formaient 
les  rondes  autour  dfs  fcuï  de  joie 
dans  lesquels  on  ne  m^Jinpiait  ja- 
mais de  jeter  le  buste  de  Napoléon 
et  le  drapeau  tricolore,  en  les  y 
accompi'.gnant  de  malediclions. 
Faiigué  de  ces  clameurs  incessan- 


tes et  de  ces  manifestations  fana- 
tiques, ajoute  Villeneuve,*  je  quit- 
tais peu  mon  bâtiment,  et  le  calme 
de  mon  attitude  me  faisait  sans 
doute  passer  aux  yeux  des  exaltés 
pour  un  homme  très-froid  aux  évé- 
nements nouveaux,  tandis  que,  plus 
que  beaucoup  d'autres,  je  sentais 
le  besoin  de  paix  et  de  repos  que 
réclamait  notre  patrie  pour  ci- 
catriser ses .  plaies,  et  je  rendais 
grâce  à  la  Providence  de  consacrer, 
par  le  retour  du  mongrque  légitime, 
ce  grand  principe  d'hérédité  qui  a 
préservé  la  France  pendiiUt  tant  de 
siècles  du  danger  des  usurpa- 
tions(t).  »  Le  bâtiment  que  montait 
Villeneuve  fut  chargé,  au  mois  de 
juillet,  d'aller  nolilier  au  dey  d'Al- 
ger et  i  Temperenr  du  Maroc  l'a- 
vénement  du  roi  Louis XVlll,  et  de 
porter  au  premi-^r  de  ces  souve- 
rains les  présents  d'usage.  Le  jeune 
officier  fut  révolté  de  l'air  de  dé- 
dain avec  lequel  le  dey  et  sa  cour 
reçurent  les  communications  du 
roi  de  France,  et  chacun  des  en- 
voyés forma  dans  le  fond  du  cœur 
le  vœu ,  qui  devait  être  exauce 
seize  ans  plus  tard,  qu'un  jour  ar- 
rivât où  une  puissance  chrétienne 
se  chargerait  de  détruiie  ce  repaire 
de  pirates,  en  y  implantant  le  dra- 
peau de  11  civilisation.  Le  dey 
envoya  Ji  bord  du  brick,  suivaui 
l'usage,  une  embarcation  chargée 
de  volailles,  de  légumes  et  de 
quelques  moutons  pour  l'équipage; 
mais  à  peine  ces  prétendus  présents 
étaicnl-iU  arrivés  sur  le  brick,  que 
le  paiement  en  était  réclamé  à  la 
chancellerie  de  notre  consulat.  Le 
«juillet  18U,  Villeneuve  fut  promu 
au  grade  de  lieutenant  de  v;iisseau. 


(1)  Mém.  iiié.lils  du  comte  de  Yillc- 
nenve. 


i 


VIL 

I!  étoit  eu  sialion  n  Toulon  lors- 
que, dans  les  premiers  jours  de 
mars  1815,  se  répandit  la  nouvelle 
du  débarquement  de  Napoléon  au 
go'fe  Juan. Cet  événement,  accueilli 
d'abord  avec  stupeur  par  la  ma- 
rine et  par  la  {jopuîa'ion,  fournil 
bientôt  au  parti  bonapartiste  l'oc- 
casion de  prendre  sa  revanche 
sur  les  manifestations  de  l'année 
précédente.  La  prudence  des  auto- 
rités ronlint  dans  de  justes  limites 
ces  dangereuses  représuiiles,  mal- 
gré certaines  excitations  révoîn- 
tionnalres  venues  de  haut  {\),  et  la 
crise  des  Cent-Jours,  marquée  par 
des  excès  si  déplorables  dans  les 
départem.nts  voisins,  fut  franchie 
sans  trop  de  désordres  par  cette 
inflammable  population.  Après 
aroir  été  attaché  comm'^  aide  de 
camp  à  l'amiral  Missiessy,  préfel 
maritime  de  Toulon,  l'un  des  hom- 
mes qui  ont  fait  le  plus  d'honueur 
à  la  mniine  française,  VilIeneuTc 
reçut  une  destination  moins  pré- 
caire. Il  futnomme,enoctobre  1815, 
au  commandement  de  la  gabarre 
VEmulation,  d'où  il  passa,  le  1" 
mars  1810,  à  celui  de  la  goëlelle 
le  Momus,  joli  bâtiment  de  JO  ca- 
nons et  de  GO  hommes  d'équipage, 
qui,  après  une  station  de  trois 
mois  à  Dastia,  fut  envoyé  en  croi- 
sière sur  les  cotes  d'Italie,  afin  d'y 
proléger  les  navires  pouliiiia;:i 
contre  les  coriaires  barbaresqucs. 
Celte  mission, que  Villeneuve  rem- 
plit avec  Zi'le  et  succès,  lui  valut, 
du  pape  Pie  VU,  la  décoration  de 
IF'iperon  d'or,  ordre  fo:;dc  en  1559 
par  Pie  IV,  el  qui  ne  s'accordait 
dans  le  priricipe  qu'à  de  grands 
personnages  ou  ii  d'éminents  ser- 


(1)  M<  ni.  indits  du  comte  de  Ville- 
ncQve. 


VIL 


5/i3 


vices.  I!  reprit  ensuite  ses  l'ouclions 
auprès  de  i'amlral.  Lors  du  mariage 
de  ir.  duc  de  Berri  avec  la  princesse 
Caroline  de  Naples,  le  comte  de 
Missiessy  ledésii^^ia  pouralleroffrir 
à  raug;iste  fiancée  les  hommages 
de  !a  marine  française.  Villeneuve 
fut  reçu  à  la  cour  des  Deui-Siciles 
et  assista  à  toutes  les  fêtes  qui  y 
furent  données  à  l'occasion  de  celle 
alliance  de  frimiile  dont  le  dcnoû- 
ment  devait  être  si  funeste.  Au 
mois  d'août  1819,  Vi.Meneuve,  âgé 
d'un  peu  plus  de  trente  ans,  reçut 
le  brevet  de  chevalier  de  Saint- 
Louis;  il  fut  nommé  quelques  mois 
plus  tard  (juin  1820)  commandant 
du  brick  le  Lézard,  et  (  hargé  de 
diriger  la  station  de  la  Guyane  fran- 
çaise, qui  se  compo.sui:  du  brick 
Visère  el  de  deux  bâtiments  légers. 
Il  jeta  l'ancre  dans  la  rade  de 
Cayenne  aprèsquarante-deux  jours 
de  navigation  et  s'occupa  immédia- 
tement de  resserrer  dans  cette 
division  les  liens  fort  relâchés  de 
la  discipline.  .Ses  efforts,  long- 
temps contrariés  par  le  caraclèrc 
alliîr  et  (.'('spotiquc  de  M.  de 
Laussal,  gouverneur  de  la  colo- 
nie, furent  progressivement  cou- 
ronnés de  succès.  Là  ne  se 
bornèrent  pas  les  soins  persévé- 
rants de  Villeneuve.  I!  explora  les 
euvirous  de  la  colonie  avec  !e  zèle 
d'uu  observateur  at;enlif,  remocla 
jusqu'au  Para  le  beau  fl  "uve  .des 
Anuxones,  parcourut  la  lîarbade, 
la  Martinique,  l'ilc  de  Crcnade  et 
la  Guadeloupe,  et  recueillit  d'iolé- 
ressantes  notions  surle.s  peuplades 
plus  ou  moi  us  rapprochées  du  chef- 
lieu  de  sa  station.  11  s'attacha  .^oi- 
gnwisemeul  surtout  à  observer  les 
rapports  des  colons  avec  leurs  es- 
c.a\es,  à  pénétrer  dans  les  detailg 
de  la  vie  de  ces  derniers,  h  élu  îirr 
1  nrs  !:  (p",r«^  et  '  •  meilleur  p.irti  à 


bh'i 


ML 


VIL 


liier  de  leur»  services,  soit  dans 
leur  propre  intérêt,  FOit  dans  celui 
du  gouYeinement.  Villeneuve  rédi- 
gea sur  tous  ces  points,  si  étroite- 
ment unis  à  notre  avenir  commer- 
cial et  à  la  prospérité  de  nos 
possessions  équatoriales,  un  mé- 
moire circonstancié,  qu'il  adressa 
au  ministre  de  la  marine.  Ville- 
neuve fit  plus  encore  :  il  profita 
plus  tard  dHin  séjour  à  Paris 
pour  solliciter,  par  l'entremise  du 
cardinal  de  Beausset,  son  oncle, 
une  audience  particulière  du  roi 
Louis  XVIIl,  auquel  il  transmit  ses 
observations  et  ses  vue».  Mais  les 
embarras  incessants  de  la  politi- 
que intérieure  ne  permirent  pas 
au  gouvernement  d'accorder  à  ces 
importantes  communications  toute 
l'attention  qu'elles  méritaient.  Au 
fcout  de  vingt  mois  de  séjour  ii  la 
Guyane  (1),  Villeneuve  reçut  l'or- 


(1)  Pendant  cette  station,  Villeneuve 
eut  l'occasion  de  se  rencU'o  a  Tile  de 
Grenade,  où  il  aniv;i  la  veille  du  jour 
de  Saint-Georges,  fôte  du  roi  tP Angle- 
terre. 11  cite  dans  ses  nîémoires  un 
procédé  remarquable  de  délicatesse  et 
d'originalité  dont  le  lieutenant-général, 
.  sir  Thomas  Ryat,  gouverneur  de  cette 
colonie  anglaise,  usa  a  son  égard  en 
cette  circonstance.  Ce  général  invita 
Villeneuve  et  son  étal-major  a  un  grand 
repas  qu'il  donnait  a  toutes  les  autori- 
tés de  l'ile ,  et  qui  se  prolongea  pen- 
dant près  de  qualie  heures.  Villeneuve, 
qui  o(  cupait  la  droite  du  gouverneur, 
avait  remarqué  avec  surpiisc  que  les 
verres  placés  devant  les  oflicieis  fran- 
çais étaient  tous  de  couleur  foncée, 
tandi  que  ceux  dont  se  servaient  les 
Anglais  étaient  en  cristal  pur.  Il  en  de- 
manda le  motif  a  son  amphytrion,  qui, 
après  l'avoir  laissé  chercher  pendant 
quelques  instants:  «Aujourd'hui,  grande 
fête  nalion;il<',  loi  répondit-il,  tous  nos 
honorables  eompatrioles  vont  célébrer 
dignement  le  nom  de  notie  roi  en  bu- 
vant outre  mesure.  Avant  la  lin  du  di- 
ner,  les  trois  quarts  d'entre  eux  seront 
complètement  ivres  et  préls  a  tomber 


dre  de  quitter  cette  hospitalière  et 
intéressante  colonie,  et  il  mouilla 
dans  la  rade  de  Toulon  le  10  mars 
4822.  Quatre  mois  plus  tard,  le  17 
août,  il  fut  nommé  capitaine  de 
frégate,  et  le  1"  janvier  1824,  em- 
barqué comme  second  sur  la  Ga- 
lalée,  d'où  il  passa  bientôt  au  com- 
mandement  de   la    corvette    Visis 
dé.  20  canons,  sur  laquelle  il  fii 
voile  pour  les  côtes  du  Levant.  C'é- 
tait l'époque  du  plus  fort  de  la  lutte 
entre  les  Turcs  et  les  Grecs.  Ville- 
neuve fut  témoin  de  la  plupart  des 
combats  acharnés  que  se  livrèrent 
les  marins  des  deux  nations,  et  il 
admira  de  près  la  bravoure  à  la  fois 
calme  et  impétueuse  de  ce  Canaris, 
dont    les   exploits    passionnèrent 
l'Europe  pour  une  cause  plus  inté- 
ressante par  son  principe  que  par 
le  caractère  et  la  moralité  du  peu- 
ple au  profit  duquel  elle  se  débat- 
tait. Le  généreux  marin  ne  manqua 
point,  pour  sa  part,  à  la  mission 
d'humanité  que  la   France  s'était 
donnée  avant  d'intervenir  plus  ac- 
tivement dans  ce  formidable  con- 
flit.  Dans  les  premiers  jours  de 
juillet  1823,  Villeneuve  rencontra 
au  nord  d'ipsara  la  flotte  turque 
qui,  sous  les  ordres  du  capitan- 
pacha,  se  disposait  k  attaquer  cette 
petite  île,  importante  par  ses  res- 
sources maritimes  et  sa   position. 
Les  Turcs  débarquèrent  sans  dilfi- 


sous  la  table.  J'ai  voulu  vous  épargner 
cette  honte  en  vous  donnant  le  moyeu 
de  répondre  aux  nombreux  toasts  que 
l'on  vous  portera  sans  vider  vos  verres, 
dont  la  couleur  sombre  cache  le  con- 
tenu ;  de  celle  manière  vous  pourrez 
n'en  boire  que  quelques  gouttes,  et  ce 
soir  vous  regagnerez  votre  bâtiment  sans 
que  l'on  soit  dans  la  nécessité  de  vous 
y  rappoiter.  n  Cet  exemple  do  gentle- 
manic  britannique  m'a  paru  assez  ca- 
ractéri»tiquc  pour  devoir  être  recueilli. 


4 


VIL 

culte  dans  le  nord  de  l'île  et  firent 
un  massacre  affreux  des  femmes 
et  des  enfants  que  les  insulaires, 
cédant  à  des  forces  décuples , 
avaient  abandonnés  à  la  férocité 
des  impitoyables  assaillants.  Les 
hommes  s'étaient  réfugiés,  suivis 
de  quelques  femmes,  dans  le  fort 
Saini-Nicolo ,  situé  sur  la  cime 
d'une  haute  montagne  et  défendu 
par  dix  à  douze  canons.  Les  Turcs, 
après  avoir  accompli  par  le  fer  et 
le  feu  leur  œuvre  de  destruction, 
commencèrent  à  grayir  les  pentes 
du  rocher  et  à  menacer  le  fort,  qui 
tirait  sur  eux  sans  relâche.  Ville- 
neuve essaya  de  s'interposer  entre 
les  combattants  et  d'obtenir  la  ces- 
sation des  hostilités,  à  condition 
que  les  Grecs  abandonneraient 
leurs  possessions  moyennant  la 
promesse  d'être  condiiits  sous  son 
escorte  dans  une  île  neutre.  Le 
chef  ottoman  acquiesça  à  ces  pro- 
positions, mais  les  assiégés  les  re- 
poussèrent obstinément  et  se  con- 
tentèrent de  montrer  au  parlemen- 
taire le  drapeau  blanc  et  bleu,  au 
milieu  duquel  étaient  écrits  cei 
mots  :  Vaincre  ou  mourir  pour  notre 
liberté.  Quand  cette  résolution  fut 
rapportée  au  pacha  :  «  Dieu  est 
grand,  s'écria-t-il,  que  sa  volonté 
s'accomplisse!  »  L'attaque,  sus- 
pendue quelques  heures  ,  reprit 
avec  un  nouvel  acharnement;  mais 
les  Turcs,  foudroyés  par  leurs  en- 
nemis, avançaient  lentement,  et  ce 
ne  fut  que  le  troisième  jour  qu'ils 
purent  se  rallier  sous  les  murs  de 
la  forteresse  pour  tenter  un  assaut 
décisif.  Les  assiégés  firent  passer 
les  femmes  et  les  enfants  sous  le 
mur  opposé  h  l'attaque,  lequel  do- 
minait un  précipice  de  plus  de  deux 
cents  pieds  à  pic  sur  la  mer.  Les 
Turcs  s'élancèrent  dans  les  embra- 
sures du  fort ,  étreignant   leurs 

LXXXV 


VIL 


545 


ennemis  corps  à  corps;  mais,  a  ce 
moment,  une  effroyable  explosion 
se  fît  entendre;  les  Grecs  ne  vou- 
lant pas  survivre  à  leur  défaite 
ayaient  mis  le  feu  aux  poudres! 
La  flotte  française  vit  avec  effroi 
les  malheureuses  femmes  entraî- 
nées dans  l'abîme  avec  leurs  en- 
fants qu'elles  pressaient  convulsi- 
vement entre  leurs  bras.  Ville- 
neuve envoya  sur-le-champ  ses 
embarcations  dans  l'espoir  de  re- 
cueillir quelques-unes  de  ces  mal- 
heureuses créatures  ;  mais  la  mer  ne 
rendit  aucune  de  ses  victimes,  et  ce 
ne  fut  qu'à  la  faveur  de  fouilles  diri- 
gées avec  soin  dans  toutes  lescri- 
quesdurivage  pendant  la  nuit,  qu'il 
réussit  à  sauver  la  vie  de  cent 
cinquante-six  de  ces  infortunés, 
dont  le  petit  nombre  so  composait 
de  femmes  et  d'enfants.  Villeneuve 
les  reçut  à  son  bord  et  se  mit  en 
devoir  de  les  conduire  dans  le  port 
de  Syra.  Il  lui  fallut  dérouter,  par 
l'agilité  de  ses  manœuvres  les 
poursuites  d'une  grosse  frégate 
turque  qui  cherchait  à  serrer  de 
près  son  bâtiment,  pour  se  saisir 
sans  doute  des  captifs.  Mais  ce 
péril  conjuré  fit  place  â  un  danger 
plus  sérieux.  Le  capitaine  fui  in-^ 
formé  secrètement  d'un  complot 
ourdi  par  l'équipage  même  qu'il 
avait  si  généreusement  recueilli, 
dans  le  dessein  de  s'emparer  de  sa 
corvette  et  de  l'appliciuerau  service 
de  la  piraterie.  Villeneuve  refusa 
d'abord  de  croire  i\  cet  excès  d'in- 
gratitude; mais  bientôt  convaincu 
par  les  aveux  des  conjurés  eux- 
mêmes,  il  fil  melire  aux  fers  les 
chefs  du  complot  et  débarqua  ces 
ipisérables  dans  le  porlde  Naiiplie, 
oîi  ils  furent  remis  ù  M.  Colelli, 
depuis  ambassadeur  de  Grèce  à 
Paris.  Après  plus  d'un  au  passé 
dans  les  mers  du  Levant,  Ville- 

35 


546 


VIL 


VIL 


neuve  fut  appelé  2U  commande- 
ment de  la  station  de  Barcelone, 
destinée  à  protéger  les  intérêts  du 
commerce  français  et  à  préserver 
les  côtes  de  Catalogne  de  toute 
tentative  de  débarquement  des 
insurgés  espagnols.  Au  mois  d'oc- 
tobre 1826,  il  fut  chargé  de  com- 
mander la  corvette  1 1  Victorieuse, 
dont  la  destination  était  de  recevoir 
quarante-cinq  élèves  de  l'école 
navale  d'AngouK»me  et  de  déve- 
lopper leurs  connaissances  nauti- 
ques par  la  pratique  variée  des 
exercices  de  la  vie  maritime.  Par- 
faitement secondé  dans  cette  inté- 
ressante tâche  par  l'élat-major  et 
l'équipage  de  son  bâtiment,  Ville- 
neuve dirigea  successivement  ses 
explorations  sur  la  Corse,  Malte, 
Milo,  Syra,  Smyrne,  Athènes,  Té- 
nédos,  laTroade,  Lemnos,  Alexan- 
drie, d'où  les  voyageurs  partirent 
pour  faire  un  pèlerinage  en  Pales- 
tine. Villeneuve  adressa  les  détails 
de  cette  dernière  excursion  a  son 
frère,  le  marquis  de  Villeneuve- 
Trans  (voyez  l'nrt.  précédent),  qui 
les  consigna  dans  son  importante 
Histoire  des  grands-maîlresde  Satnt- 
Jcan  de  Jérusalem.  A  son  retour  h 
Alexandrie,  l'honorable  comman- 
diint  d>^  la  Victorieuse  reçut  la  visite 
spontanée  du  vice-roi  Méliémet-Ali, 
avec  lequel  il  entretenait  de  bien- 
veillants rapports,  el  qui  voulut 
juger  par  lui-même  de  la  tenue  de 
4'e  bâtiment  et  du  degré  d'aptitude 
des  jeunes  élèves.  Le  résultat  de 
son  examen  fut  d'ordonner  Parme- 
meni  immédiat  d'une  corvette,  sur 
laquf'Me  le  vice-roi  fit  installer  une 
école  navale  établie  sur  le  même 
pied  que  recelé  française,  et  qui 
prépara  bientôt  une  éducation  satis- 
faisante ï  qualn'-vinj.Ms  élèves  de 
marine  empruntés,  de  gré  ou  de 
force,  aux  pins  riches  familles  du 


Caire  et  de  la  Haute-Egypte.— Le  5 
avril  1827,  les  utiles  services  de 
Villeneuve  furent  récompensés  par 
le  grade  de  capitaine  de  vaisseau 
qui  n'appartenait  alors  à  aucun 
marin  de  son  âge.  Cette  honorable 
promotion  n'interrompit  point  le 
cours  de  ses  explorations.  11  par- 
courut avec  ses  élèves  les  diverses 
parties  de  l'Archipel,  et  ne  quitta 
sa  frégate  d'instruction  que  pour 
faire  partie  d'une  commission  d'of- 
ficiers supérieurs  qui  se  réunit  k 
Paris  sous  la  présidence  de  l'amiral 
Mackau  pour  préparer  une  ordon- 
nance sur  les  équipages  de  ligne. 
L'expédition  de  Morée,  résolue  par 
le  gouvernement  français  en  1828, 
prépara  l'affranchissement  du  sol 
hellénique,  que  Charles  X  n'avait 
cessé  d'appeler  de  ses  vœux  et  de 
provoquer  par  les  plus  nobles  en- 
couragements. Le  28  août,  Ville- 
neuve fut  appelé  au  commandement 
de  la  Didon,  magnifique  frégate  de 
60  canons,  sur  laquelle  il  embar- 
qua un  bataillon  du  29*  de  ligne, 
et  se  renditau  port  de  Coron,  où  la 
plus  grande  partie  du  corps  expé- 
ditionnaire se  trouvait  réunie  sous 
les  ordres  du  générai  Maison.  Ville- 
neuve assista  au  siég«î  et  à  la  prise 
du  fort  de  Patras,  et  séjourna  quel- 
que temps  d;ius  cette  ville  qu'il 
quitta  pour  ramener  à  Toulon  un 
corps  de  troupes;  puis  il  rejoignit 
à  Navarin  l'amiral  de  Rigny,  et 
assista  k  un  grand  dîner  que  le  gé- 
néral Maison  donnait  à  Ibrahira- 
Pacha  (1),  k  la  veille  de  repartir 


(1)  Je  lis  dans  les  mémoires  inédits 
du  vicomte  de  Villei»<'uvc,  à  propos 
d'Ibrahim-l*a('!in,  l'anecdote  suivante, 
qu'il  tenait  de  M.  Bertini ,  notre  agent 
consulaire  k  Patras,  et  qui,  dans  sa 
naïve  atrocité,  bjc  paraît  tout  à  fait 
caractéristique  des  mœurs  orientales, 
Ibrahim  fut  saisi  un  jour  de  violentes 


pour  l'Egypte.  Peu  de  jours  après, 
il  reçut  l'ordre  de  ramènera  Toulon 
le  chef  de  l'expédition  de  Morée, 
devenu  maréchal  de  France  pour 
une  campagne  qui  n'ajouta  pas 
beaucoup  à  sa  renommée  militaire. 
A  la  suite  de  quelques  mois  de  re- 
pos, Villeneuve  reprit  le  comman- 
dement de  la  Didon,  appelée  à  faire 
partie,  sous  les  ordres  du  vice- 
amiral  Duperré,  de  la  glorieuse 
expédition  d'Alger.  Ce  bâtiment, 
désigné,  par  une  faveur  spéciale, 
pour  coopérer  avec  le  Breslaw  à  la 
destruction  du  seul  fort  qui  pût 
contrarier  le  débarquement  de  la 
flotte,  reçut  à  son  bord  le  général 
Tholosé, sous-chef  de  l'élat-major, 
et  un  olBcier  supérieur  de  la  marine 
anglaise,  nommé  Anrell,  qui  avait 
obtenu  de  prendre  part  à  l'expé- 
dition. Mais  !e  dés;ippointementde 
l'équipage  fut  grand,  lorsqu'à  l'ar- 
rivée de  la  Didon  devant  la  baie  de 
Sidi-Ferruk,  il  s'aperçut  q'u*  la 
batterie  de  ce  fort  était  abandonnée. 
Le  dey  d'Alger,  dans  sa  folle  pré- 
somption ,  n'avait  fait  aucune  dis- 


coliques, qui  résistaient  a  tous  les 
moyeDS  de  soulagement  et  dont  l'inten- 
sité ci-oissante  l'exaspéra  par  degiésjus- 
qu'k  la  furcui-.  Interrogé  le  lendemain 
matin  sur  son  état  par  M.  Bcrtrni  lui- 
même  :  «  Je  souffre  toujours  beaucoup, 
dit-il,  mais  j'ai  trouvé  le  reinèdv.  >  il 
ordonna  à  son  aide  de  camp  d'aller  lui 
chercher  un  chef  turr  nommé  Achnict, 
déteno  au  château  de  Patras  pour  quel- 
que désobéissance  à  ses  ordres.  Arhmet 
est  iiitroduil.  Le  pacha  se  traîne  péni- 
blement de  ^m  divan  sur  le  palier  de 
son  escalier,  et  lii,  du  ton  le  plus  sim- 
ple do  monde  :  Qtkon  lui  coupe  la  tcle, 
dil-il  a  l'un  de  ses  ser/iteurs.  tt  la  tête 
du  malheureux  Acbmet  ruule  dans  des 
flots  de  sanj;  au  bas  de  1  escalier.  Ibra- 
him rentra  lentement  en  se  frottant 
l'atMiofuen,  et  sans  paraître  ému  de  l'é- 
pouvante qu'il  venait  de  cau.^er  au  con- 
sul frau(;aJs  :  «  Je  me  sens  mieux,  dit- 
il,  cela  m'a  fait  du  bien.  > 


\'IL 


547 


position  pour  empêcher  le  débar- 
quement de  nos  troupes!  Il  fallut 
se  résigner  à  de  faibles  escarmouches 
qui  ne  retardèrent  pas  d'une  heure 
la  descente ducorpsexpéditionnaire 
sur  les  plages  africaines  ;  et  le  5  juil- 
let, aprè.>  les  victoires  de  Staoueli, 
de  Sidi-Kalif  et  la  capitulation  du 
fort  de  l'Empereur,  l'armée  française 
fit  son  entrée  dans  la  capitale  de 
celte  régence  que  le  simple  redres- 
sement d'un  grief  national  trans- 
formait en  une  splendide  et  perma- 
nente concfuête.  Ce  fut  à  Mahon, 
dans  les  premiers  jours  d'août,  que 
Villeneuve  apprit  avec  douleur  les 
événements  qui  venaient  de  rouvrir 
en  France  l'abîme  des  révolutions ,  et 
lachutedu  gouvernement  auquel  il 
avait  voué  toutes  ses  sympathies. 
Son  premier  mouvement,  de  même 
que  celui  de  la  plupart  de  ses  ca- 
marades, fut  de  porter  i  l'amiral 
Duperré  la  démission  de  son  com- 
mandement: mais  cet  officier  gé- 
néral, qui  partageait  dans  ce  premier 
moment  l'impression  commune,  les 
engagea  à  suspendre  leur  détermi- 
nation jusqu'à  leur  retour  en  France, 
et  Villeneuve  ,  cédant  ù  l'exemple 
de  la  plupart  de  ses  anciens  chefs  et 
aux  exhortations  de  sa  propre  fa- 
mille, prêta  serment  de  lidéliié  au 
nouveau  pouvoir.  11  reçut,  au  mois 
de  novembre,  arec  une  lettre  close 
du  roi  Ï.ouis-Philippe,  le  commande- 
ment delà  station  de  la  mer  du  Sud. 
Villeneuve  partit  de  Toulon,  le  10 
janvier  1831,  sur  la  frégate  l'Her- 
inione ,  conduisant  à  Rio-Janeiro 
la  marquise  de  Loulé,  sœur  de  l'em- 
pereur dora  Pedro,  et  toute  sa  fa- 
mille. Après  cinquante  jours  d'une 
traversée  sans  incidents  remarqui- 
bles,  Vllermione  débarqua  la  prin- 
cesse devant  le  château  de  son  frère, 
qui  montra  peu  d'empressemenl  i 
la  recevoir,  et  Vilieneure  coniinui 


5A8 


VIL 


sa  navigation  vers  les  côtes  inhos- 
pitalières de  la  Patagonie.  Il  allei- 
gnit  ia  Terre-de-Feu  el  coupa,  le 
13  avril,  le  méridien  du  cap  Horn, 
par  un  froid  très-vif  el  des  vents 
constamment  contraires.  Pour  com- 
ble de  disgrâce,  la  lourde  frégate 
qu'il  montait  était  tout  à  fait  im- 
propre à  naviguer  dans  ces  mers 
tempétueuses,  et  ce  ne  fut  qu'à 
travers  mille  obstacles  plus  ou  moins 
périlleuxqu'il  jelarancre,le3  mai, 
dans  la  baie  de  Valparaiso,  d'oîi  il 
partit  pour  Callao  et  pour  Lima; 
puis  il  revint  prendre  à  Sainte- 
Catherine  ,  en  remplacement  du 
contre-amiral  Grivel,  le  comman- 
dement momentané  des  forces  na- 
vales françaises  sur  tout  le  littoral 
est  et  ouest  de  PAmérique  méri- 
dionale. La  situation  politique  du 
Brésil,  si  défectueuse  et  si  précaire, 
attira  particulièrement  Pattention 
de  Villeneuve,  qui,  dans  plusieurs 
rapports  au  ministre  delà  marine, 
lui  prédit  les  révolulionsauxquelles 
celte  malheureuse  contrée  ne  devait 
pas  larder  à  se  trouver  en  proie,  et 
dont  il  contribua  Ià  modérer  les  ex- 
cès par  Patiitude  vigilante  et  ferme 
desforcesqu'il  dirigeait.  A  près  deux 
ans  d'exercice  de  son  haut  com- 
mandement et  onze  mois  environ 
de  station  dans  la  baie  de  Rio, 
Villeneuve  reçut,  au  mois  de  sep- 
tembre 1832,  l'ordre  de  ramener  sa 
frégate  à  Toulon,  où  il  arriva  le  6 
décembre.  Ce  fut  sa  dernière  cam- 
pagne. Il  se  concentra  exclusive- 
ment, pendant  les  trois  ans  qui 
suivirent,  dans  les  fonctions  séden- 
taires de  son  grade.  Au  mois  de  mai 
183Î),  il  demanda  une  audienceàPa- 
miral  Duperré,  alors  mini>lre  delà 
marine,  et  se  plaignit  avec  quelque 
chaleur  du  peu  de  cas  que  le  gou- 
vernemcnl  avait  fait  de  ses  recom- 
mandations en  faveur  des  officiers 


VIL 

de  son  bâtiment  proposés  pour  la 
décoration  de  la  Légion  d'honneur  ; 
il  pria  le  ministre  de  se  faire  re- 
mettre les  rapports  sous  les  yeux. 
L'amiral  Duperré  ,  qui  n'était  pas 
endurant,  reçut  avec  hauteur  ces 
observations,  el  l'entretien  s'étant 
aigri  de  part  et  d'autre,  Villeneuve 
lui  reprocha  de  refuser  à  d'utiles 
militaires  des  faveurs  «  prodiguées 
jusqu'à  Pavilissement  à  des  em- 
ployés de  la  police  ou  à  des  proté- 
gés de  simples  chefs  de  bureau.  » 
Puis,descendant  à  des  personnalités 
de  plus  en  plus  regrettables,  il  dé- 
clara qu'il  préférait  sa  simple  croix 
de  légionnaire  décernée  par  l'em- 
pereur, en  181 1\  aux  nombreuses 
décorations  qui  ornaient  la  poitrine 
du  vieux  marin.  Celle  offense,  que 
n'atténuait  ni  la  vivacité  d'une  tête 
méridionale,  ni  même  le  désinté- 
ressement personnel  de  sa  récla- 
mation, mit  fin  à  cet  affligeant 
débat,  que  Villeneuve  fit  suivre  de 
la  remise  immédiate  de  sa  démis- 
sion. L'amiral  Duperré  et  le  roi 
Louis-Philippe  lui-même  employè- 
rent vainement  de  bienveillants 
efforts  pour  le  retenir  dans  les 
cadres  de  la  marine  :  il  demeura 
inébranlable.  En  quittant  le  service 
au  bout  de  trente-deux  ans  d'acti- 
vité ,  Villeneuve  emportait  une  sa- 
tisfaction toute  patriotique  :  celle 
d'avoir  vu  la  marine  française,  si 
défectueuse  el  presque  désorganisée 
au  début  de  ce  siècle,  parvenue 
successivement  à  un  état  de  progrès 
tel  qu'elle  n'avait  plus  rien  à  envier 
à  aucune  arme  étrangère,  sans  en 
excepter  même  celle  de  la  Grande- 
Bretagne,  dont  la  supériorité  avait 
si  longtemps  humilié  notre  orgueil 
national.  Rentré  dans  la  vie  prirée, 
le  vicomte  de  Villeneuve  ne  voulul 
pas  demeurer  inutile  ou  indifférent 
aux  intérêts  de  son  pays.  Il  accepta 


VIL 

les  fonctions  gratuites  de  conseiller 
municipal  de  sa  commune  et  de 
membre  du  conseil  général  du  Var, 
et  fut  élu,  en  1849,  par  le  suffrage 
spontané  de  ses  concitoyens,  mem- 
bre de  l'Assemblée  législative,  dont 
il  fit  partie  jusqu'au  coup  d'État  du 
2  décembre  1851.  Villeneuve,  qui 
avait  conservé  ses  fonctions  locales 
pendant  le  pouTOir  temporaire  du 
prince  Louis-Napoléon,  s'en  démit 
lors  du  plébiscite  qui,  en  l'élevant 
à  l'Empire,  bannissait  de  la  France 
et  excluait  à  jamais  du  trône  la  fa- 
mille des  Bourbons.  Ce  brave  marin 
est  mort  au  Beausset,  le  6  août  1861 , 
laissant,  avec  la  renommée  la  plus 
irréprochable,  le  souvenir  de  longs 
et  d'importants  services  rendus  à 
son  pays  avec  autant  d'intelligence 
que  de  désintéressement  et  de  mo- 
destie.   Le    vicomte    Baptiste    de 
Villeneuve-Bargemon  avait  épousé, 
le  29  janvier  1823,  mademoiselle 
Héliodora  de  Séran,  issue   d'une 
famille  noble  et  ancienne  de  Nor- 
mandie', depuis  longtemps  liée  à  la 
lienne.  Il  en  a  eu  un  fils,  Raymond, 
marquis  de  Villeneuve,  qui  se  fit 
remarquer  par  le  dévoûmenl  exem- 
plaire avec  lequel  il  secourut,  en 
<844,   les  cholériijues  de  son  dé- 
partement, et  une  fille,   mariée  à 
M.  le  comte  de  Boigne.  A.  B— ke. 
VILLENEUVE- m  ANS     Hk- 
LioN  -  Charles  -  Alban  ,     marquis 
DE),  né   à  Nancy  le  2Gjuinl82G, 
neveu  du    précédent,  fils  de  l'his- 
lorien  de  Sainl-Louis,  nous  a  paru 
mériter  une  place  dans  ce  recueil, 
moins  pour  rinlérêt  de>   faits  qui 
ont  rempli  sa  courte  carrière,  qu'à 
raison  des  circonstances  qui  l'ont 
terminée.  Nourri  dans  les  principes 
d'une  austère  pieté,  il  s'y  montra 
fidèle  à  rage  m^me  où   l'efferres- 
cence  des  passions  enfante  quel- 
ques-uns de  ces  écarts  qui  rejail- 


VIL 


5â9 


lissent  souvent  sur  la  vie  entière. 
Sa  vocation  pour  l'état  militaire  se 
révéla  par  le   zèle  et  le  courage 
avec  lesquels,  simple  garde  natio- 
nal, il  concourut  à   Parii,  où  l'a- 
vaient  appelé    ses  études,   à    la 
répression  des  désordres  qui  en- 
sanglantèrent, à  plusieurs  reprises, 
le  cours  de  1848.  Cependant  il  dut 
faire  à  sa  famille  le  sacrifice,  au 
moins  momentané,  de  ses  inclina- 
tions belliqueuses.  Il  entra  en  1849 
au   ministère  des   affaires   étran- 
gères ,  et  ses  premiers  travaux  y 
furent  couronnés  de  succès.  Il  fut 
chargé  du  port  et  de  la  remise  de 
plusieurs  dépêches  importantes  en 
Italie,  en  Espagne,  en  Russie,  en 
Allemagne.  Mais    l'intérêt  de  ces 
occupations  ne  les  sauvait  pas  d'une 
monotonie  peu  compatible  avec  son 
caractère  actif,  entreprenant,  ré- 
solu. La  guerre  qui  éclata  en  1854 
entre   la   France   et    l'Angleterre 
coalisées  contre  la  Russie  réveilla 
tous  ses  instincts  militaires;  il  crut 
y  voir  un   caractère  sacré,  et  les 
premiers  exploits  de   nos   troupes 
ayant  surexcite  son  ardeur,  il   ne 
songea  plus  qu'à   obtenir   de   sa 
mère  qu'elle  cessât  de  mettre  ob- 
stacle à  une  vocation  aussi  déter- 
minée. Ilélion   entra  dans  le    1"" 
chasseurs   d'Afrique:  il    obtint  de 
faire  immédiatement  partie  des  es- 
cadrons de  guerre,  et  débarqua  le 
17  juin  sur  cette  terre  de  Crimée, 
qu'il  ne  devait  plus  quitter  vivant. 
L'instant  étant  encore  éloigné  où 
son    corps  de   cavalerie  aurait   i 
prendre  part  aux   opérations  ac- 
tives, Ilélion  se  fit  admettre  comme 
caporal  au  3*  régiment  de  zouaves, 
lîuit  joursaprès,  il  fut  nommé  sous- 
ofllcier  adjudaut   de   tranchée,  et 
charge  en  cette  qualité  de  concou- 
rir à  une  des  opérations  les  plus 
périlleuses  du  siège  de  Sebaslopoi 


Il  K  fit  remarquer  par  sou  iutré< 
pidité  et  sa  bonne  humeur  dans  c« 
noUTfîI  emploi,  dont  il  dissimula 
soigneusement  les  périls  à  sa  mère. 
Lt  22  juillet,  Ters  six  heures  du 
soir,  Hélion  occupait  auprès  du  gé- 
néral Vinay  la  place  de  son  aide 
de  camp  absent,  lorsqu'il  fut  atteint 
mortellement  d'un  éclat  de  mitraille 
qui  lui  brisa  la  mâchoire  inférieure. 
La  blessure  ne  parut  point  d'abord 
aussi  giave  qu'elle  l'était  en  effet. 
Hélion  eut  assez  de  force  pour  tra- 
cer le  billet  suivant,  monument  à 
jamais  louable  de  résignation,  d'hé- 
roïsme et  de  délicatesse  filiale  : 
tMa  bonne  mère,  j'ai  eu  une  chance 
du  diable;  je  vieus  d'être  louché 
légèrement  k  la  joue»  et  il  en  résul- 
tera qu'après  le  mois  qu'il  me  fau- 
dra pour  guérir,  je  reviendrai  tout 
de  suite  près  de  toi  :  je  m'en  ré- 
jouis bien.  La  première  fois,  Dam- 
pierre  t'écrira  pour  moi.  J'ai  reçu 
toutes  tes  bonnes  lettres.  Je  suis  en 
état  de  grâce  (1).  Je  t'embrasse  de 
toute  mon  âme.  A  bientôt...  »  Plus 
officieuses  que  sincères,  ces  favo- 
rables espérances  ne  durent  pas  se 
réaliser.  Hélion  de  Villeneuve  ex- 
pira dans  la  nuit,  non  sans  avoir 
satisfait,  quelques  heures  aupara- 
vant, avec  une  ferveur  édifiante, 
isesdevoirs  religieux.  Sa  dépouille 
mortelle  fut  remise  k  son  infor- 
tunée mère,  qui  la  fil  déposer  dans 
le  caveau  de  famille  du  château  de 
Bargemon.  Ainsi  disparut  à  29  ans, 
ce  digne  descendant  d'une  race 
chez  laquelle  s'étaient  perpétuées 
depuis  le  xu*  siècle  toutes  les  tra- 
ditions de  rhonntur,  du  devoir,  du 
ïcrilablc  esprit  français,  et  qui  jus- 
qu'il nos  jours  a  conservé  le  rare 


(1)  Ces  mots  «ont  soulignés  dans  IV 
riginal. 


privilège  de  peupler  l'administra- 
tion (1),  les  lettres,  la  marine  et 
l'armée  d'hommes  également  re- 
commandables  par  la  solidité  de 
leur  mérite,  l'uiilité  de  leurs  ser- 
vices, l'élévation  de  leurs  senti- 
ments. —  M.  le  comte  Anatole  de 
Ségura  publié,  en  un  touchant  vo- 
lume, la  Vie  d' Hélion-Charles-Alban 
de  Villeneuve.  (Paris,  i  856.)  A .  Bée. 
VILLENEUVE  (Théodore-Fer- 
DiNAND  Valloude),  auteur  drama- 
tique, né  à  Boissy-Saint-Léger,  le 
4  juin  1799,  de  J.-B.-J.  Vallou  de 
Villeneuve  et  de  Marie-Elisabeth 
de  Seignerolles,  et  décédé  à  Paris, 
le  26  août  18'38.  Dès  la  première 
jeunesse  ,  le  théâtre  lui  apparut 
dans  ses  rêves  d'écolier,  et  ce  fut 
chez  lui  un  goût  si  vif,  qu'il  put  le 
prendre  pour  une  vocation.  Aussi 
se  lança-t-il  dans  cette  carrière 
excentrique  de  préférence  îi  toute 
autre  profession  plus  sûre,  mais 
moins  séduisante.  Ses  premiers 
essais  furent  encouragés  par  le  pu- 
blic, et  s'il  n'arriva  jamais  à  se 
placer  au  premier  rang,  il  se  main- 
tint toujours  dans  un  milieu  ho- 
norable, et  attacha  son  nom  à  de 
nombreux  succès.  Il  eut  de  très- 
heureuses  collaborations  avec 
Scribe,  Brazier,  Dupeuty,  Michel 
Masson,  Gabriel,  Lafargue,  et 
d'autres  encore  dont  les  noms  ne 
me  reviennent  pas  en  mémoire.  La 
liste  des  ouvrages  qu'il  donna  sur 
nos  meilleures  scènes  secondaires 
serait  trop  longue  ici,  et  on  peut, 
au  reste,  la  trouver  dans  tous  les  re- 
cueils dramatiques.  Bornous-nous 
à  ciier,  dans  le  nombre,  Yelva,  Léo- 


(1)  Tout  le  monde  connaît  le  riiot 
charmant  de  Loui.s  XVlll  :  Je  voudrais 
avoir  autant  de  VUlcni;uve  qu'il  y  a 
de  départements  en  France^  j'en  ferais 
quatre-vingt-six  préfets! 


VIL 


VIL 


551 


nide,  le  Marchand  de  la  rue  Saint-De- 
nis, le  Hussard  de  Felsheim ,  la  Ferme 
de  Bondy,  YAlmanach  des  25,000 
adresses,  et  une  gentille  série  de 
pièces  dites  à  tiroir,  à  l'intention 
de  mademoiselle  Déjazet,  au  temps 
où  cette  Mars  au  petit  pied  faisait 
les  beaux  soirs  du  Palais-Royal. 
Villeneuve  aimait,  du  théâtre, 
jusqu'aux  entreprises  qui  entraî- 
nent souvent  de  périlleuses  spé- 
culations :  aussi,  le  vit-on  suc- 
cessivement créer  le  théâtre 
Beaumarchais  avec  Henri  de 
Tully,  et  s'associer  à  Anténor  Joly 
dans  la  direction  de  la  Renais- 
sance. Une  circonstance  assez  cu- 
rieuse de  son  existence  mérite,  je 
crois,  de  trouver  place  dans  cette 
notice.  Un  jour  de  fructueuse  in- 
spiration, et  de  concert  avec  son 
ami  Ferdinand  Langlé ,  auteur 
comme  lui,  il  eut  l'idée,  non  pas 
d'une  comédie,  d'un  vaudeville, 
mais  d'une  affaire  qu'on  peut 
néanmoins  appeler  théâtrale,  puis- 
qu'elle se  rattache  au  dénoûment 
forcé  de  la  vie.  Ces  deux  joyeux 
adeptes  de  la  gaie  science,  sans 
déserter  la  scène,  prirent  une  part 
importante  dans  l'entreprise  des 
pompes  funèbres!  N'y  a-t-il  pas 
là  une  certaine  analogie  avec  le 


cumul  de  ce  bon  abbé  Pellegrin  ? 
N'oublions  pas  de  dire  que,  nom- 
mé à  plusieurs  reprises  membre 
de  la  commission  des  auteurs  et 
compositeurs  dramatiques,  Ville- 
neuve y  remplit,  avec  le  zèle  le 
plus  dévoué ,  les  fonctions  de 
trésorier. —  Ajoutons  que  des  cir- 
constances fortuites  ayant,  un  jour, 
tari  les  sources  de  la  caisse  de 
secours,  le  trésorier  alla  au  delà 
de  ses  devoirs  et  pourvut,  de  ses 
propos  deniers,  à  tous  les  embar- 
ras, sans  se  préoccuper  des  risques 
et  périls.  Lorsque  ce  fait,  resté  in- 
connu, fut  dévoilé  par  une  voix 
amie^sur  la  tombe  du  cher  défunt, 
le  spirituel  sculpteur  que  chacun 
connaît,  et  qui  ne  peut  pas  plus  se 
dispenser  d'un  bon  mot  que  d'une 
ravissante  statuette,  murmura  tout 
bas  :  «  Ce  bon  Villeneuve,  malgré 
«  son  talent,  voilà  le  plus  joli  acte 
«  qu'il  ait  fait  de  sa  vie.  »  Ville- 
neuve est  mort  sans  postérité  :  II 
laisse  après  lui  un  frère,  son  aîné, 
peintre  honorablement  connu,  et 
membre  du  comité  des  aitistes 
depuis  nombre  d'années.  —  C'est 
aux  beaux-arts  que  M.  Julien  de 
Villeneuve  demande  un  peu  de 
cette  célébrité  que  Ferdinand  a 
conquise  au  théâtre.      C.  D.  P. 


FIN  DU   QUATRE-VINGT-CINOUIÈME  VOLUME. 


'-^'■i'.i.   —  l'uris.  —  luij).  Pouj'urt-DavTÎ  et  ('■•iiip.  .  M'^ ,  rue  «lu  JJac. 


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