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BIOGRAPHIE
UNIVERSELLE,
ANCIENNE ET MODERNE.
SIIPPLÉME]\T.
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Imprimé par POUPART-DAVYL et Cic, rat du Bae, SO.
1
BIOGRAPHIE
UNIVERSELLE,
ANCIENNE ET MODERNE
SUPPLÉMENT
ou
•UITE DE l'histoire, PAR ORDRE ALPHABÉTIQUE, DE LA VIE PUBLIQUE IT
PRIVÉE DE TOUS LES HOMMES QUI SE SONT FAIT REMARQUER PAR LEURS
ÉCRITS, LEURS ACTIONS, LEURS TALENTS, LEURS VERTUS OU LEURS CRIMES,
OCtKAGB KNTISKBMIirT HBOr,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ET DE SAVANTS.
On doit des égards aux TiraDts; oo ne doit aux mort«
qoelarérité. (Volt., Première Ltltrt <ur OEdipo.)
TOME QUATRE-VINGT-CINQUIÈME.
A PARIS,
CHEZ BECK, LIBRAIRE,
EUE DES GEàNDS-àUGUSTINS, 3.
1862 ^--"^-''^vçrTJfJj-
'•-'OTHeCA
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^>^^.A>^AAAAAy^^.A^^^v^A./^%A.A^/^/^/^/^/^ %rw^/\/v\/>yv »• \/%Arf^\/v/N^^
SIGNATURES DES AUTEURS
DU QUATRE-VINGT-CINQUIÈME VOLUME,
MM.
MM.
B— D— E.
Badichb.
D— p.
DUPEUTT.
B— RE.
Barrière.
M — G — R.
Garnier (Maurigi).
B.
Bertin.
G.
OATTET.
B— L— u.
Blonde An.
L— c.
Leclerc.
A. B— ÉE.
BOULLÉE.
Val. P— t.
Parisot.
Ch.
Chevallier.
P— s.
Simonin.
F— D— L.
Delécluze.
L-v.
Vaucher.
B — D — L— M.
Demontal.
V.
Vernes.
D— V.
Devilletceuve.
D— w.
Wap.
D— M.
Dumoulin.
Z.
Anonyme.
ERRATA.
Page 163, 2* colonne, dernière ligne, article Vatimesnil, au lieu de :
il sortit de Vincennes. lisez : il sortit du Monl-Valérien.
Page <76, 4" colonne, ligne 40, article Vaublanc, au lieu de : qui
l'avait fait placer, lisez : qu'il avait fait placer.
Page 431, 2* colonne, ligne 42, article Villèle, au Ueu de : Villèie
eût peu d'intérêt, lisez ; mil peu d'intérêt.
AVIS DE L'EDITEUR.
M. MiCHAUD, fondateur et l'un des collaborateurs les plus actifs
de la Biographie universelle, est mort au moment où allait être
publié le Lxxxiv» volume de cet ouvrage. Bien que son nom ne
se présente pas dans l'ordre alph::l.ét"que de ceux composant le
volume que nous publions aujourd'hui, nous croyons faire quelque
chose d'agréable aux nombreux souscripteurs, en plaçant en tête
de ce Lxixv* volume une notice sur la vie et les travaux d'un homme
qui s'est acquis, par cette vaste entreprise, une juste célébrité, et
dont ils ont été à même d'apprécier le mérite comme historien et
comme écrivain. C'est d'ailleurs un hommage qu'il nous paraît
convenable de rendre à celui qui a consacré une grande partie de
sa vie à l'édification d'un monument littéraire de la plus haute
importance.
NOTICE
L. G. MICHAUD
PAR EM. G.
Issu d'une famille honorable de la Savoie, dont Tun des ancêtres,
Hugues Michaud de Corcelles, fut anobli par l'empereur Charles-Quint
(voir lonoe lxxiv, page 21), et qu'un événement malheureux obligea de
se réfugier en France (voir l'art. Michaud (Joseph), t. lxxiv, p. 24),
Michaud (Louis-Gabriel) naquit le 21 janvier 4773, à Villelle, près le
Ponl-d'Ain, petite ville de l'ancienne Bresse, et aujourd'hui du départe-
ment de l'Ain. Élevé, comme son frère aîné Michaud (Louis-Joseph),
de PAcadémie française, au collège de Bourg, où ils firent tous les deux
d'excellentes éludes, il venait à peine de terminer les siennes lorsque
commençait à gronder l'orage révolutionnaire qui allait éclater sur la
France.
L'émigration de beaucoup d'officiers appartenant à la noblesse lais-
sait de nombreux vides dans les cadres de l'armée et rendait les emplois
facilement accessibles. Entraîné par son goût pour les armes et bien
qu'à peine âgé de dix-neuf ans, sans connaissance aucune de l'art du
commandement, le jeune Michaud obtint le brevet de sous-lieutenant,
et entra avec ce grade, le 15 septembre 1791, dans le régiment royal
des Deux-Ponts, infanterie.il fit ainsi les premières campagnes de la ré-
volution, et prit part, sous les généraux Dumouriez et Kellermann.aux
batailles de Valmy et de Jemmapes, et successivement aux divers com-
bats qui eurent lieu dans le Nord. Forcé par des raisons de santé d'aban-
donner le service, il quitta l'armée en 1797, avec le grade de capitaine
dans le 402* régiment de ligne.
A son retour en France, Michaud y retrouva son frère aîné, dont il
partageait les opinions anti-révolutionnaires, et s'associa à lui pour la
publication d'écrits royalistes qui les exposèrent, l'un et l'autre, aux
poursuites du gouvernement républicain.
— II —
Ils fondèrent, en société d'un de leurs amis communs, le sieur Giguei,
une imprimerie qui, d'abord clandestine, servit à la publication de ces
écrits, et qui, plus tard, lorsque le régime devint moins rigoureux,
s'exploita au grand jour et conserva toujours son caractère monar-
chique et religieux. Il s'y imprima, entre autres choses, un écrit de la
main de Louis XVIII, parvenu par l'entremise de Royer-Collard, qui
attira sur eux les rigueurs de la police directoriale et leur valut un
emprisonnement de plusieurs mois à TAbbaye.
C'est de leurs presses que sortit, quelque temps après, une Biographie
en quatre volumes in-^" de tous les hommes morts et vivants ayant mar-
qué, à la fin du dix-huitième siècle et ûu commencement de celui actuel, par
leur rang, leur.^ emplois, leurs talents, leurs écrits, leurs malheurs, leurs
vertus, leurs crimes, etc. On doit bien penser que dans cette galerie con-
temporaine, soi-disant imprimée à Breslau et à Leipsick, bien qu'elle
ait été composée et imprimée par les frères Michaud , les hommes de
la révolution furent traités selon leurs mérites. Il est à croire que cet
ouvrage, qui eut un grand succès, inspira à ses auteurs l'idée d'entre-
prendre la Biographie universelle, dont l'un d( s deux, celui dont nous
nous occupons ici, a poussé courageusement la publication jusqu'au
terme où elle est aujourd'hui parvenue.
Vers celle même époque, ayant appris que l'abbé Delille» réfugié h
Londres, avait terminé plusieurs de ses ouvrages et était à la recherche
d'un éditeur, Michaud se rendit en Angleterre; sa réputation ds roya-
lisme le fit accueillir favorablement par le célèbre poêle. Bien que ses
offjes, mesurées sur la faiblesse de ses moyens pécuniaires, fussent infé-
rieures à celles de ses concurrents, la préférence lui fui accordée, ei il
revint muni d'un fonds qui donna à sa librairie une importance qu'elle
n'avait pas jusque-là (i).
Lu des premiers ouvrages publiés fut le poème de la Pitié. Ceux qui
vivaient à celle époque doivent se rappeler à quel point l'esprit uévo-
lutionnaire, qui dominait encore dans une partie de la population, se
déchaina contre la flétrissure que lui infligeait cette admirable poésie.
Le gouvernement impérial, qui venait d'écraser le parti jacobin, ne
pouvait empêcher cette publication; il se contenta de faire retrancher
par la censure quelques passages faits pour l'offusquer (2) ; mais les
(1) Michaod et Giguet étaient inipiimeurs-libraires.
(2) Entre autres, ces vers oii le poëte s'adressant à Alexandre, empereui de
Ruti&ir, lui dit :
Souviens-toi àc ton nom : Alexandre, autrefois,
Fit monter un vieillard sur le trône des rois ;
Sur le front de Louis tu mettras la courrjnne ;
Le sceptre le plus beau, c'est celui que l'oti donne.
— III -—
adhérenU encore fort nombreux de ce parti poursuivirent de leurs
injures et de leurs sarcasmes celle œuvre de réprobation. Nous nous
rappelons atoir vu les murs de Paris couverts d'affiches où on lisait*
écrit en gros caraclères : « Point de pitié pour la Pitié. »
Michaud, en compagnie de son frère, qui bientôt se trouva forcé de
l'abandonner, entreprit l'œuvre colossale de la Biographie universelle,
dont il était difticile de mesurer retendue et de déterminer la longueur
d'exécution. A un travail de celle nature et de cette importance devaient
nécessairement concourir un grand nombre d'écrivains ; les plus célèbres
de l'époque s'empressèrent de répondre à l'appel des éditeurs. La liste
des collaborateurs de ce grand ouvrage, qu'on peut regarder comme le
monument littéraire le plus considérable du siècle, présente les noms
des hommes les plus illustres dans les lettres et les sciences, non-seule-
ment de la France, mais de l'étranger. Les Villemain, les Guizot, les
Baranle,les Cuvier, lesDelambre, lesChaussier, lesMaltebrun, les Hum -
boldt, les Chateaubriand, les Delille, les Lally-Tolendal, les Walcke-
naer, les Villenave, etc., etc., apportèrent à cette vaste publication le
tribut de leurs talents; et ce livre, précieux parles notices qu'il renferme
et par la spécialité des auteurs qui les ont écrites, ne l'est pas moins par
les morceaux, plus ou nioins étendus, du slyln de chacun de ces célèbres
écrivains; c'est à la fois, une galerie historique, scienliflque et litté-
raire , à rédification de laquelle on a considéré, depuis, comme un hon-
neur d'avoir coopéré.
On comprend que ces éléments divers d'un même ouvrage, provenant
de plumes si nombreuses, devaient manquer de cohésion, et que, pour
en faire un tout parfaitement homogène , il était indispensable qu'une
direction unique les maintînt dans l'esprit qui avait présidé à la créa-
tion de ce grand ouvrage. C'est à ce soin que Louis Gabriel Michaud nt
cessa pas un seul instant de s'appliquer avec un zèle et un discerne-
ment qui ajoutent au mérite de celte vaste entreprise et semblent avoir
fixé pour jamais la célébrité du laborieux écrivain qui l'a dirigée. Le
premier volume avait paru en 1811 et le dernier fut publié en 1828.
C'est donc dix-sept ans que dura ce travail; mais pendant celte longue
période de temps, beaucoup de personnages célèbres et dignes de figu-
rer dans celle grande galerie historique étaient morts après la publi-
cation du volume dans lequel l'ordre alphabétique plaçait leur nom ; i!
était donc indispensable d'entreprendre un supplément, destiné en outre
à contenir les articles importants qui pouvaient avoir été omis. Dans
celle seconde partie de l'ouvrage, ce n'étaient pins les événements des
temps plus ou moins éloignés qu'il s'agissait de raconter, mais ceux des
temps très-modernes, dont les héros récemment enlevés avaient des
témoins encore virants de leur existence , des parents, des amis et aussi
des ennemis. Si la tâche était moins difficile, sous le rapport de l'txac-
— IV —
titude des faits à retracer, elle devenait plus délicate, plus épineuse en
ce qui touchait les jugements à porter sur des hommes dont la cendre
était à peine refroidie, et, dans maintes circonstances, il fallait un cer-
tain courage pour écrire avec vérité et juger impartialement les actes
de ces contemporains.
Ifichaud ne recula devant aucun des désagréments, on pourrait même
dire des dangers auxquels l'exposait sa responsabilité d'éditeur; il eut
dans plusieurs occasions des luttes plus ou moins vives à soutenir contre
les prétentions ou les susceptibilités de personnes appartenant à des
défunts qu'on ne trouvait pas assez gloriflés ou qu'on trouvait traités
trop sévèrement, et toujours il sut maintenir avec énergie les droits qu'a
l'historien de raconter les faits auxquels la célébrité des personnages a
donné de la notoriété, et de juger les actes de leur vie publique ou leurs
écrits, s'appuyanl sur cette sentence qui sert d'épigraphe à son livre :
On doit des égards aux vivants, on ne doit aus morts que la vérité.
(Voltaire.)
Il concourut personnellement à la rédaction d'un grand nombre d'ar-
ticles de cette biographie moderne pour laquelle sa prodigieuse mémoire
des hommes et des événements lui fournissait d'abondantes ressources.
Il terminait le trente-deuxième volume de ce supplément (quatre-vingt-
quatrième de l'ouvrage entier), lorsque la mort est venu l'enlever.
Michaud vit dans la Restauration, le triomphe de la cause que, pendant
diX'huit ans, il n'avait cessé de servir avec un zèle et un dévouement les
plus dignes d'éloges. Dans les circonstances difficiles qui accompa-
gnèrent cette Restauration, il se joignit aux royalistes qui n'épargnèrent
aucun effort pour en préparer les voies ei fixer en faveur des Bourbons
l'indécision les souverains alliés, notamment de l'empereur de Russie,
arbitre suprême de la situation. I.es commissaires du roi, MM. de Sémallé
et de Polignac, trouvèrent en lui un puissant et courageux auxiliaire
pour l'impression et la propagation ries diverses proclamations adressées
aux Français par les membres de la famille royale. Enfin, lorsque, après
l'entrée des alliés dans Paris, le prince de Talleyrand, qui exerça à cette
époque un crédit momentané mais immense sur l'esprit du czar, par-
vint ii obtenir de ce souverain uue déclaration par laquelle ses allies et
lui se refusaient formellement 'i traiter avec Napoléon ou tout autre per-
sonne de sa famille', ce fut à l'imprimeur Michaud que le secrétaire de ce
dip'omale s'empressa de porter cette déclaraliou qu'il était essentiel de
publier sans le moindre retard, afin d'éviter que le czar ne revînt su: la
dr^terminalioii qu'on était parvenu k lui faire prendre. Michaud apporta
dans cette grande afTaire tonte l'aclivit»' dont était capable son zèle plein
d'ardeur. Le soir même une épreuve rie la déclaration mise sous les
yeux de l'empereur de Russie recevait de sa propre main une addition
des plus importantes (1), et le lendemain matin, celt3 déclaration, pla-
cardée sur tous les murs de Paris , engageait irrévocablement la parole
des souverains alliés. La cause des Bourbons était gagnée.
Quand on réfléchit que le sort de la France se débattait en ce moment
entre les irrésolutions d'Alexandre, les négociations pressantes de Cau-
laincourt et les convulsions du colosse impérial, qui, profondément
blessé mais non encore abattu, menaçait de ressaisir son pouvoir par un
suprême effort, on ne peut se dissimuler que le concours de l'imprimeur
royalile offrait tous les caractères d'une héroïque témérité , et l'on peut
afiQrmer que cet acte de dévouement, si périlleux dans les circonstances
où l'on se trouvait alors, ne contribua pas moins que tout ce qu'il avait
fait jusque-là au succès de la Restauration.
De pareils services réclamaient une brillante récompense; mais au rai-
lieu des bruyantes démonstrations d'attachement et de fldélité qui entou-
raient le trône à peine relevé, ils furent à peu près perdus de vue, et le
courageux serviteur reçut pour tout salaire la croix de la Légion
d'honneur et le titre d'imprimeur du roi, qui , depuis longtemps déjà,
lui était prorais par les princes exilés.
Cette rémunération parut, avec raison, insuffisante à Michaud; elle
ne lui sembla pas en rapport avec les périls auxquels il s'était exposé et
les persécutions qu'il avait endurées.
Cette sorte d'ingratitude ût naître en lui des dispositions peu favo-
rables à l'égard du souverain pour lequel il avait sacrifié son repos et
jusqu'à sa vie, et dont il était loin , d'ailleurs , de partager les ten-
dances libérales. Dans son goût exclusif pour les anciennes institutions
monarchiques et pour le pouvoir absolu, qu'il considérait comme le
•eul moyen de gouverner les peuples, les concessions que fit Louis XVIII
aux idées révolutionnaires de 89, et la charte qui en fut la conséquence^
parurent à ses yeux autant de fautes et de faiblesses qui devaient entraîner
de nouveau la chute du règne des Bourbons. Sans vouloir jamais tenir
compte des circonstances difficiles au milieu desquelles s'était opérée la
Restauration, sans admettre l'impossibilité de rétablir la puissance royale
sur des bases qui depuis longtemps n'existaient plus, et d'en revenir à un
système que vingt-cinq ansde révolution avaient rendu incompatible avec
l'esprit de la génération nouvelle, Michaud ne ce^sa de blâmer les actes
de la Restauration et surtout la condescendance ^a elie apportait dans le
choix de ses agents. Cependant les sentiments monarchiques et le culte
(i) La phrase ajoutée de la maio même de l'empereur Alexandre était celle-ci :
« Ils peuvent même faire plus (les souverains alliés), parce qu'ils professent ton-
« jours le principe que, pour le bonheur de l'Europe, il faut que la France Mit
I grande et forte. ^
d€ ta légitimité étaient trop profondément gravés dans son cœur pour
que rien pût les détrnire, et son opposition n'allait pas au delà de son
apprécialion personnelle sur la marche du gouvernement ; si le salut du
trône eût exigé de lui de nouveaux sacrifices, il n'eût pas un senl ins-
tant hésité à les faire.
En 48Î3, Michaud fut nommé directeur de l'imprimerie royale , mais
les soins et la surveillance qu'exigeait cette importante administration
la forçant de négliger les affaires de son commerce qui étaient [pour lui
d'une importance plus grande encore , il se démit de cet emploi.
Sans avoir une supéri<H*ité de talent comparable à celle de son illustre
frère, Michaud possédait un mérite littéraire qui le rendait propre au
genre historique qu'il avait adopté et qui avait principalement pour
objet les graiids événements qui signalèrent la fin du siècle dernier et le
commencement du siècle actuel, ainsi que la vie des hommes qui y ont
pris part, événements qui, in eux seuls, offrent plus de matière que ceux
de plusieurs des siècles passés. Témoin attentif et bien informé de ces
événements, doué d'une mémoire extraordinaire, il en gardait Odèleraent
la trace, et nul ne savait mieux que lui en préciser la date et les circons-
itnces. Il avait suivi pas à pas toutes les phases de la révolution fran-
çaise, en avait apprécié avec justesse et discernement les causes et les
conséquences, et dissertait avec talent sur cet intéressant sujet. Sa con-
versation vive, animée et peuplée de souvenirs était alors des plus atta-
chantes.
Le supplément de la Biographie universelle, particulièrement consacré
ï la nécrologie des contemporains, offrait à Michaud un cadre favorable
pour placer les portraits qu'il était dans sa spécialité de tracer, et si,
dans la première partie de cet ouvrage, son nom ne figure que rarement
dans la liste des collaborateurs, on le trouve au bas d'un grand nombre
d'articles du supplément. Quelques-uns de ces articles sont très-impor-
tants, entre autres ceux de Louis XVlll, Ferdinand VII, Dumouriez, le
prince Eugène, Saint-Simon, Talleyrand et surtout celui de Napoléon Bo-
naparte, auquel il a donné un développement qui n*est plus celui d'une
simple notice, mais bien d'un abrégé historique.
Il a déployé dans ces articles le talent d'un véritable historien, et les
faits sont retracés a* ". une clarté de style qui en rend la lecture
attrayante. Ayant fait plusieurs années la guerre, Michaud était plus à
même que bien des narrateurs, de décrire les mouvements stratégiques
des batailles livrées par les grands généraux dont il raconte les exploits,
et d'en discuter le mérili'.
On a néanmoins reproché ii cet écrivain d'avoir un peu trop souvent
svbordoniié ï sa propre manière de voir, son jugement sur certains
hommes politiques, et de n'avoir pas toujours conservé, dans ses appré-
ciations, l'impartialité que lui commandait son devoir d'historien. Son
— m —
Article sur Napoléon Bonaparte, le plas étendu de tous ceux qu'il a écrits,
e( l'on peat même dire de tous ceux que reoferme la Biographie um-
venelle, t particulièremeut donné lieu à ce reproche.
Sans doute, aux yeax des enthousiastes et fanatiques admirateurs
quand même de ce grand homme, il peut paraître que certains actes de
st Tie politique et de sa diplomatie sont présentés ayec trop peu de
bienveillance, et que les erreurs et les fautes commises dans le cours
d'une carrière si féconde en grands événements ont été jugées avec
une sévérité qui, quelquefois, peut ressemblera un défaut d'impartialité ;
mais ce reproche pourrait peut-être aussi s'adresser en quelques circons-
tances à ceux de ses plus dévoués partisans qui ont écrit sur cet inté-
ressant sujet. Ce n'est pas la faute de l'historien si les faits qu'il est
obligé de raconter tels qu'ils ont eu lieu, comportent en eux-mêmes le
blâme dont ils sont l'objet et prêtent à la critique. On ne peut nier d'ail-
leurs, que, rendant justice entière au rare mérite de Napoléon comme
législateur, et surtout comme homme de guerre, l'auteur ait manifesté,
dans une foule de circonstances, son admiration pour la grandeur de
son génie et l'héroïsme de son courage. On ne peut dire non plus que le
dernier acte et le tragique dénoùment de ce grand drame historique ne
soient traités avec le sentiment d'une véritable sympathie, et que le plus
grand hommage ne soit rendu au sublime caractère qu'a déployé cet
infortuné monarque dans les derniers instants de sa vie.
Il est peu d'hommes dont la carrière ait été aussi laborieuse que celle
de Michaud. Éditeur d'ouvrages importants dont la publication exigeait
beaucoup de soins et de travail, de cette Biographie universelle dont il
fallait constamment diriger la marche, former les nomenclatures, pour
laquelle il fallait obtenir le concours des écrivains les plus célèbres, sti-
muler leur zèle, revoir avec eux leurs articles qu'il importait de main-
tenir dans l'esprit général de l'ouvrage; auteur lui-même d'un grand
nombre de notices dont quelques-unes fort importantes (1), la vie de
cet homme fut dévouée tout entière au travail et complètement privée
de distractions. Malheureusement cette existence, qui aurait dû être pour
lui une source de fortune ou au moins de grande aisance, s'est trouvée
en plusieurs circonstances compromise par des revers, des pertes com-
merciales (2) et par ces procès qui accompagnent inévitablement toute
(1) Le nombre des articles insérés par Michaud dans la Biographie univer-
selle jusques et y compris le lxxxiv» volume, est de 1,320.
(2) En 1833, l'incenJie d'une maison, rue du Pot-de-fer, dans laquelle Michaud
occupait un vaste magasin rempli d'ouvrages en feuille, consuma la totalité de
ces imprimés, qu'il n'avait pas eu la précaution de faire assur»^r, et lui causa unt
perte immense.
— VIII —
Yasle entreprise, malheurs qui, dans les dernières années de sa vie, le
réduisirenl à un état de gêne extrême. Son travail était devenu son
unique ressource, et c'est la plume à la main, qu'à l'âge de quatre-vingt-
trois ans, la mort est venue le ravir à l'affection d'une famille intéres-
sante dont il était le seul appui.
On doit à cet écrivain, en dehors de la Biographie universelle ^ une His-
toire de Louis-Philippe, roi des Français, 1 vol. in-8', Paris ; une Notice
historique sur lu princesse Louise de Bourbon^ duchesse de Parme^ br. in-lS.
BIOGRAPHIE
UNIVERSELLE
1SUPPI.ÉMEI1T
V
VANDEBERGUE - SÉURRAT
(Claude) était un actif et habile
négociant (roricans, non-senlement
Irès-experl clans l'art d'acheter à
prix doux et de revendre à prix fort,
niais initié, tant par des études spé-
ciales et par la rétlexion que par
la contemplation des faits et par la
pratique, aux théories administrati-
ves et commerciales, plein d'initia-
tive et au besoin sachant manier la
plume pour soutenir une opinion.
Il ne s'en avisa que tard cependant.
Né vers 1725, il approchait la cin-
quantaine quand il publia ses pre-
mières lettres par la voie des re-
cueils hebdomadaires ou mensuels.
Il élaittrès-liéavec l'abbé Ameilhon,
et plusieurs de ses morceaux lui
sont adressés. Il en est qui sont
des pièces intéressantes pour l'his-
toire commerciale de nos provinces;
il en est où se trouvent formulées,
cinquante années ou plus avant
leur réalisation, des idées en har-
monie avec le progrès actuel, et qui
devaient se développer dès qu'elles
r.uraient été incarnées dansles faits.
Nul doute que de nos jours cet es-
timable représLMitanl du commerce
rwxv
n'eût été promu par un de nos cen-
tres commerciaux aux honneurs de
la députation nationale, et qu'il
n'eût été dans les commissions de
la Chambre un des membres fré-
quemment et utilement consultés
sur les matières économiques. Mais
sa mort eut lieu en 1783, à Versailles
même, sa ville natale. Tout ce qui
nous reste de lui est renfermé en
un volume unique dont voici le
titre (tel qu'il se trouve, non dans
l'approbation du livre donnée par
Rayrac, mais sur la première page
naème) : Voyage de Genève et de la
Touraine , suivi de quelques opus-
cules par M"', 1779, in-lî. La
principale partie de cet ouvrage est
le Voyaqe à Genève, publié d'abord
en dix lettres adressées « une femvie
de lettres et successivement insérées
dans quelques journaux. Ensuite
vient le Voyage en Touraine, lequel
ne consiste qu'en une lettre (i
l'abbé Ameilhon), dont l'apparition
première eut lieu dans le journal
de Verdun. Suivent les Opuscules
au nombre de trois, savoir : 1' Hé-
flexions sur la nécessité d'acrorder
de la considération à l'étal de corn-
4
2
VAN
VAN
merçant.li M. l'abbé A**' (ne sent-
on pas là déji 1»* souffle et l'œuvre
de ia révolution, dont peu s'en
faut que les conseils ne se po-
sent en exigences?); 2" Projet de.
création de considals supérieurs dans
les grandes villes du royaume, avec
établissement d'une chaire de droit
commercial (toujours des aspira-
tions au progrès ou îi la réforme,
aspirations en avant, sinon du siècle
qui le voyait éclore, du moins d'un
grand nombre de contemporains);
3" Note sur le commerce d'Orléans^
adressée à l'abbé Ameilhon. —
Nous devons remarquer 1" que le
Voyage de Genève et de Touraine
toujours avec les deux mentions,
1779, in-12,se trouveindiqué dans
Barbier (n" <9427) sous le nom de
Crignon d'Auzouer, ce qui doit être
une faute, à moins que Crignon
d'Auzouer n'ait tenu la piume, Van-
debergue n'ayant que fourni les ma-
tériaux; 2" que sous le n° 12577
du même Barbier s'oflfre à nous,
cette fois, avec une modilication
légère de titre et sous un nouveau
millésime , un Nouveau voyage à
Genève par Crignon-VanUebergue,
1783. Est-ce une réimpression?
est-ce, ce que nous pensons, un
pur et simple rafraîchissement?
Dans l'une comme dans l'autre
hypothèse, la précédente solution
acquiert un degré de probabi-
lité nouveau. Mais n'oublions pas
que môme en ce cas il reste tou-
jours à Cl. Vandebergue la grosse
part , celle des idées ainsi (jue
des faits , et de plus , que les
trois opusrules lui reviennent tout
entiers, puisqu'on ne reveiidKiue
explicitement pour personne; la
gloire d'en avoir été soit le badi-
geonueur, soit le leiriturier. —
Vandehbehgue (Georges) , avocat
du roi au biiilliage d'Orléans ,
puis prévôt, puis lieutenant géné-
ral de police, mort eu n48 et au-
teur d'un recueil de Poésies qui ne
sont pas plus mauvaises, mais pas
meilleures non plus que tant d'au-
tres, était peut-être, était probable-
ment le parent de notre Claude
Vandebergue-Seurrat, le négociant
et l'économiste; mais la preuve nous
manque. Z.
VANDELLI (Dominique), méde-
cin et surtout naturaliste souvent
cité, naquit à Padoue vers 1732 et
mourut peu de temps avant la fin
du siècle. Il aimait la locomotion
et le travail; il entreprit des voya-
ges scieniifiques qui le conduisirent
jusqu'en Portugal; il possédait les
idiomes de la péninsule et surtout
le portugais, au point d'écrire aussi
couramment et aussi correctement
la langue qu'un naturel du pays.
Il séjourna longtemps dans l'un
comme dans l'autre royaume. Mal-
heureusement il y prit ou du moins
il y garda un peu de cette antipa-
thie aux méthodes rationnelles et
au progrès que l'on peut sans in-
justice reprocher aux universités
hispaniques : la doctrine de l'irri-
tabilité rencontra en lui un de ses
adversaires les plus âpres et les
plus fougueux, et sa polémique fut
entachée, îi l'égard de Ilaller, de
jjersonnalités regrettables. Aussi,
et malgré le bruit qu'il essaya de
faire autour de son nom, est-il de •
meure pluiôt fameux que célèbre
en tant que médecin ; et si, comme
naturaliste, il n'eût joint au zèle un
esprit juste et la persévérance dans
l'observation, il n'occuperait dans
riiistoire de la science qu'un rang
très-inférieur. Voici les litres de
ses ouvrages dont, (îomme on va le
voir, nous formons deux groupes :
l'un qui traite de physiologie ou de
médecine (il se compose de sept
VAN
VAN
morceaux); l'autre, où c'est d'his-
toire naturelle qu'il entretient ses
lecteurs, en contient également de
six i\ huit. I-II. Trois lettres qui
touchent à la doctrine de l'irri-
tabilité , savoir : 1^ Epistola de
sensibilitate pericranii , periostei^
lenduUœ, dune meningis, corneœ et
medinum, Padoue, 1756, in-8% fig.
(c'est dans Tordre des dates son
premier ouvrage); 2" Epistola se-
cunda et tertia de sensitivitate halle-
riana, Padoue, 1758, in-8°. III-VI.
Des Mémoires surquatre sources ou
i^roupes de sources médicinales,
Mémoires dont voici l'ordre chrono-
logique : 1" De Aponi thcnnis , en
tête d'un fascicule mixte dont nous
parlerons en fin de compte ; 2" Ana-
lisi d'alcune acque medicinali del
Modeuese, Padoue, 1760, in-S";
3^ DeW acqua di Brandola , Mo-
(iène, 1763, in- 4°; 4- De Thcrmis
agri patavini, accedit apologia ad-
venus Hallerum , Padoue, 1761 ,
in-4''; VII. Commenlarii de rébus in
medicina geslis; VIII. Diccionario
dos termes iechnicos de historia na-
tural exlrahidos dos obras de Linneo,
com a sua explicacion , Coimbre ,
1788, in-4"; IX. Florœ Lusilanicœ
et Brasiliensis spécimen, Coimbre,
1788. in-4''. X. Fascicnlus planla-
rum^ cum novis generibus et specie-
bus, Lisbonne, 1771,in-4''; XI.Diss..
De arbore draconis seu dracœna
(on reconnaît, le sandragon) , acce-
dit diss. de studio historiœ naturalis
necessario in medicina, œconomia,
agricultura, artibus et commercio (ce
long titre à lui seul suffit pour
montrer de quel coup d'œil large
et compréhensif en même temps
que passionné Vandelli savait en-
visjirjer l'élude des sciences natu-
turelles):XII. Epistola deholothiirio
et testudine coriacea, Padoue, < 761 ,
in-4". C'est en (jueique sorte la
seule monographie qu'il ait consa-
crée à la zoologie, car ce n'est que
d tns un volume de mélanges qu'on
le retrouve revenant à d(^s sujets
analogues. Voici le titre exact de
ce volume (qui pourrait porter ici
le chiffre XIII, mais qui date de
ses premiers pas dans la carrière
scientifique. Dissertationes 1res :
De Aponi thermis (voy. plus haut
sous III-VI 1°) ; De nonnullis insecfis
terrestribus et zoophytis marinis.
De vermium terrœ reproductione at-
que tœnia canis, Padoue, <7o8,
in-8% 5 pi. Val. P.
VA>DEI\ - BOGAERDE - VAi>
TERBRLGGE (André-Jean-Louis
le baron), savant économiste et
homme d'État, naquit à Gand le 17
juillet 1787, de parents appartenant
par leur origine et leurs alliances
aux fismilles les plus distinguées de
la Belgique et de l'étranger. Son
père, implacable ennemi de la ré-
volution, confiason éducation, ainsi
que celle de ses deux autres fils, à
nn prêtre régulier qui refusa de
prêter le serment d'abjurer les prin-
cipes monarchiques. Ce digne et
savant ecclésiastique enseigna à ses
élèves les langues latine, française,
flamande , et leur prodigua les
bienfaits d'une bonne et solide édu-
cation. Le jeune Vanden-Bogaerde
reçut en outre d'un artiste flamand
en réputation des leçons de dessin
et de peinture. Dès sa première
jeunesse, il montra des qualités ai-
mables et un talent de plaire qui,
plus iard, et pendant tout le cours
de sa vie, le firent chérir de toutes
les classes de la société. L'agricul-
ture, l'industrie, le commerce, et
surtout l'économie politique, fu-
rent l'objet de ses études de pré-
dilection.
Après un séjour de deux ans dans
la capitale d • la Belgique, Vandeu-
h VAN
Bopr^erde reTiiu h Waes-Miins(or,
où (lemeiiraient ses paronls. En
1816, il fut nommé nitMnbrc. des
États provinciaux, puis, en 1817,
membre de la sotiété de littérature
et des beaux-arts de Gand. — Le roi
des Pays-Bas lui confia en 1818
l'emploi de bourgmestre de Waes-
Munster, et quand, deux ans après,
il alla à Saint-Nicolas, chef-lieu du
pays de Waes, occuper le poste de
commissaire de district, les habi-
tants de sa commune lui exprimè-
rent par de vives démonstrations
leursregrets et leur reconnaissance;
proclamant que, pendant la trop
courte durée de son administra-
lion, il avait marché sur les traces
de son digne père, en se montrant
le bienfaiteur du pauvre et le dé-
fenseur impartial des intérêts de
ses administrés.
Pendant 9 ans, Vanden-Bogaerde
s acquit, dans ses fonctions de com-
missaire de district, la plus haute
considération; les communes, les
Etals députés, et surtout le gou-
verneur de la province de Flandre-
Orientale, M. le baron Vandoorn-
Van-Wescapelle, surent apprécier
sesgrandesqualiiésadminislratives.
En 1828, il se vil appelé à une plus
importante position, comme com-
missaire de district et de milice
dans sa ville natale, la capitale de
la province de Flandre-Orientale.
Pendant le cours de sa précédente
administration, il avait écrit sur le
pays de Waes un livre plein d'in-
térêt, dans lequel on peut voir tout
ce qu'il lit pour le bien-être de ces
contrées.
En venant s'établir à Gand, Van-
den-Bogaerde y lit construire une
vaste et belle maison, dans laquelle
il réunit une précieuse colleclio i
de tableaux lenioignant du bon
goûi de son propiiétaire, dont tous
VAM
les loisirs furent désormais consa-
crés à une sérieuse élude des scien-
ces et des beaux-arts.
Au mois de février 1830, à la
veille des grands événements qui
amenèrent le démembrement du
royaume des Pays-Bas, le roi Guil-
laume !"■ le nomma gouverneur de
la province du Brabanl-Septenlrio-
nal. Pendant les douze ans qu'il
occupa ce poste de haute confiance,
à cette époque de trouble et de ré-
volution, il entretint une corres-
pondance intime avec le roi ei le
j)rince royal, qui tous les deux ai-
maient Vanden-Bogaerde autant à
cause de ses excellentes qualités
de cœur, qu'à cause de son zèle
infatigable comme fonctionnaire pu-
blic. Les discours annuels au nom-
bre de douze, qu'il prononça pen-
dant le cours de son administration
provinciale, sont les meilleurs do-
cuments pour l'histoire de celte
contrée dans ces temps agités qui
virent expulser la maison d'Orange
des provinces voisines, alors que le
Brabant - Septentrional, presque
entièrement catholique comme le
sud, resta inébranlable dans sa li-
délilé à la royauté des Nassau.
Lorsque le roi Guillaume, au mois
de novembre 1830, congédia tous
ses employés belges, il maintint
Vanden-Bogaerde dans ses fonc-
tions de gouverneur. En 1831, il
le nomma chevalier de l'ordre du
Lion néerlandais; puis, en 1832,
il lui conféra le tilre de conseiller
dÉlai.
En 1840, son successeur Guil-
laume 11 réleva au grade de coiii-
mandeur de cemêmeordredu Lion
néerlandais et le nomma son cham-
bellan.
En 18-42, à l'occasion du mariage
de S. A. R. la princesse Sophie des
Pays-Bas avec le grand-duc héré-
VAN
(Jilaire de Saxe-Weimar, ii obtint
la place de grand échanson de la
couronne et de grand officier de la
maison du roi.
A son avènement au trône des
Pays-Bas, le roi Guillaume III vou-
lant, comme ses prédécesseurs, té-
moignera Yanden-Bogaerde le prix
qu'il attachait à son mérite et à ses
éminentes qualités, lui envoya (en
1849) les insignes de grand'croix
de l'ordre de la Couronne de chêne,
et l'ordre équestre du Brabant-Sep-
tentrional , qui l'avait reçu dans
son sein en 1840, le nomma dix
ans après son président.
Nombre de sociétés savantes des
Pays-Bas et de l'étranger l'attachè-
rent à leurs honorables travaux.
Toujours actif et rempli de zèle
pour les intérêts de la science et
des arts, il établit dans la capitale
du Brabant-Septentrional le siège
d'un corps scientifique, artistique
et littéraire, lequel possède, dans
l'un de ses vastes salons, le portrait
(le son noble créateur peint par A.
N. Vanderen, artiste distingué de
Bois-le-l)uc.
En 1835, Vanden-Bogaerde avait
acheté la seigneurie de Ileeswijk et
Dinther,dontil lit rebâtir l'antique
chfilea'.i dansle style du moyen âge;
c'est là que dans un heureux loisir
il acheva ses jours au milieu des
souvenirs de tout le bien qu'il avait
eu le bonheur de répandre autour
de lui pendant le coui's de sa la-
borieuse carrière. 11 mouriU le 17
janvier 18o5, laissant trois fils, dont
deux, lestés habitants du château
d'IIeeswijk, y conservèrent la pré-
cieuse collection d'antiquités, de
tableaux, de livres et de curiosités
qui font de celte demeure un véri-
table nuisée, et sont un monument
de famille qui ne cessera de raj»-
peler à la postérité un liomnie de
^^\N 5
rare mérite, dont le nom est ins-
crit avec honneur dans les fastes
du pays qui l'a vu naître, à côté de
celui du souverain qui le combla
de ses faveurs. Vanden-Bogaerde a
publié plusieurs écrits qui, non
moins que les actes de sa vie, sont
de nature à lui assurer un honora-
ble et perpétuel souvenir ; en voici
la nomenclature :
1° Essai sur l' encouragement et
le développement de la Tisseranderie
dans la Flandre-Orientale. (Gand,
un vol. in-12. Hollandais.)
2" Le District de Saint- Nicolas,
jadis pays de Waes, dans la pro-
vince de Flandre-Orientale ^ considéré
dans ses rapports physiques, politi-
ques et historiques, suivi d'une des-
cription particulière de chaque ville,
vilUuje ou communauté de district.
(Saint-Nicolas, 1823, 3 vol. in-8»
avec figures. Hollandais.)
3° Rapport à la Société d'agri-
culture et de botanique de Gand, sur
la culture et la manipulation de la
garance. (Messager des sciences et
des arts, à Gand, 1828. Français.)
4" Coup d' œil rapide sur r histoire
de la Belgique et de la Pologne, ap-
pUquéaua; événementsde i^SO. (Bois-
le-Duc, 1831. Français.)
■6" Essai sur l'importance du com-
merce, de la navigation et de l'in-
dustrie dans les provinces formant le
royaume des Pays-Bas, depuis les
temps les plus reculés jusqu'en 1830.
(La Haye et Bruxelles, 1845, i vol.
Français et hollandais.) D"" W.
VAN DEN BROÏXK (Pierre),
marin hollandais, le fondateur de
Batavia, naquit à peu près en même
temps que la république des Pro-
vinces-Unies, c'est-à-dire entre la
par-ification de Gand (1571) et le
traité d'union d'LUrecht (15S1). 11
montra de bonne heure une grande
aptitude et un goût d''s plus vifs
c
VAN
pour le commerce, puis bieulôl pour
]à navigation commerciale. L'Éiat
naissanl on favorisait dès celte
époque le développement; et la
jt'une confédéralion présentait le
rare spectacle de la lutte sur place
pour l'indépendance et de la lutte
au dehors contre les éléments et
les étrangers pour l'expansion de
l'industrie et de l'activité nationales.
LesPortugais, les Espagnols avaient
ouvert la voie des grandes et lucrati-
ves aventures équatoriales et natu-
rellement s'étaient taille la grosse
part. Les cités néerlandaises eurent
le mérite de comprendre que ce qui
restait encore nétait pas à dédai-
gner, et même elles devinèrent
que les uns, ne pensant qu'à l'or,
leur laissaient , par cela même, le
lilon bien autrement fécond du tra-
fic; que les autres, tout récemment
tombés ou en train de s'atrophier
sous le joug stérilisateur de l'Èscu-
rial, |)Ouvaient, un peu plus tôt, un
peu plus tard, se laisser spolier par
ceux que naguère ils méprisaient.
Ces prévisions, la première moitié
du dix-septième siècle les vit se
réaliser ; et Van den Broeck. est un
de ceux qui préparèrent , et faci-
litèrent ce mouvement. Sa jeunesse
.se p:issa eu ^^rande partie sur les
côtes d'Afrique , où nous le a oyons
se distinguer dans quatre voyages
successifs, le premier au cap Vert,
les trois autres au sud de la Ligne
et sur les côtes de la Guinée méri-
dionale. 11 y trouva les Portugais
au royaume d'Angora, les l'ortu-
gais encore lorsciu'il s'agit, pour
ses compatriotes cl lui, de remonter
les eaux du tleuve Congo , et tou-
jours et partout les Portugais
lorscprou ciitrepril de pénétrer à
l'intérieur du Loan^iO. Les tirail-
lements , les conlliUs qu'amena ce
contact pronièienl au voyageur
VAN
hollandais et lui donnèrent l'expé-
rience en même temps que l'habi-
tude des difficultés de toute espèce,
épisodes indispensables d'un éta-
blissement en pays étranger, où
non-seulement le climat, les habi-
tants, la nature dés choses sont
hostiles, mais où viennent s'adjoin-
dre à tant d'obstacles les jalouses
concurrences de rivaux; et ses
compagnons le regardaient en mê-
me tempscomme bon marin, comme
administrateur, comme homme de
tête et de ressources, lorsqu'on
IGl I, âgé de trente et quelques an-
nées, il revint jouir d'un intervalle
de quelque repos en sa patrie. La
Compagnie hollandaise des Indes
était alors au lendemain d'un dou-
ble échec sur la péninsule de Ma-
lacca et désespérait presque de ja-
mais réussir k former aux Indes,
comme le conseillaient les plus ha-
biles marins, un centre de puis-
sance d'où tous ses établissements
d'Orient reçussent soit des vivres ,
soit des secours, lorsque, par un
heureux hasard, l'amiral Reynst, mis
par les directeurs à la tôle d'une ex-
pédition nouvelle, jeta les yeux sur
l'habitué des côtes d'Afrique pour le
placer en qualité de premier com-
mis à bord d'un de ses navires, le
Nassau. '^'i l'amiral, ni celui sur le-
quel tombait son choix n'avait l'idée
alors que les île.-: de la Sonde ne
tarderaient pas à devenir le ihéA-
tre principal de leur activité. Ici
commence la période vraiment im-
portante de sa vie. Elle embrasse
dix-neuf ans. Nous la diviserons en
trois phases.
La llolte partit du Texel le 2
juin 1()13; et longtemps sa navi-
gation fut loin d'être jirompte,
puisqu'on n'atteignit la rade de Tile
d'Anjouan que le ilJjuin 1G14 (un
an donc et un jour après qu'on
VAN
VAN
i
avait appareillé). La traversée, en
revanche , avait été des plus heu-
reuses; et il faut remarquer que
deux fois au moins l'on avait relâ-
ché aux baies de Saint-Antoine et
de Saint-Vincent d'abord, et plus
tard à l'ile d'Annobon, où, par ie
passé , les Hollandais avaient eu
fort à se plaindre des Portugais,
maisavaientfortementréprimé celle
insulte et où, cette fois, soil souve-
nir des représailles un peu rudes
qu'ils avaient exercées, soit crainte
des forces présentes qu'étalait l'a-
miral batave, ils purent se ravitail-
ler et d'eau et de fruits dé icieux,
non-seulement sans collision, mais
avec force civilités et force offres
de services de la pari du gouverneur.
Les navigateurs ne s'en tinrent pas
moii)ssurleursgardes(/»/7/um ?■/«/;('/'-
turbatœ rei diffidere); s'ils eussent
été tentés de négliger ce précepte,
Van den Broeck était là qui ne leur
permeitait pas de l'oublier. Ainsi
devant Anjouan , Reynst envoya le
premier commis du Nassau deman-
der aux chefs de Tile la permission
d'acheter des rafraîchissements, ce
qu'il obtint à des conditions favo-
rables tant d'un roitelet musulman
que l'on qualifiait roi (inélik), i\\ie
de la veuve d'un prince dont l'em-
pire avait embrassé tout l'archi-
pel des Comores.etqiii, soit comme
apanage, soit autrement, possédait
dans Anjouan la ville peu connue
de Deinonio. MoUanaPsechora ^lel
est le nom qu'il donne à cette
princesse et qui , très-déjiguré,
d(.'vrait peut-être s'écrire Maoulana
Begham) lui fit un accueil qui
montre assez à quel point le vi-
siteur avait la parole persuasive
et s'enlendail à paraître néces-
saire, jetant ainsi des jalons pour
l'avenir, obtenant des renseigne-
ments utiles et nouant des rela-
tions. Aussi l'amiral le mit-il de
nouveau et sur-le-champ à contri-
bution pour explorer l'ile de Ga-
sisa, que sa proximité d'Anjouan
(50 kilomètres seulement l'en sé-
parent) semblait désigner pour une
station avantageuse; puis pour
prendre connaissance des parages
que baigne le sud de la mer Rouge,
e(, à cette occasion, il le promut
au grade de capitaine-major du na-
vire qu'il montaii (toujours le Nas-
sau). Sa première mission fut cour-
te, 'Van den Broeck ayant bien vite
reconnu que l'île n'offrait qu'un
mouillage insuffisant et des dangers
graves de la part des belliqueux
habitants, qui s'y livraient bataille
sans cesse. L'autre exploration fut
plus laborieuse. Il eut d'abord à
longer tout le littoral de Méiuide,
à doubler les caps d'Orfoul et de
Guardafoul, puis, après s'être diri-
gé quelque temps le long de la
pUige africaine et vers le cap de
l'Éléphant ou Ras-el-Fll, h traver-
ser, vers le 12" de latitude nord,
la manche de Bab-el-Mandeb pour
aborder à l'Arabie Heureuse, où
jusqu'alois jamais Hollandais n'a-
vait porté ie pied, ni mémo fait
llotler sur la cote la voile d'un
navire. Chemin faisant , souvent
il avait marché très-vite, et pen-
dant qu'il serrait les rivages de
Mélinde, vlngt-qualre heures lui
suffirent pour parcourir de 250 k
3l)0 kilomètres ^11 dit 60 lieues). 11
découvrit près du cap d'Orfoui une
belle baie que ne portait encore
nulle carte et qu'il dénomma baie
de N.issau ; il reconnut que les
populations de tout ce pays, le
long de la côle non arabe de
Bal>-el-Mandeb, étaient défiantes ,
farouches et insociables. La cùle
arabe atteinte, il vint mouilU;r d'a-
bord au-dessous et près d'Aden, où
8
VAN
le soin qu'il eut de présenter les
Etals-généraux et le prince d'Oran-
ge, ses souverains, comme les al-
liés, les amis du padichrih de Gon-
stantinople, lui valut du p:oHver-
neur Iça-Aga une réception gra-
cieuse, mais sans conclusions déci-
sives. Il mil alors le cap sur
Chichiri, port un peu plus septen-
trional et résidence d'un pacha su-
pt-rieurau premier, et seul dès lors
ayant pouvoir d'octroyer aux Hol-
landais l'autorisation de commercer,
soit à tout jamais, soit temporaire-
ment. Van den Broeck eut quelque
peine î» le déterminer. Le pacha
partait d'un principe de défiance :
des marchands indiens, persans,
abyssins, madécasses fréquentaient
la rade , fort grande et fort com-
mode, de sa ville de Chichiri ; il
craignait qu'un peuple si dilférenl.
des Asiatiques et des Africains ses
coreligionnaires et ses hùtcs habi-
tuels, ne s'avisfil d'attenter au pri-
vilège de sa rade. Finalement,
l'éloquence de l'Européen triom-
pha, les arguments irrésistibles ai-
dant; la nature des choses, d'ail-
leurs, et la modicité de ses deman-
des ne pouvant laisser de doutes sur
la loyauté de ses vues : il ne sou-
haitait, pour commencer da moins,
(ju'un modeste comptoir (pi'habite-
raient un simple facteur et deux
hommes de service ; puis cet éta-
blissement, il le disait et il disait
nmi, ne devait être qu'un essai; le
grand b:it de Claasz Vischer, son
facteur pendant ces premiers in-
slanis, serait surtout d'apprendre
i'arahe, puis , grAce ;i la connais-
sance de l'idiome, de s'enquérir
des besoins et des goùls des habi-
l.iuls pour les satisfaire (mi leur
portant les produits de l'Europe,
tandis qu'on les débarrasserait du
superflu des leurs. Lui-même ,
VAN
ailleurs, il ne voulait ni';ne pou-
vait rester, il était impatient d'aller
rejoindre la grande flolte qui cin
glait vers l'est et qui devait avoir
touché Java. En effet , il quitta
bientôt son comptoir naissant ; et,
après avoir séjourné un moment à
Koursini , où ne purent le retenir
les démonstrations affectueuses de
Saïd-Bou-Saïdi,trop ami, selon lui,
des Portugais, après avoir remarqué
l'île d'Engagno, après avoir donné
commission au général Both, qu'il
rencontra ramenant en Hollande
quatre gros vaisseaux à riche car-
gaison, de communiquer aux direc-
teurs de la Compagnie le résultat
de ses investigations de la côte
méridionale, tant à l'est qu'au nord
du détroit de Bab-el-Mandeb, il vint
jeter l'ancre dans le port de Bantam
le 30 décembre 1614.
Il avait dix-huit ans alors que
Houtmann, le premier des Hollan-
dais, avait jeté dans cette ville
les fondements d'un comptoir, qu'il
avait été contraint bientôt d'aban-
donner, mais qui, rétabli deux ou
trois ans plus tard, était devenu le
centre d'où rayonnaient, soit de-
vers Ceylan et l'Inde cisgangétique,
soit devers lesMoluqueset Célèbes,
les tlottilles commerçantes qu'ex-
pédiait la Compagnie. .1. P. Coen y
commandait alors en chef au nom
de celle-ci. Van den Broeck avait k
peine eu le temps d'ailerrer, qu'il
reçut de lui commission d'aller
chercher des vivres à Jakatra
pour les transporter aux Moluques.
Jakatra , qu'avaient aperçue et
Houtmann et Harmanzen et Mate-
lief et Verhoeven, le premier sans
vouloir y descendre, les deUx autres
sans y porter grande attention, le
dernier avec assez d'enthousiabinc
pour en déclarer dans un rapport
la situation bien autrement avan-
VAN
VAN
lageuse que celle de Bantam, était
toujours négligée par les Euro-
péens, y coîiiprisles Hollandais; et
ceux-ci n'y taisaient que des ap-
paritions passagères pour s'appro-
visionner, non de marchandises,
mais d'objets de consommation im-
médiate. Van den Broeck, tout en
ne s'attardant point en une ville où
sa seule atîaire était d'opérer de
lapides achats, s'aperçut vite, bien
qu'il n'eût certes pas eu confidence
des idées de Verhoeven, qu'il y
avait là tous les éléments d'une
station, d'une exploitation centra-
les, éléments dont rien ne prouvait
que Bantam présentât véritable-
ment la réunion. Provisoirement,
cependant, il garda ses remarques
pour lui ; et, reprenant la mer, il
lut bientôt à mi-chemin de Banda.
11 y fit rencontre de lieynst, au-
quel, ainsi qu'à Both naguère, il
rendit compte immédiatement de
ce qu'il avait soit vu, soit t'ait, soit
projeté sur les cotes de la mer
Rouge, et qui le chargea d'aller
installer un autre facteur dans l'ilo
(disons plutôt dans les iles) de Bo-
ton. Ce n'était qu'un détour léger.
Bientôt il l'ut au lieu de sa destina-
tion ; et Rini , le gouverneur des
Moluques, lui donna coup sur coup
diverses petites missions, auxquel-
les il dut de ne pas voir d'un bout à
l'autre, et de ses yeux, tous les in-
succès de son amiral Reynst dans
l'ile de Banda.
De retour enfin à Bantam, en
automne, épo(}ue à la(}iielle nous
terminons la première phase de
son action aux Indes, il reçut de
Coen l'ordre de revisiter, en <jua-
lilé de Président des établisse-
ments qu'il pourrait y former, ers
parages arabiques dont nui Kuro-
péen, sauf lui, n'avait de notion :
de plus, il devait en passant don-
ner un coup d'œil à Priaman et
Tikou (deux points de l'ile de Su-
matra), et s'aboucher avec le roi de
Cey lan . Ces deux pays lui fournirent
matière à quelques observations
utiles ; mais, quoiqu'il eût mouil-
lé dans la rade de Balagama, le
temps lui manqua pour remplir à
la lettre la seconde partie de ses
instructions. Le monarque chin-
galais était alors loin du littoral.
Du rtiste, le but qu'avait en vue
Coen, n'en fut pas moins atteint.
Le 11 janvier suivant (en iGIO,
par conséquent), il jeta l'ancre à
Chicheri, où il retrouva son éta-
blissement en bon état; et, quatre
jours après, il fit voile pour Moka,
où il ne rencontra que des navires
orientaux; et, ce qui devait le
charmer, grande facilité de com-
merce, tant avec les indigènes
qu'avec la caravane de Suez et de
lialeb, qu'amena le mois de mars.
Mais Van den Broeck n'était pas de
ceux qui s'endorment sur leurs
lauriei's : non content du trafic
lucratif et commode qu'il venait
d'organiser sur le littoral, il réso-
lut de vérifier s'il ne serait pas
possible de s'étendre à l'intérieur,
et, en tout cas, d'explorer par lui-
même les richesses naturelles du
pays. Il obtint du gouverneur un
passe-port pour se rendre à Scra-
sia, le chef-lieu du pachalik dont
faisait partie Moka, et un firman
enjoignant à tous les cheiks ou
autres chefs dont il traverserait le
pays, de le défrayer et de l'accueil-
liravecdistinction. Van den Broeck
ne prit d'auU'es compagnons de
voyage qu'un commis et un trom-
pette. 11 parcourut ainsi de deux
cents à deux cent cinquante kilo-
mètres tantôt passant des monta-
gnes dont une à pentes abruples
et presque inaccessibles ^à ()fouz\
VAN
VAN
!;intO)t saluant diMîomhreuses mos-
quL't\s ei un tombeau monumental
d'une niagniticence qui rétonna, tan-
tôt trappe de ia feitilitéd unsol où
loute l'année, dit-il, labours, semail-
les et récoltes marchaient de front
en même temps. C'est ainsi qu'il at-
teignit Serasia, d'où bientôt, com-
me ce n'était que le chef-lieu no-
minal, il diit pousser douze kilom.
plus loi» jusqu'à Chenna, pour y
rencontrera sa maison de plaisance
le pacha, dont l'autorisation eiit
consolidé son établissement en
Arabie. De nos jours encore, on
peut trouver de l'intérêt, et même
quelque chosede neuf auxdétailsde
cet itinéraire et duséjour à Chenna.
Le Hollandais reçut un accueil des
plus polis; on lui montra les curio-
sités du pays; on le fêta même. Mais
il ne trouva chez le haut fonction-
naire pas moins de réserve que de
civilité. Soit que les enlours du
pacha eussent été froissés d'en-
tendre son trompette sonnera l'en-
trée du fort habité par leur maitre
et sous les fenêtres du harem l'air
" Guillaume de Nassau, » comme
si harem et fort étaient déjà le lot du
nouveau venu, soit parce que pen-
dant que Van den Broeck s'enfon-
çait à l'intérieur, son navire, au
lieu de rester à Moka, s'était avan-
cé au nord jus(pràDjeddali,elsem-
blait se préparer à pénétrer plus
loin encore, ses demandes n'ob-
tinrent qu'une lin de non-recevoir
tout aussi impatientante (}u'un re-
fus et provisoirement équivalente au
refus le plus formel : « D'abord,
ce n'est pas moi, pacha, (jui puis
vous autoriser. Pour les élablisse-
meiiLs à demeure, il faut l'a^zrément,
il faut un lirman de Sa Ilauiesse.
Ce n'est pas tout ; ici, car ici nous
sommes voisins de la Mekke »
(en effet, l'on n'en <'st guère qu'à
i ,200 k. !), a nul giàour ne peut met-
tre les pieds, sans aller contre les ha-
tits, sinon contre le Qoran; il vous
fautunfetwahducheikhou-'I-islàm.
Attendez que notre kodjah écrive
à Stamboul, et surtout attendez les
réponses. Nous aurons le hatti-ché-
rif au bout de l'année, le feiwah
avant deux ans, si l'on ne le refuse
pas. » Notre voyageur n'eut garde
d'attendre. Mauvaise plaisanterie,
ou simplement mauvais vouloir,
c'était pour lui tout un. Il ne pou-
vait triompher de celui-ci, se ven-
ger de celle-là encore bien moins,
— à moins que sa vengeance ne fût
de les laisser à leurs vieux us, à leur
stagnante routine, ne leur deman-
dant rien de leurs produits, ne leur
aj)portantrienderEurope. Aussi, de
retour à la côte, après l'excursion iur
fructueuse, non content de renon-
cer à s'installera Moka et d'exploi-
ter les environs, supprima-t-il le
comptoir de Chichiri, au grand re-
gret et des habitants et de leur
prince. Se rabattant alors sur l'Inde
cisgangéiique, il vint mouiller à
Surate ; et là, malgré des obsta-
cles de plus d'un genre, il parvint
à placer sur un pied à peu près so-
lide un comptoir à côté de celui
qu'y possédaient les Anglais. Il en
fonda même d'autres en des locali-
tés, les unes déjà exploitées, les
autres convoitées par eux, telles
que Brochia, Kandaya, Ahmedabad.
Il ne faut pas demander si ceux-ci
l'y virent avec chagrin : il n'est
pas de moyens qu'ils n'employè-
rent pour le faire congédier; et
l'on |)eut dire qu'ils n'épargnèrent
point Tarjent pour s'acquérir cette
chance de monopole à toute ou-
trance... Si Penjnmd numviis. . .,
etiam lus. 1! y eut même un instant
où, lassé d'avoir à déjouer tant
d'intrigues et a se défendre de tant
VAN
VAN
11
de chicanes, Van den Broeck s'a-
visa du remède héroïque, un brus-
que et complet déménagement.
Mais la population, mais plus en-
core les trafiquants possesseurs de
navires orientaux, faisant le com-
merce, soit que la concurrence
intereuropéenne leur portât pro-
fit, soit qu'ils redoutassent pour
leur cargaison la violence et la cu-
pidité biitanniques, s'empressèrent
de témoigner leurs regrets de celte
retraite, et supplièrent, ou plutôt
requirent le gouverneur mogol de
lui faire faire voile arrière. Van
den Broeck donc resta, non plus
par pure tolérance, mais sur les
instances des indigènes, et s'il fut
stipulé qu'il devrait obtenir, pour
que son établissement fût définitif,
l'agrément du Grand Mogol ou de
son durbar, évidemment ce ne fut
que pour la forme : provisoire-
ment il existait , provisoirement
les calomnies de ses concurrents
étaient frappées de paralysie, et
nul doute sérieux ne pouvait s'éle-
ver sur le résultat. Les Anglais
n'en revinrent pas d'élonnement;
mais cet élonnement ne démontre
que mieux le mérite de leur adroit
adversaire. Ils répétèrent que son
départ n'avait été qu'un simulacre,
qu'un vain jeu Jeu? soit! Mais
vain jeu? Le mol cesse d'être juste :
Leur compétiteur avait bien joué.
i\ous glisserons sur les missions
de plus en plus laboiieuses et dé-
licales dunt l'investit pendant les
douze ou quinze mois suivants la
confiance toujours croissante du
général Goen, et qui l'amenèrent, en
juillet lG17,sur lescôles d'Afrique,
où déjà nous l'avions vu. Aux en-
virons des caps d'Oifoui et Guar-
dafoui, son navire lut ballu par une
tempête des plus furieuses qui ,
non seulement le poussa dans les
eaux de la manche de Bab-el-Man-
deb, mais devant laquelle il fut
obligé de fuir voiles arrière jus-
qu'à l'Inde, au sud de la pénin-
sule de Goudjerate; encore ful-il
réduit à se faire échouer en attei-
gnant la tôle de Daman, la der-
nière ville importante que possé-
dât au sud le Grand-Mogol, dont
alors la domination ne comprenait
rien ou presque rien du Dekkan.
Aucun des siens pourtant ne périt,
et même il put sauver partie de ses
marchandises, qu'il mit à couvert
derrière un abri improvisé; après
quoi, presque seul, il franchit la
courte dislance qui le séparait
de Surate , comptant y trouver
des moyens de reprendre la mer en
frétant galiolle ou yacht, prame ou
jonque. Il espérait à tort. Les moyens
de transport, il est vrai, ne man-
quaient pas : il put compter jusqu'à
sept navires en rade à Surate.
Mais tous les sept étaient des na-
vires anglais, et les sept capitaines
furent unanimes à lui refuser toute
aide. Ils ne voulurent pas même
mettre à sa disposition la moindre
chaloupe. Force eût donc été d'a-
cheter et de faire venir de localités
lointaines quelque embarcation
qu'on n'eût pas vue avant de l'ac-
quérir, et qui peut-être u'eûl pu,
chargée de son équipage, tenir la
mer jusqu'à Java. Ne voulant ni
courir ce risque, ni ruiner par des
frais disproportionnés son comp-
toir naissant, l'intrépide naufragé
prit uu héroïque parti : ce fut de
se rendre par terre, en traversant
toute l'épaisseur du Dekkan, à la
côte orientale de la péninsule, d'où
probablement il ne lui serait plus
diîlicile de se rendre à la pointe
de Malakael aux ilesmalaisieiuies.
Des Hindous même, àquehiue peu-
plade (pi'ils apparlinsseut, très-
12
VAN
VAN
peu acromplissaient en lolaliu* ce
voyau'e de plus de mille kilomètres
(|ue rendaient dos plus pi'uibles les
inontaj,Mies, les rivières, et presque
partout l'absence de routes pralica-
l)les, et que hérissaient de périls, ici
les bêtes féroces, \i\ les hommes plus
léroces qu'elles, barbares à peine
échappés h la vie sauvage, vivant
de la vie de bandits, et tantôt les
uns, et tantôt les autres en éiat de
iîuerre entre eux. Cent Irenîe-deux
iiommes, dont cent trois Hollan-
dais et viniït-neuf Asiatiques, qui
naguère avaient formé l'équipage
(lu Nassau, se mirent en route avec
lui pour partager ses aventures et
ses périls. Des bœufs portaient ses
bagages et ses marchandises, et ses
hommes étaient armés comme pour
enlrer en campagne. Le dépari dut
avoir lieu vers le commencement
d'octobre (IGIT).
Les premières journées se pas-
sèrent paisiblement îi parcourir les
dépendances orientales du Goud-
gerale (Nocherni , Gandivi, Ar-
maou). Mais ils n'eurent pas plutôt
mis les pieds sur les terre? des Kad-
jepoutes qu'ils durent prévoir et
même qu'ils eurent des hostilités à
repousser. A cinq kosses (soit 30 k.)
d'Armaou , les liabilanis d'Onvvi
prétendirent, en dé;iit du passe-
port dont Van deu Broeck s'était
muni, lui faire payer un droit par
homme et pour chaque bœuf chargé.
Il .s'ouvrit le passage cependant
sans bourse délier ; mais 20 k. plus
loin, Ji Kamela, il trouva la route
barrée par de ;iros arbres et fut as-
.sailli de toutes p:irls. Vingt-cinq
coups de mousquet réduisir<;nl les
assaillants à fuir, non sans perle,
et à se tapir dans les bois, d'où plu-
rent encore des flèches, auxquelles
ripostèrent des balles : un de ses
Tartares, dan;i ces engagements, eut
le dos fendu en deux par un Japo-
nais au service des Européens. Le
lendemain, il fallut marcher ensei-
gnes déployées au travers de hautes
et âprt s montagnes, puis jouer de
l'arme ii feu et de l'arme blanche
au sortir du défilé contre le com-
mandant d'un fort voisin, à la solde
du râdjâ de Partibassa (ou Parla-
ba?): trois colonnes de cavalerie
arrivèrent successivement sur îa
petite troupe hollandaise aux cris
de « Mahar kotta , inahar kotta
(tue, lue ces chiens, w c'est-k-dire
ces Infidèles). Le gouverneur était
en personne à la tête de la pre-
mière. Van den lîroeck les al-
tendil de |)ied ferme et en bon or-
dre, et ne donna, que lorsqu'ils
furent à la dislance par lai voulue,
le signal d'un feu nourri qui cou-
cha par terre, entre autres victi-
mes, le gouverneur ; les deux autres
corps, en dépit de leur ardeur, ne
furent pas plus heureux. Et vaine-
ment les fantassins, embusqués
dans les jongles le long de la route,
décochèrent, tant qu'ils furent sur
leurs terres, leurs flèches et leurs
dards contre les voyageurs. Trois
seulement de ces derniers res-
tèrent morts sur la place... Il est
vrai que Ningt-hnit étaient blessés.
-Mais qu'était-ce au prix des perles
qu'avaient à déplorer les belliqueux
Kchalriyasde Parlibassa? Les Hol-
landais en apprirent le nombre
exact le lendemain, quand ils pu-
rent se reposer, iuattaqués en
même temps ((u'inolfensifs , sur
les terres du Dekkan. Quatre-vingt-
ci[i(i des ennemis étaient tombés
sous leurs coups; et sur le bûcher
du gouvfTueur étaient montés, pour
y périr dans les flammes, tous ses
domestiques, ses esclaves et son
harem. La population du Dekkan
était alors en guerre avec son
t
VAN
voisin le râdjâ de Partibassa : l'é-
chec que venait de faire éprouver
aux soldats de ce prince turbulent
et inquiet la suite de notre Hollan-
dais ne putdonc que lui valoir un af-
fectueuxet parfait accueil de la part
des Dekkanais. Cependant il ne
put se dispenser de rémunérer à
beaux réaies de huit comptant l'es-
corte armée qu'on s'empressa de
lui donner pour atteindre Van-
dandérin ; et là encore, pour avoir
le droit de quelquesjours de repos
et droit de passage, il crut sage de
composer, préférant avec raison
perdre un peu de monnaie que du
temps et des hommes. Bientôt
après, il eut franchi l'espèce de
mur que forme la double chaîne
des Gates, salua de loin les deux
forts d'Aneque et Taneque sis
chacun sur des cimes opposées.
Laissant ensuite ses malades à Pa-
loda sous la garde d'un commis,
pour ne pas retarder indéfiniment
sa marche, il atteignit un yaste
camp de 16 ou <8 k. de tour, que
commandait, à la tête de 80 000 ca-
valiers, plus de l'infanterie en pro-
portion , un général abyssin que
son mérite et quelque peu d'intri-
gue avaient investi d'un pouvoir
équivalent k celui de régent. Sim-
ple esclave, d'abord, d'un grand du
Dekkan (qui l'avait acheté 20 pago-
des, soit 80 fr.), après la mort de
son maître, il avait épousé sa veuve,
s'était fait chef de routiers qu'il
porta successivement à 5,000, tous
cavaliers, et après avoir longtemps
levé la dime sur les passants de
facile composition, le quint ou dou-
ble quint sur les récalcitrants, avoir
longtemps déjoué les efforts de Ni-
zam Djehàn (le roi du Dekkan) pour
s'emparer de sa personne, il était
devenu le personnage le plus consi-
dérable de sa cour, son génér'ilis-
VAN
13
sime, son beau-père, puis enfin
le gendre mourant, comme de rai-
son, le tuteur, le tout-puissant tu-
teur du jeune fils de sa fille.
Mélik-Anbâr (c'était le nom, disons
plutôt le sobriquet royal (1), de ce
quasi-monarque) tenait tête alors
aux forces du Grand-Mogol. lUe
montra plein de courtoisie pour
Van den Broeck, lui fit présent
d'un sabre du Japon, d'un poi-
gnard de Java, d'une veste d'or
et de poil de chameau, lui de-
manda des nouvelles de ses malades
de Patoda et voulut le retenir à
son service. C'est son attitude à
rencontre des Radjapoutes de Par-
tabrissa qui lui valait ces égards.
Il y a plus : quelques députés de
ceux-ci étant venus présenter leurs
plaintes contre le voyageur, comme
leur ayant enlevé leurs chevaux,
l'ex-chef de héros de grandes routes
ne leur répondit que par des propos
de ce genre et en riant : « Eh bien!
le voilà devant vous, que ne le pre-
nez-vous ? » ou bien : « Pourquoi
vous laissez-vous enlever vos che-
vaux?» Le Hollandais ayant décliné
ses offres, Anbàr n'en fi[ pas plus
froid visage à son hôte, et il lui
donna de si main un p;isse-port
pour les autres pays à traverser.
Tous n'étaient pas do ses sujets ou
de ses amis, et plus des deux tiers
(le la route restaient à faire. De
Djikedon à Kafrio (près de 60 kos-
ses ou 300 k.), il fut presque coiis-
[D On sait que melilc (ou melek) on
arabe veut dire roi : anhar (on, comme
r(''<nt Vaii (ien iJroeck, ainbaur) est
probablement l'ori-inal de notre mot
aiubre; A c'est un de ces sobriquets
par anliplira.se [sous, goul, yd out^
f/ouhcr, etc., que d'un bout i»' l'antre
de l'Orient on donne à ces pauvres es-
claves, au teint fuligineux.
Ml
VAN
tamment sur les domaines du Grand-
Moiïol : on lui refusa l'entrée de la
ville royale de Kaoulas, et il dut
dresser ses tenies au village de
Chamentapour ; il ne put non plus
visiter Goikound, attendu, lui dit-
on, que là se trouvaient nombre
de harems, zénànas et antapou-
ras, des grands du royaume ; à Bag-
ganagar, il eût à subir une capti-
vité de quelques jours, n'ayant pour
demeure qu'une vieille grange, et
lorsqu'il redevint libre, il vit, tou-
jours à Bagganagar, le gouver-
neur de Masulipatan lui retenir le
sauf-conduit d'Anbàr,sous prétexte
que donner passage à tant de
monde îi la fois serait un acte de
haute imprudence. « Prenez, leur
dit-il, par Pétnpoli, d'où vous vous
rendrez à Paliakate. » Tel fut en
eftel le chemin qu'il prit d'abord;
mais, arrivé au gros bourg d'Ibra-
himpatan , il fléchit vers Masuli-
palan, but premier de son voyage
terrestre et où son plan avait été
de reprendre la mer. M;iis là en-
core, surgirent des obstacles. La
police de cette ville voulait qu'il lui
remît ses arme.> ; et, pendant ce
(•oiiflit, il apprit que ses malades
avaient été séquestrés à Normol. Il
revint sur ees pas, tenta sans fruit
de se les faire reridre, et, chaque
jour, plus circonvenu par des pé-
rils de toutes sortes, tantôt gagnant
Péiapoli j)ar Badour sans pouvoir
y entrer, tantôt rebroussant chemin
jusqu'à Mout.'pouli, ici se voyant
refuser des vivres contre argent, là,
faute d'un canot, que personne ne
voulait lui louer ni lui vendre, forcé
de passer à la nage, sa troupe et
ui, kMM's armrssur les épaules, les
flotî- hérissés de brisants, aiiu d'at-
ttMudre le yacht d'un compatriote
(Hans de Haas, gouveriicu; eu ces
parages), il atteignit enlinl*aii:«kate
VAN
et le golfe du Bengale. C'était en
janvier 1018. Il eût pu dès lors ^'-e
rendre aux îles de la Sonde. Il se
laissa déterminer par Hans de Haas
à prendre part à ses croisades contre
les Portugais; et là, tout en s'ini-
tiant à la parfaite connaissance de
la côte de Coromandel où nous le
verrons reparaître plus d'une fois,
il acheva de se familiariser avec
les principes et les habitudes mili-
tairos dont il avait si fortement
l'instinct : cinq bâtiments, dont trois
frégates, composaient leur escadre.
Il n'est pas dit que de très-riches
ou très-nombreuses prises aient
récompensé leurs excursions.
Van den Broeck fut plus heu-
reux cà la cour du roi d'Achin,
qui, tout fier qu'il fût de ses ré-
cents succès sur le roi de Pahan,
consentit, grâce à l'habileté du né-
gociateur, à renouveler son traité
avec les États. Vingt et un mois
s'étaient écoulés pendant ces cour-
ses si multipliées et si périlleuses.
De retour à. lava, son point de dé-
parl,il y trouva tout enagilationet
en péril (7nov. 1618). Coen était en
guerre avec le roi de Banlam, que
probablement avaient animé les
dénonciations des Anglais, et se te-
nait sur la défensive. Ces mêmes
Anglais, au mois de décembre sui-
vant (1618), mettaient la niain par
trahison sur un navire batave, le
Lionnoir, qui venait de Pafane. A
cette uouvelle.VandenBroeek, qui,
de Jakatr.i s'apprêtait, par ordro
sans doute, îi faire voile pour Su-
rate, prit tout à coup une décision
dont l'initiative, en compromettant
un moment sa responsabilité, ne
peut que lui faire honneur aux
yeux de tout juge impartial. Ju-
geant qu'une course toute com-
merciale n'ofl'rail pas d'urgence à
l'heure d'une pareille crise, il se
VAN
VAN
15
dit que l'important était pour ors
de fortifier si bien la loge de sa
nation à Jakntra qu'elle fût à l'abri
de toute insulte anglaise... ou au-
tre..., puisque les roitelets du pays
prenaient tout Tair de passer à l'é-
tat de marionnettes anglaises, et
puisque, d'ailleurs, les Anglais
avaient là, tout près de l'embou-
chure du fleuve, une loge mieux
située que la leur. Il commença
par entourer ses bâtiments de pa-
lissades et d'un rempart de terre.
Les Jakatrais répondirent en com-
mençant à leur tour des foriifica-
tions. Van den Broeck n'en fut que
plus résolu et plus ardent : il ac-
céléra les travaux; les palissades
devinrent enceintes continues; les
pierres de taille remplacèrent la
terre et le bois, et le tout prit le
nom de Batavia. Vidourg-Bâm
(c'était le nom du potentat de Ja-
katra) faisait, pendant ce temps,
construire sous la loge anglaise
et d'après un plan anglais une es-
tacade qui barrait le fleuve. Deux
jours après, les boulets volaient de
part et d'autre; des Hollandais et
des Anglais , voire des Jaka-
trais mordaient la poussière ;
les succès se balançaient. La loge
anglaise cependant recevait assez
d'avaries pour que les Anglais, à
Bantam, demandassent instam-
ment au roi de celle ville qu'il exer-
çât, pour pux, des représailles en
incendiant la loge hollandaise. Ce
prince, fin politique qu'il était, se
contenta d'envoyer à Vidourg-Ràm
de 3 à iOO hommes, c'est-à-dire
juste assez pour n'être pas détrôné
par ses nouveaux voisins, mais
trop peu pour les écraser eux-
mêmes. Le danger ne laissait pas
d'être immense pour ceux-ci. L'ne
flotte britannique de onze voiles
menaçait de franchir le détroit de
a Sonde et pouvait, d'un instant
à l'autre mouiller en vue de Ja-
katra : heureusement Coen, bien
moindre en forces cependant,
trouva moyen de lui barrer le
passage et, sans combattre, para-
lysa tous ses mouvements. Mais
immédiatement après il s'éloigna
pour aller passer de trois Ix six
mois aux Moluques. L'ami des
Anglais en profita pour se montrer
de plus en plus hostile à leurs ri-
vaux; et, finalement, les voyant
battre avec vigueur sa propre ca-
pitale, et k la veille d'y faire brè-
che, il eut recours h la trahison
pour simplifier l'imbroglio : simu-
lant la modération et la fatigue, il
signa un traité ou si l'on veut un
armistice avec Van den Broeck,
qui, moyennant 6.000 réaies de
huit une fois données, garderait ses
fortifications « in statu quo », nul
d'une autre nation ne pouvant bâ-
tir à 40 mètres â la ronde; mais
une fois l'argent en ses mains et
Van den Broeck ayant été, sur son
invitation, lui rendre visite, il le
retint prisonnieret voulut le forcer
à donner aux siens l'ordre de ren-
dre leurs forts au roi, s'ils ne vou-
laient qu'il pérît dans les supplices.
Il le fit môme mener la corde au
cou sur le rempart de J.ikatra
pour que sa vue et ses exhortations
décidassent les Holiandais à céder.
Mais, loin de li, Van den Broeck,
grAce au poste qu'il occupait, s'a-
perçut que, sur un point, le rem-
part ne pouvait tenir longtemps si
l'on continuait à bijltre en brèche,
et il révéla tout haut devant ses
gardiens celte particularité à ses
amis, généreux a(!te de patriotisme
que lui firent expier ces mêmes
gardiens par d'ir.dignes brutali-
tés, et qui, du reste, ne produisit
pas le résultat espéré. Soit que
R
VAN
VAN
les Néerlandais, ainsi qu'ils le di-
rent, n'eussent plus do poudre qus
pour un jour, soit qu'en s'èloif^nanl
Coen leur eût dit qu'en cas extrême
mieux vaudrait qu'ils se rendissent
aux Anglais qu'aux Javanais, une
capitulation eut lieu le 3i janvier
(1619), conforme au vœu de tous
les habitants de rétablissement
nouveau qui remettait les forts au
chef anglais Dael, et dès le lende-
main cet oflicier se faisait livrer
toute l'argenterie du général Coen.
Le traité ayant été signé aussi par
Vidourg-Rûm, et ce dernier d'ail-
leurs n'étant ici que l'instrument des
Anglais, il est assez clair qu'immé-
diatement Van den Broeck eût dû,
selon les clauses de l'accord, re-
couvrer sa liberté. C'est ce que les
deux dignes alliés se gardèrent de
faire, ne croyant leur victoire as-
surée qu'en tenant sous clef
l'hoa^me dont l'activité leur était
surtout redoutable, et, grâce à
cette perfidie, n'apercevant plus nul
nuage à l'horizon, nul revers pos-
sible à leur triomphe. Il en fut tout
autrement: en présence de l'astuce
indoue, il y a toujours place pour
linatiendu. Le pangoram ouràdjà
de Bantam, à la nouvelle de l'inci-
dent qui donnait, et aux Anglais
qu'il n'aimait guère, et à son rival
de Jakatra qu'il n'aimait pas ,
un surcroit décisif de puissance et
de richesses, rompit tout net avec
les demi-mesures : 2,000 soldais se
mirent en route par ses ordres,
sous le chelde toutes ses troupes
et entrèrent dans Jakatra où na-
turellement on les prit pour des
auxiliaires. Admis au palais, cet
oflicier, après avoir remis ii Vi-
dourji-Uûm une lettre de son maiire,
prolila bientôt d'un moment de
lèle-à-lèle avec lui pour lui met-
tre le poignard sur la gorge, et lui
rendant perfidie pour perfidie,
faire occuper foutes les avenues
du palais par les forces qu'il avait
amenées. Les Anglais ne purent
que prendre h la hâte la roule de
leurs comptoirs, que même ils se
virent bientôt obligés de quitter et
qu'enclava Batavia sans cesse
croissante ; les Hollandais cessè-
rent d'être inquiétés par les ban-
des de Jakatra et reçurent des
vivres à la condition de ne pas
coniinuer leurs fortifications. Van
den Broeck, sorti de sa prison,
put croire qu'il allait devenir li-
bre. Mais provisoirement il fut
conduit à Bantam, où ensuite il fut
retenu. Moins brutalement traité
que naguère, il était cependant
entouré d'entraves, épié, traqué,
tandis que, par tous les moyens,
espoir et menaces ou appel à la
reconnaissance, on tentait de l'a-
mener à rendre ses forts, à délais-
ser ses établissements. Il tint boa,
ne dit ni oui ni non, et par des
avis secrets pressa ses compa-
triotes de pousser les travaux des
fortifications jusqu'à ce que les
temps devinssent plus favorables
aux idées de leur chef captif;
ceux-ci achevèrentleur enceinte et
d'autres ouvrages, apposèrent en
grosses lettres sur leur porte prin-
cipale le nom de Batavia, puis fi-
nalement se mirent en disposition
d'éloigner par les armes tout sur-
veillant, tout assaillanl qui préten-
drait les rappeler à la lettre de
conventions imposées par la force.
Cette politique, qu'on ne dévoila
que graduellemeni, mais qui ne
laissait pas que d'être assez dia-
phane par instants, mit deux ou
trois fois V.in den Bioeck en dan-
ger d'être poignarde. Heureuse-
ment Coen finit par revenir des
Moluques (25 mars 1020), amenant
VAN
VAN
17
I
dix-sept voiles, mouilla sous le
fort et débarqua douze compagnies
qui bientôt eurent franchi les trois
kilomètres qui séparent Jakatra
de la plage. Trois jours après (le
29) la ville était prise, le roi en
fuite, tout ce qui restait de la po-
pulation mâle et adulte passé au
fil de l'épée, les murailles rasées,
et le nom de Jakatra ne fut plus
qu'un souvenir. L'émotion fut
grande à Bantam : le pangoram
chercha pourtant encore à tergi-
verser. Coen alors vint s'embosser
devant Bantam (8 avril} et somma
le cauteleux prince de lui remettre
sous vingt-quatre heures soixante-
dix Hollandais que les Anglais lui
avaient remis en dépôt et Van den
Broeck: le Javanais n'en remit d'a-
bord que soixante-quatre et menaça
le fondateur de Batavia de le tuer,
quitte à le livrer mort. Finalement,
s'avouant que cette satisfaction déri-
soire ne passerait pas impunie, il
consentit à s'exécuter complète-
ment ; et Van den Broeck avec
sept autres fut remis en liberté. Ce
dénoùment forme la transition de
la deuxième à la troisième phase
des services de ce zélé patriote en
Orient.
Nous le voyons à présent, im-
immédiatement après la rupture de
ses fers, reparaître, par ordre de
Coen, devant Bantam; mais cette
fois c'est avec des forces de terre et
de mer. Il vient retirer de la ville
du pangoram toutes les possessions
de la compagnie hollandaise, et,
tandis que le prince altermoie, il
détermine quantité de Chinois, ha-
bitants de Bantam, à déserter leur
patrie nouvelle, à b'adjoindre k la
for'iune hollandaise et a venir ha-
biter sa cité naissaiite. La popula-
tion de Batavia est quintuplée,
bientôt elle touchera le décuple...,
LXXXV
elle ne s'arrêtera pas là. Le pango-
ram, auquel, par luxe de précau-
tion, il fait la plaisanterie d'en sol-
liciter la permission, feint de ne
pas tenir à ces émigrants et lui dit
qu'il n'est pas surpris, puisque, a en
lui donnant la volée, » il s'est bien
attendu « à voir d'autres oiseaux
s'envoler de la cage. » En revanche,
de moins en moins coulant sur le
retrait des marchandises, il en vient,
d'ajournements en ajournements, de
subterfuges en subterfuges, à retenir
onze Hollandais qui restent encore
au comptoir pour le gérer. Van
den Broeck ouvre les hostilités le
2 août, et, en peu de temps, enlève
neuf grosses jonques , trente-trois
moindres embarcations , quatre-
vingt-un Javanais et Javanaises de
Bantam, plus cent trente-deux Chi-
nois dont maintenant on prohibe
la sortie et qui n'en connivent
que plus décidément avec lui.
Force est enfin au pangoram non-
seulement de laisser les Hollan-
dais déménager leurs biens sans
que rien n'y manque, mais de de-
meurer aux yeux de tous avec sa
honte et hors d'état de résister : ils
n'abusent pas de leur victoire,
mais ils en usent. Les Anglais aussi
deviennent plus respectueux. Une
de leurs escadres paraît, devers le
détroit de la Sonde, méditer quel-
que entreprise sur les établisse-
ments hollandais; mais Van den
Broeck croise dans cei parages
avec six gros vaisseaux et un yacht,
et, par ses manœuvres, il réduit
un d'eux à venir mouiller sous pa-
villon hollandais : il est avéré qu'il
ne pourra tenir Le capitaine
alors exhibe copie d'un récent
traite de paix entre les Provinces-
Unies et l'Angleterre, traite encore
inconnu, et que le fils d'Albion au-
rait sans doute garde encore en
18
VAN
portefeuille, s'il eût été de force à
capturer les Hollandais. La paix
connue et publiée, ces mêmes An-
glais , si tiers l'année d'avant ,
prient qu'on leur accorde dans Ba-
tavia le terrain où jadis fut sis leur
comptoir , à reifet d'en établir un
autre. « Mon fort vous incommo-
derait, » répond l'ex-captif de Vi-
dourg-Ràm, « vous en seriez trop
voisins. » Et il leur assigne un au-
tre point, on peut dire un coin de
sa ville , à distance respectueuse.
La même année (1020) le vit revê-
tir du titre deChefel directeur des
comptoirs d'Arabie, de Perse et
des Indes. Ces fonctions, qu'il rem-
plit pendant sept ans moins quel-
ques mois, ne furent pas une siné-
cure pour le titulaire, bien que ses
traverses n'aient pas été tout à
fait si grandes. Il eut pourtant de
graves périls à conjurer. Un na-
vire hollandais , le Sainsun, s'étant
saisi de riches cargaisons apparte-
nant à des sujets du Grand-Mogol,
ces façons cavalières d agir failli-
rent (les bons offices des Anglais
aidant ) faire considérer sérieuse-
ment à la cour d'Agra les Hollan-
dais comme des pirates. La compa-
gnie, dans les provinces soumises
au Mogol , possédait plus de six
tonnes d'or, sur lesquelles il était
facile autant que doux de faire
main basse. Il fallut toute l'habi-
leté (le Van den Uroeck à retrou-
ver les mailles perdues pour rei)ri-
ser le tissu du traité entre ses com-
patriotes et les fils d'Akbar. Indé-
pendamment des comptoirs que
lui (levaient Ahmedabad, Kâm-
dâya, lirochia. Surate, il en créa
d'autres sur des points habilement
choisis. Non coulent d'être rensei-
gne par des rapports, il allait sou-
vent tout inspecter par ses yeux ,
tout raffermir par des instructions
et des encouragements person-
nels. Il entretenait auprès du Grand-
Mogol un agent principal , dit chef
du commerce, Wouterlleute. Lui-
même ordinairement résidait à
Surate , d'où partirent par ses
soins nombre de navires richement
chargés, les uns pour la Hollande,
les autres pour Batavia. Il n'avait,
du reste, pas négligé l'Arabie; il
avait revisité la mer Rouge, et son
gouvernement, ayant par voie di-
plomatique obtenu du Grand Sei-
gneur le firman ou haiti-chérif
qu'affectait de réclamer si haut le
pacha de Chenna , il établit une
factorerie dans Aden. C'est sous
l'administration de Van den Broeck
que, pour la première fois, des
navires se rendirent en droiture de
la Hollande à Surate {le Schoon
Hove), et de Surate en Hollande
( le Heusden), les uns et les autres
en 1G23. Remplacé en 1027 par
Van Ilassel, Van den Broeck ne
retourna immédiatement ni U Ba-
tavia ni en son pays. A Surate se
trouvait tout nouvellement arrivé
de Masulipatam un ambassadeur
persan, Mouça-Beg, qui, sa mis-
.sion achevée près du directeur des
établissements de la côte de Coro-
mandel, avait voulu gagner par
terre la côte opposée, mais qui
comptait opérer par mer le reste
du voyage. C'est Van den Broeck
qui fut chargé de le reconduire.
Il profita de l'occasion pour se
concilier les bonnes grâces du di-
gnitaire musulman, et il utilisa le
séjour d'un an au moins qu'il lit
en Perse (1028), pour y nouer ou
y préparer des relations avanta-
geuses au commerce hollandais.
De retour à Surate (1029), il fut
prié de remplir une autre et der-
nière mission : ce fut de recon-
duire à Java une flotte dont la
VAN
VAN
td
I
I
cargaison représentait douze ton-
nes d'or. Il eut le chagrin de trou-
ver la naissante colonie en im-
minent danger de périr : Batavia
venait de voir 80,000 Javanais
l'investir (22 août} , et chaque jour
rendait la situation plus critique,
le général Coen, malade alors, ne
suffisant point aux soins de la dé-
fense. La présence de Van den
Broeck, le fondateur de la cité, ra-
nima les courages. Coen expira le
âO septembre. Le commandement
appartint de f^iit dès lors à l'ex-
directeiir des comptoirs d'Arabie,
de Perse et des Indes, lequel n'é-
pargna rien pour inspirer son in-
domptable résolution à tous. De
fréquentes et heureuses sorties
éclaircirent les rangs des enne-
mis, en attendant que des mala-
dies vinssent faucher en grand, et
que l'impatience fit fuir du camp
tant de sauvages indisciplinés (lu'a-
vait réunis l'espoir d'un prompt
succès, d'un prompt pillage. Ces
prévisions ne tardèrent pas à se
réaliser. Le 2 octobre, le siège
était levé. Van den Broeck, à peu
près au même moment , rece-
vait le brevet d'amiral pour ra-
mener en Hollande un convoi de
sept vaisseaux. Il les ramena sans
autre perle que celle d'un bâti-
ment /(' Dordrecht, à bord duquel
se déclara le feu, et qui ne put
être sauvé. De retour au Texel, le
8 juillet 1630, il jugea sa dette
payée à la patrie et le moment du
repos venu. Le titre fort honora-
ble qu'il venait d'obtinir, et qu'au
r('ste, il ne faudrait pas confondre
avec celui d'amiral militaire, suf-
Il.ait à sr'D ambition et lui sembla
clore convenablement sa carrière.
Il s'y joignait d'ailleurs une belle
pension et des distinctions honori-
liques. Il passa les dernières an-
nées de sa vie à mettre en ordre
les notes qu'il avait recueillies à
l'étranger pendant sa vie acci-
dentée.
Son ouvrage dont voici l'intitulé:
Voyage de Pierre Vau den Broeck en
Afrique et aux Indes-Orientales, con-
tient beaucoup de détails intéres-
sants, mais qu'il ne faut pas tous
adopter k la lettre, ou qui sont no-
toirement insuffisants. Personne,
par exemple, ne sera convaincu que
les deux Banyans centenaires qu'il
vit à Bombay, en d6-2i, et dont
l'un était le père et l'autre le fils,
eussent le dernier 150 ans, le pre-
mier 468. Ils s'en donnaient 160
et 180. Tout l'efiorl de la critique
de Van den Broeck est de remar-
quer qu'ils comptaient apparem-
ment par années lunaires, de telle
sorte que , des 180 ans du père il
fallait retrancher 42 ans. C'est dire
trop et trop peu : trop , puisque
400 années lunaires équivalent à
peu près à 97 solaires ; trop peu ,
puisque très-probablement erreur
ou mauvaise foi viciait le for-
midable total. Autre exemple. En
rapportant la grotesque opinion
des Arabes qui, parlant des cara-
vanes ensevelies sous les tourbil-
lons de poussière que le vent
transporte d'Arabie sur la côte
orientale de la mer Rouge , pré-
tendent que les corps qu'on re-
trouve conservés sous le linceul
de sable , sont les véritables mo-
mies de la région uiliaqiie, il se
donne si peu la peine de protester
contre cette assertion, qu'on est
tenté de croire qu'il y souscrit....
Sans être Caillaud , Gau ou Bel-
zoni. il y avait, ce nous semble ,
dans cette naïveté, de quoi faire
pousser un holii ! Veut-on un au-
tre échantillon encore de cette
placidité avec laquelle il enre-
20
VAN
VAN
gistre sur simple dire ou sur le
vu? Pour la première fois de sa
vie, il voit en 1(316, i^ Moka, du
café dont même il sait le vrai nom
arabe {alliahawd); même il en dé-
crit l'infusion ; mais il imagine
que la couleur noire, qui caracté-
rise le grain torrêlié, est celle du
fruit sur l'arbre ! Du reste, comme
presque tous les voyageurs de
son époque, il n'est ni botaniste
ni zoologiste; ce qui n'empêche
pas que l'histoire nalurelie n'ait
pu tirer de lui plus d'une indica-
tion précieuse. 11 est certain, par
exemple, qu'il est un des pre-
miers, sinon le premier, auque
l'Europe dut la connaissance et
l'exploitation commerciale de la
fève d'Arabie. Il est attentif à re-1
lever les phénomènes et les parti-
cularités qui, depuis, ont intéressé
si vivement la science. Les flots
rouges que roule la mer aux en-
virons d'Aden ne passèrent point
impunément sous sts yeux, et il
reconnut que la cause de cette
couleur n'était autre que la nuance
des rivières cûtières de l'Arabie
qui, roulanttorrentueusemeut dans
des ravins, inondent leurs friables
rivages et charrient les sables
rouges qu'elles en détachent. Ces
eaux, en eflet, et il le signale ,
déposent, pour peu qu'on les gar-
de, un sédiment arénacé rouge
assez épais pour que, lorsqu'il est
en suspens, le liquide en offre la
teinte; et il émet l'opinion fort
plausible , qu'il ne faut pas cher-
cher ailleurs que lii l'origine du
nom de mer Uouge. Ailleurs, il
entre dans quelques détails sur
une éruption du volcan de Goun-
nepi, dans l'île qui porte ce nom.
Il mentionne les (•difices, les mo-
numents et les traditions qui s'y
rattachent : ainsi , à Chenna, les
quatre mosquées, dont une a i)lus
de U)0 colonnes; les bainspublics,
que les hommes fréquentent le
matin et les femmes l'après-midi;
le puits de cent brasses, que l'on
regarde comme l'ouvrage du pa-
triarche Jacob; la tour au haut de
laquelle était renfermé un grand
lion dans une cage de fer. Somme
toute, et quoique nous soyons bla-
sés, nous, hommes du dix-neu-
vième siècle, nous, touristes, sur
toutes les impressions de voya-
ges, le journal de Van den Bro3ck
est encore du nombre de ceux
qu'on feuilleterait avec plaisir, et
parfois avec profit, malgré les fau-
tes que nous venons de signaler,
malgré sâ fâcheuse orthographe
des noms propres orientaux , que
nous avons tâché d'amender (Jed-
dah pour Iliddedah, Begâme pour
Psechora, etc.)- A ce titre et à
deux autres encore, il mérite
amplement la place qu'il vient
aujourd'hui prendre dans la Bio-
graphie universelle^ et dont, jus-
qu'ici, nul recueil biographique ne
l'avait honoré. D'une part, il est
clair que, soit dans les annales de
la Hollande, soit dans l'histoire
générale du commerce et des co-
lonies, celui-là ne peut sans injus-
tice être oublié qui, par la création
de Batavia, jeta les bases indes-
tructibles de la puissance des Pro-
vinces-Unies aux Indes, et prépara
l'assujettissement de tout Java : la
création de cette puissante cité ne
saurait s'attribuer à d'autres qu'à
lui, tout ce qui précède en fait
foi; et une preuve encore vient
s'adjoindre à toutes ces preuves ,
c'est la jalousie de Coen lui-môme,
qui, peu content de riniliative et
du succès d'un subalterne, feignit
toujours de méconnaître l'impor-
tance de la fondation navale et ja-
VAN
mais ne voulut adopter le nom
donné par Van den Broeck à sa
ville ; le brevet même qu'il lui
signa de Directeur des comptoirs
d'Arabie, Perse et Inde, il le data,
non de Batavia, sa résidence, mais
de Jakatra qui n'était plus. D'autre
part, mais ici nous ne nous éton-
nons plus, les Anglais ont pris à
tâche, dans tous leurs ouvrages re-
latifs aux établissements européens
hors d'Kurope , de laisser dans
l'ombre le nom de Van den Broeck :
n'ayant pu supprimer l'homme, ils
ont fait de leur mieux pour sup-
primer sa gloire; c'était facile,
Van den Broeck, dans son patrio-
tisme et sa modestie, n'ayantdonné
à la ville que le nom de sa patrie,
tandis que des Asiaticiues l'avaient
volontiers nommée Brouki, pour
Ri'oukpatan, Brouknagar. Val. P.
VAN DEN ZANDE (Jean- Ber-
nard), bibliophile belge, avait long-
temps exercé la médecine avec hon-
neur à Anvers, sa ville natale. Son
humanité, son amour du prochain
l'avaient rendu cher à ses conci-
toyens non moins que sa science.
Possesseur avec le temps d'une belle
fortune, il l'employa presquetouten-
licre en livres, et, ce que l'on ne sau-
rait dire eu bloc de tous les ama-
teurs, en livres bien chois s. Sa bi-
bliothèque, qui contenait plus de
six mille articles et dont le cata-
logue mérite lui-même de figurer
dans les collections « ad hoc, » était
remarquable à plusieurs titres.
D'une part, on y trouvait, outre les
grandes collections académiques,
les meilleurs ouvrages s'.ir l'histoire,
la philosophie, les sciences, les arts,
les voyages, la critique, la polémi-
que, les antiquités, les liiltiralures
grecque, romaine, française, ita-
lienne , puis nombre d'ouvrages ou
curieux ou bizarres, hélérodoxes
VAN
21
et singuliers; des incunables, tels
qu'un Hieronjjmi eplsîolœ, de 1488
(Venise), un Eusèbe de 1480, un
De CivitateDei, 1474; de l'autre, sa
spécialité de docteur s'y révélait par
l'abondance des ouvrages de méde-
cine , mais surtout d'ouvrages qui
semblaient autant de pièces justifi-
catives de l'histoire de la médecine :
c'est dans le cabinet de Van den
Zande qu'un historien de cette
science eût dû procéder k ses tra-
vaux: « Spiritualisme, vitalisme,hu-
morisme, disait le Journal d'Anvers
du 3i mai 1834, depuis Galien, es-
prit vaste, mais subtil, qui floris-
sait au second siècle de notre ère,
jusqu'à Pinel, qui , de nos jours,
a apporté l'ordre et la clarté dans
la pathologie, et Broussais, qui,
après Jenner a rendu les plus im-
menses services à l'humanité ; »
toutes les doctrines médicales se
trouvaient côte à côte réunies dans
celte riche collection digne d'une
société savante, et qu'on pouvait
s'émerveillerde rencontrer chez un
simple particulier. Van den Zande
mourut presque septuagénaire au
commencement de 1834. Val. P.
VAN DKN ZANDE, célèbre
corsaire. Voy. Van de zande.
VANDERIiOURG (Charles Bou-
DENs de\ philologue et littérateur
français, tlamand ou belge d'ori-
gine, naquit vers 1760 et de bonne
heure embrassa la carrière na-
vale. Il était officier de marine
lorsque la révolution éclata.
Ainsi que bon nombre de ses
camarades, il émigra presque
dès le commencement de la crise ;
mais, plus laborieux et plus sé-
rieux que la plupart d'enire eux,
il uiilisa sou séjour en Allemagne
pour se familiariser avec la langue
il la lilleralure de ce pays. La pre-
mière était d'avance assez accès-
09
VAN
VAN
sible pour lui à cause de l'intime
connexion de l'allemand classique
i^ncuhochdeulsch, haut aileni.) avec
les idiomes dérivés du plalldenisch
(bas al!., ail. des marais), et parmi
lesquels figure la langue flamande
ou néerlandaise; mais la littérature
germanique lui était à peu près aussi
étrangère qu'à ses compatriotes de
ce lemps-là. Ce fui donc de sa part
un acte de courage et l'indice d'un
esprit investigateur que sa réso-
lution de conquérir, pendant son
loisir forcé, des connaissances dont
il pressentait l'utilité. La France
n'est pas sans devoir quelque re-
connaissance à cette heureuse ins-
piration de l'ex-maiin; car Van-
derbourg doit incontestablement
L'Ire regardé comme un de nos pre-
miers initiateurs à l'étude de la mo-
derne littérature de nos voisins
d'outre-Rhin. Ce n'est pas qu'en
ce genre il se soit signalé par une
foule de labeurs : il ne nous a
transmis que quatre ouvrages et
par voie de simple traduction;
mais tous les quatre appartien-
nent -A des sphères différentes, et
trois d'entre eux sont importants
k des degrés divers, soit comme
œuvre d'art, soit comme suscitant
de graves questions d'art et de phi-
iosopbie. Ln seul, du reste, fut im-
prinné pendant son séjour en Alle-
magne : c'est le Woldemav de Ja-
cobi. en 1790. Quatre ans après,
Vanderbourg profitait de l'amnistie
et des mesures réconciliatrices qui
suiviient le 18 brumaire pour re-
voir son pays.
11 ne songea pas ii se réinféoder
au service naval; et il ne demanda
un supplément de ressources pécu-
niaires et le charme de sa vie qu'à
la littérature et à l'érudition, pour
lesquelles il avait contracté pendant
les longues heures de l'exi! une
véritable passion. D'une part,
comme nous l'avons indiqué, il fit
paraître encore deux traductions de
l'allemand (le Laocoon et le Yoymja
de Meyer), de l'autre, il devint un
des collaborateurs les plus actifs du
PublicifUe et des Archiver litlévaircs.
deux recueils périodiques éminem-
ment utiles et point de départ d;;
nos Revues actuelles, dont nulle,
quelque supériorité qu'elles aient
sous certains rapports, n'égale ces
estimables collections, soit pour la
précision et la multiplicité des ren-
seignements, soit pour la justesse
de la critique. C'est qu'alors on
avait, avec le goût, la conviction
que nul, par cela même qu'il se fait
critique, n'acquiert la science in-
fuse, laquelle dispenserait d'étudier
et les ouvrages et les points de
science sur lesquels ils roulent ;
c'est surtout qu'on apportait de la
conscience à l'examen des produils
intellectuels, et que nul ne se glo-
rifiait du titre, d'ailleurs ininventé,
d'éreinteur. Les Archives littéraires
disparurent, au grand regret des
amis des lettres, avec le n° 51.
Tout en se livrant à ces travaux di-
vers, Vanderbourg mêlait son nom
il l'incident littéraire qui, dans les
annales de France , rappelle le
mieux les supercheries deMacpher-
son; nous voulons parler des Poé-
sies de Clotilde de Snrville , qu'il fut
chargé de publier et publia en effet
en 1803. P^ous renvoyons à la par-
tie bibliographique de cet article ce
que nous jugeons utile ici d'ajouler
aux explications données par Du-
pelit-Thouars à l'art. Survhj.k
(Jos. Ed.). Nous n'avons pour le
moment qu'à rassembler les traits
biographiques qui se lient .'i la pu-
blication. Et d'abord comment se
fit-il que Vanderbourg fut chargé
de cette tAche? Il n'était en aucune
VAN
VAN
23
façon parent des Surville. Ce détail
s'explique pourtant. Yanderbourg
et les Surville appartenaient aux
disgraciés de la Révolution. Yander-
bourg en avait été quitte pour l'ex-
patriation volontaire, qui., somme
îout;3, et quoi qu'il eût fait pour s'en
consoler, avait brisé sa carrière ;
Joseph-Etienne de Snrville avait été
le martyr de son opinion. On sait
combien , à cette éclaircie qu'on
appelle le Consulat, les débris de
ceux qu'avait décimés la tourmente
se retrouvaient avec surprise, se
serraient les uns contre les autres
avec transport, se racontaient les
mauvais jours avec détails. Que des
membres de la maison de Surville
et Yanderbourg se soient trouvés
ensemble dans ces réunions frater-
nelles, on le conçoit ; et que dans
des cercles où Vanderi)Ourg tenait
un rang il fût question de littéra-
ture, c'était immanquable. Dequelîe
branche de littérature maintenant?
Un peu de toutes probablement,
mais le pas dut être surtout aux
curiosités littéraires, aux décou
vertes littéraires , aux exbuma-
tions littéraires. L'Allemagne vi-
vait encore dans l'enchantement
de ses Niebelungen et de ses
Minnesinger retrouvés, il y avait
alors quatre-vingts ans, dans les
cryptes des bibliothèques de Suisse
et de Souabe. Yanderbourg ne pou-
vait que s'intéresser, et peut-être,
dans certaine mesure, pencher î» s'é-
prendre de ce qui ressemblerait en
notre pays à quelque trouvaille de
ce genre. Or tel et »it précisément
C'^ manuscrit que Du|)etit-Thouars
prétend avoir vu dès 1790 à Paris
aux mains du comte Joseph-f^^lienne
de Surville, cl qui, selon le pro-
priétaire, aurait été le legs po/lique
de sa décime-quinte ou sextaïpule
(nous ne précisons pas numéri-
quement le degré) : l'infortuné mar-
quis, d'ailleurs, en partant pour l'é-
chafjud avait d'un geste recom-
mandé de loin h sa veuve la cas-
sette sacrée qui contenait l'œuvre
si précieusement par lui couvée
pendant des années, geste qui, se-
lon nous, équivalait à la prière, à
l'ordre en quelque sorte de ne pas
laisser périr et dévorer par le tom-
beau ce legs sacré. Naturellement
celle-ci parla de cette dernière vo-
lonté de sonmari et consulta desamis
sur les moyensde l'exécuter. Yander-
bourg était en liaison, immédiate-
ment ou non, avec les coreligionnai-
res politiques de Surville. Sur le peu
qui lui fut dit, il dut être curieux de
contempler, de feuilleter cette épave
d'un àgy lointain... Le reste va de
soi , — n'importe les détails ,
qu'on peut imaginer très-différents,
et n'importe le degré de conviction
auquel put être amené Tex-officier
de marine. Nous sommes très-
portés à croire que jamais cette
conviction ne fut complète quant
à l'authenticité de l'œuvre, la seule
question réelle aux yeux d'un véri-
table raisonneur. Mais en voltigeant,
comme c'est l'usage des dilettanti
eu littérature, de la question d'au-
thencilé à celle de la valeur esthé-
tique et réciproquement, on pouvait
arriver à trouver qu'il y avait à
faire quelque chose du manuscrit :
un libraire potivait n'y p:is perdre;
un éditeur, eût-il été complètement
inconnu, pouvait NOir naître un peu
de bruit autour de son nom. Yan-
derbourg eut donc bientôt pris son
l)arti, et il se fil le parrain de Clo-
tildo. Est-ce tout? Et ne s'en fit-
il pas quelque peu le Macpherson,
le Chatterton? Ici, de nouveau,
nous renvoyons à la bibliographie de
notre article. Quoi qu'il en puisse
être, le fait est que très-peu de
u
VAN
VAN
personnes, excepté celles qui se
complaisent à se méprendre, furent
dupes de l'échafaudage romanesque
que Vanderbourg mit comme pré-
face en tète du recueil; mais il est
de fait aussi que sa réputation, loin
d'y perdre, y gagna, puisque sou-
dain se lépandil sur lui comme
une auréole de poète harmonieux
et suave, en même temps énergique
et tendre , héroïque comme le ly-
risme de Pindare et badin comme
Anacréon. Vanderbourg ne voulut
pas que ses indulgents lecleurs en
eussent tout à fait le démenti; et il
se mit à poétiser , tantôt sur ses
propres idées, ainsi que le prouvent
du reste les dix-sept volumes des
Archives littéraires (où se trouvent
nombie de ses vers), tantôt Horace
à la main. Il en résulta, mais quel-
que neuf ans après la première
édition de Clolilde, une traduction
en vers des Odes d'Horace , sur la-
quelle nous reviendrons. Mais, che-
min faisant, il continuait à donner
en simple prose de la copie aux im-
primeurs. Les Archives littéraires
de l'Europe avaient cessé,
Vno avulso non déficit aller.
Le Pu^/icis/ereçutses articles, dul"
mars 1801 au 30 octobre 1810. Avec
Langlès.AmauriDuvaletGinguené,
il concourait à la rédaction du Mer-
cure étranger. Et quand cette publi-
cation fut abandonnée, il eut l'hon-
neur et la chance de devenir, dès le
mois de mai 4816, collaborateur du
Journal des Savants, que relevait la
munificence de l'État. Enfin il eut
pied, à partir du 1" octobre 1820,
aux Annales de la liUèrature et des
arts. Nous ne pouvons passer sous
silence ici qu'il fil aussi partie de
la rédaction de la Biographie uni-
verselle, et (jue parmi les arlicles
qu'il fournit turent distingués ceux
d'Horace et de Klopstock. Au mi-
lieu de tous ces travaux se place
encore, en 18i8, sa traduction du
Craies de Wieland.
Du reste, cette activité conscien-
cieuse , élégante et variée avait
trouvé sa récompense même au
sein des corps lettrés. La troisième
classe de l'Institut l'avait admis au
nombre de ses membres, en 181-4,
en remplacement de Mercier. La
date, peut-être, donnera lieu de
soupçonner qu'il y eut en cette
nomination un peu d'esprit courti-
sanesque. En effet, l'année suivan-
te, Vanderbourg, en récompense
de ses antécédents royalistes, avait
été nommé censeur, office scabreux,
dans l'exercice duquel il déploya
autant de modération que de tact
et de bon goùl. Toutefois, nous
ne pensons pas que ces motifs
aient seuls décidé l'élection de no-
tre auteur. L'Académie nommait
un lettré, un philologue, un criti-
que, un poète presque; et, sans
dénigrer Mercier le moins du mon-
de, on peut dire pour le moins
qu'elle ne perdait pas au change.
Vanderbourg mourut le 10 novem-
bre 1827. Daunou prononça son
éloge funèbre en 1839. Nous allons
donner ici, par groupes méthodi-
quement rangés, la liste de ses œu-
vres, accompagnée des indications
techniques dont la bibliographie ne
saurait se passer. I-IV. Quatre tra-
ductions de l'allemand, savoir : 1°
une du philosophe Jacobi, celle de
Woldemar, Hambourg, 179G, 2 v.
in-12; 2° line de l'illustre critique
Lessing, celle du Laocoon, ou des
limiles respectives de la poésie et de
la peinture, 1802, in-S"; 3" une du
poète que l'on avait nommé long-
temps le Voltaire de l'Allemagne,
(•elle de Craies et d'IIipparchie,
(qui, comme ou sait, n'est pas un
VAN
VAN
25
poëme, mais une de ces études mi-
biographiques, mi- psychologiques ,
où Tauteiir s'essaie si spirituelle-
menl à compléter par l'imagination
le peu que l'histoire nous a trans-
mis; à la suite, viennent les Py-
thagoriciens) ; 4° celle du Voyage en
Italie, de F. J. L. Meyer, i802, in-
8°. V. Les œuvres d'Horace en vers
français, avec des arguments et des
notes, revues pour le texte sur le
manuscrit de la Bibliothèque impé-
riale, et avec le texte en regard,
Paris, 1812 - 43, 2 v. in - 8\ Cet
ouvrage est sans contredit , abs-
traction faite de l'appoint que
purent jeter dans la balance les
motifs politiques, ce qui décida, ce
qui justifia son admission à la sa-
vante Académie. En effet, il s'y
montraitaussi familier pour le moins
avec les travaux et les procédés de
la philologie, qu'avec la poésie. Son
texte a quelque valeur critique; et
c'est, de toutes les traductions en
vers français du lyrique romain,
qu'ait produits la France, la seule
qui possède ce mérite. Les notes de
même, tant celles qui se réfèrent à
l'interprétation du texte, que celles
qui constituent l'exégèse biogra-
phique, historique, mythologique,
archéologique des compositions si
variées du lyrique de Vénusie, se
recommandent et par le tact et par
l'abondance sobre avec laquelle
nous sont présentés les résultats
d'une érudition curieuse, d'une éru-
dition à la Wieland. Quant a la ver-
sification, nous ne saurions être si
prodigue d'éloges : elle est correc-
te, elle est de bon aloi; mais elle
est sèche, elle n'olfre pas \cteresat-
^wc/fl<-('/t/m, qu'Horace recommande
quelque part et qu'il pratique cons-
tamment. Ce n'est pas le moel-
leux et l'ondoyant, le svelte et le
souple d'où la plus exquise variété
de toutes ces stances élégantes et
finement rhythmées du poète qui
disait à la pauvre Néobulé :
Tibi qualum
Cyihereae
Puer aies,
Tibi telas,
Etc.!
VI. Poésiesinédites de Marie-Clotilde
de Surville, Paris, 1803, in-8° et
in-18, 2^ édition de 1816, par de
Roujoux et Nodier, in-8°, 4 pi. et
vignette; troisième, 1825, in-8'*
et in-lS. Le fait seul de donner
place H ce volume dans une liste
des travaux de Vanderbourg, mar-
que assez que nous le regardons
comme quelque chose de plus, ou,
pour employer l'expression de Qué-
riiid : « comme quelque chose de
mieux » que l'éditeur de Clotilde.
Mais Quérard non-seulement ife
démontre rien ici ( ce dont nous
n'entendons pas lui faire un repro-
che, démontrer ne fait pas partie
de sa triche), mais il ne précise pas
ce qu'il entend par*« quelque chose
de mieux. » Le croit-il auteur de
la totalité do l'œuvre? ou pense-
t-il que quelques pièces seulement
lui doivent le jour)? et, dans ce cas,
lesquelles? ou bien enfin voit-il
poindre à l'horizon quelque chance
de d<3partagement autre que le
précédent? Il faudrait pour éluci-
der ces questions déjà touchées
par Raynouard {Journal des Savants,
1824), par Vaulîier {Mcm. de l'acad.
de Caen), par Nodier {Quest. de lit-
térature légale, 1814), et par un
critique renommé qu'on mention-
nera en temps et lieu, infiniment
plus de place que nous n'en avons
à notre disposition... Nous n'indi-
querons donc que quelques points
dignes, ce nous semble, de lat-
tenlion des (•riti(iues. Laissant de
cùté la question fondamenlaled'au-
26
VAN
VAN
thenticité, sur laquelle il ne sau-
rait exister qu'une voix, la néga-
tive, nous nous demandons seule-
ment comment les poésies de Glo-
tilde se sont faitos ; et, en réponse,
nous posons sur-le-champ deux thè-
ses : l"Oui, comme Taileste Dupetit-
Thouars, un maiiusciit contenant
de prétendues «poésiesdeClotilde »
existait en 1790 ou 91 aux mains
de Jos.-Et. de Surville; mais 2° en
dépit de ce qu'imagine avoir vu Du-
peiit-Tliouars, Nou.cemanuscritne
contenait pas tout ce qui parut par
les soins de Vanderbourg. Jamais
on ne persuadera au penseur, en
même temps psychologue et histo-
rien et homme d»^ iioùt, que les vers
si profonds et si lucides,
Pauvre chier enfançon, des fils do ta pensée
L'eschevclet n'est encor débroillé,
soient venus avant le règne de Ca-
banis, et que le chant royal sur la
bataille de Fornoue n'ait été une
répercussion des merveilleuses cam-
pagnes de 1796''et97. Nous pour-
rions citer encore d'autres para-
chronismes,... qu'il nous suffise de
ces deux-ci, sans contredit les plus
frappants. Le manuscrit qu'aperçut
Dupelit - Thouars en 1790, n'est
donc pas identiquement !e même
que celui sur lequel furent impri-
mées les poésies en 1803 ; et notre
ancien collaborateur ne saurait, à
notre avis, être entièrement lavé
du reproche d'avoir « outré » son té-
moignage en attestant ou du moins
en permettant qu'on le regardât
comme attestant plus qu'il ne sa-
vait et ne pouvait savoir. Qu'on y
réfléchisse, en effet, on sentira
qu'il ne pouvait savoir. ]l eût fallu,
pour être certain de l'identité, ou
(Ollaliou pied i\ pied du manuscrit
de nUO et de la copie livrée à la
presse, ou mise pendant treize ans
sous les scellés : évidemment le se-
cond cas n'eût jamais lieu, et la
possibilité du premier est exclue
par les termesmémes du problème.
Ceci posé, que reste-t-il? Tout au
plus la réalité, dèsl790 et aux mains
de Surville, d'un manuscrit plus ou
moins analogue aux Poésies. En-
core, si l'on n'avait pour y croire
que la préface de Vanderbourg, le
doute serait-il possible ! Mais il ne
peut l'être quand on pèse le té-
moignage de Dupetit-Thouars ; s'il
a dit un peu trop, ou, pour parler
plus exactement, s'il a trop accen-
tué ces mots, « le même manus-
crit, to ou « dans le même état
que.... », ce n'est pas une raison
pour soupçonner, de la part d'un
homme honorable et sérieux, un
pur mensonge. A nos yeux donc,
quant à l'existence d'un manuscrit,
point de départ de la publication
et en offrant les éléments essen-
tiels, la preuve est faite « par
attestation. » Ce serait assez, sans
doute ! Mais ce n'est pas tout : la
«démonstration» vient encore s'y
joindre ; et, dans l'article final de son
Tableau hist. et critique de la poésie
française au xvi' siècle (p. 484 etc.
de redit, de 1848), M. de Sainte-
Beuve a mis en relief, non la pos-
sibilité seulement, mais bien « l'im-
mancabilité » en quelque sorled'une
création du genre de celle dont il
il est question ici, et qui fut en
même temps un labeur charmant,
un délassement d'élite et une em-
bellie dans les années, les unes
paisibles et littéraires, les autres
littéraires encore, mais tourmen-
tées, du descendant de Clotilde.
C'est parcetrae.é des phases diver-
ses,— soit de l'évolution d'un penser
en germe, qui, chez Surville, p:isse
à réiat chronique, puis k l'état de
roman, et enfin de roman chéri, —
VAN
VAN
27
soit de l'élaboration de l'œuvre
qu'il prête à son héroïne, — c'est,
dis-Je, par ce tracé, en quelque
sorte liistorique et psychologique à
la fois, que vaut surtout le travail
de l'ingénieux critique; et nous
trouvons péremptoire l'argunienia-
tion au bout de laquelle, au lieu
de dire avec Daunou : « J'ai peine
« à croire qu'Etienne Surville ait été
"■ capable de les composer au xiir
« siècle; Vanderbourg doit y avoir
« eu la principale part en 1803, »
on s'écriera : « J'ai peine à croire
« que Charles-Boudens de Vander-
« bourjr ait pu dans tant de pièces
« d'une délicatesse féminine avoir
« une part considérable; et le vent,
« pendant la seconde moitié du
« xvnf siècle, était tout à fait aux
• pastiches de ce genre. Favre d'O-
« livet en a bien donné vers le
a même temps! Pourquoi pas d'au-
« 1res, quand, pour vingt raisons,
* les autrespeuventet doivent avoir
« été pénétrés des sentiments prè-
« tés à Glotildu? » Mais, une fois
hors de là, nous croyons que le dis-
cernement, d'ordinaire si parfait,
de l'argumentaieur se trouve en
défaut lorsqu'il attribue toutes les
pièces du recueil, moins la traduc-
tion de i'ode de Sapho, à Surville.
Outre ce morceau renommé , il
nous semble, éminemment proba-
ble, si nous ne voulons pas dire
sûr , qu'à Vanderbourg doivent
rtre rapportés et le Dialogue d'A-
pollon et Clodlde, et le fragment
du poëme sur la Nature. Le pre-
mier est, du même coup, didactique
et littéraire; et par l'indépendance
comme par la couleur de l'idée, il
émane du traducteur de Laocoon et
du futur traducteur d'Horace, qui
hifu de fois unit en sa pensée à
VHiimano capili ccrvicrm pirlor
equinam, et à Vit piclura poesis.
« les limites mutuelles de la poésie
et de la peinture ». Le second n'est
que didactique et semblera d'abord
un reflet de Lucrèce; or,mêmeàce
titre, iljure assez avec les idées de
Surville, tandis qu'il n'offre rien de
dissonnanl avec celks de Vander-
bourg. Mais ce n'est pas encore le
mot de l'énigme : ou nous nous
trompons, ou ce n'est pas de Lu-
crèce que relève ce fragment, c'est
d'un poëme didactique de Wieland,
intitulé la Nature, très-peu connu,
parce que ce fut l'œuvre de la
première jeunesse du poète, mais
élincelant, exubérant de beautés,
malgré ses fautes : Vanderbourg,
si démesurément épris de Wieland,
connaissait ce splendide péché de
l'adolescence du maître; et de là,
nous en sommes convaincu, l'essai
poétique qu'on s'est trop hâté de
croire jeté sur le papier sous l'ins-
piration de Lucrèce. Voilà donc
trois morceaux entiers dont rien,
sans doute, n'est à l'émigré de
1791. Nous pensons de plus que,
presque d'un bout à l'autre, les
vers de Surville ont subi des re-
touches ( par exemple : « Des fils
de ta pensée l'eschevelet... Voy.
plus haut), et des interpolations,
la plupart mythologiques ou scien-
tifiques; et celles-là vraiment sont
gauches et malheureuses , parce
qu'elles trancheni avtc le facile
abandon de Surville. El qu'on ne
dise pas que c'est contradiction à
nous de montrera la fois noire au-
teur mélodieux et chatoyant d'un
côté, sec et inharmonique de l'au-
tre. Il est l'un quand il ne fait que
retoucher un modèle exquis déjà et
dont la morbidesse le gagne ^n'ou-
Llions |)as d'ailleurs qu'il est plein
de Wieland) ; il est l'autre quand
il n'est plus accompagné, quand
nul no lui donne le diapason, quand
28
VAN
VAN
il tente l'intonation lui - même.
Somme toute, donc, à Vanderbourg,
suivant nous, revient de dioil la pa-
ternité de trois pièces du recueil
de Surville ; et, comme d'autre
part, si nous ne nous abusons, il
a fréquemment excédé ses fonc-
tions d'éditeur, soit en embellis-
sant, en enrichissant, soit en défi-
gurant et appauvrissant son texte,
nous ne balançons j)as à le déclarer
en un sens, mais sens nettement
défini, co-auteur des poésies inédi-
tes de Clotilde. Val. P.
VAIVDER BLUCIÏ (François),
un des plus illustres prédécesseurs
de Fénélon sur le siège archiépis-
copal de Cambrai, naquit à Gand le
2^ juillet 1567, c'est-à-dire préci-
sément au moment où les exigen-
ces ultra-catholiques de Philippe II ,
enferoîé dans son Escurial, et dé-
daignant de connaître l'esprit des
peuples sur lesquels il avait à ré-
gner, où les cruautés du duc d'Albe,
son odieux ministre, où le vieux
levain de liberté chez les grands
qui pensaient avec regret à l'om-
nipotence féodale dont ils n'avaient
plus que l'ombre, et dans les villes,
qui, depuis des siècles, avaient joui
de leur franchise, venaient d'allu-
mer un incendie dans les dix-sept
provinces qu'on appelait cercle de
Bourgogne. La famille Vander
Burch, une des plus considérables
du pays, soit par son ancienneté,
soit par son opulence, attirait né-
cessairement tous les yeux. Le chef
de cette famille, le père de notre
François, était comte d'Aubersand,
seigneur d'Ecaussines rt de Ilaire-
foniaines, nous ajouterions volon-
tiers « et autres lieux » , président
du conseil privé de Flandres et at-
taché à lu maison du gouverni;ur
général des Pays-Bas. Autant de
motifs, sinon de raisons pour voir
des yeux de Philippe II et de ses
favoris. Fn effet, il se déclara sans
ambiguilé, sans réserve, contre les
opinions nouvelles, au risque d'en-
courir îi un haut degré, par celte
ligne de conduite, la haine des mé-
contents. L'éveniualilé ne fut pas
vaine ; à peine le fils auquel nous
consacrons cet article venait-il de
naître que l'émeute rugit dans Gand,
aussi furieuse, aussi sanglante,
aussi rapace que jamais on l'eût
vue dans les jours les plus troublés
du moyen âge. On attaque, on en-
vahit, on pille sa maison ; ses do-
mestiques tombent égorgés ; il est
pris et traîné en prison; sa femme
a peine à s'échapper, presque nue,
par une issue secrète, et l'enfant,
arraché de ses bras, suspendu par
les pieds, allait périr si le plus
inattendu des hasards n'eût amené
là quelques personnes qui en pri-
rent pitié : il fut caché, il fut
sauvé. Ce ne fut pas la seule fois
qu'il fut, pendant l'enfance, le té-
moin de ces scènes terribles. Son
père, qui plus d'une fois dès lors
avait subi la captivité pour la même
cause, ne tarda pas beaucoup à voir
briser ses chaînes par le triomphe
de ses amis politiques et religieux.
Mais tel était alors le cours des
choses que ce triomphe à son tour
ne tarda pas à se changer en dé-
sastre. Nouvelle émeute, nouvel
assaut à l'hôtel Vander Burch, et,
pour en finir plus vite, incendie: les
furieux déchaînés y complètent
l'œuvre en ravageant ses proprié-
tés; lui-même il ne voit pour lui
de salut que la fuite. Sa femme
ne tarde pas à le suivre, emmenant
son fils avec elle. Mais bientôt
cet enfant, leur unique rejeton,
est envoyé, pour ne pas avoir sa
part des périls de sa famille, pour
ne pas ajouter aux difficultés d'un
VAN
voyage précipité, auprès du savant
doyen de la cathédrale d'Utrecht,
son oncle. On comprend que de
semblables impressions, n'eussent-
elles pas été sans cesse entretenues
et fortifiées par les conversations
quotidiennes de Toncle, parle flux
et reflux des nouvelles émouvantes
qui variaient à chaque phase du
drame politique, par l'attente fié-
vreuse des lettres maternelles, ne
pouvaient manquer de laisser des
traces profondes sur une imagina-
lion si tendre encore. Le jeune
François fut donc, à peine au sor-
tir de l'enfance, imprégné d'un
ineffaçable zèle pour le catholicisme,
dont son père était le martyr, et
dont il avait vu les ennemis semer
la ruine et faire le vide autour de
lui. Delà sans doute cette sensibi-
lité inquiète, précoce, qui dès lors
l'éloignait des jeux de l'enfance, et
dont un choc eût pu faire jaillir
une maladie. Le docte chanoine,
tout pétri qu'il fût de vertus théo-
logales et tout commode qu'il pût
sembler à d'autres de s'en remet-
tre à la volonté du Seigneur, eut
le tact de comprendre qu'il fallait
à cette jeune irritabilité, trop exal-
lée pour être trop tendue toujours
du même coté, un dérivatif, et il
crut que l'étude en serait un. il
avait deviné juste : bientôt les ra-
pides progrès du neveu, qu'il diri-
^^'ait lui-même avec autant de
délicatesse que de vigilance, lui
prouvèrent qu'il avait trouvé le
vrai remède. La santé de l'enfant,
de l'adolescent, du jeune homme
allait toujours se fortiliant, tandis
qu'en latin, en rhétorique, en his-
toire, l'élève aurait rendu des points
aux lauréats des collèges les plus
eu renom. Maîtres et condisciples
en furent frappés dès qu'âgé de
dix-huit ans, il se rendit à Tuni-
VAN
29
versité de Douai afin d'y terminer
ses éludes en suivant d'un bout à
l'autre le cours de philosophie qui
se répartissait alors sur deux an-
nées. Ce cercle parcouru, il visita
Louvain, non moins renommé ou,
s'il faut tout dire, plus célèbre
encore et d'une célébrité de plus
vieille date. Là, c'est à la science du
droit qu'il voua ses heures studieu-
ses qui souvent devenaient, sans
métaphore, des veilles. Aux aima-
bles et belles qualités morales par
lesquelles il se recommandait à l'es-
time de ses professeurs, il n'eut pas
de peine à joindre la science; et
deux fois il fut décoré du titre de
doyen des bacheliers. Quelques
temps après, de Curck, le pieux
évêquede Ruremonde, lui donna sa
bénédiction de licence. En le sa-
crant ainsi légiste, le clairvoyant
et zélé prélat se prit bientôt à re-
gretter qu'un tel talent secondé par
un tel caractère dût se consumer
en mesquines plaidoiries et ne se
déployer qu'en faveur d'intérêts
mondains, tandis que l'Église éprou-
vait un si grand besoin de sa parole
pénétrante et persuasive. Il fit si
bien qu'il détermina le jeune homme
déjà déclassé par le contre-coup de
la révolution sans laquelle il eûtsuivi
la carrière de ses pères , les a?'mes, à
passer du droit civil au droit canon,
puis à la théologie. Les progrès de
Vander Burch y furent rapides; et
avant qu'il eût ses vingt-cinq ans il
reçut les ordres. Presque aussitôt le
prince-évêque de Liège voulut l'a-
voir près de lui, et spontanément il
le nomma chanoine de Saint-Lam-
bert. Si récent encore dans les
rangs du sacerdoce, Vander Burch
ne Cl ut pas encore avoir mérité
un litre {[ui dût être larécompenso
des services et il refusa péremptoi-
rement pour continuer à se livrer en
30
VAN
VAN
silence aux travaux dont Tapostohit
sort mieux armé pour la luUeetàla
pratique du devoir. Tout ce temps
de studieuse et paisible retraite, il
le passa dans sa ville universitaire
chérie, à Louvain, plein de cet
anapestique si chrétien, quoique
d'un poète païen :
Bene qui latuit bene vixiu
Heureusement l'évèque d'Arras
(l'Artois était encore une des dix-
sept provinces) sut l'apercevoir dans
les limbes qu'il avait choisis pour
asile ; et heureusement aussi,
malgré les refus réitérés par les-
quels le jeune prêtre répondit
d'abord aux offres nouvelles, son
père, dont les volontés le trouvaient
toujours soumis , vint-il , par
l'expression formelle de vœux
sacrés pour lui, déterminer son
adhésion. C'est ainsi qu'il eut
part, comme vicaire général, à
l'administrationdudiocèse d'Arras.
Il n'y resta que peu d'années, bien
qu'il ne pensàtpoint ou même qu'il
répugnât à l'abandonner. iMais son
père, ce nous semble, était ambi-
tieux pour lui. L'archevêque de
Malines conféra le double titre de
doyen du chapitre et de vicaire
général do la métropole au fils du
comte d'Aubersand; et le comte
déclara que cette fois plus que ja-
mais une résistance l'affligerait.
La piété filiale fut donc cette fois
encore la plus forte, et Vauder
Burch alla cumuler à Malines. Il
n'y prit aucune part aux intrigues
politiques dont ne se faisaient
scrupule ni l'un ni l'autre des
deux (ou trois... ou quatre) par-
tis aux prises; mais ce qui lui res-
tait de temps après les lon^uei
heures qu'absorbaient les devoirs
de sa charge, il l'employait à se
perfectionner dans toutes les bran-
ches des études sacrées, mais
principalement dans ces deux
sciences, capitales à ses yeux, et
antérieurement déjà l'objet de ses
efforts, l'éloquence de la chaire et
la dialectique anti-protestante. Le
silence et la retraite dont il envi-
ronnait ses travaux n'empêchè-
rent pas que ses supérieurs et les
premiers du pays n'eussent con-
naissance et de son érudition pro-
fonde, et de toutes les vertus
apostoliques par lesquelles il en
rehaussait l'éclat ; et ce n'était plus
aux dignités secondaires d'un dio-
cèse que l'appelait la voix publi-
que,c'était aux rangs qui donnentia
crosse et la mitre. Mais, comme
c'était l'apostolat, et nonla crosse et
la mitre que Vander Burch aper-
cevait dans ce haut rang, il était
loin de l'ambitionner, et loin de
le voir avec ces yeux de convoi-
tise que tant d'autres fixent sur ce
brillant joyau, il eût dit volon-
tiers, ainsi que le Christ à l'idée
du calice, Transeat a me. L'instant
n'était pas loin pourtant où sa mo-
destie devait avoir aie dire, en vain
encore comme pour des positions
moins convoitées. Mais n'antici-
pons pas. Son père, l'intrépide
fugitif, non moins fidèle aux aspi-
rations de précellence pour sa
maison qu'à l'ofthodoxie et à la
stricte obédience dès que Rome
avait parlé, fut emporté presque
subitement et n'eut pas le temps
de faire promettre à son fils qu'il
poursuivrait sans broncher la voie
des honneurs. Son hérilier ne
tarda pas h se regarder comme
délié : il résigna son vicariat gé-
néral, son décaiial ; il ne voulut
accepter qu'un très-mince béné-
fice, un des canonicats de la cha-
pelle de Sainte-Vaudru, k Mons.
Il ne se croyait pas assez mùr
VAN
VAN
31
pour les dignités, pas assez pré-
paré pour la lulte donl l'épanouis-
sement du protestantisme faisait à
ses yeux « le plus saint, » mais
« le plus hasardeux » des devoirs.
Loin de décliner ces rudes joutes
cependant, il s'y préparait plus
énergiquement que jamais dans
sa solitude nouvelle. Trois ans
s'étaient passés depuis qu'il avait
quitté Malines, quand l'évêque de
Gand mourut : soudain, et comme
on le devine, sur l'avis de l'arche-
vêque de Malines, le pieux et
docte chanoine de Saiute-Vaudru
fut nommé par l'archiduc Albert à
la place du vénéré pontife. Vander
Burch eut beau s'épuiser en sup-
plications, eu protestations sur
son impuissance à remplir les
hautes fonctions de ce nouveau
ministère; ni protestations, ni gé-
missements ne trouvèrent accès
soit près de l'homme de Dieu, soit
près de l'homme d'Etal, qui, finale-
ment, imaginèrent, voulant frapper
un grand coup, de se faire en quel-
que sorte aposliller par le Saint-
Siège. Un bref vint de Rome, enjoi-
gnant à celui que toutes les voix
demandaient de ne pas décliner sa
mission apostolique. Il fallut se ré-
signer ; et bientôt il fil à Gand son
entrée, au milieu des acclamations
de joie et d'espoir de cette ville,
sa patrie, remplie encore du sou-
venir de ses pères, heureuse et
lière maintenant de sa présence,
et augurant, grâce à sou retour,
le retour de l'harmonie et de la
concorde. C'est effectivement à
cette grande tâche que se prépa-
rait le nouvel évèiiue, e; c'est ici
que nous devons nous prosterner
devant sa sagesse, hardie en môme
temps (priKibile. Il se plava de
prime-abord hors du cercle étroit
et stérile des vulgaires défenseurs
du catholicisme. Antagoniste iné-
branlable des dogmes nouveaux,
tout en s'apprêtant à battre en
brèche les doctrines et à pulvéri-
ser les arguments, il n'avait pas
imaginé, comme les catholiques
tout d'une pièce, que la révolution
religieuse immense dont ils dé-
ploraient le développement, ou fût
sans causes ou n'eût pour causes
que la perversité, l'orgueil, l'es-
prit de désobéissance et de faction ;
il avait su voir que le point de dé-
part avait été cette multitude d'a-
bus, qui, comme une lèpre,
avaient depuis cinq siècles envahi
l'Eglise et ses membres. Que l'hé-
résie en fût un mauvais remède,
c'était sa conviction; mais qu'elle
n'eût pas été comme invincible-
ment amenée par un mauvais ré-
gime, voilà ce qu'il ne pouvait
admettre. Plein de cette idée fon-
damentale, et semblable au méde-
cin qui, pénétrant d'un impartial
et lucide coup d'oeil la source du
mal, s'attaque à cette source et
non au symptôme, il osa compren-
dre que ce n'était pas sur le pro-
testantisme qu'il fallait porter ses
premiers efforts, du moins exclu-
sivement, et qu'il était urgent,
d'abord, de faire cesser tout ce
que l'organisation catholique avait
toléré de répréhensible dans le
diocèse, la vie mondaine des reli-
gieux, le luxe et même les désor-
dres des séculiers, la violaliou
souvent patente des vœux de
chasteté, la i^ubstilution du sen-
sualisme à l'abslmence, les dis-
putes de préséance, le relâche-
ment de la discipline ecclésiasti-
que-Pour remédiiT à tant di' plaies
invétérées, il commença par visi-
ter à fond toutes les paroisses de
son diocèse, partout prêchant et
préparant ou corroborant les con-
32
VAN
VAN
versions, parfois adressant les
admonitions, les vertes censures
ou les menaces, et même plus
d'une fois se résolvant à déposer
le prêtre indigne; doù conliance
en même temps ou salutaire ter-
reur chez celui que n'avait pas at-
teint l'orage, et qui dès lors pou-
vait tenir pour sûr que, s'il suivait
la droite voie, il était invulnérable,
mais que des prévarications n'é-
chapperaient ni à la perspicacité
ni à la sévérité du vigilant apôtre.
Ces principes ainsi placés en relief
et démontrés par ses actes, il réu-
nit autour de lui, à Gand, les curés
et vicaires les plus éclairés et les
plus méritants de tout le diocèse,
et, recueillant leurs avis, éclairé
par leur expérience, il rédigea,
d'accord avec eux tous, des règle-
ments ecclésiastiques, modèles de
justice, de sagesse et de simplicité.
Le résultat en fut aussi complet
qu'il pouvait le souhaiter; Tordre
refleurit, la décence reprit ses
droits, les vaines disputes cessèrent,
le sacerdoce recouvra sa considé-
ration perdue; la jeunesse vint en
foule repeupler les écoles ortho-
doxes; les conversions s'opérèrent
par centaines et sans violence; la
paix renaquit. Cette transforma-
tion porta au comble le renom de
Vander Burch, et l'archevêque de
Cambrai ayant fermé les yeux sur
l'entrefaite, le chapitre métropoli-
tain, en promenant les yeux autour
de lui, n'aperçut personne, pas
même en son sein, qui fût plus à
la hauteur de la lâche et digne de
ses suffrages que l'habile évêque
de Gand. Là, encore, ainsi que par-
tout et toujours, Yander Burch lit
l'impossible pour prévenir, puis
pour faire révoquer son élection.
On devine bien que le chapitre ne
se déjugea pas; il ajouta môme à
sfs instances des considérations
qui vainquirent toutes les objec-
tions du prélat élu. Non-seulement
le diocèse de Cambrai était en
proie en même temps aux scan-
dales qui venaient de disparaître
de Gand, à l'hérésie, à l'anarchie,
à la misère, suite d'invasions et de
pillages réitérés, et à la famine;
mais nulle part plus que là il n'y
avait de formidables périls à cou-
rir : la peste était venue se joindre
à tant d'autres désastres et décimait
les populations! Ce danger, devant
lequel tant d'autres pâlissaient, fut
l'aimant dont l'action, irrésistible
en tin de compte, attira Vander
Burch : il accepta le poste d'hon-
neur ou sévissait la mort! Belzunce
du seizième siècle, il surpassa
peut-être Belzunce, qui n'eut pas,
comme Van der Burch, à troquer
un troupeau florissant et fortuné
pour aller chercher à distance des
ouailles aux prises avec l'agonie
sous un ciel pestiféré. Ce qu'il y a
de certain, c'est qu'au bout d'un
laps de temps très-court, table rase
fut faite et de l'épouvantable ma-
ladie et de tous les désastres. Le
saint évêque avait lui-môme donné
l'exemple du courage et raffermi
lesiraaginations ébranlées. Traçons
rapidement le tableau desesactes.
Réunissant tous les grands et les
notables dans le palais archiépis-
copal, il leur démontra que leurs
calamités provenaient surtout de
leurs folles haines, de leur mor-
gue, de leurs jalousies, de leurs
passions opiniâtres et aveugles, de
leur négligence, et que la réconci-
liation, l'union consciencieuse de
tous les efforts était la première
condition d'un retour de fortune.
Ses paroles véhémentes et pleines
de feu louchèrent les cœurs et
amenèrent le résultat désiré ; tous
VAN
VAN
33
les habitants de Cambrai se mirent
à suivre ses ordres et à lutter
comme un seul homme contre les
influences dévastatrices; toutes di-
minuèrent progressivement, toutes
s'évanouirent, et enfin, comme si
le ciel eût voulu récompenser les
hommes d'avoir obéi à la voix de
leurpasteur,lesphénomènes mêmes
sur lesquels les hommes ne peu-
vent rien, cessèrent comme par
enchantement, et les pluies abon-
dantes, sans être excessives, ame-
nèrent de riches récoltes, et il ne
resta plus dans tout le pays un cas
de peste. Ayant ainsi pourvu au
matériel, à ce qu'on appelle « le
plus pressé, » le prélat porta ses
soins sur d'autres objets. Sachant
bien que « si l'homme ne vit pas
seulement de pain, *> il ne peut
vivre exclusivement non plus... de
la parole de Dieu, il s'inquiéta
en penseur non moins qu'en
homme de Dieu de ce fait que nom-
bre de familles ruinées manquaient
d'outils, d'ouvrage et de pain :
d'immenses aumônes se résolvant
en distributions quotidiennes et
gratuites leur vinrent eu aide, et
les mirent k môme d'attendre le
retour du travail, retour qui fat
moins lent et plus animé qu'on
n'eût osé le croire avant la charita-
ble intervention de l'archevêque.
En même temps s'élevèrent, en
partie à ses frais, en partie par
l'impulsion qu'il imprima, plu-
sieurs hospices et maisons de
charité, dont l'administration fut
réglementée et organisée par ses
soins sur les bases les plus sages.
L'éducation ne fut pas négligée
non plus : on devine aisément
que l'illustre pontife tendit à la
régénérer surtout dans le scn$
religieux; mais à la religion, tou-
jours et partout fut associée Tin-
LXXXV
straction pratique. Deux institu-
tions éminemment utiles et dignes
d'être signalées durent l'origine à
son amour éclairé du bien, et
même on peut le dire, du moins
pour la première, à sa munificence.
Ce furent « l'Ecole dominicale, »
dans laquelle les enfants indigents
reçoivent encore aujourd'hui, avec
une éducation chrétienne, toutes
les instructions nécessaires à la
profession pour laquelle ils optent;
et la « Maison de bienfaisance et
d'éducation de Sainte-Agnès, « où
cent jeunes filles de familles hon-
nêtes mais peu aisées sont, pen-
dant six ans, de l'âge de douze à
dix-huit années, nourries, logées,
élevées. Pour mener à bien ces
œuvres de toutes les plus puis-
santes pour moraliser les classes
qui malheureusement pullulent le
plus dans les sociétés, il fallait
une longanimité, une mansuétude
dont nul ne peut avoir idée s'il
n'a vu de près semblables entre-
prises. Obstacles de toute nature et
en tous sens, on le comprend;
mais obstacles surtout de la part
des parents, récalcitrants par dé-
fiance, récalcitrants par routine ,
voila ce dont les plus patients se-
raient portés à s'impatienter. Van-
der Burch se voyait dans la néces-
sité de donner le pain quotidien,
de distribuer de l'argent aux pè-
res, afin d'avoir le droit de verser
le bienfait de l'éducation sur les
enfants. Mais sa mansuétude, son
inépuisable charité ne faillirent pas.
Ainsi préludait, dès le commence-
ment du dix-septième siècle, par
l'Ecole dominicale, à l'instruction
piofessionnelle et primaire, si fa-
vorisée de nos jours, la féconde
initiative du plus digne prédé-
cesseur de l'auteur de Tclcmaqnc.
El, d'autre part, fondée en 1031,
3
3^
VAN
VAN
sa maison de Sainle-Aguès passe
ajuste titre pour avoir inspiré, soit
à Louis XIV, soit à madame do
Maiutenon, l'idée de Saint-Cyr.
Celle création seule suffirait à la
gloire de Vander Burch, n'eùt-
elle pas élé précédée et suivie do
cent autres labeurs au milieu
desquels elle semble comme ab-
sorbée, et dont nous n'avons re-
iraci' que les plus marquants.
L'illustre vieillard poursuivit tou-
jours sa mission bienfaisante avec
la même énergie et la même
activité jusqu'à ce que , dans
une dernière tournée pastorale,
en visite à Mons, il passât dans
un monde meilleur, le 23 mars
16 i4. Sou corps , inhumé d'a-
bord en celte ville, dans l'église
des jésuites, fut transféré solen-
nellement en 1779, lors de l'abo-
lition de cet ordre, sous le maître-
autel de la cathédrale de Cambrai,
et reposa ainsi quinze ans auprès
des cendres do Fénélou; njais
1704 vint disperser ces vénérables
restes au milieu de désordres qui
rappellent trop fidèlement ceux
de la sanglante époque qui l'avait
vu naître , comme s'il eût été
écrit que les mêmes scènes envi-
ronneraient et son berceau et sa
tombe. Val. P.
VA^DERBIJCII (Jàcqocs Hippo-
lyte), peintre et lillérateiir, était
né à Paris en i796. Jacques-
Edouard Vanderbuch, son père,
originaire de Montpellier, artiste
habile, avait enrichi le musée de sa
ville natale d'un paysage estimé.
Dépourvu, dés 1803, de son appui
naturel, sans crédit, sans ressour-
ces, le j«*une Vanderbuch eut à
lultcr, au début de sa carrière,
contre plus d'un genre de mé-
comptes et (le privations. Il fut d'a-
bord élève de Mullard, recul quel-
ques leçons de David, et entra, sous
les auspices de Pierre Guérin, dans
l'atelier de Victor Berlin, l'un de
nos paysagistes les plus renommés.
Ce fut k cette école particulièrement
qu'il acquit, dit un de ses biogra-
phes, « ce goût délicat, ce style
élevé, cette grâce des lignes, celle
finesse de touche qui ont constitué
les caractères distinclifs de son ta-
lent. » La vie de Vanderbuch, la-
borieuse et concentrée, appartient
tout entière à l'art. A dater de
1824 jusqu'à sa mort, ses œuvres
ont figuré avec succès, quelquefois
même avec éclat, dans les exposi-
tions publiques. Plusieurs ^de ses
tableaux décorent les palais des
Tuileries, du Luxembourg et de
Saint-Cloud, et ornent les musées
des départements et les cabinets
des amateurs. Nous citerons, parmi
les plus remarquables, une vue de
la Cava, gravée par Péringer, une
ihi Golfe de Daïa^ une d'un Chalet de
Meyrinfien, une autre de la Vallée
daGrindehvald, une vue du Délroii de
Mcs-sine (œuvre éminenle qui a appar-
tenu à la reine Marie-Amélie), une de
la Jetée de Honfleur, une vue de Vile
Barbe près de Lyon , œuvre égale-
menthorsligne,une vue généralede
h\\illed^Annonay, plusieurs autres
prises en Normandie, dans le Dau-
phinéelsur les bords de la Seine, et
un grand nombre de lithographies et
d'autres dessins. Vanderbuch , aqua-
relliste habile, excellait surtout
dans la reproduction du ciel ft
des eaux; il appliquait à cette
partie de ses paysages toute la
dextérité, toute la vigueur de
son talent, qualités dont on lui a
reproché d'abuser quehjuefois aux
dépens d'une imitation plus vraie
4le la nature. Vanderbuch avait re-
cueilli une partnolable dans les en-
couragements accordés aux artistes
VAN
VAN
35
\
par les divers gouyernemenls de la
France. Sept médailles ont honoré
ses ouvrages. Le 21 octobre 1854, le
jour même où il était enlevé à sa
famille et à ses amis éplorés, il ob-
tenait sa nomination à la chaire de
dessin du collège Chaptal, poste
qui faisait depuis longtemps l'objet
de sa légitime ambition. Vander-
buch, que distinguaientune modes-
tie rare et des qualités aimables,
écrivait bien en prose et rimait
avec grâce et facilité. On a de lui
un important ouvrage iniilulé : D#
la peinlure à l'aquarelle, trois fois
réimprimé, et plusieurs opuscules.
Il appartenait à la Société philo-
lechiiique, à la Société libre des
Beaux-Arts, et à celle des Enfants
d'Apollon. M. Berville, secrétaire
perpétuel de la Société philo-
tpclmique, et M. Gavet, membre
de la Société des Beaux-Arts, ont
publié d'intéressantes notices sur
ce paysagiste distingué. A. B-éi.
VANDEU CAPELLEN (le ba-
ron Théodore-Frédéric) OU VAIS
CAPELLEN. Marin hollacdais,
naquit le 6 septembre 176Î, à Ni-
mègue en Gueldre. Sa famille était
des premières du pays. Le baron
Alexandre son père était seigneur
de Mcdoog et sa mère joignait à ses
noms de Marie-Louise le titre de
baronne de Paigniel. 11 avait k
peine ûh. ans qu'il fut mis dans la
marine, en quali'é d'aspirant noble;
et comme tel, il fit plusieurs voya-
ges qui le familiarisèrent complè-
tement avec la mer et le service.
Quatre années et quelques mois
s'écoulèrent dans le noviciat : au
bout de ce temps, en 1777, vint
enfin sa nomination de lieutenant.
C'était au moment où la lutte pour
l'émancipation des colons anglo-
américains mettait aux jirises sur
mer la Grande-Bretagne d'une part,
de l'autre la France et es puissan-
ces secondaires, en d'autres termes,
l'Espagne et les Provinces-Unies.
Ce ne fut donc ni dans des stations
ni dans des excursions pacifiques
que se déroulèrent les premières
années de grade du jeune officier.
L'escadre à laquelle il appartenait
sillonna l'Atlantique en plus d'un
sens et signala plus d'une fois sa
présence dans les eaux de l'Améri-
que soit par des manœuvres que
les anglais tentèrent sans grand
succès d'empêcher, soit par des
hostilités directes. Tel fut entre au-
tres engagements l'affaire de mai
1780 entre la frégate anglaise le
Croissant et le trois-màts hollan-
dais la Brille {^ de Briele «) que corn-
maiidait le capitaine Oorshuys. Le
bàtinient britannique après un
combat opiniâtre et des plus san-
glants n'eut d'autre ressource que
d'amener sou pavillon. Van Ca-
pétien, à cette époque, était se-
cond (eerst officier). La vaillance,
le sang-froid et l'intelligence qu'il
avait déployés du commencement h
la fin de la lutte lui valurent la men-
tion la plus honorable dans le rap-
port officiel ; et très-peu de temps
après il reçut lui-même avec le rang
de capitaine le commandement de
la belle frégate la Ccrès. Il ne
comptait pas encore vingt ans. Il
serait sans intérêt de le suivre à
bord des autres navires que succes-
sivement il commanda ensuite.
Qu'il nous suffise de les nommer
(ce furent la Bellonc, le ycps^ le
Castor, le Dclfl), et de dire que
chargé de missions très-diverses,
toutes iiacifiques jusqu'il 1793, il
s'i'^n acquitta constamment à la sa-
tisfaction de tous ses chefs, notam-
ment de l'amiral Kinsbergen et de
Meivilie. Un des contre-coups de la
révolution française le ramena aux
36
\^\N
VAN
opéralions guerrières. Vainqueur
des Prussiens en France et tran-
quille à peu près du côté des Au-
trichiens qu'il avait paralysés en
Belgique, Dumouriez, en février
4 793, s'était avancé sur les fron-
tières des Provinces-Unies, avait
reçu sans coup férir la soumission
de trois villes et déjà croyait pou-
voir écrire à laConvenlion qu'Ams-
terdam allait ouvrir ses portes aux
Français. Les Hollandais, il faut
l'avouer, ne firent que peu d'efforts
pour s'opposer à la réalisation de
ses plans; et s'ils échouèrent, ce fut
surtout par l'insuffisance des dis-
positions prises par Dumouriez pour
couvrir le siège de Maestrichtet par
la subite réapparition des Autri-
chiens sur la Meuse. Les Hollandais
ne restèrent pas tout à fait oisifs ce-
pendant, et le capitaine Van Capel-
ien fut un de ceux qui se firent le
plus remarquer alors par la har-
diesse et l'a propos des attaques con -
Ire les batteries du général de la Ré-
publique française. On sait que, par
suite de l'échec de Maestricht et
d'autres fâcheuses circonstances,
Dumouriez, dès le 9 mars, était ré-
duit à se replier sur la Belgique.
H fut donné in la Hollande de res-
pirer encore deux à trois années,
jusqu'à ce que Pichegru vînt en
accomplir la conquête (1795-1796).
Van Capellen venait alors de se
marier. Très-antipathique au sys-
tème français et plus encore à l'ab-
sorption de sa piitrie, il abandonna
le service et se retira au fond de la
Gueldre, étranger en apparence
aux afi'aires. Mais celte torpeur,
cette indifTérence étaient jouées :
il guettait les événements, il n'at-
tendait que l'occasion favorable de
se montrer. H crut la trouver, lors-
qu'en i799, l'éloilc de la France
pâlissant en Ilalic, en Suisse, en
E.piypto, les partisans de la maison
d'Orange crurent l'instant venu
d'abattre le gouvernement démo-
cratique, implanté naguère, mais
mal enraciné sur les rives du Zuy-
derzée. U accepta un commande-
ment dans la flotte du Texel, sous
les ordres de l'amiral Story, il prit
part à l'expédition du Helder, il y
déploya des qualités supérieures,
auxquels les ennemis du Sladhou-
dérat ne firent que trop d'atten-
tion. En effet, la réaction n'ayant
abouti qu'à l'insuccès, et les me-
sures acerbes, les poursuites, pour
ne pas dire les persécutions se mul-
tipliant contre la marine batave,
qui s'était très-gravement compro-
mise, le baron Van Capellen prit
fort sagement le parti de chercher
un autre asile que sa province na-
tale, et il fut heureux d'en trouver
un sur et paisible dans cette Angle-
terre d'où partaient toutes les atta-
ques contre nous. Sa femme quitta
la Gueldre pour aller i'y rejoindre.
Ces émigrations, le séjour sur la
terre étrangère ne manquèrent pas
d'entraîner des faux frais, des pertes
d'argent. Quatorze années, les plus
belles de la vie du marin, se pas-
sèrent ainsi pour lui dans l'inac-
tion, car nous ne voyons pas qu'u n
seul moment il ait pris service à
bord des flottes britanniques; et du
moins a-t-il pu dire que sa haine
pour la France ne l'amena pas à
combattre la France sous pavillon
étranger. Avec quel bonheur il sa-
lua de loin, d'abord l'insurrection
d'Amsterdam en décembre 1813
contre son préfet français et ensuite
l'attitude hostile prise par tout l'ex-
royaume do Hollande contre l'Em-
pereur, il est inutile de le décrir;;.
A peine les Nassau avaient-ils remis
les pieds dans leur j)atrie à la veille
de devenir leur patrimoine , que
VAN
VAN
37
Vaii Capellen y reparaissait. Fort
(le Tancienneléde son dévouement,
un si fidèie compagnon d'exil mé-
ritait quelque chose de mieux
que son ancien grade. Les qua-
torze années qu'il avait passées
à faire son quart sur les wharves
de la Tamise et à guetter, soit
dans le journal de Pelletier, soit
dans le Times ou dans le Nantie
journal d'où soufflait le vent, lui
furent comptées comme années de
service , et lors de la réorganisation
de la marine, il fut nommé vice-
amiral; l'année suivante (1815), on
lui confia le commandement de
l'escadre hollandaise de la Médi-
terranée et dans la fameuse jour-
née du 27 août <816 il seconda
lord Exmouth dans le hombarde-
ment d'Alger, prélude trop certain
que méconnurent lesEarbiiresques
de la prochaine répression de leurs
déprédations. Lord Exmouth ren-
dit éclatante justice à la valeur et
aux habiles dispositions de son col-
laborateur; des remeiciemenis lui
furent votés par le Parlement bri-
t.uinique; le prince régent le nom-
ma chevalier de l'ordre du Bain.
Satisfait d'avoir ainsi marqué sa
rentrée dans la carrière maritime
et n'apercevant rien à l'horizon
qui lui lit augurer que sous peu ses
services redeviendraient nécessai-
res, il ne tarda pas à demander sa
retraite, qu'il obtint en 1818, et il
alla vivre tantôt ii La Haye, tantôt
aux environs, dans le sein de sa
famille. Toutefois, ce n'est pas dans
la solitude qu'il finit ses jours :
née en 1771, la baronne Van Ca-
pellen n'avait encore que trente-
sept ans, lorsqu'il se démit de sa
charge d'amiral : probablement elle
ne fut pas pour rien dans les dé-
marches qui lui procurèrent pou
de temps après le poste de grand
maréchal du palais dti Guillaume I".
Les deux époux, depuis ce temps,
habitèrent presque constamment
Bruxelles; et c'est là qu'en 1824,
la mort vint mettre en même temps
un terme à sa vie et à de cruelles
souffrances héroïquement endurées.
Val. p.
VAN DKR HAGEN (Étiennk),
navigateur hollandais , était un
homme de courage et d'expérience
très-apprécié de tous les marins ses
compatriotes , lorsqu'il fut choisi
pour commander les trois premiers
navires qui furent expédiés après
le départ de Van Nest et qui, por-
teurs de poms les plus pompeux (le
Soleil, la Lune, enfin V Étoile du
malin), les justifièrent en quelque
sorte par l'éclat des services , qu'ils
rendirent. Il partit le 6 avril 1599.
Peu d'incidents signalèrent sa route
jusqu'à l'île Lampon, dépendance
du roi de Bantam; disons pourtant
que, contrairement à ce qu'ont trop
répété les compilateurs légers en
parlant des Hollandais, il déploya
l'humanité la plus généreuse à l'é-
gard d'une caravelle portugaise
dont il fit rencontre et qui, pressée
par un corsaire français, était res-
tée à l'ancre sans vivres et sans
ressources, l'équipage n'ayant pas
même les moyens de s'orienter.
Van der Ilagen pourvut noblement
h tout. Peu de temps après pourtant,
ayant relfiché à l'ile de May ap-
paitenant aux Portugais, pour y
renouveler sa provjsion, il y fut
disgracieusement et hostilement ac-
cueilli. Il en garda, et nul ne sau-
rait l'en blâmer, rancune à toute
leur nation; aussi, après nn court
séjour à Bantam (où l'amabilité de
la réception ne l'empêcha pas de
s'apercevoir vite qu'on lui prodi-
guait plus de be'.les paroles «jne de
facilités et d'avantages réels pour
38
VAN
VAN
le commerce), quand les Orancases
(c'esl-ù-dire les nobles du pays)
l'invitèrent à les seconder dans
leurs hostilités contre les Portugais,
il ne se refusa, ce nous semble, h.
leurs demandes que pour la forme,
peut-être pour être plus instam-
ment pressé , ou peut-être parce
qu'il ne se sentait pas très en force.
Finalement, pourtant, il fit marcher
4 chaloupes armées, puis son grand
navire le Soleil, au secours des in-
sulaires qui, de leur côté, devaient
déployer de grandes forces contre
Tantagoniste commun. Ceux-ci
manquèrent de parole; et vaine-
ment les chaloupes tentèrent-elles
soit d'emporter les batteries impro-
visées par les Portugais en avant
de leur fort, soit de débarquer dans
la baie du Fort; vainement aussi le
Soleil, manœuvra-t-il pour s'empa-
rer au moins d'une caraque chargée
de girofle que l'on apercevait dans
le port. Il ne s'obstina pas à dé-
penser sa poudre au plus grand
profit et pl.iisir des Amboiniens, et
il utilisa la reconnaissance qu'ils
ne pouvaient refuser à son bon
vouloir, en obtenant d'eux non-
seulement la permission de cons-
truire, à l'instar des Portugais, un
fort dans Tiie , mais encore leur
cooj)ération pour sa construction.
De plus, et c'est là le trait capital,
en s'engageant à tenir le fort pourvu
de canons, de munitions, de vivres
et d'hommes, il eutl'artde persua-
der aux indigènes que ces mesures
étaient toutes prises surtout dans
leur intérêt, et, en revanche, il fit
signer par leurs chefs un traité por-
tant, — article i**' , que tout le
girofle de l'ile serait livré aux Hol-
landais seuls, h l'exclusion de toute
autre nation; — art. 2, et qu'il serait
livré au prix constant de... Ce traité,
riche d'avenir, commençait l'ère
des monopoles hollandais! Dès qu'il
eut été dûment revêtu detoutesles
formes qui pouvaient en assurer la
validité, Van derHagen,sa cargai-
son prise ou complétée à Bantam,
se hâta de revenir en Hollande, oîi
fut comprise immédiatement l'im-
portance du service, en apparence
peu brillant et si fécond cependant
en résultats matériels, qu'il venait
de rendre tant à sa patrie qu'à ses
commettants. Sa relation aussi
opéra un changement dans les
dispositions de la Compagnie â
l'égard des étrangers. H fut résolu
qu'on n'aurait plus de mansué-
tude en présence de tant de vexa-
tions et d'inhumanité. Van der Ha-
gen était de retour au Texel avant
la fin de IGOl. Deux ans après, on
lui confiait avec le titre d'amiral,
une flotte de douze vaisseaux jau-
geant ensemble quatre mille neuf
cent cinquante tonneaux, et por-
tant douze cents hommes d'équi-
page. Les Portugais semblaient
h plaisir provoquer les hostilités :
la flotte ayant demandé des rafraî-
chissements à la hauteur do
San Yago , il fut répondu qu'on
n'avait au service des Hollandais
que de la poudre et du plomb. Il
eût été facile à l'amiral de punir
cette fanfaronnade ; il ne s'en
donna, pas le vain plaisir : ce
n'eût été ni très-digne ni lucra-
tif. H espéra mieux en arrivant
îi Mozambique, où, malgré le feu
de la foitcresse, il cai)tura une ca-
raque porlug;Hse assez pesamment
chargée de d'ents d'éléphants, mais
sans que la prise remjdit toute sou
attente. De même une fois encore
sétant saisi sur la côte de Goad'im
bâtiment arabe à bord duquel il
comptait que seraient des marchan-
dises portugaises, il éprouva la dé-
ception de n'en trouver aucune:
VAN
VAN
39
il en prit à l'instant même son parti
et s'empressa de le relûcher. Il ne
manquait pas d'ailleurs de vaisseaux
portugais et dans la rade et le long
du iiitoral voisin; mais tous étaient
sur leurs gardes, et tant de défen-
seurs armés bordaient le rivage,
qu'il eût été téméraire de vouloir
les attaquer. Évidemment des avis
étaient venus aux ennemis, et ils
veillaient. Même impossibilité d'a-
gir devant Cananor. Le roi de cette
ville avait pris le sage parti de ne
laisser se produire aucun conflit en
ses États. Les Portugais enlevèrent
une chaloupe aux Hollandais; ceux-
ci purent la reprendre, le monarque
leur ayant défendu qu'on usât de vio-
lence pour la retenir. En revanche,
aux ouvertures que lui fit Van der
Ilagen, il répondit par un décli-
natoire formel , prouvant assez qu'il
pénétrait leurs vues , mais ne s'y
prêtait pas. « Vos mouvements, dit-
il, donnent lieu de soupçonner que
vous en voulez au fort portugais. Je
nevousconseille pasde l'attaquer; il
est bien pourvu de tout. Vous seriez
seuls. Mes ancêtres et moi sommes
depuis 102 ans alliés et protecteurs
des Portugais. Amis- de ceux-ci,
nous ne demandons pas mieux que
d'être aussi des vOlres. A cet ctïet,
je vous prie de vous retirer. N'allez
pas surtout dans vos courses insul-
ter les Maldives, qui sont à moi, ou
inquiéter les navires de messujels.»
La réponse de Van der Hagen fut
ce qu'elle devait être : il promit de
souscrire aux avis et aux vœux du
prince, et il fit voile vers Calicul,
où, de prime-abord, il prit une fré-
gate portugaise, dont pnsque tout
l'équipage se noya en voulant s'es-
quiver li la n:ige et où, dix-neuf au-
tres furent très-incommodés de son
artillerie. Le samorin , en quelque
sorle le mahârârijadu Malabar était
en guerre avec les Portugais : il
s'empressa de convier le belliqueux
amiral à venir le trouver i\ son
camp, lui prodigua les caresses et
promit aux Hollandais par un traité
solennel de les laisser trafiquer en
toute liberté dans tous les pays de
son obéissance. Nous glissons ici
sur diverses courses d'importance
secondaire, lesquelles absorbèrent
le reste de 160i et janvier 160o.
Donnant enfin ses soins à ce qui lui
tenait le plus au cœur, au couron-
nement de son œuvre, il vint mouil-
ler le 21 février Jans la baie d'Ara-
boine, et dès le lendemain il dé-
barqua ses troupes qui marchèrent
immédiatement sur le fort des Por-
tugais, construit avant le sien, et qui
n'en subsistait pas moins depuis
qu'il avait jeté les bases d'un fort
rival. Le commandant lui dépêcha
deux officiers et une lettre où res-
pirait la jactance castillane et qui
revenait à ces mots : « Qu'est-ce
que vous prétendez entreprendre
contre un fort que S. M. le roi de
toutes les Espagnes m'a commandé
de défendre? » — « Oui, dit Van
der Ilagen, et que S. A. le prince
Maurice m'a commandé de prendre.
Eh bien! je prétends le prendre. »
Il le prit en elîet , ou plutôt on ca-
pitula sans attendre l'assaut; îei
premières volées d'artillerie avaient
modifié considérablement la con-
fiance des défenseurs. Tous les Por-
tugais, moins 3G familles qui prê-
tèrent le serment de fidélit(% parti-
rent de l'ile pour n'y jamais remet-
tre les pieds, et Amboine devint
ainsi le domaine exclusif des Hol-
landais. Tournant ensuite ses armes
cwjtre Tidor, il trouva là plus de
résistance et de difiicultés, mais il
n'en triompha pas moins, et même
assez vite, il lui fallut d'abord ame-
ner les rois de Tidor et deTernate,
liO
VAN
VAN
qui devaient aider les Portugais de
leur concours, à la neutralité;
ensuite vint un siège en règle ;
la brèche pratiquée, deux assauts
ne suffirent pas à emporter la place,
bien que sept des plus braves de
la flotte y eussent pénétré. Enfin
un boulet tiré du Gucldre sur la
tour tombe sur la poudre, et la tour,
lancée enTair avec 70 hommes qui
la gardaient, ouvrit un vaste passage
aux Hollandais victorieux. Les Por-
tugais se trouvèrent alors chassés
detoutes lesMoluques; etTouvrago
si judicieusement commencé lors
de son premier voyage, Van der
Ilagen se trouva l'avoir achevé de
main de maître quatre ans après,
bien avant de revenir en Europe.
Le Gueldre et le Goude, chargés de
dépouilles, allèrent annoncer l'heu-
reuse nouvelle en Hollande dès
i60."j. Lui-même y revint en 1G08,
et ne reprit plus la mer. Val. P.
VAN DER IIECK (Nicolas),
peintre, né à Alckmaer vers l'an
1580, descendait de Martin llems-
kercke, et fut élève de Jean Neag-
hel. H se fit une réputation comme
excellent peintre d'histoire, et sur-
tout comme grand paysagiste. Sa
manière de composer est savante
et grandiose ; son coloris brillant
et solide annonce une entente par-
fait-e du clair-obscur. On conserve
dans la maison de vilh; d'AIckmaer,
trois tableaux de lui qui offrent des
beautés du premier ordre. Les su-
jetb qu'ils représentent sont analo-
gues à l'emplacement qu'ils occu-
pent. Le i)remicr représente le
Jugement de mort prononcé par le
comte Guillaume HI , surnommé le
Fîon, contre le bailli du Ziiyl-Hol-
laud qui fut décapité pour avoir
volé une vache îi un paysan; le
second ^isll(l])un}ti(^n prononcée par
Cambyse contre le jiuje prcvarka-
tenr (1), et le troisième est le Juge-
ment de Salomon. La ville d'AIck-
maer est redevable, en outre, à
Vander Ileck de l'établissement de
la Société de peinture, auquel il
contribua puissamment en 1631.
P. S.
VANDER KENIS, missionnaire
très-recommandable envoyé près
des Hottentots et autres peuplades
du sud de TAfrique par la Société
des missionnaires de Londres, mou-
rut au cap de Bonne-Espérance le
dS décembre 1811. Ayant été gra-
dué à l'Université d'Edimbourg , et
s'étant adonné k l'élude de la mé-
decine, il avait pratiqué cette science
en Hollande pendant plusisurs an-
nées et était parvenu à un très-
haut degré d'habileté. — Arrivé à
l'âge oi^i il est ordinaire que les in-
dividus qui ont eu une carrière la-
borieuse et active éprouvent le
besoin du repos, cet homme infa-
tigable, entraîné par des sentiments
de philanthropie, se dévoua îi toutes
les peines et à tous les dangers
d'une mission qui avait pour but
d'importer les principes de la civi-
lisation parmi les populations les
plus sauvages de l'Afrique. Ses ef-
forts furent couronnés du plus
grand succès, et il put, avant sa
mort, jouir du tableau des heureux
effets qu'avait produits sa mission.
Z.
VAN DER LINT (Jacod), négo-
ciant, — banquier peut-être, — U
Londres, devait, ainsi que l'indique
son nom, être d'origine, sinon de
naissance néerlandaise. On manque
absolument de détails sur sa vie ;
mais du millésime de l'ouvrage
(1) Ce tableau , apporté en France
lors de la conciuêtc de la Hollande, fut
lonj,'temps exposé dans la grande gale-
rie (lu musée.
VAN
VAN
/il
dont le titre va suivre, on peut con-
clure, sans hésiter, qu'il était dans
toute la force de l'âge, ou même
q'i'il avait déjà passé l'âge moyen
vers le commencement du second
tiers de l'autre siècle. Voici, en
français, les trois ou quatre lignes
de ce titre, non moins long que
ceux des gros traités qu'élucuhrent
les Allemands : Le. numéraire répon-
dant à tous les besoins, ou Essai pour
rendre une suffisante abondance de
numéraire dans tous les ranfjs de la
nation et pour accroître notre corn-
merce tant extérieur qu'intérieur,
Londres, 1736, in-8% et en voici
les premiers mots en anglais : Mo-
ney answers als ihing, or... Non
content de citer avec éloge ce moi-
ceau qui suffit pour que le nom de
Van der Lint échappe à l'oubli,
Dugald Stewart dans sor» appen-
dice aux éléments d'économie po-
litique d'Adam Smith, en cite des
passages qui mettent en relief avec
autant de netteté que de justesse
les avantages du commerce, et qui
peuvent à tous égards soutenir la
comparaison avec les plus décisifs
arguments produits par Hume dans
son Essai sur la jalousie commer-
ciale. Van der Lint termine par des
raisonnements pour l'abolition de
toute espèce de taxe commerciale
et pour leur remplacement par un
impôt territorial : l'idée du remède,
idée qu'adoptèrent ceux que l'on
nomma les Physiocrates, était anté-
rieure de quelques années au moins
à notre négociant, car Hume, déjîi,
s'en était fait l'organe; mais quant
à la description, à l'analomie en
quelque sorte du mal qu'il signale
et veut guérir, il est le premier
peut-être qui le caractérise et l'at-
taque, et sous ce rapport on croit
déj-:i sentir de loin, chez lui, le
souffle du libre-échange. Z.
VAN DER VELDE (Cn. Franc.)
car mieux vaut écrire ainsi que
comme t. XLVII, p. 85, a donné,
outre son théâtre et ses romans,
des ouvrages qui, s'ils ne sont pas
tout à fait des histoires ou des rela-
tions de voyage, ne sont pas non
plus, à proprement parler, des ro-
mans. — On les a, c'est vrai, qua-
lifiés de romans historiques, comme
Arwcd Gyllensiierna et Naddoctc
(voyez la fm de l'article) ; c'est fort
à tort, et tout au plus méritent-ils, si
tant est qu'ils le méritent, l'épilhète
d'histoires-romans. Quoi qu'il en
soit, et laissant le lecteur apprécier
ce qu'ils sont et les nommer comme
il le voudra, nous donnerons les
titres des trois suivants : I Ambas-
sade en Chine; H Conquête du Mexi-
que; Hi Cfiristian et sa cour avant et
après son abdication. Il pariit à
Dresde, en 1829, une traduction
française de Y Ambassade en Chine,
suivie d'un vocabulaire ii l'usage du
jeune âge. Mais, dès avant ce temps,
les trois ouvrages avaient été tra-
duits et publiés en français; les
deux premiers en 1827, le dernier
en <827 et 1828. C'est sur ces en-
trefaites que commença le fracas
des réclames et prospectus annon-
çant la collection des Romans Jiis-
toriques de Van der Velde, traduits
en français par Loëve Yeimars et dont
le t. XLVII de la P/iographie uni-
verselle (car son millésime est 1829)
ne pouvait indiquer que la première
livraison. U eût |)U dire que cette
livraison était de 4 volumes, dont
deux pour Arwed Gfjllensiierna. La
collection est terminée aujourd'hui,
ou plutôt elle s'est arrêtée avant
d'avoir fini, car ni \Ylaska (dont la
traduction première était de Léon
Astouin) , ni Naddok le Noir n'en
font i)artie; donc, au lieu des 20 vo-
lumes présumés, elle n'en contient
42
VAN
VAN
que <6, dont voici le contenu à
partir du .V : Paul de [.ascaris suivi
LVAsjnund Thyrsklingason et de Gu-
nima (2 v.); Christ iern el sa cour
(1 V.); les Hiissilcs (1 v.); Théodore
le roi d'été on la Corse en 1736 ( ! v.);
V Ambassade en Chine {[ v.); la Con-
quête du Mexique (2 v.); Contes et
Légendes Jdstoriques (A volumes ou
6 morceaux : 1'^ V Horoscope, his-
toire tirée des guerres civiles de
France: 1° Alia;; 3" le Flibustier;
4° les TataresenSilésie; 5" h Guerre
desservantes, histoire tirée des vieil-
les chroniques de Bohême; 6° la
DruUlesse. La troisième de ces nou-
velles a été traduite en espagnol
sous le titre d'el Flibustero, o el Pi-
rata gencroso, novella americana. Il
est juste de remarquer que si la
collection Loëve-Veimars n'a pas
été ce qu'on appelle accueillie et
acclamée, elle s'est vendue néan-
moins, et que l'édition est bien et
dûment épuisée. Z.
VAIVDEUVUE (Pierri-Prudent),
né le G avril 1776, aux Riceys, dans
l'ancienne Bourgogne, d'une fa-
mille honorable, débuta dans la
magistrature le 18 août 1808 par
les fonctions de magistrat de sû-
reté de l'arrondissement de Bar-
sur-Seine. Il fut nommé, le 29 jan-
vier i8H, juge d'instruction au
tribunal de Troyes, et le 26 m.ii de
la même année, procureur impérial
criminel à Reims, sous le titre de
Rubstitutdu prociireurgéiiéral prèsia
Couiimpcriale de Paris. Les procu-
reurs criminels ayant été supprimés
aucommencemeiitdel8i6, Vandeu-
vre se concentra dans l'exercice des
fonctions de substitut du procureur
général, el porta en celte qualité
la parole, avec distinction, dans
plusieurs affaires politiques, notam-
ment (2i février IMK;) dans la con-
spiration dite de VEpingle noire.
Le «"juillet <818, il fut appelé au
poste (le procureur général près la
Cour royale de Dijon, et quatre ans
plustard,le9janvierl822,àladirec-
tion du parquet de la Cour de Kouen.
Enfin, le 10 juin 1829, il fut promu
à la dignité de premier président
de la Cour royale de LyoD; mais ù
peine était-il installé dans ces nou-
velles fonctions,. que la mort l'en-
leva le 43 octobre 1829, dans sa
maison de campagne de Méry-sur-
Seine, à 53 ans. — Vandeuvre était
un magistrat ferme, honorable et
éclairé. Il avait* signalé sa carrière
judiciaire par plusieurs traits d'in-
dépendance dont nous citerons le
suivant. Lorsqu'il était, en 1820, à
la tête du parquet de la Cour de
Dijon, il crut devoir dénoncer à
M.de Serre, alors garde des sceaux,
des abus graves dans l'administra-
tion de la justice criminelle, et pro-
posa, de concert avec sa compa-
gnie, d'utiles et urgentes réformes.
Le ministre répondit en termes durs
et impératifs. Vandeuvre renvoya
à son chef la dépêche qu'il en avait
reçue, en ajoutantque « ce ne pou-
vait être que par distraction qu'il
avait signé une semblable lettre. ^)
M. de Serre répondit immédiate-
ment par une lettre d'excuses et de
félicitations. Elu députa en 1820
et en 1824 par l'arrondisseraont
de Bar-sur-Aube, Vandeuvre porta
dans sa carrière législative le même
esprit d'indépendance qui avait ho-
noré sa carrière judiciaire. ^( Tout
engagé qu'il était dans l'adminis-
tration, dit un sage appréciateur,
il ne montra pour le pouvoir ni
complaisance, ni faiblesse, ni sus-
ceptibililé, ni injustice. » On a de
lui, en dehors de plusieurs écrils
inédits, un discours de rentrée
prononcé devant la Cour royale de
Dijon, le 10 novembre 1819, et un
VAN
VAN
^3
autre prononcé devant la Cour de
Rouen, le 5 novembre 1828, haran-
gfues également remarquables par
le mérite du style et par la noblesse
des sentiments. Voici, pour exem-
ple, avec quelle courageuse éner-
gie il dépeint et stigmatise, dans le
second de ces morceaux, l'esprit
de parti politique : « Qui dit parti,
dit exclusion de toute liberté, de
toute vérité, de toute justice, de
toute conscience. Quel que soit le
voile dont ils se couvrentetlenom
dont ils se parent, tous les partis se
ressemblent. Tristes fruits du mal-
heur des temps, de la perversité des
hommes et de l'impuissance des
lois, le mal estdansleur nature etle
bien hors de leur pouvoir. Condam-
nés à n'exister et à ne périr que
par leurs excès , malheur à qui so
trouve sur leur passage! Rien ne
les arrête tant qu'ils ont une ré-
sistance à vaincre ou un ennemi à
perdre. Insatiables, ingrats, jaloux,
impitoyables, la voix du sang, de
l'amitié, du malheur, n'arrive pas
jusqu'il eux. Ce qu'il y a de géné-
reux et d'humain dans les indivi-
dus, vient s'anéantir devant ces
masses impénétrables à tout autie
sentiment qu'àcelui d'une ambition
cfTrénée, où la force est toujours
au plus fourbe ou au plus violent,
où l'ombre d'un retour à la raison
devient un cri me irrémissible, et où
il est impossible devoir autre chose
qu'une conjuration des passions
les plus désordonnées et des i)lus
vils intérêts contre les droits de !a
société et les lois de la justice. »
M. Nault, son successeur au par-
quet de la Cour de Dijon, a publié
une notice pleine d'intérêt sur ce
magistral recommandable. (Dijon,
1829, in-8«). A. B— ÉK.
VAN DE VELDE (Jean-Fran-
çois),théologien belge, né à Ueveren
(pays de Waes}, le 7 mars il^'S,
suivit à l'Université de Louvain les
cours de dogme, d'exégèse, d'élo-
quence sacrée et de morale, reçut
les ordres en 17G9, et, bien vu de
tous les doctes membres de la fa-
culté de théologie, devint immédia-
tement leur affilié en quelque sorte
par le titre de bibliothécaire dont
on s'empressa de le nantir. Il eut
même part, comme suppléant du
moins, aux fonctions de l'enseigne-
ment théologique supérieur ; car
nous le trouvons en 1784 faisant
soutenir, c'est-à-dire inspirant une
thèse sur la prétention qu'a l'Eglise
de statuer sur les empêchements
dirimants du mariage. Celte thèse
allait directement contre le système
du docteur Leplat, très-ferme cham-
pion des prérogatives ecclésiasti-
ques telles que les avait léguées le
moyen âge aux siècles modernes et
concluait en qualifiant la préten-
tion d'usurpatrice et d'abusive. Na-
turellement elle fat très-remarquée ;
et il était tout simple de voir chez
celui sous les auspices duquel elle
se produisait, un fauteur des ten-
dances auxquels alors se livrait
l'administration civile par ordre
exprès de Joseph IL On sait com-
ment cet héritier de Marie -Thé-
rèse avait rompu d'emblée avec
toutes les traditions des Habsbourg,
y compris celles de sa mère, plus
doucereuse, mais tout aussi tenace
que Ferdinand II, abolissant par
centaines les couviMits ({u'il décré-
tait inutiles, éliminant de tons ses
Etats l'intolérance, octroyant aux
juifs presque toutes les libertés
et des garanties, nommant de son
cher un archevêque de Milan, et en
fait ne voulant pas même de l'in-
duit (c'est-a-dire de la permission)
du Saint-Siège, vu qtie permission
implique, au fond, négation du
hll
VAN
VAN
droit qu'on a d'agir. L'on ne fut
donc pas étonné quand, pour faci-
liter des réformes de discipline re-
ligieuse dans les Pays-Das autri-
chiens, l'administration civile en
vint à transporter à Bruxelles l'U-
niversité de Louvain, ne laissant à
l'ancienne cité universitaire qu'un
séminaire, séminaire général, il est
vrai, unique pour tout le cercle de
Bourgogne, et d'où devaient sortir,
pétris par le même enseignement,
sous les yeux de la même direction,
tous les jeunes lévites de la pro-
vince, l'on ne fut, disons-nous,
pas très-étonné de voir le ci-devant
•bibliothécaire devenir le directeur
du Grand-Gollége (tel fat le nom
du nouvel établissement) ; mais il
fut peut-être permis de l'être, quand
insensiblement il passa des idées
favorables aux errements de l'em-
pereur Joseph au camp des ultra-
raontains, d'abord en blâmant quel-
ques témérités, en formulant de
simples réserve?, puis arrivant à
des objections formelles, puis les
entassant en forme les unes sur les
autres, puis se dessinant de jour en
jour un peu davantage, de manière
à prendre rang parmi les cham-
pions, parmi les ardents coryphées
de la prépotence cléricale et de
l'invariabilité quand même de tout
ce que comprend la discipline ec-
clési[istique. (Voy. Van der Noot.)
Aucuns, à Louvain, à Bruxelles
et ailleurs, crièrent soudain à la
palinodie ; les amis ne virent li
qu'une évolution naturelle de la
pensée. « Le savant conservateur,
<' en pâlissant sur le dépôt confié à
a ses soins, s'était pénétré de do-
« cuments et d'arguments nou-
(( veaux; il avait étanché sa soif de
« science à des sources plus pures;
« un peu d'érudition rend gallican,
tf plus d'érudition vous ramène aux
a doctrines de la Rote.» Soit ! tou-
tefois , nous remarquerons que,
presque d'un bout à l'autre de la
iîelgique, l'opposition aux réformes
de l'Empereur, était devenue ré-
bellion flagrante , lorsque Van de
Velde se mit à suivre la carrière
des opposants, et qu'arrivé, par la
docilité qu'il avait laissé présu-
mer être dans son caractère, à
la direction, très-honorifique en
même temps et très-lucrative, du
Grand-Collège, il se trouvait dans
le môme cas que Thomas Becket,
une fois nanti de la mitre de Can-
terbury. Du reste, il n'eut pas la
peine d'aller si loin que Becket.
Sitôt que le prince , trop franc et
trop brusque ami du progrès, eut
expiré avant d'avoir vu la fin de la
révolte belge (1790), le cabinet de
Schœnbrunn, tant sous Léopold II
que sous François II, cervelle de
plomb et cœur de glace, qui laissa
périr sa tante (Marie-Antoinette) et
détrôner sa fille, était retombé dans
ta vieille ornière autrichienne; et
Van de Velde , en déniant li la
puissance civile les droits inhérents
à la souveraineté, trouvait des fau-
teurs et des panégyristes parmi les
agents de la puissance civile. S'il
tonnait donc, ce n'était plus contre
les mesures impériales, — loutétait
de ce côté revenu au calme plat, —
mais c'était centre les allures bien
autrement redoutables d'un souve-
rain naissant, qui ne se laissait pas
désarçonner si facilement, et qui
n'avait pas mine de lâcher prise
quand il se mettait à l'œuvre. Ce
souverain c'était la nation française,
alors s'essayant h la vie politique et
représentée par la Constituante,
qui, sans essayer d'y mettre autant
de formes que Louis XIV ou môme
Philij)pe le Bel, prétendait , sous
prétexte de supprimer des rouages
VAN
VAN
ko
coûteux en même temps qu'inu-
tiles et d'être maîtresse chez elle,
formuler une constitution ecclésias-
tique obligatoire pour tout le
clergé régnicole; licencier toute la
milice religieuse des couvents ,
réannexer au plus tOl, si l'on pro-
cédait hostilement au Vatican, le
Comtat Venaissin. Longtemps, on
peut le deviner, les mauvaises hu-
meurs, les sinistres prophéties et
les anaihèmes purent se donner
carrière dans Louvain et toutes les
succursales belges de la papauté :
les assemblées légiférantes par les-
quelles s'élaborait la rénovation de
la France, n'entendaient pas môme
gronder ces petites foudres si voi-
sines ; et Van de Velde put, ainsi
que ses amis, lancer à satiété le
telum imbelle sine ictusdins (jue ses
traits revinssent contre lui. Il n'en
fut plus de même quand enfin les
hypocrisies diplomatiques de l'Au-
triche cédèrent la place aux bruta-
lités franches. La guerre fut décla-
rée en apparence à la révolution, en
-réalité à la France, que de vieilles
rancunes comptaient dépouiller ,
soit de quelques lambeaux de
Flandre française , soit de la Lor-
raine et de l'Alsace, et dont per-
sonne à l'étranger ne soupçonnait
que la révolution allait doubler et
tripler les forces. On sait à quoi,
(lès le commencement, aboutirent
les arrogances de l'enuemi : hon-
teuse retraite des Prussiens, savante
retraite de Clerfayi après Jemmapes,
mais retraite toujours, préludèrent,
dès 92 et 93, à la grande épopée
de vingt ans. Le président du Grand-
Collège de Louvain crut bon de
mettre un intervalle entre les
Français et lui. Ceux-ci parcou-
raient triomphalement la Belgique,
sans que les diversions du coté du
Rhin les inquiétassent sérieuse-
ment, important leur organisation
nouvelle avec l'ardeur qui caracté-
rise la foi. Il alla donc, en 1794,
chercher un refuge en Hollande, et
il ne reparut à Louvain qu'en
août 179o , un mois et quelques
jours donc avant le décret qui
réunissait officiellement le Luxem-
bourg et la Belgique à la France. Le
gouvernement de la Convention
n'avait plus rien alors de la vio-
lence et des formes inquisition-
nelles qu'il avait déployées na-
guère. Dientùt, d'ailleurs, le Direc-
ioire lui succéda, ne demandant
qu'à gouverner sans collision.
Est-ce à dire qu'il abdiquait les-
principes dont était sortie la révo-
lution , ou qu'à l'excès d'énergie il
allait faire succéder la mollesse et
l'abandon de soi-même? Quelques-
uns se l'imaginèrent et Van de
Velde fut du nombre. Il chuchota
fort , s'il ne déblatéra , et fort sou-
vent sur la constitution civile du
clergé , ainsi que sur toutes les
plaies dont l'Eglise avait à gémir
par la prétendue logique avec
laquelle l'administration française
procédait en tout ce qui jadis était
du domaine religieux. Naturelle-
ment ces murmures avaient de
l'écho; puis, comme d'abord les
agents français n'y prirent pas trop
garde, ils furent modulés en chœur;
les malcontents , les zélés se grou-
pèrent, la Faculté de théologie en
vint à faire des représentations for-
melles, lesquelles tendaient h ce
que la loi française fût lettre morte
en Belgique, quant à tout ce (|ui
regardait l'Église. Le Gouvernement
français, sitùt qu'il vit les répu-
gnances Il la veille de se tiaduire
en protestations, ne balança point
ordre fut donne d'arrêter Van de
Velde qui passait pour le promo-
teur de la démarche. L'ordre fut
66
YA^
exécuté au mois d'août 1796. Il
n'en eût sans doute pas éli3 (luitto
pour si peu, s'il eût eu le moindre
{TOùl pourle martyre, lorsqu'après le
triomphe du Directoire au 18 fruct.
sur l'opposition desGinq-Centsetdes
Anciens, le contie-coup du coup
d'étal se fit sentir en Belgique
aussi, et que dès novembre, les pro-
fesseurs de Louvain se virent en
masse condamnés à la déportation.
L'ex-président préféra se réserver
pour des temps plus heureux : il
s'évada. Mais ce ne fut plus la Hol-
lande qu'il choisit pour lieu de
refuge : il passa le Rhin et se mit,
en attendant que la Providence
nous ravît nos conquêtes et nous
refoulûl en nos foyers, à parcourir
la Germanie. Au moins ne fut-ce
pas, comme tant de ses coreligion-
naires politiques, pour ameuter des
ennemis contre nous; il redevint ce
quM.l aurait dû rester toujours ,
l'homme de cabinet, le savant : il
alla explorant les bibliothèques, les
archives, pour y découvrir des mo-
numents relatifs à l'histoire ecclé-
siastique de la Belgique ; et quand
enfin, en 1802, à la suite des traités
de Lunéville et d'Amiens, le système
pacificateur et réorganisateur du
premier Consul rouvrit aux expa-
triés de bon sens et de bonne volonté
la libre entrée de la patrie, comj)re-
nant que la réorganisation s'é-
tendrait jusqu'à l'Université de Lou-
vain, dont la suppression datait de
plus loin que de l'invasion fran-
çaise, il se le tint pour dit, et il ne
songea pins, momentanément du
moins, qu'à distraire ses ennuis en
utilisant les matériaux recueillis
pendant l'exil. Huit iinnées entières
s'écoulèrent au milieu de ces tra-
vaux, huit années qui, certes, ne
furent pas les moins heureuses de
sa vie. Vint 1811, l'année du Con-
VAN
elle do Paris. L'évêque do Gand,
M. de Broglie, se l'attacha et l'em-
mena comme théologien en se ren-
dant à l'assemblée. Là* bientôt il
lut en présence de la Commission
un mémoire qui fit sensation, moins
peut-être par les arguments invo-
qués à l'appui, que par la hardiesse !
et la véhémence avec lesquelles
s'exprimait l'argumentateur. Per-
sonne ne crut que le lecteur de
cette pièce d'éloquence en eût été
le rédacteur, bien qu'on y reconnût
ses convictions; et personne, lors-
que l'Empereur prit la résolution
de sévir, ne fui surpris de voir
les portes de Vincennes s'abattre
sur le théologien comme sur le
prélat, et la mésaventure de l'aco-
lyte accompagner la disgrâce du
chef de file : il est probable que
Louis XIV n'eût pas fait moins.
Celte séquestration se prolongea
jusqu'en 1814; et il ne fallut
pas moins que la chute de Napo-
léon pour briser les fers du cham-
pion de l'évêque de Gand. Rendu
au sol natal, il espéra pendajit un
temps voir renaître de ses cendres
l'université de Louvain. Mais c'é-
tait là le moindre des succès dont
se préoccupaient les sérénissimes
et les augustes membres du congrès
de Vienne : la Belgique, englobée
avec les ci-devant Provinces-Unies
dans cet état de nouvelle créa-
tion, le royaume des Pays-Bas était
donné à un prince protestant, el
Guillaume P'., tout déterminé qu'il
fût à n'user d'aucune mesure acerbf
à l'égaid des orthodoxes, ne l'était
pas moins à ne pas favoriser tout
ce qu'il leur plairait de prétendre :
Louvain resta donc , en dépit des
restaurations et des contre-révolu-
tions, ce qu'il était depuis un
quart de siècle ; et s'il était écrit
que, moins de vingt années après,
VAN
VAN
kl
il reprendrait à peu près son an-
cienne existence, ses anciennes al-
lures, VandeVelde ne jouit pas de
ce triomphe*. Sa mort eut lieu le 9
janvier <8â3, au lieu même de sa
naissance. Ses dernières années
s'étaient passées à préparer une
édition complète des actes de tous
les conciles de Belgique, et chemin
faisant à lancer dans les recueils
religieux des dissertations et des
opuscules théologiques sur ces
sujets qu'il aimait tant à traiter. La
nomenclature enserait des plus dé-
\)VAcécsidJ'Amimème de la Religion
et du Roi (XL, p. 84), bien qu'il les
signale en gros, n'ayant pas jugé à
proi)Os d'en rapporter les intitulés.
11 suflira dj mentionner son tra-
vail, de' beaucoup le plus remar-
quable et le plus volumineux, celui
par lequel son nom a chance d'é-
chapper à l'oubli , quoique ce ne
soit qu'un abrégé , ou même en
quelque sorte qu'un « programme, »
comme disent les Allemands. II a
pour titre : Synopiiis monumcnlorum
Ecclesiœ apnd Belgas, etc.,Gand,
1811, 3 vol. in-8. Val. P.
VAIS DE ZANDE, habitant de
Dunkerque , avait navigué long-
temps sur navires marchands et
passait pour un des premiers capi-
taines au long cours, lorsque l'An-
gleterre , profitant des embarras
que la coalition amoncelait autour
de la France, tomba sur notre ma-
rine el nos colonies. Des lettres
(le mar([ue ayant été sollicitées- et
obtenues du gouvernement français,
un des armateurs ainsi muni de
l'autorisation d'aller en course fit
choix de Van de Zande pour lui
confier le comm:indem ni d'un pe-
tit sloop de douze canons et de
quatre-vingts hommes. Il était té-
méraire peut-être, avec ce mince
é(iuipage et ces ressources plus fai-
bles encore, de se riscfuer sur des
mers que sillonnaient tant d'esca-
dres supérieures. Mais telle était la
prestesse des manœuvres de Van de
Zande, que jamais il ne se trouvait
en présence de forces qui fussent
plus que le quadruple des siennes;
et telles étaient sa bravoure et sa
justesse de coup d'œil, tant comme
militaire que comme marin, qu'il
ne redouta jamais le combat ou l'a-
bordage un contre quatre, et que ja-
mais il n'eut lieu de s'en repentir.
Toujours, au contraire, il sortait
de la lutte vainqueur en justifiant
de plus en plus le nom qu'avait
donné le propriétaire à sa coque
de noix. Ce nom, c'était le Prodige.
Secondé par la vaillance à toute
épreuve de sesgens, mais valant à lui
seul par son expérience, son talent
et son art d'électriser les hommes,
tout un équipage , Van de Zande,
sur le Prodige, opéra des prodiges et
compta ses captures par douzaines.
Sans contredit, il est des quatre ou
cinq corsaires ou officiers de la
marine régulière, qui , pendant la
longue lutte maritime presque inin-
terrompue de vingt ans, firent le
plus de mal au commerce britanni-
que. Enl7iJ8 notamment, ses suo
cèssur l'ennemi furentsi multipliés,
si hors ligne, que par ordre du Di-
rectoire, le ministre de la marine
lui écrivit pour lui témoigner la sa-
tisfaction des chefs de l'Ktat. Z.
VAiVU,nOiLlN ( pour VA!f Di
Horn) , ou même Van Iïorn, un des
flibustiers les plus fameux du siècle
qui vit fleurir les Pierre Legrand,
de Dieppe, les Roc «le Brésilien »
deGrœningue, les David, les Gram-
mont, les rOlonnais, était natit,
sans doute, d'une des dix-sept pro-
vinces dont Charles-Qiiini lii le
cercle de Bourgogne ; mais était-ce
d'une des Provinces-Unies qui su-
ks
VAN
VAN
rent secouer le joug de l'oppresseur
Philippe II, ou bien était-ce de ces
Pays-Bas catholiques qui s'accli-
matèrent si docilement aux coups
de cravache de toutes les Autri-
ches? C'est ce que nous n'entre-
prendrons pas de déterminer ma-
thématiquement ; nul ne le pour-
rait, et tout au plus les conjectures
sont-elles permises. Aux yeux de
quelques personnes, peut-être, la
forme très-néerlandaise du nom et
la haine du héros pour l'Espagne
militeront-elles en faveur de la
première opinion. Mais qui nous
empêche de répondre — à la pre-
mière raison, que Liège, Maes-
tricht, Anvers, sont pleins de De
Jlorn, Van de Ilorn, ou autres
noms semblables; — à la seconde,
que le pirate affiche plus la haine
qu'il ne l'éprouve; qu'il la singe,
ou qu'il se ligure la sentir, quand
vient à souffler en lui quelque
bourrasque de dégoût ou de honte
du métier ; que c'est un pavillon
qu'il arbore pour dissimuler sa ra-
pacité, ses frénésies et ses crimes.
Ce n'est pas tout : si c'est sur l'Es-
pagne, à la fin , que portèrent surtout
Jes coups de Vaiid llorn ses débuts
avaient eu lieu le plus souvent aux
dépens de la Hollande ( donc com-
pensation!); puis diverses circon-
stances de sa vie semblent le re-
lier à la ville d'Ostende , non sans
quelque nuance de prédilection de
sa part. C'est donc poui; celte ville
ou ses environs que nous incline-
rions, s'il nous fallait incliner d'un
côté plulô*. que d'un autre, ou, du
moins, pour les possessions catho-
liques e>j)agnoles (dont la Flandre)
plutôt (îue pour les Proviuces-
UniijN. Quelle (ju'ait été, du reste,
la Tille ou la bourgade qui le vit
naître, très-probablement, il était
d'obscure naissance, car il com-
meni;a sa carrière maritime dans
les plus humbles rangs.
Môme incertitude sur l'époque
précise de sa naissance* que, toute-
fois, d'après les autres dates cer-
taines de sa vie, nous croyons
devoir porter par approximation à
1635. Psul détail non plus sur son
enfance , nul sur son éducation.
La première position dans laquelle
il s'offre à nous, c'est celle de ma-
telot. Fut-il mousse? Rien ne nous
en informe. Est-ce jeune qu'il em-
brasse la vie de mer? Nous le pré-
sumons ; mais rien ne le prouve.
Seulement nous espérons ne pas
nous trouver seul de notre avis, le
choix de la profession de marin
ayant évidemment été de sa part
l'explosion d'une vocation, 'peu tar-
dive sans doute , ce qu'expliquent
tout naturellement, nous ne disons
pas, a taille athlétique (il était petit
plutôt que grand), mais sa force
musculaire, son énergie, qualités
dont si souvent le marin trouve
occasion de faire usage. Il n'y joi-
gnait qu'à mince degré cette obéis-
sauce passive, ressort essentiel du
service; et il ne tolérait ce régime
de fer qu'à la condition de l'impo-
ser aux autres, mais non de le su-
bir lui-même. D'ailleurs il se sen-
tait la capacité comme le désir de
commander : il avait la soif du
gain, la soif des aventures, la soif
du plaisir; carguer la voile et
prendiedes ris, faire une épissure
ou manier le gouvernail, lui sem-
blaient des divertissements on ne
peut plus monotones , et il avait
plus goût à manier le mousqueton
et le sabre d'abordage. La marine
marchande ne pouvait, on le voit,
oflrir ni fruit ni perspective à sem-
blables aspirations. Il en résulta
que bientôt il ne regarda plus les
pacifiques navires des épiciers et
VAN
marchands de harengs, leurs ar-
mateurs, que de l'œil dont le vieux
loup de mer regarde les marins
d'eau douce. Plein de grands pro-
jets, très-vagues encore, mais qui
tous revenaient à ne pas, jusqu'au
branlebas final, boucher les écou-
tilles, éponger le lillac, grimper
le long des haubans et lorgner du
haut des huniers la plaine liquide,
il comprit qu'il devait d'abord se
former un petit pécule. Sans lest,
pas de navigation. Il amassa deux
cents écus. En combien de temps,
et quel était son âge quand il se
trouva muni de ce mince commence-
ment de capital? Ne risquons d'hy-
perbole ni pour ni contre la célé-
rité de ses procédés et la dose de
bonnes chances qui purent lui ve-
nir en aide: nous admettons com-
me vraisemblable qu'il s'engageait
li vingt ans (donc vers 16:io), qu'il
commençait à se voir en tonds à
vingt-quatre (soit 1659), lorsqu'il
quitta son bord afin de réaliser ses
plans. Un de ses camarades, Fran-
çais sans doute, en avait, en partie
du moins, reçu communication et
devait les seconder. C'est à l'heure
de l'exécution qu'on reconnaît de
quelle trempe sont les hommes.
Les deux matelots quittèrent en-
semble leur navire, et ensemble
se rendirent en France. Ensemble
même ils obtinrent du gouverne-
ment une commission pour croi-
ser. Mais l'instant venu d'user de
l'autorisation, les deux amis ces-
sèrent de naviguer de conserve:
soit pour garantir des hasards de
mer les épargnes de toute sa vie,
soit pour se préserver, lui, des
hasards de la balle, l'allié de la
veille préféra rester h la côte. Plus
hardi de sa personne et de sa cas-
sette, plus impatient du repos, plus
raccoleur, le Flamand fil l'acquisi-
LXXXV
VAN
li9
tion d'un petit bâtiment d'allure
équivoque, y plaça de vingt-cinq
trente hommes bien armés, encore
plus résolus, puis accoutra sa fe-
louque en bateau pêcheur, pour
mieux donner le change sur ce qu'il
était. Nombre de petites embarca-
tions hollandaises y furent prises,
et en peu de temps. Toujours heu-
reux dans les attaques â tout mo-
ment réitérées, toujours adroit au-
tant qu'expéditif à vendre ses pri-
ses, à réaliser, à partager, il en
vint à pouvoir acheter un navire
de guerre dans les chantiers d'Os-
tende. Ses captures alors devinrent
plus importantes : il ne craignit
plus de s'attaquer aux bâtiments
du plus fort tonnage et même à
plusieurs à la fois; il devint Tépou-
vantail du commerce néerlandais ;
et, capitalisant sans cesse, bien que
le luxe ni la générosité ne man-
quassent pas chez lui, il sévit à la
tête d'une petite flotte.
Ici commence, en quelque sorte,
une autre période de la vie de
Vand Ilorn ; la seconde, celle que
nous appellerons la période mixte.
Conliani en ses forces, il s'occupa
peu de faire rafraîchir son permis
de corsaire; et bien qu'une paci-
fication eiit donné aux épées belli-
gérantes l'ordre de rentrer au four-
reau, il continua ses expéditions
trop fructueuses pour que ses co-
partageanls en perdissent l'habitude
au premier signe de la diploma-
tie, et prétendant que, — qiu^lsque
fu>sent les anachronismes dont son
équipage pourrait se rendre coupa-
ble, — ces peccadilles, simples es-
comptes sur l'avenir, ou l'en remer-
cierait unjour, la paix n'étant qu'une
trêve, et tous les Etals, d'ailleurs,
ayant pour morale, engéncral, que
tout est permis contre l'ennemi, et
en |)articulicr, que la course sur
50
VAN
VAN
mer est aussi lé?:ale, aussi glorieu-
se, aussi splendide que l'invasion
sur terre. Oui, l'une vaut l'autre;
c'est précisément l'avis de tous les
penseurs : seulenif'nt ils demandent
si l'autre est splendide, est noble,
est juste. Vand Ilorn n'élait pas
un utopiste : la course éiait ad-
mise en principe et en lait, à
certaines réserves près, pour le
temps comme pour les lieux ; il
trouva le principe selon son cœur,
puisqu'il otîrait un débouché à ses
qualités tumultueuses, un théâtre
à sa bravoure, une perspective à
son ambition et à sa fièvre de ri-
chesse, et il trouvâmes réserves trop
subtiles pour lui. Cependant les per-
missions qui légalisent le pillage
en mer lui revinrent d'elles-mê-
mes, ces permissions qu'il n'ambi-
tionnait pas. Les gouvernements
civilisés rux-mêmes savaient ce
nom formidable de Vand llorn ; et
le ministère de France, entre au-
tres, crut faire un coup de mîiîtie,
lors des hostilités qui suivirent la
mort de Philippe IV, en lui déli-
vrant une commission îi l'effet de
poursuivre les navires espagnols.
C'était, on le voit, en 1006; et
l'on doit voir aussi que cette date,
qui coïncide avec l'apogée, ou peu
s'en faut, des prospérités de notre
pirate s'harmonise avec toutes cel-
les que nous avons placées plus
haut par conjecture. Vand Horn s'en
acquitta en conscience : il fit la
chasse aux galions avec un entrain
que couronna plus d'un facile suc-
cès; et entre galion et galion, il ne
néî;ligea point les cargaisons les
moins opulentes, les cacaos et les va-
nilles, les cochenilles et le bois de
campèche, bien qu'il fût de mode
parmi ses pareils, dansleurssorties
contre le négoce, de ne reconnaî-
tre comme gain valant la peine
d'être ramassé que les métaux ou
monnayables ou monnayés ayant
cours. Il parcourut ainsi, toujours
heureux et terrible, presque toutes
les côtes de l'Amérique et de l'A-
frique ; il enrichit ou mit ;i même
de s'enrichir tous les aventuriers
que groupait autour de lui son
renom sans cesse croissant, et lui-
même amassa des sommes énor-
mes. Il n'eût tenu qu'à lui de pren-
dre jeune encore ses invalides ,
quand la signature du traité d'Aix-
la - Chapelle vint , tacitement au
moins, inviter tous les auxiliaires
de la France à rengainer. Mais
Vand Horn trouva que cet ordre
était bon pour les épées, non pour
les anspects, quelairiagnanimilédu
roi se tenait pour suffisamment ven-
gée sur terre, mais que par mer
ses ennemis avaient encore besoin
de quelques coups de garcette ; que
de temps immémoiial pirater était
licite au delà de la ligne... Pour-
quoi pas aux environs ? Pourquoi
pas, etc., etc.? Assez longtemps il
mit en pratique, sans que l'on eût
faif de s'en préoccuper, ce système
commode et particulièrement lu-
cratif en ce que les infortunés na-
vigateurs, se croyant abrités par
les traités, négligeaient de se faire
convoyer. La France se bornait à
désavouer son trop tenace cham-
pion. Les choses pourtant en vin-
rent à ce point, que tout de bon et
même avec accompagnement de
menaces, non-seulement on lui si-
gnilia le retrait de sa commission,
mais qu'on le somma d'en remettre
l'instrument. Il ne répondit à ces
injonctions (lue par des tergiversa-
lions vaincs comme celles dont on
a pu voir féchantillon plus haut,
puis par des déprédations plus
fréqucntfs et plus ouvertes, dans
lesquelles même il lui advint de se
VAN
VAN
51
tromper sur la nationalité de ses
victimes et de piller un navire
français. Cette insulte eut du re-
tentissement à Vers?>illes, et ordre
fut donné par le ministre de la r, a-
rine à l'amiral d'Estrées, qui com-
mandait la flotte française dans les
eaux des Antilles de capturer l'iu-
discip'inable Vand Horn. L'on y
réussit, et l'on n'y réussit pas. En
d'autres termes, tout fm voilier
qu'était son brick, sou sloop, ou
quel que soit le nom dont nous
décorions son trois-màts, traqué
par un gros navire français plus
tin voilier encore, qu'avait détaché
d'Estrées, il se vit serré de si près,
(|ue , voyant l'impossibililé d'é-
chapper, soit par stratagème, soit
à force de voiles, il prit le i).irti de
descendre dans sa chaloupe et d'al-
ler tenter auprès du capitaine, si-
non une apologie tout à fait ma-
thématique, du moins des excuses
qui pussent intéresser un l>rave en
faveur d'un brave, et l'amener, en
vertu de ce que l'on appelle au bar-
reau « les circonsiancc's atténuan-
tes ); , à ne pas se saisir de sa per-
sonne... Le voilà donc pris! s'é-
crieia chacun. . . Mais non, le
caplureurn'osi consommer son ou-
vrage. D'abord, il est vj-ai, l'élo-
quence de notre écumeur de mer
ne fut sur lui ni convaincante ni
persuasive : l'obstiné Français ne
voulut pas £6 laisser démonirer
que huit et huit font cinq; et, se
renlerrrant dans la lettre <le ses
instructions, il lui déclara qu'il ne
pouvait se dispenser de le retenir
et de l'amènera l'amiial, qui déci-
derait s'il fallait ou non l'expédier
en France. En effet, on était en
tra-n de lever l'ancre! Là, la scène
(hange. — « En France? » s'écria
Vand liorn, la tèle haute et la lèvre
frémis-sante comme un Turc que
déborde la colère. « Nous n'y serons
jamais nous deux, capitaine! Vous
connaissez donc bien peu les dia-
bles de Vand Horn pour vous imagi-
ner que ces vieilles moustaches
vont se laisser escamoter le^r com-
mandant comme une bli-gue à ta-
bac et sans vous lâcher un peu de
fumée par la face? Ou je suis bien
trompé, ou dès ce moment ils sont
en train de bourrer leurs pipes
gaillardement culottées. Voici long-
temps déjà qu'ils tiennent la lu-
nette braquée sur votre pont. Te-
nez, les entendez-vous qui vous hè-
lent, qui vousredemandent, d'autres
diraient leur « parlementaire » {cj^r
c'est en parlementaire que je suis
à votre bord, capitaine, et me gar-
der c'est violer le droit des gens) ;
ils disent, eux, « leur camarade »,
auquel ils tiennent. Je connais les
allures de mes vieux loups de mer :
quand ils hurlent, c'est qu'ils ont
déjà aiguisé leurs crocs. N'en dou-
tez pas, le branle-bas de combat
est terminé; voilà mon second, un
Vand Ilorn et demi, ceiui-là, qui
donne le signal. Gare la bordée !
et ensuite gare l'abordage ! » Et,
en effet, déjà le navire pirate était
en marche, déjà les aventuriers,
armés jusqu'aux dents et la hache
à la main, étaient ranges sur le
pont, prêts à l'abordage ; d'autres,
aux caronades et aux canons,
avaient lancé les premiers boulets.
Le capitaine civilisé, à l'aspect de
ces hommes de; bronze et de fer,
qui tous semblaient déterminés à
tout plutôt qu'à ne passe voir ren-
dre immédi;)tement leur comman-
dant, comprit qu'au fait, quoiciuc
sujM^rieur par la force de son na-
vire et par le nombre de ses hom-
mes, la partie, s'il osait l'engager,
ne serait pas égale, vu qu'il ne |)0u-
vait compter de la part des siens
52
VAN
sur cette audace désespérée et sans
bornes que respiraient les regards
flamboyants des corsaires. Il réflé-
chit que ses ordres ne lui enjoi-
gnaient pas de s'emparer a tout prix
du terrible pirate, et d'exposer à
des périls imminents un vaisseau de
l'Ëtat. Il se demanda comment le
prendrait le conseil de guerre s'il
revenait les mains vides et sur une
de ses chaloupes, après que les bri-
gands, vainqueurs ou vaincus, au-
raient fait sauter son bâtiment. Il
pressentit l'aphorisme talleyran-
desque, si cher à notre siècle et si
bien à notre taille : « Surtout pas
de zèle ! » Il écouta d'un air moins
atrabilaire les mielleuses assurances
de l'hétéroclite orateur, qui promit
plus de circonspection pour l'ave-
nir et un peu moins de prompti-
tude à s'imaginer, quand la cargai-
son promettait, que le pavillon
français était un leurre à l'aide du-
quel se cachait l'Espagnol, et il le
laissa retourner à son bord , heu-
reux d'être quitte à si bon marché
de cette contre-épreuve de Louis XI
à Péronne. On peut être sûr que
ce péril si lestement esquivé n'a-
jouta pas peu au prestige dont ses
antécédents l'avaient revêtu , et
que plus que jamais il fut regardé
comme invulnérable, comme inem-
prisonnable, comme ingardable,
Teût-on mis en prison. Le miracle
cependant était bien simple : avant
de quitter son bord , il avait com-
mandé les dispositions nécessaires
à un engagement au cas où il ne
serait pas de retour îi un moment
fixé, et, tout en semblant ne viser
qu'à se justifier, il avait jeté dans
l'âme de l'officier quelques germes
de déf-ouragemenl sur ce qu'il ad-
viendrait s'il ne revenait qu'avec de
la gloire et pas de navire.
De ce moment, où la France se
VAN
montre si nettement résolue et
prête à mordre (1683), date une
troisième et dernière phase pour
Yand Ilorn : c'est la dernière et la
plus courte, trois ans à peine. Il n'est
plus que pirate ; il prend rang, sans
masque aucun, parmi les flibustiers.
Il ne s'attaque plus au pavillon
français, et il cingle sur cette ligne
équivoque où l'amirauté versail-
lienne ne l'avoue ni le désavoue;
mais gare à tout ce que n'abrite pas
notre pavillon , si la cargaison mérite
le coup de pistolet! Gare notamment
aux galions!
Il ne peut être ici question de
suivre pied îi pied Vand Horn dans
toutes ses expéditions ; mais il en
est deux que nous ne saurions pas-
ser sous silence.
La première eut lieu très-peu de
temps après l'épisode qui nous l'a
montré frisant de si près la capti-
vité, le jugement. Informé que plu-
sieurs galions du roi d'Espagne at-
tendaient à Porto-Rico l'occasion
d'une escorte pour se rendre en Eu-
rope, et attendaient depuis long-
temps, Vand Ilorn imagine de se
rendre droit à Tile et à la capilale
de ce nom ; il entre, les voiles hau-
tes et au son des trompettes, dans
le port , et il offre au gouverneur
ses services et sa flotte pour con-
voyer les galions. Chose extraordi-
naire! Que rofficier de S. iM. ca-
tholique eût l'innocence de la co-
lombe ou que le pirate eût î» triple
dose la malice du serpent, l'Espa-
gnol se laissa prendre à ce filet.
Vand Horn eut l'art de faire sonner
haut et par les siens et lui-même
ses prises récentes sur les Français,
feignit contre eux une animosité
irréconciliable, et comme gage de
la fidélité qu'il jurait au roi d'Es-
pagne, fit valoir le besoin qu'il avait
désormais d'un protecteur si puis-
VAN
VAN
53
Hant, lui brouillé à mort avec la
Grande-Bretagne, avec la Hollande,
avec Louis XIV. Sans autres garan-
ties que ces belles paroles, le gou-
verneur de Porlo-Rico crut devoir
saisir aux cheveux la merveilleuse
occasion qui s'otîrait ii lui d'acqué-
rir à son pays un défenseur intré-
pide et laissa les galions quitter le
port sous la conduite de Vand Ilorn.
Il arriva ce qui devait arriver.
Vingl-quatre et quelques heures à
peu près se passèrent sans événe-
ments. Survinrent ensuite un,
puis deux, puis trois bâtiments
inférieurs, peu inquiétants par eux-
mêmes, mais qui tous étaient à Vand
Horn et qui formaient comme une
flottille. Une fois les Antilles Gran-
des et Petites laissées en arrière,
la flottille, en diminuant son cercle,
cerna l'appétissante proie argenti-
fère ; uu engagement eut lieu qui ne
dura que peu d'instants : quelques
galéasses ou péniches espagnoles
sombrèient: les navires les plus pe-
samment chargés tombèrent aux
mains des vainqueurs, qui même dé-
daignèrent de donner la chasse au
reste. On ne peut douter que celte
prouesse n'ait valu de quinze cent
mille francs îi deux millions aux
flibustiers.
Le second fait d'armes hors ligne
qui nous reste à conter est de iG83.
C'est plus qu'un simple coup de
main. Ce fut le résultat d'habiles
calculs et de combinaisons très-
heureusement servies, c'est vrai,
par le hasurd, mais qui n'eussent
pas sorti leur effet sans l'excellence
des mesures. Las de ne tomber que
sur des navires, il osa projeter de
prendre la ville marchande la plus
opulente de l'Amérique se|)lentrio-
nale, la seconde capitale du Mexi-
que, Vera-Cruz, plus riche même
que Mexico. Ce n'est pas, assure-
1-on, qu'il'en voulût précisémen taux
habitants de Vera-Cruz ; au con-
traire, il est reconnu qu'ils payèrent
pour d'autres dont il prétendait
avoir à se plaindre; ces autres, c'é-
taient les colons de Saint-Domin-
gue avec lesquels il avait voulu se
mettre en relations commerciales,
et qui s'étaient conduits plus que
lestement la son égard , vendant
sous prétexte de représailles des
nègres qu'il leur avait donnés en
commission et retenant le prix.
Pour eux, c'était aller sur ses bri-
sées et trancher du forban. Il jura
de se venger n'importe sur qui, ce
dont ils affectèreht de beaucoup
rire ; et Vera-Cruz fut victime. Ses
moyens pour arriver au succès fu-
rent combinés avec un art et un
raflinement sans égal. D'abord il
sut parfaitement- et comprendre et
s'avouer que seul, avec son équi-
page , il courait risque d'échouer
dans son entreprise. Par d'habiles
suggestions, il sut associer à ses
plans, en ne leur laissant cependant
({ue le second rôle , d'autres chefs
renommés aussi , impérieux aussi,
jaloux aussi : les Laurent, les Mi-
chel, les Grammont; et là, il faut
le dire, quoique la perspective du
pillage fût et une amorce et un lien
commun , il lui fallut non moins
de talent diplomatique pour nouer
ralliance et amadouer les suscepti-
bilités, que plus lard il ne dut dé-
ployer d'asiuce et d'esprit de res-
sources pour consommer l'œuvre.
Laui-eul était pi((ué surtout de s'être
vu comme couper l'herbe sous le
j)ied par la capture du gros na-
viie espagnol la Ilourguc, dont il
convoitait les trésors et (pie Vand
Ilorn avait conquis d'emblée, tandis
qu'il se morfondait en prépar:itifs.
Vand Ilorn n'avait agi si cavalière-
ment que pour abréger ses tergi-
54
VAN
VAN
versations et le décider. Mais Lau-
rent bouda, Laurent prit le large,
et Vand Ilorn dut en quelque sorte
le poursuivre jusqu'à Rotang; et
quand il l'eut joint, dut subir ses
rebuffades, jusqu'à ce qu'enfin il
l'eût convaincu d'une part que la
Hourgue n'avait rien contenu qui
valûtlapeine d'être pris, de l'autre,
que coopérer à ses plans contre
Vera-Cruz était le seul moyen pour
lui de s'indemniser de ses perles,
soit imaginaires, soit réelles, et de
réparer le temps perdu. Finalement
l'éloquence de Vand Ilorn triompha,
et l'irascible Laurent écoula la rai-
son, mais non sans garder rancune
à celui dont l'ascendant le domi-
nait. De retour avec son allié, dé-
sormais son ennemi intime, Vand
Horn au Petit-Goave, préluda, par
la revue générale de ses forces, à
rexécution de l'entreprise : douze
cents aventuriers étaient autour de
lui, tous hommes d'élite quanta la
vigueur et au courage, tous expé-
rimentés et habitués à ne reculer
devant aucune difficulté, comme k
ne rougir d'aucun excès. La troupe
entière fut distribuée sur deux vais-
seaux, pour ne pas donner l'éveil.
On se dirigea, toujours par suite du
même systém •, vers l'emplacement
de la vieille Vera-Cruz. Le débar-
quement eut li^u entre onze heures
et minuit. La garde sur ce point ne
consistait qu'en une seule vigie
(une élévation sur laquelle sont une
guérili; et une sentinelle). La sen-
tinelle fut égorgée , et les forbans
n'eurent plus qu'à s'avancer en bon
ordre et en silence jusque sous les
murs de la ville convoitée , pour y
attendre sans être aperçus l'ouver-
ture des portes. Tout se passa
comme ils le pouvaient souhaiter ;
nul ne les déeouviil, les portas
s'ouvrirent comme d'ordinaire à
l'aurore; les aventuriers s'y préci-
l)itèrent, et bientôt, non pas sans
coup férir, non pas sans quelques
moments de violence et de massa-
cre, se trouvèrent virtuellement
maîtres de la ville. La première ré-
sistance navait duré qu'un quart
d'heure ou vingt-cinq minutes , et
celle qui devait se produire un peu
plus lard n'avait pas plus de chan-
ces. Le capitaine Laurent, à la tête
de ce que les aventuriers nommaient
eux-mêmes « les enfants perdus, »
marcha sur la citadelle , s'en em-
para presque immédiatement , et,
soit pour accroître l'épouvante, soit
pour célébrer leur commune vic-
toire, lit tirer le canon. L'infortu-
née population de Vera-Cruz dor-
mait encore presque tout entière.
Beaucoup de ceux qu'éveilla le
bruit crurent d'abord que le gou-
vernement voilait célébrer par des
salves d'artillerie quelque fête ex-
traordinaire. Bientôt détrompés, ils
tentèrent d'avoir recours aux ar-
mes et de se défendre. C'est alors
que commença la véritable lutte,
c'est alors que les forbans se livrè-
rent au carnage avec fureur. Leur
triomphe ne devait pas longtemps
rester douteux; ils avaient pour eux
tous les avantages: le concert, l'ha-
bitude , la position prise, l'événe-
ment accompli. La boucherie, car
ce n'était plus un combat, la bou-
cherie neseserait arrêtée que quand
p:^s un des habitants n'aurait été
vivanî. Us consentirent à cesser
des efforts inutiles et à se rendre.
Leurs armes leur furent enlevée s,
on les déclara prisonniers, et pour
prison on leur donna la grande
églis(^, de la ville; mais, comme leur
nombre était de beaucoup supé-
rieur à celui de leurs vainqueurs,
et (ju'ils avaient fait preuve de plus
debnivouroqueron n'eût dû croire,
VAN
VAN
55
on prit contre leur sortie possible
une précaution décisive : à chaque
porte du saint édifice furent dispo-
sées des charges de poudre aux
quelles aboutissaient des mèches
avec des traînées de poudre, et des
hommes rejoins, placés à chaque
point d'où pariîiit un de ces cordons
menaçants, étaient chargés dy met-
tre !e feu au premier instant d'alar-
me. Très-convaii^cus du sérieux de
ces préparatifs, les réfugiés se rési-
gnèrent cl ne tentèrent poini de
s'éloigner de leur lieu d'asile. Heu-
reux s'ils en eussent été quittes
pour la frayeur, ou même quittes
pour le pillage de tout ce qu'ils
avaient laissé chez eux de portatif
et de valeur ou d'agrément. Il ne
faut pas demander si tout fut raflé
en peu d'heures, argent et or d'a-
bord, puis bijoux, puis marchan-
dises de défaite facile, cochenille,
rhum, sucre, etc., etc. Les forbans
ne pouvaient songer à garder la
ville pour eux et pour en faire le
chfcf-lieu de leur répubTuiue na-
vale ; ils ne pouvaient même sans
danger imminent y rester, comme
qu(;lques-uns d'entre eux le vou-
laient, un mois entier pour dévali-
st»r plus à fond; car à tout instant
j)Ouvaient venir et fondre sur eux
les milices voisines, rashcmblées
sous quelque chef ayant ou prenant
le droit de leur commander; et
maintenant qu'ils étaient nantis, ils
avaient plus à perdre qu'à gagner.
Ils se décidèrent donc, non sans un
immense regret à faire retraite,
Mais auparavant il vint en pensée
aux plus avises d'entre eux que t^aus
doute les fugitifs ne s'étaient pas ren-
dus du « 10 home « au pied des au-
tels les mains vides, et ils vouluicni
leur faire payer, comme le disaient
jadis les Turcs, le « radial du coupe-
ment de latéte. • Quatre prêtres ou
religieux allèrent porter leur de-
mande, c'est-à-dire leuis ordres, aux
malheureux qu'une imprudence,
une tergiversation même pouvait
perdre, et leur prêchèrent, nous ne
savons sur quel texte biblique, mais
très-certainement en l'assaisonnant
du Beneficium latronis non ocdderc
de Cicéron, la nécessité d'en Unir
au plus vite avec leurs avides visi-
teurs. Entre la confirmation et U
péroraison apparurent les quêteurs,
et chacun édifié remit, qui ses pias-
tres, qui ses quadruples... les ma-
ravédis n'avaient pas cours. On
recueillit par cette voie deux cent
mille écus, glanage a^sez modique
aprèâ la moisson de six millions de
francs auxquels se montait le bu-
tin ramassé dans les intérieurs de
la ville. Les Douze Cents cependant
ne le dédaignèrent pas et, chargés
de ce dernier trophée, ils reprirent
la mer. On eût dit que le bonheur
voulait les suivre jusqu'au bout:
ils tombèrent, à peu de distance de
la grande cité qu'ils venaient de
piller, au milieu de dix-sept voiles
espagnoles, et, chose étonnante, ils
traversèrent cette escadre sans être
inquiétés et sans l'inquiéter eux-
mêmes... Ils savaient qu'elle con-
tenait presque exclusivement des
marchandises, et point ou peu d'ar-
gent.
Tel iut le plus frappant des ex-
ploits de VandlIorn.On ne peut s'é-
tonner de la populai'itê sans bornes
dont son nom fui entouré après ce
succès, d'autant plus qu'il n'y survé-
cut guère, et qu'aux simples récils,
bientôt les Aventuriers eurent a
mêler des regrets.
Voici, du reste, comment on ra-
conïesa fin. Suivant les uns, sa hau-
teur, s. morgue, et plus encore sa
brusque iniempeiance de langage
froissaient ses rivaux de gloire;
56
VAN
VAN
et c'est pour cela que, froissé do
quelques propos assez insultanls,
le capitaine Laurent, sur la dé-
nonciation d'un Anglais qui joue
un triste rôle en cette affaire, lui en-
voya un cartel. Aux yeux d'autres,
que nous croyons plus près du vrai,
le capitaine Laurent avait toujours
sur le cœur, si ce n'est la supério-
rité qu'avait déployée sur lui Vand
Horn dans tous les détails de la
mise en action de son projet, du
moins, le tour qu'il lui avait joué
en se levant plus malin que lui pour
tomber sur la Uourcjue. Inde irœ...
Vand Horn prit même la peine de
démentir le propos que lui prêtait
l'Anglais. Tout fut inutile : Laurent
ne répondit qu'en tirant Tépée; et
le cartel eut lieu sur la baie du
Sacrifice, à sept ou huit kilomètres
de Vera-Cruz. Vand Horn y fut bles-
sé dangereusement au bras. Il put
regagner son navire cependant. Mais
l'extrême chaleur de celte zone tro-
picale, l'insuflisance de la science
médicale de rempiri(jue ([u'il pou-
vait avoir îi bord, l'irritation, le
rhum, tout concourait à rendre sa
blessure mortelle. Le bâtiment d'ail-
leurs était chargé de trop d'esclaves
et les vivres étaient insuflisants. Plu-
sieurs victimes d'abord tombèrent,
puis vint le typhus, qui bientôt en
tripla le nombre. Le commandant,
fut emporté à son tour, le quin-
zième jour. H fut inhumé à la baie
de Logrelte, à près de douze kilo-
mètres du cap de Catoche, dans le
Yucatan, et h plus de huit cents
de Vera-Giuz. Bien qu'il ne se re-
fusât pas le luxe et (juil aimût à
paraître en splendides costumes,
toujours, ou peu s'en faut, jiortant
sur lui des rubis de dimensions
extraordinaires et une rivière de
perles digne d'un rûdjà hindou, il
laissa des richesses énormes, dont
sa veuve vint jouir, et jouit long-
temps, à Ostende. Son nom resta
longtemps un épouvanlail et faillit
passer k l'état de légende parmi
les Espagnols du Nouveau-Monde ;
et la surprise, le pillage de Vera-
Cruz y furent, tant que les flibus-
tiers existèrent, ce qu'avait été au
seizième siècle le sac de Rome par
les routiers du connétable de Bour-
bon, à ceci près, que les flibus-
tiers, comparativement ^ ceux-ci,
se montrèrent humains, et, en pre-
nant le plus possible, égorgèrent
le moins possible. Val. P.
VAINDI (Santo), peintre de por-
traits, surnommé Santino da' Ritrat-
Ti, naquit J» Bologne en 1633, et
fut élève du Cignani. Peu d'artistes
de son époque peuvent entrer avec
lui en comparaison pour le talent,
la grâce, l'exactitude avec laquelle
il sut exprimer la physionomie de
ses personnages, surtout dans ses
portraits de petite dimension dont
il ornait des tabatières et même
des bagues. Tout le monde, jusques
aux princes, recherchaient ses ou-
vrages avecempressement.il mérita
l'estime particulière du grand-duc
de Toscane Ferdinand et du duc
Ferdinand de Mantoue, qui le re-
tint à sa cour où il lui lit une pen-
sion. Après la mort de son protec-
teur, Vandi retourna à Bologne,
mais sans pouvoir jamais s'y fixer,
étant sans cesse appelé tantôt dans
une ville, tantôt dans une autre,
pour y recevoir de nouvelles de-
mandes. Cette vie errante l'empê-
cha de former des élèves , et
avec lui périt, dit le Crespi, cette
manière de faire le portrait avec un
si bel emj)Atemenl de couleurs tout
de force et tout de naturel à la fois.
Il mourut îi Lorette en 1716. Z.
VAlVI)Vi:K(Ili:Nui-SToi.:),i)0<'le
anglaisj qui sans encourii- le ridi-
VAN
cule, première et poignante puni-
tion de qui se fai t prendre en flagrant
délit de titres usurpés, put accoler
à ses noms la qualification d'es-
quire, naquit à peu près à la même
époque que Byron et ne lui survécut
que trois ans. Une longue et dou-
loureuse maladie avait brisé tous
les ressorts de son être, quand la
mort, en 1828, à Bromplon, vint
le délivrer d'une existence qui n'é-
tait plus qu'un fardeau. Il avait dé-
buté dans la carrière littéraire par
ses Portraits poétiques qui firent
({uelque sensation. Il donna ensuite,
en société avec Bowiiig, V Anthologie
hatave, œuvre d'érudition élégante
et de goût plus qu'œuvrc d'art, mais
indispensable pour quiconque veut
à peu de frais et sur pièces pro-
bantes, se faire une idée nette du
caractère et de la valeur d'une lit-
térature étrangère nécessairement
très-peu connue hors de la contrée
qui la produisit. Divers recueils,
entre autres le London Magazine,
possèdent de lui des morceaux poé-
tiques. L'année môme qui précéda
sa mort, etdéjà souffrant, il publiait
encore la Gont/o/e (Londres 1829),
collection de contes et d'esquisses
en prose, qu'on ne peut feuilleter
sans regretter le décès trop préma-
turé du narrateur. Z.
VA>' ESPEN (Voyez Espes, —
Biographie, t. xiii, p. 3.
VANEL. laborieux historien, ii
qui Voltaire a porté malheur en
omettant de porter son nom sur
l'ample liste des écrivains et hom-
mes de lettres par laquelle il ouvre,
ou peu s'en faut, son siècle de
Louis XIV , ne méritait vraiment
pas cet oubli. Ce dut être, s'il faut
en juger par le choix des sujets
qu'il affectionne, un assez jovial,
assez hardi, on dirait volontiers un
assez excentrique compagnon. C'é-
VAN
57
tait pourtant un magistrat, sinon
un grave magistrat : la Cour des
comptes deMontnellier le comptait
parmi ses membres. Cette qualité
ne l'empêcha pas de faire paraître
à Paris, en 1 683, en 2 volumes in-12,
auxquels sans doute il se promettait
de donner des jumeaux : une His-
toire du temps ou Journal galant.
C'était sans doute un peu moins
scabreux qu'une controverse sur la
révocation de Tédit de Nantes, mais
c'était encore jouer un peu gros
jeu. Le Grand Alcandre s'était fâ-
ché tout rouge dans le temps contre
Bussy ; l'ancienne amie de Ninon,
quoique l'indiscret ne drapât là
que d'ex-rivales ou d'ex-proteclri-
ces, pouvait se dire : « Voilà pour-
tant comment je serai traitée di-
manihe ! »; ^t la Bastille avait tou-
jours des loirements de reste à l'u-
sagedequine savait, pour employer
l'expression de Louis XIV dans ses
avis à Saint-Simon, « tenir sa lan-
gue. ■> Le conseiller avait bien pris
la précaution de ne signer que V.,
et même il n'avait adjoint à cette
iniliiile que trois yu lieu de quatre
étoiles. Mais c'étaient là des voiles
bien transparents pour l'occurrence.
Aussi de sages amis admonestèrent-
ils à qui mieux mieux le téméraire,
et à leur instigation prit-il le parti,
afin que l'éponge put être passée
sur ses méfaits, de bâcler au plus
vile quelque élucubraiion édifiante
qui piU être en harmonie avec les
nouvelles tendances de l'OEil-de-
Bœuf et qui méritât les indulgen-
ces. Comme il s'agissait d'arriver
vite et que pourtant il fallait assis-
ter aux audiences, il se contenta
d'abord du rôle de traducteur. L'ou-
vrage dont il fit choix ne man(|uail
pas d'intérêt, c'était V Histoire des
conclaves depuis Clément V (le pre-
mier, on le sait, des poniilés avi-
58
VAN
VAN
gnon.iis) , Paris, 1689, in-4". Écrit
en Italie par un Italien, il ne pou-
vait manquer de révéler quantité
de circonstances peu connues de ce
cùté-ci des Alpes, du moins pour
tout ce qui suit la réini>tal!ation du
Saint-Siéi^e à Rome ; et quand on
se rappelie les perpétuels démêlés
de Louis XIV avec les successeurs
de Chigi, on comprend combien le
livre se recommandait par le mérite
de Tà-propos.Les réimpressions se
succédèrv ni rapidement pour un
travail de ce g:enre. Dès 1694, la
seconde édition paiaissait à Lyon,
2 vol. in-12, augmentée de trois nou-
veaux conclaves; et Fréchot (ou sui-
vant l'opinion vulgairejadis, aujour-
d'hui rép:diée d'après Barbier et
Quérard, le baron de Luyssen) en
donnaità Cologne une troisième édi-
tion en 2 vol. in-8% accompagnée
de figures. Notre intention n'est
pas d'offrir ici une nomenclature
complète des œuvres de Vanel. Mais
pour achever de donner une idée
nette et de ses tendances et dos ser-
vices qu'il a pu rendre aux études
historiques , nous remarquerons,
d'une part, qu'il a travaillé comme
compilateur et abréviateur le plus
souvent sur bon nombre d'his-
toires étrangères [Angleter. e , Es-
pagne , Turquie, Hongrie, en tout
de 18 à 20 volumes, dont les
les six (ou sept) derniers, relatifs
à la topographie et à la physiono-
mie générale , non moins qu'aux
troubles eonlemporains de la Hon-
grie, ont été longtemps ce que la
France avait de plus exact et de
plus complet sur ee pays, et qu'il
avait été contraint d'altérer par
prudence] ; de l'autre , que re-
grettant toujours le sujet de son
choix par lequel il avait débuté
dans l'arène, et voulant, k l'ins-
tar de Juvénal, essayer à défaut
des actualités interdites à sa verve,
LiciUun qnid adesset in illos
Quorum Flaminia tegitiir civis atque latina,
il se rabattit sur les pnecdotes clan-
destines et plus ou moins inaper-
çues ou enfouies des âges passés,
et finalement se trouva en état de
publier doux nouveaux volumes qui
forment pendant à VHisloire du
temps, dont voici le litre : Galan-
teries des rois de France depuis le
commencement de la monarchie, Bru-
xelles, 1 094. On en trouve des exem-
plaires qui portent pour nom de
lieu et pour millésime : Cologne,
i685-1698, et que nous regardons
comme un simple rafraîchissement
de l'édition de Bruxelles. Ce n'est
pas que les réimpressions aient
manqué; il s'en est fait une 2* édi-
tion en Hollande, mais avec la fausse
indication : Paris, 1731, 1738,2 v.
in-8°, augmentée des Amours des
rois de France de Sauvai , — puis
une 3« à Cologne, 1740, 2 vol. in-
42, sous le titre de Les Intrigues
galantes de la cour de France de-
puis le commencement de la monar-
chie jusqu'à présent, — une 4^ enfin
sous le titre primitif, Cologne (Pa-
ris), 1653, 3 vol. in- 12. Très-pro-
bablement le conseiller en la Cour
des comptes de Montpellier ne fut
pas témoin de tous les hommages
rendus à son idée. Tout porte a
croire qu'il survécut peu d'an-
nées à Kl première apparition de ce
qu'il regardait comme son Exegi
monumentum.Ce monument ne brille
plus guère et n'est plus guère fré-
quenté depuis que Dreux du Ra-
dier a repris et mieux encadré,
comme mieux traite, le même su-
jet dans ses lleines et favorites. Mais
il y aurait de l'iniquité, de l'ingra-
titude à ne pas se souvenir qu'à
Vane! appartient la priorité comme
VAN
VAN
59
explorateur d'un malheureusement
trop riche fllon de l'histoire na-
liouiile. Val. P.
VAN-GEER (Charles). Vovez
GEER, t. XVIII, p. 19.
\AS IIEEL (Daniel), peintre
hfiige, souvent cité , n'est guère
connu que par ses œuvres et ne pré-
sente que peu de tr..its au biogra-
phe, qui, toutefois, peut induire de
là que sa vie ne fut pas accidentée
comme celle de tant de ses con-
frères, et qu'il la passa paisible-
ment ou dans ses foyers ou près de
là, sans opulence éclatante, mais
loin aussi de la détresse et des pri-
vations ou déceptions amères. Son
caractère paraît avoir été des plus
calmes, et son coup d'oeil moral des
plus sages. Tout ce que l'on sait de
lui sur témoignage, c'est qu'il vil
le jour à Bruxelles en 1 607, et que,
lorsque, cessant de peindre sous un
maître, il se mit à voler de ses pro-
pi'es aiies, provisoirement il se livra
au paysage, et que même il obtint
dans cette voie des succès qui pou-
vaient le séduire en lui présentant
la perspective duu heureux ave-
nir; mais que, récalcitrant aux il-
liisions et se liant peu au prisme
sous lequel les artistes voient trop
fréquemment les faits les plus gra-
ves de la vie quotidienne, il dressa,
pour s'éclairer sur ce qu'il conve-
nait le mieux de faire, en quelque
sorte la stalisticjue de lart en Bel-
gique et dans les zones circonvoi-
sines, et qu'a la suite de cette vue
synoptique du présent , concluant
(|u"il lui serait, en réalité, ou im-
possible ou dilïicile au plus haut
degré d'avoir la palme sur des ri-
vaux dejk renommés et favorisés de
la vo,:;iie comme paysagistes, il crut
bon d'adopter uiui spécialité diffé-
rente; il eu choisit une sinj;uliere,
une i;ire du moins, et qui, cerle>,
n'était pas usée : ce fut celle des
incendies. Il se fit bientôt un public
d'admirateurs enthousiastes et pas-
sionnés, autant qu'il peut y avoir
de passion et d'enthousiasme chez
les Néerlandais, par les qualités
qu'il déploya dans le genre dont
on peut le regarder comme le créa-
teur; non-seulement sa louche est
vive et légère, il gradue merveilleu-
sement sa lumière, il verse k Tin-
iini et avec imagination les détails,
il dispose ses plans de composition
avec autant de goût que de clarté;
tout en lui décèle et respire la
« maestria. » Aussi la vérité poi-
gnante des scènes, la magie descou-
leurs, font-elles sur quiconque con-
temple ses tableaux une impression
profonde ; on dirait que sa toile
flamboie, que les langues de feu
pointent dans l'atmosphère, que les
éditices vont crouler; il ne manque
que le craquement et la chaleur.
On vante parmi ses plus beaux ou-
vrages , l'embrasement de Sodome
et rincendie de Troie. Nous regret-
tons qu'il ne lui soit pas venu en
tète de nous montrer, s'abîmant
ainsi dans les flammes, le temple
d'Éphèse et le palais dePersépolis,
et Rome même, en un mot ces
grands spectacles au milieu desquels
proémine dans les ruines, et mora-
lement au-dessus des ruines, l'in-
cendiaire passé à l'elat de dilettante
en incendie. L'on pourrait aussi
regretter que de nos jours cette
spécialité se trouve comme aban-
donnée. Les sujets ne manquaient
pas pourtant, et les incendiaires
non plus, à commencer par Moscou
et le prince Rostopchine. La preuve,
au reste, quiî Van Heel aurait été
de toute manière n giaud peintre,
et que s'il abandonna la spécialité
paysagi sque, ce ne fut pas faute
d'y pouvoir réussir, c'est cet admi-
60
VAN
VAN
rable paysage qui formait un des
plus beaux ornements du cabinet
du prince Charles de Lorraine, à
Bruxelles, et que les connaisseurs
comparaient à tout ce qu'ont pro-
duit de plus parfait les premiers
maîtres en ce genre. Val. P.
VAiVHOVE, acteur de mérite,
plus estimable que brillant, était
de la Flandre française, où nous
présumons qu'il naquit entre 1736
ou 1740. Il se maria en Hollande,
et quelque temps il habita La Haye.
Bien qu'étant très-jeune encore, il
prit le parti du théâtre; il ne joua
jamais en litre les jeunes premiers,
et il ne tarda pas h s'accommoder
de remploi de père noble, dont il
s'acquittait à Lille avec assez de
succès. L'idée, alors, lui vint qu'il
pouvait aspirer à remplacer Bri-
zard, auquel en etfet il ressemblait,
les uns se contentent de dire un peu,
les autres disent merveilleusement.
Son heureuse étoile lui fit trou-
ver des appuis, il obtint un or-
dre de début, et il fit son appari-
tion sur la scène des Français le
2 juillet 1777: quelques applaudis-
sements récompensèrent ses efforts.
Il en obtint davantage dans Bali-
veau, dans Eup.liémon père, dans
d'Orbesson du Père de famille ^
dans Licidas du Glorieux, aux-
quels d'ailleurs &e joignirent les
rôles tragiques de Danaiis dans
Hypermneslre et de Zopire. Fina-
lement, il fut admis comme socié-
taire il la clôture de 177U.Si quel-
ques-uns des votants conicslorent
(l'abord, jamais depuis la compa-
gnie n'eut qu'il se féliciter de son
acquisition. Non -seulement Van-
hove était le meilleur camarade, le
plus égal, le plus doux, le plus
obligeant, le plus exen.pt de mor-
gue et de prétention; mais, comme
rouage d'un inécani.'^me , comme
pièce d'un mouvement, il était le
plus consciencieux et le plus exact
des hommes. Jamais de refus, ja-
mais d'obstacles, jamais de décli-
natoires; jamais, par sa faute, un
projet de représentation ne fut re-
mis ou abandonné; jamais un rôle
ne lui sembla mesquin, ingrat, in-
digne de lui : qu'il lui fût avanta-
geux ou non, qu'il mit l'acteur en
lumière ou dans l'ombre, c'est ce
dont il ne s'embarrassait en aucune
façon... Qu'est-ce qui devait le
plus aider au succès? telle était
la seule question qu'il se posait,
tel était son principe. Heureux se-
raient les directeurs qui, dans leurs
relations administratives quotidien-
nes, ne rencontreraient que des
Vanhove ! Mais trop souvent les
grands talents sont moins ductiles
et moins pénétrés de l'idée du de-
voir. Non pas que nous voulions
insinuer que le talent lui manquât.
Gela s'est dit et redit, sans doute...
On a bien prétendu aussi qu'il était
trop grand et trop obèse ! Ni l'un,
ni l'autre n'est vrai. Sa taille ne dé-
passait pas les huit cent trente ou
trente-cinq millimètres en sus du
mètre; et cette hauteur modérément
supérieure à la moyenne, ajoutait
à l'autorité de sa physionomie.
Quant ii l'embonpoint, tant qu'il
ne laissa pas trop ii distance la se-
conde jeunesse, il pressentit, il
cultiva l'art, si recommandé par
Brillât, de fixer son abdomen
au majestueux. Eh bien ! ceux-là
n'ont pas vu plus juste au moral
qu'au physique, qui se sont donné
le tort de déprécier Vanhove. Il
était naturel au suprême degré; il
avait de la chaleur et de la sensi-
bilité; son émotion, il la commu-
ni(iuait au public , i)arce qu'elle
était vraie. Qu'il n'en résulte pour
nous ni le devoir ni le droit de
VAN
VAN
61
l'assimiler à ces artistes qui furent
les maîtres de la scène, soit ! Il n'a-
vait pas suffisamment de distinction,
et la majesté qu'il prêtait aux mo-
narques et aux grands personna-
ges rappelait un peu trop celle
d'un bourgmestre néerlandais ;
sa voix était empâtée, sa diction
lourde et monotone. Il pleurait
trop aisément, il tournait au pa-
terne. Aussi n'était-ce pas dans la
tragédie qu'il brillait : il aimait, il
avait étudié à fond le rôle d'Au-
guste, mais à sa façon... Il ignorait
qu'Auguste n'était pas du tout ma-
jestueux. Un poète du temps, en
caractérisant les diverses notabili-
tés de la comédie française, a dit
de lui :
Vanhove plus heureux, psalmodie h mon gré. .
Oiitl succès l'attendait, s'il eiU été curé !
Sa petite paroisse, au sermon réunie,
Eut souvent de Jésus partage l'agonie.
Le trait est juste et bien touché.
Somme toute, cependant, ce n'est
pas une raison pour prétendre que
« le père Marly et lui faisaient
la paire ». Vanhove est digne d'ê-
tre nommé immédiatement après
Brizard et Sarrazin , et a laissé
un souvenir comme père -noble.
Il a créé des rôles, celui de
Courval notamment dans YEcole
des Pères, en 1787. On l'admirait
h juste titre, dans le Géronle du
Menteur y exprimant son indigna-
tion, son horreur mêlée de mépris
pour l'abominable caractère du hé-
ros de la pièce; il arrivait au pa-
thétique, et une fois ou deux peutr
Pire il atteignit presqui? le sublime ,
lors(}ue, diins Eugénie, la douleur
paternelle de Ilarlley fait explosion.
Le don Diègue du vieux Corneille
était aussi une de ces ligures qu'il
excellait Ji représenter, et de même
le vieil Horace. On sent (pi'il s'i-
dentifiait de cœur avec ces nobles
natures. Aussi le rôle de Félix fut-
il un de ceux qu'il lui était le plus
pénible d'aborder : il ne s'en con-
solait en quelque sorte qu'en sa-
turant ses regards du spectacle de
sa fille dans le personnage de Pau-
line, antipathique à tous les vils
calculs et faisant rejaillir comme
une auréole de réhabilitation sur
son père. Il allait le rejouer ce-
pendant; le Théâtre Français, après
avoir laissé longtemps dormir le
chef-d'œuvre, qui n'avait d'autre
tort que d'être qualifié de pièce sa-
crée, s'était décidé à le reprendre,
lorsque tout à coup Vanhove tom-
ba malade. On crut d'abord que
quelques jours suffiraient pour
guérir, et lorsque enfin, l'aflection
ne cédant pas, on procéda néan-
moins à la représentation, on mit
sur l'affiche , à la suite du nom de
l'acteur seul chargé'du rôle de Fé-
lix : « Par indisposition de Van-
hove. » Mais le remplaçant put
garder l'emploi : très-peu dt: jours
après, Vanhove mourait sans avoir
revu la scène ( 3 messidor an ii ).
Ceux qui, soit au théâtre, soit hors
du théâtre, s'étaient souvent per-
mis de le traiter à la légère, s'a-
perçurent de ce qu'il valait alors
qu'il ne fut plus là : ou n'entendait
plus que « le bon Vanhove » ! et
«bon, )» ici, ne désignait pas sim-
plement la bonhomie dont on rit,
ou même la bonté. L'épithète avait
le sens et le saveur qu'elle a chez
les épiques italiens, quand ils di-
sent « il buon (jOffredOy il buono
Orlando. » On désignait le coopé-
ratei.r utile, l'artiste toujours sur
la brèche, le débiteur qui ne nie
jamais sa dette, ou plulôt qui paie
ii première présentation , en un
mot, le soldat ou le paladin du de-
voir. Très - certainement Vanhove
62
VAM
VAN
est un de ceux dont rhouorabililé
consiante et j)atenle a le plus con-
tribué à détrôner les préjugés ja-
dis en vigueur sur les artistes dra-
nialiques, et auxquels l'on ne dai-
gnait que par grâce admettre quel-
ques exceptions.
Madame Vanhove , sa femme ,
ouait, ainsi que lui, au Théâtre-
Français, où elle avait débuté un
peu plus tard.
Parmi leurs entants, s'est distin-
guée surtout leur tille Caroline
Vanhove, dont l'article suit. Val. P.
VA^ilIOVE (la vicomtesse dk
Chalost, née Cécile Caroline),
actrice de renom, fille de l'acteur
Vanhove, n'était qu'une toute jeune
enfant quand son j)ère fut appelé
à Paris. La Haye était le lieu de
sa naissance. Le nom magique
de Paris, plus d'une fois prononcé
sans doute avec le brio naturel aux
artistes, frappa sa jeune imagina-
lion. Très-bien douée, mais peu
studieuse , elle avait jusqu'alors
boudé l'alphabet. Sa mère lui dit
fort sérieusement : « Je vais te lais-
ser à Bruxelles, ma fille; on ne
peut entrer à Paris que quand on
sait lire. » Ce fut une transforma-
lion subite : en peu de jours elle
put assembler ses syllabes , dé-
chiisrer ou écorcher les mois selon
leur deÊ:ré de difficulté ; et toutes
les cordes de rintelligcncc t'ufan-
line entrant à la fois en vibration,
la voilà qui, tout k coup, sq met, en
pleine diligence et entourée d'in-
connus, à gazouiller et récits de
toutes sortes et fables, avec un
entrain, un aplomb, avec drs mines
et des intonations à captiver les
plus revêchi^s des auditeurs. Chacun
de fêler celle que l'on nomme la
petite merveille : l'artiste en herbe
s'est révélée. En eflét, tres-peu
d'années api es, la petite Vanhove
paraissait de loin en loin dans des
rôles d'enfants : la Louison du Ma-
lade imaginaire y par exemple, ou
b;en la petite fille de la Fausse
Afini's ; ou bien encore le Joas d'A-
//ia//c. Toutefois, ses parents eurent
la sagesse de ne pas abuser de
la facilité de son heureux naturel;
et il fut résolu qu'avant de risquer
une apparition définitive sur le théâ-
tre, on l'initierait par des études
sérieuses et persévérantes à l'art
des Dangeville etdes Gaussin. Chose
extraordin;>ire et qu'on serait assez
tenté de révoquer en doute, si ce
n'était refuser de se rendre à son
propre témoignage, en dépit de
son incontestable aptitude pour la
scène, elle n'avait pas la vocation,
et elle voulait se faire religieuse.
Tels n'étaient pas les plans de sa
mère qui l'idolâtrait, et qui, fière de
son mari, se berçait de l'idée de
voir un jour sa fille « la perle »
(on ne disait pas encore «l'étoile »)
des Français. D'ailleurs, l'attrait de
la gloire n'était pas l'uni/iue mobile
de la prudente Hollandaise : les
applaudissements à ses yeux avaient
surtout du prix comme le chemin
aux appointements, el ce qu'elle
souhaitait, en fin de compte, c'é-
tait que l'artiste , non contente
d'une vaine fumée, joignît toujours
k l'idéal le positif, tilile dulci. La
jeune fille dut prendre son parti de
renoncer aux joies placides du
cloître ; et puisqu'il le fallait, elle se
livra aux travaux |)réliminaii'es.
Elle se rendit familiers les chefs-
d'œuvre des maîtres; finalement,
elle aborda les mystères de la dé-
clamation. Son principal, ou plutôt
son unique maître, après son père,
fut l'acteur Doivul, honnête et
correct artiste qui disait à la satis-
faction des amateurs le récit de
Théramène. Les sages conseils et
VAN
VAN
63
l'exemple de ce profeî;seiir, furent
certainement pour beaucoup dans
ces qualités que personne ne porta
plusloinàlascènequeM"*Vanhove,
la mesure, la tenue, le tact exquis,
qualités qui d'ailleurs n'excluèrent
jamais chez elle la sensibilité, la
vivacité, la grâce. Une intelligence
prompte, une rare facilité, la mé-
moire qui, quoique le moindre ta-
lent de l'actrice n'est pas tout à
faif à dédaigner, rendaient du reste
les études commodes et rapidement
profitables. Et le maître et Vaiihove,
lui-même excellent juge, ne tardè-
rent pas îi reconnaître qu'ils pou-
vaient, sansoulrecuidanceaucnne et
sans risque, la faire débuter à la
Comédie Irançaise, La seule objec-
tion possible eût été l'extrême jeu-
nesse de l'actrice : mais l'on se dit,
et l'on eut raison de se le dire, que
celte précocité avait un attrait, un
intérêt de plus. En effet, le succès
fut complet, et tous les souhaits,
tous les rêves de sa mère furent
dépassés. Ri-^n n'y manqua, pas
même les vaines oppositions, les
lr;icasseries, les jalousies. Toutes
les correspondances et les feuilles
Méricdiques du temps s'expriment
avec chaleur sur ces débuts qui
prirent de huit à dix mois, les six
derniers de 1785 et les premiers de
i786. a Tout Paris se porte eu
fouie pour l'admirer, » dit Bachau-
monl {Mém. \XX, p. 35), « les aj)-
plaudissements se font entendre au
loin jusque dans !a rue. » Lahaipe
même (dans sa Correspondance lillé-
rairc avec le grand-duc de Russie,
p. 3fS}, dit de « la p:Mite Vanhove »
(c'est le nom que l;ii donnait Paris);
« C'estl'idole du public. » Beaumar-
chais, à peine sorti de Saint-Lazare,
courut l'entendre ie soir même
dans ie rôle d'Eugénie, qu'elle ve-
nait de créer avec tant de supério-
rité. M.-Jos. Chénier, pour lui té-
moigner sa jeconnaissance de la
façon dont elle interprétait son hé-
ros, lui abandonna ses droits d'au-
teur lors de son premier ouvrage
{Edgar ou le Page supposé). Drame,
tragédie, comédie, tous les genres
semblaient également de son do-
maine; et, dans tous, les bravos de
l'auditoire venaient le lui témoi-
gner, on ne la voyait jamais qu'à
sa place. Aspirer à toutes ies cou-
ronnes ne semblait de sa part
qu'une excusable, qu'une légitime
ambition. Une seule personne
n'était pas de cet avis.,. On devine
que c'était une femme, que c'était
une artiste dramatique : c'était ma-
demoiselle Contât! Que l'on ne s'é-
tonne pas et surtout que l'on ne s'in-
digne pas trop. Ce n'était pas pour
elle-même que rillustrecomédienne
était jalouse, c'était pour sa sœur,
dont il se trouvait que les débuts
coïncidaient et avec ceux de ma-
demoiselle Candeille et avec ceux
de mademoiselle Vanhove. Les dé-
buts de la première avaient éié
suffisamment brillants, ils l'eussent
sans doute été davantage si l'appa-
rition de mademoiselle Vanhove
n'eût fait diversion; elle ne se plai-
gnit pas pourtant, contente de sa
part et sûre de l'avenir. Il n'en fut
pas ainsi de mademoiselle Contât.
Soit zèle effréné pour la cause de sa
sœur, soit exaltation naturelle et
incandescence impétueuse à pro-
pos de tout, soit qu'elle prit pour
irrévérence et injure à elle-même
toute contrariété, sitôt que son
nom, ne fût-ce que par ricociiet,
étale en jeu, elle se repandit en
invectives, en menaces contre les
infortunées Vanhove, mère et fille.
Son di'but fut une lettre à la mère,
lettre qu'on peut lire dans les mé-
moires plus haut cités (XXX, p. 41,
64
VAN
43), mais dont on ne nous saura
pas mauvais gré de détacher ici
quelques traits. « Pouviez -vous,
« madame, dit-elle, ignorer les dé-
« buis de ma sœur, destinée dès
« lors à remplir l'emploi des jeunes
« amoureuses dans la comédie?
« Elle n'était rentrée dans la re-
« traite que pour se rendre par de
« nouvelles études plus digne d'é-
« loges et d'encouragements. Et
« c'est presque au même instant
« que, peu satisfaite de voir triom-
« pher votre fille dans la tragédie,
« vous l'incitez à marcher sur les
« brisées de ma sœur et à lui ravir
« ses emplois dans l'autre genre. Dé-
« pouiller une enfant sans défense
« et l'écraser!... Je vous déclare
« une guerre ouverte. Si voire fille
« persiste à devenir rivale de ma
« sœur, je l'attaquerai non-seule-
« ment dans nos comités, je soule-
« verai contre elle les honnêtes
• gens de notre société et la pour-
« suivrai jusqu'au tribunal de nos
« supérieurs; j'irai, s'il le faut, me
« jeter aux pieds de notre auguste
« souveraine, et vous pouvez regar-
« (1er d'avance celte lettre comme
« un manifeste. J'en fais délivrerdes
ff copies à tous mes amis..., etj'es-
« père que le public jugera et dé-
■ testera cette abominable trahi-
« son. Paris, 25 octobre n85. »
Que la furibonde signataire de ce
manifeste eût ou non quelque lieu
de crier îi l'envahissement, à l'u-
sur|)ation, toujours est-il qu'elle
trouva de l'écho. Le maréchal
de Duras, auquel incombait la
haute inspection du théâtre, déci-
da, lorsqu'il fut question de la ré-
ception des débutantes comme
pensionnaires, que mademoiselle
Vanhove ne prendrait rang qu'après
mademoiselle, l^aurenl et Mimi (c'é-
tait le petit nom, disons plutôt l'a-
VAN
brévialion du petit nom de made-
moiselle Emilie Contât). Grand
triomphe pour l'aînée des Contât,
mais qui ne fut pas longtemps com-
plet. » La mère Vanhove, » comme
s'exprimaient familièrement nos
grands-pères, ne put digérer l'af-
front et défendit à sa fille de pa-
raître le soir sur la scène, où pour
la troisième fois elle jouait le rôle
d'Eugénie. Comme, en fait, elle était
la favorite du public , qui l'accla-
mait du commencement à la fin ,
et que nulle n'était en mesure de
jouer le rôle, ou même eût-elle été
en mesure, n'eût osé défier à ce
point un parterre plein d'orages ,
l'aréopage comique jugea prudent
de capituler; et l'arrêt du maréchal
subit, aux dépens de l'inoffensive
mademoiselle Laurent, un amende-
ment dont se contentèrent les
Vanhove. Celle-ci, que chronolo-
giquement ses débuts devaient
classer en tête, fut refoulée au
troisième rang; mademoiselle Cé-
cile monta d'un cran, et Mimi resta
première... sur la liste des sociétai-
res, mais non dans l'estime et moins
encore dans la prédilection du pu-
blic.Ainsi finit cet épisode, où, en
d'autres temps qu'alors, de beaux
esprits eussent distingué l'étoffe d'un
poème héroï-comique. Mais lèvent
n'était plus à l'épopée badine : la
Fulle journée avait achevé de se-
couer et de volcaniser les têtes;
et d'autres drames allaient remuer
Paris cl le monde : quatre ans en-
core, et rapidement se succéde-
raient le serment du jeu de paume,
l'apostrophe de Mirabeau ,'i M. de
Dreux-Brézé, la prise de la Bastille,
les journées des 5 et (J octobre. La
lionne d'ailleurss'était calmée; et il
faut avouer qu'elle eut le bon goût
quoiqu'on plaisantât quelquefois sur
Des vains honneurs du pas le frivole avantage
VAX
VAN
65
ce qui revenait à plaisanter du
privilège de Mimi, non -seule-
ment de ;ie j)lus ];oursuivre li
guerre, mais encoro tio I'miîvU.j
quelque intérêt pour Eugénie, du
moins quand elle se circonscrivait
auxAtalide,auxAricie,auxMonime,
en un mot aux amoureuses tra-
giques. C'était de la tactique, il est
vrai : plus elle la portait alors aux
nues, plus elle l'inféodait à la
glèbe des Atalide. N'importe, au
reste: ce n'était plus là désormais
qu'était l'obstacle. Etre admise éiait
bien quelque chose certes, mais
cela ne détruisait pas la position
des chefs d'emploi; et celles-ci
non-seulement tenaieni à primer,
mais pour être plus sûres de pri-
mer s'appliquaient, moins à grand
biuit, il est vrai, que made-
moiselle Goniat, à tenir la nou-
velle camarade dans l'ombre. Il
fallut donc se résii^ner a doubler
ces privilégiées, et parfois même,
s'il faut l'avouer, à doubler les dou-
blures. Il en résulta pour Cécile-Ca-
roline de quinze à dix-huit mois d'é-
clipse réelle, car c'est ainsi que
(lut être nommée par ses amis cette
occuitalion si désenchantante pour
celle qu'avaient saluée tant d'en-
thousiastes acclamations. Cet inter-
valle, qu'elle employa fructueuse-
ment en nouvelles et fortes études,
éclairées désormais par la pratique
scénique, et durant lequel elle eut
le plaisir de s'apercevoir que le
public ne l'oubliait pas, bien que
sa présence fût rare et que la cul-
minatioîi lui fût interdite, corres-
pond à l'épotiue de son premier
Uïariage : il s'en fallait encore qu'elle
eût (juinze ans accomplis quand
elle épousa le chorégraphe IN'lil,
alors en train de se créer une répu-
lalion. L'aniu'e suivante, un inci-
dent, un simph? hasard \int signi-
LXXXV
fier aux malveillants qu'il faudrait
sous peu compter avec madame
Petit. C'était le 31 janvier 1789, le
soir où l'on rcpresenuiit pour la
première fois la Fausse inconstance
de la comtesse Fanny de Beauhar-
nais. La pièce, au milieu d'un ou-
ragan de sifflets, avait atteint le
troisième acte. Trois encore ou
deux et demi restaient à traverser.
Les comédiens, qui plus, qui moins,
étaient abasourdis devant la fureur
du public. Vanhove s'avance, ac-
compagné de sa lille,versla rampe,
et dit : « Messieurs, voulez-vous
qu'on baisse la toile... ou que l'on
vous joue autre chose? » Silence
d'abord. Il reprend : « Que voulez-
vous? » — Nanine! dit une voix.
Mille voix répètent : Nanine ! Na-
nine! C'était un ordre, — il n'y
avait là pas d'autre Nanine d'hu-
meur et de force à payer comptant
que madame Petit. Celte fin de soi-
rée fut pour elle un triomphe. De
sept à huit mois après (septembre
1789}, expirait la charmante made-
moiselle Olivier, qui sous les traits
et le costume de Chérubin faisait
les délices des Parisiens. Il fut re-
connu par le sanhédrin môme des
sociétaires que madame Petit avait
été créée et mise au monde pour
représenter l'espiègle page du comte
Almaviva, pour chanter : < J'avais
une marraine. » L'emploi lui fut
donc conféré. Mais plus d'excur-
sions dans la tragédie? Mademoi-
selle Desgarcins requit, voulut (jii'il
ne fût plus, sous couleur d'aptitude
univciselle, ini|)iété sur ses do-
maines, et il fallut en passer par
cette clause restrictive qui du reste
était du goût de tous, hormis de
celui du nouveau Chérubin. Au
total, ce n'était pas là le lieu de
répéter auxechosd'alentour : «Ont*
mon cœur, que mon cœur a de
66
VAN
VAN
peine! •> De jour en jour sa position
devint plus stable, plus invulnéra-
ble. Le parterre et les loges la
goûtaient toujours , et c'est sans
exagération qu'on a dit : Son suc-
cès allait toujours croissaiit. Très-
peu d'années encor;% et les pre-
miers emplois devenaient son lot.
Elle n'en était pas encore tout à
fait là quand, àla Comédie française
aussi, les tempêtes révolutionnaires
eurent leur répercussion. De longue
main déjà l'opinion avait signalé
les coryphées de notre première
scène et surtout les femmes comme
aristocrates effrénées, comme ad-
miiattices reconnaissantes de Ma-
rie-Antoinette, comme peu coiffées
du bonnet phrygien. La représenta-
tion de l'Ami des lois fit éclater la
bombe.
Des lois, et uon du sang!...
Celle juste mais vive réclame ne
pouvait être du goût du comité de
salut public, et un ordre, tout prôt
d'avance sans doute, vint clore le
théâtre et constituer à peu près tous
les acreurs en état d'arreslation.
Maflame Petit dut, comme S(*s
camarades aller loger à Sainle-
Pélagie. (]'esl à son aspect et à
celui de ses comp;ignos passant
des mains des gendarmes à celles
des geôliers, que madame Roland
s'ficria : « Les Français sont donc
bien changés! » C'est quehjue
temps après ce coup d'F'lat non
moins puéril que tyrannique, que
fut ouvert le théâtre de la rue
Riiheiieu, seul en possession au-
jourd'hui du lilre de Théâtre-Fran-
çais elfpi'on nomma d'abord Ihéâ-
Ire de la Nation. Oblif^és par la
force de l'opinion à rendre au pu-
blic et à l'art les écroucs que les
héros de parades populaires ne
pouvaient remplacer, les dicta-
teurs du jour crurent leur fii're
pièce en réorganisant sur des bastîT^s
nouvelles et dans un nouveau lo-
cal la troupe épurée. De là sépa-
ration du personnel dramatique
en deux corps, l'un qui resterait
à rOdéon, l'autre limitrophe du
Palais-Royal et recrutement de
nouveaux venus au cas où, chose
immanquable, l'un ou l'autre de
ces corps se trouverait incomplet.
Naturellement cependant on tenait
à réunir pour le théâtre de la Na-
tion le plus grand nombre possible
des artistes anciens, aimés et con-
nus. La liberté fut offerte alors à
madame Petit, à condition qu'elle
abandonnerait l'Odéon. Elle ba-
lança, ne voulant pas, dit-elle, se
séparer de son père, qui restait à
ce théâtre, et répugnait, si jeune
encore et citée pour ses mœurs
rares au théâtre, à vivre seule et
hors de l'œil d'un défenseur os-
tensible. Nous oserions penser,
prosaïque positiviste que nous
sommes, qu'elle n'opposa de diffi-
cultés que juste ce qu'il en faut
pour se faire assurer les condiiions
les plus avantageuses. En eilèt,
elle se décida de bonne grâce â la
fin; et somme toute, le métal et la
« vaine fumée » additionnés, elle
n'eut pas à s'en plaindre, car c'est
alors qu'elle devint détinilivement
premier emploi. Mais, quelques
semaines ou ((uelques mois après,
elle fut troublée d'appréhensions
terribles. Elle s'aperçut que le ci-
toyen Robespierre était souvent
aux loges quand elle jouaii, puis
finalement qu'il ne manquait plus
une seule de ses représeniations.
i:tait-ce donc pour Molière, pour
Regnard, pour Marivaux qu'il ve-
nait n»? Peu de femmes auraient
été assez bénignes pour se payer
de cette idée. Vers le même temps
ï
VAN
(ce que madame Petit ne sut que
plus lard), le terrible Maximilien
se prit à jalouser Talraa, soit parce
que son tailleur avaii vanté, lui
présent, la coupe d'un habit du
grand acteur, en ayant l'air de
trouver h son farouche client bleu
moins gran»! air et bonne façon,
soit parce que, sociétaire du Théâ-
tre-Français et célèbre déjà, Talma
pouvait tous les jours en quelque
sorte voir sa camarade dans les
coulisses et subjuguer son imagi-
nation. On peut lire à ce sujet
d'assez curieux détails, pp. 293-
299 des Anecdotes inédites sur la vie
de Talma. (Voy. plus bas.) Très-
peusoucieu^e d'un tel adorateur et
très-peu rassurée, madame Petit
se fil malade, et tant qu'elle put,
la complaisance du médecin ai-
daut, elle usa du système de Fa-
bius Cuni-taior. Mais sa tempori-
sation ne put ôlri; éternelle, et
Fabius, à lui tout seul, n'eût pas
déjoué délinilivement Annibal.
Heureusement le 9 thermidor vint
trancher le nœud; et probable-
ment pour Talma, peut-être même
pour la belle dame, bien qu'évi-
demment elle n'eùl point eu d'in-
telligences avec Pitt et Cobourg,
il était grand temps que ce jour
luisît enlin. Est-ce à ce péril com-
mun ou bien est-ce aux circons-
lancesci-dessuseftleurées que doi-
\ent être allribuees les attractions
dont quelque temps après l'ex-
(juise comédienne et l'inimitable
artiste commencèrent à laisser
poindre les indices et dont le de-
noùment, avec les principes de
riiérnine, ne pouvait être qu'un
second mariage? Dans l'une ni dans
l'autre de ces hypothèses, k notre
srns,i.e git le molde l'énigme. La
tragédienne mademoiselle Desgar-
cins alla retrouver mademoiselle
VAN
67
Olivier; et soudain cessa de peser
sur madame Petit l'embargo mis
pour elle sur le tragique par celte
prêtresse de Melpomène. Ellesere-
mit aux études tragiques avec l'ar-
deur qu'inspire aux filles li'Ève le
fruit longtemps défeuiiu. Elle ne
pouvait que gagner à s'ins|)irer de
■Talma. Danspresque chaque œuvre
du répertoire, d'ailleurs, elle se
trouvait en face de lui. Agrippine et
Néron, Lanassa et le grand brah-
me joutaient plutôt que jouaient
ensemble. On comprend qu'a la
suite et à la faveur de ces rela-
tions nécessaires et où toutes les fa-
cultés tant intelligentes que pas-
sionnelles sont mises en jeu soit
né l'amour. Nous ne présumons
pas qu'il ait été bien vif d'abord.
Talma dès lors et presque de nais-
sance était acteur de génie, était
tragédien : très-certainement il ne
regardait pas madame Petit comme
tragédienne née, et il lui fallut du
temps pour rendre complète jus-
tice à ce qu'elle avait de qualités,
outre sa figure, pour pallier ou
compenser le déficit. A plus forte
raison ne nous vient-il pas en tète
que la flamme fût plus pétillante
et pins prompte de l'autre cùté :
rincandes(ence était le moindre
défaut de Nanine. Tout dûment
pesé, Ton peut sans être dupe tenir
pour sûr que cet amour fut irès-
longtemps, des deux parts, à se dé-
velopper, et plus encore à se trahir
et à s'avouer. A la longue pourtant
il devint le secret de la Comédie,
sans [)eul-ètre que rien encore eiH
élé décide entre les intéressés. Voici
comment .M'"' Talma raconte le dé-
noûment (nous abrégeons) : Un son-
de représentation, rhéroïne (M""" Pe-
tit) avait il recevoir un coup de poi-
gnard : un peu trop aux transports
qu'il feignait, l'acteur ("harge de ce
68
VAN
VAN
rôle, au lieu de donner de sa larae
dans les draperies, dépassa le derme
et fit couler le sang. Grand tumulte,
eflroi. Le médecin juge la blessure
des plus graves ; les chairs sont pro-
fondément entamées : il n'y aurait
qu'un remède pour faire évanouir
incessamment tout péril, ce serait
de sucer vigoureusement la plaie!
Mais qui se chargera de l'opération?
qui sera de force à la réussir? Une
femme? il n'y en a pas dans les
conditions de validité voulues. Un
homme? mais notez que c'est la
région du cœur qu'il s'agit de livrer
aupsylle. «Talma! Taima! » s'écrie
un des assistants avec lequel, moi-
tié riants, tous fontchorus. «Allons,
Talma, voilà une lâche qui vous ré-
clame ! ne reculez pas. » La suite va
de soi. La blessée ne pouvait re-
fuser un service qui tenait du trai-
tement ; et, seul moyen de mettre
un terme aux rires sous cape ou
qunsi-patents de toute la gent co-
mique, sa main devint (le IG juin
4802} le prix du bon office de l'heu-
reux sauveur, le tout comme de
par l'irrésistible volonté du destin
et la dignité féminine suffisamment
sauvegardée. Ce mariage, qu'eût en-
viée une enthousiaste, ne fut pas
précisément la réalisation de son
idéal. D'abord, si c'eût été en Her-
mione et en Juliette qu'elle eût ai-
mé l'illustre artiste, elle eût eu
passablement k soutîrir par le cœur,
après, ou même avant un an ou
deux révolus de mariage; en-
suite, c'est un bonheur calme et
sans cahot qu'elle ambitionnait,. ..et
avec un budget en équilii)re ! Il était
plus que difficile de l'obtenir, les
clefs de la caisse remises à ïalma.
El même Talma ne les possédant
pas, qui pouvait l'empêcher de trou-
ver des fournisseurs k long lerm. ,
des escompteurs, et des amis de
toute sorte pour l'aider à faire des
dettes sans l'aider à les payer? Et
pour comble, il bâtissait, il avait
la manie de l'architecture ; et ce
qu'il avait commandé d'ordre co-
rinthien, à peine le chapiteau posé,
il le lui fallait ionique ou dorique.
Que de pilastres métamorphosés en
colonnes torses, et vice versa ! et
que de quadruples et billets de
banque, les uns fondus, les autres
en fumée! En présence de sembla-
bles habitudes et quelles que fus-
sent soit la mansuétude, soit l'a-
dresse de la méthodique et sage
épouse, il est clair que l'harmonie
ne pouvait être inaltérable dans le
ménage, même quand la munifi-
cence de l'Empereur avait comblé
les brèches béantes de la caisse,
car la caisse allait se lézardant de
nouveau. Bon an, mal an, pour-
tant, ils gagnaient ensemble, selon
le calcul de Talma, au moins cin-
quante mille francs par an (ce qui
semblait alors plus considérable
que de nos jours cent cinquante
mille). Tous deux jouissaient de
nombreux congés, qu'ils utilisaient
par de longues et lucratives péré-
grinations dans les départements,
chaque représentation leur étant
payée de sept à huit cents francs.
Ils jouèrent aussi en lic^lgique ; en
Hollande, ils donnèrent en uneseule
saison (1807) vingt-cinq représen-
tations. Ils avaient par an deux bé-
néfices. L'administration théâtrale
leur fournissait un appartement
meublé, plus table bien servie, plus
le domestique que supposait cet
élal de maison. Ces jours prospè-
res, sinon heureux , durèrent à
peu près sans contrariétés de pre-
mier ordre jusque vers la fin de
4808. Quand la fantaisie prit à Na-
poléon de faire joucrTalma devant
le parterre de rois, naturellement
VAN
M"" Talma suivit, ainsi que l'élite
(Je 11 troupe, et même elle joua.
Mais elle ne parut qu'une fois sur
cette scène. Nous ne saurions dire
si ce fut sonjeu qui déplut, ou quel-
que allusion trop accentuée, ou
quelque nuance allant encore plus
au coeur des augustes personnages;
mais elle déplut, et le monarque
en personne fit défense qu'elle se
présentai lorsqu'il assisterait. La
nouvelle circula et donna de l'au-
dace aux ennemis qui depuis long-
temps avaient usé de sourdines.
Geoffroi notamment s'enhardit : il
japait, il aboyait. Il se mit à pro-
diguer des louanges effrénées à la
très-larmoyante et très-mince tra-
gédieime Volney, que ni les galan-
teries du bilieux critique, ni les
subventions de l'effrayant protec-
teur dont marchait ornée la veuve
d'IIecior, ne déterminèrent jamais
le public à classer au-dessus du
4' ou tout au plus du S*-* rang.
C'était déclarer à l'héritière de Des-
garcins qu'une autre allait récla-
mer et conquérir un fleuron de sa
couronne. Vers le même temps s'é-
l)anouissait de plus eu plus à l'ho-
lizon un autre astre, splendide dès
son apparition (1799) et qui n'a-
vait aucun besoin de cabale pour
dessiner en traits de feu son orbite
lumineuse. M" Contât venait de
mourir (1810), laissant en appa-
rence la place vacante à la débu-
tante de 1785; mais M"' Contât res-
suscitait dans la débiilante sa lille.
On eût dit qui la maligne fortune,
en faisant à point nommé surgir
M''" Mars, avait à cœur de faire
tout du long dcguster à M"" ïal-
ma l'amertume de la loi du ta-
lion, fl de la punir de l'éclat
de ses débuts par des débuts ob-
jet de non moins de laveur et im-
pitoyablement surfaits, atiu de la
VAN
69
démoder dans l'opinion. Ne comp-
tant pas encore quarante ans, elle
s'entendait comparer et préférer
de toutes fraîches débarquées,
comme en 4785 la vanité mater-
nelle aurait voulu lui donner le pas
sur toutes pour le premier grand
prix. Ces coups d'épingle l'agacè-
rent, nous l'en blâmons peu, au
point de lui faire prendre une ré-
solution héroïque, sinon violente,
celle de quitter le théâtre, ses vingt-
cinq ans d'existence théâtrale ter-
minés. Bien que les vingt-cinq ans
suftisent pour la retraite normale,
l'autorité ne souscrivit pas immé-
diatement à celte demande, et dans
son impartialité bienveillante, la
pria de finir ses trente ans. Elle y
consentit; et l'annonce de sa démis-
sion à jour fixe, en comblant de
joie celles dont elle gênait les pré-
tentions, fut accueillie par presque
toute la presse avec des expressions
de regret et d'honorable sympathie.
Sa représentation de retraite eut
lieu le 20 juillet 181(1. Jusque-là ou
avait espéré qu'elle reviendrait sur
sa résolution : on la jugeait mal, per-
sonne n'était plus ferme, parce que
personne n'était plus calme et plus
sensé. Complètement rendue désor-
mais à la vie privée, elle ne connut
plus, jusqu'à son second veuvage,
d'autre soin que d'orner etd'entourer
de distractions nobles les dernières
années du grand homme dont elle
portail le nom. Son ton, son tact ex-
quis,ses manières qu'on citait comme
des modèles, joints à l'irréprocha-
bilité de sa vie au milieu des sé-
ductions du théâtre, la faisaient
révérer et rechercher du plus grand
monde. Aussi personne ne fut-il
étonné quand, le nom de Talma
l'ayant laissée libre de rechef, un
membre de la noblesse belge solli-
cila l'hoiuicur de sa main et «pie
70
VAN
VAN
M"" Talma fit place à la vicomtesse
de Chalost. C'est alors surtout que
ses nobles amis la proclamèrent
vraiment à sa place. Dans celte nou-
velle et dernière position, Tex-ac-
trice mit en ordre ses souvenirs,
systématisa ses idées sur l'art et
livra sans faste comme sans fausse
modestie au public les utiles fruits
de ses expériences. Nous y revien-
drons. Elle survécut longtemps en-
core;» cette publication, car elle mou-
rut presque nonagénaire. Son décès
eut lieu le iO avril 18G0; elle ha-
bitait Paris, et sa cendre rei)0se au
Mout-Parnasse. — Nos lecteurs tien-
dront sans doute à se fixer une opi-
nion sur la valeur d'une femme
dont la destinée fut, en tant qu'ar-
tiste, si variée et par moments vrai-
ment enviable et brillante. Voici
la nôtre, basée sur l'ensemble des
témoignages comparés. Evidem-
M""' ïalma ne peut être classée parmi
les actrices de génie; c'était une
artiste de talent, on peut presque
dire de talent éminent, mais rien
que du talent. Ce dont la fée l'avait
douée par excellence , c'était la
souplesse, la ductilité de la pen.sée:
Femma d'intelligence et femme comme il faut,
voilà le vers qui serait sa devise. De
là sa tendance peipétuellc ii s'épan-
dre dans les trois genres, tragédie,
comédie, drame; on aurait tort vrai-
ment de voir là de sa part morgue et
injustifiable vanité, ambition, besoin
de battre des ailes dans les sphères où
ses ailes ne pouvaient la porter. Tous
les rôles (jui n'impliquaient rien
d'excentrique, rien d'extrême, elle
les réussissait : décence, mesure,
grâce, ingénuité, sensibilité péné-
trante sans Vapa^sionnnnrril, toutes
ces qualités |»lus souvent de mise
certes que les paroxismes méphis-
tophélétiques, que la « lu ri a » de
Cléopâtre etdelady Macbeth, étaient
innées en elle. Il y avait en elle, non
pas de l'éclair et de la trombe, mais
de l'arc-en-ciel après l'orage. Les
mères pouvaient mener leurs filles
l'entendre. Sa voix était mélodieuse
et touchante au suprême degré.
C'est cette voix qui fit trouver à
Legouvé son vera :
Yauhove, autre Gaussin, enchante tous les cœurs.
Ees vieux habitués du théâtre, en
etTel, déclaraient que, lorsqu'elle
jouait, ils croyaient sinon voir,
du moins entendre M"" Gaussin,
dont, comme on sait, le nom est
resté inséparable de l'idée de Zaï-
re. La jeune Vanhove, du reste, ei
surtout M"" Talma, était au moins
aussi belle que M"^ Gaussin avait
été jolie. Zaïre pourtant n'était pas
encore le plus éclatant de ses triom-
phes. Talma la trouvait plus con-
sommée dausMonime; et en réalité
il n'y avait qu'elle pour interpréter
ces chastes et suaves, ces délicieu-
ses et pures créations de Racine,
les Andromaque, les Bérénic, les
Iphigénie. Ètèoclc et Polyuicede Le-
gouvé lui dut son succès : elle
y fiiiurait Antigone. Elle ne faiblit
pas quand elle eut à faire vibrer
dans VAgamcmnoîi de Lemercier les
lyricjues et déchirantes inspirations
de Cassandre. On ne saurait dire que
de lai-mes elle fit répandre au gai
Paris du xvin*' siècle û'àusMélanide
ou la Religieuse, dont elle sauvait
les dissoniiarices et les hyperboles,
car elle ne préludait pas à telle au-
tie qu'on essaya de grandir en dé-
jiréciant le vrai modèle, et ne se
posait pas j)liis en saule pleureur
qu'en Furie. Mais restreignons celte
énumératiou et n'ajoutons qu'au
trait, c'est que très-souvent elle
créa desrôles. Ceux-lk ne s'en éton-
neront pas qui daigneront se rappe-
VAN
VAN
71
1er ce que nous avons dit de cette
intelligence déliée, flexible, ency-
clopMique en quelque sorte et que
toujours escortait le bon se s. Ces
qualités se retrou\ent dans les
écrits desa vieillesse, auxquels nous
faisions allusion plus haut et dont
voici les titres : I. Études sur l'art
théâtral, Paris, 1836, in-8«. Ou
peut dire qu'à l'époque où parut ce
volume, le livre manquait à notre
littérature. 11 n'est pas complet, il
n'est pas très-méthodique; ce ne
sontque des aperçus et des conseils
aux artistes. Maison s'y reconnaît, il
se lit couramment, il initie aux
secrets, il signale des écueiis, il
aiguise l'esprit; et des orateurs
célèbres, ministres pins tard, ont
avoue qu'ils lui devaient quelque
chose. U. Anecdotes inédileisur Tul-
ina, suivies de quelques particula-
rités sur ma vie, Paris. Le livre
tient la promesse du titre, ce n'est
pas ur» mince éloge par le temps
qui court. 111. Les deux Méricourt,
Ibrl gracieuse et assez spirituelle
comédie en un acte et en vers, dont
on peut lire l'analyse dans le Jour-
nal des Débats (nov. 1819). « On
désirerait peut-être, dit iecrili(jue,
des situations plus neuves, et sur-
tout plus de développements et de
clarté dans celte intrigue. Mais on
y a applaudi très-justement des de-
iails atîfeableset quelques vers bien
tournés, surtout ilans la scène où
les deux Méiicoiirt, se racontant
leurs aventures, entreprennent de
pt indre chacun à leur manirre le
beau sexe, qui n'est pas Ires-flallé
sous le pinceau du trère aine, mais
qui, en revanche, s'embfllit des
plus brillantes couleurs dans le
portrait de h plus jeune, fait, à la
vérité, avant lemariajrr'. Kirmin, le
plus jeune de> deux Merieourl, est
venu proclamer, au milieu des ap-
plaudissements, le nom de M''* Va-
nhove , qui nous rappelle des succès
d'un autre genre à ce même théâ-
tre. )) Nous ignorons si c'est à la
fille du bon Vanhove qu'il faut at-
tribuer une autre pièce légère signée
du même nom que «c Les deux Mé-
ricourt. » N'en fùl-il rien, il suffi-
rait de celle-ci pour démontrer que
l'actrice était apte îi quelque chose
de plus quà débiter les vers des
autres; et nous aurions là, s'il en
était besoin, une preuve de plus
que le talent, comme nous définis-
sons le talent, s'étend à tout, s'a-
dapte à tout. Val. p.
VAX IIUTTEM (Charles-Jo-
seph), amateur et bibliographe re-
marquable, était de Gand. Né le 4
avril 1764, il perdit, n'ayant encore
quecinqans, l'auteur de ses jours;
mais, confié de bonne heure par sa
mère aux soins du peintreReysehott,
il reçut les com.mencements d'une
in.^truition aussi soignée que va-
riée, Auprès de l'artiste et rendant
de fréquentes visites à l'atelier, il
avait puisé, avec l'amoiu* aident
des arts, du dessin, des notions
fondamentales sur la théorie de la
représentation plane. Kn même
temps le collège des Auguslins de
sa ville natale avait en lui un de
ses plus laboiieux élèves. Malheu-
reusement l'impatience de sa mère,
qui, (juoique a la tète d'un bel avoir
xcroyail i[idii>p''nsable de le lancer
adolescent dans les professions qui
donnent vite des résultats positifs,
l'arracha bien contre son gré aux
ttudes classiques qu'il avait abor-
dées et continuait vaillanuiUMii. 11
en résulta (jue jamais, en dépit de
tous les efforts qu'il fit plus lard
pour suppléer à eelle lacune, ce
ne fut jamais un lettré, c'est-à-dire
un écrivain. 11 n't'ssayaque peu de
temps cependant do cette carrière
72
VAN
VAN
commerciale h laquelle on espérait
l'inféoder. Les semaines, les mois
s ' passèrent sans qu'il mordît à
fond aux mystères de la partie dou-
ble et du compte courant. Il en sa-
vourait si peu les cliarmes que main-
tes fois il étonna ses camarades et
scandalisa le patron en feuilletant
Tite-Live au lieu de Barème, et un
microscopique Martial-Farnahy au
lieu du grand-livre. La mère, à qui
son correspondant de Lille rendait
un compte fidèle, en gémissait; mais
elle tenait bon, et rien ne changeait
dans la situation du jeune homme.
Finalement il résolut de frapper un
grand coup. 11 avait de par le
monde flamand un oncle, un oncle
matjrnel, homme de bon sens, as-
sez quinteux, assez à rebours des
routiniers ses voisins, assez aimant
à donner de temps en temps le
cou|) de boutoir. C'est sur lui que
Charles-Joseph jeta les yeux. I^e
voila bâclant de la belle écriture
qu'il ne prodigue pas au Livre-jour-
nal et au Copie de lettres, un plai-
doyer en forme, un vrai mémoire
qui n'a rien des allures d'un fripon
de neveu convaincu qu'
Un oncle pst un caissier donné par la nuturc,
mais où, s'en rapportant à l'expé-
ripnc(! et au tact d'un oncle qui ne
se méprendra pas, il pose en pro-
blème rà-|)ropos de la contrainte
que prétend exercer sur lui la ten-
dresse maternelle et discute habi-
lement le pour et le contre. La
dialectique du neveu tr.ompha.
L'oncle, non-seulement convaincu,
mais charmé, déclara qu'il distin-
guait dans le jeune commis l'étoile
d'un avocat consultant des |)lus re-
tors et qu'il fallait sans retard l'en-
voyer faire son droit. Il eût été
mieux de commencer par lui faire
rapidement achever ses humanités;
on a vu pap ce qui précède qu'on
n'en fit rien. Il eut été plus du goût
de Gh .-Joseph d'aller à Paris se li-
vrer à ses nouvelles études; mais
la sollicitude maternelle stipula
qu'il ne s'écarterait sous nul pré-
texte du giron de l'université de
Louvain. C'était en 1783. Quatre
ans plus tard, nous le retrouvons
de retour en sa cité , muni de
tous les grades ad hoc et inscrit
sur le tableau des avocats au con-
seil de Flandre. Mais il ne plaidait
pas ; et ce qni d'abord peut-être
n'était que manque d'occasion (les
clients en etfet ne fourmillent guè-
res chez les stagiaires nouveaux
émoulus) semble être devenu sys-
tème chez notre débutant. Il faut
avouer d'ailleurs que ce n'est pas
par la prestesse et la grâce de la
faconde que se recommandait le
jeune légiste, que la faute en ait
été au sang belge, ou qu'il faille
s'en prendre à cette interrup-
tion des humanités mentionnée
par nous, ou même qu'on n'y
doive chercher d'autre cause que
sa position pécuniaire. Héritier
bientôt après sa sortie de Louvain,
il n'avait aucun besoin urgent de
battre monnaie, et de rehausser
par l'accroissement de ses revenus
l'auréole de patriciat dont pou-
vaient se targuer les Van Ilutlem;
nous disons de patriciat et non de
noblesse • Gand avait des nobles à
peu de chose près leurs homonymes,
les Van lluttem, à qui des lettres
patentes de Philippe IV avaient, en
1659, conféré le privilège nobi-
liaire ; et même il s'est trouvé bon
nomi)re de gens qui, dupes de la
similitude des deux noms, ont at-
tribué il ccux-lJi ce (pii n'était exa(tt
que de ceux-ci. Noble ou patricien,
membre du premier ordre ou de
l'ordre équestre, notre jeune Belge
VAN
VAN
73
au moment où la révolution belge,
de 1789 lit explosion, siégeait au
conseil de la ville de Gand. Les
passions mises en éveil par l'ini-
lialive gouvernementale elle-même
n'étaient rien moins que disposées
à rentrer dans l'assoupissement dès
qu'on se repentait en haut. Une
conflagration donc était imminente,
et prendre parti était malaisé. Van
Huttem n'hésita pas; et quoique
en général aux époques d'efferves-
cence, la modération soit ce que
l'on tolère le moins, se renfermant
dans la stricte sphère de ses fonc-
tions, il s'occupa (ie faire échouer
en silence plus que de censurer
avec éclat les excès de quelque part
qu'ils partissent, et s'acquit ainsi
Teslime, sinon de tous, au moins
des sages et de ceux qui devaient
en lin de compte devenir maîtres
de la situation. Aussi fut-il choisi
membre de ladéputation queGand
chargea de porter à l'archiduchesse
Marie-Christine et au prince Albert
de Saxe-Teschen, lors de leur re-
tour, l'expression de sa joie et de
ses vœux. Il ne tint pas à lui que
cette restauration ne fût quelque
chose de mieux (ju'un replâtrage.
Des courses assez fréquentes à Pa-
ris où nul n'a plus chance de faire
bonne chasse que le furet de cu-
riosités littéraires lavaient initié
aux modernes idées françaises, et
il eût pu donner de bons conseils
aux meneurs des affaires publiques
à Bruxelles. Mais les vigoureux
écoutent peu les clairvoyants.
I/Awlriche lança ses boulets sur la
capitale de la Flandre française ;
la Flandre aulrichieiuie subit hicn-
lùt les représailles de la France. Uu-
mouriez vain([uil à Jemmapes; les
intrigues intestines pullulèrent à
Bruxelles et dans tous le^ grands
cenli es belges ; et maigre les elTorts,
malgré la présence de François II
en personne, venu pour traiter
«avec M. de Robespierre » ethaper
en eau trouble, avec le cercle de
Bourgogne, le moindre lopin de
territoire que la Convention lui cé-
derait (les génies du conseil auli-
que en étaient encore là!) les ha-
biles sentaient que le jour de
l'annexion à la France n'était pas
loin. Van Huttem, en loyal citoyen,
fut un de ceux qui portèrent obsta-
cle de tous leurs faibles moyens à
la réalisation de cette chute de la
maison régnante, et il se lit assez
remarquer |)ar ses efforts en e(;
sens pour être quelque temps
comme séquestré en France, bien
que l'on colorât la mesure en pré-
tendant ne ie garder qu'à titre do-
tage jusqu'à paiement intégral de
la contribution de guerre frappée
sur les Belges par la conquèti;. Le
9 thermidor brisa ses fers. Rede-
venu libre, il ne louda pas à toute
outrance la domination nouvelle.
Il sentait que le fait accompli
l'année d'avant eiait irrémédia-
ble, ou du moins qu'une réparation,
.s'il devait s'en produire, se ferait
longtemps attendre; et il cr,m|)rit
que , la dynastie parlant, la patrie
restait. Il se voua donc corps et
âme au culte de la patrie, profitant
de la sécularisation de tant de cou-
vents rayés du sol belge par l'épée
pî»ssablemenl voltairienne alors des
Brennus; il réunit les dépouilles
précieuses, plantes, livres, manu-
scritsqu'enavailéparpillésaux qua-
tre vents le caprice de Vandales
qui n'étaient pas tous des Français.
Et la l)il)liothe(juc publique et le
jardin botani(iUe de Gajid lui doi-
vent ainsi leur naissance; et si h'u'U
dautres depuis marehèrent, de près
ou (le loin, sur ses traces, 1 on n»*
saurait oublier de qui partit l'im-
Ik
VAN
pulsion. Ses compatriotes ne l'ou-
blii'rent pas ; les électeurs de Gand
le portèrent, en 1797, au Conseil
des Cinq-Cents, puis rélurent mem-
bre du Tribunal en 1802, et linale-
ment le placèrent sur leur liste des
candidats au Séiîat conservateur en
1804. Nul doute (jue la voix du
maitre n'eùi sanctionné cette pré-
sentation, si Van IliiKem, en Pho-
cion, en grand homme de Plutar-
que, n'eût spontanément déclaré
qu'il lui manquait trois ans pour
avoir l'âge exigé par la Constitu-
tion. Il resta donc au Tribunatjus-
qu'à la suppression de ce corps, en
1808. Le rectorat de l'Ecole de
droit de Bruxelles lut ensuite, soit
la récompense de ses travaux, soit
a consolation de son éloignement
de la capitale de l'empire. Est-ce
même avec regret qu'il la quittait?
bien qu'il fût sincèrement l'ami de
la France, on n'oserait repondre
oui : se rapprocher de sa chère
ville de Gand avait toujours été son
vœu. Le roi de Hollande, en 18i:i,
lui continua l'estime dont il avait
joui pendant la période napoléo-
nienne, et il neùt tenu t|uà lui de
poursuivre la carrière des hon-
neurs. Il ne se |)rèta que molle-
ment à ce qu'on avait de>sein de
faire pour lui. Designé pour aller
reconnaître et reprendre tant les
manusciits que l(;s objets d'ait ré-
trocédés par la France à la Belgique,
dont ces trésors avaient en partie
paye la rançon, il déclina cette
mission inconciliable avec les liens
qui l'avaii ni uni au Paris intellec-
tuel et lit mieux que Canova qui ,
débutant comme lui par le relus,
liiMt parmérit(;r le sobriquet d'em-
balleur de la Sainle-Allian( e. Peu
de temps après il acceptait le poste
(honorable et lucratif autant (ju'lio-
• norable) de greflier de la 2' cham-
VAN
bre des Eitats généraux. Toutefois
il trouva bientôt qui> les travaux de
cette place , travaux auxquels le
rendait éminemment apte son es-
prit d'ordre et d'exactitude étaient
aussi monotones que minutieux
(sur ce point nous ne pouvons nier
qu'il eût trop complètement raison),
etildonnarésolûmenisa démission,
au grand plaisir des concurrents
pour lesquels les émargements à qua-
tre chiffres chaque mois sont la
félicité, que dis-je? sont la gloire
suprême. On aurait pu croire du
moins que, secrétaire perpétuel de
l'Académie des sciences et belles-
lettres de Bruxelles, il serait là dans
un élément assez selon son cœur,
pour passer par-dessus les incon-
vénients de la charge; il n'en fut
rien non |)lus , et celte fois encore
il laissa des dépouibes opimes à
disputer à ceux qui trouvent ail
wcll, îhaVa paid well. S'il eût été
payé en tétradrachmes, en hyper-
pères, en nobles à la rose, peut-
être eût-il gardé son poste jusqu'au
bout, car la numismatique le dis-
putait en ses pensei-s au goût biblio-
graphique et à celui des estampes,
l.es liens administratifs, au reste,
ne furent pas les seuls dont il s'af-
franchit pour n'êtr'e pas gêné dans
ses amours : il avait d'assez bonne
heure, pris sa résolution de ne passe
marier. Ayant ainsi tout son temj)sà
lui, bon connaivsseur et à l'alfûl des
occasions, il emplit sa maison de
maints tr(;sor'S, bien cpie nousne pré-
tendions pas qu'il faille juger de la
qualité par le chilfie; et il réalisait
au milieu des livres et des œuvres
de la gravure , cette vie contempla-
tive de l'intelligence toute i» I art
elà la science, qui, l'on doit le re-
eonnaitr»!, était sotr idéal et qui plus
que toute autre a chance d échap-
per aux commotions, aux déceptions
VAN
sérieuses. Il finit cependant par en
éprouver de poignantes et d'amères.
Il eut le malh^'ur, vers 1827 ou un
peu plus tard, d'aller, docile au suf-
frage des Gantois, siéger aux états
généraux ; et pour comble de mal-
heur, en 1830, lors de la révolu-
lion qui scinda le royaume des
Pays-Bas, il vit des mains sacrilè-
ges, les mains des volontaires de
Bruxelles transformer en caitou-
ches ce qu'il avait de livres en
cette ville. L'anéantissement de tant
de richesses le plongea dans un
cccablement, dars un marasme dont
il ne se remit jamais compléiement.
Il survécut quatre ans encore pour-
tant, mais ombre de lui-même; et
personne ne fut surpris, quand une
apoplexie foudroyanlt" l'acheva le
46 décembre 183:2. Van Hutlem ,
pendant son séjour à Paris, culti-
vait de préférence les savants et les
bibliographes en renom, les van
Praét, les dom Dria!, l'abbé de
Saint-Léger, et le bibliothécaire,
Leblond. Il aimait a soutenir des
jeunes gens qui venaient se per-
fectionner il Paris, plus libres,
eux, de se livrer à leurs aspirations
juvéniles qu'il ne l'avait été jadis,
et il secondait, soit par ses libéra-
lités , soit par ses conseils leurs
**tudes artistiques; il les réunissait
parfois à sa table brillamment ser-
vie en ces jours de fête, et aux deux
services obligés, il annexait parfois
des discours, toujours relatifs aux
objets du culte commun." Ne nous
étonnons donc pas que van lluttem
ait trouvé un biographe, M. Voisin,
le même à qui nous devons et le
catalogue de sa bibliothèque, Gand,
6 vol. in-8. 1S36-37, et le Calalo-
>jue raisonné de dessim et d' estampes
formant le cabinet de M. van lluttem,
Cand, 1840, in-8, x\ et SÎ>1 pages.
Ce cabinet se composait de près de
VAN
75
30,000 pièces. La bibliothèque, in-
dépendamment des manuscrits ,
formait à peu près un total de
soixante-dix mille volumes, dont
beaucoup avaient leurs marges char-
géesd'annotationsiustruclives ayant
trait, les unes à la géographie et à
l'histoire, les autres à la bibliogra-
phie ou à la littérature de la Bel-
gique. Les cartouches n'avaient
donc pas tout absorbé! Le gouver-
nement belge fut à même d'enri-
chir encore bien des bibliothèques
publiques en acquérant ce qui res-
tait de celle de van Huttem. — Que
si l'on vient nous demander si les
œuvres de l'ex-propriétaire de ces
myriades de livres en augmentaient
beaucoup la masse, nous sommes
forcé de répondre par la négative.
ÎN'ous l'avons vu muet au barreau:
muet il fut au conseil des Cinq-
Cents; et il ne lut que quelques rap-
ports, très-pertinents du reste et
forts de choses au Tribunat. Ecri-
v:iin, il le fut tout aussi peu qu'o-
rateur. S'il encouragea les littéra-
teurs, ce ne fut pas par sou exemple,
personne moins que lui ne fut tra-
vaillé de ce que le bilieux Juvénal
^ommescrihendi caroethes. En cher-
chant bien pourtant, on pourrait
trouver de lui jusqu'à trois, peut-
être jusqu'à quatre discours tirés à
part: deux avaient été prononcés
en I80<i et 1807, à ces banquets où
Tes jeunes artistes, ses compatriotes,
portaient avec ses vins des toasts
à l'art et ît leur Mécène; un autre,
datant de '82G et par lequel il ou-
vrit la distribution des prix î» l'A-
cadémie royale de peinture et de
scul|)ture de Bruxelles, peut être
cons»dté par qui serait curieux de
constater le mouvement de l'art en
|{elgi(i le et contribuer à fournir
des éléments à son histoire ; mais
mieux \aul encore, i\ tous égards.
76
VAN
VAN
son Rapport sur Pélal ancien et mo-
derne de VagrieuUure et de la bota-
nique dans les Pays-Bas, prononcé
le 29 juin 1817 à l'Académie des
sciences et belles lettres de Bruxel-
les. Ce nest pas écrit; mais les faits
intéressants , fruits de conscien-
cieuses et laborieuses recherches,
s'y pressent en foule et démontrent
sans réplique quel obsei;valeur ,
quel praticien même était le fon-
dateur du jardin botanique de
Gand. Val. P.
VANIER ( Victor - Augustin),
laborieux et utile grammairien,
ap|)arteRjit, par la date de sa nais-
sance (21 février J7G9), à cette fa-
meuse année pendant laquelle la
nature semble s'être mise, plus qu'à
toute autre éj)oque, comme en dé-
pense de grands hommes futurs :
nous ne prétendons pas leur com-
parer Vanier; mais, ne fût-ce que
comme curieux hasard, nous si-
gnalons la coïncidence. Enfant de
Surène, il fit ses études chez les
Bénédictins de Saint-Germain-des-
Prés, et s'y montra plutôt studieux
élève que lauréat brillant : il ne
fui pas héros de concours. Il n'a-
vait que peu ou point de fortune
en perspective : il fut donc heureux
d'entrer dans les bureaux où nous
le verrons figurer durant dix-neuf
ù vinct ans (1791-1810). Il changea
fréquemment de ministère pendant
ces quatre lustres : après avoir dé-
buté à la justice, k la seconde di-
vision, qu'on nommait aussi divi-
sion de l'envoi des lois, il dut
passer à l'intérieur en qualité de
simple sous-chef au conseil des
mines, d'où finalement il fut re-
versé sur le miiîistère de la guerre.
Son premier litre, y fut celui de
contrôleur du service des vivres.
Tout An ni bal que fût le maître,
il n'était pas toujours loisible alors
aux employés de s'endormir dans
les délices de Capoue; et Vanier
non-seulement quitta bientôt Paris,
mais vit bien du pays avant d'y re-
mettre les pieds. Il était, en <805,
à l'armée des Pyrénées-Orientales
comme chef des équipages. De la
frontière espagnole, il fut expédié
(l'année se devine d'elle-même,...
1809) à l'armée des provinces llly-
riennes, auprès de laquelle il re-
prit son ancienne spécialité de
contrôleur du service des vivres.
Le contact des Dalmates, Morlaques
et autres Croates ou Pandours,
n'eut que peu de charmes pour lui;
et, dès l'année suivante, il demanda
sérieusement, non un avancement,
non son changement, mais pure-
ment et simj)lement sa retraite.
Jouissant alors de tous ses moments
et ne dépassant que de |)eu la qua-
rantaine, il ne comptait pas com-
me tant d'autres stagner dans un
monotone repos. Au temps même
où l'on ne pouvait voir en lui qu'un
des rouages du grand moulin admi-
nistratif, il sentait le besoin de se-
couer la poussière des bureaux et de
ne pas rester, ainsi quêtant de rap-
ports mort-nés et tant de dossiers,
enseveli dans les cartons du mi-
nistère. Il lisait,... et, chose assez
rare, vu les temps et les circons-
tance, pour un quasi-militaire,
il ne lisait rien de la famille
des Barons de Felsheim ou de
Caroline de Licfitfield. Condillac
faisait ses délices, Giraud-Duvi-
vier et le président de Brosses
étaient ses amours; sans goûter plus
qu'on ne la goûtait en ces années
de grâce 1804-1810 la métaphysi-
que proprement dite, il se pas-
sionnait insensiblement pour la mé-
taphysique du langage, et natura-
lisé citoyen de la république des
lettres, c'est à la grammaire seu-
VAN
VAN'
77
ement, mais à la grammaire trans-
cendante qu'il voua ses veilles. Il y
prit très-vite son rang. Dès avant
la fin (le 1810, il professait, auto-
risé par le ministie de l'intérieur,
des cours publics à TOratoire. Un
peu plus tard, il imagina de don-
ner chez lui des « soirées grammati-
cales »... elles ne laissèrent pas d'a-
voir le retentissement un peu mo-
deste que pouvaient avoir des séan-
ces si peu musicales, si peu dan-
santes : des membres de l'Insti-
tut s'y rendaient , Mercier no-
tamment et l'abbé Sicard , dont
exactitude à elle-seuie était un
éloge pour celui qu'ils visitaient;
beaucoup de membres de l'Acadé-
mie grammaticale, fondée en 1807
par Domergue, et reconstituée en
1810 sous le titre de Société gram-
maticalc, y assistaient également. A
vrai dire, la société (comme l'Aca-
démie naguère, après la mort de
Domergue), était tombée en lan-
gueur ; et à la léthargie de la phase
précédente, semblait devoir sous
peu succéder la mort. On ne peut
nier que les efforts de Vanier,
n'aient, plus que toute autre coo-
pération, ranimé le feu sacré. Grâce
à sa persévérance, la savante com-
pagnie, en janvier <814, renaquit
de ses cendres, se créa des res-
yources budgétaires, et en vint à
publier, à paitir d'avril 1818, un
recueil périodique {les Annalea de
fjrammaire). Vanier, ce n'était (jue
justice, en eut souvent la piési-
dence. Ce qui caractérise surtout
Vanier, c'est, tout en sachant se
préserver de l'exagération (jui com-
promet tout, en se déclarant, par
exemple, contre le radicalisme de
la réforme orthographique de Mar-
ie (Voy. plus bas à la Uibliographie,
\\° vin) , c'est, disons-nous, sa per-
pétuelle tendance à l'extrême sim-
plicité, qu'il atteint souvent et dont
il approche toujours. Nul, mieux
que lui, n'a compris que simplifier
c'est perfectionner ; que le méca-
nisme qui prouve le plus de génie,
c'est le mécanisme le plus simple.
Son but constant, c'est donc de
renvoyer sous la remise les machi-
nes de Marly dont n'était que trop
encombrée la grammaire. Il en a
brisé plus d'une, loué en fin de
compte par ceux mêmes qui d'abord
l'avaient trouvé mal fondé dans ses
assertions, téméraire dans ses as-
pirations. Longtemps l'abbé Sicard
avait brillé à la tète de ceux qui
défendaient la voyelle complexe, ou,
si l'on veut, la diphthongue oi con-
tre ce qu'on appelle fort gratuite-
ment l'orthographe de Voltaire ;
l'argumenialion pressante et serrée
en mèmetemi)squ'émaillée d'exem-
ples choisis, par laquelle Vanier
soutint les ai, non-seulement triom-
pha de la résistance de son illustre
antagoniste, mais encore le déter-
mina, séance tenante, à se recon-
naître néophyte de la doctrinequ'il
venait de combattre et à s'en oflVir
comme un futur champion à l'Aca-
démie française. Il a, sinon le pre-
mier, du moins un des premiers,
proclamé que les (juatre conjugai-
sons peuvent se léduire à une
seule, et même il a voulu y et; (|ui
pourra sembler outré, mais ce qui
ri^au confirme pas moins ce que
nous avons dit de son besoin de
simplifier partout et toujours^, que
le type unique des quatre formes
fût le verbe u être. » La théorie des
participes, si compliquée, si «har-
gée d'exceplions, et qui nécessite
tant d'explications où Tobscurilé
le dispute à l'arbitraire, se résume
chez lui par une seule règle, la-
quelle lient à ec qu'il croit (|u'il
n'existe en notre langue qu'un m'uI
78
VANT
VAN
participe. Nous ne disons point
que. pris absolument et sous toutes
ses faces sans réser>es aucunes, ce
point de vue soit inattaquable ; nuiis
enfin le grammairien le plus spiri-
tuel et le plus rompu aux mille pe-
tits caprices du langage, tant chez
les anciens que chez nous, s'ex-
prime ainsi dans son compte-rendu
de l'ouvrage de Vanier, sur cette
matière épineuse. « Je n'ai point
vu, dit Boissonnade, de traité où la
question des participes, si embrouil-
lée par nos grammairiens , soit
ramenée à des termes si simples. »
Ajoutons d'ailleurs que presque
toutes les idées de Vanier, d'une
part, ont reçu la sanction ou l'é-
quivalent de la sanction universi-
taire, de l'autre, ont passé (qu'on
l'ait nommé ou non) dans les gram-
maires les plus usuelles. Des com-
pilateurs ont eu le profit de ses ef-
forts : qu'au moins, et tout en se
préservant de l'exagération, il en
ait l'honneur. Nous terminerons
par la liste à ))eu près méthodique
d'S ouvrages de cet habile et con-
sciencieux écrivain. I. Cours de
Grammaire rmsonnéc (insérée en
partie dans la Bibliothèque des pè-
res de famille) . II. Grammaire pra-
tique (adoptée par l'Université de
France), Paris, 1824, in 12. Un
critique a dit : « L'auteur y suit la
marche de la nature ; il exerce les
elève's à la pratique, les règles ne
viennent plus que comme de sim-
ples remarrpies qui naissent d'el-
les - mêmes de; l'observation des
faits... Excellente méthode... de-
puis lon^tf*m[)S signalée i)ar nos
grands maîtres, Ilollin, Uousseau
et les solitaires de Poi t-lloyal »,
III. Trfiit(^ simplif}f'' des coujuqaisons
françaises. Paris, iHt'J, iii-12. IV;
Instruction pour t'inlelliqence du ta-
bleau synoptique des quatre conjw-
gaisons sur le seul paradigme du
verbe être (extrait de la Gramm.
pr. n° II, ci-dessus), Paris, in-f*,
gr. raisin, avec ou sans le tableau,
(lequel est imprimé en noir et
rouge). Comme toutes les synopsies
bien dressées, celle-ci est appétis-
sante : par les yeux, elle parle à
l'intelligence ;et, rinlelligenceplus
profondément imbue, tous les traits
s'incrustent et facilement et ineffa-
çablement dans la mémoire. V. La
Clef des participes, Paris, 1812, in-
12, 5'" éd. 1834. C'est l'ouvrage si
décisivement recommandé par no-
tre grand helléniste (voy. plus haut).
\l. Traité d'analyse logique et gram-
maticale, Paris, 1726; 2^ éd. 1827.
VII. Dictionnaire grammatical cri-
tique et philosophique de la langue
française, Paris, 183G, in-8". VIII.
La réforme orthographique aux pri-
ses avec le peuple^ ou le pour et le
contre , Paris , 1829. in-32, 2"
édition 1829. XI. L'art d'ensei-
gnei' aux enfants et aux adultes,
Paris, 1838, \n-H\ X. Oraison fu-
nèbre de feu Achille FAna Michal-
lon, etc., Paris, 1822. Le peintre,
objet de cet opuscule, était son
cousin. Vanier avait piomis, pour
compléter sa Grammaire pratique
trois autres traités: l'un iVanalyse,
l'autre de syntaxe, le dernier de
ponctuation. Il est probable qu'ils
existent au moins en manuscrit.
Il existe d'un autre Vanieu (llip-
polyie), parent sans doute et peut-
être fils de Victor-Augustin, un
Cours de lecture sans épellatiou...
ou Méthode qui résout la difficulté
de l'enseignement et de la lecture
sans l élude préalable de l'alphabet,
Paris, 1838, in-8% 32 pages et 24
tableaux, ou in-18, .3f) p. et 1 t.
Val. p.
VAN KAMPEÎV, historien hol-
landais, naquit.à Harlem le 15 mars
VAX
1776. 11 reçut dans cette ville sa
première éducation et fut ensuite
envoyé à Leiden pour y apprendre
le commerce de la librairie. Là il
se forma de lui-même, étudia avec
succès les langues anciennes et mo-
dernes, particulièrement l'allemand
et le français. La première institu-
tion dans laquelle il avait été placé
à Harlem était dirigée par un Fran-
çais du nom de Desbarrières, établi
dans le pays. Ayant perdu son père,
il se rendit à Crefeld, près d'un
oncle pateniel; il y continua ses
études et s'y distingua par une ap-
j)lication extraordinaire. Son int^'l-
ligence et sa mémoire étaient des
plus étonnantes; il s'adonna prin-
cipalement à l'étude de l'histoire
et de la géographie.
De 1806 à 1829, c'est-à-dire
pendant l'espace de 23 ans, il ne
remporta pas moins de 10 médail-
les dont 2 en or et 8 en argent, dans
divers concours ouverts par plu-
sieurs académies et sociétés savan-
tes de son pays, sur des questions
scientifiques et littéraires de tous
genres.
Il fut, à l'université de Leiden,
lecteur de langue allemande jusqu'à
1829, époque à laquelle il devint
professeur de littérature néerlan-
daise et d'histoire nationale à l'A-
thénée d'Amsterdam. Enfin, en
1830, il fut élu membre de la troi-
.sième classe de l'Institut néerlan-
daise. La vit' de cet homme célèbre
fut des |)lus laborieuses; il écrivit
une foule d'ouvrages qui tous reçu-
rent du public le plus ex«;ellent
accueil; les principaux sont: Ik'un-
tés morales de ïauliqmU. i vol.
in-8M.»'iden 1811.— W/sfoln- dr la
domiu'ition française en Europe, 8
vol. in-8°Delfi, 1823. — Coup d'œil
historique sur les grands ('vénemenls
européens depuis la paix d'Amiens
VA\
79
jusqu'au siège de Paris, 2 parties,
grand in-8°, Leiden, 1814. — Essai
d'une Histoire des Croisades jusqu'en
1291, 4 vol.in-8", Harlem, 1826.—
Abrégé de ÏHistoire des Pays-Bas^
2 vol. in-8", Harlem, 1827. — Le
Globe considéré dans sa constitution
naturelle et dans ses divisions en
mers, rivières, lacs, montagnes et
déserts, 2 vol. in-8», Harlem, 1824.
— Histoire abrégée des lettres et des
sciences dans les Pays-Bas jusqu'au
commencement du xix* siècle, 3 vol.
in-8'',Delft,1826. — Le caractère na-
tional, ou Esquisses caractéristiques
d'époques et de personnages de l'His-
toire des Pays-Bas, 2 vol. in-8",
Harlem, 1826. — Histoire des Hol-
landais hors de l'Europe, 3 vol. in-8°,
4 parties, Harlem, 1832. — Histoire
de la Grèce,! \o\. in-8%Dclfl, 1827.
— Mémorial du courage et de la fidé-
lité hollandaisependant la révolution
belge. — Description statistique et
géographique du royaume des Pays-
Bas, 1 vol. in-8", Harlem, 1827.—
Manuel de la littérature allemande,
2 vol. in-8", Harlem, 1825. — Choix
de morceaux de littérature française,
1 vol. in-8", Zutphen, [^M. — Choix
de morceaux de prosateurs néerlan-
dais du wr au xix'" siècle, 3 |)ar-
tics. — Manuel de l'Histoire litté-
raire, des principaux peuples de l'Eu-
rnpe, 4 vol. — L'Afrique et ses
habitants, d'après les découvertes
le» plus récentes, 3 vol. in-8» Har-
lem, 1829. — Le Levant, 3 vol. in-8°.
— La Grèce et la Turquie euro-
péenne.— La Russie européenne , etc.
De ^813 à 1S21, il édita, avec le
professeur Tydenian, 10 livraisons
de la Revue intitulée Mnémosyne. De
IS22 à 1830, il fut chargé seul de
la rédaction du Magasin des scien-
ces, arts et lettres, dont il a paru
10 volumes et qu'il continua depuis
1832 avec le professcurJ.de Vriés.
80
VAN
Plusieurs des ouvrages de Vau-
Kampen ont été réimprimés. Tous,
sauf un seul, ÏHistoirc des Pays-
Bas^ écrite en allemand pour la
collection de Hecren et Uckert, sont
écrits en hollandais. On peut lui
reprocher, comme à tous les poly-
graphcs, des inexactitudes; mais
son style coulant et facile, qui, dans
l'occasion, s'élève avec force, fait
passer le lecteur sur de moindres
défauts. Tout le monde reconnaît
dans cet écrivain une science solide,
une grande rapidité de conception
et une extrême facilité. On conçoit
difficilement comment, au milieu de
ses nombreuses relations sociales,
il a pu trouver le temps d'écrire
tant de volumes. Il mourut le io
mars 1839 à Amsterdam, et ses
restes furent rapportés à Harlem,
où ils furent inhumés le 22 du
même mois. Le professeur S. Mul-
ier, du séminaire mennonite, pro-
nonça sur sa tombe une oraison
funèbre. 11 appartenait à la commu-
nion anabaptiste et mennonite. Z.
VAN MAANEN (Cokneille-Fé-
Lix) , l'homme politique le plus fa-
meux des Pa} s-Bas, par sa versatilité
d'abord et ensuite par l'excès de
son zèle absolutiste. Il était de
La Haye et né vers 1770. Etudiant
en droit, il suivit plus assidûment,
plus attentivement que le vulgaire
de ses condisciples, les cours des
professeurs, et passa ses examens
avec honneur. Inscrit bientôt sur le
ableau des avocats de sa ville na-
tale, il ne larda pas à s'y créer,
tant par ses consultations que par
ses plaidoiries, une clientèle de
bon aloi qui posa les fondements de
sa réputation, mais (ju'ii sut accroî-
tre en prenant une paît des plus
actives aux débats politiques p;ir
lesquels alors était troublée la Hol-
lande. Soit calcul, soit conviction.
VAN
soit ardeur de l'Age, il grossit les
rangs du parti le plus à la mode et
même, à vrai dire, le plus fort; du
parti (jue soutenait, par son con-
cours moral du moins, en atten-
dant une coopération plus palpable
encore, le cabinet de Louis XVI;
du parti patriote, hostile aux Nas-
sau et par suite au stadhoudérat.
Lafaveur, aux moments de lutte et
de crise, étant toujours à celui qui
crie le plus fort, et notre jeune
avocat ayant le verbe haut, il fut
bien vite un des coryphées des
anti-orangistes et l'un de ceux que
familièrement on qualifiait de ré-
publicains et qui méritaient assez
ce nom. Evidemment il croyait
leur prochain triomphe certain !
Mais tout à coup (1788) survinrent
les gros bataillons, non pas de l'Au-
triche, assez occupée alors de ses
propres affaires à Bruxelles, mais
de leur voisine la Prusse, qui
conq)tait bien pécher en eau trou-
ble et ne pas tirer les marrons
du feu au profit des Nassau ,
sans en emporter sa part et même
double et triple part. Le duc
de Brunswick était en tête de l'ar-
mée expéditionnaire. Ce môme duc
naïf qui (juatre ans plus tard, en-
vahissait nos provinces avec 70
à 80,000 hommes, commençait par
nous catéchiser à grands coups de
manifeste et finissait par battre en
lelraite après Valmy, les mains
]»leiiies des dépouilles des égorgés
de septembre (Voyez Dumouriez),
en attendant que la catastrophe
plus écrasante et presque aussi dés-
honorante de léna mît du même
coup à néant et ce qu'il appelait
ses lauriers, et l'armée de son
maître. Si les diplomates de la
n)onarchic française, debout encore
alors, avaient eu dans les veines,
quelque chose de la vigueur et de
VAN
l'adresse que déploya plus tard
contre ce Germain le comité de la
commune de Paris, nul doute que
la faction orangiste n'eût été battue
à plat. Mais des ordres survinrent
de Versailles en vertu desquels les
troupes françaises, réunies sur la
frontière, durent se retirer. Les pa-
triotes abandonnés ne purent son-
ger à se défendre; et le Brunswick,
grand enfonceur de portes ou\er-
tes, fut à l'apogée de sa gloire. C'est
même cette trop facile campagne qui
donna tant de confiance à ses ca-
])oraux quand il envahit la Lorraine
et la Champagne, et qui leur
faisait dire pour exprimer à quel
point la guerre avec la France
leur semblait bagatelle et niaise-
rie : Patrioikrieg. — Comique con-
fiance qui n'a de pendant ([ue dans
celle de ces jeunes et braves étour-
dis de l'émigration, qui croyaient
que rentrer en Franco était une
« partie de chasse, » confiance
dont nous ne saurions nous plain-
dre, puisque, se heurtant immé-
diatement aux faits, elle n'a pas
laissé d'aider aux vingt ans de vic-
toires de la Révolution. Quoi qu'il
en soit, les provinces néerlandaises,
|)our l'heure, n'avaient plus qu'à
se courber silencieusement sous la
prépondérance de celui qui s'était
iait acclamer stadhouder général.
C'estàquoise résigna Van Maaneii.
mais il faut le dire, sans abjurer
ses convictions, qui, toutefois, ne
pouvaient le mettre en grand
péril, tant (lu'ellcs ne se tradui-
saient pas en actes offensifs. Les
événements de France donnaient
d'ailleurs à réfléchir aux plus légers.
aux plus téméraires, et nul, en
voyant s'accumuler les nuages,
sur d'en voir jaillir la foudre, ne
pouvait dire qui la foudre irait
frapper. L'on atteignit ainsi les
LXXXV
VAN
81
jours de Valmy, de Jemmapes ,
puis f794, 1795. Les paris pour
l'absolutisme trouvaient de moins
en moins d'adhérents. Le dictateur
des Provinces-Unies finit par n'a-
voir pas d'autre ressource qu'une
fugue des plus accidentées, et fut
heureux de trouver un asile en
Angleterre, où toute la haine du bi-
lieux Pitt contre la France ne l'em-
pêcha pas de mourir stadhouder
in partibus et ne léguant à son fils
que des prétentions. Pendant ce
temps, Van Maanen moissonnait
les réconq)enses de son enthou-
siaste adhésion à la cause des pa-
triotes. Il est vrai que d'abord on
ne lui donna rang dans le par-
quet piès la cour d'appel de la
province de Hollande que comme
substitut de l'avocat fiscal. Mais ce %
grain de millet presque dérisoire, à
force d'être insuffisant pour son
appétit, se transforma bientôt en
quelque chose de plus sonore et
de plus lucratif. La même cour eut
à saluer en lui son procureur géné-
ral, ïl apporta, selon sa coutume,
beaucoup de zèle , quelques-uns
diraient beaucoup d'exagération
dans ses nouvelles fonctions; mais
ses pas n'\ furent pas tous signa-
lés par des prodiges. Ayant voulu
|)araitre en j)ersonne dans l'affaire
\an Darel, il termina son réqui-
sitoire contre un accusé dont le
crime était d'a>oir répondu à quel-
ques lellres des réfugiés ses amis,
en demandant la peine de mort.
Le triitunal lejela cette requête
sanglante et ne jirononça (juc
cinq années de détention , ce que
même roi)inion générale regarda
connue une peine sévère. Enfin,
quand la république bata\e devint
royaume de Hollande sous Louis
Bonaparte, le procureur général,
moulant encore en grade, de\int
6
t^
VAN
minisire de la justice. Ostensible-
ment il ne tu rien là qui vaille la
peine d'être relaté par Thistoire. Il
fut comme les heureux sinccurisles
à(iui le sort propice donne des por-
teleaillos quand les temps sont cal-
mes et qu'un bras for t lient les tempê-
tes enteiniées dans routre,émargeur
fidèle et ponctuelle machine à si-
gnatures. Mais pouV qui voudrait
pénétrer au-dessous de Técorce
et percer l'aubier , il est croyable
que les particularités ne manque-
raient pas. On sait combien l'ex-
cellent roi Louis avait pris au sé-
rieux le rôle auquel l'avait élevé Na-
poléon ; ([ue la couronne à ses yeux
n'était pas une préfecture, et que la
Hollande, dès qu'elle était censée
Etat indépendant, devait être gou-
* vernée dans l'intérêtdes Hollandais,
et non au profit d'un Etat voisin quel-
conque. C"est précisément le con-
traire qu'entendait Napoléon ; et
par ses ordres, Talleyrand son mi-
nistre, avait les yeux sur tout ce
qui se passait à la courde Hollande :
les entours du roi, ses ministres
surtout, étaient en butte tels à des
attaques plus ou moins ouvertes,
tels à la séduction. Quelle ligne de
conduite suivit pendant ce conflit le
ministre de la justice? Rien n'est
démontré; mais il est certain quele
roi Louis cessa de croire (pïil avait
en lui un serviteur loyal, d'où
bientôt une destitution masquée de
quelques mots de consolation. Est-
ce à diro que le saire et conscien-
cieux i»rince était trompé soit par
son imagination, soit par des ca-
lotnnialciirs? La biogr;iphie Jay-
Jouy-Norvins dit Cxx, 149): « L'an-
cien paliiotismc de M. Van Maanen
aurait du le mettre à l'abri d'un
pareil souj con. v L'écrivain veut- il
dire par cette phrase que l'inqjuta-
tion tombe d'elle-même? ou bien
VAN
indique-t-il qu'elle ne manque pas
de consistance, puisqu'elle a trouvé
créance « en dépit des probabilités
contraires? » Pour notre part, sans
affirmer positivement ce fait, nous
penchons fort pour l'opinion du roi
Louis. L'empereur , lorsqu'il ne
trouvait pas les influences dont
l'appui lui faisait besoin au jour de
circonstances graves, assez ductiles
ou malléables et au gré de son im-
patience, avait as$>(it Coutume de
leur dénier les hautes vues, l'intel-
ligence compréhensive, et disait ,
leur donnant d'un mot leur brevet
d'esprits médiocres : « .le le croyais
plus homme d'Etat. » Eh bien I il
nous semble que Van Maanen fit
acte de parfait homme d'Etat, comme
l'entendait le prolfîcteur et le mé-
diateur des Confédérations. En
effet, lorsque l'éphémère royaume
de Hollande eut été incorporé au
grand em[)ire, immédiatement un
brevet de conseiller d'Etat alla de
la part de Napoléon chercher Van
Maanen au fond de sa retraite et lui
présager que sa période de disgrâ-
ces alla-t finir. Le présage se véri-
fia dès l'année suivante : il reçut,
en échange du siège qui n'avait été
pour lui qu'un gage en attendant
mieux, la première présidence delà
cour impériale de la Haye. Plus
tard enfin l'empereur orna sa jtoi-
trine des insignes de commandeur
grand'croix del'ordrederUnion. Au
milieu de tous ces succès, tombèrent
coup sur coup les événements de
1813 et de 1814. Tout autre aurait
été désarçonné parla marche impé-
tueuse de la catastrophée! de (hmx
choses l'une, ou serait tombé victime
desa fidélité à sesconvictionselà ses
serments ou bien se serait désho-
noré par sapromptc conformité aux
événements les plus contraires soit
à ses devoirs, soit à ses principes.
VAN
Van Maanen sut marcher entre les
deux écueils : il n'avait aucune en-
vie de faire le deuxième torae du
héros d'Utique et de donner lieu aux
jeunes humanistes hataves de lire
ainsi le distique d'Horace:
El cuncla terrariim subacla
Praeter alroccm anii;uim Maanon.
Mais il ne voulait pas se salir
assez pour être imprésentahle et
pour que les plus déterminés flat-
teurs rougissent de chanter ses
louanges. Voici donc quelle fut son
allure. D'abord, malgré les sinis-
tres trop parlants et de Prague et
de Leipzig, il ne se hâta pas de dé-
sespérer de l'étoile de l'empereur,
dont il appréciait, en calme et
froid observateur, l'indomptable
énergie et l'esprit de ressources; et,
lors même que la révolution de
novembre à la Haye eût comme
sonné le glas de la domination
française en Hollande, il tint bon,
biaisant un peu ou s'abslenant,
mais ne commettant pas et dans sa
sphère ne permettant pas un acte
dont Napoléon, s'il fût resté vain-
queur, eût pu lui faire un reproche.
Il eût donc pu dire aux amis de
l'empire (ju'il fut dévoué à l'em-
l)ire, tant qu'il y eut un empire.
Mais enfin voici la seconde [>liase.
Nous sommes au lendemain du
31 mars 1814 ; nous avons atteint
ce moment où l'empire a cessé d'ê-
tre, où tous h's rejetons des vi-^illos
souches princières surgissent rede-
mandant (pii son électoral, (|ui
son tiers ou quart de grand-duché,
qui ses salines et qui son cncbivc,
où sous les auspices de Casticreagh,
Wellington, etc., le tils du ci-de-
vant premier et dernier stadluiuder
général des Provinc(;s-Unies vient
les administrer j)rovisoirenieht souk
l'œil anglais, en attendant qu'il de-
VAN
83
vienne, sous le titre de roi des Pays-
Bas, préfet de la Sainte-Alliance et
garde-clef des citadelles dont on
hérisse contre nous la frontière
belge. Que va devenir et h quoi va
se résoudre dans cette débâcle le pa-
triote de 1787 et 1795, le haut di-
gnitaire des gouvernements nés de
la révolution, l'afrancesado fidèle
jusqu'à la dernière minute à l'usur-
pateur français, on pourrait dire
presque l'ennemi personnel de
tout ce qui portait le nom de Nas-
sau. Il obtint audience de ce can-
didat à la couronne néerlandaise;
et lui prouva sans doute que nul
mieux que lui n'était à même, si le
roi savait se l'attachei', de l'éclairer
sur les personnes à redouter et sur
les menées hostiles; il termina, ce
nous semble, en demandant que
son zèle fût mis à l'épreuve. Celte
conversation n'ayant été transmise
j)ar Van Maanen à personne, il est
évident que nous ne donnons ici
nos paroles ([ue sous toutes réser-
ves; mais elles ressorlent, à noire
avis, de la nature des faits qui
précèdent et qui suivent. Les hom-
mes d'État, lorsqu'ils oui manié
pratiquement les afiaires vingt ans
durant, ont vu s'égrener beaucoup
de scrupules au vent des besoins du
jour; et lorsqu'ils ont été mêles à
des affaires grandioses, à un en-
semble gigantesque, ils ne gardent
plus qu'un terne et pâle souvenir
des j)etiles agitations, des petite»
rivalités, des j)elites hyines de leur
jeune âge : il est donc sim|>le que
Van Maan<Mi, à moins que quelque
injyiv nouvelle eût ravivé de \ ieilles
plaies, n'en lui plus à iinimilié
avec la maison stadhoudériennesi
longtemps enfouie dans l'ondji-e et
si nii(;roscopi(pie en lac»; des gran-
des commulions donl i Euroj»e ve-
nait d'être le théâtre. Quant au
H
VAN
patriotii?me et aux idées républi-
caines, il y avait longtemps qu'il
nelait plus imbu du premier,
puisque la transformation du
royaume indépendant de Hollande
en huit départements du grand
empire ne l'avait pas eflarouché;
il y avait longtemps aussi que le
régime napoléonien Tavait désha-
bitué de celles-là. Ceci posé, il de-
vient clair que ce n'est pas de 1814
qu'il faut dater ce que les uns ap-
pellent l'apostasie, ce que nous
nous bornons à nommer le chan-
gement de Van Maanen. Ce chan-
gement est l'œuvre graduelle et
presque inaperçue du temps. Répu-
blicain (ou si l'on veut patriote)
en même temps qu'hostile à la fa-
mille qui veut cunuiler les stad-
houdérals pour extraire de ce cu-
mul une sienne monarchie, il est
par cela même du système fran-
çais sous Louis XVI, à ]»lus forte
raison sous la convention ; ami de
la France, il la sert et comme chef
du parquet quand la Batavie est
ré[)ubli(iue , et connne nnnistre
lorsque la Hollande devient royau-
me: ministre d'un monarque, il
comprend les avantages, la simpli-
cité, la rapidité du mécanisme mo-
narchique; les cojivictions iéj)iibli-
raines s'afFaiblissent d'autant, les
prédilections républicaines s'attié-
dissent de mrme: les (luchpics an-
nées sous la domination directe cl
sous l'œil du génie qui régit l'Eu-
rope de rOféaii au Niémen achè-
vent l'œuvre. Ambitieux et sufti-
.«arament jeune encore, Van Maa-
nen arrive donc devant Oiiillaimie,
non pas i»ur d'antécédents, mais
libre de tons ses antécédents: il
n'a j»lus de tendresse, j)Ius de faible
pour la république, il n'a plus
d'antipathie pour les Nassau et
jamais il n'en a déployé contre le
VAN
personnage auguste avec lequel il
a l'hoimeur de s'entretenir! Ce
n'est pas tout, les événements des
vingt et une dernières années l'ont
convaincu que sept provinces for-
mant sept petits États à part ne va-
lent par le quart de ce qu'elles vau-
draient fondues en un seul sous un
seul chef; et quel peut être ce chef,
si ce n'est un indigène d'illustre
maison ? et quel sera cet indigène
si ce n'est un Nassau ? Les Pays-
Bas ont donc besoin de Guillaume.
Mais Guillaume, à qui les anciens
patriotes feront opposition, a besoin
d'un tacticien qui les sache par
cœur, eux et leurs manœuvres; ce
tacticien c'est un des leurs, ramené
par l'expérience à la résipis-
cence, tandis qu'ils sont voués, eux,
à l'impénitence finale ; ce tacticien,
c'est Van Maanen. Guillaume a
donc besoin de Van Maanen (on
doit être heureux de trouver sous
sa main un Van Maanen} , connue
les Pays-Bas ont besoin de Guil-
laume. Le ]»rince déjà mur à ([uï
nous supposons qu'on tenait (juel-
(jue chose de ce langage, était
de force à le comprendre et à en
faire son prolil; il n'avait point
horreur, comme son voisin des Tui-
leries, (( de se coucher dans les
draps (leBonapaile; » il sentait que
ce dominateur des trônes avait dres-
sé sescliambell.'iMs à faire comme il
faut le lit monarchi(|ue. V an Maanen
donc, non-seulement nv, perdit pas
sa présidence, mais encore il fut
chargé, à titre pi'ovisoire il eslvrai,
du ]»orlefeuille de la justice ; et c'est
lui (jui, (iansTas-^emblée des nota-
bles d'Amsterdam, en 1814, porta la
parole ensaqualité de ministre, au
nom du i"oi Guillaume, pour ouvrii* la
session dans kKjuelle devait s'éla-
borer la nouvelle loi fondamentale.
Un moment encore pourlantl'inccr-
VAN
VAN
85
titude plana sur les destins de la
Belgique et de la Hollande. Les
Genl-Joiirs faillirent tout remettre
en question, ou plutôt résoudre au
profit de la France et à la confusion
des protégés de Gastlereagh la ques-
tion remise soudain sur le tapis. Mais
la jalousie britannique triompha :
Blucher aidant, la France fut réen-
vahie par les Cosaques ; la clause
des actes de Vienne qui créait
un royaume des Pays-Bas et qui
faisait des Nassau une dynastie
sous laquelle se fondraient et ces
ex - républicaines Provinces - Unies
protestantes et ces ex -autrichiens
Pays-Bas catholiques, sortit du
pays des songes pour prendre place
dans le domaine des réalités. Guil-
laume I" d'Orange fut proclamé
roi. II continua quelque temps en-
core les épreuves sur son ministre
provisoire, dont il irritait la soif par
l'attente; enfin, le 1 0 novembre 1816,
fut signée sa nomination si forte-
ment, si anxieusement poursuivie.
Van Maanen, au bout de huit ans,
retrouva donc auprès de Guillaume
le rang qu'il avait auprès de Louis-
Napoléon. Mais sa mission, celle
qu'il arcepte du moins, n'est plus la
mémo : au temps de remj)ire, il n'a-
vait qu'à travailler au développe-
ment des ressources du royaume,
soit au i)()int de vue exclusif des ré-
gnicolcs, soit au point de vue fran-
çais; etdansl'un comme dans l'auli-e
cas, loyal ministre de Louis, ou
clandestin instrument de l'empe-
reur, il avait sa part d'une œuvre
de progrès et d'expansion. Mainte-
nant, qu'on appelle ou non [>rogrès
la modilicalion ([u'on projette, c'est
décomprimer et de restreindre cpi'il
s'agit. Ou'il y ait des instants dans
lesqiif'ls la restriction soit oppor-
tune et la compression indis|i«'ii-
sahle , tout ifiipo|»nlaire jpi'eile
puisse être . c'est ce que nous ne
nions, ni ne recherchons; mais, en
adhérant au principe, tout homme
d'État et tout sage se dira que, lors-
qu'on l'applique, il faut savoir gra-
duer les doses, en d'autres termes
apporter des tempéraments, et,
somme toute, ne pas ajouter au
nombre des ennemis les mécontents.
Pour ces juges impartiaux et com-
pétents, il ne s'agit donc, en admet-
tant le rôle nouveau qu'assume Van
Maanen et que, l'on a pu s'en con-
vaincre, nous n'avons pas essayé
de noircir, il ne s'agit, disons-nous
que d'examiner s'il s'y prit de ma-
nière à réaliser son programme,
c'est-à-dire à brider malcontenfs
et révolutionnaires, et à établir sur
la pierre un trône qui n'était en-
core que sur le sable mouvant. En
effet, il commença par serrer la
bride un peu fort. De deux piojets
de loi qu'il porta et soutint devant
la seconde chambre en l'année
parlementaire 1817-1818, la pre-
mière retranchait à la liberté de la
presse presque tout ce que la lé-
gislation restrictive en laissait en-
core debout: la seconde, bien au-
trement étonnante proclamait que
la chasse, d'un bout à l'autre du
royaume, faisait partiede la préro-
gative royale; eu termes plus nets,
que les propriétaires de biens-fonds
n'avaient pas droit de chasser sur
leurs propres terres. En absolutisme
du nioius, c'était un i)rogrès. Tou-
tefois, ce ne fui pas son triomphe :
en dépit de ses exordes ])ar insi-
nuations, de ses confirmations vic-
torieuses et de ses péroraisons à la
milonienne, ses deux malheureux
projets tombèrent à plat. Les éter-
nels ennemis des trônes avaient
réussi à rallier à leur cause ces
égoïstes propriétaires qui tenaient
à transmettre int;icl à kur^ til< le
86
VAN
VAN
« droit (lu sport, » et qui croyaient
avoir acheté avec la terre le gibier
qu'elle nourrissait. Ces mal-inten-
tionnésl'emportèrent et mèmepous-
sèrent la cruauté jusqu'cà refuser au
vaincu la consolation qu'il requérait
à grands cris de rappeler à l'ordre
le député d'Otrange, qui l'avait per-
cé à jour, jiaché menu et orné d'un
de ces sobriquets qui restent dans
toutes les mémoires. Ce double
échec, après lequel un ministère an-
glais aurait offerten masse sa démis-
sion (mais nous ne sommes pas en
Angleterre), ne fit que pitpier au
jeu Je ministre et probablement
aussi son maître. Van Maanen ima-
gina, pour alieindre plus sûrement
les récalcitrants et préparer les.
voies aux lois qu'il avait surle mé-
tier, de remettre eu activité une
espèce de conseil ])révôtai , ou tri-
bunal martial, établi temporaire-
ment et d'urgence, sans formes
aucunes, en 1813 et 1814, quand
ce qu'on nommait l'ennemi (c'est-
à-dire un reste de l'armée frajiçaise)
était aux portes, et qui depuis la
pacification générale était tombé
de lui-môme : ce conseil était (jua-
lifié de « cour spéciale extraordi-
naire; » il n'y eut d'un bout à
l'autre du royaumequ'un cri contre
rette résurrection. L'ex-procureur-
général, aux convictions près, tou-
jours Je même que lor.>(pi'il requé-
rait des juî:es la tète de Van Driel
(en ce moment son collègue) crut
qu'il suffisait, pour écraser les ré-
clamants, de jeter un coup d'œil
sur eux « de toute la hauteur de
son dédain, » et donna ])Our toute
rai.son que « celle cour n'avait été
abolie par aucun acte public de
l'autorité, » comme si la cessation
des circonstanres essentiellement
éphémères qui l'avaient fait naî-
tre, comme si la loi fondamentale
ne l'avait pas de longue main
mise à néant! « Que ne réta-
blissez-vous donc aussi , répondit
une voix d'accord avec le senti-
ment intime de tous, le conseil des
troubles du duc d'Albe? Il serait
malaisé de produire l'acte qui le
supprime. » Nous ne serions pas
surpris que Van Maanen se fût
dit in pelto : « Eh, mais ! c'est
une idée. » Heureusement l'on no
parachève pas tout ce que l'on
tente : on a beau se promettre de
tout pourfendre ; l'épée s'émousse
ou s'ébrèche en route, le mousquet
fait long feu. Il en fut ainsi des
foudres de Van Maanen. La cour
spéciale extraordinaire tint séance
plusieurs semaines, iJ est vrai; il
y eut des amendes, des emprison-
nements, des exils ; mais les con-
damnations capitales ne restèrent
qu'à l'état de menaces; il y eut des
victimes; mais, sauf un prêtre ca-
tholique (l'abbé de Fœre},des victi-
mes que nul ne connaissait avant le
coup qui les frappait, et qui ne fu-
rent guère plus connues après leur
condamnation. Ladite cour ensuite
rentra dans ses catacombes pour n'en
plus sortir; et ceux qui croyaient
voir poindre sous la phraséologie
et la simarre du pacha des vel-
léités de terreur, eurent droit de se
dire : « Ne fait j)as de la terreur
(|ui veut. » Le rancuneux minis-
tre pourtant ne voulut pas qu'on
rît sur toute la ligne. La presse
])aya pour la galerie : quelques
écrivains, non belges et belges, fu-
rent emprisonnés, et les uns ban-
nis, les autres mis sous elef, pour
faire contre-poids à leur joie d'avoir
vu s'embourber le char orangiste,
et d'avoir, qui plus, qui moins,
poussé à la roue, le tout sans juge-
ment ! Des gendarmes suffisaient
à la besogne, J'ex-anti- orangiste,
VAN
cette fois, n'avait plus de ciiambre
sur les bras, et le ministre de la
justice n'avait pas besoin de juges.
Jl se serait non moins volontiers
privé d'avocats, les trouvant beau-
coup trop imbus à cette époque des
idées que lui-mi'me proclamait en
i 789, alors qu'il n'était qu'un simple
soutien de la veuve et de l'orphe-
lin, adjurant et implorant, n'admi-
nistrant pas la justice. C'est ce dont
les moins clairvoyants s'aperçu-
rent dans rafîaire Yanderetraelen
(voy. ce nom, t. XLVII), en 1819.
Cet écrivain ayant été jeté en pri-
son, six des plus habiles et des
plus honorables avocats du royaume
signèrent une consultation en sa
fiiveur. Quoique celle-ci lïit aussi
modérée dans la forme que forte
de faits et de raisonnements, le
ministre les fit incarcérer tous les
six, avec l'intention positive de
les miner indéfiniment, par les
longueurs de la détention préven-
tive et d'enlever à l'accusé, par
l'intimidation universelle , ses
moyens de défense. Plusieurs des
captifs tombèrent malades. En dé-
pit de cette tactique profonde, Van
Maanen ne réussit qu'à soulever de
plus en plus les répugnances contre
lui, à s'aliéner le barreau, à mé-
contenter au dernier degré les
nombreuses et puissantes clientèles
(les six avocats, à rendie sensible
le dissentiment entre le monarque
et partie au moins des sujrls, (juand ,
forcé de mettre ces six av(»cals en ju-
gement, à Bruxelles, il vit les masses
accouiirdcLouvain, dt'fiand. d'An-
vers, pour acclamer les persécutés,
et finalement à nobtenir de sa
magistr.iture amovible et chargée
de mille liens, pas même une seule,
une faible condamnation. Il serait
tiop long (le suivre Van Maanen
dans tous les actes de son ministère;
VAN
87
les spécimens qui précèdent suffisent
pour le faire apprécier, et peu de
mots désormais sont tout ce qu'il
faut pour mettre à même de préci-
ser ce que fut l'homme, ce que fut
le magistrat, ce que fut le ministre.
Homme, d'une part, il outra toutes
ses opinions , non-seulement en
paroles, mais dans la pratique; de
l'autre, il est clair qu'il ne saurait
échapper au reproche d" inconstance,
et quoi que nous ayons dit, soit
pour expliquer son apostasie, soit
pour en préciser le moment , ce
n'est pas une apologie que nous
avons entreprise. Qu'on se conver-
tisse, soit , mais dans le secret de
son cœur, sans en tirer lucre, ou
portefeuille, ou grand-cordon; et
surtout, si l'on veut passer pour
homme sérieux, qu'on ne se con-
vertisse pas. après avoir paradé sur
la brèche, tenant en mam, ie dra-
peau opposé à celui qu'on avait
précédenmient porté. Magistrat , il
n'eut qu'un mérite, celui de savoir
son droit : mais le droit, il en était
le contempteur, et il ne cherchait
dans la loi que le moyen d'être
légalement injuste, rapace et op-
presseur ; rusé plutôt qu'adroit,
retors plutôt qu'éclairé, sans con-
science et sans entrailles , il ne
voyait dans le code qu'un réseau
à mailles perfides et impalpables
où faire tréhucher un ennemi. Mi-
nistre, il savait manier la parole
devant les chambres, comnie au-
trefois au barreau; mais si l'élo-
(pience est l'art de persuader mal-
gré les f(Uids secrels.il en manqua
souvent; jires(iue confnuelJen>ent
aussi l'adresse lui lit ael.iut,et peu
de carrières ministérielles ont été
marquées par |ilus d'insuci^ès.
« L'habilele politique suprême ,
avons-nous dit , c'est de din.inuer
h' nombre des ennemis; u on pour-
88
VAN
VAN
rait ajouter : et « d'augmenter
celui des amis. » Si celte thèse
est vraie , que penser de Van
^laanen? Il fit exécrer son maître.
Il voulait solidifier le système mo-
narchique et donner pour hase au
trône de Nassau le roc , le granit ;
on reconnut à la première épreuve
que cotte hase était , en partie, non
moins friahle que le plâtre de Paris,
à peine un mois après juillet 1830,
Guillaume tomba comme Charles X,
et fut moins regretté. La faute n'en
fut-elle qu'à ce monarque? Aveugle
qui se l'imaginerait ! Van Maanen
y contribua certes pour moitié, si
ce n'est pour davantage. Val. P.
VA^ MARWM (^Martin) , sa-
vant néerlandais des plus ingénieux
et des plus remarquables par la va-
riété de ses connaissances, était de
Deift et naquit, à ce qu'on pense,
en 1750, ou très-près de cette date.
Fils d'un mathématicien habile et
profond, il aimonra très- jeuneencore
un goût des plus vifs et d'heu-
reuses dispositions pour la sci(Mice
cultivée par son père, et ce d^i-nier
ne les laissa pas dormir stériles.
Son adolescence s'écoula entre les
sinus et les tangentes, entre les
logarithmes et les séries; ilintégra,
et la trace en est sensible dans ses
œuvres, même (juand la grande S
et le 2 n'en chamarrent pas les
pages. Les mathématiques pnnrlant
ne devinrent point sa spécialité;
son père, lorsqu'il s'agit de l'aider
à se choisir uno profession, lui fil
préférer la carrière médicale , et
c'est avec ses vues que le jeune
homme se rendit à l'académie de
Grœningue. Il y suivit les cours
voulus, mais d'autres encore; et
d'inscription en inscription , de
grade en grade, il parvint fl776)
au doctorat de médecine d'une part,
et de l'autre au doctorat de philo-
sophie. (On sait que ce nom , dans
le vocabulaire scolastique de l'Al-
lemagne, indique l'ensemble des
sciences philosophiques et littérai-
res. H était auteur dès cette époque ;
car quelque temps avant de sou-
tenir sa thèse, il avait fait im-
primer un traité sur l'électricité,
({ui contenait tout ce qu'on savait
alors sur cette partie delà physique
à laquelle les Hollandais (témoin la
bouteille de Muschenhroek) avaient
fait faire de si notables progrès.
Sa thèse elle-même sortait complè-
tement de la ligne. Elle ne se rat-
tachait à la médecine qu'indirecte-
ment et par l'intermédiaire de la
matière médicale, car elle roulait
toute sur la botanique. Prise en
elle-même , elle est en avant de la
science de l'époque, soit par les
observations exactes et fines dont
elle est remplie , soit par les aper-
çus nouveaux qu'il groupe au-
tour des faits que fournit l'expé-
rience. Aussi était-ce un des étu-
diants favoris du naturaliste P.
Camper, dont l'honorable amitié
le suivit hors de la faculté grœ-
ningienne. Muni du brevet. Van
Marwm ne retourna point à Délit ;
il alla s'établir à Harlem, et quel-
que temps il y praticpia. La clien-
tèle ne lui manquait pas et gros-
sissait; mais, il faut l'avouer, il
nianquiiit clja(|ue jour un ])eu plus
à la clientèle. La physique, ([ue
peut-être dans les commencements
il n'éludiiiit (pie pour en lirer des
applications à la science de guérir,
envahissait de plus en plus ses
heures, ses journées, ses semaines :
l'attrait devint un goût, le goût
une passion. Un jour vint que,
soit pour utiliser des travaux pé-
cuniairement inuliles jusque-là ,
soit pour réhabiliter et populariser
ce dont des envieux lui faisaient
VA\
VA\
89
un crime, il ouvrit un cours public
de physique.
Le cours eut du retentissement
et de la vogue ; il décida en quel-
que sorte la spécialité définitive de
Van Marwm : i?a vocation était de
répandre, de régulariser, de per-
fectionner les idées scientifiques:
le feu sacré s'éteignait en lui lors-
qu'il s'agissait de battre monolo-
nemenl monnaie à l'aide d'une
science exclusive de toutes les au-
tres, tant que l'exploitation durait.
Il était donc né professeur, ou rap-
porteur de travaux ou d'incidents
scientifiques. 11 eut le bonheur de
rencontrer presque aussitôt ce qui
pouvait le mieux cadrer avec ses
aptitudes : la Société des sciences de
Harlem le choisit pour secrétaire.
Mais elle-même, il faut l'avouer,
eût la main heureuse ce jour-
là; et si bientôt son nom jeta un
grand éclat dans le monde savnnt,
très-certainement c'est à son illus-
tre secrétaire que revient la grosse
part de cet heureux état de choses.
Aux qualités essentielles d'un se-
crétaire perpétuel, c'est-à-dire à la
ponctualité, à l'aménité de ma-
nières, à la facilité de travail, Vnn
Marwm joignait l'activité dans le
cabinet elle laboratoire, l'impulsion
sur ses entours, l'esprit d'initiative,
d'ordre, d'organisation et de \icv-
fectioDuement. Toute sa carrière
depuis sa nomination au secréta-
riat de la société do llarlem eu est
la preuve. Titulain* quelque temps
après delà chaire de physique, pour
laquelle il avait si brilIanmiiMjt
prouvé qu'il était le professeur mo-
dèle, et que presque aussitôt il put
cumuler avec la direction du «'abinct
(le ])iiysiqu(' de Ta\l<'r, il sullil à
tout; par ses soins et par le judi-
cieux emploi des sommes mises à
sa disposition, il éleva cet établis-
sement à un degré de perfection et
de splendeur qu'atteignent à peine
les mieux rentes et les plus vastes
de l'Europe. On y remarque no-
tamment les gazomètres et des ma-
chines électriques gigantesques.
La grandeur n'est pas d'ailleurs le
seul mérite que Van Marwm eût su
donner aux appareils : d'un grand
nombre de perfectionnements que
lui doivent les instruments scienti-
fiques, il en est trois surtout qui
méritent ici mention spéciale, ce
sont : l*" sa machine électrique, qui
tient le premier rang entre toutes
et que de longtemps on ne surpas-
sera pas; 2" sa machine pneumatique
(universellement désignée aujour-
d'hui par les physiciens sous le
nom de « machinede Van Marw m »);
3" son gazomètre (modification de
celui de Lavoisier et dont on peut
lire la description, tome VIIl, Cour-
rier (les Aris cl Belle s- Lettre s.) A
ces titres que présentait Van
Marwm à l'estime des savants de
tous les pays, ajoutons, sans pré-
tendre les détailler, une multitude,
c'est le mot, d'expériences intéies-
santes et très-variées qui presque
toutes ont pris rang dans la science
ou dans la technologie: — car, et
c'est encore un trait <pie le bio-
graphe aurait tort de négliger, bon
nombre de celles-ci sont des expli-
cations dont [)euvent tirer parti et
industrie et la vie quotidienne.
Le champ, du reste, eu est très-
v.'irié, la physi(pie et la chimie,
la botanique et rh\drostalique
[\\[\\\[ été i)lus familières à l'infaii-
gable secrétaire (pie les mathé-
matiques, sofi étud(» première ou
la médecine sa piofession. Car il
n'était pas de ces gentilshonunes
qui, selon l'expression de Paul-
Louis. « ont oublié toutes leui< ma-
thémathi(jues » : et c'est an <m\
90
VAN
qu'il eut de cultiver toujours ces
notious de son adolescence qu'il
dut cette connaissance étendue de
la mécanique dont il fit preuve
dans une discussion avec Hcrselin.
L'Institut des Pays-Bas l'admit
parmi ses membres, et plusieurs
sociétés nationales et étrangères
s'empressèrent de se l'associer.
Trois fois il avait rem|)orté le prix
de physique à la société de Rotter-
dam. (Voy. plus bas.) Ne pouvant
donner ici la liste complète de ses
notes, observations et communica-
tions, son Courrier des Arts et Bel-
les-Lettres de Harlem, liste qu'il
faudrait copier sur la table des
matières de ce recueil, nous nous
contenterons de signaler ici les
cinq ouvrages suivants, lesquels
sont tous non-seulement de plus
longue haleine, mais aussi de plus
haute importance. I. Traité de l'é-
lectricité, Grœningue, n76, in-8°
(nous l'avons caractérisé plus
haut). II. Mémoire sur l'élcctricitéy
couronné par la Société batave pour
la philo.sophi(3 expérimentale de
Rotterdam (et inséré dans le tomo
\l des œuvres de cette Société,
1781). III. Second mémoire sur l'é-
lectricité, également couroimé par
la même Société, également in-
séré dans son tome VI, mais en
1793, en société avec Paets Van
Twostwyck, que nous allons re-
trouver son collaborateur pour
l'ouvrage suivant. \\ .Surla nature
des exhalaisons nuisibles des ma-
rais, lieux d aisance, hù]ntaux, mi-
nes, etc., et sur tes moyens de tes
corriger et de secourir les personnes
qui en sont atteintes (tome VIII,
Ï7^7, des œuvres de la Société
plus haut nommée, qui cette fois
encore couronna les deux auteurs).
V. Lettre à M. \olla sur la colonne
électrique (en France) , Harleru
VAN
1801, traduite depuis et par lui-
même en hollandais. Val. P.
VAN MUSSCHER (Michel),
peintre, né à Rotterdam en 1645,
fut successivement élève de Martin
Zuagmoolen, d'Abraham Van Tem-
pel, de Gabriel Metzu et d'Adrien
Van Ostade. S'il n'adopta exclusi-
vement la manière d'aucun de ces
habiles maîtres, il prit de chacun
d'eux quelques-unes de leurs qua-
lités éminentes, et produis!.! des
ouvrages remarquables par l'ex-
cellence de la couleur, la délica-
tesse du pinceau, le fini et le pré-
cieux de l'exécution , que l'on
met au rang des meilleures pro-
ductions des Mieris, des Metzu, des
Jean Steen, etc. Avant de se con-
sacrer exclusivement à ce genre, il
cultiva d'abord le portrait et y
excella par la vérité de la ressem-
blance, qu'il savait concilier avec
un peu de flatterie, etpar la beauté,
la force et l'éclat du coloris. La
nature était sans cesse le modèle
qu'il étudiait avec le plus d'assi-
duité. On cite comme son chef-
d'œuvre le tableau de famille où il
s'est peint, lui, sa fenuuect ses en-
fants. Ce n'est pas par l'ordon-
nance (jue brille cet ouvrage; le
dessin même manque de correction;
mais il est d'une vérité si frap-
pante, le coloris en est d'une si
glande fraîcheur, que ces qualités
rachètent bien tous les défauts
(pi'uiK^ ci-ili(iue sévère peut lui re-
procher. A peine pouvait-il suffire
à tous les travaux qui lui étaient
demandés et cpj'on lui |)ayait fort
cher. La fortune qu'il amassa par
ses ouvrages lui servit à doimer à
ses enfants une excellente éduca-
tion et à leur procurer une exis-
tence indépendante après sa mort,
(jui arriva à Amsterdam le 40 juin
1705. P. -S,
VAN
VAN
91
VA>' NKK (Jacques-Corneille) ,
un des liommes de mer auxquels la
Hollande a dû la naissance de son
riche commerce et de ses colonies
en Orient, se distingue du grand
nombre de ceux qui méritent part
de cette louange , — d'un côté
comme successeur immédiat de
Houtman, en d'autres termes comme
le premier de sa nation après Hout-
man, qui se soit montré dans les
mers (le la ]Malaisie, — de l'autre
comme ayant à deux reprises dififé-
rentes promené la bannière des
Provinces-Unies dans ces parages
lointains. Le premier de ces voya-
ges se réfère aux années 1598
et io99, il n'excéda pas quatorze
mois; le deuxième dura un peuplas
de quatre ans (de IGOO à 1G04).
L'un et l'autre yjrésentent quelques
traits dignes d'être relevés, l^endant
le premier, il était à la. tète de huit
navires, qui, tantôt par suite de
tempêtes, tantôt d'après des consé-
quences du moment et pour varier
les résultats ou faciliter les excur-
sions, formèrent deux liotlille>, dont
l'une, conq)tant le plus gi-and nom-
bre de bùliments , avait pour chef
1»; capitaine de Y Amsterdam, Wy-
i)iai)(l van Warwick. Ce dernier,
ayant été poussé par l'orage sur
Madagascar, aperçut , après avoir
doublé le cap Sainl-.lulien, une île
à peu près inexplorée à cette épo-
(jue et si fameuse depuis sous le
nom d'Ilo-di'-France. Les Portugais
seuls l'avaient signalée et s'étaient
liâtes d(; bai)tiser Cerné, cette
terres lointaine, (pj'un navire par-
tant de l'Algarve, atteint à peine
au bout de 1,600 kilomètres de
marche; ils ne .-i'élaieiit pas don-
né la peine d'examiner s'il s'y
trouvait des habita iits. Van War-
wick constata qu'elle était dé-
serte, lui donna en l'honneur du
prince d'Orange ou du vaisseau
que montait Van Neck le nom de
Maurice, que plus tard remplaça
celui que les Français aiment à lui
donner, et que les Anglais au-
jourd'hui ses possesseurs lui main-
tiennent officiellement. Pour Van
Nek, il atteignit Bantam avec ses
trois navires un mois avant la se-
conde section de la flotte, mais il
en trouva toute la population, ainsi
que le roi, violemment irrités des
excès auxquels s'étaient portés les
compagnons de Houtman et déter-
minés à repousser toute relation
commerciale ou autre avec les Hol-
landais. 11 ne désespéra pas, bien
que voyant à quel point les esprits
étaient tendus et quels ])crils l'on
eût courus si l'on eût été moins
fort. Il avait un pilote goudjerate (du
nom d'Abdoul), grand aventurier,
estropiant les jargons malais et
fort délié : c'est lui qu'il envoya
d'abord à terre pour en préparer
les voies. Ensuite vinrent des pré-
sents au roi, aux notables. Les en-
voyés qui les présentèrent eurent
la permission de revenir, déployant
les patentes des États-Généraux et
du prince Maurice, et les velours,
les hanaps, les miroirs dorés, ai-
dant, parvinrent à faire compren-
dre à ceux {\v\\ les écoutaient les
mains pleines et dont la foule n'a-
vait qu'à prendre les ordres, qu'en-
tre les projets de Houiman et ceux
de Van Nek, il n'existait nulle pa-
rité, que ce dernier tenait ses cais-
ses largement chargées pour enri-
chir le |)eupleetla \ille de Banlam,
en même temps, soit [lour allécher
l)ar l'appit dun vaste gain, soit
l)our enq>ècher qu'il ne prit envie
d'un guet-apens sur un écpiipage
peu considérable, Van Nek faisait
soimer bien haut la très-prochaine
arrivée des cinq navires qui com-
92
VAN
plétaienl pour lui le nombre de huit
et que montaient de cinq à six cents
hommes, dont probablement il ne se
faisait pas de scrupule de doubler
ou de tripler le nombre. De tous
ces colloques très-activement suivis,
mais chaque jour un peu moins
hostiles, surfrit ])armi les gagne-
petit de Banlam, la soif d'un tra-
lic léonin avec les nouveaux venus :
la demande abondant sur la {)lace,
les prix de leuis poivres et autres
denrées se tendirent, mais décidé-
ment ils avaient au moins autant le
désir de vendre que les hollandais
celui d'acheter. Tel était le grand
but de Van Nek : il avait dès lors
iragné sa cause, et une cause qui
pouvait sembler désespérée. Nous
laissons de côté les incidents ul-
térieurs et très-secondaires du
voyage, nous bornant à rappeler que
l'aller et le retour de Van Nek lui-
même neprirentquede13 à 1 imois,
et nous nous hâtons de passer au
second. Il n'eumienait celte fois que
f-îix navires. Ne trouvant que peu
de poivre à Bantam, apiès avoir
chargé un de ses bâtiments, le Delf\
qu'il liliepartir immédiatement pour
la Iloil.'inde. et comme en doOS, il
crut bon de séparer ses forces en
deux moiliés, se réservant les tiois
meilleurs \oiliers avec lesquels, en
f'tïét il toucha le premier Java.
Il mit le cap sur les îles 3IoIu-
ques, où déjà lors du piécédenl
voyace, mais après son départ, la
division VN'arwick avait inauguré les
relations commerciales. Elles se re-
nouèrent plus actives que jamais à
la mutuelk; satisfaction des indigè-
nes et de leurs botes, en dépit des
calomnies qu'accimuilait sur leur
compte la jalousie des Portugais. Im-
piété, piraterie, inceste, tels étaient
les chefs d'accusation prodigués
contre eux. Le roi de Temate vou-
VAN
lut assister à leurs cérémonies reli-
gieuses sur leur navire : il en fut
édifié ; il tint à honneur d'y faire
pour eux en personne la police
pendant l'office divin. Les hos-
tilités ayant éclaté entre les deux
peuples, il voulut être le témoin du
combat naval que bientôt ils se li-
vrèrent; mais sa propension en fa-
veur des Hollandais ne fut ni dissi-
mulée, ni jouée. Deux voiles portu-
gaises, dont l'apparition eût ]m
décider un désastre des Hollandais,
étaient venues à poindre à l'hori-
zon ; il en avertit immédiatement
Van Nek le priant, l'adjurant pour
l'amour de lui d'opérer sa retraite.
Van Nek avait eu la main em-
portée pendant l'action, mais con-
tinuait à commander, comme s'il
ne s'apercevait pas de sa blessure.
Ayant ainsi jeté les bases d'une en-
tente cordiaki et durable entre les
peuplades de ce fertile archipel
et ses compatriotes, il remit à la
voile, et après une excursion dont
l'unique fruit pour le moment fui
de familiariser les Hollandais avec
les mers qui baignent le sud de la
Chine et de leur faire de loin entre-
voir Makao.il visita le royaume de
Patane (tributaire du makarao de
Siam) et sa capitale où, malgré les
Portugais et les Siamois qui s'en-
tendirent pour lui susciter mille
entraves, il parvint à fonder un
comptoir, et partit comblé de mar-
ques d'estime par la reine qui
gouvernail presque souverainement
ce pays. Sa traversée, pour revenir
en Europe, fut une série de tribu-
lations aflreuses. De 122 hommes
(jui formaienll'équipage de son na-
vire, 20 à peine étaient valirles
lorsqu'il atteignit Sainte-Hélène,
où quelques semaines de séjour lui
furent indispensables pour remet-
tre sur pied son monde. Mais à
VAN
peine la ligue eut-elle été repassée
que les symptômes fâcheux repa-
rurent. L'état hygiénique de l'uni-
que bâtiment qu'il ramenait était
encore plus triste. Aussi ne vint-il
qu'après avoir encore fait relâche
{k Portiand}, opérer son débarque-
ment définitif en Zélande. Heureu-
sement les trois voiles, seconde di-
vision de sa flotte, abordèrent six
semaines après auTexelplus légères
de quelque cinquante hommes, dont
trente-trois massacrésd'un coup sur
les côtes de Camboje, par l'impru-
dence des officiers et de l'équipage,
mais pouvant montrer de très-riches
cargaisons : deux autres navires
d'ailleurs les accompagnaient dont
les lucratives aventures jetaient sur
elles certain prestige, vu qu'ils ve-
naient porteurs d'opulentes dépouil-
les enlevées en mer à des jonques,
tartanes ou caravelles portugaises.
Somme toute, donc, et par ce qu'il
avait fait lui-môme et par le succès
de ceux mêmes que, depuis An-
nobon, il n'avait pas conduits, et par
le contraste des fautes commises
à bord de ceux-ci et des sages me-
sures par lesquelles il avait toujours
amendé ses tristes chances, il est
visible que tant au point de vue des
intérêts immédiats qu'à celui non
moins essentiel de l'avenir, ce deu-
xième voyage fut plus encore que
le premier un des événements capi-
taux do l'époque pour le commerce
néerlandais. Val P.
VA>'>ÎI (^Charles , un de ces
aventuriers politicjues dont l'his-
toire ne daignerait pas enregis-
trer le nom sans leur lin tragi-
que et sans l'éloquente et sévère
leçon morale qu'elle impli(jiie, n'ap-
jiarlenait sans doute pas plus»MM?c
([u'à Sienne, en dépit de sod homo-
nymie avec les ([ualre célèbres
peintres, et semble bien en tout eus
\A\ 93
être né d'une famille depuis long-
temps établie dans le royaume de
Naples, qu'elle en ait ou non été
originaire. Nous présumons qu'il
naquit vers 1744. A peu près dé-
pourvu de fortune, il ne vit pour se
pousser que la science de la chi-
cane : il a[)prit la procédure et en
général tout ce qu'il faut pour don-
ner de par la loi échec au droit ; il
devint avocat, fermant la porte à
qui n'avait pour lui que la bonne
cause, fût-ce veuve ou orphelin, et
prêt à l'ouvrir à deux battants
a tout» Birbanle, » à tout gibier de
justice qui viendraitàlui, le dossier
bourré de sequins, florins, carlins,
piastres ou quadruples. 3Iais la
place |)Our lui n'était rien moins
que giboyeuse. Dépité, famélique,
pénétré du principe qu'il faut avoir
plusieurs cordes à son arc, en at-
tendant que Thémis lui devînt fa-
vorable, il passa de son service à
celui de la police. Les Narcisses du
gouvernement napolitain, à cette
époque, s'étaient pris de furieuse
haine pour les fiancs-maeons ,
qu'ils ([ualifiaient de démolisseurs,
d'ennemis du catholicisme, de dé-
trôneurs de tous les rois d'abord,
puis du meilleur des rois ^traduc-
tion officielle, de Sa Gracieuse
Majesté Ferdinand IV ; — traduction
libre, du plus parfait desministres,
de Son Excellence Acton). X'altri-
bD«ns pas à notre siècle de progrès
l'invention de l'agent provocateur:
nous prouverions, l'hisloiie à la
main, (ju'il existait dès le siècle de
Tibère ;mais, sans remonter si haut
nous pouvons le montrer florissant
en la personne de Vanni. Fécond
en palabres retentissantes et sin-
ge.inllepalriotisme,il «envisciuail •
à la glu de son enthousiasme fac-
tice de pauvres jiîunes gens qu'en-
suite il faisait prendre dans une
9li
VAN
loge de francs-maçons : preuve de
complot, s'écriaient les sbires, irrand
délit incontestable. Tel fat notam-
ment le guet-apens de Capodi-
monte (en 1778}, qui plongea dans
la désolation nombre de familles
honorables, tandis que l'auteur de
leurs maux venait pour prix de ses
trames perfides siéger parmi les
magistrats. Sa place, il est vrai, ue
pouvait passer pour une place
d'honneur : juge instructeur, il
n'était en réalité qu'un inquisiteur
et l'âme damnée d'Acton et de la
reine Caroline. C'était ainsi que tous
le regardaient, même dans cette
cour corrompue et vendue. Mais
c'était aux yeux de celui qui na-
guère était un avocat sans cause un
sort enviable et doux. Outre les
émargements, il encaissait un assez
joli casuel des victimes, qui pour
mitiger les sévérités de la sentence
se décidaient à bourse délier, et de
plus il avait le plaisir de savourer
les grimaces de ceux-ci, les terreurs
et les tortures de ceux-là. On peut
dire que tout lui venait à souliait :
Son bien premièrement, cl puis In mal d'aulrui.
On fut indigné surtout de l'é-
trange procédure qu'il se plut à
conduire contre le mélencontreux
prince de Tarsia. Ce grand sei-
gneur, grand-officierde la couronne,
avait élé préposé par un caprice de
Ferdinand IV à sa fabi-ique de
soieries de San-Leucio. lient le mal-
heur de déplaire à la camarilla, ou
pour parler plus exactement sa si-
nécuie vint à plaire, à nous ne sa-
vons (jui des maîlros ou valets de
la camarilla. Vile des soupçons de
malversation coururent, in-ossirent,
pesèrent sur le i)rincc; on bâcla
un croquis d'accusation ; Vanni fut
chaj'gé d'examiner la comptabilité
de Tex-di recteur. Les formes acer-
VAN
bes et insolentes dont il fit parade
alors n'annonçaient que trop de
quelle équité serait le jugement.
Laudauliir corvi, vexai censura columbas.
Des employés subalternes, dont les
friponneries n'étaient un mystère
pour personne, mais qui les uns
avaient servi comme espions par le
passé, les autres gagnaient leurs
éperons en servant comme faux
témoins contre leur ex-chef, aux
genoux duquel ils étaient six mois
avant le procès, échappèrent,
blancs comme neige selon Vanni,
gardèrent leurs vols et sortirent ri-
ches de la salle d'audience ; l'Ex-
cellence, qui n'avait eu guère d'autre
tort que de se mêler de ce qu'elle
n'entendait pas et de n'avoir eu ni
vigilance, ni fermeté à temps, resta
le bouc émissaire et fut à peu près
ruinée, car le jugement la déclara
i-esponsable de toutes les dilapida-
tions,... heureuse encore d'en (Mre
quitte pour des pei-tes pécuniaires
et pour les rigueurs d'une séques-
tration préventive, rigueurs pous-
sées si loin pourtant que l'instruc-
teur fut nommé « le bourreau
plutôt que le juge » du prince de
Tarsia ! Cet exploit et d'autres de
même genre, quoique moins reten-
tissants, recommandèrent tellement
Vanni au couple semi-royal (nous
voulons dire le transfuge français
et rAutrichicnne) , qu'il fut cboisi
pour présider ( i79o) la « junte de
sang, » en style officiel « junte
d'État, » chargée d'enquérir et de
sévir contre tous ceux qu'on soup-
çonnait de pencher d'intelligence
ou de cœur vers la révolution ou
vers la France. Grâce aux extrava-
gances et aux énonnités du gou-
vernement, le nombre en était
grand et dans la classe moyenne et
parmi les sommités sociales. Il y
VAN
avait donc là de beaux coups à
faire. Ils étaient trois commissai-
res, on peut dire trois limiers, pour
rabattre et traquer le gibier. Le
héros de Capodimonte fut le plus
ardent, et le plus féroce, sinon le
plus rapace des trois, non pas qu'il
ait fait le Cincinnatus: il y eut, pen-
dant les 4 ans que dura ce terroris-
me, quelque chose de pis que la
cruauté, ce fut le progrès de l'hy-
pocrisie, du servilisrae et de l'es-
prit de dénonciation : la peur d'une
part, de l'autre les primes offertes
en appât à la trahison vulgaii-
saient les infamies, et on peut le
dire, 99 pour 100 de la population
de Xaples étaient espions et espion-
nés. Le reste du royaume, di quà
e di là del Faro, suivait de près ou
de loin, mais enfin suivait. Il fallut
pour mettre un terme à ces excès
et à ces hontes, l'approche des
Français. Championnet n'avait en-
core que franchi le Garigliano que
le gouvernement, à la veille d'être
expulsé par l'émeute, tardive tra-
duction de la haine générale, adres-
sait h la junte d'État et des admo-
nestations mêlées de hh\me et des
instructions nouvelles. Les deux
collègues de Vanni déclinèrent la
responsabilité de leurs actes et re-
jetèrent sur Vanni toutes les cruau-
tés gratuites et tous les abus de
pouvoir. Il essaya bien de fciirc
tète à l'orage et tenta, nous ne di-
rons pas une apologie, mais quel-
ques démarches afin de ne pas seul
payer pour tous. Mais on l'écoula
comme il écoutait les accusés : ceux
mêmes qui l'avaient positivement
mis en jeu lui refusèrent audience.
Bientôt il reçut sa destitution, puis
un ordre d'exil. Soit donc, puisque
les Français allaiententrer, (tuisque,
même toléré par eux dans Naplcs,
il n'était pas sûr de la vie en une
VAN
95
ville où tant de voix lui redeman-
daient un père, un frère, un fils,
un mari et où le stylet était encore
assez de mode. Mais Acton et
la reine ne pouvaient-ils donner
asile à leur fidèle agent à bord de
la lloltequi les emmenait en Sicile?
Il présenta une demande formelle
à cet etiét. La réponse, non moins
formelle, fut négative. Ainsi rebuté
de tout côté, jeté à la mer par tout
le monde, repoussé comme un pesti-
féré, il prit du moins sa résolution en
vi€;il enfant de l'Italie païenne, et
tout aussi mauvais chrétien après
qu'avant, aimant mieux abandon-
ner que traîner sa vie, trouvant
royal de périr de sa main, ju-
geant abject d'attendre soit un
assassin, soit le bourreau, il traça
d'une main fébrile et ferme, ce peu
de mots: « L'ingratitude d'une
cour i)erfide, l'approche d'un enne-
mi redoutable, le manque d'asile
m'ont porté à me délivrer d'une
vie qui m'est à charge. Qu'on
n'accuse personne de ce crime.
Puisse ma mort servir d'exemple
aux autres inquisiteurs et leur ap-
prendre à être sages! Sorrenle,
18 janvier 1799. » Et quelques
heures plus tard on trouvait dans
une petite maison de la patrie du
Tasse ce billet et son cadavre.
Val. P.
VAIN.NOZ (Philippine di: Si-
VM', madame de ) , poêle, meird)re
de l'Académie des Arcades de Rome
de cclh' de Goritz, en Frioul. d de
l'Acatlémic de Lyon, naquit en juil-
let 177'*) à NancN, où son père, M.
deSivry, président du i)arlemenl de
Lorraine, secrétaire jierprliu'i de l'A-
cademie de cette ville, occupait un
rang distingué par sa naissaïuv et
son savoir, et jouissait de l'eslinie
I)articulièrc du roi Stanislas.
Issue d'une famille où l'esprit et
96
VAN
les talents étaient héréditaires, ma-
dame de Vamioz montra, dès sa
plus tendre jeunesse, qu'elle était
appelée à prendre une large part
dans ce glorieux héritage. Encore
tout enfant, la ])etite Philippine
montrait une mtelligence qui devait
faire pressentir ce qu'elle serait un
jour. Ce qu'on observait d'aussi
bonne heure en elle, ce n'était pas
seulement une compréhension ra-
pide, des traits heureux, des expres-
sions originales, en un mot, l'esprit
desSivry; c'était aussi l'instinctpas-
sionné du heau et celte j)uissanle
faculté d'admirer, précurseur de
celle de produire.
François de Neufchàtcau, lisant un
jour devant elle sa traduction de l' A-
rioste, remarqua avec étonnement la
manière attentivedontl'enfant écou-
tait sa poésie, et jugea, d'après
r impression ({ue paraissaient faire
bur elle les beautés de certains pas-
sages, qu'un jour elle serait poëte.
Il le lui dit en quelques jolis vers, et
la Corinne de six ans ne tarda pas
à accomplir la piédiclion. En elïet,
des inspirations poétiques se mani-
festèrent bientôt en elle, et on la vit
composer, lorsqu'il peine encore elle
savait écrire ce que lui dictait son
imagination.
Une telle précocité tenait du pro-
dige et causait autant de surprise
(pjc d'admiration à ceux qui en
riaient témoins. Celle adniiralion
n'eut plus de bornes, lorsqu'amenée
à Paris, on \it celle nmse en bas
âge (elle a\ail à peine huit ans} .se
produire dans les brillants salons
(jue remplissaient les grands esprits
de l'époque, et y faire entendre ses
compositions. Rien de semblable n'y
avait jamais appaiu et ne s'y nion-
Iradepuis. De nombreux madrigaux
lui furent adressés, et les charman-
tes réponses qu'elle y fit ont été con-
VAN
servées connue un modèle de grâce
et d'esprit.
Tout ce qu'il y avait alors d'hom-
mes remarquables ]jar leur mérite,
et le nombre en était grand, émer-
veillés de la justesse des observa-
tions de cette petite fdle, de la viva-
cité de ses reparties et de ses bril-
lantes inspirations, s'empressèrent
autour d'elle et lui offrirent mille
témoignages de leur satisfaction.
Delille lui lit hommage de ses Jar-
dins, et Roucher de son poëme des
Mois; Marmontel, Sedaine, Palissot,
Lemierre, mesdames du Bourdic et
du Bocage, le duc de Nivernais, le
comte de Tressan,etc., se montrè-
l'cnt enthousiastes de la petite de
Sivry. La Harpe surtout fut frappé
de ce phénomène, et il inséra dans
le Mercure des vers fort remarqua-
bles qu'elle venait de lui adresser.
Il les a réimprimés dans sa Corres-
pondance russe à côté de petites
l)ièces*de vers qu'il lui avait lui-
mônie adressées ; ce qui pourrait
passer pour un acte de modestie de
la part du Quinlilien moderne, car
la comparaison n'est pa&à son avan-
tage.
Elnfinlecélèbre sculpteur Houdon,
voulant payer aussi son tribut àcette
merveille, exécuta son buste en mar-
bre, ([u'il exposa au salon trois ans
après.
S<'s succès ne furent pas moins
grands auprès d'un autre aréopage :
elle avait IVappé d'étonnement d'A-
lemberl; (.'l, chez madame Necker,
le baron de Grimm et les philoso-
phes habitués de l'hôtel d'Holbach
partagèrent cette admiration. M.
Necker poussa plus loin que les au-
tres cet enivrementgénéral: pendant
des heures entières, il se promenait
avec Philippine dans le parc de St-
Ouen, la mettait sur des sujets pro-
fods et se plaisait à voir jusqu'où
VAN
\AX
97
pouvait aller en métaphysique une
tête (le neuf ans. L'intérêt que lui
inspirait cette enfant extraordinaire
était devenu chez lui une véritable
atlection paternelle ; ce qui explique
le mot aimable de madame de Staél
lorsque, vingt ans après, à Goppet,
montrant madame de Vannoz à
Benjamin Constant : « Vous voyez.
monsieur, lui dit-elle, la seule femme
dont j'aie jamais été jalouse. »
Enfin, la petite Lorraine était de-
venue l'idole du jour. Sa réputation
parvint à la Cour ; on en parla en
termes si élogieux devant la Reine,
que celle-ci témoigna le désir de la
connaître et demanda qu'elle lui fût
présentée. Mais l'éclat de cette dis-
tinction ayant donné lieu à une es-
pèce d'intrigue, M. et madame de
Sivry déclinèrent l'honneur de cette
présentation et ramenèrent leur fille
ù Nancy.
De retour dans sa ville natale, la
jeune de Sivry n'y trouva pas cet
engouement dont elle avait été l'ob-
jet à Paris et à Versailles, La ])ro-
vince, et surtout la province où vous
avez reçu le jour, est généralement
moins portée que la c<ipitale, quel
que soit votre mérite, à en admettre
la sui)ériorité et à le combler d'élo-
ges; on l'a dit il y a longtemps :
« Nul nest prophète en son pays. »
La réalité de ce talent poétique si
vanté trouva des incrédules : et,
chez madame la duchesse de Bran-
cas, ùFleviile, des femmes énoncè-
rent des doutes l\ ce sujet. Il fallut
qu'une épreuve soudaine, faite
en présence de quchiues hommes
(le mérite, au nombn^ descjuels se
trouvait Ccrutti, vengeât la jeune
accusée du soupçon de charlata-
nisme. La suite démontia à quel
jtoint la ré])utation ( olossale de ce
talent si précoce était méritée.
A mesure que mademoiselle ilc
LXXXV
Sivry avançait en âge, l'amour de
l'étude se développait de plus en
plus en elle^, elle embrassait tout, et
tout avec succès. A la connaissance
des langues vivantes, assez rare à
l'époque dont nous parlons, elle vou-
lut joindre celle du grec, que fit naî-
tre son amour pour Homère ; et,
comme on n'avait alors que des dic-
tionnaires avec interprétation latine,
elle ne put se dispenser d'apprendre
la latin. Mais il n'y avait pas là de
quoi l'effrayer : elle se souvint d'ail-
leurs que La Harpe l'avait exific
d'elle.
Ces études sérieuses n'excluaient
pas chez elle le goût des arts : la
musique et la danse occupaient ses
loisirs; et tandis que les sciences
historiques et naturelles venaient
meubler, sans confusion, sa prodi-
gieuse mémoire, déjà des romans
épistolaires, des épîtres en vers, des
pastorales, voire môme des pièces de
théâtre multii)iiaient les preuves de
sa féconde imagination. Encore ado-
lescente, elle reparut à Paris ; et une
comédie en vers qu'elle lut dans une
réunion d'auteurs, lui valut d' una-
nimes applaudissements. Un drame
1\ riijue. Cahjiiso, lui ouvrit à ([uinze
ans les portes de l'Académie des Ar-
cades.
« Ce que j'avais de remarquable
« alors, dit quelque part madame
Hycle N'annoz, c'était la faculté de
(f me juger. Toutes les louanges
({ dont me comblait une politesse
V exagérée, ne m'enqKVhaienI ])as
'< de mesurer la distance qui mesc-
« parait des modèles. Seulement
(' mes espérances ne connaissaient
« pas de bornes: j'avais l'idée d'un
« perfectionnement infini. Modeste,
« (piant au présent, j'étais orgueil-
a leuseen avenir, croyant voir dan.
<< la vie assez de temps et de force
« pour tout api>rendrc; cl c'est là
98
VAN
« une des illusions que j'ai le plus
« regrettées. »
Ilélas! tôt ou tard les réalités de
l'evislencc auraient détrompé ma-
demoiselle de Siviy et terni devant
ses yeux ce prisme séduisant! Nos
orages poliliqucs le brisèi'cnt.
En un moment tout avait changé :
le spectacle de la persécuiion des
gens de bien, la dispersion des amis
de sa famille, les peines de l'exil,
la mort d'une sœur et d'un père
qu'elle adorait furent le douloureux
complément de son instruction posi-
tive. Atteinte d'un cruel désenchan-
tement, elle ne put de longtemps re-
trouver l'inspiration littéraire. La
seule étude qui lui convînt encore
était celle des mathématiques, dont
les difficultés absorbaient sa pensée
et l'aidaient à s'étourdir. Enlin, jikis
calme et de retour aux foyers domes-
tiques, l'exemple et les incitations
d'ilofTnian , que Nancy possédait
alors, la ramenèrent peu à ])eu à sa
première inclination et bientôt h Pa-
ris, où sa mère lui fit faire un nou-
veau voyage, elle retrouva la vie in-
tellectuelle dans lesencouragements
de Marmontel, dans les conseils de
Clément l'Aristariiue et dans la
fré(iuentalion de deux hommes ver-
tueux, dignes de la comprendre,
Camille Jordan et de Gerando. Ainsi
runimée par l<! feu des beaux-arts
et de l'amilic, la jeune muse reprit
donc sa lyre et commença, sous les
bosquets de Hémicourt, des chants
fortement médites; mais l'âge était
venu où des devoirs d'une autre
nature devaient réclamer son temps
et SCS stjins; mariée, en 1802, à
M. deVannoz et devenue mère un
an après, les occupations d'un mé-
nage et bientôt l'éducation de ses
enfants, à laquelle elle s'adonna,
l'empêchèrent d'apporter à ser, tra-
vaux littéraires cette parfaite li-
VAN
berté d'âme et de pensée, celle
plénitude de verve qui en sont ie
premier besoin. Toutefois, mal-
gré ces diverses occupations. Ou-
tre des élégies et des poésies fu-
gitives en assez grand nombre,
deux ouvrages marquants sortirent
de sa plume. Elle voulait les sous-
traire à la publicité; mais, grâce à
de vives instances qui réussirent à
vaincre sa répugnaiice, ces œuvres
virent le jour et justifièrent les no-
bles espérances qu'avaient fait naî-
tre les débuts de cette femme ex-
traordinaire. Eloquente et sublime
dans la première de ces deux com-
positions, gracieuse et fine dans la
seconde, par l'une elle fait devi-
ner son cœur, et par l'autre son
esprit; on voit que nous voulons
parler de la Profanation des tom-
beaux de Saint- Denis, poëme élé-
giaque qui, lors de sa publication
(1806), excita Fadmiralion générale
et l'emporta de beaucoup sur les
divers morceaux essayés sur le
même sujet, et de la Conversation,
Cfjde facile et judicieux dont les
quatre chants, sous le litre modeste
d'éiûlres, composent un véritable
poëme qui n'a rien de commun,
sous le rap[)ort de la forme, avec
celui de Delille. Le hasard avait
déjà fait , plusieurs années au-
paravant, que madame de Van-
noz se rencontrât avec l'abbé De-
lille dans une même entreprise,
(celle de traduire en vers français
le Paradis yerdu); mais dès qu'elle
eut connaissance de ce concours
imprévu, elle renonça sans hésilei"
à un travail dont bien d'autres à
sa place n'eussent pas fait ainsi
l'abandon. Outre les deux ouvrages
dont nous venons de parler, ma-
dame de Vaiuioz publia diverses
poésies fugitives contenues dans un
seul volume in-8", et au nombre
VAX
VAN
99
desquelles figure une élégie remai-
ble sur le 21 janvier. La Biographie
universelle contient d'elle plusieurs
articles intéressants sur les femmes
célèbres, entre autres mademoiselle
Aïssé, madame du Bocage, mada-
me de Caylus, madame de Grafi-
gny, Héloïse, etc. Les dernières
années de la vie de celte femme,
bien digne elle-même du titre de
célèbre, furent empoisonnées j)ar
toutes sortes de raallieurs. En
1838, au moment où elle venait de
perdre son fils unique, objet de son
adoration, une des plus cruelles
infirmités de lespèce humaine vint
l'atteindre : elle perdit la vue; ce
qui lui faisait dire si poétiquement
qu'elle était assise dans les ténè-
bres sur un tond)eau. 11 lui restait
cependant pour consolation dans
son malheur l'aOéction duti niari,
d'une fille et d'un frère, qui entou-
raient sa vieillesse des soins les
plus louchants, lorsqu'une mort
inopinée vint lui enlever le compa-
gnon fidèle de son existence. Elle
survécut peu à cette nouvelle cala-
strophe, et ISoi la vit s'éteindre
sous ces ombrages de Rémiconrt
dont elle avait autrefois chanté les
charmes et la fraîcheur. G.
VA>'>UC(:ilî :Antoink-Mahie},
né à Florence, le 2 février 1724,
étudia dans cette ville les belles
lettres et la langue grcc»|ue, sous
le célèhre abbé Lami. Il s appliqua
ensuite à la philoso|)hie, aux ma-
thématiques, à la théologie, à la
juris[»rudence, et se perfectionna
dans ces diverses sciences, «^ Pise,
sous les m<'illeurs maîtres. — La
médiocrité de sa fortune l'obligtM
de prendre, à Saint-Miniate, une
chaire dt; belles-lettres cl de îdiilo-
sophie. Il s'ac(piittaavec distinction
de son professorat. De retour dans
sa ville natale, il s'adonna plus
spécialement à la jurisprudence,
mérita par ses écrits l'estime des
premiers savants de son époque et
fut nommé membre de l'Académie.
Appelé, en 1750, par l'université de
Pise pour y remplir une chaire de
législation, Vannucchi occupa cette
place jusqu'à sa mort, arrivée le 12
février 1792, et fut généralement
regretté pour ses talents et ses ver-
tus. Il a laissé, en langue italienne,
quel(]ues poésies et un ouvrage sur
la jurisprudence. M.-G.-R.
VAN STDDîER (Tobie}, pein-
tre et graveur en bois, naquit à
Strasbourg vers l'an 15o0, et y ap-
prit les principes de la peinture.
Dénué de fortune, il se vit contraint,
pour échaper au besoin, de passer
les plus belles années de sa vie à
peindre à fresque les farades d'un
grand nombre de maisons, tant h
Strasbourg qu'à Francforct et dans
les environs de ces deux villes. Il se
[)laisait à les décorer de sujets sa-
crés ou profanes. Le talent qu'il
manifesta dans ces divers ouvrages
ne pouvait manquer de le faire
connaître. Le margrave de Bade
ayant vu (luelques-uns de ses por-
traits eu fut si frajtpé (pi'il appela
Stimmer auprès de lui et le char-
gea de peindre à l'huile elde gran-
deur naturelle les portraits des mar-
graves ses ancêtres. Stimmer s'ac-
«uitla de cetlt^ grande etilrrprise
avec beauc'jup de suf-c'^s. il revint
onsuiteà Strasbourg, où il s'occupa
à dessiner une foule de sujets dif-
férents sur des planches de bois
préparées pour être taillées par son
frère. Outre une Amionrinlion in-
folio et san.s manpie, (pi'il a gra-
vée, on lui doit une liihle puhliée
àHAle. en l.'isC), par Thomas (iurin,
sous le litre suiNant : Snriv Tohiw
Stimmer .%(trrorum Itibliorum finmue,
versibus latiuis cl ijermanicis cxposi-
100
VAN
VAM
/«'. CeUc Bible, qui est le principal
ouvrage des deux frères Stiiiimcr, a
servi d'étude aux plus grands pein-
tres. Rubens, qui l'avait étudiée
lorsqu'il commença à se livrer au
dessin, en faisait un cas extrême
et la regardait coninie une excel-
lente école pour les jeunes élèves,
et comme un trésor pour l'art. —
Jean-Chuistophe Van StimmiîIU,
frère et élève du précédent, naquit à
Schafliouse en 15o2. Fort jeune en-
core, il alla rejoindre son frère à
Strasbourg et se livra sous sa con-
duite à la gravure en bois. La plu-
partde ses pièces sont de la compo-
sition de Tobie. U a excellé dans ce
genre ; ses planches sont rendues
avec des tailles larges et hardies,
qui n'excluent cependant jamais le
moelleux, manière qui lui a mérite
l'approbation des connaisseurs. A-
j)rès la mort de son frère, il vint à
Paris, où il fut connu sous le nom
du Suisse. Ses principaux ouvrages,
la plupart d'après les dessins de
Tobie, sont : i"\e Nouveau Testa-
ment avec l'Apocalypse, imprimé à
Strasbourg en 11388, in-4"; 2' Re-
cueil de ])lusicurs savants et théolo-
fjiens allemands, Strasbourg, Ber-
nard .I(jbio, 1;)87; 3" Icônes affabrœ,
Strasbourg, B. Jobio, loîii, in-i";
4" Portrait historié, vu juscpi'aux
genoux et gravé en bois, de La/are
Schewende. Cette estampe, du for-
mat grand in-folio, est la pièce ca-
pitale de Stimmer. Il laissa un lils
qui, vers 1601, grava en bois plu-
sieurs morceaux d'après les dessins
de P'ranrois (>hau>oaux. Z.
VANSTOOl» (DlHCK-ÏIll-ODORE),
])einlre et graveur à l'eau-forle, na-
quilen Hollande, vcrsl'an 1010. On a
peu de détails sur la vie de cet ar-
tiste ; on sait seulement ((u'il se fit
une réputation brillante comme
peintre d^ bataill'.-, et que ses ta-
bleaux étaientexlrêmementreclKîr-
cliés. Comme graveur, on a de lui
douze morceaux à l'eau-forle, d'a-
près ses propres compositions, dans
lesquelles on admire une exécution
facile et précise et un effet très-
pittoresque. C'est une suite de dou-
ze pièces numérotées, dont les bon-
nes épreuves sont avant les numé-
ros, et qui représentent des cav;i-
liei's et des chevaux gravés sur des
fonds de paysage. Ce recueil, de
format petit in-folio, a été exécuté
])ar Stoopen lOoJ . — RoDiuauiiVAN
Stoop, peintre et graveur à l'eau-
forte , na(piit en Hollande vers
l'an 1612. Il prisse généralement
pour être le frère de Théodore.
Comme ce dernier, il montra un
talent réel comme peintre de ba-
tailles, et peignit en outre avec une
égale supériorité la marine et le
paysage. Jeune encore, il passa en
Portugal et s'y établit. L'infante Ca-
therine, qui avait apprécié son mé-
rite, l'emmena à sa suite lorsqu'elle
se rendit en Angleterre, après son
mariage avec Charles IL 11 s'élabit
à Londres. Il culliva la gravure à
Teau-forte et exécuta plusieurs es-
tampes recherchées , d'après ses
])ropres compositions et celles de
Burlow. Elles sont en général e.\é-
cutées avec beaucoup d'esprit cl
dans le style des peintres. Lespiiii-
cijjales sont : 1" une suite de huit
feuilles, rejirésentant diverses vues
de la ville de Lisbonne, dédiée à la
reineCalherine d'Angietene ; 2"une
suite de huit feuilles, représentant
la Procession de la vine Catherine,
de Portsmoulh n Uamptoncourt, 111-4",
avec la date de 1002. Dans l'édition
des Fables d'Esope, par Gilby ,
publiée à Londies, en 1078, parmi
les jdanche.sdcliollar, on en trouve
quelques-unes de Van Stoop, ({ui
se font remar(juer par une exécu-
VA\
VAN
101
tion facile et savanlo. Cet arlisle
iiiourat H Londres vers l'an 168G.
Z.
VAN SUYDERIIOEF (Jonas),
ue.-sinatei'.i" et graveur, naquit à
Leyde vers l'an 1600, et fut élève
de Pierre Soutman, qu'il ne tarda
pas à surpasser. 11 s'attacha moins,
dans l'exécution de ses gravures, à
un arrangement régulier des tailles,
à la délicatesse des tons et au fini
du travail, qu'à leur faire produire
des effets })ittoresques et piquants.
Il a gravé un nombre considérable
de portraits, d'après Rubens, Van
Dick, Rembrandt, liais et divers
autres maîtres. On estime surtout
ceux qu'il a faits d'après Hais. Avant
de les terminer au burin, il commen-
çait ordinairement par les avancer
beaucoup à l'eau-forte; il a réussi
dans ce genre de manière à compter
peu de rivaux. Son œuvre se compose
déplus de cent pièces, t<int portraits
que pièces historiques. Parmi les
premiers, on distingue particuliè-
i'^*ment ceux de Charles I", roi
d'Angleterre, et d' Henriette-Marie
de France, sa femme, d'a[irès Vau
Dick; celui d(; Dcsrartes, d'a[irès
liais, etc. Ses pièces historiques
les plus admirées sont : 1° Id Ciiute
desr('i)roiivés, d'iiprèsRuljens; 2' la
Cl( :!ise aux lions et aux lUjres, d'a-
près le même maître. Cette pièce
est très-belle, et il est fort rare d'eu
trouver de bonnes épreuves; 3" Vue
d'une contrée sauvatje, où Von voit
des satyres jouant avec des tigres,
d'après P. de Laar; les bonnes
épreuves sont d'une '.rrande force;
A" Trois j)aysans assis, dont l'nn
jonc du violon, d'a[»rès Van Osladc;
b(*lle pièce connue sous le nom de
.Jean de MolV; o" hi Congrès de
Munster; cette admirable pièce, que
i"ou peut regarder comm»? U\ chcf-
d'u'uvrede Suyderhoef, a été gra-
vée d'après le tableau de Terburg,
dans lequel le peintre a introduit
les portraits des soixante plénipo-
tentiaires assemblés pour la conclu-
sion de cette paix. Ce tableau pré-
cieux fait partie de la collection de
Madame, duchesse de Berri.
VAN SWANENÎÎURCH (Guil-
laume), graveur au burin, naquit à
Leyde en lo81, et fut élève de Jean
Suenredam. Peu de graveurs àl'eau-
forte ont poussé aussi loin que lui
la beauté et la perfection du trait, et
Abraham Bosse, dans son traité de
la gravure, le présente aux artistes
comme le meilleur modèle qu'ils
puissent suivre dans cette partie d(3
l'art. Si son dessin était moins
maniéré, si les extrémités de ses fi-
gures étaient renduesd'une manière
plus fine et plus précise, il aurait
peu de rivaux dans la gravure.
Personne plus que lui n'a seml.dé
avoir l'outil à sa disposiliou. Il a
gravé également le portrait et l'his-
toire. Parmi les portraits les plus
remarqual)les, sont : I. Al>raliam
Bloemart, peintre, dans une bor-
dure historiée. II. Dnniel Ilcinsius.
m. Maurice, princed'Orange'Xassau,
debout, avec des lointains sur trois
difréronls plans. IV. Frtiest-Casimir,
comte de Nassau, d'après ]\Iorclseii.
Parmi ses pièces historiques on dis-
tingue siu'Iout'.I. Ésail vendant son
droit d'ainesbc et la Ilésurrection de
Jésus-Christ , d'après Morelsen. II.
l ne féU' rustique de la vendange àl en-
tn'e d'un village, d'api-ès W'enken-
booms; très-grand in-f" en travers,
ni. Lotit enivré par ses plies et Jésus-
Ciirist à table avec les pèlerins d' Em-
j//rt/7s, d'après Rul-ens. iV. Letrônede
ta Justice, avec ce 'itro : Thronusjus-
tiliœ, hoc estoptimusjustitiœ tract i-
tus electissimis quihusgur exemplis
jndiciariis acri incisis itlustratus
Joach. Vgtenn'aetp sculpsit. (i. Sica-
102
VAN
VA^
ncnburch, ifiOo-lGOG. C'est une suite
(le ^i feuilles y compris le titre,
commentant par J.-C. portant sa
croix et tinissant pai' le Juirenient
dernier. Swanénburch floiiisait en
Hollande dans les premières années
du XYii*" siècle.
VANTEMPEL (Adraham), ])ein-
tre, né à Leyde en 1618, fut clève
de Georges van Schooten et se fit
une réputation brillante par ses
portraits et ses tableaux d'histoire.
Il suivit d'abord la manière de
son maître; mais Télude de la na-
ture lui en enseigna bientôt une })Ius
vraie et jjIus parfaite, et ses ouvra-
ges furent recherchés de toute part
avec empressement par ses compa-
triotes. C'est à Leyde en effet que
se trouvent la plupart de ses pro-
ductions. On vante comme un
chef-d'œuvre en son genre le por-
trait d'un homme et de sa femme
que l'on voit dans le cabinet d'un
des amateurs de cette ville. La ma-
nière dont il traite les chairs et
les ctollfs offre une peih.'C'ion
extrêmement rare. On ne fait pas
moins de cas d'un petit tableau al-
légorique qu'il a peint dans une
des salles de la halle aux draps de
Leyde, on ne peut rien voir d'un
pinceau plus beau et plus délicat.
Dans la maison des orphelins de la
même ville, il a représenté dans
un grand tableau le porliail de tous
les administrateurs en charge, et,
au sentiment des connaisseurs, la
resseiublance en est le moindre
mérite. Le goût du dessin de ce
peintre est très-bon, son coloris est
plein de force et de vérité, sa tou-
che large quoique délicate ; ses
compositions sont bien entendues et
les poses de sus portraits bien choi-
sies et pleines de naturel. 11 eut uji
grand nombre d'élèves parnu' les-
uels il suffit de nommer Michel
Van Wusscher, Charles de Moor,
Ary de Voys el surloiit Fraui^ois
Mieris. Van der Tempel mourut <^
Amsterdam en 1672.
VAN YSEGHE?^' (Andronic) ,
capitaine hollandais au long cours,
lié vers la fin du siècle dernier,
fréquentait les parages des deux
grandes iners orientales et passait
pour un des marins les plus expé-
rimentés qui fissentfiler six nœuds
à l'heure des îles Mascareignes à
l'Australie. Il faisait pour ses com-
me! tan ts et pour lui la traite des
noix de girofle, muscade, poivre et
autres denrées tant de l'Inde que de
la Chine. Courant partout, c'est lui
qui transmit, (\\\\ même éventa (en
septembre 1838) les premières nou-
velles du meurtre du capitaine
Wilkins, ce commandant du na-
vire américain YEcUpse, qu'avaient
assassiné les naturels de Muokie,
sur la cote nord-ouest de Sumatra.
« Ami VanYseghen, se dit-il alors ,
voilà pourtant comment U\ pourrais
être avant un an? » En e.'Tel, moins
d'un an après (en avril 1839), il
mouillait, avec son navire VArflaé,
sur la côle d'Origas, où plus d'une
fois il était venu chercher du poivre.
Une forle fièvre le fatiguait depuis
longtemps et même le clouait au
lit, pendant que je subrécargue
passait le marché. Mais ce n'est
pas au lit et ce n'est pas de mala-
die qu'il devait périr. Recueillant
ses forces, afin de terminer la
transaclion, il descendit à terre,
suivi de trois matelots,. dont deux
blancs. Il ne s'agissait que de
|)rendre livraison. Une altercation
s'éleva entre un des chefs et lui,
Andronic avait le verbe haut et le
ton brusque; les iMalais ont la
main leste. Irascible tous les jours
et impatienté ce jour-là des retards
orrasionnés par sa longue maladie,
VAN
Ton ne peut donc s'étonner que
l'un, au lieu de déployer le flegme
lioilandais, se soit emporté à la
première contradiction; et il est
tout simple que l'autre, en homme
dont la patience est le moindre
défaut, eût lait avec son kriss iiu
geste menaçant sur la tète de
l'élranger. « Frappe, si tu l'oses, »
s'écria l'élranger. L'insulaire ne se
le fit pas dire deux lois : seulement
il sauta d'un bond derrière Van
Vseghen et lui plongea dans les
reins l'arme empoisonnée... On
sait que ce mode de perfectionne-
ment est usuel dans la terre classi-
que do rOupas-Anliar. Le capi-
taine tomba pour ne plus se relever;
les deux matelots blancs furent
pris et garrottés; le soir seulement
le radjà leur fit rendre la liberté.
Instruits dos faits par eux, les offi-
ciers de ÏAglfiè vinrent le lende-
main, accompagnés de presque
tout l'équipage bien armé, recueil-
lir la dépouille mortelle de leur
infortuné chef, auquel furent im-
médiatement rendus sur ])lace les
dernit'rs devoirs. Les Malais ne
bougèrent pas, ne se montrèrent
mémo pas pendatit la cérémonie
funèbre , .^auf un seul (pii vint
criant : « Je suis l'ami de Van
Ysegben ! « et qui en elTet, secrétaire
d'un râdjii voisin, avait été dépêché
pour indiquer au capitaine un autre
mouillage , et le prévenir d'un
complot fosraé par les gens du pa.vs
pour s'emparer de son navire eu
égorgeant tout son monde : l'as-
sassin en frappant trop tôt avait
donné l'éveil et fait manquer le
pian ourdi à loisir. L'émotion fut
grande h Saint-Denis lorsque l'on
y sut et ces événements et les
circonstances qui les cfimmon-
laienl plus qu'eloquemmenl ; et le
gouverneur envoya sur-le-champ
VAR
10.3
la frégate la Dordogne pour venger
la victime et faire mettre à mort le
meurtrier par ses compatriotes eux-
mêmes. Le programme ne fut pas
tout à fait accompli, le coupable
s'était sauvé; mais les indigènes
eurent peur, et tous les chefs jurè-
rent qu'il serait poursuivi sans
relâche et qu'une fois pris, il serait
livré au premier navire qui le ré-
clamerait : ainsi, du moins, l'atteste
le journal d'un bâtiment marchand
de Marseille, qui ayant relâché sur
la même côte trois semaines après
la démonstration du gouverneur de
Saint-Denis, avait reçu l'accueille
plus empressé, le plus cordial et, à
sa grande surprise, le plus sin-
cère. Z.
VAÎlArVNES(VALEUANDE^, Va-
laraudiis, Vnramis ou de Vavanis,
poète latin, florissait au commen-
cement du seizième siècle. Il était
né à Abbeviile, et s'était fait rece-
voir docteur en théologie à la
faculté de Paris. Il habitait proba-
blement cette ville et, probablement
aussi il était dans les ordres. Les
dictionnaires historiques que nous
connaissons ne donnent aucuns
renseignements sur sa vie. Le
Moreri de l'-'JO se contente de le
nommer et de citer un de ses ou-
vrages. Il en a composé plusieurs,
qui tous respirent la pieté et un
véritable patriotisme. Ils prouvent
(fTie l'auteur était non-seulement
un bon chrétien, mais encore un
très-bon Français. Indépendanmient
de leur mérite littéraire, ces ])0é-
mes, aujourd'hui fort rares, ollVenl
encore un certain intérêt historiiiue.
Fn voici les titres d'après la dern.
édit. du Manuel du //7'rrt//v, auquel
on pourra recourir ])Our les détails
que ne comporto point le cadre de
cette biographie : l. De Foriioiirnsi
coulUclu, cormen. De domo Dei yn-
10^1
VAR
riaieusi, carmen. De pid sacenime
cntcis veneratione, carmen. De piue-
dnrû et insigni theologorum pari-
s'iensi facultate, carmen. Paris ,
.Jacques Moerart, sans date, in-l".
Le premier de ces ([iiatre petits
poèmes est dédié à François de
Melun, prévôt de Saint-Omer, par
une épître datée de !o01, ce qui
fixe à peu près l'époque de Ja pu-
])lication du volume. IL Decertufio
pdei et hœresis , carmen, Paris ,
Robert Gourmont , loOl , in-i°.
Dans ce poëme, en vers élégia-
ques, dédié aussi au prévôt de
Saint-Omer, de Varannes a fait, dit
>L Brunet, un magnifique éloge de
Paris, et il a placé à la suite de
l'ouvrage une apologie de la même
ville, égalenîcnt en vers élégiaquc;.
IIL Carmen de expugnalione Ge-
nuensi (per Lndovicum XII). Cum
mnllis ad fjaUicam hhloriam perli-
neniibus. i'aris.XicolasDupré, i.'iOT,
in-i". Deux lettres de l'auteur pré-
ciVlent le poëme {\). IV. De {je^tifi
Johannc virginis France egregie (sic)
bellatricis et Anglorum expullricis ,
libri quatuor. Paris , Jean de la
Porte, sans dale, in-i". En tète de
ces quatre chants se lisent encore
(I) L'une (h- ces lettres est adressée
à (ieoffres d'Ainboise, archevêque de
iJoiieii, a qui il ilétlic son pocnie. « Il
(I t en avoir puisé les éléments histori-
ques dyns un manuscrit du procès de
.îe.'iime d'Arc, conservé a la hi!;li(>tii(-
que de l'abbaye de Saint-Victor, mais il
ajoute que plusieurs de ses conlenipo-
rains lui avaient communiqué aussi des
(lélails précieux sur l'ht-roine : « Sune
et m hanc usque diem siiperslUes plu.s-
ruli qui virgiiieui vidcruiit inlcrsunt
rivos a'ieiilcm. » Ces témoins oculaires
devaient avoir près de cent ans. Voy,
le n» 4j9 du curieux CaUiloduo d'une
précteufie coUcrtion de livres^ prove-
nant du cabinelr de M. Ch. B... de V.
(Buvignier de Verdun.) Paris, J. Tech-
ner, 18i9, in-8».
VAR
deux lettres de de Varannes, datées
de novembre 1316. Ce poëme a
été réimprimé tout entier dans un
recueil d'ouvrages sur les femmes
illustres , publié en 1521 , par
liavisius Textor. (Voy. ce nom ,
XXXVII, lo3.) Jean Hordal a
inséré plusieurs morceaux du môme
poëme dans la compilation latine
en forme d'histoire que ce juris-
consulte mussipontain , descendant
d'un des frères de Jeanne d'Arc, a
consacrée à la vierge de Domremy.
Hordal rapporte aussi la jolie pièce,
en quarante-cinq vers hendéca-
syllabes , que Salmon Macrin
adressa à de Varannes pour le
félicilor d'avoir entrepris de réha-
biliter la mémoire de cette jeune et
malheureuse héroïne. B-l-u.
VAilANGE (Le baron de), né en
1792, mort le 24 avril 1852, avant
d'avoir atteint sa soixantième an-
née, joignait à la naissance et à la
fortune, non-seulement toutes les
({ualilés aimables, mais le goût et
jusqu'à certain point le culte prati-
que des lettres et des arts. Il était
membre de la Société des sciences
historiques et natui elles de l' Vonne.
Amateur et connaisseur distingué,
il avait réimi par l'habileté de ses
recherches non moins que par la
largeur avec laquelle il rémuîiérait
et l(\s travaux des artistes et les
trouvailles de ceux qu'il employait,
une colleclion de tableaux remar-
(juable, nolanmiciit ])ar ce qu'elle
contenait (réchantillons des écoles
italienne et hollandaise. Il avait
résolu d'en faim hommage, dil-on,
de son vivant même à la ville
dAuxerre; et déjà le représentant
de cr'ltc ville à la chambre avait
aimoMcé à l'édilité, par une lettre
spéciale et positive, l'envoi prochain
de cette belle galerie, quand le do-
nateur fut soudainement attaqué
VAR
d'une inflammationd'entrailles. Peu
de jours suffirent pour le mettre à
l'extrémité. Les Auxerrois, par cette
brusque mort d'un honorable com-
patriote, se virent frustrés d'un don
que tout commissaire-priseur au-
rait évalué à trente mille francs et
dont la valeur artistique était supé-
rieure de beaucoup. Val. P.
VARAiXGE (Fklix de}, neveu
du précédent, du maréchal duc
de Valmy et de l'amiral do Mac-
kau , et fils du receveur géné-
ral de la Marne, n'avait, en dépit
«le sa naissance, de la richesse
au milieu de laquelle il avait été
élevé et de la perspective d'un
avancement aussi facile que brillant
dans la carrière qu'il lui plairait de
choisir, aucune propension àdevenir
un des coryphées de la jeunesse do-
rée. Un caractère au-dessus de son
âge, sans être allier ou morose, un
espritsérieux, deslectures immenses,
que, toutes, il faisait la plume à la
main, extrayant et annotant, et des
convictions assez énergiques pour
sembler inébianlablcs à quiconque
connaissait cette àn»e d'acier, fai-
saient augurer aux uns un homme
de mer ou un diplomate distingué;
à d'autres, ]»lus près du vrai peut-
être, une des futures lumières de
l'Église, quand un accident, iin}»révu
s'il en fut, le ravit à ses parents et
k ses amis, le 30 juillet 1843, avant
qu'il eût accompli sa vingtième
année. Ayant voulu mener baigner
un chien de Terre-Neuve que ve-
nait de lui doimer l'amiral son
oncle, l'envie lui prit de se mettre
à l'eau lui-même; une crampesans
doute survint , il se noya, malgré
les ellbrts désespérés que nudliplia
son compagnon pour l'arracher au
péril, (juand son corps eut été tiré
de l'étang, on aperçut son bras tout
déchiré des coups de dents du filêle
VAR
105
animal , qui vainement avait fait
l'impossible afin de sauver son jeune
maître. Cette fin si peu prévue el
si tragique impressionna doulou-
reusement les hautes régions de la
société parisienne , d'autant plus
que, par une triste coïncidence,
presque au môme instant se succé-
daient les trépas également pré-
maturés , également inattendus
du fils de l'avocat général Laplagne-
Barris, et de la fille de M. Odilon
Barrot. Val. P.
VARCOLLIER (Oscar), jeune
peintre parisien, naquit en 1820.
Bien que la position administrative
fort avantageuse dont jouissait son
père h la préfecture de la Seine (il
était chef de division au secrétariat)
jmt être et eût été pour bien d'au-
tres une incitation à la carrière
des emplois, rien ne ])hI triompher
de la vocation artistique d'Oscar.
Enfant, la plume à la main, il cro-
quait déjà les maisons, les petits
paysages et ses maîtres ; adolescent,
il n'eut de repos que lorsqu'à l'é-
tude du latin et du grec, de l'his-
toire et de la philoso])hie, il lui fui
permis de joindre la pratique du
dessin. A peine ses classes finies,
il déclara ([u'il voulait être artiste;
v.l aveo^l'agrément de son père il
entra dans l'atelier de Paul Dela-
roche. Ses rapides progrès lui
conquirent bientôt l'estime dumai-
tre"" et celle de ses condisciples,
el le labeur opiniâtre venant se-
conder ses heureuses aptitudes,
ses dispositions brillantes, tout lui
présageait un glorieux axenir.
Malheureusemeni la vigueur phy-
sique n'allait |»as chez lui de paii-
avec l'ardeur de l'àme. Ainsi (pi'il
arrive souvent pour les intelligences
les mieux douées , la lame usa le
fourreau longtemps avant l'Age, et
une bruscjue mort vint l'arracher à
106
VAR
sa famille et à ses amis au com-
moiiceiiieiU de mars 1840. Il venait
de terminer un tableau qu'avait
comblé d'éloges non-seulement son
maître, mais le patriarche de l'art,
l'austère Ingres, qu'on sait ne pas
avoir été des j)lus prodigues en fait
d'encens. Ce tableau fui admis par
le jury d'exposition de celte même
année d84(> aux honneurs du Salon,
et les sulirages du public , en s'a-
joutant à ceux des deux illustres
maîtres et des juges, ajoutèrent,
en même temps qu'ils leur aj)por-
tèrent une consolation, aux amers
et justes regrets de ses parents.
Val. p.
VARÉ ( Louis- Prix ) , un des
officiers généraux les plus prisés
de l'armée impériale aux premiers
jours de l'Empire, était de Versail-
les et comptait de 23 à 24 ans
lorsque la Révolution éclata. Bien
qu'il eût reçu quelque éducation,
il n'avait encore alors que les ga-
lons de sergent, et il lui aurait
fallu sans doute ambitionner long-
temps en vain l'épiiulette, si l'émi-
gration et ce ([ui suivit l'émigration,
le concert des puissances contre
nous, et la double invasion, autri-
clnenne en Flandre, prussieime en
Lorraine et en Champagne , n'a-
vaient changé tout cela. Varé fit
toutes les campagnes de la Répu-
blique sans interruption, moiil;i de
grade en grade jusqu'au comman-
dement de la î)4^ demi-brigade de
ligne, et j)artout dé[)loya non moins
de sang-froid que de vaillance, non
moins d'intelligence que de sang-
froid. On le rfimarcpia notamment
lors de la descente des Anglo-Russes
sur les cotes de la Hollande septen-
trionale, où son intrépide et habile
concours aida puissamment h l'ex-
pulsion de l'ennemi, mais d'où il
revint blessé. Sa promotion au rang
VAR
de général de brigade et la croix
de commandeur de la Légion
d'honneur furent la récompense
de son dévouement. L'avenir cor-
taincmcntlui réservait les premiers
grades, les premières dignités de
l'armée , s'il n'eût en quelque
sorte porté défi au sort par son
audace à la bataille d'Eylau. Il s'y
couvrit de gloire, mais les projectiles
prussiens et russes le couvrirent
de blessures; il fallut le rapporter
du champ do bataille et on l'évacua
sur Thorn , où , malgré les soins
qui lui furent prodigués, il expira
le 14 mars 1807. Né le 19 janvier
1760, il comptait quarante et un
ans à peine. Val. P.
VAREÏLLES (le comie niî), une
des victimes de l'émeute pendant
la période orageuse du règne de
Louis-Philippe, et celle dont la mort
fiappa le plus le public , parce
^qu'elle était prématurée et quei)lus
qu'à toute autre elle arrachait la
perspective d'une vie pros])ère. Et
par sa fortune et par sa naissance,
le jeune comte appartenait à la
classe des heureux. Né en 1811 , il
était en 1834, c'est-à-dire à vingt-
trois ans , auditeur au conseil
d'ï^^lat, officiel' d'état-major de la
garde natioiude, chevalier de la
Légion d'honneur et bien en cour
près de son ministre, le ministre
de rinlérieiu*...,ti-opbienpeul-ôlre,
car s'il eût été moins dans son in-
timité, il ne se serait sans doute
j)as trouvé dans la nuit du Li au
14 avril à coté du haut fonclion-
naire, au milieu et au plus fort de
la lulle. Ou allait enlever une
bari'icade opiniâirément défendue,
quand un coup de feu, destiné
jieut-ètre au ministre , atleignit
le jeune homme aux environs du
sternum. Bien que la blessure fût
grave , on conserva longlemps
VAR
VAR
107
néanmoins l'espoir de sauver le
blessé. Mais finalenienl, après de
six à sept semaines de souffrances
aiguës, on dut cesser de s'aban-
donner aux illusions : une infdtra-
lion avait eu lieu dans les pou-
mons; le jeune comte de Vareilles
fut ravi ù ses parents, à ses amis
le 6 juin. Mort ainsi martyr de la
cause do l'ordre, après avoir été
fraj)pé au champ d'honneur, si ce
mot peut s'employer quand il est
question de guerres civiles, le comte
avait rallié bien des sympalhies ;
un nombieux concours se pressait
à ses obsèques; la ville de Paris
avait voulu Taire don d'un lorrain
au cimetière du Père-Lachaiso ; le
préfet de la Seine prononça sur la
losse une allocation animée, où l'on
put remarquer les traits qui sui-
vent : « Puisse celle tombe qui
« vient de se fermer sur un jeune
« homme si plein d'avenir n'avoir.
0 pas de comiagnesl Puissent les
« partis abjurer leurs sanglantes
a querelles! Puissent-ils coniprcn-
K dre..., elc. Espérons que ilésor-
« mais le sang français ne coulera
« plus par des mains IVançaises,
c et qu'il sera réservé pour défen-
« dre i'mdépendanc^i et la gloire
« de noire pairie ! » Val. P.
VARiv\A<:Kî<:U (Jean}, fut un
des premiers professeurs de la cé-
lèbre université de Louvain.Né au
bourg de Kuysselède, près de ïilly,
dans le diocèse de (land, il entra
dans l'étal eccléhiasli([ue. Sa capa-
cité le fil choisir pour enseigner la
philosophie dans le collé^'e du L\s,
\ers le lemps de rétablissement de
l'université de Louvain. Il parvint
depuis au grade (\r dortenr en
ihéologie. En 14i3, il fut noinnie
pléban, c'est-à-dire curé de Saint-
Pierre, et cependant il ('(iiiliiuia les
fonrlions de professeur; nj.iis j'i-
gnore s'il continua d'enseigner la
philosophie , ou si on lui donna
une chaire de théologie, comme les
ouvrages qu'il a laissés pourraient
le faire supposer. Ce laborieux
ecclésiastique mourut à Louvain
en 1475. Varenacker n'a rien pu-
blié, et ses compositions restèrent
toutes manuscrites. Depuis sa mort
on a imprimé, d'alîord en 1012,
puisa Paris en 1544, et dans le
format in-4°. deux questions quod-
libéliques. La première de ces
questions est posée ainsi : l'truni
cleriri et ecclesiarum prelati inor-
talifer peccent , si quod eis de prœ-
beudh supercst, in eleemosynam non
elaraimitur. — La seconde : Ulrum
ab iiomine possit dispemari in prœ-
ccptis jnris nalurcdis mit divini.
Les œuvres manuscrites de Varc.i-
ackersont un traité des sacrements :
Lecturn in psahnum H8 , Beati im-
innculali in Librum Sapientiœ et in
quatuor Evcnufclislas ; un autre
traité intitule : Monotessaron , con-
servé autrefois dans le collège des
Théologiens à Louvain, mais qui
a peul-èlue été égaré par suite des
mouvements révolu lionnain;s. Va-
lère-André a consacré un article à
Varenacker dans sa Bibliothèque
bclijiquc; mais Uupin et la plupart
des dictionnaires biographicpies
n'en ont point parlé. R-d-k.
-^VAKhNMCS (AiMK de), (|ui en
1 Tbh composa en vers français oclo-
s>llabi(pies le roman ou poëme de
Florimont, était resté à jieu près in-
coniui jusqu'à ces derniers temps.
Ni KauchiM'. ni La (j-oix du Maine
n'en avaient dit mot. Du Verdier
cite bien le roman, mais sans au-
cuns détails et en nommant l'auteur
Aymon ou Aymé de Chàtillon.
Galland parle fort inexactement et
de lauteur et de l'ouvrage dans son
dixcnurssuv q'ieltjucs uncii'iis pacte
108
VAR
VAR
insén^ au lomc II des Mémoires de
IWcudémie des inscriptions. Le ré-
dacteur du Catalogue (en 3 vol.)
des livres du duc de la Vallière,
Giiill. de Bure, en décrivant, sons
le numéro 2,706, un manuscrit du
roman de Florimont^ a copié les er-
reurs des précédents. Les nouveaux
critiques, Moncliet, P^xpiefort, Gin-
guené et Amanry-Duval ont aussi
commis de grandes inexactitudes
dans les courts articles qu'ils ont
consacrés à Aimé de Varennes (1).
Il était réservé à M. Paulin Paris,
le savant historien des manuscrits
français de la Bibliothèque impé-
riale, de mieux faire connaître le
poêle du douzième siècle. D'une
lecture attentive du poëme, il a re-
cueilli tousles renseignements qu'on
pouvait avoir sur l'auteur. Il nous
permettra de les résumer en quel-
ques lignes. Aimé devait être Grec
de naissance; cela résulte d'une
foule d'endroits de son livre. Il sé-
journa longtemps à Galiipolis en
Thrace; il visita Damiclle, Ii)sala,
Andrinople et Philippopolis. Ce fut
dans cette dernière ville, à ce qu'il
nous apprend, quil entendit i)our
la première fois raconter en grec
les aventures de Floi-imont et de
Philippe, le i)isaïeul d'Alexandre.
Par quel motif ahandonna-t-il la
contrée où il avait vu le jour? On
l'ignore; mais ce qu'ily a de certain,
c'est qu'il vint en France, s'arrêta
dans If Lyonnais et choisit pour
(ij Les ailiclis de Ginj^umé et d'A-
niaiiry-Diivalsc Hionldaiis les toiiiesXV
et XIX do VJIisloirc littéraire de la
France. — Aim6 do Varcnufs n'est
pas mémo iiomFii«' dans les tables qui
suiit à la lin de la iiii-diocrc (tornpila-
tion qu'Auguis a intilulik" : Les Poè-
tes français du xn« siècle jusqu'à
Malherbe, etc.
demeure la petite ville de Chàtiilon ,
située sur la rivière d'Azergue, à
quelques lieues de Lyon. « Peut-
être est-ce lui qui construisit le châ-
teau de La Varenne, dont envoyait
encore les ruines il y a peu d'an-
nées entre Tile Barbe et Chàtilion. )>
On ne sait si Aimé passa le reste de
sa vie dans ce pays, ni h quelle
époque il termina sa carrière. Quoi
qu'il en soit, dans sa seconde par-
tie, il se ressouvint des aventures
de Florimont, et il résolut d'enri-
chir de leur récit la littérature de
ses concitoyens d'adoption. Comme
nous l'avons dit, il exécuta ce pro-
jet en 1188. M. Paulin Paris a fait
une longue et très -intéressante
analyse du roman ou poëme de
Florimont, et il en a extrait de
nombreux passages qui en donnent
l'idée la plus avantageuse {Manu-
scrils franrais, \lï, 9-l)S). « Flori-
mont, dit-il en finissant, est double-
ment remarquable et par sa date
ancienne oi par un véritable talent
de versification et de composition. »
Il serait donc à désirer que ce
poème trouvât un éditeur conscien-
cieux tel que M. Paulin Paris lui-
même. La publication de cet ou-
vrage en vers corrects et élégants,
plein de mouvement, d'imagina-
tion et quelquefois de poésie, ferait
bien vile oublier la méchante tra-
duction on plutôt imitation en
j)rose (pi' un inconnu en fit dans
le xv'^ siècle, et qui a été imprimée
sous ce litre : Histoire et ancienne
crouicqnc de l'excellent roy Flori-
mont, fils du noble Mataquas, duc
d'Albanie, etc., Paris, pour Jehan
Longis, 11)28, in-4", fig. en bois,
caract. goth., léimprimée l'année
suivante, à Lyon, par Olivier Ar-
noullel, qui en a encore fait pa-
raître une édit. en lo;3o. Il en
existe deux autres de Rouen, sans
VAR
\ AB
i09
dalc, la première de Nicolas Mulot,
el la seconde de Richard Le Prévost.
\?ov.Y les détails bibliojiraphiques,
consulter le Manuel du libraire^ au
mot Florimont). Toutes ces éditions
10-4" sont aujourd'hui rares et
chères, surtout celles de Paris et
de Lvon. Le prince d'Essling n'a-
vait dans sa magniGque collection
que celle de Le Prévost, de Rouen.
Elle n'a été vendue que 10 fr. B-l-u.
VAÏ\E.»EDE FEMLLE (Jean-
Charles-Bénigne], fils d'un agro-
nome justement renommé ^ voyez
tome xLvii, page 500), naquit à Paris
le 25 novembre 1780. Il perdit à
treize ans son père, mort à L}Ou
sur l'échafaud révolutionnaire, et
se trouva livré ])ar l'émigration de
sa mère à un isolement absolu
dans la ville de Bourg-en-Bresse,
où sa famille était depuis long-
temps établie. 11 lut généreusement
recueilli par un professeur de ma-
thématiques appelé M. Salles, ([ui
lui enseigna celte science, et le mit
eu état d'enlrer à l'école polytech-
nique. En 1810, le jeune de Va-
renne fut admis comme auditeur
au conseil d'Etat, et nommé l'an-
née suivante sous-préfet de l'ar-
rondissement de Lyon. Il se démit
de ses fonctions au 20 mars 1815.
Cet acte de dévouement au régime
de la Restauration fixa sur lui les
sulîrages des électeurs royalistes
qui, quelques mois plus lard (août
1815), l'envoyèrent à la chambre
dite introuvable. Varenne vota
constanmient avec le parti modéré.
Il ne fut |)oint réélu après l'ordon-
nanc»' de dissolution du .i septoin-
bre et fut nommé, en 181 G, sccré-
laire général do la préfecture de
l'Ain, fonctions ([u'il exerra jusqu'à
l.i révolution de 1830. Il s'y lit
ivinanpier par sonéquilé. par l'ex-
îième courtoisie de ses rapports el
par son expérience dans les matières
administratives. Rendu h la vie pri-
vée, Varenne de Eenilie lut à la
Société d'agriculture de l'Ahi, dont
il faisait parlie, un grand nombre
de mémoires, doji [ la plupart sont de-
meurés inédit::. Nous citerons ceux
sur la destruction des fougères, sur
la distillation des i)ommes de terre,
ceux sur la plantalion des pins et
des mûriers, etc. Ce modeste el
utile administrateur mourut aux
environs de Bourg dans les senti-
ments d'une haute piété, le 6 jan-
vier 1848. Son éloge a été prononce
à la Société d'émulation et d'agri-
culture de l'Ain, par M. Pelletier. Z.
VARET (Alexandre Louis), na-
quità Paris en l'année 1632. Il était
fils d'un avocat d'une probité re-
connue, et sa famille fut vraisem-
blablement une des premières à
s'attacher à ce parti qui divisa
d'abord les théologiens et troubla
bientôt l'Etat et l'Eglise; tout dans
l'histoire de sa vie m'autorise à
émettre ce jugement qui se trou-
vera justifié par les faits consignés
dans cette notice. A l'âge de vingt
ou vingt el un ans, le jeune Varet (il
le voyage de Rome., en la comjMgnic
d'une personne d'une condition éle-
vée, sans autre dessein (jue de con-
tenter une légitime curiosité. L;i.
Diuu lui inspira une forte résolu-
tiiiii de ne plus \ivre que selon les
n)aximes de la piété. Le Sëcroloijc
des plus cHcbres défenseurs de la
vérité dit que a la magnificence
aussi bien (pie le débordement de
cette grande ville J(ome) lui inspi-
rèrent un si grand mépris du
inonde, qu'à son retour à Paris... •>
On comprend tout de suite dans
(piel espril l'auteur janséniste a
écrit ces deux lignes de criticpie
sur Home. Le yérrolofie de Port-
iioyal , quoicpie rédi'.'é dans les
110
VAR
VAË
mêmes sentiments dit : w Dieu qni
avait des desseins de miséricorde
?(ir son âme... lui lit voir le néant
du monde dans la magnificence de
celte grande ville, el reconnaître
les périls dont on y est environné,
par un piège ([ue lendit à sa chas-
teté un inlàme miséraiiie à qui il
demandait le chemin, après s'être
égaré on sn dérol)ant à ses amis
])0ur aller seul prier Dieu dans une
église ([u'il cherchai!. Son premier
mouvement, malgré sa modération
naturelle, fut de charger cet homme
de coups d'épée; mais Dieu l'ayant
retenu, le préserva de ce second
danger. » De retour à Paris, Yaret
se relira de toutes les compagnies
du monde pour se livrer à l'étude
et à la prière. Il consacra ïcpt ans
à cette occupaiion, ne cherchant de
récréation que dans le service des
malades à l'hospice de la Gliarité
(jui existe encore actuellement. Le
directeur qu'il avait choisi d'une
manière extraordinaiîc, l'ohligea à
j)rendre les ordres sicré^. 11 avait
à cet engagemenl la répugnance
([u'afTeclaient ceux de son parti,
mais (pli venait en lui d'un véri-
table sentiment de frayeur reli-
gieuse, car rim|»rc'ssion (pi'il en
ressentit, le rendit malade pendant
cinq mois. H garda tous les inters-
tices [trcscrits par les saints canons
et ne lut ordonné prêtre qu'à l'âge
d'environ trente ans; celte éléva-
tion ne produisit en lui d'autn;
prétention (ju'unc plus grande af-
fection au désintéressement et un
plus grand attrait p'our la retraite.
il s'élail ajjpliqué à l'élude de l'E-
criture sainlcet des œuvres de saint
Augustin, (|u'il lut ])lusieurs fois
tout entières. ^Malheureusement il
portait à celle élude, si utile en
elle-mônie, l'esprit de i>révention
et d'opposition qui régnait dans le
parti de Port-Royal, auquel lui et
les siens étaient fortement attachés.
Quand on exigea la signature du
formulaire, Alexandre Varet, qui
n'était point dispose à la donner,
quitta Paris et se retira à Provins,
oii il habita dans une petite cham-
bre du collège desoraloriens, pau
vrement meublée, n'ayant qu'un
lit, qu'il partageait môme avec une
personne (pii s'était retirée avec
lui prohablcnienl pour les mêmes
motifs, et qu'il servit seul pendant
deux mois, donnant ainsi l'exemple
(l'une humble simplicité. 11 demeura
pendant un an dans cette pauvre
maison, qu'il aida à subsister [lav sa
pension etcelle de son compagnon.
Dans celle retraite, Varet s'occupa
à la composition de quelques ou-
vrages. H avait deux sœurs reli-
gieuses dans la communauté de la
congrégation de N.-D. de celte
ville. C'est peut-être pour celle
raison qu'il choisit Provins pour le
lieu de son exil volontaire. Il n'a-
vait porté avec lui que sa Bible.
Louis Henri de Gondrin (roir Gon-
DRiN (I}, xvni, 36), archevêcpic de
Sens, lo choisit pour grand vicaire
et trouva dans ce nouveau coopé-
rateur des dispositions conformes
aux siennes; tous deux voulaient
sans doute établir le bien dans le
diocèse, cl ny mirent que le trouble
par leur exagération jansénienh(;.
Varet y donna du moins l'exemple
'1) U ost priidc-nt de lire cet Jiitithî
avec prc'cnilion conttc ios c'l()i,'cs que
rdiiteiii', l'ahln'; Lr( iiy, fait do G.-ii-
driii, dont il n'a point fait cnnnaitrç Ut
c.araclèro. Il vante :iV(;c jaison ses (pi;i-
liU's; niais, par ij^noianco ou p;ir cal-
cul, il a omis plusieurs circonstances
qui niontrcraicnt dans Gondrin un /èlc
qui n'était ni scloîi la science, ni selon
la priulcncc.
■
VAR
VAR
111
d'un parfait désintéressement. Il ne
voulut jamais recevoir les béné-
fices qu'on lui offrit : il refusait
même les droits utiles inséparable-
ment attachés à ses fonctions. Ega-
lement éloigné de recevoir aucun
présent, il faisait à ses frais les
visites qu'il devait à plusieurs mo-
nastères, et défendait même au
domestique qui le suivait de rien
accepter. Gondrin étant mort, en
1674, à l'abbaye deChaulmes, qu'il
avait gardée avec son archevêché,
Varet, qui n'aurait pu d'ailleurs
convenir à son successeur, se retira
à Port-Royal, où il faisait des
voyages de temps en temps, et
pour lequel il avait les plus vives
sympathies. II n'y vécut pas long-
temps; il y était venu le 29 juillet
1G76 avec Arnauld, dans le dessein
d'y faire quelque séjour, mais il
paraît qu'il n'y avait jamais eu de
demeure dcdnitive. II y mourut le
premier août de la même année, à
1 âge de ii ans. De la 3Ionnoye,
dans ses notes sur les Jugements
des savants de Baillet, tome iv, se
trompe en reculant la mort de
Varet à l'année 1685. Le 31oreri
de ilo'J dit que Du Pin s'est trompé
aussi en la fixant à l'année 168G.
Je ne sais où il a vu cette erreur.
Du Pin, qui n'a point consacré à
Varet d'article particulier dans son
histoire ecclesia.stique du xvii'' siè-
cle, mais qui indique une partie de
ses pubif nations dans son intéres-
sante table méthodique des ouvra-
ges de l'époque, marcpie le jour de
sa mort au 7 août, il est vrai,
mais bien en l'année 1076. Varet
laissa aux religieuses de Port-UoNul
son calice en vermeil et niille livres
en aumO)ne; il voulut être enterre
dans leur église, où il eut en effet
sa sépulture au bas-côlé gauche
du chœur. Une huigue inscription
louangeuse couvrait sa pierre tom-
bale, et y avait été placée par les
soins de sa mère touchée de douleur,
mais soutenue par une ferme expé-
rience du bonheur de ce cher fils,
disait répitai)he. Cette mère avait
pris soin de son éducation avec une
conscience timorée, qui lui dicta
un fait qui doit être consigné ici
et qui lient à f histoire de Varet.
Lorsque celui-ci était encore dans
les basses classes, son aïeul obtint
pour lui la nomination à un béné-
fice simple de quatre à cinq cents
livres de revenu. Tout était tlisposé
pour son entrée en possession, mais
la mère y mit opposition, ne vou-
lant pas que le jeune Alexandre
reçût la tonsure; parce que, le
destinant à suivre la profession de
son père, elle disait avec raison
qu'il n'était pas équitable de lui
faire prendre un bénéfice ecclésias-
tique en attendant. Lors donc qu'il
eut fini ses études, il se fit recevoir
avocat, et suivit le barreau pen-
dant deux ans. Mais il s'en dé-
goûta en voyant que l'exercice de
cette ])rofession exposait souvent
à parler contre la vérité. Ce fut
alors qu'il fil le voyage de Rome
mentionné au commencement d-;
cet article.
Varet a composé plusieurs ouvra-
ges.— l. Lettred' un ecclésiastique à
jTTx Morel, théolofjil de Paris, sur
trois sermons de ce théoUujnt, in-i'*,
1 00 i. — H. Miracle arrivé à Provins fl
approuvé par ta sentence des grands
vicaires de Sens ^ le 14 décemln'e
lOoG, in-4".— IIL Lettre d'un théo-
logien ioucliant la censure de la fa-
culté de théologie de Poitiers sur lu
probabilité. — IV. Traité de la pre-
mière éducation quon doit procurer
auc enfants, etc. Varet était encore
dans les écoles deSorbonne (piand,
en 1661), à la j)rière d'une de se;*
112
VAH
VAR
sœurs, mariée, il publia ce trailé
qui est le meilleur de ses ouvrages.
II y donne des maximes excellentes
et la manière de conduire les en-
fants depuisqu'ilssontsortisdu sein
de la nourrice, jusqu'à ce qu'ils
passent à l'étude des belles-lettres.
Ce livre utile aux gouvernantes et
aux premiers maîtres de la jeu-
nesse a eu j)lusieurs éditions.
— V. Facium pour les Ermites du
Mont-Valêrieu contre les Jacobins.
De graves discussions et procédures
avaient eu lieu entre les solitaires
ermites du Mont-Valérien et les
Dominicains, qui avaient des pré-
tentions et s'étaient même établis
sur cette montagne. — VI. Facium
pour les religieuses de Sdinte-Calhe-
rine-lès- Provins, \n-i2. Ce facium
«'idcva la direction des religieuses
aux Cordeliers de Provins, contre
lesquels il était écrit. — VU. Dé-
fense de la paix de Clément L\,
'2 vol. in- 12. — Mil. Facium de
l'archevêque de Sens contre son
chapitre. Les écrits de Yaret pour
l'archevêque lurent combattus dans
la dissertation intitulée : De
jure presbylerorum jiar Fonte-
nius, pseudonyme ridicule qui ca-
ciiait l'abbé Boilc^au. — IX. Les
Constitutions reli(jieuses de la
congrégation de Notre-Dame, dont
le successeur d" (jondrin défendil
l'usage. — X. Défense de la disci-
pline qui s'observe dans le diocèse
de Sens , louchant l'imposition de la
pénitence publique pour les pechc'^
publics , imprimé par l'ordre de
Monseigneur l'illustrissime et Hévé-
rcndissime Arclœvesque de Sens ,
Prussurot, 1673, in-8. C'est un
volume où l'auteur fait étaiago d'é-
rudition sur l'histoire et la pratique
de la pénitence publique, pour en
venii' à juslifier ce qui se faisait
dans le diocèse de Sens, et qui n'a-
vait })as le sullrage de tout le
monde. Il y a des détails curieuN.
surtout dans les 5*", 6"= et 7^ chapi-
tres.—XI. Lettres spirituelles, 3 vol.
in-12(l). — XII. Yaret est auteur de
la première préface du livre de la
Morale des Jésuites , imprimé à
Mons, en 1667 et de celle qui est au
commencement de leur prétendue
Morale pratique, La 2'' préface de la
Morale pratique passe pour être de
Pontchàteau, qui, avec Claude de
Sainte-Marthe et Baudry de Saint-
Gilles-d'Asson, est le principal au-
teur de cet ouvrage. On a inséré
jdusieurs des lettres de Yaret dans
le Recueil des pièces qui n'ont
point encore paru sur le formulaire,
tes Bulles, etc.; imprimé en 1754,
in- 12. Yaret avait aussi composé
un mémoire manuscrit contre un
plaidoyer de M. Yalon , en consé-
quence duquel plaidoyer intervint
arrêt du Parlement, portant sup-
})ression d'une lettre de M. l'évoque
d'Alet (Pavillon) au roi, du 20 août
(I] Dans les lettres de Nicole (letti-e
34') on tmiivri une comparaison qu'il
lait enlie celles de Sacy et celles de
« Yaret. « Ces iettics (de Sacy), dit-il,
<{ sont beaucoup plus noblement écrites
0 que celles de M. Varet, et elles don-
« nent même une plus grande idée de
(( sa personne et de son esprit, que
<•( M, Varet n'en donne de lui par les
« siennes. (Cependant, celles de M. Va-
<i ret (tut aussi certains avantages (pii
« ne sont pas peu considérables. 11 y a
« bcaucoiqt plus de matières traitées
<( avec étendue qui' dans celles de M. de
'< Sacy. Il entre beaucoup plus dans le
« détail de quantité (le dispositions ti'è.s-
'< communes, et néanmoins tiès-néccs-
« saires a régler, de sorte que M. Va-
« ret païaît être un directeur de per-
n sonnes imparfaites, bizarres, S'-rupu-
' leuses, et que M. de Sacy semble
« n'êîrc que poin- des Ames solides, in-
« telligentrs et éclairées. Or, le nombre
<r (les premières est bien plus grand
« que celui des autres. »
I
VAR
1664. touchant la signature du
fonnulaire. Il est à regretter qu'un
homme comme Varet, si distingué
par son instruction et des qualités
nombreuses, ait grossi le parti qui
depuis deux siècles a causé tant de
mal et jeté partout l'esprit de ré-
volte et d'opposition. Ces opinions
étaient en lui une apanage de fa-
mille, et elles se sont maintenues
dans les branches qui lui ont ap-
partenu , telles que les familles
Pépin , Tartarin. Ce parti n'est pas
éteint. On a gravé le portrait de
Varet et on le voit en tète du pre-
mier volume de ses lettres spiri-
tuelles, avec ces vers dus à la
plume d'un ami :
For et simple en ses mœurs, modeste de visage,
Des vérités «lu ciel épris dès scn -eune âge,
Varet jusqu'à leur source alla s'en abreuver;
Kt de son grand savoir sun iiumililé saiule
I empreinte,]
l'itbion voir qu'en un r^ur où la grâce est
Les vapeurs de l'orgueil ne sauraient s'élever.
On peut consulter sur Varet
^Alexandre) quelques dictionnaires
historiques, le Nécrologe des défen-
seurs de la vérité... Les Mémoires
historiques et chronologiques... sur
l' abbaye de Porl-Hoyal-des-Champs,
etc., etc. B-D-E.
VARET (François) , frère du
précédent, partageait ses erreurs
religieuses. Il a publié une traduc-
tion franraise du catéchisme du
concile de Trente, et est auteur de
la longue épitaphe (|iii se vovait sur
la tombe d«' son frère et qu'on
trouve dans le Nécrologe de Porl-
lloyul. B-n-E.
VAUliAS ou l«AU(iAS ^Martin
dk), réformateur «le l'ordre de Ci-
leaux, en Espagne. n;upiit à la lin
«iuquatorziènuî siècle, dans le Ixnirg
de Xérès de la Frontera, province
d'Andalousie. Après avoir fait avec
un grand succès des études solides
LXXXV
VAR
113
et variées, il résolut d'embrasser
la vie religieuse. L'auteur des an-
nales de l'ordre de Gîteaux, Ange
Manriquez, dit qu'il fit d'abord pro-
fession dans l'ordre des Ermites de
Saint-Jérôme d'Italie, et qu'il s'y
concilia une si grande estime, que
le pape Martin V le choisit pour sou
confesseur et son prédicateur. Mais
Vargas revint en Espagne pour y
vivre dans une plus grande retraite,
et fixa sa demeure dans le royaume
d'Aragon , où avec la permission
du Souverain Pontife, il s'agrégea
à l'ordre de Cîteaux,dans l'abbaye
de Notre-Dame-de-la-Pierre ou de
Piedra. Quel dessein avait-il en
faisant cette démarche? On ne
peut croire qu'il cherchât à suivre
une observance plus régulière ,
puisque les commandes avaient larT
gement contribué à ruiner la dis-
cipline monastique en Espagne .
comme elles le firent plus tard en
France. Il est probable qu'il y fut
conduit par une disposion spéciale
de la Providence pour établir la ré-
forme. Ce qui l'anima à entrepren-
dre cette réforme, c'est qu'il trouva
dans le monastère dix ou douze re-
ligieux qui gémissaient sur les dé-
sordres dont ils étaient témoins, et
qui approuvèrent le dessein de res-
tauration qu'il leur avait commu-
niqué. Accompagné d'un seul con-
frère. Michel de Cuença, Vargas
alla à Rome. <>ù, après s'être pré-
paré pendant quelque temjjs de re-
traite au monastère de Sainte-Cé-
cile, il alla se jeter aux pieds du
pape Martin V, pour lui demander
les autorisations nécessaires h l'exé-
rution de son projet de réforme.
Au lieu de trouver la résistance ou
les épreuves méritoires, ordinaires
en pareilles entreprises, Vargas,
qui était si connu et si eslinu* du
pape, rerut un accueil favorable.
8
116
VAR
VAR
Le Souverain Pontilo rencouragea
à poursuivre une, si pieuse entre-
prise, et, par des lettres datées du
24 octobre 4i25,illuî accorda ce
([u'ii demandait, dont le principal
était la fondation, dans les royau-
mes de Castille et de Léon, de deux
monastères, ou comme s'exprimait
Vargas, de deux ermitages, dans
lesquels les constitutions de ۔teaux
seraient observées littéralement.
Ces lettres donnaient aussi à cette
réforme nouvelle des privilèges
étendus, et môme l'exemptait de la
juridiction de l'abbé de Cîteaux et
du chapitre général de l'ordre. C'é-
tait en quelque sorte les détacher
de l'institut; mais il ne faudrait
pas se hâter de blûraer les déci-
sions de Rome à ce sujet; sa sa-
gesse sait ce qui convient le mieux
aux sociétés religieuses, comme à
l'Eglise tout entière, et l'on sait que
plusieurs branches des frères-mi-
neurs ont des généraux particuliers,
sans cesser d'appartenir à l'ordre
de Saint-François. Toute» ces dis-
positions et celle du régime parti-
culier de la congrégation furent
confirmées par une nouvelle déci-
sion datée du 7 juin 1426, sur le
rapport du cardinal de Séville, abbé
de Salos, chargé d'étudier et d'exa-
miner cette atl'aire. Les religieux
de Fiedra, confidents de ses des-
seins et associés à ses projets,
avaient trouvé longue l'absence de
Vargaiî, incertains surtout de son
sucr».'^. Ils apprirent avec joie l'is-
sue de cette ailaire importante, et
bientôt ils allèrent bâtir, près de
Tolède, avec des branches d'ari)res,
un humble monastère, sur un fonds
que leur procura un généreux
chanoine , lldefonsc M;irtiiiez.
Vargas donna le nom de Monl-de-
Sion à ce nouveau monastère, bâti
sur le bord du T?ge, et fut élu
prieur avec la dénomination de Ré-
formaleur, qui resta, jusqu'à la
suppression, aux généraux de cette
congrégation, désignée elle-même
sous le vocable du premier mona-
stère. La réforme de la congréga-
tion du Mont-de-Sion imposait des
austérités et une régularité sévère,
surtout par la retraite que les reli-
gieux devaient garder dans le mo-
nastère (1). Néanmoins, ils sortaient
pour se livrer, dans les localités où
on les appelait, à l'œuvre de la pré-
dication et au ministère de la con-
fession. Soumis, d'abord, pour les
difficultés majeures qui pourraient
surgir entre eux, aux décisions de
l'abbé du monastère de Poblette ,
ils furent plus tard rendus à la
juridiction de l'abbé de Cîteaux,
qui devait visiter leurs maisons,
lui-môme et non par délégués.
Après la mort de Martin de Vargas,
la nouvelle réforme prit beaucoui»
d'extension et produisit des hom-
mes distingués par leur savoir et
par leur vertu. On peut consulter
l'histoire de ceVQ congrégation dans
Uéliot. tome V; dans le Dictionnaire
des ordres reliijienx^ édité par l'au-
teur de celte article; et surtout dans
les annales de l'ordre de Cîteaux,
spécialement dans le Fasciculus
sanctorum ordinis Cislerciemis, de
Henriquez, membre Ini-mômo de
cet édifiant institut, que les récentes
révolutions d'Espagne ont détruit
avec tant d'autres. Quant au ])ieux
réformateur, Martin de Vargas,
persécuté et éprouvé comme le sont
presque toujours ceux qui entre-
prennent d'S œuvres de ce genre,
payé d'ingratitude même par ses
(1) Don Vîirga.s fut, ou le premier ou
l'un (les premiers a étabin- la tricnnalité
dans l'élection du supérieur.
VAR
VAR
115
propres religieux, il fut mis en pri-
son dans le monastère de Mont-de-
Sion , et mourut dans cette capti-
vité, l'an 1446. B — d — e.
VARICLERY (Laurentio de),
né à Monbrison en 1472, était de
l'illustre et puissante maison de
Carrare, souverain de Padoue au
xiV siècle. Les chefs de sa
branche avaient abandonné Gè-
nes, après la fin malheureuse des
Carrares, assassinés par les Véni-
tiens, et s'étaient retirés en France
011 ils tinrent longtemps un rang
proportionné à l'éclat de leur nais-
sance. Variclery sut également se
servir de la lyre et de l'épée: il
suivit Charles Vlll dans son expé-
dition de Naples , et s'y distingua
par sa bravoure, il fut l'un des
premiers qui entrèrent dans Naples;
le roi pour le récompenser l'arma
chevalier, et lui donna le collier de
son ordre. Variclery accom])a£;na
Louis XII dans ses guerres d'Italie,
toujours conservant la pensée
chimérique de rentrer dans l'héri-
tage de ses pères. Ses poésies gra-
cieuses sont presques toutes écrites
en italien; onen trouve une grande
partie dans la bibliothèque de Flo-
rence, et dans celle de Naples. Il
épousa une Espagnole d'une nais-
sance illustre, et mourut en 1554,
laissant des enfants , dont l'un
s'établit à Saint-Félix, diocèse de
Toulouse, où sa famille existe en-
core. B. E. M. L.
VARICOrRT (Pii:niu>.MAiuN-
Roupu de), évèrpie d'Orléans, frère
de la célèbre niarqiiise de Villelle,
fille adoptive de Voltaire (voyez
lom. XLix, p. 87), était né àOex, le
9 mai 17r):>, d'une famille anglaise,
naturalisée (mi Franco, où elle avait
d'abord embrassé la religion calvi-
niste. Pierre de Varicourt se des-
tina de boime heure à l'elat ecclé-
siastique. Voltaire, qui appréciait le
voisinage d'une famille peu fortu-
née, mais universellement considé-
rée , admit le jeune abbé dans son
intimité, et le recommanda à son
amie madame de Saint-Julien. Va-
ricourt fit de brillantes études au
séminaire de Saînt-Sulpice , fut
pourvu bientôt après d'un canonicat
dans le chapitre de Genève, d'une
charge d'oflicial dans le diocèse
d'Annecy, et, peu après, de la cure
de Gex. Ce fut dans ce poste que
les élections du clergé le députèrent
aux États-généraux de 1789. Sa
conduite à l'Assemblée constituante
ne démentit pas les principes reli-
gieux et monarchiques depuis long-
temps héréditaires dans sa famille,
et son courage se montra au niveau
de ses sentiments. Varicourt refusa
de pnMerle serment constitutionnel,
et cet acte de résistance entraîna
la spoliation de son bénéfice, malgré
les réclamations les plus vives et
les plus pressantes de ses fidèles
paroissiens. Lors de la séparation
de l'Assemblée, le pasteur dépos-
sédé se montra momentanément à
Gex, mais il en fut bientôt ciiassé
par la fureur du parti révolution-
naire et chercha un asiîe ?i Paris,
où il échappa avec peine aux mas-
sacres de septembre. Il prévint les
clTets du décret ([ui frappait de dé-
portation les prêtres insermentés
en se rendant en Angleterre; mais,
au bout de sept mois , le mauvais
état de sa santé le contraignit à
repasser sur le continent, où il
vint attendre des jours (dus calmes.
Après le 9 thermidor, Varicourt
espéra pouvoir reparaître avec sé-
curité sur sa terre natale; il revint
h Gex ; mais les ])assions révoln-
liormaires étaient loin d'être apai-
sées, et il dut renoncer de nouveau
au désir de se réunir ?i ses an-
116
VAR
ciemics ouailles. 11 traversa la Sa-
voie, résida successivement à Turin
et à Milan, puis se rendit à Venise,
pour y assister à l'éleclion du pape
Pie Vil. Le vénérable pontife l'ac-
cueillit avec les égards dus à son
mérite et à son caiactère , et l'em-
mena à Rome où- vint le surprendre
Iheureuse nouvelle de la révolution
du 18 brumaire. Bientôt après, le
concordat de 1802 rouvrit les
églises de France , et Varicourt fut
enfin rendu à l'empressement de
ses paroissiens. Les biens de sa
famille avaient été mis sous le sé-
questre pendant la tourmente ré-
volutionnaire ; mais la sollicitude
des Gessiens en avait empêché l'a-
liénation, et ce témoignage de dé-
vouement, si rare dans les épreuves
que l'on venait de traverser, res-
serra encore les liens qui unissaient
le pasteur à son troupeau. La con-
sidération que Varicourt avait si
justement acquise attira bientôt sur
lui l'œil du gouvernement impé-
rial ; on tenta son ambition par
l'olfrc d'un évêché ; mais ces sé-
ductions échouèrent devant l'invin-
cible répugnance qu'il éprouvait
pour le pouvoir qui avait hérité de
la révolution, et le régime i-oyal put
seul triompher de son attachement
au poste modeste qui semblait avoir
captivé toutes ses affections. Vari-
court fut nommé à l'évèché d'Or-
léans peu de temps après la pio-
mulgalion du concordat de 1817. Il
écrivit à plusieurs reprises au car-
dinal de Talleyrand , grand aumô-
nier de France, pour décliner cet
honneur ; il ne céda qu'avec peine et
(juitla Gex au mois de novem-
bre 1829. Lorsqu'il j)rf'la entre les
mains de Louis XVIll le serment
épiscopal, a Soyez, lui dit ce prince,
le digne frère d un martyr 1 >, Le
jiouvel évèque fut accueilli à Or-
VAR
léaiis avec une vive satisfaction. 11
inaugura son avènement par plu-
sieurs actes, de bienfaisance au
nombre desquels, en résurrection
d'un ancien usage, figura la libéra-,
lion des prisonniers pour dettes,
dont la présence répandit sur son
cortège d'entrée un intérêt touchant
et original. L'administration de Va-
ricourt ne démentit point ces favo-
l'ables débuts. Egalement doué de
douceur et de dignité, fort d'une
expérience précieuse des hommes et
des choses, il réussit à maintenii- la
discipline sans altérer sa renom-
mée de bienveillance, et sans s'alié-
ner aucun de ceux auxquels il eut
à faire sentir la fermeté de son
ministère : tâche d'autant plus
difficile que, depuis 1809, le pouvoir
épiscopal n'avait été exercé dans ce
diocèse que par des pasteurs dé-
pourvus de l'institution canonique,
et dont l'action , docile aux in-
fiuences du régime im))érial , avait
sensiblement relâché l'aclion de la
subordination ecclésiastique. Au
bout de trois ans d'une administra-
tion zélée, vigilante, teconde en in-
stitutions utiles, Vaiicourt sentit
ses forces subir une altération (l'Oj)
expliquée d'ailleuis |)arleséi)reuves
qui avaient sillonné sa laborieuse
vie. Il parut i)Oui' la dernière fois
dans ses fonctions épiscopales le
16 octobre 1822, jour du service
anniversaire de la reine dont le
dévouement de son frère avait
prolongé * la déplorable existence,
(voyez l'art, suivant; et s'occupa
activement dès lors de mettre ordre
à ses affaires temporelles. Par son
testament, qu'accompagna un écrit
rempli des sentiments religieux et
monarchiques qui n'avaient cessé
d'inspirer sa vie, il distribua sa for-
tune presque entière en œuvres de
bienfaisance. Le dernier chagrin
VAR
VAR
117
i
qui lui était réservé fut de ne pou-
voir recueillir les einbrassernents
de la marquise de Villette, sa sœur,
frappée de mort au moment où elle
se disposait à le rejoindre. Pierre
de Varicourt expira dans la nuit du
8 au 9 décembre 1822, au milieu
des regrets universels de la popu-
lation orléanaise. Son corps fut dé-
posé dans un tombeau que ce pieux
évoque avait désigné derrière le
sanctuaire de la cathédrale , et son
cœur dans un mausolée élevé contre
le mur de la chapelle du séminaire,
selon le vœu qu'il en avait lui-même
témoigné. L'abbé Chaboux, direc-
teur de cet établissement, ami par-
ticulier du défunt, prononça son
oraison funèbre dans l'église de
Sainte-Croix , et M. Boscheron-
Desportes, président honoraire à la
cour royale d'Orléans et membre de
la Société des sciences et belles-
lettres de cette ville, y lut dans la
séance publique du 29 août 182:>,
un Éloge hisloriqiie et hiogruphiqite
de ce vertueux prélat, qui fui dédié
à S. A. R. Madame la duchesse
d'Angoulèrae, et imprimé : Orléans,
1823, in-8. Enfin, M. Tabbé Dé-
pery, aujourd'hui évéque de Gap,
lui a consacre en 1840 une notice
étendue dans le 2" volume de sa
Uiographie des hommes célèbres du
département de l'Ain.
A. B— KK.
VAIUCOUUT (François-Rouph
dk), frère du précédent, garde-du-
corps de Louis XVI, n'a du sa cé-
lébrité qu'au trépas héroïque qu'il
r«M'ui en défendant à Versailles les
jours de la malheureuse reine Marie-
Antoinette, dans la matinée du 6 oc-
tobre 1789. eonlre les assassins qui
avaient forcé les iK»rtes de son
palais et de son apparlemenl. Né à
(Je\, le .'■> juillet I7f)0. Franeojs de
Varicourt, lils d'Etienne Houph de
Varicourt, maréchal-des-logis des
gardes -du -corps , était entré à
19 ans dans la compagnie deBeau-
vais. Il se trouvait de faction à la
porte de la chambre de la reine,
lorsque les sicaires , ayant réussi à
pénétrer dans l'intérieur du châ-
teau, se dirigèrent avec fureur de
ce côté, et ne laissèrent par leurs
imprécations et leurs menaces
aucun doute sur l'atroce projet
qu'ils avaient conçu. « Sauvez la
Reine ! » s'écria Varicourt, et ses
paroles attirèrent sur lui un groupe
d'assassins contre lesquels il défen-
dit avec intrépidité le seuil de la
porte dont la garde lui était confiée.
Il succomba bientôt percé de coups ;
mais la résistance de ce nouveau
d'Assas , de des Huttes et de Mio-
mandre-Sainte-Marie avait donné
à l'infortunée princesse le temps de
fuir en désordre dans l'appartement
du roi, et son lit s'offrit vide et
encore chaud à la rage des meur-
triers. Ils revinrent bientôt à Vari-
court, déjà expiré. Ils tranchèrent
sa tôte et la fixèrent au bout d'une
])ique, de même que celles de ses
deux braves compaiinons. On porta
ces débris à la multitude, et le soir
Paris vit arriver au milieu de cris
de joie féroces, ces sanglants tro-
phées de la victoire populaire.
Deux frères de F'ranrois de Vari-
court fui-ent lues à l'armée de
Condé. L'un d'eux avait été admis
])armi les gardes - du -corps , le
10 octobre 1789, par l'ordre exprès
du roi, en considération du dévoù-
ment de son frère. Ce fut probable-
ment une des dernières réconq^cnses
que Louis XVI fut libie d'accorder
à la fidélité de ceux qui s'immo-
lèrent pour le salut de la cause
royale, déjà si gravement compro-
mise. Le nom de Varicourt eut
la gloire d'ouvrir ee long marlyro-
118
VAR
loge de défenseurs et de victimes,
(jiie la Vendée allait bientôt grossir
de son formidable et héroïque con-
tingent. A. B— i':e.
VAUIX (Jacques-Pierre), géné-
ral de brigade, né à Gaen, le 26 fé-
vrier 174îi| commença par être
simple soldiat au régiment d'infan-
terie du roi, en 1764. La révolution
le trouva officier : les guerres qui
bientôt mirent en question l'indé-
pendance et l'intégrité de la France
lui fournirent l'occasion de se si-
gnaler; il arriva par degrés rapides
au grade de général de brigade, en
récompense de sa conduite dans h
guerre de Vendée , puis il fut
chargé du commandement du dé-
partement de la Manche. Après un
an à pe:j près entier j)a3sé dans ce
poste, il futdirigéau commencement
de Tan m, sur l'armée de Brest et
de Cherbourg. En l'an iv (1796) et
l'année suivante, il fit partie de
l'armée d'Italie, où nous le voyons
surtout dépiover son activiîé lors
des opérations relatives au siège de
Mantoue, — d'abord sous Mantoue
même, tant que le général pour af-
faiblir Wurmser, lui laissa la fa-
culté d'eflectuer des sorties (28
fructidor an iv, c'est-à-dire 14 sep-
tembre 1796 et jours suivants, —
puis quand le siège ayant pris forme
de blocus, les troupes françaises
furent lancées vers Trente et tout
le sud du Tyrol pour intercepter
les secours qui pourraient venir des
Etats héréditaires autrichiens. Va-
rin manœuvra donc quelque temps
dans ces abruptes contrées (vendé-
miaire et biumaire an v, automne
1796), jusqu'à ce que l'armée nou-
velle, avec laquelle arrivait Alvinzi,
pour débloquer la place assiégée,
eût forcé les Français de se replier
sur l'Adige : il fut alors chargé de
commander la place forte de Pes-
VAR
chiera, importante, on le comprend,
pour couvrir le blocus. Un emploi
d'un genre tout différent, car il est
absolument paisible, l'appela le 1*^'
vendémiaire an ix au commande-
ment de la succursale des Invalides
établie à Louvain. Le 26 prairial an
XII il reçut la croii de la légion
d'honneur. Val. P.
VAlllIN' (Brice-Marie) , un des
membres de nos premières assem-
blées législatives, était Breton de
naissance et faisait partie du bu-
reau de Rennes, lorsque la convo-
cation des états généraux ouvrit de
toutes parts des horizons, soit à
l'ambition, soit au patriotisme et au
talent. On sait de quelle indépen-
dance la magistrature bretonne
s'était montrée animée pendant les
dernièresannéesdeLouisXVetsous
Louis XVI. Député du tiers-état de
la sénéchaussée de Rennes aux as-
sises générales de la nation, Varin
n'hésita pas à se prononcer dans le
sens le plus progressif. Il était in-
struit, exijcrt et laborieux : on le vit
fréquemment à Tœuvre dans les
commissions, et fréquemment il eut
à tenir la plume pour ses collègues.
C'est lui qui rédigea le rapport à la
suite duquel il fut décrété (11 août
1790) ([u'il n'y avait lieu à suivre
contre de Toulouse-Lautrec. De
mèmf^ (juand l'assemblée résolut de
rechercher et d(^ mettre en accusa-
tion les auteurs des troubles d'In-
grande, ce fut encore d'après un
rapport de Varin et conformément
à ses conclusions. De même, lorsque
le ciirdinal de La Rochefoucauld se
vit mettre en accusation comme
« auteur d'écrits fanaticjues ». De
même, quand furent votées les ac-
tions de grâces et autres récompen-
ses, tant aux citoyens qu'aux com-
munes, parqui s'était opérée l'arres-
tation deLouisXVÏ. Varin était alors
\
VAR
secrétaire du comité des rapports.
Bien que les deux dernières de ces
mesures soient de celles qui soulè-
vent la désapprobation des esprits
honnêtes et monarchiques, il faut
reconnaître que l'orateur, dans l'une
et l'autre occasion, nétait que logi-
que et fidèle à ses principes. La
qualification qu'il donnait à la po-
lémique de La Rochefoucauld, il est
probable que La Ghalotais, en sem-
blable occasion , s'en fût servi ; et
quant à la fuite de Louis X\l, en
la considérant, ainsi qu'elle le fut
alors, comme une trahison et com-
me un moyen d'obtenir un secours
de l'étranger, la répression de cette
tentative malencontreuse ne pou-
vait qu'être hautement approuvée.
Malgré les gages ainsi donnés à la
révolution, Varin ne plut pas long-
temps au\ coryphées de la régé-
nération radicale de la société fran-
çaise. Il avait voulu fonder l'éga-
lité devant l'impôt, devant la loi;
il souhaitait quele roi fût loyalement
le premier citoyen du royaume,
mais que le monarque fût dépos-
sédé, que la monarchie fût renver-
sée, c'est ce qu'il ne croyait ni j uste ,
ni sage, ni sûr, et avec cette téna-
cité armoricaine, apanage desa pro-
vince, il refusait de marcher du
même pas que les téméraires elles
passionnés, et persislaitdans sa voie.
Vint la Convention, survint la ter-
reur...la révolution, désormais an-
thropo|)hage, se mit à dévorer ses
propres enfants. Varin n'était homme
ni à se cacher, ni à trouver grâce
devant les bourreaux; il était trop
en vue pour esquiver le regard , il
portait et la tète et le verbe trop
iiaut pour qu'on ne voulût pas faire
taire celui-ci et faire tond)er celle-
là. 11 périt sur l'échafaud en 17U3.
— Un de ses frères, après avoir
été conservateur des hypotlièqucs.
VAR
119
fut envoyé par le déparlement
d'IUe-et-Vilaine au Conseil des
Cinq-Cents, et après le 18 bru-
maire devint substitut du procu-
reur impérial près le tribunal civil
de Rennes, place qu'iloccupa jusqu'à
la réorganisation des tribunaux,
en 18U. — Un troisième Varin,
neveu de ce dernier et fils de Brice-
Marie, le constituant, a longtemps
été avocat général près la cour
impériale de Rennes : sa nomina-
tion remontait aux derniers temps
de l'empire; la restauration ne son-
gea pas à le révoquer : au contraire
l'ordonnance du roi du 3 janvier
1816 le confirma solennellement
dans ses fonctions; et en 1824, il
passa de ce poste à celui de procu-
reur général. C'est par erreur que
la première Biographie des con-
temporains, celle de Michaud, a
confondu ces trois homonymes ,
si voisins du reste [)ar le sang.
C'est d'une autre famille proba-
blement qu'était issu Varin d'Ain-
ville, mort en 1844, président ho-
noraire de la cour royale de Be-
sançon. Val. p.
VAI\I>' (Pierre-Joseph), très-
savant historien, ou plutôt cher-
cheur de matériaux historiques,
était de Brabant-le-Roi (Meuse), et
naquit le 19 septembre 1802. Les
études universitaires alors se com-
pliquaient fort peu de grec ; cl le
eune hounne ne conq)ensa ])oint
l)ar sa vocation , par sa .soif pliil-
hellénique, l'absence des soins que
iml régent devers l'Ornain, et mê-
me devers la Meuse, n'était alors
en état de donner à celle partie de
son éducation. 11 n'eut donc ja-
mais du grec (jue quelques notions
des plus élémentaires. En revan-
che, il profila de tout ce qui s'en-
seignait autour rie lui ; et puisa dans
la lecture d'un grand nombre d ou-
120
VAR
VAR
vrages les connaissances dont il
était avide (de là, lors même qu'il
était adolescent à peine, un noyau
déjà solide de notions historiques,
et de là aussi l'intime familiarisa-
tion avec les formes sveltes, les
tours variés et l'opulente synony-
mie de notre idiome"^ ; aussi le vit-
on, presque de lui-même, après sa
rhétorique, manier la phrase fran-
çaise avec autant d'élégance que qui
que ce soit. 11 n'essaya pas d'entrer
à l'Ecole normale, et il est un des
exemples dont les ennemis de
l'Ecole peuvent se targuer, lors
qu'il leur arrive de prétendre
qu'une monnaie peut être de hon
aloi sans avoir été frappée au ba-
lancier de la rue d'Ulm , ou, si
nous voulons nous reporter aux
années 1818-1820, au balancier de
la rue des Postes (1). N'étant ainsi
ni sous la férule, ni sous les ailes
de l'Université pour commiencer,
il fit ses premières armes com-
me professeur à l'école des pages
de Charles X,ii Versailles ; el, dans
ce milieu, fort didérent atout pren-
dre de celui des collèges, il se fit
de l'urbanité, de la grâce des ma-
nières, de la distinction du langa-
ge et du tact, une habitude el un
besoin. Mais, soit inconstance, soil
désir de ne pas rester éternellement
aux études superficielles, les seules
qui fussent nécessaires poui- l'en-
seignement qu'il avait à donner,
.soit autres causes encore plus pro-
saïques ou [dus délicates et plus
intimes, il se résolut à courir la car-
rière universitaire. 11 avait commis
l'imprudence de se marier, beau-
coup plus tôtqu'il n'eût été sage d'y
(1) L'école normale, actuellement
rue dX'lm, était précédemment rue îles
Postes.
penser, aussi peu riche et peu ré-
tribué qu'il l'était et ne pouvant
compter sur nul apport pécuniaire
de la part de sa femme ; la famille
s'accrut bientôt, et les appointe-
ments restaient les mêmes. On
sait combien il est fréquent que ces
défauts d'équilibre entre le budget
des recettes et celui de la dépense,
soit gros d'orages ou même de ré-
volutions en ménage comme dans
l'administration d'un Etat : Ver-
sailles devint intenable à Varin,
et il fut heureux d'aller à Reims
remplir, à titre provisoire, la chaire
d'histoii-e au lycée. Le fixe, grossi
de l'éventuel, ne composait encore
qu'un tout des plus modiques ; il
sut un peu le grossir. Gomme son
talent se révéla bien vite, et com-
me il était fort insinuant, il eut
l'art d'intéresser assez à lui les
notabilités de la ville pour que
l'autorité municipale l'adjoignît au
conservateur de la bibliothèque pu-
blique avec le litre de sous-biblio-
thécaire aux manuscrits et archi-
ves, avec des honoraires de douze
cents francs. Varin, à coup sûr, fit
plus que les gagner par la mis-
sion (juil se donna de cataloguer
et de classer cartulaires, pouillés,
diptyques el tant de pièces admi-
nistratives relatives à la ville du
sacre, et pièces probantes de son
histoire. SL'iis il ne travailla [)as
(\ue pour la cité : tandis que tous
ces documents passaient à tour de
rôle sous .ses yeux, il en prenait
note, il en tenait registre, il les
copiait, les uns par simple extrait,
les autres m extenso ; il prenait la
résolution de les livrer à la publi-
cité un jour, si l'Etat lui venait
en aide; puis de rédiger sur cette
masse de documents irréfragables
autant que variés et contenant né-
cessairement beaucoup de détails in-
VAR
connus, une Histoire de la commune
de Reims, qui laisserait bien derrière
elle l'estimable essai de Digault.
Ces travaux, au moyen desquels il
devenait de jour en jour paléogra-
phe plus expert et archéologue plus
consommé, il les faisait marcher
de front avec l'étude approfondie de
l'histoire universelle, sinon sur les
sources elles - mêmes quand ces
sources étaient étrangères {c'est
alors qu'il maudissait son igno-
rance des langues) , mais sur les
ouvrages puisés iinmédiatementaux
sources, et dont les auteurs avaient
su joindre à l'érudition le discer-
nement, la longue vue et la ré-
serve du crilique. Plusieurs années
s'écoulèrent pour lui au milieu de
ces fortes et fructueuses études,
({ui, dès la fin de 1832, lui méritè-
rent un avancement sur place (il
devint censeur), etqu'ilsemitbien-
lot à spécialiser dans le but de se
présenter pour l'agrégation des
classes d'histoire. L'institution des
censeurs était récente alors, et
n'avait encore donné que des ré-
sultats, satisfaisants sans doute,
mais transcendants? non! et reten-
tissants? encore moins ! Mais l'éclat
avec lequel Varin ijurut, surtout
au\ épreuves oraiss lors de ce con-
cours d'histoire de 1833, auquel
nous voici parvenus, fit sensation :
concurrents et juges furent aba-
sourdis de cette facilité, de cette
lucidité, de celte vivacité de j);i-
roie, de cette variété de con-
naissances historiques , de cette
originalité do rapprochements et
de celte sùrete d'aj)précialiou ([u'il
déploya eu même temps. Il y avait
lit des élèves de l'Hcole norinal<*
exercés dej)uis dix mois sur les
questions du concours par quel-
((ues-uns mêmes de ceux qui sié-
geaient comme juges et qui ex-
VAR
121
posaient les solutions données
par eux-mêmes. Varin venait de
la province, et n'avait jamais pas-
sé par le moule de l'enseigne-
ment sacramentel. Il fut proclamé
par le jury le premier des six ad-
mis, et l'opinion unanime de l'au-
ditoire, complétant le verdict du
jury, le proclama « le premier et
hors ligne. »
Il n'eût tenu qu'à lui , après ce
beau succès, d'aller avec un titre
définitif occuper une des premières
chaires de collège royal en pro-
vince. Mais il se garda d'en accep-
ter une ; il en avait plus que suffi-
samment de l'enseignement secon-
daire • c'est aux Facultés qu'il as-
pirait. Il avait raison ; et c'est à
paraître sur ce théâtre que la na-
ture de son talent le conviait. Mais
ce n'est pas tout; avec l'impatience
un peu fébrile et la foi un peu ro-
buste du jeune âge, c'est une des
chaires de la capitale qu'il con-
voitait , ne fût-ce qu'à titre provi-
soire. Mais ces titres provisoires
mêmes étaient courus avec achar-
nement, et toutes les chaires, tant
(le la Sorbonne que du collège de
France , étaient à des titulaires,
les uns s'acquittant de leur charge
(c'était le petit nombre), les autres,
sinécuristes de longue date, réso-
lus à ne se laisser arracher leur
sinécure qu'avec la vie. Il solli-
cita donc en attendant, et, sa-
chant (ju'il faut être à Paris pour
obtenir Paris, une place secondaire
à la bibliothèque de la Sorbonne.
Puis enfin s'impalicnt.uit de ])alien-
Icr et coni()renanl combien il était
impossible de prendre d'assaut celte
loricresse, il envisagea moins dédai-
gneusement la perspective (ju'ou-
vrail aux jeunes docteurs ès-letlres
la création, jiar Salvandy, de trois
facultés de cet oiiire, se hAta de
122
YAR
bâcler les deux thèses exigées
(1838), et très-peu de temps après
obtint cVemblée, non-seulement un
titulariat (la chaire d'histoire) à la
faculté de Rennes , mais encore,
comme bague au doigt qui n'est
pas donnée à tous, le décanat. Il
paraîtrait même que le choix lui fut
donné par le minisire entre les trois
villes qu'on érigeait en chèfs-lieux
de faculté (Lyon , Rennes , Bor-
deaux). Il opta pour Rennes. Nous
tenons ce détail pour éminemment
probable ; mais nous sommes loin de
prendre de même à la lettre un autre
détail dont lui seul nous a donné
connaissance : c'est qu'à deux re-
prises au moins, soit alors, soit un
peu plus tard, il put devenir de
doyen recteur à Bennes même. Quoi
qu'il en puisse être, le fait est que,
soit comme doyen, soit comme pro-
fesseur, Varin à Rennes, en dépit
de fâcheuses impressions qu'on
trouva moyen de faire prévaloir chez
un haut et très-puissant employé
du ministère , se montra constam-
ment à la hauteur de son rôle. Ni
l'initiative, ni la responsabilité d'un
doyen de P'aculté n'est grande
pour l'ordinaii'c : il prend les or-
dres de son recteur. Varin prouva
qu'il était capable d'autre chose
que de prendre et d'exécuter des
ordres. Dans le conflit regrettable
qui, vers 1842, 43 et années sui-
vantes s'éleva entre l'académie et
l'évêché, il sut garder une attitude
modérée autant que grave, tint la
Faculté dans des limites qui ne
pouvaient alarmer les susceptibili-
tés religieuses, et malgré l'animosité
^^que dès lors laissa percer le recteur
"ît qui bientôt se changea (justement
— arce que Varin ne commettait au-
une faute) en haine outrée, ilper-
Uéra dans une voie qui finit par
rue
Postt^ louée de tous ceux qui ne
VAR
jugent pas d'après les opinions des
autres. Des trois collègues aux-
quels longtemps sa Faculté fut
réduite, tous obtinrent l'estime à
divers degrés; mais Varin, dès le
commencement , se fit classer à
part et fut l'objet constant d'un
enthousiasme prodigieux, il faut
le dire, si l'on tient compte de la
nature et de l'esprit du pays.
Sans doute, il faut dans cette vo-
gue faire la part de la spécialité
à laquelle il s'était voué et qui
par la nature môme des choses,
tout restant égal d'ailleurs, attire
et captive plus que les quatre au-
tres chaires ensemble. L'anec-
dote, le portrait, le feuilleton en
quelque sorte y trouvent leur place
et prohibent l'ennui; les hautes
vues, la controverse récapitulée par
les traits saillants , les lointaines
perspectives d'avenir satisfont les
intelligences plus compréhensibles
et plus profondes. Mais n'attribuer
qu'à la nature même de la chaire, les
applaudissements dont fut comhlé
Varin, ce serait plus que del'iniquité,
ce serait de la mauvaise foi. Tout
ce que nous avons dit, et de son
élocution et de sa science, se re-
trouve plus exact que jamais à
l'instant auquel nous sommes arri-
vés : toutes ses qualités se sont
mûries , et le plaisir môme de son
succès, en excitant son émulation
(rare conséquence ([ui n'existe pas
chez tous), le rendait de jour en
joursui)érieurà lui-môme. »I1 était
pathétique en lem^is et lieu, coloré
parfois, fleuri toujours, sans vous
aspiiyxier sous les fleurs; et son
style exhalant un parfum de poé-
sie, avait l'allure du poète, sans en
emprunter le langage. Il n'afi'ectait
pas plus l'éloquence : il semblait sen-
tir (sans que jamais nous l'ayons en
tend u émettre cette théorie) que l'éio-
VAR
quence n'est de mise, n'est de bon
goût qu'en cas de lutte, et réelle et
grandiose. Mais tout ce que l'élo-
cution (c'est autre chose que l'élo-
quence) peut posséder de trésors et
de grâces, il le prodiguait à pleines
mains et comme en se jouant.
Qu'on ajoute à ces qualités de l'o-
rateur académique le plus sédui-
sant un débit parfait, un geste qui
n'excède ni ne reste en arrière, et
une coupe dévisage, des pommettes
et des lignes qui rappellent à s'y
méprendre les traits de Voltaire,
on aura l'idée, un peu terne peut-
être, mais exacte, de ce qu'était
Varin en sa chaire. A son époque,
nul assurément ne l'a surpassé, bien
que quelques-uns aient eu leurs
jours de succès ; et quiconque ne
sait comment se brassent les avan-
cements dans les ministères spiri-
tuahstes, adroit de trouver incon-
cevable qu'il n'ait pas été accordé au
titulaire de Rennes de donner
l'essor à ses ailes oratoires dans
l'atmosphère parisienne. Longtemps
du reste, il y compta pleinement
lui-même. Le successeur de Nar-
cisse-Achille « avait , » dit-il ,
« donné sa parole. » en lui pro-
mettant qu'il le rappellerait à Paris
à la première occasion. Enfin la
mort de Nodier (1844) ayant pro-
duit un mouvement dans le per-
sonnel de la l)ibliolhè(iue de l'Ar-
senal, le Ministre s'attachant à la
lettre de sa parole, lui (it ofTre de la
plus belle position u laquelle il pou-
vait le nommer dans ladite officine
bibliograj)hi(iue ; c'était la seconde
seulement, le baron de Cayx s'é-
tait abattu sur la première, l'Excel-
lence ayant trop petite main pour
lui faire lâcher prise ; c'étaient
trois mille francs, plus son loge-
ment (qui par parenthèse ne se trou-
va disponible qu'au bout de plus de
VAR
123
deux ans). Varin hésite jusqu'aux
vacances , il s'agissait pour lui de
délaisser le double, net; finalement
il accepta, et le voici à Paris, avec
sa femme (qu'il venait de rappeler
près de lui après douze ans ou
plus de séparation) , avec ses trois
mille francs,... et l'espérance! Il
est douloureux, et profondément
instructif, de suivre tout ce que
pendant les cinq laborieuses an-
nées qu'il avait à vivre encore , il
lui fallut de persévérance , on
dirait presque d'héroïsme , pour
subvenir d'une part aux exigences
de la vie parisienne, de l'autre à la
suite des travaux qu'il avait sur le
chantier. Pour ceux-ci en dépit de
la faiblesse de sa vue , en dépit du
délabrement de sa santé, à l'Arse-
nal comme à Rennes, il quittait le
lit longtemps avant l'aurore , et à
neuf heures il y en avait six qu'il
compulsait, écrivait , sarclait ses
épreuves, etc., etc. Quant à celles-
là, son seul espoir étant la bonne
humeur du ministre, il était sans
cesse en course du secrétariat géné-
ral aux bureaux et des bureaux au
secrétariat général, au guet de toute
nouvelle qui pouvait ouvrir un ho-
rizon et distillant les cajoleries de
toutes sortes, au bout desquelles
on lui lâchait assez de centimes
additionnels pour doubler et même
pln*i que doubler son fixe trop
faible : c'étaient des missions pour
ins[)ecter les bibliothèques de pro-
vince au point de vue surtout des
archives et autres manuscrits ;
c'étaient des jetons comme mem-
bre du jury d'agrégation pour
l'histoire. Ce n'était pas la vie en-
viable; c'était toujours, sous d'au-
tres formes, la lutte laborieuse par
huiuelle avait débuté sa jeunesse
rivée â la chaîne d'un mariage
prématuré en même temps qu'indi-
12^1
VAR
genf. II marchait pourtant , et
quoique un peu moins vite que no
l'eussent voulu les amis de l'his-
toire originale et sérieuse, il élevait
un étage nouveau du grand monu-
ment qu'il voulait ériger à sa patrie
adoplive, la commune de Reims,
et il se recommandait à la pha-
ange religieuse de rAcadémie des
inscriptions. Évidemment le temps
approchait où le docle corps allait
le considérer comme c^andidat des
plus sérieux, et où, en mettant les
choses au pis, après avoir été dis-
cuté vivement en deux ou trois
élections successives, il réunirait
la majorité dos voix. Être memhre
de l'Institut, était la plus chère des
espérances qu'il nourrissait , et
peut-être la seule depuis qu'il
revoyait de plus près et collège de
France et Sorbonne et qu'il sentait
sa voix s'éteindre. Cette consola-
tion suprême lui fut refusée. Nous
avons dit nn mot de l'état déplo-
rable do sa santé. C'était peu dire :
la débilité do tout son être, l'im-
pressionnabililédeson organisation,
sa puissance pour la douleur ,
puissance qui n'avait été que trop
exercée, ne sauraient se rendre.
La révolution de JSi8 avait en-
core exagéré cos dispositions fa-
tales. Survint, l'année suivante,
le choléra : cotte apparition le
frappa d'un effroi sans égal; il
l)rédit qu'il en mourrait. On ne
peut dire tout à fait que ce fut une
panique ; nn mois à peine après
que s'était manifesté le fléau, s'é-
tanl rencontré sur le boulevard
avec un convoi, il lut comme fou-
droyé d'une do ces atteintes (jui ne
])ardonnont [jas : peu d'heures
suffiront ))0ur le rendre comj)léte-
menl insensible, et le troisième jour
'\2 juin 1849;, il expirait. Sa
femme non moins impressionnable
VAR
que lui, et 'qui dans cette affreuse
agonie ne l'avait pas quitté d'un ins-
tant, éperdue de douleur, sous l'é-
treinte de l'excessive émotion et en
veiilant aux apprêts d'un embau-
mement, dont bien des fois il avait
exprimé le vœu, afin que ses dé-
pouilles mortelles fussent transpor-
tées à Bar-le-Duc, ne tarda pas,
à ressentir les mêmes symptô-
mes que lui , et quinze jours
après elle le suivait au tombeau.
Le vœu de l'époux avait été pieu-
sement rempli. Leur fille obtint
immédiatement par l'intervention
spontanée de M. Naudet une pen-
sion du ministère. Ce fut la seule
récompense un peu hors ligne par
laquelle l'Administration universi-
taire reconnut le mérite d'un de
.ses plus brillants et plus dignes
enfants, d'un de ceux qui mis à
leur place, auraient jeté sur le
corps entier l'éclat qu'il devrait
avoir et qu'il n'a pas. — Voici la
liste dos princii)alos productions
ou publications de Varin. I. Archi-
ves communales de Reims, Paris,
j V. in-i°. C'est une œuvre hercu-
léenne, ou comme il est à la mode
de dire aujourd'hui, une œuvre de
Bénédictin. Pour comprendre que
l'autour ait pu y suffire quand on
sait combien il donnait de temps
soit aux relations de société, soit
aux visites d'entregent et d'am-
bition sans lesquelles il n'eût peut-
être pas même eu au banquet uni-
versitaire la i)lace un ])0u secon-
daire qu'il finit par conquérir, on
a besoin do se reporter à ces veilles
matinales indiquées plus haut et
(\[ù pour lui commencèrent dès le
chant du coq. Commencées dès
le temps de son séjour à Reims,
poursuivies sans relAche à Rennes,
non sans une subvention du minis-
lèro (jui les avait admises au
VAR
nombre de ses Documenis relatifs
à Vkistoire de France^ continuées
encore, mais avec diverses inter-
ruptions pendant les quatre ans et
demi de 1844 à 1849, les Archives
communales de Reims dévorèrent,
on peut le dire, la vie de l'intrépide
ex-archiviste. Il n'a pas même eu
le temps de les mener entièrement
à fin. Aux quatre volumes publiés
et qui ne contiennent, avec des
notes, la plupart précieuses, que
des textes de pièces soitpar extraits
soit in extenso ou l'indication de
ces pièces par leur titre, il voulait
en ajouter au moins un cinquième
de même nature et nous aim-ons à
le penser, un index indispensable
pour se retrouver dans ce laby-
rinthe de richesses: et de plus,
après cet ensemble colossal de do-
cuments irréfragables il eût rédigé
(sur pièces, comme on le voit, et
uniquement sur pièces) cette His-
toire de la commune de Reims dont
nous avons vu surgir chez lui le
plan bien avant le concours de
1833. Nous n'avons pas besoin d'in-
sister sur la valeur qu'aurait pré-
sentée semblable travail exécuté
sur de tels matériaux par une telle
main. Il serait à désirer, mais l'on
ne saurait guère Tespérer, qu'un
continuateur vienne, grâce aucjuel
l'on ne dira pas éternellement :
. . . Pendent opéra interrupto. . .
\[. La vérité sur les Arnauld,
Paris, 1847, 2 vol. in-8''. C'est un
coin de la vérité, ce n'est pas toute
la vérité. Encore sur bien des points
peut-on douter que ce soit elle.
Les faits mêmes, quand il ne nous
donne que des faits, sont exacts
(^mérite réel, quoiqu'ils n'y joignent
pas, autant que l'imagine l'auteur,
celui d'être comjjlétemenl inédits
ou entièrement ignorés) , mais l'a •
VAR
125
geucement des faits, mais les con-
jectures surtout qu'il en tire et la
portée qu'il attribue à leur inten-
tion, entre dans le domaine de
l'hypothèse, parfois de l'hypothèse
perfide, et ne peuvent prendre rang
de vérités acquises qu'après nou-
veau contrôle. L'ouvrage du reste
est piquant pour qui n'a pas de
parti pris ; il nous fait envisager
une face trop peu connue d'un épi-
sode important du dix-septième
siècle ; il tend à faire reviser un
procès qui fut célèbre et rembourre
le dossier de ceux auxquels l'opinion
du lendemain a donné tort tandis
que le pouvoir du jour leur donnait
raison ; il est à lire, il est à médi-
rer après le Port-Royal de M. Sainte-
Beuve. Le livre d'ailleurs est écrit
avec certaine sincérité, bien que
passionné : Variii, très-hautement
religieux, penchait un peu plus que
de raison, ce nous semble, vers
l'ultramontanisme; mais c'était de
très-bonne foi, et chez lui c'était
logique : il n'aimait pas plus les
rouagesdu gouvernement parlemen-
taire que les conciles de Constance
et de Bàle, qui morigénaient et
dé])osaient des papes. Il savait
trop bien l'histoire pour ne pas re-
connaître sur quelles bases ver-
moulues ou mensongères avait re-
posé au moyen âge l'omnipotence
du Saint-Siège ; mais jamais à ses
yeux le Saint-Siège n'avait eu tort:
les fausses décrétâtes, il le soutint
un jour en chaire, avaient été ré-
digées au profit et par l'ordre de
(^harlemagne! Charlemagne com-
manda le faux!! bref Charlemagne
est le véritable faussaire 11!
in. Les deux thèses à la suite
desquelles lui fut conféré le grade
de docteur et (jui portaient pour
titre: la française. Dellnfluonci' des
questions de race sous les derniers
126
VAR
VAR
Caiioi'iufjiens, Var'is, 1838, in-S» :
la latine, De quibusdam Ilcrberli
opusculis et de gallicananim doclri-
narnm originibus, même date et
inèine iorinat. Ce dernier travail
parut en français presque au môme
instant dans la Revue française.
On trouverait aussi de lui quelques
articles dans la licrue nonvelle et
dans le Correspondant. Il en avait
promis de même et il en fournit
deux ou trois au Dictionnaire iiis-
torique et géofiraphique de Bretagne
par O.L'é, dont il laissa dire qu'il
était directeur ou co-dirccteur. Mais
nous croyons savoir que cette direc-
tion fut un mythe. Val. P.
VARIi\ (JosEPH-DÉsmiî), reli-
gieux de la Compagnie de Jésus,
fut un de ceux qui contribuèrent le
plus au rétablissement de son or-
dre en France, et lors même qu'il
n'appartenait pas encore à cette
célèbre Compagnie, il avait, avec de
généreux amis, cherché les moyens
d'assurer sa restauration légale
dans l'Église. Sa vie accidentée est
à la fois curieuse et édifiante. Né à
Besançon, aujourd'hui chef -lieu
du département du Doubs, le 7 fé-
vrier 1769, Varin sortait d'une fa-
mille distinguée par ses sentiments
religieux et sa position sociale. Son
père était conseiller au parlement
de PVanche-Comté. Le jeune Vaiin,
(jue, dana sa famille, on appelait
(le Solinon, du nom d'une ferre si-
tuée sur les fionliôres de la Suisse,
montra dè« son enfance un cceur
excellent, mais en même temps un
naliuel ardent qui le poussait quel-
quefois à une impétuosité exces-
sive. Il était Êurlout passionné pour
la chasse, ft même, étant sémina-
riste, n'étant |»as encore, il est
vrai, engagé dans les ordres, il cé-
dait quelquefois, malgré les conve-
nances et ses résolutions, à l'attrait
de ce plaisir bruyant et interdit
aux ecclésiastiques. Il joignait à
cet entraînement un grand attrait
pour l'état militaire. Nous allons
voir bientôt que la Providence l'a-
mena à cette profession par des
voies et des circonstances qu'il n'a-
vait guère prévues. Mais élevé chré-
tiennement et encore plus poi'té à
la piété qu'à toute autre jouissance,
il éprouva de bonne heure le désir
de se consacrera Dieu. Ilcommença
dans la maison paternelle et conti-
nua au collège de Besançon des
études solides et dans lesquelles il
obtint des succès. Après avoir reçu,
dès l'àgc de quinze ans, la tonsure
et les ordres mineurs, il vint à Pa-
ris et entra au séminaire de Saint-
Sulpice pour y redoubler son cours
de philosophie et étudier ensuite la
théologie. Le nouveau séminariste
gagna bientôt l'affection des supé-
rieurs et des élèves, et se lia à une
association composée des plus fer-
vents de ses condisfiples, de la
quelle faisaient partie les jeunes
princes de Broglie, Charles et son
frère Maurice, depuis évoque de
Gand ; de Villèle, depuis archevê-
que de Bourges, les abbés de Sam-
bucy , de Tournèly et de Grivcl.
Ces trois derniers, comme nous
allons le voir, devaient plus tard
s'unir -X lui par des liens encore
plus étroits. Tous ces jeunes zéla-
teurs étaient sous la direction spé-
ciale do M. Tassin, un des plus
vertueux sulpiciens, mort sainte-
ment sous l'habit de trappiste (4),
(!) On peut apprécier ce saint reli-
gieux par U) note historique assez éten-
due que je lui ui consacrée à la il' co-
lonne de la page 2zo du tome LXXXIV.
Dans cette note, on a inq)nmé deux
fois par erreur le nom La Pavsse, il
VAR
VAR
127
Le jeune de Solmon terminait sa
deuxième année de théologie lors-
que la révolution française l'obligea
à abandonner, du moins pour le
moment, la carrière oii il était en-
tré; il quitta Paris le jour même
de la prise de la BaslillO; et re-
tourna dans sa famille. L'année
suivante il émigra avec elle en
Suisse, où bientôt sa santé, grave-
ment compromise par une affection
de poitrine, porta les médecins à
lui prescrire une vie plus active et
surtout l'exercice de l'équitation.
A l'exemple et surtout à l'invitation
de plusieurs gentilshommes de la
Franche-Comté, il alla rejoindre
l'armée des princes français à Co-
blentz, et entra dans un régiment
de dragons commandé par le ma-
réchal de Broglie, père de ses deux
anciens condisciples. La veille de
son déj)art sa mère vint le trouver
à sa chambre lorsqu'il était déjà
couché, et lui dit avec une sorte de
vivacité presque solennelle : Omon
enfant^ je t'en covjure, ne pei'ds ja-
mais la crainte de Dieu. Il ne de-
vait plus revoir cette mère, victime
de la révolution, et ces paroles, les
dernières qu'il ait entendues de sa
bouclie, ne s'ellacèrent jamais de
sa mémoire, et eurent une grande
influence sur le reste de sa vie.
Yarin ht avec distinciion les deux
campagnes de 1792 et de 1793, et
quoiqu'il eût pris une part active à
plusieurs batailles sanglantes, il
échappa aux plus grands dangers.
En novembre 1793, persuadéqu'au-
cune action n'aurait lieu avant le
printemps, il demanda un congé
pour aller voir le reste de sa fa-
faut lire La Samse; et cVst sous co
nom qu'on trouvo Tartitlc de ce Sulpi-
cieii au tumc L\X, page 319.
mille, retirée en Suisse, à Esta-
vayer. Si l'innocence de ses mœurs
avait été exposée dans les deux
années passées dans les camps, où
les émigrés n'étaient pas tous édi-
fiants, elle le fut encore plus à Es-
tavayer, dans le loisir et au milieu
d'une jeunesse dissipée, qui avait
apporté dans l'exil la légèreté du
caractère français. Varin prit goût
aux divertissements de ses compa-
triotes, et il faillit être victime de
son imprudence. Un soir, il s'était
abandonné avec plus de laisser-
aller à l'entraînement du plaisir, et
son âme vertueuse en était agitée
et luttait contre la grâce. Sa sœur,
qui le voyait disposé à retourner le
soir dans cette société où la veille,
elle avait remarqué ses manières
un peu trop légères, lui dit avec
bonté : « Prends garde, mon ami;
rappelle-toi la gravité de tes pre-
mières années. » Ces paroles, tout
en le contrariant, le forcèrent à ré-
fléchir. Rentré à sa chambre, il
jette par hasard les yeux sur un
livre dont la première page lui pré-
sente le Memorare qu'il avait à peu
près oublié. 11 le répète une troi-
sième fois avec émotion. Alors,
une lutte nouvelle s'élève dans son
âme, il renonce à la réunion proje-
tée, et le jour mrme il (luitla Esta-
vaycr. 11 aurait voulu dès ce mo-
ment se donner à Dieu dans un
nouveau genre devio, mais il était
retenu par un motif plausible en
apparence. Contre sa prévision ,
(jurl([ues jours après son départ de
rarniée dcCondé, un combat meur-
trier avait été livré, et la plupart
(le ceux avec qui il se fût trouvé
dans la mêlée étaient restés sur le
champ de bataille. Si, d'un coté, il
étiiit reconnaissant envers la Pro-
vidence qui lui avait consené la
vie, de l'autre, son auiour-proprc
128
VAK
VAR
souffrait, et il voulut lui donuer
satisfaction, au moins pour un an,
espérant trouver dans cet intervalle
une occasion de se si^rnaler. N'o-
sant plus néanmoins demeurer dans
l'armée de Condé, il voulut, malgré
le cri de sa conscience qui l'appe-
lait déjà à un autre genre de vie,
prendre du service dans le corps
autrichien commandé par le prince
de Cobourg, qui était alors avec son
armée sur les frontières de la Hol-
lande. Variii. pour le rejoindre, se
mit en route pour la Weslphalie et
voulut, en chemin, voir ses anciens
amis, les abbés de Broglie et de
Tournély (1), qui vivaient ensemble
avec quelques compagnons, dans le
dessein de fonder une Société nou-
velle sous le vocable ou le nom du Sa-
cré-Cœur de Jésus, et derélablir, au-
tant qu'ils le pourraient, l'institut
des jésuites. Il voulait aussi obte-
nir de Charles de Broglie des lettres
pressantes pour les joindre à celles
que le maréchal de Broglie avait
déjà écrites depuis quelques se-
maines en sa faveur, au duc de
Choiseul , car Varin désirait en
même temps obtenir une place de
cadet dans leshouzards, qui avaient
ce duc à leur léte. Il les trouva à
Venloo, prêts à partir pour Munich
en Bavière, où les forçait de se re-
tirer les succès des armées de la
république française, qui les obli-
geait à changer d'asile. Cette heu-
reuse rencontre causa une joie mu-
tuelle, mais la Providence attendait
là notre jeune homme, qui , après
(juelques luttes et ((uelques résis-
tances, vaincu j)ar leurs raisons et
leurs in.stances , abandonna ses
projets et se joignit à eux. Il se
(1) Voir TotRNÉLV, lonic LXXXIV,
|)dgc 22o.
trouvait le sixième dans celte com-
pagnie naissante, et, comme il me
le disait un jour lui-même , tous
excepté deux , avaient été mili-
taires; deux seulement, les abbés
de Broglie et de Tournély, étaient
prêtres. Ces pieux jeunes gens con-
tinuaient leur voyage à pied, le sac
sur le dos, partageant leurs jour-
nées entre la messe, l'oraison, le
bréviaire, le chapelet et des con -
versations édifiantes. A Augsbourg,
Varin trouva une lettre de son frère
qui lui apprenait la mort de sa
mère, laquelle, rentrée en France
en 1793 , fut arrêtée, passa une
année en prison et périt sur l'écha-
faud le 19 juillet de l'année sui-
vante, précisément le lendemain du
jour où lui-môme avait pris la gé-
néreuse résolution de mourir au
monde. Sa douleur fat profonde
mais pleine de résignation chré-
tienne. Arrivés à Augsbourg, les
jeunes voyageurs remirent la lettre
de recommandation de l'abbé Pey
à l'abbé Beck, conseiller aulique
de l'évêque d' Augsbourg. Cet ecclé-
siastique leur dit que les ordres
sévères du duc de Bavière, inter-
disant l'entrée des Français dans
ses États, devait les arrêter, et les
engagea à se fixer au diocèse
d' Augsbourg, où il leur promit la
])rotection de l'Électeur, qui les
accueillit avec faveur; ils trouvè-
rent aussi des sentiments de cor-
dialité dans les anciens jésuites qui
dirigeaient le collège de la ville.
Les voyageurs virent un trait de la
bonté de Dieu dans toutes ces cir-
(;onstances, et, grâce surtout à l'in-
térêt que leur témoigna M. Baziocki,
riche banquier d' Augsbourg, chré-
tien zélé, ils purent aller, au mois
d'août 1794, s'établir à deux lieues
(le la ville, à Leutershofen, où ils
reprirent leurs exercices et virent
VAR
VAR
129
bientôt leur nombre s'augmenter.
C'estlà que commença, à le prendre
rigoureusement, la société du Sacré-
Cœur ; et les premiers fondateurs
de celte œuvre, le 1') octobre de la
même année, près du tombeau de
saint Ulrich, dans l'église des Bé-
nédictins d'Augsbourg, se livrèrent
par vœu, au maintien deleurentre-
prise; ils y ajoutèrent le vœu d'o-
béir au souverain pontife, et d'al-
ler se jeter à ses pieds pour se
mettre à sa disposition. Forcés, par
la vente de la maison qu'ils occu-
paient, à quitter Leutershofen en
novembre 1795, ils furent recueillis
par l'électeur Clément Wencslas
dans une petite maison que possé-
dait ce prélat généreux au village
de Gogingen, à une lieue et demie
d'Augsbourg, où la Providence leur
jirocura des bienfaitetu-s , entre
autres l'archiduchesse Marie-Anne
d'Autriche. Dès lors, ils tirent des
etTorIsponrentrerdans la compagnie
de Jésus, qui ne crut pas devoirles
admetire et leur conseilla de con-
tinuer leur genre •<le vie. Le jeune
Varin fut élevé au sacerdoce le 12
mars 1796. L'approche des armées
de la république française les força
encore à émigrer. Ils se retirèrent
d'abord à Passau, en Bavière, puis
à Vienne, en Autriche, où ils arri-
vèrent à la fin de septembre de la
même année 179(), et où le crédit
du P. de Broglie leur avait procuré
la protection du ministre de la po-
lice; ils trouvèrent un asile dans une
partie du couvent des Grands-Au-
gustins. Le cardinal Migazzi, ar-
chevêque de Vienne, les prit sous
sa protection, et ils [)urentsc livrer
de nouveau à l'étude et aux exer-
cices de la vie religieuse. Hélas!
ils ne purent jouir une année de
celte vie tranquillt»! Les négocia-
tions pacifiques entamées entre la
LXXXV
France et rAutiiche ayant été rom-
pues, la guerre se ranima. Buona-
parte parut dans le Tyrol à la tète
d'une armée nombreuse et s'a-
vança rapidement vers la capitale
de l'Autriche, qui lut déclarée en
état de siège, et d'où les étrangers
durent s'éloigner à une distance de
quarante lieues. Le comte de Sau-
ren, ministre de la police, obtint
de l'empereur un adoucissement en
faveur de ses protégés, et, à sa de-
mande, Tabbé des chanoines régu-
liers de Glauster-Neubourg, otl'rit
à la petite société une de ses mai-
son?, située à Haguebrunn, dis-
tante seulement de trois lieues de
la ville de Vienne. Le Père A'^arin-
et ses amis s'y installèrent le mardi
de Pâques 1797. A peine avaient-
ils repris leurs pieuses habitudes,
qu'ils se virent éprouvés de nou-
veau, mais d'une manière bien plus
dure et plus dangereuse pour leur
société naissante. Le 9 juillet de la
même année, leur supérieur, le
P. de Tournely, mourut à la fleur
de l'âge, après neuf jours de ma-
ladie. La. petite communauté, com-
posée déjà de seize personnes,
élut à l'unanimité, pour lui succé-
der, le P. Varin, que le défunt lui-
même avait désigné comme le plus
propre à prendre sa place dans des
circonstances aussi difficiles. Varin
voulut décliner ce fardeau, mais les
instances de ses frères l'ohligèient.à
s'en charger, et ce fut sous son admi-
nisUatioii que l'Institul du Sacre-
Cœur entra dans une phase nouvelle,
et finit par se fondre dans la conq)a-
gnie de Jésus. Ne pouvant aller se
jeter aux pieds du Souverain-Pon-
tife, détenu à Florence, le nouveau
supérieur, muni de reconmianda-
tions de plus de vingt évèqucs fran-
çais émigérs, et surtout de celles de
l'archevêque de Vienne et du c;udi-
U
130
VAR
nal Rul'fo, nonce dans cette ville,
lui adressa, au nom de ses con-
frères, une lettre dans laquelle il le
priait de statuer sur leur sort. Le
Pape leur répondit une lettre de
louanges et d'encouragement, les
engageant à la persévérance et les
mettant provisoirement sous la dé-
pendance absolue du cardinal Mi-
gazzi, archevêque de Vienne. On
ne peut exprimer la joie que ce
bref causa à la petite Société, qui
fit bientôt des progrès tels que le
nombre des confrères fut plus que
doublé et que l'on fit un second éta-
blissement à Prague; l'archidu-
chesse Marie-Anne fournit aux dé-
penses de cette nouvelle maison.
On commença aussi dès lois à Ila-
genbrunn un pensionnat pour la
jeunesse, et on se livra aux. exer-
cices du ministère ecclésiastique.
Bientôt la Société du Sacré-Cœur,
qui tendait uniquement à se réunir
aux Jésuites, fil une autre fusion
qu'elle n'avait ni prévue ni désirée,
toujours néanmoins dans le dessein
de parv(.'nir à son premier but. Ce
but était aussi celui d'une Société
qui s'était formée à Rome vers
1795, et qui avait pour chef Pacca-
nari (Voyez Paccauari, tome lxxvi,
page 190). Celte Société naissante
portait le nom de Sociélé de la Foi
de Jésus. Les personnes les plus éle-
vées et les plus influentes, le Pape
Pie VI lui-même, pensaient quedeux
Sociétés, s'élablissant simultané-
ment dans les mêmes intentions et
tendant aux mêmes fin.s, devaient
se réunir «;t doubler ainsi les forces
de leur action et les cliances de leur
succès; Paccanari désirait surtout
celte réunion, et, encouragé par le
Souverain Pontife, qu'il avait vu
deux fois, muni de recommandations
élogieusos pour le nonce à Vienne,
et raème pour l'empereur d'Au-
VAR
triche, il arriva à Vienne le 3 avril
1799, et, dès le 7 du même mois, il
se rendit à Hagenbrunn. Il y fut
reçu avec joie, mais aussi avec
réserve. 11 était muni de tant de
témoignages, de l'archevêque de
Vienne, du Nonce, du Pape lui-
même, qu'il était comme nécessaire
de faire une union, qui s'effectua
en effet, après dix jours de confé-
rences, auxquelles prirent part tous
les profès du Sacré-Cœur. Le Père
Varin, qui désirait aussi peu la su-
périorité que Paccanari semblait
l'attendre, se soumit à ce dernier
avec tous ses associés. Paccanari
vit donc ainsi son modeste troupeau
triplé par cette agrégation; et, su-
périeur général des deux branches
fondues dans la seule Société de la
Foi de ,Iésus, il nomma le Père Si-
néo délia Torre provincial de cette
Société en Allemagne, et le père
Varin recteur du collège d'Hagen-
brunn, qui lui était soumis avant la
fusion, effectuée le 18 avril 1799.
Le père Paccanari resta quelque
temps en Allemagne ; sous son gou-
vernement, la petite communauté
d'Hagenbrunn changea, sinon d'es-
prit, du moins de conduite et de
pratiques. Elle donna moins aux
exercices de piété, et beaucoup plus,
et peut-être trop, à l'étude et aux
récréations, et tout cela sous le pré-
texte qu'ils étaient destinés à pro-
fesser la vie religieuse au ser-
vice du j)rochain et non dans un
cloître. La princesse Marie-Anne,
à qui le père Varin recommanda le
père Paccanari, conçut pour celui-
ci beaucoup d'estime, et lui accorda
l'attachement bienfaiteur qu'elle
avait pour les [>ères de la Société du
Sacré-Cœur. Elle fit ])lus, cav elle
se lia, ainsi que les demoiselles
Naudet, ses dames de compagnie,
par un vœu spécial, à l'obéissance
VAR
VAR
131
à ce nouveau général. Paccanari
n'était encore que tonsuré, mais, au
retour de ce voyage de Prague, il
reçut du nonce, à Vienne, les or-
dres mineurs et sacrés jusqu'au dia-
conat, et, après tant de succès, il
reprit la direction de la commu-
nauté d'Hagenbrunn, où l'on crut
s'apercevoir bientôt de quelques dis-
positions douteuses dans son esprit.
De concert avec le père Varin, les
anciens membres de la Société du
Sacré-Cœur lui demandèrent, dans
une occasion favorable, une décla-
ration franche sur ses désirs de
réunion avec la compagnie de Jésus.
Le H août 1799, Paccanari donna
une réponse qui ne satisfit point, et
qui fut loin de détruire les préven-
tions qui commençaient à naître
contre lui. Il donna bientôt un dou-
ble essor à ses disciples: il les li-
vra aux travaux du saint ministère
et envoya des colonies, non-seule-
ment en divers lieux de l'Allema-
gne, mais aussi dans les États
étrangers, en Hollande, en Italie,
en Angleterre, en Suisse, en France,
etc. Ce fut en ce pays que le père
Varin fut envoyé en qualité de clief
de cette nouvelle mission, et le 19
mars 1800, accompagne du père
Roger, et, peu après, d'un second
compagnon, le père Halnat, du dio-
cèse de Rennes, il prit le clicmin
de sou ancienne patrie, marchant à
pied, revêtu de l'habit de jésuite,
demandant l'aumône dans les pres-
bytères et dans les abbayes qui se
trouvaient sur sa route. Eu passant
à Augsbourg , il visita monseigneur
de .luigné, archevêque do l*aris,qui
leur donna des renseignements pré-
cieux et d'amples pouvoirs. A la
frontière de la France ils purent, à
la faveur de l'habit laï(iue, entrer
sans ôlrc arrêtés, quoiqu'ils n'eus-
sentpoiut de passe-port. Néanmoins
dès lors commencèrent les dangers
les plus sérieux de leur voyage ; ils
parvinrent pourtant jusqu'à Paris,
où, avec ses deux compagnons, le
père Varin entra le 16 juin. Tous
trois commencèrent leur ministère
par le service des hôpitaux ; le père
Varin envoya le père Halnat à Bi-
cêlre, et lui-même se consacra aux
six mille malades de l'hospice de la
Salpétrière, où aucun prêtre n'avait
paru depuis dix ans ! Mais il avait
aussi mission de soutenir et d'éten-
dre la Société des Pères de la Foi ;
six mois s'étaient à peine écoulés
depuis son arrivée, qu'il reçut plu-
sieurs jeunes prêtres au noviciat.
La Providence lui ménagea plu-
sieurs moyens de faire des œuvres
de zèle et de soutenir en même
temps son œuvre principale. Il fit
surtout la connaissance d'une de-
moiselle distinguée par sa position
sociale, et encore plus par sa cha-
rité et les qualités les plus pré-
cieuses. Celte demoiselle était ma-
demoiselle Champion de Cicé, nièce
de Cicé, archevêque de Bordeaux.
(Voir Champion, tome m, page 26.)
Elle s'intéressa vivement à la pe-
tite Société du père Varin, lui mé-
nagea des protecteurs parmi des
personnages élevés, et lui donnait
aussi des secours en argent. Le père
Varin, par reconnaissance et par les
mêmes motifs qui animaient sa
bienfaitrice, la secondait de tout
son pouvoir. La Providence leur
ménagea un autre genre de mérite
dans une épreuve cruelle, à laquelle
elle les .soumit l'un et l'autre. Ma-
demoiselle de Cicé était d'origine
bretonne, bien pensante et vouée
aux œuvres de charité, qui multi-
pliaient ses rapports; elle fut donc
soupçonnée par la police, qui cher-
chait partout des complices dans la
conspiration de la machine in for-
13-2
VAR
VAR
nale. On Hl une perquisition clicz
elle et l'on trouva un rouleau de
pièces de monnaie dont elle avait
indiqué la destination ])ar cette
inscription : Pour ces Messieurs. On
s'imagina facilement que les Mes-
sieurs destinataires de cet argent
étaient les personnages arrêtés. Elle
n'avait donne qu'une réponse em-
barrassée à ce sujet, dans la crainte
de compromettre ses protégés, et
son embarras la compromettait en
un sens elle-même. Le Père Varin,
instruit de cet incident, ne balança
])oint à courir la chance q'ue pou-
vait faire craindre son intervention
[jcrsonnelle ; il se présenta accom-
pagné du Père Halnat, et Dieu per-
mit que leur explication naïve et
simple contribuât, sans désagré-
ment pour eux, à la justification
de mademoiselle de Cicé, qui fut
absoute avec éclat et rendue à la
liberté (1), Cependant la colonie
française des Pères de la Foi se
consolidait et s'étendait en nmlti-
j)Iiaut ses œuvres et en augmentant
le nombre de ses membres. J/en-
trée de l'abbé Barat fournit au
Père Varin l'occasion d'une entre-
prise (ju'il nourrissait dans son
esprit depuis longtemps, et que le
I*ère de Tuurnely et le Pèie Pac-
canari avaient eux-mêmes conçue,
celle d'une société de femmes des-
tinées à opérer parmi les personnes
de leur sexe ce que les Pères de la
Foi faisaient pour les jeimes gens.
Pendant quelque tem|»s on s'était
pcTsuadé en Allemagne que- la
pieri-e fondamentale de cet édifice
religieux serait la princesse Louise
de Condé ( Voy. Condé t. lxi,
p. 2()1)) (4), puis la princesse Marie-
Anne. Dieu ne le permit pas. En
entrant dans la société du P. Varin,
l'abbé Barat lui parla dune sœur
dont il avait soigné l'instruclion et
qui avait alors vingt-deux ans ou
un peu plus; il la lui offrit pour
être la première religieuse de l'ins-
titut ({u'il projetait. Le Père Varin
fut enchanté et édifié de tout ce
qu'il vit dans cette jeune personne.
C'était, m'a-t-il dit à moi-môme en
vantant ses qualités, c'était une
rhétoricienne! Il fut donc enchanté
de celte heureuse rencontre et
commença alors sa petite commu-
nauté, et bientôt plusieurs jeunes
personnes se réunirent à la mère
Barat, qui est encore, au moment
où nous écrivons ceci (1861), supé-
rieure générale de l'institut nou-
veau. Le P. Varin leur fit un règle-
ment, les réunit en communauté,
d'abord à Paris, puis à Amiens.
C'est dans cetteville qu'elles prirent,
ou plutôt, comme me l'a dit le Père
Varin en accentuant et répétant
son expression, qu'on leur donna...
qu'on leur donna le nom de Dames
de la Foi. Leur institut porte le
nom de société de- Dames du Sacré-
Cœur, et le Père Varin en est donc
le fondateur. Dieu n'a pas agréé,
disait-il. pour commencer son œu-
vre, des instruments grands selon
le monde; mais, afin (jue la gloire
en revînt à lui seul, il a voulu que
la base de fédilice fût posée sur la
siinj)licité, la ])elitesse, le rien. En
effet, la première supérieure sortie
d'une famille peu avantagée du
côté de la fortune, est à la tête
{\) On peut consulter «^^iir la conspi-
nitioii (!^- la i)ia<'!ii!io inroin.ile rarticlc
Hainl-Bajonl, lyiiie lxx\, p. 3'J9.
(i) Lorsque la princesse de Condé fut
béncdictiiic, elle porta le nom (\i'Maric-
.fos(;})h (le In Miséricorde, et non celui
d<: Maric-Louisc, connue jp fai écrit
par erreur, lUid. page :271.
VAR
d'une société qui se croit appelée à
faire exception entre les ordres
religieux et à exercer uniquement
8on zèle sur les jeunes personnes
des hautes classes de la société.
Non-seulement la société des Pères
de la Foi multipliait ses bonnes
œuvres et voyait croître le nombre
de ses frères, comme on vient de le
dire, mais elle fit aussi de nouveaux
établissements , d'abord à Lyon,
puis à Amiens et en divers lieux,
quand elle devint l'objet des inquié-
tudes de la police, étonnée de la
correspondance si souvent répétée
entre liome et ces prêtres français.
Fouclié possédait des copies des let-
tres qu'on avait ouvertes et les com-
muniqua au Père Yarin, qu'il fit com-
paraître devant lui, eri lui deman-
dant le niotiC et le sens de ces réti-
cences, de ces expressions énigmati-
ques trouvées dans les, lettres qu'on
lui présentait. Le père Varin, qui
n'avait aucun soupçon de la super-
cherie dont sa société était victime,
fut d'abord surpris et déconcerté ;
niais il crut, avec raison, que le
meilleur parti à prendre était celui
d'un aveu prudent, et il prit ce par-
ti; et, connue monseigneur Spina,
archevêque de Gorinlhe, nonce en
France, rendit de lui un témoignage
avantageux, il fut laissé en liberté ;
mais les préventions de Fouché
demeurèient dans son esprit. 11 Tant
se rappeler (pie ce chef de la police
était un cx-oratorien, hostile k la
religion. Nécessairement d'ailleurs
des bruits et des opinions défavora-
bles et ennemis couraient sur ces
ecclésiastiques (pion ne CDMiprtjiiait
pas; quehjues personnes savaient,
il est vrai, ce (pi'était la congréga-
tion des Pères de la foi, mais le
grand nombre n'y voyait ou que
desjésuilcs déguisés, ou une société
nouvelle. Ces jugements, ces récits
VAR
133
occasionnèrent encore d'autres per»
sécutions contre la société, qui dès
lors ne fit que chanceler sur le sol
de la France. Ailleurs, elle n'était
pas mieux assise; à Rome, par
exemple, elle ne se consolida pas
longlemps. Le P. Varin fit un
voyage en cette ville, où il était
appelé par le P. Paccanari pour une
sorte de chapitre général. De retour
en France au mois d'octobre 1802,
il vit supprimer le pensionnat de
Lyon, et forma peu après le col-
lège de Belley, qui fut peut-être le
plus important de tous ceux que ses
associés dirigèrent. Mais il fallut
parer à un orage terrible qui me-
naçait tout l'institut. Un décret de
suppression de tous les établisse-
ments français fut rendu par Buo-
naparte, pi*emier consul ! Le P. Va-
i-in accourut à Paris, et agit avec
tant de bonheur, que ce décret fut
suspendu par le crédit de Portails,
ministre de l'intérieur, et du car-
dinal Fesch, tous deux amis et pro-
tecteurs des Pères de la Foi. Non-
seulement la nouvelle société se
livrait à l'enseignement, mais, en
1804, le P. Varin organisa aussi un
corps démissionnaires, dont il par-
tagea lui-même les travaux, qui
commencèrent par la ville de Tours,
où le vertueux cardinal de Boisge-
lin les avait appelés, et où le préfet
le trop fameux Pommkiilul, voir
tome XXXV, p. 281} leur suscita d'é-
tranges obstacles, sans arrêter leur.^;
fructueux succès. Peua[)rès, il con-
tribua à la formation du premier
établissement des vcl'Kiieuscs de la
conipuUjalion de .%'ûlri'-D(niu\ dont il
est, avec la sœur Julie, le véritable
fondateur. Cet institut, formé d'a-
bord à Amiens, a Irausléré son prin-
cipal établissement en Belgicjue.
Lors de son séjour à Rome, le P.
Varin avait eu de frécpioiits rap-
iSh
VAR
VAR
ports avec la princesse Marie-
Anne, et surtout avec le P. Pac-
canari, son supérieur général. Il
trouvait en cet homme une grande
facilité d'élocution, me dit-il un
jour, et s'il avait eu des études et
de l'instruction, il eût été un sujet
vraiment remarquable. Mais il s'a-
percevait en même temps qu'il n'a-
vait ni les vertus, ni les qualités
nécessaires à sa haute position, et
même à un simple religieux. Son
compagnon de voyage, le P. Roza-
ven, supérieur de la maison d'An-
gleterre, avait été aussi dominé
par cette préoccupation. Tous deux
se tinrent néanmoins dans une
prudente réserve. Mais, en 1804, le
P. Rozaven écrivit au P. Varin que
la plupart de ses compagnons et
lui partaient pour rejoindre les jé-
suites de Russie; que même, à son
retour deRome,il avait appris que ses
confrères avaient, yiendant son ab-
sence, obtenu du vicaire général de
la compagnie leur admission,, et
que, partageant leurs sentiments,
il avait averti Paccanariquela mai-
son d'Angleterre ne faisait plus par-
tie de sa société. Cette nouvelle jcla
le P. Varin dans l'anxiété. Devait-
il faire la même démarche qui lui
souriait beaucoup? Il pria; il s'a-
dressa au cardinal Spina, légat en
France, qui lui répondit de se sé-
parer de Paccanari ; que le Saint-
Père ne manquerait pas d'aj)prou-
ver sa conduite, puisqu'il ne recon-
naissait nullement l'esprit de Dieu
dans ce supérieur. Il ajoutait que le
moment de s'agréger aux jésuites
de Russie n'était pas encore venu,
et qu'il ne fallait pas priver la
France du secours de leur petite so-
ciété dont elle avait besoin. Il fit en
conséquence délivrerlui ciie-. siens
du vœu d'obéi^bance fait à Pacca-
nari. et obtint encore du légat la
conservation des privilèges dont
ils avaient joui jusqu'à ce moment.
Les associés du P. Varin reçurent
alors de lui communication de ses
démarches et de leur résultat. Tous
y applaudirent et le reconnurent
pour supérieur. Néanmoins il faut
convenir qu'il aurait dû légalement
les consulter avant d'obtenir pour
eux des dispositions qui changeaient
tout à fait leur existence religieuse.
Il lui restait à lui-même au fond de
r*âme un petit trouble qu'il bannit
plus tard. Le résultat dont il est ici
question date du 21 janvier 1804;
aussitôt le P. Varin en fit part au
P. de Rozaven, déjà rendu en Rus-
sie, et notifia sa séparation au P.
Paccanari et à l'archiduchesse Ma-
rie - Anne. 'Lors du séjour que
Pie VII fit à Paris, où il était venu
pour le sacre de l'empereur, le P.
Varin obtint de lui une audience et
une ratification empressée de tout
ce qu'avait fait son légat. Le pape
approuvait spécialement la déter-
mination de rester en France, en
engageant les associés à attendre le
moment marqué par la Providence
pour la réunion aux jésuites, et à se
résigner aux sacrifices et aux per-
sécutions (jue leur œuvre trouverait
dans leur propre pays. L'œuvre
continua donc toujours sous le nom
de Sociclé de la Foi, et, plus libre,
prit un nouvel essor, fit plusieurs
établissements. Néanmoins Fouché
restait indisposé contre eux, et, en
1807, le l*"" novembre, au milieu
de rassemblée de plusieurs souve-
rains de l'Europe, qui se trouvaient
à Fontainebleau , il porta Buonaparte
à interpeller tout haut le cardinal
Fesch sur la protection qu'il ac-
cordait à ces Pères de la Foi, qui
étaient ses ennemis jurés, et lui-
mênie réful.i le cnnlinal qui vou-
lait 1ns défendre, f.e Ir-ndemain,
VAR
VAR
135
Buonaparte montra à Fesch les écri ts
fournis par Fouché, et donna im-
médiatement ordre aux pères de se
retirer, sous quinze jours, dans
leurs diocèses respectifs, sous peine
d'être transportés à la Guyane. Le
P. Varin, quoique plusieurs de ses
frères purent ne pas suivre rigou-
reusement l'ordre brutal qui avait
été donné, fut renvoyé à Besançon
par Fouché, qui le mit sous une
surveillance rigoureuse du préfet,
dont il devait avoir l'autorisation
pour sortir de la ville et même pour
prêcher. Son exil et sa disgrâce
durèrent sept ans ; mais le temps
avait adouci la rigueur du préfet,
qui avait pu d'ailleurs apprécier la
valeur du P. Varin. Celui-ci se li-
vrait avec ardeur au ministère ec-
clésiastique et à la composition des
règles définitives de la congrégation
des religieuses du Sacré-Cœur, et il
contribua largement à consolider
une autre congrégation naissante,
celle des sœurs de la Sainte-Famille,
destinées à l'enseignement des en-
fants du peuple. Son zèle, en ce
genre, peut être comparé à ce-
lui de saint Vincent de Paul. La
restauration de la légitimité vint,
en 1814, ranimer en France tant
d'espérances, hélas! non réalisées!
Libre, comme le furent toutes les
victimes de l'arbitraire, le P. Va-
rin vint à Paris, rejoindre ceux de
ses confrères qui s'y trouvaient. Il
les réunit, ainsi nue ceux des lieux
plus ra|)prochés. dans une sorte
de chapitre général, et leur de-
manda s'ils pensaii^nt qu'on dût
continuer l'œuvre sur le pied où l'on
était en 1807, ou faire de nouvelles
démarches pour se réunir aux jé-
suites de Russie. î^ur celte ques-
tion, le P. Varin sfutit de nouveau
ces inquiétudes qui l'avaient tour-
menté (piand il se sépara de Pac-
canari. La pensée générale fut
qu'il fallait écrire au P. Orzozows-
ki, général de la compagnie en
Russie, et lui demander d'être ad-
mis de la manière qu'il jugerait
la plus convenable. Quoiqu'il se
sentît porté à prendre ce parti, Va-
rin voulut néanmoins consulter le
P. Picot de Glorivière et deux pré-
lats romains qui se trouvaient à
Paris; l'un de ces prclats était
monseigneur délia Genga, depuis
pape sous le nom de Léon XIL
Tous trois réj)ondirent que les
membres de la Société de la Foi de-
vaient rester en France ety travail-
ler comme auparavant, jusqu'à ce
que Dieu manifestât plus clairement
sa volonté à l'égard de la réunion
avec lesjésuites de Russie. On pour-
rait demander ici ce qu'on enten-
dait par une manifestation plus
claire, et pourquoi cette manifes-
tation devait être plus claire pour
les associés de France qu'elle ne
l'avait été pour ceux de Londres
et deBelgique. qui avaient pris cette
résolution et ce parti conveim sans
tant de difficultés. Le P. Paccanari
avait inspirédes méfiances en mon-
trant toujours une sorte d'éloigne-
ment à la fusion aveclacom[»agiiie
de Jésus; n'aurait-on pas pu regar-
der avec suspicion tous les dila-
toires du P. Varin, si l'on n'avait
connu sa profonde j)iété et sa sin-
cérité? Aussi, eu Belgique où ce
père s'était rendu pour se concer-
,ter avec les confrères de ce pays,
vit-il exprimer une grande surprise
sur une telle décision, surtout de
la part du P. de Glorivière. Ce re-
ligieux était un ancien profès de
la compagnie de Jcsus, avec lequel
le P. Varin avait fait connaissance
en rentrant en France et qu'il vou-
lait demander pour suj)éneur, tant
était grande lu conti 'uce qu'il avait
136
VAR
VAR
en lui. (V. Clorivière tome l\i,
p. 143.) Au milieu de tant d'incer-
titudes, le P. Varia se décida h
aller en Russie prendre les ordres
du général, et se disposait à ce
long voyage, quand il apprit que le
P. de Clorivière venait de recevoir du
P. Orzozowski, général, une com-
mission qui le nommait supérieur
de la compagnie en France et le
chargeait de s'entendre avec les
anciens Pères encore vivants pour
travailler à la reconstituer. Il re-
vint aussitôt à Paris, et, le 19 juil-
let, le P. Clorivière le reçut dans
l'ordre des jésuites et mit ainsi le
comble à ses vœux en finissant ses
perplexités. Il fut imité dans celte
démarche par le plus grand nombre
des Pères de la Foi, qu'il avait eus
sous son obédience. Au mois sui-
vant, le pape Pic VU publia la
bulle SoUicitudo, qui rétablissait
canoniquement la compagnie de
Jésus dans tous l'univers. Le P.
Varin fit le noviciat ordinaire de
deux ans et prononça les premiers
vœux. Il fut nommé secrétaire du
P. de Clorivière. qu'il acconqjagnait
dans ses voyages et qu'il aidait
dans le gouvernement de la compa-
gnie en France. En <818, par une
faveur spéciale du général, faveur
d'ailleurs bien justifiée par tous les
antécédents et les services du P.
Varin, il fut admis à la profession
solennelle des (jualre vœ.ux, et, de-
puis lors, sa vie fut soumise à l'ob-
scurité de l'obéissance. Ses emplois
les plus importants furent le gou-
vernement de la maison de Paris et
la direction du collège de Dole, dans
le Jura. Mais il n*; cessa jamais de
se livrer avec le plus grand zèle et
le plus grand fruit à la direction
des âmes. Les circonstances avai<iiit
bien varié dans une vie si acci-
dentée! Il en faisait, me dit-il, la
réflexion lui-même lorsqu'un jour,
au parloir de la Visitation, à Metz,
il rappelait tout son passé avec une
des religieuses de cette maison,
qu'il avait connue près de la prin-
cesse Marie-Anne. Ileut encore une
épreuve terrible à soutenir lors de
la révolution de juillet 1830; il
était alors supérieur de la maison
de Paris. Sa santé alla toujours
déclinant, et cependant il n'aban-
donna point les travaux du minis-
tère de la direction. Dans le prin-
temps de l'aimée 1850, le R. P.
de Uavignan, son supérieur, crut
lui procurer du soulagement en
l'envoyantà Mantes (Seine-et-Oise),
passer quelque temps dans une
maison amie. La Providence en
avait décidé autrement. Comme il
s'atlaiblissait déplus en plus, on le
fit revenir à la communauté de Pa-
ris, 011 il mourut dans les plus vifs
sentiments de pitié, le 19 avril 1850;
il avait 82 ans. Le P. Varin était
un homme de taille ordinaire; les
années elles infirmités, sans doute,
l'obligeaient depuis quelque temps
à tenir la tète et une épaule pen-
chées d'un coté. Il n'a rien publié
que je sache; mais sa corres-
l)ondance, i-:i elle était imprimée,
présenterait un recueil fort curieux
et fort utile. Les éléments princi-
paux de cet article ont été pris dans
la Vie du H. P. Joseph Varin, reli-
(jieiijc de la compagnie de Jésus, an-
cien supérieur général des Pères du
Sacré-Cœur en Allemagne, et des
Pères de la Voi en France, suivie
de notices sur quelque s -U7is de ses
confrères, par le P. Achille Guidée
de la méniecomp<ignic. 1 vol. in-12,
Paris, veuve Poussielgue-Uusand,
1854. B.— D.— i:.
VAIUSCO (Camille, le père),
né en 1735, se distingua dès sa
plus tendre enfance par soji appli-
VAR
VAR
137
cation à l'étude et [nnr l'amour de
la lelraite. Devenu membre de ia
congrégation des Somasques, où il
vécut près d'un demi-siècle, il puisa
dans la lecture habituelle des livres
Bdinls une candeur, une douceur et
une humilité qui jamais ne s'alté-
rèrent en lui, et qui s'alliaient
néanmoins à une vaste érudition.
Après avoir professé avec éclat
l'éloquence et la théologie à Lodi,
Camerino, Rome, Xaples et Venise,
il devint directeur du collège natio-»
nal de Modènc et ensuite prévôt du
collège de Pavie, où il obtint 1 ami-
tié du savant d'Allegro, évêque de
celte ville. Bien que très-capable
de composer debonslivres, Varisco
se borna à traduire en italien divers
ouvrages de choix concernant la
religion et les sciences théologiques,
dans lesquelles il était profondé-
ment versé. Il mourut à Milan W.
S mars 1808, Agé de 73 ans.
M.-G.-R.
VAU>'ER (François-Antoine),
né à Paris en 1789 et mort en 1854,
fit ses études au collège de Sainte-
Barbe. Il y eut dans toutes ses
classes, au concours général, des
succès flatteurs et nombreux. En
cessant d'être élève, il fut quelque
temps professeur, et quand la
conscription raltcignit, après avoir
fouiiii deux remplaranls, il entra
soldai dans un régiment de dragons.
Pres(iue aussitôt, à la recomman-
dation de rexcelienl M. di: Lanncau,
le général Mathieu Dumas lo pla* .i
dans l'adminisiralion de la guerre.
L'expédition de Uussiiî se préparait.
Varner lit la célébn.' campagne de
1812 comme adjoint aux commis-
saires de guerres, (lommenl échap-
pa-t-il aux désastres de celle i cirai le
(tù l'on n'avait pas moins à icmIou-
ler la faim que le froid? — En sortant
de .Moscou en llammes, et <l<int tous
les habitants s'étaient éloignés, il
vit d'une boutique incendiée tomber
à terre un pain de sucre. 11 ramassa
et jela dans sou chariot ce pain de
sucre qui, sagement ménagé, le
Boulint dans les moments où toute
autre ressource lui manquait. On
ne pouvait l'entendre sans émolion
quand ilc sa parole si vraie, si sim-
ple, il racontait le perfide sommeil
dont on se sentait saisi sur la route,
le périlleux passage de la Bérésina,
puis, à Smolensk , les quelques
instants insensés d'un excès de
bien-être plus destructeur, en quel-
que sorte, que le canon, les Cosa-
ques elle froid,
Varner ne quitta point l'armée,
même après la retraite. 11 était
fannée suivante à Dresde, et fut
après Leipsick eiifermé dans ïor-
gau, où vingt-deux mille hommes
mouraient en proie h la famine et
à la peste. Il } vit succonibor le
comte de Yosbonne, qui comman-
dait dans la place et dont le cou-
rage bravait tous les genres de
périls. A son retour en France,
Varner trouva la restauration peu
favorable aux anciens serviteurs de
lempire. Des réformes avaient eu
lieu au ministère de la guerre. Les
plus capables, comme toujours dans
les temps de partis, avaient été
d'abord éloignés. Plus d'emploi ,
point de fortune, mais heureuse-
ment un mérite qui lui rendait
toutes carrières accessibles. Il eut
djibord recours aux lettres, et les
lettres, comme dans ses jeunes
années, raccueillirent avec, faveur.
Un honnne d'un esprit vif, ingé-
nieux et fertile en ressources,
M. Imbert, avait élé comme lui
r<!fornjé; ils publièrent ensendjie.
en un volume, \\\rl il'oblcnir des
places, eux à (jui l'on venait de
ravir les leurs ; ensemble encorq,
138
VAR
VAR
et toujours avec succès, ils donnè-
rent au théâtre le SoUiciteur, et
plus tard, le Précepteur dans l'em-
barras. Un auteur dramatique déjà
bien célèbre, M. Scribe, que Varner
avait eu déjà pour camarade de
classe et pour brillant émule au
collège, l'admit en collaboration
dans un charmant ouvrage, le
Mariage de raison. Celte nouvelle
camaraderie resserra, pour l'un et
pour l'autre, les liens de la pliîs
noble et de la plus profitable amitié.
Désormais le nom de Varner
prenait place parmi ceux des au-
teurs les plus chers à la scène.
Quelles circonstances le rattachè-
rent à l'administration qui dut s'en
féliciter? — La campagne de Russie
l'avait mis en rapport avec M. Bus-
che, auditeur au Conseil d'État, qui,
envoyé vers l'empereur en mission
jusqu'à Moscou, en revint faisant
au besoin, comme tout le monde,
le coup de fusil flans les champs.
Ouand, sous la restauration, Paris
réalisa l'idco impériale d'un appro-
vif^ionnement de réserve, iM. de
Chabrol, excellent juge en quoi que
ce soit, en confia la direction à
M. Busche, qu'il avait connu,
croyons-nous, à l'école Polytechni-
que, et M. Buscliefit, à cette occa-
sion, entrer Varner à l'Hôtel de
Ville et fit bien. Varner était doué
d'un grand sens : sa raison ferme
et souple à la fois pouvait arrêter
aussi sûrement les bases d'une
mesure administrative i\uii\e scéna-
rio d'un vaudeville. Quelques an-
nées après, sous le roi Louis-Piii-
lippc, le bureau des élections avait
pris une grave importance. Elles
étaient dans leur indépenflance en-
tière, et devant la presse libre,
l'objet d'une foule de suspicions,
de luttes et d'attaques. M. del'am-
butean plaça Varner à la tète de
cet épineux service, et le nouveau
chef de bureau y porta tant de régu-
larité, de droiture, avec une fer-
meté si calme et si polie, que tous
les intérêts lui rendirent une égale
justice. En s'ai)plaudissant de son
choix, le bienveillant M. de Hambu-
teau sollicita, obtint pour Varner la
croix d'honneur, et de loyales mais
paisibles occupations lui acquirent
ainsi, avec l'aide d'un juge éclairé,
cette décoration qu'il avait déjà dix
fois méritée dans les campagnes les
dIus meurtrières. Quel homme fut
jamais plus modeste et plus désin-
téressé !
Les réactions hostiles et les vils
intérêts qui, en '1848, éloignèrent à
la fois de l'IIotel de Ville quatre
chefs de division et cinquante-neuf
employés supérieurs, n'eurent garde
d'oublier Varner. C'était la pre-
mière fois qu'une retraite lui mé-
nageait un peu de repos. Que ce
repos devait peu durer! L'adjoint
aux commissaires des guerres avait
eu les pieds gelés par 40 degrés de
froid en Russie. Sa bonne consti-
tution , son extrême tempérance
avaient ajourné mais non détruit le
principe du mal. Une opération
cruellement douloureuse n'eût pré-
senté que des résultats incertains :
il avait assez souffert! Sa mort
fut calme, résignée, courageuse,
comme l'avait été la vie la plus
honorée de tous et la plus chère à
ses amis. B — ri:.
VARNEY (J.-B.), littérateur
estimable, mort professeur de rhé-
torique au collège de Reims dans
les premiers mois de 1819, laissa
dans cette ville les regrets les plus
vifs et les plus honorables. La Hevîie
encyclopédique lui a consacré quel-
cpies lignes dans son numéro d'avril
de ladite année; mais cette courte
notice n'indique ni le lieu ni l'épo-
-
VAR
VAR
139
que de la naissance de Varney. Elle
nous apprend seulement qu'après
de brillantes études faites à Paris
au collège des Grassins, il obtint
dans cet établissement une chaire
qu'il quitta au commencement de la
révolution pour voler à la défense
de la patrie en qualité de simple
grenadier. Bientôt parvenu au grade
d'officier, il abandonna la carrière
militaire, lors de la formation des
écoles centrales, et il fut nommé
professeur de grammaire générale,
puis professeur de rhétorique à
Chaumont, d'où il passa, en 1812,
au collège de Reims. La Revue ne
cite qu'un seul ouvrage de Varney.
Il en a publié quatre dont voici les
titres : I. Le Paresseux, traduit du
docteur San. Johnson, Paris, 1790,
2 vol. in-S"; II. Lettres de Junius,
trad. de l'aniïlais. Paris, Gueffier
et Voland, 1791, 2 part. in-8\ Var-
ney est le premier qui ait fait coh-
naître en France ces lettres célèbres
dont le véritable auteur n'est pas
encore bien connu. Sa traduction,
qu'il publia sous le voile de l'ano-
nyme, est loin d'avoir l'énergie et
le mordant de l'original ; elle n'est
pas toutefois sans mérite, mais elle
a été effacée parcelle que l'on doit
à M. J.-T. Parisot (Paris, Béchet,
1823, 2 vol. in-S"). 111. Histoivi' de
Miss Nelson, trad. de l'anglais,
Neuwied sur le Rhin ( se vendait
chez Garnery), 1792, 4 vol., non
pas in-S", comme on le dit, par
erreur, dans la France littéraire de
M. Quérard, mais pfîtit in- 12 d'en-
viron 2o0 pages chacun. Barbier
aurait pu comprendre cet ouvrage
dans son Dictionnaire des anony-
mes, car le titre ne porte (jue ce»
Iroi^ lettres du nom du trailuctj^ur
V.-]^ V. La Feuille, de rorn's'/ïOM-
dance du libraire, journal d» ré[)0-
(juc, s'exprime ainsi en aiiFioncant
ces 4 vol. : « C'est l'histoire de la
vie, ou réelle ou fictive, peut-être
réelle et fictive de plusieurs per-
sonnes oisives , par conséquent
amoureuses. Elles finissent par
sacrifier à l'hymen, comme c'est
l'usage. Le roman est assez agréa-
ble : l'auteur a pris la forme épis-
tolaire; et, selon que nous en pou-
vons juger, il intéressera les per-
sonnes qui aiment beaucoup les
événements qui peignent la scélé-
ratesse humaine. » IV. Les Commen-
taires de César, traduction novvelk
avec des notes militaires, Paris,
Délerville, 1810, in-8''. Par une
longue et consciencieuse étude ,
Varney avait acquis une parfaite
intelligence du texte; aussi sa tra-
duction est exacte et fidèle, mais,
suivant un habile critique (1\ le
style pourrait en être plus facile et
plus élégant. B. L. U.
VARVAKI (Jean\ en romaïke
BAPBARH2, patriote grec modem»-,
était de l'île d'Ipsara et naquit en
1744. Ses parents l'avaient laissé,
jeune encore, maître de richesses
qui lui permettaient de s'abandon-
ner aux plaisirs. Il ne se donna que
le temps de les connaître assez pour
n'être pas étranger au courant de
la vie usuelle, et au premier cli-
quetis d'armes qui pouvait avoir
pour résultat l'indépendarsce de
sa patrie, eu d'autres termes dès
que les hostilités suspendues par
cette trêve que l'on qualifiait de
paix do Belgrade éclatèrent de re-
chef entre la Russie et la Porte, il
vendit la totalité de ses biens, arma
un bAtimcnt cl courut sus aux
musulmans, auxquels il ])rit et
(1^ Terri de Saint-Constant, liudi-
ment de In tradurUDn, S- rdil., t. 1",
p. XXVf
uo
VAR
VAR
coula plusieurs navires. Ces succès
en un coin de l'Egée pouvaient à Ja
longue devenir le point de départ
d'une diversion puissante, et même
on peut dire qu'ils le furent; car
nuldoule que ce soit à l'impression
causée par les courses de Varvaki
et de ses imilaleurs qu'est due l'idée
de l'expédition russe dans l'Egée
en 1790, 1791, expédition où l'ap-
])oint des Grecs l'ut si décisif pour
le succès de Rouinanssoi". Mais loi
ne fut pas le résultat à l'époque de
la guerre lurco-jjolono-russe : la
})aix de Kutchuk-Ivaïiiardji la ter-
mina tout à coup, et les infortunes
(irecs, après avoir couru aux armes
à l'instigation de Catherine II, furent
abandonnés sans pitié à la ven-
geance des Ottomans. Varvaki savait
quel sort l'attendait, s'il fût resté
à la portée des infidèles aigris en-
core par leurs désastres contre «ces
chiens de chrétiens. » Il se h;\ta
de mettre la frontière entre eux et
lui, puis il se rendit à Pétersbourg
où, moyennant ce (jui lui restait
d'iirgcnt, il trouva des protecteurs
([ui firent valoir ses droits très-réels
il quelque faveur de la part du
gouvernement russe. Le phiidoyer
eut son eflet ; et Varvaki fut en-
voyé intendant des finances dans le
gou vernement d'Astrakhan. On nuiis
assure qu'il y donna l'exemple, fort
rare en Russie, d'une j)rohité par-
fait(' toujours et [uutout au-dessus
du soupr.on ; et pour notre part nous
crtjyons (jiie du moins il ne suivit
que de h)in et dijccumicnl les traces
des Russes. Ce dont on ne saurait
douter, c'est, d'une part, ([u'il re-
rul plus dune fois les témoigna-
ges de satisfaction du gouverne-
Fueiil, c'est, de l'autre, qu'il était
d'une générosité iuéj)uisable. On le
regardait comme le père des jjau-
vres el l'appui des malheinrjux.
Passionné pour la prospérité, pour
la future délivrance de sa patrie, il
y faisait périodiquement passer de
l'argent pour la fondation des éco-
les publiques où s'enseignaient le
grec ancien et l'histoire, avec des
notions sur l'état actuel de l'Europe.
C'étaient autantde moyens d'émeute
pour l'avenir, et les sommes qu'en-
voyait Varvaki n'étaient ni les seules
ni les plus importantes qui passas-
sent des caisses moscovites dans les
succursales de la propagande. Tout,
au reste, n'était pas absorbé parles
établissements d'instruction: on cite
entre autres l'agrandissement du
port d'Ipsara connue le résultat de
la munificence de Varvaki ; l'on
appréciera, en pesant bien ce fait,
{|ue plus de 300,000 piastres (à peu
près 72,000 fr.) furent consacrés à
cet objet. Mais il ne faudra pas per-
dre de vue non plus que, malgré la
délicatesse dont il avait toujours
fait preuve dans le maniement des
deniers publics, son revenu n'était
j)as moins d'un million de piastres,
quand eut lieu la levée de boucliers
d'Vpsilanti. A cette nouvelle, il fail-
lit mourir de joie, et sans attendre
que le cabinet russe se dessinât, il
multiplia ses envois pécuniaires ;
finalement, en dépit d(î son grand
Age ;il était octogoiiaire), en dépit
do .ses infirmités, il se fit transpor-
ter à Zant(; avec ses trésors en
I82i. Il eut le temps devoir les trois
juiissances assurer par la victoire
di; Navarin le triomphe de la cause
greccpie; mais il ne vit pas la (Irèce
transformée en monarchie et le
pays desThémislocIe el des Epami-
noudas devenir la légitime d'un ca-
det de la maison de Witlelsbach :
il mourut en 1830. Val. P.
VAUY ou VAUUY Ui: IJJCY,
prieur de Flavigny, seigneur de
Dombasle en partie, de Crévic, etc.
VAR
\\[{
141
par le bon usage qif il fit de sa for-
tune, a mérite la reconnaissance de
ses contemporains et un souvenir
de la postérité. Cet homme de bien
apparlenaitàune famille distinguée
de l'ancienne Chevalerie de Lor-
raine, famille aujourd'hui éteinte,
qui tirait son nom du village de Lucy
(Meurthe) dont elle possédait la sei-
gneurie, ainsi que celle de plusieurs
autres lieux (l). Ses armes étaient
d'argent à trois lions de sable, ar-
més, lampasscti de gueules, couron-
nés d'or, 2 et 1. Elle avait pour de-
vise : Fraus inimica Luci. Né dans
la ])remière ou la seconde année du
seizième siècle, Vary, sans doute
cadetde sa maison, embrassa l'état
ecclésiastique et entra dans l'ordre
de Saint-Benoît. Par un abus trop
commun alors, dès l'âge de neuf
ans, il fut pourvu du prieuré de
Flavigny, bénéfice en commende
d'un revenu assez considérable, et
qui dépendait de l'abbaye de Saint-
Vanne de Verdun. 11 succéda dans
ce Prieuré à Barthélémy de Lucy,
probablement son proche parent
i,quelques-uns disent son oncle), le-
quel avait été en même temps
jM'ieur de Saint-Nicolas-du-Port et
abbé deSaint-Ainoult de Metz. Plus
tard Varry eut le titre de protono-
(l) La seigneurie de Donihasle lui
< tuit cclnie, en I i:20, pur le mariage de
Jean de Lucy, lils (1(; Miihcu de Lucy,
avec .Marguerite de DoiuIkisIc, dernière
héritière de cett;- niaisoii. Ce Jean de
Lucy et Henri de Lucy, son frère ou du
moins son parent, comptaient parmi les
(luatie-viiigl el (pielques eliev;iliers (juc
Cliarles 11 assembla, en I l"2.i, pour!- ur
faire de larer, dans ri.'itiiôl de .ses
fill' s, qu'a défaut de mâles les femmes
pouvaient hériter du duelu' de Lorraine.
lu secon 1 Maheu de l.ucy fut mailre
«l'htjtel du due Antoine, et Pernelte de
Luev mourut abbesse de Vcryaville en
15l)j.
taire apostolique. Le premier em-
ploi de ses richesses fut con.sacré à
son église, lien fit bâtir ou recons-
truire le chœur, qu'il orna de su-
perbes vitraux, eximiis vitris iGalL
Christ. ,\\\\, col. 1351), siiremcntles
mêmes que ceux dont on admire en-
core les restes , et que nous avons déjà
signalés dans une note de l'art.
Ruyr (lxxx, 216). Après Dieu, le
seigneur de Dombasie songea aux
êtres qu'il affectionnait le plus, c'est-
à-dire aux pauvres de ses domaines.
Outre les bienfaits journaliers que
sa charité leur prodiguait à tous de
son vivant, il voulut encore procu-
rer à un certain nombre, après lui,
les moyens de s'instruire etde s'éta-
blir. Il plaça une forte somme, dont
la rente devait servir à marier tous
les ans cinq à six filles choisies parmi
les plus indigentes et les plus ver-
tueuses des villages et hameaux de
Dombasie, Crévic, Grandvezin, Fla-
vigny, Anthelupt, lludivilcr, Lucy
et Vathimont. Ensuite, moyennant
3,300 francs barrois qu'il délivra à
l'abbaye de Ilemiremoat, le Chapi-
tre contracta l'obligation de faire
apprendre chaque année un métier
à six garçons des mêmes villages.
L'apprentissage durait trois ans,
pendant lesquels on soignait aussi
l'éducation de ces jeunes gens. En-
fin, par acte du 3 mai loiO, le
digne prieur donna au collège de
La Marche à Paris, treize cents écus
d'or au soleil, |)Oury fonder à per-
pétuité deux bourses, dont jouiraient
pétulant les 7 ou ^ années du cours
d'études, deux jeunes clercs tonsu-
rés de Dombasie et lieux circonvui-
sins. Cette fondation, si avantageuse
au pays, a eu son effet juscjuà la
révolution de 8i). Suivant le Call.
Christ, {lac. d/.), Vary termina sa
carrière en 1537. Le 7 dccenihrc,
ajoute dom Calme t {Liste des
U2
VAS
VAS
l'riL'urs de Fiavigny, dans le t. vu
de son Histoire de Lorraine.) D'après
cela, il est étonnant que le savant
abbé de Senonesdise, à l'art. Dom-
BASLEde sa iVo//fcdc laraôme pro-
vince, que le prieur, pour assurer
ses fondations, les fit approuver et
autoriser par le duc Gliarles III, par
lettres du 25 janvier 1564. Si une
autorisation (juelconque a été de-
mandée à cette époque, ce ne put
être que par les villages intéressés,
etc. Vary fut inhumé dans l'église
de son prieuré, au milieu du chœur
où, en 1605, vint prendre place à
ses côtés Antoine dllaraucourt ,
son successeur imm diat. B.-L.-U.
VASCO (Jean-Baptiste) , un des
princes de la science économique en
Italie, naquit en 1733 à Mondovi, où
ses parents jouissaient de quelque
aisance et d'une certaine considé-
ration. Mais, cadet de famille, il fut
de bonne heure voué à l'église. Ces
vocations par avis de parents tour-
nent rarement à bien. L'adolescent
se laissa mettre au séminaire, le
jeune homme se laissa conférer les
ordres. Mais c'est après ces ser-
ments qui l'enchaînaient pour la vie
que sa tiédeur pour la carrière clé-
ricale devint de l'antipathie et que
la liberté de langage avec laquelle il
s'exj)rimait sur des vicesqui n'étaient
pas l'apanage exclusif des laïques
et sur des abus qui rapj)ortaient à
la caisse, le rendirent suspect à son
cvèque. Les admonestations ne ser-
viront à rien : il ne se laissait ni
terrasser par les arguments du
grand vicaire, ni séduire par - lés
prosopopées du professeur d'élo-
quence sacrée. Après des tiraille-
ments sans nombre; après des tra-
casseries intolérables par leur mes-
quinerie même, il se vil obligé de
renoncer à rexcrcice de sa profes-
sion, et comme banni de fait. Heu-
reusement, car sans cette circons-
tance il se fût trouvé , pendant
un temps du moins, dépourvu de
tout moyen d'existence, un de ses
amis, le marquis de . , . . , le
recueillit en son château, et par
les preuves d'estime dont il l'en-
toura publiquement, empêcha qu'il
ne succombât sous les attaques dé-
nigrantes de ses persécuteurs. C'est
dans celte honorable et paisible re-
traite que Vasco, réduisant en quel-
que sorte en théorie ce dont il avait
le sî)ectacle sous les yeux dans les
domaines de son sage protecteur,
publia sa Félicité publique considé-
rée chez les cnllivatenrs de leurs
propres terres , 1769 ou 1770.
L'ouvrage trouva presque immédia-
tement un traducteur français et
jouit d'un certain retentissement
non-seulement en Italie, mais à
Paris, centre de l'école des physio-
crales, et en Suisse. Vasco n'était
pas homme à se reposer sur ses
lauriers. La même année, 1771, il
remportait le prix proposépar la
Société libre d'économie de Saint-
Péterh?bourg ; et en 1772 il envoyait
à l'Académie de Turin son Essai po-
litique sur la monnaie. Cinq ans
après, ayant résolu de concourir
pour un prix que proposait l'Acadé-
mie de Vérone, il n'envoya son mé-
moire que Irop lard pour être lu en
temps utile; mais l'Académie, sur le
rapport que lui fit sa commission,
lui témoigna, ne pouvant déro-
ger aux conditions de son pro-
gramme, sa satisfaction de voir la
question si bien résolue en l'admet-
tant, de son propre mouvement,
parmi ses membres. Nous le re-
trouvons encore en 1788 menantde
front la solution de deux problèmes
de première importance, ou pour
l'humanité tout entière, ou pour
l'Italie, posées par l'Académie de
VAS
VAS
U3
Turin, l'un sur la mendicité, l'autre
sur les moyens de pourvoir à la
subsistance des employés à la fila-
ture de la soie. Sa réputation alors
avait franchi l'horizon primitif :
l'Allemagne même, si aveugle, si
féroce ennemie de l'Italie, pronon-
çait son nom avec respect : Jo-
seph II (il est vrai que ce dernier
était un monarque philosophe) le
consultait sur les matières écono-
miques et financières, et s'il n'eût
été ravi trop tôt à ses peuples, nul
doute que V'asco appelé à sa cour
n'eût joui près de lui d'unhautcré-
dit, et n'eût été revêtu de fonctions
importantes. Mais dès 1790, l'aîné
des fils de Marie-Thérèse laissait le
trône à d'ineptes collatéraux , et
l'habile économiste le suivit de près
au tombeau. Toutes ses œuvres ,
après avoir été la plupart imprimées
séparément, se trouvent dans la Bl-
bliothèquedeH économistes italiens (en
italien, bien entendu) de Guslodi.
Outre celles que nous avons nom-
mées dans le cours de cet article,
il faut distinguer encore sa Liberté
de l'intérêt ( Viisura libéra , tel
est le titre italien). Cet ouvrage
aujourd'hui n'apprendrait plus rien
aux adeptes consommés de l'écono-
mie politique. Tous savent {\\\'usura
en latin (d'où Fon sens en italien)
ne veut dircqu'?>i/^r<?/et n'exprime
nullement ce que le français entend
par a usure; »> tous savent qu'en
fait l'intérêt, tout réprouvé qu'il
fui lon^'temps par l'Eglise (il ne
l'est plus aujourd'hui), n'a jamais,
tant qu'il ne devient pas tyrannique
et oppresseur, froissé les conscien-
ces délicates et même est entré
dans lesmreuis, l.uidiscju'en droit il
est la rémunération d'un sci-vice
rendu (la disponibilité d'un capi-
tal) «'t la compensation d'un risque
(la perle) ; tous savent enfin (lue le
taux de l'intérêt varie suivant l'im-
portance du service ou bénéfice que
procurera ceserviceet suivant lagra-
vité du risque. Mais ces vérités po-
pulaires aujourd'hui et que ne con-
testent plus que les adhérents quand
même aux vieilles routines ou des
utopistes qui prétendent ne rencon-
trer que des constantes dans leurs
calculs, étaient alors des nou-
veautés en tout pays et des hardies-
ses entre les Alpes et le Phare.
Vasco mérite donc notre admiration
pour être un de ceux qui par leurs
propres forces, ont le mieux élucidé
ces questions si mal comprises
alors, si controversées depuis : il les
a prises et reprises sous toutes les
faces, il les a simplifiées par degrés,
il a merveilleusement faitsorlirdes
connues les inconnues ; et après
avoir tracé l'origine, analysé les
conditions, classé les diverses espè-
ces de prêt, il conclut, en arrivant
au dernier problème (le taux de l'in-
térêt), que, pour contenir l'intérêt
dans les limites les plus discrètes,
le meilleur moyen c'est la liberté de
transactions la plus grande possi-
ble, relativement aux circonstan-
ces particulières dans lesquelles
chacun se trouve. Nous ne termi-
nerons pas cette esquisse sans indi-
quer les sujets des autres grands
mémoires de Vasco. La question de
la Société libre d'économie de Saint-
Pétersbourg roulait sur le phéno-
mène de l'extension à la classe des
paysans du droit d'avoir, en pleine
propriété, des biens fonciers. En
voici les termes: « Est-il plus utile
au bien public queles paysans [)03-
sèdent des terres en propriété où
seidemonl des biens meubles ? VX
jusqu'oùdoivent s'étendre les droits
des paysans sur les terres pour que
le public en retiie le i)his grand
avantage? » La question de lAca-
Ikli
VAS
demie de Vérone avait pour ob-
jet les corporations d'arts et mé-
tiers : Vasco montra combien ces
institutions du vieil âge non-seule-
ment étaient devenues inutiles en
même temps que vexatoires, mais
s'opposaient à tout progrès, soit
comme perfectionnement des pro-
grès, soit comme abaissement des
prix. L'on a pu voir plus baut les
sujets proposés par Turin, soit en
1785 soit en J772. Voici le titre de
ce dernier en italien : Delta moneta,
sdfjgio politico. Les opuscules et
Iragments de moindre importance,
lesquels ne se trouvent que dans la
collection Custodi, sont réunissons
le titre général de : Annanzi et
Eslratti. Disons entiu que le tra-
ducteur de la Félicité publique est
Bréard de l'Abbaye. Val. P.
VASSAL (Jacques-Claude-Ro-
man) , banquier et, à la chami)re des
députés de 1829, l'un des deux cent-
vingt et un, était de Lyon et d'une
famille des plus honorables : il na-
(juit vers 1765. Primitivement on
avait compté le vouer à la carrière
sacerdotale, et ses premières études
terminées, il avait été placé au
grand séminaire de sa ville natale,
quand survint la révolution. Im-
médiatement la vocation du jeune
Koman, si vocation il y avait ,
s'évapora devant la nouvelle pers-
pective qui s'ouvrait pour tous ;
et comme il n'avait point encore
reçu les ordres, ses parents ne
génèrent par nulle objection ses
nouvelles tendances. L'essayer ,
d'ailleurs, neût j)as été raisonna-
ble. De longlenq)S l'Eglise en France
ne pouvait offrir de d('boucliés sé-
duisants ou j)roductifs à l'ambition.
Mais à quelle prolession se livnîrau
milieu de l'étourdissante confusion
dont les proportions allaient crois-
sant de jour en jour? lin attendant
VAS
mieux, il se délenninapour Padmi-
nistralion, et il fit ses débuts <à
Gbâions en qualit(^N.de chef du bu-
reau des émigrés, (s'^'était {\ coup
sûr une de ces position^? où le titu-
laire pouvait, selon son hx)^^ vouloir,
faire ou beaucoup de mal 6»>u beau-
coup de bien. Vassal n'hésit^a pas
sur le parti à prendre. Quoique}- P'^"
triote, il n'était pas des patriolo^^
furibonds ; quoique respectant e'ii-
appliquant la loi, il n'en outrait
point les sévérités. Sa modération,
sa générosité permirent à bien des
tètes en péril de se soustraire k
la mort .qui les menaçait. Ces
services essentiels étaient d'au-
tant plus méritoires qu'en écartant
des autres le danger, il l'attirait
sur lui-môme et qu'il le savait.
Bientôt il se vit l'objet des défian-
ces, des suspicions, des persécu-
tions môme : il ne put y tenir, et,
soit dégoût, soit sentiment d'un dé-
noûmenl plus formidable, il dispa-
rut de la capitale de Seine-et-
Marne, et vint chercher refuge à
Paris. Heureusement il avait un
])elit|)éculede 7,000 francs : nepou-
vantplusse présenter pour deman-
der le moindre emploi au gouver-
nement dont il lui fallait au con-
traire esquiver ou dépister le
ref-'ard , il résolut de se créer
un établissement de commerce.
De quel commerce ? On ne le
devinerait pas, vu l'exiguïté du
capital. Ce n'était ni plus ni moins
qu'une niaison de banque. 11 com-
mença, comme on le devine, fort
petitement; il escompta fort pru-
demment, il ne se laissa pas aveugler
ou endormir parle succès; au con-
traire il redoubla de vigilance et de
circonspection. P(;titàpetit ses opé-
lations s'étendirent, sa maison fut
citée comme des plus solides de la
cai)itale, sa capacité linancière fut
VAS
vantée , sa piobilé sur laquelle
clients et concurrenls n'avaient
qu'une voix, porta au comble sa
réputation. L'estime ])ubliquc le
porta successivement à tous les
sièges (le la magistrature consu-
laire; en d'autres termes, on le vit
successivement suppléant, juge,
président du tribunal de commerce.
Il y déploya constamment une sa-
gacité, une profondeur de science
tant juridique que commerciale, une
netteté d'appréciation et en même
temps un vif esprit de progrès qui
firent de ses paroles comme aulant
d'oracles. Ajoutons qu'il était la
bienveillance môme cl qu'il se plai-
saità patronner les fiiibles, pourpeu
qu'il vît en eux quckiue talent et
de la prol)ité, et so:î appui ne lit
jamais défaut à qui [our réussir
n'avait besoin que de crédit. Aussi
le commerce moyen et bas mit-il
un rare empressement à lui donner
des milliers de voix pour le porter
à la députation de Paris, tant en
1829 qu'après la dissolution de la
Chambre en 1830. Défenseur éclairé
des droits du peuple sans donner le
moins du monde dans la démagogie,
sans même souhaiter, lui, la chute
des Bourbons, il avait, comme nous
ravonsindiquéenr.onuncnoant, voté
l'adresse des deux -cent- vingt-et-
un. La ri'volution des 27, 28 et 29
juillet vint donner raison à la ré-
sistance et donner à ceux qui vou-
laient arrêter la monarchie sur celte
pente qui la conduisait au précipice
un triomphe plus complctque beau-
coup ne l'eussent souhaité. Vassal
fut-il de ceux-là au moment même
où s'accomplissait ledésarroi"' Nous
inclinons à le penser. l"^n tout cas,
il ne fut lias longtomps à le deve-
nir, car il fut, connncrcialement par-
lant, une des premières victimes de
la crise qui suivit la chuie de Ghar-
LXXXV
VAS
l/i5
les X. Nombre d'établissements
qu'il avait étayés de sa caisse, et
avec lesquels il était à découvert
pour des sommes considérables, fu-
rent ruinés par l'interruption des
afifaires commerciales que provoqua
la bouderie de l'aristocratie légiti-
miste, qu'augmenta et prolongea
l'altitude plus qu'ambiguë de laRus-
sie et à laquelle les cris d'une
opposition trop généralement et
trop souvent furibonde n'étaient
pas faits pour porter remède. A'as-
sal, à son tour, ne pouvant parer h
tant de sinistres qui venaient le
frapper coup sur coup, fut forcé de
suspendre ses paiements et de dépo-
ser son bilan. Energique et intrai-
table sur l'honneur, il ne se crut
pas le droit de marcher la tète
haute, son concordat signé. Il forma
la résolution de réparer intégrale-
ment les pertes dont avaient à se
plaindre ses créanciers, et désor-
mais n'assignant d'autre but à sa
vie, il dit adieu pour jamais à tout
rôle politique, lldéserlalemonde, et,
avec les ressources exiguës que lui
laissait le malheur, il rejiril les affai-
res avec autant, avec peut-èlre plus
d'ardeur qu'au temps de sa jeunesse
et de ses succès. Il avait fait bien
des pas déjà dans celte voie et
avanoé la solution du problème qui
lui tenait tant au conir, (piand 1 1
mort vint le frapper le 13 octobre
\S:ik. On a prétendu que cette fin
avait été volontaire et qu'il s'élait
îioyé. A ses funérailles se pressè-
rent presque toutes les sommités
financières et ony remarqua surtout
ses ex-collègues de la magislralure
consulaire, i[u'\ tinrent à honneurdc
prouver par leur présence (piiis
savaient distinguer entre le n)alheur
et la faute, et en quelle estime ils
tenaient l'honorable naufragé. mal-
gré son naufnige. Un d'eux, (lan-
10
l/i6
\AS
iicroii, dans une notice qu'on peut
lire dans le MouUeitr du 17 octobre
(même année), paya le tribut à sa
mémoire , et il ne fut personne qui
n'applaudit aux paroles par les-
quelles se terminent ces simples et
pieuses li.cnes : « Si un tort réel
peutlui être rcprocbé comme homme
d'afï\\ires, celui d'une faiblesse qui
a été la cause de son infortune, il
est certain pour tous ceu.\ qui ont
été à même de l'apprécier que cette
faiblesse môme prenait sa source
dans |r'STi]!i>f:énf''roux sentiments.»
Val p.
VASSEL'R (MlGHEL-FllANÇOls) ,
né à Polincovc, dans l'arrondis-
sement de Saint-Omer, le 16 mars
1740, et mort dans cette dernière
ville, le 20 août 1833, plus que no-
nagénaire par conséquent, était un
des hommes de France qui connais-
sait le plus à fond l'ancienne légis-
lation de notre pays; ses conci-
toyens l'en regardaient comme le
répertoire vivant. Ayant prùlc ser-
ment comme procureur à la cour
échevinale le Kl janvier 1771 , ayant
ensuite continué ses fonctions sol;s
le nouveau régime avec le titre d'a-
voué licencié, il ne céda sa charge
qu'au bout de cinquante ans d'exer-
cice et daus la quatre-vingt-onziè-
me année de son âge. Il y en avait
quatre alors qu'il cumulait avec
les soins de son étude le jioste de
juge au tribunal civil..., juge suj)-
pléanl. i! est vrai, et dès lois ne
siégeant ]!as en permanence, mais
ne demandant qu'à siéger, insatia-
ble des cas épineux, imbrisable à
la fatigue, et en dépit de l'assour-
dissante et monotone éloquence qui
pérore sur les déviations des cours
d'eau et sur le mur mitoyen, inac-
cessible au sommeil. Il s'était aussi
laissé entraîner dans l'administra-
tion des hospices, qu'il gérai ta la sa-
VAS
tislaction de tous, triomphant dans
le contentieux j)ar sa longue habi-
tude des affaires et par son aplomb,
lia, connue l'auraient eu les hauts
barons de jadis, son mausolée en
beau marbre dans l'église de Polin-
cove, et sur le marbre se lisent plu-
sieurs épitaphes peu poétiques, bien
qu'écrites en vers. X.
VASSILLACClîî ( ANToiNii ) ,
surnommé TAliense, peintre, na-
quit dans l'île de Milo, qn 1556, et
puisa sous le beau ciel de la Grèce
un génie fait pour les beaux-arts
et surtout pour les vastes compo-
sitions qui exigeaient de l'imagina-
tion. PaulVéronèse fut sou maître,
mais lorsqu'il eut vu briller les pre-
miers rayons du talent de son élève,
il en devintjaIoux,l(i renvoya de son
école en lui conseillant de ne pein-
dre qu'en petit. L'Aliense, voyant
que Paul renouvelait envers lui la
conduite que le Titien avait tenue
il l'égard de Tinloret, résolut de
suivre à son tour l'exemple de ce
dernier peintre. Il étudia les plâ-
tres moulés sur l'antique, ne ces-
sant de les dessiner nuit et jour; il
se rendit familière la connaissance
du corps humain, il modela en cire,
copia assiduement le Tintoret, et,
comme pour oublier tout ce qu'il
avait appris de Paul Veronèse, il
vendit juscju'aux dessins qu'il avait
faits dans son école. Mais il ne sut
pas si bien en perdre la mémoire que,
dans ses premiers ouvrages, qui
subsistent dans l'église des Vierges,
on ne reconnaisse les traces de l'é-
cole de Paul, et un artiste formé
j)our ce style. Les historiens lui
font un reproche d'avoir abandonné
cette route poin- en suivre une au-
tre moins conforme à son propre
talent; ils le blâment surtout de
s'être laissé bientôt aller au tor-
rent des maniéristes. Quelquefois
VAS
VASi
U7
il peignait avecbeaucoup de soin,
comme VÉiHphanie, qu'il fit pour le
conseil des Dix ; mais le plus sou-
vent il abusait de la facilité de sou
génie, sans craindre que cet abus
put diminuer son crédit, puisque le
Palma et le Corona, qui étaient ses
rivaux, suivaient le même exem-
ple. Il s'appuya contre le Viltoria,
son ennemi, d'un artiste en grande
vogue, Jérôme Campagna, élève du
Sansovino, et il jouit de toute la
faveur du Tintoret. C'est on se
conduisant ainsi qu'il fut chargé
de nombreuses peintures dans le
palais du Sénat et dans les diver-
ses églises de Venise, et qu'il' ob-
tint même de vastes travaux dans
d'autres villes d'Italie et notam-
ment à Pérouse, dans régUs!» de
Saint-Pierre. Cependant, il ne put
atteindre à celle réputation élevée
à laquelle l'appelait son heureux
génie. Parmi ses élèves et ses ai-
des, on cite Thomas Dolabella, de
Bellune, peintre habile, et qui fut
fort bien accueilli à la cour du roi
de Polo^Mie, Sigismond IH, au ser-
vice duquel il resta longtemps ; et
le Flamand Pierre Mera, qu'il aima
particulièrement, et dont il Ht le
portrait par amitié. L'Aliense mou-
rut à Venise en 1529, et fut enterré
en l'église de Saint- Vital. Le che-
valier Ridolfi, qui fut son ami, a
inséré sa vie parmi celles des il-
lustres peintres de Venise et de
l'Etat. Tome ii, p. 209. P. -S.
VASTKY Je baron de), chan-
celier du roi d'Haïti, membre de
son conseil privé, maréchal de camp
de ses armées, chevalier ile l'ordre
royal et militaire de Saint-Henry,
Haïtien noir de nation, com-
mença sa carrière iioliliciui; , en
1806, comme principal secrétaire
d'André Vcrnet (ensuit»' prince des
Gonaivesjau département deslinan-
ces et de l'intérieur, et passa avec
lui au service du roi. Lorsqu'en
1811 le roi composa la conimissiou
législative chargée de présenter les
projets de lois pour le Gode Henry,
M. Vastey fut nommé l'un des
secrétaires de celte commission.
Après la mort du prince desGonai-
ves (1813}, M. Vastey fut nomnié
secrétaire du roi, créé baron et
chargé de l'instruction du prince
royal. Il remplit son emploi avec
autant de zèle et de succès que de
talent. En môme temps M. de Vas-
tey commença à prouver son pa-
triotisme en auteur publiciste, et à
combattre pour son pays avec au-
tant de gloire que de zèle, faisant
preuve d'une instruction digne de
toute notre admiration. Lorsc^ue,
en avril 1815, les députés du roi
étaient de retourdu Port-au-Prince,
il publia, pour accompagner une
lettre du comte de Limonade, une
brochure intitulée : Le Cri de la
patrie^ où il commençait à dévoiler
la turpitude, la trahison et l'exces-
sive ambition de Pétion. Quelques
mois plus tard, il publia une nou-
velle brochure sous le titre : Le
cri de la Conscience , où il ac-
cusa le général Pétion du crime
de haute- trahison, de complicité
avec Daurion-Lavaysse, de com-
plots et d'intelligence criniiiicîlc
avec les ennemis d'Haïti pour ren-
verser l'Etat, et i)longer la po-
pulation dans l'esclavage et les pré-
jugés de 1789. Toujours prêt h
défendre les droits de sa race et de
son roi, il a écrit en 1817 un ou-
vrage a\ant pour litre : Ihflexions
politiques sur quelques ouvrages et
journaux français concernant liiuii.
Le roi, pour récompenser autant
de mérites, le nomma chevalier de
Tordre royal et militaire de Saint-
Henry, maréchal de camp ^2'^ umùI
168
VAT
181'J), et ciirm chancelier. M. de
Vastey a composé, j)Our couronner
ses travaux liléraires et poliliciues,
un ouvrage qui porte ce titre : Es-
sai sur les causes de la révolution et
des guerres civiles d'Haïti, ù Sans-
Souci, de l'iniprinicrieroyale, 1819,
rempli de notices très-intércssan-
les. H y parle de sa carrière polé-
mique et s'en exprime ainsi : «Nous
n'avons jamais aimé les discussions
polémiques; elles répugnent à no-
tre cœur et à nos principes; nous
les avons toujours évitées avec
soin, de crainte d'être agresseur, et,
si quelquefois nous nous sommes
élancé dans celte arène, c'est mal-
gré nous, et contre noire propre
volonté, que nous y avons été cn-
Iraîné; mais alors, provoqué par
une juste et légitime défense, nous
n'avons pas hésité à monter à la
brèche pour combattre les ennemis
de notre pays et de notre gouver-
nement , sous quelque forme ou
quelque couleur qu'ils aient pu se
montrer ». J. B.
VATAll, juriste de Rennes, où
il vit le jour en 4773, cl où sa mort
eut lieu le 21 octobre 1842, a\ail
débuté, après de très- fortes études
en droit, au barreau de cette ville,
où son élocution facile et nette, et
plus encore son érudition en ma-
tière légale et la sagacité avec la-
quelle il en faisait l'application aux
alîaiies litigieuses, lui valurent sou
grand renom. Le ministère public
s'empressa de s'adjoindre son la-
lent duquel on j)Ouvait se promet-
tre tant de services , et indubita-
blement Vatar, s'il l'eût voulu, fût
arrivé dans cnitc voie au poste le
plus boîiorable et le plus envié,
pour n'en sortir que premier pré-
sident. Mais il apportait dans l'exer-
cice de FBS fonctions une indépen-
dance d'esprit que ne pouvaient
VAT
supporter ses supérieurs, ni pallier
SCS amis, et (jui n'était pas tous
les jours du goût du pouvoir. Priu-
clpibus placuisse vires était la de-
vise d'Horace ; ce n'était pas la
sieiuie, et il croyait qu'elle était de
mise tout au plus en poésie. Il en
résulta que, sans môme qu'il y eût
collision entre son procureur géné-
ral et lui , on s'alarma dans les
régions supérieures, et sa révo-
cation lui fut signifiée. Naturelle-
ment il revint alors au barreau, où
plus que jamais il jouit de cette
haute considération, apanage du
talent qu'accompagne le caractère.
Ses consultations étaient surtout
regardées comme très-profondes et
comme élucidant les cas même les
plus controversés. Sa pensée fécon-
dait ce que presque tous auraient
trouvé stérile; il élargissait les su-
jets les plus mesquins en saisissant,
en établissant leur connexion avec
losprincii es; sous sa main le déve-
loppement d'une « espèce » , pour
[)arler le langage technique du
droit, devenait la démonstration
d'une vérité mal connue, et cette
vérité, naguère voilée de nuages,
jjrennit i-ang d'axiome ou d'apho-
risme. Aussi Toulier, qu'il comptait
])armi ses amis avec Malherbe et
Carné, disait-il, sans se laisser le
moins du monde aveugler par l'a-
mitié : <' Quand j'ai pour moi Mei-
jin et Vatar, il ne me leste [dus de
doute ». l,e courage civique de Va-
t.'ir se numifesta glorieusement en
ISU; , quand le général Travot
traduit devant le conseil de guerre
de la VV division, que présidait
le général Canuel , fut condam-
né à mort ; le barreau de Ren-
nes eut l'honneur, lorsqu'il appela
l'atTaire, de fournir treize avocats
pour s'gncr une consultation en fa-
veur de l'appelant; non-seulement
VAT
Valar fut un des lieize ; mais l'é-
nergie de ses efforts détermina
quelques-uns des signataires, et
presque toute la rédaction du mé-
moire est son ouvrage. On sait que
LouisXVIII, sans permettre un se-
cond procès, commua la 'peine on
vingt années de détention. 11 est
permis de penser que la puissante
argumentation des treize réunis,
bien qu'elle n'ait pas été soumise à
des juges nouveaux^ fut pour beau-
coup dans ce résultat. Quoique
ainsi champion décidé des libertés
nationales, le sage nvocat ne tomba
pas dans l'exagération si fréquente
à celte époque, et qui sans cesse
alla grossissant à mesure (ju'on
avançait , de M. de Richelieu à
M. dé Villèle, de M. de Villèle à
M. de Polignac : il sentit et com-
prit les fautes, mais sans faire de
vœux pour la chute des Bourbons,
sous lesquels, du reste, il devint,
après concours , professeur sup-
pléant à la P'aculté de droit. Vin-
rent les journées de juillet : il fut
replacé immédiatement dans la ma-
gistrature, mais comme juge, et il
consentit à faire partie de la com-
mission provisoire qui maintint
l'ordre dans la cité. Ses amis disent
que le ministre de l'instruction pu-
blique lui fit offrir, en ce temps, le
rectorat de l'Académie de Renues,
qu'il refusa. Ce dont on ne i)eul dou-
ter, c'est que, presque à la même
époque, fut créée dans la Faculté
de Rennes une chaire d(î droit com-
mercial, et (pie Vatar en obtint
d'emblée le titre en échange de sa
suppléance. Le cumul répugnait à
sa délicatesse; il se démit en même
temps de son sié;:e au IriJjunal.
C'est donc lui qui fui, à Rennes, le
premiiîr professeur de droit com-
mercial, (hiaiid la mort de Carré
laissa vacant le déi'aiiat, e'est lui
VAT
1A9
qui fut nommé pour régir la Fa-
culté. Il mourut comme il avait
vécu dans les sentiments de la plus
haute piété. Val. 1\
VATKR (âbuaiiam}, le célèbre
disci[)le et imitateur deRuyscb. ne
fut pas, comme le prétend l'article
auquel nous allons tenter de faire
quelques corrections, « nommé en
1710 à la première chaire de méde-
cine de l'académie de \Yittemberg.M
NôàWittemberg en 1684, il n'était
que simple élève en 1710; et ce
n'est qu'en 1717, au retour de son
voyage scientifique, qu'il lui fut
donné de paraître en sa ville na-
tale dans une chaire publique : en-
core ne fut-ce que comme profes-
seur «extraordinaire,» c'est-à-dire
comme suppléant ou comme chargé
par intérim. Qu'est-ce ensuite que
la première chaire de médecine?
Rien, pour nous Français, de moins
clair que cette épithète : précisons-
la donc. C'était la chaire de théra-
peutique, à laquelle était attaché le
décanat. Vater en fut pourvu, en
d'autres termes il fut et professeur
de thérapeutique, ce qui n'était
dit qu'ambigument et doyen (ce
qui n'est pas dit du tout). Mais ce
double fait n'eut lieu qu'en 17iC,
vingt-neuf ans donc aNant sa pre-
mière nomination et trente-six après
l'époque donnée pour celle de son
entrée en fonctions. Ce n'est pas
tout: de 1717 à 1710, quelques
particnlarités se présentent à nous
qu'on ne saurait négliger: c'est en
l7l9 qu'il devint lilulain; de la
chaire d'analoinie et de botani-
(pie (ce n'était pour lui qu'un
troc, accompagné de la stabilité
([ue ne possède pas encore le j)ro-
fesseur extraordinaire; C(\ n'était
pas un cumul); à partir de 1737,
il cunnda son anati-mie et botani-
(pie avec la ehaiiv' df palhnl.iirie.
150
VAT
Quant à la proraolioii de 1740,
elle n'ajouta rien à rexoeplionnalité
de la situation; en passant à la
thérapeutique, Vater dut abandon-
ner la pathologie; il ne jouit que
des avantages du simple cumul ; il
ne tricumula pas (si tant est qu'on
puisse ris(|ucr cette expression},
à moins qu'on ne cote ledécanat à
plus que sa valeur. — A la suite des
neuf ouvrages ou mémoires cités,
on trouvera, nous le présumons,
quelque intérêt h trouver les inti-
tulés suivants, qui tous éveillent
l'attention et nous jettent sur la voie
soit de phénoiïiènos, soit de décou-
vertes graves. Le Dictionnaire his-
torique de Dcseymeris n'en énu-
mère pas moins de cent dix ; c'est
donc rester dans les limites d'une
stricte sobriété que d'en ajouter à
peu pr^s la douzaine. Presque tou-
tes nos indications, on le remar-
quera, se réfèrent à l'histoire natu-
relle, notanimcuLà la bol;tnique, et
plus spécialement à la face phylo-
graphique de celle science. Nous
continuons la numérotation de l'ar-
ticle, notre point de départ. X-XII.
Trois pièces sur le jardin botanique
de Witteuberg, savoir : 1" Calalo-
fjus plantarnni inprimis exodcanim
horli acadcinici vilehcrfjcnsis, AVitL,
1721, in-i"; 2" Supplemcnluni cata-
lo(ji planfanim sislens accessinnea
novas horli av. vileh., Witt., 1721,
in-i"; Stjllabns planlar. potissimiim
exol. qnœ in Iwrlo medico academiœ
viteh. alnntur, AVilt., n.'H, in-i**.
Xllï. Jti. curvi Scmmedi Viv.uAMi
«KRiM iNDicARiM. quo covipreken-
dilur liistorid lariorum .uimplicitm
ex India orienlali, America aliisque
lerranim part ib un alla forum, anlchac
lingua Imitanica exaratus , nu^c.,.
hUmLlaU'(lonitu^y...\yi{lA12j,iu-'y'.
XIV. Disn. deraiaejiiadeuuiue virluli-
/;?/.», Wilt., 173'). in- V'.XV-XVf./;/.s'<».
VAT
de laurocerasiindolevenenata, exem-
ptis hominiim et cralerum ejm aqna
essecatorumconfirmala, 'WiiL, 1737,
in-4°; et Progr. de olei animalis ef-
ficacia conîrà lujdrophobiam et vene-
num laurocerasi, Witt., 1740, in-4"
(ce n'est pas le même opuscule,
tant s'en faut, que le VII de l'arti-
cle). XVIÏ. Diss. de efpcacia admi-
randa chinchivœ ad gangrœnam sis-
tendamin Anglia obs., Witt., 1735,
m-'t". XVIII. De fonte medicato vi-
teb'ergensi, Witt., 1748, in-4".XiX.
Programma de vitrioli ejasque sul-
phuris et tincturœ indole atqueprœs-
tantia, Witt., 1750, in-4". XX (à
rapprocher du nMX). Catalogus va-
riorumej:oticoruMvarissimor.,m(ixi'
mam partcm incognitor. et nullibi
descriptor., parlimmedicinœ, partim
curiof<ifati inservientium , quce in
Muaeo suo poasidet, Witt., 1726,
in-8°. HW. Progr. de laboribus suis
auatomicis et botanicis per trede-
cim annos... susceptis, prœmissum
orationi inaugurali de felici anato-
mes ad botanicam applicatione...^
Witt., 1733, in-4». Val. I'.
VATIMF.SNIL (Antoixe,-Fkan-
ç()is-nKMii-Li:n:avRK m:), magis-
trat, député, ministre del'instruction
publique, offlcierde laLégion d'hon-
d'honncur. naquit à Rouen le 10 dé-
cembre 1789. Son père, conscillerau
parlement de Normandie, confia sa
première éducation à un ecclésiasti-
que dont les piéceptes et les exem-
ples portèrent d'heureux fruits. Le
jeune élève y puisa les germes d'une
iiiélé solide à laquelle il se montra
conslamment fidèle, etdontla prati-
queéclairéc répandit sur les années
de sa retraite un relief el dt;s satis-
factions qui ne l'accompagnèi-entpas
toujours dans les brillantes sphères
du pouvoir. Il vint terminer ^es étu-
des à Pariset suivit le- hrons de rhé-
torique de Liicf <lo Ivancival, qui le
VAT
regardai t comme un de ses meilleurs
élèves. Valimesnil fut inscrit comme
avocat au barreau de Paris; mais il
exerça peu et dirigea bie:» tôt ses vues
du côté delà magistrature. Il y entra
par une place de conseiller-auditeur
à la cour impériiile, le 23 janvier
1812, au moment oîi il venait d'at-
teindre l'âge de vingt-deux ans re-
quis pour sa nomination. Le jeune
magistrat se prononça avec ardeur
plus tard en faveur de la Restaura-
tion, et fut nommé, le 15 octobre
1815, substitut du procureur du roi
au tribunal de la Seine. Ainsi que
la plupart des officiers du ministère
public de talent et de valeur, ce fut
dans les procès de la presse qu'il
posa les fondements de sa renom-
mée» et il acquit bientôt en ce genre
de débat une inronlcstable supé-
riorité. Il fit ses premières armes
dans TafTaire correctionnelle du
lieutenant-colonel Bernard, pré-
venu d'émission de fausses nou-
velles, délit (jualteignit une con-
damnation légère, et qui fournit au
jeune magistrat l'occasion de louer,
avec moins de goût (juc d'emphase
dans Louis XVllI, ce roi « qui n'eut
jamais de préjugés, qui est sans
passion, h moins qu'on ne donne
ce nom au sentiment sublime qui
se peint dans son regard et qui
rayonne sur sa figure quand il parle
du bonheur de son peuple, a Va-
timesnil porta la parole quelques
mois après dans le procès on diffa-
mation inîenlé par (jueUjues baiils
fonctionnaires du Lot à MM. La-
chèze-Murel et Sirieys de Mayrin-
hac, au sujet des dernières éhtr-
tions, et ses conclusions, légèrement
empreintes de l'cspiit de rcarlion,
dont l'ordonnance du 5 .=e|!l(Mnbre
avait donné le Fignal, enlrainèrent
des peines correc ionnclh^s contre
les inculpés. Vers la même éjoque,
VAT
151
il défendit des attaques de l'impri-
meur Paris l'ordonnance d'flm//ts/te
rendue par Louis XVIII en faveur
des émigrés royalistes, et fit con-
damner son libelle comme injurieux
pour le roi. Il provoqua et obtint
une condamnation sévère contre le
nommé Rioust, auteur d'une apo-
logie séditieuse de Carnot, et ftt
apjdiquer des peines pécuniaires à
MM, Chevalier et Dentu, auteur et
imprimeur d'une lettre ou (rageante
contre M. Decazes. Un procès plus
important fut celui que le minis-
tère public intenta, au moisde juil-
let i81"î, à MM. Comte et Dunoyer,
rédacteursdu Censeur européen, pré-
venus d'offense au gouvernement du
roi à l'occasion de ce glorieux captif
de Sainte-Hélène dont la renommée,
habilement exploitée par un trop cé-
lèbre chansonnier, commençait à
prendre rang parmi les instruments
deguerre de l'opposition libérale. On
remarqua généralement avec quelle
mesure Vatimesnil s'exprima sur
le compte a d'hommes dont il dé-
sapprouvait hautement les princi-
pes, tout en estimant leur personne
et leurs talents, » et sur la liberté
de la presse « chargée de former
l'opinion publique, » sur cette li-
berté <( qu'il fallait respecter à
cause de son utilité, aimer comme
une institution noble et généreuse,
digne du caraclère de franchise et
de courage propre à notre nation;
qu'il fallait encouragera demander
la révision. Pabrogation môme deë
lois inbuffisanl(îs et défectueuses,
mais avec les égards commandés
aux citoyens lorsqu'ils porlent des
lois et de la volonté du prince; »
Les conclusions du magistrat ac-
cusateur furent néanmoins sévères,
et les prévenus subirent la condam-
nation exorbitanle, il cette époqur,
d'un an d'enjpiisonuemenl et de
«52
VAT
10,000 fr. d'amende. Le zèle et les
talents de Yatimesni! eurent bien-
tôt à s'exercer sur un |»lus grand
théâtre. Il fut noaimc, le 22 juillet
1818, substitut au ].arquet de la
cour rovale de Paris. Ce fut en
cette qualité qu'il soutint au mois
de juillet 1819, devant la cour d'as-
sises de la Seine, l'accusation por-
tée contre Maurice Lefèvre, éditeur
de la Bibliollièque historique, au-
leur d'un véhéuicnt article contre
les soldats suisses, «^ propos d'actes
de brutalité commis sur un mal-
heureux enfant par un de ces mi-
litaires. C'était la première affaire
correctionnelle sur laquelle, d'après
la nouvelle législation, le jury était
appelé à prononcer. Valimesnil dé-
veloppa cette idée que le jugement
parjurés appliqué aux délits de la
presseserait éminemment salutaire,
si les jurés, dédaignant toute con-
sidération d'un ordre inférieur, sa-
vaient se placer à la hauteur de
lours fonctions, « car le sort d'une
institution, obsorvait-il, dépendait
à beaucoup d'égards du ])rcmier
CHsai. En purifiant la liberlé de
la presse, ajoutait Valimesnil, vous
Ja consoliderez, car l'efTet de la li-
cence serait de la détruire après
avoir ruiné tous les autres fonde-
ments de l'ordre social. » Ces sages
exhortations ne prévalurent ])oint
sur limpopularité dont ces mili-
taires étrangers étaient frappés;
Maurice [.efèvre fut acquitté du dé-
lit d'olTcnse envers la personne du
roi. et ce résultat s'étendit bientôt
après à un autre écrivain libéral,
Ciignel de Montarlot , qui avait
glissé sous rrnvolo|ij»e inofîensive
d'un calembour popidaire la thèse
de l'extermination de la garde hel-
vétique. Valimesnil soutint, au mois
d'août 1820, l'accusation plus grave
portée par le ministère public contre
VAT
l'ancien archevêque de Matines, ce
fameux abbé de Pradt, dont le sort
semblait être d'égayer par ses fanfa-
ronnades tous ceux qu'il ne révoltait
pasparraudaceefTrénéedesesécrils.
Cetecclésiastiqueétait inculpé du dé»-
lit de provocation à la désobéissance
légale et d'attaque contre l'autorité
du roi et des Chambres par la pu-
blication d'un pam|)hlet intitulé : De
l'affaire de la loi des élections. On
sait au prix de quels efforts, à Ira- '
vers les insurrections qui, dans le
courant de juin 4820, ensanglantè-
rent Paris, le germe de vie monar-
chique avait été préservé, à la ma-
jorité de cinq voix dans la nouvelle
loi électorale. Ce triomphe si chè-
rement acquis avait inspiré à M. de
Pradt, l'un des promoteurs de la
Restauration de <814, les prédic-
tions les plus sinistres, les provo-
cations les plus violentes et les plus
subversives. Le fougueux i»rélatqua-
liliait d'infâme guet-apens contre la
représentation nationale les mesures
de résistance prises par le gouver-
nement pour proléger la liberlé des
d'abats parlementaires, et compa-
rait aux dragonnades et aux scènes
les plus atroces de la révolution
française les précautions militaires
déployées pour la défense du châ-
teau des Tuileries. A ces encoura-
gements manifestes à la révolte
contre une léi^islation née dans de
telles conditions M. de Pradt avait
ajouté une diatribe amère contre
la Restauration, à laquelle il repro-
chait ingénument de ïavoir éloigné
des affaires, ci oii il s'emportait jus-
qu'à ])rélendreque/o?i^ bonheur avait
fui depuis six ans de celle France,
qui se relevait chaque jour des rui-
nes accumulées sur son territoire
par la révolution, le régime impé-
rial et linvasion des Cent -Jours.
Dans une argumentation méthodi-
VAT
VAT
153
que, pressante elmodérée,Vàtimes-
iiil insista à deux reprises sur le
danger de cette publication pas-
sionnée ; laissant de côté le carac-
tère personnel et les antécédents du
prévenu, il exhorta les jurés à tenir
exclusivement ciupte de leurs pro-
jircs impressions et à se demander
si a l'efTet combiné delà haine, du
ressentiment, de la frayeur de l'a-
venir, du mécontentement contre
l'autorité et de la croyance à de
grands malheurs, n'était pas d'ex-
citer à la guerre civile. » Mais la
France de 1820 était livrée à un
deces courantsd'anarchie moraleoù
les peuples se préoccupent médio-
crement du souci de fortilier le
pouvoir. En cette circonstance,
comme en plusieurs autres, la sol-
licitude du jury ne justifia point la
confiance du législateur, et l'abbé de
Pradt l'ut acquitté au bout d'une
demi-heure de délibération. Les
troubles de juin ramenèrent quel-
ques mois plus lard Janvier 1821}
devant la môme juridiction l'infa-
tigable athlète du ministère public,
qui obtint, celle fois, diverses con-
damnations, à la suite desquelles il
lut nommé (22 février) premier subs-
titut du procureur général chargé de
jioursuivre devant la cour des pairs
la répression du complot militairedu
19 août. Valimesnil n'excéda point
dans cet immense procès le rôle
secondairequi lui était attribué, lise
borna à la discussion des incidents
d'audiencecl,au résumé, des charges
produilescontieles inculpés, excepté
toutefois au sujetdu colonel Maziau,
contre lequel il développa l'aceusa-
tion avec son talon t accoutumé, et que
la courcondanmacpirlipies mois plus
lard à cinq ans d enq)risonnement.
(.le rulégaIementVatim<'snil qui porta
la parole contre le jxx'te Barthéle-
u\\, accuté de provocations sédi-
tieuses à l'occasion de la mort ré-
cente de Napoléon, dont il voulait
que le gouvernement français ré-
clamât les cendres. L'orateur dé-
voila facilement l'intention coupa-
ble qui se cachait sous l'apparente
nationalité de ce vœu, et s'éleva
avecforceàce propos conlre l'hypo-
crisie politique, ce produit moderne
de l'esprit révolutionnaire : « Des
hommes, dit-il, qui avaient juré
haine implacable aux rois et aux
nobles, oubliant tout à coup leurs
serments, ont fléchi le genou devant
le despote qui les chamarrait de
cordons et qui déguisait sous les
titres de l'Empire des noms trop
célèbres dans les annales de l'anar-
chie.» Ce procès, qui se termina par
l'acquittement du prévenu, fut le
dernier débat important dans lequel
Yatimesnil porta la parole. La sphère
politique allait s'ouvrir pour lui par
son entrée dans la première admi-
nistration que le coté droit eût
donnée au pays. Le ministère Vil-
lèle venait d'être constitué. Une or-
donnance du 3 janvier 1822 nomma
Yatimesnil secrétaire général du
ministère de la justice, sous les
ordres de ce même M. de Peyron-
net dont il avait été le principal
auxiliaire dans l'accusation portée
devant la cour des pairs. Il fut bien-
tôt après désigné pour soutenir à
la môme Chambre, en qualité de
commissaire du roi, le projet de loi
relatif à la répression des déliti^
commis par la voie de la presse ou
par tout autre moyen de publica-
tion. Yatimesnil combattit avec in-
sistance, mais sans succès, l'amen-
dement qui limitait la qualifica-
tion de délit aux attaques portées
contre l'autorité conalilutionnelle
du roi; mais il réu-^sil ci souslraiir
la plupart des infraction^ de la
presseàcettejuiidictiondujur\ dont
154
VAT
il avait tant tie fois éprouvé l'in-
firmité. Appelé quelques mois plus
tard à défeiuiro le budget de la jus-
tice à la Chambre des députes, il
appuya avec chaleur la proposiliou
d'augmetiter le traitement des ma-
gistrats de première instance et
exposa des observations utiles sur
le fonds de retenue applicable aux
pensions de retraite. Au mois de
juin I82i, il prit une part active h
la discussion de la loi sur la mise
i\ la retraite i\es magistrats intirmes,
et démontra sans pein(' combien
elle garantissait mieux le principe
tutélaire de l'inamovibilité que le
décret arbitraire d'octobre 1807. Il
participa aussi au débat sur les
modificatidus atlénuatives propo-
sées à divers articles du code pénal.
Ces travaux parlementaires ne re-
tranchaient rien à l'activité inces-
sante que déj)loyait Vatimcsnil dans
la vaste direction qui lui était con-
fiée. Il secondait puissamment les
vues du chef de la justice en faisant
régner l'ordre dans le dédale des
bureaux , en simplifiant tous les
rouages de l'administration, et sur-
tout en coopérant par une sollici-
tude quchiuerois excessive à la
bonne composition du personnel de
la magistrature. Ce fut à lui spé-
cialement (ju'on dut la création des
surimméraiies au ministère de la
justice, pépinière excellente et dans
laquelle l'ordre judiciaire a sou-
vent été depuis lors en possession
de se recruter avantageusement.
Ces services essentiels furent re-
compensés le 6 août 1824 p;ir la
place d'avocat général ii la cour
de cassation. Vatiinesnil fut nommé
en môme temps conseiller d'J^Ltat
en serMce ordinaire, et attaché au
comité du contentieux. Il fut in-
stallé à la cour suprême, le \H août,
parle vénérable Desèze,qui le féli-
VAT
cita « d'avoir fyit oublier sa jeunesî**
par ses talents, » et jamais, il faut
le dire, plus haute approbation ne
fut mieux justifiée. Indépendam-
ment de son mérite comme orateur
et comme administrateur, Vatimcs-
nil s'était montré jurisconsulte
plein de savoir et d'habileté dans
la première pbase de sa vie judi-
ciaire. C'est de ce genre de capacité
qu'il allait surtout avoir à faire
preuve dans l'exercice des fonctions
calmes et austères qui lui étaient
dévolues. Vatimesnil soutint digne-
ment, devant la chambre criminelle
et devant la chambre civile de la
cour de cassation, auxquelles il fut
successivement attaché, la brillante
réputation qu'il s'était acquise. Le
baireau a conservé le souvenir de
son argumentation toujours savant**
sans cesser d'être claire et métho-
dique, et toujours dominée par cCs
hautes considérations morales et
religieuses dont la source était
dans l'àme de l'émincnt magistral,
et dans le caractère indélébile de
sa première éducation. Plus solide
(pi'éclatante et dénuée d'ailleurs
d'intéiêt historique, cette seconde
période de la carrière judiciaire de
Vatimesnil fut encore marquée par
d'imi)orlants travaux administra-
tifs et parlementaires, il fut atta-
ché, le tO novembre 1825, au en-
mité de l'intérieur du conseil d'fclaf,
et fit partie d'une commission ap-
pelée à dresser un projet de loi sur
la propriété littéraire. Il appartint
également à la commission char-
gée (20 août 1824) de colliger et
de vérifier les arrêtés, décrets et
règlements rendus sous la Répir-
blique et l'Hmpire, et de préparer
les projets d'ordonnances pour rem-
placer ceux dont les dispositions
paraîtraient utiles à conserver. Il
défendit à la Chambre des députés
VAT
\ÀT
155
le budget des affaires ecdésiasli-
ques en (juaîité de commissaire du
roi ; il féconda du tribut de ses lu-
mières et de son expérience la dis-
cussion de plusieurs articles du
projet de code militaire. Lors des
élections générales de 4827, Viili-
rnesnil l'ut appelé à présider le col-
lège départemental de l'Eure , et
celui de la Corse l'élut député au
mois de janvier 1828; mais il ne
put accepter ce mandat, parce
que quelques mois lui manquaient
pour atteindre l'iige légal. — (]e-
pendant une révolution impor-
tante se préparait dins sa destinée.
A la carrière paisii)le et uniforme
de la magistrature, vocation vérita-
ble de son talent et de son rsprif,
allaient succéder les agitatioîisdela
vie politique, pour laquelle était
lieu faite sa nature droite, impres-
sionnable, déponi*vue i\ la fois de
souplesse et de fixité. La florissante
administration de M.deYillèleavait
succombé à la fin de 1827, sous les
attaques cumulées de l'opposition
libérale et de la contre opposition
royaliste, La situation des esprits
appelait l'avènement d'un cabinet
dans la luiance du centre droit de la
Chambre,' et MM. Portails et de
Martignac furent placés à sa tête.
Quelques jours plus tard, Vatimes-
nil y entra ({"' février) sous le litre
de grand maître de l'Université, et,
le 10 février, il fut promu au mi-
nistère de l'instruclion ])iibliqui.'. A
l'exemple de M. dcVillèle, il refusa
noblement l'indemnité qui lui reve-
nait pour ses frais d'installation, et
déclara que son trailctneat suffirait
à tout. La promotion de Vatimesnil,
bien justifiée par sa haute intelli-
gence, son instruction solide, la fa-
cilité de son élocuUon et l'éclat de ses
.«services, avait dans l'esprit d" Char-
les \ une signification spéciale. Kn
introduisant dans le nouveau cou-,
seil réiiergi({ue antagoniste de lâ'I
presse révolutionnaire, l'auxiliairô'J
fidèle et zélé de M. de Pevronnet, le
roi se proposait d'y l'orlitier l'élé-
ment royaliste, d'atténuer le sacri-
lice qu'il avait subi en se séparant
de M. de Viilèle, et de ménager le
retour d'une administration plus
conforme à ses vues. La conduite
ministérielle de A^atimesnil, il faut
le reconnaître, ne réalisa pas ces
espérances. Soit que les séductions
du pouvoir eussent exercé sur son
imagination ardente et mobile leur
dangereuse fascination, soit quil
regardât le cabinet du 4 janvier
comme l'expression réelle et réflé-
chie de l'opinion publi(iue, il parut
rompre brusqueinent avec son passé
et entrer sans ménagement dans le
système de concessions que le nou-
veau ministère venait d'inaugurer.
Vatimesnil adressa aux recleurs
d'académie une circulaire conçue
dans cet esprit. Il y présentait la
Charte comme • le plus grand bien-
fait que jamais la royauté eût con-
cédé à la France. » M. Guizot fut
équitablement rappelé à sa chaire
d'histoire par celui qui, quelques
années avant, allait jusqu'à exiger
des billets de confession des aspi-
rants h la magistrature, et l'on
remarqua' dans son attitude et fou
langage une intention visible de
rapprochement avec ceux dont jus-
qu'alors il n'avait cessé de com-
Kjllre les tendances ou les doctri-
nes. Le parti libéral salua comme
une défection cclatanie cette dé-
viation moins considérable en fait
qu'apparente et inattendue; les
royalistes s'en irritèrent; clleindis-
|)0*a fortement Charles X, etn-
J)arrassa les collègues de Vatimcsail
t'lalarmaleclergé,qui avait toiijoin-s
compté le jeune ministre parmi ses
156
VAT
plus formes appuis. Vatimesnil no
prit toutefois aucune part active
aux ordonnances du 16 juin, dont
l'objet fut de soumettre au l'égime
universitaire les établissements des
jésuites, et de limiter aux propor-
tions légales le nombre des écoles
secondaires ecclésiastiques. Ces
ordonnances furent l'œuvre spéciale
de MM. Portalis et Feu trier; mais
il les défendit avec chaleur et talent
à la Chambre élective contre les
attaques de l'extrême droite, et
s'efforça d'établir qu'elles ne vio-
laient aucune des garanties consa-
crées par la Cliarte. « En cette ma-
tière comme en toute autre, dit-il,
il faut accorder non pas une liberté
illimitée, qui est une chimère dans
l'ordre civil, mais la mesure de
lihei'ti'; qui est compatible avec
l'ordre public et le bien de l'ensei-
gnement. Si la législation ne com-
porte pas encore celle mesure de
liberté, il faut s'en rapprocher pru-
demment, progressivement, sans
léser aucun intérêt et sans hasarder
des expériences qui sont toujoius
dangereuses, surtout quand il s'agit
de l'intérêt de l'enfance. » Son ar-
gumentation ramena à la tribune
M. de La Bourdonnaye, qui expli-
(jua par la désertion des collèges
les entraves apportées à l'ensei-
gnement ecclésiastique, et ajouta
([ue, livré à lui-même, le ministre
n'eût jamais provoqué de sem-
blables mesures. Vatimesnil i-épli-
(piacjuc les établissements de lUni-
versilé ne conjplaient pas moins
de o4 mille élèves, et que le noni-
])rc de vingt mille séminaristes,
auquel l'ordonnance limitait l'ins-
truction ecclésiastique, était suffi-
sant j)0ur les b'-boins du sacerdoce.
Le nou>eau ministre signala d'ail-
leursson avfuemeiîl pai- urif aciivité
léconde et éclairée. (]ha(iue degré de
VAT
l'enseignement public reçut sous son
impulsion les perfectionnements
indiqués par l'expérience. Il dota
(28 mars) les établissements uni-
versitaires de chaires de langues
vivantes et de philosophie en langue
française, et créa à la faculté de
droit de Paris deux chaires nou-
velles pour l'étude du droit admi-
nistratif et du droit des gens. Il
eut l'heureuse idée d'intéresser les
professeurs des collèges à la pros-
j)érité des maisons universitaires
en attribuant à ceux qui comptaient
cinq ans d'exercice dans un collège
le tiers de Lexcédant des recettes
sur les dépenses. Cette gratification,
qui a continué d'exister jusqu'en
i850, fut appelée le hom-Yatimes^
nil (1). L'instruction primaire fixa
spécialement sa sollicitude. Dans
un rapport au roi sous la date du
21 avril 1828, il provoqua une
réorganisation presque totale de
cet enseignement, auquel il avait
été pourvu dans un esprit divers
par les ordonnances de 1816, de
1824 et de 1828. Des comités de
surveillance, où le clergé figurait
dans une proportion convenable,
furent établis sur tous les points
du royaume, et des certificats
d'instruction religieuse furent exi-
gés des aspirants; les évoques en-
trèrent en possession d'un droit
permanent de surveillance des
écoles, et la condition des institu-
teurs reçut des garanties de stabilité
qui lui avaient manqué jusqu'alors.
(>es j)rcscri plions, marcjuées de l'es-
piit libéral (pii a\ait inspiré les
(1) Correspondant du Vô mnrs ISfîO.
Le souvenir (U- ceUc hicrivcilhnite me-
sure fut porpéliié \)i\v une ni^rdaille que
les insliUUeurs tirent rr;q*per en l'Iion-
neiu' du îi'inistre (pii eu tut l'auteur.
\AT
\.\T
157
ordonnances de 181 6 et de 1820 (l\
furent étendues aux écoles pri-
maires des filles, exclusivement
placées auparavant sous la direc-
tion des préfets. L'ordonnance du
21 avril, que le ministre accompa-
gna d'une instruction raison née, fut
complétée postérieurement (14 fé-
vrier 1830) par les soins éclairés
du sage successeur de Vatimes-
nil (2), et toutes deux devinrent
plus tard les éléments de la mémo-
rable loi à laquelle M. Guizot at-
tacha l'autorité de son nom et de
son expérience. Indépendamment
de ces travaux administratifs, Va-
limesnil monta plusieurs fois à la
tribune pendant la session de 1828.
Dans la discussion du projet de loi
sur la révision des listes électo-
rales, il fit écarter un amendement
de M. Busson, qui tendait à auto-
riser un électeur repoussé par le
préfet, au mépris d'une décision
régulière, à se faire inscriie d'of-
fice par le président du collège,
amendement difficile à défendre,
mais qui témoignait de l'incurable
défiance que l'administration ins-
pirait à un grand nombre d'esprits.
Dans le discours qu'il prononça le
19 août à la distribution des prix
du concours général, il parla de la
nécessité de l'union indissoluble de
la légitimité et des libertés jjubli-
(pies, et rappela « que le bonheur
j)ublic était inséparable de la dignité
des trônes et de la stibilité des
inslilulions. • Vatimesnil défendit
avec chaleur, à la session de 1829,
le projet de loi sur l'administration
départcmonlale. Il répondit pjirticu-
lièrement aux objections des ora-
teurs de l'extrême droite, qui prélcn-
(1) Mémoires de M. Guizot, t. lit,
p. :;8.
(2) M. le comte de Giiernon-Ranville.
daient que les conseils de départe-
ment envahiraient l'administration
et qu'ils rendraient insupportable la
condition des agents de l'autorité ;
il repoussa justement le reproche
fait aux ministres d'avoir témoigné
une défiance injurieuse aux élec-
teurs à 300 fr., à ces citoyens,
dit-il, « vers lesquels devait se
reporter une partie de la recon-
naissance que méritaient les amé-
liorations progressives apportées à
la situation du pays, puisque leurs
votes produisaient l'un les pou-
voirs qui aidaient la sagesse royale
à opérer ces améliorations. J'ignore,
dit-il, en terminant son discours,
quelle sera l'issue de cette discus-
sion ; mais ce que je puis affirmer,
c'est qu'en descendant dans nos
consciences nous les trouvons pures
de tout reproche, c'est qu'elles ne
nous rendent d'autre témoignage
que celui de notre fidélité à notre
double devoir, comme ministres et
comme citoyens. « Vatimesnil dé-
fendit encore la légalité et la com-
position du conseil d'État contre
M. Dupin aîné et M. Gaétan de La
Rochefoucauld. Enfin, lors de la
discussion du budget de son dépar-
tement , il réfuta les objeetions
dirigées par MM. de Lépine et de
Conny contre le système actuel de
rinslruction primaire ; au reproche
d'être organisé dans un esprit irré-
ligieux il opposa avec chaleur les
justifications préalables imposées
nux aspirants instituteurs par la
dernièreordonnan<'e,et, combattant
une ol)jection souvent reproduite,
il lit judicieusementobserver qu'imr
méthode d'enseignement n'était
« qu'un instrument destiné à pro-
duire de bons ou de mauvais rer-nl-
tats selon les mains auxcpielles on
en confiait l'emploi. » Ce discours,
justement remarqué , fut le chant
158
\AN"
du cvgnciuiiuslciicUle Valiiuesnii.
Le cabinet auquel il avait apporîé
l'appoint cl"un zèle ardent et Jal)o-
ricux et d'une valeur incontestable
expirait d'impuissance entre les
attaques anarchiques de la gau-
che (1) et la systématique et cou-
pable indifférence de la cour et du
côté droit. Avec les intentions les
plus pures et les ressources ora-
toires les plus émincntcs , cette
administration n'avait réussi qu'à
affaiblir la royauté sans profit pour
son avenir- Le succès n'avaiî cou-
ronné aucune des concessions
pai" lesquelles elle s'était flattée
de calmer l'irritation })lus ou moins
justiiiée des esprits. Les ordon-
nances du 16 juin avaient provoqué
le mécontentement du clergé, sans
désarmer ropposition irréligieuse
ou libérale ; la Joi sur la révision
des listes électorales constituait,
en quelque sorte , tous les pouvoirs
publics en état de suspicion i>er-
manentc ; l'adoucissement des lois
sur la prerse n'en avait ]»oiut affai-
bli rboslilité ; un simple dissen-
timent de détail , en excitant
l'incurable susceptibilité du côté
gauche, privait le pays du bienfait
d'une organisation communale si
impatiemment réclamée. La situa-
tion devenait plus forte que les
jiommes. L'esprit démocratiijue,
momentanément comprimé par l'is-
sue de la guerre d'Espagne et par
l'habile administration de M. de
Villèlc. reprenait son dangereux
essor. Qui pouvait se flatter d'en
assigner les limites, et répondre
qu'il ne rcvélirail pas avant peu un
caractère ouverteinenl révolution-
naire? N'avait-on pas l'exemple des
progrès effrayants (jne l'opinion
(1) Expression de M. de Marlignac.
VAÏ
libérale, abandonnée à elle-même,
avait faits de lSi7 à 1820 ?
Dans ces circonstances critiques,
Charles X demanda à M. Uoyer-
Collard, président de la Chambre,
quels hommes y dis{)Oseraient
d'une majorité suffisante pour pou-
voir vaquer librement , au moins
pendant quelque temps, j\ f admi-
nistration du pays. Le fidèle con-
seiller repondit que a personne, à
son avis, ne possédait cette in-
fluence , et que le roi pouvait
choisir tel ministère qu'il jugerait à
propos, sans crainte d'avoir à se
dire qu'il eût pu mieux choi-
sir (i). » Charles X recula devant
le parti périlleux d'une dissolution,
et, se confiant au dévouement plus
qu'à l'habileté, il appela à la for-
mation d'un nouveau conseil un
des hommes les plus loyaux , mais
les plus inexpérimentés et les plus
impopulaires de la France. Le
ministère Polignac fut constitué le
8 août. Lorsque Yatimesnil alla à
Saint- Cloud déposer sou jjorle-
feuille entre les mains de Charle.« X,
il en fut accueilli avec froideur et
même avec sévérité. Le roi lui
reprocha l'abandon de sa ligne
politique, et se montra surtout fort
blessé des encouragements symjja-
thiquos qu'il avait reçus de la pressie
libérale (2). Cependant, Charles X
adoucit ces témoignages de mécon-
tentement par le don d'une pen-
sion de douze mille francs, mais
sans y joindre , conmie d'usage ,
le titre de ministre dKtat, faveur
et exception auxquelles Vatimesnil
parut moins sensible qu'à la ri-
gueur inaccoutumée dont le vieux
(!) IJiilletin iiKidit (1rs sèancns <lii
conseil «les ministres. (Sénncc du 10
mars IS.'iO.)
(2) Documents inédits.
VAX
\AT
IjU
monarque avait accompagné son
renvoi. L'évèque de Beauvais fut
traité moins favorablement encore,
et survécut peu de temps à cette
disgrâce ou aux causes qui l'avaient
occasionnée. Au bout de dix mois
de retraite (juin 1830), Vatimesnil
fut rendu à la vie publique par le
collège électoral de Valenciennes (1) ,
qui l'envoya à la Chambre après la
dissolution qu'avait motivée la trop
fameuse Adresse des 221. La date
de son élection épargna à l'hono-
rable disgracié l'épreuve d'un vole
si fatal à la monarchie héréditaire ,
mais elle ne l'empôcha pas de
prendre une regrettable part aux
actes qui suivirent la Révolution
de juillet. Vatimesnil assista, le
31 juillet, à la réunion des dé-
putés qui reçut la déclaration
par laquelle le duc d'Orléans
annonçait son acceptation du
titre de lieutenant général du
royaume, et il concourut par sa
présence à la proclamation que
l'Assemblée adressa au peuple par
suite de cette déclaration. Bien que
rédigé avec réserve, ce manifeste
parlementaire félicitait liautement
la poi)ulation parisienne « d'avoir
abattu le drapeau du pouvoir
absolu, » et se terminait par ces
mots, si souvent répétés : « La
Charte sera désormais une vérité. »
Cette adhésion, dans laquelle il ne
fut imité par aucun des députés
du côté droit, entraîna l'an^^ien mi-
nistre de Charles \ à une démarche
moins excusable encore ; ce fut de
se joindre aux députés qui portèrent
cette AdresseàM. leducdOrléans,
et qui l'encouragèrent ainsi, parleur
concours personnel, à recueillir un
(1) Vytimc.snil avait été ùhi m mr-mc
temps par rarroiulisspnicnt de Sauil-
Flour; mais il opta pour rôiecli'jii ilu
Nord.
pouvoir que le roi n'avait point abdi-
qué. Les premières délibérations
parlementaires eurent pour objet la
Charte de 1830.LaChambre repous-
sa à une majorité de 21 9 voix contre
33 ce principe tutélaire de légiti-
mité, dont l'abandon devait rejeter
la France dans de nouvelles et san-
glantes oscillations. Vatimesnil ne
prit aucune part à ce débat ; mais
il assista à la remise qui fut faite
de sa résolution au successeur de
Charles X par les députés réunis,
et fut témoin de ces empressenjonts
qui saluent toujours paimi nous l'i-
nauguration des nouveaux pou-
voirs. Il ne tarda pas d'ailleurs à
prendre dans l'Assemblée la place
que lui assignaient naturellement
l'étendue de ses lumières, son ar-
deur pour le travail et la diversité
reniarijuable de ses aptitudes. Il
fut nommé membre de la comnns-
sion appelée à proposer des réfor-
mes dans l'organisation du conseil
d'Etat, puis chargé du rapport sur
le projet de loi relatif à la réforme
électorale. Vatimesnil combattit et
fit abolir ce double vote dont l'a-
doption avait sauvé en 1820 la
monarchie de périls imminents, et
qu'il avait en d'autres temps dé-
fendu contre les violences do l'abbé
de Pradt. Lors du débat sur le sort
des victimes de l'insurrection de
juillet, il demanda que les ori)he-
lins délaissés par elles fussent éle-
vés aux frais de l'Etat dans les
-établissements d'instruction publi-
que. Il s'opposa vivement, en 1831,
i\ la réduction du nombre des ma-
gistrats des cours d'assises, soit
dans rinlérèlde la dignité de celte
juridiction, soit à raisonidel'inijior-
lanee des questions qui pouvaient
lui être déférées; mais son opposition
demeura sans succès. Aux «-lections
générales de la même année, Vali-
160
VAT
VAT
mesLiil lut renvoyé à la Chambre
par l'arrondissement de Valencien-
nes, et l'on retrouve son nom dans
une assez grande partie des débats
qui remplissent celte nouvelle lé-
gislature. Il se prononça à diverses
reprises contre le rétablissement
du divorce, prit la parole sur les
modilications proposées à plusieurs
articles du code pénal, et fut chargé
d'un rapport spécial sur le budget
de la justice pour 1832. On s'étonna
généralement du silence qu'il garda,
à la différence de MM. Berryer et
Marlignac, sur la proposition du
bannissement de la branche aînée
des Bourbons (1832), et ce fut avec
peine aussi que, dans la discussion
du ])rojet de loi sur l'ancienne liste
civile, on l'entendit qualifier de
violation de la fol jurée les ordon-
nances de juillet, dont mieux que
personne il avait pu apprécier le
véritable caractère. Rapporteur spé-
cial pour la seconde fois du budget
de la justice, Yatimesnil combattit
hautement les réductions proposées
sur le traitement du ministre ainsi
que des chefs de la coui- de cassa-
lion et des cours royales. Lors de
l'examen du budget de l'instruc-
lion publique, il donna de grands
éloges à l'administration universi-
taire ; mais il rappela la promesse
d'une loi sur la liberté d'enseigne-
ment consignée dans l'art. GO de la
nouvelle Charte, et nous verrons
plus tard cette idée devenir le thème
et Tapplicalion dominante des der-
niers edorls de sa vie. Dans le cours
de la session de 1833 il fit plu-
sieurs observalifins sur le ])rojet de
loi relatif à l'expropriation jtubli-
que, exprima quelques considéra-
tions nouvelles sur le système uni-
versitaire et sur l'inslrurtion |)ri-
maire; il insista pour que la loi
spéciale à cet enseignement main-
tînt dans les comités communaux
la proportion que lui-même avait
assignée au clergé par l'ordonnance
de 1828, et cette insistance fut cou-
ronnée de succès. Enfin il présenta
quelques idées utiles sur le budget
des travaux publics, sur l'état des
théAlres, etc. Ce fut le couronne-
ment de cette seconde phase de sa
vie parlementaire. Les élections gé-
nérales de 1834 ne le ramenèrent
pas à la Chambre. Mais les senti-
ments de Vatimesnil inclinaient
de plus en plus vers la monarchie
qui avait captivé ses premières af-
fections, et l'on peut croire qu'il
se sépara sans peine d'une Assem-
blée dont res[)rit général tran-
chait si ouvertement avec les
principes politiques et religieux de
la Restauration, 11 s'était fait ré-
inscrire depuis la Révolution de
juillet parmi les avocats du bar-
reau de Paris; la cessation de son
mandat législatif le rendit sans par-
tage à l'exercice de sa première
profession. Yatimesnil conquit bien-
tôt au barreau le rang qui lui ap-
partenait, et se livra avec un grand
succès, pendant les années qui sui-
virent, aux travaux de l'audience
et de la consultation. Un incident
fâcheux ^inl l'enlever à ces luttes
oratoires dans lesquelles sa parole
facile, pénétrante, fortement ac-
centuée, se déployait avec tant de
supériorité. Le 30 janvier 1838, il
venait d'obtenir de la cour royale
de Paris un arrêt en séparation de
corps do la dame Hausse contre
son mari, avec autorisation de gar-
der ses enfants. Le sieur Dausse,
])résent à l'audience, se récria vio-
lemment contre cette disposition, et,
s'élançant sur les pasde Vatimesnil,
il l'apostropha en termes injurieux
et s'emporta jusqu'à le frapper au
visage. A cette insulte, qui produi-
VAÎ
VAT
161
sit une émoliou inexprimable, l'a-
vocat offensé répondit avec calme :
" Ne craignez rien, monsieur, je
n'ai pas besoin de vengeance; vous
avez delà religion, j'en ai aussi. »
Et comme le président ordonnait
de saisir l'agresseur et de le tra-
duire à la barre : « Que la cour use
d'indulgence, s'écria Yatimesnil;
quant à moi, je fais remise de l'ou-
trage. » M. Berville, avocat géné-
ral, lit noblement valoir, comme
circonstance atténuante, ce géné-
reux pardon « d'un des membres
les plus bonorés du corps le plus
bonorable. » L'inculpé fut con-
damné à deux mois d'emprisonne-
ment. Mais la cour affecta, dans son
arrùt, de n'envisager le délit que
comme une injure à la majesté de
l'audience; elle s'abstint de tout
témoignage de considération per-
sonnelle envers un bomme recom-
mandablc à tant de titres, et qui
donnait en ce moment même un si
éclatant exemple du pouvoir de la
religion sur une nature fougueuse
et passionnée. Vatimesnil sentit ce
que ce silence avait de blessant
pour son caractère, et se concentra
exclusivement désormais dans les
travaux du cabinet. Sa haute expé-
rience, ses notions pratiques au-
tant que l'étendue de son savoir
l'appelèrent naturellement à unir
au rôle d'avocat consultant l'office
d'arbitre ou de conciliateur dans la
plupart des débats qui s'élevaient
au sein des plus hautes familles de
la capitale, et ce pacifique minis-
tère, accepté par la confiance et la
gratitude universelles dans le dé-
partement auquel il ajjparlcnait,
tarit à leur source d'innouïbiables
procès. Un trait de désintéresse-
ment, récemment ivvélé. entre plu-
sieurs autres. j)arnndes('s plus énjj-
nenls auxiliaires, complétera celle
LXXXV
esquisse du caractère personnel de
Yatimesnil. 11 avait été consulté par
écrit dans une question importante
de juridiction ecclésiastique qui lui
était soumise par un évèque. Lors-
qu'on vint quelques jours plus tard
le prier de fixer ses honoraii-es, il
répondit par un affectueux refus.
« Depuis que j'ai eu le malheur,
contre mes intentions, dit-il, decon-
trister l'Eglise, je me suis promis
de ne jamais rien recevoir pour
tout acte de mon ministère qui au-
rait trait aux intérêts de la reli-
gion (1). » Ces intérêts devinrent
bientôt la préoccupation dominante
et presque exclusive des dernières
années de Yatimesnil. Il avait mo-
destement accepté la vice-prési-
dence du comité électoral de la li-
berté religieuse fondé en 1844,
sous la direction de M. de Monta-
lembert, et ne cessa dès lors de se
signaler par une ardeur tout juvé-
nile dans cette association si fé-
conde en résultats. Lors des atta-
ques dirigées en 1845 contre les
jésuites, il mit à leur disposition
toutes les forces de son dévoue-
ment, et ce fut lui qui leur traça la
marche qu'ils avaient à suivre pour
se défendre sans excéder les voies
constitutionnelles, qui leur étaient
ouvertes comme à tous les autres
citoyens. Après avoir réuni autour
de lui tous les défenseurs des or-
dres religieux, il consigna leurs
yioyens de résistance dans un Mé-
inîïire soigneusement élaboré et
qui subsistera comme un témoi-
gnage méniorable de ce que peut
une foi vive et sincère combinée
avec les ressources de la science et
(1) Soticc sur M. de \'(itimcsnil, p:ir
y\.i HeiM'l di' Riaiicev, l'nion du 17 dé-
cembre 18G0.
11
162
VAT
les armes de la dialectique (1).
« On le retrouvait, ajoute l'écri-
vain que nous avons déjà cité, dans
toutes les œuvres «le la foi chré-
tienne; on l'écoutait dans toutes
les délibérations destinées à proté-
ger ou à maintenir les droits de l'é-
piscopat et les droits de l'autorité
paternelle ; on saluait sa présence
dans toutes les réunions qui se for-
maient pour la revendication de
l'enseignement libre, pour les pro-
grès de la foi catholique, pour le
développement des hautes études
chrétiennes dans la jeunesse de la
capitale. » Le gouvernement de
Juillet ne vit pas sans ombrage ces
actes d'opposition légale. Cepen-
dant, bien que stimulé par des
Chambres peu favorables aux idées
religieuses, il ne chercha point à les
contrarier (2). Il avait offert à Va-
timesnil, en 1841, un siège à la
Chambre des pairs par l'cntremiso
d'un de ses successeurs au minis-
tère de rinslriictioii publique. Vali-
mes[iil ne crut pas devoir accepter.
Mais ce gouvernement ne tarda pas
à être entraîné dans la réaction du
principe môme qui l'avait établi.
La révolution de 4848, ce sanglant
corollaire de l'insurrection de 1830,
rendit momentanément Vatimesnil
à la vie publique. Il fut élu, au
mois de mai 1849, membre de l'As-
semblée législative par le départe-
ment de l'Eure, et compta bientôt
])armi les plus notables rei)résen-
tanls du grand parti de l'ordre
dans celle réunion si riche en
homnifî.s iiilèpres et éminents. Va-
lirncsnil appliqua à l'exercice de ce
(1) Il ost intitulé : Mémo're Sur Te-
lal lc'f]al en France des associations
reWfieuses non autorisées.
(2) Vie du P. de H'ivignan^ par le P.
de Ponlevoy, Paris, 1800, t. i, p. 322.
VAT
nouveau mandat le zèle infatigable
dont il avait fait preuve dans sa pre-
mière législature. Plus libre de ses
mouvements, plussympathiqueà ses
collègues que dans les Chambres de
1830 et de 1831, il prit une part
influente à la plupart des délibé-
rations de l'Assemblée, et détermina
par son ascendant personnel quel-
ques résolutions importantes. Or-
gane de la commission chargée
d'examiner la demande en abroga-
tion des articles du code pénal sur
les coalitions d'ouvriers, il fit pré-
valoir le maintien de ces articles
en démontrant l'étroite et infail-
lible affinité des coalitions indus-
trielles avec les coalitions politiques,
et provoqua l'aggravation des pei-
nes qu'ils édictaient. Il présida la
commission chargée d'examiner les
difficultés qui dérivaient de l'attri-
bution de la propriété des terrains
conquis sur le lit des fleuves navi-
gables par suite des travaux d'en-
diguement. Il proposa un projet de
loi sur la naturalisation des étran-
gers et sur le séjour des réfugiés en
France. Dans le débat du projet de
loi relatif à l'usure, il signala ce
délit ft parmi les plus odieux au point
de la morale publique comme de
la morale religieuse. » 11 prit la
parole sur les modifications proje-
tées à la loi électorale, ainsi (jue
sur le projet de loi organique de la
garde nationale. Enfin, il fut rap-
porteur du projet de loi sur l'admi-
nistration connnunale, et participa
très-activement à la discussion de
cette loi, qu'interrompit le coup
d'État du 2 décembre. Mais de tous
les actes législatifs auxquels con-
courut Vatimesnil, trois surtout
méritent une mention particulière,
par la double importance de sa
participation et des résultats qu'ils
ont amenés ou promis au pays.
VAT
Nous voulons parler de la loi sur
l'assistance judiciaire, et de ses sa-
vants rapports sur le régime hypo-
thécaire et sur l'expropriation for-
cée, rapports que le cours des évé-
nements a maintenus à l'état d'é-
bauches , mais dans lesquels la
législation puisera des matériaux
précieux, lorsqu'il lui sera donné de
reprendre un jour le débat de ces
grandes questions. La loi sur l'as-
sistance judiciaire peut être regar-
dée comme l'œuvre capitale et per-
sonnelle de Valimesnil, et son nom
en demeurera à jamais inséparable.
Organe de la commission cliargée
d'en examiner le projet, il constata
(13 nov.) les obstacles presque in-
surmontables que, dans l'organisa-
tion actuelle de la société, les indi-
gents rencontraient à faire valoir
leurs droits en justice. <« A moins
qu'ils ne trouvent des hommes gé-
néreux qui, par humanité ou par
cet intérêt qu'inspire le bon droit,
consentent à venir à leur secours,
disait-il, les portes des tribunaux
ne s'ouvrent pas pour eux, et l'éga-
lité devant la loi est à leur égard
un mot vide de sens. » Valimesnil
exposait ensuite l'état de la légis-
lation ancienne et moderne sur
cette matière, et les louables cfTorts
que la condition des plaideurs indi-
gents avait inspirés dans tous les
temps, soit à l'assistance publique,
soit aux membres des corporations
judiciaires. Mais il démontrait l'in-
suftisance de ces secours et propo-
sait de donner à l'assistance judi-
ciaire, étendue à tous les ordres (le ju-
ridiction, les formes d'une inslilution
dont la permanence et l'organisalion
garantissent la pleine efficacité. Pas-
sant à des considérations d" une autre
nature, l'éminent ra{)i»orleur voyait
dans l'assistance judiciaiie le moyen
d'ouvrir une nouvelle carrière aux
VAT
163
hommes qu'un zèle légitime et
désintéressé portait à se dévouer
aux intérêts généraux de leur pays.
« La plaie des Étals modernes et de
la France en particulier, ajoutait-
il judicieusement , est la sura-
bondance des emplois payés par
le trésor. L'éducation de l'enfance
et les vocations de la jeunesse,
au lieu de se diriger vers l'in-
dustrie agricole ou manufactu-
rière, ont pour but presque exclusif
les fonctions salariées dans les-
quelles chacun croit apercevoir un
avenir plus assuré et une exis-
tence moins laborieuse. De là
naissent l'esprit d'intrigue pour
atteindre l'objet de son ambition,
et, lorsqu'on n'y est pas parvenu,
l'esprit de faction pour bouleverser
la société et conquérir par le désor-
dre et la violence la situation dési-
rée. y> Valimesnil suivit avec une
sollicitude religieuse et en quelque
sorte paternelle toutes les phases de
cette discussion mémorable, dont
le résultat fut de doter le pays d'une
des meilleures lois qui aient jamais
honoié une réunion délibérante. Il
comballit hautement, au mois d'a-
vril 1851, la résolution manifestée
par M. Dupin, de quitter le fauteuil
de la présidence, et lit à celle occa-
sion un vif éloge de sa justice et de
sa fermeté. Le 2 décembre survint.
L'impartiale histoire jugera à son
heure les causes, les nécessités, les
conséquences de celte révolution.
Valimesnil fut du nombre des dépu-
tés qui protestèrent, à la mairie du
10* arrondissement, contre la disso-
luli-n violente de l'Assemblée, et
subit comme eux ces rigueurs d'un
autre temps, qui, dans le laps d'un
demi -siècle, inauguraient pour
la seconde fois parmi nous la des-
truclion du régime parlementaire.
Il sortit de Vincennes après (juel-
164
VAT
VAT
ques heures de captivité, et reprit
ses paisibles travaux, mais en les
concentrant dans un foyer plus
étroit. Lorsque parurent les dé-
crets du 22 janvier 4852, qui con-
fisquaient au profit de l'Etat une
partie des biens de la maison d'Or-
léans, il démontra dans une c.on-
suilation fortement conçue l'illéga-
lilé de ces actes et la compétence
exclusive des tribunaux pour en
apprécier la valeur. Quatre juris-
consultes éminents, MM. Berryer,
Dufaure, 0. Barrot et Paillet, s'as-
socièrent à SCS conclusions. Quel-
ques années plustard, l'administra-
tion domaniale ayant contesté à
M. le comte de Chambord et à ma-
dame la duchesse de Parme, sa
sœur, la propriété de leurs forets
de Champagne, ce fut encore Va-
timcsnil qui, dans un admirable
mémoire, défendit les droits de ces
augustes proscrits, et en prépara
la consécration. Eu 1859, il adhéra
par sa signature aux principes ex-
posés par M. le comte d'Hausson-
vijle, dans une énergique lettre au
Sénat, sur la liberté de la presse et
le droit de pétition. Cruellemrnt
atteint, quelques mois avant, par la
perle de sa femme, mademoiselle
Duchesne,aprèsuneunion de trente-
six ans, ce généreux athlète du droit
et du devoir assista avec résigna-
tion à la décadence graduelle de sa
santé, et parut concentrer toutes
ses préoccupations sur les doulou-
reux mécomptes que la succession
ra|)ide des événements politiques
faisait subir ii srs sentiments les
plus chers. Il se |)répara au passage
suprême par un exercice plus fer-
vent encore des pratiques religieu-
ses, auxquelles il était toujours de-
meuré fidèle, et, réunissant autour
de lui, quelques jours avant sa
mort, sa famille et ses domesti-
ques, il s'exprima en ces termes
sur une circonstance mémorable
de sa carrière publique, nous vou-
lons dire sa participation aux
ordonnances de juin 1828 : « Si
j'ai pu agir alors contre les droits
et les intérêts de l'Eglise, je ne l'ai
pas voulu; j'ai consulté, )'ai éclairé
ma conscience; si je me suis trom-
pé, j'en demande pardon à Dieu et
aux hommes; mais je ne le crois
pas, et je n'ai voulu en cela que
servir les intérêts de la religion et
ceux de mon vieux roi, le bon et
loyal Charles X (1). » Il mourut le
10 novond)re 4860, laissant deux
fils, dont l'aîné avait épousé made-
moiselle Lanjuinais, etune fille, ma-
riée cà M. def^estrade. Indépendam-
ment des nombreux travaux que
nous avons énumérés. on doit à
Vaiimesnil une traduction estimée
de (a Clémence de Séncque, |)ubliée
en 1832, dans la Bibliothèque la-
line-française de Panckouke, avec
des notes hisloriques et philologi-
ques. Ce travail est précédé d'une
préface Où le traducteur combat
l'opinion de Diderot, qui voyait
dans ce traité une énergique pro-
testation contre -les cruautés de
Néron, au lieu d'une flatterie à l'a-
dresse de cet empereur « dont Ro-
me avait déjh désespéré », débat,
au fond, de peu d'importance; car,
soit qu'on regarde l'œuvre de Sé-
nèque comme une protestation cou-
rageuse, ce qui est peu probable,
soit qu'on la considère comme une
leçon indirecte, qu'il avait, a-t-on
(i) Ces paroles sont extraites dii texte
littéral de ralloeiition prononcée par
M. (le Vaiimesnil a son lit de mort, tel
qu'il a clé arrêté par sa fdmiUe. Elles
se trouvent a peu i)rc.s rcprodnitcs aussi
dans son testament, dont un extrait
nous a été communiqué.
VAT
dit, « le torl de donner à genoux,»
cette œuvre n'en est pas moins es-
timable. Vatlmesnil est encore au-
teur de plusieurs articles recueillis
dans le Correspondant, notamment
sur .V. Hijde de Neuville, sur ma-
dame de Créqiiy, sur l'Action du
christianisme sur les lois, et d'un
fragment posthume intitulé: Les in-
térêts religieux de la politique fran-
çaise. Dans le premier de ces mor-
ceaux, publié en 1857, on distin-
gue cette appréciation de la Charte
deiSU: « La Charte avait le carac-
tère de concession et non de con-
trat. Cette firme, inconsidé.fément
critiquée par des logiciens étroits,
était précisément ce qui en faisait
l'excellence. Les^contrats, par leur
nature même, poussent aux dis-
cussions et aux arguties. Ils abou-
tissent presque fatalement li des
résultats contentieux. La Charte
octroyée par Louis XVIII, en vertu
de ses droits traditionnels, avait
de meilleures et de plus nobles ba-
ses; d'un côté, l'honneur et la foi
du monarque, qui l'avait donnée
en moditiant les prérogatives anté-
rieures de sa couronne ; de l'autre,
la reconnaissance des peuples. »
Appréciation digne de remarque,
et qui témoigne surabondamment îi
quel point était devenu complet et
sincère, dans les dernières années
de sa laborieuse vie, le retour de
Vatimesnil aux principes et aux
sentiments politiques qui en avaient
marqué les débuts. A. B.-ée.
VATLN. Doyen des notaires de
France îi l'époque à laquelle il mou-
rut (i ou 5 novembre 1841), ayant
se3 quatre-vingt-dix ans accomplis,
avait fait preuve de présence d'es-
prit et de courage pendant les tem-
pêtes révolutionnaires. Olficier mu-
nicipal à Seiilis, sa ville natale, de
1700 à 4793, il fut pour beaucoup
VAT
165
dans l'attitude calme et sage que
sut garder la municipalité au mi-
lieu de l'âprelé sans cesse crois-
sante des partis, et jusqu'à la crise
qui précipita les Girondins. On
comprend que ce refus de s'asso-
cier, même par de simples vocifé-
rations, sans coopération réelle à
la marche inhumaine des événe-
ments, ait été taxé d'incivisme par
les frénétiques des clubs. A leurs
instigations, sans doute, Collot-
d'Herbois, dans unede ses tournées
déparlementales,vint inspecter Ser.-
lis et tenta d'y réchauffer le feu sacré.
I! fut effrayé de la tiédeur des uns,
de l'esprit aristocratique des autres,
et, sans biaiser davantai^e, il bris i
la municipalité , avec laquelle il
déol;^rait que le char de la révolu-
tion ne pouvait marcher, et donna
l'ordre d'arrêter les municipaux.
Presque tous le furent, en ellet, et
Valin n'esquiva la détemion que
pour être gardé h vue quinze jours
durant dans son domicile. Finale-
ment, comme même sous la répu-
blique il fallait des notaires, les
rigueurs s'adoucirent insensible-
ment en présence de son caractère
inolTiMisif. Il exerçait depuisdix ans,
lorsque la confiance de ses conci-
toyens l'avait investi des fonctions
politiques locales : après ce court
passage aux affaires publiques, il
exerça trente-sept ans encore (en
tout cinquante). Sadc'licatesse litail
égale ù sa probité. Lu de ses amis,
iir.mensémeiil riche, avait dessein
de lui laisser sa fortune entière :
il dressa un testament en faveur
des héritiers du sang qu'on voulait
dépouiller, et trouva moyen de faire
signer le fantasque et irascible mil-
lionnaire. Il inspirait une conliance
immense; Lucien et Joseph lloiia-
parte d'abord, eusuilfla reiue ilor-
tensc, |)uis le duc de Valmy. les
166
VAT
VAT
Boissy-d'Anglas, etc., etc., ne vou-
laient que lui pour gérer, régler et
débattre leurs intérêts. Il n'eût tenu
qu'à lui déjouer en ce sens le plus
grand rôle près de Napoléon. Plus
d'une fois Joséphine lui lit faire des
ouvertures en ce sens; mais il dé-
clina invariablement toutes les of-
fres, ne connaissant rien de supé-
rieur à l'indépendanci et à la paix
de son élude, au sein de laquelle,
en effet, il lui fut donné de voir
passer, sans qu'elles eussent prise
sur lui, tant de vicissitudes désas-
treuses. A peine eut-il quitté le no-
tariat, que le vœu unanime de ses
concitoyens fil en quelque sorte loi
au chef de l'Élat de le nommer
maire de Senlis. 11 s'acquitta de ces
dernières fonctions avec le même
zèle et la même loyauté que des
autres, et, malgré son grand âge, il
rendit, par sa fermeté, par sa vigi-
lance, autant de services qu'on au-
rait eu droit d'en attenilre d'un
homme plus jeune de quarante ans.
Val. p.
VATOUT (Jkan), né ù Villefran-
che, en 1792, eut longlemps une
destinée fort heureuse, qu'expli-
quaient et que justifiaient son ca-
ractère, son mérite et les dons in-
telligetïts qu'il avuit reçus en par-
tage. Sous-p.'éfet de Saumur sous
la Ilestaunition, ses opinions un
peu trop libérales lui firent perdre
sa place, et sa disgrâce fut encore
un bonheur, car M. le duc d'Or-
Jéans lui confia le soin de sa bl-
blioihèque. Le prince y vennii sou-
vent : la conversation de Valout fut
goûtée. Bientôt, son style ingénieux
et piquant le fut davantage. Il pu-
blia 1820j les Aventures de la fille
d'un rioi.C'élait, sons un voile trans-
parent, l'histoire de la Charte oc-
troyée par ï,ouis XVill, avec les in-
cidcnls nombreux ri singuliers qui
s'y 1 attachent. Vatout eut son pre-
mier succès : on voulut bien lui
reconiiaître beaucoup de légèreté
dans l'esprit; on loua ses chansons,
on cita ses réparties : toutes pré-
cautions prises pour lui contester
un jugement solide, une littérature
étendue. Ces bons amis ne savaient
donc pas que Vatout avait fait les
plus brillantes études à Sainte-
Barbe en concurrence avec Scribe
et Varner : les concours géné-
raux en grec, en latin, l'atteste-
raient au besoin dans leurs fastes.
De son côté, Vatout gardait à la
mémoire de M. de Lanneau, le di-
recteur de Sainte-Barbe, le respect
le plus filial, et quant aux souvenirs
de collège ils revivaient pour nous
et pour lui dans ses plus gais cou-
plets. On ne peut en disconvenir,
Valout donnait, quand il voulait, à
ses paroles un tour gracieux et fin :
ce genre d'agrément surprenait
d'autant plus alors qu'il semblait
moins en rapport avec sa taille
haute et puissante. — M. le duc
d'Orléans, qui n'était pas encore le
roi Louis-Philippe, avait désiré pu-
blier les mémoires de son frère,
M. le duc Montpensier. Vatout, le
princeetl'hommedeletlresqu'il dé-
sirait charger de cette publication,
causaient dans un des salons de
Neuilly. « J'ai aussi mes mémoires,
« d:lM. le duc d'Orléans, et il ajou-
« ta : M. Vatout, allez, je vous prie,
« en prendre le manuscrit dans le
« tiroir à droite de mon grand bu-
« reau. » Vatout sortit; revint cinq
minutes après, et dit d'un ton demi-
sérieux : « Monseigneur, il faut
a iivoir le courage de dire la vérité
a aux grands; cette clet-là n'est pas
« celle de voire grand bureau. »
C'était vrai. Je ne veux pas dire que
ses couplets, souvent lori gais, que
les anecdole>, qu'il coulait bien ,
VAT
fussent toujours d'aussi bon goût.
Quant h ses titres d'académicien,
ceux qui ont été si indulgents pour
tant d'autres aurair-nt pu se dis-
penser de l'être à son égard, pour-
vu que leur sévérité conseillât con-
sciencieusement leur justice.
Vatout, homme de lettres, s'essaya
quelque temps, comme tous ceux
qui arrivent avant d'avoir marqué
leur place. Ses notices sur la gale-
rie d'Orléans n'ont guère d'autre
recommandation que celle d'être
exactes. Le progrès est déjà sensi-
ble dans VHistoire du Palaia-Rnyal
(1830); les recherches sont faites
avecsoin,et]es autorités, en p: ose,
en vers, citées avec goût. Dans la
Conspiration de Cellamare, le style
manque encore de celle malicieuse
élégance dont les Anecdotes sur la
Russie, par Rhulières, son! le plus
parfait moiéle. .Mais les Souvenirs
des résidences royales^ six vo'umes
in-8% seront toujours recherchés et
lus avec plaisir, avec fruit. Les
noms seuls de ces résidences, les
personnages, hommes et femmes,
qui s'y montrèrent , les scènes
galantes ou tragiques dont elles
furent le théâtre permettaient de
mêler , au ton grave des inté-
rêts politiques et religieux , des
portraits et des récits moins sé-
vères. M. Vatout a parfaitement
rempli cos conditions variées de
l'ouvrage, et comme on trouverait
tout naturel que l'homme du monde
raconte avec a;;rément, nous (ité-
rons une pîige cpii fera nucux coti-
naîire le Ion noble du narrateur :
nous rfîiuprnutons :iux souvenirs
du château d'Aïubùis" :
« Que de fois, dit l'auteur nos
« rois ne sont-ils pas venus, sur
» les rives enchantées de la
« Loire, chercher un asile contre
« les dangers ou les ennuis de
VAT
i67
« la couronne! On n'y peut faire
t un pas sans retrouver leurs traces
« dans ces ruines ou dans ces mo-
« numents qui se recommandent
« aux regards des voyageurs et aux
« méditations de l'hisiorien. Les
« remparts démantelés du vieux
« château de Chinon attestent les
« combats que Charles VII eut à
» soutenir avant le jour i;!orieux où
« il chassa les Anglais; on montre
« au château de la Cour le chiffre
• de ce prince, entrelacé avec celui
« d'Agnès Sorel, sur des rideaux de
« soie qui ont voilé de plus doux
a souvenirs ; on s'arrête avec effroi
'( devant l'ombre sanglante du Ples-
« sis-les-Tours; on cherche à Blois
« le boudoir oii madame de Noir-
» moulier, le cœur plein des plus
« tristes pressentiments et lesyeux
« humides des plus belles larmes,
« suppliait Henri de Guise de ne
« point se rendre aux ordres
(c d'Henri III ; on se rappelle, à Che-
« nonceaux, Diane de Poitiers, for-
« cée de quitter, âla voix de Cathe-
« rine,celtedélicieuse résidence sur
« le pontmême qu'elle avait fait con-
« struire pour rassurer sa tendresse
0 contre les Ilots et les orages. »
C'est ainsi qu'un agréable lan.uage
mêle l'histoire et l'anecdote à la des-
cription des vieux châteaux, dans
les six volumes dont nous parlons.
Peu d'académiciens pounaiont ci-
ter des titres plus littéraires. Nous
croyons que Vatout tenait à ces
études, parce qu'elles plaisaieut îi
ses goùls, comme, dans une autre
carrière, il obéit b' aucoup plus îi
ses opinions, !i ses affections, qu'à
ses iiiterêis. Dès 1831, la Côte-. l'Or
s'élaii honorablement rappelé le
sous-ptéfel de Saiimuretle nomma
depué. Il fut cuu>lammeiil , jus-
qu'en 48, membre de la Chambre
élective, et dans l'ordre du mandat
168
VAU
VAU
que Valout y avait à remplir, le roi
le nomma successivement conseil-
ler d'Etat, puis directeur des bûli-
ments civils. Valout savait fort bien
que, sous tous les gouvernements,
ceux que distingue la faveur ont
incontestablement les qualités pro-
pres à leur emploi. Il en plaisan-
tait en fort bons termes; à lui per-
mis, car il pouvait sans présomp-
tion, quant à lui. se croire à la
hauteur des fonctions qu'on lui
connaît, et s'en acquitta toujours
de manière à mériter des élo-
ges. Hélas! une révolution nou-
velle lui préparait des devoirs bien
plus cliers à son cœur. Louis-Phi-
lippe venait de quitter la France.
Nulle considération n'y put retenir
Valout après lui.
Les événements le pénétrèrent
d'un chagrin bien plus amer que
s'ils n'avaient atteint que lui seul.
Il se reprochait le moindre retard,
et, courtisan du malheur, il alla
mourir en Angleterre (année 48),
auprès de la royale famille exilée.
Cet homme, qu'on disait léger,
frivole même, avait la délicat(.'ss(;
«le sentiment la plus vive, et si;
montrait constant à toutes ses af-
fections. D'un discernement rare
dans le choix de ses amis, il ne
souffrait pas, ami dévoué lui-mêni'î,
que la malignité essayât de leur
porter d'injustes atteintes. La le-
connaissance était un des plus doux
besoins de son cœur, et, comme il
avait gardé religieusement la mé-
moire de Sainte-liarl;.-; et de M. de
Lanneau, il devança, dans sa dou-
leur profonde, la mort du roi qu'il
avait eu pour bienfait(!ur. F. IL
VAIJBAX ' PiEr.nE-FnANç .is le
PitESTRE, comte de,, !ieu:cn:int-co-
lonel, chevalic r des oidres de Malle
et de Saint -Louis, était rim des
derniers descendanis de l'illustre
maréchal qui, par ses actions et ses
travaux, a contribué si puissam-
ment à l'éclat du nom français. Fils
du marquis de Vauban, arrière-ne-
veu de ce grand homme, grand'-
croix de Saint-Louis et gouverneur
de Châtillon-en-Dombes, Pierre de
Vauban, né à Dijon, le 13 août
L757, entra au service militaire, îi
10 ans, dans le régiment de Colo-
nel-général , et partagea plus lard
les fatigues, les soins et les revers
de .celte armée de Condé, qui, par
la constance inébranlable de son
dévouement à la cause royale, ex-
cita l'admiration de l'Europe en-
tière. Le jeune de Vauban conquit
dans ses rangs le grade de lieule-
nant-colonel et la croix de Saint-
Louis. Après la dissolution des
corps qui la composaient, il fit par-
tie d'un régiment de nobles émi-
grés à la solde du gouvernement
anglais, et passa sept ans à Lis-
bonne avec le grade de simple ca-
l)itaine. Il rentra en France dans
le courant de l'an XL Possesseur
d'une fortune minime, le comte de
Vauban fut contraint d'exercer à
Cliàlon-sur-Saône, pendant quel-
ques années, les modestes fonctiors
de contrôleur de radministration
des postes. Cependant le gouver-
nement royal, auquel il avait si
noblement dévoué ses efforts, ne le
vit jamais au nombre de ses solli-
citeurs. Le comte de Vauban moi:-
rut à Paris le 7 février 18i;i, ne
laissant de son mariage qu'une lllle,
madame la baronne de Rivoire.
femme d'un esprit distingué. Cet
estimable gentilliomme était le frère
j)uîné du comte de Vaubaj!, auteur
du curieux ouvrage iniitulé Mé-
moires pour servir à l'Histoire de la
(j lierre de la Vendée. Z.
VAL'IÎKRT (Luc), auteur ascé-
tique fort estimé, naquit à Noyon,
VAU
en Picardie, le 8 octobre <6-i4. Se
destinant à l'état religieux, il entra
chez les Jésuites, le 21 septembre
4G62, touchant à sa dix-huitième
année, et fit son noviciat à Paris.
Suivant l'usage général de la com-
pagnie, on l'employa ii renseigne-
ment, et, après avoir enseigné les
humanités, il fut nommé profes-
seur de rhétorique, puis de philo-
sophie. Vaubert fut admis à lu pro-
fession solennelle des quatre vœux,
et les prononça le 2 lévrier 1678.
Alors il se livra à la prédication,
et remplit dans son ordre plusieurs
emplois importants ; ainsi, il fut
recteur, puis préfet des pension-
nairesau collège de Louis-le-Grand,
à Paris. Il employa ses talents et
son zèle à composer des ouvrages
(le piété. Il mourut à Paris, le 5
avril 1710. On a de lui : I. Screnis-
simo duci Enguinensium post captum
Limborgum et liberatam obsidione
Iliigcnsam Carmen. Parisiis, lG7li,
in-l». Le P. Vaubert, avait aimé et
cultivé la poésie; néanmoins l'ou-
vriige que je viens de citer est le
seul qu'il ait publié en ce genre.
Tous les autres témoignent de sa
piété envers l'eucharistie. H. Exer-
cices de piété pour les associés de
l'adoration perpétuelle du Saint-Sa-
crement, y. 1, p., in- 12. Paris, 1699
ibid. 1704-171 l.Nouv. édition, in-
18. Paris, Edme Couterot, 1720.
III. Exercices de piété pour les as-
sociés de l adoration perpétuelle du
Saint-Sacrement , avec la manière
d'assister déiotement à la procession
du TrèS'Saint-Sacrement , des re-
lierions et considéralions utiles, par
le P. Vaubert (sic), de la compa-
;:uie de Jésus, in-16. Nanry, v.
lîalthasard, in- 10, 17-47. L'ai^pro-
baiion est de Paris, G septembre
1703. Réimprimé plusieurs fois avec
les ouvrages suivants, on juut vo'r.
VAU
169
par le titre, les rapports et lesdif*
férences qu'il a avec l'ouvrage pré-
cédent. IV. Traité de la communion^
ou Conduite })onr communier sain^
tement. Gros vol. in-12. Paris, Ur-
bain Coustelier, 170 i. V. Instruc-
tion sur II fréquente communion.
Réimprimé à la suittîdes entretiens
avec Jésus-Christ, par le Père Du
Sault,vol. in-12, 1836. Cet ouvrage
a été réuni îi l'ouvrage intitulé ;
Sacramentalische, etc., en 1728. —
VI. La dévotion à Notre Seigneur
Jésus-Christ dans l'Eucharistie. 2
vol. in-12, 2'^ édition. Paris, Edme
Couterot, 1706. Cette édition était
augmentée d'un tome entier, lequel
contenait le Traité de la Sainte
Messe, une Méthode pour visiter te
Samt-Sacrement , et huit médita-
tions pour l'octave du Saint-Sacre-
ment. Paris, 1711, ^' édition aug-
mentée du tome V'". Conduite pour
la communion, i*' édition angm., 2
vol. in-12. Paris, 17 lo.— Puis, en
1739, nouv. édition. Paris, Berlon,
1752, 2 vol., nouv. éd. de 1778,
qui contient une p:jrtic des ouvra-
ges précédents. — Plusieurs réim-
pressions. — Edit. nouvelle à Mar-
seille, Massy, 1825. Cet ouvrage a
été traduit en ilaiir;u par le P. Rer-
tolli, Servite. VII. Le saint exercice
de la présence de Dieu, divisé en 3
l)arlies: \'% Dieu présent partout;
2", ce que c'est que l'exercice de la
présence de Dieu; 3% méthode
pour converser avec Di-'U. Ci ou-
vrage a eu plusieurs éditions; les
pfîis récentes sont celles de Lyon.
Ru-and, 1829. — Puis, 1833. for-
mat in-2i. Il a été aussi traduit en
italien. Ee P. Vaubert a corrifré
avec soin les Entreliens avec Jésus-
Christ, du P. Du Sault. Dans le l-
vol. de leur Bibliothèque des écri-
vains de la compagnie de Jésus, ou
.\otices bibliographiques, etc.. in-'».
170
VAU
les P. P. Aug. et Al. De Backer,
ont indiqué les titres et toutes les
éditions des œuvres du P. Vaubert,
principalement d'après M. Quérard.
B.-D-E.
VAUBLANC (Vincent -Marie
VIÉNOT, comte de), membre de
TAssembiée législative, du Conseil
des Cinq-Cents et de la Chambre
des députés, préfet, minisire de
l'intérieur sous la Restauration,
membre de Tlnstitul, etc., naquit à
Saint-Domingue, le 2 mars 1756,
d'une famille noble, originaire de la
Bourgogne. Il vint en France à
l'âge de sept ans, fut admis k l'E-
cole de La Flèche, qui venait d'ê-
tre récemment annexée k l' Ecole
royale militaire, et entra dans ce
dernier établissement au bout de
quelques années. Il y forma des
liaisons plus ou moins étroites avec
divers personnages qui figurèrent
avantageusement plus tard sur la
scène du monde, tels que le comte
de Champagny, le général Ilédou-
villeJegénéralMarcscot et plusieurs
autres. Vaublanc fut admis comme
sous-lieutenant dans le régiment
de la Sarre, que commandait le duc
de La Rochefoucauld, et dont un
de ses oncles était lieutenant-co-
lonel. Il tint successivement garni-
son à Meiz, à Rouen iH à Lille;
puis il obtint des lettres dn service
pour Saint-Domingue, où l'appe-
laient quelques affaires de famille,
et partit pour celte colonie. Il ren-
contra îi bord du vaisseau qui l'y
transportait madame de Fontanelle,
dont le mari, gentilhomme nor-
mand, avait été attaché comme
aide de camp au maréchal de Saxe.
Des rapports afTcciueux sétablirent
bientôt entre Vaublanc et celte
dame, qu*accomp;ignai('ni ses deux
filles ; le jeune oltic/ier demanda la
main de la cadette ; il l'épousa, et la
VAU
ramena en France, en 1782, avec
une fille âgée de deux ans. Peu de
temps après, Vaublanc acheta une
propriété sur les bords de la Seine,
près de Melun, avec l'intention de
s'y consacrer exclusivement à l'a-
griculture, aux lettres et aux arts,
lorsque la convocation des états
généraux vint donner un autre cours
k ses desiinées. Elu secrétaire de
la noblesse au bailliage de Melun,
il ie fit remarquer par l'énergie de
son caractère, et fut appelé aux
fonctions de membre, puis de pré-
sident du conseil général de Seine-
et-Marne et de président du direc-
toiie de ce département. Un esca-
dron de dragons en garnison à
Nemours s'étant, vers cette époque,
révolté contre ses chefs, Vaublanc
s'y rendit avec le lieutenant-colonel
du régiment, il convoqua la muni-
cipalité de la ville et le directoire
du district ; et, aidé du concours de
ces autorités et de l'officier supé-
rieur qui l'avait accompagné, il ré-
prima la rébellion, fit mettre aux
fers ou en prison dix des pius mu-
tins, et rétablit les officiers dans la
plénitude de leur commandement.
Au mois de septembre 1791, Vau-
blanc fut élu député à l'Assemblée
législative. Au moment de son élec-
tion , il promit solennellement ,
non-seulement d'être fidèle îi la
Constitution acceptée par le roi,
mais encore de combattre de tou-
tes ses forces les opinions dange-
reuses qui menaçaient la France
d'une entière subversion. Il prit
plac»^ parmi les royalistes constitu-
tionnels tels que Pastoret, Quatre-
mère de Qiiiney, Mathieu Dumas,
Ramond, Hec(|uey, Beugnol, etc.,
et son énergie ne se démentit point
sur la scène périlleuse où i! était
appelé à figurer. Il dénonça cou-
rageusement le despotisme dés ad-
VAU
VAU
171
ministratioiis municipales et s'op-
posa à ce qu'il fût dressû une liste
des officiers émigrés qui, plus tard,
dit-il, deviendrait pour eux une
table de proscription. Il s'efforça
également de garantir les prêtres
insermentés des persécutions diri-
gées contre eux. Ces actes de fer-
meté n'empêchèrent point toutefois
Vaublanc de payer tribut au lan-
gage et aux passions du temps.
Il insista vivement et à plusieurs
reprises pour que l'Assemblée votât
des mesures rigoureuses contre les
princes émigrés: « Si vous ne faites
pas une loi particulière contre les
princes, dit-il le 8 octobre 1791, il
faut renoncer k faire des lois con-
tre les simples émigrés; mais je ne
vois pas sans indignation que les
princes, nourris si chèrement par
la patrie, trament sa ruine dans
l'impunité. » Il fut élu le i4 no-
vembre à la présidence de l'Assem-
blée législative, et se trouva char-
gé, en cette qualité, de rédiger un
message au roi pour lui faire reti-
rer, en l'intimidant, le veto qu'i!
avait apposé au décret du 9 de ce
mois sur les émigrés. Le but secret
de Vaublanc, en prêtant son con-
cours à celte démarche, était, dit-
on , de provoquer la formation
d'une armée royaliste, capable de
contenir le parti jacobin, dont lu
forciî augmentait de jour en jour,
et l'on ajoute qu'il eut, dans cet
intérêt, plusieurs conférences |)ar-
ticulièros avec les ministres de
Louis XVI. Quoi (pTil en soit, l'As-
semblée fut tellement satisfaite de
son travail, que, i)ar une déro-
gation formelle k ses usages, elle
voulut qu'il en fût donné lecture
au roi par V;uil)lanc lui-même.
Le ton (le ce nriuil'este elaiî sec et
impérieux : « La nation, disait-il;
attend de vous des déclaralious
énergiques; qu'elles soient telles,
que les hordes des émigrés soient à
l'instant dissipées. » l]n rendant
compte à l'Assemblé de la récep-
tion de son message, Vaublanc
eut soin de faire remarquer que « le
roi s'était incliné le piemier, et
qu'il n'avait fait que lui rendre
son salut. » Amené vingt-cinq ans
plus tard à s'expliquer sur cet
incident àla Chambre des députés,
Vaublanc motiva sa conduite par
le désir de calmer la faction déma-
gogique qu'exaspérait toute, espèce
de prévenance envers l'infortuné
monarque: «Deux mille personnes,
dit-;l, assistaient à nos séances; les
factieux nous entouraient, la fu-
reur les animait, et les poignards
étaient dans leurs mains. » Il con-
vient d'ajouter que Vaublanc ne
fut d'ailleurs en cette circonstance
que l'organe de la députation qu'il
pré.-idait. Dans un rapport qu'il Ot
au nom du comité d'instruction
publique sur les récompenses na-
tionales, le 28 janvier 4792, on
remarque encore celle concession
» étrange aux préjugés de l'époque :
« Longtemps les Français ont été
de grands et faibles enfmts; ils
ne sont des hommes que depuis
la révolution. » L'impartialité nous
fait une loi de reconnaître que Vau-
blanc effaça ces faiblesses par des
actes d'un dévouement inébranla-
ble à Ja cause de l'ordre. Il défen-
dit énergiciuement, mais sans suc-
rées, le ministre de Lessarl contre
les attatiues de l'abbé F.iuchet, et
contribua à empêcher que Bertrand
de Moileville ne fût décrète d'aecu-
sation par l'Assemblée. H repoussa
vivement aussi l'amnistie proposée
en faveur de JoMrd.m cl des auires
assiissins de la glacière d'.V\ignon;
mais ses elforls échouèreni contre
ia tolérance systématique du parti
172
YAU
girondin, et son impuissance lui
arracha celte exclamation piophé-
tique, qui excita une vive rumeur :
« Vous accordez l'impunité aux as-
sassins; je vois la glacière d'Avi-
gnon s'ouvrir dans Paris. « Vau-
blanc s'éleva avec force, à cette oc-
casion, contre l'existence des clubs,
auxquels il imputa tous les malheurs
de la France et la compression
qui pesait sur l'Assemblée elle-
même. Peu de jours après, il de-
manda et ohiint un décret d'accusa-
tion contre Marat. Quand les Giron-
dins, de plus en plus fidèles à leur
tactique, accusèrent le général La-
l'ayette d'avoir violé la constitution
et compromis la sûreté de l'Etat,
Yaublanc lit preuve d'un grand sens
politique en défendant en lui le
dernier obstacle qui s'opposait aux
débordements de l'anarchie. 11 ex-
posa avec beaucoup de détail et
d'exactitude les mouvements de sou
armée et de celle du muréchal
Luckner , rétablit la vérité des
faits (1), et démontra pleinement
que la conduite de Lafayelle avait
été en tout point conforme aux ins-
pirations de la prudence et du pa-
triotisme. Son discours (8 août) jjro-
duisit un grand effet sur l'Assem-
blée, qui en ordonna l'impression.
Au sortir de cette séance, Vaublanc
fut poursuivi par les huées et les
menaces de la multitude, à laquelle
il sut imposer par son courage cl
son sang-froid. Il parvint,' avec
quelques autres députés, m(!nacés
comme lui, à se réfugier au corps-
de-garde du Palais-Uoyal, d'où ils
s'évadèrent par une fenêtre (2). Le
lendemain, il signala cet attentat à
(1^ ^ouicniis (la çjé.icrd! Mathieu
Dumas, t. Il, [) :2I i.
(-2) lUid., p. 4:ji
VAU
l'Assemblée, en demandant l'éloi-
gnement immédiat des fédérés et
des Marseillais, qui servaient d'ins-
truments à cet odieux système d'in-
timidation ; mais les Girondins fi-
rent encore écarter sa proposition.
Dans la journée du 10 août, Vau-
blnnc, signalé particulièrement aux
fureurs des anarchistes, courut de
nouveaux dangers ; un coup de sa-
bre dirigé contre lui fut détourné
par un jeune officier du génie. Ce
jeune militaire portait un nom qu'il
a illustré depuis par son dévoue-
ment il une éclatante infortune; il
s'appelait Berlrand. L'établissement
de la Convention fut le signal de la
dispersion de tous les partisans du
gouvernement royal. Yaublanc n'é-
chappa qu'à la faveur d'une vie er-
rante, au milieu de privations, d'an-
goisses et de périls sans nombre, aux
proscriptions révolutionnaires, qui,
jusqu'au 9 thermidor, ne cessèrent
de menacer ses jours. Cependant il
ne voulut point quitter la France.
Les circonstances l'appelèrent bien-
tôt à reparaître sur la scène politi-
que. Lors du mouvement insuri'cc-
tionncl des sections de Paris contre
la Convention, il présidait la sec-
lion Poissonnière; il y remplit un
rô!e actif et fut condamné à mort
l)ar contumace, ainsi que MM. De-
lalotet Quatremcre de Quincy, par
la commission militaire que la
Convention avait instituée pour ju-
ger les chefs du parti vaincu. Pre.s-
(pie au même instant, le département
(le Seiiie-et-Marne relisait ()éputé
au conseil des Cinq-Cents; mais ce
ne fut qu''i la lin d'août 1790 que
s'.îs amis Uorne et Pasloret réussi-
rent à faire annuler le jugement
rendu contre lui. Aussitôt aj)rès, il
vint siéger îi l'Assemblée. Lors-
qu'il alla prêter, selon l'usage ,
le serment de haine à la royauté,
VAU
VAU
173
tous les assislanis furent attentifs;
Tun d'eux, au moment où il pro-
nonçait la sinistre formule, lui
ayant crié: « Plus haut! — Et
vous, plus bas! » répondit Vaublanc
sans se déconcerter. Sa conduite et
ses discours, éclairés par une
i;mère expérience, ne furent qu'une
longue et vive opposition aux idées
démagogiques et à l'administration
corrompue du Directoire. Le club
des Jacobins ayant entrepris de se
reformer, il profita de celte occa-
sion pour demander la dissolution
de toutes les sociétés de ce genre,
et l'obtint par un décret que sanc-
tionna le Conseil des Anciens. — II
dénonça le ministre de la marine
comme accordant des subventions
nu liépublicain des colonies, journai
d'une démagogie etîrénée. — Le
21 juillet 1797, il se prononça avec
une extrême énergie contre ce qui
restait encore des institutions révo-
lutionnaires, et lit un éloquent ta-
bleau de toutes les calamités que la
révolution française avait décliaî-
nées sur la France. Quelques jours
aj)rés, il défendit les droits des Con-
seils contre les empiétements du
Directoire, et fut nommé membre
de la commission des inspecteurs
chargés d'opposer des mesures de
résistance aux entreprises du pou-
voir exécutif. Il eut une grande
j)art aux résolutions malheureuse-
ment irisuftisantes qui furent con-
certées dans cet intérêt. — On voit
aussi, par ses Mémoires, qu'il noua
vers cette époque des négociations
secrètes avec Carnot pour le ratta-
cher îi la cause royaliste, et qu'elles
échouèrent surtout |)ar la crainte
qui obsédait ce général de ne pou-
voir se faire pardonner son vote
régicide. — Il en fallait moins sans
doute pour que Vaublane fût com-
pris dans la grande proscription du
18 fructidor. C'était la quatrième
dont il était atteint; il échappa par
la fuite à la déportation qui le me-
naçait, passa en Suisse, puis en Ita-
lie, et ne reparut en France qu'après
la révolution du 18 brumaire. — Il
fut à cette époque élu membre du
Corps législatif par le Sénat conser-
vateur; il y remplit les fonctions
de questeur. Le collège départe-
mental de Seine-et-Marne le dési-
gna comme candidat au Sénat. —
Un liomme d'un caractère aussi for-
tement trempé que Vaublane ne
pouvait être négligé p^ le gouver-
nement de Napoléon. Le 1" fé-
vrier 1803, il fut nommé préfet du
département de la Moselle, puis
décoré du litre de comte et du
grade de commandant de la Légion-
(l'Honneur. Vaublane justifia ces
faveurs par soîi zèle pour le régime
impérial (1) et lit aimer son admi-
nistration par la droiture qu'il y dé-
ploya et par l'expérience intelli-
gente dont tous ses actes furent
empi'einls. Il fit l'épreuve de cet in-
térêt dans une conjoncture critiqua
de sa vie. Vers la fin de 1813, l'ar-
mée de Mayence s'élant repliée à
l'intérieur par suite du désastre de
Leipzig, la ville de Me!z se trouva
encombrée de soldais blessés et
malades (2\ et ne larda pas ù de-
venir un foyer d'infection. L'actif
administrateur établit plusieurs hô-
pitaux, les visita régulièrement plus
d'une fois par jour, et ressentit
bientôt les atteintes du fléau qu'il
s^fjppliquait à conjurer. Il fut à
(I) Mémoires du comte Miot. t. n,
p. ±1\.
{'!) Ces malheureux, dans l'excès de
leurs soiilTry lires, dit Vimhlanr liii-
iiiéinc, demandaient où était la Lou-
iherie de Napuléon. i^/t'm., t. in,
p. 168.)
Il h
VAU
tor.te extrémité. La ville entière lui
prodigua, à celte occasion, des té-
uioigniiges de la plus honorable
sympathie. Vaublanc recouvra la
santé, et le gouvernement de la
Restauration, dont il embrassa la
cause avec ardeur, le mainiint dans
ses fonctions. Le 27 décembre 181 i,
Louis XVIil le créa grand-officier
de la Légion d'honneur. Frappé,
dès les premiers mois de 1815, d'un
mouvement inaccoutumé parmi le
régiment de; grenadiers de Tex-
garde impériale qui tenait garnison
dans la vilk de Metz, il crut devoir
se rendre à Paris pour faire part de
ses observations à l'abbé de Mon-
tesquiou, alors ministre de l'inté-
rieur; mais il n'obtint de lai et de
Louis XVIII qu'une attention dis-
traite, et ces utiles avis furent
malheureusement négligés. — A la
nouvelle du débarquement de Na-
poléon, Vaublanc exhorta la garde
nationale de Metz à demeurer fidèle
au roi, et il prit, de concert avec
le brave maréchal Oudinot, gou-
verneur de, la division, toutes les
mesures propres à retenir la popu-
lation dans le devoir. La ville de
Metz fut déclaré . en état de siège,
et Icb habitants reçurent l'initation
de s'approvisionner pour trois mois.
On a prétendu que les dispositions
de Vaublanc s'étaient modifiées à la
suite du 20 mars, et qu'il avaitécrit
à Garnol, ministre de l'intérieur,
pour demander à être maintenu
dans .-a |)réfeciure de la Moselle.
Celle supposition a paru accrédi-
tée j)ar une lellre de Carnot, que
Vaublanc lui-même cite dans ses
Mémoires, et où ce ministre lui fait
entrevoir le relour prochain de la
faveur impériale, dans l'espoir,
ajoule-t-ii, que son dévouement à
Napoléon " sera bientôt aussi pur,
aussi entier qu'il 1 était pour les
VAU
Bourbons. » Mais cette lettre, bien
que regrettable, ne saurait sembler
suffisante pour autoriser une telle
imputation. Ce qu'il y a de certain,
c'est que les dispositions favorables
de Carnot n'existaient point dans
les hautes régions du pouvoir. Une
note hostile à Vaublanc fut insérée
dans le Moniteur^ et un aide de
camp du ministre de la guerre par-
tit pour Metz avec ordre de s'as-
surer de sa personne. Informé à
temps, Vaublanc sortit furtivement
de la préfecture, monta sur un che-
val tout sellé qu'on tenait à sa dis-
position, et se rendit à Luxembourg,
où il fut accueilli avec beaucoup
d'égards par les chefs de l'armée
autrichienne. Il partit ensuite pour
Gand, où s'était retiré Louis XVIII.
Vaublanc prédit à ce monarque
qu'il serait de retour à Paris avant
deux mois, et il lui remit plusieurs
mémoires sur la situation intérieure
de la France. Il rentra à sa suite,
après la chute du gouvernement
impérial, et fut nommé successive-
ment conseiller d'Etat, puis préfet
des Bouches-du-llhône. Vaublanc
inaugura sou arrivée à Marseille
par un acte de courage et dhuma-
nilé. Cinq à six cents individus, si-
gnalés comme bonapartistes ou ré-
volutionnaires , (talent détenus
dans les prisons, et l'autorité n'o-
sait les metire en liberté, dans la
crainte de les (exposer aux violen-
ces populaires. Vaublanc prononça
leur libération en présence des
principaux fonctionnaires du dé-
partement, et cette mesure, hardie
dans les circonstances, s'accomplit
sans le moindre désordre. Le nou-
veau préfet se fit également remar-
quer par l'énergie pleine de di-
gnité avec laquelle il résista aux
prétentions inconsidérées des trou-
pes étrangères. Lorsque Louis XVllI
VAU
VAU
175
put rompre avec le ministère que le
parti révolutionnaire lui avait im-
posé, par rentremise des alliés, il
appela (23 septembre), k la tête de
son conseil, le duc de Richelieu
avec le portefeuille des affaires
étrangères, et confia celui de l'in-
térieur au comte de Vaublanc. Ce
choix, qui lui fut inspiré surtout
par Monsieur, comte d'Artois, fit
naître d'assez vives répulsions dans
le parti constitutionnel, et M. de
Richelieu (lonn;i, dit-on. Tordre de
surseoir à l'expédition de la dépêche
qui mandait à Paris le nouvel élu ;
mais il était trop tard (1), et Vau-
blanc , accouru sans perdre de
teini)s, prit possession de son por-
tefeuille. Des dissentiments très-
vifs ne tardèrent pas à éclater au
sein de ce cabinet , dont les vues
politiques étaient loin d'être homo-
gènes. Le comte de Vaublanc et le
ducdeFelire, ministre de la guerre,
marchaient ouvertement dans le
sens de la Chambre des députés ; le
duc de Richelieu, influencé par les
insinuations de Pozzo dlBorgo et du
parti constitutionnel, ne s'avançait
qu'avec une extrême réserve sur un
terrain qui lui était imparfaitement
connu, et iM. Decazos commençait
à pratiquer celte politique mobile
et indécise qui ne cessa depuis lors
de le rendre suspect au parti roya-
liste. Le comte de Vaublanc fit
preuve d'une grande activité dans
son administration ; mais toutes les
mesures dont il en marqua le cours
n'exercèrent pas une influence éga-
lement heureuse sur l'opinion pu-
blique. Ou lui reprocha d'avoir
réorganisé l'Institut sur des bases
tout k fait arbitraires, pour en éloi-
(1) Uislotre de la henlatiration, par
un humiuc U'Etat, t. m, p. 13o.
gner ceux de ses membres qui s'é-
taient compromis dans les Cent-
Jours par leur conduite ou leurs
discours, et pour leur substituer des
hommes plus connus par leur dé-
vouement au gouvernement royal
que parleurs titres scientifiques. Cet
acte d'absolutisme n'empêcha pas
que Vaublanc ne fût élu plus tard
membre libre de l'Académie des
beaux-arts, dont il avait exclu le
conventionnel David. On lui fil éga-
lement un grief d'avoir licencié
l'Ecole polytechnique, dont les élè-
ves, par la turbulence de leurs opi-
nions politiques et l'indiscipline de
leur conduite, donnaient de l'om-
brage au gouvernement. Mais ceite
mesure n'eut qu'un eifet tempo-
raire : TEcole, licenciée le 13 avril
1810, fut réorganisée le 4 septem-
bre suivant. Le premier discours
que Vaublanc prononça à la
Chambre des déuutés eut pour ob-
jet la défense du projet de loi sur la
liberté iuiiividuelle; on y remarqua
le passage suivant, qui excita de
vifs applaudissements : « L'im-
mense majorité de la France veut
son roi... Ces acclamations sont
universelles en France, » reprit l'o-
rateur, « mais il se trouve une mi-
norité factieuse, ennemie d'elle-
même, qui ne. peutvivre queilansle
trouble : c'est cette minorité si fai-
ble, et pourtant si dangereuse, qu'il
faut surveiller sans relûehe et com-
primer par de fortes lois. » La cor-
respondance politique de Vaublanc
uvec les préfets était, en tout point,
conforme à son langage. 11 ne ces-
sait de leur prêcher l'action, ti
Louis XVII 1 appelait son dévoue-
ment un dévouement à perdre ha-
lehic. Remarquons, loulelois, que
l'esprit de réaction, dont Vaublanc
se constituait ainsi l'apôtre le plus
déclaré, fut exempt de toute animo-
176
VAU
site personnelle, e.{ que, à la diffé-
rence de quelques autres, il ne dés-
honora par aucune passion haineuse
ou vindicative l'ardeur de ses senti-
ments royalistes. Lors de la discus-
sion de la loi d'amnistie, il contri-
bua à faire limiter le nombre des
proscriptions et à préserver de la
conflscation les biens des régicides
et des fauteurs du 20 mars : modé-
ration d'autant pluslouable,que le
rétablissementde cette odieuse peine
avait été un des premiers actes du
pouvoir éphémère de Napoléon.
«■ Après tant de révolutions faites
si facilement depuis quarante ans.»
écrivait-il quelques années plus
tard, « nous devrions les regarder
comme des jeux politiques où on
est tantôt heureux, tanlùl malheu-
reux, en parler froidement avec
nos adversaires comme de chances
de la vie humaine, el, après avoir
été amis liilèles cl ennemis géné-
reux, n'avoir de ressentiment que
pour les crimes (1). ^> On a fait la
r«îmarque que, pendant toute la du-
rée de son administration, ce mi-
nistre si ardemment noté comme
réactionnaire par le parti libéral
ne déplaça que vingt-deux préfets,
proportion bien inférieure aux des-
titutions que ce parti devait opérer
(juinze ans plus tard dans le même
ordre de fonctionnaires. Vaublanc
fut moins heureux dans la suite de
sa carrière législative, et ne con-
serva de crédit sur la Chambre des
députés que par l'appui de Mon-
sieur, q'ji l'avait fait placer à la
tête des gardes nationales de
France, et à qui il communiquait
tous les actes importants de son
administriition. Ce fut à l'occasion
d'une de ces luttes parlementaires
(i) Mémoires, t. m, p. 207.
VAU
qu'il prononça ces paroles souvent
répétées depuis : « Je sais fort
bien que le gouvernement repré-
sentatif n'a pas été inventé pour le
repos des ministres. » Son élocu-
culion, généralement ampoulée et
dogmatique, manquait de précision
et de netteté. Les débats qui s'é-
levèrent au sujet de la loi électo-
rale furent le prétexte ou l'occa-
sion de sa disgrâce. A la suite d'un
exposé de motifs assez embarrassé,
Vaublanc présenta h la Chambre
des députés un projet qui établis-
sait deux degrés d'élection : les col-
lèges cantonaux, composés de
fonctionnaires publics et des
soixante plus imposés, nommaient
des candidats, parmi desquels choi-
sissait définitivement le collège
électoral du département, également
formé des principaux fonctionnai-
res publics, des soixante-dix plus
forts contribuables, et d'un supplé-
ment d'électeurs désignés par les
collèges de canton parmi les ci-
toyens payant 300 francs et plus
de contributions directes. Ce pro-
jet divisait les députés en cinq sé-
ries déterminées par le sort, dont
chacune cessait ses fonctions d'an-
née en année. Malgré l'esprit mo-
narchique qui respirait, pour ainsi
dire, dans chacune de ses disposi-
tioiis, la majorité de l'assemblée
accorda peu de faveur h ce projet,
que le nipporteur, M. de Villèle,
battit en brèche sur tous les points ;
il y substitua le renouvellement
quinquennal el intégral, et des
collèges il deux degrés avec des
électeurs à 2.'5 francs. Son plan,
beaucoup moins conven;ible à l'ad-
ministration, mais infiniment plus
fivorable à la grande propriété
obtint une assez forte majorité à la
chambre élective. Mais la Chambre
des pairs vit dans l'œuvre du mi-
VAL'
VAL
77
uislère une violation formelle des
droits consacrés par la Charte , et
dans le système de la commission
le dessein de constituer une sorte
d'aristocratie au profit exclusif de
la propriété, et repoussa Tune et
l'autre proposition. Cependant,
comme une loi d'élection était in-
dispensable, M. dcVillèle fut invité
parle ministère à proposer un nou-
veau projet. Il se borna, dit-on, à
demander que, pour le prochain
renouvellement quinquennal, on fit
usage des listes électorales qui a-
vaicnt servi à la formation de la
Chambre actuelle, et Vaublanc fut
chargé de présenter cette proposi-
tion; mais le côté droit se plaignit
vivement qu'îiucune précaution n'y
eût été spécifiée contre le renouvel-
lement partiel de l'Assemblée jus-
qu'à la prochaine session. M. de
Viiléle, rapporteur du nouveau pro-
jet, combla celte lacune, qui n'était
pis saiiS imporlame dans l'état
d'antagonisme où se trouvaient la
Chambre et le ministère. Il proposa
par forme d'amendement de décla-
rer que les collèges électoraux ne
pourraient être appelée à aucune
autre élection qu'à celles qui se-
raient nécessitées par une disso-
lution de la Chambre. Cet amen-
dement, qui excluait le renouvel-
lement partiel f l (piinquennal, fut
repoussé p;jr M. Dtc;izes connue
inconstitutionnel; mais il fut, au
grand étounemeni de la Chambre,
appuyé par Vaublanc, et prévalut
à une très-forte majorité. Celle dé-
fection éclatante aigrit encore les
dissentiments qui existaient depuis
longtemps entre Vaublanc et quel-
ques-uns de ses collègues, et qui
avaient fini par dégénérer eu hos-
tilités déclarées. Il quitta le minis-
tère le 7 mai 4 81 G avec M. de
Barbé-Marbois, dont la retraite
LXXXV
avait, dit-on, été demandée parM. le
comte d'Artois comme une com-
pensation à ce sacrifice, et fut
remplacé par M. Laine. Il reçut le
titre de ministre d'Etat et celui de
membre du conseil privé. Vaublanc
ne reparut plus qu'en <820 à la
Chambre, où il fut envoyé par le
collège départemental du Calvados,
à la suite des modifications qu'a-
vait subies la loi électorale. Il ne
cessa de siéger à l'extrême droite,
de défendre, par ses discours et ses
votes, les principes monarchiques,
et de combattre le côté gauche
comme en état d'hostilité perma-
nente contre la royauté. A la ses-
sion de 1821, il vota pour les six
douzièmes provisoires, et repoussa
vivement l'insinuation de Stanislas
de Girardiu, tendant à faire consi-
dérer l'offre du château de Cham-
bord au duc de Bordeaux comme
un témoignage officiel sollicité par
les agents du gouvernement. A
propos de la discussion de la loi
sur les donataires, il insista pour
que l'on songeât à indemniser les
émigrés, et rappela la proposition
formulée en 1814, â ce sujet, par
le maréchal Macdonald. Il fit re-
jeter aussi une réduction de 20,000
francs demandée par la commission
du budget sur les encouragements
destinés aux lettres et aux arts. Le
20 jijiii 1821, il lit un rapport, au
nom d'une commission spéciale,
sur la prorogation de la censiire
des joiu'uaux, qu'il combattit
cdunne inconstitutionnelle et arbi-
traire, et conclut contre le projet,
qui fut néanmoins adoplé. A la
session de i822, il fut élu l'un des
vice-présidents de la Chambre, et
oblint le même honneur dans la
plupart des sessions suivantes, il
fut encore nommé rapporteur du
|)rojet de loi sur la |)rorogalion de
12
178
VAU
la censure, mais ce projet fut retiré
par le ministère Villèle, peu de
jours après son installa ion. Lors
de la discussion de la loi des doua-
nes, qui eut lieu à la session sui-
vanie, Vaublanc prit la parole avec
chaleur dans l'intérêt de la pros-
périté coloniale, vrai moyen, dit-il,
d'avoir une marine bonne ei impo-
sante, et insista pour la diminution
des droits imposés aux sucres des
colonies. A l'exemple de quelques-
uns de ses collègues, il combattit
la proposition de traduire à la
barre de la Chambre le procureur-
général Mangin, pour ses accusa-
lions prétendues calomnieuses
contre plusieurs députés du côté
gauche, accusations dont la réalité
n'a été que ti op bien établie depuis.
L'année d'après, à propos du bud-
get des douanes, Vaublanc attaqua
assez vivement le système d'admi-
nistration agricole, commercial et
industriel du ministère, et profita
de cette occasion pour demander
l'établissement d'un entrepôt dans
les Antilles françaises. Le 14 mars
1823, il déposa une proposition tt^n-
danl à faire nommer par la cham-
bre un comité spécial chargé d'exa-
miner l'état du commerce et de
l'industrie, etd'en faire un rapport.
Cette propositionne fuipas.idmise ;
mais les idées que Vaublanc déve-
loppa \ï cette occasion obtinrent une
certaine faveur et ne furent pas
sans influence sur la création pos-
térieure du conseil du commerce et
des manufactures. Aux élections
générales de <824, Vaublanc fut
réélu par le collège d. -parlementai
du Calvados : il parla dans cette
session pu faveur du projet de loi
sur la seplennaliié, et soutint que
celle mesure était cgalemenl favora-
ble aux libertés publiques el à l'au-
loritéroyalc. L'avénementde Char-
VAU
les X n'apporta aucun changement
notable dans sa situation politique.
11 fut rapporteur di projet de loi sur
la liste civile de ce prince, et se
prêta volontiers à l'inspiration con-
ciliante qui porta le nouveau roi à
y assurer par des dispositions spé-
ciales une position de fortune in-
commutable au duc d'Orléans el à
sa famille. Vaublanc pril part, en
qualité de commissaire du roi, à la
discussion de la loi sur l'indemnité
des émigrés. On le vit avec inlérêt,
dans celte ciiconstance, s'unir à un
député de la gauche, M. Basterrèche,
pour glorifier le courage civil, vertu
bien autrement rare et estimable
que la valeur militaire, cet objet
presque exclusif des.hommages de
la multitude. Dans la discussion du
budget de 1827, il répondit k B.
Constant, qui réclamait l'inamovi-
bilité pour le conseil d'Etat, que si
ce principe était admis, la respon-
sabilité ministérielle ne serait plus
qu'un vain mot, qu^î les conseillers
d'Elal se croiraient à l'abri de la
direction des ministres, et que ceux-
ci ne pourraient être raisonnable-
ment engajîés par leurs avis. Le re-
trait du projet de loi sur la police
de la presse ayant donné lieu à la
proposition La Boëssière, dont l'ob-
jet était de veiller k ce que l'hon-
neur de la Chambre ne fût pas at-
taqué impunément , il fut noinmé
rapporteur de celte malencontreuse
proposition et membre de la com-
mission qui en devint le produit;
mais son maiidaf, terminé par la
dissolution de la Chambre en 1827,
ne fut pas renouvelé. Le comte de
Vaublanc avait perdu de son crédit
auprès de Charles X, durant l'ad-
ministraliou de M. de Villele. Ce
ministre, avec leqm l il était de-
puis longtemps en opposition ou-
verte, avait obtenu du roi la suppres-
VAU
VAL'
179
sion des libres entrées dont jouissait
Vaublanc, ainsi que quelques autres
conseillers intimes. Maigre celte
apparente détaveur, le bruit courut
plusieurs fois de son retour aux af-
faires, où les exhortations du prince
deTalleyraiid, dit-on, inclinaient à
le porter. On prétendit queCharlesX
lui-même en témoigna plus d'une
fois l'intention, et que, au milieu des
embarras qui l'assaillaient, il re-
gretta souvent que !e système élec-
toral de Vaublanc n'eût pas été
adopté. Nés avec la Restauration et
grossis dans son cours, ces embar-
ras avaient sollicité dès longtemps
la prévoyance politique de l'ancien
ministre. « Depuis sept ans, disait-
il en 1822 «le gouvernement n'a
travaillé qu'à s'affaiblir, et c'est
une vérité incontestable, que tous
les gouvernements faibles doivent
périr.» Quelques mois avant les or-
donnances de juillet 1 830, Vaublanc
avait adressé à Charles X, par l'en-
tremise de M. deChabrol, ministre de
la marine, un mémoire où se trou-
vaient indiquées diverses mesures
propres^ détourner la crise qu'il ap-
préhendait. Les plus imj)ortantes
consistaient en une convoi ation ex-
traordinaire des. principales notabi-
lités de la France pour délibérer sur
les conjonctures actuelles, et l'éta-
blissement du gouvernement dans
une ville forte du Noi d, où l'on eût
attendu que Texallation des esprits
de la capitale vint a se calmer. Tout
porte îi croire que ce mémoire ne fut
pas remis au roi. H est douteux, au
surplus, que les mesures proposées
par Vaublanc eussent réussi à con-
jurer les périls qui menaçaient la
monarchie, et dans lesquels, on doit
le reconnaître, il cniraii encore plus
de malentendu cl d'inexpérience
politique que d'hostilité décidée.
Vaublanc fut rendu momentanément
à la vie publique par une des ordon-
nances du 25 juillet, qui l'appelait
à participer aux délibérations du
Conseil d'État avec MM. Franchet,
Delaveau, Forbin desIssarts,Castel-
bajac et plusieurs autres royalistes,
que l'ardeur de leurs opinions en
avait fait écarter précédemment.
11 ne fut point d'ailleurs dans la con-
fidence du coup d'Etat projeté,
et ne devina l'emploi de mesures
extraordinaires qu'à la physiono-
mie préoccupée de Charles X ,
qu'il vit à Saint -Cloud quelques
instants avant radoi)tion défini-
tive de cette grave détermination.
La révolution de 1830 devint pour
le comte de Vaublanc le signal
d'une retraite absolue. Mais cette
retraite fut laborieuse, comme l'a-
vait été la vie entière de cet homme
d'Etat. Malgré ses infirmités , qui
croissaient avec l'Age, il en consa-
cra les loisirs à d'utiles études sur
des questions d'économie politique
et d'administration. Ce fut ainsi
qu'il publia, en 1833, un Essai sur
V instruction et l'éducation cVuu
prince au dix-huitième siùcle, ou-
vrage écrit pour Mgr le duc de Bor-
deaux, plein de vues estimables et
de considérations judicieuses, et
plusieurs autres opuscules poli-
tiques. Vaublanc chercha de nobles
délassements dans l'art de la pein-
ture, qu'il cullivail non sans succès,
et se livra avec ardeur à !-on goût
passionné pour l'équilalion, exer-
cice auquel il n'avait jamais re-
noncé , même pendant la courte
durée de sa carrière ministérielle. 11
donna également l'essor à son pen-
chant inné pour la poésie, et fil
paraître successivement le Dernier
des rjsnrs (181U-30>, épopée où le
mérite d'une noble conception est
rehaussé parune versification pure,
animée, abondante en images ; el
180
VAU
VAQ
des tragédies dont les principales
ont pour titre : Soliman II, Attila,
Aristomène, etc. Ces essais drama-
tiques, qui présentent des qualités
analogues au poème épique dont
nous venons de paiier, ont été
^ recueillis en 1839 en un volume
in-8°, tiré seulement à 200 exem-
plaires. En 1833, Vaublanc publia
des Mémoires sur la Révolution de
France (Paris, A volumes in-8°), et
en 1838, deux volumes de Souvenirs
dans lesquels il reproduisit un
grand nombre de faits et d'aperçus
empruntés à la j)rcmièr(î de ces
publications. Le comte de Vaublanc
est tout entier dans ces deux ou-
vrages, où, à travers un sentiment
exagéré de personnalité, on distin-
gue des vues hautes et utiles, des
particularités intéressantes et bien
observées, et quelques vérités po-
litiques fortementexprimées. Parmi
b'S sentences qu'ilsrenferment, nous
citerons la suivante, qui résume avec
autant de fidélité que de concision la
tactique trop constasite des moder-
nes pai lis : « Tout l'art des lactieiix
consiste à se faire un droit puissant
de toutes les concessions qu'on leur
accorde, et leur logique consiste à
regarder le refus de nouvelles con-
cessions comme une atteinte cri-
minelle portée aux premières (1). »
Bien que le système gouvernemen-
tal de l'auteur se résume, en der-
nière analyse, à un emploi intelli-
gent mais inflexible de la force, il
faut reconnaître que cette politi-
que, vulg.jire en apparence, s'en-
noblit par les développemerits qu'il
lui prête, et (jue, d^ns sa pensée,
l'énergie du pouvoir n'a aucun des
caractères de celte compression à
la fois violente et artilicieuse qui
(1) MémoircSy t. iv, p. 169.
humilie les peuples sans les sou-
mettre , etqui ne préserve l'ordre ma-
tériel qu'auxdépensdel'ordre moral.
Vaublanc se montre favorable en
toute circonstance à la liberté de la
presse, qu'il regarde comme entrée
dans nos habitudes et dans nos
mœurs, et ne cesse de recomman-
der la modération et la tolérance
envers les pariis même dont il veut
qu'on réprime avec vigueur les en-
treprises ou les écarts: dispositions
qu'on ne saurait trop honorer chez
un homme que l'animosité contem-
poraine s'est plue à signaler comme
un partisan outré du pouvoir ab-
solu, et dont la qualité la plus
incontestable fut un grand courage
personnel, accompagne d'une foi
opiniâli'c et souvent excessive dans
les idées et les impressions qui lui
étaient propres. Le comte de Vau-
blanc mourut à Paris, presqu'eu-
tièremenl aveugle, le 21 août 1845,
dans sa quatre-vingt-dixième an-
née, sans laisser aucune fortune.
De son mariage avec Mlle de Fon-
tanelle, il n'avait eu qu'une tille,
mariée en premières noces ii
M. Segond, officier du génie dis-
tingué, qui pirit au siège de Sara-
gosse. Un tils unique, qu'il avait
laissé, succéda plus tard au nom et
aux titres de son grand-père; mais
il ne lui survécut quequelques mois.
La veuve de ce militaire a épousé
en secondes noces M . Potier, gentil-
homme anglais, dontia famille s'est
fait honorablement remarquer dans
l'Église et dans les lettres. A. B-le.
VAUBLANC (JEAN-BAPflSTE-BKR-
NAiw) VIÉNOT, chevalier de), frère
du précédent, naquit à Saint-Do-
min;-'ue le < 7 septembre 17G1. Il
fut élevé à l'École militaire de Paris
et retourna sous les tropiques, où
il fit, à seize ans, sa première cam-
pagne. 11 prit part à la guerre de
VAU
l'Indépendance, et reçut du gou-
vernement américain des conces-
sions territoriales en reconnais-
sance de son concours. Il revint en
France en 1793, fut nommé adju-
dant généra! par Picliegru, et fit
partie, en cette qualité, de l'armée
du Rhin. Napoléon lui conféra le
grade de général de brigade. Lors
(le la création des inspecteurs aux
revues, le duc de Feltre le proposa
au gouvernement pour remplir ces
fonctions, et ce choix fut justifié
par l'intégrllé sévère et la remar-
quable activité que Vaublanc dé-
ploya dans leur exercice. Il fut
employé, en 1808, dans la guerre
d'Espagne et de Portugal, et ren-
dit, à l'aide de ces qualités pré-
cieuses, de grands services h l'ar-
mée française et aux populations.
En 1812, Vaublanc fut appelé à
faire partie de l'expédition de Rus-
sie, et se mit en route sans tenir
compte des instances de sa famille
et des exhortations du maréchal
Kerlhier, qui le pressaient vivement
de prendre quelques semaines de
repos. Il organisa avec zèle la
vaste administration qu'il était
appelé à diriger. Vaublanc pénétra
dans Moscou à la suite des victoires
de la grande armée; mais le succès
de nos armes nelui faisaient pas il-
lusion sur le caractère aventureux
de celle gigantesque expédition :
« Quelle serait ma folie d'être venu
jusqu'ici, écrivait-il en France, si
les motifs les plus légitimes ne m'y
avaient conduit! » Quelques ta-
bleaux précieux qui ornaient son
salon, sauvés de l'Incendie de celle
capiiale, restèrent quelques jours
après ensevelis sous les neiges, et
cette désastreuse rdraile anéantit
aussi les matériaux d'un grand
ouvrage où Vaublanc avait déposé
les fruits de sa longue expérience
VAU
181
dans l'administration militaire.
Mais elle devait lui couler plus
encore. Parvenu aux portes de
Wilna à travers mille périls et des
souffrances infinies, Vaublanc suc-
comba le 11) décembre 1812, ayant
partagé, dit un biographe, les en-
treprises et les désastres de l'Em-
pire, mais jamais sa gloire ni son
opulence. Il laissa plusieurs en-
fants; l'un d'eux écrivain distin-
gué, auteur de la France au temps
des Croisades (Paris, 1844-49, 4 v.
in-S"), après avoir été auditeur au
conseil d'État pendant la Reslau-
ration, occupe aujourd'hui le posle
de grand-maître de la maison do
S. M. la Reine de Bavière. A. Bée.
VAUBRIÈRES (de), écrivain
du xvii'' siècle, que nous ne trou-
vons mentionné dans aucun de nos
dictionnaires historiques, fut d'a-
bord professeur à l'université de
Ileidelberg, et ensuite maitre de
mathématiques des pages de Jean-
Isidore, cardinal de Bavière, évê-
que-prince de Liège. Il occupait
cet em|)loi lors de la publication
de son premier ouvrage, intitulé :
Principes d'cdiualion pour la no-
blesse, concernant les bonnes mœurs
et la reliQion, etc., Liège, B. Co-
lette, 1751, petit in-8 dédié à
Messeigneurs les trois États du pays
de Liège et comté de Looz. A la fin
du vol., qui a près de (00 |)aQ:es
et qui n'est guère qu'une compi-
lalion, l'auteur dit : « Je me borne
pour le présent aux matières que
je viens de traiter... Je suis bien
aise de pressentir le goût du pu-
blic. Si ces prémices de mon tra-
vail n'ont pas le bonheur de lui
plaire, je respecterai son jugement
et me tairai : s il enjuge autrement,
je me disposerai à produire un se-
cond ouvrage dans lequel je dé-
velopperai le Troisième objet de
\S2
VAU
l'édtLcation de la jeunesse, qui est
l'étude des sciences, etc. » 11 paraît
que le livre eut un certain succès,
puisque, en 1761, il en parut, aussi
à Liège, une nouvelle édition en
3 vol. in-8°, dans laquelle de Yau-
brières développa sans doute son
troisième objet. On a encore
de lui : Dissertation succincte et
méthodique sur lepoëme dramatique ,
concernant la tragédie et la comédie,
où l'on fait pré.céd4',r le poëme épi-
que et succéder différents autres
(lenres de poésie qui ont rapport au
drame. Nuremberg, J.-A. l.okner:
17C7, 2 vol. in-8^ Pour une dis-
sertation succincte, deux vol. de
ce format, c'est beaucoup. Au reste,
nous ne connaissons celte produc-
tion que par la citation qu'en fait
la France liltér. de M. Quérard;
mais il ne nous semble pas que de
Vaubrières ait été très-capable de
parler pertinemment d'aucune es-
pèce de poésie, à en juger du
moins par une pièce de sa façon
insérée dans ses Principes d'éduca-
tion et qui a pour litre : Le Paga-
nisme tourné en ridicule. Elle se
compose de treize quairains, dont
les deux suivants donneront une
idée :
Voici lei dieux veotez (sic) que cUtz vous ou
révère,
L'ÏDcet'.ueux Jupiter; un dieu Mars adultère;
L'iofàme dieu l'riape: un Ncptiinfe masson ;
Une Diaoe accoucheuse; uu Vukain forgeron;
Un dieu nacchut yvrogoe , Apollon musicien;
Eftculape »on fiU et fameux utodccin;
Une Venu» impudique; un Mercure voleur,
Sont pour voua lea objets d'une t< ndre ferveur.
Quand on mettrait sur le compte
du proie liégeois les fautes contre
la mesure, et quand on supposerait
qu'il y avait dans la copie l'inces-
tueux Jupin, Diane t' accoucheuse,
l impudique V<^ni/«, etc., les vers, pour
en être moins irréguliers, en vau-
VAU
draient-ils beaucoup mieux? Nous
ne pouvons dire en quelle année
mourut de Vaubrières. B — l — u.
VAUDCÏLVMP (Jeanne), l'An-
tigone, ou, pour revenir de la poésie
à la simple vérité, la Xantippede
Delille, avait pour père un musi-
cien de salon de la petite ville
de Saint-Dié, en Lorraine; lequel,
chargé de famille et courant le ca-
chet, n'avait pas plus le temps que
la ferme voionlé d'exercer une
stricte surveillance sur ses filles.
Jeanne, son aînée (qui dut nalire ,
de 1765 h 1767), apprit un peu, très-
l)eu de musique; mais bientôt,
trouvant sa ville natale un théâtre
trop étroit pour son humeur aven-
tureuse , elle prit son vol vers
cette capitale que la renommée
lui présentait comme un Eldorado
où chaque jour il pleuvait des
quadruples, des louis et des écus
autour de la beauté nécessiteuse
que sa bonne étoile amène en
ces parages. Son entrée dans la
brillante et bruyante cité ne fut pas
très-triomphale, elle n'y trouva
pas la moindre place à demeure ;
la pluie métallique ne ruisselait
pas pour elle, bien qu'elle se tînt
sous la gouttière et bien qu'elle
cùl à celte époque quelque chose
du physique de son emploi ; si bien
que, faute de mieux, Danaé tou-
jours expectante, la voiUt réduite à
prendre au bras la modeste guitare,
et plus modeste encore en sa pa-
rure, à courir les rues et places de
Paris, éveillant de ses chants les
échos d'alentour, brodant de pi-
rouettes et gambades ses roulades,
cl alerte à ramasser la menue mon-
naie qu'on lançait des fenêtres ou
que lui jetaient les passants (1).
CI) L'on nous a même dit, mais nous
VAU
Elle se livrait à ce triple exer-
cice un jour de tiède soleil et
de quasi-printemps, entre la co-
lonnade du Louvre et la façade de
Saint-Germain-l'Auxerrois, quand
Delille vint à passer. C'était en
automne, cependant, en l'au-
tomne de 1786, et peu de temps
s'était écoulé depuis qu'il était re-
venu de Conslantinople , où Ton
sait que l'avait emmené l'ambas-
sadeur, comte de Clioiseul-Gou-
fier. Il avait encore la tète pleine
des fantaisies et des réalités de
l'Orient, des houris et des aimées.
L'architecture byzantine de l'église
ne fut donc pas ce qui lui fit
ralentir le pas, ni même, bien
que la chanteuse eût une assez
jolie voix, le timbre de sa voix tt
la pureté de sa méthode : il s'ar-
rêta comme nous nous ariêterioiis
à Séville devant des castaiiuettes
ou des tambours de basque, et
s'arrêta plus longtemps; la siiene
l'eût peu touché, peut-être, la
bayadère l'affola; la célérité des
enirechals en harmonie avec des
traits mutins plutôt que beaux,
avec une physionomie provoquante
et décidée, qui promettait, le fit
mordre à l'hameçon. Bref, le leu-
demain, mademoiselle Vaudchamp
venait, franchissant le seuil du
Collège de France, achever \i loi-
n'oserioiis lo garantir, que ce n'est pas
il la daiiso pure et simple a la danse
clior.'giaphiqiie qu'ellf se hvrait ainsi
sur la place, niiiis bien a la danse du
paillasse, au saul de carpe, a la marche
sur les mains, et h toiilos les contor-
sions de rc(piilit>iiste. Kt l'on appuyait
le faitd'iu) n:ot (pron lui l'ait luonoiicer
en passant sur la i)l;:c(' Saint-(u'rmain-
l'Auxi'truis: « Cha(|ue fois que je revois
cette coldnnadt', ce p;)rlail, vdilà mon
eieur qui lait, comiui' autrefois mes
iambes, le saul de carpe. »
VAU
183
sir près de racadémicien la con-
versation ébauchée la veille au
soir. Elle se renoua, cette con-
versation, avant la semaine écou-
lée. On vit encore revenir l'infa-
tigable interlocutrice quelques
jours après, et on ne la vit plus res-
sortir que de loin à loin et comme
de chez elle. Elle avait, en ce peu
de temps, conquis au Collège le
droit de cité : le poêle l'avait fait
consentir (traduction libre, mais
exacte: elle avait fait consentir le
poète) à la prendre pour ;^êrer sa
maison. On demandera : Qu'est-ce
que c'était, en ce temps-lk, que la
maison d'un poète? Voici la ré-
ponse • Sans être fermier général,
Delille, avant la révolution, était
fort bien rente, assez du moins
pour vivre et faire vivre toute
femme qui ne serait pas trop
dépensière : il unissait aux émolu-
ments de sa chaire ses jetons de
l'Académi ' et ses rentes comme
titulaire de l'abbaye de Saint-Sé-
vérin, qu'il devait à la délicate in-
tervention du con.le d'Artois. Ici
peut-être nouvelle question :
tt Comment l'abbé de Saint- Sé-
verin, puisque c'est à cette ap-
pelliiion que répondait le traduc-
teur des Géorgiques, eut-il l'audace
d'introniser en son logis une ména-
gère d'âge si peu canonique, sausap-
|)rèhenderles censures de sou évo-
que? » C'est d'abord que les évè-
ques alors se (hoijuaicnl peu ûeb
ptM;;cadilles d'un brillant bénéficier,
bien en cour et du reste bien pen-
sant; c'est ensuite que, tout abbé
di Saint-Sèveriu que fiil Delisle,
il n'avait jamais dit la messe et ne
s'était môme pas vu conférer le
moindre des quatre mineurs. Le
se.andale donc n'était pas très-effréné
pour le siècle des Louis XV et ties
Catherine 11; et nulle anecdote du
W4
VAU
VAU
temps (Laharpe ou Grinim n'eût pas
manqué d'en embellir sa correspon-
dance) n'indique que qui que ce soit
ait vu pour lors une excentricité
blâmable dans le caprice du Virgile
moderne. Ce caprice dura, et c'est
parce que, passant à l'état chroni-
que, il influa notablement sur l'illus-
tre écrivain, que donner place dans
la Biographie universelle a celle qui
l'inspira n'est pas du luxe. L'édi-
teur de ce vaste répertoire des
célébrités de tout genre comptait
bien lui consacrer un article, té-
moin le renvoi par lequel il l'an-
nonce plus que suffisamment (t.
Lxxxiv, p. 177). Il savait que Pro-
cope aurait manqué la physionomie
de Justinien, s'il n'eût gardé un
coin du tableau pour y loger Théo-
dora. Remplissant aujourd'hui la
tâche pour laquelle il était mieux
renseigné que nous, nous tâche-
rons, en revanche, d'être plus com-
préhensif et moins acerbe que, cer-
tes, il ne l'eût été, sans toutefois
reculer devant le devoir de relater
les faits.
Delille n'est pas remarquable
seulement par la perfection de
quelques-uns de ses ouvrages, et
principalement du premier, il l'est
aussi par la célérité de la produc-
tion, et, quelque vrai qu'il soit de
dire que ce ne sont pas les gros ba-
gages qui font aller un poêle à la
postérité, il n'en est pas moins cer-
tain que la fécondité de la veine poé-
Ktique, pour peu qu'elle n'aboutisse
^■asà l'insignilianceou au ridicule,
"^oute a l'idée que l'on se fait de
^crivain. Voltaire, si Ton suppri-
jyait quinze des seize volumes de
ij^'Oésies qu'où lui doit, ne serait pas
qV^oltaire. b?i même Delille ; mais
Delille, au nv^meDi où nous som-
mes, ne se doutait pas encore de sa
force productive. Soii conviction
que c*èst moins la quantité que la
qualité que l'on cote au Parnasse,
soit invincible amour du « niente
far, » (car tout vierge qu'il fût des
quatre mineurs, il avait ceci des
abbés de l'ancien régime qu'il pré-
férait à tout le repos, et aurait vo-
lontiers, comme Lafuntaine, fait
deux parts de son temps
. . . Dont il soûlait passer
J/une k dormir, et l'auire k ue rien faire.)
il n'avait encore fait suivre sa tra-
duction de l'Hésiode romain que des
Jardins ou l'art d'embellir les pay-
sages (1780), et, se reposant avec
un calme tout philosophique sur ses
lauriers, il attendait sans impatience
l'heure de l'inspiration. Tout au
plus, l'idée d'un troisième poëme se
dessinait-elle vaguement en son
cerveau. L'intérêt qu'y prit ou fei-
gnit d'y prendre son Egérie stimula
son indolence et fit sortir un chant,
deux chants, etc., des limbes où
sans elle ils fussent restés long-
temps encore ensevelis. Lui-môme
l'a dit beaucoup plus tard dans
cette épîlre charmante en tête du
poëme de V Imagination où, con-
templant sa divinité au travers du
prisme, il s'écrie :
Le sujet t'avait plu, ma muse l'embrassa
Et cet ouvrage commença
(Que cette époqu'i m'inlércsse! )
Le jour même oii pour toi commença ma ten-
dresse
(le jour, un seul regard siffit pour m'eiiUammer.
r,ar te moutrer c'est plaire, et le voir c'est l'ai-
mer.
Toutefois, nous devons, en chrono-
logisle fidèle, distinguer les époques
et ne pas plus brusquer le narré
des événements que Delille ne
brusque la Muse. « Ce poiîme,;) dit-
il lui-même en tête de la préface de
\ Imagination , « a été commencé
dans l'année 1785 et fini en 1704. »
VAU
VAU
185
C'est bien le cas de s'écrier que
l'auteur se montra stricte observa-
teur du précepte de Boileau,
Hàtez-Tous lentement. . .
plus que des incitations de la nym-
phe qui l'inspirait, et, comme un
laps de temps plus considérable en-
core sépare 1794 du millésime delà
publication, on peut ajouter qu'il
observa de même, disons mieux,
qu'il outrepassa celui d'Horace,
. . .Nonumque prematur in annum.
« L'intervalle de ces deux dates, »
écrit ensuite le poète, parlant tou-
jours de 1785 et 94 « a été maïqué
par de grands événements. » Ainsi
que l'état poliîique de la France, la
vie intérieure de Delille avait subi
des révolutions. Dès 1789 et 90, les
sourds rugissements de l'orage effa-
rouchèrent les Muses, à bien plus
juste titre encore la Muse inoffen-
sive et tendre du poète, pour qui la
gratitude était le plus doux des de-
voirs; puis vint le temps où, cha
que jour, grondant plus effrayante,
la foudre Huit par tomber, non une
fois, mais cent, mais mille, laissant
partout, en signe de son passage,
des traces de sang et des ruines. A
moin.-, d'avoir le robur et œs tri-
plex que mentionne et que ne s:î
vante |)as do posséder le lyrique
latin, il était diflicile d'élucubrer
des rhinls didactiques au milieu
de semblable tourmi-ntc. D'ailleurs,
il en viul a ne pas être sans
courir lui-même «fuelqucs ris-
ques. Déjà il avait dû comparaître
devant le tribunal révolutionnaiie,
et il n'avait, dit-on, dû son salui
qu'à la saillie d'un citoyen com-
pagnon maçon. Le refus qu'il avait
fait d'un hymne pour la fêle de
l'Llre suprême, imaginée par Ko-
bi'spierre, devait sembler au fa-
rouche dictateur un crime de lèse-
nation. Le dithyrambe « sur l'im-
mortalité de l'âme, » qui vint en-
suite , loin de raccommoder les
choses, était de l'huile sur le feu.
A vrai dire, rien alors ne retenait
Delille à Paris : le Collège de France
n'existait plus, même de nom;
l'Académie française avait été ba-
layée comme tout le reste. De cette
société parisienne exquise, polie,
qui donnait jadis le ton à l'Eu-
rope , pas une trace n'était res-
tée ou n'eût osé se produire. Les
fonds, d'ailleurs, allaient baissant,
l'abbaye de Sainl-Séverin était à
l'état de mythe, et, dussent les
combinaisons de Vérone être plus
heureuses que celles de Coblentz, il
fallait en attendant vivre économi-
quen;ent. En cette extrémité donc,
ce fut un bon conseil donné à l'ex-
hénélicierparrex-sauteuse, qui, de
jour en jour, s'était rendue plus in-
dispensable, que celui d'aller cher-
cher un asile en de lointaines et
paisibles contrées , au fond des
vallées ou sur le versant de monta-
gnes peu fécondes en clubs, à portée
des ombrages où le poète pût rêver
sans entendre les aboyeurs de Fou-
quier-Tinville. Il eût été naturel
que le poète d'Aigueperse 5ongeât
à la verte Linr.agne, à l'Auvergne,
sa pittoresque et agreste patrie. ..Il
y songea peiit-êlre; mais s'il pro-
posa, sa conseillère disposa. Par-
tant de deux points «pii, plus que
jamais étaieiulabase de sa conduite,
ne pas le quitter et ne pas se laisser
quitliT, elle le détermina (et lui lit
croire qu'il se déterminait de son
chef, et presque en depil d'elle) pour
les Vos-<'s, et dans les Vosges, pour
Saint-Dié, et dans Sainl-Dié, pour
la maison qu'habitaient encore sa
mère ei ses sœuis. C'était ajouter à
ses autres liens celui de la recoîi-
186
VAU
naissance; c'était, de son obscure
et besoigneuse famille, faire en
quelque sorte la famille du poète ;
c'était se créer des panégyristes et
des appuis en ca.s de besoin. Mais
il faut l'avouer, ce besoin ne devait
jamais venir. Au bout d'un an ainsi
passé loin des agitations, au grnd
profll et de Thomme et du poëte,
car c'est alors non- seulement qu'il
teiMiiiua if huiiième chant de Y Ima-
gination, mais qu'il se pénétra du
sujet et (lu plan de la Pilié, l'ange
de Saiut-Dié fut décidément l'irtem-
plaçable et l'inséparable. Elle fut
présente à toules les phases du pè-
lerinage de Child-IIarold. Quand
de la Lorraine il passa en Suisse,
elle l'accompagna (1796); quand
de Bâle il se lendit ii Brunswick,
elle le suivit à Brunswick (1798);
et lorsqu'enfin Londres lui sem-
bla le séjour préférable à tous,
celui qu'il n'abandonnerait que
pour rentrer en France à la suite
de ses rois , les rivages de la Ta-
mise la virent comme l'avaient vue
les plages du Rhin et les bords de
rOckcr. Kl tous les amis, tous les
protecteurs de Delille devaient, s'ils
tenaient à garder leurs relations
avec le poëte, s'habituer à la voir,
k la mettre de leur conversation.
L'urbanité parfaite, le tact de toute
cette société de l'émigration et des
quelques étrangers d'élite qui bri-
guaient l'honneur d'être présentés
au grand poète, leur rendaii la tâche
légère, en même temps qu'elle sau-
vait à peu près l'inconvenance.
Quelques visiteurs , cependant ,
avaient parfois l'épine dorsale
moins flexible .ou tenaient moins
bi< n leur langue ; et tout Wesl-Knd,
tout Piccadilly répétèrent le propos
de l'abbé deTressan qui, peu char-
mé des airs de sa prcscpie compa-
triote, assaisonna ses adieux de
VAU .
cette petite flèche de Parthe :
« Quand on choisit ses nièces,
l'abbé, on les choisit mieux que
cela. » Le mot nous est précieux, et
nous le relevons à deux titres. Il
prouve d'abord que, vers 1800 et
1801, l'inséparable n'était encore
passée qu'à l'état de nièce (1). Il
nous remet ensuite eu mémoire ce
petit détail, qu'auprès de Jeanne
éi;iit une de ses sœurs, la plus
jeune, qui rendait le triple ser-
vice de rajeunir ^un peu la mai-
son, de faire bonne garde en cas
de collatéraux, et d'être un peu de-
moiselle de compagnie, un peu pre-
mière ou même unique domestique.
Elle ne pouvait d'ailleurs, par ses
charmes ou par ses talents, porter
ombrage à la sultane, ce qui ne
V(;ut pas dire qu'elle fût disgraciée
d;î la nature. Nous présumons que
son nom était Odile, elle répondait
au diminutif de Dilette. Delille ne
l'a pas ahsolument oubliée dans ses
vers, et sans l'idéaliser à beaucoup
près autant que celle à laquelle il
dit:
El si jamai* tu te reposrs
Dans ce séjour de p.iix,ile tendresse et de deuil,
Dt's j)lt'urs vcr'rés sur mon cercweil,
Ciiaquc gcutlo en toinbi^nt fera naître des roses.
Il nous intéresserait presque pour
Dilette, quand il la caractérise par
ces lignes simples et senties
De notre humble ménage elle fait les douceurs,
i'ar 8> s vertus nous rappelle sa mère,
Met sa félieiié dans celle de ses sœur»,
Et s'embelliides pleurs qu'elle donnehson përe.
(1 ) Aussi ne sonunos-nous pas encore
revenu de rétonnemeut (|u'a fait ii;d-
ire en nous cette assertion liasanKe par
l'auteur de larticle Delille dans VEii-
cjjclop(Ulie (les Gens du moiidc^ t. vu,
que le poëte était déjà niari<'; lorsqu'il
s'expatria de Paris pour l(!S Vosges,
('■poqiie où visiblement Delille voulut uf-
lieicllcmcnt eu quelque sorte déguiser
le vrai.
VAU
C'est sur ces entrefaites que, la
paix de Lunéville ayant ouvert les
voies à la pacification européenne
et le traité d'Amiens étant à la
veille de se signer , la maison
Giguet-Michaud eut tout à coup
l'idée (le faire en même temps une
belle affaire commerciale et de
rendre peut-être un service à la
cause royaliste, en s'inféodant la
muse d'un poète qu'investissaient
de l'éclat d'une double auréole son
génie d'abord et ensuite l'invinci-
bililé de sa ligue politique. Le
plus jeune des deux associes (l'on
devine M. Michaud, le futur bio-
graphe), vint à Londres dans ce
but (1801). Il avait eu soin de se
faire expliquer de point en point
la carie de celte mer semée d'é-
cueils où avait jeté l'aniTC le joii
sloop Delille, capitaineYaudchamp;
aussi n'est-ce pas au poète même
qu'il s'adressa poui- commencer.
H noua d'abord des intelligences
dans la place. iMimi des pleins pou-
voirs de celui que Chénier nomme
quelque part, à propos d'Esménard
et du poème de la Navigation :
. . . Gip;uet l'armateur,
et porteur d'î\-compte de poids à
l'effet d'acheter la cargaison la Pi-
tié, c'est avec la dame et maîtresse
du lieu qu'au préalable il négocia,
laissant éclater son intime per-
suasion que nul traité ne vaudrait
sans sa ralillcaliou, lui prodiguant
ces déférences délicates dont elle
était d'autant plus flattée que
rarement elle les recevait de per-
sonnes distinguées. Non -seule-
ment le manuscrit fut obtenu, mais
encore Delille , qui jusiju'alors
avait résisté aux ouvertures du
ministre François de Nrufchâ'^'au,
aux instances des amis qui l'appe-
laient en France et même, ce qui lui
VAU
187
devait coûter davantage, aux vœux
connus des académiciens jadis ses
collègues, se laissa déterminer à
franchir le ^.hennal et à revoir ce
Paris qui n'était pas encore revenu
à ses maîtres et où le premier con-
sul allait sans cesse se consolidant.
Telle fut la force des arguments
irrésistibles et autres avec lesquels
l'ex-officier du régiment de Deux-
Ponts (1) battit la place en brèche.
La commandante, en capitulant, ne
fit pas mauvaise mine à l'assiégeant
vainqueur; et, comme ces pléni-
potcnliaiies qui regagnent leur
chancellerie native tout chamarrés
ou tout chargés des dons de la
tour avec laquelle ils viennent de
passer un accord, le négociateur
revint, sa cravate retenue par
une petite épingle en or, vergis
mein nicht donnée par la dame,
autour du chaton de laquelle se
lisait : « Je pique, mais j'attache.»
Matériellement, Delille certes
n'eut pas à se plaindre de son re-
tour. D'ahord sa chaire au Collège
de France lui fut rendue d'emblée
(ce dont sans doute nous n'en-
tendons pas attribuer le mérite
à sa compagne); puis celle-ci,
ne laissant pas passer la fortune
sans la saisir aux cheveux, sti-
mula sa verve poétique, lui fit
secouer la paresse ses délires et
trouva moyen par là de quintupler
au moins par anses appointemenîs
du collège de France. Plus d'une
feis à nos questions sur ce sujet
M. Michaud a répondu, et nous
n'avons nul sujet de mettre sa vé-
rarilé en problème, que pour la
Pillé, pour r/vn<*/(/c, pour l' Millon,
(1) L'iniprimoar Michaiiil avait été
capitaine dans le nV iiiuMit (U^s DciiK-
Poiits, depuis, 102' de liiîn.'. (Voir la no-
tice placée eu tète du prcseiil volume.)
188
VAU
pour Vlmagination, pour hConver-
saiion, pour les Trois règnes, pour
les Poésies fugitives et |)ourhi pro-
priété des autres œuvres antérieu-
rement livrées au public, plus de
deux cent mille francs passèrent
de sa caisse dans celle de Deliîle.ll
ne regrettait pas cet argent que le pu-
blic d'alors lui rendait avec usure.
Ce doit donc être un fait acquis
à rhistoire littéraire et aussi à l'his-
toire de Delille, si quelque jour
on venait à l'écrire avec détail à la
façon des Anglais, que Tinfluence
décisive de la sœur de Dilelte sur
la rapide fécondité qui caractérisa
sa vieillesse.
Pourquoi faut-il que nous soyons
obligé de convenir que trop sou-
vent celle influence dégénérait en
tyrannie? Et encore est-ce ici le cas
dédire : « Il y a tyrannie et tyran-
nie. » Delille (qu'on nous passe uu
blasphème qui n'enlève rien à sa
couronne de poète, puisque selon
l'antique sagesse, il n'est pas de
grand homme pour son valet de
chambre) Delille était un grand
enfant et avait besoin d'être do-
miné. Mais il eût pu l'être plusaca-
deraiquement, plus moëlleusement.
C'est précisémentlkcequ'insinuait le
spirituel abbé, fils du gouverneur de
la Lorraine française. Rien n'était
moins académi(|ue, moins moelleux
que Mme Delille, puisque finalement
voila le nom de guérie de made-
moiselle Vaudchamp, h partir de
1801 et surtout de 1806. . . (Nous
expliquerons celte incertitude ap-
parente plus lard.) Elle l'enfer-
mait lorsque, par exemple, il tar-
dait à livrer la copie, contre la
remise de laquelle le libraire, obli-
gé parfois de faire la sourde oreille
aux demandes incessantes d'argent,
lâchait le billet de cinq cents.
Comme à l'écolier en retard on
VAU
impose cent lignes, elle imposait
au rival de Virgile, h rinterprète
de Milton, au chantre des Trois
règnes, cent vers avant déjeuner,
deux cents vers avant dîner; com-
me des assiégés qui tardent trop à
se rendre, s'il n'arrivait qu'aux deux
tiers, qu'aux trois quarts de sa tâche,
elle le prenait par les vivres, elle
le privait d'un plat; ce qu'elle lui
ôtaitde meringues, elle le passaità
Dilette. Le pauvre Delille, dont la
friandise était fabuleuse, apprenait
par expérience ce que c'était que
le supplice de Tantale; si, tentant
de se révolter, il supportait vail-
lamment le martyre des martyrs, le
jeûnependantquelquesheures,etse
refusait carrément à lâcher la pa-
cotille commandée, elle le battait.
Nous n'insistons pas sur ces tristes
scènes qu'achevait de dépoétiser
un langage trop voisin de celui des
halles, et l'antipode soit des belles
périodes qu'on savoure à l'Acadé-
mie, soit de ce que jadis elle rou-
coulait en ces romances qui, join-
tes aux ronds de jambe, avaient
féru le cœur de l'abbé devant le
portail de Sainl-Cermain-l'Auxer-
rols. Mais nous ne pouvions nous
dispenser de soulever un coin du
rideau, quand c'est d'elle, et non
de Delille, que nous esquissons la
vie. El, fùl-ce celle de Delille,
n'est-ce pas même un trait de plus
à joindre à ceux qui composent la
physionomie du poêle, que la sé-
rénité, la mansuétude par lesquel-
les il répondit constamment aux
injurieuses boutades de son irasci-
ble compagne? Plus il avançait en
âge, plus il l'idéalis.iil eu chaque
coin de ses œuvres, et par cela mê-
me la recommandait aux respects
de tous. En prose, et dans le lan-
gage familier de tous les jours, c'é-
tait son Anligone! Ce nom est de-
VAU
VAU
189
meure î... N'est-il pas bon que Toa
sache U quel point il était mérité?
Delille, il est vrai, avait iini par
devenir complètement aveugle
après son retour en France ; une
Antigone eut été pour lui la plus
heureuse des trouvailles; il la rêva,
ne pouvant la trouver, il prouva
une fois de plus qu'il était plein de
ce qu'il avait si bien chanté, d'ima-
gination.
Heureux, au reste, fut Delille
d'être aveugle! Au moins ses yeux,
habitués à l'élégance, à l'ordre, au
comfort des intérieurs seigneu-
riaux, ne furent pas affligés comme
ils l'eussent été s'il eùl été témoin
de l'indescriptible chaos que sa
compagne appelait son iniérieur.
Il ne vit que des yeux de la
pensée, c'est-U-dire tout au plus
soupçonna -t- il les trop diapha-
nes moyens par lesquels Tissot
s'introduisit auprès de lui, et finit
par arracher à sa faiblesse la sup-
pléance de sa chaire au collège de
France. On peut en lire toute l'his-
toire rédigée de visu , non sans
un reste de vieille irritation, par
celui qui s'était laissé donner le
« je pique, mais j'attache, » et sous
lu'syeux (!e qui c'était pour un au-
tre qu'on se mettait en frais d'at-
tacher. Ainsi , l'amie de Delille
acheva de se montrer l'émule de
cette ignoble Thérèse que Jean-
Jacques nommait sa femme. Si l'on
buspectiiit sur ce point le trop fi-
dèle rapport M. Micaud, connnent
ne pas se rmdre au témoignage du
chevalier de Lengeac, à qui le fait
n'importait pas , et qui l'atteste
plus Cl ùmeni encore dans celle vi-
laine t'pigramme, non moins irré-
cusable que celle dOclave ii propos
de Fulvie,
Qnod... Glaphyron Anloniui, htnc mihi po-nam
FuUia coDttUuit, elc.
et dont, plus sobre que feu notre
collaborateur (lxxxiv, 168}, nous ne
rappellerons que la terminaison :
... En son bo ge.
Sou époux en bonnet carré,
Lt son amant en bonnet rouge.
« En son bouge » est de la couleur
locale et prouve que nous n'avons
pas outré en parlant du ménage de
Delille ; le reste s'explique et parle
de soi.
A la longue, en dépit de toutes
ces ombres au tableau, en dépit
des notes d'Herbault, en dépit de
ce que le poète impute , avec jus-
tesse probablement , si l'on sait
traduire, à madame Delillel:
... L'insouciance
De l'impénétrable avenir,
celle-ci, à force de mettre son époux
en coupe réglée, avait amené la
caisse dontelle tenailla clé, à un état
de rotondité tellement satisfaisant,
qu'il futquesiionde l'achat d'un im-
meuble. Mais trop d'amis s'en mê-
lèrent, trop d'avis se croisèrent; un
moment aussi Ton eut des projets
trop ambitieux : en fin de compte,
La montagne en travail accoucha d'un chou
blanc.
L'on ne pouvait acquérir un châ-
teau , pourquoi s'affubler d'un
chalet? Ft, après avoir eu quelques
mois le plaisir de se rêver grande
piopriélaire, la dame en revint à
l'idée très-sage , Mi sa position,
que, lorsqu'il peut surgir n'importe
d'où, ne fût-ce ni de Normandie,
ni d'Auvergne, des prétendants co-
hiritiers, il est bon de ne pas avoir
de magot au soleil. Depuis le poème
de la ConrtTiïffio/nrailleurs, le tra-
vail devenait de moins en moins fa-
cile; évidemment la source allait ta-
rir, la santé baissait, les attaques de
paralysie se présentaient plus for-
190
VAU
VAU
midablos. Il fallait se tenir sur ses
gardes. Elle s'en trouva bien, quand
vint edfin l'inévitable dénoûment
(1" mai 1813).
Tandis que les amis du poète vé-
néré veillaient ii la construction du
monument sur lequel devait se lire
celle simple inscription : Jacques
Delille, elle avait à se défendre
de quelques Auvergnats. Leurs
réclamations et menaces furent peu
fructueuses; ils n'eurent juste que
leur part de ce qui ne pouvait se
dissimuler; une donation entre vifs
etde bonnescoupessombresavaient
mis le reste en sûreté.
Ce qui pourrait nous rester à
dire de Jeanne Vaudchamp après la
mort de Delille n'importe plus à
l'histoire et ne saurait offrir d'in-
térêt. C'est donc ici le lieu de ter-
miner par quelques mois sur le
nomde madame Delillequenous lui
voyons porter, à partir pour ainsi
dire de noire siècle, tandis que,
dans tout le dix-huitième el quel-
ques mois encore après, c'estmade-
moiselle Vauchamp, ou, pour|)laire
aupoëte, deVauchamp, qu'on l'ap-
pelait. A quel instant se produisit
celte mélonomasie ? Evidemmentau
retour d'Angleterre ; car la nature
même des choses, 1801, se trouve
IJi merveilleusement placée pour
souder deux phases entre les-
qut'lles s'olTre une solution de con-
tinuité : sept ans alors s'étaient
écoulés.
Depuis le d p.irl de Paris que
de choses peuvent avoir changé
en sept ans, sur lesquelles il se-
rait héiéioclile d'établir un in-
terrogatoire en règle et en face!
Mjis jusqu'il 180G , peut-être
le public pouvait ou feindre
d'ignorer ou ignorer tout de
bon la dénomination nouvelle .
Ceci posé, on peut regarder en
quelque sorte comme lettre de
faire-part du poète cette épîlre à
laquelle déjà nous avons emprunté
trois citations, et qui parut, nous
l'avons dit, en tête de la première
édition de ['Imagination. Qu'à
cette lettre de part se soient bor-
nées toutes les formalités matri-
moniales, c'est ce qui résulte et de
tout l'ensemble des faits avérés et
des affirmations que nous ont réi-
térées des familiers bien informés.
A coup sûr, l'union légale n'eut
pas lieu en France, et quant à la
Grande-Bretagne, c'est en vain
qu'on eu eût cherché des traces
sur les registres mêmes du forge-
ron de Gretna-Green, alors que
Gretna-Green florissait. Bornons -
nous donc à dire qu'il la sacra
madame Delille par ses vers.
Si maintenant nous voulons
résumer en peu de mots la physio-
nomie morale de celle que Drlille
finit par décorer de son nom, nous
venons de connaître que, dès le
premier moment, à quoi (prait pu
tenir la fascination, elle exerça
sur son être une espèce de fasci-
nation; que dès le premier moment
elleprit sur lui, sinon l'empire, du
moins un ascendant; l'empire vint
ensuite. Il avait cru se donner une
maîtresse, il s'était donné un maî-
tre! On peut croire que longtemps
cet empire ne fut pas tyranniquc ;
et quand il eut dégénéré en tyran-
nie, longtemps encore ce ne fut pas
la tyrannie hargneuse, égoïste et
méchante. Il serait téméraire et
probablement inique de dire
qu'elle n'eut jamais pour lui d'at-
tachement réel ; que le calcul s'en
soit mêlé, nul doute ; mais quand
les beaux jours de 178:; l\ 1791 fu-
rent envolés, loin de déserter, elle
se cramponna en quelque sorte à
celui dont l'étoile s'occultait; et s
VAU
VAU
191
ce fut parce qu'elle comprit qu'é-
clipse n'est pas éternelles ténèbres,
on peut lui tenir compte d'avoir
vu si juste et d'avoir eu foi en son
poète. Quant au ton et aux maniè-
res si décidés dont fut choqué
l'abbé de Tressan, peut-être sera-
t-on dans le vrai en pensant qu'il
n'en a\ait pas toujours été ainsi.
L'éduc;:tion première avait man-
qué, c'est clair. Mais ce n'est pas
impunément que l'on passe des
années dans une intimité d'élile
comme celle de Delille. Tant que
l'inséparable n eut pas assis sa do-
mination sur le granit, tant qu'à
toute force il y eut répudiation
possible, elle dut se mouler sur
celui qui jouait encore le rôle
supérieur, elle dut se modifier en
bien. Quand la domination lui
sembla indestructible, et ce fut
lorsqu'elle put croire avoir rendu
des services eu l'arrachant à la
capitale de la Terreur, lorsque
des infirmités toujours crois'-antes
nécessiiètent autour de lui des
soins incessants, lorsqu'enfin l'im-
minence de la cécité, puis la cé-
cité, le lui livra pifds et poings
liés, oh! alors la confiance im-
mense, l'orgueil, l'impatience lui
montèrent à la tête : on la quali-
fiait Aniigone, elle se qualifiait
victime et «jeune victime, » s'exa-
gérani la sénilité du vieillard, se
croyant, à son huitième lustre,
encore dans son printemps , et
sVxhalanl en élégies sur la triste
condition de ^^arde- malade.
Quant aux autres faits plus
graves, il nous suffit de les avoir
relates, nous les livrons sans com-
mentaires à l'appréciation. Made-
moiselle Vauchampsurvi'cul encore
di.\ ans à Delille, loin de l'opu-
lence, m .is loin de la gène. Elle
semblait avoir senti l'honneur du
nom que l'illustre mort l'avait
autorisée à porter en l'incorporant
à son œuvre; sa vénération pour
celle ^l'ande mémoire devint un
culte. En approchant du dernier
jour, elle exprimait souvent le
vœu qui avait été celui du poète,
de repoer auprès de sa cendre.
Ce vœu fut exaucé; les deux tom-
bes s'aperçoivent l'une près de
l'autre.
Ce qu'il y avait de curieux
dans la soi-disant madame Delille,
c'est qu'elle se montrait infatuée
elle-même du mérite de son soi-
disant époux, se figurait probable-
ment être de moitié dans ses glo-
rieuses pioductions et semblait
prendre sa part des éloges qu'on
en faisait devant elle.
Elle disait un jour en parlant de
l'empereur Napoléon :« Cet homme-
là n'aura jamais un hémistiche de
nom. )) Le fait est que c'est elle
seule qui a empêché le célèbre poète
de céder aux inspirations que de-
vaient nécessairement faire naître
en lui les glorieux exploits du
héros, et si, aux yeux de certaines
personnes, celte abstention a pu
passer pour un mérite , c'est à
madame Delille qu'il appartient
entièrement. Val. P.
VAL'CIIER(Jean-Pierre-Etienne)
botaniste distingué , instituteur
d'un rare mérite, prédicateur élo-
quent, naquit le 17 avril i7<i3, à
Genève, où il est mi)ri le 5 janvier
1841. Son péri , originaire du Val-
de-Travers, dans la pi incipaulé de
Neuchûtel, maître charpentier et
entrepreneur de bâtiments, jouis-
sait de quehiue aisance, ce qui
permit à Vaucher de suivre la
carrière des études, où il entra
après avoir travaillé (juelque temps
à l'atelier, rt où il ne tarda pas à
se distinguer. Il embrassa la voca-
19-J
VAU
tioiî pastorale et fui consacré au
saint ministère en 1787. Mais bien-
tôt survinrent les secousses politi-
ques qui ébranlèrent tant de posi-
tions, et Vaucher dut soutenir sa
famille en se vouant à l'éducation
de la jeunesse. C'est ainsi qu'il fut
mis eu rapport avec un jeune
Zuricois, qui fat plus tard le célè-
bre Escher de la Lintli, dont il
devint l'ami après avoir été l'ins-
tituteur. 11 ouvrit bientôt une
maison d'éducation, comme il y
en avait plusieurs à Genève pen-
(lijut les années de sa réunion à la
France et depuis sa restauration,
alors que tant de jeunes Français,
Allemands, Russes, Polonais, Ita-
liens, Sui^ses, Anglais, Américains,
vinrent chercher dans celliî ville
une instruction solide, des mœurs
pures et simples et des relations
de société faciles et agréables.
Parmi les élèves de Vaucher, dont
plusieurs occupèrent plus tard des
postes honorables, il y en eut deux
qui furent appelés, par la suite
des événements, à de hautes desti-
nées, et qui, dans leur position
élevée, lui onttémoigné une sincère
reconnaissance ; je veux parler de
S. M. Charles-Albert, roi de Sar-
daigne, et de S. Exe. le comte
Alexandre Valew.ski, entré depuis
1830 dans la carrière diplomati-
que, où il a joué dès lors et joue
encore aujourd'hui un rôle si im-
portant. Malgré lessoins qu'il don-
nait a ses élevés, Vaucher remplis-
sait ( ncoreles fonctions de pasteur
dans l'église réformée, où il se dis-
tingua par la chaleureuse autorité
de ses prédications, et celles de
professeur d'histoire ecclésiaslique
à l'Académie, dont il fut recteur
de 1818 k 1820. Enfin, dès sa jeu-
nesse, Vaucher cultiva avec ardeur
la botanique, à laquelle il dut ses
VAL'
plus douces jouissances, qui char-
mait ses loisirs durant sa vie ac-
tive et qui fut sa consolation dans
les années de la vieillesse. Il fit de
bonne heure des recherches sur
les plantes cryptogames, et publia
en 1803 son Histoire des Conferves
d'eau douce, Frémellisjiosloes, etc.,
1 vol. in- 4°, accompagné de gra-
vures dues au burin de sa femme,
ouvrage qui obtint les suffrages des
naturalistes les plus éminents; il
inséra divers mémoires relalils à
quelques inFusoires, aux tubulaires,
aux équisélacées, à la salvinie, à la
chute des feuilles, à la sève d'août,
à d'autres points de physiologie
végétale, aux sèches du lac Léman,
etc., dans le Journal de Physique,
le Bulletin philomalhique, les An-
nales du Muséum, les Mémoires de
l'Académie de Munich, ceux de la
Société de physique et d'histoire
naturelle de Genève. Il composa
pour la Bibliothèque universelle de,
Genève des notices nécrologiques
intéressantes , où il rappelle les
travaux scientifiques, la vie active
et désintéressée, les nobles qualités
de son illustre ami Escher de la
Linth et du professeur Marc-Au-
guste Piotet. Il j)ublia en 182G une
Mono(jraphie des Orobanches, accom-
pagnée de planches coloriées des-
sinées aussi par sa femme, qu'il eut
le malheur de perdre la même
année. Dès lors, il renonça k ses
fonctions de pasteur et îi sa car-
rière d'instituteur, afin de se consa-
crer uniquementà la rédaction d'un
ouvrage considérable pour lequel
il avait rassemblé de nombreuses
observations, et où il se proposait
d'exposer la vie des végétaux, les
phénomènes successifs qu'ils pré-
sentent dans leur germination, leur
floraison, leur fécondation, la dé-
nomination des graines, etc. Cet
VAU
ouvrage, dont un premier volume
avait paru en 1830, fut publié plus
complet à Valence , chez Marc
Aurel frères, en 1841, en 4 vol.
grand in-S", sous le titre ^'Histoire
physiologique des plantes d'Europe ;
il renferme une foule de remarques
nouvelles sur un sujet qui n'a pas
encore suffisamment attiré l'atten-
tion des botanistes. Un choix des
sermons de Vaucher publié par les
soins de ses fils, sous le titre de
Souvenirs d'un Pasteur genevois, et
précédé d'une notice biographi-
que, a paru à Genève, en 1842,
in-8-. L. V.
VAUDONCOURT ( Frédéric-
François-Guillaume) (baron de),
général français qui s'est fait un
r.om dans les lettres comme dans
la carrière militaire, était de Vien-
ne en Autriche : ce n'est pas que
ses parents fussent Aile mands ; mais
Lorrains tous deux, ils voyageaient
en Allemagne, et d'étape en étape
ils étaient arrivés dans la capitale
de l'Autriche quand force fut de
s'arrêter pour donner le jour (2i
septembre 1772) au futur officier
auquel est consacré ctît article.
Le père lui-même était un officier
de mérite. Tout naturelle ment donc
le jeune Guillaume fut coi nme bei ce
d'idées militaires. Ses études clas-
siques ne furent point ec ourlées ce-
pendant; il les poussa jusqu'en
philosophie, et la trace resta tou-
jours visibie de cette élégante et
forte éducation premi ère. Cepen-
dant ses idées na!iv(;s, d'accord
avec ses propensions, ne perdirent
pas un poure de terrain. C'est à
Metz d'ailleurs, ville militaire s'il
en fut, qu'il terminait ses cours de
collège. Il avait dix-sf:pt ans alors,
la révolution éclatai t. Après un
court passage à l'écc «le d'artillerie
de cette ville, il fut e nvoyéàParis,
LXXXV
VAU
103
où bientôt il fut nanti d'un poste
très-subalterne . au comité de la
guerre. Mais il n'y resta que
quelques mois; et dès qu'en 1791
il fut procédé k l'organisation des
bataillons de volontaires, il se pré-
senta, fut incorporé dans le batail-
lon de la Moselle, et peu de temps
après (19 septembre) il recevait
Tépaulette de lieutenant. On voit
qu'il n'avait pas encore dix-neuf
ans accomplis. li passa l'année sui-
vante au premier corps franc de la
Moselle qu'était en train d'organi-
ser son père, et il en reçut le com-
mandement en second. Ce corps ne
resta pas longtemps inerte : les
événemenls marchaient; les Prus-
siens, un peu moins prompts, fini-
rent aussi pourtant par se mettre
en route et passèrent la frontière.
Thionville fut menacé, tandis que
le gros de l'armée sous le généra-
lissime ennemi s'avançait vers Ver-
dun et l'Argonne. Le corps franc
de la Moselle fut chargé du ravi-
taillement de la place attaquée; et
quand, le succès ayant couronne
ses efforts, il eut fait son entrée
dans la ville, il prit part k la dé-
fense, qui, comme ou sait, fut bien
conduite et aboutit à la levée du
siège. Guillaume de Vaudoncourt,
dans cette partie de sa première
campagne, se fil remarquer dans
deux sorties où c'e^t lui qui joua
ie premier rôle : dans l'une il dé-
truisit aux environs de Caitenom
un convoi de vivres qui allait al-
leindiele camp ennemi; la seconde,
qui fut poussée jusqu'àSierck où se
trouvaient les émigrés, amena la
destruction d'un autre convoi plus
impoi tant encore îi faire disparaî-
tre.... c'étaient (les boulets et delà
poudre. Le siège levé, le corps
franc revint à Metz, où la recon-
naissance publique lui vota une
13
9/i
VAU
couronne civique. Il repartit bien-
tôt pour rendre aux Prussiens in-
vasion pour invasion; et il fit la
campagne deia Sarre (toujours en
iT92, ou plutôt pendant l'hiver de
1792 à 1793). Il alla se joindre en-
suite à l'armée de Cuslinc qui ma-
nœuvrait le long du Rhin, et prit
une i)art des plus vives k l'affaire
d'Allsladt. Vd , Vaudoncourt, au
milieu de rengagement eut à pren-
dre le commandement à la place
de son père, qu'un coup de feu
venait d'atteindre; et il se maintint
devant des (brces ennemies fort
supérieures dans une position très-
im|)ortante, couvrant deux ponts à
la conservation desquels l'avait pré-
posé Custine. La même année le
vit passer au corps des Vosges sous
le général Sully, qui le mit k la
tôle de l'avant-garde. Le jeune
officier y déploya plus brillamment
que jamais le sang-froid et l'intré-
pidité qui ne l'abandonnaient ja-
mais. Il surprit au mois de juin
louie la ligne des avant- postes
prussiens devant Deux-Ponts, les
refoula dans la ville et réduisit le
général prince de Hohenlohe à
s'établir en arrière. En juillet et en
août, Ilombourg, la forte position
du Karisberg et Landstahl, furent
enlevés par Vaudoncourt, toutes
opérations de nature à ouvrir aux
armées de la Moselle et des Vosges
la route de Mayence bloquée par
l'ennemi et h faciliter la délivrance
de la place. KnOn en septembre, le
14, fut livrée la bataille de Pirma-
sens. C'est Vaudoncourt qui, m;ir-
chant en lète de son avant-garde,
ouvrit le passage à toute l'armée
ce jour-là; il fut jirodiguc de sa
personne et ne reçut uas moins de
six blessures : aussi f;illui-il le re-
lever du champ di^ bataille; encore
n'est-ce pas par des concitoyens
VAU
quMI fut relevé, ce fut par des
mains prussiennes, et il resta plus
d'un an prisonnier de guerre. La
perspective de la paix de Bûle en-
fin amena la reddition des prison-
niers (179o). A peine eut -il remis
le pied sur notre sol, qu'immédia-
tement il reprit du service, non
plus dans le corps des Vosges, il
était dissous, mais dans la nouvelle
armée qui cherchait -d se réempa-
rer de Mayence : il y figura comme
capitaine d'état-major. Nous ne le
retrouvons après cela qu'à l'ar-
mée dltalie en 1796 et 1797. Là
s'ouvre pour lui une sphère d'ac-
tivité nouvell3 : une stratégie plus
brillante et plus savante accuriiule
comme par enchar.tement victoires
sur victoiies et le fait plus rapide-
ment avancer de villes en villes :
il s'initie pratiquement à la carie
de cette Italie supérieure qu'il
connaîtra si bien un jour et dont
l'histoire contemporaine sera re-
tracée de sa main. Le général en
chef l'avait distingué, il avait re-
connu de pi.'ime-abord en lui et la
science de l'orficler d'artillerie et
le talent de l'organisateur, en quel-
que sorte hérité de son père. Lors
donc qu'après les pi'éliminairesde
Léoben il jugea l'instant venu de
donner un e organisation régulière
et permanente à l'armée cisalpine;,
VaudoncotiM fut un de ceux sur
lesquels il jeta les yeux pour coo-
pérer à la réalisation de ce plan :
il le nomma (le 23 fructidor an v,
8 seplembie 1797?) ...encore sep-
tembre!) major d'artillerie; et
quelques moi s après (en 1798 donc)
il avait sous ses ordres comme
commandanr», en chef tout le j)er-
sonnel ei le matériel de l'artillerie
de cette armne. Sa vaillance et son
zèle ne f.iibl irent pas pendant les
mauvais jour s qui suivirent : il ne
VAU
VAU
195
tint pas à lui que la bataille de
Aïagnano ne fût un succès éclatant;
et quand, après l'événement il se
fut rabattu sur Peschiera, où il
s'enferma, toujours commandant
l'artillerie, son exemple et ses ha-
biles dispositions contribuèrent à
la vigoureuse défense de la place
et certainement la prolongèrent :
il ne put l'impossible cependant, et
la majorité du conseil de guerre, au
bout de quarante jours, décida que
l'on se rendrait : non-seulement
Yaudoncourt opéra en sens con-
traire, mais il rédigea une protes-
tation, qui fut rendue publique,
contrôla reddition. C'était en 1799.
L'année suivante, il se chargeait
pendant le siège Je Gènes,
où Masséna, numériquement très-
inférieur, avait sur les bras les
Autrichiens du côté de la terre et
de l'autre la flotte britannique,
d'une délicate et périlleuse mis-
sion de scivice, et il réussissait eu
plein, filant, i;lissant, i l'idleret au
retour, aii milieu des croisières,
des God save ihe king et des Rule
Britannia, etc., rendant sain et sauf
au premier consul un rapport écrit
(\c Masséna. La victoire de Marengo
vint bientôt après trancher le nœud
gordien des gi andes questions eu-
ropéennes,et l'Italie put r(spirer,dc-
barrassée du cauchemar autrichien.
Yaudoncourt venait alors de rece-
voir sa nomination de colonel. Le
Tainqueiir le désigna pour l'expé-
dition complémentaire en Toscane,
où, (juelque simpliliés que fussent
alors les problèmes, il fallait en-
core pourtant se donner la ptine
d'aller tirer les corollaires du syl-
logisme si bien décoché sur les
rives de la Borniida. C'est donc 1^
qu'il acheva sa campngnc de 1800,
comme commandant en chef de
l'ariillerie cisalpine ; dès septem-
bre, au reste, il n'y eut plus même
ombre de conflit. La paix signée
l'année suivante à Lunéville ne
le rendit pas à la France : le pre-
mier consul trouvait bon qu'il de-
meurât en Italie, où le gouverne-
ment cisalpin le nomma directeur
général du matériel de l'artillerie,
ce qui mettait en ses mains d'une
part l'étabissement des arsenaux,
des fonderies, des manufactures
d'armes, de l'autre la direction
supérieure de l'armement des pla-
ces. Tout fut organisé sur le pied
français: la république cisalpine
allait devenir une autre France, et,
quels que pussent être ses destins
ultérieurs, elle s'initiait par cette
rapide assimilation à la vie admi-
nistrative, et, par suite, à la vélo-
cité de pensée, aux habitudes, aux
idées même de la France lenou-
velée, toutes modiflcations qui
portaient en germe sa palingénésie,
Sun indépendance nationale et en-
fin son unité. Pour consolider l'œu-
vre préparatoire, le premier consul,
qui jamais ne s'endormait sur ses
lauriers et qui ne pensait pas que,
toute battue à plate couture qu'elle
eut été dans deux luttes à toute
outraiice, l'Autriche ne reprit fan-
taisie de tomber sur l'Italie, pensa
dés 4802 à se tenir sérieusement
en garde devers le Pu et l'Adige.
Yaudoncourt eut part ii toutes les
mesures prises en ce sens, mesures
dont l'initiative parlait de Paris;
et on le vil successivement ou si-
multanément membre de la com-
mission de défense (1802), membre
du comité de législation militaire
(1803) t'i directeur organisateur du
dépùt de la guerre établi à Milan.
Les prévisions d'en haut étaient
justes : Tannée même où l'empe-
reur des Français (c'était la nou-
velle qualification du premier cou-
196
VAU
VAU
sul) recevait la couronne de fer,
l'Autriche , toujours à la solde
de l'Angleterre en même temps
qu'agiiée par ses vieilles ambitions
et ses vieilles rancunes, non-seu-
lement déclarait la guerre à la
France, mais réenvahissait la Ci-
salpine. Bien que les événements
décisifs aient eu lieu en Allemagne
d'abord (Ulm, etc.), puis dans les
États héréditaires, cette arche sa-
crée des prétendus Habsbourg,
les frontières de la Vénétie furent
le théâtre de quelques petites péri-
péties guerrières. L'archiduc Jean
y commandait les ennemis; ce n'é-
tait pas un prince Eugène, mais il
conduisait de bonnes troupes :
la diversion n'était pas mal ima-
ginée. Elle n'aboutit pas, comme
on sait, et l'armée franco-italienne,
après avoir culbuté ses adversaires,
franchit les Alpes Juliennes et
planta ses drapeaux sur les hau-
teurs du Sœmmering. Comman-
dant de l'artillerie italienne et di-
recteur général des parcs de l'ar-
tillerie française, Vaudoncourt eut
sa pari de gloire et parfois de dan-
gers d'un bout à l'autre de cette
campagne, au delà comme en deçi»
des monts; il eut ensuite à com-
mander l'artillerie du siège de Ve-
nise (au commencement de 180G) ,
et c'est lui qui fui chargé de pren-
dre possession de la place. La paix
rétablie, on supprima la direction
générale de l'artillerie cisalpine;
mais le gouvernement ne cessa
d'utiliser le talent organisateur de
Vaudoncourt. C'est 'à lui que fut
confiée l'orî^'anisation de l'artillerie îi
cheval, cett«- création, l'objet de tant
de sarcasmes de la part de Courier,
plusspiritu<;l celte foisfjue raisonna-
ble,s'il estvrai qu'on puisse vraiment
avoir de l'esprit lorsque Ion n'a
pas raison. 11 eut ensuite le com-
mandement de ce corps qu'il ve-
nait d'organiser, et à cette position
il joignit le commandement de l'é-
cole d'artillerie et la d rection de
l'arsenal. Jusqu'ici Vaudoncourt ne
s'est fait voir à nous que comme
militaire : 1807 va nous le montrer
sous une autre face. C'est l'année
où la Prusse, écrasée dans ses pro-
vinces allemandes, va traîner la
lutte dans ses provinces slaves, et
où FriedIand va parfaire léna. Mais
avant d'en arriver là, il faudra se
mesurer avec les Russes; Frédéric-
Guillaume était seul en 1806; en
1807 Alexandre I" l'appuie. Alexan-
dre, bien conseillé, avait formé le
plan, pour opérer une diversion,
de dirigersur la Calabre un noyau de
Moscovites qui provoquerait l'insur-
rection du pays. Malheureusement
pour la réussite de l'entreprise, Na-
poléon enfui instruit, et par ses or-
dres, que lui transmit le prince Eu-
gène, Vaudoncourt alla par delà
les limites de la chrétienté chercher
les moyens, les éléments d'une di-
version contre la diversion proje-
tée; il parcourt la Bosnie dont il
voit, les unsaprès les autres, les di-
vers beys et les fait entrer dans ses
vues ; il amadoue le pacha de Scu-
tari;il excite, ce n'était pas difficile,
par l'espoir d'un territoire de |)lus
et par la certitude d'une proie fa-
cile, le fameux Ali-Pacha, disons
plutôt l'obscur Ali-Pacha, dont la
célébrité comme les relations avec
l'Europe ne datent vraiment que
de l'époque de celte mission. Pa-
chas et beys fondent tout à coup
sur Corfou, sur Sainte-Maure ; les
fils d'Albion et de Tlngrie, qui se
préparaient à venir charger de la
laine dans les Calabres, s^perçoi-
vent que d'antres plus prestes sont
en train do la tondre chez eux et
y courent. Eylau et FriedIand met-
VAU
VAU
197
tent sur l'entrefaite Français et
P russo-Russes aux prises ; puis,
sur le radeau de Tilsilt, s'embras-
sent les deux autocrates, entre qui
désormais se partage l'Europe chré-
tienne. L'épisode italique de la guer-
re de Prusse est terminé: l'ambas-
sadeur Vaudoncourt ^ambassadeur
botté, on le voit, comme il n'en
manquait pas à celle époque, du
moins de noire côlé) a joué au
mieux son rôle dans celle petite
pièce, inséparable de la grande.
Aussi l'année suivante est-il nom-
mé adjudant-général, soit en ré-
compense de ses récents services,
soit surtout parce qu'une nouvelle
guene, jjarce qu'une quatrième at-
taque de l'Autriche est déjà prévue
par l'empereur. Le printemps de
1809 réali.-e la prévision. C'estdans
celle mémorable année, marquée en
traits ineffaçables pour l'Autriche
par le désastre de Wagram, que
Vaudoncourt, placé déjà très-haut
dans l'estime de tous, acheva de
déployer tout ce qu'il possédait
d'activité, de sang-froid, de lact
militaire. Il remplissait les fonc-
tions de chef d'élal-major de l'ar-
mée d'Italie. Le 22 avril un pont
de bateaux ayant été jeté sur l'A-
dige par ses ordres, il força, non
sans opiniâtie résistance de l'en-
nemi, le passage du fleuve, et s'éta-
blit avecquinze cents hommes sur la
rive droite, donnant ainsi l'exemple
à d'autres corps qui s'empressèrent
derimiier,d'oùrésulta, pourleslla-
liens et les Français, un avantage
important. Quand, uu peu plus
tard, il fut clair que l'on ne pour-
rait le conserver, l'affluence des
Autrichiens augmentani sans cesse
et même élanl au momeril de met-
tre les noires en dauger, Vaudon-
court engagea deux fois la lutte
avec la division autrichienne Gold-
schraidt, que, chaque fois, il refoula
en lui tuant beaucoup de monde ;
et, par ce double succès, il couvrit
la position capitale de Rivoli, la-
quelle mettait à l'abri de danger
les colonnes en retraite, c'est-à-
dire toute l'aile gauche. Le mou-
vement rétrograde ne pouvait du-
rer. La marche en avant reprit
bientôt. Vaudoncourt prit part à
celle foule de petites affaires quoti-
diennes de la Brenla, de Tarvis,
de Malboighetto, de Saint-Michel,
préludes de la bataille de la Piave
et de l'entrée dans l'archiduché
d'Autriche. Il se couvrit de gloire
surtout à la bataille de Raab ; et
quand Raab nous eut ouvert ses
portes, il en fut nommé gouver-
neur. L'archiduc Jean vint mettre
le siège devant la place, il la dé-
fendit avec succès. Le vice-roi d'I-
talie, ou l'empereur, lui témoigna
sa satisfaction de cette utile série
de beaux faiis d'armes par le bre-
vet de général de brigade, par le
titre de baron du royaume d'Italie,
et par une dotation en Tyrol, Les
paisiblesannéesISlOet 1811, bien
que vides de guerres italiennes, ne
furent pas pour lui des périodes de
repos : diverses missions d'organi-
sation, d'inspeeiion, de comman-
dement se partagèrent toutes ses
semaines, toutes ses heures. Vint
1812 : celle fois, après la ni d'an-
nées, pendant lesquelles nous l'a-
vons vu, à peu de chose près, in-
féode à la Péninsule, il s'éloigne de
riialie avec le prince Eugène et
son armée, qui va former le qua-
trième eorps de la grande armée
napoléonienne, qui va vaincre à
l'.orodino, Slagno, à Moskou, et
périr dans les neiges qui sép'.renl
le Kremlin du Niémen. Vaudon-
court, toujours avec le prince Eu-
gène, qui pendant la désastreuse
198
VAU
VAU
retraite mérita si bien de la France
et de l'armée, avait, à la suite de
tant de fatigues et au milieu de
tant de malades, puisé lesgermes du
typlius; il s'alita dès qu'on fut à
Vilna, et il fallut l'y laisser. Les
Russes ne tardèrent pas à s'empa-
rer ûd sa personne, et il resta pri-
sonnier jusqu'à la paix. De retour,
en 1814, il fut compris parmi les
généraux mis en non-activité. Aus-
si, pendant les Cent Jours, il fut
prompt à reprendre du service. De
général de brigade, il passa général
de division; et Metz le revit chargé
cette fois d'organiser la garde na-
tionale. Il se tira de celte mission
avec la même célérité, avec le mê-
me bonheur. La confiance et l'af-
feciioLi de ses concitoyens, heureux
d'avoir dans leurs murs un de leurs
pluis nobles enfants, avaient d'ail-
leurs singulièrement facilité pour
lui le travail. Ils se plurent notam-
ment à le lui témoigner par leurs
acclamations à la grande revue de
juillet 1815, et bientôt ils le por-
tèrent à la |)résidence de la conté-
dération de la Moselle. Recom-
ma[jdé par ce choix même et j)ar
ses convictions au courroux des
adiiérenls chaleureux do l'ancien
régime, il eut bientôt des risques
sérieux ii courir. Il fut mis en ju-
gement dès l'année qui vit revenir
les Bourbons : nous ignorons ce
qu'eût été le jugement s'il so fût
présenté au tribunal, mais il fut de
l'avis d'un de nos amis qui termi-
nait ainsi je ne sais plus quel apo-
logue, au temps où il ne s'était pas
encore attaché à la glèbe de la
rime riche :
Ceci fait tôt qu'en mainte cirrsrisUncc
L'agilité tant mieux que 1 éloqueuce.
et il crut bon de mettre la fron-
tière entre la cour prévolale ellui :
ses juges le condamnèrent à mort
par contumace ; faible consolation
quand on le savait en liberté, et
faible moyen de réconcilier la
France nouvelle avec la dynastie
revenue à la suite de Waterloo.
Les replâtrages qu'avait bâclés la
Sainte-Alliance ne tardèrent pas à
se lézarder de plus d'un côté : l'é-
tincelle partie de l'île de Léon
avait mis le feu à Naples dès 1820,
au Piémont dès 1821. Les révolu-
tions opérées en un clin d'œil sur
ces deux théâtres donnaient l'éveil
non seulement à la Péninsule as-
servie, mais à toute l'Europe; on
s'attendait à voir ce que nous
voyons en train de s'accomplir au-
jourd'hui : l'Italie ou partie de l'Ita-
lie ressaisir son indépendance. Vau-
doncouri était alors depuis cinq
ans auprès du nrince Eugène à
Munich, où il s'était rendu après
un court séjour en Angleterre. Il
fut choisi par le prince (ou plutôt
c'est lui ([ui plus que tout autre
avait donné au prince l'idée de ce
j)lan) pour aller se mettre à la tête
des forces militaires du nouveau
gouvernement piémontais et ten-
ter le rétablissement du ci-de-
vant royaume d'Italie en faveur du
vice-roi, dont le nom était en ces
parages plus populaire que jamais.
Alexandre adhérait positivement k
ce premier remaniement des traités
de 1815, et en temps et lieu aurait
déclaré son adhésion. Le moinent
était favorable : le prince de Cari-
gnan par sa défection s'était placé
dans l'impossibilité, eùl-il eu et
lui eùt-on cru des talents, de con-
duire une entr(3prise hostile à
l'Autriche. Vaudoncourt se rendit
donc muni des pleins pouvoirs du
prince à Turin, et un j)remier suc-
ces sembla d'abord en garantir
d'autres; il obtint le commande-
VAU
ment gênerai de i'armée piémon-
laise. Malheureusement cette armée
était trop faiblement numérique et
d'une orjranisation impossible, vu
le peu de temps qu'on avait; les
Autrichiens fiient éprouver un
échec au génér;il qui commandait
la colonne de Novare. Mais ce n'est
pas tout : l'échec de Novare sans
doute était fâcheux; toutefois ce
n'était pas un mal irrémédiable.
Mais les membres du irouvernement
n'avaient ni cette intrépidité per-
sévérante qui fatigue la mauvaise
fortune, ni cet esprit de ressources
qui la dompte, ni l'accord de vues:
ils désespérèrent un pou vite, à
notre avis, bien que nous sachions
à quel point l'on joue gros jeu et
l'on engage sa responsabilité en
s'obstinant à la lutte sans forces
qui soient au moins du quart de
celles qu'il s'agit de combattre; ils
se dispersèrent; l'armée fut iicen-
ciée. Vaudoncourt, sans soldats,
n'avait plus qu'à se retirer. Ce ne
fut pas chose facile; on tenait à
l'avoir eu main, et le tribunal de-
vant lequel on l'eût nmené (si l'on
eût daigné s'astreindre à la forma-
lité d'un tribunal) n'eût pas mon-
tré beaucouj) plus de commiséra-
tion ou d'intelligence que la cour
prévôiale française. Apres beaucoup
de fatigues et de dangers pourtant,
et à force de j)résence d'esprit, il
put atteindre Gènes, et de là il lit
voile pour l'Kspagne. 11 y resta
jus(|u'ii l'expédiiiou française
(1823); mais quoique n'eu pouvant
voir le but qu'avec répuliion, il ne
recher( ha ni n'accepta de porter
les armes contre le drapeau fran-
çais. Après le rétablissement de la
monarchie, il reprit encore le cours
de ses péréj;rinalions, et il revit
l'Augleterre. Celle expatriation du
reste allait désormais n'èire que de
XM
199
courte durée. L'amnistie du 28 mai
4825 le mit à même de rentrer en
France dès qu'il le voudrait; il se
hâta d'eu profiter. Toutefois il fut
radié des contrôles de l'armée et
mis à la réforme. On comprend
qu'il n'en devint pas plus enthou-
siaste des Bourbons. Mais du moins
s'il fut réduit à l'inertie à l'âge où
des hommes de son étoffe peuvent
rendre encore tant de services, il
eut le plaisir de voir, à partir sur-
tout de l'année qui suivit la mort
de Louis XVIII, l'infortunée dynas-
tie s'aliéner de jour en jour les
sympathies, attiédir ou offenser
ses propres amis, perdre dans la
presse, perdre dans la chambre
des pairs, perdre dans l'opinion
des chancelleries étriingères et
marcher visiblement de |)lus en
plus vite vers sa ruine. On dirait
qu'il se tenait prêt pour cet ins-
tant, sans toutefois être infidèle à
ce désintéressement, le plus beau
fleuron de la conronue d'un
homme politique. La lutte des
trois jours n'était pas encore ter-
minée, en 1830, qu'on vitsonnom.
ligurcr sur la liste des généraux
qui se ralliaient au mouvement.
La démarche n'était pas sans ris-
que encore; il commandait les
quartiers des Tuileries et du
Roule à l'avant-garde de l'armée
jiarisienue. La branche aiuee dé-
liniiivemenl mise hors de cause,
mais la branche d'Orléans prenant
enfin la phtce si longtemps et si
studieusement guellée, il se trouva
tout naturellement que Vaudou-
court ne se sentit pas plus d'at-
trait pour le raailre nouveau que
le nouveau maître n'en é|)r(UiviMl
pour lui. La première conséquence
de ce manciue de sympathie fut
qu'il ne garda point de coinmau-
demenl à Paris : on l'exila en
200
VAU
VAU
quelque sorte, sous d'assez grotes-
ques prétextes, dans les départe-
ments du Finistère et de la Cha-
rente : il s'agissait d'oiganiser eu
ces lointaines provinces la garde
nationale. 11 eut le temps d'en
mettre sur pied une des plus bel-
les à Brest. Mais la monarchie de
fraîche date, qui n'avait pas plus
de goût que Charles X pour la mi-
lice citoyenne, bien qu'elle ne fût
pas issez naïve et mal avisée pour
froisser les susceptibilités natio-
nales en la cassant, ne le seconda
que mollement après qu'il eût trop
bien réussi parmi les Bretons, puis
lui signifia d'ajourner, et ensuite,
quand il eut obtempéré à l'ordre
reçu, remit de jour en jour à l'em-
ployer, de telle sorte qu'en fait il
ne fut pas même mis en disponibili-
té ; il fut derechef mis à la retraite.
L'histoire contemporaine doit à
cet honorable et habile officier
général plusieurs productions qui
prouvent sans doute quelques ha-
bitudes heureuses de rédaction et
même de style, si l'on veut, mais
que recommandent surtout l'abon-
dance et l'exaciitude des rensei-
gnements de visu. Ce sont quatre
monographies des campagnes fi-
nales de la période impériale et
une monographie, monument en
même temps de reconnaissance et
de talent historique. En voici les
titres: I. Mmoires pour servir à
l' histoire de la fjuerre entre la France
et laliussie en t8l2, Londres, 1816,
in-4% pi., auxquels il faut joindre
sa tn\s-remarquable/?e/r7/W7i impar-
tiale du pnsHarje de la llérésinn par
l'armée française en i8l2, Paris,
1 8 f 5 . i n-8 ' . If. Histoire de la gueire
soutenue par les Français en Alle-
mafjne en 1813, 2 v. in-i. JII. !\fé~
moires sur la campofine du vice-roi
en Italie en 1813 et 18U, Londres,
1817, in-4*, atlas. IV. Histoire des
campagnes de 1814 et 1815 en
Fmnrc, etc. Paris, 1826, 5 v. in-8*».
V, Histoire politique et militaire du^
prince Eufjène Napoléon, vice-roi'
d'Italie. Paris, 1827 et 1828, in-8\
A ces ouvrages, qui tous rouleut
sur des sujets presque de notre
ûge, puisque la génération entrain
de s'éteindre les a tous vus, doit
s'en ajouter un d'un tout autre
genre, non moins curieux quoiqufr
moins palpitant d'actualité, presque
actuel du reste en ce qu'il fut ré-
digé sous la pression des grands
faits d'armes du jour et avee l'idée
secrète de comparer à la façon de
Plutarque dans ses vies parallèles
les plus célèbres campagnes dont
l'Italie antique ait été le théâtre
avec les plus célèbres campagnes
modernes. C'est V Histoire des cam-
pagnes d'Annibal en Italie pendant
la seconde guerre punique, suivie de
l'Abrégé de la tactique des Romains
et des Grecs, etc., Milan, 1812, 3v,
in-4°, atlas. Val. P.
VAUDREUIL (Jean -Louis de
BICAUD, vicomte de) était le cou-
sin issu germain du comte Joseph-
François de Paule, le pair de
France et gouverneur du Louvre,
dont l'article peut se lire, XL VIII,
de la Biographie. C'est dire qu'il
avait pour aieul paternel le mar-
quis de Vaudreuil, si connu comme
gouverneur général du Canada,
sous Louis XIV et Louis XV, de
169S -à i72:>. De ses deux lils les
plus remarquables, l'un aussi a
déjîi son article biographique h la
suite de celui de son père (même
vol.), c'est lui qui mourut en
1802. L'autre, dit vicomte de Vau-
dreuil, se distingua pareillement
dans la carrière militaire, il vit la
guerre de la succession d'Autriche
et la guerre de sept ans. Lieute-
VAU
nant générak, il remplit les fonc-
tions de major général de l'armée
pendant les campagnes de Flandre,
sous les ordres des maréchaux de
Saxe, Bellisle et de Brog!ie;il reçut
en récompense de ses services la
grande croix de l'ordre de Saint-
Lazare; comme dignitaire de l'or-
dre il eut rhonneur de recevoir
Monsieur, depuis Louis XVIII; au
moment ou S. A. R. prit l'ordre sous
sa protection, il en fut déclaré Je
grand-maître. Jean-Louis, son fils,
l'objet de cet article, naquit en
1762, et dès l'entance fut destiné à
la carrière des armes. Dès quinze
ans en effet il entra au service dans
le régiment de Dragons-Dauphin,
que commandait son cousin plus
haut nommé, lequel, ainsi qu'on
peut le voir, était son aîné de
vingt-deux ans. C'était au moment
où Louis XVI, obéissant aux géné-
reuses inspirations qui furent tou-
jours son premier mouvemeni, et
jaloux de compenser les ignominies
de Louis XV en humiliant à son
tour l'implacable ennemie de la
France sous tous les régimes, allait
prouver, autrement que par des
paroles, sa sympathie ii l'égard des
colonies anglo-améiicaines en ré-
volte contre l'arrogante métropole.
Le jeune officier partit avec les
troupes françaises envoyées au se-
cours de là cause de l'indépendance
et servit en (jualité d'aide de camp
du chevalier de ClKisteliux; il eut
part à bon nombre d'engagements
importants et partout sa bravoure
fut celle de sa naliou et de sa race.
Il fut décoré de l'ordre de Cincin-
natus. Peu de temps après son re-
tour, il fut nommé colonel (1705);
il n'avait alors qu(3 vingl-lrois ans.
On voit quel magnifique ;jvenir
militaire se développait devant lui ;
et nul doute que la France n'eût eu
VAU
201
en ce jeune militaire un de ceux
qui devaient ajouter à ses gloires,
si des circonstances de force ma-
jeure ne fussent venues 'à la tra-
verse. La révolution éclata en
1789; bien avant qu'elle eût été
poussée à ses graves excès, et
quoiqu'il n'eût pas impunément
respiré l'atmosphère américaine, il
avait, à l'instardes ennemis préma-
turés et systématiques de la réno-
vation, émigré en Allemagne, et
de longtemps il ne pouvait échap-
per à ce dilemme, ou tirer l'épée
contre la France (triste gloire, eût-
il vu les siens vainqueurs!) ou
laisser l'épée au fourreau (com-
plète absence de gloire... militaire
du moins!) Le jeune émigré eut ces
deux malheurs. Il fut de ceux qui
en 1792 envahirent la France à la
queue des Prussiens,... nous disons
à la queue, puisque la jalousie
prussieiine ne permit jamais qu'un
corps français fût à l'avaut-garde,
et que les pauvres émigrés armés
étaient ii Sterk, tandis que le duc de
Brunswick s'avançait dans l'Ar-
gonne; cruelle leçon pour ceux
dont la foi robuste croit aux sym-
pathies chevaleresques des chan-
celleries et des coiuloltieri. Vau-
dreuil à cette époque était aide de
camp de Monsieur; ce général i)eu
belliqueux ne l'envoya pas porier
beaucoup d'ordres au travers des
escadrons; et tel est le résultat des
folles alliances , ils virent leurs
minces forces subir le même sort
que leurs avides et sournois adver-
saires,... s'ils plièrent ce ne fut
pas sous le poids des lauriers; seu-
lement nous nous plaisons à re-
marcpuT qu'ils ne furent pas bat-
tus. Deux ans et plus ensuite se
passèrent sans ()ue l'émigration pût
donner signe de vie par les arm<'s.
Enfin les braves d'entre eux purent
202
\A\]
VAU
lever la lète : l'expédition de Qui-
beron fut comblTiée plus vaillam-
ment qu'^ sagement, on le sait. Il
n'y avait pas de Machiavel parmi
ces confiants gentilshommes qui
s'embarquaient sur la foi de l'An-
gleterre, il y en avait au ministère
britannique, toujours en déliance
des Français, mf^ne quand ils se
préparaient à (D\re du mal à la
France. Les meneurs de Paris fu-
rent doue sinon renseignés , du
moins mis sur la voie, et de là sur-
tout, plus que de toute autre cause,
l'issue désastreuse de l'entreprise. Le
vicomte de Vaudreuil avait été dans
l'intention d'y prendre part, et dans
ce but il avait fait voile d'Allema-
gne en Angleterre, accompagné du
régiment de Choiseul ; mais le mi-
nistère anglais fit surgir des entra-
ves à leur prompt départ, et le
coup de foudre qui mit brusque-
ment fin à l'expédition rendit inu-
tile autant qu'impossible tout mm-
vement ultérieur. Le vicomte, af)rès
cet échec, qui pour si longtemps
ajournait les espérancss des cham-
pions de la légitimité, alla rejoindre
Louis XVIII en Kcosse, où déjà se
irouvaieiït plusieurs des autres
menabres de sa famille et notam-
ment son cousin. Jeune encore.
puis(iu'il ne comptait pas encore
trente-cinq ans, il avait le regret
de n'être guère plus actif de ses
jambes que son maître et de ne pas
se sentir en possession de toute
celle force et cette vivacité mentale,
apanagt; usuel de l'âge viril et qu'il
eût été heureux de mettre au ser-
vice (le son prince. Une maladie
cruelle, et qui déjoua l'art des plus
habiles praticiens, l'atrophia de
plus en pius au physique et au mo-
ral, en le conduisant au tombeau
par un lent dépérissement et par
des souffrances aigiies comme l'a-
gonie. Le rétablissement des Bour-
bons , en 1814 , fut comme un
rayon de soleil au milieu de ces
ombres épaissies sur sa vie. Il vît
de même, après la courte éclipse
des Cent Jours, la légitimité re-
brîller sur le trône de tout l'éclat
que peut avoir un succès dû à
tant de pertes de sang, de pro-
vinces et de millions; mais il ne
survécut que peu de temps à ce
dernier événement, et il alla, beau-
coup plus jeune que la plupart
d'entre eux, rejoindre ses ancêtres
dans le caveau de famille, le 20
avril 1816. Voy. l'article suivant.
Val. p.
VAUDREUIL (Alfred, vicomte
de), deuxième fils du précédent,
né le l'^' janvier 1799 en Ecosse, où
nous avons vu son père passer les
dix-sept ou dix-huit dernières an-
nées de l'émigration, profita re-
m.arquablement des soins donnés à
la partie sérieuse de son éducation,
et se familiarisa de bonne heure,
tant par la conversation de son
père, qui n'avait |)oint oublié les
beaux jours de l'Amérique indé-
pendante, que par l'air même qu'on
respire dans cette île, la terre
classique des idées constitution-
neiles, avec des idées moins abso-
lutistes que celles de la plupart
des expatriés de sa castç. De re-
tour en France à la suite de l'im-
mense chute dont le 30 mars 1814
avait été le résumé, il se décida
provisoirement à suivre comme
ses ancêtres la carrière militaire,
et entra de prime-abord aux che-
vau-légers, puis a|)rès les Cent-
Jours (^pendant lesquels il avait
quitté le sol français pour revoir
Albion), il passa des chevau-légers
dans les hussards de la garde
royale (octobre). Mais il n'y resta
pas non plus longtemps. Soit qu'il
\'AU
eùtrhumeur moins belliqueuse que
sesaïeux ^soD père, en effet, étaitdéjii
maladif el réduit à la vie casanière
k l'époque de sa naissance), soit
qu'après les traités de Vienne, qui
semblaient avoir réglé pour long-
temps l'équilibre de l'Europe, sa
carrière militaire fût loin d'offrir,
en France du moins, la brillante
perspective et le prestige dont elle
eut longtemps le privilège, soit en-
fin que les études et les prédilec-
tions sérieuses dont plus haut nous
avons touché un mot, se fussent
brusquement mises en recrudes-
cence, soit par suite de quelque
autre raison inutile à chercher, il
déclara qu'il se sentait de la voca-
tion pour la diplomatie. Un nom
comme le sien, classé parmi les
plus beaux noms de France, étiiit
le « Sésame, ouvre-loi. » Il ne larda
pas à prendre pied à l'étrier en
qualité d'attaché. Naples fut le lieu
(Je son début (1816). Nommé en-
suite secrétaire de légation, il ré-
sida successivement à La Haye et
il Cassel. Plus tard, nouvel avan-
cement : le secrétaire d(! légation
devint secrétaire d'ambassade , à
Londres d'abord, où l'on élaborait
;i coalition dont le résultat fut la
grande victoire de Navarin, ensuite
à Lisbonne (en 1827), où par in-
térim il remplit les fonctions de
chargé d'affaires. Uien de moins
facile à démêler et plus encore à
mener à bonne fln que les négo-
ciations alors pendantes entre dun
Miguel, alors le inailre de fait du
Portugal, et la France qui ne de-
mandait qu'à r.ippuyer contre
l'Angleterre et les leonistes, mais
qui souhaitait voir son absolutisme
marcher dans des voies plus con-
formes à l'esprit moderne el qui
n'aliénassent pas de lui ses sujets
les plus fidèles. S'il n'y reu>sil
VàU
203
qu'en partie, le ministre des affaires
étrangères n'en apprécia pas moins
le talent d'observation, la justesse
de jugement, la finesse de vues,
la solidité de plan, enfin la netteté en
même temps que la grâce de rédac-
tion dont le jeune diplomate offrait le
modèle. Il fut admis dès lors que
nulle mission n'était trop h:iute
pour ses capacités, et qu'un temps
viendrait bienlot où les positions
diplomatiques les plus enviables
seraient de droit pour lui. C'est en
ce moment qu'il épousa mademoi-
selle Collo', la fille aînée du di-
recteur général de la Monnaie de
Paris... Fortune et beauté du même
coup lui échurent en partage. Il se
rendit ensuite à Londres, en 1828,
avec le litre de premier secré-
taire de l'ambassade française; et
comme tel, il eut part aux ma-
nœuvres, parfaitement de bonne
guerre, par lesquelles furent endor-
mies en partie lesdéliances anglai-
ses relativement à noire première
expédition en Algérie. Assez long-
temps les ministres anglais et leurs
convives ou auiies champions de
(|uioonque tient la feuilU; aux si-
nécures, se laissèrent dire ou ima-
ginèrent naïvement qu'il ne s'a-
gissait là (jue de tirer vengeance
du coup d'éventail ou d'en tinir
avec l'affaire Bakri; puis, quand
la grandeur des préparatifs eut
prouvé (luil se brassait ^ous ro-
che quelque chose de plus, ils se
!al: sèrenl convaincre que la France
n'allait conquérir ([ue pour rendre
cl que, après avoir installé quel-
ques échelles ou comptoirs sur la
cote mediterraiiéemu', elle s'em-
presserait de restituer le pays ;in
dey légitime. Vint iinniédialemenl.
après la coniiuèie la révolution
des trois journées (1830). La po-
sition de Vaudreuil se trouva subi-
204
VAU
VAU
tement des plus incommodes et des
plus tausses; d'une part, il est visi-
h\e que Tinstant approchait où le
ministère britannique nllait sommer
la France de réaliser les pro-
messes explicites ou implicites en
vertu desquelles on Tavijit laissée
se mettre en possession d'Alger et
de ses entours; de Taulre, le fils
d'un des fidèles de la dynastie bour-
bonienne et de la monarchie sem-
blait ne pouvoir seconder de sa
coopération un gouvernement qu'on
ai)pelait usurpateur et subreptice.
L'embarras de notre premier se-
crétaire ne fut pas long : il venait
à peine de prendre la résolution de
continuer àservirtoujoursia France,
sans examiner quel principe et quel
homme la gouvernait, d'autant plus
que la monarchie restait debout et
quil n'y avait changement que de
branche et non de dynastie (toutes
considérations que nous avouons ne
pas émaner d'un royalisme bien
fervent), lorsque Talleyrand vint,
muni du titre d'ambassadeur ex-
traordinaire, le relayer et le dépos-
séder. Il fallait en effet celte archi-
machiavélique expérience des vieux
complots éventés de i816 et autres
pour aborder le traité morganatique
en vertu duquel le Foreing-Office
allait devenir le patron compro-
mettant de Louis-Philippe et l'ar-
rogant allié de la France. Le vi-
comte Alfred, cependant, ne fut
pas évincé de la liste des agents
diplomatiques; il s'était rallié trop
vite et trop haut pour ôtre suspect
d'arrière- pensée : il fut chargé de
la légation de Weimar, création
récente alors et où tout était encore
k faire. Il s'y remlit sans retard et
réussit dans sa mission an-delîi de
tout ce qu'il devjiit espérer. Bien
qu'aussi étranger naguère à l'Alle-
magne qu'il était fr<miliarisé de
longue main avec la Grande-Breta-
gne, il se sentit Ui comme en son
élément. Une ville dite avec raison
l'Athènes du Nord, une cour éprise
de toutes les élégantes et initiée
au culte de l'art sous lotîtes les
formes, ne pouvait que charmer
un des représentants, un des di-
gnes héritiers de cette vieille aris-
tocratie française, le point de dé-
part et le type de tout ce qu'il
y avait d'urbanité, de grâce exquise,
de formes charmantes d'un bout à
l'autre de l'Europe. Tout lui plut
dans cette atmosphère parfumée de
science du monde et de poésie de-
venue presque chez des courtisans
seconde nature; il plut lui-même,
tant par lui que par ses entours,
non-seulement aux oisifs de la cour
et aux étoiles de seconde classe,
mais aux sommités officielles, non-
seulement aux sommités officielles,
mais à toute la ville. Les lettrés
et les penseurs se pressaient à ses
soirées; Goethe, malgré son grand
âge et SCS infirmités, Goethe, dont
la tin dès lors était imminente, ai-
mait à passer des heures entières
à s'entretenir avec le couple char-
mant que le monarque de France
semblait avoir trié tout exprès
pour la délicatesse des habitudes
et (les mœurs weimariennes. Le
vicomte Alfred ne s'endormait pas
dans cette Capoue, et l'on nous as-
sure que d'une part la perfection
avec laquelle il s'acquittait de tous
les détails de son emploi, de l'au-
tre, les rares qualités de sa ré-
daction coulante, nette et sensée
avaient provoqué àdiverses reprises
l'admiration en haut lieu. La preu-
ve ne s'en lit pas longtemps atten-
dre : l'ambassade de Munich étant
venue h vaquer en 1832, c'est lui
qui fut désigné pour aller en rem-
plir les fonctions en qualité de mi-
VAU
VAU
205
nistre plénipotentiaire. 11 n'arriva
qu'en décembre de celte année; et
déjà, réussissant en cette nouvelle
résidence non moins quà Weimar,
ayant eu l'arl de captiver l'affec-
tion et la confiance du souverain
de !a Bavière, sans compromellreen
quoi que ce fût soit les intérêts,
soit la dignité de la France, très-
instruit d'ailleurs de tout ce qui
touchait à TAUemagne, tant par ses
études récentes depuis son séjour
à Weimar, que par les voya-
ges qu'il avait faits en celte région
penc/ant les moments de relâche
qu'il savait se créer, il avait aplani
il la satisfaction du cabinet de Pa-
ris les principaux obstacles qui
nuisaient à l'entente des Tuileries
avec Munich, lorsqu'une maladie,
dont la la gravité ne fut pas immé-
diatement aperçue, le contraignit à
prendre le lit, puis à suspendre
tout travail. Le péril devint bientôt
sensibh ; parents, amis accoururent
et lui prodiguèrent leurs soins, mais
en vain. Il mourut après avcijr lan-
gui trois mois le 3 novembre 4834,
les laissant dans le deuil et dans les
larmes. Val. P.
VAUGEOIS (Gabriel) , anîi-
quaire de mérite, naquit à Laigle
eu 17o2, mourut à Laigle en 1839,
mais ne s'infcodapos quatre-vingt-
sept ans durant à Laigle. Au con-
traire, il s'arrangea, sans aspirer
précisément à faire le tour du
monde, pour voir du pays. Au sor-
tir du collège, où, parmi ses con-
disciples, il avait compte Hrissot et
Pélion, il étudia les lois et coutu-
mes (on n'en était pas encore alors
au Code Napoléon), et il entra dans
la magistrature. La révolution in-
terrompit momentanément sa car-
rière; mais, dès (|n'un commence-
ment d'ordre fut rétabli, la carrière
se rouvrit pour lui sans difticulté ;
elle s'améliora même, et, finale-
ment, nous le retrouvons, au temps
de l'Empire, président de la cour
criminelle de Namur. Sous la Res-
tauration, il fut quelque temps dé-
puté. Nous ignorons vraimentpour-
quoi, car jamais il n'y brilla ni
n'eut chance d'y briller : il n'avait
depuis longtemps nul penchant pour
la politique. Et même , on peut
ajouter que s'il donnait des soins
aux fonctions juridiques, et si, par
des éludes suivies, il se tenait au
courant, soit de la législation, soit
de la jurisprudence nouvelle, c'é-
tait par conscience plutôt que par
goût. Son goût était pour des tra-
vaux d'un tout autre genre et très-
variés qui dénotent une rare acti-
vité intellectuelle. 11 cultivait la
physique et la chimie, la géologie
et la minéralogie, et, pour se per-
fectionner dans ces sciences, ou du
moins d<ins les deux dernières, il
voyageait loin et de sa résidence et
de son pays : en Auvergne, en Vi-
varais, en lieux divers qii conte-
naient des volcans éteints. Il visita
aussi la Suisse et la Savoie (1820).
Plus tard, la passioii de l'archéolo-
gie à laquelle, dès les pramiers
temps, il avait sacrifié, dom.ina
celle des sciences, 'que jamais, bien
entendu, il n'abandonna ou n'oublia
complètement. Ce changement eut
lieu surtout après qu'ayant atteint
l'Age nécessaire pour obtenir une
pension convenable, il prit le parti
6? la retraite. Membre de l'acadé-
mie de Caen, et pendant longtemps
un des plus assidus aux nssembl -es
pèriodi(|ues, il y fut souvent chargé
de rapports sur les questions rt'lati-
ves soit à l'une, soit à l'aulnr de ses
spécialités. Il fut aussi de l'Acadé-
mie celtique, au moins à titre de
correspomlant. Son caractère doux
et liant, éloigné de tout excès et
206
VAU
de toute outrecuidance, l'avait ren-
du cher à tout ce qui l'entourait,
même à ce genus irrilabile, non de
poètes, mais d'archéologues qu'il
avait sans cesse en face de lui pen-
dant son long séjour îi Caen. Tel le
virent alors les savants et dilet-
tanti, tel l'avaient trouvé jadis dans
une tout autre sphère, ses amis et
condisciples, Pélion et consorts,
qu'il égala bien en patriotisme, mais
dontjamais il nimiia, soit les exa-
gérations, soit les prostrations et
les faiblesses. Parmi les Mémoires et
Notices qu'on doit à sa plume, nous
citerons de préférence : I. Sa Lettre
à M. Eloi Johanncau sur la pierre
du diable^ à Namur, et sur l'élymo-
logie du nom de cette ville, avec la
réponse de M. E. Johanncau (dans
\es Mém. de ï Acad. celtique, i. m,
180U). II. Son Mémoire sur les pier-
res couplées de la forêt de Sainl-Se-
ver (dans les Mém. de lasoc.des an-
tiquaires de Normandie, t. ii, J825).
III. Son coup d'œil sur quelques-unes
des voies romaines qui traversent
l'arrondissement de Mortagne (mê-
mes Mémoires, i830). IV. La rela-
tion de la tournée mi-scientifique,
mi-archéologique mentionnée plus
haut, et qu'il donna sons cet inti-
tulé modeste, : Notice abrégée du
journal d'un voyage archéologique et
géologique, fait en 1820 dans les Al-
pes de la Savoie et dans les départe-
ments méridionaux de la France
(dans les Mém. de la Société des an-
tiquaires franc., t. ni, 1821). —
Un romancier de l'ancienne école,
du même nom de Vaugeois (Ilippo-
lyte;a publié, sans y mettre son
nom et avec un collaborateur éga-
lement anonyme, le Brigand de
Langerooge. ou les ruines mysté-
rieuses, par les deux ermites de
Langerooge, (Paris, 1814, ;} vol.
iri-12}. Tout se débitait à cette
VAU
époque, quoique la révolution dé-
terminée par la plume de Scott
commençât à se dessiner ; et, en-
couragé par un semi-succès, Vau-
geois, seul cette fois, publia l'année
suivante le Brigand saxon ou les
Souterrains du comte de Honstein (le
vrai nom est Hohnstein, mais l'on
n'y regardait pas de si près), aven-
tures d'un jeune officier revenant des
prisons de la Bohême, Paris, 1825,
2 vol. in-12. Après ce second
chef-d'œuvre, Vaugeois et son col-
laborateur anonyme, qui s'appelait
Pigoreau, sentirent qu'il fallait être
plus habiles marins qu'eux pour
reprendre la mer, et ils prirent
leurs invalides. Val. P.
VAUGIIAN (Jean), légiste an-
glais, et l'auteur de l'illustration de
sa maison, naquit au commen-
cement du dix-septième siècle, aux
environs de Transcoed, très-mince
bourgade du comté de Cardigan, au
pays de Galles, où, depuis deux ou
trois générations, sa famille jouis-
sait de quelque considération. Ses
parents le vouèrent au droit, et il y
mordit. De bonne heure, il passa
pour jurisconsulte très-docte et
pour avocat très-retors, ce qui ne
veut pas dire (ju'il brillait par l'é-
loquence. Le barreau en général se
privait alors de ce luxe. Il eût été
de mise dans une autre arène qu'a-
va it ouverte à l'habile suppôt de
Thémis cet entregent qui lui
faisait gagner tant de causes. Il
avait eu l'art de se faire élire
membre de la Chambre des com-
munes pour 1G40. On sait comment
les caries ne tardèrent pas h se
brouiller entre Charles toujours be-
soigneux, toujours enclin aux pro-
cédés par lesquels il avait gouver-
né onze ans sans Parlement, et la-
dite chambre qui tenait les cordons
de la bourse. Vaughan se plaça
VAU
d'emblée parmi les fauteurs, sinon
parmi les champions de l'omnipo-
tence monarchique, et, comme s'il
se fût agi de stricte légalité en un
moment que Ton pouvait regarder
comme le quart d'heure de Rabe-
lais d'une royauté que ses illégali-
tés maladroites avaient conduite à
l'impuissance et à l'isolement, il vit
dans toutes les garanties que la
juste défiance des parlementaires
faisait souscrire au prince, autantde
crimes de lèse-majesté; puis, la
collision engagée, il se sépara de
ses collègues. Il fit plus, et protes-
tant à sa façon contre le régime
triomphant, il ferma son cabinet
pendant Pinterrègne, c'est-à-dire
pendant que Cromwell régnait. Le
Protecteur ne fut point ébranlé par
ce défaut de concours et n'en fut
pas moins respecté sur terre et sur
mei-, pas moins craint des frégates
et corvettes hollandaises, pas moins
courtisé de Mazarin, pas moins
maître, en fin de compte, et de la
Jamaïque, que perdirent les Espa-
gnols, et de Dunkerque, que lui
conquit Turenne (1058). Heureuse-
ment pour les nations étrangères,
les Sluarls recouvrèrent leur trône
deux ans après. Les prospérités
britanniques s'arrêtèrent soudain;
mais Vaughan reprit son siège au
Parlement, en même temps que le
roi sa couronne, et de plus, jiour
l'indemniser de ce que, par sa lon-
gue abstention, il avait manqué de
gagner, le gouvernement de la res-
tauration lui passa au doigt la ba-
gue de (i lordchief-justice » (à peu
près premier président} aux « com-
mon pU'as. » Cette position, belle,
enviée et lucrative, ne fut dune pas
pour Vau|zhan la récompense de
longs services : c'est le nienlc far
qui la lui valut. Avis à ceux (jui
déploient leur activité , courant
VAU
207
après la fortune, se levant matin,
se couchant tard! Tout vient à bien
à qui sait l'attendre... dans son
lit. Rendons pourtant au membre
de Cardigan un hommage qu'il mé-
rite. S'il fut un exemple de l'avan-
cement facile, il ne !e fut pas de
l'avancement déplorable. On ne lui
demanda que l'office d'un légiste,
et non celui d'un politique à toute
outrance. Il ne fut point et il n'au-
rait été jamais un Jefferies. L'his-
toire doit le lui compter. Sa mort
eut lieu en 1774, précisément à mi-
distance du retour et de la seconde
expulsion de la dynastie antipa-
thique aux Anglais. De son fils
Edouard, qui, lui non plus, ne vit
pas tomber les Stuarts (car il mou-
rut en 1683, avant même que le
gauche Jacques H montât sur le
trône pour en tomber) , naquit
Jean II, qui fut le premier lord
Vaughan (1095), en même temps
que baron de Fethers et vicomte de
Lisburne, au comté d'Anirim (Ir-
lande), et dontles deux fils, Jean m
etWilmot, portèrent successivement
ces titres. Le vicomte Wilmot II
(le fils de Wilniot; devint comte en
1776. C'est probablement à cette
famille, mais comme cadets ou is-
sus de cadets , que se rattachent
et l'économiste B. Vaughan et l'his-
toriographe Ch. Richard Vaughan.
Lt; premier était, s'il faut s'en rap-
porter aux assertions du titre d'un
de ses ouvrages, membre du Parle-
ment. L'on a de lui : l. Z>t'.s princi-
j)es du commerce entre les nations,
traduit in fiançais par Gérard de
Payni'val, Paris, 178'J,iu-8". IL Un
ouvrage non imprimé en anglais,
mais qui, traduit d'abord, à ce qu'il
parait, en allemand, passa ensuite
de l'allemand en français par les
soins du ministre protestant Bla-
chon, et dont voici le titre : De l'é-
208
VAU
tat polilique et économique de la
France sous la conslitutionde Van III,
Strasbourg et Paris, an iv (1796),
in-8". Quant à Ch. Richard Val-
GHAN, c'était un membre distingué
de l'université d'Oxford, sur les re-
gistres de laquelle, non-seulement
il figurait (en sa qualité de mem-
bre do collège « d'Ail Soûls, » ou
de Tous les saints, comme on pré-
férera le nommer), mais il émar-
geait comme « travelling fellow »
(membre voyageur) appointé sur la
fondation du docteur Richard. Il ar-
pentait ainsi le nord de l'Kspagne,
touriste payé au milieu de tant de
touristes payants, au printemps de
1808, au moment où commençait
la lutte, qui suivit l'entrevue de
Bayonne. Il passa de cinq à six se-
maines à Saragosse, jouant souvent,
sinon sans cesse, de la fourchette
chez Palafox (c'est lui qui nous
l'affirme : « introduced to D. Joseph
Palafox, at whose table I lived), et
s'enquit avec un soin spécial de tous
les détails du siège de Saragosse,
ce qui lui fut d'autant plus facile
que son ami le brigadier-général
Doyle lui remit force notes sur cet
événement, et que, d'ailleurs, il
accompagna deux fois comme vo-
lontaire les petites razias de Pala-
fox sur les frontières de la Navarre.
Il eut pourtant bientôt assez de
la guerre, et nous le trouvons car-
rément assis à Londres, « January,
25 th., 1809, » sabre rengainé,
idiime rèaiguisée, et vociférant con-
tre les ambitieux Français par la
publication de sa Relation du siège
de Saragosse, Londres, in-8", dont
il eut grand soin d'annoncer que la
vente se ferait au bénéfice des in-
fortunes Aragonais et qui compta
dans l'année même au moins six édi-
tions. Du reste, il faut reconnaître
que, quoique émanant visiblement
VAU
de cet esprit jaloux duquel ont tant
de peine à se départir les Anglais
quand ils voient la France pros-
père, bien plus que d'une vraie
sympathie pour l'Espagne, à la-
quelle ils ne rendent pas Gibraltar,
la narration de Vaughan contient
desfaits plus que des déclamations,
et qu'il se montre appréciateur
calme des probabilités de l'avenir
en terminant sa préface par ces
mots, en parlant des Espagnols :
« Qu'ils puissent tomber, ce n'est
pas improbable; mais tant qu'ils ne
désespéreront pas d'eux-mêmes,
les vrais amis de l'Espagne doi-
vent ne pas en désespérer; ar-
rive que pourra comme dénoû-
ment, c'eet justice, il faut l'avouer,
que de perpétuer le souvenir de
celte énergique leçon sur ce qu'of-
frent de ressources le patriotisme
et le courage. » — Edouard-Tho-
mas Val'Ghan, septième fils du ba-
ronnet sir Henry Ilalford, membre
de la Chambre des communes pour
Leicester, parfit ses études au col-
lège de la Trinité de Cambridge,
prit des grades en 1796 et années
suivantes, fut présenté par lessoins
du chancelier à l'église de Saint-
Martin de Leicester en 1802 et à
celle de Foston en 1812, et, nanti
de ce double rectorat, ne se mit
en frais d'éloquence que sobre-
ment, ne fit gémir la presse que
rarement, et cependant ne voulut
pas plus pousser à l'excès la so-
briété oratoire ou littéraire que le
reste. Lors donc qu'il eut à rece-
voir son prélat faL^ant la visite de
l'archidiaconat de Leicester, il mit
quelques dentelles et quelques
fleurs de plus à l'homélie du jour;
puis, quelque neuf ans après, ravi
de l'effet qu'il avait cru produire
en prêchant sur cette thèse toute
neuve « qu'en Christ seul réside
VAU
chance de salut, » il réunit ces
deux spécimens de sa parole évan-
gélique en un volume in-8", grand
papier, encre supérieure, marges
seigneuriales. Or, en ce temps-là,
un autre ministre était, ainsi
que lui, recteur de Ribworth,
donc du même rang que lui, et por-
tant un assez beau nom, James Be-
resford (nousne savonss'il était ne-
veu,cousin ou simplehoraonymede
l'ex- ambassadeur britannique en
Portugal), lequel voyait un nom-
breux auditoire sepresserautour de
sa chaire ; Vaughan ne pouvant lui
contester le talent de l'élocution,
l'attaqua sous le rapport du dog-
me, qui, dit-il, n'était pas celui
des maîtres de la sagesse ; et, pour
éclairer la religion des fidèles, il
mit au jour deux opuscules ayant
pour titre, l'un : Ce que c'est que
le clergé calvinisie (The calvinist
clergy defined) ; l'autre : La doc-
trine de Calvin mainteuue ou lettre
à James Beresford^ etc. Enfin l'on
trouve encore de lui, en tête des
œuvres complètes du rév. Thomas
Robinson (vicaire de Sainte-Marie
de Leicester), I8I0, une Helation
(Memoirs) de la vie et des écrits
de ce personnage. Toutes ces pro-
ductions se lisent en peu d'heures
quand on les lit; mais reliées cha-
cune à part, elles tiennent de la
place sur les rayons d'une biblio-
thèque; si la bibliothèque esl rangée
suivant un ordre méthodique, elles
vont se caser dans divers compar-
timents. Sic itur ad astra^ sic ou
petit ii petit on se crée parmi des
amis complaisants la triple répu-
tation d'orateur, de conlrovcrsiste
et d'historien. Tel fut le lot d'E-
douard-Thomas Vaughan , et il en
jouit assez longtemps, sa mort
n'ayant eu lieu qu'en 1829.
V'AULAliKLLIÙ ( Éléonore-Te-
LXXXV
VAL
2U'J
NAiLLE bE ) dont le père , officier
d'état major à farmee d'Espagne,
fut tué dans la campagne de 1808,
et le grand-père, Jean-Baptiste de
Vaulabelle, fut maréchal des logis
de la 2* compagnie des gardes du
corps du roi Louis XVI, naquit à
Chatel-Censoir (Yonne), le 12 oc-
tobre 1801. Après avoir fait d'ex-
cellentes études, il embrassa, très-
jeune, la carrière des lettres et
débuta par sa collaboration avec le
poëte Méry dans une épître en
vers à l'empereur Sidi-Mahmoud,
qui fut publiée sous le nom seul de
ce dernier. Il travailla ensuite à la
rédaction de plusieurs journaux:
le yain, le Courrier de la Jeunesse,
le Journal des Enfants, dont il fut
un des fondateurs , le Fiqaro, r Eu-
rope littéraire, ainsi (pi'à celle de
plusieurs journaux politiques, dont
la partie littéraire lui fut confiée.
Deux romans: Un Enfant (3 vol.,
1833), les Femmes vengées (2 vol.,
1834), et un recueil de contes mo-
raux pour les enfants, intitulé les
Jours heureux ^1 vol., 183(5), furent
successivement publiés par lui et
furent remarqués. Le genre drama-
tique fut en même temps abordé
par cet écrivain, et devint bientôt
l'unique objet de ses travaux ; dans
l'espace de vingt-six ans, de 1833 à
1850, il composa soixante-dix piè-
ces, dont quelques-unes en collabo-
ration de différents auteurs, qui,
pour la plupart, eurent un grand
bdccès. Nous citerons, parmi les
plusa|)plauùies,(;/t/mfrt//«t', les trois
Dimanches, l^Ami de la Maison (au
ThéAlre-Krançais), le Mari de ma
Fille, le Mari à l'essai, la Polka eu
province, Colvmbe et Perdreau, i'n
Petit de la mobile, la Propriété
t'est le vol, les Grenouilles qui de-
mandent un roi, les lieprèscnlantsen
vacances, le Uourgeois de Paris^ la
14
210
VAU
Dot de Marie, Vénus à la frainc, les
Coules de la mère l'Oie, Turlututn,
Florian, etc. Éli'onore de Vaula-
belle tint un rang distingué parmi
les écrivains les plus remarquables
de l'époque de 1830. Son talent,
comme journaliste, comme roman-
cier et comme auteur dramatique,
aurait attiré sur lui une certaine
célébrité, si, caractère libre et fier,
son dédain de la foule, son aver-
sion pour le bruit, son amour pour
la retraite et le travail, ne l'avaient
porté à fuir la publicité avec au-
tant de soin que d'autres en met-
tent Il la rechercher; il a vécu so-
litaire elsilencieux. Son recueil des
Jours heureux est le seul livre peut-
être qui lait signé de son nom.
Ses romans furent publiés sous le
pseudonyme ô'Ernesl Desprez , et
toutes ses pièces de théâtre sous
celui de Jules Cordier. Esprit élevé
et profondément libéral, nat ire
généreuse et tolérante, il ne mon-
trait de passion qu'envers Tiinpio-
bité, la persécution ou l'abus delà
force, et répondait habituellement
à qui lui demandait quel parti po-
litique il avait adopté: «Le parti des
vaincus. w Uij des journaux les plus
répandus et les plus accrédités di -
sait, enaiiionçant la mort de Vau-
labelle: « Cet homme de bien, dou-
« blé d'un homme d'esprit, ce phi-
« losophe content de peu, ce vrai
« sage, a compté les succès écla-
« lants par douzaine, sans vouloir
« jamais que son nom fût jeté au-
« public. C'est à lui principalement
« que, depuisdix ans, les Parisiens
« ont (lù tant de joyeuses soirées:
« La PvDjiriéle cest le vol, une sa-
« tire si spirituelle, le Bourgeois de
« Farin. une comédie si comique;
a et ce vaudevilliste mordant, «e gai
0 conteur était aussi un érudit, et
« même un véritable savant, mais
VAU
« avec tant de modestie, avec si
'< peu d'envie de faire paraître ce
« savoir, qu'il a échappé au plus
K grand nombre. Disons encore, à
« son honneur, que cet excellent
« esprit , aussi peu soucieux de la
« fortune que de la renommée, re-
« poussa toujours leurs avantages
« en homme satisfait de son lot et
« qui s'en contente.» Éléonore de
Vaulabelle, dont l'érudition était
en efléi profonde et peu commune,
ne bornait pas ses travaux aux pro-
ductions légères, dont la nomen-
clature précède ; des objets plus
sérieux occupaient son esprit. De-
puis longtemps il amassait les ma-
tériaux d'un dictionnaire historique
de tous les mo!s de notre langue,
devant présenter leur origine, leur
élymologie et leur transformation
à travers chaque siè<;le. Il se pro-
posait de consacrer les dernières
années de sa vie à la composition
de cet intéressant ouvrage, mais
la mort est venue interrompre une
entreprise aussi utile et aussi pré-
cieuse. Il n'a laissé qu'uneimmense
quantité de notes dont lui seul pou-
vait faire usiigc. C'est îi tort que cer-
taines biographies contemporaines,
entre autres inexactitudes, le pré-
nomment Matlhieu. Son acte de
naissance comporte le seul prénom
d'Eléonore. 11 a\ait pour frère aîné
Achille de Vaulabelle, auteur de
iJJisluire des deux Reslauralions ,
représentant du peuple et ministre
de l'instruction |)ublique en 1848,
existant encore; et pour frère ca-
det Ilippolyle de Va labelle, tué
par accident le 12 janvier 1856, le-
quel, d'un esprit é^ialemenl distin-
gué, n'a rien publié. Par une sin-
gularité fort remar(piab!e,ces deux
fieres, Ilippolyte et Eléonore, sont
morts, l'un et l'autre, le jour du
mois où ils étaient nés. Le dernier,
VAU
VAU
211
comme il est dit au commencemeiU
de cet article, né le 12 octobre
1801, est mort le 12 octobre 1839.
VAUME (Jean-Sébastien), l'anti-
vacciiiiste, était natif de la petite
ville d'Arlon. Un sien onde ou
cousin, suivant que nous parlons à
la mode de Bretagne ou à la fran-
çaise, et qui figurait à la cour com-
me médecin du roi ( Louis XV ),
n'eut pas de peine à persuader à sa
famille que le jeune homme avait,
aurait, et devait avoir la vocation
médicale. Donc Jean-Sébastien fut
expédié sur Paris, et l'oncle à
la mode bretonne aidant, il y sui-
vit les cours des maîtres les plus
habiles; il travailla sous Moreau à
l'Hôtel-DJeu, et sous Sabatier aux
Invalides; et finalement, avant d'a-
voir pris tous ses grades, il fut
placé, d'abord en qualité d'élève,
puis comme chirurgien aide-major
0773), à ce qu'on nommait l'ar-
mée de Corse , sous Marbeuf. Ce
gouverneur, ou si lori vrut ce gé-
néral, eut à faire campagne pour
conquérir son gouvernement. Vau-
me se signala par son activité pen-
dant celte première péiiode de la
domination française dans l'île
génoise jadis, et, en récompense,
il échangea son modeste titre d'ai-
de-major contre l;i position de
chirurgien en chef de l'hûpital mi-
litaire d'Ajaccio. L'Étal voulait
qu'en dehors des fonctions inhé-
rentes à sa place, le chef de la santé
propageât l'inoculation de la pe-
tite vcroh'. Vaunie s'acquifa de
cette tâihe suréro-ialoire avec au-
tant de succès que de zèle. Il est
curieux de remarquer, et on le Ht
assez sonner plus tard, (jue la fa-
mille Dunaparie fournit à la liste
des inoculés de Vaume un noiable
contingent. Malgré les charnifs du
climat italien, ce dernier sentit le
besoin de revoir le continent, ne
fût-ce qu'alin de régulariser sa po-
sition en se faisant recevoir doc-
teur. Il dit donc adieu aux Corses
en 1776, après avoir passé chez
eux de six à sept ans. Né en 1746,
il e:î comptait alors trente. Pour
quelle raison est-ce qu'il alla pas-
ser ses derniers examens à Lou-
vain? On en fut un peu étonné,
mais l'étonnement diminua quand
on le vit proclamé docteur dans
celte ville, moins renommée comme
école médicale que comme pépi-
nière théologique , s'attaeher au
prince de Ligne comme chirurgien-
major de son régiment et faire avec
lui la campagne de 1778. La fièvre
putride (tel était" encore à cette
époque, et môme tel fui encon; qua-
rante ans après le nom des fièvres
adynamiques ou typhoïdes) sévis-
saitalors dans toute l'armée. Ce fut
le beau moment de Vaume : il imagi-
lîaun traitement plus rationnel, plus
suivi, plus complet, et cependant
plussimplede l'affection dont on dé-
plorait les ravages. C'est, à quelques
perfeclionnements près, celui qu'on
suit aujoui'd'hui. Classé dès lors par
l'estime publique parmi les prati-
ciens les plus experts, il put trou-
ver à Bruxelles une nombreuse
clientèle, et il s'y fixa, probablement
avec l'idée de ne jamais le quitter.
Aussi le trouve-l-on souvent men-
tionné avec le titre de membre du
collège de médecine de Bruxelles.
La révolution des Pays-Bas vint
èhanger sa résolulio^j, et, en 171)2,
on le vil reparaître à Paris et s'y
établir. Il avail au préalable assez
dexirement manœuvré pour se
faire nantir du titre de médecin de
rhôpital du Uoule. Cette po ition
assurait le débil de tout ce qu'il
publierait. Il commença par mettre
au net le résultat de ses observa-
'212
VAU
VAU
lions de 17*8, augmentées et cor-
roborrées de tout ce que quinze
ans ou plus de pratique avaient pu
lui fournir, et il en forma celui de
tous ses ouvrages dont la science
même contemporaine peut encore
lui savoir le plus de gré, le Traite
de la fièvre putride. (Voy. plus bas.)
S'exagérant ensuite un peu les dan-
gers de l'initiative particulière dans
ia thérapeutique, etc., important
en pleine science le despotisme de
la consigne et l'aveugle docilité de
la caserne , il imagina qu'il fallait
contraindre en quelque sorte les
praticiens à n'employer que des
modes curatifs uniformes, et il eut
le malheur de divulguer dans son
Code médical les utopies qui ten-
daient à transformer le médecin en
manivelle à ordonnances. Cette lé-
gislation n'était pas faite pour en-
lever un assentiment universel ,
•aussi le bill ne put-il passer et
même n'eùt-il pas les honneurs de
la seconde lecture. Cet insuccès dé-
teignit, ce nous semble, sur l'hu-
meur (le Vaume , et c'est surtout
au dépit qu'il en ressentit que
nous attribuons l'esprit hostile ,
systématiquement hostile, qu'il op-
posa depuis à tout progrès médi-
cal, qui ne consistait point en mo-
(lilications insigniiiaules et toutes
de détails. C'est ainsi que, lors-
que la grande découverte de Jenner
vint détiuire radicalement le iléau
qui par sa fréquence et sa conti-
nuité a sans conliedit décimé le
plus à fond la race humaine de-
puis douze siècles (jue les Arabes
Pavaient apporté à l'Europe, opiniâ-
trement claquemuré dans son vieux
procédé de l'inoculation, qui cer-
tes avait rendu des services es-
sentiels, cl regardant apparemment
comme insulte personnelle à ses
états de servicelapparilion et l'em-
ploi d'une proj)hylactique bien au-
trement héroïque, et qu'on a pu
croire souveraine, après avoir suivi
les premiers essais du comité de
vaccine, il serefroidità mesure que
la supériorité de la nouvelle mé-
thode semblait à ses collègues plus
péremptoirement décisive. Il ne
s'en tint pas là, et s'animant par
ses torts mêmes, par la défaveur
même qu'il rencontrait chez tous
les esprits en même temps éclairés
et impartiaux qui n'identifiaient
pas le conflit de l'inoculation et
de la vaccine à la lutte de l'ancien
régime et de la révolution , il en
vint à déclarer la nouvelle pratique
des plus périlleuses, et quelque
temps il soutint une acerbe polé-
mique en ce sens. Enfin, pourtant,
il s'aperçut bien qu'il ne lui restait
de partisans que ceux aux yeux
desquels « vacciner, c'est tenter
Dieu » ; et comme, après tout, ce
n'étaient pas lîi, lui-même le sentait,
des suffrages scientifiques, il se re-
posa de guerre las. Il bouda de mê-
me, mais moins ostensiblement et
moins longtemps, la thérapeutique
issue du système de Broussais. Il
fut plus heureux, et tout le monde
se lit un devoir de rendre justice à
ses ellorts, lorsque, à force de va-
rier les préparations d'hydrargire,
dans le but d'en obtenir qui sortis-
sent tous leurs effets sans produire
d'inconvénients, il arriva aux dra-
gées mercurielles, dont l'emploi
s'est popularisé si généralement et
si vite. Voici la liste méthodique
des publications petites ou grandes
du docteur Vaume: 1-IV (sur la vac-
cine), 1" liéjlexions sur la nouvelle
méthode d'inoculer la petite vérole
avec le virus des vaches. Paris, an VIII
(1800), in-8". 2" ï.es dangers de la
vaccine démontrés par des faits au-
thenliqves consignés dans quelques
VAU
VAU
213
mémoires et dans différentes lettres
adressées au comité médical et cen-
tral établi à Paris, pour faire des
épreuves sur le nouveau genre d'ino-
culation. Paris, an IX (1801), in-8».
3° Nouvelles preuves des dangers de
la vaccine, pour servir de supplé-
ment et de conclusion à tout ce qui
a été publié contre ce nouveau genre
d'inoculation. V:ms, an IX, in -8°,
4'» Traité de l inoculation de la va-
riole et méthode pour faire cette opé-
ration avec facilité et avec un succès
constant. Paris, 1825, in-8°. ( Ce
n'est qu'une brocli. de 48 pag.) V.
(Dernier ouvrage de polémique, mais
sur un sujet tout autre.) né\\exions
sur la canthavi-sangsues-mause. Pa-
ris, 18 -'3, in-8^ ( Ce n'est, comme
le précédent, qu'un opuscule; il
n'excède pas 16 pages.) VI et VII.
Traité de la fièvre putride, précédé
d'une dissertation sur les remèdes
généraux, et d'un plan pour former
un code complet de médecine et de
chirurgie pratique, d'après l'obser-
vation et l'expérience, dont l'ulililé
est circonscrite aux habitants qui
sont entre les i3' et 60' degrés de la-
titude nord et les T et 40* de longi-
tude de notre hémisphère. Paris,
1790, in-8». 2' Traité de médecine
pratique sur les remèdes généraux
et sur la fièvre putride. Paris, 1799,
in-8".VIIIet IX. Rapport sur la
société d' agriculture de Tours et sur
Vensvignement public, <793 ; et Ta-
bleau élémentaire d'histoire natu-
relle à l'usage de l'école centrale du
département d'Indre-et-Loire. Paris,
an VII, 1799, in 8". X. Dissertation
sur le mercure, ses préparations et
ses effets sur le corps de l'homme.
Paris, 1812, in- 12. La pensé' de ces
vingt-quatre jx^itcs pages, qui, du
resU% contiennent un rapide aperçu
des faits en même temps concis et
certains sur les propriétés el les
manipulations du mercure, c'est,
on le devine, l'espèce de prospectus
par lequel elles se terminent ad
majorent gloriam des célèbres dra-
gées pour lesquelles il se plaisait
à prévoir de l'autre côté du Chen-
nal une importante « and well
paying » clientèle. Vas P.
VACQUELÎN (Louis-Nicolas) ,
célèbre chimiste, naquit le IG mai
1 7G3, à St-André-d'IIébertot, village
de la Normandie, de parents hono-
rables mais pauvres, travaillant pour
vivre et nourrir leur nombreuse fa-
mille. Il passa le.-, premières années
de sa jeunesse près de son père
qu'il aidait dans le travail des
champs, autant que pouvait le lui
permettre son jeune âge.
Il existait à Ilébertot une école
publique pour les enfants du vil-
lage, fondée par le petit-fils du
chancelier d'Aguesseau, seigneur
de l'endroit. Vauquelin fréquenta
cette école et ne tarda pas à s'y
distinguer par son application et sa
facilité à comprendre et retenir
tout ce qu'enseignait le magister,
au point que celui-ci, s'apercevani
bientùlque son élève en savait au-
tant et peut-être même plus que
lui, en lit son répétiteur et lui con-
fia la direction de sa classe.
Ses progrès dans l'instruction
religieiise ne furent pas moins ra-
pides, et le curé du village, duquel
il recevait cette instruction, frappé
delà haute intelligence de son dis-
ciple, conçut pour lui une alTection
dont il ne cessait de lui prodiguer
journellement les témoignages.
Parvenu h l'âge de U ans, V^au-
quelin quitta ses parents et vint à
Houen, où il entra chez un phar-
macien comme garçon de labo-
ratoire. Ce pharmacien faisait un
cours de chimie auquel il »'nlrait
dans les fonctions du jeune garçon
21 A
VAU
d'assister, et, tout en rinçant et
essuyant les vases qui servaient
aux expériences, il écoutait atten-
tivement les leçons du professeur
et en faisait son profit. C'est ainsi
que se manifesta en lui un goût
prononcé pour une science à la-
quelle il devait, par la suite, faire
faire de si grands progrès.
Mécontent de quelques procédés
de son patron et encouragé par
quelques-uns de ses élèves dont il
avait su se fiiire des amis, il se dé-
cida à venir à Paris avec la recom-
mandation du curé d'IIébertol, qui,
l'adressant au prieur de l'ordre des
Prémontrés auquel appartenait ce
même curé, faisait de son mérite
le plus grand éloge. Il fut très-
favorablement accueilli par ce vé-
nérable ecclésiastique, et trouva
également une bienveillante pio-
tection chez madame d'Aguesseau,
dans les propriétés de laquelletra-
vaillait habituellement son père.
Pendant les trois ijremières an-
nées de s^n séjour à Paris, Vau-
quelin fut employé dans plusieurs
pharmacies, et, en dcruier lieu,
chez M. Cheradame, où l'un de ses
camarades, nommé Prempain, lui
donna des leçons de langue latine,
dont il sut profiter avec celte faci-
lité qu'il apportait dans tous les
genres d'études. Il trouva aussi
dans un M. Dubuc, qu'il avait
connu à Rouen et qui a:ors habi-
tait Paris, un savant herborisateur
dont les connaissances en botani-
que lui furent très-|)rofitables.
M. (vheradame avait pour cousin
le célèbre Fourcroy, qui venait
fréquemment ch<'z lui et y voyait
l'élève Vauqufîlin dont il entendait
souvent faire un grand éloge. L'idée
lui vint de s'attacher ce jeune
homme, et après s'être assuré de sa
vocation bien déterminée pour la
VÀU
chimie, il l'engagea à venir de-
meurer avec lui pour le seconder
dans ses travaux.
Vauquelin accepta celte offre
avec empressement et quitta la
maison Cheradame pour venir ha-
biter chez Fourcroy, dont il ne
tarda pas, par son zèle, son assi-
duité et la douceur de son caractère,
k gagner l'estime et l'amiiié, ainsi
que celle des sœurs de ce savant,
dont une demeurait avec lui. Dans
une f^rave maladie qu'iUit alors il
reçut de ces dames les soins les
plus empressés.
Pendant le cours de ses études
en chimie, Vauquelin ne négligea
pas de poursuivre celles de la phy-
sique et de l'histoire naturelle ,
qu'il poussa à un très-haut degré ;
il trouva même le temps de faire,
sous la direction d'un ancien prê-
tre, une année de philosophie et se
fit recevoir viafire ès-arts.
Cependant le jeune élève de
Fourcroy. devenant de plus en plus
l'ami de son maître, devenait aussi
son émule, et celui-ci le jugeant
fort ea état de le suppléer dans le
cours qu'il faisait à l'Athénée, l'en-
gagea à faire ce cours; mais Vau-
quelin se défiant de son extrême
timidité, n'osait aborder cette re-
doutable épreuve. Enfin sur les
inslances pressantes de son protec-
teur, il s'y détermina et se ])ré-
senta tout tremblant devant son
auditoire.
Cette première leçon de celui qui
devait un jour devenir un habile
professeur, fut pleine de trouble,
d'hésitation, et ce n'est qu'en bal-
butiant, qu'il put exprimer les cho-
ses les meilleures el les mieux
conçues.
Du reste, ceux qui ont connu
Vauquelin savent que toute sa vie
i! a cor'servé ce caractère de timi-
VAU
VAU
215
dite qui le gênait pour parler en
public. Lorsqu'il commençait un
cours, il éprouvait un pénible em-
barras qui ne se dissipait enlière-
menl qu'après quelques leçons et
lorsqu'il s'était un peu familiarisé
avec ses auditeurs.
Ce premier pas fait, et se voyant
soutenu par les marques d'appro-
bation et d'enconr.igement que lui
donnait l'assemblée, Vauquelin
continua ses débuts et devint tout
à fait le remplaçant de Fourcroy
dans son cours de chimie à l'A-
thénée.
L'iniimiié de ces deux savants
s'accrut de jour en jour, ils ne tra-
vaillaient plus qu'ensemble, et les
résultats des recherches auxquelles
ils se livraient étaient publiés (!ans
des mémoires sons le riom collectif
de Fout croy et Vauquelin.
En 1792, V;iuquelin qui s'était
Aiit recevoir pharmacien et diri-
geait la pharmacie de M. Goupil,
rue Ste-Anne, fut a^•sez heureux et
l'on peut même dire assez coura-
geux pour sauver, au risqne de sa
propre vie, celle d'un pauvre soldat
suisse qui, éch.jppé au massacre des
Tuileries, était parvenu à se sous-
traire à la fureur populaire.
En 1703, par suiie des événe-
ments révolulionnaiiesqui l'avaient
forcé de quitter P.iris, Vauquelin
fut nommé pharmacien de rhôi)ital
militaire de Melun, et l'année sui-
vante (179i) ayant été appelé à
Paris, il fin nommé professeur de
chimie adjoint à Vécole centrale des
iravaux puhlicfi (\m, en septembre
1705, prit le iiom ô'ècole pohjlech-
niquc. Les professeurs titulaires
étaient Fourcroy et Guilou de Mor-
veau.
A peu près îila même époque on
réorganisa l'école des mines, pro-
jetée par le cardinal Fleury, et
instituée en 1"83. Vauquelin reçut
le titie d'inspecteur des mines et
fut chargé de faire dans cette école
un cours de docimasie; il fut logé
dans l'établissement.
Pour la première fois, Vauquelin
qui avait toujours demeuré chez
les autres, eut un logement à lui,
et , plein de reconnaissance des
bontés qu'avaient eues pour lui les
sœurs de Fourcroy, il disposa de la
plus grande partie de son apparte-
ment en faveur de ces deux dames,
qui vinrent demeurer avoc lui et
ne le quittèrent qu'à leur mort.
En celte même année (1793),
Vauquelin fut nomm;'' membre de
l'Institut national dans ia classe qui
porte aujourd'hui ie nom d'Aca-
démie des sciences.
Eu 1804, lorsque l'ordre de la
Ltgion-d'hoiincur , créé en 1802,
reçut l'extension que lui donna
l'Empereur Napoléon, Vauquelin
en reçut la décoration, et vers la
même époque, il fut nommé direc-
teur de l'école spéciale de pharma-
cie qui venait d'être orgar)isée.
En ce même" temps cm ore, il fut
afiaché à la Mouuai;» de Paiis en
qualité d'essayeur de la garantie
des bijoux d'or et d'arg^^nt.
A la mort de M. Darcet (1801),
Vauquelin avait été nommé profes-
seur de chimie au Collège de France,
mais bientôt a|)tès, M. Droiigniart
père, membre de l'Institut et pro-
fesseur au J rdin des plantes pour
Ja chimie ap|)liijué(^ aux arts, étant
décédé, il obtint cette chaire sur
la prést'utaliou unanime de l'Insti-
tut, de l'administration et des ins-
pecteurs des études. Cette nomina-
tion le força d'abandonner la chaire
du Collège de France qui fut occu-
pée par un de sCs élèves. Ce cours
de cliimie appliquée aux arts, au-
quel le iiouvau professeur ap|)oria
210
VAU
le tribut des connaissances étendues
que lui avaient fait acquérir ses
longues études et ses savantes re-
cherches, et dans lequel on recevait
de sa bouche un enseignement
qu'on ne trouvait dans aucun ou-
vrage connu, avait une durée de
trois ans et offrait le plus grand
intérêt aux personnes instruites qui
le suivaient assidûment. Il est à
regretter pour les manufacturiers
et les chefs d'ateliers auxquels ces
enseignements eussent été de la
plus grande utilité, que ce cours
n'ait pas été publié.
En 18H, Fourcroy ayant suc-
combé à une attaque d'apoplexie,
et la place de professeur de chimie
«1 l'école de médecine se trouvant
par là vacante, Yauquelln se pré-
senta pour l'obtenir au concours
qui fut ouvert à cette école, mais il
eut sans combattre la gloire de
triompher, car tousses concurrents
connaissant le mérite supérieur de
leur adversaire et convaincu que
lui seul était digne de cette honora-
ble position, se retirèrent du con-
cours. Il fut, peu de temps après sa
nomination, reçu docteur en méde-
cine sur le développement dune
thèse ayant pour objet l'analyse des
matières entrant dans la composi-
tion du cerveau de l'homme et de
(telui des animaux. Vauquelin con-
serva cet emploi jiisqu'en <822,
époque à laquelle il fut révoqué
conjointement avec plusieurs de ses
illustres confières, MM.deJussieu,
Dubois, Pelletan, Pinel, Desgenet-
les, Cliaussier, L;jlleman, Le Houx
elMoreau. Celte disgrâce, si peu
méritée, que rien ne justifie et qui
ne peut être attribuée (\uix des in-
trigues favorisées par l'esprit réac-
tionnaire qui dirigeait alors les
actes (îu gouvernement , affecta
profondément Vauquelin, mais elle
VAU
affecta peut-être plus encore celui
qui en avait été la cause, car, au
dire de quelques personnes, le cha-
grin qu'il en ressentit altéra sa santé
au point de hâter l'instant de sa
mort qui précéda cellede Vauquelin.
Lors de la création de l'Académie
royale de médecine (1820), Vau-
quelin en avait été nommé membre
(section de pharmacie), et souvent
celte docte assemblée eut à s'ap-
plaudir de cette nomination. En
1827, le roi lui conféra le cordon
de St-Michel. Enfin, en 1828, le
département du Calvados le choisit
pour l'un de ses députés. Il fut un
des membres de cette chambre qui
se distinguaient par leur assiduité ;
il n'était point orateur, mais son
esprit droit et éclairé, son désir ex-
trême de voir le progrès s'accom-
plir sans désordre et sans anarchie,
son dévouement sans borne aux
intérêts de son pays en faisaient un
digne et loyal député.
Cet homme si supérieur et si
recommandable par son mérite et
ses talents, était simple et modeste;
sa vie était celle d'un patriarche.
La lecture et le travail occupaient
tous ses instants; cependant l'a-
mour de la science n'avait pas ab-
sorbé toutes les facultés de son
esprit, et la littérature ancienne et
moderne lui offrait des charmes.
Horace et Virgile étaient ses auteurs
favoris; il les possédait compléte-
mefit et souvent en faisait les cita-
tions les plus heureuses; il avait
également pour la bonne musique
un goût prononcé que son ami et
compatriote Boieldieu n'avait pas
peu contribué à lui donner.
De retour dans son pays naial,
il fut atteint d'une grave maladie à
laquelle il succomba le V octobre
1829, emportant les regn'tsde tous
ceux qui avaient eu le bonheur de
VAU
VAU
217
le connaître et surtout de ses nom-
breux élèves qui l'aimaient comme
un père. Il en est peu qui n'aient
trouvé en lui un appui et un pro-
tecteur. Nous citerons à cette oc-
casion une anecdote à laquelle le
personnage qui y donna lieu ajoute
un certain intérêt.
En ^808, Bonaparte, après le
désastre de Baylen, ordonna que
les Espagnols résidant à Paris et
qui pouvaient inspirer des craintes
fussent arrêtés et conduits dans
divers dépôts. L'exécution suivit
l'ordre de près et environ 60 Espa-
gnols furent conduits à la préfec-
ture de police pour être de là diri-
gés sur différents points. L'un
d'eux, qui était venu a Paris pour
étudier la chimie et qui suivait le
cours de Yauquelin, n'ayant dans
la capitale aucun protecteur sur
lequel il put compter, réclama l'ap-
pui de son professeur. Dès le len-
demain matin, avant six heures,
Yauquelin, en costume de membre
de l'Institut, était à la préfecture
pour réclamer et se porter garant
du jeune Espagnol, qui fut immé-
diatement rendu à la liberté. Sans
cet empressement que mit le géné-
reux professeur à s'occuper du
jeune étranger qui réclamait son
assistance, la France aurait peut-être
compté un savant de moins; car le
jeune Espagnol dont il s'agit élait
Orfila, (jui s'est acquis depuis une
réputation européenne.
Vau(}ueliu appartenait à un grand
nombre de sociétés savantes de
France et de l'étranger et particu-
lièrement à la société royale de
Londres, à la sociélé de pharmacie
de Paris, à la société philomalique
dont il fut, en i78.s, l'un des fon-
dateurs, à la société d'agriculture,
à CL'Ue d'encouragement et enlin a
la société de «chimie médicale ; il a
fait un grand nombre d'élèves dis-
tingués, parmi lesquels plusieurs
ont acquis une haute renommée,
entre autres, MM. Eouchardot,
Caventou, Chevreul, d'Arracq, Des-
cotie, Grimm, Guerard, Kulmann,
Lodibert, Mercadieu , Meyrac,
Payen, Pelletier, Quenesville, Ro-
biquet, Robinet, Lassaigne. L'au-
teur du présent article;le sieur Che-
vallier, futlui-même un desélèves les
plus assidus de cet illustre profes-
seur. Yauquelin avait été aussi le
maître du célèbre Humboldt. Yoici
ce que ce savant écrivait le 29 sep-
tembre i8o8 à M. Chevallier :
« Ayant {ravaillémoi-vicme, dans des
« temps auté-diluviens, conjointe-
« ment avec Thénard, dans le laho-
« ratoire de votre maître commun
« Yauquelin, j'aurai doublement de
« plaisir à recevoir M. Chevallier à
« Berlin demain, ^0 du mois, à midi,
V et à lui renouveler Hwmma(je de
« mes sentiments affectueux. » Il est
peu d'hommes dont la carrière ait
été aussi fructueusement remplie
que l'a été celle du savant dont
nous racontons la vie; il en estpeu,
surtout, dont les recherches et les
travaux aient autant contribué
aux progrès d'une science sur la-
quelle repose le succès d'une foule
d'industries. Quand on considère
l'étendue de ces travaux, leur im-
portance et les résultats immenses
de leur application, on se demande
comment, dans un espace de cin-
quante ans, un homme sorti d'une
chaumière a pu, par la seule force
de son génie, acciuérir une éducation
com|)lète, se livrer avec le plus
grand succès à l'élude de la chimie
eldesseiencescjui s'y rattachent, puis
s'élancer au premier rang de la
sociélé, en dotant son pays de dé-
couvertes qui contribuent a sa
gloire. Ce savant n'a pas laissé
218
VAU
d'ouvTages complets sur la science
fi laquelle il a consacré sa vie en-
tière; il n'a publié ex professa, que
le Manuel de l'essayeur (1812, 1
vol. in-8').niais il doit sa haute ré-
putation aux belles analyses qu'il a
faites soit en collaboration de Four-
croy, soit isolément, à ses expé-
riences publiques, à plusieurs dé-
couvertes d'une haute importance
et aux mémoires qu'il a publiés
dans les Annales de cidmie, dans
le Journal des mines, dans les An-
nales du Muséum, dans le Journal
de physique et dans VEncyclopédie
méthodique, ou qu'il a lus à l'Aca-
démie des sciences. Ces mémoires
sont très-nombreux. Nous riterons
les titres des plus remarquables :
I. Sur la nature de l'alun (Annales
de chimie 1797). II. Sur la nou-
velle substance métallique contenue
dans le plomb rouge de Sibérie dé-
couverte par lui et à laquelle il a
donné In nom de chrome. (Annales
de chimie 1798.) III. Sur In terre
de Brésil (qlucine) , substance in-
connue jusqu'à lui. (ibid. 1798.)
IV. Deux mémoires sur l'urine, en
collaboration avec Fourcroy. (li)id.
1799.) V. Sur l'eau de l'annios du
fumier de vache, (ibid. 1800.) VJ.
Sur le verre d' antimoine. (Ibid. 1800 )
VII. Observations sur l'identité des
acides pijromuqueux , purotartreux,
pijrolirjnmx, et sur h nécessité de
ne plus les particulariser, en colla-
boration de Fourcroy. (Annales
de chimie.) VIÏI. Sur les pierres
dites tombées du ciel. {\h\d. 1803.)
IX. Sur le platine, en collaboration
de Fourrroy. (Ibid. 1804.) X. Sur
la présence d'un nouveau sel phos-
phorique terreux dans les vs des
animaux, en col'abor ation de Four-
croy. (Ibid. 1803.) XI. Examen
chimique pour servir à l'histoire de
la laite rfepoïsson, en collaboration
VAU
de Fourcroy. (Ibid. 1807.) XII. A-
nalyse de la matière cércbrale de
ïhomme. (Thèse soutenue pour le
doctorat en médecine, 1812.)
XIII. Expériences sur le daphné-
alpina. (Annales de chimie.) XIV.
Analyse de l'urine d'autruche et ex-
périences sur les excréments de
quelques autres familles d'oiseaux,
en collaboration de Fourcroy.
XV. Annales du Muséum d'histoire
naturelle. Paris, 18H. XVI. Ana-
lyse d'une matière . bleue produite
accidentellement dans les fours de
la fabrique des glaces de St-Gobin,
concluant à ce que cette matière
n''est autre que l'outremer factice,
susceptible de remplacer avec une
immense économie l'outremer de
lapis-lazuli. A cette nomenclature
des premiers travaux de V,mquelin,
on doit en ajouter d'autrt'S encore,
faits postérieurement, et qui pré-
sentent une moins e^rande impor-
tance, savoir : Analyse du salsoda-
veda. Observations sur une maladie
des arbres analogue à un ulcère et
qui attaque spécialement Forme.
Nouvelle méthode d'analyser les fers
et aciers. Analyse du laiton, précédée
de quelques réflexions sur la préci-
pitation des métaux les uns par les
autres et leur dissolution. Combus-
tion des végétaux; fabrication du
salin et de la cendre grnvelée. Ex-
périences sur les alliages de plomb
et d'étain avec le vinaigre, le vin et
l'huile. Analyse cfe la gadotinite;
exposé sur quelques propriétés de
l'ythia qu'elle contient. Expériences
relatives à l'action de l'hydrogène
sulfuré sur le fer, par laquelle on
prétend qu'il se forme de l'acide
muriatique. Note sur les eaux sures
des amidonniers. Exjiériences qui
démontrent la présence de l'acide
prussique presque tout f>rmé dans
quelques substances végétales. -Ex-
VAU
UÀU
219
périencessur le suint , suivie de quel-
ques considérations sur le lavage
et le blanchissaqe des laines. Expé-
rience sur la cérite dans laquelle on
a trouvé un métal nouveau. Note sur
l'existence du platine dans les mines
d'arqent du Guadalcamil. Mémoire
sur la meilleure méthode pour dé-
composer le chromate de fer, obte-
nir l'oxyde de chrome, préparer ra-
cide chromique, et sur quelques
combinaisons de ce dernier. Table
exprimant les quantités diacide sul-
furique à 06' contenues dans les
mélanges d'eau et de cet acide à
différents degrés de Varéomèlre.
Instruction sur les moyens de dis-
tinguer les différentes sortes d'étain
qui se trouvent dam le commerce.
Mémoire sur le palladium et le ro-
dium. Mémoire sur l'iridium et l'os-
mium. Description d'un effet des-
tructeur de l'urine sur le fer et ré-
sultais utiles de la connaissance de
cet effet. Examen d'un procédé pour
faire servir de nouveau la potasse
employée dans la lessive. Sur (acide
benzol que contenue dans les urines
des quadrupèdes herbivores, sur le
moyen de t'en extraire. Expériences
sur la congélation des différents
liquides par un froid artificiel de
iQ" au-dessous de zéro, Héaumur.
Découverte de liode dans le règne
minéral. ^ Cii.
VATTRÉ (Victor, baion de),
maréch;il de camp,commun(leur de
la Légion d'honneur, etc., naciuil le
12 mai 1770, à Dompaire, dans
l'ancienne l,orrainc, d'une famille
honorablement placée. Il eniia à
vingt-un ans dans la compagnie de
pi(|net des gariles-dn-corps du roi,
et fut le 10 août un des défenseurs
duchàteaii des Tuileriesconirc l'al-
laqn»; des 'nandt s n'voliitionnaires.
Il survécut au massacre des batail-
lons royalistes, mais il ne put s'é-
vader de Paris et fut arrêté le 13 et
conduit k la Force où il occupa un
cachot situé immédiatement au-
dessous de la chambre qu'habitait
l'infortunée princessede Lamballe.
Vautré fut assez heureux encore
pour échapper k la hache des sep-
tembriseurs. On se borna à lui faire
prêter serment de fidélité à la Ré-
publique sur un monceau de cada-
vres gisants à l'extrémité de la rue
Saint-Antoine, et il fut enrôlé dans
l'église de Saint-Paul pour se rendre
aux frontières. Il obiint successive-
ment legrade de lieutenant et celui
de capitaine dans une compagnie
formée des volontaires de sa section,
et prit part en celte (lualité aux
campagnes de Champagne et de
Belgique, et aux sièges de Namur
et de Viviers-l'Agneau. Après la
défaite de Nerwinde, il fut embri-
gadé dans le régimentde Piouergue
et chargé provisoirement du com-
mandement de trois compagnies.
Vautré fut blessé par un boulet au
siège de Quesnoy et lait prisonnier
de guerre. Il revint en France à la
reddition de celle place, en novem-
bre 1793, cl fut nommé aide de camp
du général Veza, puis employé à
Marseille en 1796 et 1797, dans l'é-
tal-majordu général Willol, d'où il
passa en 1799 ii celui de l'armée
dlialie. Le 24 sep'embre 1801 , il fut
nommé ch-'f (le bataillon par le géné-
ral en chef, puis aide de camp du
général Charpentier, et revul le
commandement d'un bataillon du
Ih'" régiment de lign'e. Vautré prit
unoi)art honorable aux campagnes
de ISO'i et de 1806, et se distingua
nol;imment h la batailled'Austerlitz,
où soB régiment enleva le plateau
de Siikolnitz au pas de charge et en
pervanl plusieurs fois les lignes
russes. Il reçut la croix d'honneur
à cette occasion. L'année suivante.
220
vAy
à Eylaii, son bataillon fut littérale-
ment écrasé par l'ennemi, et, peu
de mois après, au combat d'Heils-
berg, il eut un cheval tué sous
lui et fut blessé de deux coups de
feu. Ayant reçu l'ordre de chasser
les Russes d'unbois occupé pareux,
il exécuta ce mouvement avec in-
trépidité, et réussit à rejoindre sou
régiment en traversant à la tête de
250 hommes seulement, les postes
ennemis, qui s'élevaient à plus de
45,000 hommes. Lors de la grande
revue que passa Napoléon le d2
juillet 1807, Vautré fut présenté
honorablement par le maréchal
Soult à l'empereur, qui le nomma
major Ix la suite. Deux ans plus
tard, par décret impérial du 29
janvier 1809, il reçut une dotation
de 2,000 francs en Westphalie. Le
prince Eugène, qui commandait
l'armée d'Italie, plaça Vautré à la
tête d'un régiment composé de 24
compagnies de voltigeurs. Il justifia
ce témoignage de confiance par
riutrépidité dont il fit preuve au
passage de la Piave, où ses volti-
geurs protégèrent presqu'àeuxseuls
le passage de toute l'armée. Il se
distingua également aux combats
de Saint-Daniel et des montagnes
de Malborghetli, et fut cité avanta-
geusement dans les rapports du
général Dessaix. Ces exploits furent
récompensés, le 17 août 1809, par
le grade de colonel da9" régiment
d'infanterie légère, par la croix
d'officier de la Légion d*honneur
(22 août 1812), et plus tard par le
litre de chevalier de l'Empire avec
une dotation de 2,000 francs. Au
combat de Wit^psk, Vautré eut
deux chevaux tués sous lui ; c'est
avec son régiment que le prince
Eugène, à la bataille de laMoskowa,
enleva la grande redoute russe qui
tenait en échec l'armée française.
VAU
Vautré, k son entrée dans la re-
doute, fut blessé d'une balle qui
lui ouvrit le péricrâne, il eut l'é-
paule droite traversée par un bis-
caien, et fut renversé de son cheval
par un boulet qui lui causa une forte
contusion à la tête. Cette brillante
action fut la dernière k laquelle il
prit pan. Il fut fait prisonnier le
8 décembre 1812, au passage delà
Bérézina, et ne rentra en France
qu'au mois de septembre 181 4. — Les
princes de la maison de Bourbon
accueillirent Vautré comme un
vieux serviteur; il fut replacé k la
tête de son ancien régiment, qui
prit le nom de Bourbon, et alla te-
nir garnison à Calvi, où il se trou-
vait lors de la fatale réapparition de
Napoléon sur le sol français. Vau-
tré demeura fidèle au gouvernement
royal, et réussit, par la fermeté de
ses dispositions, à garderie drapeau
blanc jusqu'au 20 avril. Celte con-
duite courageuse lui attira une vio-
lente dénonciation de la municipa-
lité de Calvi, par suite de laquelle
il fut arrêté à son débarquement à
Toulon et conduit à la citadelle de
Grenoble, où il demeura soumis
pendant plusieurs jours au secret le
plus rigoureux. Sa captivité ne prit
fin qu'à l'entrée des troupes alliées
à Grenoble. Il fut immédiatement
nommé au commandement de la
légion de l'Isère, ets'api)liqua sans
relâche à l'organisation (lececorjis
dont il dut prendre les éléments
dans une ])0pulation généralement
hoslile au gouvernement restauré.
De graves et sanglantes épreuves
attestèrent bientôt à quel point il
avait réussidanscetle mission d'hon-
neur et de fidélité. Exalté par les
déceptions personnelles que lui
avait fait éprouver le gouverne-
mont des Bourbons, Didier (voy. ce
nom, tome LXII , page 4G5), avait
VAU
VAU
221
réussi à organiser dans le départe-
ment de risère une vaste conspira-
tion dont le succès, soit qu'il eût le
duc d'Orléans ou Napoléon II pour
objet (car ce point est demeuré en-
core incertain), était fondé sur une
circonstance habilement calculée.
Les légions de l'Isère et de l'Hérault,
qui tenaient garnison à Grenoble,
devaient se porter à la lin d'avril
sur le passage de la princesse Caro-
line de Naples, qui traversait la
France pour épouser le duc de
Berry, et cette évacuation momen-
tanée allait dégarnir d'une partie
de ses forces l'une des régions de
la France où l'Empire et la Révolu-
lion comptaient le plus de parti-
sans. La garnison actuelle de Gre-
noble se composait de 700 hommes
environ, y compris 20 artilleurs et
60 chevaux. Didier s'était ménagé
de nombreuses intelligences dans
l'intérieur de la ville et parmi les
officiers à demi-solde qui habitaient
le département (i). Une partie de
lagarde nationale devait se déclarer
en sa faveur, et les douaniers eux-
mêmes, corps influent chez les
habitants des campagnes et géné-
ralement composé d'anciens mili-
taires, étaient pour la plupart enga-
gés dans l'insurrection , dont la
consistance eût été puissamment
grossie par un premier succès. Ce
(I) Ginvanini, ancion commandant de
la gcmlaniierie de l'Isère, remplissait
les foiiclioiis ila chef (i'éUit-iiiajor de
Didier. Il fut tué a la première ren-
contre sur la route d'Kybens. (»ii trouva
a sa bouche la moitié d'une liste des
conjurés, (lu'il n'avait p;!S »u le temps
d'avaler. Kllc était tellement nom-
breuse que le colonel Vautre crut de-
voir la détruire dans l'intérêt des fa-
milles qu'elle t;ompromcttail et dans
rintcrèt même de la cause ton aie.
(Documents inédits.)
mouvement pouvait-il, dans lescon-
ditions môme les plus favorables,
susciter une nouvelle révolution et
mettre sérieusementen péril le gou-
vernement royal? Pouvait-il surtout,
comme on l'a supposé, affranchir le
sol français des trois cent mille
étrangers que le 20 mars y avait
attirés? Ces illusions n'étaient guè-
re permises en présence des troupes
coalisées qui occupaient les fron-
tières du nord et qui, à défaut même
des forces nationales, encore mal
organisées, auraient facilement de-
vancé autour du trône les bandes
tumultueuses de l'insurrection.
Mais elles furent entretenues chez
Didier par la facilité avec laquelle
il était parvenu à recruter ses batail-
lons, et surtout par l'inconcevable
mystère à la faveur duquel il avait
pu, pendant trois mois, organiser
librement ses moyens d'attaque, ex-
pédier ses ordonnances, entretenir
ses partisans, former ses listes et
parcourir les campagnes, mystère
qui ne pouvait s'expliquer que par
la connivence de la plus grande
partie de la population. Cependant
ses plans furent traversés par un
fâcheux contre-temps. Vers l'épo-
que marquée pour leur exécution, le
passage de la princesse éprouva un
retard inattendu. Mais, soit que
Didier jugeât son entreprise im-
manquable, soit qu'il craignit de
déranger sa petite armée par uc
contre-ordre, il ne voulut riai
chr.nger Ji ses dispositions, etia
nuit du ^ au 5 mai i<Sif> fut déliii-
tivement fixée pour la prise d'annes
des insurgés. A Vizille, à Eylens,
à Ilourg-d'Oisans et surtout à La
Mure, foyer principal de l'infurrec-
lion, tout se mit en mesun dès la
pointe du jour; les lemme* surtout
se faisaient remarquer pa l'ardeur
de leurs excitations : on ^e plaisait
222
VAU
VAU
dans la lépélition de ce jeu de
mois sanguinaire, « qu'il y au-
rait le lendemain 15 mille joueurs
de boules sur la grande place de
Grenoble. «^ Le sens de ces sinis-
tres pronostics parut surabondam-
ment fixé par la remarque qui
fut faite le lendemain de l'êchauf-
fourée, de certaines traces blan-
ches crayonnées sur les maisons
des royalistes les plus signalés, et,
dans les casernes mêmes, sur la
porte des logements de plusieurs
ofliciers. — Cependant^ durant la
même journée, une inquiétude va-
gue et générale régnait dans Gre-
noble. Les autorités civiles el mi-
litaires manquaient d'informations
précises, mais cha(|ue moment leur
apporlaitquelquesdemi-coufidences
dont la répétition croissante faisait
pressentirune explosion imminente.
L'adjoint de La Mure, qui s'était
dirigé par les montagnes pouraver-
tir le préfet, avait rencontré les
colonnes insurgées, et le hasard le
plus extraordinaire venait de livrer
au général Donnadieu, commandant
la division. mililaireaident, brutal,
mais feime et capable, l'un des
chefs du complot, dans les rues
mêmes de Grenoble. Un autre ha-
sard , également inespéré , celui
d'un dîner chez le général, avait
préservé le colonel Vautré du pé-
ril d'ôire arrêté par les insurgés
du dedans, au moment même où
devait éclater l'agression du dehors.
L" gt'iiéial Donnadieu coiiceulra
ses. forces sur la place Grenelte,
|)iil «l'babiles dispositions, v.\. fit
marcher un dél.chement d'environ
dOO Sommes des voltigeurs de
risero el de la lé^^ion de Tllérault
àlareg(Onlre des insurgés, dont
la pr euiière colonne s'avançait dans
la direction de la porte de lionne.
Mais ce tfvlacheiuenl, intimide par
la bonne contenance de l'ennemi,
se replia bientôt en désordre, et le
général prescrivit au colonel Vautré
de se porter de suite au-devant des
rebelles. Vautré ne se trouvait que
depuis quelques minutes en me-
sure d'exécuter cet ordre par suite
du retard fortuit ou calculé apporté
à la délivrance des cartouches
nécessaires. Il disposait au plus de
80 hommes ; mais, dans le nombre
se rencontraient 30 grenadiers,
soldats éprouvés, résolus, intrépi-
des, commandés' par un brave ca-
pitaine appelé Friol. Ces militaires
s'ébranlèrent au pas de course et
se trouvèrent à la porte de Bonne
en face des insurgés enhardis par
la retraite des chasseurs. Lecolonel
Vautré poussa le cri de Vive le roi!
et s'élança à leur tête sur les mon-
tagnards au nombre de 4 ou 5cents,
les culbuta et les mit en fuite en
leur tuant 7 hommes. A quelque
distance, sur la route d'Eybeus, la
cohorte fidèle rencontra Didier lui-
même qui, sansparaitredéconcerté
de l'échec de son avant-giwde, en-
gagea un nouveau combat à la tête
d'e[iviron 300 hommes. Cette co-
lonne, qu'il avait négligé de gariiir
ou (!e faire précéder de tirailleurs,
fut promplement dispersée en lais-
sant quelques morts. Ace moment,
Vautré fut rallié par un détache-
ment de dragons de la Seine que le
général Donnadieu avait envoyé
pour le soutenir; une troisième
colonne, qu'ils rencontrèrent à peu
près à une demi-lieue, eut le même
sort que les deux précédentes. Le
colonel remarqua ({ue les feux de si-
gnaux allumés sur plusieurs points
des moniagnes voisines avaient in-
sensiblement disparu. A la pointe
du jour, il entra à Eybens, d'où il
se rendit presipic immédiatement
au village de La Mure, dont il dés-
VAU
VAU'
223
arma les habitants. Celte répression
énergique, opérée si promptement
avec le concours d'un si faible dé-
tachement, dans une contrée ou le
gouvernement royal comptait tant
d'ennemis, et sur le lieu même où,
quinze mois avant , le colonel
Labédoyère avait, par sa défection,
prépare le fatal succès des Cent-
Jours, fit un grand honneur au
zèle et à la résolution du colonel
Vautré, et préserva la ville de Gre-
noble et la contrée entière d'une
imminente conflagration. Sa ren-
trée à Grenoble, le 6 mai, à la tète
de sa troupe, eut tous les caractè-
d'une véritable ovaiion. Un grand
nombre de personnes notabli^s vin-
rent à sa rencontre ; la joie d'une
partie de la population fut portée
jusqu'au délire; la plupart des
maisons furcLit pavoisées de dra-
peaux blancs, etces démonstrations
s'étendirent à tous les militaires
composant le faible gioupe qui avait
donne l'exemple d'une si éclatante
et si salutaire répression (1). Ce
triomphe fut l'apogée de la vie
jusqu'alors si martiale, si inépro-
chable de ce brave militaire. L'his-
toire doit envisager avec moins de
faveur les événements qui restent à
rapporter. Le colonel écrivit le
lendemain une lettre répandue à
profusion par la voie de la presse,
où il racontait avec exaltation son
siu ces de la porte de lionne et
s'applaudissait d'avoir « ordonné à
ses braves grenadiers d'égorger
(I) Tous les faits qui précèdent sont
exlnits do notes idélites rédii^ôes par
le C(donel d- Vautré a l'époque leOiiie
dos cvéueuients de (jrennlile. Le liip-
port eoiilidfiiliel dans lequel ces fjjts
se ti'ouvaieiit (Oiisignés fui mh >oiis les
yeux du roi Louis XVIII par M le duc
de Uuras.
celte canaille à coups de baïonnet-
tes et aux cris de vive le roi! »
Puis, arrivant aux détails de son
expédition de La Mure : « J'ai fait
venir, disait-il, une partie du peu-
ple sur la place, et j'ai dit que je
ne savais pas si je ne les ferais pas
tous fusiller et brûler leur ville...
Pensez-vous, ai-je ajouté, que j'aie
eu besoin de ces 90 hommes pour
exterminer les brigands qui ont
marché sur Grenoble? Il ne m'a
fallu que 22 grenadiers. Eh bien I
vos pères, vos enfanis, sont pour la
plupart morls aux portes de Greno-
ble. Ailez-y voirleurs cadavres. » A
celle triste publication, qui accusait
moins les passions personnelles de
son auteur que celles d'un temps
de réaction et de vengeance, le
colonel Vautré unit un tort plus
grave, celui d'accepter la prési-
dence du conseil de guerre formé
pour juger les rebelles qu'il avait
combattus et dispersés. Cette fausse
position devait amener de déplora-
blrs incidents. Les avocats des ac-
cusés se plaignirent du peu de
faveur avec lequel ils furent en-
tendus, et des entraves que des
juges naturellement prévenus ap-
portèrent à la liberté de la défense.
Suivant une relation accréditée et
qui ne parait pas avoir été dé-
mentie, le président du conseil
troubla plusieurs fois, par de vé-
hémentes et injurieuses apostro-
phes, les expl. cations présentées
au nom des 30 malheureux que le
hort des armes avait fait tomber
entre ses mains, et dont la vie,
dévouée à une immolaiion prochai-
ne, réclamait ce re.4e d'égards que
riuimanile commande même aux
plus implacables ennemis. Vingt-un
accuses lurent condamnes ix mort;
sur ce nombre, cukj lurent recom-
mandes à la clémence royale par
±lk
VAU
VAU
le conseil lui-même, avec un em-
pressement auquel nous aimons à
rendre hommage. Mais le ministère
repoussa îi la majorité de cinq voix
contre deux (celles de M. de lUclie-
lieu et de M. Laine) la recomman-
dation des juges militaires, et les
mursde Grenoble furent ensanglan-
tés à trois reprises de vingt et une
exécutions capitales. Didier , qui,
après avoir combattu avec courage
sur la route d'Eybens, avaitété sur-
pris et saisi sur le territoire sarde,
expia à son tour, le 18 juin, la con-
ception criminelle qui était devenue
fatale à tant d'infortunés. — Le
conseil général de l'Isère reconnut
les services du colonel Vautré
par le don d'une épée portant ces
mots : Fidéiitéj courage, nuit du i
au 5 mai 1 816. Le roi les récompensa
le 12 mai, par le titre de baron;
deux mois plus tard, le 17 juillet,
Vautré fut promu au grade de ma-
réchal de camp et nommé au com-
mandement du département de
l'Aveyron, d'où il passa successive-
ment à ceux de l'Ain et du Morbi-
han. Au mois de novembre 1820,
il cessa d'être employé dans un ser-
vice actif et fut porté sur la liste des
inspecteurs-généraux d'infanterie.
En remettant le 30 de ce mois à
Bordeaux, en cette qualité, au M"
régiment de ligne le drapeau de ce
corps, il lui dit « qu'après l'amour
de tous les Français pour leur roi,
les baïonnettes étaient le premier
soutien du trône des Bourbons, la
garantie de la tranquillité publique
et de la prospérité du royaume. »
Vautré tint un langage semblable
en s'adressani, dans une solennité
analogue, peu de temps après, à
Toulouse, au 49' régimentde ligne,
qu'il y avait organisé. Il reçut, le
i" mai 1821, le cordon de com-
mandeur de la Légion d'honneur;
mais il n'obtint pas le grade de
lieutenant-général, et ce mécompte
lui causa une irritation profonde.
C'est dans cette disposition d'esprit
que le surprirent les événemenli»
de juillet 1830. Le caractère du
baron de Vautré ne se montra point
à la hauteur de cette formidable
épreuve. On vit avec étonnement
le loyal militaire, dont le presti-
gieux retour de Napoléon n'avait
pu ébranler la fidélité, l'intrépide
adversaire de l'insurrection de
1816, oftrir son épée à l'insurrec-
tion victorieuse de 1830, et, par
un contraste étrange , solliciter
d'un pouvoir qui comptait le fils
même de Didier parmi ses hauts
fonctionnaires, l'avancement qu'il
n'avait pas obtenu de la Restaura-
tion. Il adressa au maréchal Soult
et à Casimir Périer, président du
conseil, et publia en 1831 plusieurs
lettres dans lesquelles il s'expri-
mait sansménagenientsurle régime
qu'il avait si vaillamment servi, et
s'aliéna ainsi les sympathies du parti
royaliste, sans se concilier la fa-
veur du nouveau gouvernement. Le
général de Vautré fut mis à la re-
traite en 1832, et mourut à Paris le
8 mai 1849, à 79 ans, laissant avec
le souvenir d'un salutaire exemple,
celui d'une regrettable défaillance,
dont le caractère même de ses ser-
vices passés eût dû, de lui plus que
tout autre, ce semble, écarter le
péril. A. B — ée.
VAUX, général français, était
depuis des années sous les dra-
j)eaux, quand se dessina la révolu-
lion française, d'où bientôt l'émigra-
tion, et, à la suite de l'émigration,
la guerre. Immense danger pour la
France que deux puissances colos-
sales et nombre de petites, entraî-
nées dans le mouvement général, se
préparaient à ravager, mais perspec-
VAL"
V.W
225
live aîtraviintt' pour le brave qui
necleniaiidaitqu'à faire ses preuves,
qu'à verserson sang et qui savait que
tant d'épaulettes, désertées par les
privilégiés auxquels toutes étaient
dévolues sous le régime déchu, de-
viendraient la récompense de qui
saurait, par son dévouement et son
talent, les conquérir. Patriote et
ne manquant pas d'ambition, Vaux
saisit avec empressement toutes les
occasions de se montrer aux postes
où le i)éril était le plus grand, et,
au bout des quatre premières cam-
pagnes de la république, il était
adjudant général. C'tst en cette
qualité qu'il servit en <796 à l'ar-
mée dltalie et qu'il se signala par
un tel héroïsme, à la bataille de la
Favorite, que Bonaparte, si con-
naisseur en hommes ainsi qu'en
manœuvres habiles, fit choix de
lui pour aller présenter au Direc-
toire son rapport sur la journée; il
demandait en même temps pour
lui le grade de général de brigade.
La demande eut immédiatement
son effet . L'année suivante Vaux par-
tit pour l'Egypte avec l'expédition
française, puis, quand l'armée passa
en Syrie, il fut de ceux qui tentè-
rent cette nouvelle aventure. Le
siège de d'Acre faillit lui devenir
funeste, il y fut blessé (le 25 avril
1799) très-dangereusement et il
dut être évacué sur la France. Nou-
vel épisode malheureux lorsque
rexécution de cit ordre fut tentée :
les Français, débordés depuis Abou-
kir, n'étaient rien moins que maî-
tres de la mer; le brick la Ma-
rianne, qui le ramenait, fut capturé
par une corvette anglaise (1800).
Rendu bientôt et bien avant la paix
d'Amiens à sa i)atrie par un cartel
d'échange, et rétabli de sa blessure,
il manœuvrait au mois de décf'mbre
de la mèm?. ann?e dans le pays de.»
LXXXV
Grisons. Les trois ou quatre an-
néesde paix, continentale du moins,
qui succédèrent (180i-l804), sem-
blent avoir commencé poui- Vaux
une phase nouvelle. S'il ne prit
pas sa retraite, il s'accommoda de
postes paisibles à l'intérieur, tant
que les prospérités Je l'Empire
durèrent. Mais après la retraite de
Russie, ce n'est pas en vain qu'il vit
son ancien général îaire appel à tout
ce que la France renfermait de bras
fermes et de cœurs héroïques : il
accourut redemander du service et
inscrire de nouveau son nom parmi
les plus dignes dans cette navrante
et mémorable campagne oij suc-
comba l'héroïsme de la cause im-
périale. Val. p.
VAYSSEDE VILLIERS(Regis-
Jean-François), laborieux membre
de l'administration des postes, était
de Rodez. Sa famille, bien posée dans
la magistrature, le destinait naturel-
lement à la même carrière; et, bien
qu'avantraèmo de quitter le collège,
il eût donné quelques signes d'une
vocation que quelques juges au-
raient nommée poétique (voy.plus
bas, à la partie bibliographique de
l'article), il dut partir pour Tou-
louse, afin d'y suivre les cours de
droit. Né en 1767, il n'était pas en-
core étudiant de troisièpir; année,
quand la révolution vint, dès 1789,
sinon interrompresespaisiblesexer-
cices de l'école, du moins y porter
la perturbation et l'incertitude. Bien
qu'éi)ris des grands principes qui
chaque jour gagnaient du lerrain et
se réalisaient dans la pratique, il
n'y trouva pas prétexte pour déser-
ter lei bancs; il tint bon vaillam-
ment un an encore, jusqu'à ladésor-
gauisatioti de l'école el il .subit
des examen.^, il cor.quit des diplô-
mes qui, sous toute autre organi-
sation que celle d'alors, î;e l'cus-
226
VAY
sent point rendu habile à plaider,
mais qui, certes, suffisaient à cette
époque pour qu'il portât la parole
au barreau. Très-probablement il
n'aurait pas eu de peine, s'il l'eût
voulu, à faire partie d'un parquet
quelconque; il paraîtrait même, si
l'on s'en rapportait à l'article bio-
graphique de Rabbe (Supplém.,
p. 848), lequel est un peu em-
preint d'autobiographie, que sem-
blables propositions lui turent
faites, puisque, nous observe-t-on ,
il les déclina constamment tant que
domina la Terreur. La vue de tant
de supplices illégaux autant qu'in-
humains ou ne présentant qu'un si-
mulacre dérisoire de légalité, l'a-
mena rapidement à faire voile ar-
rière, peut-être un peu plus loin
que ne l'eût fait un de ceS esprits
logiques et fermes qui n'excèdent
pas.Q.andnousle voyons, à l'exem-
ple de son compatriote Flaugergue,
défendre la tête de malheureux
royalistes voués à Téchafaud, nous
i>e pouvons que le louer, et nous
trouvons tout eimple qu'après ce
trait de courage il cherchât un peu
l'ombrcMais quand, aprèsle3i mai,
il s'efforce d'engager les royalistes
à s'unir aux Girondins proscrits,
nous avons de la peine, sur quel-
que terrain que nous nous placions,
a ne pas voir dans de si bizarres
idées des puérilités ou des chimères.
C'esl pourtant la même plume qui
nous atteste le lait, et certes avec
une intention d'éloges. On nous le
montre encore, au plus fort de la
Terreur, répondant îi la délation
d'un jacobin qui requiert son ex-
pulsion immédiate de l'assemblée
populaire de Rodez par une éner-
gique profession de foi, dont tous
les articles sont en opposition fla-
grante avec les maximes du parti
triomphant, soutenant au même
VAY
lieu et le même jour, « avec autant
d'esprit que de courage, en quelque
sorte corps h corps avec un com-
missaire de la Moniagne, » une
lutte où l'argumentateur courait
risque de demeurer court autre-
ment que de la langue, et quand
le Midi résolut d'envoyer un ba-
taillon par département contre les
Montagnards, il apposa sa signa-
ture à la résolution au bas de
celle de Flaugergue. Il en résulta
que, quand ce dernier fut mis hors
la loi, son acolyte fidèle crut bon
de se cacher. Heureusement les
poursuites contre lui ne furent
point poussées avec le dernier
acharnement, ou du moins, la tour-
mente perdit bientôt pour lui de sa
violence; seulement il s'aperçutque,
s'il ne voulait la réveiller, son pre-
mier soin devait être d'évitersa ville
natale, où trop de monde avait les
yeux fixés sur lui, et il vint se ta-
pir à Paris, où probablement ni Ro-
bespierre, ni membre quelconque
du comité ne songea qu'il existait
un citoyen Vaysse de Villiers, leur
ennemi capital, au repos pour
l'instant, mais aiguisant sa bonna
lame, nous voulons dire sa plume
pour le jour où il pourrait, sans
danger, la tremper dans l'encre.
Ce jour vint : ce fut le 9 ou,
si l'on veut, le 10 thermidor. Le
lendemain de l'arrestation de Ro-
bespierre, les colporteurs distri-
buaient dans les rues, aux por-
tes mêmes du club naguère tout-
puissant, le ConIre-poisoH des Jaco-
bins, par le citoyen Vaysse de
Villiers, feuille périodique au moyen
de laquelle, sans doute, l'auteur,
toujours friand d'influence et de
renom, comptailse créer l'un et l'au-
tre : hélas! au bout de deux autres
numéros, ses chants avaient cessé.
Nous disons ses chants, car le jour-
VAY
naliste poétisait à ses heures; l'on
trouve de lui, dans un troisième
et dernier numéro, une épitaphe
du parti jacobin que les thermi-
doriens vantèrent fort, et qu'au-
rait pu suivre immédiatement celle
du Contre-poison...; mais personne
ne se donna la peine d'enregistrer
au Parnasse le décès du poétique
journal. Une consoiation du moins
fut octroyée à Vil!iers,et, si la vaine
fumée qu'on nomme la gloire lui fit
défaut, le solide vint l'en dédom-
mager ; ses amis, au pouvoir alors,
lui procurèrent une bonne nomina-
tion d'inspecteur des postes. Lais-
sant là la politique, il ne donna plus
de soins qu'à ses fonctions ou à des
travaux que hii facilitaient ses
fonctions, les entremêlant de délas-
sements littéraires à sa portée et
selon son cœur. Il atteignit ainsi
la fin de l'empire, époque à la-
quelle sa retraite lui fut donnée,
bien qu'il fût encore dans l'âge de
l'activité, bien qu'il eût à grand
peine vingt ans d'exercice (1794-
1814). Il n'en vécut que plus dé-
voué de jour en jour au culte des
lettres et de la science, et sa ré-
putation de littérateur et d'homme
de goût devint sérieuse et incon-
testée, après avoir été de celles
qu'on sait un peu sujettes ii con-
testation. Du reste, jouissant de
plus de loisirs qu'il n'en eût sou-
haité, du moins pendant les pre-
mières années de sa retraite, très-
mobile d'intelligence et enclin,
par conséquent, à se porter tour
à tour sur des objets très-variés,
joignant a l'expérience une indé-
pendance d'esprit que sa position
de bonne heure acquis* près du
camp, sinon au cœur du camp
royaliste, lui permettait de laisser
voir à nu, il se donna !e passe-
temps de revenir de loin à loin
VAY
227
aux excursions sur le terrain poli-
tique, mais sans formes acerbes,
sans arrière-pensée ambitieuse et
sans \iser à faire grand fracas,
quoiqu'il se gonflât toujours un
peu. Somme toute, il eût été fort
uii!e à la légitimité de savoir
écouter des conseillers tels que
Vaysse de Villiers. Il survécut à la
chute de ce trône qu'il avait espéré
ne pas voir pour la troisième fois
s'écrouler sous la dynastie des Bour-
bons. Voici la liste -à peu près com-
plète des productions de Vaysse de
Villiers. I. Description routière et
géographique de l'empire français,
Paris, 6 v. in-S", 2' édition avec
additions qui la complètent, sous
le titre de : Géographie complète de
la France., par ordre de routes, Pa-
ris (chez Renouard), 1829, in-8«.
C'est un des ouvrages les plus uti-
les, les plus exacts que l'on pos-
sède sur le sujet; on le consulte
encore tous les jours avec avantage,
bien qu'évidemment la révolution
introduite par les noies ferrées
dans l'ensemble du système rou-
tier de la France en ait dû res-
treindre l'usage. C'est le fruit d'un
travail de vingt années pendant
lesquelles l'inspecteur des postes
usait de sa position pour voyager
six mois par an, consacrant les six
autres au dépouillement et à la ré-
daction de ses i.oles. Aussi le»
journaux et surtout les recueils
scieuliliques se firent-ils tous un
devoir de signaler et de recom-
Imander ce beau monument de st.v
tislique en mémt' temps que de
géographie. 11. lie eue il complet des
groupes^ statues, bustes, thermes,
perspectives monumentales de Yer-
sailles, etc., etc. Paris, 1828-1829,
in-i" oblong, faisant suite à la
Géographie complète de la France,
p. 0. d. r. III. Plusieurs brochures
228
VEA
anonymes, contemporaines, ainsi
que leur litre l'indique, de l'un ou
•'nuire règne de la restauraiion,
par exemple, sous Louis XVIII :
l Opinion impartiale d'un capitaliste
sur la réduction des rentes, in-8";
sous Charles X, la Lettre confiden-
tielle à un journalisie, par lui ami
du roi y de la charte^ du repos,
in-8°. etc. IV. Des poésies dont
bsaucoup, ce semble, sont restées
manuscrites et dont plusieurs au
contraire ont été tirées à part, telles
que : 1» Ode sur les tremblements de
terre de la Sicile et de la Calahre
arrivés en 1789, Paris, 1821, in-8^
2" Ode sur les inondations de l'an X,
Paris, 1822, in-8"; 3" Ode à lUinti-
que Rome, Paris, 1822, in-8°;4°0(ff
au soleil, Paris, 1823, in-8". Il se
proposait, en 1836, de publier in-
cessamment ses poésies fugitives
en un volume.
vi:au di: launay (Pierre-
Louis- Athanase) , docte polYgra|)he,
nnlif de Tours, s'était promis de
suivre la carrière du droit, et reçu
licencié fit dûment son stage, fut
inscrit sur le tableau des avocats en
sa ville natale et plus d'une fois
porta la parole, tantôt gagnant les
mauvaises causes, tantôt perdant
ses bonnes : tels étaient en ce
temps les caprices,
De mibs
Tbémi»,
qui, comme on sait, n'en a jamais
^Ic pareils aujourd'hui. La révolu-
lion le déclassa, ainsi que tant
d'autres et lui fil des loisirs, qu'il
ntiTsa en les portant sur tout ce
qui ne sentait ni les Jnstilutes ni
Cojas. El il en résulta que, lors-
que furent établies les écoles cen-
trales, il se fit très-facilement donner
k celle d'Indre-et-Loire la chaire
d'histoire naturelle qu'il rcm-
VEÂ
plit plusieurs années. Ces écoles
îi leur tour ayant été, sinon abolies,
du moins soumises à un mode d'or-
ganisation tout nouveau qui ne
souriait plus à ses idées, il ne se
décontenança pas etse trouva sur-le-
champ avoir une autre corde à son
arc : ce fut la science médicale. Il
ne la professa pas, il la pratiqua,
et il ne fut pas plus médeein sans
malades qu'il n'avait été avocat
sans causes. Le soin de sa clien-
tèle cependant ne l'absorbait pas
â tel point qu'il n'eût du temps,
beaucoup de temps, à donner aux
sciences physiques, h l'archéologie,
à la littérature, qu'il avait aimée
d'un amour plus que platonique
du temps même où son cabinet
d'affaires aurait dû l'absorber, et
de lire ou d'envoyer des mémoires
à plusieurs sociétés savantes. Il
était membre d'à peu près toutes
celles de Tours, la Société du Mu-
sée, la Société d'agriculture, la
Société des sciences et belles-let-
tres, laquelle avait en lui le plus
exact comme le plus infatigable
des secrétaires. De i)lus, il était
membre du Lycée des arts de Paris.
Il vit la première et la seconde res-
tauration, il n'en vit pas la fin, la
mort l'ayant frappé. Voici, à deux
ou trois interversions près, la liste
en môme temps chronologique et
méthodique des productions de ce
savant dont l'intelligence s'était
lancée en tant de sphères variées.
I-III. Pièces relatives au droit :
1" Discours prononcé au bailli a( je de
Tours; 2° Mémoires et plaidoyers;
3" Fragments d'un Commentaire sur
la coutume de Tours, Tours, 1787,
in-8". IV-VI. Travaux relatifs aux
sciences : <" Tableau élémentaire
d'histoire naturelle à l'usage de l'é-
cole centrale d'Indre-et-Loire,
Tours, 1790, in-8"; 2» Manuel d'é-
lectricité, 1809, in-8% figures;
3" Lettre sur l'usage de l^ilcali-ftuor.
VI. -VII. Opuscules achéologiques
(tous deux insérés au tome IV des
Mémoires de l'Académie celtique) ;
i" Notice sur la pile de Mars (mo-
nument antique attribué aux Ro-
mains et situé sur la rive droite
de laLoire entre Tours et Langeais;;
2" Notice sur un dolmen appelé pierre
de minuit (monument druidique
situé à trois myriamètres sud-ouest
de Blois). Vli-X. OEuvres litté-
raires, les deux premières, drama-
tiques et en prose, les deux autres,
poétiques, ou du moins en vers :
1" Le corps de garde national (co-
médie en un acte), Tours, 1790,
in-S**; 2" Stéphanin ou le mari sup-
posé (opéra-comique , un acte) ,
Tours, 1791, in-S"; 3" Voltaire, et
autres poésies, Tours, 1780; i"
Épîlre d'un père à son fils sur le
bonheur (présentée à l'Athénée de
Toulouse, en pluviôse, an xi), Pa-
ris, 1816, in-8\ Z.
VECCIIIA (Pierre), issu d'une
famille noble de Padouo, embrassa
la vie religieuse, et se fit bénédic-
tin à l'abbaye du Monl-Cassin, le
30 novembre 1G46. Après avoir fait
des études solides, il se livra à la
prédication, et le fit avec le plus
grand sucrés dans toutes les villes
d'Italie. Il jouissait aussi d'une
grande considération dans sa con-
grégation, qui le lit abbé du mo-
nastère de Casino. Le pape Inno-
cent XI réleva à la dignité épis-
copale, (t lui donna le titre de
l'évèché de Citla-Nova, en Is-
trie (1). i.e (\ mars 16^)0, il fut
VEC
220
(1) Je m'expriino ainsi dans la pen-
sée que peut-tHic ne fut-ce (lu'ini titre
honoriîique , ddiit le pupo voulait ré-
« unipenser Vecchi.i, car, d^ipns Hi-
cliard : Dictionnaire des Sciences
transféré k Andria, dans la Fouille,
par Alexandre VIII; puis, l'année
suivante, le pape Innocent Xïl le
transféra à Melfi (2). Vecchia mou-
rut à Naples le 7 juin 1695. Cet
évêque, savant et zélé, a beaucoup
écrit; mais comme Dupin dans sa
Bibliothèque des écrivains du xvn«
siècle , et Legipout dans Historia
rei litterariœ, 0. S. B, ainsi que
les dictionnaires historiques, n'ont
parlé ni de lui, ni de ses œuvres,
je donnerai la liste de ses produc-
tions littéraires d'après dom Fran-
çois, qui malheureusement ne met
presque jamais le titre des ouvrages
qu'il indique. I. Méthode jwur com-
poser et bien parler. Venise, 1622.
II. Idée de l'éloquence., Venise,
1663. III. Explication de l'épître
aux Romains, Venise. 1664. IV.
Discours d'un supérieur à ses reli-
gieux. 2 vol., Padoue, 1664. V. Pa-
négyrique de Saint-Maur, in-4*, Ve-
nise, 1608. VI. Traité de la divine
Providence, Padoue, 1670. VII. Le
temple de la Paix, B rescia, 1670,
2-^ édition 1678. VIII. Uhomme de
compagnie, ou la manière de vivre
en bon politique et en bon chrétien,
Brescia, 1670. IX. Traité de l'Église
militante et triomphante, Bologne,
1680, 2'édit., Rome, 1683. X. Ma-
nuel des prélats, ou directoire des
pasteurs, in-4% Venise, 1684. XI.
Panégyriques, in-i", V<>nise, IG82.
XII. Traité de la doctrine chrétienne,
ccrk'siasliques, depuis Marc, vingt-
deuxi^^^o evêque de CitUi-Nov:i. trans-
féré enTarentaise,cn ]A'Xi, il n'y a plus
eu d't'vt^que sur le siège de CiUa'-Nciva.
(Ji UiciiAnD, Luco citalOj qui dit que
Vtcchia était de Venise, donne en effet
ce prélat pour le trente-neuvième évo-
que d'Andria, et ajoute lui-même que
piu après il (ut Ironsfcrcà Mrlfi. Or,
a l'article Melli il no parle point de
Vccchia, et sa nomenclature contredit
ce qu'il avance ici.
230
VED
VED
Bologne, 1683. XIII. Exhortation à
l'étude des sciences divines, avec un
remerciraent au pape Innocent XI
de l'érection du collège de Saint-
Anselme, nimini, 1G87. XIV. Rè-
gles pour bien vivre, traduites en
italien du latin de saint Bernard (c'est
le Irai lé De modo benè viveudi)^
Bergame, 1674. XV. Modèle de l'édi-
fice intérieur, traduit du môme saint
Bernard, Brescia, 1673. Vecchia
avait, en outre, traduit et publié k
Brescia, en 1677, un ouvrage de
saint Jean-Chrysostome. La biblio-
thèque du MoQt-Cassin fait mention
de plusieurs autres ouvrages en
tous genres que Vecchia a laissés
manuscrits. B— d-e.
VEDEL ( Dominique -Honoré-
Marie-Antoine), général français,
remarquable à titres divers, no-
tamment parce qu'il fut mêlé au
désastre du général Dupont, na-
quit le 2 juillet 1771 (et non com-
me \edit\3i Biographie S.-S.-T.Nor-
vins, le 2 février 1731) à Monaco;
mais il appartenait à la France par
son origine, et sa famille, long-
temps hdbilanlo de cette partie du
Languedoc qui devint le départe-
ment du Gard, avait fourni des mi-
litaires ; aussi prit-il du service dès
sa treizième année (le 6 mars i 786),
et fut-il, des 1787, gratifié de Té-
paulette, malgré son âge, qui, pro-
bablement, fut un peu dissimulé.
Lieutenant en 1791, capitaine en
179Î, il fit en celte qualité, sa pre-
mière campagne du Nord contre
les Autrichiens. Il eut l'occasion de
s'y rompre un peu vite aux inci-
dents de la vie militaire. A l'affaire
de Winton, où, pour la première
fois, il vit le feu, rintrépidilé lui
tint lieu de cet aplomb qu'ordi-
nairement donnent l'expérience et
l'habitude. Mais, quelque temps
après, des faits surgirent qui de-
mandaient du sangfroid en même
temps que la vaillance ; encore
eùt-il fallu tous les deux, à double
ou môme à triple dose; son régi-
ment s'insurgea, et l'on ne peut
dire ce qui fût arrivé, si Mas-
séna, chef de bataillon à cette épo-
que, ne fût venu le délivrer, et
peut-être lui sauver la vie. De l'ex-
trême Nord, il saula Tamiée sui-
vante à l'extrême Sud, non-seule-
meni de la France continentale,
mais de tout le territoire. Toujours
friands de la Corse, cette île qui
leur serait, « si commode » , et
jaloux de l'annexion consentie par
la république de Gônesà LouisXV,
les Anglais avaient saisi l'occasion
de la révolution française pour y
débarquer, et s'arrangeaient pour
prendre les places et n'en pas être
débusqués de sitôt. Le comité de
salut public montra que, pour lui,
le programme qui qualifiait la Ré-
publique française «d'une et indivi-
sible » était une vérité ; il envoya
des renforts, non des négociateurs.
Le capitaine Vedel partit à la tête
d'une compagnie franche ; et bien-
tôt il fut investi du commande-
ment de tout ce qu'il y avait dans
l'ile de compagnies semblables. Le
service était des plus actifs. Sa
troupe fut chargée de servir l'artil-
lerie des villes dont l'Anglais for-
mait le siège. Vedel et les siens
se distinguèrent, surtout à Caivi,
par l'habileté comme par l'opiniû-
trelé de la défense. Les ennemis
avaient fait brèche ; et, comble de
mal, non-geulement la brèche était
praticable, maisnos batteries étaient
démontées. L'assaut eut donc lieu;
mais les lils d'Albion furent ac-
cueillis de manière à ce qu'ils ne
reprirent pas gaîment le chemin de
leurs tentes, et qu'après un simu-
lacie d'attaque nouvelle, ils tour-
4
VED
nèrent leurs efforts sur d'autres
points de l'île, coramençant à s'a-
percevoir qu'ils pourraient nous
disputer plus ou moins longtemps
notre possession, mais, qu'en défi-
nitive, elle ne deviendrait pas pour
eux un second New-Foundiand.
Nous retrouvons ensuite Yedel en
Italie, lors des magnifiques campa-
gnes de 1796 et 97, qui changent
tout l'aspect de l'échiquier politi-
que de l'Europe. Il y déploya sa
vaillanee et son intelligence accou-
tumées au passage du Pô, à celui
de l'Adda, aux deux affaires de Lo-
nado et de Salo. De plus, il fut
chargé de plusieurs missions impor-
tantes: h lui seul incomba, preuve
de la confiance qu'avait en lui l'il-
lustre général en chef, la tâche
d'aller eu Tyrol, à la recherche de
In division Augereau. Cela ne se
pouvait qu'eu s'enfonçant à l'inté-
rieur de la partie orientale de la
provrace,et après avoir, ou forcé le
passage, ou i)assé à la sourdine
entr« des colonnes autrichiennes.
Les ciroonstauces l'amenèrent au
premier parti. Un gros détache-
ment d'Autrichiens voulut lui bar-
rer le passage; infanterie et ca-
valerie furent culbutées en peu
d'instants ; il enleva de plus leur
poste de réserve, et de tous les an-
tagonistes, 400 restèrent prisonniers
de guerre en ses mains. Poussant
plus loin après ce succès, il arbora
le drapeau français à Feltre ,
puis sur les murs d'Udinc, où
nul n'avait encoie pénétré. La
division Augereau, à laquelle il s'é-
tait ainsi mis à mémt^ de donner la
main, ayant debouch' du Tyrol, il
se rabattit sur le gros de l'armée.
On sailcpiels événements suivirent
tant de liants faits d'armes, dont,
il est aisé de le voir, Ve<iel eut uoe
bonne part. Les préliminaires de
VED
231
Campo-Formio donnèrent d'abord
l'espoir de la paix ; puis, à peine
Bonaparte pjrti, Bonaparte en E-
gypte, l'Autriche fit massacrer les
plénipotentiaires français , et la
guerre recommença. Le 11 sep-
tembre 1798, il opérait sur Sangui-
netto, n'ayant avec lui que vingt-
cinq chasseurs à cheval, une di-
version favorable au mouvement
généraldel'armée.et il atteignait ce
village après avoir, avec des forces
numériquement si faibles, combattu
trois escadrons échelonnés sur la
route. La bataille de Kivoli suivit
bientôt. Vedel y commanda l'artil-
lerie de la septième demi-brigade
légère, et, par ses manœuvres har-
dies et savantes, il s'empara de la
chapelle San-Marco, poste impor-
tant, cief de j)Osition, donlle géné-
ral autrichien sentità l'instant com-
bien la perte éiait grave pour ses
plans, mais dont en vain il es-
saya de se remettre en possession.
Toutes ses attaques échouèrent
contre la solidité de la défense;
Vedel était partout, donnant, va-
riant, proportionnant les ordres se-
lon les circonstances ; il fut atteint
grièvement, mais, nous l'avons dit,
il maintint sa position. C'était sa
première blessure, mais ce ne fut
pas la seule dont il put s'Iionorer
dans cette campagne. Chargé, quel-
que temps après la granile journée
de Kivoli, d'aller, à la tête des gre-
nadiers de la division Grenier, at-
taquer les retranchements autri-
chiens, à la gauche de Bussolengo,
il déploya, dans l'exécution de cet
ordre, l'eîitrain le plus vif, la va-
leur la |)lu> opiniâtre et, par sa vi-
gueur décisive comme par l'intel-
ligence de tous ses mouvements, il
mérita d'èire mentionne dans l'or-
dre du jour de l'armée : en revan-
che, balles et boulets l'avaient tou-
232
VED
VRI)
ché; so.T cheval avait été tué sous
lui, lui-mênie avait une jambe cas-
sée, et il fut laissé des heures pour
mort sur le champ de bataille. On
le releva cependant, et le grade de
chefdedemi-brigade (tel était alors
le titre officiel) fui la recompense du
dévouement et du courage qu'il ve-
nait défaire éclater. Ici se termine,
en quelque sorte, la première par-
lie de U carrière militaire de Ve-
del. Le voilà colonel ; huit ans se
sont passés depuis qu'il a reçu son
brevet de lieutenant; huit autres
années (de .1799 à 1807) vont le
porter au grade de général de di-
vision. Pendant les premiers mois
de 1799, il est encore en Italie,
avec l'armée d'Italie. Un peu plus
tard, il passe avec sa demi-brigade
à l'armée des Grisons, dont les
mouvements se lient toujours à
ceux de l'armée d'Italie, mais qui
n'en forment pas moins, poiT le
moment, un corps à part. I^es
événement marchent, le ccnéral
en chef d'Egyple a fait sa réap-
parition en Europe, Paris a vu le
48brumaireetritalieavecMarei)go.
Vedel, le 10 novembre 1800, est
un des quatre cents hommes d'élite
(jui, sous les ordes du général de
brigade Veaux, marchent sur les
redoutes autrichiennes au mont
Tonal, et défendent les passages
de Val-di-Sole. Après l'inexé-
cution de la clause du traité d'A-
miens, par laquelle le cabinet
de Saint-James avait promis de
rendre Malte h la France, et, quand
les Anglais ne plaisantaient que du
bout (Ihs lèvres des j)lans de des-
cente en Angleterre, il fit partii^
du camp de P.oulogne, el il n'eût
pas été des moins charmés de re-
nouer connaissante, en leur île,
avec les habits rn';ges qu'il avait
canonnéb dans l'île de Coi se. Le
destin en ordonna autrenieni. Les
insulaires, moyennant bmknoles
et livres sterling, détournèrent l'o-
rage sur d'autres bords, et déter-
minèrent les naïves tètes fortes de
Schœnbrunn, à tirer pour eux les
marrons du feu. L'Autriche, pour
la troisième fois depuis treize ans,
déclara la guerre à la France. Com-
me nous ne nous étions encore
avancés (en 1797 et en 1800) qu'à
quelque vingt lieues de Vienne,
l'héritier des Habsbourg tenait ap-
paremment à ce que les hussards
français lui rendissent visite dans
la capitale. Vedel, sitôt que les
hostilités devinrent inévitables, fut
compris dans le cinquième corps
d'armée que commandait Lannes. Il
eut part à la prise d'Ulm; c'est lui
qui s'emparades redoutes avancées,
parmi lesquelles, notamment , celle
de Frauensberg était un point d'ex-
trême importance pour le succès de
la journée. Ce succès, il est vrai,
il faillit le compromettre en vou-
lant le pousser trop loin, sans assez
tenir compte des circonstances.
Voyant les défenseurs de la re-
doute opérer la retraite, il lança
ses artilleurs ; en changeant la re-
traite en déroule, ceux-ci purent,
avec les fuyards, franchir les por-
tes de la place, et, secondés parles
tirailleurs du Til' de ligne, faire
douze cents prisonniers, qu'on dé-
sarma sur-le-chamj) et dont les ar-
mes furent disposées sur place en
faisceaux. Tout cela eût été fort
bien si les bastions n'eussent pas
encore contenu de sept à huit mille
hommes, ou si du gros de l'ar-
mée on fût venu donner appui aux
quatre cents de Vedel et aux quel-
ques tirailleurs, ses compagnons
de péril. Il n'en fui rien. H en ré-
sulta que, ne voyant rien venir et
protégés, virtuellement du moins,
VED
VED
233
par les nombreux camarades dont il
vient d'être parlé, les prisonniers
revinrent bientôt de leur stupéfac-
tion, se comptèrent, et soudain,
tombant sur leurs armes qu'ils
avaient à deux pas d'eux, recom-
mencèrent la lutte avec l'avantage
du nombre et l'assurance d'un
prompt renfort au cas où le be-
soin s'en ferait sentir. Cerné de
toutes paris, Vedel resta prison-
nier. Heureusement il fut, au bout
de quelques jours, compris dans un
cartel d'échanges, et il ne tarda pas
à coopérer derechef à l'exécution
des grands plans de l'empereur.
Le 30 novembre (trois jours donc
avant Austerlitz), il tint seul avec
son régiment la campagne en pré-
sence de toute l'armée russe, qui
venait s'adjoindre aux Autrichiens.
Le jour même de la grande ba-
taille, il fut chargé d'aller se pos-
ter à Santon, point singulier de
la ligne stratégique, où il devait
servir de pivot à la gauche de l'ar-
mée. Il eut, soit pour en prendre
possession, soit pour s'y maintenir,
une force de cinq àsix milleRusses
îi contenir. Il fit mieux, il les re-
poussa, et l'empereur fut si charmé
de la façon dont il s'était acquitté
de sa tfiche, qu'il le nomma géné-
ral de brigade. C'est en cette qua-
lité que nous allons le voir à pré-
sent porter deux ans les armes
contre la monarchie prussienne.
Pendant la campagne au sein des
provinces allemandes, il a part à
la bataille de Saaifeld; le 10 octobre
1806, il se signale dans les plaines
d'Iéna. L'empereur, «mi ce jour où
la lutte devient capitale, a voulu
retenir sous ses ordres immédiats
et comme partie de sa réserve la
brigade de Vedel, en attendant
que sa garde arrive conduite
par Lefrbvre, et, quand celte
dernière est là, Vedel, par ses or-
dres, va renforcer successivement
plusieurs points, ou menacés, ou
trop peu garnis dans les commen-
cements ; Vedel enlève plusieurs
positions à la droite de l'ennemi,
lui fait nombre de prisonniers et le
poursuit au galop jusqu'aux portes
de Weimar. Le 26 décencbre sui-
vant, à l'affaire si chaude de Pul-
tusk, l'k-propos, la prestesse, la
multiplicité des attaques signalent
de raf'me la brigade Vedel, qui,
lancée par son chef, exécute plu-
sieurs charges brillantes, enfonce
les deux premières lignes russes et
finit par rester maîtresse d'une bat-
terie de 12 canons. Ce ne fut pas
sans payer son succès de quelques
pertes: Vedel lui-même fut atteint
de deux blessures, l'une au genou
gauche, en dépit de laquelle il con-
tinua de donner ses ordres avec
la môme sérénité, toujours sur le
champ de bataille, l'autre par un
coup de biscaien, qui le renversa
sur le sol : heureusement la fu-
sillade et la canonnade allaient fai-
blissant ; la vicloireavait prononcé,
comme d'habitude, en faveur des
Français. Celte fois d'ailleurs il ne
fut pas laissé pour mort parmi
les cadavres, et sa guérison, mar-
cha vile. . . , moins vile pourtant
qu'un nouvel appel du mailre à sa
capacité toujours en haleine. Il fui
nommé gouverneur de Nogat et de
la place de Marienbourg, ce qui, vu
les circonstances et l'imminence
d'hostilités nouvelles, li'élaii rien
moins qu'une sinécure. Grâce à des
mesures lubilemenl combinées, il
sut en peu de lemps relever les
forlilii-alions de la |)lace et pour-
voir à l'approvisionnejneiil de l'ar-
mée cantonnée aux en\irons après
la journée d'Kylau;— de telle sorte
«pie. n'eùl-il rien fait de plus, san
23/1
VED
VED
exagération aucune, il peut être
affirmé que son concours pen-
dant la campagne au sein des pro-
vinces slaves (1807) ne fut guère
moins utile à la cause commune
qu'en 1806. Mais l\ ces opérations
d'adminislrateur ne se bornèrent
passes services en cejte mémorable
année. Relayé k Marienbourg, où,
dorénavant, l'essentiel étant ac-
compli, les difficultés étaient de-
venues minimes, il reprit un com-
mandement actif et fut chargé d'or-
ganiser et commander par intérim
la seconde division du corps de
réserve qu'avait sous ses ordres le
maréchal Lannes. On le vit, à la
bataille de Gustad, poursuivre les
Russes à la tête de cette division,
dont toutefois il dut bientôt aban-
donner le commandement ;;u gé-
néial Verdier, venu de Naples,
mais en conservant celui de sa bri-
gade, qui comprenaitle 3' de ligne
et le 12' léger, l.e W juin, un beau
fait d'armes le rocoinmanda de
nouveau à la faveur im;)ériale : un
ordre lui vient, le 10, à dix heures
du soir, d'après lequel il faut
qu'il chasse les Russes de leurs
redoutes, où tout le jour ils ont
tenu contre toutes les attaques; il
part au plus vite, se trouve le ma-
tin devant les redoutes, et, après
un court intervalle de repos, pro-
cédant à l'attaque, il emporte, non
sans peine, non sans perle, non sans
deux blessures encore, mais enfin
il emporte îï la baïonnette toutes
les Ii;.'nes et fous les forts des Mos-
koviies, qui, trop d^^cimés pour te-
nir Longtemps, prennent le parti
d'évacuer Heilbour . Ce mouve-
ineiil et ce succès furent un des
préliminaires de la décisive bataille
de Friedhnd, qui, quatre jours
a})res, acheva de dissoudre l.» puis-
sance prussienne, et fil penser au
Tzar que mieux valait être l'ami que
l'ennemi de la France, et qu'au
moins il fallait feindre l'amitié,
puisque le colosse ne pouvait tom-
ber que par l'imprévu ou par la
trahison. Ve'del eut bonne part
aussi de l'honneur de cette san-
glante journée; chargé d'aller ren-
forcer le cent!'e, il fit plusieurs ma-
nœuvres décisives, il tint la ligne
d'attaque depuis l'aurore jusqu'à
onze heures du soir, et h diverses
reprises il fut félicité par l'empe-
reur en j)ersonne, dont l'œil avait
suivi tous ses mouvements. Nul,
après cela, ne fut étonné de sa
promotion au grade si bien mé-
rité de généra! de division, et mê-
me Ton fut unanime à reconnaître
qu'elle constituait en ce moment
une distinction d'autant plus flat-
teuse, qu'à l'issue de cette seconde,
si rapide et si terrifiante campagne
contre les héritiers de Frédéric If,
Napoléon fut loin d'en être prodigue :
deux offîcitrs généraux seuls l'ob-
tinrent, Rutfen et Vedel. Il reçut
en même temps les insignes de
commandeur de la Légion d'hon-
neur* Il avait été créé comte de
l'Empire lors de l'institution des
majorats. Voilà de tout point certes
un commencement de superbe exis-
tence militjiire, et nous n'avons
encore traversé que deux périodes
de la vie de Vedel, abstraction faite
de ces premières années d'adoles-
cence sur lesquelles il a fallu glis-
ser. La troisième va tout changer
de face. Mais, on le pressent, c'est
iei que l'on court risque, lors-
que l'on a pris ftarti d'avance,
de se m<'prendre sur les faits en
les déplaçi^ni et en outrant le ap-
préciations f;jvorables ou contrai-
res. Dépouillé, (juant à nous, de
toute idée préconçue, nous allons
retracer des détails exacts, et nous
VED
énoncerons ce qui nous semble en
lésulter inconteslableraent. Le traité
de Tiisiit avait rendu la paix à T. Eu-
rope septentrionale et orientale; là
Jurande armée sétail dissoute, Ve-
del était de retour en France. Mais
à peine assoupie au delà de l'Oder,
la guerre allait sévir au-delà des
Pyrénées. Du Nord, où momenta-
nément nos troupes n'avaient que
peu de chose ou rien à faire, Vedel
avait été avec sa division dirigé sur
l'Espagne immédiatement après la
fameuse entrevue de Bayonne (2
mai 1808), et il faisait partie du
corps central, qui, sous Moncey et
Murât, occupait la Nouvelle-Cas-
tille. Du 15 au 20 mai, ordre vint
d'aller s'assurer du midi de l'Espa-
gne, où tout éiait encore tranquille
à la surface, bien que l'incendie
fermentât dans les flancs du volcan,
et de s'établir k Cadix . précaire
asile des débris de notre flotte tra-
hie parla forluiie à Trafalgar. Trois
divisions, sous un général de divi-
sion faisiiiil e:i quelque sorte les
fonctions de commandant d un
corps d'armée, devaient former le
noyau de la force d'opérc.lion à
laquelle on comptait que, d'une
part, vii;ndraient se joindre au
moins les trois régimenls suisses
échelonnés à Torlose, à Carlha-
gène, à Malaga ; que, de l'autre,
Kellennann, de son quartier d'El-
va, serait à même de prêter la
main. C'e.-i Dupont qui comman-
dait ainsi : Vedel n'avait, sauf le
cas de circonstances exception-
nelles, qu'à suivre ponclut-llemeut
des ordres donnés. Dupont partit
eu tète, n'emmenantiiuelauivision
lîarbou, laqutilf, se composant de
douze mille hommes au plus, sur-
passait en nombre, à elle seule, le
total des deux autres, Vedel n'en
comptait que six mille, et Frère,
VED
235
le troisième divisionnaire , que
quatre milie ; et il enjoignit (de
concert sans doute avec le quar-
tier général de Madrid) à ses
subordonnés de rester, le pre-
mier à quatre-vingts ou quatre-
vingt-dix kilomètres de Madrid,
en deç^ pourtant de la chaîne
marianique (à Tolède), le second
au nord de Vedel et tout près de
la capitale. De quelque part que
vînt l'ordre et quel que put en être
le mérite au point de vue mili-
taire, il est cbiir que Vedel ne pou-
vait qu'obéir. La disposition, d'ail-
leurs, eût été irrépréhensible, si la
guerre qui se préparait eût été la
guerre normale , si les insurrec-
tions ne se fussent à chaque heure
succédé de proche en proche, et si
les trois régiments suisses n'eussent
non-seulement abandonné le dra-
peau fiançais, mais passé à l'en-
nemi. Voilà ce dont il eût été à
souiiaiter que se fût douté, au
moins comme éventualité à toute
force possible, soit Dupont, soit
le haut état-major paradant à
Madrid. Mais comme jamais, depuis
quinze ou seize ans de guerre,
pendant lesquels la France n'a-
vait eu que des gouvernements
et ieurs troupes à combattre, rien
danaiogue n'avait eu lieu et comme
la dernière tentative avait été ré-
primée immJ'dialemenl, il nevenait
à l'idée de personne, à Vedel pas
plus qu'aux autres, que des rustres,
""des boutiquiers et des piliers de
sacristie pussent atta(|uer les vain-
queurs d'Austerlitz et d'Eylau.
D'jill-'urs, ce n'e>t pas à lui sur-
tout qu'il incombait ici de jjrevoir.
Nul ordre nouveau ne survenant
de (pieUpie part que ce fût, il resta
près d'un nmis immobile dans sa
position, tandis qu'au delà des
monLs il eût par le fait seul do son
230
VED
VED
apparition jelé un poids inappré-
ciable dans la balance des desti-
nées. Dupont, tandis que les
onze ou douze mille hommes de
ses deux divisions supplémentaires
étaient retenus dans l'inertie, ne
s'emparait que péniblement de
Cordoue, ne recevait de tout côté
que des nouvelles alarmantes au
plus haut degré ; puis, il le fallait
bien, se résolvait à regagner la
chaîne Létique : il eût mieux fait
de se replier à 30 kilomètres encore
plus loin au nord, jusqu'à Baylen,
vrai clef de toute la i)Osilion, au
lieu de s'en tenir aux partis mi-
toyens, qui perdent tout, et de
prendre pour station Andujar.
Tout en opérant ce mouvement
rétrograde, il demandait à Madrid
ce qu'il ne devait pas demander là,
des renforts, car il eût fallu que,
réputés en principe sa réserve et
son arrière-garde, Vedel et Frère
fussent directement en communi-
cation avec lui. Soit sur ses ins-
tances, soit spontanément et d'a-
près ce qu'il avait aperçu et ouï le
long de la route, Savary, qui venait
d'arriver à Madrid, enjoignit aux
deux divisions d'avancer, pour
opérer leur jonction avec Dupont,
ou pour communiquer par aides
de camp et concerter les mouve-
ments. Vedel s'acquitta merveil-
leusement de sa part d'action ,
tandis que la division Gobert,
substituée à celle de Frère, venait
bivouaquer à San Clémente. Parti
de Tolède, il s'avançait hardiment
dans les anfracluosilés de la sierra
Morena, ripostait éiiergiquetnent
k la fusillade de quatre mille
Espagnols embusqués au milieu des
rochers, com.me si ses tirailleurs
n'eussent fait d'autre métier d«
leur vie que celui de contrebandiers
montagnards et de Uabuc.iyres. Il
n'avait pourtant que mille hommes
de plus qu'eux et que onze canons!
C'était bien peu, certes, pour com-
penser le désavantage delà position
et l'ignorance des lieux. Cet enga-
gement si bien conduit eut lieu le
20 juin ; le lendemain Vedel dé-
houcha sur Baylen, où, comme on
l'a dit plus haut et comme il le de- •
venait de plus en plus urgent, Du-
pont aurait dû se rendre à l'instant
en bon ordre, heureux d'avoir
ainsi autour de lui, au lieu de
onze mille soldats qui n'étaient
pas tous valides et pas tous sûrs,
seize mille concentrés que bientôt
la division Gobert (elle ne tarda pas
en effet) allait porter k vingt mille
et qui, par le fait seul de leur
nombre, se garantissaient mutuel-
lement leur fidélité ! Il est vrai que
les récentes instructions de Savary
à Dupont semblaient exprimer la
confiance qu'il garderait la vallée
du Guadalquivir. Mais évidemment
c'était là un de ces vœux qu'il faut
savoir interpréter: Savary, no sa-
chant encore à quel point les affaires
étaient malades dans le Sud, croyait
possible encore ce qui ne l'était
plus; il ne fallait donc voir dans
cette phrase de sa lettre (lu'un
« ojalà » (1), comme disent les Es-
pagnols, et non un ordre. Mais
revenons à Vedel. Il s'installe
solidement à Baylen et il a ses
avant-postes en avant de celte
ville au bac de Menjibar. Maître de
tous ces points le 21 juin au ma-
tin, il l'était encore le 15 juillet
suivant. Ce jour-là, pour la pre-
mière fois depuis vingt-trois jours
que les vingt mille Français étaient
tous dans l'Andalousie, mais mal
liés entre eux et trop à dislance
(1) Invitation, conseil
VED
VED
287
les uns des autres, les Espagnols
attaquèrent : ils n'avaient pas per-
du le temps de ce long intervalle
d'inaclion apparente: ils arrivaient
au nombre de trente-cinq mille, dont
vingt sous Castanos, et quinze
sousReding, et ils purent as>saillir
en même temps et Andiijar et le
bac de Menjibar. Vedel repoussa
vigoureusement ceux qui lui tom-
bèrent sur les bras et se main-
tint, comme, de son côté, Dupont
tint tout le jour, plus laborieu-
sement, il est vrai; car sous
Andujar surtout "se portaient les
grands coups. Mais le soir le com-
mandant en chef requérant des ren-
forts, Vedel se met en route avec
toute sa division à peu près, n'en
laissant à Gobert, déjà le moindre
de tous en forces, que trois ou
quatre compagnies. C'était trop peu
au cas où Reding renouvellerait
ses attaques sur les avant-postes
de Baylen, Et c'est ce qui ne man-
quapas;tandisque, devers Andujar,
Castanos était refoulé par les
16,000 hommes de Dupont secondé
par Vedel, les traîtres Suisses de
Reding, flanqués d'un gros d'insur-
gés, jouaient de bonheur à Menji-
bar. Un coup de fusil à bout por-
tant avait abattu le brave Gobert,
qui, loin de rompre d une semelle,
commençait à voir plier les bandes
hostiles. De là un moment de tré-
pidation. Dufour, qui avait pris
soudain le commandement à la
place (lu mort, mais que l'ennemi,
encouragé par ce qui venait d'avoir
lieu, pressait derechef, ne put que
rétablir l'ordre d.jFis ses rangs, et
s'attacher à couvrir Dayleu même.
Quant au bac de Menjibar, il dut
se résoudre à l'abandonner, [)Our se
consolider sur un espace moindre.
Au total, c'était un échec pour les
Erançais, mais de fort minime
importance, Reding n'ayant osé
poursuivre et sc contenta m d.;
rester en observation. Malheureu- *'
sèment Dupont toujours mal ren-
seigné, vu l'éloignement, apprend,
dans celte journée du 16, que
des insurgé:: battent la monta-
gne (devers Berça et Liiiares), et
il ne sait rien des événements de
Menjibar; il expédie à Gobert i'or-
dre de se porter sur eux. Qu'ar-
rive-t-il? Dufour, qui naturellement
prend l'injonction pour lui , ne
laisse qu'un assez faible détache-
ment à Baylen et court du coté de
la Caroline. Ce n'est pas tout, bu-
pont averti entin de l'atlaire de Men-
jibar renvoie Vedel à Baylen ; mais
là Vedel, qui ne trouve ^le H au ma-
tin) qu'un mince noyau de troupes
et à qui la panique générale certifle
que l'insurrection occupe tous les
défilés voisins et que Defour, parti
afin de nettoyer la montagne, doit
être lui-môme en péril, se porte de
même hors de Baylen afin de le
sauver. Baylen est donc découvert,
et Dupont n'en sait rien ou ne le
saura que trop tard. Le 18, en effet.
Reding revient à la charge avec
force, et cette fois c'est Baylen qu'il
attaque, tandis que Castanos fait
mollement et uniquement comme
diversion une démonstration sur
Andujar. Baylen, ainsi qu'on pou-
vait et devait le prévoir, est emporté;
et 18,000 Espagnols, tous de trou-
pes régulières, s'y agglomèrent.
y,edel, en lai>sant ce point essen-
tiel de l'itinéraire à suivre, si mal
garni de défenseurs [)Our couriroù
des informations, au moins légères,
lui signalaient un plus grave péril,
est-il hors de reproche? Nousn'af-
lirraons ni ne contestons : l'on
appréciera. Toutefois qu'on oofe
bien ceci : force est bientôt rîe rr-
connaitrc que la montagne ne re-
238
\ED
cèle rien d'extraoïuiiiane , \vàs
d'embuscade, pas d'organisation;
Ja population est hostile, mais c'est
tout; elle est éparse, sans armes et
à ses travaux; on Ta trompé. Mais
ses troupes sont harassées, mais il
ne s'avoue que tard son erreur. Il
ne se hûte pas, dès le 18 et quand
Reding n'a rien parfait encore, de
regajrniT Baylen. Il ne s'y décide
que le 19, et quand Dupont, qui
s'est enfin déterminé le 18 au soir
à se concentrer sur ce point, mais
qui, lorsqu'il arrive le 19 au matin,
n'y trouvant que des Espagnols en
forces au lieu de Vedel et Dufour,
non-seulement a engagé contre ces
masses uu combat dcplorablemenl
inégal, mais encore, sur l'annonce
véridique que Castanos approche
et va fondre sur ses derrières, est
entré en pourparlers avec les deux
généraux ennemis. A Vedel ici !e
mérite de s'être décidé sur la sim-
ple audition du canon dont le bruit
vient de Baylen! C'est tard, sans
doute, mais ce serait ici le cas d'ap-
pliquer le célèbre adage : <« Mieux
vaut, etc., » s'il n'avait pas
perdu de temps! Mais il en perdit...
Les débuts seuls emportent la
louange. Dès qu'il a le pied sur les
hauteurs de Ba y 1. n (à cinq heures du
soir), Vedel prend toutes les dispo-
sitions pour recommencer la lutte,
et à la communication que viennent
lui faire d'une suspension d'armes
deux parlementaires de Reding, il
répond qu'il n'en sait rien et con-
tinue SCS préparatifs. Pourquoi
faut-il que, lorsque ceux-ci insis-
tent et d«;maiidrnt que du moins un
olficitT vienne de sa paît au quar-
tier-général de Reding et s'assure
parses yeux qu'un parlemeniaire de
Dupont est là, chargé de négocier
et porteur de conditions qui s'' dis-
cutent, il cède ii cette ouverture et
VED
envoie en effet un aide de camp s'as-
surer du fait? Ne blâmons qu'avec
mesure néanmoins : ou dirait que
Vede! flaire soit un piège, soit: un
déloyal calcul. Son aide de camp
tarde à revenir; il se hâte de donner
le signal de l'attaque; bientôt ses
troupes sont maîtresses de toutes les
hauteurs; il a pris trois canons, deux
drapeaux et quatre cents prison-
niers sont tombés en ses mains; il
touche au moment d'emporter la
position de l'Ermitage, quand arrive
un aide de camp de Dupont lui-
même: ordre à sqn sibordonné de
ne rien tenter jusqu'à nouvelle
instruction. Judaïquement parlant,
Vedel ne peut se dispenser d'obéir;
son chef n'est pas encore tout à
fait au pouvoir de l'ennemi: ce
n'est pas un prisonnier de guerre
contraint qui prétend lui dicter sa
conduite. Vedel ne veut pas courir
le risque qu'on l'accuse de trop de
zèle; il ne se renseigne pas catégo-
riquement près de Tenvoyé de l'état
des choses; il se plait peut-être à
croire qu'il existe entre son com-
mandant et Castanos (bien moins
fuîibond que ceux qu'il conduit)
un commencement d'accord, à l'aide
duquel tout sera sauvé. Aussi per-
plexe, il forme en conseil ses offi-
ciers supérieurs et leur demande
leur avis : des 24 qu'il a réunis, 4
seulement sont pour qu'on ne tienne
aucun compte de prescriptions ex-
torquées par la contrainte et pour
qu'on reprenne le feu. Vedel ac-
cède au vœu de la majorité, il se
laisse paralyser. La reiponsabilité
sans doute est sauve, mais sa divi-
sion ne l'est pas, un trait do plnmc
de Dupont peut la sacrilier. Quel-
ques chances de salut restiMjt ce-
pendant; et, iiprès toute la journée
du 20 passée en stérik'sou funestes
discussions entre Reding, Castanos
VED
VED
239
et Dupont, Vedel, instruit enfin
delà vraie situation, fait offrir à son
chef de reprendre, lui, les hostilités
le lendemain, puisque rien n'est
encore signé et qu'à coup sûr rien
encore n'oblige son second. Dupont,
que prostrent en quelque sorte
lesenùment et la honte d'un insuc-
cès, serefuse d'abord à cette héroï-
que proposition qui, réalisée, ou
le dégageait ou lui valait de plus
douces conditions. Un peu plus
tard pourtant, homme de demi-
mesure toujours, et cherchant à
rendre vaine en partie la capitula-
tion qu'il va signer et en vertu de
laquelle trois divisions françaises
vont rendre leurs armes, il écrit à
Vedel de se mettre en retraite sur
Madrid. C'est du moins une proie
qu'il arrachait à l'ennemi. Vedel,
s'il faut en croire ses amis, lesquels
nous st^mhlent avoir au moins exa-
géré, se hâte d'obéir à Tordre qui
lui permet d'aller couvrir Madrid;
en armes toute la nuit, il dérobe sa
marche à l'ennemi, il impose par
sa ferme contenance aux hordes
qui voudraient lui barrer la route.
Déjà l'on a dépassé la Caroline,
déjà l'on louche Ste-IIélèue ; mais
déjà aussi, par suite des menaces
faites à Duponi de l'égorger ainsi
que tous les siens, un contre ordre
est surveiui; plein de peur que la
colonne qui s'éloigne n'obtempère
pas assez vile, une injonction plus
impérative encore prescrit de sus-
peuilre la marche et rend le général
responsable de tout ce qui peut
s'ensuivre. 11 faut l'avouer, l'aller-
nalive était emb.irraosante ; déso-
béir et rendre inévitable à peu près
le massacre de li a i mille Français,
ou, superstitieusemenl lidèle au
principe de lobeissance, ajouter
aux perles déjà certaines celle des
4,000 houimes sous SCS ordres immé-
diats ! Quelques militaires, ce nous
semble, auraient à leurs risques et
périls, dissimulant le teneur des
ordres, choisi le premier parti;
l'honneur en tout cas n'en aurait
pas souffert, plusd'hommes seraient
restés à la France, l'effet moral
eût été moins préjudiciable , et
peut-être la position de l'armée y
eût-elle quelque peu gagné. Cette
fois encore, comme le 18, Vedel
n'osa décider par lui-même : il
consulta ses officiers; le parti de
l'obéissance l'emporta , et par
l'humiliante capitulation de Bay-
len, non - seulement la division
Barbou que guidait Dupont en
personne et qui se trouvait cer-
née demeura prisonnière de guerre ;
les deux autres à peu près intactes
encore, rendirent leurs armes et
furent dirigées sur Cadix, où, sui-
vant les conventions, elles devaient
être embarquées pour Rochefort
Mais, honteuse violation du droit
des gens, la junte de Séviîle, à
l'instigation des Collingwood, des
Hew Dalrymple, déclara nulles les
promesses de Castanos, en partie
désavouées; les soldais de Vedel, de
Dupont, quin'avaient été ni cernés
ni battus, sauf l'échec léger du 20
à Àienjibar, demeurèrent, contre
loule foi et toute raison, prison-
niers de guerre, ce ([ui veut dire
allèrent périr de soif et de faim à
Cabrera ou pourrir sur les pontons
de l'Angleterre, et rAngleterre ne
pendit pas Gibraltar aux amis qui
servaient SI bien sa cause. Les trois
généraux n'éprouvèrent pas celle
atroce rigueur, et bieuiùl furent
reconduits k Toulon. Mais les mé-
n;igeuienl.>> mêmes doiU ils furent
l'objet achcvaienl d'aigrir encore
Napoléon, et Vedel faillit passer
devant le conseil d'( luiuête qui, le
n février 1812, s'assembla pour
2liO
VED
juger Dupont. L'empereur dans les
premiers moments de iiireur (août
1809) n'avait parlé de rien moins
que de faire fusiller tous les géné-
raux a complices » de l'acte de
Baylen, Ces explosions d'un trop
légitime courroux cédèrent avec le
temps devant les faits; et certaine-
ment les 2% 3° et 6' chefs d'accu-
sation qu'articula le grand procu-
reur-général (Regnault de St-Jean-
d'Angely) contre Dupont n'étaient
que l'expression de l'opinion finale
du maître, plus calme et mieux
instruit. Ils imputaient au malheu-
reux vaincu de Baylen d'avoir, le
J 9 juillet, « exercé sur Vedel une
autorité qui ne lui appartenait plus,
et paralysé ce général qui eût sauvé
ses troupes ; >y d'avoir « flotté du \ 9
au20dans une honteuse incertitude,
ordonnant aux divisions Vedel et
Dufoiir tantôt la reddition, tantôt
la retraite ;» d'avoir « (le iy) étendu
à deux divisions libres et victo-
rieuses la trêve conclue avant leur
arrivée ; » enfin d'avoir « notifié le
21 aux généraux de celles-ci un
traité signé le 22. » Admettre tous
ces faits (et, nous le répétons, il
est clair que Napoléon les admet-
lait), c'était acquitter Vedel de
toute imputation de trahison, d'in-
capacité, d'inertie. Dupont fut donc
injuste lorsque, dans sa défense, il
accusa Vedel de nombreuses déso-
béissances et en vint îi dire: «J'ai trop
longtemps ménagé le général Vedel ,
les fautes du général Vedel sont
rorij,'ine de tout.» L'origine de tout
doit être cherchée dans le décousu
des démarches par lesquelles on se
renseignait, dans les indignités du
sac de Cordoue, dansle manque de
concentration et de communication
rapide. Une autre rrcriminalionde
Dupont, un peu moinsfausse peut-
être, ne doit être elle-même ac-
VhD
cueillie qu'avec réserve; elle se
réfère aux faiis du 21 . « La capi-
tulaiion eût été avantageuse, » dit
h commaudiiut en chef..., « si la
division Vedel eût mis à profit rt'c^
l'ordre de départ que je lui avais
donné k temps. » L'on n'a qu'à
relire les détails donnés plus haut
sur cette phase des opérations ; et,
que Vedel ait mis ou non le plus
de célérité possible au départ pour
!a Caroline, on verra qu'il faudrait
ajouter à la phrase de Dupont ces
deux lignes : « Et si mes aides de
camp porteurs successifs de con-
tr'ordres ou ne l'eussent pas rejoint
ou l'eussent trouvé récalcitrant. »
En effet, ou esquiver par un galop
à fond de train ou méconnaître par
une fin de non recevoir le malen-
contreux contr'ordre, tels étaient
les seuls moyens de mettre l'ordre
précédent « à profit réel. » Vedel
1 a-t-il pu? le pouvant, en stricte
règle, en stricte équité, le devait-
il? Telles sont, à notre avis, les seu-
les questions à poser ici. Les dé-
battre n'est ni de notre ressort, ni
d'un simple article de biographie.
Toutefois nous ne prétendons pas
laisser dans l'ombre notre opinion,
que du reste on peut avoir déjà
pressentie. En droit strict, Vedel,
échappant U la condamnation, n'é-
chappe pas de même au blâme ; il
a fait tout ce que réglementaire-
ment , hiérarchiquement il était tenu
de faire, et même un peu plus; s'il
n'a pas fait tout ce qu'il était pos-
sible de faire, il n'a pas commis de
grosses fautes, mais il en eût pu
réparrr de commises par autrui, et
il ne les a pas réparées. Le génie
ou l'opiniâtre intrépidité niorale lui
a manqué. Dupont entouré n'a pas
su mourir, Vedel n'a pas su déso-
béir, n'apassu enfreindre la règle:
c'est, â quelque palliatif qu'on ait
VED
VED
U\
recours pour le déguiser un peu oe
faiblesse dans une crise décisive.
Cette part faite au blâme et le tort
de Vedel en un moment W\i
pour embarrasser les plus ha-
biles, réduit à sa juste valeur,
nous ne nous étonnerons pas pour-
tant qu'il n'ait point été désigné
pour l'expédition de Russie. [On
sait à quel point Napoléon ré-
pugnait à réemployer ceux qui
n'avaient pas triomphalement pro-
menéses aigles au sud des Pyrénées
et qui lui semblaient importer,
inséparable d'eux désormais, leur
guignon d'Espagne]; mais nous
sommes un peu surpris que la dis-
grâce ait été jusqu'à la destitution.
Ce n'était plus là de la justice,
c'était de l'arbitraire politique.
Toutefois, pour Napoléon aussi,
l'étoile fatale surgit à l'horizon
avant la fin de cette année où les
calamités de Baylen avaient été
appréciées si durement; et à n'éva-
luer que les pertes matérielles, un
seul mois put faire équilibre à plu-
sieurs Baylen. Soit que le grand
homme, en cessant d'être invulné-
rable, eût appris l'indulgence, soit
qu'il se sentît besoin de tous en
cette grande année 1813 oii tous
allaient faire défection, Yedel fut
réintégré honorablement et alla
commander une division en Italie.
De retour en France, au commen-
cement de 1814 il fut détaché avec
4,000 hommes pour aller renforcer
Desaix, lequelluttait en brave mais
péniblement contre les Autrichiens,
que favorisait l'inconcevable mol-
lesse d'Augereau, en vain stimulé
par les véhémentes adjurations de
l'Empereur, et, sans trahir , plus
sympathique aux ennemis qu'aux
défenseurs du sol. Tel ne fut pas
Vedel ; il tint aussi longtemps qu'il
fat possible de tenir. Il défendit
LXXXV
energiquement, avec des forces
inégales, le passage delà Durance:
un peu plus tard, il livra aux Au-
trichiens, à Romans, un combat
qu'on pourrait presque dénommer
bataille, tant il y coula de sang, et
tant chefs et soldats y déployèrent
la bouillante intrépidité des beaux
jours de la république. Le souvenir
en vit encore parmi les paysans de
Romans, et, selon eux, c'est aux
Français que demeura la victoire.
Le fait est que nous perdîmes
moins de monde que les Autri-
chiens, mais ils en pouvaient per-
dre davantage. Cependant, à Paris,
les événements arrivés le 30 mars
avaient précipité le dénoûment.
Malgré son récent dévouement, on
comprend que Vedel n'ait pas vu
de très-mauvais œil la restauration.
Il ne s'inféoda pas pourtant à la
politique de l'ultramonarchisme.
Louis XVIII ne l'en créa pas moins
chevalier de Saint-Louis, et Du-
pont devenu ministre efifaça du
moins ses torts envers Vedel, torts
auxquels nous aimons à penser que
l'avaient réduit les nécessités de la
défense, en le nommant inspecteur
général delà S" division militaire
et un peu plus lard, à la suite d'un
remaniement du personnel, en lui
donnant le commandement du dé-
partement de la xManche (:2' subdi-
vision de la 14' division militaire,
chcf-licu Caen). C'est en celte po-
sition que le trouva Napoléon au
retour de l'iled'Elbe. Vedel, malgré
ses vieux griefs, voyant dans l'Em-
pereur l'homme delà patrie, se ral-
lia sans longs délais et accepta le
commandement de la division en-
tière. Caen devint alors sa rési-
dence. Toute cette division alors
était des premières en importance,
vu son accessibilité par mer et sa
proximité relative de Paris. Pour
16
2/i2
VED
VED
mille raisons donc il ne put pren-
dre part à la campagne de Belgi-
que. Jusqu'à la nouvelle de la ba-
taille de AVaterloo, il maintint la
Normandie et particulièrement le
Calvados dans Tobéissance. Mais,
quelques jours après le grand
désastre, des royalistes débarquè-
rent à Bayeux : le duc d'Aumont
était à leur tète; Vedel y courut
ayec deux mille hommes , plus
six pièces de canon, et quelques
coups de feu furent échanijés,
quelques prisonniers furent faits de
part cl d'autre, puis Ton s'observa.
Le duc eut l'art de persuadera son
adversaire que les Anglais allaient
débarquer en forces et il lui fit
ainsi souscrire une convention par
laquelle il s'engageait à laisser
l'armée royale entrer h Bayeux, à
se retirer à deux lieues à l'intérieur
et à rendre les officiers qu'il avait
pris. Celte convention était-elle
ferme ou conventionnelle? Nous
l'ignorons. Ce qu'il y a de sûr,
c'est que Vedel n'avaiiaucuneenvie
de se laisser escamoter ses avanta-
ges sur de simples paroles. 11 com-
mença par ne faire que lentement
ses j)réparalifs d'évacuation; puis
bientôt, ne voyant ni babils rouges
à la côte ni voile anglaise k la mer,
il dénonça la convention au duc
d'Aumont et lui signifia que, s'il ne
s'embarquait au plus vile, il allait
tomber sur lui avec ses hommes et
sonarlillerie.il n'est pasimprobable
qu'il l'eût battu, mais qu'en eût-il
résulté?4.es événements marchaient
plus vile que les hommes, les roya-
listes levaient la lêie de tout côté,
l'on eût trouvé barbare un général
du parti vaincu qui eût donné le
signal de la guerre civile et qui
n'avait chance de traîner la résis-
tance qu'en sacrifiant des villes.
D'Aumont put doue à son aise et
sûr qu'il parlait sans risque, ré-
pondre par cette bravade : « El moi,
je somme, au nom du Roi mon
maître et le sien, le général Vedel,
de mettre bas les armes. » Presque
au même instant une dépulation des
notables de Bayeux conjurait le
général d'ouvrir les portes au duc
s'il voulait éviter une collision et des
malheurs : la population en ébulli-
lion depuis la veille étant décidée
à les ouvrir elle-même. Bientôt en-
fin survint la nouvelle que le dra-
peau blanc flottait h Caen, dont était
sortie la garnison. Ilélaittrop clair
que rien d'utile ne pouvait sortir
des efforts auxquels manquaient l'o-
pinion locale et un centre d'action.
Vedel ne s'occupa donc plus que de
mettre obstacle aux désordres qui
tendent toujours à se produire à la
faveur d'une révolution et à laisser
le pays en bon ordre au successeur
dont il prévoyait la prochaine ve-
nue. En effet, il fut révoqué au mois
de juillet suivant, et bientôt après
il vil son nom sur la fameuse liste
des généraux mis en disponibilité
par une ordonnance royale. Il
prit sans grande peine, ii ce qu'il
paraît, son parti des loisirs obscurs
que cette mesure lui faisait. Il ne
songea pas à se faire nommer
membre de la Chambre, où brillè-
rent IcsFoy et tant de ses anciens
compagnons d'armes. Il est presque
superflu de dire que ni complot de
Béfori,deSaumur ou de la Rochelle,
ni lenlalive sur Niort et Thouars,
ne le compta parmi ses affidés. II
sentait à merveille que la poire
n'était pas mûre; et même, calcul à
part, son tempérament ne se por-
tail pasauxexirêmes. Cette altitude
invariablement inoffensive n'em-
pêcha pas que, bien qu'il fût
loin encore de ses soixante ans,
le gouvernement de Charles X ne
VEG
VEG
243
changea sa disponibilité en re-
traite. On peut donc tenir pour sûr
qu'il ne porta pas plus le deuil des
Bourbons après juillet 1830, qu'il
n'avait, en 1814, versé de larmes
sur Napoléon. Il le porta d'autant
moins que presqueaulendemain des
grandes journées, il fut compris
dans le cadre de réserve que créa
l'ordonnancedu 15 novembre 1830.
Il y figura, si nous ne nous trom-
pons, jusqu'en 1841, c'est-à-dire
jusqu'à sa soixante-dixième année
exclusivement. Il lui était réservé
de voir, après la chute de tant de
gouvernemenls, celle de la brunche
cadette aussi, puis après tant de
résurrections, celle de la républi-
que. Il ne mourut qu'en 1848.
Val. p.
VEGA (Christophe de}, médecin
espagnol, dont le nom a survécu
tant dans l'histoire politique que
dans celle des sciences médicales,
avait été médecin de don Carlos, ce
fils de Philippe 11 dont la fin dé-
plorable est encore voilée de nua-
ges, et il fut un de ceux qui mirent
cette mort sur le compte d'uue
fièvre chaude, que compliquaient
souvent du moins des accès de
frénésie. C'est lui sans doute aussi
qui l'avait guéri des suites de la
chute qu'il avait faite dans l'escalier
de l'Escurial, mais qui n'avait guéri
que le corps, témoin (s'il faut en
croire les récits vulgaires) l'alTai-
blissement mental qui fut toujours
depuis ce temps l'apanage du prince.
Les amateurs de chroniques se-
crètes et de mémoires regretteront
sans doute qu'il ne nous ait pas,
transmis sa relation de la mala-
die et de la mort de don Carlos :
celle relation probablement ne
coïnciderait pas de tout point avec
celle que fit courir l'autorité d'a-
lors; el, quelle qu'elle put être,
nous serions plus sûrs d'approcher
de la vérité sur le fond et sur les
détails du fait. Quant au point de
vue scientifique, nous nous conten-
terons de remarquer que, profes-
seur à l'université d'Alcala de Hé-
narez, il est regardé comme un des
restaurateurs de la médecine des
Grecs. Il connaissait à fond leurs
usages, dont il se constitua en par-
lie le commentateur, et peut-être
est-on fondé à lui reprocher de les
avoir trop fidèlement suivis et d'a-
voir trop peu donné à l'indépen-
dance et à l'initiative des idées.
C'est du moins le caractère trop
constant de ses ouvrages, qui sont
au nombre de cinq, savoir : I. Com-
mentaria in Hippocratis Prognos-
tica, addilis annotationibus in Ga-
Uni commentarios , Salamanque ,
4552, in-fol.; Alcala de L., 1553,
in-8°; Lyou, 1558, in-8°; Turin,
1569, in-S"; Venise, 1579, in-S".
11. De curalione carulacurum. Sala-
manque, 1552, in-fol., Alcala, 1553,
in-8''. m. Commentaria in libros
Galeni de difj'ereniiisfebrium,Xh:i\\'àt
1553, in-8°. IV. Depulsibiis et mh-
nis, Alcala, 1551, in-8°. V. De me-
thodo viedendi libri 1res , Lyon ,
1565, in-fol., Alcala, 1580, in-fol.
Un autre Vlga. fleurit de même au
xv' siècle, fut de même nanti d'une
chaire de médecine, joignit de mê-
me la réputation de savant à celle
de praticien expérimenté , com-
menta de même Galien. Mais il se
nommait Thomas -Kodrigne de
Yéga, mais natif d Kvera, il pro-
fessa dans Coimbre (toujours en
Portugal), mais il ne laissa rien sur
Uippocrate, témoin la liste suivante
et ce nous semble complète de ses
œuvres. 1. Commentarios inGalenum
tomus piimus^ in quo compltrsus est
interprétai ionem Arlis mcdicœ et li^
brorum sex de locis afleclis^ Anvers,
2/j/»
VFX
1564, in-fol. II. Covunentaniin li-
bros duos Galeni de dif fcbhum,
Coïrabre, 1577, in-4^ III. Practica
viedica : acccdit tractatus de fonta-
iielUs et cauteriis. Lisbonne, 1578,
in-8°. D. V.
VELLÈXE (Joseph-Marie -Fré-
déric), jeune acteur de grande es-
pérance, mais que moissonna la
mort avant qu'il eût eu le temps
d'inscrire son nom sur la liste des
grands artistes, avait débuté le
4 septembre 1765 à la Comédie-
Française (alors à TOdéon) dans
les rôles de Darviane et dOlinde,
appartenant l'un à Mélanide, l'au-
tre à Zénéide. Il avait de l'intelli-
gence, du feu; seulement son or-
gane était un peu faible. Son suc-
cès, sans exciter d'enivrement et
de transport, fut assez marqué,
assez sérieux pour que la petite
république dramatique l'admit en
qualité de pensionnaire pour l'an-
née suivante. Loin de s'endormir
sur ces premiers succès, il poussa
ses études avec la plus louable ac-
tivité, il gagna sans cesse en no-
blesse, en vigueur, en vérité, en
expression dramatique, il créa des
rôles (Waiter Fursl dans Guillaume
Tell et sir Charles dans Eugène}^ il
s'attacha surtout à suivre les traces
de Mole. Aussi, pendant une lon-
gue maladie dont fut attaqué, ce
grand maître, est-ce sur Vellène
que se portèrent les yeux pour
:»uppléer à son absence. Infatiga-
ble en même temps qu'éleclrisé
par l'idée de ne pas laisser sentir
au public le vide laissé par l'inimi-
lable, il lit vraiment merveille, il
joua presque tous les rôles du ré-
pertoire de son chef d'emploi, et il
eut le plaisir d'entendre de vieux
amateurs affirmer que Mole aurait
à peu de chose près un successeur.
La prédiction, oii le voit par ce que
nous avons dû plus haut, ne devait
pas se vérifier. Toutefois, la Compa-
gnie, appréciant et ses progrès et
les services qu'il était en mesure
de rendre, lui témoigna sa satisfac-
tion en l'admettant lel"avril 1769
au nombre de ses sociétaires. Il
avait été trois ans pensionnaire. Il
ne jouit pas même trois mois, pas
même trois semaines de sa nou-
velle position. Dès le 20 avril sui-
vant, la mort le surprenait au
Bourg-la-Reine. L. C.
VENAILLE, conventionnel, un
de ceux qui ne marchaient que for-
mules et sentences à la bouche, plai-
dait avec un médiocre succès au
bailliage de Romoranlin quand l'au-
rore de la révolution se leva sur
la France. Il fut des premiers
à saluer ce jour nouveau; et,
comme presque tout le barreau, il
adopta chaleureusement les princi-
pes à la veille de triompher : il ne
tarda même pas à les outrer. Tou-
tefois, il faut dire qu'il se maintint
dans des bornes raisonnables, tant
qu'il n'eut h s'acquitter que des di-
verses fonctions municipales dont
le revêtirent ses concitoyens, car ni
pour la Constituante, ni pour la Lé-
gislative il n'avait été, il n'aurait pu
être question de lui. Mais, après le
10 août, mais quand les plus ar-
dents et les plus résolument logi-
ques eurent pris le dessus et se mi-
rent k brûler leurs vaisseaux, alors
le temps vint où le
... Vacuis tcdilis ulubris,
devint le législateur; le district de
Romorantin l'envoyasiégerà la Con-
vention. Une s'y fit remarquer que
par les paroles dont il accompagna
son vote de mort dans le procès de
Louis XVI. Voici la substance de
ce vote : « Trois questions ont
été posées : — sur la première,
VEN
juré, je déclare Louis coupable
de trahison , — sur la seconie,
juge, j'applique la loi, et politi-
que, je prends une mesure de sù-
'reté, la mort; — sur la dernière,
je me refuse à tout sursis. >; Du
reste, au milieu des luttes à mort
qui se succédèrent quand la tête
de Louis XVI fut tombée et qui ra-
virent le pouvoir et la vie aux Gi-
rondins d'abord, aux Cordeliers
ensuite, enfin à Robespierre et à
ses acolytes, il sulmanœurrer avec
assez de prudence pour n'être ja-
mais des plus avancés et jamais des
distancés, de telle sorte qu'il es-
quiva jusqu'au bout le sort fatal
de tant de ses collègues. La Con-
vention dissoute, soit qu'il ne se
fût pas senti à l'aise dans les crises
au milieu desquelles ont à se dé-
battre les sommités politiques, soit
que les électeurs solognots de Loir-
et-Cher ne lui fussent pas suffisam-
ment dévoués, il ne quitta plus
Komorantin et son district et se
contenta d'y remplir le rôle mo-
deste de commissaire du Directoire
jusqu'à la révolution du 18 bru-
maire. Il eût volontiers ensuite
repris son existence de barreau,
lors de l'organisation nouvelle qui
se produisit. Mais s'il est toujours
facile de fermer un cabinet, il ne
l'est pas autant de le rouvrir ou du
moins de l'emplir. Sous l'empire
donc, il s'accommoda, sans autre
souci que d'arriver en temps et
lieu U la position immédiatement
supérieure, des fonctions de substi-
tut au tribunal de première instance
de sa ville natale. Ce t('mj)s ne de-
vait point arriver pour lui : 18 li
ne le tiouva que substitut, en mê-
me temps que membre du conseil
d'arrondissement de Komorantin;
et sa conduite pendant les Ccnt-
Jours l'ayant placé dans la situation
VEN
2/i5
fâcheuse frappée d'ostracisme par
la loi sur les régicides, 1816 le vit
contraint de s'expatrier. La Suisse,
cette collection de petites républi-
ques dont le point de départ fut
la résistance à l'oppression autri-
chienne, fut le lieu d'exil qui lui
sourit. Ils'ytrouvait encore neuf ans
après, c'est-à-dire en 1823. L. V.
VEIVDEL - IIEYL ( Louis -An-
toine^ , dont, abréviativement et
vicieusement peut-être, l'usage a
fait Vandéle, helléniste de mérite
et professeur distingué, naquit à
Paris, en 1791, mais évidemment,
ainsi que l'indique son nom, était
d'origine hollandaise. Deux ou
trois volumes, émanés de la cé-
lèbre école hollandaise de Henster-
huys, Lennep etScheid, en lui tom-
bant sous la main, non -seule-
ment lui donnèrent le goût de
la langue grecque, mais firent naî-
tre en lui la ferme résolution de
l'apprendre à fond et de suivre en
cette étude d'autres voies que cel-
les dont s'était contentée l'uni-
versité au dix-huitième siècle : il
s'imposa l'obligation d'écrire en
grec,c'est-h-dire, tout euphémisme
mis de côté, qu'il imagina de s'exer-
cer au thème grec. Naturellement,
l'adolescent pour qui semblable
gymnastique avait des charmes,
ne pouvait manquer d'avoir du
goût pour l'enseignement public.
Il fut admis, en 1812 au plus tard,
comme répétiteur h l'école Sainte-
Karbe, qui, par le nombre et la
force des études, était au niveau de
bien des lycées? Il était très-sympa-
thiijue à ses élèves; et par l'affection
que leur inspiraient sa parole et son
zèle pour leurs progrès, non moins
que i)ar son talent, il les Dt en as-
sez bon nombre participi-r à ses
prédilections; il les vit mordre au
thème grec : il fut ainsi de ceux
266
VEN
VEN
qui rallumèrent le feu sacré, qui
contribuèrent à ressusciter l'étude
de cette langued'Homère et de Pé-
riclès si délaissée naguère. D'au-
tres vinrent, quelques années après
lui, qui, mieux placés, qui, par-
lantde plus haut, firent faire large
place sur toute la ligne universi-
taire au thème grec. Qu'on lesloue,
ou qu'on les blâme, qu'on les pré-
conise, ou qu'on les honnisse (car
l'un et l'autre est possible , l'un et
l'autre s'est fait), toujours est-il
qu'à Vendel-Heyl appartient l'ini-
tiative de ce moyen de se familia-
riser avec les ressources et la
beauté de l'idiome proprement dit
classique par excellence. L'uni-
versité ne tarda pas à s'approprier
Vendel-Heyl. En 1816, iifutenvoyé
au collège royal d'Orléans, et il y
resta trois ou quatre ans. Sa soli-
dité d'instruction, sa clarté de pa-
role n'y furent pas moins appré-
ciées qui\ Sainte-Barbe. Il fut re-
connu par ses supérieurs que sa
place vériiable était la Paris. La
création du collège Saint- Louis
ayant eu lieu sur l'entrefaite, de
douze à quinze chaires se trouvè-
rent à donner; il en eut une, la
quatrième d'abord, plus tard la
troisième et quelque temps la se-
conde. Personne ne nous deman-
dera de retracer ici les phases de
cette vie d'enseignement à Saint-
Louis. Deux remarques seulement
présenteront peut - être quelque
intérêt. L'une, c'est que Vendel-
Heyl, dans sa chaire, ne fut pas
exclusivement un héros de grec,
c'était aussi un homme de goût, et
les traits, soit historiques, soit ar-
chéologiques, dont il émaillait ses
leçons étaient pour beaucoup dans
Kattr^il auquel près de lui se lais-
sait aller son jeune auditoire; l'au-
tre c'est qu'il ne fut pas agrégé
titulaire avant l'adoption de ce
mode de recensement auquel l'u
uiversité nouvelle doit tant;
était tout naturellement dispensé
de l'épreuve. La commotion intel-
lectuelle à laquelle donnèrent lieu
les suites de juillet 1830, dérangea
cette existence si paisible. Beau-
frère de Boblet, le libraire des
saint - simoniens , non-seulement
Vendel-Heyl s'était pénétré des
idées du saint-simonisme, mais en-
core quand, après la secousse des
grandes journées , ses disciples,
qui jusque-là n'avaient été que de
libres penseurs isolés et pacifiques,
ne sortant de leur cabinetque pour
méditer entre frères, crurent le mo-
ment venu de se mettre à l'action
et de déployer un drapeau mis-
sionnaire un peu trop ardent, il
crut pouvoir et devoir en sa chaire
môme proférer des maximes, déve-
lopper des points de vue, qui pré-
pareraient les jeunes esprits confiés
4 heures par jour à sa tutelle à de-
venir un jour les adeptes de la doc-
trine naissante. Ces inopportunes
excursions hors du strict domaine
des langues anciennes élaientassez
du goût des écouiants, ne fût-ce
qu'i^ titre de hors-d' œuvre et d'en-
torses à la monotonie; et, soit ma-
lice, soit vénération pour un pro-
fesseur qu'on aimait, ou commen-
cement de foi, il en fut beaucoup,
il en fut trop parlé hors de classe.
Mais ces excursions alarmèrent
singulièrement, et non sans cause,
il faut l'avouer, proviseur et cen-
seur. Il en fut référé au minis-
tre. Grand scandale : admones-
tation , récidives, petites intrigues
épisodiques, huile sur le feu, et
finalement incompatibilité décla-
rée, et démission de rhellénisle,
qui n'avait pas d'autre voie pour
échapper à la révocation. On peut
VEN
VE\
2/i7
regretter que l'autorité n'ait pas
su trouver un biais pour n'aller, à
l'égard de Vendei-Heyi, que jus-
qu'à la mise en disponibilité, ou
pour lui créer une disponibilité
tolérable. Les mesures prises à son
égard eurent pour résultat d'enle-
ver à l'université de France un de
ses plus honorables membres, un
de ceux qui pouvaient encore lui
rendre le plus de services. Accé-
dant h. des propositions liées à des
idées d'enseignement plus origi-
nales, plus sages et plus fécondes
que celles auxquelles jusqu'ici
s'est enchaîné l'Etat, il s'embar-
qua, en <839, en qualité de profes-
seur particulier d'histoii-e, à bord
du vaisseau Y Oriental, qui partait
de Nantes comme allège flottant,
pour faire le tour du monde. Nous
ne pouvons dire s'il l'acheva. Ce
que nous savons, c'est qu'il traversa
l'Atlantique, c'est qu'il vint dou-
bler heureusement le cap florn, et
qu'il débarqua au Chili, soit avant,
soit après toute la traversée ac-
complie : il est à parier que ce
fut avant. Il est certain aussi qu'au
Chili les recommandations dont il
se trouvait porteur, ou dont il fut
l'objet sur place, décidèrent sur-le-
champ le gouvernement à l'atta-
cher k ses établissements d'ins-
truction publique. Il fut pourvu
d'une chaire à Valparaiso, sa capi-
tale. Est-ce aux antiquités et îi
l'histoire , est-ce au grec qu'il dut
initier les jeunes Chiliens? On n'a
pu nous satisfaire \\ cet égard , et
nous laissons la réponse à l'appré-
ciation de nos lecteurs, qui, pro-
blablemcnt, apprécieroîit de môme
que nous. Mais l'on nous a cerlilié
que sa position lui rapportait au
moins de six à huit mille francs
vers 1853. Vendel Iloyl \\& devait
pas revoir sa pairie : ses os repo-
sent à Valparaiso, où 11 s'éteignit
très-peu d'années, nous dit-on,
après avoir reçu les nouvelles de la
dernière collision de Nicolas avec
la Turquie, c'est-à-dire évidemment
de 18o3 à 1856.— Vendel-Heyl a-
t-il fourni quelque lustre de litté-
rature ou d'enseignement à la presse
américaine ? Nous avouons l'igno-
rer, comme tant d'autres particu-
larités de sa vie sur lesquelles nous
avons dû confesser notre indigence
de documents. Mais en France il a
beaucoup produit, dans une seule
spécialité, il est vrai, dans celle
qu'il possédait si bien. Le plus
gros ouvrage auquel il ait mis son
nom, c'est la révision du diction-
naire de Planche, intitulé • Dic-
tionnaire grec - français , nouvelle
édition, sur un plan entièrement nou-
veau, augmenté de plus de quinze
mille notes, d'après les travaux de
la critique moderne, et formant un
dictionnaire complet de la langue
grecque, par L.-A. Vendel-Heyl et
Alexandre Pillon. Paris, 1836, in-
8°. Toutefois, comme il est un fait
que la presquetotalité des additions
et des réformes est due au collabo-
rateur, et que l'idée de la refonte
provint du libraire, dont le Plan-
che était la propriété, propriété
bien singulièrement démonéti-
sée depuis qu'un rival avait pris
le haut du pavé, nous ne pou-
vons on réalité coter très-haut
l^s mérites de Vendel-Heyl quant
a cette publication. A coup
sûr, il avait tout ce qu'il fallait et
de science préalable et de vigueur
laborieuse pour mener sa lâche h
lin, eût-il été seul; mais on ne lui
demandait que son nom, ou tout
au plus et pour la forme, quehiucs
j)ages et quelques conseils avec son
nom...; il trouva doux de n'en faire
pas plus qu'on n'en demandait; il
2hS
VEN
VEN
pratiqua l'aphorisme du prince de
Bénévent:«Pas de zèle! » et il fut
payé, c'est simple, en raison in-
verse du carré de la besogne ac-
complie. Nous ne nous en éton-
nons ni ne nous exclamons; mais,
biographe, et en celte qualité jus-
ticier sincère, nous devions signa-
ler le fait : la capacité, nous la re-
connaissons, même dans les cas
d'inertie et d'apathie; mais « à cha-
que capacité selon ses œuvres. »
La révision du Planche ainsi biffée
du nombre des vrais travaux de
Vendel-IIeyl, l'ouvrage qui reste
réellement son titre d'honneur et
le livre caractéristique de l'aptitude
qui le recommande à la mémoire
des hommes de l'enseignement,
c'est un Cours de thèmes grecs en
deux parties qui parurent successi-
vement et qui chacune eurent plu-
sieurs éditions : la première partie
surtout, comme la plus facile, en
comptait déjà cinq dès 1830; la
seconde en avait trois en 1831. Ce
n'est cependant ni la mieux tra-
vaillée ni la mieux réussie. Mais
c'est celle qui embrasse et la syn-
taxe et les idiotismes: actuellement
on ne l'aborde que la dernière et
beaucoup même ne l'abordent pas
du tout. Les deux parties, du reste,
présentent au plus haut degré ce
dont les élèves ont le plus besoin,
une gradation parfaite de toutes
les difficultés à vaincre et un choix
appétissant de phrases typiques,
de sentences et d'anecdotes, débar-
rassé de la vieille rouille et des
inélégances dont étaient hérissés les
manuels ii thème latin de l'ancien
régime. En tête, du cours de Van-
del-IIeyl était un Abrégé de gram-
maire grecque qui, même après Bur-
nouf, avait sa raison d'être, sinon
pour la lexicologie, du moins pour
la syntaxe; ce que nous n'oserions
pas affirmer de tant d'autres qui
comme lui tentèrent de refaire l'œu-
vre grammaticale de celui qui di-
sait : « Nous savons mieux le latin,
le grec, depuis que nous savons
le sanscrit, » sans avoir pris au
préalable la précaution d'apprendre
ce que le traducteur de Tacite sa-
vait à l'époque où il s'exprimait
en ces termes et ne savait pas lors-
qu'il commençait à supplanter les
élucubrations de Furgault et de Gail.
Vendel-Heyl fut, tant qu'elle dura,
une des colonnes de la Bibliothèque
grecque-latine- française que com-
mença, mais que n'acheva pas la
maison Poilleux, et dont la spé-
cialité consistait à présenter réunis
en un même volume texte original
et traduction française sur la page
de gauche, traduction interlinéaire
sur celle de droite, le tout suivi de
quelques notes indispensables. Une
concurrence surgit, qui, moyennant
une modification insignifiante, s'em-
para de l'idée mère; et les gros ca-
pitaux écrasèrent les petits. Des
vingt et quelques volumes que com-
prend la collection, douze sont de
Vendel-IIeyl, savoir : deux latins
(le Cornélius Nepos) et dix grecs,
lesquels exhibent chacun une tra-
gédie. Eschyle ii lui seul en emplit
sept, il est complet ; les deux au-
tres grands tragiques sont repré-
sentés, l'un par le Philoctète et l'E-
lectre , l'autre par Viphigénie en
Aulide. U Eschyle (1834-1836) nous
offre ceci de particulier qu'il porte
à sa suite un petit lexique des mois
jusqu'ù ce temps inexpliqués qu'on
rencontre dans cet auteur. Tout
mince qu'il est, cet appendice est
important; il tient lieu de longues
notes ou les abrège; il était néces-
saire. Quant J» la traduction, comme
sens elle est fidèle; mais ce n'est pas
Vendel-IIeyl qui pouvait rendre la
YEN/
sombre énergie, le mouvement et
la couleur du vieux brave de Ma-
rathon. Il est plusk la hauteur avec
ses deux rivaux. Nous indiquerons
encore deux livresque recommande
le nom de Vendel-Heyl. L'un est le
Conciones grec, annoté pour le bac-
calauréat es lettres, avec traduction
très-littérale en regard du texte^ Pa-
ris, 1836-1839, 13 livraisons grand
in-18. L'autre est un Narrationes
dont voici le titre, non tout au long,
maisdans ce qu'il a d'essentiel : Nar-
rations choisies des meilleurs auteurs
latins , Valèrc- Maxime, A ulurGelle. . . ,
Velleius Pater culus..., Suétone^ Ta-
cite, précédées de sommaires et ac-
compagnées d'analyses, Paris, 1833,
in-12; ou, avec traduction française,
2 V. in-12, même année. Nous
laissons de côté nombre d'opuscu-
les encore, mais qui présentent de
plus en plus le caractère non-seu-
lement scolaire, mais élémentaire
et compilatoire, ii plus forte rai-
son quelques bagatelles ou feuilles
volantes, telles que son discours
sur la tombe de Ch. Boblet, son
beau-frère, le 20 mai 1832, etc., etc.
Val. p.
VENERI (Augcstin), savant bé-
nédictin du seizième siècle. Hélait
Napolitain, embrassa la vie reli-
gieuse et fit profession en l'abbaye
de Cava ou Cave, le 12 septembre
1595. 11 s'était livré surtout à l'é-
lude de l'anliquilé, et y avait ac-
quis des connaissances fort éten-
dues. Cet érudil était aussi un écri-
vain laborieux, et il a laissé un
grand nombre d'ouvrages, dont je
ne puis, malheureusement, qu'in-
diquer le sujet sans en donner les
litres. Lel*'' est un recueil des pri-
Tiléges de son abbaye de Cave, en
cinq volumes in-folio. II. Mémoi-
res sur plusieurs familles du royau-
me de Naplcs, 3 vol. 111. Histoire
V^
2/t9
des villes et provinces d'Italie, de
ses peuples et de ses rois. IV. Un
petit livre des donations faites à
l'abbaye de Cave par les princes
dB Salerne, et du droit de patro-
nage qu'elle a sur plusieurs Eglises,
avec l'histoire de leur fondation.
Tous ces ouvrages sont en latin.
Dans la troisième partie de son
Historia rei litterariœ ordinis S. Be-
nedicti {pars biographica), Longi-
pont n'a point consacré d'article
spécial à Veneri. Il le nomme seu-
lement dans sa liste supplémen-
taire, page 549, et renvoie à Marian
Armelin. Ce dernier (voy. ce nom,
tome II, p. 479 ) a effectivement
parlé de notre religieux dans sa
Bibliotheca Benedictino-Cassinensis,
sive scriptorum Cassinensis congre-
gationis, alias sanctœJustinœ Pata-
vinœ, qui m ed adhuc usquè tempora
floruerunt, operum ac gestorum no-
titiœ, imprimée à Assise, dans le
format in-folio; mais cet ouvrage
est rare en France. Veneri était de
cette congrégation de Sainte-Justine
de Padoue. Ce religieux, qui jouis-
sait d'une grande estime, mourut
en 1638. B.-d.-e.
VENTURA (JoACHiM) naquit à
Palerme, en Sicile, le 8 décembre
1792, de don Gaud Ventura, baron
de Raulica, et de dona Catherine
Galinelli. Douéd'une grande facilité
et d'une vive intelligence, il com-
mença SQS études de très-bonne
heure, et il les termina à l'âge de
quinze ans. Elevé chrétiennement,
il résolut dès lors de renoncer au
monde, et il entra dans la compa'-
gnie de Jésus, qu'un bref de Pie VII
avait rétablie pour le royaume de
Naples seuleme^il. Une no^e sur
Ventura a dit qu'il ejitra chez les
jésuites par déférence pour le dé-
sir de sa mère. Cette obscnalion,
qui parait avoir été faite sous son
250
VEN
influence, a peut-être sa portée;
quelques circonstances de sa vie
pourront engager le lecteur k pen-
ser dans quel esprit elle a été faite.
Quoi qu'il en soit, Ventura, après
être entré chez les jésuites de Pa-
lerme, s'y attira la considération
de ses supérieurs, qui lui confiè-
rent aussitôt la chaire de rhétori-
que. Les révolutions qui amenè-
rent le règne passager de Murât,
bouleversèrent le royaume de Na-
ples tout entier; la maison des jé-
suites fut fermée. Ventura, qui avait
goûté le bonheur de la vie reli-
gieuse, et gardé toute sa candeur,
ne voulut pas res'er dans le monde,
et entra dans l'ordre des théatins.
Il ne pouvait choisir un institut
qui fût plus conforme à celui qui
venait d'être éprouvé de nouveau.
Ventura n'était pas encore prêtre,
mais il fut ordonné après son en-
gagement chez les théatins, et se
livra à la prédication avec un suc-
cès remarquable. L'ordre auquel il
venait de s'attacher était comme
tous les autres, même en Italie,
dans une sorte de nouvelle création
et avait plusieurs difficultés à vain-
cre. Ventura y fut bientôt remar-
qué comme un sujet distingué, et
on lui donna les fonctions impor-
tantes de secrétaire général. Apte
à la composition comme au minis-
tère de la chaire, il se donna donc
aussi aux travaux du cabinet, et se
fit bientôt connaître du public par
des ouvrages utiles. Le premier qui
sortit de SI plume fut un plaidoyer
en faveur de son ordre et mr^mede
tous les instituts religieux, car il
parlait pour tous dans La Causa dei
liefjolari al tribunnle del bon senso.
Dès lors il fut remarqué dans le
monde savant comme publiciste et
comme orateur. On publiait à Na-
ples une Encyclopédie rccléniasli-
VEN
que, dont les feuilles religieuses en
France parlèrent avec éloge ; le P.''
Ventura en était l'âme, ou du moins
un des plus actifs collaborateurs.
Il fut nommé censeur de la presse
et membre du conseil royal de l'in-
struction publique du royaume de
Naples, malgré la loi qui défendait
aux Siciliens d'exercer de telles
fonctions hors de la Sicile. Quoi-
que son caractère et ses fonctions
semblassent le livrer uniquement
par goût et par devoir aux travaux
de l'administration et aux compo-
sitions purement littéraires, il était
pourtant entraîné aux méditations
plus sérieuses des sciences et de la
métaphysique, et il compta bien-
tôt parmi les philosophes religieux
les plus distingués de l'époque. A
la paix continentale (1814), la res-
tauration, en France et ailleurs,
amena une sorte de révolution dans
les idées et même dans les esprits.
Bientôt quelques hommes parurent
dominer par la puissance de leur
intelligence. Entre ces hommes on
doit en citer un, tombé aujourd'hui
dans l'oubli, mais qui, alors, non-
seulement en France, mais aussi
dans toute l'Europe, semblait voir
l'admiration extasiée devant son
génie. En faisant la part de l'exa-
gération, on peut convenir que
cette admiration lui créa une sorte
de culte, et bientôt lui procura
des disciples. Ce n'était pas d'abord
une école ; on ne voyait on cette
plume, à la fois énergique et élo-
quente, qu'un instrument dont se
servait la Providence pour signaler
et réveiller l'indifTérence qui s'en-
dormait sur les intérêts les plus sa-
crés de l'individu et de la société
tout entière. Quand bientôt le
philosophe prit la place de l'apôtre ,
il fut suivi pardesjeunes gfns d'é-
lite, âmes ardentes, qui, ne cher-™
VEN
VEN
251
chant que Dieu et la vérité, ne pou-
vaient croire qu'on s'égarât en
écoutant une voix qui avait éclaté
si haut pour l'un et l'autre. On peut
le dire assurément , un nombre
considérable des partisans du sys-
tème philosophique de l'abbé de
La Mennais n'adopta ce système
que par enthousiasme. Il était
comme nécessaire que le P. Ven-
tura partageât cet enthousiasme,
qui était dans sa nature et dans ses
dispositions d'esprit. C'était d'ail-
leurs alors une satisfaction pour
l'amour-propre que de se dire ou
être dit disciple de l'abbé de La
Mennais. Ventura avait assurément
des connaissances plus variées ,
plus de science que La Mennais,
mais il ne rougissait pas alors de
suivre un horame qui avait une ré-
putation si brillante.il devint donc
un des adeptes du nouveau maître;
on ne l'ignora point en France et
on lai en sut gré. Ventura, philo-
sophedistingué lui-même, adopta-t-il
le témoignage de l'autorité générale
comme uniqie base des preuves de
la vérité? Je ne l'assure pas, mais
il n'est peut-être pas opportun de
l'examiner ici. Cependant il esti-
mait cette preuve k la haute valeur
qu'elle a en effet, sans peut-être la
regarder comme crilcrium exclusif.
Ardent propagateur de celte nou-
velle philosophie éclose en France,
et qu'il qualifiait de philosophie
catholique, il contribua largement
à l'importer en Italie, et il encou-
ragea la traduction de V Essai sur
L'indifférence en matière de religion.
Dominé par les dispositions que
je viens de signaler , il était
également rempli d'admiration
pour des hommes tels que M. de
Bonald, Joseph de Maisire , etc. Il
traduisit en italien l'ouvrage de ce
dernier, intitulé : Du Pape, et le
livre si profond du premier sur la
Législation primitive. Il était par-
venu aux fonctions de procureur
général de son ordre, qui condui-
saient ordinairement à la première
dignité. Le pape avait voulu, dit-on,
lui confier la direction du Journal
ecclésiastique de Rome. Il consenlit
seulement à être collaborateur de
cette excellente feuille, à laquelle
il ne donna , a-t-on écrit, que
quelques articles sur l'action civili-
satrice de la France. Cette petite
remarque restrictive, écrite dans
notre pays, et à laquelle il n'était
peut-être pas étranger, n'est point
juste. Ventura donna au Journal
ecclésiastique d'autres matériaux,
entre autres, en 1825, un article
fort remarquable sur la disposition
actuelle des esprits en Europe par
rapport à la religion. Ce titre mon-
tre la relation du sujet avec celui
que traitait un ouvrage si célèbre
'i son apparition. Cet article parut
aussi en divers recueils, fut tiré à
part, et révélait dans son auteur
un rare esprit d'observation. Après
la mort de Pie VII, le P. Ventura
prononça son é!oge funèbre; mis-
sion fort honorable , mais tâche
fort difficile, puisqu'il fallait une
hauteur de vue bien remarquable
pour envisager sans prévention les
positions délicates où ce pape s'é-
tait trouvé. Ventura réussit en ha-
bile orateur et en sage publiciste,
puisqu'il parla au goût de tout le
monde; ce qu'on peut conclure des
éditions de son discours, qui se
montèrent à vingt et peut-être da-
vantage. Il y a des passages qui
m'ont paru d'une grande énergie.
Léon XII le nomma à la chaire de
droit public ecclésiastique dans
l'archi-gymnase romain , et par
une distinction ou exception inli-
niment honorable, due aux écrits
262
VEN'
VEN
que le savant religieux avait déjà
publiés, il le dispensa de la loi du
concours. On lui confia, en outre,
une mission habituelle et très-ho-
norable, en le nommant membre
d'une commission de censure avec
Orioli et le capucin Micara , tous
deux devenus ensuite cardinaux,'
et avec le camaldule Maure Capel-
Jari, qui fut plus lard le pape Gré-
goire XVI. Ventura fut, après cela,
SLumônierde l'Université. Il se dé-
mit du professorat, amené, dit-on,
à cette mesure par d'odieuses ac-
cusations. En quoi consistaient ces
accusations, si elles ont existé, et
en quoi étaient-elles odieuses? Je
l'ignore. N'était-ce pas déjà le fruit
de quelques préventions contre lui
à cause de son affection marquée
pour le parti mennaisien qui com-
mençait à vouloir tout soumet-
tre à sa direction? Ventura a
passé pour un des rédacteurs du
Mémorial catholique ; je n'en pour-
rais donner aucune preuve; mais ce
journal était l'organe savant de la
nouvelle école, et Ventura avait la
satisfaction de s'y voir exalté. 11
donnait aussi déjk prise k la criti-
que par des formes singulières
dans ses écrits. Lorsqu'il publia le
premier volume de l'ouvrage inti-
tulé : De methodo philosophandi, il
le dédia à Chateaubriand, dont il
latinisait le nom en l'appelant
le vicomte Caslribriantii^ et lui di-
sait naïvement que c'était lui qui
avait relevé dans sa nation^ par ses
écrits, la religion abattue , et qu'il
travaillait^ par ses efforts politiques^
à la faire fleurir de plus en plus.
Chateaubriand, qui se donnait vo-
lontiers ce témoignage k lui-même,
n'aura rien trouvé d'hyperbolique
dans le compliment du P. Ventura.
Si le P. Ventura perdit sa chaire
au collège de la Sapience, il ne
perdit pas la considération dont il
jouissait k Rome; on dit même
que deux cardinaux allèrent chez
lui pour le détourner de se démet-
tre ; on a ajouté que le pape, n'ayant
pu vaincre sa résistance, voulut du
moins que le mot spontané fût mis
dans la dépêche, etqueVentura jouît
k titre de pension de la moitié de ses
appointements. Il venait d'être nom-
mé consulteur (1828) de la congré-
gation des Rits quand il publia le
cours de philosophie dont je viens
déparier. Le souverain pontife lui
confia des commissions politiques :
il réconcilia avec le saint-siége
Chateaubriand , ambassadeur de
France, dont les imprudences ou
les prétentions avaient mécontenté
le saint-père , qui ne voulait plus
le voir. Ce fut j)ar son influence
que fut conclu le concordat de
Rome avec le duc de Modène , et
même, k la prière de celui-ci, il
fut question de promouvoir k l'épis-
copat le P. Ventura, mais Léon XII
voulut le garder près de lui. Dans
le corps religieux auquel il avait le
bonheur d'appartenir, il jouissait
toujours de la même considéra-
lion, et les théatins l'élurent à
l'unanimité général de l'ordre, le
25 février 1830, dans la session du
chapitre général qui eut lieu alors
sous la présidence du cardinal
Albani, secrétaire d'Etat. Il s'occu-
pait toujours k des compositions
sérieuses qui le faisaient placer,
depuis longtemps déjk, au rang des
plus remarquables écrivains de
son siècle, et il faisait un cas spé-
cial lui-même de ceux dont la
France avait droit de s'enorgueillir.
Il l'avouait, et il le prouvait d'ail*-
leurs par sesœuvres. Ainsi le traité
De jure ecclesiastico, qu'il avait
édité à Rome en 1826, n'était pas
strictement un manuel de droit ec-
VEN
VEM
253
clésiastique , mais on pouvait y
voir aussi un manuel de philoso-
phie religieuse , car il y avait réuni
et classé en ordre les doctrines de
De Maistre, de Bonald , de l'ahbé
ilobert de La Mennais, de Haller,
de Saint-Victor. Les discussions
philosophiques avaient, en effet,
un attrait particulier pour lui et il
était un des panégyristes et même
un des apôtres de ce qu'on appe-
lait, ou plutôt qu'ils appelaient
la philosophie catholique. Néan-
moins on ne pourrait peut-être pas
dire qu'il se soit fourvoyé dans son
enseignement ou dans ses disserta-
lions. Ainsi, dès 1825, il développa
dans une séance de V Académie de
la religion catholique cette proposi-
tion : La raison humaine n'a pu et
ne pourra jaiMis avoir une paifaite
connaissance de la religion hors dn
catholicisme. Voilà un sujet qui a,
de nos jours, poussé quelques hom-
mes bien intentionnés à des con-
clusions extrêmes; maison ne peut
pas dire , ce me semble , que Ven-
tura partage les erreurs des tradi-
tionalistes imprudents et exclusifs,
puisqu'il dit une parfaite connais-
sance, ce qui est vrai, et non une
connaissance quelconque. On ne
peut douter qu'en s'attachantk cette
école qu'il voyait, en France, agi-
ter quelques esprits et parler avec
tant d'ardeur en faveur des préro-
gatives de l'Eglise, de la liberté du
catholicisme, Ventura n'ait été ani-
mé des intentions les plus louables.
A la distance où il se trouvait, il
n'avait pu, peut-être, comme les
hommes plus réfléchiset plus sages,
s'apercevoir des excès où un zèle
présomptueux avait déjà entraîné
lesnouveauxdocteursqu'il admirait.
Aussi, quelles que fussent ses dispo-
sitions naturelles , dont on verra
plus tard les tristes effets, il ne parta-
ge» ipoint teni* grossière et fune^e
illusion après la révolution de|tiîl-
let 1830. Au contraire , voyant les
dangers de la situation et les possi-
bilités de l'avenir, i4 ne put lire
sans étonnement et sans scandale
tout ce que la démocratie catholique
prétendue de l'abbé Robert de La
Mennais et de son escorte insérait
dans l'Avenir, journal religieux de
la nouvelle école. On y disait qu'il
fallait faire une croisade contre les
rois, qui sont des barbares, ôesim-
pies^ des souverains conjurés... Mcd-
heitr, écrivait-on en effet, à Tfm-
bécile qui ne le comprend pas!..\.
Sous le régime de la restaurât!^
des Bourbons, nous vivions, suivant
eux, sous une oppression stnpide...
c'était une tyrannie sans échafauds.
« I>ans l'enfer qu'on nous avait
fait, disait encore le journal de
l'abbé Robert (n° 23), nous ressem-
blions à ces malheureux que Dante
a peints se traînant et haletani sous
des chapes de plomb , et comme
eux, nous n'apercevions devant
nous que cette éternité. ♦ Et le
même journal parlait ainsi le 28 dé-
cembre 1 830 ; « Nous ne sommes que
d'hier, et déjà notre cri d'aftran-
chissement religieux a volé au delà
de nos frontières... L'Italie pensive
et souffrante le cache en son sein
profond comme une espérance. »
Le père Ventura était alors de
ces heureux imbéciles qui ne com-
prenaient pas. Heureux toujours lui-
même si l'aveuglement et l'ambition
ne l'eussent pas porté à comprendre
autrement! Quoiqu'il en soit, il vil
alors, comme toutes les âmes hon-
nêtes, ce qu'il y avait d'odieux dans
la révolution de juillet ^ ce qu'il y
avait à craindre de la part des hom-
mes méprisables qui l'avaient faite,
ce qu'il y avait d'insensé et d'illo-
gique dans les enthousiartcs qui s'é-
25ii
YEN
VEN
taient déclarés les apôlres du libé-
ralisme chrétien, comme Us l'appe-
laient. Au mois de janvier 1831 ou
plus tôt, il faisait la visite des maisons
de son ordre. De retour ^ Rome, il
se hâta de lire les premiers numé-
ros de V Avenir, et dans son indi-
gnation il ne put s'empêcher d'é-
crire aux rédacteurs les impressions
qu'il avait éprouvées. Ils ne jugè-
rent pas utile ou prudent d'insérer
la lettre d'un homme qui avait pour-
tant été exalté dans le Mémorial
catholique, revue produite par leur
école, mais elle se trouve dans la
Gazette de France (1). La biogra-
phie de Ventura exige, pour plu-
sieurs motifs, que j'en donne ici
quelques ciialions. L'auteur com-
mence par des ayeux et des com-
pliments; il dit qu'il a lu le jour-
nal avec un véritable plaisir, car
n'aimant pas plus le despotisme que
l'anarchie, l'esclavage de l'Eglise
pas plus que l'hérésie, il a cru trou-
ver dans l'Af d/iir, à quelques excep-
tions près, l'expression, sinon de
toutes ses doctrines, au moins de
tous ses sentiments. 11 a admiré le
noble courage avec lequel il (V Ave-
nir) réclame en faveur de la reli-
gion la protection qu'on accorde à
toutes les sectes..., la liberté de la
presse que l'on accorde k toutes les
erreurs. « Enfin j'ai, dit-il, béni les
efforts pénibles qu'il a faits pour
affranchir la juridiction et l'ensei-
gnement ecclésiastiques de toute
influence d'un pouvoir que des cir-
constances fâcheuses ont obligé de
se placer en dehors de l'Église... Je
n'étais pas le seul qui eût conçu une
si belle idée de VAvenir.,.. car,
quand on parle de liberté véritable,
(1) Numéro du lundi 7 février 1831,
•i )• ne m» trompe.
de liberté fondée sur la justice et
soumise aux lois , on est sur de
trouver k Rome des échos, même
dans les rangs les plus élevés, à
Rome, où la liberté est un fait, tan-
dis qu'ailleurs elle n'est qu'une for-
mule, et les foudres du Vatican ne
frapperont jamais les théories de
liberté et d'affranchissement dont la
philosophie ne se serait jamais
doutée, avant que Rome chrétienne
ne les eût proclamées. Mais, tout en
rendant justice aux doctrines qui
dominent dans V Avenir ^ je dois à la
franchise et k l'indépendance de
mon caractère, je dois à M. de La
Mennais, dont l'amitié m'honore,
je dois h la vérité qui m'est encore
plus précieuse que l'amitié , de
protester, comme je proteste en ef-
fet , contre la mauvaise tendance
que ['Avenir semble avoir prise de-
puis un mois. » Après celte intro-
duction , il entre"» dans le détail de
certains griefs, détail où je ne puis
le suivre, mais dont je vais indiquer
quelques sujets. « Tandis que vous
gémissiez, par exemple, sur le sort
des contrées catholiques qu'une po-
litique imprévoyante a assujetties
îàdes gouvernements protestants...
tandis que vous avez dit aux gou-
vernements égarés... qu'ils n'ont
pas de plus fort rempart contre l'a-
narchie qui les menace eux-mêmes
que les catholiques libres dans
l'exercice de leur religion , vous
avez été au-dessus de tout blâme et
de toute injure. Mais depuis que
vous avez invité, excité, poujsé les
peuples avec toute la puissance de
la parole, approuvé, loué toutes les
révolutions faites, applaudi d'a-
vance k toutes les révolutions à
faire, vous avez dû soulever contre
vous les amis de l'ordre, tous les
hommes véritablement catholiques ;
car tout cela n'est rien moins que
VEN
VEN
255
catholique. Voire tort devient en-
core plus grand que vous paraissez
prêcher la révolution au nom de la
religion, et que depuis un mois
vous en faites l'expression d'une
pensée catholique. En cela, vous
tombez dans l'excès contraire à ce-
lui que vous avez reproché aux
gallicans; s'ils font de la religion,
dites-vous, l'alliée du despotisme,
vous en faites l'alliée de la révolu-
tion. » « Je ne saurais par-
donner à y Avenir l'article intitulé :
La souveraineté de Dieu exclue-
t-elle la souveraineté du peuple (1)?
Cet article me paraît renfermer
tous les principes subversifs des
trônes, de la société, de la religion
même que vous défendez; car de
la souveraineté du peuple en poli-
tique à la souveraineté des fidèles
en religion, il n'y a qu'un pas bien
glissant et bien facile à faire. Aussi
ces deux principes marchent tou-
jours ensemble, et conjurant amicè;
je ne m'arrête pas à relever tout
ce que cet article contient de faux,
d'absurde, de ruineux. Je remarque
seulement que dans le langage des
Pères et des auteurs qu'on y cite et
dont on fait de véritables révolu-
tionnaires, le mot peuple ne signi-
fie pas la canaille, mais l'ordre des
patriciens de chaque cité, auxquels,
en cas de déchéance ou de défaut
du monarque, le pouvoir est né-
cessairement et naturellement dé-
volu. J'observe aussi qu'en pareil
cas le patriciat n'agit pas comme
mandataire du peuple, mais comme
représentant le fondateur de la so-
(I) C'est dans le numéro GO de l'Ave-
nir que se trouve cet article. Je suis
étonné que le P. Ventura ne cite pas
les jansénistes, par exemple, en preuve
de ce qu'il dit si sagement dans la
phrase qui suit.
ciéié, et comme l'organe naturel de
ses volontésprésumées,etqu'ainsi,
indépendammment de la souverai-
neté de Dieu, qu'on ne peut mettre
en question sans abjurer la loi,
tout pouvoir, même humainement
parlant, vient d'en haut. »
Ventura dit ensuite: De ce que le
patriciat doit, en certains cas, dési-
gner le souverain, il ne s'ensuit pas
que la souveraineté soit à lui. De
mêmeque.danslecasd'un schisme,
les évêques réunis, et pendant le
siège vacant les cardinaux dési-
gnent ou choisissent le pape, mais
ils ne sont pas pour cela papes eux-
mêmes. Il avertit judicieusement
l'auteur de l'article auquel il ré-
pond que la souveraineté ne peut
pas être, comme la liberté, le par-
tage de tous, et que la placer dans
la multitude c'est la tuer, que le
peuple n'est pas plus souverain
dans l'Etat que les enfants ne le
sont dans la famille et les fidèles
dans TEglise ; que la théorie de la
souveraineté du peuple n'a été in-
vcquée et exploitée qu'au profit
des ambitieux, des intrigants, et au
préjudice du peuple, etc.
Je vais encore citer textuelle-
ment un passage où Ventura peint
assez bien l'état de la société et de
la souveraineté en France, à l'épo-
que où il écrivait sa lettre.
« J'aime la France, je prends un
vif intérêt à ses destinées ; car le
sort des pays catholiques et le repos
du monde en dépend. Aussi je sou-
haite de tout mon cœur que le
pouvoir s'y établisse sur des bases
solides ( qu'on remarque ces désirs
de Ventura); mais en attendant ce
résultat qu'appellent tous mes
vœux, qu'est-ce que vous voyez?
Le pouvoir errant, incertain, pas-
sant successivement du ministère
aux Chambres, des Chambres à la
256
rm
garde nationale, de la gafde na-
tionale aux écoles. Vous le retrou-
verez tantôt chez M. Laffitte, tan-
tôt chez M. Soult, tantôt chez le
préfet de police, tantôt chez le pré-
fet de la Seine. Quelquefois vous
le rencontrerez dans les bureaux
des journaux, dans les magasins
des négociants, dans les ateliers
des industriels, et rien ne vous
assure qu'un beau matin il ne vous
faudra pas le chercher dans les ca-
barets et plus bas encore. Vous
l'avez vu, vous pouvez le voir par-
tout, excepté au Palais-Royal (1), où
il viendra peut-être un jour, mais
les napoléoniens, le parti de la ré-
sistance et celui du progrès se dis-
putent ce pouvoir sans maître
comme sans règle, car vous devez
convenir au moins que tout cela
n'est pas d'un bon augure pour
vous faire espérer qu'un jour le
peuple remplisse lui-même son rôle
de peuple, et ne le laisse pas remplir
à une coterie d'intrigants ou à une
poignée de monstres... Je ne puis
non plus pardonner à l'Avenir de
s'extasier devant la révolution de
juillet. Je ne suis ni carliste ni
philippin... mais je ne puis passera
l' Avenir celle expression : Lanation
a recouvré ses droils. Que les libé-
raux tiennent ce langage, on Je
conçoit bien, et ils ont raison ; car
les libéraux sont la nation, sont le
pays, sont la France, sont l'opinion
publique, sont le genre humain, et
tout le reste ne vaut pas la peine
qu'on s'en occupe. Mais, dans vo-
tre bouche, qu'est-ce que cela si-
gnifie? quels droits avez-vous? La
(1) Excepté au Palais- Royal.....
Ventura veut clin- excepté dans Louis-
Philippe, qui résida longtemps au Pa-
lais-Hoyal avant d'aller habiter les
Tuîlertés, demeure des rois.
Hberlé de la presse? Vous sur les-
quels pèsent deux procès (<)? La
liberté de la religion? tandis qu'on
brise ses croix, qu'on incarcère ses
prêtres, qu'on expulse ses curés,
qu'on régente ses évoques? La li-
berté d'enseignement? tandis qu'on
pousse le despotisme universitaire
au delà des bornes posées par
MM. Frayssinous et Feutrier? Ah!
je crains bien que vous n'ayez
recouvré d'autre droit que le droit
de vous débarrasser au roi que vous
vous étiez fait, pour en cré'èr tiri
autre qui ne serait pas plus ïiéu-
reux; d'autre droit que celui de
vous révolter. » Comme on le voit,
Ventura faisait un portrait fidèle dte
la situation et se montrait pro-
phète; ce dernier point était fa-
cile. «Mais... venir froidement,
ajoutait-il, louer l'héroïsme du peu-
ple qui a jugé à propos, comme
vous le dites, de faire une autre
charte, une autre dynastie, un au-
tre roi; vanter la révolution pen-
dant qu'on est environné des ruinés
qu'elle a accumulées, c'est vanter
les bienfaits de la guerre dans un
camp couvert de cadavres; c'est
mentira soi-même, à la conscience
publique, et j'avais lieu de m'at-
tendre à tout autre langage dans
un journal présidé par M. de La
Mennais... Vous verrez que le pro-
grès de la liberté pour les autres
sera pour vous celui de la servi-
tude. C'est que le principe dé la
révolution est essentiellement an-
ti-catholique, et que toute révolu-
lion dans ce siècle sera et doit être
toujours au préjudice de la reli-
gion et au plus grand profit de
l'impiété... » Il dit qu'il est absurde
-^ ^■■""'' ^ -'-' '" " "' "'ff'T^
(1) Louis-Philippe avait dît : a Mais
il n'y aura plus de procès db pteisè ! »
VEN
VEN
257
devoirdca catholiques... qui, avec
une joie féroce, applaudissent à la
chute des trônes et au malheur des
rois. On peut se faire une juste idée
de l'impression désagréable , du
mécontement que causèrent à la
vaniteuse coterie ces remontrances
importunes. Prenons patience, la
réconciliation ?e fera bientôt. Mais
il eût été bon de remettre ces lignes
sous les yeux de Ventura à une
époque malheureuse de sa vie,
dont j'aurai à parler aussi. On vient
de voir que Ventura se flattait de
n'être point philippin ; il vient de
dire q\i'H désire que le pouvoir s'é-
tablisse en France sur des bases so-
lides. Le désire-t-il, abstraction
faite de la personne en qui le
pouvoir résidait trop peu à son
gré? Or, cette personne était Louis-
Philippe, duc d'Orléans, dont les
intrigues et les bassesses avaient
réussi à faire expulser la branche
aînée des Bourbons, et à lui faire
déférer la couronne par une
chambre des députés illégale, com-
me si une chambre des députés,
même légalement constituée, pou-
vait faire un roi! Il sut vaincre les
effets du mépris qu'on ressentait à
Rome pour ce prince félon et usur-
pateur, et il a fait écrire que la
reconnaissance de Louis-Philippe par
la cour de Rome comme roi de fait,
sinon de droit fut due à son influence.
Comme je viens de le dire, la ré-
conciliation de Ventura, sinon avec
V Avenir, dévergondage éphémère,
du moins avec l'abbe Robert de La
Mennais, se lit bientôt. Il avait été
attaqué, néanmoins, dans l'Avenir,
parl'abbéde La Mennais lui-même,
et les articles étaient vigoureux.
Ventura conseilla, dit-il, au sou-
verain pontife de ménager cet
homme or^ueilleuxct aigri.— loule
autre conduite, disait-il, pourrait
LXXXV
changer l'apologiste de Rome en
fléau de Rome (1). » Ce conseil pou-
vait être bon ; mais, appuyé sur de
telles raisons, il ne faisait guère l'é-
loge des convictions et du désinté-
ressement de l'abbé Robert, qui se
fâcha en effet et laissa voir sa co-
lère, comme si l'Église avait été
tenue à suivre les mouvements et
les variations de son esprit. Ven-
tura calma ses premières colères
et s'est flatté de lui avoir suggéré
ridée d'un livre sur les Maux de
l" Église et leurs remèdes, dont trois
chapitres, dernières lignes catho-
liques d'une plume qui avait tant
rendu de services à la religion,
chapitres «compos^'s sous l'inspi-
ration du ciel et presque dans le
ciel même, » écrivait Ventura dans
son enthousiasme, se gardent au
dépôt des archives de Rome. On
voit dans ces expressions à quelle
hauteur s'élevait son admiration
pour M. Robert de La Mennais, et
combien peu il lui gardait rancune
des attaques qu'il en avait reçues
dans /'Arenir. Ses rapports avec un
homme alors si peu estimé lui at-
tiraient à Rome des désagréments
qu'il regarda à la fin comme des
persécutions, et le mirent dans le
cas de quitter la cour pontificale
pour vivre libre dans la retraite.
Celte retraite fat fort fructueuse
pour un homme aussi travailleur et
^ (l)Ces lignes étaient déjà imprimées
quand un article foi t reinar.inal)le de
M. de Montalenibei-t, (ians le Corres-
pondant^ m'a appris que li' V. Veniura
avait hlàme le P. Lacordaire d'avoir
c'cril ses Cousidérolwns surlc^nsicmc
jihilosopltiinw de M. de La }Liinais;
« Veidura, dit rartirlc, qui avait, lui,
.< tant à se repioiln-r les encuuraj^e-
" meiil^ quil avait pHtiligués a M. de
« La ?>lcniiais pi ndanllosdernicr> temps
« de son séjour ii Itomc. »
17
258
VEN
aussi capable que l'était Ventura.
Il se livra à rétude de rÉcriture-
Sainte et des saintsPères ; il lut sur-
tout S. Tiiomasd'Aquin, et il donna,
en 1839, le fruit de tant de lectures
dans un ouvrage intitulé : Beautés
delà Foi, et formant 3 vol. in-8". Il
ne se bornait pas aux occupations
du cabinet, car ce fut dans le même
temps qu'il fit avec succès des
prédications solennelles à Saint-
Pierre de Rome, à l'église Saint-
André délia Valle. Dans cette der-
nière église, qui appartient à son
ordre, il prêcha onze ans de suite
l'octave de l'Epiphanie. Préoccupé
de ridée qui a été partagée par
tant de personnes, celle du danger
de voir dominer l'esprit païen par
l'usage exclusif des auteurs païens
dans l'enseignement des collèges, il
entreprit aussi à Rome, et à l'épo-
que dont je parle, une publication
d'un choix d'extraits des ouvrages
des Pères de l'Église et des poètes
sacrés, qu'il donna sous le titre
de : Dibliolheca parva, seu graliosa
et elegantiora opéra veterum SS.
Ecclesiœ Palrum, ad usumjuventutis
chrisUanarum litterarum studiosœ.
Imitée en France, cette tentative
a excité une polémique trop ar-
dente entre des hommes respecta-
bles, tous animés des meilleures
intentions, et même tous d'accord
pour le fond de la question. L'é-
Iccliofl du piipe Pie IX, le l" juin
1840, fut une époque doublement
remarquable pour toute l'Europe.
On sait tout ce que les intentions
généreuses du nouveau pontife le
portèrent à tenter pour ie bonheur
(lelÉglise; on sait aussi comment
il a été ajiprécié et quelle recon-
naissance il a trouvée dans ceux qui
l'avaient d'abord pxalté avec l'ap-
parence de l'enlhousiasme. Le
nouveau règne fut une phase nou-
VEN
velle dans la vie du P. Ventura,
qui trouva dans le pape un ami et
un protecteur, et qui eut, dit-on,
l'honneur de lui donner des con-
seils. J'ai mentionné ci-dessus les
prédications réitérées que, pendant
plusieurs années, le P. Ventura fît
à l'église de sa communauté durant
l'octave de l'Epiphanie. Un jour il
eut un suppléant illustre, qui n'a-
vait pas choisi peut-être sans mo-
tifs personnels la chaire de Saint-
André délia Valle. Le mercredi, \3
janvier 1847, clôture des exercices
spirituels qu'il présidait, Ventura
voyait un auditoire nombreux au-
tour de la chaire qu'il devait occu-
per, lorsqu'il se fit un mouvement
extraordinaire... Pie IX, désirant
se faire entendre des fidèles, ve-
nait remplir la place du célèbre
théatin! Celui-ci fut encore, sans
doute, la cause du choix du Pon-
tife, quand il ordonna que, pendant
trois jours (du 24 au 27 du même
mois), il y eût des exercices de
prédication et de prières en faveur
de la nation irlandaise, qui fut en
ce temps-l:i fort éprouvée. L'année
1847 vit toute l'Italie en fermenta-
tion. Les conspirateurs avaient
plusieurs mots d'ordre et partout
faisaient répéter: Union de l'Italie,
— occupation étrangère , — vive
Pie IX, — esprits et projets rétro-
grades, etc., etc. Les masses étaient
impressionnées; les esprits ne rê-
vaient que création de garde na-
tionale, projets de constitution,
concessions des souverains à leurs
infortunés sujets. Les hommes sa-
ges prévoyaient la fin que pour-
raient amener toutes ces ruses et
ces prétextes. Le P. Ventura fut-il
de ces hommes sages? Il est cer-
tain qu'avec des intentions géné-
reuses, sans doute, il embrassa ar-
demment le parti du mouvement,
YEN
YEN
259
auquel rengageaient les idées qui
depuis quelques années dominaient
en lui. Ses allures, ses prédica-
tions l'avaient rendu populaire, et
il sut un jour tirer un parti avan-
tageux de ces dispositions des
masses en sa faveur. Le lundi,
17 juillet 1847, une multitude de
ces hommes de désordre qu'on re-
connaît dans les révoltes populai-
res, était assemblée auprès d'une
maison voisine de l'église Saint-
André ; dans celte maison on sup-
posait être caché l'agent de police
Minardi, contre lequel s'élevaient
des ressentiments dont on avait tout
à craindre. Le gouverneur, Mgr.
Morandi, se rendit sur les lieux et
ne put rien obtenir pour la dis-
persion de la foule. Quelques per-
sonnes s'empiessèrent alors d'aller
chercher à son couvent le P. Ven-
tura, qui fait ouvrir les portes de
l'église; on allume les cierges, il
expose le saint sacrement, monte
en chaire, et sa prédication élo-
quente à une telle heure (il était
onze heures du soir), produisit un
effet magique sur l'effervescence
de cette muUitiide, qui fut dès lors
calmée. Remarquons en passant
qu'un tel succès n'eût pas été peut-
être ausi facile ailleurs, et même
aujourd hui le serait-il sur le peu-
j)le romain? Un événement remar-
quable de Tannée est eiu'ore lié à
la vie du P. Ventuta, la mort du
célèbre agitateur de l'Irlande,
O'Gonnell, enlevé lorsqu'il se ren-
dait à Ro;ne. Cette perte, sensible à
tous, le fut iTinc'palement h un
certain parti, (jui voulut montrer
ses sympathies. On sait qu'en
France, M. AfTr( , archevêque de
Paris, après avoir refusé à un haut
personnage de laisser f.ire (lan3
nos églises l'éloge funèbre tie l'il-
lustre défunt, l'usage des panégy-
riques étant tombé en désuétude
parmi nous, accorda néanmoins
cette permission à une députation
de plus de cent jeunes gens. L'o-
raison funèbre fut prononcée à la
métropole de Paris par le P. La-
cordaire, dominicain. Ceux qui
l'entendirent purent savoir si l'o-
rateur répondit à l'attente des au-
diteurs accourus de tous côtés. Le
P. Ventura l'avait déjà prononcée
à Rome, et il devait être, plus quii
tout autre, choisi pour une telle
mission. Il paraît qu'il s'éleva à
une grande hauteur et qu'il obtint
un véritable succès. Il en voyait et
en citait lui-même la preuve dans
le produit de la quête qui se flt à
cette occasion et qui s'éleva à
100,000 francs. Entre les témoi-
gnages flatteurs qu'il put recevoir,
il convient peut-être ici de signaler
celui d'un prélat français. M. Si-
bour, évêque de Digne, avait eu,
comme on sait, des sympathies pour
la rédaction de r Avenir, dans lequel
on trouve des preuves écrites de
ses sentiments; mais on sait aussi
avec quel empressement il se sou-
mit à l'encyclique de Grégoire XVI,
qui réprouvait les doctrines du
parti mennaisien. Il avait donc la
manière de voir du P. Ventura et
partageait ses idées dans les
circonstances actuelles; il était
d'ailleurs son ami. Lors de son
dernier voyage à Rome, il avait eu
des rapports avec le célèbre théa-
tin dans sa maison de Saint-André,
et tous deux s'étaient communiqué
leurs pensées sur Us maux de la
religion ci de la patrie, et tous deux
s'étaient entendus. M. Sibour se
hàla de féliciter l'orateur sur son
paiiégyriqued'O'Counell.Il a laissé
publier sa lettre, et un de ses pas-
sages trouve n .turelhmcnt ici sa
place : " Cette grande et sainte po-
I
260
YEN
litique (1), mon révérend Père,
vous l'avez formulée avec autant
d'éloquence que d'exactitude dans
votre belle oraison funèbre d'O'
Connell.Ge fut plus qu'un discours,
ce fut uu événement. Votre parole
puissante a allumé dans le cœur
des Romains les flammes du plus
pur patriotisme; elle a réveillé
dans la ville éternelle des échos
depuis des siècles endormis. iMais
bénie par le Pontife suprême, elle
a franchi les limites du temple et
de la cité, et des hauteurs du Va-
tican, elle a pu se faire entendre
non-seulement de l'Italie, mais du
monde entier. Nous y avons tous
lu le manifeste d'une pensée su-
prême, qui ne cherche pas à s'en-
vironner de mystères et qui veut
être éclatante comme la vérité.
Oui, il faut que désormais on ne
puisse plus dans les âmes semer
entre la reliijion et la liberté des
divisions funestes k l'une et à l'au-
Ire. Il faut qu'on sache que les
peuples comme les individus gran-
dissent, que les conditions de la
vie et de la prospérité des nations
changent selon leur âge, et qu'il y
a une émancipation légitime que la
religion sait bénir et consacrer...
Voilà, mon révérend Père, les sen-
timents qui naissaient dans mon
cœur à mesure que je lisais celte
oraison funèbre d'O'Connell, si
digne du grand homme qu'elle cé-
lébrait, des circonstances qui l'in-
spiraient, et des hautes vérités dont
elle allait devenir une des plus
magniliques expressions...» Grâce
à Dieu ! tous n'avaient pas lu comme
YEN
M. Sibour, et il en donne lui même
la preuve en ajoutaut : « Mais la
préface que vous venez de joindre
â la seconde édition de votre dis-
cours, en m'apprenani que votre
œuvre, et aussi sans doute la sienne
(1), a trouvé des contradicteurs,
me force en quelque sorte de rom-
pre le silence, et de vous exprimer
le plus hautement que je puis mes
vives sympathies et l'adhésion que
je donne, non-seulement comme
ami, mais comme évoque, aux
principes que vous avez si élo-
quemment développés comme ora-
teur. » A Iiome, Ventura était de-
venu l'homme des révolutionnaires
modérés. Quelque temps après qu'il
eut obtenu ce succès populaire dans
le panégyrique d'O'Connell , ils le
prièrent de parler dans un service
funèbre en l'honneur des victimesdu
siège de Vienne. Il le fit à leur sa-
tisfaction, et il y parla aussi de
manière à intéresser la foule en
faveur du pape. Quoiqu'il avançât
dans le chemin glissant où il se
fourvoya malheureusement, il te-
nait toujours à être prêtre lidèle à
la religion et au digne pontife qui
l'attachait j)ar tant de liens. J'ai la
satisfaction de rapporter ici un des
plus beaux traits de sa vie. Plu-
sieurs croyaient, et personne ne se
trompait peut-être, que l'abbé Ro-
bert de La Mennais vivait, sinon
dans le remords, au moins dans le
trouble, et ne jouissait pas de la
sérénité de l'âme. Ventura crut
amicalement et charitablement aux
bruits qui en couraient, et par at-
(I) M. Sibour venait de parler d'une
• politique «ulrée qui, dans la régéné-
« ration d'un peuple, pose les bases
• de la règ) riérution de tous, i
(!)... E( aussi sans doute de la
sienne... c'fst-a-dire de Pie 1\. Quoi
que M. Sibour ait écrit sans doute, sa
phrase. Dieu merci, est dans un sens
dubitatif, qui est encore trop peu pour
les hommes rélléchis.
VEN
VEN
261
tachemenl et par zèle, il lui avait,
au mois d'août de celte même an-
née 1847, adressé la lettre qui
suit; elle est courte et ne fera
qu'embellir les quelques pages que
je consacre à sa mémoire. « Mon
très-cher ami et frère, le livre que
je vous envoie vous appartient;
c'est le résumé de ces grandes et
magnifiques doctrines que vos an-
ciens écrits ont développées dans
mon esprit. De malheureuses cir-
constances ont pu faire croire que
vous aviez oublié ces doctrines qui
ont fait votre gloire et votre bon-
heur, ainsi qu'elles font encore le
mien. Mais rien n'a pu me per-
suader qu'elles se soient effacées
de votre noble cœur. La preuve de
cela est que vous n'êtes pas, k ce
qu'on me dit, si heureux que je
veux que vous le soyez et que vous
méritez tant de l'être. J'ai aussi
une grande ambassade à vous faire.
C'est de la part de l'ange que le ciel
nous a envoyé, de Pie IX, que j'ai
vu ce matin. Il m'a chargé de vous
dire qu'il vous bénit et vous at-
tend pour vous embrasser. C'est
le bon pasteur qui cherche sa
brebis; c'est le père qui va à la
recherche de son enfanl. Ainsi, je
ne désespère pas de vous voir re-
venir à l'ancien drapeau, pour
combattre ensemble comme nous
l'avons fait déjà îi la gloire de la
religion et au bonheur de la pau-
vre humanité. Dans cet espoir,
que je vous prie de ne pas ébran-
ler en moi, je suis pour la vie
votre très-affectionné ami et frère,
Ventura. » DiLS quelles disposi-
tions une lettre si tou( hunle trouva-
l-elle l'abbé de La Menuais? La ré-
ponse qu'il fit et qui désola sans
doute celui qui l;i reç it doit être
connue, puisqu'elle complète ce
que commençait celle de Ventura.
Cette réponse est datée du 3 no-
vembre 1847. « Comme après les
preuves si nombreuses que vous
m'avez données, mon cher ami, je
n'ai jamais douté un seul instant
de vos sentiments à mon égard,
vous ne pouvez non plus douter
de ceux que je vous ai voués de-
puis si longtemps et qui ne s'é-
teindront qu'avec moi. Mais tou-
jours amis par le cœur, nous avons
cessé de l'être complètement par
les convictions de l'esprit. Celles
que vous savez être les miennes et
que vous ne pouvez partager, je le
comprends, sont mou être même,
ma foi, ma conscience, et j'y trouve
plus de paix et de bonheur que je
n'en goûtai jamais en aucun temps
de ma vie. Elles me consolent des
maux présents par l'espérance,
certaine à mes yeux, de l'avenir
digne de lui, de sa puissance et de
sa bonté, que Dieu prépare au
monde. Il s'agite et se transforme
sous sa main. Nous assistons à une
grande mort et à une grande nais-
sance : seulement nous voyons
clairement la tombe, et le berceau
est encore voilé. Je prie de tout
mon cœur celui qui dispose souve-
rainement des choses humaines de
bénir les desseins qu'il inspirera
lui-même au pontife vénérable dont
les peuples, en ce moment, encou-
ragent les efforts par leurs accla-
mations unanimes. La mission que
la Providence a coutiée k son zele
est immense. Il ne restera point
en arrière; il marchera jusqu'au
bout avec fermeté dans la roule
glorieuse ouverte devant lui. Veuil-
lez mettre à ses pieds mes vœux
et mes respects. Le petit livre
qu'on m'a remis de votre part mé-
rite toutes les louanges (ju'il a re-
çues universellement. Je garderai le
portrait comme un souvenir pré-
262
VEN
VEN
cieux de l'ami cher et tendre à qui
je suis heureux de redire avec
quelle sincère et vive affection je
lui serai toujours dévoué. » Je ne
sais de quel livre il est question
dans ces deux lettres, mais ie por-
trait que l'abbé Robert promet de
garder comme un souvenir précieux
était celui de Pie IX et non de Ven-
tura. A la lin de Tannée 1847, les
événements les plus graves appro-
chaient aussi. La France ne rêvait
que les banquets réformistes, l'Ita-
lie commençait ses soulèvements.
Combien d'écrivains parlaient sur le
royaume de Naples, sur les princi-
pautés du centre de la péninsule ita-
lienne, avec une imprudence et une
prévention qu'ils regretteraient au-
jourd'hui ! On peut croire que le
père Ventura n'était pas de ceux
qui gardassent le plus de modéra-
lion dans leurs opinions ou de
retenue dans leurs paroles. Il est
important de l'apprendre. Ce que
je pourrais en dire n'égalerait point
le récit d'un journal français qui
ne doit pas être suspect en cette
circonstance. Le Journal des Débats
contenait une correspondance de
Home, en date du 28 février, dont
un extrait nous apprendra ce qu'é-
tait déjà le père Ventura, et l'idée
qu'on avait de lui : « L'événement
de ces dix derniers jours a été la
publication, à quelque intervalle
l'une de l'autre, de deux brochures
politiques du fameux père Ventura.
Né Sicilien, jésuite (juelques an-
nées, puis théatin, ancien profes-
seur de droit civil , enfin prédica-
teur célèbre et justement célèbre ;
de plus, ancien général de son
ordre et cardinal en expecta-
tive, le père Ventura ambitionne
maintenant la gloire d'homme po-
litique. C'e.sl toujours une tentative
hasardeuse pour une popularité
déjà faite que celle de se lancer
dans une nouvelle voie. Le moins
à quoi elle puisse s'attendre, c'est
de se voir entamée et compromise :
voilà précisément ce qui arrive à la
popularité, si vieille déjà, du cé-
lèbre théatin. La première de ces
publications porte pour titre : La
Question sicilienne résolue suivant
les vrais intérêts de la Sicile, dz
Naples et de Vltalie, et est dédiée à
don Roggieri Seltimo , chef du
mouvement palermitain. L'auteur
se prononce ouvertement pour la
séparation totale de la Sicile. Cette
opinion a été relevée par la presse
romaine comme compromettante
pour la cause générale de l'Italie;
maiscomme le débat n'intéresseque
très-secondairement l'État pontifi-
cal, et que, d'ailleurs, il a été com-
plètement effacé par la seconde
brochure, qui entre dans le fond de
la situation romaine, je crois inu-
tile d'y insister. Le pape, entraîné
par l'exemple de Naples, de la Tos-
cane et du Piémont, a promis une
constitution ou quelque chose qui
ressemble à une constitution. Mais
s'il a suffi aux souverains de ces
divers Etats de faire traduire plus ou
moins la Charte française pour
avoir des constitutions locales, à
Rome, où la souveraineté se base
sur deux principes de nature diffé-
rente, natures distinctes en droit,
tandis qu'en fait elles sont le plus
souvent mêlées, enchevêtrées, fon-
dues l'une sur l'autre ; k Rome,
dis-je, la rédaction d'une constitu-
tion présentait trop de difficultés
pour être ainsi improvisée en quel-
ques heures. Les masses ont com-
pris elles-mêmes cet état de choses
à part et s'en sont préoccupées.
Une commission a commencé des
études sur ce sujet. Le projet de
Statut se formait peu à peu ; mais
VEN
la difficulté majeure qui le domine
n'a pas encore été abordée : je veux
parler de la position du sacré col-
lège dans le nouvel ordre de choses.
C'est le thème de la brochure du
père Ventura , lancée pour sonder
l'opinion. Elle est intitulée : Opi-
nicn sur une chambre des pairs dans
les Etats pontificaux. Puisque au-
jourd'hui on ne conçoit plus une
constitution sans une chambre des
pairs, comment se devra consti-
tuer la chambre des pairs dans les
Etats pontificaux ? Trois opinionsse
débattent autoiT de cette question:
la première veut qu'elle soit formée
purement et simplement par les
laïques ; c'est celle qui, par esprit
d'imitation ou par antipathie cléri-
cale, voudrait enlever à l'État tout
élément ecclésiastique ; la seconde
est celle des amalgamistes oj paci-
fiques, qui veulent, disent-ils, con-
cilier tous les intérêts et tous les
amours-propres, et qui introdui-
raient dans la chambre haute un
certain nombre de prélats et de
cardinaux; la troisième opinion,
enfin , dit qu'une chambre des
pairs, proprement dite, dans l'Etat
pontifical, « serait non-seulement
(c inutile, mais un danger, et que,
« voulant un corps intermédiaire
« entre le souverain et les fcpré-
« sentants du peuple , il n'y a rien
0 de mieux à faire qu'à rétablir le
« sacré collège dans ses anciennes
« attributions et d'en faire le pre-
« mier corps de l'État. » Cette
opinion, contrairement à toutes les
prévisions, car le célèbre écrivain
n'a pas toujours , comme prédica-
teur, ménagé la pourpre, est celle
soutenue et préconisée par l'au-
teur; et, selon moi, elle n'a qu'un
tort, celui d'arriver trop tard. Aussi
l'écrit dont je m'occupe a-l-il été
accueilli par une réprobation gé-
VTEN
263
nérale. On ne le discute pas, on le
siffle, et le père Ventura, tant
aimé, tant choyé par les progres-
sistes jusqu'à ce jour, n'est plus
qu'un moine comme les autres. »
On voit par cette remarque : contre
toute prévision, l'idée que le parti
révolutionnaire s'était formée déjà
du père Ventura. La première de
ces deux brochures n'aura peut-
être pas été sans influence sur la
détermination que la Sicile prit
bientôt après. Des bâtiments an-
glais, dirent les journaux de l'é-
poque , sillonnaient ses mers et
longeaient ses bords; elle poussa
son cri de liberté et d'afl"ranchisse-
ment, leva l'étendard de la révolte
et se sépara de la mère-patrie. On
peut s'exprimer ainsi. En effet, le
parlement de cette île , séant à Pa-
lerme, rendit, le 13 avril 1848, un
décret ainsi conçu : « Ferdinand
de Bourbon et sa dynastie sont pour
toujours déchus du trône de Sicile.
Art. 2. La Sicile sera régie par un
gouvernement constitutionnel. Elle
appellera au trône un prince italien
dès qu'elle aura revisé sa constitu-
tion (i). B On peut se figurer de
quel œil Ventura, Palermitain, vit
tous ces mouvements dans sa pa-
trie. Le nouveau gouvernement qui
avait et qui connaissait toutes ses
sympathies , le nomma ministre
plénipotentiaire et commissaire
extraordinaire à la cour de Rome.
(I) Cette constitution éphémère fut
eficctivcmcnt rodigce quelque temps
iiprès. Elle portait du moins connue ar-
ticle fonilynicntal que la rcIii;ion ca-
tholique serait la religion de l'Etat, que
le roi de Sicile la professcniit néces-
sairement, et que le fait de la profes-
sion d'un autre culte serait une abiti-
cation! Que ferait-on aujourd'hui dans
Cftte malheureuse ile subjuguée par Ij
traiusoD?
264
VEN
11 n'accepta, dit-on, cette mission
d'un gouvernement insurrectionnel
qu'avec le bon plaisir du pape II
est bien vrai que Ventura accepta
ces étranges fonctions ; mais est-il
bien vrai que Pie IX ait sanctionné,
en quelque sorte, par son appro-
bation, la révolte d'un peuple égaré
contre un souverain son allié, au-
quel il alla bientôt demander un
asile à Gaéte ? Plus d'un lecteur
partagera mes doutes. Pendant
quelques mois, Ventura sembla se
tenir à l'écart ou dans le silence,
mais, vers le milieu du mois de
fccpiembre, le bruit courut à Rome
qu'il allait publier un écrit sur la
Sicile. Ce fut peut-être alors qu'il
publia un mémoire sur Vlndépcn-
dance de la Sicile, et un autre sur
la Légilimilé des actes du Parlement
sicilien; jjuis un gros volume inti-
tulé : Mensonges diplomaliqiies. Si
Ventura avait gardé le silence du-
rant les mois précédents, il n'avait
pas, néanmoins, été dans l'inacti-
vité, ce que d'ailleurs ses idées et
sa nature ne lui auraient pas per-
mis dans de telles circonstances.
On a dit que, d'accord avec le cé-
lèbre abbé Rosmini (1) et d'illustres
représentants des divers Etats ita-
liens, il préparait, vers le mois de
mai, une confédération italienne,
(l) L'abbé Hosmini, mort il y a
quehincs années, était un iioninie dis-
tinijuc piir ses talents, et suitout
coninift philosophe profond. Ses écrits
juslilicnt cette opinion. Distingué aussi
par sa piété et son zèle, il a londé une
société religieuse sous le nom de la
Charxlc, qui s'est déjà étabiii-. en An-
gleterre, et qui avait essayé un établis-
sement en France. Il doïina trop aux
idées qui égareront l'ilahe en 18 i8,
niai^ il se soumit avec un empressement
édiliant au jugement (pie Home avait
porté contre une de ses productions.
(Voir ci-après.j
VEN
laquelle eiit eu le pape pour prési-
dent, et il a prétendu que l'aveu-
glement de l'abbé Gioberli et l'am-
bition du roi de Piémont, Charles-
Albert, firent échouer ce projet. Il
avait poussé le pape {\ donner une
constitution au peuple romain, mais,
suivant lui , le pape s'y décida trop
tard. D'autres pourront croire que
le pape s'y décida trop tôt, et qu'il
eût été heureux de ne s'y décider
jamais. Quoi qu'il en soit, le régime
constitutionnel fut établi -a Rome,
et on sait tous les malheurs qu'il y
amena. Le pape n'eut d'autre res-
source que de s'échapper et d'évi-
ter la cruauté de sujets ingrats; il
partit furtivement de Rome le
24 novembre 1848, et se retira à
Gaéte, ville fortifiée du royaume de
Naples, et située assez près des
limites de l'État pontifical. On sait
que les cardinaux et la partie saine
de la diplomatie étrangère alla l'y
rejoindre. Ventura resta à Rome,
tandis que Teslimable abbé Ros-
mini, avec lequel il s'honorait d'a-
voir des rapports , alla aussi à
Gaële. Rosmini refusa le ministère
de l'instruction publi(iue dans le
nouveau gouvernement , et Ven-
tura, de son côté, refusa la candi-
dature à l'Assemblée constituante,
quoiqu'il ait prétendu être autorise
par le pape à l'aocepler, ce qui,
pour moi, reste fort douteux. Tout
ce qui se passait alors d'étrange et
d'indigne sous ses yeux, ne les lui
ouvrit guère apparemment. Il crut
pouvoir, dans de telles circon-
stances, imprimer le discours fu-
nèbre qu'il avait prononcé en l'hon-
neur des viclimes de Vienne, et dont
j'ai parlé ci-dessus. Il y joignit une
préface et une noie sur la fuite du
pape, mais il semblait craindre le
jugement du public, et ne se hâtait
pas de les lui livrer. Néanmoins
VEN
l'opuscule parut, mais il avait eu
auparavant le suffrage du Contem-
poraneo , journal révolutionnaire
qui avait sans cloute son estime. Je
ne dirai donc rieu de suspect à la
mémoire du père Ventura, en em-
pruntant à une feuille amie les
expressions et le jugement sur
celui de i^es ouvrages que je dois
faire connaître plus que tous les
autres. Le titre est caractéristique :
Paroles du père Ventura sur les
événements actuels. « Nous avons
déjà rapporté les libres et élo-
quentes paroles par lesquelles l'il-
iuslre P. Ventura terminait le dis-
cours qu'il a lu dans l'église de
Saint-André délia Valle, pour les
funérailles des martyrs de la liberté
à Vienne. Aujourd'hui, en l'impri-
mant, il y a mis une savante pré-
face, dont nous prenons quelques
extraits très-remarquables et rela-
tifs aux affaires actuelles de Rome
et de l'Italie. » Après avoir débuté
ainsi , le journal cite plusieurs
phrases d'inie violence extrême à
l'adresse de ceux que le père Ven-
tura appelle imbéciles et stupidcs
obscurantistes^ et auxquels il dit :
« Vous avez envié à Pie IX l'hon-
« neur de donner son nom à son
« siècle... De Guelfe qu'il devait
« être pour être fort, vous l'avez
« fait paraître Gibelin. Italien par
« son origine terrestre, vous l'avez
a fait paraître impérial ; de popu-
« laire vous l'avez fait royal... Vous
a en avez fait le prisoimier de la
« diplomatie (voyez la note de la
« fin), le jouet de l'absolutisme. »
Cette parenthèse : Voyez la note...
n'est pas ds moi, elle est bien du
père Ventura, et pour répondre à
ses désirs, pour entrer dans ses
vues, je vais en donner les princi-
paux passages : « Pie IX n'avait
« pas la moindre idée de quitter
VEN
265
« Rome ; c'est l'intrigue absolutiste
« qui la lui a inspirée, en lui fai-
« sant croire que sa personne et sa
« dignité comme chef de l'Église
« n'étaient plus en sûreté à Rome.
« Une certaine diplomatie voulait
a avoir le pape entre ses mains
« pour en tirer parti dans un inté-
« rêt purement politique... La pri-
« son de Pie IX à Gaéte est certai-
« nement plus splendide que celle
« de Pie VII à Fontainebleau. Elle
« n'est ni plus sage ni plus sûre...
« Le pape n'est pas libre, ou au
« moins il est sous une contrainte
« morale. Le parti autrichien obs-
ff curantiste travaille à obtenir
« une déclaration de principes
« ami -libéraux. Nous espérons
« qu'il ne l'obtiendra pas, et que
« Pie IX ne se mettra pas en con-
« tradiction avec lui-même. Oh !
« quelle confusion quand cette hor-
« rible intrigue sera connue ! En
« attendant, les journaux étrangers
« ne cessent pas de déclamercontre
(( la prison que Pie IX ^iubissait à
« Rome comme prince et comme
« pontife. Ils sont trompés sans pu-
« deur par leurs correspondants
a légitimistes, philippistes, obscu-
« rantistes, fourbes ou imbéciles.
« Ces journaux sont dans une igno-
« rance complète de la vraie siiua-
a tion des affaires à Rome. Ils
« croient que la question est entre
« une poignée de démagogues qui
« veut la licence et l'anarehie, et
u Pie IX qui s'y oppose, quand,
« au contraire, la question est : Si
« la constitution donnée par Pie IX
« doit ou non être détruite ; la
a question est entre l'absolutisme
« et la liberté. » Ainsi écrivait
Ventura vers la On de l'année
4848 ; nous allons voir bieulùt
comment il agira en 18i9. Qu on se
rappelle, eu lisant ceci , ce que j'ai
266
VEN
VEN
cité de la lettre aux rédacteurs de
V Avenir, et ce que , l'année précé-
dente, Ventura adressait à l'abbé
Robert de La Mennais, sur ses dé-
fections et les remords qu'il devait
éprouver. Ventura, en face de sa con-
science, de Dieu et des souvenirs des
bontés de Pie IX, pouvait-il avoir
l'àmetranquille! Un homme qui pou-
vait tracer de telles lignes, méritait
bien l'affection et les préférences
d'un démagogue tel que Lucien
Bonapaite, prince de Canino. Aussi
ce prince avait-il proposé de faire
entrer le P. Ventura dans la junte
de gouvernement, destinée à rem-
placer le pape ! Le jour de Pâques
1849, les nieml)res du gouverne-
ment révolutionnaire de Rome or-
donnèrent la célébration d'une
messe solennelle, à laquelle trium-
virs, fonctionnaires civils et mili-
taires, durent tous assister. A l'au-
tel réservé au pape seul, dans la
basilique Saint-Pierre , un prêtre
nommé Spola, qu'on dit du diocèse
de Verceil, osa célébrer et se subs-
tituer à la place de Pie IX , assisté
du père Gavazzi et du père Ven-
tura. Le père Ventura était \h
quand les colonels, généraux et offi-
ciers prêtèrent, devant l'autel, ser-
ment à la République romaine ! Il
accompagna encore, avec Gavazzi,
l'abbé Spola se rendant procession-
nellement 'd la façade de l'église
Saint-Pierre, djoii le pape a cou-
tume de bénir solennellement la
ville. Celte parodie sacrilège se ter-
mina par la bénédiction du Saint-
Sacrement. Je cherche à me per-
suader que Ventura n'a pas eu une
part si large à celte profanation,
quoique j'en trouve le récit avec ces
circonstances, dans une feuille alors
si justement accréditée, ÏAvii de la
Heligion. Le même journal dit ail-
leurs, d'après une correspondance
de Rome : « Les places d'honneur
« occupées autrefois par les mem-
« bres du sacré collège étaient
« remplies par les triumvirs et
« l'Assemblée constituante. Le mal-
ce heureux père Ventura était éga-
« lementlà pourreprésenter, comme
« envoyé de Sicile, tout le reste du
« corps diplomatique qui était ab-
« sent. » Ventura se serail-il borné
ii ce rôle, ne serait-ce pas déjà une
prévarication inconcevable de sa
part? Effrayé cependant de la situa-
tion de Rome, Ventura quitta cette
ville le 4 mai. En passant à Palo,
il demanda à voir Oudinot, général
en chef de l'armée envoyée par la
république française pour délivrer
Rome de ses oppresseurs et la
rendre au souverain pontife. Il
était chargé par les triumvirs Mazzi-
ni, Armellini et Safli de dire au
général que la journée du 30 avril
n'était qu'un malentendu (1), qu'il
était peut-être encore possible de
concilier les choses, si Oudinot
consentait à faire une déclaration
établissant d'une manière nette et
précise que la France n'imposerait
aucun gouvernement aux États
romains. Oudinot répondit qu'il-
croyait avoir assez fait connaître la
pensée de son gouvernement, pen-
sée toute libérale. Qu'après ce qui
avait eu lieu (le ôlO avril) il avait, à
coup sûr, le droit de se montrer
sévère ; que cependant il était en-
core prêt à entrer à Rome en ami,
comme intermédiaire entre l'anar-
chie et le despotisme (2) qui me-
(1) Dans cette journée du 30 avril
i8i9, des Français avaient été attirés
dans un guet-apens par la foiirbciie des
républicains romains, qui en avaient
tue et blessé quelques-uns, et arrêté
les autres.
(-2) Despotisme ! ! ! de qui?... On voit
de qui il veut parler.
VEN
VEN
267
nacent les populations. Il ajouta
qu'en agissant ainsi il croyait agir
dans le véritable intérêt du peuple
romain. Oudinot indiqua ces parti-
cularités dans sa dépêche au mi-
nistre des affaires étrangères. Ven-
tura se rendit à Civita-Vecchia.
Quoiqu'il partît alors pour une sorte
d'exil volontaire, il n'avait pas ou-
vert les yeux sur l'abîme qu'il avait
aidé à creuser, et quelque temps
'dpT(is]e Monilore romano contenait
les lignes étranges que je vais rap-
porter, et qui sont extraites d'une
lettre de sa naain : « Qaaiit au pape,
« j'ai soutenu, il est vrai, à une cer-
« taine époque comme moyen de
« résoudre la question, la répu-
« blique avec la présidence du
a pape pro tempore. Mais l'homme
« d'État, prudent et sincère doit
ff savoir faire le sacrifice de son
« opinion quand il la voit en oppo-
« sition avec le vœu public du
« peuple. Or, dans les États ro-
« mains, le vote libre du peuple s'est
« catégoriquement prononcé pour
a une séparation absolue entre le
« spirituel et le temporel ; pour-
« rais-je avoir la folie de faire
a triompher une opinion contraire
ff à ce vote ? Il y a quelques mois
a la chose était possible ; mainte-
« nant elle ne l'csten aucune façon;
« il n'y faut plus songer. Ceux-là
a même qui auraient dû la vouloirne
a l\mt pa.H voulue; tant pis pour eux.
a Aujourd'hui le clergé doit renou-
er cer absolument ii toute parlicipa-
i< tion, même indirecte, au gouvcr-
« nement temporel de l'État.
<f Aujourd'hui sa seule occupation
0 doit être de prêcher au peuple
« libre, et par la parole et par
« l'exemple, la vraie doctrine de
a l'Éj^Mise , alin de prévenir tout
« égarement, afin d'empêcher le
rt grand mouvement qui ébranle j qui
« renverse tout, et qu'aucune force
« humaine ne saurait arrêter, de
« devenir protestant ou voltairien, de
« chrétien qu'il a été et qu'il est
« encore.» La presse s'occupait de
lui de temps à autre, en France
comme en Italie. Il trouvait des
sympathies, dont on lui donnait des
preuves fort peu honorables pour
lui, telles que celles fournies par
ces lignes de l'abbé Anatole Le-
ray (l), qui mettait Ventura « au
« nombre de ces hommes d'élite qui
« défendent la cause démocratique
« et sociale. Il cherche à délivrer la
Œ papauté de la servitude des
a alliances avec les gouvernements
a et les dynasties, pour l'unir à la
« cause et à l'idée des peuples.
« C'est lui qui a inauguré à Rome
« la politique de la franchise, et
a frappé de mort, en la dépoi)ula-
a risant, la diplomatie de la ruse et
a du mensonfje. Il a tout fait pour
a délivrer lu papauté de celte in-
a fhience (jui la paralyse, de ces
« intrigues qui l'avilissent.... Le
« zèle de la vérité le dévore !... Le
« père Ventura est la personnifica-
a tion vivante de la pensée catho-
« lique... Et si un concile général
« a lieu prochaitiement, c'est lui
« qui en sera l'âme et la parole
V puissante. >> Ventura reçut l'hu-
miliation de cet éloge, mais on dit
qu'il le réprouva, peut-être l'en-
tend-on de cette repaobation indi-
recte, mais positive, qui résulte de
îa soumission dont je vais parler
tout à l'heure. 11 connaissait lui-
même Anatole Leray ; je voudrais
(1) L'abbé Anatole Leray était un
jeune prîtUo, du (liol•^sc do Saint- Urieuc,
passionne jus(|u'a la lolic pour k^ ulccs
(|ui doiiiiiiaiciit cil(ir>. Ou dit qu'il uiou-
rut dans ccb scntiujculs peu de lumps
après.
268
VEN
douter de l'existence d'une lettre
dont je n'ai pas vu le texte, qu'il
lui écrivit pour Tencourager, disant
que, pour lui, il n'était plus d'un
âge à pouvoir soutenir une lutte.
Dans un manifeste aux prêtres ita-
liens, Mazzini donnait à Ventura
im témoignage dont celui-ci n'au-
rait pas voulu s'applaudir partout.
« Prêtres italiens, s'écrie-t-il, mes
paroles sont graves : si le salut du
monde et de vos croyances vous est
cher, écoutez-nous. Nous pourrions
— UN DES VÔTRES l'a DIT, et qUC CC
soit pour vous une preuve de l'es-
prit qui nous anime, nous pour-
rions vaincre sans vous, mais nous
ne le voulons pas. » Si de sem-
blables compliments étaient peu
flatteurs, et probablement alors
moins agréables au père Ventura, il
avait reçu des remontrances aux-
quelles son amour-propre , et ,
croyons- le, sa conscience aussi,
avaient dû être fort sensibles. Son
ordre, désolé et humilié de la chute
si lourde faite par un homme qui
en avait été le chef, lui fit écrire
après l'assemblée générale, au mois
d'août 1849, une lettre charitable,
grave et môme sévère , remplie de
reproches fondés et de bons sou-
haits. Après l'entrée des Français et
le retour du pape h Home, la posi-
tion de Ventura eût été fort gênée
dans cette ville. Sa place naturelle
était une retçaite dans l'une des
maisons de son institut. Il avait
toujours aimé la FYance, il en fit le
lieu de son exil volontaire, et, muni
probablement de la permission de
ses supérieurs, il vint habiter la
ville de Montpellier , où il fut
accueilli par M. Thibaut, qui en
était alors évêque, et où il passa
deux ans. Peu après son arrivée, il
y apprit que son Discours funèbre
pour les morts de Vienne était coa-
VEN
damné à Rome. Cette nouvelle dut
lui causer plus de peine que de
surprise ; mais il se soumit aussitôt
au jugement porté, et il le fit en des
termes si édifiants que cette pièce
forme encore une des plus belles
pages de sa vie, et que, nonobstant
son étendue je crois devoir la don-
ner ici, après avoir fait des cita-
tions assurément moins impor-
tantes. « Je soussigné , n'ayant su
qu'aujourd'hui seulement, par le
moyen à\x Journal romain ^ que mon
Discours pour les morts de Vienne,
débité et imprimé à Rome k la fin
de novembre 1848, a été mis par
décret de la sainte congrégation de
l'Index, au nombre des livres pro-
hibés ; n'ignorant pas ce qu'en de
semblables circonstances l'Église a
le droit d'exiger d'un de ses enfants
docile et soumis, surtout s'il est
ecclésiastique, et voulant pleine-
ment m'y conformer, me croyant
obligé en conscience envers les
âmes que j'ai dirigées, envers le
peuple que j'ai évangélisé, de leur
donner l'exemple, et que j'ai con-
stamment recommandé dans mes
discours, ayant toujours déclaré et
protesté vouloir soumettre au juge-
ment dudit saint-siége apostolique
et du souverain pontife toutes mes
actions, et ayant par \k contracté
l'engagement solennel envers le
public chrétien, de lui prouver par
des faiis, le cas échéant, la loyauté
de mes déclarations et protestations,
et la sincère volonté que j'avais de
les mettre, au besoin, en pratique;
sans y être ni contraint, ni con-
seillé par personne, mais n'écou-
tant que mes propres sentiments,
qui sont ceux d'un vrai catholique
dont, grâce à la divine miséricorde,
mon cœur n'a jamais dévié ; libre-
ment et de mon propre mouvement,
je déclare que j'entends accepter
VEN
VEN
269
comme j'accepte, en effet, le susdit
décret qui condamne mon opus-
cule ci-dessus indiqué, et que je le
condamne sans restrictions ni ré-
serve, mais dans toute l'étendue du
sens dans lequel il a été condamné
par l'autorité légitime; je réprouve
encore, rejette et condamne toutes
et chacune des doctrines, maximes,
expressions et paroles qui, dans
mondit livre ou tout autre de mes
écrits, se trouvent ou pourraient se
trouver en contradiction avec l'en-
seignement de la sainte Ëglise ca-
tholique, apostolique et romaine, la
seule véritable. Je proleste, en ter-
minant , que c'est dans cette sainte
Église, qu'avec l'assistance de Dieu
j'entends et espère mourir, quoi
qu'il m'arrive et au prix de quelque
sacrifice que ce soit. Montpellier,
8 septembre; signé D. Joachim
Ventura, de l'ordre des RR. PP.
théatins ; je l'atteste, je proleste et
déclare comme ci-dessus. » Il au-
rait pu, peut-être, faire cet acte de
soumission en moins de mots et
étendra sa rétractation plus loin.
Quoi qu'il en soit, à partir de ce
temps , sa conduite et ses doctrines
n'offrirent aucune prise à la cri-
tique. Il y eut, toutefois, un petit
incident, pencianlsonséjour à Mont-
pellier, qui doit être encore men-
tionné. La Gazette du Midi publia
l'analyse d'un sermon de Ventura,
d'après laquelle le prédicateur n'au-
rait pas craint de se vanter du haut
de la chaire, devant un nombreux
auditoire, d'avoir une fois reçu en
confession les secrets de la con-
science du souverain pontife! Oa
fut fort afleclé, à Rome, de cet
oul)li descouvenances. » La pénible
impression produite à Rome a celle
occasion, écrivait quelqu'un, me
rappelle qu'il y a quelques mois un
diplomate accrédité auprès du
saint-siége faisait des démarches
pour obtenir un démenti à certain
article publié dans son pays, sous
la rubrique : RomCy et où il faisait
sensation. Voici la réponse qui lui
fut faite : Des journaux français ont
annoncé, il y a quelque temps, que le
saint-père avait envoyé au R. P.
Ventura des facultés pour accorder,
par une bénédiction spéciale, des in-
dulgences aux fidèles qui suivaient le
cours de ses prédications à la cathé-
drale de Montpellier. Le saint-père
n'a pas fait démentir cette nouvelle,
quoiqu'elle fût complélement fausse;
voyez par là s'il entre dans les
usages de la cour romaine de jamais
rectifier les erreurs que peuvent
commettre les journaux. » Et on
ajoutait : « Puisse le compte rendu
du dernier sermon du R. P. Ven-
tura être aussi peu véridique que
l'histoire des indulgences accordées
àses auditeurs de l'année dernière.»
A Montpellier, Ventura ne se livra
pas seulement au ministère de la
chaire, il composa aussi un ouvrage
sur le séjour de saint Pierre à
Rome. H est intitulé : Lettres à un
ministre protestant, 1 vol. in-<2,
4859. Il y répond à un ministre de
Genève, qui avait renouvelé celte
banale objection si souvent présen-
tée par les siens , et qui consiste à
nier le séjour et l'episcopat de
saint Pierre dans la capitale du
monde. En 1851 , Ventura vint
s'établir à Paris, où l'on peut croire
que se portaient ses projets et ses
désirs. Il u'eut aucune humiliation
à subir; tout le monde parut igno-
rer ou avoir oublié son passe. On
raconte , sur l'obtention de ses
pouvoirs ecclésiastiques, une anec-
dote (jui ne semble pas aSvSez sé-
rieuse jiour trouver sa place ici.
Sous l'adminisiralion de M. Affre,
qui avait accordé le celebrct au trop
270
YEN
fameux Vincent Gioberli, peut-c(re
aurait-il trouvé qu(-lque difficulté;
car, au souvenir des actes des der-
nières années, se serait peut-être
joint le souvenir de la différence
de sentiments sur certains points.
C'était à M. Affre, alors grand-
vicnire d'Amiens, que Ventura fai-
sait répondre par ses amis, ou ré-
pondait sur l'équivoque du mot. ç|J07j-
iiinée, présentée par celui-là d'une
manière piquante, à l'occasion de la
démission du professorat dont j'ai
parlé au commencement de cet ar-
ticle. Mais Ventura trouva M. Si-
bour archevêque de Paris, et sous
la juridiction de cet ancien ami,
sa position était naturellement toute
différente. C'est à dater de son sé-
jour dans la capitale, je crois, qu'il
signa son nom Ventura de Raulica.
Sa science et ses connaissances
étendues le mirent en relation avec
les hommes les plus distingués, avec
les mathématiciens comme avec les
littérateurs. Pendant les dix derniè-
res années de sa vie, qu'il a passées
à Paris , il s'est, comme à Mont-
pellier, uniquement donné à la
composition d'ouvrages nombreux
et à la prédication. Il fut bien-
tôt appelé à exercer ce ministère,
et il devait prêcher à la métropole,
aux exercices de l'Adoration perpé-
tuelle, le 2 déc(!mbre1851, lorsque
les troubles occasionnés par le coup
d'Klat de ce jour, lirenl momenta-
nément fermer l'église. 11 a occupé
souvent les chaires de Saint-Louis
d'Anlinet de la Madeleine, où quel-
ques incorrections d'expression et
de langage n'empêchaient pas qu'il
fût goûté. Il a même prêché une
station à la chapelle impéride des
Tuileries, où il montra, dil-on alors,
une certaine hardiesse ou énergie.
Comme ses sermons sont imprimés,
OD peut juger de ce qu il y a de
VEN
vrai dans celte persuasion. Ventura
paraît avoir rompu, dans tout ce
temps-là, avecles opinionsde l'abbé
Robert de La Mennais, qu'il n'y avait
d'ailleurs plus de gloire ou d'inté-
rêt à suivre; il l'a vu cependant
quelquefois, mais ils étaient loin
de s'accorder sur tout. — L'huma-
nité est grosse d'un grand avenir,
d'une religion nouvelle, lui disait La
Mennais vers 1852. — Vous vous
trompez, lui répondit Ventura : je
lui ai tûié le pouls, à l'humanité,
elle n'est pas grosse, elle est atteinte
d'une hydropisie. D;ins la préface
de quelques-uns des livres de Ven-
tura, et notamment dans celle de ses
Conférences^ on lit quelques traits
sur sa propre histoire. On y verra,
par exemple, que le pape, à qui l'on
demandait quel homme il regardait
comme le plus savant, après un in-
stant de réflexion, répondit que c'é-
tait le père Ventura, etqu'ilnecon-
naissait personne plus instruit que
lui et l'abbé Rosmini. Ces aveux ou
ces révélations s'écrivaient sous les
yeux de Ventura et peut-être
Une notice biographique, rédigée
par lui-même et confiée à un ami
pour un certain journal, fut insé-
rée avec des modifications. Depuis
lors, Ventura ne voulut plus voir
cet ami auquel il avait cependant des
obligations littéraires, et qui n'était
pas l'auteur des mutilaiions de l'au-
tobiographie. Depuis quelques an-
nées, Veptura allait se délasser et
chercher quelques loisirs à Versail-
les; c'est là qu'il a été atteint de la
maladie dont il est mort, le 2 août
IHOI, après avoir reçu, avec une
piété édifiante, les derniers sacre-
ments. Ses obsèques eurent lieu le
5, au milieu d'un concours assez
nombreux, vu l'heure matinale ( il
n'elait que huit heures ). et qui se
grossit de l'église cathédrale, où le
VEN
corps fui d'abord porté, jusqu'à l'é-
glise des pères capucins, auxquels
il fut confié. L'évêque de Versail-
les célébra lui-même la messe ,
et il avait témoigné un dévoue-
ment admirable au célèbre défunt
pendant tout le cours de sa mala-
die. Dans le cortège funèbre, on
voyait plusieurs hommes distingués.
Italiens, Polonais, etc., et parmi
eux M. Méglia, internonce du saint-
siège à Paris, ainsi que le révérend
père Girino, procureur général de
l'ordre des théatins, qui était dé-
puté pour assister son ilbistre con-
frère, auquel le pape Pie IX en-
voyait une indulgence plénière dans
cette extrtmité. Le Père Cirino a
reporté à Rome le corps de Ven-
tura, qui reposera définitivement
au milieu de ceux qu'il n'aurait ja-
mais dû quitter (1). Qu'il a été mal-
heureux pour ce religieux savant de
joindre tant de faiblesses à tant de
qualités! Ses écarts, les circons-
tances auxquelles il s'est prêté d'une
manière si répréhensible, ont trou-
blé son repos et brisé tout l'avenir
que la Providence lui préparait, car
on ne peut douter que, s'il eût
suivi une voie p!us droite, il ne fût
parvenu aux plus hautes dignités de
l'Église, même au cardinalat. Ce
qu'il y a eu de condamnable dans
sa conduite n'efface pas entière-
ment ce qu'il y a eu de louable en
lui, et je crois pouvoir employer
ici l'expression d'un savant prélat
sur une autre célébrité malheu-
reuse : « La faute d'un jour ne peut
faire oublier les inspirations de
toute une vie. » Les journaux
français ont dit peu de chose sur
Ventura après sa mort; on trouve
néanmoins dans le Monde (numéro
(1) Il est Inhumé au pied de la chaire
de l'oylise Saint-André.
VEN
271
du 9 août 1 861 ) un article intéressant
fourni par M. A', de Fontaines, qui
fait bien connaître les opinions ji:-
dicieuses du savant théatin sur les
matières religieuses, politiques, so-
ciales, etc. Il nous rappelle en pre-
mier lieu que ses profondes connais-
sances théologiques lui donnaient
une aversion prononcée pour le
gallicanisme, qui, disait-il, n'estau
fond que la négation de la souverai-
neté spirituelle du pape dans l'É-
glise. Il est vraisemblable qu'une
vie telle que celle de Ventura, qui
a touché si fortement à tant de
points divers, trouvera un écrivain
capable de la faire apprécier. Je
me suis empressé de recueillir les
faits dont est composé cet article,
qui était d'urgence, pour que le cé-
lèbre théatin occupât dans la Bio-
graphie universelle la place méritée
à tant de titres. Outre les ouvrages
que j'ai mentionnés ci-dessus, on
connaît encore du père Ventura :
La Femme chrélienne ou Biographie
de Virginie Bruni, écrite par le r.
R. P. Venlura de Raulica, ancien
général des théatins, consulteur de
la sacrée congrégation des Rites^
examinateur des évéques et du clergé
romain, traduite par madame de
B"*, in-12. Paris, 1851.— La Rai-
son philosophique et la Raison ca-
tholique, in-S', 1852. Cet ouvrage
est précédé d'une Introduction, par
M. l'abbé Ilippolyte Barbier. — Les
Femmes de l'Évangile, in-12, 1853.
— La Femme catholique, 3 vol.
iii-8", 1851. — De la vraie et de la
fausse philosophie, en réponse à
une lettre de M. le vicomte Victor
de Donald, in-8". — Essai sur l'o-
rigine des idées, fc-S", 1853, —
École des miracles ou les OEuvrcs
de la puissance et de la grandeur de
Jésus-Christ, 3 vol. in-18, 1854-
1858. — La Tradition et les semi-
272
VEN
pélagiens de la philosophie ou le
Semi- Rationalisme dévoilé^ ouvrage
renfermant de nouveaux et amples
développements sur la nature et les
forces de la raison ; sur les prin-
cipes des connaissances humaines ;
sur la loi naturelle ; sur la néces-
sité de la tradition et delà révélation
divines, et sur les funestes effets de
l'enseignement philosophique ac-
tuel dans les établissements dirigés
par les rationalistes soi-disant ca-
tholiques, in-8\ G'estencevohime
surtout que le père Ventura montre
clairement à quelle école philoso-
phique et religieuse il appartient.
Plus d'un lecteur y trouvera peut-
être qu'il est allé plus loin que je
ne l'ai supposé dans la remarque
que j'ai faite ci-dessus en parlant
du discours qu'il prononça en 4 825
îi VAcadémie de la religion catholi-
que sur la puissance de la raison
humaine. — Le Pouvoir politique et
chrétien, discours prononcés à la
chapelle impériale des Tuileries pen-
dant le carême de Vannée 18.j7, pié-
cédéd'une Introduction, parM. I.ouis
Veuillot, in-8°. — Essai sur le pou-
voir public, pour faire suite au
Pouvoir chrétien, in-8°, 1857. —
Traité sur le culte de la sainte
Vierge, la mère de Dieu, mère des
hommes, in-12, Lyon, 18o2. —
Gloires nouvelles du catholicisme,
ou Eloges funèbres, Vies et Exem-
ples de quelques grands catholi-
ques décédés dans la première moi-
tié de ce siècle^ ouvrage traduit
de l'iliilien sous la direction de
l'auteur, in-8°. — Eûoposition des
lois naturelles dans l'ordre social,
iii-8'. L'ouvrage intitulé : La Bai-
son philosophique et la raison catho-
lique a eu depuis deux autres vo-
lumes, contenant, comme le pre-
mier, une suite de conférences reli-
gieuses. Aucun des ouvrages de cet
VER
écrivain fécond n'a subi les censu-
res de l'Eglise, si ce n'est lopus-
cule qu'il publia sur les morts de
Vienne, et dont voici le titre tout
entier : Discorso funèbre per morti
di Vienna, recitato il giorno 27 no-
vembre 1848, sulla insigne chiesa di
S. Andréa delta Valle, dal R. P. D.
Gioacchino Ventura, con Introduzione
e Protesta dell autore. Le décret de
V Index est du 30 mai d849 (1),
mais il ne fut approuvé par Pie IX,
à Gaëte, et promulgué que le 6 juin
suivant. On a dit, mais à tort, ce
me semble, que Ventura avait écrit
contre le pouvoir temporel du
pape (2) dans son Journal de Gê-
nes. Le portrait du célèbre théatin
a été gravé; on le trouve en tête
du volume intitulé : le Pouvoir po-
litique et chrétien. B — n — e.
VÉRAC (le marquis Charles-
Olivier DE Saint-Georges de),
railitaire et diplomate français, plus
(1) Il est k remarquer que c'est le
même jour et par le uiême décret que
furent condanuiés l'ouvraj^e de Ven-
tura : La Coiistituzione seconda la
Guistizia sociale, con unu appendice
sulla unila Italia, d'Antoine Kosmini
Sfîrbati ; — il Gesuita moderno , de
Vincent Gioberti. Rosmini se soumit
de suite, et sa soumission est louée
dans le décret. Ventura se soumit au
mois de septembre, des que le décret
lui fut connu... Gioberti ne se soumit
pas du tout.
(-2) L'abbé Passaglia, après sa dé-
fection, s'était retire ii Gênes (1861), et
devait, suivant la Ferseverenza, feuille
de Milan, a devenir un des plus assi-
« dus et des principaux écrivains du
c journal VAmico, de Gênes, journal
c du clergé libéral italien... M. Passa-
« glia succédera, disait-elle, dans cette
f( œuvre ii un autre grand écrivain, qui
< vient de mourir, le P. Ventura, qui,
€ avec Toinniaseo, Ainori et d'autres
« savants du premier ordre, défendait
fl dans ce journal les intérêts de la li-
c berté et de la nation italienne, en
a cherchant à les concilier avec la re-
« ligion catholique. »
VER
VER
273
grand seigneur, mais moins écla-
tant météore dans Thistoire que le
militaire diplomate Dumouriez, son
contemporain, mérite pourtant une
place dans notre Biographie et de-
vraildéjàlavoir obtenue, t. XLVIII.
Il naquit le 10 octobre 1743 au châ-
teau de Couhé-Vérac, en Poitou.
Son bisaïeul avait été lieutenant
général de la province de Poitou;
lieutenant général de la province de
Poitou devint son aïeul; lieutenant
général de la province de Poitou se
trouvait son père, quand venait au
monde l'espoir de la dynastie de
Couhé... L'on ne s'étonnera donc
pas qu'en vertu du principe, déjà
connu des Romains ,
Nati Metelli fiiint consnles Rorr.îe,
le jeune Charles-Olivier, bien qu'il
ne comptât encore que « deujc lus-
trcfi romplels » ait été pareillement
investi de ce titre. Quatre ans
après, (1757), il mettait le pied
à rélrier dans les mousquetai-
res, vie commode et paisible mal-
gré la guerre de sept ans qui
rugissait en Allemagne et dont
souffrait cruellement la France.
Trois ans environs se passèrent
sans que les pimpants mousque-
taires du corps de Vérac culti-
vassent autre chose que les bou-
doirs et la parade. En 1761 la scène
changea : Charles-Olivier fit cam-
pagne comme aide de camp du duc
d'Havre, second éjjoux de sa mère,
et le Kl juillet il eut part à la san-
glante rencontre de Willinghaustn,
où il faillit laisser un bras. D'IIuvré
fut tué d'un coup de canon; le
même boulet blessa au bras l'aide
de camp. Avouons que l'elTel de
cette blessure fut des plus heureux :
en 17G7, sans action d'éclat qu'on
ait citée, Vérac derenait colonel au
corps des grenadiers de France; en
LXXXV
1770, il recevait le grade de mestre
de camp, l'épaulette de lieutenant
du régiment royal-dragon et la
croix de chevalier de Saint-Louis.
Ainsi comblé militairement, comme
on lui reprochait de n'avoir pas
beaucoup couché sur la terre, beau-
coup placé de batteries, beaucoup
bravé de fusillades et vu crever
beaucoup de bombes, il répondit, ne
contestant pas des vérités trop clai-
res malgré sa blessure de 1761:
« J'étais né pour la diplomatie, » et
il se trouva des ministres peur le
nommer de prime abord à des pos-
tes diplomatiques, sans le faire pas-
ser par ces grades intermédiaires
d'attaché , de secrétaire , où du
moins l'on apprend les éléments
de la science ou de l'art qu'on as-
pire à pratiquer. Il est vrai qu'il
lui fallut dans les commencements,
tout en arrivant d'emblée chef de
légation, se contenter du simple
titre de plénipotentiaire. C'est en
cette qualité qu'il vint résider, en
1772, à la cour de Hesse-Cassel
( où sa mission n'était guère qu'une
sinécure), en 177-i auprès du roi
de Danemark, en 1779 à Saint-
Pétersbourg. En 1784 enfin il de-
vint de plénipotentiaire ambas-
sadeur ; mais , traiisplanté des
quais et des îles de la Neva aux
rivages du Zuyderzée, il no trouva
pas la tiuhe si facile entre les deux
nuances gouvcrnemeniales qui di-
visaient les Provinces-Unies cju'au-
près de l'autocratie à laquelle nul
ne rési'>lait depuis (juo, grâce ;'i
Mikhelson, Pougatchef avait cessé
de la faire pâlir. Le plus fâcheux,
il faut le dire, c'est que son gou-
vernement même ne savait |)as très-
bien ce qu'il voulait, ou du moins
à quels moyens il comptait avoir
recours pour obtenir ce qu'il vou-
lait. Ainsi l'on eût pu croire (|iie,
is
21li
VER
VER
contrairement à l'Angleterre et à
la Prusse, le cabinet de Versailles
s'opposerait à l'agrandissement ou
du moins à la consolidation de la
maison d'Orange. Vérac pourtant
fut désapprouvé pour avoir con-
seillé aux États de Hollande de
retirer au stadhouder le gouverne-
ment de la Haye; et son minis-
tre le rappela fort cavalièrement.
Nous trouvons, nous, cette dis-
grâce honorable, et nous pardon-
nons de tout notre cœur à l'envoyé
français de n'avoir pas voulu ti-
rer les marrons du feu pour le roi
de Prusse. Pendant quatre à cinq ans
Vérac resta ainsi dans l'ombre. Il
ne revint sur l'eau qu'en 1789,
pour aller toujours, avec le titre
et les appointements d'ambassa-
deur , continuer la mission de
Vergennes en Suisse. Mais un peu
plus ou un peu moins de Suisses
autour de la personne du roi de
France, et un peu moins ou un peu
plus de haute paie pour aviver le
feu sacré du dévouement en train
de s'éteindre, ce n'étaient plus là
les questions vitjdcs auxquelles te-
nait le salut de la monarchie. Celait
à Pavie, c'était à Mentoue, en at-
tendant Pilniz, c'était dans les trois
capitales hostiles (Vienne, Berlin,
Madrid) qu'étaient en ébullition les
{ïrands projets pour l'annihilation
des nouvelles idées qui prenaient
racine en France. C'était sur une
autre frontière que celle du Jura
que devait s'effectuer l'évasion de
Louis XVI. Nul doute, au reste,
que Vérac ne fûtdejjuis longtemps
informé do celte mesure décisive
arrêtée en principe à la cour au
moins six mois auparavant (dès
décembre 1700), et qui, remise en
question un moment par les tergi-
versations de Léopold II, fut hrns-
qaement déterminée par l'ambi-
tion personnelle du marquis de
Breteuil. Les fameuses journées du
21 au 25 juin (1791), en rivant
désormais le souverain fugitif à
Paris et en entourant l'Assemblée
de ce prestige, de ce surcroît de
puissance que donne aux gouver-
nants toute insurrection vaincue
ou toute conspiration déjouée,
montraient assez qu'à l'avenir ce
n'était plus par des voies régulières
et correctes qu'un ami du roi pou-
vait lui prouver son dévouement,
et que pour le moment il ne fallait
plus songer à servir du même coup
la nation et le monarque. Son
choix fut prompt, et ce fut celui
de presque tous les membres de sa
caste. Il envoya sa démission, et
au lieu de revenir en sa patrie, il
partit pour Landau, d'où successi-
vement il se rendit à Venise, à
Florence, et finalement, revint à
ce Nord, centre et point de départ
des coalitions, à Ratisbonne, la ville
des diètes sempiternelles, la serre
froide des conclusions qui ne con-
cluent rien. En France, où l'on est
moins long k conclure, l'on n'at-
tendit pas ce retour aux parages
germaniques, l'on n'attendit môme
pasle commencementdu [)èlerinage
pour porter Ghild Ilarold sur la
liste des émigrés, — d'où virtuelle-
ment et ti'op souvent réellement
les domaines étaient vendus, les
titres lacérés, le mobilier au pil-
lage, — de sorte que nulle remise
n'arrivait de la part des intendants
aux expatriés volontaires, dont les
ressources s'épuisaient vite dans les
pou confortables hôtels de l'Alle-
magne. Véraceut, ce semble, sa part
et plus que sa part de ces déboires.
Aussi, malgré sa fidélité à ses rois,
ne persévéra-t-il dans l'émigration
que tîMit qu'il y eut risque à reve-
nir. Mais sitôt que le premier con-
VER
VER
275
sul eut décrété l'amnistie et la
permission de rentrer h tous émi-
grés, sauf les princes de la famille
prétendante, il ne s'opiniàtra pas à
végéter sur la terre étrangère (1 801).
Il n'était peut-être pas sans espoir
de se remettre en possession de
quelques débris de sa fortune. Il
est permis de penser qu'il en fut
ainsi, soit que tout n'eût pas trouvé
d'acquéreur, soit que des intermé-
diaires ou que de fidèles amis eus-
sent racheté sous main une par-
tie de ses biens pour les lui re-
mettre, car évidemment il ne re-
vint pas gros capitaliste de la terre
d'exil, et l'Empire ne le pourvut
d'aucun office. Toutefois, personne,
quand 1811 ramena les Bourbons,
ne cria plus haut que lui sur les
toits que la Révolution l'avait cora-
j)létement dépouillé, que ses terres
avaient été vendues, ses titres (de
propriété sans doute?) jetés au vent,
ou au feu, ses meubles rais Ji sac, ses
châteaux démolis, ses bois cou-
pés, etc., etc. L'>uis XVIII, pour
lui témoigner sa reconnaissance de
sa tidélité de dix ans, s'était em-
pressé, dès 18i4, de faire revivre
pour le marquis les grandes entrées,
puis après son deuxième retour
et après avoir fait quelque temps la
sourde oreille, comprenant qu'on a
beau avoir été un parangon de
fidélité, ou ne vit pas de pain sec et
d'honneur, en 1816, il l'investit
de quelque chose de plus solide, et
qui se résolvait en emargemtînts :
il le promut au ran? de lieutenant
général, vu qu'en 1770 il avait été
mestre de camp. Du reste, n'é-
lait-ce pas un des vétérans de l'ar-
mée selon le cduir de la dyna'^tic?
En parlant de Mol ou 1758 {l'épo-
que de son début comme mousque-
taire), et comptant ses vingt et une
anuées d'exercice ou de di.^ponibi-
lité diplomatique (1770-1791), plus
l'intérim, qui pour un fidèle servi-
teur avait été le plus saint des de-
voirs pendant le triomphe de l'a-
narchie et de l'usurpaiion, c'était
comme cinquante huit ou cinquante-
neuf ans de services! De tous les
officiers à services cinquantenaires,
on peut tenir pour certain que pas
un ne comptait moins de campagnes.
Toutefois il n'eut pas longtemps à
jouir de celte étonnante preuve de
la reconnaissance de son royal maî-
tre, lequel, ce me semble, aurait
mieux fait, puisque Ton voulait qu'il
y eût une pairie dans la maison, de
donner la pairie à l'ex-diplomate, et
de faire de l'ex-carabinier son fils
(voy.un peu plus bas) un lieutenant
général. Quoi qu'il en puisse être,
le lieutenant général marquis et non
pair, Charles-O. de Vérac, mouiut la
même année. Il n'aurait pas vu toute
une session. — Né vers 1770, Ar-
mand-Maximilieu-Erançois-Joseph-
Oiivier, son fils aîné, entra fort jeune
au service, et, officier dans les ca-
rabiniers royaux au moment delà
Révolution, émigra, plus tôt peut-
être que son père ne quitta son
poste diplomatique en Suisse. 11 le
suivitlors de son retour en France,
dans les commencements du gou-
vernement consulaire ; mais il de-
meura étranger pendant l'Empire à
tout service civil et militaire, et
vécut dans ses biens paraphernaux,
avant d'obtenir la main d'une fille
du vicomte de Noailles. Eouis XVIII
non-seulement le nomma chevalier
de Saint-Louis en 1814, mais, lui
conféra la pairie le 17 août 1815
(donc bien avant la mort de son
père). Son nom, en elTet, nous
saute aux yeux à l'ouverture <le la
session de 1818, où nous le trou-
vons un des (juatrc socrélaires de la
noble chambre. En rSi'J, il fut
276
VER
VER
Danli par ce prince d'une autre si-
nécure, le gouvernement du châ-
teau de Versailles. Il était, de plus,
président du conseil général du dé-
partement de Seine-et-Oise, et de-
puis la session de 1818 inclusive-
ment, il présida le plus souvent le
collège électoral de ce département.
Val. p.
VERDIER (le comte Jean-An-
toine), un des lieutenants généraux
français par qui fut le plus vaillam-
ment, le plus fréquemment payé la
dette à la patrie pendant les lon-
gues luttes de la République et de
l'Empire, vit le jour à Toulouse le
i"^' mai 17G7.11 n'attendit pas pour
s'engager que sa dix-huitième an-
née fut écoulée, et, en 1785, dès
le 18 février, il entrait au régiment
de La Fère. L'émigration, en lais-
sant des places vacantes dans l'ar-
mée, puis l'imminence de la guerre
étrangère, qui commandait de rem-
plir au plus vite ces lacunes en con-
férant aux plus dignes ce qui na-
guère était aux mieux nés, lui va-
lurent, en 171)2, le grade de sous-
lieutenant. Deux ans après, il
devenait capitaine au second ba-
taillon des volontaires de Haute-
Garonne (1794), et bientôt Auge-
reau le choisit pour son aide de
camp. L'armée des Pyrénées-Orien-
tales, à laquelle il appartenait,
opérait en Catalogne, mais en vue,
pour ainsi dire , des frontières
françaises et sans avoir encore rem-
porté d'avantage signalé. Verdier,
se plaçant à la tête d'un bataillon de
chasseurs de la Drome, se préci-
pita l'épée à la main sur le camp
retranché de Llers, que défen-
daient 4,000 Espagnols et 80 bou-
ches à feu; et, par le succès de
celle attaque audacieuso, décida la
prise de Figuières (automne 179o).
A la suite de ce fait d'armes, il fut
nommé adjudant général chef do
brigade. Une se distingua pas moins
les deux années suivantes en Italie,
h la suite du jeune vainqueur de
Colli et de Beaulieu, de Wurmser
et d'Alvinzi. En 1796, il assaillit
et prit avec un rare et magnifique
entrain la redoute de Meledano ;
puis, toujours faisant partie de la
division Augereau , il concourut
puissamment à la mise en déroute
du centre de l'armée autrichienne
à la journée de Castiglione, et fut
créé général de brigade sur le
champ de bataille ; en 1797, il était
à cette longue et rude affaire d'Ar-
cole où si longtemps les héroïques
tentatives pour passer la chaussée
sous le feu d'une artillerie écrasante
avaient été impuissantes, et une
blessure le mit hors de combat. A
peine guéri, l'armée active le vit
reparaître, n'ambitionnant que les
postes les plus difficiles et les plus
périlleux. Il fit ainsi toute la cam-
pagne de l'hiver, 1796-1797, et prit
part à tous les combats jusqu'aux
préliminaires de Léoben. Bonaparte
ne manqua pas de l'emmener, lors-
qu'il mit à la voile pour l'Orient ;
et, tour à tour, l'Egypte, la Syrie
furent le théâtre de ses exploits.
En Egypte, il eut sa part à
peu près de tous les faits d'ar-
mes de quelque importance : à la
batailles des Pyramides, il avait
sous ses ordres une des brigades
de la division Kléber. En Syrie, il
commandait les grenadiers et les
cclair(;urs au siège d'Acre; et, s'il
n'eût dépendu que de lui, la place,
certes, aurait été emportée. Il faillit
y pénétrer le jour de l'iissaut : il
fut des premiers à l'escabide, sur-
prit un poste ennemi et atteignit
l'en droit que le plan général arait
désigné à ses efforts et oij l'on devait
se rejoindre ; malheureusement les
VER
VER
277
essais sur d'autres points ne furent
pas aussi heureux, et VerJier eut
l'amer chagrin, après avoir, quant
à lui, mené raffaire à bien avec ses
braves, de recevoir l'ordre de re-
venir aux tentes, non sans le fatal
pressentiment que jamais l'occasion
ne se représenterait aussi propice,
et que bientôt il faudrait abandon-
ner, non-seulement Saint -Jean -
d'Acre, mais encore la Syrie pour
courir à la défense de l'Egypte
conquise. Il ne se trompait pas.
L'Angleterre avait retrempé, avait
pourvu de tout le matériel qui lui
manquait le vieil esprit domina-
teur des Ottomans, et se prépa-
rait à les seconder par terre et
par mer. Le général en chef, quand
cette douloureuse nécessité se fit
sentir, et quand d'ailleursil songeait
à revenir en France, choisit Verdier
pour gouverneur de la province de
Damiette. C'était le poste de l'hon-
neur, c'était l'avant-garde, c'était
par là que l'ennemi devait parailre.
Bientôt, en effet, se montre l'énor-
me escadre conduite par Sidney
Smith, et à laquelle les Français
n'ont pas un navire qu'on puisse
opposer. Empêcher le débarque-
ment est impossible: déjà 8,000 ja-
nissaires sont sur le rivage avec un
matériel considérable, au Boyau de
Damiette, cnlre la rive droite de la
Méditerranée et le lac de Menzaleh.
Maison peut les faire repentir de leur
audace. Verdier avec un élan, une
résolution et une vigueur dont l'his-
toire, si l'on en excepte l'histoire de
France, offre peu d'exemples, s'é-
lance sur eux avec mille hommes
qu'il a sous la main ; il ne se donne
pas même la peine d'attendre De-
saix qui vient avec drs renlorls:
c'est toujours l'ollicier (pii fond sur
le camp de Llers, en CalalogQc :
deux mille (ou a même dit cinq
mille) janissaires restent sur le
champ de bataille, huit cents de-
meurent prisonniers; trente-deux
drapeaux , dix pièces de canon
sont encore les trophées de la
victoire. Kléber, qui se connais-
sait en bravoure, fut émerveillé
de ce fait d'armes et lui décerna en
mémoire du combat de Menzaleh
un sabre d'honneur. Malgré ces
prodiges de résistance, l'attaque
anglo-turque, dont sans cesse les
forces allaient grossissant, tandis
que la minime phalange française
était coupée du reste du monde,
avançait irrésistiblement. C'est l'in-
térieur du pays qu'il fallait défen-
dre : les coalisés parurent devant
le Caire. Verdier était du nombre
des officiers qui se renfermèrent
dans la ville. Il s'y distingua non
moins qu'en rase campagne, et
c'est alors qu'il fut promu au rang
de général de division. Cependant
Bonaparte devenu le premier con-
sul, et qui, la seconde coalition
virtuellement anéantie par les suites
du coup de foudre de Marengo,
voulait encrer la France en Ita-
lie, le rappela avant que l'éva-
cuatiin générale de l'Egypte fût
consommée. Les croisières an-
glaises auraient pu rendre cet or-
dre nul : Verdier leur échappa. De
retour à Paris, il fut toute l'année
1801 , avec la division qu'il comman-
dait, employé à diverses missions
toutes concourant à l'objet prin-
cipal: il fut d'abord sous les or-
dres de Murât. Passant ensuite
en Etrurie, il y fut chargé du com-
mandement de toutes les troupes
françaises qui s'y trouvaient en cet
instant. De là il eut à se rendre
dans l'Italie méridionale pour aller
occuper la i'ouille, sous Gouvion
Saint-Cyr. Enfin il fut de nouveau
donné pour chef au corps français
278
VER
VER
de rÉtnirie, royaume tout nouveau
où l'installation d'une dynastie
nouvelle réclamait ou du moins
justifiait la présence, soit du pro-
tecteur, soit de ses délégués. Sauf
quelques très-courtes absences,
Verdier y passa tout le temps qui
s'écoula jusqu'à la rénovation de la
guerre avec l'Autriche , en iSOo.
Il eut le plaisir de faire d'un
bout à l'autre cette magnifique
campagne qui nous ouvrit Vienne,
tant de fois menacée, tant de fois
épargnée, et qui finit par la bataille
d'Auslerlitz. Verdier faisait alors
partie du corps de Masséna. Le
petit-fils de Marie -Thérèse ainsi
réduit à résipiscence, ce fut le tour
de son allié, ce Ferdinand IV ou
Ferdinand I'' qui, toujours le jouet
de son impure compagne, croyait
qu'un trône est inébranlable et
qu'un prince est inamovible quand
il a pour lui l'archiduc des archi-
ducs, en d'autres termes le Hetman
des Szeklers et des Pandours ; et
le parterre européen eut à contem-
pler la petite pièce après la grande.
On devine qu'il s'agit de cette
fuite nouvelle du Rourbon de Na-
ples, quittant sans coup férir non-
seulement Naples et son royaume
continental, mais ce qui lui tenait
le plus au cœur, son Parc-aux-
Cerfs de San-Lcucio, que lui per-
mettait la reine moyennant que le
royal époux lui permit Acton. Ver-
dier, revenu des bords du Danube,
prépara et détermina ce départ.
Après un court séjour en Toscane,
au retour de la campage de Mora-
vie, il avait été désigné pour aller
(devers ce pays qu'il avait parcouru
sous Gouvion Sainl-Cyr) seconder
le général Re},Miicr chargé de châ-
tier le roitelet si heiireux naguère
des calamités de la France. Il s'ac-
quitta comme k l'ordinuire de celte
mission, qui pour lui n'était qu'un
jeu; et après n'avoir que posé le
pied dans la capitale, marchant
toujours en avant, de concert avec
le chef du corps français de Naples,
il atteignit Reggio, le fond de la
botte, et vit ces fuyards, qui ne va-
laient pas la peine d'être faits pri-
sonniers, s'embarquer pour rejoin-
dre au delàdudétroitleurmonarque
1 in partibus iy (1806). Pendant ce
temps beaucoup des anciens cama-
rades de Verdier. cueillaient, au
cœur de l'Allemagne septentrionale
et contre la Prusse entrée en lice
à la dernière heure, des lauriers plus
opiniâtrement disputés, et dont il
eût certes préféré les périls à la
piomenade, l'arme au bras, qu'il
avait été chargé de faire le long
de la riante péninsule. Mais sa soif
de drames militaires un peu plus ac-
cidentés fut bientôt satisfaite. Bien
que la victoire d'Iéna eût ouvert
à l'empereur des Français les portes
de Berlin, la Prusse avait encore
ses provinces slaves, et Napoléon,
pour se faire demander la paix,
allait y lancer ses bataillons vain-
queurs des provinces allemandes
et qu'il nommait déjà la grande
armée de la Vistule. Commençant
par la remettre au complet et plus
même qu'au complet, car il n'igno-
rait pas qu'il allait avoir les Russes
aussi sur les bras, il n'oublia pas
le second de Régnier. Verdier at-
teignit le théâtre de la guerre, juste
à temps pour donner avec son
monde au grand combat de Hcils-
berg, où, suivant son usage, il fit
beaucoup de prisonniers. A la
décisive et sanglante journée de
Friedland, il contribua si puissam-
ment par la célérité, par l'aplomb
de ses manœuvres au triomphe des
Français, qu'ils eurent, sa division
et lui, l'honneur d'uiie mention
VER
spéciale au bulletin du jour, ou-
vrage propre ou peu s'en faut de
l'empereur. Ce n'est pas d'ailleurs
à de stériles hommages que se
borna le maître : la même année
Verdier reçu le titre de comte de
Tempire. La même année aussi le
vit partir pour l'Espagne, qu'il
n'avait guère qu'entrevue lors de
ses débuts sous la République et
qu'il allait apprendre à connaître.
C'est à lui d'abord que fut confié
le commandement du corps chargé
d'opérer au nord. En Galice, où
bientôt débarquèrent des Anglais,
il eut à livrer le combat de Lo-
grono, où matériellement la vic-
toire nous fut fidèle, mais qui
n'anéantissait en aucune façon l'in-
surrection dans des régions toutes
montagneuses, qu'on eût dites
créées pour laguerre de guérillas. Il
n'en dut pas moins se replier sur
TÈbre, et même sur la Navarre où
Parapelune était à nous, mais d'où
l'on pouvait voir l'esprit de soulève-
ment gagner de proche en proche
et tendre à couper les communica-
tions entre la frontière française
et Madrid où commandait Murât.
Pour rendre impossible le plan du
cabinet de Saint-James, il fallait
avant tout être plus solidement éta-
bli qu'on ne Tétait en Aragon et en
tenir la capitale hors d'état de bou-
ger. Neuf mille hommes donc,
parmi lesquels neuf cenis de cava-
lerie, se mirent en marche de Para-
pelune pour Saragosse : Verdier
était à leur tète. C'était au com-
mencement de juin. II était bien
temps de prendre sérieusement les
mesures vigoureuses. Dès Tudela,
l'on aperçut de grosses bandes de
paysans qu'avait rassemblés li la
hâte le marquis de Luzan (frère
aîné de Palafox) et qui n'auraient
pas mieux demandé (lue de barrer
VER
279
le passage. Ils n'osèrent et ils al-
lèrent prendre position dans un
bois d'oliviers entre le canal d'A-
lagon et le village de Ilalden. II
fallut les en débusquer. Un peu
plus tard, après avoir dépassé Ala-
gon, l'on vit apparaître des cita-
dins de Saragosse qui, spontané-
ment ou non, s'étaient levés avec
ce qu'ils avaient pu se procurer
darmes et avaient demandé à Pa-
lafox de les conduire à l'ennemi,
en plaine! Indisciplinés et mal ar-
més, ils ne tinrent pas longtemps:
les uns furent taillés en pièce, les
autres ne durent leur salut qu'à
l'intervention de deux cents régu-
liers et de quelques fusiliers que
leur général avait gardé pour ré-
serve. Lelendemain(14) un petit dé-
tachement de cavaleiie française s'é-
tant hasardé dans un des faubourgs
de la place, comme cela semblait
possible et facile dans une ville ou-
verte, paya de quelques morts sa
témérité. Verdier comprit bien vite
que l'émeute désormais ne pouvait
être prise pour un caprice et qu'il
faudrait un siège en règle. Il s'y
résolut sur le champ'; mais, ayant
vu les Aragonais, tout irrégulières
que fussent leurs manœuvres, non-
seulement fermer passage à coups
de canon au gros des forces fran-
çaises qui voulaient forcer la porte
Portelle , mais exterminer, avec
transport et sans pitié jusqu'au
dernier, les quelques braves qui,
plus ardents que les autres, avaient
pénétré dansles rues, il crut à pro-
pos de se placer provisoirement à
dislance un peu plus respectueuse
de l'artillerie aragonaise (au vil-
lage d'Epila), pour revenir sous
peu moins faible quant au nombre
et mieux ap[)rovisonné quanta l'at-
tirail de siège, puisque évidemment
il ne falUil plus compter sur les ra-
280
VER
VER
pides coups de main et les triomphes
au galop. Palafox profila de ce répit
pour réunir , lui aussi , quelques
troupes de plus, pour ajouter aux
ressources, en vivres et en muni-
tions, d'une ville qui n'avait jamais,
depuis des siècles, été considérée
comme place de guerre, et pour
organiser la résistance indéfinie
par tout TAragon, par tout le
royaume, au cas mèmeoùlagrande
cité aragonaise tomberait. Il eut
même Tidée d'anéantir le corps de
Verdier par un grand coup en se
portant à la Muela, ce qui devait pla-
cer le général français entre sa pe-
tite mais intrépide armée et les mi-
lices de Saragosse. Déjà il avait at-
teint les environs d'Epila, et une
marche peu longue allait le con-
duire au point souhaité. Mais Ver-
dier voyait clair, Verdier devinait.
Tandis que les hommes de Pala-
fox se préparaient, par le repos
et le sommeil, à la marche du
lendemain , Verdier , à la tête
de ses tr oupes bien éveillées ,
avançait de nuit jusqu'à leurs
grand -gardes négligemment po-
sées, les surprenait et, eu dépit
d'une résistance si belle de la part
de dormeurs si brusquement ré-
veillés, les contraignait à prendre
la roule de Catalogne, d'où ce ne fut
pas sans peine qu'ils purent, eux
et leurs chefs, regagner Sara-
gosse. Presque en même temps les
Français arrivaient sous les murs,
plus forts qu'en commençant,
non moins impétueux et plus sur
leurs gardes. Chaque jour nou-
velle attaque, circonspecte et su-
bordonnée à un plan systématique,
et chaque jour un pas en avant.
Le 28, un tiers de la ville était en
la possession des Français, qui, de
plus, s'étaient rendus raaîires de
l'importante position de Torrero,
défendue par cinq ceuts hommes et
de l'artillerie. Le commandant, en
rentrant à Saragosse , fut déclaré
traître immédiatement et subit le
supplice de la hart. Verdier n'en
vint pas moins à bout d'investir
complètement la ville, dont long-
temps on n'avait pu empêcher les
communications avec le dehors;
les vivres y devinrent rares, 1,200
bombes et plus qu'il y jeta en-
combrèrent les rues et les places de
cadavres que la paresse des Espa-
gnols,non moins grande, il faut le
dire, que leur courage et leur per-
sévérance, ne faisaient pas dis-
paraître avec assez de rapidité
pour empêcher le typhus. Enfin,
le 3 août, furent complétées les
batteries sur la Guerva, et le A,
après que le feu de celles-ci eut
réduit en ruines le splendide cou-
vent de Sainte-Engracie , maître
de la rue de Cozo et du centre de
la ville, il put se croire à la veille
de dicter des lois. Avec d'autres
que les descendants de la race de
Sagonte et de Numance, il eût été
dans le vrai. Aussi fut-ce généro-
sité plus qu'outrecuidance de sa
part d'envoyer aux assiégés un par-
lementaire avec ces deux lignes:
« Quartier général de Sainte-En-
gracie : Capitulation, «et fut-ce avec
surprise que tous ses officiers lurent
la réponse espagnole : « Quartier gé-
néral de Saragosse: «Guerre au cou-
teau. » Les efforts énergiques d'un
cùté, désespérés de l'autre, conti-
nuèrent donc avec plus d'intensité
que jamais. Nul doute qu'enfin
Verdier n'eût vu les siens, à la lon-
gue, couronnés par le succès, si
des événements de force majeure
n'eussent fait tourner la chance.
Mais la vérité nous force ii dire
que, quelque sages et savantes que
fussent les dispositions du gé-
!
VER
VER
281
néral français, du 5 au i'3 août,
les Espagnols, non-sealemcnl ne
perdirent plus un pouce de ter-
rain, mais pouce à pouce rega-
gnèrent, chose incroyable! sur
rintrépidité française, partie de ce
qu'ils avaient perdu. Dix jours
durant l'on se battit de maison en
m.'iison, de rue en rue, de place
en place ; et finalement la ban-
nière française, après avoir plané
au centre de la cité, ne flottait
plus que sur les faubourgs. A lui
seul, certes, ce raourement rétro-
grade, dû surtout à trois mille
hommes de renfort qu'on n'avait
pu empêcher de rejoindre les com-
pagnons de PaUfox et qui refluaient
du sud où le drapeau de l'indé-
pendance était levé, ne pouvait rien
pour l'avenir. Mais ce que faisait
pressentir la disponibilité de ces
trois mille hommes vint presque
sur le champ à se réaliser. Madiid
aussi s'était prononcé contre les
Français, Murât opérait sa retraite,
la junte de Valence envoyait six
mille hommes au secours des Ara-
gonais, ordre vint à Verdier de
lever immédiatement le siège pour
prendre la roule de Pampelune,
base des opérations ultérieures. Le
1 i au matin donc, après que toute
la nuit un feu terrible de la part
des assiégeants avait remis en
question tous les avantages récents
des assiégés, ceux-ci virent, en
se levant, les abords de leurs fau-
bourgs inoccupés et l'ariière-garde
même des Français loin, bien loin
déjà, sur la route qui conduisait
en Navarre. Tel fut ce premier
siège de Saragosse, si fécond en
péripéties inattendues et en épi-
sodes émouvants, parmi lesquels
on cite l'héroisme d'Augustiue
ei le bataillon de la comtesse
Burita. Si Verdier, en deux mois
à peu près qu'il passa sous et dans
les murs de celle cité, ne triompha
pas de sa résistance, d'une part il
appert des délails qu'on vient de
lire, et nul ne songe à le nier, que
l'insuccès ne doit être regardé que
comme une interruption et que l'in-
terruption trop absolument qualifiée
de levée du siège ne fut pas de son
fait; de l'autre, il est connu que le
second siège avant d'aboutir coûta
bien plus de temps, de dépenses
et de sang, usa au physique et au
moral plus d'un des illustres de
l'Empire, et en aboutissant ne mit
au pouvoir du vainqueur que des
décombres et non une ville. Pie-
prenonsle fil des événements. Dès
que les renforts considérables, dont
Napoléon avait soudain senli la
nécessité, eurent réorganisé l'ar-
mée portée au double et bien-
tôt au triple, au quadruple, Ver-
dier marcha des premiers avec
les troupes redevenues agressives,
il arriva devant Madrid, non en
qualité de général en chef, et
après avoir été témoin, aux por-
tes de cette grande capitale, d'une
faible résistance , y fit son en-
trée avec sa division et le reste
du corps (1809). Comme ce n'était
pas la que se portaient les grands
coups, il fut bienlùt jugé utile ail-
leurs, et fut redirigé sur l'Èbre,
mais l'Èbre inférieur, puis plus
loin que l'Èbre, daui la haute
Catalogne , infectée de guéril-
las, puis finalement chargé du
siège de Girone, le tout avec ce
sans-façon, ce ton insouciant et
superficiel des petits génies qui
croient prouver ainsi leur supé-
riorité de coup d'œil et qui se
frayent la voie à riugratilude. C'est
Augorcau qui lui expédiait ces
ordres. Quelques jours après les
premières opérations, il veut voir
282
VER
VER
«où l'on en était» et si «l'affaire mar-
chait.» Il ne manqua pas de dé-
clarer que Girone n'était qu'une
bicoque, incapable d'opposer une
résistance sérieuse. A quoi pensait
Verdier de demander tant de pro-
jectiles, tant d'ingénieurs, et d'em-
ployer à pareille misère « toutes les
herbes de la Saint-Jean»? Ah!
son ex-aide de camp s'était « bien
rouillé » depuis qu'il ne l'avait
plus à ses côtés! Il ne faut pas de-
mander s'il rit de son rire le plus
épais, quand il sut que les habi-
tants de Girone avaient élu pour
général saint Narcisse. Mais pour
pour commander sous saint Nar-
cisse, ils avaient leur gouverneur
Alvarez ; et, pour exécuter les
ordres d'en haut, ils avaient, indé-
pendamment de l'exemple de Sara-
gosse, leur foi robuste au bienheu-
reux patron, leur courage, leur ar-
deur pour le martyre, et la haine de
l'étranger, et l'horreur plus grande
encore de l'hérétique, du voltai-
rien et de l'athée. Verdier était
loin de se les représenter comme
invincibles pour cela, mais il pré-
voyait qu'il en aurait pour long-
tempsavec ces royalistes et qu'il fau-
drait jouer serré. L'intrépidité, l'o-
piniûtretê gironaises, furent celles
de Saragosse. Prêtres, femmes,
enfants combattirent et déployèrent
tous la même vaillance, partici-
pant chez les uns du paroxisme et
de la frénésie, calme et accom-
pagnée de sang-froid chez les au-
tres. Soixante mille boulets, vingt
mille bombes, tombèrent sur la
ville avant qu'il fût possible d'y
pénétrer; les murailles ouverte» et
franchies, il fallut prendre presque
une à une les maisons. Enfin, au
bout de sept mois, Verdier put re-
mettre, et la place soumise et la
Catalogne entière un peu moins
récalcitrante, à l'altier duc de Cas-
tiglione, qui trouvait tout facile,
mais dont la gloire personnelle
dans tout le cours de la lutte d'Es-
pagne n'éclipse celle de personne.
Tout défavorable qu'était Napo-
léon aux officiers supérieurs qui
n'avaient pu lui conquérir l'Es-
pagne en un tour de main et rendre
llbérie malléable au premier con-
tact, à la veille de la colossale ex-
pédition de Russie, il appela Ver-
dier pour le mettre de la grande
armée, et il lui donna une des
divisions du deuxième corps ,
que commandait le maréchal Ou-
dinot. Nul peut-être de tout le
corps ne se distingua plus que lui :
il eut part à tous les combats, à
Javabovo, à Kliaslisti, à la Driffa,à
Svolna,à Polotsk, où blessé griève-
ment, il continuait de promener sa
lunettes sur les positions de l'en-
nemi et de donner ses ordres avec
le même sang-froid que pour un
dîner, sous une pluie de mitraille, et
soutenu par le capitaine Lebrun-
Rebort! C'était au moins la troi-
sième fois qu'il acquittait ainsi le
tribut auquel n'échappent que par
miracle si peu de braves. Il est
étonnant que nul de nos peintres
n'ait saisi, pour le fixer sur la toile,
ce beau moment de la vie mili-
taire du général toulousain. C'est
tandis qu'il remplissait ou plutôt
outre-passait ainsi, impassible et
simple comme les héros de Plu-
tarque, ses devoirs d'officiers, que
le j)rince Eugène passant au galop
arrêta son cheval pour lui jeter ce
mot où se confondent la sympathie,
l'affection et l'estime : « Eh quoi!
cher général, c'est donc toujours
votre tour! » Aussi, ce prince, h qui
tous les partis ont rendu justice,
tint-il à l'avoir dans sonarmre fran-
co-italienne en 1813, quand l'irapi-
VER
VER
283
loyable coalition redoublait ses
armements. On connaissait la mai-
son de Lorraine et les héritiers
des Thugut : on n'était pas sans
augurer que sous peu le beau-père
allait trahir le gendre et tomber
sur le royaume d'Italie. Le génie
des généraux autrichiens ne brilla
pas d'un vif éclat dans leur pre-
mière campagne. Verdier, entre
autres, leur livra sur les bords du
Mincio un combat dont ils ne se
rantèrent guère et dont les glorifi-
cateurs de l'Autriche atténuèrent
à qui mieux mieux Timportance.
En effet, il n'y avait là, tout compte
fait des deux armées, que vingt-
trois mille hommes, mais les autri-
chiens étaient au nombre de dix-
huit niiile, donc trois et demi contre
un; ils avaient franchi le Mincio,
et, plein de jactance, ils allaient pré-
cipiter les Italiens et les Français
des hauteurs de Mozembano,»oùle
général les avait solidement établis.
Toute la journée ils revinrent à la
charge, toute la journée ils redes-
cendirent plus vite qu'ils n'a-
vaient grimpé; puis le soir, au lieu
de coucher, comme ils l'espéraient,
dans le camp des adversaires, ce
furent leurs adversaires qui prirent
l'offensive, qui les poursuivirent, et
ils furent heureux, repassant le
Mincio, de voir celte barrière entre
la furia frauccHC et eux. L'effet
matériel et moral de cette victoire
fut considérable; et le vice-roi,
digne appréciateur de tout grand
acte, non-seulement le nomma
commandeur de lu Couronne de
Fer, mais ne balança pas à de-
mander pour lui le grand cordon de
la Légion d'honn»urà l'Empereur.
Napoléon le promit. Que ni l'un
ni l'autre n'ait trop fait, c'est ce
«pi'au besoin dénionlrcr.sient les
propoiilions que conseillèrent de
faire au prince Eugène les fortes
têtes du conseil aulique après la
bataille du Mincio, et qui lui furent
effectivement adressées. On faisait
luire à ses yeux la couronne de
Milan à condition qu'il aban-
donnerait Napoléon. On sait le
noble dédain avec lequel furent
constamment rejetées les ouver-
tures du machiavélisme autrichien;
mais, pour qu'elles fussent faites,
même avec l'intention de manquer
de parole, il fallait qu'on se fût
aperçuqu'entre les Alpes et l'Adria-
tique, et même quand Napoléon
n'était plus là, le génie napoléonien
animait toujours les cœurs de ses
soldats. La bataille de Mincio était
l'épisode auquel ils devaient cette
conviction. La récompense toute-
fois n'exista que sur le papi^îr. Mal-
gré les merveillfs de la résistance,
la faialité marchait, le glas de
l'Empire sonnait. Absorbé par tant
d'autres soins, Napoléon ne donna
pas officiellement le décret de no-
mination : il est tout simple que la
Restauration ne s'en sftit pas fait un
devoir. Il est trop clair d'ailleurs
que ni Verdier ni qui que ce soit
pour lui ne fit de réclamation.
Louis XVllI donc pour le moment
se contenta de conhrmer les déco-
rations françaises réelles du géné-
ral et de le déclarer (8 juillet I8U),
comme presque tous les ofliciers-
généraux français , chevalier de
Saint-Louis. H lit plus l'année sid-
vanie (l'j janvier}, et il le nomma,
sinon au grand cordon, du moins
grand-croix de la Légion d'hon-
neur. En revanche il l'avait mis en
non-aclivitc, bien qu'il eût à peine
47 ans. Survinrent les cent jours.
Verdier n'avait pas eu de sernuMit à
prêter au drapeau des lis; Verdier
ne crut pas pouvoir refuser sa coo-
pération -À son ancien général, li
28/i
VER
VER
celui que la nation acclamait, à
celui par qui la France avait été si
grande, à celui que détestait l'étran-
ger, non pour son usurpation pré-
tendue, mais parce qu'il avait fait
la France grande. Il se laissa nom-
mer membre de la Chambre des
pairs, et il sollicita du service dans
l'armée avec laquelle l'Empereur
allait reprendre la grande lutte
contre la coalition plus implacable
que jamais. Mais l'Empereur savait
qu'il lui serait plus utile à Tinté-
rieur, et surtout dans le Midi, où
les éléments hostiles et même traî-
tres à la patrie n'étaient pas rares.
En conséquence, il lui confia le
commandement de la seconde divi-
sion, chef-lieu Marseille. Il s'y con-
duisit bien et jusqu'au 20 juin, par
un habile mélange de modération
et de vigilance, il vint à bout,
adresse rare! de maintenir le calme
dans une ville populeuse , turbulente
et passionnée, sans avoir recours
aux mesures de rigueur. Egale fut
sa sagesse quand arrivèrent les pre-
mières rumeurs de Waterloo; mais
différentes furentles mesures, quand
enhardis par les sinistres nouvelles,
les fauteurs de l'étranger arborè-
rent la cocarde blanche et que
du manteau de la cheminée les
cris « A bas Napoléon! » descendi-
rent dans la rue. Il tint d'abord
tête à l'orage et commanda quelques
arresti.tions; mais l'agitation deve-
nant de l'exaspération, des éner-
gumcnes étant tout prêts à s'atta-
quer aux fusils chargés, observa-
teur habitué î» ne pas circonscrire
sa vue au seul point de l'horizon
qui fût à ses pieds, il comprit qu'il
avait quelque chose de mieux à faire
que d'user de roideur, que d'es-
sayer une compression impossible,
que de retarder de quelques heures
uu déQûùmeiit k peu prcb infaillible
en faisant mitrailler des Français
par des Français. D'une part il fit
sortir nuitamment de Marseille pres-
que tout ce qu'il avait de troupes,
ne laissant que ce qu'il fallait pour
maintenir la police ; de l'autre, il
alla s'établir en force à Toulon, à
rébahissement et au désappointe-
ment de l'escadre anglaise qui
stationnait devant le port de cette
ville pour en prendre possession,
« pour Louis XVIII! » comme au
temps de M. de Robespierre. Pour
peu que quelque collision éclatât
dans la province, et même sans
qu'il y eût de collision du tout,
le marquis de Rivoire se pré-
parait à leur remettre le port
et l'arsenal « provisoirement. »
Grâce à cette conduite du général
Verdier, à vau-l'eau toute collision
de Buonapartiste et de Verdets, à
vau-l'eau toute chance de surpren-
dre forts, chantiers ou arsenal. Nos
amis n'ont i)lus occasion de sauver
la caisse, la flotte ou l'artillerie, en-
traînant l'une à la remorque, etchar-
geantles autres sur quelques navires
marchands. Toute leur campagne
se réduit à parader en rade, à dis-
tance: puis, dûment remerciés de
leur dévouement, ils remeitent le
cap au sud. Malheureusement, tan-
dis que les suites du grand sinistre
étaient atténuées de ce côté, un
épouvantable désastre se produisait
sur le point que venait de quitter
Verdier. Le peu de troupes qu'il lais-
sait avait été impuissant devant la
croissante animosité de la réaction,
l'assassinat ayant éié mis subite-
ment comme à l'ordre du jour. Six
centsvictimesavaientsuccombésous
les coups des Trestaillonsde l'efl'er-
vescenle cité, parmi lesquelles d'an-
ciens et braves militaires habitués
aux luttes du champ de bataille et
qui ue &'altendaicnl pub u trouver des
VER
Croates et des Szeklers dans leurs
concitoyens. Plus d'un historien a
fait des reproches à Verdier de ce
résultat, et l'on a même osé impri-
mer que sa retraite nocturne s'ef-
fectua dans le plus grand désordre.
De telles expressions, même en les
dépouillant de l'évidente exagéra-
lion qu'on a prise pour vigueur de
style, ne prouvent que l'ignorancô
de ce que c'est que l'émeute, et
l'émeute dans une ville de cent
m.ille âmes où fourmille la popula-
tion qui ne croit qu'à la force du
poignet; dans une ville où bouillon-
nent en même temps et passions
politiques, et inimitiés privées. On
nous dira que Verdier, méridional
lui-même, aurait dû prévoir les
elietsde la fermentation des masses
que justement il avait pour mission
de contenir; c'est-à-dire qu'il lui
fallait à la fois conserver Toulon
et contenir Marseille, ce qui lui
était impossible. Verdier était Tou-
lousain : tout diflicile à contenir
que soit Toulouse, laCannebièreest
bien autre chose encore. Tout ce que
l'on a droit de dire, c'est que Ver-
dier ne lit pas tout îi fait l'impos-
sible. Mais qui l'eût fait? qui, parmi
les sommités soit des hommes d'État,
soit des hommes de guerre les plus
vaillants de l'époque, aurait été à la
fois assez énergique et assez habile
pour suflire à cette double tûche?
Quoi qu'il en soit, les vrais Fran-
çais, s'ils regrettent qu'il n'ait |)as
fait davantage, ne peuvent que lui
savoir gré de ce qu'il lit, mince
titre d'ailleurs aux yeux du sou-
verain rétabli qui, par son ordon-
nance du l"août 1817, In mit î'i la
retraite. Il ne fût pas mêFne,en 1823,
question de lui, bien (|ue son expé-
rience eût pu rendre des servicps
en celte occasion. Il n'est pas sûr;
c'est vrai, qu'il eût accepte de dc-
VER
285
venir ainsi le soldat de la Sainte-
Alliance; ou plutôt, il est sûr qu'il
n'eût pas accepté; toujours est-il,
et nous le devons remarquer, qu'il
n'eût pas la peine de refuser. Un
des premiers actes du gouverne-
ment issu de Juillet fut de le réta-
blir sur les cadres, mais seulement
(et rien de plus simple, vu son âge)
sur le cadre de réserve. Le système,
du reste, n'était pas assez belli-
queux pour que le vétéran de
Liers, de Polotsk et du Mincio se
flattât de repasser de la réserve U
l'activité. Il vécut assez longtemps
pour espérer que la doctrine des
faits accomplis et la longanimité
quand même en présence des inso-
lences de l'étranger auraient enfin
un terme ; il vit de loin la tentative
de Strasbourg en 183G, il vil de
prés en 1838 le procès Laity à la
cour des pairs, et il put se dire que
tout n'était pas dit encore îi l'égard
de la dynastie qu'on s'était flfittée
d'étouffer en 4815. S'il rendit le
dernier soupir avant sa prévision
accomplie, il le rendit certairi que
l'accomplissement n'en était pas
loin.
M'"^ Verdier, femme de ce géné-
ral, ne mérite pas moins que son
époux de survivre dans l'histoire.
Bien des hommes ont su verser leur
sang sur le champ de bataille, et à
la bravoure et au dévouement pour
la patrie unir le coup d'œil, la ra-
pidité de pensée, les combinaisons
stratégiques; mais peu de femmes
ont, au même point que M"" Verdier,
belle, jeune, adulée, pouvant ne vi-
vre que pour les plaisirs et les
fêles, trouvé le bonheurdans l'abné-
gation et le dévouement, non-seule-
ment en suivant son époux au camp,
au delà des mers, au lieu d'atlen-
dre tranquillement de ses nouvelles,
mais s'exposanl, par humanité, par
286
VER
VER
patriotisme sublime, à des dan-
gers parfois aussi grands que les
siens. Telle fut M""" Verdier : tout
le camp la vit en Syrie se multi-
plier pour sauver les blessés. Ce
n'est pas de la charpie qu'elle con-
fectionnait, qu elle appliquait aux
infortunés : elle allait les recueillir
sur le champ de bataille, et même,
quand on se battait encore, sous
les balles et la mitraille; elle allait
à cheval en chercher jusqu'au dé-
sert, et en arracha plus d'un aux
arabes prévenus de quelques se-
condes par la célérité de fécuvère.
Ce n'est pas qu'elle dédaignât celles
qui n'avaient pas le même indomp-
table courage, le même mépris des
boulets : elle s'asseyait aussi comme
elles au chevet des malades, elle
leur donnait des soins, elle retrem-
pait leur moral. L'effet que sa vue,
que le rôle d'amazone bienfaisante
exerçait sur le soldat est inimagi-
nable. Nous doutons, que cette cé-
lèbre impératrice, usurpatrice des
Gaules, Aurélia Victoria, qui donna
la pourpre k deux fils et qui la ra-
vit à Loilien, ait jamais mérité
mieux qu'elle ce litre qu'on lit au-
tour de ses médailles, « Mater txEu-
ciTULM. » Nous avons plus haut, en
parlant de ce premier sicgo de Sa-
ragosse, mémorable îi tant do titres,
cité le nom de la comtesse iJurila
et de son bataillon, tout composé
de femmes, formé par elle et (jui,
tandis ({ue les éj)0ux cl les frères
se battaient , allait de rang en
rang, conduit par elle, ramasser les
blessés elles porter à l'ambulance.
Mais qui sait si l'héroique comtesse
n'avait pas ouï |)arler de l'héroïsme
déployé en Syrie par la compaj^ne
du général qui les assiégeait, et si
ce n'est pas une généreuse émula-
tion plus qu'une iniliativ(! véritable
qui donna l'idée à la noble Arago-
naise d'une création Imitée depuis,
au sein de crises semblables, par
d'autres opprimées , par les polo-
naises en 1831?... Ainsi partout où
il faut le rappeler, on retrouve la
France! Valp.
VERDIER (Marcel), peintre dis-
tingué, naquit en 1818. Elève d'In-
gres, dont il est facile de reconnaî-
tre chez lui les qualités solides, il
sut pourtant ne pas s'inféoder à sa
manière. Très-indépendant, non de
cette indépendance qui jette la jeu-
nesse dans tant d'écarts intellec-
tuels et moraux, mais de celle qui
naît de la défiance des traditions et
des règles arbitraires et qui va cher-
chant le vrai, le beau dans toutes
les voies; il avait compris de bonne
heure qu'épris d'un maitre, fût-ce
Raphaël, fût-ce l'immortel Vecelli,
on tombe en servage; on passe, d'ar-
tiste, fabricant d'imitations ternes
et incolores, on tourne autour d'un
moulin comme le cheval aveugle...,
car même on devient aveugle, on
s'étrécit chaque jour un peu l'esprit,
on arrive à l'inintelligence. II réso-
lut donc, au lieu de jeter en passant
un coup d'ceil superficiel aux pro-
ductions des écoles qui se sont suc-
cessivement fait place au soleil, de
s'imprégner successivement des pro-
cédés et des traditions du plus grand
nombre possibh; d'entre elles, pres-
que avec autant d'amour que s'il
comptait se vouer à l'une d'elles,
sans toutefois s'y vouer jamais
exclusivement. Point d'exclusiviié
donc, telle fut sa devise. Ce point
de vue si riche, si neuf et si juste
amenait, comme corollaire, des étu-
des éclectiquesnéccssairem(int très-
vastes : Verdier les entama hardi-
ment, les poursuivit vaillamment,
nous n'oserions dire jusqu'il ce qu'il
eut épuisé tous les horizons qui s'uu-
vraient k lui, mais assez pour que
VER
VER
287
rien de capital n'échappût à ses ex-
plorations toujours pratiquées le
pinceau à la main. Il devint ainsi
peut-être l'artiste qui, de tous ses
contemporains, a le mieux j)Ossédé
l'histoire de l'art, du moins quant à
la peinture; et, incontestablement,
11 s'acquit une manière qui lui est
propre. On reconnaît dans presque
toutce qu'il a fait,mèmeensejouant,
de l'énergie sans exagération, de la
grâce sans mollesse : il entend à
merveille le coloris, et, à la préci-
sion du dessin, à la justesse des con-
tours, il joint la magie des teintes
qui séduisent et parlent soit au
cœur, soit à l'imagination rêveuse.
Idéaliste en même temps qu'exact
reproducteur des réalités, il excel-
lait dans le portrait : c'est qu'etfec-
tivement il transfigure et néanmoins
il laisse toujours reconnaissables ses
personnages; de plus, il les fait vi-
vre et respirer : on croit voir leurs
impressions du moment, leurs aspi-
rations de toujours se répercuter
sur leurs physionomies; la toile est
une révélation, le visage est une épo-
pée où le spectateur lit avec le pré-
sent le passé, presque l'avenir de
l'homme d'Etat, du magistrat, du
guerrier, de la jeune fille ou jeune
femme qu'il représente. L'on ad-
mire sa Madeleine repentante; évi-
demment, ce n'étaient pas là encore
les derniers mots du peintre : tou-
jours cherchant le mieux, son ta-
lent gagnait tous les jours. iMais il
n'en était pas ainsi de sa santé : l'ex-
cès du travail, ou, pour nous expri-
mer plus exactement, le trop penser
le minait. Il succomba le 20 août
1850, laissant (les regrets universels,
d'autant plus vifs qu'il n'avait pas
encore donné sa mesure. I). M.
VEUDUIN ( PiEnuE-AoniEx ) ,
d'Amsterdam, exerçait la chirurgie
ivec honneur àlanndudi.x-septième
siècle et au dix-huitième. C'est à lui
qu'on attribue l'invention de l'am-
putation à lambeaux, perfectionnée
sans doute après lui par Rémond
de Vermales, mais dont l'idée n'en
constitue pas moins un pas im-
mense. C'est lui qui, recourant sou-
vent à ce mode de traiter les bles-
sés, le popularisa non-seulement en
son pays mais fort au delà. L'opé-
ration qu'il effectua, selon sa mé-
thode, sur le réfugié français Ver-
gnol, qui, lui-môme, avait exercé la
chirurgie, n'y contribua pas peu.
Vergnol même se rendit le traduc-
teur de l'ouvrage dans lequel le re-
nommé praticien décrivait sa mé-
thode, et dont voici le titre : Dis-
sert, ejiistolaris de nova artnum de-
cuntandorum ratione^ Amst., 1696,
in-8'. Il n'en est du reste pas; et
même, on peut le dire, on préfère
celle de son rival (Massuet), Paris,
1756, in-8' : Il est entendu que
l'une et l'autre sont en français.
D. V.
VERGAINI (Ange), grammairien
italien, était, suivant les uns, du Pié-
mont même ou des environs de
Gênes , selon les autres , d'Avi-
gnon , où l'italien avait non
moins cours qu;^ le français, et
qu'habitaient quantité de familles
italiennes. Celle de Vergani, la fi-
nale l'indique assez, était de ces
dernières. Il était assez fréquent
alors que des jeunes gens mal dotés
<le la fortune, mais ayant reçu le
bienfait d'une éducation scolaire
dont le point de départ était l'élude
des deux langues, allassent utiliser,
hors de leur cité natale, en France
surtout, ce qu'ils savaient et pou-
vaient apprendre à d'autres mieux
que personne. Telle fut la voie (jue
suivit Vergani. Nous ne le suivrons
pas dans ses diverses pérégrinations
(à Lyon, en Lorraine et ailleurs),
288
VER
VER
pas plus que dans ses situations dis-
tinctes, tantôt à la veille de com-
mencer ou commençant une éduca-
tion particulière, tantôt retenant
aux leçons en ville. S'exprimant
parfaitement en notre langue, lu-
cide, bref, s'entendant ù merveille
à simplifier les difficultés en saisis-
sant toujours le point où le néces-
saire n'est plus qu'utile, où l'utile
ne l'est plus que pour le maître ou
pour le savant, mais ne l'est plus
pour l'étudiant, il formait rapide-
ment des élèves, et à son école l'ap-
prentissage de la langue était de
bonne heure attrayant, au lieu de
n'offrir que ronces et épines. La
renommée de cet enseignement
simplificatif, s'il nous est permis
d'user du terme le plus apte à pein-
dre la chose, le fit admettre à don-
ner des leçons d'italien à qui vou-
lait les prendre au collège de la
Marche. La Révolution, en dislo-
quant l'Université de Paris ainsi
que tant d'autres institutions du
passé, les plus essentielles comme
les plus abusives, dérangea l'exis-
tence si paisible de Vergani : l'on
n'avait plus guère le temps en
France de roucouler le Piccini.
L'on nous assure que, sans préten-
dre émigrer le moins du monde,
l'ex-professeur du collège de la Mar-
che passa le détroit et qu'il ne repa-
rut en France que lorsque la réor-
<^ganisation du pouvoir, au 18
tlt^rumaire , et les suites de la vic-
taiiire de Marengo eurent fait renai-
se le culte de Cimarosa et de Paë-
rang,'o. Le collège de la Marche exista
bless(;iemps encore après la chute du
Mais le; seulement il changea de nom
n'ava appela Collrgedes ColonicH. On
dépl(peupla de négrillons que l'on fit
du gJr d'Amérique, pour prouver que
ce n'tifférence de couleur n'avait au-
tion p, influence sur les capacités in-
qui d
iellectuelles. L'ex-professeur d'ita-
lien fut gardé comme professeur
d'anglais. Mais ce que nous croyons
tout à fait indubitable, c'est que c'est
à la nécessité de parer au déficit
des leçons qu'est due l'idée qui
vint alors à Vergani de publier des
ouvrages d'enseignement. Il com-
mença modestement en 4804 par
un remaniement de la vieille et in-
finiment trop vantée grammaire
de Veneroni. Bientôt, comprenant
que l'indigeste et pesante gram-
maire (car elle pèse brochée très-
près du demi-kilo,) n'était pas de
vente facile et courante, ou s'aper-
cevant de plus en plus, a mesure
qu'il essayait de la retoucher, de
tout ce qu'elle présentait d'exubé-
rant et d'insuffisant, de superficiel
et d'erroné, il donna d'autres Elé-
ments en son propre et privé nom.
Puis, ce nom ayant conquis dans sa
sphère une certaine renommée, vint
l'ère des compilations, un peu plus
lucratives pour lui et fort lucratives
pour les libraires. Il lui fut môme
demandé (car il possédait l'anglais
et il avait enseigné sinon l'anglais
ii des compatriotes, du moins l'ita-
lien a des anglais, sans l'intermé-
diaire du français,) d'élaborer ou
plutôt de décorer de son nom des
Eléments de grammaire anglaise
analogues à ceux de sa grammaire
italienne. La rémunération, toléra-
blement grossissante, bien que par-
cimonieuse toujours, de ces divers
travaux, argenta quelque peu les
dernières années de Vergani, qui
mourut vers 1813 à Paris. Voici la
liste des publications qu'on lui doit,
et dont il serait inutile ou fastidieux
de détailler au grand complet toutes
les réimpressions ou contrefaçons,
les unes pures et simples, les autres
avec modifications : il faudra bien
pourtant en citer quelques-unes,
VER
VER
289
car beaucoup de tard-venus ont
brouté le Vergani, ont vécu des
miettes de sa grammaire, se sont
taillé des rentes dans son bagage.
1. Grammaire de Vcneroni, simplifiée
et rédnHc à viiujl leçons avec dea thè-
mes, des dialogues et un petit recueil
de traits historiques en italien, à l'u-
sage des commençants, Paris, an VIJI,
in-12, 2'- édit., an IX, etc., etc.
Bientôt il ne fut plus nécessaire,
pour la vente, de garder inscrit en
tête le nom du pseudo-florentin de
Verdun, et ildisparut du frontispice :
c'était justice. A Vergani reviennent
de droit toutes ces menues, mais
appétissantes améliorations qui ca-
ractérisent son livre, et qui décè-
lent un esprit de trempe contraire
il celui du charlatan lorrain : — la
réduction à vingt leçons, c'est-à-
dire à vingt heures consciencieu-
sement et vaillamment consacrées à
l'étude des éléments, la suppression
de tout l'inutile et de tout l'ajour-
nable, la méthode, la lucidité, la
justesse parfaite, à bien peu d'ex-
ceptions près, de toutes les formu-
les, le choix des exemples caracté-
risent le mérite de cet ouvrage.
Vergani peut être nommé le Lho-
mond de la grammaire italienne;
mais ici c'est à Lhomond que l'as-
similation fait honneur. Si Lho-
mond est simple, pratique et court
ainsi que Vergani, il n'est pas com-
me lui méiaphysiquement irrépro-
chable et liop souvent il n'a de la
clarté (jue l'apparence (qui veut
creuser ne rencontre qu'inexactitu-
des et ténèbres) tandis (jue Verjjiini,
diaphane comme l'eau de roche,
peut être fouillé m/ii-ff/ in cute. Pt r-
reili donnait vers le même temps
une grammaire à coup sur i»lus
minutieuse , plus philologique ;
Riagioli, un peu plus laril, ( n cla-
borait une plus opulentu, et que
LXXXV
certes l'appendice prosodique met
hors de pair. Mais il s'agissait de
savoir grâce auquel des trois gram-
mairiens un élève au bout d'un
temps donné saurait le plus d'italien
et s'acquitterait le moins mal soit
d'un thème, soitd'uneversion;il nous
semble que l'avantage ne resterait
ni à l'un ni à l'autre des deux ri-
vaux de Vergani. Ce qui le prouve,
c'est qu'il ne s'annonce, nous
l'imaginons , ni seconde édition
de Perretti, ni troisième de Bia-
gioli, malgré leur mérite incon-
testable à nos yeux; c'est sur-
tout que personne parmi les li-
braires n'a fait main basse sur
eux pour se parer des plumes du
paon, tandis que partout vous ren-
contrez des Vergani augmentés ou
corrigés avec des noms d'arran-
geurs, et quatre au moins à ce mé-
tier ont gagné un renom et quel-
que chose de plus que le renom.
11. Grammaire anglaise simplifiée et
réduite à vingt et une leçons, nom-
breuses éditions dont seulement
les premières par Vergani lui-mê-
me, les 4% D" et beaucoup d'autres
par Ilamonière, 1814, 1820, 25,
2U, 3:3, 36 et les dernières, depuis
1843, par Salder qu'on pourrait
qualilier de Briccolani du Vergani
aiiglais. — V. (Trois petites chreslo-
malhie.^ italiennes, savoir:) {"Uac-
conti istorici messi in lingua ita-
liana, etc., bien moins pâteux que
les nouvellesde Franc. Soave, etc.,
très-fréquemment réimprimées, réé-
ditées, rëamplitices ('*'" éd., par Pe-
ranesi, en 18 il ; auire encore par
Zirardini en 18i9, (le tout in-12);
2 Innova scrlta di favole, norclle
tcticree poésie ilaliAne,con unlral-
lalo delta poesia ilal., (poésie, eu
celle occasion, ne signifie guèr»^
qu'art de ver>.ilier) ; \rrgani com-
pense ici la langue que quelques
19
290
VER
juges seraient tentés de reprocher
à son premier livre en le mettant
en parallèle avec la grammaire de
Biagioli; 3" Bellezze délia poesiaita-
liana, truite dai pin cclehrc et pos-
thume; avec un traité de la poésie
italienne et de courtes notes à l'u-
sage des étrangers, par Pianesi,
1818, in \±. VI. (Une chrestoma-
thift anglaise, une seule : ) l'Euglisli
iruflitutor, or iisiifiil and inlcrsaining
passage in prose selectcd from the
mosl eminent english ivriters and de-
signed for ihe use and improvemenl
of those wlio lean thaï language,
Paris, an IX (1801), in-J2, et 2^ ou
3« éd. 1812.
VERGAM (Paul) , écrivain et
penseur italien , dut naître vers \ 7b3
dans le Piémont. Sa famille tenait
de loin, et dans un rang un peu in-
férieur, à l'organisation judiciaire
du pays. Il fut voué de bonne heure
à l'état ecclésiastique ; mis au sémi-
naire, il étudia plus attentivement
qu'on ne le fait d'ordinaire et, pour
nous exprimer à la façon des ita-
liens, avec amour, l'histoire d'abord,
le droit canon ensuite, mais non
rhistoiredel'Kglisetoutsimplemcnt,
car il y joignit l'histoire profane, et
non le droit canon tout seul, car
avec la science, essentielle aux yeux
de ses chefs spirituels, il fil marcher
parallèlement la science de luxe, le
droit civil. Il eût donc pu, nous ai-
mons à le croire, être déclaré doc-
teur7jn//ro7y(?; mais, soit que ce dou-
ble examen coûtât double prix, soit
humilité chrétienne, soit tout autre
raolif, il se contenta d'un seul titre,
celui de docteur en théolo^'ie. Déjà
il avait reçu les saints ordres, ses
travaux lui faisant souhaiter d'habi-
ter une grande capitale, et son sa-
voir ayant été connu du sacré col-
lège, il reçut du Saint-Père la dignité
de chanoine de Saint-Jean-de-La-
VER
Iran. C'est dans cette position mo-
deste, mais sûre, qu'il composa les
trois premiers des ouvrages dont
l'on va trouver la note un peu plus
bas, et qui lui donnent un rang dans
celte école de moralistes el légistes
philosophes grâce auxquels l'Italie,
au dix-huitième siècle, n'a guère
moins contribué que la France à la
réforme de la jurisprudence. Les
deux premiers furent très-goûtés,
et tous eurent, comme on le verra,
les honneurs de la traduction fran-
raise. Il s'ensevelit ensuite, bien
qu'approfondissant toujours, dans
un long silence de trente ans; tan-
dis que les idées de la scienza nuova
germaient, prenaient racine et for-
maient en s'épanouissanl cette ma-
gnifique forêt de haute fulaic à l'om-
bre de laquelle finira par être, heu-
reuse de s'asseoir, l'Europe enfin
éclairée. Les événements de 1811
et 1812, en déterminant, à la suite
de l'enlèvement de Pie VII, la dis-
peision des chanoines de Sainl-
Jean-de-Lalran , amenèrent à Paris
l'abbé ou, comme le porte souvent
le titre de ses livres, le docteur Paul
Vergani; il reprit la plume, aidé
parfois par son ami, notre collabo-
rateur, Tabaraud , et il s'éteignit
vers 1820, sans avoir revu l'Italie.
Voici la liste chronologique de ses
écrits : I et IL Traité de la peine de
?»or/, 2" édit., Milan, 1780, (traduit
par l'avocat Cousin, avec un Dis-
cours svr la justice criminelle, Paris,
1782, in-12.) III. De rénormifé du
duel, ( également traduit par Cou-
sin, qu'on reconnaît sous son ini-
tiale C... et à son titre dn Membre
des Arcades de Rome. ) IV. La lé-
gislation de Napoléon le Grand con-
sidérée dans ses rapports avec l'Agri-
culture, Paris, 1812. in-8". V,
Essai historigue sur la dernière persé-
cution de l'Église, revu par Tabaraud,
VER
VER
291
Paris, 1814, in-S". VI. Discussion
historique sur un point de la vie de
Henri IV, Paris, 1818, in-8 .
VERGER (Jexn-Lolis), assassin
de l'archevêque de Paris, a droit
à un article dans la Biographie
universelle, puisqu'elle donne Yhis-
toire des hommes qui se sont fait
remarquer non seulement par leurs
écrits . leurs vertus , mais aussi
par leurs crimes. Fils de Jean Ver-
ger, tailleur, et de Marguerite Fre-
rain , il naquit h Neuilly-sur-Seine,
banlieue de Paris, le 22 août 1826.
Après avoir fréquenté l'école mu-
tuelle de sa commune, et travaillé
quelque temps du métier de son
père, qui voulait en faire un garçon
boucher, il eut le bonheur d'être
recommandé par un jeune abbé à
la supérieure des filles de la Cha-
rité, sœur Mclanie, dans le monde
marquise de Hochefort, femme ar-
dente, qui aimait à agir. Eprise de
ridée de faire un prêtre, elle se
sentit disposée à exercer sa charité
pour cet enfant qui lui paraissait
digne d'intérêt. Comme elle était
chargée de distribuer dans la pa-
roisse les aumônes de la princesse
Amélie, épouse du duc d'Orléans,
alors chef du gouvernement, elle
fit les frais des éludes de Verger,
qui fut placé au petit sérninuir(; de
Paris, d'abord à la succursale, puis
dans la ville même. Les premiers
débuts du jeune écolier furent
très-sntisf;iisanls, sinon du côté
des études, du moins du côté de
la conduite, qui n'offrait aucune
prise à la réprimande et était
même édi liante. Ou remarquait
néanmoins déjà une j)ropcnsion
à ce caractère sournois qui se
montra si sensible plus tard, et
qui était vraisemblablement le fruit
d'un amour - propre déjà froissé
au milieu de tant d'élèTcs d'un
autre âge, et d'une position so-
ciale plus élevée. A Saint -Ni-
colas - du - Chardonnet , où était
alors le séminaire , aujourd'hui
transféré dans la rue Noire-Dame-
des-Champs, il continua de mon-
trer un caractère singulier, et les
idées se modifièrent, s'éclaircirent
bientôt sur son compte. Le supé-
rieur du séminaire était M. Dupan-
loup, devenu depuis évèque d'Or-
léans, qui, bientôt, crut s'aperce-
voir que le nouveau venu ne méri-
tait pas toute confiance. On lui
représenta en vain que son opi-
nion était peut-être précipitée, il
resta persuadé et il disait que ce
jeune homme ne ferait point hon-
neur à l'état ecclésiastique. Une
circonstance amena un dénoue-
ment qui, s'il ne fut pas la suite
d'une indélicatesse, fut du moins
l'effet de l'étourderie et de la pré-
somption. Il en sera question dans
lesdébatsdu procès de Verger, dont
M. Dupanloup crut devoir se débar-
rasser dans cette circonstance. Ver-
ger, congédié au mois de septembre
1814, trouva un prolecteur dans le
vicaire de Neuilly, qui le recom-
manda à M. Vervost, chef d'insti-
tution à Paris. Ce respectable ec-
clésiastique reçut Verger, t't dès
lors, comme depuis que son établis-
sement fut transféré à Auleuil, il n'a
jamais cessé de lui être attaché,
sans txcuser, bien entendu, tous
les écarts dans lesquels il a donné.
Le 22 juin 1840, en le faisant ad-
mettre au grand séminaire de
Meaux, il le recommandait comme
un excellent jeune homme, dont il
voulait faire un collaborateur dau^
sa maison. Celte maison fut son
asile pendant ses vacances. Dans
le cours de ses dernièrei étuilfs,
Verper offrit bien quelques sujets
à la répréhension, mais ces sujets
292
VER
élaienl sans gravité majeure, et,
quoiqu'il eût commencé à étudier
étant déjà dans radolescence, il fut
ordonné prêtre avec dispense d'âge,
ie25 mai 1850. Sa première messe
fut, àNeuilly, une sorte d'ovation,
mais son orgueil fut blessé de voir
que le curé ne l'eût point invité k
prêcher. G'étailun jour non chômé;
mais la manie de Verger a tou-
jours été la prédication, pour la-
quelle il n'était point fait. On pour-
rait se demander comment, ni alors
ni depuis, il n'alla point professer
à la pension d'Auteuil, Les supé-
rieurs ecclésiastiques du diocèse de
Meaux,le nommèrent aussitôt curé
de la succursale de Guercheville,
mais il n'avait rien pour s'établir
dans son presbytère, et M. l'abbé
Sibon, qu'il paya bientôt de tant
d'ingratitude, confident des cha-
grins que lui causait sa détresse,
lui procura, deshabitants deNeuil-
ly, de l'argent et du linge. Bientôt
Verger manqua de prudence en
toutes choses, et donna déjà des
j)rcuvesd'uncaractère qui annonçait
de la folie; il lit porter ses meubles
k Nemours, les vendit le dimanche,
à l'encan, et quitta sa paroisse sans
adieux. L'évêquc de Meauxle i)laça
en qualité de vicaire à Jouarre, où
il porta son air sournois, et resla
peu de temps, car il fut bientôt
nommé curé à la succursale de
B;»illy-Carrois, près de Molun. Là,
ses extravagances continuèrent ; il
perdit un procès, et voulant échap-
per aux frais de sa condamnation.,
il traversa sa paroisse, déguisé et
vêtu d'une blouse, suivant le char-
retier qui emmenait ses meubles,
passa la nuit dans une écurie, et
vint à Paris. 11 est utile de racon-
ter tous ces inj.idcnls pour peindre
l'homme «|ui sj' livra depuis à un
ii grand crime. Que va-t-il devenir?
VER
Après avoir passé quelques jours
chez l'abbé Deleau, curé de Ncuil-
ly, qui n'eut point à se louer de
ses procédés, il partit pour l'An-
gleterre, disposé à tout, dit-on, à
rester catholique, k se faire pro-
testant et même domestique. Il ob-
tint un celebret^ mais le cardinal
Wisemann ne pouvait employer un
prêtre qui avouait ne pas savoir la
langue anglaise ; Verger revint
donc à Paris, où la sœur Mélanie,
qui lui portait toujours de l'inté-
rêt, le fit recevoir dans le clergé do
Saint- Germain -l'Auxerrois, dont
elle avait connu le curé, M. Le-
grand , lorsqu'il était vicaire k
Neuilly. Ce curé, qui avait, pour
cette mesure, pris les conseils et
l'autorisation de l'archevêché, fit
un accueil charitable à Verger,
fit môme des avances pour payer
ses dettes, et pria l'un de ses prê-
tres de recevoir le nouveau venu
au nombre de ses commensaux.
Ce prêtre était précisément M. l'ab-
bé Sibon, à qui Verger devait déjà
beaucoup, et qu'il paya d'une noire
ingratitude.ïout alla bien d'abord,
et Verger fut même employé à des
fonctions subalternes au service de
la chapelle des Tuileries, confié
alors au clergé de Sainl-Germain-
l'Auxerrois. Mais au bout de quel-
ques années, dominé par son or-
gueil et ses idées extravagantes, il
revint à ses anciennes impruden-
ces, et je dois en signaler une que
le lecteur sera curieux de connaî-
tre. La fille d'un épicier de village,
qui se confessait à Verger, lui fit
croire qu'elle était comtesse d'Ar-
gentville; et dés lors, pour l'aider
k rentrer dans ses biens, dont il
devait lui-môme recueillir une part,
il di'essa un mémoire, et alla tiou-
verM. Roulland, alors procureur
général, aujourd'hui (1802) mi-
VER
VER
293
nistre, pour l'engager ù prendre
les intt'rôts de la prétendue héri-
tière. M. Rouland lui dit avec gra-
vité qu'il n'aimait pas à voir les
prêtres se jeter légèrement dans
les procès; puis, sans écouter da-
vantage Verger, il sonna son do-
mestique et lui dit : « Demain, la
guillotine pour les huit heures du
matin. » Cette parole, que Verger
aurait pu regarder comme prophé-
tique, fit sur lui une si grande im-
pression, qu'il ne put la taire à son
hôte, rabl)é Sibon. Le curé de
Saint-Germain, mécontentde lui de
plus en plus , commença par lui
retirer le ministère de la confes-
sioii, selon qu'il était convenu avec
l'autorité diocésaini^ Verger, de
son côté, irrité et vindicatif, prit
des résolutions extrêmes, déchira
cruellement les mœurs du curé |)ar
les plus odieuses calomnies, quitta
le presbytère, alla demeurer avec
son frère pour exploiter avec lui
un certain procédé j)0ur l'étamage
des glaces, reprit l'habit laie et
laissa pousser sa barbe. Au bout
de quelque temps, il fit des mena-
ces de veugeaiice à l'abbé Sibon, qui
n'en fit de cas autrement (lu'en lui
envoyant seci clément une aumône.
Il vit bientôt que son commerce de
glaces était une illusion. Il chercha
à intimider le curé de Saint-Ger-
main, qu'il avait dénoncé au par-
quet, îi l'archevêché, au public, et
menaçait de f;iire de l'éclat, si on
ne lui rouvrait son église, avec un
traitement qu'il fixait lui-même h
2,300 francs. S'enhardissant dans
ses idées diaboliques, il avait com-
posé, sur les mœurs du clergé, un
libelle qu'il alla faire imprimer en
Belgique (1,\ je ne sais par quels
moyens; mais, vraisemblablement,
vers ce temps-là, je ne sais par
quels moyens aussi, il trouva, en
novembre 1853, un emploi dans
une pension dejcunesgens,àMonti-
viiliers, dans le département de la
Seinc-Tuférieure, qu'il fut bientôt
obligé de quitter, sa qualité de prêtre
ayant été connue. De retour à Pa-
ris, il alla reprendre le modeste lo-
gement qu'il avait occupé rue de
Savoie. C'était aussi dans le même
temps qu'il projetait de se faire
ministre calviniste et qu'il se pré-
sentait pour cela au ministre
Montandon. Mais un autre acte
de folie tout à fait caractérisé ,
fut la scène ridicule que, dans lo
même temps. Verger iïi dans l'église
de la Madeleine. Le dimanche 8 fé-
vrier 1850, il s'y présenta portant
sur la poitrine une petite pancarte
sur lafiuelie étaient écrits en latin
ces mots imités de l'Evangile. « J'ai
« froid et lis ne m'ont pas vêtu ;
a j'ai faim et ils ne m'ont j)as donné
fi à manger; • puis en français: « Je
« ne suis ni suspendu, ni interdit,
« copcndaut on ine laisse mourir de
« faiîîi. » La police s'émut avec
raison de cette démonstration sin-
gulière, lit arrêter l'individu, et
le relaxa après qu'on eut constaté
qu'il n'était pas fou, mais le laissa
sous une surveillance spéciale, qui
ne Huit que lors de sa réintégration
ecclésiasti(|ue. Verger eut cet
avantage le <2 mars 1850, ayant
été nommé curé de Scrris, suc-
cursale du canton de Crécy. Il
n'y demeura pas longtemps sans
montrer son caractère étrange et
donner des preuves d'une sorte
d'aliénation. Dès le mois de novem-
un iniprinu'ur qui voulût so c'lijrb''"r île
(1) Il n'avait pu Irouvrr en France ce paiM[ililct scandaleux.
294
VER
VER
bre, il fil un libelle contre la cour
d'assises de Melun, à roccasion d'un
épicier nommé Lamy, accusé et con-
damné comme assassin de sa femme.
Sans connaître l'individu, sans
être guère plus au fait de sa cause,
Verger s'établit son défenseur et
adressa au préfet de Seine-et-
Marne un écrit composé contre
l'institution du jury et qu'il intitula
Colin-Maillard. L'autorité ecclésias-
tique fut avertie du scandale; Ver-
ger en donna bientôt un autre plus
coupable encore, puisqu'il attaquait
Ja religion. Lorsqu'il était attaché
à la paroisse de Saint-Germain
l'Auxerrois, Verger professait une
dévotion qu'on peut dire enthou-
siaste, envers le mystère de l'Im-
maculée Conception. Avant même
qu'il fut proclamé , il avait prêché
d'une manière et avec des expres-
sions imprudentes ; puis il reçut
fort mal les observations qu'on lui
en fit. A quelque temps de là, et
sans que la cause en soit bien con-
nue, il changea loutk fait d'opinion
ou du moins de langage. Le 30 no-
vembre , il adressa au rédacteur
d'un journal religieux intitulé le
lioHier de Marie, une lettre injurieuse
au culte de la Sainte Vierge, et
dans l'église d(3 son village il prê-
cha contre le dogme do l'Immaca-
lée Conception, décrété par TKglise.
Le 12 décembre 1857, l'évêque de
Meaux interdit Veiger, et comme il
prévoyait que celui-ci allait retour-
ixT d;jns la capitale, il prévint
l'Archevêque de Paris de la mesure
qu'il avait prise, et de laquelle il
donnait trois motifs: l'affaire scan-
daleuse du libelle injurieux à la
cour d'assisps de Mf'Iun; les pré-
dications contre l'Immaculée Con-
ception; et enfin la découverte
d'un écrit intitulé : Testamenl, rem-
pli de diatribes violentes contre
les dogmes de la religion, contre
l'autorité et la discipline ecclésias-
tique. Verger revint effectivement
à Paris, et de là écrivit à l'évêque
de Me;àux, cherchant à l'amener à
changer de détermination sur ce
qui le regardait, usant de menaces
et disant qu'il se marierait, etc. Une
personne respectable le vil de la
part de l'évêque, chercha à le cal-
mer et lui fit entendre que les me-
sures que l'on avait prises à son
égard l'étaient saris retour. Verger
demanda une audience à l'arche-
vêque de Paris, qui nécessairement
dut la refuser. Alors l'idée d'assas-
siner ce prélat, déjà conçue l'année
précédente, lui revint au cœur et se
changea en résolution. Sous l'in-
fiuence funeste de cette pensée, il
acheta un couteau et se disposa
à frapper l'archevêque quand il
en trouverait l'occasion. Le same-
di 3 janvier 1857, monseigneur
Sibour, archevêque de Paris, était
allé, dans l'après-midi, malgré
le temps froid et pluvieux et une
santé indisposée, célébrer la fête
patronale de sainte Geneviève, à
Saint- Ëiienne -du -Mont , où le
tombeau de la sainte attire depuis
soixante ans un concours con-
sidérable de pèlerins pendant toute
la neuvaine qu'on y fait chaque
année à pareille épofpuî. L'occa-
sion parut favorable au dessein
pervers de Verger. Il se munit de
son couteau, qu'il tint d'avance
ouvert, etserendilàSaint-Étienne,
où il entra dans la nef pendant le
Maqnifirat. Son premier projet
éia;i d'aller se placer près du banc-
d'oiuvre, afin de frapper l'arche-
vêque au momei'l où il y entrerait
pour entendre le sermon, mais
craignant d'être reconnu des ecclé-
siastiques, il s'éloigna et alla se
placer dans la nef, où il entendit
VER
le sermon de monseigneur Lacarriè-
re, ancien évèque (le laBasse-ïerre
(sermon sur la prière, qu'il trouva
hérétique !).Lorsqu'eui lieu la pro-
cession, qui devait précéder le sa-
lut, et à laquelle ofliciait l'arche-
vèque, le prélat rentrait dans la
nef du milieu, pour retourner au
chœur, quand Verger, placé à l'en-
trée et aux premiers rangs des
chaises, du coté gauche, se releva,
tournant le dos à l'autel, saisit
monseigneur Sibour par le bras et
le frappa de son couteau, qu'il
avait su tenir caché 1 ! ! Une femme
aperçut néanmoins l'instrument
fatal, au moment où le coup était
porté, et voulant l'arrêter, fut lé-
gèrement blessée. 5f, l'abbé Su-
rat, vicaire-général , qui assistait
le prélat, et soutenait sa chape,
frappa de la main l'assassin, qu'il
croyait coupable seulement d'a-
voir battu l'archevêque. En im-
molant sa victime, Verger s'écria :
Pas de déesaes, à bas les déesses!
Il était revêtu d'un paletot, et ne se
débarrassa pasde son fer meurtrier.
« Je n'ai pas frappé une seconde
fois, a-t-il dit depuis, car j'avais la
certitude que mon premier coup
avait porté. » Il a dit aussi à
M. l'abbé Ilugon, aumônier du dé-
pôt des condamnés, qu'il avait res-
senti, après le coup, comme cette
espèce de s;itisfaction qu'on éprou-
ve après une œuvre qu'on devait
accomplir. Néanmoins, en re( evant
le soufflet que lui donna M. Surat,
l'assassin chancela en répétant son
inconcevablfi exclamation : Pas de
déesses! A basiesdéi'sses ! On peut
se faire une idée du tumulte qu'oc-
casionna cette attaque subite, et du
trouble où elle jeta tous les esprits.
On croit à un accident, à une in-
sulte, mais personne ne soupçonne
un tel crime! Pendant qu'on s'em-
vsa
^95
presse de rassurw 38-:prfelat,' on
voit ses yeux s'étei ^ùrB é^sMuNet
s'attacher sur le cri Me' -■• - 'Ht^
vrcs murmurent: «Onl^L;. u ; nterr^-
Dieu ! le malheureux ai^^ i «Quel
malheur! « car sa voix^.aRv3if».«Mf,
peut laisser distinguer sisflte. Hea^
les derniers mots qu'il arf. (ifei^Vn-j l
ces!! Tout à coup son )• i >. Vj^^ife» m
soutenait seulement le p^iU. *Jc «eo 9^-
chape, s'affaisse violemmenli^*-»-: ^\
rière et retentit sur les dall8$;;:!tJï}.
se précipite, on relève Monseiinœiîrvt
on le transporte dans la saciliâwp
on essaie de le faire revenir dmitt'-
qu'on pense être un évanouiss»^"
ment. La syncope pei-sisie, ofd
étend le corps du prélat, et un méV.
decin, qui s'était trouvé à réglisei
découvre l'horrible vérité. Après
avoir soulevé la chape et l'étole, il
reconnut une plaie large elprofonde
entre la cinquième et la sixième
côte. Le sang s'en échappe* avec
abondance, les paupières du mou-
rant frémissent encore, mais déjà le
pouls a disparu. M. Surat donna
une dernière absolution à l'arche-
vêque, qui mourut à l'instant. Le
bruit de cette affreuse catastrophe
se répand aussitôt dans une partie
de la ville, et produit un etfet in-
dicible. On ne peut se résoudre à
croire à cette nouvelle : Monsei-
gneur est assassiné! Par qui et
pour quel motif, dans un temps où
les émotions populaires sem-
blaient assoupies! L'indignation est
générale. Le chef du gouvernement
s'abstient du spectacle, où il se dis-
posait à se rendre. L'auteur de cet
article n'oubliera jamais la scène
lugubre et majestueuse qu'offrait le
presbytère de Saint-Etienne-du-
Mont. Instruit par hasard du mal-
heur qui venait d'avoir lieu, il s'y
rendit des premiers. Le prélat
était étendu, revêtu d'une partie
296
VER
VER
de ses lial>its ecclésiastiques, un
pie<l vSOrti Ju soulier, tombé au
pied Ju Ut, ce lit n'était qu'un
matelas pesé par terre, sur lequel
l^archevùqiic.V paraissait endormi ;
son m^Dteau recouvrait la plaie.
Prosfct'Hé.près de sa tète, son se-
crôtrire particulier, M. Tabbé de
Ctt»*)li, serrait une de ses mains
et restait en silence, presque
•iiii'anli? Monseigneur Lacarrière,
quelques ecclésiastiques du pres-
bytère et autres, n'échangeaientque
quelques mots à voix basse, et la
stupeur était sur tous les traits!
Tandis que ceci se passait au pres-
bytt're, une autre scène se passait
à quelques mètres de là, dans Thô-
tel delà mairie (alors du xu" arron-
dissement). Lorsque M. l'abbé de
Rorie, curé de Saint - Etienne ,
cherchait, dans son illusion sur
la réalité du malheur, à rassu-
rer les fidèles et voulait conti-
nuer l'office, un assistant qui avait
compris ce qui se passait, avait
saisi l'assassin par derrière ; un
sergent de ville le désarma et l'ar-
rêta. On le conduisit au milieu do
la foule saisie d'horreur au poste
de la mairie. M. Piétri, préfet de
police, M. de Cordui-n, procureur
impérial, M. le substitut Moignon,
M. Treilhard, juge d'instruction,
s'y rendent en toute hâte, et pro-
cèdent à une première instruction.
Verger dit que ce n'est point la
personne de Monseigneur l'arche-
vêque qu'il a voulu frapper, mais
en sa personne le dogme de l'Im-
maculée Conception. Que signilie,
lui demande-t-on, ce cri que vous
avez proféré : Pas de dresses! à brnt
iet déesses! Il répond que par là il
entendait protester (1) contre l'Im-
(1) La société des dames de Saiate-
maculée Conception et contre la
confrérie des Génovéfaines. H avoue
et donne des détails avec un sang-
froid qui laisse douter s'il a la cons-
cience de son crime. Un moment ce-
pendant, vers la lin de l'interro-
gatoire, comme on lui représente
la grandeur d'un tel forfait, il sem-
ble le comprendre. Quelques lar-
mes coulent de ses yeux et il s'écrie :
«Oui, c'estaffreux ! » Mais, conduit à
ia prison de Mazas, Verger a bien-
tôt recouvré son calme. Il demande
à manger, parce que, dit-il, il est à
jeun depuis !e malin, par précaution
pour ne pas avoir la main tremblante.
Comment, lui dit-on, vous qui êtes
prêtre, avez-vous pu commettre un
crime semblable? « La faute en est
au célibat des prêtres, répondit-il;
pourquoi ne voulez-vous pas que
les prêtres se marient comme les
autres hommes? «Réponse insensée,
qui, comme celles qu'il a faites à
la mairie , prouverait que le mal-
heureux est victime non-seulement
de sa scélératesse, mais aussi de
son orgueil ou de sa folie. Quels
rapports, en etVet, peut-il y avoir
entre les raisons qu'il donne et l'as-
sassinat de Mgr Sibour? L'instruc-
tion commença et marcha promp-
tement ; on saisit chez le frère de
Verger, avec lequel il demeurait
au moment du crime, et à son pro-
pre domicile à Sarris; on lit les in-
formations au séminaire de Meaux,
et dès le 10 janvier, le parquet de
la Cour impériale de Paris, par
l'organe du procureur général ,
M. Vaïsse, déclarait que Jean-Louis
Verger était accusé d'avoir, le 3
janvier 18o7, commis volontaire-
Geneviève, établie par Monseigneur Si-
bour, a son autel [>rés du tombeau de
sainte (ienevièvi-, et se réunit à Saint-
Etienne-du-Mont.
VER
ment, avec préméditation et guet-
apens, un homicide sur la personne
de Mgr. Sibour, archevêque de Pa-
ris, crime prévu par rarticie 302 du
code pénal. Pendant ces opérations
préIiminaires,Verger semblait, dans
sa prison, être à l'aise et dans une
position qui pourrait le grandir.
Ceux qui pouvaient l'approcher
étaient curieusement interrogés. II
se montrait calme, vantard, discu-
teur. Il n'était préoccupé que de
l'idée de se former un piédestal
aux yeux de l'opinion publique, de
poser y de faire de l'efiet. Il péro-
rait sur les questions de dogme,
avançait froidement de vieilles hé-
résies, qu'il donnait comme les pro-
ductions de son cerveau, mêlait à
toutes ces divagations religieuses
les questions les plus étroites d'in-
térêt personnel, calomniait gros-
sièrement tous ceux qu'il avait pu
connaître dans sa carrière ecclé-
siastique, et principalement il écri-
vait, il écrivait sans cesse, surtout
et à propos de tout. Transporté
quelques jours après à la Concier-
gerie, il montra les mêmes disposi-
tions; il semblait n'avoir pas cons-
cience de sa situation , parlait
froidement de l'avenir, et récla-
mait bonnement une couverture
pour passer l'hiver. ,Quand on lui
annonçait (juelque visite, quelque
démarciie de curiosité, sa figure
rayonnait ; « !\Ia cause est une nou-
\clle cau^e célèbre, disait-il, on
en parlera longtemps. » Étrange
satisfaction de l'orgueil , qui ne
pouvait se trouver qu'en Ver-
ger! Aussi, ful-il et panil-il vive-
ment contrarié ({uand l'autorité se
refusa îi laisser reproduire ses
traits. Ooirail-on (lu'il avait fait
venir à sa prison son frère accom-
pagné d'un pholograpbe, pour faire
son portrait! Tout semblait révéler
m
897
chez ce malheureux,'! cet** rfnçiWyi^-
ble fatuité du crim , qin s.'ftrii}>are
de quelques intellit, rnôàH jidj'vcr»^
ses. Il laissait entr» -^h ^^e'qui'iJ
aurait voulu faire, ( ■ ,a\U^
on, du désir qu'il avait i, Ir-e
à Rome, de façon à lais.>- ,^uia>o»<
ser le regret monstrueux ci. a^avoip
pu frapper une autre et ploRk^ '
tre tête. On chercha à lui yt/y^
comprendre combien il s'abWi^
sur la situation des esprits ;u;bo^.
égard ; on n'aura point réussi. T^U»
le 9 janvier, le rapport surson alTaitîè
avait été présenté à la chambra
des mises en accusation par M. J'a-
vocat général Salle. La cbambre
prononça immédiatement l'arrêt
par lequel elle renvoyait Verger
devant la Cour d'assises de la Seine.
Ce même jour, à quatre heures.
Verger reçut notification de l'arrêt,
il avait dès lors cinq jours pour se
pourvoir en cassation contre celte
décision. M. le président Ronniol do
Salignac lui nomma d'offlce pour
défenseur un avocat conim par
son beau talent, 31. Nogent-Saint-
Laurens. Ce choix parut faire plai-
sir à l'accusé, que l'avocat trouva
à la Conciergerie feuilletant avec
ardeur les pièces de procédure qui
lui avaient été sij^niliées. Verger
se leva, fit quelques pas au-devant
de lui, et du geste lui indiqua un
siège, le remerciant d'avoir ac-
cepté sa défense. « C'est, lui dit-il,
« une véritable satisfaction pour'
« moi que de ujc voir assisté par un
« avocat que j'ai déjà eu tant de
(( plaisir à entendre à Alelun. »
Néanmoins il manifesta l'intention
de se défendre lui-même. Il dit que
l'examen de toutes les pièces et la
préparation de sa défense nécessi-
taient un temps plus long que celui
qui lui était donné, et qu'il ne
croyait pas pouvoir être prêt [iour
298
\'ER
VER
le 17 Janvier, jour fixé pour les dé-
bals de l^affairtt Le 14, il informa
ofûciftllefiieâtale sa résolution le
direcleur delà ('.onciergeric, et après
qu.il e^t \u libeller et qu'il eut
sïgmVA'ng^ consiatant sa diciara-
liOH(^,.&irvoi ,il se remit avec une
a^yitèmivreuse à classer, à rédiger
sesiDioyeiis de défense. Le 15, la
€9<ir du cassation fut saisie du
iwurvoi , que Verger n'avait fait
soMiriiir par aucun avocat. Comme
allô trouva que la procédure avait
été régulière , etc. , elle rejeta le
pourvoi. Par suite decette décision,
.Taflaire fut maintenue au rôle des
assises pour le samedi 17 janvier.
Lecture de cette décision fut faite
à Verger, dans la Conciergerie, par
M. le premier président Delangle,
qui, sollicité par Verger de recu-
ler le jour de l'audience, et ne
croyant pouvoir l'accorder, vit l'ac-
cusé ne pas faire d'insistance et
dire qu'il serait prêt pour le 17 ,
jour fixé. On conçoit que de son
côté le public se préoccupait de
l'affaire , qui faisait le sujet des
conversations. Mgr. Allou, évf'que
de Meaux, eut la charité de visiter
le coupable dans sa prison ; les
journaux rendirent publique une
lettre que M. l'abbé Jlenard, supé-
rieur du séminaire de Meaux, avait
cru devoir écrire,etqui,en donnant
des explications, comme pour sol-
liciter ou présenter une sorte de
justilicalion, assurément bien inu-
tile , accusait dans ce respectable
ecclésiastique, une sorte de peine
ou d'embarras. Tout le monde at-
tendait avec une sorte d'anxiété
l'ouveriiiredes débats, qui eut lieu,
en effet, le 17 janvier 18:i7. Jamais
pareil spectacle ne s'était offert
dans l'enceinte de la Cour crimi-
nelle. Le crime él^it inoui ; la foule
qui se pressait dans ce trop étroit
prétoire de la Cour d'assises, com-
posait une de ces assemblées d'élite
dont on peut dire qu'elles représen-
tent tout Paris. La plupart des il-
lustrations s'y trouvaient réunies;
notabilités administratives , judi-
ciaires,artistiques, militaires ;lesda-
mes étaient en très petit nombre. Dès
cinq heures du matin une longue
file d'avocats en robe se pressait à
la grande grille d'honneur du pa-
lais; sur plus de deux cents, une
trentaine réussit à obtenir le droit
d'entrée. Quanta la foule du public
elle était compacte, mais les décep-
tions avaient été nombreuses, car le
plus grand nombre des places était
réservé, et personne n'entrait sans
être muni d'un billet signé par le
premier président. Vers dix heures,
on expose les pièces k conviction,
les habits pontificaux de Mgr. Si-
bour, la chape souillée d'une large
tache de sang, le couteau terrible,
dont la lame damasquinée n'a pas
moins de 10 centimètres de lon-
gueur, et son acier est terni par
|)laces; on reconnaît en frémissant
qu'il est terni par le sang de la
victime. Peu après, l'accusé est
introduit et attire les regards d'une
curiosité avide. L'impression géné-
rale est celle du désappointement.
On avait attendu un homme à l'al-
lure féroce, au regard sombre, on
voit entrer un jeune homme insi-
gnifiant, ï.oin de reconnaître en lui
un assassin, à la pâleur mate de
son teint on se persuaderait facile-
ment (pi'on a sous les yeux un de
c(;s jeunes gens en qui l'étude
éteint les passions en éclairant et
en développant l'intelligence. Il est
vêtu de noir; une cravate de méri-
nos noir, sans col de chemise, fait
ressortir l'extrême pâleur de son
teint, sa voix est à la fois duuce et
sonore; l'Impresion qu'il produit
VER
VER
299
d'abord est presque favorable. Un
seul mouvement dans sa physiono-
mie peut inspirer quelque défiance :
il passe sans cesse la langue entre
ses lèvres légèrement contractées.
Verger, entré avec calme , jette
un regard rapide sur l'auditoire,
et concentre toute son attention
sur une liasse de notes qii'il met en
ordre. Dans cet article, rédigé avec
toute la simplicité possible, je
n'ai rien dissimulé de ce qui pou-
vait faire apprécier Verger, et s'il
se trouvait, dans les voies ora-
geuses qu'il a suivies, quelque
éclaircie qui semblât le montrer
dans le chemin du retour, je ne l'ai
point voilée à l'œil du lecteur; mon
récit suffirait absolument à le faire
connaître. Néanmoins, on peut
dire qu'il ne s'est entièrement ré-
vélé à tout le monde que dans les
débats de son procès. Il n'est ni
dans la nature ni dans la mesure
de notre travail de les reproduire.
La Gazette des Tiibunaux, le Droit
et les autres annales judiciaires,
ont, dans le temps, rapporté les
scènes scandaleuses auxqutMles ont
donné lieu ces déplorables débats,
ainsi que les actes de violence et
de fureur qui exi^'èrent l'expulsion
de l'accusé. Ainsi qu'il n'était pas
permis d'en douter, le résultat fut
une condamnation à mort pronon-
cée à la suite de la courte et una-
nime délibération des jarés. Le
lendemain, Verger s'empressa de
faire savoir qu'il entendait se pour-
voir en cassation et adresser à
l'Empereur une demande en grâce.
Son père vint le visiter en présence
du directeur de la prison. L'émo-
tion ne fut pas très-vive. Son père
lui dit : Ton affaire m'a causé bien
des dérangements, enfin te voilà
condamné \ mort. « Tout n'est pas
ff fini, répondit Vergrr, oh ! non,
« tout n'est pas fini. » Une inquié-
tude secrète agitait cependant le
condamné, malgré sa tranquillité
apparente; il mangeait peu, dor-
mait mal, et alors il reçut volon-
tiers la visite de M. l'abbé Notclet,
aumônier de la Conciergerie. Sa
plus grande privation était de ne
pouvoir écrire, car on l'avait, sui-
vant l'usage, revêtu de la camisole
de force. L'arrêt avait été prononcé
le 17 janvier ; le 19 à quatre heures,
on procéda à la translation de
Verger de la prison de la Concier-
gerie à celle de la Roquette. Lors-
qu'il monta dans la lugubre voilure,
il était morne, abattu; pendant le
trajet, il manifesta à plusieurs re-
prises la crainte qu'on ne le con-
duisît au supplice. Ses gardiens
cherchaient en vain à le rassurer;
il ne se calma qu'en .^e voyant
rentrer dans une autre prison.
Pendant les quelques jours de dé-
lai que lui laissait son pourvoi,
Verger se livra à l'espérance. Il
avait obtenu qu'on lui laissât la
main droite libre, et il en profitait
pour écrire incessamment. L'or-
gueil reprenait le dessus. M. l'abbé
Hugon, aumônier de la maison
du dépôt des condamnés, a rendu
public le récit que Verger lui lit de
son acte coupable et des impres-
sions qu'il avait ressenties quand
il eut frappé ce pauvre Monse'ujncur\
il parlait presque comme un héros,
disoiis du moins un artiste, qui fait
la relation satisfaisante de son oeu-
vre. 11 paraissait aussi compter
beaucoup sur sa demande en grâce
et attendre tout au plus un noble
exil. Néanmoins il calculait avec
émotion le moment où serait jugé
son pourvoi en cassation. Ce fui
le 2'J janvier que la cour suprême
fut appelée à l'examiner, sous la
présidence de M. Laplagne-Rarris.
300
VER
VER
• Une foule considérable se pressait
dans l'auditoire pour assister à
l'audiçncequi ouvrit à onze heures.
M. Morin était l'avocat chargé par
l'accusé de soutenir son pour-
voi, et il présenta trois moyens de
cassation, qui furent discutés par
le procureur général, M. de Royer,
qui conclut au rejet en montrant
aussi la régularité de la significa-
tion de l'arrêt faite au condamné.
La Cour, après délibéré, rejeta le
pourvoi. En même temps le chef
de rh'tat, usant de son suprême
privilège, faisait appel ù une com-
mission de médecins pour cons-
tater, une fois de plus, d'après les
faits du procès, l'état mental du
condamné. Le rapport de M. le doc-
teur Conneau conclut que Verger
jouissait du libre exercice de sa
raison. L'ordre d'exécution fut
donné pour le lendemain, vendredi
30 janvier 1857. M. l'abbé Hugon,
aumônier, avait eu plusieurs en-
treliens avec Verger depuis l'en-
trée de celui-ci dans la prison du
dépôt, dite la Roquette; il n'avait
pu rien gagner sur ce malheureux,
qui disait toujours qu'il ne voulait
pas de prêtre, et entendait mourir
comme il était, n'ayant rien, di-
sait-il, à se reprocher. Le diman-
che 25 janvier, ou avait admis
Verger à entendre la messe. L'au-
mônier prêcha sur les châtiments
que l'on subit dans la vie, sur les
moyens de les rendre utiles pour
le temps et réternitél Verger l'in-
lerrorapii par des vociférations,
criant : Analhème ! erreur ! malé-
diction, et soutenant que l'enfer
n'est pas ce qu'on dit qu'il est.
Comme on ne pouvait le faire taire,
on fut réduit ti l'emporter de force.
Dans la nuit du jeudi au vendredi,
quoique ignorant tout eu qui se
j)assait, il avait eu un sommeil
agité. A sept heures du matin, le
vendredi 29, il dormait lorsqu'en-
Irèrentdans sa chambre, M. l'abbé
llugon, d'abord seul, j)uis aussitôt
après M. le directeur, suivi d'une
dizaine de personnes. M. Hugon,
qu'il avait refusé de voir depuis le
dimanche, lui dit qu'il n'avait plus
à attendre que la justice et la mi-
séricorde de Dieu, dans les bras
duquel il le suppliait de se jeter.
Verger ne voulait rien entendre.
Au directeur, qui lui donnait com-
munication des ordres reçus, il de-
manda la permission de prendre
une heure ou deux pour écrire
à l'Empereur, et il reçut nécessai-
rement un refus. M. l'aumônier
lui faisait de douces instances en
lui montrant le crucifix ; il répon-
dit qu'il voulait mourir tel qu'il
était et qu'il ne voulait ni prêtres,
ni reliques, et il en revenait à la
demande d'écrire h l'Empereur. Il
entra en fureur, disant qu'il ne
voulait point aller à l'échafaud, et
qu'on ne le tirerait de son lit
qu'en pièces; son air était hébété,
sou œil atone, et sa face décom-
posée! Il s'enroula dans ses cou-
vertures et dans ses draps, qu'il
tenait entre ses bras crispés com-
me dans un élau. Il fallut le vêtir
(le force, et on ne put lui mettre
(jue son pantalon ; il se déballait
violemment , «t criait avec une
voix éliange. « Au meurtre! au se-
cours! à l'assassin ! » On ne put,
le faire entrer dans la chapelle
pour y prier un instant comme
c'est l'usage, et l'aumônier fut le
premier à conseiller de passer
outre. Une fois arrivé dans l'avant-
greffe, où se fait la toilette des exé-
cutions, dès qu'il sentit le froid de
l'acier des ciseaux dont se servaient
h.s aides de l'exéeuteur pour lui
couper les cheveux, il fut saisi
VER
\ER
301
comme d'un frisson. Sa face, rouge
de colère, se couvrit d'une pâleur
effrayante ; 5a fureur se changea en
uu profond abattement : « Point
« d'amis, point de parents! dit-il
« bientôt avec désespoir, mourir
« ainsi, c'est affreux! » M. l'aumù-
nier, qui se tenait en face de Ver-
ger et épiait le moment de tenter
un nouvel effort, crut que le mo-
ment était venu, et lui présenta le
crucifix, que Verger ne repoussa
point. Alors il lui parla avec bonté
et lui dit que parle repentir et le re-
cours àDieuilpouvaitencores'assu-
rer une éternité heureuse. La grâce
triomphait, et, gagné par elle, Verger
répondit : « Monsieur l'aumônier,
« mon frère, mon ami, je ne vous
« ai que trop longtemps résisté. Je
« ne résiste plus. Je me remets en-
a tièrementenire vos mains. Dites-
« moi ce qu'il faut que je fasse. »
M. l'aumônier lui dit qu'il fallait,
devant toutes les personnes présen-
tes, rétracter et abjurer toutes ses
erreurs, toutes les calomnies pro-
pagées par ses écrits, ses prédica-
tions, ses propos avant et pendant
sa détention, et Verger se levant
alors de l'escabeau où il était
accroupi, les mains déjà liées, les
pieds retenus par une courroie,
s'adressa k l'assemblée avec un ac-
cent à la fois humble, ferme et
digne: « Messieurs, dit-il, je rougis
« maintenant de la scène de vio-
« lence dont je vous ai rendus té-
« moins, et je vous en demande
« pardon. Je demande pardon à
« Dieu et aux hommes du crime
« horrible que j'ai commis; je ré-
« tracte et j'abjure toutes les er-
• reurs, toutes les c.ilomnies que
« j'ai propag(ies. J'offre h Dieu ma
« vie en expiation de tout le mal
« que j'ai fait. Dans toute la plé-
« uilude de ma raison, je déclare
ft et je vous prends à témoins que
« je veux mourir en chrétien, en
* catholique , en prêtre , autant
« qu'il dépend encore de moi. >»
M. l'aumùnier l'entraîna dans un
angle de la pièce. Verger le com-
prit, se mit k genoux et fit sa con-
fession... confession hâtée sans
doute!... mais enfin! ! Puis l'aumô-
nier récita les prières des agoni-
sants, que Verger écouta avec re-
cueillement, faisant lui-même les
réponses en latin ; puis, les larmes
aux yeux, il demanda pardon à tous
les employés de la maison. Il mar-
cha vers l'échafaud dressé sur la
place en face de la prison, soutenu
d'un côté par l'aumônier, de l'au-
tre par l'exécuteur, et témoignant
sans cesse publiquement de son re-
pentir. Alors il ne disait plus sim-
plement comme les protestants et
les jeunes écrivains de nos jours :
le Christ, il savait dire Jésus-Christ
et répétait de la voix que lui per-
mettaient ses forces épuisées : Vive
Notre Seigneur Jcsus^Christ ! A'jneau
de DieiL (ijjez pitié de moi! Vivent
Jésus el Marie! Vive la mère de Dieu,
notre bonne mère à tous! Arrivé sur
l'échafaud, il se mit spontanément
à genoux. Il chargea i'aumônierde
faire amende honorable à ses su-
périeurs, et puis, comme dans une
sorte d'extase et les yeux levés vers
le ciel, il s'écria : a Dieu d'amour
« et de miséricorde, prends pitié
« (le ma malheureuse famille; j)ilié
" pour mon vieux père; protège
(' la France que j'ai tant aimée!
X protège l'Église; pitié pour tout
« l'univers entier; protcge l'Em-
« pereur, fais la France grande ei
« prospère!') Assurément il y avait
encore dans ces exclamations quel-
que chose du caractère de Verger,
et peut-être aurait-on préféré ,
puisqu'il voulait parler sur l'c-
302
VER
VER
chafaud . entendre une nouvelle
rétractation de ses calomnies et
une invocation h la sainte Vierge,
que ces expressions de tendresse
pour la France, qui n'y a trouvé
ni édification ni sujet de recon-
naissance. Vergfer baisa une der-
nière fois le crucifix avec une ar-
dente effusion, puis, s'abaudonnant
doucement à l'exécuteur, il reçut la
mort avpc toute l'apparence des
dispositions qui auront frappé vi-
vement les dix mille spectateurs.
Le Droit, journal des matières ju-
diciaires, dans un article, donna
des allégations qui tendaient ci nier
la sincérité et môme la réalité de
la conversion de Verger. Le Journal
des Débats et celui de la Presse les
reproduisirent, les autres feuilles
publiques furent plus équitables.
Son Em. iMgr le cardinal Morlot,
venait d'être nommé à l'archevê-
ché de Paris. M. Hugon crut de-
voir l'instruire des circonstances
que je viens de décrire, et se hâta
de lui en adresser à Tours les dé-
tails. Le cardinal lui répondit dès
le 31 janvier. La science a décidé
que Verger jouissait de toutes ses
facultés et la justice l'a frappé d'une
peine méritée. On eût été assuré-
ment consolé si on eût pu prouver
que la démence seule avait pu le
conduire à un pareil forfait. Le
minislè.'-e sacré du prêtre est, dans
l'opinion publique, d'un ordre si
él(!vé, qu'il semble à quebpies-uns
que les misères et les crimes de
l'humanité ne doivent jamais mon-
ter assez haut j)Our l'atteindre.
D'autres, trop vivement frappés de
la faute d'un seul homme, en re-
portent trop légèrement la respon-
sabilité à l'ordre tout entier, ou-
bliant, pour un qui s'égare, les ver-
tus infinies de tous ceux qui pas-
sent ignorés en faisantlc bien. Mais
enfin s'il est vrai, comme on ne
peut le nier, que Verger avait la
conscience de ses actions et agis-
sait avec préméditation et raison-
nement, ne pourrais-je dire que
l'ensemble de sa vie, dans le peu
que j'en ai montré, prouve aussi
ce qu'il y avait d'étrange dans son
cerveau, de déficit dans ses facul-
tés? J'ajouterai que ces dispositions
si singulières étaient peut-être dans
son sang. Sa mère se donna la
mort en se jetant dans un puits; un
de ses frères est mort en se jetant
dans la Seine ; une de ses sœurs
s'est jetée dans un puits à Saint-
Denis, mais elle en fut retirée par
ses voisins. Son frère Frédéric, qui
se porta à quelques excentricités,
et chez lequel il demeurait lors-
qu'il assassina l'archevêque, avait
été exilé pour ses folies politiques.
B. D— i:.
VERGEZ (Jean-Marie), lieute-
tenant-général français, né le 11
janvier 1757, à Saint-Pé (Hautes-
Pyrénées), et sous les drapeaux de-
puis 4778, avait porté onze ans,
sur mer et sur terre, le havre-sac
du soldat ou quelque humble épau-
lette, quand la prise de la Bas-
tille fit prendre la fuite à presque
tous ces gentilshommes, lieutenants
ou capitaines, chefs d'escadrons
ou colonels, lesquels en quiltant
leur poste crurent livrer l'armée à
la désoiganisation, et n'y semèrent
qu'une émulation immense. Ils
laissaient partout des vides, « A
nous de remplir les vides! » s'é-
crièrent les i)lu5 alertes, les plus
braves et les plus capables. Le
temps de Vergez était enfin venu.
Il passa comme simple fusilier à
la garde nationale mobilisée. Nous
ne savons s'il fut de ceux qui se
déployèrent et qui combattirent
à Valmy (voy. Dumouriez) ; mais,
VER
VEH
303
dès cette même année 1792, nous
l'apercevons coopérant à la cam-
pagne sur la frontière septentrio-
nale. Le 9 février 1793, il est nom-
mé capitaine au premier bataillon
de chasseurs des montagnes. Bien-
tôt, dirigé sur l'armée des Pyrénées
occidentales, il est chargé par le
général du commandement des
éclaireurs de la colonne ; et il jus-
tifie sa confiance, non-seulement
en enlevant deux drapeaux à l'en-
nemi le jour de la prise de Marsa,
mais en éteignant deux mèches
allumées par les vaincus pour faire
sauter le fort qu'ils évacuaient :
c'était sauver partie du corps vain-
queur qu'effectivement l'explosion
aurait détruit. Même légèreté de
mouvements, même réussite k la
prise de Tolosa: l'ennemi en se
retirant emmenait son artillerie:
Vergez, avec les siens, tombe com-
me la foudre sur le cortège fugi-
tif, met la main sur les mulets et
reste maître des bouches à feu,
canons, obus et couleuvrines (1795).
Même année, à l'automne, (ven-
démiaire an m, disent les rap-
ports), lorsque la valeur française
enlève Llambery, Vergez , cette
fois encore, comme s'il y avait en
lui une facullédi\ inatrice spéciale à
•l'effet d'éventer les éléments explo-
sibles, avise quatre mèches qui
brûlent sournoisement au fond de
barils défoncés à quelques pas
d'un énorme magasin de poudre,
et conserve ainsi le dépôt à l'ar-
mée victorieuse et la vie ù des
centaines i)eut-être de ses camara-
des. L'année suivante, il était,
sous Hoche, à l'armée de rv)uest
dite des côtes de l'Océan, et mis k
la tête (les {'arabiniers, il eut une
part décisive à l'achèvement de la
première guerre de la Vendée.
C'est luiqui fit prisonnier l'indomp-
table Cliaretle. après avoir tué de
sa main les deux chefs qui l'accom-
pagnaient et l'avoir blessé d'un
coup de pistolet d'abord, d'un coup
de sabre ensuite. On sait que Cha-
relte s'était défendu comme un iion.
Cet exploit valut à Vergez, le 18
thermidor suivant (o août 179G) le
grade de chef de bataillon. L'Ouest
tranquille pour l'instant, c'est en
Italie que Vergez reçut ordre de
se rendre: il y passa la fin de Tan-
née et les deux années suivantes,
moitié dans l'inaction amenée par
la paix de Campo-Formio et ces
vaines négociations de Rastadt
que l'Autriche dénoua par l'as-
sassinat des plénipotentiaires fran-
çais, moitié dans les expéditions
de Rome et du royaume de Naples.
Mack, par une audacieuse viola-
tion de la foi des traités et avec
des forces quintuples, avait con-
traint les 16,000 Français du patri-
moine de Saint-Pierre à quitter la
capitale, où bientôt (5 frim.an VII
ou 2onov. 1798) crût bon de faire
son entrée triomphale ce grotes-
que époux de la reine de Naples,
ce Ferdinand IV, qui, trente-deux
jours plus tard (7 nivôse ou 27 dé-
cemb.) devait, chassé de Naples
après l'avoir été de Rome, s'em-
barquer pour Palerme avec ladite
épouse et l'indispensable Acton.
(Voy. Caroline, au supplément
L...) C'est surtout dans l'inlervalle
d^ cette entrée à celle fuite que
Vergtz avec le reste des forces
françaises trouva l'occasion de se
signaler. Il faisait partie de cette
rolonnc de renfort si impatiem-
ment attendue de Terri par Macdo-
nald, lorsque les Napolitains s'é-
taient portés de Caivi sur Otricoli
pour intercepter les communica-
tions de l'armée française, e( (|ui,
dès qu'elle déboucha, fut dirigée
\ok
VEK
VER
sur Osleria: là et sur vingt points
aux environs (l'Osteriadi Vaccone,
rOsleria di Corezze, etc.) fut livrée
ce qu'on appelle la bataille de
Cataiupo, dont les résultats furent
la retraite ou plutôt la fuite de
Mack, la rentrée victorieuse des
Français dans Rome et onze mille
prisonniers (25 frim. ou 15 déc).
Vcrgez, dans cette journée, à la
tête d'un détachement, s'empara
de deux pièces de canon sur la co-
lonne napolitaine qu'il avait à
combattre. Moins de cinq mois
après (17 floréal ou 5 mai 1799),
Macdonald le nommait provisoire-
ment aux fonctions de chef de bri-
gade. Mais en ce moment les affai-
res militaires tant d'Allemagne que
d'Italie avaient cessé d'être en Toie de
prospérité, lesdangers de nosarmées
au contraire étaient immenses et
croissaient tous les jours. L'attentat
sans nom de llasladt avait été com-
mis, l'Autrrche avait jeté le masque
et ne se bornait plus, comme lors-
que Mack allait infatuer le manne-
quin de San-Lucio (voy. Ferdi-
nand iv, au supplém. L.)et galvani-
ser les lazzaroni, k faire la guerre
indirecte et subreptice, elle atait
envoyé son archiduc Charles avec
soixante mille hommes rejoindre
et commander ce qui lui restait de
forces entre les Treize Cantons et
l'Adriatique; la machiavélique Ca-
therine II avait souscrit à ses sup-
plications qu'appuyait la Grande-
Bretagne , et quatre-vingt-dix mille
Russes descendaient avec Souvarof
de l'Adige vers les Alpes. Il ne
faut pas demander si, dans cette
crise, Vergez payait vaillamment
de sa personne. Le 24 prairial (tou-
jours en Tan VII), il fut blessé
d'un coup de feu à l'épaule droite
îi la prise de Modéne ; puis, le 9
fructidor, pendant la bataille de
Chiavari, ce fut le tour de la han-
che droite, qu'atteignit également
un coup de feu. Il se rétablit del'un
et de l'autre accident; et le 15 bru-
maire an VIII il exécutait devant
Novi, à la tête d'un escadron, une
charge non moins vigoureuse que
brillante dont l'effet était de couper
en deux la ligne de l'ennemi, et
prenait toute leur artillerie (cinq
canons et six caissons) : ce succès
partiel devint général, et l'avantage
de la journée resta aux Français,
grâce au mouvement si vivement
conduit par Vergez. Trois jours
après avait lieu la révolution du
18 brumaire, et bientôt (15 floréal
ou 4 mai 1800) le premier consul,
en train de combiner la campagne
d'Italie, que devait signaler la vic-
toire de Marengo, le confirmait
dans son grade de chef de bataillon.
Plus tard, il le fit colonel du 12*^^ de
ligne et officier de la Légion d'hon-
neur. Il l'employa ensuite à la troi-
sième division du camp de Bruges,
puisàla première campagne contni
les Prussiens. Là il se couvrit d'une
gloire nouvelle, mais il fut blessé
pour la troisième fois en chargeant
à la tète de son régiment. Napoléon
reconnut ses services en le nom-
mant l'année suivante (1807) géné-
ral de brigade. Ce fut le terme de
son avancement sous l'Empire, bien
qu'il eût, depuis ce temps, fourni
plus d'une fois, notamment en 1810
et dans la guerre d'Espagne, la
preuve qu'il était toujours l'agile et
intrépide officier de la République :
ainsi le siège et la prise de Lérida
(14 mai) eurent en lui un vigou-
reux auxiliaire; ainsi le 10 juin,
attaqué par 1,800 Espagnols, il
en tue 400 et fait 217 prisonniers
dont 10 of/iciers; premier succès
dont le résultat fut la prise de Te-
ruel. Mais on suit k quel point Nu-
VER
poléon se montra fréquemment, si-
non injuste du moins tiède à l'é-
gard des desdichados qu'il envoyait
se consumer en Espagne où le sol
était si peu propice à nos lau-
riers; et même depuis 4810 on ne
le voit pas figurer sur les cadres.
Nous ne l'en trouvons pas moins,
chose singulière, promu sous Char-
les X, en 1823, au grade de lieute-
nant-général ; mais, évidemment,
ce ne fut qu'un gracie honorifique.
Le lieutenanl-géneral Vergez mou-
rut peu de temps après. Val. P.
VERGMAUD (Henri), parent du
célèbre girondin, naquit à Limoges
en 17G0OU tout au commencement
de 1 761 , et, reçu avocat, il exerça au
barreau de celte ville. 11 n'eut au-
cune part aux événements de la
première ni même de la seconda
phase de la Révolution; mais il
commença vers 1794 à se mêler
i la vie politique, et fut députe
par Saint-Domingue au conseil des
Cinq-Cents. On ne saurait dire qu'il
se lit remarquer pendant le cours de
sa législature par celte faconde
dont semble inséparable le nom de
Vergniaud, il se distingua plutôt
par son silence. Mais il utilisa son
passage à Paris en contractant des
liaisons qui ne demeurèrent pas
infructueuses : il s'acquit notam-
ment dans Lucien Bonaparte un
ami qui, plus tard, aurati été, s'il
l'eûlvoulu, sonprotecieur.il ne pro-
fila, ostensiblement du moins, de
cette bonne volonté, que pour l'airo
ériger sa ville natale en chef-lieu
de cour d'appel, faveur qui certes
eût pu lui man(pier sans quel-
que appui d en haut. Depuis, ces
précédents ont constamment sor-
ti leur etîet, et Limoges n'a cessé
de s'appeler cour d'appel que
pour être (lualiliée cour impériale.
Pour lui, il ne demanda ni simple
LXXXV
VER
305
bonnet de conseiller, ni place quel-
conque au parquet, encore moins
de présidence. Psous ne croyons pas
non plus qu'il ait ambitionné les
titres de maire ou d'adjoint : il trou-
vait que c'était bien assez d'assister
aux sessions du conseil municipal.
Il avait beaucoup de celte ataraxie
philosophique que quelques-uns
qualifièrent de paresse chez son
éloquent homonyme. Il n'en vécut
ni moins vénéré, ni moins Iran-
quille, ni moins longtemps : il était
dans sa quatre- vingl-lroisième an-
née lorsqu'il dit adieu au monde le
13 juin 1844.
VERIILELL- DE-SAVEi\AER
(l'amiral, comte Charles-Henri),
marin renommé que se disputent
la Hollande, sa patrie de fait, et la
France, sa patrie adoplive,la patrie
de .son cœur et de sun choix, na-
quit le 11 février 1764 à Dœlli-
chem, au pays de GuelJre. Sa fa-
mille était des mieux posées de la
province, et cela depuis des siècles ,
soit dans la magistrature, soit dans
les armées de terre et de mer. Son
aïeul maternel était commandeur
de l'Ordre leutoni([ue. 11 avait un
frère aine dam la marine, lequel
parvint a la position de capitaine
de haut-bord, et dont il sera dit
encore un mot plus tard. La voca-
tion maritime n'était pas moindre
chez lui; mais, probablement, par
avis de parents et pour que les
jeunes gens ne se nuisissent pas
l un à l'autre en se faisant concur-
rence, on lui lit prendre parti d'a-
bord dans le service de terre eu
qualité de cadet. 11 méritait ce titre
à tous égards. Il était peu de ses
camarades dont il ne lût le ca-
det : il n'avait alors que onze ans
(1175). Quatre années après, ses
idées s'étaient (ixees, et ses instan-
tes prières pour obtenir sa transla-
• 20
306
VEH
VEIÇ
tion du régiment à n'importe quel
navire de l'État eurent pour résul-
tat son embarquement comme élève
sur une frégate de quarante-quatre
que commandait le célèbre capi-
taine, depuis amiral, Ringsbergen
(1779). Il ne pouvait être à meil-
leure école. Dès 1781, sa frégate
fut employée à diverses croisières
dans la mer du Nord, et il lit en
quelque sorte en arrivant son pre-
mier apprentissage de la guerre, la
Hollande s'étant alliée à la France
en faveur des colonies anglo-amé-
ricaines, et toute voile hollandaise
dès lors, étant sans cesse sur le
qui rive. Le 5 août 1781 il fut ac-
teur en cette sanglante affaire de
Doggerlbauk, en vain livrée par
Parker à Zoutman, et qui ne prit
fin que parce que, de part et d'au-
tre, les amiraux virent leurs navires
désemparés hors d'état d'exécuter
les manœuvres qu'ils commande-
raient. La frégate sur laquelle se
trouvait Verhuell avait constam-
ment figuré sur la ligne de bataille,
et les traces n'en étaient que trop
visibles. Presque toutes les œuvres
vives avaient été labourées par la
pluie de boulets , et deux mâts ,
sinon trois , avaient été ou mis
hors de service ou renversés; tou-
tefois le feu avait pris aux voiles
et aux cordages, et, pour l'étein-
dre, il avait fallu, de la part de trois
matelots et ofliciers une énergie
plus que surhumaine, et dont eux-
mêmes osaiiut à peine espérer le
fuccès; les deux tiers de l'équipage
étaient ou tués ou blessés, Verhuell
lui-même avait sa blessure, mais
combattait et commandait toujours,
remplissant, vu l'urgence, les fonc-
tions de second. Lui seul et le ca-
pitaine, après le combat, se trou-
vaient assez valides pour continuer
k présider le service. Zoutman so
hâta, en conséquence, de le nom-
mer provisoirement à cette place de
lieutenant de frégate dont il deve-
nait indispensable qu'il continuât à
remplir l'office; et comme il n'a-
gissait qu'eu vertu de pouvoirs
préalables, le gouvernement, sur
son rapport, ne balança pas à re-
connaître sa nomination, et, de
plus, le décora de la médaille que
reçurent tous les ofUciers signalés
pour leur participation à ce grand
fait d'armes naval, La guerre, on
le sait, ne prit fin qu'en 1783 par
le traité de Versailles ; si les deux
années qui séparent de cet événe-
ment la terrible collision de la mer
Baltique furent moins fécondes
pour Verhuell en périls imminents,
elles n'en exigèrent pas moins de
vigueur et d'activité ; il ùnt la mer
presque sans interruption, et fit par-
tie de maintes croisières; dans une
de celles auxquelles il prit part au
nord de. l'Ecosse, il eut à conduire,
'à commander la corvette qu'il mon-
tait, le capitaine étant tombé ma-
lade. La paix signée et les bonnes
relations rétablies avec la Grande-
Bretagne, assez longtemps il eut
l'air (le ne faire que des campagnes
pacifiques, tout au plus un peu la-
borieuses, dont quatre dans la Mé-
diterranée, deux dans la mer du
Nord. L'on serait loin du vrai pour-
tant, si l'on s'en tenait à ces qua-
lifications. Il est en pleine paix des
incidents tout aussi redoutables que
ceux de la guerre déclarée, et cha-
que instant peut les voir surgir,
alors même que Ton a droit d'y
compter le moins... Ce ne sont pas
les tempêtes et les risques de nau-
frage, ce ne sont pas les volcans
sous-marins... ce sont les révoltes
à bord. Verhuell, en cette première
période de sa vie maritime, en vit
une, mais qui ne servit qu'à mettre
VER
VER
307
dans tout son jour ses qualités
supérieures. Ce n'était pas, du
reste, sur sou navire qu'avait eu
lieu l'acte d'insubordinution dont
il et parlé, mais c'est sur lui
que l'on jeta les yeux lorsqu'il fut
question de le réprimer. L'insur-
rection durait dé,à depuis plusieurs
jours, et elle était triomphante;
tous les officiers avaient été em-
prisonnés; heureusement ils n'a-
vaient été privés que de la liberté,
carsilesrei)elle5 avaient poussé leur
attentat plus loin, nul doute que la
répression eût été plus difficile,
l'impossibilité d'un pardon fermant
la porte à l'hésitation et au repen-
tir. Même dans la position actuelle,
pourtant, la mission de Verhuell
était scabreuse. Il s'en tira comme
si de sa vie il n'eût eu qu'à domp-
ter des émeutes. Deux officiers,
quelques matelots dévoués, une
compagnie d'élite, voilà ses com-
pagnons; une chaloupe, voilà son
moyen de transport; un silence
profond, voilà son auxiliaire... Il
s'approche inaperçu, donne en s é-
iançant le premier sur le navire le
signal de l'abordage, et sur-le-
champ entime la lutte avec les
rebelles qu'il trouve sur le pont
et que d'autres viennent joindre :
l'engagement se généralise, mais
bientôt il est visible que les assail-
lants vont l'emporter, la démorali-
sation gagne les insurgés, eu moins
d Une demi-heure force est restée
à lajuslice et ceux des meneurs qui
survivent attendent à leur tour dans
les fers ce qui sera ultérieurement
décidé de leur sort. La rapidité
d'exccution, la nelli té, lasùrete de
coup d'œil dont tout porte \/\ l em-
preinte furent hautement appré-
ciées et par les marins et par l'ad-
ministration de la marine. Mais
l'estime ne se traduiikit que par des
missions nouvelles : tantôt c'est un
corps de canonniers qu'il est chargé
a'organiser, tantôt ce sont les côtes
de la Guyane qui doivent être l'ob-
jet d'une exploraiio[i de sa part ;
puis, l'exploration finie et comme
corollaire, comme complément de
l'œuvre dont il a si bien jeté les
bases, ce sont des croisières qu'il
s'agit d'échelonner dans le voisi-
nage des colonies hollandaises de
l'Amérique. Au milieu de tous ces
travaux l'avancement n'arrivait pas
ou n'arrivait guère. On assure, il
est vrai, qu'au commencement de
1795, il fut nommé capitaine de
vaisseau, mais le brevet, ou ne fut
pas signé à temps par qui de droit,
ou ne lui fut pas expédié : le fait
qui ne peut se nier, c'est qu'en
ladite année 1795 il n'avait d'autre
position officielle que celle de 1784,
et qu'il était simple lieutenant de
marine lorsque, comme la plupart
de ses camarades, il donna sa dé-
mission, bien que par cette bou-
tade il interrompit, ei faillît com-
promettre sa carrière. C'était le
moment où, sous la pression de la
République française naturellement
et fortement antistadhoudérienne,
les Provinces-Unies devenaient ré-
publique balave,... et même quel-
que chose de plus; démagogie ba-
lave (1795;. Et:iit-ce donc que le
jeune marin lùtpariisanenthousias-
tede la maison de Nassau? hntiiou-
siasle ! c'est plus que douteux ; mais
>^ convaincu que le personnel dont se
composait le gouvernement nouveau
serait loin d'ollrir les garanties
de l'ancien..., c est plus que pos-
sible. Choqué d'ailleurs dans sfs
habitudes de régularité militaire et
de discipline, il devait ne se sentir
que peu de foi en l'avenir do la
Batavie trop lestement régénérée.
Il se retira donc quelque temps à
308
VER
la campagne; et il ne reparut même
pas, quand, fait capital pour ses
conrictioiis et ses tendances, la
révolution du 12 juin 1798 vint,
enrayant le principe démocratique,
substituer, dans la république ba-
tave, aux furibonds les modérés,
aux hommes de club les hommes
d'Etat. 11 ne resta pas même, ce
qui, nous le pensons, aurait été
bien plus dans sa nature, dans sa
situation expectante; et quand sur
les côtes de la Hollande septen-
trionale débarquèrent les Austro-
Russes en 1799, croyant trop vite
que le récent édifice allait crouler,
il se rendit auprès du prince héré-
ditaire d'Orange, dont la réussite
des étrangers ne pouvait que servir
plus ou moins les intérêts. L'en-
treprise manqua, et les attaquants
purent se tenir heureux de pou-
voir s'en retourner avec capitu-
lation. Verhuell, après ces insuc-
cès de la cause à laquelle il s'était
rallié, ne put que s'enfoncer plus
avant dans la retraite et se vouer,
comme s'il ne devait jamais re-
prendre la vie active du marin et
du guerrier, ^ Texploitation et aux
solijs domestiques. Ce ne dut pas
être absolument sans regret. Sa-
gace et froid observateur, il venait
de s'apercevoir bien neliemeul,
que l'heure du retour n'était pas
prés de sonner pour les ÎN'assau,
et il devenait probable qu'après
les deux crises qu'elle avaU sur-
montées, la révolution qu'avait en-
gendrée dans les Provmces-Uiiies
le cou Ire-coup du mouvement fran-
çais de 8'J à 92, avait désormais de
grandes chances de survivre dans
tout ce quelle avait d'essentiel.
C'est donc volontiers qu'il eût re-
pris du service. Mais quand? com-
ment? Sur-le-champ, c'était en
quelque sorte se démentir. Plus
VER
tard, c'était se laisser par trop
distancer; déjà son absence avait
laissé libre à d'autres le champ de
l'avancement; puis quelle serait sa
position? Ici l'élément litigieux se
dressait redoutable. Nommé par
un acte à la dernière heure, il ne
pouvait exhiber de brevet. Au
temps même du slathoudérat, avec
la conscience qu'il avait de sa va-
leur, il répugnait à mendier ce
qu'il lui croyait dû; il fréquentait
moins les bureaux que son port,
il sollicitait peu, il ne pétitionnait
pas du tout, bien que convaincu
que ce n'est pas ainsi qu'où
gravit l'échelle des grades. 11
hésitait bien autrement sous un
ordre de choses qu'il avait com-
battu à se poser en solliciteur.
Grand donc était son embarras
pour regagner le temps perdu, et
il en perdit encore Heureuse-
ment l'inattenau, — qu'il attendait
peut-être, qu'il guettait, car doré-
navant nul mieux que lui n'excella
dans l'art du guet, — vint linalement
le tirer de sa perplexité. En 1804,
une fois avérée la résolution prise
parle cabinet britannique de laisser
inexécuté le traité d'Amiens, Na-
poléon n'eut plus qu'un projet, la
descente en Angleterre; mais dé-
termine à n'agir qu'après avis pris
de tous les juges compétents et
qu'avec des forces navales hollan-
daises comme auxiliaires, il requit
le grand -pensionnaire Schimmel-
penninck de lui envoyer un ancien
oUicicr de la marine avec lequel il
put entrer en coiilércnccs, et qui
commanderait le contingeni balave.
Le clioix du grand-pensionnaire
tomba d'abord sur le capitaine
Verhuell, ce frère aîné mentionne
plus haut. Mais le capitaine déclina
cet honneur, en ajoutant que Char-
les-Henri son frère tout exigu, tout
VER
VER
309
contesté, ou tout récent quf» fïït son
grade, s'acquitterait l)ien mieux que
lui de la lâche dont on prétendait le
charger et répondrait amplement
à l'objet qu'avait en vue le souve-
rain de la France. La recomman-
dation eut pleinement son effet, et
d'ailleurs le frère ne disait du frère
que ce que depuis longtemps tous
les marins en pensaient. Napoléon,
de son côté, au premier contact de
Verhuell, sentit bientôt de quel
rare et précieux collaborateur U
république amie lui faisait don, et il
se bàla de l'attacher i la France
en le revêtant sur-le-champ du ti-
tre de contre-amiral. Les événe-
ments ne lardèrent pas à justifier
celte élévation par laquelle d'un
bond étaient franchis tant d'éche-
lons. Dans les conférences, soit
avec le ministre de la marine,
Decrès, soit avec l'empereur lui-
même, Verhuell se montra cons-
tamment à la hauteur dcs circons-
tances, à la hauteur des exigences.
Prudence, hardiesse, fécondité de
ressources, vues d'ensemble, par-
faite connaissance des moindres
détails, il réunissait tout ce qui
pronostique et souvent assure le
plein succès. Les destinées de l'ar-
mement de Boulogne cependant
ne furent point aussi splendides
qu'une imagination méridionale
l'aurait rèvc ; mais il faut ne pas
perdre de vue, d'une part, qu'avant
le moment auquel les actes décisifs
allaient avoir lieu, survint la troi-
sième levée de boucliers de i'Au-
iriche, celle que remit si magis-
tralement au néant la victoire
d'Auslerlitz; levée de boucliers que
suscita seule l'Angleterre profon-
dément épouvantée de l'armement
de Boulogne et détournant ainsi la
foudre de Middiesex sur Schœn-
brunn ; — de l'autre, que la dispro-
portion de forces navales, puisque
c'était le colosse britannique qu'on
avait en face, était immense.
Somme toute, aux yeux de tous
les sages esprits, il demeura plus
humiliant pour l'Anglelerre de
ne pas nous avoir fait payer par
quelque grand échec les terreurs
dont elle avait été contrainte à
s'avouer émue pendant plusieurs
mois, que pour la France de ne pas
avoir planté son drapeau à Ca-
rlton-House. L'expédition n'eut
pas lieu, vu la diversion conti-
nentale ; mais ses éléments pa-
rurent tous à l'appel, capitaux,
génie de constructions navales,
talent stratégique, d'où toujours
des pas en avant, des pas mena-
çants et sans faute aucune. Et cette
appréciation des sages, ce fut aussi
l'idée dominante de John Bull, qui,
lorsqu'on cessa de l'un comme de
l'autre côté de la Manche de se
préoccuper du débarquement des
« présomptueux flibustiers fran-
çais, » se pl.iignit amèrement que
« les coquilles de noix ennemies »
n'eussent pas été détruites. Com-
ment! des croisières anglaises
avaient tenu bloquées les côtes de
Hollande ainsi que celles de Flan-
dre, et toutes les embarcations
néerlandaises avaient , conduites
par Verhuell, quitté le port où l'on
s'imaginait le tenir paralysé. Puis,
quand Kleilh, un amiral anglais,
>avec sa double et triple escadre de
frégates et de vaisseaux de 7i, de
DO, dri 120, les ratlra|)ail, il laissait
de rechef ledit Verhuell le mysti-
fier. Il avait eu la maladresse de
laisser échapper les neuf dixièmes
de ces guêpes flottantes, lesquelles
avaienldoublé le cap; ilavaiteul'c'U-
lanlillage de s'acharner à tirer des
bordées sur le dixième restant, dont
les aiguillons l'avaient passable-
310
VER
YER
ment piqué lui-même. Si bien qu'à
présent les deux côtes de l'Armada
redoutée, que divisaient naguère
plus de cent milles, av;iient cessé
d'être disjointes, et que Napo-
léon, l'homme des gros bataillons,
pouTait manier les sept ou huit
cents galiolles comme un seul
homme. Si bien aussi que si
U fière Albion pour le moment en
était quitte pour la peur, c'est
parce qu'un autre, moyennant ar-
gent, recevait les coups à sa place,
se faisait rogner les ongles à sa
place, payait les frais de la guerre
à sa place! en d'autres termes, c'est
parce que les troupes françaises de-
venues nécessaires en Allemagne,
avaient manqué àlaflotille; et non
parce que la flotille avait manqué
aux troupes ou avait été mise, par
la supériorité britannique dans
l'impossibilité de débarquer sur les
plages britanniques une armée
d'invasionl Ce n'étaient donc pas
des forces anglaises qui tenaient
sauve l'Angleterre! Pendant ce
temps Verhuell passait, par dé-
cret de Napoléon, du grade de
contre-amiral à celui de vice-amiral;
et Schimnielpennincklui décernait
le même titre, le même rang dans
la marine hollandaise. Très-peu de
temps, en effet, après la jonction
des deux flotilles, l'impossibilité
d'agir en même temps au cœur de
l'Allemagne et dans les mers de
l'archipel britannique ayant amené
l'ajournemfnt de Tcutreprise, il
regagnait son pays; et maintenant
nous allons le voir de l'arène mi-
litaire passer sur la scène poliliciue.
Très-piohablemeni il ne partait
pas de France sans avoir k l'a-
vance reçu des ouvertures sur ce
qui s'élaborait avec sourdines en-
core au printemps de 4 8ÛO, un peu
moins silencieusement ^ l'automne
suirant et tout haut en <806. Les
républiques improvisées à l'instar
et à la lueur de la république fran-
çaise,ne pou^aientdurer, depuis que
le souffle républicain avait fait dé-
faut aux poumons de la mère com-
mune; la république batave devait
donc se transformer en royaume...
Quand? Comment? Au profit de
qui? Telles étaient les seules ques-
tions réelles. Toutefois il fallait
bien faire semblant de ne pas avoir
résolu avant discussion la conversion
en monarchie, et la Balavie étant
censée malade, on devait étudier la
situation pathologique avant de
formuler le remède. Schimraelpen-
ninck (comme on peut s'en assurer
à son article, LXXXI, 288), n'était
rien moins que favorable à cette
façon d'opérer. Mais il n'était pas
(le force à s'y opposer. Unedéputa-
tion hollandaise fut chargée d'aller
rechercher, de concert avec le sou-
verain de la France, les moyens les
plus aptes à sauvegarder les inté-
rêts, à développer les éléments de
prospérité du pays. Les négocia-
tions durèrent quatre mois, pen-
dant lesquels un principe nouveau
se fit jour, c'est que les provinces
néerlandaises avaient besoin d'un
monarque pour recouvrer partie au
moins de leur ancienne puissance
et de leur éclat, et au bout des-
quels la question de personnes
suite indispensable de Ja question
de choses ayant été agitée, il fut
prononcé que le monarque serait
le second des frères cadets de Na-
poléon, le prince Louis. Les dé-
putés allèrent ensuite en audience
solennelle communiquer à l'Empe-
reur des Français le résultat de
leurs travaux et lui demander de
condescendre à leur vœu et d'as-
surer la félicité de la Hollande en
permettant un second trône à sa
VER
VEH
311
dynastie. C'est Verhuell qui porta
la parole en cette occasion. Nous
n'avons pas besoin de dire quelle
tut la réponse de l'Empereur. Nous
croyons qu'il serait également su-
perflu d'avertir qu'à la harangue of-
ficielle, ne se borna pas dans cette
grande affaire le rùle de Verhuell.
C'est lui sans contredit qui, plus que
tous les membres ses collègues, dé-
termina l'événement voulu d'avance
par Napoléon, longtemps décliné
par Schimmelpenninck et pour le-
quel la plupart des délégués, quoi-
que n'arrivant à Paris que par
suite d'influences napoléoniennes,
n'éprouvaient pas plus de vives
sympathies quede répulsions invin-
cibles. On sait du reste, et l'his-
toire s'est complue à rendre justice
à l'honorable élu, que peu de mo-
narques plus consciencieux, plus
dévoués à leurs sujets occupèrent
rarement un trône. Verhuell donc
usa-t-il de quelque pression sur
ses collaborateurs, que dominait un
peu sans doute l'ascendant de sa
position, de ses services et de son
caractère, nous ne saurions rien
voir là qui fasse tache à sa vie et
dont il faille justifier sa mémoire.
Nous irons un peu plus loin, et
nous soumettrons une considéra-
tion à nos lecteurs. On a répété
cent fois qu'en plaçant son frère
Louis sur le trône de Hollande,
Napoléon avait prétendu sacrifier
la Ilollande à la France, et que le
frère, qui se croyait quelque chose
de plus qu'un préfet, eut raison
mille fois pour une de défendre les
intérêts de ses sujets qui n'étaient
pas simplement ses administrés.
A notre avis, ces assertions con-
tiennent un peu de vrai, beaucoup
de faux; — du vrai quant au prin-
cipe, du faux quanta l'appiicalion.
Or, la politique consiste surtout
en applications: c'est un art, ce
n'est pas uniquement une science.
Que le roi de Hollaiide ait eu le droit
d'agir comme il agit, nul doute;
qu'il ait cru que pour lui c'était un
devoir, nul doute non plus. Mais
était-ce vraiment un devoir? et ne
se méprenait-il pas fondamentale-
ment sur les intentions de son
frère ? ici commence l'incertitude.
Sacrifier la Hollande à la France
n'est qu'un de ces gros mots faciles
à trouver et qu'on jette en pâture
aux niais, mais que l'on oublie de
prouver et dont on se garde d'en-
tamer l'analyse. Ce que voulait
Napoléon n'était-ce pas tout sim-
plement sacrifier le présent pour
assurer l'avenir? Ce qu'il demandait
à la Hollande son alliée, réduite
au troisième ou quatrième rang
par la spoliatrice et inassouvissable
Angleierre, n'était-ce pas un peu
d'abnégation dans le présent pour
en être un p^-u plus tôt, un peu
plus tard, récompensée au cen-
tuple par l'annihilation ou la pros-
traîion de l'ennemie commune, an-
nihilation que certes eût facilitée
une résignation de courte durée
^ l'abandon des gains au jour le
jour. Ces gains, il est vrai, sont pal-
pables et la perle en est posi-
tive, les brillants résultats de l'ave-
nir ne sont qu'à l'état de pro-
blème; puis la vie à mener tant
que se prolongent l'intérim, la vie
de chômage et de privations, est
dure. Soit! mais quels grands ré-
sultats s'obtinrent jamais sans dé-
vouement? et quels immenses di-
videndes sans quelques risques?
C'est ici qu'involontairement l'on
s'écriera qu'il est deux politiques. la
petite par laquelle on vivote, la
grande par laquelle on se déve-
loppe et s'élève. Celle-ci, incontes-
tablement, fut toujours celle de
312
VER
Napoléon; elle le fut notamment
dans ses relations avec la Hollande,
et les seuls torts qu'il eut avec cei
ex-républicains furent ces impa-
tiences, ces brusqueries, ces formes
un peu tranchantes et trop peu
parlementaires de l'homme qui
veut que tout marche comme au
pont de Lodi. Celles-ci furent
pour quelque chose sans doute
dans ce « défaut de confiance »
que nous reprochons ài h Hol-
lande. Mais l'égoïsme national et
un patriotisme à gauche y furent
pour bien plus. De quelque ma-
nière donc qu'on l'envisage ,
Verhuell, en aidant à porter le
prince Louis sur le trône de la
Flollande. agissait en ami de ses
concitoyens ; il leur donnait, en
fait, un roi qui devait ne pas son-
ger moins qu'eux-mêmes aux in-
térêts directs, présents, positifs et
palpables du nouveau royaume;
éventuellement, il les associait au
système qui, sans les folles ja-
lousies et rineplie du reste de
l'Europe continentale, aurait dé-
truit le monopole britannique et
fait justice de la sangsue gorgée
des deux mondes. On ne séton-
nera pas qu'après une participa-
tion si prépondérante au nouvel
état de choses, Verhuell ait fait
partie du |)rcrnier ministère du roi
Louis. On devine quel poitefeuille
lui fut donné : ce fut celui de la
marine. Dans cette position, la plus
apte à ses goûts, à ses antécédents,
son r61e fut double : tantôt, se ren-
fermant dans les fondions pro-
pres à son département, il ne songe
qu'à développer les forces na-
vales de son |)ays, utile en cela du
même coup à son pays et à la
France; mais i-n loiit cas, et la
France même n'eûl-elie plus nul
intérêt commun et nul rapport av«c
VER
sa voisine du nord, incontestable-
ment utile au pays; tantôt, en con-
seil de ministres ou dans ses con-
versations avec le roi Louis, il lui
déconseillait sa politique exclusive-
ment au point de vue étroit de
l'égoïsme hollandais. Il n'en était
pas moins personnellement agréa-
ble au roi et même au couple
royal. A son grade de vice-amiral,
il joignit la dignité de maréchal de
Hollande. Quant fut créé Tordra
de la Réunion, il en fut le premier
nommé grand-croix. Il ne venait
jamais trop au palais. Vers la fin
de 1809, cependant, il dut donner
sa démission de ministre, et, soit
à titre de consolation, soit pour
tout autre motif, il fut chargé de
Tambassade de Paris. Les rensei-
gnements qu'il put donner en per-
sonne sur l'élat matériel et moral
de la contrée qu'il venait de quit-
ter ne furent sans doute pas sans
influence sur les événements qui
suivirent. Mais ce qui, sans con-
tredit, contribua plus que tout le
reste à les précipiter, ce fut l'attaque
anglaise aux bouches de l'Escaut,
connue sous le nom d'expédition
de Walcheren. L'instant avait été
choisi comme savent le choisir les
Anglais avec autant d'astuce que
de haine. Le successeur de Pitt
avait commencé par resubvenlion-
ncr le toujours besogneux, le tou-
jours bilieux, le toujours malen-
contreux et orgueilleux François II,
par la grâce de Dieu ex-duc de Mi-
lan, ex-maîire des Él;jt»-Véniiiens,
ex-empprcur, de ce qu'on nommait
encore en 1803 le Saint-Empire, le-
quel bercé de sa chimère de deve-
nir le chef de file d'une quatrième
coalision , avait derechef jeté le
gant au roi d'Italie; et Napoléon,
forcé d'aller lui donner une (jua-
trierae leçon au cœur de ses Ëtats
VER
héréditaires, était alors ^ plus de
neuf cents kilomètres de sa capitale,
à plus de mille des bouches de TEs-
caut. Toujours, on le voit, la même
manière d'opérer, à Timproviste,
sans déclaration de guerre, et de se
ménagerun débarcadère sur laterre
d'ciutrui, comme Gibraltar, comme
en <793TouIon, si la Convention les
eût laissé faire ! Heureusement, au
moment où nous sommes arrivé,
la décision d'esprit dont fit preuve
immédiatement le duc d'Otrante,
mit promptement un terme aux
espérances d<^s ennemis deTEmpire.
C'est à Bernadotte et à Verhuell qut,
sau:, hésiter et avec ce coup d'œil
qui jauge et dise 'rne les capacités,
Fouché remit le soin de renvoyer
les insulaires en leurs foyers et* de
faire que l'histoire ne donnât à leur
invasion d'autre nom que celui
d'éihaiiffourée de Walcheren.Xo:is
renvoyons à l'article Charles-Jean
(dans la 2^ édit.) ceux qui seraient
curieux de voir de quelle manière le
béarnais se lira de la partie de sa
lâche ; il ne doit être ici question
que de Verhuell. Sa commission le
nommait commandant de toutes les
forces navales de la Zélande, de
l'Escaut et de la Meuse, et le rele-
vait provisoirement de ses lonc-
lions d'ambassadeur. Transmettre
immédiatement et même avant d'à •
voir quitté l'hôtel de l'ambassade
des 01 dits préalables à tous les
capitaines ou commandants ou •
chefs d'escadre, voler avt c la ra-
pidité de l'edair à rexlrémilé
septentrionale de l'Empire, at-
teindre Anvers, puis Ilotterdam,
planter son pavillon à boid du
lioynl-HoUnndais do (pialr^-vingls
canons, et, par une savante distri-
bution de navire.-), soit le l(»ng du
littoral, soit dans les nombreux ca-
naux des deux Delta, fermer d'a-
VER
313
bord à l'ennemi l'accès des îles qui
n'étaient encore que menacées et
les mettre ^ couvert de toute sur-
prise, puis faire passer les appré-
hensions du côté des envahisseurs,
les réduire presque ^ la possession
de Walcheren, resserrer le cercle
autour d'eux en les mettant k la
veille d'être eux-mêmes enveloppés
et bloqués, tels furent les moyens
devant lesquels force fut aux An-
glais de battre en retraite. Ils
avaient à leur tête cependant un
prince du sang, le duc d'York,
comme les Autrichiens, sur deux
points importants du théâtre de la
guerre, avaient l'honneur d'être cora-
mandéspar deux archiducs, le prince
Jean et le prince Régnier. De part et
d'aulrela masse des lauriers futégale
et les altesses impériales se consolè-
rent de leur déconvenue en sa-
vourant la relation des triomphes
de l'altesse britannique morale-
ment fustigée plus que jamais valet
de pied anglais ne le fut par le
Horse-Whip. Ce qu'admirent sur-
tout les juges compétente dans cette
campagne de Verhuell, c'est que
toutes les opérations à peu près
furent celles d'un tacticien, d'un
stratégiste, d'unorgaiiisdteur. C'est
en quelque sorte sans coup férir
que les frais débarqués se rembar-
quèrent pour leur ile. Nai)Oléon,
au relourde la campagne, que dé-
noua Wa ram, témoigna toute sa
s;^li..faclion à l'habile marin dont
la modestie et la simplicité d«ns
cette crise avaient égale la vigueur
et l'aplomb. Dès que, pour évi-
ter les malentendus et les tirail-
lements auxcpiels avait donné lieu
la trop complète identification du
roi Louis aux méticuleuses ten-
dances hollandaises, la Hollande
eût été déclarée partie inlégrjule
de l'Empire français, non-seule-
316
VEB
VER
ment il reconnut à Verhuell le li-
tre de vice-amiral qu'il avait dans
le ci-devant royaume, mais encore
il le nomma commandant général
de toutes les forces navales de
l'Empire et dans la mer du Nord
cl dans la Baltique depuis l'embou-
chure de l'Emsjusqu'îi Dantzig. L'ac-
tivité, la sûreté de coup d'ceil qu'il
déploya dans l'inspection de ces pa-
rages auraient porté bien d'autres
fruits si l'Empire n'était tombé pré-
maturément avant d'avoir doté
l'Europe de toutes ces heureu-
ses transformations où les nationa-
lités parvenues et aveugles s'ob-
stinèrent à voir l'oppression de la
conquête. G;s déploiements du gé-
nie de la France ne demeurèrent
pas sans résultat néanmoins. C'est
sous l'œil et sur les plans de Ver-
huell, importateur des idées nées
aux Tuileries que ces ingrates
villes de Brème, de Lubeck, de
Hamboing ont vu naître les chan-
tiers de construction, féconds ins-
truments de toute haute prospérité
pour le commerce maritime et dont
jamais leurs administrations natio-
nales n'avaient môme commencé
à les doter. Ces belles créations,
mieux jugées par le grand homme
de Tilsilt que par ceux auxquels
elles profitaient, valurent en 1812a
leur auteur la dignité de grand of-
ficier de l'Empire et le titre d'ins-
pecteur-général des côtes de U
mer du Nord. Bientôt après mou-
rait le regrettable amiral Dewin-
ler. Mais du moins nous fut-il per-
mis dr; dire que le service naval de
l'Empire ne perdit rien au change
quand le commandement de l'es-
cadre duTexcl passa aux n:ains de
Verhuell, avec celui des flottilles
échelonnées depuis les bouches de
la Meuse jusqu'à œs lointains dé-
parlements, bouches de l'Yssel et
bouches del'Ems! La tâche qui n'a-
vait pas laissé d'être laborieuse pour
Dewinler, pendant ces années rela-
tivement pacifiques qui coururent
de ia paix de Vienne à la retraite de
Russie (1809-1812), devint bientôt
des plus lourdes pour le successeur.
Lorsque tant de trahisons succes-
sives, dont celle des Saxons en
pleine bataille ne fut que l'apogée
et le couronnement, eurent amené
la retraite des aigles françaises,
Amsterdam leva la tête et se pro-
nonça, plus marchande que cheva-
leresque, contre un gouvernement
qui ne satisfaisait pas comptant les
vœux des débitants de denrées co-
loniales, et, par ce déplorable en-
couragement donné si vite aux coa-
lisés, détermina le passage du Rhin
du 31 décembre, par ces hordes si
longtemps battues, si surprises en-
core de leur triomphe de quatre
contre un et qui comptaient ne
nous envahir qu'au printemps. L'a-
gonie de l'Empire commençait. C'est
ici que nous devons de vifs éloges et
une profonde reconnaissance à Ver-
huell. Il fut fidèle au drapeau, il fut
fidèle à la France. D'autres au mi-
lieu de soldats dévoués jusqu'à la
mort, ou lâchaient pied, ou trahis-
saient; Verhuell, au milieu d'é-
quipages désaffectionnés, ou fran-
chement hostiles, tint bon. Tout
son monde, moins quelques offi-
ciers, voulait déserter à l'instant et
aurait laissé sloops, corvettes, fré-
gates, vai>seaux de guerre à la
merci de l'ennemi. Après de sté-
riles tentatives pour ramener la
masse opiniâtre, sentant limpossi-
bililé d'user de force, l'illustre ma-
rin, par son ascendantpersonnelel
par un appel chaleureux à ce qui
restait, soit d honneur, soit de dé-
férence et d'affection pour lui, soit
plutôt de routines disciplinaires
VER
VER
315
chez ces hommes exaltés, parvint
du moins à les retenir jusqu'à ce
qu'avec leur concours il eût fait
rentrer tout ce qu'il avait de na-
vires dans le Nieuw-Dsep et mis
ainsi son escadre en sûreté. Ce but
atteint, et la résolution daban-
donner le grand Empire au nau-
frage étant toujours la même chez
les siens, il les congédia en forme,
épargnant à ses compatriotes d'a-
bord la délébile honte de trahir le
drapeau, d'abandonner le général
et de livrer un dépôt, puis le tort
réel de rompre avec un gouverne-
ment dont tout le tort était de voir
de hrr.;i el de saisir des ensembles.
Il s'orcupa ensuite de mettre en
état de défense les forts qui proté-
geaient l'entrée du port, asile (ie
son escadre. L'un fut pourvu par
ses soins de tout ce qui pouvait
prolonger la défense, hommes et
approvisionnements (c'était le fort
Morland); il s'enferma dans l'autre
(le fort Lasalle) avec l'équipage
d'un vaisseau de haut bord français
et toute la garnison française de
Helder. Bie-ntùt paradèrent aux en-
virons les navires britauniq;ies;
bientôt vinrent les sommations
de se rendre.... L'on ne se fit
pas faute non plus d'autres tenta-
tives,celles qiiô proverbiale. lient ou
désigne par la périphrase « d'ar-
guments irrésistibles. » La séduc-
tion , nos lecteurs en sont con-
vaincus k l'avance, n'eut pas sur
lui plus de prise que l'intimidation.
Albion ie sut bientôt inaccessible à
toute séduction; et telle fut, à ce
qu'il semble, la persuasion à cet
égard, aidée par la furce des me-
sures défensives qu'il avait prises,
que les corps alliés chargés de
cerner les forts renoncèrent à l'idée
des embossages, après lesquels on
eût lancé la bombe ou battu en
brèche, puis donné l'assaut, et qu'ils
se bornèrent au blocus. Ce blocus
fut long : les deux forts tenaient
encore leurs portes fermées que
Paris avait, non pas ouvert les
siennes, mais été livré par ceux
qui devaient le défendre, et que
l'abdication de Fontainebleau avait
frappé d'inopportunité toute ré-
sistance indéfiniment prolongée.
Pourtant, au commencement d'avril
encore , Verhuell se refusait à
capituler, seulement il consentait
à quitter ses forts sur un ordre
émanant de l'autorité française.
Cet ordre vint enfin, signé de l'al-
tesse royale, lieutenant général du
royaume. Il accomplit donc, comme
c'était son devoir et son habitude,
un ordre du chef de l'État, il n'en
passa pas par les ordres de l'é-
tranger, il ne capitula pas. Pre-
nant passage ensuite sur U!ie cor-
vette f ançaise avec tout son état-
major, il aborda au Havre , tandis
que tous les autres défenseurs
français, équipage de haut bord et
garnison , regagnaient par terre la
France. Louis XVIII, il faut ie dire,
comprit ce que la conduite de
Verhuell avait de digne et de no-
ble : il lui témoigna sa considéra-
tion et sa bienveillance ; il lui con-
serva ses litres, son grade; charmé
de le voir, quand définitivement la
Hollande et la France allaient ap-
partenir k deux dynasties différen-
l€s, préférer à la patrie de naissance
It patrie d'adoption. Non-seule-
ment il lui lit délivrer les lettres
de grande naturalisation, mais en-
core, dès 18i.\ille comprit dans U
chambre des pairs. Si Louis XVI II
n'avait jamais marché que sur
cette ligne de civilisation et d'im-
partialité, si, comprenant ce que
c'est que gouverner, il eût eu l'art
de grouper autour de lui, de lier
316
VER
VER
savamment à sa cause les forces
vives et si bien disciplinées que lui
laissait l'empire, forcés de suivre
ses traces ou de s'en écarter peu,
ses héritiers jouiraient de ses
droits, et l'Europe ne les ap-
pellerait pas les Stuarts de la
France. Verhuell, à la chambre des
pairs, se montra ce qu'il avait été
pendant sa vie navale et politique,
ce qu'il avait été comme homme (\e
guerre et comme ambassadeur,
consciencieux et courageux, ou-
vert aux idées et antipathique aux
excès, patriote et calme. Il vota,
sans système à toute outrance,
pour chaque mesure libérale, et i!
fit partie de cette noble opposition
de la chambre haute sous Charles X,
opposition qui retarda de quelques
années le iies irie, dies illa de la
branche aînée, opposition qui l'eût
sauvée si la Camarilla n'eût eu des
oreilles pour ne point entendre et
des yeux pour ne point voir. Il fut
souvent, ou plutôt il fut toujours
consulté utilement dans les com-
missions relatives, soit k l'organisa-
tion, soit à la comj)t;ibi!ilé de la
marine. Il assistait très-régulière-
ment à la chambre maigre son âge ;
et ce ne fut que lorsqu'il allait de-
venir octogénaire qu'il adressa i
ses collègues des demandes de con-
gés un peu longi. Aux travaux poli-
tiques de la chambre, il joignait
comme disliaclion divers patro-
nages de sociétés ou d'oeuvres
utiles. Chrétien fervent et con-
^ain(•u, mais non catholique (s'il
avait renoncé à la patrie, il n'avait
pas répudié la foi de ses pères), il
fut un des fondateurs de la société
prolesl;<nte des missions chez les
peuples non chrétiens. Sa mort eut
liru le 25 octobre ISi'i au bout de
quelques jours de maladie. Si;s
obsèques furent simples, il l'avait
formellement ordonné par testa-
ment, simples et touchantes... :nul
appareil, soit militaire, soit civil,
quelques amis parmi lesquels des
frères d'armes, des sommités intel-
lectuelles et administratives et plu-
sieurs des ministres de sa religion,
qui chacun se firent un devoir de
jeter sur cette tombe vénérée des
éloges qui, contrairement à ceux de
tanld'oraisons funèbres, avaientleur
écho dans tous les cœurs. M. Pelet
de la Lozère en prononça une autre
à la chambre des pairs. Val. P.
VERnULST ( Philippe- LoDis),
tils d'un médecin de Gand, naquit
en celte ville à la lin duxvii* siècle
ou au commencement du siècle sui-
vant. Il embrassa l'état ecclésiasti-
que, mais ne fut point, croyons-
nous, promu au sacerdoce. Doué
d'une mémoire heureuse et appli-
qué au travail, il acquit une érudi-
tion variée qui engageait un de ses
confrères et collaborateurs, le fa-
meux janséniste Leiiros (voyez Le-
GRos, t. xxni, p. 586) à l'appeler
une bibliothèque vivante. Jeune en-
core, il fut placé à la tête d'un nou-
veau collège fondé dans la ville de
Disth en Hrabant. Son opposition à
la bulle Vnigenilus lui lit perdre cet
emploi. Il se retira à Louvain, où
il se livra à l'étude. Mais toujours
dominé par ^on affection pour le
jansénisme, dont il devint un des
plus ardents zélateur s dans ces con-
trées, il se lia intimement avec
deux hommes célèbres dans le
parti, Opstraét et Van Espen (voyez
ces noms, xxxn, 38 et xm, 321)
et publia de concert avec eux une
partie de ses écrits. Il avait les pré-
ventions les plus vives contre les
jésuites. Eu l'année 1729, sans y
être obligé à ce (pi'il par.iit, et uni-
quement par enthousiasme, il signa
avec neuf autres Louvanistes une
VER
VER
317
déclaration sur la bulle Vnigenitus
et sur le formulaire, déclaration
équivalente à un acte d'appel ; et, la
même année, il s'était retiré en
Hollande, ainsi que plusieurs mem-
bres de l'Université de Louvain et
du clergé des Pays-Bas. On lui
donna, au séminaire d'Amersfort,
la place de profesbeur de théologie,
qu'il occupa avec zèle pendant plus
de vingt ans; et, pendant quelques
années, il l'exerça conjointement
avec l'abbé Legros. H ne discon-
tinuait pas néanmoins ses composi-
tions, et ses travaux littéraires épui-
sèrent sa santé, il mourut dans cet
emploi au mois de mai 1753, disent
Richard et Moreri, mais au mois
d'a\ril, disent les Nouvelles ecclé-
siastiques, que nous croyons mieux
inlormees. Dès 1711, il avait com-
mencé à écrire, exerçant sa plume
surtout contre les jésuites; et, pen-
dant quarante ans, il n'a cessé de
soutenir sa polémique théologique
et littéraire, il a donc putlié :
1° Inipostura et errores jesuitarum.
Lovanieiisium contra IV thèses PP.
Martin et Leonardi Grisven, anno
1711. C'est un iii-4' de quatre pages
seulement. Ces IhèbCs furent cen-
surées par M. de Coriache, grand-
vicaire de Maiiiids, sede vacante.
2° Grivenius mate defensus ab crro-
rïbus et impostura, etc., 1712. Ca-
hier de 10 pages hi-4'. ;J" La Vérité
qui se plaint du relâchement des jé-
suites, ni3. Cit ouvrage est en Ûa-
mand. 4° La chaire déshonorée, eic,
1714; ausbi en llamaiid. 5" Epistolœ
doctoruni , eloqucntiuni viro-
runi, ad varia viembra et supposita
facuttalis Coloniensis^ 17 il». G' Lin
écrit contre le docteur Delvaux (de-
puis évèque d'YprcN), au sujet
d'une harangue, etc., en Uamaiid.
7" Traduction llamandedUiNouveau
Testament, imprimée ù Gand en
1717. Verhulst y a eu la part prin-
cipale. S^ Avertissement touchant les
prétendus avis salutaires à MM. les
protestants et délibérants avec un
avis aux censeurs et un aux jésuites,
1719, in-4" de 8 pages. 9^ Lettre aux
RR. PP. jésuites de Flandre au su-
jet d'un feuillet qui a pour titre :
POKTRAIT DU JANSÉNISTE. 10" De aUC-
toritate Romani Pontificis disser-
taiio tripartila, 1719. 11' Deman-
des proposées à A/. Jean-Baptiste
DeSmet, etc., 1719-1720, en Oa-
mand. 12" Réponse d'un juriscon-
sulte des Pays-Bas à un avocat de
Paris, au sujet de quelques calomnies
avancées par M. Govarli, vicaire
apostolique de Bois-le-Duc et par
M. le cardinal de Bissy contre M. Van
Copen, docteur en droit, à Louvain,
ni4, in-4'de 35 pages. 13' Lettre
à un avocat, etc., ou Remontrances
à M. D. B. D. et Th., à l'occasion de
la visite de l abbaye de Ulierbeeck en
1725, in-4°. 14° Échantillon des
fautes renfermées dans le livre du
P. Dujardin, 1724, 2' edil. augmen-
tée en 1725, en flamand. 15" Con-
futatio orationis de dugmatica buUa
IJNjGEMTus, habita 24 auyusti, per
Hermannum Damen, S. T. doctorem,
etc., juin 1725, in-4° de 39 pages.
16' ^Quinque Epistolai) De cunse-
cralione urchiepiscopi lUrajectensis,
etc., ab uno episcopo, adversùs doc-
torem Damen, 1725-1720, in-4' de
64 pages. 17° Consideratiunes ad
epistotam sextam D. lioyinek Van
Papendreyt, etc., 1730, lévrier 473i.
18" Prœfatio ad Acia quidam Eccle-
SliE CLlRAJE(.TENSlS,elC., 1737.19^1^5
fondements solides de la loi catholi-
que touciianl le i:iaint-Sac renient de
L'autel, en irois parties, 6 vol, in-12,
publies en 1739-1741, en flamanu,
sous le pseudonyme de Zeelandcr.
20" Lettres de M. Vlamng contre
Picrman, avec une longue préface,
M8
VER
1739, 1740, nil,3 vol. in-12. On
y traite du Formulaire, de la Cons-
titution ijnigenitus, et des droits de
l'Eglise catholique d'UlreclU.21'' fie-
flexions sur les maximes de Salomon,
4732, en flamand. 22° Traité sur
le titre d'évêque universel, 1752,
en flamand. 23" Expostulatis super
edicto Academiœ Lovaniensis, dato
20décemb. 1730, février < 731, iu-4".
Presque tous ces ouvrages ne sont
que des élucubrations du cerveau
janséniste de Verhuist; mais il faut
en excepter les six volumes indiqués
sous le n" 19. Celle œuvre a été com-
posée contre Van-Den-Iionerl(l),et
elle parut si solide, même aux pro-
testants, qu'ils furent contraints
d'avouer que Verhuist avait trop
terrassé son adversaire. Verhuist a
en outre fourni en diflerents temps
divers Mémoires pour la défense de
l'Eglise janséniste d'Ulrecht. 11 a
eu la pari principale aux ouvrages
de Vander-Cioon, imprimés en 1737,
sous le tiire de Acta quœdam eccle-
siœ UltrajectensiSy etc. On trouve
la liste des ouvrages de Verhuist
dans les Mémoires historiques sur
l'affaire de la bulle Unigenitus dans
les Pays-Bas autrichiens, etc., et
lui-même a obtenu l'honneur bien
mérité d'un article spécial dans le
Supplément au nécrologe des plus
célèbres défenseurs et confesseurs de
la vérité, publié par l'abbé Cerveau.
B.— U— E.
VEilWA (Jean - Marie - Victor -
Dauphin de), premier adjoint muni-
cipal de la ville de Lyon, député du
Rhône, naquit d'uni* famille noble
et ancienne du Dauphiné au châ-
(1) Van-ben-Uonert était un fameux
miDi^lre protestant de Leyde, proba-
blemeDt de la famille des llonert, dont
il est parlé daos la biographie imi-
versellCf t. xx, p. bili.
VER
teau de Verna, le 28 juin 1775^ Il
sortit honorablement à. dix-sept ans
de l'Ecole royale de marine, et lit,
en qualité d'élève, le voyage de
Constantinople. iMais la révolution
de 1789 vint l'arrêter au début
même de sa carrière ; il rentra dans
ses foyers jusqu'au moment où le
général de Précy, appelé par les
Lyonnais pour organiser leur ré-
sistance contre la Convention, s'a-
dressa au dévouement de tous ceux
qui aspiraient ù secouer le joug ty-
rannique et sanguinaire de cette
assemblée. Le jeune de Verna avait
eu la douleur de voir son père im-
molé par le tribunal révolution-
naire, et l'extrême générosité d'in-
tercéder avec succès pour son dé-
nonciateur, menacé d un sort sem-
blable. 11 ne fut pas des derniers à
répondre à l'appel de Précy ; il ser-
vit avec honneur dans l'arlillerie
lyonnaise, et, demeuré prisonnier
des assiégeants, fut assez heureux
pour être sauvé par un ollicier ré-
publicain dont il était personnelle-
ment connu. Après le siige de Lyon,
Verna, fugitif et proscrit, chercha
un asile dans l'armée des Alpes où
il remplit pendant quelque temps
les fonctions d'aide-medecin. 11
quitta la vie des camps lors du ré-
tablissement momentané de la paix,
et épousa en 1806 mademoiselle
Ferrusde Vandranges, sa cousine,
dont le père avait péri comme le
sien sous la hache révolutionnaire.
Pendant vingt ans, Verna partagea
sa vie entre ses devoirs de famille,
les douceurs de l'étude et la prati-
que des bonnes œuvres, qui en con-
sumait la plus grande portion. Rien
n'égalait, à cet égard, la constance
de son zèle, si ce n'est l'intelligence
et la délicatesse avec lesquelles il
l'exerçait, mêlant toujours des con-
solations religieuses aux distribu-
VER
VER
349
lions inépuisables de sa charité, et
non moins occupé de l'âme que du
corps. Des vertus aussi éminentes,
unies à une instruction solide et
variée, fixèrent sur lui l'attention
un peu tardive des dépositaires du
pouvoir. En 1826, il fut nommé
aux fonctions de premier adjoint de
la mairie de Lyon, et se vit souvent
appelé à diriger l'admiiiistration
municipale en l'absence du maire,
M. de Lacroix-Laval, que retenaient
à Paris ses devoirs de député. C'est
à son initiative ou à son concours
que la classe ouvrière fut en grande
partie redevable des établissements
du Dispensaire, de la Solitude de
Sainte-Madeleine, des Sourds-et-
Muets, des Frères des Ecoles chré-
tiennes, de l'œuvre de Saint-Fran-
çois Régis, etc. Deux ans plus tard,
ses concitoyens, qui avaient appré-
cié le mérite de ses services, le dé-
putèrent à la Chambre à une forte
majorité. Verna prit une part ac-
tive aux travaux législatifs; mais,
naturellement timide et plein de
déliance de lui-même, il monta ra-
rement à la tribune, et ne parla
guère que sur les questions où lin-
dustric nationale était intéressée.
En rapportant une pétition par
laquelle une dame dénuée de res-
sources sollicitait de l'Etat une in-
demnité au nom de son père, fon-
dateur d'un établissement d'horlo-
gerie dans la ville de Resançon,
Verna s'exprimait ainsi : « Il résulte
de cette deinande deux faits égale-
ment certains : la prospérité d'une
branche de commeriL* national par
le père de la dame Clermoni, la gène
et le malaise de la lille du fonda-
teur. Il est digne de nous, Mei-
sieurs, de faire cesser ce contraste
afQigeaul qui blesse en quelque
sorte l'honneur national; il est
d'ailleurs avantageux pour le pays
d'accorder des encouragements aux
hommes intelligents qui importent
en France une industrie nouvelle.»
Ces judicieuses conclusions furent
couronnées de succès. Lors de la
discussion du projet de loi sur la
dotation de la pairie, Verna déve-
loppa un amendement qui avait
pour but de mettre à la disposition
du roi, pour être transmise jusqu'à
concurrence de 13,000 francs par
an, au pair dont la fortune serait
insufflsante, la pension qu'un suc-
cesseur à la pairie n'aurait pas ré-
clamée, ou dont il n'aurait pas de-
mandé la transmission dans les six
mois : « Je voudrais, dit-il à cette
occasion, que, semblable à l'astre
qui servait d'emblème au grand
roi son aieul, sa lumière éclatante
vint se réfléchir sur ceux qui l'en-
tourent. Ce n'est pas assez pour
moi d'adopter cette maxime de no-
tre gouvernement constitutionnel :
Tout bien vient dwroi, je veux encore
que le bien lui soit possible. » L'a-
mendement de Verna ne fut point
accueilli. — Ce digne mandataire
s'était prononcé tropouvertementen
faveur de ia prérogative royale pour
être compris dans la réélection gé-
nérale de 1830.— Le gouvernement
de Charles X répondit à l'Adresse
des 221 par le coup d'Etat du 25 juil-
let, qui convertit en une crise re-
doutable une situation dont la lan-
gueur et les incertitudes préoccu-
paient depuis longtemps tous les
esprits. Verna remplissait alors les
fonctions de maire de Lyon en
l'absence de M. de L;icroix Laval.
Son caractère aussi ferme que bien-
veillanib'honora par lexempled'un
courage civil rare à une époque où,
déconcerte par la formidable tem-
pête qu'il venait de déchaîner, le
pouvoir, muet et immobile, semblait
avoir abdique toute direction sur
320
VER
ses propres agents. La première
nouvelle des mouvements de la
capitale excita à Lyon une vive
et menaçante fermentation. Le
31 juillet, le préfet et les autori-
tés militaires se réunirent à l'Hô-
tel-Ue-Ville atin de concerter les
mesures les plus propres à combat-
tre Tinsurreclion qui se préparait.
Un des chefs de la garde nationale
qu'elle avait improvisée vint som-
mer le conseil de reconnaître le
corps insurrectionnel rassemiblé sur
le quai de Retz, et d'admettre qua-
rante hommes de cette garde à par-
tager avec la ligne le service de
l'hôtel -de -ville. Varna repoussa
hautement cette sommation, et dé-
clara quil ne consentirait à la reu-
nion d'une garde nationale orga-
nisée par le préfet qu'après la dis-
persion immédiate du bataillon
insurrectionnel. Le préfet, long-
temps indécis, consentit à l'admis-
sion demandée, moyennant le li-
cenciement de ce corps. Le négo-
ciateur de la sédition se présenta à
la tête des quarante hommes cou-
venus, mais il trouva, k sa grande
surprise, les portes de l'hôtel fer-
mées. Introduit seul, il se plaignit
vivement de l'iiitidélité du pretet;
et, posant sa montre sur la table,
autour de laquelle étaient groupées
les autorités, il déclara que. si dans
une demi-heure la porte n'était
pas ouverte à sa compai^nic, sos
amis s'empareraient de vive force de
l'hôtel. Le général Rouget, qui com-
mandait le département (1), lui ré-
pondit avec beaucoup de fermeté;
Verna l'exhorta a se retirer, et le
préfet remit au commandant divi-
sionnaire l'autorisation de repous-
(1) Ce général était le frère de 1'
teur Ue la MametUaise.
au-
VER
ser la force par la force. Un conflit
paraissait imminent, mais il fut dé-
tourné par la défection d'un régi-
ment de chasseurs, dont la fidélité
avait été ébranlée par ces tergiver-
sations et ces conférences. Les qua-
rante insurgés furent introduits;
ils justifièrent les détiances de l'au-
torité en soumettant tous les actes
de l'administration à une surveil-
lance rigoureuse et en s'attribuant
presqu'exclusivement l'exercice de
la police locale. Dans la nuit arriva
de Paris au commandant de la di-
vision l'ordre de faire prendre aux
troupes la cocarde tricolore et de
reconnaître le duc d'Orléans comme
lieutenant général du royaume.
Celte circonstance encouragea le
parti insurrectionnel à s'emparer
ouvertement de l'administration.
Une commission, représentée par
le docteur Prunelle, vint demander
au premier adjoint un local à
l'hôtel-de-ville pour y tenir ses
séances. « Les circonstances sont
pressantes, dit M. Prunelle d'une
voix altérée , les autorités de
Charies X n'inspirent plus de con-
fiance au peuple; il peut se porter
ii tous les excès, nous venons nous
interposer entre vous et lui. — Je
ne sais, répondit Verna avec calme,
si j'ai perdu la confiance du peuple;
ce que je sais, c'est que rien ne
pourra me déterminer k aban-
donner ni môme à partager l'auto-
rité que je tiens du roi... Si vous
pouviez lire dans mon cœur, vous
verriez que je suis prêt adonner ma
vie pour sauver la ville des mal-
heurs dont elle est menacée. Comme
individus, je vous engage à user
de toute votre influence pour pré-
venir des désordres dont nous se-
rions tous les victimes; mais, ne
vous reconnaissant pas comme
corps légalement constitué, je ne
VER
VER
321
puis accéder à votre demande. »
Ce langage, si courageux en pré-
sence des événements accomplis,
imposa aux délégués de la com-
raission, l'autorité de Verna fut
respectée, et la garde nationale,
réunie déjà au nombre de près de
deux mille hommes, retourna pai-
siblement sur la place d'armes. Le
lendemain, la commission renou-
vela ses instances. Verna crut
devoir, en considération des désor-
dres qui menaçaient la ville, con-
céder le local demandé, mais sous
la double condition que ce comité
ne s'occuperai-t que de Torganisa-
lion de la garde nationale et que le
drapeau blanc ne cesserait pas de
flotter sur Ihôtel de ville. Comme
la multitude, animée par le succès
général de l'insurrection, commen-
çait à détruire les emblèmes de la
royauté, le vigilant m^igistrat prit
la précaution de serrer avec soin
les clefs du beffroi sur lequel ils
étaient déployés. Mais les chefsmili-
taires, perdant tout espoir de con-
server Lyon à l'autorité du roi, et
déjà taxés de retard par le nou-
veau gouvernement, se décidèrent
h arborer les couleurs de la révo-
lution. Cette soumission entraîna
la retraite de Verna; mais il ne
quitta l'hôtel de ville qu'après atoir
signé une énergique protestation
contre la violence de celte substi-
tution, et emporta enserelirantrcs-
time et le respect des adversaires
mêmes auxquels il avait opposé une
si persistante lidélité. « Attaché
consciencieusement, dit une rela-
tion révolutionnaire du tem|)s, aux
principes et aux chois du gouver-
nement qui succombait , il s'ef-
força de les défendre avec tout le
zèle et le dévouement d'un homme
d'honneur, et sans l'arrière-pensée
d'obtenir le pardon ou la faveur du
LXXXV
gouvernement qui allait lui succé-
der. Une pareille conduite et de
tels sentiments sont trop rares de
la part des hommes de la congré-
gation pour ne pas mériter l'appro-
bation de ceux mêmes qui les ont
combattus (1). » L'injurieuse apos-
tille qui termine cette citation était
un hommage involontaire à la
vertu des principes qui avaient ins-
piré Verna dans cette circonstance
capitale de sa vie. Homme de de-
voir parce qu'il était homme de
foi, il portait une de ces consciences
dont la pureté peut toujours af-
fronter sans trouble l'épreuve du
passage suprême. Que pouvaient
sur une âme ainsi préparée les vo-
ciférations de l'émeute et les me-
naces de la Révolution? La mo-
deste sérénité du vaincu défiait le
bruyant orgueil des vainqueurs.
Complétons par un rapprochement
cet intéressant épisode de nos ré-
volutions contemporaines. Quel-
ques mois plus lard, ce môme
docteur Prunelle, organe de la sé-
dition de juillet, assailli à son tour
dans cet hôtel de ville d'où il avait
banni le maire de Charles X, se
voyait réduit à disputer sa vie à une
populace ameutée, et l'insurrection
lyonnaise de 1830 devait servir de
préface aux sanglantes colli>ions
de 1831, de 1834, de I8i9! —Éloi-
gné des fonctions publiques, Victor
de Verna se dévoua avec une nou-
velle ardeur aux actes de bienfai-
sance dont l'exercice avait rendu
son nom si recommandablo aux
classes indigentes, et déploya un
zèle en quel(iue sorte apostolique
dans la dillusion des doctrines
|)ropres à combattre, dans tous les
(l) Une semaine de révolution, ou
L<jon en 1830, par M. Murn.nul.
21
322
VEK
VER
rangs de l'ordre social, les débor-
denientvS de la licence et de l'im-
piété. L'admirable société de la
Propagation de la Foi destinée à
faire pénétrer les lumières et les
bienfaits d\\ christianisme dans les
contrées les plus reculées de l'uni-
vers, dut à son zèle et h ses con-
seils des perfectionnements salu-
taires, et Lyon ne compte aucune
institution charitable où il n'ait
laissé des traces intelligentes et
durables de sa coopération. La
bienfaisance et la loyauté du carac-
tère de Vema ne le mirent point à
l'abri des suspicions ombrageuses
de la police, lors de l'agitation
que produisit en 1832 le débarque-
ment delà duchesse de Berry. Une
perquisition eut lieu dans son do-
micile; mais cette stérile épreuve
tourna à la confusion de l'autorité
qui l'avait ordonnée, et souleva une
réprobation générale. — Ce pieux
citoyen, peu fait pour le siècle où
il vécut, s'éteignit le 17 juin 1841,
après avoir béni ses nombreux en-
fants, et reçu quelques jours avant,
de l'un d'eux, récemment ordonné
prêtre, le sacrement de la ( ommu-
nion. La population entière assista
à ses obsèques par des représen-
tants tirés de tous les rangs de la
société. Toutes les préoccuj)ations,
toutes les divisions furent un ins-
tant suspendues dans un sentiment
universel de douleur et de respect;
« le peuple en foule s'était porté
au-devant du cortège, et, par ses
larmes, témoignait de sa vénéra-
lion et de sa reconnaissance pour
celui qui avait été le bienfaiteur do
tant de malheureux (1). » Victor
de Vema, cultivait avec un goût
éclaire les arts ei les lettres, et
(1) Notice biographique, par M. Hcz.
possédait, dans son château de
Chaintré, près de Màcon, une col-
lection curieuse de livres et de ma-
nuscrits du w siècle et de meu-
bles d'une haute antiquité. Le musée
et le cabinet d'hiatoire naturelle de
Lyon furent redevables à son
crédit momentané de plusieurs ac-
quisitions importantes. Il avait
reçu de Charles X la croix de la
Légion d'honneur, et le pape Gré-
goire XVI avait récompensé par la
décoration de Saint-Grégoire son
zèle pour les missions étrangères.
Parmi les productions consacrée»
k la mémoire de ce grand homme
de bien, nous citerons la Notice
l/'iographique publiée li l'époque de
sa mort par iM. l'abbé Bez, cha-
noine de Sainl-Dié (Lyon 1841), et
l'article inséré dans la Revue géné-
rale de Pâscallet, par M. H. de
Lestrées, Paris, avril 184G.
A. B — ÉET.
VERINEÏLII DEPUYRASEAU
(le baron Charles-Joseph de) homme
politique et historien, était de no-
blesse périgourdine et naquit aux
environsdeNontron.il titdeboimes
éludes humanitaires, suivit ensuite
des cours de droit, prit ses grades,
mais ne se fit pas inscrire au ta-
bleau des avocats et se passa de
stage : il voulait sans doute passer
d'emblée magistrat. Survint, hélas!
la révolution qui d'un coup balayasé-
néchaussces et parlements, lise con-
tenta d'être maire de sa commune,
d'abord, puis de devenir membre
du conseil général de son déparle-
ment (la Dordogne). Les relations
qu'il eut occasion de nouer en va-
quant h ses nouvelles fonctions lui
procurèrent bientôt après la prési-
dence du tribunal de Nontron. Il
avait, on le voit, de très-bonne
grAce pris son parti de l'ordre de
choses qui commençait à s'installer
VËK
VER
323
enFranee. Aussi, quand approchè-
rent les élections pour l'assemblée
législative destinée à remplacer la
constituante, se mit-il sur les rangs
pour la députation. 11 fut un des
élus, et alla s'asseoirsur les bancs
de la droite, où, du reste, il ne fit pas
parier de lui. La modération était
le fond de son caractère : il ne re-
présentait pas le royalisme rétro-
grade, mais il appuyait d'un vote
loyal la constitution, y compris la
royauté. On devine aisément qu'il
ne fiicura pas dans la convention :
évidemment, en septembre 1792, il
n'aurait pas trouvé ce qu'il lui fal-
lait de suffrages pour continuer de
représenter ses concitoyens, mais
il ne les mendia pas non plus. 11
se hâta de se retirer en sa com-
mune; et mettant de plus en plus
en pratique la devise du sage, hene
qui laliiit^ hene vïxH^ il traversa sans
encombre la période delà Terreur.
Lorsque le simoun eut passé, il re-
leva la tète et alla remplir k Bus-
sières-Badis l'office de juge de
paix, lequel ne fut pour lui qu'un
intérim, car dès les premiers jours
du Directoire nous le retrouvons h
Paris même, au ministère de l'inté-
rieur, chargé d'un bureau spécial.
Bientôt après, ilsiégeen qualité de
haut-juré à la haute cour de Ven-
dôme chargé de juger Babeuf. La
capacité, la fermeté, le tact dont il
fit preuve en cette affaire lui furent
comptés par le gouvernement, qui
le revêtit en 1799 d'une présidence
plus en vue que celle de Nou-
tron, la présidt;nce du tribunal
civil du chef-lieu de la Dordo-
gne. Cette preuve d'estime du Di-
recloire ne lui fut pas nuisible au-
près de Tauleur du 18 brumaire.
Loin de là, dès 1800 le premier
consul le fit prcIVtde la Corrèze, et,
reconnaissant en lui le talent de
l'organisateur en même temps que
l'aptitude et l'habitude adminis-
trative, dès que la Savoie devint,
sousle nom de départementdu Mont-
Blanc, partie intégrante de la Ré-
publique française, c'est Vcrneilh
de Puyraseau qui, nommé préfet
de la récente acquisition, alla la
régir et l'initier aux institutions
françaises, dont jamais, même aux
jours de Téclipse de notre puis-
sance, les fruits n'ont été stéri-
les et les traces inaperçues en
pays qui fut à nous. 11 y resta sept
ans de suite, et plus bas il sera dit
de quelle manière notamment il
mit «on séjour à profit. En 1809 il
retournait à Nontron pour y prési-
der le collège électoral de cette
ville. Ses concitoyens le renommè-
rent, comme en 1791, leur repré-
sentant législatif. Investi de nou-
veau de ce mandat qui conférait
si peu de puissance réelle alors,
il ne fit, dans la docile et muette
assemblée, tant que persistèrent
les prospérités impériales, ni moins,
ni plus que ses collègues. Mais
quand la fortune abandonna nos
drapeaux, moins tenace optimiste
que d'autres, sans être traître, il se
rangea des premiers du côté de
ces politiques dont le peu do
foi dans l'éloile de l'Empire n'an-
nonçait pas un dévouement j^i
toute outrance : il vota pour l'im-
pression, pour la publicité du rap-
portun peu tiède, un peu sombre, un
peu louche, présiiité par Laiué à la
commission extraordinaire. On sait
la suite. La Restauration ne trouva
diDUc pas en Verneilhde Puyraseau,
un eimemi, au contraire, mais son
royalisme n'était pas l'enthousiasme
brùlautde ceux qui venaient, après
vingt-quatre ans d'absence, con-
danmer en bloc, comme illégi-
time, tout ce qui s'était fait eu leur
2li
VEK
absence. Il n'avait, lui, ni émi-
gré ni coiffé le bonnet rouge;
il n'avait jamais boudé 1rs régi-
mes réguliers et calnjes : consul
ou empereur, le grand homme
l'avait toujours trouvé prompt
h le comprendre et à le ser-
vir. Choisi derechef par les élec-
teurs de >'ontron pour siéger à la
Chambre des députés, Verneilh de
Puyraseau s'y montra, plus peut-
être que ne l'eût voulu, soit l'une,
soit l'autre des deux opinions
qui divisaient alors la France,
l'homme de la conciliation et
des tempéraments. Selon les pané-
gyristes et champions de l'an-
cien régime, il fallait ne pas per-
dre un instant pour décréter l'an-
nulation en principe de toutes les
ventes de biens nationaux, et le
gouvernement de Louis XVIII dé-
sertait sa mission et trahissait sa
faiblesse en se contentant d'offrir
au vole de la Chambre un projet
qui n'accordait aux émigrés que la
restitution des biens non vendus.
Verneilh de Puyraseau, après avoir
discuté les diverses dispositions du
projel(28 octobre;, demandaqu'aux
anciens propriélnires revinssent en-
core, outre les immeubles inven-
dus, les biens cédés soit à la caisse
d'amortissement, soit aux hospices,
mais que, moyennant ces retours, il
AU bien entendu, il fût bien stipulé,
pour tranquilliser à l'avenir les dé-
tenteurs des biens nationaux, qu'à
partir de ce moment nulle récla-
jiation ne serait admise, nulle pos-
liôf.'^" «léserait attaquée. La même
celui''" 'e vit encore à diverses fois
tant (^*^ .''* Parole. Ainsi, le 2isep-
dc Ve^' '' ^'"^'^ '^*'^ remarques fort
éclairé'^^^^"'''^P''oJet de loi relatif
jturalisatiod : ainsi, le 27 dé-
re, il défendit un amendement
e la commission au projet de loi
VER
sur la Cour de cassation. Dans l'une
et l'autre occavsion, l'on peut dire
qu'il se montra sinon brillant ora-
teur (ce n'eût pas été le cas d'ail-
leurs), du moinsjuriste délié, sagace
et plein d'expérience. Il faut croire
qu'à l'œuvre les amés et féaux des
Bourbons lui semblèrent de bien
chétifs ouvriers, car lors des cent
jours il ne balança point à se por-
ter sur les rangs pour la Chambre
dont la session s'ouvrit en mai. Il
s'y distingua, ainsi que toujours,
par sa modération. Le 30 juin,
donc quinze jours après Waterloo,
il prit la défense de Malleville atta-
qué par Gareau. La seconde chute
de Napoléon consommée, et en ce
moment où l'exaspération des légi-
timistes triomphants laissait présa-
ger !a Chambre introuvable, il ju-
gea peu prudent et fort inutile
d'aller poser sa candidature de-
vant des électeurs de la Dor-
doghe; et il profita des loisirs que
lui faisait la tension des partis pour
se livrer ii des travaux de cabinet
qui le consolaient du présent par
la contemplation plus approfondie
du passé. L'ordonnance du 5 sep-
tembre vint changer la face de
l'horizon politique. Le28aoùtl819,
l'ancien préfet de la Corrèze et du
Mont-Blanc, le collaborateur des
législatures de 1790, de 1810-1813
et 4815 présidait le collège électo-
ral de Dordognc, ce qui, comme à
l'époque impériale, impliquait, de la
part du gouvernement, une faveur
avouée pour la candidature du prési-
dent. Du reste, il n'eut besoin, près
des électeursà 300 francs, d'aucune
manœuvre pour voir sortir son nom
de l'urne électorale, il en sortit
d'emblée; c'élaientd'anciennescon-
naissances qui votaient, et l'on ne
faisait que revenir à des habitudes
prises, et, ajoutons-le sur-le-champ,
VER
VER
325
prises une fois pour toutes. En ef-
fet, il fit partie de toutes les légis-
latures suivantes sous Louis XVIII
sous Charles X, et on le revit môme
sous Louis-Philippe, dont il faut
avouer d'ailleurs que les allures et
la ligne politique étaient bien plus
selon son cœur. Les siennes furent
un peu embarrassées dans le com-
mencement (1819, etc.}, et il ne
satisfit pleinement aucun des par-
tis extrêmes : la gauche ne pou-
vait avoir très-haute confiance en
celui qui se prononçait en prin-
cipe pour le système électoral con-
çu en haine du 5 septembre et
arraché au ministère que chaque
jour débordaient un peu davan-
tage les torys du Conservateur;
en revanche, la droite, peu charmée
déjù qu'il eût voté contre les deux
lois d'exception, fut bien autrement
scandalisée qu'il se ralliAt à l'amen-
dement Boin qui maintenait en
partie l'élection directe. 11 n'échappa
donc, pas à l'injure de celte quali-
fication alors prodiguée par les
absolutistes pur sang, c'est un mi-
nistériel. La preuve pourtant que
son entente d'alors avec les minis-
tres n'était rien moins que ser-
vile, c'est qu'il fut de moins en
moins ministériel, à mesure que
les amis du comte d'Artois et les
membres du gouvernement occulte
prirent le haut du pavé. Sous
Charles X, il tut dans les rangs de
l'opposition, excepté pendant l'in-
terrègne Marlignac. Son nom fi-
gure sur la liste des deux cent
vingt- un. Nous avons tu plus
haut qu'il siégea pareillement sous
Louis-Philippe. Il fui de ceux qui
lui décernèrent la couronne per-
due, k la suite des ordonnances, par
la branche ainée ; et, comme on le
pressent de reste, il vola constam-
ment avec le parti conservateur.
Ce n'était que rester fidèle aux fer-
mes convictions de toute sa vie. Sa
mort eut lieu en 1839. Voici la
liste des ouvrages sortis de sa
plume et dont les titres suffiraient
seuls à mettre en relief la variété
de ses connaissances et la sou-
plesse de son esprit , très-orné,
très-lettré , quoique ne sacrifiant
qu'au solide et à l'utile. L Projet de
Code rural, revu et augmenté d'après
ks observations des commissions con-
sultatives. Paris, 1814 in -4". Nous
n'avons pas besoin d'insister sur
l'importance dont serait pour notre
pays la codification ccmplète de
toutes les dispositions qui régissent
les campagnes. C'est à l'heure
même où nous écrivons, une des
préoccupations majeures du Chef
du gouvernement, et le Conseil
d'État a reçu mission spéciale d'é-
laborer ce travail législatif qui fut
une des idées de Napoléon P' avant
d'être celle de Napoléon IIL Ce
n'est pas un médiocre honneur pour
Verneilh de Puyraseau de s'être
voué pieusement à la réalisation
d'un des projets du grand homme
et d'avoir préparé des éléments à
ceuxauxquelsilest réservé de com-
pléter l'œuvre. IL Statistique du dé-
partement du Mont-Blanc, Paris,
1809, in-4', 573 pages. Des deux
cents statistiques départementales,
publiées la plupart h l'instigation
de circulaires impériales et qui
parurent en divers formats, celle
du Mont-Blanc était, suivant les
amis de Verneilh, la meilleure ;
les juges compétents n'hésileront
pas à la certifier une des meilleures;
c'était une des plus ardues îi con-
struire, vu la multitude des détails
topographiques. On comprend assez
que l'honneur ne saurait en reve-
nir à Verneilh seul ; mais il pro-
voqua, il dirigea, il coordonna les
320
VRK
VER
recheiohes. Il lui fallut Ue plus re-
chercher nombre de docunients
anciens, explorer des archives, tra-
duire ou faire traduire. Enfin c'est
lui qui méthodisa, qui rédigea
tout. De là, en somme, un ouvrage
net, exact, riche en faits, en rensei-
gnements, on résultats curieux, neuf
lorsqu'il parut, presque neuf en-
core de nos jours, surtout pour la
France, et auquel la récente réan-
nexion de la Savoie prête un inté-
rêt tout particulier. III-IV. Deux
ouvrages historiques, l'un et l'autre
enfants d'une même idée, l'un et
l'autre traitant, mais sous des faces
différentes, le même sujet, celui
qui tenait le plus au cœur de Ver-
neilh, les destinées de sa patrie.
Ce sont : 1° V Histoire politique et sta-
tistique de ï Aquitaine ou des pays
compris entre la Loire et les Pyré-
nées, VOcéan et les Cevennes, Paris,
1823-1827,3 vol., in-8^; 2'> Histoire
de France, on l'Aquitaine depuis les
Gaulois jusquà la fin du règne de
Louis ,l'V7, Paris, 1843,3 vol., iu-S*»,
L'idée du second écrit ne laisse
pas d'être piquante, quoique ap-
partenant à la famille des puradoxes
insoutenables; l'Aquitaine est seule
au premier plan, le reste de la
France reste sur le second; la
France n'est en quelque sorte que
l'Aquitaine ornée d'un certain
coefficient. C'est trop girondin I
mais cela réveille, et nous par-
donnons... La Dordogne est si
voisine de la Gironde. Quant h la
précédente production, tirée en
majeure partie de la grande Hist. du
Laufjuedof- de dom Vaisselte, elle
a été dépassée, partantéclipsée par
Fauriel ; elle n'en reste pas moins
une tentative et, on peut le dire
hardiment, plus qu'une tentative,
éminemment honoiable pour son
auteur. V. Mém^jires historiques sur
la France et sur la révolution, de-
puis la fjuerre de la Fronde^ jusqu'à
la mort de Louis AT/, avec un
supplément jusqu'à la restauration,
Paris, 1831, in-8^ A toutes les
phases de notre histoire Verneilli
retrouvait la personnalité de sa
chère Aquitaine. Nous ne par-
lons pas de l'Aquitaine de Ca-
ribert II et de Waïfre, de celle
d'Assénor de Guyenne et du Prince
Noir. Mais, sous la régence d'Anne
de Médicis, c'est en Aquitaine que
la princesse de Condé opère en
armes sa diversion pour la déli-
vrance de son époux ; sous la Con-
vention, c'est de l'Aquitaine que
Charles IV, es|)ère voir roi son
cousin Louis XVII; en 18U, pres-
que de nos jours, c'est de l'Aqui-
taine que part le signal du retour
des Bourbons et le dernier fait
d'armes des braves de Napoléon ;
le maire Lynch arbore les lis ii
Bordeaux, le 181i; Soult bal
encore Wellington, le 10 avril 1814
à Toulouse. Val. P.
VERiNKS (François), ou Vernesde
Luze, lils du célèbre pasteur de ce
nom (Uioiiraphie, t. xLvni, p. 238),
qui, lui-même, descendait d'une fa-
mille frani^aisc protestante sortie de
France, à la suite de la révocation
de redit de Nantes, naquit à Ge-
nève le 10 janvier 1705, lit au
collège de cette ville de bonnes
études, ety remporta plusieurs prix.
Il se voua de bonne heure à la
culture des lettres, ci ne tarda pas
à devenir un écrivain distingué. A
une flexibilité d'esprit remarquable,
Vernes joignait la profondeur du
moraliste. Tous ses ouvrages sont
empreints d'un désir sincère et
persévérant de concourir au pro-
grès de l'humanité et au dévelop-
pement des saines doctrines reli-
gieuses et philosophiques. A l'âge
VER
\ER
327
de 11 ans, il composa la fable du
Coq et du Miroir, qui lui valut la
faveur d'être présenté à Voltaire et
d'en recevoir des encouragements.
Le voya/jenr sentimental à Yverdou,
qu'il publia à vingt ans, est l'ou-
vrage qui a le plus contribué à sa
réputation. Cet ouvrage, qui a eu
plus de dix éditions, a été traduit
en plusieurs langues. Laurent de
Bruïelles lui a donné une place
dans sa collection des classiques, et
le comte Ro^derer, alors rédacteur
du Journal rf^Prtns.a consacré dans
ce journal nu long article ù cette
production. Lié avec tous les amis
de son père, Vernes, dans ses
voyages à Paris, fut accueilli avec
empressement par les personnages
de la plus haute distinction. Le duc
d'Albon, la duchesse d'Anvilie, le
duc d'Aumont, l'abbé Delille, La-
harpe, Raynouard, d'autres encore,
lui ouvrirent leur salon. Aussi
bien reçu à Coppet qu'à Paris, où
M. Neckerse fit un plaisir de l'at-
tirer, il fut honoré de l'amitié de
madame de Staël, chez laquelle il
retrouva Charles de Sismondi, son
parent, Catrufîo, le compositeur,
Benjamin Constant, le poéleWerner,
etc. Ses relations avec la baronne
de Montaulieii, Jean-Baptiste Say,
Etienne Dumont el Louis Simon,
auteur du Voyaae d'un français en
Awjleterrc, contribuèrent a étendre
sa réputation. Vernes est mort à
Verjoix prés Genève, le 6 avril 1834,
laissant deux fils : l'un, M. Vernes
(François), est le traducteur des
Avis aux jeunes gens, de William
Cobbet; l'autre, M. Vernes , Théo-
dore), auteur de Saples et Ijs i\'a-
poiilains,'à été élu en IHolJ, membre
du consistoire de l'église réformée
de Paris. M. le professeur M un icr,
dans soQ rapport sur l'instruction
publique dans le canton de Ge-
nève, a lu, le lo juin <83o, dans la
cathédrale de Saint-Pierre, à la
cérémonie des promotions, les
lignes suivantes consacrées à la
mémoire de Vernes : « Je ne puis
« pas omettre de payer un t'ibut
a à la mémou'e d'un de nos com-
« patriotes, dont les ouvrages sont
« moins connus el moins appréciés
« chez nous qu'à l'étranger. Irai-
« tateur heureux, dans sa jeunesse
a du profond et spirituel Sterne,
« M. Vernes, excita l'attention pu-
ce bliqiie par son Voyageur seuii-
« mental qui lui a attiré des cri-
« tiques , mais où des traits
« piquants et originaux lui valurent
'.( les encouragements de quelques
« bonsjuges.il tourna plus tard
« ses méditations sur des questions
« d'un ordre élevé, et eut ii cœur
« de les approfondir. Fermement
« convaincu de bonne heure, et il
« le devait sans doute à son habile
« et respectable père, de la vérité
« de la religion, et pénétré de l'im-
« possibilité d'asseoir la morale et
« la société sur aucune base plus
a solide, il consacra ses veilles à
« la démonstration de ces grands
« théorèmes, et il a publié, dans
(( les dernières années de sa vie,
« trois ouvrages sur les rapports de
« la morale et de la politique avec
« la religion, qui sont des services
« rendus à la cause qu'il avait em-
u brassée. Ces ouvrages portent le
« cachet d'un esprit qui se com-
a plaisait dans les spéculations les
« plus graves, d'un Ciouv ieli4,ieu\
a et siMisible, occupé du bonheur
« de l'humaiiiié et avide d'y con-
<( Iribuer. A tous ces titres, et dans
« une époque où les écrivains de
« celte tendance sont rares, M . Ver-
« nés n'a t-il pas droit à ce que
« nous déposions sur sa tombe un
a hommage et un regret? * Les
328
VER
ouvrages publiés par cet écrivain
sont : 1" Eloge de Jacob Vernes,
placé en tcte du 2' volume des Ser-
mons. Lausanne, n92. 2" Adélaïde
de Clarence, 2 vol. in-8o. 3" Almed,
3 vol. in- 12. Paris, 1815. 4° Almed,
ou le Sage dans Vadversité. Paris,
1816. 5° Les Aveugles de Francon-
ville, comédie en 1 acte et en prose.
Paris, 1807. fi" Nouveaux Contes
moraux en prose et en vers. Paiis,
2 vol. in-12. 7" La Création ou les
premiers fastes de Vhomme et de la
nature, poëme en six chants, 1 vol.
in-18. Paris, 1804. 8" la Deicée ou
Méditations nouvelles sur l'exis-
tence et la nature de Dieu, sur ses
perfecUons, ses œuvres et la desti-
née de l'homme, suivie à'Elvina,
tragédie chrétienne, 1 vol. in-S».
Paris, 1823. 9" La Duchesse delà
Valiière, tragédie eu 5 actes et en
vers. Paris, 1807. 10° Etrennes à
mes enfants, conseils moraux en
vers, suivis d'un Théâtre de société,
2 vol. in-18. Paris, 1816. il« La
Franciade, ou l'Ancienne France,
poème en seize chants, 2 vol. in-18.
Lauzanne, 1789. 12*^ L'Homme reli-
gieux et moral, ou Exposition des
principes et des sentiments les plus
nécessaires au bonheur (1), 1 vol.
in-8o. Paris, 1829. 13" Idamora,
ou les Sauvages civilisés, 3 vol.in-i 2.
Pai'is, 1827. U" Mathilde au mont
Carmel, continuation de Mathilde
de madame Cottin, 2 vol. iri-12 ou
3 vol. in-18. Paris, 1832. Une tra-
duction en langue russe. 15« Sclin
AdheloMatilda en et monte Carmelo,
traduction par I). Manuel Antonio
(1) A l'époque de la publication de
ce livre, un père de famille se présenta
chezl'édit-iir en lui en demandant cinq
exemplaires, et en ajoutant : < J'ai
quatre enfants, et je veux que chacun
d'eux ait ce livre entre les mains. »
V€R
Gabat. P^ris, 1816, 2 vol. iii-18.
10° Odisco et Felicie, ou la Colonie
des Florides. Paris, 1803, 2'^ édit.,
1807. 17° Poésies fugitives, 1 vol.
in-8°. Neuchatel, 1782. Autre édit.
à Londres, Cazin, 1786. 18° Rose
blanche. Princesse de Nemours, nou-
velle historique, suivie de contes
moraux, 2 vol. in-12. Paris, 1826.
19« Seymour, ou Quelques mots du
secret du bonheur, 2 vol. in-8",
Paris, 1834.. 20° Théâtre de ville et
de soci(^^^, précédé des Contesmoraux
et dos Novateurs gascons, ou Préser-
vatif contre lamaniedes révolutions,
facétie, 2 vol. in-8". Paris, 1820.
21" Voyage épisodique et pittoresque
aux glaciers des Alpes, suivi de la
Duchesse de la Vallière, tragédie
en o actes et en vers et des Aveugles
de Franconville, comédie, 1 vol.
in-12. Paris, 1807. 2^ édit., 1808.
22" Voyage sentimental en France
sous Robespierre. Genève, i vol.
in-12. 23" Le Voyageur sentimental,
ou Ma promenade à Yverdon. Lau-
zanne, 1786, un vol. in-12. Lon-
dres, 1780. Dresde, 1787. Bruxel-
les. Autre édition augmentée et
suivie du deuxième voyage fait par
l'auteur, quarante ans après, 2 vol.
in-<2. Paris, 1825. 24" V Homme
politique et social, ou Exposition des
principes fondamentaux de l'état so-
cial et des devoirs qui en dérivent,
\ vol. in-8". Paris, 1831. V.
VERNET (Garle), peintre d'his-
toire, né à Bordeaux en 1758 et
mort à Paris en 1835, a soutenu
par son grand talent l'illustration
acquise ii son nom j)ar son père
Joseph Ver[)et, célèbre peintre de
marine. Les dispositions de cet ar-
tiste pour le dessin et la peinture
se manifestèrent de si bonne heure
et avec un tel éclat que, dès son
enfance, on le regardait comme
devant être un grand artiste. Il
VER
VER
329
avait bien dans l'œil et dans la
main les qualités propres ii justi-
fier ces espérances ; mais sa légè-
reté, la bizarrerie de son caractère,
furent des obstacles au dévelop-
pement sérieux de son talent. De
très-bonne heure, des dispositions
d'esprit contraires paraissent avoir
altéré l'équilibre de son caractère.
Ainsi, dans sa jeunesse, aimable,
élégant, rechercha de la haute so-
ciété où l'avait introduit son père,
il s'y faisait particulièrement re-
marquer par le talent futile qu'il
avait déjî), et qu'il a conservé jus-
qu'à ses derniers jours, de faire des
calembours, ainsi que par son
goût pour l'équitalion et la chasse.
Puis, en opposition à ces goûts pu-
rement mondains, ce jeune artiste,
dont le talent était déjà apprécié,
devint d'une dévotion presque exa-
gérée, qu'il a cependant trouvé
moyen de concilier, pendant toute
sa vie, avec son goût pour les plai-
sirs du monde. Avec un esprit ob-
servateur et un œil qui retenait
bien ce qu'il avait vu, au fond,
Carie Vernet était un homme léger,
ne tendant ni dans sa vie ni dans
son art vers un but fixe, et, par
cela mêmn, ayant été entraîné h
disséminer lesefTorts de son talentau
lieu de les concentrer. En effet, la va-
riété des sujets qu'il a traités justifie
véritable cette observation, et le
grand nombre des spirituelles cari-
catures qu'il a produites avec une
incroyable facilité, est peut-être la
portion de toute son œuvre où se
développe avec le plus de verve io
caractère de son talent. 11 se fit
connaître cependant par un ouvrage
d'un caractère sérieux. Obéissant
au goût qui régnait vers 178S, il
entreprit une vast(! composition, le
Triomplw de Paul Emile, qui lui ou-
vrit les portes de l'Académie. Dans
ce tableau, que l'on verrait encore
avec plaisir, on remarqua surtout
l'art, en quelque sorte nouveau à
cette époque, avec lequel les che-
vaux y sont traités. Aux formes con-
ventionnelles que les peintres d'his-
toire avaient données jusque-là k
ces animaux, le jeune G. Vernet
substitua celles qu'en sa qualité
d'écuyer il avait observées sur lana-
ture. Au nombre des autres ou-
vrages d'un style sérieux, nous
mentionnerons seulement les Cour-
ses de chars pour les funérailles de
Patrocle, une suite de fort bons
dessins représentant les principaux
faits d'armes de la fameuse cam-
pagne de 1797 en Italie, et la Morl
d'Hippoljjte. Mais le tableau capital
de C. Vernet est la Bataille de Ma-
rengo, exposée au salon de 180i,
aujourd'hui l'un des ornements des
galeries historiques de Versailles.
L'ordonnance de cette fameuse
composition est très-pittoresque,
et ce qui relève cette qualité est le
soin qu'a pris l'artiste de ne négli-
ger aucun des détails qui se rap-
portent il la stratégie, en sorte cpie
tous les sjiectateurs, simples cu-
rieux ou militaires instruits, sont
pleinement satisfaits en le voyant.
En 1804, l'heureuse alliance du pit-
toresque et de la stratégie dans un
tableau de bataille était une inno-
vation, et c'est à Carie Vernet qu'on
la doit. Ce tableau est son chef-
(•'(euvre dans le genre sérieux, et
sera toujours mis au nombre des
bons ouvrages de cette époque.
QuRut îi la partie familière et comi-
que de son (luivre, elle est bien
plus considérable et plus variée. La
passion de cet artiste pour les che-
vaux, ré(|uitation et la chasse lui
ont fait imj)roviier une suite de ta-
bleaux et de dessins dont les gra-
vures recherchées avec empro^e-
330
VER
ment lorsqu'elles parurent, sont
soip:neusement conservées aujour-
d'hui par les amateurs. Ce sont des
courses de chevaux et de chars au
Champ-de-Mars sous le Directoire,
des calèches remplies de dames
élégantes et entourées de jeunes
cavaliers. Puis des chasseurs au tir,
des trains d'artillerie légère, des
lendez-vous de chasse et les exer-
cices de Franconi, le tout accompa-
gné d'une multitude de dessins de
chiens de chasse, dont le caractère
et les allures sont saisis de la ma-
nière la plus vraie et la plus spiri-
tuelle. Mais C. Vernet a une |)lace
à part parmi les dessinateurs et
peintres de caricatures. 11 s'est par-
ticulièrement adonné k ce genre à
deux époques : sous le Directoire
et en 1815, lorsque les Anglais vin-
rent en foule à Paris. Ces carica-
tures ont presque un caractère
historique, car pour ceux qui ont
vécu à ces époques, les gravures
des Incroyables et des Merveilleuses
ne sont que des portraits; ce sont
les originaux qui fournissaient la
caricature. Celui des deux Incroya-
bles, vu de protil et tenant son cha-
peau à la main, est la ressemblance
exacte de Carat, également célèbre
sous le Directoire par ses ridicules
et par la perfection de son chant.
Quant aux Anglais et Anglaises de
1815, c'est la vérité même. Ce pein-
tre, C. Vernet, est également vrai
et pins plaisant encore dans des ca-
ricatures animées par son imagi-
nation. Rien n'est plus drôle
qu'une des dernières qu'il a pein-
tes. C'est le trouble que cause le
fracas d'une diligence traversant la
rue étroil<* d'un petit village. Les
chiens qui aboient, les oies qui
s'enfuient, les enfants et les fem-
mes qui risquent de se faire écraser
pour satisfaire leur curiosité, tous
VER
ces détails sont exprimés de main
de maître. Il faut en dire autant
des scènes d'animaux et de chiens
savants qu'il représente avec leurs
costumes grotesques, et d'une
foule d'autres sujets analogues qu'il
jetait sur le papier avec une faci-
lité extrême, et que l'on s'empres-
sait de reproduire par la gravure.
Son œuvre gravée etlithographiée,
qui se trouve à >la bibliothèque de
la rue Richelieu est considérable et
présente les scènes les plus graves
ainsi que les plus comiques qui ont
en lieu pendant l'existence de l'ar-
tiste. Si cet homme, d'une rare
habileté, ne se fût pas trouvé placé
entre son père Joseph et son lils
Horace, ses ouvrages auraient sans
doute donné plus d'éclat à son nom,
si ce n'est par leur perfection, du
moins par leur originalité. La vie
de Carie Vernet a été calme ; il l'a
passée en cultivant agréablement
son art, en fréquentant le monde,
en satisfaisant son goût pour l'équi-
tation, entremêlant toutes ces oc-
cupations de pratiques religieuses,
qu'il a observées pendant tout le
cours de son existence. Comme sa
vie, sa mort a été douce. Sans am-
bition, il s'est trouvé heureux d'être
le fils d'un artiate célèbre et le père
de M. Horace Vernet, dont il a vu
avec bonheur se développer le ta-
lent qui lui a fait acquérir une
gloire solide. Les dernières paroles
prononcées par C. Vernet quelques
heures avant sa mort donnent une
idée juste de son caractère et résu-
ment en quelque sorte sa vie.
Admirateur du talent de son père
et de celui de son /Ils : « C'est
singulier, dit-il, près de rendre
l'esprit, comme je ressemble au
grand dauphin, fils de roi^ père de
roi... el jamais roi. » E.-J. D. L.
VERiMÈUES, général français.
VER
VER
331
était au service dès avant la Révo-
lution. Lorsque la coalition faillit
s'ouvrir nos frontières, il fut de
ceux qui ne crurent pas l'armée
désorganisée, parce que neuf offi-
ciers sur dix avaient délaissé le
drapeau qui devenait celui d'un
peuple. Sa bravoure, qu'accompa-
gnaient d'autres qualités non moins
essentielles, eut alors maintes oc-
casions de se déployer, et son
avancement fut rapide. Il comman-
dait un bataillon d'artillerie en
1706, au siège de Mantoue. Nous
le retrouvons général en 1799, et,
comme tel, il fît partie de laseconde
expédition en Irlande. Passant en-
suite d'une mer ù l'autre, de l'ar-
chipel britannique aux iles Ionien-
nes, il rendit des services au siège,
bientôt suivi de la prise de Corfou.
Vers la fin de 1800, il alla ensuite
tirer les corollaires de la campagne
de Marengo, non en Italie même et
dans les belles plaines entre l'Olona
et l'Adriatique, ce qui n'eût été
pour lui qu'un intermède agréable
sinon un délassement, mais dans
les montagnes des Grisons et du
Tyrol, où ses opérations étaient des
plus pénibles. Il s'y distingua de
nouveau, et nul doute qu'il n'eût
atteint ii la longue, et peut-être
sous peu d'années, les premières
dignités militaires, s'il n'eût été
prématurément emporté vers le
commencement de l'Empire. B.
VKllNIN '1*ierre-Jea>\ membre
de nos j)remières assemblées déli-
bérantes, était, avant la Uèvoluiion,
lieutenant général du présidial de
Melun, sa ville natale. Le temps
venu où, pour remédier an déficit,
Louis XVI convoqua les états géné-
1 aux en iiccordiuil duuble représen-
lalion au tiers, il l'ut un des élus de
ce dernier. Rien de surprenant donc
li ce qu'il ait voté des deux mains
tout ce qui devait rendre à îa mo-
narchie décrépite sa verdeur, à la
monarchie obérée des caisses bie».
remplies et du crédit, k la monar-
chie sans cesse bridée par ses par-
lements , par l'aristocratie terrienne
et par de vieilles routines dites li-
bertés provinciales,'^ la franchise
d'allures sans lesquelles il n'est pas
de gouvernement, en d'autres ter-
mes qu'il ait volé la fusion des trois
ordres, la péréquation de l'impôt,
l'abolition des privilèges et finale-
ment la constitution, y compris la
constitution civile du clergé. Mais
il n'entendait point aller au delà,
et il se tint parole k lui-même.
Lorsque des élections nouvelles
eurent lieu pour remplacer la Cons-
tituante par la Législative, il ne se
mit point sur les rangs, la loi dé-
fendant atout constituant de figurer
à la seconde assemblée. Encore
moins en fut-il tenté, bien que nulle
interdiction ne l'ècartât, lorsque la
législative s'effaça pour faire place
il la Convention. Il eût été plus
chevaleresque peut-être de revenir
alors, afin de contenir les passions
qui, chaque jour plus incandescen-
tes, menaçaient de réduire en
cendres tout l'édifice social. Mais
on ne pouvait s'attendre à trouver
un ci-devant lieutenant au présidial
très-chevaleresque, et il faut avouer
que Vernin, non-seulement aurait
échoué, mais aurait échoué sans
'gloire. Loin de manier la parole avec
le brio et la facilité des Girondins,
il n'avait jamais, pendant ses deux
ans dp la constituante, abordé la
tribune, non qu'il en fût incapable
de tout point, mais sou talent ora-
toire demandait une température
un peu moins vesiivienne, et une
atmosphère un peu plus calme.
Telle fut, relativement au passe du
moins, la période qui suivit la chute
,332
VER
VER
de Robespierre. Vernin alors recher-
cha de nouveau les suffrages de
ses compatriotes, et de nouveau les
obtint. 11 alla siéger trois ans au
conseil des Anciens; il y parla même,
mais sur des sujets qui ne passion-
nent point, sur des matières de
judicature. Le 11 février 1797 il
vota le rejet de la résolution qui
soumet à la cassation les déclara-
tions opposées des juges sur les
mêmes faits. Désigné par le sort
pour sortir du conseil le 20 mai
1798, il se rejeta sur la carrière
judiciaire. Sous l'Empire, il passa
comme conseiller à la cour impé-
riale de Riom,où plus tard il devint
président de chambre. Sa mort eut
lieu en d84o. L. C.
VERMNAC (Jean) , religieux bé-
nédictin de St-Maur, qu'on ne con-
fondra point avec les deux Verninac
de St-Maur, dont il est parlé tome
XLviii, pages 255-2S7 (1), naquit à
Souillac, diocèse de Gahors, le 1^'
mars 1090. Se destinant k la vie re-
ligieuse, il entra dans la congréga-
tion de Saint-Maur, et j)rononça ses
vœux dans rabbayedeSainl-Allire
de Clermont, le 20 décembre 1708.
11 fit d'abord le cours d'études usité
dans la congrégation, puis les su-
périeurs lui donnèrent ou lui per-
mirent le séjour du monastère dit
les RIancs-Manteaux, dans le quar-
tier du Marais, à Paris, pour y co-
opérer il une entreprise littéraire.
J'ignore qu'elle était la nature de
cette entreprise; mais il est plus
que probable qu'elle favorisait le
jansénisme, car lui et ses compa-
gnons furent obligés à quitter la
maison des Blancs-Manteaux, qui
était, dans le dernier siècle, un
(1) Ils étaient du moins ses compa-
rlotes et probablement ses parents.
des foyers les plus ardents de la
secte, et même a quitter Paris. On
l'envoya au colline de Saint-Ger-
mer, et ensuite à l'abbaye d'Vvry
pour enseigner la jeunesse. Les
supérieurs le nommèrent en 172G
à la place de bibliothécaire du mo-
nastère de Bonne-Nouvelle, îi Or-
léans, place qu'il a occupée pen-
dant vingt-deux ans, h la grande
satisfaction du public. Ses connais-
sances étendues, surtodt en his-
toire, lui concilièrent l'estime des
hommes savants. Les religieux de
sa congrégation, qui travaillaient
sur la métropole de Paris, pour le
nouveau Gallia christiana^ le priè-
rent de leur fournir des mémoires.
Verninac se rendit volontiers à
leurs désirs; il employait le temps
des vacances de sa bibliothèque à
visiter lei archives des cathédrales
de Chartres, de Blois (2) et d'Or-
léans, et des abbayes situées dans
ces diocèses. Il prenait des notes
exactes et les mettait en ordre pour
les envoyer aux auteurs du Gallia
Chrisliana, mais il tirait plus d'un
parti de ses investigations; rien
n'échappait à ses recherches, et
jusqu'à la destruction des monas-
tères, on conserva dans le sien ces
extraits de titres avec des réflexions.
Ces matériaux curieux sont peut-
êtreâujourd'hui il la bibliothèque pu-
blique d'Orléans. En récoltant pour
le GalUa chmtiana, il s'aperçut que
quelques-uns des titres qui lui pas-
saient sous les yeux pouvaient être
utiles à des familles nobles, pour
éclaircir leurs généalogies, et il
leur en fit la remarque. La manière
(1) L'église de Blois ne pouvait lu
être d'un grand s^ccours en tant que
cathédrale, car le siège épiscupal de
cette ville était d'institution récente.
VER
dont il leur en rendît compte, leui'
lit connaître combien il était pro-
pre lui-même à cette science spé-
ciale. Le premier qui l'apprécia fut
M. d'Oriéans de Villechauve, avec
lequel il était lié d'amitié, et au-
quel il accorda volontiers de se
charger de mettre en ordre les ti-
tres de sa famille. Tl le fit en effet
avec tant de soin et de talent,
qu'il mit cetie généalogie en état
d'être imprimée dans le troisième
registre de l'Armoriai fjénéral. Par
attrait el par le désir d'être utile,
domVerninac se livra presque tout
entier à ce genre d'étude ; il exa-
mina les titres de plusieurs familles,
les mit en ordre, et fixa l'antiquité
de plusieurs maisons nobles, anti-
quité qu'elles n'avaient connue jus-
que alors que par tradition. Ce
goût et celte préférence d'éludé
pour l'éclaircissement des généalo-
gies se sont vus en plusieurs reli-
gieux. On apprécie les utiles tra-
vaux du père Anselme; cependant
quelques personnes blâmèrent dom
Verninac de porter là ses soins et
son application ; mais leur critique
était à la fois déplacée et injuste,
puisque sa régularité monastique
n'en souffrait en rien. Déjà des
j)articuliers avaient d'eux-mêmes
publié de grandes histoires de pro-
vinces ou de villes particulièces,
tels que le [)ère Lobiueau, par
exemple, qui avait donné V Histoire
de Drelagiie. La congrégation d*
Saint-Maur comprit l'avantage (ju'il
y auraità publier riiistoire spéciale
de chaque province, et on eu forma
le |)rojet. Connaissant combien l'é-
rudition de dom Verninac pouvait
être utile pour seconder ce projet,
elle le chargea de l'histoire du
Herri. Verninac accepta avec
obéissance et peut-<'tre avec joie
cet ordre des supérieurs , mais
VER
333
comme il connaissait l'étendue
de la mission qu'on lui confiait
et se voyait déjà avance en âge, il
se fit associer un de ses confrères,
dom Guillaume Gerou (1), religieux
très-apte à ce genre de travail. 11
fit plusieurs voyages dans le Berri,
pour y recueillir les maîériaux qui
lui étaient nécessaires. En 1746, il
fut saisi, à Bourges, d'une fièvre
maligne qui le conduisit jusqu'au
tombeau; il n'eut depuis qu'une
santé chancelante et mourut le
29 février 1748, muni des sacre-
ments de l'Eglise. Dom Verninac
était fort abstrait; c'était, dit-on,
l'application à l'étude et aux exer-
cices de piété qui l'avait rendu
tel. A beaucoup de pénétration il
joignait la justesse d'esprit et une
excellente mémoire, qui lui servait
(l] Dom Gcrou était natif d'Urlcaub,
et fit profession à l'âge de dix-sept ans,
dans l'abbaye de Vendôme, le i20 juil-
let 1718. Après ses études, il alla pro-
fesser à Pout-Levoy. A la mort de dom
Verninac, il resta seul charge de VHis-
tuire du Berri. Quoiqu'il eut du goût
pour ce genre de recherches et qu'il eût
amassé des matériaux pendant plu-
sieui*s années, se défiant de ses forces,
il se borna à perfectionner la BibliO'
thcque des auteurs du Berri, conmien-
cée par dom Méry. Les matériaux de
cette BiljliolhèqHC et Us autres recueil-
lis par (ierou passèrent aux mains de
dom Turpin, religieux de Saint-(Jer-
main-des-Prés. Gerou fut aussi charge
de mettre en ordre la liibliothèquc de
TuJirainCf (oniposée par dom Liron. 11
composa ensuite en quatre ans la /^»-
bliothdque dc^ auteurs de VOrlêanais
Aucune de ces trois Bibliothèques n'a
de imprimée, croyons-nuus. Il travailla
a la Collection des Charles, entreprise
par les bénédictins de Saint-Maur, en
vertu d'un ordre du ministre llertin.
Dom (ierou, distingué par sou amour
du tiavail et s;i régularité, mourut à
l'abbaye Saint-Benolt-sur-Loire (aujour-
d'hui département du Loiret), le 27
avril 17G7.
33/r
VEH
beaucoup, surtout dans ses éludes
généalogiqnes. Il était en relation
avec plusieurs savants, entre autres
avec racadémicien Foncemagne
(Voy. Foncemagne, XV, 162), au-
quel il adressa une dissertation où
il prétend prouver que la seconde
et la troisième race des rois de
France descendent de la première.
Il adressa au célèbre abbé Lcbeuf
une autre dissertation pour mon-
trer que le Gebamim^ dont parle Cé-
sar dans son Commentaire, est la
ville d'Orléans, et non pas la ville
de Gien, comme le prétendait son
adversaire. Ces deux dissertations
étaient restées manuscrites au mo-
nastère de Bonne-Nouvelle, à Or-
léans. Quelque temps avant de
mourir, A. Verninac lit imprimer le
supplément au Catalogue de la bi-
bibliothèque publique d'Orléans.
Dom Tassin, dans son Histoire lit-
téraire de la congrégation de Saint-
Maur^ dom François, dans sa Biblio-
thèque générale, vantent les quali-
tés de dom Verninac et sa tendre
piété. Mais il y a un point sur
lequel ils gardent le silence : Ver-
ninac était janséniste, et lorsque,
après le chapitre tenu eu 1733, et
dans lequel la congrégation prit
des mesures pour réprimer les ef-
forts et les intrigues de la secte
qui la minait et finit par la perdre
presque tout entière, dom Sarrazin
eut été nommé visiteur de Bourgo-
gne, 'd}d visite qu'il fit, en n3o,
au monastère de Bonne-Nouvelle,
à Orléans, Verninac fut un de ceux
qui ue voulurent point reconnaître
son autorité et protestèrent contre
ses actes. Au reste, il avait des
formes polies et vraiment religieu-
ses qui lui conciliaient le respect et
raffeclion. H a beaucoup étudié et
jreu publié; il mérite une place
dans la Biographie universelle pour
VES
rappeler une fois de plus qu'il y a
des milliers d'hommes érudils et
savants, surtout de la classe des
religieux et du clergé, dont le nom
est resté obscur, et quelquefois
tout à fait inconnu dans la républi-
que des lettres, à laquelle ils ont
été pourtant si utiles. B. — d— e.
VERVOOllT (adrien), avocat à
la cour royale de Paris, était belge
de naissance, et très-religieux en
même temps que très-éclairé. H
fut plus remarqué comme consul-
tant que comme orateur, et comme
écrivain habile que comme prati-
cieu. Sa mort eut lieu en 1840. On
a de lui l' la Liberté religieuse se-
lon la charte, Paris, 1830, in-8, —
très-estimable ouvrage dont l'ins-
piration fut due au concours pro-
posé par la Société de la miorale
chrétienne, sur la législation rela-
tive à l'exercice de la liberté
religieuse en France, et qui valut
uue mention honorable a l'auteur;
2" les Tarifs en matière civile y com-
merciale et criminelle expliqués el
commentés par A. Vervoort; Paris,
1829, in-8. L. G.
VES TUIS - ALLARD ( marie-
auguste), nommé plaisamment
Vestris II, était le fils du Vestris
de Florence, celui qui ne re-
connaissait en Europe que trois
grands hommes, Frédéric, Voltaire
et lui, et de la brillante et spiri-
tuelle danseuse Allard, pour la-
quelle l'aifection de Vestris se sou- ^m
tint vive et tendre jusqu'au terme ^B
de sa vie, quoique (ou parce que) il
se garda de l'épouser. Né en quel-
que sorte dans les coulisses de
l'Opéra, et bercé sur les genoux de
Terpsichore, Marie-Auguste fut,
dès sa première enfance, initié ii
tous les mystères de l'art auquel
les auteurs de ses jours devaient et
leur renommée européenne et de
VES
fort enviables revenus. Il pratiqua
la pirouette avant Ta-b-c ; les en-
trechats, les jetés-battus lui fu-
rent démontrés avant les principes
de l'écrilure. Il avait d'ailleurs au
plus haut degré les dons naturels
et la vocation du danseur. Né le
27 mars 1760, il débutait le 18 sep-
tembre 1772, c'est-k-dire avant
d'avoir atteint onze ans et demi,
dans la chaconne du divertissement
'e la Cinquantaine. Des applau-
sements accueillirent le père
nd, avec triple révérence so-
Mie et suppliante, il apparut
scène, présentant à sa ma-
e public son plus jeune et
^-„.. ^..3r élève; les applaudisse-
ments, à mesure que la représen-
tation avançait , éclatèrent plus
multipliés et plus vifs, et cette fois
c'était bien l'exécutant, ce n'élait
plus l'introducteur qu'on accla-
mait. Encouragé par les marques
d'une sympathie méritée, le père
et la mère le firent reparaître à
plusieurs reprises, mais de loin à
loin, et toujours avec succès. Des
deux artistes, d'ailleurs, chacun
était jaloux d'accaparer le rejeton,
soit, ont dit des ennemis, pour
exploiter son jeune talent, soit plu-
tôt par soif d'encens et pour cumu-
ler double ration de gloire. Quoi
qu'il en soil, on comprend qu'il ré-
sulta, de cette rivalité des auteurs
de ses jours, un assaut de soins
donnés à son éducation chorégra-
phique, et qu'avec les dispositions
si rares que nous avons signa-
lées plus haut, il dut, sous la pres-
sion de l'atmosphère des trois mai-
sons entre lesquelles se partageait
exclusivement son existence, celle
de sa mère, celle deVestris, et l'O-
péra, faire de rapides progrès. Aussi
n'était-ce plus un élève que de nom
lorsqu'il fut reçu élève d'M'Ecolo de
VES
335
danse, en 1775. Dès l'année sui-
vante, le noviciat pour la forme
avait pris fin, et il entrait à l'Opéra.
Toutefois ce n'était pour lui qu'un
premier pas, et quatre ans, (de
1776 à 4779), il se désola de ne
figurer que parmi les doubles, bien
que pour le talent, l'opinion le
classât parmi les premiers sujets,
d'abord, et, plus tard, au-dessus
des premiers sujets. Son père lui-
même, tout hyperbolique admi-
rateur qu'il fût de sa propre per-
sonne, et bien que souvent il s'ad-
ministrât, sans sourciller, le brevet
de génie créateur, se plaisait h
reconnaître que s'il était supérieur
pour rinvenlion, en revanche,
pour l'exécution , son lils était
sans égal. Enfin le titre de pre-
mier danseur devint la récom-
pense des services essentiels qu'Au-
guste rendait à l'Opéra et qui
ne furent pas un mince élément
de la constante prospérité de
ce théâtre (sous Louis XVI, sous la
République et sous l'Empire).
VestrisII garda ce titre trente^six
ans, toujours goiiié du public, et
longtemps son favori. L'idolâtrie
(car pendant longtemps ce fut de
l'idolâtrie) ne fit place qu'après le
commencement du siècle actuel
à des sentiments moins exaltés. Ce
n'est pas qu'il eût perdu, au con-
traire; mais il n'émerveillait plus,
il n'étonnait plus. Eminemment
supérieur à son père pour la vi-
gueur et l'élaslicité, il eut droit,
non moins que lui, au renom de
créateur: S! Veslris I" avait porté
â son apogée la danse noble et
majestueuse, Vestris II avait ima-
giné un autre style animé, vif,
(fui, sans exclure soit la correc-
tion, soit la grâce, exigeait la sou-
plesse, l'infaligabilité de l'acteur.
L'on eût pu le qualifier, comme
336
VKS
les Arabes et les Berbersqualilient
leurs chevaux pur-sang, de « roi du
jarret.» Telle était sa légèreté que,
du fond de l'iminense scène de l'O-
péra, deux enjambées l'amenaient
à la rampe. De haute taille, mais
surtout prompt à réagir, comme
le ressort d'acier, prompt à rebon-
dir, comme le volant sur la ra-
quette, il semblait, en frappant les
planches, aller se perdre dans les
frises; ce qui faisait dire plaisam-
ment à son père : « Si Auguste ne
« reste point en l'air, c'est pour ne
« pas humilier ses camarades. » De
plus il avait porté la pantomime îj un
degré de perfection qu'elle n'avait
encore jamais atteint et qui n'a pas
été dépassé, de sorte, qu'aux yeux
de tous, il resta le maître du genre,
lors même que, comme danseur, il
eût trouvé des rivaux tels que Laho-
rie, Deshayes, Didelot, ou même un
vainqueur, si vraiment Dufort mé-
rite ce nom, que s'est hâté peut-être
un peu trop de lui donner Berchoux
dans son poëme de la Danse ou
lea Dieux de l'Opéra. Outre ses
émoluments à l'Opéra , Auguste
Vestris utilisait parfois des congés
que ne lui refusait pas l'adminis-
tration. Son voyage de 178U fut
particulièrement fructueux. Malgré
les sommes énormes qu'il gagnait,
trop souvent, il était à court ou aux
expédients. Dans les premières an-
nées suriout(iui suivirent sa promo-
tion k remj)loi de premier danseur,
croyant sans doute, parce que son
fixe et ses feux lui valaient de huit à
dix fois au iant que les maigres hono-
raires du simple danseur, sa caisse
inépuisable, il menait la vie à
grandesguidesetdépensait en grand
seigneur, l'argent des autres en
même temps (|ue le sien. C'est U
cette occasion que Vcsiris le père, ri-
gide sur l'honneur (et doal , au reste ,
VES
la maison était admirablement tenue
par son frère le cuisinier), s'écriait,
pour couronner ses reproches :
«Vois-tu, Auguste, je ne veux point
de Guéménée dans ma famille! »
C'était le moment où le prince de
Rohan-Guéménée venait, au grand
scandale de tout ce qui pensait
noblement, de ruiner des centaines
de familles par une banqueroute
de plusieurs millions. Sous bien
d'autres rapports encore, Auguste
Vestris aurait fait sagement de
suivre les inspirations paternelles.
Il ne se bornait pas comme son père
à vénérer l'art, il en avait l'infatua-
tion en y mêlant celle de son indi-
vidualité propre. Il lui prenait
fréquemment les plus grotesques
accès d'orgueil. Le roi et la reine
de Suède, étant venus à Paris en
1789, il refusa péremptoirement,
en dépit des instance» qui lui fu-
rent faites, de danser en leur pré-
sence. En vain son père, avec le
bon sens et le savoir-vivre qui le
caractérisaient, lui répétait, se
plaçant sur son propre terrain :
« Voyons, Auguste, la reine a fait
son devoir^ elle t'a prié..., fais le
tien, danse. » L'opiniâtre artiste
tint bon, prétextant un mal de
pied subit... Il venait de gam-
bader, plus leste et plus frais que
jamais, dans le foyer. L'esclandre
fut énorme. Le grand - vizir de
l'Opéra, baron de Breteuil, l'en-
voya au For-l'Evôque. 11 fallut
(juc Vesiris remuât ciel et terre,
suppliât, importunât le baron et
lui déclaîâl qu'il mourrait si Au-
guste ne lui était rendu, pour que
le captif, nous ne disons pas lui
fût rendu sur-le-champ, mais vît
réduire le temps de sa peine.
On ne sera pas très-surpris que
longtemps, enfant gâté du succès,
aussi léger au moral qu'au phy-
VES
sique, vain, comme nous TavoDs
dépeint, irascible et tout de feu,
fort bien enfin de sa personne, il
ne se soit jamais beaucoup piqué
d'être bon mari. Sa femme, Anne-
Catherine Augier, très - jolie et
svelte personne, née en 1777 et
qui débuta en 1793 à l'Opéra,
sous le nom d'Aimée , l'avait
épousé par inclination , et quelque
temps l'inclination avait été par-
tagée. Un jour vint pourtant oî se
riant des
Non più andeai farfalloue amoroso
thème favori de sa femme, Auguste
reprit ses allures de papillon vo-
lage. La douce artiste n'eutd'abord
que de vagues soupçons, puis des
probabilités, puis des certitudes :
elle avait passé par degrés des
premières appréhensions aux
pleurs amers , aux spasmes de
la jalousie ; elle s'exalta presque
jusqu'à la lolie, et se porta deux
coups de poignard. L'on s'aperçut
assez à temps, il est vrai, de son
hémorragie pour poser un appa-
reil sur ses plaies, et pour le mo-
ment on lui sauva la vie, mais elle
ne recouvra jamais la santé ; elle
dépérit des suites de tant de se-
cousses et mourut de langueur, en
1809:- elle n'avait que trente-deux
ans. Auguste Vestris en avait alors
très-près de cinquante. 11 en passa
encore sept à l'Opéra d'où suc-
cessivement soit par mort, soit
par expatriation volontaire, il vit
disparaître tous ses rivaux. Satis-
fait d'avoir ainsi repris possession
de ce sceptre de la dantie qu'il
avait porté si longtemps , et ne vou-
lantplus s'exposer îi se le voir ra-
vir par de jeunes talents, en ISIG,
il demanda sa retraite. Il comptait
alors quarante années de services
dont, comme nous l'avons dit,
LXXXV
VES
337
trente-six à titre de premier sujet.
Sa requête fut accueillie, et la
représentation pour sa retraite fut
à son bénéfice. Il ne se laissa du
reste pas oublier, quoique à la
retraite. Nous le retrouvons , de
1819 à 1820, professeur de grâce
et de perfectionnement au Con-
servatoire. Il faut avouer qu'on ne
pouvait mieux choisir. En 1826,
Taministration de l'êpéra lui fit
encore la galanterie de donner une
représentation à son bénéfice, et
il y parut dans le rôle du nègre
Domingo de Paul et Virginie. Ce
fut sa dernière apparition sur la
scène ; il avait dépassé de six ans
la soixantaine, celui dont on avait
salué le début dans la chaconne de
la Cinquantaine , et les applaudis-
sements des pelits-fils faisaient
écho, en quelque sorte, aux bravos
des aiwils. Il survécut seize ans
encore à cette curieuse solennité,
sa mort n'ayant eu lieu qu'en 1842.
— Les annales de l'Opéra présen-
tent encore deux autres Vestris,
tous deux de la même dynastie
d'artistes, mais qui n'y figurèrent
pas longtemps. L'un, Auguste-Ar-
mand, était le fils, l'autre, Charles,
était le neveu de celui qui fait
l'objet de cet article. L'un et l'autre
avaient été ses élèves, l'un et
l'autre, mais surtout le second,
promettaient des successeurs re-
marquables il leurs père et aieul.
Auguste-Armand débuta le l"mars
1820 dans le troisième acte de la
Carafane;\c début de Charles §ut
lieu le 3 octobre 1809. Mais, une
fois leurs mérites reconnus par le
public parisien, cet aréopage de
l'Europe élégante, les deux cou-
sins, voyant la place occupée pour
longtemps à l'Opéra, prirent, sur
l'avis même de leurs grands pa-
rents, le parti d'établir leurs pé-
22
^38
VÈV
veV
na'tèsà l'elranger. Auguste-Armand
passa les Alpes, Charles ne fran-
chit que le Cliennai (vers IsiS) et
lut, pendant de longues années,
premier danseur à l'Opéra-Gomi-
que de Londres. Val. P.
VEYRAT (PiEuuE-IluGUKs), un
des plus recomiiiandables inspec-
teurs qu'ait possédé l'administra-
lion de la police,, avait Genève
pour patrie. Né en 1756, il avait
été longtemps négociant en horlo-
gerie cl joaillerie lorsque la révolu-
tion éclata en France. La Suisse en
ressentit le contre -coup, et le com-
merce de luxe surtout se vit subi-
tement paralysé par la suppression
d'un de ses principaux débouchés.
Veyrat, après avoir iongteirips lutté
contre ce qu'on j)eut nommer la
force majeure, céda la suite de
ses affaires et vint chercher for-
tune à Paris. Ses efforts ne furent
pas absolument infructueux, et, ad-
mis avec un humble titre dans les
bureaux de la police, dos 1795,
il devenait inspecteur général, et
bientôt son instruction, son habi-
leté qu'accompagnait une honora-
bilité sans tache, furent comme
proverbiales dans radroinisiralion.
Tout appréciateur compétent eut
cru qu'en tout état de cause , et
.sous quelque gouvernement que ce
fàl, Veyrat, aux yeux de (jui l'uni-
que devoir élaitde servir la France,
<iuel que fût le maître donné par
l;i Providence, devail être non
moins inamovible qu'irremplaçable.
Il n'en fut pas précisément ainsi :
pendant les vingt ans qui séparent
.sa proMiotion de sa retraite, il fut
cinq foi^ éloigné; mais, chaque
fois, au bout de peu de mois, ou
mcnio de peu de semaines, le be-
soin de sts lumières et de .son action
.se faisait sentir à tel point qu'il
faillit le rappeler. Bonaparte, dès
qu'il porta son attention sur Teii-
semble de la police, lui conféra par
décret spécial l'inspection spéciale
du qûalriëme arrondissement, dans
lequel Paris se trouvait compris.
Dans celte haute position, où toute-
fois le dominait uii chef non moins
redoutable que tous ses prédéces-
seurs , Veyrat, sévei-e et ferme,
mais plein de tâci et de hiesuré,
mérita constamment la reconnais-
sance des victimes dés troubles, en
usant de modération aussi souvent
que sa modération n'offrait aucun
danger, et plus souvent certes que
ne ï'àiirait jugé à propos Fouché
laissé à iiji-même. Il iie mérita
pas moins bien du maître en met-
tant constamment la conciliation à
la place des rigueurs impolitiques.
Cette ferrfletéjointeàl humanité qui
ne l'abandonnait jamais, la plèbe de
Paris en eût la preuve au 31 rriars
1814, et la capitale lui dut d'être
préservée du si)eclaclé d'un crime
dont !a honte aurait ruj ail li sur elle.
Deux officiers russes, un peu trop
pressés de venir visiter les rués dé
Paris, s'élaieni lancés plus que té-
mérairement à l'intérieur de la ville,
mais bientôt avaient été environnés,
renversés, dévalisés, garrottés...
Trois minutes encore, et s'ils sa-
vaient nager , ils eusseht eii k
déployer leur talent daris la
Seine. Les cris par lesquels il.<;'in-
voquaient la capitulation n'exci-
taient que la fureur des uns et
le rire des autres. Tout à coup
Veyrat arrive, feint de s'inforiiler
(il savait parfaitement ce qui se pas-
sait), réclame les deux imprudents,
et, par un geste rapide que les
émeuiiers n'ont pu prévenir, s'en
empare, les remet à ses agents qui
l'ont rejoint au galop, déclare à
la foule, interdite et incertaine,
qu'ils sont désormais sous la garde
VÈY
dé l'honneur français, et dans tous
les cas, sous la sienne , puis, com-
me enfin leilt" proie leur est échap-
pée et qu'àHen ne servirait de vou-
loir la ressaisir, il profite de leur
stupéfaction du moment pour leur
faire (entendre la voix de la sagesse,
(Calme ainsi l'orage par degrés, et
enfin fait arrêter quelques récalci-
ti^nts qui grondent eilcoré. Les
Moscovites l'avaient échappé belle ;
Veyrat avait en même lempi rempli
son dévoir, sauvé des fous et prou-
vé qu'en France, alors môme que
l'indignation a pu iiiônter à son
t)ai^6xysme, la générosité demeure
encore et l'emporte. La conduite
de Veyrat fut encore remarquée en
une autre occasion, ei fut louée,
non-seulement par les légitimistes,
mais par les esprits impartiaux de
toutes les nuances. Les circons-
tances, du reste, n'offraient pas de
difficultés graves, et nous ne pré-
tendons en aucune façon les com-
parer à l'anecdote du 31 mars
18l4. Nous voulons parler de l'af-
faire Fauche-Borel, en 1816. On
sait quellfe accusation vint k dé-
cocher uri jour contfë un des fidè-
les servants de la cause, par lui
si platement trahie, I^erlet, cet ex-
commis - libraire ignare , après
avoir simulé le journaliste, après
avoir profité de la folle confiance de
Louis XVlIl et de quelques émi-
grés en Angleterre, pour leur ten-
dre des pièges, après avoir été
l'espion de la police impériale,
(c'est-à-dire de Veyrat lui-même)
près des autres libraires ses con-
frères. Veyrat fut un des té-
moins appelés. Sadéposition nette,
exacte, feime, sans passion, mais
sans rélicence, o(i vibrait l'accent
de la vérité, produisit un effet
sans égal. L'acte d'accusation ne
sUbsistiilt plus, les plaidoiries dii
"(
EY
339
défenseur devenaient superflues;
Perlet, démasqué, s'évanouit com-
me par enchantement. C'est peu
de temps après cet épisode qui
fixa sur lui les yeux, et qui dé-
montra que tout n'est pas taré
dans ces ténébreuses régions de
la police, c'est en 1817, que Vey-
rat demanda et obtint sa retraite.
Il était plus que sexagénaire alors.
Il pouvait, si les interruptions du
service n'étaient pas trop judaïque-
raent supputées, arguer de quelque
vingt ans de service. Il fut traité
selon ses désirs. Il survécut vingt-
deux ans encore à cette fin de sa
carrière active et ne mourut qu'en
1839. Son fils, François Veyrat,
qu'il avait fait entrer dans son ad-
ministration, y fut, ainsi que lui,
inspecteur général, mais seize ans
seulement; et quand il dit adieu à
la police, se fil commerçant, finis-
sant par où son père avait com-
mencé.
Un autre VEYRAT (J.-P.) n'est
connu que comme homme de let-
tres. Il acquit un moment de no-
toriété, lorsque, la Némésis ayant
cessé de paraître, il crut pouvoir
remplacer l'absent , prétention
qu'au reste un autre au moins eut
comme lui. L'œuvre de Veyrat a
pour titre : l'Homme Itouge, salive
liebdomadairey else compose de 2"!
livraisons de 8 pages chacune, à
partir du 31 mars 1833. 11 faut y
joindre 48 pages iu-8', et les lla-
liennes, poésies politiques deCamille
Sainl-Htiènc, Paris, 1832; et un
autre morceau de la dimension a
jicu près d'une double livraison
de « VUommc Routic «, A sa Ma-
jesté le roi de Sar daigne, de Chypre
et de Jérusalem, duc de Savoie,
prince de Piémont, Paris, 1838, IG
pag. in-8'. Ou doit de plus à
Veyrat trois vaudevilles, plus un
oUO
VEY
drame-vaudeville , plus une folie-
vaudeville. Il mourut en 1844.
Val. p.
VEYSIE (Daniel), théologien et
grammairien de quelque renom,
natif du comté de Devon, suivit les
cours de haut enseignement à TU-
niversité d'Oxford, prit ses grades
de maître ès-arts et de docteur, en
1783, et finit par obtenir le rectorat
de Plymtrée, ce qui lui fut d'abord
agréable, parce que c'était à peu près
son pays. Mais il ne tarda pas à s'a-
percevoir qu'il n'est pas facile d'être
pro|)hcte en son pays. Ses parois-
siens, tout ses compatriotes qu'ils
fussent, le trouvèrent un peu strict,
et ensuite un peu rapace dans la
levée de ses dîmes, si bien qu'ils
en vinrent à les lui contester. Un
procès s'engagea : il fut fort long,
il y eut appel et réappel, des années
s'écoulèrentavant qu'enfin laCham-
brc des lords y mît un terme par
son arrêt. C'est le décimaieur qui
l'emporta. L'animosité des conten-
dants avait attiré sur l'affaire cer-
taine attention, et par suite avait
valu certaine notoriété à Veysie,
qui d'ailleurs maniait la parole et
surtout la plume avec facilité. L'on
a de lui des sermons, des ouvrages
de controverse et un autre livre
encore. Les sermons ont pour titre:
i" La Doctrine de saint Jean et la
foi des premiers chrétiens, Oxford,
ITîil, in-8". (L'auteury touche, ou
plutôt y « frise, » qu'on nous par-
donne la familiarité de l'expression,
celle grave question : « l'identité
du Messie et du Verbe fit-elle par-
lie des croyances primitives de
l'Eglise? fut-ce une idée juive d'o-
rigino, ou ne se produisit-elle
qu'après le contact des apôtres
juifs avec les gentils, du messia-
nisme avec le platonisme? Faut-il
la faire remonter à saint Paul , en
VIA
y voyant le caractère dislinclif de
l'école de saint Paul, par opposi-
tion à l'école de saint Pierre? »)
2° la Doctrine de l'exinalion (huit
sermons qui se font suite et qui
tous furent prononcés aux séances
dites Bampton Lectures), Oxford,
1791, in-8''. Les ouvrages de con-
troverse sont au nombre de trois :
1° Examen de l'hypothèse de Marsh
sur les trois premiers évangiles ca-
noniques, 1808, in-8°. (On voit assez
que le traité doit être mis à côté du
premier sermon); 2° Préservatif
contre lesocinianisme, 1809, in-8°;
3° Défense du préservatif contre
VUnitarisme en réponse à L. Carpen-
îer,prédicateurdecettesecteàExetcr,
I8l0,in-18". En dehors de ces tra-
vaux, tous essentiellement afférents
à son ministère sacré, l't-ndoitaussi
à Veysie une Dissertation grammati-
cale sur r article prépositif grec
(1810, in-8"), qui décèle, en même
temps qu'une connaissance assez
profonde de la langue de Thu-
cydide, l'acuité du coup d'œil et
l'aptitude aux études de grammaire
générale. L. C.
VIAL (Honoré), général fran-
çais, natif d'Amibes, avait reçu le
jour en 1766. Antérieurement à
la révolution, il figura sur les ca-
dres de la marine. L'imminence
des guerres dont nous menaçait la
coalition européenne en herbe
dès 1701, et l'immense carrière
dont elle laissait entrevoir la pers-
pective, le détermina de bonne
heure à se rapprocher de l'armée
de terre. Il était, en 1702, attaché
au ving-sixième d'infanterie de
ligne , en quelle qualité, nous
l'ignorons; mais bientôt il rece-
vait l'épaulette de lieutenant, et,
dirigé sur la Corse, il prenait part
k la défense de Bastia. De cette
île il passa, en 1794, à l'armée de
VIA
VIA
3A1
Hollande comme officier d'état-
major, et il fit preuve détalent non
moins que d'ardeur guerrière ù la
prise du fort de Harlem. La récom-
pense ne tarda point à couronner
sa bravoure : dès le mois d'octobre
suivant (exactement le 23 vendém.
de l'an II1\ il était nommé capi-
taine an premier régiment de cava-
lerie. Traversant rapidement en-
suite les grades intermédiaires,
tous conquis par quelque service
ou quelque action d'éclat, il se trou-
vait adjudant général au commen-
cement de cette fameuse campagne
de 1796 qui commença l'ère des
prodigieuses et longtemps inces-
santes victoires et conquêtes. H
eut le bonheur d'être désigné pour
l'armée d'Italie. Entre autres
preuves d'intrépidité qu'il y donna,
on le vit , le i G novembre (2G brum .
an V), au milieu des manœuvres
préparatoires de la giande journée
d'Arcole, après le passagedel'Adige
à Ronco, et quand il fut avéré que
la vivacité du courant ne permet-
tait pas de fixer les fascines, à l'aide
desquelles le général en chef lui-
même avait compté qu'on pourrait
franchir l'Alpon (vulg.-irement on
dit le canal) qui, bordant le village
d'Arcole, empêchait de le tourner,
on le vit, disons-nous, s'élancer
dans cette rivière, ayant de l'eau
jusqu'au cou, et à l'effet de la pas-
ser à gué, donner l'exemple à la
colonne, en tête de laquelle il
marchait: personne, il est doulou-
reux de l'avouer, ne se sentit de
force à le suivre, et il fut obligé,
après de vaines incitations, de
revenir sur ses pas. Malgré l'in-
succès de celle courageuse en-
treprise, Bonaparte lui sut gré
de son élan , et le lui témoignu
sur-le-champ en le nommant gé-
néral de brigade. C'est en celle
qualité que Vial eut part à la
bataille de Rivoli, qui signala
le commencement de l'année sui-
vante, et qui, livrée par d'AIvinzi
pour faire lever le siège de Man-
loue, eut pour suite de rendre
mathématiquement certaine et
prochaine la reddition de la place.
Elle capitula en effet quinze joui's
après (le 30 juillet 1797;; il y dé-
ploya le môme entrain que devant
Arcole, et non content de s'être
multiplié sur le champ de bataille,
il se siguala encore plus dans la
poursuite. Les Autrichiens, en se
décidantàla retraite, avaient compté
arrêter les vainqueurs aux gorges
de Callione, qu'ils avaient cru
transformerenun poste inexpugna-
ble, en en augmentant considérable-
ment les défenses. Vain espoir!
quand ils les atteignirent, déjà les
Français les avaient emportées, et
Vial qui les poursuivait, les refou-
lant sur Trente, entre dans celte
ville en même tem|)s qu'eux, puis
les en chassant immédiatement, fa-
cilite au général Joubert la prise
de leurs magasins, qu'ils n'eurent
pas le temps d'évacuer, et de leurs
hOpilaux, qui ne contenaient pas
moins de deux mille blessés ou
malades : lui-même, il poussa jus-
qu'aux rives de l'Arisso, et leur
lit huit mille prisonniers. Deux
mois après,quandraii;hiduc Charles,
envoyé pour remplacer d'AIvinzi,
comme d'.Vlvinzi avait remplacé
Beaulieu, venait de voir deux de
ses colonnes battues aussi, l'une
entre Klagenfurlh etVillach, l'autre
sur le Lavis, Vial gêna considérable-
ment les mouvements de l'ennemi
qui, franchissant lehaul Adige après
sa défaite, avait résolu de s'y dé-
fendre et de se retirer à Boizen
(Bolzano), s'il était force : il s'ctait
emparé, lui, du; pont de Neumarck,
3/i2
VIA
et avait pareillement passé TAdige,
pour empêcher les. Autrichiens de
lilersur Boizen. Il n'y parvint pas
seul ; et si le général Dumas, en se
jetant k la tète de sa cavalerie
dans le village de Tramin, n'eût
déterminé la déroute de leurs an-
tagonistes communs, l'avantage se-
rait probablement resté douteux.
Mais enfin c'est lui, c'est sa ma-
nœuvre savamment conçue et con-
duite qui mit les Autrichiens dans
la nécessité de tenter le passage
par les armes, puisqu'il avait su
s'emparer des issues; et sachant
que d'autres Français étaient à
portée, il avait bien droit de comp-
lersur la coopération décisive qu'ils
-•q)portèrent k la réussite de son
plan. C'est donc ^ juste litre à
lui, non moins qu'k Dumas, et même
lin peu plus qu'il Dumas, que doit
être attribué le succès de Tramin
(22 mars 1707, 2 germ. ;in V). Le
commencement de l'anné/^ suivante
(1798, niv. an VI) le vit chargé
du commandement de Rome, à la
suite du tumulte au milieu duquel
avait péri le général Duphot, vic-
time du zèle avec lequel il défen-
dait l'inviolabilité du palais de
l'ambassade française.Vial lit preuve
en ce poste difficile d'autant de
tact que d'énergie: les deux qua-
lités étaient de même nécessité. II
n'y resta cependant que jusqu'au
moment de l'expédition d*Égyptc.
Son ancien général en chef tint ii
l'avoir près de lui et l'emmena. Il
combattit aux Pyramides, il con-
tribua au gain de l'affaire devant
Chouarii (20 septembre 1708, qua-
trième jour complémentaire de
Tan VI), il enleva l'admiration et
les éloges de tous par sa conduite
au siège infructueux do Saint-Jean-
d'Acre, notamment les 20 et 30
mars, les 7 et 1Î5 avril 1798 (6, 10,
VIA
IS, 26 germ. an VU), lors des vi-
goureuhes sorties de l'ennemi. Il
fut de ceux qui restèrent en Orient
après le départ dyi général en chef,
et quoique le? lauriers alors de-
vinssent plus rares que les périls
et les épreuves, il y moissonna du
moins de la gloire jusqu'à son em-
barquement pour la France, qu'il
revit le 15 brumaire an IX. Le
26 floréal an X, le premier consul
le nommait piénipotentiaive près
Tordre de Malle. Il y réunit le
titre d'ambassadeur près la répu-
blique helvétique, intérim lucra-
tif, mais non bague i)u doigt, comme
tant des légations et cons.ulats de
nos jours. La diplomatie cependant
ne le rendit point inlidèle àl'épée,
ou plutôt l'empereur (ce n'est plus
le premier consul que nous devons
dire) s'aperçut qu'il pouvait lui
rendre encore plus de service en
campagne que dans les catacombes
d'une chancellerie. Il le rendit
donc à l'atmosphère militaire, aux
bivouacs, aux charges brillantes.
Austerlilz, léua, Friedland, le vi-
rent agir avec la même inlréjûdité
qu'aux jours d'Arcole et des Pyra-
mides. Vint entin la période des
calamités: Vial dans ces nouvelles
épreuves se montra ce qu'il avait
toujours été, le premier au danger,
le dernier à la retraite : il périt à la
bataille de Leipzig, en y donnant
l'exeuiple du plusbeau dévouement.
Z.
VIAINÎNEY (1) (Jean-IUptiste-Ma-
rie), a joui, même pendant sa vie,
d'une si haute réputation de sainteté,
(pi'il faudrait peut-être remonter à
Saint-François d'Assise ou à Saint-
(1) Nous croyons suivre ici l'ortho-
graphe de son nom, qu'on a écrit de
différentes manières.
VIA
Bernard, pû\ir trouver un homme
qui ait é(é placé aussi haut dans
l'opinion, et qui ait reçu des preu-
ves aussi nombreuses de vénération
et dç confiance. Ajoutons que,
par un privilège presque unique,'
cette réputation si méritée n'a |^oiut
été altérée par ces soupçp^is, ces
alternatives dont la vertu la plus
solide n'est pas toujours exempte.
Né le 8 mai 1786, au village de
Dardilly, aujourd'hui du départe-
ment du Rhùne, le jeune Vianney
passa ses premières années h garder
les troupeaux. Ses parents, simples
cultivateurs, rélevèrent dans Va-
mour et la pratique de la religion;
il répondijit si bien à leurs soins,
que. dès l'ûge le plus tendre, il
montrait une grande inclination à
la piété et même à l'amour de la
.solitude. Inquiète, un joqr, de son
absence, sa mère le cherchait et fut
tout attendrie en le trouvant dans
la grange, agenouillé et Joignant
ses petites mains dans l'attilude de
la prière. Ajoutons, pour montrer
mieux son caractère et expliqi]cr ce
qu'il deviendra, que déjà aussi sa
piété envers la sainte Vierge se
manifestait par des actes qu'on voit
souvent dans les jeunes pnfants,m^is
qui avaient un caractère singulier :
en allant aux champs, il porlait avec
lui de petites images de Marie, les
plaçait dans le creux d'un arbre ou
les fixait à l'extrémité d'un bâton
(ju'il plantait en terre, et autour de
cet autel improvisé il réunissait ceux
de son âge, les prêchait sur la Ste^
Vierge et priait avec eux. Avec de
tels préliminaires, il fit sa première
communion dans les heureuses dis-
positions qu'on peut concevoir;
l'impression qu'il en reçut influença
le reste de sa \ie. A dater de ce
jour, il cessa, pour ainsi dire, d'être
un enfant. Dès lors, en effet, et tout
YIA
343
le temps qu'il passa encore dans
son village, il fut un modèle à la
maison, i^ l'église et partout. A Tâge
de dix-huit ans, il n'avait fait au-
cunes études, cependant il sentait
un grand attrait pour l'état ecclé-
siatiqiie, et souvent il demandait k
Dieu' la faveur de devenir prêtre :
cette faveur a été, en effet, accor-
dée J^ ses pieux désirs, à la pureté
de ses mœurs, à la religion de ses
parents qui secondèrent de tout leur
pouvoir sa vocation. Le curé de
Dardilly, frappé de la conduite de
son jeune paroissien , s'offrit pour
lui enseigner les premiers principes
de la langue latine. C'était, comme
on le voit, à l'époque où, l'exercice
de la religion devenu légal en
France, après le concordat, plu-
sieurs bons prêtres, sur les divers
points de l'empire, cherchèrent à
développer les vocations naissantes,
pour réparer les brèches que la ré-
volution avait faites au corps sacer-
dotal. Le jeune Vianney était desti-
né, dans le cours de ses études, à
des é[)reuves de plus d'un genre.
Il passa bientôt à l'école d'un an-
cien chartreux, qui lui apprit, avec!
les sciences humaines, la science
de la pénitence et de l'austéiité,
qui sont devenues le caractère dis-^
tinclif de toute sa vie. Ce chartreux,
si fidèle à l'esprit de son orilre, était
l'abbé Balley, curé d'Ecully, près
de Dardilly. Il reçut dans son pres-
bytère le bon jeune homme, (pii y
fnt heureux et semblait devoir V
faire toutes ses études ; mais ses
parents jugèrent ix propos de l'en
retirer pour le faire entrer au petit
séminaire de Verrières. Le bon re-
ligieux pleura en se séparant de
son élève, le benilet lui dit, comme
par une sorte de previsidii Mirnatu-
relle : « Allez, mon enfant, où Dieu
vou^ appelle , et puissiez-vous un
3A/i
VIA
jour revenir près de moi; c'est vous
qui me fermerez les yeux. » Yian-
ncy entra au séminaire de Verrières
en l'année 1807 et y fut tout de suite
un modèle admirable pour toute la
maison. Si sa conduite excita l'ad-
miration, elle amena aussi quelques
jalousies : un mauvais écolier fit de
de notre jeune homme l'objet de
ses railleries et en vint jusqu'à le
frapper; mais il ne lassa jamais sa
yertu.Vianney craignait davantage
une autre persécution, celle de la
conscription qui venait l'atteindre,
car il n'y avait point d'exemption
pour lui. Il allait terminer son cours
de latin, et sa vocation se fortifiait
de plus en plus; la voyant exposée,
il prit un parti, que je fais connaître
sans prétendre approuver ou juger
sa démarche... 11 crut devoir se ca-
cher et se réfugier dans les mon-
tagnes des Alpes! Aprèsune longue
course, il arriva près de Gap, au
village d'Eourrès, et fut reçu en qua-
lité de valet dans une ferme, sous
le pseudonyme de Jérôme. On a
comjjaré au .séjour de Joseph chez
Putiphar le séjour de Jérùme chez
le métayer d'Eourrès : il fit tout
prospérer dans celte maison par ses
travaux consciencieux et assidus;
le soir il donnait des leçons aux en-
fants de son maîlre, faisait à haute
voix une lecture pieuse qu'il expli-
quait ^ la famille attentive, et ter-
minait par la prière faite en com-
mun. Celte désertion, qui l'exposait
à tant de chances, ne fut pas très-
longue; l'enrôlement de son frère,
qui alla mourir dans la folle camj)a •
gne de Kussic, le rendit libre du
service militaire et de .sa personne.
Après avoir rempli pendant quel-
ques mois les fonclions d'institu-
teur dans le village desNoës, il en-
tra au grand séntinaire elful tonsuré
le i28 mai 181 l.Vianney n'avait pas
VIA
beaucoup de facilités naturelles ; ses
études, commencées tard, interrom-
pues comme nous venons de le voir,
ne le mettaient guère en état de
vaincre, en répondant, sa grande»
timidité. Pendant quelque temps,
les supérieurs du séminaire de
Lyon doutèrent s'il était capable
d'être admis aux ordres. Le bon
jeunehomme supporta cette épreuve
avec soumission, mais ne se décou-
ragea point; il redoubla d'applica-
tion li l'étude , et il s'adressa à la
sainte Vierge pour obtenir la grâce
d'apprendre et de réussir. Sa con-
fiance fut récompensée : un prêtre
éminent, voyant la solidité de juge-
ment et surtout l'angélique vertu
deViaimey, réponditde sa vocation.
Vianney futdonc admis; et, à l'ûge
de trente ans, il reçut la prêtrise,
le 9 août 18 15. On avait mis la con-
dition qu'il ne confesserait per-
sonne, exception fort rare de nos
jouis. Nous allons voir bientôt si la
Providence en avait disposé ainsi sur
son futur ministre. Le bon char-
treux, qui avait assisté avec tant de
bonheur et d'édification î'i la pre-
mière messe de son ancien élève,
le demanda et l'obtint pour vicaire
à Ecully, où Vianney, après quelque
temps, l'assista à la mort, comme
Dom Bdlley le lui avait prédit onze
ans auparavant. Les habitants d'E-
cully, enchantés de leur vicaire, dé-
siraient l'avoir pour pasteur , et le
voyant nommé ailleurs, ils allèrent
le supplier de consentir à une dé-
marche qu'ils voulaient faire, dans
ce dessein, auprès de l'autorité dio-
césaine. H répondit avec modestie;
que la paroisse d'EcuIly était trop
importante pour ses faibles talents,
et que d'ailleurs la volonté de son
évoque était pour lui un ordre du
ciel. Pour épargner do pénibles
adieux, il partit au milieu de la
VIA
VIA
3/i5
nuit et se rendit à Ars, cure qui
lui était assignée. Ars est une petite
paroisse de 400 habitants, située
sur le versant d'un coteau, dont le
pied est arrosé par la Saône. Elle
est dans le département de TAin,
arrondissement et canton de Tré-
voux, aujourd'hui du diocèse de
Beiiey. Sa distance de Villefranche
est de huit kilomètres; elle esta
trente-cinq kilomètres de Lyon.
L'abbé Vianney y fut installé en fé-
vrier 1818. C'est dans ce lieu jus-
qu'alors inconnu, mais rendu par
lui si célèbre, qu'il passa toute sa
vie dans l'exercice des actes édi-
fiants dont je vais donner quelque
connaissance dans le reste de cet
article. Vianney s'aperçut bientôt
qu'il avait à défricher une terre in-
grate et négligée : les sacrements y
étaient abandonnés, et il y avait une
i.^norance générale. Quoique petit,
levillage était peuplé de cabarets
où les habitants employaient au jeu
et à la débauche la partie du di-
manche qu'ils ne donnaient point
à destravauxdéfendus. Le nouveau
curé mit la main h. l'œuvre avec
énergie; comprenant que la source
du mal était le défaut d'instruction,
il ouviit pour les adultes un cours
de catéchisme, qu'il sut rendre in-
téressant, et il eut le bonheur de
le voir suivi et fructueux. Ne j)0U-
vant entrer dans le détail de tout
ce que lui inspirait son zèle, je vais
me bornera citer quelques faits. A
la fête patronale, celle de Sainl-
Sixle, le 0 août, les habitants étaient
dans la coutume de déserter l'église
el de passer la journée dans la
danse, rivrogneric el le liberti-
nage. Déjeunes niais, ridiculement
déguisés, se présentaient dans cha-
que maison, escortés de musiciens,
et faisaient une quête dont ils con-
sacraient le produit à de malhon-
nêtes amusements. Ces désordres
étaient reproduits k Ars quatre fois
dans l'année, car ils avaient lieu
aussi le jour de Saint-Blaize, 3 fé-
vrier, le premier jour de mai et le
mardi gras. Le nouveau curé, qui
fut toujours ennemi de la danse et
finit parl'abolir, eut recours, le jour
de Saint-Sixte, à un stratagème bien
simple et qui réussit néanmoins à
une époque où il avait assez d'in-
fîuence, et qui n'aurait pas le même
succès dans tous les tempi et dans
tous les pays. Les hommes s'étaient
promenés, musique en tête et avec
des rubans à leurs chapeaux. Si
tout s'était borné à cela, assuré-
ment le curé n'aurait rien dit, mais
il condamnait les suites : « Je crois,
dit-il en chaire, le dimanche sui-
vant, que les hommes de ma pa-
roisse sont mécontents de leurs
femmes et qu'ils veulent se vendre,
car ils avaient des rubans à leurs
chapeaux comme les domestiques
qui, un jour de marché, veulent se
louer. « Cette plaisanterie, qui mit
les rieurs contre les promeneurs,
produisit son etîet sur eux et sur
les autres. — Un aubergiste était
chargé des préparatifs de la voque,
nom bizarre donné au bal dune
fête du lieu. — Le curé, par l'inter-
médiaire d'un paroissien, lui fait
demander ce qu'il espère gagner
de cette vogue, et l'aubergiste rap-
pelle le chiffre des années pu-cé-
dentes. — Eh bien ! dit le visiteur, si
on vous assurait relte somme, em-
pêcheriez-vous que l'on fil la vogue
cette année? Sur sa réponse affir-
mativ«\ M. Vianney donna l'argent ;
l'aubergiste déconvia les musiciens,
la vogue n'eut point lieu à Ars celte
annéo-là, ni même dans la suite,
car les jeunes gens, qui comnieu-
çaient à comprendre el à étudier
leur pasteur, ne firent aucune dé-
346
VIA
marc}]p pour rétablir la fêle. Di-
sons d'ailleurs tout de suite que
l'influence acquise par le pasteur
sur le troupeau eut, comme le reste,
quelque cl^ose d'extraordinaire ,
sinon de miraculeux. 11 a amené
son Yjllage H n'aypjr plus de caba-
rets, et on n'y trouve que quel-
ques auberges convenables pour
recevoir |es pplerjns, qui y vien-
nent de tous cOlés. Les habitants
devinrent unis comme une famille,
et la plqs grande partie assistait
tpus les jours à la messe, et même,
le soir, à la prière commune, que
précédait la récitation du chapelet.
L'église était restée presque à l'état
de dénûment où l'avait mise la
révolution de la fin du dernier
siècle; Viannoy,par ses sacrifices,
secondé ^ussi par les dons de quel-
ques personnes généreuses, et sur-
tout de M. le marquis d'Ars, qui
voulut voir de près si les qualités
de ce prêtre répondaient à sa ré-
putation , parvint à la réparer à
rpxlérieur et 4 l'enrichir à l'inté-
rieur. Pî^r les mêmes moyens, ce
pauvre curé ç|e village est parvenu
à établir dans sa paroisse une mai-
son de Frères pour l'instruction
des jeunes garçons ; une niaison
dite la Providence, où jes jeunes
filles pauvres sont nourries, ha-
billées, instruites, dressées au tra-
vail, et, ce qui est encore plus
su.j,renant dans sa position, une
communauté de missionnaires. Mais
une autre œuvre, complément de
cette dernière, qui surpasse tout
ce qu'on aurait pu attendre de
Vjanpey, est celle de quatre-tingt-
dix missions, qu'il a fondées dans
le diocèse de Bellcy, pour i-tre
prêchées, chaque dix ans, h per-
pétuité, dans les campagnes les
plus abandonnées. Les curés de
son ypisjnage l'invitèrent à évan-
VIA
géliser leurs ouailles, et il donna
plusieurs missions et retraites, qui
produisirent des fruits touchants
de conversion. Les pécheurs qu'il
avait rarpenés, les justes qu'il avait
affermi* dans ces exercices, conti-
nuèrent k venir le trouver jusqu'à
Ars, afin de profiter de sa pieuse
direction. Les personnes éprou-
vées par des tentations ou par le
malheur venaient df^mander se^
conseils et s'en retournaient con-
solées ou fortifiées. Plus tard, des
malades crurent devoir à ses
prières leur soulagement et mêmç
leur guérison. Le nombre des vi-
siteurs s'accrut quand le bruit se
répandit qu'il faisait des miracles,
et cette réputation de haiite sain-
teté se répandit de côté et d'autre,
et attira à Ars un tel concours de
peuple, qu'il fallut prendre des
moyens pour le seconder. L'admi-
nistration s'occupa d'améliorer les
chemins ; un service de voitures
s'établit, et depuis l'établissement
de la voie ferrée de Paris à Lyon,*
des prix réduits furent créés de
Lyon à Ars, et des omnibus cor-
respondaient à Villefranche avec
tous les trains. On a calculé que,
pendant vingt-cinq ans, le nombre
des étrangers attirés à Ars par l^
réputation du curé s'est élevé, en
moyenne, à cent mille chaque an-
née. Pour se faire upe idée de la
physionomie qu'avait prise le vil-
lage, il fç^ut savoir qu'un grand
nombre de ces étrangers séjour-
naient six, huit, neuf jours et même
un mois, pour y faire desneuvaines
et des retraites spirituelles ; qup
tous, excepté les prêtres, étaient
obligés a attendre au moins qua-
rante-huit heures avant d'arriver
h leur tour auprès de l'homme de
Dieu, et que la moitié des habitants
avaient transformé leurs maisons
vu
en magasins, où se vendaient cha-
pelets, médailles, livres pieux, et
surtout des portraits et des biogra-
phies de l'abbé Vianney. Ce bon
curé était partagé entre les dispo-
sitions de sa charité et de sa mo-
destie. 11 était heureux d'être utile,
mais son humilité souffrait de cette
affluence, et, pour la décourager,
il avait obtenu qu'aucun de ses
paroissiens ne tiendrait auberge,
inutile prépaution! Il fallut bientôt
tenir jusqu'à cinq hôtels constam-
ment occupés , sans compter un
nombre considérable de maisons
où Ton donnait seulement à loger.
Le plus bel ordre régnait ordinai-
rement dans cette multitude. Pour
ce qui concernait l'accès près du
curé, l'arrivée de chaque personne
déterminait son rang. Mais s'il y
avait des privilégiés, c'était sou-
vent les plus grands pécheurs. On
dit que le curé les distinguait quel-
quefois au milieu de la foule, et
les appelait lui-même. Cette invi-
tation imprévue a été pour plu-
sieurs un coup de foudre de la
grâce. Quelques-uns avaient été
conduits à Ars par des pensées
d'indifférence, de curiosité et même
de critique hostile , car on peut
croire que sur une telle af-
fluence il n'en pouvait être autre-
ment; il était rare qu'ils ne s'en
retournassent pas convertis. Pour
donner un tableau plus frappant
encore de ce qui se passait à Ars,
je vais, en quelques lignes, mon-
trer la conduite des pèlerins, car
on peut leur donner celle qualifi-
cation, et exposer un piécis du
règlement de vie du curé. Les
étrangers passaient la journée dans
l'église, et y restaient souvent jus-
qu'à une heure bien avancée de la
nuit. Quelques-uns, et je le sais
VIA 34f7
fait, quelques-uns ne se couchaîpfll
pas, de peur d'être devancés à 1^
por^e çle l'église, où, plusieurs
heures avant l'aurore, se pressait
une foule de péqitenls. Dans les
premières années, ces pénitent^
généreux restaient à l'air pour at-
tendre, mais le bon curé fit consr
truire un vestibule garni de sièges
où ils pussent attendre à l'abri du
mî^uvais temps. Si les fidèles mon-
traient (iu zèle et de la constance,
le bon curé n'en montrait pas
moins; qu'on en juge par ce prépis
de son règlement de la journée : il
se levait, siiivant la saison, à une
heure ou à deux heures après mi-
nuit. Dès qu'il sortait de son pres-
bytère, qui n'est séparé de l'église
paroissiale que par la largeur d'un
chemin , il était assailli par le§
étrangers, qui réclamaient la faT
veur de passer avant les autres,
par le motif qu'ils étaient là depuis
((uatre ou cinq jours. A son entrée
dans l'église, il trouvait la nef déj^
lemplie de femmes; les hommes
occupaient le sanctuaire ; ils ét^ipnt
toujours préférés et avaient leurs
heures réservées. Il faisait la prière
du matin à haute voix, puis entrait
au coiifessionnal, et là montrait pe
qu'il était dans l'ordre de la Pro-
vidence. On d't qu'il devinait en
quelque sorte l'état des âmes, et,
à la surprise du pénitent, il com-
plétait lui-même certaines confes-
sions que la honte laissait inache-
vées. A six heures tl demie, il
célébrait la messe qu'entendait
une assi'^lance nombreuse chaque
joui- comme le dimanche, puis il
bénissait divers objets que les
étrangers se trouvaient heureux
d'emporter aux quatre coins de la
France, et enfin, dans ce moment,
quelques personnes pouvaient ob-
le^ii' pe parole d'avis ou unp ré-
us
VIA
ponse sur une affaire douteuse.
Vers huit heures, rentré au pres-
bytère, il prenait son déjeuner,
composé de deux onces de pain
trempé dans une tasse de lait, et
aussitôt il retournait à son con-
fessionnal , qu'il quittait à onze
heures pour faire le catéchisme.
Quoique ce catéchisme fût fait avec
toute la simplicité de sa position
et de son instruction, avec une
voix si affaiblie, qu'elle était pres-
que insaisissable, l'auditoire était
comme suspendu à ses lèvres, et
cependant quelquefois, dans cet
auditoire, on voyait des person-
nages distingués, des magistrats,
des évêques, etc. Tant d'exercices
avaient pu exciter l'appétit du bon
curé, qui allait en effet prendre son
dîner, lequel consistait en une
nouvelle tasse de lait avec quel-
ques onces de pain ! Sa récréation
consistait à dépouiller son courrier,
et il recevait des lettres de tous
les pays; il en a reçu jusqu'à trente
ou quarante dans un jour. Sa mo-
destie l'a porté a les détruire pres-
que toutes! Elles eus.sent été les
meilleurs mémoires pour sa vie
apostolique, car on le consultait
sur toutes sortes de difficultés; on
l'interrogeait sur toutes sortes de
matières : une agitation de con-
science, une affaire de famille, une
vocation, etc. ; il chargeait le plus
souvent un de ses auxiliaires de
répondre pour lui. Vers une heure,
il iiilail visiter sa maison des Sœurs,
ou celle des Frères, ou celle des
missionnaires, qu'il avait fondées
pour seconder son ministère à Ars.
Il consacrait aussi un quart d'heure
à se di'iionrdir, ainsi nommait-il
l'indispensable délassement qu'il
prenait dans une conversation
agréable par son angélique gaité.
Après ces courts instants de dis-
vîl-
traction, il récitait la suite de son
bréviaire, visitait les malades de
sa paroisse, s'il y en avait, puis
rentrait au confessionnal où il res-
tait jusqu'à la nuit, excepté qu'il
en sortait encore momentanément
vers cinq ou six heures, pour ré-
citer publiquement le chapelet et
la prière du soir. 11 rentrait ordi-
nairement chez lui à neuf heures,
restait absolument seul dans sa
chambre jusqu'à onze heures, et
alors il se couchait. Cette vie si
uniforme, déjà par là même si mé-
ritoire et si saintement occupée,
est celle qu'il a menée pendant de
longues années dans la petite pa-
roisse d'Ars, qu'il a rendue à ja-
mais célèbre. Voilà quelle fut la
vie ecclésiastique de celui qu'on
n'avait reçu aux saints ordres qu'à
la condition qu'il ne confesserait
personne, et il confessait plus de
pénitents qu'aucun prêtre de France
et peut-être de tout l'univers! Le
talent qu'il avait de toucher les
âmes et même de les éclairer, ne
pouvait venir que d'un don gratuit
et de la grâce, car il n'avait guère
le temps de réparer le défectueux
de son instruction, si je puis m'ex-
primer ainsi, et ses moyens natu-
rels étaient très-bornés. Lui-même
reconnaissait et avouait avec sin-
cérité et modestie son peu de sa-
voir. 11 pouvait, dans les deux
heures de solitude absolue qu'il
passait dans sa chambre avant de
se mettre au lit, se livrer à la lec-
ture, et on a su du moins qu'il
avait de l'attrait pour la lecture de
la vie des saints dans les BoUan-
distes. Une pieuse femme voulut
le servir lorsqu'il arriva à Ars;
mais, voyant son genre de vie, elle
le quitta au bout de huit jours, di-
sant qu'il n'avait pas besoin de.
servante. Ses paroissiens lui four-
VIA
3/i9
nissaient son austère ordinaire, et
vraisemblablement quelqu'un fai-
sait son modeste ménage. Surpris
par une visite inattendue de l'évê-
que de Belley, il fut fort embar-
rassé, et voulut, en exprimant sa
reconnaissance et ses excuses, se
mettre en étal de traiter de son
mieux le premier pasteur. Celui-ci
n'y consentit jamais, et voulut ab-
solument partager avec lui sa ra-
tion de lait et son pain grossier,
sans qu'on changeât ou qu'on
ajoutât rien. Les curés du canton
de Trévoux se résignaient à cette
maigre pitance , en voulant une
fois, pour lui faire pièce et mettre
son hospitalité à l'épreuve , se
donner la récréation de fixer le
lieu de réunion de la conférence
théologique dans son presbytère.
Quelle fut leur surprise en trouvant
un (lîuer largement et délicatement
servi, dont il fit les honneurs avec
une grâce toute cordiale I On a
écrit que ce fut peut-être le seul
jour où le foyer du presbytère
sentit un peu de feu. On voit, dans
cette phrase exagérée, l'idée qu'on
avait de l'ordinaire du pieux curé.
On l'avait obligé , à la fin , de
prendre un peu de viande. Les
choses étant ainsi, il est vraisem-
blable que son vicaire ne parta-
geait point sa demeure. Quand il
paraissait dans les rues de son vil-
lage, les étrangers quittaient tout
pour le voir. Voilà le 6ain( qui passe !
disait-on; on se pressait sur ses
pas , on l'environnait de toutes
parts, de sorte qu'il avait peine à
marcher. Un homme le suivait en
étendant les bras pour le protéger
contre l'empressement parfois im-
portun de la multitude. Cela ne rap-
pclle-t-il pas les courses de saint Ber-
nard en Italie, en Allemagne, et
dans ses prédications contre l'héré-
tique Henri ? Eh bien ! le curé d'Ars
craignait extrêmement la mort et
les jugements de Dieu! Plusieurs
fois il demanda, sans l'obtenir de
son évêque, la permission de se
retirer k la Chartreuse ou à la
Trappe, et il faut placer ici un
trait édifiant de sa part et de celle
de ses paroissiens. Il prit active-
ment la résolution de se soustraire
à la vénération publique et de s'en-
sevelir dans un monastère. On s'en
douta, et on monta la garde autour
du presbytère. A minuit on aperçut
de la lumière dans sa chambre;
quelques minutes après on le vit
sortir portant son bréviaire et un
petit paquet de linge. Les Frères
de son école font tous leurs efforts
pour le décider à rester ; efforts
inutiles. Alors ils vont sonner les
cloches. Les habitants se lèvent en
foule comme pour un incendie, se
précipitent sur ses traces et l'attei-
gnent sur les bords de la rivière
du Foubleins, qui coule au fond
d'un ravin. On se met à genoux
sur la planche qui seit de passe-
relle, espérant le fléchir; il fallut
le laisser passer! Alors on recourut
h la ruse. La nuit était sombre, et
le bon curé, qui sortait rarement,
ne connaissait guère les chemins
qui avoisinent Ars ; on lui fit
prendre un chemin tortueux et
ombragé qui conduisait au village,
de sorte qu'après avoir marche
pendant une demi-heure et se
croyant très-éloigné, il fut fort
surpris de se trouvei" dans sa pa-
roisse. Croyant voir en tout cela
une manifestation de la volonté de
Dieu , il abandonna son projet.
Mgr Chalandon, évêque de Helley,
le fit chanoine honoraire et lui
imposa lui-même de force la mo-
zelte sur les épaules. Celle mo/.eilc,
il ne la porta jamais, et il la vendit
èèD
m
înirriécltàteniëril au profit A'es pau-
vres. Il en fut de même de la croix
dé la Légion d'honneur, dont il
ne voulait point, parce qu'elle ne
lui rapporterait rien pour eux. Il
là vendit immédialement pour la
somme de cinquante francs qu'il
leur consacra. —Les fortes chaleurs
de juillet 1839 avaient cruellement
éprouvé le bon curé; il avait eu
plusieurs défaillances. On l'avait
Vu souvent se tordre de douleur
dans son confessionnal. Il souffrait
d'ailleurs d'iine toux sèche depuis
vingt-cinq ans. Le vendredi 29
juillet, il fit, comme à l'ordinaire,
son catéchisme, ses seize ou dix-
sept heures de confessionnal et la
prière du soir. En rentrant chez
lui, il s'affaissa sur une chaise, en
disant : Je n'en peux plus! Il resta
seul dans sa chambre jusqu'à une
heure du malin. Quand il voulut se
lever pour aller à l'église, il res-
sentit une insurmontable faiblesse,
el appela. On viut à lui, mais il ne
voulut pas qu'on allât chercher
quelqu'un. Le joUr venu, il com-
mença à condescendre à tous les
soins qu'il avait déjà repoussés.
Quand on ne le vit point le matin
venir célébrer la messe, la coiis-
ternation fut générale. Dès lors
on dut mettre des gardes à la porté
du presbytère, pour empêcher la
foule qui "demandait à le voir. Dans
la nuit du 29 au 30 juillet, il en-
voya chercher son confesseur; il
i-eçut les derniers sacrements avec
ia ferveur dont on peut se faire
Une idée. Averti des progrès du
mal, Mgr de Langallerie, évêque
de tielley, arriva en hâte, priant à
haute voix, fendant la foule agfe-
liouillée sur soti passage, 6t vit son
vétiérable curé à ses dernières
heures. La nuit suivante, à deux
heures du malin, le 3 août 18Ô9,
Via
après dé cruelles souffrances, Vian-
ney expira sans secousse, sans
agonie, à l'âge de soixante-quatorze
ans. Pendant deux jours et deux
nuits, une foule incessamment re-
nouvelée accourut de plusieurs
points de la France voir les restes
vénérés du saint prêtre, exposés
dans une pauvre salle basse du
presbytère, qu'on avait du moins
décorée de tentures blanches se-
mées de fleurs. Deux Frères se
tenaient auprès du lit de parade,
protégé par une forte barrière, et
leurs bras se lassaient à présenter
les divers objets que les fidèles
voulaient faire toucher aux mains
du saint défunt. Les funérailles
furent faites lé 6 août par l'évêque
diocésain, au milieu de plus de huit
mille étrangers el de trois cents
prêtres, et le corps fut inhumé au
milieu de la nef de son église, sous
une pierre qu'entoure aujourd'hui
une balustrade en fer. Les pèleri-
nages continuent à Ars. On parle
de miracles opérés avant et après
la mort du vénérable curé ; ils ne
peuvent êlrfe discutés dans cet ar-
ticle. L'Eglise jugera en cette ma-
tière, et déjà, en décembre 1859,
lors de son voyage à Rom«, Mgr De
Langallerie a fait, pour la béatifi-
cation dé Viauney, une demande
qui a reçu un aécueil biehveillant.
On a un livre do prières publié
sôùs le norti de Vianney, cl le por-
trait de (;é sâirit cul-é, décharné
par la pénitence, a été gravé eh
plusieurs formats. On annonce aussi
une histoire de sa vie, donnée en
deux volumes. B— d— c.
VICTOR dit PEniim (Claude),
Dtc Dk Bellune, maréchal et pair
de France, chevalier du Saint-Es-
prit, grand'croix des ordres de
Saint-LoUis et de la Légion d'hon-
neut, etc., naquit le 7 décera-
VlÂ
bre 1764 (1) à La Marche, petite
ville de rancien duché de Dar, oii
son père, Charles Perrin, exerçait
la profession d'huissier. Il entra
comme simple soldat, le < 6 octo-
bre 1781, au 4* régiment d'artil-
lerie , où il demeura jusqu'au
10 mars 1791. A cette époque, il
obtint son congé absolu et s'éta-
blit à Valence, où il fit, partie
de la garde nationale jusqu'au
21 février 1792. Il fut nommé
alors adjudant sous -officier au
3*= bataillon des volontaires de la
Drôme et fut promu le A août
adjudant - major capitaine dans
le 3" bataillon des Bouches-dli-
Rhône; le 15 septembre suivant, il
obtint le grade de chef de bataillon
du même corps. Ce fut dans ce
grade qu'il alla rejoindre l'armée
d'Italie, avec laquelle il fit les cam-
pagnes de 1792 et 1793. Victor
occupait avec son bataillon, fort
d'environ 600 hommes, Coaraza
dans le comté de Nice, quand il y
fut attaqué par un corps d'environ
3,000 Piémontais; il se défendit
courageusement, et parvint à les
forcer à la retraite. Ce remarqua-
ble fait d'armes mérita d'être mis
à Tordre du jour de l'armée. Victor
fut envoyé au siège de Toulon
sur la On de 1793; de là datèrent
ses rapports avec Napoléon, qui,
sans avoirjamais présenté un grand
caractère d'intimité, ne demeurè-
rent pourtant pas sans influence sur
lï'clat de sa carrière militaire.
Victor se signala tout d'abord à
Tattenlion du jeune commandant
de l'arlillene pa^ la vigueur avec
(1) iMusiriirs l)ioi;r;tplies assignent à
la naissanc»' du rnariHhal la date de 1766
ou 17«7. Cilhî qiio j'ai inditjiu'eîs est
extraite de sou dosbier con?>orNe aux
archives du ministère de la guerre.
y\k
35i
acfdellé, dans la nuit dû 30 hovértl-
bre, il enleva les redoutes et les
retranchements de la montagne de
Faron; mais, le lendemain, il sou-
tint Un combat fort inégal contre
6,000 assiégeants, et, mal souletiu
pat' des soldats nouvellement re-
crutés (1), il ne put conserver sa
position. Ces actes d'intrépidité lui
valurent le grade d'adjudant géné-
ral chef de brigade. Victor prit
ensuite le commandement de la
division de droite de l'armée de
siégé; ce fut en cette qualité qu'il
organisa l'attaque du fort de l'Ai-
guillette, surnommé \e petit Gibral-
tar, redoute anglaise, siir laquelle
il marcha, le 18 décembre, à la télé
de ses gi'enadiers, et qu'il emporta,
après y avoir essuyé deux coups de
feu, dont l'un l'atteignit assez gra-
vement au bas-ventre. Ce succès
contribua beaucoup à la prise de
Toulon, qui eut lieu le lendemain.
Les représentants du peuple nom-
mèrent provisoirerlient Victor jré-
néral de bHgade, et le Directoire
confirma sa nomination le 13 julti
1794. Au commencement de cette
aiînèe, il fut envoyé l'i l'armée des
Pyrénées, et concourut à la plu-
part des affaires importantes qui
s'accomplirent pendant les deux
années suivantes. 11 dirigea avec
habileté une fausse attaijue sur Es-
polla par le col de Banyuls, pen-
dant que Dugommier forçait les
lignes ennemies à la Montagne-
Noire, prit part aux sièges du fonf
Saint-Elmc et de Collloure, et com-
manda une brigade à celui de Ro-
ses; puis il passa à l'armée d'Italie,
dont il fit partie sans interruption
depuis les derniers mois de 1795,
(1) Mémoires du duc de Bellune,
\). 36.
352
VIG
jusqu'après la paix de Campo-For-
mio. Victor prit le commandement
de la première division de droite.
Il concourut au succès de la ba-
taille de Loano (23-27 novemlire),
en investissant par cidre d'Auge -
reau le mamelon appelé le Grand-
Caslcllaro, défendu par le brave
Roccavina, tandis que 100 grena-
diers et 200 chasseurs, placés en
observation, empêchaient l'ennemi
de recevoir des renforts. Ses trou-
pes s'élancèrent ensuite dans les
retranchements, et tuèrent tout ce
qu'elles rencontrèrent. L'année
suivante, Victor prit une part ac-
tive à l'attaque dirigée contre Pro-
veïa au château de Cossaria, à la
déroute de Wukassowich , et surtout
au second combat de Dego (15 avril),
où, à la tête de la 89^ demi-brigade,
il seconda vaillamment les efforts
du général Bonaparte. Il se signala
également au combat de Peschiera
par l'intrépidité avec laquelle il
dirigea la 18'' demi-brigade dans
l'attaque entreprise jjar Masséna
contre le camp retranché au-devant
de cette place; il battit les Autri-
chiens sur tous les points, et leur
prit 18 canons. Le 4 septembre
1790, au combat de Saint-Marco,
il perça la ligne ennemie après un
engagement fort acharné, et entra
dans Roveredo au pas de charge;
quelques jours plus tard, il fut
chargé de compléter l'investisse-
ment de Porto-Legnago sur la rive
droite de l'Adige. Cette place capi-
tula le 13 septembre. Le surlende-
main, Victor culbuta les troupes
qui couvraient le fort Saint Geor-
ges, où il entra pêle-môleavec elles.
A Cerea, où l'armée française était
vivement pressée par AVurmser ,
Victor rétablit le combat avec un
bataillon de grenadicMs, dégagea
l'armée, repoussa l'ennemi, et re-
Vie
prit l'artillerie dont il s'était em-
paré. Il concourut, le 15 janvier
1797, au combat de Saint-Georges,
faubourg de Mantoue, qu'il enleva
en marchant droit aux Autrichiens,
à la tête de sa demi-brigade, en
colonne serrée par bataillon à hau-
teur de division. Il fut blessé dans
celte action, qui mit 2,000 prison-
niers et 25 pièces de canon au
pouvoir de l'armée républicaine,
et dont l'effet immense fut de refou-
ler Wùrmser dans Mmtoue, dont
il avait voulu opérer la délivrance.
Victor ne prit pas une part moins
active à la bataille de la Favorite,
qui eut lieu le lendemain de ce
beau fait d'armes. La veille au
soir, le général Bonaparte avait
établi son quartier-général à Uo-
verbella, où toutes les troupes de
Masséna et de Victor s'étaient ren-
dues à marches forcées pour con-
courir à l'action qui se préparait.
Dans la nuit du 15 au 16, Victor
reçut l'ordre de se porter sur la
Fcjvorite avec les IS'^ et 51'' de li-
gne et le âo" de chasseurs, afin
d'attaquer l'ennomi à la poiiilc du
jour. Le 16, à cinq heures du ma-
tin, ProveraetWurmser assaillirent
la Favorite et Saint-Antonio, dont
ce dernier parvint h s'emparer à
la tôte de troupes qu'il avait fait
sortir de Manioue ; mais Viclor,
avec la 57'' demi-brigade, et le gé-
néral Serrurier, qui commandait le
sié;,^e, repoussèrent vivement le
vieux maréchal. etViclor, marchant
contre Provera avec les brigades
P>on et (iiyeux, réussit bientôt à
acculer au faubourg Saint-Georges
la colonne autrichienne, dont les
généraux Miolliset Augcreau com-
plétèrent le désordre et bientôt la
déroute par des attaques simulta-
nées sur son flanc droit et sur ses
derrières. Entamé de tous côtés,
vie
abandonné de Wurmser, qui s'était
renfermé dans Mantoue, privé de
son pont sur l'Adige, Provera se
vit obligé de mettre bas les armes
et de se constituer prisonnier avec
les 6,000 hommes qui lui restaient.
Plusieurs généraux, un parc d'ar-
tillerie et un grand nombre de dra-
peaux tombèrent entre les mains
des vainqueurs. La capilulaiion de
Mantoue fut la conséquence pres-
que immédiate de ce succès. Le
général en chef reconnut la bril-
lante coopération de Victor en lui
conférant sur le champ de bataille
le grade de général de division, et,
le 10 mars 1797, le Directoire con-
firma celle promotion. On sait que
le pape Pie VI, cédant à des insii-
gaîions mal inspirées, avait cru de-
voir prendre part à la lutle en-
gagée entre la monarchie autri-
chienne et la republique française.
Une division de l'armée pontificale,
forte d'environ 0,000 hommes, as-
semblés à la hâte au son du locsin,
après avoir coupé les ponts du Sé-
nio, s'était retranchée à Castel-
Bûlognese, sur la rive droite de
cette petile rivière qu'on a\ ail gar-
nie de canons. Le 4 février, la di-
vision Victor, ayant îi sa lète le
général en chef lui-même, se mit
en mouvement par Imola. Son
avant-garde, commandée par le
général Lannes, passa la rivière à
gué, coupant à leimemi sa retraite
sur Faenza; au bout de (quelques
instants d'un feu bien dirige, la
troupe romaine >e débanda, aban-
donnaiiisoQariiilerieelbon nombre
de prisonniers. L'armée française
occupa Faenza, dont le général en
chef réussit, par des mesures ha-
biles,à calmer l'exaspération, sur-
excitée par les jjrjdicalions de
quehjues fanatiques. Luc seconde
division pontilicale, sous les ordres
LXXXV
Vie
353
du général autrichien Colli, com-
posée d'environ irois mille hommes,
était campée devant Ancône ; mais,
à l'approche des Français, que
commandait Victor, ce général
allégua quelque prétexte pour
quitter le service du pape, et se
relira avec les officiers autrichiens.
Victor fit cerner cette troupe, qui
occupait une position assez forte ;
elle se rendit sans coup férir. Le
général entra dans la ville et s'em-
para de la citadelle. Ce résultat
était d'une haute importance,
parce que Ancône renfermait le seul
arsenal de l'Étal romain. Il déter-
mina le traité de Tolenlino (19 fé-
vrier 1797) qui inaugura les pre-
miers rapports pacifiques du Saint-
Siège avec le gouvernement répu-
blicain. La sollicitude du général
en chef ne larda pas à se porter sur
les États vénitiens, où venait d'é-
clater une insurrection formidable
contre les Français. Cette répu-
blique qui, à l'origine de la coali-
tion, avait refusé de faire cause
commune avec les puissances eu-
ropéennes, s'était trouvée, peu à peu
entraînéedans l'orbite de l'Autriche
par aversion pour les princij)fcs
révolutionnaires; roccu|)alion de
Bergame par l'armée française
acheva de développer ces germes
de division. Cependant, le gouver-
nement veniiien promit sa neutra-
lité au général en chef qui, peu
conlianl dans celte assurance, réu-
nit un corps de troupes assez con-
sidér.ible pour lui en faire expier
évcntuellenienl la violalion. L'évé-
nement ne larda pas à juslifier celte
précaution. Sur le bruit accrédite
de prétendus revers éprouvés par
les Français, l'aristocraiie véni-
tienne encouragea hautement les
excitations des émi.^^saircs autri-
chiens, et, dans la journée du
2;{
35&
vid
9 avril, à la suite d'une révolte po-
pulaire, tous les Français établis à
Vérone ou dans les environs furent
impitoyablement massacrés. Les ef-
forts réunis des généraux Balland
et Chabran prévinrent l'extension
de ce mouvement; mais la ville
demeurait dans une atfreuse con-
fusion, lorsque la division Viciot*
reçut l'ordre de se joindre aux
troupes du général Kilmaine pour
attaquet* les rassemblements in-
surgés sur tous les points où ils
s'étaient manifestés. En peu de
jours, le Véronais fut complètement
pacifié. Victor se porta ensuite sur
Rovigo et Vicence, puis sur les
bords de l'Adige, où il prit po-
sition. I.e tn)ité de Campo-Formio
(47 octobre 1797) vint, quelques
mois plus lard, consommer le dé-
membrement de l'ancienne répu-
blique vénitienne, dont les États
servirent à indemniser l'Autriche
de la perte de Mantoue et de la
Lombanlie. — Le général Victor
s'associa avec ardeur, comme toute
l'armée, au coup d'É';itdii 18 fruc-
tidor, réaction de la force bri-tale
coiurfî les progrès de l'opinion
publique. En sa qualité de com-
mandant de la H" di.ision, il en-
voya au Directoire une adresse
k cette occasion : « Les vertueux
patriotes persécutés, assassinés, »
ydi>ait-il dans le siyiedutemps(l),
« les prêtres pro'.égés, sonnant par-
loulle tocsin de la discorde et de la
guerre, les ♦•migres dégouttant en-
core dusang de nos frères d'armes,
rentrant en foule pour partager
des crimes dont l'horreur fait fré-
mir, sont des atrocités q le ceux
qui combaiieiit depuis six ans pour
conquérir leurs droits, ne peuvent
plus tolérer.... Plus d'Indulgence,
(1) Moniteur du 26 tbenuidor an v.
plus de demi-meslires : la Républi-
que ou la mort! » Victor rentra eil
France après le traité de Campo-
Formio, et fut appelé le 17 mars 1798
au commandement de la \2^ divi-
sion militaire, dont le siège était à
Nant-es. Il y reçut une lettre du
général Bonaparte qui , prêt à
s'embarquer à Toulon pour l'expé-
dition d'Egypte, lui témoignait
le regret de ne pas l'emmener
avec lui. Victor, retourna au bout
de quelques mois dans la Péninsule
italique, où de nouveaux événe-
ments réclamaient sa coopération.
Après de longues et orageuses né-
gociations, le Directoire s'était dé-
cidé à déclarer la guerre au Piémont,
dont la capitale était déjà occupée
et surveillée par une garnison
française. Victor passa , dans les
premiers jours de décembre, le
Tessin à Buffarola, avec la division
Dessolles, et rentra à Novare et
à Veroeil ; Su2e, Coniel Alexandrie
furent surpris et les garnisons
faites prisonnières. Ces mouve-
ments déterminèrent l'abdication
du roi de Piémont , dont les Ëtals
furent réunis à la république
française. Au mois de février 1799,
les hostilités entre la France et
l'Autriche, suspendues par le traité
de Campo-Formio, se rallumèrent,
et le commandement de l'armée
d'Italie fut confié à Schérer, mili-
taire infirme, usé, et qui n'inspi-
rait aux soldats qu'une confiance
irès-limilée. Victor fut placé, avec
le général llatry, sous les ordres
directs de Moreau, au centre de
l'armée ; ces deux divisions réu-
nies se composaient de 14,450
combaitants. Le 26 mars 1799, au
combat de Véro le , son avant-
garde s'engagea vivement contre
les avant-posies de Liplay, qu'elle
rejeta sur Sauta-Lucla, et le surplus
vie
de sa division se déployant pour
secourir la légion polonaise, qui
pli;;ir devant, une charge de lius-
sarris impériaux, consomma la dé-
faite du régiment de Furstemberg,
qui fut presque f-ntlèrpincnt détruit.
A la bataille de Mîignano (o avril),
si funeste à l'armée française, la
division Victor fit ét^alemei t preuve
de bravoure et 'le résolution. Elle
rencontra, entre Raldon et San-
Giovanni, la colonne dirigée par
le général autrichien Mercantin, et
ses efforts, combinés avec ceux delà
division Greni<M', l'accablèient en
quelques instants et lui détruisirent
deux régiments. Mais ces deux
divisions se trouvèrent arrêtées ù
la hauteur de Tomba par une
colonne composée de plusieurs ba-
taillons sortisde Vérone. La division
Grenier fut attaquée la première
parle général Krav; Victor s'élança
poui' l;i soutenir, mais, chargé lui-
même par les régiments de Nadasiy
et de Reisky, il ne put lui porter
un secours efticace; elle eut son
centre enfoncé et fat contrainte
à se retirer; assaillie dans sa re-
traite parle corps deRiay, qui avait
rallié environ 12 mille hommes, et
criblée parla mitraille et la mous-
queterie, elle se replia néanmoins
€n bon ordre sur Maz/.agaita. Les
Français se letirèrenl sur l'Adda,
et Schérer ne pouvant plus suffire
aux exigences de la siiuaiiou, re-
mit à Moreau U; commandement
tie ratmée. La division Victor fut
ch^irgée de défendre Lodi. La coa-
lition euroj éenne venait dî* se re-
cruter d'un allié redoutable dans
le czar Paul P', le seul souverain
peut-être qui ne portât qu'un intérêt
de principe à cette croisade contre
la révolution fiançaise, mais dont
raiiimosiié, très-vive néanmoins,
était partagé* par ses généraux
Vie
355
Souwarow et Korsakow, lesquels
avaient commencé à pénétrer dans
la haute Italie. La jonction entre
l'armée autrichienne et les pre-
mières coloimes russes s'était opé-
rée le 24 avril, derrière le Mincio.
Le lendemain même, 2."), eut lieu,
à la tête du pont de Lecco, le pre-
mier choc entre les Français et les
Russes. Ceux-ci furent repoussés ;
mais Moreau fut moins heureux le
27, à Cassano, contre le baron de
Mêlas. Il perdit près de cinq mille
hommes et beaucoup d'artillerie,
et ce revers fut encore aggravé
par la capitulation de Serrurier
qui, abandonné sans secours à
Verderio, ne put tenir contre Wu-
kassowich , et se vit obligé de
mettre bas tes armes. L'arrière-
garde française était infailliblement
perdue, si le feld-maréchal Souwa-
row, commandant général des
forces austro-russes, eût songé à
devancer au passage du Tessin le
général Grenier, qui la comman-
dait. Privé, par la capitulation de
Serruiier, de toute possibilité de
tenir la ligne du Tessin, Moreau
divisa en deux colonnes son ar-
mée fort affaiblie , et dirigea
l'une, cumpoiîèe des divisions
Victor et Laboissière, vers Alexan-
drie, afin d'être j'i portée d'y re-
cueillir larmée de Naples, (jui de-
vait venir le renforcer. Victor, dont
la division était demeurée intacte,
prit position entre Alexandrie et
la Rormida, où Moit'au ne larda
pas à le rejoindre avec le gros
de ses forces. j)our y surveiller le
passage du Vo par l'armée ausiro-
russp.Le genér.ij Rosembergext'cuta
cetleopeialioudanslanuitdu H au
12 mai à Borgo-Franco , avec un seul
bataillon que soutenait la brigade
Dalheim. Moreau songea aussitôt à
tirer avantage de cet acte de lé-
356 •
Vie
ni('ri(i',et Victor eut ordre de se por-
ter rapidement par les hauteurs
vers le point du passage, alin de
couper toute retraite à l'ennemi.
La division Grenier et la brigade
Quesnel préparèrent le succès de
ce mouvement par une attaque vi-
goureuse contre les Russes, dont
tous les efforts se concentrèrent
sur les hauteurs de Pezetti, qu'ils
enlevèrent d'abord, mais dont ils
furent bientôt délOizés par Moreau
et le chef de brigade Gardanne.
Pendant ce temps, les bataillons de
Victor débordaient par le flanc
gauche de l'ennemi, qui^ près d'être
enveloppé, se forma en carrés.
Mais cette manœuvre demeura sans
succès; il fut rejeté avec perle sur
le village de Bassignano, et con-
traint de regagner l'île la plus voi-
sine, où il essuya toute la journée
un leu de mitraille qui lui fit beau-
coup de mal. Les coalisés pei'dirent
dans cette affaire tous leurs bagai^es,
quatre pièces de canon, et ils eu-
rent 1,500 hommes mis hors de
combat. Lorsque, quelques jours
plus tard, l'insui reciion du Piémont
coniiaignit Moreau à se retirer sur
Turin et Coni, Victor seconda uti-
lement ce mouvement en marchant
sur la rivière de Gènes par Ac(|ui,
Spigno et Dego, village où les insur-
gés tentèrent de l'arrêter, et qu'il
incendia; puisilse réunit le liimai
au général Pérignon qui occupait
les débouchés du côté de Plaisance
et le col de la Bocchetta. La jonction
de l'armée de Naples, commandée
par Macdonald, avec les troupes de
Moreau, eut lieu sur la fin de mai
dans les plaines du Pô. Les deux
généraux conrerlcrent leur plan
d'action, que devait exécuter une
armée d'environ ;iO,000 combat-
tants. Celle arme»; présentait le
grand avantage de former une masse
vu:
compacte et homogène, tandis que
les forces austro-russes étaient dis-
séminées sur une foule de points.
Comme dans cette campagne la
tâche la plus forte incombait à Mac-
donald, il fut convenu que la divi-
sion Victor, débouchant sur Parme,
passerait sous ses ordres, et que la
division Lapoype descendrait la
vallée de la Trebbia pour lier la
communication entre les deux corps.
La marche de Victor fut secondée
par une alt^tque du général polo-
nais Dombrowsky contre le général
Morzin, qu'il rejeta sur Poniremoli,
et la division Victor, forte de 7,000
hommes, put s'avancer sans obsta-
cle dans le val Taro. Macdonald,
ayant cette division à Tavant-garde,
s'établit le 15 juin entre la petite
rivière du Tidone et la ïrebbia ,
qui, pour la seconde fois,
après l'intervalle de plusieurs .siè-
cles (1), allait aitacher son nom à
une mémorable scène militaire. Il
appela à lui les divisions Olivier et
Montrichard , qui couvraient la
droite et les derrières de l'armée,
et, décidé à accabler le corps au-
trichien de Ott, qui venait d'être
repoussé au delà du Tidone, il or-
donna à Victor de l'attaquer dès le
17. Victor passa le Tidone, ^t, sou-
tenu par les généraux Dombrowski
et Rusca, il aborda avec impétuo-
sité le corps ennemi au secours
duquel Souwarow s'avançait à mar-
che forcée. Oit plia et fut rejeté
en désordre sur San Giovcinni ; mais
Chasteler, avec l'avant- garde de
Mêlas, et Bagration, à la tête de
l'infanterie russe, rétablirent le
(1) La preniiérc bataille de la Tré-
bie, entre; Ariiiibal et los consuls Sci-
pion et Somproiiius, avait eu lieu l'an
218 avant l'ère chrétienne.
vie
combat. L'armée de Macdonald
débouclia sur trois colonnes par la
grande route et les chemins de Ve-
rato et de Motla-Ziana, et, quoi-
que inférieure en nombre, elle ob-
tint des avantages marqués, lors-
que l'arrivée de Souwarow vint
apporter à l'ennemi de puissants
renforts. La division polonaise, qui
flanquait la gauche d(^s Français,
fut mise en désordre par le prince
Gortschakoff, et repoussée derrière
le Tidone. La droite avait réussi à
contenir le corps de Bagration,
quand les bataillons du général en
chef russe la contraignirent égale-
ment à la retraite. Apres avoir battu
la légion polonaise, la cavalerie de
Gortschakotîviiit prendre en flanc
la brave division Victor qui, malgré
des efforts inouïs, fut rejetée au
delà du Tidone. Victor, avec le
reste de son corps, repassa la Treb-
bia, suivi des Russes, auxquels il fit
essuyer un eu meurtrier. L'ayant-
garde française s'établit à la nuit
sur la rive gauche du fleuve, occu-
pant par une chaîne de postes tout
le territoire d'Imento à Grigiiano.
Les divisions Victor, Dombrowski
et Rusca restèrent sur la droite.
Macdonald attendait, pour lenren-
dre l'offensive, les division^ Mont-
richard et Olivier; mais il fut pré-
venu par Souwarow, qui se mit eu
mouvement dè.> ie malin du 18 juin.
Informe de celte manœuvre, Victor,
qui commun iait en l'absence de
Macdonald, rtU^nu au quartier gé-
néral par une blessure, rassembla
à la hâte son infanterie, et résista
d'abord à la principale aUaquL* con-
duite par Kosemberg; mais il se
vit contraint de céder à la pression
croissante des bataaioiis russes, el
de se replier vers la nuit sur la
droite de la Trobbia. Les deux di-
visions auxiliaires s'elaieul oré-
VIC
357
semées vers deux heures sur le
théâtre du combat, où elles avaient
fait bonne contenance ; mais la re-
traite de Victor décida Montrichard
à repasser la Trebbia, où il s'établit
sur le prolongement de la division
Victor. La nuit même n'apporta au-
cun repos aux combattants. Trois
bataillons français, entrant inopi-
nément dansle lit de la rivière pour
assaillir les postes ennemis, provo-
quèrent une mêlée qui devint bien-
tôt générale, et qui, sans résultats
importants, couvrit le lit du fleuve
du sang et des cadavres des deux
armées. Incertain des mouvements
de Moreau, qui s'était porté par
Tortone avec son corps de troupes,
en détachant par liobbio la division
Lapoype, Macdonald, qui avait re-
pris le commandement, résolut de
livrer aux Russes une troisième
bataille, et de tourner, en divisant
ses forces, les ailes de l'armée de
Souwarow. Victor et Rusca furent
chargésd'aitaquer l'ennemi de front,
tandis que les divisions Watrin,
Dombrowski, Olivier et Montrichard
opéreraient sur ses flancs dans la
direction de Pavie et de Xiviano.
L'armée française passa la Trebbia
le 19 juin, à dix heures du malin.
Une attaque heureuse du corps de
Dombi owski sur Rivalla ayant forcé
le général en chef ii romprii l'unité
de sa colonne, Victor et Rusca s'é-
lancèrent précipitamment par celle
trouée de quelques centaines de
toises, el culb. itèrent la droite du
général russe Schweikow>ky, qu
fut rejeiée sur Casaliggio. Mais ce
mou>emenl ayanl ele mal soutenu
par les Polonais, Bagraiion put
prendre ii revers lesd.^ux divisions,
(jue Soiiwarow lui-mènie aliaipia
vivement de front, et eUes furent
ramenées Aur la Trebbia, dont elles
dispulerent vicluiieiiscment le pas-
358
Vie
sage à l'ennemi. Cet échec, qui
coûta environ l,iOO hommes à
chaque parti, annula les avantages
qu'avaient d'abord obtenus sur
d'autres points les divisions Watrin
et Montrichard, car il permit au
généralissime russe de j)orler des
renforts k son extrême gauche ; la
5* légère, qui précédait hi division
Montrichard, ayant été simultané-
ment assaillie de Iront et de flanc,
s'enfuit en désordre, et cette cir-
constance fâcheuse livra les divi-
sions Victor et Rusca à des forces
supérieures, qui les obligèrent de
repasser la Trebbia. Affaiblie par
ses pertes accumulées, démoralisée
par ses revers, privée de munitions
et d'artillerie, dépourvue de la plu-
part de ses chefs blessés et hors de
combat, l'armée de Macdooald dut
songer à la retraite. Elle se mit en
marche dans la nuit du 19 juin.
Victor s'avança sur San Giorgio
avec les trois divisions de l'aile
gauche. Informé de la désorganisa-
tion de l'armée et de la direction
de sa retraite, Souwarow fit de
promptes dispositions pour la pour-
suivre. Son avant-gaids atteignit,
sur les bords de la Nura, près de
San Giorgio, Victor qui défendit
le gué pendant quelques instans à
la tête de six escadrons français
appuyt's d'une tres-faible artillerie.
Menacé par Bagralion qui survint
avec des renforts, Victor se dispo-
sait k évacuer San Giorgio, lors-
qu'il fut assailli sur tous les points
par des forces supérieures, il lutta
avec intrépidité; mais deux nou-
velles divisions russes passant la
Nura enveloppèrent celle demi-
brigade et la forcèrent k mettre
bas les armes, après des prodiges
de valeur qui firent, dit-on, l'admi-
ration de Souwarow lui-même. Cet
échec amena la dispersion de la
Vie
colonne de Victor, dont les débris
ne se lal lièrent que dans les mon-
tagnes de Gastel-Arquato. Ce géné-
ral fut chargé de garder les gorges
de Pontremoli et du val Taro, d'où
il se replia avec Montrichard sur
Florence et sur Gènes. Par suite de
la mort de Joubert et de la promo-
tion de Moreau au commandement
de l'armée du Rhin, Championnet
fut nommé, au mois de septembre
1799, général en chef de l'armée
d'Italie. Un de ses premiers efforts
tendit à débloquer Coni, occupé par
3,000 Français, que les Autrichiens
convoitaient avec ardeur comme
la clef du Piémont. Il dirigea sur
Mondovi, dans cet objet, en le fair
sanl appuyer par des forces con-
venables, le centre de son armée ,
qui se composait des divisions Vic-
tor et Lemoine, et le premier de
ces généraux eut ordre de s'empa-
rer de cette place; mais son avant-
garde seule parut à l'entrée du
faubourg; le gros de la division
ayant été obligé de rétrograder k
Villa-Nova, faute de vivres. Atta-
qués sur ce point, le 2 octobre,
par la brigade aulricliienne Laur
don, les deux généraux la repous-
sèrent avec perte ; mais Victor fut
moins heureux , quelques jours
plus tard, au combat de Beinette,
village dont le général russe Mi-
trowski s'(!mpara après un<i dé-
fense opiniâtre. Victor déploya la
même intrépidité à la bataille de
Genola, le 4 novembre, dans un
engagement meurtrier avec Elsnilz,
sous le canon de Fossano. La vic-
toire paraissait prête à se déclarer
en sa faveur, quand l'arrivée de
Mitrowski vint égaliser les chan-
ces du combat. Cependant Victor
tenait ferme; mais, par suite de la
retraite du général Grenier, il re-
çut du général en chef l'ordre de
VÎC
quitter le champ de bataille et de
se replier sur Murazzo, où il ne
put tenir contre l'attaque de Mê-
las; et, après avoir été séparé de
son arrière-garde, il gagna le camp
de Madona-del-OImo avec une
perte de quatre cents prisonniers.
Le 29 novembre, au combat de
Santa-Anna, Victor défendit vaih
lamment contre les Autrichiens la
position de Monastero ; mais, à
l'approche des renforts ennemis,
il se replia sur Vico, puis sur Ga-
ressio. La capitulation de Coni et
la prise d'Ancône terminèrent celte
succession de désastres, à laquelle
la fortune gardait une éclatante et
prochaine compensation. — Une
des premières pensées du général
Bonaparte, parvenu au pouvoir su-
prême, fut de reprendre à l'Autri-
che ce territoire italien qui avait
été le berceau de sa gloire. Pen-
dant que Masséna luttait pénible-
ment pour y conserver les derniè-
res traces de l'occupation fran-
çaise, le premier consul organisait
avec autant de mystère que d'in-
telligence et d'activité une armée,
de réserve assez puissante pour
reconquérir par un coup de main
hardi tout' ce que les fautes de
Scbérer, l'impéritie du directoire,
les revers de Macdonald et un
concours fatal de circonstances
avaient fait perdre k la France.
La réunion des corps de celte ar-
mée devait former une masse de
67 mille combattants . Les divisions
étaient commandées par les géné-
raux Mural, Lannes, Viclor, Mon-
cey, Loison, Walrin, Houdet el
ChambarIhac.La première colonne,
forte de 36 mille hommes, sous les
ordres du général en chef, avait
franchi le grand Saint-13eruard,
tourné le fort de Bard, pris Ivrée et
débouché eD Italie, sans que le gé-
Vie
35ft
néral Mêlas eût ajouté foi à cette au-
dacieuse entreprise, d int il ne pér
nétrait pas le véritable but. La pre
mière action à laquelle prit part U
division Victor, fut la iDataille de
Montebello (8 juin), où l'interven
tion de la division Ghambarlhac,
qui faisait partie de son corp§,
secondant la bravoure du général"
Lannes, qui commandait l'avant-
garde de l'armée, décida la victoire;
3,000 mille hommes tués, 6,000
prisonniers furent les résultats de
cette brillante affaire dans laquelle
l'armée autrichienne avait engagé
18,000 hommes de ses meilleures
troupes, et notamment lesgrenadiers
de Ott, l'élite de cette armée. Le
premier consul se porta dans
l'après-midi du 12juinsurlaScrivia,
où les divisions Gardanne ei Gham-
barlhac, commandées par Viclor et
formant l'aile gauche de l'armée
française, s'établirent en avant de
Tortone, soutenant l'avant-garde de
Kellermann. Le lendemain il passa
a Scrivia et ordonna à Victor de
se porter sur le village de Marengo
et de pousser des coureurs jusque
vers la Bormida, afin de s'assurer
si l'ennemi avait jeté quelque pont
sur cette rivière. Viclor trouva
Marengo occupé par une arrière-
garde de 4,000 Autrichiens; il cul-
buta ce corps et prit possession
du village, où il établit ses deux
divisions, fortes d'environ 9,000
hommes, en plaçant un peu en
arrière le général Kellermann avec
trois régiments et un escadron de
cavalerie. Les éclaireurs, légère-
ment informes, annoncèrent que
l'ennemi n'avait fait aucune dispo-
siiion de passige et ne purent
donner aucune nouvelle ihi corps
de Mêlas. Ce général, menacé à la
fois par l'armée de réserve ei sur
»es derrières par celle de Sucliei,
360
Vie
s'était décidé, après de grandes
perplexités, à livrer bataille au
premier consul et ù rouvrir, en lui
passant sur le ventre, ses commu-
nications avec le conseil aulique.
Le 11, à la pointe du jour, les
Autrichiens traversèrent la Bor-
raida sur trois ponts et attaquèrent
vivement le village de Marengo,
qu'ils empoi tèrent à la suite d'ef-
forts répétés, et, après avoir obligé
la division Chambarlhac, décou-
ragée et épuisée de munitions, à
se replier pour attendre les renforts
annoncés au général Victoi' (1). Il
fallut toute rintrépiditédes 800 gre-
nadiers à pied de la garde consu-
laire pour arrêter et contenir Fen-
nemi. Ce fut h cet instant seulement
que le général en chef parut sur le
chamj) de bataille, où sa présence
ranima sur tous les points le cou-
rage et l'espoir. Les fuyards se
rallièrent peu à peu sur San-Giu-
liaiio, ù la pauche de Lannes, qui
concourut avec Victor à supporter
pendant plusieurs heures le choc
d'une armée de 40,000 hommes,
servie par la mitraille de 80 pièces
d'artillerie. Personne n'ignore que
la bataille paiaissait perdue et que
Mêlas blessé, accablé de fatigue,
ét:iit rentra' dans Alexandrie, lais-
sant à son cht'f d'étal-major le soin
de poursuivre l'armée française.
L'intervention de Desaix , avec
G, 000 hommes de troupes fraîches,
changea la déroute commencée en
une victoire décisive. Victor rap-
pela ses batiiilioiis dispersés, l'ar-
mée reforma ses rangs, les habiles
manœuvres du premier consul et
les chaînes irrésistibles de la cava-
lerie de Keliermann firent le reste.
(i) Mémoires du duc de Ikllune,
p. ITi.
Vie
L'armée autrichienne fut jetée en
une épouvantable confusion, ;\ la-
quelle contribua puissamment la
division Victor par la reprise de
son champ de bataille , en avant
du village de Marengo. Le pre-
mier consul retourna à Paris, e
les divisions composant l'armée
de réserve furent réunies *:i l'ar-
mée de Ligurie sous le com-
mandement général de Masséna,
à qui son immortelle victoire de
Zurich avait as-igné le plus haut
rang parmi les lieutenants de Na-
poléon. Victor, désigné le premier
dans le bulletin du généi-al en chef,
en reçut un sabre d'honneur pour
récompense de la brillante part
qu'il ;ivait prise à. la bataille de
Marengo. Il fut nommé le 25 juillet
lieutenant du commandant supé-
rieur de l'armée de Batavie, puis
capitaine général du corps destiné
à une exj)édition en Louisiane.
Mais cette expédition ne put avoir
lieu, par suite du blocus établi par
les Anglais sur les ports de la Hol-
lande. Cependant Victor demeura à
LaHaye,dontiI r,onservalecomman-
dement jusqu'à la paix d'Amiens.
A la suite de ce traité,, Victor fut
nommé ministre plénipotentiaire
de France en Danemark. Il y reçut
successivement la croix de grand-
officier (14 juin 1804) et celle de
grand-aigle (6 mars 1805) de la
Légion d'tionneur. Le général Vic-
tor ne prit aucune part îi la guerre
d'Allemagne, en 1805; mais, lors de
la campagne contre la Prusse, l'an-
née suivante, il fut désigné pour
remplir les fonctions de chef d'<!tai-
major du 5" corps, commandé par
le mnréchal Lannes. Il partit de
Copenhague sur lu fin de septem-
bre, et figura le 10 octobre au com-
bat de Saalteld, qui coula la vie au
prince Louisde Prusse, 1,600 hom-
vie
mes tués ou pris à l'ennemi, et
30 pièces de canon. Il se signala
par l'exactitude de ses dispositions
à la bataille d'Iéna, dont le succès
dépendit en grand" partie de la
bravoure du corps d'armée auquel
il appartenait, et qui porta k la
monarchie prussienne une atteinte
dont elle fat longtemps à se rele-
ver. Dans cette sanglante action,
Victor reçut une eoniusion violente
causée par un hiscaïen ; mais il
n'en continua pas moins de vaquer
avec zèle à l'exercice de ses fonc-
tions. Ce fut lîii qui, comme fondé
de pouvoirs du maréchal Lannes,
signa, le 25 octobre, la capituiaiion
de Spandau. Le 26 décembre, il
prit une part honorable au combat
de Puitusk, où ies Russes, bien re-
tranchés, se défendirent avec ach,ar-
nemeni. Quelques jours plus tard,
Victor reçut de l'empereur la mis-
sion d'i.'.'Sjjeeterlestravauxdessiég^'S
de Colberg et de Dantzig. Il par-
courait dans cet objet, au mois de
janvier 1807, ies environs de Stet-
tin, en voilure, avec son aide de
camp et un domestique, lorsqu'il
fut enlevé par un parti de chasseurs
prussiens; mais Napoléon, qui ne
pouvait se priver d'un tel auxiliaire,
le fit bientôt échanger contre quel-
ques prisonniers prussiens. La mis-
sion de Victor n'eut, du reste,
aucune suite, et il revint immédiate-
ment participer aux périls et aux
exploits de la grande armée. La
bataille de Frie.lland, livrée le sep-
tième anniversair»' de la journée ne
Marengo, lui fournit une uouvt-lle
occasion de montrer sa bravouie et
sa solidité. Il commandait le pre-
mier corps de cette formidable
phalange, enrempl'.cementde ber-
nadotte. «îrievemenl bles.sé quelques
jours avant au combat de Spandau,
et fut chargé de se porter sur la
Vie
361
villedeFriedlând,àlasuitedeNapo-
léon et de la garde impériale. Sa di-
-vision dut former avec cette garde
le corps de réserve. Le maréchal
Ney,qui occupait la droite de l'ar-
mée, s'étant ébranlé pour marcher
à l'ennemi, ce fut le corps de Vic-
tor qui reçut ordre de lui succéder
dans sa position , et de soutenir cette
attaque par fe feu de sa redoutable
artillerie. Le général Dupont, chef
de l'une des divisions de ce corps,
s'apercevant que la division Bisson,
qui formait la gauche du maréchal,
commençait ^ plier sous le choc de
la garde impériale russe, marcha
spontanément à son secours. Cette
garde fut à son tour chargée avec
une impétuosité qui força toute la
gaii.'he de l'nrmée ennemie à se
précipiter, dans une inexprimable
confusion, sur la ville de Fried-
land. Il s'ensuivit un affreux
carnage. Les quatre divisions de
Gortschakotf furent littéralement
anéanties par le fer et le feu, ou
noyées dans les eaux de Lalle.
L'empereur récompensa, le 13 juil-
let 1807, l'utile coopération de
Victor par le bâton de maréchal, et,
plus tard, par le litre de duc de
Bellune. Après le traité de Tilsit,
il fut nomme gouvernei-r de Berlin,
et remplit ces fonctions avec une
intégrité et un esprit de modération
qui lui concilièrent l'estime et la re-
connaissance des habitants.— Lors-
que Napoléon, aveug'.Ji par sa for-
tune, eut médité d'accomplir par
la trahison et la violence l'usurpa-
tion de la couronne d'Kspagne, il
n'employa point immédiatement le
concours du nouveau dignitaire. Ce
ne fut qu'au mois d'août 4808,
quelques jours après le désastre de
Baylen, qu'il confia à Victor le
commandement du premier corps
de la grande armée. Victor se diri-
362
Vie
gea sur Bayonne dans le, courant
de septembre 1808. Lors de son
passage à Paris, il fut reçu à la
barrière de Pantin par le préfet de
la Seine qui le complimenta, et
remit à son corps des couronnes
d'or destinées à orner les aigles des
régiments dont il se composait. Le
commandement de Victor en Es-
pagne fut marqué à son début par
quelques fautes de stratégie qui lui
ont été sévèrement reprochées. Il
eut le tort de disséminer ses forces,
lors de sou arrivée à Viltoria, et
d'envoyer en Biscaye, sur la de-
mande assez mal motivée du roi
Joseph, la divison Vilatte qui en
faisait partie, et que le maréchal
Lefebvre employa à des opérations
prématurées, qui contrarièrent le
plan de campagne de Napoléon. Ce
grand capitaine s'appliqua promp-
tement à rectifier la partie mal en-
gagée. Victor eut ordre d'appuyer
le maréchal Lefebvre dans son
mouvement sur Orduna, et de ral-
lier ensuite le centre de l'armée.
Mais cet ordre ne reçut qu'une
exécution imparfaite. Le chef du
î*" corps se contenta iie flanquer
son collègue de la brigade La-
bruyère, qui ne fit aucun mouve-
ment sérieux, et qu'il rappela bien-
tôt a lui, laissant k Balmeceda la
division Vilatte exposée au choc
(lu généial Blake, fort supérieur
en nombre. Les deux maréchaux y
opérèrent le 10 novembre unejonc-
lion momentanée, puis le duc de
Belluiiese trouva vers le milieu de
la journée devant la petite ville
d'F^spinosa, .;n présence de Blake,
qui y occupait, a la tète de ;i(J,000
hommes avec G pièces de canon,
une position suftisammeut retran-
chée. Le géneial VilaiiL*, qui avait
réintégré son corps d'armée, aborda
résolùDient les Espagnols, ei, ma|-
VIG
gré l'infériorité du nombre, il par
vint à les faire j)lier; un brouillard
épais suspendit le mouvement des
deux armées; mais, le lendemain
11, à la pointe du jour, Victor re-
commença la bataille ;^ la tête de
17.000 hommes d infanterie, et,
aidé des efforts du général Maison
et du colonel Moulon-Duveruel, il
finit par repousser l'ennemi sur
tous les points .Ma fois, et par l'en-
traîner dans une eff'royable déioute
qui lui fit perdre son artillerie, ses
bagages, et lui mit près de 20,000
hommes hors de combat. Cette ac-
tion, dont la conséquence fut de
désorganiser entièrement l'armée
de Blake, fit honneur à l'intelli-
gence militaire de Victor qui, au
lieu d'aborder un bataillon carré
dans lequel Blake avait concentré
ses meilleures troupessur sa droite,
vis-à-vis d'un coude formé par la
petite rivière de la Trueba près
d'Esi)inosa, s'était rendu maître des
hauteurs où la gauche des Espa-
gnols avait pris position. Celte ma-
nœuvre habile avait décidé le suc-
cès,quecompléta le maréchal Soult
parla dispersion des débris du gé-
néral espagnol. Le maréchal Victor
vint remplacer son collègue au
centre de l'armée, pendant qu'il
achevait celte expédition. L'empe-
reur, après la bataille de Tudela,
s'éiant déterminé à marcher droit
sur Madrid, prit avec lui le corps
du maréchal Victor, la garde im-
périale et une partie de la réserve
de cavalerie. Le 30 novembre ,
Victor précéda Napoléon devant le
défilé de Somo-Sierra garde par un
corps de 13,000 hommes et l(i piè-
ces de canon. Le maréchal culbuta
promptement cette troupe, et l'em-
pereur, s'eluul rendu eu personne
au pied du défilé, ordonna à un
esc;^(|ron de chevau-légers polQr.
vie
nais de le gravir au galop. Cet
acte de témérité, accompli avec un
élan irrésistible, fut couronné d'un
plein succès. Il amena la disper-
sion du corps espagnol avec de
grandes pertes, et l'armée fran-
çaise put s'avancer jusque sous
les murs de Madrid , dont les
troupes de Victor investirent les
abords. Le -4 décembre, celte ville
ouvrit ses portes. Vers le milieu
de ce mois. Napoléon s'éloigna de
Madrid pour marcher sur l'armée
anglaise ; il confia au maréchal
Victor la garde de celte capitale,
avec les divisions Ruffin et Vi-
latte, la division allemande Levai,
et les dragons de Latour-Mau-
boui'g. Mais celte expédition ayant
avorté par la letraite de ces deux
auxiliaires, l'empereur se décida à
retourner à Paris et ordonna à
Victor de s'acheminer sur Cuenca
pour y culbuter les débris de l'ar-
mée de Castanos, qui, dispersés
raoraentanément à Tudela, étaient
parvenus à se rallier et semblaient
méditer quelque mouvement offen-
sif. Le 13 janvier 1809, le maré-
chal partit de Tolède, où se trou-
vait son corps d'armée , pour
combattre le {rénéral Vénegas et
le duc de l'infantado, qui avaient
réuni, dans la direction de Madrid,
les débris de l'armée d'Andalousie.
Seconde par les généraux Vilatle
ctRutlin, il les batlitcompléteraent,
coupa leur retraite sur Alcazar, où
il fit mettre bas les armes à six
mille hommes; rartilierie du gé-
néral Seiiarmont acheva celte dé-
route, qui coûta à l'ennemi dix
mille prisonniers, quaiante pièces
de canon el lreiile-f|u;ttre drapeaux.
Lors de l'invasion du Foiiugjl, le
duc de Bellune fut désigne pour
pénétrer dans ce royaume, par.ille-
iement au maréchal Soult, en des-
VIC
363
cendapl le Tage et en traversant 1^
Haule-Estramadure. Maisle passage
du fleuve lui ^yant été disputé par
le général Cuesta, Victor s'était vu
obligé de faire rétablir le pont
d'Almaras que les Espagnols avaient
détruit, «t de débusquer préala-
blement l'eimemi de tous les points
qu'il occupait sur le littoral. Cette
opération accomplie, l'armée ira-
ver^a le Tage el s'avança sur U
Guadiana, yis-à-vis de Medelin,
qu'il occupa. Le maréchal rencontra
sur ce point, le 28 mars, le géné-
ral Cuesta, qui avait pris une forte
position entre la rivière Mingabrib
et don Benito. L'aile droite fran-
çaise était formée de la division
des dragons de Latour-Maubourg,
l'aile gauche, de la division Lasalle,
et le centre, de la division Levai; à
la réserve se trouvaient les divi-
sions Vilalie et Ruffin, en tout
vingt-trois à vingt-quatre mille
hommes ; mais il n'y eut en réalité
que douze mille combattants enga-
gés contre des forces triples. L'at-
taque, commencée par le centre,
fut mal secondée par les dragons de
Latour-Maubûurg; mais la division
Vilatte rétablit le combat; Latouf-
Manbourg reforma ses régiments,
et la cavalerie légère de Lasalle
contint les assauts dirigés contre
l'aile gauche par quelques batail-
lons d'infanterie et une partie de
la cavalerie espajinole; puis il rq-
prit inopinément l'offensive, el ce
mouvement, habilement conçu et
conduit avec vigueur par le maré-
chal lui-même, décida le gain de
la bataille qui fut très-meurlrière,
et priva l'ennemi de vingt mille
homnie>, y compris huit mille pri-
sonniers, et de dix-neuf bouches à
feu. Ce brillant succès ne décida
point le duc de Belliuie à fraiK hir
la Guadiana et a pénétrer en Pw-
36/j
Vie
tugal, où les Anglais avaieut con-
centré des forces imposantes. Il
craignit que des rassemblements
formés sur ses derrières ne vinssent
à couper ses communications avec
la capitale par W pont d'Almaras.
Il était sans nouvelles des progrès
qu'avait pu faire le maréchal Soult,
et ne pouvait, dans cette incerti-
tude, s'aventurer k travers un pays
ennemi et soulevé. Il se cantonna
dans la Haute-E^lramadure, entre
le Tage et la Guadiana, et sa pru-
dence fut pleinement justifiée par
les événements qui suivirent. Le
maréchal quitta son cantonnement
à l'approche de l'armée anglo-por-
tugaise, qui envahit l'Estramadure
pour menacer Madrid, et il se porta
vers le Tage, dans la direction de
Talavera.Leroi Joseph manœuvra
pour le joindre, avec l'espoir que
le quatrième corps, commandé par
Sébast ani, aurait le temps de se
rallier à eux avant l'attaque de l'ar-
mée coalisée, et que ces bataillons
rassemblés profiteraient des mouve-
ments ordonnés au maréchal Soult
dans une autre direction. Celle es-
pérance ne devait pas se réaliser.
Attaqué à Tahivera le 22 juillet,
le duc de Bellune, trop inférieur
aux forces qui venaient l'assaillir,
quitta sa position pour se porter
d'al>ord sur Torrijos et de là sur la
rive franche de la Guadarrama, k
deux lieues de Toiéde, où il lut rallié
par Sébastiani. Lestrois corps réu-
nis formaient à p^in(^ 40,000 com-
balta:jis. Ce fut à la lùle ù>: ces di-
visions que Joseph entreprit, le 28
juillet, sur le conseil de Victor, et
contre l'avis de Jourdan, leur chel
d'état-major, d'affronter une armée
de 7.*>,00() honjujHs, campée dans
une position formidable et fortifiée
|)ar des ouvrages de campagne
pratiqués avec soin sur tous les
accidents du terrain, et commandée
par lord Wellesley, depuis duc de
Wellington, en personne. Le ma-
réchal Victor, dans l'nrdeur de son
zèle, essaya, à la faveur de l'obscu-
rité, de s'emparer d'un mamelon
où s'appuyait la gauche de l'armée
ennemie; mais celte attaque, opé-
rée simultanément par les géné-
raux Ruffln et Lapisse, échoua par
une insuffisance de forces que com-
pliquèrent quelques-uns de ces
contretemps si fréquents à la
guerre, et ne servit qu'à signaler
aux Anglais l'importance de ce
point, dont ils retranchèrent soi-
gneusement les approches. Le
1" corps, commandé par le duc
de Bellune, avec deux divisions de
cavalerie, occupait la droite de
l'armée française ; le 4" corps, aux
ordres de Sébastiani , avec une
division de dragons, formait la
gauche ; au cenire et en troisième
ligne était la réserve, commandée
parle général Dessolles. La gauche
ennemie ayant été regardée comme
le point le plus vulnérable, les
généraux Ruffin et Barrois eurent
ordre de renouveler Totlaque de
la veille contre le mamelon ; mais
ce fut sans plus de succèa. Vers
trois heures, le roi Joseph se décida
à tenter un assaut général sur tout
1b front de l'armée ennemie. La
division Levai, qui s'avança la pre-
mière, fut repoussée par 15,000
Anglais, auxquels elle résista vail-
lamment en se formant en bataillon
carré. Les i"' et A" corps eutierent
à leur tour en ligne; la division
Lapisse tenta encore d'escalader
la redoutable éminence ; elle y
réussit, mais sans pouvoir s'y
maintenii'. Pendant que, mieux
avisé, le maréchal Victor essayait
de la tourner, deux légimenls de
cavalerie anglaise vinrent charger
vie
les bataillons français; un de ces
régiments s'élança sur» la brigade
Strollz; le 10' de chasseurs à cheval
ouvrit ses rangs pour les refermer
sur ce régiment, qui fut taillé en
pièces. Les Anglais paraissaient
ébranlés, leur artillerie était dé-
montée, leur feu presque éteint.
Encore quelques efîorls, et la vic-
toire allait, selon toute apparence,
se fixer sur nos drapeaux, lorsque
le roi Joseph, troublé, irrésolu, crut
devoir, malgré l'heure peu avancée,
remettre au lendemain, contre les
instances pressantes du duc de
Bellune, une lutte que de nouveaux
conseils et d'alarmants rapports lui
tirent abandonner. Il jugea plus
prudent de se rapprocher de sa
capitale, dont laccèsavait été rendu
libre à l'ennemi par la jonction de
Victor et de Sébastiani, et il or-
donna la retraite. Le duc de "Bel-
lune se porta à Casalejas sur l'Al-
berche ; Sébastiani suivit le roi
qui partit avec sa garde et la
division de réserve pour dégager
Tolède, menacée par le gén:'ral Ve-
negas. Lorsque, dans les premiers
jours de 1810, encouragé par quel-
ques avantages plus ou moins con-
sidérables, le roi Joseph, contre
le sentiment du maréchal Soult,
décida l'expédition d'Andalousie,
l'aile dioite de l'armée, commandée
par le duc de Bellune, reçut l'ordre
de se diriger sur Almaden,enmême
temps que l'aile gauche, sous les
ordres de Sébastiani , remonterait
sur Linarès, et que le centre, com-
posé du corps du maréchal Mortier,
et de la réserve confiée au général
Dessolles, suivrait la grande route
de Madrid à Cadix. Le maréchal
Victor fut spécialement chargé de
forcer le délilé de Despena-rcrros,
qui passait pour inexpugnable, et
dont l'ennemi avait essayé de faire
Vie
365
un obstacle inévitable en hérissant
de retranchements et d'artillerie
les deux voies parallèles qui con-
duisaient dans l'Andalousie. Les
corps des divisions Cazan et Des-
solles parvinrent toutefois à tourner
ce défilé, et forcèrent l'armée espa-
gnole à en abandonner la défense;
ils pénétrèrent dans l'Andalousie
après avoir mis l'ennemi en une
déroute complète, et le maréchal
Victor y déboucha de son côté par
Cordoue, à la suite d'un engage-
ment heureux aux environs de
Bel-Alcazar, Le maréchal se pré-
senta le 29 janvier devant Séville,
qui capitula, et se dirigea aussitôt
sur Cadix, qu'il bloqua par terre,
en distribuant les trois di\isions
de son corps d'armée sur les points
les plus importants du littoral. Il
occupa Rota, Santa-Maria, Puerto-
Piéal et Chiclaua, mit en état de
défense les forts élevés sur la côte,
pri[icipalement à l'embouchure du
Guadalquivir et des rivières de
San-Pédro et de San-Pétri, et ferma
aux bâtiments ennemis l'accès de
l'arsenal de constructions mari-
times établi au nord de l'ile de
Léon. Le premier incident remar-
quable de ce blocus fut la prise
du fort de Matagorda, situé à la
pointe la plus méridionale de la
terre ferme, au nord-ouest de Ca-
dix. Ce fort fut évacué le 23 avril,
après avoir essuyé pendant douze
jours le feu de dix mille coups de
canon, et ne livra à l'armée assié-
geante qu'un monceau de ruines.
Ce résultat procura au maréchal la
satisfaction précieuse de sauver la
vie à plusieurs centaines d'officiers
et de soldats français que les Espa-
gnols avaient, à la suite et au mé-
pris de la capitulation de Davien,
renfermés dans deux pontons de-
vant Cadix, et qui proruèrenl du
366
VIG
Vie
voisinage de leurs frères d'îirmes
pour chercher leur saliil dans l'éva-
sion la plus périlleuse. Le duc de
Bellune envoya deux barques pour
recueillir les fugitifs, et leur fit pro-
diguer tous les soins d'une affec-
tueuse hospitalité. Dix mois plus
tard, dans le courant de tVvrior 1811,
le maréchal reçut avis qu'un corps
ennemi s'organisait dans l'inten-
tion de débloquer Cadix et de dé-
livrer l'Andalousie en prenant k
revers toutes les lignes des Français,
tandis que la garnison de Cadix les
attaquerait de fiont, et que les
vaisseaux el les chaloupes canon-
nières menaceraient tous les points
de débarquement. Ce corps, com-
posé de 12,000 Espagnols et de
0,000 .Anglais, fut embarqué le 20
février dans la rade de Cadix, et
réuni à Tarifa sous les ordres du
général La Pena. Il se mit en
marche le 28 sur Chiclana, siège
du quartier général et des maga-
sins de l'armée, et se trouva le
4 mars en vue des avant-postes
français. Réduit à des forces extrê-
mement restreintes par l'indépen-
dance réciproque des généraux
qui coopéraient à la guerre d'Es-
pagne, le maréchal Victor jugea
prudent d'attendre l'attaque des
coalisés, dont le premier détache-
ment «ssaya sans succès, dans la
matinée du 5, d'emporter les lignes
de San-Pétti. A l'approche de la
colonne ennemie, il se con(tenlra
dans Chidana, où il avait établi sa
réserve, composée de deux bri-
l^des. H se décida bientôt néan-
moins h marcher à sa fencorilre
avec un corps de 6,000 hommes et
deux batteries d'arlillerie. Les Es-
pagnols, abusés sur rinfcriorité de
ses forces , plièrent , furent mis
en déroule el accolés à la mer.
Mais ïib corps nombretix de coa-
lisés occupait l'importante position
de BarrosafLe maréchal tit enlever
celte hauteur au pas de charge
par le général Ruffin, qui se porta
rapidement ensuite sur le flanc
de l'ennemi, tandis qu'une brigade
de la division Vilalte, après s'être
emparée de la tête du pont de
San-Péiri, menaçait la tête de sa
colonne^ Le général anglais Gra-
ham , averti de l'occupation de
Barrosa, marcha à la tête de 12,000
hommes pour le reprendre. Le
maréchal Victor, perdant tout es-
poir d'envelopper un ennemi aussi
supérieur en nombre, fit évacuer la
hauteur, et rappela sur sa droite et
sur sa gauche les brigades avancées.
Mais le corps de Ruffin était déjà
aux prises aVec les Anglais, et ce
général ayant été blessé mortelle-
ment dans ce choc acharné, sa bri-
gade ne put rallier que tardivement
la gauche du corps d'armée. Après
deux ou trois attaques inutiles, les
Anglo-Espagnols rentrèrent dans
l'ile de Léon, laissant sur le champ
de bataille 3,500 hommes tués
ou prisonniers, trois drapeaux
et quatre pièces de campagne. La
mésintelligence qui se glissa entre
les deux corps des coalisés les
empêcha de tirer parti de leur
nombre et de leui' position (1).— Il
n'était pas donné au duc de Bellune
de conduire à leur terme les Oj)éra-
tions du siège de Cadix. La gigan-
tesque expédition de Russie se
préparait, et Napoléon réclamait
le concours d'un de ses plus braves
et de ses plus solides lieutenants.
Le 3avril 1812, le maréchal Victor
fut appelé au commandement du
(Ij Jniroductionà l'Histoire de Vex-
pédUion de Huasie^ par le marquis de
Chambray.
vie
vie
367
neuvième corpsdela grande-armée,
qui se composait de la division
française Partouneaux, de la divi-
sion allemande Daendels et d'une
division polonaise sous les ordres
de Gérard. Ce corps, dont la con-
sistance était de trente-huit ou
trente-neuf mille combattants, avec
soixante bouches à feu. fut chargé
d'occuper l'espace compris entre
l'Elbe et l'Oder. L'empereur dé-
signa en outre le maréchal pour
commander Berlin dès que l'armée
active aurait dépassé celte capitale.
Il y reçut, sur VSl fin de juin, l'avis
du passage proch sin du Niémen,
Tordre d'arra.^r Spandau et celui
de surveiller avec soin la conduite
de la Prusse pendant les événe-
ments qui allaient avoir lieu. Quel-
ques jours plus tard, le maréchal
eut ordre de s'avancer sur Danfzig
et Kœnigsbeig, puis de se porter
sur Tilsit et de là sur Wilna, qu'il
vint occuper au mois d'août. Il y
reçut de nouvelles instructions
(26 août) qui lui enjoignaient de
quitter la rive gauche du Niémen
pour se diriger en hâte sur Smo-
iensk. L'empereur, plaçant sous sa
direction toutes les troupes qui se
trouvaient dans les gouvernements
de Mohilow,de Witep^k et de Smo-
lensk, aimonçail au maréchal sa
marche sur Moscou, et lui recom-
mandait de lier soigneusement ses
communications avec la grande
armée. Le 4 septembre, Victor tra-
versa le Niémen à Kowno, et arriva
le 21 à Smolensk, où l'empereur le
destinait à soutenir, en casd'cchec,
le maréchal Saint-Cyr ou le prince
de Schwarlztnberg. Un avis posté-
rieur l'obligea bientôt à se rappro-
cher (!e Polutzk et de Minsk, et de
modiiier lu distribuiicui primitive
de ses divisions. Il laissa à Smo-
lensk la division Baraguay-d'Hil-
liers, qu'il venait d'organiser, dirigea
sur Baliinowiczi celle de Daendels,
et cantonna les divisions Gérard et
Partouneaux avec la cavalerie à
Senno el à Orsza,.où il établit sou
quartier général. La désastreuse
retraite de l'armée fiançaise était
commencée ! Informé que le maré-
chal rus^e Wittgen.stein approchait
avec des forces supérieures, Victor
détacha la division Daendels, soit
pour inquiéter le maréchal, soil
pour détendre Witepsk, en cas
d'attaque ; mais, lorsqu'il apprit
l'évacuation de cette ville, il ne
songea plus qu'à secourir Gouvion
Saint-Cyr, dont le corps d'armée
avait éprouvé, le lî) octobre, un
échec assez grave à la bataille de
Poloizk, et se porta sur Czasniki à
la tète de toutes les forces dont il
disposait. Son armée, réunie aux
corps des généraux Legrand e t
Merle, présentait un etîectif de
trente-deux miHo hommes de pied
et de quatre mille ciievaux. Les
deux maréchaux français et russe
se rencontrèrent, le 30 octobre, sur
les bords e la Lukmolia. Le dessein
du duc de Bellune était d'attaquer
Willgenstein avec vigueur. Mais il
fut obligé d'y renoncer par suite
d'un contretemps qui le privait
d'une partie de ses troupes. Le
général ennemi, qui s'aperçut de
ce mécompte, prit biusquemment
l'orténsive, rejeta sur la rive droite
du ruisseau les troupes qui bordaient
la rive gauche, el, garnissant le
centre de sa colonne d'une forte
arlillerie, obligea le maréchal à
faire recuiér celle qu'il avait sur ce
point. Une forte canonnade sans
résultats sensibles se prolongea jus-
qu'à la nuit, et le lendemain le duc
de Bellune se retira sans èire pour-
suivi sur Senno, oii il concentra
ses deux corps. Celte conceniraiioo
368
Vie
Vie
ne lui permit pas de secourir
Minsk, qui fut pris par les Russes,
quelques jours plus lard. Après
avoir passé deux jours à Senno, le
maréchal se porta sur Czéréia, où
Napoléon, ignorant la véritable po-
sition des généraux Kuiuzow et
W'iltgenstein, lui lit passer l'ordre
de rejeter ce dernier au delà de la
Dwina.Mais il différa avecOudinot,
qui commandait le deuxième corps,
sur la manière d'exécuter cet
ordre, et sou opinion comme plus
ancien en grade ayant prévalu, il
fit ses préparatifs pour tourner la
position du feld-maréchal, au lieu
de l'attaquer de front comme le
voulait son collègue, et les deux
corps se miient en marche avec
la division Parlouneaux pour avant-
garde. A deux lieues de Smo-
liany, cette division fut arrêtée par
une colonne russe embusquée dans
des bois qui traversent la roule.
Parlouneaux surmonta vaillamment
cet obstacle, et le 14 novembre, les
deux armées se trouvèrent en pré-
sence devant Smoliany, qui fut
disputé avec acharnement, et qui
demeura au pouvoir des Fran-
çais. Le raarécljâl russe reprit der-
rière la Lukmolia la positiou qu'il
y occupait ie 31 octobre. Le duc
de Bellune, comprenant la néces-
sité de ménager des troupes qui
devenaient l'unique ressource de
la grande armée, n'essaya point de
l'en déposter, et il porta, le 17,
sonquartier général à Krasnogura,
où il resta quelques jours. Il y reçut
des instructions de l'empereur qui
lui recommandaient de masquer
avec soin le mouvement que le duc
de Reggio devait exécuter sur
Minsk, de prendre position entre
Borizow,\Vilna et Orsza et l'armée
ennemie, cnOn de couvrir la ligne
entre Borizow et Nacra contre les
entreprises du corps de Witfgcn-
stein, et d'arriver à Borizow le 25
ou le 26, de manière à prendre
l'arrière-garde de l'armée. Quand,
queîquesjours plus tard, Napoléon,
modifiant ces dernières instructions,
lui prescrivit de se retirer sur Ba-
ron pour occuper la route condui-
sant de Lepel à Borizow et à
Weselowo, Victor avait déjà com-
mencé son mouvement de retraite
sur Borizow, par Batury et Chicha-
Yruy. Son arrière-garde, commandée
par le général Delaître, réussit à
arrêter dans le voisinage de la Bé-
rézina une partie des troupes de
Wiîtgensiein, assez de temps pour
permeilre au gros du corps d'ar-
mée d'arriver, et, le 23, l'héroïque
général Éblé put jeter sur le fleuve
ces ponts dont la traversée devait
sauver les débris de cette armée,
naguère si nombreuse et si for-
midable. Victor prit position à
Ratuliczi, pour couvrir le prince
Eugène et le maréchal Davout. Il
quitta ie26au matin cette position,
atteignit Loznilza, puis il se rendit
le même jour à Borizow, où, par
une précaution vaine et barbare,
l'empereur lui prescrivit de laisser
ladivision Parlouneaux, afin d'abu-
ser l'amiral Tchitchakotf sur le vé-
ritable point du passage. Le 27,
avec ses deux autres divisions Gé-
rard et Daendels, il arriva de bonne
heure à Studianka, dont il investit
et fortifia les abords. Quand le maré-
chal vint occuper Studianka, la ma-
jeure pariie de l'armée française
avait effectué son passage , pres-
que inopinément et sans exciter la
vigilance! des Russes, répandus sur
les deux rives du fleuve. Mais, dans
la soirée du 27, leur surveillance
avait cessé d'être eu défaut, et
chaque heure aggravait les difli-
cultés et les périls de cette opéra-
vie
vie
369
lion. Uu désastre facile à prévoir
était venu les compliquer encore :
c'était )a perle de la division du
générai Partouneaux qui, se voyant
coupé du gros de son corps, avait
cherché vainement à se frayer une
voie de salut à travers les bataillons
de Wittgenslein. Le duc de Bellune,
dont la colonne sensiblement ré-
duite par ce revers, ne dépassait
guère 6 mille fantassins et 7 h 800
chevaux (I}, lutta toute la journée
du 28 sur la rive gauche du fleuve,
contre des forces quintuples, avec
une énergie désespérée. Les Rus-
ses s'étant momentanément empa-
rés d'un bois à la droite de Slu-
dianka, le général Diébitch dirigea
de celle hauteur, sur la foule des
traînards, hommes et femmes, ac-
cumulée autour des ponts, le feu
de plusieurs batteries qui produi-
sirent dans ces masses compactes
un effroyable ravage. Victor, com-
prenant la nécessité d'écarter à
tout prix ces redoutables assaillants,
jeta une partie de son infanterie
dans un ravin assez large qui des-
cendait jusqu'à la Bérézina, et le
séparait de l'ennemi. Puis il fit
exécuter par le général Fournier
plusieurs charges vigoureuses de
cavalerie qui, apj)uyani ce mouY3-
ment offensif, en décidèrent le suc-
cès. Les Russes reculèrent, et leur
nombreuse artillerie cessa de vomir
la mort dans nos rangs. Diébitch,
parvint toutefois à ramener la co-
lonne française au bord du ravin,
mais sans le franchir. La nuit sur-
vint à point i)Our séparer les com-
battants épuisés et pour mettre fin
à celle lutte inégale dont la durée
eût infailliblement anéanti les
tronçons du O*" corps. Le maréchal
laissa une arrière-garde en pré-
sence de l'ennemi, et traversa le
fleuve le 28 au soir. Le lendemain
matin, il fît passer son arrière-
garde et retira ses avant-postes.
Ce ne fut que vers huit heures que
le général Eblé, à l'aspect des co-
saques qui accouraient au galop,
put se résoudre h sacrifier, par la
destruction des ponts, quelques
milliers de retardataires que leur
insurmontable apathie avait empê-
chés de le.^ franchir. Napoléon ,
sauvé d'un désastre complet ou
même d'une honteuse captivité par
la mollesse ou l'impérilie des gé-
néraux russes, se mit en marche,
suivi à quelque dislance des restes
de la colonne de Victor. Exaspéré
par la i)erte de la division Partou-
neaux dont lui-même était le prin-
cipal auteur, il ne craignit pas de
la reprochera l'intrépide maréchal
et de blâmer amèrement l'incerti-
tude de ses dernières manœuvres,
incertitude à laquelle la versatilité
de ses propres instructions, comme
on l'a vu plus hau!, n'avait que
trop contribué. Victor s'éloigna le
cœur navré (l). L'empereur arriva
le 6 décembre à ^Vilna, et ne dut
qu'à l'industrie artificieuse des
rapports du duc de Rassano la fa-
veur presque inespérée de traver-
ser impunément le territoire ger-
manique, où régnait contre lui
une irritation universelle (2). Le
maréchal Victor conduisit jusqu'à
Smorgoni, non sans obstacles, la
(I) M. Thiersdomc mv de Vllisloire
de l'Kmpire) cVcw ce nonibro a 9 ou
10,000 soldîtt-s. M. de Chambniy (t. ut,
p. 03) le rabaisse a 4,800 hoiiiiiics.
LXXXV
(1) Thicrs, tome xiv^ livre to.
(2) Chambiay, Hisl. de l'expéd. de
liussie, liv. IV.
24
370
VIG
Vie
faible colonne qu'il traînait à sa
suite. Lîi, commencèrent à se dis-
soudre les débris dont elle se
composait, et celte dernière ar-
rière-garde de la jirande armée
acheva de disparaître dans les
plaines glacées de la Lilhuanie !
— Lorsque Timpulsion féconde du
génie de Napoléon eut fait éclore
en quelques semaines une nou-
velle armée, Victor reçut le com-
mandement du 2'' corps et la mis-
sion de Torganiser en Westphalic,
"où il demeura jusqu'à ce qu'un
ordre de l'empereur lui pret^crivît
de se porter à l'entrée des gorges
de Bohème, au dcfdé de Ziitau,
passage important qu'il fut chargé
de garder avec le corps de Ponia-
lowski. Napoléon ayant profité de
Tarmistice de Pleiswitz pour aug-
menter Teffectif de ses troupes, le
corps du maréchal fut porté à seize
régiments, et l'armée coalisée
ayant débouché par Péterswald
sur lesdeirières de Dresde, Victor
eut ordre de se replier sur l'Elbe
en laissant Poniatowski seul à
Ziitau, et distribua une partie de
ses troupes autour de Stolpen pour
appuyer éventuellement les opéra-
tions prescrites à Vandamme en
cas de retraite de l'ennemi. A la
bataille de Dresde (27 août), le duc
de Bellune fut placé, sous les or-
dres de Murât, à l'aile droite de
l'armée, avec injonction de tourner
les Autrichiens par leur gauche,
et de les pousser à outrance vers
la vallée de Plauen, dont le gé-
néral Teste vint garder l'entrée
avec huit bataillons. Victor se
forma en colonne au pied des
hauteurs (pii la dominent, et, sur
le signal donné à Murât, il entre-
prit de lc> gravir pour enlever les
villages de Tollschcn, de Pioslhal
et de Corbitz. Ce mouvement, exé-
cuté au sabre et à la baïonnette,
réussit complètement; l'infanterie
autrichienne fut précipitée dans
le ravin de Plauen, et la division
Meszko gravement entamée ; à deux
heures, l'aile gauche de l'armée
combinée était détruite, presqu'au
même instant où le général Moreau
tombait aux côtés de l'empereur
Alexandre, mortellement frappé
d'un boulet français! Le duc de
Bellune, dont la manœuvre avait
puissamment contribué au succès
de la journée, fut chargé de pour-
suivre les coalisés à travers les
montagnes de la Bohême, pour
les livrer ii l'étreinte puissante
de Vandamme ; mais quand le
désastre de Kulm eut fait échouer
celte combinaison (Voyez Vandam-
me, t. Lxxxiv, p. 443), il fut rappelé
à Freyberg pour y concourir h. la
conservation de Dresde, en veillant
à la fois sur la grande chaussée do
celte ville et sur le chemin de
Tcepliiz par Altenberg. Vers la fin
de septembre, la grande armée en-
nemie, abandonnant enfin sa tac-
tique évasive, se disposa à passer
l'Elbe et à déboucher en Saxe par
tous les défilés aboutissants. Na-
poléon enjoignit à Victor de se re-
plier aux environs de Chemnilz, où
il se lierait avec les corps de Mac-
donald et de Lauriston, de façon à
présenter à l'ennemi une première
barrière de -40 mille hommes, tan-
dis que lui-même se porterait dans
la direction de Leipzig pour atta-
quer isolément l'une et l'autre
des trois armées coalisées. La
sanglante bataille de Leipzig fut le
résultat de la concentration de ces
masses opposées. La veille de cette
trop mémorable action, Victor, sou-
tint avec intrépidité, dcviint le vil-
lage de Wachau, le choc du prince
Eugène de Wurlemberg, à la lête
VIG
Vie
371
de son infanterie russe et de la di-
vision Klux. Ce village fut pris et
repris cinq fois en deux heures. A
midi, l'empereur envoya au maré-
chal deux divisions de la jeune
garde avec quelques autres trou-
pes, et lui ordonna de reprendre
l'offensive. Les ducs de Bellune et
de Reggio repoussèrent le prince
sur le village de Gillden-Gossa; il
revint à la chaige soutenu par les
cuirassiers russes, mais les deux
maréchaux tinrent ferme, et la di-
Tision Dubrelon, du corps de Vic-
tor, emporta à la baïonnette la
bergerie d'Avenhayn, où le prince
s'était retranché. Malgré le succès
du combat de Wachau, Napoléon
se vit obligé de réunir toutes ses
forces autour de Leipzig, et Victor
reçut, comme la plni)art des chefs
des corps qui y avaient pris part,
1 ordre de rétrograder d'une lieue
et de formel- sur le plateau de
Probstheyda un cercle plus com-
pacte et plus resserré. La mission
spéciale de défendre cet angle sail-
lant, sur lequel devaient s'acharner
les efforts de l'ennemi, fut confiée
à Victor, et l'empereur lui recom-
manda de s'y maintenir opiniâtre-
ment. L'infanterie du maréchal et
l'artillerie de Drouot arrêtèrent
toute la journée les efforts de Blii-
cher et de Bernadolte, qui toutefois
occupèrent momentanément ce re-
doutable plateau. Malgré l'épuise-
meni de leurs lioupes, les maré-
chaux Victor et Laurision fondirent
de nouveau à !a baïonnette sur les
Russes et les Prussiens réunis, cl
les rejetèrent hors du village avec
des pertes immenses. Tous ces
avantages s'anéantirent dans le dé-
sastre de Leipzig, effroyable ex-
plosion des ressentiments (juc tant
d'années d'iiumilialion avalent ac-
cumulés au cœur de l' Allemagne.
Cette journée à jamais lamentable
abaissait les barrières de la vieille
France devant ces peuplades vin-
dicatives que le conquérant était
allé affronter dans leurs propres
foyers. L'armée impériale fut con-
trainte de chercher dans une
prompte évacuation le salut de ses
débris, et ce furent les corps de
Victor et d'Augereau qui ouvrirent
cette lugubre retraite sur laquelle
les lauriers de Ilanau projetèrent
un suprême mais stérile éclat. Le
2 novembre, Napoléon repassa
pour la dernière fois ce Rhin dont
les bords avaient salué si souvent
ses aigles victorieuses, et, par une
vigoureuse résistance à l'invasion
étrangère, il se prépara h briser du
même coup les hostilités mena-
çantes que le déclin de sa fortune
commençait à soulever autour de
lui. Les maréchaux Ney, Macdo-
nald, ()udinot,Saint-Cyr, Marmont,
Mortier furent chargés de couvrir
les abords de la capitale. Victor
couronna sa vie militaire en pre-
nant part à cette glorieuse campa-
gne, où la puissance de la stratégie
tint en échec durant trois mois
toutes les forces d ' l'Kurope coa-
lisée. Trop faible pour lutter contre
les masses compactes qui avaient
franchi le ileuve à Strasbourg, il
essaya de ralentir leur marche par
les combats d'Épinal et de Saint-
Dié; mais il ne put se maintenir
dans les Vosges, et, craignant d'être
coupé du reste de l'armée par les
colonnes ennemies, il se replia
sur N.incy, puis sur Chàlons-sur-
Marne, après avoir opéré sa jonc-
tion avec le maréchal Ney. Le ^9
janvier, à la bataille de Hrienne,
il entra en ligne à trois heures, et,
(luoi(|ue son corps d'armé»^ fût fati-
gué d'une marche de plusieurs
heures, la division Duhesme qui
372
Vie
en faisait parlio engagea un feu
très-vif contre reuncmi embusqué
dans de larges fossés et dans les
jardins qui entouraient la ville,
dont il était maître. Cette attaque,
longtemps infructueuse, fut secon-
dée par le général Ghataux, gendre
du maréchal, qui gravit rapidement
les terrasses du chAteau et réussit
h s'en emparer au moment même
où le maréchal Bliicher qui l'oc-
cupait, allait se meilre à table av^c
son état-major. Bliicher réunit aus-
sitôt les corps russes Sacken et
AIsuflefi, et tenta par trois fois,
mais vainement, de reprendre ce
point culminant. L'ennemi, chassé
des rues de la ville, entretint de
l'intérieur des maisons un feu vio-
lent de mousqueterie dont la nuit
seule interrompit les ravages. Les
Russes se retirèrent en bon ordre
par la route de Bar-sur-Aube, après
avoir subi et fait éprouver de
grandes perles. Cette snnglante
échaulîourée n'aida nullement au
succès du plan de Napoléon, le-
quel consistait à manœuvrer isolé-
ment contre chacune des deux
grandes armées ennemies, dont il
ignorait la jonction récente. Les
effets de cette jonction devinrent
trop manifestes trois jours après,
à La Iloll)ière,où remi)ereur ne
craignit point d'allronter, à la tète
de oG mille hommes, les forces
coalisées s'élevant à 106 mille
combattants. Victor, qui comman-
dait la gauche de l'armée, repoussa
énergiqueraent les allaques du
prince royal de Wurlemberg; mais
le général bavarois de Wrède ob-
lint contre le duc de liaguse des
avanta^M's marqués que Napoléon
essaya de neutraliser par une di-
verMon sur le village de La Ilothic-
re, qui demeura sans effet. Victor
lui-même, chargé de nouveau par
ViC
le prince qu'avaient renforcé trois
divisions, fut contraint de céder
au nombre, et de se retirer entre
Petit-xMesnil et Chauménil, vive-
ment poursuivi par l'ennemi, qui
s'empara du premier de ces villa-
ges. Les Français se retirèrent en
bon ordre, laissant sur le champ de
bataille 6 mille hommes tués ou
prisonniers et ;)i canons. Le
combat de Champaubert où Napo-
léon, culbutant complètement le
corps du général Alsufiefï, partagea
par le centre l'armée de Silésie, et
la bataille de Montmirail, signalée
par la destruction presque entière
de celui de Sacken ; la journée de
Vauxchamp, qui acheva de mettre
hors de combat les divisions de Blù-
cher, relevèrent lesespérancesetle
courage de l'armée française. En se
portant sur la iMarne, que le feld-
maréchal prussien se préparait à
franchir. Napoléon confia aux ma-
réchaux Oudinot et Victor la dé-
fense des passages de la Seine
contre la grande armée austro-
russe, dont ils devaient arrêter la
marche sur Paris. Victor, qui était
en position à Nogent, rétrograda
lentement et laissa dans cette ville le
général Bourmont, qui prit ses dis-
positions pour sy maintenir. L'en-
nemi tenta plusieurs attaques qui
furent repoussées; mais le maréchal,
ayant appris que les Bavarois pas-
saient la Seine à Bray, envoya l'or-
dre d'évacuer Nogent dont on dé-
truisit le pont. Cependant l'armée
du général Schwarzenberg, k la-
quelle les Bavarois servaient d'a-
vant-garde, s'avançait sur Nangis;
le prince de Wurtemberg avait en-
levé S'us, et Blanchi menaçait
Fontainebleau. Le 16 mars au ma-
lin. Napoléon quitta Meaux pour se
diriger sur Guignes, dont la vallée
était, depuis midi, le théâtre d'une
vie
1 tte acharnée. Les ducs de Bel-
lune et de Reggio disputaient à
l'ennemi, toujours plus pressant,
la route de Chaulnes, par laquelle
l'empereur avait promis d'arriver.
Lorsque ses têtes de colonnes y
débouchèrent, ce chemin était oc-
cupé par des tirailleurs ennemis.
Les corps français réunis arrêtèrent
devant Guignes la marche des
Austro-Russes, et l'on se hala d'expé-
dier des courriers à Paris, qu'a-
vait grandement alarmé le bruit de
leur approche. L'armée française
se reporta en avant. Le maréchal
Victor qui marchait en létr\ sou-
tenu par les corps de cavalerie de
Kellermann et de Miihaud, ren-
contra près de .Mormaut un corps
russe (le huit mille hommes, qui
se replia aussitôt, mais que le ma-
réchal lit attaquer de Iront pendant
que la cavalerie le tournait par ses
flancs. Ce corps, pressé en outre
par l'artillerie de Drouot, fut mis
en déroute complète et entièrement
dispersé. Vers trois heures, le duc
de Bellune, à la hauteur de Val-
jouan, se trouva en présence de la
division bavaroise Lamotie, qud
l'échec de l'avaut-garJe russe obli-
geait à rélro^irader sur Monte-
reau. Ce corps, attaqué aussitùt
par les généraux Gérard et LJor-
desoulle, fut débusqué de Ville-
neuve, occupée par une partie de
ses troupes, et chargé avec tant de
vigueur qu'il dut chercher son
salut dans la formation de son in-
fanterie en bataillon carré. Mais
ce bataillon fui bientôt rompu par
une nouvelle charge à la liaion-
nette qui le mit dans le plus grand
désordre, et si le duc de Bellune
eût fait appuyer ce mouvement par
la cavalerie, c'rn était fait proha-
blemiiît de la division entière.
Le maréchal ne voulut jjoinl ini-
VIC
373
poser cet effort aux troupes fati-
guées. Accablé lui-même de lassi-
tude, il s'aiTêta pour coucher à
Salins, et ce fâcheux retard per-
mit aux Bavarois d'arriver avant
les Français aux jionis de Monte-
reau. Ce point devint, le 18 mars,
le théâtre d'une attaque dirigée,
sous la conduite de Napoléon en
personne, par les généraux Gérard
et Pajol, qui culbutèrent les avant-
postes ennemis. Victor ne parut
qu'à neuf heures devant Montereau,
dont les hauteurs et les deux ponts
étaient occupés par le prince de
Wurtemberg, dans l'espace com-
pris entre Villaron et Saint-Martin.
Impatient de réparer le relard que
l'empereur était en droit d'imputer
à son beau-père, le général Chataux
enleva vigoureusement la position
de Villaron, mais sans pouvoir s'y
maintenir. Il chercha alors î» tour-
ner la hauteur de Surville pour
s'avancer jusqu'iju pont sur la
Seine, et touchait à ce but, quand,
atteint morteilemcnt par un coup
de feu, il tomba sous les yeux
mêmes du maréchal, à la tête de
sa troupe, qui piia. Gérard fut
aussitôt appelé à conduire les ba-
taillons engagés; il réussit à neu-
traliser l'arLilierie wurtembei-
geoise par l'action de soixante
batteries françaises dont le général
Daring tenta vainement de s'em-
parer, et le i)rince royal ayant été
en même temps dcbusqué des
hauteurs, les coalisés s'enfuirent
dc'.ns un affreux désordre auquel
succéda bientôt le carnage le plus
meurtrier; huit mille hommes, dont
ein(j mille prisonniers, quatre dra-
peaux elsix bouches i* feu couvrirent
Itf-champ de bataille. Napoléon, vi-
vement in(lisj)0sé contre le duc de
Bellune, lui envoya lapermission de
(luilter l'armée, et donna ^on cum-
37A
VIG
Vie
mandement J\ Gérard. Informé de
cet ordre, le maréchal monta p''é-
cipitamraent à Surville, où se trou-
vait l'empereur, et vint, les larmes
aux yeux, en solliciter la révoca-
tion. Napoléon, donnant un libre
cours à son mécontentement, re-
procha à son lieutenant de servir
de mauvaise grâce, de fuir le quar-
tier général, et môme de mani-
fester une opposition plus déplacée
dans les camps que partout ail-
leurs. Vivement blessé de ces re-
proches, qui n'épargnèrent pas
même la maréchale, dame du palais
impérial, Victor parvint à peine k
rappeler à son maître qu'il avait
été l'un de ses plus fidèles compa-
gnons d'armes, et qu'à ce titre il
ne pouvait quitter l'armée sans
déshonneur. Ces souvenirs ayant
adouci le ton de l'entretien, Napo-
léon ne parla plus au maréchal que
des droits que six blessures et ses
services lui donnaient au repos,
et insinua que ces ménagements
pouvaient jusqu'à un certain point
compromettre les exigences d'une
campagne aussi active que celle
qui était imposée à l'armée. Ces
derniers mots réveillèrent la sus-
ceptibilité militaire du vieux guer-
rier; il voulut justifier sa lenteur
de la veille pai' son concours du
lendemain, mais, au nom du géné-
ral Chataux, les sanglots étouf-
fèrent sa voix, et Napoléon témoi-
gnant à son tour une vive émotion :
« Je vais prendre un fusil ! s'écria
le maréchal; je n'ai point oublié
mon ancien métier; Victor se
placera dans les rangs de la garde. »
Vaincu par cet excès de dévoue-
ment : " Ueslez, lui dit alors Napo-
léon en lui tendant la main, je ne
puis vous rendre votre corps d'ar-
mée, puisque je l'ai donné îi
Gérard, mais prenez deux divisions
de ma garde, et qu'il ne soit plus
question de rien entre nous. »
Le mécontentement de l'empereur
s'étendit au général Guyot, auquel
il reprocha publiquement le peu
de soin qu'il avait pris de son
artillerie, et surtout au général
Digeon, dont il ordonna la traduc-
tion devant un conseil de guerre
pour avoir laissé ses batteries man-
quer de munitions sur les hauteurs
de Surville. Napoléon dissimulait
mal sous ces rigueurs impuissantes
la clairvoyance de sa situation. En
dépit d'efforts presque surhumains,
le cercle de la lutte se rétrécissait
chaque jour. Les coalisés pous-
saient leurs masses compactes sur
la métropole des révolutions mo-
dernes, et la défaveur progressive
de leurs propositions de paix té-
moignait irrécusablement du peu
d'illusion qu'ils s'étaient fait sur la
valeur réelle de nos derniers suc-
cès. Avec quelle amertume ne dut
pas s'ofiVir alors à Napoléon le
souvenir de ces honorables propo-
sitions de Prague dont le criminel
refus coûtait tant de sang, de
larmes et de sacrifices à la France !
Quoi qu'il en soit, le dévouement
de Victor ne fut pas soumis îi une
longue épreuve. Le 7 mars, à la
bataille de Craonne , au moment
où il venait de s'emparer de
l'abbaye de Vauclerc après des
prodiges de valeur, il fut frappé
iur la lisière du bois d'Aillés d'une
balle qui lui traversa la cuisse, et
quitta le champ de bataille pour
n'y plus reparaître. Le duc de
Bellune ne se montra point parmi
les maréchaux qui sollicitèrent
avec une insistance si indécente, à
Fontainebleau, l'abdication de leur
ancien chef, mais il fut un des
premiers à offrir sa soumission au
gouvernement royal. Il fut ac-
vie
vie
375
cueilli avec bienveillance par
Louis XVIII, reçut la croix de
Saint- Louis le 2 juin 1814 , et fut
nommé le 6 décembre suivant au
commandement de la deuxième di-
vision militaire. En 1813, à la
première nouvelle du débarque-
ment de Napoléon, le duc de Bel-
lune adressa de Sedan (10 mars)
aux troupes de sa division, un
ordre du jour où il rappela
les mesures prises pour réprimer
« le nouvel attentat de Bonaparte
contre la paix et le bonheur dont
les Français jouissaient sous le gou-
vernement de leur souverain légi-
time et justement chéri, «etexhortait
« tout homme d'honneur à prendi e
les armes contre l'homme qui avait
tyrannisé, désolé et trahi la France,
ainsi que contre les satelliies qui
l'assistaient dans ses brigandages.»
Le maréchal Victor ne se borna pas
il cette véhémente proclamation.
Il vint à Chàlons le 16 mars pour y
rassembler un corps de troupes
deslinéà marcher contre Napoléon ;
puis il partit pour Paris, d'où il
adressa à tous les colonels de son
corps d'armée l'invitation de réunir
les officiers et sous-ofliciersde leur*
régiments et de leur faire connaître
« la position affreuse où Bonaparte
voulait réduire la France pour satis-
faire ses passions violentes aux
dépens de la fortune, de la tranijuil-
litéetdu sang des Français... Cette
guerre, ajoutait le maréchal , est
celle de la trahison contre la fidé-
lité, de l'iniquité contre la justice,
de la honte contre l'honneur. »
Victor repartit pour Châlons. où il
arriva 1«"î !20, et où il trouva reunies
toutes les troupes de son comman-
dement. 11 ordonna sur le champ
diverses dispositions pour s'avancer
à la rencontre de Napoléon, dont il
ignorait l'arrivée à Paris ; mais ses
troupes lui témoignèrent un mau-
vais vouloir marqué ; elles arbo-
rèrent les couleurs impériales, et
Victor, appréhendant poursa propre
sûreté, s'éloigna rapidement et alla
rejoindre à Gand le monarque au-
quel il venait de donner des gages
si éclatants de sa fidélité. Napoléon
exaspéré, le punit par une mesure
sans exemple encore , même dans
les fastes de l'arbitraire impérial :
il i)riva Victor de son titre de ma-
réchal, et frappa du même anathème
les maréchaux Oudinot et Gouvion
Saint-Cyr, coupables au même chef.
Le duc de Bellune tint peu de compte,
comme on l'imagine, de cet acte
d'impuissante vengeance. Il fitpartie
avec la plupart des autres maré-
chaux du cortège de Louis XVIII à
sa rentrée dans Paris, et ne tarda
j)âs à recevoir des témoignages mul-
tipliés de la bienveillance royale. H
fut nommé le :26 juillet président
ducoUége électoral de Loir-et-Cher,
et pair de France le 17 août sui-
vant. Le 6 septembre, une ordon-
nance du roi l'appela à l'une des
quatre places de major général de
la garde royale. Le 12 octobre, le
duc de Bellune reconnut ces faveurs
en acceptant la présidence de la com-
mission chargée « d'examiner la
conduite des ofiiciers de tous grades
qui avaient servi pendant l'usurpa-
tion; i) tâche délicate à remplir par
un vétéran des armées impériales
à l'égard de ses ancieus frères
d'armes, et dont l'exercice fut en-
core compliqué par la subtilité et la
bizarrerie des instructions ministé-
rielles destinées i le régler. «Ces ins-
tructions étaient conçues de telle
façon, dit un historien grave, que
-leshommeslesplus éminculsde l'ar-
mée, ceux qui en faisaient la gloire
et la force, se trouvaient eu grande
partie relégués dans les dernières
370
Vie
VIG
catégories qu'elles établissaient, et
marqués ainsi eu quelque sorte
d'un stigmate de flétrissure(l).»Au
bout dft deux ans de travail, la
commission se sépara sans laisser
dans l'armée d'autre trace qu'une
irritation profonde contre le pou-
voir qui l'avait instituée. Le 10 jan-
vier 1810, le maréchal Victor fut
appelé au commundemeni de la
Indivision militaire ; le 3 mai sui-
vant , il fat promu au grade de
commandeur de l'ordre de Saint-
Louis, et la 24 août à la dignité de
grand-croix de cet ordre; enfin, à
la formation du ministère de droite
du 14 décembre 1821, le départe-
ment de la guerre fut confié au duc
de Dellune. Comme valeur politique,
le maréchal n'apportait aucune
force au cabinet ; mais son passé
militaire, l'éclat du grade dont il
était revêtu, son esprit conciliant, et
par-dessus tout, le dévouement in-
défectible dont il avait fait preuve
pour la cause des IJourbons, justi-
Jièrent surabondamment ce choix,
qui fut accueilli avec beaucoup de
faveur par le parti royaliste. Peu
familier avec les débals parlemen-
taires, le ducdeBellune n'aborda la
tribune, e:rl 822, que pour défendre
à la chambre desdépulcs le budget
de son département. 11 combattit
spécialement les réductions pro-
posées par la commission sur le
traitement des officiers généraux
et des officiers d'état-major en non-
activité, et réfuta la supposition
que plusieurs d'entre eux seraient
conduits, p;ir l'amélioration de leur
sort, il prélércr l'inaclion k l'acti-
vité, a L'armée, dit-il, à cette occa-
(l) Ilisloire lïc la lieslduraliou,
par M. L. de Vicl-Castel, tome iv ,
p. 2oL
sion (28 mars) , existe pour être le
salut et l'appui des honnêtes gens,
le désespoir et l'elTroi des rebelles;»
conclusion qui excita d'ardentes
clameurs au côté gauche de la
chambre. Le maréchal écrivit à la
même époque (22 avril) une lettre
par laquelle il donnait de grands
éloges aux officiers qui avaient re-
poussé la proposition de s'affilier aux
sociétés secrètes dont l'armée su-
bissait vivement la pernicieuse in-
fluence. Trois mois plus tard, le
28 juillet , en présentant à la
chambre le budget de 1823, il
repoussa les attaques dirigées
contre le ministère au sujet de
l'arrestation du capitaine Lafon-
taine, et soutint qu'elle avait été
motivée par sa conduite séditieuse,
etnon par le sens politique de son
vote aux élections de la Cote-d'Or.
Il combattit énergiquement aussi
les reproches adressés par les ora-
teurs du cOté gauche aux régiments
qui avaient réprimé les complots de
Béfort et de Saumur, et s'étonna
que « de telles erreurs pussent être
le partage d'un député français. »>
Le maréchal manifesta néanmoins
d'une manière éclatante sa répul-
sion pour les instigateurs de la dé-
monstration insidieuse à laquelle
s'étaient prêtés les deux régiments
de chasseurs de Colmar et de Neuf-
Brisac, démonstration dont le but
avait été de démasquer les mili-
taires engagés dans les complots
révolutionnaires. Un lieutenaut-co-
lonel, principal promoteur de cet in-
qualifiable guet-apens, sollicita vai-
nement du loyiil ministre l'avance-
ment qu'il croyait avoir mérité. Le
maréchal ne jugea pas (|u'une pro-
motion militaire dût être la récom-
pense d'un pareil dévouement.
Parmi les actes de l'administration
du duc de liellune, nous citerons
vie
rordonnance du 3 juillet 1822, sur
l'inspection des troupes de toutes
armes, et celle du 18 seplembrede
la même année, sur la réorganisa-
tion de l'intendance militaire. Lors-
que, dans les premiers jours de
1823,1e gouvernement pourvut aux
préparatifs delà guerre d'Espagne,
le maréchal témoigna, dit-on, un
vif désir de faire partie de celte
expédition en qualité de major-
général de l'armée. Le général
Guilieminot lui fut préféré. Mais la
police ayant découvert une conspi-
ration militaire dans laquelle le
chef d'escadron de Lostende, pre-
mier aide-de-camp du général, se
trouvait compromis, le comteGuil-
leminot ne put conserver ses fonc-
tions: le 17 mars, le duc de Bel-
lune fut appelé cl le remplacer, et
l'intérim de son ministère fui confié
au général Digeon. Ces arrange-
ments, qui causèrent beaucoup
d'omi)rage au duc d'Angoulême,
généi'alissime de l'exfjédition, ne
devaient être que momentanés.
M. de Losiende , complètement
disculpé, fut renvoyé à l'armée des
Pyrénées, et le général Guiliemi-
not reprit ses fonctions. Le ma-
réchal, après un court séjour à
Dayonne, revint prendre posses-
sion de son ministère. Mais cette
réintégration ne fut que provisoire.
Le duc de Dellune s'attira la
disgrâce du dauphin par la mol-
lesse de ses dispositions et la
négligence qu'il avait apporiee
dans la transmission des ordres du
prince à l'intendance militaire,
chargée de l'équipement et des sub-
sistances du corps expéditionnaire.
Ce contretemps, si fâcheux, à la
veille d'une entrée en cam|)agne,
avait obligé le duc d'Angoulême
à souscrire l'onéreuse convention
si connue sous le nom de marchés
Vie
377
Ouvrard. M. de Villèle, président
du conseil, sacriQa à regret un
homme qu'il aimait et estimait ,
et peu de jours avant le glo-
rieux retour de M. le dauphin
à Paris (19 octobre), le maréchal
dut résigner définitivement le por-
tefeuille de la guerre. Cepen-
dant le vainqueur du Troca-
déro n'obtint qu'une satisfaction
incomplète. Le candidat de son af-
fection, le général Guilieminot, ne
fut point agréé, et le duc de Bel-
lune eut pour successeur le baron
de Damas, l'un des choix les plus
propres, non sous le rapport de
l'illustration militaire , mais sous
ceux de la droiture et de la fidélité
monarchique, à indemniser le parti
royaliste du sacrifice qui lui était
imposé. Le 30 novembre, le roi
nomma le ducdeBellune ambassa-
deur de France en Autriche, et
accompagna celte promotion d'une
lettre conçue dans les termes les
plus flatteurs; mais le duc n'accepta
|)Oint et se concentra exclusivement
dès lors dans ses fonctions de ma-
jor-général de la garde royale.
Lors du sacre de Cbarles X, il reçut
le commandement du camp de
Reims, et fut compris, b l'occasion
de cette solennité, parmi les cheva-
liers de l'ordre du Saint-Esprit.
Enfin, le 17 février 1828, le maré-
chal Victor fut nommé membre du
conseil supérieur de la guerre. Ce
fut le dernier emploi qu'il remplit
sous la Restauration, mais non le
terme de son dévouement. Le 29
juillet 1830, lorsque l'insurrection
de Paris commença à menacer la
sûreté de la famille royale, le vieux
guerrier alla offrir ses services au
duc de Raguse , et lui proposa
de servir sous ses ordres, (|uoi
qu'il fût son ancien en grade. Soit
«spril de rivalité, soit que le mare-
378
Vie
chai Marmont se crût assuré alors
de dompter ou de pacifier le mou-
Yemenl révolutionnaire, ses ottVes
ne furent point accueillies, et le
dauphin, assez malheureux pour
n'avoir pas perdu le souvenir de
ses anciens griefs, se montra peu
sensible à ce généreux empresse-
ment. Le duc de Bellune quitta
Saint-Clouil, péniblement affecté.
Il préla serment au roi Louis-Phi-
lippe, mais il demeura entièrement
à l'écart et s'abstint même de sié-
ger à la Chambre des pairs. Cette
réserve n'empêcha pas que son nom
ne fût plusieurs fois mêlé aux com-
plots formés par le parti légitimiste
en 1831 et 1832, moins sans doute
par l'effet d'une participation réelle,
qu'à raison de son attachement si
prononcé, si persévérant à la cause
des princes exilés. Le duc de Bel-
une mourut le 1" mars 1841, lais-
sant un nom recommandable par
de grandes qualités militaires que
rehaussait une rare modestie de
caractère, jointe à une loyauté
irréprochable. Le maréchal Vic-
tor, diTorcé d'une première femme
qu'il avait épousée à Valence en
1791, s'était remarié en Hollande
en l'an IX, à l'époque où il com-
mandait l'armée de Batavie, à ma-
demoiselle Julie Vosch de Ave-
saat, qui fut dame du palais im-
périal. Il en eut deux (ils et une
fille, mariée au général Chataux,
tué en 1814 sur le champ de ba-
taille de Montereau. Son fils aîné,
e marquis de Bellune, membre
du Sénat, mort au mois de dé-
cembre 18.-)3,a publié, sous le titre
û'ExIraits des Mémoires inédits du
dur de lU'llune (Paris, 18 Uj, in-8°),
un volume (jui contient le récit des
premières campaj^nes du maréchal,
et (jue termine une réfutation cir-
constanciée des inexactitudes dans
VID
lesquelles l'historien du Consulat et
de l'Empire est tombé à son égard.
On a de plus, du maréchal, un Mé-
moiresurles marchés Ouvrard (Paris,
1826, in-8"), précis destmé à com-
battre les inculpations d'incurie ou
d'imprévoyance qui lui avaient été
faites ù l'occasion de la seconde
guerre d'Espagne. A. B— ée.
VIDAL (DoM Pierre), issu de
parents distingués, né vers 1G08,
à Joigny, au diocèse de Sens, en
Bourgogne, se destina à la vie reli-
gieuse. Ayant embrassé la règle de
saint Benoit, dans la congrégation
de Saint-Maur, il fil profession, à
l'âge de dix-huit ans, dans l'abbaye
de la Trinlté-de-Vendôme, le jour
des apôtres saint Simon et saint
Jude de l'année 171 G. Lorsqu'il
eut fini ses cours de philosophie et
de théologie, qu'il fit avec distinc-
tion, on le nomma professeur de
ces deux sciences élevées, pour les
enseigner aux jeunes religieux. Il
demeura longtemps dans l'abbaye
de Sainl-Germain , Ji Auxerre ,
dans l'obédience de sous-prieur,
et il jouit de la bienveillance et
même de la confiance de M. de
Gaylus, évêque de cette ville. Ces
dispositions d'un évêque, ardent
janséniste, à son égard, feraient
seules présumer des opinions de
Dom Vidal. Il était en effet forte-
ment attaché à ce malheureux
|)arti qui a tant fait de ravages
dans ri^glise, et même dans la
congrégation de Saint-Maur en
particulier. On sait que l'illustre
saint Germain, après son voyage
dans la Bretagne armoriquc, alla
îi Ravenne, en Italie, et y mourut
le ai juillet 4't8; on sait aussi que
l'impératrice Placidie lit renfermer
son corps dans un coffre de bois
de cyprès , et le fit reporter à
Auxerre, où il arriva cinquante
VID
jours après sa mort. Au dernier
siècle, on découvrit des ossements
dans un coffre-fort de l'abbaye
Saint-Marien, dans la même ville.
Le célèbre abbé Lebeuf crut et
voulut persuader au public que ces
ossements étaient les véritables
reliques de saint G'^rmain. Dom
Vidal, qui ne partageait point celte
persuasion, \)ub\h: Leltrescritiques,
dans lesquelles on fait voir le peu de
solidité des preuves apportées par
ceux qui poursuivent la vérification
des prétendues reliques de saint
Germain, évoque d'Auxerre, avec
cette épigraphe : Adhug sub jcdice
LIS EST. Ces lettres, qui furent
publiées sans indication de lieu,
mais à Auxerre, dans le format
in- 12, parurent anonymes (1) et
sont au nombre de sept. On y ré-
pondit par trois lettres imprimées
à Auxerre, chez Fournier, en 1753.
Dom Vidal y répliqua, et comme
c'est assez l'usage dans les duels,
même littéraires, il eut des adver-
saires et des j)arlisans. Après la
mort de Caylus, Dom Vidal fut
obligé à quitter la ville d'Auxerre.
Les supérieurs l'envoyèrent dans
Tabbaye de Saint-Bénigne, de
Dijon, pour y administrer le tem-
porel. Plus tard , il revint à
Auxerre, dans l'abbaye de Saint-
Germain, où il mourut le 10 sep-
tembre 17()0. Outre l'ouvrage que
j'ai indiqué, Dom Vidal avait eu
part à quelques écrits polémiques
(I) Barbier, qui inonlioune ces lettres
dans le troisit'ine voIuiir' de son IHc-
tionudirc des Anonymes, mais en don-
nant 1753 pi)iir date de celte édilinii,
indiipu' qu'il b b attribue h dom Viilal,
d'a|très lecataloj,'ue manuscrit de l'abbé
(î()uj(!t. Il est étoiiiiaiit ((u'il i^uoiàttiue
dom Tassin les a données a dom Vidal,
dans le petit article qu'il lui a consacré.
VID
379
gur les affaires du temps, c'est-à-
dire sur et pour le jansénisme.
Néanmoins son zèle n'a pu lui faire
obtenir de l'abbé Cervau une
place dans son Nécrologe des plus
célèbres défenseurs de la vérité.
B.— D— E.
VIDERÏC ou VIDRIC, ou, selon
d'autres, AVIDRIC, en latin Vin-
drius et Vindericus, est le nom d'un
pieux et savant religieux du xr siè-
cle. Il embrassa la vie monastique
dans l'abbayé de Saint-Èvre-les-
Tûul, sous la règle de Saint-Benoît.
Le monastère, fondé au \*^ siècle,
avait d'abord suivi la règle d'A-
gaune, ou plutôt celle de saint
Colomban. Gauzlin, évêque de Toul
au x" siècle, y introduisit le ré-
gime des bénédictins, jusqualors
inconnu en Lorraine. Videric de-
vint abbé de ce monastère, qui,
avant la révolution française, ap-
partenait à la congrégation Je
Saint-Vanne. On connaît peu les
actions de ce religieux, qu'on sait
pourtant avoir été distingué par
son savoir et sa haute i)iété. On
ignore môme l'époque de sa mort,
mais on sait qu'il vivait encore en
106j(i j, puisqu'on trouve son nom
à la fin d'un titre de l'évèque
Odon, pour l'égiise de Saint-Gen-
goul, de Toul. Comme auteur, Vi-
deric est connu seulement par ce
quil a écrit sur saint Gérard, évê-
que de Toul. 11 a : 1" écrit sa vie,
à la prière de Léon IX, qui, avant
d'être pape, avait été évêque de
Toul. Cette vie, d'après laquelle
Baillet a composé la sienne, se
(Il Alors que penser de la date 091,
"Xloiinée par Lmgipont, dans la nomen-
clature qui termini' le 8"- volinnc de >on
JJisluire litlérairc de l'ordre de S(iiut-
Itcnoit? Dom Fran(.M)is dit aussi que
Viiicric a Yécu dans les x» et xr siècles.
380
VID
VID
trouve, comme on doit le penser,
dans le recueil des Bollandistes.
Elle est fort édifiante, dit Godes-
card, et très-bien écrite. L'édition
la meilleure et la plus complète
que nous en ayons, est celle qu'ont
donnée dom Martenne, tome IIl du
Thésaurus Anecdotonim , p. lOiS,
et dom Calmet, dans les Preuves de
son hisloire de Lorraine, App. mon.
tome IV, part. 2, p. 137. Le P.
Benoît Picard, capucin, publia le
même ouvrage en français avec de
longues notes, 1700, vol. in- 12. Il
le fit reimprimer en 1707, dans son
Histoire ecclésiastique et civile de
Tout. Outre la Vie de saint Gérard,
Videric a 2" donné et dédié h Udon,
évêque de Toul, V Histoire de la
canonisation et de la translation
du même saint Gérard, faite par le
pape saint Léon, en lOoO ou 105J,
dont lui, Videric, dit avoir été
témoin. Enfin, 3* notre auteur, tou-
jours hiérophante de saint Gérard,
a aussi mis en vers la vie de ce
saint évêque. Son style est simple,
dit Dom François, et sa poésie
n'est pas relevée; mais l'ouvrage
respire la sincère piété de celui
qui l'a écrit. L'estime et la répu-
tation dont jouissait Videric sont
bien prouvées par l'épitaphe qui
se lisait autrefois au chapitre de
Saint-Evre, et qui donne quelques
indices sur sa vie :
UJc tegitiir tomba mouachorum lucida gemma,
Excmpluiu vita-, maxima lux patrifi-,
Alibas Oifitio Videricus, (termine claro,
Kxiinius mundo, c^egius Domino.
Dum rcvebit cursiu, per senas Marlius ides,
Taie decus terris, livida mors rapuit,
Nos petimu> vidui, miserd sab sorte relicli,
Sil dit'iius re^no Tirere, Cbrisle. tuo.
Le père Mabillon, au tome IV, des
AJinales de son ordre, a aussi
parié de Videric. B.— d. — e.
VIDOCQ (François-Euglne) doit
U une uoloriélé plus populaire que
recommandable l'honneur de figu-
rer dans ces colonnes ouvertes à
des hommes et à des actions plus
dignes d'intéresser la postérité. Il
naquit le 23 juillet 177o i\ Arras,
où son père était boulanger. Ses
inclinations vicieuses se révélèrent
de bonne heure par quelques lar-
cins commis dans la maison pa-
ternelle, lesquels grossirent de
proche en proche, jusqu'à un dé-
tournement de deux mille francs
qu'il effectua à l'aide d'effraction ;
puis il s'enfuit à Ostende avec le
projet de s'embarquer pour l'Amé-
rique; mais des malfaiteurs l'ayant
attiré dans un lieu suspect le dé-
pouillèrent à son tour des produits
de son vol, et Vidocq se vit obligé,
pour vivre, d'entrer au service
d'un saltimbanque du plus bas
étage qui l'assujettit aux traite-
ments et aux exercices les plus
humiliants. Dégoûté bientôt de cette
existence abjecie, il revint à Arras
solliciter le consentement de son
père pour s'engager dans le régi-
ment de Bourbon et l'obtint sans
peine; mais s'étant pris de que-
relle avec son sergent-major, il
déserta dans un régiment de chas-
seurs d'où l'exila bientôt la crainte
d'être traduit à un conseil de
guerre pour son dernier méfait.
Ce fut sous un drapeau étranger
que Vidocq alla cette fois chercher
un abri contre la vindicte militaire
de son pays; il se lit incorporer
dans les cuirassiers de Kiiiski;
mais les rigueurs de la schlague
ne tardèrent pas à lui rappeler sa
qualité de Français. 11 repassa la
frontière, reparut dans son ancien
régiment de chasseurs, et quitta
momentanément le service par
suite d'une blessure qu'il avait
reçue i\ la jambe. 11 profita de co
répit pour épouser, à dix-huit ans,
VID
la sœur «l'un aide de camp de Jo-
seph Lebon, appelé Chevalier; mais
il la quitta à la suite d'une mésa-
venture conjugale, reprit sa vie
errante, et profita du dérèglement
de la discipline militaire pour par-
venir rapidement au grade nomi-
nal de lieutenant, et même à celui
de cjipitainc de hussards. Une
dame de qualité chez laquelle il
était logé, s'intéressa assez yivc-
ment à lui pour le gratifier d'une
somme de quinze mille francs.
Vidocq vint à Paris au commen-
cement de 179G, dépensa rapide-
ment cette somme en compagnie
de joueurs et de femmes perdues,
et se rendit k Lille où il ne tarda
pas à subir un emprisonnement
correctionnel pour voies de fait
exercées sur un officier du génie,
avec qui il s'était trouvé en rivalité.
Cette détention fut l'occasion de la
seule sentence criminelle qui pa-
raisse avoir été prononcée contre
lui : Ciile de huit ans de fers pour
complicité dans !a fabrication du
faux ordre de mise en liberté d'un
cultivateur condamné pour vol de
blé. Vidocq fut conduit Ix Brest
d'où il s'évada après une semaine
de séjour : mais il ne put se sous-
traire îi la surveillance de la gen-
darmerie, et essaya seulement d'a-
méliorer son sort en se faisant
passer pour déserteur de la marine.
Traduit à Ponianion dans la mai-
son de détention destinée aux ma-
rins, il parvint encore à s'évader
sous le costume d'une religieuse.
A la suite de diverses aventures
sans intérêt, Vidocq fut reconnu,
et dirigé de nouveau sur Brest,
d'où il s'échappa pour la seconde
fois déguisé eu mal»'lot. Il fut de
nouveau livré à la justice sur la
dénonciation d'un faux frère et
conduit dans les prisons de Douai,
VID
381
dont l'enceinte fut aussi impuis-
sante à le retenir que l'avait été la
surveillance des gardes-chiourmes
de Brest. Il Tint à Paris, fit la con-
naissance de la femme d'un che
d'escadron nommée Annelte, et
entreprit un petit commerce qui
eût prospéré, sans les saignées ré-
pétées qu'il lui fallait faire subir à
sa caisse pour rétribuer la discré-
tion de ses anciens compagnons
de captivité. Ce fut alors que Vi-
docq, à bout de voies, prit le parti
d'aller, dans les premiers jours de
1809, offrir son concours à la po-
lice de sûreté, sous la seule condi-
tion de subir le restant de sa peine
dans la maison de force qu'on
voudrait lui désigner. Son offre fut
agréée après quelque hésitation, et
voilà Vidocq enrôlé dans les rangs
et bientôt à la tête de cette fameuse
bande d'agents secrets, dont l'in-
dustrie, aussi nécessaire que mé-
prisable, consiste à appliquer à la
recherche des malfaiteurs les res-
sources que la plupart ont dé-
ployées précédemment pour pré-
parer le succès de leurs méfaits.
Cette seconde phase de sa vie ne
présente ni plus d'intérêt, ni sur-
tout un intérêt plus attachant que
la première. Des ruses de police,
d'astucieux déguisements, d'igno-
bles perfidies, toutes les formes de
langage employées dans les lieux
les i)lus infimes; tels sont les ta-
bleaux nauséabonds que nous dé-
roule Vidocq lui-même, historien
de ses propres turpitudes, et qui,
sous le nom fastueux de Mémoires,
ont joui, pendant plusieurs années,
du triste privilège de désennuyer
l^s oisifs de la capitale et de la
province. Cette existence dégradée
cl périlleuse dura jus(}u'eu 1827,
et il faut constater, pour être juste,
que Vidoc(i signala son exercice
Qso
82
VID
VID
par quelques coups de main habiles
cl par quelques services essenliels.
On conçoit toutefois qu'un tel per-
sonnage ait été peu sympathique à
M. Delaveau qui, dans le rêve
d'une belle âme, avait imaginé de
moraliser la police, et d'en purger
le personnel de cette foule d'êtres
dangereux, dont les services équi-
voques lui paraissaient propres
surtout à jeter un irrémédiable
discrédit sur une institution des-
tinée par-dessus tout i^i protéger
l'honneur et la sûreté des citoyens.
Vidocq s'alarma sérieusement de
l'invasion des jésuites dans la rue
de Jérusalem, et donna sa démis-
sion. Il se retira à Saint-Mandé,
dans une maison modeste qu'il
avait fait construire dt puis peu, et
dirigea ses vues et son intelligence
du côté de l'industrie. Préoccupé
de l'avantage de secourir par le
travail ceux des repris de justice
auxquels, malgré un repentir sin-
cère, cette flétrissure fermait tout
accès à un emploi utile, il fonda
une manufacture de papier et de
carton destinée à recevoir exclusi-
vement des libérés des deux sexes,
moyennant une rétribution déter-
minée. Mais cette idée, bonne en
soi, échoua soit par le défaut d'ap-
pui du gouvernement, soit |)ar la
répugnance des détaillants de Paris
à employer des produits d'une
origine aussi impure, et Yidocq
fut contraint, au bout de quelques
années, ù une liquidation onéreuse.
Cependant l'ouragan de 1830 ve-
nait de balayer le régime qui avait
soulevé ses susceptibilités. Vidocq
se décida à rentrer dans la police
sans caractère officiel , comme en
1809 ; mais ce fut, cette fois, à la
police politique surtout qu'il offrit
le tribut de son intelligence et de
son dévouement. On le vil (igurer
dans ces bandes dites A'assommetirs
chargées d'intimider les ennemis
du nouvel ordre de choses; et les
services qu'il rendit à la cause de
l'ordre, lors de l'insurrection des 5
et G juin 1832, sont établis par une
lettre du préfet de police au mi-
nistre de l'intérieur, en des termes
qui ne permettent pas d'en contes-
ter l'importance. Il fut même pré-
senté au roi Louis-Philippe à cette
occasion, et lui-même reproduit
dans ses Mémoires le fait de cette
entrevue, mais avec des détails tel-
lement excentriques, qu'ils empê-
chent d'y ajouter une foi absolue. .
Il ne paraît pas d'ailleurs que la
gratitude de l'autorité se soit exer-
cée avec beaucoup de munificence
\x l'égard de Yidocq, car, au mois de
juin 1833, on le voit ouvrira Paris
un bureau de renseignements pour
éclairer le commerce sur les fai-
seurs de dupes dont celte ville
abonde, et mettre en œuvre plu-
sieurs autres i)rocédés industriels
dont il parait avoir tiré un certain
profit. Quant à l'agence commer-
ciale , elle prospéra assez long-
temps, bien que troublée par deux
actions en police correctionnelle,
pour escroquerie, (jui n'amenèrent
aucune condamnation définitive
contre le prévenu. Toujours en-
thousiaste des gouvernements nou-
veaux, Vidocq mit ses services à la
disjiosition de M. de Lamartine
après la révolution de 18^8, et se
montia l'un des fervents adora-
teurs du pouvoir qui s'éleva sur ses
ruines. On le vit saluer du litre de
Messie et de réycnéraleur de la
France le promoteur du 2 décembre
dans un magnifique transparent ex-
posé aux fei)êtr(!S de rap|)artement
qu'il occupait jur le boulevard Beau-
marchais. Ce dévouement banal
avait peu profité à sa fortune. Vidocq
VIE
VIL
383
mourut dans un état de détresse ab-
solue, le 28 avril 1857, après avoir
demandé et reçu avec une ferveur
édifiante les secours de l'Eglise.
Le langage qu'il tint à ses derniers
moments fut en harmonie avec ce
retourtardif mais sincère aux idées
religieuses. « J'étais sur le bord de
l'abime... Depuis soixante-quinze
ans je n'étais pas entré dans une
église... Dieu, qui est la miséri-
corde infinie, n'a plus de motif pour
ne pas me pardonner... Trente fois
je me suis battu pour des prêtres
qu'on voulait insuiier dans la ter-
reur de 93... On ne meut pas
quand on a un pied dans la tombe
et qu'on vient de recevoir le saint
viatique... f> M. B. Maurin a publié,
en <838, une très-intéressante no-
lice sur celle naluie énergique, for-
tementdouée, originairement hon-
nête, mais dégradée, comme tant
d'autres, par l'absence de toute
éducation religieuse et dévoyée par
cette dépendance où jette une pre-
mière faute que l'historien latin a
si bien caractérisée facililas prio-
rum {lafjiliorum. A. B — et.
VIEU VILLE (Marquist'. de la).
Elisabeth Montt^ommi'ry, de la
branche française des Monigom-
mery, qui montra tant d'enthou-
siasme pour la religion prétendue
réformée, naquit probablement au
milieu du xvn"" siècle. Elle épousa
le marquis de La Vieuville, qui lui
môme prof-ssait là protestantisme,
et dont la famille était le soutien
de la réforme d.ms le pays de Fou-
gères, en Bn.tagne, pays où les
apostasies avaient clé rares, tandis
qu'à Vitré l'hérésie avait fait des
progrès sensibles. • Le calvinisme
« fil peu de progrès à Fougères,
a dit Pomiiuriul, à l'article de
« celle ville dans le biclionnaivc
c( de Uretagne; les seigneurs de la
« Vieuville avaient un temple dans
a leur château (l), et il devint le
a rendez-vous des protestants de
a ce canton. » Restée veuve, Eli-
sabeth Montgommery demeura en-
core quelque temps dans ses er-
reurs, mais enlin, ouvrant les yeux
à la vérité, elle abjura et fit pro-
fession de la religion catholique,
en 1699. Elle eut l'avantage d'é-
teindre probablement le reste du
brandon de schisme qui pouvait en-
core exister en ces contrées, et
mérita ainsi une place honorable
dans l'histoire de son pays. L'an-
née suivante , elle voulut rendre
compte elle-même au public des
motifs de sa conversion , dans un
volume intitulé : Motifs de la con-
version de madame la marquise de
La Vieuville, en Bretagne, diocèse de
Rennes. \o]. in-li2, Paris, Jean et
Michel Guignard, 1700. B— d— e.
VÏGÉE. Voijez LEBRUN, Bio-
graphie universelle, l. lxxi, p. 3.
VILLA-ALBA (Marc de), célè-
bre religieux cistercien, édifia l'Es-
pagne au xvi*" siècle, par sa science
et sa grande vertu. Il embrassa la
vie monastique dans le monastère
de Mont-Sion, près de Tolède, où
sa piété et sa doctrine lui conciliè-
rent la vénération de tout le monde.
Il fut choisi |)Our général de la
coniirégalion d'Espa^^^ne, à laquelle
appartenait son monastère, et dans
l'exercice de celte liante fonction,
il se montra si soigneux des inté-
rêts divers de ses religieux, qu'ils
avaient tous pour lui autant d'af-
fection que de respect. Le roi d'Es-
pagne, qui l'estimait à cause de sa
sainteté et de la sa^resse de son
(I) Le cliàteaii (h Vieuville est situé
sur la coinmuiic de Chàttlier, anoii-
dibsouient de Fougères (llle-ct-Vilaiiie}.
384
VIL
VIL
gouvernement, le nomma abbé de
Fitero. Ce monastère est une abbaye
(le l'ordre de Citeaux, appartenant
aussi à la congrégation dite de
l'Observance en Espagne, fondée
par Martin de Vargas (voyez Var-
GAs, ci-dessus). Villa-Alba sut y af-
fermir et y maintenir la plus ré-
gulière observance , et rarement
il s'abstenait d'assister à l'office
du chœur , comme le religieux
le moins empêché. En un mot,
il était, dans sa nourriture, dans
sa cellule, etc., comme tous les
pères de la maison. Chaque an-
née, il donnait un exemple de mo-
destie qui louchait jusqu'aux lar-
mes tous les frères qui en étaient
témoins. Le vendredi saint, après
une courte exhortation, il deman-
dait humblement pardon ù tous ses
moines des fautes dans lesquel-
les il était tombé. Tous les ab-
bés de la réforme en faisaient au-
tant, il est vrai , ainsi le portaient
les constitutions; mais ce qu'elles
ne prescrivaient pas et ce qu'il
ajoutait, c'estqu'ilcommandaitàson
prieur de lui infliger une punition
pour ce qu'il avait vu de repré-
hensible en lui , et de lui remon-
trer ses fautes sans dissimulation.
Pour obéir, le prieur, qui sa-
vait que par là il lui serait agréa-
ble, le reprenait ^évèrement pour
des défauts qui à peine auraient
été sensibles en d'autres, et lui fai-
sait infliger une cruelle discipline
par deux religieux. Villa - Alba
mourut dans son abbaye, en 1590.
Celle abbaye, située au diocèse de
Pampfîlune , dans la Navarre, était
dans un village, dont on fille tour
avec le corps du défunt, aumilieu
d'une foule d'habitants, et surtout
de pauvres, qui pleuraient un bien-
faiteur. On vénérait son tombeau,
et au bout de sept ans , les reli-
gieux ayant eu la curiosité de l'ou-
vrir, on trouva son corps aussi en-
tier et aussi intègre que le jour de
l'inhumation. On le confia de nou-
veau Il la terre, et dans le même
endroit, prenant la précaution de
remplir de chaux le sépulcre, pour
que du moins, par ce m.oyen, les
chairs fussent consumées. Précau-
tion inutile! Quand, dans la suite,
ce sépulcre fut ouvert de nouveau,
le corps du vénérable religieux
était resté dans le même état de
conservation. Cette circonstance,
dans laquelle on ne pouvait dissi-
muler qu'il y avait du prodige, fit
que les moines de Fitero honorè-
rent encore davantage Villa-Alba,
persuadés qu'il était au nombre
des saints. L'illustre abbé ne se
bornait pas à la direction de sa
maison et il trouvait encore le
temps de se rendre utile par ses
écrits. Ainsi I, en lo84, il publia à
Salamanque un recueil des défini-
tions des chapitres généraux de la
congrégation de Mont de Sion.
II, en 1588, il écrivit une lettre de
consolation à Philippe II, après le
naufrage de la flotte formidable
que ce roi avait envoyée en Angle-
terre. III. Il a laissé dix livres de
commentaires sur les prophéties
d'Isaie. Divers auteurs ont fait l'é-
loge de Villa-Alba, entre autres
Bucelin, dans son Ménologc de
l'ordre de Saint-Benoît. Henri-
quez, dans son Fasciculus satide-
rum ordinh cislerciensis , etc.
B— D— E.
VILLAGUT ou yiLLMlUm
(Alphonse), savant canonislp. du
wr siècle, était natif dij Naples.
Né avec d'heureuses dispositions
pour l'étude, il les cultiva, apprit
le grec et 1 hébreu, pénétra avec
avantage dans toutes les sciences,
et surtout dans celle du droit ca-
ML
VIL
385
1)011, et il obtint le grade de doc-
teur en celte faculté. Il s'était fait
bénédictin, le 9 juillet 4366, à l'ab-
baye de Sainl-Séverin , dans sa
ville natale, et la considération
dont il jouit dans celte maison re-
leva à la première dignité. Devenu
abbé de Saint-Séverin, il y bâtit
avec goût et enrichit la bibliothè-
que d'un grand nombre d'ouvra-
ges, tant imprimés que manuscrits.
Son attrait pour la vie de cabinet
était contrarié par la nécessité de
remplir les charges principales de
sa congrégation ; mais il déposa ce
fardeau, pour ne s'occuper qu'à la
lecture et à la composition. Il était
encore dans la force de l'âge, puis-
qu'il n'avait que 37 ans, quand la
mort l'enleva, en" 1623. Quoique
livré à tant d'obédiences, il avait
beaucoup écrit et a laissé I. Prac-
tica canonica criminalis. etc. Vol.
in-4, Bergame, 1583; 2'' édition,
Francfort, 1388. U. De usuri.s, etc.
Traclatus divisas in quesiiones XXXV.
In-fol. Venise, 1389. III. Consulta-
iiones decisivœ ad varios casus tam
in PoNTiFicio quant in CiESAREo jure
in praxi tract atos, etc. In-fol. ïré-
vise, 1601. IV. spéculum visitaio-
ruffi, seu commissariorum , seu Me-
thodus procedendi , processusque
formandi in causis criminalïbus con-
tra clericos per sœculares. ln-4, Ve-
nise, KiOl. V. De cxtensionelegum^
tam in génère , quam in specie
Tractatcs amplissimus, etc. ln-4,
1602. VI. Altegutioiies in jure, Trac-
TATLs de rébus Ecclesiœ mate aiie-
natis restituendis, etc. In-i, Naples,
1C03. 2' éd. liolo-ne, 1600. 3' éd.
Cologne, 1609. Vil. En langue ita-
lienne, un traité ascétique, divisé
en 3 volumes, dont le premier pa-
rut, formai in- 12, 'd Venise, en
l'année 1387, et les deux autres en
1389. Vlll. Propuijnaculum inejrpu-
LXXXV
rjuabile ecctesiarum pro sibi reinte-
grandis bonis stabitibus, etc. IX.
Propugnaculum impenetrabile totius
libertatis et immunitatis Ecclesiœ
sanctœ. X. Propugnaculum exemp-
tionis Monachorum cassinensium.
XI. Thésaurus actuum criminalium.
XII. Défense des dogmes de la re-
ligion chrétienne contre les juifs.
XIII. Discours sur les mystèi'es du
Sauveur. Ces six derniers ouvrages
n'avaient point été imprimés , et
étaient gardés en manuscrit dans
l'abbaye Saint-Séverin. Mais après
tant de bouleversements dont Na-
ples a été victime, on peut douter
que la bibliothèque des bénédic-
tins, si elle existe encore, soit dans
le même état. Dom François a parlé
de Villagutli dans la Bibliothèque
générale des écrivains de l'ordre de
Saint-Benoit, mais les dictionnai-
res historiques de Richard et de
Ladvocat etc., n'en disent rien, et
Longiponl, dans sa grande histoire
littéraire n'a mentionné ce ju-.
riste érudit ni dans le corps de
l'ouvrage, ni dans Ylndeéc omisso-
rum, etc. B — d — e.
VILLAROEL (Emmanuel de),
célèbre bénédictin espagnol, acquit,
au commencement du dernier siè-
cle, une grande réputation comme
prédicateur. Il était membre de la
congrégation de Valladolid. Ce re-
ligieux possédait, dit-on, une
grande variété de connaissances,
et il avait non-seulement le talent
de la parole, mais aussi celui d'é-
crire. En 1702, il donna, dans le
format in-^" , des panégyriques,
au nombre desquels se trouve l'o-
raison funcbre du cardinal Saenz
d'Aguerre, (jui avait été aussi bé-
nédictin. 11 a fait imprimer sept
volumes in-fol. de comm< iitaires
sur l'Ecriliire sainie, dont i(; pre-
mier parut à Madrid eu 1703, et
25
386
VIL
les autres, les années suivantes. Cet
ouvrage, dit dom François, a été
;iccueilli du public; il est érudit,
et peut être fort utile aux prédica-
teurs. Ce jugement est aussi celui
des journalistes de Trévoux, expri-
mé dans leur volume du mois
d'août 1707. Ils avaient parlé du
premier ouvrage de Villaroél, dans
le volume d'octobre 1702. On peut
également consulter, sur le même
auteur, la page 1004 du II' tome
de la Bibliothèque sacrée du P. Le-
long. B— D— E.
VI LLEBOIS ( Etienne - Marie-
Louis-MicHEL baron de), inspecteur
général des tinances, né à Brest le
\6 janvier 1777, suivit, dès Tàge le
plus, tendre, son père M. Michel de
Villebois, commissaire général de
marine, à Bordeaux, où il fit ses
études et traversa péniblement les
cruelles épreuves que la tourmente
révolutionnaire fit subir à sa fa-
mille. Resté jusqu'à Tâge de 32 ans
étranger aux affaires publiques,
ce ne fut qu'en 1809 qu'il entra
dans la carrière administrative, où
il n'a cessé de rendre les services
les plus utiles et où il s'est acquis,
dans ses différents emplois, la ré-
putation d'un fonctionnaire aussi
capable qu'intègre. Nommé d'a-
bord sous-inspecteur du trésor
et, comme tel, chargé de la sur-
veillance du mouvement des fonds
des caisses de l'armée d'Espagne, il
fut, (jualre ans après, promu au grade
d'inspecteur. En 1819, il lut nommé
inspecteur général des finances ; en
4822. maiire des requêtes au con-
seil d'Eiai, et, en 1824, directeurde
l'Imprimerie royale. C'est princi-
palement dans cef.e haute position
que M. de Villebois montra la supé-
riorité de son intelligence et de ses
conuaissanceb aUminisiratives, en
introduisant dans le régime de l'Im-
VIL
primerie royale de sages et utiles ré-
formes. La comptabilité établie par
cet habile administrateur n'a pas
moins contribué à la prospérité de
cet important établissement. Cette
comptabilité a été plusieurs fois
citée avec éloges et offerte comme
modèle à suivre dans les autres ad-
ministrations qui, comme l'inipri-
merie royale, ont leur budget par-
ticulier. Rentré dans la vie privée
après les événements de 1830,
M. de Villebois se retira à Ver-
sailles où il mourut le 26 février
1837, profondément regretté de sa
famille et des nombreux amis que
lui avaient acquis l'améniié de son
caractère et la supériorité de son
esprit. Z.
VILLEGONTIER (Louis-Spiri^
dionFrain, comte de la). Si la vie
ducomtede La Villegontiernenous
faisait connaître qu'un administra-
teur instruit, zélé ; un homme dis-
tingué par un rare ensemble de
belles qualités et de vertus privées,
peut-être mériterait-elle une mono-
graphie étendue, mais assurément
elle ne pourrait prétendre à grossir
la nomenclature des hommes cé-
lèbres que renferme la Biographie
universelle. Mais le comte de La
Villegontier a touché à tant de
points divers des choses de son
temps, que sa vie est un des traits
épisûdiquesde l'histoire contempo-
raine ; le lecteur verra qu'elle ré-
clamait les quelques pages que
nous lui consacrons ici. 11 naquit U
Fougères (llle-et-Vilaiue), le 26 jan-
vier 1776. Son père(l)Heaé-Joseph
(1) « Issu (l'une fauiillc parleincu-
taire, dit le Dictiunnuirc UiSloiique de
Brclagiie, anoblie par Louis Mil, en
iCdi, dans la pciv)nn(; de Sébastien
Frain. > (Voyez Frain, tome xv, page
423.)
YIL
VIL
387
Frain, membre du parlement de
Bretagne, avait épousé Mélanie-
Louise-Renée, fille du comte Four-
nier de Pellan. Ce mariage fut in-
fluencé par le duc de Penihièvre,
qui présidait alors les Etats de Bre-
tagne, et qui promit d'être le par-
rain du premier enfant que le ciel
donnerait aux nouveaux époux. Cet
enfant, celui dont nous parlons ici,
fut tenu sur les fonts de baptême
par le vertueux prince et son in-
fortunée belle-fille, la princesse de
Lamballe. Quoique né dans une po-
sition sociale qui devait lui faire
goûter de bonne heure les dons de
la fortune avec les joies de la fa-
mille, le jeune Spiridion ne jouit
pas longtemps de ces avantages ;
la Providence le destinait îi passer
une partie de son enfance et de sa
jeunesse dans lesépreuves et même
les privations. Son père mourut en
1782, sa mère, l'année suivante. Il
restait l'aîné de trois autres orphe-
lins, unesœuretdeux frères. Tandis
que leurtuteur,M.de la Bigne Ville-
neuve, confiait au pensionnat des
religieuses de la Miséricorde de
Jésus, à Saint-Nicolas de Fougères,
l'éducation de la jeune personne,
il plaça les trois garçons au collège
de Vendôme, où ils suivirent toutes
les classes; et chaque année le frère
aîné remporta les premiers prix de
la sienne. Lk il connut le duc De-
cazes et son frère, et forma arec
eux des relations d'amiiié qu'au-
cune circonstance n'a jamais al-
térée. Au sortir du collège il entra,
en 1794, à l'école polytechnique,
qui venait d'être créée, et il y ob-
tint les mêmes succès ([u'ù Ven-
dôme. Admis au premier ou au
deuxième rang , il sortit aussi , en
1797, le premier ou le second de
l'école. On lui proposa de prendre
pari à l'expédition d'Egypte ; sa
santé, faible alors , et surtout ses
principes, le portèrent à refuser.
Libre de lui-même et -à la tête de sa
famille, il revint habiter Fougères,
d'où il faisait de temps en temps des
voyages à la capitale. Après avoir
établi sa sœur, qui demeurait avec
lui, il se maria lui-même en 1806.
Il épousa M"^ Adélaïde-Marie-Claire
deLaviefvilledeBoisgelinKerdu{l).
N'ayant rien voulu sous le premier
empire, il ne commença sa vie pu-
blique qu'à la restauration des
Bourbons. Libre d'accepter la sous-
préfecture de St-Denis-en-France
ou celle de Versailles, il préféra
cette dernière, et y fut nommé le
2 août 181 5. Le séjour des troupes
alliées (Prussiens et Anglais) av;;it
amené la nécessité de dépenses, dont
la li(juidation demandait des fonds
et une aptitude spéciale. Le comte
de La Villegontier, quoique débu-
tant, montra qu'il était capable de
faire tout ce que demandaient des
circonstances difficiles; de celle-ci
il eut tout le fardeau et tout le mé-
rite. Le préfet était mal avec le
ministre. Le comte de La Villegon-
tier obtenait plus facilement que
lui de l'administration l'argent né-
cessaire (2). On sentait si bien l'u-
tilité de sa coopération , que , le
l""janvierl816, les sous-préfectures
de chef-lieu de déparlement ayant
été supprimées, le préfet demanda
(!) Fille lie Toussaint-Marie de Boit»-
ijelin, aspirant de marine sons Sutlren
(voyez ce nom, xliv, p, 150), et qui, a
l'ûge de dix-huit ans, avait reçu la croix
de Saint-Louis, pour une action d'éclat
dans la mer des Indes. La noble Tamille
de Hoisgclin, distinguées dans réiilisc,
dans l'armée, etc., l'est aussi dans la
république des lettres. (Voyez lioisge-
lin, tome v, page 18, et tome Lviri,
pagca MîO, 461.)
(2) La liquidation s'éleva a quinze mil-
lions et plus pour le départonicnl !
388
VIL
VIL
qu'on maintînt dans ses fonctions
jusqu'au 1°' mars le conite de La
Villegonlier, parce que tel était le
vœu de la commission des subsis-
tances, commission dont le comte
de La Villegonlier était membre
zélé; elle retirait un grand secours
de sa présence. Il était impossible
au minisire de faire dans la sup-
pression une exception en faveur
du sous-préfet de Versailles, il l'au-
torisa du moins à continuer de
siéger dans celte commission pour
la seconder par ses travaux et l'é-
clairer par ses lumièr es. JeWes étaient
les expressions du ministre , qui
ajoutait ces mots tlalteurs : « Le zèle
« et le dévouement dont vous avez
« fait preuve dans la place de sous-
« préfet, me font espérer que vous
« continuerez avec plaisir d'être
« utile à un arrondissement que
« vous avez si bien administré. » Le
comte de La Villegonlier refusa la
place de secréiaire général du dé-
parlement de la Seine, et son refus
mécontenta le ministre Taublanc ;
mais ( e ministre ayant eu alors un
successeur, le comte de La Ville-
gonlier fut, dès le 15 mai de la
même année , nommé préfet de
l'Allier, dont le chef-lieu est Mou-
lins. Admis à remercier le roi dan»
une audience particulière, il reçut
encore de Sa Majesté le témoignage
le plus flatteur sur sa gestion à
Versailles. Il n'arriva à sa nouvelle
destination que le 13 juin, parce
que son prédécesseur (le comte de
La Vieuville), nommé à la préfec-
ture de la Somme, désirait recevoir
à Moulins, avant de partir, la prin-
cesse Caroline de Naples , qui ve-
nait épouser le duc de Berry. Dès
le lendemain de son arrivée , le
comte de La Villegonlier écrivit aux
maires et aux sous-préft'ts une cir-
culaire qui découvrait l'esprit de
conciliation dont il voulait s'ins-
pirer dans l'administration du dé-
partement. Celte lettre plut beau-
coup à Louis XVIII et à ses minis-
tres; mais je dois dire qu'elle
trouva beaucoup moins de fa-
veur i^ la cour et dans le départe-
ment. On semblait y voir que le
nouveau préfet voulait pactiser avec
la révolution et les révolutionnaires.
Aujourd'hui on est déjk loin de ce
temps, et la plupart ignorent quelles
étaient les susceptibilités de l'é-
poque. Quelques-uns trouvaient
ces circulaires fort sages et fort
prudentes ; d'autres les regardèrent
comme rétrogrades et intempes-
tives, Parmi ces derniers comp-
taient les sous-préfets des trois ar-
rondissements, de Sulau,àGannes;
Martin des Islets, à Montluçon ; de
Conny, àlaPalisse. Celui-ci, roya-
liste plein d'ardeur, regardait le
comte de La Villegonlier comme un
honnête homme trompé , et tous
trois cependant lui restèrent atta-
chés d'estime et d'afleclion. Si tous
n'approuvaient pas entièrement le
préfet, tous étaient charmés de la
préfecture; et la réception cordiale
qu'on y trouvait , le ion à la fois
grand , poli et aisé , que madame
de La Villegonlier savait faire I égner
habituellement dans les salons de
son hôtel, y attirait beaucoup de
monde presque tous les jours. On
en vint bientôt à connaître l'esprit
de fermeté et de sagesse du préfet;
on passa pour lui à des sentiments
encore plus élevés durant la disette
qui affligea l'Allier à la lin de Tan-
née 1816 et pendant une moitié de
l'année suivante. Avant d'en parler,
je veux du moins indi(iuer un trait
curieux qui montrera quelles élaient
les maximes du coinle de La Ville-
gonlier. Un bonapartiste exalté cl
fougueux, Gautier Labertière, qui
VIL
VIL
389
élait sous le coup d'une condamna-
tion, et, par décret, exilé à Bourges,
n'avait pu être saisi. Tombé entre
les mains du sous-préfet de La
Palisse, il fut conduit au comte de
La Villegontier . qui , loin d'agir
avec rigueur, le traita avec une
sorte de générosité, s'en rapporta à
sa bonne foi, et n'eut pas lieu de
s'en repentir. Labertière tint sa
parole et Sv3 rendit volontairement
au lieu de son exil ; il est yrai qu'il
n'avait guère d'autre parti àprendre,
et il est douteux qu'il ait, pour cela,
changé de sentiments. Lell juillet,
le préfet reçut la duchesse d'An-
goulême, qui se rendait aux eaux de
Vichy, et cette princesse, qui revint
pourle même sujet, l'année suivante,
lui témoigna toujours beaucoup de
bonté, et lui donna , ainsi que le
prince son époux, des preuves de
son estime et d'une amitié presque
familière. A la fin de cette année
et la moitié de l'année suivante, le
département de l'Allier fut, comme
je l'ai déjà dit, éprouvé par une
famine cruelle, qui donna au préfet
bien de la tablature, mais lui four-
nit aussi l'occasion de montrer son
activité et la sagesse de ses vues.
Il regarda avec raison comme son
devoir de venir au secours de ses
administrés. A{)rès réflexion, il prit
une ri'solution qui lui parut la plus
prudente, et ne s'en départit pas,
résistant même aux injonctions que
les difficultt's de la position avaient
arrachées à Laine, ministre de l'in-
térieur, car h'S concessions lui pa-
raissaient injustes et inopportunes.
Le ministre lui en sut gré plus tard,
et l'en remercia de vive voix et par
écrit. Voici en abrégé ces résolu-
lions et ces mesures : libre circula-
tion des grains au dehors et au
dedans du département..; point de
réquisition..; point de taxe..; pro-
tection aux commerçants..; recher-
che et saisie des spéculateurs non
commissionnés et non patentés...;
activité continuelle de lagendarme-
rie pourempêcher les désordres...;
punition immédiate quand néan-
moins les désordres sont arrivés...;
partout du secours, surtout en tra-
vaux, et aussi appel au concours et
à la générosité des propriétaires..;
espérance dans les dons et la pro-
tection du gouvtrnemeut. Or, le
gouvernement ne manqua pas à se
montrer, pendant neuf mois, com-
patissant , secourable , mais éner-
gique dans la répression. Le comte
de La Villegontier recourut aussi au
zèle et à l'influence des personnes
haut placées, des maires, des curés
surtout, dont la parole comme les
bienfaits ne tirent jamais défaut en
pareilles circonstances. Ils se mon-
trèrent admirables. Le préfet se
rendait sur plusieurs points du
département, où son apparition
était une fête , et il y portait cette
habitude de générosité dont il
s'était fait un devoir , et qui lui
servit beaucoup, sans cependant
être onéreuse ; il gagnait tous les
cœurs par ses bonnes manières (1).
Au nombre des réformes et des
(1) Les hauts fonctionnaires, les ma-
gistrats, les administrateurs sont expo-
sés «) recevoir des deniaiules étranges,
et il donner des refus pénibles, mais
nécessaires. Peu, grâces a Dieu ! sont
du genre d'une faveur sollicitée un jour
du comte de La Villegontier, et qu'il ne
put accorder. Cette aventure, si je puis
la qnalitier ainsi, lui arriva lors de sa
visite à Montluçon. Il allait monter en
voilure pour partir, quand un ecclésias-
tique, venu de l'Auvergne, lui fit de-
mander une audience. Le préfet le pré-
vint et alla le trouver dans la chambre
d'auberge où il raltcndait. g -.elle fut
sa surprise quand il vit un prêtre lui
demander la permission (il s'exprimait
ainsi) de prêcher a Moulins, avouant
390
VIL
améliorations qu'il procura au dé-
parlemeiude T Allier, on doitcomp-
ter ce qu'il fit pour les fameux
bains de Néris. Il y trouva une
mauvaise administration; il y por-
ta remède par ses remontrances,
car on en vint h un mode plus dé-
cent... Mais, là, il dut céder, après
avoir satisfait à sa conscience, à
des intluences très-hautes, qui
maintinrent le médecin des bains,
dout il avait demandé la destitu-
tion. Il n'y avait guère qu'un an
que le comte de La Villegontier se
dévouait avec tant de conscience,
j'ajoute, et de bonheur aux inté-
rêts de ses administrés, lorsqu'il se
vit dans la nécessité de les quitter.
que prêcher était sa passion. Ce prêtre
était M. Lcgroing de la Romagcrc, âgé
alors d'enviros oo ans, frère d'un ad-
joint au maire de Montluçon. I.e préfet
eut beau lui répondre poliment, mais
nettement, qu'il n'aviut aucun droit k
s'immiscer dans cette alfaire ; qu'il de-
vait s'adresser au grand vicaire (Mou-
lins n'étant pas évêché alors) ou au
curé de Notre-Dame, puisque c'était à
.Notre-Dame qu'il voulait prêcher; le
piètre lui demanda du moins d'écrire â
ces messieurs qu'il désirait l'entendre,
et reçut encore un refus. Le pré (et con-
sentit pourtant a aller l'entendre s'il prê-
chait. De retour à Moulins, le comte de
La Villegontier reçut la visite du grand
vicaire de Clermont et du curé, qui lui
représentèrent qu'il les mettait dans
l'embarras, la prédication étant interdite
à M. de laRomagère dans le diocèse, où
il aurait mis le feu ; qu'il avait fallu écrire
à l'évêché, et qu'un l'aurait refusé si on
n'avait pas craint de déplaire k lui, pré-
fet. — Vous ne m'auriez pas déplu du
tout, répondit celui-ci, et il expliqua les
choses. Enfin il entendit, le lendemain, *
le discours le plos décousu, le plus im-
prudent. Le pndicateur vint le remer-
cier, et vamcniroi jo pp-fet chercha à
lui faire poliment comprendre ses im-
prudencc'' politiques. Le mcnie abbé
devint évêque de Sainl-FJricuc, où, avec
d<' bonnes qualités, il resta singulier et
garda sa manie de prêcher.
VIL
Le 8 octobre 1817, il fut appelé à
la préfecture d'Ille-el-Vilaine. On
put croire qu'il n'était pas sans
avoir coopéré, d'une manière plus
ou moins dirtxte, à celte mutation,
qui le conduisait dans son pays
natal. Il n'en était rien néanmoins,
et il fit des efforts jiour en chan-
ger les dispositions. Le 17 octo-
bre, M. Decazes lui écrivit qu'il
n'avait pu obtenir ni du ministre
de l'intérieur. Laine, ni de
Louis XVIII, qu'il n'allât point à
Rennes, où il devait se rendre im-
médiatement. Il vit du moins avec
consolation, les preuves de sympa-
thie que lui attira sa circulaire d'a-
dieux, et les regrets qu'excitait son
départ, qui eut lieu le 16 du même
mois. En passant par Paris, il eut,
le 18, une audience bienveillante
du roi, qui lui recommanda de
suivre à son nouveau poste la
même ligne politique qu'à Moulins.
Il lui parla des Bretons et de leurs
idées qu'il n'approuvait point, et,
chose étrange! il signalait parmi
les noms qu'il frappait d'une sorte
d'index, celui de Corbière, dont il
lit plus tard son ministre! Le duc
d'Angouléme faisait alors une tour-
née en Normandie et devait se
rendre dans plusieursdéparlements
de l'Ouest. Il était muni d'instruc-
tions qu'il devait suivre également
à Rennes. Louis XVIII voulut que
M. Decazes les communiquât au
comte de La Villegontier, qui osa
dire au roi qu'il les Irouvaitun peu
sévères. Pour faire comprendre ce
dont il est ici question, il est né-
cessaire d'entrer dans quelques
détails qui révéleront des circons-
tances d'une haute importance,
lesquelles sont généralement in-
connues et se lient intimement à
l'histoire d". la Restauration. Le
nouveau préfet devait se rendre
VIL
VIL
391
promptement à Rennes, pour y
recevoir le duc d'Angoulême qui
allait y arriver en quittant la Nor-
mandie. Comme je l'ai déjà fait
remarquer ci-dessus, le duc d'An-
goulême, en parcourant les provin-
ces de l'Ouest était muni d'une
instruclionsur l'esprit des départe-
ments, et avait une consigne sur
la manière dont il devait être
reçu ! 1 Les maires et les munici-
palités ne devaient aller au-devant
de lui que jusqu'à l'entrée des
villes; les préfets et les sous-pré-
fets ne devaient pas s'avancer au-
delà de l'entrée de leur hôtel ! ! ! Il
n'était pas permis d'annoncer par
le canon l'arrivée du prince I
Enfin, les garnisons ne devaient
pas montrer plus d'empressement
ni suivre un autre cérémonial!..
C'était donc pour recevoir le prince
dans ces conditions que le comte
de La Villegontier devait se hâter
de se rendre à Hennés, où il arriva
le 25 octobre 1817. Le même jour
on lui fit les visites officielles, qu'il
rendit le lendemain. Ayant déjà
une connaissance de l'actualité ad-
ministrative, il partit le 29 pour la
ville de Saint-M;ilo, où le duc
d'Ang'iulême devait arriver le 30;
il laissait, en partant, à M. de La
Villebrunne, secrétaire général, le
soin de meubler l'hôtel de la pré-
fecture, qui était à peu près nu.
Dès qu'il fut arrivé, il se concerta
avec Dupeiit-Thouars, sous-préfet
de cet arrondissement, sur la me-
sure qu'ils auraient à prendre pour
suivre l'étrange prescription du
ministère. Le lendemain il alla au-
devant (lu prince, qu'il rencontra
a Paramé, bourg situé à deux ou
trois kilomètres de Saint-Malo. 11
eut un quart-d'heure d'entretien
avec lui à la portière de sa vor-
lure, lui remit une lettre autogra-
phe (0 dont l'avait chargé le roi,
lui accordant une audience, lors de
son passage à Paris. 11 essaya au-
tant que possible de modifier les
instructions que Son Altesse avait
reçuessurles répréhensions ou ré-
primandes qu'elle avait à adresser
aux individus, et sur la réception
(1) Le due d'Angoulême laissa voir
dès lors les inconcevables préventions
qui l'égaraient sur les Bretons, et dit au
comte de La Villegontier qu'ils avaient
une mauvaise tête! Q'ii eût pu soupçon-
ner dans la foule enthousiaste, accou-
rue de fort loin pour voir le prince,
qu'il venait remplir une semblable mis-
sion î Qui aurait pu s'imaginer que les
instructions dont il était chargé citaient
avec blâme des noms tels que ceux de
Vioménil, O'Mahony, Laboissière, La-
bourdonnaye, Dupîessis de Grene-
dan, etc.; qu'elles flétrissaient les
entreprises militaires, pour former une
troupe dévouée, du wolonel de Busnel!
On blâmait celui-ci de connaître un
honnt'te oivrier de Vitré, Hubert, ma-
réchal ferrant, qui a sacrifié toute son
existence à la cause royale. Monsei-
gneur Vévéque (Enoch) est bon et nage,
ce qui est encore fort heureux, ctait-il
dit en toutes lettres! Mais on ne se
trouvait pas si heureux dans les dispo-
sitions du clergé. Les missionnaires ont
propa()é les confréries. H est pru de
communes dans le département d'Ille-
ct-Vilaine qui n'en ait nu moms une.
On en comptait troia à lîennos vers la
fin de 1816. Je suis persuadé qu'on vou-
lait dire congrégation. Sera-t-il iton-
nant alors que l'opposition libérale ait
tant déclamé contre la congrégation ?
Sur quelques points de la liretaqne,
les missionnairefi ont porté l^exalia-
tion jusqu'à frapper d'analhèmes les
prêtres conslttuttcnneh, les époux
qu'ils ont mariés... les pécheurs qui
ne viennent pointa leur tribun d faire
,unc confession iiénérale. A Hennés,
M. Vabbé Deudnst a prêché dans ce
sens, et monseigneur révéque Ca for-
tement improuréH! Je demanderai,
qui a connu îi Hennés M. raldtc Diu-
dast, et si des ministres du roi pduv.iipnt
signaler de telles choses, et si on ric'vait
les contier au portefeuille du dur d'An-
goulême!!!!
392
VIL
qu'on voulait lui faire à elle-même.
Le pauvre prince laissait quelques
fois deviner lacontrainte qu'il éprou-
vait. Dans la circonstance pré-
sente, il ne voulait rien prendre sur
lui-même, et il laissa au comte de
La Villegontier la responsabilité de
rinfraction aux instructions bizar-
res et perfides des ministres. Celui-
ci l'assuma volontiers, et, selon
qu'il était convenu, il fit partir au
galop un gendarme pour prévenir
le sous-préfet. Quelques instants
après le duc d'Angoulême fut reçu
magnifiquement, à la joie et à la sa-
tisfaction des habitants de Saint-
Malo. Il n'en fut pas de même à
Rennes, où le préfet se hâta de re-
tourner. Néanmoins il y reçut le
prince à l'entrée de la ville, et non
à la porte de la préfecture seule-
ment. L'entrée se fit à cheval, par
la rue de Brest; les fenêtres
étaient pavoisées, mais pas d'en-
thousiasme ni d'air de fête. Le
prince en parut bit ssé, mais fit
bonne contenance. Le général Du
Breton, commandant de la division
militaire (alors la treizième), avait
ététellemeni contrarié de l'inconce-
vable consigne, qu'il voulait don-
ner sa démission et briser son épée.
Les troupes brûlaient d'ardeur et
souffraient de contradiction. Quand
le prince passa sur la place de la
Motte (1), les officiers de la garni-
son le saluèrent avec respect, mais
leur tenue témoignait d'un vif mé-
contentement. Dans la préfecture,
la réception fut d'abord brillante,
mais bientôt se passa une scène
pénib'e. Le géuéral Du Breton, en*
saluant le prince, vonlul exprimer
le regret d'avoir vu son élan com-
(1) La plîice de l;i Motte est devant
riiritel (le la Pn^erlure.
VIL
primé par une mesure sévère... Le
prince impatienté lui dit : Général,
vous feriez bien d'aller soigner votre
santé. Le général fut blessé, sans
doute, mais non abattu; il voulut
continuer; mais le prince lui dit
brusquement : Non, non, vous êtes
malade, vous feriez bien d'aller
soigner votre santé... Le général,
avec un air d'affliction fort digne,
salua et se retira à son hôtel, où il
se constitua aux arrêts... Le lec-
teur aura peine à croire îa la véra-
cité d'uue pareille relation, et l'au-
teur de cet article, fort jeune alors,
spectateur enthousiaste comme
presque tout le monde, était,
comme presque tous, bien loin de
soupçonner de tels faits, qu'il ne
s'attendait guère à raconter un
jour! Je veux dire néanmoins tout
de suite que le duc d'Angoulême,
souffrant sans doute des folies aux-
quelles on l'obligeait, et dont les
apparences retombaient sur lui,
réfléchit bientôt sur cet acte im-
prudent, et en ouvrit son cœur au
comte de La Villegontier. Celui-ci,
qui avait souffert de ce cruel inci-
dent, mit avec empressement un
baume salutaire sur les plaies res-
senties par ces deux hommes, qui
avaient, l'un sa vénération, l'au-
tre son estime. 11 ne dissimula pas
au prince sa pensée. Le lendemain
le général fut rappelé, pressé dans
les bras du duc d'Angoulême, et
mangea k sa table. Il y eut, pendant
trois jours, déjeuner et dîner d'éti-
quette, ce qui donna facilité d'in-
viter beaucoup de monde. Mais
certaines invitations étonnèrent,
scandalisèrent même les hommes
bien pensants. Je citerai, par
exemple, Malherbe, jurisconsulte
distingué, mais ancien membre
des premières assemblées législati-
ves et de la Chambre des représen-
^■i
VIL
VIL
393
lants dans les cent-jours. Cette
invitation avait été commandée! 11
n'est pas sans importance, peut-
être, de faire remarquer ici que le
prince vculul payer partout ses
dépenses, et que ses dépenses ne
montèrent qu'a quatre mille francs
pour son séjour de trois journées.
Le comte de La Villegoiitier suc-
cédait au comte d'AllonviJle, dont
l'administration était dans le sens
du ministère, mais qui avait mal
pris à Rennes avec l'autorité mili-
taire. Le comte de La Villegontier
paraissait devoir être dans de meil-
leures conditions. Il venait dans son
pays, où iljouissailde l'estimegéné-
rale. Il tenait parle sang à des noms
vénérés dans le département, tels
que le comte de La Belinaye, le
marquis de La Rouerie, De Farcy
de Montavallon,etc.;safamilleélait
alliée à celle de Chateaubriand.
Tout lui donnait donc l'espérance
de trouver partout des sympathies
et une coopération facile. Il n'en
fut pas néanmoins absolument ainsi
à son début. On peut juger, d'après
ce que j'ai déjà dit et d'après ce
(|u'ou a vu de sa gestion à Moulins,
de la marche qu'il avait à suivre,
et du plus ou moins de sympathie
qu'y donnaient ses sentiments per-
sonnels. Louis XVJII avait voulu,
comme je l'ai rappelé aussi, que
le ministre Decazes communiquât
au comte de La Villegontier les
instructions données au duc d'An-
gouléme. Le fond de ces notes se
réduisait à distinguer deux sortes
d'oppositions au gouvernement du
roi : l'une, dans les buonapartisles
el les républicains; l'autre, dans
ceux que rirjslruciion appelait roya-
listes exagérés. On signalait aussi
le clergé et les missionnaires; on
signalait enfin une associalion Ven-
dée. Les menées démocratiques
étaient aussi signalées, mais dans
un cadre beaucoup plus restreint.
Voilà le thème des indications
données par M. Decazes à son an-
cien ami, pour lui servir de gou-
verne, comme on dit dans le lan-
gage familier. On lui classait, dans
la première division des opposants,
les légistes, à Rennes; et pour les
buonapartistes, moins nombreux
et moins dangereux, les anciens
officiers en retraite, etc. Dans celte
division figuraient les hommes qui
avaient fait partie de la fédération
bretonne, dont Rennes fut le ber-
ceau et le centre. (En cela les ins-
tructions me paraissent avoir été
dans le vrai.) Les royalistes exa-
gérés se subdivisaient aussi en deux
classes, celle des anciens nobles et
d'ecclésiastiques, désormais peu à
craindre. Le seul mal qu'elle fil
encore était de prolonger les in-
quiétudes des acquéreurs de biens
nationaux, par la chimère de la
restitution. L'autre fraction roya-
liste était vraiment redoutable; si
elle avait eu l'avantage, disaient
les instructions, <» elle nous entraî-
nerait infailliblement dans la route
où l'Assemblée constituante nous
avait perdus. » Il est certain, du
moins, peut-on lui répondre, qu'elle
ne nous eût pas laissés dans la voie
où la monarchie s'est à la lin
perdue elle-même. On rappelait la
résistance du peit séminaire pen-
dant dix mo'is, et son succès contre
l'Université ; on signalait comme
anlimonar chique l't'sprit qui avait,
le iO avril 181", dicté à la cour de
Rennes un arrêt en faveur de cette
maison!!! Ou en disait autant du
conseil général du départemen!,
où les ordonnances universitaires
avaient été attaquées, en particu-
lier par MM. Corbière et Duporzou,
qu'on nommait!... Le duc d'An-
394
VIL
goulême portait aussi dans sa
poche l'indication d'un foyer d'op-
position royaliste : L'hôtel de Cuillc,
où logent, disait la note, tous les
amis de M. Corbière, et d'oii partent
habituellement les plus violentes dé-
clamations... contre tout ce qui cons-
titue le gouvernement du roi (le
gouvernement nu roi ! ! ) Tout ce
qui est exagéré trouve appui dans
cette maison... C'était dans cette
maison, était-il dit encore, qu'en
mai 1817 se rassemblait un conci-
liabule oii étaient MM. Corbière et
Sesmaisons, pour désigner d'avance
ks députés de celte année. Quel
danger pour la monarchie (1)! Ces
élections , quoi(|ue faites avant
l'arrivée du comte de La Villegon-
tier, furent une cause de contra-
diction pour lui, au commencement
de son administration. Longtemps
avant qu'elles eussent lieu, le gou-
vernement de Louis XVIII (des
ministres) fixa une attention par-
ticulière sur le département dille-
et-Vilaine, où il voulait des députés
dans son sens et non dans celui
des Bretons. Cette année, pour
présider le collège électoral, le
roi nomma le comte de Boisgelin.
Ce nom respectable devait plaire à
tous les partis, mais celui qui le
portait avait le malheur d'être ho-
noré d'une mission et de passer
pour être dans le sen*? du gouver-
nement. Il eut mille désagréments.
Les libéraux vinrent à lui, les roya-
listes lui tournèrent le dos. De
(1) Cette maison était soupçonnée de
servir d'asiU! ou d'atelier k d'autres
forfaits. A l;i môme époque, des t>on-
nets rouges furent mystérieusement en-
voyés au préfet, au maire, au premier
président de la Cour royale. On pensa
qu'ils éUiient expédiés de l'hôtel de
CuiMé.
vrti
quarante personnes invitées à un
dîner officiel, une seule s'y rendit;
les autres n'envoyèrent même pas
leur carte. Le préfet avait placé a
la porte du comte de Boisgelin
une sentinelle d'honneur, prise
dans la compagnie départementale
sous ses ordres. Le général
O'Mahony, commandant, contes-
tant ce droit, la fit ôter. Néanmoins
le nom de Boisgelin sortit le pre-
mier de l'urne électorale, celui de
Corbière ne sortit que le troisième.
Je n'ai pas pu omettre le récit de
ces agitations, qui, du reste, se re-
produisaient ailleurs , mais peut-
être avec moins d'entraînement de
cœur. On voyait la voie où s'éga-
rait la monarchie. Quelques mani-
festations exprimaient les senti-
ments, les regrets des hommes qui
depuis longtemps la servaient avec
dévouement , et jusque dans les
chants populaires on s'animait à
défendre la bonne cause ; sur l'air
du Serment français on répétait ce
refrain •
Jurons d'être à Louis fidèles,
El, malgré lui^ de défendre ses droits.
Ou peut donc se faire une juste
idée des difficultés que trouvait le
comte de La Villegontier en arri-
vant. Il sut néanmoins dans cette
position difficile mériter l'estime
des honnêtes gens, et les libéraux
virent bientôt ses tendances. Tou-
tefois il conserva la faveur du gou-
vernement, et, dès le 5 mars 1819,
il fut élevé ii la dignité de pair de
France, tout en restant préfet
d'Ille-et-Vilaine. Sa nomination
avait été vue avec plaisir. A Fou-
gères, surtout, sa première visite
ofticielle fut une véritable ovation.
La garde nationale alla au-devant
de lui jusqu'il Romagné (5 kil. de
la ville). Une garde d'honneur fut
VÏL
placée à sa porte, des illuminations
signalèrent sa présence. Dans les
cérémonies auxquelles les circons-
tances.ou ses fonctions l'appelaient,
ii plaisait à tous par sa grâce, ses
discours, son affabilité. Cette affa-
bilité, il la montrait même aux plui
simples, et en général à tous ceux
qui avaient avec lui quelques rap-
ports, ou demandaient son appui ;
et ce qui n'eît point à omettre en
énumérant les accessoires d'un
homme tel que lui, son salon offrait
à ceux qui s'y présentaient une
réception gracieuse, digne des deux
nobles personnes qui en faisaient
les honneurs. Un mérite qui n'est
pas moindre, et qu'il garda dans
toutes les positions de sa vie, est
celui d'une bienfaisance de cœur,
bien différente de l'assistance offi-
cielle, qui le portait à, se montrar
généreux et véritablement chari-
table envers ceux qui recouraient
à lui ,1). Les sympathies générales,
on peut le dire, lui étaient de plus
en plus acquises. Mais... il avait
une faute originelle et ineffaçable
devaiit quelques personnes. La fa-
veur de M. Decazes'... En arrivant
à Reunes, je l'ai déjà fait remar-
quer, il avait trouvé Corbière à la
tête des royaliste > purs, et ils for-
VTL
395
fl) Je. pourrais rapporter plusieurs
traits de sa bienfaisance, je nie borne
à un seul. Se trouvant dans un ctat de
gêne extrême, un boulanger de Hennés
était aux expédients et ne savait a qui
recourir. Il fmit par pi-nser qu'il pour-
rait s'adresser an préfet, et le besoin
lui donnant du couiai^c, \1 va, sans être
connu ni reconiinanité, dire sa position
au comte de La Villcgonticr, qui lui
avan(^a deux niilb; francs î Cet hitrinrte
conimert^ant a rendu la somme prêtée,
et ce n'est que par l'indiscrétion de sa
reconnaissance que la famille du comte
de La Villei;ontier a connu, plus tard,
cet acte généreux.
maient, grâces à Dieu! la grande
majorité. Corbière était aussi l'àme
et le gouvernail du conseil général;
partout ses sentiments et son esprit
supérieur lui donnaient une grande
influence. Le préfet, qui sut l'ap-
précier, fit tout ce qu'il put pour
garder avec lui l'harmonie, et même
pour gagner son affection. Aux
hommes réfléchis, il eût élé facile
de voir que ces deux personnages,
quoique placés si diversement,
étaient faits pour s'entendre, et
avaient, non-seulement les mêmes
opinions, mais, au fond, les mêmes
sympathies ; les nuances étaient
légères. Il fallait faire la part de
la position du préfet. Les libéraux
ne s'y trompaient pas, et bientôt
ils devinèrent et signalèrent, dans
dans leurs petits journaux de la
localité, \ps tendances et les actes
du comte de La Villegonlier. Celui-
ci cherchait à se montrer sympa-
thiqueà Corbière ; il avait demandé
pour lui la décoration de la Légion
d'honneur ; il avait secondé sa no-
mination aux élections d- -ÎSSO et
de 1822, qui l'envoyèrent h la
Chambre des députés, où il eut
bientôt gagné la faveur du gouver-
nement et se lia avec Villèle
(voyez ce nom dans ce volume), et
dès 1822 il était ministre de l'inté-
rieur. Dans leurs rapports ils
avaient gardé les convenances et
de grandes réserves politiques.
Mais le préfet l'avait toujours re-
îrardé comme son antaîioniste, et
avec lui G. du F., qui fut député
aux mCmes élections, et qui con-
tribua autant qu'il put à obtenir sa
destitution. Corbière ministre s'é-
loi:,'na-t-il de la voie qu'il avait tant
blûmée dans Decazesel Laine? Vit-
on plus de liberté pour l'Église, plus
d'éloignement des pr-ncipes révo-
lutionnaires dans la marche du
396
VIL
VïL
goiivernenieiit, plus de solidité de
la monarchie? Hélas! on put dire
alors, comme l'écrivait judicieuse-
ment l'abbé Robert de Lamennais
avant d'avoir perdu le sens commun :
*. Des ministres ont succédé à d'au-
« très ministres, ceux-là on dit :
t Tout est bien, voilà la révolution
« finie! » Il était probablementplus
facile, et peut-être plus agréable,
d'atteindre les hommes que de
chercher à améliorer les choses.
Etre ami de Decazes, cette flétris-
sure ou cet avantage du comte de
La Villegonlier ne pouvait sortir
de l'esprit de Corbière. Une ordon-
nance du 7 avril 1824 donnait au
préfet d'Ille-et-Vilaine un succes-
seur dans la personne du comte de
Yandœuvre. On donna pour pré-
texte l'incompatibilité des fonctions
simultanées de préfet et de pair de
France. L'ordonnance le rappelait
donc à la Chambre. Sa destitution
fut vue avec un chagrin véritable
dans le département. De tous les
points et de toutes les administra-
tions, il reçut des lettres de regrets
le plus touchantes, les plus hono-
rables, les plus sympathiques. Ce
futpour lui assurément une grande
consolation; il en eut une autre
bien sensible dans l'audience que
lui accorda le roi et dans l'accueil
qu'il lui lit. Il y entendit cependant
de la bouche du Souverain cette
phrase textuelle : « Je suis content
« de mes ministres, ils me mènent
« bien.v Louis XVIII n'avait plus
que quelques mois k vivre. Eùt-il,
dans l'audience qu'il avait accordée
au même, en 1817, t^nu le même
lanj,'age, et justifié d'avance cet
adage ou proposition de M. Thiers :
Le roi règne el ne gonverne pas y Je
n'en crois rien.ei cependant il au-
rait dit la vérité! Il éiait des con-
venances et même de la justice que
le comte de La Villegontier trouvât
une compensation au procédé dont
il était victime dans une nomina-
tion au conseil d'État, ou au moins
dans un grade plus élevé de la
Légion d'honneur. Il n'en fut rien.
Le comte de La Villegontier se
retira à Paris; le changement de
règne n'en amena point à sa posi-
tion, il fut néanmoins un des douze
pairs qui assistèrent au sacre de
Charles X. Bientô intra dans
une phase nouvelle de sa vi« pri-
vée et même de sa vie publique.
En 1826, madame de Ghabanne
vint lui faire les premières ouver-
tures de son entrée chez son Al-
tesse Royale, le duc de Bourbon, en
qualité de premier gentilhomme.
Le comte de La Villegontier avait
plus d'un motif de réfléchir avant
d'accepter cette position honorable.
Il demanda trois mois avant de
donner sa réponse . Il consulta ; de
son côté, madame de La Villegon-
tier consulta sa famille ; tous con-
clurent à l'acceptation, d'autant
plus qu'ils espéraient que leur in-
fluence et leur zèle trouveraient le
moyen d'expulser madame De Feu-
chères de la maison du prince.
(Voyez GoNDÉ, LXI, p. 25i etsuiv.)
Le comte de La Villegonlier passa
donc près du duc de Bourbim les
quatre années qui précédèrent la
mort de ce malheureux prince,
avec le titre de premier gentil-
homme; fonction honorable, mais
nullement lucrative, et qui faisait
îibsorber en dépenses de convenan-
ces dans la maison, les cinq mille
francs qui y étaient attachés.
« Lorsque le duc de Bourbon me
* fit l'honneur de m'attacher à lui
« en qualité de premier gentll'-
u homme, a écrit M. de La Ville-
« gonlier, et que j'eus été initié à
« un intérieur qui auparavant
VIL
«r m'était inconnu, je m'attendais à
(( quelque froideur de la part de
« Madame (la dauphine), à cette
« altitude de réserve digne d'elle
« et qu'elle rendait si significative...
u Eh bien ! non , Madame fut
« bonne... » Jamais il n'a eu un
quart-d'heure d'entretien avec ma-
dame de Feuchères. Madame de Là
Villegoniier fut priée par le prince
de faire les honneurs de son salon
pour les dames qui y étaient reçues.
A table, le comte de La Villegon-
iier était toujours en face du prince ;
il le représentait partout, car le
prince n'allait à aucune cérémonie.
Il y avait néanmoins une cir-
constance où il ne pouvait faire au
nom du duc de Bourbon que des
excuses. Ce prince était premier
gentilhomme du roi. Dans i'ariicle
excellent qu'il lui a consacré, no-
tre judicieux collaborateur Duro-
soir dit {ibidem, p. 2t>7). // ( le due
de Bourbon) ne paraissait jamais aux
Tuileries qu'au jour de l'an et dans
de grandes solennités. Il se trompe
peut-être, ou du moins le prince
avait cessé celte habitude. Il s'ima-
ginait qu'il était peu convenable à
un Condé d'aller se tenir derrière
le roi, et de lui présenter sa ser-
viette. Peut-être avait-il aussi un
autre motif qui Tintimidail devant
ses augustes parents. La veille des
joursoù ildevait se rendre à la cour, il
venait, appuyé sur sa canne et alors
marchant assez difficilement, trou-
ver son premier gentilhomme, et le
charger d'aller l'excuser auprès du
roi. Charles X n'était pas plus dupe
du message que le messager lui-
même, et disait en souriant : « Mon-
sieur de La Villegoniier, je devine
la commission que vous venez
me faire. »Ce fut dans une de ces
circon.^iances que la duchesse de
Berry, qui n'avait pas pour le comte
VIL
397
de La Villegontier la même ouTer-
ture que la dauphine, quoiqu'il allât
régulièrement aux Tuileries, ce fut,
dis-je, dans une de ces circonstan-
ces qu'elle reçut, avec une petite
moue toute rieuse, le compliment
du messager, qui ne pouvait non
plus garder son sérieux; lui de-
mandant des nouvelles du prince,
le chargeant de l'assurer de leur
sympathie, de lui recommander le
soin de sa santé... et surtout de ne
pas chasser, elle appuya sur ce
mot : chasser. Ici se place naturel-
lement un fait qui modifie un peu
ce qu'on a imprimé si souvent sur
les instances delà famille d'Orléans
près de madame de Feuchères, et
de celle-ci près du prince, pour
obtenir le fameux testament en fa-
veur du duc d'Aumale (1). Tout le
monde sait que le duc de Bourbon
s'y refusait et destinait sa succession
au duc de Bordeaux. Le comte de
La Villegontier ne voulut prendre
aucune part h celte affaire ; et ma-
dame de Feuchères, qui, repoussée
des Tuileries, entrevoyait pour elle
la porte ouverte chez les d'Orléans
(ce qui ne surprendra personne),
refusait d'en parler directement au
duc de Bourbon si madame de La
Villegontier ne se joignait à elle.
Celle-ci n'y vouliitconsentirqu'après
avoir pris les ordres du roi et de
madame la Dauphine. Non-seule-
ment toutes deux le trouvèrent bon,
mais la Dauphine dit quelle le dé-
sirait l!! Ce trop malheureux testa-
ment fut donc décidé dans un
(1) Voir surtout: Plaidoyer de M. Ilen-
iiequin^ avocat, pour MM. les princes
iti- Rohan contre S. A. I{. monseigneur
le duc d'Aumale, représenté par
M. liorel de Bretizel, et contre ma-
dame la baronne de Feuchères. Paris,
VVarée, 1832, in-8.
598
VIL
VIL
déjeuner que partagèrent avr c le
prince madame de La Villegontier
et madame de Feuchères. Celle-ci,
pour amener le prince à avantager
le duc d'Aumale, faisait valoir
la considération de conserver et
de perpétuer le titre vénérable
de prince de Cond^. A cette pro-
position, le duc de Bourbon se
(eva avec vivacité, et dit en ges-
gesticulanl : Oh! cela, jamais... ja-
mais le nom ou le titre de prince de
Condé ne sera porté par un d'Or-
léans!... Vint la révolution de
juillet 1830. On croira sans peine
qu' elle n'eut pas les sympathies du
comte de La Villegontier, et quel-
ques-uns de ses amis auront été
surpris de ne pas le voir rompre
avec le pouvoir usurpé. Lui-même
l'a compris et a écrit qu'on pourra
le soupçonner d'ingratitude, après
surtout les bontés que lui témoi-
gnait la Dauphine. Je dois ici don-
ner deux lignes d'explications. Il
était en Bretagne lors des malheu-
reux événements; il accourut vite
près du duc de Bourbon, et dé-
clara sa résolution de ne pas re-
connaître le gouvernement impro-
visé. « Vous voulez donc me faire
égorger! » lui dit le prince, qui l'o-
bligea à changer de résolution, et
qui subis.s-ait sans doute d'autres
influences. Du moins le comte
ajourna l'adhésion personnelle du
prince à ce gouvernement nouveau,
et finit par l'empêcher, en sorte
qu'elle n'eut pas lieu. Il empêcha
aussi d'arborer au palais le drapeau
tricolore que voulait faire placer le
prince, ou plutôt madame de Feu-
chères. Voilà donc une des causes
qu déterminèrent le comte de La
Villegontier k garder sa place à la
Chambre des Pairs. Le duc de Bour-
non ne pouvait plus soullrir la do-
mination ni même la présence de
1
madame de Feuchères ; son absence
le laissait respirer; son retour,
malgré les apparences, était pour
lui un supplice. La révolution,
d'ailleurs, lui déplaisait, et il avait
résolu de se soustraire à cet escla-
vage; les mesures étaient prise»
pour son départ dans la nuit... Le
27 août 1830, ses gens le trouvè-
rent pendu par sa cravate à l'espa-
gnolette d'une fenêtre de sa cham-
bre , lui impotent, et dans la
position que le public a sue! ! (Voir
Ibid.,,\i. 260 etsuiv.) Le comte de
La Villegontier n'était pas au châ-
teau de Saint-Leu quand , vers
huit heures du matin, l'événement
tragique fut découvert ; il était au
village de Saint-Leu, où un col-
porteur avait insulté le curé, et il
voulait prendre information de cet
outrage... Mais, averti aussitôt, il
accourt, et sur les apparences des
choses, sous l'influence des rap-
ports, sa première impression fut de
croire au suicide. Mais il ne fut pas
longtemps dans cette erreur, et
quand on lui eut montré l.\ manière
facile dont une personne placée en
dehors pouvaittirer en dedans lever-
roudela porte, il changea bien vite
de sentiment ! La réflexion lui mon-
trait, d'ailleurs, le suicide impossi-
ble; l'assassinat devint pour lui une
conviction qu'il a longuement expli-
quée et moUvée dans un de ses
écrits. On peut se faire une idée
de la commotion qti'il éprouva, et
des embarras de plus d'une sorte
auxquels il fut livré. Il fallait diri-
ger les cérémonies de l'expusilion i
du corps du prince dans la cha- >»
pelle ardente, préparer celles des
funérailles. Il y avait là une éti-
quetleà garder plus que des usages
à suivre ; il les chercha néanmoins
autant qu'il put; ces circonstances
étaient toutes particulières et nou-
VIL
velles pour lui, mais les détails ne
sont plus du ressort de celte notice.
Comme je l'ai déjà dit, le comte de
La Villegontier n'ignorait pas que
la noblesse de ses sentiments et de
sa position étant connue, son adhé-
sion au gouvernement nouveau
pourrait surprendre... Il a laissé
par écrit les motifs qu'il crut avoir
de prendre le parti qu'il a suivi. Il
conlinuadoncdesiégeràlaChambre
des Pairs et prêta son serment.
L'article 4 du testament du duc de
Bourbon portait qu'il laissait...» A
ceux qui auraient plus de cinq ans
des ervice, le quart desdits appoin-
tements ou î;ages attachés à leur
place. » Le comte de la Villegon-
tier, n'ayant pas cinq ans de ser-
vice,ne fut donc point coii.pris dans
le bénéfice de celle disposition.
Qu'eût-il été d'ailleurs sur des
appointements de cinq mille francs!
Mais il continua, ainsi que toutes
les personnes attachées au service
du malheureux prince, d'habiter le
Palais-Bourbon pendant dix ans.
Il continua aus^i de prendre part
aux séances et aux travaux de la
chambre des pairîj. Plusieurs fois
il aborda la tribune , soit pour des
opinions particulières, soit comme
rapporteur des commissions. En
général, par goût et par caractère,
il s'est toujours moins occupé des
choses politiques, que des allaires
proprement dites, lesquelles lui ont
souvent valu des marques de bien-
veillance et d'estime. Ses votes
étaient pour lui une affaire d'hon-
neur et de conscience ; je veux donc
rappeler ici qu'il vola pour lacquil-
tement complet des ministres de
Charles X , traduits deviinl la cour
des pairs, et menacés de mort par
la plèbe, composée alor» de plus de
gens qu'on ne le croirait aujour-
a'hui. Plus tard , il vola coulre les
VIL
399
fortifications de Paris; mais ce qu
fut à la tribune son pricipal mérite,
se trouve consigné au Moniteur ren-
dant compte de la séance dul4 jan-
vier 1832. Ce jour là, lorsque tant
d'hommes politiques restaient en-
core retranchés dans les plusétroites
limites de la prudence ou de la
pusillanimité, il osait monter à
la tribune et élever la voix de-
vant ses collègues et devant la
France , pour blâmer le pro-
jet de loi relatif au bannissement
de Charles X et de sa famille. La
révolution de février 1848 vint
enfin briser sa carrière politique.
Tout en gardant son domicile à
Paris, il se retira au château de La
Villegontier, près de Fougères. Lk,
les dernières années de sa vie se
sont passées au sein d'une famille
chérie. Fidèle aux pratiques de la
religion et livré aux exercices de
la charité, il allait visiter les pauvres
dans leur demeure, et les soignait
de ses mains en les aidant de ses
aumônes! Il s'attirait de plus en
plus la vénération et l'attachement
de tout le monde. Atteint depuis
deuxansd'une maladie douloureuse,
dont il ne pouvait se dissimuler la
gravité, il voyait approcher sa fin
avec le courage du gentilhomme
et la résii^nation du chrétien. 11
régla tout les intérêts de sa famille
et ceux de ses serviteurs; après
avoir rempli tous ses devoirs reli-
gieux, et résumé ses nobles senti-
ments dans ces lignes de son testa-
ment: « Dieu a prolongé ma vie:
« je meurs en adoianl sa patience
« et sa honte, et en espérant dans
« sa miséricorde, » il termina une
viesi bien remplie le 1*' juin 18ia,
à l'âge de 73 ans. Le U mars IHIfi
il avait été décoré de la croix tl«' la
Légion d honneur; le 17 aoùi 1823,
il fut créé officier du même ordre;
40O
VIL
U
et le 30 avril 1838, élevé au grade
de commandeur , avec la faveur
spéciale d'en porter la décoration
avant d'avoir reçu son brevet. Le
comte de La Villegontiern'était,que
je sache, membre d'aucune société
littéraire ouscientiûque. Cependant,
non-seulement il avait des connais-
sances variées et étendues, mais il
aimait l'étude et s'y livrait au milieu
des soins qu'exigeaient ses hautes
fonctions. Dans ses visites officielles
il recueillait en passant des notions
sur l'histoire naturelle des localités,
etc., etc. Un jour il visilaitle célèbre
industriel Oberkampf; un autre jour
le poëte Ducis ; et dans les pages
qu'il écrit pour en garder le sou-
venir, il révèle sur l'un et sur l'autre
des faits que n'ont point mention-
nés leurs biographes , et montre
qu'il savait se mettre au niveau de
deux hommes d'une position si
différente. Dans son cabinet il
variait ses jouissances , tantôt en
analysant la tragédie de Polyeude,
tantôt en écrivant les réflexions les
plus sensées sur la bataille de Na-
varin, ou sur le groupe dont est
déshonoré le fronton de Sainie-Ge-
neviève de Paris, etc. Il n'a rien
publié, si ce n'est quelques articles
de journaux et quelques discours
de circonstance, par exemple ce-
lui qu'il prononça à l'installation
du comte de Lorgeril, maire de
Rennes; ceux qu'il lit entendre aux
distributions de prix de l'école de
sculpture et de peinture. Mais il
laisse plusieurs manuscrits, sur di-
verses matières. Son célèbre aïeul,
Frain,rarrêlisle, n'avait pas publié
lui-même ses nombreux travaux
écrits; ils furent mis au jour et
commentés par Pierre Hévin (voy.
lltviN, l. XX, p. 343). Les mé-
moires du comte de La Villegon-
lier, quoiqu écrits principalement
pour sa famille, seraient d'un grand
intérêt pour tous, si elle les livrait
à l'impression; et ce d'autant plus,
que tous, môme les détails auto-
biographiques, sont des révélations
ou des traits relatifs à l'histoire de
la Restauration et de sa politique.
Dans un autre écrit, il donne des
détails qui sont presque des révé-
lations sur la mort du duc de Bour-
bon, et ces détails sont pour ainsi
dire nécessaires à ceux qui voudront
éclairer ce drame trop fameux, et
dire comment s'est éieinte la mai-
son de Gondé. J'ignore si le burin
nous a conservé les traits du comte
de La Villegontier. Cet homme si
recommandable avait une taille as-
sez élevée, un port gracieux et un
abord prévenant, qui gagnaitla con-
fiance et disposait à lui donner la
vénération que ses autres qualités
gagnaient tout à fait. — Fernand
Frain de La Villegontier, son
fils aîné, né à Paris en 1807, fut, à
l'âge de huit ans, placé au petit
collège de Saint-Cyr, d'où il devail
aller à l'école de La Flèche. Mais,
après quelque temps de séjour à
La Villegontier, il entra dans les
pages de Louis XVIII, puis dans
ceux de Charles X, et fut un des
doiize qui assistèrent au sacre de
ce souverain. A l'âge de dix-huit
ans, il sortit des pages et entra
sous-lieutenant dans le 8" régiment
de chasseurs , que commandait
M. de Boisgelin, son oncle. A la
révolution de Juillet, ce noble jeune
homme donna sa démission ; mais
son colonel ne voulut pas la rece-
voir, puisque son père n'avait pas
donné la sienne. Il la donna pour-
tant de nouveau étant lieutenant,
et épousa M"' Louise- Noémi de
Malboz, dont il a eu deux fils. Fer-
nand mourut à La Villegontier, le
15 octobre 18i9. — Edouard, se-
VIL
VIL
ZiOl
cond fils du comte de La Villegon-
tier, né à Paris en 1821, fit ses étu-
des à la célèbre pension Poiloup, à
Vaugirard, et mourut célibataire à
La Villegonlier, le 3 janvier 1853.
Les deux fils sont inhumés près de
leur père à Parigné, arrondisse-
ment de Fougères. Une sœur leur
a survécu. B — d— e.
VILLEGO>TIER (Charles-Ma-
rie Frain de La), frère de Louis-
Spiridion, naquit à Fougères (Ille-
et-Vilaine), le 27 avril 1777 (1), et
fut, dès ses premières années, pla-
cé au collège de Vendôme , avec
ses frères, et y fit d'excellentes
études. Il avait su s'attacher tout
le monde par les belles quaiilés
qu'on avait remarquées en lui , et
surtout par sa candeur et sa grande
piété. Cette piété le porta dès lors
Ji consacrer presque exclusivement
à des sujets religieux l'aUrfiitet les
disposilions heureuses qu'il avait
pour la poésie française. Savant
dans l'histoire et liliérateur ins-
truit, possédant bien les meilleurs
auteurs classiques, cet intéressant
jeune homme avait principalement
étudié sa religion. Il avait lu avec
fruit les ouvrages des plus célèbres
apologistes , s'adonnant à l'étude
des livres sacrés; et pour les lire
dans leur texte original, il avait ap-
pris le grec et l'hébreu. Au sortir
du collège, il habita d'abord la ville
de Fougères, puis celle de Rennes,
où il se livra à l'étude de la méde-
cine. Il est probable que les cir-
constances le déterminèrent à
prendre celte profession qu'il n'au-
rait peut-être pas choisie en d'au-
tres temps. Celte |)roression devint
toute son occupation et son prin-
(1) Sa vie imprimée porte le 28 mars
4777 ; la date que je donne ici est celle
de son acte de baptême.
LXXIY
cipal mérite. Il fréquentait les hô-
pitaux ; chargé d'y faire des panse-
ments, il s'acquittait de cette fonc-
tion pénible avec tant de douceur
et de précautions délicates, que les
malades enviaient le bonheur de
lui être confiés. Naturellement il
n'avait point d'attrait pour ces opé-
rations, mais il était animé par
des pensées élevées. A ces soins
matériels il joignait l'aumône, et
sa fortune lui procurait la jouis-
sance de fournir à ses malades tous
les secours par lesquels il croyait
pouvoir adoucir leur situation, Sps
bienfaits continuaient en dehors de
l'hôpital, et il s'employait de toutes
les fiiçons pour être Uiilc à ses
nombreux protégés. Il les visitait
chez eux, les recevait et les pan-
s lit chez lui. Il est facile de conce-
voir que , dans ces temps malheu-
reux, les ecclésiastiques ne jouis-
sant d'aucune liberté, le jeune de
La Villegonlier faisait tout pour
procurer les secours religieux à ses
malades. C'était aussi à ses yeux
un acte méritoire que de visiter
dans leur retraite les prêtres ca-
chée, et d'alléger leurs peines par
tous les moyens qui dépendaient
de lui ; il trouvait d'ailleurs dans
ces courses secrètes l'avantage de
remplir lui-même ses devoirs reli-
gieux, il faut ;ijouter qu'à tant de
mérites il joignait celui de soigner
les prisonniers, auxquels son pro-
fesseur, qui savait l'apprécier, l'en-
voyait de préférence. Tous ceux
qui l'entouraient avaient pour sa
vertu une coubidéralion unanime,
et ils en donnaient un témoignage
bien significatif en l'appelant tout
naïvement le bon Charles, et tirant
de sa modestie en tous lieux, de sa
réserve en ses discours, une con-
clusion bien significative, en disant
qu'il était sage et timide comme
26
/i02
VIL
une jeune vierge. Celte modestie
ne l'empèchiit pas néanmoins de
profiler de ses connaissances éten-
dues pour réprimer de vains so-
phismes ou de sottes railleries sur
la religion. Il savait encore une
manière noble de faire le bien, en
soutenant, à ses frais, les études
de plusieurs amis, et en confiant à
d'autres l'exéculion des œuvres
charitables dont ils lui parlaient,
préférant, ce qui n'est pas commun,
que Taumùne fût en apparence
sortie de leur main plutôt que de
la sienne. Il retourna à Paris, sans
discontinuer pour cela ses bonnes
œuvres à Fougères et à Rennes, et
il en embrassa d'autres dans la ca-
pitale. Il est étonnant que, même
avec les ressources de sa fortune,
il pût suffire à tant d'actes géné-
reux, car il souscrivait k de nom-
breuses entreprises philanihropi-
ques ; mais il vivait avec une stricte
écononaie, s'imposait dans le ca-
rême un jeûne rigoureux, et croyait
devoir aux pauvres ce qu'il se re-
fusait à lui-même. Reçu docteur
en 1804, il vint à Fougères pour y
passer l'été. Cette ville fut alors af-
fligée d'une épidémie. La fièvre
pernicieuse qui y régnait attaqua
les deux seuls médecins qu'il y
eût alors dans la localité; il se
multiplia pour tous les malades,
qui le réclamaient de tous les cô-
tes, obtint de nombreux succès,
mais éprouva beaucoup de fatigues
et même des affections très-péni-
bles. Ce fut peut-être là qu'il con-
tracta le germe de la maladie qui
l'enleva bieniôt après. Il allailquil-
ter Fou^îcres pour n'y plus revenir.
Non content d'y avoir si utilement
paye de sa personne, il \ouiuL en-
core prouver pars( s 1 a rge-.scs ratta-
chement qu'il portait à celte chère
contrée. Il remit au recteur (curé)
VÎL
de la ville, et à celui de Louvigné-
du-Désert, où se trouvait située sa
terre la plus considérable (la Ge-
lousière), une somme de 800 francs
pour être distribuée aux pauvres.
A Paris, il vint se réunir de nou-
veau à tant de dignes confrères et
de pieux amis, qui la plupart fai-
saient, comme lui, partie de cette
congrégation de la Sainte-Vierge,
qui s'est toujours bornée à faire le
bien en silence, et contre laquelle
l'impiété et l'opposition politique
ont jeté tant de clameurs. Arrivé
dans la capitale avec une santé
mal assurée, il fut, huit jours après,
attaqué d'une maladie aussi cruelle
que rapide. Son esprit fut frappé
du pressentiment de sa fin pro-
chaine, et il disposa son âme au
terrible passage. La mort l'enleva
en effet à ses amis , à sa famille, à
un avenir si beau en apparence, le
samedi 20 octobre 1804. Ses obsè-
ques se firent à Saint- Jacques-du-
Haut-Pas, sa paroisse. Le jeune de
La Villegoutier n'avait que 27 ansi
Il n'avait embrassé la médecine
que par dévouement, et n'avait
pour elle aucun attrait, tant s'en
fallait 1 II est rare qu'on fasse beau-
coup de progrès dans une science
qu'on ne cultive ni par nécessité
ni par goût. Guidé par la religion,
La Villegontier travailla avec une
application soutenue, comme si
cette élude avait eu pour lui des
charmes. Il recueillit les fruits de
cette victoire vraiment sublime;
ses condisciples avaient recours îx
ses lumières, et tous les médecins,
qui avaient de fréquentes occa-
sions de l'entretenir, reconnais-
saient en lui des talents distingués.
Il a laissé quelques manuscrits ; je
ne suis point en étal d'en contrô-
ler le mérite ; ils ne seront pro-
bablement jamais publiés. Ils sont
VIL
d'ailleurs sténographiés en partie,
et peut-être lui seul en avail-il la
clef. Le vénérable abbé Carron a
publié sa vie dans le livre intitulé :
Modèles d'une tendre et solide dévo-
tion à la Mère de Dieu dans le pre-
mier âge de la vie, ouvrage qui a
eu plusieurs éditions.
B— I) — E.
VILLÉLE ( Jean-Baptiste -
GuiLLAUME-SÉRAPHIN-JoSEPH, com-
te de), ministre des finances et pré-
sident du conseil des ministres sous
la Restauration, chevalier de l'or-
dre du Saint-Esprit, officier de la
Légion d'honneur, chevalier de
Saint-Louis, etc. etc., naquit à Tou-
louse le U août 1773, d'une famille
noble et ancienne. U lit ses études
au collège royal de cette ville, puis
à celui d'Alais, et fut, à la suite
d'un brillant examen, admis dans
le corps royal de la marine et em-
barqué à Brest, le 16 juillet 1788,
sur une corvette d'instruction. Ln
an plus tard, il fut reçu élève de
seconde classe, et dirige sur Saint-
Domingue. Il revint en France
l'année suivante, mais il se rem-
barqua bientôt avec le contre-ami-
ral de Saint-Félix, ami de sa fa-
mille, qui venait d'être appelé au
commandement des forces fran-
çaises dans les mers des Indes.
M. de Saint-Félix ayant été promu,
deux après, au grade de vice-amiral ,
le jeun»; de Villèle devint aide-
major de la division. 11 se trouvait
à rile-de-France lorsque les évé-
nements de 1793 amenèrent dans
cette colonie des désordres par
suite desquels M. de Saint-Félix dut
abandonner son commandement.
Villèle donna aussitôt sa démission
et suivit son chef à l'île Bourbon , où
il s'était vu réduit à chercher un asile
contre les violences des révolution-
naires. Sa sécurité ne tarda pas a
VIL
403
être troublée par les recherches et
les menaces de ses persécuteurs; sa
tête fut mise à prix, et ce ne fut
qu'à l'aide d'efforts multipliés et à
travers mille dangers qu'il parvint
à se soustraire pendant quelque
temps aux proscriptions du parti
jacobin. Villèle, dont la sollicitude
active n'avait cessé de protéger ses
jours, fut mis en arrestation; mais
ni les promesses, ni les menaces,
ni les mauvais traitements ne pu-
rent lui arracher un renseignement
sur le lieu de retraite du vice-
amiral, lorsque enfin ce dernier,
livré au dénûment le plus absolu,
se remit lui-même entre les mains
de ses ennemis; il y resta jusqu'à la
fia de la Terreur. Devenu libre au
bout de trois moisde captivité, Villèle
jugea prudent d'ajourner son retour
en France et de se fixer provisoi-
ment dans la colonie. Deux de ses
compatriotes lui procurèrent les
moyens d'ac<juérir une propriété
dont il entreprit l'exploitation. Cet
établissement prospéra rapidement
sous l'inflaence d'une direction
équitable et éclairée, et Villèle
acheva d'améliorer sa position
personnelle par son mariage avec
mademoiselle Fanon Desbassyns,
dont la famille jouissait à Bourbon
d'une considération justement ac-
quise. De périlleuses circonstances
le mirent bientôt en mesure de
rendre d'importants services à celte
terre d'adoption. Menacée à la fois
du sort de Saint-Domingue par
les lois de la métropole, et d'une
invasion anglaise, l'île Bourbon
recouNra l'indépendance de ses
mouvements par la destruction du
parti révoluiioimaire; l'assemblée
coloniale reconquit la plénitude de
son autorité, et Villèle qui, dans
celte crise décisive, avait fait preuve
de fermeté, de droiture et d'iulel-
tiOh
VIL
ligence, fut choisi par uue partie
notable de la population pour la
représenter à celte assemblée. Il y
obtint bientôt un ascendant mar-
qué et en usa pour faire repousser
la proposition mise en avant par
quelques membres de déclarer
l'ile indépendaule, proposition in-
sidieuse et dont le but seci\ t était
de la livrer aux Anglais, qui n'a-
vaient cessé de convoiter cette
riche proie. La faciion vaincue
essaya de recourir à l'insurrection.
Vilièle se mit à la tête de la garde
nationale, et, aidé du concours
des principaux habitants, il parvint
à rétablir l'ordre et à conserver la
colonie à la France, qui ne la per-
dit quelques années plus tard que
pour la recouvrer délinitivement
par le traité de paix de 1814. Vil-
ièle revint en France au mois de
juin 1807, et se confina dans sa
propriété de Morville près de
Toulouse. Exclusivement partagé
entre la vie de famille et les occu-
pations agricoles, il n'entretenait
avec l'adminislraiiou impériale
d'autres rapports que ceux aux-
quels l'appelait sa qualité démem-
bre du conseil général de la Haute-
Garonne, qui lui avait été conférée
peu après son retour. Ces rapports
se signalèrent, au commencement
de 48j3, par un acte d'opposition
qui fera apprécier le caractère de
Vilièle. Ayant été mandé à la pré-
fecture avec les principaux pro-
priétaires du département pour
recevoir la notilication des chilTres
de l'emprunt forcé auxquels ils
devaient être soumis: « Je ne sais,
leur du- il, ce que vous comptez
faire ; (juaiit à moi, je suis très-
résolu a ne pas acquitter un denier
d'une conlribuiiou complétcraenl
illégale, et je vaib signifier ma ré-
solution à M. le préfet. » Celte ré-
VIL
sistance inattendue, dans laquelle
Vilièle fut imité par les autres
contribuables, déconcerta telle-
ment le préfet qu'il n'osa employer
la force pour la surmonter (I).
C'est dans cette disposition d'esprit
que les événements de 18U sur-
prirent l'intrépide conseiller. Per-
sonne n'ignore les longs débats qui
précédèrent l'octroi de la Charte
constitutionnelle et les opinions
diverses qui se produisirent soit
sur le principe môme de cet acte
fondamental, soit sur la forme
dont il convenait de le revêtir.
Vilièle, qui avait salué avec en-
thousiasme la restauration du gou-
vernement royal , crut devoir
émettre un avis sur ces importantes
questions. Dans une série d'obser-
vations adressées aux députés de
son département peu de jours
après la déclaration de Saint-Ouen,
il se prononça contre les proposi-
tions que cette déclaration royale
empruntait au projet du Sénat, et
manifesta ouvertementson vœu pour
un reiourcomplet à « la constitution
de nos pères, à celle qui avait rendu
si longtemps la France heureuse et
florissante, à celle qui était con-
forme k notre caractère national,
qui était dans le sens de nos opi-
nions, et qui était gravée en traits
ineffaçables dans le cœur de tous
les Français. » La censure de son
écrit s'exerçait principalement sur
la difficulté de constituer d'une
manière satisfaisante une Chambre
haute assortie aux fonctions et aux
privilèges que lui attribuait le pro-
jet royal, sur l'iusuflisance des ga-
ranties assurées au vote de l'impôt
et à la liberté de la presse, et sur
(1) Souvenirs de la Restauration,
par M. Nettement, page 2i)3.
VIL
VIL
/i05
l'iniquité de la consécration ac-
cordée aux propriétés nationales.
Ces opinions, que Vilièle modifia
plus tard à la lueur d'une sage
expérience, étaient énoncées d'une
manière spécieuse; elles apparte-
naient, il faut le reconnaître, à un
grand nombre d'esprits défavora-
blement frappés de l'origine séna-
toriale de ces formules constitu-
tionnelles et de la précipitation
avec laquelle elles avaient été con-
çues. Mais son écrit, peu distingué
parmi les nombreuses productions
que fitéclore la récente émancipa-
tion de la presse, avait le double
tort d'invoquer une constitution à
peu près imaginaire et de provo-
quer la résurrection d'un passé
impossible, depuis la destruction
violente des trois ordres sur les-
quels reposait l'antique monarchie
française. Toutefois, ce début de
Vilièle dans la vie politique mé-
rite d'être remarqué, et c'est un
fait digne d'observation qu'une
thèse aussi chimérique ait servi de
point de départ à l'un des esprits
tes plus sensés et les plus prati-
ques de l'époque contemporaine. Il
n'est pas sans intérêt non plus
d'entrevoir, dans la chaleur de ses
objections contre le maintien des
conflscations révolutionnaires, le
germe de la grande mesure répa-
ratrice dont il deviendra dix ans
plus tard le promoteur équitable
et l'habile régulateur. Vilièle ne
joua aucun rôle public pendant la
première Restauration. A la nou-
velle du débarquement de Napo-
léon en 1815, il courut à Toulouse
pour le joindre aux volontaires
royalistes qui se groupèri;nt sous
les drapeaux du duc d'Angoulême,
et contribua pour une somme de
vingt mille francs aux nécessités
d'une situation dont sa sagacité lui
dévoilait tous les périls. Le conseil
général auquel il appartenait cher-
cha à organiser des éléments de
résistance; elle baron de Vitrolles,
parti de Paris le 25 mars avec le titre
de commissaire du roi, s'efforça
d'établir à Toulouse le centre de l'ad-
ministration des provinces demeu-
rées fidèles. Mais ces tentatives, dont
le succès eût préservé la France de
tant de calamités, échouèrent de-
vant la révolte de la garnison et
devant les démonstrations mena-
çantes des fédérés, qui mirent obs-
tacle à la marche des volontaires
et en massacrèrent plusieurs. Ces
excès amenèrent un vif mouvement
de réaction lorsque la nouvelle des
revers de Napoléon se répandit
dans le Languedoc, et le meurtre
d'un jeune homme qui avait pris
la cocarde blanche acheva d'exas-
pérer la population. Des com-
pagnies royalistes s'organisèrent
spontanément sous le nom de Ver-
dels, avec l'intolérable prétention
de ne relever d'aucune autorité
légale et de faire justice par elles-
mêmes des atteintes portées au ré-
gime royal. Ce fut dans ces cir-
constances critiques que le duc
d'Angouièrae désigna Vilièle (24
juillet) pour remplir provisoirement
les fonctions de maire de Toulouse.
Son premier soin fut de mettre en
sûreté leï» auteurs des violences
exercées pendant les Cent-Jours, et
il n'y réussit qu'en les faisant con-
duire dans les prisons de la ville,
d'oii on les laissait sortir secrète-
ment pendant la nuit. Mais ces
mesures de conciliation furent con-
trariées par les mauvais effets que
produisirent certains choix parmi
les pouvoirs supérieurs, et de ces
germes de mécontentement na-
(}uil la déplorable catastrophe qui
coûta la vie au général Hamel, que
liOà
VIL
le gouvernement royal avait main-
tenu dans le commandemenl de la
Haule-Gironne. Cet officiel général
était le même qui, aprèsavoir rempli
un rôle assez équivoque dansle com-
plot royaliste de La Vilieheurnois.
sous le Directoire (1), avait échoué
dans la défense des conseils contre
le coup d'Etat du 18 fructidor,
dont il était devenu l'une des vic-
times, flarael était depuis long-
temps suspect aux Verdets, auxquels
il avait toujours refusé de délivrer
le mot d'ordre, conformément aux
règles de la discipline militaire.
Ce général ayant été insulté par
quelques inconnus dans la soirée
du 15 août, en rentrant chez lui,
mit l'épée à la main pour se frayer
un passage à travers la foule; il
atteignait ù peine le seuil de son
hôtel, quand un coup de feu fut
dirigé contre lui ; le bruit se ré-
pandit aussitôt qu'il avait tiré sur
le peuple. Sur celte fausse rumeur,
qu'il devint impossible de déti uire,
le peuple s'attroupa , assiégea
l'hôtel, pénétra jusqu'à Rarael qui,
blessé au bas-ventre d'un second
coup de feu, eut assez de force pour
SL' traîner j usque daus un grenier, où
ses meurtriers raohevèrent à coups
de sabre etde baïonnette. Il expira
sans avoir voulu signaler aucun de
r.es misérables. La foule, qui obs-
truait les abords de l'hôtel, était tel-
lement compacte et animée, que les
autorités civiles et militaires ne pu-
r- ni pénétrer jusqu'Ji lui. Villèle dut
se borner kfaire rendre à l'infortuné
général les honneurs réclamés par
son rang, et, dans une proclama-
lion où respirait plus d'affliction
que d'énergie, il déplora un attentat
(1 ) Voyez l'art, [lanicl, tome xxxvii,
page 35 de la Biographie unive*'selLe»
VIL
qui traversait si cruellement les
dispositions conciliantes qu'il avait
manifestées (1). Les élections gé-
nérales eurent lieu dans ces cir-
constances orageuses. Villèle fut
élu député à la modeste majorité
de deux ou trois voix, après quatre
jours d'épreuves fort passionnées.
L'esprit ultra-monarchique de son
premier écrit, habilement exploité
par le parti libéral , avait dé-
tourné de lui un grand nombre de
suffrages qui semblaient acquis à
ses services et à son incontestable
capacité. Cependant il recueillit,
lors de son départ pour Paris, un
témoignage remarquable d'estime
et de considération. Villèle avait
déclaré l'intention de se démettre
des fonctions municipales, qui lui
paraissaient incompatibles avec sa
nouvelle qualité. Le vœu presque
unanime de ses concitoyens lutta
contre sa détermination, et ce fut
revêtu du double mandat de maire et
de député, qu'il entra dans cette car-
rière législative qu'il devait bientôt
parcourir avec tant de supério-
rité. Les élections de 1815, accom-
plies sous l'influence de l'irritation
qu'avaient développée sur tous
les points de la France le coup de
main du 20 mars et les maux in-
calculables qui en étaient résultés,
avaient produit une Chambre en-
tièrement dévouée à la monarchie
de 1814; c'était la contre-partie
exacte de la Chambre des repré-
(1) Ce crime odieux demeura mal-
heureusement presqu'impuni, par suite,
dit uu écrivain bien informé, de la pro-
tection accordée aux assassins par des
hommes trôs-haut placés, et qui trou-
vèrent le moyen de faire disparaître les
pièces les plus importantes de la pro-
cédure. {Ilisloire du (jouverncmcnt
parlementaire y par M. Duvergier de
llauranne, tome iv, page 166.)
VIL
VIL
407
sentants. Mais elle empruntait aux
circonstances de sa composition une
autorité qui manquait à celle-ci.
« Soit par calcul, dit un écrivain
qui n'est pas suspect de partia-
lité royaliste, soit par timidité,
soit par Indifférence, beaucoup
d'électeurs s'étaient abstenus, et
rarement le chiffre des votants
avait atteint la moitié du nom-
bre total des électeurs ; dans quel-
ques départements du Midi, l'abs-
tention avait même été presque
complète, et l'on citait un dépar-
tement, celui des Bouches-du-
Rhône, où six députés avaient été
nommés par treize électeurs » (1).
Formée dans des conditions bien
différentes , la Chambre de 1815
représentait fidèlement les besoins
et les intérêts de la France d'alors;
mais elle en représentait aussi les
passions Vt les rancunes. La plu-
part des députés arrivaient à Paris
pleins des ressentiments qui fer-
mentaient dans leurs provinces.
Cette exaspération était d'autant
plus vive, que le retour de Tile
d'Elbe passait généralement à cette
époque pour le résultat d'une cons-
piration tramée de longue main
par de nombreux complices. Il
fallait n'y voir en réalité qu'une
tentative désespérée, dont l'impé-
ritie du gouvernement royal et les
imprudences du parti royaliste
n'avaient, on doit le reconnaître,
que trop encouragé la témérité :
l'indifférence des populations (2)
et l'entraînement de l'armée, hu-
miliée et mécontente , tels avaient
(1) Hist. du goiivcrn. parlement.
par M.DuvergicrdeHauraunc, tome m,
pa^'i- 2.
(2) « Ils iii'ont laisse arriver comme
ils les ont laissés partir. )i>(Mullien,i/c-
rnoires d'un ministre du Trésor.)
été les véritables, les seuls com-
plices de Napoléon. Mais ce point
de vue échappait, par sa simpli-
cité même, à l'appréciation d'une
majorité éblouie de sa proportion
et de son triomphe, et qui, dans
son zèle honnête, mais outré pour
la destruction de l'esprit révolution-
naire, menaçait d'un égal anathème
les susceptibilités les plus légitimes
et les conquêtes les plus irréprocha-
bles de la France nouvelle. Cette dis-
position étaitd'autant plus fâcheuse,
qu'un des effets les plus déplora-
bles de l'interrègne des cent-jours
avait été d'établir entre le p^rti li-
béral et le parti bonapartiste une
alliance qui, bien que coatre na-
ture, ne laissait pas d'être dange-
reuse pour h monarchie restaurée,
et qu'on ne pouvait se flatter
de dissoudre qu'à force de prn-
denceet d'habileté. — C'est dans ces
conjonctures difficiles que se réu-
nit la Chambre de 1815. Villèle ne
prit aucune part ostensible aux
premiers débats de celte assemblée.
Quoiqu'il s'associât généralement
aux impressions qui y dominaient,
la patience et la circonspection
h^ibiiueiles àson caractère h:i com-
mandaient d'étudier avant tout le
terrain sur lequel il aurait bientôt
à figurer. Mais il se faisait dès lors
remarquer dans les bureaux par
un talent de discussion calme, plein
de précision et de lucidité et qu'il
ne passionnait d'aucune question
irritante ou personnelle. Ce fut
dans la séance du 8 novembre que
Villèle (il sa première apparition
a la tribune, pour combattre le
projet de loi qui rL-creait les com-
pagnies dépailementales destinées
^ la garJe des hôtels de pré-
fecture et lies auln-s élahlissc-
meuls d'utilité publique el à la
transmission des actes de l'auto-
/i08
VIL
VIL
rite. Villèle démontra facilement
que des corps de cent à cent cin-
quante hommes, disséminés dans
des villes populeuses par les be-
soins de leur service, étaient in-
suffisants pour maintenir l'ordre
public ; que rinslitution des com-
pagnies départementales, excel-
lente sous l'Empire, qui portait
toutes ses armées au d(!hors, était
sans motif à une époque où la paix
venait (\t\ rendre au gouvernement
la libre disposition de ses forces
militaires; qu'elle était d'ailleurs
incompatible avec Texistence de
la garde nationale. Ce premier
discours de Villèle, sur une ma-
tière de peu d'intérêt, n'offre de re-
marquable que le morceau suivant,
extrait d'un programme politique
que nous le verrons développer
plus tard avec plus d'étendue.
« La nation découragée, flétrie
par une longue oppression , ne
peut être rappelée à la vie que par
des institutions qui la fassent parti-
ciper à ses propres intérêts, qui
rendent à son administration dé-
partementale et communale l'ac-
tion libre dont elles ont besoin,
qui leur rendent la disposition des
débris de leur fortune et le droit de
veiller sur les intérêts locaux. »
L'opposition presque isolée de Vil-
lèle n'empêcha pas l'adoption du
projet de loi; mais l'expérience
vériûa bientôt la valeur de ses ob-
jections, et l'insliiution des gardes
départementales s'éteignit au bout
d'un an d'existence. H critiqua
également le projet qui portait
que les quatre premiers douzièmes
des conlribulions seraient recou-
vrés sur les rôles de 1815, et si-
{ii^ala vivement î» ce propos les fA-
cbeux elTci^. d.; la c.;niralis;iiion,
qui absorbait tellement tout le
temps des ministres qu'ils n'avaient
plus celui de concevoir et de com-
biner aucune amélioration. Il rap-
pelait que le gouvernement royal ,
sentant le besoin d'un pouvoir mo-
teur dans les départements, s'était
adressé, au moment du péril, au
mois de mars, aux administrations
locales; mais le ressort était brisé,
et pour sauver la France , il eût
fallu à la représentation locale une
influence que la Restauration avait
négligé de lui attribuer. Le mo-
ment approchait où cette session,
jusqu'alors paisible en apparence,
allait se passionner au contact des
questions de personnes et de partis.
Personne n'ignore que par une or-
donnance rendue sous le précédent
ministère, les principaux fauteurs
du 20 mars avaient été classés en
deux catégories dont la première
se composait des individus que le
gouvernement se proposait de dé-
férer aux tribunaux; dans la se-
conde flguraient les personnes
frappées d'exil. Alarmé par diver-
ses propositions qui tendaient à
aggraver inconsidérément les ri-
gueurs de cette ordonnance, le 8
décembre , le lendemain même de
l'exécution du maréchal Ney , le
nouveau cabinet présenta une loi
qui limitait ses rigueurs en met-
tant hors de cause tous les autres
acteurs de la dernière révolution,
et Villèle lit partie de la commis-
sion dont elle provoqua l'examen.
Les commissaires insistèrent pour
que ses dispositions s'étendissent
à un plus grand nombre de cou-
pables; ils réclamèrent vivement
surtout l'expulsion des régicides
qui avaient acce|)té des fonctions
publiques pendant les cent-jours;
mais le ministère repoussa tous ces
amendements. Ce fut dans cet état
que la Chambre eut à se prononcer.
Le rapport avait été confié k
VIL
M. Corbière, député dllle-et-Vil-
laine, qu'une amitié étroite, née
de la conformité de leurs senti-
ments politiques, commençait à
unir au personnage qui fait le sujet
de cette notice. La discussion, à
laquelle Villèle ne prit d'abord
qu'une part inostensible, fut tu-
multueuse et animée, et MM. de La
Bourdonnaye, de Bouville, Ghiffiet,
de Salaberry, firent entendre, dans
Tardeur de leur zèle réactionnaire,
des paroles qui ont été amèrement
et injustement reprochées à la
masse du parti royaliste. Villèle
crut devoir enfin s'élever contre la
disposition qui exceptait de l'am-
nistie les personnes poursuivies ou
condamnées avant la promulgation
de la loi; il en signala avec une
louable préToyance le vague et le
danger. Son opposition demeura
impuissante. La Chambre écarta à
une faible majorité la plupart des
additions aggravantes, mais {'amen-
dement relatif à l'expulsion des
régicides fut admis par le minis-
tère et passa presque sans contra-
diction. Cependant , des débats
moins irritants allaient bientôt
fixer la véritable importance de
Villèle dans cette Chambre, formée
d'éléments à la fois si purs et si
inflammables. Le 48 décembre,
le ministre de l'intérieur avait
présenté un projet de loi sur l'or-
ganisation électorale dont l'écono-
mie réalisait le dessein assez hau-
tement avoué d'ailleurs, de mettre
les élections entre les mains de
l'administration. Ce projet établis-
sait deux degrés d'élection, dont
le canton et le département de-
vaient être successivement le siège.
Indépendamment des électeurs
créés par le chilïre d('s imposi-
tions, un assez grand nombre de
fonctionnaires publics étaient ap-
VIL
li09
pelés à prendre part au vote,
mais cette opération ne constituait
qu'une simple aptitude électorale;
le choix des électeurs définitifs
était réglé par le roi et ne pouvait
comprendre, en moyenne, au delà
de 200 volants. Enfin, la Chambre
se renouvelait par cinquième d'an-
née en année. Villèle fut nommé
rapporteur de la commission char-
gée d'examiner cet étrange projet,
et dans la séance du 6 février
4816, il lut un travail qui battait
en brèche sur tous les points
l'œuvre ministérielle. Son plan
écartait formellement les électeurs
de droit pour ne maintenir que
ceux qui seraient élus par des as-
semblées cantonales, composées de
tous les Franç^iis âgés de vingt-cinq
ans et payant 50 francs de contri-
butions. Les électeurs âgés égale-
ment de vingt-cinq ans et payant
un cens de 300 francs au moins,
nommaient les députés d'arrondis-
sement et formaient une liste sur
laquelle le roi choisissait les dé-
putés de département. Le rappor-
teur repoussait d'une manière
absolue le renouvellement par cin-
quième, et maintenait l'élection
quinquennale établie par l'art. 37
de la Charte, et le nombre actuel
des députés, qui était de 2G2. Un
avait objecté contre le renouvel-
lement intégral l'inconvénient de
réunir à la fois tous les collèges
'électoraux; Villèle répondait à celle
objection par l'exemple des der-
nières élections, accomplies dans
les circonstances les plus agitées,
à la suite de la crise révolution-
naire la plus grave, de l'aniniùbité
la plus violente des partis, sans
avoir donné lieu k aucune rixe, à
aucun tumulte, sans avoir même,
chose bien plus remarquable en-
core, occasionné une seule récla-
410
VIL
inatioD cionlre la validité des opé-
rations électorales. Le système
proposé par le rapporteur subs-
tituait, comme on le voit, une
combinaison toute nouvelle îi la
conception gouvernementale, con-
ception qui n'avait obienu aucune
faveur à la Chambre, malgré l'es-
prit ultra-monarchique qui en avait
inspiré toutes les dispositions,
en écartant les électeurs de droit
pour ne laisser subsister que les
électeurs élus. Le projet de la
commission, de l'avis d'un des plus
fermes amis de nos libertés consti-
tutionnelles (1), offrait le mérite
a de poser les véritables principes
du gouvernement parlementaire ; »
et ce mérite était d'autant plus
appréciable, que M. Royer-CoÛard
lui-même contestait à la Chambre
son caractère représentatif, pour la
réduire à un simple pouvoir de
l'Etat. Les débats qui s'ouvrirent
peu de jours après sur la première
partie du rapport ne furent pas
sans confusion; les amendements
et les propositions se croisèrent
en tous sens. Un second rapport
fut lu dans la séance du <6 février
par Villèle, qui fit valoir,. îi l'appui
de son système, plusieurs considé-
rations importantes. Il présenta les
droits consacrés par la Charte au
profit des citoyens , « comme un
dédommagement des garanties que
trouvaient leurs intérêts et leurs
franchises dans les institutions
qu'avait renversées la révolu-
tion. » Il repoussa le privilège ex-
clusif accordé par la Charte aux
censitaires d.; ;{00 francs de nom-
mer seuls les députés, comme en
dehors de i.Ob mœurs actuelles et
(I) M. DuviM-gier (le Hîjurinnc, Hist.
(lu (jouvern. parleynail'iire^ tome m.
VIL
en désaccord avec le système re-
présentatif que la Chambre était
appelée à fonder, et comme tendant
à perpétuer sous le roi le système
d'avilissement où le Corps législatif
était retenu sous le régime impé-
rial. Il concluait « qu'un système
d'élection libre et étendu aurait
pour effet de ranimer l'opinion
publique, de calmer l'irritation des
partis, de donner des garanties à
tous, et de faire jouir la France du
repos et de la confiance qui étaient
ses plus pressants besoins. » Il
s'éleva surtout avec force contre le
renouvellement par cinquième, qui
lui paraissait en opposition di-
recte avec le droit constitutionnel
de dissolution intégrale réservé à la
couronne, et dont l'effet serait d'en-
tretenir une mobilité perpétuelle
dans l'administration du pays.
La commission réussit générale-
ment à faire prévaloir son système
sur celui du gouvernement; cepen-
dant elle succomba sur les chefs
relatifs au nombre des députés, à
l'établissement des collèges canto-
naux, et se crut obligée de céder
sur un point plus essentiel encore:
elle admit que le roi aurait la fa-
culté d'adjoindre aux électeurs de
département des électeurs du son
choix, dans une proportion faible
à la vérité (un dixième sur le
nombre total), mais qui altérait
sensiblement l'économie et surtout
la théorie du nouveau projet. Les
doux projets furent, par un calcul
évident d'opposition du cabinnl, pré-
sentés simultanément à la Chambre
des pairs. Ce corps vil dans r(cuvre
ministérielle une violation formelle
des droits consacrés par la Charte,
et, dans 1'.' système de la commis-
sion, le dessein de constituer une
espiîce d'aristocratie :i;i' piofiL ex-
clusif de la propriété, et rejeta l'un
VIL
et l'autre. Ce résultat inattendu
produisit, au sein de h Chambre
élective, une perturbation pro-
fonde. Dans un comité secret, le
4 avril, Villèle monta à la tribune,
et proposa à l'Assemblée de for-
muler une Adresse au roi pour lui
signaler les dangers graves que
faisait courir à la paix publique la
résolution des pairs. Cette propo-
sition fut accueillie avec faveur, et
le développement en fut ftxé au
lendemain. Mais, dans l'intervalle,
le roi exprima son improbation
d'une démarche aussi extrême, et
M. Decazes, comprenant le besoin
de composer avec les chefs de la
majorité, manda chez lui l'hono-
rable rapporteur, qui se rendit à
cet appel. Le ministre lui commu-
niqua un projet tendant à donner
force de loi aux ordonnances des
13 et 21 juillet, c'est-à-dire à main-
tenir les collèges électoraux ac-
tuels, avec engagement de ne pro-
céder à aucune élection partielle;
il lui demanda de se désister de sa
proposition, sous la promesse de
soumettre le lendemain même ce
projet au vole de la Chambre. Vil-
lèle y consentit, moyennant quel-
ques modifications de détail. Le
lendemain 5, le comte de Vaublaric,
ministre de l'intérieur, apporta à
la séance le projet convenu, mais
avec cette lacune essentielle, que
rien n'y était spécifié quant au
renouvellement intégral de la
Chambre jusqu'à la prochaine ses-
sion. Ce qui constituait l'impor-
tance de celle omission, c'est que
le côté droit, jup^eani la Chambre
pleinement à l'abri d'une dis-
solution, cooceulraii toutes ses
appréhensions sur l'usage des re-
nouvellements partiels qui pou-
vaient a;iérer l'opinion de la ma-
jorité. Ce manque de foi, ou,
VIL
liU
plus probablement, ce malenten-
du fâcheux, émut vivement la
fraction ultra-royaliste de l'Assem-
blée. Une commission fut sur-le-
champ nommée dans un sens hos-
tile au ministère, et Villèle accepta
cette fois encore les fonctions de
rapporteur. Il monta le 8 avril à
la tribune; mais M. Laine, prési-
dent de la Chambre, lui refusa la
parole, sur le motif qu'au mépris
des prescriptions du règlement,
l'orateur avait négligé de le pré-
venir vingt-quatre heures à l'a-
vance. D'irritantes explications
s'engagèrent. A la suite d'un débat
personnel entre le président et
M. Forbin des Issarts, un des mem-
bres les plus fougueux de l'extrê-
me droite, la majorité s' étant pro-
noncée pour l'audition immédiate
du rapporteur, M. Laine quitta
aussitôt le fauteuil et la Chambre,
et ue reprit ses fonctions que quel-
ques jours après, sur un ordre
formel du roi. Villèle prit la parole
au milieu de celte agitation, et lut
un rapport très-habilement conçu,
dans lequel il établit que la loi
soumise à la Chambre devait dé-
cider « si le gouvernement institué
par la Charte serait une apparence
ou une réalité, ■ et prouva très-
bien « qu'en essayant de créer un
corps électoral dépendant et subor-
donné, le projet tendait à annuler
la Chambre et a anéantir la
Charte. » La commission admettait
le nouveau projet, mais en main-
tenant provisoirement toutes les
di^posiiious de l'ordonnance du
i3 juillet, et en interdisant aux
collèges provisoirement conservés
toute autre élection qu'une élec-
tion générale nécessitée par la
dissolution de la Chambre. Le tra-
vail de ViUclesc faisait remarquer
par un grand nombre de considé-
M2
VIL
VIL
rations Judicieuses et élevées;
nous n*eu extrairons que le pas-
sage suivant qui résumait fidèle-
ment la situation que le gouver-
nement royal faisait k la France
actuelle : « La France, disait-il,
vient de naître pour ses institu-
tions ; toutes sont à créer. Seul
au centre de tant de ruines, l'hé-
ritier de nos rois avait deux routes
ouvertes devant lui : gouverner
par sa pleine puissance ; dix ans
d'asservissement avaient façonné
laFranceàcejougJa continuation
du même système n'eût éprouvé
peut-être aucune résistance; créer
autour de lui de nouvelles institu-
tions, donner des garanties et des
droits ik tous les intérêts, telle fut
la roule contraire et plus sûre que
la sagesse et la bonté du roi le por-
tèrent à suivre. » La discussion
qui s'ouvrit le lendemain n'offrit
qu'une particularité digne de re-
marque. M. de Vaublanc, porteur
du projet de loi sur le renouvelle-
ment partiel, se prononça, à la
grande surprise de ses collègues,
dans le sens des conclusions du
rapport, conclusions qui, malgré
l'opposition de M. Decazes et de
M. Becquey, commissaire du roi,
réunirent une forte majorité. Cette
volte-face imprévue faisait pres-
sentir dans le sein du conseil une
scission qui ne tarda pas, en effet,
à éclater. La résolution de la
Chambre déplut vivement au roi,
dont elle blessait la préroga-
tive, et lui arracha, dit-on, la pre-
mière désiipprobalion énergique
qu'il eût fait entendre contre l'es-
prit de la majorité. Un résultat
non moins regrettable de la pré-
cipitation du parti ultra-royaliste
fut de créer un ardent antagonisme
entre la Chambre et M. Laine, ce
serviteur courageux et tidele de
la monarchie de 1814, le seul
homme peut-être qui, par l'auto-
rité de sa parole et de son dévoue-
ment, eût pu conjurer la dissolu-
tion dont elle était déjà menacée
dans un certain nombre d'esprits.
C'était une faute que ne rachetait
point le motif de cette précipi-
tation inconsidérée. Ce motif,
fondé surla défiance qu'inspiraient
à la droite plusieurs membres du
ministère, était de subordonner le
vote du budget à l'adoption d'une
loi qui garantît cette fraction de la
Chambre contre le péril d'un renou-
vellement partiel. Mais celte tacti-
que condamnable échoua devant
l'intervention personnelle de Mon-
sieur (1), qui craignit le méconten-
tement du roi, et le budget fut voté,
comme on le verra plus tard, sans
que la dernière résolution de la
Chambre élective eût reçu la con-
sécration légale. La discussion de
cette importante loi fut^précédée
d'un rapport dans lequel M. Cor-
bière proposait de rembourser en
rentes 5 p. 100 au pair, c'est-à-dire
avec une banqueroute de 40 p. 400,
les créanciers de la Révolution et
de l'Empire, au lieu d'aliéner,
comme l'avait demandé le ministre
des finances, en vertu d'une loi du 23
septembre 1814, les biens restants
du clergé et des communes. Cette
combinaison infidèle souleva la mi-
norité de la Chambre ; mais la ma-
jorité, dans son aveugle esprit de
rancune contre les fauteurs du
ÎO mars, se prononça en faveur du
rapport, et le cabinet, après d'in-
(1) Hist. du gouvern. parlement. ^
etc., par M. Duvcrgier de Hauranne,
tomo III, page 410. — Histoire de la
lieiitauration^ par M. de Viel-Cablcl,
tome IV, page 184.
VIL
fructueux efforts, n'eut d'autre res-
source pour masquer son échec que
le retrait de la loi du 23 septembre,
en reculant l'échéance des paye-
ments, et en offrant aux créanciers
de l'Etat un intérêt de 5 p. <00. Ce
succès, dont le côté droit ne com-
prit pas d'abord la portée (1), et
auquel Villèle prit une part regret-
table, fut le dernier triomphe de
la majorité de 1815. La session lé-
gislative fut close le 2o avril, et
Villèle revint le 14 mai à Toulouse,
où l'attendait une brillante récep-
tion; la garde nationale en uni-
forme et une partie considérable de
la population se portèrent au de-
vant de lui ; le soir, des feux de joie
furent allumés sur plusieurs piaces,
et les théâtres retentirent de cou-
plets improvisés. Quinze jours plus
tard, il lut conflrmé définitivement
dans ses fonctions de maire. On re-
marqua avec quelque surprise qu'il
refusa de prendre part aux travaux
de la commission chargée de pré-
parer le budget pendant l'intervalle
des deux sessions. Ce refus, inspiré,
dit-on, par les conseils du pavillon
Marsan, fit sensation sur l'esprit de
Louis XVIII; mais l'effet en dispa-
rut bientôt devant la grande me-
sure qui allait influer si puissam-
ment sur les destinées de la France
et de l'Europe. L'ordonnance du
6 septembre prononça la dissolu-
tion de la Chambre, et déclara
quaucun article de la Charte ne
serait révise. Cette ordonnance,
prétextée surle danger d'un système
d'innovation contraire « aux vœux
et aux besoins » des populations,
et sur la nécessité de réduire la
Chambre des députés au nombre
VIL
M 3
déterminé par le pacte constitu-
tionnel, était le résultat de plu-
sieurs mois de négociations con-
duites dans un profond mystère par
M. Decazes, qui en avait été le princi-
pal promoteur, avec ses collègues,
avec le roi, qui ne s'y était prêté
qu'après une longue résistance (1),
et les ministres étrangers, dont les
représentations et les instances
avaient fortement contribué à fixer
ses irrésolutions. — Quarante-cinq
ans écoulés depuis l'ordonnance du
5 septembre permettent d'apprécier
cette grave détermination avec le
double avantage d'une expérience
chèrement acquise, et de l'impar-
tialité que comporte l'apaisement
des passions qu'elle avait soulevées.
Nous n'avons point atténué les torts
de la Chambre de 1815. Nous n'a-
vons dissimulé ni la tendance sub-
versive de ses procédés envers la
couronne, ni les obstacles suscités,
par le langage irritant de ses prin-
cipaux orateurs, à l'esprit de con-
ciliation que le gouvernement royal
s'efforçait d'établir entre les par-
tis. Mais, à côté de ces empor-
tements qui furent généralement
plus individuels que collectifs, cette
Chambre s'était signalée, de l'aveu
même de ses plus ardents adver-
saires, par quelques inspirations
estimables dont il paraissait juste
de lui tenir compte. « Formée en
grande majorité, dit l'un d'eux, de
propriétaires, simples contribua-
bles, gens passiounés mais probes,
el qui apportaient une sorte de re-
ligion dans l'accomplissement de
leur mandai de censeurs des dé-
penses publiques, sa composition
(1) Hist. du gouvern. parleTnent.,
tome ni.
(1) Mémoires de M. Guizot^ tome i,
Èagc 131. Hist. de la liestaur., par
[. de Viel-Castd, t. v, ch. 29.
!i\li
VIL
exceptionnelle imprima à ses tra-
vaux financiers une reclitude et
une rigidité qui les ont fait survivre
même à la chute de la Restaura-
tion (1). » M. Duvergier de Hau-
ranne la loue hautement « d'avoir
rompu avec les traditions de la ser-
vilité impériale, et d'avoir notable-
ment contribué à raffermissement
et au développement du système
parlementaire. (2) » « Il y avait dans
cetteassemblée,adit récemment un
homme d'État, grand jurisconsulte,
il y avait de l'inexpérience, mais des
sentimenîs d'un ordre élevé. Ces
cœurs religieux, monarchiques et
désintéressés étaient pleins de no-
bles libres, qu'il fallait savoir metirn
,en mouvement. Elles auraient ré-
pondu au tact d'une main qui leur
eût été sympathique. On trouva plus
simple de dissoudre cette Chambre
et de frapper de suspicion les mem-
bres qui en composaienliamajorité.
Ce fut un malheur(3). » M.Guizot,
après s'être associé à quelques-uns
de ces éloges, justifie catégorique-
ment la Chambre du reproche puéril
d'avoir travaillé à abolir la Charte
et à rétablir l'ancien régime. «C'é-
tait surtout, ajoute-t-il, la victoire
qu'elle voulait, pour l'orgueilleux
plaisir de la victoire même, pour
l'affermissement définitif de la Res-
tauration, pour sa propre domina-
lion au centre de l'État p:ir h', gou-
vernement, dans chaque localité
par l administration (4). j» Eu re-
(1) Histoire des deux liestauralions,
par Acii. (le Vaulabeile,tûme iv, p. 09.
(2) Jlist. du gouvern. parlement.,
tome iri, page 420.
(3) A/. Hyde de Neuville, par M. de
Vatimesnil, Correspondant du 25 juin
1857.
(4) Mémoires pour servir à ihis-
loiredemon temps, iomc i, page 114.
VIL
gard de cette opinion autorisée, il
convient de placer le témoignage
auguste de Louis XVIII lui-même
qui, dans une occasion solennelle,
avait qualifié à.' introuvable celte
Chambre «que la Providence, ajou-
tait -il, s'était plu à former des
éléments les plus purs. » Enfin,
voici en quels termes l'organe alors
le plus accrédité du pavillon Mar-
san formulait le programme politi-
que de la Chambre de 1815, dans
un mémoire secrètement adressé
aux ministres des principales cours
étiangères : * La Chambre, disait
M. de Viiîoiles , ne veut point dé-
truire la Charte (1), mais elle veut
(1) Cette thèse capitale était accom-
pagnée de dévcloppci.Mcnts énoncés
(l'une manière si précise et si catégo-
rique que nous croyons devoir en
reproduire un fragmeni étendu : « Quelle
violence ne faudrait-il pas pour arra-
cher aujourd'hui à la France les con-
cessions qu'elle a reçues du roi! Elles
ont été consacrées par les puissances
qui le replaçaient .sur le trône, par
l'usage qu un en a l'ait, par les garan-
ties qu'on y a trouvées, en(in,pa;* leur
adoption jranclie et entière de la part
de ceux inôines qui y étaient le moins
préparés. — On ne pourrait pas réta-
blir ce qu'on appelle l'ancien régime;
tous les éléments en sont brisés, et la
poussière même en est dispersée. Nous
ne retrouverions pas môme le fantôme
de ces grands corps de l'Etat qui, à la
fois défenseurs des droits de la cou-
ronne et des privilèges des j)euples, se
balançaient noblement dans le cercle
qui leur était tracé, et gardiitissaient à
la fois les libertés de la nation et l'in-
violabilité du trône. Ce serait donc un
despotisme nu et hideux qu'il faudrait
metire a U place de ces belles cl incom-
parables institutions des temps anciens :
un despotisme >ans force, sans institu-
tions, sans garanties; un despotisme tel
que la France ne l'a jamais connu et
ne pourrait jamais le supporter; un
despotisme, enlin, qu'il fauurail main-
tenir par la force des armes, et qui
attacherait a la léi^itimité tous les
inconvénienls et tous les malheurs de
VIL
que la Chambre des pairs devienne
la source d'une noblesse indépen-
dante, que le clergé soit proprié-
taire et non salarié, que des as-
semblées provinciales règlent les
intérêts locaux, et que les arts et
métiers soient soumis à une incor-
poration régulière (1).» De telles
conclusions, il faut le reconnaître,
n'avaient rien de bien excessif, et
l'on a vu que les torts de la Chambre
consistaient surtout en un senti-
ment outré de sa prérogative, et en
certaines tendances plus ou moins
arrêtées vers quelques-unes des ins-
titutions secondaires qui apparte-
naient au régime antérieur à 1789.
Ces entreprises n'étaient pas sérieu-
sement à craindre dans l'état de la
société moderne ; l'avènement au
pouvoir des chefs de la majorité
eût suffi pour contenir ses préten-
tions ultra-parlementaires, et il est
naturel de supposer que les pas-
sions qui fermentaient dans son
sein, se seraient calmées à mesure
l'usurpation... Et en faveur de qui pré-
tendrait-on exécuter une pareille sub-
version ? Ce ne serait pas dans les inté-
rêts du pays, qui ne trouverait plus
dans le gouvernement légitime aucun
gage de stabilité; ce ue serait pas dans
les intérêts de l'Europe, qui s'engage-
rait à soutenir par la force le gouver-
nement qu'elle aurait imposé par la
force; ce ne serait donc que dans l'in-
térêt de quelques noms propres, qui
croiraient ainsi se maintenir plus forte-
ment au pouvoir Il restera donc
démontré a tout esprit judicieux que
le» formes constitutionnelles sont les
mieux adaptées aux circonstances oii
la France se trouve placée; qu'elles
conviennent à l'esprit des hommes et
des temps, quelles sont un parti rai-
sonnable entre les institutions ancien-
nes, qu'on ne pourrait rétablir, et les
théories de la révolution, qu'il est si
essentiel de détruire. »
(1j Hist. du gouvern. parleinent.^
tome m.
VIL
415
qu'on s'éloignait davantage des évé-
nements qui les avaient fait naître.
« Le flot de la réaction grondait
toujours, dit M. Guizot, mais il ne
montait plus (1).» Mais, en politi-
que surtout, les arguments qui re-
posent sur une base purement hypo-
thétique ne peuvent conduire à
aucune démonstration solide, et
c'est surtout par son caractère et
ses conséquences que l'ordonnance
du 5 septembre veut être jugée.
Or, le caractère d'une réprobation
infligée à la seule Chambre sincè-
rement dévouée aux intérêts re-
ligieux et monarchiques que la
France ait librement élue, ne pou-
vait être que celui d'un appel aux
idées révolutionnaires, et l'on com-
prend quels effets devait produire
ce haut encouragement dans un pays
aussi docile que le nôtre aux im-
pulsions du pouvoir, et si bien pré-
paie d'ailleurs à accueillir de telles
excitations (2). Dans une note re-
mise au roi peu de temps avant la
dissolution, M. Laine, tourmenté de
justes scrupules sur les suites de
cette mesure extrême, avait proposé
d'essayer un renouvellement par-
tiel de la Chambre, en n'y appe-
lant que des députés de quarante
ans (3). Ce plan était sage et n'en-
(1) Mémoires, etc., t. i, p. 138.
{'2) Dans la notice de M. de Vati-
mesnil sur M. Hyde de Neuville, que
nous avons citée plus haut, on lit la re-
marquable observation qui suit : c S'il
se trouve jamais un homme laborieux
qui ait la patience de tirer de la pous-
sière des grotles et de dépouiller les pro-
cès politiques de cette époque, il acquerra
la conviction que ce fut à dater du
5 septembre 1810 que les projeti des
ennemis de la mouarchie et l'organisa-
Lioii des sociétés secrètes prirent de la
consistance. >»
^3) Mémoires, etc., par M. Guizot,
tome I. M. Guizot reproduit cedocimierit
m extenso.
Aie
VIL
VIL
gageait que dans des limites dis-
crètes l'avenir politique du pays.
Mais il ne put prévaloir sur les ob-
sessions persévérantes du conseiller
intime de Lous XVIII. Nous ne fe-
rons point à la tombe récemment
fermée de ce bienveillant ministre
l'injure de le défendre d'une in-
digne trahison envers le monarque
qui l'honorait de sa confiance. Mais,
nous croyons que son ambition per-
sonnelle et son patriotisme (1) l'ins-
pirèrent mal dans cette circonstance,
et qu'il négligea, par une précipita-
tion inconsidérée, l'occasion su-
prême, unique peut-être d'asseoir le
régime de la Restauration sur une
base solide par l'alliance à jamais
souhaitable de la monarchie, de la
religion et de la liberté. L'ordon-
nance du 5 septembre encouragea le
développement de cet esprit démo-
cratique qui, dans son fatal essor, à
peine ralenti par six ans d'un pou-
voir afîaibli et contesté, parcourant
rapidement tous les degrés de la
licence, après avoir expulsé deux
dynasties royales , a ébranlé , en
4848, tous les fondements de l'ordre
public, pour aboutir à l'installation
d'un régime sans contrepoids dans
une société sans croyances, en
laissant TEurope profondément
troublée, et la France livrée à des
divisions plus tranchées , plus ar-
dentes, plus irréconciliables que ja-
mais. — L'esprit de l'ordonnance
du 5 septembre ne tarda pas 'd se
manifester par les efforts que dé-
ploya le ministère pour écarter les
principaux membres de la majo-
rité; mais il n'obtint à cet égard,
surtout d;iiis les départements,
qu'un succès partiel. La plupart
(1) Ibid., t. I, p. \4S,
des chefs de la Chambre dissoute
furent réélus; Villèle et les trois
autres députés de la Haute-Garonne
étaient du nombre, et la session
s'ouvrit le 4 novembre en présence
d'un groupe fort diminué sans
doute (Villèle n'avait obtenu que
80 voix pour la vice-présidence),
mais beaucoup plus compacte et
plus homogène que le parti mi-
nistériel. Celte minorité mécon-
tente agita un moment l'idée d'an-
nuler la session par une retraite
collective ; elle en fut détournée
par de sages conseils auxquels
Villèle, devenu le chef de l'oppo-
sition royaliste, ne demeura pro-
bablement pas étranger. On voit
par la correspondance intime qu'il
eutrelenaii alors avec sa famille,
combien rexpéricncc des hommes
et des choses avait modifié ses
premières impressions: «Je ne puis
dire, écrivait-il, que mon parti aime
beaucoup la Charte, dont il connaît
les imperfections et les laïuines; mais
nous nous y attachons de plus en
plus, comme au seul titre qui nous
autorise à nous occuper des inté-
rêts de notre pays. » Ces débris de
la turbulente assemblée de 1815
comprirent bientôt le besoin de se
réunir pour donner plus d'ensemble
et d'autorité à leurs résolutions.
M. Piet, l'un d'eux, leur ouvrit ses
salons, et ce fut surtout dans ces
réunions préparatoires que l'illustre
député de la Haute-Garonne et
son fidèle ami M. Corbière, réélu
comme lui, acquirent sur leurs col-
lègues cet ascendant qu'ils no de-
vaient perdre que dans les épreuves
périlleuses du pouvoir. Villèle
commença son rôle d'opposition
en attaquant les élections du Pas-
de-Calais comme entachées de pres-
sion ministérielle, et déposa une
lettre du préfet de ce département
VIL
tjui avait engagé les électeurs à
repousser tous les députés « de
l'ancienne majorité opposée au
gouvernement. »> Ces objections,
qui impliquaient la plupart des
dernières opérations électorales,
tirent naître un violent tumulte au
sein duquel elles expirèrent sans
succès. Il appuya sans plus d'avan-
tage la pétition de la dame Robert,
qui se plaignait de l'arrestation de
son père et de son frère, et de la
suppression d'un journal qu'ils
avaient fondé pour la défense des
doctrines monarchiques. Mais ces
escarmouches n'étaient que le pré-
lude de l'agression plus sérieuse
que Villèle, dans la séance du 26
décembre, dirigea contre le projet
de loi électorale présenté par
M. Laine, ministre de linlérieur,
projet qu'on dut considérer comme
le premier corollaire de la nou-
velle politique du cabinet. Dans ce
projet, qui attribuait le droit d'élec-
tion , indistinctement, à tous les
censitaires de 300 fr. , avec le
renouvellement par cinquième ,
M. Roycr-Collard, par une illusion
étrange, avait vu le moyen d'ex-
tirper (f ce qui restait des doctrines
révolutionnaires. » Villèle, qui lui
succéda à la tribune, avait le grand
avantage de défendre le même sys-
tème électoral qu'en 1816; mais il
devait craindre, en soutenant les
assemblées primaires, de réveiller
les souvenirs de 1792 et de 1793,
et, en se déclarant favorable à la
grande propriété , de repousser
l'appui du parti libéral, qui en re-
doutait Tinfluence. L'orateur fran-
chit assez heureusement ce double
écueil. « Pour avoir, dit-il en dé-
butant, les avantages du gouverne-
ment représentatif, il faut néces-
sairement supporter les épines de
l'indépendance des élections et les
LXXXV
VIL
417
embarras d'un système électoral
plus éiendu que celui qu'on vous
propose. )) Après avoir reproché
au gouvernement de placer trop
haut ou trop bas la limite électo-
rale, Villèle insista pour l'élection
à deux degrés, avec des censitaires
au-dessous de 300 fr. ; le choix des
électeurs était confié à tous les
hommes qui cherchaient dans le
travail ou l'industrie une augmen-
tation à leur modeste aisance, et
qui, par conséquent, devenaient
des auxiliaires naturels de la grande
propriété. Il voulait que les col-
lèges fussent réunis par sections
dans les chefs-lieux d'arrondisse-
ment, au lieu d'être convoqués
intégralement au chef-lieu du dé-
partement; enfin, il demanda que
les préfets et les commandants mi-
litaires ne pussent être élus dans les
départements où ils exerçaient leurs
fonctions. Cette dernière proposi-
tion, qu'il défendit avec beaucoup
de sens et d'énergie contre MM. de
Serre et Royer-Collard, fut plutôt
ajournée que rejetée; mais tous les
autres amendements furent écartés
par la question préalable. Cepen-
dant le principe de l'élection direct
n'obtint que 12 voix de majorité,
et la loi entière ne passa à la
Chambre des pairs qu'à 18 voix.
Villèle combattit également le
projet de loi sur la sûreté générale
et celui qui étendait les attributions
du ministre de la police en re-
nouvellement des dispositions de
la loi de 1815. Il établit que les
motifs de la loi d'exception du 29
octobre avaient cessé d'exister, et
invoqua, à l'appui de son affirma-
tion, les paroles mômes du ministre
qui proclamait le retour do l'ordre
et de la tranquillité sur tous les
points du royaume. 11 combattit
aussi le projet qui assujettissait,
27
/il8
VIL
VIL
jusqu'au 1" janvier 18i8, les jour-
naux à ne paraître qu'avec l'auto-
risation du roi, et dans lequel il ne
voyait qu'un accroissement de l'ar-
bitraire ministériel au préjudice de
Tautorité royale. « Si, disait-il,
le gouvernement représentatif est
notre seul refuge contre de nou-
Telles révolutions et la seule garan-
tie que nous puissions avoir contre
les abus destructeurs des empires,
maintenons le gouvernement re-
présentatif que nous a donné la
Charte en lui conservant les appuis
qu'elle a reconnu lui être né-
cessaires, et j'ai pensé que la
liberté des journaux était le plus
indispensable Garantissons la
société des dangers de la licence
des journaux, mais ne livrons pas
à l'arbitraire l'arme utile et puis-
sante dont ils sont dépositaires,
car, pour éviter un danger, nous
nous précipiterions dans un abime. »
Mais le discouis le plus remar-
quable que Villéle prononça dans
la session de 1817 eut lieu à pro-
pos du budget. Dcins ce travail,
qu'un écrivain a appelé ï Évangile
financier du parti royaliste (i), il
offrit un tableau malheureusement
trop fidèle de la situation obérée
de la France; et, rappelant l'exem-
ple de Sully, qui dans de > conjonc-
tures également difliciles, avait
triomphé par l'économie de tous
les embarras dont on était assiégé :
« C'est k la Chambre, ajoula-t-il,
de jouer le rôle de Sully, en défen-
dant le monar(iu<' contre l'impor-
tunité des demandes et la facilité
de les accorder. » Puis, examinant
successivement toutes les branches
de l'adminisiration publique , il ,
(1) Hisl. du qouijern, parletn.^ par
iM. DuTergier de Uauranne, tome iv.
censura les Irailenients sans fonc-
tions tels que ceux des ministres
d'État, signala comme inconstitu-
tionnelle l'existence du conseil
d'État, blâma comme insullisante
la dotation du clergé, sans épar-
gner la subvention universitaire,
attribuée, disait-il, à un corps « qui
n'inspirait aucune confiance aux
pères de familles; » mais il s'éleva
surtout contre l'excès de la centra-
lisation administrative et contre
l'abus dispensions, «devenues de-
puis la Restauration une véritable
plaie de l'État, » et proposa divers
moyens propres à réaliser rexercice
d'un contrôle sérieux sur les dé-
penses publiques. Remontant des
effets aux causes, Villèle n'hésita
point à rapporter aux développe-
ments excessifs du système impé-
rial l'élévation des charges dont il
provoquait la réduction : « Notre
domination sur l'Europe, disait-il,
a fait naître au milieu de nous, non
une nation nouvelle, mais une
réunion de quelques milliers d'in-
dividus pour lesquels les spécula-
tions financières et politiques,
l'habiiude des places lucratives, la
nécessité de pourvoir à de grandes
dépenses par de grands profits et
de forts émoluments, ont fait long-
temps regarder l'Europe comme un
vaste champ d'exploitation, et de-
puis, les revenus de la France
comme son patrimorne. » Ce dis-
cours fort éiendu produisit une
vive sensation dans la Chambre
qui en vola unanimement l'impres-
sion. M. de Barante, commissaire
du roi, accepta la tâche difficile d'y
répondre le lendemain même, et
s'en tira avec habileté. 11 opposa
spirituellement au tableau des abus
de l'administration moderne l'es-
quisse des désordres et des dilapi-
dations de l'ancien régime, et dé-
VIL
VIL
li\9
montra que le chiflre des économies
réclamées par Torateur était au-
dessous même de celui auquel s'é-
levaient les réductions proposées
par la commission du budget.
Villèle ne cessa pendant la session
de prendre une part active à la
discussion de la loi de finances;
il concourut fortement à l'établis-
sement de la commission annuelle
chargée de vérifier la conformité
des dépenses publiques avec le
texte des prescriptions légales;
mais il échoua dans tous les amen-
dements qu'il présenta. Cette insis-
tance lui attira quelques personna-
lités, parmi lesquelles figurait lira-
putation de recevoir un traitement
de six mille francs comme maire
d'une ville de second ordre. L'op-
position avait mal choisi son ter-
rain. Villèle convint du fait, mais il
ajouta qu'il avait constamment
abandonné cette somme à son pre-
mier adjoint pour être distribuée
aux pauvres. La dette extérieure,
occasionnée par les événements
de 1815, avait été fort grossie par
les créances particulières des an-
ciens pays conquis, créances dont
le chiffre s'était trouvé fort supé-
rieur à ce qu'on attendait. Pour
fairo face Ji ces charges exorbi-
tantes, le ministère se détermina à
conclure avec des banquiers étran-
gers un emprunt de 30 millions de
rentes. Informé l'un des premiers
de cet engagement, jusqu'alors
secret, Villèle le dénonça à la tri-
bune comme onéreux au trésor
royal; il établit que les clauses
auxquelles il était consenti e;re-
vaient l'État d'un intérêt annuel
de 10 pour cent avec rembourse-
ment d'un capital double, et de-
manda que la Chambre n'accordAt
que 20 millions, saus augmenla-
tiOQ de capital. Mais cet amende-
ment, combattu par M. Laffitte,
échoua devant une inéluctable né-
cessité. La Chambre se sépara le
26 mars, après l'adoption du bud-
get, contre laquelle protestèrent 88
voles de la droite, procédé consti-
tutionnel, mais extrême, et qui au*
torisait de dangereuses représailles
envers le parti qui en donnait
l'exemple. Villèle retrouva Tou-
louse en proie -a toutes les angoisses
de la disette que l'insuffisance des
récoltes de 1816 faisait peser sur
la population. La confiance géné-
rale, qu'il commandait par son
zèle et son désintéressement, vint
en aide à ses efforts. Son exemple
détermina tous les grands proprié-
taires du département h mettre à
la disposition de l'autorité munici-
pale, jusqu'il la prochaine récolte,
une bonne partie de la précédente,
et d'en faire le transport aux mar-
chés de la ville, à mesure qu'ils en
seraient requis, (i) Cet acte de
prévoyance assura l'approvision-
nement public sans occasionner
aucun sacriflcfi au département, ni
même aucune perte notable aux
propriétaires qui y prirent part.
— Cependant, l'ordonnance du 3
septembre avait divisé le parti
royaliste, jusqu'alors si puissant et
si homogène, saus faire cesser les
embarras du ministère. Loin de
calmer les passions politiques, cet
acte n'avait fait que les exaspé-
rer sur plusieurs points du royau-
me, et notamment ii Lyon, où
le sang avait coulé pour réprimer
une sédition moitié réelle, moitié
fomentée par l'un des dépositaires
les plus considérables du pouvoir.
Le" renouvellement partiel de la
(l, i\oticc sur M. le vomie de Vil-
lèUt par M. de Neuville, p. 40.
420
VIL
Chambre avait renforcé la majorité
ministérielle ; mais la réapparition
sur la scène politique des ennemis
les plus déclarés du gouvernement
royal, tels que Lafayette, Manuel,
Benjamin Constant, révélait sura-
bondamment les périls attachés à
cette loi électorale qui avait inau-
guré avec un éclat si aventureux
la voie ouverte par le manifeste
du 5 septembre. « Le mouvement
d'opinion qui s'était produit dans
presque tous les départements, dit
un parlisau très -prononcé de
cette mesure, montrait quelle in-
fluence exerçaient les ennemis
de la Restauration , quelle action
leurs comités, leur correspon-
dance et leurs pamphlets pouvaient
avoir sur cette classe moyenne
à laquelle on avait accordé tant de
conflance (1). » L'ordonnance du
13 novembre 1816, qui n'avait
pas craint d'amnistier la lidélité
des compagnons du dernier exil
de Louis XVlII, avait blessé le
parti monarchique sans exciter la
reconnaissance du parti libéral. Une
disgrâce éclatante venait de frapper
dans M. de Chateaubriand, l'organe
le plus éloquent et le plus vindi-
catif de l'opposition royaliste. En
échange des adversaires implaca-
bles qu'il s'était créés, le ministère
n'avait acquis que des alliés dou-
teux, exigeants, et dénués en géné-
ral de ces fermes convictions qui
fortifient puissamment les causes
qui savent les employer. Sa poli-
tique, dépourvue de franchise et
d'unité, commençait Ji se résumer à
ce vulgaire système de basciUe qui
repousse le dévouement sans con-
tenir l'esprit de faction. Ce fuldans
VIL
ces tristes conjonctures que se rou-
vrit la session législative. M. De-
cazes avait essayé sans succès d'in-
troduire dans le discours du trône
un paragraphe favorable aux liber-
tés publques; la condescendance
de Louis XVIII ne put aller jusque-
là (1). Lors de la discussion de
l'Adresse, M. Royer-Collard pro-
posa un amendement qui renfer-
mait un éloge indirect, mais vif de
la loi électorale; Villèle en de-
manda la suppression, en promet-
tant à ce prix l'unanimité des votes
de son parti. M. de Serre, qui pré-
sidait la Chambre, fit adopter l'a-
mendement (2); l'Adresse ne passa
qu'à une faible majorité. Le minis-
tère présenta bientôt un projet de
loi restrictif des entraves auxquelles
la presse était demeurée soumise
dans l'état actuel de la législation.
Moins touché de ces concessions
secondaires que de la prolongation
de ces mesures exceptionnelles,
Villèle, dans un discours fort déve-
loppé, combattit (12 déc.) la pro-
position ministérielle. « Dans les
circonstances graves où se trouve
notre pays, il n'est pas indifférent,
dit-il, que des hommes, dont les in-
tentions sont pures et le dévoue-
ment à la cause royale connu, vo-
tent ici pour ou contre le système
politique du gouvernement... Si le
système est conforme aux intérêts
de la France et du roi, notre aveu-
glement est déplorable, et notre
opposition un acte de folie. Mais
si par l'effet de ses conséquences
nécessaires l'autorité royale s'af-
faiblit, si Ton voit chaque jour
augmenter les moyens d'attaque
(i) La Vie politique de Royer-Col-
lardf par M. de Barantc, t. i, p. 333.
(Ij Hist. du (jouv. parlem., par
M. Diiv. de Hauraùne^ tome iv, p. 238.
(2) Ibid.
VIL
VIL
421
dirigés contre elle et disperser
ceux qui doivent la défendre, nous
ne sommes ni aveugles ni insensés
en combattant la cause de ces fu-
nestes résultats. Fidèles à la France
et au roi, nous devons avertir des
dangers de la route dans laquelle
on s'égare; chaque pas en avant
doit rencontrer notre opposition ;
elle doit exister jusqu'à l'abandon
du système ou jusqu'au dénoue-
ment fatal que nous aurons re-
tardé de tout notre pouvoir, mais
ffu'il n'aura pas dépendu de nous
d'épargner au pays Tenter de
substituer l'arbitraire au règne de la
Charte, essayer sous les Bourbons
des moyens usés sous Bonaparte,
c'est méconnaître à la fois les
Français et les Bourbons. La France
ne peut éviter de nouvelles con-
vulsions, le trône de nouvelles ca-
tasirophes, que par la réunion de
tous les Français autour du roi lé-
gitime. La liberté de la j)resse
avec une forte et juste répression
de ses abus, est la compagne insé-
parable de la liberté nécessaire à
cette tribune dans un gouverne-
ment représentatif. L'immense ma-
jorité des Français veut la légiti-
mité et la Charte, dont l'exécution
formelle et complète peut seule
calmer toutes les méfiances, réunir
toutes les opinions et sauver notre
pays. » Celte argumentation con-
quit à l'opposition une imposante
minorité de 111 voix, qui rédui-
sit à onze le triomphe ministé-
riel. Ce résultat, joint à quelques
apparences de rapprochement en-
tre les royalistes et les libéraux de
la gauche, donna à penser au mi-
nistère, il ouvrit avec les chefs du
côté droit des négociations qui
tendaient à aboutir, quand la pré-
sentation du projet de loi de re-
crutement fit évanouir tout espoir
de conciliation (1). Villèle attaqua
ouvertement Qanv. i8<8),le prin-
cipe du projet, qui lui paraissaitbles-
ser l'égalité légale, et dans lequel
il trouvait la conscription impériale
déguisée sous d'autres formes. « A-
t-on, dii-il, assez essayé du sys-
tème des enrôlements pour pro-
noncer définitivement sur leur in-
suffisance ? Si la défense du pays
est un impôt, on n'est en droit de le
faire supporter à personne en dé-
charge des autres. En levant cet
impôt en nature, un homme paie
la dette de cinquante, ou même de
cent, qui ne paient rien du tout, et
plus la durée du service est obligée,
plus longtemps on est injuste... Il
y a quelque chose de répugnant
dans ce matérialisme politique qui
considère les hommes comme une
matière imposable, et une généra-
tion brillante de jeunesse et de
force comme une coupe de boii
livrée à la cognée du bUicheron .
Jadis, Tenrôlement forcé ne tom-
bait guère que sur la classe des
artisans qui, ne trouvant plus d'ou-
vrage, trouvait au moins, dans la
carrière des armes, une noble res-
source. La conscription tombera
principalement sur la population
des campagnes, la plus nombreuse,
mais aussi la plus utile, sur celle
où les bras manquent toujours, et
où la guerre a fait le plus de ra-
vages. » Villèle attaqua avec la
même énergie la disposition du
projet qui mutilait la prérogative
royale louchant le droit d'avance-
ment, et, faisant allusion aux né-
gociationsébauchées entre lesroya-
lisles et le ministère, il déclara que
« tout rapprochement fondé sur la
violation du pacte constitutionnel,
(1) Hist. du gouv. parlcm.y t. iv.
^22
Ml
perdrait le roi, la France et ceux
qui l'auraient consenti. » Cette dé-
claration attira à l'orateur et ù
ses amis une réplique violente
de M. Courvoisier, maiiislrat alors
inféodé à la politique ministé-
rielle, et qui ne craignit pas de
siéger quelques années plus tard
dans un conseil composé en majo-
rité de ceux mêmes dont il blâ-
mait si amèrement la conduite.
La discussion du budget de 1819,
ramena bientôt (3 avril) Villèle à
la tribune. Il saisit cette nouvelle
occasion de s'élever contre le sys-
tème de la centralisation adminis-
trative, cet instrument de l'arbi-
traire impérial conservé par une
étrange contradiction au sein d'un
régime constitutionnel; il insista
avec force sur le rétablissement des
institutions provinciales et munici-
pales, dont la France élaitseule pri-
vée entre toutes les nations de l'Eu-
rope.«Tant qu'on voudra maintenir
le système actuel, ajouta le prophé-
tique orateur, il faut s'attendre
à rester exposé a toutes les révo-
lutions que des audacieux pourront
tenter h Paris; car, lorsque rien
ne peut se faire d'un bout de la
France k l'autre que d'après la
direction et les ordres de Paris,
la faction ou l'usurpateur qui se
rendent maîtres de Paris devien-
nent, par ce seul fait, maîtres de
toute la France. » Il vola, quel-
ques jours après, pour la suppres-
sion des fonds secrets de la police,
« comme profondément affecté,
dit-il, des funestes effets sur toutes
les |)arties du service public de
l'influence exjigérée de la police gé-
nérale, 9 et signala son action dans
la plupart des procès politiques
portés devant les tribunaux de-
puis l'afiaire d<'s patriotes de ISKJ;
mais il signala en mAme temps le
Vit
danger de supprimer un ministère
quelconque en refusant les fonds
nécessaires h son existence, et dé-
clara que le retranchement pro-
posé ne pouvait être « qu'une
transition à un meilleur ordre de
choses, un acte plus conforme aux
droits de la Chambre el plus res-
pectueux pour la couronne. » Vil-
lèle contribua beaucoup h faire
adopter l'amendement de la com-
mission du budget qui consacrait
le principe capital de la spécialité
dans les dépenses, « moyen de
plus, dit un historien compétent,
de faire respecter ses volontés (1), »
et ce fut sur sa propositon formelle
que la Chambre imposa aux minis-
tres l'obligation de soumettre aux
Chambres, chaque année, le compte
des exercices antérieurs pour y
être approuvés et clos par une loi.
Cependant la scission du côté droit
avec le ministère se prononçait de
plus en plus. Villèle s'était démis,
au mois de février 1818, des fonc-
tions de maire de Toulouse. Quel-
ques semaines avant, ^lonsieuravait
fait remettre à Louis XVlll une
note où il exprimait ses vives
alarmes sur les conséquences du
système politique suivi par le cabi-
net et sur les progrès mennçants
des doctrines révolutionnaires ;
Louis XVIII avait répondu (29 jan-
vier) par une lettre habilement
conçue, mais dans laquelle domi-
nait la conviction d'avoir agi dans
le sens le plus conforme aux inté-
rêts de la France et de la royauté,
et le ferme dessein de persister dans
la ligne tracée par l'ordonnance
du 5 septembre. Ces démarches ne
furent que le prétexte d'une ten-
tative moins irréprochable à quel-
(1) Hist. (ht goHV. parlcm,, t. iv.
VIL
V[L
423
ques égards, et qui a défrayé long-
temps les accusations de la France
libérale contre le parii ultra-roya-
liste. Nous voulons parler de la
Note secrète par laquelle Monsieur
conjurait (voyez Vitrollis) l'empe-
reur Alexandre de profiter de la
libération du territoire français,
dont on s'occupait activement alors
juillet 1818 pour persuader le roi
de modifier, par le renvoi de son
cabinet, une politique si ouverte-
ment favorable aux intérêts révo-
lutionnaires. Le parti qui n'avait
obtenu l'ordonnance du 5 septem-
bre que par l'intervention vivement
sollicitée du cabinet russe ne pou-
vait faire un grief bien sérieux au
pavillon Marsan d'avoir provoqué
une semblable médiation ; mais il y
avait dans la Note aeci'cie une por-
tée d'insinuation évidemment ré-
préhensible et très-propre à irriter
le monarque qui attachait un si
juste intérêt à la prompte déli-
vrance du pays. Hâtons-nous tou-
tefois d'ajouter que dans ce mé-
moire, comme dans la communica-
tion qui l'avait précédé, on ne
découvrait aucune arrière-pensée de
renversement des institutions con-
stitutionnelles : circonstance qui
tirait à notre avis un haut degré
d'importance du caractère essen-
tiellement confidentiel de ces deux
documents, mais qui ne sauva pas
Monsieur de sévères représailles.
Le 30 septembre, une ordonnance
du roi enleva à ce prince le com-
mandement de la garde nationale
pour le déférer à l'autorité civile,
et cette mesure extrême acheva de
détruire le peu de concorde qui ré-
gnait entre les doux frères. Cepen-
dant, bien qu'affaiblie par li's alar-
mes exagérées dont on s'était ap-
pliqué à l'eniourer, la Note secrète
n'avait pas laissé de faire impres-
sion sur l'esprit du czar. Quoi-
qu'il eût pris une part généreuse
et active à l'affranchissement du
territoire, ce souverain et ses alliés
ne dissimulèrent pas au duc de Ri-
chelieu qu'en cas de nouvelles ré-
volutions, les puissances signataires
du traité du 20 novembre se re-
garderaient comme liées par ses
stipulations. M. de Richelieu rap-
porta d'Aix-la-Chapelle la résolu-
tion de modifier profondément la
loi électorale, dont les derniers
produits n'avaient fait que confir-
raerses appréhensions, que M. Laine
partageait entièrement. De nou-
veaux pourparlers furent entamés
avec les honimes influents du parti
royaliste; mais leurs prétentions,
que Villèle s'était en vain efforcé
de modérer, parurent excessives. Ils
demandaient le renvoi immédiat de
M. Decazes, le double degré d'é-
lection et le rapport des disposi-
tions relatives à l'avancement mi-
litaire. Il fut impossible de s'en-
tendre, et Louis XVIII ayant déclaré
en plein conseil rintenlion de
« planter fermement son drapeau sur
l'ordonnance du 5 septembre, » on
ne songea plus qu'à de nouvelles
luttes. Le noble duc de Rii helieu,
regardant sa mission comme ter-
minée par la rentrée de la France
dans le concert européen, déposa
sou portefeuille malgré les vives
instances du roi, et fut remplacé
par le général DessoUes qui ac-
cepta de plus la présidence nomi-
nale du conseil, dont M. Decazes,
ministre de l'intérieur par la re-
traite de .M. Laine et la suppres-
sion du ministère de la police,
d*^venait le véritable chef. Le dé-
parlement de la marine, vacant par
l'éloignement de M. Dubouchage,
avait éli' proposé h Villole ; mais
diverses circonstances fin-nt t-va-
IM
VIL
VIL
nouir cette combinaison , que n'a-
vaient pas vue sansombrage certains
chefs avancés de l'opinion roya-
liste, et notamment le fougueux
comte de LaBourdonnaye. « Il fal-
lait, suivant lui, faire du ministère
la conquête commune des roya-
listes, ou rester ensemble dans une
opposition qui conserveraitla pureté
des doctrines (1). » La session s'é-
tait ouverte, le 19 décembre, par
un discours qui se ressentait des
oscillations de la crise ministé-
rielle. Après avoir annoncé avec
un légitime orgueil la fin de l'oc-
cupation étrangère, le roi, dans
une phrase fort remarquée , y
signalait, avec énergie « les prin-
cipes pernicieux qui , sous le
masque de la liberté, attaquaient
l'ordre social, conduisaient par
l'anarchie au pouvoir absolu,
et dont le funeste succès avait
coûté au monde tant de sang et de
larmes. » Cependant l'esprit gé-
néral de ce manifeste n'avait pas
paru déplaire au parti constitu-
tionnel. La session ne commença
réellement qu'à la tin de décembre,
par la discussion du projet de loi
qui autorisait la perception provi-
soire des six premiers douzièmes
des contributions directes sur les
rôles de 1818, et l'ouverture d'un
crédit de 200 millions pour les be-
soins du service. Un des orateurs
les plus accrédités de la gauche,
Dupont (de l'Eure), avait proposé
de limiter cette autorisation à trois
douzièmes. Villèle combattit cet
amendement et fil remarquer que,
par le refus de la loi, on porterait
une évidente atteinte à la plus im-
portante prérogative de !a cou-
(1) Ilial. de France depuis la Res-
taur, par M. Lacretelle, t. ii, chap. 13.
ronne, celle de la dissolution de la
Chambre, puisque dans trois jours
expirait le terme de tout impôt.
Quelques jours plus tard (H jan-
vier), le ministère, comprenant la
nécessité de régulariser une posi-
tion anormale, soumit à la Chambre
un nouveau projet, tendant à faire
voter dix-huit mois d'impôt, seul
moyen d'épargner aux Chambres
l'examen précipité de la loi de
finances, ou de prévenir, par le
refus de cette loi , la désorganisa-
tion des services publics. L'oppo-
sition libérale n'apporta pas d'obs-
tacles à cette combinaison; mais le
côté droit la combattit avec force,
et Villèle prononça, à cette occa-
sion, un de ses plus remarquables
discours. Il fit observer que la
nécessité du provisoire demandé ré-
sultait uniquement de ce que les
Chambres étaient convoquées trop
tard et arriérées d'une session, et
réfuta les considérations secon-
daires invoquées à l'appui de cette
manière de procéder, pour insister
exclusivement sur les inconvé-
nients attachés à la violation fla-
grante de la Charte, dont on solli-
citait la consécration. « De cette
violation de la règle qu'on demande
aujourd'hui, ajouta-t-il, à celle qui
assure votre liberté individuelle, à
celle qui interdit les tribunaux
d'exception, q-ii garantit la pro-
priété, qui abolit la confiscation,
il y a moins de distance que ne
paraissent le prévoir ceux qui la
proposent... Lorsque Bonaparte,
à la tête de quelques soldats, dit-il
en terminant, vint disperser les t
membres des Conseils d'alors, ils "
invoquèrent les droits qu'ils te-
naient de la constitution. Il leur
répondit : « Vous l'avez violée! »
Redoutez pour vous-mêmes cette
effrayante réponse. Kedoulez-la,
VIL
VIL
425
soit que notre position et rotre
aveuglement vous conduisent à voir
encore la démagogie triomphante
vous demander le renversement du
trône et la dissolution de la Chambre
des pairs, soit que quelque nou-
veau soldat tente encore de faire
consacrer dans cette enceinte la
violation du principe, saFutaire et
vital pour la France, de la légiti-
mité ! » La Chambre des députés
vota la loi à 32 voix de majorité,
mais elle fut repoussée par la
Chambre des pairs, dont l'opposi-
tion se signida bientôt avec plus
d'éclat encore par la prise en
considération de la proposition
faite par M. Barthélémy pour mo-
difier la dernière loi électorale.
La résolution de la Chambre haute
fut portée à la Chambre élective
au commencement de mats, peu de
Jours après que le ministère, par
une promotion nombreuse, eut en-
trepris de neutraliser cette majorité
hostile. La discussion, à laquelle Vil-
lèle ne prit qu'une part incidente,
fut aigrr! et passionnée. La loi exis-
tante fut défendue avec chaleur
par les dangereux auxiliaires que
les dernières élections avaient pro-
curés au ministère, avec talent par
M. de Serre, garde des sceaux, au-
quel il ne manipjait qu'un an d'ex-
périence pour se ranger parmi ses
plus éloquents antagonistes, et la
proposition fut repoussée à une
forte majorité. Villèle ne participa
point aux déb;Us sur les lois de la
presse qui furent portées à la
même session, mais il développa,
sur la dette flottante de l'Etat et
sur le dégrèvement, les doctrines
qu'il devait pratiquer plus lard; il
établit que la Chambre pouvait
employer 37 millions d'excédant à
réduire de 2,800,000 fr. les re-
tenues sur les traitements ; de
4,740,000 fr., ou 37 cent, la con-
tribution des portes et fenêtres;
qu'elle pouvait appliquer 0,900,000
francs de dégrèvement au principal
de la contribution foncière des
départements surchargés, et dimi-
nuer de il millions ou 10 centimes
additionnels la charge de tous les
départements. Mais la Chambre
n'accorda que 20 millions de dé-
grèvement sur les contributions
directes. — Cependant la position
politique se tendait de plus en plus.
Le dernier renouvellement partiel
de la Chambre avait fortifié le parti
hostile à la royauté de quelques
noms tristement expressifs, parmi
lesquels la France monarchique
avait eu la douleur de lire celui
de Grégoire (1). L'industrie révo-
lutionnaire couvrait le royaume de
vastes associations qui , sous des
litres plus ou moins inoffensifs,
préparaient à l'esprit de sédition
de formidables instigateurs : le
clergé, de son côté, s'elïorçait de
propager les démonstrations reli-
gieuses par des missionnaires dont
les prédications iiassionnées, ac-
cueillies avec ff rveur par une partie
de la population, développaient,
dans l'autre, un sentiment très-vif
d'hostilité et d'irritation. D'affli-
geants désordres avaient éclaté
sur plusieurs points du royaume,
et répandu partout le trouble et l'a-
gitation. Le roi se fil lui-même l'in-
terprète de cette situation alarmante,
lorsquen ouvrant la session légis-
(Ij L'élection de Grégoire fut détor-
miiiéepar lui appoint systématique deii-
viron cent voix royalistes; mais rlle
ivvait été très-prétiieditee, très-calculée
par If parti révoliitioiiiiaire, selon les
expressions de M. Giii/.ot [Mcm., t. n\
dans le départ-ment où le réj^im'' r'»yal
comptait Incontcstablenient lopins d'en-
nemis.
426
ML
VÏL
lative, le 29 novembre 4819, il
constata «qu'une inquiétude vague,
mais réelle, préoccupait tous les
esprits, et que chacun demandait
au présent des gages de sa durée. »
Neuf jours avant, les ministres,
frappés de la gravité des circons-
tances, et mus par les représenta-
tions pressantes du corps diploma-
tique (1), s'étaient décidés enfin à
proposer des modifications à la loi
électorale ; par suite de cette dé-
termination, MM, Pasquier, Roy et
de Latour-Maubourg avaient pris
place dans le cabinet reformé sous
la présidence de M. Decazes. Ce
remaniement établit bientôt entre
les membres modérés de la droite
et le centre un rapprochement, par
suite duquel Villcle fut élu l'un
des vice-présidenls de la Chambre.
Le projet de loi pour la per-
ception des six douzièmes provi-
soires fut présenté le 20 décembre,
et vivement combattu par M. de La
Bourdonnaye et par les royalistes
exaltés, qui voulaient à tout prix
renvt^rser M. Decazes; mais Villèle,
appréhendant par dessus tout de
jeter le ministère dans les bras
des libéraux (2} au moment où il
semblait incliner vers les idées
moniirchiques, se sépara d'eux et
vota pour le projet de loi, qui
réunit une forte majorité. — Ce-
pendant M. Decazes, tour à tour en
butte aux attaques des partis extrê-
mes de la Chambre, mollement
appuyé par les centres , ne se
maintenait au pouvoir que par la
faveur personnelle du roi. Une
catastrophe k jamais fatale préci-
pita brusquement la ruine du sys-
(1) Vaiilabellc, llisl. des deux Res-
tour.^ t. IV, p. iî)".
(2) Nolicc historique, etc., i»ar M. lo
comte fie Npuvillo, p. 5.3.
lème politique qu'il suivait depuis
quatre ans avec une si pernicieuse
ténacité. M. le duc de Berri suc-
comba, le 13 février, sous le poi-
gnard d'un fanatique égaré dans
l'irrésistible débordement des pas-
sions révolutionnaires. Louvel n'eut
pas, si l'on veut, de complices
directs; mais il eut pour instiga-
teurs tous ceux qui, à des degrés
divers, prêchaient l'incompatibilité
absolue des Bourbons avec l'exis-
tence de cette société nouvelle
qu'ils avaient si généreusement
émancipée. « J'ai vu le manche du
couteau, écrivait Charles Nodier;
c'est une idée libérale! » Ce ne fut
pas sans une vive résistance que
Louis XVllI sacrifia son favori aux
supplications de sa famille éplorée,
k l'inflexible répulsion des roya-
listes, etsurtoutau refus deconcours
du centre gauche de la Chambre (1);
mais enfin il céda, et, le 20 février,
un nouveau cabinet se constitua
sous la présidence, sans portefeuille,
duducde Richelieu, à qui Monsieur,
avec plus de sincérité que de ré-
flexion, promit le concours des
royalistes. Devenu depuis long-
temps, par sa prudence et son
dévouement, un des conseillers les
plus rapprochés du prince, Villèle
s*«mpressa de faire honneur h sa
parole. Il entra en rapport avec le
nouveau chef du conseil, dans
l'intention commune d'amener un
rapprochement complet entre le
gouvernement , la droite et les
centres, afin de former, pendant
qu'il était temps encore, une ma-
jorité qui arrêtât l'envahissement
de la Chambre par le parti libéral,
en modiliant la loi électorale, et qui
(1) La y'ie politique de Royer-Col-
lard, par M. de Barante, tome ii, p. 4.
VIÏ.
VIL
427
accordai au cabinet les moyens
nécessaires pour franchir la crise
dans laquelle la monarchie se trou-
vait engagée (i). Il fut puissam-
ment secondé par le concours fidèle
de M. Corbière, cet inséparable
compagnon des prospérités et des
traverses de sa vie entière. Villèle
défendit la loi suspensive de la
liberté individuelle par des argu-
Uients tirés de la Charte môme
qu'on invoquait contre le projet
ministériel, a Le despotisme se
prend et ne se demande pas, »
dit-il judicieusement à ceux qui
découvraient dans la loi proposée le
germe sérieux d'un régime de ty-
rannie (2\ Mais, ce qu'il faut
remarquer surtout dans son long
et substantiel discours , c'est la
péroraison, où, lépondant aux dé-
clamations hypocrites des uns, aux
aveugles appréhensions des autres,
il s'écriait avec une clairvoyance
prophétique : « Malheureux pays,
qui voit reproduire depuis trente
ans les mômes sophismes , les
mêmes déclamations, les mêmes
principes, les mêmes doctrines
subversives de tout ordre social,
aniipaihiques de toute liberté pu-
blique, avec lesquels on l'a trainé
de l'anarchie au despotisme, avec
lesquels on tente encore de l'arra-
cher à la véritable liberté! A quelle
époque en avez-vous joui comme
aujourd'hui, provocateurs insensés,
de cette liberté r/ue voua appelé::, mm
cesse quand vous iavei, et qui ne vous
(i) Notice, etc., page îw.
{-2) Un fait utile k constater, c'est que
1(1 loi sur la liberlc individuelle ne
donna pas li-u à une seule arreita-
lioii exira-judtciairc, niêiiie îiprès les
troub'es de juin. Les m tins ai itHés ne
lurent qur laibleiuent ponisuivis et lé-
gfîreinonl condamnes. (//i.sL de la
/<e«(<iur.,parM. LacretelU',t.ii, p. 433.
trouve plus quand vos folies nous
l'ont fait perdre! « Ce discours pro-
duisit une vive sensation. Cepen-
dant le projet ne passa qu'à \9 voix
de majorité. — Villèle prêta bientôt
son appui au ministère dans une
circonstance plus décisive encore.
Cinq jours avant sa chute, le io fé-
vrier, M. Decazes avait présenté à
la Chambre un projet de loi d'élec-
tion qui affaiblissait, sansle détruire,
le principe de la loi de 1817. Ce
projet fut retiré, et deux mois plus
tard, le 17 avril, M. Siméon lui sou-
mit une nouvelle proposition qui
consacrait l'élection à deux degrés et
limitait la faculté d'élire aux dix ou
douze mille propriétaires les plus
imposés du pays. Cette combinaison
monarchique, si hardiment substi-
tuée à l'économie libérale de la
législation existante, souleva d'im-
menses orages au sein et au dehors
de la Chambre. Plusieurs députés
de la gauche furent insultés et
menacés par des officiers roya-
listes déguisés; le parti démocra-
tique, de son côté, visé au cœur
dans l'instrument électoral qui avait
rétabli sa prépondérance, s'eflorça
d'intimider les volontés de la Cham-
bre par des démonstrations j)opu-
laires emprunlées aux plus mauvai*
jours de nos fastes révolutionnaires.
Le sang coula dans quelques enga-
gements, et l'on put craindre un
instant qu'une révolution immi-
nente ne sortit d'un choc inévitable.
Mais ces tumultueuses démonstra-
tions exercèrent sur l'issue de la
discussion une inlluence contraire
il celle qu'en attendaient les insti-
gateurs. Le ministère admit une
ti ausaction qui laissait intact le prin-
cipe de l'élection directe dans les
collèges d'arrondissement et de
département, moyennant l'exorbi-
taute conc*^ssion d'un double vote
'4 28
VIL
VIL
aux électeurs de la seconde caté-
gorie. Cette transaction sauva le
projet d'une ruine imminente; l'ar-
ticle qui la consacrait ne fut adopté
qu'îi la majorité de cinq voix.
Villèle avait défendu avec chaleur,
dans un de ses discours les plus
étendus, la combinaison primitive,
empruntée, comme on l'a vu, au
projet présenté par lui en 1815, et
rejeté par la Chambre des pairs. Il
s'était attaché surtout à détruire
l'argumentation qui consistait à
considérer la loi du 5 février comme
tellement inhérente à la Charte,
qu'il fût hors des pouvoirs législa-
tifs d'en examiner et d'en modifier
les dispositions; puis, examinant
le fond du système des adversaires
du projet, il en avait montré le
péril dans l'invocation même d'un
ministère composé d'hommes spé-
ciaux pour lutter contre les obsta-
cles qui en découlaient. « Je suis
trop pénétré, avait-il dit, de la
fécondité de la loi du 5 février en
fait d'obstacles à la marche du
gouvernement , pour contester la
nécessité d'hommes supérieurs à
la tête d'une administration à la-
quelle serait imposa' son maintien.
Mais, où sont donc ces homme»
supérieurs auxquels nous pourrions
sans danger imposer une telle
tâche? J'avoue que je ne les vois
nulle part, et, jusqu'à ce qu'ils se
montrent à nous, précédés de ces
signes imposanls auxquels on est
heureux de les reconnaître, je suis
d'avis que nous cherchions à mettre
dans nos institutions celle pré-
voyance, cette sagesse, celte mo-
dération qui permet aux hommes
de tous les iem|>s de les faire
marcher sans ruine as développe-
ment plus énergique qu'elle reçoi-
vent des génies dont la Providence
est sagement avare Qu'on ne
croie pas , dit-il encore , pouvoir
avec succès nous détourner de U
grande question que nous devons
approfondir en lui substituant des
considérations passionnées, en rap-
pelant des institutions abolies!
C'est une institution que nous cher-
chons Ji fonder, et non un privilège
ou une arme que nous ayons l'in-
tention d'accorder à une classe ou
à un parti. Nous ne voulons })as,
plus que vous, ressusciter une aris-
tocratie morte depuis plus long-
temps que vous ne croyez peut-êlre;
mais vous ne devez pas, plus que
nous, vous refuser à l'application,
dans notre mode d'élection, des
principes sur lesquels la distribu-
tion des droits politiques a été
opérée dans tous les temps et dans
tous les lieux. L'arislocratie, con-
cluait l'orateur, est tout à fait
étrangère à la question que je traite;
c'est un épouvantait avec lequel on
peut exciter quelques passions;
mais nous ne pouvons nous sup-
poser, ni les uns ni les autres, assez
simples pour y croire. Il ne s'agit ici
que de la propriété sans privilège,
telle que nous la possédons tous,
telle que tout le monde peut l'ac-
quérir et la posséder. » Ces judi-
cieuses considérations n'empêchè-
rent point Villèle de se prêter aux
rapprochements dont l'amendement
de M. Boin fut l'expression. La loi
passa îi 59 voix de majorité, après
vingt-sept jours d'un débat qui
ava't offert celle particularité re-
marquable, que la loi du 5 février
fut attaquée par deux de ses prin-
cipaux promoteurs, MM. Laine et
de Serre, et défendue par deux des
hommes les plus signalés pour
leur long attachement à la cause
royile, MM. Royer-Collard et Ca-
mille Jordan : trop fidèle expres-
sion de l'incertitude et de la con-
VIL
VIL
l^29
fusion qui régnaient alors dans
les meilleurs esprits! Celte ora-
geuse session fut pour Villèle le
texte (l'un succès personnel que
son biographe ne saurait passer
sous silence. Une circonstance for-
tuite l'avait appelé pendant quatre
jours au fauteuil de la présidence,
en remplacement de M. Ravez. Les
membres de la Chambre, et parti-
culièrement ceux de l'opposition,
furent frappés des qualités qu'il
déploya dans ce court exercice, et
surtout de Timpartialité dont il y fit
preuve. « Vous ne sauriez croire,
écrivit-il à une personne de sa fa-
mille, comme mes quatre jours de
présidence ont réussi. J'en reçois
des compliments de tous cùtés;
mais particulièrement, je l'avoue à
ma honte, du côté gauche, que je
n'ai pas cependant ménagé. //*
s'attendaient sans doute à être man-
gés tout vifs par un ultra... Si on
nommait un président maintenant,
j'aurais la presque totalité des voix
de la Chambre... Quant à moi, il ne
me coùie rien d'être impartial; je
ne vois que la réussite des affaires
dont je suis chargé, et n'y mets pas
la moindre passion contre les indi-
vidus ; je suis né pour la fin des ré-
volutions (1). » Villèle ne prit qu'une
part secondaire à la discussion du
budget de 1821. Il déclara à cette
occasion que son opinion avait d'a-
bord été favorable à la spécialité
des crédits financiers, mais, qu'a-
près avoir mùremeot réfléchi sur
cette grande question, il avait
abandonné son premier sentiment,
et qu'il n'admeltiit pas qu'une
Chambre pût s'arroger le droit de
supprimer telle ou telle partie du
service sans usurper une attribution
(1) Notice historique, etc., f. 59.
administrative que la Charte réser-
vait au roi seul. Ces observations,
appuyées parle ministre des finan-
ces, ne furent pas contredites. Vil-
lèle partit avant la fin de la session
pour séjourner une ou deux se-
maines à Bagnères de Luchon, dont
les eaux avaient paru nécessaires
à l'amélioration de sa santé. A son
passage à Toulouse, il reçut un ac-
cueil dont la faveur contrastait
avec les démonstrations injurieuses
qui saluèrent le retour de plusieurs
de ses collègues. Il revint, quelques
jours avant l'ouverture des Cham-
bres, dans cette capitale agitée où,
pendant son absence, le sinistre
complot militaire du 19 août s'était
croisé avec l'heureux accouche-
ment de madame la duchesse de
Berri. Les élections accomplies sous
l'impulsion de ce grand événement
et d'après la législation nouvelle,
avaient considérablement fortifié
le côté droit de la Chambre. Des
rapports plus multipliés s'établirent
entre le cabinet et les chefs de ce
parti. Il fut d'abord question de
démembrer l'administration du tré-
sor du département des finances
pour la confier à Villèle, avec le rang
et le titre de ministre ; mais cette
idée, à laquelle il se montra peu
favorable, n'eut aucune suite. Une
combinaison postérieure ouvrit à lui
et à M. Corbière l'entrée du conseil
avec la qualité de ministres d'Etat;
mais eux et leurs amis furent d'avis
d'attendre les garanties politiques
promises par le ministère, et ce ne
fut que le surlendemain du discours
du lrône(2i décembre) que cesdeux
persdimages firent, avec M. Laine,
définitivement partie du cabinet
sous le titre de ministres secrétaires
d'Ltat sans portefeuille. M. Cor-
bière, par une ordonnance précé-
dente, avait été placé à la léie du
'i,S«i
VII
conseil de riiistrurlion publlqui'.
Villèle, qui n'avait pas de fonctions
à remplir, refusa le traitement at-
taché à son titre (1 ). Désireux de faire
cesser cette anomalie , le duc de
Riclielieu proposa, quelques jours
plus tard, îi Villèle, de former îi son
intention un déparlement spécial
de l'administration de la guerre;
mais cette offre ne |)Ul être ac-
ceptée. La position incomplète des
deux chefs du parti royaliste n'em-
j)êchait point toutefois Louis XVIH
de leur témoigner de grands égards.
Ce prince commençait à com-
prendre qu'il puiserait dans leurs
conseils et leur direction la véri-
table force de son gouvernement.
Villèle avait eu une communication
préalable du discours royal , et
M. Decazes, alors ambassadeur à
Londres, ayant du faire à cette épo-
([ue un voyage à Paris, Louis XVIII
avait eu soin de rassurer les deux
ministres sur les conséquences
politiques de ce retour momentané.
Quoique les royalistes eussent, en
général, accueilli l'avènement de
leurs chefs comme un gage des
bonnes dispositions du cabinet, la
plupart étaient loin de lui accorder
une confiance absolue. Sa compo-
sition leur paraissait peu homo-
gène, et les anciens membres de
la Chambre de 1815, ramenés par
la loi du double vote, ne voyaient
point sans ombrage dans son sein
quelques-uns des promoteurs de
l'ordonnance qui les avait éliminés.
Ces sentiments hostiles éclatèrent
lors de la présentation du projet
de loi des six douzièmes provi-
soires, et le général Donnadicu s'en
rendit l'organe dans un discours
auquel Villèle opposa tme réponse
(I) Notice, etc., p. 9i.
VIL
qui sembla timide et circonspecte.
Le fougueux général renouvela
ses attaques dans la discussion de
ia loi sur les comptes de 1819;
faisant allusion aux mouvements
révolutionnaires dont le Piémont
venait d'être le théâtre, il accusa
hautement les ministres d'être
les premiers provocateurs de ces
explosions , et s'étonna qu'ils
pussent rester au timon des affaires
au milieu des orages qu'ils avaient
suscités par une politique aussi
malhabile que déloyale. La Cham-
bre, toulefois, refusa l'impression
de cette philippique, à laquelle
Villèle lit une réponse pleine de
sens et de modération. Il adjura la
Chambre d'écarter du débat tout
ce qui se rapportait aux divisions
passées, et les royalistes de ne pas
oublier que c'était par les minis-
tres actuels qu'avait été présentée
cette loi d'élection qui leur don-
nait la majorité. « La Révolution,
continua Villèle, n'est pas encore
vaincue, elle s'agite toujours; le
parti royaliste doit donc rester uni;
ce serait une honte pour lui que
de se débander en présence du
danger commun. » Ce discours fut
d'autant plus approuvé qu'il tran-
chait avec le ton hargneux et pas-
sionné des débats qui marquèrent
cette session , moins féconde que
tumultueuse. Le parti démocrati-
que, fort réduit par les dernières
élections, sui)pléait à son inTériorité
numérique par l'audace et la
véhémence de ses invectives. Leurs
adversaires ne gardaient guère plus
de mesure, et l'enceinte parle-
mentaire devenait une arène où
se croisaient les provocations les
plus injurieuses, les plus propres à
augmenter l'irritation générale des
esprits. Quelques jours plus tard,
Villèle ût entendre un discours
VIL
remarquable à d'autres litres dans
la discussion du projet de loi pré-
senté pyr le ministère pour modi-
fier, dans l'iulérèt de l'iigricullure
méridionaledela France, le tableau
du j)nx des gra-ns annexé à la loi
du 10 juillet 1810. Enfin il appuya
la demande en prorogation de la
censure des feuilles publiques et
déclara à cette occasion que lui et
ses amis avaient toujours voulu la
liberté des journaux, mais avec des
garanties suffisantes pour qu'elle
ne dégénérât pas en licence, comme
sous la loi de 1819. Il ajouta que
« la cen>ure était un fardeau pour
les ministres » et que ce qui
leur convenait le mieux, c'était
« une loi répressive dont l'exé-
cution , confiée aux tribunaux,
n'imposât au ministère aucune res-
ponsabilité. » Vivement combattue
par les trois principaux athlètes de
l'opposition de gauche, MM. Girar-
din, Manuel et de Corcelles, et par
plusieurs orateurs de la droite, la
loi ne passa qu'au prix d'un amen-
dement qui en circonscrivait la
durée et imposait aux ministres la
présentation prochaine d'une loi
répressive. Cet amendement avait
été vote par le concours des deux
partis extrêmes de la Chambre,
prélude d'un accord qui devait être
funeste au cabinet. 1/altitude des
conseillers delà couronne s'effaçait
de plus en plus sous les coups de
la majorité et des incriminations
croisées auxquelles ils se Irou-
yaient en butte. Le puni royaliste
pur, faiblement représenté parmi
eux par deux ministres inpartibus,
cessait de faire honneur à la parole
de Monsieur et leur rtliraii insen-
siblement son appui. Celle impuis-
sance gouvernementale ranimait le
courage des révolutionnains, dé-
routés par le résultat des dernières
VIL
m
élections. Partout se formaient des
luttes ou s'organisaient des com-
plots contre les gouvernements
établis, et ces entreprises conqué-
raient des adhérents jusque parmi
les députés, les officiers généraux,
les magistrats, que poursuivait le
fantôme d'une contre-révolution
impossible dans l'état de la société.
Le duc de Richelieu voulut remé-
dier à cette situation grave en for-
tifiant le parti monarchique, et il
offrit le portefeuille de la marine à
Villèle, qui refusa. De nouvelles
négociations eurent lieu pour faire
entrer au conseil le duc de Bel-
lune comme ministre de la guerre;
mais ces négociations n'ayant point
abouti, les trois minisires sans
portefeuille se démirent de leur
litre, malgré les instances de
Louis XVIIl, et Villèle revint à
Toulouse. Il y présida, comme
l'année précédenle, le collège dé-
partemental, après avoir été réélu
par celui de Viilefranche, et défera
aux instances du duc de Richelieu
en se rendant ii Paris, où il trouva
ses amis de plus en plus indisposés
contre le ministère. Quelques
députés do l'extrême droite prê-
chaient la nécessité d'une opposi-
tion générale et systématique; Vil-
lèle inclinait au contraire pour
qu'on évitât les questions person-
nelles et qu'on s'abstint de repous-
ser l«is propositions sages et utiles,
en gardant une attitude de surveil-
lance et d'expectative. Mais, soit
que ces ménagements parussent en
arrièrii du courant des esprits, soit
qu'au fond Villèle eût peu d'intérêt
à les faire prévaloir, ils ne furent
point écoutes, et la question minis-
térielle s'engagea vivement aussi-
tôt après la constitution du bureau
de la Ch<4mbre, où Villèle réunit 133
voix pour la présidence. Le j)rojel
432
VIL
VIL
d'Adresse en réponse au discours
du trône, rédigé par M. Delalot,
renfermait, k l'occasion des rapports
extérieurs de la France, une insi-
nuation pertide et désobligeante;
on crut y découvrir de plus une
allusion injurieuse à la condescen-
dance reprochée au duc de Riche-
lieu par rapport à l'importation
des blés d'Odessa dans le midi de
la France. La première de ces in-
culpations fut soutenue avec vigueur
par MM. Delalot, de Gastelbajac et
de La Bourdonnaye, et par plu-
sieurs orateurs du côté gauche.
Villèle , qui avait refusé d'entrer
dans la commission de l'Adresse,
blâma ouvertementlestermes de ce
document; mais il ne prit aucune
part au débat, qui se termina par
le maintien du paragraphe à une
très-faible majorité. Consterné de
ce revers, le ministère reprit quel-
que courage par la réponse ferme
et digne de Louis XVIII, et il ne
laissa pas de venir solliciter de la
Chambre un >ote de confiance en
demandant pour cinq ans la pro-
longation de la censure des jour-
naux. Cette proposition intempes-
tive, à laquelle il joignit un projet
de loi sévèrement répressif des
délits de la presse, fut le signal du
déchaînement des deux partis coa-
lisés. MM. Donnadieu, Delalot, de
La Bourdonnaye, de Gastelbajac, de
Chauselin, B. Constant renouvelè-
rent leurs attaques contre le cabinet,
dont la situation devint bientôt in-
tolérable. Le 43 décembre, Villèle
et Corbière furent mandés chez
Monsieur, et ce fut de la bouche
même de ce prince qu'ils apprirent
que le ministère, après avoir vaine-
ment sollicité la dissolution de la
Chambre, venait de se retirer en
masse, et que le roi les attendait
pour les charger de la formation
d'un nouveau cabinet. Les d.^ux
chefs royalistes se rendirent immé-
diatement aux Tuileries ; ils com-
battirent l'idée émise par le roi de
confier la présidence du conseil au
duc de Blacas, et parlèrent d'y
maintenir le duc de Richelieu ; il
fut question de conserver le comte
Roy à la tête des finances, en ap|)e-
lant Corbière à la justice et Villèle
à l'intérieur. Mais Louis XVIII lui-
môme ayant déclaré que ni M. Roy,
ni M. de Richelieu, ni M. de Serre
ne consentaient à faire partie de
la nouvelle administration, Villèle
accepta le portefeuille des finances
et son ami celui de l'intérieur;
M. de Peyronnet, qui avait récem-
ment signalé son zèle dans les
fonctions de procureur général
près la Cour des pairs, fut appelé
à la justice; M. Mathieu de Mont-
morency aux affaires étrangères, le
duc de Bellune à la guerre, et
M. de Clermont- Tonnerre à la
marine. — A part l'immoralité de la
coalition parlementaire qui avait
renversé le cabinet, coalition à
laquelle Villèle, comme on l'a vu,
n'avait pris aucune part, l'avéne-
ment du chef de la droite n'était
pas seulement une conséquence
du mécanisme constitutionnel : il
était de plus dans la logique de la
situation. Il appartenait à l'homme
qui depuis sept ans dirii^eait son
parti avec tant de modération et de
sûreté, de le représenter dans la
combinaison qui, pour la première
fois depuis 1815, le portail au pou-
voir. Etranger aux passions et aux
intrigues qui avaient préparé la
chute du ministère de Richelieu,
Villèle entrait aux affaires par le
seul ascendant de sa bonne re-
nommée et sans blesser le roi
qu'avait offensé le manifeste parle-
mentaire. Mais il y entrait dans
VIL
VIL
633
des circonstances dont les diffi-
cullés ne pouvaient échapper à la
pénétration deson esprit. Enhardie
par une longue tolérance, l'oppo-
sition avait pu organiser avec soin
ses moyens de résistance et au
besoin d'agression, et ses princi-
paux chefs ne faisaient plus mys-
tère du dessein de détruire, soit
par les voies parlementaires, soit
par la voie des complots, l'ordre
monarchique restauré en 18<4.
Le parti libéral avait repris son vé-
ritable caractère, et substituait à
l'hypocrisie du langage cette rude
franchise des factions qui marchent
ouvertement au but qu'elles se
croient sûres d'atteindre. L'esprit
public, perverti graduellement par
le travail incessant de cette presse
que les Bourbons avaient éman-
cipée, prêtait à ces tendances sub-
versives, par son indifférence ou ses
sympathies, des encouragements
qu'il lui a continués depuis sous
d'autres noms et sous d'autres
régimes. A ce formidable système
d'hostilité, la Restauration oppo-
sait l'action d'un parti affaibli par
ses luttes contre l'esprit révolu-
tionnaire et par ses propres divi-
sions, mis au ban de 1 opinion do-
minante par le gouvernement
même dont il s'était constitué le
défenseur, et que l'industrie de ses
ennemis, l'exagération de ses auxi-
liaires et jusque la sincérité dt; son
principe avaient marqué d'une
défaveur que le temps et l'expé-
rience ont atténuée sans l'affacer.
C'est dans de telles conditions que
le parti royaliste pur reprenait les
rênes du pouvoir avec l'appui pré-
caire d'un roi i)his faii^'ué que
convaincu, trop éploré encore du
sacrifice de son favori pour ne pas
regretter un peu le rt'jjime aucjuel
ils'étîiildôvoué, et^ous lesau^pices
LXXXV
d'un prince frappé d'une longue et
incurable impopularité. Qu'on joi-
gne à ces obstacles ceux qui déri-
Taientde la situation profondément
troublée de l'Europe méridionale,
et l'on appréciera la somme de^
désavantages que la nouvelle ad-
ministration avait à surmonter pour
s'établir régulièrement dans le
pays. Le premier soin du ministère
fut de s'entourer d'hommes choisis
dans la nuance modérée du parti
royaliste. Deux nominations seu-
lement présentèrent une significa-
tion plus marquée : ce furent, aux
plus hautes fondions de la police,
MM.Franchet et Delareau, signalés
à la prévention publique comme
affiliés à ce qu'on nommait alors le
parti de la congrégation. La plu-
part des auxiliaires du cabinet
précédent, tels que MM. Portails,
Mounier etRayneval, conservèrent
des positions analogues à celles
qu'ils occupaient; M. de Serre fut
nommé ambassadeur à Naples, sur
les instances personnelles de Vil-
lèle, et le vicomte de Chateau-
briand remplaça le duo Decaies
dans l'ambassade de Londres. Un
des premiers projets de loi présen-
tés par le cabinet eut pour objet la
police de la presse périodique ; la
censure, tant décriée par le parti
libéral, y était supprimée et ne
pouvait être rétablie dans l'inter-
valle des sessions, en cas de cir-
constances graves, que par une
ordonnance royale contre-signée
de trois minislrts ; mais aucun
journal ne pouvait paraître sans
l'autorisation du roi, et, dans le cas
où la tendance d'esprit d'une
fe'.iille périodique paraîtrait dange-
reuse à l'ordre public, la cour
royale , en audience solennelle,
avait le droit d'en prononcer la
suipension cl môme ullerieure-
28
h3i
VIL
VIL
ment iai suppression. Un second
projet, relatif à la répression des
délits de la presse, augmentait la
mesure des peines édictées par la
loi de 1819, en étendant la défini-
tion des faits incriminés, retran-
chait i'épithète de constitutionnelle
attachée par cette loi à l'autorité
du roi, attribuait aux Chambres le
pouvoir exorbitant de réprimer
les offenses qui leur seraient adres-
sées, et saisissait la magistrature
exclusivement au jury de toutes
les infractions qui y étaient pré-
vues. Dans le débat du premier de
ces projets, Villèle repoussa l'ac-
cusation banale de sacrifier cette
liberté de la presse, qu'il avait si
chaudement défendue contre la loi
de 1817, en signalant Téconomie
différente des deux combinaisons.
Ses efforts tendirent surtout à mo-
tiver la disposition nouvelle qui
attribuait à la magistrature le pou-
voir de sévir contre les journaux
signalés par la tendance dange-
reuse de leur esprit ; cette iiiflic-
tion exorbitante ne s'adressait point
à un ou plusieurs articles isolés ou
particuliers, mais à un ensemble
de faits appréciables; elle n'était
point dévolue au jury qui, composé
temporairement par l'autorité, n'of-
frait que des garanties illusoires,
mais à un corps grave, permanent,
inamovible, constitué dans toutes
les conditions d'impartialité dési-
rables. Cependant le ministre con-
cluait que, par une conséquence
logique de nos institutions repré-
sentatives, la juridiction du jury
deviendrait un jour la compétence
naturelle des procès de la presse;
mais ce progrès ne pouvait se réa-
liser du premier coup; l'Angleterre
n'en availconquislapléniiu(l<î ([u'en
1796, bien qu'elle fût déjà, depuis
de longues années, en possession
du régime parlementaire. La Cham-
bre discuta ensuite le projet répres-
sif, que le parti libéral, dans l'excès
d'une sollicitude à laquelle il ne fut
pas toujours fidèle, signalait comme
la confiscation de la presse. Villèle
déclara qu'il avait regretté la ra-
diation du mot consiilulionneUe ap-
pliqué à l'autorité du roi, mais qu'il
avait dû céder devant la crainte
d'exposer à l'impunité, par un sub-
terfuge, les offenses adressées au
pouvoir royal préexistant à l'octroi
de la Charte constitutionnelle. At-
taqué personnellement dans le cours
du débat pour s'être prononcé, en
181 4., en faveur d'une restauration
pure et simple et sans condition, il
se justifia de ce reprochiî par la
date de la délibération du conseil
général qui avait accueilli son opi-
nion, et qui portait un jour de
moins que la célèbre déclaration
de Saint-Ouen, ce berceau du pacte
constitutionnel. Les deux projets
passèrent à une faible majorité,
mais I'épithète litigieuse fut réta-
blie dans le second par la voie
d'un amendement auquel le minis-
tère donna son adhésion. La dis-
cussion du budget de 1822, présenté
par le dernier cabinet avec une
augmentation de 12 millions sur le
département de la guerre, n'offrit
aucun incident remarquable. Vil-
lèle se prononça ouvertement con-
tre le système de spécialité que le
côté gauche aspirait à faire préva-
loir dans le règlement des dépenses
publiques. M. Laffitte ayant articulé
que le crédit actuel datait de l'or-
donnanco du 5 septembre, le mi-
nistre lui répondit qu'à cette époque
les rentes sur l'Klat n'étaient qu'à
56 francs, taudis qu'elles s'élevaient
:iujo;n(rhiii à 90 francs. Mais l'in-
térêt de ces débats fut prompte-
ment absorbé par une succession
VIL
VIL
/i5;
d'événements plus propres à émou-
voir. Nous voulons parler des
mouvements insurrectionnels qui
se déclarèrent dans le cours de
cette année, sous la double impul-
sion d'encouragements puissants, et
de la perturbation profonde qui
régnait dans les esprits. Le premier
de ces mouvements, organisé dans
la garnison de Béfort, sous les aus-
pices de la charbonnerie, par les
soins de MM. Kœclilin frères et
Voyer d'Argenson, avec le concours
postérieur du général Lafayette et
de son fils, de Dupont (de l'Eure),
de Manuel et de quelques fanatiques
subalternes, devait éclater dans les
premiers jours de janvier. Un inci-
dent purement fortuit donna l'éveil
à l'aulorilé militaire, qui lit saisir
quelques affiliés secondaires, mais
sans pouvoir établir la participation
des principaux conjurés, que de
pressants messages avaient avertis
à temps utile de l'avortement du
complot. Le succès de l'information
judiciaire à laquelle donna lieu
celte tentative, fut loin de répondre
à son importance. Dénuée de
preuve» suffisantes, elle se résuma
en une répression purement cor-
rectionnelle. Peu de jours avant,
deux officiers supérieurs du 46" de
ligne, frappés des développements
de l'esprit révolutionnaire parmi
les corps militaires, avaient entre-
pris de l'extirper par une provoca-
tion collective, dont l'arlitice, digne
de blâme à tous égards, a clé re-
proché sans preuves au ministère
par un historien Icgèrem.eni in-
formé (1). On imagina de faire sor-
(1) Hist. (le France depuis la Rcs-
taur., par M. Lacrelelle, t. m, p. '2il.
Le vcnlauli; pntiiiulcur de ccllf dc-
monslralion, d'après des iul"t)rmaliuns
que j'ai lieu de croire exactes, fut un
tir, le 30 juillet, des villes de Col-
mar et de Neuf-Brisach,deux esca-
drons de chasseurs en uniforme,
sous la conduite des maréchaux-
des-logis Thiers et Gérard, dans la
direction de Mulhouse, aux cris con-
venus de : Vive l'empereur! avec
l'espoir de dévoiler et de ramas-
ser tous les mécontents dont ce cri
flatterait les instincts séditieux.
Celte inqualifiable démonstration
ne réussit qu'en partie. Deux mili-
taires seulement, qu'elle avait sur-
tout en vue, le lieutenant-colonel
Caron et le lieutenant Roger, se
joignirent aux prétendus rebelles;
la population entière demeura
calme. Caron, saisi et garrotté, fut
traduit devant le conseil de guerre
de Strasbourg, et paya de sa vie
l'imprudence qui l'avait conduit
dans cet odieux guet-apens; Roger,
acquitté pour le même fait, subit
une autre condamnation poli;ique.
La tentative révolutionnaire de
Béfort était à peine comprimée,
lorsqu'un département de l'ouest
du royaume devint le théâtre d'une
nouvelle entreprise, dont le carac-
tère et les circonstances préoccu-
pèrent plus vivement encore l'at-
tention publique. Le général Ber-
ton, signalé depuis longtemps pour
l'activité de ses trames contre le
gouvernement royal, leva, le 2i fé-
vrier, l'étendard de la révolte dans
la petite ville de Tiiouars, que II
garde nationale lui livra sans résis-
tance. Il se dirigea ensuite sur
Saumur, à la tête d'environ IdO
hommes, espérant s'emparer du
lieiileii.iut-rolonel dont je ne livrerai
que 1 iuili;ile K..., par égard pour les
descendants qui lui survivent. 1. 'auto-
rite militaire supérieure denieur.i étran-
gère non-seulement a l'organisatinn,
mais même a la connaissance de ce guel^
a-pens.
436
VIL
VIL
chileau, el recevoir pour renfort
recelé de cavalerie où, peu de mois
avant, avait éclaté un soulèvemoût
très-sérieux. Mai§ celte espérance
fut déconcertée par la bonne con-
tenance des élèves, ctBerlon, ayant
usé dans de stériles pourparlers
avec le maire le prestige de son
audacieuse agression, se vit aban-
donné de la plupart de ses adhé-
rents; il fut livré misérablement à
la police quelques mois plus tard
par la trahison du maréchal-des-
logis Woëlfel, au moment où il
cherchait à organiser de nouveaux
complots au sein d'un régiment en
garnison à La Rochelle. Le public
apprit en mémo temps la tentative
deBerlon et l'avorte. iient dont elle
avait été suivie. Mais cette échauf-
fourée, sans consistance appa-
rente, était destinée à produire
un grand retentissement au sein de
la Chambre des députés, par suite
du zèle qu'un magistrat courageux,
le procureur généralMangiu, avait
mis à signaler dans l'acte d'accu-
sation ceux de ses membres qui
paraissaient avoir eu des rapports
avec les conjurés. Cette inculpation
souleva, le l""août, quelques jours
avant l'ouverture des débats, une
véritable tempête dans laquelle le
général Lafayelte, le plus compro-
mis de tous, voila sous une aisance
aristocratique et presque agressive
!e trouble réel de sa situation. (Voy.
Lafayette, tome Lxix, page 385 et
386.) Le général Foy, étranger au
complot, quoique désigné dans le
manifeste de M. Mangin, sollicita
une enqu('le qui fut repoussée avec
beaucoup d'esprit j)arM. de Marti-
gnac, avec beaucoup de mesure et
de fermeté parle ministère. « Vous
navez pas été mis en accusation,
dit Yillele aux inculpés, parce
qu'il ne résultait pas de la procé-
dure la possibilité, la nécessité,
le devoir pour le gouvernement
de vous rèilamer auprès de la
Chambre; maisdedeuxchosesl'une :
ou les faits allégués par les témoins
et par les accusés seront prouvés,
lorsque viendra le procès, et alors
on verra si nous n'oserons pas vous
poursuivre! ou bien il en résultera
que ces faits sont dénués de tout
fondement; alors les députés qu'on
a nommés recevront un témoi-
gnage éclatant de leur innocence.»
Les débats devant la cour d'assises
de Poitiers n'ajoutèrent rien aux
présomptions recueillies contre
MM. Laffitte, B. Constant, La-
fayette, Demarçay, Voyer d'Argen-
son, etc., et la Chambre ne fut
saisie d'aucune demande en auto-
risation de poursuites. Des révéla-
lions postérieures ont établi sura-
bondamment la réalité de la co-
opération factieuse reprochée aux
membres du côté gauche; mais,
dans l'opinion de plusieurs hom-
mes graves, les charges de l'infor-
mation étaient suflisantes pour
motiver une action judiciaire k
leur égard, elle procureur général
Mangin répondit à celte idée lors-
que dans son réquisitoire il déplora
aiisez ouvertement l'incompétence
qui enchaînait l'exercice de son
ministère. L'inaction du gouver-
nement dériva-t-3lle d'un défaut de
conviction ? Faut-il y voir une triste
manifestation de son impuissance
contre de tels rebelles, ou, suivant
une supposition accréditée, sa po-
litique voulut-elle ménager secrè-
tement, dans des inculpés aussi
considérables, un principe de résis-
tance et de contrepoids aux entraî-
nements toujours redoutés du parti
ultra royaliste? L'historien hésite
entre ces conjectures. Quoi qu'il
en soit, l'impunité des principaux
VIL
VIL
437
complices de Berton n'eut point
les conséquences fâcheuses qu'où
pouvait en appréhender. La cons-
piration de ce général fut la der-
nière affaire dans laquelle des par-
lementaires se trouvèrent engagés,
et nulle trace sérieuse de leur par-
ticipation n'apparut dans le procès
de La Rochelle, dont nous parlerons
sommairement. Parmi les régi-
ments infectés de la lèpre du car-
bonarisme, le 45' de ligne, récem-
ment envoyé deParisàLa Rochelle,
était un de ceux où la contagion
avait fait le plus de progrès. L'au-
torité militaire, voulant mettre un
terme à ce désordre, prescrivit de
nombreuses arrestations, et vingt-
cinq prévenus furent traduits de-
vant la cour d'assises de la Seine,
qui procéda à leur jugement vers
le même temps où les complots de
Béfort et de Saumur étaient défé-
rés aux cours de Colmar et de Poi-
tiers. L'intérêt public se concentra
sur quatre sergents, qui, par leur
jeunesse, leur simplicité, la fran-
chise de leurs manières, plus que
par leurs dénégations mêmes, sem-
blaient protester contre l'accusa-
tion capitale dont ils étaient l'objet.
Ils convinrent de leur affiliation à
la secte des carbonari, mais ils
repoussèrent toute coopération à
des faits légalement punissables.
Ce système de défense, combattu
par l'avocat général Marchangy
dans un éloquent et courageux ré
quisitoire, ne fut point accueilli
par le jury, et les quatre accusés
furent frappés d'une condamnation
capitale dont le président de la
cour, M. Monmerqué, s'efforça vai-
nement de faire adoucir la rigueur.
Les condamnés eux-mêmes décon-
certèrent ses démarches en lui dé-
clarant que la vie leur serait ôtéc
par leurs propre» complices, s'ils
consentaient ii la racheter au prix
des révélations qui leur étaient de-
mandées. Mais l'expiation fut géné-
ralement jugée hors de proportion
avec le crime, et le supplice des
quatre sergents de La Rochelle est
un des actes qui ont été le plus
amèrement reprochés au ministère
du 14 décembre. Cette sanglante
exécution fut la dernière qu'or-
donna le gouvernement de la Res-
tauration, et les ventes du carbo-
narisme prirent fin elles-mêmes peu
iprès l'expiration de cette tumul-
tueuse année. Mais cette abdication
ne fut, comme on le verra bientôt,
qu'une transformation du système
d'opposition dirigé contre la mo-
narchie légitime avec une si im-
placable persévérance. En présence
d'un tel spectacle, au bout de qua-
rante ans de distance, on se de-
mande avec un illustre publiciste,
« quels motifs suscitèrent des colè-
res si ardentes et des entreprises si
téméraires... L'ordre légal n'avait
reçu aucune grave atteinte, les in-
térêts qui se croyaient menacés ne
couraient aucun vrai péril, le pays
prospérait et grandissait régulière-
ment... Mais, de 1820 à LS23, les
conspirateurs ne songeaient pas
seulement à se demander si leurs
entreprises étaient légitimes
C'étaient de vieilles haines et de
vieilles alarmes que celles qui s'at-
tachaient aux mots d'émigration,
régime féodal, ancien régime, aris-
tocratie, conire-rcvolution; mais
ces alarmes étaient aussi sincères
et aussi chaudes, dans bien des
cœurs, que si elles se fussent adres-
sées ù de vivants et puissants enne-
mis (1). » A. la voie désormais im-
(n }fém. de M. Guizot, t. i, p. 234
et 8uiv.
&S8
VIL
puissante des complots armés suc-
céda la tactique plus redoutable
des hostilités parlementaires, tac-
tique dont le succès devait plus
qu'aucune autre cause contribuer,
quelques années plus tard, ii la
ruine de nos institutions constitu-
tionnelles. D'après la résolution
dès longtemps annoncée de régu-
lariser par une session supplémen-
taire le vote annuel de l'impôt, et
de soustraire ainsi le gouvernement
à la dépendance des Chambres,
les dix-sept collèges électoraux de
la première série avaient été con-
Yoqués dans le courant de mai;
leurs opérations furent générale-
ment favorables au ministère,
excepté à Paris, où l'opposition
triompha dans six arrondissements.
La session s'ouvrit le 4 juin par un
discours où le roi félicita les magis-
trats de leurzèle etlessoldatsde leur
fidélité dans la répression des com-
plots qui avaient signalé le cours
de cette année, et déclara « qu'il ne
souffrirait pas que la violence arra-
chât au pays les biens dont il jouis-
sait. I. Lors de la vérification des
pouvoirs, le parti libéral essaya de
venger sa défaite en dénonçant une
circulaire par laquelle le ministre
des finances avait, disait-on, con-
trairement à ses antécédents, exer-
cé une pression inconstitutionnelle
sur les élections. Villèle répondit
que sa circulaire s'était bornée à
tracer aux fonctionnaires publics
électeurs, sans contrainte et sans
menaces, leurs devoirs envers le
trône et la patrie; mais il ajouta
Irès-judicieusemenl qu'un gouver-
nement (jui resterait sous le poids
des oppositions qu'appelaient les
institutions actuelles, sans u^er des
moyens que ces institutions i)la-
çaient dans ses mains, serait un
gouvernement qui marcherait ii sa
VIL
destruction. Le côté gauche cen^
sura vivement aussi la destitution
du baron Louis, ministre d'État,
pour avoir pris part aux désordres
qui avaient accompagné les élec-
tions de la Seine; mais cette mesure,
sur laquelle le garde dessceaux refu-
sa toute explication, ne parut pas de
nature à infirmer la validité de l'o-
pératiou. Quoique la session dût être
spécialement consacrée à des débats
financiers, elle ne laissa pas d'ôtre
orageuse. Un projet de loi sur nos
tarits des douanes avait été présenté
dans la session précédente par le
ministre des finances, qui monta
plusieurs fois à la tribune pour en
soutenir les dispositions, notam-
ment celles qui avaient trait ù la
question des sucres et à la taxe
concernant l'introduction des bes-
tiaux étrangers. A cette loi, discu-
tée avec calme et matuiiié dans
l'une et l'autre Chambre, succéda
la présentation du budget de 1823.
Ce budget se soldait par un excé-
dant de receltes de plus de 8 rail-
lions : résultat fort satisfaisant sans
doute après l'acquittement de toutes
les charges que l'occupation étran-
gère avait imposées au pays. Néan-
moins ses divers articles fournirent
aux orateurs de l'opposition pres-
que autant de textes de violentes
attaques contre le ministère. Villèle
répondit particulièrement aux re-
proches d'arbitraire adressés Ix l'ad-
ministration. Il fit remarquer que
la répression des nombreux com-
plots qui avaient éclaté dans le
cours de l'année, n'avait coûté au-
cune excursion hors des limites
légales. Sans excuser ni désavouer
les manœuvres pratiquées en Al-
sace par l'autorité militaire pour
éprouver les dispositions des habi-
tants, il déclara que les soldats
n'avaient eu d'autre tort que de
m
repousser les insinuations sédi-
tieuses qui leur étaient faites; il
constata que, depuis la formation
du cabinet actuel, à la différence de
tous ceux qui l'avaient précédé, le
gouvernement n'avait eu recours à
aucune loi exceptionnelle, et qu'il
avait laissé à la France la jouis-
sance de toutes les institutions qui
lui avaient été promises. La session
fut close le 17 août, et le même
jour, le roi donna aux trois prin-
cipaux membres du cabinet un té-
moignage marqué de sa satisfaction,
en leur conférant le titre hérédi-
taire de comte. Celte faveur n'était
pour Villèle que le prélude d'une
distinction plus éclatante; mais
c'est aux événements extérieurs
qu'il est nécessaire d'emprunter le
récit des circonstances importantes
qui la préparèrent. — Lors de i'a-
vénement du ministère du 14 dé-
cembre, la révolution d'Espagne,
née d'une conjuration militaire dans
rile de Léon, dès les premiers jours
de 1820, avait parcouru la plu-
part des phases ordinaires à ces
grandes perturbiitions. Roi consti-
tutionnel malgré lui, Ferdinand
avait paru subir de bonne grâce la
violence qui lui était faite ; mais les
partis exaltés s'étaient enflammés
à l'ombre même de cette modéra-
tion, le sang avait coulé, et le roi
avait espéré maîtriser l'efferves-
cence du parti républicain par
l'exil de Riégo, le principal pro-
moteur du mouvement révolution-
naire. Mais les Cortès réunies pour
la seconde fois, s'écartèrent insen-
siblement de la modération qu'elles
avaient d'abord témoignée, et la
malheureuse Espagne ne taida pai
hêtre livrée à lOiJtes les convulsions
de la guerre civile. Ferdinand qui,
au double aspect des dangers qui
'environnaient, et des chances de
VIL
439
salut que lui offrait sa garde de-
meurée fidèle, avait repris tous ses
instincts de pouvoir absolu, Ferdi-
nand venait de succomber dans
cette lutte inégale ; le 7 juillet avait
été pour lui un 10 août mitigé;
mais il avait perdu, dès ce jour, la
liberté de ses résolutions, et n'était
plusqueie timide et docile instru-
ment du parti révolutionnaire. En
présence de ces complications si
menaçantes pour l'Europe entière,
un nouveau congrès fut convoqué
il Vérone, et le roi Louis XVIII, in-
vité à s'y faire représenter, proposa
au comte de Villèle de remplir celte
mission. Mais le ministre, par un
sentiment louable de délicatesse,
conseilla au roi d'en charger le
Ticomte Mathieu de Montmorency,
à qui elle paraissait naîurellement
dévolue. On lui adjoignitcomme plé-
nipotentiaires trois ambassadeurs,
MM. de Caraman , de Chateau-
briand et de La Ferronnays. M. de
Montmorency partit pour Vienne le
Î6 août, près d'un mois avant l'ou-
verture des conférences. Huit jours
plus tard, le A septembre, le comte
de Villèle, qui avait été chargé par
intérim du portefeuille des affaires
étrangères, fut nommé président
du Conseil des ministres. Ainsi se
trouva sanctionnée par un litre offi-
ciel la haute direction que, depuis
ion avènement aux affaires, il n'a-
vait cessé dimprimer à la marche
du gouvernement. « Ce n'était pas
précisément par vanité ni par am-
bition, dit M. de Baranle, que le
comte de Villèle avait désiré celle
présidence ; mais, dans ses rapports
habituels et dans la discussion des
affaires, il se sentait gêné, et n'a-
vait pas toute sa valeur, lorsqu'il
avait l\ traiter avec des personnes
qu'il fallait ménager... Sans avoir
beaucoup d'orgueil, il était porté à
uo
VIL
VIL
dédaigner non-seulement ses ad-
Tersaires, mais ses amis et ses par-
tisans. Il aimait à parler sans être
contredit, et à mener les affaires k
sa manière (1). * Un de ses pre-
miers actes fut de convertir en
corps d'obseryation le cordon sa-
nitaire établi, sous prétexte de la
fièvre jaune, le long de la frontière
des Pyrénées, et d'augmenter de
50 mille hommes Teffectif de l'ar-
mée. Ainsi mis en garde contre le»
premières éventualités qui pour-
raient survenir, il attendit avec
plus de sécurité les résolutions du
congrès de Vérone, dont l'ouver-
ture officielle eut lieu le 20 octobre.
L'idée d'une intervention armée de
la France en Espagne n'était point
jusqu'alors entrée dans son esprit;
il n'y voyait aucune nécessité im-
médiate, et craignait qu'elle n'ab-
sorbât des forces qui pourraient
être utiles à la France dans le cas
où les affaires d'Orient amèneraient
de nouvelles complications euro-
péennes (2). Les instructions con-
fidentielles remises au noble vi-
comte, instructions tracées de la
main même de Villèle, lui prescri-
vaient en substance d'obtenir l'é-
yacuation du Piémont et de Naples
par les Autrichiens, de surveil-
ler avec soin les vues ambilieuseï
de l'Autriche sur la couronne de
Sardaigneet d'empêcher k tout prix
une rupture intempestive entre la
Porte et la Russie. Quant k la ques-
tion d'Espagne, le ministre devait,
autant qu'il serait en lui, la sous-
traire k la discussion du congrès,
en annonçant que la France se
chargeait exclusivement d'éteindre
(I) La Vie politique de M. lioyer-
Çollard^ etc., t. ii, p. 177.
(-2; Lt'ttn- au vicomte de Chateau-
briand, du b mai 1822.
ce foyer de révolution; en cas de
velléité déclarée d'intervention de
la part des puissances continenta-
les, le représentant du cabinet de-
vait refuser péremptoirement tout
passage de leurs troupes sur le ter-
ritoire français, et tirer seulement
de ces intentions belliqueuses une
garantie efficace contre toute assis-
tance que le cabinet anglais pour-
rait prêter k l'Espagne révolution-
naire. Enfin, un dernier article lui
recommandait d'appeler l'altentîon
des souverains sur l'état de désordre
et d'anarchie dans lequel languis-
saient les colonies espagnoles (1).
M. de Montmorency avait rencon-
tré k Vienne, où se trouvaient l'em-
pereur Alexandre, le roi de Prusse
et leurs principaux ministres, des
dispositions fort animées contre les
oppresseurs du roi Ferdinand, et
ces dispositions, favorisées par le»
prévenances personnelles du czar,
avaient facilement entraîné le plé-
nipotentiaire français à excéder ia
mesure de ses instructions. Prenant
le rôle de rapporteur des affaires
d'Espagne, qui lui avait été for-
mellement interdit, il soumit au
congrès plusieurséventualités, dont
chacune impliquait la conséquence
d'une guerre k laquelle les puis-
sances alliées étaient invitées à
fournir sinon un concours maté-
riel et militaire, au moins une as-
sistance diplomatique commune et
solidaire. La réponse des plénipo-
tentiaires étrangers se fit attendre
pendant près d'un mois. L'Autriche
et la Prusse, en cas de guerre en-
tre la France et l'Espagne, promi-
rent k la première leur appui mo-
(I) Notice sur M. de Villèle^ etc.,
p. 83. — Conqrès de Vérone, par M. de
Chateaubrianii, eh. 20.
VIL
VIL
hli\
rai, et même, au besoin, un secours
matériel gradué suivant les néces-
sités intérieures de leur» États
respectifs; l'Autriche seule ajouta
que l'étendue, la quotité et la di-
rection de ce secours devaient être
réglées par une nouvelle délibéra-
tion commune des cours alliées.
Plus explicite et plus loyale, la
Russie répondit par une affirmative
sans réserve à toutes les questions
posées. Le duc de Wellington, re-
présentant du gouvernement bri-
tannique, tint un autre langage, et
se prononça nettement contre l'ex-
pédition projetée. Dans une note
où respirait, dit Chateaubriand,
« toute l'animosité du cabinet de
Saint-James contre la France (1), »
le vainqueur de W^aterloo accumula
les sophismes pour détourner le
coup qui menaçait la révolution
ibérique; et celte doctrine mons-
trueuse de la non - intervention
qui était destinée à rencontrer,
trente-huit ans plus tard, d'autres
organes dans le même pays, il la
proclama avec autant d'aplomb que
si l'Angleterre ne s'en fût pas cons-
tamment écartée dans toutes les
phases de son histoire moderne.
Le noble duc ne posait à son prin-
cipe qu'une limite : c'était le cas
où les intérêts essentiels des sujets
britanniques se trouveraient lésés
par l'ordre de choses actuel en
Espagne: distinction fort arbitraire
sans doute, mais qui justifiait du
moins l'attitude prise par le gou-
vernement français, car c'était un
intérêt asser essentiel pour nous
d'empêcher une nouvelle révolu-
tion et de « nous replacer au rang
des nations qui tirent d'elles-mêmes
leur force, leur puissance et leur
(1) Congrès de Vérone, ch.24.
dignité (<}. ■ Le duc de Wellington
refusa donc de signer les procès-
verbaux des conférences, lesquelles
se réduisirent en définitive au
projet d'envoyer aux représentants
des alliés, à Madrid, des dépêches
comminatoires, avec ordre de rappel
si le gouvernement révolutionnaire
n'en tenait pas de compte. La po-
litique anglaise acheva de se carac-
tériser par un fait grave : celui de
la négociation d'un traité de com-
merce avec l'Espagne, traité qui,
dans l'état d'abandon et d'anarchie
de la péninsule, offrait k son gou-
vernement un appui moral et ma-
tériel (2) dont l'importance n'avait
pu être achetée qu'au prix d'énor-
mes sacrifices. Vers le même temps,
le duc de Wellington remit au
congrès un Mémorandum sur les
colonies espagnoles en Amérique,
(1) Congrès de Vérone, etc, eh. 24.
— A l'exeiiiple d'un grand nombre de
diplomates anglais, le duc de Welling-
ton, personnellement, n'abondait pas
toujour-s dans le sens de ses communi-
cations ofliciellrs. On en jugera par
l'anecdote suivante, que je tiens de
source sûre. Lorsqu'à son retour d3
Vérone il passa par l'aris, il vit plusieurs
fois le comte de Yillèle qui, dans une
de ces entrevues, lui objecta qu'ils ne
s'entendraient jamais sur la (luestion
d'Espacme, parce (lue l'intérêt du gou-
vernenrent trançais était de consolider
l'ctablissement de Louis XIV, tandis qjc
tous les efforts de l'Angleterre devaient
s'appliquer a le détruire. — Cela est
vrai, repondit le duc; eh bien, dépo-
sons tout caractère public, et causons
en liomines privés. Vous irez en Espa-
gne ; j'ai fait assez longtemps la guerre
dans ce pays, pour le bien connaître.
N'ayez qu'une armée de 100,000 hom-
mes, mais portez-y dû l'argent, beau-
coup d'argent, et vous réussirez.
;2) Ces secours, d'après les informa-
tions recueillies par Ouvrard, ne s'éle-
vaient il rien moins qu'à 200 millions
comptant, avec la promesse de -400 mil-
lions a diverses échéances. [Lettre de
M. de Chateaubriand, du 28 nov.)
hli2
VIL
VIL
dans lequel il iniinuait qne l'Àn-
gleterre pourrait être conduite, par
la marche des événements, ii la
reconnaissance de ces Etats « de
propre création. » Cette insinua-
tion n'était qu'une menace déguisée
contre l'intervention de la France
en Espagne; «lie était de plus un
acte d'intimidation à l'adresse des
cours alliées, par la perspective
d'une rupture entre les cabinets
de Saint-James et des Tuileries.
Les quatre plénipotentiaires s'en-
tendirent pour répondre que leurs
jourernements ne reconnaîtraient
jamais l'indépendance des colonies
espag^DOles, tant que Sa Hajesté
Catholique n'aurait pas librement
abdiqué ses droits de souveraineté
à leur égard. Quant au pacte com-
mercial projeté entre l'Angleterre
et l'Espagne, il émut la juste sus-
ceptibilité du ministère. Le comte
de Villèle fît remettre au cabinet
anglais une note par laquelle il
demandait des explications caté-
goriques sur ce point. « Les rai-
nistrec de Sa Majesté Britannique,
y était-il dit, reconnaîtront que
dans la situation où se trouve la
France yis-k-vis de l'Espagne, une
décision immédiate de la France doit
résulter de ces explications, » Un
langage aussi ferme fit reculer le
cabinet britannique, et le traité ne
fut point conclu (i)! Il n'est pas
hors de propos, pour l'intelligence
des événements postérieurs, d'ob-
server rapidement quelle était, aux
•temps où nous sommes, la situation
respective des deux représentants
les plus considérables du gouver-
nement français. La liaison de Vil-
lèle et de Chateaubriand datait de
1816, époque où ils s'étaient ren-
contrés dans les salons royalistes
de M. Piet, et où ils avaient fondé
ensemble, contre le système du
5 septembre , le Conservateur ^
journal royaliste, destiné à balancer
l'influence de la Minerve, et dont
Chateaubriand devint bientôt l'écri-
vain le plus brillant et le plus au-
torisé. Membres de deux assem-
blées différentes, doués d'aptitudes
fort diverses employées au service
de la même cause, une intimité
sans trouble avait pu s'établir entre
eux, et cette intimité subsistait
tout entière au moment des confé-
rences de Vérone. Le président du
conseil avait cédé aux vives ins-
tances de M. de Chateaubriand en
l'adjoignant au vicomte de Mont-
morency; peut-être comptait-il sur
lui pour modérer ses entraînements,
hypothèse qui n'est pas sans vrai-
semblance, à raison du peu d'intel-
ligence qui régnait entre ces deux
hommes d'Etat. Mais la conduite
du mobile et ardent écrivain ne
répoLidil qu'imparfaitement à la
confiance de son puissant ami. Il
abandonna M. de Montmorency à
son initiative belliqueuse, en affec-
tant la réserve officielle d'un rôle
secondaire; mais il ne cessa de se
prononcer pour une intervention
exclusivement française dans ses
conversations privées avec les sou-
verains et leurs ministres, et tra-
vailla à conquérir le comte de Vil-
lèle à cette idée, en prêtant au
czar et ià ses alliés toute l'exaltation
dont il était animé. « Quant à
nous, dit-il lui-même (1), nous lais-
sions du doute sur notre détermi-
nation ; nous ne voulions pas nous
rendre impossible; nous redoutions
qu'en nous découvrant trop, le pré-
(1) Congrèt do Vérone^ etc., ch. 29. (1) Conqrès de Vérone, etc., cb. 29.
;
VIL
sident du conseil ne voulût plus
nous écouler. » Ces manœuvres,
auxquelles M. de Chateaubriand
attribue la résolution qui prévalut
plus tard, exercèrent, à ce qu'il
semble, peu d'influence sur l'es-
prit (lu ministre. Il démêla facile-
ment la politique tortueuse et ma-
«hiâfélique du cabinet anglais sous
son masque de libéralisme , et
manda à son illustre correspondant
que ce ne serait qu'en <*. traitant
les questions ayec force et netteté
qu'on cesserait de rester enlacé
dans les filets de ces insulaires
marchands. » La guerre, ajoutait-il,
est repoussée « par l'opinion la
plus saine et la plus générale, » et
aurait un efifet désastreux sur nos
fonds, notre commerce maritime et
notre industrie. Le ministre expri-
mait tout le regret qu'il aurait à se
séparer de la Russie, de l'Autriche
et de la Prusse pour imiter la seule
puissance dont on avait tant de
raison de se méfier, mais il regar-
dait l'envoi des notes dressées par
c«s puissances comme le moyen le
plus infaillible de préparer à l'An-
gleterre, dans une expédition pé-
ninsulaire , un rôle profitable à
leurs intérêts, et exhortait vive-
ment Chateaubriand à conjurer ce
péril. Yillèle proposait que les
alliés consentissent i ne retirer
leurs ambassadeurs que lor;}qu'une
nouvelle réunion des plénipoten-
tiaires, tenue à Paris, aurait
adhéré à ce parti, en laissant
à la France le moment et le
soin de son exécution. « Qu'on
se pénètre bien, observait le mi-
nistre, que nous sommes plus
intéressés que i)ersonne à la des-
truction de la révolution d'Espa-
gne, et qu'on ne nous impose
pas des mesures qui vont directe-
ment contre le but qu'on u pro-
VIL
US
pose (1). » M. de Montmoreney rê«
partit pour Paris le 21 nov. Quel-
ques jours après, le duc de Welling-
ton y arriva, et, désireux par-dessus
tout d'éviter un conflit, il offrit au
cabinet français sa médiation, qui
fut repoussée à la suite de quelques
conférences. Ses instances déter-
minèrent toutefois le président du
conseil ^ un dernier effort en fa-
veur d'une solution pacifique. Mais
au moment même où parlait pour
"Vérone le courrier porteur de sa
dépèche, M. de Chateaubriand ar-
rivait à Paris, apportant la nourelle
de l'expédition des trois notes au
cabinet de Madrid. D'un autre cùlé,
la régence d'Urgel venait d'être
contrainte, après un grave échec,
de se réfugier sur le territoire
français. Ces circonstances décidè-
rent le comte de Yillèle à soumettre
au Conseil la question importante
de savoir si la France s'unirait à
ses alliés dans leurs démonstrations
contre la révolution espagnole, et
dans la rupture de leurs rapports
avec le gouvernement des Cortès.
La discussion fut vive et animée.
Le président du Conseil défendit
avec force sa politique d'expecia-
tion, et proposa des modifications
à la note concertée à "Vérone entre
M. de Montmorency et les ministres
des puissances continentales. Pen-
dant ce débat, il plaça ostensible-
ment sa démission sur son porte-
feuille (2). M. de Montmorency, de
son côté, soutint que son honneur
était engagé ^ repousser toute mo-
dification au manifeste qu'il avait
dressé et signé, bien qu'il y eût
réservé expressément l'approbation
(i) Lettre du 5 décembre 18-2-2.
(2) Notice sur IccovUede Villèl4,Qtc.t
par M. d« Neuville, p. 89.
h!ih
VIL
VIL
de son fouvernemenl. Louis XVIII,
qui présidait, trancha le différend,
en disant qu'il « ne laisserait pas
relcTer les Pyrénées abattues par
Louis XIV, et que son ambassadeur
ne devait quitter Madrid que le
jour où cent mille Français s'avan-
ceraient pour le remplacer. » Le
Ticomie de Montmorency donna
immédiatement sa démission, et
Villèle écrivit au vicomte de Cha-
teaubriand, prêt ^ retourner k
Londres, pour lui proposer, de la
part du roi, le portefeuille des
affaires étrangères. M. de Chateau-
briand manifesta quelques scru-
pules, et parut n'accepter que sur
l'ordre formel de Louis XVIII. Il
fut nommé le 28 décembre. M. de
Montmorency se retira avec le
titre de duc que le roi, en récom-
pense de ses services, lui avait
conféré le jour même de son re-
tour à Paris. Trois jours avant son
remplacement, le comte de Villèle
avait adressé à l'ambassadeur fran-
çais à Madrid une dépèche où il
déclarait l'intention formelle du
gouvernement du roi de «repousser
par tous les moyens les principes
«t les mouvements révolution-
naires, » mais en ajoutant qu'il se
joignait à ses alliés dans les vœux
que ceux-ci formaient pour que la
noble nalion espagnole trouvât
elle-même un remède à ses maux. »
Le ministre subordonnait le rappel
de la légation au cas où l'Espagne
continuerait i être déchirée par
les factions et à répudier les avan-
tages d'une sage liberté en s'abste-
nant d'améliorer la constitution
qui la régissait. Le zèle monar-
chique du ministère avait été puis-
samment stimulé par le résultat
des électioni p;jriielles qui s'étaient
accomplies dans le courant de no-
vembre, et qui avaient pleinement
consacré la marche nette et décidée
de la nouvelle administration. Sur
Si députés ^ nommer, l'opposition
libérale n'en obtint que 6 ou 7 dans
les collèges d'arrondissement, et
pas un seul dans les collèges de
département. Cependant la ques-
tion de paix ou de guerre conti-
nuait à tenir tous les esprits en
suspens. Le discours d'ouverture
des Chambres (28 janvier) fixa
l'indécision publique, en annon-
çant que le roi avait rappelé son
ministre et que « cent mille Français
se tenaient prêts à marcher pour
conserver le trône d'Espagne à un
petit- fils de Henri IV, à préser-
ver ce beau royaume de sa ruine
et à le réconcilier avec l'Europe. *
Après quelques efforts suprêmes
pour le maintien de la paix, le
président du Conseil crut avoir
suflisamment établi l'indépendance
de kon opinion personnelle, soit
par rapport à la pression exté-
rieure, soit en vue des excitations
et des impatiences de la majorité
parlementaire. Tout sembla dès
lors se disposer pour une entrée
en campagne immédiate. Le Moni-
teur publia dès le lendemain la liste
des officiers généraux appelés à
diriger les corps d'armée sous le
commandement suprême de Mgr le
duc d'Angoulème, et, quelques jours
plus tard, les Adresses des deux
Chambres s'associèrent énergique-
ment, et k d'énormes majorités, aux
sentiments exprimés dans le dis-
cours du trône. Ces résultats toute-
fois furent vivement disputés, sur-
tout à la Chambre élective, où les
principaux orateurs du parti libéral
accusèrent le ministère de n'inter-
venir en Espagne que dans un
intérêt de fanatisme et sur l'impul-
iion « des Prussiens et des Cosa-
ques, y> tandis que les orateurs de
VIL
l'exlrêmc droite blâmèrent avec
amertume sa longanimité envers
la révolution espagnole. A ces exa-
gérations contradictoires, le prési-
dent du conseil opposa des ré-
ponses dont la modération fut
généralement remarquée. Mais il
termina son discours à la Chambre
des députés par une phrase qui,
inexactement interprétée, produisit
au dedans et au dehors de celte
enceinte une assez vive sensation.
« Le système qui nous est conseillé
par quelques orateurs, dit-il, ne
saurait nous épargner la guerre,
puisque nous serions dans l'alter-
native de combattre pour la révo-
lution espagnole sur les frontières
du Nord, ou de faire la guerre à
cette révolution en Espagne.» Celle
phrase avait le tort d'exprimer
obscurément une contre-vérité ma-
aifesle, à savoir, que la guerre était
imposée à la France par le congrès
de Vérone : or, on a vu par ce qui
précède, qu'à l'exception de la
Russie seule, les puissances conti-
nentales ne s'étaient prêtées à ce
conflit armé qu'avec répugnance,
et que la France, en l'entreprenant,
agissait dans la plénitude de son
libre arbitre. Bien plus, k l'heure
même où ces débals avaient lieu, le
chef du Conseil négociait encore
avec l'Espagne par l'entremise de
la légation anglaise demeurée ^ Ma-
drid, et CCS négociations n'échou-
aient que par l'impérilie du gou-
vernement des Cortès et par les
exigences menaçantes de la ma-
jorité parlemeniaire (1). Le comte
de Villèle eut bientôt occasion de
rectifier l'impression qu'il avait
produite, dans le débat du projet de
VIL
kkb
loi qui demandait un crédit extraor-
dinaire de 100 millions, destinés
k défrayer l'entrée de nos troupes
en Espagne. Celte discussion se fit
remarquer par un caractère de vio-
lence qu'aucun débat parlemen-
taire n'avait encore présenté. Les
libéraux sincères envisageaient
avec effroi une expédition dont le
succès devait rendre au moins in-
téressant des monarques, dans la
personne de Ferdinand, la pléni-
tude de sa puissance absolue ; les
révolutionnaires purscomprenaient
toute la portée d'une campagne qui
aurait pour effet de retremper tous
les ressorts de l'ordre monarchi-
que et de ravir à l'esprit de désor-
dre et de démocratie sa suprême
espérance. M. Royer-CoUard con-
testa dans un savant discours l'ap-
plication du droit d'intervention,
et le général Foy , oubliant que,
selon la parole d'un ancien, les
bons citoyens ne doivent mani-
fester que de bonnes espérances ,
prédit à l'armée française tous les
revers dont il avait menacé naguère
l'expédition qui avait réprimé la
révolution napolitaine. Le prési-
dent du Conseil ne dissimula pas
que c'était à regret que le cabinet
s'était décidé à la guerre, mais que,
dans la situation actuelle de l'Es-
pagne, le maintien de la paix avait
paru impossible ; il désavoua d'ail-
leurs toute idée de pression exer-
cée sur la Péninsule quant au
choix de ses institutions k venir,
et n'eut pas de peine à réfuter
l'assimilaiion (|ue quelquesorateur»
avaient prétendu établir entre l'in-
Yasion de 1808, ^dont l'objet était
de détrôner Ferdinand pour une
ambition purement individuelle (1),
(1 ) Ilisloirc des deux Restaurations,
par Ach. de Vaulabelle, t. vi, p. :24.
(1) La guerre impie de 1808, une des
6&6
VIL
HL
el l'inlervenlion qui avait pour but
de l'afTrancliir de Toppression ré-
volutionnaire. Enfin il repoussa
avec une énergie toute patriotique
l'insinuation d'avoir cédé îi une
puissance occulte dans l'unique
intérêt de la conservation de son
portefeuille, et déclara que « si un
lâche sentiment de persoiinalilé
avait pu s'insinuer dans son cœur,
sa Téritable ambition eût été de
se réfugier dans la vie privée, en
plus condamnables assurément des en-
treprises modernes, avait obtenu, qui
le croirait! l'approbation et les encou-
ragements de l'ununimité ù\i Sénat im-
périal. Ne craignons pas de rappeler,
pour rédiflcation de la postérité, quel-
ques fragments de l'Adresse délibérée
par ce corps, le 10 septembie 1808, à
cette occasion. « Vous croyez à la paix
du continent, sire ; mais vous ne voulez
pas dépendre des erreurs et des faux
calculs des cours étrangères ; wws voul-
iez défendre des traités solennels,
iibrement consentis , briser la hache
d'une anarchie féroce qui menace nos
frontières, assurer aux vérilables Es-
pagnols le bonheur délre gouvernés
par un frère de Votre Majesté... ga-
rantir la sécurité de la France et la
tranquillité de nos neveux..., déployer
votre immense puiss;uice pour diminuer
les calamités de la guerre.», La volonté
du peuple français est la même que celle
de Votre Majesté. La ijuerre d'Espagne
est politique; elle est juste, elle est né-
cessaire, etc. » Six ans plus tard, ce
même Sénat ne rougissait pas de repro-
cher a Napoléon celte mcme guerre à
laquelle il l'avait encouragé par ses
basses adulations. Le héros vaincu n'é-
tait donc que trop fondé a lui ré|)ondre,
comme il le fit alors (Ordre du jour du
5 avril 18ti) « (ju'un sijine était un or-
dre pour le Sénat, qui toujours faisait
Î)lus qu'on ne désirait de lui. » Napo-
éon lui niénie sendilail avoir prévu cet
excès de condes( enflunce, lorsqu'à l'é-
poque de fion avènement k l'empire, il
disait a son frère Joseph : « qu'il était
assuré d'oliteiiir di: la servilité des Fian-
çais tout ce qu'il voudrait en exiger. »
{Mémoires du romlc Miol de MélUOy
t. Il, p. 230.)
laissant à d'autres toutes les diffi-
cultés du présent et de l'avenir, et
en emportant dans sa retraite toute
la faveur et presque toute la popu-
larité d'un ministre pacifique. » Ce
débat, où Chateaubriand porta toute
l'autorité d'une conviction rehaus-
sée par l'éclat du talent, donna lieu
à un acte d'oppression que l'his-
toire, cette inflexible vengeresse
des abus de pouvoir, celle protes-
tation suprême du droit contre le
fait, ne saurait rappeler sans le
condamner. Le député Manuel, de-
puis longtemps en butte i\ l'inimitié
du parti royaliste par l'ardeur de
sa répulsion contre les Bourbons,
fut arbitrairement exclu de la
Chambre pour avoir fait une apo-
logie indirecte du meurtre juri-
dique de Louis XVL Le ministère
refusa de se prononc r sur ce coup
d'Etat parlementaire, qu'il aurait
pu conjurer, et qui entraîna la
retraite de rextrême gauche pen-
dant le reste de la session. La dis-
cussion fut plus calme et plus
élevée à la Cham! re des pairs, où
le ministre des affaires étrangères
servit seul d'organe au cabinet, et
la plupart des questions que sou-
levait l'intervention française y
furent agitées de nouveau i\ propos
de l'appel de la classe de <823.
M. de Montmorency confirma, dans
un discours noble cl développé, les
faits que nous avons exposés plus
haut, et exprima le vœu que le
gouvernement anglais ne se vit
jamais appliquer par les radicaux
vainqueurs les principes dont ses
organes avaient fait profession au
congrès de Vérone. Mais la for-
tune s'était déjà prononcée ; le
premier coup de canon de l'cxpé-
dition avait dispersé ces bandes
de révolutionnaires français qui
8'étaieat flattés d'entraîner dans
VIL
les rangs de la rébellion l'avant-
garde d'une armée désormais fidèle;
la Bidassoa avait été franchie aux
cris de Vive le Roi; nos soldats
étaient reçus en libérateurs plutôt
qu'en ennemis, et Chateaubriand
ayail pu résumer avec justesse ce
long et tumultueux débat par ces
paroles qui caractérisaient si bien
une époque de foi et d'espérance :
« Un roi qui, après nous avoir
rendu la liberté, nous rend la
gloire; un prince qui est devenu,
au milieu des camps, l'idole de
cent mille Français, n'ont rien à
craindre de l'avenir. L'Espagne
délivrée de la révolution, la France
reprenant son rang en Europe et
retrouvant une armée; la légitimité
acquérant la seule force qui lui
manquât encore ; voilà ce qu'aura
produit une guerre passagère que
nous n'avons pas voulue, mais que
nous avons acceptée. » — Le mi-
nistre des finances avait obtenu
l'autorisation d'émettre en bons
du Trésor partie des iOO millions
Totés par les Chambres pour les
frais de la guerre; mais, pour ne
pas augmenter la dette flottante, il
préféra recourir îi un emprunt qui
fut adjugé ^iO juillet) à la maison
Rothschild au taux de 89 fr. 55 c.
Celle opération eut pour effet
d'eionénir la France, à un taux
raisonnable, des exigences d'une
dette considérable pi ovenant sur-
tout des reconnaissances de liqui-
dation de l'arriéré du régime im-
périal. Elle releva puissamment le
crédit, et contribua ainsi à préparer
la réduction à -i p. 100 de l'intérêl
d'i la dette publique. Au milieu
de ces circonstances prospères, le
ministère, et particulièrement le
président du Conseil, était loin de
joair d'une sécurité sans mélange.
La ratraite du côté gauche n'avait
VIL
hlil
fait que déplacer les difficultés de
la situation. « On a plus de peine,
dans les partis , dit le cardinal de
Retz, à vivre avec ceux qui y sont
qu'à agir contre ceux qui y sont
opposés. » Cette vieille vérité allait
bientôt recevoir une nouvelle et
triste démonstration. Une des fa-
talités de ces temps difficiles, le
comte de La Bourdonnaye, s'était
emparé de la place abandonnée
par l'opposition libérale pour con-
tinuer contre le chef du cabinet
une lutte qui, née dans leurs pre-
miers rapports parlementaires,
datait surtout de la première en-
trée de Villèle au conseil des mi-
nistres en 1820, et qui avait pris
progressivement tous les caractères
d'une hostilité déclarée. La vie
politique de M. de La Bourdon-
naye n'offrait point l'esprit d'unité
que pouvait faire supposer la ri-
gueur de ses théories (1). Ce chef
exalté du parti ultra- royaliste
avait commencé par être un impé-
rialiste décidé. Président en 1813
(I) Indépendamment des motifs de
rivalité qui éloignaient M. de la Bour-
donnaye du comte de Villèle, des rai*
sons personnelles que l'nistoiro dévoile
avec regret, déterminaient la constance
de son hostilité. Peu de jours après Ta-
vénement définitif du nilnistre, M. d«
Chateaubria.'id lui lit part, dans une let-
tre pressante cl précise, dos conditions
auxquelles son fougueux adv.-rsaire
consentait a signer la paix. Ces condi-
tions, dont M. Cliaieaubriund vantait la
modération , était nt l'ambassade des
Pays-Bas pour lui-mC'nie, et la pairie
pour son tils. Le comte de Villèle eut
la générosié de ne faire aucun usage
de cette pièce, dont sa famille n'a eu
connaissance qu'après sa niurt. Les
let'rcs de l'illustre ècnvain, au prisi-
dent du Conseil, consignées par M. de
Cbaloaubiiand lui-même, dans le f'on-
grcs de Vérone^ rcpetent à satiolc la
recommandation de s'occuper de M. de
La iiourdoDDaye.
as
VIL
du conseil général de Maine-et-
Loire, il s'était distingué par sou
lèle à provoquer les sacrific'is
d'hommes et d'argent destinés à
prévenir ou à relarder la chute du
trône de Napoléon. Orateur élo-
quent, élevé, mais absolu, intrai-
table et dépourvu de toute capacité
pratique, M. de La Bourdonnaye
ne néglig«'ait aucune occasion de
hai celer l'administration du comte
de Villèle, et, soit passion person-
nelle, soit impatience de caractère,
il ne tenait nul compte des len-
teurs et des ménagements qui lui
étaient imposés par la complica-
tion des circonstances. La discus-
sion du budget de 1824 servit cette
fois de texte à ses attaques. Après
avoir entrepris d'opposer sur di-
vers points le ministre de 1823 au
député de 1818 et de 1819, il ca-
ractérisa sa politique avec une
véhémence presque injurieuse ,
l'accusa de préparer de redou-
tables catastrophes par une cir-
conspection intempestive, de bles-
ser tous les intérêts, toutes les
convenances du gouvernement re-
présentatif, et de forfaire à ses
engagements antérieurs, en s'abste-
nant de proposer les institutions
royalistes sans lesquelles la Charte
ne pouvait exister. Cette philip-
pique, dont M. de Vaublanc et
M. Delalot appuyèrent plusieurs
conclusions, provoqua une réponse
immédiate du ministre, réponse
satisfaisante en ce qui arait trait
aux allégations matérielles, mais
qui révi'la l'affligeante étendue des
divisions auxquelles était livré lo
parti royaliste, et qui put faire
pressentir dès lors que la contre-
opposition de droite serait plus
funeste à la monarchie que la véri-
table opposition à laquelle elle
s'était substituée. A l'égard des
VIL
institutions municipales dont on
invoquait la promesse, Villèle
répondit avec raison que , dans
l'état actuel de la société, ces
questions soulevaient d'immenses
obstacles, et que ses adversaires,
en s'abstenant d'user à cet égard
de leur droit d'initiative, véri-
fiaient eux-mêmes la justesse de
celle objection. La présentation
du budget ne rencontra à la Cham-
bre des pairs qu'un opposant sé-
rieux, dans M. Barbé-Marbois,
premier président de la cour des
comptes. Il contesta surtout l'opi-
nion émise par le ministre des
finances, qu'en acquittant les dé-
penses ordinaires sur le produit de
l'impôt, il fallait pourvoir aux dé-
penses extraordinaires par la créa-
tion des rentes, et blàraa vivement
« le danger de cette malheureuse
facilité d'augmenter la dette, et de
donner à des banquiers, surtout à
des banquiers étrangers, l'exploi-
tation de la fortune publique. »
Le comte de Villèle répliqua que
le ministère actuel n'avait pas créé
mais seulement employé le système
des emprunts, et que la France
n'avait pas eu d'autre moyen d'ef-
fectuer sa libération, lorsqu'il avait
paru impossible de demander de
nouveaux sacrifices aux ressources
ordinaires du pays. Ces observa-
tions, appuyées par M. Roy, der-
nier ministre des finances, n'ame-
nèrent aucune contradiction. Le
comte de Villèle, qui mesurait l'im-
mense difficulté de doter la France
actuelle d'un bon régime munici-
pal, avait cherché à suppléer du
moins à rim|)erfection de nos ins-
titutions financières. Uien ne gênait
sur ce terrain la liberté de ses
mouvements. Pénétré, dès son ac-
cès au pouvoir, du besoin de con-
tenir l'entraînement habituel des
VIL
VIL
[ik9
ordonnateurs des dépenses publi-
ques, il avait entrepris de soumet-
tre leur gestion au joug de l'ordre
et à la garantie du contrôle (1). Ce
fut l'objet de l'ordonnance du
14 septembre 1822, mûrement éla-
borée dans plusieurs commissions
réunies sous sa présidence, et par
laquelle le caractère et la durée
de l'exercice furent rigoureusement
définis , et les dispositions des
ministres strictement renfermées
dans la limite des crédits votés par
les Chambres; les ordonnateurs de
tous les degrés y furent astreints à
des règles de comptabilité sévères,
dont l'observation trouvait son con-
trôle dans un mécanisme tracé avec
une grande précision. « Ces dispo-
sitions salutaires, dit l'habile finan-
cier auquel j'emprunte ces détails,
ont tari pour toujours la source de
l'arriéré, en réduisant chaque année
la comptabilité desbudgets à l'exer-
cice qui commence et à celui qui
s'achève, ont fait pénétrer la lu-
mière et la méthode dans l'admi-
nistration publique, et ont intro-
duit dans ses opérations variées
cette féconde économie qui fait que
rien ne se perd, et que les fonds
du trésor reçoivent leur destina-
tion légale, sans déviation ni retard.
On tenterait vainement d'apprécier
en chiffres les heureuses consé-
quences de l'ordonnance de 1822
pour la répression des désordres,
pour la disparition des abus, ainsi
que le meilleur emploi des ressour-
ces du budget. » Vd ne se bornè-
rent pas les efforts du vigilant mi-
nistre. Pour préparer un contrôle
(1) Tous ces détails sont tirés de
l'excellent travail publié en IBoo sur
riidniinislralion lin.inciLTi' de M. le
ronite de Villèle, par M. le marquis
d'AudifTrct.
LXXiV
public et complet de la cour des
comptes sur la fortune nationale,
il fit rendre, le 10 décembre 1823,
une ordonnance qui instituait une
commission de membres des deux
Chambres, du conseil d'État et de
la cour des comptes, chargée de
vérifier et d'arrêter annuellement
les écritures et les comptes des
ministres, avec obligation de pu-
blier des rapports détaillés de leurs
opérations, afin de constater aux
yeux de tous l'enchainemenl, la
concordance et la régularité de ces
comptabilités cent raies. — L'expédi-
tion en Espagne touchait à un dé-
noùment prochain. L'armée fran-
çaise, en moins de six mois, s'était
rapidement avancée des bords de
laBidassoa à la baie de Cadix, après
avoir livré des combats, entrepris
des sièges que le succès avait cons-
tamment couroiinés, et faisant ad-
mirer sa discipline autant que sa
valeur. Au seul bruit de son ap-
proche, les Certes s'étaient hâtées
d'abandonner Madrid et de con-
duire à Séville le monarque captif.
Mais ni les intentions ouvertement
pacifiques du cabinet français, ni
l'esprit de sagesse et de générosité
déployé en toute rencontre par le
prince généralissime, ne purent les
disposer à la moindre condescen-
dance envers le gouvernement de
Louis XVIIL Cependant M. le duc
d'Angoulème, qui approchait pré-
cipitamment, avait contraint les op-
presseurs de Ferdinand à chercher
leur dernier abri sous les remparts
de Cadix et de l'ile de Léon. 11 fal-
lut faire violence au roi pour le
décidera ce nouveau départ. Knfin,
la prise du Trocadéro, la reddition
du forldeSanli-Pietri, la défaite et
l'arreslaliou de Riego , tous ces
événements auxiiuels était \cmw.
s'ajouter la conire-révoiutiou opé-
29
450
VIL
VIL
réc en Portugal, consommèrent le
découragement des constitution-
nels; la révolution espagnole expi-
rait aux lieux mêmes où elle avait
pris naissance, et, le 1" octobre,
le roi et la famille royale débar-
quèrent libres au port Sainte-Marie,
où le généralissime eut à la fois la
joie de les recevoir et la douleur
de n'en obtenir aucune concession
profitable à l'avenir de la Pénin-
sule. (V. Valdès, tome LXXXIV,
p. 390). Le prince avait rendu à
Andujar,le 8 août, une ordonnance
qui interdisait aux autorités espa-
gnoles toute arrestation non auto-
risée par les commandants des
troupes françaises, qui prescrivait
l'élargissement des personnes dé-
tenues arbitrairement, et plaçait
sous la surveillance des autorités
militaires les journaux et les jour-
nalistes. Cette ordonnance avait
soulevé contre le généralissime
toutes les colères de la faction
apostolique à laquelle l'invasion
française venait de livrer l'Espagne,
et le ministère, la jugeant contraire
aux engagements pris par le chef su-
prême de l'armée à sou entrée en
campagne, n'avait pas cru devoir la
soumettre à l'approbation du roi.
Ces divisions n'étaient que le pré-
lude des déchirements auxquels la
malheureuse Espagne allait se trou*
ver bientôt en proie. Mais on ne
dut songer alors qu'au succès mi-
litaire de l'expédition, et le duc
d'Angoulême, qui l'avait conduite
avec autant de bravoure que de
prudence, recueillit a son retour à
Paris de sincères et d'unanimes
hommages. Toute la France roya-
liste applaudit à cette réconcilia-
tion de la légitimité et de l'armée,
consommée, en d'pii do3 manœu-
vres et des bravades de l'Angle-
terre, sous les auspices de la vic-
toire et sur les ruines d'une révo-
lution qui avait menacé d'embraser
l'Europe entière. Le ministère
s'était amoindri le <9 octobre par
la retraite du fidèle duc de Bellune,
auquel avait succédé le baron de
Damas, sacrifice fait aux exigences
du généralissime, et que n'avait
pas compensé la nomination du
prince de Polignac à l'ambassade
de Londres. Le cabinet crut de-
voir renforcer sa majorité à la
Chambre des pairs par la pro-
motion (22 décembre) de ringt-
sept nouveaux titulaires, dont il
emprunta la plupart aux députés
de la droite les plus considérables
par leur position sociale et leur
influence personnelle. Ce fut une
faute, ou plutôt un malheur. Il se
priva ainsi, sans utilité suffisante,
de zélés auxiliaires dont la fidélité
éprouvée lui eût été précieuse plus
tard, au milieu des affligeantes dé-
fections qui se déclarèrent dans le»
rangs de ses auciens amis. Cepen-
dant, les conditions générales de
son existence s'étaient évidemment
raffermies par la répression des
complots intérieurs et surtout par
l'issue favorable de la guerre d'Es-
pagne. Le ministère songea à i)ro-
fiter de celte situation pour garan-
tir sa stabilité contre les oscillations
auxquelleselle était périodiquement
exposée par le renouvellement par-
tiel de la Chambre élective. A ce
système, que consacraiU'arlicle 37
de la Charte constitutionnelle, on
substituait l'établissement d'une
Chambre septennale intégralement
rééligible. M. de Chateaubriand
servit cette idée conservatrice du
secours puissant de sa plume et de
son influence. L'exécution du plan
miiiislérici fut préparée par la dis-
solution de la Ciiambre aclueilc,
dont le résultat fut de réduire,
VIL
dans la nouvelle assemblée, l'op-
position de gauche k un faible
noyau de seize ou dix-sept mem-
bres. Entraînés dans ce naufrage
universel, Lafayeite se vit réduit
à exiler sur un autre hémisphère
plus sympathique son impuissance
momentanée, et Manuel alla ex-
pier les stériles agitations de sa vie
dans un délaissement (1) qui n'eut
d'autre terme que la mort. Ce ré-
sultat s'expliquait suftisamment par
la déroute des révolutions de Na-
pies , de l'Espagne et du Portu-
gal. Il s'y mêla , toutefois , des
actes d'intimidation, des pratiques
de séduction et des manœuvres
artilicieuses , qui soulevèrent de
justes et énergiques protestations.
Le ministère aigrit encore l'a-
mertume de ces réclamations par
les encouragements qu'il décer-
na aux fonctionnaires publics qui
avaient chaleureusement secondé
son impulsion. Les services les
plus zélés furent récompensés par
des promotions plus ou moins im-
portantes et par des décorations
dont la valeur, déjà dépréciée par
une prodigalité sans mesure, reçut
de celte distribution abusive un
nouvel et fâcheux discrédit. La
monarchie légitime était devenue
assez puissante pour dédaigner de
tels moyens qui usaient, au préju-
dice de l'avenir, tous les ressorts
de l'autorité. A ces motifs de mé-
contentement se joignaient ceux
qui dérivaient des imprudences
d'une partie du clergé, trop portée
à voir dans le triomphe des idées
monarchiques celui de ses propres
prétentions, qu'elle ne prenait plus
{\) La Vie polilique de M. Roijer-
CoUard^ etc., par M. de Barante, l. n,
p. 33-i.
VIL
Ub\
soin de dissimuler. Le ministère
composé en majorité d'esprits li-
bres et sans ferveur, n'avait aucun
penchant pour ce genre de domi-
nation; mais il la tolérait par égard
pour les sentiments religieux du
futur héritier de la couronne, et
cette tolérance se traduisait en con-
cessions de choses et surtout de
personnes qui excitaient une vive ir-
ritation dans les rangs du parti li-
béral. Dénoncé avec exagération
par les uns, indignement exploité
par d'autres, le pouvoir congréga-
niste, cette forme la plus palpable
et la plus impopulaire de la prépo-
tence sacerdotale, était devenu dans
ce siècle sceptique le grief capital
de l'opposition et le levier le plus
puissant de l'esprit de désordre et
de faction. La volonté maladive du
monarque impotent, subjuguée par
d'astucieuses obsessions, était sans
résistance contre ce courant, dont
la pernicieuse influence semblait
compromettre tous les avantages de
la situation. Telle était la disposi-
tion des esprits quand Louis XVIII
ouvrit, pour la dernière fois, le
23 mars 1824, la session législative,
dans un discours où il faisait pres-
sentir, avec le projet de loi sur la
septennalilé , deux autres mesures
capitales depuis longtemps conçues
dans l'esprit du chef du Conseil : la
conversion en rentes 3 p. 0/Udes ren-
tes créées par l'Etat à ri p. 0/0, elle
dessein d'a|)pliquer le bénelice de
cette opération, soit à réduire les
charges publique.s,soit à indemniser
les victimes des conliscations révo-
lutionnaires. Les deux premiers
projets furent simultanément pré-
ciuLes, l'un à la Chambre des pair^
par le comte Corbière, l'autre à la
Chambre des députés par le minis-
tre des linances. Ce dernier aban-
donna à son collègue et a son ami
652
VIL
VIL
tout le faix du débat sur la loi sep-
tennale à la Chambre haute, et ne
prit qu'une fois seulement la parole
pour défendre celte loi à la Cham-
bre élective. Il attribua au mouve-
ment électoral annuel la versatilité
des résolutions du gouvernement
et des Chambres, et n'eut pas de
peine à démontrer que si, sous le
régime impérial, le renouvellement
partiel n'avait pas été un obstacle
aux grands travaux législatifs, ce
résultat tenait à ce que la France
n'avait alors que les apparences et
non la réalité du système représen-
tatif. Le ministre, s'expliquant sur
les reproches qu'avaient motivés
les dernières élections, blâma assez
timidement le zèle excessif des
agents de l'administration, et dé-
clara que c'était rendre un vrai ser-
vice à un candidat que de ne pas
garder une juste mesure dans les
attaques dirigées contre lui. Tous
les efforts du comte de Villèle se
concentrèrent sur la discussion de
la loi de réduction des rentes, au
succès de laquelle il attachait un
yérilable amour - propre de pa-
ternité, et qui devait remplir un
rôle si considérable dans sa vie
publique. En présentant, le 5 avril,
cette loi à la Chambre élective, il
constata d'abord que la rente avait
dépassé le pair, et qu'elle s'élève-
rait plus haut encore, si le minis-
tère n'avait loyalement laissé péné-
trer ses intentions de rembourse-
ment. La fortune publique éprouvait
un double dommage de cet état de
choses, par le rachat des rentes à
un taux supérieur au pair imposé
i la caisse d'amortissement, et par
le surcroît d'un intérêt de 5 p. dOO
imposé 'à l'h^iat, tandis que le cours
de ses rentes en abaisserait le taux
pour ceux qui les achèteraient. Le
devoir de l'administration, dans ces
circonstances, était d'offrir aux
porteurs de rentes le rembourse-
ment de leur capital ou la conver-
sion de leurs titres à un intérêt
plus modéré. Le ministre annonçait
qu'il s'était mis en mesure d'opé-
rer le remboursement s'il était ré-
clamé; à l'égard de la réduction,
il proposait de la limiter Ji 3 p. iOO
au capital de 75 francs. Le bénétice
de cette opération était une dimi-
nution de 28 à 30 millions sur les
dépenses actuelles de l'Etat, sans
affaiblir la puissance de l'amortis-
sement, sans aggraver la condition
des emprunts à venir, en opérant
dès ce moment la réduction des
intérêts de la dette publique à
4 p. 100, et en émettant des titres
qui pouvaient s'améliorer en capi-
tal jusqu'à ne plus porter qu'un
intérêt de 3 p. <00, sans qu'ils fus-
sent contenus dans cette voie d'a-
mélioration par la crainte d'un
nouveau remboursement. Le mi-
nistre consacra ses derniers déve-
loppements à démontrer que l'Etat
était en droit de se libérer, et k
faire ressortir les avantages de l'a-
mortissement, que ménageait avec
soin le projet en discussion. La
vive sensation que ce projet fit
naitre dans toutes les classes de la
société contrasta avec l'indifférence
presque générale qui avait accueilli
la proposition de la septennalité. Ja-
mais, sans doute, depuis le fameux
système de Law, mesure financière
n'avait, surtout à Paris, passionné
à ce point les esprits. La loi pré-
sentée, bonne et avantageuse en
soi, rencontrait, dès l'abord, trois
sortes d'adversaires : les rentiers,
auxquels elle enlevait un cinquième
de leur revenu,les antagonistes déjà
nombreux du ministère de Villèle,
qui entrevoyaient la chute du mi-
nistre à travers le rejet de ses plans,
VIL
VIL
/i53
enfin le parti libéral, que f-oissait
vivement l'attribution faite aux
émigrés dans le produit éventuel
de la conversion. De ces intérêts
coalisés sortirent des objections
plus ou moins puissantes contre le
projet, auquel on reprocha tour à
tour la brusquerie, l'obscurité de
ses dispositions; les mots de ruine
et de banqueroute furent pronon-
cés par allusion aux souvenirs ré-
volutionnaires, sans tenir compte
de l'alternative avantageuse offerte
aux porteurs de rentes. On contesta
l'assertion qui présentait comme
inférieur à 5 p. dOO le chiffre cou-
rant de l'intérêt en France; on
qualifia la loi d'infraction ouverte
au pacte constitutionnel. Enfin, on
se demanda comment le Trésor
réunirait les fonds nécessaires au
remboursement intégral du capital
des rentes remboursables; mais le
ministre, dans la prévision de cette
éventualité, avait fait signer aux
principales maisons financières un
traité par lequel elles mettaient à
sa disposition les sommes suffi-
santes pour l'exécution de la loi.
Les partisans de l'opération oppo-
saient de leur côté les charges ex-
cessives qui frappaient la propriété
territoriale, en présence de l'im-
munité absolue dont jouissait la
propriété mobilière; ce surcroît
d'avantages avait pour effet de dé-
tourner une partie de la rente des
capitaux qui pouvaient êtrt; utile-
ment appliqués à l'agricullure ou à
l'industrie; le résultat naturel de
la conversion devait être, au con-
traire, de provoquer le retour de
ces r-apiiaux dans les départements,
et de mettre un frein a l'usure
en amenant une diminution salu-
taire dans l'intérêt de l'argent.
L'infatigable ministn* ajouta i\ la
puissance de ces considérations par
une argumentation approfondie
adressée tour à tour à l'une et à
l'autre Chambre, et qui attesta éga-
lement l'étendue de ses connais-
sances financières et l'inépuisable
fécondité de ses ressources. Devant
la Chambre élective, il réfuta parli-
culièrementla proposition de M. Hu-
mann, qui préférait au plan minis-
tériel la création d'une rente
4 p. 0/0, et celle qui consistait à
réduire le fonds d'amortissement;
il démontra que sa destination était
moins d'anéantir la dette publique
que de ménager aux contribuables
les moyens de l'accroître sans trop
de dommage dans les temps de né-
cessité. Divers amendements en
faveur des petits rentiers furent
combattus par le ministère et écar-
tés par la Chambre, qui adopta la
loi à 93 voix de majorité. La dis-
cussion à la Chambre des pairs
n'eut lieu que trois semaines plus
tard. Ici se rencontrèrent, dans
MM. Roy, Pasquier, Mollien , et
surtout dans Mgr de Quélen, arche-
vêque de Paris, des adversaires
d'autant plus dangereux qu'aucun
soupçon de passion personnelle
n'infirmait l'autorité de leur oppo-
sition. Le vénérable prélat plaida
la cause des petits rentiers pari-
siens avec une onction persuasive
qui ne fut pas sans influence sur
le sort du projet. Quelques conces-
sions tardives ne purent conjurer
une défaite, et la loi fut rejetée le
3 juin, à la majorité de 'Si voix,
résultat grave sous une apparence
purement financière, et dont la
première et la plus fatale consé-
quence fut la rupture des deux
hommes qui avaient le plus acli-
vement concouru à la prospérité
de la Restauration. — Les premiers
symptômes de refroi iissemeiit en-
tre Villèle et Chateaubriand dataient
A5/i
VIT.
de l'issue de la guerre d'Espagne.
L'empereur Alexandre avait en-
voyé au dernier la grand'croix
de Saint-André , à Texclusion du
président du Conseil, auquel il gar-
dait quelque rancune de sa tié-
deur sur la question espagnole. Le
comte de Villèle n'était pas demeuré
insensible à cette affectation d'oubli,
et Louis XVIIÏ, vivement blessé, lui
•vail dit : « Pozzo et La Ferron-
nays viennent de me faire donner
un soufflet sur votre joue par l'em-
pereur Alexandre ; mais je vais lui
donner chasse et le payer e-n mon-
naie de meilleur aloi : je vous
nomme, mon cher Villèle, chevalier
de mes ordres (30 déc.) ; ils valent
mieux que les siens (1). » Cette
distinction avait causé une incura-
ble piqûre à l'ombrageux amour-
propre de M. de Chateaubriand (2),
et la blessure n'avait fait que s'enve-
nimer sous l'action d'une rivalité
que tout concourait à développer.
Tous deux aspiraient à la prédo-
minance gouvernementale ; mais
sur ce terrain la lutte était ouver-
tement inégale entre le génie élevé,
lumineux, mais fantasque et vani-
teux de l'auteur des Martyrs, et
l'esprit pratique, avisé, le bon sens
exquis de son collègue, auquel
le roi et les princes accordaient
d'ailleurs une confiance que M. de
Chateaubriand ne leur avait jamais
inspirée(3). L'illustre écrivain s'était
VIL
montré peu favorable à la conver-
sion des rentes, et le chef du Con-
seil avait accru sa mauvaise humeur
en lui dérobant la communication
du traité qu'il avait éventuellement
conclu avec les banquiers de la capi-
tale (1).M. de Chateaubriand s'était
renfermé en public dans un si-
lence affecté à l'égard du projet de
loi ; il avait eu le tort plus grave
de manifester son opposition à ses
amis , et cette tactique déloyale
avait achevé d'ébranler la majorité
de la Chambre haute, où il exerçait
une grande influence. Informé au
sortir même de la séance, par le
président du Conseil, du rejet de la
loi, Louis XVIII en manifesta une
vive émotion. «Villèle, lui dit-il, ne
m'abandonnez pas à ces... je vous
soutiendrai. » Le dimanche suivant
6 juin, jour de Pentecôte, le comte
de Villèle étant entré le matin dans
le cabinet du roi, « Chateaubriand,
lui dit Louis XVIII, nous a trahis
comme un... Je ne veux pas le voir
ici après la messe ; rédigez l'ordon-
nance de renvoi , et qu'on la lui
remette à temps ; je ne veux pas le
voir. » Le ministre essaya quelques
observalionsauxquelles Louis XVIII
n'eut pas égard ; il fallut écrire sur
le bureau même du roi l'ordon-
nance de destitution, qui fut aussi-
tôt expédiée. M. de Chateaubriand
ouvrit, aux Tuileries même, à l'issue
de la messe, la lettre qui accompa-
(1) Notice sur M. le comte de Vil-
lèle, etc. p. 103.
(2) M. de Cliateaubriand fut également
décoré du crdon bleu, quelques jours
après.
(3) Cette opinion est aussi celle de
M. Sairitc-Bf'uvc, dans son curieux ou-
vrage intitulé : Chaleaubriaud et son
groupe litléi aire, t. ii, p. 42i. « Cha-
teaubriand, dit-il, n'avait ni la patience,
ni la dextérité, ni le ménagrnienl, et la
souplesse, cette suite de petites cho-
ses, qui sont souvent la condition des
grandes, et les rendent possibles. Pre-
mier ministre avec l'un ou l'autre des
deux rois avec qui il eût fallu s'enten-
dre et coinj)ter, on ne se ligure pas
qu'il 'Ji\tpn y tenir longtemps; il serait
arrivé un matin quelque aventure. M.
de (hateaubriand aime les croix, dirait
M. Canning. »
(1) Congrès de Vérone, t. n, eh. 20.
I
I
VIL
gnait cet acte, lettre dont la sé-
cheresse n'était autorisée, ni par le
procédé, ni par la situation. Il ré-
pondit au chef du Conseil « que le
déparlement était à ses ordres, »
et fit bruit de son renvoi comme
d'un triomphe. Le soir même
M. Berlin deVaux, son ami, proprié-
taire du Journal des Débats, vint
déclarer au président du Conseil
qu'il commencerait dès le lende-
main une guerre incessante au ca-
binet, si M. de Chaleaubriaud
n'obtenait l'ambassade de Rome
pour compensation de sa disgrâce.
Villèle ayant décliné l'initiative de
cette ouverture : « Souvenez-vous,
lui dit le journaliste, que les Débats
ont déjà renversé les ministères
Decazes et Richelieu, ils sauront
bien aussi renverser le nainislère
Villèle. — Vous avez renversé
les premiers, répondit le ministre,
en faisant du royalisme ; pour
renverser le mien , il vous faudra
faire de la révolution (1). » Trop
judicieux pronostic, dont l'accom-
plissement devait, par une pente
inévitable , faire descendre en
quelques années l'interprète des
rancunes de MM. de Chateau-
briand et Berlin jusqu'aux théories
les plus outrées de la politique ré-
volutionnaire! — En somme, la sé-
paration de M. de Chateaubriand
était un événement considérable.
Elle appauvrissait d'un membre
élo(iuent et renommé le cabinet
déjà atteint dans son élément aris-
tocratique par la retraite du loyal
duc de Montmorency, dans sou
expression militaire, par le sricri-
fice du modeste duc de Bellime. Elle
impliquait l'ambition toujour's haïs-
VIL
A55
sable d'une suprématie sans par-
tage chez l'homme d'État réputé
jusqu'ici le moins accessible aux
enivrements du pouvoir, celui dont,
la contradiction même la plus ar-
dente n'avait jamais désarmé l'im-
passibilité. Elle affaiblissait ce p.res-
tige de modération et de simplicité
dans la direction des afifair^-s, qui
ajoutait tant de poids à sa valeur
personnelle. La brusquerie du pro-
cédé surtout rencontra une im-
probation générale. En accordant
quelques jours à la juste irritation
de Louis XVIII, le président du
Conseil eût négocié sans peine
l'éloigneraenl de son rival k des
conditions honorables qui auraient
pacifié ce redoutable conflit. Mais,
« contre sa couVume, dit très-bien
M. Guizoï, il eut plus d'humeur
que de sang-froid et de prévoyance;
il y a des alliés nécessaire quoi-
que très-incommodes, et M. de
Chateaubriand était moins dange-
reux comme rival que comme en-
nemi. Il devint, continue M. Guizot,
un chef d'opposition brillant et
puissant, ralliant à lui d'anciens
adversaires destinés à le redevenir
un jour, mais momentanément at-
tirés par le plaisir et le profit des
coups qu'il portait à leur ennemi
commun (V. » L'éclatante rupture
des deux principaux membres du
cabinet avait captivé sans f absor-
l)er l'attention publique. Cette ses-
sion la plus féconde depuis la
Restauralion, fut marquùe par la
présentation (Vm\ projet de loi ré-
pressif des vols commis dans les
églises, projet qu'adopta la dura-
bre des pairs, mais dont les dis-
positions parurent incomplètes h
la Chambre élective , et que le
(1) Notice hist. sur V^ Iç comte de
Vtitèie, etc., p, 113.
(1) Mémoiresy etc., t. im.
A 56
VIL
VIL
ministère relira pour le repro-
duire plus tard sous une autre
/orme. Plusieurs lois de linances
/urent proposées par le comte de
V'.Ulèle, qui les défendit avec son
expérience et sa lucidité acroutu-
mée.s; telles furent celle sur le
monopole des tabacs, celle qui, en
vue à*.*, remédier au morcellement
de la propriété territoriale, rédui-
sait au droit fixe de 5 francs Té-
change di^s terres contiguës , la
loi sur les boissons, celle enfin du
budget de 1825. La discussion de
cette dernière loi se fit remarquer
par un caractère d'indépendance et
de généralité dont aucun autre dé-
bat analogue n'avait peut-être of-
fert l'exemple. M. Ferdinand de
Berthier, organe de la contre-oppo-
sition de droite, traça un pro-
gramme détaillé de réformes ira-
praticables, pour la plupart, dans
une société issue du mouvement
de 4789. M. de La Bourdonnaye,
rappelant le mot de saturnales po-
litiques, que le président du Con-
seil avait appliqué aux élections,
prétendit que « c'était sans doute
parce qu'il eût voulu n'y voir figu-
rer que des esclaves, » et accusa le
ministère d'attaquer à la fois toutes
les libertés publiques; le marquis
de Noaiiles s'indigna de la préten-
due dépendance de la France vis-
à-vis des Ëiats étrangers; M. de
Lézardières se plaignit de la situa-
tion malheureuse de la propriété
sur tous les points du royaume, et
M. de Vaublanc présenta des cal-
culs peu rassurants sur l'état de la
balance commerciale du pays. Le
comte (le Villèle se mit peu en souci
de ces doléances, qui n'ébranlèrent
point sa majorité habituelle, et, en
présenlaiit le budg«tt à la Chambre
des pairs, il se contenta de faire
remarquer la limitation salutaire
qu'il apportait dans l'émission des
bons royaux, dont l'abus avait sou-
levé jusqu'alors tant de réclama-
lions. Après un débat sans intérêt
et partant sans véhémence, le bud-
get ne rencontra que trois oppo-
sants. Mais le ministère se trouva
bientôt appelé sur un terrain plus
difficile par l'obligation de sou-
mettre à la Chambre les crédits
supplémentaires dont la guerre
d'Espagne avait nécessité l'emploi.
Rappelons en peu de mots ce qui
s'était passé à cette occasion. Le
corps d'armée destiné à l'invasion
de la Péninsule avait été longtemps
retenu sur la frontière des Pyré-
nées par les incertitudes qui ré-
gnaient au sein du Conseil. La
même cause n'avait pas permis à
l'administration militaire de s'oc-
cuper sérieusement des préparatifs
d'une entrée en campagne. C'est
dans cet état d'imprévision et
d'insuffisance qu'était survenu au
quartier général l'ordre de mettre
sans retard les troupes en mouve-
ment. La situation était critique.
Quels périls n'avait-on pas k re-
douter du défaut de subsistances
sur une terre ennemie, pauvre,
mal peuplée, épuisée par trois ans
de guerre civile, et dans la con-
duite d'une armée dont les dispo-
sitions n'étaient pas à l'épreuve
d'un sujet moins grave de mécon-
tentement! Un spéculateur plus
habile que considéré, Gabriel Ou-
vrard, entreprit de surmonter ces
obstacles. Il vint à Bayonne se pré-
senter au prince généralissime,
interrogea quelques réfugiés espa-
gnols sur les ressources des pro-
vinces que l'armée aurait à traver-
ser, et, le 5 avril, il déclara au duc
d'Angoulême qu'il était prêt k
mettre l'armée en mesure de fran-
chir immédiatement la Bidassoa;
VIL
VIL
457
mais il fit dépendre ce concours de
conditions onéreuses, comme on
devait SA' attendre; il exigea que
les onze douzièmes du montant de
ses fournitures lui fussent payés
par avance, et qu'on tint à sa dis-
position tous les approvisionne-
ments existant dans les divisions
militaires de Toulouse et de Bor-
deaux, etc. Ces stipulations, si
connues sous le nom de Marchés de
Bayonne, furent signées dans la
nuit même, et soumises quelques
jours plus tard à l'approbation du
gouvernement, qui la donna sans
hésiter. Ce premier traité fut mo-
ditié par des conventions postérieu-
res du 2 mai et du 26 juillet qui
accrurent encore l'exagération des
clauses primitives, et ce fut sur
l'ensemble de ces stipulations que
M. de Martignac, qui avait rempli
avec tant de distinction les fonc-
tions de commissaire civil près de
l'auguste généralissime, eut à s'ex-
pliquer deva[it la Chambre en qua-
lité de rapporteur. Sans dissimuler
tout ce qu'avait d'exorbitant la
pression exercée par M. Ouvrard
sur l'intendance militaire, il estima
que la sanction législative ne pou-
vait être refusée aux crédits em-
ployés à solder l'expédition. Cette
opinion fut vivement combattue par
le général Foy, qui n'eut pas de
peine à démontrer combien le Tré-
sor public avait été lésé par un dé-
sordre administratif «sans exemple,
dit-il, pendant les vingt-cinq ans
des guerres de la Kévolution; »
mais Villèle monta à la tribune
pour la soutenir , ei revendiqua
hautement la responsabilité de la
partie onéreuse de l'expédition,
dont il ((. laissait tout l'honneur au
prince généralissime et à la brave
armée qu'il commandait. » Il fit
remarquer qu'une semblable cam-
pagne ne pouvait réussir que par
des moyens extraordinaires, et
qu'on avait dû sacrifier de l'argent
pour épargner des hommes, et pour
se libérer plus tôt des charges que
la continuation de la guerre au-
rait imposées au pays. Ces considé-
rations n'empêchèrent pas le comte
Alexis de Noailles d'infliger à l'ad-
ministration un blâme sévère, que
M. de La Bourdonnaye aggrava de
quelques hostilités personnelles
contre le président du Conseil. Mais
l'inflexible nécessité domina de
trop justes objections, et les crédits
extraordinaires furent votés à une
forte majorité. Cependant le minis-
tère ne crut pas devoir refuser à
l'opinion publique la satisfaction
d'une enquête, et une commission,
composée du maréchal Macdonald,
de MM. de Villemanzy, Daru, de
Vaublanc, Halgan et La Bouille-
rie, fut chargée d'apprécier les
causes et l'urgence des crédits
supplémentaires que la Chambre
venait de sanctionner. Cette cir-
constance fit perdre au débat de-
vant la Chambre des pairs une par-
tie de son intérêt; mais ce débat
révéla une particularité honorable
pour le prince généralissime, qui
non-seulement avait refusé toute
espèce de traitement, mais avait en
outre réalisé sur les dépenses se-
crètes de l'armée une somme de
plus de 500 mille francs, qu'il s'é-
tait empressé de mettre à la dispo-
sition du ministre de la guerre :
résultat remar(|uable surtout eu
égard aux bruits de corruption
qu'avait accrédités la prompte
reddition de quelques - unes des
places assiégées. Pour terminer
sur ce désagréable incident du
ministère Villèle, nous dirons que
la commission d'en(iuête déposa,
au commencement de l'année
458
VIL
VIL
182;), un rapport qui signalait
des divisions tellement tranchées
parmi les membres dont elle se
composait, que l'organe d'une com-
mission spéciale, M. Fadatle de
Saint-Georges, crut devoir mettre
la Chambre dans la confidence do
ces débats intérieurs. En substance,
ce document déversait le blAme le
plus absolu sur la conduite du mu-
niiionnaire général, en dégageant
de toute responsabilité le ministre
de la guerre, antagoniste constant
du système qui a'^ait causé ces di-
lapidations, et concluait à ce que
l'examen des manœuvres employées
à cette occasion fût déféré aux
tribunaux; ce qui fut prescrit par
une ordonnance du 9 février 4825.
Le rapporteur se prononça, toute-
fois, pour l'adoption définitive des
suppléments de crédit. Mais cette
opinion fut vivement attaquée par
M. de La Bourdonnaye, qui se pré-
valut avec avantage de l'opposition
qui avait existé, au sujet des mar-
chés de Bayonne, entre le ministre
de la guerre et l'intendant militaire
Joinville, porteur des instructions
secrètes du président du Conseil, et
demanda que la conduite de cet
agent supérieur fût sévèrement
scrutée. Le général Foy, de son
cMé, rappela les éloges que le mi-
nistre des finances avait donnés
l'année dernière à ces marchés de
Bayonne, objet aujourd'hui d'un
décri si universel, et censura l'u-
surpation manifeste qu'il s'était at-
tribuée sur les fonctions du minis-
tre de la guerre. Villcle n'opposa
à ces reproches et ii ces irrégulari-
tés que le défi de formuler contre
lui aucune iniputalion précise (1),
(1) Le ministre qui répondait en ces
termes aux agressions envenimées de
et, après six jours de débats ani-
més et approfondis, où des hosti-
lités de personnes et de partis se
mêlèrent trop souvent aux ques-
tions financières, les comptes de
1823 furent décidément réglés d'a-
près les propositions ministérielles,
à une très-grande majorité. Ce ré-
sultat numérique fut plus éclatant
encore à la Chambre des pairs, où
vingt voix seulement protestèrent
contre ces propositions. Quant aux
poursuites judiciaires, elles n'abou-
tirent, après de nombreux inci-
dents, qu'à la condamnation cor-
rectionnelle de deux agents du
munllionnaire général, convaincus
de tentatives de corruption envers
des employés de l'intendance mili-
taire : misérable dénoùment d'un
système d'inculpation qu'avait dé-
moli la puissance irrésistible des
faits accomplis, bien plus que l'as-
sentiment libre et consciencieux
des pouvoirs de l'Etat. La laborieuse
session de 1824 fut close le 4 août.
M. de La Bourdonnaye et du général
Foy, possédait un moyen bien plus victo-
rieux de confondre leurs insinuations.
Il avait écrit peu de jours avant l'ou-
verture de la campagne, le 7 avril 1823,
il M. le duc d'Angoulôme pour le pré-
munir contre les démarches et les spé-
culations de M. Ouvrard, etconservait la
lettre que le prince généralissime lui*
avait faite le 13 avril, en réponse k cet
avertissement méconnu. Lors des atta-
ques diiipées contre le chef du Conseil,
le prince l'autorisa à faire usage de
cette lettre : « Non, Monseigneur, ré-
pondit noblement Villèle, il en arrivera
ce qui plaira a la Providence, mais je
croirais commettre un crime envers la
France si, pour me dégager d'une ac-
cusation, quelque grave qu'elle pût être,
je compromettais le nom de Monsei-
gneur. » Le prince insista, mais sans
vaincre la résistance du ministre, lequel
ne laissa jamais échapper une seule
parole qui put divulguer ce fait. {Notice
sur M. de Villèle, etc., p, 130.)
VIL
VIL
659
Le même jour, le baron de Damas
passa du ministère de la guerre à
celui des affaires étrangères, et fut
remplacé par M. de Clermont-
Tonnerre, qui eut pour successeur
à la marine M. de Chabrol-Crouzol,
administrateur éprouvé. M. le duc
de Doudeauville succéda au maré-
chal Lauriston comme ministre de
la maison du roi. Ces changements
maintenaient l'unité du ministère,
mais ils ne lui prêtaient pas la
force dont il avait surabondamment
besoin pour résister aux attaques
combinéesde l'opposition degauche
et de la contre-opposition de droite.
L'hostilité des journaux qui leur
servaient d'organes avait redou-
blé de violence depuis la retraite
de M. de Chateaubriand, et la ma-
gistrature, trompant l'espérance que
le pouvoir avait mise en elle, répon-
dait le plus souvent par une encou-
rageante absolution aux poursuites
du ministère public. Le cabinet
songea à amortir cette action per-
turbatrice par des manœuvres
moins directes, et un fonds, que
quelques évaluations portèrent à
deux millions, fut consacré à cor-
rompre ou à supprimer quelques-
unes de ces feuilles. Mais ces ten-
tatives, qui suscitèrent de nouvelles
clameurs, vinrent se briser contre
d'insurmontables résistances, et les
ministres, se fondant « sur l'insuf-
fisance des moyens de répression
établis contre la presse » provo-
quèrent, le lijaoùt, une ordonnance
suspensive de la liberté des jour-
naux (l). Cette mesure, à laquelle
l'affaiblissement marqué de la santé
du roi avait une part non avouée.
(I) Louis XVIII entrevit trop bien le
présage de sa tin prochaine dans cette
précaution niinistéi iolle, car il chargea
expressément le comte de Villèle d'aller
excita une exaspération telle qu'au-
cun homme de lettres ne voulut se
charger personnellement des fonc-
tions de censeur , lesquelles fu-
rent confiées à une commission
secrète, placée sousia présidence du
directeur général de la police. Le
vindicatif auteur du Génie da Chris-
tianisme figura au premier rang
des antagonistes du cabinet. La
susceptibilité de l'opposition s'a-
larma, quelques jours plus tard
(20 août), de la création d'un mi-
nistère des affaires ecclésiastiques,
auquel fut appelé le sage et tolérant
évêque d'Hermopolis. Cette excel-
lente institution, que tous les ré-
gimes postérieurs ont maintenue,
fut représentée comme une conces-
sion servile à l'esprit congréganiste.
On ne manqua pas de rappeler îi
cette occasion la ténacité récente
et hautaine avec laquelle une par-
tie de l'épiscopat avait repoussé la
déclaration du clergé de 1682,
comme base d'enseignement dans
les écoles ecclésiastiques, et le gou-
vernement ne réussit pas à tempé-
rer cet impression par le choix qu'il
fit du baron Cuvier pour la direc-
tion des cultes dissidents. La mort
du roi Louis XVIÏI (16 septembre)
vint donner, pendant qut;lque temps
du moins, un autre cours aux
préoccupations des esprits. Re-
marquable par la finesse et la lu-
cidité de son intelligence, et par
ce sentiment du caractère royal
qui l'avait soutenu et grandi dans
ses longues épreuves, Louis XVIII
l'annoncer à son frère. « Ah ! Villèle,
quelle faute! » s'écria le futur héritier
du trône. Mot remarquable par le dé-
menti qu'il donne à l'opinion générale-
ment accréditée que rien dcja ne se
faisait plus que d'accord avec ce prince.
{Notice sur M. de Villcley etc., p. 118.)
&60
VIL
VIL
conciliait, îi un haut degré, deux
dispositions assez diverses: àsavoir
l'orgueil inné de son titre et de ses
prérogatives avec un besoin domi-
nant de quiétude et de bien-
être, qui le prédisposait natu-
rellement à subir le joug du favo-
ritisme. Livré longtemps à de vifs
regrets par l'éloignement de
M. Decazes, ce n'est que graduel-
lement qu'il s'était abandonné à
Viilèle, dont la haute raison, l'es-
prit dépourvu de culture , mais
plein de ressources et de dextérité,
l'invariable modération, avaient
fini par dissiper ses préventions
contre le parti de l'extrême droite.
En retour de ses témoignages de
confiance, l'habile ministre avait
répandu sur les derniers jours du
vieux monarque une impression
de paix et de sérénité qui préparait
d'heureux auspices au nouveau
règn3. Contre tant de prédictions
sinistres, Charles X succéda sans
opposition et sans secousse à ce
frère dont ses imprudences avaient
plus d'une fois contrarié le systè-
me gouvernemental, et ce ne fut
pas le moindre bienfait de l'admi-
nistration du 14 décembre que ce
rapprochement entre tous les mem-
bres de la famille royale, opéré en
vue de la Révolution menaçante,
sur le terrain de la Charte consti-
tutionnelle. « Le nouveau roi, dit
un judicieux historien, n'étaitpoint
un prince doué de génie, mais de
sagesse et de bon sens; il avait la
dignité de sa vieille race, avec l'a-
menité qui lient à la grandeur.
Apres avoir laissé aller sa jeunesse
dans b;s plaisirs d'une société
habituée aux vices comme à une
partie de l'élégance, il avait été
ramené au sérieux de la vie etkia
la gravité des vertus. Mais son
austérité était clémente ; sévère
envers lui-même , il n'avait retenu
d'indulgence que pourlesautres(i)»
Charles X estimait personnelle-
ment le comte de Viilèle et s'était
toujours montré plein de déférence
pour ses avis. Mais le ministre, qui
connaissait mieux que personne
la droiture des intentions du prince,
la loyauté chevaleresque de son
caractère personnel, n'avait pas
la même foi dans sa portée politi-
que. Il n'ignorait pas que Charles X,
sans conserver contre le système
représentatif cet esprit de préven-
tion et de défiance qu'il avait fait
paraître dans les premiers temps
de la Restauration, tenait au parti
de l'émigration, dont il avait été le
chef et le promoteur, par ces enga-
gements qui entravent l'action du
pouvoir et déconcertent les meil-
leures combinaisons de ses con-
seillers. Viilèle savait k quel point
les affinités, les prétentions, les
tendancesde l'ancien régime étaient
antipathiques à la société nouvelle ;
il redoutait les conflits que les
exigences de certains courtisans
de Charles X soulèveraient infail-
liblement sous un règne que leurs
illusions caressaient depuis long-
temps comme l'idéal du régime
contre-révolutionnaire. Il les re-
doutait jusqu'à dire que les ses-
sions les plus occupées et les plus
difficiles étaient pour lui des ses-
sions de repos, parce qu'au moms
il voyait ses ennemis en face, tandis
que dans les entr'actes de sessions
il était attaqué par derrière (2).
L'intention des deux chefs de l'an-
cienne droite était donc de quitter
le ministère à l'avénemeut du
(Ij Jlist. de France, par M. Lau-
rentie, t. vuf, ch. 7.
(â) Souv. de la Reslaur., par M.
Nettement.
VIL
nouveau règne, et ils n'attendaient
pour la réaliser sans dommage
pour la royauté, que l'appel aux
affaires de quelqu'un des conseil-
lers intimes du successeur de
Louis XVIII. Mais Charles X ayant
déclaré qu'il voulait maintenir le
cabinet que lui avait légué son
frère (i;, Villèle et Corbière ne
crurent pas devoir donner suite
à leur résolution. Les premiers
mois de rétablissement du nou-
veau règne furent marqués par
une impression d'espérance et
de satisfaction dont nos annales
modernes offrent peu d'exemples.
L'ivresse populaire qui accueillit
Charles X à sa rentrée à Paris,
quatre jours après les obsèques de
son frère, rappela les premiers
transports d'allégresse qui avaient
signalé le retour des Bourbons.
« Le comte de Villèle, dit M. Guizot,
profita avec un art infini de sa
position près de Charles X pour
mettre dans sa bouche une infinité
de mots modérés, généreux, pro-
pres à tempérer la réputation de
fougue de son parti (2). » Toutes les
opinions semblaient réconciliées,
toutes les hostilités semblaient dé-
sarmées; l'un des coryphées les
plus ardents du parti libéral , cé-
dant à l'entraînement général , se
surprenait à crier Vive le Roi! et
la presse révolutionnaire elle-
même était réduite au silence de-
vant celte chaleureuse récipro-
cité de sentiments. Le frère de
Louis XVIII répondit par des actes
de clémence et de bonne politique
à la cordialité de cet accueil. Des
commutations de peines furent ac-
cordées aux transfuges français
11) Notice sur M. de Villèle, p. 12:2.
{"2) Mémoires j cfc, t. iv.
VIL
m
condamnés pour avoir porté les
armes contre la France lors de la
guerre d'Espagne ; les déserteurs
des armées de terre et de mer
obtinrent une entière amnistie.
Charles X voulut introduire un
grand principe d'apaisement et de
conciliation entre les deux bran-
ches longtempsdivisées de sa propre
famille, en accordant au duc d'Or-
léans, à sa sœur et à ses enfants
le titre d'Altesse royale que ce
prince avait fait demander vaine-
ment à la méfiance ombrageuse de
Louis XVIII. La Faculté de droit
de Grenoble, supprimée par suite
de quelques troubles auxquels les
élèves avaient pris part, fut rétablie,
et de nombreuses promotions eu-
rent lieu dans l'ordre civil et mili-
taire. Mais de tous les actes de la
bienvenue royale, aucun ne pro-
duisit une sensation plus favorable
que le rapport (29 septembre) de
l'ordonnance qui avait rétabli la
censure dans les derniers jours de
la vie du feu roi. On vit avec sa-
tisfaction le nouveau monarque
s'abandonner généreusement à cette
puissance formidable et capricieuse
que le maitre de l'Europe n'avait
osé affronter, et à laquelle les con-
seillers de Charles X espéraient
opposer avec fruit le contrepoids
salutaire de la légitimité. L'excel-
lent effet de ces mesures fut mal-
heureusement affaibli par une
ordonnance qui limitait à 150 lieu-
tenants-généraux et à 300 maré-
chaux de camp le cadre de iétat-
major. Celte ordonnance, calquée
sur les réformes économiques qu'a-
vaient votées les Chambres, appelait
il !a retraite un grand nombre
d'officiers généraux, et Topposilioa
fit remarquer avec amertume, mais
avec raison, que la réforme attei-
gnait surtout K-s mililairos des
hÇ>2
VU
anciennes armées royalistes qui
avaient dû leurs grades à la ren-
trée des Bourbons. De nombreuses
réclamations s'élevèrent; le mi-
nistre de la guerre en accueillit
plusieurs, et parmi les officiers-
généraux favorisés, on remarqua le
général Exelmans, Tun des enne-
mis les plus actifs et les plus cons-
tants de la Restauration. — Depuis
que le comte de Villèle avait abdi-
qué toute idée de retraite du mi-
nistère , une grande pensée le
préoccupait tout entier ; celle de
préparer le projet de loi destiné à
indemniser les émigrés dont les
biens avaient été confisqués en
vertu des lois révolutionnaires. 11
voyait dans ce projet le triple avan-
tage de fermer, par un grand acte
d'équité, une des dernières plaies
de la révolution, de faire disparaî-
tre une inégalité fâcheuse entre les
propriétés territoriales du même
pays, et de tarir une source per-
manente d'inquiétudes et d'irrita-
tion f.iïire les partis. Villèle ne
négligea rien pour concilier d'a-
vance à celte mesure réparatrice,
par d'imposants suffrages, l'assen-
timent de l'opinion publique. Ce
projet de loi, discuté dans le Con-
seil des ministres, et dans des
réunions d'hommes spéciaux, fut
en outre communiquéaux membres
les plus influents des deux Cham-
bres, et le roi en annonça la pré-
sentation dans son discours d'ou-
verture de la session, le 22 décem-
bre, en ajoutant que a ce grand
acte de justice et de politique
s'accomplirait sans entraîner au-
cune augmentation d'impôts, sans
nuire au crédit et sans retran-
cher aucune partie des fonds des-
tinés aux divers vservices publics.»
Quehiue? jours après, le président
du Conseil présenta à la Chambre
VIL
des députés un projet de loi qui
fixait à 25 millions le montant de
la liste civile comme sous le règne
précédent, et réduisait de deux mil-
lions, par la suppression de la mai-
son de Monsieur, le chiffre de la
dotation affectée aux princes de la
famille royale. L'article  de ce
projet consacrait d'une manière ir-
révocable la restitution faite en 1814
aux princes d'Orléans de l'apanage
constitué à leur profit par les édits
de 1661, 1672, et 1692. Cette in-
tercalation avait pour but de sous-
traire la clause additionnelle aux
critiques du cOié droit de la Cham-
bre qui, peu favorable en général
à la maison d'Orléans , n'eût pro-
bablement pas manqué de repous-
ser, isolée, une disposition qui ten-
dait à consolider son indépendance
politique. Cette bienveillante pré-
caution n'empêcha pas qu'elle ne
fût en butt,e à de vives attaques.
MM. Bazire, Bourdeau, Dudon et
de La Bourdonnaye s'élevèrent
avec force contre celte abrogation
brusque et intempestive de la loi
de 1791. Cependant, malgré l'adhé-
sion formellement exprimée du
côté gauche , dont le général Foy
se rendit l'organe, l'article proposé,
défendu avec force par les ministres
des finances et de l'intérieur, réunit
une assez grande majorité, que les
instances personnelles de Charles X
contribuèrent puissamment à déter-
miner. On dit avec esprit, à celle
occasion, que le ministère avait fail
la contrebande dans les carros,ses de
la cour. Les Chambres discutèrent
successivement les projets de loi
relatifs aux salines de lEst, aux
communautés religieuse., et à la
lépression du sacrilège. Ces deux
derniers projets avaient subi l'é-
preuve d'un débat à la Chambre
des pairs, à la suite duquel le second
VIL
VIL
463
avait été retiré comme incomplet,
et l'autre rejeté à la majorité de
deux voix seulement. Le ministère
reproduisit le projet de loi sur les
communautés de femmes avec des
modilications graduées sur les ob-
jections qu'il avait précédemment
essuyées. IS'ulle congrégation de ce
genre ne pouvait être admise
qu'après la vérification et l'appro-
bation de ses statuts par l'évèque
diocésain et le conseil d'État; l'au-
torisation était accordée par ordon-
nance royale; les acceptations de
donations, les acquisitions à titre
onéreux et les aliénations de rentes
ou d'immeubles étaient soumises à
l'autorisation royale ; nul membre
d'une congrégation autorisée ne
pouvait disposer en sa faveur que
d'un quart de ses biens; en cas
d'extinction ou de suppression
d'une communauté religieuse, les
biens acquis à titre gratuit faisaient
retour aux donateurs; ceux acquis
à titre onéreux étaient attribués
aux établissements hospitaliers ou
ecclésiastiques du département. Le
principal amendement proposé à
la Chambre haute consista à récla-
mer l'inteivention du pouvoir lé-
gislatif pour l'établissement des
communautés. Il fut combattu par
le président du Conseil, qui objecta
que la disposition ministérielle ne
projugeait rien i)Our le mode d'au-
torisation éventuelle des commu-
nautés d'hommes ; mais cette expli-
cation ne put prévenir l'adoption de
l'amendement. Villèle défendit avec
plus d'efficacité l'aUribulion faite
au conseil d'Kiat du droit de véri-
fication des statuts, et lit remarquer
qiie ce conseil, quoique la Charte
ne le compiil pas nommément au
nombre de nos institutions, exer-
çait déjà des prérogatives |)lus im-
portantes encore que celle dont on
proposait de l'investir. En repré-
sentant, le 4 janvier, ^ la Chambre
des pairs le projet de loi sur le sa-
crilège qui avait été retiré l'année
précédente, M. de Peyronnet ex-
pliqua que l'intention première du
cabinet n'avait été que d'atteindre
le sacrilège par cupidité, et qu'en
étendant aujourd'hui les disposi-
tions du projet, il ne faisait que
céderaux réclamations nombreuses
émanées de tous les points des deux
Chambres pour combler, par la ré-
pression du crime de profanation
religieuse, un vide immense de
notre législation actuelle. D'après
le nouveau projet, où ce qui était
l'année dernière le principal deve-
nait aujourd'hui l'accessoire , le
sacrilège proprement dit était puni
de mort; la môme peine atteignait
en certains cas le vol sacrilège, au-
quel, dans le plus grand nombre
de circonstances, la loi décernait
des peines temporaires et même
simplementcorrectionnelles.Levice
de ce projet était de menacer de
rigueurs exorbitantes un attentat
dont le ministre lui-même recon-
naissait l'extrême rareté, et l'oppo-
sition s'emparant habilement de cet
aveu, signala la conception minis-
térielle comme un sanglant hom-
mage rendu à l'influence sacerdo-
tale (.l),objetii'alarmessi exagérées,
mais si générales. Ces considéra-
lions réduisirent à quatre voix
la majorité qui repoussa la subs-
titution de la peine des travaux
{\) M. de Barantc, [La Vie polilique
de Hoyer-Collard^l. ii, p. 212) racoutc
que le jour oii le garde des sceaux piv-
sci.ta ce projet de loi, un magistrat lui
ayant témoigné quelque étoniiement de
cette démarche : •< Nous soiiniies iieu-
reux, lui répondit M. de Pcynuinel,
d'avoir échappé à une loi contre le
blasphème. »
m
VIL
perpétuels à celle de mort pour le
crime de sacrilège; mais le projet
rencontra plus de faveur à la
Chambre élective, dont la plupart
professaient une répulsion outrée
pourloutesleslracesque l'esprit phi-
losophique et révolutionnaire avait
laissées dans la société française, et
la loi y fut accueillie à une forte
majorité. Le président du Conseil
fit j)reuve d'habileté en s'abslenant
de prendre part à ce débat, dont
le caractère, les tendances et le
résultat fournirent, dans un siècle
sceptique, de nouvelles armes aux
ennemis de la Restauration (1). —
Toutes les préoccupations du comte
deVillèle étaient alors concentrées
dans le débat d'un projet de loi
qui, après avoir quelque temps par-
tagé fort injustement l'impopularité
du précédent, a mérité depuis de
prendre une place glorieuse dans la
législation moderne de la France.
Nous voulons parler de l'indemnité
des émigrés. L'équitable idée de
désintéresser ces victimes de la
tyrannie révolutionnaire n'avait
point échappé à Napoléon, consul
et empereur. « Il y a en France,
disait-il au conseil d'État en 1806,
quarante mille émigrés sans moyens
d'existence...; ils demandent la
restitution de leurs biens ou une
indemnité; il faudra bien un jour
faire (juelque chose pour ceux à
qui il ne reste que \0 mille francs
de rente de cent qu'ils avaient au-
(1) La loi sur le fait de sacrilège
proprement dit ne reçut aucune appli-
cation et fut une des premières dispo-
sitions qu'abrogea presque sans discus-
sion la législature de 4830. Par une
regrettable réaction, un amendement
qui proposait d'assimiler les vols com-
mis dans les églises a ceux (■(tmmisdans
les maisons habitées, ne pût môme pas
£tre accueilli.
VIL
trefois... Les émigrés du dehors,
ajoutait Napoléon, sont plus inté-
ressants que les hommes de la
même classe qui ne sont pas sor-
tis; car ils ont eu le courage de
faire alors la guerre, et de faire
aujourd'hui la paix (1). » Mais
l'Empire, absorbé par des guerres
continuelles, avait passé sans ac-
complir cette grande réparation,
dont l'initiative appartenait natu-
rellement au régime qui lui succé-
dait. Dès les premiers moisde 1814,
une loi fut proposée et votée pour
remettre les anciens propriétaires
en possession des biens non ven-
dus, et, dans la séance du 3 décem-
bre, un des chefs les plus illustres
des armées impériales, le maréchal
Macdonald demanda qu'une rente
annuelle de 12 millions fiit inscrite
au budget de 1816, pour être ap-
pliquée aux émigrés dont les pro-
priétés avaient été aliénées révo-
lutionnairement. Cette proposition
obtint une adhésion unanime à la
Chambre des pairs, et tout faisait
espérer qu'elle allait être convertie
en projet de loi, lorsque l'événe-
ment du 20 mars vint entrave rcette
mesure de conciliation. La pensée
d'une indemnité fut plusieurs fois
reprise depuis lors et suspendue,
soit par les embarras incessants
que causaient au gouvernement les
attaques des factions, soit par les
sacrifices qui lui furent imposés
par la guerre d'Espagne. L'heu-
reuse issue de cette guerre, l'état
prospère des finances et la tran-
quillité relative du pays permet-
taient enfin de songer sérieusement
à réaliser ce grand acte de politique
et d'équité, et M. de Martignac vint,
(t) Opinion de Napoléon, recueillie
par un membre du conseil d'Mtatf
p. 272.
!
VIL
le 3 janTier i82o, exposer à la tri-
bune de la Chambre des députés
les motifs du projet de loi destiné
à le consacrer. iM. de Martignac
justifia ayer une noble simplicité
le principe de réparation qui en
faisait la base, et écarta le reproche
de restreindre à une seule classe
des victimes de la Révolution, l'in-
demnité pécuniaire dont le minis-
tère provoquait l'application. Parmi
tous les maux qu'elle avait faits,
la préférence du gouvernement
envisageait les plus graves, les
plus odieux, ceux dont l'origine
consîiluait une atteinte aux droits
les plus saints, et la trace une
causepermanentede divisions etde
haines; seuls, de tous les Français
atteints par la spoliation révolu-
tionnaire, les émigrés avaient tout
perdu à la fois ; la confiscation
lancée contre eux ne fut pas une
peine établie, mais une vengeance
exercée; il importait ({uun exem-
ple mémorable apprit que les gran-
desinjusticesdoivent avec le temps
obtenir de grandes réparations.
M. de Martignac entraitensuite dans
quelques détails sur la partie ma-
térielle du projet. Pour arriver à
une évaluation fidèle du préjudice
causé, le gouvernement avait cru
devoir en général prendre pour
base le revenu de 171)0, réguliè-
rement constaté. Celte base d'esti-
mation avait dû être modifiée pour
les immeubles vendus antérieure-
ment à la loi du 12 prairial an 111,
et l'administration s'en était tenue,
pour apprécier la valeurde ces im-
meubles, au prix même d'adjudi-
cation. Quoi qu'il en soit, le chiffra
total de l'indemnité présumée s'é-
levait Ik 987 millions et tant de
francs, dont le gouverueinenl
allouait l'équivaleui en rentes à
3 p. 1 00, en sollicitant l'aulorisation
LXXXV
VIL
A65
d'émettre, en conséquence, trente
millions de rentes à ce taux, par
cinquième, en cinq ans. Tels étaient
l'esprit et l'économie du nouveau
projetde loi, auquel la commission,
par l'organe de M. Pardessus, ne
fit subir que des modifications
sans importance. Elle proposait
d'appliquer l'excédant des 30 mil-
lions de rentes à réparer les iné-
galités inévitablement attachées
au mode d'évaluation des immeu-
bles, de restreindre au capital des
créances les oppositions formées
par les créanciers des indemni-
taires, en réservant à ces derniers
la faculté de se libérer par le trans-
fert d'un capital égal au montant
de la dette ; la commission pro-
posait enfin de restituer les biens
d'émigrés provisoirem:*nt aflfectés
aux hospices, et, quant à ceux dé-
finiiivement concédés, elle assu-
jettissait l'ancien propriétaire ou
ses ayants cause à conférer aux
établissements détenteurs de ces
biens une rente égale au revenu
net de la propriété réclanire par
eux. La discussion du projet de
loi s'ouvrit, peu de jours après
ce rapport, par un discours de
M. Labbey de Pompières, qui
l'attaqua sous le triple point de vue
(le son piincipe,de son opportunité
dans l'état obéré des finances et
des esprits à l'intérieur du royau-
me, et de son opposition aux pro-
messes et à l'esprit de la Charte.
Ce manifeste, danslequeU'orateur,
soulevant les questions les plus
irritantes, fit en termes amers le
procès à l'cmigralion et ne crai-
gnit point de défendre jusqu'au
principe même de la confiscation
politique, put faire pressentir com-
bien le débat serait passionné, et
k quel prix le ministère obtii-n. Irait
le triomphe de sa proposition.
30
/i66
VIL
M. de Lézardière, abordant ouver-
lemenl, de son côté, i'apologie de
rémigialion, qualifia de « décla-
nijtioii appuyée sur le dogme usé
de la souveraineté du peuple, »
l'inculpation absolue de s'allier à
l'étranger pour repousser de son
pays l'oppression et l'anarchie, et
rappela le récent exemple du ba-
ron d'Eroles s'unissant à Tarmée
de Louis XVlll pour rendre au
roi d'Espagne son sceptre et sa
liberté. Un des membres de la gau-
che, M. Bastenèche, se fit remar-
quer parla fermeté avec laquelle,
heurtant de front les exagérations
modernes de l'esprit militaire , il
entreprit l'éloge du courage civil,
celte qualité si estimable et si dé-
daignée de nos jours. «Ces hom-
mes, dit-il, qui portaient sur Té-
chafaud la dignité de leur carac-
tère d'honneur et de probité, qui,
avant de sortir delà vie, lançaient
sur leur passage ce noble dédain,
celte explosion de mépris qui finit
par exciter une salutaire compas-
sion, le remords et jusqu'à la ter-
reur dans l'ûme des terroristes
eux-mêmes; c'est à cette classe de
victimes et à l'indignation que
provoqua leur belle contenance
parmi la multitude jusque-là trop
indiiférente, que l'on doit le châ-
timent des assassins, la fin des
massacres et le retour de l'ordre
public. Ce n'est pas le courage
militaire qui a seul contribué à
nous sauver; c'est bien plus le
courage civil qui, au dedans de la
France, arrêta le torrent dévasta-
teur, et qui le premier renversa
\t monstre. Honorons avant tou-
tes choses cette indomptable fer-
meléde caractère, qui a ses racines
dans l'âme, el qiii n'a p.is be; oin
d'être excitée par la fermentation
du sang et par la chaleur monien-
VIL
lanée de quelque passion; le cou-
rage civil est si rare parmi leâ
hommes de notre époque, même
dans cettp France féconde en toute
autre espèce de courage et de
dévouement ! » Exa^jéranl au niveau
de ses passions personnelles le
principe de réparation, M. de La
Bourdonnaye accusa le projetd'ètre
conçu « dans un système de dé-
ception,» et lui reprocha de n'avoir
pour objet que d'investir un seul
homme du pouvoir immense et
arbitraire de disposer sans respon-
sabilité, sans surveillance et sans
appel, de là fortune publique com-
me des fortunes privées. Deux au-
tres orateurs de l'extrêmo droite,
MM. de Beaumont et Bacot de
Itomans compromirent le sort de
la loi en lui reprochant l'insufll-
sance de sa libéralité et la consé-
cration implicite du préjudice de
l'expropriation. Enfin, un troisième
opinant, M. de Laurencin voulait
qu'on obligeât les propriétaires ac-
tuels de biens nationaux, à tenir
compte de la plus-value que l'a-
doption de l'indemnité procurerait
néc'îssairement à leurs immeubles.
Lej)résidentduConseilcompritrur-
gente nécessité de retirer le débat
de cette direction périlleuse, et dé-
clara en termes formels que toute
adhésion donnée par la Chambre à
des amendements contraires h la
Charte,entraîneraitle retrait immé-
diatduprojetde loi. L'opposition se
récria vivement contre cette me-
nace; M. de La Bourdonnaye affecta
d'y voir une atteinte grave aux
convenances et aux droits de la
Chambre; le minisire persista et la
discussion continua. Le général
Foy attaqua le projet de loi dans
.son pi'ii;cipe ei dans ses consé-
quences, mais avec plus de mesure
et de dignité que les orateurs qui
VIL
l'araient précédé. 11 contesta au
projet ministériel le caractère de
conciliation qu'on s'accordait gé-
néralement à lui reconnaître, et
signala rindemnilé proposée com-
me ouvrant une ère de vexations
incessantes contre les détenteurs
actuels des propriétés nationales;
pronostic dont l'avenir tint peu de
compte, mais qui répandit dans
l'assemblée une afçitation assez
vive pour amener à la tribune le
ministre promote;ir de la grande
mesure qui soulevait tant d'oppo-
sition. Villèle posa d'abord le
principe immuable de l'irrévoca-
bilité des ventes nationales, et dé-
clara que tous les efforts qui ten-
draient à les iîivalider échoueraient
égalementdevanllesdeux Chambres
et devant la puissance et la volonté
royale. Il s'attacha ensuite à réfuter
l'objection que l'indemnité était
consentie au profit exclusif d'une
seule classe et à démontrer que
cetteconcession, quelquesoin qu'on
prît pour lui donner une assiette
équitable, serait évidemment infé-
rieure à la valeur réelle du capital
dont les émigrés avaient été dépos-
sédés; puis, transiortant la question
sur son véritable terrain/il présenta
l'indemnité comme lecomplément
naturel de la Restauration, comme
une garantie donnée à tous contre
le retour de la confiscation et des
discordes civiles < dont elle était
souvent le but et toujours raliment
le plus actif. ■ L'orateur affaiblit
sans peine la valeur de l'assimila-
tion qu'on sefforç.'iit d'établir avec
les exemples nombreux de confis-
cations exercées sous l'ancien ré-
gime, €n rappelant (pie ces iniqui-
tés n'avaient fait que des victimes
particulières, tandis que la confis-
cation révolutionnaire avait, par
sa généralité, affecté ITvtat tout
VIL
467
entier. Aux détracteurs acharnés
de l'émigration de 1789, il répondit
par un argument personnel qui
produisit une assez vive sensation :
« Les émigrés ont eu tort, dites-
vous, de s'éloignerdusol brûlant de
la Révolution; et que sont devenues
des victimes désignées et néces-
saires au mouvement révolution-
naire qui n'ont pas émigré? Et
si l'auguste monarque fondateur
de la Charte, si le roi qui règne
sur nous n'avaient pas émigré?...
Sans l'émigration do nos princes,
qu'aurions-nous eu en 48U et
après lesCent-Jours à opposer aux
armées de l'Europe établies dans
la capitale? On n'asservit pas, on
ne divise pas un État comme la
France, je le sais et je le pense;
nous aurions fini par rejeter
l'étranger au dehors, je n'en
fais aucun doute. Mais au prix
de combien de sang, de com-
bien de dévastations?... Notre af-
franchissement de l'étranger sans
convulsion et sans honte, nos
libertés publiques, le retour de la
paix générale, la prospérité et le
bonheur dont nous jouissons, nous
le devons à l'émiiiration (jui nouf
a conservé nos princes. > Une dé-
claration auâsi monarchique ne
désarma point l'insistance passion-
née de l'extrême droite. M. Du-
plesBis-Grénédan s'éleva avec une
ardeur excessive contre la nou-
velle loi, qu'il accusa de commettre
une iniquité nouvelle; l'avènement
«eul du pouvoir légitime, dans son
opinion, frappait de nullité les
ventes nationales, cl l'article 0
de la Charte, en déclarant les prn-
nrielés inviolables, devait être en-
tendu des propriétés légilimenicnt
acquises, etnon de celles qui avaient
("{é rolée.'i ; «la justice eU'intiTéide
l'État, concluait le fougueux ora-
A68
VIL
leur.se dressaient contre cette spo-
liation;les héritages vendusdevaient
être appelés, comme le champ du
potier //flfWdrtmrt, le prix du sang. ■
Cette opinion, dont la Chambre
refusa d'entendre les développe-
ments, se résumait à demander
pour les propriétaires dépossédés,
non une indemnité, mais une resti-
tution. Elle attira le lendemain à
M . Duplessis-Grénédan une violente
réplique du général Foy, qui se
prononça énergiquement en faveur
de la validité des ventes nationales
et des droits des acquéreurs. « Lei
l)0ssesseurs des biens nationaux,
dit-il, sont presque tous les fils de
ceux qui les ont achetés. Qu'ils se
souviennent que, dans cette dis-
cussion, leurs pères ont été appelés
voleurs ei scélérats! Qu'ils sachent
que transiger avec les anciens pro-
priétaires, ce serait outrager la
mémoire de leurs pères et com-
mettre une véritable lâcheté. Et si
l'on essayait de leur arracher par
la violence les biens qu'ils possè-
dent légalement, qu'ils se sou-
viennent qu'ils ont pour eux le
roi et la Charte, et qu'ils sont vingt
contre un. » Trois autres opinants,
-MM. Raudel-Mariinet, Martin de
Villiers et Ferdinand de Berthier,
en approuvant le principe de la loi,
critiquèrent le mode d'exécution
et de répartition, dont l'effet serait
déconcentrer à Paris, dans le seul
ministère des finances, quarante
mille affaires, et de dévorer, pour
beaucoup d'émigrés de province, le
bienfait de l'indemnité. Dans un
di.scours remarquable par l'espiit
de conciliation, M. Alexis de
Noailles exprima seulement le re-
gret que radministralion n'eût pas
adopté l'impôt actuel pour base
(i'éraluation, cl que la répartition,
n'eût |)as été confiée pour tous les
VIL
déparlemenis à une commission
tirée du sein des deux Chambres.
M. Benjamin Constant, au contraire,
attaqua avec vivacité le principe
politique de l'émigration, et celte
agression détermina une nouvelle
réplique du ministre, qui déclara
que le cabinet n'avait été entraîné
ii sa proposition que par le senti-
ment du devoir et r»Hat prospère
du pays. Il assura que le sacrilice
demandé n'exercerait aucune in-
fluence défavorable sur la force du
crédit ni, par conséquent, sur la
sûreté extérieure et la dignité de la
France, répondit à quelques objec-
tions de détail sur le mode de li-
quidation et les procédés d'exécu-
tion de la loi, et la Chambre, après
le résumé du rapporteur, passa à
la discussion des articles. Elle
ajouta 'A l'article 1" un paragraphe
qui déclarait l'indemnité définitive,
et modifia la disposition suivante
en adoptant comme base d'esti-
mation, pour les biens compris
dans la premièrecalégorie, dix-huit
fois au lieu de vingt fois le revenu
de 4790. Parmi les autres amende-
ments adoptés par la Chambre, on
remarqua celui qui prescrivait la
distribution annuelle aux Cham-
bres des états détaillés de liquida-
tion, un autre qui abaissait pen-
dant cinq ans, au taux fixe de trois
francs, le droit d'enregistrement
des actes de rétrocession des biens
confisqués entre les possesseurs
actuels et les anciens propriétaires
ou leurs héritiers. Ce dernieramen-
demeiit, combattu avec chaleur par
MM. Foy ft Benjamin Constant,
comme offrant un encouragement
indirect à réintégrer les émigrés
dépossédés, comme une proposi-
tion qui « démasquait le véritable
caractère de la loi d'indemnité, »
fut admis à une forte majorité. Les
VIL
VIL
hÇ>9
ministres s'abstinrent de prendre
pari au vole. LVnsemble du projet
réunit 239 voix contre 424. Le
chiffre élevé de celte minorité
s'expliquait par l'excès déraison-
nable des prétentions et des doc-
trines de l'extrême droite, dont
l'impolilique eût gravement com-
promis le but de la loi, sans la
prudence et la fermeté du minis-
tère. Le lendemain même, la réso-
lution de la Chambre élective fut
porlée à la Chambre des pairs par
le président du Conseil, et M. le
comte deVaublanc, l'un des com-
missaires du gouvernement, en
exposa de nouveau les motifs. Il
insista d'une manière particulière
sur l'amendement qui avait pour
but de faciliter, par la réduction
du droit d'enregistrement, les tran-
sactions entre les anciens et les
nouveaux propriétaires : « Aucune
contrainte matérielle ni morale,
dit-il à celte occasion, ne peut ni
ne doit résulter de l'exception
proposée. » Le ton général de son
discours fut également conciliant.
« La France entière , conclut
M. de Vaublanc, connaît le senti-
ment pieux et paternel qui inspira
au roi qu'elle pleure la résolution
qui s'txécule aujourd'hui. Le be-
soin de réparer une grande injus-
tice et le désir peut-être plus pres-
sant encore de dissiper toutes les
inquiétudes, d'éteindre tous les
souvt^nirs amers, de ramener, de
reunir, de réconcilier, ti*' fut son
but; tel est aujourd'hui l'esprit qui
anime l'héritier de son pouvoir
et de ses atlections. i Le 6 avril,
M. le comte Porialis, oij^ane de
la commission de la haute Cham-
bre, lut un remiircjuable rapport, où
il s'attacha surtout a dissiper les
alarmes de^ possesseurs actuels des
biens vendus révolutionnairemenl.
Tel était aussi l'esprit du principal
amendement proposé par la com-
mission, lequel tendait à valider
toutes les décisions aniérieures de
la justice ou de l'administration
touchant les biens ou les droits
spécifiés dans la loi proposée.
M. Portails termina son rapport eu
adressant « à la mémoire du dernier
roi et à son auguste successeur le
témoignage de la reconnaissance
publique pour une loi qui portait
le double caractère d'un acte de
conciliation et d'un actede justice.»
M. le duc de Broglie, qui repous-
saitlaloi,seprévalut habilement des
amendemenlsqui en avaient changé
le principe, et prélendit que, dès
que l'indemnité était considérée
comme une dette, elle devait re-
monter au temps de la déposses-
sion, et que riniérèt était dû comme
le capital; l'indemnité offerte coub-
lituait une espèce de fonds d'amor-
tissement concédé aux émigrés pour
racheter des biens dont la loi
même dépréciait la valeur; elle
impliquait la reconnaissance des
doctrines de l'émigration et soulè-
verait les esprits au lieu de les cal-
mer. M. de Chateaubriand défen-
dit avec chaleur, au contiaire , la
cause des émigrés, et se prononça
même assez ouvertement en faveur
de la loi. Mais il criticiua amère-
ment les détails du projet et l'ac-
cusa de reposer sur des fictions
propres à en atténuer le bienfait,
telles que l'infériorilé des évalua-
tions, l'absence d'hypothèque du
milliard alloue, lequel, dans son
opinion, ne devait pas excéder un
cliitlre de 531 raillions à partager
eulre les coinléressés ; il reprocha
à l'ancienne propriété de la France
de ressusciter en papier, et it la
conception ministérielle d'échanger
des biens nalionaux contre des
470
VIL
bons nationaux qui seraient bientôt
ntteints de la défaveur dont celte
épithète a frappé les propriétés
qu'ils représentent. « Il serait dur,
conclut-il, que la Providence eût
ébranlé le monde, précipité soui
le glaive l'héritier de tant de rois,
conduit nos armées de Cadix à
Moscou, amené à Paris les peuples
du Caucase, rétabli deux fois le roi
légitime, enchaîné Bonaparte sur
un rocher, et tout cela afin de
prendre par la main quelques obs-
curs étrangers qui viendraient ex-
ploiter à leur profit une loi de jus-
tice et faire de l'or avec les débris
de notre gloire et de nos libertés.»
MM. Cornudet, Mole, le duc de
Choiseulel de Barante combattirent
à divers points de vue l'esprii de
la proposition ministérielle, dont
MM. de Marcellus,de Malleville, d«
Villefranche et de Bouald se cons-
tituèrent hautement les défenseurs,
et ce dernier, exagérant par l'ex-
pression les doctrines développées
dans l'autre Chambre, voulut con-
sidérerl'indemnité comme « une me-
sure de grâce » pour les acquéreurs.
Le président du Conseil entreprit
de répondre à la fois à toutes ces
objections; mais il s'attacha sur-
tout à écarter les reproches for-
mulés par M. de Chateaubriand
contre les fondements du pro-
jet de loi et à démontrer que les
données d'évaluatioFi proposées
étaient les plus rapprochées de
la valeur réelle des propriétés,
les seules admissibles, puisque la
discussion n'avait fourni aucun
autre système sérieux d'estimation
ni dans les Chambres, ni en dehors
des Chambres. Quant aux rentes ^
3 p. iOO, qu'on affectait de consi-
dérer comme une valeur fictive, il
n'était pas douteux qu'elles ne
prissent une existence réelle aus-
VIL
siiut que la loi aurait été promul-
guée. Le ministre fit observer que
l'émission d'une quantité' de rentes
aussi considérable que celle qui
était réprésentée par un capital
d'un milliard, entraînait dans notre
système financier des combinai-
sons telles que le meilleur moyen
d'éviter toute confusion était d'af-
fecter à ce service un effet d'une
espèce différente, en lui appliquant
toute la puissance de l'amortisse-
ment, afin d'en accélérer le rem"
boursemeut sans trop augmenter
les charges des contribuables; par
ce moyen, ajoulait-il, on parvien-
drait, sans nuire à la force du cré-
dit, i racheter, dans le cours de
cinq ans, la moitié des rentes émi-
ses; que si, durant ce laps de temps,
des circonstances extraordinaires
amenaient d'autres besoins, on
trouverait dans le crédit combiné
avec l'extension de l'amortissement
toutes les ressources nécessaires
pour que l'opération ne fût ni en-
travée ni suspendue. Le comte de
Villèle combattit énergiquement
d'ailleurs toute idée de substituer
le 5 p. 100 au 3 p. iOO comme
fonds d'indemnité, ou de prélever
dans cet objet 30 millions sur la
dotation actuelle de l'amortisse-
ment; la conséquence infaillible
d'une telle mesure serait d'abais-
ser ces valeurs à un taux qui ré-
duirait de beaucoup le capital ac-
cordé aux indemnisés; elle con-
damnerait les contribuables à sup-
porter directement toutes les char-
ges que pourraient entraîner des
circonstances extraordinaires, et,
en forçant la France k renoncer
pour l'avenir ^ toute réduction
d'intérêt, elle la placerait dans une
infériorité fâcheuse à l'égard des
autres puissances. Malgré une ré-
pulsion aussi catégorique, M. Roy
VIL
VIL
hl\
reprit et soutint l'amendement qui
tendait à la substitution [iressenlie,
et prétendit qu'elle aitribuerait aux
indemnisés un avantage supérieur
à celui qui résultait de l'économie
de la loi. Le ministre s'éleva avec
une nouvelle énergie contre cet
amendement, et rappela à cette oc-
casion que le premier exemple d'un
emprunt souscrit avec concurrence
et publicité appartenait à l'admi-
nistration actuelle, qui avait par Ik
porté une atteinte salutaire au fléau
de l'agiotage; la proposition dé-
battue ébranlait le crédit en dimi-
nuant l'amortissement, tandis que
le projet de loi laissait au crédit
toute sa puissance. « Vainement, ob-
jectait en finissant le ministre, op-
pose-t-on l'exemple de rAngl«î-
terre : elle n'a diminué l'amortis-
sement qu'après t-u. avoir tiré tous
les fruits qu'elle pouvait en atten-
dre ; la France n'en est pas encore
à ce point; en mutilant la dotation
de son amortissement, elle fixe in-
variablement* l'intérêt de sa dette
publique et s'interdit toute faculté
d'emprunter à un taux plus mo-
déré.» Ces considérations, dévelop-
pées par le président du Conseil
avec autant de compétence que de
lucidité, entraînèrent, mais k une
faible majorité, le rejet de l'amen-
dement de M. Roy, et la loi, sauvée
de cet écut'il, le plus grave peut-
être qui eût menacé son existence,
réunit, le 20 avril, 139 voix contre
63. Il s'agissait maintenant de réa-
liser aux meilleures conditions pos-
sibles pour le Trésor public et les
contribuables, la grande réparation
qu'elle venait de consacrer. Le
président du Conseily avait pourvu
par la présentation d'un projet de
loi qui introduisait dans la dette
publique la création des rentes à
3 p. 100, avec l'intention déclar^
d'affecter ce nouveau fonds au ser-
vice de l'indemnité proposée. Ce
projet de loi fut porté à la Cham-
iDre des députés, le 3 janvier, parle
comte de Villèle lui-même, qui en
développa longuement les motifs.
Après avoir énoncé les considéra-
tions déjà connues, qui ne permet-
taient pas de toucht^r à la dotation
de l'amortissement, le ministre ex-
posa que le gouvernement s'était
arrêté à une combinaison mixte
qui appellerait les fonds généraux
à servir les intérêts des nouvelles
rentes, et qui laisserait à la caisse
d'amortissement la charge de pour-
voir au service de l'autre partie
des intérêts, et le moyen de ra-
cheter annuellement la moitié des
rentes affectées à l'indemnité. On
espérait amortir ou racheter ainsi,
chaque année, 3 millions de rentes
à 3 p. 100, et l'on se flattait que
l'augmentation progressive des pro-
duits suffirait pour acquitter les
3 autres millions affectés au paie-
ment de l'indemnité. L'article 4
du projet constituait la différence
essentielle de cette combinaison
avec celle qui avait échoué l'année
précédente: les porteurs d'inscrip-
tions de rentes à 5 p. 100 avaient
la faculté de faire convertir leurs
litres en inscriptions de rentes
3 p. 100 au taux de 75; et, jus-
qu'au 22 septembre, celle de re-
quérir cette conversion en 4 J/2
p. 100 au pair, avec garantie de
toutreniboursementjusiju'au 22 sep-
tembre 1833. Il y avait lieu de
supposer que les créanciers de
l'État se prêteraient à ce sacrifice
d'intérêts par la perspective de
l'ajgmentation de leur capital, et
l'intention du gouvernement était
d'appliquer, dès l'année 1826, le
bénéfice de cette réduction d'inté-
rêts, évalué à 30 millions, 2i la di-
/i72
VIL
niinulion des contributions direc-
tes, en proportion du soulagement
(jue le Trésor éprouver*»it par l'a-
doucissement graduel du service
des intérêts de la dette publique.
La commission nommée par la
Chambre donna un plein assenti-
ment au projet ministériel; elle en
outra même les conséquences à
quelques égards, et lit remarquer
surtout la différence tranchée qui
existait entre la proposition primi-
tive d'une conversion obligée de
la part des rentiers, et d'une con-
version facultative qui leur était
demandée, et dont le désavantage
était atténué par la sollicitude que
respiraient toutes les dispositions
de la nouvelle loi. La commission
se prononça catégoriquement ,
d'ailleurs, pour le maintien inté-
gral de la dotation du fonds d'a-
mortissement, et produisit à l'ap-
pui des affirmations du ministre
des calculs qui établissaient qu'en
dépouillant l'amortissement de
30 millions, son action s'atl'aiblirait
dans une proportion double de
celle qu'amènerait l'augmentation
de la dette. La discussion s'ouvrit
le il mars. La proposition minis-
térielle fut très - sérieusement
attaquée par M . Bourdeau, qui . dans
un discours fort étendu, eu repassa
successivement toutes les disposi-
tions, et porta sur leur ensemble
un jugement sévère. 11 accusa la
loi d'être moins claire et moins
franche que le projet de 1824,
d'exercer une violence morale sur
la conversion de la renie, de
favoriser raj.4olage dans d'elfrayan-
tes proporiions, et de porter un
préjudice considérable aux intérêts
du Trésor. Le résultat de la pro-
position sera indubitablement de
déobaigcr la dette [jublique , dit
l'orateur, de 28 millions d'intérêts;
VIL
mais le capital s'élèvera de deux
cents millions, et, au lieu d'étein-
dre la dette actuelle en 22 ans, il
faudra plus de 43 ans pour amortir
la dette convertie. Les mêmes ob-
jections furent développées avec
chaleur dans la séance du lende-
main par M. Ferdinand deBerthier,
qui contesta sans exception tous
les avantages dont le gouverne-
ment et la commission avaient
présenté la perspective. Le minis-
tère ne pouvait garder le silence
en face d'une contradiction aussi
puissante, quelque inégale que fût
d'ailleurs la valeur des arguments
employés par ses adversaires. Le
président du Conseil combattit
l'objection déjà réfutée sur le taux
actuel de l'argent, et fit remarquer
que puisque l'option était désor-
mais facultative de la part des
rentiers, il n'y aurait pas de con-
version, si l'intérêt n'était pas in-
férieur au cours de 5 pour 100.
Mais ce qui démontrait l'infériorité
de cet intérêt, c'était le maintien
de la rente au-dessus du pair, mal-
gré la crainte du remboursement.
Le ministre reconnut le fondement
des reproches adressés au déve-
loppement de l'agiotage, mais il
contesta que la rente favorisât plus
que toute autre valeur ce dévelop-
pement, qu'il fallait tout simple-
ment attribuer à « la rage de cu-
pidité » dont la société entière
était tourmentée. «Cet agiotage,
continuait-il, est un mal auquel
vous ne porterez pas remède par
des o ou des 3 pour cent. « Vous
ne te déracinerez quen travaillant à
épurer les viœurs, en faisant en sorte
que l'argent ne soit pas tout dans te
pays, cnptaçani au-dessus de ta for-
tune quelque chose qui attire plus
quelle la considération ci, tes désirs.»
Lii des griefs les plus vifs articulés
VIL
par ropposition contre le .projet
ministériel, fut de prétendre qu'il
n'avait été conçu que pour sauver
de la ruine à laquelle elles se
trouvaient exposées les compagnies
financières, qui l'année précédente
avaient prèle leur concours au plan
de remboursement, et qui, en vue
de celte entreprise colossale, s'é-
taient chargées d'une masse de
rentes 5 pour cent, dont elles sol-
licitaient l'écoulemenl. Cette ob-
jection personnelle fut développée
avec beaucoup de chaleur et d'in-
sistance par MM. Casimir Périer et
Dudon, et surtoui par M. Berlin
de Vaux, qui résuma son discours
parcelle conclusion piquante: «Si
la loi passe, on sortira de cet em-
barras non-seulement sans perle,
mais avec bénéfice ; si elle est re-
jelée, que voulez-vous que je vous
dise? Le deuil sera dans Jérusa-
lem. » Ces révélations, dont la gra-
vité ne pouvait èire méconnue,
n'exercèrent, comme on le verra
plus lard, aucune influence sur
le sort de la loi, et. après ces dé-
bats généraux sur l'ensemble du
projet , on passa à ia discussion
des articles. Le ministre repoussa
avec force un amendement de
M. Boucher qui proposait de ré-
duire ii la dotation primitive de
40 millions le fonds d'amortisse-
ment destine au rachat des renies
5 pour cent, et d'appliquer le sur-
plus partie au rachat de 3U mil-
lions de renies pour l'indemnité des
émigrés, partie à la réduction du
montant des contributions publi-
ques. Un seul amendement pré-
valut, avec l'appui du ministre: ce
fut celui de M. Pavy, qui établissait
des conditions de publicité tt de
concurrence pour les achats de la
caisse d'amortissement. L'ensemble
de la loi passa à une majorité d«
VIL
/i73
118 voix, et le président du Conseil
porta aussiiot cette résolution à la
Chambre des pairs, en faisant res-
sortir le caractère des ditférences
qu'elle présentait avec le projet
que la noble Chambre avait écarté
l'année précédente. «Nous avons,
dit -il, substitué une conversion
libre et facultative à une combi-
naison unique qui entraînait la
diminution d'un cinquième des
intérêts... Cette réduction est limi-
tée aujourd'hui à un dixième, et
donne une garantie de dix ans
contre une nouvelle réduction.
Nous avons remis à l'avenir et à
des mesures nécessairement gra-
duelles et divisées en plusieurs
années l'exercice du droit de rem-
boursement, si la faculté de con-
version n'offrait pas des résultats
tels qu'il nous soit permis d'y re-
noncer complètement.... Enfin, la
réduction aura lieu sans l'inter-
médiaire d'aucune compagnie fi-
nancière, j)ar conséquent sans la
crainte d'agioiage qu'inspirait l'ap-
parition de nouvelles valeurs entre
les mainsde capitalistes réunis dans
un iniérét commun... Vous appré-
cierez à leur juste valeur, disaiten
terminant le minisire, les contra-
dictions des adversaires du projet
de loi et les vues du gouverne-
ment... Vous consullerez la loi du
crédit public dans les autres pays,
et vous jugerez si celui de la
France, après tous les sacrifices
qu'elle a laits pour le fonder, et
qu'elle continue pour le soutenir,
ne vous autorise pas , ne vous
commande pas même de chercher
à en rendre les conditions moins
pesantes aux contribuables, moins
contraires aux iulcrèts agricoles,
commerciaux et industriels du
pays. » La commission nommée
pour l'examen du projet en pro-
klll
VIL
posa l'adoption sans amendement,
par rorg;ane du duc de Lévis. Le
noble pair rappela que la répulsion
de la Chambre, Tannée précédente,
s'était moins adressée au principe
incontestable du droit de rembour-
sement, qu'aux moyens d'exécu-
tion, qui avaient paru peu d'accord
avec les formes du gouvernement
représentatif. Pour répondre au
reproche fait au nouveau projet
d'entraîner l'augmentation du ca-
pital de la dette publique, le duc
de Lévis invoqua raulorité du cé-
lèbre géomètre Laplace, qui, par un
calcul irréfutable, établissait que
chaque rente acquise par la caisse
d'amortissement rendrait à l'État,
par sa réduction de 5 à 4 pour
cent, plus que l'excédant de capital
qui était soldé par la caisse, et
qu'en dirigeant convenablement
l'artiou de l'amortissement, le gou-
vernement pouvait, dans tous les
cas, conserver une partie considé-
rable du bénéfice de la réduc-
tion de la rente. Ces recomman-
dations ne mirent point le pro-
jet à l'abri de nouvelles attaques.
M. Roy combattit par une suite
de calculs et de raisonnements
plus ou moins spécieux l'emploi
médité de l'amortissement, et posa
en fait que l'augmentation du ca-
pital de la dette rendrait le rem-
boursement impossible. M. de Ker-
gorlay considéra le refus du mi-
nistère de s'expliquer sur l'action
de l'amortissement par rapport au
Ij p. 4 00. comme une menace desti-
née a forcer les délenteurs à cette
conversion qu'il leur présentait
comme f;icullative. Mais l'adver-
saire le ])liis ardent du nouveau
projet fut M. de Chateaubriand,
qui blâma amèrement le cabinet de
venir demander la convprsion des
rentes à la première session d'un
VIL
nouveau règne, et dans l'état d'in-
certitude où flottaient les limites,
les inslituUons, les principes de la
société europ'^enne. L'éloquent écri-
vain fit apparaître aux yeux des ren-
tiers et des contribuables la pers-
pective alarmante du système de
Law et des réductions de l'abbé
Terray, et conjura les dépositaires
du pouvoir « de ne pas dédaigner
des prévoyances salutaires parce
qu'elles leur sembleraient sortir
d'une bouche suspecte, » Le comte
de Villèle répondit à ces appréhen-
sions par un discours dans lequel
il s'efforça de restituer au projet
son véritable caractère, et déclara
qi>e la Chambre, en l'adoptant, «ne
compromettrait ni la paix intérieure
ni la sûreté extérieure de la
France. » Les derniers débats s'é-
tablirent sur un amendement du
comte Mollien, qui demandait que
le fonds d'amortissement fût appli-
qué, par une disposition spéciale,,
aux fonds publics constitués en 5,
en 4 1/2 et en 3 p. 100, proportion-
nellement à la portion qu'il repré-
senterait dans le capital total de la
dette publique. Le ministre des
finances admit en principe le par-
tage réclamé, mais il soutint que
le but de l'amendement était at-
teint plus complètement dans la
disposition du projet. Elle ne con-
tenait aucune exclusion, et l'indé-
pendance de la direction de la
caisse d'amortissement ne permet-
tait pas de supposer qu'elle |)ût
favoriser l'agiotage ou les spécula-
tions de quelques maisons de ban-
que, de préférence aux intérêts
généraux de l'Ktat. L'amendement
de M. Koy fut rejeté à une faible
majorité, et la loi, affranchie de ce
dernier obstacle, passa k L'U voix
contre 02. Ainsi se termina cette
longue et épi neu.se discussion qui
VIL
VIL
475
conslilue, avec celle de l'année
précédente et le débat de la loi
d'indemnité, une trilogie parlemen-
taire à laquelle nous avons dû con-
sacrer quelques dt-tails, soità cause
de l'importance des questions qui
y furent débattues, soit à raison du
talent incontestable que Villèle y
déploya. Quand on parcourt au-
jourd'hui les phases diverses de ces
mémorables délibérations, il est
difficile de n'être point frappé de
celte droiture et de cette sûreté de
dialectique que ne déconcertent ni
les chicanes les plus spécieuses ni
les attaques les plus vives, de cette
lucidité de perception qui éclaire
les points les plus obscurs des
questions les plus arides, enfin de
cette fécondité de ressources qui
ne laisse jamais l'orateur au dé-
pourvu, et qui témoigne combien
le mouvement de son intelligence
avait été activement stimulé par le
contact des affaires publiques. Mais
l'événement ne justifia que très-
imparfaitement les prévisions finan-
cières de Villèle. Le 5 p. 100, alors
au-dessus du pair, au lieu de s'é-
lever comme il l'avait espéré, tomba
par une décroissance continue à
99 fr. 50 c, et ce discrédit boule-
versa tout le succès d'une concep-
tion essentiellement fondée sur la
faculté d'appliquer au nouveau
fonds, à l'exclusion de tout autre,
la puissance de l'amortissement.
Le 3 p. 100, de son côté, subit une
baisse de 4 francs (i). Vainement
le ministre déploya toute son in-
dustrie, toutes les ressources même
de son autorité pour lutter contre
(1) Cette dcpréciation ne fut que pas-
sagère. Cinq ans plus tard, W 3 p. 100,
confornit^mcnt aux espérances du mi-
nistre, atteignait le taux élevé de 86 fr.
celte dépréciation; vainementcons-
titua-t-il une association des rece-
veurs généraux de soixante-dii-
huit départements dans l'objet spé-
cial de soutenir, par dos opérations
appropriées « de banque et de
finance, » le crédit des deux va-
leurs. Ces efforts ne purent arrêter
la baisse des nouveaux titre».
L'opposition mit en œuvre tous les
moyens dont elle put disposer pour
entraver l'effet des combinaisons
ministérielles. Elle fut puissamment
secondée, d'ailleurs, par l'état de
gène qu'avaient amené sur la place
de Londres les entreprises exagé-
rées auxquelles ces opulents insu-
laires t'étaient livrés dans les co-
lonies espagnoles insurgées, et qui
détournèrent leurs capitaux de
l'emploi qu'aurait pu leur fournir
la réduction de ia dette française.
La conversion facultative, contra-
riée par ces obstacles, produisit
néanmoins un dégrèvement annuel
de plus de 6 millions dans les
charges du pays. Mais les rentier?
perdirent un cinquième de leur
revenu sans aucun accroissement
de leur capital : résultat regretta-
ble, sans doute, et qu'on ne sau-
rait, toutefois, mettre en balance
avec les bienfaits politiques de la
grande et belle loi dont l'adminis-
tration de Villèle avait doté U
France. — La discussion du bud-
get de <826 présenta à la Chambre
des députés un intérêt assez mar-
qué. Le crédit demandé excédait
de 16,571,319 fr. celui qui avait
été alloué en 1825. Le ministre des
finances expliqua que cette aug-
mentation portait principalement
sur le budgetde la dette consolidée
régie en prévision du payement de
l'indemnité qui serait votée en fa-
veur des émigrés, de celui du mi-
nistère de la justice, où les frais de
476
VIL
VIL
justice criminelle n'avaient été
soldés jusqu'ici qu'au moyen de
crédits supplémentaires, et qui re-
cevait maintenant une allocation
fixe et déterminée, enfin du budget
des affaires ecclésiastiques, où figu-
rait la création de quatre cents
nouvelles succursales et de six cent
soixante-quinze bourses dans les
séminaires , etc. Villèle constata
que, même avec ces augmentations,
et bien que la plupart des services
eussent reçu une dotation supé-
rieure à celle de ^82^ (i), le
budget, amélioré par un grand
nombre de réformes sagement en-
tendues, présentait un excédant de
recettes de 8 millions, même sans
tenir compte « de l'accroissement
probable de prospérité nationale,
d'activité et de richesse indi-
Tiduelle dont les accroissements
progressifs des reyenus publics
étaient la conséquence et la dé-
monstration. » La faveur de celte
situation, c-onûrmée par les rappor-
teurs de la Cliambre, ne préserva
point l'ensemble du système gou-
vernemental des vives critiques
de la double opposition. M. Bacol
de Komans s'éleva contre la cen-
tralisation, et censura amèrement
cette partialité dans la distribution
des emplois publics qui fut et sera
dans tous les temps la plaie de
l'administration française. M. Lâb-
bey de Pompières affirma que la
prétendue prospérité de l'Etat n'é-
tait u que dans la bouffissure d'un
(1) Parmi ces améliorations, on re-
marquait l'abaiidoii de 3 millions de
retenues établies sur les traitements,
un dcgrévemciit de 13,500,000 fr. sur
la conlribulioii foncière, une augmen-
tation de (>31,7io Ir. sur les traite-
ments des magistrats de première iis-
taiice, etc.
crédit que la secousse la plus lé-
gère faisait chanceler. » Le géné-
ral Foy, prenant ombrage d'un
voyage accidentel que M. le prince
de Mellernich venait de faire à
Paris, insinua qu'il se rattachait
au bruit de certaines tentatives
dirigées contre nos libertés pu-
bliques. Le président du Conseil
lui répondit que nos formes gou-
vernementales était respectées de
<out le monde, que jamaisla liberté
de la presse n'avait joui d'une
pareille latitude, et que ceux qui
réclamaient le plus vivement l'u-
sage de cette liberté étaient ceux
qui semblaient travailler avec le
plus d'ardeur à la faire craindre
de la société entière. Villèle réfuta
avec la même autorité un autre
grief du même orateur, qui repro-
chait au ministère de n'avoir pas
retire de l'expédition d'Espagne
l'avantage de remplacer l'inlluence
anglaise dans les colonies espa-
gnoles; il fit remarquer que l'ins-
tallation de cette influence était un
des fruits de la déplorable guerre
de 4808, et que tous les etîorls du
gouvernement royal tendaient à
participer avec la Grande-Bretagne
au commerce de ces colonies ; que
pour obtenir davantage il eût fallu,
à son exemple,reconnaitre leur in-
dépendance, mais que l'honneur in-
terdisait celte démarche au chef
de la maison dont un membre était
assis sur le Irone d'Espagne.
La loi de finances réunit, sur 339
votants, 286 sutfragcs, et fut adop-
tée à lu presque unanimité par
la Chambre des pairs. — Le sacre
de Charles X suivit de près la clô-
ture de la session législative. Cette
imposante consécration avait man-
qué à Louis XVIII, confiné dans
son palais par de douloureuses
infirmités. Son successeur voulut
VIL
lui rendre le caractère de pompe
et de dignité qu'elle avait depuis
longtemps cessé d'offrir. Une com-
inission présidée par le comte de
Villèle fut chargée de régler les
détnils de la cérémonie; d'habiles
architectes furent envoyés à Reims
pour restaurer Tanlique basilique
qui, depuis Clovis, avait conservé
le privilège de recevoir le sermeni
des rois de France. Les chroniques
contemporaines ont recueilli les
détails de cette majestueuse so-
lennité, où toutes les pompes de
la religion chrétienne s'unirent
aux prestiges de l'art pour régé-
nérer aux yeux des peuples cette
royauté qu'un quart de siècle à
peine, séparait de tant d'humilia-
tions et d'outrages. Charles X
reçut, dans la journée du 30 mai,
les chevaliers nouvellement pro-
mus dans l'ordre du Saint-Esprit.
Le hasard appela simultanément
au pied du trône le comte de
Villèle et le vicomte de Chateau-
briand. Ce dernier avait essayé de
ménager son retour aux affaires
par un écrit vivement monar-
chique, sur la solennité du sacre;
mais il n'obtint de Charles X que
quelquesparoles courtoises, et cette
circonstance ne changea rien à ses
rapports envers son ancien collè-
gue, nienvers la cour. Larentréedu
roi à Paris excita moins d'enthou-
siasme que sa première apparition
dans la (•a[)itale après la mort de
Louis XVIIL Cette circonstance fut
expliquée soit par la mobilité trop
connue des impressions du peuple
parisien, soit par l'espèce d'ombrage
que lui avait inspiré la préférence
traditionnelle donnée U la ville de
Reims pour une cérémonie qui af-
fectait également sa curiosité et ses
intérêts. Toujours prêt à déverser
rinsulte et le sarcasme sur !< s cho-
VIL
[ill
ses les plus augustes, le poète Bé-
ranger, dans sa verve impie, n'é-
pargna ni le cérémonial de Reims,
ni les vertus du monarque qui l'a-
vait inauguré. Mais cette période
d'éclat et de clémence inspira à
MM. de Lamartine et Victor Hugo,
des cantates pleines de senti-
ment et d'élévation. Un incident
fâcheux vint témoigner toutefois
de l'affaiblissement progressif de
l'esprit conservateurdans les hautes
sphères de la société. Deux jour-
naux bien connus pour la tendance
irréligieuse de leur doctrines, le
Constitutionneleik Courrier Français
furent traduits sous cette préven-
tion devant la cour royale de Paris.
MM.Dupinei Mérilhou, chargés de
la défense, soutinrent que ces
feuilles n'avaient attaqué que les
abus qui déshonoraient la religion,
et que leurs agressions n'étaient
dirigées que contre l'introduction
illicite d'ordres religieux dont
l'existence menaçait l'indépen-
dance du trône et des liliertés
publiques. Docile en cette circons-
tance, comme en tant d'autres, au
courant des idées, sensible peut-
êlre à l'ambition de ressaisir ce
rôle d'athlèie deslibertés gallicanes
qui avait appartenu aux parle-
ments, la cour acquitta les deux
journaux (3 et 5 déc.} et se borna
ingénument à recommander plus
de circonspection à leurs rédac-
teurs. Ce résultat, dont les consé-
quences se développèrent succes-
sivement, excita une grande
sensation. La mort du général Foy
fournit au pouvoir un autre ensei-
gnement. L'éloquent orateur ne
laissait d'autre patrimoine qu'un
nom honorable et le souvenir d'un
talent plein d'éclat, parfaitement
assorti surtout à ce mélange d'i-
dées impérialistes et libérales qui
i78
VIL
constituait pour lors le thème d'une
partie notable de l'opposition. Une
souscription ouverte pour élever
un mouumentàsa mémoire et pour
assurer à sa famille une existeiice
convenable, s'éleva rapidement à
un million. Ses funérailles, qu'es-
corta une foule innombrable, eurent
également lieu aux frais de la mu-
nificence publique. On remarqua
que M. le duc d'Orléans qui, par
la médiation de Charles X lui-
même (1), avait été compris pour
un chiffre très-élevé dans l'indem-
nité accordée aux émigrés, sous-
crivit personnellemcni pour une
somme de dix mille francs. La mort
du czar Alexandre, qui survint à
cette époque (1" déc), n'exerça
aucune influence sur notre politi-
que extérieure. Ce prince s'était
montré en 1814 peu favorable au
rappel des Bourbons; mais il n'a-
vait pu contrarier le seul vœu qui
eût été formé en cette circonstance
par les classes indépendantes du
pays, le seul aussi que l'exclusion
de la dynastie napoléonienne per-
mît raisonnablement de conce-
voir (2). La France n'avait pa«
(1) Il régnait encore à cette époque
une certaine confusion dans la liquida-
tion non achevée de l-i fortune de M.
le duc d'Orléans, ce qui entraînait quel-
que incertitude dans la lixation de sa
part d'indemnité. Ce prince s'adressa
à Charles X lui-même, qui lit rendre au
conseil d'Etat un avis favorable aux
intérêts de son cousin, par suite du-
quel, contre l'opinion du comte de
Viilèlc , son indemnité fut réglée dans
un sens conforme aux prétentions qu'il
avait élevées. Sa pari fut de dix-sept
millions.
(2) Personne n'ignore que lorsqu'à la
seconde invHj^ion dis étrangfirs en 1815,
Lafayetlc, Voyer-d'Argcuson, Poni.»;-
coulant, LaforCt et Sébasliani sollicitè-
rent de l'empereur Alexandre, k I!a-
gucneau, une audience pour en obtenir
VIL
oublié la modération de sa con-
duite à sa première entrée h Paris,
ni sa bienveillante entremise en
isn, auprèsdu duc de Wellington,
pour aplanir l'exécution de l'o-
néreux traité du 20 novembre.
Deux mois après, le 31 janvier, le
roi ouvrit la session législative
par un discours où il annonçait que
le développement de la prospérité
publique permettait d'améliorer
la dotation de plusieurs services,
et d'ajouter un nouveau dégrève-
ment de 19 millions à celui qui
avait été obtenu l'année dernière
sur les contributions directes. Deux
points de ce discours fixèrent plus
particulièrement l'attention publi-
que. Charles X annonçait la pré-
sentation d'un projet de loi sur la
répartition de l'indemnité stipulée
antérieurement par suite de la
reconnaissance de Saint-Domingue
comme État indépendant, et celle
d'un autre projet destiné à arrêter
qu'il exclût formellement du trône de
France, de concert avec ses alliés, tout
prince appartenant à la maison de
Bourbon, ils ne purent être admis.
Circonstance qui indique assez que le
czar, malgré les fautes qu'avait com-
mises la première Restauration, regar-
dait le gouvernement de Louis XVIII
comme le seul rompatible avec les
vrais intérêts de la nation française et
de l'ordre public européen < La mort
inattendue de l'empereur Alexandre,
dit M. de Neuville, fournit au comte de
Villcle une nouvelle occasion de mon-
trer avec quel soin il évitait tout ce qui
pouvait amener l'abus des dépôcbes
tcIcgraphiqucR. Celle qui annonçait la
mort (le ce prince était parvenue an
président du Conseil après l'iicurc où
elle pouvait être utilement arilchée ii la
Bourse. Non-seulementle ministre gai'da i
à cet épard le secret le plus absolu, ^<
mais il pria instammcrit le roi de vou-
loir bien agir de même. Grâce à ces
précautions, il n'y cul .uicun mouve-
ment dans les cours du jour. » {Nolico)
sur le comte^e Villèle, p. 13i et 133.
il
VIL
le morcellement progressif de la
propriété foncière. Le roi, en ter-
minant, exhortait les pairs et les
députés à ne pas s'émouYOir plus
que lui-méma «de ces inquiétudes
irréfléchies qui agitaient encore
quelques esprits malgré la sécurité
générale, et promettait de concilier
ce qu'exigeait l'exercice des liber-
tés légales avec le maintien de
l'ordre et la répression de la li-
cence. » La première question sur
laquelle le président du Conseil
eut à prendre la parole fut celle de
la traitedes noirs, donlune pélition
adressée à la Chambre des députés
réclamait la répression efficace. Le
comte âe Villèle s'exprima avec
énergie à cette occasion sur le
droit de visite, et déclara que le
gouyernement n'admettrait jamais
qu'il s'exerçât sur les bâtiments
français , « et qu'ils pussent êtia
traités comme pirates sous le bou
plaisir des gouvernements étran-
gers. » Quelques jours plus tard,
le chef du ministère présenta à la
Chambre le projet de loi qui réglait
la répartition des 150 millions for-
mant l'indemnité applicable aux
anciens colons de Saint-Domingue,
d'après l'ordonnance du 17 avril
précédent. Le comte de Villèle
exposa que, par le traité du 30 mai
48U, les puissances européennes
avaient reconnu au roi de France
le droit de ramener sous son obéis-
sance, même par la voie des armes,
la populationde cette colonie, mais
que l'intérêt de riiumanilé, celui
du commerce français, celui des
colons dépossédés, celui des ha-
bitants actuels de l'Ile avait dû
faire préférer à la voie des armes
le parti d'une transaction. Aux ter-
mes de l'article i-i de .a Ch.irte,
la convention intervenue avec
l'Lial de Haiii rentrait eiclusive-
VIL
479
ment comme traité dans les pré-
rogatives du pouvoir royal; mais
plusieurs de ses conséquences
appartenaient à l'examen du pou-
voir législatif, et le projet avait
pour base de fixer ces conséquen-
ces, sur lesquelles les délibérations
de la Chambre s'ouvrirent peu de
jours après. La discussion fui
longue et animée. MM. Agier, Ba-
cot de Romans, de Beaumont, de
La Bourdonnaye, de Berlhier ,
tous orateurs de la contre-opposi-
tion royaliste , contestèrent au
gouvernement le droit d'aiiéuer
une portion du territoire apparte-
nant à la France; ils blâmèrent
comme dépourvue de toute dignité
celte reconnaissance faite au nom
de la maison de Bourbon, « d'une
république d'esclaves révoltés.» et
comme illusoires les conditions
pécuniaires imposées à l'Éiat dont
on proclamait l'émancipation. Le
président du Conseil répondit que
les anciens colons, les seuls lésés
dans la répartition proposée, n'a-
vaient pu exiger que le roi entre-
prît pour eux une expédition dont
les chances jiouvaient gravement
compromettre les intérôis du tré-
sor; il soutint, ce qui était fort
contestable, que sous l'anciendroit
les rois de France avaient toujours
pu céder des portions du sol colo-
nial sans le concours des états gé-
néraux ou des parlements, et ras-
sura ses contradicteurs sur l'éten-
due des ressources financières de
notre ancienne colonie; enlin il in-
sista sur l'avantage de soustraire à
jamais Haïti, par la reconnaissance
(le son gouvernement, aux influen-
ces des fauteurs de guerre et de
discorde. Un amendement de Ben-
jamin Constant, qui voulait (]Uo la
Chambre saisit cette occasion de
proclamer le principe fondamental
m
VIL
de l'inaliénabilité du territoire
français hors du concours des
Chambres (1), ramena à la tribune
Villèle. qui fit remarquer que l'ora-
teur, sous une forme incidente, ne
demandait rien moins qu'une yé-
ritable addition au pacte constitu-
tionnel ; l'amendement fut écarté,
et le projet admis à une majorité
de i7o voix. La résolution des
députés éprouYa quelques contra-
dictions assez sérieuses à laCham-
bre des pairs. Le i)rincipe en fut
attaqué par MM. de Montalembert,
de Chateaubriand, de Lally-Tolen-
dal et de Filz-James, et la Cham-
bre parut hésiter sur un amende-
ment de la commission qui inter-
disait aux créanciers des colons
toute action pour le paiement
d'intérêts jusqu'au jour où avait
cessé l'effet des sursis accordés
|)arles lois. Le ministre des finan-
ces fit repousser cet amendement
à la majorité d'une seule voix, en
déclarant que le gouvernement
était dans l'intention de continuer
des secours à ceux des colons que
l'indemnité ne mettait pas en me-
sure de s'en passer. Mais les con-
clusions du rapport du baron Mou-
tl) La proposition de Benjamin Cons-
tant était, il faut le reconnaître, fondée
sur Tancign droit public français. L'as-
semblée réuniea Cognac, en 1526, après
la captivité de PYançois I", refusa ou-
vertement de ratifier le traité par lequel
ce monarque avait cédé la Bourgogne à
l'empereur Charle^-Quint comme ran-
çon de ba lll)erté. Cette assemblée pro-
clama nettement que « le roi de France
n'avait pas le droit d'aliénei- une por-
tion (lu territoire soumis d son scrp-
tre, s;ins le double consentement des
états généraux et de la province frap-
pée de cette distraction. » Nous dou-
tons que le comte de Villcle eût pu jus-
tifier par des raisons solides la distinc-
tion qu'il essayait d'établir entre le sol
patrimouiul elle territoire colonial.
VIL
nier, entièrement conformes d'ail
leurs au projet ministériel, obtin-
rent 135 suffrages sur loi votants.
L'ordonnance du 17 avril 1825 et
la loi qui en lut la conséquence
sontdemeurées aunombre des actes
les plus généralement approuvés
du régime de la Restauration. Un
des détracteurs les plus acharnés
de ce régime , les qualifie eu ces
termes : « Avantageuse , dit-il à
toute une population de proprié-
taires dépossédés qui luttaient
contre la misère depuis trente-cinq
ans, et à qui elle donnait 150 mil-
lions à partager, favorable à notre
commerce maritime et à la produc-
tion nationale , à laquelle elle
assurait le monopole d'un riche
marché, cette transaction fut une
œuvre de bonne administration,
autant que de politique intelligen-
te (1). /> La faveur accordée par le
parti libéral à l'émancipation de
Saint-Domingue n'était pasexemp-
te sans doute de l'espoir de voir
étendre cette reconnaissance aux
nouveaux États de l'Amérique
méridionale. Le ministère crut
devoir y répondre en introduisant
des hommes de toutes les nuances
politiques dans la commission
formée pour la répartition de l'in-
demnité. Il est de notre impartia-
lité d'ajouter que l'avenir ne jus-
tifla qu'en partie les prévisions
ministérielles, et que plusieurs
esprits sages et éclairés condam-
nèrent, dès lors et plus tard, la
transaction proposée par le cabi-
net et sanctionnée par les Cham-
bres. Voici notamment en quels
termes un des plus honorables
serviteurs de la Restauration, l'a-
(1) Hisi. des deux fiest., par A. de
Vaulabclle, t. vi, p. 393.
VIL
miralJurien- Lagravièrft» s'exprime
à ce sujet dans ses Souvenirs ré-
cemment publiés : « Le recouvre-
ment de Saint-Domingue, dit-il,
eût été une entreprise facile, si ou
l'eût fait précéder d'une recon-
naissance absolue et solennelle de la
liberté dps noirs... Le gouverneur
général des Antilles françaises, le
comte Donzelot, répugnait à cette
transaction. Il connaissait mieux
que le cabinet des Tuileries la
situation fmancière de notre an*
cienne colonie, et prévoyait qu'on
n'en obtiendrait jamais que des
promesses, tandis que si Ton savait
attendre quelques années encore,
la force des choses nous rendrait
nécessairement une possession sur
laquelle nos droits étaient demeu-
rés incontestés (1). « Il serait in-
juste toutefois de mettre entière-
ment sur le compte de l'impré-
voyance du ministère la caducité
des résultats de la loi qu'il avait
provoquée. Les engagements res-
pectifs des deux gouvernements
furent bientôt méconnus à la suite
de la révolution de 1830; l'in-
demnité stipulée fut réduite au
tiers environ des 150 millions qui
avaient été promis, et les autres
conditions du contrat de 1825 fu-
rent abandonnées (2). La présen-
tation du projet de loi sur le droit
d'aînesse et les substitutions vint
bientôt fournir aux préoccupations
publiques un nouvel et dangereux
aliment. Celle mesure, moiiiée par
la progression du morcellement de
(1) Revue des Deux-Mondes^ 1" avril
1860.
(2) Souvenirs de radminisl ration
financière de M. de Villele, par .M. le
marquis d'Audifiet, p. 310 Le traité
portant rt'Jacliun de l'indemnité priini-
tiyemenl stipulée est du 12 février 1838.
LXXXV
VIL
hSl
la propriété foncière, avait pour
but de donner à la royauté happai
d'une aristocratie territoriale con-
tre les envahissements chaque jour
plus manifestes de l'esprit démo-
cratique. Elle tendait aussi à ravi-
ver l'esprit de famille atteint par
l'égalité des partages, et à y rame-
ner des habitudes de respect trop
effacées par les mœurs modernes.
Ces vues étaient louables, mai»
le succès politique de la conception
ministérielle reposait sur une vé-
ritable illusion. Une aristocratie
fondée sur un point d'appui aussi
fragile, aussi éphémère que celui
du paiement de l'impôt, ne pou-
vait constituer une assistance sé-
rieuse. En prévision d'un succès
douteux, et sans tenir compte des
difficultés pratiques, le projet ten-
dait à faire revivre un privilège
éteint depuis trente-six ans, et
à créer entre les deux sexes,
entre les membres d'une même
famille, entre les citoyens d'un
même pays, une inégalité ouverte-
ment opposée aux mœurs actuelles.
« On a pu dire souvent, observe à
cette occasion M. de Barante, que
la nation française ne sait pas bien
ce qu'elle veut ; mais, à tort ou i
raison, elle sait parfaitement ce
qu'elle ne veut pas, et l'on est as-
suré de la trouver ombrageuse et
récalcitrante, dès qu'elle croit voir
la moindre apparence d'un retDur
à l'ancien régime (l). » Cette
inspiration malheureuse rencontra
en effet dans les diverses classes de
la société une répulsion univer-
selle. De tous les points de la
France affluèrent à la Chambre
des pairs, où le projet de loi fut
{\) La Vie politique de M. Hoyer-
CoUard, etc., t. ii, p. 265.
31
i82
VIL
VIL
d'abord porté, des réclamations
auxquelles l'esprit départi demeura
le plus souvent étranger, et qui ne
furent pour le plus grand nombre
qu'une honorable expression des
susc;-ptibiliîés publiques. Ce fut
sous ces râchrux auspices que s'ou-
vrit le débat de cette !oi qui, dans
toute succession déférée à la ligne
ascend:uitc et payant 300 fr. d im-
pôt foncier, aliribuail la quotité
disponililrf au-prem.er né du dé-
funt, en cas de silence de sa part.
Le projet permettait en outre à
cha(iuc citoyen de donner, par
acie entre vifs ou testamentaire,
avec !a c'narge de les rendre à un
ou plusieurs enfants du donataire,
les biens dont les articles 913, 91S
et 9 1 6 du Code civil lui réservaient la
libre disposition. Le président du
Conseil ne prit qu'une part secon-
daire à celte discussion dont l'iui-
tiativH et le poids appartinrent
presque exclusivement au garde des
sceaux. Malheureusement ce mi-
nistre !ui-mè(ne n'avait aucune
conlianee dans le mérite ef l'effi-
cacité de U mesure qu'il et. il
chargé de soutenir. Il a d( claré
plus tard, dans une circonstaiice
soiemielle, qu'il n'avait fait que
céder, en la proposant, au vœu des
Chambres, ce qui était vrai, et que
le moment d'une pareille loi,
« était {)assé (1). >; Le comte de
Villele ne parla qu'une fois dans
cette disiîussion, el s'attacha surtout
à jus'ilier la partie m.:térielle du
projet [)iiv la production des docu-
ments capables d'établir les pro-
grés du inorceliemeiit terriiorial.
Il résulta t de ces documents la
preuve irrécusable de l'auguienta-
(!) Discours prononcé devnnt l.a cour
des pairs, séance de 19 dér. 1830.
tiou générale des cotes et de la
réduction de celles qui étaient in-
férieures à 1,000 francs; mais le
ministre convint que ces variations
pouvaient dépendre, de causes di-
verses, et que lopération avait em-
brassé un nombre d'années trop res-
treint pour offrir des résultats con-
cluants. Il nppuyaun amendement
de la commission qui réduisait
dans une forte proportion le nom-
bre des fortunes sur lesquelles
porterait l'insiitulion du préciput
légal, et insista d'ailleurs avec
force sur les inconvénients de la
division indéfinie et sur les avan-
tages de la grande culture. La
Chambre des pairs écarta à une
faible majorité le principe du pré-
ciput légal, et rarlicie 3, relatif à
la faculté de substitution, demeuré
seul soumis au débat, fut adopté
par 1(30 sulTrages sur 213 votants.
La loi, ainsi mutilée, fut portée à
la Chambre des députés, où, à la
suite d'une délibération à laquelle
Villèle ne prit aucune part, elle
obtint une approbation formulée
par 2GI voix contre 76. Ce succès
Damériquen(îpaia(îaiblir l'atlcinte
que le ministère avait reçue ù la
Chambre des pairs. Celle atteinte
s'aggrjva de quelques démonstra-
tions populaires qui, faibles en-
core, servirent néanmoins à eonsta-
ler la vitalité de l'esprit de
perturbation et d'anarchie. On
s'étonna généralement que le
cabinet se lilt décidé à saisir la
Chambre des députes de la dispo-
sition unique à laquelle le vote de
l'autre Chambre avait léduit le
projet. Fui-ce inspiration d'amour-
propre ou répugnance à sacrifier
une conquéic importante sur le do-
maine de l'opinion démocratique?
Qiioï qu'il en soit, entière ou mu-
tilée, la tcnlalive, rnal à propos
VIL
VIL
h^:
qualifiée de loi du droit d'aînesse,
fuL une des conceplluns les plus
impopulaires du règne de Char-
les X (l), une de celles qui onl été
le plus reprochées au ministère du
14 décembre, et qui contribuèrent
le plus à donner un corps à ce fan-
tôme coîitre-révGlutionnaire, dont
révocation él :ii d'un effet toujours
si puissant sur les classes moyennes
de la socit'té. En dehors de q'iel-
ques esprits arde 4s ou chiméri-
ques, rien de plus pratuit assuré-
ment que cette intention prêtée
aux royalistes rie ramener la France
au régime d'avant 89, et per-
sonne n'en était plus convaincu
que ceux qui mettaient tant d'in-
sislmce a l'accréditer. Mais, depuis
longtemps, le parti libéral avait
aba[idonué i'arme lente et émoussée
de la controverse pour ne plus
■faire appel qu'aux aveugles pas-
sions de la multitude. — Le dévelop-
pement des institutions rcli^îieuses
vint bieniùt fournir de. nouveaux
aliments a son plan d'agre-sion et
Tajeunir la caducité de ses thèmes
politi<iues. Il faut ici jeter un re-
■g;ird en arrière et esquisser lapi-
dement l'origine et les caractères
de ce mysiér eux pouvoir (ji:i,
sous le nom de Cnujrcgalion, de-
vait occuper une si l.irge pl.ice
datis notre histoire conlempor.iine.
Cette œuvre avait commencé, sous
l'Empire, par la réunion de quel-
ques jeunes hommes qui , sans
Ostentation, sans arrière -pi'usée
poli II que, s'encourageaient sous les
eihoriations d'un modeste prêtre,
(I) Il est reniar.piable, toutefois, que
la loi sur les siih.>tuul.<iris fui niaiiiiOMiic
pciidaiil toute la tiiu'ée ilu giiuvemc-
ni»;i'l de Loiiis-lMiilippe, et ne dut t-on
abolition (lu'au ré^iiuf transitoire de la
RépublKiue, leOmai 18i9.
l'abbé Le,?ris-Dnval, à pratiquer
en commun d^'s actes de piété, à
une époque <■< où la raligion était
tolérée comme une néce^sité, mais
où l'exercice de ses devoirs était
dédaigné commeunefaii)lesse(i).»
Cette association, purement reli-
gieuse, n'avait guère que ce point
d'afflnité avec les aftiliations roya-
listes qui, formées à l'époque où
Napoléon avait persécuté le sainl-
siége, s'étaient développées plus
tard sous l'influence de la Restau-
ration,eidonirindi visible cohésion
avait plusieurs fois, en 1813, em-
barrassé la marche du pouvoir. Soit
calcul, soit ignorance, ces deux
associations furent facilement con-
fondues, et cette confusion fut ac-
ceptée et propagée avec ardeur
par les ennemis collectifs du trône
et de l'autel. Ceux-ci ne manquè-
rent pas de présenter la congréga-
tion comme une espèce de franc-
maçonnerie dont l'objet était d'as-
servir l'État au clergé et de
coucenirer entre ses seuls adeptes
ces emplois publies et ces faveurs,
dont la disir.bulion fut de tout
temps en Fr.ince un des ressorts
les plus actifs du gouvernement.
Une ciiconstaiice aida singulière-
ment au succès de ces manœu-
vres. L'ordre des jésuites dont
riiltîlise, d'accord en ce point avec
le ch 'f de l'iùnpire, avait laissé les
débris se réunir au commencement
de ce siècle . ous les noms divers
de Pacanarislex , (\e Pères de la foi,
avait été publiquement rétabli par
le pape Pie Vil, à soii retour dans
ses Étals. « Cet ordre, dit l'écrivain
auquel nous empruntons ces dé-
tails, avait aussitôt retrouvé 1 éner-
(I) Jlht. do France, par M. Lau-
riiitie, 1857, t. vin, p. :30.
hSk
m
g\e de sa Tocation, et, en peu
d'années, s'était révélée eu France
la fécondité de son prosélytisme.
Des écoles et des œuvres s'étaient
formés, double action sur la so-
ciété par l'éducation et la cha-
rité (1). » On conçoit aisément
quel parti sut tirer la presse libé-
rale de cette résurrection d'un ordre
dont l'existence avait, de tout temps
en France, suscité laut d'ombrages,
et combien il lui fut facile de pré-
senter, comme une vaste conspi-
ration ourdie contre la société mo-
derne, cet ensemble d'institutions
religieuses, dont la puissance était
encore accréditée par l'austérité
personnelle et les pratiques pieuses
du successeur de Louis XVllI. l.a
célébration des cérémonies du ju-
bilé, qui avait lieu pour la première
fois depuis l'ouverture du xix* siè-
cle, vint prêter une nouvelle force
à ses accusations. Ces solennités
(février), auxquelles assistèrent le
roi, les princes, les maréchaux, un
clergé immense et une foule plus
nombreuse que recueillie, furent,
dans plusieurs villes des départe-
ments et notamment à Lyon, à Brest
et 2i Rouen, l'occasion de quelques
désordres causés ou prétextés par
les prédications des missionnaires.
On répandit des caricatures où la
majesté royale était insultée par
les travestissements les plus gro-
tesques. Des pièces de 5 francs
circulèrent avec l'effigie de Char-
les X surmontée d'une calotte de
jésuite. Cl des esprits , éclaires
d'ailleurs, accréiJilèrenl de bonne
foi un bruit populaire bien digne
de cette époijue d'astuce et de cré-
dulité : c'est que le roi de France
(\) Hisl. (le France, i>ar M. Lauren-
tic, 1857, t. MM, p. -':iO.
VIL
avait obtenu du ])ape la permission
de dire lui-même la messe dans ses
appartements. Cette industrie sub-
Tersive s'enrichit bientôt d'une
arme puissante dans la publication
du Mémoire à consuUer sur «n sys-
tème religietis et politique tendant à
renverser la religion, la société et le
trône, par le comte de Montlosier.
L'auteur, ancien constituant rentré
sous l'Empire, dont il était pen-
sionné, s'était fait remarquer jus-
qu'alors par l'exaltation de son
attachement aux traditions reli-
gieuses (1) et féodales, et le Code
civil lui-même n'avait pas été mé>
nagé dans la vivacité de sa polé-
mique. Depuis» soit méconlente-
ment individuel, soit abus d'un
esprit paradoxal, inconséquent et
chimérique, Montlosier s'était pro-
gressivement péné:ré d'une incu-
rable aversion pour ce q.i'on appe-
lait alors le parti prêtre, et le besoin
d'en dénoncer les écarts avait at-
teint chez lui tous les caractères
d'une véritable monoraanie. Le ma-
nifeste de Montlosier avait été pré-
cédé d'une série d'articles publiés
dans un journal royaliste avec l'as-
sentiment tacite au moins du minis-
tère, et suspendus par son injonc-
tion (2). M de Montlosier signalait
ik la France la congrégation comme
une secte qui, par l'envahissement
successif des principales positions
de l'État, par un système d'espion-
nage pratiqué sur une vaste échelle.
(1) Lorsque le ministère, en 1824,
avait présenté sa première loi sur le
vol sacrilège, le comte de Montlosier
s'était plaint très-vivemrnl par écrit au
garde des sceaux de ce qu'elle ne con-
tenait aucune disposition contre le blas-
phcmf. (Discours de M. de l'eyronnet à
la cour des pairs, 19 déc. 1830.)
(2) Hist. (te France, parM.Lauren-
tio, \H:H), t, VIII, p. 232.
VIL
VIL
hSb
menaçait la société d'une domina-
tion absolue. A l'en croire, ce
corps étendait sur la France entière
un réseau dont les mailles envelop-
paient toutes les classes de la po-
pulation. La magistrature, l'armée,
le parlement, l'administration, les
rangs inférieurs, tout relevait do
cette puissance, d'autant plus re-
doutable que l'origine de son action
demeurait en quelque sorte imper-
ceptible, et qu'elle n'était appré-
ciable que par ses effets. Il allait
sans dire que, dans le système de
l'auteur, l'ordre des jésuites, uni à
la congrégation par une étroite affi-
nité, lui rendait tout lappui qu'il
en recevait, et que ces deux corps
marchaient de concert à la con-
quête des pouvoirs établis. Tels
étaient les périls dénoncés par M. de
Montlosier. Ce mémoire, qui prê-
tait l'autorité d'un nom monarchi-
que et d'un savoir incontestable k
des allégations presque sans con-
sistance jusqu'alors, produisit une
grande sensation. Sept ou huit édi-
tions furent enlevées en quelques
.semaines, et lapluparl des barreaux
de France encouragèrent l'auteur
à saisir de sa dénonciation les cours
de magistrature (1). iM. Agier, pré-
sident à la cour royale de Paris,
ayant reproduit ^ la tribune une
partie des imputations qui y étaient
consignées, les organes du gouver-
nement ne crurent pas devoir gar-
der plus longtemps le silence.
M. Frayssinous, ministre des affai-
res ecclésiastiques, entra dans des
(<) M. de Montlosier fut rayé de l'é-
tat des écrivanis politiques attachés au
dépaitement des uffaircs étrinnères;
mais il conserva la pension qu'il avait
obtenue on 1801, en indenniitc de sa
renonciation au Courrier de Londres,
qu'il rédigeait alors on Angleterre.
explications étendues sur les griefs
invoqués. Il ne dénia point l'exis-
tence de la congrépaiion, et avoua
celle des jésuites. Mais il s'attacha k
réduire à leur juste valeur les exa-
gérations des accusateurs. Ce fut
surioui par la pureté de son origine
qu il chercha 2» justifier la société
attaquée. M. Frayssinous ne con-
testa pas d'ailleurs que l'avantage
d'appartenir à une affiliation re-
commandable par ses vertus et ses
œuvres n'eût pu sans injustice con-
courir aux préférences du gou-
vernement avec d'autres titres d'ap-
titude. Quant à la domination si
redoutable des jésuites, le ministre
la réduisait à la direction de tept
petits séminaires, où la théologie
u'é:ait pas même enseignée, et de-
mandait quels périls une existence
aussi précaire, aussi dépendante,
pouvait faire courir à la sécurité
publique. Ces explications péremp-
toires et trop différées avaient le
tort de s'adresser à des adversaires
sans conviction et sans bonne foi.
La plupart des censeurs du pouvoir
théocratique étaient trop avisés
pour redouter sérieusement la do-
mination des jésuites dans un siècle
de scepticisme et de corruption, et
la suite a surabondamment démon-
tré que l'extension de leur impor-
tance était de nos jours sans
danger pour les peuples comme
pour les rois. Il y avait, de plus,
quelque chose de frivole et même
de dérisoire dans ces alarmes sur
la propagation de l'uliramonla-
nisme affectées par des hommes
ouvertement indifférents, pour la
plupart, aux dogmes fondamen-
taux de la foi catholique, et celles
qu'ils témoignaient sur l'envahis-
sement des congrégations reli -
gieuses n'étaient ni plus sincères,
ni mieux fondées. M. Frayssinous
hSÇ>
VIL
avnil défié ses contradicteurs de
prouver qu'aucune promoiion
importante dans l'ordre ecclé-
siastique el dans l'ordre civii et
militaire eût éié le pro<liiit de
leur entremise, et cet appel était
demeuré sans réponse. Et de qui
partaient la plupart de ces cris de
fureur ou d'alarme conire da
pai^bles corporations relij,neuses?
D'un parti qua n'avait jamais
ému l'existence des sociétés se-
crètes ni la révélation des com-
plots que l'esprit révolutionnaire
ne cessait d'y fomenter. Pourquoi
tant d'indifférence sur des danj^ers
pressants el réels, tant de souci
pour des périls éloignés ou imagi-
naires? Ce n'est pas cepemiant
que tout fût inoxi'ct ou exc-igéré
dans les assertious du comte de
Montlosier. En opposant l'inlluence
des idées et des corps reli'jieux
au débordement de l'impiété et
des idées révolutionnaires, Char-
les X avaii été raù par un senti-
ment honorable ; mais il n'avait pas
prévu quel champ vaste cette pro-
tection excessive ouvrait à l'es-
prit d'intrgue, combien il serait
facile à la malveillance d'en déna-
turer le caractère et de faire tour-
ner contre la religion même les
moyens mis en œuvre dans son
intérêt. Ce double oidre de consé-
quences n'avait pas tardé à se pro-
duire. En dehors des hommes
sérieux que la congrégation comp-
tait à sa tèle, eu dessous des
Monlmarency , des Rivière, des
Damas el de plusieurs autres, une
foule d'intrigants de bas étage
avaient cherché dans cette affilia-
tion recommandable des moyensde
fortune et d'élévation. La médiocri-
té, le vice même s'éiaient affublés du
manteau de la riligion pour dissi-
mulerleur insuffisance ou leurs d if-
VIL
formités, et les billets de confes-
sion avaient plus d'une fois servi
de passeport pour arrirer aux
emplois publics. Au bout de
plus d'un siècle, les moralités sati-
riques de T/r/u/'e semblaient avoir
retrouvé un intérêt d'à-propos (1).
L'ambition individuelle, celle pas-
sion dominante de nos joirs,
s'était livrée avec ferveur au
courant des idées en crédit. Nous
l'avons vue plus tard se faire
avec la même industrie des ti-
tres moins innocents de ses actes
d'agre.-sion contre la monarchie
de Charles X, ou de ses sympa-
thies pour le glorieux oppres-
seur des libertés publiques. Flallé
de ce retour d'influence, le clergé
de son côté, ne s'était montre que
(1) Quelques fonctionnaires publics
eux-mêmes crurent devoir signaler cette
exploitation coiidaiiinahle des pratiques
religieuses dans rintérêt des an bitions
individuelles. Dans sa mercuriale de
rentrée de 1826, Al. Morgan de Betliune,
procureur généial a la cour d'Amiens,
s'exprimait" il ce sujet dans ces lernies :
« Nous n'ignorons pas qu'il est des as-
pirants à la magistrature qui trompent
etïroiilément Dieu et les bununes par
une hypocrisie sacrilcgi', dont les exem-
ples se sont multipliés sous nos yeux
d'une manière révoltante.... ilci l'ora-
teur plaidait la peinture fort piquante
d'un de ces faux dévots, et ajoutait) :
Mais les démarches affectées de cet hy-
poî-rite no nous déduiront point; nous
le ferons suivre dans l'obscurité dont
il va se couvrir : on lui arrachera son
masque sur le seuil même du vice au-
quel il doit sacritier. » M. de Vaula-
belle, qui rapporte ce fragment dans
le t. VI de son IJist. des deux Resiau'
m lions, aurait dû aj(uiter qm^ cette
véhémente sortie ne fui la source d'au-
cune disgrâce piiur le magistrat amovi-
ble qui se l'était permise : circonstance
qui implique <iu une certaine toléiance
du part; congréganisle, ou ime exagé-
ration nianifeste dans la supposition de
son influence. Nous pourrions citer un
grand nombre d'exemples analogues.
VIL
VIL
487
trop enclin à en abuser. Cette dis-
position l'avait entraîné, dans plu-
sieurs localités, à des actes regret-
tables d'intolérance et d'usurpa-
tion. Propagés et grossis par la
malignité publique, tous ces faits
avaient encore accru la haine
populaire pour le pouvoir sacer-
dotal et pour le r.'gimedont il s'en-
courageait. Conséquence fâcheuse
sans doute, mais insuffisante tou-
tefois pour juslifii^r une révolution
comme celle dont la pensée entrait
dans un grand nombre d'esprits.
L'apparition du mémoire deMont-
losier fut bientôt suivi de deux
procès également lies à l'influence
des idées qui passionnaient alors
l'aîieniion publique : l'un intenté
par les hL^ritiers du procureur
général La Chalotaisà l'ediieur de
['Etoile, qui avait qualifié d'uue
manière injurieuse le célèbre ré-
quisiioire de ce magistrat contre
les jésuitfts; l'autre dirigé coure
l'abbé de Lamennais, inculpé d'at-
taque envers le gouvernement et
les loisdel'État, po iravoircombat-
tu leséi.lil->qui ivaieut prescrit l'en-
seignement de ladérlaration de 1682
dans les écoles ecclésiasiiq les. Le
trib inalcorrec;ionueldelaSeiueac-
quitla le journaliste par une tin de
iion-recevoiriiréedusilencedelalol
sur la transmission héréditaire du
droit de plainte eu diffamation (1),
(I) On sait que la coar de cassation,
dans '.ni arrêt n-cent iii mai 1800). a
adopti; une jurisprudence conlraue.
Mais il y a de furies raisons de douter
de la slabililé de celle jurisprudencf,
qui a soulevé beaucoup d'objections
tjravcs, et qui limiterait en certaines
circonstances ii un rôle parement pas-
sif le privdége et 1.; devoir des liislo-
ricns. M. liirville, président honoraire
il la cour impériiiU' de Paiis et
M. IL de Uiancey, ancien député à
et condamna l'abbé de Lamennais
à une peine légère sur le second
chef seulement de la préven-
tion dont il était l'objet. Soit de
leur propre mouvement, soit à
l'instigation du ijouver-iement, les
cardinaux elles évèques, alors réu-
nis k Paris, entreprirent de calmer
les esprits par une démarche k
laquelle ou ne peut qu'applaudir.
Elle consista à dresser collective-
ment une profession de principes,
qui, sans reproduire le texte ni le
tiire de la Déclaration de 1682,
rappelait les maximes de ce docu-
ment mémorable et condainnait la
îeméi ité avec laquelle on cherchait
« à faire revivre une opiuiou née
autrefois du sein de l'anarchie et
de la confusion où se trouvait alors
lEurope, opinion constamment
repoussée par le clergé di France
et tombée dans un oubli presque
universel.» Cemanifeste, dont l'ini-
tiative appartint à Mgr. de Latil,
archevêque de R'ims, un des
membres les plus impopulaires de
l'ordre ecclésiastique, ce manfeste
auquel adhérèrent la presque tota-
lité des prélats franc t.is, n'adiucil
point lin iiaiion (lu'avait fait nai're
la publication du Mémoire à con-
suiler. Avant d'en dire les suites,
il convient de retracer sommaire-
ment les derniers travaux qui mar-
quèrent la session léi;islative. Le
comte de "Villèle eut à s'expliquer,
dans la discussion de li loi des
douanes, sur le traité de naviga-
tion conclu avec l'Angleterre le
20 janvier précédent, et il établit,
en repoussant un amendement de
Casimir Périer, que ce traité ne
l'Assemblée h^gislative, ontconiballu la
docrine de la cour suprême dans des
argumentations é<ablie>> avec beaucoup
de talent et de solidité.
i88
VIL
grevant le commerce français d'au-
cun impAl, la Chambre des dépu-
tés ne pouvait s'élever contre celte
conveniion sans excéder la limite
de ses droits constitutionnels. A
Toccasion du débat sur les crédits
supplémentaires, le même député
proposa de nommer une commis-
sion chargée « d'examiner si les
rachats faits par la caisse d'amor-
tissement et qui avaient lieu uni-
quement en trois pour cent , ne
constituaient pas une infraction
matérielle aux lois, surtout à celle
duf'mai 1825.» Cette proposition,
appuyée par MM. de La Bourdon-
naye et HydedeNeuville,ne faisait
guère que reproduire lesobjections
présentées à l'autre Chambre par
MM. Roy, de Broglie et de Baranie,
contre la préférence exclusivement
accordée au fonds du 3 pour cent
par l'amorlisiement. Le ministre
la combattit en motivant celte pré-
férence sur la dépréciation impré-
vue qui affectait cette valeur, et
en fit écarter la prise en considé-
ration à une forte majoriié. En
présentant à la Chambre élective
le budget de i827, le comte de
Villéle constata un excédant de
4,200 mille et quelques francs sur
les dépenses prévues au précédent
budget; mais il évalua à 20 mil-
lions l'acroissemenl des recettes
de l'année courante, et porta à plus
de 19 millions le dégrèvement
qu'obtiendraient sur cet exercice
les contribuables, lequel, réuni à
celui déjà opéré sur les rôles de
i82G, produirait un total de près de
Î6 millions (1). Ce résultat était
(1) En résumé, les budgets de 1821 à
182'.) présentaient, par voie de compa-
raison, les résuMals suivants : 45 millious
d'accroissement fournisà divers servic»is;
45 millions de détjrèvement accordés aux
VIL
d'autant plus appréciable que la
dotation de la plupart des services
publics recevait un notable accrois-
sement. En se félicilant de cet élal
de choses « qui donnait un écla-
tant démenti aux assertions men-
songères prodiguées depuis quel-
ques mois sur la situation de la
France,» le ministre ne dissimu-
lait pas l'insuccès des mesures fi-
nancières dont il avait provoqué
l'adoption; mais il cherchait à l'ex-
pliquer par la crise qui avait affecté
tous les marchés de l'Europe, et
démontrait que le crédit de la
France avait été moins ébranlé que
celui des autres Étals. De judicieu-
ses considérations sur l'impôt qu'il
convenait de dégrever de préfé-
rence formaient la substance de ce
discours, un des plus approfondis
que le comte de Villèle eût encore
prononcés. Il établissait avec rai-
son que cet allégement devait por-
ter sur les contributions directes
de préférence aux impôts sur les
douanes , l'enregistrement et la
loterie, parce que des réductions
de celte dernière nature ne pou-
vaient s'opérer qu'avec la certitude
de n'être plus désormais dans la
nécessité de les révoquer, a Les
motifs les plus puissants comme
les plus généreux, disait-il en ter-
minant cet exposé, servent aujour-
d'hui de garantie à la conservation
de la paix générale; elle repose à
la fois sur l'expérience, les besoins,
les dispositions des peuples et des
souverains : aussi se mainlient-elle .
en dépit des prédictions sinistres ^i
contribuables; 70 millions d'augmenta-
tion dans les services publics; :25 mil-
lions de diminution des dépenses publi-
ques dépendantes de l'administration,
sur la liste civile et sur les pensions
payées par l'Etat.
!
VIL
VIL
i89
de ceux qui cherchent e-D vain, dans
le besoin qu'ils semblent avoir de
troubles et de malheurs, des mo-
tifs d'espérer le renversement d'un
ordre de choses dont il ne leur est
pas donné de comprendre le fon-
dement et la solidité. » La plupart
des critiques soulevées contre le
budget ou, pour mieuxdire, contre
l'administration générale du royau-
me, partirent du sein de la contre-
oppolilion royaliste. M. Agier, en
se montrant favorable au sort des
ecclésiastiques inférieurs, qu'il ap-
pela a les vrais consolateurs du
pauvre, les vrais soutiens de la
religion,» signala avec énergie les
envahissements de la congrégation ,
et le joug qu'elle faisait peser sur
le ministère par son influence sur
la distribution des emplois publics.
« Après les illusions de 4791 et les
horreurs de 1793, disait-il, nous
avons eu la corruption du Direc-
toire; cellr-là était de boue; nous
avons eu la corruption du gouver-
nement d<' Bonaparte; celle- Ik était
recouverte de gloire militaire;
nous avons eu la corruption de ce
système de bascule qui a failli per-
dre la monarchie et que nous
avons tous combattu ; si par-des-
sus tout cela, nous avions la cor-
ruption de l'hypocrisie, devenue
moyeu d'avancement, le carac-
tère de loyauté qui appartient à la
nation française s'altérerait, et
par suite la religion serait com-
promise et la monarchie menacée ;
car, n'en douions point, la France
qui, éblouie par l'éclat des armes,
a pu supporter le despotisme mi-
litaire, ne pourrait tolérer celui de
l'hypocrisie. « L'orateur conjurait
en terminant le ministère de « bri-
ser décidément le jou^ de cette
puissance occulte qui ne tarderait
pas à le renverser lui-même. »
MM. de Beaumont et Bacot de Ro-
mans s'élevèrent contre les excès
de la centralisation, reprochèrent
au chef du Conseil d'avoir oublié
la promesse de doter la France
d'insiilutions municipales si sou-
vent réclamées, et M. de Lézar-
dières accusa les ministresde s'être
séparés des royalistes qui les
avaient portés au pouvoir. Le
comte de Villèle ne crut pas devoir
laisser sans r»^ponse des imputa-
tions aussi sérieuses. Il écarta le
reproche de déviation des voies
constitutionnelles en soutenant que
jamais la Charte n'avait été mieux
exécutée, que toutes les lois pré-
sentées étaient dans l'esprit de ce
pacte fondamental, que jamais la
liberté n'avait été mieux assurée,
la prospérité plus évidente, ce qui
était matériellement vrai. Il se
montra moins précis dans «^es ex-
plications au sujet de l'influence
des corporations religieuses, cette
grande question du jour, et se
borna à établir que la religion ca-
tholique n'avait aucun dogme qui
fût incompatible avec la Charte;
il ajouta fort sensément que « la
religion de nos pères était bien
plus d'accord avec un gouverne-
ment doux et tempéré comme le
nôtre, qu'avec un gouvernement
absolu par lequel la religion pour-
rait être contrariée et comprimée.»
Le ministre, s'expliquant sur l'ab-
sence d'administrations départe-
mentales et communales, regretta,
comme ses contradicteurs, la lacune
de ces institutions. Mais le cabinet
avait toujours reculé devant des
difficultés pratiques , notamment
devant le mode d'élection des
membres appelés ià les composer,
et surtout devant l'incertitude des
ressources à l'aide desquelles on
pourvoirait aux besoins de ces
h90
VIL
administrations. Voulait -on en
défrayer la dépense avec les fonds
appiutenant en propre aux loca-
lités? Mais, les dotations par les-
quelles les administrations pro-
Yinciales subvenaient autn^fois à
leur exercice avaient disparu, et
cet état de choses ne poiivait re-
naîire aujourd'hui. Un le! obstacle
n'était pas insurmoniable , sans
doute, mais il était assez grave pour
absoudre le miiiisli'rc de sa résis-
tance à un vœu généralement ex-
primé el favorable d'ailleurs aux
intérêts des populations. En t!T-
minau; cette apologie plausible
sinon péremptoire de la conduite
du cabinet, le président du Conseil
ne put contenir l'expression d'un
sentiment d'amertume: « Le rôie
des ministres, dil-ii, n'est pas un
rôle qui doive produire de l'eni-
vrement. Non, messieurs, est eni-
vrement du pouvoir ne saurait
exister; nous céderions plutôt au
dégoût el à la lassitude que*doi-
venl cnirainer d'aussi injustes
attaques au milieu de nos pénibles
fondions.» Et comme, après ces
paroles le ministre descendait de
la triLune. il y fui ramené par une
interpellation de C. Périer qui lui
objectait le rétablissement de la
censure : « Une seule fois, se hàta-
t-11 de répondre, la France a joui
de la liberté la plus complète de la
presse, d'une liberté qui a dégé-
néré peut être en licence : cette
époque est celle qui s'est écoulée
dep.is quii l'ad ninislralion ac-
tuelle a été appelée par le roi.
On vient de témoigner des craintes
surle rétablissement de la censure.
Je m'expli<<uerai sur ce point avec
.franchise. Si la c»'n>ure n'est pas
nécessaire au rcjios du pays, elle
n'aura pas lieu; si elle lui est
nécessaire, nous ne balancerons
VIL
pas à la proposer. >» Cette déclara-
tion provoqua de nouvelles invec-
tives de Benjamin Constant qui
défia le ministère de rei'oncer ainsi
à «la seule bonne mesure dont il
eût le droit de se vanter. » La dis-
cussion approfondie des articles du
bud;j;et, qui ne dura pas moins de
vingt-six jours, rappela plusieurs
fois encore Villèl^> sur le terrain
parlementaire. M. Royer-ColLvrd,
s'armant des bienfaits mêmes de
l'administration, reprochaau dé-
grèvement proposé de conduire à
la limitation successive du droit
électoral el par suite Ji la destruc-
tion du régime représentatif (1) ;
il inculpa le ministère « d'emprun-
ter au moyen âge, aux temps d'i-
gnorance et d'anarchie, le peu de
lois poiiti(iues qu'il soumettait aux
délibérations des Chambres. » Le
ministre répondit que, môme en
admettant le dégièvement, l'impôt
direct excéderait encore le taux
où il s'élevait à l'époque de la ^
promulgation de la Charte; que
celui des patentes avait produit
depuis lors une augmentation de
8 millions répartis sur un million
de contribuables, et qu'ainsi ce
plan dé réduction ne faisait que
mettre en harmonie rintervenlioa
du corps électoral dans le vote de
l'impôt avec le poids de cet impôt.
M. Hoyer-Collard navaii pas borné
(I) Les élections du mois de novem-
bre \HH démontrèrent bientôt K; défaut
absolu de fondenient de celte accusa-
tion. On remarqua que, malgré l'effet
des déîîrcveiiUMils, auquel il faut ajouter
les relus d'inscriptions faits par ladmi-
nistraiiou a un grand nnitibre d'élec-
teurs plus ou moms en droit, de se faire
inscrue, les collèges électoraux furent,
en général, presqu'atis^i nombreux
qu'aux préce lentes élections. {Annuaire
historique de 1H-^.7, p. 2î>9.)
VIL
VIL
491
son système d'opposition à cen-
surer amèrement les actes du mi-
nistère; il n'avait pas craint de se
constituer l'écho de lamalveillance
la moins éclairée en lui pi étant,
sans aucun fondement, l'intention
d'un projt t de loi sur 1-^ mariage,
où les droits de Tautoriié civile
seraient indignement sîicrifiés au
pouvoir spirituel , ei qui a ft rait
fléchir la souveraineté royale de-
vant la souveraineté ecclésiasti-
que. » Le présiùenl du Conseil fit à
celte insinuation une réponse aussi
judicieuse que catégorique : « On
parie toujours, dit-il, d'une légis-
lation du raariag' qui ferait fléchir
l'autorité royale, et qui compro-
mettrait la liberté des citoyens par
rapport ii leur état civil. Je ne
balance pas à dire ma pensée tout
entière sur ce point. Comment
l'état civil élail-il avant la Révolu-
tion entre les mains du clergé?
Il y était avec l'appel comme d'a-
bus d- vaut les parlements, comme
conséquence nécessaire pour ga-
rantir l'état civil des ciloyens. Je
crois que c'en est assez pour que
les personnes qui connaissent ces
maiièrt's el qui pounaient conce-
voir encore quelque inq.jiéliide,
d'après celles qu on cherche à
propajjer chaque jour, s'apt'rçoi-
veni enfin de l'erreur dans laquelle
elles étiienl, et restent convaincues
que ceux-là même qu'on suppose
très-désireux de soiliiitcr «e qu'on
craint de leur voir contier, s'ils
étaient consultés, si'raient les pre-
miers à n'eu pas vouloir aux con-
ditions sans lesquelles on ne peut
jamais les leur ailrihuer. » Le
budget, adopté à 24 i voix de ma-
jorité, fut soumis à la Chambre
des pairs. Ses principaux organes
réclamèrent avec plus d'insistance
qu'on n'a*, ait fait j u^qu'alors contre
cette présentation tardive qui, par
la séparation de fair de l'autre
Chambre, rendait son e,onirô;e il-
lusoire et tendait à concentrer dans
une îjssemblée unique toute la
puissance financière. Le ministre
des financt-s ne put rien opposer
de concluant à ces judicieuses ob-
jections. Il combattit avec moins de
désavantage les accusations portées
dans cette Chambre comme au Pa-
lais-Bourbon contre l'attiiude prise
par le cabinet à l'occasion de la
guerrr du Levant, qui commençait
à préoccupe: vivemeni les esprits.
La brivoure des Grecs appliquée
à la défense de leur terri:oire et
de leur indéj^endance, c'est-à-iîire, à
la plus juste des causes, n'avait pu
conjurer la chute de Missoionghi,
et cette catastrophe avait excité
dans l'Europe entière, un doulou-
reux retentissement. Plusieurs
royalistes, entrés dans l'opposition
i» la suite de M. de Chateaubriand,
tels que MM. Alexis de No.^iiles et
Hyde de Neuville, s'étaient pro-
noncés, à son exemple, pour que
la France intervint activement en
faveur des opprimés, et le général
Sebastiani availdémoniré quencus
étions direciemenl intéresses à ce
qu'il s'établit entre l'Europe et ix
Syrie un empire iudépentiant qui
contint l'Asie et ùvkl des bornes à
l'ambition de la Russie. Le prési-
dent du Conseil n'estimait pas qu'il
fût opportun pour la France de
prendre couleur, quant à présent,
dans la lutie engagée enire les
Hellènes el leurs oppresseurs, et
de subsîituer ia diplomatie isolée
de la France à • la diplomatie de
tou>» : un tel syslèiue allircrailsur
les victimes de plus grands maux
eneore, et a outeraii aux malheurs
aclU'ls des chrétiens itiUles les
calamités qui résulteraient d'un«
hn
VIL
couOâgration générale entre les
peuples chrétiens. Le comte de
Villèle se borna donc à rappeler
les services individuels rendus par
uos flotlesaux Grecs fugitifs, cons-
tata que les canons devant les-
quels avaient succombé les Sou-
lioles de Missolonghi , n'étaient
pas des canons français; qu'aucun
officier de notre nation n'avait
coopéré aux travaux du siège ,
et que « le pavillon français pou-
Tait toujours se présenter dans
ces contrées avec l'éclat et la pu-
reté de sa couleur. » La question
hellénique n'était point encore
arrivée au point où, dégagée des élé-
ments révolutionnaires qui avaient
altéré son origine, elle apparaîtrait
à l'Europe monarchique sous son
irérilable aspect. — Peu de jours
après la clôture de la session, le
^8 août, la cour royale de Paris,
toutes les chambres assembiéei ,
prononça sur la Dénonciation portée
par le comte de Montlosier. Après
cinq heures de délibération, la
compagnie , aux deux tiers des
voix, se déclara incompétente par
le motif que, d'après la Charte
constitutionnelle, il n'appartenait
qu'à la haute police du royaume
de supprimer ou de défendre les
congrégations ou autres établisse-
ments de ce genre « qui étaient ou
seraient formés au mépris des
lois. » L'arrêt rappelait à celte oc-
casion les édits opposés au réta-
blissement des jésuites, a comme
fondés sur une incompatibilité re-
connue entre les principes profes-
sés par celte société et l'indépen-
dance de tout gouvernement; prin-
cipes bien plus incompatibles
encore avec la Charte constilu-
tionnelle qui faisait aujourd'hui le
droit public des Français. » On
verra plus tard quel parti le comte
VIL
de Montlosier tira de cet arrêt qui,
sans ordonner aucuue poursuite
immédiate, formulait, toutefois, la
condamnation la plus directe du
rétablissement de l'ordre des jé-
suites. La session se rouvrit dans
ces circonstances agitées, le 12 dé-
cembre, par un discours où le roi
annonçait plusieurs projets de loi,
et notamment un projet répressif
des abus de la presse, dont la men-
tion produisit un sentiment univer-
sel de sollicitude et d'émotion. Les
Chambres délibérèrent immédiate-
ment sur les Adresses en réponse
au manifeste du trône. Ces débats
eurent surtout pour objet la poli-
tique exiérieure, et les derniers
événements qui s'étaient accomplis
dans la péninsule ibérique, et qu'on
pouvait résumer ainsi. Lors de
l'entrée en Espagne de l'armée
française, en 1823, lé gouverne-
ment anglais avait obtenu de U
France la promesse qu'aucune hos-
tilité ne serait commise envers le
Portugal, et l'Angleterre promit
alors et depuis de veiller ^ ce
qu'une paix exacte fût maintenue
entre les deux Etats. Cependant,
une irruption nombreuse de réfu-
giés portugais, auxquels s'étaient
réunis plusieurs absolutistes espa-
gnols, venait d'avoir lieu sur le
littoral portugais, et cette entre-
prise, motivée par le désir de dé-
truire la constitution libérale de
dom Pedro, avait provoqué l'em-
barquement immédiat pour le Por-
tugal de quinze 2à dix-huit régiments
anglais, sur la demande expresse
de l'Etat envahi. Le cabinet des Tui-
leries, qui pressentait qu'une rup-
ture entre les deux royaumes de
la Péninsule ne tournerait qu'au
profil de l'influence anglaise, déjà
si puissante dans cette partie de
l'Europe, s'était empressé de con-
VIL
VIL
493
damner la connivence du cabinet
espagnol par le retrait de son am-
bassadeur. Mais sa conduite n'a-
vait pu empêcher que M. Canning,
secrétaire d'Etat des affaires étran-
gères, n'eût tenu au parlement an-
glais un langage hautain contre la
France ; les orateurs de l'opposition
se prévalaient de ce langage pour
accuser le ministère et les troupes
anglaises d'occuper le Portugal, et
de nous obliger ainsi à une occu-
pation indéfinie de l'Espagne.
M. de Chateaubriand fit entendre
à la Chambre des pairs une élo-
quente protestation contre la phi-
lippique du ministre anglais (1),
et la Chambre vota, à la presque
unanimité, une Adresse conforme
aux es|>érances pacifiques que le
discours du roi avait exprimées.
Le comte de Villèle affirma à la
Chambre dès députés que toutes
les puissances s'étaient accordées
à reconnaître que l'Angleterreavait
tenu en Portugal la conduite la
plus propre au maintien de la paix.
Mais cette explication ne sauva
pas le cabinet du reproche de cou-
descendance envers l'intervention
du ministère britannique, cette re-
vanche préméditée de la campagne
française de 1823 (2), et surtout
(!) Quelques jours après la pronon-
ciation de son discours, M. Cunning,
obéissant à un seutiment de convenauce,
fit disparaître ou adoucit, dans une re-
lation ofticielle, 1( s passaijes qui avaient
blessé la susceptibilité des orateurs
français.
(2) Le prévoyant baron Hyde de Neu-
ville écrivait a son gouvcrniinent, dès
les premiers mms de 1H24 : <« Si on
n'aide pas 'e roi de Portugal a donner
une loi monarchique a sts peuples,
avant dix-tiuit mois, on verra a Li>buiine
une ( hartc r«publiraine donnée par dom
Pedro, et des habils rouges pour la
soutenir. >»
envers Ferdinand, pour n'avoir pas
exigé qu'il donna à ses peuples
des institutions propres a rétablir
la paix en Espagne et la confiance
de ses alliés. M. Hyde de Neuville,
ambaisadeur en Portuga len 1824,
dont la belle conduite, justement
récompensée parle minisière, avait
fauve cette monarchie d'une révo-
lution imminente, se montra l'un
des plus véhéments. « Il faut, s'é-
cria-t-il, par allusion à une des
récriminations les plus blessantes
de M. Canniog, il faut que l'An-
gleterre sache que, si nous avons
un fardeau quelconque, nous n'a-
vons en aucune manière besoin
qu'on nous aide à nous eu débar-
rasser. Il faut que l'Angleterre sa-
che que nous ne craignons pas la
guerre, et qu'il n'y a plus cher
nous de mécontents quand il s'agit
de venger l'honneur du pays. » Le
président du cabinet fit observer
que le ministère français n'avait
pas dû prendre, dans l'affaire de
Portugal, l'initiative d'une démar-
che qui ne pouvait appartenir qu'à
l'Angleterre, son alliée particu-
lière; plusieurs amendements pro-
posés par la contre -opposition
royaliste pour improuver la con-
duite du cabinet furent écartés, et
la Chambre vota ég ilement, à une
grande majorité, une Adresse favo-
rable au système politique formulé
dans le discours du trône. — La
préoccupation publique fut bientôt
ramenée sur la situation intérieure
de la France par les débats que
suscitèrent deux objets importants:
la dénonciation du comte de Mont-
losier et le projet de loi sur la po-
lice de la presse. Fort du point
d'appui qu'il avait rencontré dans
l'arrêt de la cour royale de Paris,
Moiitlosier consigna tous les griefs
de son premier mémoire dans une
uu
VIL
VIL
pélilion à la Chambre des pairs, dont
M. le comie Porlalis fut nommé
rapporteur. Son travail, fort déve-
loppé d'ailleurs, se concentra prin-
cipalement sur la qiiesiion légale
envisaiîée dans ses rapports avec
l'existence des jésuites. Cette exis-
tence ayant été formellement re-
connue i la tribune par le mi-
nistre même des alTaires ec',;lésias-
tiques,M. Portails eut peu de peine
à démontrer qu'elle blessait les
prescriptions des éilits spéciaux
rendus sous Louis XV ei sous
Louis XVI contre 1.1 Société de Jésus,
et des lois générales postérieures
qui avaient interdit toutes les as-
sociations religieuses d'hommes
non autorisées. Le rapporteur con-
clut en conséquence ti ce que la
pétition flil renvoyée au président
du Conseil, « non pour réclamer
la sévérité des lois, mais le main-
lien de l'urdre légal. » A ces con-
clusions, rigoureusement fondées
en droit, le cardinal de La Fare, le
tluc de Fitz- James et l'évêque
d'Hermopolis opposèrent vaine-
ment la quuiité tout individuelle
des membres de la Société, les
tendances ouvertement irréligieu-
ses et anarchiques de leurs persé-
cuteurs, l'incontestable supériorité
des jésuites pour l'éducation de la
jeunesse, leurs succès prodigieux
dans Ifs missions étrangères, i'ir-
réprochablepuretédeleurs mœurs;
trois des personnages les plus con-
sidérables de la Chambre, MM. Lai-
né, P^squier, de B.iranle ne virent
dans l'introduction d'un ordre
prohibé qu'une infraction aux lois
du royaume, et ia Chambre pro-
nonça le renvoi demandé à la
majorité notable de 113 suffrages
«;ouire 73. Le comte de Vilièle ne
prit aucune pari ostensible ii ce
débat, mais il eut ii s'expliquer, à
la Chambre des députés, it propos
d'une autre pétition, sur un inci-
dent étrange et inattendu. IL s'a-
gissait du refus manifesté par Tam-
bassadeurd'Autriche de reconnaître
les litres de grands fiefs donnés à
des Français par le gouvernement
impérial sur des villes ou des pro-
vinces passées ou rentrées sous
la domination autrichienne. L'op-
position n'eut garde de négli-
ger celte inconvenance qui avait
vivement blessé la susceptibilité
nationale, et affecta de 1 1 considé-
rer comme une conséquence de la
faiblesse du ministère dans ses
rapports extérieurs. Le. président
du Conseil répondit avec plus de
fondement que de fierté * que la
France ne pouvait obliger per-
sonne, après les événements de
1814, à qualifier tel ou tel de ti-
tres qui, appartenant à une loca-
lité retranchée de la France, pou-
vaient être contestés par ceux qui
étaient actuellement m possession
de celte localité. » Contraint k de
nouvelles explications par l'insis-
tance de MM. Méchin, Hyde de
Neuville et Sébasiiani, le ministre
établit une distinction entre les
titres donnés par suite d'une vic-
toire, et ceux de fiefs sur une pro-
vince ou sur uue ville; il conclut
en annonçant que le maréchal dont
le nom motivait ce débat, avait
obtenu satisfaction complète sur
l'objet de sa réclamation. Le pro-
jet de loi qiii assurait à la dis-
tribution des lettres sur tous les
points de la France le bienfait
d'un service quotidien, souleva,
entre le ministère et l'opposi-
tion, quelques escarmouciies du
grand combat qui allait se livrer
sur la question de la presse. Plu-
sieurs orateurs censurèrent la sur-
taxe imposée aux journaux comme
VIL
uci entrave apportée à la iilterté de
•publication, ei M. Ilyde de Nea-
yille, s'inspirant de l'irritalion ex-
trême que lui avait causée ia dis-
grâce de M. de Chateaubriand, qui-
lifia l'esprit du ministère de « délire
qui poussait ies Français vers l'a-
bîme et les plaçait sous l'influence
de quelques pygmées. .. Moi aussi,
ajoulaii-il, par allusion à un mot
bien connu de Villèle, je joue car-
ies sur table, mais je joue toujours
avec de bonni^s cartes... L'homme
du despotisme elde la gloire disait:
« Sauvons au moins la république
des lettres. » Si le ministère per-
siste dans son funeste système,
que sauvera-t-il du naufrage? »
Le projet de loi sur la police de
la presse avait été présenté le
29 dt cambre à la Chambre des
députés par le garde des sceaux,
à la suite d'un long exposé où le
minibire sij:nalaii avec trop de vé-
rité les abus croissants de ce nou-
veau pouvoir qui, institué pour
garantir les libertés publiques,
avait tourné contre ces libertés
elles-mêmes, et « qui était devenu
pour les gpns de bien un instru-
ment de crainte et d'oppression.»
Les principales dispositions du pro-
jet consistaient diins Tobligaiion
de déposer tous les écrits de vingt
feuilles et au dessous, les uns cinq
jour> et ies autres dix jours avant
la publication ; une forte amende
et la suppression de l'ouvrage at-
teignaient le délinquant. Les im-
primeurs ttaicnt rendus responsa-
bles, et iiivcstis en conséquei-.ce
d'un droit de censure sur les écri-
vains. La loi limitait à cinq le nom-
bre d< s propriét^ii es des journaux,
écartait IfS femmes et \e^ mineurs
etannalaiireffeldescODlre-leiires,
« môme entre les parties (on-
traclanles; » les cautionnements,
VIL
/i95
les amendes, les peines d'empri-
sonnement étaient élevées beau-
coup au-dessus des proportions
actuelles; les écrits de cinq feuille»
et âu-de5sous étaient assujettis au
timbre. Enfm, le délit de diffama-
maiion, arbitrairement caractérisé
et sévèrement puni, pouvait être
poursuivi d'office par le ministèrô
public sans leconcours ni la plainte
de la personne insult^^e : disposi-
tion dont la consécration parut
exorbitante (1), et qui ne con-
tribua guère moins ^ dépopulari-
ser le projet que cet ensemble de
rigueurs qui affectait tout à coup
un si grand nombre d'intérêts. Le
comte de Villôle avait montré, dit-
on, peu de goût pour cette con-
ception pénale à laquelle il aurait
préféré l'exercice de la censure fa-
cultative ; les orages qu'elle devait
sou ever n'avaient point é( happé à
sa prévoyance eii'anim;it:ondes dé-
bats q'i'rlle venait de susciter au con-
seil d'État n'avait pu que fortifier
ses pressentiments a cet éirard. Il
céda en cette occasion à l'influence
de !a majorité du côté droit de la
Chambre, et parut se reposer sur
l'habdeté de M. de Peyronnel du
salut d'niîe lentcitive fortement
stimulée, on peut le croire , par
les exhortations du clergé. L'agita-
tion que produisit un système de
répression aussi absolu, aus»i om-
brageux , dépassa en rffei l(jut ce
qu'on pouvait attendre d une po-
li On peut jiii^er parle soulèvement
qu'rxcita cet arUelc, du travail qui s"c-
taii opéré datis les e:^p;ib. l.a poursuite
d'uriice et sans l'avou de la partie lé-
sec^ en cas (le dilTaiiiallon, existait
avant la loi de ISIO, cl n'avait jam :is
soiitTiTt de diflicuite. (>e pcuiil fut éta-
bli >ans conlradiction par M. de Marti-
giiac dans le disfours qu'il prou'jnea
sur le projet de loi.
A96
vir
pulaiion profondément lésée dans
ses habitudes, dans ses passions et
ses inlérêts, el à laquelle il fut fa-
cile de représenter i'œuvre minis-
lérielle comme un instrument de
destruction pour la pensée humai-
ne. Les pétitions collectives et
particulières affluèrent à la Cham-
bre, et l'Académie française, cé-
dant à l'entraînement universel,
dé$i(;na une commission composée
de MM. de Chateaubriand, Ville-
main el Lacretelle, pour adresser
de respectueuses représentations
au roi , protecteur de la Compa-
gnie. Mais le bureau de TAcadémie
ne fut point admis îi présenter cette
supplique, et MM. Villemain, Mi-
chaud el Lacretelle furent destitués
des fonctions qu'ils remplissaient;
mesure également injuste et im-
politique, et qui ne fil qu'accroître
rimpopularité du projet qui en
fut l'occasion. Le gouvernement,
de son côté, s'appliquait à justifier
son œuvre dans les journaux dont
il disposait; mais les feuilles du
pouvoir étaient peu lues par la
multitude, dont TindifTérence four-
nissait ainsi un des arguments les
plus puissants contre la liberté
illimitée de la presse. Ce fut dans
un de ces articles que l'auteur eut
la malencontreuse idée déqualifier
de loi de justice et d'amour ïti texte
de tant de plaintes et d'incrimina-
tions,qualification à laquelle M. de
Chateaubriand riposta par celle de
loi vandale, qu'elle garda commo
un stigmate ineffaçable. Organe de
la ci)mmission de la Chambre, un
estimable jurisconsulte, M. Bonnet,
lut hî 7 février un travail étendu
dans lequel, adoptant les bases et
les motifs du projet ministériel, il
le modifiait pourtant sur plusieurs
points importants. La commission
écartait la mesure extrême de la
VIL
suppression des écrits déposés hors
des délais légaux, et refusait d'éle-
ver le taux du timbre pour les jour-
naux; elle repoussait d'une mi-
nière absolue l'obligation d'y soa-
mettre les publications au-dessous
de 20 feuilles et d'un format au-
dessous de rin-18; mais elle assu-
jettissait ces publications au visa
préalable de l'autorité. Enfin, la
poursuite du ministère public, en
cas de diffamation, était subordon-
née à l'assentiment de la personne
intéressée, et les tribunaux con-
servaient le droit d'affranchir les
imprimeurs de la responsabilité qui
leur était attribuée. Ces amende-
ments n'a\aient point été adop-
tés par le ministère : circonstance
qui livra le projet primitif ^ tous
les coups de l'opposition. La dis-
cussion s'ouvrit le 13 février par
un discours violent de M. de Sala-
berry en faveur du projet , que
M. de La Bourdonnaye attaqua avec
sa passion accoutumée, et M. Royer-
Collard, avec l'autorité de sa parole
sentencieuse, agressive et fortement
accentuée. A l'en croire, cette loi,
dont lesrigueurs ont été bien aggra-
vées depuis sans arrêter un instant
les progrès de l'esprit humain, cette
loi tendait inévitablement à rame-
ner la France ii la barbarie, et l'ora-
teur combattait sérieusement, sous
le régime pacifique des Bourbons,
l'imminence d'un régime despoti-
que auquel le bras puissant de
Napoléon n'avait pu imprimer le
sceau de la durée : < Conseillers
de la couronne, s'écriail-il,en di-
rigeant f^on geste vers le banc mi-
nistériel, qu'avez-vous fait jusqu'ici
qui vous élève 2i ce point au-dessus
de vos concitoyens, que vous soyez
en état de leur imposer la tyran-
nie ? Dites-nous quel jour vous êtes
entrés en possession de la gloire,
VIL
(U.
k91
quellessontvosbatailles gagnées?...
Obscurs et médiocres comme nous,
il nous semble que vous ne nous
surpassez qu'en lémérué...La loi
que je combats annonce donc la
présence d'une faction dans le gou-
vernement, aussi certainement que
si cette faction se proclamait elle-
même et si elle marchait devant
Dous enseignes déployées. Je ne lui
demanderai pas qui elle est, d'où
elle vient, où elle va, elle menti-
rail!... Je ne saurais adopter les
amendements que voire commis-
sion vous propose , la loi nen est
ni digne ni susceptible... Je la re-
jette purement et simplement par
respeci pour l'humanité qu'elle dégra-
de, poi.r la justice qu'elle oulrage.»
A ces exagérations, li ces déclama-
tions si puissantes sur une société
prévenue, le président du Conseil
opposa quelques arguments de
fait d'une valeur incontesiable. Il
rappela que son administration
était la première qui, depuis <814,
avait spontanément accordé et sou-
tenu pendant cinq ans la libenéde
la presse; mais il ajouta qu'elle
rej^ardait comme un devoir sacré
de ne pas exposer le p;<ys à de
nouvt-aux déchirements en laissant
prendre trop d'intensité à l'action
dissolvante dune puissance dont la
France n'avait pu à aucune époque
supporter le libre usjige sans que
iegouvtrnement ne l'eût comprimée
ou n'eût été renversé par elle.
Au reproche de corruption diri;.^é
contre le cabinet, il objecta que le
ministre de l'intérieur était jusqu'à
présent le seul qui eût fait annu-
ler des crédits ouverts pour les dé-
penses secrèlesde la police, quand
il lui aurait été si facile de les ab-
sorber et de les distraire de b'ur
destii.alion; que s'il était vrai que
la servilité fût la conscquen'-e de
LXXXV
ce mode de corruption qui s'exerce
parla nomination aux emplois pu-
blics, jamais il n'avait dû être moins
pratiqué, car jamais il n'y avait
moinseu d'instabilité dans les em-
plois que depuisdeuxans. Le minis-
tre,s'expliqu.'int sur rinsiilution des
jésuites, fit observer que leur exis-
tence dataitd'une époque cù deux
de ses contradicteurs, MM. Royer-
Collard et Bourdeau remplissaient
l'un les fonctions de procureur-gé-
néral, rai:tre celles de chef de l'u-
niversité. « Nous ne voulons pas
plus que vous, dit-il, le rétablisse-
ment de cette corporation, mais
pas plus quevous, nous ne croyons
devoir user du pouvoir pourpersé-
cuierdes individus sous le [jrétexte
d'opinion religieuse... Le gouver-
nement du roi n'est asservi à au-
cune fyclion, et c'est pourquoi tou-
tes se coalisent pour l'attaquer et
l'accuser de l'agitation et des dé-
sordres qu'elles-mêmes provoquent
dans les esprits, quoique tout soit
libre, heureux et prospère dans le
pays... On nousa accuses de vouloir
établir la tyrannie, et, en parlant
du ridicule d'une pareille tentative,
on n'a pas vu que ce ridicule s'é-
tendait à ^accu^ation elle-même.
La tyrannie! M. Royer-Collard a
gémi sur elle comme nous tous, et
il sait fort bien que des tyrans ne
se laissent pas dire en face les
choses qu'il nous a forcés d'en-
tendre. Oui, la France est sous le
poids d'une tyr:!nnie qui insulte et
voudrait opi)rinier les pouvoiis lé-
g. ux, tyrannie qui atiaquelout pour
tout dissoudre, pour tout détruire,
car il lui est interdit de rien fotider;
mais celle tyrannie, messieurs,
c'est la tyrannie de la presse! »
Villèle défendit avec moins d'avan-
tage les articles du projet de loi,
et notamment celui qui avait trait
32
/t98
VIL
au limbre des petits journaux, dout
il r.'commanda sans succès l'ad-
mission. Ce ne fut pas s;m3 quel-
que surprise qu'on le vil combattre
un amendement qui interdisait la
circulation de tout écrit pendant
les cinq jours qui suivraieiit le dé-
pôt prévu par la loi du 21 octobre
1814. Il foûda son opinion sur le
motif que cet am.'ndement consti-
tuait un système préventif contraire
à la Charte, une censure perma-
nente inconcili;;ble avec les insti-
tutions données au pays : « Ce se-
rait, dit-il, sacrifier la liberté à la
crainte de l'abus, et nous n'en
sommes pas arrivés au point de sa-
crifier la liberté pour vous préser-
ver de la licence. » Ce memon^ble
débatso prolongea jusqu'au < 2 mars
^ travers une exirêrae confusion;
et il apparut clairement qu'un assez
grand nombre de dcpulés de la
droite ministérielle elle-même
étaient peu favorables ^ l'aiJoption
du projet. Aussi, la majorité qui le
convertit en résolution fut-elle nu-
mériquement faible. Elle n'atieignil
pas 100 voix dans une Chambre où
le cabinet avait disposé pendant
plusieurs années d'un nombre tri-
ple de suffrages, et constitua le
premier symptôme d'une décadence
que devaient r.ipidf-ment accélérer
les événements po.^térieurs. Ainsi
mutilé et dénaturé dans ses dispo-
sitions les plusessentielles, le projet
fut présenté à la Chambre des pairs
par M. de Peyroniiet, qui en mo-
tiva les dispositions maintenues
avec une modération de lang.ige
où perçait la crainte d'un nuuvel
et plus ^é^ieuxéehec. Le clioi.\ des
commissaires chargés de l'exami-
ner était propre a fortilier ces ap-
pnhensions, lorsqu'un incident
douloureux cl injjjiévu vint dé-
tourner momentanémeni l'attention
VIL
de la Chambre et surexciter encore
l'agitation des esprits. Un homme
qui conciliait les sentiments d'une
grande bienveillance personnelle
avec une hostilité très-prononcée
contre la marche du gouvernementr
le duc de la Rochefoucauld-Lian-
court, venait de mourir à Paris,
dans un âge avancé. La faveur de
l'opposition libérale s'éiaii attachée
à lui depuis que, par la destitution
de tous ses emplois gratuits, le mi-
nistère avait voulu punir, en 1823,
l'indépendance de ses opinions.
Ses obsèques, fixées au 30 mars,
avaient attiré une foule considé-
rable; des jeunes gens sortis de
l'école des arts et métiers de Châ-
lons, dont il était le protecteur,
portèrent îi bras, sans opposition
de sa famille, son cercueil jusqu'à
l'église où l'office funèbie fut célé-
bré, lisse disposaient à reprendre
leur vénérable fardeau, lorsqu'un
commissaire de police, excipanl
d'un ordre de son supérieur, pres-
crivit de replacer le corps sur le
char qui devait le conduire au
château de Liancourt. Une lutte
scandaleuse s'engagea entre les
élèves et la force armée, et, dans
la confusion de ce débat, le cercueil,
arraché des mains des jeunes gens,
tomba à demi brisé sur le pavé;
les insignes qui avaient appartenu
à l'illustre défunt furent étalés dans
la boue, et il fallut passer une
partie de la nuit qui précéda l'inhu-
mation k replacer ses membres
endommagés! Cet acte de profana-
tion excita une indignation géné-
rale. La Ch.imbre des pairs, à qui
a|)parienait le duc de la Uoch(îfou-
cault, chargea sou grand référen-
daire de prendre des informations.
Le rapport de M. de S moiiville
ramena les esprits à une apprécia-
tion plus calme ci plus équitable.
VIL
VIL
/i99
11 en résulta que l'autorité publique
avait agi en cette occasion dans la
limite rigoureuse de ses devoirs,
et que le seul re[)rociie qui lui fût
applicable était de s'être départie
de cette inflexibilité dans des cir-
constances beaucoup moins favo-
rables. Quoique étranger aux débats
de la glande question qui s'agitait
alors, cet incident sembla comme
nn augure défavorable au sort du
projet ministériel. Dans ces cir-
constances, le cabinet crut prudent
d'aller au devant d'une défaite en
retirant, le 17 avril, ce projet de
loi. Cette reculade fut un événe-
ment politique dont l'exaltation
populaire révéla les véritablis pro-
portions. Jamais, depuis longues
années, les manifestations publi-
ques ne s'étaient montrées si
bruyantes. Des bandes d'ouvriers
imprimeurs parcoururent en tu-
multe les rues de la capitale et
occasionnèrent sur quelques points
des désordres qu'il fallut répiimer.
Les mêmes démonsti'ations se pro-
duisirent avec moins d'éclat dans
plusieursgrandes villes du royaumf'.
Le petit nombie d'hommes qui
conservaient leur liberté d'esprit
au milieu des fascinations . de
l'époque, entrevirent avec eUVoi
la portée de ce nouvel encou-
ragement donné . par la conni-
vence ou l'aveuglemenL des corps
de l'État, au débordemcntdes doc-
trines irréligieuses et révolution-
naires. Le mini:>iére était loin assu-
rément (i'èire sans reproche dans
•la conception d'un projet qui avait
soulevé une hostilité si universelle.
Hais ks hommes monarchiques
commirent une faute à jam;iis re-
grettable en repolissant d'une ma-
nière aussi absolue cette bairiere
suprême que la sollicit nie du pou-
voir Icnlail d'opi'oser aux pro-'iès
continus de la licence. Q.ie de mal-
heurs eût conjurés une loi de répres-
sion sagement entendue, feimeiiient
pratiquée! La France de 1830 ne fût
point devenue le théâtre et la vic-
time de ce sanglant conflit où de-
vait s'abîmer une royauté de qua-
torze siècles; l'existenee même de
la so iété n'aurait pas été jouée
dix-huit ans plus tard au j(>u d'une
collision civile ; le pays n'eût pas
été contraint de chercher dans les
rigueurs de la dictature u:i refuge
contre Us excès de l'anarchie, et
le monde catholique ne stT.iit pas
réduit, de nosjours, à implorer de
la prudenci! ou de la commiséra-
tion des puissances européennes la
conservation du dernier asile de
son vénérable chef! — Les députés
demeurés fidèles au minis;ère es-
sayèrent de venger eux-mêmes et le
ministère de cet échec par la prise
en considération d'une mesure
proposée quelques jours avant par
M. le marquis de LaBoëssiere pour
sauvegarder la dignité de la Cham-
bre contre les attaques incessantes
de la presse. Il s'agissait de la for-
mation d'un comité chargé de lui
signaler les écrits ou comptes
rendus qui paraîtraient devoir pro-
voquer l'exercice du pouvoir ré-
pressif dont elle était armée par la
loi du 25 mars 1822. L.i double op-
position se recria vivement contre
cette mesure que Benjamin Constant
qualifia ■ d'appendice à la loi des-
tinée à tuer les journaux et la
publicité de la tribune. » Mais elle
fut appuyée par le président du
Conseil , qui parla plutôt comme
député que comme ministre, rt
àfiul le discours, dit Al. de Da-
ranlc, « lut conveniblc et b en
écoulé, » et admise, après une
discussion Irès-vive et trè.-.suiméo,
à une faibo n:a orilé d? -■' >oix.
50O
VIL
Celle esjîèce de levanohe d'une
irié|)arab!e défaite lui une faute de
plus. Frappée de défaveur dès son
origine, la commission La Boëssière
ne fonciionna jamais, et son exis-
tence, purement nominale, ne fit
qu'ajoaier àrirritaiiondjs esprits.
Une oi-casion qui devait enfanter
de déplorables suites fut offerte k
la population parisienne de faire
éclater ses senlimenis. On sait
combien Charles X, î\ l'exemple de
rainé de ses frères, était jaloux des
hommages de la multitude. La
décroissance marquée de l'empres-
sement populaire l'affectait sensi-
blement, et il recherchait avec
avidité louies les occasions de
constater le retour de sa capitale à
de meilleures dispositions. Le 12
avril, jour anniversaire de sa pre-
mière entrée à Paris, était une de
CCS circonstances où cet excellent
prince aimait à laisser monter jus-
qu'à lui ce parfum de la faveur
pubiique dont le mensonge a égiiré
tant de rois. Ce jour là, Charles X
reconnaissait les témoignages de
déout-ment qu'il avait reçus alors
de la garde nationale en lui con-
fiant le service exclusif de son
palais. Le IG avril, jour auquel ce
service avait été remis à cause des
solennités de la semaine sainte,
des détachements de chaciue légion
furent réunis dans la cour des
Tuileries; le roi , accompagné
du dauphin et d'un nombreux état-
m^ijor, en passa la revue aux cris
répétés de Vive le roi! Vivement
touché de cet accueil, Charles X
exprima le regret que les légions
eiilières n'eussent pas été conviées
^ celle Eûlennilé militaire, et que la
célébration de ce mémorable anni-
versaire se fût r»' duite à une simple
parade. Les encouragemenlsdes of-
iiiiers supérieurs qui entouraient
VIL
le monarque, ceux surtout du ma-
réchal Oudinot, commandant supé-
rieur(l), eurent bientôt transformé
ce regret en un engagement formel
de passer la revue de la garde na-
tionale, réunie au Champ-de-Mars,
le 29 avril suivant. Cependant cette
résolution occasionna quelques dé-
bats au Conseil des ministres. Le
projet de loi sur la presse avait été
retiré le 17, et les démonstrations
excitées par celle mesure présa-
geaieniunp réception au moins équi-
voque au roi, qui allait se trouver
face à face avec la population de sa
cipitale. Ci's considérations ébran-
lèrent Charles X, et ce prince se
montra disposé a ajourner ou même
à abandonner sa résolution. Mais
le comte de Villèle, persuadé qu'il
valait mieux encore affronter les
conséquences de celte réunion hau-
tement annoncée, engagea le roi à
ne témoigner ni regret ni méliance,
et k passer la revue (2). Cet avis pré-
valut, et le 29, par un temps ma-
gnifique, 20,000 gardes nationaux
se dirigèrent dans le plus bel ordre
vers le Champ-de-Mars, dont près
de 300,000 spectateurs bordèrent
la vaste enceinte. Le roi parut, ac-
compagné du dauphin, des ducs
d'Orléans et de Chartres; les prin-
cesses suivaient le cortège en ca-
lèche découverte. Charles X, à son
arrivée, fui salué de nombreuses et
vives acclamations, et tout sembla
d'abord devoir infirmeries fâcheux
pronostics quo celte journée avait
inspirés. Mais lorsque le roi com-
mença la revue, des cris de : A bas
les ministres! A bas les jésuites ! se
(i) Lettre (lu comte de Viliolc, du
(> mai 1827.
(2) f^olicG sur le covUe de Villèle ^
par M. de Ncuvi'lo, p. M9.
VIL
VIL
501
mêlèrent à ceux de Vive le roi! Soit
calcul politique, soit esprit de con-
venance, plusieurs officiers blâ-
mèrent ouvertement ces maniffsta-
lioiis, que des avis distribués à
profusion dans les rangs avaient
cherché ïi prévenir. Arrivé devant
le front de la 1" légion, le roi y fut
accueilli , dit un historien, « par
des cris de Vive la charte! proférés
avec tant de force et avec une per-
sistance si marquée, que ses traits
prirent l'expression du méconten-
tement; un garde national quittant
alors les rangs, s'avança près du
monarque et lui dit : — Voire Ma-
jesté irouve-t-elle donc mauvais que
sa garde nationale crie Vive la charte!
— Je suis venu ici pour recevoir
des hommages, et non des leçons,
répondit Charles X avec l'accent de
la dignité offen-ée. Un cri una-
nime de Vive le roi! éclata aussitôt
dans tous les rangs de la légion,
et le roi continua sa marche (I). »
Après iri i evue, Charles X manifesta
sa satisfaction de l'ensemble de
cette journée, et consentit à ce
que le maréchal Oudinot en con-
signât l'expression dans l'ordre
du jour qu'il se proposait de pu-
blier le lendemain. Mais des in-
cidents imprcvus devaient donner
à sa volonté un autre cours. Quel-
ques compagnies qui retournaient
dans ieurs quartiers respeclils en
passant par la rue de Rivoli et la
place Vendôme, (irent entendre
avec violence, sous les fenêtres du
ministère des finances et de lachan-
cellerie, les cris de répulsion que le
roi avait si dignen^ent réprimés.
Avertis de ces démonstrations lios-
tiles, les ministres, alors réunis
(1) Uist. (h fi (u'ux He^slauralion^i.
par A. de Vaulabelk', t. vi, p. '8:2.
chez l'ambassadeur d"Auiri(:he, se
rendirent au ministère de l'intérieur.
Où le préfet de police leur transmit
successivement les rapports qui lui
furent présentés sur ces événements.
Le Conseil se prolongea assez avant
dansia soirée. La majorité fut moins
touchée du sens littéral des excla-
mations qui avaient été proférées
que du caractère révolutionnaire
sous lequel elles s'étaient produites.
Sur ces entrefaites, le comte de Vil-
lèle fut mandé aux Tuileries et in-
terrogé par le roi sur le parti qu'il
convenait de prendre. Le chef du
cabinet conseilla sans hésiter la
dissolution immédiate de la garde
citoyenne. Cet avis fut adopté par
CharlesX, etreportépar le ministre
à la réunion de ses collègues qui y
adhérèrent, à l'exception de MM. de
Chabrol, Frayssinous et le duc de
Doudeauville, qui donna sa démis-
sion peu de jours après. L'oitlon-
nauce de dissolution remplaça, dans
le Moniteur, l'ordre du jour que le
roi avait d'abord autorisé. Cette
mesure, sèchement formulée, et que
n'adoucissait la promesse d'aucune
réorganisation future , excita une
grande rumeur dans Paris. Elle
blessa auNif les officiers de la garde
nation lie, flattés de l'importance
de leur position et dont la plupart
étaient demeurés sincèrement at-
taclies au régime de la Restaura-
tion. Elle provoqua les clameurs
affectées de celte partie de la popu-
lation i^our liKjaelle le service n'avait
jamais été qu'une corvée sans com-
pensation. C»itte mesure élailinjuste
en ce qu'i lie faisait porlerau corps
entier la peine de quelques vocifé-
rations individuelles; impolitique.
en proclamant un divorce absolu
entre le gouvernement cl la popu-
lation de sa capitale. Eutin, elle
était insuffisante, pui-^que la garde
002
VIL
licenciée conservait ses armes, cft
qui rendait sa dissolution illusoire
et même dangereuse. Ces consé-
quences se produisirent plus tard
avec trop d'évidence dans les fu-
nestes journées de juiUet, et, de
touies les fautes qui contribu^Tent
à la chute du trône de Charles X,
aucune n'eut une portée plus fâ-
cheuse et pius regreUable. — Cette
session législative, si constamment
agitée, fui marquée néanmoins r.ar
d'importants travaux. La confusion
des anciens et des nouveaux règle-
ments sur l'adminisiralion fores-
tière avait fait de celle partie de
notre économie publique un véri-
table chaos, et l'extrême latitude
accordée .--lUX propriétaires pr.r la
légis'ation moderne pour la dispo-
sition de leurs biens, avait amené
un dépérissement sensible dans l'a-
ménagement de ce genre d'immeu-
bles. Le projet d'un code complet
sur la m.itière, élaboré par des
hommes (ompét nls et soumis aux
observations préalables des corps
judiciaires, fui présenté à li Cham-
bre des députés, puisa la Chambre
des paiis par M. de Martignac, el
adoplé par elles à la piesque una-
nimité. Les deux Chambres eurent
également à s'occuper d'un projet
sur rorgaiiisalion du jury, ou plu-
tôt sur la formation des listes élec-
torales, qui jusqu'alors avait été
abandonnée, ou à peu près, à l'ar-
bitraii e de i administration. Le plan
miniblér el, qui restreignait aux
seuls électeurs l'exercice des fonc-
lions de juré, subit un remanie-
ment romplet, malgré les efforts de
Villele, dont ce résultat signala le
discrédit prot;ressil ii la Chamhre
despair*, qui en prit Tinilialive. La
discussion du budget se ressentit
de cette disposition des esprits :
« Comme on pouvait y parler de
VIL
tout, dit un écrivain grave, les op-
posants de la droite saisirent toutes
les occasions de blâmer le minis-
tère sans nui ménagement, et avec
des paroles plus agressives que les
orateurs de la gauche (1). » On
pourra juger de la violence de leur
langage par ce fragment d'un dis-
cours de M. dePreissac: «Ministres
du roi, s'écriail-il, il vous reste un
grand service ^ rendre au trône et
au pays, le seul qui puisse réparer
le mal que vous avez fait : c'est de
vous retirer. Vous êtes destitués de
toute force morale; toutes les su-
périorités vous effrayent, le cri de
Vive le roi vous accuse ; vous voulez
effrayer par des coups d'État : per-
sonne ne vous craint; vos destitu-
tions sont des litres d'honneur. »
A de telles déclamations, le prési-
dent du Conseil ne pouvait opposer
que le tableau de la prospérité ma-
térielle du pays, dont les revenus
cro'ssaient dans une proportion no-
table, et le spectacle de la sécurité
extérieure que rien ne troublait
d'une manière sérieuse. « Dieu n'a-
bandonne pas la Fiance, disait-il, et
s'il veut nous affliger par le désordre
qu'il laisse pénélrer dans quelques
esprits, du moins il pourvoit avec
largeur aux besoins de ceux qui,
par leurs travaux, élèvent le pays
à un haut degré de développement
dont chaque jour les bornes re-
culent devant nos efforts. » La sin-
cérité même des chitfres du budget
fut violemment lataquée par M. Laf-
fitte, qui alla jusqu'à menacer le
ministère d'une accusation directe,
dont MM. Labbey de Fompières,
Mechin, B. Constant, Pêtou et de
Thiard se portèrent les auxiliaires,
(1) La Vil', politique de M. Rayer -
Collard, par M. d" n;»rantc, t. ii, p. 329.
VIL
VIL
503
mais qui n'eut aucune suite immé-
diate. Attaqué à deux reprises au
sujet de la dissolution de la garde
nationale, le comte de Villéie re-
vendiqua hautement la resp nsa-
bilité de celte mesure « comman-
dée par l'intérêt du pays qui ne
devait pas retomber dans les révo-
lutions par la timidité des conseil-
lers de la couronne. » Non moins
agressif à la Lhambre des pairs que
l'avaient été à la Chambre élective
AIM. Laffitte et Constant, M. de
Chateaubri;ind écarta d'avance, par
quelques considérations sévères et
menaçmtes, les moyens de salut
que le cabinet pouvait tirer d'une
augmentation du nombre des pairs
ou d'iine prolongation piusou moins
étendue de la censure, et, par une
prophétie que les événements pos-
térieurs devaient se charger de
démentir, il proclama hautement
€ Pamour de la France pour la
liberté de la presse. » M. de Cha-
teaubriand déclara quil voterait
contre le bii<'gei, et exhorta vive-
ment les Chambres à user de ce
moyen extrême, déclaration que
qualifia avec sévéïilc M. deLally-
Tollendal, et qui ne détermina qi;e
rimperceplibie minorité de onze
votes nr^^atifs. Ce futd.mscet état
d'agi; alion que, le 22 juin, le roi
pronon(;a la clôture de la der-
nière session à laquelle le comte
de Villèle devait prendre part.
Deux jours après, une seconde
ordonnafue prescrivit le- réta-
blissement de la censure, et l'on
put dès lors pressentir le com-
raencemeut dune crise sérieuse.
Le ministère, en effet, se trouvait
tal:<iemeiit < onduit à la dissolution
de laChdmbre.La majoriicdt^ cette
Chami)re était devenue de plus en
plus douteuse, et celle de la Cham-
bre haute ne lui appartenait plus.
L'adoption de la S'^plennalité, votée
par des mandataires élus pour une
législature quinquennale, soule-
vait en outre certaines oppositions
de conscience ou de calcul dont la
solution pouvait devenir périlleuse.
Plusieurs préfets doimèrent au gou-
v(!rnement des espérances favora-
bles en cas d'élections générales,
et la sécurité personnelle du roi
fut encore entretenue par le succès
d'un voyage dans les riches dépar-
tements du Nord, où de bruyantes
acclama.ions avaient éclaté partout
surson passage. Enfin, au train dont
alhiit'nt les choses et en tenant
compte du progrès inconltstûble des
idées révolutionnaires, qui pouvait
répondre que dans deux ans le re-
nouvellement intégral de la Cham-
bre s'opérât sans danger pour la
monarchie? N'était-il pas prudent
de tenter cette rdoutable épreuve
alors qu'on pouvait en attendre
encore une majorité qui ne serait
pas trop décidemeiit hostile? La
dissolution de la Chambre fut donc
résolue. Mais, il fallait déjilaccr la
majorité de l'autre Chambre par
une promotion dont les éléments
devaient être empruntés forcement
à la portion la plus influente et la
plusdivouée de cet:e assemblée.
Celte liste, composée d'abord de
cent noms, fut réduite à soixante-
seize pur le roi et le dau|)hin. La
double mesure de la dissolution de
la Chambre et de la promotion des
nouveaux pairs fui promulj^uée le
5 novembre; la même ordonnance
prononça l'abolition de la censure,
laquelle avait clé généralement
exercée dans un esprit rigoureux,
T'-'xaton-e et irès-propre à ;iug-
me;!l»'r l'irritation universelle, [.es
élections générales furent lixées
au 19 et au 24 du même mois,
terme dont la brit;velé accusait l'in-
bOli
VII.
VIL
tenlion évidente de surprendre
l'opposition au dépourvu et de
rendre illusoires les réclamations
des électeurs dont l'autorité se croi-
rait intéressée à contester les droits.
Mais ces expédients d'une admi-
nistration défaillante manquèrent
complètement leur elTet. Par suite
de la nouvelle loi sur l'organisation
du jury, les listes électorales se
trouvaient dressées depuis plusieurs
mois. Peu de jours sui'îirent aux
meneurs du parti libéral pour s'en-
tendre sur leurs candidats, dont
plusieurs furent adoptes par la
conlre-oppo.siiion de droite. Les
libéraux, de leur côté, s'engagè-
rent à porter, sous l'étiquette men-
teuse de candidats constUiitionnels,
certains noms designés depuis de
longues années à leurs défiances
et à leurs antipathies, mais qui
trouvaient grâce à leurs yeux par
la chaleur de leur animosité contre
le ministère, objet dun ressenti-
ment si universel. Ce fut le pre-
mier exemple de ces coalitions
électorales dont l'immoralité perni-
cieuse devait être si largement ex-
ploitée quelques années plus tard
par les ennemis du régime parle-
mentaire. A ces maiiœuvres con-
damnables, l'administration se crut
fondée i opposer un luxe de séduc-
tions ou de rigueurs qui n'était
guère moins repréhensible. Tous
les moyens furent mis en usage
pour faire triompher les candidats
présentés par le gouvernement.
Divers écrits anonymes, sans nom
d'imprimeur, tirés à un nombre
considérable d'exemplaires, aux
frais de l'État, furent distribués
soit sous le couvert des préfets,
soit même sous celui des journaux
de ro|. position. Tous les ordres de
fonctionnaires publics, seule classe
dévouée sans incertitude k tous
les régimes qui depuis soixante
ans se sont succédé en France,
furent requis de coopérer dans
la sphère de leur influence, au
succès de l'administration. L'ar-
deur intéressée de leur concours ne
fit pas déf lUt à ce pressant appel.
Mais la puissance gouvernemen-
tale qui, dans notre système de
centralisation moderne, louche à
tant d'iutérèls, dispose de taul
d'action, fléchit celte fois devant
l'indépendance du sentiment pu-
blic , surexcitée par l'émancipa-
tion récente de la presse périodi-
que. Les noms les plus irréconci-
liables non-seulement avec le sys-
tème ministériel , mais avec la
Restauration elle-même, sortirent
de l'urne électorale, et le gouver-
nement obtint à peine le tiers des
candidats qu'il avait présentés
comme présidents des collèges
d'arrondissement. La proportion
de l'opposition coalisée s'était éle-
vée au chiflre énorme de 6,690
voix contre 4,1 iO suffrages donnés
au parti gouvernemental. Ce pre-
mier succès répandit une joie uni-
verselle dans tous les rangs de
l'opinion libérale. A Paris, dans ce
vaste foyer d'opposition, un grand
nombre d'habitants des quartiers
Saint-Denis et Saint-Martin illumi-
nèrent, dans la soirée du 19 no-
vembre, les façades de leurs mai-
sons, et l'air retentit du bruit de
pétards et des cris de Vive laCharte!
Vivent nos députés! auxquels vinrent
se mêler les cris plus inattendus
de Vive Napoléon ! Vive l'empereur I
Ces démonstrations ne tardèrent
pas à porter leurs fruits. Vers sept
heures, une bande composée
d'hommes et d'enfants de la lie
du peuple, parcourut plusieurs
points de la capitale en sommant
les cilovens d'illuminer et en lan-
VIL
VIL
505
çant des pierres contre les croisées.
On remarqua que les agitateurs
ne furent inquiéiés nulle part, si
ce D'est par un poste militaire de
la place Vendôme qui en arrêta uiie
centaine environ; mais ils furent
Lieniôl rc'lâohés. La rue Saint-
Denis était au même instant le
théâtre de désoidres plus graves.
Des bandes de vocifôrateurs y iu-
sullaif nt les citoyens paisibles, bri-
saient les vitres des maisons et
couvraient de pièces d'artifice les
voilures qui circulaient sur la voie
publique. Vers neuf heures, parut
un détachement de gendarmerie
qui, assaili k coups de pierres, re-
foula la multitude dans la direc-
tion de l'église de Saint-Leu et
vers le passage du Grand-Cerf.
Là, les plus échauffés imaginèrent
de barrer la ciiculaiion k l'aide de
charrettes renversées, d'ouiils de
maçon, de moellous et de pierres
de taille empruntés à des mai-
sons en construction. Ce fut l'o-
rigine de c<^s modernes barricades
qui devaient jouer un si grand
rôle dans les destinées futures de
la France. Les ptriuibaieuis cri-
blèrent à coups de pierre une
patrouille de gendarmes du haut
de ces retranchements improvisés,
qui ne furent détruits que très-
avant dans la nuit par l'emploi
successif de plusieurs colonnes for-
mées de troupfs de la garde et de
la ligue, et à la suite d'un feu bien
nourri qui fil plusieurs victimes.
Le lendemain, 20, les mémesscènes
se répétèrent aux nièmes heures,
sur les mêmes lieux, et la plupart
des spectateurs qu'elles avaient at-
tirés parurent surpris de la longue
inaction danr> Lquelle l'auturilé
publique assista à ces désordres.
Ce ne fui que vers dix heures que
des forces suffisantes vinrent occu-
per les boulevards Saint-Denis et
Saint-Martin. Les trois barricades,
reconstruites sur les mêmes points
que la veille, lurent emportées k
la suite d'une résistance opiniâtre,
qui coula la vie à quelques citoyens
inoffensifs, et qui amena l'arresta-
tion d'un grand nombre d'anar-
chistes. Dans la soirée de ce jour,
trois députés nouvellement réélus,
MM. B. Constant, Laffite et de
Schonen se présentèrent, chez le
président du Conseil, qui refusa
de les admettre autrement que
comme simples individus, parce
que la Chambre n'avait encore au-
cune cOîisiitulioQ légale. Benjamin
Constant insinua que les dé-
sordres qui affligeaient la capitale
pouvaient être attribués au parti
vaincu dans les élections ei pressa
le ministre d'y apporter un terme.
Cette thèse fut soutenue par M. de
Schonen avec l'emportement pro-
pre â son caractère; M. Laflittese
borna à regretter le licenciement
de la garde nationale, dont il de-
manda la réorganisation. Le comte
de Villele répondit â B. Constant
que le parti qui regrettait la disso-
lution de la iiarde nationale était
encore plus intéressé à fomenter
les troubles de Paris que celui qu'il
qualifiait de vaincu; que d'ailleurs
les tribunaux auraient bientôt à
prononcer sur le caractère de la
sédition ; qu'au surplus 15,000 hom-
mes de troupes étaient mis à l'heure
même en mouvement |)Our la répri-
mer. B. Constant ayant objecté que
ces mesures répressives auraient
dû être prises plus lot, le ministre
lui répliqua que, si la rébellion
n'avait pas été mise en demeure
par des sommations réitérées,
on n'eût pas manqué d'attribuer
aux troupes la provocation det
désordres et l'exaspération des ci-
500
VIL
VIL
toyons, mais que les actes d'agres-
sion matérielle auxquels elle avait
eu recours all'ranchissaient dès à
présent le pouvoir de toute respon-
sabilité. La sensation qu'avaient
produite les événements de la rue
Saiul-Denis à t*aris et dans les dé-
parlements fui très-vive. C'était,
depuis la journée du 13 vendé-
miaire, la première collision sé-
rieuse qui eût ensani^lanlé les rues
de la capitale. Celle impression
exerça une action marquée sur les
élections des grands collèges, qui
n'ava-ent point encore voté, et dé-
termina de leur part une réaction
sensible en faveur du ministère.
La plupart de ses candidats furent
nommés à de fortes majorités, et
ce résultat accrédita la supposition
que ces troubles avaient été excités
ou soudoyés par la police pour ef-
frayer les électeurs et détourner
des choix hostiles au gouverne-
ment. Cette inculpalioii parut au-
torisée par la longanimité suspecte
afcc laquelle la police était de-
meurée spectatrice des premiers
mouvements : mais elle ne saurait
être léiièrement admise. Que quel-
ques zélés subalternes eussent
pensé servir les intérêts du minis-
tère en favorisant par une tolé-
rance calculée le développement
de l'insurrection, cette supposition
n'a malheureusement rien que de
possible, et l histoire de nos trou-
bles civils est pleine de manœuvres
de celte nature. Mais inférer de
celte coFijecture que la police eût
provoqué une deraonslralion si
conforme, .-iprès tout, aux prati-
ques révolutionnaires, c'est une
coLcIusion que la raison repousse,
et (jui ne SdUraii être jusliliee que
par des témoignages précis et irré-
cusables. Or, les évi iiements des
19 et 20 novembre donnèrent lieu
U une information approfondie et,
de cette enquête, qui se termina
sous le ministère le plus constitu-
tionnel peut-être (|ue la France ait
possédé, il ne ressortit aucun grief
sérieux contre, les agents de l'au-
torité. L'agitation des esprits fut
encore surexcitée par une publica-
tion qui n'accusait que trop le
désordre des idées et la décadence
du pouvoir de Charles X. Un écri-
vain libéral, condamné en 1821
pour écrit sédiiieux, M. Cauchois-
Lemaire, imprima une lettre par
laquelle il exhortait M. le duc d'Or-
léans à profiter de la faveur des
circonstances pour prendre posi-
tion dans la monarchie battue en
brèche par tant de passions
conjurées. « Le peuple français,
lui disait-il, est un grand enfant
qui ne demande pas mieux que
d'avoir un tuteur; soyez-le.... afin
que le char si mal conduit ne verse
pas; nous avons fait de notre côlé
tous nos etîorts, essayez du vôtre,
et saisissons ensemble la roue sur
le penchant du précipice. » Malgré
la transparence de légèreté dont
l'écrivain s'était plu it le voiler,
personne ne s'abusa sur la portée
de cet appel fait au rejirésentant
le plus éminent, sinon le plus dé-
cidé, de l'esprit de 1789. L'insinua-
tion parut assez directe pour (jue le
prince s'empressât, par lui et surtout
par ses amis, de répudier cette es-
pérance intempesiive dont la réa-
lisation devait lui procurer, moins
de trois ans plus tard, une domi-
nation seraéede plusd'orJiîesencore
que celle de Charles X, pour abou-
tir comme elle à l'exil et à la pros-
cription : destinée trop commune
aux pouvoirs modernes, et que les
excès de la force, la droiture des
intentions, les habilclés de la con-
duite semblent également impuis-
VIL
^7L
507
sants à conjurer. Loin d'ailleurs
d'avoir été concertée avec le pre-
mier prince du sang, comme on l'a
cru el répété, la sommation si
tranchée de M. Cauchois l'avait ri-
vement contrarié. Toujours sus-
pect au parti royaliste par son ori-
gine et parson entourage, M. It duc
d'Orléans n'avait rien tantk cœur
que de s'effacer, ostensiblement au
moins, de la scène politique et de
se maintenir en bonnes relations
personnelles avec le roi Charles X.
Moins ambitieux poi:r lui-même
qu'on ne l'a généralement supposé,
ce prinne n'était p?.s insensible
sans doute à l'idée de faire entrer
dans sa belle et nombreuse famille
l'une des plus brillantes couronnes
de l'univers; mais cette séduction
était balancée chez lui par le sen-
timent des avantages et des jouis-
sances de sa* florissante situation.
« Le soin qu'il apportait à ménager,
à se concilier tous les partis, dit
un rigoureux appréciateur, pre-
nait sa source autant dans son ca-
ractère, où manquaient la fran-
chise et l'élévation, que dans !a
pensée de se réserver une position
distincte de celle de ses parents
dans les éventualités d'une nou-
velle catastrophe dont il avait la
prévision co{:fuse(l}. » La condam-
nation prono céc contre M. Cau-
chois - Lem.wre, quelques jours
après, ajouta peu d'éclat k la po-
pularité du duc d'Orléans, aiors
fort restreinte et coiicenirée, pour
ainsi dire, entre quelques sommi-
tés du parti libéral i,2}. La politique
(1) Jlisl. (les deux Restaurations^
par A. <lc Vaulabelie, t. vu, p. 2«<;.
(2) Un des chefs secondai le.^ de ce
parti, M. de U;iiiibuleau, d puis préfet
de la Sciuc, appliquait faïuilioriiiunl au
prince celte phrase devenue prover-
étrângère vint apporter une direr-
sion momentanée à la vivacité des
débets intérieurs. Depuis six ans,
la Grèce disputait sa liberté avec
une énergie dont |e triomphe n'é-
tait suspendu que par le contact
empoisonné des passions révolu-
tionnaires. Cependant une conven-
tion avait été signée ù Londres, le
6 juillet 1827, entre la France, la
Russie et l'Angleterre, el un ulli-
matum fut envoyé à Conslantinnple,
soutenu par les flottes combinées
de ces trois puissances. îilais .'e sul-
tan se persuada qu'une coalition for-
mée d'élr'ments aussi hétérogènes
se dissoudrait avant d'agir, et que
ces Etats reculeraient devant l'idée
d'ouvrir, par ladestructionoumême
par l'alfaiblissemenl del'enipire ot-
toman, une série de complications
périlleuses. Il fit construire dans le
port d'Alexandrie, sous la direction
même d'ingénieurs européens, une
nombreuse flottedesiinée à attaquer,
dans l'iled H}dra,le principal bou-
levard de l'insurrection hellénique.
Les coalisés, de leur cùté, en-
voyèrent dans les eaux delà Médi-
terranée des forces suffisantes pour
neutraliser l'i^clion des deux Klats
belligérants. Les trois amiraux pri-
rent position, le 18 octobre, dans le
port de Navarin, où leurs mouve-
ments ne furent point inquiétés par
la flotte îurco-cgypiiennt*. Mais un
parlementaire anglais, dépêché au
vaisseau amiral turc, ayant été tué
par une balle partie de ce bâti-
ment, ce fut le signal du combat.
Il dura trois heures et demie et se
termina [)ar la destruction presque
entière de laûolte ennemie. Quel-
bialc, à propos de (iaston d'Orlcans,
€ qu'il n'ctaii propre (pi'a donner la
mam a ses amis pour les faire monter
h recliafaud. d
508
VII.
VIL
que populaire que dût être un tel
événement en France, où la cause
hellénique avait généraler^ienl pas-
lionné les esprits, l'opposition,
dans son injustice, ne put se ré-
soudre à en fdire honneur au mi-
nistère. On prélendit, non sans
quelque fondement peut-être, que
l'amiral de Higny et l'amiral Co-
drington, t'e derniersurtout, avaient
excédé leurs inslrucli< ns (1). On
ignorait d'ailleurs combien étaient
vives en faveur de la Grèce les sym-
pathies personnelles de Charles X,
et avec quelle ardeur il se prêtait à
toute démonstration utile à son in-
dépendance. La victoire de Navarin
n'apporta donc aucune force au
cabinet, et il fallut aviser sérieuse-
ment, en regard de la formidable
majorité qui s'avançait. Les comtes
de Villèle et Corbière avaient été
réélus par leurs collèges; mais
M. de Peyronnet avait succombé
dans une double candidature. Lors-
que le résultat général fut connu,
Charles X réunit ses minisires et
leur demanda s'ils pensaient pou-
voir avec quelques chances de suc-
cès affronter l'opposition de la nou-
velle Chambre. On lui répondit
v'I; Voici, bur cet événement, une
anecdote peu connue, et dont on m'a
garanti ryiiliienticité. Les trois puissan-
ces avaient donné a leurs amiraux l'or-
dre de s'iiiti'idire tout acte d'agression
contre la fluUe turco-cgyplieiine. Mais
le duc de Clarencc, grand-aniinil d'An-
jileierre, ne l'entendit pas ainsi; et,
après avoir signé, en sa qualité, les
instructions qtie son gouvernement lui
prcsciivait d'iidrcsser a l'amiral Co-
dhngtoii, (lui commandait la station, il
écrivit au-dessous de sa signature ces
trois mots: «Itdvcat Ihcm (tombez des-
sus). » Codrini^loii, qui ne demandait
{»as mieux, s'enundit avec ses deux col-
ègues, et la llolle /'gyptiennc fut anéan-
tie.
que la session s'ouvrirait proba-
blement par la demande du renvoi
des ministres; mais que si cette
demande était écartée par un refus
péremploire, il y avait chance
d'obtenir la majorité pour toutes
les lois d'intérêt général conformes
à l'esprit qui avait présidé aux élec-
tions. Les membres du cabinet ac-
compagnèrent leur réponse de l'of-
fre immédiate du dépôt de leurs
portefeuilles; mais ils déclarèrent
qu'ils étaient prêts à engager la
lutte si le roi le jugeait utile aux
intérêts de la monarchie et du pays.
Lft roi entretint ensuite particu-
lièrement Villèle de diverses com-
binaisons ministérielles proposées
pour satisfaire l'opinion publique;
Villèle insista surtout sur la néces-
sité de fixer l'incertitude des es-
prits par une prompte détermina-
lion dans un sens ou dans l'autre.
Au fond , il n'avait aucun es-
poir de maintenir l'intégriié de
son ministère en présence de la
nouvelle Chambre : mais il pou-
vait se flatter encore d'apparte-
nir k une administration qui ral-
lierait le centre droit et la défection,
et divers plans, comme on va le
voir, furent mis en avant dans cet
objet; mais aucun ne put aboutir.
Le lendemiin, après la séance du
Conseil, le roi déclara au comte de
Villèle l'intention de remplacer son
ministère, et le consultasur le choix
d'un nouveau cabinet. Mais Villèle
déclina toute responsabilité à cet
égard et consentitseulemenl à man-
der à Paris le marquis de Talaru,
alors ambassadeur à M-idrid; il pro-
mit aussi de l'informer de l'inten-
tion où était Charles X de lui con-
fier la désignation et la présidence
du nouveau Conseil. M. de Talaru
vint, mais il répudia tout concours
dans la distribution de l'héritage du
VIL
VIL
509
comte de Villèle. Le roi fil appeler
M. de Chabrol, ministre àe la ma-
rine, serviteur fidèle, administra-
teur caj)able et modéré. M. de Cha-
brol accepta latâchequi lui était im-
posée; ii présenta une liste dont Char-
lesX effaça sansbésiterle nomdeM.-
de Chateaubriand pour le rempla-
cer par celui de M. do Laferronnays.
MM. Portails, de Martignac, Roy,
deCaux, furent appelés aux dépar-
tements de la justice, de l'intérieur,
des finances et de la guerre; M. de
Chabrol conserva le njinistère de la
marine, M.Frayssinouscelui de l'in-
struction publique et des cultes, et
l'on créa un ministère du commerce
pour le confier à M. deSaini-Cricq.
Cette combinaison laborieuse ne
s'était réalisée que le À janvier
1828. Trois semaines avant, le
comte de Villèle écrivait confiden-
liellt^menl 'à son fils une lettre où on
lisait les passages suivants qui ré-
fléchissent ai vif les embarras réels
de la situation : « Mon honneur et
mon devoir m'interdisent d'aban-
donner le roi et me prescrivent de
l'aider à sortir de l'embarras pres-
que inextricable où il se trouve,
soit en restant pour combattre l'en-
nemi... soit en facilitant en tout ce
qui dépend de moi les arrang«'menls
nécessaires pour notre remplace-
ment, si c'est, comme tout me porte
à l'espérer, le p;irii qu'il (inita par
adopter. Cependant les choses sont
bien dilltrentes de ce que tu te fi-
gures; cha(jue jour des proposi-
tions me sont faites de la part des
deux sections de la coalition, (jui
m'olTrcnt leur alliance el la majo-
rité, à la ronnilion de partager avec
quelques-uns des leurs les postes
ministériels; le public est dupe par
les journaux de la manière la plus
honteuse; toutes ces intrigues me
font pitié. Le lendemain du jour où
je ne serai plus ministre, tout le
monde viendra me complimenter,
car ce n^est pas à .\f. de Villèle quon
en veut, c'est à lautorité; c'est ce
que le roi et madame la dauphine
surtout sentent à merveille (1), el
ce qui retarde la décision après la-
quelle nous soupirons... L'affaire
d'Orient lire à sa fin, celle du Por-
tugal est arrangée, celle d'Espagne
terminée, le tout pour le plus grand
intérêt du pays. La France est plus
prospère qu'elle ne l'a jamais été.
On peut quitter sans regret, et sur-
tout sans remords ni crainte, une
administration sous laquelle ontété
amenés de tels résultats, o Le 3 jan-
vier, veille de la promulgation du
nouveau ministère, il fut teiiu aux
Tuileries un dernier Conseil où s'a-
gita la promotion ^ la pairie des
comtes de Villèle, Corbière et dô
Peyronnet. Villèle résista beaucoup,
pour sa part, à cette mutation qui
privait Charles X de son influence
dans la Chambre élective. Le roi
lui écrivit secrètement pendant le
Conseil que ce refus l'obligerait à
lui conserver son portefeuille, cha-
cun des nouveaux minisires ayant
fait de ^a promotion la condition
absolue de >on entrée au cabinet;
Villèle ayant persisté, Chant s X lui
écrivit de nouveau : « Vous voulez
donc vous imposer à moi comme
ministre? » Villèle répondit aussi-
tôt : « Le roi sait bien le contraire;
mais puisqu'il a pu l'écrire, qu'il
fasse (Je moi ce qui lui pl.iira; Dieu
veuille qu'il n'ait pas à s'eu repen-
' I) Loivquc ccUc princesse eut appvjs
ile>a lioii! lie nii-nie de Charles X la ré-
solution qu'il avait prise de renvoyer
sou iiiuii>lère, el e lui dit : « En aban-
donnant M. de Villèle, vous d.smdtv.
la pr. iiiiere marche de votre irône. •
{i\otice de M. de Neuville, p. lU-.)
510
VIL
VIL
lir! » Lorsque le nouveau pair vint
prendre congé de M. le dauphin, ce
prince lui témoigna les regrels qu'il
éprouvait de sa retraite : « iMais,
ajoula-l-il , vous étiez devenu si
impopulaire' — Monseigneur, ré-
pondit l'ex-minislre, Dieu veuille
que ce soit moi! » Le lendemain
même de l'ordonnance, le comte de
Villèle écrivit à sou fiis : « Mon cher
ami. Dieu soit loué! Me voilà déû-
Ditivonicni ariivé au terme de ma
carrière politique, me voilà débar-
rassé du ministère! On a jugé à
propos de m'enterrera la Chambre
des pairs; je me soumets et je m'en
console par la considération que
celle mesure m'assure la plus com-
plète j'ouissance de ma liberté. Je
viens de faire remise du ministère
à M. Roy. Je le laisse en bon état»
tout à jour et dans une situation
assez prospère pour rester honoré
de l'adminislraiion qui m'a été con-
fiée pendant six ans (1). L'abandon
(1) Voici dans quelle situation le
comte de Villèle, d'après M. d'Aiidiffret,
laissnit, au 4 janvier 1828, soi) adminis-
tration. « Toutes les créances anté-
rieures à son exercice avaient été pres-
qu'entiéremcnt soldées, par suite de la
célérité que rordonnance du 14 sep-
tembre 182:2 avait imprimée à l'acquit-
.tenacnt des dé[>enses publiques. — La
dette flotiante ne s'élevait pas alors au
deià (le 1G7 millions de capital; nous
pos«-cdioiis, enoutrc, un t,Mge de plus de
100 Dullion sur le gouvernement espa-
gnol.— Le budget de l'Ktat n'avyit point
atieii.t le cbillrc de 900 millioi/s; sa
liaianee ;iniiuellc présenlail un excédant
do reeetle sur chaque exercice, en ré-
servant encore un accroissement pro-
gressif df |dus de 80 millionsau rac hat
journalier de la dette imblique. — Le
poids des eng:igemei.tr> du passé, si
lourdement aj^gravé par les gouvernc-
meiils anlérieiir> a ISll, jusqu'à concur-
rence de lO.'i millidns d'inréra^es, avait
été allégé de 'M millions, et .se trouvait
réduit, avant la n volulion de IHéfO, a
162 millions de renies, pendant que les
de la vie active ne procura point à
Villèle cette tranquillité d'esprit et
de corps après laquelle il soupirail.
L'importance du rôle qu'il venait de
remplir dans la sphère politique
l'avait rendu l'arbitre naturel d'une
foule de questions sur lesquelles il
étaitincessamment consulté soit par
les nouveaux ministres, soil par le
roi, soit par les députés mêmes dont
il avait éprouvé l'hosiililé.Deuxdo
ceux-ci, MM. de La Bourdonnaye
et de Lalot eurent recours à son
influence pour rétablir l'union par-
mi le côté droit de la Chambre. II
leur répondit qu'il coopérerait fran-
chement à celle œuvre sous la seule
condition qu'elle aurait pour but
imique«ladéfensede Taulorilé mo-
narchique, et pour point de départ"
la rupture complète des royalistes
avecles députés révolutionnaires. »
Enfin, il fut averti que l'ouverture
prochaine de la session léi;islative
allait être marquée par une attaque
directe contre son administration,
et dut demeurer à Paris pour faire
tels au pé.'il. Le vériiable objet de
celle attaque était de placer Villèle
sous le coup d'une suspicion légale
qui écartât de l'esprit du roi toute
possibilité de le rappeler aux af-
faires, j) Elle eut son prélude dans
l'Adresse de la Chambre élective, qui
contenait cette phrase, votée par
187 contre 173 voix : t Les vœux
de 1.1 France ne demand< ni aux dé-
positaires de votre pouvoir que la
vérité de vos bienfaits; ses plaintes
n'accuseni que le syslme déplorable
qui les rendit trop souvent illu-
soires. ■ Ce témoignage d'improba-
fonds du :') p. 100, du i et du 4 1/2 se
maintenaient au-dessus du pair, et que
le 'A p. 100 aUeignait dija le taux de
8G Ir. » (Souvenirs de radministration
financière, etc., p. 312 ctsuiv.)
VIL
tion ne permettait plus à MM-
Frayssinous et de Chabrol ôc gar-
der leurs sièges dans le nouveau ca-
binet, lisse retirèrent etfurent rem-
placés parMM.Feutrieret Hydede
Neuville. Quelques jours avant la
présentation de l'Adresse, le comte
de Villèle écrivait à son fils: «Loin
de redouter Taccusaiion dont on
me menace, je la provoquerais de
tout mon pouvoir, si dans tout ceci
c'était en effet de moi qu'il s'agît;
mais on ae cherche par toutes ces
menaces et par l'acte lui-même, si
on l'exécute, qu'à lancer la Cham-
bre dans une voie de violence et
qu'à forcer le roi à faire des con-
cessions destructives de son auto-
rité et fatales au repos du pays. •
Ce système de concessions, si dan-
gereuxsurla pente révolutionnaire
où se trouvait la France, se réali-
sait en eiïet avec une progression
de plus en plus alarmante. Le pou-
voir perdait dans la suppression des
procès de tendance, de la censure
facultative et du droit de refuser la
créaiiûu de tout nouveau journal,
ses armes les mieux trempées con-
tre les attaques suJverMves de l'or-
dre public, et les e>prits sages
purent prcvoir des lors qu'il ne
reco:;querrait un jour ces^aranlies
qu'au prix de violences déplorables
et d'une réaciiou outrée contre les
libertés politi(pies. Le 4 juin, M. Lab-
bey de Pompières déposa sur le
bureau de la Chambre une demande
conçue en i es termes : « Je propose
d'accuser les précédents mi[iii?trcs
de trahison envers le roi q l'ils ont
isolé du pays, et de trahison enver's
le peuple qu'ils ont isolé de la con-
fiance du roi; je les accuse d'avoir
atit'utc à la constitution du pays et
aux droiisdes citoyens; je les accuse
de concussion pour avoir perçu des
taxes non volées ei dissipe les de-
VIL
5H
Diers de l'État. » Cette proposition,
combattue pour la forme [)arM. de
Marliiînar, ministre de l'intérieur, et
pour le fond parM.deMonibel.ami
particulier du comte de "Villèle, fut
réduite aux crimes de trahison etde
concussion, et renvoyée i l'examen
d'une commission composée en ma-
jorité de membres du parti libérai
et de la défeciion(l), m.'^is où l'on
fit entrer M. de Montbel et le co-
lonel de Laraezan, parent de l'an-
cien chef du Conseil. « I! paraît cer-
tain, écrivait le 26 juin l'illustre
accusé, que le but est de me placer
dans une situation telle, que, pen-
dant l'absence des Chambres, le roi
ne puisse me reprendre pour mi-
nisiie. On a bien de la bonté : il
le voudrait en vain; pour rien au
monde je n'y consentirais, et cer-
tainement il n'y pense pas plus que
moi. » Au bout de cinq semaines
de recherches et de débats, le rap-
porteur de la commission, M. Grod
.de l'Ain), présenta, le 21 juillet,
son travail à la Chambre. Il an-
nonça que les mini:;lres ayant cru
de\oir refuser la communication
des dO( uments relatifs aux laits in-
criminés contreleursprédéces-eurs,
la commission s'était vue réduite ii
chercher les éléments de sa con-
viclio:; dans les notions générairs
ou particulières qu'elle avait pu re-
cueillir. L'accusation se trouvait
ainsi réduite aux incriminations ba-
nales que, durant une administra-
lion dont le plus grandtort était d'a-
voir >éi'u six ans, l'opposition n'avait
cessé d'adiessrr aux dernier's con-
seillir> de la couronne : la guerre
(1) Les neuf membres de cette con)-
missiun étuient M. Maupnm, Cir-o I ('le
r\in), de Monll>i'l,Haui:ot,Diitcrir(\ B.
Con.4;«nt, de Lalol, ue L:iniczan, Agicr.
512
VIL
(l't^spagne, la tolérance accordée au
retour des jésuites, les deslilu-
lions moiivées par les voles élec-
toraux, le rétablissement de la cen-
sure, la dissolution de la garde
naiionale de Paris, tels furent les
griefs consignés dans le rapport de
M. Girod, qui conclut au nom de la
majorité de la commission à ce qu'il
fût déclaré par la Chambre « qu'il
y avait lieu à instruire, sur Taccu-
sation de trahison proposée contre
les membi es du dernier ministère. »
M. de Montbel repoussa avec force
celte espèce d'ajournement caché
sous une formule aggravante , et
demanda que la discussion eût lieu
sans retard. Mais sa proposition,
appuyée par la droite tout entière,
ne put prévaloir, et le débat fut re-
mis jusqu'après la discussion du
budget. M. Royer-Collard,qui pré-
sidait la Chambre, ayant à celle
séance appelé auprès de lui M. de
Montbel, qui s'était fait inscrire
pour parler le premier sur le rap-
port, lui dit : « Non, monsieur,
vous ne parlerez pas le premier
pour ddfendre M. de Villèle ; ce
sera moi ! Je lui suis trop redevable
pour ne pas me réserver cet avan-
tage; je lui dois la conservation de
ma fortune; il l'a oublié, lui, sans
doute, mais moi, je m'en souviens,
veuillez le lui dire (l).>La(lispersion
des membres de la Chambre après
le vote du budget, lit subir un nou-
veau rela'd à laccusalionde M. de
Pompières, qui commentait à s'éva-
nouir dans l'impuissance et le ridi-
cule, a Dieu donne au roi cl au pays,
écrivaii Villèle le 26 juillet, des
scrviienrs plus habiles et plus heu-
reux 1 Noîis nouvons sans présomp-
(h iV'jf/cj, etc., par M. de Neuville .
p. 181.
VIL
lion dire qu'ils n'en auront jamais
de plus dévoués ni de plus probes:
c'est ce que personne ne nous con-
teste. En somme, tout ce que nos
ennemis ont tenté a tourné à leur
honte; nous avons été tourmentés,
mais désormais on nous laissera
tranquilles... Je pars le lœur moins
centriste depuis que j'ai la preuve
qu'en certain lieu on veut bien en-
core se souvenir des efforts que je
n'ai cessé de faire pour bien servir.
J'étais vivemenlaffligé de l'oubli dans
lequel les apparences ont semblé
quelque temps avoir placé mes bon-
nes intentions et mon dévouement...
Vous ne sauriez croire àquel point
l'opinion se rectifie à mon égard et
à celui de Corbière; nos plus grands
ennemis sont obligés de dire : « Oh!
pour ceux-lh, ce sont d'honnêtes
gens. «Ces dernières lignes avaient
trait sans doute à quelque indiffé-
rence de Charles X envers ces gé-
néreux serviteurs de la monarchie,
et nous trouvons dans une publi-
cation récente la confirmation de
cette conjecture. «Depuis le licen-
ciement de la garde nationale, dit
M. de Barante, le roi avait com-
mencé à se dégoûter d'un ministre
par qui lui venaient des contrariétés
et des embarras; il le voyait en
butte à l'opinion publique, et ne
voulait point parlagerson impopu-
larité (1). » M;»is une telle impres-
sion ne pouvait être que passagère
dans l'âme d'un prince au'^si éqm-
lable que Charles X ; elle fit bientôt
place aux sentiments qui depuis si
lon;;tempsunissaientle monarque k
son ministre. On en jugera par cette
lettre écrite le 2 août 1828, trois
jours avant le départ du comte de
(1; La Vie polit, de M. lloyer-Col-
lard, etc., par M. <1e Darantc, t. ii,
p. 351.
VIL
VIL
513
Villèle pour retourner en Langue-
doc:» Accoutumé depuis longtemps,
mon cher VilIèle, lui disait le roi,
à écouter des conseils dictés par un
sincère attachement, j'ai renoncé
à mon désir de vous voir et de cau-
ser avec vous avant votre départ.
Vous devez me savoir gré de ce
sacrifice. M. de Monlbel a pu vous
dire que je lui ai témoigné haute-
ment ma satisfaction de la conduite
sage et noble qu'il a tenue dans la
sale affaire de la prétendue :!ccu-
sation. Elle s'est terminée aussi
convenablement qu'on pouvait s'y
attendre, et je suis convaincu que
personne n'osera y revenir. Je ne
vous dirai rien sur ce que vous
savez aussi bien que moi. Voilà la
session finie , et si on s'y prend
Lien, je crois que l'on pourra tirer
parti des Chambres Tannée pro-
chaine. Parlez en paix, mon cher
Villèle; je sais que vous ne vous
tourmentez jamais inutilement ;
aussi jp, suis tranquille pour vous,
et j'espère que le repos de la cam-
pagne consolidera votre santé.
Dites mille choses pour moi à ma-
dame de Villèle; il faut que son
âme soit en paix comme la votre.
Comptez pour la \ie sur tous mes
sentiments d'estime , d'affection et
de confiance. » Villèle partit le
5 août pour sa terre de Iforville,
où, malgré les instances de ses
amis, il persista à demeurer pen-
dant la session législative de 18i9.
Après la présentation des projets
de loi sur l'organisation communale
et départementale, .M. de Salverle
prit la parole et développa l'accu-
sation portée contre le dernier mi-
nistère. Mais il fut entendu avec
inattention et indifférence , et ce
fut à peine si l'on put recueillir la
conclusion de son discours, auquel
M. de Martiguac, minisire de l'in-
LXXXY
térieur, opposa une fin de non-rece-
voirtirée de ce que la clôture de la
session avait amené la péremption
nécessaire de l'action intentée. La
question préalable fut adoptée k
une majorité considérable, et 30 ou
40 membres de la Chambre seule-
ment se levèrent pour la combat-
tre. Mais l'auteur de la proposition
primitive, M. Labbey de Pompières,
ne put se décider à lâcher prise :
il déclara qu'il se réservait de re-
prendre sa proposition lorsque la
Chambre paraîtrait disposée à l'en-
tendre. Ce droit d'ajournement,
défendu par MM. Benjamin Cons-
tant et Dupin aîné, lui fut contesté
par le président, et M. de Montbel
s'éleva avec force contre ce déni
de justice qui consisterait à laisser
planer sur la tête des inculpés la
menace d'une accusation dont la
prompte solution importait égale-
ment h tous les intérêts. M. de
Pompières fut réduit à masquer sa
défaite en se réservant de repro-
duire plus tard sa proposition. Cette
déconvenue fut un premier pas vers
la réhabilitation de ce ministère,
objet naguère d'un décri si uni-
versel. Mais ce succès mêi! e réveilla
les alarmes que la perspective
seule de son retour ne cessait d'in-
spirer à toutes les nuances de l'op-
position. Ces alarmes étaient d'au-
tant plus vives que le cabinet de
1828, mal voulu du côté droit, peu
sympathique àCliarlesX, faiblement
soutenu par le côté gauche, dont
ses concessions n'avaient pu désar-
mer les tendances anarchiques.
perdait de plus en plus ses condi-
titins de viabilité. Le retrait des
pj^ojets de loi sur les communes et
les départements venait de consom-
mer sans retour sa scission avec la
majorité de la Chambre. Les ad-
versftircsduderiiier ministère, bat-
33
514
VIL
ML
lus dans leur première lentatiTc,
cherchèrent un nouveau prétexte à
leurs hostilités, et ce fut une légère
irrégularité dans l'usage des crédits
supplémentaires alloués au dépar-
tement de la justice qui le leur
offrit. Le dernier minisire, M. de
Peyronnet, avait tixcédé de quel-
ques milliers de francs ce crédit
spécial, par des frais d'installation
intérieure, appliques à Triôlel de la
chaucellerie, qui ne présentaient
pasuncardctère suffisant d'urgence;
la commission de la Chambre, par
l'orgjne de M. Le Peletier d'xVunay,
conclut a rallocaliou provisoire du
crédit, mais à charge par le minis-
tre des linances d'exercer une ac-
tion en indemnité contre le minis-
tre ordonnateur. Ces conclusions
tirent naitre un débat animé. Les
grands mots d'abus d:.' pouvoir et
même de concussion furent pro-
noncés à propos d'un excédant de
dépense dont le chilîre modeste et
ï'em|)loi désintéressé provoquentau-
jourd'hui le sourire, et M. Etienne
rappela gravement que « la simpli-
cité était de bon goût dans l'habi-
tation d'un ministre de la justice.»
M. liourdeau , garde des sceaux,
n'eut pas de peine à démon-
trer qu'il n'y avait eu de la part
de son prédécesseur, ni concus-
sion, ni dilapidation, et que le fait
incriminé ne pouvait donner lieu
qu'à riiiflictiond'un simple blâme.
M. Hyde de NeuTille, ministre de
la marine, s'exprima dans le même
sens. M. Sirieys de Mayrinhac fit
remarquer que l'ancien garde des
sceaux n'avait point excédé le cré-
dit eu masse qui lui avait été alloué
pour 1827; que l'iliéô'alité repro-
chée ne poriait que sur un crédit
de détail, et que M. de Piyronnet
eût facilement régularisé celte dé-
pense si «on existence minisiériplle
se fût prolongée un an de plus;
enfin le ministre des finan<*,es ob-
jecta l'incompétence évidente des
tribunaux pour juger une question
de haute administration. Cette ar-
gumentation ne put prévaloir sur
l'esprit de la Chambre élective. A
la Chambre des pairs, M. de Durante
se prononça avec plus de dévelop-
pements, dans le même sens que
M. Roy, et conclut à écarter l'ou-
verture d'une action en indemnité,
en réservant toutefois, éven'.ueile-
ment, la responsabilité prévue par
la loi du 2o mars 1817, Celli; sorte
de transaction ne fut point admise,
mais la Chambre repoussa la réso-
lution de la Chambre des députés,
et termina ainsi ce misérable débat.
Le ministère Martignar fut congé-
dié, mais ce ne fut pas les membres
de la précédente administration qup
le roi rappela au pouvoir. Frappe
de cette sentence de M. Uoyer-
Collard, qu'il n'y avait dans la
Chambre aucun point d'appui,
aucune majorité pour aucun mi-
nistère, quel qu'il put ôire, Char-
les X préfera chercher le salut de
la monarcbie dans les voies péril-
leuses d'un dévouement ab.-olu ,
plutôt que de l'abandonner aux
inspirations d'uiie habileté patiente
et éprouvée. L'avenoment du cabi-
net du 8aoùi, composé du j)rincede
Polignac, de MM. de La Bourdoii-
naye, de Bourmont , Courvoisicr,
d'Haussez, de Montbel,de Chabrol,
fut accueilli avec une impression
universelle d'élonnemenl et d'in-
quiétude. Charles X, dont cotte
combinaison était le produit per-
soimel et spontané, répéta plusieurs
fois, alors et depuis(l),que*Villèle
(1) Notice, etc., par M. le .onile de
Neuville, p. 187.
VIL
VIL
515
était trop précieux, trop ludispeii-
sabîe à son service » pour vouloir
le commettre avec des circonstan-
ces aussi difficiles, et parut se sou-
cier médiocrement de le revoir et
de prendre ses conseils. L'ancien
chef du cabinet, de son côté, ne
témoigna aucun empressement à
triompher de cette indifférence, et
résista aux instances réitérées de
ses amis qui l'exhortaient à se ren-
dre à Paris: « On s'aperçoit chaque
jour, lui mandait M. de Montbel ,
qu'un homme seul aurait la vigueur
nécessaire pour lutter avec avan-
tage, et cet homme dont on recon-
naît l'immease capacité, la sagacité
merveilleuse, la discussion écrasante
pour ses adversaires, cet hommi^
non-seulement n'est pas repoussé
par ses anciens ennemis, mais ils
disent hautement qu'ils b'eslime-
raient heureux de le voir reprendre
les rênes. » Quelques jours plus
tard, lorsque la déroluiion à M. de
Polignac de la présidence du Con-
seil eût amené Téloignement de
M. de La Bourdonnaye, M. de
Monlbel invoqua auprès de son
illustre ami la parole autorisée de
M. Courvoisier : «Un seul homme,
disait l'ancien coryphée du centre
gauche, peut soutenir le système
et lui donner dans l'opinion une
consistance qui lui i)ermetie de se
maintenir. Je sais les inconvénients
qu'il peut y avoir à son rappel
dans le monieni, mais c'est la seulo
possibilité, et mon idée à ce .sujet
est si bien arrêtée, que moi qui
depuis trois mois subis le minisiere
sans contiance, sans espoir, je re-
prends espoir el coniiaiice, je re-
garde le succès coajnie u^biirc...
Le roi tombe d'accord de cette né-
cessité et indique que lii est sa con-
fiance. M. de i'o.igiiac dit de môme;
ils examinent sfulement quel est
le moment le plus favorable. Le
plus tôt c'est le mieux, disons-nous ;
nous sommes par conséquent d'ac-
cord qu'il faut que la chose ait
lieu Le temps est venu, vous
jtouvez faire un bien immense à la
monarchie. Le chef compte qm
vous serez bientôt ici. Mes collè-
gues m'ont prié de vous écrire pour
vous demander si vous accepteriez
de rentrer au ministère lorsque le
roi vous appellerait. * Le comte
de Villèle répondit que rien, dans
le moment actuel, ne pouvait auîo-
riser son retour aux alîaires, que,
quant à l'avenir, la mesure de l'u-
tilité dont il pourrait êlre dicterait
sa réponse. Ce qui perce surtout
dans cetle correspondance, c'est un
profond regret d'avoir éié sé|)aré
de la Chambre sur laquelle il exer-
çait une utile influence, pour êlre
relégué dans une assemblée « sans
action sur roj)inion; réduit à des
vœux, ajoutait-il, ils sont pour le
triomphe de la cause à laquelle est
lié le salut de la France ; vous sa-
vez que ceux qui la défendront
peuvent être sûrs de me trouver
toujours dans leurs rangs. « Villè'e
blâma 1 Ai!re>se des 221 comme in-
convenante, et la j)roiogaLion de
la Chambre comme insuffisante,
impoIili(iue, et faite pour aecroilre
plutôt que pou; diminiier les dan-
gers de la siiuatiou. Ce fut à cette
époque (23 mars} que des intérêts
de famille ramenèrent à Paris. Se»
amis accoururent autour de lui et
se montrèrent, comme on pense,
très-t iBpresses ùe coijuaitje son
avii sur les conjonctures criticjues
où la njyauté .se trouvait engagée.
^Le coiate de Peyroimel lui dit qu'il
se commettait tant de fautes qu'on
le soup(;onnjii de les inspirer pour
avoir l'occasion de se remlre im'co-
saire et de se ménager commr uj>
516
VIL
VIL
moyen de salul. u Vous me con-
naissez bien mal, lui répondit Vil-
lèle, si vous me croyez capable de
jouer .'nnsi le rôle de Mazarin , et
si vous me supposez doué d'une
ambition assez aveugle pour désirer
de revenir aux affaires après l'é-
preuve que nous avons faite de la
faiblesse de caractère du roi, après
l'abandon de tous les moyens de
défense qui restaient II la couronne.»
Villèle ajouta qu'il plai^'uait vive-
ment les conseillers de Charles X
qui seraient contraints de recourir
à des f;oups de force pour repren-
dre les garanties dont l'industrie
révolutionnaire avait dépossédé le
pouvoir, et confirma la sincérité de
ses appréhensions en détournant
M. de Peyronnet d'entrer dans un
ministère « où il ne pouvait que se
perdre. » Le comte de Villèle parut
un soir au jeu du roi, où il avait
été invité. Quoiqu'il afTeclàt de se
tenir à l'écart, Charles X l'aperçut
et lui dit en l'abordant: «Pourquoi
se faire si petit quand on est si
grand? » Quelques paroles furent
échangées entre eux, puis leroi lui
dit avec affectation: Vous aurez vo-
tre audience pour mercredi à midi.
Villèle, qui n'avait demandé aucune
audience, comprit facilement que
Charles X voulait le recevoir sans
inspirer d'ombrage aux amis du
prince de Polign;ic. Il se rendit au
jour indiqué chez le roi, qui l'ac-
cueillit avec une graiido bonté, non
sans îibsence toutefois d'une cer-
taine contrainte , et ne l'enlrelint
d'ailleurs que de questions vagues
et insigniliaules. A la suite de cette
entrevue, la dernière que devaient
avoir le faible monarque et son
fidèle conseiller, 1h comte de Vil-
lèle trouva chez lui deux députés
(lu centre gauche*, MM. llimiann et
Dumaralhar. cui venaient lui faire
une communication importante.
Ils offraient de lui rapporter l'en-
gagement souscrit par un grand
nombre de députés, de voter le
prochain budget moyennant l'appel
d'un nouveau ministère formé sous
sa direction, et la promesse de se
borner à cette seule loi pour la
session prête à se rouvrir. Assuré
d'un an d'existence, le cabinet
aviserait aux moyens de calrner
l'opinion et de rétablir l'harmonie
entre le gouvernement et la Cham-
bre. Les deux délégués exprimèrent
de vifs regrets d'avoir voté la der-
nière Adresse d'où pouvait, par l'ob-
stination de M. de Polignac, sortir
une révolution funeste, et la né-
gociation qu'ils tentaient en ce mo-
ment, et sur le caractère de laquelle
le roi ne pouvait se méprendre,
n'avait pas d'autre objet que d'en
conjurer les conséquences. Le comte
de Villèle refusa péremptoirement
de se rendre auprès de Charles X le
médiateur d'une démarche qui n'a-
boutissait qu'à l'imposer au roi et
au payscomme unique moyen d'ob-
tenir le budget ; il promit de garder
le secret sur leurs bonnes disposi-
tions, eten les engageante chercher
quelque autre moyen de les utiliser,
il ajoutaque, pour sa part, il verrait
avec joie cesser des divisions dont
la durée pouvait causer la perte de
la France. MM. de Monthel , de
Chabrol et le prince de Polignac
lui-même cherchèrent à vaincre la
ré.sistance de l'ancien chef du Con-
seil, mais sans succès. Villèle ré-
pondit à ce diîrnier que le roi, en
le rappelant aux affaires, aurait
l'air de reculer devant l'Adresse de
la Chambre; que le pays n'y verrait
qu'une « combinaison fallacieuse
et éphémère d'intérêts |)ersonnels,
sans aucun principe commun ni
pucune chance de durée, » et, pour
VIL
VIL
517
ne laisser au prince aucun cloute
sur la fermeté de ses intentions , il
lui annonça son départ pour une
époque fixe et rapprochée. Dans
un dîner chez M. Olivier, ancien
député de la Seine, alors pair de
France, où se trouvaient plusieurs
personnagf^s politiques, M. de Pey-
ronnet renouvela ses instances k
son ancien collègue, et signala sa
résistance comme pouvant être fa-
tale aux intérêts de la monarchie.
Le comte de Villèle opposa de
nouveau les difficulté? radicales
d'une situation où le bien était
devenu impossible , maintint son
refus et conquit à son opinion la
presque totalité des assistants. Il
exhorta le comte de Montbel , 'în
partant, ^ quitter une administra-
lion évidemment disposée à risquer
le sort de la France^ dans le jeu
périlleux des coups d'État, et revint
à Toulouse profondément attristé
de tout ce qu'il ayait vu et entendu.
Interrogé par ses amis sur la situa-
tion : «C'est, leur dit-il, une i)lace
minée dans tous les sens que la
moindre étincelle fera sauter. » Il
mandait li h\ même époque à ma-
dame de Villèle: «Je n'avais que
deux leviers avec lesquels j'ai été
et je pouvais être de quelque utili-
té : la confiance des royalistes et
celle du roi; les premiers sont en
décomposition, le roi s'est livré ii
ceux qui nous ont fait le plus de
mal, et ses faveurs répandues sur
eux améuent dans nos rangs de
nouvelles défections.... Je n'ai
qu'une position honorable dans de
telles circonstances, elle est ici.
et j'y resterai. » A l'approche du
coup de foiulro (|ui allait briser
la monarchie et livrer à de nou-
velles oscillations l'avenir et la
sécurité de la France, de vifs éclairs
s'échappaient de cette intelligence
si lucide et si exercée : « Nous mar-
chons, écrivait-il , à une débâcle
dans laquelle personne ne con-
servera les moyens de nous remet-
tre à flot.... » Et un peu plus tard:
«Ce qui est déplorable, c'est que,
conduit par deux tèt^^s de cette es-
pèce (1), ce malheureux prince va
être entraîné, et le pays avec lai,
dans des coups d'État mal préparés,
mal conçus, mal reçus et mal sou-
tenus, et qu'il y a de quoi compro-
mettre la légitimité, notre honneur
et notre salut. » La catastrophe de
1830, trop prédite parle clairvoyant
ministre d^* Charles X, le concentra
dans une retraite de plus en plus
absolue. Son nom, cependimt, ne
tarda pas à repr»Mtdre de la publi-
cité à l'occasion d'un débat rétros-
pectif entre la Gazette de France et
plusieurs organes des principes ou
des intérêts que la révolution de
juillet avait fait prévaloir. La feuille
royaliste ne cessait d'oppo er an
nouvel établissement, comme une
infirmité de son origine, le petit
nombre de censitaires dont était
i^isue la Chambre qui l'avait pro-
clamé, et d'invoquer ce vole uni-
versel que devaient adopter, quel-
ques années plus lard, dans un
autre ordre d'idées, les constitutions
de 1848 et de 1852. La Gazette
réclamait avec la même insistance
la décentralisation et l'émancipa-
tion des commu;;es, et soutint que
les chefs de la droite de 1815
avaient con>tainment d'^fendu cette
thèse, que la chute du ministère de
1827 les avait empêchés de réali-
ser. A l'appui de son langage, la
Gazette produisit un plan d'ori^aul-
(1) MiM. de Polignac et de Pi'vroii-
!iet. Tous ces détails sont extraits de
la i\olivj do M. le comte de Neuville,
p. 187 et suiv.
518
VIL
sation municipale, cantonale, dé-
partementale et provinciale, que le
chef du Conseil se proposait de
mettie.à eiéciilion avec, une Cham-
bre des pairs reconstituée dans le
courant de l'année 1828. On se
sou\ient de l'insistance que les ad-
versaires de Villèle avaient mise,
sous son ministère, à réclanier sur
ce point rexécution de ses engage-
ments antérieurs. L'organisation
conçue par Villèle paraissait dé-
couler de ce grand priïicipe posé
et dévelo.npé par Portails (1) et par
d'autres publicistes, que les hom-
mes ne jouissent d'une véritable
liberté que « dans les contrées où
chacun d'eux est compté pour quel-
que chose, et a l'opinion fondée et
confiante de sa sécurité, » Tous les
intéressés étaient appelés à élire
leurs conseillers municipaux et
cantonaux. Cesfonclionnaires jouis-
saient des attributions les plus
étendues; leurs délibérations, en
certains cas, étaient soumises à l'ap-
probation des conseils provinciaux
ou généraux et à la sanction du
roi. La circonscription départe-
mentale était conservée et les pré-
fets maintenus dans la gestion des
iulérèii locaux, mais avec la créa-
tion d'un intendant supérieur pour
chaque province formée d'un groupe
decinqou six départements, et d'un
conseil d'intendance auquel seraient
portés les appels des ariêtés rendus
par les conseils de préfecture de
la province. Les tribunaux d'arron-
dissement disparaissaient pourfaire
place i un seul tribunal pai- dé-
parlement. Le clergé, la magistra-
ture et les tribunaux consulaires
jouibkaient du droii de présenter
VIL
périodiquement au roi ou aux ordre
supérieurs les demandes ou les ob-
servations qu'ils jugeaient utiles
sur les objets de leur compétence.
L'innovation la plus considérable du
projet consistait dans la substitu-
tion d'une Chambre des pairs non
hcrédilaire îi la Chambre existante,
et dans le remplacement de la
Chambre des députés par des États
généraux organisés d'après un
projet sj^écia!, et éligibles à des de-
grés divers par tous les contri-
buables. Le budget de l'État, par
suite de cette organisation, se se-
rait trouvé réduit îi 69 millions, la
liste civile supprimée ; la royauté
aurait reçu une dotation immobi-
lière, et le traitement du clergé eût
été remplacé piir des rentes sur
l'État. Ce projet était conforme à
plusieurs égards aux vœux consi-
gnés dans l'ensemble des cahiers
dressés en 1789, et nous voyons
dans une histoire contemporaine
accréditée que la duchesse de Berri
se proposait d'en faire la base fon-
damentale de la constitution desti-
née à régir la Fraiice, dans le cas
où l'entreprise tentée par elle en
1832, dans l'intérêt des droits de
son fils, aurait été couronnée de
succès (<). Malgré les affirmations
de la Gazette, il y a de fortes rai-
sons de douter que ce plan d'orga-
nisation intérieure fût sérieuse-
ment arrêté dans l'esprit de Villèle.
Il ne constituait rien moins, en
effet, qu'une révolution complète
dans l'ordre politique du royaume,
révolution U laquelle les esprits
n'étaient nullement préparés; et,
dans l'état de discrédit où se trou-
vait le ministère de 1827, en prô-
(I I DcCVsagecl de Cabus Je l'esprit m) //i.sf. de Dix Ans, par M. Louis
phtlosuphique, ch. xxrx. jj,^n;.^ ^ ,„^ p. 2(iL
VIL
VIL
519
^ence d'une législature hostile, il
n'y avait aucune chance de le faire
prévaloir sans recourir a des me-
sures extra-légales. Or, on sait
combien l'emploi de pareilles me-
sures répugnait au cnractère du
chef de ce cabinet. Mais, à ne con-
sidérer- ce document rétrospectif
que comme un simple projet, il
mérite d'être consulté pour la pré-
voyance remarquable des disposi-
tions dont il se compose. Il faut y
voir en outre un témoignage non
équivoq'ie des aspirations de Vil-
lèie vers un ordre de choses qui
donnât plus d'essor à l'élément pro-
vincial par l'abaissement de ce pou-
voir exorbitant que la révolution
et l'empire av;:ient élevé , et qui
concentrait dans la capitale toute la
vie politique du pays. En 1839 et
en 1840, la Gnzetle du Latifiuedoc
publia et la Gazette de France re-
produisit, sous la signature de Let-
tres d'un contribuable, quatre arti-
rles du comie de Villèle, sur la si-
tuation flnancière de la France.
L'ancien minisire y établissait qu'au
bout de dix ans, en tenant compte
des économies introduites dans les
divers services et des diminutions
opérées par les extinctions person-
nelles, la charge de l'impôt public
.s*était accrue de 217 millions, et
n'hésitait pas à attribuer cet ac-
croissement à l'extension du mo-
nopole représentatif et administra-
tif contre lequel il s'était si souvent
élevé. Ces lettres, habilement con-
nues et pleines de faits substantiels,
produisirent une assez vive sensa-
tion, mais bientôt absorbàe par la
marche des éNéucmenls, qui ,
pour les yeux clairvoyanis, ten-
daient déjà à converger plus ou
moins prochainemenla une nouvelle
révolution politi(iue. — Ces circons-
tances furent les dernières aux-
quelles le nom de Villèle se trouva
mêlé. Celte existence naguère si
éclatante acheva de s'éteindre dans
un oubli complet. De douloureuses
infirmités amenèrent graduellement
l'altération de ses facultés intellec-
tuelles. 11 mourut le 13 mars 1854,
à Toulouse, à l'âge de 81 ans et
onze mois. De son marir)ge avec
mademoiselle Fanon Desbassins,
qui lui survécut, étaient nés quatre
enfants, un fils et trois filles, dont
r;iînéea épousé M. le comte Rioult
de Neuville, ancien député, auteur
de la notice la plus importante qui
ait été publiée sur le comte de
Villèle. M. Henri de Villèle, fils
du ministre, conseiller-auditeur à
la cour royale de Paris, se démit
en 1827 de ces fonctions, et n'a
plus appartenu depuis lors à au-
cune carrière publique. — Il ne nous
reste, pour compléter cette notice,
qu'à achever ce que nous avons dit
ailleurs des travaux d'organisation
financière de cet habile et infati-
gable ministre. Ce fut dix-huit mois
avant sa sortie des affaires que
Villèle couronna, par une ordon-
nance du 9 juillet 1826, la grande
œuvre de la comptabilité française.
Cette ordonnance ajoutait aux
comptes individuels des receveurs
et des payeurs déjà soumis à la
cour des comptes, un résumé gé-
néral de toutes les modifications
apportées par les virements d'écri-
tures de la com{)tabililé centrale
des finances aux résultats dif-
féremment exprimés par les pré-
posés du trésor. « Coucession gé-
néreuse faite par la couronne au
libre examen de l'opinion publiïjue,
dit un excellent juge, et que les
gouvernements antérieurs avaient
constamment refusée, autant par
les appréhensions du pouvoir que
par l'insuffisance et par la lenteur
520
VIL
VIL
des formes descriptives et juslifica-
lives de la recelie et de la dépense
de l'État (1). » L'ordonnance de
4826 fut précédée d'un rapport au
roi, dans lequel VillèJe proclamait
avec raison qu'à aucune époque
et chez aucun peuple, l'adminis-
tration ne se serait livrée elle-même
à une épreuve aussi Jifficile, si elle
n'était pis le mcillci.r témoignage
de la loyauté de ses principes et
de la régularité de son action.
Quelques mois plus tard, le 1" sep-
tembre 1827, il s'appliqua à ren-
fermer dans de justes limites le
principe de la spécialité législative,
qui tentait d'envahir l'action ad-
ministrative , en opposant à ces
envahissements une nomenclature
réglementaire qui divisait en gran-
des sections la dépense totale de
chaque département ministériel.
Le même règlement assujettit les
comptes annuels des ordonnateurs
à justifier par des explications pu-
bliques toules les déviations des
crédits ouverts, en attendant qu'ils
fussent approuvés par les Chambres
à titre de Crédits complémentaires:
double combinaison égalem.ent fa-
vorable à la libre action du pou-
voir et au contrôle de la législature,
qui trouvait, dans l'ordonnance de
réparliiion rendue avant Touver-
>re de chaque exercice, un terme
invariable à !a comparaison pres-
crite par 1rs lois antérieures (2).
(1) Souven. de VAdmin. ftnanc. de
M. le comte de Villèle, par M. le Hiar-
quisd'Au:iiffret, p. 29i. — Sysl. financ.
de la France^ t. m, p. 10.
(2) <v'fsl avec surprise que nous avons
vu le plus habile tliéorieieii du régime
actuf l.M.'lroplonji, président du Sénat,
dans un rapport r6c(;nt a ce corps, qua-
lifier l'ordonnanic du 1" novembre 1827
de concession faite par le comte de Vil-
lèle pour conjurer les mol»ilit<'s de l'op-
Ges sages dispositions, destinées Si
influer si puissamment sur l'ordre,
l'économie et la bonne direction
de l'administration publique, fu-
rent complétées par des réforme»
de détr<il dont la suite révéla l'in-
telligence et le prix. Villèle sup-
prima le directeur des dépenses
en réunissant ses attributions aui
travaux de la comptabilité générale
des finances et au service d'un seul
payeur central du trésor chargé de
l'acquittement des ordonnances
payables à Paris. Il centralisa l'in-
dépendance des directeurs géné-
raux des régies financières, par la
suppression de leurs habitations
séparées (-4 nov, 1824), et par la
réunion de leurs bureaux dans
l'hôtel de son ministère. Il réalisa
dans le seul département des fi-
nances plus de 30 millions d'éco-
nomie annuelle, en simplifiant les
rouages de son administration, et
en réduisant les frais du personnel
de ses bureaux de i 3,423,245 fr.
k 6,055,750 francs, et le nom-
bre de ses employés de 4,502 à
2,137. L'essor imprimé par sa di-
rection habile aux produits indi-
rects ajouta, dit M. d'Audiffrcl, au
budget de chaque exercice une
position , k la veille du renouvellement
de la chambre. Il suffit, ce nous sem-
ble, de comparer exactement l'état de
choses institué par la loi du 25 mars
1817, avec le nouveau droit établi,
pour reconnaître que le comte do Vil-
lèle avait entendu fortifier plutôt que
désariiier la counmne. Ainsi en a jugé
l'homme le plus propre a faire autorité
en celte matière, M. d'AudlIfret, et l'on
peut croire que si la spécialité créée
par le ministère de 1827 eût présenté
le caractère d'une concession aussi éten-
due, M. Tro[)loi)g eut été moins disposé
il la substituer aussi brusquement au
régime établi par le sénatus-consulte du
25 décembre 1852.
VIL
augmentation progressive de re-
cette qui s'éleva jusqu'à 200 mil-
lions :iu terme de sa trop courte
carrière rairiistéiielle. Les progrès
de cetie prospérité nouvelle furent
surtout favorisés par l'inslitulioD
d'un conseil supérieur de com-
merce (6 janv. 1823), que le minis-
tre composa des membres du ca-
binet, ainsi que des hommes les
mieux accrédités dans l'opinion
publique (1), pour la défense des
intérêts nationaux, et qu'il dirigeait
lui-même de son expérience et de
ses lumières. Par là furent fécon-
dées toutes les sources de la ri-
chesse el de la puissance du pays.
On vit dès lors s'élever, avec une
étonnante rapidité, la valeur des
propriétés mobilières et immobi-
lières, el se préparer la renaissance
de notre uavigaiion marchande el
de nos possessions coloniales. Les
modilications successives appor-
tées au tarif des douanes ten-
daient sans cesse à encourager
les fertiles entreprises du génie
commercial et industriel de nos
populations, en les préservant, par
l'autorité du savoir, de la pratique
et de l'observation, des témérités
du libre-échange. C'est également
à l'esprit d'analyse et de vérifica-
tion de cet habile ministre que la
France fut retlcvabie, pour la pre-
mière fois, de la publication des
tableaux com|)aratifs détaillés des
droits fixés |)ar les divers tarifs,
avec les produits des impôts et
des autres revenus de l'État: docu-
ments qui ont été complétés pins
tard par tous les renseignements
VIL
521
relatifs au commerce et à la navi-
gation. Enfin, par un règl ment en
date du 19 novembre 1826, Villèle
coordonna les principes, les règles
et les procédés applicables aux
diflerentes parties de la gestion des
comptables chargés des services de
la perceplion de l'impôt direct des
virements de fonds du Trésor et de
la comptabilité des communes el
des hospices. Il compléta ce règle-
ment par une instruction générale
du 15 décembre de la même année,
qui réauma pour la première fois,
dans un seul code, toutes les dis-
positions en vigueur (1). — Joseph
de Villèle n'annonçait par au-
cun avantage extérieur les quali-
tés éminentes dont la nature l'avait
poursu. Sa taille était petite et grêle,
sa physionomie moins agréable que
fine et intelligente; son organe
était nasillard et empreint d'une
forte accentuation méridionale; son
geste n'avait rien d'oîatoire, et sa
diction manquait d'éloquence, dans
l'acception ordinaire de ce terme.
Mais ces désavantages étaient am-
plement rachetés par un talent de
discussion, par une netteté d'argu-
mentation qui faisaient pénétrer la
lumière dans les questions les
plus compliquées, par une supé-
riorité de raison et une liberté
d'esprit qui déconcertaient les ob-
jections les plus captieuses et les
interpellations les plus passion-
nées. Nu! ne posséda à un plus
haut degré le pouvoir de maîtriser
ses impressions personnelles en
présence du tumulte des assem-
blées et de marquer, sans le perdre
(1) Ce furent .MM. le comte de Syjnt-
Cricq, le duc d(> Levis, le comte de
Vaublaiic, le comte Mollien, le comte
Chaptal, le baron PortMJ. Olivier («le la
Seine}, etc.
(I) Ce travail a servi de base à une
seconde édition, publiée en 1810, ilit
M. d'Audiffret, à qui nous :ivons em-
prunté la presque totalité des di'lails
ci-dessus.
590
VIL
de vue, le véritable point du débat
au sein des divagations les plus
agitées. Quoique doué dans une
certaine mesure dataient d'écrire,
son improvisation, parfois incor-
recte, se distinguait pnr des formes
hardies, par des tours heureux qui
la rendaient souvent préférable à
ses préparations oratoires. Sa con-
versation familière, bien qu'entre-
coupée de nombreux à parle, était,
selon un excellent juge, éminem-
ment spirituelle (1). La modéra-
tion du caractère n'excluait chez
lui ni la fermeté du langage, ni la
vivacité de la réplique. Plein de
ménagements pour les personnes,
il repoussait intraitablement toute
transaction avec l'esprit révolu-
tionnaire, sous toutes ses formes,
et ne voulut jamaisdevoir à aucune
composition de ce genre l'exercice
ou la prolongation du pouvoir. Vil-
lèle ne s'inspirait [las moins à cet
égard des intuitions de l'avenir
que des impressions du passé. Sa
haute clairvoyance pressentait tout
ce (jue la France et l'Europe de-
vaient attendre des débordements
du parti démocratique, quand il
aurait renversé, dans le principe
de la légitimité, la borne respec-
table qui séparait le domaine du
fait de celui de Tordre Uioral, et le
droit de l'usurpation. La séduc-
tion personnelle du comte de Vil-
lèle était dans une simplicité de
manières qui, rapprochée d'un mé-
rite émineut, dictait k M. Canning
ceiti; sentence connue : « C'est
une lumière qui brille à peu de
frais. > Il possédait le grand art
découler et de concentrer 5»on at-
tention sur les moindres afiaires,
comme sur les questions de l'in-
(Ij Madame Swet'.hinc, t. i, p. 22i.
VIL
térôt le plus élevé. Un des plus
implacables adversaires de la cause
royaliste, le marquis de Chauvelin,
au sortir d'une audience particu-
. Hère, où il avait été vivement im-
pressionné par l'accueil du minis-
tre, ne put s'empêcher de dire
avec un accent de dépit : « Quel
homme! Heureusement son parti
n'en comprendra jamais la valeur.»
L'intégrité persounelle de Villèle
est demeurée en quelque sorte
proverbiale : mérite peu louable
sans doute à une époque où la
corruption dans les hauts postes
de l'État eût passé pour une hon-
teuse anomalie. Mais il portait cette
qualité jusqu'à un désiniéressement
rare dans tous les temps, et dont
les actes n'ont été bien connus que
longtemps après sa disparition de
la scène politique. Il ne voulut ac-
ceptiT aucun traitement pendant
son ministère sans portefeuille; il
refusa les 25,000 francs de frais
d'installation alloués aux minis-
très titulaires, et, plus tard, le sup-
|)lément de ^0,000 francs auquel
il avait droit comme présideFil du
Conseil; enlin il renonça, en 1830,
à la pension de ministre d'État que
Charles X lui avait assignée lors
de sa sortie du ministère. Il ne
voulut devoir l'amélioration de son
modeste patrimoine qu'à cet esprit
d'intelligence et d'économie qu'il
appliqua avec tant de fruit à la ges-
tion des intérêts publics. C'est à cet
ordre de qualités sans doute plus
qu'à des vues vraiment supérieures
qu'il faut demander compte de la
renommée de Villèle et de la faveur
progressive qui s'est attachée à sa
mémoire. Administrateur habile,
plutôt que ministre éminent, et
doué u de plus de savoir-faire que
de vigueur, » son mérite consista
surtout à « se placer toujours au
VIL
point de vue des choses possi-
bles (1^. » L'esprit de conduite et
le talent d'organisation lui tinrent
lieu de cet esprit d'initiative dont
l'emploi, fortement dirigé, consti-
tue les véritables hommes d'État.
« La génération actuelle, écrivait-il
à l'un des esprits les plus honnêtes,
mais les plus chimériques de nos
jours, ne ^e mène pas par des consi-
dérations aussi éloignées du temps
qui lui appartient... L'égoisme est
partout... Je ne veux pas dire qu'il
ne faille rien faire pour améliorer
cette triste situation, mais je pense
qu'à une société aussi malade, il
faut beaucoup de t^mps et de mé-
nagements pournepas perdre enun
jour letravail et lefniit de tant d'an-
nées. ^) On poi'.rrnit reprocher îi
Villèle d'avoir pris plus de souci
du bien-être matériel que de l'a-
mélioration morale de cette société
dont il connaissait si bien les plaies.
Mais il fiiut tenir compte des con-
ditions désavantageuses de son avè-
nement. La conllancc tardive de
Louis XVIII ne lui avait livré
qu'un pouvoir affaibli sur une gé-
nération pervertie par six ans de
prédications révolutionnaires. A
ces obstacles inhérents à la date
et k la qualité de son pouvoir, il
faut joindre les contradictions aux-
quelles sa courte domination ne
cessa d'être en butte, et qui ne lui
permirent pas même de réaliser
les plans d'organisation générale
auxquels il avait rêvé toute sa
vie. C'est le sort des réformes
immatérielles de ne s'accomplir
qu'au prix d'une sage lenteur, et nul
régime, depuis soixante-dix ans,
n'eut assez de durée pour suffire ^
celte importante destination. Il
;1) IIisl.de la ResUiur., par M. Net-
tement, t. Il, p. 22G.
VIL
523
manqua d'ailleurs de la plupart de
ses auxiliaires nature's par l'aban-
don dans lequel le parti royaliste
« usa le seul homme sorti de ses
rangs qui eût su lui faire con-
quérir légalement et exercer le
pouvoir (l). » Nous honorerons
volontiers, avec M. Guizol, le comte
de Villèle d'avoir répondu à cet
inqualifiable abandon par la noble
et persistante fixité de ses attache-
ments politiques. Mais ce que nous
louerons surtout en lui, c'est d'a-
voir fait entrevoir à la France et
au monde à quel point le régime
monarchique pouvait se combiner
avec les conditions et les progrès
d'une véritable liberté. Ministre de
la royauté constitutionnelle à une
de ces rares époques où, depuis
tant d'années, la puissance s'est
trouvée du côté du droit, il sut
désarmer l'esprit de faction sans
imposer aucun sacrifice aux liber-
tés publiques, élever au plus haut
degré de prospérité une situation
obérée par deux invasions étran-
gères, doter la France d'un sys-
tème financier dont les bienfaits
ont surNécu i trois révolutions,
maintenir la paix extérieure sans
amoindrir l'honneur national, et,
par une loi ce haute moralité po-
litique, effacer une distinction
odieuse entre les propriétés terri-
toriales d'un mémo pays. Quelle
république , quel gouvernement
absolu enfantèrent jamais en aussi
peu de temps de tels résultats ? Et
qui |)eut dire à quelle limite se fût
arrêtée cette salutaire progression
sans le concert insensé qui préci-
pita du pouvoir l'intelligent régu-
lateur de ce régime d'oidre et de
réparation! Les inimitiés qu'accu-
(I) Mon. de M. Cui-ot, t. i, p. :
8U.
r>2/i
VIL
mule toujours un long exercice
(le l'autorité ne manquèrent pas,
comme on l'a vu, au comte de Vil-
lèle, et jamais peut-être adminis-
tration plus calomniée ne disparut
sans laisser après soi la trace d'une
impopularité plus universelle. II
est des temps difficiles où, pour le
redire après Tacite , une grande
réputation n'est guère moins péril-
leuse qu'une mauvaise (1). A ces
détractioDs passionnées succédè-
rent bientôt des impressions moins
irréfléchies. Les premiers mouve-
ments de réaction en faveur de
Villèle se manifestèrent dans l'im-
puissance de ses accusateurs et
dans les instances qui lui vinrent,
en 1830, de tous les camps politi-
ques, pour reprendre la direction
des affaires. Mais ces premières im-
pressions s'évanouirent dans les
agitations qui remplirent les an-
nées suivantes, et l'opinion publi-
que conserva la plupart des pré-
ventions (pi'elle avait reçues. C'est
il notre époque, mieux éclairée par
d'amères ex[)érien(:es sur la valeur
des gouvernements honnêtes et
modérés, qu'il était réservé de ju-
ger plus sainement ce ministère de
<821, qualifié de déplorable par l'é-
garement des partis, et on peut
dire 'avec exactitude que le nom
de Villèle est un de ceux qui ont
le plus jjagné dans leur contact
avec la postérité. Parmi les promo-
teurs de cette réhabilitation qui
ne deyait s'adresser qu'a la mé-
moire de lancien conseiller de
Charles X, nous aimerons à citer
l'émiiienl historien de la Civilisa-
lion, doni nous avons souvent in-
voqué l'autorité dans le cours de
cet article, et M. le manjuis d'Au-
difîret, à qui sa double qualité de
(I) Yila Agricvlœ, iv.
VIL
financier distingué et de coopéra-
teur assidu du comte de Villèle
donnait toute compétence pour par-
ler dignement de ses travaux et de
son caractère. Parmi les autres
écrits publiés sur le même per-
sonnage, nous mentionnerons la
notice que M. le comte de Neu-
ville lui a consacrée en 4835, et
qui, bien que tracée par une main
partiale, subsistera comme un docu-
ment utile pour l'histoire contem-
poraine, à raison du grand nombre
de particularités intéressantes et
pour la plupart inédites qui y sont
consignées. Enfin, l'Académie des
Jeux floraux vient de mettre au
concours, pour. 1862, l'éloge de
l'administrateur le plus habile et le
plus probe de la France moderne.
— Lorsqu'un auguste exilé, M. le
duc de Bordeaux, apprit la mort de
ce serviteur si dévoué de sa famille
et de la France, il consigna l'ex-
pression de ses regrets dans quel-
ques lignes que nous reproduisons
comme le témoignage le plus exact,
le plus complet et le plus concis
qui ait été rendu à sa mémoire.
« Après avoir rempli avec im éclat
et une supériorité incontestables
les fonctions auxquelles l'avait
appelé la juste confiance des rois
Louis XVllI et Charles X, le comte
de Villèle a su quitter dignement
les affaires, fidèle aux convictions
et aux sentiments de sa vie entière,
faisant des vœux pour la prospérité
du pays qu'il avait si noblement
servi, et toujours disposé it donner
dans l'occasion, quand on les lui
demandait, les conseils de sa haute
raison et de sa longue expérience.»
A. B— ÉE.
VILLÈLE (GuiLLALMK-AuniN dk),
archevêque de Bourges, pair de
France, grand-cordon do l'ordre de
Charles III , cousin du précédent,
VIL
VIL
525
naquit à Caraman, dans l'ancien
Languedoc, le 21 février 1770. Son
père avait suivi avec honneur la
carrière des armes. Guillaume de
Villèle enibrassa de bonne heure
l'étal ecclésiastique, et alla àquinze
ans compléter au séminaire de
Saint-Sulpice son instruction clas-
sique par l'étude de la philosophie
et de la théologie. Le supérieurgé-
néral de cette institution, le véné-
rable abbé Emery, ne larda pas à
distinguer el à prendre en affec-
tion le jeune séminariste, el son
avenir s'annonçait sous les plus
heureux auspices, lorsque la Révo-
lution vint traverser ces favorables
espérances. La situation déjà si
difficile du clergé empira progres-
sivement par suite de sa résistance
à la constitution civile qui lui avait été
imposée, et les affreuses journées
de septembre 1792 révélèrent toute
rétendue des périls qui menaçaient
ceux de ses membres qui étaient
demeurés attachés à l'antique dis-
cipline de l'Eglise. Villèle, non en-
core engagé dans les ordres, s'ex-
patria dés qu'il put franchir la
frontière sans danger, et fut or-
donné prêtre à Dusseldorf, d'où il
alla attendre à Vienne que des
jours meilleurs vinssent k luire sur
sa patrie. Parmi les liaisons hono-
rables qu'il avait formées dans l'é-
migralion, il coiHplait celle du car-
dinal de Montmorency, évèque de
Metz et grand a <monier de France.
Ce prélat, (}ui avait apprécié les
veitus et les talents de Villèle, lui
conféra le titre de vicaire gcncral de
son ancien diocèse. C'est sous celle
qualité purement nominale qu'il
rentra en France dans le courant
de 1802. Il reparut Ji Toulouse,
mais il eut la douleur d'y perdre
son pcre et sa mère peu de jours
après son retour. H se rendit alors
à Paris et s'y adonna avec zèle et
avec fruit au ministère de la pré-
dication. La Restauration de 1814,
objet des longues espérances de
l'abbé de Villèle, n'apporta aucune
interruption à ses travaux. Trois
ans plus tard, i la suite du concor-
dat de 1817, il fut nommé évêqua
de Verdun; mais cette convention
n'ayant pas été approuvée piir les
Chambres, le nouveau prélat con-
tinua de résider à Paris. Le i4 sep-
tembre 1820, le roi Louis XVUI,
devant qui il avait prêché la sta-
tion du carême, l'appela à l'évêché
de Soissons, et, le 21 mars 1824 il
fut promu au siège archiépisco|)al
de Bourges, avec le litre de primat
des Aquitaines. Villèle porta dans
son administration pastorale le ca-
ractère de douceur, de tolérance et
de simplicité qu'il avait déployé
dans le cours de sa mission aposlo-
liquc. Sa parole, rarement véhé-
mente et dépourvue d'action ora-
toire, se faisait remarquer par une
onction à la fois digne et péné-
trante et d'autant plus persuasive
'qu'elle était dans un rapport con-
stant avec la conduite personnelle
de ce Terlueux prélat. Les deux
diocèses qu'il administra successi-
Yement ont conservé la tradition
des nombreux actes de charité qu'il
y exerça el des sentiments dalla-
chement el de vénération qu'il n'a-
vait cessé d'y inspirer aux membres
de son clergé. Villèle jouit du pri-
vilège rare d'y traverser des foiic-
tions délicates en des temps diffi-
ciles, sans laisser aucune inimitié
sérieuse dans les rangs des ecclé-
siastiques subordonnés à sa direc-
tioi; et à sa surveillance. On jugera
de leurs impressions îi son ég:ird par
ht citation suivante, empruntée au
discours d'adieu qui lui fut a'iressc
lors de son départ de Soissons, par
526
VIL
VIL
imjeune prêtre de ce diocèse: « Rien
n'est slablr ni solide ici-bas, pas
même les liens de Tamoiir le plus
sacré. Autrement, ô mon Dieu, vous
laisseriez un père à ses enfants, un
bon pasteur h son troupeau, un
sage conducteur ^ son peuple, et
vous ne nous forceriez pas à pro-
clamer nous-mêmes que tout est af-
fliclion sous le soleil, jusqu'aux lu-
mières et aux vertus qui nous de-
viennent aujourd'hui une source
inépuisable de i^grels. » Étranger
aux débats et aux agitations de la
vie politique, Villèle dut à sa bonne
renommée plus encore qu'au crédit
de son éminent cousin, l'honneur
d'être compris dans h promotion
de pairs du 5 décembre J 824, pro-
motion dont le caractère fui exclu-
sivement ecclériaslique. Il parut
régulièrement à la Chambre , mais
ne prit b parole qu'en une seule
occasion : ce fut pour appuyer, en
1828, une pétition relative à l'ob-
servation légale du dimanche et des
lèies. La révolution de juillet, qu'il
vit avec douleur, Téloi^na pour ja-
mais d'une capitale où ne le rame-
naient plus l'alfection ni le devoir. Le
pieux archevêque se concentra de
plus en plus dans l'administration
de son diocèse, et n'entretint avec
le nouveau gouvernement que des
rapports purement officiels. Le
îi mai 1839, une lettre de M. Girod
(de l'Ain), ministre de la justice et
des cultes, lui apprit que le roi
Louis-Philippe, à l'occasion de sa
fèle, l'avaii nommé chevalier de la
Légion d honneur. Quelques jours
plus tard, Villeli' accusa au ministre
réceplion dt; sa lettre, |)uis il ajouta
ayec une noble simplicité : « J'ai
dû examiner, avant tout, si cette dé-
coration me rendrait plus utile au
bien de la religion dans mon dio-
cèse, cl je me suis convaincu qu'elle
me placerait dans une situation
moins favorable au succès de mon
ministère; d'après celle considéra-
lion, je supplie S. M. de me per-
mettre de ne point accepter. » Vil-
lèle se montra meilleur courtisan
des royautés proscrites que des
royautés de fait. Après une lutte
sanglante et opiniâtre entre la ré-
gente Marie-Christine d'Espagne et
son beau-frère don Carlos, ce pré-
tendant, affaibli par la mort de
Zumalacarreguy et vaincu par la
trahison de Maroto, fut contraint,
au mois de juillet de cette année,
de cher-cher un asile sur le terri-
toire français, où il ne trouva que
des fers. La Providence, qui n'avait
pas épargné les épreuves à cette
malheureuse famille, lui gardait
cei)endani une faveur précieuse.
Le gouvernement assigna aux pros-
crits Bourges pour résidence. Tou-
ché de respect pour une si haute
infortune, l'archevêque entoura de
ses attentions et de ses égards les
augustes captifs et n'épargna rien
pour adoucir l'inclémence de leur
situation. 11 leur offrit son palais
et ses équipages; mais, s'ils pré-
férèrent une hospitalité plus mo-
deste , ils n'en furent pas moins
pénétrés de gratitude pour an ac-
cueil aussi cordial et aussi em-
pressé. Le 4 mai IS-iO, Villèle
reçut du prétendant le grand cor-
don de Charles III, distinction que
ce prince accompagna d'une lellr(3
pleine de témoignages d'esiime, et
quelques jours plus tard, la piin-
cease Marie-Thérèse offrit au véné-
rable prélat une mitre brodée par
ses mains, en affeclanl à ce riche
présent une destination toute per-
sonnelle (1). Celle réciprocité de
;i) Cette iiitciilion j été resj>ectée, et
VlLr
VIL
527
bons sentiments, à laquelle le gou-
vernement eut la sagesse de lais-
ser un libre cours, devait avoir un
terme rapproché. Le 24 novembre
1841, de violents symptômes d'al-
tération se manifestèrent tout à
coup dans la saïUé de Villèie; ils
s'aggravèrent rapidement; le ma-
lade perdit la parole et la vue, et le
lendemain même, 25, k cinq heures
du matin, il expira dans sa soixante-
douzième année, en présence de
son chapitre épioré , laissant un
deuil universel sur tous les points
du diocèse qu'il avait administré
pendant dix-sept ans, et partout
ailleursje souvenir d'une vie aussi
pure, aussi irr^^prochable qne pré-
cieuse à la religion ei à iliuraa-
niîé. Les obsèques de l'illustre
prélat eurent lieu le 4 janvier 1842,
et son oraison funèbre lut pro-
noncée par M. l'abbé Duhou-
chat, chanoine honoraire, en pré-
sence d'un auditoire étroitement
rassemblé dans la vaste basilique
de Bouiges. Les princes espaijnols
s'y firent remarquer par leur pro-
fonde émotion , et honorèrent jus-
qu'au tombeau la mémoire de celui
qui, selon les expressions de leur
auguste chtf , s'était montré pour
eux a le représentant d'une Provi-
dence consolatrice , le type des
cœurs nobles, loyaux cl géné-
reux (1). » A. B — ÉE.
VILLENAVE (Mattiiieu-Guil-
LAUME-TiiKRÈst:), littérateur dis-
tingué, un des principaux collabo-
rateurs de la Diographie universelle.
la mitre brodée par l'auguste exilée ap-
parlieiii auiourd hiiiii rii()ii(>r.iliU'((»mic
Kufe'énedt' Villélc.sL'iil dcscciiiliiMtcol a-
téral de rarclievôque do Unurijcs.
A) Lrtlre inédite de M. \p comte de
Moulbel, d» '.i septcîubre \>i{'.K
chevalier de la Légion d'hon-
neur, etc., était né le 13 avril 176Î
d'une fîimille honorable mais peu
fortunée, à Saint-Féiix-iie-Cara-
man, dans raucien Languedoc.
Frère aîné de sept autres enfants,
et possesseur d'un bt néfice attaché
au litre patrimonial, il fu/ d'abord
destiné à l'état ecclésiastique, et
reçut la tonsure à Tâge de neufans.
Il fit de brillantes études au collège
de Sorèze, et montra pour la car-
rière des lettres un p^^nchaiit pré-
coce que ses parents favorisèrent
en l'envoyant à Paris au savant
abbé Ricard, traducteur de Plu-
larque, ami de sa famille. Ricard
procura à son jeune protégé l'em-
ploi de précepteur des enfants du
comte de Pontgibaud. Trois ans
après, le duc de Richelieu lui confia
l'éducation de set deux fils, les ducs
d'Aumont et de Pienne. Il forma
dans cette maison d'utiles et hono-
rables relations, entre autres avec
madame de Staël, dont il aimait à
raconter dps traits curieux et pleins
d'originalité. Villenave obtint la fa-
veur d'être présenté h la reine Marie-
Antoinette par sa gracieuse amie,
la duchesse de Polignac, et il espé-
rait être attaché au(]aui»hiu en (jua-
lité de précepteur, quand éclata la
rcvolution française. Il quitta l'ha-
bit eccbsiastique, qu'il avait porté
jusqu'alors, etvintépouserà ÎN'anies,
en 1791, une jeune Anglaise, mi^s
Tasset, dont il s'était épris sur la
simple lerturedesa correspondance
avec une amie commune. LIevé par
celle alliance i une jiosilion plus
indépendante, Villenave se fixa dans
la patrie adoptive de sa femme, em-
brassa la profession d'avocat, et s'\
fit remarquer surtout par une élo-
cutiou facile el animée. Les rap-
ports plus ou muins suivis qu'il en-
irelenailavec plusieurs personnages
:^28
VIL
de la cour de Versailles ne l'avaient
point empêché de s'associer avec
ardeur au rnouvement de 4789 ;
mais celle elTervescence de son âge
et de son imagination se calma
bienlôt en présence d«*s excès révo-
lutionnaires, et fit place ^ des im-
pressions tout opposées. Lorsque,
▼ers le milieu de 1792, l'infortuné
Bailly vit ses jours menacés par la
faction démagogique, ce fut dans
la maison de Villenave qu'il ren-
contra son abri le plus sur; il passa
plusieurs mois sous ce toit hospi-
talier, uniquement appliqué à trom-
per par de frivoles lectures les trop
justes appréheusions qui assié-
geaient son esprit. Villenave était
demeuré dépositaire d'un grand
nombre d'écrits du savant astro-
nome, qui fournirent plus lard à
M. Arago de précieux matériaux
pour la composition de son éloge.
Cependant rattilude contre-révolu-
tionnaire de Villenave et de sa
femme ne larda pas h attirer sur
eux lanimadversion des terroristes.
Tous deux furent arrêtés au mois
de septembre 1793. On renferma
madame Villenave au château de
Luzancey, sur les bords du fleuve
qui seryait de théâtre aux ef-
froyables exécutions de Carrier, et
son mari fut dirigé sur Paris avec
cent trente et un Nantais, suspects
aussi d'incivisme, et soumis comme
eux k la surveillance la plus étroite
et la plus inhumaine. Plusieurs
d'entre eux périrent dans le trajet
ou dans les prisons; les autres com-
parurent, au bout d'un an de dé-
t'.Mition, devant le tribunal révolu-
oni.'air^. Tous furent acquittés,
grficc aux généreux efforts de To-
pino-Lebrun, l'un des jurés, le
mémo qui, quelques années après,
!se trouva impliqué dans un com-
plot contre la vie du premier con-
VIL
sul, ctpérilsurl'échafaud.Au mois
d'octobre suivant, Villenave, mupar
un sentiment d'humanité, coopéra
arec Real (voyez ce nom, t. lxxviii,
p. 380), depuis préfet de police, et
Tronson-Ducoudray, à la défense
des membres du comité révolution-
naire de Nantes, que le tribunal
acquitta également. Villenave re-
parut dans cette ville, où son mi-
nistère eut bientôt à s'exercer au
profit d'accusés plus intéressants.
Appelé à défendre devant les com-
missions militaires la plupart des
chefs vendéens que le sort des
armes avait livrés au parti répu-
blicain, il remplit cette tâche avec
zèle et réussit, à en sauver plu-
sieurs. Ce furent les derniers dé-
bats mémorables auxquels Ville-
nave attacha son nom. Il ne s'oc-
cupa plus que de réunir les débris
de sa fortune, très-endommagée
par les événements politiques, et
vint avec sa femme habiter Paris,
aussitôt que l'ordre et la sécurité
commencèrent à renaître. L'exis-
tence de Villenave appartint exclu-
sivement dès lors à la littérature.
Il accepta la direction du Journal
des Curés, feuille périodique fondée
par le gouvernement impérial dans
un esprit conforme aux principes
du concordat, mais qui ne put four-
nir une longue carrière. Trois ans
plus tard, Villenave publia une tra-
duction en prose des Métamorphoses
d'Ovide, précédée d'une vie du
poi'ie (Paris, 180G. 4 vol. in-8'),
celui de ses ouvrages qui a le plus
contribué à fixer sa réputation
comme latiniste et comme érudit.
Celle versit^A' sans décourager de
nouvelltfclenlaiivfts, conserve au-
jourd'hu (uccre une grande va-
leur, elles critiques ont générale-
ment adopté l'opinion du biographe
sur les causes tJsouvent conlro-
I
VIL
VIL
529
versées de la disgrâce de l'illustre
exilé. Villenave traduisit plus tard,
non sans mérite, mais avec moins
de succès, les huit premiers livres
de l'Enéide pour !a Bibliothèque la-
tine-française àe Panckoucke. Pas-
sant du profane au sacré, il fit
suivre ses Métamorphoses d'une Vie
des S«?n/s (Paris, 1812, 7 vol. in-8°),
compilation pleine dutileset labo-
rieuses recherches. Il enrichit suc-
cessivement d'annotations criti-
ques et biographiques les éditions
des œuvres de la princesse de
Salm, (le Duclos, de Marmonîel,
de Barthélémy, de Thomas et de
plusieurs autres écrivains du wuv
siècle, et publia des notices plus ou
moins étendues sur madame de Car-
cado. fondatrice de l'institution en
faveur des enfants délaissés, sur
madame Talma, sur le pasteur Jean-
Jacques Goepp, sur saint Eloi, pa-
tron des ouvriers, sur Boiirdalo.ie,
sur Garât, ministre de la justice, sur
l'académicien Michaud , etc., une
histoire intéressanled'IIéîoïseeld'A-
bélard,ei lesElojcesdu comiedeLa-
cépède, du cardinal de Cheverus,
avec lequel il était uni d'amitié. Il
écris it en outre une foule d'articles
d'économie politique dans \e Jour-
nal de la Société de la morale chré-
tienne.modelé qu'il présida pendant
près d'un quart de siècle et dont il
fut l'historiographe le plus zélé. Vil-
lenave appartenait encore au coniité
de lapaix, au comité grec, àl'œuvre
du comité des orphelins, à l'asso-
ciation des ouvrieri et des arti-
sans,elù la plupart di s inslilutions
de bienfaisance établies dans la
capitale. Il était menibre et fut plu-
sieurs années secrétaire ^^uieral de
la société philotechni(}ue, dont il
animait les séances pubTniues pur
lintérèt de ses couimunicalions
que rehaussait le doubl'' prestige
LXXXV
d'une accentuation sonore, d'une
belle et imposante physionomie. Il
professa pendant sept ans «i l'A-
thénée un cours d'histoir^^ littéraire
delaFrancequi attirait de nombreux
auditeurs, parmi lesquels on re-
marquait plusieurs des notabi-
lités de la littérature moderne.
Après avoir été plusieurs années
rédacteur de la Quotidienne, Ville-
nave, qui ne se piquait pas d'une
très-gr;indp fixité dans ses doctri
n'^s politiques, concourut avecM.'i
Barante et M. Guizot à U créatio
du Courrier français , par sncces-
iion aux Annales politiques et litté-
raires. Ami particulier de Michaud,
foridateur de la Biographie univer-
selle, il avait pris part dès le prin-
cipe à la composition de cette vaste
galerie où figurent, sous son nom,
k travers près de 300 autres, les
articles Real, Socl, Egerton, Garât,
Ovide, Ricard, les derniers ducs
d'.Aumon/, madame d'Angiviiler, An-
drieux. etc., etc. Un autre recueil,
V Encyclopédie des gens du vionde
(1833-44), lui dut ceux de Louvois,
de Fénelon , de Nicole, de saint
Vincent de Paul , df Dannou, ù'Hé-
lolse, de Pierre Corneille, etc., et
le mol InUitut de Fraucc. Cet infa-
tigable écrivain, sur les dernières
années de sa vie, chercha plus d'une
fois dans la culture de la poésii»
des délassements }» ses doctes et
miles travaux. On a de lui de longs
fragments d'un poème sur \\ Vie
future, où brillent, parmi quelques
négligences, des beaurs d'un ordre
élevé , d'autres fragments d'un
poème sur VAmour, un morceau
intitulé les Deux genres, quehjnes
stances ()leines d'onciion et
de poùl sur Vlmitation de Jésus-
Christ, etc. Villenave, chargé de
présenter au roi des Franv-ais ,
quelque temps après la révolution
3t
530
VIL
VIL
de 1830, l'Adresse de la société
américaine des Amis de la paix,
reçut de ce prince nn gracieux ac-
cueil, et fut tardivement décoré de
?a croix d'honneur sous le minis-
tère de M. de Salvandy. Son sa-
lon, tenu avec cette politesse
exquise et affectueuse qu'il avait
contractée dans les relations de
ses j)remiéres années, était insen-
siblement devenu le rendez-vous
de totit ce que Pai is comptait de
plus considérable dans les lettres,
l'Église et la politique. La biblio-
thèque de Villenave, fruit de qua-
rante-six ans d'épargnes et de re-
cherches, constituait, parliculière-
menl pour les autographes, les
livres rares et les dessins originaux
des grands maîtres, une des collec-
tions les iîius curieuses de l'Europe.
Elle renfermait environ 23,000 vo-
lumes, et son possesseur avait tou-
jours refusé, par esprit de patrio-
tisme, de distraire, au profit des
collecteurs étrangers, aucun des
trésors dont elle se composait, mal-
gré les offres les plus séduisantes.
Ce vénérable doyen des lettres
françaises mourut le 10 mars 1846,
a quatre-vingt-quatre ans, dans les
^entiments religieux qu'il avait
professés toute sa vie. Il a laissé un
fils, auteur de la tragédie de Wals-
tein, imitée de Schiller, jouée à
rodéon, et d'autres opuscules poé-
tiques; (t une fille, madame Méla-
iiie Waldor, femme également dis-
tinguée comme poète, comme ro-
mancière et comme auteur drama-
liqui'. A. U—KE.
V!LLi:Ni:UVE - BARGEMO.\
XriRiSToi'Uh:, comte de), conseiller
d'État, préfet des Bouches-du-
ithùne, commandeur de la Légion
dlionneur, e'.c, nc.(iuit au château
de IJargemon, dans l'ancienne Pro-
vence, le 3 mars 177 ) , au teiii d'une
famille qui sîî glorifiait de compter
parmi ses fondateurs un connétable
grnnd sénéchal de Provence (Rome
de Villeneuve, ino), et un grand-
maître de Tordre de Saint-Jean de
Jérusalem (Hélion de Villeneuve,
4370). Le jeune Christophe fut
élevé à l'école militaire de Tour-
non, et entra à seize ans, en qualité
de sous-lieutenant, au régiment de
Royal-Roussillon infanterie, com-
mandé par son cousin deVilleneuve-
Trans, premier marquis de France.
En 1792, lors de la formation de la
garde constitutionnelle du roi ,
Christophe de Villeneuve fut admis
dans ce corps d'élite, destiné à dé-
fendre les jours de Louis XVI, et
dont les réclamations de l'Assem-
blée nationale firent bientôt pro-
noncer le liceneiement. Mais plu-
sieurs de ces serviteurs dévoués
refusèrent de s'éloigner du palais
où le malheureux monarque était
confiné dans la plus étroite et la
plus humiliante captivité, et de ce
nombre fut Villeneuve. Échappé
avec peine aux massacre» du 10
août, il alla attendre à Bargemon
que des jours plus heureux vins-
sent à se lever sur la France. Lors de
l'établissement du Consulat, il fut
nommé successivement inspecteur
des poids et mesures dans les dé-
partements méridionaux, puis, en
1804, sous-préfet de l'arrondisse-
ment de Nérac. Il profita de son
séjour dans cette ville, berceau de
Henri IV, pour recueillir sur la
jeunesse de ce grand roi plusieurs
particularités intéressantes qui
avaient échappé à l'histoire, et
publia ces documents sous ce ti-
tre : Notice sur la ville de Nérac ;
fAgen, 1808.) Villeneuve publia plus
tard un Voyage dans la vallée de
liarcelonnetie, dédié à Mouseigneur
le duc d\\7igoHléme (Agen, 1815,
VIL
VIL
531
în-8"^; puis un antre irayail inté-
ressant sur Id géographie ancienne
et les antiquités du département des
Bassps-Alpes. En 4806, Christophe
de Villeneuve fut nommé préfet
de Lol-Pt-Garonue. Il administrait
ce département en iS14. lors de
l'entrée de M. le duc d'Angoulême
sur le territoire irançais, et fui un
dts premiers prétets qui portèrent
à ce prince, pendant son séjour à
Bordeaux, l'hommage de leur dé-
Tonement. Le duc d'Angouléme
distingua ce fonctionnaire et ne
larda pas à lui accorder une entière
conflance. A la nouvelle du débar-
quement de Napoléon sur les côtes
de Provence, Villeneuve publia une
proclamation vehémenie contre lui
et se démit quelques jours plus
tard du poste qu'il occupait. li re-
prit ses fonction^ a la chute détini-
tive duréijime impérial, etsuccéda,
le 8 octobre 1815, comme préfet
des Bouches-du-Hhône, au comte
de Vaublanc, qui venait d'être ap-
pelé au miîiistère de l'intérieur. Les
soins d'une vaste adminihtraiion
et la sollicitude consciencieuse avec
laquelle il ne cessait d'en diriger
les détails, n'empêchèrent point
Villeneuve oe n'preîidre le cours
de ses travaux lilteriiires. il pubiiji
un Précis historique sur la vie de
René d'Anjou, roi de Saples, comte
de Provence (Marseille, 1819, in-8);
puis il entreprit la statistique de la
belle contrée qu'il était appelé à
régir, dans des proportions incon-
nues jusqu'alors et qui lut permi-
rent d'y comprendre tous les faits
de nature à intéresser cette localité
àun litre (|uelconque. Cet immense
travail, précède d'un abrégé de
rhi.->loire de Provence et accompa-
gné dun volume de caries cl de
pians, fut imprime d ;ipres le vœu
du conseil gênerai en (jualre vo-
lumes in-folio (Marseille, 1824 >, et
a été regardé par un critique éclai-
ré (1) comme «la meilleure statisti-
que qui ait été publiée en France.»
Le comte de Villeneuve administra
le département des Bouches-du-
Rhone jusqu'il sa mort. Il succomba
le ^ octobre <829, objet des regrets
universels de tontes les classes de
citoyens dont il s'étaitconcilié l'es-
time et l'affection par la simplicité
de ses mœurs, la droiture et la
bonté (le son caractère, l'élévaiioD
incontestable de ses talents admi-
nistratifs, et qui érigèrent quelques
mois plus tard, par voie de sous-
cription, un monument \ la mé-
moire sur une des places publiques
de Marseille. Indépendamment des
ouvrages que nous avons mention-
nés, on doit îi ce savantadministra-
teur un Rapport sur des fouilles
faites à Frcjus, en 1803: une Notice
sur Théopolis^ ville des Basses-Alpes
(1811); une Dissertation sur le lieu
qu'occupait dans F Aquitaine le peu-
ple désigné par César sous le nom
de Sotiates; une Notice sur la peste
de Marseille en 1720 et 1721 (Mar-
seille 1819, in-8); Adèle ou la jeune
Turque à Marseille, nouvelle histo-
rique^ {Marseille, 1823, in-8}, etc.
Le ( omte de Villeneuve éiait che-
valier de Saint-Maurice de Savoie,
et il avait clé décoré do l'ordre de
Charles III, le 1" janvier 1815, par
Ferdinand VII, en reconnaissance
des senicrs qu'il avait rendus aux
Espagnols prisonniers de guerre
ou exilés en France. A. B— ée.
VILLE>ELVE - BARGEMON
( EMMANUEL-Ft:ni)iNAND , marcjuis
de) frère puîné du i)recédent, préfet
de'Ia Somme, député, officier delà
Légion d'honneur, naquit îi Carge-
;i) Quoranl, France littéraire.
532
VIL
VIL
mon le 25 décembre 1777; Il entra
dans Tordre de Malte et servit dans
la marine française jusqu'à la ré-
volution de 1789. La conscription
l'incorpora dans les armées répu-
blicaines, où il fit plusieurs campa-
gnes à la suite desquelles il se re-
tira dans ses foyers. 11 fut nommé,
par le gouvernement royal, sous-
préfetde Castellane, etavaitàpeine
pris possession de son poste lorsque
survinrent les événements de mars
48i;>. Aussitôt qu'il apprit le dé-
barquement de Napoléon, Ville-
neuve se mil à la tète de la garde
nationale de son chef-lieu et entre-
prit d'arrêter sa marche sur Parii ;
mais il n'jtteignit que quelques
traînards qu'il lit prisonniers. Cette
tentative courageuse fixa sur lui
raltention du ducd'Angoulêmo, qui
l'appela à la préfecture des liasses-
Alpes; mais il ne put occuper ce
poste qu'au second retour des
Bourbons. Villeneuve lut ensuite
nommék la préfecture des Pyrénées-
orientales, d'où il passa successive-
ment à celles d(^ la Nièvre et de la
Somme. Ce fut dansée dernier dé-
partement que la révolution de
1830 vint terminer sa carrière ad-
ministrative. Il avait siégé comme
député dt-s Basses-Alpes j)endant
une grande partie du régime de la
Restauration et laissé, dans tout le
cours de ses fonctions publiques,
la réputalion d'un administrateur
aussi intègre que conciliant et
éclairé. Le marquis de Villeneuve
mourut le 20 jaiivier183.j à Gi as^e,
ou il s'était.retiré. 11 avait é|)0usé,
en 1800, mad(;moiselle Pauline de
Colomb-Scillou, dont il a eu deux
enfanti qui lui ont survécu.
A. B-tE.
VILLE>El Vi: - IîARGEMO>
(Jkan-Paul-Alhan, viromie de),
préf"î, conseiller d'fial, député,
membre de l'Inslilnt, commandeur
de la Légion d'honneur, chevalier
de Saint-Jean de Jérusalem, frère
des précédents, naquit au château
deSaint-Auban (Var) le8 août 1784.
La protection du comte de Cessac,
son parent, lui ouvrit, très-jeune
encore, la carrière de l'administra-
tion publique par une place d'au-
diteur au conseil d'État. Son ins-
truction et sa capacité l'y firent
bientôt remarquer. Il fut appelé aux
fonctions de sous-préfet à Zicrik-
zée, petite ville du département des
Bouches- de-l'Escaut, puis à la
préfecture de Lérida, en Catalogne,
et plus tard k celle de Namur. Per-
sonne assurément, pur l'équilc de
ses actes et l'aménité de ses ma-
nières, n'était plus propre que le
jeune intendant k tempérer dins
ces pays conquis les rigueurs du
régime impérial. Villeneuve re-
cueillit partout des témoignages de
l'estime et de la confiance de ses
administrés. Il fut nommé pré-
fet de Tarn-et-Garonne k la res-
tauration du gouvernement royal,
qu'il salua, ainsi que ses frères,
avec un vif empressement. Ville-
neuve conserva ces fonctions jus-
qu'au débarquement de Napoléon
et ne les reprit (ju'après la chute
de ce j)Ouvoir dont la résurrection
éphémère avait attiré tant de ca-
lamités sur notre pays. Il fut char-
gé successivement de l'adminis-
tration des départements de la
Charente, de la Meurthe, de la
Loire-Inférieure et du Nord, et
laissa dans chacun d'eux des tra-
ces d'une direction éclairée et d'un
esprit intègre et bienv(;illant. Par-
mi les intérêts confiés à sa sollici-
tude, les institutions de bienfai-
sance aviiien! toujours tenu le
premier rang, et l'amélioration
du sort des classes indigentes
VIL
n'avait cessé de préoccuper sou
alteniion. Il étudiait avec activité
les moyens de coloniser le» indi-
gents et les mendiants du départe-
ment du Nord, et ses plans étaient
à la veille de recevoir la sanction
du gouvernement, lorsque la ca-
tastrophe de 1830 vint en détour-
ner le cours. Ce fut i Lille que le
surprirent les événements qui la
préparèrent. La proclamation des
ordonnances de juillet y donna
lieu à plusieurs rassemblements
que la cavalerie dissipa par des
démonstrations énergiques. Les
principaux négociants, encouragés
par les dispositions bienveillantes
du préfet, parvinrent à calmer l'a-
gitation populaire, et les nouvelles
de Paris achevèrent d'éluigner
toute apparence de collision. Atta-
ché de cœur et de conviction au
régime paternel de la Restauration,
Villeneuve ne crut pas devoir con-
tinuer ses services au gouverne-
ment qui lui succédait. Député du
Var aux élections de 1830, il cessa
d'apj)artenir à laChambre renouve-
lée en 1831, et rentra d.ins la lie
privée. Lorsqu'en 1832, Madame,
duchesse de Berri, encouragée par
les dispositions d'un grand nombre
d'habitants des contrées de l'Ouest
et du Midi , médita son projet de
débarquement sur les cotes de Pro-
vence (i), le vicomte de Villeneuve
fut pressenti sur Tacceptation éven-
tuelle du titre de commissaire royal
dans le département du Var; il
répondit affirmaiirement , mais
sans dissimuler ses incertitudes sur
le succès de celte entreprise. Ce
VIL
533
(1) Tous les détails qui vont suivre
sont cnipruntts :uix notes iiKiiiuscrites
et inédites du vicomte de Villeneuve,
qui m'ont été communiquées par sa fa-
mille.
brevet lui fut expédié quelques
jours plus t.ird signé de la princesse
« au nom de Henri V. » Villeneuve
parcourut plusieurs villes du Var
el des Bouches-du- Rhône, afin
d'étudier Pélat des esprits , et
celte exp'.oiation ne releva point
ses espérances. 11 consigna ses ob-
servations et ses appréhensions
dans un mémoire qui fut remis ^
la princesse k son arrivée a Massa.
Villeneuve l'y conjurait de ne pas
compromettre l'avenir de son fils
par une précipitation funeste , el
lui demandait de borner son rôle
à celui d'un serviteur fidèle résolu
à la « défendre au péril de sa vie.»
La duchssse fit répondre à Ville-
neuve que ses propres idées étaient
conformes aux conclusions de son
mémoire ; mais elle dut céder aux
impatiences de son entourage, et
débarqua, le '29 avril, à proximité
de Marseille, où le vicomte de Vil-
leneuve s'était rendu de son côté.
La répulsion des troupes pour le
drapeau blanc, el une discrétion
malentendue envers la population
marseillaise, généralement favorable
à la dynastie déchue, firent échouer
cette première tentative. Villeneuve
revint à Aix le 1'^ mai, san^ rap-
porter aucune information sur le
lieu où Madame s'étuii retirée.
Mais il reçut bientôt l'avis secret
de se rendre auprès du duc dEs-
rars, dans un endroit situé îi peu
de distance de cette tillo, et là, il
apprit (pie Ion comptait sur son
dévouement j)0ur accompagner la
princesse en Vendée, où elle avait
résolu d'essayer un nouvel appel
aux royalistes de l'Ouest. Le loyal
gentilhomme n'hésita point i» ac-
cepter celte mission périlleuse. 11
fut convenu qu'il se trouverait le
lendemain, à minuit, enir- Lam-
bescel lePonl-Royal, |)Oini duquel
53/i
VIL
Madame untreprendrait de traverser
la France îi i'aide d'un passe-port
que Villeneuve s'était fait délivrer
récemment en donnant à sa femme,
qoi y liguiait, l'âge et le signale-
ment de la princesse. Ces arranje-
meuts furent approuves et secon-
dés par la duchesse de Vicence,
mère de madame de Villeneuve,
qui conseilla toutefois de ne rien
tenter en Vendée, le temps n'étant
pas encore venu, et s'offrit même,
dans le cas où Madame suivrait ce
conseil, à la ramener en Italie, en
la faisant passer pour sa fille. iMais
le sort en était jeté. Le 3 mai, à
neuf heures du soir, Villeneuve
partit d'Ail avec un de ses cou-
sins, et, après avoir passé Lara-
besc et Saint-Cannat, ils s'arrêtè-
rent à un point de la route où
aboutissait un sentier ombragé
d'arbres touffus. C'était le lieu con-
venu. Ils descendirent de voilure,
et le compagnon da Villeneuve,
ayant prononcé k haute voix le nom
Aq Laurent, il se présenta un groupe
de huit personnes, dont six étaient
vêtues en bergers, mais armées de
pistolets, et de ce groupe se déta-
cha utie jeune feiuine enveloppée
d'un manteau rayé de noir coiffée
d'un chapeau de paille noire couvert
d'un voile blanc. C'était la mère du
duc de Bordeaux. Villeneuve parut,
« baisa respectueusement la main
de la piincesse, et se déclara prêt à
la suivre au bout du monde. » Cet
acte de dévouement était d'autant
plus appréciable que sa santé, na-
turellement débile, subissait en ce
moment même de pénibles attein-
tes. Madame lui annonça qu'elle se
rendiiil au château du marquis
Aymar de D.impierre, dans la
Saintonge, à qui sa visite n'était
point annoncée. Villeneuve laida à
monter dans une voiture préparée
VIL
par le zèle indéfectible de M. de
VitroUes, et remit au duc de Lor-
ges une redingote de livrée dont il
se revêtit aussitôt. Madame fit as-
seoir le comte de Mesuard à côté
d'elle, Villeneuve en face, et jeta
ces mots à son cortège pour dernier
adieu : En Vendée! Plusieurs fois,
durant ce périlleux trajet, le fidèle
compagnon de S. A. R. lui fil part
des objections et des offres de la
duchesse de Vicence. La princesse
déclara qu'elle ne quitterait pas
la France après y avoir mis le
pied. « Vous verrez, lui avait-elle
dit en partant, combien je suis
commode en voyage; je dors à
merveille en voilure, et de i'eau et
du pain me suffisent. « Il y avait
dans son accent quelque sentiment
d'une mission divine auquel se mê-
laient les hallucinations ardentes
d'une imagination italienne. Les
quatre voyageurs déjeunèrent fru-
galement au petit village de Bar-
beyra, près de Narbonne. « Ce qu8
c'est, dit la duchesse à ses compa-
gnons, qu'une conscience pure et la
certitnded'accomplir un devoir! Ja-
mais je ne fis undéjeuner meilleur;
je suis sûre que je ne mangerais pas
d'aussi bon cœur aux Tuileries!»
En passant près de Villefranche,
on découvrit le château de Mor-
ville, habitation de M. de Villèle.
« Quelle excellente tête! dit la
princesse; ah! si je conquière le
trône démon fils,il aura une grande
prépondérance dans les affaires...
Il n'approuverait pas notre entre-
prise; cependant, c'est de son ami
M. Corbière que j'ai reçu le plus d'en-
couragements. ■ En détaillant les
espérances dont il lui avait fait part,
« ses yeux brillaient, dit le fidèle
narrateur, sespetitesmainsserraient
convulsivement ses pistolets... Ah!
pourquoi toute la France n'était-
VIL
VIL
535
elle pas Ik pour l'eulendre!... Et
pourtant, i travers mon éaiolion,
je pressentais trop que cette entre-
prise ne serait qu'un illustre mal-
heur (le plus! » A Toulouse, où
Ton mit pied à terre, le duc de
LorjiCs fui rencontré et reconnu
par un de ses anciens frères d'ar-
mes, M. de Puylaroque, qu'il fallut
mettre daus le secret. M. de Puy-
laroque supplia Madame de s'arrê-
ter à Toulouse ei d y encourager,
dans une retraite sûre, les disposi-
tions favorables de la population,
dispositions qui promettaient, dit-il,
un plein succès à son entreprise.
La princesse ne Youiut point se
laisser fléchir. Tour à tour en proie
à de douloureux saisisseaients ou à
de vives espérances, coiitinue
notre narrateur, son sommeil était
agité par des rêves auxquels se mê-
lait toujours le nom de ses e.ifants.
Ce trajet, dont la sécurité dut beau-
coup ii l'opinion générale où l'on
était de rarresiaiiou de la prin-
cesse, fut marqué par un de ces
piqua:its épisodes qui manquent
rarement aux incognito des princes.
Ce fut la courte excursion que les
voyagrUF:» firent au château de
Dampierre, sur les bords de la Ga-
ronne, pour s'y informer de la pré-
sence à Plassac de celui dont ils
allaient bientôt réciam(;r l'hospita-
iité. Ils passèrent le fleuve à La
Magistère, et s'arrêtèrent dans le
manoir habité par le cousin du
marquis, qui fixa leurs incertitudes.
Mad;ime la comtesse de Darnpierre
accueillit gracieusement l'auguste
étrangère, sans aucun soupçon de
ce qu'elle pouvait être, la(Onduisit
à la messe du village, s'inforraa
avec une pieuse anxiété de tout ce
qu'elle avait pu apprendre sur le
sort de la duchesse de Berri, et,
après avoir fait servir aux visiteurs
un élégant déjeuner, elle ne les
quitta que lorsqu'elle les eut vus
remonter en voilure, lis traversè-
rent, sans incident, Agen, Ville-
neuve, Bergerac, Castillon, Saint-
André-de-Cubzac,Blaye enlin,oùla
fortune gardait ses derniers coups
à l'intrépide héroïne, et ce fut le
7mai,danslanuit, que ienoblecor-
tége s'arrêta à Plassac, devant la
porte du château de Darnpierre.
« Cher chûtelain, ouviezl s'écria le
vicomte deVilleneu.e,c'cs/ /a /br/untf
de la France. * Le marquis de Darn-
pierre reçut la mère duduc de Bor-
deaux avec un mélange indescripti-
ble de surprise, de joie et d'emolion
«et comme un rêve depuis longtemps
lorge dans son imagination. » L'in-
stallation de Madame sous ce toit
hospitalier soulagea d'un poi'Js
immense la responsabilité du fidèle
historien de cet épisode de nos
révolutions modernes. Interrogé
par la iiriucesse sur ses intentions
ultérieures, Villeneuve lui répondit
qu'il était entièrement ^ ses ordres,
mais qu'il croyait sa présence plus
utile aux intérêt;, royalistes dans le
Midi que dans la Bretagne, et,
toujours convaincu de l'impuis-
sance des efforts qu'elle allait tenter,
il s'occupa seciètement de faire
préparerua passe-port pour assurer
sa retraite en cas de revers. Le len-
demain, il prit congé de la prin-
cesse, e Monsieur de Villen.'uve,lui
dit-elle d'un ton pénétre, vous êtes
deceshomm'S auxquels on ne doit
pas parler de reconnaissance; mais
si jamais nous nous revoyons ..ux
Tuileries, je veux que vous soyez
biiMi près de nous. » Le vicomte
de Villeneuve sortit de celle entre-
vue, qui devait être la dernière,
emportant, a-t-il dit, « la plus
hante idée de son noble couraij'û et
de sa haute raison réunis à l'esprit
5S6
VIL
le piusgracieux et le plus aimable.»
Après quelques mois de séjour en
Provence, Villeneuve se fixa irré-
vocablement il Paris et s'y adonna
avec assiduité à l'élude de rérono-
mie politique, science dont l'appli-
caîioniuiavailoffertlantderésuitats
utiles dans le cours de sa longue
carrière administrai ivf. Tl publia
en J834 (l-'aris, 3 vol. in-8") V Eco-
nomie polilique chrétienne, ou Re-
cherches sur la nature el les causes
du paupérisme, etc., avec cette épi-
graphe tirée de Burke : « Il faut
recommander la patience, la fruga-
lité, le travail, la sobriété et la re-
ligion ; ie reste n'est que fraude et
mensonge. » Ce livre fixa, dès son
apparition, l'intérêt el l'attention
de tous les esprits sérieux. Il mé-
rita au vicomte de Villeneuve un
des prix Montyon, et lui ouvrit plus
tard les portes de l'Académie des
sciences morales et politiques. Vil-
leneuve y fait observer que le vé-
ritable paupérisme, c'esl-à-dire la
détresse permanente et progressive
des populations ouvrières, a pris
naissance en Angleterre, d'où il
s'est répandu sur le reste de l'Eu-
rope. La source du mal est, suivant
lui, dans la concentration des capi-
taux, du commerce, de l'industrie,
dans le remplacement du travail
humain par les machines , dans
l'excitation perpétuelle des besoins
physiques et la dégradation morale
de l'iiomme. Le système de l'auteur
consiste à comballre tous ces élé-
ments perturbateurs. Il est fondé
sur une juste et sage distribution
des produits de l'industrie, sur l'é-
quitable rémunération du travail,
sur le développement de l'agricul-
ture, sur une industrie appliquée
aux produits du sol, sur la iégéné-
ratijii religieuse de l'homme, et
enfin sur le grand princijie de la
\1L
charité. La charité cin-étienne mise
en action dans la politique, dans
les lois, les institutions el les mœurs,
peut seule , conclut l'auteur, pré-
server l'ordre social des eiîroyables
dangers qui le menacent. Quel-
ques années plus tard (1841), Al-
ban de Villeneuve publia, en deux
volumes in-8% une Histoire de l'é-
conomie politique, à laquelle il donna
pour second titre celui à'Eludes
historiques , philosophiques et reli-
gieuses sur l'économie politique des
peuples anciens et modernes. Dans
cet ouvrage, destiné à compléter
le premier ou à lui servir de base,
l'auteur parait h'êire proposé sur-
tout de restituer à la science éco-
nomique le caractère moral et re-
ligieux dont certains penseurs de
î'iOs jours ont essayé de la dépouil-
ler. Telle est la vue dominante de
son livre. Les esprits judicieux y
remarquèrent le mérite d'une mé-
thode qui permet d'en saisir sans
efforts, .sans contention d'esprit,
l'ensemble et les détails. Ville-
neuve y analyse successivement
l'état de l'économie politique chez
les peuples primitifs, chez les Hé-
breux, les Perses, les Phéniciens,
les Chinois, les Athéniens et les
Romains, el décrit ensuite h grands
traits l'influence que l'établis.se-
mcntdu christianisme, et plus lard,
l'introduction de la réforme ont
exercée sur ses destinées. Des
considérations hibloriques el poli-
tiques développées avec l'aulorité
d'une haute expérience, une argu-
mentation claire etempieinte d'une
onctueuse modération , un style
constamment pur et élégant, ache-
vèrent de fixer le succès de ce li-
Yre, appelé k figurer honorable-
ment parmi' les ouvrages inspirés
par la belle science à la(juelle l'au-
teur avait voué les dernières an-
VIL
nées de sa vie. Vers la même époque,
Alban de Villeneuve fil paraître le
Livre des Affligés (2 vol. in-12),
monunaent remarquable des senti-
ments religieux de l'auteur et de
son amour ardent de l'humanité.
Dans cet écrit, véritable physiolo-
gie de la souffrance morale , le
pieux analyste sonde d'une main
pénétrante toutes les ^plaies du
cœur de l'homme et leur oppose
la résignation chrétienne comme
l'unique fondement de toute cou-
>Oiation solide et durable. Celte
édifiante thèse n'est point neuve,
sans doute, mais on doit recon-
naitie que Villeneuve réussit jus-
qu'à ceitain point à la rajeunir
par l'intérêt des développements,
par des exemples heureusement
choisis et par le charme d'une dic-
tion qui n'affecte pas plus les va-
gues, aspirations du mysticisme
que les froides abstractions de l'é-
cole philosophique. I/homme du
monde et le gentilhomme se retrou-
vent frcquiMumcnt sous i'apùtre,
et les exhortations de l'auteur sont
d'autant plus sympathiques qu'elles
reposent sur une observation au.ssi
délicate {[u'a|)profondie de la nature
humaine. \x LivrédesAflUgés. pu-
blié pour la première fois en I8i0,
obtint rapidement plusieurs édi-
tions,et a pris place dans la plupart
des bibliothèques relii^ieuses. Le vi-
comte de Villeneuve avait été élu en
i 840 député de l'arrondissement de
Hazebrouck, qui lui continua à
plusieurs reprises son mandat jus-
qu'il la révolution de 1818. Sa mo-
destie, la faiblesse de sou organe,
l'état constamment précaire de sa
santé ne lui permir> nt que très-ra-
rement (l'aborder la Iribuue. Ce-
pendant il fit violence à ces obsta-
cles dans une discussion (jui inté-
ressait vivement ses éludes et ses
VIL
.537
inclinations spi'ciales. Il s'agissait
du projet de loi destiné à régle-
menter le travail des enfants dans
les manufactures. Villeneuve pro-
nonça k cette occasion (22 déc^-m-
bre 18i0) un discours où il repro-
duisit avec une onction persuasive
la [)Iupart des considérations qu'il
avait développées dans son pre-
mier ouvrage sur la nécessité d'une
alliance étroite entre l'industrie et
la charité chrétienne; il y adjura
le gouvernement de s'occuper sans
relâche de ramôlioration des clas-
st3s ouvrières, et regretta que la
prévision des pratiques religieuses
n'entrât pas pour une plus forte
part dans le projet essentiellement
moralisateur du minislèi o. Ce dis-
cours, conçu dans un ordre d'i-
dées étranger depuis plusieurs
années aux débats législatifs, pro-
duisit une sensation vive et favora-
ble.— La révolution de 1848 amena
le terme de la vie parlementaire
d'Alban de Villeneuve , comme
celle de 1830 avait marqué la lin
de sa carrière administrative. De-
puis celte époque, sa santé, natu-
rellement faible, ne cessa de dé-
cliner. Il mourut à Paris le 8 juin
1850, laissant dans l'Académie des
sciences morales, à laquelle il ap-
partenait comme membre ordi-
naire, un vide diflicile a combler,
et là, comme partout ailleurs , la
réputation d'un immense amour du
bien public servi par un profond
savoir et par une intelligence pé-
nétrante et exercée. Il avait re-
commandé que ses restes fussent
transfères à Bargemon et déposés
sans aucun appareil dans le caveau
de ses ancêtres. Alban de Ville-
neuve avait épousé en première
noces mademoiselle de Frègose,
dont il eut deux filles, et eu se-
condes noces mademoiselle de (2a-
538
VIL
ViL
nisy, belle-fille du duc de Vicence;
il en a eu un fils et une fille, ma-
riée au comte L-nncs de iMoiiie-
bello, iroisième (Us du maréchal.
— M. Jules Nollet, archiviste de la
Société lorraine de l'Un ion des
Arts, a publié à Nancy, en 1851,
une notice étendue sur la vie et
les travaux du vicomte de Ville-
neuve. M. le comte de Marseille-
Civry en a entretenu les lecteurs
du Monilcur de l'Avenir dt Bruxel-
les, et M. de Godefroy-Mesniî-Glaise
lui a consacré un intéressant arti-
cle dans les Annales de la Charité.
A. B— ÉE.
VILLEINEm E - BARGEMON
(Louis-François de), marquis de
Trans, frère jumeau du précédent,
gentilhomme de la chambre du roi
Charles X, membre de l'Iuslitul,
chevalie:- de Saint-Jean de Jérusa-
lem, etc., naquit au château de
Saint-Auban, le 8 août 1784. La
faiblesse de sa santé et son pen-
chant marqué pour la littérature et
les arts hî délournèreni de la car-
rière des emplois publics, que ses
frèresavaient embrasséeavec éclat.
Il consacra sa jeunesse à des études
fortes et variées, et publia en 1824,
sans nom d'auteur, un roman his-
torique intitulé : Lyonnel, ou la
Provence au xiu" siècle (Paris, 4 vol.
in-12). L'année suivante, Ville-
neuve fit paraître une Hisloire de
liené d'Anjou, roi de Naples, duc de
Lorraine (Paris, 3 vol. in-8"). Cet
ouvrage, qui se distingue par un
mérite louable d'exactitude et de
recherches, obtint du succès et fut
particulièrement bien accueilli
dans la pairie de l'auteur, où le
nom du roi René, mort en 1480,
avait conservé une populaiité ira-
dilionnclle. Lu 1829, le laborieux
écrivain fil imprimer une Histoire
des monuments des grands -mai 1res
de SauU-Jeau dcJcrusaleniàRliodes
et à Malle, avec gravures et por-
traits. (Paris, 2 vol. grand in-îol.)
Bel et capital hommage îi la gloire
d'un ordre auquel sa propre fa-
mille avait donné plusieurs grands-
maîtres, cl dont l'existence n'avait
pas embrassé moins de sept siècles
de durée. Il publia en 1836 l'His-
toire de Sainl-Louis, roi de France.
(Paris, 3 vol. in-8*.) Ce fut à la
suite de ce dernier ouvriige, résu-
mé sobre et soigneusement com-
posé des nombreux documents qui
nous restent sur un des règnes les
plus glorieux de nos annales, que
Villeneuve entra à l'Institut. Il fut
élu le 10 janvier 1840, membre
libre de l'Académie des inscriptions
et belles-lettres, en remplacement
du duc de Blacas. Villeneuve ap-
pari nait depuis 1821 à l'Académie
de Nancy, ville où l'avait attiré la
présence de son frère Alban, pré-
fet du département delà Meuithe,
et où l'avait fixé définitivement
son mariage avec mademoiselle de
Montureux-Fiquelmon, issue d'une
des familles les plus distinguées
de la Lorraine. Cette province, si
riche en souvenirs historiques ,
fournit au marquis de Villeneuve
de nouveaux sujets d'exercer son
goût pour l'énidilion. 11 avait pu-
blié on 1826 et 1827, sous le titre
de Chapelle ducale de Nanoj, une
notice pleine d'intérèi sur les ducs
de Lorraine. En 1838 il lut à l'a-
cadémie de Stanislas une autre
notice également curieuse sur la
tapisserie de Charles le Téméraire,
conservée à la cour royale de Nancy,
qui fui imprimée, et en 1831J un
mémo'wc sur lestombeaux de Charles
le Tenter aire à Nancy et à Druyes,
mémoire qui a été égaleuient pu-
blié. Indépendammiuil de ces ou-
vriJges, on porsèdc encore de Ville-
VIL
VIL
539
neuve-Traas un Précis de l'histoire
en général jusqu'à nos jours. (Paris,
1821, io-S".)» (les notice» sur René
d'ADjoii et sur le sire de Joinville,
insérées au Plularque français, et
plusieurs discours prononcés par
lui comme président du congrès
scientifique réuni à Metz en 1837.
Enfin, il se proposait de doter sa
patiie adoptive d'une histoire gé-
nérale de ces ducs de Lorraine dont
la valeur et la haute mine faisaient
dire a Brauiùme que t<'Usles autres
princes paraissaient peuple auprès
d'eux, lorsque l'affaiblissenient gra-
duel de sa santiî le contraignit d'in-
terrompre ses recherches. La mort
du vicomte Alban de Villeneuve,
son frère jumeau, auquel il était
tendrement uni, détermina dans sa
situation, à la suite de plusieurs
années do lansueur. une crise fa-
tale. Trois muis et demi après ce
douloureux événement, le 19 sep-
tembre 1850, François de Ville-
ncuTf s'éteignit à GG ans, dans jes
sentiments religieux qu'il avait pui-
sés au sein d'une famiile d'élite et
auxquels il n'avait cesbé d'èire fi-
dèle durant le cours de sa vie. M. du
Haldat, au nom de rAcadémie de
Nanty, prononçi sur sa tombe une
allocution da:.s laquelle il rappela
sommairement ses principaux litres
à la renomnice historique. Ce sa-
vant distingué ne se recommandait
pas moins par sou extrême mo-
destie que par retendue de ses con-
naissances. Doué d'une instruction
moins spéciale que son irére Alban,
il présentait avec lui d'autres traits
de similitude dont la biographie
ne saurait négliger robserv;4lion.
Tous deux, décores des mêmes or-
dres , appartenaient aux mêmes
corp^ lillérairefe, professai; ut avec
une égale tolérance les même sen-
timents religieux et jtolitiques, et
se faisaient remarquer par l'exquise
aménité de leurs formes. Lnfin, il
existait entre les deux frères, sur-
tout dans leur première jeunesse,
une ressemblance physique telle-
ment complète que les membres
de leurs famille, et jusqu à leur
propre mère, s'y trompaient eux-
mêmes et les confondaient fré-
quemment l'un avec l'autre. Le
marquisat de Trans, qi^c Fran-
çois de Villeneuve avait acqui? par
la cession du titulaire, était le
plus ancien de France et apparte-
nait de temps immémorial à l'une
des branches de lafamil e de Ville-
neuve. François de Villeneuve
avait eu de son mariage deux tUles
et un fils qui fera le sujet d'un
des articles suivants. A. B— ée.
VILLKNELVE - BARGEMOiX
(Jean-Baptiste, vicomte de", frère
des précédents, capitaiiie de vais-
seau, chevalier de Saint-Louis, of-
ficier de la Légion d'honneur,
chevalier des ordres de l'Eperon
d'or et de Saint-Ferdinand, un des
marins de nos jours dont la car-
rière a été la plus honorable et la
mieux remplie, naquit à Bargemon
le 28 novembre 1788. Il entra au
service maritime à quinze ans, en
qualité de simple matt.lot, et fut
admis, après s-^pl mois d'embarque-
ment dans la rade de Toulon, au
grade d'aspirant de 2' classe. 1/a-
miril de Villeneuve- Valensole, son
parent, étant venu prendre le cora-
mandeni: ntde l'escadre de Toulon,
le jeurie de Villeneuve fut aliache
à son étal-majt)!', et fit sur le liu-
ceuîaure, qui portait sou pavillo!),
une campagne aux Antilles. Il
coopéra, dans les embarcations de
ce vaisseau, k la prise et à la des-
truction du fo;t le Diamant, où les
Anglais s'étaient établis pre^ de la
Martinique, et assista lu 2:2 juillet
oiO
VIL
iSOU au combat du Finistère, dout
les résultats furent à peu près in-
signifiants de part et d'autre. Le
21 octobre de la môme année, Vil-
leneuve prit part à la sanglante et
désastreuse bataille de Trafalgar,
que ramirai Nelso:], en personne,
livra, à la tête de 33 voiles, aux
flottes française et espagnole com-
binées, sous les ordres des ami-
raux de Villeneuve et Gravina, et
qui se composaient d'un nombre
égal de vaisseaux de ligne, dont
quinze espagnols, armés pour la
plupart d'équipages peu expéri-
mentés. L'amiral anglais fut frappé
mortellement d'une balle presque
au début de l'action ; mais le vice-
amiral Collingwood, qui prit aus-
sitôt le commandement, exécuta
avec autant de vigueur que d'a-
dresse la manœuvre audacieuse
conçue par son chef, et par suite
de laquelle la ligne française se
trouva coupée sur plusieurs points.
Au bout de trois heures et demie
de combat, l'amiraf de Villeneuve,
qui n'avait cessé de déployer la
plus ferme intrépidité, voyant son
vaisseau totalement démâté et dé-
semparé, et reconnaissant l'impos-
sibilité de passer sur un autre
bord, donna l'ordre d'amener son
pavillon. Il fut reçu par la frégate
r£î/r?/a/oMs, chargée de le conduire
en Angleterre, et sur laquelle, par
une destinée trop commune dans
la vie militaire, se trouvait égale-
ment le corps inanimé de Nelson,
séparé de son captif [)ar un simple
rideau de serge! L'amiral espagnol
Gravina, grièvement blessé, mourut
un mois après cette déplorable
journée, qui coûta également la vie
au contre-amiral Magon et à dix
capitaines de vaisseau. L'armée
comiiinée y perdit dix-sept vais-
seaux ; mais !a plupart coulèrent
ML
bas par suite de leurs avaries, et
les vainqueurs ne purent faire en-
trer dans le port de Gibraltrar
qu'un seul navire français et trois
bâtiments espagnols. Le jeune de
Villeneuve sollicita vivement de
son parent et de son bienfaiteur
la permission d'aller partager sa
captivité sur le sol anglais. Mais le
généreux amiral refusa obstiné-
ment d'associer l\ sa mauvaise for-
tune un officier plein d'espérance;
il souhaita au jeune marin un
« avenir plus heureux que le sien, »
puis ilsseséparèrent pour ne plus se
revoir. Ou sait que l'infortuné Vil-
leneuve, accablé du sentiment de
son revers, et redoutant les sévé-
rités du gouvernement imj)érial,
mit fin à ses jours quelques mois
plus tard, dans un hôtel de Rennes
où il était descendu, au retour de
sa captivité. Après diverses campa-
gnes au Sénégal , à Cayenne et à
la Martinique, Baptiste de Ville-
neuve fut admis le 22 décembre
1806 au grade d'aspirant de pre-
mière classe, et obtint tiois ans
plus tard celui d'enseigne de vais-
seau, à la suite de la part qu'il
avait prise à la capture (28 fév. 1 809) ,
delà frégate anglaise la Proserpine,
dans les parages de La Ciotat. Ce
coup de main hardi, conçu et exé-
cuté par le capitaine Dubourdieu,
marin plein d'énergie et d'activité,
appauvrit la marine anglaise d'un
bâtiment de quarante-deux canons
et d'une trentaine de combattants.
Tout en applaudissant à ce fait d'ar-
mes, Villeneuve observa, dit-il, avec
un sentiment d'humiliation l'em-
pressement par lequel la population
loulonnaise vint témoigner com-
bien étaient rares à cette époque
nos succès maritimes. Les Anglais
bloquaient toujours étroitement le
port de Toulon, et s'efforçaient en
VIL
vain d'enirainer nos vaisseaux au
large par d'impuissantes escar-
mouches. L'occasion s'offrit enûn
pour Villeneuve d'échapper à cette
vie dénuée de gloire et de périls.
Dubourdieu fut appelé vers le mi-
lieu de 1810 au coranii^ndement
des forces uavales de la mer Adria-
tique. Il purlii immédiatement pour
Venise et demanda au ministre pour
aide de camp le jeune enseigne
qui l'avait si bien secondé ap com-
bat de La Ciotat. Villeneuve rejoi-
gnit son chef au mois de décem-
bre 1810, avec un de ses amis, le
jeune Armand dr Chateauville.
Tous deux virent en passant à Sa-
vone le pape Pie VII , qui y était
exilé, et dont ils fareiit traités avec
une bienveillance particulière ; ils
arrivèrent à Venise, où Villeneuve
séjourna jusqu'au mois de mars
18M, époque lixée par Duiiourdieu
pour une importante expédition
sur Tile de Lissa. Cette petite ile,
située au milieu de l'Adriatique,
entretenait, sous la protection des
Anglais, une foule de corsaires
qui portaient un préjudice notable
au commerce de ces contrées. L'in-
Irépide Dubourdieu pioposa au
vice-roi d'Italie d'autoriser une at-
taque dont l'objet serait d'enieverce
poste à la domination biilannique,
et d'en prendre délinitivement pos-
session au nom de la Fiance. Plu-
sieurs frégates françaises et italien-
nes, deux corvettes, un brick et une
goélette furent réunis à Aucune à
la fln de février 1811, avec quel-
ques troupes de débarquement. Le
13 mars, le combat s'engagea vive-
ment conire quatre frégates an-
glaises qui couvraient l'enlrée du
port; peu d'instants a|)res, le hravr
capitaine, mortellement alieinl d'un
bisi-aïtMi (pli lui avait fracassé la
poitrine, tomb^ùt dans les bras en-
VI L
5/il
sanglantes de son aide de camp.
Le feu continua néanmoins avec
acharnement; mais la mort suc-
cessive des principaux officiers de
l'escadre frani^'/ise et l'echouement
de la Favorite, frégate du com-
mandement, déterminèrent la re-
traite d'ime partie de nos bâti-
ments et la prise de quelques au-
tres; plus d'un tiers de réquij)age
fut mis hors de combat; les ofli-
ciers survivants de la Favorite, re-
çus à bord d'une embarcation de
secours, n'osèrent ramener avec
eux la dépouille mortelle de leur
infortuné commandant, dans la
crainte qu'elle ne tombât aux
mains des Anglais; ils préférèrent
lui donner la sépulture des flots de
l'Adriatique , où elle s'abîma dans
les flancs incendiés de sa propre
frégate. Villeneuve et ceux de ses
compagnons qui avaient échappé
à ce grand désastre, débarquèrent
dansl'ile, et conçurent un moment
l'idée de s'y établir et d'en défendre
l'accî's aux bâtiments anglais ;
mais cette témerilé (il place it la
paisible occupation de quelques bû-
timents amarrés au quai du bourg
Saint-Oorges, capitale de l'ile, sur
lesquels ils franchirent létroit pas-
sage qui sépare Lissa de la côte
d'illyrie. Réduit au dénùment le
plus absolu, Villeneuve atteignit à
travers des dillicultés inlinie?, au
bout de trois jours de marche, le
port de Trieste, où quehpies per-
sonnes qu'il connaissail lui procu-
rèrent les moyens de se rendre
commodément îi Venise. H y ap-
prit qu'un décret impérial du 1"
avril 1811 le nonunail chevalier
de la Lésion d'honneur, distinc-
tion fort enviée à cette époque,
parce iju'elle n'élait pas prodiguée,
et d'autant plus llalteuse pour Vil-
leneuve, alors ii^é de vingt-deux
562
VIL
VIL
ans, qu'il se trouvait le seul luariu
de son gracie qui en fût revtMu.
Villeneuve fui accueilli avfc une
bienveillance marquée par le ^ice-
roi, qui lui offrit d'entrer dans la
marine italienne avec cie l'avance-
mcnt; niais il résista h cette offre
(. t retourna àToulon, où il fit partie,
jusqu'en 18i4.de l'escadre com-
mandée par l'amiral Émériau. Ce
fut à Monaco que Villeneuve, em-
barqué comnne second sur le brick
le Faune, apiril les événements
qui, en préparant la conc usion
de la paix générale, allaient r iidre
Ja liberté aux mers. La population
de ces contrées, violemment exas-
pérée contre le régime impérial
par de iongr.es souffrances, exigeait
que les officiers du l);i k arboras-
sent le draoeau blanc, et Ville-
neuve, signalé comme bonapar-
tiste, Il raison du i uhan rouge qu'il
portait iï sa boutonnière, courut
p.rsonnellcmenl de grands dan-
gers. Il fallut ubtr (Je beaucoup de
prudence pour prévenir de san-
gla»:t< conflits. Villeneuve se ren-
dit il ïouion et y fut témoin des
iûches et nombreuses apostasies
qui se produisirent parmi les au-
lorilés ci-.iles et militaires de ce
port de mer, à l'occasion de la
chute du gouvernement de Napo-
léon. ^ Combien de chefs dévoués
la veille à la fortune de l'Empe-
reur, écrivait- il, le Iraitjient au-
jourd Uui d'tw/fîmtf usurpateur!
La frénésie avait atteint toutes les
classes de la société. Les dames
les plus considérables de la ville
figuraient aux fjrandoles,formaient
les rondes autour dfs fcuï de joie
dans lesquels on ne m^Jinpiait ja-
mais de jeter le buste de Napoléon
et le drapeau tricolore, en les y
accompi'.gnant de malediclions.
Faiigué de ces clameurs incessan-
tes et de ces manifestations fana-
tiques, ajoute Villeneuve,* je quit-
tais peu mon bâtiment, et le calme
de mon attitude me faisait sans
doute passer aux yeux des exaltés
pour un homme très-froid aux évé-
nements nouveaux, tandis que, plus
que beaucoup d'autres, je sentais
le besoin de paix et de repos que
réclamait notre patrie pour ci-
catriser ses . plaies, et je rendais
grâce à la Providence de consacrer,
par le retour du mongrque légitime,
ce grand principe d'hérédité qui a
préservé la France pendiiUt tant de
siècles du danger des usurpa-
tions(t). » Le bâtiment que montait
Villeneuve fut chargé, au mois de
juillet, d'aller nolilier au dey d'Al-
ger et i Temperenr du Maroc l'a-
vénement du roi Louis XVlll, et de
porter au premi-^r de ces souve-
rains les présents d'usage. Le jeune
officier fut révolté de l'air de dé-
dain avec lequel le dey et sa cour
reçurent les communications du
roi de France, et chacun des en-
voyés forma dans le fond du cœur
le vœu , qui devait être exauce
seize ans plus tard, qu'un jour ar-
rivât où une puissance chrétienne
se chargerait de détruiie ce repaire
de pirates, en y implantant le dra-
peau de 11 civilisation. Le dey
envoya Ji bord du brick, suivaui
l'usage, une embarcation chargée
de volailles, de légumes et de
quelques moutons pour l'équipage;
mais à peine ces prétendus présents
étaicnl-iU arrivés sur le brick, que
le paiement en était réclamé à la
chancellerie de notre consulat. Le
«juillet 18U, Villeneuve fut promu
au grade de lieutenant de v;iisseau.
(1) Mém. iiié.lils du comte de Yillc-
nenve.
i
VIL
I! étoit eu sialion n Toulon lors-
que, dans les premiers jours de
mars 1815, se répandit la nouvelle
du débarquement de Napoléon au
go'fe Juan. Cet événement, accueilli
d'abord avec stupeur par la ma-
rine et par la {jopuîa'ion, fournil
bientôt au parti bonapartiste l'oc-
casion de prendre sa revanche
sur les manifestations de l'année
précédente. La prudence des auto-
rités ronlint dans de justes limites
ces dangereuses représuiiles, mal-
gré certaines excitations révoîn-
tionnalres venues de haut {\), et la
crise des Cent-Jours, marquée par
des excès si déplorables dans les
départem.nts voisins, fut franchie
sans trop de désordres par cette
inflammable population. Après
aroir été attaché comm'^ aide de
camp à l'amiral Missiessy, préfel
maritime de Toulon, l'un des hom-
mes qui ont fait le plus d'honueur
à la mniine française, VilIeneuTc
reçut une destination moins pré-
caire. Il futnomme,enoctobre 1815,
au commandement de la gabarre
VEmulation, d'où il passa, le 1"
mars 1810, à celui de la goëlelle
le Momus, joli bâtiment de JO ca-
nons et de GO hommes d'équipage,
qui, après une station de trois
mois à Dastia, fut envoyé en croi-
sière sur les cotes d'Italie, afin d'y
proléger les navires pouliiiia;:i
contre les coriaires barbaresqucs.
Celte mission, que Villeneuve rem-
plit avec Zi'le et succès, lui valut,
du pape Pie VU, la décoration de
IF'iperon d'or, ordre fo:;dc en 1559
par Pie IV, el qui ne s'accordait
dans le priricipe qu'à de grands
personnages ou ii d'éminents ser-
(1) M< ni. indits du comte de Ville-
ncQve.
VIL
5/i3
vices. I! reprit ensuite ses l'ouclions
auprès de i'amlral. Lors du mariage
de ir. duc de Berri avec la princesse
Caroline de Naples, le comte de
Missiessy ledésii^^ia pouralleroffrir
à raug;iste fiancée les hommages
de !a marine française. Villeneuve
fut reçu à la cour des Deui-Siciles
et assista à toutes les fêtes qui y
furent données à l'occasion de celle
alliance de frimiile dont le dcnoû-
ment devait être si funeste. Au
mois d'août 1819, Vi.Meneuve, âgé
d'un peu plus de trente ans, reçut
le brevet de chevalier de Saint-
Louis; il fut nommé quelques mois
plus tard (juin 1820) commandant
du brick le Lézard, et ( hargé de
diriger la station de la Guyane fran-
çaise, qui se compo.sui: du brick
Visère el de deux bâtiments légers.
Il jeta l'ancre dans la rade de
Cayenne aprèsquarante-deux jours
de navigation et s'occupa immédia-
tement de resserrer dans cette
division les liens fort relâchés de
la discipline. .Ses efforts, long-
temps contrariés par le caraclèrc
alliîr et (.'('spotiquc de M. de
Laussal, gouverneur de la colo-
nie, furent progressivement cou-
ronnés de succès. Là ne se
bornèrent pas les soins persévé-
rants de Villeneuve. I! explora les
euvirous de la colonie avec !e zèle
d'uu observateur at;enlif, remocla
jusqu'au Para le beau fl "uve .des
Anuxones, parcourut la lîarbade,
la Martinique, l'ilc de Crcnade et
la Guadeloupe, et recueillit d'iolé-
ressantes notions surle.s peuplades
plus ou moi us rapprochées du chef-
lieu de sa station. 11 s'attacha .^oi-
gnwisemeul surtout à observer les
rapports des colons avec leurs es-
c.a\es, à pénétrer dans les detailg
de la vie de ces derniers, h élu îirr
1 nrs !: (p",r«^ et ' • meilleur p.irti à
bh'i
ML
VIL
liier de leur» services, soit dans
leur propre intérêt, FOit dans celui
du gouYeinement. Villeneuve rédi-
gea sur tous ces points, si étroite-
ment unis à notre avenir commer-
cial et à la prospérité de nos
possessions équatoriales, un mé-
moire circonstancié, qu'il adressa
au ministre de la marine. Ville-
neuve fit plus encore : il profita
plus tard dHin séjour à Paris
pour solliciter, par l'entremise du
cardinal de Beausset, son oncle,
une audience particulière du roi
Louis XVIIl, auquel il transmit ses
observations et ses vue». Mais les
embarras incessants de la politi-
que intérieure ne permirent pas
au gouvernement d'accorder à ces
importantes communications toute
l'attention qu'elles méritaient. Au
fcout de vingt mois de séjour ii la
Guyane (1), Villeneuve reçut l'or-
(1) Pendant cette station, Villeneuve
eut l'occasion de se rencU'o a Tile de
Grenade, où il aniv;i la veille du jour
de Saint-Georges, fôte du roi tP Angle-
terre. 11 cite dans ses nîémoires un
procédé remarquable de délicatesse et
d'originalité dont le lieutenant-général,
. sir Thomas Ryat, gouverneur de cette
colonie anglaise, usa a son égard en
cette circonstance. Ce général invita
Villeneuve et son étal-major a un grand
repas qu'il donnait a toutes les autori-
tés de l'ile , et qui se prolongea pen-
dant près de qualie heures. Villeneuve,
qui o( cupait la droite du gouverneur,
avait remarqué avec surpiisc que les
verres placés devant les oflicieis fran-
çais étaient tous de couleur foncée,
tandi que ceux dont se servaient les
Anglais étaient en cristal pur. Il en de-
manda le motif a son amphytrion, qui,
après l'avoir laissé chercher pendant
quelques instants: «Aujourd'hui, grande
fête nalion;il<', loi répondit-il, tous nos
honorables eompatrioles vont célébrer
dignement le nom de notie roi en bu-
vant outre mesure. Avant la lin du di-
ner, les trois quarts d'entre eux seront
complètement ivres et préls a tomber
dre de quitter cette hospitalière et
intéressante colonie, et il mouilla
dans la rade de Toulon le 10 mars
4822. Quatre mois plus tard, le 17
août, il fut nommé capitaine de
frégate, et le 1" janvier 1824, em-
barqué comme second sur la Ga-
lalée, d'où il passa bientôt au com-
mandement de la corvette Visis
dé. 20 canons, sur laquelle il fii
voile pour les côtes du Levant. C'é-
tait l'époque du plus fort de la lutte
entre les Turcs et les Grecs. Ville-
neuve fut témoin de la plupart des
combats acharnés que se livrèrent
les marins des deux nations, et il
admira de près la bravoure à la fois
calme et impétueuse de ce Canaris,
dont les exploits passionnèrent
l'Europe pour une cause plus inté-
ressante par son principe que par
le caractère et la moralité du peu-
ple au profit duquel elle se débat-
tait. Le généreux marin ne manqua
point, pour sa part, à la mission
d'humanité que la France s'était
donnée avant d'intervenir plus ac-
tivement dans ce formidable con-
flit. Dans les premiers jours de
juillet 1823, Villeneuve rencontra
au nord d'ipsara la flotte turque
qui, sous les ordres du capitan-
pacha, se disposait k attaquer cette
petite île, importante par ses res-
sources maritimes et sa position.
Les Turcs débarquèrent sans dilfi-
sous la table. J'ai voulu vous épargner
cette honte en vous donnant le moyeu
de répondre aux nombreux toasts que
l'on vous portera sans vider vos verres,
dont la couleur sombre cache le con-
tenu ; de celle manière vous pourrez
n'en boire que quelques gouttes, et ce
soir vous regagnerez votre bâtiment sans
que l'on soit dans la nécessité de vous
y rappoiter. n Cet exemple do gentle-
manic britannique m'a paru assez ca-
ractéri»tiquc pour devoir être recueilli.
4
VIL
culte dans le nord de l'île et firent
un massacre affreux des femmes
et des enfants que les insulaires,
cédant à des forces décuples ,
avaient abandonnés à la férocité
des impitoyables assaillants. Les
hommes s'étaient réfugiés, suivis
de quelques femmes, dans le fort
Saini-Nicolo , situé sur la cime
d'une haute montagne et défendu
par dix à douze canons. Les Turcs,
après avoir accompli par le fer et
le feu leur œuvre de destruction,
commencèrent à grayir les pentes
du rocher et à menacer le fort, qui
tirait sur eux sans relâche. Ville-
neuve essaya de s'interposer entre
les combattants et d'obtenir la ces-
sation des hostilités, à condition
que les Grecs abandonneraient
leurs possessions moyennant la
promesse d'être condiiits sous son
escorte dans une île neutre. Le
chef ottoman acquiesça à ces pro-
positions, mais les assiégés les re-
poussèrent obstinément et se con-
tentèrent de montrer au parlemen-
taire le drapeau blanc et bleu, au
milieu duquel étaient écrits cei
mots : Vaincre ou mourir pour notre
liberté. Quand cette résolution fut
rapportée au pacha : « Dieu est
grand, s'écria-t-il, que sa volonté
s'accomplisse! » L'attaque, sus-
pendue quelques heures , reprit
avec un nouvel acharnement; mais
les Turcs, foudroyés par leurs en-
nemis, avançaient lentement, et ce
ne fut que le troisième jour qu'ils
purent se rallier sous les murs de
la forteresse pour tenter un assaut
décisif. Les assiégés firent passer
les femmes et les enfants sous le
mur opposé h l'attaque, lequel do-
minait un précipice de plus de deux
cents pieds à pic sur la mer. Les
Turcs s'élancèrent dans les embra-
sures du fort , étreignant leurs
LXXXV
VIL
545
ennemis corps à corps; mais, a ce
moment, une effroyable explosion
se fît entendre; les Grecs ne vou-
lant pas survivre à leur défaite
ayaient mis le feu aux poudres!
La flotte française vit avec effroi
les malheureuses femmes entraî-
nées dans l'abîme avec leurs en-
fants qu'elles pressaient convulsi-
vement entre leurs bras. Ville-
neuve envoya sur-le-champ ses
embarcations dans l'espoir de re-
cueillir quelques-unes de ces mal-
heureuses créatures ; mais la mer ne
rendit aucune de ses victimes, et ce
ne fut qu'à la faveur de fouilles diri-
gées avec soin dans toutes lescri-
quesdurivage pendant la nuit, qu'il
réussit à sauver la vie de cent
cinquante-six de ces infortunés,
dont le petit nombre so composait
de femmes et d'enfants. Villeneuve
les reçut à son bord et se mit en
devoir de les conduire dans le port
de Syra. Il lui fallut dérouter, par
l'agilité de ses manœuvres les
poursuites d'une grosse frégate
turque qui cherchait à serrer de
près son bâtiment, pour se saisir
sans doute des captifs. Mais ce
péril conjuré fit place â un danger
plus sérieux. Le capitaine fui in-^
formé secrètement d'un complot
ourdi par l'équipage même qu'il
avait si généreusement recueilli,
dans le dessein de s'emparer de sa
corvette et de l'appliciuerau service
de la piraterie. Villeneuve refusa
d'abord de croire i\ cet excès d'in-
gratitude; mais bientôt convaincu
par les aveux des conjurés eux-
mêmes, il fil melire aux fers les
chefs du complot et débarqua ces
ipisérables dans le porlde Naiiplie,
oîi ils furent remis ù M. Colelli,
depuis ambassadeur de Grèce à
Paris. Après plus d'un au passé
dans les mers du Levant, Ville-
35
546
VIL
VIL
neuve fut appelé 2U commande-
ment de la station de Barcelone,
destinée à protéger les intérêts du
commerce français et à préserver
les côtes de Catalogne de toute
tentative de débarquement des
insurgés espagnols. Au mois d'oc-
tobre 1826, il fut chargé de com-
mander la corvette 1 1 Victorieuse,
dont la destination était de recevoir
quarante-cinq élèves de l'école
navale d'AngouK»me et de déve-
lopper leurs connaissances nauti-
ques par la pratique variée des
exercices de la vie maritime. Par-
faitement secondé dans cette inté-
ressante tâche par l'élat-major et
l'équipage de son bâtiment, Ville-
neuve dirigea successivement ses
explorations sur la Corse, Malte,
Milo, Syra, Smyrne, Athènes, Té-
nédos, laTroade, Lemnos, Alexan-
drie, d'où les voyageurs partirent
pour faire un pèlerinage en Pales-
tine. Villeneuve adressa les détails
de cette dernière excursion a son
frère, le marquis de Villeneuve-
Trans (voyez l'nrt. précédent), qui
les consigna dans son importante
Histoire des grands-maîlresde Satnt-
Jcan de Jérusalem. A son retour h
Alexandrie, l'honorable comman-
diint d>^ la Victorieuse reçut la visite
spontanée du vice-roi Méliémet-Ali,
avec lequel il entretenait de bien-
veillants rapports, el qui voulut
juger par lui-même de la tenue de
4'e bâtiment et du degré d'aptitude
des jeunes élèves. Le résultat de
son examen fut d'ordonner Parme-
meni immédiat d'une corvette, sur
laquf'Me le vice-roi fit installer une
école navale établie sur le même
pied que recelé française, et qui
prépara bientôt une éducation satis-
faisante ï qualn'-vinj.Ms élèves de
marine empruntés, de gré ou de
force, aux pins riches familles du
Caire et de la Haute-Egypte.— Le 5
avril 1827, les utiles services de
Villeneuve furent récompensés par
le grade de capitaine de vaisseau
qui n'appartenait alors à aucun
marin de son âge. Cette honorable
promotion n'interrompit point le
cours de ses explorations. 11 par-
courut avec ses élèves les diverses
parties de l'Archipel, et ne quitta
sa frégate d'instruction que pour
faire partie d'une commission d'of-
ficiers supérieurs qui se réunit k
Paris sous la présidence de l'amiral
Mackau pour préparer une ordon-
nance sur les équipages de ligne.
L'expédition de Morée, résolue par
le gouvernement français en 1828,
prépara l'affranchissement du sol
hellénique, que Charles X n'avait
cessé d'appeler de ses vœux et de
provoquer par les plus nobles en-
couragements. Le 28 août, Ville-
neuve fut appelé au commandement
de la Didon, magnifique frégate de
60 canons, sur laquelle il embar-
qua un bataillon du 29* de ligne,
et se renditau port de Coron, où la
plus grande partie du corps expé-
ditionnaire se trouvait réunie sous
les ordres du générai Maison. Ville-
neuve assista au siég«î et à la prise
du fort de Patras, et séjourna quel-
que temps d;ius cette ville qu'il
quitta pour ramener à Toulon un
corps de troupes; puis il rejoignit
à Navarin l'amiral de Rigny, et
assista k un grand dîner que le gé-
néral Maison donnait à Ibrahira-
Pacha (1), k la veille de repartir
(1) Je lis dans les mémoires inédits
du vicomte de Villei»<'uvc, à propos
d'Ibrahim-l*a('!in, l'anecdote suivante,
qu'il tenait de M. Bertini , notre agent
consulaire k Patras, et qui, dans sa
naïve atrocité, bjc paraît tout à fait
caractéristique des mœurs orientales,
Ibrahim fut saisi un jour de violentes
pour l'Egypte. Peu de jours après,
il reçut l'ordre de ramènera Toulon
le chef de l'expédition de Morée,
devenu maréchal de France pour
une campagne qui n'ajouta pas
beaucoup à sa renommée militaire.
A la suite de quelques mois de re-
pos, Villeneuve reprit le comman-
dement de la Didon, appelée à faire
partie, sous les ordres du vice-
amiral Duperré, de la glorieuse
expédition d'Alger. Ce bâtiment,
désigné, par une faveur spéciale,
pour coopérer avec le Breslaw à la
destruction du seul fort qui pût
contrarier le débarquement de la
flotte, reçut à son bord le général
Tholosé, sous-chef de l'élat-major,
et un olBcier supérieur de la marine
anglaise, nommé Anrell, qui avait
obtenu de prendre part à l'expé-
dition. Mais !e dés;ippointementde
l'équipage fut grand, lorsqu'à l'ar-
rivée de la Didon devant la baie de
Sidi-Ferruk, il s'aperçut q'u* la
batterie de ce fort était abandonnée.
Le dey d'Alger, dans sa folle pré-
somption , n'avait fait aucune dis-
coliques, qui résistaient a tous les
moyeDS de soulagement et dont l'inten-
sité ci-oissante l'exaspéra par degiésjus-
qu'k la furcui-. Interrogé le lendemain
matin sur son état par M. Bcrtrni lui-
même : « Je souffre toujours beaucoup,
dit-il, mais j'ai trouvé le reinèdv. > il
ordonna à son aide de camp d'aller lui
chercher un chef turr nommé Achnict,
déteno au château de Patras pour quel-
que désobéissance à ses ordres. Arhmet
est iiitroduil. Le pacha se traîne péni-
blement de ^m divan sur le palier de
son escalier, et lii, du ton le plus sim-
ple do monde : Qtkon lui coupe la tcle,
dil-il a l'un de ses ser/iteurs. tt la tête
du malheureux Acbmet ruule dans des
flots de sanj; au bas de 1 escalier. Ibra-
him rentra lentement en se frottant
l'atMiofuen, et sans paraître ému de l'é-
pouvante qu'il venait de cau.^er au con-
sul frau(;aJs : « Je me sens mieux, dit-
il, cela m'a fait du bien. >
\'IL
547
position pour empêcher le débar-
quement de nos troupes! Il fallut
se résigner à de faibles escarmouches
qui ne retardèrent pas d'une heure
la descente ducorpsexpéditionnaire
sur les plages africaines ; et le 5 juil-
let, aprè.> les victoires de Staoueli,
de Sidi-Kalif et la capitulation du
fort de l'Empereur, l'armée française
fit son entrée dans la capitale de
celte régence que le simple redres-
sement d'un grief national trans-
formait en une splendide et perma-
nente concfuête. Ce fut à Mahon,
dans les premiers jours d'août, que
Villeneuve apprit avec douleur les
événements qui venaient de rouvrir
en France l'abîme des révolutions , et
lachutedu gouvernement auquel il
avait voué toutes ses sympathies.
Son premier mouvement, de même
que celui de la plupart de ses ca-
marades, fut de porter i l'amiral
Duperré la démission de son com-
mandement: mais cet officier gé-
néral, qui partageait dans ce premier
moment l'impression commune, les
engagea à suspendre leur détermi-
nation jusqu'à leur retour en France,
et Villeneuve , cédant ù l'exemple
de la plupart de ses anciens chefs et
aux exhortations de sa propre fa-
mille, prêta serment de lidéliié au
nouveau pouvoir. 11 reçut, au mois
de novembre, arec une lettre close
du roi Ï.ouis-Philippe, le commande-
ment delà station de la mer du Sud.
Villeneuve partit de Toulon, le 10
janvier 1831, sur la frégate l'Her-
inione , conduisant à Rio-Janeiro
la marquise de Loulé, sœur de l'em-
pereur dora Pedro, et toute sa fa-
mille. Après cinquante jours d'une
traversée sans incidents remarqui-
bles, Vllermione débarqua la prin-
cesse devant le château de son frère,
qui montra peu d'empressemenl i
la recevoir, et Vilieneure coniinui
5A8
VIL
sa navigation vers les côtes inhos-
pitalières de la Patagonie. Il allei-
gnit ia Terre-de-Feu el coupa, le
13 avril, le méridien du cap Horn,
par un froid très-vif el des vents
constamment contraires. Pour com-
ble de disgrâce, la lourde frégate
qu'il montait était tout à fait im-
propre à naviguer dans ces mers
tempétueuses, et ce ne fut qu'à
travers mille obstacles plus ou moins
périlleuxqu'il jelarancre,le3 mai,
dans la baie de Valparaiso, d'oîi il
partit pour Callao et pour Lima;
puis il revint prendre à Sainte-
Catherine , en remplacement du
contre-amiral Grivel, le comman-
dement momentané des forces na-
vales françaises sur tout le littoral
est et ouest de PAmérique méri-
dionale. La situation politique du
Brésil, si défectueuse et si précaire,
attira particulièrement Pattention
de Villeneuve, qui, dans plusieurs
rapports au ministre delà marine,
lui prédit les révolulionsauxquelles
celte malheureuse contrée ne devait
pas larder à se trouver en proie, et
dont il contribua Ià modérer les ex-
cès par Patiitude vigilante et ferme
desforcesqu'il dirigeait. A près deux
ans d'exercice de son haut com-
mandement et onze mois environ
de station dans la baie de Rio,
Villeneuve reçut, au mois de sep-
tembre 1832, l'ordre de ramener sa
frégate à Toulon, où il arriva le 6
décembre. Ce fut sa dernière cam-
pagne. Il se concentra exclusive-
ment, pendant les trois ans qui
suivirent, dans les fonctions séden-
taires de son grade. Au mois de mai
183Î), il demanda une audienceàPa-
miral Duperré, alors mini>lre delà
marine, et se plaignit avec quelque
chaleur du peu de cas que le gou-
vernemcnl avait fait de ses recom-
mandations en faveur des officiers
VIL
de son bâtiment proposés pour la
décoration de la Légion d'honneur ;
il pria le ministre de se faire re-
mettre les rapports sous les yeux.
L'amiral Duperré , qui n'était pas
endurant, reçut avec hauteur ces
observations, el l'entretien s'étant
aigri de part et d'autre, Villeneuve
lui reprocha de refuser à d'utiles
militaires des faveurs « prodiguées
jusqu'à Pavilissement à des em-
ployés de la police ou à des proté-
gés de simples chefs de bureau. »
Puis,descendant à des personnalités
de plus en plus regrettables, il dé-
clara qu'il préférait sa simple croix
de légionnaire décernée par l'em-
pereur, en 181 1\ aux nombreuses
décorations qui ornaient la poitrine
du vieux marin. Celle offense, que
n'atténuait ni la vivacité d'une tête
méridionale, ni même le désinté-
ressement personnel de sa récla-
mation, mit fin à cet affligeant
débat, que Villeneuve fit suivre de
la remise immédiate de sa démis-
sion. L'amiral Duperré et le roi
Louis-Philippe lui-même employè-
rent vainement de bienveillants
efforts pour le retenir dans les
cadres de la marine : il demeura
inébranlable. En quittant le service
au bout de trente-deux ans d'acti-
vité , Villeneuve emportait une sa-
tisfaction toute patriotique : celle
d'avoir vu la marine française, si
défectueuse el presque désorganisée
au début de ce siècle, parvenue
successivement à un état de progrès
tel qu'elle n'avait plus rien à envier
à aucune arme étrangère, sans en
excepter même celle de la Grande-
Bretagne, dont la supériorité avait
si longtemps humilié notre orgueil
national. Rentré dans la vie prirée,
le vicomte de Villeneuve ne voulul
pas demeurer inutile ou indifférent
aux intérêts de son pays. Il accepta
VIL
les fonctions gratuites de conseiller
municipal de sa commune et de
membre du conseil général du Var,
et fut élu, en 1849, par le suffrage
spontané de ses concitoyens, mem-
bre de l'Assemblée législative, dont
il fit partie jusqu'au coup d'État du
2 décembre 1851. Villeneuve, qui
avait conservé ses fonctions locales
pendant le pouTOir temporaire du
prince Louis-Napoléon, s'en démit
lors du plébiscite qui, en l'élevant
à l'Empire, bannissait de la France
et excluait à jamais du trône la fa-
mille des Bourbons. Ce brave marin
est mort au Beausset, le 6 août 1861 ,
laissant, avec la renommée la plus
irréprochable, le souvenir de longs
et d'importants services rendus à
son pays avec autant d'intelligence
que de désintéressement et de mo-
destie. Le vicomte Baptiste de
Villeneuve-Bargemon avait épousé,
le 29 janvier 1823, mademoiselle
Héliodora de Séran, issue d'une
famille noble et ancienne de Nor-
mandie', depuis longtemps liée à la
lienne. Il en a eu un fils, Raymond,
marquis de Villeneuve, qui se fit
remarquer par le dévoûmenl exem-
plaire avec lequel il secourut, en
<844, les cholériijues de son dé-
partement, et une fille, mariée à
M. le comte de Boigne. A. B— ke.
VILLENEUVE- m ANS Hk-
LioN - Charles - Alban , marquis
DE), né à Nancy le 2Gjuinl82G,
neveu du précédent, fils de l'his-
lorien de Sainl-Louis, nous a paru
mériter une place dans ce recueil,
moins pour rinlérêt de> faits qui
ont rempli sa courte carrière, qu'à
raison des circonstances qui l'ont
terminée. Nourri dans les principes
d'une austère pieté, il s'y montra
fidèle à rage m^me où l'efferres-
cence des passions enfante quel-
ques-uns de ces écarts qui rejail-
VIL
5â9
lissent souvent sur la vie entière.
Sa vocation pour l'état militaire se
révéla par le zèle et le courage
avec lesquels, simple garde natio-
nal, il concourut à Parii, où l'a-
vaient appelé ses études, à la
répression des désordres qui en-
sanglantèrent, à plusieurs reprises,
le cours de 1848. Cependant il dut
faire à sa famille le sacrifice, au
moins momentané, de ses inclina-
tions belliqueuses. Il entra en 1849
au ministère des affaires étran-
gères , et ses premiers travaux y
furent couronnés de succès. Il fut
chargé du port et de la remise de
plusieurs dépêches importantes en
Italie, en Espagne, en Russie, en
Allemagne. Mais l'intérêt de ces
occupations ne les sauvait pas d'une
monotonie peu compatible avec son
caractère actif, entreprenant, ré-
solu. La guerre qui éclata en 1854
entre la France et l'Angleterre
coalisées contre la Russie réveilla
tous ses instincts militaires; il crut
y voir un caractère sacré, et les
premiers exploits de nos troupes
ayant surexcite son ardeur, il ne
songea plus qu'à obtenir de sa
mère qu'elle cessât de mettre ob-
stacle à une vocation aussi déter-
minée. Ilélion entra dans le 1""
chasseurs d'Afrique: il obtint de
faire immédiatement partie des es-
cadrons de guerre, et débarqua le
17 juin sur cette terre de Crimée,
qu'il ne devait plus quitter vivant.
L'instant étant encore éloigné où
son corps de cavalerie aurait i
prendre part aux opérations ac-
tives, Ilélion se fit admettre comme
caporal au 3* régiment de zouaves,
lîuit joursaprès, il fut nommé sous-
ofllcier adjudaut de tranchée, et
charge en cette qualité de concou-
rir à une des opérations les plus
périlleuses du siège de Sebaslopoi
Il K fit remarquer par sou iutré<
pidité et sa bonne humeur dans c«
noUTfîI emploi, dont il dissimula
soigneusement les périls à sa mère.
Lt 22 juillet, Ters six heures du
soir, Hélion occupait auprès du gé-
néral Vinay la place de son aide
de camp absent, lorsqu'il fut atteint
mortellement d'un éclat de mitraille
qui lui brisa la mâchoire inférieure.
La blessure ne parut point d'abord
aussi giave qu'elle l'était en effet.
Hélion eut assez de force pour tra-
cer le billet suivant, monument à
jamais louable de résignation, d'hé-
roïsme et de délicatesse filiale :
tMa bonne mère, j'ai eu une chance
du diable; je vieus d'être louché
légèrement k la joue» et il en résul-
tera qu'après le mois qu'il me fau-
dra pour guérir, je reviendrai tout
de suite près de toi : je m'en ré-
jouis bien. La première fois, Dam-
pierre t'écrira pour moi. J'ai reçu
toutes tes bonnes lettres. Je suis en
état de grâce (1). Je t'embrasse de
toute mon âme. A bientôt... » Plus
officieuses que sincères, ces favo-
rables espérances ne durent pas se
réaliser. Hélion de Villeneuve ex-
pira dans la nuit, non sans avoir
satisfait, quelques heures aupara-
vant, avec une ferveur édifiante,
isesdevoirs religieux. Sa dépouille
mortelle fut remise k son infor-
tunée mère, qui la fil déposer dans
le caveau de famille du château de
Bargemon. Ainsi disparut à 29 ans,
ce digne descendant d'une race
chez laquelle s'étaient perpétuées
depuis le xu* siècle toutes les tra-
ditions de rhonntur, du devoir, du
ïcrilablc esprit français, et qui jus-
qu'il nos jours a conservé le rare
(1) Ces mots «ont soulignés dans IV
riginal.
privilège de peupler l'administra-
tion (1), les lettres, la marine et
l'armée d'hommes également re-
commandables par la solidité de
leur mérite, l'uiilité de leurs ser-
vices, l'élévation de leurs senti-
ments. — M. le comte Anatole de
Ségura publié, en un touchant vo-
lume, la Vie d' Hélion-Charles-Alban
de Villeneuve. (Paris, i 856.) A . Bée.
VILLENEUVE (Théodore-Fer-
DiNAND Valloude), auteur drama-
tique, né à Boissy-Saint-Léger, le
4 juin 1799, de J.-B.-J. Vallou de
Villeneuve et de Marie-Elisabeth
de Seignerolles, et décédé à Paris,
le 26 août 18'38. Dès la première
jeunesse , le théâtre lui apparut
dans ses rêves d'écolier, et ce fut
chez lui un goût si vif, qu'il put le
prendre pour une vocation. Aussi
se lança-t-il dans cette carrière
excentrique de préférence îi toute
autre profession plus sûre, mais
moins séduisante. Ses premiers
essais furent encouragés par le pu-
blic, et s'il n'arriva jamais à se
placer au premier rang, il se main-
tint toujours dans un milieu ho-
norable, et attacha son nom à de
nombreux succès. Il eut de très-
heureuses collaborations avec
Scribe, Brazier, Dupeuty, Michel
Masson, Gabriel, Lafargue, et
d'autres encore dont les noms ne
me reviennent pas en mémoire. La
liste des ouvrages qu'il donna sur
nos meilleures scènes secondaires
serait trop longue ici, et on peut,
au reste, la trouver dans tous les re-
cueils dramatiques. Bornous-nous
à ciier, dans le nombre, Yelva, Léo-
(1) Tout le monde connaît le riiot
charmant de Loui.s XVlll : Je voudrais
avoir autant de VUlcni;uve qu'il y a
de départements en France^ j'en ferais
quatre-vingt-six préfets!
VIL
VIL
551
nide, le Marchand de la rue Saint-De-
nis, le Hussard de Felsheim , la Ferme
de Bondy, YAlmanach des 25,000
adresses, et une gentille série de
pièces dites à tiroir, à l'intention
de mademoiselle Déjazet, au temps
où cette Mars au petit pied faisait
les beaux soirs du Palais-Royal.
Villeneuve aimait, du théâtre,
jusqu'aux entreprises qui entraî-
nent souvent de périlleuses spé-
culations : aussi, le vit-on suc-
cessivement créer le théâtre
Beaumarchais avec Henri de
Tully, et s'associer à Anténor Joly
dans la direction de la Renais-
sance. Une circonstance assez cu-
rieuse de son existence mérite, je
crois, de trouver place dans cette
notice. Un jour de fructueuse in-
spiration, et de concert avec son
ami Ferdinand Langlé , auteur
comme lui, il eut l'idée, non pas
d'une comédie, d'un vaudeville,
mais d'une affaire qu'on peut
néanmoins appeler théâtrale, puis-
qu'elle se rattache au dénoûment
forcé de la vie. Ces deux joyeux
adeptes de la gaie science, sans
déserter la scène, prirent une part
importante dans l'entreprise des
pompes funèbres! N'y a-t-il pas
là une certaine analogie avec le
cumul de ce bon abbé Pellegrin ?
N'oublions pas de dire que, nom-
mé à plusieurs reprises membre
de la commission des auteurs et
compositeurs dramatiques, Ville-
neuve y remplit, avec le zèle le
plus dévoué , les fonctions de
trésorier. — Ajoutons que des cir-
constances fortuites ayant, un jour,
tari les sources de la caisse de
secours, le trésorier alla au delà
de ses devoirs et pourvut, de ses
propos deniers, à tous les embar-
ras, sans se préoccuper des risques
et périls. Lorsque ce fait, resté in-
connu, fut dévoilé par une voix
amie^sur la tombe du cher défunt,
le spirituel sculpteur que chacun
connaît, et qui ne peut pas plus se
dispenser d'un bon mot que d'une
ravissante statuette, murmura tout
bas : « Ce bon Villeneuve, malgré
« son talent, voilà le plus joli acte
« qu'il ait fait de sa vie. » Ville-
neuve est mort sans postérité : II
laisse après lui un frère, son aîné,
peintre honorablement connu, et
membre du comité des aitistes
depuis nombre d'années. — C'est
aux beaux-arts que M. Julien de
Villeneuve demande un peu de
cette célébrité que Ferdinand a
conquise au théâtre. C. D. P.
FIN DU QUATRE-VINGT-CINOUIÈME VOLUME.
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