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BIBLIOTHEQUE SAINTE-GENEVIEVE
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COLLECTION
CONTES ET CHANSONS POPULAIRES
XX
CONTES POPULAIRES
DES BASSOUTOS
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SA1NTF. |
GENEVIEVE
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I.E PUV-EN-VELAV. — I.VPIUMERIE R. MARCHESSOU.
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CONTES POPULAIRES
DES BASSOUTOS
(afrique du slum
RECUEILLIS ET TRADUITS
PAR
E UCOTTET
DE LA SOCIETE DES MISSIONS EVANGELIQUES DE PAKIS
/ZW
1^1
PARIS
ERNEST LEROUX, EDITEl'R
28, RUE BONAPARTE, 28
1 8 9 5
INTRODUCTION
L
es contes que renferme ce volume
onttous ete recueillis, de la bouche
meme des indigenes, soit par moi,
soit par des amis (parmi lesquels je
tiens a citer M. et M mc Dieterlen, aux-
quels je dois quelques-uns des plus
interessants). lis sont done en realite
tous inedits. Vivant depuis bientot
dix ans au milieu des Bassoutos, en
contact journalier avec eux, parlant
leur langue, connaissant leurs mceurs
et leurs coutumes, j'ai eu, soit pour
^TA-
INTRODUCTION
les recueillir, soit pour les traduire et
les expliquer, des facilites exception-
nelles. Ma vocation de missionnaire
m'a ere aussi d'un grand secours.
C'est uniquement a un point de vue
pratique que j'ai d'abord entrepris de
collectionner des contes populaires.
Desirant apprendre a fond la langue
du pays, la penetrer completement,
en explorer les recoins les plus caches,
je me suis dit que le meilleur moyen
etait sans doute de me faire raconter
par des Bassoutos des contes en ses-
souto (sessouto, la langue des Bas-
soutos; sechuana, la langue des Be-
chuana). Au point de vue linguistique
je n'ai eu qu'a m'en feliciter ; j'avais la,
en effet, la langue meme telle qu'on
l'a toujours parlee, sans aucun me-
lange d'elements etrangers ou d'idees
venues du dehors. Petit a petit le
charme de ces recits, simples mais
INTRODUCTION III
pittoresques, m'a saisi ; je suis de-
venu, sans m'en douter d'ahord, un
folkloriste convaincu.
Malheureusement je ne suis guere
encore qu'un amateur en la matiere.
Avant mon depart pour l'Afrique la
litterature populaire m'etait pres-
que entitlement inconnue et ne m'in-
teressait pas. Aujourd'hui je suis trop
loin de toute bibliotheque, trop oc-
cupe aussi , pour esperer jamais
pouvoir regagner le temps perdu. En
fait de folklore je n'en connais guere
d'autre que celui des Bassoutos et des
peuples qui, soit geographiquement,
soit ethnographiquement, sont en
rapport avec eux. On le verra assez
par les notes ajoutees a ma tra-
duction ; je n'ai pas pu indiquer,
comme il l'aurait fallu, les rapports
qui existent entre ces contes et ceux
d'autres pays. Je dois laisser ce soin a
INTRODUCTION
ceux qui font du folklore compare
leur specialite.
Voici en quelques mots la methode
que j'ai suivie : je me faisais raconter
par des Bassoutos, de vieilles gens
surtout, leurs contes populaires (nom-
mes par eux ditsomo); je les ecrivais
mot a mot sous leur dictee, les corri-
geant ensuite soit avec eux, soit avec
d'autres indigenes. Le maitre d'ecole
de ma station, Salomon Tau, m'a ete
tout particulierement utile pour cela.
De cette facon je suis arrive a posse-
der un texte sur et correct. C'est ainsi
que petit a petit ma collection a
grandi, s'enrichissant jour apres jour
de nouveaux recits; aujourd'hui, sans
parler des versions differentes d'un
meme conte, j'en possede plus de
soixante-dix. II me serait facile, avec
un peu plus de temps a ma disposi-
tion, d'en recueillir encore un plus
INTRODUCTION
grand nombre. La litterature orale
des Bassoutos semble etre en effet tres
riche. De ces contes ainsi recueillis
sept ont ete publics de 1888 a 1890
dans la Revue des Traditions Popu-
laires ; d'autres le sont ici meme. Plu-
sieurs, tout aussi interessants, restent
en portefeuillc. lis pourront fournir
matiere a une seconde serie, si l'ac-
cueil fait a ce volume est de nature
a m'encourager a tenter une nouvelle
publication.
II est temps, d'ailleurs, de s'occuper
de rassembler le folklore du sud de
l'Afrique. La civilisation et le chris-
tianisme tendent a lc modifier, sinon
a lc supprimer completement. Les
mceurs des indigenes ont beaucoup
change depuis quelques annees, leurs
coutumes traditionnelles ont en par-
tie disparu ; bientot il n'en restera pres-
que plus rien. C'est le cas pour les Bas-
-^ **K W ^
INTRODUCTION
soutos plus encore peut-etre que pour
les autres tribus. Quoiqu'ils aient su
mieux que celles-ci conserver leur na-
tionality et leur vie politique, ils se
montrent plus accessibles a notre civi-
lisation et le christianisme a fait chez
eux de grands progres. Leur litte-
rature populaire serait ainsi bientot
perdue. II faut done se hater de la ras-
sembler ; la tache est deja difficile ;
dans quelques annees elle serait peut-
etre impossible. Les jeunes gens ne
connaissent presque plus leurs anciens
contes populaires; pour les avoir dans
leur purete primitive il faut s'adresser
aux vieux et surtout aux vieilles.
Un symptome encourageant a noter,
e'est que quelques indigenes instruits
semblent, en ces derniers temps, pren-
dre interet a leurs anciennes tradi-
tions. II seront pour les folkloristes
de precieux auxiliaires. L'un d'eux,
INTRODUCTION VII
Azariel Sekese, naguere instituteur
dans une des ecoles de notre mission,
actuellement employe dans un maga-
sin du pays, publie aujourd'hui memc
a 1'imprimerie missionnaire de Morija
un interessant volume de 200 a 3oo
pages. Ce volume est tout entier con-
sacre au folklore ; il s'occupe des
mceurs, coutumes et superstitions des
Bassoutos, de lews proverbes et de
leurs contes. II contient entre autres
une riche collection de plus de milk
proverbes et locutions proverbialcs,
et un certain nombre de contes dont
la plupart ne m'etaient pas connus.
Ce livre e'tant ecrit en sessouto
ne sera malheureusement accessible
qu'aux Bassoutos et aux rares Euro-
peans qui comprennent leur languc.
C'est, avec ce volume-ci, le premier
recueil consacre au folklore des tribus
bassoutos ou bechuanas. Jusqu'ici
VIII
INTRODUCTION
quelques rares contes en avaient seuls
ete publies, soit dans des Revues,
soit dans des livres de voyage ou de
mission (voir la Bibliographic).
J'aurais desire pouvoir donner a la
fois le texte 'sessouto des contes et
la traduction en regard, comme l'eve-
que anglican Callaway Fa fait dans
son beau volume de Nursery Tales of
the Zulus. La valeur documentaire et
scientifique du recueil en eut ete plus
grande. Comme le prix du livre en
eut ete de beaucoup augmente, et
que l'entreprise eut presente de gran-
des dimcultes, j'ai du y renoncer,
quoique a contre-coeur. J'ai tenu ce-
pendant, pour des raisons que tous
les folkloristes comprendront, a don-
ner du texte sessouto une traduc-
tion aussi litterale que possible. Le
style sans doute en a souffert, mais
la fidelite de ma transcription n'en
INTRODUCTION IX
est que plus grande. Sauf dans un
ou deux cas, j'ai raeme conserve les
longueurs parfois interminables et les
repetitions de l'original. C'est ainsi
seulement que le lecteur francais peut
avoir quelque idee de la maniere de
raconter des indigenes. Malheureuse-
ment ce qu'il y a de plus pittoresque
est perdu dans une traduction ; la sa-
veur locale, qui est un des plus grands
charmes de ces contcs, disparait
presque entierement.
On remarquera que la plupart
d'entre eux sont entremelees de vers.
Ces parties-la sont toujours chan-
tees. Ceux que cela pourrait inte-
resser trouveront un specimen de
musique indigene dans la Revue
des Traditions Populaires de 1889.
Je n'ai pu dormer ici la notation
des parties chantees. Originairement
tous les contes en avaient sans doutc
INTRODUCTION
aujourd'hui plusieurs ont perdu les
leurs. En cherchant bien on reussi-
rait peut-etre a les retrouver. II
semble dans certains cas que la
chanson ait ete comme le noyau
autour duquel tout le conte se serait
forme; d'autres fois elle n'a qu'une
importance tres secondaire.
II serait desirable que les Europeens
vivant au milieu des differentes tribus
africaines, les missionnaires surtout,
s'occupassent a rassembler des contes
et des proverbes. La science du folklore
en recevrait une forte impulsion. Jus-
qu'ici l'Afrique a ete tres negligee a
ce point de vue, du moins l'Afrique
noire. Pour ne parler que du domaine
ethnique des Bantous, trois ou quatre
tribus a peine nous ont fourni des
contes. Et pourtant il est certain que
le folklore de tous ces peuples est
extremement riche. Nous avons de
INTRODUCTION
XI
l'eveque Steere une assez bonne col-
lection des contes souaheli, puis quel-
ques contes herero, dualla, lounda et
kimboundou, dus a diffe'rents mission-
naires ou explorateurs. C'est la, avec
la riche collection de folklore cafre et
\oulou rassemblee par MM. Callaway
et Theal, tout ce que nous possedons
aujourd'hui (voir Bibliographic).
II faut avouer que c'est peu, surtout
quand Ton sait que les tribus ban-
tou se comptent par centaines,
que plusieurs sont connues depuis
longtemps et que chez n ombre d'en-
tre elles ont cte etablies de floris-
santes missions chretiennes. Me se-
rait-il permis d'emettre ici le vceu
que les societes de folklore de France,
d'Angleterre et d'Allemagne s'occu-
pent serieusement de cette question,
qu'elles encouragent leurs nationaux
etablis en Afrique a en explorer le fol\-
INTRODUCTION
II
lore, a en rassembler les traditions, et
surtout qu'elles leur facilitent la pu-
blication de leurs recherches ? II me
semble que c'est la une tache qui leur
revient tout naturellement. II y a la
pour notre science des richesses
inconnues, dont la decouverte pour-
rait eclairer d'un jour nouveaa les
problemes qu'elle se pose sans arriver
encore a les resoudre. Les peuples
bantou, si importants au point de vue
de la linguistique, ne le sont guere
moins sans doute au point de vue du
folklore compare. La societe ameri-
caine de folklore est a la veille de pu-
blier un important recueil des contes
de l'Angola (texte kimboundou avec
traduction anglaise en regard), rassem-
bles par M. Heli Chatelain, ancien
missionnaire et consul americain a
Loanda. C'est la un excellent exemple
qui devrait etre imite un peu partout.
INTRODUCTION
XIII
Quelques mots sur le peuple de qui
proviennent ces contes sont encore
necessaires.
Les Bassoutos font partie de la
grande race des peuples bantou, qui
du Cameroun et du Victoria Nyanza
au Nord s'etendent au Sud sur toute
la surface de l'Afrique, a l'exception
de la partie du Sud-Ouest qui appar-
tient au domaine ethnique des Hot-
tentots et des Bushmen. II est impos-
sible a 1'heure qu'il est d'indiquer,
meme approximativement, les subdi-
visions de cette grande famille de
peuples qui peut compter de 5o a
ho millions d'individus. Seule l'etude
comparee de leurs dialcctes, encore
dans son enfance, pourra permettrc
de le faire.
Dans l'Afrique australe proprement
dite, c'est-a-dire au Sud du Zambeze
et du Counene, la race des Bantou se
XIV
INTRODUCTION
subdivise (si Ton en excepte les Ma-
Shona ou Ba-Nyai et les Ma-Kalanga
du Mashonaland encore trop peu
connus) en trois families principals,
tres distinctes les unes des autres par
les mceurs, la langue et le costume.
Sur la cote Ouest nous avons les Here-
ros et les Ov-Ambos, qui habitent les
contrees sur lesquelles en 1884 l'Em-
pire d'Allemagne a etendu son pro-
tectorat. Au centre, entre le desert du
Kalahari et les Drakensberg, se trouve
la grande famille de Bechuana et des
Bassoutos. Enfin, sur la cote Est,
aussi loin au Sud que Grahamstown,
vivent les peuples Cafres (Zoulous,
Xosas, Pondos, Tongas, etc.) et leurs
congeneres.
Quant aux Hottentots et aux Bush-
men qui, avant la conquete blanche,
possedaient la plus grande partie des
territoires formant aujourd'hui la
INTRODUCTION
colonie du Cap, ils appartiennent a
des groupes ethniques tout a fait dif-
ferents.
Le groupe bantou du centre se sub-
divise lui-meme en deux branches
principales, les Bechnana et les Bas-
soutos. Les Bechuana (divises en dif-
ferents clans independants les uns des
autres, comme les Ba-Tlaping, les Ba-
Rolong, les Ba-Mangouato, les Ba-
Kathla, etc.) se trouvent a l'Ouest; ils
habitent la moitie occidentale du
Transvaal, le Bechuanaland et une
partie de l'Etat Libre d'Orange. Les
Bassoutos habitent a l'Est des Be-
chuana; ils occupent la moitie orien-
tale du Transvaal et de l'Etat Libre
d'Orange, et tout le Basutoland. Ils
se subdivisent aussi en differents
clans, que Ton peut ranger sous deux
groupes principaux, les Ba-Pedi au
Nord (dans le Transvaal) et les Bas-
XVI
INTRODUCTION
soutos proprement dits au Sud (dans
le Basutoland ou Le-Souto). C'est
de ces derniers qu'il est question ici.
Ces divisions remontent probable-
ment tres haut. II y a des siecles
qu'elles ont du se produirc. Cepen-
dantl'origineconnue detoutesces tri-
bus est encore visible. Leurs dialectes,
quoique sensiblement differents les
uns des autres, sont assez semblables
par la structure grammaticale et le
vocabulaire pour qu'il soit relative-
ment aise a ceux qui en connaissent
un de comprendre les autres. Le se-
chuana est plus guttural, plus dur,
mais aussi plus primitif que le ses-
souto ; lc se-pedi forme la transition
entre les deux. Quant aux mceurs,
coutumes, traditions et superstitions
de ces diverses branches de la fa-
mille bassouto ou bechuana elles sont
presque identiques. Ce que je connais
INTRODUCTION
XVII
personnellement du folklore des Be-
chuana me prouve qu'il est tres sem-
blable a celui des Bassoutos.
Les Bassoutos sont une des tribus
les plus fortes et les mieux connues du
Sud de l'Afrique '. C'est aussi une des
seules qui ait une histoire au sens
propre du mot, histoire interessante
et qu'il vaut la peine de connaitre. On
y voit comment, grace au genie et a la
haute diplomatic de Moshesh, un chef
remarquable par son courage dans la
guerre et sa sagesse dans la paix, ce
petit peuple a pu sortir plus fort et
mieux uni des terribles desastres
qu'avaient causes les guerres du
fameux conquerant zoulou, Tchaka ;
comment il a su resister aux atta-
i. Pour les moeurs, coutumes, industries des
Bassoutos, consulter E. Casalis : Les Bassoutos,
Paris, i860. C'est une exposition complete et
definitive du suiet.
INTRODUCTION
ques des Anglais, puis des Boers de
l'Etat Libre d'Orange, et maintenir
malgre tout son independance et son
unite nationale. Quand enfin, en 1 86S,
apres vingt ans de luttes, les Bassou-
tos, pour echapper a la destruction
a laquelle les Boers victorieux allaient
les livrer, ont du accepter le protecto-
rat de la colonie du Cap, leur inde-
pendance n'a pas ete perdue. lis ont
su jusqu'aujourd'hui la conserver,
meme dans les circonstances speciales
oil ils se trouvent placees. lis Font bien
montre en 1880, quand ils ont resiste
avec succes aux eftorts de la colonie,
qui voulait leur enlever leurs fusils.
Kile a du rinir, non seulement par
leur laisser leurs armes, mais meme
par les remettre au gouvernement
direct de la metropole. Celle-ci exerce
depuis lors dans le pays une sorte
de protectorat mal defini, reel cepen-
INTRODUCTION
dant, qui, tout en laissant aux chefs
et a la tribu une autonomic a peu
pres complete , empeche les agres-
sions du dehors et maintient la paix
interieure. De toutes les tribus sud-
africaines celle des Bassoutos a seulc
su conserver a la fois son unite natio-
nal, son territoire et une large me-
sure d'independance.
II est a desirer que ce soit pour
longtemps. Peu d'indigenes montrent
en effet de telles aptitudes a se civili-
ser et a se faire aux conditions nou-
velles oil ils se trouvent. Tandis
qu'ailleurs quelques individus seule-
ment sortent de la masse et arrivent
a un degre superieur, ici c'est la
masse elle-meme qui, insensiblement
mais d'autant plus surement, s'eleve
et se civilise. Le christianisme, repre-
sente parmi les Bassoutos par la mis-
sion protestante francaise, a etc et
INTRODUCTION
est encore pour beaucoup dans cette
evolution ; comme partout oil des
forces hostiles ne l'ont pas empeche
de faire son oeuvre, il a contribue a
donner a la tribu la cohesion et l'es-
pritde progres qui l'ont sauvee.
Fondee en iS33 par MM. Casalis et
Arbousset , la mission du Sessouto
(ou Basutoland) s'est developpee et a
grandie jusqu'aujourd'hui. Elle a joue
un role important dans l'histoire de
la tribu et dans sa vie sociale; elle
y a remporte des succes conside-
rables. C'est la une oeuvre qui fait
honneur au nom francais, et qui
meriterait d'etre mieux connue en
France. Qu'on dise dans lesjournaux
ou les revues ce que Ton veut de la
mission chretienne, il est un fait cer-
tain pour ceux qui Font vue de pres,
c'est qu'elle est l'unique force qui soit
aujourd'hui capable de sauver et de
INTRODUCTION
relever les peuples primitifs et de leur
permettre de se maintenir en face de
la civilisation europeenne. Ce que
Dieu a fait par elle aux vi e et vn c siecles
pour les peuples barbares de l'Europe,
il le fait par elle encore aujourd'hui
pour les tribus africaines.
En terminant, je tiens a exprimer
mes remerciements a M. Sebillot,, le
vaillant secretaire de la Societe des
Traditions populaires, et a Miss L. C.
Lloyd de Mowbray, [pres Capetown,
dont les belles recherches sur le fol-
klore des Bushmen sont connues de
tous les traditionnalistes. C'est a leurs
encouragements et a leurs conseils
que je dois d'avoir entrepris et mene
a bien cette collection de contes des
Bassoutos.
La publication de ce volume ayant
ete retardee pour des raisons inde-
pendantes de ma volonte, et le manu-
XXII
INTRODUCTION
scrit etant depuis longtemps heirs de
mes mains, il ne m'a pas ete possible
d'y faire les adjonctions ou correc-
tions que j'aurais voulu. La distance
oil je suis de Paris ne me permet ega-
lement pas d'en revoir moi-meme
les epreuves. Dans ces conditions on
voudra bien excuser les erreurs et
les inadvertances qui pourraient s'y
trouver; elles sont inevitables.
Pour la transcription des noms
propres j'ai suivi en general l'or-
thographe usuelle du sessouto. J'ai
cependant pre fere me conformer a
1'usage du francais, en remplacant par
on et </', u et e du sessouto. Quant
aux autres signes, il faut remarquer
que $ a toujours le son dur de t',
jamais le son doux de 7; ch a le meme
son qu'en anglais dans church (en
francais on le reproduirait par tch) ;
ph est un p aspire, et n'a jamais le son
INTRODUCTION
de f; th est egalement un / aspire et
n'a rien de comraun avec le th de l'an-
glais. Trois autres sons sont plus difti-
ciles pour des levres francaises, ce sont
kh, hi et q. Kh est une gutturale ties
forte, semblable au ch fort allemand
(comme dans Buch) precede de k. HI
ressemble plus ou moins au ch doux
allemand (comme dans ich) suivi de I
Q represente le curieux clappement
(ou click) si commun dans les dialectes
des Hottentots et des Bushmen. Parmi
les langues bantou le cafre seul (Zou-
lou, Xosa, etc.) et le sessouto le pos-
sedent. On produit ce son de clappe-
ment en faisant claquer la langue
contre le palais; il ressemble un peu
au claquement d'un fouet. II est moins
difficile a prononcer qu'il ne semble.
Thaba Bosiu (Basutoland).
Aoiit i8g3.
c
NOTE
SUR LES MOTS SESSOUTOS
EMPLOYES DANS CES CONTES
J'ai essaye de a'enaployer les mots indigenes
que pour autant qu'il n'a pas ete possible dc
faire autremcnt. On comprendra que dans cer-
tains cas il a 6te necessaire de les introduire
pour designer des objets qui n'ont pas de noms
en francais. Partout oil j'ai du me servir d'un de
ces mots, je I'ai explique dans une note au bas
de la page.
Mais pour eviter de trop nombreuses repeti-
tions, j'indique ici le sens de ceux qui reviennent
le plus frequemment.
Lapa : petite cour dcmi-circulaire qui se
CONTES DES BASSOUTOS
[4
trouve devant chaquc hutte indigene ; elle est
entouree d'une legere paroi dc roseaux. C'est la
que Ton fait le feu et que Ton se reunit pour
manger.
Klwtla : place circulaire au centre du village,
entouree d'une cloison dc roseaux ou de bran-
chages. C'est la que siege le chef, entoure de
ses conseillcrs ct des hommes dc son village;
c'est la aussi qu'on recoit les etrangers et qu'on
traite les affaires du village ou de la tribu.
Yoala et leting : les deux espfeces de biere
de sorgho fermente que boivent les Bassoutos.
La premiere est tres forte et enivrante; la se-
conde l'est beaucoup moins.
Tseha : ceinture ou calecon de peau que
portent les hommes ; c'est leur vetement
indispensable, sans Icquel, au contraire des
Cafres, ils nc se montrcnt jamais.
Thari : couvcrture de peau dans laquelle les
femmes enveloppent leurs petits enfants pour
les porter sur leur dos.
Enhn le mot kraal, emprunte au patois hol-
landais du sud de l'Afrique, designe I'enclos
circulaire de grosses pierres brutes dans lequel
on parque le betail pendant la nuit.
*0+>
-» -m*- -m* -#**■ -*&- -3*§s- -^*- -*-*- -*?§:-
LE PETIT LIEVRE '
u
t
n jour une femme dit a son mari : « J'ai
une grande envie de manger du foie de
i. C'est un des contes que les Bnssoutos racon-
tent de preference; on en trouve de nomhrcuscs
variantes. M. Casalis [Les Bassoulos,p. 360-370)
en a donne une version assez complete, qui
differe par certains cdt£s de celle que je donne
ici. Dans la version qu'il suit c'est l'eldphant
qui est le roi des animaux, tandis qu'ici c'est
le lion, comme dans l'epopee animale des peu-
ples du moyen age. La legende du petit lievre
semhle etre le patrimoine commun des peuples
Bantou de I'Afriquc australe; M. Thcal (Kaffir
Folklore, p. 168-174) en donne une version
cafre, et beaucoup de traits identiques se retrou-
vent aussi dans I'histoire d'Uhlakanyana (Cal-
CONTES DES BASSOUTOS
nyamatsane' ; si tu m'aimes, tu vat te mettre
a la recherche des nyamatsanes, tu en tueras
un et m'en apporteras le foie;c'est a cela
que je reconnaitrai que tu m'aimes verita-
blement. » Son mari lui repondit : « Cuis
du pain, prends-en la croute et remplis-en
un petit sac. » La femme se mit a cuire
du pain, elle en prit les croutes et en rem-
plit un sac; quand tout fut pret elle dit a
laway, p. 3-40, et Theal, p. 84-110). Le conte
zoulou de Ugungqu-Kubantisana (Callaway,
p. 164-178) reproduit presque trait pour trait
toute la premiere partie de ce conte; les nya-
matsanesy prennent le nom d'ifingogo. La pre-
miere partie du conte de Se'moumou et Se'mou-
mounyane' {Revue des Traditions popitlaires,
1888, p. 654-662) a egalement beaucoup en
commun avec l'histoire des nyamatsanes, qui
portent la le nom de nanaboitle'le's. 11 est remar-
quable que dans le folklore des peuples Bantou
du sud de 1'Afrique c'est le lievre qui joue le
role que le renard joue dans le folklore euro-
p^en ; chez les Hottentots et les Bushmen c'est,
au contraire, le chacal, cousin-germain de notre
renard d'Europe.
1. Les nyamatsanes sont, comme les nanabou-
le'le's, des animaux puremem imaginaires.
t
LE PETIT LIEVRE 5
son mari : o Aujourd'hui le sac est rempli. »
Alors son mari lui dit : a Bien! je pars main-
tenant et vais te tuer un nyamatsane. »
II marcha longtemps, bien longtemps, se
nourrissant des croutes de pain qui etaient
dans son sac; enfin, bien loin, il arriva dans
le pays des nyamatsanes, aupres d'un grand
marais ou ils vivaient en grand nombre.
Mais quand il y arriva, les nyamatsanes
n'y etaient pas : ils avaient e'te fourrager au
loin, ne laissant au logis que leur vieille
grand'mere toute decrepite. Notre homme
se hate de la tuer, l'ecorche, prend son foie ,
et vite se cache dans sa depouille aussi bien
qu'il peut. A peine est-il cache qu'arrivent
les nyamatsanes, anxieux de revoir leur
vieille grand'mere ; ils se precipitent dans
leur hutte et s'ecrient : « Nous sentons la
chair fraiche! il y a un homme par ici. » La
vieille nyamatsane leur repondit (c'etait
l'homme cache dans sa depouille qui parlait,
en contrefaisant sa voix) : « Non, mes enfants,
il n'y a pas d'homme par ici. » Mais ils n'en
continuaient pas moins a fureter partout en
disant : « II y a un homme par ici; nous
sentons la chair fraiche. » Enfin, ils ces-
CONTES DES BASSOUTOS
serent leurs recherches et s'^ndormirent.
Le lendemain, a leur reveil, au moment de
partir, comme ils etaient encore loin d'etre
tranquillises, ils dirent : « Grand'mere, viens
paitre avec nous aujourd'hui. > Ils sortirent
avec leur vieille grand'mere et se mirent a
avaler des cailloux. Notre homrae se baissa
lui aussi et ramassa des cailloux, qu'il fai-
sait semblant d'avaler, tandis qu'en realite
il mangeait les croutes de pain qu'il avait
dans son sac. Les nyamatsanes crurentalors
qu'en effet c'etait bien la leur grand'mere.
Ils retournerent ensemble au logis et s'en-
dormirent. Le lendemain, ils dirent : I Allons
ensemble nous exercer a sauter par dessus
un large fosse. » Ils le franchirent d'un seul
bond; puis ils dirent : « Grand'mere, saute
toi aussi. » La vieille grand'mere prit son
elan et franchit le fosse. Cette fois les nya-
matsanes furent si completement rassures,
que le lendemain ils partirent pour aller
fourrager au loin, laissant notre homme seul
au logis.
Des qu'ils se furent eloignes, notre homme
se hata de prendre le foie du nyamatsane
dans la cachette ou il l'avait depose, se
LE PETIT LIEVRE
depouilla de la peau qu'il avait revetue et se
mit a fuir a toute vitesse, apres avoir ramasse
une petite pierre brillante et polie qu'il deposa
dans son sac a cote du foie du nyamatsane.
Vers le soir, les nyamatsanes revinrent au
logis, anxieux de revoir leur vieille grand'-
mere. Cette fois ils s'apercurent que leur
grand'mire etait morte et qu'il n'en restait
plus que la peau. En proie a une violente
colere ils se disaient les uns aux autres :
« N'avions-nous pas raison de soupconner
quelque chose ? C'etait bien l'odeur de
l'homme que nous sentions. » Ils flairerent le
sol etreleverent la direction que leur ennemi
avait prise, puis se mirent a le poursuivre.
Notre homme etait deja bien loin quand, en
se retournant, il vit une colonne de poussiere
qui montait jusqu'au ciel ; il s'ecria : « He-
las! je suis perdu; voila les nyamatsanes,
ils vont me de'vorer. » Les nyamatsanes
s'approchaient avec une effrayante velocite,
et croyaient deja le saisir et le dechirer.
L'homme prit dans son sac la petite pierre
brillante et polie qu'il y avait deposee et la
jeta a terre; la pierre devint un grand rocher
aux flancs escarpes et glissants, au sommet
CONTES IJES BASSOUTOS
LI
duquel il s'assit. Les nyamatsanes eurent
beau essayer de l'escalader, ils ne faisaient
que glisser sur ses flancs escarpes. Ils con-
tinuerent leurs efforts jusqu'au soleil cou-
chant, puis, epuises de fatigue, s'endormirent
au pied du rocher.
La nuit, pendant que les nyamatsanes
dormaient, notre homme se remit a fuir
aussi vite qu'il le pouvait. A leur reveil, les
nyamatsanes s'apercurent qu'il etait deja
loin; ils flairerent le sol de leurs naseaux et
releverent ses traces, puis se remirent a le
poursuivre avec une effrayante velocite. En
un instant ils l'avaient presque atteint; notre
homme, qui se tenait sur ses gardes, prit sa
pierre, des qu'il les vit approcher, et la jeta
a terre; elle devint un grand rocher sur
lequel il s'assit. Les nyamatsanes essayerent
en vain de l'escalader ; apres de longs efforts
ils durent y renoncer et, vers le soir, ils s'en-
dormirent epuises de fatigue.
Des qu'il fit nuit notre homme reprit sa
fuite pre'cipitee. Pendant plusieurs jours les
nyamatsanes le poursuivirent ainsi sans se
lasser, mais toujours sans succes; enfin,
apres un long voyage, notre homme attei-
LE PETIT LIEVRE
gnit son village; les nyamatsanes cornpri-
rentalors que leur poursuite etait inutile et
retournerent chez eux. lis n'osent pas, en
effet, s'approcher des lieux habite's, a cause
des chiens, qu'ils craignent beaucoup.
Quant a notre homme il entra chez lui et
s'ecria : « Itchou ! que je suis fatigue ! »
Puis il dit a sa femme : « Donne-moi a
boire ! » Quand il eut bu et se sentit un peu
repose, il dit a sa femme : « Va chercher
de la fiente et allume le feu. » La femme
sortit et revint portant de la fiente seche" avec
laquelle elle alluma un grand feu. Alors
le mari prit son sac et en retira le foie
de nyamatsane, qu'il remit a sa femme en
disant : o Le voila, ton foie de nyamatsane !
Aujourd'hui tu peux voir que je t'aime reel-
lement, puisque je t'apporte un foie de
nyamatsane. » La femme lui repondit :
« C'est bien! maintenant fais sortir tous mes
enfants, que je reste seule dans la hutte. »
Puis elle fit cuire dans un vieuxpot de gres
le foie de nyamatsane. Son mari lui dit :
« Mange-le entier a toi toute seule; n'en
donne a personne, pas meme a un seul de
fes enfants ; mange-le a toi toute seule. »
IO CONTES DES BASSOUTOS
Alors la femme prit le foie et le mangea a
elle seule.
A peine avait-elle fini de le manger qu'elle
eut soif; elle prit un grand vase d'eau et
l'avala d'un trait. Puis elle se rendit vers
une voisine et lui dit : « Mon amie, donne-
moi a boire. » La voisine lui donna une
grande calebasse pleine d'eau; la femme
l'avala d'un trait et dit : « Donne-m'en
encore. » La voisine lui repondit : « Non,
ne bois pas toute l'eau de mes enfants. » La
femme alia dans une autre hutte et avala
toute l'eau qu'elle put y trouver; mais plus
elle buvait et plus la soif la devorait. Elle
allait ainsi, de hutte en hutte, et eut bientot
avale toute l'eau du village; alors elle se
rendit a une source, se pencha sur l'eau et
l'avala a si grandes gorge'es que bientot il
n'en resta plus une goutte et que la source
cessa de couler. Elle se releva et alia vers
une autre source, qui, elle aussi, fut bientot
tarie; une troisieme, une quatrieme, toutes
les sources du village eurent le meme sort.
Elle se rendit alors au ruisseau qui coulait
devant le village, a l'endroit ou un autre
ruisseau venait s'y jeter; elle eut bien vite
LE PELIT LIEVRE
avale toute l'eau. Elle se releva et descendit
vers la riviere; elle se mit a genoux et com-
menca a boire; elle but jusqu'a la vase, puis
elle se releva, en disant : « Ma soif n'est pas
encore apaisee. » Alors elle se rendit au
grand etang ou venaient s'abreuver les ani-
maux des champs; elle se jeta a terre et se
mit a boire si avidement qu'au bout de
quelques instants il n'y restait plus une
goutte d'eau. Cette fois elle ne put plus se
relever, parce que son ventre e'tait si deme-
surement gonfle qu'il s'e'levait au-dessus de
sa tete et etait aussi grand qu'une colline.
Quand les animaux, presses par la soif,
arriverent a leur abreuvoir, ils trouverent
que l'etang n'avait plus une seule goutte
d'eau. Au bord de l'etang ils apercurent un
objet informe, immense, qui n'avait presque
plus de figure humaine. Alors, Grand Lion
demanda : « Qui est-ce? qui est-ce qui est
couche au bord de l'etang de mon grand-
pere? » Grand Lion demanda une seconde
fois : « Qui est-ce? qui est-ce qui est couche
au bord de l'etang de mon grand-pere? »
Les animaux s'approcherent et virent que
c'e'tait Molkadi-sa-Molata. Ils lui demande-
CONTES DF.S BASSOUTOS
rent : « Que fais-tu pres de l'etang de notre
grand-pere? » Elle repondit ! • J'ai beau
vouloir partir, l'eau que j'ai bu m'en empe-
che. » lis l'interrogerent encore une fois et
lui dirent de partir; elle repondit encore :
« J'ai beau vouloir partir, l'eau que j'ai buc
m'en empeche. »
Alors Grand Lion dit : « Lequel d'entre
vous va aller percer le ventre de cette femme,
afin que nous retrouvions notre eau? » II
appela le lapin et lui dit : « Lapin, vas-y. »
Le lapin repondit : « Seigneur, je n'ose
pas. » Crand Lion appela la gazelle et lui
dit : « Gazelle, vas-y. » La gazelle repondit :
o Seigneur, j'ai peur d'y aller. » Tous les
animaux refuserent les uns apres les autres.
Enfin, le petit lievre consentit a y aller; il
se dressa sur ses pattespres de Molkadi-sa-
Molata et per^a son ventre d'un coup de
griffe. L'eau en sortit a grands riots, l'etang
se remplit de nouveau, les ruisseaux et les
rivieres se remirent a couler et les sources
a sourdre.
Alors Grand Lion defendit severement de
boire de l'eau avant qu'elle se flit clarifie'e.
Les animaux se retirerent daus leurs tanie-
LE FETIT LIF.VRE
l3
res sans avoir bu. Lorsque le petit lievre vit
qu'ils dormaient tous, il se leva sans bruit
au milieu de la nuit et alia boire a l'etang de
Grand Lion ; puis il prit de la vase et en salit
les genoux, le museau, le front et le nez du
lapin, afin que Ton crut que c'etait celui-ei
qui avait bu l'eau pendant la nuit.
Le lendemain, a son reveil, Grand Lion se
rendit a l'etang avec toute la troupe des ani-
maux. II s'apercut que quelqu'un etait venu
en salir l'eau pendant la nuit; il demanda
alors:«Qui a bu, qui a bu mon eau?» Le petit
lievre fit une cabriole et, montrant du doigt
le lapin, se hata de lui dire : « Regardez-le!
c'est lui qui a bu l'eau du roi ; voyez, il a
encore des traces de boue a son museau et
a ses genoux. » Le lapin, tout effraye, eut
beau se justifier et dire : « Non, ce n'est pas
moi qui ai bu a l'etang » , Grand Lion
n'en ordonna pas moins de le battre de
verges.
Apres que le lapin eut e'te ainsi pris et
battu, le petit lievre se mit des le lendemain,
a se variter de ce qu'il avait fait et a dire
tout haut : « C'est moi, c'est moi qui ai bu
l'eau, mais j'ai dit que c'etait le lapin. » Un
14
CONTES DES BASSOUTOS
des animaux s'e'cria : « He, petit lievre, que
dis-tu la? » Le petit lievre se hata de repon-
dre : « Je te demande de me dormer mon
baton, s Un peu plus tard, pensant qu'on ne
l'e'coutait pas, il se remit a dire : « C'est moi,
c'est moi qui ai bu l'eau, mais j'ai dit que
c'etait le lapin. » Un des animaux alia dire a
Grand Lion : « N'entends-tu pas ce que dit le
petit lievre? » Grand Lion fitvenir le petit
lievre et lui demanda : « Que viens-tu done
de dire? » II repondit : « C'est moi qui ai
bu l'eau, mais j'ai dit que c'etait 'le lapin. »
Alors il s'enfuit de toute la vitesse de ses
jambes, poursuivi par toute la troupe des
animaux. Se voyant pres d'etre atteint il se
jeta dans une etroite fissure entre deux ro-
chers; mais une de ses oreilles faisait saillie
en dehors. Les animaux eurent beau essayer
de le saisir par l'oreille, le petit lievre se tenait
si fortement attache au rocher qu'ils ne par-
vinrent pas a Ten faire sortir; ils finirent par
l'y abandonner, apres avoir perce et dechire
son oreille a grands coups de dents et de
grifles.
Quand ils furent partis, le petit lievre sor-
tit de sa cachette et rencontra le lapin ; il lui
LE PETIT L1EVRF.
15
dit : « Lapin, mon ami, tu vois que j'ai
comme toi ete battu. » Le lapin lui repondit :
« Tu as fort mal agi a mon egard; c'est toi
qui avais bu l'eau de l'etang et tu m'as
accuse de l'avoir fait. » Le petit lievre se
hata de lui re'pondre : « Lapin, mon ami, je
veux t'enseigner un secret merveilleux; sais-
tu comment nous devons faire pour ne pas
mourir? » Le lapin lui dit : « Non, je ne le
sais pas. » Le petit lievre reprit : « Creu-
sons un trou. » lis creuserent un trou assez
peu profond ; alors le petit lievre dit : « Allu-
mons un feu dans ce trou. » lis rassemblerent
du bois sec et allumerent un grand feu.
Quand le feu flamba, le petit lievre dit au
lapin : « Lapin, mon ami, prends moi et jette
moi dans le feu ; quand je dirai : Itchi, itchi,
et que tu entendras le crepitement de mon
poil qui brule, vite tu me retireras du feu. »
Alors le lapin prit le petit lievre et le jeta
au milieu du feu; le petit lievre avait a peine
commence , a sentir la chaleur du feu qu'il
prit des baies vertes dont il s'etait muni et les
jeta dans le brasier ou elles se mirent a cre-
piter; aussitot il s'e'cria : « Itchi, itchi,
lapin mon ami, retire-moi; est-ce que tu
i6
CONTES DES BASSOITOS
[I
n'entends pas comme ma peau cre'pite
deja? > Le lapin Ten retira.
Le petit lievre lui dit alors : ■ A ton tour
maintenant. • U jeta le lapin dans le feu;
quand celui-ci sentit le feu l'atteindre, il
cria au petit lievre : ■ Itchi, itchi, je brule;
retire-moi du feu, mon ami. » Le petit lievre,
qui voyait que le hrasier n'etait pas encore
sufTisamment hrulant, s'empressa d'en retirer
le lapin. lis se mirent a rire de bon cocur.
Alors, le petit lievre lui dit : « Recommen-
90ns; jette-moi dans le feu. » Le lapin l'y
jeta; des que le petit lievre se fut eerie :
« Itchi, itchi, lapin, mon ami, retire-moi »,
le lapin le retira du feu. II se mit de nouveau
a rire de hon coeur. Alors le petit lievre dit
au lapin : A ton tour maintenant »;puis il
le jeta dans le feu, qui cette fois formait un
veritable brasier. Le lapin s'ecria bicn vite :
ic Itchi, itchi, je brule; mon ami, retire-moi
du feu. » Cette fois le petit lievre se mit a
rire et dit au lapin : « Tu peux y rester; e'est
bien ta faute, si tu hrules; pourquoi as-tu
ete assez sot pour te laisser ainsi jeter sur
le feu?Ne savais-tu pas que le feu brulait? »
C'est ainsi que le lapin mourut consume par
I.E PETIT LIEVRE
>7
le feu ; bientot il n'en resta plus que les os.
Quand le feu se fut eteint, le petit lievre des-
cendit dans le trou, prit un des tibias du
lapin et s'en fit une petite flute, de laquelle
il se mit a jouer en chantant :
.. Pii, pii, petite flute bien aim _
Pii, pii, le lapin n'est qu'un get it g;iinin
Pii, pii, il a voulu me rotir
Pii, pii, moi je l'ai roti
ne 1'a pas pn,
d jl a cuit a. point-, i)
yX * ■
II se promenait partout, s<^erffian^r 1 a
mort du lapin et chantant "part-mit cette
chanson :
« Pii, pii, petite flute bien aimee,
Pii, pii, le lapin n'est qu'un petit gamin ;
Pii, pii, il a voulu me rotir et ne Pa pas pu,
Pii,pii,mais moi je l'ai roti et il acuita point '. »
Ensuite, le petit lievre se rendit chez Grand
i. Dans une autre version lc petit lievre con-
voke une Hiitc que posside lc lapin, ct e'est
pour s'en emparer qu'il use de son cruel stra-
tageme.
r
<
l8 CONTES DES BASSOUTOS
Lion et devint son serviteur. Un jour il lui
dit : « Grand-pere, veux-tu que je t'indique
un moyen de tuer beaucoup de gibier? »
Grand Lion consentit. Le petit lievre lui dit:
« Creusons une fosse. » lis creuserent en-
semble une fosse profonde au milieu du
pare a bestiaux. Alors le petit lievre dit :
« Grand-pere, couche-toi dans cette fosse et
fais le mort. » Grand Lion fit ainsi qu'on le
lui disait. Alors le petit lievre monta sur le
mur et se mit a souffler dans' un cor et a
crier :
« Pii ! Pii ! vous tous les animaux, venez et voyez ;
Grand Lion est mort, nous allons vivre en paix et
[nous rejouir '. »
Les animaux arriverent en courant. Le
petit lievre leur dit : « Entrez tous; que nul
de vous ne reste dehors. » lis entrerent tous
dans le pare a bestiaux; la guenon vint la
i . Dans une autre version le petit lievre cache
le lion dans la fosse, ne laissant paraitre que ses
dents; il appelle alors les animaux et leur dit :
■< Venez voir des dents qui ont cru en terre. »
LE PETIT I.IEVRE
19
derniere, portant son petit sur le dos. Elle
s'approcha de la fosse et, prenant une tige
d'herbe, enchatouilla l'anus de Grand Lion.
Comme l'anus de Grand Lion se eontractait,
laguenon s'e'cria: « Viens,mon petit, remonte
sur mon dos; allons-nous-en d'ici ; quel est
ce cadavre dont l'anus se contracte encore? »
Elle s'eloigna avec son petit. Le petit lievre
dit alors aux autres animaux : « Maintenant
fermez la porte du pare aux bestiaux. » lis
la fermerent solidement avec de gros-
ses pierres. A peine avaient-ils fini que
le petit lievre dit a Grand Lion : « Grand-
pere, leve-toi maintenant. Grand Lion
s'elanca hors de la fosse et e'gorgea
tous les animaux renferme's dans l'en-
ceinte ; le petit lievre l'aida ensuite a les
de'pecer.
Comme Grand Lion ne donnait au petit
lievre que les mauvais morceaux, gardant
pour lui les viandes les meilleures, le petit
lievre chercha un moyen de se venger; il
avait, enerl'et, remarque a quel point Grand
Lion e'tait sot et combien il etait facile de le
tromper. II dit done a Grand Lion : « Grand-
pere, batissons une hutte. » Grand Lion y
20 CONTES DES BASSOUTOS
consentit. Quant ils eurent plante les pieux
et fait la carcasse de la hutte, le petit lievre
dit a Grand Lion : « Monte sur la hutte. »
Grand Lion y monta; quant au petit lievre
il se tenait a l'interieur. II dit : « Grand-pere,
commengons. » Grand Lion passa sa baguette
a travers le roseau ; le petit lievre le prit et
cria : « Maintcnant, attention, je vais percer
a mon tour '. » En parlant ainsi il passa sa
baguette a travers le roseau et en perca la
queue de grand lion. Grand Lion s'ecria :
ii Qui est-ce qui me pique? » Le petit lievre
repondit : « Ce n'est que cette branche, je
vais la briser. » II brisa une petite branche.
Mais en realite le petit lievre avait fait
expres de percer la queue de Grand Lion, afin
de le fixer a la hutte si fortement qu'il ne
put en descendre. Un moment apres il penja
i . Les Bassoutoj recouvrent leurs huttes
ou leurs maisons de roseaux ou d'her-
bes, qu'ils fixcnt aux lattes du toit au moyen
de cordelettes de paille ou de minces cour-
roies de peau. Ces courroies sont attachees
a une baguette, au moyen de laquelle cclui
qui se tient a l'interieur de la hutte les
passe a celui qui travaille au dehors.
LE PETIT l.IEVRE
21
de nouveau avec sa baguette pointue la
queue de Grand Lion. Grand Lion s'ecria :
« Qui est-ee qui me pique? » Cette fois le
petit lievre se dit : « Je vois que bient6t il
va s'apercevoir de mon dessein. » II s'ecria
done : « G rand-pere, mets ta queue par ici
pour que les branches ne te blessent plus. »
Grand Lion fit ainsi, et le petit lievre lui lia
la queue fortement aux branches de la hutte ;
puis il sortit et se tint dehors. II cria alors a
Grand Lion : « Grand-pere, descends main-
tenant. » Grand Lion voulut descendre, mais
il lui fut impossible de le faire, tant sa queue
etait fortement attachee aux branchages de
la hutte.
Alors le petit lievre se mit a manger la
viandedeGrandLion,devantsesyeux; le lion
avait beau pousser des rugissements epou-
vantables, le petit lievre continuait tranquil-
lement son repas. Quand il eut fini il grimpa
sur la hutte et, soufflant dans sa rlute, cria a
haute voix :
« Pii, pii, tombez pluie et grele. »
Aussitot le ciel se couvrit de nuages, le
tonnerre gronda de tous les cote's, et une
22 CONTF.S DES BASSOUTOS
grele epouvantable s'abattit sur la hutte. Le
petit lievre, a l'abri dans la hutte, criait a
Grand Lion : « Grand-pere descends done;
viens manger avec moi. » La grele eut bien-
tot fait de tuer Grand Lion, toujours retenu
par sa queue au sommet de la hutte. Pendant
ce temps le petit lievre faisait bombance,
mangeant les viandes que le lion avait amas-
sees.
Un certain jour, comme le petit lievre
etait toujours a manger dans la hutte, un
grand vent se mit a souffler et jeta a terre
avec un grand bruit la depouille de Grand
Lion, deja a demidessechee. Le petit lievre
en bondit de frayeur; puis il s'e'eria: « He!
He! e'est done la mon grand-pere. » En
s'approchant il vit que la peau etait deja
presque dessechee et que les vers avaient
mange les chairs. II nettoya soigneusement
la peau, la prepara et maintint la gueule
ouverte au moyen de baguettes. Mors il se
glissa dans la peau de Grand Lion, et se mit a
voyager ainsi travesti '.
i. N'est-il pas curieux de retrouver ainsi, dans
une peuplade sauvage du sud de l'Afrique, la
LE PETIT LIEVRE
23
Ainsi revetu de la depouille du lion il se
rendit chez les hyenes. Quand celles-ci le
virent arriver, elles furent saisies de frayeur
et s'ecrierent : « Comment e'chapperons-nous
a ce redoutable animal? » Le petit lievre
entra chez le roi des hyenes et s'y e'tablit.
Chacun disait : « Aujourd'hui, nous allons
tous etre devore's. » Le petit lievre, voyant
un pot plein d'eau bouillante dit a une
hyene : « Assieds-toi la-dedans. » L'hyene
n'osa de'sobe'iret mourut echaude'e. Le petit
lievre allait de hutte en hutte, disant partout
aux hyenes : « Assieds-toi dans l'eau bouil-
lante. » Les hyenes mouraient lesunes apres
les autres; le village se de'peuplait, il ne
restait presque plus que les femelles.
Un jour que toutes les hyenes e'taient allees
aux champs et qu'il n'etait reste qu'une petite
a la maison, le petit lievre vint dans le lapa;
sans remarquer la presence de la petite
fable de l'ane revetu de la peau du lion '. Comme
la legende du petit lievre existait deja longtemps
avant l'arrivee des premiers Europeens, il est
impossible de croire a un emprunt.
2 4
CONTES DES BASSOUTOS
hyene, il sortit de sa peau de lion et se mit
a sauter et a cabrioler, en chantant :
« Je suis le petit lievre, le vainqueur des grandes
[hyenes '. »
La petite hyene se dit : « Quoi ! c'est cette
toute petite bete qui a cause la mort de tous
nos gens! » Un souffle de vent venant a
agiter les roseaux du lapa, le petit lievre
ne fit qu'un saut pour rentrer dans la peau
du lion.
Le soir, lorsque les hyenes rentrerent au
logis, la petite dit a son pere : « Mon pere,
notre peuple est presque entierement exter-
mine; c'est un tout petit animal cache dans
la peau du lion qui nous a fait tout ce mal. »
Le pere lui dit : « Allons! mon enfant tu ne
sais pas ce que tu dis. » Elle repondit :
« Oui, mon pere, c'est un tout petit animal,
je l'ai vu de mes propres yeux. » Son pere
alia en parler a un de ses amis; celui-ci lui
dit : « II faut nous cacher demain matin et
nous verrons si ce que ta fille nous dit est
i . Le petit lievre chante ainsi des thoks ou
chant de louanges.
I.E PETIT LIEVRE
25
vrai. » Le lendemain, les deux hyenes se
cacherent derriere le lapa; au milieu du jour
le petit lievre sortit de la hutte, se depouilla
de sa peau de lion et se mit a sauter et a
gambader en chantant :
« Je suis le petit lievre, le vainqucur des grandes
[hyenes. »
Le soir, les deux hyenes dirent aux autres :
<( Savez-vous que nous nous sommes laisse
exterminer par un animal de rien; nous pen-
sions que c'etait un lion, mais il n'en a que
la peau. »
Lorsqu'on eut prepare le repas du soir, le
petit lievre, cache dans la peau du lion, dit
a une des hyenes : « Assieds-toi dans l'eau
bouillante. » Les hyenes ne bougerent pas ;
puis une d'elles prit une pierre et la jeta
avec force contre la peau du lion. Le petit
lievre en sortit d'un seul saut, et se mit a
fuir avec ve'locite ; toute la troupe des hyenes
le poursuivit en poussant de grands cris. Au
tournant du chemin le petit lievre se coupa
bien vite les deux oreilles pour ne pas etre
reconnu et fit semblant de moudre sur une
pierre plate. Les hyenes lui demanderent :
26
CONTF.S DES BASSOUTOS
c Dis-donc, ami, n'as-tu pas vu le petit lie-
vre passer par ici? » II repondit : « Non, je
n'ai vu personne. » Les hyenes se dirent :
« Ou peut-il etre? Quant a celui-la, nous
voyons bien que c'est un autre animal; ce
n'est pas celui que nous cherchons. » Apres
avoir vainement continue leur poursuite
pendant fort longtemps, elles retournerent
a leur village en disant : « Comment avons-
nous pu nous laisser exterminer par ce petit
animal de rien ' ! »
i. Les Bassoutos racontent encore quelques
autres tours du mcme genre joues par le petit
lievre; il a, cntr'autres, une aventure assez drole
avcc des grenouilles, mais clle est trop grossi£re
pour etre rapportee ici. Tandis que le folklore
des Bushmen et des Hottentots(voir Bleek, Bush-
man Folk-Lore et Hottentot Fables and Tales)
est si riche en fables et en legendes animales,
le conte du petit lievre est, a ma connaissance,
a peu pres la seule contribution qu'ont fournie
les peuples bantou a cettc branche du folklore.
Je ne connais sans cela qu'une seule fable (celle
de l'hyrax qui n'a pas de queue, voir Callaway,
p. 253-356) dont l'origine bantou mc semble in-
contestable; elle existe en zoulou et en sessouto,
LE PETIT LIEVRE
27
et je n'cn ai jamais vu aucune version hottentote.
Quant aux autres que racontent les Zoulous et les
Bassoutos ou les Bechuanas, il est pour le moms
probable qu'ils les ont empruntees aux Hotten-
tots ou aux Bushmen. Mais l'histoire du petit
lievre est, je crois, incontestablement d'origine
bantou; chez les Hottentots c'est, en effet, tou-
jours le chacal qui joue le role altribue au petit
lievre par lcsCafres et les Bassoutos. Toutetois
il n'est pas possible de rien affirmer avec cer-
titude, aussi Iongtemps que nous ne possederons
pas une collection du folklore -des autres tribus
bantou du sud ou du centre de 1'Afrique. 11 est
difficile de tirer aucun indice certain des quel-
ques fables que cite M. Steere comme courantes
a Zanzibar [Swaheli Tales of Zanzibar). En effet,
l'influence des Arabes et des Hindous, si nom-
breux a Zanzibar, n'a pu manquer de se faire
sentir jusque dans le folklore; il est d'autant,
plus remarquable de trouver dans deux de ces
fables (p. 326-32Q et p. 370-377) !e lievre
jouant lc meme role que dans le folklore ses-
souto. Les Souahelis etant de la race des Bantou,
cette coincidence tend a prouver le bien fonde
de l'hypothese que j'avance plus haut.
#$*
-X- «X- -1^. -x~ -,t- .A* *A» J^ J^ ^» «A»
LE CHACAL ET LA SOURCE '.
T \
M
JAbis tous les animaux des champs etaient
a court d'eau ; ils ne savaient ou trouver a
i. Pour les mOmes raisons que jc viens d'in-
diquer, cette fable doit 6tre considcree comme
appartenant au folklore des Hottentots ou des
Bushmen. Cependant M. Theal la cite (Kaffir
Folklore, p. 1 68- 174) comme faisant partie du
folklore des Cafres de la Colonie; mais ceux-ci
l'auront certaincment empruntee a leurs voisins
hottentots. Dans le Folk-Lore Journal of South
Africa (1879, P- Gij-y?), on trouve unc version
hottentote de la meme fable, en tous points sem-
blable a la notre; il faut comparer aussi la fable
de 1'clephant et de la tortue que Blcck a traduite
d'un texte hottentot ou nama (Hottentot Fables
and Tales, p. 27-29). Le petit lievre, qui dans le
LE CHACAI, F.T LA SOURCE
2Q
boire. Apres bien des recherches, ils trou-
verentune source, qui coulait a peine, parce
qu'elle n'avait pas ete creusee. lis dirent :
« Mettons-nous tous a la creuser, pour que
nous ayons de l'eau en abondance. » Mais le
chacal refusa de travailler avec eux. Quand
ils eurent fini de travailler, ils dirent : « II
faut maintenant monter la garde aupres de
la source, pour que le chacal ne vienne pas
y boire, puisqu'il a refuse de travailler avec
nous. » Ils de'eiderent que e'etait au lapin a
monter la garde ce jour-la. Mors tous les
animaux se rendirent a leurs paturages.
Quand ilsfurent loin,le chacal vint; il cria
au lapin : « Bonjour, lapin! bonjour, lapin. »
Le lapin lui rendit son salut. Mors le chacal
s'approcha, detacha le petit sac qu'il portait
au cote,et, y portant la main, en tira des rayons
de miel qu'il se mit a manger. II dit au lapin :
« Tu vois, lapin, moi je n'ai pas soif; je
mange quelque chose d'excellent. n Le lapin
lui dit : « Donne-m'en un peu. » Le chacal
lui en donna un tout petit peu; le lapin
folkore sessouto est le plus ruse de tous les ani-
maux, se laisse ici sottement jouer par le chacal.
3o
CONTES DES BASSOUTOS
r
4
s'ecria : i Oh! que c'est bon. » II ajouta .
<( Donne-m'en davantage, mon ami. » Le
chacal lui dit : « Si tu veux en avoir davan-
tage, il faut te laisser lier les pattes derriere
le dos et te coucher sur ton dos; alors je
pourrai t'en verser dans la bouche. » Le lapin
se laissa faire; quand il eut les pattes liees
et fut couche sur le dos, le chacal alia a la
source et but de l'eau a son saoiil. Quand il
eut fini, il retourna tranquillement chez lui.
Vers le soir, quand les animaux revinrent
tous, ils dirent au lapin : ■ Lapin, comment
t'es-tu laisse prendre? » Le lapin repondit :
« C'est la faute du chacal; il m'a lie les
pattes derriere le dos, disant qu'il allait me
donner quelque chose de bon a manger; ce
n'etait qu'une ruse pour boire notre eau. »
Les animaux lui dirent : a Lapin, tu n'es
qu'un sot, d'avoir ainsi laisse le chacal boire
notre eau, alors qu'il avait refuse de travail-
ler avec nous. » Puis ils dirent : « Qui mon-
tera la garde maintenant? II nous faut quel-
qu'un d'intelligent. » Le petit lievre repon-
dit bien vite : « Ce sera moi. »
Le lendemain , les animaux partirent,
laissant le petit lievre pour garder la source.
LE CBACAL ET LA SOURCE
3l
Quand ils furent loin le chacal revint, et
cria : « Bonjour, petit lievre! bonjour! » Le
petit lievre lui rendit son salut. Le chacal
ajouta : « Donne-moi un peu de tabac. » Le
petit lievre repondit : « Je n'en ai pas. » Le
chacal s'approcha et s'assit tout pres du petit
lievre, puis il detacha sa petite sacoche, et y
plongeant la main, en tira des rayons de miel
qu'il se mit a manger. II se lecha les levres
et dit : « Oh ! petit lievre, si tu savais comme
c'est bon ce que je mange. » Le petit lievre
demanda : « Qu'est-ce? » Le chacal repon-
dit : « Cela humecte si agre'ablement mon
gosier; chaque fois que j'en mange, je n'ai
plus soif. Quant a vous autres, petit lievre,
je suis sur que la soif vous tourmente tou-
jours. » Alors le petit lievre lui dit : « Laisse-
m'en gouter un peu, mon ami. » Le chacal
lui repondit : « Pas ainsi, petit lievre! si tu
veux en gouter et en manger a satie'te, il
faut que tu te laisses lier les pattes derriere
le dos et que tu te couches sur le dos, afin
que je puisse t'en verser dans la bouche. »
Le petit lievre dit : o Tu peux le faire, mon
ami. »Alors le chacal lui lia les pattes derriere
le dos; puis il descendit tranquillement a la
3-2 CONTF.S DF.S BASSOUTOS
source et y hut a son saoul, apres quoi il
s'en retourna chez lui.
Le soir les autres animaux revinrent a la
source; ils demanderent au petit lievre :
« Petit lievre, comment t'es-tu laisse pren-
dre? Ne nous as-tu pas dit que tu etais ruse?
Tu t'es vante de bien garder notre eau ;
maintenant montre-nous oil elle est, notre
eau, dis nous oil nous devons boire. » Le
petit lievre leur repondit : « C'est la faute
du chacal ; il m'a dit qu'il me donnerait
quelque chose de bon a manger, si je voulais
me laisser lier par lui les pattes derriere le
dos. » Alors les animaux demanderent :
« Qui va maintenant monter la garde? » La
panthere repondit : a Ce sera la tortue. »
Le lendemain les animaux partirent, lais-
sant la tortue pour garder la source. Le cha-
cal vint quand ils furent partis et apercut la
tortue. II lui cria : « Bonjour, tortue! bon-
jour. » La tortue ne lui repondit rien. II
rccommenca : « Bonjour, tortue! bonjour. »
La tortue ne lui repondit rien. Alors le cha-
cal se dit : « Aujourd'hui c'est une grande
sotte qui garde la source. Je vais m'appro-
cher et la jeter de cote d'un coup de pied,
LE CHACAL ET LA SOURCE
33
puis je boirai a la source. » II s'approcha
douce ment de la tortue et recommenca a
a l'appeler a voix basse : « Tortue! tor-
tue ! u La tortue ne lui repondit rien. Alors il
s'approcha et d'un coup de pied la jeta de
cote, puis il se pencha sur l'eau et se mit
a boire; mais a peine avait-il commence a
boire que la tortue le saisit a la jambe.
Le chacal cria : « Oh ! oh ! tu vas me
casser la jambe. » Mais la tortue ne fit que
serrer davantage. Le chacal prit sa sacoche
et voulut faire sentir a la tortue le parfum
du miel qui y etait renferme; mais la tortue
detourna la tete et ne sentit rien. Le chacal
dit a la tortue : « Je veux te donner ma sa-
coche et tout ce qu'il y a dedans! » Mais la
tortue ne repondit rien et ne fit que
serrer davantage la jambe du chacal. Enfin,
les autres animaux revinrent a la source ;
quand il les vit, le chacal fit un violent effort
et reussit a retirer sa jambe, puis il se sauva
aussi vite qu'il put. Alors les animaux dirent
a la tortue : « C'est bien, tortue; nous voyons
que tu es eourageuse! Aujourd'hui nous pour-
rons boire notre eau, puisque tu as empeche
le chacal de nous la voler commeauparavant.»
•♦♦.♦♦♦^♦i*******
LE CHACAL, LA COLOMBE
ET LA PANTHERE '.
U
ne colombe avait une niche'e de trois
petits; un chacal vint vers elle et, se
i. Cettc table est tres probablemcnt d'origine
hottcntote ou bushmcn. La premiere panic est,
en cffet tres scmblable a deux fables citees par
Blcck, la Colombe et le Heron, et le Coq (Hot-
tentot Fables and Tales, p. 2 1-23). D'aillcurs
les vieux Bassoutos ne la connaissent pas; les
jcuncs qui la racontent la tiennent sans doulc
des Griquas ct dcs Bastaards, qui sont assez
nombrcux dans le pays. En general le chacal ne
joue aucun role dans le folklore bantou ; l'his-
toire du chacal ct du lion que donne M. Theal
{Kaffir Folklore, p. 17.S-179) est cgalcment
citcc par lui comme ctant vraisemblablcment
d'origine hottcntote.
LE CHACAL, LA COLOMBE ET LA PANTHERE 35
tenant au bas du rocher, lui cria: « Ohe! co-
lombe ! colombe ! » La colombe lui demanda :
« Que veux-tu?» Le chacal repondit: o Donne-
moi un de tes petits ou je saute jusqu'a ton
nid. » La colombe lui jeta un de ses petits,
que le chacal mangea; puis il s'en retourna
chez lui. La colombe resta dans son nid a
se desoler. Un heron vint a passer ; il lui
demanda : « Qu'as-tu a pleurer ainsi, co-
lombe? » Elle lui repondit : « Le chacal m'a
demande de lui donner un de mes petits; il
m'a dit que si je refusais, il sauterait jusqu'a
mon nid et les mangerait tous. » Le heron
lui dit : « II ne l'aurait pu faire, c'est un
menteur; il ne saurait sauter si haut; il t'a
trompe'e afin de manger tes petits. » Puis il
continua sa route. A peine etait-il parti que
le chacal etait de retour; il cria a la colombe :
(c Ohe ! colombe, donne-moi un de tes petits,
ou je saute jusqu'a ton nid. » La colombe
lui repondit : « Je n'en ferai rien. » Le
chacal essaya de sauter, mais ne reussit
qu'a se blesser au rocher, et recommenca a
dire : « Ohe! colombe, depeche-toi de m'en
donner un ou je vous tue tous. » Elle lui
repondit : « Je n'en ferai rien; tu ne saurais
30
CONTES DES EASSOUTOS
arriver jusqu'a nous ». Le chacal lui dit
alors : « Dis done, colombe, qui t'a rendue
si intelligente depuis ce matin? » La colombe
repondit : « Le heron vient de me dire que
tu ne saurais sauter jusqu'a mon nid. » Le
chacal lui demanda : « Ou-est il alle, ce
heron-la? » La colombe repondit : « Le
voila la-bas au milieu des roseaux. »
Alors le chacal la quitta et alia vers le
heron; quand il fut pres de lui, il lui de-
manda : (i Dis-moi, heron, quand le vent
vient de la-bas, de quel cote te tournes-tu? »
Le heron re'pliqua : « Et toi de quel cote te
tournes-tu? » Le chacal repondit : « Moi, je
me tourne de ce cote'-ci. » Le heron ajouta :
(i Moi aussi je me tourne du cote oii tu te
tournes toi-meme. » Le chacal demanda de
nouveau : a Et quand le vent vient de cette
direction, de quel cote te tournes-tu ?» Le
heron repliqua : « Et toi, de quel cote te
tournes-tu? » Le chacal re'pondit : « Moi, je
me tourne de ce cote-la. » Alors le heron
dit : « Moi aussi je me tourne du cote ou tu
te tournes toi-meme. » Le chacal demanda
de nouveau : « Quand la pluie vient de la-
bas, de quel cote te tournes-tu ? » Le heron
LE CHACAL, LA COLOMBE ET LA PANTHERE 3~
repliqua : « Et toi de quel cote te tournes-
tu ? u Le chacal repondit : « Moi, je me
tourne de ce cote-ci. » Alors le heron dit :
« Moi aussi, je me tourne du cote oil tu te
tournes toi-meme. » Le chacal demanda de
nouveau : « Quand la pluie tomhe tout droit,
comment fais-tu ? » Le heron repliqua : « Et
toi-meme comment fais-tu ? » Le chacal
repondit : « Moi je t'ais ainsi ; je me couvre
la tete de mes pattes. » Alors le heron lui
dit : o Moi aussi je fais comme toi, je me
couvre la tete de mes ailes. » Comme le
heron faisait ainsi, et avait recouvert sa tete
de ses ailes, le chacal le saisit par le cou.
Le heron le supplia d'avoir pitie de lui,
mais le chacal lui repondit : n Je te devore-
rai, parce que tu as appris a la colombe a
se jouer de moi. » Alors le heron lui dit :
« Si tu me laisses la vie, je te montrerai
l'endroit oil une panthere a mis bas. » Le
chacal lui repondit : « Montre-moi bien vite
l'endroit. » Le heron le lui montra; alors le
chacal le laissa s'envoler, en lui disant :
« Maintenant tu peux t'en aller, mon ami,
puisque tu m'as conduit a un endroit oil je
trouverai beaucoup de viande a manger. »
3
38
CONTES DES BASSOUTOS
Le cha'cal vint vers la panthere et lui dit :
« Panthere, veux-tu que je prenne soin de
tesenfants, pendant quetu es a la chasse '? »
I. a panthere lui repondit : « C'est bien,
prends-en soin ; ils pleurent toujours pendant
que je suis a la chasse. » Alors le chacal
entra dans la taniere de la panthere; il s'y
trouvait dix petits. Le chacal se hata d'en
devorer un. Le soir la panthere revint de
la chasse et se tint devant sa taniere, en
dehors; elle dit : ■ Chacal, fais sortir mes
petits. u Le chacal en lit sortir un; quand la
panthere l'eut allaite, il le fit rentrer, et en
fit sortir un second, puis un troisieme, un
quatrieme,ietc., jusqu'au neuvieme, qu'il fit
sortir deux fois, afin que la panthere crut
que ses dix petits etaient toujours la.
Le lendemain, quand la panthere fut a la
chasse, le chacal devora un autre des petits
de la panthere; il n'en resta plus que huit.
Le soir, a son retour de la chasse, la panthere
dit : (i Chacal, fais sortir mes petits. » Le
i.Un tour du mcme genre est joue par Uhla-
kanyana a un leopard (Callaway, Nursery Tales
of the Zulus, p. 25-27).
LE CHACAL, LA COLOMBE ET LA PANTHERE 3o.
chacal en fit d'abord sortir un, puis le fit
rentrer quand sa mere l'eut allaite; puis il
en fit sortir un second, un troisieme, un
quatrieme, etc. jusqu'au huitieme, qu'il fit
sortir trois fois, pour parfaire la dizaine.
Le lendemain, le chacal devora un autre
des petits de la panthere, qu'il re'ussit tou-
jours a tromper de la meme maniere. II
mangeait chaque jour un nouveau petit,
sans que la panthere s'apercut de sa ruse.
Enfin, quand il n'en resta qu'un il le fit sortir
dix fois de suite pour teter sa mere. Le
lendemain, quand la panthere fut a la
chasse, le chacal devora le dernier des petits
des le matin, et pendant le reste du jour il
s'occupa a percer un trou sur le derriere de
la taniere. Le soir, a son retour de la chasse,
la panthere lui dit : « Chacal, fais sortir
mes petits. » Le chacal repondit : o Tu les as
tous manges, et ensuite tu viens me dire :
Chacal, fais sortir mes enfants.» La panthere
re'peta une seconde fois : « Chacal, fais sortir
mes enfants. » Comme elle ne recevait pas
de reponse, elle finit par entrer dans la ta-
niere, d'ou le chacal venait de sortir par
l'ouverture qu'il avait pratiquee. Elle cher-
4 o
CONTES DES BASSOUTOS
cha partout ses petits et ne les trouva pas ;
alors elle sortit par la meme ouverture que
le chacal et se mit a le poursuivre.
Tout en fuyant, le chacal decouvrit un
essaim d"abeilles qui avaient depose leur
miel dans une fente de rocher. II s'arreta
la; la panthere l'y rejoignit et lui demanda :
« Chacal, oil sont mes petits? » Le chacal lui
repondit: « lis sont la-dedans; c'est la que
je leur fais l'ecole '. » La panthere repliqua :
'i Ou done? je ne les vois pas. » Le chacal
lui dit : « Viens seulement par ici ; tu enten-
dras comme ils chantent bien. » La panthere
s'approcha de la fente de rocher et ecouta;
le chacal lui dit : i C'est la que sont tes
enfants, ne les entends-tu pas? » Puis il
s'esquiva rapidement, laissant la panthere
occupee a ecouter le chant de ses peril's.
Un babouin s'approcha d'elle et lui de-
manda : « Que fais-tu la, panthere? » La
panthere lui repondit : « J'e'coute mes
i. La derniere partie de cette fable cst-elle
d'origine moderne? La mention de l'ecole le
ferait croire ; mais ce n'est peut-etre qu'uu enjo-
livement d'une tradition anterieure.
LE CHACAL, LA COLOMBE ET LA PANTHERE 41
enfants chanter ; c'est la que le chacal leur
fait l'ecole. » Alors le babouin prit un baton
et 1'agita en tous sens dans la feme du
rocher, en disant : « C'est bien ; je vais les
voir aujourd'hui, tes enfants. » Les abeilles
sortirent en essaim serre et s'e'lancerent
furieuses contre la panthere; quant au ba-
bouin i! grimpa prestement le long des
rochers et fut bien vite hors d'atteinte. De
la-haut il cria a la panthere : « Les voila
done, tes enfants! » De loin le chacal excitait
les abeilles et leur criait : a Piquez-la bien,
ne lachez pas prise. » La panthere s'enfuit a
toutes jambes et se precipita dans un etang
qui se trouvait la; mais chaque fois qu'elle
elevait la tete hors de l'eau, les abeilles
recommencaient a la piquer; elle etait obli-
gee de plonger la tete dans l'eau a chaque
instant, de sorte qu'elle fut bientot noyee.
+»-i-+t*+t*
LA LEGENDE DE LA TORTUE '.
O
n raconte qu'un jour tous les ani-
maux s'assemblerent pour un grand
i. Cette legende provient probablement du
Nord du Transvaal. Je la tiens d'une jeune fille
d'ici, mais aucune autre personne du pays ne la
connait. Un jeune horame du Transvaal, de la
tribu des Ba-Tokoa, m'a raconte dans sa langue
une legende presque identique, II faut done pro-
bablement en chercher l'origine chez les Ba-
Tokoa, qui eux-memes se rattachent au rameau
des Ba-Pedi ou Bassoutos du Nord-Est. En 'tous
cas elle appartient au folklore de la famille des
Bechuanas et des Bassoutos.
II est a remarquer que dans d'autres contes
du pays (cf. he chacal et la source) la tortue est
egalement representee comme un animal ruse et
LA LEGENDE DE LA TORTUE
43
pitso '. II y avait la un grand arbre couvert
de fruits qu'ils desiraient manger, Le lion,
roi des animaux, envoya un des animaux
pour demander au proprietaire quel etait le
nom de cet arbre. Le proprietaire de l'arbre
se nommait Koko 2 . Le messager lui dit :
« Le roi m'envoie te demander quel est le
nom de cet arbre ?
Koko lui repondit : « C'est : Motlatladiane-
motlatla - le -se-ye- le-siee -kala-ea-mochate-
hodimo 3 .
intelligent. La meme chuse se remarque dans
quelques contes cafres et hereros; je la retrouve
aussi dans un conte du Bas-Ogooue, publie dans
le Journal des Traditions populaircs , decem-
bre 1889. J'aideja publie la legende de la tortue
dans le Journal des Traditions populaires,
p. 373-375.
1. Le pitso est l'assemblee populaire de la tri-
bu, ou Ton discute librement les affaires cou-
rantes. On peut le comparer a la landsgcmeinde
des petits cantons suisses.
2. Koko (avec des o tres sourds) signirie
grand'mere dans le dialecte des Ba-Tokoa.
3. Motladiane'-motlatla ne signirie rien, ce
sont de simples assonances. Le-se-ye-le-sice-kala
44
CONTES DBS BASSOUTOS
3
Le messager se remit en route en chantant :
« Koko a dit que c'est : Motlatladiane-
motlatla-le-se-ye-le-siee-kala-ea-mochate-
hodimo. »
Une termitiere se trouvait au milieu du
chemin; l'envoye s'y heurta sans l'aperce-
voir, et dans son trouble oublia les paroles
qu'il venait d'entendre. Le lion lui demanda :
« Que t'a-t-on dit?«Le messager repondit:
« C'est... eu-eu-eu! »
Alors le lion envoya un second messager;
celui-ci arriva vers le proprietaire de l'arbre
et lui dit : « Le roi m'envoie te demander le
nom de ton arbre. a
Koko repondit : « C'est : Motlatladiane-
motlatla -le-se-ye-le-siee-kala-ea-mochate-
hodimo. »
Le messager se remit en route en chantant :
« Koko a dit que c'est: Motlatladiane'-mo-
tlatla-le-se-ye-le-sie'e-kala-ea-mochate-ho-
dimo. »
Lui aussi se heurta a la termitiere et
ea-mochate-hodimo, signifie : o Vous pouvez en
manger, mais ne touchez pas a la branche du
faite. »
LA LEGENDE I1K LA TORTUE
45
oublia les paroles qu'on lui avait dites.
Apres avoir vainement envoye plusieurs
autres messagers, le lion y alia lui-meme ;
le proprietaire de l'arbre lui repondit comme
a tous les autres. En chemin le lion se heurta
aussi a la termitiere et oublia egalement les
paroles qu'on lui avait dites.
Alors il envoya la tortue. Elle revint en
chantant comme les autres; elle aussi se
heurta a la termitiere, mais elle s'ecria bien
vite : « Tlatladi-a-tha '. »
Elle arriva pres du lion et lui dit :
« Koko a dit que c'est : Motlatladiane-
motlatla -le-se-ye -le-siee -kala -ea -mochate-
hodimo. »
Le lion tut vexe de voir que tandis que
lui n'avait pu se souvenir du nom de Farbre,
un animal infime comme la tortue l'avait su
mieux que lui. II fit creuser un grand trou
et on y enterra la tortue. Puis tous les ani-
maux allerent ensemble manger les fruits
1 . Le conteur veut indiquer par la la presence
d'esprit de la tortue qui, bien que troublee par
le choc, repete, ou a peu pres, les paroles raemes
de sa chanson.
3-
46
CONTES DES BASSOUTOS
de l'arbre. La nuit, comme ils dormaient,
la tortue sortit de son trou et devora tous
les fruits qu'ils avaient laisses, ceux de la
branche de faite.
Le lendemain le proprietaire de l'arbre
leur demanda : « Pourquoi avez-vous si mal
agi, de manger les fruits que je vous avais
dit de ne pas toucher ? » Les animaux lui
repondirent : « Ce n'est pas nous qui y avons
touche; nous ne savons qui a pu les manger. »
On de'terra la tortue et on lui demanda ce
qui en etait; elle leur repondit : « Comment
aurais-je pu les manger, puisque vous
m'aviez si bien enterree? »
"^®*%2^*G)&"
MASILO ET MASILONYANE '.
On raconte qu'un jour Masilo et Masilo-
nyane partirent de chezeux pour allera
la chasse ; ils arriverent pres des ruines d'un
i. Ce conte est un des plus connus et celui
que Ton aime le mieux a raconter. Parmi les
nombreuses versions que j'en possede, j'ai choisi
celle qui m'a paru la plus ancienne, et que m'a
fournie un vieillard de quatre-vingt-cinq ans,
nomme Moshe Mosetse, auquel je suis redevable
de beaucoup des contes qui paraissent dans ce
volume. M. Casalis {Les Bassoutos, p. 355-35g'
en a donne en francais une version un peu difle-
rente ; dans le Folk-Lore Journal (1879, p. i3g-
145) edite a Cape-Town par Miss Lloyd, on en
trouve egalement en anglais et en sechuana une
version fort interessante. Enrin, M. Callaway
4 8
CONTES DES BASSOUTOS
grand village abandonne. Masilonyane entra
dans le village et se mit a le traverser, pen-
dant que son frere en faisait le tour '. Tout
en marchant Masilonyane s'occupait a
redresser de grands vases renverses, qu'il
trouvait au milieu du village; enfin il en
vit un plus grand que les autres; il le
poussa, il le poussa, mais en vain, le vase ne
cedait pas. II se redressa et appela Masilo :
(i Viens m'aider a redresser ce vase; il ne
veut pas ceder a mes efforts. » Masilo lui
repondit : « Laisse-le seulement, qu'as-tu a
faire a redresser des vases renverses? » Mais
Masilonyane se baissa de nouveau, recom-
menca ses efforts et enfin le vase ceda avec
bruit. Une vieille 2 femme en sortit aussitot;
L<
(p. 217-220) a donne le texte et la traduction
d'une legende similaire, telle qu'on la raconte
chez les Zoulous.
1. Dans toutes les autres versions c'est Masi-
lonyane qui decouvre le village abandonne et les
pots renverses, longtemps apres s'etre separe de
son frere.
2. Dans la version deM. Casalis c'est un vieil-
lard; une de ses jambes est demesurement
grande.
MASILO ET MASILONYANE
49
comme Masilonyane voulait renverser le vase
sur elle, elle lui dit : « Mon petit-fils, tu me
delivres et tu voudrais de nouveau me recou-
vrir! tu vois que j'etais occupe a moudre de
l'orge rouge. »
Puis elle lui dit : « Porte-moi sur ton dos. »
A peine avait-elle fini de parler qu'elle avait
pris son elan et e'tait de'ja sur le dos de Masi-
lonyane. Gelui-ci appela Masilo a son aide.
Masilo lui repondit : « Je t'avais bien dit de
laisser ces vases en paix. » Puis il se moqua
de lui et s'eloigna en ricanant. Masilonyane
le suivit de loin, portant la vieille sur son
dos. II lui dit encore : « Oh! mon frere, aide-
moi done un peu a porter cette vieille. » Mais
la vieille protesta : « Non ! non! mon petit-
fils ; e'est a toi a me porter. »
Un peu plus loin, Masilonyane vit une
troupe d'antilopes-caamas qui passaient ; il
dit a la vieille « Grand'mere, descends un
peu ; je vais vite tuer un de ces animaux a
longues jambes, pour t'en faire un thari,
dans lequel je te porterai. » La vieille se
laissa glisser a terre, et Masilonyane se mit
a la poursuite des antilopes ; quand il fut
hors de vue il se cacha dans un trou. Lorsque
5o
CONTES DES BASSOUTOS
[I
la vieille femme vit qu'il ne revenait pas, elle
se mit a le poursuivre en disant : « Voici la
marque d'un des petits pieds de mon petit-
fils, voici la marque de l'autre. » Elle fut vite
arrivee a l'endroit ou il etait cache et d'un
saut se remit sur son dos.
lis continuerent leur route, l'un portant
l'autre. Un peu plus loin Masilonyane vit une
gazelle passer au loin ; il dit : « Grand'mere,
descends un peu, que j'aille tuer cet animal
a longues jambes pour t'en faire un thari,
dans lequel je te porterai. » La vieille se
laissa glisser a terre; Masilonyane s'enfuit
et se cacha du mieux qu'il put. La vieille le
poursuivit comme la premiere fois en disant :
o Voici la marque d'un des petits pieds de
mon petit-fils, voici la marque de l'autre. »
Quand elle fut pres de lui, Masilonyane
appela ses chiens et leur dit : « Saa! devo-
rez-la tout entiere, mais reservez-moi le gros
orteil. ' » La vieille avait, en effet, un orteil
i. Suivant une des variantes que j'ai recueillie,
c'est la vieille femme elle-meme qui ordonne
aux chiens d'epargner son gros orteil. Dans le
conte zoulou de M.Callaway, la vieille n'est pas
MASII.O ET MAS1LONYANE 31
aussi gros que la jambe d'un hommc. Les
chiens s'elancerent sur elle et la saisirent de
leurs crocs; elle s'ecria : « Mon petit-fils,
aie pitie de moi. » Mais les chiens la tuerent
et la de'vorerent bien vite, ne laissant d'elle
que son gros orteil.
Masilonyane s'approcha, prit sa hache et
en frappa le gros orteil. II en sortit une vache
bigarree comme une pintade t. II frappa une
seconde fois, et une vache toute pareille
en sortit. Alors Masilo, qui avait tout vu de
loin, arriva en courant et dit a son frere :
n Donne-moi ma part. » Masilonyane lui
repondit : « Certes non ! tu as refuse de
m'aider. a II continua sa route, suivi de son
tuee, mais elle conduit les jeunes gens a un arbre
enchante, qu'ils abattent a coups de hache et
d'oii sort tout un troupeau de vaches.
i. Le texte sessouto dit : khaka'malane, c'est
a dire couleur de pintade, soit une vache bigar-
ree. Dans les versions qu'ont suivies MM.Casalis
et Callaway la vache serait blanche; mais il y
a ici une difficulte qui provient de la langue elle-
meme. Dans d'autres versions c'est tout un trou-
peau de vaches qui sort de l'orteil de la vieille;
en dernier lieu apparait la vache merveilleuse.
52
CONTES DES BASSOUTOS
LI
frere qui le suppliait toujours de lui donner
une de ses vaches; mais Masilonyane ne
voulut pas y consentir. Au bout d'un moment
il dit : « Ah! que j'ai soif! ou trouverons-
nous de l'eau? » Masilo lui repondit : « II y a
justement pres d'ici une excellente source. »
lis y allerent; c'e'tait une source recouverte
d'une grande pierre plate. lis introduisirent
leurs assagaies sous la pierre et la soule-
verent. Alors Masilo dit a son frere : « Sou-
tiens la pierre pendant que je boirai, je la
soutiendrai ensuite, pendant que tu boiras. »
Mais comme Masilonyane etait penche sur
l'eau pour boire, Masilo laissa tomber la
pierre, qui ecrasa Masilonyane et le tua.
On raconte qu'alors le cceur de Masilo-
nyane sortit de son corps et s'envola jus-
qu'a son village, ou il se mit a chanter;
« Tsuidi ! tsuidi ! Masilo a tue Masilonyane
a cause de la belle vache couleur de pin-
tade '. » De tous cotes on s'ecria : « Ecoutez
i. Litteralement : « la vache couleur de pin-
tade d'entre ses vaches blanches; » ce sont peut-
etre ces mots qui ont donne lieu au malentendu
MASILO ET MASILONYANE
53
cet oiseau, il dit : Masilo a tue Masilonyane
a cause de sa belle vache couleur de pin-
tade. » Les gens attendaient avec impatience,
ne sachant pas ce que cela voulait dire.
Quand Masilo arriva avec ses deux vaches,
les gens de s'ecrier : a Ah! quelles betes
merveilleuses! » Puis on lui demanda : « Ou
est Masilonyane? » — « Je ne sais pas; nous
avons e'te chacun notre route, lui d'un cote,
moi d'un autre. » Alors on interrogea l'oiseau,
qui n'etait autre que Masilonyane. Celui-ci
leur dit : « J'ai ete tue par Masilo ; vous pou-
vez aller a telle fontaine, vous y trouverez
mes vetements. »
Les gens coururent a la fontaine et trou-
verent les vetements de Masilonyane, qu'ils
ramenerent au village. Alors Masilonyane
reprit : « Masilo, est-ce que tu pretends reel-
lement que ces vaches sont a toi? » Celui-ci
repondit : « Oui ! — Si vraiment elles sont a
toi, pourquoim'as-tutue'}» Alors les gens du
village s'ecrierent : « C'est vrai ! c'est vrai !
c'est le cceur de Masilonyane qui nous a le
sur la couleur de la vache merveilleuse. En tous
cas le texte n'est pas tres clair.
54
CONTES DES BASSOUTOS
U
premier dit tout ce qui en etait. » Masilo-
nyane etait redevenu un homme comme
auparavant ' .
i. Dans d'autres versions Masilo est condamne
a mort par son pere et execute. Une autre ver-
sion raconte tout au long et d'une maniere assez
ennuyeuse ce qui arrive ensuite au pere et a la
mere de Masilonyane.
Jfk
MASILO ET THAKANE'.
M
asilo desirait epouser sa soeur Tha-
i. Cc conte est egalement tres connu et aime
des Bassoutos. La version que je donne ici
m'a etc fournie par Ie vieux Moshe Mosetse.
Elle differe passablement de celles que d'autres
indigenes m'ont fournies; dans les autres, en
effet, Masilo se sert d'un moyen bien different
pour se venger de sa sceur. II la mene avec ses
compagnes a une danse de I'autre cote de la
riviere; une violentc pluie gonrle la riviere, qu'on
ne peut plus traverser qu'avec peine. Masilo fait
passer tout le monde ; quand vient le tour de
Thakane, il Pabandonne -au milieu du fleuve;
elle est emportce par les eaux, mais reussit
cependant a aborder a une petite ile qu'elle ne
peut plus quitter. C'est la que Masilo vient la
56
CONTKS DES BASSOUTOS
kane ' ; mais celle-ci refusait en lui disant :
« Je suis ta soeur; comment pourrais-tu
m'epouser? i Mais elle avait beau refuser;
Masilo revenait toujours a la charge en
disant : a Dans le monde entier il n'y a pas
une autre jeune fille aussi belle que toi. »
Un certain jour, lors d'une fete, comme
les garcons etaient aux champs avec le betail,
les jeunes filles du village sortirent ensemble
pour chercher du bois. Alors Masilo dit a
sa soeur : « Viens avec moi ; je vais te con-
LI
voir et la persecute!- chaque jour; dans cette
version, il chantc ainsi :
« Thakane, fille de ma mere, Thakane ma soeur,
La oil les eaux font emportee, avec les crabes,
Comme un gros hippopotame au milieu de ses petits. »
La reponse de Thakane' est trop inconvenante
pour qu'on puisse la citer. 11 est interessant de
comparer avec cette version le commencement
du conte de Monyohe, qu'on trouvera plus loin.
i . Cela est choquant pour les Bassoutos tout
autant que pour nous; ils regardent comme
coupables les manages contractus entre parents
rapproches et vont mime, sous ce rapport, plus
loin que beaucoup d'Europcens.
MASII.O ET THAKANE
5/
duire dans un endroit ou tu trouveras de tres
beau bois, digne de la fille d'un chef. »
Thakane suivit seule son frere, qui defendit
aux autres jeunes tilles de les accompa-
gner.
Masilo conduisit sa sceur dans un endroit
ecarte, ou se trouvait entre deux rochers
une crevasse etroite et profonde. line fois
la, Masilo dit a Thakane : « Est-ce que c'est
pourde bon que tu as refusee de m'epouser? »
Sa sceur lui repondit : « Certainement ! je ne
consentirai jamais a epouser mon frere. -
Oses-tu le dire encore maintenant ? Ne vois-
tu pas que tu es seule avec moi et que je puis
te tuer si je le veux? » Thakane lui repon-
dit : « Quand bien meme tu me tuerais, je
ne consentirai jamais a t'epouser. » Mors
Masilo se jeta sur elle et lui lia les mains et
les pieds, puis il lui dit : « Ne comprends-
tu pas que si tu refuses toujours il ne te
reste plus qua mourir? » Thakane lui re-
pondit encore : « Quand bien meme je
devrais mourir a l'instant meme, je ne
consentirai pas a t'epouser, toi qui es mon
frere. » Mors Masilo se saisit d'elle et la
precipita au fond de la crevasse, puis il s'en
58
CONTES DES BASSOUTOS
LI
alia, livrant ainsi sa soeur a une mort cer-
taine.
Le soir, quand le betail fut rentre au
village et qu'on vit que Thakane ne revenait
pas, on la chercha partout ; on interrogea
ses compagnes; mais celles-ci avaient peur
de dire tout ce qu'elles savaient; elles se
disaient les unes aux autres : « Si nous
n'avions pas peur de Masilo, nous raconte-
rions que Masilo l'a appelee et l'a conduite
dans les taillis, en nous defendant de la
suivre et que depuisnous ne savons plus ce
qu'elle est devenue; lorsque Masilo est
revenu vers son betail, Thakane n'e'tait plus
avec lui. ,. On chercha longtemps Thakane,
on parcourut vainement tous les villages
environnants; on alia meme jusqu'a celui
qu'habrtait sa grand 'mere, mais en vain;
nulle part on ne l'avait vue, personne ne
pouvait dire oii elle e'tait allee.
Quant a Masilo, il continuait a garder ses
bestiaux, comme si rien ne s'e'tait passe;
mais chaque jour il disait a ses compa-
gnons : « Restez ici avec les bestiaux; il y a
la-bas un oiseau que je veux essayer d'at-
traper, » et il les quittait pour le reste de
MASILO ET THAKANE 59
la journee. II se rendait ainsi a la crevasse
au fond de laquelle il avait precipite Tha-
kane; il s'asseyait en haut pres de l'ouver-
ture, prenait un gros quartier de basalte et
en frappait violemment le rocher en chan-
tant :
« Thakane, fille de Madi-a-Khomo ', parle, parle
[que je t'enlende. »
Alors Thakane lui repondait :
« Puisqu'il faut parler, je parlerai, mais que me
[faut-il dire?
Masilo, mon frere, a voulu m'epouser, mais je
[l'ai refused »
Ce qu'entendant Masilo s'en allait tout
joyeux.
Comme Masilo quittait ainsi chaque jour
ses bestiaux, son frere cadet se dit : « Je
voudrais bien savoir quel est cet oiseau qui
ne se laisse pas prendre. » Un jour, alors
que Masilo venait de dire comme d"habi-
tude : « Restez ici avec les bestiaux; il y a
la-bas un oiseau que je veux essayer d'at-
l. Madi-a-Khomo signifie litteralement « Sang-
de-baeuf ».
6o
CONTES DES BASSOUTOS
traper », le frere cadet s'echappa sans etre
remarque et le suivit a la de'robee. Quand
Masilo fut arrive a la crevasse de rochers,
le petit garcon se cacha derriere un buisson.
Masilo deposa a terre son bouclier ', saisit
un gros quartier de basalte et en frappa
violemment le rocher en chantant :
« Thakane, fille de Madi-a-Khomo, parle, parle
[que je t'entende. »
Thakane lui repondit comme d'habitude,
mais sa voix e'tait devenue si faible qu'on
pouvait a peine l'entendre; cependant le
frere cadet reussit a comprendre ce qu'elle
disait. II se dit : nOuais! Masilo pretend
chasser des oiseaux et en realite il a tue ma
soeur. » Puis il s'en alia sans etre vu et, re-
tournant vers son troupeau, il s'assit en
II
I. Jadis, quand les guerres de tribu a tribu et
de village a village etaient une occurence jour-
naliere, les jeunes gens n'allaient au paturage
qu'armes de leurs assagaies et munis de leurs
boucliers. Le bouclier des Bassoutos est fait de
peaux de boeuf grossierement tannees et est
relativement petit.
MASILO ET THAKANE
6l
pleurant. Quand Masilo futrevenu lui aussi,
les autres garcons lui dirent : a Voila ton
frere, qui ne fait que pleurer; nous ne savons
ce qu'il a. » Masilo lui demanda : « Qu'as-
tu, petit frere ? — J'ai mal au ventre. —
Vrai? — Oui! » — Alors Masilo dit a
deux de ses compagnons de reconduire
chez lui le petit garcon. Quand il arriva au
village, toujours pleurant et les yeux rouges,
sa mere fut saisie de douleur et se mit a
pleurer elle aussi. Elle lui demanda :
<( Qu'as-tu , mon enfant? pourquoi pleurer?
Moi aussi je ne cesse de verser des larmes
sur la perte de ta sceur ThaUane. » Le petit
lui repondit : a Appelle mon pere. » La mere
lui demanda : « Pourquoi l'appeler? » Le
petit dit : « J'ai de violents maux d'en-
trailles. »
Lorsque le pere fut la, le petit dit : « Mon
pere, ma mere, entrons dans la hutte. » II
y entra toujours pleurant; ses parents l'y
suivirent pleurant eux aussi. lis lui deman-
derent : « Tu souffres done beaucoup.^ a II
repondit : « Mon pere, ma mere; Thakane a
ete tuee par Masilo. » lis demanderent :
« De quelle maniere l'a-t-il tuee.'' Comment
62
CONTES DES BASSOUTOS
le sais-tu? » Le petit garcon repondit: « Tha-
kane a ete tuee par Masilo, n'en doutez pas;
je puis vous mener a l'endroit ou elle se
trouve.n A la nuit noire le pere et la mere
se mirent en route, conduits par leur fils
cadet.
Lorsqu'ils furent arrive's, le petit dit :
« Mon pere, prends cette grosse pierre, trop
lourde pour que je puisse moi-meme la
soulever, et frappes-en violemment le rocher
au haut de la crevasse en chantant :
« Thakane, fille de Madi-a-Khomo, parle, parle
[que je t'entende. »
[I
Le pere prit la pierre et fit ainsi qu'on le
lui avait indique; il faisait si sombre qu'on
ne pouvait rien voir. II entendit la voix de
sa fille, mais si faible, si faible qu'on pouvait
a peine comprendre ce qu'elle disait. Alors
il se coucha a terre, se pencha sur le rebord
de la crevasse et cria : « Thakane ! Tha-
kane. » Thakane repondit : « Mon pere?
— Comment se fait-il que tu te trouves la,
ma pauvre enfant? — C'est Masilo qui m'y
a precipite'e. » Le pere tout emu se de-
MASILO f;t thakane
63
mandait : « Que faut-il faire r Comment Ten
sortir. J » II avait beau chercher, il ne trouvait
aucun moyen pour Ten tirer de la; enfin, il
dit a sa femme : o Aurais-tu peur de rester
seule ici, pendant que je vais au village
chercher du secours?» La femme re'pondit :
« Non ! tu peux aller, je n'ai aucune crainte ;
a ton retour tu me retrouveras ici-meme ;
dis aux gens de notre village que la crevasse
est tres profonde et qu'ils doivent venir
munis de lanieres de cuir et de graisse de
bceuf. »
Au bout d'un certain temps le mari revint
avec vingt hommes de son village ; il se
pencha de nouveau sur le bord de la crevasse
et cria a sa fille : « Est-ce que tu peux lier
a tes pieds et a tes bras, sous les aisselles,
les lanieres que nous te tendrons ? » Thakane
repondit : « Oui, je puis le faire, mais la
crevasse est si petite que j'ai peine a me
servir de mes mains. » Alors on lui tendit
les lanieres de cuir, elle les lia a ses pieds
et se les passa sous les aisselles, puis elle
dit : « Maintenant c'est fait, u Son pere lui
dit : « Lorsque nous essaierons de te soule-
ver, ne reste pas couchee, mais tache de te
6 4
CONTES IjES bassoutos
LI
tenir debout. » Thakane repondit : « II m'est
impossible de me tenir debout. » Alors les
gens se dirent : « Puisqu'elle ne peut pas se
tenir debout, il faut faire fondre de la
graisse et la faire couler le long des parois
de la crevasse pour qu'elles deviennent
lisses et glissantes. » Ainsi fut fait. Lorsque
son pere et les gens tirerent sur les cour-
roies pour la sortir de la crevasse; comme
la graisse en avait rendu les parois lisses et
glissantes et adouci leurs aspe'rites, elle
n'eut pas meme une egratignure, et arriva
en haut en bon etat, mais excessivement
amaigrie . On la laissa se reposer un
instant, puis on la transporta dans la hutte
de ses parents, ou on lui fit avaler une
grande quantite de graisse fondue pour hu-
mecter et distendre son gosier.
Le lendemain, Masilo alia, comme de cou-
tume, faire paitre son betail, sans se douter
de ce qui s'e'tait passe. Parmi les jeunes gens
qui l'accompagnaient se trouvait un de ceux
qui avaient, la nuit precedente, retire Tha-
kane de la crevasse ou Masilo l'avait pre'ci-
pitee; il se dit en lui-meme : « II faut que je
sache si c'est bien reellement Masilo qui
MASILO ET THAKANE
65
a voulu tuer sa sceur. » II se rendit en
secret pres de la crevasse et s'y cacha
derriere un buisson ; un instant apres il vit
arriver Masilo. Celui-ci deposa a terre son
bouclier, prit le quartier de basalte et le
jeta violemment a terre : thou I en chan-
tant :
« Thakanc, rille de Madi-a-Khomo, parle, parle
[que je t'entendc. »
Pas de reponse. II reprit : « Tu boudes
done aujourd'hui? » Puis il frappa une
seconde fois le rocher plus violemment
encore qu'auparavant, en chantant :
« Thakane. fille de Madi-a-Khomo, parle, parle
[que je t'entende. »
Toujours pas de reponse; aucun son ne
se faisait entendre. Alors Masilo brandit
son bouclier et sauta de joie en criant :
« Ah ! tu es morte maintenant, tu vas pour-
rir, toi qui n'as pas voulu de moi. » Puis il
retourna vers son troupeau, tout joyeux,
et jouant gaiement de sa. flute, et disant :
« Aujourd'hui elle est morte! » l.orsqu'il
G6
CONTES DES BASSOUTOS
II
arnva vers ses compagnons, ceux-ci se
dirent les uns aux autres : « Masilo est un
mauvais frere; voyez comme il est joyeux,
bien que sa soeur soit morte! »
Ce jour-la son pere avait tue un mouton
pour faire du bouillon pourThakane. Le soir,
quand il fut de retour avec son betail, Ma-
silo attendit longtemps; mais personne ne
lui apportait de la viande. Enfin il demanda :
« Oil est la tete du mouton? pourquoi ne me
l'apporte-t-on pas? » Puis il envoya dire a
son pere : « Envoie-moi la tete du mouton,
que je la mange. » Le pere repondit : « Dites
lui que je l'ai deja mangee moi-meme. »
C'est ainsi que Masilo dut se passer de
viande.
II continua pendant plusieurs jours a gar-
der son betail, sans se douter que Ton avait
retrouve Thakane. Tout le monde etait
etonne et honteux de la joie qu'il montrait;
on disait : « Comment peut-il etre si joyeux
quand sa soeur Thakane est morte? » Pen-
dant ce temps les parents continuaient cha-
que jour a laver Thakane avec de l'eau
chaude et a l'oindre de graisse. Au bout
d'un certain temps elle put enfin se lever en
MAS1LO ET THAKANE
6 7
s'appuyant contre les murs de la hutte; alors
ses muscles longtemps comrades se deten-
dirent avec bruit. Alors aussi elle put com-
mencer a parler et raconta k ses parents
comment Masilo l'avait traitee.On continua
encore quelques jours a lui appreter des
mets succulents, on lui tuait des moutons,
on en arrangeait les peaux pour elle. De nuit
elle sortait avec sa mere pour se promener.
Elle redevint bien vite aussi grasse et bien
portante qu'auparavant. Alors son pere et
sa mere couperent leurs cheveux qu'ils
avaient pendant leur deuil laisse croitre
demesurement; ils recommen§erent a s'oin-
dre de graisse et reprirent l'apparence de
gens bien portants '. Les gens disaient : « Ils
ont pleure, maintenant ils sont consoles ; les
voila qui quittent leur deuil. » Alors le pere
envoya un de ses serviteurs vers ses beaux-
parents pour leur dire : « Hatez-vous de
venir, car j'ai prepare une fete; surtout que
mon beau-pere soit la. » On tua nombre
i. Pendant un deuil il est inconvenant de se
couper les cheveux, de se laver, de se graisser le
corps, en un mot de faire sa toilette.
68
CONTES DES BASSOUTOS
T \
de bceufs, on prepara un repas colossal.
Lorsque Ton fut reuni pour la fete et que
Ton commenca a distribuer la nourriture
aux invites, le pere de Masilo dit a ses beaux-
parents : J'ai longtemps pleure, aujour-
d'hui je suis console! » Puis il ordonna
d'etendre sur le sol, au milieu du village,
des nattes de jonc. Pendant ce temps la foule
etait assise a terre, mangeant et buvant.
Alors le pere, la mere et la grand'mere de
Thakane lui crierent : « Maintenant, sors de
la hutte. » Elle sortit de sa hutte ; a peine
etait-elle dehors que le soleil s'obscurcit ».
Le peuple tout entier s'ecria : « Comment!
c'est Thakane! Elle vit encore! » Ce fut une
joie generale. Quant a Masilo, il s'enfuit au
plus vite et se refugia dans un autre pays
eloigne 2 .
[«
1. Le conteur veut dire sans doute que la jeune
fiUe etait d'une beaute si eclatante que le soleil
en fut comme obscurci.Le meme trait se retrouve
dans plusieurs autres contes; parfois il semblerait
qu'on ait en vue une veritable eclipse de soleil.
Le sessouto peut signifier Tun comme l'autre.
2. Dans les autres versions le propre pere de
Masilo le tue d'un coup d'assagaic.
TSELANE '.
Les gens dont il est question dans ce conte
sont,dit-on,d'unecouleurtresclaire, leurs
cheveux sont longs comme la chevelure de
mais; ils mangent la viande avec des longues
epingles, ils mangent la face contre terre. Ils
ont des maisons toutes blanches; on peut
les voir de fort loin, des bceufs les trainent
i. Des deux versions que j'ai pu recueillir, je
donne ici celle qui me semble la plus antique,
telle que me l'a racontee Ie vieux Moshe Mosetse,
Le conte zoulou d'Usitungusobenhle (Callaway,
p. 74-78) lui ressemble beaucoup, ainsi que deux
contes cafres publies par M. Theal : Demane et
Dema^ana, et L'oiseau merveilleux du Cannibale
{Kaffir Folklore, p. m-114, 123-128).
/O CONTES DES BASSOUTOS
avec leurs queues. lis ont beaucoup d'objets
dans leurs maisons, toutes leurs maisons
sont pleines d'objets pre'cieux, ils ont des
vases de fer, ils possedent beaucoup de
cuivre et d'objets en pedes '.
Un jour, les habitants d'une de ces maisons
partirent et allerent habiter dans un autre
lieu; leur belle maison resta toute vide. La
fille de la maison refusa de s'en aller et resta
la toute seule; elle se nommait Tselane. Sa
mere venait tous les matins lui apporter a
manger. Comme la maison etait tout a fait
U
i. Cette introduction n'a, semble-t-il, rien de
commun avcc le conte; les vieux Bassoutos ne
racontent cependant jamais l'un sans l'autre. Les
gens dont il est question sont sans doute les
Blancs; le vieux Moshe m'affirme l'avoir entendu
raconter a sa mere avant que les Bassoutos con-
nussent l'existence des Europeens. II est evident
qu'il faut y voir la trace des rapports demi-le-
gendaires sur les Boers de la Colonie du Cap.
Les maisons que des boeufs trainent avec leurs
queues designent les lourds wagons a bceuts
dont on se sert encore aujourd'hui dans le Sud
de l'Afrique.
7 l
isole'e, un cannibale ' y vint un certain jour,
charge d'un grand sac. II appela Tselane, en
essayant de contrefaire la voix de sa mere,
et chanta :
« Tselane, mon enfant, prends, prends ton pain
[et mange. »
i. Le cannibalisme a certainement existe au
Sud de l'Afrique, quoi qu'en aient dit certains
voyageurs qui n'avaient que supernciellement
etudie la question. Quand, en 1 833, MM. Casalis
et Arbousset penetrerent pour la premiere fois
dans le Bassoutoland, le cannibalisme venait
a peine de cesser; peut-etre meme se pratiquait-
il encore dans certains lieux recules. Je connais
encore un vieillard qui fut cannibale dans sa
jeunesse. C'est a la suite de la longue famine
causee par les devastations et les guerres dont le
Sud de l'Afrique fut le theatre au commencement
de ce siecle, que le cannibalisme commenca, ou
recommenca, dans une partie de l'Etat libre de
l'Orange et du Bassoutoland. C'est au chef Mos-
hesh que revient le merite d'avoir mis tin a cette
abominable coutume. Mais les cannibales de ces
contes sont anterieurs a ceux-ci; ce sont des
fitres a part, legendaires, qui rappellent les
ogres des contes des fees. II est a remarquer que
dans presque tous les contes ou ils paraissent, on
leur fait parler zoulou.
72
CONTES DES BASSOUTOS
Tselane s'approcha de la porte et voyant
que ce n'etait pas sa mere qui l'appelait,
mais un cannibale, ferma la porte. Le can-
nibale fit a plusieurs reprises le tour de la
maison, mais, ne trouvant aucune ouverture
par ou il put entrer, il s'en alia.
Un moment apres, comme le cannibale
etait deja parti, la mere de Tselane vint a
son tour; elle se mit a chanter :
r
i
«. Tselane mon enfant, prends, prends ton pain
[et mange. »
Alors Tselane lui repondit :
« Ecoute, ma mere! ma mere, tu paries d'une
[voix douce comme celle du passereau.
Comme celle du chardonneret qui se pose dans
[les champs. »
Sa mere lui donna a manger et chercha a
lui faire quitter cette maison, en lui disant :
« Nous avons bati une maison bien plus
belle que celle-ci. » Mais Tselane refusa net
de la quitter.
Le cannibale essaya de revenir a plusieurs
reprises, tou jours sans succes; enfin un jour
il trouva une ruse excellente. II prit le fer
TSELANE y3
d'unc pioche et 1c chauffa au feu, puis il le
saisit avec des pinces et l'avala. Alors il vint
vers Tselane et l'appela en chantant :
« Tselane, mon enfant, prcnds, prends ton pain
[et mange. »
Cette fois sa voix ressemblait a celle de
la mere de Tselane'. Tselane, pensant que
c'e'tait sa mere, lui repondit et parut il la
porte; le cannibale la saisit aussitot et la
jeta dans son sac. Tout joyeux il disait :
« Aujourd'hui j'ai trouve de la viande. » II
jeta le sac sur son dos et partit de la. Au
bout d'un certain temps il eut faim et se sen-
tit fatigue; il entra dans un village, deposa
son sac devant une hutte et entra dans le
lapa. Une fillette sortit un instant apres de
ce lapa et, voyant le sac, s'approcha pour le
considerer. *
II se trouvait que dans cette hutte habitait
precisement l'oncle maternel : de Tselane ;
mais le cannibale n'en savait rien. La petite
i. Les Bassoulos distinguent tres soigncusc-
ment l'oncle maternel et l'oncle paternel.
5
74
CONTES DES BASSOUTOS
fille, qui etait sortie de la hutte, apercut un
doigt de femme qui sortait d'un trou du sac.
Elle rentra dans le lapa et dit a sa mere :
« Viens ici ! il y a la un doigt qui ressemble
a celui de Tselane. » Sa mere sortit et s'ap-
prochant du sac demanda : « Qui es-tu? »
Une voix re'pondit de l'interieur du sac :
« C'est moi, c'est Tselane; un cannibale m'a
prise. » La femme rentra dans le lapa et
raconta a son mari ce qui se passait. lis
prirent un chien, delierent le sac, en sorti-
rent Tselane et mirent le chien a sa place;
ils y mirent aussi des grosses fourmis veni-
meuses, puis le lierent de nouveau et le
remirent a sa place '.
Un moment apres, le cannibale sortit de
la hutte, prit son sac, le jeta sur ses e'paules
[4
i. Dans d'autres versiiJns, les enfants recon-
naissent la voix deTselane; pour la retirer du sac
du cannibale sans que celui-ci s'en apercoive,
l'oncle de Tselane envoie le cannibale puiser de
l'eau a la riviere dans une calebasse fendue, dont
les fissures sont bouchees avec de l'argile. L'ar-
gile se fend au contact de l'eau et la gourde ne
peut se remplir.
TSRLANE 75
et continua sa route. Un peu plus loin il
s'arreta, posa son sac h terre et le secoua
pour savoir si TselanJ y e'tait encore. II se
mit a chanter :
« Sac dc Dimo, parle, parle que j'entendc. »
Le chien repondit, en contrefaisant lavoix
de Tselane :
ii Que veux-tu, que je dise, helas ! Dimo.
Les bestiaux de mon pere sont aussi nnmbreux
[que les etoiles, helas! Dimo '. »
Alors le cannibale rejeta le sac sur ses
epaules et continua sa route. Bientot il arriva
chez lui. II dit a sa femme et a ses enfants :
« Ce gibier que je ne pouvais prendre, j'ai
reussi a m'en saisir aujourd'hui; prenez ce
sac et portez-le dans la hutte. » Les enfants
prirent le sac et le deposerent dans un coin
t. Dimo, e'est ici un nom propre. C'est la ra-
cine du mot ledimo (pi. madimo), qui veut dire
cannibale. II est curieux de constater que le mot
qui signifie Dieu (tnodimo, pi. badimo 011 medimo)
a une racine absolument identique.
76
CONTES DES BASSOUTOS
de la hutte. Le cannibale leur dit : « Demain
quand on preparera le repas du matin, nous
delierons le sac. »
Le lendemain matin, le cannibale dit a sa
femme : « Prends mon sac et cuis le gibier
qu'il renferme. » Lorsque la femme voulut
saisir le sac, le chien qui y e'tait renferme la
mordit. Elle sortit de la hutte et dit a son
mari : « Dimo, ton sac mord; viens done
voir. » Mais le cannibale se mit en colere et
s'e'eria : « Aujourd'hui, tu ne mangeras pas
de ma chasse; bien que je t'en ai toujours
donne jusqu'ici, tu n'y toucheras pas aujour-
d'hui? » Puis il dit a sa fille ainee : « Va
delier mon sac; ta mere n'en aura rien. » La
fille du cannibale entra dans la hutte, mais
quand elle voulut prendre le sac, le chien la
mordit elle aussi. Elle essaya de le saisir
par l'autre bout; les fourmis la mordirent.
Alors elle sortit et dit : « Mon pere, ton sac
mord. »
Le cannibale s'ecria, tout en colere : « Toi
non plus, tu n'en auras pas. » Alors il entra
dans la hutte et prit son sac, le chien le
mordit ; il voulut le prendre par l'autre bout,
les fourmis le mordirent. Alors il cria a ses
enfants et a sa femme : « Fermez la porte. »
lis la fermerent et la barricaderent a 1'aide
de grosses pierres. Le cannibale se mit alors
en devoir d'ouvrir le sac ; le chien s'elanca
hors du sac et saisit le cannibale de ses
crocs, les fourmis aussi en sortirent et com-
mencerent a le mordre. Le cannibale pleurait
et criait : « Ouvrez-moi. » Mais on lui repon-
dit : « Nous t'avions bien dit que le sac mor-
dait; mais tu n'as pas voulu nous croire. »
II jeta la porte a terre d'un coup de tete, et
s'elanca dehors ; le chien s'elanca a sa suite
et le dechira, les fourmis le dechirerent aussi.
C'est ainsi qu'il mourut '.
i. Dans l'autre version, ainsi que dans les
contes cafres et zoulous de MM. Theal et Calla-
way, le cannibale se precipite la tete la premiere
dans un marecage et est change en arbre. Des
abeilles viennent s'y etablir et y deposer leur
miel. Tselane decouvre ce miel et veut en man-
ger, mais il ne lui est plus possible de retirer sa
main; elle n'y parvient qu'apres unc ceremonie
magique.
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MOSELANTJA
I
l y avait une fois un chef; son village etait
tres grand, mais il n'avait que trois enfants,
i. Moselantja ou Moselampsha signifie en ses-
souto « queue de chien ». Lc mime nom se
retrouve sous la forme zoulou de Umsilawesinja
dans un conte donne par M. Callaway dans ses
Nursery Tales of the Zulus (p. 296-31 5), conte
qui est en grande partie semblable a celui que
nous traduisons ici. Moselantja est un animal semi-
legendaire, qui peut, parait-il, prendre la forme
humaine quand il lui plait, mais qui conserve
toujours laloriguequeuea laquelleildoitsonnom,
et avec laquelle il s'empare de tous les vivres
qui sont a sa portee, surtout du lait dont il est
specialement friand. Dans les contes des Zoulous
cet animal se nomme aussi imbulu ; c'est un gros
MOSEI.ANT.TA
79
un fils et deux fllles. L'aine des filles se ma-
ria; il ne resta a la maison que la cadette
Fe'nyafenyane et son petit frere. Une anne'e,
comrae on travaillait aux champs, le petit
garcon, reste a la maison, allait au bord
de 1'e'tang de la riviere et criait : « Koyoko,
de'peche-toi, viens me manger. » Koyoko '
iguane vert tout a fait inoffcnsif, assez commun
a Natal et dans le Zoulouland, mais inconnu
dans le pays des Bassoutos. La seconde partie
du conte zoulou d'Ukcombekcantsini (Callaway,
p. u8-i3o)est egalcment a comparer au conte
sessouto, ainsi que celui que M. Theal a traduit
dans son livre sur le Kaffir Folklore (p. 1 35-
1 38). La version que je donne plus haul a etc
recueillie pour moi par M. Dieterlen; j'en pus-
sede deux autrcs, auxquelles j'ai fait quelques
emprunts pour rediger ces notes.
i. Koyoko est un animal purement fabuleux.
Dans lescontes zoulou et cafre, ainsi que dans une
de mes variantcs, ce n'est pas Koyoko qui tuc 1c
petit garcon, mais bien le propre pere de celui-
ci (ou son frere) qui le devore et n'en laisse que
la tete. La jeune fille est avertiepar une mouche
de lamortdeson frere. Dans une seconde variante
tout le commencement de cc conte est emprunte
a celui de Monyohe, qu'on trouvera plus bas.
8o
CONTES DES BASSOUTOS
sortait de l'eau et venait le poursuivre, et
vite, vite le petit garcon de se precipiter
dans la hutte. C'etait la son jeu de chaque
jour. Une fois, tout le monde etait parti
pour aller becher le champ du chef. Le
petit garcon alia a la riviere selon son habi-
tude et se mit a crier : « Koyoko, depeche-
toi, viens me manger. » Cette fois Koyoko
sortit de l'eau avec rapidite et s'empara du
petit garcon; il le devora tout entier, ne
laissant que la tete.
Cependant la mere du petit garcon avait
dit a sa fille : « Va bien vite a la maison,
chercher de la semence. » La jeune fille,
en arrivant au village, decouvrit la tete de
son petit frere. Alors elle s'ecria en pleu-
rant : « Helas ! mon frere a ete devore par
Koyoko. » Elle monta sur une petite emi-
nence et appela sa mere a haute voix en
chantant ainsi :
Mere, mere, toi qui travailles au loin (bis),
Mon frere Solo a ete devore par Koyoko ; mere,
[mere, toi qui travailles au loin (bis),
Solo, le fils de ma mere, a ete devore par Ko-
[yoko; mere, mere, toi qui travailles au loin (bis),
Mon frere Solo a ete devore par Koyoko; mere,
[mere, toi qui travailles au loin (bis).
MOSELANTJA 8 1
Sa mere l'entendit chanter, et dit a ceux
qui travaillaient avec elle : « Taisez-vous,
que je puisse entendre. » lis de'poserent leurs
beches et s'arreterent. La jeune fille se remit
a chanter :
Merc, mere, toi qui travailles au loin (bis),
Mon frere Solo a etc devore par Koyoko; mere,
[mere, toi qui travailles auloin (bis),
Solo, le fils dc ma mere, a etc devore par Ko-
[yoko ; mere, mere, toi qui travailles au loin (bis),
Mon frere Solo a etc devore par Koyoko ; mere,
[mere, toi qui travailles au loin (bis).
Alors la femme prit sa beche, en frappa
tous ses compagnons et les etendit morts '.
La jeune fille continuait a chanter :
Mere, mere, toi qui travailles au loin (bis),
Mon frere Solo a ete devore par Koyoko; mere,
[mere, toi qui travailles au loin (bis),
Solo, le fils de ma mere, a ete devore par Ko-
[yoko; mere, mere, toi qui travailles au loin (bis),
Mon frere Solo a ete devore par Koyoko; mere,
[mere, toi qui travailles au loin (bis).
i. D'apres une des variantes, la mere tue ses
compagnons, non pas a coups de beche comme
ici, mais par sorcellerie, en agitant sa beche
devant leurs ycux.
5-
82
CONTES DES BASSOUTOS
n
Alors sa mere recommenca a frapper avec
sa beche les corps de ses compagnons; il
n'en resta pas un vivant. Puis elle partit et
retourna au village; tout en marchant elle
ramassait des scorpions, des mille-pieds, des
perce-oreilles, des fourmis et des araignees
venimeuses et les mettait dans son sac.
Quand elle arriva chez elle, elle y trouva
Koyoko si repu qu'il ne pouvaitplus bouger.
Elle plaga devant sa hutte le sac qu'elle avait
rempli de scorpions et d'insectes venimeux;
puis elle entra et se mit a chercher dans ses
effets; elle rassembla ses plus beaux col-
liers de perles et ses anneaux de metal et
les placa de cote. Puis elle sortit de la
hutte, rassembla de l'herbe dessechee, en
fit de grandes bottes qu'elle lia avec des
cordes d'herbes et les entassa contre les
murs de la hutte.
Alors elle dit a Koyoko : i Viens ici, que
je te rase la tete. » Quand Koyoko se fut
approche, elle prit une lancette et se mit a
lui dechirer les chairs de la tete; puis elle
delia son sac. Les scorpions et les insectes
venimeux qui y etaient rassembles en sor-
tirent et entrerent dans les oreilles, la bou-
MOSEI.ANT.TA
83
che et les yeux de Koyoko, qu'ils mordirent
et piquerent jusqu'a ce qu'il en mourut.
Alors elle appela sa fille et lui dit : « Viens
ici. » Elle prit ses colliers de perles et ses
anneaux de metal et Ten para; puis elle lui
dit : « Maintenant, mon enfant, pars et va
chez ta soeur Hlakatsabale, femme de Masilo ;
surtout garde-toi bien de regarder derriere
toi; quoi qu'il arrive, poursuis ta route et
rnarche toujours devant toi. » La jeune fille
partit et marcha longtemps, bien longtemps.
Alors elle se dit : a Je voudrais bien savoir
pourquoi ma mere m'a defendu de regarder
derriere moi; il faut que je voie ce que c'est.
Peut-etre qu'elle veut mettre le feu a la
hutte et y pe'rir. » Elle se retourna et vit
une grande fumee qui montait vers le ciel ;
alors elle s'e'cria : « Helas! ma mere a mis
le feu a sa hutte et se brule toute vive. s
Elle entendit tout pres d'elle une voix repe-
ter : « Helas! ma mere a mis le feu asa hutte
et se briile toute vive. » Elle regarda et vit
un animal etrange ; elle se demanda tout
etonnee : « D'ou cet animal peut-il bien sor-
tir? i) La voix reprit : « Prete-moi un peu tes
colliers de perles et tes habits, que je voie
8 4
CONTES DF.S BASSOUTOS
comme ils me vont. » Alors la jeune fille se
depouilla de ses vetements et les donna a
Moselantja. Moselantja les revetit et donna
a la jeune fille les haillons dont elle e'tait
recouverte '.
Quand elles furent pres du village, la jeune
fille dit : « Maintenant, rends-moi mes ha-
bits. — Pas encore ! je te les rendrai au
paturage des bestiaux. » Quand elles arri-
verent la oii le betail passait, la jeune fille
reprit : « Donne - moi maintenant mes
habits. — Ouais ! veux-tu done qu'on
disc que les femmes de Masilo se dispu-
tant pour rien au milieu de la route ! 2 s Elles
arriverent ainsi chez Hlakatsabale, la sceur
ainee de Fenyafenyane. Moselantja se hata
de dire (Fenyafenyane, elle, se taisait, toute
honteuse) : « Ma mere m'a dit de venir chez
toi; notre frere a etc devore par Koyoko, et
ma mere a mis le feu a sa hutte et s'y est
1. Une autre version cxpliquc que les vgtc-
mentsde Moselantja sont uniquement faits d'her-
bages tresses.
2. En allant chez Masilo, Fenyafenyane' devait
devenir sa femme, selon les idees du pays.
MOSELANTJA
85
brulee. » Hlakatsabale se dit : « Qui est-ce
qui a pu changer ainsi ma soeur? Je ne la
reconnais plus et cependant ses vetements et
ses ornements sont bien ceux de chez nous. »
Elle finit cependant par se persuader que
c'etait bien la sa soeur. Moselantja reprit en
designant Fenyafenyane : « Quant a cet etre-
la, c'est Moselantja; je l'ai rencontree en
route et elle voulait absolument que je me
depouillasse de mes beaux habits pour les
lui donner. » C'est ainsi que Moselantja se
fit passer pour Fenyafenyane.
Le soir Hlakatsabale dit a Fenyafenyane
d'aller coucher dans la hutte d'une vieille
femme et garda Moselantja aupres d'elle.
Mais, pendant la nuit, la queue de Moselantja
s'allongea et alia chercher, dans tous les
coins de la hutte, les vivres qui y etaient
rassembles. Masilo s'ecria : « Qu'est-ce? »
Vite Moselantja de s'ecrier : « Masilo, aide-
moi, j'ai de fortes coliques,je souffre cruelle-
ment. » Le lendemain, des qu'il fit jour, Masilo
s'ecria : « Oh! oh! qui a pris toute notre
nourriturerQui a pu faire cela? » Moselantja
repondit : « C'est sans doute Moselantja;
c'est une voleuse, elle vole partout. » Quand
86
CONTES DES BASSOUTOS
II
on se mit a manger, on donna a Fenyafe-
nyane sa nourriture dans une ecuelle ebre-
che'e si sale qu'elle ne put y toucher; quant a
Moselantja, elle eut la sienne dans un beau
vase neuf.
Le printemps s'ecoula; on sarcla les
champs, puis arriva le moment de chasser
les oiseaux. Hlakatsabale ordonna alors a
sa soeur, qu'elle croyait toujours etre Mose-
lantja, d'aller a son champ pour chasser les
oiseaux. Ce champ etait contigu au champ
de la vieille femme qui l'avait recueillie. Au
milieu du jour, Hlakatsabale envoya Mose-
lantja porter de la nourriture a Fenyafenyane;
mais Moselantja mangea tout en route. Quand
elle arriva au champ ou se tenait Fenyafe-
nyane, elle lui dit : « Qu'as-tu done a dormir
ainsi, paresseuse que tu es; ne vois-tu pas
que les oiseaux mangent le sorgho de mon
mari, le sorgho de Masilo? » Quand Mose-
lantja fut partie, Fenyafenyane remonta sur
son tas de mottes, qui etait ' tout pres de
i. Pour chasser les petits oiseaux qui, si on les
laissait faire, auraient vite devore tout le sorgho
ou le ble du pays, les Bassoutos font aupres de
MOSEI.ANTJA
87
celui sur lequel se tenaitla vieille femme qui
l'avait recueillie. Elle se dressa de toute sa
hauteur et se mit a chanter :
Va-t-en, colombe! va-t-en, colombc! '
Aujourd'hui, on m'appelle Moselantja, va-t-en,
[colombe! va-t-en, colombe!
Auparavant, j'etais Fenyafenyane, la sceur de Hla-
[katsabale, va-t-en, colombe ! va-t-en, colombc !
Aujourd'hui, on me donne a manger dans des
[ecuelles sales, va-t-en, colombe! va-t-en, co-
[lombe !
Roseau, envole-toi, que je m'en aille vers mon
[pere et ma mere!
Alors le roseau la prit et la souleva pour
l'emporter dans les airs. Mais la vieille femme
accourut et se saisit d'elle. Fenyafenyane lui
dit : « Laisse-moi seulement m'en aller vers
mon pere et ma mere. Ne vois-tu pas qu'au-
chaque champ un gros tas de mottes de terre
(nomme sefika), sur lequel ils montent; de la ils
effraient les oiseaux par leurs cris et leurs gestes.
Chasser ainsi les oiseaux est une des grandes
occupations des indigenes; c'est surtout 1'affaire
des femmes et des enfants.
1. Va-t-en, colombe! Fenyafenyane chasse les
oiseaux tout en chantant cette complaintc.
88
CONTES DES BASSOUTOS
jourd'hui j'en suis reduite a manger ma nour-
riture dans des ecuelles sales et ebrechees?
C'est comme si Hlakatsabale n'etait pas ma
sceur. » C'est alors qu'elle decouvrit a la
vieille femme qui elle etait; elle lui dit :
« Chez nous, un jour, tout le monde etait aux
champs ; mon petit frere alia a la riviere taqui-
ner Koyoko, qui en sortit et le devora. Alors
ma mere me dit de venir ici et me recommanda
fortement de ne pas regarder derriere moi.
Mais je me suis retourne'e pour voir ce qui
arrivait et a peine m'etais-je eerie : « He'las!
n ma mere a mis le feu a sa hutte et s'y brule
« toute vive »,que j'entendis toutpres de moi,
a mes pieds, Moselantja s'ecrier : « Helas ! ma
« mere a mis le feu a sa hutte et s'y brule toute
« vive. d Puis Moselantja m'a demande de lui
preter mes vetements, et j'y ai consenti, parce
qu'elle me disait qu'elle allait me les rendre.
C'est ainsi que nous sommes arrives ici ; elle
s'est fait passer pour moi et c'est elle qui a
raconte que ma mere s'e'iait brulee dans sa
hutte. » La vieille lui demanda : o Comment
done est-ce que ta soeurne voit pas a sa figure
que ce n'est pas sa sceur? » Fe'nyafenyane
re'pondit : « Je ne sais pas. » La vieille ne lui
MOSELANTJA
8 9
repondit rien;elle alia cherchcr sa nourri-
ture et la partagea avec Fenyafenyane. Ce
jour-la la vieille ne dit rien ni a Masilo ni a
Hlakatsabale; elle ne parla a personne de ce
qu'elle avait vu et entendu.
Le soir, on donna, comme d'habitude, a
Fenyafenyane sa nourriture dans une vieille
ecuelle sale et ebrechee ; mais elle n'y toucha
pas. Chez Masilo on avait tue un bceuf et on
en avait cuit les viandes. Pendant la nuit, la
queue de Moselantja s'allongea et se mit a
manger toutes les viandes. Masilo l'entendit
et dit : « Qui est-ce qui fait ainsi ce bruit
dans les pots de viande ? » II se leva pour
aller voir, mais vite Moselantja de s'ecrier :
s Masilo, aide-moi, j'ai de fortes coliques;
aide-moi, Masilo, je n'en puis plus. »
Le lendemain Fenyafenyane retourna au
champ de sa sceur; cette fois-ci ce fut sa
soeur Hlakatsabale, qui lui apporta sa nour-
riture ; elle la lui donna, comme toujours,
dans une vieille ecuelle sale et ebrechee.
Fenyafenyane la placa de cote sans y toucher ;
la vieille femme ne disait toujours rien.
Quand Hlakatsabale se fut eloigne, Fenya-
fenyane monta sur son tas de mottes et, s'y
9 o
CONTES DES BASSOUTOS
dressant de toute sa hauteur, se mit a chan-
ter :
Va-t-cn, colombe ! va-t-en, colombe!
Aujourd'hui, on m'appelle Moselantja, va-t-en,
[colombe! va-t-en, colombe!
Auparavant, j'etaisFenyafenyane, la soeurde Hla-
[katsabale, va-t-en, colombe! va-t-en, colombe!
Aujourd'hui, on me donne a manger dans des
[ccuelles sales, va-t-en, colombe! va-t-en,
[colombe!
Roseau, envole-toi, que je men aille vers mon
[pere et ma mere.
LI
Alors le roseau s'agita, la prit et la souleva
pour l'emporter dans les airs. Mais la vieille
femme accourut et se saisit d'elle. Fenyafe-
nyane lui dit : « Laisse-moi seulement m'en
aller vers mon pere et ma mere. »
Le soir de ce jour-la la vieille femme se
rendit chez Masilo et lui dit : «' Demain, vas
aux champs, et tu y verras ce que j'ai vu
hier. » Masilo lui demanda : « Qu'est-ce
que c'est? » La vieille re'pondit : « Tu verras
toi-meme ce que c'est. » Le lendemain, Ma-
silo alia aux champs en secret et se cacha
la oil la vieille lui avait dit de le faire. Hla-
katsabale envoya de nouveau Moselantja
MOSELANTJA
9 1
porter de la nourriture a Fenyafe'nyane;
mais celle-ci s'assit au bord de la route et
mangea tout ce qu'on lui avait donne. Quand
elle arriva vers Fenyafe'nyane elle lui dit :
« Paresseuse que tu es, qu'as-tu done a dor-
mir? Ne vois-tu pas que les oiseaux mangent
tout le sorgho de mon mari'? » Puis elle
retourna au village.
Alors la vieille femme dit a Fenyafenyane :
« Ne vois-tu pas les colombes la-bas dans
ton champ! Va les ehasser. » Fenyafenyane
y alia, monta sur son tas de mottes et, s'y
dressant de toute sa hauteur, se mit a
chanter :
Va-t-en, colombe! va-t-en, colnmbe!
Aujourd'hui, on m'appelle Moselantja, v*l-t-en,
[colombe ! va-t-en, colombe!
Autrefois, j'etais Fenyatenyanc, la soeur de Hla-
[katsabale, va-t-cn, colombe! va-t-en, colombe!
Aujourd'hui, on me donne a manger dans des
[ecuelles sales, va-t-en, colombe! va-t-en,
[colombe !
Roseau, envole-toi que je m'en aille vers mon
[pere et ma mere !
Le roseau s'agita avec bruit et la souleva
pour l'emporter dans les airs. Masilo accou-
9 2
CONTES DES BASSOUTOS
rut et se saisit d'elle. Fenyafe'nyane lui dit :
« Laisse-moi seulement m'en aller vers mon
pere et ma mere. Ta femme m'a traitee fort
mal, bien qu'elle soit ma sceur, et que je me
fusse refugie'e chez elle. » Alors la vieille
femme dit a Masilo : a Tu vois bien, Masilo;
voila ce que je te disais de venir voir ici. »
Masilo resta longtemps avec Fenyafe'nyane;
ils resterent longtemps a pleurer ensemble.
Puis il remonta au village et raconta tout a
sa femme. Celle-ci s'ecria : « He'las ! ma
pauvre sceur ! he'las ! fille de mon pere ! »
Le lendemain Masilo fit dire a tous ses
gens d'aller rassembler beaucoup de bois,
pendant que d'autres creuseraient un trou
profond. On abattit du betail, des moutons
et des chevres, on cuisit du pain, de la
bouillie de sorgho au lait, on fit frire des
croutes de pain dans la graisse ; on prepara
une grande fete. On apporta aussi une grande
quantite depots de laitcaille; on les deposa
au fond du trou qu'on avait creuse, puis on
les recouvrit de tiges de mais et de bran-
chages legers. Pendant ce temps, les jeunes
femmes du village rassemblaient du bois
dans la foret. Moselantja, elle, ne faisait rien ;
MOSELANTJA
93
elle se tenait accroupie pres du ruisseau, ou
sa queue faisait la chasse aux crabes qu'elle
devorait avidement. Quand les jeunes fem-
mes eurent fini, elles dirent : « Retour-
nons au village. » Une d'elles demanda :
« Ou est la femme du chef! Ou est la femme
de Masilo? » Elles portaient chacune une
botte de branches seches ; celle de Fenya-
fenyane etait plus grande que celles de ses
compagnes. Quand Moselantja les vit venir
elle se hata de rassembler quelques pousses
vertes et en fit une botte; puis elle dit a
Fenyafe'nyane : « Moselantja, tu as pris ma
botte de branchages ; rends-la moi. » Mais
les autres femmes s'e'crierent : « Quedis-tu?
C'est la sienne, c'est elle qui l'a rassemble'e;
quant a toi, ou done te cachais-tu pendant
que nous travaillions? Allons au village. »
Lorsqu'elles s'approcherent du village les
gens se dirent les uns aux autres : « Voyez-
vous la femme du chef qui n'apporte que
des branches vertes? Qu'en veut-elle faire?»
Mors Masilo dit a toutes les femmes :
« Sautez toutes par dessus ce trou. » II leur
montrait le trou profond au fond duquel
on avait cache le lait caille. Elles sauterent
94
CONTES HES BASSOUTOS
toutes les unes apres les autres, et Fenya-
fe'nyane sauta comme elles. Quant ce fut le
tour de la femme du chef et qu'elle voulut
sauter, sa queue s'allongea du cote du lait
caille ' et se mit a le manger; alors Mose-
lantja tomba au fond du trou. Les gens du
chef arriverent en courant; ils la cernerent
de tous cotes et la tuerent sur place.
Mais elle ne mourut pas tout entiere; a
l'endroit ou elle avait ete tuee, il crut une
citrouille sauvage \ Quant a Fenyafe'nyane
elle devint la femme de Masilo; au bout d'un
certain temps elle mit au monde un enfant.
Un jour, comme tout le monde e'tait aux
champs et que Fenyafe'nyane restait seule
au logis, cette citrouille sauvage se detacha
de sa tige et vint en roulant vers la hutte de
i. Le succes de la ruse de chef provient du
fait que MoseMantja est si friande du lait qu'elle
n'en peut voir sans que sa queue s'allonge
dece cote; le poids de sa queue la fait tomber
au fond du trou.
2. En scssouto mokopuntja , n citrouille de
chien », mot qui rcssemble bcaucoup au nom
mfime de Moselantja.
MOSELANTJA
95
Fenyafe'nvane. Tout en roulant elle disait :
« Pi-ti-ki, pi-ti-ki, nous man-ge-rons la
bouil-lie de la gras-se ac-cou-chee, la fem-me
de Ma-si-lo. » Quant elle fut arrive'e vers
Fe'nyafenyane, la citrouille lui dit : « Depose
a mes cotes l'enfant de mon mari. » Fenya-
fe'nyane posa l'enfant a terre ; alors la ci-
trouille s'elanca avec furie contre Fenya-
fe'nyane et la battit, la battit longtemps.
Quand elle eut fini de la battre, la citrouille
retourna a l'endroit d'ou elle etait venue et
se replaca sur sa tige.
Fenyafenyane ne dit rien a personne de
ce qui lui etait arrive. I.e lendemain, comme
tout le monde etait aux champs, la citrouille
se mit de nouveau a rouler du cote de la
hutte de Fe'nyafenyane; tout en roulant, elle
disait: « Pi-ti-ki, pi-ti-ki, nous man-ge-rons
la bouil-lie de la gras-se ac-cou-chee, la
fem-me de Ma-si-lo. » Elle dit a Fenyafe-
nyane : « Depose a mes cote's l'enfant de mon
mari. » Puis elle se jeta sur Fe'nyafenyane
et la battit longtemps ; quand elle eut fini de
la battre elle s'en alia comme la veille. La
citrouille perse'cuta ainsi Fe'nyafenyane' tous
les jours, sans lui laisser de repos.
9 6
CONTES DRS BASSOUTOS
!l
Enfin, un jour, Masilo demanda a sa
femme : « Qu'as-tu qui te fasse tant mai-
grir? » Fenyafenyane lui repondit : « II y a
la-bas une citrouille sauvage, qui, lorsque
vous etes aux champs, vient vers moi en me
disant : « Pi-ti-ki, pi-ti-ki, nous man-ge-rons
« la bouil-lie de la gras-se ac-cou-chee, la
« fem-me de Ma-si-lo. » Puis elle me dit :
« Depose a mes cotes l'enfant de mon mari. »
Alors elle se jette sur moi et me bat avec
furie. »
Le lendemain, Masilo n'alla pas aux
champs ; mais quand tout le monde fut parti,
il dit a sa femme de le cacher dans les nattes
de son enfant. La citrouille vint comme
d'habitudc, en disant : « Pi-ti-ki, pi-ti-ki,
nous man-ge-rons la bouil-lie de la gras-se
ac-cou-chee, la fem-me de Ma-si-lo. » Puis,
quand Fenyafenyane eut depose son enfant
a terre, la citrouille se pre'cipita sur elle et
se mit a la frapper avec rage. Alors Masilo
s'e'lanca de sa cachette, arme d'une hache et
d'une assagaie. II transperca cette citrouille
d'un coup d'assagaie, un flot de sang en
sortit. Puis il la prit, la porta devant la
hutte et la coupa en une masse de menus
MOSKLANTJA
tnorceaux, qu'il brula ensuite aussi soigneu-
sement que possible.
Une plante de chardon crut a l'endroit ou
la citrouille avait ete brulee i. Le chardon
grandit, sans que personne y prit garde, et
fink par monter en graine. Ces graines fai-
saient mal a l'enfant; chaque fois qu'il cou-
rait dehors elles lui piquaient les pieds. On
avait beau leur faire la chasse, il en restait
toujours une qu'on ne pouvait attraper.
Enfin, Masilo se mit en embuscade et reus-
sita la prendre, il la pila et la j eta au feu;
mais elle devint graine de citrouille. Quand
l'enfant dormait elle se jetait sur lui et le
mordait, puis retournait se cacher dans le
roseau de la hutte. Enfin Masilo re'ussit a
i. Dans une autre variante ce sont trois des
pepins de la citrouille qui se cachent dans dif-
ferents coins de la hutte et font du mal a l'en-
fant de Fenyafenyane jusqu'a ce que Masilo
reussisse a ies decouvrir et a les bruler. Le
mot que je traduis par chardon n'indique pas
le chardon propremcnt dit, mais une autre
plante, inconnue en Europe, dont la piqiire est
encore plus desagreable.
6
9 8
CONTF-S DF.S BASSOUTOS
s'emparer de cette graine de citrouille; il la
moulut soigneusement sur une pierre de
meule, la reduisit en poudre menue et la
jeta au feu. C'est ainsi que finit Moselantja.
H
o\ 3\ 3\ 3\ ^ &\ ^ &\ ct^ ^ ^ &\ &y &\ ^j <^ ^ ^ 3^ -3} ^ ^ ^ ^ ^ ^ <^ ct^
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NYOPAKATALA
l y avait une fois une femme nommee
•Nyopakatala qui n'avait pas d'enfants;
i. Le nom meme de Nyopakatala indique la
sterilite ; dans une autre version cette rename
s'appelle Manyope, ce qui signine egalement
sterile. Une version zoulou de ee conte, presque
identique a cellc-ci , se trouve dans le livre de
Callaway [Nursery tales of the Zulus, p. io5-
i3o), ou l'heroinc se nommc Ukcombekcantsini.
L'episode des colombes se retrouve egalement
p. 66 et p. 72 et 73 du mime recueil. La version
que je donne ici a ete recueillie pour moi par
mon collegue, M. Dieterlen. J'en ai rccueilli
moi-meme deux autres versions, dont je noterai
les variantes importantes.
CONTES DES BASSOUTOS
!4
quant aux autres femmes de son mari, d'un
rang plus ele've que le sien, elles mettaient au
monde des corneilles. Ces corneilles-la pre-
naient plaisir a souiller de cendres et d'im-
mondices la hutte de Nyopakatala; elles
croassaient et criaient : «Hoa!hoa! quand
done est-ce que Nyopakatala aura des en-
fants? » La pauvre femme ne faisait que
pleurer, car chaque jour les corneilles la
tourmentaient ainsi. Un jour que Nyopa-
katala avait ete becher son champ et etait
occupee a semer du sorgho, une troupe de
colombes survint et se mit a picorer les
grains de sorgho, tant et si bien qu'il n'en
resta plus. Alors Nyopakatala seprit a pleu-
rer et s'ecria : « Helas! malheureuse que je
suis, meme les oiseaux des champs se met-
tent a me persecuter! s
Mais deux colombes s'approcherent d'elle
et lui dirent : « Va bien vite chez toi et ap-
porte-nous deux ventouses ', deux lancettes
i. II s'agit ici non pas de ventouses, comme
celles dont on sen en Europe, mais d'une petite
corne au moyen de laquelle les medecins indi-
NYOPAKATALA 101
et deux petites calebasses; dans une de ces
gourdes depose un grain de sorgho blanc,
dans l'autre un grain de sorgho rouge. »
Nyopakatala se hata de faire ainsi et revint
bientot avec les deux ventouses, les deux
lancettes et les deux petites calebasses. Mors
la colombe femelle lui fit une incision au
sein gauche et en tira un pen de sang au
moyen d'une des ventouses; le male, lui
aussi, lui fit une incision au sein droit et en
tira un peu de sang; puis la femelle versa le
sang dans la calebasse qui contenait un
grain de sorgho blanc, et le male lui aussi
versa le sang dans celle qui contenait un
grain de sorgho rouge. Quand elles eurent
fini, les colombes lui dirent : « Maintenant,
ne te desole plus; prends tes deux petites
calebasses, depose-les au fond d'un grand
vase d'argile et recouvre le vase d'une cor-
beille; seulement prends bien garde de ne
jamais decouvrir le vase pour regarder ce
qu'il contient, un jour tu le sauras. »
La femme retourna chez elle et deposa
genes parviennent a tircr un peu de sang, en su-
fant fortcment.
6-
CONTES DES BASSOUTOS
M
ses deux petites calebasses dans un grand
vase d'argile, qu'elle recouvrit soigneusement
d'une corbeille, puis elle s'endormit le cceur
plus leger qu'a l'ordinaire. Mais le lende-
main les corneilles e'taient de nouveau la a
la tourmenter, en croassant : « Hoa! hoa!
quand done est-ee que Nyopakatala aura des
enfants, J » Cela dura longtemps, bien long-
temps; un jour, enfin, comme Nyopakatala
etait assise dans sa hutte, toute seule, a
la tombee de la nuit, elle entendit une
voix qui sortait du vase ou elle avait depose
les deux petites gourdes. La voix disait :
« Soyane', fais-moi done place. » Une autre
voix repondait : « Sole, qu'as-tu done a me
pousser ainsi ? Je vais dire a notre mere com-
bien tu me tourmentes toujours. » Nyopaka-
tala s'ecria : « Ah ! les colombes ont tenu leur
promesse. » Puis elle se hata de de'couvrir
le vase et y apercut deux enfants remarqua-
blement beaux, nommes Sole et Soyane.
Au comble de la joie, elle les fit sortir de
leur cachette, les couvrit de baisers, leur
donna a manger et les fit coucher tout pres
d'elle. Le lendemain, a son reveil, elle pre-
pare leur nourriture, la leur donna, et, au
NYOPAKATALA
moment de partir pour les champs, elle
leur d it : « Mes enfants, je dois allcr aux
champs; rcstez ici tranquillement, surtout
ne mettez pas le pied hors de la hutte; que
je vous retrouve ici quand je reviendrai. »
Ce jour-la Sole et Soyane' obeirent a leur
mere et ne sortirent pas de la hutte. Le len-
demain matin, elle leur dit encore, comme hi
veille : « Mes enfants, pendant que je suis
absente, restez bien tranquillement ici et
ne sortez de la hutte sous aucun pretextc. »
Lorsque leur mere fut partie, Sole dit a
sa sceur : « Soyane, prends ton seau et al-
lons a la source puiser de l'eau » (les deux
petites calebasses dans lesquelles ils avaient
vu le jour s'etaient changees en deux seaux
de fer). Sa soeur lui repondit : « Non !
Sole, notre mere nous punirait. » Sole re-
pliqua : « Non pas, pourquoi veut-elle tou-
:ours nous tenir enfermes dans cette hutte ;
viens, ma sceur, allons ensemble puiser de
l'eau. » Alors Sole et Soyane prirent leurs
deux seaux de fer et se rendirent ensemble
a la source pour y puiser de l'eau. Leur
mere, la-bas, dans les champs, sut aussitot
(par une sorte de pressentiment) ce qui se
104
CONTES DES BASSOUTOS
passait et s'ecria : « Helas ! mes pauvres
enfants sont sortis de ma hutte! Que puis-
je faire pour qu'il ne leur arrive pas mal-
heur? »
Ce jour-la meme il se trouvait que Masilo
s'e'tait mis en route pour se chercher une
femme et etait arrive avec ses compagnons
pres du village de Nyopakatala. Les deux
enfants les rencontrerent aupres de la fon-
taine ; ces gens leur dirent : « Donnez-nous
a boire? » Le jeune garcon prit son seau,
descendit a la source, y puisa de l'eau et la
leur offrit; ils la verserent a terre sans y
toucher. II redescendit une seconde fois a
la source, puisa de l'eau et la leur offrit;
cette fois encore ils la verserent a terre
sans y toucher. Alors Sole dit a sa soeur :
« Soyane, essaie a ton tour; peut-etre qu'ils
consentiront a boire l'eau que tu puiseras. »
Soyane descendit a la source, puisa de l'eau
et la leur offrit; cette fois ils l'accepterent et
la burent jusqu'a la derniere goutte. Elle en
puisa une seconde et une troisieme fois;
toujours ils la buvaient sans en rien laisser.
Alors elle troubla l'eau, la salit, la me'lan-
gea de boue, puis elle leur offrit cette eau
NYOPAKATAI.A
105
toutc vaseuse; cette fois encore ils la bu-
rent jusqu'a la derniere goutte. Mors elle
cracha dans l'eau, s'y moucha, puis leur
offrit cette eau; cette fois encore ils la bu-
rent sans en rien laisser.
Sole dit alors a sa sceur : « Soyane, il est
temps de rentrer chez nous, le soleil est
deja couche. » lis remplirent leurs seaux et
remonterent au village. Les gens de Masilo
les suivirent pour reconnaitre la hutte oil
ils entreraient; ils les virent entrer dans
une me'chante hutte, toute couverte de cen-
dres. Masilo s'ecria : « Helas ! c'est done
dans une mechante hutte pareille que
demeurent ces deux enfants si remarqua-
blement beaux! »
Puis il alia avec ses gens au Khotla
du pere des corneilles; ils le saluerent en
disant : « Salut, chef! » On leur repondit :
« Soyez les bienvenus. » Masilo ajouta : « Je
suis venu demander ta fille en mariage. »
Le chef repondit : « Ma fille? mais je n'ai
pas d'enfants, mes femmes n'ont donne le
jour qua des corneilles. » Masilo lui repon-
dit : « Et cependant je viens de voir deux
enfants entrer la-bas dans cette hutte cou-
io6
CONTES DES BASSOUTOS
!<
verte de cendres. » Le chef dit : « La femme
qui y demeure n'a jamais eu d'enfants ; elle
est sterile; son nom est Nyopakatala. »
Masilo re'pliqua : « Et cependant je viens
de voir deux enfants remarquablement beaux
entrer dans cette hutte! » Le chefreprit:
a La femme qui y demeure n'a pas d'enfants;
elle est sterile. »
Pendant ce temps, les mfres des corneilles
e'taient occupees a revetir leurs enfants de
leurs plus beaux habits et a les parer, les
faisant belles pour que Masilo les epousat.
Quand il fut nuit, le chef se rendit en
rampant vers la hutte de Nyopakatala;
c'etait une hutte qui n'avait pas meme de
porte; pour la fermer on devait entasser
des pierres devant l'ouverture de la porte.
Le mari s'arreta a l'entree de la hutte et
entendit Nyopakatala causer avec ses en-
fants; ils riaient et se rejouissaient ensem-
ble. Alors il avanca sa tete pour mieux voir
et dit en lui-meme : « Quels beaux enfants!
ou done Nyopakatala a-t-elle pu les trou-
ver? Masilo m'a bien dit que deux enfants
merveilleusement beaux sont entres dans
une hutte toute couverte de cendres; les
NYOPAKATALA 107
voila, ce sont eu\! n Puis il se mit a abattre
les pierres qui fermaient l'entree de la hutte.
Nyopakatala s'e'cria : o Qui est la? » I.e mari
repondit : « C'est moi, ma femme. » II entra,
mais les enfants avaient deja eu le temps de
se bien cacher. Nyopakatala fondit en lar-
mes et dit : « Tu te ris de moi ; je vois bien
que tu es venu pour te moquer de moi. »
Le mari repondit : « Non ! je suis venu voir
tes deux enfants. — Mes enfants ? depuis
quand en ai-je ? ou les aurais-je trouve's? »
Mais il insista, il insista et la supplia toute
la nuit, enfin le cceur de Nyopakatala s'at-
tendrit, elle lui presenta ses deux enfants
et lui dit : a Ces deux enfants si beaux
ne t'appartiennent pas ; ils ne sont qu'a
moi; ce sont des colombes qui me les ont
donnes '. »
1. D'apres les idees des Bassoutos et de tous
les peuples Bantou, ces enfants appartiennent
veritablement au mari de Nyopakatala; nulle
part plus qu'ici on ne reconnait la valeur du
principe de droit : pater is est quern nuptice
demonstrant. Quand un homme a upnnse une
femme, avec son betail, tous les enfants que
io8
CONTES DES BASSOUTOS
Le lendemain matin, le chef ordonna aux
jeunes gens de batir une belle hutte pour
Nyopakatala. lis la batirent rapidement,
l'arrangerent aussi bien que possible et y
ajouterent un grand lapa. Alors le chef
prit un gros gourdin et se mit a assommer
toutes les corneilles qui voletaient de tous
cote's et cherchaient a s'enfuir, en criant :
« Hoa! hoa! hoa! » lis les assomma toutes
avec son gourdin et jeta leurs cadavres sur
un tas de fumier ; puis il alia s'e'tablir avec
Nyopakatala dans la hutte qu'il venait de
lui faire batir. Quant a Masilo il retourna
chez lui pour chercher le be'tail avec lequel
il devait epouser Soyane \ II ne tarda pas a
M
celle-ci mettra au monde appartiendront au mari,
quand bien memc il serait separe de sa femme
depuis des annees. II n'y a aucune honte pour
un mari a rcconnaitre comme siens et a ele-
ver les enfants que sa femme aurait eus par
l'adultere.
i. Chez les Bassoutos et les Bantous le ma-
nage est au fond un veritable achat; le fiance
doit payer au pere de sa fiancee un certain
nombre de tetes de betail (actuellement, dans le
Basutoland, la moyenne est de vingt a trente).
NYOPAKATALA
IO9
revenir avec son betail. On tua quelques
tetes de betail, on acheva les ceremonies
de mariage et Masilo s'en retourna chez lui
laissant sa femme chez ses beaux-parents '.
Un jour il dit aux jeunes gens avec lesquels
il avait ete a la recherche de son e'pouse :
« Partez aujourd'hui meme et allez me
chercher ma femme. » Les jeunes gens se
mirent en route; quand ils furent arrives
chez le pere de Soyane, ils lui dirent : « Ma-
silo nous a envoye's chercher Soyane. »
On se mit a moudre des quantites de
sorgho, on tua beaucoup de tetes de betail,
on choisit des boeufs de sorarae pour porter
C'est alors seulement qu'il est marie legitime-
ment. Cette coutume barbare, qui fut celle de
la plupart des peuples de l'antiquite, donne lieu
a beaucoup d'abus et est la source de nom-
breuses difficulles et de debats interminables.
C'est un des plus grands obstacles a la civilisa-
tion des tribus africaines.
1. La coutume indigene veut qu'une jeune
fille reste chez ses parents un certain temps
apres la ceremonie nuptiale. Ce n'est qu'au
bout de quelques semaines ou meme de quel-
ques mois qu'elle se rend chez son mari.
7
CONTES DES BASSOUTOS
les provisions de farine et de viande. Quand
tout fut pret, Nyopakatala appela les jeunes
gens qui devaient accompagner Soyane et
leur dit : a Si vous faites le moindre mal a
ma fille, je le saurai aussitot, car je verrai
se briser les vases oil elle avait coutume de
manger et se de'chirer les couvertures ou
elle couchait. Ne vous laissez pas de'tourner
de votre chemin par une gazelle qui boite;
quand meme vous en verriez une qui boite
et peut a peine se trainer, ne vous detournez
pas de votre chemin pour lui donner la
chasse '. > Alors les jeunes gens partirent
avec Soyane, chassant devant eux les baeufs
de somme ' charges de farine et de viandes.
lis marcherent, ils marcherent, ils mar-
cherent longtemps; un troupeau de gazelles
II
i . D'apres une variante, ce sont les corneilles
tuecs par le pere de Soyane qui deviennent 1'ins-
trument du malheur de la jcune fille, en se m6-
tamorphosant en un animal boiteux.
2. Avant l'arrivee des Europeens vers i833, les
Bassoutos ne connaissaient pas le cheval et ne se
servaient que de bceufs comme betes de somme;
ils les montaient meme comme des chevaux.
NYOPAKATALA
1 I I
passa devant eux; Tune d'elle boitait fort
bas et pouvait a peine se trainer : ils conti-
nuerent leur route, sans s'en inquieter. Des
antilopes passerent a leur tour; ils conti-
nuerent leur route sans s'en inquieter. Un
peu plus loin, un nouveau troupeau de
gazelles passa tout pres d'eux ; l'une d'elles
boitait fort bas et se trainait avec peine sur
ses genoux. Les jeunes gens dirent alors a
Soyane : « Reste un instant ici, notre mere;
nous allons vite tuer cette gazelle qui boite,
et nous t'en ferons une couverture ' dans
laquelle nous pourrons te porter aisement
sur notre dos. • Elle s'assit par terre et
resta toute seule; en un instant ils avaicnt
tous disparu a la poursuite des gazelles. Ils
allerent loin, bien loin ; quand ils revinrent
ils n'e'taient plus des hommes comme aupa-
ravant, mais etaient devenus des Mahele-
thoumas ». Us se jeterent sur les provisions
.
i. En sessouto thari. C'est une peau bien
assouplie dans laquelle les fcrames enveloppent
leurs enfants pour les porter sur leur dos.
2. Les Mahe'lethoumas sont une sorte de loups-
prous; dans quelques autres contes ils jouent
I 1 2 CONTES DES BASSOUTOS
de farine et de viande et les avalerent en un
instant; puis ce fut le tour des boeufs de
somme qu'ils devorerem en un clin d'oeil.
lis se jetterent ensuite sur Soyane, en criant :
« IMc'thouma ! nous allons te manger. »
Aussitot dit aussitot fait; ils se saisirent
d'elle et la de'vorerent. Mais son coeur
s'echappa " et s'envola vers une troupe d'oi-
seaux qui passaient.
A ce moment meme, sa mere, Nyopaka-
tala, vit se briser les vases ou Soyane avait
coutume de prendre sa nourriture, et se
dechirer les couvertures dans lesquelles elle
dormait. Elle s'ecria, en fondant en pleurs :
!l
le meme role qu'ici. Dans une autre version,
ainsiquc dans le conte zoulou de M. Callaway,
cc ne sont pas dcs Malielethmimas qui causent
le malhcur de Soyane, mais un gros lezard vert,
animal a demi legendaire, que les Bassoutos
nomine Moselantja (queue de chien). Voir le
conte de Moselantja, que nous donnons plus
haut.
i. Cf. le conte de Masiloet Masilonyane donne
plus haut, et celui du Moshanyana Senkatana
(Revue des traditions populaires, 1888, p. 489).
NYOPAKATALA I I 3
« Helas ! l'enfant que les colombes m'avaient
donnee n'est plus ! »
Apres avoir de'vore Soyane', les Mahelethou-
mas redevinrent des hommes et continuerent
leur route. Quand ils furent arrives au vil-
lage de Masilo, ils lui dirent : « Helas ! cher,
ta femme a e'te devoree par des Mahele-
thoumas, pendant que nous etions a chasser
une gazelle pour lui en preparer la peau. »
Masilo pleura amerement ; dans sa douleur
il parcourait les vallees et les collines, cher-
chant parto'ut la femme qu'il avait perdue.
A cette e'poque-la, la soeur de Masilo ■ se
trouvait dans le village de son pere, oil elle
etait venue pour ses couches. C'etait le
temps des travaux des champs ; tout le
monde etait occupe aux champs, le village
restait desert. Alors les oiseaux avec lesquels
s'etait envole le coeur de Soyane dirent a
Soyane : « Viens avec nous visiter le village
de Masilo. » Elle consentit. Ils lui dirent
encore : « Rassemblons du hois et portons-
i. D'une autre version la soeur de Masilo s'ap-
pelle Petchakanska (la hoiteuse) ; Soyane la
guerit de sa claudication.
ii4
CONTES DES BASSOUTOS
N
en a l'accouchee. » lis rassemblerent une
grande quantite de bois ; mais Soyane, elle,
n'y toucha pas. Ainsi charges ilsprirent leur
vol et arriverent bien vite au village de
Masilo ; ils s'abattirent devant la hutte de
Masilo, en faisant : ha ta ta ta ta ta ta. Puis ils
reprirent leur vol ct entrerent dans le lapa,
ayant toujours Soyane avec eux ; ils dirent
a la soeur de Masilo : « Apporte-nous ton
enfant, nous aimerions le voir. » Ils le pri-
rent et le regarderent; Soyane aussi le prit
a son tour. La soeur de Masilo leur jeta des
grains dc sorgho, qu'ils mangerent avide-
ment, mais Soyane n'y toucha pas «. L'ac-
couchee examinait Soyane avec une grande
attention et se disait : « Que cet oiseau est
beau ! ne serait-ce pas la femme de Masilo ? »
Vers le soir, les oiseaux dirent : « Partons et
retournons chez nous. » Alors ils s'envole-
rent et retournerent dans leurs ni'ds.
Le lendemain, les oiseaux se dirent : « Au-
i. Une nouvelle mariee n'a pas le droit de
rien manger chez son mari, avant qu'on ait tue
pour cllc lc mouton ou la chevre dit ea kuai (du
tabac).
NYOPAKATALA
n5
jourd'hui, faisons en sorte que Soyane reste
chez Mamasilo '. Soyane leur dit : « Par-
tons ! » lis re'pondirent : « Rassemblons du
bois. » Us en rassemblerent une grande
quantite, mais Soyane n'y toucha pas. Puis,
charges de leurs bottes de branchages, ils
prirent leur vol et se poserent devant la
hutte de Mamasilo, en faisant : ha ta ta ta
ta ta ta. Ils y deposerent leur charge et en-
trerent dans le lapa ; ils dirent a la sceur de
Masilo : « Apporte-nous ton enfant, nous
aimerions le voir. » L'accouchee leurapporta
son enfant; ils le prirent un moment et le
regarderent. Soyane le prit, elle aussi, a son
tour. Puis les oiseaux dirent : « II nous
fautau jourd'hui moudre du sorgho pourl'ac-
i. Mamasilo, c'est-a-dire « la mere dc Masilo ».
Quand une femme a eu un enfant, clle prend
ordinairement le nom de cet enfant, precede de
la syllabe Ma ( « mere de » ). Le pere prend egale-
ment le nom de son enfant, precede de la syl-
labe Ra (« pere de»). Ainsi le pere de Masilo
s'appellera Ramasilo. C'est un usage auquel
je me suis conforme dans la traduction de ces
contes.
u6
CONTES DES BASSOUTOS
II
couchee ; qu'elle nous en donne et nous le
lui moudrons. » Elle leur en apporta, ils
l'eurent bien vite moulu ; pendant ce temps,
d'autres balayaient devant la hutte et dans
le lapa. Soyane continuait a tenir l'enfant.
Quand les oiseaux eurent fini de moudre et
de balayer, ils dirent : « Allons a la fontaine
puiser de l'eau pour 1'accouche'e. » lis y
allerent. Vers le soir,ils dirent : « Mainte-
nant, il est temps de repartir et de retourner
chez nous. » Ils s'envolerent tous ensemble
avec Soyane.
Un instant apres Mamasilo revint des
champs ; elle demanda a sa fille : « Qui a
balaye devant la hutte ? — C'est moi. —
Qui a moulu du sorgho et brasse du yoala ?
— C'est moi », re'pondit encore sa fille. Quant
a Masilo, c'est a peine s'il paraissait chez
lui ; il etait toujours a parcourir les collines
et les vallees a la recherche de sa femme ;
'1 etait extremement maigre et dans sa dou-
leur avait laisse croitre demesurement ses
cheveux i.
i. Quand ils sont dans le deuil, les Bassou-
NAOPAKATALA
II 7
Le lendemain,les oiseaux se dirent les uns
aux autres : « Aujourd'h,ui, il faut absolu-
ment que la femmede Masilo reste chez son
mari ; nous sommes fatigues de tant travail-
ler. » Alors ils dirent a Soyane : « Partons ;
allons chez Mamasilo porter du bois a l'ac-
couchee. » Ce jour-la la sceur de Masilo
avait dit a son frere : « Reste aujourd'hui a
la maison ; tu verras quelque chose de
remarquable. Quand tout le monde aura
quitte le village et sera occupe dans les
champs, tu verras arriver une troupe d'oi-
seaux, parmi lesquels il y en a un merveil-
leusement beau. Moi, j'ai l'ide'e que c'est la
ta femme. » Alors elle cacha Masilo dans sa
hutte. Les oiseaux arriverent et se poserent
a terre devant la hutte, en faisant : ha ta ta
ta ta ta ta ; puis ils entrerent dans le lap a ;
mais Soyane resta devant la porte et reiusa
d'entrer. La sceur de Masilo lui demanda :
a Pourquoi restes-tu dehors? » Soyane
tos se rasent les cheveux, puis ils les laisscnt
croitrc sans plus sc les couper, jusqu'a ce que
leur deuil ait pris tin.
7*
CONTES DES BASSOUTOS
[1
repondit : a Je n'entrerai pas ; aujourd'hui il
y a quelqu'un de> cache dans ta hutte. —
Mais il n'y a personne. — II y a quel-
qu'un; j'en suis sur. » Pendant ce temps les
oiseaux avaient dit en secret a Masilo : « II
faut aujourd'hui t'emparer de ta femme;
nous sommes fatigues de venir chaque jour
ici. » La sceur de Masilo repeta encore une
fois : « Entre-donc ; il n'y a personne aupres
de moi ; tu peux venir sans crainte, comme
d'habitude. » Les oiseaux, eux aussi,la pres-
serent d'entrer disant : « Dequoi as-tupeur?
tu vois qu'il ne nous est jamais rien arrive. »
Soyane se laissa persuader et entra dans le
lapa; c'est la, dans un coin, que la sceur de
Masilo avait cache son frere sous les nattes
de son enfant.
Alors la sceur de Masilo prit de la viande
et en donna a Soyane. Soyane la prit et fit
semblant de la manger, mais en secret elle
la recrachait ". La sceur de Masilo se dit:
« Certainement que c'est bien la la femme
de mon frere. » Les oiseaux resterent long-
Voir note de la page 1 1£.
NYOPAKATALA
110
temps aupres de l'accouchee, puis ils di-
rent : « Aujourd'hui, nous sommes venus
pour la derniere fois ; apporte ton enfant
que nous le saluions, puisque c'est aujour-
d'hui que nous allons vous quitter. » Soyane
ajouta : « Depeche-toi de l'apporter ; ne
vois-tu pas que mes compagnes partent et
vont me laisser en arriere. » La soeur de
Masilo apporta l'enfant, et Soyane le prit et
le regarda ; puis les oiseaux dirent : « Ap-
porte-nous le pot de graisse de ton enfant,
pour que nous nous graissions le corps '. »
La sceur de Masilo leur apporta le petit pot
de graisse de son enfant, et les oiseaux se
graisserent le corps. Puis ils dirent : « Main-
tenant partons ; il est temps de retourner
chez nous. Soyane s'ecria : « Reprends
ton enfant, que moi aussi je puisse partir ;
depeche-toi, ne vois-tu pas que mes com-
pagnes vont me laisser en arriere.
1. C'est la coutume des femmes du pays de
se graisser tout le corps; c'est le complement
indispensable de toute toilette convenahle. Le
plus souvent on melange a la graisse de l'ocre
rouge calcinee.
CONTES DES BASSOUTOS
Aussitot Masilo s'e'lanca hors de sa ca-
chette et saisit l'oiseau par ses ailes ; ses plu-
mes s'envolerent de tous cotes et a la place
de cet oiseau apparut Soyane, toujours fort
belle, aussi belle qu'elle l'avait jamais e'te.
Elle dit a Masilo : « Laisse-moi partir; c'est
toi qui as tite cause de ma perte ; tes servi-
teurs se sont transforme's en Mahelethoumas
et m'ont devoree ; mais mon coeur s'est en-
vole vers les oiseaux. Laisse-moi retourner
chez mes parents. » Mais Masilo repondit :
n Non ! je ne veux pas te laisser par-
tir. » Alors il rassembla les plumes qui jon-
chaient le sol et les jeta dans le feu oil elles
se consumerent- En ce moment meme, Nyo-
pakatala, la-bas dans son village, vit les vases
brises redevenir comme neufs,et les couver-
tures dechirees redevenir comme neuves.
Joyeuse, elle s'ecria : « Aujourd'hui, mon
enfant est de nouveau vivante. »
Le soir, quand Mamasilo revint des
champs, elle fut tout etonne'e de voir une
belle jeune femme qu'elle ne connaissait pas.
Elle demanda : « D'oii vient cette jeune
fille ? qui est-elle ? » Masilo lui repondit :
« C'est ma femme, c'est Soyane. » Le len-
NYOPAKATALA 121
demain, il fit batir une hutte neuve et y cacha
Soyane, sans que personne se fut apercu de
sa presence. Puis il ordonna de preparer
une grande fete ; on ahattit nombre de bceufs
et Ton tua beaucoup de moutons; chacun
se demandait ce que cela signifiait.
Quand tout fut pret, Masilo donna l'ordre
d'etendre a terre des nattes dela hutte de sa
mere jusqu'a celle qu'il avait fait batir.
Quand les nattes eurent ete etendu.es a
terre, ainsi qu'il l'avait command*, Masilo
cria a haute voix : « Soyane, montre-toi. »
Quand Soyane sortit de sa hutte et mit le
pied surles nattes ,le soleil s'obscurcit; Ma-
silo prit un grand collier de cuivre et le jeta
a terre, aussitot le soleil recommenca de
briller.
Les jeunes gens que Masilo avait envoyes
chercher sa femme etaient pleins de frayeur
et se demandaient : « D'ou vient-elle done?
Comment est-elle ici? » Ce fut une grande
fete, il y eut de grandes rejouissances ; les
cceurs de tous etaient joyeux. On festoya
jusque bien avant dans la nuit. Le lende-
main, Masilo envoya desmessagers danstous
les villages, avec ordre de dire a toute la
122 CONTES DES BASSOUTOS
tribu : « Le chef vous convoque tous. » Les
messagers partirent et convoquerent toute
la tribu ; ce fut une immense assemblee.
Alors Masilo raconta tout ce qui s'e'tait passe
et interrogea les coupables ; ceux-ci durent
bien avouer leur crime : i II est vrai, chef,
nous nous sommes transforme's en Mahele-
thoumas et nous avons de'vore ton epouse. »
Masilo les fit tous mettre a mort. Ensui'te, il
vecuttranquillement avec Soyane jusqu'a la
naissance de leur premier enfant ; puis ils
allerent visiter ensemble les parents de
Soyane, et apres y avoir passe quelque
temps avec eux revinrent dans leur village.
!«
*£
*r
p.
L'OISEAU QUI FAIT DU LAIT '.
u
ne femme, nommee Mamasilo, avait ete
becher son champ avec d'autres person-
i. En sessouto : Senyamafi. Jc donnc ici la
version tres complete que m'a fournie le vieux
Moshe Mosetse; il y en a d'autres plus courtes et
moins interessantes. M. Callaway en donne dans
ses Nursery tales (p. 99-104) une version zou-
lou, intitulee : I Homme et lOiseau ; M. Theal en
donne egalement deux autres versions, une
cafre et une sechuana, qui different passablement
de celle-ci [Kaffir Folklore, p. 29-08, 46-49)-
L'episode de l'oiseau qui sauvc les enfants se
retrouve egalement dans un autre sechuana pu-
blic par Miss Meeuwsen dans le Folk Lore Jour-
nal of South Africa ( 1 879, p. 1 2- 1 5).
124
CONTES DES BASSOUTOS
nes de son village '. Le soir, quand elle fut re-
tourne'e a la maison, un petit oiseau vint se
poser sur une motte au milieu de champ, et
se mit a chanter : « Tsuidi ! tsuidi ! petit
champ beche par. Mamasilo ; retourne en
friche. » Alors le champ retourna en friche,
comme si on ne l'avait jamais beche. Lelen-
demain, quand Mamasilo revint vers son
champ, elle ne put meme reconnaitre l'en-
droit ou elle avait beche la veille; tout etait
en friche. Elle recommenca a becher avec
ses compagnes ; le soir, quand elle fut re-
tournee a la maison, le petit oiseau revint et
se mit a chanter : « Tsuidi! tsuidi! petit
champ de Mamasilo, retourne en friche. »
Les choses se passerent exactement comme
la veille.
Le lendemain, Mamasilo se dit : « Ce soir
[I
i. Chez les Bassoutos les hommes s'occupent
aujourd'hui des travaux des champs au moins
autant que letirs femmes; mais jadis c'etait sur-
tout a ces dernieres que revenait la plus grande
partie de la tache. II en est actuellement encore
ainsi chez les Cafres et chez un grand jiombre
de peuplades sechuanas,
l'oiseau qui FAIT DU LAIT 123
il taut que je me cache pour decouvrir la
cause de tout cela. » Vers le soir, elle se cou-
cha au milieu des mottes; ses compagnes la
recouvrirent de terre, ne laissant a decouvert
qu'une de ses mains. L'oiseau arriva et se
posa sur la main de Mamasilo, qu'il prenait
sans doute pour une petite branche; il se
mit a chanter : « Tsuidi! tsuidi! petit champ
de Mamasilo, retourne en friche. » Alors la
femme ferma sa main et se saisit de l'oiseau.
Puis elle se mit en route tenant l'oiseau
bien ferme dans sa main. Tout en cheminant
elle lui dit : « Je vais te piquer, je vais te pi-
quer le petit derriere. » L'oiseau lui repon-
dit : « Ne me pique pas, ne me pique pas le
petit derriere; je veux te faire, je veux te
faire du lait caille '. » Alors l'oiseau lui fit
du lait caille dans la main; elle le mangea
avec avidite. Arrivee chez elle, elle prit une
tige de paille et se remit a dire a l'oiseau :
s Je vais te piquer, je vais te piquer le petit
i. Les Bassoutos n'aiment pas le lait frais; lis
le font presque toujours cailler avant de le
manger.
iiG
CONTES DES BASSOUTOS
[I
derriere. » L'oiseau lui repondit : « Ne me
pique pas. ne me pique pas le petit derriere;
je veux te faire, je veux te faire du lait caille',
tu t'en rassasieras toi, ton mari et tes en-
fants. » Elle prit un vase d'argile, il le rem-
plit de lait caille, puis un second, un troi-
sieme, un quatrieme; il remplit de lait caille
tous les vases qu'elle lui pre'senta. La femme
s'en rassasia, avec toute sa famille.
Le lendemain, elle retourna a son champ ;
sa petite fille entra dans la hutte, prit l'oiseau
et lui dit : s Je vais te piquer, je vais te piquer
le petit derriere. » Le petit oiseau lui repon-
dit : « Ne me pique pas, ne me pique pas le
petit derriere ; je veux te faire, je veux te faire
du lait caille ; tu en mangeras avec tes petites
amies. » La petite fille lui apporta plusieurs
vases d'argile; il les remplit tous de lait
caille, elle en mangea a satiete avec les
fillettes du village. Le soir, quand la mere
revint au logis, elle demanda : a Qui est-ce
qui a ouvert la porte de la hutte ? » La petite
fille repondit : « C'est moi, j'ai ete chercher
de la nourriture pour mon petit frere. » Mais
elle se garda bien de dire ce qu'elle avait fait
de l'oiseau. Sa mere lui dit alors : « II ne te
l'oiseau qui fait du lait
127
faut plus entrer dans la hutte; je mettrai la
nourriture de ton petit frere dans un vase
que jeplacerai dans le lapa. »
Le lendemain, elk se rendit, comme d'habi-
tude, a son champ. La petite fille entra dans
la hutte, prit l'oiseau et dit : Je vais te
piquer, je vais te piquer le petit derriere. »
L'oiseau lui repondit : * Ne me pique pas,
ne me pique pas le petit derriere ; je veux te
faire, je veux te faire du lait caille; tu en
mangeras avec tes petites amies. » Mais cette
fois la petite fille prit l'oiseau et le porta
dans le lapa, pour le faire voir aux autres
fillettes. Celles-ei se presserent pour le voir;
elle lui dit de nouveau : « Je vais te piquer,
je vais te piquer le petit derriere. — Ne
me pique pas, ne me pique pas le petit der-
riere ; je veux te faire, je veux te faire du lait
caille; tu en mangeras avec tes petites
amies. » Comme toujours, l'oiseau remplit de
lait caille les vases qu'on lui presentait. Puis
il fut pris du desir de revoir son pays et dit :
« Je veux chanter un chant de chez nous. »
II se mita chanter au milieu du lapa, disant :
« Quand je suis chez moi, je saute, je saute
ainsi. » II sautait et lissait son plumage en
128
CONTES DES BASSOUTOS
!<
disant : « Quand je suis chez moi, c'est ainsi
que je fais. »
Tout a coup, une des petites filles s'ecria :
« Voyez, c'est maintenant qu'on revient des
champs. » Vite elles reporterent l'oiseau
dans la hutte et le replacerent dans sa
cachette. Mamasilo demanda a la petite fille :
o Qu'etait-ce done que tout ce bruit? » Elle
re'pondit : « Je jouais avec mes amies. » Le
lendemain, lorsque la mere fut aux champs,
la petite fille entra de nouveau dans la hutte
et se saisit de l'oiseau. Celui-ci lui dit :
« Hier, la poussiere nous a etouffe's dans le
lapa; allons au grand air aujourd'hui. » La
petite fille le porta dehors et fit apporterles
vases d'argile, puis elle lui dit : « Je vais te
piquer, je vais te piquer le petit derriere. — Ne
me pique pas, ne me pique pas le petit der-
riere; je veux te faire, je veux te faire du lait
caille;tu en mangeras avec tespetites amies. »
Ilremplittousks vases qu'on lui avait appor-
tes; les enfants mangerent jusqu'a ce qu'ils
furent rassasie's. Puis on chanta, on chanta
beaucoup. Le soir, la mere interrogea encore
la petite fille ; mais celle-ci continuait de lui
cacher ce qu'elle faisait de son oiseau.
I.'OISF.AU QUI FAIT DU LAIT
I2Q
Le lendemain, lorsque tout le monde tut
aux champs, la petite fille prit encore l'oiseau
dans la hutte; celui-ci lui dit : « Hier il y
avait beaucoup de poussiere devant le lapa;
allons aujourd'hui en dehors du village. » II
se fit porter loin, bien loin des huttes, tout
pres d'un t'ourre d'arbres. II chanta, il chanta
longtemps, tout a coup le ciel se couvrit de
nuages noirs effrayants. Mors l'oiseau s'en-
vola et se refugia dans le fourre au milieu
des autres oiseaux. Les enfants prirent des
pierres et les lancerent contre l'oiseau ; mais
tout tut inutile, il ne voulait pas revenir a
eux.
Pendant qu'ils etaient ainsi occupes, il sur-
vint un terrible ouragan; les enfants ne sa-
vaient ou se mettre pour y echapper. Alors
apparut un immense oiseau, nomme Tlatla-
solle i ; il se posa au-dessus des enfants et
les couvrit de ses ailes comme une poule
ses poussins. Une violente grele se mit a
tomber, si forte qu'elle brisait meme les
arbres; mais, proteges par le grand oiseau,
les enfants n'en recurent aucun mal. Quand
i. L'oiseau Ttatlasolle est purement fabuleux.
i3o
CONTES DES BASSOUTOS
[I
l'orage eut passd, l'oiseau s'envola, les em-
portant sur ses ailes ; il alia bien loin et les
deposa dans son nid pour les elever.
Pendant ce temps, dans leur village, on ne
savait ce qu'ils etaient devenus; on les cher-
chait partout de village en village ; partout on
recevait meme reponse : « Nous ne les avons
pas vus. » Quelqu'un cependant ajouta :
« Pour moi, je les ai vus la-bas qui chan-
taient. » On courut a l'endroit indique, mais
on n'y trouva plus personne. Parmi les
enfants disparus il y en avait de tous les ages ;
les uns encore a la mamelle, que leurs soeurs
portaient sur leur dos, d'autres qui mar-
chaient deja, d'autres plus grands encore.
Des annees se passerent sans qu'on entendit
plus parler d'eux. L'oiseau prenait toujours
soin d'eux; quand il en fut temps il les fit
tous successivement passer par les rites de
la circoncision '.
i. Aun certain age (aujourd'hui de treize a seize
ans) les garcons sont circoncis et ont a passer par
une tongue initiation de trois a cinq mois. Pen-
dant ce temps ils vivent ensemble dans une hutte
ecartee, nommee mopato, sous la surveillance de
I.'oiSEAU QUI FAIT DU LAIT
l3l
Lorsque tous eurent ete circoncis et furent
arrives a nubilite, l'oiseau les prit et les placa
de nouveau sur ses ailes, puis il s'envola avec
eux bien haut dans l'espace. Tout en volant
il disait : « Ces enfants d'ou sont-ils? Les
uns sont de chez Pedipedi, d'autres de chez
Senokonoko, d'autres de chez Pedipedi-oa-
khoutou, les autres de chez Senokonoko-
sea-bina-sea-le-theta. » C'etait l'heure ou le
betail paissait dans les champs; les bergers
se demandaient : « Qu'est-ce que cela? quel
est cet oiseau? que dit-il? » L'oiseau conti-
nuait a chanter dans les airs, nommant tous
les villages dont venaient les enfants qu'il
avait enleves. Les bergers, pris de frayeur,
s'enfuirent avec le betail du ctite de leurs
quelques hommes. Quand ils en sortent, ils ont
atteint la maturite aux yeux des indigenes et sont
dorenavant considered comme des hommes faits.
Les jeunes tilles ont egalement a subir unc ini-
tiation analogue. 11 est bien difficile de savoir au
juste ce qui se passe pour les uns et pour les
autres, les inities seuls ayant le droit de penetrer
dans l'enceinte. Tout ce qui s'y fait doit etre
garde secret.
1.^2 CONTES DES BASSOUTOS
villages. lis s'ecrierent : o Un oiseau a plane
au-dessus de nos tetes; il nous a appeles
par nos noms et nomine nos differents
diboko i. » lis avaient a peine fini de parler
que quelqu'un se mit a crier : « Ecoutez done,
le voila qui parle. » lis le virent arriver en
chantant ses thoko 2 et disant : « C'est moi
qui suis Tlatlasolle. » De tous les villages
environnants on accourait en foule pour le
voir. Alors l'oiseau descendit pres du village
du chef et se posa a quelque distance. En
apercevant les enfants les gens se deman-
daient: « Ces enfants, de qui sont-ils? » I.es
[4
1. Le seboko (au pi. diboko) est le nom du clan
auquel appartient un certain individu; generale-
ment c'est un nom d'animal, ainsi : Mokuena (de
kuena, crocodile), Motaung (de tau, lion), etc. A
rapprocherdu totem de l'Amerique du Nord.
2. Le thoko est le chant de louanges qu'un
guerrier compose lui-meme pour cel^brer ses
exploits; parfbis on le compose pour lui, surtout
quand c'est un chef. Le nom cite plus haut : Se-
nokonoko-sea-bina-sea-le-theta est, en realite, un
thoko; la phrase qui suit le nom de Senokonoko
est le commencement de son chant de louanges
.'oiSEAU QUI FAIT DU LAIT
[33
uns disaient : « Ce sont ceux de chez Seno-
konoko, ou ceux de chez Sebilo. » D'autres
disaient : « Non pas! ce sont ceux de chez
nous. »
Mors l'oiseau dit : « Etendez a terre des
nattes de joncs, que toute la place au centre
du village en soit couverte. » On se hata
d'etendre des nattes a terre, la place du vil-
lage en fut bientot toute couverte. L'oiseau
se remit a voler en disant : « Ces enfants
d'ou sont-ils ? N'y a-t-il personne ici qui les
reclame? » Puis il alia se poser sur le pieu
qui est ii l'entree du pare des bestiaux, au-
dessus des nattes de paille qu'on avait eten-
dues a terre. Alors il secoua ses ailes et fit
tomber a terre sur les nattes un grand nom-
bre des fillettes qu'il avait enlevees; e'etait
aujourd'hui des jeunes titles nubiles. II
secoua ses ailes une seconde fois et fit
encore tomber a terre un grand nombre de
jeunes filles; il secoua ses ailes une troi-
sieme fois; cette fois toutes les fillettes per-
dues etaient la, grandies et arrivees a nubi-
lite. Les plus grandes reconnaissaient encore
leurs peres et leurs meres, mais toutes,
effrayees, se mettaient a pleurer.
8
i3 4
CONTES TIES BASSOUTOS
N
Alors l'oiseau reprit son vol et alia se
poser un peu plus loin; il secoua ses ailes
et en fit tomber toute une troupe de jeunes
gens; il secoua ses ailes une seconde fois
encore et une troisieme fois; tous les jeunes
garcons disparus etaient la, il n'en man-
quait aucun; la place du village etait toute
remplie des enfants amenes par l'oiseau
Tlatlasolle.
Leurs parents se demandaient : « Com-
ment ferons-nous, puisque nous ne pouvons
reconnaitre quels sont nos enfants et que
ceux-ci ne peuvent pas non plus nous recon-
naitre? » Alors l'oiseau mit ensemble tous
les enfants d'une meme famille. Comnie l'aine
pouvait reconnaitre ses parents, il leur ame-
nait ses freres et sceurs en disant : « Mon
pere, voila mes freres et sceurs; voici un tel,
voici un tel, etc. o L'oiseau les rendit ainsi
tous a leurs parents; chacun retrouva son
pere et sa mere, et sa maison. Ce fut une joie
generale.
Le lendemain, Senokonoko convoqua une
assemblee de toute sa tribu. Quand la tribu
fut assemblee, il demanda : « Comment
faut-il recompenser cet oiseau? » Alors les
l'oiseau qui fait du lait
i35
chefs, les sous-chefs et les conseillers, tous
les peres et meres des enfants perdus, repon-
dirent tous : « II faut lui dormer du betail. »
Le chef demanda : « Comment fera-t-il pour
l'emporter chez lui puisqu'il vole dans les
airs? » Les gens repondirent : G'est nous qui
conduirons son be'tail chez lui. » Ainsi fut
fait; l'oiseau volait en avant pour montrer
la route et les hommes du village condui-
saient son be'tail. Le betail arriva ainsi dans
la demeure ou demeurait l'oiseau; le grand
pare a bestiaux en fut rempli, tant etait
grande la quantite de bceufs et de vaches
qu'on lui avait donnes. Mors les hommes
qui avaient conduit le betail retournerent
chez eux. A partir de ce moment l'oiseau
Tlatlasolle devint leur ami; il allait souvent
leur faire visite dans leur village et eux a
leur tour venaient le visiter dans la foret ou
il demeurait.
«A «* «* «* &
«$» <$> <$> 4> 4? t 4 4" 4 s ^ 4*
MODISA-OA-DIPODI '.
T'-y avait une fois une jeune fille nommee
1 Modisa-oa-dipodi ; toute sa famille lui vou-
lait du mal. Ses soeurs se marierent les
unes apres les autresj elle resta seule a la
maison. Un jour, sa mere lui dit : « Prends
du sorgho, mouds-le et cuis du pain. » Elle
prit du sorgho, le moulut = et se mit a cuire ;
i . Cc conte, un dcs plus jolis de ma collec-
tion, m'a etc founii par M. Dieterlen, qui Fa
recueilli de la bouche d'une chretienne indigene
nommee Francina. Modisa-oa-dipodi signifie :
<( gardeuse de chevres ».
2. Les femm.es Bassoutos se servent pour
moudre dune grande pierre plate fort dure, sur
MODISA-OA-DIPODI
i3 7
quand le pot commenca a bouillir, elle y
jeta sa farine et la remua longtemps avec
un baton, puis elle sortit le pain du pot '.
Quand elle eut tini elle prit le baton avec
lequel elle avait rcmue la farine, enleva
avec ses doigts la pate qui y restait et se
mit a la manger. Alors sa mere lui arracha
le baton des mains et Ten frappa violem-
ment sur la tete, en lui disant : « Ce n'est
pas a une petite tille a manger le be'tail que
nos enfants nous ont procure *. »
laquelleellesecrasent leur grain au moycn dune
autre pierre ronde plus petite. C'est un travail
tres fatigant, qu'elles ont a rccommencer jour
apres jour. Avant Parrivce des Europeans, les
Bassoutos ne connaissaient que le sorgho ;
aujourd'hui, ils se nourrissent en grande partic
de mai's et de froment.
i. Ce n'est pas du pain comme le notre, mais
une sorte de bouillie epaisse et lourde, plus con-
sistanteque la polenta italienne.
i. La mere en vcut a sa fille de ce qu'elle nc
soit pas mariee. Quaud une Idle se marie les
parents recoivent comme prix d'achat un certain
nombre dc tutes de betail. Modisa-oa-dipodi
prontc dc la richessc qu'ont procuree a ses pa-
s'
i38
CONTES DES BASSOUTOS
Modisa-oa-dipodi resta la, a pleurer ame-
rement; sa grand'mere l'appela et lui donna
a manger. Un autre jour, la femme de son
frere l'appela et lui dit : « Modisa-oa-dipodi,
prends du sorgho, mouds-le et cuis du
pain. » Elle prit du sorgho, le moulut, le
mit sur le feu et remua avec son baton.
Quand le pain fut cuit, elle prit avec ses
doigts la pate qui restait attachee au baton,
et allait la porter a sa bouche, quand sa
belle-sosur lui arracha le baton des mains
et Ten frappa violemment sur la tete, en
lui disant : « Ce n'est pas a une petite fille a
manger le betail que nos enfants nous ont
procure, s Mors, sa grand'mere l'appela :
« Modisa-oa-dipodi, viens ici. » La jeune
fille y alia, mangea la nourriture que lui
donna sa grand'mere et dormit dans la hutte.
Elle n'avait pas mime une couverture dont
elle put se vetir.
Un autre jour, ses parents formerent un
plan pour la faire mourir. Sa mere l'appela
rents celles de ses sceurs qui se sont mariees,
tandis que n'etant pas mariee elle n'a pas encore
procure a ses parents une seule tete de betail.
MOD1SA-OA-DIPODI
IJ 9
et lui dit : « Modisa-oa-dipodi, prends du
sorgho, mouds-le et cuis du pain. » Modisa-
oa-dipodi moulut le sorgho et fit du pain;
quand il fut cuit elle prit la pate qui restait
attache'e au baton et elle allait la porter a
la bouche, quand sa mere la frappa violem-
ment, en disant comme auparavant : « Ce
n'est pas a une petite fille a manger le
betail que nos enfants nous ont procure. »
Comme Modisa-oa-dipodi sortait de la hutte
en pleurant, ses parents la poursuivirent
jusque bien loin hors du village , la frap-
pant a coups de baton et lui jetant des
pierres; ils la firent meme poursuivre par
leurs chiens.
Alors elle se mit a marcher droit devant
elle; elle marcha tout le jour, tout le jour,
tout le jour. Quand elle fut fatiguee elle
s'assit a terre pour se reposer; elle vit de la
nourriture qui paraissait la devant elle. Elle
se dit : « Non; je ne toucherai pas a ces
mets; ceux a qui ils appartiennent pour-
raient me tuer. » Elle se releva et continua
sa route, sans y avoir touche; elle marcha
longtemps, longtemps. Quand elle se sentit
fatiguee elle s'assit pour se reposer; les mets
'4°
CONTES DES BASSOUTOS
qu'elle avait vus reparurent devant elle. Elle
se releva et partit sans y toucher, en se
disant: « Ceux a qui ces mets appartiennent
pourraient bien me tuer a leur arrivee, si je
me permettais d'y toucher. » Elle continua
de marcher longtemps encore. Quand le
soleil fut pres de se coucher elle se sentit
fatigue'e et s'assit a terre ; les mets repa-
rurent encore devant elle. Cette fois elle
se dit : « Tant pis ! cette fois j'en mangerai
de ces mets-la, quand meme ceux auxquels
ils appartiennent viendraient me tuer. » Elle
prit de l'eau et se lava les mains, puis se mit
a manger. Quand elle eut fini de manger,
elle se releva et continua de marcher long-
temps encore, jusque bien apres le coucher
du soleil; alors elle se coucha a terre et
s'endormit au milieu de la steppe '.
!«
i . Le mot steppe me semhle mieux qu'un
autre convenir aux vastes plaincs non boisees,
qui s'etendent au nord des Drakensberg. Le
Basutoland propremcnt dit est tres mon-
tueux et coupe de ravins et de collines; mais
plus au nord ce n'est qu'une vaste plaine. Nullc
part il n'y a d'arbres ou de forets.
MODISA-OA-DIPODI
141
Le lendcmain, a son re'veil, il y avait
de nouveau de la nourriture et dc l'eau la
devant elle. Elle prit l'eau et se lava, prit les
mets et les mangea. Quand elle eut fini elle
partit et marcha longtemps, bien longtemps.
Quand elle fut fatigue'e, elle s'assit a terre;
les mets reparurent devant elle comme tou-
tes les autres fois; elle se lava les mains
ct les mangea. Quand elle eut fini de
manger, elle partit et se remit a marcher;
elle marcha longtemps , longtemps, long-
temps; enfin elle arriva aupres d'un mare-
cage ou croissaient des herbes flexibles, elle
en cueillit et s'en tressa une robe, elle en
cueillit encore et s'en tressa une couver-
ture '. Quand elle eut finit elle s'assit; les
mets et l'eau reparurent devant elle comme
r. Lc vetemcnt dcs femmes pai'ennes se com-
pose encore, comme jadis, d'unc robe asscz courte
de peau deboeuf et d'un manteau ou couverture
egalement en peau. Quand on fait toilette on
cnduit cespeaux d'une couche epaisse de graisse
melangee d'ocre rouge. Certaines de ces robes
sont tres joliment ornces de brillants boutons
de metal ou de perles multicolores.
142
CONTES DES BASSOUTOS
[i
auparavant. Elle en mangea comme tou-
jours et se remit en marche; elle marcha de
nouveau longtemps, longtemps, longtemps.
Enfin, elle arriva au somraet d'une petite
colline et vit une hutte bien loin au milieu
de la plaine. Elle dit : « Enfin, voila une
hutte. a Elle se remit en marche et fink par
arriver aupres de cette hutte ; elle approcha
et vit que c'etait une hutte fort grande et
tres belle en dedans et en dehors; mais elle
n'y vit personne. Toute etonnee, elle se dit :
(i Qu'est-ce que cela signifie qu'il n'y ait
personne dans cette hutte et qu'elle soit
ainsi tout isolee? » Elle en fit encore une
fois le tour, toujours sans voir personne, et
se demandant a qui la hutte pouvait bien
appartenir. Elle s'assit a terre devant la
hutte, en se disant : a Tant pis ! je puis aussi
bien rester ainsi dehors a Elle vit un petit
feu qui venait de paraitre devant elle, et elle
resta assise jusqu'au coucher du soleil en se
chauffant au feu. Les mets reparurent de-
vant elle comme d'habitude, et elle en man-
gea comme toujours.
Alors elle se sentit prise d'un fort sommeil
et s'endormit la, devant la hutte. Pendant
MODISA-OA-niPODI
i 4 3
son sommeil quelqu'un la prit, sans qu'elle
s'en apercut, et la porta Jans la hutte, ou il
la coucha sur de magnifiques fourrures.
C'etait Ie maitre de la hutte qui la portait
ainsi. Elle dormit toute la nuit. Quand il
fit jour, elle s'etonna de se trouver la et se
demanda : « Qui done a pu m'apporter ici?
Que dira le maitre de ces fourrures, s'il
m'en voit revetue? » Alors elle sortit de la
hutte et alia chercher sa couverture d'her-
hes tresse'es et sa robe d'herbes tresse'es, dont
elle se revetit. Elle demeura la tout le jour
en attendant le retour du maitre de la hutte
et du possesseur de ces belles fourrures ;
mais elle ne vit rien. Le matin et l'apres-
midi, les mets reparurent devant elle com me
d'habitude. Le soir, elle s'assit de nouveau
devant la hutte comme le jour precedent;
le feu reparut de nouveau, ainsi que les vi-
vres accoutumes; elle en mangea et puis se
sentit prise d'un fort sommeil et s'endormit
la, devant la hutte. Alors quelqu'un la prit,
sans qu'elle s'en apercut, ha porta dans la
hutte et la coucha sur les belles fourrures.
Mais cette fois le maitre de la hutte eut
bien soin de bruler sa robe et sa couver-
144
CONTES DES BASSOUTOS
!«
ture d'herbes tressees. Elle dormit toute la
nuit.
Le lendemain, a son reveil, elle s'ecria :
« Comment ! qui done a pu m'apporter ici?
Que va dire le maitre de ces belles four-
rures? » Alors elle se hata de sortir pour
chercher sa robe et sa couverture d'herbes
tressees; mais cette fois elle ne les trouva
plus. Alors elle se dit : « Tant pis ! cela ne
fait rien. » Puis elle rentra dans la hutte,
prit une robe de peau et s'en revetit, et une
couverture de fourrure dont elle se couvrit.
Elle demeura ainsi dans cette hutte, jusqu'a
ce qu'un jour elle s'apercut qu'elle etait
enceinte, sans savoir comment cela s'etait
fait. Elle se dit alors : a Comment est-il pos-
sible que je sois enceinte, alors qu'aucun
homme ne vit avec moi dans cette hutte? D'ou
me vient ma grossesse? » Cependant cela
ne l'effrayait pas ni ne l'inquietait plus ; elle
ve'eut ainsi heureuse dans sa hutte jusqu'au
jour de ses couches. Le jour ou elle devait
accoucher, a son reveil, elle s'apercut qu'elle
avait pendant son sommeil mis au monde
un petit garcon, dont tout le cote droit,
du haut jusqu'en bas, etait de fer brillant.
M0DISA-0A-T1IP0DI
I<P
Elle vecut longtemps dans cette hutte, sans
jamais voir son mari, seule avec son enfant;
l'enfant, par contre, connaissait et voyait
journellement son pere , sa grand'mere,
toute sa parente, sans que Modisa-oa-di-
podi les vit jamais '.
Quand l'enfant eut un peu grandi, Modisa-
oa-dipodi dit un jour : « Je suis bien seule;
si seulement je pouvais retourner chez moi,
pour demander a ma grand'mere de me
donner une petite fille pour me tenir com-
pagnie. » Le mari de Modisa-oa-dipodi
entendit ce que disait sa femme; le jour sui-
vant, a son reveil, elle s'apercut que tout
etait prepare pour son voyage; rien ne
manquait de ce qui lui serait necessaire en
route : le petit pot de graisse de son en-
fant, la natte qui devait la proteger des
ravons du soleil *,le baton dont elle se ser-
i. On trouve une situation identique Jans le
conte de Boulane et Senkepeug qui, d'ailleurs,
a beaucoup de ressemblances avec celui-ci.
2. Quand elles voyagent avec leurs petits en-
fants les femmes Bassoutos se servent volon-
tiers d'une natte de joncs en guise de parasol.
146
CONTES DES BASSOUTOS
virait pour marcher, tout s'y trouvait. Elle
comprit, en voyant tout cela, qu'elle pou-
vait aller; elle mangea, puis elle prit le pot
de graisse de l'enfant, ainsi que la natte et
son baton de voyage ; quant a la nourri-
ture elle n'en prit pas avec elle. Mors elle se
mit en route; mais cette fois le chemin fut
beaucoup plus court que lorsqu'elle etait
venue; elle ne mit qu'un jour pour arriver
jusque chez ses parents. Quand ceux-ci
l'apercurent ils se rejouirent de la revoir et
se dirent : « Modisa-oa-dipodi doit Gtre
devenue la femme d'un chef, puisque elle
est si magnifiquement vetue. » Son pere, sa
mere , ses freres vinrent la saluer avec
empressement, mais elle se detourna d'eux
et se rendit tout droit chez sa grand'mere.
Sa' mere la supplia longtemps de venir
chez elle; mais Modisa-oa-dipodi refusa
meme de la saluer, se sou,venant de ce qui
s'etait passe. Elle dit a sa grand'mere :
Grand'mere, je suis venue te demander de
me donner une fillette pour me tenir com-
pagnie, car je vis toute seule. » Sa grand'
mere lui repondit : « Tir n'as qu'a la prendre;
elle ira avec toi. • Modisa-oa-dipodi resta
MODISA-OA-DIPODI
147
quelques jours chez sa grand'mere, puis elle
partit pour retourner chez son mari avec la
fillette que lui avait donnee sa grand'mere.
Elles marcherent, elles marcherent tout le
jour; quand elles s'assirent pour se reposer
des mets parurent devant elles. La petite
fille s'ecria : « Ces mets d'oii sortent-ils
done? » Modisa-sa-dipodi la gronda et lui
dit : « Tais-toi, tu ne sais rien; mange seu-
lement, cherie. » Elles en mangerent en-
semble.
Elles se remirent en route et marcherent
encore longtemps, bien longtemps. Modisa.
oa-dipodi dit : « Reposons-nous un peu ;
nous ne tarderons pas a arriver chez nous. »
Elles s'assirent a terre, et les mets parurent
de nouveau devant elles. La petite fille de-
manda de nouveau comme la premiere to is :
« Modisa-oa-dipodi, d'ou viennent ces mets-
laf qui te les envoie? a Modisa-oa-dipodi la
gronda et lui dit : « Tais-toi et ne m'inter-
roge plus a ce sujet. » Elles mangerent et.
quand elles furent rassasiees, se remirent en
route ; elles marcherent longtemps, long-
temps encore, et fmirent par arriver en vue
de la hutte solitaire. Modisa-oa-dipodi dit a
148
CONTES DES BASSOUTOS
n
la petite fille : « Vois-tu cette hutte la-bas,
au milieu de la plaine? C'est la que nous
allons ; c'est la chez moi. » Elles continuerent
a marcher et arriverent bientot a la hutte.
Elles trouverent que tout etait deja prepare
pour les recevoir; elles entrerent dans la
hutte et s'y assirent. Quant a l'enfant de
Modisa-oa-dipodi il sortit pour aller saluer
son pere et sa grand'mere. La petite fille
demanda : « Modisa-oa-dipodi, ou done
est alle ton enfant? » Modisa-oa-dipodi lui
repondit : « II est alle vers son pere et sa
grand'mere pour les saluer. » Puis elles se
coucherent et s'endormirent.
Le lendemain Modisa-oa-dipodi dit :
« Puisque nous sommes maintenant deux, il
ferait bon avoir un petit champ pour y cul-
tiver du mai's. » Ayant ainsi parle elle sortit,
et, regardant du cote de la montagne, elle vit
qu'un petit champ y etait apparu, au bas de
la pente. Elle dit a la petite fille : « Vois
done, ma cherie ! il y a la-bas, un petit champ
au bas de la montagne. Si nous y allions
maintenant! Mais comment ferons-nous pour
le cultiver, puisque nous n'avons point de
houe et que nous n'avons non plus pas de
MODISA-OA-DTPODI
1 49
semence? » A peine avait-elle parle qu'elle
vit une houe dressee contre la hutte, et
devant la houe un petit sac plein de semence
de ma'is. Mors die dit a la petite fille :
« Prends le petit sur ton dos, et allons becher
notre champ. » La fillette prit l'enfant sur
son dos, et dies partirent ensemble. Modisa-
oa-dipodi piocha son champ et l'ensemenca;
vers le soir die avait deja fini; alors die dit
a la petite fille : « Retournons a la maisonl
charge-toi de l'enfant et partons. » Quand
elles arriverent dies trouverent que leur
nourriture dait deja toute pre'pare'e, elles
n'avaient qua se mettre a manger.
Le lendemain Modisa-oa-dipodi dit a la
.petite fille : o Qu'allons-nous faire aujour-
d'hui, puisque hier nous avons deja fini notre
champ? Si seulement nos pouvions en trou-
ver un plus grand ! » Elle sortit et regarda
du cote oil elles avaient travaille la veille
et y apercut un champ passablement plus
grand; elle appela la petite fille et lui dit :
« II y a maintenant un assez grand champ
a l'endroit ou nous avons beche hier. Mais
si nous avons un houe , ou trouverons-
nous la semence necessaire? » A peine avait-
i5o
CONTES DES BASSOUTOS
\
elle parle qu'un sac pleinde semence apparut
devant elle. Elle dit a la petite fille : « Prends
l'enfaht sur ton dos, ma cherie, et allons a
notre champ. » Elles y arriverent et Modisa-
oa-dipodi dit a la petite : « Vas a la maison et
dis a haute voix : II n'y a plus de semence. »
La petite fille se mit a courir du cote de
la hutte ; lorsqu'elle arriva a un endroit d'ou
elle pouvait l'apercevoir, elle vit des grands
troupeaux de boeufs et de moutons, une foule
d'hommes et de femmes, tout un grand vil-
lage. La petite fille fut si effrayee qu'elle en
tomba par terre ; les gens des villages accou-
rurent vite a son secours, en s'ecriant :
« Helas! la soeur de notre mere est tombee
par terre ! » lis la releverent et la condui-
sirent au village. Elle entra chez Modisa-oa-
dipodi ; elle vit que le lapa e'tait plein de
monde et qu'on y cuisait des masses de
viandc. Puis on lui dit d'entrer dans la hutte.
Elle y trouva le mari de sa soeur; c'etait un bel
homme, couvert de beaux vetements comme
ceux d'un chef, et qui avait un cote de son
corps tout en fer brillant «. Le chef lui dit :
i. 11 est asscz difficile de savoir si le contcur
MODISA-OA-DIPODI
l5l
« Retourne aux champs; prends-y mon entant
et charge-toi aussi de la houe de ta soeur. a
II lui donna des gens pour l'accompagner et
lui de'fendit de rien dire a sa soeur de ce
qu'elle avait vu; elle n'avait a dire que ceci :
« II n'y a plus de semence; retournons a la
maison. »
Mors la petite fille partit en courant de
toutes ses forces et fut bien vite arrivee vers
sa sceur; elle lui dit : « On m'a dit qu'il n'y
a plus de semence; donne-moi ton enfant et
retournons a la maison. » Puis elle ajouta :
« Donne-moi ta houe; c'est moi qui la porte-
rai. » Sa sceur lui repondit : « Tu t'es deja
chargee de l'enfant; laisse-moi porter la
houe. » Mais la petite fille insista et prit
aussi la houe; elles partirent ainsi pour re-
tourner chez elles. Quand elles arriverent en
vue du grand village, Modisa-oa-dipodi
entend qu'un cote du corps du chef etait vrai-
ment en fer, oir plutot qu'un cote de son corps
avait la couleur ou l'apparence brillantc du fer.
Le sessouto permct d'entendre l'un aussi bien
que l'autre. La premiere explication me semble
la meilleurc.
CONTES DES BASSOUTOS
[I
s'ecria : « Qu'est-ce que cela? », et tomba a
terre de saisissement. Les gens du village
accoururent en criant : « Helas! notre mere
est tombee; elle s'est fait du mal. » lis la
releverent et la conduisirent chez elle ; quand
elle entra dans son lapa, elle vit un homme
fort beau qui y etait assis. Elle s'ecria : « Ah!
quel bel homme », puis elle ordonna a sa
soeur de deposer son enfant a terre; l'enfant
se hata de courir vers son pere, auquel il
ressemblait tout a fait. Le chef demanda a
Modisa-oa-dipodi : « Modisa-oa-dipodi qui
est ton mari? » Elle repondit : « Je ne le con-
nais pas. » Le chef lui dit : « C'est moi qui
suis ton mari. » lis vecurent alors ensemble
dans la joie.
Un jour le mari de Modisa-oa-dipodi lui
dit : <( Consens-tu a ce que j'envoie la famine
sur le village de tes parents ? it Elle repondit :
9 Oui, certainement, j'y consens. » Son mari
donna alors a tous ses gens l'ordre de ras-
sembler de grandes quantites de sorgho;
puis il fit regner une grande secheresse sur
tout le pays '. II y eut une grande famine
i. Comparez le pouvoir tout scmblablc qu'a
MODISA-OA-DIPODI
153
dans le village des parents de Modisa-oa-
dipodi; ceux-ci apprirent qu'il y avait beau-
coup de grain dans le village de Modisa-oa-
dipodi. Alors ses freres vinrent la visiter ;
elle les recut fort hien et les nourrit fort
bien aussi; a leur retour ils dirent : « II y a
une grande quantite de grain chez Modisa-
oa-dipodi; il taut que nous y allions tous
acheter du sorgho. »
Les gens du village preparerent leurs
bceufs de somme et partirent ensemble; on
les recut fort bien et on leur donna beaucoup
a manger. Mais le mari de Modisa-oa-dipodi
dit a ses serviteurs : « Vous remplirez tous
leurs sacs de fiente se'chee ; mais vous rem-
Boulane dans le comte de Boulane et Senke'peng.
Le surnaturel de ce conte est a remarquer: si
le mari de Modisa-oa-dipodi sort de dessous la
terre, etque tout cequ'il lui donnevient du meme
lieu. C'est que pour les Bassoutos la divinite n'ha-
bite pas le ciel, mais demeure sous terre. Leurs
dieux ne sont, en effet, que les manes de leurs
ancetres. Dans le conte zoulou de Utombi-
Yapansi (Callaway, pp. 307 sqq.), on remarquera
un trait tout pareil, ainsi que dans d'autres de ce
recueil.
iH
CONTES DES BASSOUTOS
plirez de beau sorgho le sac de la grand'
mere de Modisa-oa-dipodi, surtout n'y met-
tez pas de fiente. » Les serviteurs firent
ainsi ; ils remplirent tous les sacs de fiente
sechee et, tout en haut des sacs, ils verserent
un peu de sorgho. Puis Modisa-oa-dipodi
donna aux gens de son village des provisions
pour la route, du pain, des dipabi >, etc.;
ils partirent tous joyeux. Arrives chez eux
ils ouvrirent leurs sacs et virent qu'ils ne
contenaient que de la fiente de vache ;
comme ils n'avaient rien a manger, ils ne
tarderent pas a mourir de faim. Seule la
grand'mere de Modisa-oa-dipodi ne mourut
pas. Quand tous les gens du village furent
morts, Modisa-oa-dipodi la fit chercher et la
recueillit chez elle.
i . Les dipabi sont faits de mai's grille moulu,
tres tin et assaisonne de sel. Les Bassoutos s'en
nourrissent en voyage ou a la guerre.
CEUF '.
1l y avait une fois un chef dont les femmes
ne mettaient au monde que des filles; un
jour, une d'elles accoucha d'un oeuf, gros
comme celui d'une autruche. Le pere prit
l'ceuf et le serra. Un jour, longtemps apres,
il alia a une fete de chant chez un autre
chef. II y vit une fille de ce chef qui lui plut
extremement; alors il dit au pere de la jeune
fille : o Ta fille me plait beaucoup; il faut
que je la prenne en mariage pour mon fils. a
i. En sessouto Lehe. L'idec mere de ce conic,
un ceuf devenant homme, se retrouvc dans le
conte de Seetetetane.ic ne connais pasde variantc
de ce conte, qui est au nombre de ceux que jc
dois a M. ct a M°" Dieterlcn.
i56
CONTES DES BASSOUTOS
II
II alia chez lui chercher le betail avec lequel
il devait epouser cette jeune fille; puis il
l'emmena chez lui. 11 lui bath une hutte et
l'y etablit en compagnie de ses filles a lui '.
Des annecs s'ecoulerent sans que la jeune
fille vit jamais son mari; elle continuait a
vivre seule avec les filles de sa belle-mere.
Une annee, comme on bechait les champs
et comme on les ensemencait, la semence
vint a manquer; le chef envoya une de ses
filles en chercher chez lui. Comme elle entrait
dans le lapa elle vit que l'oeuf etait sorti de la
hutte et se roulait tout autour du lapa en
disant : « Ha! ha! mon pere m'a donneune
i. II pcut scmblcr ctrange que le pere prenne
une femme pour son tils qui n'cxiste pas; chez
les Bassoutos la chose n'a rien d'etonnant. Dans
certains cas, quand un enfant est mort avant de
s'etre marie, le pere n'en achete pas moins une
jeune fille qui sera considered comme la femme
de l'enfant mortjtous les enfants qu'ellc mettra
au monde seront considered comme les enfants
de son mari putatif. On appelle cela : « epouser
un tombeau u. Les Bassoutos ont sur le mariagc
des idees totalement differcntes de celles des
pcuplcs europcens.
CEUF l5 7
femme. » Sa sceur le releva et le replaca
dans sa cachette, au fond de la hutte; puis
elle retourna aux champs avec la semence.
Le lendemain, la semence vintde nouveau
a manquer ; le pere envoya de nouveau sa
fille pour en chercher chez lui. Elle trouva
cette fois encore l'oeuf, qui etait sorti de la
hutte et qui se roulait tout autour du lapa,
en disant : « Ha! ha! mon pere m'a donne
une femme. » Sa soeur le releva et le serra
dans la hutte, puis elle retourna aux champs
avec la semence. Le lendemain, la se-
mence vint de nouveau a manquer pendant
qu'on etait aux champs. Le pere dit encore
a sa fille : « Va chercher de la semence ».
Maissa belle-fille s'ecria : « Non, aujour-
d'hui. e'est moi qui irai ! » Elle y alia, et quand
elle entra dans le lapa, elle trouva l'oeuf qui
s'y roulait comme toujours, en disant : « Ha!
ha! mon pere m'a donne une femme! »» Elle
fut fort etonnee et se dit: « Comment! cette
chose ronde-la, ce serait mon mari!» Elle
prit l'oeuf et, au lieu de le reporter dans la
hutte de son beau-pere, elle le deposa dans
sa hutte, a elle; puis elle retourna aux
champs avec la semence.
1 58
CONTES DES BASSOUTOS
[4
Elle ne dit rien a personne de ce qu'elle
avait fait; son pere et sa mere ne s'aper-
curent pas que l'ceuf n'e'tait plus dans leur
hutte. Le soir, elle dit : « Cette nuit, je veux
dormir seule dans ma hutte; que personne
n'y entre. » Sa belle-mere lui demanda :
c Pourquoi veux-tu faire ainsi? » Elle repon-
dit : « Je suis malade, ma tete me fait mal ;
j'ai peur que mes compagnes ne fassent
trop de bruit. » Elle se coucha ainsi seule
dans sa hutte ; mais, au milieu de la nuit, elle
se leva sans bruit et s'enfuit chez ses parents.
Elle y arriva avant qu'il fit jour; alors elle
dit a son pere : « Mon pere, tu m'as rejetee. »
Son pere lui re'pondit : « Non, mon enfant,
je ne t'ai pas rejetee; mais je t'ai donnee en
mariage. » Elle repliqua : « Mon mari n'est
pas un homme ; c'est un ceuf d'autruche qui
est mon mari. » Puis elle ajouta : « Mon
pere, il te faut maintenant rendre le betail
avec lequel j'ai ete epousee, car je ne retour-
nerai pas chez mon mari '. » Le pere dit :
i. Quand un homme rend aux parents de sa
femme le betail avec lequel il l'a epousee, cela
correspond a un divorce.
<ei:f 1 5 9
« Tu dois y retourner. » Elle repondit :
« Jamais! » Mors son pere lui dit : « Je te
donnerai une medecine, avec laquelle tu
metamorphoseras cet oeuf en homme. »
Mors son pere lui donna une medecine-
charme et lui dit : « Prends cette medecine,
mon enfant, et retourne chez ton man.
Quand tu seras arrivee chez toi, prends un
vieux pot de terre, remplis-le d'eau, allume
du feu et fais bouillir ton eau. » La jeune
femme s'en retourna chez elle, avant que le
jour eut paru. Elle fit tout ce que son pere
lui avait ordonne ; puis elle prit l'oeuf et le
deposa sur une natte de roseaux ; elle prit de
l'eau bouillante qu elle versa sur cet oeuf,
puis elle l'enduit de graisse et le recouvnt
de chaudes couvertures. Mors elle s'etendit
a terre et au bout d'un moment entendit une
voix qui disait : « II me pousse une jambe...,
il m'en pousse une autre; il me pousse un
bras..., il m'en pousse un autre; void ma
tete qui parait... ; void mon nez..., un ceil...,
un autre ceil... ; voici une oreille... une autre
oreille! » Puis enfin, la voix dit : « Mainte-
nant, j'ai tous mes membres. • En meme
temps elle entendit la coquille de l'ccuf se
ibo
CONTES DES BASSOUTOS
casser et les fragments tomber aterre avec
bruit.
Alors la jeune femme se leva et enleva les
couvertures; elle decouvrit que l'ceuf e'tait
devenu un homtne fort beau, parfaitement
conforme, sans rien qui lui manquat. Elle
chauffa de l'eau, et y jeta la medecine que
lui avait donnee son pere, puis elle en frotta
son mari de la tete et auxpieds et l'enduisit
de graisse. Ensuite, elle ramassa soigneuse-
ment tous les fragments de la coquille de
l'ceuf et les rassembla dans un petit vase en
terre. Quand il fit jour, elle sortit de la hutte
apres y avoir enferme son mari, et s'assit
devant la porte. Sa belle-mere vint et lui
demanda : « Comment va ta tete? » Elle
repondit : « Elle me fait toujours tres mal. »
Sa belle-mere lui demanda : « Ne veux-tu
pas manger un peu de bouillie. » La jeune
femme repondit : « Oui, apportez m'en. » Sa
belle-mere lui en apporta, puis ajouta :
« Maintenant, nous allons aux champs, reste
tranquillement ici, ma fille. »
Quand tout le monde fut aux champs, la
jeune femme se leva et se rendit en hate
chez ses parents. Elle dit a son pere : « J'ai
(EUF 1<JI
fait tout ce que tu m'avais ordonne avec la
medecine que tu m'avais donnee, l'oeuf est
maintenant devenu un homme. » Son pere
lui dit : « Tu vois bien, ma fille, tu vois
bien! Maintenant je veux te donner des
vetements d'homme pour ton mari. » II lui
donna un petit manteau de peau de boeuf et
une tseha de peau; il lui donna aussi un
bouclier avec son panache, une assagaie et
un chapeau de joncs tresses i. La femme
retourna vite chez elle avec ces objets-la,
elle les donna a son mari, en lui disant :
« CEuf, voila tes vetements. » CEuf prit la
tseha et s'en ceignit, le manteau et s'en
revetit, le chapeau et s'en couvrit.
Le soir, quand on revint des champs, la
jeune femme laissa son mari seul dans la
hutte et en ferma la porte en disant : « CEuf,
l . Nous avons ici une enumeration de tout le
costume masculin qui est, on le voit, suffisam-
ment primitif. La tseha est une sorte de ceinture
ou etroit ca!e?on de peau, que portent les Bas-
soutos. C'est lc costume indispensable des
hommes. Par contrc, dans ccrtaines tribus cal'rcs,
les hommes vont tout nus.
l62
CONTES DES BASSOUTOS
reste ici; garde-toi bien de te montrer
dehors », puis elle sortit et s'assit devant sa
hutte. Sa belle-mere vint et lui demanda :
« Comment vas-tu maintenant, mon enfant. »
« Elle repondit : « Ma tete me fait toujours
mal. » La belle-mere lui dit : « Faut-il encore
t'apporter de la bouillie? » Elle repondit :
■ Oui ! apportez m'en. » Elle prit la bouillie
et ajouta : « Donnez-moi aussi de la fiente
pour que je me fasse du feu. » Elle entra
dans sa hutte, alluma son feu et mangea
avec son mari la bouillie qu'on lui avait
apportee-
Le lendemain, au point du jour, elle
reveilla son mari : « CEuf, hate-toi de te
lever, sors de la hutte et va t'asseoir au
khotla sur le siege de ton pere. » CEuf s'ha-
billa, se coiffa de son chapeau, prit son
bouclier orne de son panache et son assa-
gaie, puis il sortit de la hutte et alia s'asseoir
au khotla sur le siege de son pere; personne
n'etait encore leve dans tout le village.
Quand les bergers sortirent de leurs huttes
pour traire leurs vaches, ils se demanderent
les uns aux autres : « Qui est cet homme-la
assis sur lc siege du chef? Nous ne savons
(EOF
1 63
pas qui il peut etre ; peut-etre est-ce un
etranger. C'est un etranger bien ose de
s'asseoir ainsi sur le siege du chef. »
CEuf appela Tun d'eux et lui dit : « Apporte-
moi ton lait que je le voie. » Le garcon lui
en apporta; CEuf lui dit: « C'est bien, porte-
le dans le lapa. » Alors le garcon se rendit
vers le chef et lui dit : « Maitre, il y a un
etranger qui est assis au khotla sur ton
siege, il nous a dit de lui apporter le lait
pour qu'il le voie. » Le chef demanda :
« D'ou vient-il? » Le garcon repondit : « Je
ne sais pas, maitre. » Alors le chef sortit
et se rendit vers l'etranger; il lui dit :
« Salut ! » L'autre re'pondit : « Salut a toi
aussi. — D'ou viens-tu? — Je suis ton hote;
je viens te faire visite. » Puis CEuf ajouta :
« Ne me connais-tu done pas? » Le chef
repondit : « Je ne te connais pas, dis-moi
ton nom . » Alors CEuf lui dit : « C'est
moi qui suis CEuf, ton fils. » Alors le chef
appela tous ses gens et, leur montrant cet
homme, il leur dit : « Voila mon fils, qui
est ne sous la forme d'un oeuf ; aujourd'hui,
il est metamorphose en homme. »
Le chef etait au comble de la joie; le vil-
1 6 4
CONTES DES BASSOUTOS
11
lage tout entier etait dans la joie; on abattit
des boeufs, on fit une grande fete en l'hon-
neur du fils du chef. Puis le chef demanda a
la femme d'CEuf : « Comment t'y es-tu prise
pour le metamorphoser? » Elle repondit :
« Mon pere m'a donne une medecine-charme
avec laquelle je l'ai fait sortir de son ceuf. »
Le chef lui dit : « Je te recompenserai, mon
enfant. » Alors il lui donna beaucoup de
betail en signe de reconnaissance. Quant a
CEuf ce fut lui qui devint le chef et il regna
a la place de son pere '.
Au bout de quelque temps, ffiuf prit une
seconde femme et s'e'loigna de sa premiere
femme; il n'entra plus jamais chez elle, ne
fut-ce qu'une seule fois; il lui enleva meme
ses vetements et la priva de tout secours.
Enfin, un jour, la femme perdit courage
et pleura longtemps, longtemps, puis elle
alia vers son beau-pere et lui dit : « Mon
pere, pourquoi (Euf m'a-t-il abandonnee de
i. Jadis, chez lcs Bassoutos, quand le tils d'un
chef avait atteint un certain age, c'est lui qui
devenait le vrai chef de la tribu, avant la mort
de son pere.
i65
lasorte?)) Son beau-pere lui repondit : «J'ai
fait tout ce que j'ai pu, mais inutilement,
(Euf dit que c'est Jui qui est maintenant le
chef. » Quand le soleil fut couche, CEuf entra,
pour y passer la nuit, dans la hutte de la
' femme qu'il aimait. Mors sa premiere femme
se souvint des fragments de coquille d'ceuf
qu'elle avait conserves; elle alia les chercher
et les prit dans sa couverture, puis elle s'ap-
procha de la hutte oil (Euf etait entre. Elle
s'accroupit a la porte et lui dit : « Salut,
chef. » Us lui rendirent son salut ; elle ajouta :
« Donnez-moi une prise de tahac. » (Euf lui
repondit : « Je n'ai plus de tab'ac. » Elle
ajouta : a Donnez-moi a boire, j'ai soif. -
La seconde femme d'CEuf lui repondit : « Je
n'ai plus d'eau. a Mais (Euf la gronda et lui
dit : « Voyons, donne un peu d'eau a cette
pauvre femme. » Mors la premiere femme
d'CEuf repandit les coquilles d'ceuf pres de
1'endroit ou son mari devait poser sa tete.
Puis elle retourna dans sa hutte.
L'autre femme entendit CF-ui lui dire :
« Tiens-moi, je sens une de mes jambes qui
se retire..., je sens l'autre qui se retire;
tiens-moi, voici un de mes bras qui se re-
1 66
CONTES DES BASSOUTOS
N
tire..., voici l'autre qui se retire aussi;
tiens-moi, je sens ma tete qui se retire, puis
mon dos... » Au bout d'un instant il etait
redevenu un oeuf d'autruche; la iemme, en le
tatant avec ses mains, vit que ce n'etait plus
qu'un oeuf. Alors elle sortit de la hutte et
s'enfuit epouvantee. Le lendemain, les gens
du village attendirent longtemps que leur
chef CEuf sortit de sa hutte, mais ils ne le
virent pas. Ils demanderent a son pere :
« Ou done est CEuf? » II leur repondit : « Je
ne sais pas; il dort encore peut-etre. » On
avait fini de traire depuis longtemps qu'CEuf
ne se montrait pas encore. Sa mere alia a sa
hutte et cria : « CEuf! CEuf! » Pas de reponse.
Alors elle entra et souleva les couvertures:
elle vit que son fils etait redevenu ceuf
comme auparavant. Elle appela son mari,
qui lui aussi s'assura qu'il en etait bien ainsi.
lis pleurerent amerement et ils disaient :
« He'las! notre enfant, quand le reverrons-
nous? Comment faut-il faire? »
Alors le chef se rendit chez les parents de
sa belle-fille, ou celle-ci s'etait refugiee. II la
supplia longtemps d'avoir pitie de lui; mais
elle refusait obstine'ment, en repetant : « Non,
CEUF
167
je n'irai pas, ton fils m'a fait trop de mal. »
Le pere d'CEuf essayait en vain de l'atten-
drir; elle continuait toujours a refuser de
rien faire. Enfin, son pere lui dit : « Allons,
mon enfant, prends cette medecine et re-
tourne vers ton mari. S'il recommence a te
faire du mal, c'est alors que tu pourras le
quitter pour tout de bon. »
La jeune femme prit la medecine, retourna
chez elle et fit comme la premiere fois; CEut
sortit de nouveau de sa coquille et redevint
un homme. Alors il dit a sa femme :
« Aujourd'hui, je me repens de ce que
je t'ai fait, ma femme ; je ne recommen-
cerai plus a agir de la sorte. » II repoussa sa
seconde femme et resta uniquement attachee
a celle qui l'avait metamorphose ; il lui disait :
« Quand je serai mort, seulement alors quel-
qu'un d'autre pourra t'epouser; si c'est toi
qui meurs la premiere, c'est alors seulement
que j'epouserai une autre femme. »
*•$♦»-
"»e«T fe^rffis* Tea:' 's,s- ™or tor
POLO ET KHOAHLA-
KHOUBEDOU ',
r *«
\y
Ti. y avait une fois un chef qui avait deux
1
femmes; l'une d'elles tuait toujours les
enfants de l'autre 2. Entin, celle-ci alia
1. Polo est Ie nom d'un serpent d'eau, assez
commun dans la Natalie et le Zoulouland. Khoa-
hlaklwubedou signirie un dpi de mats rouge. Je
possede deux versions presque identiques de ce
conte; celle que je donne ici m'a etc fournie par
M. Dietcrlen.
2. Dans le conte zoulou de Umamba (Calla-
way, p. 3ai-33i), on trouve egalement une
femme qui met a mort tous les enfants dune
autre femme de son mart; celle-ci a recours au
meme stratageme que la mere de Polo et cache
son enfant dans une peau de serpent.
POLO ET KHOAHLAKHOUBEDOU
I 60
accoucher chez ses parents et donna le jour
a une jeune fille qu'elle appela Polo, parce
que, des sa naissance, on la revetit de la peau
d'un serpent d'eau. Quand Polo fut devenue
grande, on la revetit d'une autre peau un
peu plus grande. Alors sa mere retourna
chez son mari, laissant sa tille Polo aux
soins de ses grands parents; c'est la que
Polo grandit et devint une jeune fille; c'est
la aussi qu'on la fit passer par les rites de la
nubilite. L'autre femme du chef avait aussi
une fille qu'on appela Khoahlakhoubedou.
Un jour, Masilo arriva chez le pere de
Khoahlakhoubedou et lui dit : « Je viens
chercher des femmes, je veux me marier. »
Le chef ordonna de rassembler toutes ses
filles pour que Masilo put choisir celle qu'il
pre'fe'rait. Le lendemain, Mapolo ' fit cher-
cher sa fille; Polo vint, suivie de ses com-
pagnes, qui ne formaient qu'une toute petite
troupe. Quant il fallut aller chez Masilo,
Khoahlakhoubedou et ses compagnes refu-
serent de marcher avec Polo et ses compa-
gnes, en disant : « Pour nous, nous ne mar-
1. C'est-a-dire la mere de Polo.
CONTES DES BASS0UT0S
chons pas en compagnie d'un serpent. » Les
deux troupes de jeunes filles raarchaient
ainsi a distance l'une de l'autre. Masilo etait
monte sur une colline pour les voir arriver.
Quand les jeunes filles arriverent a une
petite riviere elles s'ecrierent : « Descendons
a la riviere, deshabillons-nous et nous bai-
gnons. a Khoahlakhoubedou et ses com-
pagnes se baignerent d'un cote; Polo et ses
compagnes se baignerent d'un autre cote.
Elles sortirent de l'eau et continuerent leur
route, toujours observees par Masilo. Enfin
elles arriverent aupres d'un ruisseau, qui
coulait precisement au pied de la colline ou
se tenait Masilo.
Masilo se disait : « La-bas, au milieu de
la plus petite des deux troupes, il y a une
jeune fille qui parait toute noire; je voudrais
bien savoir quel est l'etrange vetement dont
elle est revetue. » Les jeunes filles se
depouillerent de nouveau de leurs vetements
pour se baigner. Quand Polo se fut depouillee
de sa peau de serpent, Masilo s'ecria :
« Quelle belle fille ! c'est elle qui sera ma
lemme; je vois combien elle est belle, quand
elle a depouille sa peau de serpent. » Quand
POLO ET KHOAHLAKHOUBEDOU IJl
il vit ses compagnes la recouvrir de sa vilaine
peau, il s'ecria : « Helas ! combien ma femme
devient laide, quand elles la recouvrent de
cette vilaine peau ! »
Les jeunes filles continucrent leur route et
arriverent chez Masilo. On leur dit : c Bon-
jour, les belles filles! » Les deux, troupes de
jeunes filles s'assirent chacune a part; d'un
cote la troupe de Khoahlakhoubedou, de
l'autre celle de Polo. Masilo arriva et les
salua toutes ; elles lui rendirent son salut.
Puis il vint s'asseoir aupres des compagnes
de Khoahlakhoubedou ', et dit a celle-ci :
n Khoahlakhoubedou, donne-moi a priser. »
La jeune fille prit sa tabatiere et vCrsa du
tabac dans sa main ; Masilo en prit et prisa.
Puis il alia vers la troupe des compagnes de
Polo. Les compagnes de Khoahlakhoubedou
dirent : « Ouais! il va vers la troupe du ser-
pent! Rions! » Elles se mirent a rire. Masilo
s'assit et dit : « Polo, donne-moi une prise, a
i. Comme Khoahlakoubedou est la rillc dc la
premiere femme, et par consequent la superieure
de Polo, e'est vers elle que Masilo doit se rendre
en premier lieu.
CONTES DES BASSOUTOS
H
Elle lui donna du tabac, et il prisa. Les com-
pagnes de Khoahlakhoubedou s'ecrierent :
<c Ouais! il a pris du tabac dans la main du
serpent. » Mais Masilo leur dit : « C'est une
fille de chef, elle aussi, tout comme Khoah-
lakoubedou. »
Alors il se leva et alia chez sa mere; il lui
dit : « Prends un grand pot de bouillie et
porte-le a la troupe du serpent; prends-en
un plus petit et porte-le a celle de Khoahla-
khoubedou. » Sa mere fit ainsi. Masilo sor-
tit, ayant attache a son habit une petite
cuiller de fer. II s'assit aupres de Khoahla-
khoubedou, prit avec ses mains un peu de
bouillie et en mangea. Puis il se leva et alia
vers la troupe de Polo. Khoahlakhoubedou
et ses compagnes s'ecrierent : « Ouais! il
mange avec un serpent! Rions! » Elles
rirent.
Ensuite Masilo retourna vers sa mere et
lui dit : ■ Prends un pot de yoala et porte-
le a Khoahlakhoubedou. » Quand ce fut fait
il lui dit : « Prends-en un plus grand et
porte-le a Polo. » Sa mere fit ainsi. Alors il
alia vers ses serviteurs et leur dit : « Prenez
un grand mouton bicn gras, tuez-le et portez-
POLO ET KHOAHLAKHOUBEDOU
i 7 3
le a Polo. » lis firent ainsi. Les compagnes
de Khoahlakhoubedou s'ecrierent : « Oho!
on donne au serpent un beau mouton gras ! »
Masilo leur re'pondit : « G'est une fille de
chef; je lui donne a manger. » Puis il dit a
ses serviteurs : « Prenez une brebis, tuez-la
et portez-la a Khoahlakhoubedou. C'est
Khoahlakhoubedou qui e'tait la fille de la"
premiere femme, bien que Masilo ne lui
donnat qu'une brebis maigre ; Polo n'etait
que la servante de Khoahlakhoubedou, et
cependant ce fut elle qui regut un beau
mouton gras.
Quand le soleil fut couche, Masilo dit :
« Khoahlakhoubedou et ses compagnes pas-
seront la nuit dans la hutte de ma mere;
Polo et ses compagnes passeront la nuit
dans la mienne. » II entra dans la hutte oil
etait Khoahlakhoubedou et y resta un petit
moment, puis il sortit et alia vers Polo et
ses compagnes. II leur dit : « Depouillez done
Polo de cette vilaine peau. » Elles re'pon-
dirent : « Ce n'est pas une peau qu'elle a
revetue ; c'est son corps, elle est ainsi. »
II repeta : « Je vous en prie, depouillez-
l'en. i) II continua a les supplier longtemps
'71
roNTF.S DES BASS0UT0S
[i
de faire ce qu'il demandait. Enfin elles lui
dirent : « Essaie, si tu le veux, de Ten de-
pouiller; mais c'est inutile, puisque c'est la
la peau dans laquelle elle est venue au
monde. » II continua de les supplier; enfin
elles ce'derent a ses instances et enleverent
la peau de serpent qui recouvrait Polo. Alors
il s'ecria : « Quelle belle jeune fille ! c'est
elle qui sera ma femme; c'est elle que
j'epouserai. » Quand les compagnes de Polo
voulurent la recouvrir de sa peau de ser-
pent, Masilo prit celle-ci, la dechira et la jeta
au feu. II resta la a causer avec elles, toute
la nuit, jusqu'au matin.
Alors il sortit et alia vers sa mere; il lui
dit : « Mere, prends des nattes et etends-les
sur le sol, de ta hutte jusqu'a la mienne. »
Puis il fit abattre des bceufs et preparer une
grande fete. Sa mere prit des nattes et les
etendit sur tout l'espace qui se'parait sa hutte
de celle de son fils. Khoahlakhoubedou etait
bien triste de voir tout cela. Les gens se
demandaient : « Qu'allons-nous done voir
paraitre? » Masilo commanda alors a tous
ses jeunes gens de prendre leurs boucliers
et d'y fixer leurs panaches de plumes d'au-
POLO ET KHOAHLAKHOUBEDOU
i1 s
truches '. Ensuite il les fit placer sur deux,
rangs, en face l'un de l'autre, de telle sorte
qu'en elevant leurs boucliers au-dessus de
leurs tetes ils fissent comme une route cou-
verte, qui allat de la hutte de Masilo a celle
de sa mere. Quand tout fut pret, Masilo
cria : « Polo, sors maintenant. » Polo sor-
tit. Au moment ou elle mettait le pied hors
de la hutte, le soleil s'obscurcit; on jeta a
terre un large collier de cuivre, et le soleil se
remit a briller. Polo s'avanca a l'ombre des
boucliers, que les jeunes gens tenaient eleves
au-dessus de sa tete pour que le soleil ne
lui fit pas de mal ; elle arriva ainsi a la hutte
de la mere de Masilo. t Tout le monde
s'e'criait : « Venez done voir la femme de
.Masilo! Quelle est belle! o Khoahlakhou-
bedou pleurait de colere et ne cessait de
sangloter. Masilo lui dit : « Ne pleure pas
ainsi! toi aussi tu seras ma femme. » Jus-
qu'alors personne- n'avait vu combien Polo
i. Dans les grandes occasions les Bassoutos
fixent a leurs boucliers de peau de boeuf un
grand panache de plumes d'autruches, nomine
moklielc.
ijn
CONTES DES BASSOL'TOS
!4
etait belle; Khoahlakhoubedou n'en avail
jamais rien su. On fit une grande fete; on
se rejouit, on mangea et on but jusqu'a la
nuit.
I.e lendemain, Masilo choisit le betail avec
lequel il devait e'pouscr ses deux femmes,
et le fit conduire chez Rakhoahlakhoube-
dou '. Puis il se mit en route avec ses deux
femmes. II dit a ses jeunes gens : « Que le
soleil ne fasse pas de mal a Polo! faites-lui
un abri de vos boucliers. » Les jeunes gens
eleverent, comme la veille, leurs boucliers
au-dessus de leurs tetes, et Polo marcha au
milieu d'eux, protegee contre les rayons du
soleil. Quand ils arriverent ainsi nombreux
en vue du village de Rakhoahlakhoubedou,
la mere de Polo s'ecria : « Helas! mon pau-
vre serpent, on l'a sans doute tue; je ne le
verrai plus, mon pauvre serpent, a Masilo et
ses gens entrerent dans le village et se ren-
dirent au khotla aupres de Rakhoahlakhou-
bedou; Masilo lui presenta le betail qu'il
avait apporte pour e'pouser Polo et Khoa-
hlakoubedou. G'est alors seulement que les
i. C'cst-a-dirc lc pcrc dc Khoahlakoubcdou.
POLO ET KHOAHLAKHOUBEDOU
'77
gens du village apprirent que Mapolo avait
un enfant; jusqu'alors ils n'en avaient rien
su. On tua des boeufs et ce'lebra le manage,
puis Masilo retourna chez lui avec ses deux
femmes. Polo devint sa femme principale
et Khoahlakhoubedou fut la servante de
Polo '.
i. Dans l'autre version l'humiliation de Kho-
ahlakhoubedou est plus grande encore; elle
donne le jour a une petite hlle laide et infirme,
tandis que l'enfant de Polo est bien portant.
Masilo rinit par ceder Khoahlakhoubedou a son
frere cadet, Masilonyane.
J&k.
##
"®^'
BOULANE ET SENKEPENG '.
M
11. y avait une fois unc Kile dc chef nom-
inee Senkepeng; sonpcre avait un serviteur
nomme Mapapo. Boulane envoya une grande
secheresse sur tout le pays 2; il n'y pleuvait
plus jamais, toutes les sources tarirent; par-
tout on ne trouvait plus une goutte d'eau.
Les gens essayerent de tuerdes boeufs et de
presser l'herbe contenue dans leur estomac
pour en tirer un peu d'eau ; mais meme la
1. Je posscdc de cc contc une autre version,
dans laquelle la jcunefille porte le nom de Mot-
sesa (celle dont on rit). La version que je donne
ci-dessus m'a etc fournie par M. Dicterlen.
2. Dans lc contc de Modisa-oa-dipodi le mari
dc ccllc-ci posscdc lc mcmc pouvoir.
EOULANE ET SENKEPENG
179
ils n'en purent trouver. Un jour Rasenke-
peng > dit a Mapapo : « Va chercher de
l'eau ; peut-etre en trouveras-tu quelque
part. » On prepara une grande expedition ;
on chargea sur les boeufs de somme de la
farine, toutes sortes de vivres et une grande
quantite de calebasses pour puiser de l'eau.
Mapapo et ses compagnons voyagerent fort
longtemps sans en rencontrer ; enfin Mapapo
monta sur une haute montagne, et loin,
bien loin, au fond d'une gorge, il vit briller
de l'eau. Alors il redescenditde la montagne
et marcha dans la direction de cette eau
jusqu'a ce qu'il l'eut trouvee.
II se pencha pour boire, mais le maitre des
eaux le frappa sur la bouche et l'empecha
d'en boire; il essaya d'en puiser dans ses
mains, cette fois encore le maitre des eaux
l'empecha d'en boire. Mapapo se relevatout
etonne et dit au maitre des eaux 2 qui restait
toujours invisible : a Seigneur, pourquoi
1. C'est-a-dire le pere de Senkepeng.
2. Dans l'autre version c'est un serpent jaune
qui se tient dans la source et qui empeche Ma-
papo de boire.
CONTES DES BASSOt'TOS
[I
m'empeches-tu de boire?» Le maitre des
eaux dit : i Je te permettrai d'en boire,
Mapapo, si tu me promets de persuader
Rasenkepeng de me dormer Senkepeng en
manage. S'il refuse de me l'accorder, toute
sa tribu mourra de soif avec tout le be'tail. »
Mapapo lui repondit : a .le le lui dirai; mais
permets-moi maintcnant de puiser de cette
eau. » Le maitre des eaux le lui permit.
Alors Mapapo se mit a en boire; il but, il
but jusqu'a ce que sa soif fut assouvie. II
remplit ensuite d'eau toutes les calebasses
qu'il avail apportees, puis il vida le tabac
qu'il avail dans sa tabatiere et y versa de
l'eau. Puis il chargea les calebasses sur son
dos et marcha toute la nuit pour retourner
cbez son maitre.
II y arriva avant le jour. Des qu'il fut
arrive il se presenta chez Rasenkepeng et
lui dit : « Voici de l'eau, chef. » II ajouta :
■ Le maitre des eaux te fait dire qu'il veut
e'pouser Senkepeng. Si tu refuses de la lui
accorder, ton peuple tout entier perira avec
tout ton betail; il ne restera pas une ame
vivante. » Alors on fit appeler Senkepeng;
son pere lui dit : « C'est a cause de toi que
B0ULANE ET SENKEPENG
181
nous manquons d'eau ; c'est a cause de toi
que tout mon peupte perk. Mapapo me dit
que le maitre des eaux veut t'epouser ; si on
refuse de t'envoyer chez lui, mon peuple
tout entier perira par ta faute. » Senkepeng
repondit : « Non, le peuple ne perira pas par
ma faute; vous pouvez me conduire vers le
maitre des eaux. »
Le lendemain, des qu'il commenca a faire
jour, Rasenkepeng fit appeler son peuple
tout entier et lui racontatout ce que Mapapo
lui avait rapporte. Le peuple consentit a
tout; puis on rassembla des bceufs de
somme, on moulut des masses de farine, on
tua du betail en quantite ; on chargea la
viande et la farine sur des bceufs de somme
et l'on choisit des jeunes gens et des jeunes
lilies pour accompagner Senkepeng. Tout
ce monde se mit en route conduit par
Mapapo; c'etait lui qu'on avait charge de
mener Senkepeng a son mari. Quand ils
furent arrives a l'endroit fixe, ils dechar-
gerent leurs bceufs et deposerent a terre les
vivres qu'ils avaient apportes ; il n'y avait
rien en cet endroit, pas meme une seule
petite hutte. Les compagnons de Senkepeng
1 1
CONTKS DES BASSOUTOS
[t
resterent longtemps avec elle sans voir per-
sonne. Vers le soir ils lui dirent enfin : « II
nous faut maintenant partir et retourner
chez nous. » Senkepeng leur repondit :
« C'est bien, vous pouvez aller. »
Ils partirent; elle resta seule. Alors elle
demanda a haute voix : « Ou coucherai-je? »
Une voix repondit : « Ici meme. » Senkepeng
demanda : o Ici meme ? Ou ? » La voix
reprit : « Ici meme. » Senkepeng se tut; elle
resta longtemps silencieuse, puis elle de-
manda de nouveau : « Oil coucherai-je ?
— Ici meme. — Ici meme ? ou ? — Ici
meme. » Elle refut toujours la meme
reponse, jusqu'au moment ou le sommeil la
saisit, et ou elle s'endormit. Elle dormit
profondement. Elle se reveilla et vit qu'il
allait pleuvoir. Elle demanda : « II pleut;
oil coucherai-je? » La voix repondit : « Ici
meme. — Ici meme? Ou? — Ici meme. »
Elle s'endormit de nouveau et dormit jus-
qu'au matin. A son reveil elle vit qu'elle
etait couchee dans une hutte ; elle avait
des couvertures, de la nourriture, il ne
lui manquait rien. Mais le maitre de la hutte
restait invisible, Boulane-a-boula-ntlo-e-
B0ULANE ET SENKEPENG
183
dithole > ; elle ne voyait personne, la seule
chose qu'elle pouvait voir c'etait la hutte oil
elle etait et les effets qui s'y trouvaient.
Elle vecut longtemps dans cette hutte,
sans voir personne, y demeurant tout a tait
seule. Enfin elle devint enceinte, sans avoir
cependant jamais vu un homme aupres
d'elle =. Le mois qu'elle devait accoucher, sa
belle-mere Maboulane vint vers elle pour
l'assister. Alors Senkepeng mit au monde
un petit garcon. Lorsque l'enfant eut un peu
grandi, Maboulane retourna chez elle, lais-
sant sa belle-fille seule comme auparavant.
Un jour Senkepeng cjit : « Peut-etre puis-je
aller chez moi faire visite a mes parents ; j'ai
un vif desir de les revoir. » La voix repon-
dit : « Tu peuxy aller. » Le lendemain elle
partit et alia chez ses parents. Des qu'elle
arriva, on cria de tous cotes : « Voici Sen-
kepeng; c'est bien elle qui arrive, et meme
i. Ce sont les premiers mots des thoses ou
chant de louanges de Boulane ; litteralement :
>. Boulanequi ouvre une hutte pleine de poussiere.n
2. Cf. le conte de Modisa-oa-dipodi oil nous
trouvons une situation toute semblable.
i8 4
CONTES DES BASSOfTOS
II
elle a maintenaut un petit garcon. » Elle
resta quelques jours a la maison ; quand
elle partit, sa petite soeur, Senkepenyana,
lui dit : • Je veux aller avec toi. » Senke-
peng lui repondit : « C'est bien ; partons
ensemble ; en effet, je suis bien seule. ■ Elles
arriverent a la hutte de Senkepeng et y pas-
serent la nuit. I.e lendemain la soeur ainee
dit a la cadette de garder son enfant pen-
dant qu'elle irait aux champs.
L'enfant pleura ; Senkepenyana le battit
et lui dit : ■ Enfant dont personne n'a vu le
pere ! personne ne peut meme dire oii il
est. » Le pere de l'enfant entendit tout ce
que disait Senkepenyana. Un jour encore
Senkepeng dit a sa soeur : • Reste avec l'en-
fant, pendant que je vais a la fontainc. »
I .'enfant pleura; Senkepenyana le battit et
lui dit : ■ Enfant dont personne n'a vu le
pere ! personne ne peut meme dire ou il
est. ■ Elle gronda l'enfant & plusieurs reprises
de la meme maniere. (^uand elle voulut
entrer dans la hutte et en ouvrit la porte,
elle vit un homme qui se tenait assis tout au
fond de la hutte. Get homme lui dit :
i Apporte-moi mon enfant ; pourquoi le
BOULANE F.T SENKEPENG
185
grondes-tu toujours, disant que personne
ne sait qui est son pere? C'est moi qui suis
son pere. » Senkepe'nyana vit que Boulane'
e'tait vetu d'une couverture de fer qui bril-
lait tant qu'elle l'aveuglait ' ; elle voulut sor-
tir et se heurta contre la paroi de la hutte,
puis quand ellefut un peu remise, elle sortit
et s'enfuit au plus vite.
Senkepeng arriva, deposa son pot d'eau,
prit un balai et se mit a balayer le lapa.
Boulane l'appela : « Senkepeng, Senke-
peng. » Quand elle entra dans la hutte, elle
fut effrayee et s'e'cria : « D'ou vient cet
homme tout brillant, vetu d'une couverture
de fer, qui tient mon enfant dans ses bras ? »
Elle s'assit a terre. Boulane lui demanda :
n Senkepeng, qui est ton mari? » Elle repon-
dit : « Seigneur, je ne le connais pas. » Bou-
lane lui demanda une seconde fois :
« Senkepeng, qui est ton mari? » Elle repon-
i. Dans le conte de Modisa-oa-dipodi nous
voyons un homme dont tout un cote du corps
est en fer brillant, tandis qu'ici Boulane est
simplement represente revetu d'une couverture
de fer.
iSli
CONTES IH'.s BASSOU1 OS
H
dit : i Seigneur, je ne le connais pas. » Alors
il lui dit : • C'est moi qui suis ton mari;
c'est moi qui suis Boulane-oa-sehana-basadi-
a-boula-ntl<>-c -dithoie* ' ; c'est moi qui suis
ton mari. Ta soeur, que tu as amenee ici,
grondait toujours mon enfant et lui disait
que personne n'avait jamais vu son pere;
c'est moi qui suis son pere. » Ce jour-la
pour la premiere fois Senkepeng vit son
mari; Boulane prit une couverture dc fer et
en revetit son enfant. A partir de cc jour,
Boulane resta aupres de sa femme et ne dis-
parut plus. Le meme jour apparut en cet
endroit un grand village avec une grande
quantite de becufs, de vaches, de moutons,
de grandes corbeilles pleines de sorgho ;
tout cela sortit dc dessous laterre. Maintc-
nant Senkepeng comprit qu'elle etait reel-
lcment la femme d'un grand chef, et elle
rcgna sur un peuple nombreux.
i. Littcralcnient : « Boulane eclui qui refuse
de sc maricr, qui ouvre une hutte pleine de
poussierc. »
KOUMONGOE '.
Il y avait un jeune garcon nomme' Hlaba-
koane; sa sceur se nommait Thakane. Pen-
dant que le pere et la mere etaient aux
champs, Thakane restait seule a la maison;
quant a Hlabakoane c'etait lui qui gardait
les bestiaux. Un jour, il dit a sa soeur : « Tha-
kane, donne-moi Koumongoe. » Koumongoe
etait le nom d'un arbre dont mangeaient son
pere et sa mere ; quand on faisait une entaille
i. Ce conte est compose de deux parties assez
dissemblables; la seconde partie forme souvent
un conte a part, celui dc Dilaliloane. Je dois cette
version tres curieuse a une vicille femme nomme
Mamangana.
1 88
CONTF.S I)F.S BASSOITOS
avec la hache il en sortait du lait '. Les en-
fants n'avaient pas le droit d'v toucher.
Thakane repondit a son frere : « Ne sais-
tu pas que c'est un arbre dont il ne nous est
pas permis dc manger? Notre pere et notre
mere seuls peuvent en manger. — S'il en
est ainsi je ne menerai pas le betail au patu-
rage aujourd'hui; il restera dans le kraal '
toute la journee. ■ Thakane ne repondit rien,
ct son frere resta assis dans le lapa. Au
bout d'un moment elle lui dit : « Quand
mencras-tu paitre le betail? » II repondit :
■ 11 ne paitra pas detout le jour. »
Alors Thakane prit un petit vase de terre
et unc hache et en frappa Koumongoe. II en
sortit un peu de lait; elle voulut le donner a
son frere, mais celui-ci le refusa disant qu'il
n'y en avait pas assez pour satisfaire sa
faim. Thakane recommenca de frapper avec
la hache ; cette fois il sortit du lait en abon-
i. A rapprocher de I'arbre qui donne du lait,
du pot magique dans lcqucl on bat le beurre, du
conte dc Mosimodi et Mosimotsane.
2. Kraal, l'cnclos oil Ton parque le betail pen-
dant la nuit.
KOL'MONGOE
l8g
dance, c'etait comme un ruisseau qui coulait
dans la hutte. Alors elle appela a grands cris
Hlabakoane, en lui disant : « Viens vite a
mon secours; l'arbre de nos parents se fond
completement, la hutte en est deja toute
pleine. » lis essayerent en vain d'arreter le
lait, qui coulait toujours plus abondamment
et sortait de la hutte comme un ruisseau,
d'oii il s'ecoulait dans la direction des champs
de leurs parents '.
Rahlabakoane 2 l'apercut de loin, il dit a
sa femme : « Mahlabakoane, voila Koumon-
goe qui s'ecoule de ce cote; les enfants ont
sans doute fait quelque sottise. » Alors ils
jeterent leurs houes et s'elancerent a la ren-
contre de Koumongoe; le mari puisa le lait
avec ses mains et se mit a le boire, la femme
en puisa aussi et se mit e'galement a en boire.
Alors Koumongoe se replia sur lui-meme
jusqu'a ce qu'il fut rentre dans la hutte.
1 . Les villages des Bassoutos sont gcneralcment
situes sur la hauteur; les champs se trouvent
plus bas, dans la plaine ou le long des rivieres.
2. Rahlabakoane, c'est-a-dire le pere de Hlaba-
koane; Mahlabakoane. la mere de Hlabakoane.
19"
CONTF.S DES BASSOUTOS
U
Quand ils furent arrives, les parents
demanderent a leur fille : « Thakane, qu'as-
tu fait? Pourquoi l'arbre dont nous seuls
avons le droit de manger s'ecoulait-il ainsi
du cote dcs champs? » Elle repondit : « Ce
n'est pas ma faute, c'est celle de Hlabakoane;
il refusait de faire sortir le betail du kraal et
de le mener au paturagc, disant qu'il voulait
absolument du lait de Koumongoe; alors je
lui en ai donne. i Alors son pere ordonna
qu'on fit revenir les moutons; il en choisit
deux, les egorgea et les fit cuire; la femme
sc mit a moudre du sorgho et en petrit la
farine. Puis le mari prit les deux peaux de
mouton et les enduisit de graisse et d'ocre
rouge; ensuite il fit venir un forgeron pour
forger des amieaux de fer. Le forgeron ferra
ces anneaux aux bras de Thakane, a ses
jambes et a son cou. Alors le pere prit les
peaux qu'il avait pre'parees et Ten revetit;il
la revetit aussi d'une robe de peaux a
franges.
(^uand tout fut pret, il appela ses gens et
leur dit : « Je veux me de'faire de Thakane.
— Comment peux-tu parler ainsi et faire une
chose pareille, quand c'est la ta fille.
KOtfSlONGOE
iqi
unique ? » II leur repondit : a C'est parce
qu'elle a mange de l'arbre dont elle ne
devait pas manger. » Alors il partit avec
elle pour la conduire vers des cannibales
afin qu'ils la de'vorassent. Quand il passa
pres des champs cultives, il en sortit un
lapin qui lui demanda : « Rahlabakoane, ou
done menes-tu cette enfant si belle, si
belle? )) II lui repondit : a Tu peux l'inter-
roger elle-meme ; elle est assez grande pour
te repondre. » Alors Thakane se mit a
chanter :
J'ai donne a Hlabakoane Koumongoe,
Au berger de notre betail Koumongoe,
Pour que notre betail ne restat pas tout le jour
[dans le kraal, Koumongoe,
Qu'il ne pourrit pas dans le kraal, Koumongoe,
C'est alors que je lui ai donne Koumongoe de
[mon perc.
Alors le lapin s'ecria : « Que ce soit toi
qui sois devore par les cannibales, Rahlaba-
koane, et non pas cette enfant ! »
Un pen plus loin, ils rencontrerent des
elans, qui demanderent a Rahlabakoane :
a Oil done menes-tu cette enfant si belle, si
IQ2
CONTES l>ES BASSOUTOS
H
belle?» II leur repondit : « Demandez-le lui,
elle est asscz grande pour vous repondre. »
Alors la jeune fille se mit a chanter :
J'ai donne a Hlabakoanc Koumongoe,
Au bcrger dc notre betail Koumongoe,
Pour que \o betail nc rcstat pas tout le jour dans
[le kraal, Koumongoe,
Qu'il nc pourrit pas dans le kraal, Koumongoe,
Ccst alors que jc lui ai donne Koumongoe dc
[mon perc.
Alors les elans s'ecrierent : « Que ce soit
toi qui perisses, et non pas elle, Rahlaba-
koane ! »
Le lendemain, Rahlabakoane et sa fille
rencontrerent des gazelles; elles lui deman-
derent : Ou done menes-tu cette enfant si
belle, si belle? » 11 leur repondit : « Deman-
dez-le lui, elle est assez grande pour vous
repondre. » Alors sa fille se mit a chanter :
J'ai donne a Hlabakoanc Koumongoe,
Au berger dc notrc betail Koumongoe,
Pour que le betail nc rcstat pas tout le jour dans
[le kraal, Koumongoe,
Qu'il nc pourrit pas dans le kraal, Koumongoe,
C'est alors que jc lui ai donne Koumongoe de
[mon perc,
KOUMONGOE
ICp
Alors les gazelles s'e'crierent : a Que ee
soit toi, et non pas elle, qui sois de'vore par
les cannibales, Rahlabakoane ! »
Enfin, ils arriverent au village des canni-
bales; le khotla de Masilo, le fils du chef,
etait plein de monde. C etait son pere seul qui
etait cannibale; quant a Masilo il ne raan-
geait pas de chair humaine. On fit entrer
Rahlabakoane et sa fille dans le khotla; on
apporta pour Thakane une peau de boeuf
tanne'e sur laquelle elle s'assit; le pere, lui,
dut s'asseoir parterre. Alors Masilo demanda
a Rahlabakoane : « Ou done menes-tu cette
enfant si belle, si belle? » Rahlabakoane lui
repondit : « Tu peux le lui demander, elle
est assez grande pour te repondre. » Alors
sa fille se mit a chanter :
J'ai donne a Hlabakoane Koumongoe,
Auberger de notre betail Koumongoe,
Pour que notrc betail ne restat pas tout le jour
[dans le kraal, Koumongoe,
Qu'il ne pourrit pas dans le kraal, Koumongoe ^
C'est alors que je lui ai donne Koumongoe de
[mon pere.
C'est ainsi qu'elle avoua publiquement
sa faute.
94
CONTES DBS BASSOUTOS
n
Mors Masilo, le fils du chef de ces canni-
bales,appela un de ses serviteurs et lui dit :
« Conduis cet homme et cette jeune fille
chez ma mere; dis-Iui de garder la jeune
fille dans son Lipa et d'envoyer cet homme
saluer mon pere. d La mere de Masilo
ordonna au serviteur de conduire Rahlaba-
koane vers son mari ; le serviteur y alia et
dit au chef des cannibales : a Masilo m"a
dit de t'amener cet homme-ci, pour qu'il te
presente ses salutations. » Le chef des canni-
bales se saisit de Rahlabakoane, et, ayant
place sur le feu un vieux pot de terre, il l'y
prccipita tout vivant; quand Rahlabakoane
fut cuit a point, le cannibale se reput de sa
chair. Quand tout fut fini le serviteur de
Masilo s'en alia et retourna vers son maitre.
Quant a la jeune fille Masilo la prit pour
femme; jusqu'alors il n'avait jamais voulu
se marier et avait refuse toutes les jeunes
filles qu'on lui proposait. Thakane etait la
seule jeune fille qui lui cut jamais plu. Au
bout de quelque temps Thakane devint
enceinte et donna le jour a une petite fille.
Sa belle-mere s'ecria : « He'las! ma fille,
e'est en vain que tu as subi les douleurs de
KOUMONGOE
iq5
l'enfantement. » En effet, dans ce village, lors-
qu'il naissait une petite fille, on la menait au
cannibale, qui la devorait. On alia dire a
Masilo : « Ta femme a mis au monde une
petite fille. » II repondit : « C'est bien ,
menez-la a mon pere pour qu'il en prenne
soin. » Mais Thakane s'ecria : « Non, non ;
chez nous on ne mange pas les enfants ;
quands ils meurent on les enterre ; je ne
veux pas qu'on me prenne mon enfant. » Sa
belle-mere lui repondit : « Ici, il ne faut pas
avoir des filles; on ne doit mettre au monde
que des garcons. » Masilo alia vers sa femme
et lui dit : « Allons, Thakane, permets que
mon pere prenne soin de ton enfani. » Mais
sa femme refusa de se laisser persuader ; elle
repondit : « Je puis l'enterrer moi-meme, je
ne veux pas que ton cannibale de pere, qui a
devore mon pere, mange aussi mon enfant. »
Alors elle prit son enfant dans ses bras
et descendit vers la riviere ; elle arriva
a un endroit ou la riviere formait un etang
profond tout entoure de hauts roseaux.
Elle s'assit a terre et resta longtemps a
pleurer, ne pouvant se decider a enter-
rer son enfant. Tout a coup une vieille
too
CONTES DF.S BASSOITOS
femme ' sortit de l'eau et apparut au milieu
des roseaux; la vieille femme lui demanda :
■ Pourquoi pleures-tu, mon enfant ? » Tha-
kane re'pondit : <« Je pleure sur mon enfant
que je dois noyer dans la riviere. » Alors
la vieille lui dit : • C'est vrai ; dans ton
village il ne doit pas naitre de filles, on
ne doit mettre au monde que des garcons;
donne-moi ton enfant, c'est moi qui en
prendrai soin. Dis-moi seulement l'epoque
oil tu desires venir la voir ici, dans cet
etang. »
Thakane lui confia son enfant et retourna
chez elle. Au jour fixe, elle retourna a l'e'tang
pour la revoir: Quand elle fut arrivee au
bord de l'eau, elle se mit a chanter :
Apporte-moi Dilahloane ' que je la voic,
Dilahloane qu'a rcjctcc son pere Masilo.
Alors la vieille parut avecl'enfant qui etait
deja bien grandie. La mere en fut toute
i. D'apres une variante, c'est un crocodile,
commc dans le conte de Mosimodi et .\fosimotsane.
3. Dilahloane signitie ■ la rejetec »,
KOUMONGOE
IQ7
re'jouie, et elle resta longtemps assise au
bord de l'eau avec son enfant. Vers le soir,
lavieillela reprit et disparut avec elle au
fond des eaux. Thakane revenait ainsi voir
son enfant a epoques fixes ; chaque fois
qu'elle venait la vieille lui apportait Dilah-
loane. L'enfant grandit si vite qu'en une
seule annee ce fut une jeune fille ; la vieille
femme la fit passer au fond des eaux par les
rites de la nubilite.
Quand sa mere vint la visiter, elle vit
qu'elle e'tait maintenant nubile. Ce jour-la,
unhomme du village de Masilo etait venu
couper des branches au bord de la riviere;
il apercut la jeune fille et s'etonna en voyant
combien elle ressemblait a Masilo. Mors il
retourna au village, 'prit a part Masilo et
lui dit : « Je viens de de'couvrir au bord de
la riviere ta femme en compagnie de ta fille,
celle qu'elle avait declare vouloir enterrer. »
Masilo lui demanda : « Elle n'est done pas
morte au fond des eaux. » L'homme repon-
dit : « Non, et meme e'est deja une jeune
fille qui vient de passer par les rites de la
nubilite. » Alors Masilo demanda : « Que
faut-il faire? » L'homme repondit : « Le
iq8
CONTES DES BASSOUTOS
jour oil ta femme te dira qu'elle va se
haigner a la riviere, vas-y en secret avant
elle et cache-toi dans les buissons; quand
ta femme arrivera elle ne saura pas que tu
es la. u
Au boutde quelques jours Thakane dit a
Masilo : a Aujourd'hui, je vais me baigner a
la riviere. » Son mari lui dit : « C'est bien,
tu peux y aller. » Alors il courut a la riviere
et se cacha dans les buissons. Thakane
arriva un instant apres et, debout sur la rive,
se mit a chanter:
Apporte-moi Dilahloane" que je la voie,
Dilahloane' qu'a rejetee son pere Masilo.
Alors la vieille femme sortit de l'eau avec
Dilahloane; lorsque Masilo la regarda, il
vit que c'etait bien son enfant, celle que sa
femme avait declare vouloir enterrer. II se
prit a pleurer en voyant que sa fille e'tait
deja grande. La vieille femme dit a Tha-
kane : ■ J'ai peur, comme s'il y avait quel-
qu'un qui nous e'pie. » Alors elle reprit
Dilahloane et rentra avec elle sous les eaux.
Thakane retourna au village ; Masilo, lui
KOUMONGOE
100
aussi, s'y rendit par un autre cliemin. Quand
il fut arrive il s'assit dans le lapa de sa mere
et y resta longtemps a pleurer. Mamasilo
lui demanda : « Pourquoi pleures-tu mon
enfant? » II lui repondit : « C'est parce que
j'ai mal a la tete, tres mal. » Le soir, il dit a
sa femme : « Je viens de voir mon enfant, a
l'endroit ou tu disais que tu l'enterrerais;
tu l'as jete'e dans l'etang, et maintenant c'est
de'ja une jeune fille. » La femme lui repon-
dit. « Je ne sais ce dont tu paries; mon
enfant est enterre'e dans le sable. » II sup-
plia longuement sa femme pour qu'elle
consentit a tout lui confier et a lui rendre
son enfant. Elle lui dit : a Si je te la rends,
je suis sure que tu la meneras a ton pere,
pour qu'il la devore. » Mais il repondit :
« Je te promets que je n'en ferai rien, main-
tenant qu'elle est de'ja grande. »
Le lendemain, Thakane se rendit aupres
de la vieille femme et lui dit : « Masilo nous
a vues hier; il m'envoie aujourd'hui te sup-
plier dc lui rendre son enfant. » La vieille
lui repondit : « Qu'il me donne alors mille
tetes de be tail. » Thakane retourna vers son
mari et lui dit : « La vieille demande mille
200 CONTES DES BASSOUTOS
tetes de betail. » Masilo repondit : o Si elle
ne demande qu'un seul millier, c'est bien
peu ; elle en demanderait deux que je les lui
donnerais, puisque sans elle mon enfant
serait morte. a Le lendemain il envoya des
messagers dans tous les villages, ordonnant
a son peuple de lui amener tout le betail
qu'il possedait. Quand tout le betail fut
la, il choisit un millier de boeufs et de
vaches, qu'il fit conduire aupres de l'etang
de la riviere. Quand le betail fut arrive sur
la rive, Thakane se mit a chanter :
Apporte-moi Dilahloane que je la voie,
Dilahloane qu'a rejetee son pere Masilo.
Alors la vieille femme sortit des eaux avec
Dilahloane; au moment oil elles parurent le
soleil s'obscurcit et cessa de briller; mais
des qu'elles furent debout sur la rive, il
recommenca a briller. Masilo vit son enfant,
le peuple entier vit l'enfant de leur chef,
celle que son grand-pere avait voulu devorer
et que Thakane avait sauvee de la mort.
Alors on precipita dans les eaux le betail
de la vieille ; mais, en realite, ce n'etait
KOUMONGOE 20 1
de l'eau qu'en haut, au dessous c'etait un
vaste pays ou vivait un peuple nombreux,
gouverne par la vieille femme qui avait
sauve Dilahloane '.
Quand on fut de retour au village, la mere
de Masilo dit a son fils : « II faut mainte-
nant conduire Thakane chez elle, pour
qu'elle visite sa mere et son frere. » On
envoya des messagers dans toute la tribu pour
ordonner a tous d'apporter le betail avec
lequel le chef devait epouser Thakane '.
Masilo se mit en route avec tout ce betail et
une foule de jeunes gens. Quand ils arri-
verent a un col etroit, par oil Thakane avait
passe jadis avec son pere, ils s'apercurent
qu'un'grand rocherle fermait presque entie-
i . Cette idee J'un pays situe au fond des
eaux se retrouve dans plusieurs contes sessouto
ou cafre; voir entr'autres le conte de Semon-
mou et Se'moumounyane public dans la Revue
des Traditions populaires (1888, pp. 6D4-662).
2. Quoiqu'il ait v^cu longtemps avec elle et la
considere comme sa femme, elle ne lui appar-
tient legitimement que lorsqu'il a livre aux
parents de sa femme le betail du manage.
202
CONTES DES BASSOUTOS
rement. Thakane demands a son mari :
« Qu'est-ce done que ce rocher qui nous
barre la route? a Masilo lui dit : ■ Ne l'as-
tu pas vu quand tu as passe ici avec ton
perer ,, Elle lui repondit : « Non, ce rocher
ne s'y trouvait pas ; le defile etait ouvert. a
Tout en parlant ils continuaient a marcher
avec le betail qu'ils conduisaient ; Thakane
marchait en avant, car elle seule connaissait
le chemin qui conduisait chez ses parents.
Quand ils furent arrives dans le defile, a
quelques pas du rocher, le rocher se mit a
chanter :
[I
Rue 1(5, le rud, je te devorerai Thakane, men
(enfant,
Toi qui marches devant, puis je devorerai tous
[ceux qui te suivent.
Ce rocher n'etait autre que Rahlabakoane;
son coeur s'e'tait change en rocher apres sa
mort. Thakane lui repondit : a Et meme les
boeuts, tu peux les manger, si tu veux. »
Puis elle dit a Masilo : « C'est mon pere qui
est venu nous attendre sur notre route. »
Alors ils prirent an certain nombre de
boeuts et les pousserent vers le rocher, qui
KOUMONGOE
203
ouvrit sa gueule toute large et les avala d'une
seule bouche'e. Puis Rahlabakoane recom-
menca a chanter :
Rue le, le rue, je te devorerai, Thakane, mon
[enfant.
Toi qui marches devant, puis jc devorerai tous
[ceux qui te suivent.
Alors ils pousserent vers lui tout le reste de
leur Detail, qu'il eut avale en un instant;
puis il se remit a chanter :
Rue 1 le, le rue, je te devorerai, Thakane, mon
[enfant,
Toi qui marches devant, puis je devorerais tous
[ceux qui te suivent.
Thakane lui dit : « Tu peux maiiitenant
devorer nos gens, si tu veux. »
Son pere mangea quelques-uns de leurs
compagnons, et arreta Thakane et son mari,
qui voulaient poursuivre leur route, en
chantant comme auparavant :
Rue le, le rue, je te devorerai, Thakane, mon
[enfant,
Toi qui marches devant, puis je devorerai tous
[ceux qui te suivent.
204
CONTES DES BASSOUTOS
Alors Thakane lui livra tout le reste de ses
gens, qu'il devora jusqu'au dernier. II ne
restait plus qu'elle et Masilo avec leurs
deux enfants, Dilahloane et son petit frere;
comme ils voulaient continuer leur route le
rocher les arreta et se remit a chanter :
Rue le, le rue, je te devorerai, Thakane, mon
[enfant,
Toi qui marches devant, puis jc devorerai tous
[ccux qui te suivent.
II
Alors Thakane se laissa saisir et devorer
par son pere, elle, son mari et ses deux
enfants; le rocher les avala tout vivants
d'une seule houche'e et ils arriverent ainsi
dans son ventre.
A l'inte'rieur de Rahlabakoane e'etait
comme une vastc caverne. Un jeune garcon
etait oceupe a couper le ventre de Rahla-
bakoane avec un couteau pour y faire une
ouverture; il finit enfin par y ouvrir une
large breche '. C'est alors que Rahlaba-
1. Nous retrouvous ici la donnee fondamentale
de la legende du Moshanyana Senkatana (Revue
des Traditions pupulaires, 1S88, pp. 495-500).
KOUMONGOE
203
koane mourut; le rocher tornba a terre avec
fracas. II en sortit une foule de gens ; il
ne resta que ceux qui avaient ete devores
depuis longtemps et dont les corps etaient
deja pourris; quant a ceux qui venaient
d'etre devores ils en sortirent tous avec
leurs bceufs, qui marchaient aussi bien
qu'auparavant.
Masilo et sa femme poursuivirent leur
chemin et arriverent au village de Rahlaba-
koane ; ce fut comme un miracle pour la
mere et le frere de Thakane, car ils la
croyaient morte depuis longtemps. On se
rejouit et Ton pleura tout a la fois; puis on
abattit nombre de tetes de betail pour rece-
voir dignement Thakane et son mari.
C'est une legende qui se retrouve un peu
partout dans le Folklore sud-africain ; voir
entr'autres dans Callaway les contes de Untom-
binde (pp. 55-69) et de Umkxakaja pp. 181-217).
4jLi*
SKILATSATSI-OA-MOHALE '.
On raconte que la femme de Mohale
n'avait pas d'enfants; on se mit en quete
d'un medecin, qui lui prepara une medecine.
F.lle la but et devint enceinte, et mit au jour
une petite lille a laquelle on donna le nom de
Scilatsatsi =. On la nomma ainsi parce que
le medecin avait defendu qu'elle sortit jamais
i. C'cst-a-dirc« fille dc Mohale ». II est interes-
sunt dc comparer cc contc a celui de Tangalim-
//6o que M. Thcal a traduit du cafre IKaffir-Fulk-
lore, pp. 54-63).
2. Seilntsatsi signifie : « celle qui craint le
solcil. »
SEILATSATSI-OA-MOHALE
de sa hutte pour paraitre a la lumiere du
soleil. La petite fille grandit toujours ainsi
enferme'e et devint une belle jeune fille; elle
ne sortait que de nuit, accompagnee de sa
mere.
Dans un autre village il y avait un jeune
homme nomme Masilo, tils d'un chef. II
refusait obstine'ment de se marier, bien que
dans ce village il y eut une foufe de belles
jeunes filles. Un jour on lui dit : « II y a la-
bas une jeune fille extremement belle nom-
inee Seilatsatsi, mais personne ne peut
l'epouser, car elle ne sort que de nuit. » II
demanda : « Ou est-elle done? » On lui
re'pondit : « Dans le village de Mohale, e'est
la fille de Mohale. » II y alia et vit qu'en
effet elle e'tait fort belle; son corps tout
entier reluisait. II revint chez lui ct dit a son
pere : « Mon pere, j'ai vu une fille fort belle
que je veux epouser. » Son pere lui demanda :
« Oil l'as-tu vue? » II re'pondit : « Chez
Mohale. » Le pere reprit : « Est-ce que tu
parlerais de Seilatsatsi? — Oui, e'est elle
que je veux epouser. » Alors son pere lui dit :
o Oh! oh! tu ne peux epouser Seilatsatsi;
elle ne sort jamais de sa hutte pendant le
208
CONTES DES BASSOUTOS
jour; elle ne peut en sortir que de nuit. »
Masilo repondit : « Cela ne fait rien, je veux
l'e'pouser. » Son pere refusa de Pecouter;
tous les gens du village essayerent de Ten
dissuader; mais il resta ferme et supplia tant
qu'on finit par lui permettre d'e'pouser Sei-
latsatsi.
Mors le pere de Masilo se rendit chez
Mohale' et lui dit : « Mon fils veut epouser
ta fille Seilatsatsi? » Mais Mohale lui repon-
dit : « Non! cela n'est pas possible, qu'en
ferait-il? J'ai d'autres filles que ton fils peut
epouser; appelle ton fils qu'il vienne lui-
meme choisir celle qui lui plaira. » Le pere
de Masilo fit venir son fils pour qu'il vit les
filles de Mohale, qui toutes e'taient fort
belles. Masilo dit : « Elles sont belles, il est
vrai ; mais celle que je veux, c'est Seilatsatsi. »
On lui demanda : « Qu'en feras-tu? » II
repondit : « J'en prendrai bien soin. » C'est
ainsi que Seilatsatsi devint la femme de
Masilo.
On la conduisit de nuit chez son mari ; on
y avait prepare une belle hutte pour la rece-
voir. C'est la que les jeunes gens et les
jeunes filles entrerent avec elle et passerent
SKH.ATSATSI-OA-MOHALK
209
la nuit 1. Quand il fit jour, Masilo dit : « J'ai
soif. » Une des jeunes filles sortit ct lui
apporta de l'eau, mais il la versa sans la boire.
II dit de nouveau : « J'ai soif. » Une autre
jeune fille sortit et revint avec de l'eau;
Masilo la versa de nouveau sans en boire,
disant qu'il ne voulait boire que celle que sa
femme aurait e'te chercher. Les compagnes
luidirent: « Tu te conduisbien mal, Masilo. »
Puis ils sortirent et appelerent Ramasilo et
Mamasilo. Ceux-ci s'ecrierent : « Nous lui
avions bien dit de ne pas epouser cette fille. »
Mamasilo vint elle-meme avec de l'eau et la
donna a son fils; il la versa sans en boire
une goutte. Alors son pere vint et lui dit :
« Masilo, ne t'avais-je pas sufnsamment
averti ? Pourquoi veux-tu done que la fille de
Mohale aille te puiser de l'eau ainsi en plein
jour? » Masilo se mit a pleurer et a dire qu'il
mourait de soif, sa femme aussi pleurait,
parce que son mari voulait la forcer a aller
1. Lorsqu'une jeune femme est conduite chez
son mari, la coutume veut que les jeunes gens et
les jeunes filles du village passent ensemble la
nuit dans une hutte a causer et a se divertir.
CONTES FlKS BASSol'TOS
II
Iui chercher de l'eau en plein jour. Enfin,
quand le pere et la mere furent partis, elle
finit par se decider a y aller; a peine e'tait-
elle sortie de la hutte que le soleil s'obscur-
cit et qu'elle fut changee en une termitiere.
Les compagnons de Masilo s'ecrierent : « Tu
vois bien ». lis entendirent comme un san-
glot qui sortait de la termitiere. Masilo san-
glotait lui aussi. Partout on criait : « Venez
voir ce qu'a fait Masilo, la fille de Mohale
est changee en termitiere ». Masilo conti-
nuait de sangloter et disait : « He'las! que
faut-il faire? que faut-il faire? » Les gens lui
repondaient : a C'est done ainsi que tu as
pris soin de ta femme ' ! »
Alors on appela un chien et on lui dit :
a Va avertir les parents de Seilatsatsi. » Le
chien repondit : « C'est bien, j'y vais. —
— Que diras-tu lorsque tu seras arrive?
[ . Dans la version cafre, ce n'est pas le mari de
la jeune femme, mais son beau-pere qui la force
a sortir au grand jour. La catastrophe est aussi
differente; Tangalimlibo n'est pas changee en
termitiere comme Seilatsatsi, mais est entrainee
au fond du fleuve.
SEILATSATSI-OA-MOHALE
— Je dirai : Ou ! ou! on! — Oh! oh! tu
ne sais rien, nous ne voulons pas de toi. »
On appela une poule et on lui dit : « C'est
toi que nous enverrons. » La poule repondit :
n J'y vais. — Que diras-tu lorsque tu seras
arrive'e ? — Je dirai : Kokoloknloko ! votre
fille est devenue une termitiere dans le vil-
lage de son mari. » Elle repeta : « Je dirai :
Seilatsatsi est devenue une termitiere dans
le village de son mari. » Les gens lui dirent :
(i C'est bien ! tu peux aller. » Puis on lui mit
deux anneaux a chaque jambe et on lui dit
de partir.
La poule partit en courant, faisant sonner
les anneaux de ses pieds. Quand elle arriva
au village de Mohale, elle vit que tout le
monde etaitrassemble dans une hutte a boire
duyoala. Alors elle prit son vol et se posa
sur le sommet de la hutte, oil elle se mit a
crier : « Kokolokoloko ! Seilatsatsi de Mohale
est devenue une termitiere dans le village de
son mari. » Les gens l'entendirent et s'ecrie-
rent : « Helas ! il est arrive le malheur que
nous attendions. » Sa mere alia au fond de
sa hutte et vit qu'en effet le petit vase, ou sa
fille avait coutume de manger, venait de se
2.12
CONTES DES BASSOUTOS
briser r. Elle s'ecria : ,, He'las! mon enfant
est morte! » Mors on alia chercher le mede-
cin qui avait donne jadis a la femme de
Mohale la medecine qui avait produit la
naissance de Se'ilatsatsi.
Le medecin se rendit au village de Rama-
silo; il s'approcha de la termitiere, y fit
des incisions et y introduisit une mede-
cine. Puis il dit : « Apportez-moi un
mouton. » On lui en apporta un. II dit :
« Egorgez-le. » On 1'egorgea, puis on enleva
la peau. II dit : « Donnez-moi vite cette
peau. ., II prit la peau, y fit des incisions
et y introduisit des medecines, puis il en
recouvrit la termitiere. Mors il alia prendre
les cornes qui contenaient ses medecines 2,
les deposa devant la termitiere et s'y
assit. II attendit longtemps, puis la peau
commenca a se remuer. Bientot Se'ilatsatsi
en sortit toute vivante. II lui dit : « Retourne
bien vite dans ta hutte ». Elle y rentra; elle
i. Le meme trait se trouve dans le conte de
Nyop akatala.
2. Les medecins Bassomos conservent leurs
drogues dans de petites cornes,
SEILATSATSI-OA-MuHAI.i:
2l3
e'tait de nouveau aussi belle et hrillante
qu'auparavant.
Le medecin entra dans la huttc et appela
le pere et la mere de Masilo; puis il fit des
incisions a Se'ilatsatsi et y mit de la me'de-
cine. Alors il lui dit : « Maintenant, prends
un vase et va a la fontaine. » Mais Masilo se
leva bien vite, alia se mettre devant la porte
et dit : « Je ne veux pas que ma femmc sorte
d'ici. » Le medecin cut beau insister, Masilo
refusait toujours de laisser sortir Seilatsatsi;
enfin le medecin le jeta de force de cote.
Alors Seilatsatsi prit un vase et sortit pour
aller a la fontaine, et quoiqu'il lit grand jour
il ne lui arriva rien.
MONYOHE
Tl y avait une fois une jeune fille nomme'e
1 Senkepeng, soeur du chef Masilo ; die refu-
sait de se marier. Un certain jour elle se
rendit avec son frere et les gens de son vil-
lage a une fete de chant chez Morakapoula.
On chanta du. matin jusqu'au soir. Vers le
soir Morakapoula commanda a la pluie de
tomber parce que Senkepeng refusait de
I. La premiere partie de ce conte, jusqu'au
moment oil Senkepeng essaie vainement de
traverser la riviere, se retrouve presque tex-
tucliement dans une variante du conie de Masilo
et Thakane.
MONYOHE
2l5
danser avec lui '. La pluie tomba toute la
nuit. Murakapoula donna a tous ses gens
l'ordre de refuser a Senkepeng l'entree de
Ieurs huttes. Senkepeng alia vers une vieille
femme et lui dit : « Laisse-moi entrer dans
ta hutte, grand'mere. » La vieille lui repon-
dit : « Ma hutte est pleine, il n'y a plus de
place. » Senkepeng lui dit : o Laisse-moi
entrer, ou je te tuerai. » Alors la vieille lui
repondit : a Tu peux entrer. » Senkepeng
dormit ainsi dans la hutte de cette vieille
femme. Le lendemain Masilo dit : « Main-
tenant, nous allons partir pour retourner
chez nous. » Morakapoula lui dit : s Toutes
les rivieres et les ruisseaux sont debordes. »
Mais Masilo lui re'pondit : o Cela ne fait
rien ; nous saurons bien les traverser. »
Alors Masilo partit avec sa sceur et tous
i. Dans le conte de Modisa-oa-dipodi il est
aussi question d'un homme qui a le mime pou-
voir sur les elements. Le nom mime de Moraka-
poula indique que celui-ci a pouvoir sur la
pluie. En refusant de danser avec lui la danse
particuliere dont il est question dans le texte
Senkepeng montrait qu'elle ne voulait pas de
lui pour amant ou pour mari.
2l6
CONTES t>ES BASSOUTOS
ses gens. lis trouverent que la petite riviere
qu'ils devaient passer etait pleine jusqu'aux
bords. lis essayerent de la traverser en pre-
nant Senkepengau milieu d'eux,mais l'eau la
ramena vers le bord qu'elle venait de quitter,
lis revinrent en arriere pour la chercher, la
saisirent fortement par les bras et entrerent
avec elle dans la riviere ; mais l'eau la ramena
encore une fois en arriere. Quand Masilo
arriva il lui dit : « Senkepeng, pourquoi ne
passes-tu pas ? » Elle lui repondit : a Je ne
puis traverserla riviere; quand on veut me faire
passer, l'eau me ramene en arriere. » Masilo
lui dit : » Viens ici, c'est moi qui vais te faire
passer. » II la saisit par les bras et entraavec
elle dans la riviere, mais l'eau la ramena en
arriere; il revint surses pas et essaya de nou-
veau de la faire passer, mais cette fois encore
l'eau la ramena en arriere. Alorsill'abandonna
et continua son chemin avec ses compagnons.
Senkepeng, restee seule, se mit a chanter :
Masilo de ma mere, ho ea nna ea lela ',
Masilo de ma mere, ho ea nna ea lela,
i. Ces derniers mots n'ont aucun sens.
MONYOHE 217
Tu diras a ma mere la-bas, ho ea nna ea tela,
Que tous les ruisseaux son debordes, ho ea una
[ea lela,
Et meme le ruisseau de Motikoe, ho ea nna ea lela,
Parce que j'ai refuse d'epouser le tils de Moraka-
[poula, ho ea nna ea lela. »
Masilo lui re'pondit :
Senkepeng,tille de Kadi, fils de Tsoloe, ho ea nna
[ea lela,
Senkdpeng, filte de Kadi, his de Tsoloe, ho ea nna
[ea lela,
Descends le long du ruisseau de Motikoe, ho ea
[nna ea lela,
Tous les ruisseaux sont debordes, ho ea nna ea
[lela,
Et memele ruisseau de Motikoe, ho ea nna ea lela.
lis se se'parerent ainsi, et Masilo retourna
chez lui. Sa soeur Senke'peng se mit a des-
cendre le long des bords du ruisseau de
Motikoe, ayant son thomo ' a la main. Elle
1. Le thomo est un instrument de musique des
Bassoutos; il est fait d'un bambou legerement
recourbe, le long duqucl est tendue une corde-
lette assez semblable a la chanterelle d'un vio-
lon ; a ce bambou est attachee une gourde
pcrcec.
i3
Wt^
218
CONTF.S DES BASSOUTOS
arriva a un endroit ou croissaient de hautes
herbes marecageuses; elle les ecarta et y
entra pour s'y cacher, mais la tige de son
thomo depassait les herbes. Cet endroit etait
tout pres d'une source.
Le lendemain Mamonyohe vint puiser a
la source, et elle apen;ut la tige du thomo
qui s'e'levait au-dessus des hautes herbes.
Elle se demanda : « Qu'est-ce que cet objet-
la au milieu de ces herbes? » Elle s'appro-
cha, ecarta les touffes d'herbes et s'ecria :
« Ah! ah ! quelle belle jeune fille ! voila une
femme pour mon fils! Viens, mon enfant,
allons chez nous. » Senkepeng sortit de sa
cachette et la suivit, toujours chargee de son
thomo. Elle arriva ainsi a la hutte de Mamo-
nyohe. On venait d'y tuer des bceufs et
des moutons, on y avait cuit du pain, pre-
pare du yoala , le tout en grande quan-
tite ; c'etait la la nourriture qu'on preparait
chaque jour pour Monyohe. Monyohe se
tenait cache sous le toit de sa hutte ; per-
sonne ne l'avait jamais vu, si ce n'est sa
mere.
Mamonyohe dit a Senkepeng : « Prends
tous ces vivres et porte-les a ton mari ; cette
MONYOHE
219
hutte la-bas, c'est la hutte de ton mari. »
Elle prit une corbeille remplie de viande
et la porta dans la hutte de Monyohe ; elle
revint et prit un pot de yoalci et l'y porta
aussi; elle revint prendre du pain et l'y
porta; elle revint prendre un grand vase
plein de lait caille' et l'y porta e'galement.
Puis elle sortit et revint vers Mamonyohe.
Celle-ci lui dit : « Va maintenant reprendre
les vases et les corbeilles dans lesquels tu
as porte la nourriture de ton mari. » Sen-
kepeng y retourna et vit que tout e"tait deja
devore, il ne resrait plus que les os. Elle se
demandait tout etonne'e : s Quel est done
l'etre invisible qui a devore toute cette
nourriture en un moment? »
Elle revint vers sa belle-mere, celle-ci lui
dit : « Prends du sorgho, ma chere, et
mouds-le. » Elle prit du sorgho, le moulut
et fit du pain; puis elle rotit de la viande
et versa le lait caille dans de grands vases
d'argile. Puis elle porta tout cela dans la
hutte de Monyohe. Un instant apres, sa
belle-mere l'envoya chereher les vases vides ;
elle vit que tout etait mange, qu'il ne res-
tait rien. Le soir, quand il fut temps d'aller
CONTES DES BASSOUTOS
se coucher, on dit a Senkepeng : « Va cou-
cher dans la hutte de ton mari. » Elle y alia
et se coucha a terre sans voir personne. Au
petit jour elle sentit Monyohe qui la frap-
pait a grands coups de queue, en disant :
« Je prise, j'eternue. » Alors elle se leva,
sortit et alia a la fontaine pour puiser de
l'eau. Mamonyohe etait deja levee et avait
deja allume le feu ; des bceufs venaient
d'etre abattus et la viande etait deja dans
les pots. Des qu'elle vit Senkepeng, Mamo-
nyohe lui dit' : « Prends du sorgho, mouds-
le et fais du pain pour ton mari. » Elle prit
du sorgho, le moulut et fit du pain et le
porta a Monyohe, avec de la viande et du
lait caille ; un instant apres, elle retourna
chercher les vases deja vides. Dans ce vil-
lage on ne se reposait jamais; du matin au
soir il fallait moudre, cuire et travailler
ferme. Le soir, quand il etait temps de dor-
mir, Senkepeng entrait dans la hutte de
Monyohe pour y dormir; au petit jour
Monyohe venait la frapper de grands coups
de queue en lui disant : « Je prise, j'eter-
nue. » Senkepeng en devenait maigre,
maigre.
MONYOHE
Les gens du village lui dirent : a Pour-
quoi restes-tu ici, pauvre enfant ? Pour-
quoi ne retournes-tu pas chez tes parents?
Tu vois combien notre tribu est nom-
breuse, eh bien ! toutes les jeunes lilies
ont passe par oil tu passes et n'y ont
pu tenir. » Senkepeng leur repondit :
« Je ne connais pas le chemin qui mene
chez mes parents. » Cependant, un cer-
tain jour, elle sortit de sa hutte avcc son
vase, alia a la fontaine, le deposa la ct
s'enfuit du cote de la maispn paternelle.
Elle marcha, elle marcha longtemps ; le
soleil se levait a peine qu'clle etait deja
bien loin. Alors Monyohe s'agita dans sa
hutte et en sortit avec un bruit sembla-
ble a celui d'un ouragan. Les gens du
village disaient : « Avez-vous vu l'animal
effrayant qui vient de sortir de la hutte
de Monyohe ? » Monyohe planait dans les
airs a la poursuite de Senkepeng. Senke-
peng, se retournant, vit son mari qui la
poursuivait; elle s'ecria : a Helas ! aujour-
d'hui je vais mourir. » Le serpent l'avait
deja presque atteinte; alors Senkepeng se
mit a chanter :
222 CONTES DES BASSOUTOS
Enfant de ma soeur, chante mokata, que je
[voie '!
Enfant de ma soeur, chante mokata, que je te
[voie !
Alors le serpent s'arreta et se mit a rouler
et a de'rouler ses anneaux. Senkepeng se
remit a courir, elle courut longtemps, long-
temps. En se retournant, elle vit Mamonyohe
qui s'etait mise a la poursuite de Monyohe,
tenant a la main une peau de bceuf non
tannee. Un instant apres, elle apercut une
colonne de poussiere qui montait vers le
ciel; c'etait Monyohe qui recommencait a la
poursuivre. Comme il planait deja au-
dessus de sa tete elle se mit a chanter :
Enfant de ma soeur, chante mokata, que je te
[voie!
Enfant de ma soeur, chante mokata, que je te
[voie !
Alors Monyohe s'arreta et se mit a chanter
i. Le chant de Senkepeng est une incantation
qui doit arreter Monyohe dans sa poursuite; il
est absolument impossible de le traduire en
francais.
MONYOHE
223
lui aussi tout en roulant et en deroulant ses
anneaux.
Senke'peng reprit sa course precipitee et
finit par arriver la ou paissait le be'tail de
ses parents. Les petits bergers s'ecrierent :
a C'est toi Senkepeng! d'ou viens-tu ? » Elle
leur repondit : a Voyez-vous la-bas cette
colonne de poussiere? » lis re'pondirent :
« Oui ! » Mors elle leur dit : « C'est un
grand serpent qui me poursuit ; courez bien
vite et allez avertir les gens de notre vil-
lage. » Les petits bergers arriverent bien
vite au village et dirent : « Senkepeng
arrive, elle est poursuivie par un immense
serpent. » Les gens du village s'e'lancerent
a sa rencontre armes de lancettes, de cou-
teaux et de baguettes pointues. lis les fixe-
rent en terre sur le chemin qui mene au
village, par ou passe le betail quand il va
au paturage.
Quand le serpent arriva de nouveau tout
pres de Senkepeng, elle se remit a chanter :
Enfant de ma soeur, chante mokata, que je te
[voie .
Enfant de ma soeur, chante mokata, que je te
[voie !
224
CONTES DES BASSOUTOS
Pendant que le serpent recommencait a
chanter lui aussi, elle continua de courir
et arriva au village, ou elle tomba e'puise'e
de sa course.
Le serpent arriva lui aussi tout pres du
village, mais si fatigue qu'il ne pouvait plus
planer dans les airs et se trainait a peine sur
son ventre. Perce par les lancettes, coupe
par les couteaux plante's en terre, il fut bien
vite mort. Mamonyohe arrivait en courant;
elle s'e'cria : « He'las! mon fils ! helas! mon
fils est mort sans moi. Comment le rendrai-
je a la vie? » Mors elle dit aux gens du vil-
lage : « Donnez-moi un boeuf noir. » On le
lui apporta. Elle reprit : « Abattez-le. » On
1'abattit. Alors elle prit les membres dechi-
res de son fils, les enveloppa soigneusement
dans la peau du boeuf; puis elle brula le
tout et il ne resta plus qu'une masse noire
carbonise'e. Alors elle prit la peau non
tannee qu'elle avait apporte'e et y rassem-
bla soigneusement les restes carbonises de
son fils. Elle la chargea sur sa tete et alia la
jeter dans l'e'tang; tous les gens du village
la regardaient fairc. Ensuite elle fit trois
fois le tour de l'etang sans prononcer une
MONYOHK m
parole. Alors son fils sortit de l'e'tang, mais
cc n'etait plus un serpent, c'etait mainte-
nant un homme entierement beau. Senke-
peng s'ecria : « Ah ! comme mon mari est
beau! » lis retournerent ensemble au vil-
lage; c'est alors que Monyohe epousa Sen-
ke'peng ; puis il la prit chez lui et envoya au
pere de Senkepeng le betail avec lequel il
devait L'epouser. C'est ainsi que Senkepeng
devint pour de bon la femmc de Monyohe '.
i. D'autrcs versions racontent d'unc maniere
un peu differente la fin dc l'histoirc de Monyohe.
La variante la plus interessante est celle-ci :
quand Monyohe a etc brule, sa mere prend scs
cendres et les depose dans un vase d'argile soi-
gneusement couvert qu'elle confie a la garde de
Senkepeng. Au hout de quelques mois Senke-
peng decouvre le vase et en voit sortir un jeunc
homme cxtremement beau : c'est Monyohe
revenu a sa forme naturellc.
#H#
1 3-
4* *f*
GfcXSfo
JmmSmmm
KHOEDI-SEFOUBENG '.
Tl y avait une fois un chef nomme Boulane
1 qui avait dix femmes; sa favorite se nom-
mait Morongoe. Boulane avait sur la poi-
trine l'image d'une lune en son plein ; c'est
i. Outre la version que je donne ici, j'en ai
recueilli une autre plus longue et fort interes-
sante, mais si melangee d'elements empruntes
aux contes europeens, qu'il est impossible de
discerner ce qui est primitif de ce qui ne Test
pas. Du reste, le conte lui-meme diflere tant des
autres contes des Bassoutos, qu'il est fort pos-
sible qu'il soit d'importation e'trangere; son oi>
gine sessouto est cependant probable.
KHOEDI-SEFOUBENG
227
pourquoi on l'avait surnomme Khoedi-
Sefoubeng '. Une certaine annee le chef die
a toutes ses femmes = : "La reine donnera
le jour a un enfant qui me ressemblera, por-
tant l'image d'une luneen sonplein;lesautres
auront des enfants avec l'image de quartiers
de lune ou simplement d'etoiles. Le fils de
Morongoe se nommcra eomme moi Khoedi-
Sefoubeng. o
Le jour ou les femmes de Khoedi-Sefou-
beng devaient accoucher, la seconde femme
dit a la vieille qui devait accoucher Moron-
goe : « Si tu t'apercois que l'enfant de Moron-
goe porte sur sa poitrine l'image d'une
i. Khoedi-Sefoubeng signifie, litteralement tra-
duit : lune sur la poitrine.
i. La reine, e'est-a-dire la premiere femme;
les autres sont considerees comme ctant ses scr-
vantes. La premiere femme a un rang plus cleve
que toutes les autres, cc qui semblerait prouver
que les peuples bantous ont commence par etrc
monogames. Dans les families de chefs, seuls
les tils de la premiere femme peuvent succeder
a leur pere ; si la premiere femme n'a pas de tils,
e'est a ceux de la seconde que reviendra l'hcri-
tage paternel.
228
CONTES DES BASSOUTOS
lune en son plein, tue-le et mets un petit
chieri a sa place. » Lorsque l'enfant de Moron-
goe naquit, la vieille femme le prit sans que
sa mere s'en apercut et le jeta au'fondde
la hutte, au milieu des pots. Des souris le
prirent et le nourrirent.
Le chef s'informa des enfants qui lui
e'taient nes de ses differentes-femmes. On lui
repondit : « L'une a donne le jour a un quar-
tier de lune, les autres a des etoiles ' ; quant
a Morongoe, elle a mis au monde un petit
chien. » Mors le chef se detacha de sa pre-
miere femme et s'attacha a la seconde.
Morongoe devint sa servante.
Un jour que la seconde femme passait
devant la hutte de Morongoe, elle y vit un
fort bel enfant, qui avait sur sa poitrine
l'image tres bien formee d'une lune en son
plein; des souris jouaient avec lui. Le soir
elle dit a son mari : « Je suis malade; les
osselets = disent que pour me guerir il faut
i . C'est-a-dire des enfants ayant a la poitrine l'i-
mage de quartiers de lune ou simplement d'etoiles.
2. Les osselets divinatoires ou ditaola jouent
un grand role dans la vie des Bassoutos. On
KHOEDI-SKKOUBENG
22Q
bruler la hutte de Morongoe, celle qui vient
de mettre au monde un petit chien, afin que
toutes les souris qui s'y trouvent y peris-
sent. » Le chef lui dit : « C'est bien ! on la
brulera demain. »
Alors les souris menerent 1'enfant vers
Thamaha ', le grand bceuf du chef; elles lui
dirent : « Prends bien soin de cet enfant,
parce que demain on va nous faire mourir. »
Thamaha consentit a se charger de 1'enfant
de Morongoe. Le lendemain la hutte de
Morongoe fut brule'e et toutes les souris y
perirent. Un jour que la femme du chef
venait prendre dans le pare a bestiaux de la
fiente fraiche 2, elle vit 1'enfant qui jouait
avec Thamaha. Elle vint vers son mari et lui
dit : « Je suis malade, mais les osselets
disent que je gue'rirai, si tu fais tuer Tha-
y a recours pour toutes les circonstances; aucun
medecin indigene ne donnera de medecines sans
les avoir consultcs.
1. Thamaha : un hoeuf roux rayc de blanc.
2. Les femmes bassoutos se servent de fiente
fraiche qu'elles melent a de la boue, pour platrer
les murs de leurs huttcs et en arranger le par-
quet.
23o
CONTES DES BASSOUTOS
maha. » Le chef lui repondit : « On le tuera
demain matin. »
Alors Thamaha alia vers les crabes et
leur dit : « Prenez soin de cet enfant, car
demain on va me tuer. » Les crabes en
prirent soin et le nourrirent longtemps. Un
jour la femme du chef dit aux autres femmes :
« Allons cueillir des joncs pour en tresser
des nattes. » Alors elle apercut dans l'e'tang
le petit garcon deja grandi qui jouait avec
les crabes; l'image d'une lune en son plein
se voyait toujours sur sa poitrine. Elle dit
aux autres femmes : « Je suis malade, retour-
nons chez nous. » Lorsqu'elle fut de retour
chez elle, elle dit a son mari : « Je suis
malade, mais les osselets disent que je gue-
nrai, si tu fais dessecher l'e'tang, pour que
tous les crabes pe'rissent et que tu fasses
couper tous les joncs. » Le chef lui repondit :
« On fera demain ce que tu desires. »
Alors les crabes le conduisirent vers des
marchands, en disant : « Prenez-en soin
car demain on nous fera mourir. » Le len-
demain le chef fit dessecher l'e'tang et couper
tous les papyrus. L'enfant grandit dans la
hutte des marchands. Un jour, des gens de
KHOEDI-SEFOUBENG
23l
chez Boulane vinrent faire des echanges dans
cette hutte-la. L'un d'eux remarqua que ce
jeune garcon avait sur la poitrine quelque
chose qui brillait; il retourna vers Boulane
et lui dit : « J'ai vu un fort beau jeune
homme, qui porte sur sa poitrine l'image
d'une pleine lune. » Boulane se hata de
Taller voir. II lui demanda : a De qui es-tu
fils ? Qui t'a amend ici ? »
Alors le jeune garcon lui raconta tout ce
qui lui etait arrive ; il lui dit : « Quand ma
mere m'eut mis au jour, la seconde femme
de mon pere m'a fait jeter au fond de la hutte
au milieu des pots. Des souris m'ont recueilli
et ont pris soin de moi ; quant a la seconde
femme de mon pere, elle a mis un petit chien
a ma place et a pretendu que c'etait l'enfant
de ma mere. » Quand Boulane entendit cela,
il regarda le jeune homme fort attentivement
et se rappela que sa seconde femme lui avait
dit que la premiere avait donne le jour a un
petit chien. Alors le jeune homme continua
a lui raconter tout ce qui lui etait arrive,
comment les souris avaient pris soin de lui,
puis Thamaha, puis les crahes, jusqu'au jour
pu il s'etait refugie chez les marchands.
2J2 CONTF.S DES BASSOUTOS
Alors son pere de'couvrit la poitrine du
jeune homme et vit qu'elle portait, en effet,
1'image d'une pleine lune; il comprit alors
que c'etait bien la son fils. II le prit avec lui
et l'amena dans son village, oil il le cacha
dans sa hutte. Puis il convoqua en assem-
bled publique toute sa tribu. On prepara une
grande fete, on abattit des boeufs, on fit beau-
coup dcyoala. Alors Boulane fit etendre a
terre des nattes de paille devant la hutte oil
il avait cache son fils Khoedi-Sefoubeng.
Quand tout le monde fut rassemble, il fit
sortir son fils et le presenta a tout son peu-
ple, puis il expliqua comment sa seconde
femme l'avait longtemps trompe. On re'tablit
la mere de Khoedi-Sefoubeng dans tous ses
droits, on lui fit quitter les haillons qu'elle
portait et on la revetit de beaux habits neufs.
Khoedi-Sefoubeng devint chef a la place de
son pere. Quant a la 'femme qui l'avait per-
secute et avait voulu le faire mourir, on la
chassa avec tous ses enfants et elle dut aller
se refugier dans un pays e'loigne,
■*^- "^X^ "^^ ' s A^' ^X^ 'X' ""X"'
MOSIMODI & MOSIMOTSANE
Thoulare c'est le nom d'un grand pot;
Thoulatsane est le nom d'un petit. Les
enfants du proprietaire de ces pots s'appe-
laient Mosimodi et Mosimotsane. Un jour
Mosimodi partit de chez elle pour faire
visite a ses parents; elle ne trouva a la mai-
son ni son pere ni sa mere, mais seulement
sa soeur Mosimotsane. Elle lui demanda :
i. Pour la seconde partie de cc conte, compa-
rez celui que donnc M. Casalis sous cc titre :
la Metamorphose d'une jeunc fillc (Lcs Basson-
tos, pp. 36o-362). Jc dois cettc jolie version a
l'nbligeance dc M. Dicterlen, qui l'a recucillie
pour moi.
234
CONTES DES BASSOUTOS
« Ou est ma mere? » Mosimotsane repon-
dit : « Elle et mon pere sont alles chanter
chez Moholokoane'-oa-se-omisa-leleme «. »
L'ainee demanda : « N'y a-t-il rien a man-
ger ici, Mosimotsane? » Celle-ci repondit :
« Non, il n'y a rien a manger. » Mosimodi
demanda encore : « Est-ce que ma mere n'a
pas battu le beurre dans Thoulare? — Non!
— Et dans Thoulatsane ? — Pas davan-
tage. » Alors Mosimodi prit de l'eau et se
lava les mains; puis elle fit rouler Thoulare
jusqu'au milieu de la hutte; alors elle battit
le beurre dans Thoulare 2. Quand elle eut
fini, elle prit le beurre et le mit de cote.
Puis elle prit de la fiente seche 3 e t fit du
feu, sur lequel elle fit fondre son beurre.
Quant au petit lait elle le me'langea avec
1. C'est non pas un nom, mais les premiers
mots du thoko ou chant de louanges de cct indi-
vidu, litt. : « Moholokoane de ce qui desseche
la langue. a
2. A rapprocher de l'arbre qui donne du lait
dans le conte de Kownongoe.
3. Vu le manque de bois les Bassoutos font
souvent du feu avec de la fiente de vache desse-
chee, et qui rappelle un peu la tourbe.
MOSIMODI ET MOSIMOTSANE
de la farine de sorgho et s'en fit de la
houillie. Quand la graisse fut fondue, elle
en remplit des vases de terre ; puis elle
prit le depot qui restait au fond du pot et
l'ajouta a la bouillie. Alors elle dit : o Mosi-
motsane, viens manger avec moi. » Quand
elles eurent fini de manger, Mosimodi
recouvrit soigneusement les vases de beurre
fondu, prit de 1'eau et en lava Thoulare,
qu'elle remit a sa place au fond de la hutte.
Puis elle dit : « Mosimotsane, maintenant,
je retourne chez moi. » Alors elle partit et
retourna chez elle.
Son pere et sa mere arriverent, la mere
demanda : a Mosimotsane, qui a battu le
beurre dans Thoulare? » Elle repondit :
« C'est Mosimodi. » La mere gronda toute
la nuit; le lendemain, elle prit le sorgho
qui fermentait dans un pot et le porta
devant la hutte, toujours grondant; puis elle
prit sa houe et creusa un trou profond,
toujours grondant. Alors elle dit : « Mosi-
motsane, va appeler Mosimodi; dis-lui que
c'est moi qui l'appelle. » Mosimotsane y
alia et dit a sa soeur : « Mosimodi, ma mere
t'appelle. » Mosimodi lui demanda : a Dis-
2 36
CONTES DES BASSOUTOS
moi si die n'a pas gronde. » Sa soeur cadette
lui repondit : « Non, elle n'a rien dit. »
Mosimodi lui demanda une seconde fois :
« Dis-moi la verite, je t'en prie; est-ce que
reellement ma mere n'a pas gronde? » Mosi-
motsane lui repondit . « Non, certainement,
elle n'a rien dit. » Elles partirent ensemble;
en route Mosimodi demanda encore : « Est-
ce que ma mere n'a pas gronde? » Cette fois
encore la cadette repondit : « Non, elle n'a
rien dit. » Quand elles arriverent a la mai-
son, la mere dit : « Mosimodi, prends mon
sorgho fermente et etends-le sur une natte
au fond de ce trou. » Mosimodi prit la natte
et l'etendit au fond du trou, puis sa mere
lui passa le pot plein de sorgho, que Mosi-
modi s'occupa a e'tendre sur la natte.
Comme elle etait ainsi occupee, sa mere la
recouvrit subitement de terre, prit une
pierre a moudre et en ecrasa le corps de
son enfant jusqu'a ce qu'elle l'eut comple-
tement reduit en poudre.
Alors elle prit une corbeille et y rassem-
bla cette poussiere; elle chargea la corbeille
sur sa tete et alia jeter la poussiere de son
enfant dans l'etang de la riviere, tout pres
MOSIMODI ET MOSIMOTSANE
23 7
de la source du village. Un crocodile prit
cette poussiere, la pe'trit, la faconna si bien
que ce fut de nouveau Mosimodi. Un jour,
quelques jeunes rilles dirent a Mosimot-
sane : « Allons a la fontaine. » Mosimotsane
prit son vase et y alia avec elles ; elles rem-
plirent leurs vases les unes apres les autres
puis se mirent a jouer. Ensuite elles dirent :
n Retournons maintenant a la maison, Mosi-
motsane ; le soleil est deja couche. o Mais
quand Mosimotsane voulut prendre son vase,
elle ne le put, il restait comme fixe au sol. Ses
compagnes deposerent leurs vases a terre et
reunirent leurs efforts pour soulever celui de
Mosimotsane; il restait toujours comme fixe
au sol. Enfin, elles s'eerierent : « Ah ! les
fantomes de sa mere sont la-dedans '. » Elles
partirent bien vite et la laisserent seule.
Alors sa soeur Mosimodi apparut, sortant
du sein des eaux, appuyee sur une canne de
fer. Elle se mit a chanter :
i. Les fantomes sont les esprits des ancetres,
auxquels les Bassoutos attribuent une bonne
partie des malheurs et surtout des maladies qui
leur surviennent.
238
CONTES DES BASSOUTOS
C'est la faute de Thoulare, Mosimotsane,
Quand je suis retournee chez moi, Mosimotsane,
Tu m'as dit un mensonge, Mosimotsane,
C'est elle, ta mere, c'est elle, Mosimotsane,
Qui m'a ecrasee et reduite en poudre, Mosi-
[motsan£,
Avec une pierre a moudre, Mosimotsane",
le crocodile m'a rendu la forme humaine, Mosi-
[motsane '.
Mors elle agita l'eau de la source avec sa
canne de fer, la troubla et la souilla de
boue, puis elle en remplit le vase de Mosi-
motsane. Mors elle dit a sa sceur : « Va
maintenant preparer la nourriture de ton
pere et de ta mere, qu'ils mangent de cette
boue ! » Puis elle rentra au sein des eaux,
toujours appuyee sur sa canne de fer.
Lorsque Motsimotsane arriva a la maison,
sa mere lui demanda : « Pourquoi pleures-
tu, mon enfant? » Elle repondit : « Non, je
i. Dans la seconde partie du conte de Kou-
mongoe on trouve egalement I'histoire d'une
jeune fille qui vit au fond des eaux; seulement
la ce n'est pas un crocodile qui la recueille,
mais une vieille femme.
MOSIMODI ET MOSIMOTSANE
23q
ne pleure pas ? — Pourquoi as-tu puise
de l'eau aussi sale et pleine de houe?
— Ce sont les veaux qui ont trouble
l'eau de la fontaine. » Elle prepara la
nourriture de ses parents avec cette eau
bourbeuse.
Le lendemain, comme ses parents etaient
aux champs, les jeunes filles proposerent de
nouveau a Mosimotsane d'aller avec elles a
la fontaine. Elle prit son vase et les suivit.
Elles remplirent leurs vases les unes apres
les autres, les' deposerent a terre et se
mirent a jouer. Quand le soleil fut couche,
elles prirent leurs vases et les poserent sur
leurs tetes. Mais quand Mosimotsane voulut
prendre le sien, elle ne le put, il restait
comme fixe au sol. Ses compagnes depo-
serent leurs vases a terre et reunirent
leurs efforts pour soulever celui de Mosi-
motsane ; mais tout fut inutile, il restait
comme fixe au sol. Elles s'ecrierent :
« Allons-nous-en, les fantomes de sa mere
sont la-dedans ! » A peine etaient-elles par-
ties que Mosimodi apparut, sortant du sein
des eaux, toujours appuyee sur sa canne de
fer; elle chantait :
240
CONTES DES BASSOUTOS
C'est la faute de Thoulare, Mosimotsane,
Quand je suis retournee chez moi, Mosimotsane,
Tu m'as dit un mensonge, Mosimotsane,
C'est elle, ta mere, c'est elle, Mosimotsane,
Qui m'a ecrasee et reduite en poudre, Mosi-
[motsane,
Avec une pierre a moudre, Mosimotsane,
Mais le crocodile m'a rendu la forme humaine,
[Mosimotsane.
Puis elle frappa sa soeur de sa canne de fer,
souilla l'eau de la fontaine, en remplit le
vase de Mosimotsane et lui cjit : « Va main-
tenant porter cette eau sale a ton pere et a
ta mere. » Puis elle rentra au sein des eaux.
Mosimotsane retourna chez elle en san-
glotant. Sa mere lui demanda : « Mosi-
motsane, pourquoi pleures-tu? » La jeune
fille ne re'pondit rien. « Mosimotsane, pour-
quoi ne me reponds-tu pas? Que me caches-
tu? Qu'est-ce qui te rend si maigre? »
— C'est que j'ai ete battue par Mosi-
modi. — Comment Mosimodi pourrait-
elle te battre? Je l'ai tuee. » Mosimodi
repondit : « Elle est la-bas dans l'etang, pres
de la fontaine. Quand je vais puiser de
l'eau avec mes compagnes, mon vase reste
MOSIMODI F.T MOSIMOTSANK
241
fixe au sol ; les autres jeunes filles ont beau
deposer leurs vases et reunir leurs efforts
aux miens pour soulever mon vase, rien ne
peut le faire bouger. Elles retournent chez
ellesetmelaissentseule; Mosimodivientalors
appuyee sur sa canne de fer et m'en frappe
violemment. » Sa mere lui demanda : « Est-ce
vrai, mon enfant ? — Oui, ma mere, c'est bien
vrai. » Alors la mere en informa son mari.
Le lendemain, avant le jour, le pere se
rendit a la fontaine et se tint cache toute
la journe'e au milieu des buissons. Mosi-
motsane y vint vers le soir avec les autres
jeunes filles ; elles remplirent leurs vases les
unes apres les autres et se mirent a jouer.
Puis elles dirent : « Allons-nous-en le soleil
est deja couche. » Elles prirent leurs vases
et les poserent sur leurs tetes. Celui de
Mosimotsane restait comme fixe au sol ;
elles essayerent toutes de le soulever, mais
elles ne purent pas meme l'e'branler. Elles
s'e'crierent : a Allons-nous-en, les fantomes
de sa mere sont la-dedans ! » Quand elles
furent parties, Mosimodi apparut, sortant
du sein des eaux, toujours appuyee sur sa
canne de fer, et se remit a chanter :
14
242
CONTES DES BASSOUTOS
C'est la fame de Thoulare, Mosimotsane,
Quand je suis retournee chez moi, Mosimotsane,
Tu m'as dit un mensonge, Mosimotsane,
C'est elle, ta mere, c'est elle, Mosimotsane,
Qui m'a ecrasee et reduite en poudre, Motsi-
[motsane,
Avec une pierre a moudre, Mosimotsane,
Mais le crocodile m'a rendu la forme humaine,
[Mosimotsane.
Comme elle se mettait a frapper sa soeur
de sa canne de' fer, son pere s'ecria : « Oh!
ma fille, je t'en prie, ne frappe pas ainsi ta
sceur. » Mosimodi repondit : « Et qui done
est ta fille? Toi et ma mere vous m'avez
tuee; je suis la fille du crocodile. » Son
pere la supplia longtemps; elle repondait
toujours : « Pourquoi m'avez-vous tuee?
Vous m'avez tuee a cause du lait de Thou-
lare. C'est maintenant le crocodile qui est
pour moi mon pere et ma mere. » Alors elle
rentra dans l'etang et disparut au sein des
eaux.
Son pere remonta au village ; il dit a sa
femme : « C'est elle, je l'ai vue; c'est bien
elle; elle est tout a fait comme auparavant. »
Alors il prit un grand nombre de tetes de
MOSIMODI ET MOSIMOTSANE
2 4 3
betail et les conduisit vers l'etang du cro-
codile ; tout le village s'y rendit avec lui.
Alors le crocodile sortit de l'eau et demanda :
« Qu'y a-t-il? » Le pere dit : « Seigneur, je
suis venu racheter mon enfant. » Le croco-
dile rentra dans l'etang et alia se concerter
avec Mosimodi. Celle-ci consentit a retour-
ner vers son pere. Alors le crocodile revint
vers le pere de Mosimodi et lui dit : « Jetez
le betail dans l'etang! » Les gens pousserent
le betail dans l'etang et il s'engouffra au
fond des eaux. Alors le crocodile plongea
de nouveau et resta tres longtemps au fond
de l'eau ; puis il revint avec une natte qu'il
etendit au bord de l'etang. II repartit et
revint avec tous les effets de Mosimodi, des
couvertures, des robes, des colliers, des
bracelets; il deposa tout cela sur la natte
qu'il avait apportee. Puis il retourna au fond
de l'eau; enfin il reparut avec Mosimodi,
qui sortit de l'eau toujours appuyee sur sa
canne de fer. Alors le crocodile dit : « La
voila, votre fille, vous pouvez la tuer de
nouveau, si vous le voulez. » Puis il dit a
Mosimodi : « S'ils te font du mal, reviens
vers moi; moi, je t'aime, et je te recevrai
244
CONTES DES BASSOUTOS
bien. » Alors il lui fit cadeau d'un grand
nombre de tetes de betail; il donna aussi un
boeuf de somme, sur lequel on plaga tous
ses effets. Des le lendemain Mosimodi se
hata de quitter la maison de ses parents et
retourna chez son mari.
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NTOTOATSANA.
II y avait une fois une fille de chef nommee
Ntotoatsana ; son pere n'avait en fait d'en-
fants qu'elle et son petit frere. C'etait elle
qui gardait les bestiaux, elle les menait meme
a leurs paturages d'ete ». Un jour, comme
elle gardait le betail bien loin du village,
un tourbillon survint, l'enleva et l'emporta
bien loin a travers l'espace. Elle fut amende
i. C'cst quclquc chose d'absolument inusite
chez les Bassoutos de voir une femmc garder les
bestiaux; tous les soins a dormer au betail sont
le partage exclusif des hommes.
24C
CONTES DES BASSOUTOS
vers une tribu de Ma-Tebeles ', qui n'avaient
qu'une jambe, qu'un bras, qu'un ceil et
qu'une oreille 2. Elle demeura avec eux et
devint l'epouse du fils du chef de la tribu.
Son mari prit des cornes d'animaux et les
enterra sous le sol de sa hutte; un jour que
Ntotoatsana essaya de s'enfuir, les cornes se
mirent a crier :
Ou-ou-e-e! voici Ntotoatsana, qu'un tourbil-
[lon a saisie et emportee.
Pendant qu'elle gardait les bestiaux de son pere,
[les bestiaux de Sekoae.
Alors les Ma-Tebeles arriverent en cou-
rant et la ramenerent chez son mari.
Elle y demeura longtemps et mit au monde
1. Ma-Tebeles, c'est le nom que les Bassoutos
donnent a toutes les tribus cafres, Zoulous aussi
bien que Cafres, de la colonie du Cap. Genera-
lement, ce nom ne s'applique qu'aux habitants
du Matebeleland, qui s'etend au nord du Trans-
vaal, entre le Limpopo et le Zambeze.
1. Dans le conte zoulou d' Umkxaka^a (Calla-
way, pp. 181-217), nous trouvons un peuple
semblable nomme les AmadMungundhlebe.
NTOTOATSANA
247
deux petites filles jumelles qui lui ressem-
blaient beaucoup. Les deux enfants gran-
dirent, se developperent et devinrent de
grandes jeunes filles. Un jour qu'elles etaient
allees a la fontaine puiser de l'eau, elles
decouvrirent des hommes caches dans un
fourre de roseaux; c'etait leur oncle mater-
nel et ses serviteurs. II leur demanda : a De
qui etes-vous filles? — De Selo-se-ma-
qoma '. — Et votre mere, quel est son nomf
— Ntotoatsana. — De qui est-elle fille? —
Elle nous a raconte qu'elle avait e'te empor-
tee par un tourbillon, pendant qu'elle pais-
sait les bestiaux de son pere. Alors cet
homme s'ecria : « Ce sont bien la les enfants
de ma soeur. » Alors lui et ses compagnons
couperent un certain nombre de roseaux et
en firent une botte qu'ils remirent aux jeunes
1. Litteralement : « une chose rugueuse, cou-
verte d'ecailles », comme la carapace d'un cro-
codile. Le q se prononcc avec un claquement.
Les Cafres et les Bassoutos ont cmprunte aux
Bushmen et aux Hottentots ces sons etranges,
qu'un Europeen a de la peine a reproduire
correctement.
2 4 8
CONTES DES BASSOUTOS
filles en leur disant : « Des que vous serez
arrivees chez vous, cachez bien vite ce9
roseaux sous la peau de boeuf ou votre mere
a coutume de s'asseoir, mettez-vous a pleu-
rer et dites-lui d'aller vous chercher a
manger. »
Les jeunes filles firent en tout comme leur
oncle leur avait ordonne; pendant que leur
mere e'tait allee leur chercher a manger, vite
elles cacherent leurs roseaux sous la peau
de bceuf. Quand leur mere revint et s'assit
sur cette peau, les roseaux furent tous ecra-
ses; les deux fillettes fondirent en pleurs.
Leur mere essaya de les consoler, leur pro-
mettant d'envoyer un jeune homme leur
chercher d'autres roseaux, mais elles conti-
nuerent &■ pleurer, disant qu'il fallait que ce
fut leur mere elle-meme qui allat leur en
chercher.
Ntotoatsana se rendit done a la fontaine
pour y chercher des roseaux; elle y rencon-
tra son frere et le reconnut. Elle pleura de
joie. Son frere lui demanda : « Quand revien-
dras-tu a la maison? Pourquoi rester chez
ces Ma-Tebeles, chez Selo-se-maqoma? »
Elle repondit : « Je ne puis pas m'en aller
NTOTOATSANA
24Q
d'ici; des que j'essaie de m'enfuir, les cornes
.donncnt l'alarme. » II lui demanda : De
quelles cornes parles-tu? comment peuvent-
elles parler? » Ntotoatsana repondit : a Ce
sont des cornes magiques que raon mari a
enterre'es sous le sol de ma hutte. » Alors son
frere lui dit : « Voici ce qu'ilte faut faire; fais
chauffer de l'eau, verse-la dans ces cornes,
puis bouche bien avec du moroko ' ; ensuite,
prends de grosses pierres et place-les sur les
cornes. Quand tout le monde sera endormi,
enfuis-toi avec tes deux enfants et viens nous
rejoindre ici ».
Ntotoatsana retourna chez elle et dit a ses
deux filles de lui faire chauffer de l'eau; le
soir elle prit cette eau chaude et la versa
dans les cornes; puis elle prit du moroko et
en boucha l'ouverture des cornes; ensuite,
elle prit de grosses pierres et les placa sur
les cornes. Puis, quand tout le village fut
plonge dans le sommeil, elle reveilla ses deux
1. Le moroko est ce qui restc de In farinc de
sorgho fermente, quand on a prepare la bierc
indigene. 11 a a peu pres la consistancc de la
sciure de bois.
2 5o
CONTES DES BASSOUTOS
enfants et alia a la fontaine rejoindre son
frere etses deux compagnons. lis s'enfuirent
tous ensemble. Les comes essayerent de
donner l'alarme, mais elles ne pouvaient que
crier : « Ou-ou-ou ! » Les gens du village se
dirent : « Ce sont des chiens qui aboient. »
Pendant ce temps Ntotoatsana et sa troupe
s'eloignaient rapidement ; ils marcherent
sans s'arreter jusqu'au matin.
Comme ils etaient deja bien loin, les cornes
donnerent l'alarme en criant :
Ou-ou-ou-e, voici Ntotoatsana, qu'un tourbil-
[lon a saisie et emportee,
Pendant qu'elle gardait les bestiaux de son pere,
[les bestiaux q\e Sekoae.
Les Ma-Tebeles se mirent a sa poursuite,
a grands sauts de leur unique jambe. Comme
ils s'approchaient de Ntotoatsana et de ses
compagnons et allaient les atteindre, ils
s'apercurent que ceux-ci tenaient en laisse
un mouton noir. Alors le mouton se mit a
chanter :
Hase fouhlaele fou, ha o na tema fou '! »
i. La chanson du mouton savant ne veut pro-
NTOTOATSANA 2 D I
I.es Ma-Tebeles s'arreterent emerveille's,
pendant que Ntotoatsana et ses compagnons
continuaient leur marche. Puis le mouton
dressa sa queue et se mit a danser en creu-
sant la terre de ses sabots. Quand il s'aper-
cut que Ntotoatsana et ses compagnons
etaient deja bien loin, le mouton disparut
soudain et alia les rejoindre.
Les Ma-Tebeles se pre'cipiterent de nou-
veau a leur poursuite; chacun cherchait a
depasser les autres; la plaine etait couverte
de Ma-Te'bele's qui couraient. Bien vite, ils
furent de nouveau en vue de Ntotoatsana.
Alors le mouton recommenca a chanter
et a danser et les Ma-Tebeles de s'arreter
emerveille's a le regarder. Quand Nto-
toatsana et ses compagnons eurent pris
une grande avance, le mouton disparut
soudain et alia les rejoindre. Les Ma-
Tebeles reprirent leur poursuite, en disant :
bablement rien dire; j'ai en vain essaye d'en
trouver une explication; il vaut mieux la laisser
comme elle est que donner une version qui
aurait toutes chances d'etre t'ausse.
!52
CONTES DES BASSOUTOS
(i Par Maqoma «, cette fois nous irons droit
jusqu'a Ntotoatsana , sans nous laisser
arreter par ce sot petit mouton, quand bien
meme il se mettrait a danser et a chanter
d'une facon merveilleuse. » Quand ils furent
pres d'atteindre Ntotoatsana, le mouton se
remit a chanter et a danser bien mieux
encore qu'auparavant ; les Ma-Tebe'les s'ar-
reterent e'merveilles a le regarder. Puis, il
disparut a leurs yeux. Alors les Ma-Tebe'-
les perdirent courage; ils retournerent chez
eux tout honteux, en disant : « Cette fois,
elle nous a echappe pour de bon, la femme
de notre chef. »
Ntotoatsana et son frere arriverent chez
eux; ils furent recus avec une grande joie.
Pendant son deuil, la mere de Ntotoatsana
avait laisse tant croitre ses cheveux qu'ils
etaient aussi longs que la queue d'un oiseau.
Maintenant elle les coupa. Puis elle invita
tous ses amis et ses parents et fit une grande
fete pour ce'lebrer le retour de Ntotoatsana.
i. C'est la coutume des tribus sud-africaines
de jurer par le nom de leurs chefs, morts ou
vivnnts.
J$4 $MM4M4MM64444MttM4
* *
+ 1 -i * ^
V¥TVTWVVY¥VVYT¥VWl¥Yl¥iriV WW
LES QUATRE JEUNES GENS
ET LA FEMME '.
On raconte que jajis il v avait quatre
jeunes gens; il y avait aussi une femme.
Cette femme demeurait sur le versant d'une
i . Ce recit est une legende plutot qu'un conte ; il
est a tous egards extremement interessant. Je
le tiens d'une vieille femme de quatre-vingts ans
noraraie Mamangana. J'ai lieu de croire qu'elle
ne me l'a pas dit exactement coinme elle le
connait, ou plutot qu'elle en a relranche cer-
taines parties qui ne lui paraissaient guerecon-
venables. Malgre toutes les recherches que j'ai
faites, je n'ai trouve personne d'autre qui ait pu
m'en donncr une version plus complete.
■ 5
254
CONTES DES BASSOUTOS
petite colline ; les quatre jeunes gens demeu-
raient sur une autre colline. Les jeunes gens
s'occupaient a chasser des animaux sau-
vages ; la femme ne savait pas chasser, elle
restait assise a ne rien faire, n'ayant rien a
manger. Les jeunes gens chassaient les betes
sauvages et se nourrissaient de leur chair.
Un d'eux dit : « Cet etre la-bas qui nous
ressemble, qui est-ce qui chasse pour lui,
puisqu'il reste assis toute la journee? » Un
autre repondit : « Non, il ne nous ressemble
pas ; cet etre ne peut, comme nous, chasser
les animaux. » Le premier repliqua : « II a
comme nous des mains, des pieds et une
tete; pourquoi ne pourrait-il aller comme
nous a la chasse? » Un autre dit : « Je va'is
aller vers lui, pour voir quelle espece de
personne c'est. » II la trouva toujours assise ;
il lui demanda : « Comment es-tu, toi? » Elle
repondit : « Je ne mange rien; je me nourris
d'eau. — Vrai? — Oui. » II retourna vers
ses compagnons et leur dit : « Cet etre n'est
pas de notre espece ; il est d'une tout autre
espece; c'est un etre qui ne saurait aller a la
chasse. » Us lui demanderent : « Comment
est-il fait? — II a comme nous des mains,
LES QUATRE JEUNES GENS ET LA FEMME 2 55
des pieds et une tete; autrement il ne nous
ressemble pas. — Et du feu, en fait-t-il? —
Non, il vit sans feu. — Que mange-il? — II
boit de l'eau; il ne mange absolument rien ».
Les autres jeunes gens furent tres etonnes ;
ils se coucherent et s'endormirent.
Le lendemain, ils allerent a la chasse et
revinrent aVec le gibier qu'ils avaient tue.
Alors un des jeunes gens dit : « Camarades,
je veux donner un morceau de viande a
cette personne la-bas, pour voir si elle le
mangera. » Ils y consentirent. II coupa un
morceau de viande, prit du feu, rassembla
des crottes seches et vint vers la femme; il
fit du feu et y fit cuire sa viande, puis il lui
en donna, en disant : a Prends et mange. »
Elle prit la viande et la mangea. Le jeune
homme la vit manger et en fut tout etonne.
Alors il lui donna un autre morceau de
viande, en lui disant : « Prends et fais-le
cuire toi-meme. » Puis il retourna vers ses
camarades et leur dit : « Cette personne a
mange ma viande, elle mange comme nous;
mais elle nest pas de la meme espece que
nous, car elle ne peut pas tuer de gibier. »
Cette femme etait nue, les jeunes gens
256
CONTES DES BASSOUTOS
l'etaient aussi; mais ils se couvraient des
peaux des animaux tues par eux quand elles
etaient fraiches encore; ils ne savaient pas
les tanner ni les conserver. lis portaient
leurs fleches fixe'es dans leur chevelure. Le
lendemain, le jeune homme retourna vers la
femme et lui porta de la viande. Les autres
lui dirent : « Si c'est toujours pour cette per-
sonne-la que tu tues du gibier, tu n'auras
plus part a notre chasse. » Quand la femme
se fut rassasiee de viande, elle eut soif ; alors
elle prit de l'argile et en forma un petit
vase ; elle le de'posa au soleil pour qu'il
sechat, ensuite elle alia puiser de l'eau dans
ce vase ; mais il se fendit. Elle s'en etonna ;
puis elle alia boire comme toujours en se
penchant sur l'eau.
Elle recommenca a faire un vase d'argile,
puis un autre, les fit secher au soleil, ras-
sembla des crottes seches et fit un feu pour
cuire ses vases; quand ils furent finis, elle
alia puiser de l'eau et vit que cette fois l'eau
ne les gatait plus. Dans l'un elle mit de l'eau
et de la viande et placa le tout sur le feu.
Quand la viande fut cuite, elle la sortit du
vase et la de'posa sur une pierre plate, puis
LES QUATRE JEUNES GENS ET LA FEMME I^J
elle la mangea ; mais elle laissa un morceau
dans le vase.
L'homme arriva et lui apporta le gibier
qu'il venait de tuer; elle lui dit : « Mange
un peu de ceci, tu verras comme c'est bon. »
II mangea de sa viande, but du bouillon et
en fut tout e'tonne. Puis il retourna vers ses
camarades et leur dit : « Camarades, cette
personne-la a faconne de l'argile ; dans un
de ses vases elle puise de 1'eau, dans un
autre elle cuit de la viande; goutez done la
viande qu'elle fait cuire; certainement cette
personne-la n'est pas de la meme espece
que nous. » lis s'etonnerent. Un autre
alia vers elle, la regarda, mangea de sa
viande, but de son bouillon et fut fort
e'tonne de voir les pots d'argile qu'elle
avait faconnes. II retourna vers ses cama-
rades et leur dit : « C'est un etre d'une
autre espece que nous. » Alors le jeune
homme qui, le premier, s'etait occupe d'elle,
resta avec cette femme et lui apporta
chaque jour le gibier qu'il tuait ; elle, a
son tour, le lui preparait le mieux qu'elle
pouvait. Les trois autres jeunes gens par-
tirent et laisserent leur camarade avec
258
CONTES DES BASSOUTOS
cette femme; ils vecurent ainsi tous les
deux ensemble '.
i. Cette legende pourrait etre intitulee : 1'ori-
gine du mariage. Elle montre admirablement ce
que sont, dans l'esprit des peuples primitifs, les
differentes spheres d'activite de l'homme et de
la femme, et combien ils sont necessaires l'un
a l'autre dans la vie de tous les jours.
^ ^h /^n /<p r^p ^n r?p ^n
SEETETELANE.
Il y avait une fois un homme extremement
pauvre nomme Seetetelane. II n'avait pas
meme une fe'mme. II se nourrissait unique-
ment de souris sauvages; son manteau
etait fait de peaux de souris sauvages, ainsi
que sa tseha '. Un jour qu'il etait alle a la
chasse des souris sauvages, il trouva un
oeuf d'autruche, et dit : « Cet ceuf, je le man-
gerai, lorsque le vent viendra de la-bas. » II
le serra au fond de sa hutte.
Le lendemain, il alia, comme d'habitude,
i. La tseha est le calefon ou ceinture de peau
des hommes chez les Bassoutos.
200
CONTES DES BASSOUTOS
a la chasse des souris sauvages ; a son retour,
il trouva du pain qu'on venait de cuire, du
yoala qu'on venait de preparer. II en fut
ainsi plusieurs jours de suite. II se disait :
« Se'etetelane, est-ce que reellement tu
n'aurais pas de femme ? Qui, si ce n'est ta
femme, aurait pu te cuire ce pain ou te
preparer ce yoala? »
Enfin, un jour, une jeune femme sortit de
cet ceuf, et lui dit : « Se'etetelane, quand
bien meme tu serais ivre de yoala, ne
m'appelle jamais fille d'un ceuf d'autruche. »
A partir de ce moment, cette femme devint
la femme de Seetetelane. Un jour elle lui
dit : « Est-ce que tu aimerais avoir des gens
a toi? » II repondit : « Oui, je l'aimerais. »
Mors sa femme sortit et se mit a frapper
avec un baton l'endroit ou Ton jetait les
cendres. Le lendemain, a son re'veil, Seete-
telane entendit un grand bruit, comme celui
d'une foule d'hommes; il etait maintenant,
devenu un chef et etait vetu de belles four-
rures de chaeal. Les gens vinrent vers lui
avec empressement; de toutes parts on lui
criait : > Salut, notre chef! salut, notre
chef! o Tout le monde le saluait ainsi avec
SKKTETELANE
2(M
respect; meme les chiens se mettaient de la
partie. Partout on entendait les beuglements
des bestiaux ; Seetetelane etait chef d'un vil-
lage immense. 11 dedaignait maintenant ses
peaux de souris sauvages ; il n'e'tait plus vetu
que de fourrures de chacal, et la nuit il dor-
mait sur de belles nattes.
Un jour, commc il etait ivre de yoala, au
point de ne plus pouvoir bouger, il cria a
sa femme : « Fille d'un ceuf d'autruche. »
Sa femme lui demanda : o Est-ce bien toi,
Seetetelane, qui m'appelles fille d'un ocuf
d'autruche? » Seetetelane reprit : « Oui, je
te le dis, tu es la fille d'un oeuf d'autruche. »
Le soir il se coucha bien au chaud dans des
fourrures de chacal et s'endormit profon-
dement. Au milieu de la nuit il se reveilla,
et, tatonnant a terre avec ses mains, il s'aper-
£ut qu'il etait couche sur le sol nu et qu'il
etait couvert de ses anciennes peaux de
souris sauvages qui arrivaient a peine
jusqu'a ses genoux; il etait arl'reusement
transi. II s'apercut aussi que sa femme
n'etait plus la et que tout son village avait
disparu. Les belles fourrures de chacal
avaient egalement disparu. Alors il se rap-
262
CONTES DES BASSOUTOS
pela tout et s'ecria : « Helas! que vais-je
faire ? pourquoi ai-je dit a ma femme : Tu
es la fille d'un oeuf d'autruche? » II etait
redevenu un homme extremement pauvre,
sans femme ni enfants : il vieillit ainsi, ayant
toujours pour seule nourriture la chair des
souris sauvages et se vetant de leurs peaux,
jusqu'a sa mort '.
1. Comparez, dans les Swahili Tales of Zan-
zibar de M. E. Steere, la fin de l'histoire de
Sultan Darai (pp. 10-137), 0C1 Ton retrouve lc
meme denouement.
"%
m m m m #####
SEKHOLOMI
II y avait une fois un fils de chef nomme'
Sekholomi-sa-Molopolotsane ; il e'tait muet.
Un jour, de magnifiques oiseaux vinrent a
passer; un vieillard s'ecria : « Si mes com-
pagnons et moi e'tions encore jeunes, nous
leur donnerions la chasse. » Mors Sekho-
lomi et ses compagnons partirent pour les
i . Sekltolomi veut dire: a le parleur, o sans doute
par antiphrase, puisque le personnage qui portc
ce nom est muet. Le conte de Se'moumou et
Semoumounyane [Revue des Traditions popu-
lates, 1888, pp. 654-662) oflre dans sa seconde
partie une version un peu differente de celle-ci.
Dans le Folklore cafre (Theal, pp. 74-81) il faut
lui comparer le conte de Sikulume.
264
CONTES DES BASSOUTOS
poursuivre. Les oiseaux s'envolerent loin,
bien loin, poursuivis par les jeunes gens,
ceux-ci les atteignirent enfin au milieu d'un
fourre de hauts roseaux, les tuerent et s'en
firent de belles aigrettes '. Le soir, ils entre-
rent dans une hutte abandonne'e qui se trou-
vait la et s'y endormirent. Pendant la nuit la
proprie'taire de la hutte, une vieille femme
effrayante 3 , y entra et se mit a dire : « Je
mangerai celui-ci, je mangerai celui-la;
quant a Sekholomi-sa-Molopolotsane, je le
mangerai lorsqu'il pleuvra. » Les jeunes
gens dormaient et n'entendirent rien ;
Sekholomi seul l'entendit parler ainsi. Le
lendemain a leur re'veil les jeunes gens
s'apergurent que pendant la nuit quelqu'un
e'tait entre dans la hutte et avait mange tous
leurs oiseaux. Ils demanderent : « Qui a
1. Ce sont des aigrettes que les guerriers por-
tent sur leur tete, soit a la guerre, soit dans leurs
fetes; on les fait soit de plumes d'oiseaux, soit de
queues de differents animaux. En sessouto on
les nomme sekola.
2. Dans d'autres versions, e'est un grand oiseau
nomme Koupou ou Selomakoupou.
SEKHOLOMI
265
mange nos oiseaux? » Personne ne put le
leur dire ; Sekholomi seul le savait, mais il
ne pouvait pas parler.
lis retournerent chasser les oiseaux et le
soir revinrent coucher dans cette hutte. Mais
cette fois il tresserent une corde d'herbes
flexibles, et avant de s'endormir l'attacherent
a leurs orteils. La vieille femme vint, comme
la veille, et dit : « Je mangerai celui-ci, je
mangerai celui-la, quant a Sekholomi-sa-
Molopolotsane, je le mangerai quand il pleu-
vra. » Sekholomi tira sur la corde et reveilla
tous ses compagnons, qui entendirent ce que
disait la vieille. Puis la vieille sortit de la
hutte et s'eloigna.
Le matin, Sekholomi et ses compagnons
sortirent de la hutte et s'eloignerent en cou-
rant ; mais Sekholomi oublia sa belle aigrette
de plumes dans un coin de la hutte. 11 s'en
apercut, lorsqu'ils e'taient deja bien loin,
alors il parla pour la premiere fois de sa vie
et s'e'cria : « Oh! oh ! j'ai oublie mon aigrette
la-bas. a Ses compagnons s'ecrierent : « Le
fils de notre chef parle ; c'est un miracle ! »
Sekholomi appela un de ses compagnons et
lui dit : « Va me chercher mon aigrette. »
266
CONTES DES BASSOUTOS
Celui-ci refusa. Tous refuserent d'y aller.
lis offrirent a Sekholomi de lui donner leurs
aigrettes a la place de la sienne; mais il
refusa, en disant : « Aucune des votres n'est
aussi belle que la mienne. »
II se decida alors a aller lui-meme la cher-
cher; avant de quitter ses compagnons il
planta en terre son baton, et leur dit : « Si
vous voyez mon baton tomber a terre, vous
saurez que je suis mort. » II se mit en route
et arriva a la hutte oil ils avaient passe la
nuit; la vieille femme y etait et se battait
avec une de ses compagnes. Sekholomi
entra rapidement dans la hutte, se saisit de
son aigrette et repartit en courant. Les deux
vieilles femmes se mirent a sa poursuite ;
mais il courut plus vite qu'elles et leur
echappa. Son baton ne tomba pas a terre, il
ne fut qu'ebranle. Ses compagnons connu-
rent ainsi qu'il etait encore vivant.
Pendant que Sekholomi continuait a
s'enfuir, un brouillard epais s'e'tendit sur
tout le pays. Alors Sekholomi tomba dans
un etang qu'il n'avait pu voir. II re'ussit a en
sortir ; mais un grand serpent s'etait enroule
tout autour de son corps, de sorte qu'il ne
SEKH0LOMI 267
pouvait plus marcher qu'avec peine. Enfin,
il rejoignit ses compagnons. Des que ceux-
ci l'apercurent ils s'enfuirent au plus vite,
effrayes a la vue du serpent. Quand Sekho-
lomi fut arrive a l'endroit ou il avait laisse
son baton, il se mit a chanter :
.1 Boa ', qui m'enserres, deroule tes anneaux, que
[je puisse priser. »
Le serpent deroula ses anneaux et Sekho-
lomi prit une prise; ensuite le serpent enlaca
de nouveau le jeune homme de ses anneaux.
Sekholomi continuait sa route ; de temps
en temps, il chantait : « Boa, qui m'enserres,
deroule tes anneaux, que je puisse priser. »
Enfin, il arriva au village de son pere, tard
dans la nuit; il entra dans la hutte du khotla
et s'y coucha. Le lendemain, a leur reveil,
les hommes du village l'apercurent et s'en-
fuirent effrayes. Mors, lui aussi se reveilla;
1. Le mot que je traduis par boa designe une
espece de grand python, inconnu dans le Basu-
toland, mais assez commun, dit-on, au Trans-
vaal et dans la Natalie.
i 68
CONTES DES BASSOUTOS
il se mit a chanter : « Boa, qui m'enserres,
deroule tes anneaux que je puisse priser. »
Mais cette fois le serpent refusa de bouger ;
Sekholomi sortit de la hutte, toujours
entoure du serpent.
Sa mere vint et se mit a chanter : « Boa
qui enserres mon fils, deroule tes anneaux
arm qu'il puisse priser. » Mais le serpent
refusa de houger. Le frere de Sekholom
s'approcha et se mit a chanter : « Boa, qui
enserres mon frere, deroule tes anneaux
arm qu'il puisse priser. » Le serpent ne bou
geait toujours pas. Le pere de Sekholom
vint alors et se mit a chanter : a Boa, qu
enserres mon enfant, deroule tes anneaux
afin qu'il puisse priser. » Le serpent ne vou
lait toujours pas s'en aller.
Alors le chef ordonna a tous ses gens de
faire du leting et de tuer du Detail; on
apporta toute cette viande et ce leting dans
le kraal des bestiaux. Sekholomi s'approcha
et recommenca a chanter : « Boa, qui m'en-
serres, deroule tes anneaux que je puisse
priser. » Quand le serpent apercut les vivres
deposes a terre, il deroula ses anneaux,
rampa sur le sol, et se mit a boire un pot de
SEKHOLOMI
269
lilting, puis un autre, jusqu'a ce qu'il les em
tous finis. Puis il avala la viande et ne cessa
de manger que lorsqu'il ne resta plus rien.
Mors Sekholomi s'enfuit en courant, et les
hommes du- village s'approcherent armes de
leurs assagaies. Comme le serpent etait ivre
de la biere qu'il avait bu, et si repu de la
viande qu'il avait avalee qu'il ne pouvait
plus bouger, on le tua sans peine.
Comme on etait en train de le tuer, une
femme s'ecria : « Ne tuez pas ce serpent;
c'est mon fils. >> Les gens lui repondirent :
« Oui, nous le tuerons, car il a voulu tuer le
fils de notre chef. » Puis, quand ils l'eurent
acheve, ils l'envelopperent dans une peau de
bceuf, qu'ils pla^erent sur la tete de cette
femme, en lui disant : Va-t-en, et emporte
chez toi ton enfant ; c'est lui qui a voulu
tuer le fils de notre chef. » La femme partit,
ployant sous sa charge et suivie des jeunes
gens du village qui la frappaient tout le long
du chemin. Elle leur dit : Ce serpent est
trop lourd; je ne puis le porter. » Ils lui
repondirent : « C'est toi qui l'as voulu; tu
n'as que ce qui te revient. » Elle arriva dans
son village, si accablee qu'elle tomba a terre
2JO CONTES DES BASSOUTOS
et mourut '. Les jeunes gens revinrent alors
chez eux et retrouverent Sekholomi; il
savait parler maintenant et devint un grand
chef.
1 . Cette femme avait fait du bolol ou sorcelle-
rie et change son fils en serpent pour tuer
Sekholomi. C'est pour cela qu'elle est punie. La
croyance a la sorcellerie est fortement enra-
cinee parmi les Bassoutos, comme du reste
parmi tous les peuples bantous; il y en a peu qui
parviennent a s'en defaire reellement.
PROVERBES
Le sessouto est tres riche en proverbes.
J'en possede actuellement une collection
de plus d'un millier, recueillie soit par moi,
soit par mes collegues, soit par des aides
indigenes. On les trouvera a peu pres tous
(en sessouto seulement) dans le livre d'Aza-
riel Sekese dont parle l'introduction. Quel-
ques-uns sont extremement expressifs et
pittoresques. Ce sont malheureusement
ceux-la meme qu'il est presque impossible
de traduire en francais. lis ne seraient
comprehensibles qu'au prix de longues
explications, car ils font allusion a des
moeurs ou coutumes du pays ou a d'anciens
l'ROVERBKS
faits historiques. Comme specimen, j'en
donne ci-dessous un certain nombre, choisis
a dessein parmi ceux qu'il est le plus aise
de comprendre et qui ne reclament qu'une
courte explication. Pour le texte sessouto
j'ai suivi l'orthographe en usage dans notre
mission.
i. Bohlale ha bo ahe ntlo e le ngue.
La sagesse n'habite pas dans une seule
maison.
2. Bohlale bo ya mong a bona.
La ruse mange son maitre (tue celui qui
en use).
3. Boliba botala ha bo okameloe.
On ne se penche pas sur un gouffre aux
eaux bleues (profondes).
4. Ea ratangho otla ntja ha a hloke thupa.
Celui qui veut battre son chien trouve
toujours un baton.
5. Habo mohale ho tla lillo, habo lekuala
ha ho lluoe.
Dans la maison de l'homme courageux il
y a des pleurs, dans celle du lache on ne
pleure pas.
6. Ha ho kokoanyana tsella ngue.
PROVERBES
2 7 3
11 n'y a pas d'insecte qui amasse (de la
nourriture) pour un autre.
7. Ha ho mophato o hlokang leoatla.
II n'y a pas de « mopato » ou Ton ne
trouve un dot '.
S. Ha ho ngaka e sa eteng.
II ri'est pas de medecin qui jamais ne
s'absente 3 .
g. Ha ho pelanyana e sa ipoleleng.
II n'y a pas de si petit hyrax qui ne sache
se vanter 3 .
10. Ho lebala moetsi, moelsuoa ha a lebale.
' Celui qui a fait (du mal) oublie, celui a
qui on (en) a fait n'oublie pas.
11. Hlaahlela le I la ka le leng.
Un anneau fait du bruit quand il en frappe
un autre ''.
1. Le mopato est la hutte ou sont rassembles
les jeunes gens qu'on a circoncis.
2. C'est-a-dire : on n'est jamais sur de trou-
ver de l'aide la ou on en attend.
3. L'hyrax ou daman est un petit pachyderme
sud-africain qui ressemble un peu a la marmotte.
4. Hlaahlela, anneau que les femmes indi-
genes portent au-dessus de la cheville du pied.
*74
PROVERBES
12. Hloahloa ha e neanse.
La chance (est un don qu'on) ne -se passe
pas de l'un a l'autre.
i3. Khomo ea lebese ha e itsuale.
Une vache bonne laitiere ne se reproduit
pas '.
14. Khomo e thibela lerumo.
Le boeuf arrete l'assagaie 2 .
1 5. La ho shua ha leyuetse.
L'accident qui tue ne s'annonce pas.
1 6. Lefu le qoleng ea kobo.
La mort est dans les plis de notre manteau.
17. Lefu ke nthoe ncha.
La mort est (toujours) une chose nouvelle.
18. Lelemeha le na malokeletso.
La langue n'a pas de liens.
19. Leleme le fihla le moo ho roksang
ntsintsi letata.
1. C'est-a-dire : son veau ne la vaudra proba-
blement pas.
2. Un don apaise la colere de l'ennemi. En
guerre, quand un chef se declare vaincu, il
envoie un bceuf en cadeau a son ennemi ; la
paix est alors conclue.
PROVERBES 2/ ■>
Lalangue arrive la meme oil Ton cout un
« kaross » de peaux de mouches '.
20. Leqosa ha le na molato.
Un messager n'a pas de faute 2 .
21. Leraba le tsuasa mo-le-chehi.
Le piege prend celui qui l'a tendu.
22. Lesholu ke ntja, le lefa ka hloho ea
Iona.
Le voleur est un chien ; il paie avec sa
tete.
23. Lesholu ke le tsueroeng.
Le voleur c'est celui qu'on saisit '-.
24. Litabana li tsuala litaba.
Lespetites affaires en enfantent degrandes.
25. Litseho Ha rekana.
Les sourires (politesses) se rendent.
1. Kaross, peaux d'animaux cousues ensemble
pour former un grand manteau. Cela veut dire
que la langue ne recule devant aucun men-
songe ou exageration.
2.Proverbe de droit public pour indiquer l'in-
violabilite des messagers.
3. On n'a le droit de punir que celui dont la
faute est prouvee.
2 7 6
TROVERBES
4
26. Mcibone ha a math'.
Voir ne sert a rien '.
27. Mekoko ha e qhoaelane.
Deux coqs ne s'entr'aident pas a gratter la
terre (pour y chercher de quoi manger).
28. Metsi a macha a ntsa a khale.
Les eaux nouvelles emportent les eaux
anciennes.
29. Mofufutso oa ntja tsuela boeeng.
La sueur du chien ne fart que mouillerses
poils 2 .
30. Mohale o hlabanela tsueleng.
L'homme vaillant combat au milieu de sa
troupe (ne se risque pas seul).
3 1 . Molato ha o bole.
Un crime (ou unedette) ne pourrit pas *.
32. Mollo u chesoa ke 00 u orang.
Le feu qui te brulera, c'est celui auquel tu
te ehauffes.
33. Molomo oa tno/it ha o tloloe.
1. L'experience d'autrui ne nous est pas utile.
2. Ne lui sert de rien.
3. C'est-a-dire : n'est jamaisoublie, sera puni
un jour nu I'autre.
PROVERBES 277
On ne passe pas sur la bouche (la parole)
d'un mort.
34. Molomo o sa yeng o beela o yang.
La bouche qui ne mange pas met de cote
pour celle qui mange.
35. Mong a thipa re ya nae, noma re tima
'mesi.
Le maitre du couteau, nous mangeons
avec lui ; celui qui a cuit la viande, nous ne
lui en donnons pas.
36. Motho da le riti sa hae.
Un homme tombe avec son ombre '.
37. Motse motle liotloana.
Un village est beau vu du dehors '*.
38. Motse ke khetsi ea masepa.
Unvillage(vududedans)estuntasd'ordures
3q. Mphe mphe ea lapisa, motho khonoa
ke sa ntlo ea hae.
1. Quand quelqu'un meurt, sa richesse o'u sa
gloire disparait avec lui.
2. Les liotloana sont Ies enclos de roseaux qui
se trouvent devant les huttes des indigenes. Ces
enclos sont toujours propres ; c'est la partie de
village qui se voit de plus loin.
278 PROVERBES
Donne-moi ! donne-moi! cela ne fait
qu'affamer ; un homme doit savoir se con-
tenter dece qu'il a dans sa maison '.
40. Ngaka ha e iphekole.
Un medecin ne se guerit pas lui-meme.
41. Nguana ea sa lleng shuela tharing.
Un enfant qui ne pleure pas meurt dans
son thari *.
42. Nguana ea cheleng o tsaba ifo.
Un enfant brule craint le foyer.
43. Nkuee shua le mabala.
Un leopard meurt avec ses couleurs (son
pelage bigarre) 3 .
44. Ntho tsa mofu ha li loke.
Les affaires d'un mort ne vont jamais
bien 4 .
43. Ntjapeli ha li hloloe ke phokoyoe.
1 . La mendicite n'enrichit pas.
2.' Le thari est la peau assouplie dans laquelle
les femmes mettent leurs enfants pour les por-
ter sur leur dos.
3.Comp. la parole de Jesus-Christ : Un More
changerait-il sa peau et un leopard ses taches I
4. On ne respecte pas ses dernieres volontes.
PROVERBES
279
Deux chiens viennent a bout d'un chacal.
46. Ntoa ke khomo ea khameloa meut-
lueng.
La guerre est une vache qu'on trait au
milieu des e'pines.
47. Ntsue la morena le haheloa lesakana.
Quand un chef a promis (un bceuf), on
peut batir un kraal
48. Phokoyoe ea tsala morao e bonoa ke
lintja.
Le chacal qui reste enarriere, c'est celui-
la que les chiens apercoivent.
49. Phiri'e pata sehlotsa.
L'hyene qui boite ne le montre pas.
50. Phofu ho hola e bohlale.
L'e'lan qui grandit, c'est celui qui est
ruse.
5i. Phoofdlo hae hlayoe ke eaetsositseng.
Le gibier n'est pas tue par celui qui l'a
fait lever.
52. Pitsa hofauoa e belang.
1. Les chefs indigenes ne meritent malheureu-
sement plus qu'on leur applique ce proverbe.
28o
PROVERBES
La farine se met dans le pot qui bout '.
53. Sebopi se apeha ka lengeta.
Le potier cuit (sa nourriture) dans un
vieux pot casse.
54. Seliba se hole se bolaisa lenyora.
Une source eloignee laisse mourirde soif.
55. Serobe se hahnoa phiri eyele.
On batit un abri (pour ses veaux) quand
l'hyene (en) a de'ja mange (un).
56. Seso se monate ha se ngoauoa ke
tnong.
Notre abces ne nous fait pas souffrir quand
c'est nous qui le grattons.
57. Se khata se le bolepo.
La trappe prend quand elle est de'ja cou-
verte de toiles d'araigne'es 2 .
58. Tau tsa hlaka le le leng lia a tseban.
Les lions du meme taillis se connaissent
tous.
59. Tlotlo ho bokoa le ka mpeng.
1. II faut battre le fer pendant qu'il est chaud.
2. Tot ou tard la vengeance atteint celui qui
l'a meritee.
PROVERBES
La nourriture pour laquelle on remercie
c'est celle qui est (deja) dans notre ventre.
tio. Tsuene ha e ipone lekopo.
Le singe ne voit pas la bosse qu'il a sur le
front.
^ nS^ fan ^~
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fiS% tffo G VX> &b Gfi> <*fi) CY» fffo Gf2 tfffc GYV
-&s £&- -&-Ut~ .'&iU>. -"JLi^fe- .^i2>. .&:£. J&LlL J&Lli. JtBSM
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<$> ^ 4? <$> ^ 4? 4' 4? 4^ 4 ? 4 9
APPENDICE
r
4
I. - BIBLIOGRAPHIE DU FOLKLORE
DES BASSOUTOS
ET DES BECHUANAS
E. Casalis, Etudes sur la langue se'chuana. Paris,
1841.
Du meme auteur, Les Bassoutos. Paris, i860.
Dans ces deux ouvrages on trouve un cer-
tain nombre de proverbes, de chansons popu-
lates et d'enigmes et quatre contes populaires
des Bassoutos, qui sont :
1. Le meurtre de Maciloniane. Version un
peu differente de celle que nous donnons
ici.
2. La metamorphose d'une jeune fille. Ver-
APPENDICE
283
»ion assez differente du conte intitule ici :
Mosimodi et Mosimotsanc.
3. Kammapa et Litaolane.
4. Le petit lievre. Nous en donnons une ver-
sion beaucoup plus complete.
Folk Lore journal. Cape Town, 1K79 et 1880.
Dans cette interessante publication, editec
par Miss Lloyd, et qui n'a malheureusement
pu etre continuee, on trouve (texte sechuana
avec traduction anglaise en regard) les contes
suivants :
1. The lion and the ostrich.
2. Tsegana-nkokopane. Ce n'est qu'un frag-
ment, donnant une version un peu d 1 fie -
rente de la fin du conte intitule VOiseau
qui fait du lait.
3. Kgolodikane.
4. Masilo and Masilonyanc. Version se-
chuana du conte que nous donnons nous-
mfime.
5. Much searching disturbs things that were
lying still.
6. How the children of the Ba-Furutsi sepa-
rated from their fathers.
En outre on y trouve quclques proverbes
se'ehuanas et quelqucs notes interessant le
folklore sur les Continues et Traditions des
Be'chuanas, la Ccremonie des Dipheku (purih-
2(>4 APPENDICE
Cation), les dieitx des Bassoutos (Ba-Pedi), et
quelques superstitions concernant les Ba-Kga-
lahadi.
E. Jacottet, Revue des Traditions populaires,
1 888- 1 890.
Sept contes populaires des Bassoutos :
1. Moshanyana Senkatana. Deux ver-
sions differcntes du conte donne par
M. Casalis sous le titre de Kammapa et
Litaolane.
2. Semumu et Semumunyane.
3. Pourquoi le daman n'a pas de queue.
4. Le garcon-mere.
5. Leobu.
6. La le'gende de la tortue. Reproduite ici-
mSme.
7. Raseretsana .
Endemann, Versuch einer Grammatik des Sotlio.
Berlin, 1876.
Quelques proverbes et chants populaires en
se-pedi avec traduction allemande.
Endemann, Zeitschrift fiir Afrikanische Spra-
chen, 1888.
Quelques chants populaires des Ba-Pedi
avec traduction allemande.
Theal, Kaffir Folklore. Londres, 1882.
• Un conte se-rolong (se-chuana) en traduction
APPENDICE
285
anglaise : The story of the bird that made milk
(Autre version de Voiseau qui fait dit lait).
Azariel Sekese, Buka ea pokello ea mekhoa ea
Ba-Sotho. le made, le litsomo. Moria, i8g3.
Recueil en sessouto des coutumes. proverbes
et contes des Bassoutos.
II. — BIBLIOGRAPHIE DU FOLKLORE
DES PEUPLES BANTOL'S
ET DES AUTRES TRIBUS DU SuD DE l'AFRIQUE.
i. Folklore des Cafres et des Zoulous.
Callaway; Nursery Tales and Traditions of the
Zulus. Londres, 1868.
— The religions system of the Ama^ulu .
Londres, 1868-1870.
— Zulu I^aga, that is Proverbs of the
Zulus, by a Zulu missionary. Londres.
Theal, Kaffir Folklore. Londres, 1882.
Folk Lore Journal. Cape Town, 1879- 1880.
Contient dix-huit contes ou legendes des
Cafres et des Zoulous (texte original avec tra-
duction anglaise en regard).
Torrend, Xosa-Kaffir Grammar. Grahamstown,
1887.
iS6
APPENDICE
Un conte cafre (texte avec traduction anglaise
en regard).
Torrend, A Comparative grammar of the South-
African Bantu Languages. Londres, 1891.
Quatre contes en cafre avec traduction
anglaise.
2. Folklore des Hereros et Ov-Ambo.
Buttner, Zeitschri/t fitr a/rikanische Sprachen .
Berlin 1888.
Quatre contes en herero avec traduction
allemande.
Brincker, Worterbuch des Otji-Herero. Leip-
zig, 1886.
Quinze contes en herero avec traduction
allemande interlineaire.
Folk Lore Journal. Cape Town 1879 et 1880.
1. Un conte herero et quelques proverbes
avec traduction anglaise; en outre de tres
longues explications des coutumes, dds
moeurs et de la religion des Hereros.
2. Les sacrifices chez les Ov-Ambd.
3. Folklore de l'Angola.
Heli Chatelain, Grammatice elementar do Kim-
bundu. Geneve, 1888- 1889.
Soixante et un proverbes, onze enigmes et
deux contes en ki-mboundou avec traduction
interlineaire en portugais et en anglais.
APPENDICE
287
4. Folklore du Lounda.
Henrique de Carvalho, Methodu Pratico para
fallar a lingua da Lunda. Lisbonne, 1890.
Cinq contes en lounda avec traduction
portugaise.
5. Folklore des Duallas (Cameroun).
Meinhof, Zeitschrift filr afrikanische Sprachen.
Berlin, 1890.
Un conte en dualla avec traduction alle-
mande.
Meinhof, Mdrchen aits dem Kamerun. Stras-
bourg, 1889.
Six contes duallas en allemand; c'est une
adaptation plutot qu'une traduction.
6. Folklore de Zanzibar.
Steere,Sn>a/ii7i Tales of Zanzibar. Londres, i88y.
Zeitschrift filr afrikanische Sprachen. Berlin,
1887-1890.
Chansons populaires en souaheli avec ou
sans traduction allemande.
Steere, Folk Lore Journal. Cape Town, 1 879- 1 880.
Deux contes en souaheli el en anglais.-
7. Folklore des Hottentots.
Bleek, Reynard the Fox in South Africa. Lon-
dres, 1864.
Hahn, Tsuni-Goam. Londres, 1882.
Folk Lore Journal. Cape Town, 1879-1880.
Quelques contes en traduction anglaise.
288 appendice
8. Folklore des Bushmen.
Bleek, A brief account of Bushman Folk Lore.
Londres 1879.
Miss Lloyd, A short account of further Bushman
material. Londres, 1889.
Folk Lore Journal. Cape Town, 1879-1880.
Trois contes des Bushmen fournis par Miss
Lloyd en traduction anglaise.
II est probable qu'un certain nombre de contes
ou autres contributions au folklore des peuples
bantous ou sud-africains ont ete publies ailleurs.
Cette bibliographie est loin d'etre complete. Je
serais heureux que quelqu'un de plus autorise
la completal dans le Journal des Traditions
populaires. Nombre de contes manuscrits en
quelques-unes de ces langues se trouvent depo-
ses a la Grey Library An Cape Town, et peut-etre
aussi dans d'autres bibliotheques.
III.
OUVRAGES SPECIAUX
concernant les Bassoutos, leur langue, leurs
coutumes, leur h1st01re.
E. Casalis, Les Bassoutos. Paris, i860.
Ibid. Ales souvenirs. Paris, 1 883.
APPENDICE
289
Arbousset et Daumas, Voyage au Nord-Est de
la Colonic du Cap. Paris, 1842.
Theal, History of the Boers of South Africa
(i836-i854). Londres, 1887.
Theal, History of South Africa (1 85-1-1 870). Lon-
dres, 1888.
Theal, Basutoland Records (3 vol.). Cape Town,
1882-1884 (recueil des pieces officielles ou
autres en anglais, hnllandais et francais pour
servir a l'histoire des Bassoutos).
T. Jousse, La Mission francaisc au Slid de
VAfrique (2 vol.). Paris, 1889.
Journal des Missions Evangeliques (a partir de
1827). Paris, boulevard Arago, 102.
E. Casalis, Etudes sur la langue sc-chuana (se-
souto). Paris, 1841 .
Endemann, Versuch einer Grammatik des Sotho
(se-pedi). Berlin 1876.
Crisp, Notes towards a grammar of the se-coana.
Londres.
Kruger, Steps to learn the sc-suto language.
Moria, Basutoland, 1884.
E. Jacottet, An elementary sketch of se-suto
grammar. Moria, i8i)3.
A. Mabille, Se-suto-English, and English-S e-
suto Vocabulary. Moria, r 8 9 3 .
TABLE
Introduction :
Note sur les mots sessOUtoS employes
dans ccs contcs '
Le petit lievre
Le chacal et la source - s
Le chacal, la colombe et la panthere. ... - ( 4
La legende de la tortue 4-
Masilo et Masilonyane 47
Masilo et Thakanc :
Tselanc •"".»
Moselantja 7°
Nyopakatala 99
L'oiscau qui fait du lait u*
Modisa-oa-Dipodi "36
(Kuf '55
Polo et Khoahlakhoubcdou 168
r
2 :)2 TABI/K
Boulane ct Senke'peng 178
Koumongoc 187
Seilatsatsi-oa-Mohale 20G
Monyohe ,. . 214 ,
Khocdi-Sefoubeng 226
Mosimodi ct Mosimotsanc 233
Ntoatsana 245
Les quatre jeunes gens et la femmc 253
Scetetelane 259
Sekholomi 263
Provorbes 271
Appc ndice 282
Lc Pay. — Imprimeric R. MaicUcssou.
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