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Full text of "Contes populaires des Bassoutos : Afrique du Sud"

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BIBLIOTHEQUE SAINTE-GENEVIEVE 



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COLLECTION 



CONTES ET CHANSONS POPULAIRES 



XX 



CONTES POPULAIRES 

DES BASSOUTOS 



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BIBLIOTHEQUEJ 
SA1NTF. | 
GENEVIEVE 



4 



I.E PUV-EN-VELAV. — I.VPIUMERIE R. MARCHESSOU. 



8 *"**/- ^ c 3 ( ^°) 

CONTES POPULAIRES 

DES BASSOUTOS 

(afrique du slum 
RECUEILLIS ET TRADUITS 

PAR 

E UCOTTET 

DE LA SOCIETE DES MISSIONS EVANGELIQUES DE PAKIS 




/ZW 



1^1 




PARIS 
ERNEST LEROUX, EDITEl'R 

28, RUE BONAPARTE, 28 






1 8 9 5 




INTRODUCTION 



L 



es contes que renferme ce volume 
onttous ete recueillis, de la bouche 
meme des indigenes, soit par moi, 
soit par des amis (parmi lesquels je 
tiens a citer M. et M mc Dieterlen, aux- 
quels je dois quelques-uns des plus 
interessants). lis sont done en realite 
tous inedits. Vivant depuis bientot 
dix ans au milieu des Bassoutos, en 
contact journalier avec eux, parlant 
leur langue, connaissant leurs mceurs 
et leurs coutumes, j'ai eu, soit pour 



^TA- 



INTRODUCTION 



les recueillir, soit pour les traduire et 
les expliquer, des facilites exception- 
nelles. Ma vocation de missionnaire 
m'a ere aussi d'un grand secours. 

C'est uniquement a un point de vue 
pratique que j'ai d'abord entrepris de 
collectionner des contes populaires. 
Desirant apprendre a fond la langue 
du pays, la penetrer completement, 
en explorer les recoins les plus caches, 
je me suis dit que le meilleur moyen 
etait sans doute de me faire raconter 
par des Bassoutos des contes en ses- 
souto (sessouto, la langue des Bas- 
soutos; sechuana, la langue des Be- 
chuana). Au point de vue linguistique 
je n'ai eu qu'a m'en feliciter ; j'avais la, 
en effet, la langue meme telle qu'on 
l'a toujours parlee, sans aucun me- 
lange d'elements etrangers ou d'idees 
venues du dehors. Petit a petit le 
charme de ces recits, simples mais 



INTRODUCTION III 

pittoresques, m'a saisi ; je suis de- 
venu, sans m'en douter d'ahord, un 
folkloriste convaincu. 

Malheureusement je ne suis guere 
encore qu'un amateur en la matiere. 
Avant mon depart pour l'Afrique la 
litterature populaire m'etait pres- 
que entitlement inconnue et ne m'in- 
teressait pas. Aujourd'hui je suis trop 
loin de toute bibliotheque, trop oc- 
cupe aussi , pour esperer jamais 
pouvoir regagner le temps perdu. En 
fait de folklore je n'en connais guere 
d'autre que celui des Bassoutos et des 
peuples qui, soit geographiquement, 
soit ethnographiquement, sont en 
rapport avec eux. On le verra assez 
par les notes ajoutees a ma tra- 
duction ; je n'ai pas pu indiquer, 
comme il l'aurait fallu, les rapports 
qui existent entre ces contes et ceux 
d'autres pays. Je dois laisser ce soin a 



INTRODUCTION 



ceux qui font du folklore compare 
leur specialite. 

Voici en quelques mots la methode 
que j'ai suivie : je me faisais raconter 
par des Bassoutos, de vieilles gens 
surtout, leurs contes populaires (nom- 
mes par eux ditsomo); je les ecrivais 
mot a mot sous leur dictee, les corri- 
geant ensuite soit avec eux, soit avec 
d'autres indigenes. Le maitre d'ecole 
de ma station, Salomon Tau, m'a ete 
tout particulierement utile pour cela. 
De cette facon je suis arrive a posse- 
der un texte sur et correct. C'est ainsi 
que petit a petit ma collection a 
grandi, s'enrichissant jour apres jour 
de nouveaux recits; aujourd'hui, sans 
parler des versions differentes d'un 
meme conte, j'en possede plus de 
soixante-dix. II me serait facile, avec 
un peu plus de temps a ma disposi- 
tion, d'en recueillir encore un plus 



INTRODUCTION 



grand nombre. La litterature orale 
des Bassoutos semble etre en effet tres 
riche. De ces contes ainsi recueillis 
sept ont ete publics de 1888 a 1890 
dans la Revue des Traditions Popu- 
laires ; d'autres le sont ici meme. Plu- 
sieurs, tout aussi interessants, restent 
en portefeuillc. lis pourront fournir 
matiere a une seconde serie, si l'ac- 
cueil fait a ce volume est de nature 
a m'encourager a tenter une nouvelle 
publication. 

II est temps, d'ailleurs, de s'occuper 
de rassembler le folklore du sud de 
l'Afrique. La civilisation et le chris- 
tianisme tendent a lc modifier, sinon 
a lc supprimer completement. Les 
mceurs des indigenes ont beaucoup 
change depuis quelques annees, leurs 
coutumes traditionnelles ont en par- 
tie disparu ; bientot il n'en restera pres- 
que plus rien. C'est le cas pour les Bas- 









-^ **K W ^ 



INTRODUCTION 



soutos plus encore peut-etre que pour 
les autres tribus. Quoiqu'ils aient su 
mieux que celles-ci conserver leur na- 
tionality et leur vie politique, ils se 
montrent plus accessibles a notre civi- 
lisation et le christianisme a fait chez 
eux de grands progres. Leur litte- 
rature populaire serait ainsi bientot 
perdue. II faut done se hater de la ras- 
sembler ; la tache est deja difficile ; 
dans quelques annees elle serait peut- 
etre impossible. Les jeunes gens ne 
connaissent presque plus leurs anciens 
contes populaires; pour les avoir dans 
leur purete primitive il faut s'adresser 
aux vieux et surtout aux vieilles. 

Un symptome encourageant a noter, 
e'est que quelques indigenes instruits 
semblent, en ces derniers temps, pren- 
dre interet a leurs anciennes tradi- 
tions. II seront pour les folkloristes 
de precieux auxiliaires. L'un d'eux, 



INTRODUCTION VII 

Azariel Sekese, naguere instituteur 
dans une des ecoles de notre mission, 
actuellement employe dans un maga- 
sin du pays, publie aujourd'hui memc 
a 1'imprimerie missionnaire de Morija 
un interessant volume de 200 a 3oo 
pages. Ce volume est tout entier con- 
sacre au folklore ; il s'occupe des 
mceurs, coutumes et superstitions des 
Bassoutos, de lews proverbes et de 
leurs contes. II contient entre autres 
une riche collection de plus de milk 
proverbes et locutions proverbialcs, 
et un certain nombre de contes dont 
la plupart ne m'etaient pas connus. 
Ce livre e'tant ecrit en sessouto 
ne sera malheureusement accessible 
qu'aux Bassoutos et aux rares Euro- 
peans qui comprennent leur languc. 
C'est, avec ce volume-ci, le premier 
recueil consacre au folklore des tribus 
bassoutos ou bechuanas. Jusqu'ici 



VIII 



INTRODUCTION 



quelques rares contes en avaient seuls 
ete publies, soit dans des Revues, 
soit dans des livres de voyage ou de 
mission (voir la Bibliographic). 

J'aurais desire pouvoir donner a la 
fois le texte 'sessouto des contes et 
la traduction en regard, comme l'eve- 
que anglican Callaway Fa fait dans 
son beau volume de Nursery Tales of 
the Zulus. La valeur documentaire et 
scientifique du recueil en eut ete plus 
grande. Comme le prix du livre en 
eut ete de beaucoup augmente, et 
que l'entreprise eut presente de gran- 
des dimcultes, j'ai du y renoncer, 
quoique a contre-coeur. J'ai tenu ce- 
pendant, pour des raisons que tous 
les folkloristes comprendront, a don- 
ner du texte sessouto une traduc- 
tion aussi litterale que possible. Le 
style sans doute en a souffert, mais 
la fidelite de ma transcription n'en 



INTRODUCTION IX 

est que plus grande. Sauf dans un 
ou deux cas, j'ai raeme conserve les 
longueurs parfois interminables et les 
repetitions de l'original. C'est ainsi 
seulement que le lecteur francais peut 
avoir quelque idee de la maniere de 
raconter des indigenes. Malheureuse- 
ment ce qu'il y a de plus pittoresque 
est perdu dans une traduction ; la sa- 
veur locale, qui est un des plus grands 
charmes de ces contcs, disparait 
presque entierement. 

On remarquera que la plupart 
d'entre eux sont entremelees de vers. 
Ces parties-la sont toujours chan- 
tees. Ceux que cela pourrait inte- 
resser trouveront un specimen de 
musique indigene dans la Revue 
des Traditions Populaires de 1889. 
Je n'ai pu dormer ici la notation 
des parties chantees. Originairement 
tous les contes en avaient sans doutc 



INTRODUCTION 



aujourd'hui plusieurs ont perdu les 
leurs. En cherchant bien on reussi- 
rait peut-etre a les retrouver. II 
semble dans certains cas que la 
chanson ait ete comme le noyau 
autour duquel tout le conte se serait 
forme; d'autres fois elle n'a qu'une 
importance tres secondaire. 

II serait desirable que les Europeens 
vivant au milieu des differentes tribus 
africaines, les missionnaires surtout, 
s'occupassent a rassembler des contes 
et des proverbes. La science du folklore 
en recevrait une forte impulsion. Jus- 
qu'ici l'Afrique a ete tres negligee a 
ce point de vue, du moins l'Afrique 
noire. Pour ne parler que du domaine 
ethnique des Bantous, trois ou quatre 
tribus a peine nous ont fourni des 
contes. Et pourtant il est certain que 
le folklore de tous ces peuples est 
extremement riche. Nous avons de 



INTRODUCTION 



XI 



l'eveque Steere une assez bonne col- 
lection des contes souaheli, puis quel- 
ques contes herero, dualla, lounda et 
kimboundou, dus a diffe'rents mission- 
naires ou explorateurs. C'est la, avec 
la riche collection de folklore cafre et 
\oulou rassemblee par MM. Callaway 
et Theal, tout ce que nous possedons 
aujourd'hui (voir Bibliographic). 

II faut avouer que c'est peu, surtout 

quand Ton sait que les tribus ban- 

tou se comptent par centaines, 

que plusieurs sont connues depuis 

longtemps et que chez n ombre d'en- 

tre elles ont cte etablies de floris- 

santes missions chretiennes. Me se- 

rait-il permis d'emettre ici le vceu 

que les societes de folklore de France, 

d'Angleterre et d'Allemagne s'occu- 

pent serieusement de cette question, 

qu'elles encouragent leurs nationaux 

etablis en Afrique a en explorer le fol\- 









INTRODUCTION 



II 



lore, a en rassembler les traditions, et 
surtout qu'elles leur facilitent la pu- 
blication de leurs recherches ? II me 
semble que c'est la une tache qui leur 
revient tout naturellement. II y a la 
pour notre science des richesses 
inconnues, dont la decouverte pour- 
rait eclairer d'un jour nouveaa les 
problemes qu'elle se pose sans arriver 
encore a les resoudre. Les peuples 
bantou, si importants au point de vue 
de la linguistique, ne le sont guere 
moins sans doute au point de vue du 
folklore compare. La societe ameri- 
caine de folklore est a la veille de pu- 
blier un important recueil des contes 
de l'Angola (texte kimboundou avec 
traduction anglaise en regard), rassem- 
bles par M. Heli Chatelain, ancien 
missionnaire et consul americain a 
Loanda. C'est la un excellent exemple 
qui devrait etre imite un peu partout. 



INTRODUCTION 



XIII 



Quelques mots sur le peuple de qui 
proviennent ces contes sont encore 
necessaires. 

Les Bassoutos font partie de la 
grande race des peuples bantou, qui 
du Cameroun et du Victoria Nyanza 
au Nord s'etendent au Sud sur toute 
la surface de l'Afrique, a l'exception 
de la partie du Sud-Ouest qui appar- 
tient au domaine ethnique des Hot- 
tentots et des Bushmen. II est impos- 
sible a 1'heure qu'il est d'indiquer, 
meme approximativement, les subdi- 
visions de cette grande famille de 
peuples qui peut compter de 5o a 
ho millions d'individus. Seule l'etude 
comparee de leurs dialcctes, encore 
dans son enfance, pourra permettrc 
de le faire. 

Dans l'Afrique australe proprement 
dite, c'est-a-dire au Sud du Zambeze 
et du Counene, la race des Bantou se 



XIV 



INTRODUCTION 



subdivise (si Ton en excepte les Ma- 
Shona ou Ba-Nyai et les Ma-Kalanga 
du Mashonaland encore trop peu 
connus) en trois families principals, 
tres distinctes les unes des autres par 
les mceurs, la langue et le costume. 
Sur la cote Ouest nous avons les Here- 
ros et les Ov-Ambos, qui habitent les 
contrees sur lesquelles en 1884 l'Em- 
pire d'Allemagne a etendu son pro- 
tectorat. Au centre, entre le desert du 
Kalahari et les Drakensberg, se trouve 
la grande famille de Bechuana et des 
Bassoutos. Enfin, sur la cote Est, 
aussi loin au Sud que Grahamstown, 
vivent les peuples Cafres (Zoulous, 
Xosas, Pondos, Tongas, etc.) et leurs 
congeneres. 

Quant aux Hottentots et aux Bush- 
men qui, avant la conquete blanche, 
possedaient la plus grande partie des 
territoires formant aujourd'hui la 



INTRODUCTION 






colonie du Cap, ils appartiennent a 
des groupes ethniques tout a fait dif- 
ferents. 

Le groupe bantou du centre se sub- 
divise lui-meme en deux branches 
principales, les Bechnana et les Bas- 
soutos. Les Bechuana (divises en dif- 
ferents clans independants les uns des 
autres, comme les Ba-Tlaping, les Ba- 
Rolong, les Ba-Mangouato, les Ba- 
Kathla, etc.) se trouvent a l'Ouest; ils 
habitent la moitie occidentale du 
Transvaal, le Bechuanaland et une 
partie de l'Etat Libre d'Orange. Les 
Bassoutos habitent a l'Est des Be- 
chuana; ils occupent la moitie orien- 
tale du Transvaal et de l'Etat Libre 
d'Orange, et tout le Basutoland. Ils 
se subdivisent aussi en differents 
clans, que Ton peut ranger sous deux 
groupes principaux, les Ba-Pedi au 
Nord (dans le Transvaal) et les Bas- 



XVI 



INTRODUCTION 



soutos proprement dits au Sud (dans 
le Basutoland ou Le-Souto). C'est 
de ces derniers qu'il est question ici. 
Ces divisions remontent probable- 
ment tres haut. II y a des siecles 
qu'elles ont du se produirc. Cepen- 
dantl'origineconnue detoutesces tri- 
bus est encore visible. Leurs dialectes, 
quoique sensiblement differents les 
uns des autres, sont assez semblables 
par la structure grammaticale et le 
vocabulaire pour qu'il soit relative- 
ment aise a ceux qui en connaissent 
un de comprendre les autres. Le se- 
chuana est plus guttural, plus dur, 
mais aussi plus primitif que le ses- 
souto ; lc se-pedi forme la transition 
entre les deux. Quant aux mceurs, 
coutumes, traditions et superstitions 
de ces diverses branches de la fa- 
mille bassouto ou bechuana elles sont 
presque identiques. Ce que je connais 






INTRODUCTION 



XVII 



personnellement du folklore des Be- 
chuana me prouve qu'il est tres sem- 
blable a celui des Bassoutos. 

Les Bassoutos sont une des tribus 
les plus fortes et les mieux connues du 
Sud de l'Afrique '. C'est aussi une des 
seules qui ait une histoire au sens 
propre du mot, histoire interessante 
et qu'il vaut la peine de connaitre. On 
y voit comment, grace au genie et a la 
haute diplomatic de Moshesh, un chef 
remarquable par son courage dans la 
guerre et sa sagesse dans la paix, ce 
petit peuple a pu sortir plus fort et 
mieux uni des terribles desastres 
qu'avaient causes les guerres du 
fameux conquerant zoulou, Tchaka ; 
comment il a su resister aux atta- 



i. Pour les moeurs, coutumes, industries des 
Bassoutos, consulter E. Casalis : Les Bassoutos, 
Paris, i860. C'est une exposition complete et 
definitive du suiet. 



INTRODUCTION 



ques des Anglais, puis des Boers de 
l'Etat Libre d'Orange, et maintenir 
malgre tout son independance et son 
unite nationale. Quand enfin, en 1 86S, 
apres vingt ans de luttes, les Bassou- 
tos, pour echapper a la destruction 
a laquelle les Boers victorieux allaient 
les livrer, ont du accepter le protecto- 
rat de la colonie du Cap, leur inde- 
pendance n'a pas ete perdue. lis ont 
su jusqu'aujourd'hui la conserver, 
meme dans les circonstances speciales 
oil ils se trouvent placees. lis Font bien 
montre en 1880, quand ils ont resiste 
avec succes aux eftorts de la colonie, 
qui voulait leur enlever leurs fusils. 
Kile a du rinir, non seulement par 
leur laisser leurs armes, mais meme 
par les remettre au gouvernement 
direct de la metropole. Celle-ci exerce 
depuis lors dans le pays une sorte 
de protectorat mal defini, reel cepen- 



INTRODUCTION 



dant, qui, tout en laissant aux chefs 
et a la tribu une autonomic a peu 
pres complete , empeche les agres- 
sions du dehors et maintient la paix 
interieure. De toutes les tribus sud- 
africaines celle des Bassoutos a seulc 
su conserver a la fois son unite natio- 
nal, son territoire et une large me- 
sure d'independance. 

II est a desirer que ce soit pour 
longtemps. Peu d'indigenes montrent 
en effet de telles aptitudes a se civili- 
ser et a se faire aux conditions nou- 
velles oil ils se trouvent. Tandis 
qu'ailleurs quelques individus seule- 
ment sortent de la masse et arrivent 
a un degre superieur, ici c'est la 
masse elle-meme qui, insensiblement 
mais d'autant plus surement, s'eleve 
et se civilise. Le christianisme, repre- 
sente parmi les Bassoutos par la mis- 
sion protestante francaise, a etc et 






INTRODUCTION 



est encore pour beaucoup dans cette 
evolution ; comme partout oil des 
forces hostiles ne l'ont pas empeche 
de faire son oeuvre, il a contribue a 
donner a la tribu la cohesion et l'es- 
pritde progres qui l'ont sauvee. 

Fondee en iS33 par MM. Casalis et 
Arbousset , la mission du Sessouto 
(ou Basutoland) s'est developpee et a 
grandie jusqu'aujourd'hui. Elle a joue 
un role important dans l'histoire de 
la tribu et dans sa vie sociale; elle 
y a remporte des succes conside- 
rables. C'est la une oeuvre qui fait 
honneur au nom francais, et qui 
meriterait d'etre mieux connue en 
France. Qu'on dise dans lesjournaux 
ou les revues ce que Ton veut de la 
mission chretienne, il est un fait cer- 
tain pour ceux qui Font vue de pres, 
c'est qu'elle est l'unique force qui soit 
aujourd'hui capable de sauver et de 



INTRODUCTION 



relever les peuples primitifs et de leur 
permettre de se maintenir en face de 
la civilisation europeenne. Ce que 
Dieu a fait par elle aux vi e et vn c siecles 
pour les peuples barbares de l'Europe, 
il le fait par elle encore aujourd'hui 
pour les tribus africaines. 

En terminant, je tiens a exprimer 
mes remerciements a M. Sebillot,, le 
vaillant secretaire de la Societe des 
Traditions populaires, et a Miss L. C. 
Lloyd de Mowbray, [pres Capetown, 
dont les belles recherches sur le fol- 
klore des Bushmen sont connues de 
tous les traditionnalistes. C'est a leurs 
encouragements et a leurs conseils 
que je dois d'avoir entrepris et mene 
a bien cette collection de contes des 
Bassoutos. 

La publication de ce volume ayant 
ete retardee pour des raisons inde- 
pendantes de ma volonte, et le manu- 



XXII 



INTRODUCTION 



scrit etant depuis longtemps heirs de 
mes mains, il ne m'a pas ete possible 
d'y faire les adjonctions ou correc- 
tions que j'aurais voulu. La distance 
oil je suis de Paris ne me permet ega- 
lement pas d'en revoir moi-meme 
les epreuves. Dans ces conditions on 
voudra bien excuser les erreurs et 
les inadvertances qui pourraient s'y 
trouver; elles sont inevitables. 

Pour la transcription des noms 
propres j'ai suivi en general l'or- 
thographe usuelle du sessouto. J'ai 
cependant pre fere me conformer a 
1'usage du francais, en remplacant par 
on et </', u et e du sessouto. Quant 
aux autres signes, il faut remarquer 
que $ a toujours le son dur de t', 
jamais le son doux de 7; ch a le meme 
son qu'en anglais dans church (en 
francais on le reproduirait par tch) ; 
ph est un p aspire, et n'a jamais le son 



INTRODUCTION 



de f; th est egalement un / aspire et 
n'a rien de comraun avec le th de l'an- 
glais. Trois autres sons sont plus difti- 
ciles pour des levres francaises, ce sont 
kh, hi et q. Kh est une gutturale ties 
forte, semblable au ch fort allemand 
(comme dans Buch) precede de k. HI 
ressemble plus ou moins au ch doux 
allemand (comme dans ich) suivi de I 
Q represente le curieux clappement 
(ou click) si commun dans les dialectes 
des Hottentots et des Bushmen. Parmi 
les langues bantou le cafre seul (Zou- 
lou, Xosa, etc.) et le sessouto le pos- 
sedent. On produit ce son de clappe- 
ment en faisant claquer la langue 
contre le palais; il ressemble un peu 
au claquement d'un fouet. II est moins 
difficile a prononcer qu'il ne semble. 

Thaba Bosiu (Basutoland). 

Aoiit i8g3. 



c 




NOTE 



SUR LES MOTS SESSOUTOS 



EMPLOYES DANS CES CONTES 



J'ai essaye de a'enaployer les mots indigenes 
que pour autant qu'il n'a pas ete possible dc 
faire autremcnt. On comprendra que dans cer- 
tains cas il a 6te necessaire de les introduire 
pour designer des objets qui n'ont pas de noms 
en francais. Partout oil j'ai du me servir d'un de 
ces mots, je I'ai explique dans une note au bas 
de la page. 

Mais pour eviter de trop nombreuses repeti- 
tions, j'indique ici le sens de ceux qui reviennent 
le plus frequemment. 

Lapa : petite cour dcmi-circulaire qui se 



CONTES DES BASSOUTOS 



[4 



trouve devant chaquc hutte indigene ; elle est 
entouree d'une legere paroi dc roseaux. C'est la 
que Ton fait le feu et que Ton se reunit pour 
manger. 

Klwtla : place circulaire au centre du village, 
entouree d'une cloison dc roseaux ou de bran- 
chages. C'est la que siege le chef, entoure de 
ses conseillcrs ct des hommes dc son village; 
c'est la aussi qu'on recoit les etrangers et qu'on 
traite les affaires du village ou de la tribu. 

Yoala et leting : les deux espfeces de biere 
de sorgho fermente que boivent les Bassoutos. 
La premiere est tres forte et enivrante; la se- 
conde l'est beaucoup moins. 

Tseha : ceinture ou calecon de peau que 
portent les hommes ; c'est leur vetement 
indispensable, sans Icquel, au contraire des 
Cafres, ils nc se montrcnt jamais. 

Thari : couvcrture de peau dans laquelle les 
femmes enveloppent leurs petits enfants pour 
les porter sur leur dos. 

Enhn le mot kraal, emprunte au patois hol- 
landais du sud de l'Afrique, designe I'enclos 
circulaire de grosses pierres brutes dans lequel 
on parque le betail pendant la nuit. 



*0+> 



-» -m*- -m* -#**■ -*&- -3*§s- -^*- -*-*- -*?§:- 



LE PETIT LIEVRE ' 



u 



t 

n jour une femme dit a son mari : « J'ai 
une grande envie de manger du foie de 



i. C'est un des contes que les Bnssoutos racon- 
tent de preference; on en trouve de nomhrcuscs 
variantes. M. Casalis [Les Bassoulos,p. 360-370) 
en a donne une version assez complete, qui 
differe par certains cdt£s de celle que je donne 
ici. Dans la version qu'il suit c'est l'eldphant 
qui est le roi des animaux, tandis qu'ici c'est 
le lion, comme dans l'epopee animale des peu- 
ples du moyen age. La legende du petit lievre 
semhle etre le patrimoine commun des peuples 
Bantou de I'Afriquc australe; M. Thcal (Kaffir 
Folklore, p. 168-174) en donne une version 
cafre, et beaucoup de traits identiques se retrou- 
vent aussi dans I'histoire d'Uhlakanyana (Cal- 



CONTES DES BASSOUTOS 



nyamatsane' ; si tu m'aimes, tu vat te mettre 
a la recherche des nyamatsanes, tu en tueras 
un et m'en apporteras le foie;c'est a cela 
que je reconnaitrai que tu m'aimes verita- 
blement. » Son mari lui repondit : « Cuis 
du pain, prends-en la croute et remplis-en 
un petit sac. » La femme se mit a cuire 
du pain, elle en prit les croutes et en rem- 
plit un sac; quand tout fut pret elle dit a 

laway, p. 3-40, et Theal, p. 84-110). Le conte 
zoulou de Ugungqu-Kubantisana (Callaway, 
p. 164-178) reproduit presque trait pour trait 
toute la premiere partie de ce conte; les nya- 
matsanesy prennent le nom d'ifingogo. La pre- 
miere partie du conte de Se'moumou et Se'mou- 
mounyane' {Revue des Traditions popitlaires, 
1888, p. 654-662) a egalement beaucoup en 
commun avec l'histoire des nyamatsanes, qui 
portent la le nom de nanaboitle'le's. 11 est remar- 
quable que dans le folklore des peuples Bantou 
du sud de 1'Afrique c'est le lievre qui joue le 
role que le renard joue dans le folklore euro- 
p^en ; chez les Hottentots et les Bushmen c'est, 
au contraire, le chacal, cousin-germain de notre 
renard d'Europe. 

1. Les nyamatsanes sont, comme les nanabou- 
le'le's, des animaux puremem imaginaires. 



t 



LE PETIT LIEVRE 5 

son mari : o Aujourd'hui le sac est rempli. » 
Alors son mari lui dit : a Bien! je pars main- 
tenant et vais te tuer un nyamatsane. » 

II marcha longtemps, bien longtemps, se 
nourrissant des croutes de pain qui etaient 
dans son sac; enfin, bien loin, il arriva dans 
le pays des nyamatsanes, aupres d'un grand 
marais ou ils vivaient en grand nombre. 
Mais quand il y arriva, les nyamatsanes 
n'y etaient pas : ils avaient e'te fourrager au 
loin, ne laissant au logis que leur vieille 
grand'mere toute decrepite. Notre homme 
se hate de la tuer, l'ecorche, prend son foie , 
et vite se cache dans sa depouille aussi bien 
qu'il peut. A peine est-il cache qu'arrivent 
les nyamatsanes, anxieux de revoir leur 
vieille grand'mere ; ils se precipitent dans 
leur hutte et s'ecrient : « Nous sentons la 
chair fraiche! il y a un homme par ici. » La 
vieille nyamatsane leur repondit (c'etait 
l'homme cache dans sa depouille qui parlait, 
en contrefaisant sa voix) : « Non, mes enfants, 
il n'y a pas d'homme par ici. » Mais ils n'en 
continuaient pas moins a fureter partout en 
disant : « II y a un homme par ici; nous 
sentons la chair fraiche. » Enfin, ils ces- 



CONTES DES BASSOUTOS 



serent leurs recherches et s'^ndormirent. 

Le lendemain, a leur reveil, au moment de 
partir, comme ils etaient encore loin d'etre 
tranquillises, ils dirent : « Grand'mere, viens 
paitre avec nous aujourd'hui. > Ils sortirent 
avec leur vieille grand'mere et se mirent a 
avaler des cailloux. Notre homrae se baissa 
lui aussi et ramassa des cailloux, qu'il fai- 
sait semblant d'avaler, tandis qu'en realite 
il mangeait les croutes de pain qu'il avait 
dans son sac. Les nyamatsanes crurentalors 
qu'en effet c'etait bien la leur grand'mere. 
Ils retournerent ensemble au logis et s'en- 
dormirent. Le lendemain, ils dirent : I Allons 
ensemble nous exercer a sauter par dessus 
un large fosse. » Ils le franchirent d'un seul 
bond; puis ils dirent : « Grand'mere, saute 
toi aussi. » La vieille grand'mere prit son 
elan et franchit le fosse. Cette fois les nya- 
matsanes furent si completement rassures, 
que le lendemain ils partirent pour aller 
fourrager au loin, laissant notre homme seul 
au logis. 

Des qu'ils se furent eloignes, notre homme 
se hata de prendre le foie du nyamatsane 
dans la cachette ou il l'avait depose, se 



LE PETIT LIEVRE 



depouilla de la peau qu'il avait revetue et se 
mit a fuir a toute vitesse, apres avoir ramasse 
une petite pierre brillante et polie qu'il deposa 
dans son sac a cote du foie du nyamatsane. 
Vers le soir, les nyamatsanes revinrent au 
logis, anxieux de revoir leur vieille grand'- 
mere. Cette fois ils s'apercurent que leur 
grand'mire etait morte et qu'il n'en restait 
plus que la peau. En proie a une violente 
colere ils se disaient les uns aux autres : 
« N'avions-nous pas raison de soupconner 
quelque chose ? C'etait bien l'odeur de 
l'homme que nous sentions. » Ils flairerent le 
sol etreleverent la direction que leur ennemi 
avait prise, puis se mirent a le poursuivre. 
Notre homme etait deja bien loin quand, en 
se retournant, il vit une colonne de poussiere 
qui montait jusqu'au ciel ; il s'ecria : « He- 
las! je suis perdu; voila les nyamatsanes, 
ils vont me de'vorer. » Les nyamatsanes 
s'approchaient avec une effrayante velocite, 
et croyaient deja le saisir et le dechirer. 
L'homme prit dans son sac la petite pierre 
brillante et polie qu'il y avait deposee et la 
jeta a terre; la pierre devint un grand rocher 
aux flancs escarpes et glissants, au sommet 



CONTES IJES BASSOUTOS 



LI 



duquel il s'assit. Les nyamatsanes eurent 
beau essayer de l'escalader, ils ne faisaient 
que glisser sur ses flancs escarpes. Ils con- 
tinuerent leurs efforts jusqu'au soleil cou- 
chant, puis, epuises de fatigue, s'endormirent 
au pied du rocher. 

La nuit, pendant que les nyamatsanes 
dormaient, notre homme se remit a fuir 
aussi vite qu'il le pouvait. A leur reveil, les 
nyamatsanes s'apercurent qu'il etait deja 
loin; ils flairerent le sol de leurs naseaux et 
releverent ses traces, puis se remirent a le 
poursuivre avec une effrayante velocite. En 
un instant ils l'avaient presque atteint; notre 
homme, qui se tenait sur ses gardes, prit sa 
pierre, des qu'il les vit approcher, et la jeta 
a terre; elle devint un grand rocher sur 
lequel il s'assit. Les nyamatsanes essayerent 
en vain de l'escalader ; apres de longs efforts 
ils durent y renoncer et, vers le soir, ils s'en- 
dormirent epuises de fatigue. 

Des qu'il fit nuit notre homme reprit sa 
fuite pre'cipitee. Pendant plusieurs jours les 
nyamatsanes le poursuivirent ainsi sans se 
lasser, mais toujours sans succes; enfin, 
apres un long voyage, notre homme attei- 



LE PETIT LIEVRE 



gnit son village; les nyamatsanes cornpri- 
rentalors que leur poursuite etait inutile et 
retournerent chez eux. lis n'osent pas, en 
effet, s'approcher des lieux habite's, a cause 
des chiens, qu'ils craignent beaucoup. 

Quant a notre homme il entra chez lui et 
s'ecria : « Itchou ! que je suis fatigue ! » 
Puis il dit a sa femme : « Donne-moi a 
boire ! » Quand il eut bu et se sentit un peu 
repose, il dit a sa femme : « Va chercher 
de la fiente et allume le feu. » La femme 
sortit et revint portant de la fiente seche" avec 
laquelle elle alluma un grand feu. Alors 
le mari prit son sac et en retira le foie 
de nyamatsane, qu'il remit a sa femme en 
disant : o Le voila, ton foie de nyamatsane ! 
Aujourd'hui tu peux voir que je t'aime reel- 
lement, puisque je t'apporte un foie de 
nyamatsane. » La femme lui repondit : 
« C'est bien! maintenant fais sortir tous mes 
enfants, que je reste seule dans la hutte. » 
Puis elle fit cuire dans un vieuxpot de gres 
le foie de nyamatsane. Son mari lui dit : 
« Mange-le entier a toi toute seule; n'en 
donne a personne, pas meme a un seul de 
fes enfants ; mange-le a toi toute seule. » 



IO CONTES DES BASSOUTOS 

Alors la femme prit le foie et le mangea a 
elle seule. 

A peine avait-elle fini de le manger qu'elle 
eut soif; elle prit un grand vase d'eau et 
l'avala d'un trait. Puis elle se rendit vers 
une voisine et lui dit : « Mon amie, donne- 
moi a boire. » La voisine lui donna une 
grande calebasse pleine d'eau; la femme 
l'avala d'un trait et dit : « Donne-m'en 
encore. » La voisine lui repondit : « Non, 
ne bois pas toute l'eau de mes enfants. » La 
femme alia dans une autre hutte et avala 
toute l'eau qu'elle put y trouver; mais plus 
elle buvait et plus la soif la devorait. Elle 
allait ainsi, de hutte en hutte, et eut bientot 
avale toute l'eau du village; alors elle se 
rendit a une source, se pencha sur l'eau et 
l'avala a si grandes gorge'es que bientot il 
n'en resta plus une goutte et que la source 
cessa de couler. Elle se releva et alia vers 
une autre source, qui, elle aussi, fut bientot 
tarie; une troisieme, une quatrieme, toutes 
les sources du village eurent le meme sort. 
Elle se rendit alors au ruisseau qui coulait 
devant le village, a l'endroit ou un autre 
ruisseau venait s'y jeter; elle eut bien vite 



LE PELIT LIEVRE 



avale toute l'eau. Elle se releva et descendit 
vers la riviere; elle se mit a genoux et com- 
menca a boire; elle but jusqu'a la vase, puis 
elle se releva, en disant : « Ma soif n'est pas 
encore apaisee. » Alors elle se rendit au 
grand etang ou venaient s'abreuver les ani- 
maux des champs; elle se jeta a terre et se 
mit a boire si avidement qu'au bout de 
quelques instants il n'y restait plus une 
goutte d'eau. Cette fois elle ne put plus se 
relever, parce que son ventre e'tait si deme- 
surement gonfle qu'il s'e'levait au-dessus de 
sa tete et etait aussi grand qu'une colline. 

Quand les animaux, presses par la soif, 
arriverent a leur abreuvoir, ils trouverent 
que l'etang n'avait plus une seule goutte 
d'eau. Au bord de l'etang ils apercurent un 
objet informe, immense, qui n'avait presque 
plus de figure humaine. Alors, Grand Lion 
demanda : « Qui est-ce? qui est-ce qui est 
couche au bord de l'etang de mon grand- 
pere? » Grand Lion demanda une seconde 
fois : « Qui est-ce? qui est-ce qui est couche 
au bord de l'etang de mon grand-pere? » 
Les animaux s'approcherent et virent que 
c'e'tait Molkadi-sa-Molata. Ils lui demande- 



CONTES DF.S BASSOUTOS 



rent : « Que fais-tu pres de l'etang de notre 
grand-pere? » Elle repondit ! • J'ai beau 
vouloir partir, l'eau que j'ai bu m'en empe- 
che. » lis l'interrogerent encore une fois et 
lui dirent de partir; elle repondit encore : 
« J'ai beau vouloir partir, l'eau que j'ai buc 
m'en empeche. » 

Alors Grand Lion dit : « Lequel d'entre 
vous va aller percer le ventre de cette femme, 
afin que nous retrouvions notre eau? » II 
appela le lapin et lui dit : « Lapin, vas-y. » 
Le lapin repondit : « Seigneur, je n'ose 
pas. » Crand Lion appela la gazelle et lui 
dit : « Gazelle, vas-y. » La gazelle repondit : 
o Seigneur, j'ai peur d'y aller. » Tous les 
animaux refuserent les uns apres les autres. 
Enfin, le petit lievre consentit a y aller; il 
se dressa sur ses pattespres de Molkadi-sa- 
Molata et per^a son ventre d'un coup de 
griffe. L'eau en sortit a grands riots, l'etang 
se remplit de nouveau, les ruisseaux et les 
rivieres se remirent a couler et les sources 
a sourdre. 

Alors Grand Lion defendit severement de 
boire de l'eau avant qu'elle se flit clarifie'e. 
Les animaux se retirerent daus leurs tanie- 



LE FETIT LIF.VRE 



l3 



res sans avoir bu. Lorsque le petit lievre vit 
qu'ils dormaient tous, il se leva sans bruit 
au milieu de la nuit et alia boire a l'etang de 
Grand Lion ; puis il prit de la vase et en salit 
les genoux, le museau, le front et le nez du 
lapin, afin que Ton crut que c'etait celui-ei 
qui avait bu l'eau pendant la nuit. 

Le lendemain, a son reveil, Grand Lion se 
rendit a l'etang avec toute la troupe des ani- 
maux. II s'apercut que quelqu'un etait venu 
en salir l'eau pendant la nuit; il demanda 
alors:«Qui a bu, qui a bu mon eau?» Le petit 
lievre fit une cabriole et, montrant du doigt 
le lapin, se hata de lui dire : « Regardez-le! 
c'est lui qui a bu l'eau du roi ; voyez, il a 
encore des traces de boue a son museau et 
a ses genoux. » Le lapin, tout effraye, eut 
beau se justifier et dire : « Non, ce n'est pas 
moi qui ai bu a l'etang » , Grand Lion 
n'en ordonna pas moins de le battre de 
verges. 

Apres que le lapin eut e'te ainsi pris et 
battu, le petit lievre se mit des le lendemain, 
a se variter de ce qu'il avait fait et a dire 
tout haut : « C'est moi, c'est moi qui ai bu 
l'eau, mais j'ai dit que c'etait le lapin. » Un 







14 



CONTES DES BASSOUTOS 



des animaux s'e'cria : « He, petit lievre, que 
dis-tu la? » Le petit lievre se hata de repon- 
dre : « Je te demande de me dormer mon 
baton, s Un peu plus tard, pensant qu'on ne 
l'e'coutait pas, il se remit a dire : « C'est moi, 
c'est moi qui ai bu l'eau, mais j'ai dit que 
c'etait le lapin. » Un des animaux alia dire a 
Grand Lion : « N'entends-tu pas ce que dit le 
petit lievre? » Grand Lion fitvenir le petit 
lievre et lui demanda : « Que viens-tu done 
de dire? » II repondit : « C'est moi qui ai 
bu l'eau, mais j'ai dit que c'etait 'le lapin. » 
Alors il s'enfuit de toute la vitesse de ses 
jambes, poursuivi par toute la troupe des 
animaux. Se voyant pres d'etre atteint il se 
jeta dans une etroite fissure entre deux ro- 
chers; mais une de ses oreilles faisait saillie 
en dehors. Les animaux eurent beau essayer 
de le saisir par l'oreille, le petit lievre se tenait 
si fortement attache au rocher qu'ils ne par- 
vinrent pas a Ten faire sortir; ils finirent par 
l'y abandonner, apres avoir perce et dechire 
son oreille a grands coups de dents et de 
grifles. 

Quand ils furent partis, le petit lievre sor- 
tit de sa cachette et rencontra le lapin ; il lui 



LE PETIT L1EVRF. 



15 



dit : « Lapin, mon ami, tu vois que j'ai 
comme toi ete battu. » Le lapin lui repondit : 
« Tu as fort mal agi a mon egard; c'est toi 
qui avais bu l'eau de l'etang et tu m'as 
accuse de l'avoir fait. » Le petit lievre se 
hata de lui re'pondre : « Lapin, mon ami, je 
veux t'enseigner un secret merveilleux; sais- 
tu comment nous devons faire pour ne pas 
mourir? » Le lapin lui dit : « Non, je ne le 
sais pas. » Le petit lievre reprit : « Creu- 
sons un trou. » lis creuserent un trou assez 
peu profond ; alors le petit lievre dit : « Allu- 
mons un feu dans ce trou. » lis rassemblerent 
du bois sec et allumerent un grand feu. 
Quand le feu flamba, le petit lievre dit au 
lapin : « Lapin, mon ami, prends moi et jette 
moi dans le feu ; quand je dirai : Itchi, itchi, 
et que tu entendras le crepitement de mon 
poil qui brule, vite tu me retireras du feu. » 
Alors le lapin prit le petit lievre et le jeta 
au milieu du feu; le petit lievre avait a peine 
commence , a sentir la chaleur du feu qu'il 
prit des baies vertes dont il s'etait muni et les 
jeta dans le brasier ou elles se mirent a cre- 
piter; aussitot il s'e'cria : « Itchi, itchi, 
lapin mon ami, retire-moi; est-ce que tu 



i6 



CONTES DES BASSOITOS 



[I 



n'entends pas comme ma peau cre'pite 
deja? > Le lapin Ten retira. 

Le petit lievre lui dit alors : ■ A ton tour 
maintenant. • U jeta le lapin dans le feu; 
quand celui-ci sentit le feu l'atteindre, il 
cria au petit lievre : ■ Itchi, itchi, je brule; 
retire-moi du feu, mon ami. » Le petit lievre, 
qui voyait que le hrasier n'etait pas encore 
sufTisamment hrulant, s'empressa d'en retirer 
le lapin. lis se mirent a rire de bon cocur. 
Alors, le petit lievre lui dit : « Recommen- 
90ns; jette-moi dans le feu. » Le lapin l'y 
jeta; des que le petit lievre se fut eerie : 
« Itchi, itchi, lapin, mon ami, retire-moi », 
le lapin le retira du feu. II se mit de nouveau 
a rire de hon coeur. Alors le petit lievre dit 
au lapin : A ton tour maintenant »;puis il 
le jeta dans le feu, qui cette fois formait un 
veritable brasier. Le lapin s'ecria bicn vite : 
ic Itchi, itchi, je brule; mon ami, retire-moi 
du feu. » Cette fois le petit lievre se mit a 
rire et dit au lapin : « Tu peux y rester; e'est 
bien ta faute, si tu hrules; pourquoi as-tu 
ete assez sot pour te laisser ainsi jeter sur 
le feu?Ne savais-tu pas que le feu brulait? » 
C'est ainsi que le lapin mourut consume par 



I.E PETIT LIEVRE 



>7 



le feu ; bientot il n'en resta plus que les os. 
Quand le feu se fut eteint, le petit lievre des- 
cendit dans le trou, prit un des tibias du 
lapin et s'en fit une petite flute, de laquelle 
il se mit a jouer en chantant : 



.. Pii, pii, petite flute bien aim _ 
Pii, pii, le lapin n'est qu'un get it g;iinin 
Pii, pii, il a voulu me rotir 
Pii, pii, moi je l'ai roti 



ne 1'a pas pn, 



d jl a cuit a. point-, i) 

yX * ■ 

II se promenait partout, s<^erffian^r 1 a 
mort du lapin et chantant "part-mit cette 
chanson : 




« Pii, pii, petite flute bien aimee, 

Pii, pii, le lapin n'est qu'un petit gamin ; 

Pii, pii, il a voulu me rotir et ne Pa pas pu, 

Pii,pii,mais moi je l'ai roti et il acuita point '. » 

Ensuite, le petit lievre se rendit chez Grand 

i. Dans une autre version lc petit lievre con- 
voke une Hiitc que posside lc lapin, ct e'est 
pour s'en emparer qu'il use de son cruel stra- 
tageme. 



r 
< 



l8 CONTES DES BASSOUTOS 

Lion et devint son serviteur. Un jour il lui 
dit : « Grand-pere, veux-tu que je t'indique 
un moyen de tuer beaucoup de gibier? » 
Grand Lion consentit. Le petit lievre lui dit: 
« Creusons une fosse. » lis creuserent en- 
semble une fosse profonde au milieu du 
pare a bestiaux. Alors le petit lievre dit : 
« Grand-pere, couche-toi dans cette fosse et 
fais le mort. » Grand Lion fit ainsi qu'on le 
lui disait. Alors le petit lievre monta sur le 
mur et se mit a souffler dans' un cor et a 
crier : 



« Pii ! Pii ! vous tous les animaux, venez et voyez ; 
Grand Lion est mort, nous allons vivre en paix et 

[nous rejouir '. » 



Les animaux arriverent en courant. Le 
petit lievre leur dit : « Entrez tous; que nul 
de vous ne reste dehors. » lis entrerent tous 
dans le pare a bestiaux; la guenon vint la 



i . Dans une autre version le petit lievre cache 
le lion dans la fosse, ne laissant paraitre que ses 
dents; il appelle alors les animaux et leur dit : 
■< Venez voir des dents qui ont cru en terre. » 



LE PETIT I.IEVRE 



19 



derniere, portant son petit sur le dos. Elle 
s'approcha de la fosse et, prenant une tige 
d'herbe, enchatouilla l'anus de Grand Lion. 
Comme l'anus de Grand Lion se eontractait, 
laguenon s'e'cria: « Viens,mon petit, remonte 
sur mon dos; allons-nous-en d'ici ; quel est 
ce cadavre dont l'anus se contracte encore? » 
Elle s'eloigna avec son petit. Le petit lievre 
dit alors aux autres animaux : « Maintenant 
fermez la porte du pare aux bestiaux. » lis 
la fermerent solidement avec de gros- 
ses pierres. A peine avaient-ils fini que 
le petit lievre dit a Grand Lion : « Grand- 
pere, leve-toi maintenant. Grand Lion 
s'elanca hors de la fosse et e'gorgea 
tous les animaux renferme's dans l'en- 
ceinte ; le petit lievre l'aida ensuite a les 
de'pecer. 

Comme Grand Lion ne donnait au petit 
lievre que les mauvais morceaux, gardant 
pour lui les viandes les meilleures, le petit 
lievre chercha un moyen de se venger; il 
avait, enerl'et, remarque a quel point Grand 
Lion e'tait sot et combien il etait facile de le 
tromper. II dit done a Grand Lion : « Grand- 
pere, batissons une hutte. » Grand Lion y 





20 CONTES DES BASSOUTOS 

consentit. Quant ils eurent plante les pieux 
et fait la carcasse de la hutte, le petit lievre 
dit a Grand Lion : « Monte sur la hutte. » 
Grand Lion y monta; quant au petit lievre 
il se tenait a l'interieur. II dit : « Grand-pere, 
commengons. » Grand Lion passa sa baguette 
a travers le roseau ; le petit lievre le prit et 
cria : « Maintcnant, attention, je vais percer 
a mon tour '. » En parlant ainsi il passa sa 
baguette a travers le roseau et en perca la 
queue de grand lion. Grand Lion s'ecria : 
ii Qui est-ce qui me pique? » Le petit lievre 
repondit : « Ce n'est que cette branche, je 
vais la briser. » II brisa une petite branche. 
Mais en realite le petit lievre avait fait 
expres de percer la queue de Grand Lion, afin 
de le fixer a la hutte si fortement qu'il ne 
put en descendre. Un moment apres il penja 



i . Les Bassoutoj recouvrent leurs huttes 
ou leurs maisons de roseaux ou d'her- 
bes, qu'ils fixcnt aux lattes du toit au moyen 
de cordelettes de paille ou de minces cour- 
roies de peau. Ces courroies sont attachees 
a une baguette, au moyen de laquelle cclui 
qui se tient a l'interieur de la hutte les 
passe a celui qui travaille au dehors. 



LE PETIT l.IEVRE 



21 



de nouveau avec sa baguette pointue la 
queue de Grand Lion. Grand Lion s'ecria : 
« Qui est-ee qui me pique? » Cette fois le 
petit lievre se dit : « Je vois que bient6t il 
va s'apercevoir de mon dessein. » II s'ecria 
done : « G rand-pere, mets ta queue par ici 
pour que les branches ne te blessent plus. » 
Grand Lion fit ainsi, et le petit lievre lui lia 
la queue fortement aux branches de la hutte ; 
puis il sortit et se tint dehors. II cria alors a 
Grand Lion : « Grand-pere, descends main- 
tenant. » Grand Lion voulut descendre, mais 
il lui fut impossible de le faire, tant sa queue 
etait fortement attachee aux branchages de 
la hutte. 

Alors le petit lievre se mit a manger la 
viandedeGrandLion,devantsesyeux; le lion 
avait beau pousser des rugissements epou- 
vantables, le petit lievre continuait tranquil- 
lement son repas. Quand il eut fini il grimpa 
sur la hutte et, soufflant dans sa rlute, cria a 
haute voix : 

« Pii, pii, tombez pluie et grele. » 

Aussitot le ciel se couvrit de nuages, le 
tonnerre gronda de tous les cote's, et une 





22 CONTF.S DES BASSOUTOS 

grele epouvantable s'abattit sur la hutte. Le 
petit lievre, a l'abri dans la hutte, criait a 
Grand Lion : « Grand-pere descends done; 
viens manger avec moi. » La grele eut bien- 
tot fait de tuer Grand Lion, toujours retenu 
par sa queue au sommet de la hutte. Pendant 
ce temps le petit lievre faisait bombance, 
mangeant les viandes que le lion avait amas- 
sees. 

Un certain jour, comme le petit lievre 
etait toujours a manger dans la hutte, un 
grand vent se mit a souffler et jeta a terre 
avec un grand bruit la depouille de Grand 
Lion, deja a demidessechee. Le petit lievre 
en bondit de frayeur; puis il s'e'eria: « He! 
He! e'est done la mon grand-pere. » En 
s'approchant il vit que la peau etait deja 
presque dessechee et que les vers avaient 
mange les chairs. II nettoya soigneusement 
la peau, la prepara et maintint la gueule 
ouverte au moyen de baguettes. Mors il se 
glissa dans la peau de Grand Lion, et se mit a 
voyager ainsi travesti '. 

i. N'est-il pas curieux de retrouver ainsi, dans 
une peuplade sauvage du sud de l'Afrique, la 



LE PETIT LIEVRE 



23 



Ainsi revetu de la depouille du lion il se 
rendit chez les hyenes. Quand celles-ci le 
virent arriver, elles furent saisies de frayeur 
et s'ecrierent : « Comment e'chapperons-nous 
a ce redoutable animal? » Le petit lievre 
entra chez le roi des hyenes et s'y e'tablit. 
Chacun disait : « Aujourd'hui, nous allons 
tous etre devore's. » Le petit lievre, voyant 
un pot plein d'eau bouillante dit a une 
hyene : « Assieds-toi la-dedans. » L'hyene 
n'osa de'sobe'iret mourut echaude'e. Le petit 
lievre allait de hutte en hutte, disant partout 
aux hyenes : « Assieds-toi dans l'eau bouil- 
lante. » Les hyenes mouraient lesunes apres 
les autres; le village se de'peuplait, il ne 
restait presque plus que les femelles. 

Un jour que toutes les hyenes e'taient allees 
aux champs et qu'il n'etait reste qu'une petite 
a la maison, le petit lievre vint dans le lapa; 
sans remarquer la presence de la petite 




fable de l'ane revetu de la peau du lion '. Comme 
la legende du petit lievre existait deja longtemps 
avant l'arrivee des premiers Europeens, il est 
impossible de croire a un emprunt. 



2 4 



CONTES DES BASSOUTOS 



hyene, il sortit de sa peau de lion et se mit 
a sauter et a cabrioler, en chantant : 

« Je suis le petit lievre, le vainqueur des grandes 

[hyenes '. » 

La petite hyene se dit : « Quoi ! c'est cette 
toute petite bete qui a cause la mort de tous 
nos gens! » Un souffle de vent venant a 
agiter les roseaux du lapa, le petit lievre 
ne fit qu'un saut pour rentrer dans la peau 
du lion. 

Le soir, lorsque les hyenes rentrerent au 
logis, la petite dit a son pere : « Mon pere, 
notre peuple est presque entierement exter- 
mine; c'est un tout petit animal cache dans 
la peau du lion qui nous a fait tout ce mal. » 
Le pere lui dit : « Allons! mon enfant tu ne 
sais pas ce que tu dis. » Elle repondit : 
« Oui, mon pere, c'est un tout petit animal, 
je l'ai vu de mes propres yeux. » Son pere 
alia en parler a un de ses amis; celui-ci lui 
dit : « II faut nous cacher demain matin et 
nous verrons si ce que ta fille nous dit est 



i . Le petit lievre chante ainsi des thoks ou 
chant de louanges. 



I.E PETIT LIEVRE 



25 



vrai. » Le lendemain, les deux hyenes se 
cacherent derriere le lapa; au milieu du jour 
le petit lievre sortit de la hutte, se depouilla 
de sa peau de lion et se mit a sauter et a 
gambader en chantant : 



« Je suis le petit lievre, le vainqucur des grandes 

[hyenes. » 

Le soir, les deux hyenes dirent aux autres : 
<( Savez-vous que nous nous sommes laisse 
exterminer par un animal de rien; nous pen- 
sions que c'etait un lion, mais il n'en a que 
la peau. » 

Lorsqu'on eut prepare le repas du soir, le 
petit lievre, cache dans la peau du lion, dit 
a une des hyenes : « Assieds-toi dans l'eau 
bouillante. » Les hyenes ne bougerent pas ; 
puis une d'elles prit une pierre et la jeta 
avec force contre la peau du lion. Le petit 
lievre en sortit d'un seul saut, et se mit a 
fuir avec ve'locite ; toute la troupe des hyenes 
le poursuivit en poussant de grands cris. Au 
tournant du chemin le petit lievre se coupa 
bien vite les deux oreilles pour ne pas etre 
reconnu et fit semblant de moudre sur une 
pierre plate. Les hyenes lui demanderent : 



26 



CONTF.S DES BASSOUTOS 



c Dis-donc, ami, n'as-tu pas vu le petit lie- 
vre passer par ici? » II repondit : « Non, je 
n'ai vu personne. » Les hyenes se dirent : 
« Ou peut-il etre? Quant a celui-la, nous 
voyons bien que c'est un autre animal; ce 
n'est pas celui que nous cherchons. » Apres 
avoir vainement continue leur poursuite 
pendant fort longtemps, elles retournerent 
a leur village en disant : « Comment avons- 
nous pu nous laisser exterminer par ce petit 
animal de rien ' ! » 



i. Les Bassoutos racontent encore quelques 
autres tours du mcme genre joues par le petit 
lievre; il a, cntr'autres, une aventure assez drole 
avcc des grenouilles, mais clle est trop grossi£re 
pour etre rapportee ici. Tandis que le folklore 
des Bushmen et des Hottentots(voir Bleek, Bush- 
man Folk-Lore et Hottentot Fables and Tales) 
est si riche en fables et en legendes animales, 
le conte du petit lievre est, a ma connaissance, 
a peu pres la seule contribution qu'ont fournie 
les peuples bantou a cettc branche du folklore. 
Je ne connais sans cela qu'une seule fable (celle 
de l'hyrax qui n'a pas de queue, voir Callaway, 
p. 253-356) dont l'origine bantou mc semble in- 
contestable; elle existe en zoulou et en sessouto, 



LE PETIT LIEVRE 



27 



et je n'cn ai jamais vu aucune version hottentote. 
Quant aux autres que racontent les Zoulous et les 
Bassoutos ou les Bechuanas, il est pour le moms 
probable qu'ils les ont empruntees aux Hotten- 
tots ou aux Bushmen. Mais l'histoire du petit 
lievre est, je crois, incontestablement d'origine 
bantou; chez les Hottentots c'est, en effet, tou- 
jours le chacal qui joue le role altribue au petit 
lievre par lcsCafres et les Bassoutos. Toutetois 
il n'est pas possible de rien affirmer avec cer- 
titude, aussi Iongtemps que nous ne possederons 
pas une collection du folklore -des autres tribus 
bantou du sud ou du centre de 1'Afrique. 11 est 
difficile de tirer aucun indice certain des quel- 
ques fables que cite M. Steere comme courantes 
a Zanzibar [Swaheli Tales of Zanzibar). En effet, 
l'influence des Arabes et des Hindous, si nom- 
breux a Zanzibar, n'a pu manquer de se faire 
sentir jusque dans le folklore; il est d'autant, 
plus remarquable de trouver dans deux de ces 
fables (p. 326-32Q et p. 370-377) !e lievre 
jouant lc meme role que dans le folklore ses- 
souto. Les Souahelis etant de la race des Bantou, 
cette coincidence tend a prouver le bien fonde 
de l'hypothese que j'avance plus haut. 



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LE CHACAL ET LA SOURCE '. 



T \ 



M 



JAbis tous les animaux des champs etaient 
a court d'eau ; ils ne savaient ou trouver a 

i. Pour les mOmes raisons que jc viens d'in- 
diquer, cette fable doit 6tre considcree comme 
appartenant au folklore des Hottentots ou des 
Bushmen. Cependant M. Theal la cite (Kaffir 
Folklore, p. 1 68- 174) comme faisant partie du 
folklore des Cafres de la Colonie; mais ceux-ci 
l'auront certaincment empruntee a leurs voisins 
hottentots. Dans le Folk-Lore Journal of South 
Africa (1879, P- Gij-y?), on trouve unc version 
hottentote de la meme fable, en tous points sem- 
blable a la notre; il faut comparer aussi la fable 
de 1'clephant et de la tortue que Blcck a traduite 
d'un texte hottentot ou nama (Hottentot Fables 
and Tales, p. 27-29). Le petit lievre, qui dans le 



LE CHACAI, F.T LA SOURCE 



2Q 



boire. Apres bien des recherches, ils trou- 
verentune source, qui coulait a peine, parce 
qu'elle n'avait pas ete creusee. lis dirent : 
« Mettons-nous tous a la creuser, pour que 
nous ayons de l'eau en abondance. » Mais le 
chacal refusa de travailler avec eux. Quand 
ils eurent fini de travailler, ils dirent : « II 
faut maintenant monter la garde aupres de 
la source, pour que le chacal ne vienne pas 
y boire, puisqu'il a refuse de travailler avec 
nous. » Ils de'eiderent que e'etait au lapin a 
monter la garde ce jour-la. Mors tous les 
animaux se rendirent a leurs paturages. 

Quand ilsfurent loin,le chacal vint; il cria 
au lapin : « Bonjour, lapin! bonjour, lapin. » 
Le lapin lui rendit son salut. Mors le chacal 
s'approcha, detacha le petit sac qu'il portait 
au cote,et, y portant la main, en tira des rayons 
de miel qu'il se mit a manger. II dit au lapin : 
« Tu vois, lapin, moi je n'ai pas soif; je 
mange quelque chose d'excellent. n Le lapin 
lui dit : « Donne-m'en un peu. » Le chacal 
lui en donna un tout petit peu; le lapin 




folkore sessouto est le plus ruse de tous les ani- 
maux, se laisse ici sottement jouer par le chacal. 



3o 



CONTES DES BASSOUTOS 



r 

4 



s'ecria : i Oh! que c'est bon. » II ajouta . 
<( Donne-m'en davantage, mon ami. » Le 
chacal lui dit : « Si tu veux en avoir davan- 
tage, il faut te laisser lier les pattes derriere 
le dos et te coucher sur ton dos; alors je 
pourrai t'en verser dans la bouche. » Le lapin 
se laissa faire; quand il eut les pattes liees 
et fut couche sur le dos, le chacal alia a la 
source et but de l'eau a son saoiil. Quand il 
eut fini, il retourna tranquillement chez lui. 

Vers le soir, quand les animaux revinrent 
tous, ils dirent au lapin : ■ Lapin, comment 
t'es-tu laisse prendre? » Le lapin repondit : 
« C'est la faute du chacal; il m'a lie les 
pattes derriere le dos, disant qu'il allait me 
donner quelque chose de bon a manger; ce 
n'etait qu'une ruse pour boire notre eau. » 
Les animaux lui dirent : a Lapin, tu n'es 
qu'un sot, d'avoir ainsi laisse le chacal boire 
notre eau, alors qu'il avait refuse de travail- 
ler avec nous. » Puis ils dirent : « Qui mon- 
tera la garde maintenant? II nous faut quel- 
qu'un d'intelligent. » Le petit lievre repon- 
dit bien vite : « Ce sera moi. » 

Le lendemain , les animaux partirent, 
laissant le petit lievre pour garder la source. 



LE CBACAL ET LA SOURCE 



3l 



Quand ils furent loin le chacal revint, et 
cria : « Bonjour, petit lievre! bonjour! » Le 
petit lievre lui rendit son salut. Le chacal 
ajouta : « Donne-moi un peu de tabac. » Le 
petit lievre repondit : « Je n'en ai pas. » Le 
chacal s'approcha et s'assit tout pres du petit 
lievre, puis il detacha sa petite sacoche, et y 
plongeant la main, en tira des rayons de miel 
qu'il se mit a manger. II se lecha les levres 
et dit : « Oh ! petit lievre, si tu savais comme 
c'est bon ce que je mange. » Le petit lievre 
demanda : « Qu'est-ce? » Le chacal repon- 
dit : « Cela humecte si agre'ablement mon 
gosier; chaque fois que j'en mange, je n'ai 
plus soif. Quant a vous autres, petit lievre, 
je suis sur que la soif vous tourmente tou- 
jours. » Alors le petit lievre lui dit : « Laisse- 
m'en gouter un peu, mon ami. » Le chacal 
lui repondit : « Pas ainsi, petit lievre! si tu 
veux en gouter et en manger a satie'te, il 
faut que tu te laisses lier les pattes derriere 
le dos et que tu te couches sur le dos, afin 
que je puisse t'en verser dans la bouche. » 
Le petit lievre dit : o Tu peux le faire, mon 
ami. »Alors le chacal lui lia les pattes derriere 
le dos; puis il descendit tranquillement a la 






3-2 CONTF.S DF.S BASSOUTOS 

source et y hut a son saoul, apres quoi il 
s'en retourna chez lui. 

Le soir les autres animaux revinrent a la 
source; ils demanderent au petit lievre : 
« Petit lievre, comment t'es-tu laisse pren- 
dre? Ne nous as-tu pas dit que tu etais ruse? 
Tu t'es vante de bien garder notre eau ; 
maintenant montre-nous oil elle est, notre 
eau, dis nous oil nous devons boire. » Le 
petit lievre leur repondit : « C'est la faute 
du chacal ; il m'a dit qu'il me donnerait 
quelque chose de bon a manger, si je voulais 
me laisser lier par lui les pattes derriere le 
dos. » Alors les animaux demanderent : 
« Qui va maintenant monter la garde? » La 
panthere repondit : a Ce sera la tortue. » 

Le lendemain les animaux partirent, lais- 
sant la tortue pour garder la source. Le cha- 
cal vint quand ils furent partis et apercut la 
tortue. II lui cria : « Bonjour, tortue! bon- 
jour. » La tortue ne lui repondit rien. II 
rccommenca : « Bonjour, tortue! bonjour. » 
La tortue ne lui repondit rien. Alors le cha- 
cal se dit : « Aujourd'hui c'est une grande 
sotte qui garde la source. Je vais m'appro- 
cher et la jeter de cote d'un coup de pied, 



LE CHACAL ET LA SOURCE 



33 



puis je boirai a la source. » II s'approcha 
douce ment de la tortue et recommenca a 
a l'appeler a voix basse : « Tortue! tor- 
tue ! u La tortue ne lui repondit rien. Alors il 
s'approcha et d'un coup de pied la jeta de 
cote, puis il se pencha sur l'eau et se mit 
a boire; mais a peine avait-il commence a 
boire que la tortue le saisit a la jambe. 
Le chacal cria : « Oh ! oh ! tu vas me 
casser la jambe. » Mais la tortue ne fit que 
serrer davantage. Le chacal prit sa sacoche 
et voulut faire sentir a la tortue le parfum 
du miel qui y etait renferme; mais la tortue 
detourna la tete et ne sentit rien. Le chacal 
dit a la tortue : « Je veux te donner ma sa- 
coche et tout ce qu'il y a dedans! » Mais la 
tortue ne repondit rien et ne fit que 
serrer davantage la jambe du chacal. Enfin, 
les autres animaux revinrent a la source ; 
quand il les vit, le chacal fit un violent effort 
et reussit a retirer sa jambe, puis il se sauva 
aussi vite qu'il put. Alors les animaux dirent 
a la tortue : « C'est bien, tortue; nous voyons 
que tu es eourageuse! Aujourd'hui nous pour- 
rons boire notre eau, puisque tu as empeche 
le chacal de nous la voler commeauparavant.» 






•♦♦.♦♦♦^♦i******* 



LE CHACAL, LA COLOMBE 
ET LA PANTHERE '. 



U 



ne colombe avait une niche'e de trois 
petits; un chacal vint vers elle et, se 



i. Cettc table est tres probablemcnt d'origine 
hottcntote ou bushmcn. La premiere panic est, 
en cffet tres scmblable a deux fables citees par 
Blcck, la Colombe et le Heron, et le Coq (Hot- 
tentot Fables and Tales, p. 2 1-23). D'aillcurs 
les vieux Bassoutos ne la connaissent pas; les 
jcuncs qui la racontent la tiennent sans doulc 
des Griquas ct dcs Bastaards, qui sont assez 
nombrcux dans le pays. En general le chacal ne 
joue aucun role dans le folklore bantou ; l'his- 
toire du chacal ct du lion que donne M. Theal 
{Kaffir Folklore, p. 17.S-179) est cgalcment 
citcc par lui comme ctant vraisemblablcment 
d'origine hottcntote. 



LE CHACAL, LA COLOMBE ET LA PANTHERE 35 



tenant au bas du rocher, lui cria: « Ohe! co- 
lombe ! colombe ! » La colombe lui demanda : 
« Que veux-tu?» Le chacal repondit: o Donne- 
moi un de tes petits ou je saute jusqu'a ton 
nid. » La colombe lui jeta un de ses petits, 
que le chacal mangea; puis il s'en retourna 
chez lui. La colombe resta dans son nid a 
se desoler. Un heron vint a passer ; il lui 
demanda : « Qu'as-tu a pleurer ainsi, co- 
lombe? » Elle lui repondit : « Le chacal m'a 
demande de lui donner un de mes petits; il 
m'a dit que si je refusais, il sauterait jusqu'a 
mon nid et les mangerait tous. » Le heron 
lui dit : « II ne l'aurait pu faire, c'est un 
menteur; il ne saurait sauter si haut; il t'a 
trompe'e afin de manger tes petits. » Puis il 
continua sa route. A peine etait-il parti que 
le chacal etait de retour; il cria a la colombe : 
(c Ohe ! colombe, donne-moi un de tes petits, 
ou je saute jusqu'a ton nid. » La colombe 
lui repondit : « Je n'en ferai rien. » Le 
chacal essaya de sauter, mais ne reussit 
qu'a se blesser au rocher, et recommenca a 
dire : « Ohe! colombe, depeche-toi de m'en 
donner un ou je vous tue tous. » Elle lui 
repondit : « Je n'en ferai rien; tu ne saurais 



30 



CONTES DES EASSOUTOS 



arriver jusqu'a nous ». Le chacal lui dit 
alors : « Dis done, colombe, qui t'a rendue 
si intelligente depuis ce matin? » La colombe 
repondit : « Le heron vient de me dire que 
tu ne saurais sauter jusqu'a mon nid. » Le 
chacal lui demanda : « Ou-est il alle, ce 
heron-la? » La colombe repondit : « Le 
voila la-bas au milieu des roseaux. » 

Alors le chacal la quitta et alia vers le 
heron; quand il fut pres de lui, il lui de- 
manda : (i Dis-moi, heron, quand le vent 
vient de la-bas, de quel cote te tournes-tu? » 
Le heron re'pliqua : « Et toi de quel cote te 
tournes-tu? » Le chacal repondit : « Moi, je 
me tourne de ce cote'-ci. » Le heron ajouta : 
(i Moi aussi je me tourne du cote oii tu te 
tournes toi-meme. » Le chacal demanda de 
nouveau : a Et quand le vent vient de cette 
direction, de quel cote te tournes-tu ?» Le 
heron repliqua : « Et toi, de quel cote te 
tournes-tu? » Le chacal re'pondit : « Moi, je 
me tourne de ce cote-la. » Alors le heron 
dit : « Moi aussi je me tourne du cote ou tu 
te tournes toi-meme. » Le chacal demanda 
de nouveau : « Quand la pluie vient de la- 
bas, de quel cote te tournes-tu ? » Le heron 



LE CHACAL, LA COLOMBE ET LA PANTHERE 3~ 

repliqua : « Et toi de quel cote te tournes- 
tu ? u Le chacal repondit : « Moi, je me 
tourne de ce cote-ci. » Alors le heron dit : 
« Moi aussi, je me tourne du cote oil tu te 
tournes toi-meme. » Le chacal demanda de 
nouveau : « Quand la pluie tomhe tout droit, 
comment fais-tu ? » Le heron repliqua : « Et 
toi-meme comment fais-tu ? » Le chacal 
repondit : « Moi je t'ais ainsi ; je me couvre 
la tete de mes pattes. » Alors le heron lui 
dit : o Moi aussi je fais comme toi, je me 
couvre la tete de mes ailes. » Comme le 
heron faisait ainsi, et avait recouvert sa tete 
de ses ailes, le chacal le saisit par le cou. 
Le heron le supplia d'avoir pitie de lui, 
mais le chacal lui repondit : n Je te devore- 
rai, parce que tu as appris a la colombe a 
se jouer de moi. » Alors le heron lui dit : 
« Si tu me laisses la vie, je te montrerai 
l'endroit oil une panthere a mis bas. » Le 
chacal lui repondit : « Montre-moi bien vite 
l'endroit. » Le heron le lui montra; alors le 
chacal le laissa s'envoler, en lui disant : 
« Maintenant tu peux t'en aller, mon ami, 
puisque tu m'as conduit a un endroit oil je 
trouverai beaucoup de viande a manger. » 

3 



38 



CONTES DES BASSOUTOS 



Le cha'cal vint vers la panthere et lui dit : 
« Panthere, veux-tu que je prenne soin de 
tesenfants, pendant quetu es a la chasse '? » 
I. a panthere lui repondit : « C'est bien, 
prends-en soin ; ils pleurent toujours pendant 
que je suis a la chasse. » Alors le chacal 
entra dans la taniere de la panthere; il s'y 
trouvait dix petits. Le chacal se hata d'en 
devorer un. Le soir la panthere revint de 
la chasse et se tint devant sa taniere, en 
dehors; elle dit : ■ Chacal, fais sortir mes 
petits. u Le chacal en lit sortir un; quand la 
panthere l'eut allaite, il le fit rentrer, et en 
fit sortir un second, puis un troisieme, un 
quatrieme,ietc., jusqu'au neuvieme, qu'il fit 
sortir deux fois, afin que la panthere crut 
que ses dix petits etaient toujours la. 

Le lendemain, quand la panthere fut a la 
chasse, le chacal devora un autre des petits 
de la panthere; il n'en resta plus que huit. 
Le soir, a son retour de la chasse, la panthere 
dit : (i Chacal, fais sortir mes petits. » Le 



i.Un tour du mcme genre est joue par Uhla- 
kanyana a un leopard (Callaway, Nursery Tales 
of the Zulus, p. 25-27). 



LE CHACAL, LA COLOMBE ET LA PANTHERE 3o. 

chacal en fit d'abord sortir un, puis le fit 
rentrer quand sa mere l'eut allaite; puis il 
en fit sortir un second, un troisieme, un 
quatrieme, etc. jusqu'au huitieme, qu'il fit 
sortir trois fois, pour parfaire la dizaine. 

Le lendemain, le chacal devora un autre 
des petits de la panthere, qu'il re'ussit tou- 
jours a tromper de la meme maniere. II 
mangeait chaque jour un nouveau petit, 
sans que la panthere s'apercut de sa ruse. 
Enfin, quand il n'en resta qu'un il le fit sortir 
dix fois de suite pour teter sa mere. Le 
lendemain, quand la panthere fut a la 
chasse, le chacal devora le dernier des petits 
des le matin, et pendant le reste du jour il 
s'occupa a percer un trou sur le derriere de 
la taniere. Le soir, a son retour de la chasse, 
la panthere lui dit : « Chacal, fais sortir 
mes petits. » Le chacal repondit : o Tu les as 
tous manges, et ensuite tu viens me dire : 
Chacal, fais sortir mes enfants.» La panthere 
re'peta une seconde fois : « Chacal, fais sortir 
mes enfants. » Comme elle ne recevait pas 
de reponse, elle finit par entrer dans la ta- 
niere, d'ou le chacal venait de sortir par 
l'ouverture qu'il avait pratiquee. Elle cher- 



4 o 



CONTES DES BASSOUTOS 



cha partout ses petits et ne les trouva pas ; 
alors elle sortit par la meme ouverture que 
le chacal et se mit a le poursuivre. 

Tout en fuyant, le chacal decouvrit un 
essaim d"abeilles qui avaient depose leur 
miel dans une fente de rocher. II s'arreta 
la; la panthere l'y rejoignit et lui demanda : 
« Chacal, oil sont mes petits? » Le chacal lui 
repondit: « lis sont la-dedans; c'est la que 
je leur fais l'ecole '. » La panthere repliqua : 
'i Ou done? je ne les vois pas. » Le chacal 
lui dit : « Viens seulement par ici ; tu enten- 
dras comme ils chantent bien. » La panthere 
s'approcha de la fente de rocher et ecouta; 
le chacal lui dit : i C'est la que sont tes 
enfants, ne les entends-tu pas? » Puis il 
s'esquiva rapidement, laissant la panthere 
occupee a ecouter le chant de ses peril's. 

Un babouin s'approcha d'elle et lui de- 
manda : « Que fais-tu la, panthere? » La 
panthere lui repondit : « J'e'coute mes 



i. La derniere partie de cette fable cst-elle 
d'origine moderne? La mention de l'ecole le 
ferait croire ; mais ce n'est peut-etre qu'uu enjo- 
livement d'une tradition anterieure. 



LE CHACAL, LA COLOMBE ET LA PANTHERE 41 



enfants chanter ; c'est la que le chacal leur 
fait l'ecole. » Alors le babouin prit un baton 
et 1'agita en tous sens dans la feme du 
rocher, en disant : « C'est bien ; je vais les 
voir aujourd'hui, tes enfants. » Les abeilles 
sortirent en essaim serre et s'e'lancerent 
furieuses contre la panthere; quant au ba- 
bouin i! grimpa prestement le long des 
rochers et fut bien vite hors d'atteinte. De 
la-haut il cria a la panthere : « Les voila 
done, tes enfants! » De loin le chacal excitait 
les abeilles et leur criait : a Piquez-la bien, 
ne lachez pas prise. » La panthere s'enfuit a 
toutes jambes et se precipita dans un etang 
qui se trouvait la; mais chaque fois qu'elle 
elevait la tete hors de l'eau, les abeilles 
recommencaient a la piquer; elle etait obli- 
gee de plonger la tete dans l'eau a chaque 
instant, de sorte qu'elle fut bientot noyee. 



+»-i-+t*+t* 




LA LEGENDE DE LA TORTUE '. 



O 



n raconte qu'un jour tous les ani- 
maux s'assemblerent pour un grand 



i. Cette legende provient probablement du 
Nord du Transvaal. Je la tiens d'une jeune fille 
d'ici, mais aucune autre personne du pays ne la 
connait. Un jeune horame du Transvaal, de la 
tribu des Ba-Tokoa, m'a raconte dans sa langue 
une legende presque identique, II faut done pro- 
bablement en chercher l'origine chez les Ba- 
Tokoa, qui eux-memes se rattachent au rameau 
des Ba-Pedi ou Bassoutos du Nord-Est. En 'tous 
cas elle appartient au folklore de la famille des 
Bechuanas et des Bassoutos. 

II est a remarquer que dans d'autres contes 
du pays (cf. he chacal et la source) la tortue est 
egalement representee comme un animal ruse et 



LA LEGENDE DE LA TORTUE 



43 



pitso '. II y avait la un grand arbre couvert 
de fruits qu'ils desiraient manger, Le lion, 
roi des animaux, envoya un des animaux 
pour demander au proprietaire quel etait le 
nom de cet arbre. Le proprietaire de l'arbre 
se nommait Koko 2 . Le messager lui dit : 
« Le roi m'envoie te demander quel est le 
nom de cet arbre ? 

Koko lui repondit : « C'est : Motlatladiane- 
motlatla - le -se-ye- le-siee -kala-ea-mochate- 
hodimo 3 . 



intelligent. La meme chuse se remarque dans 
quelques contes cafres et hereros; je la retrouve 
aussi dans un conte du Bas-Ogooue, publie dans 
le Journal des Traditions populaircs , decem- 
bre 1889. J'aideja publie la legende de la tortue 
dans le Journal des Traditions populaires, 
p. 373-375. 

1. Le pitso est l'assemblee populaire de la tri- 
bu, ou Ton discute librement les affaires cou- 
rantes. On peut le comparer a la landsgcmeinde 
des petits cantons suisses. 

2. Koko (avec des o tres sourds) signirie 
grand'mere dans le dialecte des Ba-Tokoa. 

3. Motladiane'-motlatla ne signirie rien, ce 
sont de simples assonances. Le-se-ye-le-sice-kala 



44 



CONTES DBS BASSOUTOS 



3 



Le messager se remit en route en chantant : 

« Koko a dit que c'est : Motlatladiane- 
motlatla-le-se-ye-le-siee-kala-ea-mochate- 
hodimo. » 

Une termitiere se trouvait au milieu du 
chemin; l'envoye s'y heurta sans l'aperce- 
voir, et dans son trouble oublia les paroles 
qu'il venait d'entendre. Le lion lui demanda : 
« Que t'a-t-on dit?«Le messager repondit: 
« C'est... eu-eu-eu! » 

Alors le lion envoya un second messager; 
celui-ci arriva vers le proprietaire de l'arbre 
et lui dit : « Le roi m'envoie te demander le 
nom de ton arbre. a 

Koko repondit : « C'est : Motlatladiane- 
motlatla -le-se-ye-le-siee-kala-ea-mochate- 
hodimo. » 

Le messager se remit en route en chantant : 

« Koko a dit que c'est: Motlatladiane'-mo- 
tlatla-le-se-ye-le-sie'e-kala-ea-mochate-ho- 
dimo. » 

Lui aussi se heurta a la termitiere et 



ea-mochate-hodimo, signifie : o Vous pouvez en 
manger, mais ne touchez pas a la branche du 
faite. » 



LA LEGENDE I1K LA TORTUE 



45 



oublia les paroles qu'on lui avait dites. 

Apres avoir vainement envoye plusieurs 
autres messagers, le lion y alia lui-meme ; 
le proprietaire de l'arbre lui repondit comme 
a tous les autres. En chemin le lion se heurta 
aussi a la termitiere et oublia egalement les 
paroles qu'on lui avait dites. 

Alors il envoya la tortue. Elle revint en 
chantant comme les autres; elle aussi se 
heurta a la termitiere, mais elle s'ecria bien 
vite : « Tlatladi-a-tha '. » 

Elle arriva pres du lion et lui dit : 

« Koko a dit que c'est : Motlatladiane- 
motlatla -le-se-ye -le-siee -kala -ea -mochate- 
hodimo. » 

Le lion tut vexe de voir que tandis que 
lui n'avait pu se souvenir du nom de Farbre, 
un animal infime comme la tortue l'avait su 
mieux que lui. II fit creuser un grand trou 
et on y enterra la tortue. Puis tous les ani- 
maux allerent ensemble manger les fruits 



1 . Le conteur veut indiquer par la la presence 
d'esprit de la tortue qui, bien que troublee par 
le choc, repete, ou a peu pres, les paroles raemes 
de sa chanson. 

3- 



46 



CONTES DES BASSOUTOS 



de l'arbre. La nuit, comme ils dormaient, 
la tortue sortit de son trou et devora tous 
les fruits qu'ils avaient laisses, ceux de la 
branche de faite. 

Le lendemain le proprietaire de l'arbre 
leur demanda : « Pourquoi avez-vous si mal 
agi, de manger les fruits que je vous avais 
dit de ne pas toucher ? » Les animaux lui 
repondirent : « Ce n'est pas nous qui y avons 
touche; nous ne savons qui a pu les manger. » 
On de'terra la tortue et on lui demanda ce 
qui en etait; elle leur repondit : « Comment 
aurais-je pu les manger, puisque vous 
m'aviez si bien enterree? » 



"^®*%2^*G)&" 







MASILO ET MASILONYANE '. 



On raconte qu'un jour Masilo et Masilo- 
nyane partirent de chezeux pour allera 
la chasse ; ils arriverent pres des ruines d'un 



i. Ce conte est un des plus connus et celui 
que Ton aime le mieux a raconter. Parmi les 
nombreuses versions que j'en possede, j'ai choisi 
celle qui m'a paru la plus ancienne, et que m'a 
fournie un vieillard de quatre-vingt-cinq ans, 
nomme Moshe Mosetse, auquel je suis redevable 
de beaucoup des contes qui paraissent dans ce 
volume. M. Casalis {Les Bassoutos, p. 355-35g' 
en a donne en francais une version un peu difle- 
rente ; dans le Folk-Lore Journal (1879, p. i3g- 
145) edite a Cape-Town par Miss Lloyd, on en 
trouve egalement en anglais et en sechuana une 
version fort interessante. Enrin, M. Callaway 



4 8 



CONTES DES BASSOUTOS 



grand village abandonne. Masilonyane entra 
dans le village et se mit a le traverser, pen- 
dant que son frere en faisait le tour '. Tout 
en marchant Masilonyane s'occupait a 
redresser de grands vases renverses, qu'il 
trouvait au milieu du village; enfin il en 
vit un plus grand que les autres; il le 
poussa, il le poussa, mais en vain, le vase ne 
cedait pas. II se redressa et appela Masilo : 
(i Viens m'aider a redresser ce vase; il ne 
veut pas ceder a mes efforts. » Masilo lui 
repondit : « Laisse-le seulement, qu'as-tu a 
faire a redresser des vases renverses? » Mais 
Masilonyane se baissa de nouveau, recom- 
menca ses efforts et enfin le vase ceda avec 
bruit. Une vieille 2 femme en sortit aussitot; 



L< 



(p. 217-220) a donne le texte et la traduction 
d'une legende similaire, telle qu'on la raconte 
chez les Zoulous. 

1. Dans toutes les autres versions c'est Masi- 
lonyane qui decouvre le village abandonne et les 
pots renverses, longtemps apres s'etre separe de 
son frere. 

2. Dans la version deM. Casalis c'est un vieil- 
lard; une de ses jambes est demesurement 
grande. 



MASILO ET MASILONYANE 



49 



comme Masilonyane voulait renverser le vase 
sur elle, elle lui dit : « Mon petit-fils, tu me 
delivres et tu voudrais de nouveau me recou- 
vrir! tu vois que j'etais occupe a moudre de 
l'orge rouge. » 

Puis elle lui dit : « Porte-moi sur ton dos. » 
A peine avait-elle fini de parler qu'elle avait 
pris son elan et e'tait de'ja sur le dos de Masi- 
lonyane. Gelui-ci appela Masilo a son aide. 
Masilo lui repondit : « Je t'avais bien dit de 
laisser ces vases en paix. » Puis il se moqua 
de lui et s'eloigna en ricanant. Masilonyane 
le suivit de loin, portant la vieille sur son 
dos. II lui dit encore : « Oh! mon frere, aide- 
moi done un peu a porter cette vieille. » Mais 
la vieille protesta : « Non ! non! mon petit- 
fils ; e'est a toi a me porter. » 

Un peu plus loin, Masilonyane vit une 
troupe d'antilopes-caamas qui passaient ; il 
dit a la vieille « Grand'mere, descends un 
peu ; je vais vite tuer un de ces animaux a 
longues jambes, pour t'en faire un thari, 
dans lequel je te porterai. » La vieille se 
laissa glisser a terre, et Masilonyane se mit 
a la poursuite des antilopes ; quand il fut 
hors de vue il se cacha dans un trou. Lorsque 



5o 



CONTES DES BASSOUTOS 



[I 



la vieille femme vit qu'il ne revenait pas, elle 
se mit a le poursuivre en disant : « Voici la 
marque d'un des petits pieds de mon petit- 
fils, voici la marque de l'autre. » Elle fut vite 
arrivee a l'endroit ou il etait cache et d'un 
saut se remit sur son dos. 

lis continuerent leur route, l'un portant 
l'autre. Un peu plus loin Masilonyane vit une 
gazelle passer au loin ; il dit : « Grand'mere, 
descends un peu, que j'aille tuer cet animal 
a longues jambes pour t'en faire un thari, 
dans lequel je te porterai. » La vieille se 
laissa glisser a terre; Masilonyane s'enfuit 
et se cacha du mieux qu'il put. La vieille le 
poursuivit comme la premiere fois en disant : 
o Voici la marque d'un des petits pieds de 
mon petit-fils, voici la marque de l'autre. » 
Quand elle fut pres de lui, Masilonyane 
appela ses chiens et leur dit : « Saa! devo- 
rez-la tout entiere, mais reservez-moi le gros 
orteil. ' » La vieille avait, en effet, un orteil 



i. Suivant une des variantes que j'ai recueillie, 
c'est la vieille femme elle-meme qui ordonne 
aux chiens d'epargner son gros orteil. Dans le 
conte zoulou de M.Callaway, la vieille n'est pas 



MASII.O ET MAS1LONYANE 31 

aussi gros que la jambe d'un hommc. Les 
chiens s'elancerent sur elle et la saisirent de 
leurs crocs; elle s'ecria : « Mon petit-fils, 
aie pitie de moi. » Mais les chiens la tuerent 
et la de'vorerent bien vite, ne laissant d'elle 
que son gros orteil. 

Masilonyane s'approcha, prit sa hache et 
en frappa le gros orteil. II en sortit une vache 
bigarree comme une pintade t. II frappa une 
seconde fois, et une vache toute pareille 
en sortit. Alors Masilo, qui avait tout vu de 
loin, arriva en courant et dit a son frere : 
n Donne-moi ma part. » Masilonyane lui 
repondit : « Certes non ! tu as refuse de 
m'aider. a II continua sa route, suivi de son 



tuee, mais elle conduit les jeunes gens a un arbre 
enchante, qu'ils abattent a coups de hache et 
d'oii sort tout un troupeau de vaches. 

i. Le texte sessouto dit : khaka'malane, c'est 
a dire couleur de pintade, soit une vache bigar- 
ree. Dans les versions qu'ont suivies MM.Casalis 
et Callaway la vache serait blanche; mais il y 
a ici une difficulte qui provient de la langue elle- 
meme. Dans d'autres versions c'est tout un trou- 
peau de vaches qui sort de l'orteil de la vieille; 
en dernier lieu apparait la vache merveilleuse. 



52 



CONTES DES BASSOUTOS 



LI 



frere qui le suppliait toujours de lui donner 
une de ses vaches; mais Masilonyane ne 
voulut pas y consentir. Au bout d'un moment 
il dit : « Ah! que j'ai soif! ou trouverons- 
nous de l'eau? » Masilo lui repondit : « II y a 
justement pres d'ici une excellente source. » 
lis y allerent; c'e'tait une source recouverte 
d'une grande pierre plate. lis introduisirent 
leurs assagaies sous la pierre et la soule- 
verent. Alors Masilo dit a son frere : « Sou- 
tiens la pierre pendant que je boirai, je la 
soutiendrai ensuite, pendant que tu boiras. » 
Mais comme Masilonyane etait penche sur 
l'eau pour boire, Masilo laissa tomber la 
pierre, qui ecrasa Masilonyane et le tua. 

On raconte qu'alors le cceur de Masilo- 
nyane sortit de son corps et s'envola jus- 
qu'a son village, ou il se mit a chanter; 
« Tsuidi ! tsuidi ! Masilo a tue Masilonyane 
a cause de la belle vache couleur de pin- 
tade '. » De tous cotes on s'ecria : « Ecoutez 



i. Litteralement : « la vache couleur de pin- 
tade d'entre ses vaches blanches; » ce sont peut- 
etre ces mots qui ont donne lieu au malentendu 



MASILO ET MASILONYANE 



53 



cet oiseau, il dit : Masilo a tue Masilonyane 
a cause de sa belle vache couleur de pin- 
tade. » Les gens attendaient avec impatience, 
ne sachant pas ce que cela voulait dire. 
Quand Masilo arriva avec ses deux vaches, 
les gens de s'ecrier : a Ah! quelles betes 
merveilleuses! » Puis on lui demanda : « Ou 
est Masilonyane? » — « Je ne sais pas; nous 
avons e'te chacun notre route, lui d'un cote, 
moi d'un autre. » Alors on interrogea l'oiseau, 
qui n'etait autre que Masilonyane. Celui-ci 
leur dit : « J'ai ete tue par Masilo ; vous pou- 
vez aller a telle fontaine, vous y trouverez 
mes vetements. » 

Les gens coururent a la fontaine et trou- 
verent les vetements de Masilonyane, qu'ils 
ramenerent au village. Alors Masilonyane 
reprit : « Masilo, est-ce que tu pretends reel- 
lement que ces vaches sont a toi? » Celui-ci 
repondit : « Oui ! — Si vraiment elles sont a 
toi, pourquoim'as-tutue'}» Alors les gens du 
village s'ecrierent : « C'est vrai ! c'est vrai ! 
c'est le cceur de Masilonyane qui nous a le 



sur la couleur de la vache merveilleuse. En tous 
cas le texte n'est pas tres clair. 



54 



CONTES DES BASSOUTOS 



U 



premier dit tout ce qui en etait. » Masilo- 
nyane etait redevenu un homme comme 
auparavant ' . 

i. Dans d'autres versions Masilo est condamne 
a mort par son pere et execute. Une autre ver- 
sion raconte tout au long et d'une maniere assez 
ennuyeuse ce qui arrive ensuite au pere et a la 
mere de Masilonyane. 



Jfk 




MASILO ET THAKANE'. 



M 



asilo desirait epouser sa soeur Tha- 



i. Cc conte est egalement tres connu et aime 
des Bassoutos. La version que je donne ici 
m'a etc fournie par Ie vieux Moshe Mosetse. 
Elle differe passablement de celles que d'autres 
indigenes m'ont fournies; dans les autres, en 
effet, Masilo se sert d'un moyen bien different 
pour se venger de sa sceur. II la mene avec ses 
compagnes a une danse de I'autre cote de la 
riviere; une violentc pluie gonrle la riviere, qu'on 
ne peut plus traverser qu'avec peine. Masilo fait 
passer tout le monde ; quand vient le tour de 
Thakane, il Pabandonne -au milieu du fleuve; 
elle est emportce par les eaux, mais reussit 
cependant a aborder a une petite ile qu'elle ne 
peut plus quitter. C'est la que Masilo vient la 



56 



CONTKS DES BASSOUTOS 



kane ' ; mais celle-ci refusait en lui disant : 
« Je suis ta soeur; comment pourrais-tu 
m'epouser? i Mais elle avait beau refuser; 
Masilo revenait toujours a la charge en 
disant : a Dans le monde entier il n'y a pas 
une autre jeune fille aussi belle que toi. » 

Un certain jour, lors d'une fete, comme 
les garcons etaient aux champs avec le betail, 
les jeunes filles du village sortirent ensemble 
pour chercher du bois. Alors Masilo dit a 
sa soeur : « Viens avec moi ; je vais te con- 



LI 



voir et la persecute!- chaque jour; dans cette 
version, il chantc ainsi : 

« Thakane, fille de ma mere, Thakane ma soeur, 
La oil les eaux font emportee, avec les crabes, 
Comme un gros hippopotame au milieu de ses petits. » 

La reponse de Thakane' est trop inconvenante 
pour qu'on puisse la citer. 11 est interessant de 
comparer avec cette version le commencement 
du conte de Monyohe, qu'on trouvera plus loin. 

i . Cela est choquant pour les Bassoutos tout 
autant que pour nous; ils regardent comme 
coupables les manages contractus entre parents 
rapproches et vont mime, sous ce rapport, plus 
loin que beaucoup d'Europcens. 



MASII.O ET THAKANE 



5/ 



duire dans un endroit ou tu trouveras de tres 
beau bois, digne de la fille d'un chef. » 
Thakane suivit seule son frere, qui defendit 
aux autres jeunes tilles de les accompa- 

gner. 

Masilo conduisit sa sceur dans un endroit 
ecarte, ou se trouvait entre deux rochers 
une crevasse etroite et profonde. line fois 
la, Masilo dit a Thakane : « Est-ce que c'est 
pourde bon que tu as refusee de m'epouser? » 
Sa sceur lui repondit : « Certainement ! je ne 
consentirai jamais a epouser mon frere. - 
Oses-tu le dire encore maintenant ? Ne vois- 
tu pas que tu es seule avec moi et que je puis 
te tuer si je le veux? » Thakane lui repon- 
dit : « Quand bien meme tu me tuerais, je 
ne consentirai jamais a t'epouser. » Mors 
Masilo se jeta sur elle et lui lia les mains et 
les pieds, puis il lui dit : « Ne comprends- 
tu pas que si tu refuses toujours il ne te 
reste plus qua mourir? » Thakane lui re- 
pondit encore : « Quand bien meme je 
devrais mourir a l'instant meme, je ne 
consentirai pas a t'epouser, toi qui es mon 
frere. » Mors Masilo se saisit d'elle et la 
precipita au fond de la crevasse, puis il s'en 



58 



CONTES DES BASSOUTOS 



LI 



alia, livrant ainsi sa soeur a une mort cer- 
taine. 

Le soir, quand le betail fut rentre au 
village et qu'on vit que Thakane ne revenait 
pas, on la chercha partout ; on interrogea 
ses compagnes; mais celles-ci avaient peur 
de dire tout ce qu'elles savaient; elles se 
disaient les unes aux autres : « Si nous 
n'avions pas peur de Masilo, nous raconte- 
rions que Masilo l'a appelee et l'a conduite 
dans les taillis, en nous defendant de la 
suivre et que depuisnous ne savons plus ce 
qu'elle est devenue; lorsque Masilo est 
revenu vers son betail, Thakane n'e'tait plus 
avec lui. ,. On chercha longtemps Thakane, 
on parcourut vainement tous les villages 
environnants; on alia meme jusqu'a celui 
qu'habrtait sa grand 'mere, mais en vain; 
nulle part on ne l'avait vue, personne ne 
pouvait dire oii elle e'tait allee. 

Quant a Masilo, il continuait a garder ses 
bestiaux, comme si rien ne s'e'tait passe; 
mais chaque jour il disait a ses compa- 
gnons : « Restez ici avec les bestiaux; il y a 
la-bas un oiseau que je veux essayer d'at- 
traper, » et il les quittait pour le reste de 



MASILO ET THAKANE 59 

la journee. II se rendait ainsi a la crevasse 
au fond de laquelle il avait precipite Tha- 
kane; il s'asseyait en haut pres de l'ouver- 
ture, prenait un gros quartier de basalte et 
en frappait violemment le rocher en chan- 
tant : 



« Thakane, fille de Madi-a-Khomo ', parle, parle 

[que je t'enlende. » 



Alors Thakane lui repondait : 

« Puisqu'il faut parler, je parlerai, mais que me 

[faut-il dire? 

Masilo, mon frere, a voulu m'epouser, mais je 

[l'ai refused » 

Ce qu'entendant Masilo s'en allait tout 
joyeux. 

Comme Masilo quittait ainsi chaque jour 
ses bestiaux, son frere cadet se dit : « Je 
voudrais bien savoir quel est cet oiseau qui 
ne se laisse pas prendre. » Un jour, alors 
que Masilo venait de dire comme d"habi- 
tude : « Restez ici avec les bestiaux; il y a 
la-bas un oiseau que je veux essayer d'at- 

l. Madi-a-Khomo signifie litteralement « Sang- 
de-baeuf ». 




6o 



CONTES DES BASSOUTOS 



traper », le frere cadet s'echappa sans etre 
remarque et le suivit a la de'robee. Quand 
Masilo fut arrive a la crevasse de rochers, 
le petit garcon se cacha derriere un buisson. 
Masilo deposa a terre son bouclier ', saisit 
un gros quartier de basalte et en frappa 
violemment le rocher en chantant : 

« Thakane, fille de Madi-a-Khomo, parle, parle 

[que je t'entende. » 

Thakane lui repondit comme d'habitude, 
mais sa voix e'tait devenue si faible qu'on 
pouvait a peine l'entendre; cependant le 
frere cadet reussit a comprendre ce qu'elle 
disait. II se dit : nOuais! Masilo pretend 
chasser des oiseaux et en realite il a tue ma 
soeur. » Puis il s'en alia sans etre vu et, re- 
tournant vers son troupeau, il s'assit en 



II 



I. Jadis, quand les guerres de tribu a tribu et 
de village a village etaient une occurence jour- 
naliere, les jeunes gens n'allaient au paturage 
qu'armes de leurs assagaies et munis de leurs 
boucliers. Le bouclier des Bassoutos est fait de 
peaux de boeuf grossierement tannees et est 
relativement petit. 



MASILO ET THAKANE 



6l 



pleurant. Quand Masilo futrevenu lui aussi, 
les autres garcons lui dirent : a Voila ton 
frere, qui ne fait que pleurer; nous ne savons 
ce qu'il a. » Masilo lui demanda : « Qu'as- 
tu, petit frere ? — J'ai mal au ventre. — 
Vrai? — Oui! » — Alors Masilo dit a 
deux de ses compagnons de reconduire 
chez lui le petit garcon. Quand il arriva au 
village, toujours pleurant et les yeux rouges, 
sa mere fut saisie de douleur et se mit a 
pleurer elle aussi. Elle lui demanda : 
<( Qu'as-tu , mon enfant? pourquoi pleurer? 
Moi aussi je ne cesse de verser des larmes 
sur la perte de ta sceur ThaUane. » Le petit 
lui repondit : a Appelle mon pere. » La mere 
lui demanda : « Pourquoi l'appeler? » Le 
petit dit : « J'ai de violents maux d'en- 
trailles. » 

Lorsque le pere fut la, le petit dit : « Mon 
pere, ma mere, entrons dans la hutte. » II 
y entra toujours pleurant; ses parents l'y 
suivirent pleurant eux aussi. lis lui deman- 
derent : « Tu souffres done beaucoup.^ a II 
repondit : « Mon pere, ma mere; Thakane a 
ete tuee par Masilo. » lis demanderent : 
« De quelle maniere l'a-t-il tuee.'' Comment 




62 



CONTES DES BASSOUTOS 



le sais-tu? » Le petit garcon repondit: « Tha- 
kane a ete tuee par Masilo, n'en doutez pas; 
je puis vous mener a l'endroit ou elle se 
trouve.n A la nuit noire le pere et la mere 
se mirent en route, conduits par leur fils 
cadet. 

Lorsqu'ils furent arrive's, le petit dit : 
« Mon pere, prends cette grosse pierre, trop 
lourde pour que je puisse moi-meme la 
soulever, et frappes-en violemment le rocher 
au haut de la crevasse en chantant : 



« Thakane, fille de Madi-a-Khomo, parle, parle 

[que je t'entende. » 



[I 



Le pere prit la pierre et fit ainsi qu'on le 
lui avait indique; il faisait si sombre qu'on 
ne pouvait rien voir. II entendit la voix de 
sa fille, mais si faible, si faible qu'on pouvait 
a peine comprendre ce qu'elle disait. Alors 
il se coucha a terre, se pencha sur le rebord 
de la crevasse et cria : « Thakane ! Tha- 
kane. » Thakane repondit : « Mon pere? 
— Comment se fait-il que tu te trouves la, 
ma pauvre enfant? — C'est Masilo qui m'y 
a precipite'e. » Le pere tout emu se de- 



MASILO f;t thakane 



63 



mandait : « Que faut-il faire r Comment Ten 
sortir. J » II avait beau chercher, il ne trouvait 
aucun moyen pour Ten tirer de la; enfin, il 
dit a sa femme : o Aurais-tu peur de rester 
seule ici, pendant que je vais au village 
chercher du secours?» La femme re'pondit : 
« Non ! tu peux aller, je n'ai aucune crainte ; 
a ton retour tu me retrouveras ici-meme ; 
dis aux gens de notre village que la crevasse 
est tres profonde et qu'ils doivent venir 
munis de lanieres de cuir et de graisse de 
bceuf. » 

Au bout d'un certain temps le mari revint 
avec vingt hommes de son village ; il se 
pencha de nouveau sur le bord de la crevasse 
et cria a sa fille : « Est-ce que tu peux lier 
a tes pieds et a tes bras, sous les aisselles, 
les lanieres que nous te tendrons ? » Thakane 
repondit : « Oui, je puis le faire, mais la 
crevasse est si petite que j'ai peine a me 
servir de mes mains. » Alors on lui tendit 
les lanieres de cuir, elle les lia a ses pieds 
et se les passa sous les aisselles, puis elle 
dit : « Maintenant c'est fait, u Son pere lui 
dit : « Lorsque nous essaierons de te soule- 
ver, ne reste pas couchee, mais tache de te 



6 4 



CONTES IjES bassoutos 



LI 



tenir debout. » Thakane repondit : « II m'est 
impossible de me tenir debout. » Alors les 
gens se dirent : « Puisqu'elle ne peut pas se 
tenir debout, il faut faire fondre de la 
graisse et la faire couler le long des parois 
de la crevasse pour qu'elles deviennent 
lisses et glissantes. » Ainsi fut fait. Lorsque 
son pere et les gens tirerent sur les cour- 
roies pour la sortir de la crevasse; comme 
la graisse en avait rendu les parois lisses et 
glissantes et adouci leurs aspe'rites, elle 
n'eut pas meme une egratignure, et arriva 
en haut en bon etat, mais excessivement 
amaigrie . On la laissa se reposer un 
instant, puis on la transporta dans la hutte 
de ses parents, ou on lui fit avaler une 
grande quantite de graisse fondue pour hu- 
mecter et distendre son gosier. 

Le lendemain, Masilo alia, comme de cou- 
tume, faire paitre son betail, sans se douter 
de ce qui s'e'tait passe. Parmi les jeunes gens 
qui l'accompagnaient se trouvait un de ceux 
qui avaient, la nuit precedente, retire Tha- 
kane de la crevasse ou Masilo l'avait pre'ci- 
pitee; il se dit en lui-meme : « II faut que je 
sache si c'est bien reellement Masilo qui 



MASILO ET THAKANE 



65 



a voulu tuer sa sceur. » II se rendit en 
secret pres de la crevasse et s'y cacha 
derriere un buisson ; un instant apres il vit 
arriver Masilo. Celui-ci deposa a terre son 
bouclier, prit le quartier de basalte et le 
jeta violemment a terre : thou I en chan- 
tant : 



« Thakanc, rille de Madi-a-Khomo, parle, parle 
[que je t'entendc. » 



Pas de reponse. II reprit : « Tu boudes 
done aujourd'hui? » Puis il frappa une 
seconde fois le rocher plus violemment 
encore qu'auparavant, en chantant : 

« Thakane. fille de Madi-a-Khomo, parle, parle 
[que je t'entende. » 

Toujours pas de reponse; aucun son ne 
se faisait entendre. Alors Masilo brandit 
son bouclier et sauta de joie en criant : 
« Ah ! tu es morte maintenant, tu vas pour- 
rir, toi qui n'as pas voulu de moi. » Puis il 
retourna vers son troupeau, tout joyeux, 
et jouant gaiement de sa. flute, et disant : 
« Aujourd'hui elle est morte! » l.orsqu'il 



G6 



CONTES DES BASSOUTOS 



II 



arnva vers ses compagnons, ceux-ci se 
dirent les uns aux autres : « Masilo est un 
mauvais frere; voyez comme il est joyeux, 
bien que sa soeur soit morte! » 

Ce jour-la son pere avait tue un mouton 
pour faire du bouillon pourThakane. Le soir, 
quand il fut de retour avec son betail, Ma- 
silo attendit longtemps; mais personne ne 
lui apportait de la viande. Enfin il demanda : 
« Oil est la tete du mouton? pourquoi ne me 
l'apporte-t-on pas? » Puis il envoya dire a 
son pere : « Envoie-moi la tete du mouton, 
que je la mange. » Le pere repondit : « Dites 
lui que je l'ai deja mangee moi-meme. » 
C'est ainsi que Masilo dut se passer de 
viande. 

II continua pendant plusieurs jours a gar- 
der son betail, sans se douter que Ton avait 
retrouve Thakane. Tout le monde etait 
etonne et honteux de la joie qu'il montrait; 
on disait : « Comment peut-il etre si joyeux 
quand sa soeur Thakane est morte? » Pen- 
dant ce temps les parents continuaient cha- 
que jour a laver Thakane avec de l'eau 
chaude et a l'oindre de graisse. Au bout 
d'un certain temps elle put enfin se lever en 



MAS1LO ET THAKANE 



6 7 



s'appuyant contre les murs de la hutte; alors 
ses muscles longtemps comrades se deten- 
dirent avec bruit. Alors aussi elle put com- 
mencer a parler et raconta k ses parents 
comment Masilo l'avait traitee.On continua 
encore quelques jours a lui appreter des 
mets succulents, on lui tuait des moutons, 
on en arrangeait les peaux pour elle. De nuit 
elle sortait avec sa mere pour se promener. 
Elle redevint bien vite aussi grasse et bien 
portante qu'auparavant. Alors son pere et 
sa mere couperent leurs cheveux qu'ils 
avaient pendant leur deuil laisse croitre 
demesurement; ils recommen§erent a s'oin- 
dre de graisse et reprirent l'apparence de 
gens bien portants '. Les gens disaient : « Ils 
ont pleure, maintenant ils sont consoles ; les 
voila qui quittent leur deuil. » Alors le pere 
envoya un de ses serviteurs vers ses beaux- 
parents pour leur dire : « Hatez-vous de 
venir, car j'ai prepare une fete; surtout que 
mon beau-pere soit la. » On tua nombre 

i. Pendant un deuil il est inconvenant de se 
couper les cheveux, de se laver, de se graisser le 
corps, en un mot de faire sa toilette. 







68 



CONTES DES BASSOUTOS 



T \ 



de bceufs, on prepara un repas colossal. 
Lorsque Ton fut reuni pour la fete et que 
Ton commenca a distribuer la nourriture 
aux invites, le pere de Masilo dit a ses beaux- 
parents : J'ai longtemps pleure, aujour- 
d'hui je suis console! » Puis il ordonna 
d'etendre sur le sol, au milieu du village, 
des nattes de jonc. Pendant ce temps la foule 
etait assise a terre, mangeant et buvant. 
Alors le pere, la mere et la grand'mere de 
Thakane lui crierent : « Maintenant, sors de 
la hutte. » Elle sortit de sa hutte ; a peine 
etait-elle dehors que le soleil s'obscurcit ». 
Le peuple tout entier s'ecria : « Comment! 
c'est Thakane! Elle vit encore! » Ce fut une 
joie generale. Quant a Masilo, il s'enfuit au 
plus vite et se refugia dans un autre pays 
eloigne 2 . 



[« 



1. Le conteur veut dire sans doute que la jeune 
fiUe etait d'une beaute si eclatante que le soleil 
en fut comme obscurci.Le meme trait se retrouve 
dans plusieurs autres contes; parfois il semblerait 
qu'on ait en vue une veritable eclipse de soleil. 
Le sessouto peut signifier Tun comme l'autre. 

2. Dans les autres versions le propre pere de 
Masilo le tue d'un coup d'assagaic. 



TSELANE '. 



Les gens dont il est question dans ce conte 
sont,dit-on,d'unecouleurtresclaire, leurs 
cheveux sont longs comme la chevelure de 
mais; ils mangent la viande avec des longues 
epingles, ils mangent la face contre terre. Ils 
ont des maisons toutes blanches; on peut 
les voir de fort loin, des bceufs les trainent 



i. Des deux versions que j'ai pu recueillir, je 
donne ici celle qui me semble la plus antique, 
telle que me l'a racontee Ie vieux Moshe Mosetse, 
Le conte zoulou d'Usitungusobenhle (Callaway, 
p. 74-78) lui ressemble beaucoup, ainsi que deux 
contes cafres publies par M. Theal : Demane et 
Dema^ana, et L'oiseau merveilleux du Cannibale 
{Kaffir Folklore, p. m-114, 123-128). 



/O CONTES DES BASSOUTOS 

avec leurs queues. lis ont beaucoup d'objets 
dans leurs maisons, toutes leurs maisons 
sont pleines d'objets pre'cieux, ils ont des 
vases de fer, ils possedent beaucoup de 
cuivre et d'objets en pedes '. 

Un jour, les habitants d'une de ces maisons 
partirent et allerent habiter dans un autre 
lieu; leur belle maison resta toute vide. La 
fille de la maison refusa de s'en aller et resta 
la toute seule; elle se nommait Tselane. Sa 
mere venait tous les matins lui apporter a 
manger. Comme la maison etait tout a fait 



U 



i. Cette introduction n'a, semble-t-il, rien de 
commun avcc le conte; les vieux Bassoutos ne 
racontent cependant jamais l'un sans l'autre. Les 
gens dont il est question sont sans doute les 
Blancs; le vieux Moshe m'affirme l'avoir entendu 
raconter a sa mere avant que les Bassoutos con- 
nussent l'existence des Europeens. II est evident 
qu'il faut y voir la trace des rapports demi-le- 
gendaires sur les Boers de la Colonie du Cap. 

Les maisons que des boeufs trainent avec leurs 
queues designent les lourds wagons a bceuts 
dont on se sert encore aujourd'hui dans le Sud 
de l'Afrique. 



7 l 



isole'e, un cannibale ' y vint un certain jour, 
charge d'un grand sac. II appela Tselane, en 
essayant de contrefaire la voix de sa mere, 
et chanta : 

« Tselane, mon enfant, prends, prends ton pain 

[et mange. » 

i. Le cannibalisme a certainement existe au 
Sud de l'Afrique, quoi qu'en aient dit certains 
voyageurs qui n'avaient que supernciellement 
etudie la question. Quand, en 1 833, MM. Casalis 
et Arbousset penetrerent pour la premiere fois 
dans le Bassoutoland, le cannibalisme venait 
a peine de cesser; peut-etre meme se pratiquait- 
il encore dans certains lieux recules. Je connais 
encore un vieillard qui fut cannibale dans sa 
jeunesse. C'est a la suite de la longue famine 
causee par les devastations et les guerres dont le 
Sud de l'Afrique fut le theatre au commencement 
de ce siecle, que le cannibalisme commenca, ou 
recommenca, dans une partie de l'Etat libre de 
l'Orange et du Bassoutoland. C'est au chef Mos- 
hesh que revient le merite d'avoir mis tin a cette 
abominable coutume. Mais les cannibales de ces 
contes sont anterieurs a ceux-ci; ce sont des 
fitres a part, legendaires, qui rappellent les 
ogres des contes des fees. II est a remarquer que 
dans presque tous les contes ou ils paraissent, on 
leur fait parler zoulou. 





72 



CONTES DES BASSOUTOS 



Tselane s'approcha de la porte et voyant 
que ce n'etait pas sa mere qui l'appelait, 
mais un cannibale, ferma la porte. Le can- 
nibale fit a plusieurs reprises le tour de la 
maison, mais, ne trouvant aucune ouverture 
par ou il put entrer, il s'en alia. 

Un moment apres, comme le cannibale 
etait deja parti, la mere de Tselane vint a 
son tour; elle se mit a chanter : 



r 

i 



«. Tselane mon enfant, prends, prends ton pain 

[et mange. » 

Alors Tselane lui repondit : 

« Ecoute, ma mere! ma mere, tu paries d'une 
[voix douce comme celle du passereau. 

Comme celle du chardonneret qui se pose dans 

[les champs. » 



Sa mere lui donna a manger et chercha a 
lui faire quitter cette maison, en lui disant : 
« Nous avons bati une maison bien plus 
belle que celle-ci. » Mais Tselane refusa net 
de la quitter. 

Le cannibale essaya de revenir a plusieurs 
reprises, tou jours sans succes; enfin un jour 
il trouva une ruse excellente. II prit le fer 



TSELANE y3 

d'unc pioche et 1c chauffa au feu, puis il le 
saisit avec des pinces et l'avala. Alors il vint 
vers Tselane et l'appela en chantant : 

« Tselane, mon enfant, prcnds, prends ton pain 

[et mange. » 

Cette fois sa voix ressemblait a celle de 
la mere de Tselane'. Tselane, pensant que 
c'e'tait sa mere, lui repondit et parut il la 
porte; le cannibale la saisit aussitot et la 
jeta dans son sac. Tout joyeux il disait : 
« Aujourd'hui j'ai trouve de la viande. » II 
jeta le sac sur son dos et partit de la. Au 
bout d'un certain temps il eut faim et se sen- 
tit fatigue; il entra dans un village, deposa 
son sac devant une hutte et entra dans le 
lapa. Une fillette sortit un instant apres de 
ce lapa et, voyant le sac, s'approcha pour le 
considerer. * 

II se trouvait que dans cette hutte habitait 
precisement l'oncle maternel : de Tselane ; 
mais le cannibale n'en savait rien. La petite 



i. Les Bassoulos distinguent tres soigncusc- 
ment l'oncle maternel et l'oncle paternel. 

5 



74 



CONTES DES BASSOUTOS 



fille, qui etait sortie de la hutte, apercut un 
doigt de femme qui sortait d'un trou du sac. 
Elle rentra dans le lapa et dit a sa mere : 
« Viens ici ! il y a la un doigt qui ressemble 
a celui de Tselane. » Sa mere sortit et s'ap- 
prochant du sac demanda : « Qui es-tu? » 
Une voix re'pondit de l'interieur du sac : 
« C'est moi, c'est Tselane; un cannibale m'a 
prise. » La femme rentra dans le lapa et 
raconta a son mari ce qui se passait. lis 
prirent un chien, delierent le sac, en sorti- 
rent Tselane et mirent le chien a sa place; 
ils y mirent aussi des grosses fourmis veni- 
meuses, puis le lierent de nouveau et le 
remirent a sa place '. 

Un moment apres, le cannibale sortit de 
la hutte, prit son sac, le jeta sur ses e'paules 



[4 



i. Dans d'autres versiiJns, les enfants recon- 
naissent la voix deTselane; pour la retirer du sac 
du cannibale sans que celui-ci s'en apercoive, 
l'oncle de Tselane envoie le cannibale puiser de 
l'eau a la riviere dans une calebasse fendue, dont 
les fissures sont bouchees avec de l'argile. L'ar- 
gile se fend au contact de l'eau et la gourde ne 
peut se remplir. 



TSRLANE 75 

et continua sa route. Un peu plus loin il 

s'arreta, posa son sac h terre et le secoua 

pour savoir si TselanJ y e'tait encore. II se 
mit a chanter : 

« Sac dc Dimo, parle, parle que j'entendc. » 

Le chien repondit, en contrefaisant lavoix 
de Tselane : 

ii Que veux-tu, que je dise, helas ! Dimo. 

Les bestiaux de mon pere sont aussi nnmbreux 
[que les etoiles, helas! Dimo '. » 

Alors le cannibale rejeta le sac sur ses 
epaules et continua sa route. Bientot il arriva 
chez lui. II dit a sa femme et a ses enfants : 
« Ce gibier que je ne pouvais prendre, j'ai 
reussi a m'en saisir aujourd'hui; prenez ce 
sac et portez-le dans la hutte. » Les enfants 
prirent le sac et le deposerent dans un coin 

t. Dimo, e'est ici un nom propre. C'est la ra- 
cine du mot ledimo (pi. madimo), qui veut dire 
cannibale. II est curieux de constater que le mot 
qui signifie Dieu (tnodimo, pi. badimo 011 medimo) 
a une racine absolument identique. 



76 



CONTES DES BASSOUTOS 



de la hutte. Le cannibale leur dit : « Demain 
quand on preparera le repas du matin, nous 
delierons le sac. » 

Le lendemain matin, le cannibale dit a sa 
femme : « Prends mon sac et cuis le gibier 
qu'il renferme. » Lorsque la femme voulut 
saisir le sac, le chien qui y e'tait renferme la 
mordit. Elle sortit de la hutte et dit a son 
mari : « Dimo, ton sac mord; viens done 
voir. » Mais le cannibale se mit en colere et 
s'e'eria : « Aujourd'hui, tu ne mangeras pas 
de ma chasse; bien que je t'en ai toujours 
donne jusqu'ici, tu n'y toucheras pas aujour- 
d'hui? » Puis il dit a sa fille ainee : « Va 
delier mon sac; ta mere n'en aura rien. » La 
fille du cannibale entra dans la hutte, mais 
quand elle voulut prendre le sac, le chien la 
mordit elle aussi. Elle essaya de le saisir 
par l'autre bout; les fourmis la mordirent. 
Alors elle sortit et dit : « Mon pere, ton sac 
mord. » 

Le cannibale s'ecria, tout en colere : « Toi 
non plus, tu n'en auras pas. » Alors il entra 
dans la hutte et prit son sac, le chien le 
mordit ; il voulut le prendre par l'autre bout, 
les fourmis le mordirent. Alors il cria a ses 



enfants et a sa femme : « Fermez la porte. » 
lis la fermerent et la barricaderent a 1'aide 
de grosses pierres. Le cannibale se mit alors 
en devoir d'ouvrir le sac ; le chien s'elanca 
hors du sac et saisit le cannibale de ses 
crocs, les fourmis aussi en sortirent et com- 
mencerent a le mordre. Le cannibale pleurait 
et criait : « Ouvrez-moi. » Mais on lui repon- 
dit : « Nous t'avions bien dit que le sac mor- 
dait; mais tu n'as pas voulu nous croire. » 
II jeta la porte a terre d'un coup de tete, et 
s'elanca dehors ; le chien s'elanca a sa suite 
et le dechira, les fourmis le dechirerent aussi. 
C'est ainsi qu'il mourut '. 



i. Dans l'autre version, ainsi que dans les 
contes cafres et zoulous de MM. Theal et Calla- 
way, le cannibale se precipite la tete la premiere 
dans un marecage et est change en arbre. Des 
abeilles viennent s'y etablir et y deposer leur 
miel. Tselane decouvre ce miel et veut en man- 
ger, mais il ne lui est plus possible de retirer sa 
main; elle n'y parvient qu'apres unc ceremonie 
magique. 



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MOSELANTJA 



I 



l y avait une fois un chef; son village etait 
tres grand, mais il n'avait que trois enfants, 



i. Moselantja ou Moselampsha signifie en ses- 
souto « queue de chien ». Lc mime nom se 
retrouve sous la forme zoulou de Umsilawesinja 
dans un conte donne par M. Callaway dans ses 
Nursery Tales of the Zulus (p. 296-31 5), conte 
qui est en grande partie semblable a celui que 
nous traduisons ici. Moselantja est un animal semi- 
legendaire, qui peut, parait-il, prendre la forme 
humaine quand il lui plait, mais qui conserve 
toujours laloriguequeuea laquelleildoitsonnom, 
et avec laquelle il s'empare de tous les vivres 
qui sont a sa portee, surtout du lait dont il est 
specialement friand. Dans les contes des Zoulous 
cet animal se nomme aussi imbulu ; c'est un gros 



MOSEI.ANT.TA 



79 



un fils et deux fllles. L'aine des filles se ma- 
ria; il ne resta a la maison que la cadette 
Fe'nyafenyane et son petit frere. Une anne'e, 
comrae on travaillait aux champs, le petit 
garcon, reste a la maison, allait au bord 
de 1'e'tang de la riviere et criait : « Koyoko, 
de'peche-toi, viens me manger. » Koyoko ' 



iguane vert tout a fait inoffcnsif, assez commun 
a Natal et dans le Zoulouland, mais inconnu 
dans le pays des Bassoutos. La seconde partie 
du conte zoulou d'Ukcombekcantsini (Callaway, 
p. u8-i3o)est egalcment a comparer au conte 
sessouto, ainsi que celui que M. Theal a traduit 
dans son livre sur le Kaffir Folklore (p. 1 35- 
1 38). La version que je donne plus haul a etc 
recueillie pour moi par M. Dieterlen; j'en pus- 
sede deux autrcs, auxquelles j'ai fait quelques 
emprunts pour rediger ces notes. 

i. Koyoko est un animal purement fabuleux. 
Dans lescontes zoulou et cafre, ainsi que dans une 
de mes variantcs, ce n'est pas Koyoko qui tuc 1c 
petit garcon, mais bien le propre pere de celui- 
ci (ou son frere) qui le devore et n'en laisse que 
la tete. La jeune fille est avertiepar une mouche 
de lamortdeson frere. Dans une seconde variante 
tout le commencement de cc conte est emprunte 
a celui de Monyohe, qu'on trouvera plus bas. 



8o 



CONTES DES BASSOUTOS 



sortait de l'eau et venait le poursuivre, et 
vite, vite le petit garcon de se precipiter 
dans la hutte. C'etait la son jeu de chaque 
jour. Une fois, tout le monde etait parti 
pour aller becher le champ du chef. Le 
petit garcon alia a la riviere selon son habi- 
tude et se mit a crier : « Koyoko, depeche- 
toi, viens me manger. » Cette fois Koyoko 
sortit de l'eau avec rapidite et s'empara du 
petit garcon; il le devora tout entier, ne 
laissant que la tete. 

Cependant la mere du petit garcon avait 
dit a sa fille : « Va bien vite a la maison, 
chercher de la semence. » La jeune fille, 
en arrivant au village, decouvrit la tete de 
son petit frere. Alors elle s'ecria en pleu- 
rant : « Helas ! mon frere a ete devore par 
Koyoko. » Elle monta sur une petite emi- 
nence et appela sa mere a haute voix en 
chantant ainsi : 



Mere, mere, toi qui travailles au loin (bis), 

Mon frere Solo a ete devore par Koyoko ; mere, 
[mere, toi qui travailles au loin (bis), 

Solo, le fils de ma mere, a ete devore par Ko- 
[yoko; mere, mere, toi qui travailles au loin (bis), 

Mon frere Solo a ete devore par Koyoko; mere, 
[mere, toi qui travailles au loin (bis). 



MOSELANTJA 8 1 

Sa mere l'entendit chanter, et dit a ceux 
qui travaillaient avec elle : « Taisez-vous, 
que je puisse entendre. » lis de'poserent leurs 
beches et s'arreterent. La jeune fille se remit 
a chanter : 

Merc, mere, toi qui travailles au loin (bis), 

Mon frere Solo a etc devore par Koyoko; mere, 
[mere, toi qui travailles auloin (bis), 

Solo, le fils dc ma mere, a etc devore par Ko- 
[yoko ; mere, mere, toi qui travailles au loin (bis), 

Mon frere Solo a etc devore par Koyoko ; mere, 
[mere, toi qui travailles au loin (bis). 

Alors la femme prit sa beche, en frappa 
tous ses compagnons et les etendit morts '. 
La jeune fille continuait a chanter : 

Mere, mere, toi qui travailles au loin (bis), 

Mon frere Solo a ete devore par Koyoko; mere, 
[mere, toi qui travailles au loin (bis), 

Solo, le fils de ma mere, a ete devore par Ko- 
[yoko; mere, mere, toi qui travailles au loin (bis), 

Mon frere Solo a ete devore par Koyoko; mere, 
[mere, toi qui travailles au loin (bis). 

i. D'apres une des variantes, la mere tue ses 
compagnons, non pas a coups de beche comme 
ici, mais par sorcellerie, en agitant sa beche 
devant leurs ycux. 

5- 



82 



CONTES DES BASSOUTOS 



n 



Alors sa mere recommenca a frapper avec 
sa beche les corps de ses compagnons; il 
n'en resta pas un vivant. Puis elle partit et 
retourna au village; tout en marchant elle 
ramassait des scorpions, des mille-pieds, des 
perce-oreilles, des fourmis et des araignees 
venimeuses et les mettait dans son sac. 
Quand elle arriva chez elle, elle y trouva 
Koyoko si repu qu'il ne pouvaitplus bouger. 
Elle plaga devant sa hutte le sac qu'elle avait 
rempli de scorpions et d'insectes venimeux; 
puis elle entra et se mit a chercher dans ses 
effets; elle rassembla ses plus beaux col- 
liers de perles et ses anneaux de metal et 
les placa de cote. Puis elle sortit de la 
hutte, rassembla de l'herbe dessechee, en 
fit de grandes bottes qu'elle lia avec des 
cordes d'herbes et les entassa contre les 
murs de la hutte. 

Alors elle dit a Koyoko : i Viens ici, que 
je te rase la tete. » Quand Koyoko se fut 
approche, elle prit une lancette et se mit a 
lui dechirer les chairs de la tete; puis elle 
delia son sac. Les scorpions et les insectes 
venimeux qui y etaient rassembles en sor- 
tirent et entrerent dans les oreilles, la bou- 



MOSEI.ANT.TA 



83 



che et les yeux de Koyoko, qu'ils mordirent 
et piquerent jusqu'a ce qu'il en mourut. 

Alors elle appela sa fille et lui dit : « Viens 
ici. » Elle prit ses colliers de perles et ses 
anneaux de metal et Ten para; puis elle lui 
dit : « Maintenant, mon enfant, pars et va 
chez ta soeur Hlakatsabale, femme de Masilo ; 
surtout garde-toi bien de regarder derriere 
toi; quoi qu'il arrive, poursuis ta route et 
rnarche toujours devant toi. » La jeune fille 
partit et marcha longtemps, bien longtemps. 
Alors elle se dit : a Je voudrais bien savoir 
pourquoi ma mere m'a defendu de regarder 
derriere moi; il faut que je voie ce que c'est. 
Peut-etre qu'elle veut mettre le feu a la 
hutte et y pe'rir. » Elle se retourna et vit 
une grande fumee qui montait vers le ciel ; 
alors elle s'e'cria : « Helas! ma mere a mis 
le feu a sa hutte et se brule toute vive. s 
Elle entendit tout pres d'elle une voix repe- 
ter : « Helas! ma mere a mis le feu asa hutte 
et se briile toute vive. » Elle regarda et vit 
un animal etrange ; elle se demanda tout 
etonnee : « D'ou cet animal peut-il bien sor- 
tir? i) La voix reprit : « Prete-moi un peu tes 
colliers de perles et tes habits, que je voie 



8 4 



CONTES DF.S BASSOUTOS 



comme ils me vont. » Alors la jeune fille se 
depouilla de ses vetements et les donna a 
Moselantja. Moselantja les revetit et donna 
a la jeune fille les haillons dont elle e'tait 
recouverte '. 

Quand elles furent pres du village, la jeune 
fille dit : « Maintenant, rends-moi mes ha- 
bits. — Pas encore ! je te les rendrai au 
paturage des bestiaux. » Quand elles arri- 
verent la oii le betail passait, la jeune fille 
reprit : « Donne - moi maintenant mes 
habits. — Ouais ! veux-tu done qu'on 
disc que les femmes de Masilo se dispu- 
tant pour rien au milieu de la route ! 2 s Elles 
arriverent ainsi chez Hlakatsabale, la sceur 
ainee de Fenyafenyane. Moselantja se hata 
de dire (Fenyafenyane, elle, se taisait, toute 
honteuse) : « Ma mere m'a dit de venir chez 
toi; notre frere a etc devore par Koyoko, et 
ma mere a mis le feu a sa hutte et s'y est 



1. Une autre version cxpliquc que les vgtc- 
mentsde Moselantja sont uniquement faits d'her- 
bages tresses. 

2. En allant chez Masilo, Fenyafenyane' devait 
devenir sa femme, selon les idees du pays. 



MOSELANTJA 



85 



brulee. » Hlakatsabale se dit : « Qui est-ce 
qui a pu changer ainsi ma soeur? Je ne la 
reconnais plus et cependant ses vetements et 
ses ornements sont bien ceux de chez nous. » 
Elle finit cependant par se persuader que 
c'etait bien la sa soeur. Moselantja reprit en 
designant Fenyafenyane : « Quant a cet etre- 
la, c'est Moselantja; je l'ai rencontree en 
route et elle voulait absolument que je me 
depouillasse de mes beaux habits pour les 
lui donner. » C'est ainsi que Moselantja se 
fit passer pour Fenyafenyane. 

Le soir Hlakatsabale dit a Fenyafenyane 
d'aller coucher dans la hutte d'une vieille 
femme et garda Moselantja aupres d'elle. 
Mais, pendant la nuit, la queue de Moselantja 
s'allongea et alia chercher, dans tous les 
coins de la hutte, les vivres qui y etaient 
rassembles. Masilo s'ecria : « Qu'est-ce? » 
Vite Moselantja de s'ecrier : « Masilo, aide- 
moi, j'ai de fortes coliques,je souffre cruelle- 
ment. » Le lendemain, des qu'il fit jour, Masilo 
s'ecria : « Oh! oh! qui a pris toute notre 
nourriturerQui a pu faire cela? » Moselantja 
repondit : « C'est sans doute Moselantja; 
c'est une voleuse, elle vole partout. » Quand 



86 



CONTES DES BASSOUTOS 



II 



on se mit a manger, on donna a Fenyafe- 
nyane sa nourriture dans une ecuelle ebre- 
che'e si sale qu'elle ne put y toucher; quant a 
Moselantja, elle eut la sienne dans un beau 
vase neuf. 

Le printemps s'ecoula; on sarcla les 
champs, puis arriva le moment de chasser 
les oiseaux. Hlakatsabale ordonna alors a 
sa soeur, qu'elle croyait toujours etre Mose- 
lantja, d'aller a son champ pour chasser les 
oiseaux. Ce champ etait contigu au champ 
de la vieille femme qui l'avait recueillie. Au 
milieu du jour, Hlakatsabale envoya Mose- 
lantja porter de la nourriture a Fenyafenyane; 
mais Moselantja mangea tout en route. Quand 
elle arriva au champ ou se tenait Fenyafe- 
nyane, elle lui dit : « Qu'as-tu done a dormir 
ainsi, paresseuse que tu es; ne vois-tu pas 
que les oiseaux mangent le sorgho de mon 
mari, le sorgho de Masilo? » Quand Mose- 
lantja fut partie, Fenyafenyane remonta sur 
son tas de mottes, qui etait ' tout pres de 



i. Pour chasser les petits oiseaux qui, si on les 
laissait faire, auraient vite devore tout le sorgho 
ou le ble du pays, les Bassoutos font aupres de 



MOSEI.ANTJA 



87 



celui sur lequel se tenaitla vieille femme qui 
l'avait recueillie. Elle se dressa de toute sa 
hauteur et se mit a chanter : 

Va-t-en, colombe! va-t-en, colombc! ' 

Aujourd'hui, on m'appelle Moselantja, va-t-en, 
[colombe! va-t-en, colombe! 

Auparavant, j'etais Fenyafenyane, la sceur de Hla- 
[katsabale, va-t-en, colombe ! va-t-en, colombc ! 

Aujourd'hui, on me donne a manger dans des 
[ecuelles sales, va-t-en, colombe! va-t-en, co- 

[lombe ! 

Roseau, envole-toi, que je m'en aille vers mon 

[pere et ma mere! 

Alors le roseau la prit et la souleva pour 
l'emporter dans les airs. Mais la vieille femme 
accourut et se saisit d'elle. Fenyafenyane lui 
dit : « Laisse-moi seulement m'en aller vers 
mon pere et ma mere. Ne vois-tu pas qu'au- 



chaque champ un gros tas de mottes de terre 
(nomme sefika), sur lequel ils montent; de la ils 
effraient les oiseaux par leurs cris et leurs gestes. 
Chasser ainsi les oiseaux est une des grandes 
occupations des indigenes; c'est surtout 1'affaire 
des femmes et des enfants. 

1. Va-t-en, colombe! Fenyafenyane chasse les 
oiseaux tout en chantant cette complaintc. 



88 



CONTES DES BASSOUTOS 



jourd'hui j'en suis reduite a manger ma nour- 
riture dans des ecuelles sales et ebrechees? 
C'est comme si Hlakatsabale n'etait pas ma 
sceur. » C'est alors qu'elle decouvrit a la 
vieille femme qui elle etait; elle lui dit : 
« Chez nous, un jour, tout le monde etait aux 
champs ; mon petit frere alia a la riviere taqui- 
ner Koyoko, qui en sortit et le devora. Alors 
ma mere me dit de venir ici et me recommanda 
fortement de ne pas regarder derriere moi. 
Mais je me suis retourne'e pour voir ce qui 
arrivait et a peine m'etais-je eerie : « He'las! 
n ma mere a mis le feu a sa hutte et s'y brule 
« toute vive »,que j'entendis toutpres de moi, 
a mes pieds, Moselantja s'ecrier : « Helas ! ma 
« mere a mis le feu a sa hutte et s'y brule toute 
« vive. d Puis Moselantja m'a demande de lui 
preter mes vetements, et j'y ai consenti, parce 
qu'elle me disait qu'elle allait me les rendre. 
C'est ainsi que nous sommes arrives ici ; elle 
s'est fait passer pour moi et c'est elle qui a 
raconte que ma mere s'e'iait brulee dans sa 
hutte. » La vieille lui demanda : o Comment 
done est-ce que ta soeurne voit pas a sa figure 
que ce n'est pas sa sceur? » Fe'nyafenyane 
re'pondit : « Je ne sais pas. » La vieille ne lui 



MOSELANTJA 



8 9 



repondit rien;elle alia cherchcr sa nourri- 
ture et la partagea avec Fenyafenyane. Ce 
jour-la la vieille ne dit rien ni a Masilo ni a 
Hlakatsabale; elle ne parla a personne de ce 
qu'elle avait vu et entendu. 

Le soir, on donna, comme d'habitude, a 
Fenyafenyane sa nourriture dans une vieille 
ecuelle sale et ebrechee ; mais elle n'y toucha 
pas. Chez Masilo on avait tue un bceuf et on 
en avait cuit les viandes. Pendant la nuit, la 
queue de Moselantja s'allongea et se mit a 
manger toutes les viandes. Masilo l'entendit 
et dit : « Qui est-ce qui fait ainsi ce bruit 
dans les pots de viande ? » II se leva pour 
aller voir, mais vite Moselantja de s'ecrier : 
s Masilo, aide-moi, j'ai de fortes coliques; 
aide-moi, Masilo, je n'en puis plus. » 

Le lendemain Fenyafenyane retourna au 
champ de sa sceur; cette fois-ci ce fut sa 
soeur Hlakatsabale, qui lui apporta sa nour- 
riture ; elle la lui donna, comme toujours, 
dans une vieille ecuelle sale et ebrechee. 
Fenyafenyane la placa de cote sans y toucher ; 
la vieille femme ne disait toujours rien. 
Quand Hlakatsabale se fut eloigne, Fenya- 
fenyane monta sur son tas de mottes et, s'y 



9 o 



CONTES DES BASSOUTOS 



dressant de toute sa hauteur, se mit a chan- 
ter : 

Va-t-cn, colombe ! va-t-en, colombe! 

Aujourd'hui, on m'appelle Moselantja, va-t-en, 
[colombe! va-t-en, colombe! 

Auparavant, j'etaisFenyafenyane, la soeurde Hla- 

[katsabale, va-t-en, colombe! va-t-en, colombe! 

Aujourd'hui, on me donne a manger dans des 

[ccuelles sales, va-t-en, colombe! va-t-en, 

[colombe! 
Roseau, envole-toi, que je men aille vers mon 

[pere et ma mere. 



LI 



Alors le roseau s'agita, la prit et la souleva 
pour l'emporter dans les airs. Mais la vieille 
femme accourut et se saisit d'elle. Fenyafe- 
nyane lui dit : « Laisse-moi seulement m'en 
aller vers mon pere et ma mere. » 

Le soir de ce jour-la la vieille femme se 
rendit chez Masilo et lui dit : «' Demain, vas 
aux champs, et tu y verras ce que j'ai vu 
hier. » Masilo lui demanda : « Qu'est-ce 
que c'est? » La vieille re'pondit : « Tu verras 
toi-meme ce que c'est. » Le lendemain, Ma- 
silo alia aux champs en secret et se cacha 
la oil la vieille lui avait dit de le faire. Hla- 
katsabale envoya de nouveau Moselantja 



MOSELANTJA 



9 1 



porter de la nourriture a Fenyafe'nyane; 
mais celle-ci s'assit au bord de la route et 
mangea tout ce qu'on lui avait donne. Quand 
elle arriva vers Fenyafe'nyane elle lui dit : 
« Paresseuse que tu es, qu'as-tu done a dor- 
mir? Ne vois-tu pas que les oiseaux mangent 
tout le sorgho de mon mari'? » Puis elle 
retourna au village. 

Alors la vieille femme dit a Fenyafenyane : 
« Ne vois-tu pas les colombes la-bas dans 
ton champ! Va les ehasser. » Fenyafenyane 
y alia, monta sur son tas de mottes et, s'y 
dressant de toute sa hauteur, se mit a 
chanter : 

Va-t-en, colombe! va-t-en, colnmbe! 

Aujourd'hui, on m'appelle Moselantja, v*l-t-en, 
[colombe ! va-t-en, colombe! 

Autrefois, j'etais Fenyatenyanc, la soeur de Hla- 
[katsabale, va-t-cn, colombe! va-t-en, colombe! 

Aujourd'hui, on me donne a manger dans des 
[ecuelles sales, va-t-en, colombe! va-t-en, 

[colombe ! 

Roseau, envole-toi que je m'en aille vers mon 

[pere et ma mere ! 



Le roseau s'agita avec bruit et la souleva 
pour l'emporter dans les airs. Masilo accou- 



9 2 



CONTES DES BASSOUTOS 



rut et se saisit d'elle. Fenyafe'nyane lui dit : 
« Laisse-moi seulement m'en aller vers mon 
pere et ma mere. Ta femme m'a traitee fort 
mal, bien qu'elle soit ma sceur, et que je me 
fusse refugie'e chez elle. » Alors la vieille 
femme dit a Masilo : a Tu vois bien, Masilo; 
voila ce que je te disais de venir voir ici. » 
Masilo resta longtemps avec Fenyafe'nyane; 
ils resterent longtemps a pleurer ensemble. 
Puis il remonta au village et raconta tout a 
sa femme. Celle-ci s'ecria : « He'las ! ma 
pauvre sceur ! he'las ! fille de mon pere ! » 

Le lendemain Masilo fit dire a tous ses 
gens d'aller rassembler beaucoup de bois, 
pendant que d'autres creuseraient un trou 
profond. On abattit du betail, des moutons 
et des chevres, on cuisit du pain, de la 
bouillie de sorgho au lait, on fit frire des 
croutes de pain dans la graisse ; on prepara 
une grande fete. On apporta aussi une grande 
quantite depots de laitcaille; on les deposa 
au fond du trou qu'on avait creuse, puis on 
les recouvrit de tiges de mais et de bran- 
chages legers. Pendant ce temps, les jeunes 
femmes du village rassemblaient du bois 
dans la foret. Moselantja, elle, ne faisait rien ; 



MOSELANTJA 



93 



elle se tenait accroupie pres du ruisseau, ou 
sa queue faisait la chasse aux crabes qu'elle 
devorait avidement. Quand les jeunes fem- 
mes eurent fini, elles dirent : « Retour- 
nons au village. » Une d'elles demanda : 
« Ou est la femme du chef! Ou est la femme 
de Masilo? » Elles portaient chacune une 
botte de branches seches ; celle de Fenya- 
fenyane etait plus grande que celles de ses 
compagnes. Quand Moselantja les vit venir 
elle se hata de rassembler quelques pousses 
vertes et en fit une botte; puis elle dit a 
Fenyafe'nyane : « Moselantja, tu as pris ma 
botte de branchages ; rends-la moi. » Mais 
les autres femmes s'e'crierent : « Quedis-tu? 
C'est la sienne, c'est elle qui l'a rassemble'e; 
quant a toi, ou done te cachais-tu pendant 
que nous travaillions? Allons au village. » 
Lorsqu'elles s'approcherent du village les 
gens se dirent les uns aux autres : « Voyez- 
vous la femme du chef qui n'apporte que 
des branches vertes? Qu'en veut-elle faire?» 
Mors Masilo dit a toutes les femmes : 
« Sautez toutes par dessus ce trou. » II leur 
montrait le trou profond au fond duquel 
on avait cache le lait caille. Elles sauterent 



94 



CONTES HES BASSOUTOS 



toutes les unes apres les autres, et Fenya- 
fe'nyane sauta comme elles. Quant ce fut le 
tour de la femme du chef et qu'elle voulut 
sauter, sa queue s'allongea du cote du lait 
caille ' et se mit a le manger; alors Mose- 
lantja tomba au fond du trou. Les gens du 
chef arriverent en courant; ils la cernerent 
de tous cotes et la tuerent sur place. 

Mais elle ne mourut pas tout entiere; a 
l'endroit ou elle avait ete tuee, il crut une 
citrouille sauvage \ Quant a Fenyafe'nyane 
elle devint la femme de Masilo; au bout d'un 
certain temps elle mit au monde un enfant. 
Un jour, comme tout le monde e'tait aux 
champs et que Fenyafe'nyane restait seule 
au logis, cette citrouille sauvage se detacha 
de sa tige et vint en roulant vers la hutte de 



i. Le succes de la ruse de chef provient du 
fait que MoseMantja est si friande du lait qu'elle 
n'en peut voir sans que sa queue s'allonge 
dece cote; le poids de sa queue la fait tomber 
au fond du trou. 

2. En scssouto mokopuntja , n citrouille de 
chien », mot qui rcssemble bcaucoup au nom 
mfime de Moselantja. 



MOSELANTJA 



95 



Fenyafe'nvane. Tout en roulant elle disait : 
« Pi-ti-ki, pi-ti-ki, nous man-ge-rons la 
bouil-lie de la gras-se ac-cou-chee, la fem-me 
de Ma-si-lo. » Quant elle fut arrive'e vers 
Fe'nyafenyane, la citrouille lui dit : « Depose 
a mes cotes l'enfant de mon mari. » Fenya- 
fe'nyane posa l'enfant a terre ; alors la ci- 
trouille s'elanca avec furie contre Fenya- 
fe'nyane et la battit, la battit longtemps. 
Quand elle eut fini de la battre, la citrouille 
retourna a l'endroit d'ou elle etait venue et 
se replaca sur sa tige. 

Fenyafenyane ne dit rien a personne de 
ce qui lui etait arrive. I.e lendemain, comme 
tout le monde etait aux champs, la citrouille 
se mit de nouveau a rouler du cote de la 
hutte de Fe'nyafenyane; tout en roulant, elle 
disait: « Pi-ti-ki, pi-ti-ki, nous man-ge-rons 
la bouil-lie de la gras-se ac-cou-chee, la 
fem-me de Ma-si-lo. » Elle dit a Fenyafe- 
nyane : « Depose a mes cote's l'enfant de mon 
mari. » Puis elle se jeta sur Fe'nyafenyane 
et la battit longtemps ; quand elle eut fini de 
la battre elle s'en alia comme la veille. La 
citrouille perse'cuta ainsi Fe'nyafenyane' tous 
les jours, sans lui laisser de repos. 



9 6 



CONTES DRS BASSOUTOS 



!l 



Enfin, un jour, Masilo demanda a sa 
femme : « Qu'as-tu qui te fasse tant mai- 
grir? » Fenyafenyane lui repondit : « II y a 
la-bas une citrouille sauvage, qui, lorsque 
vous etes aux champs, vient vers moi en me 
disant : « Pi-ti-ki, pi-ti-ki, nous man-ge-rons 
« la bouil-lie de la gras-se ac-cou-chee, la 
« fem-me de Ma-si-lo. » Puis elle me dit : 
« Depose a mes cotes l'enfant de mon mari. » 
Alors elle se jette sur moi et me bat avec 
furie. » 

Le lendemain, Masilo n'alla pas aux 
champs ; mais quand tout le monde fut parti, 
il dit a sa femme de le cacher dans les nattes 
de son enfant. La citrouille vint comme 
d'habitudc, en disant : « Pi-ti-ki, pi-ti-ki, 
nous man-ge-rons la bouil-lie de la gras-se 
ac-cou-chee, la fem-me de Ma-si-lo. » Puis, 
quand Fenyafenyane eut depose son enfant 
a terre, la citrouille se pre'cipita sur elle et 
se mit a la frapper avec rage. Alors Masilo 
s'e'lanca de sa cachette, arme d'une hache et 
d'une assagaie. II transperca cette citrouille 
d'un coup d'assagaie, un flot de sang en 
sortit. Puis il la prit, la porta devant la 
hutte et la coupa en une masse de menus 



MOSKLANTJA 



tnorceaux, qu'il brula ensuite aussi soigneu- 
sement que possible. 

Une plante de chardon crut a l'endroit ou 
la citrouille avait ete brulee i. Le chardon 
grandit, sans que personne y prit garde, et 
fink par monter en graine. Ces graines fai- 
saient mal a l'enfant; chaque fois qu'il cou- 
rait dehors elles lui piquaient les pieds. On 
avait beau leur faire la chasse, il en restait 
toujours une qu'on ne pouvait attraper. 
Enfin, Masilo se mit en embuscade et reus- 
sita la prendre, il la pila et la j eta au feu; 
mais elle devint graine de citrouille. Quand 
l'enfant dormait elle se jetait sur lui et le 
mordait, puis retournait se cacher dans le 
roseau de la hutte. Enfin Masilo re'ussit a 



i. Dans une autre variante ce sont trois des 
pepins de la citrouille qui se cachent dans dif- 
ferents coins de la hutte et font du mal a l'en- 
fant de Fenyafenyane jusqu'a ce que Masilo 
reussisse a ies decouvrir et a les bruler. Le 
mot que je traduis par chardon n'indique pas 
le chardon propremcnt dit, mais une autre 
plante, inconnue en Europe, dont la piqiire est 
encore plus desagreable. 

6 



9 8 



CONTF-S DF.S BASSOUTOS 



s'emparer de cette graine de citrouille; il la 
moulut soigneusement sur une pierre de 
meule, la reduisit en poudre menue et la 
jeta au feu. C'est ainsi que finit Moselantja. 



H 






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NYOPAKATALA 



l y avait une fois une femme nommee 
•Nyopakatala qui n'avait pas d'enfants; 



i. Le nom meme de Nyopakatala indique la 
sterilite ; dans une autre version cette rename 
s'appelle Manyope, ce qui signine egalement 
sterile. Une version zoulou de ee conte, presque 
identique a cellc-ci , se trouve dans le livre de 
Callaway [Nursery tales of the Zulus, p. io5- 
i3o), ou l'heroinc se nommc Ukcombekcantsini. 
L'episode des colombes se retrouve egalement 
p. 66 et p. 72 et 73 du mime recueil. La version 
que je donne ici a ete recueillie pour moi par 
mon collegue, M. Dieterlen. J'en ai rccueilli 
moi-meme deux autres versions, dont je noterai 
les variantes importantes. 



CONTES DES BASSOUTOS 



!4 



quant aux autres femmes de son mari, d'un 
rang plus ele've que le sien, elles mettaient au 
monde des corneilles. Ces corneilles-la pre- 
naient plaisir a souiller de cendres et d'im- 
mondices la hutte de Nyopakatala; elles 
croassaient et criaient : «Hoa!hoa! quand 
done est-ce que Nyopakatala aura des en- 
fants? » La pauvre femme ne faisait que 
pleurer, car chaque jour les corneilles la 
tourmentaient ainsi. Un jour que Nyopa- 
katala avait ete becher son champ et etait 
occupee a semer du sorgho, une troupe de 
colombes survint et se mit a picorer les 
grains de sorgho, tant et si bien qu'il n'en 
resta plus. Alors Nyopakatala seprit a pleu- 
rer et s'ecria : « Helas! malheureuse que je 
suis, meme les oiseaux des champs se met- 
tent a me persecuter! s 

Mais deux colombes s'approcherent d'elle 
et lui dirent : « Va bien vite chez toi et ap- 
porte-nous deux ventouses ', deux lancettes 



i. II s'agit ici non pas de ventouses, comme 
celles dont on sen en Europe, mais d'une petite 
corne au moyen de laquelle les medecins indi- 



NYOPAKATALA 101 

et deux petites calebasses; dans une de ces 
gourdes depose un grain de sorgho blanc, 
dans l'autre un grain de sorgho rouge. » 
Nyopakatala se hata de faire ainsi et revint 
bientot avec les deux ventouses, les deux 
lancettes et les deux petites calebasses. Mors 
la colombe femelle lui fit une incision au 
sein gauche et en tira un pen de sang au 
moyen d'une des ventouses; le male, lui 
aussi, lui fit une incision au sein droit et en 
tira un peu de sang; puis la femelle versa le 
sang dans la calebasse qui contenait un 
grain de sorgho blanc, et le male lui aussi 
versa le sang dans celle qui contenait un 
grain de sorgho rouge. Quand elles eurent 
fini, les colombes lui dirent : « Maintenant, 
ne te desole plus; prends tes deux petites 
calebasses, depose-les au fond d'un grand 
vase d'argile et recouvre le vase d'une cor- 
beille; seulement prends bien garde de ne 
jamais decouvrir le vase pour regarder ce 
qu'il contient, un jour tu le sauras. » 

La femme retourna chez elle et deposa 



genes parviennent a tircr un peu de sang, en su- 
fant fortcment. 

6- 



CONTES DES BASSOUTOS 



M 



ses deux petites calebasses dans un grand 
vase d'argile, qu'elle recouvrit soigneusement 
d'une corbeille, puis elle s'endormit le cceur 
plus leger qu'a l'ordinaire. Mais le lende- 
main les corneilles e'taient de nouveau la a 
la tourmenter, en croassant : « Hoa! hoa! 
quand done est-ee que Nyopakatala aura des 
enfants, J » Cela dura longtemps, bien long- 
temps; un jour, enfin, comme Nyopakatala 
etait assise dans sa hutte, toute seule, a 
la tombee de la nuit, elle entendit une 
voix qui sortait du vase ou elle avait depose 
les deux petites gourdes. La voix disait : 
« Soyane', fais-moi done place. » Une autre 
voix repondait : « Sole, qu'as-tu done a me 
pousser ainsi ? Je vais dire a notre mere com- 
bien tu me tourmentes toujours. » Nyopaka- 
tala s'ecria : « Ah ! les colombes ont tenu leur 
promesse. » Puis elle se hata de de'couvrir 
le vase et y apercut deux enfants remarqua- 
blement beaux, nommes Sole et Soyane. 
Au comble de la joie, elle les fit sortir de 
leur cachette, les couvrit de baisers, leur 
donna a manger et les fit coucher tout pres 
d'elle. Le lendemain, a son reveil, elle pre- 
pare leur nourriture, la leur donna, et, au 



NYOPAKATALA 



moment de partir pour les champs, elle 
leur d it : « Mes enfants, je dois allcr aux 
champs; rcstez ici tranquillement, surtout 
ne mettez pas le pied hors de la hutte; que 
je vous retrouve ici quand je reviendrai. » 
Ce jour-la Sole et Soyane' obeirent a leur 
mere et ne sortirent pas de la hutte. Le len- 
demain matin, elle leur dit encore, comme hi 
veille : « Mes enfants, pendant que je suis 
absente, restez bien tranquillement ici et 
ne sortez de la hutte sous aucun pretextc. » 
Lorsque leur mere fut partie, Sole dit a 
sa sceur : « Soyane, prends ton seau et al- 
lons a la source puiser de l'eau » (les deux 
petites calebasses dans lesquelles ils avaient 
vu le jour s'etaient changees en deux seaux 
de fer). Sa soeur lui repondit : « Non ! 
Sole, notre mere nous punirait. » Sole re- 
pliqua : « Non pas, pourquoi veut-elle tou- 
:ours nous tenir enfermes dans cette hutte ; 
viens, ma sceur, allons ensemble puiser de 
l'eau. » Alors Sole et Soyane prirent leurs 
deux seaux de fer et se rendirent ensemble 
a la source pour y puiser de l'eau. Leur 
mere, la-bas, dans les champs, sut aussitot 
(par une sorte de pressentiment) ce qui se 



104 



CONTES DES BASSOUTOS 



passait et s'ecria : « Helas ! mes pauvres 
enfants sont sortis de ma hutte! Que puis- 
je faire pour qu'il ne leur arrive pas mal- 
heur? » 

Ce jour-la meme il se trouvait que Masilo 
s'e'tait mis en route pour se chercher une 
femme et etait arrive avec ses compagnons 
pres du village de Nyopakatala. Les deux 
enfants les rencontrerent aupres de la fon- 
taine ; ces gens leur dirent : « Donnez-nous 
a boire? » Le jeune garcon prit son seau, 
descendit a la source, y puisa de l'eau et la 
leur offrit; ils la verserent a terre sans y 
toucher. II redescendit une seconde fois a 
la source, puisa de l'eau et la leur offrit; 
cette fois encore ils la verserent a terre 
sans y toucher. Alors Sole dit a sa soeur : 
« Soyane, essaie a ton tour; peut-etre qu'ils 
consentiront a boire l'eau que tu puiseras. » 
Soyane descendit a la source, puisa de l'eau 
et la leur offrit; cette fois ils l'accepterent et 
la burent jusqu'a la derniere goutte. Elle en 
puisa une seconde et une troisieme fois; 
toujours ils la buvaient sans en rien laisser. 
Alors elle troubla l'eau, la salit, la me'lan- 
gea de boue, puis elle leur offrit cette eau 



NYOPAKATAI.A 



105 



toutc vaseuse; cette fois encore ils la bu- 
rent jusqu'a la derniere goutte. Mors elle 
cracha dans l'eau, s'y moucha, puis leur 
offrit cette eau; cette fois encore ils la bu- 
rent sans en rien laisser. 

Sole dit alors a sa sceur : « Soyane, il est 
temps de rentrer chez nous, le soleil est 
deja couche. » lis remplirent leurs seaux et 
remonterent au village. Les gens de Masilo 
les suivirent pour reconnaitre la hutte oil 
ils entreraient; ils les virent entrer dans 
une me'chante hutte, toute couverte de cen- 
dres. Masilo s'ecria : « Helas ! c'est done 
dans une mechante hutte pareille que 
demeurent ces deux enfants si remarqua- 
blement beaux! » 

Puis il alia avec ses gens au Khotla 
du pere des corneilles; ils le saluerent en 
disant : « Salut, chef! » On leur repondit : 
« Soyez les bienvenus. » Masilo ajouta : « Je 
suis venu demander ta fille en mariage. » 
Le chef repondit : « Ma fille? mais je n'ai 
pas d'enfants, mes femmes n'ont donne le 
jour qua des corneilles. » Masilo lui repon- 
dit : « Et cependant je viens de voir deux 
enfants entrer la-bas dans cette hutte cou- 



io6 



CONTES DES BASSOUTOS 



!< 



verte de cendres. » Le chef dit : « La femme 
qui y demeure n'a jamais eu d'enfants ; elle 
est sterile; son nom est Nyopakatala. » 
Masilo re'pliqua : « Et cependant je viens 
de voir deux enfants remarquablement beaux 
entrer dans cette hutte! » Le chefreprit: 
a La femme qui y demeure n'a pas d'enfants; 
elle est sterile. » 

Pendant ce temps, les mfres des corneilles 
e'taient occupees a revetir leurs enfants de 
leurs plus beaux habits et a les parer, les 
faisant belles pour que Masilo les epousat. 

Quand il fut nuit, le chef se rendit en 
rampant vers la hutte de Nyopakatala; 
c'etait une hutte qui n'avait pas meme de 
porte; pour la fermer on devait entasser 
des pierres devant l'ouverture de la porte. 
Le mari s'arreta a l'entree de la hutte et 
entendit Nyopakatala causer avec ses en- 
fants; ils riaient et se rejouissaient ensem- 
ble. Alors il avanca sa tete pour mieux voir 
et dit en lui-meme : « Quels beaux enfants! 
ou done Nyopakatala a-t-elle pu les trou- 
ver? Masilo m'a bien dit que deux enfants 
merveilleusement beaux sont entres dans 
une hutte toute couverte de cendres; les 



NYOPAKATALA 107 

voila, ce sont eu\! n Puis il se mit a abattre 
les pierres qui fermaient l'entree de la hutte. 
Nyopakatala s'e'cria : o Qui est la? » I.e mari 
repondit : « C'est moi, ma femme. » II entra, 
mais les enfants avaient deja eu le temps de 
se bien cacher. Nyopakatala fondit en lar- 
mes et dit : « Tu te ris de moi ; je vois bien 
que tu es venu pour te moquer de moi. » 
Le mari repondit : « Non ! je suis venu voir 
tes deux enfants. — Mes enfants ? depuis 
quand en ai-je ? ou les aurais-je trouve's? » 
Mais il insista, il insista et la supplia toute 
la nuit, enfin le cceur de Nyopakatala s'at- 
tendrit, elle lui presenta ses deux enfants 
et lui dit : a Ces deux enfants si beaux 
ne t'appartiennent pas ; ils ne sont qu'a 
moi; ce sont des colombes qui me les ont 
donnes '. » 



1. D'apres les idees des Bassoutos et de tous 
les peuples Bantou, ces enfants appartiennent 
veritablement au mari de Nyopakatala; nulle 
part plus qu'ici on ne reconnait la valeur du 
principe de droit : pater is est quern nuptice 
demonstrant. Quand un homme a upnnse une 
femme, avec son betail, tous les enfants que 



io8 



CONTES DES BASSOUTOS 



Le lendemain matin, le chef ordonna aux 
jeunes gens de batir une belle hutte pour 
Nyopakatala. lis la batirent rapidement, 
l'arrangerent aussi bien que possible et y 
ajouterent un grand lapa. Alors le chef 
prit un gros gourdin et se mit a assommer 
toutes les corneilles qui voletaient de tous 
cote's et cherchaient a s'enfuir, en criant : 
« Hoa! hoa! hoa! » lis les assomma toutes 
avec son gourdin et jeta leurs cadavres sur 
un tas de fumier ; puis il alia s'e'tablir avec 
Nyopakatala dans la hutte qu'il venait de 
lui faire batir. Quant a Masilo il retourna 
chez lui pour chercher le be'tail avec lequel 
il devait epouser Soyane \ II ne tarda pas a 



M 



celle-ci mettra au monde appartiendront au mari, 
quand bien memc il serait separe de sa femme 
depuis des annees. II n'y a aucune honte pour 
un mari a rcconnaitre comme siens et a ele- 
ver les enfants que sa femme aurait eus par 
l'adultere. 

i. Chez les Bassoutos et les Bantous le ma- 
nage est au fond un veritable achat; le fiance 
doit payer au pere de sa fiancee un certain 
nombre de tetes de betail (actuellement, dans le 
Basutoland, la moyenne est de vingt a trente). 



NYOPAKATALA 



IO9 



revenir avec son betail. On tua quelques 
tetes de betail, on acheva les ceremonies 
de mariage et Masilo s'en retourna chez lui 
laissant sa femme chez ses beaux-parents '. 
Un jour il dit aux jeunes gens avec lesquels 
il avait ete a la recherche de son e'pouse : 
« Partez aujourd'hui meme et allez me 
chercher ma femme. » Les jeunes gens se 
mirent en route; quand ils furent arrives 
chez le pere de Soyane, ils lui dirent : « Ma- 
silo nous a envoye's chercher Soyane. » 

On se mit a moudre des quantites de 
sorgho, on tua beaucoup de tetes de betail, 
on choisit des boeufs de sorarae pour porter 



C'est alors seulement qu'il est marie legitime- 
ment. Cette coutume barbare, qui fut celle de 
la plupart des peuples de l'antiquite, donne lieu 
a beaucoup d'abus et est la source de nom- 
breuses difficulles et de debats interminables. 
C'est un des plus grands obstacles a la civilisa- 
tion des tribus africaines. 

1. La coutume indigene veut qu'une jeune 
fille reste chez ses parents un certain temps 
apres la ceremonie nuptiale. Ce n'est qu'au 
bout de quelques semaines ou meme de quel- 
ques mois qu'elle se rend chez son mari. 

7 



CONTES DES BASSOUTOS 






les provisions de farine et de viande. Quand 
tout fut pret, Nyopakatala appela les jeunes 
gens qui devaient accompagner Soyane et 
leur dit : a Si vous faites le moindre mal a 
ma fille, je le saurai aussitot, car je verrai 
se briser les vases oil elle avait coutume de 
manger et se de'chirer les couvertures ou 
elle couchait. Ne vous laissez pas de'tourner 
de votre chemin par une gazelle qui boite; 
quand meme vous en verriez une qui boite 
et peut a peine se trainer, ne vous detournez 
pas de votre chemin pour lui donner la 
chasse '. > Alors les jeunes gens partirent 
avec Soyane, chassant devant eux les baeufs 
de somme ' charges de farine et de viandes. 
lis marcherent, ils marcherent, ils mar- 
cherent longtemps; un troupeau de gazelles 



II 



i . D'apres une variante, ce sont les corneilles 
tuecs par le pere de Soyane qui deviennent 1'ins- 
trument du malheur de la jcune fille, en se m6- 
tamorphosant en un animal boiteux. 

2. Avant l'arrivee des Europeens vers i833, les 
Bassoutos ne connaissaient pas le cheval et ne se 
servaient que de bceufs comme betes de somme; 
ils les montaient meme comme des chevaux. 



NYOPAKATALA 



1 I I 



passa devant eux; Tune d'elle boitait fort 
bas et pouvait a peine se trainer : ils conti- 
nuerent leur route, sans s'en inquieter. Des 
antilopes passerent a leur tour; ils conti- 
nuerent leur route sans s'en inquieter. Un 
peu plus loin, un nouveau troupeau de 
gazelles passa tout pres d'eux ; l'une d'elles 
boitait fort bas et se trainait avec peine sur 
ses genoux. Les jeunes gens dirent alors a 
Soyane : « Reste un instant ici, notre mere; 
nous allons vite tuer cette gazelle qui boite, 
et nous t'en ferons une couverture ' dans 
laquelle nous pourrons te porter aisement 
sur notre dos. • Elle s'assit par terre et 
resta toute seule; en un instant ils avaicnt 
tous disparu a la poursuite des gazelles. Ils 
allerent loin, bien loin ; quand ils revinrent 
ils n'e'taient plus des hommes comme aupa- 
ravant, mais etaient devenus des Mahele- 
thoumas ». Us se jeterent sur les provisions 



. 



i. En sessouto thari. C'est une peau bien 
assouplie dans laquelle les fcrames enveloppent 
leurs enfants pour les porter sur leur dos. 

2. Les Mahe'lethoumas sont une sorte de loups- 
prous; dans quelques autres contes ils jouent 



I 1 2 CONTES DES BASSOUTOS 

de farine et de viande et les avalerent en un 
instant; puis ce fut le tour des boeufs de 
somme qu'ils devorerem en un clin d'oeil. 
lis se jetterent ensuite sur Soyane, en criant : 
« IMc'thouma ! nous allons te manger. » 
Aussitot dit aussitot fait; ils se saisirent 
d'elle et la de'vorerent. Mais son coeur 
s'echappa " et s'envola vers une troupe d'oi- 
seaux qui passaient. 

A ce moment meme, sa mere, Nyopaka- 
tala, vit se briser les vases ou Soyane avait 
coutume de prendre sa nourriture, et se 
dechirer les couvertures dans lesquelles elle 
dormait. Elle s'ecria, en fondant en pleurs : 



!l 



le meme role qu'ici. Dans une autre version, 
ainsiquc dans le conte zoulou de M. Callaway, 
cc ne sont pas dcs Malielethmimas qui causent 
le malhcur de Soyane, mais un gros lezard vert, 
animal a demi legendaire, que les Bassoutos 
nomine Moselantja (queue de chien). Voir le 
conte de Moselantja, que nous donnons plus 
haut. 

i. Cf. le conte de Masiloet Masilonyane donne 
plus haut, et celui du Moshanyana Senkatana 
(Revue des traditions populaires, 1888, p. 489). 



NYOPAKATALA I I 3 

« Helas ! l'enfant que les colombes m'avaient 
donnee n'est plus ! » 

Apres avoir de'vore Soyane', les Mahelethou- 
mas redevinrent des hommes et continuerent 
leur route. Quand ils furent arrives au vil- 
lage de Masilo, ils lui dirent : « Helas ! cher, 
ta femme a e'te devoree par des Mahele- 
thoumas, pendant que nous etions a chasser 
une gazelle pour lui en preparer la peau. » 
Masilo pleura amerement ; dans sa douleur 
il parcourait les vallees et les collines, cher- 
chant parto'ut la femme qu'il avait perdue. 

A cette e'poque-la, la soeur de Masilo ■ se 
trouvait dans le village de son pere, oil elle 
etait venue pour ses couches. C'etait le 
temps des travaux des champs ; tout le 
monde etait occupe aux champs, le village 
restait desert. Alors les oiseaux avec lesquels 
s'etait envole le coeur de Soyane dirent a 
Soyane : « Viens avec nous visiter le village 
de Masilo. » Elle consentit. Ils lui dirent 
encore : « Rassemblons du hois et portons- 



i. D'une autre version la soeur de Masilo s'ap- 
pelle Petchakanska (la hoiteuse) ; Soyane la 
guerit de sa claudication. 



ii4 



CONTES DES BASSOUTOS 



N 



en a l'accouchee. » lis rassemblerent une 
grande quantite de bois ; mais Soyane, elle, 
n'y toucha pas. Ainsi charges ilsprirent leur 
vol et arriverent bien vite au village de 
Masilo ; ils s'abattirent devant la hutte de 
Masilo, en faisant : ha ta ta ta ta ta ta. Puis ils 
reprirent leur vol ct entrerent dans le lapa, 
ayant toujours Soyane avec eux ; ils dirent 
a la soeur de Masilo : « Apporte-nous ton 
enfant, nous aimerions le voir. » Ils le pri- 
rent et le regarderent; Soyane aussi le prit 
a son tour. La soeur de Masilo leur jeta des 
grains dc sorgho, qu'ils mangerent avide- 
ment, mais Soyane n'y toucha pas «. L'ac- 
couchee examinait Soyane avec une grande 
attention et se disait : « Que cet oiseau est 
beau ! ne serait-ce pas la femme de Masilo ? » 
Vers le soir, les oiseaux dirent : « Partons et 
retournons chez nous. » Alors ils s'envole- 
rent et retournerent dans leurs ni'ds. 

Le lendemain, les oiseaux se dirent : « Au- 



i. Une nouvelle mariee n'a pas le droit de 
rien manger chez son mari, avant qu'on ait tue 
pour cllc lc mouton ou la chevre dit ea kuai (du 
tabac). 



NYOPAKATALA 



n5 



jourd'hui, faisons en sorte que Soyane reste 
chez Mamasilo '. Soyane leur dit : « Par- 
tons ! » lis re'pondirent : « Rassemblons du 
bois. » Us en rassemblerent une grande 
quantite, mais Soyane n'y toucha pas. Puis, 
charges de leurs bottes de branchages, ils 
prirent leur vol et se poserent devant la 
hutte de Mamasilo, en faisant : ha ta ta ta 
ta ta ta. Ils y deposerent leur charge et en- 
trerent dans le lapa ; ils dirent a la sceur de 
Masilo : « Apporte-nous ton enfant, nous 
aimerions le voir. » L'accouchee leurapporta 
son enfant; ils le prirent un moment et le 
regarderent. Soyane le prit, elle aussi, a son 
tour. Puis les oiseaux dirent : « II nous 
fautau jourd'hui moudre du sorgho pourl'ac- 



i. Mamasilo, c'est-a-dire « la mere dc Masilo ». 
Quand une femme a eu un enfant, clle prend 
ordinairement le nom de cet enfant, precede de 
la syllabe Ma ( « mere de » ). Le pere prend egale- 
ment le nom de son enfant, precede de la syl- 
labe Ra (« pere de»). Ainsi le pere de Masilo 
s'appellera Ramasilo. C'est un usage auquel 

je me suis conforme dans la traduction de ces 

contes. 



u6 



CONTES DES BASSOUTOS 



II 



couchee ; qu'elle nous en donne et nous le 
lui moudrons. » Elle leur en apporta, ils 
l'eurent bien vite moulu ; pendant ce temps, 
d'autres balayaient devant la hutte et dans 
le lapa. Soyane continuait a tenir l'enfant. 
Quand les oiseaux eurent fini de moudre et 
de balayer, ils dirent : « Allons a la fontaine 
puiser de l'eau pour 1'accouche'e. » lis y 
allerent. Vers le soir,ils dirent : « Mainte- 
nant, il est temps de repartir et de retourner 
chez nous. » Ils s'envolerent tous ensemble 
avec Soyane. 

Un instant apres Mamasilo revint des 
champs ; elle demanda a sa fille : « Qui a 
balaye devant la hutte ? — C'est moi. — 
Qui a moulu du sorgho et brasse du yoala ? 
— C'est moi », re'pondit encore sa fille. Quant 
a Masilo, c'est a peine s'il paraissait chez 
lui ; il etait toujours a parcourir les collines 
et les vallees a la recherche de sa femme ; 
'1 etait extremement maigre et dans sa dou- 
leur avait laisse croitre demesurement ses 
cheveux i. 



i. Quand ils sont dans le deuil, les Bassou- 



NAOPAKATALA 



II 7 



Le lendemain,les oiseaux se dirent les uns 
aux autres : « Aujourd'h,ui, il faut absolu- 
ment que la femmede Masilo reste chez son 
mari ; nous sommes fatigues de tant travail- 
ler. » Alors ils dirent a Soyane : « Partons ; 
allons chez Mamasilo porter du bois a l'ac- 
couchee. » Ce jour-la la sceur de Masilo 
avait dit a son frere : « Reste aujourd'hui a 
la maison ; tu verras quelque chose de 
remarquable. Quand tout le monde aura 
quitte le village et sera occupe dans les 
champs, tu verras arriver une troupe d'oi- 
seaux, parmi lesquels il y en a un merveil- 
leusement beau. Moi, j'ai l'ide'e que c'est la 
ta femme. » Alors elle cacha Masilo dans sa 
hutte. Les oiseaux arriverent et se poserent 
a terre devant la hutte, en faisant : ha ta ta 
ta ta ta ta ; puis ils entrerent dans le lap a ; 
mais Soyane resta devant la porte et reiusa 
d'entrer. La sceur de Masilo lui demanda : 
a Pourquoi restes-tu dehors? » Soyane 



tos se rasent les cheveux, puis ils les laisscnt 
croitrc sans plus sc les couper, jusqu'a ce que 
leur deuil ait pris tin. 

7* 



CONTES DES BASSOUTOS 



[1 



repondit : a Je n'entrerai pas ; aujourd'hui il 
y a quelqu'un de> cache dans ta hutte. — 
Mais il n'y a personne. — II y a quel- 
qu'un; j'en suis sur. » Pendant ce temps les 
oiseaux avaient dit en secret a Masilo : « II 
faut aujourd'hui t'emparer de ta femme; 
nous sommes fatigues de venir chaque jour 
ici. » La sceur de Masilo repeta encore une 
fois : « Entre-donc ; il n'y a personne aupres 
de moi ; tu peux venir sans crainte, comme 
d'habitude. » Les oiseaux, eux aussi,la pres- 
serent d'entrer disant : « Dequoi as-tupeur? 
tu vois qu'il ne nous est jamais rien arrive. » 
Soyane se laissa persuader et entra dans le 
lapa; c'est la, dans un coin, que la sceur de 
Masilo avait cache son frere sous les nattes 
de son enfant. 

Alors la sceur de Masilo prit de la viande 
et en donna a Soyane. Soyane la prit et fit 
semblant de la manger, mais en secret elle 
la recrachait ". La sceur de Masilo se dit: 
« Certainement que c'est bien la la femme 
de mon frere. » Les oiseaux resterent long- 



Voir note de la page 1 1£. 



NYOPAKATALA 



110 



temps aupres de l'accouchee, puis ils di- 
rent : « Aujourd'hui, nous sommes venus 
pour la derniere fois ; apporte ton enfant 
que nous le saluions, puisque c'est aujour- 
d'hui que nous allons vous quitter. » Soyane 
ajouta : « Depeche-toi de l'apporter ; ne 
vois-tu pas que mes compagnes partent et 
vont me laisser en arriere. » La soeur de 
Masilo apporta l'enfant, et Soyane le prit et 
le regarda ; puis les oiseaux dirent : « Ap- 
porte-nous le pot de graisse de ton enfant, 
pour que nous nous graissions le corps '. » 
La sceur de Masilo leur apporta le petit pot 
de graisse de son enfant, et les oiseaux se 
graisserent le corps. Puis ils dirent : « Main- 
tenant partons ; il est temps de retourner 
chez nous. Soyane s'ecria : « Reprends 
ton enfant, que moi aussi je puisse partir ; 
depeche-toi, ne vois-tu pas que mes com- 
pagnes vont me laisser en arriere. 



1. C'est la coutume des femmes du pays de 
se graisser tout le corps; c'est le complement 
indispensable de toute toilette convenahle. Le 
plus souvent on melange a la graisse de l'ocre 
rouge calcinee. 



CONTES DES BASSOUTOS 



Aussitot Masilo s'e'lanca hors de sa ca- 
chette et saisit l'oiseau par ses ailes ; ses plu- 
mes s'envolerent de tous cotes et a la place 
de cet oiseau apparut Soyane, toujours fort 
belle, aussi belle qu'elle l'avait jamais e'te. 
Elle dit a Masilo : « Laisse-moi partir; c'est 
toi qui as tite cause de ma perte ; tes servi- 
teurs se sont transforme's en Mahelethoumas 
et m'ont devoree ; mais mon coeur s'est en- 
vole vers les oiseaux. Laisse-moi retourner 
chez mes parents. » Mais Masilo repondit : 
n Non ! je ne veux pas te laisser par- 
tir. » Alors il rassembla les plumes qui jon- 
chaient le sol et les jeta dans le feu oil elles 
se consumerent- En ce moment meme, Nyo- 
pakatala, la-bas dans son village, vit les vases 
brises redevenir comme neufs,et les couver- 
tures dechirees redevenir comme neuves. 
Joyeuse, elle s'ecria : « Aujourd'hui, mon 
enfant est de nouveau vivante. » 

Le soir, quand Mamasilo revint des 
champs, elle fut tout etonne'e de voir une 
belle jeune femme qu'elle ne connaissait pas. 
Elle demanda : « D'oii vient cette jeune 
fille ? qui est-elle ? » Masilo lui repondit : 
« C'est ma femme, c'est Soyane. » Le len- 



NYOPAKATALA 121 

demain, il fit batir une hutte neuve et y cacha 
Soyane, sans que personne se fut apercu de 
sa presence. Puis il ordonna de preparer 
une grande fete ; on ahattit nombre de bceufs 
et Ton tua beaucoup de moutons; chacun 
se demandait ce que cela signifiait. 

Quand tout fut pret, Masilo donna l'ordre 
d'etendre a terre des nattes dela hutte de sa 
mere jusqu'a celle qu'il avait fait batir. 
Quand les nattes eurent ete etendu.es a 
terre, ainsi qu'il l'avait command*, Masilo 
cria a haute voix : « Soyane, montre-toi. » 
Quand Soyane sortit de sa hutte et mit le 
pied surles nattes ,le soleil s'obscurcit; Ma- 
silo prit un grand collier de cuivre et le jeta 
a terre, aussitot le soleil recommenca de 

briller. 

Les jeunes gens que Masilo avait envoyes 
chercher sa femme etaient pleins de frayeur 
et se demandaient : « D'ou vient-elle done? 
Comment est-elle ici? » Ce fut une grande 
fete, il y eut de grandes rejouissances ; les 
cceurs de tous etaient joyeux. On festoya 
jusque bien avant dans la nuit. Le lende- 
main, Masilo envoya desmessagers danstous 
les villages, avec ordre de dire a toute la 



122 CONTES DES BASSOUTOS 

tribu : « Le chef vous convoque tous. » Les 
messagers partirent et convoquerent toute 
la tribu ; ce fut une immense assemblee. 
Alors Masilo raconta tout ce qui s'e'tait passe 
et interrogea les coupables ; ceux-ci durent 
bien avouer leur crime : i II est vrai, chef, 
nous nous sommes transforme's en Mahele- 
thoumas et nous avons de'vore ton epouse. » 
Masilo les fit tous mettre a mort. Ensui'te, il 
vecuttranquillement avec Soyane jusqu'a la 
naissance de leur premier enfant ; puis ils 
allerent visiter ensemble les parents de 
Soyane, et apres y avoir passe quelque 
temps avec eux revinrent dans leur village. 



!« 



*£ 



*r 



p. 






L'OISEAU QUI FAIT DU LAIT '. 



u 



ne femme, nommee Mamasilo, avait ete 
becher son champ avec d'autres person- 



i. En sessouto : Senyamafi. Jc donnc ici la 
version tres complete que m'a fournie le vieux 
Moshe Mosetse; il y en a d'autres plus courtes et 
moins interessantes. M. Callaway en donne dans 
ses Nursery tales (p. 99-104) une version zou- 
lou, intitulee : I Homme et lOiseau ; M. Theal en 
donne egalement deux autres versions, une 
cafre et une sechuana, qui different passablement 
de celle-ci [Kaffir Folklore, p. 29-08, 46-49)- 
L'episode de l'oiseau qui sauvc les enfants se 
retrouve egalement dans un autre sechuana pu- 
blic par Miss Meeuwsen dans le Folk Lore Jour- 
nal of South Africa ( 1 879, p. 1 2- 1 5). 



124 



CONTES DES BASSOUTOS 



nes de son village '. Le soir, quand elle fut re- 
tourne'e a la maison, un petit oiseau vint se 
poser sur une motte au milieu de champ, et 
se mit a chanter : « Tsuidi ! tsuidi ! petit 
champ beche par. Mamasilo ; retourne en 
friche. » Alors le champ retourna en friche, 
comme si on ne l'avait jamais beche. Lelen- 
demain, quand Mamasilo revint vers son 
champ, elle ne put meme reconnaitre l'en- 
droit ou elle avait beche la veille; tout etait 
en friche. Elle recommenca a becher avec 
ses compagnes ; le soir, quand elle fut re- 
tournee a la maison, le petit oiseau revint et 
se mit a chanter : « Tsuidi! tsuidi! petit 
champ de Mamasilo, retourne en friche. » 
Les choses se passerent exactement comme 
la veille. 

Le lendemain, Mamasilo se dit : « Ce soir 



[I 



i. Chez les Bassoutos les hommes s'occupent 
aujourd'hui des travaux des champs au moins 
autant que letirs femmes; mais jadis c'etait sur- 
tout a ces dernieres que revenait la plus grande 
partie de la tache. II en est actuellement encore 
ainsi chez les Cafres et chez un grand jiombre 
de peuplades sechuanas, 



l'oiseau qui FAIT DU LAIT 123 

il taut que je me cache pour decouvrir la 

cause de tout cela. » Vers le soir, elle se cou- 

cha au milieu des mottes; ses compagnes la 

recouvrirent de terre, ne laissant a decouvert 

qu'une de ses mains. L'oiseau arriva et se 

posa sur la main de Mamasilo, qu'il prenait 

sans doute pour une petite branche; il se 

mit a chanter : « Tsuidi! tsuidi! petit champ 

de Mamasilo, retourne en friche. » Alors la 

femme ferma sa main et se saisit de l'oiseau. 

Puis elle se mit en route tenant l'oiseau 

bien ferme dans sa main. Tout en cheminant 

elle lui dit : « Je vais te piquer, je vais te pi- 

quer le petit derriere. » L'oiseau lui repon- 

dit : « Ne me pique pas, ne me pique pas le 

petit derriere; je veux te faire, je veux te 

faire du lait caille '. » Alors l'oiseau lui fit 

du lait caille dans la main; elle le mangea 

avec avidite. Arrivee chez elle, elle prit une 

tige de paille et se remit a dire a l'oiseau : 

s Je vais te piquer, je vais te piquer le petit 



i. Les Bassoutos n'aiment pas le lait frais; lis 
le font presque toujours cailler avant de le 
manger. 



iiG 



CONTES DES BASSOUTOS 



[I 



derriere. » L'oiseau lui repondit : « Ne me 
pique pas. ne me pique pas le petit derriere; 
je veux te faire, je veux te faire du lait caille', 
tu t'en rassasieras toi, ton mari et tes en- 
fants. » Elle prit un vase d'argile, il le rem- 
plit de lait caille, puis un second, un troi- 
sieme, un quatrieme; il remplit de lait caille 
tous les vases qu'elle lui pre'senta. La femme 
s'en rassasia, avec toute sa famille. 

Le lendemain, elle retourna a son champ ; 
sa petite fille entra dans la hutte, prit l'oiseau 
et lui dit : s Je vais te piquer, je vais te piquer 
le petit derriere. » Le petit oiseau lui repon- 
dit : « Ne me pique pas, ne me pique pas le 
petit derriere ; je veux te faire, je veux te faire 
du lait caille ; tu en mangeras avec tes petites 
amies. » La petite fille lui apporta plusieurs 
vases d'argile; il les remplit tous de lait 
caille, elle en mangea a satiete avec les 
fillettes du village. Le soir, quand la mere 
revint au logis, elle demanda : a Qui est-ce 
qui a ouvert la porte de la hutte ? » La petite 
fille repondit : « C'est moi, j'ai ete chercher 
de la nourriture pour mon petit frere. » Mais 
elle se garda bien de dire ce qu'elle avait fait 
de l'oiseau. Sa mere lui dit alors : « II ne te 



l'oiseau qui fait du lait 



127 



faut plus entrer dans la hutte; je mettrai la 

nourriture de ton petit frere dans un vase 
que jeplacerai dans le lapa. » 

Le lendemain, elk se rendit, comme d'habi- 
tude, a son champ. La petite fille entra dans 
la hutte, prit l'oiseau et dit : Je vais te 
piquer, je vais te piquer le petit derriere. » 
L'oiseau lui repondit : * Ne me pique pas, 
ne me pique pas le petit derriere ; je veux te 
faire, je veux te faire du lait caille; tu en 
mangeras avec tes petites amies. » Mais cette 
fois la petite fille prit l'oiseau et le porta 
dans le lapa, pour le faire voir aux autres 
fillettes. Celles-ei se presserent pour le voir; 
elle lui dit de nouveau : « Je vais te piquer, 
je vais te piquer le petit derriere. — Ne 
me pique pas, ne me pique pas le petit der- 
riere ; je veux te faire, je veux te faire du lait 
caille; tu en mangeras avec tes petites 
amies. » Comme toujours, l'oiseau remplit de 
lait caille les vases qu'on lui presentait. Puis 
il fut pris du desir de revoir son pays et dit : 
« Je veux chanter un chant de chez nous. » 
II se mita chanter au milieu du lapa, disant : 
« Quand je suis chez moi, je saute, je saute 
ainsi. » II sautait et lissait son plumage en 



128 



CONTES DES BASSOUTOS 



!< 



disant : « Quand je suis chez moi, c'est ainsi 
que je fais. » 

Tout a coup, une des petites filles s'ecria : 
« Voyez, c'est maintenant qu'on revient des 
champs. » Vite elles reporterent l'oiseau 
dans la hutte et le replacerent dans sa 
cachette. Mamasilo demanda a la petite fille : 
o Qu'etait-ce done que tout ce bruit? » Elle 
re'pondit : « Je jouais avec mes amies. » Le 
lendemain, lorsque la mere fut aux champs, 
la petite fille entra de nouveau dans la hutte 
et se saisit de l'oiseau. Celui-ci lui dit : 
« Hier, la poussiere nous a etouffe's dans le 
lapa; allons au grand air aujourd'hui. » La 
petite fille le porta dehors et fit apporterles 
vases d'argile, puis elle lui dit : « Je vais te 
piquer, je vais te piquer le petit derriere. — Ne 
me pique pas, ne me pique pas le petit der- 
riere; je veux te faire, je veux te faire du lait 
caille;tu en mangeras avec tespetites amies. » 
Ilremplittousks vases qu'on lui avait appor- 
tes; les enfants mangerent jusqu'a ce qu'ils 
furent rassasie's. Puis on chanta, on chanta 
beaucoup. Le soir, la mere interrogea encore 
la petite fille ; mais celle-ci continuait de lui 
cacher ce qu'elle faisait de son oiseau. 






I.'OISF.AU QUI FAIT DU LAIT 



I2Q 



Le lendemain, lorsque tout le monde tut 
aux champs, la petite fille prit encore l'oiseau 
dans la hutte; celui-ci lui dit : « Hier il y 
avait beaucoup de poussiere devant le lapa; 
allons aujourd'hui en dehors du village. » II 
se fit porter loin, bien loin des huttes, tout 
pres d'un t'ourre d'arbres. II chanta, il chanta 
longtemps, tout a coup le ciel se couvrit de 
nuages noirs effrayants. Mors l'oiseau s'en- 
vola et se refugia dans le fourre au milieu 
des autres oiseaux. Les enfants prirent des 
pierres et les lancerent contre l'oiseau ; mais 
tout tut inutile, il ne voulait pas revenir a 
eux. 

Pendant qu'ils etaient ainsi occupes, il sur- 
vint un terrible ouragan; les enfants ne sa- 
vaient ou se mettre pour y echapper. Alors 
apparut un immense oiseau, nomme Tlatla- 
solle i ; il se posa au-dessus des enfants et 
les couvrit de ses ailes comme une poule 
ses poussins. Une violente grele se mit a 
tomber, si forte qu'elle brisait meme les 
arbres; mais, proteges par le grand oiseau, 
les enfants n'en recurent aucun mal. Quand 



i. L'oiseau Ttatlasolle est purement fabuleux. 



i3o 



CONTES DES BASSOUTOS 



[I 



l'orage eut passd, l'oiseau s'envola, les em- 
portant sur ses ailes ; il alia bien loin et les 
deposa dans son nid pour les elever. 

Pendant ce temps, dans leur village, on ne 
savait ce qu'ils etaient devenus; on les cher- 
chait partout de village en village ; partout on 
recevait meme reponse : « Nous ne les avons 
pas vus. » Quelqu'un cependant ajouta : 
« Pour moi, je les ai vus la-bas qui chan- 
taient. » On courut a l'endroit indique, mais 
on n'y trouva plus personne. Parmi les 
enfants disparus il y en avait de tous les ages ; 
les uns encore a la mamelle, que leurs soeurs 
portaient sur leur dos, d'autres qui mar- 
chaient deja, d'autres plus grands encore. 
Des annees se passerent sans qu'on entendit 
plus parler d'eux. L'oiseau prenait toujours 
soin d'eux; quand il en fut temps il les fit 
tous successivement passer par les rites de 
la circoncision '. 



i. Aun certain age (aujourd'hui de treize a seize 
ans) les garcons sont circoncis et ont a passer par 
une tongue initiation de trois a cinq mois. Pen- 
dant ce temps ils vivent ensemble dans une hutte 
ecartee, nommee mopato, sous la surveillance de 



I.'oiSEAU QUI FAIT DU LAIT 



l3l 



Lorsque tous eurent ete circoncis et furent 
arrives a nubilite, l'oiseau les prit et les placa 
de nouveau sur ses ailes, puis il s'envola avec 
eux bien haut dans l'espace. Tout en volant 
il disait : « Ces enfants d'ou sont-ils? Les 
uns sont de chez Pedipedi, d'autres de chez 
Senokonoko, d'autres de chez Pedipedi-oa- 
khoutou, les autres de chez Senokonoko- 
sea-bina-sea-le-theta. » C'etait l'heure ou le 
betail paissait dans les champs; les bergers 
se demandaient : « Qu'est-ce que cela? quel 
est cet oiseau? que dit-il? » L'oiseau conti- 
nuait a chanter dans les airs, nommant tous 
les villages dont venaient les enfants qu'il 
avait enleves. Les bergers, pris de frayeur, 
s'enfuirent avec le betail du ctite de leurs 



quelques hommes. Quand ils en sortent, ils ont 
atteint la maturite aux yeux des indigenes et sont 
dorenavant considered comme des hommes faits. 
Les jeunes tilles ont egalement a subir unc ini- 
tiation analogue. 11 est bien difficile de savoir au 
juste ce qui se passe pour les uns et pour les 
autres, les inities seuls ayant le droit de penetrer 
dans l'enceinte. Tout ce qui s'y fait doit etre 
garde secret. 



1.^2 CONTES DES BASSOUTOS 

villages. lis s'ecrierent : o Un oiseau a plane 
au-dessus de nos tetes; il nous a appeles 
par nos noms et nomine nos differents 
diboko i. » lis avaient a peine fini de parler 
que quelqu'un se mit a crier : « Ecoutez done, 
le voila qui parle. » lis le virent arriver en 
chantant ses thoko 2 et disant : « C'est moi 
qui suis Tlatlasolle. » De tous les villages 
environnants on accourait en foule pour le 
voir. Alors l'oiseau descendit pres du village 
du chef et se posa a quelque distance. En 
apercevant les enfants les gens se deman- 
daient: « Ces enfants, de qui sont-ils? » I.es 



[4 



1. Le seboko (au pi. diboko) est le nom du clan 
auquel appartient un certain individu; generale- 
ment c'est un nom d'animal, ainsi : Mokuena (de 
kuena, crocodile), Motaung (de tau, lion), etc. A 
rapprocherdu totem de l'Amerique du Nord. 

2. Le thoko est le chant de louanges qu'un 
guerrier compose lui-meme pour cel^brer ses 
exploits; parfbis on le compose pour lui, surtout 
quand c'est un chef. Le nom cite plus haut : Se- 
nokonoko-sea-bina-sea-le-theta est, en realite, un 
thoko; la phrase qui suit le nom de Senokonoko 
est le commencement de son chant de louanges 



.'oiSEAU QUI FAIT DU LAIT 



[33 



uns disaient : « Ce sont ceux de chez Seno- 
konoko, ou ceux de chez Sebilo. » D'autres 
disaient : « Non pas! ce sont ceux de chez 
nous. » 

Mors l'oiseau dit : « Etendez a terre des 
nattes de joncs, que toute la place au centre 
du village en soit couverte. » On se hata 
d'etendre des nattes a terre, la place du vil- 
lage en fut bientot toute couverte. L'oiseau 
se remit a voler en disant : « Ces enfants 
d'ou sont-ils ? N'y a-t-il personne ici qui les 
reclame? » Puis il alia se poser sur le pieu 
qui est ii l'entree du pare des bestiaux, au- 
dessus des nattes de paille qu'on avait eten- 
dues a terre. Alors il secoua ses ailes et fit 
tomber a terre sur les nattes un grand nom- 
bre des fillettes qu'il avait enlevees; e'etait 
aujourd'hui des jeunes titles nubiles. II 
secoua ses ailes une seconde fois et fit 
encore tomber a terre un grand nombre de 
jeunes filles; il secoua ses ailes une troi- 
sieme fois; cette fois toutes les fillettes per- 
dues etaient la, grandies et arrivees a nubi- 
lite. Les plus grandes reconnaissaient encore 
leurs peres et leurs meres, mais toutes, 
effrayees, se mettaient a pleurer. 

8 



i3 4 



CONTES TIES BASSOUTOS 



N 



Alors l'oiseau reprit son vol et alia se 
poser un peu plus loin; il secoua ses ailes 
et en fit tomber toute une troupe de jeunes 
gens; il secoua ses ailes une seconde fois 
encore et une troisieme fois; tous les jeunes 
garcons disparus etaient la, il n'en man- 
quait aucun; la place du village etait toute 
remplie des enfants amenes par l'oiseau 
Tlatlasolle. 

Leurs parents se demandaient : « Com- 
ment ferons-nous, puisque nous ne pouvons 
reconnaitre quels sont nos enfants et que 
ceux-ci ne peuvent pas non plus nous recon- 
naitre? » Alors l'oiseau mit ensemble tous 
les enfants d'une meme famille. Comnie l'aine 
pouvait reconnaitre ses parents, il leur ame- 
nait ses freres et sceurs en disant : « Mon 
pere, voila mes freres et sceurs; voici un tel, 
voici un tel, etc. o L'oiseau les rendit ainsi 
tous a leurs parents; chacun retrouva son 
pere et sa mere, et sa maison. Ce fut une joie 
generale. 

Le lendemain, Senokonoko convoqua une 
assemblee de toute sa tribu. Quand la tribu 
fut assemblee, il demanda : « Comment 
faut-il recompenser cet oiseau? » Alors les 



l'oiseau qui fait du lait 



i35 



chefs, les sous-chefs et les conseillers, tous 
les peres et meres des enfants perdus, repon- 
dirent tous : « II faut lui dormer du betail. » 
Le chef demanda : « Comment fera-t-il pour 
l'emporter chez lui puisqu'il vole dans les 
airs? » Les gens repondirent : G'est nous qui 
conduirons son be'tail chez lui. » Ainsi fut 
fait; l'oiseau volait en avant pour montrer 
la route et les hommes du village condui- 
saient son be'tail. Le betail arriva ainsi dans 
la demeure ou demeurait l'oiseau; le grand 
pare a bestiaux en fut rempli, tant etait 
grande la quantite de bceufs et de vaches 
qu'on lui avait donnes. Mors les hommes 
qui avaient conduit le betail retournerent 
chez eux. A partir de ce moment l'oiseau 
Tlatlasolle devint leur ami; il allait souvent 
leur faire visite dans leur village et eux a 
leur tour venaient le visiter dans la foret ou 
il demeurait. 



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MODISA-OA-DIPODI '. 



T'-y avait une fois une jeune fille nommee 
1 Modisa-oa-dipodi ; toute sa famille lui vou- 
lait du mal. Ses soeurs se marierent les 
unes apres les autresj elle resta seule a la 
maison. Un jour, sa mere lui dit : « Prends 
du sorgho, mouds-le et cuis du pain. » Elle 
prit du sorgho, le moulut = et se mit a cuire ; 

i . Cc conte, un dcs plus jolis de ma collec- 
tion, m'a etc founii par M. Dieterlen, qui Fa 
recueilli de la bouche d'une chretienne indigene 
nommee Francina. Modisa-oa-dipodi signifie : 
<( gardeuse de chevres ». 

2. Les femm.es Bassoutos se servent pour 
moudre dune grande pierre plate fort dure, sur 



MODISA-OA-DIPODI 



i3 7 



quand le pot commenca a bouillir, elle y 
jeta sa farine et la remua longtemps avec 
un baton, puis elle sortit le pain du pot '. 
Quand elle eut tini elle prit le baton avec 
lequel elle avait rcmue la farine, enleva 
avec ses doigts la pate qui y restait et se 
mit a la manger. Alors sa mere lui arracha 
le baton des mains et Ten frappa violem- 
ment sur la tete, en lui disant : « Ce n'est 
pas a une petite tille a manger le be'tail que 
nos enfants nous ont procure *. » 

laquelleellesecrasent leur grain au moycn dune 
autre pierre ronde plus petite. C'est un travail 
tres fatigant, qu'elles ont a rccommencer jour 
apres jour. Avant Parrivce des Europeans, les 
Bassoutos ne connaissaient que le sorgho ; 
aujourd'hui, ils se nourrissent en grande partic 
de mai's et de froment. 

i. Ce n'est pas du pain comme le notre, mais 
une sorte de bouillie epaisse et lourde, plus con- 
sistanteque la polenta italienne. 

i. La mere en vcut a sa fille de ce qu'elle nc 
soit pas mariee. Quaud une Idle se marie les 
parents recoivent comme prix d'achat un certain 
nombre dc tutes de betail. Modisa-oa-dipodi 
prontc dc la richessc qu'ont procuree a ses pa- 
s' 





i38 



CONTES DES BASSOUTOS 



Modisa-oa-dipodi resta la, a pleurer ame- 
rement; sa grand'mere l'appela et lui donna 
a manger. Un autre jour, la femme de son 
frere l'appela et lui dit : « Modisa-oa-dipodi, 
prends du sorgho, mouds-le et cuis du 
pain. » Elle prit du sorgho, le moulut, le 
mit sur le feu et remua avec son baton. 
Quand le pain fut cuit, elle prit avec ses 
doigts la pate qui restait attachee au baton, 
et allait la porter a sa bouche, quand sa 
belle-sosur lui arracha le baton des mains 
et Ten frappa violemment sur la tete, en 
lui disant : « Ce n'est pas a une petite fille a 
manger le betail que nos enfants nous ont 
procure, s Mors, sa grand'mere l'appela : 
« Modisa-oa-dipodi, viens ici. » La jeune 
fille y alia, mangea la nourriture que lui 
donna sa grand'mere et dormit dans la hutte. 
Elle n'avait pas mime une couverture dont 
elle put se vetir. 

Un autre jour, ses parents formerent un 
plan pour la faire mourir. Sa mere l'appela 



rents celles de ses sceurs qui se sont mariees, 
tandis que n'etant pas mariee elle n'a pas encore 
procure a ses parents une seule tete de betail. 



MOD1SA-OA-DIPODI 



IJ 9 



et lui dit : « Modisa-oa-dipodi, prends du 
sorgho, mouds-le et cuis du pain. » Modisa- 
oa-dipodi moulut le sorgho et fit du pain; 
quand il fut cuit elle prit la pate qui restait 
attache'e au baton et elle allait la porter a 
la bouche, quand sa mere la frappa violem- 
ment, en disant comme auparavant : « Ce 
n'est pas a une petite fille a manger le 
betail que nos enfants nous ont procure. » 
Comme Modisa-oa-dipodi sortait de la hutte 
en pleurant, ses parents la poursuivirent 
jusque bien loin hors du village , la frap- 
pant a coups de baton et lui jetant des 
pierres; ils la firent meme poursuivre par 
leurs chiens. 

Alors elle se mit a marcher droit devant 
elle; elle marcha tout le jour, tout le jour, 
tout le jour. Quand elle fut fatiguee elle 
s'assit a terre pour se reposer; elle vit de la 
nourriture qui paraissait la devant elle. Elle 
se dit : « Non; je ne toucherai pas a ces 
mets; ceux a qui ils appartiennent pour- 
raient me tuer. » Elle se releva et continua 
sa route, sans y avoir touche; elle marcha 
longtemps, longtemps. Quand elle se sentit 
fatiguee elle s'assit pour se reposer; les mets 




'4° 



CONTES DES BASSOUTOS 



qu'elle avait vus reparurent devant elle. Elle 
se releva et partit sans y toucher, en se 
disant: « Ceux a qui ces mets appartiennent 
pourraient bien me tuer a leur arrivee, si je 
me permettais d'y toucher. » Elle continua 
de marcher longtemps encore. Quand le 
soleil fut pres de se coucher elle se sentit 
fatigue'e et s'assit a terre ; les mets repa- 
rurent encore devant elle. Cette fois elle 
se dit : « Tant pis ! cette fois j'en mangerai 
de ces mets-la, quand meme ceux auxquels 
ils appartiennent viendraient me tuer. » Elle 
prit de l'eau et se lava les mains, puis se mit 
a manger. Quand elle eut fini de manger, 
elle se releva et continua de marcher long- 
temps encore, jusque bien apres le coucher 
du soleil; alors elle se coucha a terre et 
s'endormit au milieu de la steppe '. 



!« 



i . Le mot steppe me semhle mieux qu'un 
autre convenir aux vastes plaincs non boisees, 
qui s'etendent au nord des Drakensberg. Le 
Basutoland propremcnt dit est tres mon- 
tueux et coupe de ravins et de collines; mais 
plus au nord ce n'est qu'une vaste plaine. Nullc 
part il n'y a d'arbres ou de forets. 



MODISA-OA-DIPODI 



141 



Le lendcmain, a son re'veil, il y avait 
de nouveau de la nourriture et dc l'eau la 
devant elle. Elle prit l'eau et se lava, prit les 
mets et les mangea. Quand elle eut fini elle 
partit et marcha longtemps, bien longtemps. 
Quand elle fut fatigue'e, elle s'assit a terre; 
les mets reparurent devant elle comme tou- 
tes les autres fois; elle se lava les mains 
ct les mangea. Quand elle eut fini de 
manger, elle partit et se remit a marcher; 
elle marcha longtemps , longtemps, long- 
temps; enfin elle arriva aupres d'un mare- 
cage ou croissaient des herbes flexibles, elle 
en cueillit et s'en tressa une robe, elle en 
cueillit encore et s'en tressa une couver- 
ture '. Quand elle eut finit elle s'assit; les 
mets et l'eau reparurent devant elle comme 



r. Lc vetemcnt dcs femmes pai'ennes se com- 
pose encore, comme jadis, d'unc robe asscz courte 
de peau deboeuf et d'un manteau ou couverture 
egalement en peau. Quand on fait toilette on 
cnduit cespeaux d'une couche epaisse de graisse 
melangee d'ocre rouge. Certaines de ces robes 
sont tres joliment ornces de brillants boutons 
de metal ou de perles multicolores. 




142 



CONTES DES BASSOUTOS 



[i 



auparavant. Elle en mangea comme tou- 
jours et se remit en marche; elle marcha de 
nouveau longtemps, longtemps, longtemps. 
Enfin, elle arriva au somraet d'une petite 
colline et vit une hutte bien loin au milieu 
de la plaine. Elle dit : « Enfin, voila une 
hutte. a Elle se remit en marche et fink par 
arriver aupres de cette hutte ; elle approcha 
et vit que c'etait une hutte fort grande et 
tres belle en dedans et en dehors; mais elle 
n'y vit personne. Toute etonnee, elle se dit : 
(i Qu'est-ce que cela signifie qu'il n'y ait 
personne dans cette hutte et qu'elle soit 
ainsi tout isolee? » Elle en fit encore une 
fois le tour, toujours sans voir personne, et 
se demandant a qui la hutte pouvait bien 
appartenir. Elle s'assit a terre devant la 
hutte, en se disant : a Tant pis ! je puis aussi 
bien rester ainsi dehors a Elle vit un petit 
feu qui venait de paraitre devant elle, et elle 
resta assise jusqu'au coucher du soleil en se 
chauffant au feu. Les mets reparurent de- 
vant elle comme d'habitude, et elle en man- 
gea comme toujours. 

Alors elle se sentit prise d'un fort sommeil 
et s'endormit la, devant la hutte. Pendant 



MODISA-OA-niPODI 



i 4 3 



son sommeil quelqu'un la prit, sans qu'elle 
s'en apercut, et la porta Jans la hutte, ou il 
la coucha sur de magnifiques fourrures. 
C'etait Ie maitre de la hutte qui la portait 
ainsi. Elle dormit toute la nuit. Quand il 
fit jour, elle s'etonna de se trouver la et se 
demanda : « Qui done a pu m'apporter ici? 
Que dira le maitre de ces fourrures, s'il 
m'en voit revetue? » Alors elle sortit de la 
hutte et alia chercher sa couverture d'her- 
hes tresse'es et sa robe d'herbes tresse'es, dont 
elle se revetit. Elle demeura la tout le jour 
en attendant le retour du maitre de la hutte 
et du possesseur de ces belles fourrures ; 
mais elle ne vit rien. Le matin et l'apres- 
midi, les mets reparurent devant elle com me 
d'habitude. Le soir, elle s'assit de nouveau 
devant la hutte comme le jour precedent; 
le feu reparut de nouveau, ainsi que les vi- 
vres accoutumes; elle en mangea et puis se 
sentit prise d'un fort sommeil et s'endormit 
la, devant la hutte. Alors quelqu'un la prit, 
sans qu'elle s'en apercut, ha porta dans la 
hutte et la coucha sur les belles fourrures. 
Mais cette fois le maitre de la hutte eut 
bien soin de bruler sa robe et sa couver- 



144 



CONTES DES BASSOUTOS 



!« 



ture d'herbes tressees. Elle dormit toute la 
nuit. 

Le lendemain, a son reveil, elle s'ecria : 
« Comment ! qui done a pu m'apporter ici? 
Que va dire le maitre de ces belles four- 
rures? » Alors elle se hata de sortir pour 
chercher sa robe et sa couverture d'herbes 
tressees; mais cette fois elle ne les trouva 
plus. Alors elle se dit : « Tant pis ! cela ne 
fait rien. » Puis elle rentra dans la hutte, 
prit une robe de peau et s'en revetit, et une 
couverture de fourrure dont elle se couvrit. 
Elle demeura ainsi dans cette hutte, jusqu'a 
ce qu'un jour elle s'apercut qu'elle etait 
enceinte, sans savoir comment cela s'etait 
fait. Elle se dit alors : a Comment est-il pos- 
sible que je sois enceinte, alors qu'aucun 
homme ne vit avec moi dans cette hutte? D'ou 
me vient ma grossesse? » Cependant cela 
ne l'effrayait pas ni ne l'inquietait plus ; elle 
ve'eut ainsi heureuse dans sa hutte jusqu'au 
jour de ses couches. Le jour ou elle devait 
accoucher, a son reveil, elle s'apercut qu'elle 
avait pendant son sommeil mis au monde 
un petit garcon, dont tout le cote droit, 
du haut jusqu'en bas, etait de fer brillant. 



M0DISA-0A-T1IP0DI 



I<P 



Elle vecut longtemps dans cette hutte, sans 
jamais voir son mari, seule avec son enfant; 
l'enfant, par contre, connaissait et voyait 
journellement son pere , sa grand'mere, 
toute sa parente, sans que Modisa-oa-di- 
podi les vit jamais '. 

Quand l'enfant eut un peu grandi, Modisa- 
oa-dipodi dit un jour : « Je suis bien seule; 
si seulement je pouvais retourner chez moi, 
pour demander a ma grand'mere de me 
donner une petite fille pour me tenir com- 
pagnie. » Le mari de Modisa-oa-dipodi 
entendit ce que disait sa femme; le jour sui- 
vant, a son reveil, elle s'apercut que tout 
etait prepare pour son voyage; rien ne 
manquait de ce qui lui serait necessaire en 
route : le petit pot de graisse de son en- 
fant, la natte qui devait la proteger des 
ravons du soleil *,le baton dont elle se ser- 



i. On trouve une situation identique Jans le 
conte de Boulane et Senkepeug qui, d'ailleurs, 
a beaucoup de ressemblances avec celui-ci. 

2. Quand elles voyagent avec leurs petits en- 
fants les femmes Bassoutos se servent volon- 
tiers d'une natte de joncs en guise de parasol. 



146 



CONTES DES BASSOUTOS 



virait pour marcher, tout s'y trouvait. Elle 
comprit, en voyant tout cela, qu'elle pou- 
vait aller; elle mangea, puis elle prit le pot 
de graisse de l'enfant, ainsi que la natte et 
son baton de voyage ; quant a la nourri- 
ture elle n'en prit pas avec elle. Mors elle se 
mit en route; mais cette fois le chemin fut 
beaucoup plus court que lorsqu'elle etait 
venue; elle ne mit qu'un jour pour arriver 
jusque chez ses parents. Quand ceux-ci 
l'apercurent ils se rejouirent de la revoir et 
se dirent : « Modisa-oa-dipodi doit Gtre 
devenue la femme d'un chef, puisque elle 
est si magnifiquement vetue. » Son pere, sa 
mere , ses freres vinrent la saluer avec 
empressement, mais elle se detourna d'eux 
et se rendit tout droit chez sa grand'mere. 

Sa' mere la supplia longtemps de venir 
chez elle; mais Modisa-oa-dipodi refusa 
meme de la saluer, se sou,venant de ce qui 
s'etait passe. Elle dit a sa grand'mere : 

Grand'mere, je suis venue te demander de 
me donner une fillette pour me tenir com- 
pagnie, car je vis toute seule. » Sa grand' 
mere lui repondit : « Tir n'as qu'a la prendre; 
elle ira avec toi. • Modisa-oa-dipodi resta 



MODISA-OA-DIPODI 



147 



quelques jours chez sa grand'mere, puis elle 
partit pour retourner chez son mari avec la 
fillette que lui avait donnee sa grand'mere. 
Elles marcherent, elles marcherent tout le 
jour; quand elles s'assirent pour se reposer 
des mets parurent devant elles. La petite 
fille s'ecria : « Ces mets d'oii sortent-ils 
done? » Modisa-sa-dipodi la gronda et lui 
dit : « Tais-toi, tu ne sais rien; mange seu- 
lement, cherie. » Elles en mangerent en- 
semble. 

Elles se remirent en route et marcherent 
encore longtemps, bien longtemps. Modisa. 
oa-dipodi dit : « Reposons-nous un peu ; 
nous ne tarderons pas a arriver chez nous. » 
Elles s'assirent a terre, et les mets parurent 
de nouveau devant elles. La petite fille de- 
manda de nouveau comme la premiere to is : 
« Modisa-oa-dipodi, d'ou viennent ces mets- 
laf qui te les envoie? a Modisa-oa-dipodi la 
gronda et lui dit : « Tais-toi et ne m'inter- 
roge plus a ce sujet. » Elles mangerent et. 
quand elles furent rassasiees, se remirent en 
route ; elles marcherent longtemps, long- 
temps encore, et fmirent par arriver en vue 
de la hutte solitaire. Modisa-oa-dipodi dit a 




148 



CONTES DES BASSOUTOS 



n 



la petite fille : « Vois-tu cette hutte la-bas, 
au milieu de la plaine? C'est la que nous 
allons ; c'est la chez moi. » Elles continuerent 
a marcher et arriverent bientot a la hutte. 
Elles trouverent que tout etait deja prepare 
pour les recevoir; elles entrerent dans la 
hutte et s'y assirent. Quant a l'enfant de 
Modisa-oa-dipodi il sortit pour aller saluer 
son pere et sa grand'mere. La petite fille 
demanda : « Modisa-oa-dipodi, ou done 
est alle ton enfant? » Modisa-oa-dipodi lui 
repondit : « II est alle vers son pere et sa 
grand'mere pour les saluer. » Puis elles se 
coucherent et s'endormirent. 

Le lendemain Modisa-oa-dipodi dit : 
« Puisque nous sommes maintenant deux, il 
ferait bon avoir un petit champ pour y cul- 
tiver du mai's. » Ayant ainsi parle elle sortit, 
et, regardant du cote de la montagne, elle vit 
qu'un petit champ y etait apparu, au bas de 
la pente. Elle dit a la petite fille : « Vois 
done, ma cherie ! il y a la-bas, un petit champ 
au bas de la montagne. Si nous y allions 
maintenant! Mais comment ferons-nous pour 
le cultiver, puisque nous n'avons point de 
houe et que nous n'avons non plus pas de 



MODISA-OA-DTPODI 



1 49 



semence? » A peine avait-elle parle qu'elle 
vit une houe dressee contre la hutte, et 
devant la houe un petit sac plein de semence 
de ma'is. Mors die dit a la petite fille : 
« Prends le petit sur ton dos, et allons becher 
notre champ. » La fillette prit l'enfant sur 
son dos, et dies partirent ensemble. Modisa- 
oa-dipodi piocha son champ et l'ensemenca; 
vers le soir die avait deja fini; alors die dit 
a la petite fille : « Retournons a la maisonl 
charge-toi de l'enfant et partons. » Quand 
elles arriverent dies trouverent que leur 
nourriture dait deja toute pre'pare'e, elles 
n'avaient qua se mettre a manger. 

Le lendemain Modisa-oa-dipodi dit a la 

.petite fille : o Qu'allons-nous faire aujour- 

d'hui, puisque hier nous avons deja fini notre 

champ? Si seulement nos pouvions en trou- 

ver un plus grand ! » Elle sortit et regarda 

du cote oil elles avaient travaille la veille 

et y apercut un champ passablement plus 

grand; elle appela la petite fille et lui dit : 

« II y a maintenant un assez grand champ 

a l'endroit ou nous avons beche hier. Mais 

si nous avons un houe , ou trouverons- 

nous la semence necessaire? » A peine avait- 



i5o 



CONTES DES BASSOUTOS 



\ 



elle parle qu'un sac pleinde semence apparut 
devant elle. Elle dit a la petite fille : « Prends 
l'enfaht sur ton dos, ma cherie, et allons a 
notre champ. » Elles y arriverent et Modisa- 
oa-dipodi dit a la petite : « Vas a la maison et 
dis a haute voix : II n'y a plus de semence. » 
La petite fille se mit a courir du cote de 
la hutte ; lorsqu'elle arriva a un endroit d'ou 
elle pouvait l'apercevoir, elle vit des grands 
troupeaux de boeufs et de moutons, une foule 
d'hommes et de femmes, tout un grand vil- 
lage. La petite fille fut si effrayee qu'elle en 
tomba par terre ; les gens des villages accou- 
rurent vite a son secours, en s'ecriant : 
« Helas! la soeur de notre mere est tombee 
par terre ! » lis la releverent et la condui- 
sirent au village. Elle entra chez Modisa-oa- 
dipodi ; elle vit que le lapa e'tait plein de 
monde et qu'on y cuisait des masses de 
viandc. Puis on lui dit d'entrer dans la hutte. 
Elle y trouva le mari de sa soeur; c'etait un bel 
homme, couvert de beaux vetements comme 
ceux d'un chef, et qui avait un cote de son 
corps tout en fer brillant «. Le chef lui dit : 



i. 11 est asscz difficile de savoir si le contcur 



MODISA-OA-DIPODI 



l5l 



« Retourne aux champs; prends-y mon entant 
et charge-toi aussi de la houe de ta soeur. a 
II lui donna des gens pour l'accompagner et 
lui de'fendit de rien dire a sa soeur de ce 
qu'elle avait vu; elle n'avait a dire que ceci : 
« II n'y a plus de semence; retournons a la 

maison. » 

Mors la petite fille partit en courant de 
toutes ses forces et fut bien vite arrivee vers 
sa sceur; elle lui dit : « On m'a dit qu'il n'y 
a plus de semence; donne-moi ton enfant et 
retournons a la maison. » Puis elle ajouta : 
« Donne-moi ta houe; c'est moi qui la porte- 
rai. » Sa sceur lui repondit : « Tu t'es deja 
chargee de l'enfant; laisse-moi porter la 
houe. » Mais la petite fille insista et prit 
aussi la houe; elles partirent ainsi pour re- 
tourner chez elles. Quand elles arriverent en 
vue du grand village, Modisa-oa-dipodi 



entend qu'un cote du corps du chef etait vrai- 
ment en fer, oir plutot qu'un cote de son corps 
avait la couleur ou l'apparence brillantc du fer. 
Le sessouto permct d'entendre l'un aussi bien 
que l'autre. La premiere explication me semble 
la meilleurc. 



CONTES DES BASSOUTOS 



[I 



s'ecria : « Qu'est-ce que cela? », et tomba a 
terre de saisissement. Les gens du village 
accoururent en criant : « Helas! notre mere 
est tombee; elle s'est fait du mal. » lis la 
releverent et la conduisirent chez elle ; quand 
elle entra dans son lapa, elle vit un homme 
fort beau qui y etait assis. Elle s'ecria : « Ah! 
quel bel homme », puis elle ordonna a sa 
soeur de deposer son enfant a terre; l'enfant 
se hata de courir vers son pere, auquel il 
ressemblait tout a fait. Le chef demanda a 
Modisa-oa-dipodi : « Modisa-oa-dipodi qui 
est ton mari? » Elle repondit : « Je ne le con- 
nais pas. » Le chef lui dit : « C'est moi qui 
suis ton mari. » lis vecurent alors ensemble 
dans la joie. 

Un jour le mari de Modisa-oa-dipodi lui 
dit : <( Consens-tu a ce que j'envoie la famine 
sur le village de tes parents ? it Elle repondit : 
9 Oui, certainement, j'y consens. » Son mari 
donna alors a tous ses gens l'ordre de ras- 
sembler de grandes quantites de sorgho; 
puis il fit regner une grande secheresse sur 
tout le pays '. II y eut une grande famine 



i. Comparez le pouvoir tout scmblablc qu'a 



MODISA-OA-DIPODI 



153 



dans le village des parents de Modisa-oa- 
dipodi; ceux-ci apprirent qu'il y avait beau- 
coup de grain dans le village de Modisa-oa- 
dipodi. Alors ses freres vinrent la visiter ; 
elle les recut fort hien et les nourrit fort 
bien aussi; a leur retour ils dirent : « II y a 
une grande quantite de grain chez Modisa- 
oa-dipodi; il taut que nous y allions tous 
acheter du sorgho. » 

Les gens du village preparerent leurs 
bceufs de somme et partirent ensemble; on 
les recut fort bien et on leur donna beaucoup 
a manger. Mais le mari de Modisa-oa-dipodi 
dit a ses serviteurs : « Vous remplirez tous 
leurs sacs de fiente se'chee ; mais vous rem- 



Boulane dans le comte de Boulane et Senke'peng. 
Le surnaturel de ce conte est a remarquer: si 
le mari de Modisa-oa-dipodi sort de dessous la 
terre, etque tout cequ'il lui donnevient du meme 
lieu. C'est que pour les Bassoutos la divinite n'ha- 
bite pas le ciel, mais demeure sous terre. Leurs 
dieux ne sont, en effet, que les manes de leurs 
ancetres. Dans le conte zoulou de Utombi- 
Yapansi (Callaway, pp. 307 sqq.), on remarquera 
un trait tout pareil, ainsi que dans d'autres de ce 
recueil. 



iH 



CONTES DES BASSOUTOS 



plirez de beau sorgho le sac de la grand' 
mere de Modisa-oa-dipodi, surtout n'y met- 
tez pas de fiente. » Les serviteurs firent 
ainsi ; ils remplirent tous les sacs de fiente 
sechee et, tout en haut des sacs, ils verserent 
un peu de sorgho. Puis Modisa-oa-dipodi 
donna aux gens de son village des provisions 
pour la route, du pain, des dipabi >, etc.; 
ils partirent tous joyeux. Arrives chez eux 
ils ouvrirent leurs sacs et virent qu'ils ne 
contenaient que de la fiente de vache ; 
comme ils n'avaient rien a manger, ils ne 
tarderent pas a mourir de faim. Seule la 
grand'mere de Modisa-oa-dipodi ne mourut 
pas. Quand tous les gens du village furent 
morts, Modisa-oa-dipodi la fit chercher et la 
recueillit chez elle. 



i . Les dipabi sont faits de mai's grille moulu, 
tres tin et assaisonne de sel. Les Bassoutos s'en 
nourrissent en voyage ou a la guerre. 



CEUF '. 




1l y avait une fois un chef dont les femmes 
ne mettaient au monde que des filles; un 
jour, une d'elles accoucha d'un oeuf, gros 
comme celui d'une autruche. Le pere prit 
l'ceuf et le serra. Un jour, longtemps apres, 
il alia a une fete de chant chez un autre 
chef. II y vit une fille de ce chef qui lui plut 
extremement; alors il dit au pere de la jeune 
fille : o Ta fille me plait beaucoup; il faut 
que je la prenne en mariage pour mon fils. a 

i. En sessouto Lehe. L'idec mere de ce conic, 
un ceuf devenant homme, se retrouvc dans le 
conte de Seetetetane.ic ne connais pasde variantc 
de ce conte, qui est au nombre de ceux que jc 
dois a M. ct a M°" Dieterlcn. 




i56 



CONTES DES BASSOUTOS 



II 



II alia chez lui chercher le betail avec lequel 
il devait epouser cette jeune fille; puis il 
l'emmena chez lui. 11 lui bath une hutte et 
l'y etablit en compagnie de ses filles a lui '. 
Des annecs s'ecoulerent sans que la jeune 
fille vit jamais son mari; elle continuait a 
vivre seule avec les filles de sa belle-mere. 
Une annee, comme on bechait les champs 
et comme on les ensemencait, la semence 
vint a manquer; le chef envoya une de ses 
filles en chercher chez lui. Comme elle entrait 
dans le lapa elle vit que l'oeuf etait sorti de la 
hutte et se roulait tout autour du lapa en 
disant : « Ha! ha! mon pere m'a donneune 

i. II pcut scmblcr ctrange que le pere prenne 
une femme pour son tils qui n'cxiste pas; chez 
les Bassoutos la chose n'a rien d'etonnant. Dans 
certains cas, quand un enfant est mort avant de 
s'etre marie, le pere n'en achete pas moins une 
jeune fille qui sera considered comme la femme 
de l'enfant mortjtous les enfants qu'ellc mettra 
au monde seront considered comme les enfants 
de son mari putatif. On appelle cela : « epouser 
un tombeau u. Les Bassoutos ont sur le mariagc 
des idees totalement differcntes de celles des 
pcuplcs europcens. 



CEUF l5 7 

femme. » Sa sceur le releva et le replaca 
dans sa cachette, au fond de la hutte; puis 
elle retourna aux champs avec la semence. 
Le lendemain, la semence vintde nouveau 
a manquer ; le pere envoya de nouveau sa 
fille pour en chercher chez lui. Elle trouva 
cette fois encore l'oeuf, qui etait sorti de la 
hutte et qui se roulait tout autour du lapa, 
en disant : « Ha! ha! mon pere m'a donne 
une femme. » Sa soeur le releva et le serra 
dans la hutte, puis elle retourna aux champs 
avec la semence. Le lendemain, la se- 
mence vint de nouveau a manquer pendant 
qu'on etait aux champs. Le pere dit encore 
a sa fille : « Va chercher de la semence ». 
Maissa belle-fille s'ecria : « Non, aujour- 
d'hui. e'est moi qui irai ! » Elle y alia, et quand 
elle entra dans le lapa, elle trouva l'oeuf qui 
s'y roulait comme toujours, en disant : « Ha! 
ha! mon pere m'a donne une femme! »» Elle 
fut fort etonnee et se dit: « Comment! cette 
chose ronde-la, ce serait mon mari!» Elle 
prit l'oeuf et, au lieu de le reporter dans la 
hutte de son beau-pere, elle le deposa dans 
sa hutte, a elle; puis elle retourna aux 
champs avec la semence. 



1 58 



CONTES DES BASSOUTOS 



[4 



Elle ne dit rien a personne de ce qu'elle 
avait fait; son pere et sa mere ne s'aper- 
curent pas que l'ceuf n'e'tait plus dans leur 
hutte. Le soir, elle dit : « Cette nuit, je veux 
dormir seule dans ma hutte; que personne 
n'y entre. » Sa belle-mere lui demanda : 
c Pourquoi veux-tu faire ainsi? » Elle repon- 
dit : « Je suis malade, ma tete me fait mal ; 
j'ai peur que mes compagnes ne fassent 
trop de bruit. » Elle se coucha ainsi seule 
dans sa hutte ; mais, au milieu de la nuit, elle 
se leva sans bruit et s'enfuit chez ses parents. 
Elle y arriva avant qu'il fit jour; alors elle 
dit a son pere : « Mon pere, tu m'as rejetee. » 
Son pere lui re'pondit : « Non, mon enfant, 
je ne t'ai pas rejetee; mais je t'ai donnee en 
mariage. » Elle repliqua : « Mon mari n'est 
pas un homme ; c'est un ceuf d'autruche qui 
est mon mari. » Puis elle ajouta : « Mon 
pere, il te faut maintenant rendre le betail 
avec lequel j'ai ete epousee, car je ne retour- 
nerai pas chez mon mari '. » Le pere dit : 



i. Quand un homme rend aux parents de sa 
femme le betail avec lequel il l'a epousee, cela 
correspond a un divorce. 



<ei:f 1 5 9 

« Tu dois y retourner. » Elle repondit : 
« Jamais! » Mors son pere lui dit : « Je te 
donnerai une medecine, avec laquelle tu 
metamorphoseras cet oeuf en homme. » 

Mors son pere lui donna une medecine- 
charme et lui dit : « Prends cette medecine, 
mon enfant, et retourne chez ton man. 
Quand tu seras arrivee chez toi, prends un 
vieux pot de terre, remplis-le d'eau, allume 
du feu et fais bouillir ton eau. » La jeune 
femme s'en retourna chez elle, avant que le 
jour eut paru. Elle fit tout ce que son pere 
lui avait ordonne ; puis elle prit l'oeuf et le 
deposa sur une natte de roseaux ; elle prit de 
l'eau bouillante qu elle versa sur cet oeuf, 
puis elle l'enduit de graisse et le recouvnt 
de chaudes couvertures. Mors elle s'etendit 
a terre et au bout d'un moment entendit une 
voix qui disait : « II me pousse une jambe..., 
il m'en pousse une autre; il me pousse un 
bras..., il m'en pousse un autre; void ma 
tete qui parait... ; void mon nez..., un ceil..., 
un autre ceil... ; voici une oreille... une autre 
oreille! » Puis enfin, la voix dit : « Mainte- 
nant, j'ai tous mes membres. • En meme 
temps elle entendit la coquille de l'ccuf se 








ibo 



CONTES DES BASSOUTOS 



casser et les fragments tomber aterre avec 
bruit. 

Alors la jeune femme se leva et enleva les 
couvertures; elle decouvrit que l'ceuf e'tait 
devenu un homtne fort beau, parfaitement 
conforme, sans rien qui lui manquat. Elle 
chauffa de l'eau, et y jeta la medecine que 
lui avait donnee son pere, puis elle en frotta 
son mari de la tete et auxpieds et l'enduisit 
de graisse. Ensuite, elle ramassa soigneuse- 
ment tous les fragments de la coquille de 
l'ceuf et les rassembla dans un petit vase en 
terre. Quand il fit jour, elle sortit de la hutte 
apres y avoir enferme son mari, et s'assit 
devant la porte. Sa belle-mere vint et lui 
demanda : « Comment va ta tete? » Elle 
repondit : « Elle me fait toujours tres mal. » 
Sa belle-mere lui demanda : « Ne veux-tu 
pas manger un peu de bouillie. » La jeune 
femme repondit : « Oui, apportez m'en. » Sa 
belle-mere lui en apporta, puis ajouta : 
« Maintenant, nous allons aux champs, reste 
tranquillement ici, ma fille. » 

Quand tout le monde fut aux champs, la 
jeune femme se leva et se rendit en hate 
chez ses parents. Elle dit a son pere : « J'ai 



(EUF 1<JI 

fait tout ce que tu m'avais ordonne avec la 
medecine que tu m'avais donnee, l'oeuf est 
maintenant devenu un homme. » Son pere 
lui dit : « Tu vois bien, ma fille, tu vois 
bien! Maintenant je veux te donner des 
vetements d'homme pour ton mari. » II lui 
donna un petit manteau de peau de boeuf et 
une tseha de peau; il lui donna aussi un 
bouclier avec son panache, une assagaie et 
un chapeau de joncs tresses i. La femme 
retourna vite chez elle avec ces objets-la, 
elle les donna a son mari, en lui disant : 
« CEuf, voila tes vetements. » CEuf prit la 
tseha et s'en ceignit, le manteau et s'en 
revetit, le chapeau et s'en couvrit. 

Le soir, quand on revint des champs, la 
jeune femme laissa son mari seul dans la 
hutte et en ferma la porte en disant : « CEuf, 



l . Nous avons ici une enumeration de tout le 
costume masculin qui est, on le voit, suffisam- 
ment primitif. La tseha est une sorte de ceinture 
ou etroit ca!e?on de peau, que portent les Bas- 
soutos. C'est lc costume indispensable des 
hommes. Par contrc, dans ccrtaines tribus cal'rcs, 
les hommes vont tout nus. 



l62 



CONTES DES BASSOUTOS 



reste ici; garde-toi bien de te montrer 
dehors », puis elle sortit et s'assit devant sa 
hutte. Sa belle-mere vint et lui demanda : 
« Comment vas-tu maintenant, mon enfant. » 
« Elle repondit : « Ma tete me fait toujours 
mal. » La belle-mere lui dit : « Faut-il encore 
t'apporter de la bouillie? » Elle repondit : 
■ Oui ! apportez m'en. » Elle prit la bouillie 
et ajouta : « Donnez-moi aussi de la fiente 
pour que je me fasse du feu. » Elle entra 
dans sa hutte, alluma son feu et mangea 
avec son mari la bouillie qu'on lui avait 
apportee- 

Le lendemain, au point du jour, elle 
reveilla son mari : « CEuf, hate-toi de te 
lever, sors de la hutte et va t'asseoir au 
khotla sur le siege de ton pere. » CEuf s'ha- 
billa, se coiffa de son chapeau, prit son 
bouclier orne de son panache et son assa- 
gaie, puis il sortit de la hutte et alia s'asseoir 
au khotla sur le siege de son pere; personne 
n'etait encore leve dans tout le village. 
Quand les bergers sortirent de leurs huttes 
pour traire leurs vaches, ils se demanderent 
les uns aux autres : « Qui est cet homme-la 
assis sur lc siege du chef? Nous ne savons 



(EOF 



1 63 



pas qui il peut etre ; peut-etre est-ce un 
etranger. C'est un etranger bien ose de 
s'asseoir ainsi sur le siege du chef. » 

CEuf appela Tun d'eux et lui dit : « Apporte- 
moi ton lait que je le voie. » Le garcon lui 
en apporta; CEuf lui dit: « C'est bien, porte- 
le dans le lapa. » Alors le garcon se rendit 
vers le chef et lui dit : « Maitre, il y a un 
etranger qui est assis au khotla sur ton 
siege, il nous a dit de lui apporter le lait 
pour qu'il le voie. » Le chef demanda : 
« D'ou vient-il? » Le garcon repondit : « Je 
ne sais pas, maitre. » Alors le chef sortit 
et se rendit vers l'etranger; il lui dit : 
« Salut ! » L'autre re'pondit : « Salut a toi 
aussi. — D'ou viens-tu? — Je suis ton hote; 
je viens te faire visite. » Puis CEuf ajouta : 
« Ne me connais-tu done pas? » Le chef 
repondit : « Je ne te connais pas, dis-moi 
ton nom . » Alors CEuf lui dit : « C'est 
moi qui suis CEuf, ton fils. » Alors le chef 
appela tous ses gens et, leur montrant cet 
homme, il leur dit : « Voila mon fils, qui 
est ne sous la forme d'un oeuf ; aujourd'hui, 
il est metamorphose en homme. » 

Le chef etait au comble de la joie; le vil- 




1 6 4 



CONTES DES BASSOUTOS 



11 



lage tout entier etait dans la joie; on abattit 
des boeufs, on fit une grande fete en l'hon- 
neur du fils du chef. Puis le chef demanda a 
la femme d'CEuf : « Comment t'y es-tu prise 
pour le metamorphoser? » Elle repondit : 
« Mon pere m'a donne une medecine-charme 
avec laquelle je l'ai fait sortir de son ceuf. » 
Le chef lui dit : « Je te recompenserai, mon 
enfant. » Alors il lui donna beaucoup de 
betail en signe de reconnaissance. Quant a 
CEuf ce fut lui qui devint le chef et il regna 
a la place de son pere '. 

Au bout de quelque temps, ffiuf prit une 
seconde femme et s'e'loigna de sa premiere 
femme; il n'entra plus jamais chez elle, ne 
fut-ce qu'une seule fois; il lui enleva meme 
ses vetements et la priva de tout secours. 
Enfin, un jour, la femme perdit courage 
et pleura longtemps, longtemps, puis elle 
alia vers son beau-pere et lui dit : « Mon 
pere, pourquoi (Euf m'a-t-il abandonnee de 



i. Jadis, chez lcs Bassoutos, quand le tils d'un 
chef avait atteint un certain age, c'est lui qui 
devenait le vrai chef de la tribu, avant la mort 
de son pere. 



i65 



lasorte?)) Son beau-pere lui repondit : «J'ai 
fait tout ce que j'ai pu, mais inutilement, 
(Euf dit que c'est Jui qui est maintenant le 
chef. » Quand le soleil fut couche, CEuf entra, 
pour y passer la nuit, dans la hutte de la 
' femme qu'il aimait. Mors sa premiere femme 
se souvint des fragments de coquille d'ceuf 
qu'elle avait conserves; elle alia les chercher 
et les prit dans sa couverture, puis elle s'ap- 
procha de la hutte oil (Euf etait entre. Elle 
s'accroupit a la porte et lui dit : « Salut, 
chef. » Us lui rendirent son salut ; elle ajouta : 
« Donnez-moi une prise de tahac. » (Euf lui 
repondit : « Je n'ai plus de tab'ac. » Elle 
ajouta : a Donnez-moi a boire, j'ai soif. - 
La seconde femme d'CEuf lui repondit : « Je 
n'ai plus d'eau. a Mais (Euf la gronda et lui 
dit : « Voyons, donne un peu d'eau a cette 
pauvre femme. » Mors la premiere femme 
d'CEuf repandit les coquilles d'ceuf pres de 
1'endroit ou son mari devait poser sa tete. 
Puis elle retourna dans sa hutte. 

L'autre femme entendit CF-ui lui dire : 
« Tiens-moi, je sens une de mes jambes qui 
se retire..., je sens l'autre qui se retire; 
tiens-moi, voici un de mes bras qui se re- 



1 66 



CONTES DES BASSOUTOS 



N 



tire..., voici l'autre qui se retire aussi; 
tiens-moi, je sens ma tete qui se retire, puis 
mon dos... » Au bout d'un instant il etait 
redevenu un oeuf d'autruche; la iemme, en le 
tatant avec ses mains, vit que ce n'etait plus 
qu'un oeuf. Alors elle sortit de la hutte et 
s'enfuit epouvantee. Le lendemain, les gens 
du village attendirent longtemps que leur 
chef CEuf sortit de sa hutte, mais ils ne le 
virent pas. Ils demanderent a son pere : 
« Ou done est CEuf? » II leur repondit : « Je 
ne sais pas; il dort encore peut-etre. » On 
avait fini de traire depuis longtemps qu'CEuf 
ne se montrait pas encore. Sa mere alia a sa 
hutte et cria : « CEuf! CEuf! » Pas de reponse. 
Alors elle entra et souleva les couvertures: 
elle vit que son fils etait redevenu ceuf 
comme auparavant. Elle appela son mari, 
qui lui aussi s'assura qu'il en etait bien ainsi. 
lis pleurerent amerement et ils disaient : 
« He'las! notre enfant, quand le reverrons- 
nous? Comment faut-il faire? » 

Alors le chef se rendit chez les parents de 
sa belle-fille, ou celle-ci s'etait refugiee. II la 
supplia longtemps d'avoir pitie de lui; mais 
elle refusait obstine'ment, en repetant : « Non, 



CEUF 



167 



je n'irai pas, ton fils m'a fait trop de mal. » 
Le pere d'CEuf essayait en vain de l'atten- 
drir; elle continuait toujours a refuser de 
rien faire. Enfin, son pere lui dit : « Allons, 
mon enfant, prends cette medecine et re- 
tourne vers ton mari. S'il recommence a te 
faire du mal, c'est alors que tu pourras le 
quitter pour tout de bon. » 

La jeune femme prit la medecine, retourna 
chez elle et fit comme la premiere fois; CEut 
sortit de nouveau de sa coquille et redevint 
un homme. Alors il dit a sa femme : 
« Aujourd'hui, je me repens de ce que 
je t'ai fait, ma femme ; je ne recommen- 
cerai plus a agir de la sorte. » II repoussa sa 
seconde femme et resta uniquement attachee 
a celle qui l'avait metamorphose ; il lui disait : 
« Quand je serai mort, seulement alors quel- 
qu'un d'autre pourra t'epouser; si c'est toi 
qui meurs la premiere, c'est alors seulement 
que j'epouserai une autre femme. » 



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POLO ET KHOAHLA- 
KHOUBEDOU ', 






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Ti. y avait une fois un chef qui avait deux 



1 



femmes; l'une d'elles tuait toujours les 



enfants de l'autre 2. Entin, celle-ci alia 

1. Polo est Ie nom d'un serpent d'eau, assez 
commun dans la Natalie et le Zoulouland. Khoa- 
hlaklwubedou signirie un dpi de mats rouge. Je 
possede deux versions presque identiques de ce 
conte; celle que je donne ici m'a etc fournie par 
M. Dietcrlen. 

2. Dans le conte zoulou de Umamba (Calla- 
way, p. 3ai-33i), on trouve egalement une 
femme qui met a mort tous les enfants dune 
autre femme de son mart; celle-ci a recours au 
meme stratageme que la mere de Polo et cache 
son enfant dans une peau de serpent. 



POLO ET KHOAHLAKHOUBEDOU 



I 60 



accoucher chez ses parents et donna le jour 
a une jeune fille qu'elle appela Polo, parce 
que, des sa naissance, on la revetit de la peau 
d'un serpent d'eau. Quand Polo fut devenue 
grande, on la revetit d'une autre peau un 
peu plus grande. Alors sa mere retourna 
chez son mari, laissant sa tille Polo aux 
soins de ses grands parents; c'est la que 
Polo grandit et devint une jeune fille; c'est 
la aussi qu'on la fit passer par les rites de la 
nubilite. L'autre femme du chef avait aussi 
une fille qu'on appela Khoahlakhoubedou. 
Un jour, Masilo arriva chez le pere de 
Khoahlakhoubedou et lui dit : « Je viens 
chercher des femmes, je veux me marier. » 
Le chef ordonna de rassembler toutes ses 
filles pour que Masilo put choisir celle qu'il 
pre'fe'rait. Le lendemain, Mapolo ' fit cher- 
cher sa fille; Polo vint, suivie de ses com- 
pagnes, qui ne formaient qu'une toute petite 
troupe. Quant il fallut aller chez Masilo, 
Khoahlakhoubedou et ses compagnes refu- 
serent de marcher avec Polo et ses compa- 
gnes, en disant : « Pour nous, nous ne mar- 



1. C'est-a-dire la mere de Polo. 



CONTES DES BASS0UT0S 



chons pas en compagnie d'un serpent. » Les 
deux troupes de jeunes filles raarchaient 
ainsi a distance l'une de l'autre. Masilo etait 
monte sur une colline pour les voir arriver. 
Quand les jeunes filles arriverent a une 
petite riviere elles s'ecrierent : « Descendons 
a la riviere, deshabillons-nous et nous bai- 
gnons. a Khoahlakhoubedou et ses com- 
pagnes se baignerent d'un cote; Polo et ses 
compagnes se baignerent d'un autre cote. 
Elles sortirent de l'eau et continuerent leur 
route, toujours observees par Masilo. Enfin 
elles arriverent aupres d'un ruisseau, qui 
coulait precisement au pied de la colline ou 
se tenait Masilo. 

Masilo se disait : « La-bas, au milieu de 
la plus petite des deux troupes, il y a une 
jeune fille qui parait toute noire; je voudrais 
bien savoir quel est l'etrange vetement dont 
elle est revetue. » Les jeunes filles se 
depouillerent de nouveau de leurs vetements 
pour se baigner. Quand Polo se fut depouillee 
de sa peau de serpent, Masilo s'ecria : 
« Quelle belle fille ! c'est elle qui sera ma 
lemme; je vois combien elle est belle, quand 
elle a depouille sa peau de serpent. » Quand 



POLO ET KHOAHLAKHOUBEDOU IJl 

il vit ses compagnes la recouvrir de sa vilaine 
peau, il s'ecria : « Helas ! combien ma femme 
devient laide, quand elles la recouvrent de 
cette vilaine peau ! » 

Les jeunes filles continucrent leur route et 
arriverent chez Masilo. On leur dit : c Bon- 
jour, les belles filles! » Les deux, troupes de 
jeunes filles s'assirent chacune a part; d'un 
cote la troupe de Khoahlakhoubedou, de 
l'autre celle de Polo. Masilo arriva et les 
salua toutes ; elles lui rendirent son salut. 
Puis il vint s'asseoir aupres des compagnes 
de Khoahlakhoubedou ', et dit a celle-ci : 
n Khoahlakhoubedou, donne-moi a priser. » 
La jeune fille prit sa tabatiere et vCrsa du 
tabac dans sa main ; Masilo en prit et prisa. 
Puis il alia vers la troupe des compagnes de 
Polo. Les compagnes de Khoahlakhoubedou 
dirent : « Ouais! il va vers la troupe du ser- 
pent! Rions! » Elles se mirent a rire. Masilo 
s'assit et dit : « Polo, donne-moi une prise, a 



i. Comme Khoahlakoubedou est la rillc dc la 
premiere femme, et par consequent la superieure 
de Polo, e'est vers elle que Masilo doit se rendre 
en premier lieu. 



CONTES DES BASSOUTOS 



H 



Elle lui donna du tabac, et il prisa. Les com- 
pagnes de Khoahlakhoubedou s'ecrierent : 
<c Ouais! il a pris du tabac dans la main du 
serpent. » Mais Masilo leur dit : « C'est une 
fille de chef, elle aussi, tout comme Khoah- 
lakoubedou. » 

Alors il se leva et alia chez sa mere; il lui 
dit : « Prends un grand pot de bouillie et 
porte-le a la troupe du serpent; prends-en 
un plus petit et porte-le a celle de Khoahla- 
khoubedou. » Sa mere fit ainsi. Masilo sor- 
tit, ayant attache a son habit une petite 
cuiller de fer. II s'assit aupres de Khoahla- 
khoubedou, prit avec ses mains un peu de 
bouillie et en mangea. Puis il se leva et alia 
vers la troupe de Polo. Khoahlakhoubedou 
et ses compagnes s'ecrierent : « Ouais! il 
mange avec un serpent! Rions! » Elles 
rirent. 

Ensuite Masilo retourna vers sa mere et 
lui dit : ■ Prends un pot de yoala et porte- 
le a Khoahlakhoubedou. » Quand ce fut fait 
il lui dit : « Prends-en un plus grand et 
porte-le a Polo. » Sa mere fit ainsi. Alors il 
alia vers ses serviteurs et leur dit : « Prenez 
un grand mouton bicn gras, tuez-le et portez- 



POLO ET KHOAHLAKHOUBEDOU 



i 7 3 



le a Polo. » lis firent ainsi. Les compagnes 
de Khoahlakhoubedou s'ecrierent : « Oho! 
on donne au serpent un beau mouton gras ! » 
Masilo leur re'pondit : « G'est une fille de 
chef; je lui donne a manger. » Puis il dit a 
ses serviteurs : « Prenez une brebis, tuez-la 
et portez-la a Khoahlakhoubedou. C'est 
Khoahlakhoubedou qui e'tait la fille de la" 
premiere femme, bien que Masilo ne lui 
donnat qu'une brebis maigre ; Polo n'etait 
que la servante de Khoahlakhoubedou, et 
cependant ce fut elle qui regut un beau 
mouton gras. 

Quand le soleil fut couche, Masilo dit : 
« Khoahlakhoubedou et ses compagnes pas- 
seront la nuit dans la hutte de ma mere; 
Polo et ses compagnes passeront la nuit 
dans la mienne. » II entra dans la hutte oil 
etait Khoahlakhoubedou et y resta un petit 
moment, puis il sortit et alia vers Polo et 
ses compagnes. II leur dit : « Depouillez done 
Polo de cette vilaine peau. » Elles re'pon- 
dirent : « Ce n'est pas une peau qu'elle a 
revetue ; c'est son corps, elle est ainsi. » 
II repeta : « Je vous en prie, depouillez- 
l'en. i) II continua a les supplier longtemps 



'71 



roNTF.S DES BASS0UT0S 



[i 



de faire ce qu'il demandait. Enfin elles lui 
dirent : « Essaie, si tu le veux, de Ten de- 
pouiller; mais c'est inutile, puisque c'est la 
la peau dans laquelle elle est venue au 
monde. » II continua de les supplier; enfin 
elles ce'derent a ses instances et enleverent 
la peau de serpent qui recouvrait Polo. Alors 
il s'ecria : « Quelle belle jeune fille ! c'est 
elle qui sera ma femme; c'est elle que 
j'epouserai. » Quand les compagnes de Polo 
voulurent la recouvrir de sa peau de ser- 
pent, Masilo prit celle-ci, la dechira et la jeta 
au feu. II resta la a causer avec elles, toute 
la nuit, jusqu'au matin. 

Alors il sortit et alia vers sa mere; il lui 
dit : « Mere, prends des nattes et etends-les 
sur le sol, de ta hutte jusqu'a la mienne. » 
Puis il fit abattre des bceufs et preparer une 
grande fete. Sa mere prit des nattes et les 
etendit sur tout l'espace qui se'parait sa hutte 
de celle de son fils. Khoahlakhoubedou etait 
bien triste de voir tout cela. Les gens se 
demandaient : « Qu'allons-nous done voir 
paraitre? » Masilo commanda alors a tous 
ses jeunes gens de prendre leurs boucliers 
et d'y fixer leurs panaches de plumes d'au- 



POLO ET KHOAHLAKHOUBEDOU 



i1 s 



truches '. Ensuite il les fit placer sur deux, 
rangs, en face l'un de l'autre, de telle sorte 
qu'en elevant leurs boucliers au-dessus de 
leurs tetes ils fissent comme une route cou- 
verte, qui allat de la hutte de Masilo a celle 
de sa mere. Quand tout fut pret, Masilo 
cria : « Polo, sors maintenant. » Polo sor- 
tit. Au moment ou elle mettait le pied hors 
de la hutte, le soleil s'obscurcit; on jeta a 
terre un large collier de cuivre, et le soleil se 
remit a briller. Polo s'avanca a l'ombre des 
boucliers, que les jeunes gens tenaient eleves 
au-dessus de sa tete pour que le soleil ne 
lui fit pas de mal ; elle arriva ainsi a la hutte 
de la mere de Masilo. t Tout le monde 
s'e'criait : « Venez done voir la femme de 
.Masilo! Quelle est belle! o Khoahlakhou- 
bedou pleurait de colere et ne cessait de 
sangloter. Masilo lui dit : « Ne pleure pas 
ainsi! toi aussi tu seras ma femme. » Jus- 
qu'alors personne- n'avait vu combien Polo 



i. Dans les grandes occasions les Bassoutos 
fixent a leurs boucliers de peau de boeuf un 
grand panache de plumes d'autruches, nomine 
moklielc. 



ijn 



CONTES DES BASSOL'TOS 



!4 



etait belle; Khoahlakhoubedou n'en avail 
jamais rien su. On fit une grande fete; on 
se rejouit, on mangea et on but jusqu'a la 
nuit. 

I.e lendemain, Masilo choisit le betail avec 
lequel il devait e'pouscr ses deux femmes, 
et le fit conduire chez Rakhoahlakhoube- 
dou '. Puis il se mit en route avec ses deux 
femmes. II dit a ses jeunes gens : « Que le 
soleil ne fasse pas de mal a Polo! faites-lui 
un abri de vos boucliers. » Les jeunes gens 
eleverent, comme la veille, leurs boucliers 
au-dessus de leurs tetes, et Polo marcha au 
milieu d'eux, protegee contre les rayons du 
soleil. Quand ils arriverent ainsi nombreux 
en vue du village de Rakhoahlakhoubedou, 
la mere de Polo s'ecria : « Helas! mon pau- 
vre serpent, on l'a sans doute tue; je ne le 
verrai plus, mon pauvre serpent, a Masilo et 
ses gens entrerent dans le village et se ren- 
dirent au khotla aupres de Rakhoahlakhou- 
bedou; Masilo lui presenta le betail qu'il 
avait apporte pour e'pouser Polo et Khoa- 
hlakoubedou. G'est alors seulement que les 



i. C'cst-a-dirc lc pcrc dc Khoahlakoubcdou. 



POLO ET KHOAHLAKHOUBEDOU 



'77 



gens du village apprirent que Mapolo avait 
un enfant; jusqu'alors ils n'en avaient rien 
su. On tua des boeufs et ce'lebra le manage, 
puis Masilo retourna chez lui avec ses deux 
femmes. Polo devint sa femme principale 
et Khoahlakhoubedou fut la servante de 
Polo '. 

i. Dans l'autre version l'humiliation de Kho- 
ahlakhoubedou est plus grande encore; elle 
donne le jour a une petite hlle laide et infirme, 
tandis que l'enfant de Polo est bien portant. 
Masilo rinit par ceder Khoahlakhoubedou a son 
frere cadet, Masilonyane. 



J&k. 



## 

"®^' 







BOULANE ET SENKEPENG '. 



M 



11. y avait une fois unc Kile dc chef nom- 
inee Senkepeng; sonpcre avait un serviteur 
nomme Mapapo. Boulane envoya une grande 
secheresse sur tout le pays 2; il n'y pleuvait 
plus jamais, toutes les sources tarirent; par- 
tout on ne trouvait plus une goutte d'eau. 
Les gens essayerent de tuerdes boeufs et de 
presser l'herbe contenue dans leur estomac 
pour en tirer un peu d'eau ; mais meme la 

1. Je posscdc de cc contc une autre version, 
dans laquelle la jcunefille porte le nom de Mot- 
sesa (celle dont on rit). La version que je donne 
ci-dessus m'a etc fournie par M. Dicterlen. 

2. Dans lc contc de Modisa-oa-dipodi le mari 
dc ccllc-ci posscdc lc mcmc pouvoir. 



EOULANE ET SENKEPENG 



179 



ils n'en purent trouver. Un jour Rasenke- 
peng > dit a Mapapo : « Va chercher de 
l'eau ; peut-etre en trouveras-tu quelque 
part. » On prepara une grande expedition ; 
on chargea sur les boeufs de somme de la 
farine, toutes sortes de vivres et une grande 
quantite de calebasses pour puiser de l'eau. 
Mapapo et ses compagnons voyagerent fort 
longtemps sans en rencontrer ; enfin Mapapo 
monta sur une haute montagne, et loin, 
bien loin, au fond d'une gorge, il vit briller 
de l'eau. Alors il redescenditde la montagne 
et marcha dans la direction de cette eau 
jusqu'a ce qu'il l'eut trouvee. 

II se pencha pour boire, mais le maitre des 
eaux le frappa sur la bouche et l'empecha 
d'en boire; il essaya d'en puiser dans ses 
mains, cette fois encore le maitre des eaux 
l'empecha d'en boire. Mapapo se relevatout 
etonne et dit au maitre des eaux 2 qui restait 
toujours invisible : a Seigneur, pourquoi 



1. C'est-a-dire le pere de Senkepeng. 

2. Dans l'autre version c'est un serpent jaune 
qui se tient dans la source et qui empeche Ma- 
papo de boire. 



CONTES DES BASSOt'TOS 



[I 



m'empeches-tu de boire?» Le maitre des 
eaux dit : i Je te permettrai d'en boire, 
Mapapo, si tu me promets de persuader 
Rasenkepeng de me dormer Senkepeng en 
manage. S'il refuse de me l'accorder, toute 
sa tribu mourra de soif avec tout le be'tail. » 
Mapapo lui repondit : a .le le lui dirai; mais 
permets-moi maintcnant de puiser de cette 
eau. » Le maitre des eaux le lui permit. 
Alors Mapapo se mit a en boire; il but, il 
but jusqu'a ce que sa soif fut assouvie. II 
remplit ensuite d'eau toutes les calebasses 
qu'il avail apportees, puis il vida le tabac 
qu'il avail dans sa tabatiere et y versa de 
l'eau. Puis il chargea les calebasses sur son 
dos et marcha toute la nuit pour retourner 
cbez son maitre. 

II y arriva avant le jour. Des qu'il fut 
arrive il se presenta chez Rasenkepeng et 
lui dit : « Voici de l'eau, chef. » II ajouta : 
■ Le maitre des eaux te fait dire qu'il veut 
e'pouser Senkepeng. Si tu refuses de la lui 
accorder, ton peuple tout entier perira avec 
tout ton betail; il ne restera pas une ame 
vivante. » Alors on fit appeler Senkepeng; 
son pere lui dit : « C'est a cause de toi que 



B0ULANE ET SENKEPENG 



181 



nous manquons d'eau ; c'est a cause de toi 
que tout mon peupte perk. Mapapo me dit 
que le maitre des eaux veut t'epouser ; si on 
refuse de t'envoyer chez lui, mon peuple 
tout entier perira par ta faute. » Senkepeng 
repondit : « Non, le peuple ne perira pas par 
ma faute; vous pouvez me conduire vers le 
maitre des eaux. » 

Le lendemain, des qu'il commenca a faire 
jour, Rasenkepeng fit appeler son peuple 
tout entier et lui racontatout ce que Mapapo 
lui avait rapporte. Le peuple consentit a 
tout; puis on rassembla des bceufs de 
somme, on moulut des masses de farine, on 
tua du betail en quantite ; on chargea la 
viande et la farine sur des bceufs de somme 
et l'on choisit des jeunes gens et des jeunes 
lilies pour accompagner Senkepeng. Tout 
ce monde se mit en route conduit par 
Mapapo; c'etait lui qu'on avait charge de 
mener Senkepeng a son mari. Quand ils 
furent arrives a l'endroit fixe, ils dechar- 
gerent leurs bceufs et deposerent a terre les 
vivres qu'ils avaient apportes ; il n'y avait 
rien en cet endroit, pas meme une seule 
petite hutte. Les compagnons de Senkepeng 

1 1 



CONTKS DES BASSOUTOS 



[t 



resterent longtemps avec elle sans voir per- 
sonne. Vers le soir ils lui dirent enfin : « II 
nous faut maintenant partir et retourner 
chez nous. » Senkepeng leur repondit : 
« C'est bien, vous pouvez aller. » 

Ils partirent; elle resta seule. Alors elle 
demanda a haute voix : « Ou coucherai-je? » 
Une voix repondit : « Ici meme. » Senkepeng 
demanda : o Ici meme ? Ou ? » La voix 
reprit : « Ici meme. » Senkepeng se tut; elle 
resta longtemps silencieuse, puis elle de- 
manda de nouveau : « Oil coucherai-je ? 
— Ici meme. — Ici meme ? ou ? — Ici 
meme. » Elle refut toujours la meme 
reponse, jusqu'au moment ou le sommeil la 
saisit, et ou elle s'endormit. Elle dormit 
profondement. Elle se reveilla et vit qu'il 
allait pleuvoir. Elle demanda : « II pleut; 
oil coucherai-je? » La voix repondit : « Ici 
meme. — Ici meme? Ou? — Ici meme. » 
Elle s'endormit de nouveau et dormit jus- 
qu'au matin. A son reveil elle vit qu'elle 
etait couchee dans une hutte ; elle avait 
des couvertures, de la nourriture, il ne 
lui manquait rien. Mais le maitre de la hutte 
restait invisible, Boulane-a-boula-ntlo-e- 



B0ULANE ET SENKEPENG 



183 



dithole > ; elle ne voyait personne, la seule 
chose qu'elle pouvait voir c'etait la hutte oil 
elle etait et les effets qui s'y trouvaient. 

Elle vecut longtemps dans cette hutte, 
sans voir personne, y demeurant tout a tait 
seule. Enfin elle devint enceinte, sans avoir 
cependant jamais vu un homme aupres 
d'elle =. Le mois qu'elle devait accoucher, sa 
belle-mere Maboulane vint vers elle pour 
l'assister. Alors Senkepeng mit au monde 
un petit garcon. Lorsque l'enfant eut un peu 
grandi, Maboulane retourna chez elle, lais- 
sant sa belle-fille seule comme auparavant. 
Un jour Senkepeng cjit : « Peut-etre puis-je 
aller chez moi faire visite a mes parents ; j'ai 
un vif desir de les revoir. » La voix repon- 
dit : « Tu peuxy aller. » Le lendemain elle 
partit et alia chez ses parents. Des qu'elle 
arriva, on cria de tous cotes : « Voici Sen- 
kepeng; c'est bien elle qui arrive, et meme 



i. Ce sont les premiers mots des thoses ou 
chant de louanges de Boulane ; litteralement : 
>. Boulanequi ouvre une hutte pleine de poussiere.n 

2. Cf. le conte de Modisa-oa-dipodi oil nous 
trouvons une situation toute semblable. 



i8 4 



CONTES DES BASSOfTOS 



II 



elle a maintenaut un petit garcon. » Elle 
resta quelques jours a la maison ; quand 
elle partit, sa petite soeur, Senkepenyana, 
lui dit : • Je veux aller avec toi. » Senke- 
peng lui repondit : « C'est bien ; partons 
ensemble ; en effet, je suis bien seule. ■ Elles 
arriverent a la hutte de Senkepeng et y pas- 
serent la nuit. I.e lendemain la soeur ainee 
dit a la cadette de garder son enfant pen- 
dant qu'elle irait aux champs. 

L'enfant pleura ; Senkepenyana le battit 
et lui dit : ■ Enfant dont personne n'a vu le 
pere ! personne ne peut meme dire oii il 
est. » Le pere de l'enfant entendit tout ce 
que disait Senkepenyana. Un jour encore 
Senkepeng dit a sa soeur : • Reste avec l'en- 
fant, pendant que je vais a la fontainc. » 
I .'enfant pleura; Senkepenyana le battit et 
lui dit : ■ Enfant dont personne n'a vu le 
pere ! personne ne peut meme dire ou il 
est. ■ Elle gronda l'enfant & plusieurs reprises 
de la meme maniere. (^uand elle voulut 
entrer dans la hutte et en ouvrit la porte, 
elle vit un homme qui se tenait assis tout au 
fond de la hutte. Get homme lui dit : 
i Apporte-moi mon enfant ; pourquoi le 



BOULANE F.T SENKEPENG 



185 



grondes-tu toujours, disant que personne 
ne sait qui est son pere? C'est moi qui suis 
son pere. » Senkepe'nyana vit que Boulane' 
e'tait vetu d'une couverture de fer qui bril- 
lait tant qu'elle l'aveuglait ' ; elle voulut sor- 
tir et se heurta contre la paroi de la hutte, 
puis quand ellefut un peu remise, elle sortit 
et s'enfuit au plus vite. 

Senkepeng arriva, deposa son pot d'eau, 
prit un balai et se mit a balayer le lapa. 
Boulane l'appela : « Senkepeng, Senke- 
peng. » Quand elle entra dans la hutte, elle 
fut effrayee et s'e'cria : « D'ou vient cet 
homme tout brillant, vetu d'une couverture 
de fer, qui tient mon enfant dans ses bras ? » 
Elle s'assit a terre. Boulane lui demanda : 
n Senkepeng, qui est ton mari? » Elle repon- 
dit : « Seigneur, je ne le connais pas. » Bou- 
lane lui demanda une seconde fois : 
« Senkepeng, qui est ton mari? » Elle repon- 



i. Dans le conte de Modisa-oa-dipodi nous 
voyons un homme dont tout un cote du corps 
est en fer brillant, tandis qu'ici Boulane est 
simplement represente revetu d'une couverture 
de fer. 



iSli 



CONTES IH'.s BASSOU1 OS 



H 



dit : i Seigneur, je ne le connais pas. » Alors 
il lui dit : • C'est moi qui suis ton mari; 
c'est moi qui suis Boulane-oa-sehana-basadi- 
a-boula-ntl<>-c -dithoie* ' ; c'est moi qui suis 
ton mari. Ta soeur, que tu as amenee ici, 
grondait toujours mon enfant et lui disait 
que personne n'avait jamais vu son pere; 
c'est moi qui suis son pere. » Ce jour-la 
pour la premiere fois Senkepeng vit son 
mari; Boulane prit une couverture dc fer et 
en revetit son enfant. A partir de cc jour, 
Boulane resta aupres de sa femme et ne dis- 
parut plus. Le meme jour apparut en cet 
endroit un grand village avec une grande 
quantite de becufs, de vaches, de moutons, 
de grandes corbeilles pleines de sorgho ; 
tout cela sortit dc dessous laterre. Maintc- 
nant Senkepeng comprit qu'elle etait reel- 
lcment la femme d'un grand chef, et elle 
rcgna sur un peuple nombreux. 

i. Littcralcnient : « Boulane eclui qui refuse 
de sc maricr, qui ouvre une hutte pleine de 
poussierc. » 






KOUMONGOE '. 



Il y avait un jeune garcon nomme' Hlaba- 
koane; sa sceur se nommait Thakane. Pen- 
dant que le pere et la mere etaient aux 
champs, Thakane restait seule a la maison; 
quant a Hlabakoane c'etait lui qui gardait 
les bestiaux. Un jour, il dit a sa soeur : « Tha- 
kane, donne-moi Koumongoe. » Koumongoe 
etait le nom d'un arbre dont mangeaient son 
pere et sa mere ; quand on faisait une entaille 



i. Ce conte est compose de deux parties assez 
dissemblables; la seconde partie forme souvent 
un conte a part, celui dc Dilaliloane. Je dois cette 
version tres curieuse a une vicille femme nomme 
Mamangana. 



1 88 



CONTF.S I)F.S BASSOITOS 



avec la hache il en sortait du lait '. Les en- 
fants n'avaient pas le droit d'v toucher. 

Thakane repondit a son frere : « Ne sais- 
tu pas que c'est un arbre dont il ne nous est 
pas permis dc manger? Notre pere et notre 
mere seuls peuvent en manger. — S'il en 
est ainsi je ne menerai pas le betail au patu- 
rage aujourd'hui; il restera dans le kraal ' 
toute la journee. ■ Thakane ne repondit rien, 
ct son frere resta assis dans le lapa. Au 
bout d'un moment elle lui dit : « Quand 
mencras-tu paitre le betail? » II repondit : 
■ 11 ne paitra pas detout le jour. » 

Alors Thakane prit un petit vase de terre 
et unc hache et en frappa Koumongoe. II en 
sortit un peu de lait; elle voulut le donner a 
son frere, mais celui-ci le refusa disant qu'il 
n'y en avait pas assez pour satisfaire sa 
faim. Thakane recommenca de frapper avec 
la hache ; cette fois il sortit du lait en abon- 



i. A rapprocher de I'arbre qui donne du lait, 
du pot magique dans lcqucl on bat le beurre, du 
conte dc Mosimodi et Mosimotsane. 

2. Kraal, l'cnclos oil Ton parque le betail pen- 
dant la nuit. 



KOL'MONGOE 



l8g 



dance, c'etait comme un ruisseau qui coulait 
dans la hutte. Alors elle appela a grands cris 
Hlabakoane, en lui disant : « Viens vite a 
mon secours; l'arbre de nos parents se fond 
completement, la hutte en est deja toute 
pleine. » lis essayerent en vain d'arreter le 
lait, qui coulait toujours plus abondamment 
et sortait de la hutte comme un ruisseau, 
d'oii il s'ecoulait dans la direction des champs 
de leurs parents '. 

Rahlabakoane 2 l'apercut de loin, il dit a 
sa femme : « Mahlabakoane, voila Koumon- 
goe qui s'ecoule de ce cote; les enfants ont 
sans doute fait quelque sottise. » Alors ils 
jeterent leurs houes et s'elancerent a la ren- 
contre de Koumongoe; le mari puisa le lait 
avec ses mains et se mit a le boire, la femme 
en puisa aussi et se mit e'galement a en boire. 
Alors Koumongoe se replia sur lui-meme 
jusqu'a ce qu'il fut rentre dans la hutte. 



1 . Les villages des Bassoutos sont gcneralcment 
situes sur la hauteur; les champs se trouvent 
plus bas, dans la plaine ou le long des rivieres. 

2. Rahlabakoane, c'est-a-dire le pere de Hlaba- 
koane; Mahlabakoane. la mere de Hlabakoane. 



19" 



CONTF.S DES BASSOUTOS 



U 



Quand ils furent arrives, les parents 
demanderent a leur fille : « Thakane, qu'as- 
tu fait? Pourquoi l'arbre dont nous seuls 
avons le droit de manger s'ecoulait-il ainsi 
du cote dcs champs? » Elle repondit : « Ce 
n'est pas ma faute, c'est celle de Hlabakoane; 
il refusait de faire sortir le betail du kraal et 
de le mener au paturagc, disant qu'il voulait 
absolument du lait de Koumongoe; alors je 
lui en ai donne. i Alors son pere ordonna 
qu'on fit revenir les moutons; il en choisit 
deux, les egorgea et les fit cuire; la femme 
sc mit a moudre du sorgho et en petrit la 
farine. Puis le mari prit les deux peaux de 
mouton et les enduisit de graisse et d'ocre 
rouge; ensuite il fit venir un forgeron pour 
forger des amieaux de fer. Le forgeron ferra 
ces anneaux aux bras de Thakane, a ses 
jambes et a son cou. Alors le pere prit les 
peaux qu'il avait pre'parees et Ten revetit;il 
la revetit aussi d'une robe de peaux a 
franges. 

(^uand tout fut pret, il appela ses gens et 
leur dit : « Je veux me de'faire de Thakane. 
— Comment peux-tu parler ainsi et faire une 
chose pareille, quand c'est la ta fille. 



KOtfSlONGOE 



iqi 



unique ? » II leur repondit : a C'est parce 
qu'elle a mange de l'arbre dont elle ne 
devait pas manger. » Alors il partit avec 
elle pour la conduire vers des cannibales 
afin qu'ils la de'vorassent. Quand il passa 
pres des champs cultives, il en sortit un 
lapin qui lui demanda : « Rahlabakoane, ou 
done menes-tu cette enfant si belle, si 
belle? )) II lui repondit : a Tu peux l'inter- 
roger elle-meme ; elle est assez grande pour 
te repondre. » Alors Thakane se mit a 
chanter : 

J'ai donne a Hlabakoane Koumongoe, 

Au berger de notre betail Koumongoe, 

Pour que notre betail ne restat pas tout le jour 
[dans le kraal, Koumongoe, 

Qu'il ne pourrit pas dans le kraal, Koumongoe, 

C'est alors que je lui ai donne Koumongoe de 

[mon perc. 



Alors le lapin s'ecria : « Que ce soit toi 
qui sois devore par les cannibales, Rahlaba- 
koane, et non pas cette enfant ! » 

Un pen plus loin, ils rencontrerent des 
elans, qui demanderent a Rahlabakoane : 
a Oil done menes-tu cette enfant si belle, si 



IQ2 



CONTES l>ES BASSOUTOS 



H 



belle?» II leur repondit : « Demandez-le lui, 
elle est asscz grande pour vous repondre. » 
Alors la jeune fille se mit a chanter : 

J'ai donne a Hlabakoanc Koumongoe, 

Au bcrger dc notre betail Koumongoe, 

Pour que \o betail nc rcstat pas tout le jour dans 
[le kraal, Koumongoe, 

Qu'il nc pourrit pas dans le kraal, Koumongoe, 

Ccst alors que jc lui ai donne Koumongoe dc 

[mon perc. 

Alors les elans s'ecrierent : « Que ce soit 
toi qui perisses, et non pas elle, Rahlaba- 
koane ! » 

Le lendemain, Rahlabakoane et sa fille 
rencontrerent des gazelles; elles lui deman- 
derent : Ou done menes-tu cette enfant si 
belle, si belle? » 11 leur repondit : « Deman- 
dez-le lui, elle est assez grande pour vous 
repondre. » Alors sa fille se mit a chanter : 

J'ai donne a Hlabakoanc Koumongoe, 

Au berger dc notrc betail Koumongoe, 

Pour que le betail nc rcstat pas tout le jour dans 
[le kraal, Koumongoe, 

Qu'il nc pourrit pas dans le kraal, Koumongoe, 

C'est alors que jc lui ai donne Koumongoe de 

[mon perc, 



KOUMONGOE 



ICp 






Alors les gazelles s'e'crierent : a Que ee 
soit toi, et non pas elle, qui sois de'vore par 
les cannibales, Rahlabakoane ! » 

Enfin, ils arriverent au village des canni- 
bales; le khotla de Masilo, le fils du chef, 
etait plein de monde. C etait son pere seul qui 
etait cannibale; quant a Masilo il ne raan- 
geait pas de chair humaine. On fit entrer 
Rahlabakoane et sa fille dans le khotla; on 
apporta pour Thakane une peau de boeuf 
tanne'e sur laquelle elle s'assit; le pere, lui, 
dut s'asseoir parterre. Alors Masilo demanda 
a Rahlabakoane : « Ou done menes-tu cette 
enfant si belle, si belle? » Rahlabakoane lui 
repondit : « Tu peux le lui demander, elle 
est assez grande pour te repondre. » Alors 
sa fille se mit a chanter : 

J'ai donne a Hlabakoane Koumongoe, 

Auberger de notre betail Koumongoe, 

Pour que notrc betail ne restat pas tout le jour 
[dans le kraal, Koumongoe, 

Qu'il ne pourrit pas dans le kraal, Koumongoe ^ 

C'est alors que je lui ai donne Koumongoe de 

[mon pere. 

C'est ainsi qu'elle avoua publiquement 
sa faute. 



94 



CONTES DBS BASSOUTOS 



n 



Mors Masilo, le fils du chef de ces canni- 
bales,appela un de ses serviteurs et lui dit : 
« Conduis cet homme et cette jeune fille 
chez ma mere; dis-Iui de garder la jeune 
fille dans son Lipa et d'envoyer cet homme 
saluer mon pere. d La mere de Masilo 
ordonna au serviteur de conduire Rahlaba- 
koane vers son mari ; le serviteur y alia et 
dit au chef des cannibales : a Masilo m"a 
dit de t'amener cet homme-ci, pour qu'il te 
presente ses salutations. » Le chef des canni- 
bales se saisit de Rahlabakoane, et, ayant 
place sur le feu un vieux pot de terre, il l'y 
prccipita tout vivant; quand Rahlabakoane 
fut cuit a point, le cannibale se reput de sa 
chair. Quand tout fut fini le serviteur de 
Masilo s'en alia et retourna vers son maitre. 

Quant a la jeune fille Masilo la prit pour 
femme; jusqu'alors il n'avait jamais voulu 
se marier et avait refuse toutes les jeunes 
filles qu'on lui proposait. Thakane etait la 
seule jeune fille qui lui cut jamais plu. Au 
bout de quelque temps Thakane devint 
enceinte et donna le jour a une petite fille. 
Sa belle-mere s'ecria : « He'las! ma fille, 
e'est en vain que tu as subi les douleurs de 



KOUMONGOE 



iq5 



l'enfantement. » En effet, dans ce village, lors- 
qu'il naissait une petite fille, on la menait au 
cannibale, qui la devorait. On alia dire a 
Masilo : « Ta femme a mis au monde une 
petite fille. » II repondit : « C'est bien , 
menez-la a mon pere pour qu'il en prenne 
soin. » Mais Thakane s'ecria : « Non, non ; 
chez nous on ne mange pas les enfants ; 
quands ils meurent on les enterre ; je ne 
veux pas qu'on me prenne mon enfant. » Sa 
belle-mere lui repondit : « Ici, il ne faut pas 
avoir des filles; on ne doit mettre au monde 
que des garcons. » Masilo alia vers sa femme 
et lui dit : « Allons, Thakane, permets que 
mon pere prenne soin de ton enfani. » Mais 
sa femme refusa de se laisser persuader ; elle 
repondit : « Je puis l'enterrer moi-meme, je 
ne veux pas que ton cannibale de pere, qui a 
devore mon pere, mange aussi mon enfant. » 
Alors elle prit son enfant dans ses bras 
et descendit vers la riviere ; elle arriva 
a un endroit ou la riviere formait un etang 
profond tout entoure de hauts roseaux. 
Elle s'assit a terre et resta longtemps a 
pleurer, ne pouvant se decider a enter- 
rer son enfant. Tout a coup une vieille 



too 



CONTES DF.S BASSOITOS 



femme ' sortit de l'eau et apparut au milieu 
des roseaux; la vieille femme lui demanda : 
■ Pourquoi pleures-tu, mon enfant ? » Tha- 
kane re'pondit : <« Je pleure sur mon enfant 
que je dois noyer dans la riviere. » Alors 
la vieille lui dit : • C'est vrai ; dans ton 
village il ne doit pas naitre de filles, on 
ne doit mettre au monde que des garcons; 
donne-moi ton enfant, c'est moi qui en 
prendrai soin. Dis-moi seulement l'epoque 
oil tu desires venir la voir ici, dans cet 
etang. » 

Thakane lui confia son enfant et retourna 
chez elle. Au jour fixe, elle retourna a l'e'tang 
pour la revoir: Quand elle fut arrivee au 
bord de l'eau, elle se mit a chanter : 

Apporte-moi Dilahloane ' que je la voic, 
Dilahloane qu'a rcjctcc son pere Masilo. 

Alors la vieille parut avecl'enfant qui etait 
deja bien grandie. La mere en fut toute 



i. D'apres une variante, c'est un crocodile, 
commc dans le conte de Mosimodi et .\fosimotsane. 
3. Dilahloane signitie ■ la rejetec », 



KOUMONGOE 



IQ7 



re'jouie, et elle resta longtemps assise au 
bord de l'eau avec son enfant. Vers le soir, 
lavieillela reprit et disparut avec elle au 
fond des eaux. Thakane revenait ainsi voir 
son enfant a epoques fixes ; chaque fois 
qu'elle venait la vieille lui apportait Dilah- 
loane. L'enfant grandit si vite qu'en une 
seule annee ce fut une jeune fille ; la vieille 
femme la fit passer au fond des eaux par les 
rites de la nubilite. 

Quand sa mere vint la visiter, elle vit 
qu'elle e'tait maintenant nubile. Ce jour-la, 
unhomme du village de Masilo etait venu 
couper des branches au bord de la riviere; 
il apercut la jeune fille et s'etonna en voyant 
combien elle ressemblait a Masilo. Mors il 
retourna au village, 'prit a part Masilo et 
lui dit : « Je viens de de'couvrir au bord de 
la riviere ta femme en compagnie de ta fille, 
celle qu'elle avait declare vouloir enterrer. » 
Masilo lui demanda : « Elle n'est done pas 
morte au fond des eaux. » L'homme repon- 
dit : « Non, et meme e'est deja une jeune 
fille qui vient de passer par les rites de la 
nubilite. » Alors Masilo demanda : « Que 
faut-il faire? » L'homme repondit : « Le 



iq8 



CONTES DES BASSOUTOS 



jour oil ta femme te dira qu'elle va se 
haigner a la riviere, vas-y en secret avant 
elle et cache-toi dans les buissons; quand 
ta femme arrivera elle ne saura pas que tu 
es la. u 

Au boutde quelques jours Thakane dit a 
Masilo : a Aujourd'hui, je vais me baigner a 
la riviere. » Son mari lui dit : « C'est bien, 
tu peux y aller. » Alors il courut a la riviere 
et se cacha dans les buissons. Thakane 
arriva un instant apres et, debout sur la rive, 
se mit a chanter: 

Apporte-moi Dilahloane" que je la voie, 
Dilahloane' qu'a rejetee son pere Masilo. 



Alors la vieille femme sortit de l'eau avec 
Dilahloane; lorsque Masilo la regarda, il 
vit que c'etait bien son enfant, celle que sa 
femme avait declare vouloir enterrer. II se 
prit a pleurer en voyant que sa fille e'tait 
deja grande. La vieille femme dit a Tha- 
kane : ■ J'ai peur, comme s'il y avait quel- 
qu'un qui nous e'pie. » Alors elle reprit 
Dilahloane et rentra avec elle sous les eaux. 
Thakane retourna au village ; Masilo, lui 



KOUMONGOE 



100 



aussi, s'y rendit par un autre cliemin. Quand 
il fut arrive il s'assit dans le lapa de sa mere 
et y resta longtemps a pleurer. Mamasilo 
lui demanda : « Pourquoi pleures-tu mon 
enfant? » II lui repondit : « C'est parce que 
j'ai mal a la tete, tres mal. » Le soir, il dit a 
sa femme : « Je viens de voir mon enfant, a 
l'endroit ou tu disais que tu l'enterrerais; 
tu l'as jete'e dans l'etang, et maintenant c'est 
de'ja une jeune fille. » La femme lui repon- 
dit. « Je ne sais ce dont tu paries; mon 
enfant est enterre'e dans le sable. » II sup- 
plia longuement sa femme pour qu'elle 
consentit a tout lui confier et a lui rendre 
son enfant. Elle lui dit : a Si je te la rends, 
je suis sure que tu la meneras a ton pere, 
pour qu'il la devore. » Mais il repondit : 
« Je te promets que je n'en ferai rien, main- 
tenant qu'elle est de'ja grande. » 

Le lendemain, Thakane se rendit aupres 
de la vieille femme et lui dit : « Masilo nous 
a vues hier; il m'envoie aujourd'hui te sup- 
plier dc lui rendre son enfant. » La vieille 
lui repondit : « Qu'il me donne alors mille 
tetes de be tail. » Thakane retourna vers son 
mari et lui dit : « La vieille demande mille 



200 CONTES DES BASSOUTOS 

tetes de betail. » Masilo repondit : o Si elle 
ne demande qu'un seul millier, c'est bien 
peu ; elle en demanderait deux que je les lui 
donnerais, puisque sans elle mon enfant 
serait morte. a Le lendemain il envoya des 
messagers dans tous les villages, ordonnant 
a son peuple de lui amener tout le betail 
qu'il possedait. Quand tout le betail fut 
la, il choisit un millier de boeufs et de 
vaches, qu'il fit conduire aupres de l'etang 
de la riviere. Quand le betail fut arrive sur 
la rive, Thakane se mit a chanter : 

Apporte-moi Dilahloane que je la voie, 
Dilahloane qu'a rejetee son pere Masilo. 



Alors la vieille femme sortit des eaux avec 
Dilahloane; au moment oil elles parurent le 
soleil s'obscurcit et cessa de briller; mais 
des qu'elles furent debout sur la rive, il 
recommenca a briller. Masilo vit son enfant, 
le peuple entier vit l'enfant de leur chef, 
celle que son grand-pere avait voulu devorer 
et que Thakane avait sauvee de la mort. 
Alors on precipita dans les eaux le betail 
de la vieille ; mais, en realite, ce n'etait 



KOUMONGOE 20 1 

de l'eau qu'en haut, au dessous c'etait un 
vaste pays ou vivait un peuple nombreux, 
gouverne par la vieille femme qui avait 
sauve Dilahloane '. 

Quand on fut de retour au village, la mere 
de Masilo dit a son fils : « II faut mainte- 
nant conduire Thakane chez elle, pour 
qu'elle visite sa mere et son frere. » On 
envoya des messagers dans toute la tribu pour 
ordonner a tous d'apporter le betail avec 
lequel le chef devait epouser Thakane '. 
Masilo se mit en route avec tout ce betail et 
une foule de jeunes gens. Quand ils arri- 
verent a un col etroit, par oil Thakane avait 
passe jadis avec son pere, ils s'apercurent 
qu'un'grand rocherle fermait presque entie- 



i . Cette idee J'un pays situe au fond des 
eaux se retrouve dans plusieurs contes sessouto 
ou cafre; voir entr'autres le conte de Semon- 
mou et Se'moumounyane public dans la Revue 
des Traditions populaires (1888, pp. 6D4-662). 

2. Quoiqu'il ait v^cu longtemps avec elle et la 
considere comme sa femme, elle ne lui appar- 
tient legitimement que lorsqu'il a livre aux 
parents de sa femme le betail du manage. 



202 



CONTES DES BASSOUTOS 



rement. Thakane demands a son mari : 
« Qu'est-ce done que ce rocher qui nous 
barre la route? a Masilo lui dit : ■ Ne l'as- 
tu pas vu quand tu as passe ici avec ton 
perer ,, Elle lui repondit : « Non, ce rocher 
ne s'y trouvait pas ; le defile etait ouvert. a 
Tout en parlant ils continuaient a marcher 
avec le betail qu'ils conduisaient ; Thakane 
marchait en avant, car elle seule connaissait 
le chemin qui conduisait chez ses parents. 
Quand ils furent arrives dans le defile, a 
quelques pas du rocher, le rocher se mit a 
chanter : 



[I 



Rue 1(5, le rud, je te devorerai Thakane, men 

(enfant, 

Toi qui marches devant, puis je devorerai tous 

[ceux qui te suivent. 

Ce rocher n'etait autre que Rahlabakoane; 
son coeur s'e'tait change en rocher apres sa 
mort. Thakane lui repondit : a Et meme les 
boeuts, tu peux les manger, si tu veux. » 
Puis elle dit a Masilo : « C'est mon pere qui 
est venu nous attendre sur notre route. » 
Alors ils prirent an certain nombre de 
boeuts et les pousserent vers le rocher, qui 



KOUMONGOE 



203 



ouvrit sa gueule toute large et les avala d'une 
seule bouche'e. Puis Rahlabakoane recom- 
menca a chanter : 



Rue le, le rue, je te devorerai, Thakane, mon 

[enfant. 

Toi qui marches devant, puis jc devorerai tous 
[ceux qui te suivent. 



Alors ils pousserent vers lui tout le reste de 
leur Detail, qu'il eut avale en un instant; 
puis il se remit a chanter : 

Rue 1 le, le rue, je te devorerai, Thakane, mon 

[enfant, 

Toi qui marches devant, puis je devorerais tous 
[ceux qui te suivent. 

Thakane lui dit : « Tu peux maiiitenant 
devorer nos gens, si tu veux. » 

Son pere mangea quelques-uns de leurs 
compagnons, et arreta Thakane et son mari, 
qui voulaient poursuivre leur route, en 
chantant comme auparavant : 



Rue le, le rue, je te devorerai, Thakane, mon 

[enfant, 

Toi qui marches devant, puis je devorerai tous 
[ceux qui te suivent. 



204 



CONTES DES BASSOUTOS 



Alors Thakane lui livra tout le reste de ses 
gens, qu'il devora jusqu'au dernier. II ne 
restait plus qu'elle et Masilo avec leurs 
deux enfants, Dilahloane et son petit frere; 
comme ils voulaient continuer leur route le 
rocher les arreta et se remit a chanter : 

Rue le, le rue, je te devorerai, Thakane, mon 

[enfant, 

Toi qui marches devant, puis jc devorerai tous 
[ccux qui te suivent. 



II 



Alors Thakane se laissa saisir et devorer 
par son pere, elle, son mari et ses deux 
enfants; le rocher les avala tout vivants 
d'une seule houche'e et ils arriverent ainsi 
dans son ventre. 

A l'inte'rieur de Rahlabakoane e'etait 
comme une vastc caverne. Un jeune garcon 
etait oceupe a couper le ventre de Rahla- 
bakoane avec un couteau pour y faire une 
ouverture; il finit enfin par y ouvrir une 
large breche '. C'est alors que Rahlaba- 



1. Nous retrouvous ici la donnee fondamentale 
de la legende du Moshanyana Senkatana (Revue 
des Traditions pupulaires, 1S88, pp. 495-500). 



KOUMONGOE 



203 



koane mourut; le rocher tornba a terre avec 
fracas. II en sortit une foule de gens ; il 
ne resta que ceux qui avaient ete devores 
depuis longtemps et dont les corps etaient 
deja pourris; quant a ceux qui venaient 
d'etre devores ils en sortirent tous avec 
leurs bceufs, qui marchaient aussi bien 
qu'auparavant. 

Masilo et sa femme poursuivirent leur 
chemin et arriverent au village de Rahlaba- 
koane ; ce fut comme un miracle pour la 
mere et le frere de Thakane, car ils la 
croyaient morte depuis longtemps. On se 
rejouit et Ton pleura tout a la fois; puis on 
abattit nombre de tetes de betail pour rece- 
voir dignement Thakane et son mari. 

C'est une legende qui se retrouve un peu 
partout dans le Folklore sud-africain ; voir 
entr'autres dans Callaway les contes de Untom- 
binde (pp. 55-69) et de Umkxakaja pp. 181-217). 



4jLi* 






SKILATSATSI-OA-MOHALE '. 



On raconte que la femme de Mohale 
n'avait pas d'enfants; on se mit en quete 
d'un medecin, qui lui prepara une medecine. 
F.lle la but et devint enceinte, et mit au jour 
une petite lille a laquelle on donna le nom de 
Scilatsatsi =. On la nomma ainsi parce que 
le medecin avait defendu qu'elle sortit jamais 






i. C'cst-a-dirc« fille dc Mohale ». II est interes- 
sunt dc comparer cc contc a celui de Tangalim- 
//6o que M. Thcal a traduit du cafre IKaffir-Fulk- 
lore, pp. 54-63). 

2. Seilntsatsi signifie : « celle qui craint le 
solcil. » 



SEILATSATSI-OA-MOHALE 



de sa hutte pour paraitre a la lumiere du 
soleil. La petite fille grandit toujours ainsi 
enferme'e et devint une belle jeune fille; elle 
ne sortait que de nuit, accompagnee de sa 
mere. 

Dans un autre village il y avait un jeune 
homme nomme Masilo, tils d'un chef. II 
refusait obstine'ment de se marier, bien que 
dans ce village il y eut une foufe de belles 
jeunes filles. Un jour on lui dit : « II y a la- 
bas une jeune fille extremement belle nom- 
inee Seilatsatsi, mais personne ne peut 
l'epouser, car elle ne sort que de nuit. » II 
demanda : « Ou est-elle done? » On lui 
re'pondit : « Dans le village de Mohale, e'est 
la fille de Mohale. » II y alia et vit qu'en 
effet elle e'tait fort belle; son corps tout 
entier reluisait. II revint chez lui ct dit a son 
pere : « Mon pere, j'ai vu une fille fort belle 
que je veux epouser. » Son pere lui demanda : 
« Oil l'as-tu vue? » II re'pondit : « Chez 
Mohale. » Le pere reprit : « Est-ce que tu 
parlerais de Seilatsatsi? — Oui, e'est elle 
que je veux epouser. » Alors son pere lui dit : 
o Oh! oh! tu ne peux epouser Seilatsatsi; 
elle ne sort jamais de sa hutte pendant le 









208 



CONTES DES BASSOUTOS 



jour; elle ne peut en sortir que de nuit. » 
Masilo repondit : « Cela ne fait rien, je veux 
l'e'pouser. » Son pere refusa de Pecouter; 
tous les gens du village essayerent de Ten 
dissuader; mais il resta ferme et supplia tant 
qu'on finit par lui permettre d'e'pouser Sei- 
latsatsi. 

Mors le pere de Masilo se rendit chez 
Mohale' et lui dit : « Mon fils veut epouser 
ta fille Seilatsatsi? » Mais Mohale lui repon- 
dit : « Non! cela n'est pas possible, qu'en 
ferait-il? J'ai d'autres filles que ton fils peut 
epouser; appelle ton fils qu'il vienne lui- 
meme choisir celle qui lui plaira. » Le pere 
de Masilo fit venir son fils pour qu'il vit les 
filles de Mohale, qui toutes e'taient fort 
belles. Masilo dit : « Elles sont belles, il est 
vrai ; mais celle que je veux, c'est Seilatsatsi. » 
On lui demanda : « Qu'en feras-tu? » II 
repondit : « J'en prendrai bien soin. » C'est 
ainsi que Seilatsatsi devint la femme de 
Masilo. 

On la conduisit de nuit chez son mari ; on 
y avait prepare une belle hutte pour la rece- 
voir. C'est la que les jeunes gens et les 
jeunes filles entrerent avec elle et passerent 



SKH.ATSATSI-OA-MOHALK 



209 



la nuit 1. Quand il fit jour, Masilo dit : « J'ai 
soif. » Une des jeunes filles sortit ct lui 
apporta de l'eau, mais il la versa sans la boire. 
II dit de nouveau : « J'ai soif. » Une autre 
jeune fille sortit et revint avec de l'eau; 
Masilo la versa de nouveau sans en boire, 
disant qu'il ne voulait boire que celle que sa 
femme aurait e'te chercher. Les compagnes 
luidirent: « Tu te conduisbien mal, Masilo. » 
Puis ils sortirent et appelerent Ramasilo et 
Mamasilo. Ceux-ci s'ecrierent : « Nous lui 
avions bien dit de ne pas epouser cette fille. » 
Mamasilo vint elle-meme avec de l'eau et la 
donna a son fils; il la versa sans en boire 
une goutte. Alors son pere vint et lui dit : 
« Masilo, ne t'avais-je pas sufnsamment 
averti ? Pourquoi veux-tu done que la fille de 
Mohale aille te puiser de l'eau ainsi en plein 
jour? » Masilo se mit a pleurer et a dire qu'il 
mourait de soif, sa femme aussi pleurait, 
parce que son mari voulait la forcer a aller 



1. Lorsqu'une jeune femme est conduite chez 
son mari, la coutume veut que les jeunes gens et 
les jeunes filles du village passent ensemble la 
nuit dans une hutte a causer et a se divertir. 



CONTES FlKS BASSol'TOS 



II 



Iui chercher de l'eau en plein jour. Enfin, 
quand le pere et la mere furent partis, elle 
finit par se decider a y aller; a peine e'tait- 
elle sortie de la hutte que le soleil s'obscur- 
cit et qu'elle fut changee en une termitiere. 
Les compagnons de Masilo s'ecrierent : « Tu 
vois bien ». lis entendirent comme un san- 
glot qui sortait de la termitiere. Masilo san- 
glotait lui aussi. Partout on criait : « Venez 
voir ce qu'a fait Masilo, la fille de Mohale 
est changee en termitiere ». Masilo conti- 
nuait de sangloter et disait : « He'las! que 
faut-il faire? que faut-il faire? » Les gens lui 
repondaient : a C'est done ainsi que tu as 
pris soin de ta femme ' ! » 

Alors on appela un chien et on lui dit : 
a Va avertir les parents de Seilatsatsi. » Le 
chien repondit : « C'est bien, j'y vais. — 
— Que diras-tu lorsque tu seras arrive? 

[ . Dans la version cafre, ce n'est pas le mari de 
la jeune femme, mais son beau-pere qui la force 
a sortir au grand jour. La catastrophe est aussi 
differente; Tangalimlibo n'est pas changee en 
termitiere comme Seilatsatsi, mais est entrainee 
au fond du fleuve. 



SEILATSATSI-OA-MOHALE 



— Je dirai : Ou ! ou! on! — Oh! oh! tu 
ne sais rien, nous ne voulons pas de toi. » 
On appela une poule et on lui dit : « C'est 
toi que nous enverrons. » La poule repondit : 
n J'y vais. — Que diras-tu lorsque tu seras 
arrive'e ? — Je dirai : Kokoloknloko ! votre 
fille est devenue une termitiere dans le vil- 
lage de son mari. » Elle repeta : « Je dirai : 
Seilatsatsi est devenue une termitiere dans 
le village de son mari. » Les gens lui dirent : 
(i C'est bien ! tu peux aller. » Puis on lui mit 
deux anneaux a chaque jambe et on lui dit 
de partir. 

La poule partit en courant, faisant sonner 
les anneaux de ses pieds. Quand elle arriva 
au village de Mohale, elle vit que tout le 
monde etaitrassemble dans une hutte a boire 
duyoala. Alors elle prit son vol et se posa 
sur le sommet de la hutte, oil elle se mit a 
crier : « Kokolokoloko ! Seilatsatsi de Mohale 
est devenue une termitiere dans le village de 
son mari. » Les gens l'entendirent et s'ecrie- 
rent : « Helas ! il est arrive le malheur que 
nous attendions. » Sa mere alia au fond de 
sa hutte et vit qu'en effet le petit vase, ou sa 
fille avait coutume de manger, venait de se 



2.12 



CONTES DES BASSOUTOS 



briser r. Elle s'ecria : ,, He'las! mon enfant 
est morte! » Mors on alia chercher le mede- 
cin qui avait donne jadis a la femme de 
Mohale la medecine qui avait produit la 
naissance de Se'ilatsatsi. 

Le medecin se rendit au village de Rama- 
silo; il s'approcha de la termitiere, y fit 
des incisions et y introduisit une mede- 
cine. Puis il dit : « Apportez-moi un 
mouton. » On lui en apporta un. II dit : 
« Egorgez-le. » On 1'egorgea, puis on enleva 
la peau. II dit : « Donnez-moi vite cette 
peau. ., II prit la peau, y fit des incisions 
et y introduisit des medecines, puis il en 
recouvrit la termitiere. Mors il alia prendre 
les cornes qui contenaient ses medecines 2, 
les deposa devant la termitiere et s'y 
assit. II attendit longtemps, puis la peau 
commenca a se remuer. Bientot Se'ilatsatsi 
en sortit toute vivante. II lui dit : « Retourne 
bien vite dans ta hutte ». Elle y rentra; elle 



i. Le meme trait se trouve dans le conte de 
Nyop akatala. 

2. Les medecins Bassomos conservent leurs 
drogues dans de petites cornes, 



SEILATSATSI-OA-MuHAI.i: 



2l3 



e'tait de nouveau aussi belle et hrillante 
qu'auparavant. 

Le medecin entra dans la huttc et appela 
le pere et la mere de Masilo; puis il fit des 
incisions a Se'ilatsatsi et y mit de la me'de- 
cine. Alors il lui dit : « Maintenant, prends 
un vase et va a la fontaine. » Mais Masilo se 
leva bien vite, alia se mettre devant la porte 
et dit : « Je ne veux pas que ma femmc sorte 
d'ici. » Le medecin cut beau insister, Masilo 
refusait toujours de laisser sortir Seilatsatsi; 
enfin le medecin le jeta de force de cote. 
Alors Seilatsatsi prit un vase et sortit pour 
aller a la fontaine, et quoiqu'il lit grand jour 
il ne lui arriva rien. 






MONYOHE 



Tl y avait une fois une jeune fille nomme'e 
1 Senkepeng, soeur du chef Masilo ; die refu- 
sait de se marier. Un certain jour elle se 
rendit avec son frere et les gens de son vil- 
lage a une fete de chant chez Morakapoula. 
On chanta du. matin jusqu'au soir. Vers le 
soir Morakapoula commanda a la pluie de 
tomber parce que Senkepeng refusait de 



I. La premiere partie de ce conte, jusqu'au 
moment oil Senkepeng essaie vainement de 
traverser la riviere, se retrouve presque tex- 
tucliement dans une variante du conie de Masilo 
et Thakane. 



MONYOHE 



2l5 



danser avec lui '. La pluie tomba toute la 
nuit. Murakapoula donna a tous ses gens 
l'ordre de refuser a Senkepeng l'entree de 
Ieurs huttes. Senkepeng alia vers une vieille 
femme et lui dit : « Laisse-moi entrer dans 
ta hutte, grand'mere. » La vieille lui repon- 
dit : « Ma hutte est pleine, il n'y a plus de 
place. » Senkepeng lui dit : o Laisse-moi 
entrer, ou je te tuerai. » Alors la vieille lui 
repondit : a Tu peux entrer. » Senkepeng 
dormit ainsi dans la hutte de cette vieille 
femme. Le lendemain Masilo dit : « Main- 
tenant, nous allons partir pour retourner 
chez nous. » Morakapoula lui dit : s Toutes 
les rivieres et les ruisseaux sont debordes. » 
Mais Masilo lui re'pondit : o Cela ne fait 
rien ; nous saurons bien les traverser. » 
Alors Masilo partit avec sa sceur et tous 



i. Dans le conte de Modisa-oa-dipodi il est 
aussi question d'un homme qui a le mime pou- 
voir sur les elements. Le nom mime de Moraka- 
poula indique que celui-ci a pouvoir sur la 
pluie. En refusant de danser avec lui la danse 
particuliere dont il est question dans le texte 
Senkepeng montrait qu'elle ne voulait pas de 
lui pour amant ou pour mari. 



2l6 



CONTES t>ES BASSOUTOS 



ses gens. lis trouverent que la petite riviere 
qu'ils devaient passer etait pleine jusqu'aux 
bords. lis essayerent de la traverser en pre- 
nant Senkepengau milieu d'eux,mais l'eau la 
ramena vers le bord qu'elle venait de quitter, 
lis revinrent en arriere pour la chercher, la 
saisirent fortement par les bras et entrerent 
avec elle dans la riviere ; mais l'eau la ramena 
encore une fois en arriere. Quand Masilo 
arriva il lui dit : « Senkepeng, pourquoi ne 
passes-tu pas ? » Elle lui repondit : a Je ne 
puis traverserla riviere; quand on veut me faire 
passer, l'eau me ramene en arriere. » Masilo 
lui dit : » Viens ici, c'est moi qui vais te faire 
passer. » II la saisit par les bras et entraavec 
elle dans la riviere, mais l'eau la ramena en 
arriere; il revint surses pas et essaya de nou- 
veau de la faire passer, mais cette fois encore 
l'eau la ramena en arriere. Alorsill'abandonna 
et continua son chemin avec ses compagnons. 
Senkepeng, restee seule, se mit a chanter : 

Masilo de ma mere, ho ea nna ea lela ', 
Masilo de ma mere, ho ea nna ea lela, 



i. Ces derniers mots n'ont aucun sens. 



MONYOHE 217 

Tu diras a ma mere la-bas, ho ea nna ea tela, 

Que tous les ruisseaux son debordes, ho ea una 

[ea lela, 

Et meme le ruisseau de Motikoe, ho ea nna ea lela, 

Parce que j'ai refuse d'epouser le tils de Moraka- 
[poula, ho ea nna ea lela. » 

Masilo lui re'pondit : 

Senkepeng,tille de Kadi, fils de Tsoloe, ho ea nna 

[ea lela, 

Senkdpeng, filte de Kadi, his de Tsoloe, ho ea nna 

[ea lela, 

Descends le long du ruisseau de Motikoe, ho ea 

[nna ea lela, 

Tous les ruisseaux sont debordes, ho ea nna ea 

[lela, 

Et memele ruisseau de Motikoe, ho ea nna ea lela. 

lis se se'parerent ainsi, et Masilo retourna 
chez lui. Sa soeur Senke'peng se mit a des- 
cendre le long des bords du ruisseau de 
Motikoe, ayant son thomo ' a la main. Elle 



1. Le thomo est un instrument de musique des 
Bassoutos; il est fait d'un bambou legerement 
recourbe, le long duqucl est tendue une corde- 
lette assez semblable a la chanterelle d'un vio- 
lon ; a ce bambou est attachee une gourde 
pcrcec. 

i3 



Wt^ 



218 



CONTF.S DES BASSOUTOS 



arriva a un endroit ou croissaient de hautes 
herbes marecageuses; elle les ecarta et y 
entra pour s'y cacher, mais la tige de son 
thomo depassait les herbes. Cet endroit etait 
tout pres d'une source. 

Le lendemain Mamonyohe vint puiser a 
la source, et elle apen;ut la tige du thomo 
qui s'e'levait au-dessus des hautes herbes. 
Elle se demanda : « Qu'est-ce que cet objet- 
la au milieu de ces herbes? » Elle s'appro- 
cha, ecarta les touffes d'herbes et s'ecria : 
« Ah! ah ! quelle belle jeune fille ! voila une 
femme pour mon fils! Viens, mon enfant, 
allons chez nous. » Senkepeng sortit de sa 
cachette et la suivit, toujours chargee de son 
thomo. Elle arriva ainsi a la hutte de Mamo- 
nyohe. On venait d'y tuer des bceufs et 
des moutons, on y avait cuit du pain, pre- 
pare du yoala , le tout en grande quan- 
tite ; c'etait la la nourriture qu'on preparait 
chaque jour pour Monyohe. Monyohe se 
tenait cache sous le toit de sa hutte ; per- 
sonne ne l'avait jamais vu, si ce n'est sa 
mere. 

Mamonyohe dit a Senkepeng : « Prends 
tous ces vivres et porte-les a ton mari ; cette 



MONYOHE 



219 



hutte la-bas, c'est la hutte de ton mari. » 
Elle prit une corbeille remplie de viande 
et la porta dans la hutte de Monyohe ; elle 
revint et prit un pot de yoalci et l'y porta 
aussi; elle revint prendre du pain et l'y 
porta; elle revint prendre un grand vase 
plein de lait caille' et l'y porta e'galement. 
Puis elle sortit et revint vers Mamonyohe. 
Celle-ci lui dit : « Va maintenant reprendre 
les vases et les corbeilles dans lesquels tu 
as porte la nourriture de ton mari. » Sen- 
kepeng y retourna et vit que tout e"tait deja 
devore, il ne resrait plus que les os. Elle se 
demandait tout etonne'e : s Quel est done 
l'etre invisible qui a devore toute cette 
nourriture en un moment? » 

Elle revint vers sa belle-mere, celle-ci lui 
dit : « Prends du sorgho, ma chere, et 
mouds-le. » Elle prit du sorgho, le moulut 
et fit du pain; puis elle rotit de la viande 
et versa le lait caille dans de grands vases 
d'argile. Puis elle porta tout cela dans la 
hutte de Monyohe. Un instant apres, sa 
belle-mere l'envoya chereher les vases vides ; 
elle vit que tout etait mange, qu'il ne res- 
tait rien. Le soir, quand il fut temps d'aller 



CONTES DES BASSOUTOS 



se coucher, on dit a Senkepeng : « Va cou- 
cher dans la hutte de ton mari. » Elle y alia 
et se coucha a terre sans voir personne. Au 
petit jour elle sentit Monyohe qui la frap- 
pait a grands coups de queue, en disant : 
« Je prise, j'eternue. » Alors elle se leva, 
sortit et alia a la fontaine pour puiser de 
l'eau. Mamonyohe etait deja levee et avait 
deja allume le feu ; des bceufs venaient 
d'etre abattus et la viande etait deja dans 
les pots. Des qu'elle vit Senkepeng, Mamo- 
nyohe lui dit' : « Prends du sorgho, mouds- 
le et fais du pain pour ton mari. » Elle prit 
du sorgho, le moulut et fit du pain et le 
porta a Monyohe, avec de la viande et du 
lait caille ; un instant apres, elle retourna 
chercher les vases deja vides. Dans ce vil- 
lage on ne se reposait jamais; du matin au 
soir il fallait moudre, cuire et travailler 
ferme. Le soir, quand il etait temps de dor- 
mir, Senkepeng entrait dans la hutte de 
Monyohe pour y dormir; au petit jour 
Monyohe venait la frapper de grands coups 
de queue en lui disant : « Je prise, j'eter- 
nue. » Senkepeng en devenait maigre, 
maigre. 



MONYOHE 



Les gens du village lui dirent : a Pour- 
quoi restes-tu ici, pauvre enfant ? Pour- 
quoi ne retournes-tu pas chez tes parents? 
Tu vois combien notre tribu est nom- 
breuse, eh bien ! toutes les jeunes lilies 
ont passe par oil tu passes et n'y ont 
pu tenir. » Senkepeng leur repondit : 
« Je ne connais pas le chemin qui mene 
chez mes parents. » Cependant, un cer- 
tain jour, elle sortit de sa hutte avcc son 
vase, alia a la fontaine, le deposa la ct 
s'enfuit du cote de la maispn paternelle. 
Elle marcha, elle marcha longtemps ; le 
soleil se levait a peine qu'clle etait deja 
bien loin. Alors Monyohe s'agita dans sa 
hutte et en sortit avec un bruit sembla- 
ble a celui d'un ouragan. Les gens du 
village disaient : « Avez-vous vu l'animal 
effrayant qui vient de sortir de la hutte 
de Monyohe ? » Monyohe planait dans les 
airs a la poursuite de Senkepeng. Senke- 
peng, se retournant, vit son mari qui la 
poursuivait; elle s'ecria : a Helas ! aujour- 
d'hui je vais mourir. » Le serpent l'avait 
deja presque atteinte; alors Senkepeng se 
mit a chanter : 



222 CONTES DES BASSOUTOS 

Enfant de ma soeur, chante mokata, que je 

[voie '! 

Enfant de ma soeur, chante mokata, que je te 

[voie ! 

Alors le serpent s'arreta et se mit a rouler 
et a de'rouler ses anneaux. Senkepeng se 
remit a courir, elle courut longtemps, long- 
temps. En se retournant, elle vit Mamonyohe 
qui s'etait mise a la poursuite de Monyohe, 
tenant a la main une peau de bceuf non 
tannee. Un instant apres, elle apercut une 
colonne de poussiere qui montait vers le 
ciel; c'etait Monyohe qui recommencait a la 
poursuivre. Comme il planait deja au- 
dessus de sa tete elle se mit a chanter : 

Enfant de ma soeur, chante mokata, que je te 

[voie! 
Enfant de ma soeur, chante mokata, que je te 

[voie ! 

Alors Monyohe s'arreta et se mit a chanter 



i. Le chant de Senkepeng est une incantation 
qui doit arreter Monyohe dans sa poursuite; il 
est absolument impossible de le traduire en 
francais. 



MONYOHE 



223 



lui aussi tout en roulant et en deroulant ses 
anneaux. 

Senke'peng reprit sa course precipitee et 
finit par arriver la ou paissait le be'tail de 
ses parents. Les petits bergers s'ecrierent : 
a C'est toi Senkepeng! d'ou viens-tu ? » Elle 
leur repondit : a Voyez-vous la-bas cette 
colonne de poussiere? » lis re'pondirent : 
« Oui ! » Mors elle leur dit : « C'est un 
grand serpent qui me poursuit ; courez bien 
vite et allez avertir les gens de notre vil- 
lage. » Les petits bergers arriverent bien 
vite au village et dirent : « Senkepeng 
arrive, elle est poursuivie par un immense 
serpent. » Les gens du village s'e'lancerent 
a sa rencontre armes de lancettes, de cou- 
teaux et de baguettes pointues. lis les fixe- 
rent en terre sur le chemin qui mene au 
village, par ou passe le betail quand il va 
au paturage. 

Quand le serpent arriva de nouveau tout 
pres de Senkepeng, elle se remit a chanter : 



Enfant de ma soeur, chante mokata, que je te 

[voie . 

Enfant de ma soeur, chante mokata, que je te 

[voie ! 



224 



CONTES DES BASSOUTOS 



Pendant que le serpent recommencait a 
chanter lui aussi, elle continua de courir 
et arriva au village, ou elle tomba e'puise'e 
de sa course. 

Le serpent arriva lui aussi tout pres du 
village, mais si fatigue qu'il ne pouvait plus 
planer dans les airs et se trainait a peine sur 
son ventre. Perce par les lancettes, coupe 
par les couteaux plante's en terre, il fut bien 
vite mort. Mamonyohe arrivait en courant; 
elle s'e'cria : « He'las! mon fils ! helas! mon 
fils est mort sans moi. Comment le rendrai- 
je a la vie? » Mors elle dit aux gens du vil- 
lage : « Donnez-moi un boeuf noir. » On le 
lui apporta. Elle reprit : « Abattez-le. » On 
1'abattit. Alors elle prit les membres dechi- 
res de son fils, les enveloppa soigneusement 
dans la peau du boeuf; puis elle brula le 
tout et il ne resta plus qu'une masse noire 
carbonise'e. Alors elle prit la peau non 
tannee qu'elle avait apporte'e et y rassem- 
bla soigneusement les restes carbonises de 
son fils. Elle la chargea sur sa tete et alia la 
jeter dans l'e'tang; tous les gens du village 
la regardaient fairc. Ensuite elle fit trois 
fois le tour de l'etang sans prononcer une 



MONYOHK m 

parole. Alors son fils sortit de l'e'tang, mais 
cc n'etait plus un serpent, c'etait mainte- 
nant un homme entierement beau. Senke- 
peng s'ecria : « Ah ! comme mon mari est 
beau! » lis retournerent ensemble au vil- 
lage; c'est alors que Monyohe epousa Sen- 
ke'peng ; puis il la prit chez lui et envoya au 
pere de Senkepeng le betail avec lequel il 
devait L'epouser. C'est ainsi que Senkepeng 
devint pour de bon la femmc de Monyohe '. 

i. D'autrcs versions racontent d'unc maniere 
un peu differente la fin dc l'histoirc de Monyohe. 
La variante la plus interessante est celle-ci : 
quand Monyohe a etc brule, sa mere prend scs 
cendres et les depose dans un vase d'argile soi- 
gneusement couvert qu'elle confie a la garde de 
Senkepeng. Au hout de quelques mois Senke- 
peng decouvre le vase et en voit sortir un jeunc 
homme cxtremement beau : c'est Monyohe 
revenu a sa forme naturellc. 



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KHOEDI-SEFOUBENG '. 



Tl y avait une fois un chef nomme Boulane 
1 qui avait dix femmes; sa favorite se nom- 
mait Morongoe. Boulane avait sur la poi- 
trine l'image d'une lune en son plein ; c'est 



i. Outre la version que je donne ici, j'en ai 
recueilli une autre plus longue et fort interes- 
sante, mais si melangee d'elements empruntes 
aux contes europeens, qu'il est impossible de 
discerner ce qui est primitif de ce qui ne Test 
pas. Du reste, le conte lui-meme diflere tant des 
autres contes des Bassoutos, qu'il est fort pos- 
sible qu'il soit d'importation e'trangere; son oi> 
gine sessouto est cependant probable. 



KHOEDI-SEFOUBENG 



227 



pourquoi on l'avait surnomme Khoedi- 
Sefoubeng '. Une certaine annee le chef die 
a toutes ses femmes = : "La reine donnera 
le jour a un enfant qui me ressemblera, por- 
tant l'image d'une luneen sonplein;lesautres 
auront des enfants avec l'image de quartiers 
de lune ou simplement d'etoiles. Le fils de 
Morongoe se nommcra eomme moi Khoedi- 
Sefoubeng. o 

Le jour ou les femmes de Khoedi-Sefou- 
beng devaient accoucher, la seconde femme 
dit a la vieille qui devait accoucher Moron- 
goe : « Si tu t'apercois que l'enfant de Moron- 
goe porte sur sa poitrine l'image d'une 



i. Khoedi-Sefoubeng signifie, litteralement tra- 
duit : lune sur la poitrine. 

i. La reine, e'est-a-dire la premiere femme; 
les autres sont considerees comme ctant ses scr- 
vantes. La premiere femme a un rang plus cleve 
que toutes les autres, cc qui semblerait prouver 
que les peuples bantous ont commence par etrc 
monogames. Dans les families de chefs, seuls 
les tils de la premiere femme peuvent succeder 
a leur pere ; si la premiere femme n'a pas de tils, 
e'est a ceux de la seconde que reviendra l'hcri- 
tage paternel. 



228 



CONTES DES BASSOUTOS 



lune en son plein, tue-le et mets un petit 
chieri a sa place. » Lorsque l'enfant de Moron- 
goe naquit, la vieille femme le prit sans que 
sa mere s'en apercut et le jeta au'fondde 
la hutte, au milieu des pots. Des souris le 
prirent et le nourrirent. 

Le chef s'informa des enfants qui lui 
e'taient nes de ses differentes-femmes. On lui 
repondit : « L'une a donne le jour a un quar- 
tier de lune, les autres a des etoiles ' ; quant 
a Morongoe, elle a mis au monde un petit 
chien. » Mors le chef se detacha de sa pre- 
miere femme et s'attacha a la seconde. 
Morongoe devint sa servante. 

Un jour que la seconde femme passait 
devant la hutte de Morongoe, elle y vit un 
fort bel enfant, qui avait sur sa poitrine 
l'image tres bien formee d'une lune en son 
plein; des souris jouaient avec lui. Le soir 
elle dit a son mari : « Je suis malade; les 
osselets = disent que pour me guerir il faut 



i . C'est-a-dire des enfants ayant a la poitrine l'i- 
mage de quartiers de lune ou simplement d'etoiles. 
2. Les osselets divinatoires ou ditaola jouent 
un grand role dans la vie des Bassoutos. On 



KHOEDI-SKKOUBENG 



22Q 



bruler la hutte de Morongoe, celle qui vient 
de mettre au monde un petit chien, afin que 
toutes les souris qui s'y trouvent y peris- 
sent. » Le chef lui dit : « C'est bien ! on la 
brulera demain. » 

Alors les souris menerent 1'enfant vers 
Thamaha ', le grand bceuf du chef; elles lui 
dirent : « Prends bien soin de cet enfant, 
parce que demain on va nous faire mourir. » 
Thamaha consentit a se charger de 1'enfant 
de Morongoe. Le lendemain la hutte de 
Morongoe fut brule'e et toutes les souris y 
perirent. Un jour que la femme du chef 
venait prendre dans le pare a bestiaux de la 
fiente fraiche 2, elle vit 1'enfant qui jouait 
avec Thamaha. Elle vint vers son mari et lui 
dit : « Je suis malade, mais les osselets 
disent que je gue'rirai, si tu fais tuer Tha- 

y a recours pour toutes les circonstances; aucun 
medecin indigene ne donnera de medecines sans 
les avoir consultcs. 

1. Thamaha : un hoeuf roux rayc de blanc. 

2. Les femmes bassoutos se servent de fiente 
fraiche qu'elles melent a de la boue, pour platrer 
les murs de leurs huttcs et en arranger le par- 
quet. 



23o 



CONTES DES BASSOUTOS 



maha. » Le chef lui repondit : « On le tuera 
demain matin. » 

Alors Thamaha alia vers les crabes et 
leur dit : « Prenez soin de cet enfant, car 
demain on va me tuer. » Les crabes en 
prirent soin et le nourrirent longtemps. Un 
jour la femme du chef dit aux autres femmes : 
« Allons cueillir des joncs pour en tresser 
des nattes. » Alors elle apercut dans l'e'tang 
le petit garcon deja grandi qui jouait avec 
les crabes; l'image d'une lune en son plein 
se voyait toujours sur sa poitrine. Elle dit 
aux autres femmes : « Je suis malade, retour- 
nons chez nous. » Lorsqu'elle fut de retour 
chez elle, elle dit a son mari : « Je suis 
malade, mais les osselets disent que je gue- 
nrai, si tu fais dessecher l'e'tang, pour que 
tous les crabes pe'rissent et que tu fasses 
couper tous les joncs. » Le chef lui repondit : 
« On fera demain ce que tu desires. » 

Alors les crabes le conduisirent vers des 
marchands, en disant : « Prenez-en soin 
car demain on nous fera mourir. » Le len- 
demain le chef fit dessecher l'e'tang et couper 
tous les papyrus. L'enfant grandit dans la 
hutte des marchands. Un jour, des gens de 



KHOEDI-SEFOUBENG 



23l 



chez Boulane vinrent faire des echanges dans 
cette hutte-la. L'un d'eux remarqua que ce 
jeune garcon avait sur la poitrine quelque 
chose qui brillait; il retourna vers Boulane 
et lui dit : « J'ai vu un fort beau jeune 
homme, qui porte sur sa poitrine l'image 
d'une pleine lune. » Boulane se hata de 
Taller voir. II lui demanda : a De qui es-tu 
fils ? Qui t'a amend ici ? » 

Alors le jeune garcon lui raconta tout ce 
qui lui etait arrive ; il lui dit : « Quand ma 
mere m'eut mis au jour, la seconde femme 
de mon pere m'a fait jeter au fond de la hutte 
au milieu des pots. Des souris m'ont recueilli 
et ont pris soin de moi ; quant a la seconde 
femme de mon pere, elle a mis un petit chien 
a ma place et a pretendu que c'etait l'enfant 
de ma mere. » Quand Boulane entendit cela, 
il regarda le jeune homme fort attentivement 
et se rappela que sa seconde femme lui avait 
dit que la premiere avait donne le jour a un 
petit chien. Alors le jeune homme continua 
a lui raconter tout ce qui lui etait arrive, 
comment les souris avaient pris soin de lui, 
puis Thamaha, puis les crahes, jusqu'au jour 
pu il s'etait refugie chez les marchands. 



2J2 CONTF.S DES BASSOUTOS 

Alors son pere de'couvrit la poitrine du 
jeune homme et vit qu'elle portait, en effet, 
1'image d'une pleine lune; il comprit alors 
que c'etait bien la son fils. II le prit avec lui 
et l'amena dans son village, oil il le cacha 
dans sa hutte. Puis il convoqua en assem- 
bled publique toute sa tribu. On prepara une 
grande fete, on abattit des boeufs, on fit beau- 
coup dcyoala. Alors Boulane fit etendre a 
terre des nattes de paille devant la hutte oil 
il avait cache son fils Khoedi-Sefoubeng. 
Quand tout le monde fut rassemble, il fit 
sortir son fils et le presenta a tout son peu- 
ple, puis il expliqua comment sa seconde 
femme l'avait longtemps trompe. On re'tablit 
la mere de Khoedi-Sefoubeng dans tous ses 
droits, on lui fit quitter les haillons qu'elle 
portait et on la revetit de beaux habits neufs. 
Khoedi-Sefoubeng devint chef a la place de 
son pere. Quant a la 'femme qui l'avait per- 
secute et avait voulu le faire mourir, on la 
chassa avec tous ses enfants et elle dut aller 
se refugier dans un pays e'loigne, 



■*^- "^X^ "^^ ' s A^' ^X^ 'X' ""X"' 



MOSIMODI & MOSIMOTSANE 



Thoulare c'est le nom d'un grand pot; 
Thoulatsane est le nom d'un petit. Les 
enfants du proprietaire de ces pots s'appe- 
laient Mosimodi et Mosimotsane. Un jour 
Mosimodi partit de chez elle pour faire 
visite a ses parents; elle ne trouva a la mai- 
son ni son pere ni sa mere, mais seulement 
sa soeur Mosimotsane. Elle lui demanda : 



i. Pour la seconde partie de cc conte, compa- 
rez celui que donnc M. Casalis sous cc titre : 
la Metamorphose d'une jeunc fillc (Lcs Basson- 
tos, pp. 36o-362). Jc dois cettc jolie version a 
l'nbligeance dc M. Dicterlen, qui l'a recucillie 
pour moi. 






234 



CONTES DES BASSOUTOS 



« Ou est ma mere? » Mosimotsane repon- 
dit : « Elle et mon pere sont alles chanter 
chez Moholokoane'-oa-se-omisa-leleme «. » 
L'ainee demanda : « N'y a-t-il rien a man- 
ger ici, Mosimotsane? » Celle-ci repondit : 
« Non, il n'y a rien a manger. » Mosimodi 
demanda encore : « Est-ce que ma mere n'a 
pas battu le beurre dans Thoulare? — Non! 
— Et dans Thoulatsane ? — Pas davan- 
tage. » Alors Mosimodi prit de l'eau et se 
lava les mains; puis elle fit rouler Thoulare 
jusqu'au milieu de la hutte; alors elle battit 
le beurre dans Thoulare 2. Quand elle eut 
fini, elle prit le beurre et le mit de cote. 
Puis elle prit de la fiente seche 3 e t fit du 
feu, sur lequel elle fit fondre son beurre. 
Quant au petit lait elle le me'langea avec 

1. C'est non pas un nom, mais les premiers 
mots du thoko ou chant de louanges de cct indi- 
vidu, litt. : « Moholokoane de ce qui desseche 
la langue. a 

2. A rapprocher de l'arbre qui donne du lait 
dans le conte de Kownongoe. 

3. Vu le manque de bois les Bassoutos font 
souvent du feu avec de la fiente de vache desse- 
chee, et qui rappelle un peu la tourbe. 



MOSIMODI ET MOSIMOTSANE 



de la farine de sorgho et s'en fit de la 
houillie. Quand la graisse fut fondue, elle 
en remplit des vases de terre ; puis elle 
prit le depot qui restait au fond du pot et 
l'ajouta a la bouillie. Alors elle dit : o Mosi- 
motsane, viens manger avec moi. » Quand 
elles eurent fini de manger, Mosimodi 
recouvrit soigneusement les vases de beurre 
fondu, prit de 1'eau et en lava Thoulare, 
qu'elle remit a sa place au fond de la hutte. 
Puis elle dit : « Mosimotsane, maintenant, 
je retourne chez moi. » Alors elle partit et 
retourna chez elle. 

Son pere et sa mere arriverent, la mere 
demanda : a Mosimotsane, qui a battu le 
beurre dans Thoulare? » Elle repondit : 
« C'est Mosimodi. » La mere gronda toute 
la nuit; le lendemain, elle prit le sorgho 
qui fermentait dans un pot et le porta 
devant la hutte, toujours grondant; puis elle 
prit sa houe et creusa un trou profond, 
toujours grondant. Alors elle dit : « Mosi- 
motsane, va appeler Mosimodi; dis-lui que 
c'est moi qui l'appelle. » Mosimotsane y 
alia et dit a sa soeur : « Mosimodi, ma mere 
t'appelle. » Mosimodi lui demanda : a Dis- 



2 36 



CONTES DES BASSOUTOS 



moi si die n'a pas gronde. » Sa soeur cadette 
lui repondit : « Non, elle n'a rien dit. » 
Mosimodi lui demanda une seconde fois : 
« Dis-moi la verite, je t'en prie; est-ce que 
reellement ma mere n'a pas gronde? » Mosi- 
motsane lui repondit . « Non, certainement, 
elle n'a rien dit. » Elles partirent ensemble; 
en route Mosimodi demanda encore : « Est- 
ce que ma mere n'a pas gronde? » Cette fois 
encore la cadette repondit : « Non, elle n'a 
rien dit. » Quand elles arriverent a la mai- 
son, la mere dit : « Mosimodi, prends mon 
sorgho fermente et etends-le sur une natte 
au fond de ce trou. » Mosimodi prit la natte 
et l'etendit au fond du trou, puis sa mere 
lui passa le pot plein de sorgho, que Mosi- 
modi s'occupa a e'tendre sur la natte. 
Comme elle etait ainsi occupee, sa mere la 
recouvrit subitement de terre, prit une 
pierre a moudre et en ecrasa le corps de 
son enfant jusqu'a ce qu'elle l'eut comple- 
tement reduit en poudre. 

Alors elle prit une corbeille et y rassem- 
bla cette poussiere; elle chargea la corbeille 
sur sa tete et alia jeter la poussiere de son 
enfant dans l'etang de la riviere, tout pres 



MOSIMODI ET MOSIMOTSANE 



23 7 



de la source du village. Un crocodile prit 
cette poussiere, la pe'trit, la faconna si bien 
que ce fut de nouveau Mosimodi. Un jour, 
quelques jeunes rilles dirent a Mosimot- 
sane : « Allons a la fontaine. » Mosimotsane 
prit son vase et y alia avec elles ; elles rem- 
plirent leurs vases les unes apres les autres 
puis se mirent a jouer. Ensuite elles dirent : 
n Retournons maintenant a la maison, Mosi- 
motsane ; le soleil est deja couche. o Mais 
quand Mosimotsane voulut prendre son vase, 
elle ne le put, il restait comme fixe au sol. Ses 
compagnes deposerent leurs vases a terre et 
reunirent leurs efforts pour soulever celui de 
Mosimotsane; il restait toujours comme fixe 
au sol. Enfin, elles s'eerierent : « Ah ! les 
fantomes de sa mere sont la-dedans '. » Elles 
partirent bien vite et la laisserent seule. 

Alors sa soeur Mosimodi apparut, sortant 
du sein des eaux, appuyee sur une canne de 
fer. Elle se mit a chanter : 



i. Les fantomes sont les esprits des ancetres, 
auxquels les Bassoutos attribuent une bonne 
partie des malheurs et surtout des maladies qui 
leur surviennent. 



238 



CONTES DES BASSOUTOS 



C'est la faute de Thoulare, Mosimotsane, 
Quand je suis retournee chez moi, Mosimotsane, 
Tu m'as dit un mensonge, Mosimotsane, 
C'est elle, ta mere, c'est elle, Mosimotsane, 
Qui m'a ecrasee et reduite en poudre, Mosi- 

[motsan£, 
Avec une pierre a moudre, Mosimotsane", 
le crocodile m'a rendu la forme humaine, Mosi- 

[motsane '. 

Mors elle agita l'eau de la source avec sa 
canne de fer, la troubla et la souilla de 
boue, puis elle en remplit le vase de Mosi- 
motsane. Mors elle dit a sa sceur : « Va 
maintenant preparer la nourriture de ton 
pere et de ta mere, qu'ils mangent de cette 
boue ! » Puis elle rentra au sein des eaux, 
toujours appuyee sur sa canne de fer. 
Lorsque Motsimotsane arriva a la maison, 
sa mere lui demanda : « Pourquoi pleures- 
tu, mon enfant? » Elle repondit : « Non, je 



i. Dans la seconde partie du conte de Kou- 
mongoe on trouve egalement I'histoire d'une 
jeune fille qui vit au fond des eaux; seulement 
la ce n'est pas un crocodile qui la recueille, 
mais une vieille femme. 



MOSIMODI ET MOSIMOTSANE 



23q 



ne pleure pas ? — Pourquoi as-tu puise 
de l'eau aussi sale et pleine de houe? 
— Ce sont les veaux qui ont trouble 
l'eau de la fontaine. » Elle prepara la 
nourriture de ses parents avec cette eau 
bourbeuse. 

Le lendemain, comme ses parents etaient 
aux champs, les jeunes filles proposerent de 
nouveau a Mosimotsane d'aller avec elles a 
la fontaine. Elle prit son vase et les suivit. 
Elles remplirent leurs vases les unes apres 
les autres, les' deposerent a terre et se 
mirent a jouer. Quand le soleil fut couche, 
elles prirent leurs vases et les poserent sur 
leurs tetes. Mais quand Mosimotsane voulut 
prendre le sien, elle ne le put, il restait 
comme fixe au sol. Ses compagnes depo- 
serent leurs vases a terre et reunirent 
leurs efforts pour soulever celui de Mosi- 
motsane ; mais tout fut inutile, il restait 
comme fixe au sol. Elles s'ecrierent : 
« Allons-nous-en, les fantomes de sa mere 
sont la-dedans ! » A peine etaient-elles par- 
ties que Mosimodi apparut, sortant du sein 
des eaux, toujours appuyee sur sa canne de 
fer; elle chantait : 






240 



CONTES DES BASSOUTOS 



C'est la faute de Thoulare, Mosimotsane, 
Quand je suis retournee chez moi, Mosimotsane, 
Tu m'as dit un mensonge, Mosimotsane, 
C'est elle, ta mere, c'est elle, Mosimotsane, 
Qui m'a ecrasee et reduite en poudre, Mosi- 

[motsane, 
Avec une pierre a moudre, Mosimotsane, 

Mais le crocodile m'a rendu la forme humaine, 

[Mosimotsane. 



Puis elle frappa sa soeur de sa canne de fer, 
souilla l'eau de la fontaine, en remplit le 
vase de Mosimotsane et lui cjit : « Va main- 
tenant porter cette eau sale a ton pere et a 
ta mere. » Puis elle rentra au sein des eaux. 
Mosimotsane retourna chez elle en san- 
glotant. Sa mere lui demanda : « Mosi- 
motsane, pourquoi pleures-tu? » La jeune 
fille ne re'pondit rien. « Mosimotsane, pour- 
quoi ne me reponds-tu pas? Que me caches- 
tu? Qu'est-ce qui te rend si maigre? » 
— C'est que j'ai ete battue par Mosi- 
modi. — Comment Mosimodi pourrait- 
elle te battre? Je l'ai tuee. » Mosimodi 
repondit : « Elle est la-bas dans l'etang, pres 
de la fontaine. Quand je vais puiser de 
l'eau avec mes compagnes, mon vase reste 



MOSIMODI F.T MOSIMOTSANK 



241 



fixe au sol ; les autres jeunes filles ont beau 
deposer leurs vases et reunir leurs efforts 
aux miens pour soulever mon vase, rien ne 
peut le faire bouger. Elles retournent chez 
ellesetmelaissentseule; Mosimodivientalors 
appuyee sur sa canne de fer et m'en frappe 
violemment. » Sa mere lui demanda : « Est-ce 
vrai, mon enfant ? — Oui, ma mere, c'est bien 
vrai. » Alors la mere en informa son mari. 
Le lendemain, avant le jour, le pere se 
rendit a la fontaine et se tint cache toute 
la journe'e au milieu des buissons. Mosi- 
motsane y vint vers le soir avec les autres 
jeunes filles ; elles remplirent leurs vases les 
unes apres les autres et se mirent a jouer. 
Puis elles dirent : « Allons-nous-en le soleil 
est deja couche. » Elles prirent leurs vases 
et les poserent sur leurs tetes. Celui de 
Mosimotsane restait comme fixe au sol ; 
elles essayerent toutes de le soulever, mais 
elles ne purent pas meme l'e'branler. Elles 
s'e'crierent : a Allons-nous-en, les fantomes 
de sa mere sont la-dedans ! » Quand elles 
furent parties, Mosimodi apparut, sortant 
du sein des eaux, toujours appuyee sur sa 
canne de fer, et se remit a chanter : 



14 



242 



CONTES DES BASSOUTOS 



C'est la fame de Thoulare, Mosimotsane, 

Quand je suis retournee chez moi, Mosimotsane, 

Tu m'as dit un mensonge, Mosimotsane, 

C'est elle, ta mere, c'est elle, Mosimotsane, 

Qui m'a ecrasee et reduite en poudre, Motsi- 

[motsane, 

Avec une pierre a moudre, Mosimotsane, 

Mais le crocodile m'a rendu la forme humaine, 

[Mosimotsane. 



Comme elle se mettait a frapper sa soeur 
de sa canne de' fer, son pere s'ecria : « Oh! 
ma fille, je t'en prie, ne frappe pas ainsi ta 
sceur. » Mosimodi repondit : « Et qui done 
est ta fille? Toi et ma mere vous m'avez 
tuee; je suis la fille du crocodile. » Son 
pere la supplia longtemps; elle repondait 
toujours : « Pourquoi m'avez-vous tuee? 
Vous m'avez tuee a cause du lait de Thou- 
lare. C'est maintenant le crocodile qui est 
pour moi mon pere et ma mere. » Alors elle 
rentra dans l'etang et disparut au sein des 
eaux. 

Son pere remonta au village ; il dit a sa 
femme : « C'est elle, je l'ai vue; c'est bien 
elle; elle est tout a fait comme auparavant. » 
Alors il prit un grand nombre de tetes de 



MOSIMODI ET MOSIMOTSANE 



2 4 3 



betail et les conduisit vers l'etang du cro- 
codile ; tout le village s'y rendit avec lui. 
Alors le crocodile sortit de l'eau et demanda : 
« Qu'y a-t-il? » Le pere dit : « Seigneur, je 
suis venu racheter mon enfant. » Le croco- 
dile rentra dans l'etang et alia se concerter 
avec Mosimodi. Celle-ci consentit a retour- 
ner vers son pere. Alors le crocodile revint 
vers le pere de Mosimodi et lui dit : « Jetez 
le betail dans l'etang! » Les gens pousserent 
le betail dans l'etang et il s'engouffra au 
fond des eaux. Alors le crocodile plongea 
de nouveau et resta tres longtemps au fond 
de l'eau ; puis il revint avec une natte qu'il 
etendit au bord de l'etang. II repartit et 
revint avec tous les effets de Mosimodi, des 
couvertures, des robes, des colliers, des 
bracelets; il deposa tout cela sur la natte 
qu'il avait apportee. Puis il retourna au fond 
de l'eau; enfin il reparut avec Mosimodi, 
qui sortit de l'eau toujours appuyee sur sa 
canne de fer. Alors le crocodile dit : « La 
voila, votre fille, vous pouvez la tuer de 
nouveau, si vous le voulez. » Puis il dit a 
Mosimodi : « S'ils te font du mal, reviens 
vers moi; moi, je t'aime, et je te recevrai 






244 



CONTES DES BASSOUTOS 



bien. » Alors il lui fit cadeau d'un grand 
nombre de tetes de betail; il donna aussi un 
boeuf de somme, sur lequel on plaga tous 
ses effets. Des le lendemain Mosimodi se 
hata de quitter la maison de ses parents et 
retourna chez son mari. 









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NTOTOATSANA. 



II y avait une fois une fille de chef nommee 
Ntotoatsana ; son pere n'avait en fait d'en- 
fants qu'elle et son petit frere. C'etait elle 
qui gardait les bestiaux, elle les menait meme 
a leurs paturages d'ete ». Un jour, comme 
elle gardait le betail bien loin du village, 
un tourbillon survint, l'enleva et l'emporta 
bien loin a travers l'espace. Elle fut amende 



i. C'cst quclquc chose d'absolument inusite 
chez les Bassoutos de voir une femmc garder les 
bestiaux; tous les soins a dormer au betail sont 
le partage exclusif des hommes. 



24C 



CONTES DES BASSOUTOS 



vers une tribu de Ma-Tebeles ', qui n'avaient 
qu'une jambe, qu'un bras, qu'un ceil et 
qu'une oreille 2. Elle demeura avec eux et 
devint l'epouse du fils du chef de la tribu. 

Son mari prit des cornes d'animaux et les 
enterra sous le sol de sa hutte; un jour que 
Ntotoatsana essaya de s'enfuir, les cornes se 
mirent a crier : 



Ou-ou-e-e! voici Ntotoatsana, qu'un tourbil- 
[lon a saisie et emportee. 

Pendant qu'elle gardait les bestiaux de son pere, 
[les bestiaux de Sekoae. 



Alors les Ma-Tebeles arriverent en cou- 
rant et la ramenerent chez son mari. 

Elle y demeura longtemps et mit au monde 



1. Ma-Tebeles, c'est le nom que les Bassoutos 
donnent a toutes les tribus cafres, Zoulous aussi 
bien que Cafres, de la colonie du Cap. Genera- 
lement, ce nom ne s'applique qu'aux habitants 
du Matebeleland, qui s'etend au nord du Trans- 
vaal, entre le Limpopo et le Zambeze. 

1. Dans le conte zoulou d' Umkxaka^a (Calla- 
way, pp. 181-217), nous trouvons un peuple 
semblable nomme les AmadMungundhlebe. 



NTOTOATSANA 



247 



deux petites filles jumelles qui lui ressem- 
blaient beaucoup. Les deux enfants gran- 
dirent, se developperent et devinrent de 
grandes jeunes filles. Un jour qu'elles etaient 
allees a la fontaine puiser de l'eau, elles 
decouvrirent des hommes caches dans un 
fourre de roseaux; c'etait leur oncle mater- 
nel et ses serviteurs. II leur demanda : a De 
qui etes-vous filles? — De Selo-se-ma- 
qoma '. — Et votre mere, quel est son nomf 
— Ntotoatsana. — De qui est-elle fille? — 
Elle nous a raconte qu'elle avait e'te empor- 
tee par un tourbillon, pendant qu'elle pais- 
sait les bestiaux de son pere. Alors cet 
homme s'ecria : « Ce sont bien la les enfants 
de ma soeur. » Alors lui et ses compagnons 
couperent un certain nombre de roseaux et 
en firent une botte qu'ils remirent aux jeunes 



1. Litteralement : « une chose rugueuse, cou- 
verte d'ecailles », comme la carapace d'un cro- 
codile. Le q se prononcc avec un claquement. 
Les Cafres et les Bassoutos ont cmprunte aux 
Bushmen et aux Hottentots ces sons etranges, 
qu'un Europeen a de la peine a reproduire 
correctement. 



2 4 8 



CONTES DES BASSOUTOS 



filles en leur disant : « Des que vous serez 
arrivees chez vous, cachez bien vite ce9 
roseaux sous la peau de boeuf ou votre mere 
a coutume de s'asseoir, mettez-vous a pleu- 
rer et dites-lui d'aller vous chercher a 
manger. » 

Les jeunes filles firent en tout comme leur 
oncle leur avait ordonne; pendant que leur 
mere e'tait allee leur chercher a manger, vite 
elles cacherent leurs roseaux sous la peau 
de bceuf. Quand leur mere revint et s'assit 
sur cette peau, les roseaux furent tous ecra- 
ses; les deux fillettes fondirent en pleurs. 
Leur mere essaya de les consoler, leur pro- 
mettant d'envoyer un jeune homme leur 
chercher d'autres roseaux, mais elles conti- 
nuerent &■ pleurer, disant qu'il fallait que ce 
fut leur mere elle-meme qui allat leur en 
chercher. 

Ntotoatsana se rendit done a la fontaine 
pour y chercher des roseaux; elle y rencon- 
tra son frere et le reconnut. Elle pleura de 
joie. Son frere lui demanda : « Quand revien- 
dras-tu a la maison? Pourquoi rester chez 
ces Ma-Tebeles, chez Selo-se-maqoma? » 
Elle repondit : « Je ne puis pas m'en aller 



NTOTOATSANA 



24Q 



d'ici; des que j'essaie de m'enfuir, les cornes 
.donncnt l'alarme. » II lui demanda : De 
quelles cornes parles-tu? comment peuvent- 
elles parler? » Ntotoatsana repondit : a Ce 
sont des cornes magiques que raon mari a 
enterre'es sous le sol de ma hutte. » Alors son 
frere lui dit : « Voici ce qu'ilte faut faire; fais 
chauffer de l'eau, verse-la dans ces cornes, 
puis bouche bien avec du moroko ' ; ensuite, 
prends de grosses pierres et place-les sur les 
cornes. Quand tout le monde sera endormi, 
enfuis-toi avec tes deux enfants et viens nous 
rejoindre ici ». 

Ntotoatsana retourna chez elle et dit a ses 
deux filles de lui faire chauffer de l'eau; le 
soir elle prit cette eau chaude et la versa 
dans les cornes; puis elle prit du moroko et 
en boucha l'ouverture des cornes; ensuite, 
elle prit de grosses pierres et les placa sur 
les cornes. Puis, quand tout le village fut 
plonge dans le sommeil, elle reveilla ses deux 



1. Le moroko est ce qui restc de In farinc de 
sorgho fermente, quand on a prepare la bierc 
indigene. 11 a a peu pres la consistancc de la 
sciure de bois. 



2 5o 



CONTES DES BASSOUTOS 



enfants et alia a la fontaine rejoindre son 
frere etses deux compagnons. lis s'enfuirent 
tous ensemble. Les comes essayerent de 
donner l'alarme, mais elles ne pouvaient que 
crier : « Ou-ou-ou ! » Les gens du village se 
dirent : « Ce sont des chiens qui aboient. » 
Pendant ce temps Ntotoatsana et sa troupe 
s'eloignaient rapidement ; ils marcherent 
sans s'arreter jusqu'au matin. 

Comme ils etaient deja bien loin, les cornes 
donnerent l'alarme en criant : 

Ou-ou-ou-e, voici Ntotoatsana, qu'un tourbil- 
[lon a saisie et emportee, 

Pendant qu'elle gardait les bestiaux de son pere, 
[les bestiaux q\e Sekoae. 

Les Ma-Tebeles se mirent a sa poursuite, 
a grands sauts de leur unique jambe. Comme 
ils s'approchaient de Ntotoatsana et de ses 
compagnons et allaient les atteindre, ils 
s'apercurent que ceux-ci tenaient en laisse 
un mouton noir. Alors le mouton se mit a 
chanter : 

Hase fouhlaele fou, ha o na tema fou '! » 

i. La chanson du mouton savant ne veut pro- 



NTOTOATSANA 2 D I 

I.es Ma-Tebeles s'arreterent emerveille's, 
pendant que Ntotoatsana et ses compagnons 
continuaient leur marche. Puis le mouton 
dressa sa queue et se mit a danser en creu- 
sant la terre de ses sabots. Quand il s'aper- 
cut que Ntotoatsana et ses compagnons 
etaient deja bien loin, le mouton disparut 
soudain et alia les rejoindre. 

Les Ma-Tebeles se pre'cipiterent de nou- 
veau a leur poursuite; chacun cherchait a 
depasser les autres; la plaine etait couverte 
de Ma-Te'bele's qui couraient. Bien vite, ils 
furent de nouveau en vue de Ntotoatsana. 
Alors le mouton recommenca a chanter 
et a danser et les Ma-Tebeles de s'arreter 
emerveille's a le regarder. Quand Nto- 
toatsana et ses compagnons eurent pris 
une grande avance, le mouton disparut 
soudain et alia les rejoindre. Les Ma- 
Tebeles reprirent leur poursuite, en disant : 



bablement rien dire; j'ai en vain essaye d'en 
trouver une explication; il vaut mieux la laisser 
comme elle est que donner une version qui 
aurait toutes chances d'etre t'ausse. 



!52 



CONTES DES BASSOUTOS 



(i Par Maqoma «, cette fois nous irons droit 
jusqu'a Ntotoatsana , sans nous laisser 
arreter par ce sot petit mouton, quand bien 
meme il se mettrait a danser et a chanter 
d'une facon merveilleuse. » Quand ils furent 
pres d'atteindre Ntotoatsana, le mouton se 
remit a chanter et a danser bien mieux 
encore qu'auparavant ; les Ma-Tebe'les s'ar- 
reterent e'merveilles a le regarder. Puis, il 
disparut a leurs yeux. Alors les Ma-Tebe'- 
les perdirent courage; ils retournerent chez 
eux tout honteux, en disant : « Cette fois, 
elle nous a echappe pour de bon, la femme 
de notre chef. » 

Ntotoatsana et son frere arriverent chez 
eux; ils furent recus avec une grande joie. 
Pendant son deuil, la mere de Ntotoatsana 
avait laisse tant croitre ses cheveux qu'ils 
etaient aussi longs que la queue d'un oiseau. 
Maintenant elle les coupa. Puis elle invita 
tous ses amis et ses parents et fit une grande 
fete pour ce'lebrer le retour de Ntotoatsana. 



i. C'est la coutume des tribus sud-africaines 
de jurer par le nom de leurs chefs, morts ou 
vivnnts. 



J$4 $MM4M4MM64444MttM4 



* * 
+ 1 -i * ^ 



V¥TVTWVVY¥VVYT¥VWl¥Yl¥iriV WW 



LES QUATRE JEUNES GENS 
ET LA FEMME '. 



On raconte que jajis il v avait quatre 
jeunes gens; il y avait aussi une femme. 
Cette femme demeurait sur le versant d'une 



i . Ce recit est une legende plutot qu'un conte ; il 
est a tous egards extremement interessant. Je 
le tiens d'une vieille femme de quatre-vingts ans 
noraraie Mamangana. J'ai lieu de croire qu'elle 
ne me l'a pas dit exactement coinme elle le 
connait, ou plutot qu'elle en a relranche cer- 
taines parties qui ne lui paraissaient guerecon- 
venables. Malgre toutes les recherches que j'ai 
faites, je n'ai trouve personne d'autre qui ait pu 
m'en donncr une version plus complete. 

■ 5 



254 



CONTES DES BASSOUTOS 



petite colline ; les quatre jeunes gens demeu- 
raient sur une autre colline. Les jeunes gens 
s'occupaient a chasser des animaux sau- 
vages ; la femme ne savait pas chasser, elle 
restait assise a ne rien faire, n'ayant rien a 
manger. Les jeunes gens chassaient les betes 
sauvages et se nourrissaient de leur chair. 
Un d'eux dit : « Cet etre la-bas qui nous 
ressemble, qui est-ce qui chasse pour lui, 
puisqu'il reste assis toute la journee? » Un 
autre repondit : « Non, il ne nous ressemble 
pas ; cet etre ne peut, comme nous, chasser 
les animaux. » Le premier repliqua : « II a 
comme nous des mains, des pieds et une 
tete; pourquoi ne pourrait-il aller comme 
nous a la chasse? » Un autre dit : « Je va'is 
aller vers lui, pour voir quelle espece de 
personne c'est. » II la trouva toujours assise ; 
il lui demanda : « Comment es-tu, toi? » Elle 
repondit : « Je ne mange rien; je me nourris 
d'eau. — Vrai? — Oui. » II retourna vers 
ses compagnons et leur dit : « Cet etre n'est 
pas de notre espece ; il est d'une tout autre 
espece; c'est un etre qui ne saurait aller a la 
chasse. » Us lui demanderent : « Comment 
est-il fait? — II a comme nous des mains, 



LES QUATRE JEUNES GENS ET LA FEMME 2 55 



des pieds et une tete; autrement il ne nous 
ressemble pas. — Et du feu, en fait-t-il? — 
Non, il vit sans feu. — Que mange-il? — II 
boit de l'eau; il ne mange absolument rien ». 
Les autres jeunes gens furent tres etonnes ; 
ils se coucherent et s'endormirent. 

Le lendemain, ils allerent a la chasse et 
revinrent aVec le gibier qu'ils avaient tue. 
Alors un des jeunes gens dit : « Camarades, 
je veux donner un morceau de viande a 
cette personne la-bas, pour voir si elle le 
mangera. » Ils y consentirent. II coupa un 
morceau de viande, prit du feu, rassembla 
des crottes seches et vint vers la femme; il 
fit du feu et y fit cuire sa viande, puis il lui 
en donna, en disant : a Prends et mange. » 
Elle prit la viande et la mangea. Le jeune 
homme la vit manger et en fut tout etonne. 
Alors il lui donna un autre morceau de 
viande, en lui disant : « Prends et fais-le 
cuire toi-meme. » Puis il retourna vers ses 
camarades et leur dit : « Cette personne a 
mange ma viande, elle mange comme nous; 
mais elle nest pas de la meme espece que 
nous, car elle ne peut pas tuer de gibier. » 

Cette femme etait nue, les jeunes gens 



256 



CONTES DES BASSOUTOS 



l'etaient aussi; mais ils se couvraient des 
peaux des animaux tues par eux quand elles 
etaient fraiches encore; ils ne savaient pas 
les tanner ni les conserver. lis portaient 
leurs fleches fixe'es dans leur chevelure. Le 
lendemain, le jeune homme retourna vers la 
femme et lui porta de la viande. Les autres 
lui dirent : « Si c'est toujours pour cette per- 
sonne-la que tu tues du gibier, tu n'auras 
plus part a notre chasse. » Quand la femme 
se fut rassasiee de viande, elle eut soif ; alors 
elle prit de l'argile et en forma un petit 
vase ; elle le de'posa au soleil pour qu'il 
sechat, ensuite elle alia puiser de l'eau dans 
ce vase ; mais il se fendit. Elle s'en etonna ; 
puis elle alia boire comme toujours en se 
penchant sur l'eau. 

Elle recommenca a faire un vase d'argile, 
puis un autre, les fit secher au soleil, ras- 
sembla des crottes seches et fit un feu pour 
cuire ses vases; quand ils furent finis, elle 
alia puiser de l'eau et vit que cette fois l'eau 
ne les gatait plus. Dans l'un elle mit de l'eau 
et de la viande et placa le tout sur le feu. 
Quand la viande fut cuite, elle la sortit du 
vase et la de'posa sur une pierre plate, puis 



LES QUATRE JEUNES GENS ET LA FEMME I^J 

elle la mangea ; mais elle laissa un morceau 
dans le vase. 

L'homme arriva et lui apporta le gibier 
qu'il venait de tuer; elle lui dit : « Mange 
un peu de ceci, tu verras comme c'est bon. » 
II mangea de sa viande, but du bouillon et 
en fut tout e'tonne. Puis il retourna vers ses 
camarades et leur dit : « Camarades, cette 
personne-la a faconne de l'argile ; dans un 
de ses vases elle puise de 1'eau, dans un 
autre elle cuit de la viande; goutez done la 
viande qu'elle fait cuire; certainement cette 
personne-la n'est pas de la meme espece 
que nous. » lis s'etonnerent. Un autre 
alia vers elle, la regarda, mangea de sa 
viande, but de son bouillon et fut fort 
e'tonne de voir les pots d'argile qu'elle 
avait faconnes. II retourna vers ses cama- 
rades et leur dit : « C'est un etre d'une 
autre espece que nous. » Alors le jeune 
homme qui, le premier, s'etait occupe d'elle, 
resta avec cette femme et lui apporta 
chaque jour le gibier qu'il tuait ; elle, a 
son tour, le lui preparait le mieux qu'elle 
pouvait. Les trois autres jeunes gens par- 
tirent et laisserent leur camarade avec 



258 



CONTES DES BASSOUTOS 



cette femme; ils vecurent ainsi tous les 
deux ensemble '. 

i. Cette legende pourrait etre intitulee : 1'ori- 
gine du mariage. Elle montre admirablement ce 
que sont, dans l'esprit des peuples primitifs, les 
differentes spheres d'activite de l'homme et de 
la femme, et combien ils sont necessaires l'un 
a l'autre dans la vie de tous les jours. 




^ ^h /^n /<p r^p ^n r?p ^n 



SEETETELANE. 



Il y avait une fois un homme extremement 
pauvre nomme Seetetelane. II n'avait pas 
meme une fe'mme. II se nourrissait unique- 
ment de souris sauvages; son manteau 
etait fait de peaux de souris sauvages, ainsi 
que sa tseha '. Un jour qu'il etait alle a la 
chasse des souris sauvages, il trouva un 
oeuf d'autruche, et dit : « Cet ceuf, je le man- 
gerai, lorsque le vent viendra de la-bas. » II 
le serra au fond de sa hutte. 

Le lendemain, il alia, comme d'habitude, 



i. La tseha est le calefon ou ceinture de peau 
des hommes chez les Bassoutos. 



200 



CONTES DES BASSOUTOS 



a la chasse des souris sauvages ; a son retour, 
il trouva du pain qu'on venait de cuire, du 
yoala qu'on venait de preparer. II en fut 
ainsi plusieurs jours de suite. II se disait : 
« Se'etetelane, est-ce que reellement tu 
n'aurais pas de femme ? Qui, si ce n'est ta 
femme, aurait pu te cuire ce pain ou te 
preparer ce yoala? » 

Enfin, un jour, une jeune femme sortit de 
cet ceuf, et lui dit : « Se'etetelane, quand 
bien meme tu serais ivre de yoala, ne 
m'appelle jamais fille d'un ceuf d'autruche. » 
A partir de ce moment, cette femme devint 
la femme de Seetetelane. Un jour elle lui 
dit : « Est-ce que tu aimerais avoir des gens 
a toi? » II repondit : « Oui, je l'aimerais. » 
Mors sa femme sortit et se mit a frapper 
avec un baton l'endroit ou Ton jetait les 
cendres. Le lendemain, a son re'veil, Seete- 
telane entendit un grand bruit, comme celui 
d'une foule d'hommes; il etait maintenant, 
devenu un chef et etait vetu de belles four- 
rures de chaeal. Les gens vinrent vers lui 
avec empressement; de toutes parts on lui 
criait : > Salut, notre chef! salut, notre 
chef! o Tout le monde le saluait ainsi avec 



SKKTETELANE 



2(M 



respect; meme les chiens se mettaient de la 
partie. Partout on entendait les beuglements 
des bestiaux ; Seetetelane etait chef d'un vil- 
lage immense. 11 dedaignait maintenant ses 
peaux de souris sauvages ; il n'e'tait plus vetu 
que de fourrures de chacal, et la nuit il dor- 
mait sur de belles nattes. 

Un jour, commc il etait ivre de yoala, au 
point de ne plus pouvoir bouger, il cria a 
sa femme : « Fille d'un ceuf d'autruche. » 
Sa femme lui demanda : o Est-ce bien toi, 
Seetetelane, qui m'appelles fille d'un ocuf 
d'autruche? » Seetetelane reprit : « Oui, je 
te le dis, tu es la fille d'un oeuf d'autruche. » 
Le soir il se coucha bien au chaud dans des 
fourrures de chacal et s'endormit profon- 
dement. Au milieu de la nuit il se reveilla, 
et, tatonnant a terre avec ses mains, il s'aper- 
£ut qu'il etait couche sur le sol nu et qu'il 
etait couvert de ses anciennes peaux de 
souris sauvages qui arrivaient a peine 
jusqu'a ses genoux; il etait arl'reusement 
transi. II s'apercut aussi que sa femme 
n'etait plus la et que tout son village avait 
disparu. Les belles fourrures de chacal 
avaient egalement disparu. Alors il se rap- 



262 



CONTES DES BASSOUTOS 



pela tout et s'ecria : « Helas! que vais-je 
faire ? pourquoi ai-je dit a ma femme : Tu 
es la fille d'un oeuf d'autruche? » II etait 
redevenu un homme extremement pauvre, 
sans femme ni enfants : il vieillit ainsi, ayant 
toujours pour seule nourriture la chair des 
souris sauvages et se vetant de leurs peaux, 
jusqu'a sa mort '. 

1. Comparez, dans les Swahili Tales of Zan- 
zibar de M. E. Steere, la fin de l'histoire de 
Sultan Darai (pp. 10-137), 0C1 Ton retrouve lc 
meme denouement. 



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m m m m ##### 



SEKHOLOMI 



II y avait une fois un fils de chef nomme' 
Sekholomi-sa-Molopolotsane ; il e'tait muet. 
Un jour, de magnifiques oiseaux vinrent a 
passer; un vieillard s'ecria : « Si mes com- 
pagnons et moi e'tions encore jeunes, nous 
leur donnerions la chasse. » Mors Sekho- 
lomi et ses compagnons partirent pour les 



i . Sekltolomi veut dire: a le parleur, o sans doute 
par antiphrase, puisque le personnage qui portc 
ce nom est muet. Le conte de Se'moumou et 
Semoumounyane [Revue des Traditions popu- 
lates, 1888, pp. 654-662) oflre dans sa seconde 
partie une version un peu differente de celle-ci. 
Dans le Folklore cafre (Theal, pp. 74-81) il faut 
lui comparer le conte de Sikulume. 



264 



CONTES DES BASSOUTOS 



poursuivre. Les oiseaux s'envolerent loin, 
bien loin, poursuivis par les jeunes gens, 
ceux-ci les atteignirent enfin au milieu d'un 
fourre de hauts roseaux, les tuerent et s'en 
firent de belles aigrettes '. Le soir, ils entre- 
rent dans une hutte abandonne'e qui se trou- 
vait la et s'y endormirent. Pendant la nuit la 
proprie'taire de la hutte, une vieille femme 
effrayante 3 , y entra et se mit a dire : « Je 
mangerai celui-ci, je mangerai celui-la; 
quant a Sekholomi-sa-Molopolotsane, je le 
mangerai lorsqu'il pleuvra. » Les jeunes 
gens dormaient et n'entendirent rien ; 
Sekholomi seul l'entendit parler ainsi. Le 
lendemain a leur re'veil les jeunes gens 
s'apergurent que pendant la nuit quelqu'un 
e'tait entre dans la hutte et avait mange tous 
leurs oiseaux. Ils demanderent : « Qui a 



1. Ce sont des aigrettes que les guerriers por- 
tent sur leur tete, soit a la guerre, soit dans leurs 
fetes; on les fait soit de plumes d'oiseaux, soit de 
queues de differents animaux. En sessouto on 
les nomme sekola. 

2. Dans d'autres versions, e'est un grand oiseau 
nomme Koupou ou Selomakoupou. 



SEKHOLOMI 



265 



mange nos oiseaux? » Personne ne put le 
leur dire ; Sekholomi seul le savait, mais il 
ne pouvait pas parler. 

lis retournerent chasser les oiseaux et le 
soir revinrent coucher dans cette hutte. Mais 
cette fois il tresserent une corde d'herbes 
flexibles, et avant de s'endormir l'attacherent 
a leurs orteils. La vieille femme vint, comme 
la veille, et dit : « Je mangerai celui-ci, je 
mangerai celui-la, quant a Sekholomi-sa- 
Molopolotsane, je le mangerai quand il pleu- 
vra. » Sekholomi tira sur la corde et reveilla 
tous ses compagnons, qui entendirent ce que 
disait la vieille. Puis la vieille sortit de la 
hutte et s'eloigna. 

Le matin, Sekholomi et ses compagnons 
sortirent de la hutte et s'eloignerent en cou- 
rant ; mais Sekholomi oublia sa belle aigrette 
de plumes dans un coin de la hutte. 11 s'en 
apercut, lorsqu'ils e'taient deja bien loin, 
alors il parla pour la premiere fois de sa vie 
et s'e'cria : « Oh! oh ! j'ai oublie mon aigrette 
la-bas. a Ses compagnons s'ecrierent : « Le 
fils de notre chef parle ; c'est un miracle ! » 
Sekholomi appela un de ses compagnons et 
lui dit : « Va me chercher mon aigrette. » 



266 



CONTES DES BASSOUTOS 



Celui-ci refusa. Tous refuserent d'y aller. 
lis offrirent a Sekholomi de lui donner leurs 
aigrettes a la place de la sienne; mais il 
refusa, en disant : « Aucune des votres n'est 
aussi belle que la mienne. » 

II se decida alors a aller lui-meme la cher- 
cher; avant de quitter ses compagnons il 
planta en terre son baton, et leur dit : « Si 
vous voyez mon baton tomber a terre, vous 
saurez que je suis mort. » II se mit en route 
et arriva a la hutte oil ils avaient passe la 
nuit; la vieille femme y etait et se battait 
avec une de ses compagnes. Sekholomi 
entra rapidement dans la hutte, se saisit de 
son aigrette et repartit en courant. Les deux 
vieilles femmes se mirent a sa poursuite ; 
mais il courut plus vite qu'elles et leur 
echappa. Son baton ne tomba pas a terre, il 
ne fut qu'ebranle. Ses compagnons connu- 
rent ainsi qu'il etait encore vivant. 

Pendant que Sekholomi continuait a 
s'enfuir, un brouillard epais s'e'tendit sur 
tout le pays. Alors Sekholomi tomba dans 
un etang qu'il n'avait pu voir. II re'ussit a en 
sortir ; mais un grand serpent s'etait enroule 
tout autour de son corps, de sorte qu'il ne 



SEKH0LOMI 267 

pouvait plus marcher qu'avec peine. Enfin, 
il rejoignit ses compagnons. Des que ceux- 
ci l'apercurent ils s'enfuirent au plus vite, 
effrayes a la vue du serpent. Quand Sekho- 
lomi fut arrive a l'endroit ou il avait laisse 
son baton, il se mit a chanter : 



.1 Boa ', qui m'enserres, deroule tes anneaux, que 

[je puisse priser. » 



Le serpent deroula ses anneaux et Sekho- 
lomi prit une prise; ensuite le serpent enlaca 
de nouveau le jeune homme de ses anneaux. 

Sekholomi continuait sa route ; de temps 
en temps, il chantait : « Boa, qui m'enserres, 
deroule tes anneaux, que je puisse priser. » 
Enfin, il arriva au village de son pere, tard 
dans la nuit; il entra dans la hutte du khotla 
et s'y coucha. Le lendemain, a leur reveil, 
les hommes du village l'apercurent et s'en- 
fuirent effrayes. Mors, lui aussi se reveilla; 



1. Le mot que je traduis par boa designe une 
espece de grand python, inconnu dans le Basu- 
toland, mais assez commun, dit-on, au Trans- 
vaal et dans la Natalie. 



i 68 



CONTES DES BASSOUTOS 



il se mit a chanter : « Boa, qui m'enserres, 
deroule tes anneaux que je puisse priser. » 
Mais cette fois le serpent refusa de bouger ; 
Sekholomi sortit de la hutte, toujours 
entoure du serpent. 

Sa mere vint et se mit a chanter : « Boa 
qui enserres mon fils, deroule tes anneaux 
arm qu'il puisse priser. » Mais le serpent 
refusa de houger. Le frere de Sekholom 
s'approcha et se mit a chanter : « Boa, qui 
enserres mon frere, deroule tes anneaux 
arm qu'il puisse priser. » Le serpent ne bou 
geait toujours pas. Le pere de Sekholom 
vint alors et se mit a chanter : a Boa, qu 
enserres mon enfant, deroule tes anneaux 
afin qu'il puisse priser. » Le serpent ne vou 
lait toujours pas s'en aller. 

Alors le chef ordonna a tous ses gens de 
faire du leting et de tuer du Detail; on 
apporta toute cette viande et ce leting dans 
le kraal des bestiaux. Sekholomi s'approcha 
et recommenca a chanter : « Boa, qui m'en- 
serres, deroule tes anneaux que je puisse 
priser. » Quand le serpent apercut les vivres 
deposes a terre, il deroula ses anneaux, 
rampa sur le sol, et se mit a boire un pot de 



SEKHOLOMI 



269 



lilting, puis un autre, jusqu'a ce qu'il les em 
tous finis. Puis il avala la viande et ne cessa 
de manger que lorsqu'il ne resta plus rien. 
Mors Sekholomi s'enfuit en courant, et les 
hommes du- village s'approcherent armes de 
leurs assagaies. Comme le serpent etait ivre 
de la biere qu'il avait bu, et si repu de la 
viande qu'il avait avalee qu'il ne pouvait 
plus bouger, on le tua sans peine. 

Comme on etait en train de le tuer, une 
femme s'ecria : « Ne tuez pas ce serpent; 
c'est mon fils. >> Les gens lui repondirent : 
« Oui, nous le tuerons, car il a voulu tuer le 
fils de notre chef. » Puis, quand ils l'eurent 
acheve, ils l'envelopperent dans une peau de 
bceuf, qu'ils pla^erent sur la tete de cette 
femme, en lui disant : Va-t-en, et emporte 
chez toi ton enfant ; c'est lui qui a voulu 
tuer le fils de notre chef. » La femme partit, 
ployant sous sa charge et suivie des jeunes 
gens du village qui la frappaient tout le long 
du chemin. Elle leur dit : Ce serpent est 
trop lourd; je ne puis le porter. » Ils lui 
repondirent : « C'est toi qui l'as voulu; tu 
n'as que ce qui te revient. » Elle arriva dans 
son village, si accablee qu'elle tomba a terre 



2JO CONTES DES BASSOUTOS 

et mourut '. Les jeunes gens revinrent alors 
chez eux et retrouverent Sekholomi; il 
savait parler maintenant et devint un grand 
chef. 

1 . Cette femme avait fait du bolol ou sorcelle- 
rie et change son fils en serpent pour tuer 
Sekholomi. C'est pour cela qu'elle est punie. La 
croyance a la sorcellerie est fortement enra- 
cinee parmi les Bassoutos, comme du reste 
parmi tous les peuples bantous; il y en a peu qui 
parviennent a s'en defaire reellement. 





PROVERBES 



Le sessouto est tres riche en proverbes. 
J'en possede actuellement une collection 
de plus d'un millier, recueillie soit par moi, 
soit par mes collegues, soit par des aides 
indigenes. On les trouvera a peu pres tous 
(en sessouto seulement) dans le livre d'Aza- 
riel Sekese dont parle l'introduction. Quel- 
ques-uns sont extremement expressifs et 
pittoresques. Ce sont malheureusement 
ceux-la meme qu'il est presque impossible 
de traduire en francais. lis ne seraient 
comprehensibles qu'au prix de longues 
explications, car ils font allusion a des 
moeurs ou coutumes du pays ou a d'anciens 



l'ROVERBKS 



faits historiques. Comme specimen, j'en 
donne ci-dessous un certain nombre, choisis 
a dessein parmi ceux qu'il est le plus aise 
de comprendre et qui ne reclament qu'une 
courte explication. Pour le texte sessouto 
j'ai suivi l'orthographe en usage dans notre 
mission. 

i. Bohlale ha bo ahe ntlo e le ngue. 

La sagesse n'habite pas dans une seule 
maison. 

2. Bohlale bo ya mong a bona. 

La ruse mange son maitre (tue celui qui 
en use). 

3. Boliba botala ha bo okameloe. 

On ne se penche pas sur un gouffre aux 
eaux bleues (profondes). 

4. Ea ratangho otla ntja ha a hloke thupa. 
Celui qui veut battre son chien trouve 

toujours un baton. 

5. Habo mohale ho tla lillo, habo lekuala 
ha ho lluoe. 

Dans la maison de l'homme courageux il 
y a des pleurs, dans celle du lache on ne 
pleure pas. 

6. Ha ho kokoanyana tsella ngue. 



PROVERBES 



2 7 3 



11 n'y a pas d'insecte qui amasse (de la 
nourriture) pour un autre. 

7. Ha ho mophato o hlokang leoatla. 

II n'y a pas de « mopato » ou Ton ne 
trouve un dot '. 

S. Ha ho ngaka e sa eteng. 

II ri'est pas de medecin qui jamais ne 
s'absente 3 . 

g. Ha ho pelanyana e sa ipoleleng. 

II n'y a pas de si petit hyrax qui ne sache 
se vanter 3 . 

10. Ho lebala moetsi, moelsuoa ha a lebale. 
' Celui qui a fait (du mal) oublie, celui a 
qui on (en) a fait n'oublie pas. 

11. Hlaahlela le I la ka le leng. 

Un anneau fait du bruit quand il en frappe 
un autre ''. 



1. Le mopato est la hutte ou sont rassembles 
les jeunes gens qu'on a circoncis. 

2. C'est-a-dire : on n'est jamais sur de trou- 
ver de l'aide la ou on en attend. 

3. L'hyrax ou daman est un petit pachyderme 
sud-africain qui ressemble un peu a la marmotte. 

4. Hlaahlela, anneau que les femmes indi- 
genes portent au-dessus de la cheville du pied. 



*74 



PROVERBES 



12. Hloahloa ha e neanse. 

La chance (est un don qu'on) ne -se passe 
pas de l'un a l'autre. 

i3. Khomo ea lebese ha e itsuale. 

Une vache bonne laitiere ne se reproduit 
pas '. 

14. Khomo e thibela lerumo. 
Le boeuf arrete l'assagaie 2 . 

1 5. La ho shua ha leyuetse. 
L'accident qui tue ne s'annonce pas. 

1 6. Lefu le qoleng ea kobo. 

La mort est dans les plis de notre manteau. 

17. Lefu ke nthoe ncha. 

La mort est (toujours) une chose nouvelle. 

18. Lelemeha le na malokeletso. 
La langue n'a pas de liens. 

19. Leleme le fihla le moo ho roksang 
ntsintsi letata. 

1. C'est-a-dire : son veau ne la vaudra proba- 
blement pas. 

2. Un don apaise la colere de l'ennemi. En 
guerre, quand un chef se declare vaincu, il 
envoie un bceuf en cadeau a son ennemi ; la 
paix est alors conclue. 






PROVERBES 2/ ■> 

Lalangue arrive la meme oil Ton cout un 
« kaross » de peaux de mouches '. 

20. Leqosa ha le na molato. 
Un messager n'a pas de faute 2 . 

21. Leraba le tsuasa mo-le-chehi. 
Le piege prend celui qui l'a tendu. 

22. Lesholu ke ntja, le lefa ka hloho ea 
Iona. 

Le voleur est un chien ; il paie avec sa 

tete. 

23. Lesholu ke le tsueroeng. 

Le voleur c'est celui qu'on saisit '-. 

24. Litabana li tsuala litaba. 
Lespetites affaires en enfantent degrandes. 

25. Litseho Ha rekana. 

Les sourires (politesses) se rendent. 



1. Kaross, peaux d'animaux cousues ensemble 
pour former un grand manteau. Cela veut dire 
que la langue ne recule devant aucun men- 
songe ou exageration. 

2.Proverbe de droit public pour indiquer l'in- 
violabilite des messagers. 

3. On n'a le droit de punir que celui dont la 
faute est prouvee. 



2 7 6 



TROVERBES 



4 



26. Mcibone ha a math'. 
Voir ne sert a rien '. 

27. Mekoko ha e qhoaelane. 

Deux coqs ne s'entr'aident pas a gratter la 
terre (pour y chercher de quoi manger). 

28. Metsi a macha a ntsa a khale. 

Les eaux nouvelles emportent les eaux 
anciennes. 

29. Mofufutso oa ntja tsuela boeeng. 

La sueur du chien ne fart que mouillerses 
poils 2 . 

30. Mohale o hlabanela tsueleng. 
L'homme vaillant combat au milieu de sa 

troupe (ne se risque pas seul). 

3 1 . Molato ha o bole. 

Un crime (ou unedette) ne pourrit pas *. 

32. Mollo u chesoa ke 00 u orang. 

Le feu qui te brulera, c'est celui auquel tu 
te ehauffes. 

33. Molomo oa tno/it ha o tloloe. 



1. L'experience d'autrui ne nous est pas utile. 

2. Ne lui sert de rien. 

3. C'est-a-dire : n'est jamaisoublie, sera puni 
un jour nu I'autre. 



PROVERBES 277 

On ne passe pas sur la bouche (la parole) 
d'un mort. 

34. Molomo o sa yeng o beela o yang. 

La bouche qui ne mange pas met de cote 
pour celle qui mange. 

35. Mong a thipa re ya nae, noma re tima 
'mesi. 

Le maitre du couteau, nous mangeons 
avec lui ; celui qui a cuit la viande, nous ne 
lui en donnons pas. 

36. Motho da le riti sa hae. 

Un homme tombe avec son ombre '. 

37. Motse motle liotloana. 

Un village est beau vu du dehors '*. 

38. Motse ke khetsi ea masepa. 
Unvillage(vududedans)estuntasd'ordures 
3q. Mphe mphe ea lapisa, motho khonoa 

ke sa ntlo ea hae. 



1. Quand quelqu'un meurt, sa richesse o'u sa 
gloire disparait avec lui. 

2. Les liotloana sont Ies enclos de roseaux qui 
se trouvent devant les huttes des indigenes. Ces 
enclos sont toujours propres ; c'est la partie de 
village qui se voit de plus loin. 



278 PROVERBES 

Donne-moi ! donne-moi! cela ne fait 
qu'affamer ; un homme doit savoir se con- 
tenter dece qu'il a dans sa maison '. 

40. Ngaka ha e iphekole. 

Un medecin ne se guerit pas lui-meme. 

41. Nguana ea sa lleng shuela tharing. 
Un enfant qui ne pleure pas meurt dans 

son thari *. 

42. Nguana ea cheleng o tsaba ifo. 
Un enfant brule craint le foyer. 

43. Nkuee shua le mabala. 

Un leopard meurt avec ses couleurs (son 
pelage bigarre) 3 . 

44. Ntho tsa mofu ha li loke. 

Les affaires d'un mort ne vont jamais 
bien 4 . 
43. Ntjapeli ha li hloloe ke phokoyoe. 



1 . La mendicite n'enrichit pas. 

2.' Le thari est la peau assouplie dans laquelle 
les femmes mettent leurs enfants pour les por- 
ter sur leur dos. 

3.Comp. la parole de Jesus-Christ : Un More 
changerait-il sa peau et un leopard ses taches I 

4. On ne respecte pas ses dernieres volontes. 



PROVERBES 



279 



Deux chiens viennent a bout d'un chacal. 

46. Ntoa ke khomo ea khameloa meut- 
lueng. 

La guerre est une vache qu'on trait au 
milieu des e'pines. 

47. Ntsue la morena le haheloa lesakana. 
Quand un chef a promis (un bceuf), on 

peut batir un kraal 

48. Phokoyoe ea tsala morao e bonoa ke 
lintja. 

Le chacal qui reste enarriere, c'est celui- 
la que les chiens apercoivent. 

49. Phiri'e pata sehlotsa. 
L'hyene qui boite ne le montre pas. 

50. Phofu ho hola e bohlale. 

L'e'lan qui grandit, c'est celui qui est 
ruse. 

5i. Phoofdlo hae hlayoe ke eaetsositseng. 

Le gibier n'est pas tue par celui qui l'a 
fait lever. 

52. Pitsa hofauoa e belang. 



1. Les chefs indigenes ne meritent malheureu- 
sement plus qu'on leur applique ce proverbe. 



28o 



PROVERBES 



La farine se met dans le pot qui bout '. 

53. Sebopi se apeha ka lengeta. 

Le potier cuit (sa nourriture) dans un 
vieux pot casse. 

54. Seliba se hole se bolaisa lenyora. 
Une source eloignee laisse mourirde soif. 

55. Serobe se hahnoa phiri eyele. 

On batit un abri (pour ses veaux) quand 
l'hyene (en) a de'ja mange (un). 

56. Seso se monate ha se ngoauoa ke 
tnong. 

Notre abces ne nous fait pas souffrir quand 
c'est nous qui le grattons. 

57. Se khata se le bolepo. 

La trappe prend quand elle est de'ja cou- 
verte de toiles d'araigne'es 2 . 

58. Tau tsa hlaka le le leng lia a tseban. 
Les lions du meme taillis se connaissent 

tous. 

59. Tlotlo ho bokoa le ka mpeng. 



1. II faut battre le fer pendant qu'il est chaud. 

2. Tot ou tard la vengeance atteint celui qui 
l'a meritee. 



PROVERBES 



La nourriture pour laquelle on remercie 
c'est celle qui est (deja) dans notre ventre. 

tio. Tsuene ha e ipone lekopo. 

Le singe ne voit pas la bosse qu'il a sur le 
front. 



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APPENDICE 



r 

4 



I. - BIBLIOGRAPHIE DU FOLKLORE 

DES BASSOUTOS 
ET DES BECHUANAS 



E. Casalis, Etudes sur la langue se'chuana. Paris, 

1841. 
Du meme auteur, Les Bassoutos. Paris, i860. 
Dans ces deux ouvrages on trouve un cer- 
tain nombre de proverbes, de chansons popu- 
lates et d'enigmes et quatre contes populaires 
des Bassoutos, qui sont : 

1. Le meurtre de Maciloniane. Version un 
peu differente de celle que nous donnons 
ici. 

2. La metamorphose d'une jeune fille. Ver- 



APPENDICE 



283 



»ion assez differente du conte intitule ici : 
Mosimodi et Mosimotsanc. 

3. Kammapa et Litaolane. 

4. Le petit lievre. Nous en donnons une ver- 
sion beaucoup plus complete. 

Folk Lore journal. Cape Town, 1K79 et 1880. 
Dans cette interessante publication, editec 
par Miss Lloyd, et qui n'a malheureusement 
pu etre continuee, on trouve (texte sechuana 
avec traduction anglaise en regard) les contes 
suivants : 

1. The lion and the ostrich. 

2. Tsegana-nkokopane. Ce n'est qu'un frag- 
ment, donnant une version un peu d 1 fie - 
rente de la fin du conte intitule VOiseau 
qui fait du lait. 

3. Kgolodikane. 

4. Masilo and Masilonyanc. Version se- 
chuana du conte que nous donnons nous- 
mfime. 

5. Much searching disturbs things that were 
lying still. 

6. How the children of the Ba-Furutsi sepa- 
rated from their fathers. 

En outre on y trouve quclques proverbes 
se'ehuanas et quelqucs notes interessant le 
folklore sur les Continues et Traditions des 
Be'chuanas, la Ccremonie des Dipheku (purih- 



2(>4 APPENDICE 

Cation), les dieitx des Bassoutos (Ba-Pedi), et 
quelques superstitions concernant les Ba-Kga- 
lahadi. 

E. Jacottet, Revue des Traditions populaires, 
1 888- 1 890. 
Sept contes populaires des Bassoutos : 

1. Moshanyana Senkatana. Deux ver- 
sions differcntes du conte donne par 
M. Casalis sous le titre de Kammapa et 
Litaolane. 

2. Semumu et Semumunyane. 

3. Pourquoi le daman n'a pas de queue. 

4. Le garcon-mere. 

5. Leobu. 

6. La le'gende de la tortue. Reproduite ici- 
mSme. 

7. Raseretsana . 

Endemann, Versuch einer Grammatik des Sotlio. 
Berlin, 1876. 

Quelques proverbes et chants populaires en 
se-pedi avec traduction allemande. 

Endemann, Zeitschrift fiir Afrikanische Spra- 
chen, 1888. 

Quelques chants populaires des Ba-Pedi 
avec traduction allemande. 

Theal, Kaffir Folklore. Londres, 1882. 

• Un conte se-rolong (se-chuana) en traduction 



APPENDICE 



285 



anglaise : The story of the bird that made milk 
(Autre version de Voiseau qui fait dit lait). 

Azariel Sekese, Buka ea pokello ea mekhoa ea 
Ba-Sotho. le made, le litsomo. Moria, i8g3. 

Recueil en sessouto des coutumes. proverbes 
et contes des Bassoutos. 



II. — BIBLIOGRAPHIE DU FOLKLORE 

DES PEUPLES BANTOL'S 
ET DES AUTRES TRIBUS DU SuD DE l'AFRIQUE. 



i. Folklore des Cafres et des Zoulous. 

Callaway; Nursery Tales and Traditions of the 
Zulus. Londres, 1868. 

— The religions system of the Ama^ulu . 
Londres, 1868-1870. 

— Zulu I^aga, that is Proverbs of the 
Zulus, by a Zulu missionary. Londres. 

Theal, Kaffir Folklore. Londres, 1882. 

Folk Lore Journal. Cape Town, 1879- 1880. 

Contient dix-huit contes ou legendes des 
Cafres et des Zoulous (texte original avec tra- 
duction anglaise en regard). 

Torrend, Xosa-Kaffir Grammar. Grahamstown, 
1887. 



iS6 



APPENDICE 



Un conte cafre (texte avec traduction anglaise 
en regard). 
Torrend, A Comparative grammar of the South- 
African Bantu Languages. Londres, 1891. 

Quatre contes en cafre avec traduction 
anglaise. 

2. Folklore des Hereros et Ov-Ambo. 

Buttner, Zeitschri/t fitr a/rikanische Sprachen . 
Berlin 1888. 

Quatre contes en herero avec traduction 
allemande. 
Brincker, Worterbuch des Otji-Herero. Leip- 
zig, 1886. 

Quinze contes en herero avec traduction 
allemande interlineaire. 
Folk Lore Journal. Cape Town 1879 et 1880. 

1. Un conte herero et quelques proverbes 
avec traduction anglaise; en outre de tres 
longues explications des coutumes, dds 
moeurs et de la religion des Hereros. 

2. Les sacrifices chez les Ov-Ambd. 

3. Folklore de l'Angola. 

Heli Chatelain, Grammatice elementar do Kim- 
bundu. Geneve, 1888- 1889. 

Soixante et un proverbes, onze enigmes et 
deux contes en ki-mboundou avec traduction 
interlineaire en portugais et en anglais. 



APPENDICE 



287 



4. Folklore du Lounda. 

Henrique de Carvalho, Methodu Pratico para 
fallar a lingua da Lunda. Lisbonne, 1890. 

Cinq contes en lounda avec traduction 
portugaise. 

5. Folklore des Duallas (Cameroun). 
Meinhof, Zeitschrift filr afrikanische Sprachen. 

Berlin, 1890. 

Un conte en dualla avec traduction alle- 
mande. 
Meinhof, Mdrchen aits dem Kamerun. Stras- 
bourg, 1889. 

Six contes duallas en allemand; c'est une 
adaptation plutot qu'une traduction. 

6. Folklore de Zanzibar. 
Steere,Sn>a/ii7i Tales of Zanzibar. Londres, i88y. 

Zeitschrift filr afrikanische Sprachen. Berlin, 
1887-1890. 

Chansons populaires en souaheli avec ou 
sans traduction allemande. 
Steere, Folk Lore Journal. Cape Town, 1 879- 1 880. 
Deux contes en souaheli el en anglais.- 
7. Folklore des Hottentots. 
Bleek, Reynard the Fox in South Africa. Lon- 
dres, 1864. 
Hahn, Tsuni-Goam. Londres, 1882. 
Folk Lore Journal. Cape Town, 1879-1880. 
Quelques contes en traduction anglaise. 



288 appendice 

8. Folklore des Bushmen. 
Bleek, A brief account of Bushman Folk Lore. 

Londres 1879. 
Miss Lloyd, A short account of further Bushman 

material. Londres, 1889. 
Folk Lore Journal. Cape Town, 1879-1880. 
Trois contes des Bushmen fournis par Miss 

Lloyd en traduction anglaise. 

II est probable qu'un certain nombre de contes 
ou autres contributions au folklore des peuples 
bantous ou sud-africains ont ete publies ailleurs. 
Cette bibliographie est loin d'etre complete. Je 
serais heureux que quelqu'un de plus autorise 
la completal dans le Journal des Traditions 
populaires. Nombre de contes manuscrits en 
quelques-unes de ces langues se trouvent depo- 
ses a la Grey Library An Cape Town, et peut-etre 
aussi dans d'autres bibliotheques. 



III. 



OUVRAGES SPECIAUX 



concernant les Bassoutos, leur langue, leurs 
coutumes, leur h1st01re. 



E. Casalis, Les Bassoutos. Paris, i860. 
Ibid. Ales souvenirs. Paris, 1 883. 



APPENDICE 



289 



Arbousset et Daumas, Voyage au Nord-Est de 

la Colonic du Cap. Paris, 1842. 
Theal, History of the Boers of South Africa 

(i836-i854). Londres, 1887. 
Theal, History of South Africa (1 85-1-1 870). Lon- 
dres, 1888. 
Theal, Basutoland Records (3 vol.). Cape Town, 

1882-1884 (recueil des pieces officielles ou 

autres en anglais, hnllandais et francais pour 

servir a l'histoire des Bassoutos). 
T. Jousse, La Mission francaisc au Slid de 

VAfrique (2 vol.). Paris, 1889. 
Journal des Missions Evangeliques (a partir de 

1827). Paris, boulevard Arago, 102. 
E. Casalis, Etudes sur la langue sc-chuana (se- 

souto). Paris, 1841 . 
Endemann, Versuch einer Grammatik des Sotho 

(se-pedi). Berlin 1876. 
Crisp, Notes towards a grammar of the se-coana. 

Londres. 
Kruger, Steps to learn the sc-suto language. 

Moria, Basutoland, 1884. 
E. Jacottet, An elementary sketch of se-suto 

grammar. Moria, i8i)3. 
A. Mabille, Se-suto-English, and English-S e- 

suto Vocabulary. Moria, r 8 9 3 . 






TABLE 



Introduction : 

Note sur les mots sessOUtoS employes 

dans ccs contcs ' 

Le petit lievre 

Le chacal et la source - s 

Le chacal, la colombe et la panthere. ... - ( 4 

La legende de la tortue 4- 

Masilo et Masilonyane 47 

Masilo et Thakanc : 

Tselanc •"".» 

Moselantja 7° 

Nyopakatala 99 

L'oiscau qui fait du lait u* 

Modisa-oa-Dipodi "36 

(Kuf '55 

Polo et Khoahlakhoubcdou 168 



r 



2 :)2 TABI/K 

Boulane ct Senke'peng 178 

Koumongoc 187 

Seilatsatsi-oa-Mohale 20G 

Monyohe ,. . 214 , 

Khocdi-Sefoubeng 226 

Mosimodi ct Mosimotsanc 233 

Ntoatsana 245 

Les quatre jeunes gens et la femmc 253 

Scetetelane 259 

Sekholomi 263 

Provorbes 271 

Appc ndice 282 




Lc Pay. — Imprimeric R. MaicUcssou. 



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7. 




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11 



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